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+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57824 ***
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+L'IMITATION
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+DE
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+JÉSUS-CHRIST,
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+TRADUCTION NOUVELLE
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+AVEC DES
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+RÉFLEXIONS À LA FIN DE CHAQUE CHAPITRE,
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+PAR M. L'ABBÉ
+
+F. DE LAMENNAIS;
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+Suivie de la Messe tirée de Fénelon et des Vêpres du Dimanche.
+
+XLIIIe Édition.
+
+PARIS.
+
+ANCIENNE MAISON SAGNIER ET BRAY.
+
+AMBROISE BRAY, LIBRAIRE-ÉDITEUR,
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+RUE DES SAINTS-PÈRES, 66.
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+1859
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+Ouvrages du même Auteur:
+
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+ L'IMITATION DE JÉSUS-CHRIST, traduction nouvelle, avec des réflexions
+ à la fin de chaque chapitre; suivie de la MESSE tirée de Fénelon et
+ des Vêpres du Dimanche. 1 vol. in-32 diamant. 2 fr.
+
+ --MÊME OUVRAGE, in-32 raisin, papier vélin glacé. 2 fr. 50
+
+ --_Idem_, in-18, papier ordinaire. 2 fr. 50
+
+ --_Idem_, grand in-18, papier vélin glacé. 3 fr. 50
+
+ --_Idem_, grand in-8º, papier Jésus vélin glacé, orné de 4
+ magnifiques gravures sur acier. 12 fr.
+
+
+ JOURNÉE DU CHRÉTIEN, ou moyen de se sanctifier au milieu du monde.
+ 1 vol. in-32. 2 fr.
+
+ --MÊME OUVRAGE, grand in-32, papier vélin glacé. 3 fr.
+
+ --_Idem_, in-18, papier ordinaire. 2 fr. 50
+
+ --_Idem_, grand in-18, papier vélin glacé. 3 fr. 50
+
+
+ LE GUIDE DE LA JEUNESSE. 1 vol. in-18. 1 fr.
+
+ --MÊME OUVRAGE, gr. in-18, pap. vél. gl. 1 fr. 50
+
+ SOMMAIRE: Dangers du monde dans le premier âge.--De la vraie fin de
+ l'homme.--De la fidélité aux devoirs.--De la confession.--De la
+ communion.--De la dévotion à la sainte Vierge, aux saints Patrons et
+ aux Saints Anges.--Messe, Vêpres du Dimanche.
+
+
+ GUIDE SPIRITUEL, ou le _Miroir des âmes religieuses_, par le V. LOUIS
+ DE BLOIS; traduit du latin et précédé d'une Introduction. Ouvrage
+ suivi des _Maximes spirituelles_ de saint Jean-de-la-Croix. 1 vol.
+ in-30. 80 c.
+
+
+
+
+[Illustration]
+
+H. Lazerges del. A. Leroy sc.
+
+LAISSEZ LÀ CE MISÉRABLE MONDE, ET VOTRE COEUR TROUVERA LE REPOS.
+
+Imit. Livre II.
+
+
+
+
+AVERTISSEMENT DES ÉDITEURS.
+
+
+Les personnes qui recherchent avec une préférence fondée sur le mérite
+incontestable de la traduction et surtout des Réflexions, l'_Imitation
+de Jésus-Christ_ de M. l'abbé de Lamennais, sont induites en erreur,
+lorsqu'on leur présente comme enrichie de ces Réflexions la traduction
+qui a paru sous le nom de M. de Genoude. Ce qui a pu accréditer cette
+erreur, c'est que M. de Lamennais a donné en effet des Réflexions pour
+quatre ou cinq chapitres de cette traduction, lorsqu'elle a été publiée
+par les éditeurs de la _Bibliothèque des Dames chrétiennes_.
+
+
+
+
+PRÉFACE.
+
+Décembre 1824.
+
+
+On ne connaît point l'auteur de l'_Imitation_. Les uns l'attribuent à
+Thomas A-Kempis, les autres à l'abbé Gersen: et cette diversité
+d'opinions a été la source de longues controverses, selon nous assez
+inutiles. Mais il n'est point d'objet frivole pour la curiosité humaine.
+On a fait des recherches immenses pour découvrir le nom d'un pauvre
+solitaire du treizième siècle. Qu'est-il résulté de tant de travaux? Le
+solitaire est demeuré inconnu, et l'heureuse obscurité où s'écoula sa
+vie a protégé son humilité contre notre vaine science.
+
+Au reste, si l'on se divise sur l'auteur, tout le monde est d'accord sur
+l'ouvrage, _le plus beau_, dit Fontenelle, _qui soit parti de la main
+des hommes, puisque l'Évangile n'en vient pas_. Il y a, en effet,
+quelque chose de céleste dans la simplicité de ce livre prodigieux. On
+croirait presque qu'un de ces purs esprits qui voient Dieu face à face
+soit venu nous expliquer sa parole, et nous révéler ses secrets. On est
+ému profondément à l'aspect de cette douce lumière, qui nourrit l'âme et
+la fortifie, et l'échauffe sans la troubler. C'est ainsi qu'après avoir
+entendu Jésus-Christ lui-même, les disciples d'Emmaüs se disaient l'un à
+l'autre: _Notre coeur n'était-il pas tout brûlant au dedans de nous,
+lorsqu'il nous parlait dans le chemin, et nous ouvrait les
+Écritures[1]?_
+
+ [1] Luc., XXIV, 32.
+
+On a dit que l'_Imitation_ était le livre des parfaits: elle ne laisse
+pas néanmoins d'être utile à ceux qui commencent. Nulle part on ne
+trouvera une plus profonde connaissance de l'homme, de ses
+contradictions, de ses faiblesses, des plus secrets mouvements de son
+coeur. Mais l'auteur ne se borne pas à nous montrer nos misères; il en
+indique le remède, il nous le fait goûter; et c'est un des caractères
+qui distinguent les écrivains ascétiques des simples moralistes. Ceux-ci
+ne savent guère que sonder la plaie de notre nature; ils nous effraient
+de nous-mêmes, et affaiblissent l'espérance de tout ce qu'ils ôtent à
+l'orgueil. Ceux-là, au contraire, ne nous abaissent que pour nous
+relever; et, plaçant dans le Ciel notre point d'appui, ils nous
+apprennent à contempler sans découragement, du sein même de notre
+impuissance, la perfection infinie où les chrétiens sont appelés.
+
+De là ce calme ravissant, cette paix inexprimable qu'on éprouve en
+lisant leurs écrits avec une foi docile et un humble amour. Il semble
+que les bruits de la terre s'éteignent autour de nous. Alors, au milieu
+d'un grand silence, on n'entend plus qu'une seule voix, qui parle du
+sauveur Jésus, et nous attire à lui comme par un charme irrésistible.
+L'âme transportée aspire au moment où se consommera son union avec le
+céleste Époux. _Et l'esprit et l'épouse disent: Venez. Et que celui qui
+écoute, dise: Venez. Oui, je viens, je me hâte de venir. Ainsi soit-il!
+Venez, Seigneur Jésus_[2].
+
+ [2] Apoc., XXII, 17 et 20.
+
+Que sont les plaisirs du monde près de ces joies inénarrables de la foi?
+Comment peut-on sacrifier le seul vrai bonheur à quelques instants
+d'ivresse, bientôt suivis de longs regrets et d'un amer dégoût? Oh! _si
+vous connaissiez le don de Dieu, si vous saviez quel est celui qui vous
+appelle_[3], qui vous presse de vous donner à lui, afin de se donner
+lui-même à vous, avec quelle ardeur vous répondriez aux invitations de
+son amour! _Venez donc, et goûtez combien le Seigneur est doux_[4]:
+venez et vivez. Maintenant vous ne vivez pas, car ce n'est pas vivre que
+d'être séparé de celui qui a dit: _Je suis la vérité et la vie_[5]. Mais
+quand vous l'aurez connu, quand votre coeur fatigué se sera
+délicieusement reposé sur le sien, il ne vous restera que cette parole:
+_Mon bien-aimé est à moi, et moi à lui_[6]. _J'ai trouvé celui qu'aime
+mon âme: je l'ai saisi, et ne le laisserai point aller_[7].
+
+ [3] Joan., IV, 10.
+
+ [4] Ps. XXXIII, 9.
+
+ [5] Joan., XIV, 6.
+
+ [6] Cant., II, 16.
+
+ [7] _Ibid._, III, 4.
+
+Et vous qui souffrez, vous que le monde afflige, venez aussi, venez à
+Jésus: il bénira vos larmes, il les essuiera de sa main compatissante.
+Son âme est toute tendresse et commisération. _Il a porté nos
+infirmités, et connu nos langueurs_[8]: il sait ce que c'est que
+pleurer.
+
+ [8] Is., LIII, 3 et 4.
+
+L'_Imitation_ ne contient pas seulement des réflexions propres à toucher
+l'âme, elle est encore remplie d'admirables conseils pour toutes les
+circonstances de la vie. En quelque position qu'on se trouve, on ne la
+lit jamais sans fruit. M. de La Harpe en est un exemple frappant;
+écoutons-le parler lui-même.
+
+«J'étais dans ma prison, seul, dans une petite chambre, et profondément
+triste. Depuis quelques jours j'avais lu les Psaumes, l'Évangile et
+quelques bons livres. Leur effet avait été rapide, quoique gradué. Déjà
+j'étais rendu à la foi; je voyais une lumière nouvelle; mais elle
+m'épouvantait et me consternait, en me montrant un abîme, celui de
+quarante années d'égarement. Je voyais tout le mal et aucun remède: rien
+autour de moi qui m'offrît les secours de la religion. D'un autre côté,
+ma vie était devant mes yeux, telle que je la voyais au flambeau de la
+vérité céleste; et de l'autre, la mort, la mort que j'attendais tous les
+jours, telle qu'on la recevait alors. Le prêtre ne paraissait plus sur
+l'échafaud pour consoler celui qui allait mourir; il n'y montait plus
+que pour mourir lui-même. Plein de ces désolantes idées, mon coeur était
+abattu, et s'adressait tout bas à Dieu que je venais de retrouver, et
+qu'à peine connaissais-je encore. Je lui disais: Que dois-je faire? que
+vais-je devenir? J'avais sur une table l'_Imitation_; et l'on m'avait
+dit que dans cet excellent livre je trouverais souvent la réponse à mes
+pensées. Je l'ouvre au hasard, et je tombe, en l'ouvrant, sur ces
+paroles: _Me voici, mon fils! je viens à vous parce que vous m'avez
+invoqué_. Je n'en lus pas davantage: l'impression subite que j'éprouvais
+est au-dessus de toute expression, et il ne m'est pas plus possible de
+la rendre que de l'oublier. Je tombai la face contre terre, baigné de
+larmes, étouffé de sanglots, jetant des cris et des paroles
+entrecoupées. Je sentais mon coeur soulagé et dilaté, mais en même temps
+comme prêt à se fendre. Assailli d'une foule d'idées et de sentiments,
+je pleurai assez longtemps, sans qu'il me reste d'ailleurs d'autre
+souvenir de cette situation, si ce n'est que c'est, sans aucune
+comparaison, ce que mon coeur a jamais senti de plus violent et de plus
+délicieux; et que ces mots, _Me voici, mon fils!_ ne cessaient de
+retentir dans mon âme, et d'en ébranler puissamment toutes les
+facultés.»
+
+Que de grâces cachées renferme un livre dont un seul passage, aussi
+court que simple, a pu toucher de la sorte une âme longtemps endurcie
+par l'orgueil philosophique! Qu'on ne s'y trompe pas cependant: pour
+produire ces vives et soudaines impressions, et même un effet vraiment
+salutaire, l'_Imitation_ demande un Coeur préparé. On peut, jusqu'à un
+certain point, en sentir le charme, on peut l'admirer, sans qu'il
+résulte de cette stérile admiration aucun changement dans la volonté ni
+dans la conduite. Rien n'est utile pour le salut que ce qui repose sur
+l'humilité. Si vous n'êtes pas humble, ou si, au moins, vous ne désirez
+pas le devenir, la parole de Dieu tombera sur votre âme comme la rosée
+sur un sable aride. Ne croire que soi et n'aimer que soi est le
+caractère de l'orgueil. Or, privé de foi et d'amour, de quel bien
+l'homme est-il capable? À quoi lui peuvent servir les instructions les
+plus solides, les plus pressantes exhortations? Tout se perd dans le
+vide de son âme, ou se brise contre sa dureté. Humilions-nous, et la foi
+et l'amour nous seront donnés: humilions-nous, et le salut sera le prix
+de la victoire que nous remporterons sur l'orgueil. Quand le Sauveur
+voulut montrer, pour ainsi dire, aux yeux de ses disciples la voie du
+Ciel, que fit-il? _Jésus appelant un petit enfant, le plaça au milieu
+d'eux, et dit: En vérité, je vous le dis, si vous ne vous convertissez
+et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le
+royaume des Cieux_[9].
+
+ [9] Matth., XVIII, 2 et 3.
+
+ * * * * *
+
+_P. S._ On a cru qu'il serait utile de placer à la fin des chapitres de
+l'_Imitation_ quelques _Réflexions_ qui en fussent comme le résumé.
+Elles tiendront lieu des pratiques du P. GONNELIEU. Ces pratiques, qui
+furent écrites dans un siècle où il y avait encore de la foi dans les
+coeurs et de la simplicité dans les esprits, semblent être devenues
+insuffisantes dans des temps malheureux où le _raisonnement_ a tout
+attaqué et tout corrompu. On s'est néanmoins efforcé d'atteindre, par
+des moyens différents, le même but que s'était proposé ce pieux
+écrivain, en fixant l'attention sur les principaux préceptes ou sur les
+plus importants conseils contenus dans chaque chapitre.
+
+Nous finirons par un mot sur les principales traductions, faites dans
+notre langue, du livre de l'_Imitation_.
+
+La plus ancienne de celles qui méritent d'être citées a pour auteur le
+chancelier de Marillac, et fut publiée en 1621. Cette traduction, qui se
+rapproche plus qu'aucune autre du texte original, a, dans son vieux
+langage, beaucoup de grâce et de naïveté: il est remarquable qu'elle n'a
+été que rarement imitée par les traducteurs qui sont venus après.
+
+En 1662 parut celle de M. Le Maistre de Saci: elle eut un grand succès.
+Toutefois ce n'est le plus souvent qu'une paraphrase élégante du texte.
+Le P. Lallemant, qui publia la sienne en 1740[10], et M. Beauzée, dont
+la traduction fut imprimée en 1788, évitèrent ce défaut, mais laissèrent
+encore beaucoup à désirer. Beauzée, correct, quelquefois même élégant,
+manque de chaleur et d'onction; le P. Lallemant, avec plus de précision
+que Saci et moins de sécheresse que Beauzée, est loin cependant d'avoir
+fidèlement rendu le tour animé et plein de sentiment, l'expression
+souvent si hardie et si pittoresque de l'original. Du reste, l'un et
+l'autre s'emparèrent, sans scrupule, de tout ce qu'ils jugèrent bien
+traduit par leurs devanciers.
+
+ [10] Il avait alors quatre-vingts ans.
+
+La traduction de Saci a été depuis revue et corrigée par l'abbé de La
+Hogue, qui l'a fort améliorée, sans avoir cependant rien changé au
+système de paraphrase adopté par ce traducteur.
+
+Il nous reste à parler de la traduction qui, depuis un siècle, a été le
+plus souvent réimprimée, et qui, sous le nom du P. Gonnelieu, auteur des
+pratiques et des prières dont elle est constamment accompagnée, passe
+pour la plus parfaite de toutes. _Habent sua fata libelli_; ce singulier
+jugement que répète, à peu près dans les mêmes termes, chaque nouvel
+éditeur de cette traduction, l'a rendue, en quelque sorte, l'objet d'un
+respect religieux, qu'il semble bien hardi de vouloir essayer de
+détruire. La vérité est cependant que le P. Gonnelieu n'a jamais traduit
+l'_Imitation_; que cette traduction, depuis si longtemps honorée d'une
+si grande faveur, est d'un libraire de Paris, nommé Jean Cusson, qui la
+fit paraître pour la première fois en 1673; et que, bien qu'elle ait été
+retouchée et corrigée par J.-B. Cusson, son fils, qui la publia de
+nouveau en 1712[11], y joignant alors, pour la première fois, les
+pratiques du P. Gonnelieu, elle n'est en effet qu'une continuelle et
+faible copie de celle de Saci, et, à notre avis, la plus médiocre de
+toutes les traductions que nous venons de citer[12].
+
+ [11] Ces documents bibliographiques ont été puisés dans une
+ dissertation très-savante et très-bien faite sur soixante
+ traductions françaises de l'_Imitation_, publiée en 1812 par M. A.
+ A. Barbier, bibliothécaire du Roi.
+
+ [12] Tous les traducteurs de l'_Imitation_ n'ont cessé de se copier
+ les uns les autres; et Saci est celui auquel on a le plus
+ fréquemment emprunté. (_Voy._ la dissertation déjà citée.) Du reste,
+ tel est le désordre qui règne dans les réimpressions continuelles
+ que l'on fait de ce livre, que ces pratiques du P. Gonnelieu se
+ trouvent, dans plusieurs éditions, à la suite des traductions de
+ Beauzée, de Lallemant, etc.; et néanmoins, dans l'avertissement de
+ l'éditeur, c'est toujours «_l'excellente traduction_ du P. Gonnelieu
+ que l'on présente aux lecteurs, cette traduction qui surpasse toutes
+ les autres _pour la fidélité et l'onction_.»
+
+Quoique M. Genoude, surtout dans les deux premiers livres, les ait
+quelquefois corrigées heureusement, peut-être laisse-t-il encore quelque
+chose à désirer. Il nous a paru du moins qu'on pouvait, en conservant ce
+qu'il y a de bon dans les traductions anciennes[13], essayer de
+reproduire plus fidèlement quelques unes des beautés de l'_Imitation_.
+En ce genre de travail, venir le dernier est un avantage: heureux si
+nous avons su en profiter pour le bien des âmes, et si nous pouvons
+ainsi avoir quelque petite part dans les fruits abondants que produit
+tous les jours ce saint livre!
+
+ [13] Le P. Lallemant justifie cette manière de traduire l'_Imitation_
+ par une réflexion pleine de sens: «Il y a, dit-il à la fin de sa
+ préface, dans l'_Imitation_, un nombre d'expressions si simples,
+ qu'il n'est pas possible de les rendre bien en deux façons. On ne
+ doit donc pas être surpris de trouver en cette traduction plusieurs
+ versets exprimés de la même manière que dans les éditions
+ précédentes. Il ne serait point juste de vouloir obliger un auteur
+ de traduire moins bien un texte, pour s'éloigner de ceux qui ont
+ saisi la seule bonne manière de le traduire.»
+
+
+
+
+L'IMITATION
+
+DE
+
+JÉSUS-CHRIST.
+
+
+
+
+LIVRE PREMIER.
+
+AVIS UTILES POUR ENTRER DANS LA VIE INTÉRIEURE.
+
+
+
+
+CHAPITRE PREMIER.
+
+Qu'il faut imiter JÉSUS-CHRIST, et mépriser toutes les vanités du monde.
+
+
+1. _Celui qui me suit, ne marche point dans les ténèbres_, dit le
+Seigneur[14]. Ce sont les paroles de Jésus-Christ, par lesquelles il
+nous exhorte à imiter sa conduite et sa vie, si nous voulons être
+vraiment éclairés et délivrés de tout aveuglement du coeur.
+
+ [14] Joan., VIII, 12.
+
+Que notre principale étude soit donc de méditer la vie de Jésus-Christ.
+
+2. La doctrine de Jésus-Christ surpasse toute doctrine des Saints; et
+qui posséderait son esprit, y trouverait la manne cachée.
+
+Mais il arrive que plusieurs, à force d'entendre l'Évangile n'en sont
+que peu touchés, parce qu'ils n'ont point l'esprit de Jésus-Christ.
+
+Voulez-vous comprendre parfaitement et goûter les paroles de
+Jésus-Christ: appliquez-vous à conformer toute votre vie à la sienne.
+
+3. Que vous sert de raisonner profondément sur la Trinité, si vous
+n'êtes pas humbles, et que par là vous déplaisiez à la Trinité?
+
+Certes les discours sublimes ne font pas l'homme juste et saint; mais
+une vie pure rend cher à Dieu.
+
+J'aime mieux sentir la componction, que d'en savoir la définition.
+
+Quand vous sauriez toute la Bible et toutes les sentences des
+philosophes, que vous servirait tout cela, sans la grâce et la charité?
+
+_Vanité des vanités, et tout n'est que vanité_[15], hors aimer Dieu, et
+le servir lui seul.
+
+ [15] Eccl., I, 2.
+
+La souveraine sagesse est de tendre au royaume du Ciel par le mépris du
+monde.
+
+4. Vanité donc, d'amasser des richesses périssables, et d'espérer en
+elles.
+
+Vanité, d'aspirer aux honneurs, et de s'élever à ce qu'il y a de plus
+haut.
+
+Vanité, de suivre les désirs de la chair, et de rechercher ce dont il
+faudra bientôt être rigoureusement puni.
+
+Vanité, de souhaiter une longue vie, et de ne pas se soucier de bien
+vivre.
+
+Vanité, de ne penser qu'à la vie présente, et de ne pas prévoir ce qui
+la suivra.
+
+Vanité, de s'attacher à ce qui passe si vite, et de ne se pas hâter vers
+la joie qui ne finit point.
+
+5. Rappelez-vous souvent cette parole du Sage: _L'oeil n'est pas
+rassasié de ce qu'il voit, ni l'oreille remplie de ce qu'elle
+entend_[16].
+
+ [16] Eccl., I, 8.
+
+Appliquez-vous donc à détacher votre coeur de l'amour des choses
+visibles, pour le porter tout entier vers les invisibles.
+
+Car ceux qui suivent l'attrait de leurs sens souillent leur âme, et
+perdent la grâce de Dieu.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Nous n'avons ici-bas qu'un intérêt, celui de notre salut[17], et nul
+ ne peut être sauvé qu'en Jésus-Christ et par Jésus-Christ[18]; la foi
+ en sa parole, l'obéissance à ses commandements, l'imitation de ses
+ vertus, voilà la vie, il n'y en a point d'autre: tout le reste est
+ vanité, et j'ai vu, dit le Sage, que _l'homme n'a rien de plus de tous
+ les travaux dont il se consume sous le soleil_[19]: richesses,
+ plaisirs, grandeurs, qu'est-ce que cela, lorsqu'on jette le corps dans
+ la fosse, et que l'âme s'en va dans son éternité? Pensez-y dès
+ aujourd'hui, dès ce moment même, car, demain peut-être, il ne sera
+ plus temps. Travaillez pendant que le jour luit: hâtez-vous d'amasser
+ un trésor qui ne périsse point[20]: _la nuit vient où l'on ne peut
+ rien faire_[21]. De stériles désirs ne vous sauveront pas: ce sont des
+ oeuvres que Dieu veut. Or donc, imitez Jésus, si vous voulez vivre
+ éternellement avec Jésus.
+
+ [17] Luc., X, 42.
+
+ [18] Act., IV, 12.
+
+ [19] Eccl., I, 3.
+
+ [20] Matth., VI, 20.
+
+ [21] Joan., IX, 4.
+
+
+
+
+CHAPITRE II.
+
+Avoir d'humbles sentiments de soi-même.
+
+
+1. Tout homme désire naturellement de savoir: mais la science sans la
+crainte de Dieu, que vaut-elle?
+
+Un humble paysan qui sert Dieu, est certainement fort au-dessus du
+philosophe superbe qui, se négligeant lui-même, considère le cours des
+astres.
+
+Celui qui se connaît bien, se méprise, et ne se plaît point aux louanges
+des hommes.
+
+Quand j'aurais toute la science du monde, si je n'ai pas la charité, à
+quoi cela me servirait-il devant Dieu, qui me jugera sur mes oeuvres?
+
+2. Modérez le désir trop vif de savoir; on ne trouvera là qu'une grande
+dissipation et une grande illusion.
+
+Les savants sont bien aises de paraître et de passer pour habiles.
+
+Il y a beaucoup de choses qu'il importe peu ou qu'il n'importe point à
+l'âme de connaître; et celui-là est bien insensé qui s'occupe d'autre
+chose que de ce qui intéresse son salut.
+
+La multitude des paroles ne rassasie point l'âme; mais une vie sainte et
+une conscience pure donnent le repos du coeur et une grande confiance
+près de Dieu.
+
+3. Plus et mieux vous savez, plus vous serez sévèrement jugé, si vous
+n'en vivez pas plus saintement.
+
+Quelque art et quelque science que vous possédiez, n'en tirez donc point
+de vanité: craignez plutôt à cause des lumières qui vous ont été
+données.
+
+Si vous croyez beaucoup savoir, et savoir bien, souvenez-vous que c'est
+peu de chose près de ce que vous ignorez.
+
+_Ne vous élevez point en vous-même_[22]: avouez plutôt votre ignorance.
+
+ [22] Rom., XI, 20.
+
+Comment pouvez-vous songer à vous préférer à quelqu'un, tandis qu'il y
+en a tant de plus doctes que vous, et de plus instruits en la loi de
+Dieu?
+
+Voulez-vous apprendre et savoir quelque chose qui vous serve? Aimez à
+vivre inconnu et à n'être compté pour rien.
+
+4. La science la plus haute et la plus utile est la connaissance exacte
+et le mépris de soi-même.
+
+Ne rien s'attribuer et penser favorablement des autres, c'est une grande
+sagesse et une grande perfection.
+
+Quand vous verriez votre frère commettre ouvertement une faute, même une
+faute très-grave, ne pensez pas cependant être meilleur que lui: car
+vous ignorez combien de temps vous persévérerez dans le bien.
+
+Nous sommes tous fragiles; mais croyez que personne n'est plus fragile
+que vous.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ L'orgueil a perdu l'homme, l'humilité le relève et le rétablit en
+ grâce avec Dieu. Son mérite n'est pas dans ce qu'il sait, mais dans ce
+ qu'il fait. La science sans les oeuvres ne le justifiera point au
+ tribunal suprême; elle aggravera plutôt son jugement. Ce n'est pas que
+ la science n'ait ses avantages, puisqu'elle vient de Dieu: mais elle
+ cache un grand piége et une grande tentation. _Elle enfle_, dit
+ l'Apôtre[23]; elle nourrit la superbe, elle inspire une secrète
+ préférence de soi, préférence criminelle et folle en même temps, car
+ la science la plus étendue n'est qu'un autre genre d'ignorance, et la
+ vraie perfection consiste uniquement dans les dispositions du coeur.
+ N'oublions jamais que nous ne sommes rien, que nous ne possédons en
+ propre que le péché, que la justice veut que nous nous abaissions
+ au-dessous de toutes les créatures, et que, dans le royaume de
+ Jésus-Christ, _les premiers seront les derniers, et les derniers
+ seront les premiers_[24].
+
+ [23] I Cor., VIII, 1.
+
+ [24] Matth., XIX, 30.
+
+
+
+
+CHAPITRE III.
+
+De la Doctrine de vérité.
+
+
+1. Heureux celui que la vérité instruit elle-même, non par des figures
+et des paroles qui passent, mais en se montrant telle qu'elle est.
+
+Notre raison et nos sens voient peu et nous trompent souvent.
+
+À quoi servent ces disputes subtiles sur des choses cachées et obscures,
+qu'au jugement de Dieu on ne vous reprochera point d'avoir ignorées?
+
+C'est une grande folie de négliger ce qui est utile et nécessaire, pour
+s'appliquer curieusement à ce qui nuit. Nous avons des yeux, et nous ne
+voyons point.
+
+2. Que nous importe tout ce qu'on dit sur les genres et sur les espèces?
+
+Celui à qui parle le Verbe éternel est délivré de bien des opinions.
+
+Tout vient de ce Verbe unique: de lui procède toute parole, _il en est
+le principe, et c'est lui qui parle en dedans de nous_[25].
+
+ [25] Joan., VIII, 25.
+
+Sans lui nulle intelligence; sans lui nul jugement n'est droit.
+
+Celui pour qui une seule chose est tout, qui rappelle tout à cette
+unique chose, et voit tout en elle, ne sera point ébranlé, et son coeur
+demeurera dans la paix de Dieu.
+
+Ô vérité, qui êtes Dieu, faites que je sois un avec vous dans un amour
+éternel.
+
+Souvent j'éprouve un grand ennui à force de lire et d'entendre: en vous
+est tout ce que je désire, tout ce que je veux.
+
+Que tous les docteurs se taisent: que toutes les créatures soient dans
+le silence devant vous: parlez-moi vous seul.
+
+3. Plus un homme est recueilli en lui-même, et dégagé des choses
+extérieures, plus son esprit s'étend et s'élève sans aucun travail,
+parce qu'il reçoit d'en haut la lumière de l'intelligence.
+
+Une âme pure, simple, ferme dans le bien, n'est jamais dissipée au
+milieu même des plus nombreuses occupations, parce qu'elle fait tout
+pour honorer Dieu, et que, tranquille en elle-même, elle tâche de ne se
+rechercher en rien.
+
+Qu'est-ce qui vous fatigue et vous trouble, si ce n'est les affections
+immortifiées de votre coeur?
+
+4. L'homme bon et vraiment pieux dispose d'abord au dedans de lui tout
+ce qu'il doit faire au dehors: il ne se laisse point entraîner, dans ses
+actions, au désir d'une inclination vicieuse: mais il les soumet à la
+règle d'une droite raison.
+
+Qui a un plus rude combat à soutenir que celui qui travaille à se
+vaincre?
+
+C'est là ce qui devrait nous occuper uniquement: combattre contre
+nous-mêmes, devenir chaque jour plus forts contre nous, chaque jour
+faire quelques progrès dans le bien.
+
+Toute perfection, dans cette vie, est mêlée de quelque imperfection; et
+nous ne voyons rien qu'à travers une certaine obscurité.
+
+L'humble connaissance de vous-même est une voie plus sûre pour aller à
+Dieu, que les recherches profondes de la science.
+
+Ce n'est pas qu'il faille blâmer la science, ni la simple connaissance
+d'aucune chose: car elle est bonne en soi et dans l'ordre de Dieu;
+seulement on doit préférer toujours une conscience pure et une vie
+sainte.
+
+Mais parce que plusieurs s'occupent davantage de savoir que de bien
+vivre, ils s'égarent souvent, et ne retirent que peu ou point de fruit
+de leur travail.
+
+5. Oh! s'ils avaient autant d'ardeur pour extirper leurs vices et pour
+cultiver la vertu, que pour remuer de vaines questions, on ne verrait
+pas tant de maux et de scandales dans le peuple, ni tant de relâchement
+dans les monastères.
+
+Certes, au jour du jugement on ne nous demandera point ce que nous avons
+lu, mais ce que nous avons fait; ni si nous avons bien parlé, mais si
+nous avons bien vécu.
+
+Dites-moi où sont maintenant ces maîtres et ces docteurs que vous avez
+connus, lorsqu'ils vivaient encore, et qu'ils fleurissaient dans leur
+science?
+
+D'autres occupent à présent leurs places, et je ne sais s'ils pensent
+seulement à eux.
+
+Ils semblaient, pendant leur vie, être quelque chose, et maintenant on
+n'en parle plus.
+
+Oh! que la gloire du monde passe vite! Plût à Dieu que leur vie eût
+répondu à leur science! Ils auraient lu alors et étudié avec fruit.
+
+Qu'il y en a qui se perdent dans le siècle par une vaine science, et par
+l'oubli du service de Dieu!
+
+Et parce qu'ils aiment mieux être grands que d'être humbles, ils
+s'évanouissent dans leurs pensées.
+
+Celui-là est vraiment grand, qui a une grande charité.
+
+Celui-là est vraiment grand, qui est petit à ses propres yeux, et pour
+qui les honneurs du monde ne sont qu'un pur néant.
+
+Celui-là est vraiment sage, qui, _pour gagner Jésus-Christ, regarde
+comme de la boue toutes les choses de la terre_[26].
+
+ [26] Philipp., III, 8.
+
+Celui-là possède la vraie science, qui fait la volonté de Dieu, et
+renonce à la sienne.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Il y a deux doctrines, mais il n'y a qu'une vérité. Il y a deux
+ doctrines, l'une de Dieu, immuable comme lui; l'autre de l'homme,
+ changeante comme lui. La sagesse incréée, le Verbe divin répand la
+ première dans les âmes préparées à la recevoir; et la lumière qu'elle
+ leur communique est une partie de lui-même, de la vérité substantielle
+ et toujours vivante. Offerte à tous, elle est donnée avec plus
+ d'abondance à l'humble de coeur; et comme elle ne vient pas de lui,
+ qu'elle peut à chaque instant lui être retirée, qu'elle ne dépend en
+ aucune façon de l'intelligence qu'elle éclaire, il la possède sans
+ être tenté de vaine complaisance dans sa possession. La doctrine de
+ l'homme, au contraire, flatte son orgueil, parce qu'il en est le père.
+ «Cette idée m'appartient; j'ai dit cela le premier; on ne savait rien
+ là-dessus avant moi.» Esprit superbe, voilà ton langage. Mais bientôt
+ on conteste à cette puissante raison ce qui fait sa joie; on rit de
+ ses idées fausses qu'elle a crues vraies, de ses découvertes
+ imaginaires: le lendemain on n'y pense plus, et le temps emporte
+ jusqu'au nom de l'insensé qui ne vécut que pour être immortel sur la
+ terre. Ô Jésus, daignez mettre en moi votre vérité sainte et qu'elle
+ me préserve à jamais des égarements de mon propre esprit!
+
+
+
+
+CHAPITRE IV.
+
+De la Prévoyance dans les actions.
+
+
+1. Il ne faut pas croire à toute parole, ni obéir à tout mouvement
+intérieur; mais peser chaque chose selon Dieu, avec prudence et avec une
+longue attention.
+
+Hélas! nous croyons et nous disons plus facilement des autres le mal que
+le bien, tant nous sommes faibles!
+
+Mais les parfaits n'ajoutent pas foi aisément à tout ce qu'ils
+entendent, parce qu'ils connaissent l'infirmité de l'homme, enclin au
+mal et léger dans ses paroles.
+
+2. C'est une grande sagesse que de ne point agir avec précipitation, et
+de ne pas s'attacher obstinément à son propre sens.
+
+Il est encore de la sagesse de ne pas croire indistinctement tout ce que
+les hommes disent; et ce qu'on a entendu ou cru, de ne point aller
+aussitôt le rapporter aux autres.
+
+Prenez conseil d'un homme sage et de conscience; et laissez-vous guider
+par un autre qui vaille mieux que vous, plutôt que de suivre vos propres
+pensées.
+
+Une bonne vie rend l'homme sage selon Dieu, et lui donne une grande
+expérience.
+
+Plus on sera humble et soumis à Dieu, plus on aura de sagesse et de paix
+en toutes choses.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Dieu devant être la dernière fin de nos actions comme de nos désirs,
+ il est nécessaire qu'en agissant, nous évitions de nous abandonner aux
+ mouvements précipités de la nature, dont le penchant est de tout
+ rapporter à soi. Et comme nul ne se connaît lui-même, et ne peut dès
+ lors être son propre guide, la sagesse veut que nous ne hasardions
+ aucune démarche de quelque importance avant d'avoir pris conseil, en
+ esprit de soumission et d'humilité. Cette juste défiance de soi
+ prévient les chutes et purifie le coeur. _Le conseil vous gardera_,
+ dit l'Écriture, _et vous retirera de la voie mauvaise_[27].
+
+ [27] Prov., II, 11 et 12.
+
+
+
+
+CHAPITRE V.
+
+De la lecture de l'Écriture sainte.
+
+
+1. Il faut chercher la vérité dans l'Écriture sainte, et non
+l'éloquence.
+
+Toute l'Écriture doit être lue dans le même esprit qui l'a dictée.
+
+Nous devons y chercher l'utilité, plutôt que la délicatesse du langage.
+
+Nous devons lire aussi volontiers les livres simples et pieux, que les
+livres profonds et sublimes.
+
+Ne vous prévenez point contre l'auteur; mais, sans vous inquiéter s'il a
+peu ou beaucoup de science, que le pur amour de la vérité vous porte à
+le lire.
+
+Considérez ce qu'on vous dit, sans rechercher qui le dit.
+
+2. _Les hommes passent; mais la vérité du Seigneur demeure
+éternellement_[28].
+
+ [28] Ps. XXXVIII, 7; CVI, 2.
+
+Dieu nous parle en diverses manières, et par des personnes
+très-diverses.
+
+Dans la lecture de l'Écriture sainte, souvent notre curiosité nous nuit,
+voulant examiner et comprendre, lorsqu'il faudrait passer simplement.
+
+Si vous voulez en retirer du fruit, lisez avec humilité, avec
+simplicité, avec foi; et ne cherchez jamais à passer pour habile.
+
+Aimez à interroger; écoutez en silence les paroles des Saints, et ne
+méprisez point les sentences des vieillards; car elles ne sont pas
+proférées en vain.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Qu'est-ce que la raison comprend? presque rien: mais la foi embrasse
+ l'infini. Celui qui croit est donc bien au-dessus de celui qui
+ raisonne, et la simplicité du coeur, bien préférable à la science qui
+ nourrit l'orgueil. C'est le désir de savoir qui perdit le premier
+ homme: il cherchait la science, il trouva la mort. Dieu qui nous parle
+ dans l'Écriture, n'a pas voulu satisfaire notre vaine curiosité, mais
+ nous éclairer sur nos devoirs, exercer notre foi, purifier et nourrir
+ notre âme par l'amour des vrais biens, qui sont tous renfermés en lui.
+ L'humilité d'esprit est donc la disposition la plus nécessaire pour
+ lire avec fruit les livres saints, et c'est déjà avoir profité
+ beaucoup que de comprendre combien ils sont au-dessus de notre raison
+ faible et bornée.
+
+
+
+
+CHAPITRE VI.
+
+Des Affections déréglées.
+
+
+1. Dès que l'homme commence à désirer quelque chose désordonnément,
+aussitôt il devient inquiet en lui-même.
+
+Le superbe et l'avare n'ont jamais de repos; mais le pauvre et l'humble
+d'esprit vivent dans l'abondance de la paix.
+
+L'homme qui n'est pas encore parfaitement mort à lui-même, est bien vite
+tenté; et il succombe dans les plus petites choses.
+
+Celui dont l'esprit est encore infirme, appesanti par la chair, et
+incliné vers les choses sensibles, a grande peine à se détacher
+entièrement des désirs terrestres.
+
+C'est pourquoi, lorsqu'il se refuse à les satisfaire, souvent il éprouve
+de la tristesse; et il est disposé à l'impatience, quand on lui résiste.
+
+2. Que s'il a obtenu ce qu'il convoitait, aussitôt le remords de la
+conscience pèse sur lui, parce qu'il a suivi sa passion, qui ne sert de
+rien pour la paix qu'il cherchait.
+
+C'est en résistant aux passions, et non en leur cédant, qu'on trouve la
+véritable paix du coeur.
+
+Point de paix donc dans le coeur de l'homme charnel, de l'homme livré
+aux choses extérieures: la paix est le partage de l'homme fervent et
+spirituel.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Un joug pesant accable les enfants d'Adam[29], fatigués sans relâche
+ par les convoitises de la nature corrompue. Succombent-ils, la
+ tristesse, le trouble, l'amertume, le remords, s'emparent aussitôt de
+ leur âme. «Superbe encore au fond de l'ignominie, inquiet et las de
+ moi-même, dit saint Augustin en racontant les désordres de sa
+ jeunesse, je m'en allais loin de vous, ô mon Dieu! à travers des voies
+ toutes semées de stériles douleurs[30].» Il en coûte plus à l'homme de
+ céder à ses penchants, que de les vaincre; et si le combat contre les
+ passions est dur, une paix ineffable en est le fruit. Appelons le
+ Seigneur à notre aide dans ce saint combat; n'en craignons point le
+ travail, il sera court: aujourd'hui, demain; et puis le repos éternel!
+
+ [29] Eccl., XL, 1.
+
+ [30] Conf., lib. II, cap. II.
+
+
+
+
+CHAPITRE VII.
+
+Qu'il faut fuir l'orgueil et les vaines espérances.
+
+
+1. Insensé celui qui met son espérance dans les hommes ou dans quelque
+créature que ce soit.
+
+N'ayez point de honte de servir les autres, et de paraître pauvre en ce
+monde, pour l'amour de Jésus-Christ.
+
+Ne vous appuyez point sur vous-même, et ne vous reposez que sur Dieu
+seul.
+
+Faites ce qui est en vous, et Dieu secondera votre bonne volonté.
+
+Ne vous confiez point en votre science, ni dans l'habileté d'aucune
+créature; mais plutôt dans la grâce de Dieu, qui aide les humbles et qui
+humilie les présomptueux.
+
+2. Ne vous glorifiez point dans les richesses, si vous en avez, ni dans
+vos amis parce qu'ils sont puissants, mais en Dieu, qui donne tout, et
+qui, par-dessus tout, désire encore se donner lui-même.
+
+Ne vous élevez point à cause de la force ou de la beauté de votre corps,
+qu'une légère infirmité abat et flétrit.
+
+N'ayez point de complaisance en vous-même à cause de votre esprit ou de
+votre habileté, de peur de déplaire à Dieu, de qui vient tout ce que
+vous avez reçu de bon de la nature.
+
+3. Ne vous estimez pas meilleur que les autres, de crainte que peut-être
+vous ne soyez pire aux yeux de Dieu, qui sait ce qu'il y a dans l'homme.
+
+Ne vous enorgueillissez pas de vos bonnes oeuvres, car les jugements de
+Dieu sont autres que ceux des hommes, et ce qui plaît aux hommes,
+souvent lui déplaît.
+
+S'il y a quelque bien en vous, croyez qu'il y en a plus dans les autres,
+afin de conserver l'humilité.
+
+Vous ne hasardez rien à vous mettre au-dessous de tous: mais il vous
+serait très-nuisible de vous préférer à un seul.
+
+L'homme humble jouit d'une paix inaltérable; la colère et l'envie
+troublent le coeur du superbe.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ En considérant la faiblesse de l'homme, la fragilité de sa vie, les
+ souffrances dont il est assailli de toutes parts, les ténèbres de sa
+ raison, les incertitudes de sa volonté _inclinée au mal dès
+ l'enfance_[31], on s'étonne qu'un seul mouvement d'orgueil puisse
+ s'élever dans une créature si misérable; et cependant l'orgueil est le
+ fond même de notre nature dégradée. Selon la pensée d'un Père, _il
+ nous sépare de la sagesse; il fait que nous voulons être nous-mêmes
+ notre bien, comme Dieu lui-même est son bien_[32]: tant il y a de
+ folie dans le crime! C'est alors que l'homme se recherche et s'admire
+ dans tout ce qui le distingue des autres et l'agrandit à ses propres
+ yeux, dans les avantages du corps, de l'esprit, de la naissance, de la
+ fortune, de la grâce même, abusant ainsi à la fois des dons du
+ créateur et du rédempteur. Oh! que ce désordre est effrayant et
+ combien nous devons trembler lorsque nous découvrons en nous un
+ sentiment de vaine complaisance, ou qu'il nous arrive de nous préférer
+ à l'un de nos frères! Rappelons-nous souvent le pharisien de
+ l'Évangile, sa fausse piété, si contente d'elle-même et si coupable
+ devant Dieu, son mépris pour le publicain _qui s'en alla justifié_ à
+ cause de l'humble aveu de sa misère, et disons au fond du coeur avec
+ celui-ci: _Mon Dieu, ayez pitié de moi_ pauvre pécheur[33]!
+
+ [31] Gen., VIII, 21.
+
+ [32] S. Aug. de lib. arbitr., lib. III, cap. XXIV.
+
+ [33] Luc., XVIII, 13.
+
+
+
+
+CHAPITRE VIII.
+
+Éviter la trop grande familiarité.
+
+
+1. _N'ouvrez pas votre coeur à tous indistinctement_[34]; mais confiez
+ce qui vous touche à l'homme sage et craignant Dieu.
+
+ [34] Eccl., VIII, 22.
+
+Ayez peu de commerce avec les jeunes gens et les personnes du monde.
+
+Ne flattez point les riches, et ne désirez point de paraître devant les
+grands.
+
+Recherchez les humbles, les simples, les personnes de piété et de bonnes
+moeurs; et ne vous entretenez que de choses édifiantes.
+
+N'ayez de familiarité avec aucune femme; mais recommandez à Dieu toutes
+celles qui sont vertueuses.
+
+Ne souhaitez d'être familier qu'avec Dieu et les Anges, et évitez d'être
+connu des hommes.
+
+2. Il faut avoir de la charité pour tout le monde; mais la familiarité
+ne convient point.
+
+Il arrive que, sans la connaître, on estime une personne sur sa bonne
+réputation: et en se montrant, elle détruit l'opinion qu'on avait
+d'elle.
+
+Nous nous imaginons quelquefois plaire aux autres par nos assiduités; et
+c'est plutôt alors que nous commençons à leur déplaire par les défauts
+qu'ils découvrent en nous.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Il faut se prêter aux hommes, et ne se donner qu'à Dieu. Un commerce
+ trop étroit avec la créature partage l'âme et l'affaiblit: elle doit
+ vivre plus haut. _Notre conversation est dans le ciel_, dit
+ l'Apôtre[35].
+
+ [35] Philipp., III, 20.
+
+
+
+
+CHAPITRE IX.
+
+De l'obéissance et du renoncement à son propre sens.
+
+
+1. C'est quelque chose de bien grand que de vivre sous un supérieur,
+dans l'obéissance, et de ne pas dépendre de soi-même.
+
+Il est beaucoup plus sûr d'obéir que de commander.
+
+Quelques-uns obéissent plutôt par nécessité que par amour; et ceux-là,
+toujours souffrants, sont portés au murmure. Jamais ils ne posséderont
+la liberté d'esprit, à moins qu'ils ne se soumettent de tout leur coeur,
+à cause de Dieu.
+
+Allez où vous voudrez, vous ne trouverez de repos que dans une humble
+soumission à la conduite d'un supérieur. Plusieurs, s'imaginant qu'ils
+seraient meilleurs en d'autres lieux, ont été trompés par cette idée de
+changement.
+
+2. Il est vrai que chacun aime à suivre son propre sens, et a plus
+d'inclination pour ceux qui pensent comme lui.
+
+Mais si Dieu est au milieu de nous, il est quelquefois nécessaire de
+renoncer à notre sentiment pour le bien de la paix.
+
+Quel est l'homme si éclairé, qu'il sache tout parfaitement?
+
+Ne vous fiez donc pas trop à votre sentiment; mais écoutez aussi
+volontiers celui des autres.
+
+Si votre sentiment est bon, et qu'à cause de Dieu vous l'abandonniez
+pour en suivre un autre, vous en retirerez plus d'avantage.
+
+3. J'ai souvent ouï dire qu'il est plus sûr d'écouter et de recevoir un
+conseil, que de le donner.
+
+Car il peut arriver que le sentiment de chacun soit bon: mais ne vouloir
+pas céder aux autres, lorsque l'occasion ou la raison le demande, c'est
+la marque d'un esprit superbe et opiniâtre.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ _Le Christ s'est rendu obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la
+ croix_[36]. Qui oserait après cela refuser d'obéir? Nul ordre dans le
+ monde, nulle vie que par l'obéissance: elle est le lien des hommes
+ entre eux et avec leur auteur, le fondement de la paix et le principe
+ de l'harmonie universelle. La famille, la cité, l'Église ou la grande
+ société des intelligences, ne subsistent que par elle, et la
+ perfection la plus haute n'est, pour les créatures, qu'une plus
+ parfaite obéissance, elle seule nous garantit de l'erreur et du péché.
+ Qu'est-ce que l'erreur? la pensée d'un esprit faillible, qui ne
+ reconnaît point de maître et n'obéit qu'à soi. Qu'est-ce que le péché?
+ l'acte d'une volonté corrompue, qui ne reconnaît point de maître et
+ n'obéit qu'à soi. Mais à qui devrons-nous obéir? à un homme comme
+ nous? Non, non, l'homme n'a sur l'homme aucun légitime empire; son
+ pouvoir n'est que la force, et quand il commande en son propre nom, il
+ usurpe insolemment un droit qui ne lui appartient en aucune manière.
+ Dieu est l'unique monarque, et toute autorité légitime est un
+ écoulement, une participation de sa puissance éternelle, infinie.
+ Ainsi, comme l'enseigne l'Apôtre, _le pouvoir vient de Dieu_[37], et
+ il est soumis à une règle divine, aussi bien dans l'ordre temporel que
+ dans l'ordre religieux; de sorte qu'en obéissant au pontife, au
+ prince, au père, à quiconque est réellement _le ministre de Dieu pour
+ le bien_[38], c'est à Dieu seul qu'on obéit. Heureux celui qui
+ comprend cette céleste doctrine: délivré de la servitude de l'erreur
+ et des passions, de la servitude de l'homme, il jouit _de la vraie
+ liberté des enfants de Dieu_[39].
+
+ [36] Philipp., II, 8.
+
+ [37] Rom., XIII, 1.
+
+ [38] _Ibid._
+
+ [39] _Ibid._, VIII, 21.
+
+
+
+
+CHAPITRE X.
+
+Qu'il faut éviter les entretiens inutiles.
+
+
+1. Évitez, autant que vous pourrez, le tumulte du monde; car il y a du
+danger à s'entretenir des choses du siècle, même avec une intention
+pure.
+
+Bientôt la vanité souille l'âme, et la captive.
+
+Je voudrais souvent m'être tû, et ne m'être point trouvé avec des
+hommes.
+
+D'où vient que nous aimons tant à parler et à converser, lorsque si
+rarement il arrive que nous rentrions dans le silence avec une
+conscience qui ne soit pas blessée?
+
+C'est que nous cherchons dans ces entretiens une consolation mutuelle,
+et un soulagement pour notre coeur fatigué de pensées diverses.
+
+Nous nous plaisons à parler, à occuper notre esprit de ce que nous
+aimons, de ce que nous souhaitons, de ce qui contrarie nos désirs.
+
+2. Mais souvent, hélas! bien vainement: car cette consolation extérieure
+n'est pas un médiocre obstacle à la consolation que Dieu donne
+intérieurement.
+
+Il faut donc veiller et prier, afin que le temps ne se passe pas sans
+fruit.
+
+S'il est permis, s'il convient de parler, parlez de ce qui peut édifier.
+
+La mauvaise habitude et le peu de soin de notre avancement, nous
+empêchent d'observer notre langue.
+
+Cependant, de pieuses conférences sur les choses spirituelles, entre des
+personnes unies selon Dieu et animées d'un même esprit, servent beaucoup
+au progrès dans la perfection.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Il est écrit que nous rendrons compte, au jour du jugement, même d'une
+ parole oiseuse[40]. Ne nous étonnons pas de tant de rigueur: tout est
+ sérieux dans la vie humaine, dont chaque moment peut avoir de si
+ formidables conséquences. Ce temps que vous dissipez en des entretiens
+ inutiles, vous était donné pour gagner le ciel. Comparez la fin pour
+ laquelle vous l'avez reçu avec l'usage que vous en faites; et
+ cependant que savez-vous s'il vous sera seulement accordé une heure de
+ plus?
+
+ [40] Matth., XII, 36.
+
+
+
+
+CHAPITRE XI.
+
+Des moyens d'acquérir la paix intérieure, et du soin d'avancer dans la
+vertu.
+
+
+1. Nous pourrions jouir d'une grande paix, si nous voulions ne nous
+point occuper de ce que disent et de ce que font les autres, et de ce
+dont nous ne sommes point chargés.
+
+Comment peut-il être longtemps en paix, celui qui s'embarrasse de soins
+étrangers, qui cherche à se répandre au dehors, et ne se recueille que
+peu ou rarement en lui-même?
+
+Heureux les simples, parce qu'ils posséderont une grande paix!
+
+2. Comment quelques Saints se sont-ils élevés à un si haut degré de
+vertu et de contemplation?
+
+C'est qu'ils se sont efforcés de mourir à tous les désirs de la terre,
+et qu'ils ont pu ainsi s'unir à Dieu par le fond le plus intime de leur
+coeur, et s'occuper librement d'eux-mêmes.
+
+Pour nous, nous sommes trop à nos passions, et trop inquiets de ce qui
+se passe.
+
+Rarement nous surmontons parfaitement un seul vice; nous n'avons point
+d'ardeur pour faire chaque jour quelque progrès, et ainsi nous restons
+tièdes et froids.
+
+3. Si nous étions tout à fait morts à nous-mêmes, et moins préoccupés au
+dedans de nous, alors nous pourrions aussi goûter les choses de Dieu, et
+acquérir quelque expérience de la céleste contemplation.
+
+Le plus grand, l'unique obstacle, c'est qu'asservis à nos passions et à
+nos convoitises, nous ne faisons aucun effort pour entrer dans la voie
+parfaite des Saints.
+
+Et, s'il arrive que nous éprouvions quelque légère adversité, nous nous
+laissons aussitôt abattre, et nous recourons aux consolations humaines.
+
+4. Si, tels que des soldats généreux, nous demeurions fermes dans le
+combat, nous verrions certainement le secours de Dieu descendre sur nous
+du Ciel.
+
+Car il est toujours prêt à aider ceux qui résistent, et qui espèrent en
+sa grâce; et c'est lui qui nous donne des occasions de combattre, afin
+de nous rendre victorieux.
+
+Si nous plaçons uniquement le progrès de la vie chrétienne dans les
+observances extérieures, notre dévotion sera de peu de durée.
+
+Mettons donc la cognée à la racine de l'arbre, afin que, dégagés des
+passions, nous possédions notre âme en paix.
+
+5. Si nous déracinions chaque année un seul vice, bientôt nous serions
+parfaits.
+
+Mais nous sentons souvent au contraire que nous étions meilleurs, et que
+notre vie était plus pure, lorsque nous quittâmes le siècle, qu'après
+plusieurs années de profession.
+
+Nous devrions croître chaque jour en ferveur et en vertu, et maintenant
+on compte pour beaucoup d'avoir conservé une partie de sa ferveur.
+
+Si nous nous faisions d'abord un peu de violence, nous pourrions tout
+faire ensuite aisément et avec joie.
+
+6. Il est dur de renoncer à ses habitudes; mais il est plus dur encore
+de courber sa propre volonté.
+
+Cependant si vous ne savez pas vous vaincre en des choses légères,
+comment remporterez-vous des victoires plus difficiles?
+
+Résistez dès le commencement à votre inclination: rompez sans aucun
+retard toute habitude mauvaise, de peur que peu à peu elle ne vous
+engage dans de plus grandes difficultés.
+
+Oh! si vous considériez quelle paix pour vous, quelle joie pour les
+autres, en vivant comme vous le devez, vous auriez, je crois, plus
+d'ardeur pour votre avancement spirituel.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ _Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix, non comme le monde la
+ donne_[41]. Quelle aimable douceur, quel touchant amour dans ces
+ paroles de Jésus-Christ, et en même temps quelle instruction profonde.
+ Tous les hommes souhaitent la paix, mais il y a deux paix, la paix de
+ Jésus-Christ et la paix du monde. Le monde dit à l'ambitieux: Le désir
+ des grandeurs te trouble et t'agite, monte, élève-toi. Il dit à
+ l'avare: L'envie des richesses te dévore, amasse, amasse, sans
+ t'arrêter jamais. Il dit au mondain tourmenté de ses convoitises:
+ Enivre-toi de tous les plaisirs. Il dit enfin à chaque passion: Jouis
+ et tu auras la paix. Promesse menteuse! Les soucis, la tristesse,
+ l'inquiétude, le dégoût, les remords, voilà la paix du monde. Jésus
+ dit: Triomphez de vous-même, combattez vos désirs, domptez vos
+ convoitises, brisez vos passions: et l'âme docile à ses commandements
+ repose dans un calme ineffable. Les peines de la vie, les souffrances,
+ les injustices, les persécutions, rien n'altère sa paix; et cette
+ céleste paix, _qui surpasse tout sentiment_[42], l'accompagne au
+ dernier passage, et la suit jusqu'au ciel où se consommera sa
+ félicité.
+
+ [41] Joan., XIV, 27.
+
+ [42] Philipp., IV, 7.
+
+
+
+
+CHAPITRE XII.
+
+De l'avantage de l'adversité.
+
+
+1. Il nous est bon d'avoir quelquefois des peines et des traverses,
+parce que souvent elles rappellent l'homme à son coeur, et lui font
+sentir qu'il est en exil, et qu'il ne doit mettre son espérance en
+aucune chose du monde.
+
+Il nous est bon de souffrir quelquefois des contradictions, et qu'on
+pense mal, ou peu favorablement de nous, quelque bonnes que soient nos
+actions et nos intentions. Souvent cela sert à nous rendre humbles, et à
+nous prémunir contre la vaine gloire.
+
+Car nous avons plus d'empressement à chercher Dieu, qui voit le fond du
+coeur, quand les hommes au dehors nous rabaissent, et pensent mal de
+nous.
+
+2. C'est pourquoi l'homme devrait s'affermir tellement en Dieu, qu'il
+n'eût pas besoin de chercher tant de consolations humaines.
+
+Lorsqu'avec une volonté droite, l'homme est troublé, tenté, affligé de
+mauvaises pensées, il reconnaît alors combien Dieu lui est nécessaire,
+et qu'il n'est capable d'aucun bien sans lui.
+
+Alors il s'attriste, il gémit, il prie, à cause des maux qu'il souffre.
+
+Alors il s'ennuie de vivre plus longtemps, et il souhaite que la mort
+arrive, afin que, délivré de ses liens, il soit avec Jésus-Christ.
+
+Alors aussi il comprend bien qu'une sécurité parfaite, une pleine paix,
+ne sont point de ce monde.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ C'est dans l'adversité que chacun de nous apprend à connaître ce qu'il
+ est réellement. _Celui qui n'a pas été éprouvé, que sait-il[43]?_
+ L'homme à qui tout prospère est exposé à un grand danger; il est bien
+ à craindre que son âme s'assoupisse d'un sommeil pesant, et qu'à
+ l'heure du réveil on ne lui dise: _Souvenez-vous que vous avez reçu
+ vos biens sur la terre_[44]. Ici-bas les souffrances sont une grâce de
+ prédilection; elles nous exercent à la vertu, elles nous fournissent
+ de nouvelles occasions de mérite, et nous rendent conformes au Fils de
+ Dieu, dont il est écrit: _Il a fallu que le Christ souffrît, et qu'il
+ entrât ainsi dans sa gloire_[45].
+
+ [43] Eccl., XXXIV, 9.
+
+ [44] Luc., XVI, 25.
+
+ [45] Act., XVII, 3.
+
+
+
+
+CHAPITRE XIII.
+
+De la résistance aux tentations.
+
+
+1. Tant que nous vivons ici-bas, nous ne pouvons être exempts de
+tribulations et d'épreuves.
+
+C'est pourquoi il est écrit au livre de Job: _La tentation est la vie de
+l'homme sur la terre_[46].
+
+ [46] Job, VII, 1.
+
+Chacun devrait donc être toujours en garde contre les tentations qui
+l'assiégent, et veiller et prier pour ne point laisser lieu aux
+surprises du démon, qui ne dort jamais, et _qui tourne de tous côtés,
+cherchant quelqu'un pour le dévorer_[47].
+
+ [47] I. Pet.; Ps. V, 8.
+
+Il n'est point d'homme si parfait et si saint, qui n'ait quelquefois des
+tentations, et nous ne pouvons en être entièrement affranchis.
+
+2. Mais, quoique importunes et pénibles, elles ne laissent pas d'être
+souvent très-utiles à l'homme, parce qu'elles l'humilient, le purifient
+et l'instruisent.
+
+Tous les Saints ont passé par beaucoup de tentations et de souffrances,
+et c'est par cette voie qu'ils ont avancé; mais ceux qui n'ont pu
+soutenir ces épreuves, Dieu les a réprouvés, et ils ont défailli dans la
+route du salut.
+
+Il n'y a point d'ordre si saint, ni de lieu si secret, où l'on ne trouve
+des peines et des tentations.
+
+3. L'homme, tant qu'il vit, n'est jamais entièrement à l'abri des
+tentations: car nous en portons le germe en nous, à cause de la
+concupiscence dans laquelle nous sommes nés.
+
+L'une succède à l'autre; et nous aurons toujours quelque chose à
+souffrir, parce que nous avons perdu le bien et la félicité primitive.
+
+Plusieurs cherchent à fuir pour n'être point tentés, et ils tombent dans
+des tentations plus dangereuses.
+
+Il ne suffit pas de fuir pour vaincre; mais la patience et la véritable
+humilité nous rendent plus forts que tous nos ennemis.
+
+4. Celui qui, sans arracher la racine du mal, évite seulement les
+occasions extérieures, avancera peu: au contraire les tentations
+reviennent à lui plus promptement et plus violentes.
+
+Vous vaincrez plus sûrement peu à peu et par une longue patience, aidé
+du secours de Dieu, que par une rude et inquiète opiniâtreté.
+
+Prenez souvent conseil dans la tentation, et ne traitez point durement
+celui qui est tenté; mais consolez-le comme vous voudriez qu'on vous
+consolât vous-même.
+
+5. Le commencement de toutes les tentations est l'inconstance de
+l'esprit et le peu de confiance en Dieu.
+
+Car, comme un vaisseau sans gouvernail est poussé çà et là par les
+flots, ainsi l'homme faible et changeant qui abandonne ses résolutions
+est agité par des tentations diverses.
+
+_Le feu éprouve le fer_[48], et la tentation, l'homme juste.
+
+ [48] Eccl., XXXI, 31.
+
+Nous ne savons souvent ce que nous pouvons: mais la tentation montre ce
+que nous sommes.
+
+Il faut veiller cependant, surtout au commencement de la tentation; car
+on triomphe beaucoup plus facilement de l'ennemi, si on ne le laisse
+point pénétrer dans l'âme, et si on le repousse à l'instant même où il
+se présente pour entrer.
+
+C'est ce qui a fait dire à un ancien: _Arrêtez le mal dès son origine,
+le remède vient trop tard, quand le mal s'est accru par de longs
+délais_[49].
+
+ [49] Ovid.
+
+D'abord une simple pensée s'offre à l'esprit, puis une vive imagination;
+ensuite le plaisir, et le mouvement déréglé, et le consentement. Ainsi
+peu à peu l'ennemi envahit toute l'âme, lorsqu'on ne lui résiste pas dès
+le commencement.
+
+Plus on met de retard et de langueur à le repousser, plus on s'affaiblit
+chaque jour, et plus l'ennemi devient fort contre nous.
+
+6. Plusieurs sont affligés de tentations plus violentes au commencement
+de leur conversion; d'autres à la fin: il y en a qui souffrent presque
+toute leur vie.
+
+Quelques-uns sont tentés assez légèrement, selon l'ordre de la sagesse
+et de la justice de Dieu, qui connaît l'état des hommes, pèse leurs
+mérites, et dispose tout pour le salut de ses élus.
+
+7. C'est pourquoi, quand nous sommes tentés, nous ne devons point perdre
+l'espérance, mais prier Dieu avec plus de ferveur, afin qu'il daigne
+nous secourir dans toutes nos tribulations; car, selon la parole de
+l'Apôtre, _il nous fera tirer avantage de la tentation même, de sorte
+que nous puissions la surmonter_[50].
+
+ [50] I. Cor., X, 13.
+
+_Humilions donc nos âmes sous la main de Dieu_[51], dans toutes nos
+tentations, dans toutes nos peines, parce qu'il sauvera et relèvera les
+humbles d'esprit.
+
+ [51] I. Pet.
+
+8. Dans les tentations et les traverses, on reconnaît combien l'homme a
+fait de progrès. Le mérite est plus grand, et la vertu paraît davantage.
+
+Il est peu difficile d'être pieux et fervent, lorsque l'on n'éprouve
+rien de pénible; mais celui qui se soutient avec patience au temps de
+l'adversité, donne l'espoir d'un grand avancement.
+
+Quelques-uns surmontent les grandes tentations et succombent tous les
+jours aux petites, afin qu'humiliés d'être si faibles dans les moindres
+occasions, ils ne présument jamais d'eux-mêmes dans les grandes.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Nul homme n'est exempt de tentations. Elles nous purifient, nous
+ éprouvent, nous instruisent, nous humilient. Ce n'est pas seulement
+ par la fuite ou par une résistance violente qu'on en triomphe, mais
+ par une patience tranquille et un confiant abandon entre les mains de
+ Dieu. Veillons cependant, selon le précepte de Jésus-Christ, _Veillons
+ et prions_[52]. On surmonte aisément la tentation naissante; mais si
+ on la laisse croître et se fortifier, on porte, en succombant, la
+ peine de sa négligence ou de sa présomption. Voulez-vous réellement
+ vaincre? Repoussez l'ennemi dès la première attaque. Voulez-vous
+ retirer du combat l'avantage en vue duquel Dieu permet que nous soyons
+ tentés? Reconnaissez votre misère, votre faiblesse, votre impuissance;
+ et humiliez-vous de plus en plus. L'humilité est le fondement de notre
+ sûreté, de notre paix et de toute perfection.
+
+ [52] Marc., XIV, 38.
+
+
+
+
+CHAPITRE XIV.
+
+Éviter les jugements téméraires, et ne se point rechercher soi-même.
+
+
+1. Tournez les yeux sur vous-même, et gardez-vous de juger les actions
+des autres.
+
+En jugeant les autres, l'homme se fatigue vainement: il se trompe le
+plus souvent, et commet beaucoup de fautes; mais en s'examinant et se
+jugeant lui-même, il travaille toujours avec fruit.
+
+D'ordinaire nous jugeons des choses selon l'inclination de notre coeur,
+car l'amour-propre altère aisément en nous la droiture du jugement.
+
+Si nous n'avions jamais en vue que Dieu seul, nous serions moins
+troublés quand on résiste à notre sentiment.
+
+2. Mais souvent il y a quelque chose hors de nous, ou de caché en nous,
+qui nous entraîne.
+
+Plusieurs se recherchent secrètement eux-mêmes dans ce qu'ils font, et
+ils l'ignorent.
+
+Ils semblent affermis dans la paix, lorsque tout va selon leurs désirs;
+mais éprouvent-ils des contradictions, aussitôt ils s'émeuvent, et
+tombent dans la tristesse.
+
+La diversité des opinions produit souvent des dissensions entre les
+amis, entre les citoyens, et même entre les religieux et les personnes
+dévotes.
+
+3. On quitte difficilement une vieille habitude; et nul ne se laisse
+volontiers conduire au-delà de ce qu'il voit.
+
+Si vous vous appuyez sur votre esprit et sur votre pénétration, plus que
+sur la soumission dont Jésus-Christ nous a donné l'exemple, vous serez
+très-peu et très-tard éclairé dans la vie spirituelle: car Dieu veut que
+nous lui soyons parfaitement soumis, et que nous nous élevions au-dessus
+de toute raison par un ardent amour.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Il y a en nous une secrète malice qui se complaît à découvrir les
+ imperfections de nos frères: et voilà pourquoi nous sommes si prompts
+ à les juger, oubliant qu'à Dieu seul appartient le jugement des
+ coeurs. Au lieu de scruter si curieusement la conscience d'autrui,
+ descendons dans la nôtre; nous y trouverons assez de motifs d'être
+ indulgents envers le prochain et de troubles pour nous-même. Vous
+ n'êtes chargé que de vous, vous ne répondrez que de vous; _Ne jugez
+ donc point, afin que vous ne soyez point jugé_[53].
+
+ [53] Matth., VII, 2.
+
+
+
+
+CHAPITRE XV.
+
+Des oeuvres de charité.
+
+
+1. Pour nulle chose au monde, ni pour l'amour d'aucun homme, on ne doit
+faire le moindre mal; on peut quelquefois cependant, pour rendre un
+service dans le besoin, différer une bonne oeuvre, ou lui en substituer
+une meilleure: car alors le bien n'est pas détruit, mais il se change en
+un plus grand.
+
+Aucune oeuvre extérieure ne sert sans la charité; mais tout ce qui se
+fait par la charité, quelque petit et quelque vil qu'il soit, produit
+des fruits abondants.
+
+Car Dieu regarde moins à l'action qu'au motif qui fait agir.
+
+2. Celui-là fait beaucoup, qui aime beaucoup.
+
+Celui-là fait beaucoup, qui fait bien ce qu'il fait; et il fait bien
+lorsqu'il subordonne sa volonté à l'utilité publique.
+
+Ce qu'on prend pour la charité, souvent n'est que la convoitise; car il
+est rare que l'inclination, la volonté propre, l'espoir de la
+récompense, ou la vue de quelque avantage particulier, n'influe pas sur
+nos actions.
+
+3. Celui qui possède la charité véritable et parfaite, ne se recherche
+en rien; mais son unique désir est que la gloire de Dieu s'opère en
+toute chose.
+
+Il ne porte envie à personne, parce qu'il ne souhaite aucune faveur
+particulière, ne met point sa joie en lui-même, et que, dédaignant tous
+les autres biens, il ne cherche qu'en Dieu son bonheur.
+
+Il n'attribue jamais aucun bien à la créature; il les rapporte tous à
+Dieu de qui ils découlent comme de leur source, et dans la jouissance
+duquel tous les Saints se reposent à jamais comme dans leur fin
+dernière.
+
+Oh! qui aurait une étincelle de la vraie charité, que toutes les choses
+de la terre lui paraîtraient vaines!
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Presque toutes les actions des hommes partent d'un principe vicié, de
+ cette triple concupiscence dont parle saint Jean[54], et contre
+ laquelle la vie chrétienne n'est qu'un perpétuel combat. L'amour
+ déréglé de soi, si difficile à vaincre entièrement, corrompt trop
+ souvent les oeuvres mêmes en apparence les plus pures. Que de travaux,
+ que d'aumônes, que de pénitences, dans lesquelles on se confie
+ peut-être, seront stériles pour le ciel! Dieu ne se donne qu'à ceux
+ qui l'aiment; il est le prix de la charité, de cet amour inénarrable,
+ sans bornes et sans mesure, qui, tandis que tout le reste passe,
+ demeure éternellement, dit saint Paul[55]. Amour, qui seul faites les
+ saints, amour _qui êtes Dieu même_[56], pénétrez, possédez,
+ transformez en vous toutes les puissances de mon âme, soyez ma vie,
+ mon unique vie, et maintenant, et à jamais dans les siècles des
+ siècles. Ainsi soit-il!
+
+ [54] I. Joan., II, 16.
+
+ [55] I. Cor., XIII, 8.
+
+ [56] I. Joan., IV, 16.
+
+
+
+
+CHAPITRE XVI.
+
+Qu'il faut supporter les défauts d'autrui.
+
+
+1. Ce que l'homme ne peut corriger en soi ou dans les autres, il doit le
+supporter avec patience, jusqu'à ce que Dieu en ordonne autrement.
+
+Songez qu'il est peut-être mieux qu'il en soit ainsi, pour vous éprouver
+par la patience, sans laquelle nos mérites sont peu de chose.
+
+Vous devez cependant prier Dieu de vous aider à vaincre ces obstacles,
+ou à les supporter avec douceur.
+
+2. Si quelqu'un, averti une ou deux fois, ne se rend point, ne contestez
+point avec lui, mais confiez tout à Dieu, qui sait tirer le bien du mal,
+afin que sa volonté s'accomplisse, et qu'il soit glorifié dans tous ses
+serviteurs.
+
+Appliquez-vous à supporter patiemment les défauts et les infirmités des
+autres, quelles qu'elles soient; parce qu'il y a aussi bien des choses
+en vous, que les autres ont à supporter.
+
+Si vous ne pouvez vous rendre tel que vous voudriez, comment
+pourrez-vous faire que les autres soient selon votre gré?
+
+Nous aimons que les autres soient exempts de défauts, et nous ne
+corrigeons point les nôtres.
+
+3. Nous voulons qu'on reprenne les autres sévèrement, et nous ne voulons
+pas être repris nous-mêmes.
+
+Nous sommes choqués qu'on leur laisse une trop grande liberté, et nous
+ne voulons pas qu'on nous refuse rien.
+
+Nous voulons qu'on les retienne par des règlements, et nous ne souffrons
+pas qu'on nous contraigne en la moindre chose.
+
+Par là on voit clairement combien il est rare que nous usions de la même
+mesure pour nous et pour les autres.
+
+Si tous étaient parfaits, qu'aurions-nous de leur part à souffrir pour
+Dieu?
+
+4. Or Dieu l'a ainsi ordonné, afin que nous apprenions à porter le
+fardeau les uns des autres: car chacun a son fardeau: personne n'est
+sans défauts, nul ne se suffit à soi-même, nul n'est assez sage pour se
+conduire seul; mais il faut nous supporter, nous consoler, nous aider,
+nous instruire, nous avertir mutuellement.
+
+C'est dans l'adversité qu'on voit le mieux ce que chacun a de vertus.
+
+Car les occasions ne rendent pas l'homme fragile; mais elles montrent ce
+qu'il est.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Vous ne sauriez, dites-vous, supporter tels et tels défauts; puissant
+ motif de vous humilier! Car Dieu, qui est la perfection même, les
+ supporte, et de beaucoup plus grands. Ce qui vous rend si susceptible,
+ ce n'est pas le zèle du prochain, mais un amour-propre difficile,
+ irritable, ombrageux. Tournez vos regards sur vous-même, et voyez si
+ vos frères n'ont rien à souffrir de vous? La vraie piété est douce et
+ patiente, parce qu'elle éclaire sur ce que l'on est. Celui qui se sent
+ faible, et qui en gémit, ne se choque pas aisément des faiblesses des
+ autres; il sait que nous avons tous besoin de support, d'indulgence et
+ de miséricorde; il excuse, il compatit, il pardonne, et conserve ainsi
+ la paix au dedans de soi et au dehors la charité.
+
+
+
+
+CHAPITRE XVII.
+
+De la vie religieuse.
+
+
+1. Il faut que vous appreniez à vous briser en beaucoup de choses, si
+vous voulez conserver la paix et la concorde avec les autres.
+
+Ce n'est pas peu de chose de vivre dans un monastère ou dans une
+congrégation, de n'y être jamais une occasion de plainte, et d'y
+persévérer fidèlement jusqu'à la mort.
+
+Heureux celui qui, après une vie sainte, y a heureusement consommé sa
+course!
+
+Si vous voulez être affermi et croître dans la vertu, regardez-vous
+comme exilé et comme étranger sur la terre.
+
+Il faut, pour l'amour de Jésus-Christ, devenir insensé selon le monde,
+si vous voulez vivre en religieux.
+
+2. L'habit et la tonsure servent peu: c'est le changement des moeurs et
+la mortification entière des passions qui font le vrai religieux.
+
+Celui qui cherche autre chose que Dieu seul et le salut de son âme, ne
+trouvera que tribulation et douleur.
+
+Celui-là ne saurait non plus demeurer longtemps en paix, qui ne
+s'efforce point d'être le dernier de tous, et soumis à tous.
+
+3. Vous êtes venu pour servir, et non pour dominer: sachez que vous êtes
+appelé pour souffrir et pour travailler, et non pour discourir dans une
+vaine oisiveté.
+
+Ici donc les hommes sont éprouvés comme l'or dans la fournaise.
+
+Ici nul ne peut vivre, s'il ne veut s'humilier de tout son coeur à cause
+de Dieu.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Qu'est-ce qu'un bon religieux? c'est un chrétien toujours occupé de
+ tendre à la perfection. La vie religieuse n'est donc qu'une vie, pour
+ ainsi dire, plus chrétienne; et l'abnégation de soi-même est l'abrégé
+ de tous les devoirs qu'elle impose. Or ces devoirs sont aussi les
+ nôtres, puisque ce n'est pas seulement à quelques-uns, mais à tous,
+ que Jésus-Christ a dit: _Soyez parfaits comme votre Père céleste est
+ parfait_[57]. Pour remplir cette grande vocation, renonçons à
+ nous-mêmes; unissons-nous pleinement au sacrifice de notre divin chef;
+ aimons surtout la dépendance, les humiliations, les mépris. Le salut
+ est un édifice qui ne s'élève que sur les ruines de l'orgueil.
+
+ [57] Matth., V, 48.
+
+
+
+
+CHAPITRE XVIII.
+
+De l'exemple des Saints.
+
+
+1. Contemplez les exemples des saints Pères, en qui reluisait la vraie
+perfection de la vie religieuse, et vous verrez combien peu est ce que
+nous faisons, et presque rien.
+
+Hélas! qu'est-ce que notre vie comparée à la leur?
+
+Les Saints et les amis de Jésus-Christ ont servi Dieu dans la faim et
+dans la soif, dans le froid et dans la nudité, dans le travail et dans
+la fatigue, dans les veilles et dans les jeûnes, dans les prières et
+dans les saintes méditations, dans une infinité de persécutions et
+d'opprobres.
+
+2. Oh! que de pesantes tribulations ont souffertes les Apôtres, les
+Martyrs, les Confesseurs, les Vierges, et tous ceux qui ont voulu suivre
+les traces de Jésus-Christ! _Ils ont haï leur âme en ce monde, pour la
+posséder dans l'éternité_[58].
+
+ [58] Joan., XII, 25.
+
+Oh! quelle vie de renoncement et d'austérités, que celle des Saints dans
+le désert! quelles longues et dures tentations ils ont essuyées! que de
+fois ils ont été tourmentés par l'ennemi! que de fréquentes et ferventes
+prières ils ont offertes à Dieu! Quelles rigoureuses abstinences ils ont
+pratiquées! quel zèle, quelle ardeur pour leur avancement spirituel!
+quelle forte guerre contre leurs passions! quelle intention pure et
+droite toujours dirigée vers Dieu!
+
+Ils travaillaient pendant le jour, et passaient la nuit en prières; et
+même, durant le travail, ils ne cessaient point de prier en esprit.
+
+3. Tout leur temps avait un emploi utile. Les heures qu'ils donnaient à
+Dieu leur semblaient courtes, et ils trouvaient tant de douceur dans la
+contemplation, qu'ils en oubliaient les besoins du corps.
+
+Ils renonçaient aux richesses, aux dignités, aux honneurs, à leurs amis,
+à leurs parents: ils ne voulaient rien du monde; ils prenaient à peine
+ce qui était nécessaire pour la vie; s'occuper du corps, même dans la
+nécessité, leur était une affliction.
+
+Ils étaient pauvres des choses de la terre: mais ils étaient riches en
+grâces et en vertus.
+
+Au dehors tout leur manquait; mais Dieu les fortifiait au dedans par sa
+grâce et par ses consolations.
+
+4. Ils étaient étrangers au monde, mais unis à Dieu, et ses amis
+familiers.
+
+Ils se regardaient comme un pur néant, et le monde les méprisait; mais
+ils étaient chéris de Dieu, et précieux devant lui.
+
+Ils vivaient dans une sincère humilité, dans une obéissance simple, dans
+la charité, dans la patience, et devenaient ainsi chaque jour plus
+parfaits et plus agréables à Dieu.
+
+Ils ont été donnés en exemple à tous ceux qui professent la vraie
+religion, et ils doivent nous exciter plus à avancer dans la perfection,
+que la multitude des tièdes ne nous porte au relâchement.
+
+5. Oh! quelle ferveur en tous les religieux au commencement de leur
+sainte institution! quelle ardeur pour la prière! quelle émulation de
+vertu! quelle sévère discipline! que de soumission, que de respect ils
+montraient tous pour la règle de leur fondateur!
+
+Ce qui nous reste d'eux atteste encore la sainteté et la perfection de
+ces hommes qui, en combattant généreusement, foulèrent aux pieds le
+monde.
+
+Aujourd'hui on compte pour beaucoup qu'un religieux ne viole point sa
+règle, et qu'il porte patiemment le joug dont il s'est chargé.
+
+Ô tiédeur! ô négligence de notre état qui a si vite éteint parmi nous
+l'ancienne ferveur! Maintenant tout fatigue notre lâcheté, jusqu'à nous
+rendre la vie ennuyeuse.
+
+Plût à Dieu qu'après avoir vu tant d'exemples d'hommes vraiment pieux,
+vous ne laissiez pas entièrement s'assoupir en vous le désir d'avancer
+dans la vertu!
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ À la vue des exemples admirables que nous ont laissés tant de
+ disciples fervents de Jésus-Christ, rougissons de notre lâcheté, et
+ animons-nous à marcher courageusement sur leurs traces. Répétons
+ souvent ces paroles d'un saint: _Quoi! je ne pourrai pas ce qu'ont pu
+ tels et tels?_ Et ajoutons avec l'Apôtre: _De moi-même je ne peux
+ rien; mais je puis tout en celui qui me fortifie_[59]. Toute notre
+ force consiste à sentir notre faiblesse et à en connaître le remède
+ qui est la grâce du médiateur.
+
+ [59] Philipp., IV, 13.
+
+
+
+
+CHAPITRE XIX.
+
+Des exercices d'un bon religieux.
+
+
+1. La vie d'un vrai religieux doit être pleine de toutes les vertus; de
+sorte qu'il soit tel intérieurement qu'il paraît devant les hommes.
+
+Et certes il doit être encore bien plus parfait au dedans qu'il ne le
+semble au dehors, parce que Dieu nous regarde, et que nous devons,
+partout où nous sommes, le révérer profondément, et marcher en sa
+présence purs comme les Anges.
+
+Nous devons chaque jour renouveler notre résolution, nous exciter à la
+ferveur, comme si notre conversion commençait aujourd'hui seulement, et
+dire:
+
+Aidez-moi, Seigneur, dans mes saintes résolutions et dans votre service;
+donnez-moi de bien commencer maintenant, car ce que j'ai fait jusqu'ici
+n'est rien.
+
+2. La fermeté de notre résolution est la mesure de notre progrès; et une
+grande diligence est nécessaire à celui qui veut avancer. Si celui qui
+forme les résolutions les plus fortes se relâche souvent, que sera-ce de
+celui qui n'en prend que rarement, ou n'en prend que de faibles?
+
+Toutefois nous abandonnons nos résolutions de diverses manières, et la
+moindre omission dans nos exercices a presque toujours quelque suite
+fâcheuse.
+
+Les justes, dans leurs résolutions, comptent bien plus sur la grâce de
+Dieu que sur leur propre sagesse; et quelque chose qu'ils entreprennent,
+c'est en lui seul qu'ils mettent leur confiance.
+
+_Car l'homme propose, mais Dieu dispose_[60], _et la voie de l'homme
+n'est pas en lui_[61].
+
+ [60] Prov., XVI, 9.
+
+ [61] Jér., X, 23.
+
+3. Si nous omettons quelquefois nos exercices ordinaires, par quelque
+motif pieux, ou pour l'utilité de nos frères, il nous sera facile
+ensuite de réparer cette omission.
+
+Mais si nous les abandonnons sans sujet, par ennui ou par négligence,
+c'est une faute grave, et qui nous sera funeste.
+
+Faisons tous nos efforts, et nous tomberons encore aisément en beaucoup
+de fautes.
+
+On doit cependant toujours se proposer quelque chose de fixe, surtout à
+l'égard de ce qui forme le plus grand obstacle à notre avancement.
+
+Il faut examiner et régler également notre intérieur et notre extérieur,
+parce que l'un et l'autre servent à nos progrès.
+
+4. Ne pouvez-vous continuellement vous recueillir, recueillez-vous au
+moins de temps en temps, au moins une fois le jour, le matin ou le soir.
+
+Le matin, formez vos résolutions; le soir, examinez votre conduite, ce
+que vous avez été dans vos paroles, vos actions, vos pensées: peut-être
+en cela avez-vous souvent offensé Dieu et le prochain.
+
+Tel qu'un soldat plein de courage, armez-vous contre les attaques du
+démon.
+
+Réprimez l'intempérance, et vous réprimerez plus aisément tous les
+autres désirs de la chair.
+
+Ne soyez jamais tout à fait oisif; mais lisez, ou écrivez, ou priez, ou
+méditez, ou travaillez à quelque chose d'utile à la communauté.
+
+Il ne faut cependant s'appliquer qu'avec discrétion aux exercices du
+corps, et ils ne conviennent pas également à tous.
+
+5. Ce qui sort des pratiques communes ne doit point paraître au dehors:
+il est plus sûr de remplir en secret ses exercices particuliers.
+
+Prenez garde cependant de négliger les exercices communs pour ceux de
+votre choix. Mais, après avoir accompli fidèlement et pleinement les
+devoirs prescrits, s'il vous reste du temps, rendez-vous à vous-même,
+selon le mouvement de votre dévotion.
+
+Tous ne sauraient suivre les mêmes exercices: l'un convient mieux à
+celui-ci, l'autre à celui-là.
+
+On aime même à les diversifier selon les temps; il y en a qu'on goûte
+plus aux jours de fêtes, et d'autres aux jours ordinaires.
+
+Les uns nous sont nécessaires au temps de la tentation, les autres au
+temps de la paix et du repos.
+
+Autres sont les pensées qui nous plaisent dans la tristesse, ou quand
+nous éprouvons de la joie en Dieu.
+
+6. Il faut, vers l'époque des grandes fêtes, renouveler nos pieux
+exercices, et implorer avec plus de ferveur les suffrages des Saints.
+
+Proposons-nous de vivre d'une fête à l'autre, comme si nous devions
+alors sortir de ce monde, et entrer dans l'éternelle fête.
+
+Et pour cela préparons-nous avec soin dans ces saints temps, par une vie
+plus fervente, par une plus sévère observance des règles, comme devant
+bientôt recevoir de Dieu le prix de notre travail.
+
+7. Et si ce moment est différé, croyons que nous ne sommes pas encore
+bien préparés, ni dignes de cette gloire immense qui nous sera
+découverte en son temps, et redoublons d'efforts pour nous mieux
+disposer à ce passage.
+
+_Heureux le serviteur_, dit saint Luc, _que le Seigneur, quand il
+viendra, trouvera veillant. Je vous dis, en vérité, qu'il l'établira sur
+tous ses biens_[62].
+
+ [62] Luc., XII, 37.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ _La vie de l'homme sur la terre est un combat perpétuel_[63] contre le
+ démon, contre le monde et contre lui-même. Les uns se retirent dans le
+ cloître pour résister plus aisément, les autres demeurent au milieu du
+ siècle: mais tous ne peuvent vaincre que par l'exercice d'une
+ continuelle vigilance. L'habitude du recueillement, l'amour de la
+ retraite, une attention constante sur ses paroles, ses pensées, ses
+ sentiments, la fidélité aux plus légers devoirs et aux plus humbles
+ pratiques, préservent de grandes tentations, et attirent les grâces du
+ Ciel. _Celui qui néglige les petites choses, tombera peu à peu_[64],
+ dit l'Esprit saint.
+
+ [63] Job, VII, 1.
+
+ [64] Eccli., XIX, 1.
+
+
+
+
+CHAPITRE XX.
+
+De l'amour de la solitude et du silence.
+
+
+1. Cherchez un temps propre à vous occuper de vous-même; et pensez
+souvent aux bienfaits de Dieu.
+
+Laissez là ce qui ne sert qu'à nourrir la curiosité. Lisez plutôt ce qui
+touche le coeur, que qui amuse l'esprit.
+
+Retranchez les discours superflus, les courses inutiles; fermez
+l'oreille aux vains bruits du monde, et vous trouverez assez de loisir
+pour les saintes méditations.
+
+Les plus grands Saints évitaient, autant qu'il leur était possible, le
+commerce des hommes, et préféraient vivre en secret avec Dieu.
+
+2. Un ancien a dit: _Toutes les fois que j'ai été dans la compagnie des
+hommes, j'en suis revenu moins homme que je n'étais_[65].
+
+ [65] Senec., ép. VII.
+
+C'est ce que nous éprouvons souvent, lorsque nous nous livrons à de
+longs entretiens.
+
+Il est plus aisé de se taire que de ne point excéder dans ses paroles.
+
+Il est plus aisé de se tenir chez soi caché, que de se garder de
+soi-même suffisamment au dehors.
+
+Celui donc qui aspire à la vie intérieure et spirituelle doit se retirer
+de la foule avec Jésus.
+
+Nul ne se montre sans péril, s'il n'aime à demeurer caché.
+
+Nul ne parle avec mesure, s'il ne se tait volontiers.
+
+Nul n'est en sûreté dans les premières places, s'il n'aime les
+dernières.
+
+Nul ne commande sans danger, s'il n'a pas appris à bien obéir.
+
+3. Nul ne se réjouit avec sécurité, s'il ne possède en lui-même le
+témoignage d'une bonne conscience.
+
+Cependant la confiance des Saints a toujours été pleine de la crainte de
+Dieu: quel que fût l'éclat de leurs vertus, quelque abondantes que
+fussent leurs grâces, ils n'en étaient ni moins humbles ni moins
+vigilants.
+
+L'assurance des méchants naît au contraire de l'orgueil et de la
+présomption, et finit par l'aveuglement.
+
+Ne vous promettez point de sûreté en cette vie, quoique vous paraissiez
+être un saint religieux ou un pieux solitaire.
+
+4. Souvent les meilleurs dans l'estime des hommes ont couru les plus
+grands dangers, à cause de leur trop de confiance.
+
+Il est donc utile à plusieurs de n'être pas entièrement délivrés des
+tentations, et de souffrir des attaques fréquentes; de peur que,
+tranquilles sur eux-mêmes, ils ne s'élèvent avec orgueil, ou qu'ils ne
+se livrent trop aux consolations du dehors.
+
+Oh! si l'on ne recherchait jamais les joies qui passent, si jamais l'on
+ne s'occupait du monde, qu'on posséderait une conscience pure!
+
+Oh! qui retrancherait toute sollicitude vaine, ne pensant qu'au salut et
+à Dieu, et plaçant en lui toute son espérance, de quelle paix et de quel
+repos il jouirait!
+
+5. Nul n'est digne des consolations célestes, s'il ne s'est exercé
+longtemps dans la sainte componction.
+
+Si vous désirez la vraie componction du coeur, entrez dans votre
+cellule, et bannissez-en le bruit du monde, selon ce qui est écrit:
+_Même sur votre couche, que votre coeur soit plein de componction_[66].
+
+ [66] Ps. IV, 5.
+
+Vous trouverez dans votre cellule ce que souvent vous perdrez au dehors.
+
+La cellule qu'on quitte peu devient douce; fréquemment délaissée, elle
+engendre l'ennui.
+
+Si, dès le premier moment où vous sortez du siècle, vous êtes fidèle à
+la garder, elle vous deviendra comme une amie chère, et sera votre
+consolation la plus douce.
+
+6. Dans le silence et le repos, l'âme pieuse fait de grands progrès, et
+pénètre ce qu'il y a de caché dans l'Écriture.
+
+Là, elle trouve la source des larmes dont elle se lave et se purifie
+toutes les nuits; et elle s'unit d'autant plus familièrement à son
+Créateur, qu'elle vit plus éloignée du tumulte du monde.
+
+Celui donc qui se sépare de ses connaissances et de ses amis, Dieu
+s'approchera de lui avec les saints Anges.
+
+Il vaut mieux être caché et prendre soin de son âme, que de faire des
+miracles et de s'oublier soi-même.
+
+Il est louable dans un religieux de sortir rarement, et de n'aimer ni à
+voir les hommes ni à être vu d'eux.
+
+7. Pourquoi voulez-vous voir ce qu'il ne vous est point permis d'avoir?
+
+Le monde passe et sa concupiscence.
+
+Les désirs des sens entraînent çà et là; mais, l'heure passée, que
+rapportez-vous, qu'une conscience pesante et un coeur dissipé?
+
+Parce qu'on est sorti dans la joie, souvent on revient dans la
+tristesse; et la veille joyeuse du soir attriste le matin.
+
+Ainsi toute joie des sens s'insinue avec douceur, mais à la fin elle
+blesse et tue.
+
+8. Que pouvez-vous voir ailleurs que vous ne voyiez où vous êtes? Voilà
+le ciel, la terre, les éléments: or, c'est d'eux que tout est fait.
+
+Où que vous alliez, que verrez-vous qui soit stable sous le soleil?
+
+Vous croyez peut-être vous rassasier; mais vous n'y parviendrez jamais.
+
+Quand vous verriez toutes choses à la fois, que serait-ce qu'une vision
+vaine?
+
+Levez les veux en haut vers Dieu, et priez pour vos péchés et vos
+négligences.
+
+Laissez aux hommes vains les choses vaines: pour vous, ne vous occupez
+que de ce que Dieu vous commande.
+
+Fermez sur vous votre porte, et appelez à vous Jésus votre bien-aimé.
+
+Demeurez avec lui dans votre cellule: car vous ne trouverez nulle part
+autant de paix.
+
+Si vous n'étiez pas sorti, et que vous n'eussiez pas entendu quelque
+bruit du monde, vous seriez demeuré dans cette douce paix: mais parce
+que vous aimez à entendre des choses nouvelles, il vous faut supporter
+ensuite le trouble du coeur.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Que cherchez-vous dans le monde? le bonheur? Il n'y est pas. Écoutez
+ ce cri de détresse, cette plainte lamentable qui s'élève de tous les
+ points de la terre, et se prolonge de siècle en siècle. C'est la voix
+ du monde. Qu'y cherchez-vous encore? Des lumières, des secours, des
+ consolations, pour accomplir en paix votre pèlerinage? Le monde est
+ livré à l'esprit de ténèbres[67], à toutes les convoitises qu'il
+ inspire, à tous les crimes et à tous les maux dont il est le principe;
+ et c'est pourquoi le prophète s'écriait: _Je me suis éloigné, j'ai
+ fui, et j'ai demeuré dans la solitude_[68]. Là, dans le silence des
+ créatures, Dieu parle au coeur, et sa parole est si merveilleuse, si
+ douce et si ravissante, que l'âme ne veut plus entendre que lui,
+ jusqu'au jour où tous les voiles étant déchirés, elle le contemplera
+ face à face[69]. Le christianisme a peuplé le désert de ces âmes
+ choisies, qui, se dérobant au monde, et foulant aux pieds ses
+ plaisirs, ses honneurs, ses trésors, et la chair, et le sang, nous
+ offrent, dans la pureté de leur vie, une image de la vie des anges.
+ Cependant les Chrétiens ne sont pas tous appelés à ce sublime état de
+ perfection; mais au milieu du bruit et du tumulte de la société, tous
+ doivent se créer, au fond de leur coeur, une solitude où ils puissent
+ se retirer pour converser avec Jésus-Christ, et se recueillir en sa
+ présence. C'est ainsi que ramenés des pensées du temps à la pensée des
+ choses éternelles, ils auront à dégoût celles qui passent, et seront
+ dans le monde comme n'en étant pas: heureux état où s'accomplit pour
+ le fidèle ce que dit l'Apôtre: _notre vie est cachée avec Jésus-Christ
+ en Dieu_[70].
+
+ [67] I. Joann., V, 19.
+
+ [68] Ps. LIV, 8.
+
+ [69] I. Cor., XIII, 12.
+
+ [70] Coloss., III, 3.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXI.
+
+De la componction du coeur.
+
+
+1. Si vous voulez faire quelque progrès, conservez-vous dans la crainte
+de Dieu, et ne soyez point trop libre; mais soumettez vos sens à une
+sévère discipline, et ne vous livrez pas aux joies insensées.
+
+Disposez votre coeur à la componction, et vous trouverez la vraie piété.
+
+La componction produit beaucoup de biens, qu'on perd bientôt en
+s'abandonnant aux vains mouvements de son coeur.
+
+Chose étrange, qu'un homme en cette vie puisse se reposer pleinement
+dans la joie, lorsqu'il considère son exil, et à combien de périls est
+exposée son âme!
+
+2. À cause de la légèreté de notre coeur et de l'oubli de nos défauts,
+nous ne sentons pas les maux de notre âme, et souvent nous rions
+vainement quand nous devrions bien plutôt pleurer.
+
+Il n'y a de vraie liberté et de joie solide que dans la crainte de Dieu
+et la bonne conscience.
+
+Heureux qui peut éloigner tout ce qui le distrait et l'arrête, pour se
+recueillir tout entier dans une sainte componction.
+
+Heureux qui rejette tout ce qui peut souiller sa conscience ou
+l'appesantir.
+
+Combattez généreusement: on triomphe d'une habitude par une autre
+habitude.
+
+Si vous savez laisser là les hommes, ils vous laisseront bientôt faire
+ce que vous voudrez.
+
+3. N'attirez pas à vous les affaires d'autrui; et ne vous embarrassez
+point dans celles des grands.
+
+Que votre oeil soit ouvert sur vous d'abord; et avant de reprendre vos
+amis, ayez soin de vous reprendre vous-même.
+
+Si vous n'avez point la faveur des hommes, ne vous en attristez point;
+mais que votre peine soit de ne pas vivre aussi bien et avec autant de
+vigilance que le devrait un serviteur de Dieu et un bon religieux.
+
+Il est souvent plus utile et plus sûr de n'avoir pas beaucoup de
+consolations en cette vie, et surtout de consolations sensibles.
+
+Cependant si nous sommes privés des consolations divines, ou si nous ne
+les éprouvons que rarement, la faute en est à nous, parce que nous ne
+cherchons point la componction du coeur, et que nous ne rejetons pas
+entièrement les vaines consolations du dehors.
+
+4. Reconnaissez que vous êtes indigne des consolations célestes, et que
+vous méritez plutôt de grandes tribulations.
+
+Quand l'homme est pénétré d'une parfaite componction, le monde entier
+lui est alors amer et insupportable.
+
+Le juste trouve toujours assez de sujets de s'affliger et de pleurer.
+
+Car, en considérant, soit lui-même, soit les autres, il sait que nul
+ici-bas n'est sans tribulation; et plus il se regarde attentivement,
+plus profonde est sa douleur.
+
+Le sujet d'une juste affliction et d'une grande tristesse intérieure, ce
+sont nos péchés et nos vices, dans lesquels nous sommes tellement
+ensevelis, que rarement pouvons-nous contempler les choses du ciel.
+
+5. Si vous pensiez plus souvent à votre mort qu'à la longueur de la vie,
+nul doute que vous n'auriez plus d'ardeur pour vous corriger.
+
+Et si vous réfléchissiez sérieusement aux peines de l'Enfer et du
+Purgatoire, je crois que vous supporteriez volontiers le travail et la
+douleur, et que vous ne redouteriez aucune austérité.
+
+Mais parce que ces vérités ne pénètrent point jusqu'au coeur, et que
+nous aimons encore ce qui nous flatte, nous demeurons froids et
+négligents.
+
+6. Souvent c'est langueur de l'âme, si notre chair misérable se plaint
+si aisément.
+
+Priez donc humblement le Seigneur qu'il vous donne l'esprit de
+componction, et dites avec le Prophète: _Nourrissez-moi, Seigneur, du
+pain des larmes; abreuvez-moi du calice des pleurs_[71].
+
+ [71] Ps. LXXIX, 6.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ La douleur est le fond de la vie humaine. Souffrances du corps,
+ maladies de l'âme, inquiétudes, afflictions, péché, tel est
+ l'accablant fardeau qu'il nous faut porter, depuis notre naissance
+ jusqu'à la tombe; et cependant, à force de travail, l'homme parvient à
+ découvrir, au milieu de ses misères, je ne sais quelles joies
+ insensées dont il s'enivre avidement. Fuyons ces folles joies du
+ monde: arrêtons notre pensée sur le châtiment qui les doit suivre, sur
+ nos fautes si multipliées; et demandons à Dieu avec la componction du
+ coeur, ce repentir plein d'amour, ces heureuses larmes que Jésus a
+ bénies par ces consolantes paroles: _Beaucoup de péchés vous sont
+ remis, parce que vous avez beaucoup aimé_[72].
+
+
+ [72] Luc., VII, 47.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXII.
+
+De la considération de la misère humaine.
+
+
+1. En quelque lieu que vous soyez, de quelque côté que vous vous
+tourniez, vous serez misérable, si vous ne revenez vers Dieu.
+
+Pourquoi vous troubler de ce que rien n'arrive comme vous le désirez et
+comme vous le voulez? À qui est-ce que tout succède selon sa volonté? Ni
+à vous, ni à moi, ni à aucun homme sur la terre.
+
+Nul en ce moment, fût-il roi ou pape, n'est exempt d'angoisses et de
+tribulations.
+
+Qui donc a le meilleur sort? Celui, certes, qui sait souffrir quelque
+chose pour Dieu.
+
+2. Dans leur faiblesse et leur peu de lumières, plusieurs disent: Que
+cet homme a une heureuse vie! qu'il est riche, grand, puissant, élevé!
+
+Mais considérez les biens du ciel, et vous verrez que tous ces biens du
+temps ne sont rien; que, toujours très-incertains, ils sont plutôt un
+poids qui fatigue, parce qu'on ne les possède jamais sans défiance et
+sans crainte.
+
+Avoir en abondance les biens du temps, ce n'est pas là le bonheur de
+l'homme: la médiocrité lui suffit.
+
+C'est vraiment une grande misère de vivre sur la terre.
+
+Plus un homme veut avancer dans les voies spirituelles, plus la vie
+présente lui devient amère, parce qu'il sent mieux et voit plus
+clairement l'infirmité de la nature humaine et sa corruption.
+
+Manger, boire, veiller, dormir, se reposer, travailler, être assujetti à
+toutes les nécessités de la nature, c'est vraiment une grande misère et
+une grande affliction pour l'homme pieux qui voudrait être dégagé de ses
+liens terrestres, et délivré de tout péché.
+
+3. Car l'homme intérieur est, en ce monde, étrangement appesanti par les
+nécessités du corps.
+
+Et c'est pourquoi le Prophète demandait, avec d'ardentes prières, d'en
+être affranchi, disant: _Seigneur, délivrez-moi de mes nécessités_[73].
+
+ [73] Ps. XXIV, 17.
+
+Malheur donc à ceux qui ne connaissent point leur misère! et malheur
+encore plus à ceux qui aiment cette misère et cette vie périssable!
+
+Car il y en a qui l'embrassent si avidement, qu'ayant à peine le
+nécessaire en travaillant ou en mendiant, ils n'éprouveraient aucun
+souci du royaume de Dieu, s'ils pouvaient toujours vivre ici-bas.
+
+4. Ô coeurs insensés et infidèles, si profondément enfoncés dans les
+choses de la terre, qu'ils ne goûtent rien que ce qui est charnel!
+
+Les malheureux! ils sentiront douloureusement à la fin combien était
+vil, combien n'était rien ce qu'ils ont aimé.
+
+Mais les Saints de Dieu, tous les fidèles amis de Jésus-Christ ont
+méprisé ce qui flatte la chair et ce qui brille dans le temps; toute
+leur espérance, tous leurs désirs aspiraient aux biens éternels.
+
+Tout leur coeur s'élevait vers les biens invisibles et impérissables, de
+peur que l'amour des choses visibles ne les abaissât vers la terre.
+
+5. Ne perdez pas, mon frère, l'espérance d'avancer dans la vie
+spirituelle: vous en avez encore le temps.
+
+Pourquoi remettez-vous toujours au lendemain l'accomplissement de vos
+résolutions? Levez-vous et commencez à l'instant, et dites: Voici le
+temps d'agir, voici le temps de combattre, voici le temps de me
+corriger.
+
+Quand la vie vous est pesante et amère, c'est alors le temps de méditer.
+
+_Il faut passer par le feu et par l'eau, avant d'entrer dans le lieu de
+rafraîchissement_[74].
+
+ [74] Ps. LXV, 12.
+
+Si vous ne vous faites violence, vous ne vaincrez pas le vice.
+
+Tant que nous portons ce corps fragile, nous ne pouvons être sans péché,
+ni sans ennui et sans douleur.
+
+Il nous serait doux de jouir d'un repos exempt de toute misère; mais en
+perdant l'innocence par le péché, nous avons aussi perdu la vraie
+félicité.
+
+Il faut donc persévérer dans la patience, et attendre la miséricorde de
+Dieu, _jusqu'à ce que l'iniquité passe_[75], _et que ce qui est mortel
+en vous soit absorbé par la vie_[76].
+
+ [75] Ps. LV, LVI, 2.
+
+ [76] II. Cor., V, 4.
+
+6. Oh! quelle est grande la fragilité qui toujours incline l'homme au
+mal!
+
+Vous confessez aujourd'hui vos péchés, et vous y retombez le lendemain.
+
+Vous vous proposez d'être sur vos gardes, et une heure après vous
+agissez comme si vous ne vous étiez rien proposé.
+
+Nous avons donc grand sujet de nous humilier, et de ne nous jamais
+élever en nous-même, étant si fragiles et si inconstants.
+
+Nous pouvons perdre en un moment, par notre négligence, ce qu'à peine
+avons-nous acquis par la grâce, avec un long travail.
+
+7. Que sera-ce de nous à la fin du jour, si nous sommes si lâches dès le
+matin?
+
+Malheur à nous, si nous voulons goûter le repos, comme si déjà nous
+étions en paix et en assurance, tandis qu'on ne découvre pas dans notre
+vie une seule trace de vraie sainteté!
+
+Nous aurions bien besoin d'être instruits encore, et formés à de
+nouvelles moeurs comme des novices dociles, pour essayer du moins s'il y
+aurait en nous quelque espérance de changement, et d'un plus grand
+progrès dans la vertu.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ _L'homme né de la femme vit peu de jours, et il est rassasié
+ d'angoisses_[77]. Voilà notre destinée telle que le péché l'a faite.
+ Écoutez les gémissements de l'humanité entière dont Job était la
+ figure: «Périsse le jour où je suis né, et la nuit où il fut dit: Un
+ homme a été conçu! Pourquoi ne suis-je pas mort dans le sein de ma
+ mère, ou n'ai-je pas péri en en sortant? Pourquoi m'a-t-elle reçu sur
+ ses genoux, et allaité de ses mamelles? Maintenant je dormirais en
+ silence, et je reposerais dans mon sommeil[78].» Mais déjà sur cette
+ grande misère se levait l'aurore d'une grande espérance. «Je sais que
+ mon Rédempteur est vivant, et que je serai de nouveau revêtu de ma
+ chair, et dans ma chair je verrai mon Dieu; je le verrai, et mes yeux
+ le contempleront[79].» Dès lors tout change: ces douleurs, auparavant
+ sans consolation, unies à celles du Rédempteur, ne sont plus qu'une
+ expiation nécessaire, une épreuve de justice et de miséricorde, une
+ semence d'éternelles joies. Le Christ, en mourant, a ouvert le ciel à
+ l'homme déchu, qui, pour unique grâce, demandait à la terre un
+ tombeau[80]. Et nous nous plaindrions des souffrances auxquelles Dieu
+ réserve un tel prix! Et le murmure serait sur nos lèvres, lorsque, par
+ les tribulations, Jésus-Christ daigne nous associer aux mérites de son
+ sacrifice! C'en est fait, Seigneur, je reconnais mon aveuglement, mon
+ ingratitude, et je ne veux plus désirer ici-bas que d'avoir part à
+ votre passion, afin de participer un jour à votre gloire.
+
+ [77] Job, XIV, 1.
+
+ [78] _Ibid._, III, 3, 11-13.
+
+ [79] _Ibid._, XIX, 25-27.
+
+ [80] _Ibid._, III, 21, 22.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXIII.
+
+De la méditation de la mort.
+
+
+1. C'en sera fait de vous bien vite ici-bas: voyez donc en quel état
+vous êtes.
+
+L'homme est aujourd'hui, et demain il a disparu; et quand il n'est plus
+sous les yeux, il passe bien vite de l'esprit.
+
+Ô stupidité et dureté du coeur humain, qui ne pense qu'au présent et ne
+prévoit pas l'avenir!
+
+Dans toutes vos actions, dans toutes vos pensées, vous devriez être tel
+que vous seriez s'il vous fallait mourir aujourd'hui.
+
+Si vous aviez une bonne conscience, vous craindriez peu la mort.
+
+Il vaudrait mieux éviter le péché que fuir la mort.
+
+Si aujourd'hui vous n'êtes pas prêt, comment le serez-vous demain?
+
+Demain est un jour incertain: et que savez-vous si vous aurez un
+lendemain?
+
+2. Que sert de vivre longtemps, puisque nous nous corrigeons si peu?
+
+Ah! une longue vie ne corrige pas toujours; souvent plutôt elle augmente
+nos crimes.
+
+Plût à Dieu que nous eussions bien vécu dans ce monde un seul jour!
+
+Plusieurs comptent les années de leur conversion; mais souvent qu'ils
+sont peu changés, et que ces années ont été stériles!
+
+S'il est terrible de mourir, peut-être est-il plus dangereux de vivre si
+longtemps.
+
+Heureux celui à qui l'heure de sa mort est toujours présente, et qui se
+prépare chaque jour à mourir!
+
+Si vous avez vu jamais un homme mourir, songez que vous aussi vous
+passerez par cette voie.
+
+3. Le matin, pensez que vous n'atteindrez pas le soir; le soir, n'osez
+pas vous promettre de voir le matin.
+
+Soyez donc toujours prêt, et vivez de telle sorte que la mort ne vous
+surprenne jamais.
+
+Plusieurs sont enlevés par une mort soudaine et imprévue: _car le Fils
+de l'homme viendra à l'heure qu'on n'y pense pas_[81].
+
+ [81] Luc., XII, 40.
+
+Quand viendra cette dernière heure, vous commencerez à juger tout
+autrement de votre vie passée, et vous gémirez amèrement d'avoir été si
+négligent et si lâche.
+
+4. Qu'heureux et sage est celui qui s'efforce d'être tel dans la vie
+qu'il souhaite d'être trouvé à la mort!
+
+Car rien ne donnera une si grande confiance de mourir heureusement, que
+le parfait mépris du monde, le désir ardent d'avancer dans la vertu,
+l'amour de la régularité, le travail de la pénitence, l'abnégation de
+soi-même, et la constance à souffrir toutes sortes d'adversités pour
+l'amour de Jésus-Christ.
+
+Vous pouvez faire beaucoup de bien, tandis que vous êtes en santé: mais,
+malade, je ne sais ce que vous pourrez.
+
+Il en est peu que la maladie rende meilleurs, comme il en est peu qui se
+sanctifient par de fréquents pèlerinages.
+
+5. Ne comptez point sur vos amis ni sur vos proches, et ne différez
+point votre salut dans l'avenir, car les hommes vous oublieront plus
+vite que vous ne pensez.
+
+Il vaut mieux y pourvoir de bonne heure et envoyer devant soi un peu de
+bien, que d'espérer dans le secours des autres.
+
+Si vous n'avez maintenant aucun souci de vous-même, qui s'inquiétera de
+vous dans l'avenir?
+
+Maintenant le temps est d'un grand prix. _Voici maintenant le temps
+propice, voici le jour du salut_[82].
+
+ [82] II. Cor., VI, 2.
+
+Mais, ô douleur! que vous fassiez un si vain usage de ce qui pourrait
+vous servir à mériter de vivre éternellement.
+
+6. Viendra le temps où vous désirerez un seul jour, une seule heure,
+pour purifier votre âme, et je ne sais si vous l'obtiendrez.
+
+Ah! mon frère, de quel péril, de quelle crainte terrible vous pourriez
+vous délivrer, si vous étiez à présent toujours en crainte et en
+défiance de la mort!
+
+Étudiez-vous maintenant à vivre de telle sorte qu'à l'heure de la mort
+vous ayez plus sujet de vous réjouir que de craindre.
+
+Apprenez maintenant à mourir au monde, afin de commencer alors à vivre
+avec Jésus-Christ.
+
+Apprenez maintenant à tout mépriser, afin de pouvoir alors aller
+librement à Jésus-Christ.
+
+Châtiez maintenant votre corps par la pénitence, afin que vous puissiez
+alors avoir une solide confiance.
+
+7. Insensés, sur quoi vous promettez-vous de vivre longtemps, lorsque
+vous n'avez pas un seul jour d'assuré?
+
+Combien ont été trompés et arrachés subitement de leurs corps!
+
+Combien de fois avez-vous ouï dire: Cet homme a été tué d'un coup
+d'épée, celui-ci s'est noyé, celui-là s'est brisé en tombant d'un lieu
+élevé; l'un a expiré en mangeant, l'autre en jouant; l'un a péri par le
+feu, un autre par le fer, un autre par la peste, un autre par la main
+des voleurs.
+
+Et ainsi la fin de tous est la mort, et _la vie des hommes passe comme
+l'ombre_[83].
+
+ [83] Job, XIV, 10. Ps. CXLIII, 4.
+
+8. Qui se souviendra de vous après votre mort, et qui priera pour vous?
+
+Faites, faites maintenant, mon cher frère, tout ce que vous pouvez, car
+vous ne savez pas quand vous mourrez, ni ce qui suivra pour vous la
+mort.
+
+Tandis que vous en avez le temps, amassez des richesses immortelles.
+
+Ne pensez qu'à votre salut, ne vous occupez que des choses de Dieu.
+
+_Faites-vous maintenant des amis_, en honorant les Saints et en imitant
+leurs oeuvres, _afin qu'arrivé au terme de cette vie, ils vous reçoivent
+dans les tabernacles éternels_[84].
+
+ [84] Luc., XVI, 9.
+
+9. Vivez sur la terre comme un voyageur et un étranger à qui les choses
+du monde ne sont rien.
+
+Conservez voire coeur libre et toujours élevé vers Dieu, parce que _vous
+n'avez point ici-bas de demeure permanente_[85].
+
+ [85] Heb., XIII, 14.
+
+Que vos gémissements, vos larmes, vos prières, montent tous les jours
+vers le ciel, afin que votre âme, après la mort, mérite de passer
+heureusement à Dieu.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Approchez de cette fosse, regardez ces ossements blanchis et déjoints:
+ voilà tout ce qui reste ici-bas d'un homme que vous avez connu
+ peut-être, et qui ne pensait pas plus à la mort, il y a peu d'années,
+ que vous n'y pensez aujourd'hui. Ne fallait-il pas, en effet, qu'il
+ songeât d'abord à sa fortune, à celle des siens, à l'établissement de
+ sa famille? aussi s'en est-il occupé jusqu'au dernier moment. Eh bien!
+ maintenant allez, entrez dans sa maison. Des héritiers indifférents y
+ jouissent des biens qu'il avait amassés, et travaillent eux-mêmes à en
+ amasser de nouveaux: du reste nul souvenir du mort. Quelque chose de
+ lui subsiste cependant, et la tombe ne le renferme pas tout entier. Il
+ avait une âme, une âme rachetée du sang de Jésus-Christ: où est-elle?
+ à l'instant où elle quitta le corps, sa demeure fut fixée, ou dans le
+ ciel sans crainte désormais, ou dans l'enfer sans espérance. Terrible,
+ terrible alternative! Et à présent, plongez-vous dans les soins de la
+ terre, différez votre conversion: dites encore, il sera temps demain.
+ Insensé! ce temps, dont tu abuses, creuse ta fosse, et demain ce sera
+ l'éternité!
+
+
+
+
+CHAPITRE XXIV.
+
+Du jugement et des peines des pécheurs.
+
+
+1. En toutes choses regardez la fin, et reportez-vous au jour où vous
+serez là, debout devant le Juge sévère, à qui rien n'est caché, qu'on
+n'apaise point par des présents, qui ne reçoit point d'excuses; mais qui
+jugera selon la justice.
+
+Pécheur misérable et insensé! que répondrez-vous à Dieu qui sait tous
+vos crimes, vous qui tremblez quelquefois à l'aspect d'un homme irrité?
+
+Par quel étrange oubli de vous-même vous en allez-vous, sans rien
+prévoir, vers ce jour où nul ne pourra être excusé ni défendu par un
+autre, mais où chacun sera pour soi un fardeau assez pesant?
+
+Maintenant votre travail produit son fruit; vos larmes sont agréées, vos
+gémissements écoutés; votre douleur satisfait à Dieu, et purifie votre
+âme.
+
+2. Il a ici-bas un grand et salutaire purgatoire, l'homme patient qui,
+en butte aux outrages, s'afflige plus de la malice d'autrui que de sa
+propre injure; qui prie sincèrement pour ceux qui le contristent, et
+leur pardonne du fond du coeur; qui, s'il a peiné les autres, est
+toujours prêt à demander pardon; qui incline à la compassion plus qu'à
+la colère; qui se fait violence à lui-même, et s'efforce d'assujettir
+entièrement la chair à l'esprit.
+
+Il vaut mieux se purifier maintenant de ses péchés et retrancher ses
+vices, que d'attendre à les expier en l'autre vie.
+
+Oh! combien nous nous trompons nous-mêmes par l'amour désordonné que
+nous avons pour notre chair!
+
+3. Que dévorera ce feu, sinon vos péchés?
+
+Plus vous vous épargnez vous-même à présent, et plus vous flattez votre
+chair, plus ensuite votre châtiment sera terrible, et plus vous amassez
+pour le feu éternel.
+
+L'homme sera puni plus rigoureusement dans les choses où il a le plus
+péché.
+
+Là, les paresseux seront percés par des aiguillons ardents, et les
+intempérants tourmentés par une faim et une soif extrêmes.
+
+Là, les voluptueux et les impudiques seront plongés dans une poix
+brûlante et dans un soufre fétide; comme des chiens furieux, les envieux
+hurleront dans leur douleur.
+
+4. Chaque vice aura son tourment propre.
+
+Là, les superbes seront remplis de confusion, et les avares réduits à la
+plus misérable indigence.
+
+Là, une heure sera plus terrible dans le supplice, que cent années ici
+dans la plus dure pénitence.
+
+Ici, quelquefois le travail cesse, on se console avec ses amis: là, nul
+repos, nulle consolation pour les damnés.
+
+Soyez donc maintenant plein d'appréhension et de douleur pour vos
+péchés, afin de partager, au jour du jugement, la sécurité des
+bienheureux.
+
+_Car les justes alors s'élèveront avec une grande assurance contre ceux
+qui les auront opprimés et méprisés_[86].
+
+ [86] Sap., V, 1.
+
+Alors se lèvera, pour juger, celui qui se soumet aujourd'hui humblement
+aux jugements des hommes.
+
+Alors l'humble et le pauvre auront une grande confiance; et de tous
+côtés l'épouvante environnera le superbe.
+
+5. Alors on verra qu'il fut sage en ce monde, celui qui apprit à être
+insensé et méprisable pour Jésus-Christ.
+
+Alors on s'applaudira des tribulations souffertes avec patience, _et
+toute iniquité sera muette_[87].
+
+ [87] Ps. CVI, 42.
+
+Alors tous les justes seront transportés d'allégresse, et tous les
+impies consternés de douleur.
+
+Alors la chair affligée se réjouira plus que si elle avait toujours été
+nourrie dans les délices.
+
+Alors les vêtements pauvres resplendiront, et les habits somptueux
+perdront tout leur éclat.
+
+Alors la plus pauvre petite demeure sera jugée au-dessus du palais tout
+brillant d'or.
+
+Alors une patience constamment soutenue sera de plus de secours que
+toute la puissance du monde; et une obéissance simple, élevée plus haut
+que toute la prudence du siècle.
+
+6. Alors on trouvera plus de joie dans la pureté d'une bonne conscience,
+que dans une docte philosophie.
+
+Alors le mépris des richesses aura plus de poids dans la balance, que
+tous les trésors de la terre.
+
+Alors le souvenir d'une pieuse prière vous sera de plus de consolation,
+que celui d'un repas splendide.
+
+Alors vous vous réjouirez plus du silence gardé que des longs
+entretiens.
+
+Alors les oeuvres saintes l'emporteront sur les beaux discours.
+
+Alors vous préférerez une vie de peine et de travail à tous les plaisirs
+de la terre.
+
+Apprenez donc maintenant à supporter quelques légères souffrances, afin
+d'être alors délivré de souffrances plus grandes.
+
+Éprouvez ici d'abord ce que vous pourrez dans la suite.
+
+Si vous ne pouvez maintenant souffrir si peu de chose, comment
+supporterez-vous les tourments éternels?
+
+Si maintenant la moindre douleur vous cause tant d'impatience, que
+sera-ce donc alors des tortures de l'enfer!
+
+Il y a, n'en doutez point, deux joies qu'on ne peut réunir; vous ne
+pouvez goûter ici-bas les délices du monde, et régner ensuite avec
+Jésus-Christ.
+
+7. Si vous aviez vécu jusqu'à ce jour dans les honneurs et les voluptés,
+de quoi cela vous servirait-il, s'il vous fallait mourir à l'instant?
+
+Donc tout est vanité, hors aimer Dieu et le servir lui seul.
+
+Car celui qui aime Dieu de tout son coeur, ne craint ni la mort, ni le
+supplice, ni le jugement, ni l'enfer, parce que l'amour parfait nous
+donne un sûr accès près de Dieu.
+
+Mais celui qui aime encore le péché, il n'est pas surprenant qu'il
+redoute la mort et le jugement.
+
+Cependant si l'amour ne vous éloigne pas encore du mal, il est bon qu'au
+moins la crainte vous retienne.
+
+Celui qui est peu touché de la crainte de Dieu ne saurait longtemps
+persévérer dans le bien: mais il tombera bientôt dans les piéges du
+démon.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ _Dieu est patient_, dit saint Augustin, _parce qu'il est éternel_.
+ Mais, après les jours de patience, viendra le jour de la justice; jour
+ d'effroi, jour inévitable; où toute chair comparaîtra devant le Roi de
+ l'éternité, pour rendre compte de ses oeuvres et de ses pensées mêmes.
+ Transportez-vous en esprit à ce moment formidable: voilà que la
+ poussière des tombeaux s'émeut, et de toutes parts la foule des morts
+ accourt aux pieds du souverain juge. Là, tous les secrets sont
+ dévoilés, la conscience n'a plus de ténèbres, et chacun attend en
+ silence le sort qui lui est destiné pour toujours. Les deux cités se
+ séparent; la grande sentence est prononcée; elle ouvre le paradis aux
+ justes, et tombe sur les pécheurs avec tout le poids d'une éternelle
+ réprobation. Environné des anges fidèles et de la troupe
+ resplendissante des élus, Jésus-Christ remonte dans sa gloire: Satan
+ saisit sa proie et l'entraîne dans l'abîme: tout est consommé à
+ jamais; il ne reste plus que les joies du ciel, et le désespoir de
+ l'enfer. Pendant que vous êtes encore sur la terre, le choix entre ces
+ demeures vous est laissé: choisissez donc, mais n'oubliez pas qu'il
+ n'y a point de repentir de l'autre côté de la tombe.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXV.
+
+Qu'il faut travailler avec ferveur à l'amendement de sa vie.
+
+
+1. Soyez vigilant et fervent dans le service de Dieu, et faites-vous
+souvent cette demande: Pourquoi es-tu venu ici, et pourquoi as-tu quitté
+le siècle?
+
+N'était-ce pas afin de vivre pour Dieu, et devenir un homme spirituel?
+
+Embrasez-vous donc du désir d'avancer, parce que vous recevrez bientôt
+la récompense de vos travaux, et qu'alors il n'y aura plus ni crainte ni
+douleur.
+
+Maintenant un peu de travail, et puis un grand repos: que dis-je? une
+joie éternelle!
+
+Si vous agissez constamment avec ardeur et fidélité, Dieu aussi sera
+sans doute fidèle et magnifique dans ses récompenses.
+
+Vous devez conserver une ferme espérance de parvenir à la gloire; mais
+il ne faut pas vous livrer à une sécurité trop profonde, de peur de
+tomber dans le relâchement ou dans la présomption.
+
+2. Un nomme qui flottait souvent, plein d'anxiétés, entre la crainte et
+l'espérance, étant un jour accablé de tristesse, entra dans une église,
+et, se prosternant devant un autel pour prier, il disait et redisait en
+lui-même: Oh! si je savais que je dusse persévérer! Aussitôt il entendit
+intérieurement cette divine réponse: Si vous le saviez, que
+voudriez-vous faire? Faites maintenant ce que vous feriez alors, et vous
+jouirez de la paix.
+
+Consolé à l'instant même, et fortifié, il s'abandonna sans réserve à la
+volonté de Dieu, et ses agitations cessèrent.
+
+Il ne voulut plus rechercher avec curiosité ce qui lui arriverait dans
+l'avenir; mais il s'appliqua uniquement à connaître la volonté de Dieu,
+et ce qui lui plaît davantage, afin de commencer et d'achever tout ce
+qui est bien.
+
+3. _Espérez en Dieu,_ dit le Prophète, _et faites le bien: habitez en
+paix la terre, et vous serez nourri de ses richesses_[88],
+
+ [88] Ps. XXXVI, 3.
+
+Une chose refroidit en quelques-uns l'ardeur d'avancer et de se
+corriger: la crainte des difficultés, et le travail du combat.
+
+Eu effet, ceux-là devancent les autres dans la vertu, qui s'efforcent
+avec le plus de courage de se vaincre eux-mêmes dans ce qui leur est le
+plus pénible et qui contrarie le plus leurs penchants.
+
+Car l'homme fait d'autant plus de progrès et mérite d'autant plus de
+grâces, qu'il se surmonte lui-même et se mortifie davantage.
+
+4. Il est vrai que tous n'ont pas également à combattre pour se vaincre
+et mourir à eux-mêmes.
+
+Cependant un homme animé d'un zèle ardent avancera bien plus, même avec
+de nombreuses passions, qu'un autre à cet égard mieux disposé, mais
+tiède pour la vertu.
+
+Deux choses aident surtout à opérer un grand amendement: s'arracher avec
+violence à ce que la nature dégradée convoite, et travailler ardemment à
+acquérir la vertu dont on a le plus grand besoin.
+
+Attachez-vous aussi particulièrement à éviter et à vaincre les défauts
+qui vous déplaisent le plus dans les autres.
+
+5. Profitez de tout pour votre avancement. Si vous voyez de bons
+exemples, ou si vous les entendez raconter, animez-vous à les imiter.
+
+Que si vous apercevez quelque chose de répréhensible, prenez garde de
+commettre la même faute; ou, si vous l'avez quelquefois commise, tâchez
+de vous corriger promptement.
+
+Comme votre oeil observe les autres, les autres vous observent aussi.
+
+Qu'il est consolant et doux de voir des religieux zélés, pieux,
+fervents, fidèles observateurs de la règle!
+
+Qu'il est triste, au contraire, et pénible d'en voir qui ne vivent pas
+dans l'ordre, et qui ne remplissent pas les engagements auxquels ils ont
+été appelés!
+
+Qu'on se nuit à soi-même en négligeant les devoirs de sa vocation, et en
+détournant son coeur à des choses dont on n'est point chargé!
+
+6. Souvenez-vous de ce que vous avez promis, et que Jésus crucifié vous
+soit toujours présent.
+
+Vous avez bien sujet de rougir, en considérant la vie de Jésus-Christ,
+d'avoir jusqu'ici fait si peu d'efforts pour y conformer la vôtre,
+quoique vous soyez, depuis si longtemps, entré dans la voie de Dieu.
+
+Un religieux qui s'exerce à méditer sérieusement, et avec piété, la vie
+très-sainte et la Passion du Sauveur, y trouvera en abondance tout ce
+qui lui est utile et nécessaire: et il n'a pas besoin de chercher hors
+de Jésus quelque chose de meilleur.
+
+Ah! si Jésus crucifié entrait dans notre coeur, que nous serions bientôt
+suffisamment instruits!
+
+7. Un religieux fervent reçoit bien ce qu'on lui commande, et s'y soumet
+sans peine.
+
+Un religieux tiède et relâché souffre tribulation sur tribulation, et ne
+trouve de tous côtés que la gêne, parce qu'il est privé des consolations
+intérieures, et qu'il lui est interdit d'en chercher au dehors.
+
+Un religieux qui s'affranchit de sa règle est exposé à des chutes
+terribles.
+
+Celui qui cherche une vie moins contrainte et moins austère sera
+toujours dans l'angoisse: car toujours quelque chose lui déplaira.
+
+8. Comment font tant d'autres religieux qui observent, dans les
+cloîtres, une si étroite discipline?
+
+Ils sortent rarement, ils vivent retirés, ils sont nourris
+très-pauvrement et grossièrement vêtus; ils travaillent beaucoup,
+parlent peu, veillent longtemps, se lèvent matin, font de longues
+prières, de fréquentes lectures, et observent en tout une exacte
+discipline.
+
+Considérez les Chartreux, les religieux de Cîteaux, et les autres
+religieux et religieuses de différents ordres, qui se lèvent toutes les
+nuits pour chanter les louanges de Dieu.
+
+Il serait donc bien honteux que la paresse vous tînt encore éloigné d'un
+saint exercice, lorsque déjà tant de religieux commencent à célébrer le
+Seigneur.
+
+9. Oh! si vous n'aviez autre chose à faire qu'à louer de coeur et de
+bouche, perpétuellement, le Seigneur notre Dieu! si jamais vous n'aviez
+besoin de manger, de boire, de dormir, et que vous puissiez ne pas
+interrompre un seul moment ces louanges ni les autres exercices
+spirituels! vous seriez alors beaucoup plus heureux qu'à présent,
+assujetti comme vous l'êtes au corps et à toutes ses nécessités.
+
+Plût à Dieu que nous fussions affranchis de ces nécessités, et que nous
+n'eussions à songer qu'à la nourriture de notre âme, que nous goûtons,
+hélas! si rarement!
+
+10. Quand un homme en est venu à ne chercher sa consolation dans aucune
+créature, c'est alors qu'il commence à goûter Dieu parfaitement, et
+qu'il est, quoi qu'il arrive, toujours satisfait.
+
+Alors il ne se réjouit d'aucune prospérité, et aucun revers ne le
+contriste; mais il s'abandonne tout entier, avec une pleine confiance, à
+Dieu, qui lui est tout en toutes choses, pour qui rien ne périt, rien ne
+meurt, pour qui, au contraire, tout vit, et à qui tout obéit sans délai.
+
+11. Souvenez-vous toujours que votre fin approche, et que le temps perdu
+ne revient point.
+
+Les vertus ne s'acquièrent qu'avec beaucoup de soins et des efforts
+constants.
+
+Dès que vous commencerez à tomber dans la tiédeur, vous tomberez dans le
+trouble.
+
+Mais si vous persévérez dans la ferveur, vous trouverez une grande paix,
+et vous sentirez votre travail plus léger, à cause de la grâce de Dieu,
+et de l'amour de la vertu.
+
+L'homme fervent et zélé est prêt à tout.
+
+Il est plus pénible de résister aux vices et aux passions, que de
+supporter les fatigues du corps.
+
+_Celui qui n'évite pas les petites fautes, tombera peu à peu dans les
+grandes_[89].
+
+ [89] Eccli., XIX, 1.
+
+Vous vous réjouirez toujours le soir, quand vous aurez employé le jour
+avec fruit.
+
+Veillez sur vous, excitez-vous, avertissez-vous; et quoi qu'il en soit
+des autres, ne vous négligez pas vous-même.
+
+Vous ne ferez de progrès qu'autant que vous vous ferez de violence.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Êtes-vous sincèrement résolu à vous sauver? en avez-vous la volonté
+ ferme? Alors préparez-vous au travail, au combat; car le salut est à
+ ce prix: _La voie qui conduit à la perte est large_: mais qu'étroite,
+ dit l'Évangile, _est celle qui conduit à la vie_[90]! Sans doute
+ l'onction de la grâce adoucit, pour le fidèle, ce travail, ce combat;
+ au milieu des fatigues et des souffrances, il jouit d'une paix céleste
+ que le pécheur ne connaît point. Cependant il a besoin de continuels
+ efforts pour triompher de lui-même, pour vaincre ses désirs, ses
+ passions, et le monde, _et le prince de ce monde_[91]. Qui a fait les
+ saints, sinon cette lutte courageuse et persévérante? _Les uns ont été
+ tourmentés, ne voulant pas racheter leur vie, afin d'en trouver une
+ meilleure dans la résurrection. Les autres ont souffert les moqueries,
+ les fouets, les chaînes et les prisons; ils ont été lapidés, sciés,
+ éprouvés_ en toute manière; _ils sont morts par le tranchant du
+ glaive; vagabonds, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres,
+ oppressés par le besoin, l'affliction, l'angoisse, ils ont erré dans
+ les déserts, et dans les montagnes, et dans les antres, et dans les
+ cavernes de la terre; eux dont le monde n'était pas digne. Enveloppés
+ donc d'une si grande nuée de témoins, dégageons-nous de tout ce qui
+ nous appesantit, et du péché qui nous environne, et courons par la
+ patience au combat qui nous est proposé; les regards fixés sur Jésus,
+ l'auteur et le consommateur de la foi, qui, en vue de la joie qui lui
+ était préparée, a souffert la croix, en méprisant l'ignominie; et
+ maintenant il est assis à la droite du trône de Dieu_[92].
+
+ [90] Matth., VII, 13, 14.
+
+ [91] Joann., XIV, 30.
+
+ [92] Heb., XI, 35-38; XII, 1, 2.
+
+
+FIN DU PREMIER LIVRE.
+
+
+
+
+L'IMITATION
+
+DE
+
+JÉSUS-CHRIST.
+
+
+
+
+LIVRE DEUXIÈME.
+
+INSTRUCTION POUR AVANCER DANS LA VIE INTÉRIEURE.
+
+
+
+
+CHAPITRE PREMIER.
+
+De la conversation intérieure.
+
+
+1. _Le royaume de Dieu est au dedans de vous_[93], dit le Seigneur.
+
+ [93] Luc., XVII, 21.
+
+Revenez à Dieu de tout votre coeur, laissez là ce misérable monde, et
+votre âme trouvera le repos.
+
+Apprenez à mépriser les choses extérieures, et à vous donner aux
+intérieures, et vous verrez le royaume de Dieu venir en vous.
+
+_Car le royaume de Dieu est paix et joie dans l'Esprit saint_[94]: ce
+qui n'est pas donné aux impies.
+
+ [94] Rom., XIV, 17.
+
+Jésus-Christ viendra à vous, et il vous remplira de ses consolations, si
+vous lui préparez au dedans de vous une demeure digne de lui.
+
+_Toute sa gloire_ et toute sa beauté _est intérieure_[95]; c'est dans le
+secret du coeur qu'il se plaît.
+
+ [95] Ps. XLIV, 14.
+
+Il visite souvent l'homme intérieur, et ses entretiens sont doux, ses
+consolations ravissantes; sa paix est inépuisable, et sa familiarité
+incompréhensible.
+
+2. Âme fidèle, hâtez-vous donc de préparer votre coeur pour l'époux,
+afin qu'il daigne venir et habiter en vous.
+
+Car il a dit: _Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et nous
+viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure_[96]. Laissez donc
+Jésus entrer en vous, et n'y laissez entrer que lui.
+
+ [96] Joann., XIV, 23.
+
+Lorsque vous posséderez Jésus, vous serez riche, et lui seul vous
+suffit. Il veillera pour vous, il prendra de vous un soin fidèle en
+toutes choses, de sorte que vous n'aurez plus besoin de rien attendre
+des hommes.
+
+Car les hommes changent vite, et vous manquent tout d'un coup; _mais
+Jésus-Christ demeure éternellement_[97]: inébranlable dans sa constance,
+il est près de vous jusqu'à la fin.
+
+ [97] Joann., XII, 34.
+
+3. On ne doit guère compter sur un homme fragile et mortel, encore bien
+qu'il vous soit utile, et que vous soyez chers l'un à l'autre; et il n'y
+a pas lieu de s'attrister beaucoup, si quelquefois il vous traverse et
+s'élève contre vous.
+
+Ceux qui sont aujourd'hui pour vous, pourront demain être contre vous,
+et réciproquement: les hommes changent comme le vent.
+
+Mettez en Dieu toute votre confiance: qu'il soit votre crainte et votre
+amour: il répondra pour vous, et il fera ce qui est le meilleur.
+
+_Vous n'avez point ici de demeure stable_[98]: en quelque lieu que vous
+soyez, vous êtes étranger et voyageur; et vous n'aurez jamais de repos,
+que vous ne soyez uni intimement à Jésus-Christ.
+
+ [98] Heb., XIII, 14.
+
+4. Que cherchez-vous autour de vous? Ce n'est pas ici le lieu de votre
+repos.
+
+Votre demeure doit être dans le ciel, et vous ne devez regarder toutes
+les choses de la terre que comme en passant.
+
+Tout passe: et vous passez avec tout le reste.
+
+Prenez garde de vous attacher à quoi que ce soit, de peur d'en devenir
+l'esclave, et de vous perdre.
+
+Que sans cesse votre pensée monte vers le Très-Haut, et votre prière
+vers Jésus-Christ.
+
+Si vous ne savez pas encore vous élever aux contemplations célestes,
+reposez-vous dans la Passion du Sauveur, et aimez à demeurer dans ses
+plaies sacrées.
+
+Car si vous vous réfugiez avec amour dans ces plaies et ces précieux
+stigmates, vous sentirez une grande force au temps de la tribulation;
+vous vous inquiéterez peu du mépris des hommes, et vous supporterez
+aisément les paroles médisantes.
+
+5. Jésus-Christ a été aussi méprisé des hommes en ce monde, et, dans les
+plus extrêmes angoisses, abandonné des siens, de ses amis, de ses
+proches, au milieu des opprobres.
+
+Jésus-Christ a voulu souffrir et être méprisé, et vous osez vous
+plaindre de quelque chose!
+
+Jésus-Christ a eu des ennemis et des détracteurs, et vous voudriez
+n'avoir que des amis et des bienfaiteurs!
+
+Comment votre patience méritera-t-elle d'être couronnée, s'il ne vous
+arrive rien de pénible?
+
+Si vous ne voulez rien souffrir, comment serez-vous ami de Jésus-Christ?
+
+Souffrez avec Jésus-Christ et pour Jésus-Christ, si vous voulez régner
+avec Jésus-Christ.
+
+6. Si une seule fois vous étiez entré bien avant dans le coeur de Jésus,
+et que vous eussiez ressenti quelque mouvement de son amour, que vous
+auriez peu de souci de ce qui peut ou vous contrarier ou vous plaire!
+Vous vous réjouiriez d'un outrage reçu, parce que l'amour de Jésus
+apprend à l'homme à se mépriser lui-même.
+
+Celui qui aime Jésus et la vérité, un homme vraiment intérieur, et
+dégagé de toute affection déréglée, peut librement s'approcher de Dieu,
+et, s'élevant en esprit au-dessus de soi-même, se reposer en lui par une
+jouissance anticipée.
+
+7. Celui qui estime les choses suivant ce qu'elles sont, et non d'après
+les discours et l'opinion des hommes, est vraiment sage; et c'est Dieu
+qui l'instruit plus que les hommes.
+
+Celui qui vit au dedans de lui-même, et qui s'inquiète peu des choses du
+dehors, tous les lieux lui sont bons, et tous les temps pour remplir ses
+pieux exercices.
+
+Un homme intérieur se recueille bien vite, parce qu'il ne se répand
+jamais tout entier au dehors.
+
+Les travaux extérieurs, les occupations nécessaires en certains temps,
+ne le troublent point; mais il se prête aux choses, selon qu'elles
+arrivent.
+
+Celui qui a établi l'ordre au dedans de soi, ne se tourmente guère de ce
+qu'il y a de bien ou de mal dans les autres.
+
+L'on n'a de distractions et d'obstacles qu'autant que l'on s'en crée
+soi-même.
+
+8. Si vous étiez ce que vous devez être, entièrement libre et détaché,
+tout contribuerait à votre bien et à votre avancement.
+
+Mais beaucoup de choses vous déplaisent et souvent vous troublent, parce
+que vous n'êtes pas encore tout à fait mort à vous-même et séparé des
+choses de la terre.
+
+Rien n'embarrasse et ne souille tant le coeur de l'homme que l'amour
+impur des créatures.
+
+Si vous rejetez les consolations du dehors, vous pourrez contempler les
+choses du ciel, et goûter souvent les joies intérieures.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ L'âme chrétienne, détachée du monde, n'a qu'un désir pour le temps
+ comme pour l'éternité; d'être unie à Jésus, de cette union ineffable
+ dont la divine peinture nous ravit dans le cantique mystérieux de
+ l'amour. _Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui; il repose entre
+ les lis, jusqu'à ce que l'aurore se lève, et que les ombres
+ déclinent_[99]. Hélas! que cherchez-vous au dehors? Rentrez, rentrez
+ en vous-même, préparez au céleste époux une demeure digne de lui, et
+ il viendra, et il s'y reposera; car ses délices sont d'habiter dans le
+ coeur qui l'appelle. Alors, seul avec Jésus, loin des bruits de la
+ terre, dans le silence des créatures, il vous parlera, _comme un ami
+ parle à son ami_[100], et transporté de l'entendre, vous ne voudrez
+ plus à jamais écouter que lui.
+
+ [99] Cant., II, 16, 17.
+
+ [100] Exod., XXXIII, 11.
+
+
+
+
+CHAPITRE II.
+
+Qu'il faut s'abandonner à Dieu en esprit d'humilité.
+
+
+1. Inquiétez-vous peu de qui est pour vous ou contre vous; mais prenez
+soin que Dieu soit avec vous en tout ce que vous faites.
+
+Ayez la conscience pure, et Dieu prendra votre défense.
+
+Toute la malice des hommes ne saurait nuire à celui que Dieu veut
+protéger.
+
+Si vous savez vous taire et souffrir, Dieu, sans doute, vous assistera.
+
+Il sait le temps et la manière de vous délivrer; abandonnez-vous donc à
+lui.
+
+C'est de Dieu que vient le secours, c'est lui qui délivre de la
+confusion.
+
+Il est souvent très-utile, pour nous retenir dans une plus grande
+humilité, que les autres soient instruits de nos défauts, et qu'ils nous
+les reprochent.
+
+2. Quand un homme s'humilie de ses défauts, il apaise aisément les
+autres, et se réconcilie sans peine ceux qui sont irrités contre lui.
+
+Dieu protége l'humble et le délivre; il aime l'humble et le console; il
+s'incline vers l'humble et lui prodigue ses grâces, et après
+l'abaissement, il l'élève dans la gloire.
+
+Il révèle à l'humble ses secrets; il l'invite et l'attire doucement à
+lui.
+
+Quelque affront qu'il reçoive, l'humble vit encore en paix, parce qu'il
+s'appuie sur Dieu et non sur le monde.
+
+Ne pensez pas avoir fait de progrès, si vous ne vous croyez au-dessous
+de tous les autres.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Que vous importent les discours et les pensées des hommes! Ce ne
+ seront point eux qui vous jugeront. S'ils vous accusent à tort, celui
+ qui voit le fond des consciences vous a déjà justifié. S'ils vous
+ reprochent des fautes réelles, n'êtes-vous pas heureux d'être averti,
+ heureux de souffrir une humiliation salutaire? Ce qui vous trouble,
+ c'est l'orgueil, qui ne saurait supporter d'être repris. L'humble ne
+ s'irrite point, ne s'émeut point, lors même que la passion le condamne
+ injustement. Plein du sentiment de sa misère, on ne saurait jamais
+ tant s'abaisser, qu'il ne s'abaisse dans son coeur encore davantage.
+ Voulez-vous que rien n'altère le calme de votre âme? abandonnez-vous à
+ Dieu en toutes choses; et dans les peines, les contrariétés, les
+ traverses, dites avec Jésus-Christ: _Oui, mon Père, parce qu'il vous a
+ plu ainsi_[101]!
+
+ [101] Luc., X, 21.
+
+
+
+
+CHAPITRE III.
+
+De l'homme pacifique.
+
+
+1. Conservez-vous premièrement dans la paix; et alors vous pourrez la
+donner aux autres.
+
+Le pacifique est plus utile que le savant.
+
+Un homme passionné change le bien en mal, et croit le mal aisément.
+L'homme paisible et bon ramène tout au bien.
+
+Celui qui est affermi dans la paix ne pense mal de personne; mais
+l'homme inquiet et mécontent est agité de divers soupçons: il n'a jamais
+de repos, et n'en laisse point aux autres.
+
+Il dit souvent ce qu'il ne faudrait pas dire, et ne fait pas ce qu'il
+faudrait faire.
+
+Attentif au devoir des autres, il néglige ses propres devoirs.
+
+Ayez donc premièrement du zèle pour vous-même, et vous pourrez ensuite
+avec justice l'étendre sur le prochain.
+
+2. Vous savez bien colorer et excuser vos fautes, et vous ne voulez pas
+recevoir les excuses des autres.
+
+Il serait plus juste de vous accuser vous-même, et d'excuser votre
+frère.
+
+Si vous voulez qu'on vous supporte, supportez aussi les autres.
+
+Voyez combien vous êtes loin encore de la vraie charité et de
+l'humilité, qui jamais ne s'irrite et ne s'indigne que contre elle-même!
+
+Ce n'est pas une grande chose de bien vivre avec les hommes doux et
+bons, car cela plaît naturellement à tous; chacun aime son repos, et
+s'affectionne à ceux qui partagent ses sentiments.
+
+Mais vivre en paix avec des hommes durs, pervers, sans règle, ou qui
+nous contrarient, c'est une grande grâce, une vertu courageuse et digne
+d'être louée.
+
+3. Il y en a qui sont en paix avec eux-mêmes et avec les autres.
+
+Et il y en a qui n'ont point la paix, et qui troublent celle d'autrui:
+ils sont à charge aux autres et plus à charge à eux-mêmes.
+
+Il y en a enfin qui se maintiennent dans la paix, et qui s'efforcent de
+la rendre aux autres.
+
+Au reste, toute notre paix, dans cette misérable vie, consiste plus dans
+une souffrance humble que dans l'exemption de la souffrance.
+
+Qui sait le mieux souffrir, possédera la plus grande paix. Celui-là est
+vainqueur de soi et maître du monde, ami de Jésus-Christ et héritier du
+ciel.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ _Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés enfants de
+ Dieu_[102]. Comprenez la grandeur de ce nom et l'instruction profonde
+ qu'il renferme. La paix, c'est l'ordre parfait; et le trouble, les
+ dissensions, les discordes, la guerre, ne sont entrés dans le monde
+ que par la violation de l'ordre ou par le péché. Ainsi point de paix
+ où règne le péché; point de paix dans l'homme dont les pensées, les
+ affections, les volontés ne sont pas en tout conformes à l'ordre ou à
+ la vérité et à la volonté de Dieu; point de paix dans la société dont
+ les doctrines et les lois s'écartent de la loi et des doctrines
+ révélées de Dieu: et quiconque, homme ou peuple, brise cette loi, nie
+ ces doctrines, ne fût-ce qu'en un seul point, cet homme, ce peuple
+ rebelle à Dieu, subit à l'instant le châtiment de son crime. Un
+ malaise inconnu s'empare de lui: je ne sais quelle force désordonnée
+ le pousse et le repousse en tous sens, et nulle part il ne trouve de
+ repos: comme Caïn, après son meurtre, il a peur. Non, la paix n'est en
+ effet que pour _les enfants de Dieu_: ils la goûtent en eux-mêmes, et
+ la répandent sur les autres; elle coule, pour ainsi dire, de leur
+ coeur, comme ces fleurs qui arrosaient l'heureux séjour de notre
+ premier père, au temps de son innocence. Et quand viendra la dernière
+ heure, ce sera encore la paix; car _le royaume de Dieu est justice et
+ paix_[103]. Enfants de Dieu, _entrez dans le royaume qui vous a été
+ préparé dès le commencement du monde_[104]!
+
+ [102] Matth., V, 9.
+
+ [103] Rom., XIV, 17.
+
+ [104] Matth., XXV, 34.
+
+
+
+
+CHAPITRE IV.
+
+De la pureté d'esprit, et de la droiture d'intention.
+
+
+1. L'homme s'élève au-dessus de la terre sur deux ailes, la simplicité
+et la pureté.
+
+La simplicité doit être dans l'intention, et la pureté dans l'affection.
+
+La simplicité cherche Dieu; la pureté le trouve et le goûte.
+
+Nulle bonne oeuvre ne vous sera difficile, si vous êtes libre au dedans
+de toute affection déréglée.
+
+Si vous ne voulez que ce que Dieu veut, et ce qui est utile au prochain,
+vous jouirez de la liberté intérieure.
+
+Si votre coeur était droit, alors toute créature vous serait un miroir
+de vie et un livre rempli de saintes instructions.
+
+Il n'est point de créature si petite et si vile qui ne présente quelque
+image de la bonté de Dieu.
+
+2. Si vous aviez en vous assez d'innocence et de pureté, vous verriez
+tout sans obstacle. Un coeur pur pénètre le ciel et l'enfer.
+
+Chacun juge des choses du dehors selon ce qu'il est au dedans de
+lui-même.
+
+S'il est quelque joie dans le monde, le coeur pur la possède.
+
+Et s'il y a des angoisses et des tribulations, avant tout elles sont
+connues de la mauvaise conscience.
+
+Comme le fer mis au feu perd sa rouille, et devient tout étincelant,
+ainsi celui qui se donne sans réserve à Dieu, se dépouille de sa
+langueur et se change en un homme nouveau.
+
+3. Quand l'homme commence à tomber dans la tiédeur, alors il craint le
+moindre travail, et reçoit avidement les consolations du dehors.
+
+Mais quand il commence à se vaincre parfaitement et à marcher avec
+courage dans la voie de Dieu, alors il compte pour rien ce qui lui était
+le plus pénible.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Quand Jésus-Christ voulut proposer un modèle à ses disciples, le
+ choisit-il parmi les hommes distingués par leur science ou par la
+ supériorité de leur esprit? Non; _il appela un petit enfant, le plaça
+ au milieu d'eux, et dit: En vérité je vous le dis, si vous ne vous
+ convertissez et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez
+ point dans le royaume des cieux_[105]. Or, que voyons-nous dans
+ l'enfance? la simplicité, la pureté. Elle croit, elle aime, elle agit,
+ sans aucun retour sur elle-même, par un premier mouvement du coeur: et
+ voilà ce qui plaît à Dieu. Il ne demande ni de longues prières, ni
+ d'éloquents discours, ni des méditations profondes, mais une volonté
+ droite et un amour plein de candeur. N'avoir en tout de désirs que les
+ siens, s'oublier entièrement soi-même, se soumettre aux volontés de
+ l'adorable Providence, sans chercher à les scruter; quoi de plus pur
+ que cet abandon, que cette simple obéissance? Aussi la récompense en
+ sera-t-elle grande: _Heureux_, est-il dit, _ceux qui ont le coeur pur,
+ parce qu'ils verront Dieu_[106].
+
+ [105] Matth., XVIII, 2, 3.
+
+ [106] Matth., V, 8.
+
+
+
+
+CHAPITRE V.
+
+De la considération de soi-même.
+
+
+1. Nous ne devons pas trop compter sur nous-mêmes, parce que souvent la
+grâce et le jugement nous manquent.
+
+Nous n'avons en nous que peu de lumière, et ce peu il est aisé de le
+perdre par négligence.
+
+Souvent, nous ne nous apercevons pas combien nous sommes aveugles au
+dedans de nous.
+
+À de mauvaises actions souvent nous donnons de pires excuses.
+
+Quelquefois nous sommes mus par la passion, et nous croyons que c'est
+par le zèle.
+
+Nous relevons de petites fautes dans les autres, et nous nous en
+permettons de plus grandes.
+
+Nous sentons bien vite, et nous pensons ce que nous souffrons des
+autres; mais tout ce qu'ils ont à souffrir de nous, nous n'y songeons
+point.
+
+Qui se jugerait équitablement soi-même, sentirait qu'il n'a droit de
+juger personne sévèrement.
+
+2. L'homme intérieur préfère le soin de soi-même à tout autre soin; et
+lorsqu'on est attentif à soi, on se tait aisément sur les autres.
+
+Vous ne serez jamais un homme intérieur et vraiment pieux, si vous ne
+gardez le silence sur ce qui vous est étranger, et si vous ne vous
+occupez principalement de vous-même.
+
+Si vous n'avez que Dieu et vous-même en vue, vous serez peu touché de ce
+que vous apercevrez au dehors.
+
+Où êtes-vous quand vous n'êtes pas présent à vous-même? Et que vous
+revient-il d'avoir tout parcouru, et de vous être oublié?
+
+Si vous voulez posséder la paix et être véritablement uni à Dieu, il
+faut laisser là tout le reste, et ne penser qu'à vous seul.
+
+3. Vous ferez de grands progrès, si vous vous dégagez de tous les soins
+du temps.
+
+Vous serez au contraire fatigué bien vite, si vous comptez pour quelque
+chose ce qui n'est que de ce monde.
+
+Qu'il n'y ait rien de grand à vos yeux, d'élevé, de doux, d'aimable, que
+Dieu seul, ou ce qui vient de Dieu.
+
+Regardez comme une pure vanité toute consolation qui repose sur la
+créature.
+
+L'âme qui aime Dieu méprise tout ce qui est au-dessous de Dieu.
+
+Dieu seul est éternel, immense, et remplissant tout, est la consolation
+de l'âme, et la vraie joie du coeur.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Quand vous sauriez ce qu'il y a de bon et de mauvais dans chaque
+ homme, sans en excepter un seul, à quoi cela vous servirait-il, si
+ vous vous ignorez vous-même? On ne vous interrogera point, au dernier
+ jour, sur la conscience d'autrui. Laissez donc là une sollicitude dont
+ presque toujours l'orgueil et la malignité sont le principe, et
+ occupez-vous d'un soin plus agréable à Dieu et plus utile pour vous.
+ La grande, la vraie science est de se connaître soi-même: ce doit être
+ notre étude de tous les instants. Alors on apprend à se mépriser, à
+ gémir sur la plaie de son coeur, sur l'amour-propre effréné qui nous
+ domine, sur les secrètes convoitises qui nous tourmentent, et l'on
+ s'écrie comme l'Apôtre: _Qui me délivrera de ce corps de mort_[107]?
+ Heureuse, heureuse délivrance! mais que trouverons-nous après, si nous
+ avons été fidèles? Dieu, uniquement Dieu, et en lui toutes choses,
+ toute consolation, tout bien. Ô mon âme! puisqu'il est ainsi, commence
+ dès ce moment même à te dégager du poids qui t'affaisse, de la terre
+ et des créatures, pour ne t'attacher qu'à Dieu seul.
+
+ [107] Rom., VII, 24.
+
+
+
+
+CHAPITRE VI.
+
+De la joie d'une bonne conscience.
+
+
+1. _La gloire de l'homme de bien est le témoignage de sa
+conscience_[108].
+
+ [108] II. Cor., I, 12.
+
+Ayez la conscience pure, et vous posséderez toujours la joie.
+
+La bonne conscience peut supporter beaucoup de choses, et elle est
+pleine de joie dans les adversités.
+
+La mauvaise conscience est toujours inquiète et troublée.
+
+Vous jouirez d'un repos ravissant, si votre coeur ne vous reproche rien.
+
+Ne vous réjouissez que d'avoir fait le bien.
+
+Les méchants n'ont jamais de véritable joie, ils ne possèdent point la
+paix intérieure, _parce qu'il n'y a point de paix pour l'impie_[109],
+dit le Seigneur.
+
+ [109] Is., LVII, 21.
+
+Et s'ils disent: _Nous sommes dans la paix, les maux ne viendront pas
+sur nous; et qui oserait nous nuire[110]?_ ne les croyez pas: car la
+colère de Dieu se lèvera soudain, et leurs oeuvres seront réduites à
+rien, et leurs pensées périront.
+
+ [110] Jer., V, 12.
+
+2. Se faire un sujet de gloire de la tribulation, n'est pas difficile à
+celui qui aime: car se glorifier ainsi, c'est _se glorifier dans la
+Croix de Jésus-Christ_[111].
+
+ [111] Rom., V, 3. Gal., VI, 14.
+
+La gloire que les hommes donnent et reçoivent est courte.
+
+La tristesse accompagne toujours la gloire du monde.
+
+La gloire des bons est dans leur conscience, et non dans la bouche des
+hommes.
+
+L'allégresse des justes est de Dieu et en Dieu, et leur joie vient de la
+vérité.
+
+Celui qui désire la gloire véritable et éternelle dédaigne la gloire du
+temps.
+
+Et celui qui recherche la gloire du temps, et ne la méprise pas de toute
+son âme, montre qu'il aime peu la gloire éternelle.
+
+Il jouit d'une grande tranquillité de coeur, celui que n'émeut ni la
+louange ni le blâme.
+
+3. Il sera aisément en paix et content, celui dont la conscience est
+pure.
+
+Vous n'êtes pas plus saint parce qu'on vous loue, ni plus imparfait
+parce qu'on vous blâme.
+
+Vous êtes ce que vous êtes; et tout ce qu'on pourra dire ne vous fera
+pas plus grand que vous ne l'êtes aux yeux de Dieu.
+
+Si vous considérez bien ce que vous êtes en vous-même, vous vous
+embarrasserez peu de ce que les hommes disent de vous.
+
+_L'homme voit le visage, mais Dieu voit le coeur_[112]. L'homme regarde
+les actions, mais Dieu pèse l'intention.
+
+ [112] I. Reg., XVI, 7.
+
+Faire toujours bien et s'estimer peu, c'est le signe d'une âme humble.
+
+Ne vouloir de consolation d'aucune créature, c'est la marque d'une
+grande pureté et d'une grande confiance intérieure.
+
+4. Quand on ne cherche au dehors aucun témoignage en sa faveur, il est
+manifeste qu'on s'est entièrement remis à Dieu.
+
+_Car ce n'est pas celui qui se recommande lui-même qui est approuvé,_
+dit saint Paul, _mais celui que Dieu recommande_[113].
+
+ [113] II. Cor., _X_, 18.
+
+Avoir toujours Dieu présent au dedans de soi, et ne tenir à rien au
+dehors, c'est l'état de l'homme intérieur.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Nul repos pour celui qui ne le trouve pas en soi. Le coeur inquiet qui
+ cherche au dehors dans les créatures la paix dont il est privé
+ intérieurement, se fait une grande illusion; elle n'est pas là.
+ Pourquoi vous tromper vous-même? La mer soulevée par les tempêtes
+ n'est pas plus agitée que le monde; et vous lui dites: Apaise mon
+ trouble! il n'y a de calme que dans le sein de Dieu: il n'y a de joie
+ que dans la conscience pure. Les plaisirs distraient, les passions
+ enivrent un moment; mais ce moment passé, que reste-t-il? Et encore
+ que d'ennui souvent et que d'amertume pendant sa durée! Vous
+ représentez-vous, au contraire, une félicité comparable à celle qui
+ accompagne l'innocence; quelque chose qui, dès ici-bas, ressemble plus
+ au ciel, que l'état d'une âme détachée de la terre, et tranquille sous
+ la main de Dieu qu'elle possède déjà par l'espérance et par l'amour?
+ Eh bien donc, que cet état devienne le vôtre; _venez et goûtez combien
+ le Seigneur est doux_[114]; faites un effort, veuillez seulement:
+ celui qui donne le bon vouloir, vous donnera aussi de l'accomplir.
+
+ [114] Ps. XXXIII, 9.
+
+
+
+
+CHAPITRE VII.
+
+Qu'il faut aimer JÉSUS-CHRIST par-dessus toutes choses.
+
+
+1. Heureux celui qui comprend ce que c'est que d'aimer Jésus, et de se
+mépriser soi-même à cause de Jésus.
+
+Il faut que notre amour pour lui nous détache de tout autre amour, parce
+que Jésus veut être aimé seul par-dessus toutes choses.
+
+L'amour de la créature est trompeur et passe bientôt; l'amour de Jésus
+est stable et fidèle.
+
+Celui qui s'attache à la créature tombera comme elle et avec elle; celui
+qui s'attache à Jésus sera pour jamais affermi.
+
+Aimez et conservez pour ami celui qui ne vous quittera point, alors que
+tous vous abandonneront, et qui, quand viendra votre fin, ne vous
+laissera point périr.
+
+Que vous le vouliez ou non, il vous faudra un jour être séparé de tout.
+
+2. Vivant et mourant, tenez-vous donc près de Jésus, et confiez-vous à
+la fidélité de celui qui seul peut vous secourir lorsque tout vous
+manquera.
+
+Tel est votre bien-aimé, qu'il ne veut point de partage; il veut
+posséder seul votre coeur, et y régner comme un roi sur le trône qui est
+à lui.
+
+Si vous saviez bannir de votre âme toutes les créatures, Jésus se
+plairait à demeurer en vous.
+
+Vous trouverez avoir perdu presque tout ce que vous aurez établi sur les
+hommes et non sur Jésus.
+
+Ne vous appuyez point sur un roseau qu'agite le vent, et n'y mettez pas
+votre confiance, _car toute chair est comme l'herbe, et sa gloire passe
+comme la fleur des champs_[115].
+
+ [115] Is., XL, 6.
+
+Vous serez trompé souvent, si vous jugez des hommes d'après ce qui
+paraît au dehors; au lieu des avantages et du soulagement que vous
+cherchez en eux, vous n'éprouverez presque toujours que du préjudice.
+
+Cherchez Jésus en tout, et en tout vous trouverez Jésus. Si vous vous
+cherchez vous-même, vous vous trouverez aussi, mais pour votre perte.
+
+Car l'homme qui ne cherche pas Jésus, se nuit plus à lui-même que tous
+ses ennemis, et que le monde entier.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Entraînés par le _charme de sentir_, ainsi que parle Bossuet, nous
+ cherchons notre bien dans les créatures qui nous échappent et
+ s'évanouissent comme des ombres. Nous voulons aimer et être aimés; et
+ nous nous éloignons de la source du véritable amour, de l'amour
+ infini. Comprenons enfin combien il est insensé d'attacher notre coeur
+ à ce qui passe, et combien sont vaines ces amitiés de la terre, _qui
+ s'en vont avec les années et les intérêts_. Aimons Jésus sans partage;
+ aimons-le comme il nous aime et comme il veut être aimé. _La mesure de
+ notre amour pour lui_, dit saint Bernard, _est de l'aimer sans
+ mesure_. Malheur à qui lui préfère quelque chose! ses désirs sont sur
+ la route du néant.
+
+
+
+
+CHAPITRE VIII.
+
+De la familiarité que l'amour établit entre Jésus et l'âme fidèle.
+
+
+1. Quand Jésus est présent, tout est doux et rien ne semble difficile;
+mais quand Jésus se retire, tout fatigue.
+
+Quand Jésus ne parle pas au dedans, nulle consolation n'a de prix; mais
+si Jésus dit une seule parole, on est merveilleusement consolé.
+
+Marie Madeleine ne se leva-t-elle pas aussitôt du lieu où elle pleurait,
+lorsque Marthe lui dit: _Le Maître est là, et il vous appelle_[116].
+
+ [116] Joann., XI, 28.
+
+Heureux moment, où Jésus appelle des larmes à la joie de l'esprit!
+
+Combien, sans Jésus, n'êtes-vous pas aride et insensible!
+
+Et quelle vanité, quelle folie, si vous désirez autre chose que
+Jésus-Christ? Ne serait-ce pas une plus grande perte que si vous aviez
+perdu le monde entier?
+
+2. Que peut vous donner le monde sans Jésus?
+
+Être sans Jésus, c'est un insupportable enfer; être avec Jésus, c'est un
+paradis de délices.
+
+Si Jésus est avec vous, nul ennemi ne pourra vous nuire.
+
+Qui trouve Jésus, trouve un trésor immense, ou plutôt un bien au-dessus
+de tout bien.
+
+Qui perd Jésus, perd plus et beaucoup plus que s'il perdait le monde
+entier.
+
+Vivre sans Jésus, c'est le comble de l'indigence; être uni à Jésus,
+c'est posséder des richesses infinies.
+
+3. C'est un grand art que de savoir converser avec Jésus; et une grande
+prudence que de savoir le retenir près de soi.
+
+Soyez humble et pacifique, et Jésus sera avec vous.
+
+Que votre vie soit pieuse et calme, et Jésus demeurera près de vous.
+
+Vous éloignerez bientôt Jésus, et vous perdrez sa grâce, si vous voulez
+vous répandre au dehors.
+
+Et si vous l'éloignez et le perdez, qui sera votre refuge, et quel autre
+ami chercherez-vous?
+
+Vous ne sauriez vivre heureux sans ami, et si Jésus n'est pas pour vous
+un ami au-dessus de tous les autres, n'attendez que tristesse et
+désolation.
+
+Qu'insensés vous êtes, si vous mettez en quelqu'autre votre confiance ou
+votre joie!
+
+Il vaudrait mieux avoir le monde entier contre vous, que d'être dans la
+disgrâce de Jésus.
+
+Qu'il vous soit donc plus cher que tout ce qui vous est cher.
+
+4. Aimez tous les autres pour Jésus, et Jésus pour lui-même.
+
+Lui seul doit être aimé uniquement, parce qu'il est le seul ami bon,
+fidèle, entre tous les amis.
+
+Aimez en lui et à cause de lui, vos amis et vos ennemis, et priez-le
+pour tous, afin que tous le connaissent et l'aiment.
+
+Ne souhaitez jamais d'obtenir aucune préférence dans l'estime ou l'amour
+des hommes: car cela n'appartient qu'à Dieu, qui n'a point d'égal.
+
+Ne désirez point que quelqu'un s'occupe de vous dans son coeur, et ne
+soyez vous-même préoccupé de l'amour de personne; mais que Jésus soit en
+vous et en tout homme de bien.
+
+5. Soyez pur et libre au dedans, sans aucune attache à la créature.
+
+Il vous faut être dépouillé de tout, et offrir à Dieu un coeur pur, si
+vous voulez être libre, et goûter combien le Seigneur est doux.
+
+Et certes, jamais vous n'y parviendrez, si sa grâce ne vous prévient et
+ne vous attire; de sorte qu'ayant exclu et banni tout le reste, vous
+soyez seul uni à lui seul.
+
+Car, lorsque la grâce de Dieu visite l'homme, alors il peut tout; et
+quand elle se retire, alors il est pauvre et infirme, et ne semble
+réservé qu'aux châtiments.
+
+En cet état même, il ne doit ni se laisser abattre ni désespérer; mais
+il doit se soumettre avec calme à la volonté de Dieu, et souffrir, pour
+l'amour de Jésus-Christ, tout ce qui lui arrive: car l'été succède à
+l'hiver, après la nuit revient le jour, et après la tempête une grande
+sérénité.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ L'amour a fait descendre le fils de Dieu sur la terre: l'amour nous
+ élève jusqu'à lui. Alors il s'établit entre notre âme et Jésus, comme
+ une union ravissante; alors s'accomplit cette promesse: _je ne vous
+ laisserai pas orphelin, je viendrai à vous_[117]. Venez donc, ô mon
+ Jésus, venez briser les derniers liens qui m'attachent aux créatures
+ et retardent l'heureux moment où je ne vivrai plus que pour vous.
+ Faites que, m'oubliant moi-même, je ne voie, je ne désire que vous
+ seul, et me repose sur votre sein comme le disciple bien-aimé, dans
+ cette paix délicieuse que _le monde ne donne pas_[118], qu'il ne peut
+ même comprendre, mais aussi que ses orages ne sauraient troubler.
+
+ [117] Joann., XIV, 18.
+
+ [118] _Ibid._, 27.
+
+
+
+
+CHAPITRE IX.
+
+De la privation de toute consolation.
+
+
+1. Il n'est pas difficile de mépriser les consolations humaines, quand
+on jouit des consolations divines.
+
+Mais il est grand et très-grand de consentir à être privé tout à la fois
+des consolations des hommes et de celles de Dieu, de supporter
+volontairement pour sa gloire cet exil du coeur, de ne se rechercher en
+rien, et de ne faire aucun retour sur ses propres mérites.
+
+Qu'y a-t-il d'étonnant, si vous êtes rempli d'allégresse et de ferveur
+lorsque la grâce descend en vous? C'est pour tous l'heure désirable.
+
+Il avance aisément et avec joie, celui que la grâce soulève.
+
+Comment sentirait-il son fardeau, quand il est porté par le
+Tout-Puissant, et conduit par le guide suprême?
+
+2. Toujours nous cherchons quelque soulagement, et difficilement l'homme
+se dépouille de lui-même.
+
+Fidèle à son évêque, le saint martyr Laurent vainquit le siècle, parce
+qu'il méprisa tout ce que le monde offre de séduisant, et qu'il souffrit
+en paix, pour l'amour de Jésus-Christ, d'être séparé du souverain prêtre
+de Dieu, de Sixte, qu'il aimait avec une vive tendresse.
+
+Par l'amour du Créateur, surmontant l'amour de l'homme, aux consolations
+humaines il préféra le bon plaisir divin.
+
+Et vous aussi, apprenez donc à quitter, pour l'amour de Dieu, l'ami le
+plus cher et le plus intime.
+
+Et ne murmurez point, s'il arrive que votre ami vous abandonne, sachant
+qu'après tout il faut bien un jour se séparer tous.
+
+3. Ce n'est pas sans combattre beaucoup et longtemps en lui-même, que
+l'homme apprend à se vaincre pleinement, et à reporter en Dieu toutes
+ses affections.
+
+Lorsqu'il s'appuie sur lui-même, il se laisse aisément aller aux
+consolations humaines.
+
+Mais celui qui a vraiment l'amour de Jésus-Christ, et le zèle de la
+vertu, ne cède point à l'attrait des consolations, et ne cherche point
+les douceurs sensibles: il désire plutôt de fortes épreuves, et de
+souffrir de durs travaux pour Jésus-Christ.
+
+4. Quand donc Dieu vous accorde quelque consolation spirituelle,
+recevez-la avec action de grâces; mais reconnaissez-y le don de Dieu, et
+non votre propre mérite.
+
+Ne vous en élevez pas, n'en ayez point trop de joie, n'en concevez pas
+une vaine présomption. Que cette grâce, au contraire, vous rende plus
+humble, plus vigilant, plus timide dans toutes vos actions: car ce
+moment passera et sera suivi de la tentation.
+
+Quand la consolation vous est ôtée, ne vous découragez pas aussitôt;
+mais attendez avec humilité et avec patience que Dieu vous visite de
+nouveau: car il est tout-puissant pour vous consoler encore plus.
+
+Cela n'est ni nouveau ni étrange pour ceux qui ont l'expérience des
+voies de Dieu: les grands Saints et les anciens prophètes ont souvent
+éprouvé ces vicissitudes.
+
+5. Un d'eux, sentant la présence de la grâce, s'écriait: _J'ai dit dans
+mon abondance: Je ne serai jamais ébranlé!_ Mais la grâce s'étant
+retirée, il ajoutait: _Vous avez détourné de moi votre face, et j'ai été
+rempli de trouble_[119].
+
+ [119] Ps. XXIX, 7, 8.
+
+Dans ce trouble, cependant, il ne désespère point, mais il prie le
+Seigneur avec plus d'instance, disant: _Seigneur, je crierai vers vous,
+et j'implorerai mon Dieu_[120].
+
+ [120] _Ibid._, 9.
+
+Enfin il recueille le fruit de sa prière, et il témoigne qu'il a été
+exaucé: _Le Seigneur m'a écouté, et il a eu pitié de moi: le Seigneur
+s'est fait mon appui_[121].
+
+ [121] _Ibid._, 11.
+
+Mais comment? _Vous avez_, dit-il, _changé mes gémissements en chants
+d'allégresse, et vous m'avez environné de joie_[122].
+
+ [122] _Ibid._, 12.
+
+Or, puisque Dieu en use ainsi avec les plus grands Saints, nous ne
+devons pas perdre courage, pauvres infirmes que nous sommes, si
+quelquefois nous éprouvons de la ferveur et quelquefois du
+refroidissement: car l'esprit de Dieu vient et se retire comme il lui
+plaît. Ce qui faisait dire au bienheureux Job: _Vous visitez l'homme dès
+le matin, et aussitôt vous l'éprouvez_[123].
+
+ [123] Job, VII, 18.
+
+6. En quoi donc espérer, et en quoi mettre ma confiance, si ce n'est
+uniquement dans la grande miséricorde de mon Dieu et dans l'attente de
+la grâce céleste?
+
+Car, soit que j'aie près de moi des hommes vertueux, des religieux
+fervents, des amis fidèles; soit que je lise de saints livres et
+d'éloquents traités; soit que j'entende le doux chant des hymnes; tout
+cela aide peu et ne touche guère, quand la grâce se retire, et que je
+suis délaissé dans ma propre indigence.
+
+Alors il n'est point de meilleur remède qu'une humble patience, et
+l'abandon de soi-même à la volonté de Dieu.
+
+7. Je n'ai jamais rencontré d'homme si pieux et si parfait, qui n'ait
+éprouvé quelquefois cette privation de la grâce, et une diminution de
+ferveur.
+
+Nul Saint n'a été ravi si haut ni si rempli de lumières, qu'il n'ait été
+tenté avant ou après.
+
+Car il n'est pas digne d'être élevé jusqu'à la contemplation de Dieu
+celui qui n'a pas souffert pour Dieu quelque tribulation.
+
+La tentation annonce d'ordinaire la consolation qui doit suivre.
+
+Car la consolation céleste est promise à ceux qu'a éprouvés la
+tentation. _Celui qui vaincra_, dit le Seigneur, _je lui donnerai à
+manger du fruit de l'arbre de vie_[124].
+
+ [124] Apoc., II, 7.
+
+8. La consolation divine est donnée, afin que l'homme ait plus de force
+pour soutenir l'adversité.
+
+La tentation vient après, afin qu'il ne s'enorgueillisse pas du bien.
+
+Car Satan ne dort point, et la chair n'est pas encore morte: c'est
+pourquoi ne cessez de vous préparer au combat, parce qu'à droite et à
+gauche sont des ennemis qui ne se reposent jamais.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Bien que l'humanité sainte du Sauveur ne cessât de jouir, par son
+ intime union avec le Verbe divin, d'une paix et d'une joie
+ inaltérables, il ne laissait pas de ressentir souvent, dans la partie
+ inférieure de l'âme, les afflictions et les douleurs devenues
+ l'apanage de notre nature depuis le péché. Qui n'a présentes à
+ l'esprit ces grandes paroles: _Mon âme est triste jusqu'à la
+ mort_[125]. _Mon Père! mon Père! pourquoi m'avez-vous délaissé[126]?_
+ Ainsi l'âme chrétienne, sans perdre sa paix, est éprouvée aussi par la
+ tristesse et les tribulations intérieures. Si elle goûtait toujours la
+ consolation, il serait à craindre qu'elle ne tombât peu à peu dans le
+ relâchement; et qu'aurait-elle d'ailleurs à offrir à son bien-aimé?
+ _La vertu se perfectionne dans l'infirmité_. C'est l'Apôtre qui nous
+ l'apprend, et il ajoute aussitôt: _Je me glorifierai donc dans mes
+ infirmités, afin que la vertu de Jésus-Christ habite en moi_[127].
+ Cette espèce d'abandon, cet _exil du coeur_ nous rappelle vivement
+ notre misère, que nous oublions trop facilement, exerce notre foi,
+ notre amour, et nous maintient dans l'humilité. Gardez-vous donc, en
+ ces moments où Jésus paraît se retirer de vous, de fléchir sous le
+ poids de l'épreuve, et de vous laisser aller au découragement. «Un des
+ grands secours, dit un pieux auteur, pour bien porter sa croix, est
+ d'en ôter l'inquiétude, et de rendre cette peine tranquille par une
+ totale conformité à la divine volonté[128].» Au lieu de gémir et de
+ vous troubler, réjouissez-vous plutôt; car il est écrit: _Ceux qui
+ sèment dans les larmes moissonnent dans l'allégresse. Ils allaient et
+ pleuraient en répandant des semences; ils reviendront pleins de joie,
+ portant des gerbes dans leurs mains_[129].
+
+ [125] Matth., XXVI, 38.
+
+ [126] _Ibid._, XXVII, 46.
+
+ [127] II. Cor., XII, 9.
+
+ [128] Boudon, les Saintes Voies de la Croix, liv. II, chap. III.
+
+ [129] Ps. CXXV, 5. 6.
+
+
+
+
+CHAPITRE X.
+
+De la reconnaissance pour la grâce de Dieu.
+
+
+1. Pourquoi cherchez-vous le repos, lorsque vous êtes né pour le
+travail?
+
+Disposez-vous à la patience plutôt qu'aux consolations, et à porter la
+croix plutôt qu'à goûter la joie.
+
+Quel est l'homme du siècle qui ne reçût volontiers les joies et les
+consolations spirituelles, s'il pouvait en jouir toujours?
+
+Car les consolations spirituelles surpassent toutes les délices du monde
+et toutes les voluptés de la chair.
+
+Toutes les délices du monde sont ou honteuses ou vaines; les délices
+spirituelles sont seules douces et chastes, nées des vertus et répandues
+par Dieu dans les coeurs purs.
+
+Mais nul ne peut jouir, toujours à son gré, des consolations divines;
+parce que la tentation ne cesse jamais longtemps.
+
+2. Une fausse liberté d'esprit et une grande confiance en soi-même
+forment un grand obstacle aux visites d'en haut.
+
+Dieu accorde à l'homme un grand bien en lui donnant la grâce de la
+consolation; mais l'homme fait un grand mal, quand il ne remercie pas
+Dieu de ce don, et ne le lui rapporte pas tout entier.
+
+Si la grâce ne coule point abondamment sur nous, c'est que nous sommes
+ingrats envers son Auteur, et que nous ne remontons point à sa source
+première.
+
+Car la grâce n'est jamais refusée à celui qui la reçoit avec gratitude,
+et Dieu ordinairement donne à l'humble ce qu'il ôte au superbe.
+
+3. Je ne veux point de la consolation qui m'ôte la componction; je
+n'aspire point à la contemplation qui conduit à l'orgueil.
+
+Car tout ce qui est élevé n'est pas saint; tout ce qui est doux n'est
+pas bon; tout désir n'est pas pur; tout ce qui est cher à l'homme n'est
+pas agréable à Dieu.
+
+J'aime une grâce qui me rend plus humble, plus vigilant, plus prêt à me
+renoncer moi-même.
+
+L'homme instruit par le don de la grâce, et par sa privation, n'osera
+s'attribuer aucun bien; mais plutôt il confessera son indigence et sa
+nudité.
+
+Donnez à Dieu ce qui est à Dieu; et ce qui est de vous, ne l'imputez
+qu'à vous. Rendez gloire à Dieu de ses grâces, et reconnaissez que,
+n'ayant rien à vous que le péché, rien ne vous est dû que la peine du
+péché.
+
+4. _Mettez-vous_ toujours _à la dernière place_[130], et la première
+vous sera donnée; car ce qui est le plus élevé s'appuie sur ce qui est
+le plus bas.
+
+ [130] Luc, XIV, 10.
+
+Les plus grands Saints aux yeux de Dieu, sont les plus petits à leurs
+propres yeux; et plus leur vocation est sublime, plus ils sont humbles
+dans leur coeur.
+
+Pleins de la vérité et de la gloire céleste, ils ne sont pas avides
+d'une gloire vaine.
+
+Fondés et affermis en Dieu, ils ne sauraient s'élever en eux-mêmes.
+
+Rapportant à Dieu tout ce qu'ils ont reçu de bien, ils ne recherchent
+point la gloire que donnent les hommes, et ne veulent que celle qui
+vient de Dieu seul: leur unique but, leur désir unique, est qu'il soit
+glorifié en lui-même et dans tous les Saints, par-dessus toutes choses.
+
+5. Soyez donc reconnaissant des moindres grâces, et vous mériterez d'en
+recevoir de plus grandes.
+
+Que le plus léger don, la plus petite faveur, aient pour vous autant de
+prix que le don le plus excellent et la faveur la plus singulière.
+
+Si vous considérez la grandeur de celui qui donne, rien de ce qu'il
+donne ne vous paraîtra petit ni méprisable: car peut-il être quelque
+chose de tel dans ce qui vient d'un Dieu infini?
+
+Vous envoie-t-il des peines et des châtiments, recevez-les encore avec
+joie: car c'est toujours pour notre salut qu'il fait ou qu'il permet
+tout ce qui nous arrive.
+
+Voulez-vous conserver la grâce de Dieu, soyez reconnaissant lorsqu'il
+vous la donne, patient lorsqu'il vous l'ôte. Priez pour qu'elle vous
+soit rendue, et soyez humble et vigilant pour ne pas la perdre.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ L'homme est si pauvre, qu'il n'a pas même une bonne pensée, un bon
+ désir, qui ne lui vienne d'en haut. De lui-même il ne peut rien, pas
+ même souhaiter d'être affranchi de sa misère, qu'il ne connaît que par
+ une lumière surnaturelle... Si la divine miséricorde ne le prévenait,
+ il languirait dans une éternelle impuissance de tout bien. Plus la
+ grâce donc lui est donnée avec abondance, plus il a raison de
+ s'humilier, en voyant ce qu'il serait sans elle, ce qu'il est par son
+ propre fonds. Créature insensée, qui t'enorgueillis des dons de Dieu,
+ _qu'as-tu que tu n'aies reçu? et si tu l'as reçu, pourquoi te
+ glorifier, comme si tu ne l'avais pas reçu_[131]? Il faut que
+ l'orgueil plie sous cette parole, et que l'homme tout entier
+ s'anéantisse en présence de celui qui seul le retire de l'abîme où le
+ péché l'avait précipité. Il ne se relève qu'en s'abaissant; ce qui
+ faisait dire à saint Paul: _Quand je me sens faible, c'est alors que
+ suis fort_[132]. Je vous comprends, ô grand Apôtre! ce sentiment qui
+ vous humilie appelle la grâce promise _aux humbles_[133], et par elle
+ vous êtes revêtu de la force de Dieu même. Que ne devons-nous point à
+ ce Dieu de bonté, et que lui rendrons-nous pour tant de bienfaits?
+ Hélas! dans notre indigence, nous n'avons à lui offrir que notre
+ coeur, et c'est aussi tout ce qu'il demande de sa pauvre créature. Que
+ ce coeur au moins lui appartienne sans réserve; que rien ne le
+ partage; qu'il ne veuille, qu'il ne goûte que Dieu, ne vive que de son
+ amour; et qu'ainsi commence sur la terre cette union ravissante qui
+ sera plus tard notre éternelle félicité!
+
+ [131] I. Cor., IV, 7.
+
+ [132] II. Cor., XII, 10.
+
+ [133] Jacob, IV, 6.
+
+
+
+
+CHAPITRE XI.
+
+Du petit nombre de ceux qui aiment la Croix de JÉSUS-CHRIST.
+
+
+1. Il y en a beaucoup gui désirent le céleste royaume de Jésus, mais peu
+consentent à porter sa Croix.
+
+Beaucoup souhaitent ses consolations, mais peu aiment ses souffrances.
+
+Il trouve beaucoup de compagnons de sa table, mais peu de son
+abstinence.
+
+Tous veulent partager sa joie, mais peu veulent souffrir quelque chose
+pour lui.
+
+Plusieurs suivent Jésus jusqu'à la fraction du pain, mais peu jusqu'à
+boire le Calice de sa Passion.
+
+Plusieurs admirent ses miracles, mais peu goûtent l'ignominie de sa
+Croix.
+
+Plusieurs aiment Jésus, pendant qu'il ne leur arrive aucune adversité.
+
+Plusieurs le louent et le bénissent, tandis qu'ils reçoivent ses
+consolations.
+
+Mais si Jésus se cache et les délaisse un moment, ils tombent dans le
+murmure, ou dans un excessif abattement.
+
+2. Mais ceux qui aiment Jésus pour Jésus, et non pour eux-mêmes, le
+bénissent dans toutes les tribulations et dans l'angoisse du coeur,
+comme dans les consolations les plus douces.
+
+Et quand il ne voudrait jamais les consoler, toujours cependant ils le
+loueraient, toujours ils lui rendraient grâces.
+
+3. Oh! que ne peut l'amour de Jésus, quand il est pur et sans aucun
+mélange d'amour ni d'intérêt propre!
+
+Ne sont-ce pas des mercenaires, ceux qui cherchent toujours des
+consolations?
+
+Ne prouvent-ils pas qu'ils s'aiment eux-mêmes plus que Jésus-Christ,
+ceux qui pensent toujours à leur gain et à leurs avantages?
+
+Où trouvera-t-on quelqu'un qui veuille servir Dieu pour Dieu seul?
+
+4. Rarement on rencontre un homme assez avancé dans les voies
+spirituelles pour être dépouillé de tout.
+
+Car le véritable pauvre d'esprit, détaché de toute créature, qui le
+trouvera? _Il faut le chercher bien loin, et jusqu'aux extrémités de la
+terre_[134].
+
+ [134] Prov., XXXI, 10.
+
+_Si l'homme donne tout ce qu'il possède, ce n'est encore rien_[135].
+
+ [135] Cant., _VIII_, 7
+
+S'il fait une grande pénitence, c'est peu encore.
+
+Et s'il embrasse toutes les sciences, il est encore loin.
+
+Et s'il a une grande vertu et une piété fervente, il lui manque encore
+beaucoup, il lui manque une chose souverainement nécessaire.
+
+Qu'est-ce donc? C'est qu'après avoir tout quitté, il se quitte aussi
+lui-même, et se dépouille entièrement de l'amour de soi.
+
+C'est, enfin, qu'après avoir fait tout ce qu'il sait devoir faire, il
+pense encore n'avoir rien fait.
+
+5. Qu'il estime peu ce qu'on pourrait regarder comme quelque chose de
+grand, et qu'en toute sincérité il confesse qu'il est un serviteur
+inutile, selon la parole de la Vérité: _Quand vous aurez fait tout ce
+qui vous est commandé, dites: Nous sommes des serviteur inutiles_[136].
+
+ [136] Luc., XVII, 10.
+
+Alors il sera vraiment pauvre et séparé de tout en esprit, et il pourra
+dire avec le Prophète: _Oui, je suis pauvre et seul dans le monde_[137].
+
+ [137] Ps. XXIV, 17.
+
+Nul cependant n'est plus riche, plus puissant, plus libre, que celui qui
+sait quitter tout, et soi-même, et se mettre au dernier rang.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Il faut aimer Dieu pour Dieu même, et non pas à cause de la joie que
+ l'on goûte à le servir: car, s'il nous retirait ses consolations, que
+ deviendrait cet amour mercenaire? Celui qui se cherche encore en
+ quelque chose, ne sait point aimer. Regardez votre modèle, contemplez
+ Jésus, il ne s'est recherché en rien: _Christus non sibi
+ placuit_[138]. Il a tout sacrifié pour vous, son repos, sa vie, sa
+ volonté même: _Non pas ce que je veux_, disait-il, _mais ce que vous
+ voulez_[139]. Il a tout souffert jusqu'à la croix, jusqu'au
+ délaissement de son Père: _Mon Dieu! pourquoi m'avez-vous
+ abandonné[140]?_ Entrons, à son exemple, dans cet esprit de sacrifice;
+ et détachés désormais de tout intérêt propre, acceptons, avec une
+ égale sérénité, les biens et les maux, les peines et les joies, en
+ sorte que, n'ayant de pensées, de désirs que ceux de Jésus, nous
+ soyons _consommés avec lui dans cette unité parfaite_[141], que, près
+ de quitter ce monde, il demandait pour nous à son Père, comme le
+ dernier et le plus grand de ses dons.
+
+ [138] Rom., XV, 3.
+
+ [139] Matth., XXVI, 19.
+
+ [140] _Ibid._, XXVII, 46.
+
+ [141] Joann., XVII, 23.
+
+
+
+
+CHAPITRE XII.
+
+De la sainte voie de la Croix.
+
+
+1. Cette parole semble dure à plusieurs: _Renoncez à vous-même, prenez
+votre croix, et suivez_[142] Jésus.
+
+ [142] Luc., IX, 23.
+
+Mais il sera bien plus dur, au dernier jour, d'entendre cette parole:
+_Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel_[143]!
+
+ [143] Matth., XXV, 41.
+
+Ceux qui écoutent maintenant volontiers la parole qui commande de porter
+la Croix, et qui y obéissent, ne craindront point alors d'entendre
+l'arrêt d'une éternelle condamnation.
+
+_Ce signe de la Croix sera dans le Ciel, lorsque le Seigneur viendra
+pour juger_[144].
+
+ [144] _Ibid._, XXIV, 30.
+
+Alors tous les disciples de la Croix, qui auront imité, pendant leur
+vie, Jésus crucifié, s'approcheront avec une grande confiance de
+Jésus-Christ juge.
+
+2. Pourquoi donc craignez-vous de porter la Croix par laquelle on arrive
+au royaume du Ciel?
+
+Dans la Croix est le salut, dans la Croix la vie, dans la Croix la
+protection contre nos ennemis.
+
+C'est de la Croix que découlent les suavités célestes.
+
+Dans la Croix est la force de l'âme, dans la Croix la joie de l'esprit,
+la consommation de la vertu, la perfection de la sainteté.
+
+Il n'y a de salut pour l'âme, ni d'espérance de vie éternelle, que dans
+la Croix.
+
+Prenez donc votre Croix, et suivez Jésus, et vous parviendrez à
+l'éternelle vie.
+
+Il vous a précédé portant sa Croix, et il est mort pour vous sur la
+Croix, afin que vous aussi vous portiez votre Croix, et que vous
+aspiriez à mourir sur la Croix.
+
+_Car si vous mourez avec lui, vous vivrez aussi avec lui_[145]; et si
+vous partagez ses souffrances, vous partagerez sa gloire.
+
+ [145] Rom., VI, 8.
+
+3. Ainsi tout est dans la Croix, et tout consiste à mourir. Il n'est
+point d'autre voie qui conduise à la vie et à la véritable paix du
+coeur, que la voie de la Croix et d'une mortification continuelle.
+
+Allez où vous voudrez, cherchez tout ce que vous voudrez, et vous ne
+trouverez pas au-dessus une voie plus élevée, au-dessous une voie plus
+sûre que la voie de la sainte Croix.
+
+Disposez de tout selon vos vues, réglez tout selon vos désirs, et
+toujours vous trouverez qu'il vous faut souffrir quelque chose, que vous
+le vouliez ou non; et ainsi vous trouverez toujours la Croix.
+
+Car, ou vous sentirez de la douleur dans le corps, ou vous éprouverez de
+l'amertume dans l'âme.
+
+4. Tantôt vous serez délaissé de Dieu, tantôt exercé par le prochain, et
+ce qui est plus encore, vous serez souvent à charge de vous-même. Vous
+ne trouverez à vos peines aucun remède, aucun soulagement; mais il vous
+faudra souffrir aussi longtemps que Dieu le voudra.
+
+Car Dieu veut que vous appreniez à souffrir sans consolation, et que
+vous vous soumettiez à lui sans réserve, et que vous deveniez plus
+humble par la tribulation.
+
+Nul n'a si avant dans son coeur la Passion de Jésus-Christ, que celui
+qui a souffert quelque chose de semblable.
+
+La Croix est donc toujours préparée; elle vous attend partout.
+
+Vous ne pouvez la fuir, quelque part que vous alliez, puisque partout où
+vous irez, vous vous porterez et vous trouverez toujours vous-même.
+
+Élevez-vous, abaissez-vous, sortez de vous-même, rentrez-y: toujours
+vous trouverez la Croix; et il faut que partout vous preniez patience,
+si vous voulez posséder la paix intérieure et mériter la couronne
+immortelle.
+
+5. Si vous portez de bon coeur la Croix, elle-même vous portera, et vous
+conduira au terme désiré, où vous cesserez de souffrir: mais ce ne sera
+pas en ce monde.
+
+Si vous la portez à regret, vous en augmentez le poids, vous rendez
+votre fardeau plus dur; et cependant il vous faut la porter.
+
+Si vous rejetez une Croix, vous en trouverez certainement une autre, et
+peut-être plus pesante.
+
+6. Croyez-vous échapper à ce que nul homme n'a pu éviter? Quel Saint a
+été en ce monde sans Croix et sans tribulation?
+
+Jésus-Christ lui-même, Notre-Seigneur, n'a pas été une seule heure, dans
+toute sa vie, sans éprouver quelques souffrances: _Il fallait, dit-il,
+que le Christ souffrît, et qu'il ressuscitât d'entre les morts, et qu'il
+entrât ainsi dans sa gloire_[146].
+
+ [146] Luc., XXIV, 26, 46.
+
+Comment donc cherchez-vous une autre voie, que la voie royale de la
+sainte Croix?
+
+7. Toute la vie de Jésus-Christ n'a été qu'une Croix et un long martyre:
+et vous cherchez le repos et la joie!
+
+Vous vous trompez, n'en doutez pas, vous vous trompez lamentablement, si
+vous cherchez autre chose que des afflictions à souffrir; car toute
+cette vie mortelle est pleine de misères et environnée de Croix.
+
+Et plus un homme aura fait de progrès dans les voies spirituelles, plus
+ses Croix souvent seront pesantes; parce que l'amour lui rend son exil
+plus douloureux.
+
+8. Cependant celui que Dieu éprouve par tant de peines, n'est pas sans
+consolations qui les adoucissent; parce qu'il sent s'accroître les
+fruits de sa patience à porter sa Croix.
+
+Car lorsqu'il s'incline volontairement sous elle, l'affliction qui
+l'accablait se change tout entière en une douce confiance qui le
+console.
+
+Et plus la chair est affligée, brisée, plus l'esprit est fortifié
+intérieurement par la grâce.
+
+Quelquefois même le désir de souffrir, pour être conforme à Jésus
+crucifié, lui inspire tant de force, qu'il ne voudrait pas être exempt
+de tribulations et de douleur, parce qu'il se croit d'autant plus
+agréable à Dieu, qu'il souffre pour lui davantage.
+
+Ce n'est point là la vertu de l'homme, mais la grâce de Jésus-Christ,
+qui opère si puissamment dans une chair infirme, que tout ce qu'elle
+abhorre et fuit naturellement, elle l'embrasse et l'aime par la ferveur
+de l'esprit.
+
+9. Il n'est pas selon l'homme de porter la Croix, d'aimer la Croix, de
+châtier le corps, de le réduire en servitude, de fuir les honneurs, de
+souffrir volontiers les outrages, de se mépriser soi-même et de
+souhaiter d'être méprisé, de supporter les afflictions et les pertes, et
+de ne désirer aucune prospérité dans ce monde.
+
+Si vous ne regardez que vous, vous ne pouvez rien de tout cela.
+
+Mais si vous vous confiez dans le Seigneur, la force vous sera donnée
+d'en haut, et vous aurez pouvoir sur la chair et le monde.
+
+Vous ne craindrez pas même le démon, votre ennemi, si vous êtes armé de
+la foi et marqué de la Croix de Jésus-Christ.
+
+10. Disposez-vous donc, comme un bon et fidèle serviteur de
+Jésus-Christ, à porter courageusement la Croix de votre maître, crucifié
+par amour pour vous.
+
+Préparez-vous à souffrir mille adversités, mille traverses dans cette
+misérable vie: car voilà partout ce qui vous attend, ce que vous
+trouverez partout, en quelque lieu que vous vous cachiez.
+
+Il faut qu'il en soit ainsi: et à cette foule de maux et de douleurs, il
+n'y a d'autre remède que de vous supporter vous-même.
+
+Buvez avec joie le calice du Sauveur, si son amour vous est cher et si
+vous désirez avoir part à sa gloire.
+
+Laissez Dieu disposer de ses consolations: qu'il les répande comme il
+lui plaira.
+
+Pour vous, choisissez les souffrances, et regardez-les comme des
+consolations d'un grand prix: _car toutes les souffrances du temps n'ont
+aucune proportion avec la gloire future, et ne sauraient vous la
+mériter_[147], quand seul vous les supporteriez toutes.
+
+ [147] Rom., VIII, 18.
+
+11. Lorsque vous en serez venu à trouver la souffrance douce, et à
+l'aimer pour Jésus-Christ, alors estimez-vous heureux, parce que vous
+avez trouvé le Paradis sur la terre.
+
+Mais tandis que la souffrance vous sera amère, et que vous la fuirez,
+vous vivrez dans le trouble; et la tribulation que vous fuirez vous
+suivra partout.
+
+12. Si vous vous appliquez à être ce que vous devez être, à souffrir et
+à mourir, bientôt vos peines s'adouciront, et vous aurez la paix.
+
+Quand vous auriez été ravi, avec Paul, jusqu'au troisième Ciel, vous ne
+seriez pas pour cela assuré de ne rien souffrir. _Je lui montrerai_, dit
+Jésus, _combien il faut qu'il souffre pour mon nom_[148].
+
+ [148] Act., IX, 16.
+
+Il ne vous reste donc qu'à souffrir, si vous voulez aimer Jésus et le
+servir constamment!
+
+13. Plût à Dieu que vous fussiez digne de souffrir quelque chose pour le
+nom de Jésus! Quelle gloire vous serait réservée! Quelle joie parmi tous
+les Saints! Quelle édification pour le prochain!
+
+Car tous recommandent la patience, quoique peu cependant veuillent
+souffrir.
+
+Avec quelle joie vous devriez souffrir quelque chose pour Jésus, lorsque
+tant d'autres souffrent beaucoup plus pour le monde!
+
+14. Sachez, et croyez fermement, que votre vie doit être une mort
+continuelle; et que plus on meurt à soi-même, plus on commence à vivre
+pour Dieu.
+
+Nul n'est propre à comprendre les choses du Ciel, s'il ne se soumet à
+supporter les adversités pour Jésus-Christ.
+
+Rien n'est plus agréable à Dieu, rien ne vous est plus salutaire en ce
+monde, que de souffrir avec joie pour Jésus-Christ; et si vous aviez à
+choisir, vous devriez plutôt souhaiter d'être affligé pour lui, que
+d'être comblé de consolations, parce que vous seriez alors plus
+semblable à Jésus-Christ et plus conforme à tous les Saints.
+
+Car notre mérite et notre progrès dans la perfection ne consistent point
+dans la douceur et l'abondance des consolations, mais plutôt dans la
+force de supporter de grandes tribulations et de pesantes épreuves.
+
+15. S'il y avait eu, pour l'homme, quelque chose de meilleur et de plus
+utile que de souffrir, Jésus-Christ nous l'aurait appris par ses paroles
+et par son exemple.
+
+Or, manifestement il exhorte à porter la croix, et les disciples qui le
+suivaient, et tous ceux qui voudraient le suivre, disant: _Si quelqu'un
+veut marcher sur mes pas, qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa croix
+et qu'il me suive_[149].
+
+ [149] Matth., XVI, 24.
+
+Après donc avoir tout lu et tout examiné, concluons enfin qu'_il nous
+faut passer par beaucoup de tribulations pour entrer dans le royaume de
+Dieu_[150].
+
+ [150] Act., XIV, 21.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ La doctrine de la Croix, _scandale pour les Juifs et folie pour les
+ Gentils_[151], est ce que les hommes comprennent le moins. Qu'un Dieu
+ soit mort pour les sauver, leur raison s'abaissera devant ce mystère;
+ mais qu'ils doivent s'associer à cet étonnant sacrifice, en mourant à
+ eux-mêmes, à leurs passions, à leurs volontés, à leurs désirs, voilà
+ ce qui les révolte, et leur fait dire comme les Capharnaïtes: _Cette
+ parole est dure, et qui peut l'entendre_[152]? Il faut bien pourtant
+ que nous l'entendions, car notre salut dépend de là. Le ciel était
+ séparé de la terre, la Croix les a réunis; et c'est du pied de la
+ Croix que part tout ce qui va jusqu'au Ciel. Pressons-nous donc contre
+ la Croix; qu'elle soit ici-bas notre consolation, comme elle est notre
+ force. Lorsque, dans sa bonté, Dieu nous envoie quelque épreuve,
+ disons avec saint André: _Ô douce Croix! si longtemps désirée, et
+ préparée maintenant pour cette âme qui la souhaitait ardemment!_ Tout
+ les Saints ont senti ce désir, tous ont tenu ce langage. _Souffrir ou
+ mourir_, répétait souvent sainte Thérèse; et, dans la souffrance, elle
+ trouvait plus de paix et de bonheur que n'en goûteront jamais ceux que
+ le monde appelle heureux. Une seule larme versée aux pieds de Jésus
+ est plus délicieuse mille fois que tous les plaisirs du siècle.
+
+ [151] I. Cor., I, 23.
+
+ [152] Joann., VI, 61.
+
+
+FIN DU DEUXIÈME LIVRE.
+
+
+
+
+L'IMITATION
+
+DE
+
+JÉSUS-CHRIST.
+
+
+
+
+LIVRE TROISIÈME.
+
+DE LA VIE INTÉRIEURE.
+
+
+
+
+CHAPITRE PREMIER.
+
+Des entretiens intérieurs de JÉSUS-CHRIST avec l'âme fidèle.
+
+
+1. _J'écouterai ce que le Seigneur Dieu dit en moi_[153].
+
+ [153] Ps. LXXXIV, 8.
+
+Heureuse l'âme qui entend le Seigneur lui parler intérieurement, et qui
+reçoit de sa bouche la parole de consolation!
+
+Heureuses les oreilles toujours attentives à recueillir ce souffle
+divin, et sourdes aux bruits du monde!
+
+Heureuses encore une fois les oreilles qui écoutent, non la voix qui
+retentit au dehors, mais la vérité qui enseigne au dedans!
+
+Heureux les yeux qui, fermés aux choses extérieures, ne contemplent que
+les intérieures!
+
+Heureux ceux qui pénètrent les mystères que le coeur recèle, et qui, par
+des exercices de chaque jour, tâchent de se préparer de plus en plus à
+comprendre les secrets du Ciel!
+
+Heureux ceux dont la joie est de s'occuper de Dieu, et qui se dégagent
+de tous les embarras du siècle!
+
+Considère ces choses, ô mon âme! et ferme la porte de tes sens, afin que
+tu puisses entendre ce que le Seigneur ton Dieu dit en toi.
+
+2. Voici ce que dit ton bien-aimé: Je suis votre salut, votre paix et
+votre vie.
+
+Demeurez près de moi, et vous trouverez la paix. Laissez là tout ce qui
+passe; ne cherchez que ce qui est éternel.
+
+Que sont toutes les choses du temps, que des séductions vaines? et de
+quoi vous serviront toutes les créatures, si vous êtes abandonné du
+Créateur?
+
+Renoncez donc à tout, et occupez-vous de plaire à votre Créateur, et de
+lui être fidèle, afin de parvenir à la vraie béatitude.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Écoutons la sagesse incréée: _Mes délices_, dit-elle, _sont d'être
+ avec les enfants des hommes_[154]. Mais la plupart des hommes ne
+ comprenant pas son langage, ou craignant de l'entendre, s'éloignent
+ d'elle pour s'entretenir avec les créatures. _Elle est venue dans le
+ monde, et le monde ne l'a point connue_[155]. C'est pourquoi l'Apôtre
+ nous défend _d'aimer le monde, ni rien de ce qui est dans le
+ monde_[156], _parce qu'il appartient tout entier à l'esprit de
+ malice_[157]. Si donc nous voulons attirer en nous l'esprit de Dieu,
+ cet esprit dont _l'onction enseigne toutes choses_[158], séparons-nous
+ du monde; renonçons à ses maximes, à ses plaisirs, à ses sociétés
+ tumultueuses. Jésus ne se trouve qu'au désert; _sa voix ne retentit
+ pas dans les lieux publics_[159], au milieu des assemblées du siècle;
+ mais lorsqu'il a résolu de répandre ses faveurs sur l'âme fidèle, _il
+ la conduit dans la solitude, et là il parle à son coeur_[160]. Comment
+ peindre les délices de ce céleste entretien? Qui les a goûtées une
+ fois ne peut plus supporter les entretiens des hommes. Ô Jésus! parlez
+ à mon coeur, je veux désormais n'écouter que votre voix, dans le
+ silence de toutes les créatures.
+
+ [154] Prov., VIII, 31.
+
+ [155] Joan., I, 10.
+
+ [156] I. Joan., II, 15.
+
+ [157] _Ibid._, V. 19.
+
+ [158] Ibid., II, 27.
+
+ [159] Matth., XII, 19.
+
+ [160] Osée, II, 14.
+
+
+
+
+CHAPITRE II.
+
+La vérité parle au dedans de nous sans aucun bruit de paroles.
+
+
+1. _Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur écoute._
+
+_Je suis votre serviteur: donnez-moi l'intelligence, afin que je sache
+vos témoignages_[161].
+
+ [161] I. Reg., III, 9; Ps. CXVIII, 125.
+
+_Inclinez mon coeur aux paroles de votre bouche; qu'elles tombent sur
+lui comme une douce rosée_[162].
+
+ [162] Ps. CXVIII, 36. Deuter., XXXII, 2.
+
+Les enfants d'Israël disaient autrefois à Moïse: _Parlez-nous, et nous
+vous écouterons: mais que le Seigneur ne nous parle point, de peur que
+nous ne mourions_[163].
+
+ [163] Exod., XX, 19.
+
+Ce n'est pas là, Seigneur, ce n'est pas là ma prière; mais au contraire,
+je vous implore, comme le prophète Samuel, avec un humble désir, disant:
+_Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur écoute_[164].
+
+ [164] I Reg., III, 9.
+
+Que Moïse ne me parle point, ni aucun des prophètes; mais vous plutôt,
+parlez, Seigneur mon Dieu, vous, la lumière de tous les prophètes, et
+l'esprit qui les inspirait. Sans eux, vous pouvez seul pénétrer toute
+mon âme de votre vérité; et sans vous, ils ne pourraient rien.
+
+2. Ils peuvent prononcer des paroles, mais non les rendre efficaces.
+
+Leur langage est sublime; mais si vous vous taisez, il n'échauffe point
+le coeur.
+
+Ils exposent la lettre; mais vous en découvrez le sens.
+
+Ils proposent les mystères; mais vous rompez le sceau qui en dérobait
+l'intelligence.
+
+Ils publient vos commandements; mais vous aidez à les accomplir.
+
+Ils montrent la voie; mais vous donnez des forces pour marcher.
+
+Ils n'agissent qu'au dehors; mais vous éclairez et instruisez les
+coeurs.
+
+Ils arrosent extérieurement; mais vous donnez la fécondité.
+
+Leurs paroles frappent l'oreille; mais vous ouvrez l'intelligence.
+
+3. Que Moïse donc ne me parle point; mais vous, Seigneur mon Dieu,
+éternelle vérité! parlez-moi, de peur que je ne meure, et que je
+n'écoute sans fruit, si, averti seulement au dehors, je ne suis point
+intérieurement embrasé; de peur que je ne trouve ma condamnation dans
+votre parole, entendue sans être accomplie, connue sans être aimée, crue
+sans être observée.
+
+_Parlez-moi donc, Seigneur, parce que votre serviteur écoute: vous avez
+les paroles de la vie éternelle_[165].
+
+ [165] I Reg., III, 9; Joann., VI, 69.
+
+Parlez-moi pour consoler un peu mon âme, pour m'apprendre à réformer ma
+vie; parlez-moi pour la louange, la gloire, l'honneur éternel de votre
+nom.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Il y a une voix qui nous parle intérieurement et comme dans le fond de
+ l'âme, lorsque fermant l'oreille au bruit des créatures, nous ne
+ voulons plus écouter que Dieu seul, et que nous l'appelons en nous de
+ toute l'ardeur de nos désirs. C'est cette voix qui, loin des hommes,
+ ravissait au désert les Paul, les Antoine, les Pacôme, et leur
+ révélait sans obscurité les secrets de la science divine. C'est cette
+ voix qui instruit les saints, les enflamme, les console et les enivre,
+ pour ainsi dire, de sa céleste douceur. Moïse et les prophètes étaient
+ voilés pour les disciples d'Emmaüs: Jésus vient, et, à sa voix, les
+ ombres qui offusquaient leur intelligence se dissipent; quelque chose
+ d'inconnu se remue en eux, de sorte qu'ils se disaient l'un à l'antre:
+ _Notre coeur n'était-il pas tout brûlant au dedans de nous, lorsqu'il
+ nous parlait dans le chemin, et nous ouvrait les Écritures_[166]? Et
+ nous, pauvres infortunés que le tumulte du monde distrait encore, que
+ ferons-nous? Ne voulons-nous point aussi entendre Jésus? Comme les
+ deux disciples, nous sommes en voyage; nous nous en allons vers
+ l'éternité. Jésus, dans son amour, _s'approche_ de nous; il se fait,
+ en quelque sorte, le compagnon de notre route[167]: mais, nous
+ trouvant si peu attentifs, il se retire, et nous marchons seuls.
+ Effrayante solitude! Ah! prenons garde que la nuit ne nous surprenne
+ près du terme! Hâtons-nous de rappeler le divin guide et disons-lui de
+ toute notre âme: _Seigneur demeurez avec nous, car le soir se fait et
+ déjà le jour baisse_[168].
+
+ [166] Luc., XXIV, 32.
+
+ [167] _Ibid._, 15.
+
+ [168] _Ibid._, 29.
+
+
+
+
+CHAPITRE III.
+
+Qu'il faut écouter la parole de Dieu avec humilité, et que plusieurs ne
+la reçoivent pas comme ils le devraient.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, écoutez mes paroles, paroles pleines de douceur, et
+qui surpassent toute la science des philosophes et des sages du monde.
+
+_Mes paroles sont esprit et vie_[169], et l'on n'en doit pas juger par
+le sens humain.
+
+ [169] Joann., VI, 64.
+
+Il ne faut pas en tirer une vaine complaisance, mais les écouter en
+silence, et les recevoir avec une humilité profonde et un ardent amour.
+
+2. LE F. Et j'ai dit: _Heureux celui que vous instruisez, Seigneur, et à
+qui vous enseignez votre loi, afin de lui adoucir les jours mauvais, et
+de ne pas le laisser sans consolation sur la terre_[170].
+
+ [170] Ps. XCIII, 12, 13.
+
+3. J.-C. C'est moi qui ai, dès le commencement, instruit les prophètes,
+dit le Seigneur; et jusqu'à présent même, je ne cesse point de parler à
+tous; mais plusieurs sont endurcis et sourds à ma voix.
+
+Le plus grand nombre écoute le monde de préférence à Dieu: ils aiment
+mieux suivre les désirs de la chair que d'obéir à la volonté divine.
+
+Le monde promet peu de chose, et des choses qui passent, et on le sert
+avec une grande ardeur: je promets des biens immenses, éternels, et le
+coeur des hommes reste froid.
+
+Qui me sert et m'obéit en toutes choses, avec autant de soin qu'on sert
+le monde et les maîtres du monde?
+
+_Rougis, Sidon, dit la mer_[171]; et si tu en demandes la cause, écoute,
+voici pourquoi:
+
+ [171] Is., XXIII, 4.
+
+Pour un petit avantage, on entreprend une longue route; et, pour la vie
+éternelle, à peine en trouve-t-on qui veuillent faire un pas.
+
+On recherche le plus vil gain: on plaide honteusement quelquefois pour
+une pièce de monnaie; sur une légère promesse et pour une chose de rien,
+on ne craint pas de se fatiguer le jour et la nuit.
+
+Mais, ô honte! pour un bien immuable, pour une récompense infinie, pour
+un honneur suprême et une gloire sans fin, on ne saurait se résoudre à
+la moindre fatigue.
+
+4. Serviteur paresseux et toujours murmurant, rougis donc de ce qu'il y
+ait des hommes plus ardents à leur perte que tu ne l'es à te sauver, et
+pour qui la vanité a plus d'attrait que n'en a pour toi la vérité.
+
+Et cependant ils sont souvent abusés par leurs espérances; tandis que ma
+promesse ne trompe point, et que jamais je ne me refuse à celui qui se
+confie en moi.
+
+Ce que j'ai promis, je le donnerai: ce que j'ai dit, je l'accomplirai,
+si toutefois l'on demeure avec fidélité dans mon amour jusqu'à la fin.
+
+C'est moi qui récompense les bons, et qui éprouve fortement les justes.
+
+5. Gravez mes paroles dans votre coeur, et méditez-les profondément:
+car, à l'heure de la tentation, elles vous seront très-nécessaires.
+
+Ce que vous n'entendez pas en le lisant, vous le comprendrez au jour de
+ma visite.
+
+J'ai coutume de visiter mes élus de deux manières: par la tentation et
+par la consolation.
+
+Et tous les jours, je leur donne deux leçons; l'une en les reprenant de
+leurs défauts, l'autre en les exhortant à avancer dans la vertu.
+
+_Celui qui reçoit ma parole, et qui la méprise, sera jugé par elle au
+dernier jour_[172].
+
+ [172] Joann., XII, 48.
+
+
+PRIÈRE
+
+POUR DEMANDER LA GRÂCE DE LA DÉVOTION.
+
+6. LE F. Seigneur, mon Dieu, vous êtes tout mon bien: et qui suis-je
+pour oser vous parler?
+
+Je suis le plus pauvre de vos serviteurs, et un abject ver de terre,
+beaucoup plus pauvre et plus méprisable que je ne sais et que je n'ose
+dire.
+
+Souvenez-vous cependant, Seigneur, que je ne suis rien, que je n'ai
+rien, que je ne puis rien.
+
+Vous êtes seul bon, juste et saint; vous pouvez tout, vous donnez tout,
+vous remplissez tout, hors le pécheur que vous laissez vide.
+
+_Souvenez-vous de vos miséricordes_[173], et remplissez mon coeur de
+votre grâce, vous qui ne voulez point qu'aucun de vos ouvrages demeure
+vide.
+
+ [173] Ps. XXIV, 6.
+
+7. Comment puis-je, en cette misérable vie, porter le poids de moi-même,
+si votre miséricorde et votre grâce ne me fortifient?
+
+Ne détournez pas de moi votre visage; ne différez pas à me visiter; ne
+me retirez point votre consolation, de peur que, _privée de vous, mon
+âme ne devienne comme une terre sans eau_[174].
+
+ [174] Ps. CXLII, 6.
+
+_Seigneur, apprenez-moi à faire votre volonté_[175]; apprenez-moi à
+vivre d'une vie humble et digne de vous.
+
+ [175] _Ibid._, 10.
+
+Car vous êtes ma sagesse, vous me connaissez dans la vérité, et vous
+m'avez connu avant que je fusse au monde, et avant même que le monde
+fût.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Rien de plus rare qu'un désir sincère du salut; et c'est ce qui doit
+ nous faire trembler, car notre sort à chacun sera ce que nous l'aurons
+ fait: Dieu nous aide, il vient par sa grâce au secours du libre
+ arbitre, mais il ne le contraint pas. Or que voyons-nous? Quel
+ spectacle nous offre le monde? Nous ne parlons point ici de l'impie
+ résolu à se perdre, et déjà marqué du sceau de la réprobation: nous
+ parlons de ceux qui se disent, qui se croient les disciples de
+ Jésus-Christ. Dans la spéculation, ces chrétiens veulent se sauver;
+ mais ils veulent en même temps, ils veulent surtout posséder les biens
+ et goûter les jouissances de la terre. Ils donneront à Dieu, en
+ passant, quelques prières obligées; ils s'informeront de sa loi pour
+ connaître ce qu'elle commande strictement: puis, tranquilles de ce
+ côté, ils se jetteront à la poursuite des honneurs, des richesses, des
+ plaisirs qu'ils nomment légitimes, ou ils s'endormiront dans une vie
+ de mollesse permise à leurs yeux, parce qu'elle ne viole en apparence
+ aucun précepte formel. Mais dans tout cela, où est la foi qui doit
+ régler toutes nos actions sur la vue de l'éternité? Où est l'amour
+ perpétuellement occupé de son objet, l'amour avide de sacrifices? Où
+ est la pénitence? Où est la Croix? Ô Dieu! et c'est là désirer le
+ salut! N'est-il donc pas écrit que _celui qui cherche son âme la
+ perdra_[176]? Que chacun se juge sur cette parole avant le jour
+ terrible où le Seigneur lui-même le jugera.
+
+ [176] Luc., XVII, 33.
+
+
+
+
+CHAPITRE IV.
+
+Qu'il faut marcher en présence de Dieu dans la vérité et l'humilité.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, marchez devant moi dans la vérité, et cherchez-moi
+toujours dans la simplicité de votre coeur.
+
+Celui qui marche devant moi dans la vérité ne craindra nulle attaque; la
+vérité le délivrera des calomnies et des séductions des méchants.
+
+Si la vérité vous délivre, vous serez vraiment libre, et peu vous
+importeront les vains discours des hommes.
+
+2. LE F. Seigneur, il est vrai: qu'il me soit fait, de grâce, selon
+votre parole. Que votre vérité m'instruise, qu'elle me défende, qu'elle
+me conserve jusqu'à la fin dans la voie du salut.
+
+Qu'elle me délivre de tout désir mauvais, de toute affection déréglée;
+et je marcherai devant vous dans une grande liberté de coeur.
+
+3. J.-C. La vérité, c'est moi: je vous enseignerai ce qui est bon, ce
+qui m'est agréable.
+
+Rappelez-vous vos péchés avec une grande douleur et un profond regret;
+et ne pensez jamais être quelque chose, à cause du bien que vous faites.
+
+Car, dans la vérité, vous n'êtes qu'un pécheur, sujet à beaucoup de
+passions et engagé dans leurs liens.
+
+De vous-même, vous tendez toujours au néant; un rien vous ébranle, un
+rien vous abat, un rien vous trouble et vous décourage.
+
+Qu'avez-vous dont vous puissiez vous glorifier? et que de motifs, au
+contraire, pour vous mépriser vous-même! car vous êtes beaucoup plus
+infirme que vous ne sauriez le comprendre.
+
+4. Que rien de ce que vous faites ne vous paraisse donc quelque chose de
+grand.
+
+Mais plutôt qu'à vos yeux rien ne soit grand, précieux, admirable,
+élevé, digne d'être estimé, loué, recherché, que ce qui est éternel.
+
+Aimez, par-dessus toutes choses, l'éternelle vérité, et n'ayez jamais
+que du mépris pour votre extrême bassesse.
+
+N'appréhendez rien tant, ne blâmez et ne fuyez rien tant que vos péchés
+et vos vices: ils doivent vous affliger plus que toutes les pertes du
+monde.
+
+Il y en a qui ne marchent pas devant moi avec un coeur sincère; mais,
+guidés par une certaine curiosité présomptueuse, ils veulent découvrir
+mes secrets et pénétrer les profondeurs de Dieu, tandis qu'ils négligent
+de s'occuper d'eux-mêmes et de leur salut.
+
+Ceux-là tombent souvent, à cause de leur orgueil et de leur curiosité,
+en de grandes tentations et de grandes fautes, parce que je me sépare
+d'eux.
+
+5. Craignez les jugements de Dieu: redoutez la colère du Tout-Puissant;
+ne scrutez point les oeuvres du Très-Haut; mais sondez vos iniquités, le
+mal que tant de fois vous avez commis, le bien que vous avez négligé.
+
+Plusieurs mettent toute leur dévotion en des livres, d'autres en des
+images, d'autres en des signes et des marques extérieures.
+
+Quelques-uns m'ont souvent dans la bouche, mais peu dans le coeur.
+
+Il en est d'autres qui, éclairés et purifiés intérieurement, ne cessent
+d'aspirer aux biens éternels, ont à dégoût les entretiens de la terre,
+et ne s'assujettissent qu'à regret aux nécessités de la nature. Ceux-là
+entendent ce que l'Esprit de vérité dit en eux.
+
+Car il leur apprend à mépriser ce qui passe, à aimer ce qui dure
+éternellement, à oublier le monde, et à désirer le Ciel, le jour et la
+nuit.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ _Je suis le Dieu tout-puissant: marchez en ma présence, et soyez
+ parfait_[177]. Ainsi parlait le Seigneur au Père des croyants, et ce
+ commandement s'adresse avec encore plus de force aux chrétiens, qui
+ ont contemplé, dans le Fils de l'Homme, le modèle de toute perfection.
+ Aussi leur est-il dit: _Soyez parfaits, comme votre Père céleste est
+ parfait_[178]. Étonnant précepte qui, relevant notre incompréhensible
+ bassesse, nous apprend ce qu'est l'homme racheté, ce qu'est le
+ chrétien aux yeux de Dieu. Mais comment, faibles créatures, courbées
+ sous le poids de la chair, approcherons-nous de cette perfection
+ souveraine, à laquelle il nous est ordonné de tendre sans cesse?
+ Écoutez Jésus-Christ: _Je suis la voie, la vérité et la vie_[179]. Il
+ est la voie qui conduit à Dieu, la vérité qui est Dieu même; il est la
+ vie promise à ceux qui _marchent dans la vérité_[180], _qui font la
+ vérité_[181], selon le mot profond de l'Apôtre. Donc, tout en
+ Jésus-Christ et par Jésus-Christ. Unies aux siennes, nos pensées, nos
+ affections, nos oeuvres se divinisent: et comme la perfection du Fils
+ est la perfection même du Père, par notre union avec le Fils, qui
+ commence sur la terre et se consommera dans le ciel, nous devenons
+ parfaits comme le Père est parfait. Ainsi s'accomplit la prière du
+ Christ: _Père saint, conservez en votre nom ceux que vous m'avez
+ donnés, afin qu'ils soient un comme nous sommes un! Sanctifiez-les
+ dans la vérité; je me sanctifie pour eux moi-même, afin qu'ils soient
+ sanctifiés dans la vérité_[182]. Mais cette grande union, qui nous
+ élève jusqu'à participer aux mérites infinis du Rédempteur, ne
+ s'effectue, ne l'oublions pas, qu'en proportion du sacrifice que nous
+ faisons de nous-mêmes. Notre humilité en est la mesure: elle est le
+ fruit du renoncement propre, du détachement, de l'abaissement qui nous
+ anéantit devant Dieu. Là où l'amour corrompu de soi, là où la nature
+ vit encore, l'union avec Jésus-Christ n'est pas complète. Il faut
+ mourir à soi-même, à ses désirs, à ses goûts, à sa volonté, à sa
+ raison aveugle, pour être _un avec le Fils_, comme il est _un avec son
+ Père_. Pour être _sanctifié dans la vérité_[183]. Heureuse mort, qui
+ nous met en possession de la véritable vie, de Dieu même et de sa
+ sainteté, de sa vérité éternelle!
+
+ [177] Gen., XVII, 1.
+
+ [178] Matth., V, 48.
+
+ [179] Joann., XIV, 6.
+
+ [180] III. Joann., 4.
+
+ [181] Ephes., IV, 15.
+
+ [182] Joann., XVII, 11, 17, 19.
+
+ [183] II. Cor., I, 3.
+
+
+
+
+CHAPITRE V.
+
+Des merveilleux effets de l'amour divin.
+
+
+1. LE F. Je vous bénis, Père céleste, Père de Jésus-Christ, mon
+Seigneur, parce que vous avez daigné vous souvenir de moi, pauvre
+créature.
+
+_Ô Père des miséricordes, et Dieu de toute consolation_[184], je vous
+rends grâces de ce que, tout indigne que j'en suis, vous voulez bien
+cependant quelquefois me consoler!
+
+ [184] _Ibid._
+
+Je vous bénis à jamais, et je vous glorifie avec votre Fils unique et
+Esprit consolateur, dans les siècles des siècles.
+
+Ô Seigneur, mon Dieu, saint objet de mon amour! quand vous descendrez
+dans mon coeur, toutes mes entrailles tressailliront de joie.
+
+Vous êtes ma gloire et la joie de mon coeur.
+
+Vous êtes mon espérance et mon refuge au jour de la tribulation.
+
+2. Mais, parce que mon amour est encore faible et ma vertu chancelante,
+j'ai besoin d'être fortifié et consolé par vous: visitez-moi donc
+souvent, et dirigez-moi par vos divines instructions.
+
+Délivrez-moi des passions mauvaises, et retranchez de mon coeur toutes
+ses affections déréglées, afin que, guéri et purifié intérieurement, je
+devienne propre à vous aimer, fort pour souffrir, ferme pour persévérer.
+
+3. C'est quelque chose de grand que l'amour, et un bien au-dessus de
+tous les biens. Seul, il rend léger ce qui est pesant, et fait qu'on
+supporte avec une âme égale toutes les vicissitudes de la vie.
+
+Il porte son fardeau sans en sentir le poids, et rend doux ce qu'il y a
+de plus amer.
+
+L'amour de Jésus est généreux; il fait entreprendre de grandes choses,
+et il excite toujours à ce qu'il y a de plus parfait.
+
+L'amour aspire à s'élever, et ne se laisse arrêter par rien de
+terrestre.
+
+L'amour veut être libre et dégagé de toute affection du monde, afin que
+ses regards pénètrent jusqu'à Dieu sans obstacle, afin qu'il ne soit ni
+retardé par les biens, ni abattu par les maux du temps.
+
+Rien n'est plus doux que l'amour, rien n'est plus fort, plus élevé, plus
+étendu, plus délicieux; il n'est rien de plus parfait ni de meilleur au
+ciel et sur la terre, parce que l'amour est né de Dieu, et qu'il ne peut
+se reposer qu'en Dieu, au-dessus de toutes les créatures.
+
+4. Celui qui aime, court, vole; il est dans la joie, il est libre, et
+rien ne l'arrête.
+
+Il donne tout pour posséder tout; et il possède tout en toutes choses,
+parce qu'au-dessus de toutes choses il se repose dans le seul Être
+souverain, de qui tout bien procède et découle.
+
+Il ne regarde pas aux dons, mais il s'élève au-dessus de tous les biens,
+jusqu'à celui qui donne.
+
+L'amour souvent ne connaît point de mesure; mais, comme l'eau qui
+bouillonne, il déborde de toutes parts.
+
+Rien ne lui pèse, rien ne lui coûte; il tente plus qu'il ne peut; jamais
+il ne prétexte l'impossibilité, parce qu'il se croit tout possible et
+tout permis.
+
+Et à cause de cela il peut tout, et il accomplit beaucoup de choses qui
+fatiguent et qui épuisent vainement celui qui n'aime point.
+
+5. L'amour veille sans cesse; dans le sommeil même il ne dort point.
+
+Aucune fatigue ne le lasse, aucuns liens ne l'appesantissent, aucunes
+frayeurs ne le troublent; mais, tel qu'une flamme vive et pénétrante, il
+s'élance vers le Ciel, et s'ouvre un sûr passage à travers tous les
+obstacles.
+
+Si quelqu'un aime, il entend ce que dit cette voix.
+
+L'ardeur même d'une âme embrasée s'élève jusqu'à Dieu comme un grand
+cri: Mon Dieu! mon amour! vous êtes tout à moi, et je suis tout à vous.
+
+6. Dilatez-moi dans l'amour, afin que j'apprenne à goûter au fond de mon
+coeur combien il est doux d'aimer et de se fondre et de se perdre dans
+l'amour.
+
+Que l'amour me ravisse et m'élève au-dessus de moi-même, par la vivacité
+de ses transports.
+
+Que je chante le cantique de l'amour, que je vous suive, ô mon
+bien-aimé, jusque dans les hauteurs de votre gloire; que toutes les
+forces de mon âme s'épuisent à vous louer, et qu'elle défaille de joie
+et d'amour.
+
+Que je vous aime plus que moi, que je ne m'aime moi-même que pour vous,
+et que j'aime en vous tous ceux qui vous aiment véritablement, ainsi que
+l'ordonne la loi de l'amour, que nous découvrons dans votre lumière.
+
+7. L'amour est prompt, sincère, pieux, doux, prudent, fort, patient,
+fidèle, constant, magnanime, et il ne se recherche jamais: car dès qu'on
+commence à se rechercher soi-même, à l'instant on cesse d'aimer.
+
+L'amour est circonspect, humble et droit, sans mollesse, sans légèreté;
+il ne s'occupe point de choses vaines; il est sobre, chaste, ferme,
+tranquille, et toujours attentif à veiller sur les sens.
+
+L'amour est obéissant et soumis aux supérieurs; il est vil et méprisable
+à ses yeux. Dévoué à Dieu sans réserve, et toujours plein de
+reconnaissance, il ne cesse point de se confier en lui, d'espérer en
+lui, lors même qu'il semble en être délaissé, parce qu'on ne vit point
+sans douleur dans l'amour.
+
+8. Qui n'est pas prêt à tout souffrir et à s'abandonner entièrement à la
+volonté de son bien-aimé, ne sait pas ce que c'est que d'aimer.
+
+Il faut que celui qui aime embrasse avec joie tout ce qu'il y a de plus
+dur et de plus amer, pour son bien-aimé, et qu'aucune traverse ne le
+détache de lui.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ _Dieu est amour, et celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et
+ Dieu en lui_[185]. Mais l'amour a ses temps d'épreuve, comme ses temps
+ de jouissance; et cette vie tout entière ne doit être qu'un continuel
+ exercice d'amour, ou la consommation d'un grand sacrifice, dont une
+ vie éternelle ou un amour immuable sera le prix. Tous les caractères
+ de la charité, détaillés par saint Paul[186], nous rappellent l'idée
+ de sacrifice; et l'amour infini lui-même n'a pu se manifester
+ pleinement à nous que par un sacrifice infini. _Dieu a tant aimé le
+ monde, qu'il a donné son fils unique_[187]; et notre amour pour Dieu
+ ne peut non plus se manifester que par un sacrifice, non pas égal, il
+ est impossible, mais semblable, par le don de tout notre être ou une
+ parfaite obéissance de notre esprit, de notre coeur et de nos sens, à
+ la volonté de celui qui nous _a tant aimés_. C'est alors que
+ s'accomplit cette union ineffable que Jésus-Christ, à sa dernière
+ heure, conjurait son père d'opérer entre lui et la créature
+ _rachetée_[188]. Pendant que la nature vit encore en nous, quelque
+ chose nous sépare de Dieu et de Jésus; et _l'amour de Jésus nous
+ presse_[189] d'achever le sacrifice, et de prononcer cette parole
+ dernière, que le monde ne comprend pas, mais qui réjouit le Ciel:
+ _Tout est consommé_[190].
+
+ [185] I. Joann., IV, 16.
+
+ [186] I. Cor., XIII.
+
+ [187] Joan., III, 16.
+
+ [188] _Ibid._, XVII, 21, 23.
+
+ [189] II. Cor., V, 14.
+
+ [190] Joann., XIX, 30.
+
+
+
+
+CHAPITRE VI.
+
+De l'épreuve du véritable amour.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, votre amour n'est encore ni assez fort ni assez
+éclairé.
+
+LE F. Pourquoi, Seigneur?
+
+J.-C. Parce qu'à la moindre contrariété vous laissez là l'oeuvre
+commencée, et que vous recherchez trop avidement les consolations.
+
+Celui qui aime fortement demeure ferme dans la tentation, et ne cède
+point aux suggestions artificieuses de l'ennemi. Dans le mauvais comme
+dans le bon succès, son coeur est également à moi.
+
+2. Celui dont l'amour est éclairé, considère moins le don de celui qui
+aime, que l'amour de celui qui donne.
+
+L'affection le touche plus que le bienfait, et il préfère son bien-aimé
+à tout ce qu'il reçoit de lui.
+
+Celui qui m'aime d'un amour généreux ne se repose pas dans mes dons,
+mais en moi par-dessus tous mes dons.
+
+Ne croyez pas tout perdu cependant, s'il vous arrive de sentir, pour moi
+ou pour mes Saints, moins d'amour que vous ne voudriez.
+
+Cet amour tendre et doux que vous éprouvez quelquefois, est l'effet de
+la présence de la grâce, et une sorte d'avant-goût de la patrie céleste;
+il n'y faut pas chercher trop d'appui, parce qu'il passe comme il est
+venu.
+
+Mais combattre les mouvements déréglés de l'âme, et mépriser les
+sollicitations du démon, c'est un grand sujet de mérite, et la marque
+d'une solide vertu.
+
+3. Ne vous troublez donc point des fantômes, quels qu'ils soient, qui
+obsèdent votre imagination.
+
+Conservez une résolution ferme, et une intention droite devant Dieu.
+
+Ce n'est point une illusion, si quelquefois vous êtes soudain ravi en
+extase, et qu'aussitôt vous retombiez dans les pensées misérables qui
+occupent d'ordinaire votre coeur.
+
+Car vous souffrez alors plus que vous n'agissez; et tant qu'elles vous
+déplaisent et que vous y résistez, c'est un mérite et non pas une chute.
+
+4. Sachez que l'antique ennemi s'efforce d'étouffer vos bons désirs, et
+de vous éloigner de tout pieux exercice; du culte des Saints, de la
+méditation de mes douleurs et de ma mort, du souvenir si utile de vos
+péchés, de l'attention à veiller sur votre coeur, et du ferme propos
+d'avancer dans la vertu.
+
+Il vous suggère mille pensées mauvaises, pour vous causer du trouble et
+de l'ennui, pour vous détourner de la prière et des lectures saintes.
+
+Une humble confession lui déplaît, et s'il pouvait, il vous éloignerait
+tout à fait de la communion.
+
+Ne le croyez point, et n'ayez de lui aucune appréhension, quoiqu'il vous
+tende souvent des piéges pour vous surprendre.
+
+Rejetez sur lui seul les pensées criminelles et honteuses qu'il vous
+inspire. Dites-lui:
+
+Va, esprit immonde; rougis, malheureux; il faut que tu sois étrangement
+pervers pour me tenir un pareil langage.
+
+Retire-toi de moi, détestable séducteur, tu n'auras jamais en moi aucune
+part: mais Jésus sera près de moi comme un guerrier formidable, et tu
+demeureras confondu.
+
+J'aime mieux mourir et souffrir tous les tourments, que de consentir à
+ce que tu me proposes.
+
+_Tais-toi donc, ne me parle plus_[191]; je ne t'écouterai pas davantage,
+quoi que tu fasses pour m'inquiéter. _Le Seigneur est ma lumière et mon
+salut: qui craindrai-je_[192]?
+
+ [191] Marc., IV, 39.
+
+ [192] Ps. XXVI, 1.
+
+_Quand une armée se rangerait en bataille contre moi, mon coeur ne
+craindrait pas_[193]. _Le Seigneur est mon aide et mon Rédempteur_[194].
+
+ [193] _Ibid._, 3.
+
+ [194] Ps. XVIII, 15.
+
+5. Combattez comme un généreux soldat; et si quelquefois vous succombez
+par fragilité, reprenez un courage plus grand, dans l'espérance d'être
+soutenu par une grâce plus forte; et gardez-vous surtout de la vaine
+complaisance et de l'orgueil.
+
+C'est ainsi que plusieurs s'égarent, et tombent dans un aveuglement
+presque incurable.
+
+Que la chute de ces superbes qui présumaient follement d'eux-mêmes, vous
+soit une leçon continuelle de vigilance et d'humilité.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ _Tous ceux qui disent, Seigneur, Seigneur, n'entreront pas dans le
+ royaume des cieux; mais celui qui fait la volonté de mon père qui est
+ au ciel, celui-là entrera dans le royaume des cieux_[195]: c'est par
+ les oeuvres que se connaît le véritable amour. Toujours prompt à
+ obéir, jamais il ne se relâche, il ne se décourage jamais. Dans
+ l'amertume et dans la joie, dans la consolation et dans la souffrance,
+ il loue, il bénit également celui _qui frappe et qui guérit_[196],
+ selon ses divins conseils, impénétrables à la créature. La tentation
+ vient-elle l'éprouver, il combat, il résiste avec paix, parce qu'il ne
+ compte point sur ses propres forces, et n'attend la victoire que du
+ secours d'en haut. S'il succombe quelquefois, il se relève aussitôt
+ sans trouble, humilié, mais non abattu. Son repentir, quoique profond,
+ est calme, parce qu'il est exempt de l'irritation de l'orgueil. Ses
+ fautes l'affligent, et ne l'étonnent point. Il connaît sa fragilité,
+ et il en gémit, plein de confiance en la grâce qui le soutiendra, s'il
+ lui est fidèle. Détaché de la terre et de ses vanités qu'on appelle
+ des biens, que veut-il? ce que Dieu veut: il n'a point d'autre
+ volonté, ni d'autre désir. Quand le bien-aimé se retire et se dérobe à
+ ses transports, loin de murmurer, et loin de se plaindre, il s'avoue
+ indigne de le posséder, et la privation, qui le purifie, enflamme
+ encore son ardeur. Ô Jésus, qu'elles sont merveilleuses les voies par
+ où vous conduisez les âmes qui vous aiment, _qui ont soif de
+ vous_[197]! Tantôt vous les inondez de votre joie, tantôt vous les
+ délaissez dans les larmes: maintenant vous les prévenez, et puis elles
+ semblent vous appeler en vain, comme l'épouse du divin cantique.
+ Épreuves de tendresse et de miséricordes! Ainsi épurées, ces âmes
+ élues peu à peu se dégagent de leurs liens; elles s'élancent vers
+ vous, et un dernier effort d'amour les porte au pied du trône où vous
+ vous montrez sans voile. Alors la jouissance, alors l'allégresse et
+ l'éternel rassasiement: _Satiabor cùm apparuerit_[198]!
+
+ [195] Matth., VII, 21.
+
+ [196] Deuter., XXXII, 39.
+
+ [197] Ps. XLI, 3.
+
+ [198] _Ibid._, XVI, 15.
+
+
+
+
+CHAPITRE VII.
+
+Qu'il faut cacher humblement les grâces que Dieu nous fait.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, lorsque la grâce vous inspire des mouvements de
+piété, il est meilleur pour vous et plus sûr de tenir cette grâce
+cachée, de ne vous en point élever, d'en parler peu, et de ne pas vous
+exagérer sa grandeur; mais plutôt de vous mépriser vous-même, et de
+craindre une faveur dont vous étiez indigne.
+
+Il ne faut pas s'attacher trop à un sentiment qui bientôt peut se
+changer en on sentiment contraire.
+
+Quand la grâce vous est donnée, songez combien vous êtes pauvre et
+misérable sans la grâce.
+
+Le progrès de la vie spirituelle ne consiste pas seulement à jouir des
+consolations de la grâce, mais à en supporter la privation, avec
+humilité, avec abnégation, avec patience; de sorte qu'alors on ne se
+relâche point dans l'exercice de la prière, et qu'on n'abandonne aucune
+de ses pratiques accoutumées.
+
+Faites au contraire tout ce qui est en vous le mieux que vous pourrez,
+selon vos lumières; et ne vous négligez pas entièrement vous-même, à
+cause de la sécheresse et de l'angoisse que vous sentez en votre âme.
+
+2. Car il y en a beaucoup qui, au temps de l'épreuve, tombent aussitôt
+dans l'impatience ou le découragement.
+
+Cependant _la voie de l'homme n'est pas toujours en son pouvoir_[199].
+C'est à Dieu de consoler, et de donner quand il veut, autant qu'il veut,
+et à qui il veut, comme il lui plaît, et non davantage.
+
+ [199] Jer., X, 23.
+
+Des indiscrets se sont perdus par la grâce même de la dévotion, parce
+qu'ils ont voulu faire plus qu'ils ne pouvaient, ne mesurant point leur
+faiblesse, mais suivant plutôt l'impétuosité de leur coeur que le
+jugement de la raison.
+
+Et parce qu'ils ont aspiré, dans leur présomption, à un état plus élevé
+que celui où Dieu les voulait, ils ont promptement perdu la grâce.
+
+Ils avaient placé leur demeure dans le Ciel, et tout à coup on les a vus
+pauvres et délaissés dans leur misère, afin que par l'humiliation et le
+dénûment ils apprissent à ne plus tenter de s'élever sur leurs propres
+ailes, mais à se réfugier sous les miennes.
+
+Ceux qui sont encore nouveaux et sans expérience dans les voies de Dieu
+peuvent aisément s'égarer et se briser sur les écueils, s'ils ne se
+laissent conduire par des personnes prudentes.
+
+3. Que s'ils veulent suivre leur sentiment plutôt que de croire à
+l'expérience des autres, le résultat leur en sera funeste, si toutefois
+ils s'obstinent dans leur propre sens.
+
+Rarement ceux qui sont sages à leurs yeux se laissent humblement
+conduire par les autres.
+
+Il vaut mieux être humble avec un esprit et des lumières bornées, que de
+posséder des trésors de science, et de se complaire en soi-même.
+
+Il vaut mieux pour vous avoir peu, que beaucoup dont vous pourriez vous
+enorgueillir.
+
+Celui-là manque de prudence, qui se livre tout entier à la joie,
+oubliant son indigence passée, et cette chaste crainte du Seigneur, qui
+appréhende de perdre la grâce reçue.
+
+C'est aussi manquer de vertu que de se laisser aller à un découragement
+excessif, au temps de l'adversité et de l'épreuve, et d'avoir des
+pensées et des sentiments indignes de la confiance qu'on me doit.
+
+4. Celui qui, durant la paix, a trop de sécurité, se trouve souvent,
+pendant la guerre, le plus timide et le plus lâche.
+
+Si, ne présumant jamais de vous-même, vous saviez demeurer toujours
+humble, modérer et régler les mouvements de votre esprit, vous ne
+tomberiez pas si vite dans le péril et dans le péché.
+
+C'est une pratique sage que de penser, durant la ferveur, à ce qu'on
+sera dans la privation de la lumière.
+
+Et quand vous en êtes en effet privé, songez qu'elle peut revenir, et
+que je ne vous l'ai retirée pour un temps qu'en vue de ma gloire, et
+pour exciter votre vigilance.
+
+Souvent une telle épreuve vous est plus utile, que si tout vous
+succédait constamment selon vos désirs.
+
+Car, pour juger du mérite, on ne doit pas regarder si quelqu'un a
+beaucoup de visions ou de consolations, ou s'il est habile dans
+l'Écriture sainte, on s'il occupe un rang élevé;
+
+Mais s'il est affermi dans la véritable humilité, et rempli de la
+charité divine; s'il cherche en tout et toujours uniquement la gloire de
+Dieu; s'il est bien convaincu de son néant; s'il a pour lui-même un
+mépris sincère, et s'il se réjouit plus d'être méprisé des autres et
+humilié par eux, que d'en être honoré.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Reconnaître sa misère et ne la jamais perdre de vue; s'abandonner sans
+ réserve entre les mains de Dieu, avec une foi vive et un obéissant
+ amour: voilà toute la vie spirituelle, dont l'humilité est le premier
+ fondement. Celui qui se dit au fond de son âme: je ne suis rien que la
+ faiblesse et l'indigence même, ne cherche pas d'appui en soi, et met
+ en Jésus sa seule espérance. Il suit avec simplicité les mouvements de
+ la grâce, ne s'élève point dans la ferveur, ne s'abat point dans la
+ sécheresse; toujours satisfait, pourvu que la volonté divine
+ s'accomplisse en lui. L'orgueil, qui souvent se cache sous le voile de
+ ce qu'il y a de plus saint, ne les séduit pas par le vain désir d'un
+ état eu apparence plus parfait, auquel il n'est point appelé. Fidèle
+ et tranquille dans sa voie, il dit à Dieu: _Donnez-moi la sagesse qui
+ assiste près de votre trône, et ne me rejetez pas du nombre de vos
+ enfants; car je suis votre serviteur et le fils de votre servante, un
+ homme infirme, de peu de durée, et qui n'a point l'intelligence de
+ votre jugement et de vos lois_[200]. Qu'il aille en paix celui dont le
+ coeur prie ainsi, désire ainsi: Dieu le regarde avec complaisance, et
+ sa bénédiction reposera sur lui.
+
+ [200] Sapient., IX, 4, 5.
+
+
+
+
+CHAPITRE VIII.
+
+Qu'il faut s'anéantir soi-même devant Dieu.
+
+
+1. LE F. _Je parlerai au Seigneur mon Dieu, bien que je ne sois que
+cendre et poussière_[201]. Si je me crois quelque chose de plus, voilà
+que vous vous élevez contre moi; et mes iniquités rendent un témoignage
+vrai, et que je ne puis contredire.
+
+ [201] Gen., XVIII, 27.
+
+Mais si je m'abaisse, si je m'anéantis, si je me dépouille de toute
+estime pour moi-même, et que je rentre dans la poussière dont j'ai été
+formé, votre grâce s'approchera de moi, et votre lumière sera près de
+mon coeur; alors tout sentiment d'estime, même le plus léger, que je
+pourrais concevoir de moi, disparaîtra pour jamais dans l'abîme de mon
+néant.
+
+Là, vous me montrez à moi-même, vous me faites voir ce que je suis, ce
+que j'ai été, jusqu'où je suis descendu: _car je ne suis rien, et je ne
+le savais pas_[202].
+
+ [202] Ps. LXXII, 22.
+
+Si vous me laissez à moi-même, que suis-je? rien qu'infirmité; mais, dès
+que vous jetez un regard sur moi, à l'instant je deviens fort, et je
+suis rempli d'une joie nouvelle.
+
+Et certes, cela me confond d'étonnement que vous me releviez ainsi tout
+d'un coup, et me preniez avec tant de bonté entre vos bras, moi toujours
+entraîné par mon propre poids vers la terre.
+
+2. C'est votre amour qui opère cette merveille, qui me prévient
+gratuitement, qui ne se lasse point de me secourir dans mes nécessités,
+qui me préserve des plus grands périls, et, à vrai dire, me délivre de
+maux innombrables.
+
+Car je me suis perdu en m'aimant d'un amour déréglé; mais en ne
+cherchant que vous, en n'aimant que vous, je vous ai trouvé, et je me
+suis retrouvé moi-même, et l'amour m'a fait rentrer plus avant dans mon
+néant.
+
+Ô Dieu plein de tendresse! vous faites pour moi beaucoup plus que je ne
+mérite, et plus que je n'oserais espérer ou demander.
+
+3. Soyez béni, mon Dieu, de ce que, tout indigne que je suis de recevoir
+de vous aucune grâce, cependant votre bonté généreuse et infinie ne
+cesse de faire du bien même aux ingrats, et à ceux qui se sont le plus
+éloignés de vous.
+
+Ramenez-nous à vous, afin que nous soyons reconnaissants, humbles,
+fervents, parce que vous êtes notre salut, notre vertu et notre force.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Dieu se montre, dans l'Écriture, plein d'une immense compassion pour
+ les fautes, si on peut le dire, purement humaines; mais il est sans
+ pitié pour l'orgueil, _principe de tout mal_[203], pour l'orgueil, qui
+ est le crime propre de l'Ange rebelle, et qui s'attaque directement au
+ souverain Être. Il a dit: _Je suis Jéhova, c'est mon nom; je ne
+ donnerai point ma gloire à un autre_[204]. Or tout orgueil tend, par
+ essence, à s'égaler à Dieu, à se faire Dieu: désordre tel que
+ non-seulement on n'en conçoit pas de plus grand, mais qu'on hésiterait
+ à le croire possible, s'il n'était sans cesse présent sous nos yeux,
+ et si l'on n'en sentait pas le germe en soi-même. Aussi voyez comme
+ Dieu le foudroie: et d'abord cette ironie qui glace l'âme d'un effroi
+ surnaturel: _Voilà qu'Adam est devenu comme l'un de nous_[205]; Adam
+ jeté nu avec son péché, sur une terre maudite! Adam qui venait
+ d'entendre cette parole: _Tu mourras de mort_[206]! Ses enfants
+ imitent son crime, leur orgueil s'élève sans mesure. Alors l'esprit
+ divin; _Comment es-tu tombé, toi qui te levais comme l'astre du matin,
+ qui disais en ton coeur: Je monterai dans les cieux, je poserai mon
+ trône au-dessus des étoiles et je serai semblable au Très-Haut. Voilà
+ que tu seras traîné aux enfers, dans la profondeur du lac: on se
+ baissera pour te voir_[207]. Lisez, dans l'Évangile, les effroyables
+ malédictions prononcées contre les Pharisiens superbes, tandis que
+ celui qui s'abaisse est à l'instant justifié. Une femme pleure aux
+ pieds de Jésus: elle s'humilie de ses fautes, elle n'ose presque en
+ solliciter le pardon, son silence seul supplie. Le Sauveur ému la
+ console: _Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup
+ aimé_[208]. Mais l'orgueil n'aime point; c'est encore là un de ses
+ caractères, et comme le type infernal. Il est le père de la haine, de
+ l'envie, de la violence, de la fausse sécurité et de l'endurcissement.
+ Sorti de l'abîme, il s'y replonge: le reste est le mystère de
+ l'éternelle justice. Ô Dieu, ayez pitié de votre pauvre créature! Le
+ front dans la poussière, je m'anéantis devant vous. Je sens, je
+ confesse ma misère, ma corruption profonde, ma désolante impuissance
+ et tout ce qui à jamais me séparerait de vous, si votre grande
+ miséricorde ne venait à mon secours par le don gratuit de la grâce.
+ Daignez, daignez la répandre en mon âme. Ne m'abandonnez pas,
+ Seigneur; _sauvez-moi, ou je vais périr_[209]. Ô Dieu, ayez pitié de
+ votre pauvre créature!
+
+ [203] Eccli., X, 15.
+
+ [204] Is., XLII, 8.
+
+ [205] Genes., III, 22.
+
+ [206] _Ibid._, II, 17.
+
+ [207] Is., XIV. 12-16.
+
+ [208] Luc., VII, 47.
+
+ [209] Matth., VIII, 25.
+
+
+
+
+CHAPITRE IX.
+
+Qu'il faut rapporter tout à Dieu comme à notre dernière fin.
+
+
+1. Mon fils, je dois être votre fin suprême et dernière, si
+véritablement vous désirez être heureux.
+
+Cette vue purifiera vos affections, qui s'abaissent trop souvent jusqu'à
+vous et aux créatures.
+
+Car, si vous vous recherchez en quelque chose, aussitôt vous tombez dans
+la langueur et la sécheresse.
+
+Rapportez donc principalement tout à moi, parce que c'est moi qui vous
+ai tout donné.
+
+Considérez chaque bien comme découlant du souverain bien; et songez que,
+dès lors, ils doivent tous remonter à moi comme à leur origine.
+
+2. En moi, comme dans une source intarissable, le petit et le grand, le
+pauvre et le riche, puisent l'eau vive, et ceux qui me servent
+volontairement et de coeur recevront grâce sur grâce.
+
+Mais celui qui cherchera sa gloire hors de moi, ou sa jouissance dans un
+autre bien que moi, sa joie ne sera ni vraie ni solide, et son coeur
+toujours à la gêne, toujours à l'étroit, ne trouvera que des angoisses.
+
+Ne vous attribuez donc aucun bien, et n'attribuez à nul homme sa vertu;
+mais rendez tout à Dieu, sans qui l'homme n'a rien.
+
+C'est moi qui vous ai tout donné, et je veux que vous vous donniez à moi
+tout entier: j'exige avec une extrême rigueur les actions de grâces qui
+me sont dues.
+
+3. Ceci est la vérité qui dissipe la vanité de la gloire.
+
+Là où pénètre la grâce céleste et la vraie charité, il n'y a plus de
+place pour l'amour-propre, ni pour l'envie qui torture le coeur.
+
+Car l'amour divin subjugue tout et agrandit toutes les forces de l'âme.
+
+Si vous écoutez la sagesse, vous ne vous réjouirez qu'en moi, vous
+n'espérerez qu'en moi, parce que nul n'est bon que Dieu seul, à qui, en
+tout et par-dessus tout, est due à jamais la louange et la bénédiction.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Tout bien découle de Dieu, qui est le bien suprême, et tout ce qu'il
+ fait est bon[210], parce qu'il le tire de lui. Il n'y a dans le monde
+ d'autre mal que le péché; car la peine du péché n'est pas un mal,
+ puisque, supportée patiemment, elle l'expie, et que toujours elle
+ rétablit l'ordre que le péché avait troublé. Ainsi nous tenons de Dieu
+ la vie, l'intelligence, l'amour, qui doit remonter perpétuellement
+ vers sa source, et de nous-mêmes nous ne pouvons rien, pas même dire:
+ _Mon Père_[211]! car _nous ne savons pas prier, et c'est l'esprit qui
+ demande en nous avec des gémissements ineffables_[212]. L'unique chose
+ qui nous appartienne, c'est le péché; il est le fruit de notre volonté
+ libre, _et son salaire est la mort_[213]. Élevons-nous tant que nous
+ voudrons dans notre pensée, voilà ce que nous sommes; nous n'avons
+ rien de plus que ce que Dieu nous donne dans sa bonté et sa
+ miséricorde toute gratuite. Donc à nous le mépris, la confusion, la
+ honte, en nous trouvant si misérables; et à Dieu _la bénédiction,
+ l'honneur, la gloire, la puissance_[214], comme les saints le chantent
+ dans le Ciel, au pied du trône de l'Agneau.
+
+ [210] Genes., I, 4 et seq.
+
+ [211] Rom., VIII, 15.
+
+ [212] _Ibid._, 26.
+
+ [213] Rom., VI, 23.
+
+ [214] Apoc., V, 13.
+
+
+
+
+CHAPITRE X.
+
+Qu'il est doux de servir Dieu et de mépriser le monde.
+
+
+1. LE F. Je vous parlerai encore, Seigneur, et je ne me tairai point. Je
+dirai à mon Dieu, mon Seigneur et mon roi, assis dans les hauteurs des
+cieux:
+
+_Ô quelle abondance de douceurs vous avez réservée pour ceux qui vous
+craignent_[215]! Et qu'est-ce donc pour ceux qui vous aiment, pour ceux
+qui vous servent de tout leur coeur?
+
+ [215] Ps. XXX, 20.
+
+Elles sont vraiment ineffables, les délices dont vous inondez ceux qui
+vous aiment, quand leur âme vous contemple.
+
+Vous m'avez montré principalement en ceci toute la tendresse de votre
+amour: je n'étais pas, et vous m'avez créé; j'errais loin de vous, vous
+m'avez ramené pour vous servir, et vous m'avez commandé de vous aimer.
+
+2. Ô source d'amour éternel, que dirai-je de vous?
+
+Comment pourrai-je vous oublier, vous qui avez daigné vous souvenir de
+moi, lorsque déjà épuisé, consumé, je penchais vers la mort?
+
+Votre miséricorde envers votre serviteur a passé toute espérance; et
+vous avez répandu sur lui votre grâce et votre amour, bien au-delà de
+tout ce qu'il pouvait mériter.
+
+Que vous rendrai-je pour une telle faveur? car il n'est pas donné à tous
+de tout quitter, de renoncer au siècle pour embrasser la vie religieuse.
+
+Est-ce faire beaucoup que de vous servir, vous que doivent servir toutes
+les créatures?
+
+Cela doit me sembler peu de chose: mais ce qui me paraît grand et
+merveilleux, c'est que vous daigniez agréer le service d'une créature si
+pauvre et si misérable, et l'admettre parmi les serviteurs que vous
+aimez.
+
+3. Tout ce que j'ai, tout ce que je puis consacrer à votre service, est
+à vous.
+
+Et néanmoins prenant pour ainsi dire ma place, vous me servez plus que
+moi-même je ne vous sers.
+
+Voilà que le ciel et la terre, que vous avez créés pour le service de
+l'homme, sont devant vous, et chaque jour ils exécutent tout ce que vous
+leur avez commandé.
+
+C'est peu encore: vous avez préparé pour l'homme le ministère même des
+Anges.
+
+Mais ce qui surpasse tout, vous avez daigné le servir vous-même, et vous
+avez promis de vous donner à lui.
+
+4. Que vous rendrai-je pour tant de biens? Ah! si je pouvais vous servir
+tous les jours de ma vie! si je pouvais même un seul jour vous servir
+dignement!
+
+Il est bien vrai que vous êtes digne d'être servi universellement, digne
+de tout honneur et d'une louange éternelle.
+
+Vous êtes vraiment mon Seigneur, et je suis votre pauvre serviteur, qui
+dois vous servir de toutes mes forces, et ne me lasser jamais de vous
+louer.
+
+Je le veux ainsi, je le désire ainsi: daignez suppléer vous-même à tout
+ce qui me manque.
+
+5. C'est un grand honneur, une grande gloire de vous servir et de
+mépriser tout à cause de vous.
+
+Car ils recevront des grâces abondantes, ceux qui se courbent
+volontairement sous votre joug très-saint.
+
+Ils seront abreuvés de la délectable consolation de l'Esprit saint, ceux
+qui, pour votre amour, auront rejeté tous les plaisirs des sens.
+
+Ils jouiront d'une grande liberté d'esprit, ceux qui, pour la gloire de
+votre nom, seront entrés dans la voie étroite, et auront renoncé à
+toutes les sollicitudes du monde.
+
+6. Ô aimable et douce servitude de Dieu, dans laquelle l'homme retrouve
+la vraie liberté et la sainteté!
+
+Ô saint assujettissement de la vie religieuse, qui rend l'homme agréable
+à Dieu, égal aux Anges, terrible aux démons, respectable à tous les
+fidèles!
+
+Ô esclavage digne à jamais d'être désiré, embrassé, puisqu'il nous
+mérite le souverain bien, et nous assure une joie éternelle!
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Le monde est tellement fasciné par les passions, qu'il ne peut rien
+ comprendre à la félicité des enfants de Dieu. Quelquefois il les
+ plaint, comme le monde sait plaindre, en jetant sur eux un regard de
+ mépris; quelquefois il les contemple avec une sorte d'étonnement
+ stupide. Il n'a nulle idée de ce qui se passe dans l'âme unie à son
+ Créateur, nulle idée des consolations et du calme délicieux dont elle
+ jouit. Saint Paul s'écriant: _Je surabonde de joie au milieu de mes
+ tribulations_[216], lui est un mystère inexpliquable; jamais il ne
+ concevra cette joie pure, _qui est justice et paix dans le
+ Saint-Esprit_[217]. Quel est donc le partage du serviteur du monde? un
+ immense ennui parsemé de quelques rares plaisirs; et quand Dieu ne
+ l'abandonne pas entièrement, le remords. Creusez dans son coeur, vous
+ n'y trouverez que cela. Le remords est sa _justice_ et l'ennui sa
+ _paix_. Âmes chrétiennes, âmes détachées, qui avez renoncé au monde et
+ à tout ce qui est du monde, plaignez à votre tour les infortunés
+ chargés encore de ses pesantes chaînes; mais plaignez-les en vous
+ humiliant aux pieds de celui qui vous a délivrés, et dont la grâce,
+ qui ne vous était pas due, vous met en possession des seuls biens
+ véritables. Gardez avec soin ce bon trésor que vous a confié _le Père
+ des lumières, de qui découle tout don parfait_[218], et demandez-lui
+ avec amour qu'après avoir commencé votre joie sur la terre, il la
+ consomme un jour dans les cieux.
+
+ [216] II. Cor., VII, 4.
+
+ [217] Rom., XIV, 17.
+
+ [218] Jacob., I, 17.
+
+
+
+
+CHAPITRE XI.
+
+Qu'il faut examiner et modérer les désirs du coeur.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, il faut que vous appreniez beaucoup de choses que
+vous ne savez pas encore assez.
+
+2. LE F. Eh quoi, Seigneur?
+
+3. J.-C. Vous devez soumettre entièrement vos désirs à ma volonté, ne
+point vous aimer vous-même, et ne rechercher en tout que ce qui me
+plaît.
+
+Souvent vos désirs s'enflamment, et vous emportent impétueusement: mais
+considérez si cette ardeur a ma gloire pour motif, ou votre intérêt
+propre.
+
+Si c'est moi que vous avez en vue, vous serez content, quoi que
+j'ordonne; mais si quelque secrète recherche de vous-même se cache au
+fond de votre coeur, voilà ce qui vous abat et vous trouble.
+
+4. Prenez donc garde à ne vous pas trop attacher à des désirs sur
+lesquels vous ne m'avez point consulté, de peur qu'ensuite vous ne
+veniez à vous repentir, ou que vous éprouviez du dégoût pour ce qui vous
+avait plu d'abord, et que vous aviez cru le meilleur.
+
+Car tout mouvement qui paraît bon ne doit pas être aussitôt suivi; de
+même qu'on ne doit pas non plus céder sur-le-champ à ses répugnances.
+
+Quelquefois il est à propos de modérer le zèle le plus saint et les
+meilleurs désirs, de peur qu'ils ne préoccupent et ne distraient votre
+esprit; ou qu'en les suivant indiscrètement, vous ne causiez du scandale
+aux autres; ou qu'enfin l'opposition que vous y trouverez ne vous jette
+vous-même dans le trouble et dans l'abattement.
+
+5. Il faut aussi quelquefois user de violence, et résister aux
+convoitises des sens, avec une grande force, sans prendre garde à ce que
+veut la chair, et à ce qu'elle ne veut pas, et travailler surtout à la
+soumettre à l'esprit malgré elle.
+
+Il faut la châtier et l'asservir, jusqu'à ce que, prête à tout, elle ait
+appris à se contenter de peu, à aimer les choses les plus simples, et à
+ne jamais se plaindre de rien.
+
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Nous avons un grand combat à soutenir: contre notre esprit, qui nous
+ égare, séduit par de fausses lueurs et par une funeste curiosité;
+ contre nos désirs, qui nous troublent; contre nos sens, dont les
+ convoitises souillent l'âme et la courbent vers la terre. Lamentable
+ condition de l'homme déchu! Mais Dieu ne l'a point abandonné: il peut
+ vaincre s'il veut. La foi réprime l'inquiétude maladive de l'esprit,
+ et le fixe dans la vérité. Une entière soumission à la volonté divine
+ produit la paix du coeur, en étouffant les vains désirs et ceux même
+ qui trompent la piété par une apparence de bien. Enfin nous triomphons
+ des sens par la prière, l'humilité, la pénitence, en _châtiant le
+ corps_ rebelle, et le _réduisant en servitude_[219]. C'est dans cette
+ guerre de chaque moment que le chrétien se perfectionne, et c'est en
+ combattant avec fidélité qu'il peut dire comme l'Apôtre: _Je ne pense
+ point être encore arrivé où j'aspire; mais oubliant ce qui est en
+ arrière, et m'étendant à ce qui est devant, je cours au terme de la
+ carrière pour saisir le prix que Dieu nous a destiné_, la félicité
+ céleste _à laquelle il nous a appelés par Jésus-Christ_[220].
+
+ [219] I. Cor., IX, 27.
+
+ [220] Philipp., III, 13, 14.
+
+
+
+
+CHAPITRE XII.
+
+Qu'il faut s'exercer à la patience, et lutter contre ses passions.
+
+
+1. LE F. Seigneur, mon Dieu, je vois combien la patience m'est
+nécessaire; car cette vie est pleine de contradictions.
+
+Elle ne peut jamais être exempte de douleur et de guerre, quoi que je
+fasse pour avoir la paix.
+
+2. J.-C. Il en est ainsi, mon fils; mais je ne veux pas que vous
+cherchiez une paix telle que vous n'ayez ni tentations à vaincre ni
+contrariétés à souffrir.
+
+Croyez, au contraire, avoir trouvé la paix, lorsque vous serez exercé
+par beaucoup de tribulations, et éprouvé par beaucoup de traverses.
+
+Si vous dites que vous ne pouvez supporter tant de souffrances, comment
+supporterez-vous le feu du purgatoire?
+
+Afin donc d'éviter des supplices éternels, efforcez-vous d'endurer pour
+Dieu, avec patience, les maux présents.
+
+Pensez-vous que les hommes du siècle n'aient rien ou que peu de choses à
+souffrir? C'est ce que vous ne trouverez pas, même en ceux qui semblent
+environnés de plus de délices.
+
+3. Mais ils ont, dites-vous, des plaisirs en abondance; ils suivent
+toutes leurs volontés; et ainsi ils sentent peu le poids de leurs maux.
+
+Soit, je veux qu'ils aient tout ce qu'ils désirent: combien cela
+durera-t-il?
+
+Voilà que les riches du siècle s'évanouiront comme la fumée, et il ne
+restera pas même un souvenir de leurs joies passées.
+
+Et, durant leur vie même, ils ne s'y reposent pas sans amertume, sans
+ennui et sans crainte.
+
+Car souvent, là même où ils se promettaient la joie, ils rencontrent le
+châtiment et la douleur, et avec justice, puisqu'il est juste que
+l'amertume et l'ignominie accompagnent les plaisirs qu'ils cherchent
+dans le désordre.
+
+4. Ô que tous ces plaisirs sont courts, qu'ils sont faux, criminels,
+honteux!
+
+Et cependant ces malheureux, enivrés et aveuglés, ne le comprennent
+point; mais, semblables à des animaux sans raison, ils exposent leur âme
+à la mort, pour quelques jouissances misérables dans une vie qui va
+finir.
+
+Pour vous, mon fils, _ne suivez pas vos convoitises, et détachez-vous de
+votre volonté. Mettez vos délices dans le Seigneur, et il vous accordera
+ce que votre coeur demande_[221].
+
+ [221] Eccli., XVIII, 30; Ps. XXXVI, 4.
+
+Si vous voulez goûter une véritable joie, et des consolations
+abondantes, méprisez toutes les choses du monde, repoussez toutes les
+joies terrestres; et je vous bénirai, je verserai sur vous mes
+inépuisables consolations.
+
+Plus vous renoncerez à celles que donnent les créatures, plus les
+miennes seront douces et puissantes.
+
+Mais vous ne les goûterez point sans avoir auparavant ressenti quelque
+tristesse, sans avoir travaillé, combattu.
+
+Une mauvaise habitude vous arrêtera; mais vous la vaincrez par une
+meilleure.
+
+La chair murmurera; mais elle sera contenue par la ferveur de l'esprit.
+
+L'antique serpent vous sollicitera, vous exercera; mais vous le mettrez
+en fuite par la prière; et en vous occupant surtout d'un travail utile,
+vous lui fermerez l'entrée de votre âme.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Toute chair a péché, toute chair doit souffrir: c'est la loi présente
+ de l'humanité; loi de justice, car Dieu ne serait pas Dieu si le
+ désordre restait impuni; loi d'amour, car la souffrance, acceptée et
+ unie aux souffrances du Sauveur, guérit l'âme et la rétablit dans
+ l'état primitif d'innocence. De quoi donc vous plaignez-vous quand
+ cette loi divine s'accomplit à votre égard? Est-ce de ce que la
+ miséricorde prend soin de vous regénérer? Est-ce d'être semblable à
+ Jésus-Christ, qui a voulu, qui a _dû_, selon les paroles de
+ l'Évangéliste, souffrir pour vous racheter: _Et il commença à leur
+ enseigner comment il fallait que le Fils de l'homme souffrît beaucoup
+ de douleurs, qu'il fût réprouvé par les anciens, les souverains
+ pontifes et les scribes, et mis à mort_[222]? Voilà la grande
+ expiation; mais, pour qu'elle nous soit appliquée, il est nécessaire
+ que nous nous la rendions propre, en y joignant la nôtre. Le mystère
+ du salut se consomme en chacun de nous sur la Croix; et la Croix est
+ l'unique félicité de la terre, car il n'y en a point d'autre que la
+ parfaite soumission à l'ordre, d'où naît le calme de la conscience et
+ la paix du coeur. Le monde vous éblouit par ses joies apparentes, mais
+ pensez-vous donc que ses sectateurs, même les plus favorisés, n'aient
+ rien à souffrir? Tourmentés de leurs convoitises, qui s'accroissent
+ avec la jouissance, en vîtes-vous jamais un seul content? De nouveaux
+ désirs les dévorent sans cesse. Et n'ont-ils pas, d'ailleurs, autant
+ que les autres, et plus que les autres, à supporter les maux de la
+ vie, les soucis, les peines, les inquiétudes, et la foule innombrable
+ des maladies, filles des vices et des troubles secrets de l'âme? Après
+ arrive la fin; la justice inexorable exige sa dette; ce riche de la
+ terre est jeté nu _dans la prison: en vérité, je vous le dis, il n'en
+ sortira pas qu'il n'ait payé jusqu'à la dernière obole_[223].
+ Réjouissez-vous donc, vous que le Seigneur purifie, délivre dès
+ ici-bas: accomplissez avec amour le sacrifice de justice. Plusieurs
+ disent: _Qui nous montrera les biens? Seigneur, la lumière de votre
+ face a été marquée sur nous: vous avez donné la paix à mon coeur.
+ C'est pourquoi je m'endormirai dans la paix, et je reposerai, parce
+ que vous m'avez, ô mon Dieu, affermi dans l'espérance_[224].
+
+ [222] Marc., VIII, 31.
+
+ [223] Matth., V, 25, 26.
+
+ [224] Ps. IV, 6, 7, 9, 10.
+
+
+
+
+CHAPITRE XIII.
+
+Qu'il faut obéir humblement à l'exemple de Jésus-Christ.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, celui qui cherche à se soustraire à l'obéissance, se
+soustrait à la grâce; et celui qui veut posséder seul quelque chose,
+perd ce qui est à tous.
+
+Quand on ne se soumet pas volontairement et de bon coeur à son
+supérieur, c'est une marque que la chair n'est pas encore pleinement
+assujettie, mais que souvent elle murmure et se révolte.
+
+Apprenez donc à obéir avec promptitude à vos supérieurs, si vous désirez
+dompter votre chair.
+
+Car l'ennemi du dehors est bien plus vite vaincu, quand l'homme n'a pas
+la guerre au dedans de soi.
+
+L'ennemi le plus terrible et le plus dangereux pour votre âme, c'est
+vous, lorsque vous êtes divisé en vous-même.
+
+Il faut que vous appreniez à vous mépriser sincèrement, si vous voulez
+triompher de la chair et du sang.
+
+L'amour désordonné que vous avez encore pour vous-même, voilà ce qui
+vous fait craindre de vous abandonner sans réserve à la volonté des
+autres.
+
+2. Est-ce donc cependant un si grand effort, que toi, poussière et
+néant, tu te soumettes à l'homme à cause de Dieu; lorsque moi, le
+Tout-Puissant, moi, le Très-Haut, qui ai tout fait de rien, je me suis
+soumis humblement à l'homme à cause de toi.
+
+Je me suis fait le plus humble et le dernier de tous, afin que mon
+humilité t'apprît à vaincre ton orgueil.
+
+Poussière, apprends à obéir: apprends à t'humilier, terre et limon, à
+t'abaisser sous les pieds de tout le monde.
+
+Apprends à briser ta volonté, et à ne refuser aucune dépendance.
+
+3. Enflamme-toi de zèle contre toi-même, et ne souffre pas que le
+moindre orgueil vive en toi; mais fais-toi si petit, et mets-toi si bas,
+que tout le monde puisse marcher sur toi et te fouler aux pieds comme la
+boue des places publiques.
+
+Fils du néant, qu'as-tu à te plaindre? Pécheur couvert d'ignominie,
+qu'as-tu à répondre, quelque reproche qu'on t'adresse, toi qui as tant
+de fois offensé Dieu, tant de fois mérité l'enfer?
+
+Mais ma bonté t'a épargné, parce que ton âme a été précieuse devant moi:
+je ne t'ai point délaissé, afin que tu connusses mon amour, et que mes
+bienfaits ne cessassent jamais d'être présents à ton coeur; afin que tu
+fusses toujours prêt à te soumettre, à t'humilier, et à souffrir les
+mépris avec patience.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Il n'existe qu'une volonté qui ait le droit essentiel et absolu d'être
+ obéie, la volonté de l'Être éternel qui a tout créé et qui conserve
+ tout; et de là l'admirable prière du prophète-roi: _Enseignez-moi,
+ Seigneur, à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu_[225].
+ Cette volonté souveraine a des ministres pour rappeler ses ordonnances
+ et en maintenir l'exécution dans la famille, dans l'État, dans
+ l'Église; et l'obéissance leur est due, parce qu'ils représentent Dieu
+ chacun dans son ordre, selon les degrés d'une sublime hiérarchie, qui
+ remonte du père au roi, du roi au pontife, du pontife à Jésus-Christ,
+ de Jésus-Christ à celui qui l'a envoyé, et _de qui toute paternité, au
+ ciel et sur la terre, tire son nom_[226], c'est-à-dire son autorité.
+ Ainsi le devoir n'est autre chose que le commandement divin, et la
+ vertu n'est que l'obéissance à ce commandement. Tout péché, au
+ contraire, n'est, comme le premier, qu'une désobéissance, une révolte;
+ et l'homme est conçu dans la révolte, puisqu'il _est conçu dans le
+ péché_[227]; d'où cette belle et profonde expression du Psalmiste: _Le
+ pécheur est rebelle dès le sein de sa mère, et livré au mal dans ses
+ entrailles_[228]. Aussi le sacrifice qui a expié le péché et réparé la
+ nature humaine, consista-t-il essentiellement, suivant la doctrine du
+ grand Apôtre, dans une obéissance infinie. _Le Christ s'est rendu
+ obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix_[229]. Et nous,
+ misérables créatures, rachetées par cette prodigieuse obéissance, nous
+ refuserions d'obéir! Nous opposerions notre volonté à la volonté du
+ Tout-Puissant, par cet épouvantable orgueil qui a créé l'enfer, où,
+ dans les ténèbres, dans le supplice, dans la rage et le désespoir,
+ dans l'ignominie de l'esclavage le plus abject et le plus hideux,
+ l'ange prévaricateur et ses complices répéteront éternellement: _Je
+ n'obéirai point, non serviam_[230]! Ô Dieu, préservez-moi d'un orgueil
+ aussi insensé, aussi criminel! Que votre grâce m'apprenne à me
+ soumettre et à vous, et à tous ceux que vous avez préposés sur moi!
+ _Je suis étranger sur la terre; ne me cachez point vos commandements.
+ Mon âme, à toute heure, en rappelle le désir_[231]. _Enseignez-moi,
+ Seigneur, à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu!_
+
+ [225] Ps. CXLII, 10.
+
+ [226] Ephes., III, 15.
+
+ [227] Ps. L, 7.
+
+ [228] _Ibid._
+
+ [229] Philipp., II, 8.
+
+ [230] Jerem., II, 20.
+
+ [231] Ps. CXVIII, 19, 20.
+
+
+
+
+CHAPITRE XIV.
+
+Qu'il faut considérer les secrets jugements de Dieu pour ne pas
+s'enorgueillir du bien qu'on fait.
+
+
+1. LE F. Vous faites tonner sur moi vos jugements, Seigneur, et tous mes
+os ont tremblé d'épouvante, et mon âme est dans une profonde terreur.
+
+Interdit, effrayé, je considère que _les cieux ne sont pas purs à vos
+yeux_[232].
+
+ [232] Job, XV, 15.
+
+_Si vous avez trouvé le mal dans vos Anges_[233], et si vous ne les avez
+pas épargnés, que sera-ce de moi?
+
+ [233] _Ibid._, IV, 18.
+
+_Les étoiles sont tombées du ciel_[234]: moi, poussière, que dois-je
+donc attendre?
+
+ [234] Apoc., VI, 13.
+
+Des hommes dont les oeuvres paraissaient louables, sont tombés aussi bas
+qu'on puisse tomber, et j'ai vu ceux qui se nourrissaient du pain des
+Anges faire leurs délices de la pâture des pourceaux.
+
+2. Il n'est donc point de sainteté, Seigneur, si vous retirez votre
+main.
+
+Point de sagesse qui soit utile, si vous ne la dirigez plus.
+
+Point de force qui soit de secours, si vous cessez de la soutenir.
+
+Point de chasteté assurée, si vous n'en prenez la défense.
+
+Point de vigilance qui nous serve, si vous ne veillez vous-même pour
+nous.
+
+Laissés à nous-mêmes, nous enfonçons dans les flots et nous périssons:
+venez-vous à nous, nous nous relevons et nous vivons.
+
+Car nous sommes chancelants, mais vous nous affermissez; nous sommes
+tièdes, mais vous nous enflammez.
+
+3. Ô que je dois avoir d'humbles et basses pensées de moi-même! que je
+dois estimer peu ce qui paraît de bien en moi!
+
+Ô que je dois m'abaisser profondément, Seigneur, devant vos jugements
+impénétrables, où je me perds comme dans un abîme, et vois que je ne
+suis rien que néant et un pur néant!
+
+Ô poids immense! ô mer sans rivages, où je ne retrouve rien de moi, où
+je disparais comme le rien au milieu du tout!
+
+Où donc l'orgueil se cachera-t-il? où la confiance dans sa propre vertu?
+
+Toute vanité s'éteint dans la profondeur de vos jugements sur moi.
+
+4. Qu'est-ce que toute chair devant vous?
+
+_L'argile s'élèvera-t-elle contre celui qui l'a formée_[235]?
+
+ [235] Is., XXIX, 16.
+
+Comment celui dont le coeur est vraiment soumis à Dieu pourrait-il
+s'enfler d'une louange vaine?
+
+Le monde entier ne saurait inspirer d'orgueil à celui que la vérité a
+soumis à son empire; et jamais il ne sera ému des applaudissements des
+hommes, celui dont toute l'espérance est affermie en Dieu.
+
+Car ceux qui parlent ne sont rien: ils s'évanouiront avec le bruit de
+leurs paroles: mais _la vérité du Seigneur demeure éternellement_[236].
+
+ [236] Ps. CXVI, 2.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Une des plus dangereuses tentations et des plus déliées, est celle de
+ l'orgueil dans le bien. Pour peu qu'elle se relâche de sa vigilance,
+ l'âme que la grâce avait élevée au-dessus de la nature et de sa
+ corruption, glisse imperceptiblement et retombe en elle-même. On s'est
+ garanti de certaines fautes, on a pratiqué certaines vertus;
+ l'amour-propre s'arrête à cette pensée, et s'y repose avec
+ complaisance. On se regarde, on est content de soi, on se préfère
+ peut-être à tel ou tel autre; et l'on en vient jusqu'à s'attribuer
+ secrètement les dons de Dieu, un des crimes qui offense le plus ce
+ Dieu _jaloux et vengeur_[237], _et qui ne donnera sa gloire à nul
+ autre_[238], _et qui résiste aux superbes_[239]. Que fait-il
+ cependant? Il se retire, il délaisse cet insensé qui comptait sur ses
+ forces, il l'abandonne à son orgueil. Alors arrivent ces chutes
+ terribles qui étonnent et consternent; ces chutes inattendues,
+ effrayants exemples des jugements divins. Malheur à qui s'appuie sur
+ sa propre justice! la ruine l'attend. _Je ne sens_, disait l'Apôtre,
+ _rien en moi qui m'accuse; mais je ne suis pas pour cela justifié, car
+ celui qui me juge, c'est le Seigneur_[240]. Et le prophète-roi:
+ _Purifiez-moi de mes fautes cachées_[241], _oubliez celles que
+ j'ignore_[242], _et pardonnez-moi celles d'autrui_[243]: prière
+ admirable qui rappelle à l'homme cette funeste communication du mal,
+ en vertu de laquelle il est, hélas! si peu de péchés purement
+ personnels. Donc nul refuge, nulle assurance que dans l'humilité, dans
+ l'aveu sincère, dans la conviction et le sentiment toujours présent de
+ notre profonde misère, joint à la confiance en Dieu seul. Prosternés à
+ ses pieds, disons-lui avec le Psalmiste: _Ma honte est sans cesse
+ devant moi_, et la confusion a couvert mon visage[244]: _Seigneur,
+ vous ne mépriserez point un coeur contrit et humilié_[245]!
+
+ [237] Nahum., I, 2.
+
+ [238] Is., XLII, 8.
+
+ [239] I. Petr., V, 5.
+
+ [240] I. Cor., IV, 4.
+
+ [241] Ps. XVIII, 13.
+
+ [242] Ps. XXIV, 7.
+
+ [243] Ps. XVIII, 14.
+
+ [244] Ps. XLIII, 16.
+
+ [245] Ps. L, 19.
+
+
+
+
+CHAPITRE XV.
+
+De ce que nous devons dire et faire quand il s'élève quelque désir en
+nous.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, dites en toutes choses: Seigneur, qu'il soit ainsi,
+si c'est votre volonté. Seigneur, que cela se fasse en votre nom, si
+vous devez en être honoré.
+
+Si vous voyez que cela me soit bon, si vous jugez que cela me soit
+utile, alors donnez-le-moi, afin que j'en use pour votre gloire.
+
+Mais si vous savez que cela me nuira, ou ne servira point au salut de
+mon âme, éloignez de moi ce désir.
+
+Car tout désir n'est pas de l'Esprit saint, même lorsqu'il paraît bon et
+juste à l'homme.
+
+Il est difficile de discerner avec certitude si c'est l'esprit bon ou
+mauvais qui vous porte à désirer ceci ou cela, ou même votre esprit
+propre.
+
+Il s'est trouvé à la fin que plusieurs étaient dans l'illusion, qui
+semblaient d'abord être conduits par le bon esprit.
+
+2. Ainsi tout ce qui se présente de désirable à votre esprit, vous devez
+le désirer toujours et le demander avec une grande humilité de coeur, et
+surtout avec une pleine résignation, vous abandonnant à moi sans
+réserve, et disant:
+
+Seigneur, vous savez ce qui est le mieux; que ceci ou cela se fasse
+comme vous le voudrez.
+
+Donnez ce que vous voulez, autant que vous le voulez et quand vous le
+voulez.
+
+Faites de moi ce qui vous plaira, selon ce que vous savez être bon, et
+pour votre plus grande gloire.
+
+Placez-moi où vous voudrez, et disposez absolument de moi en toutes
+choses.
+
+Je suis dans votre main, tournez-moi et retournez-moi en tout sens, à
+votre gré.
+
+Voilà que je suis prêt à vous servir en tout: car je ne désire point
+vivre pour moi, mais pour vous seul: heureux si je le pouvais dignement
+et parfaitement!
+
+
+PRIÈRE
+
+POUR DEMANDER À DIEU LA GRÂCE D'ACCOMPLIR SA VOLONTÉ.
+
+1. LE F. Accordez-moi, ô bon Jésus, votre grâce; _qu'elle soit en moi,
+qu'elle agisse avec moi_[246], et qu'elle demeure avec moi jusqu'à la
+fin.
+
+ [246] Sap., IX, 10.
+
+Faites que je désire et veuille toujours ce qui vous est le plus
+agréable, et ce que vous aimez le plus.
+
+Que votre volonté soit la mienne; et que ma volonté suive toujours la
+vôtre, et jamais ne s'en écarte en rien.
+
+Qu'uni à vous, je ne veuille ni ne puisse vouloir que ce que vous
+voulez; et qu'il en soit ainsi de ce que vous ne voulez pas.
+
+Donnez-moi de mourir à tout ce qui est du monde, et d'aimer à être
+oublié et méprisé du siècle à cause de vous.
+
+Faites que je me repose en vous par-dessus tout ce qu'on peut désirer,
+et que mon coeur ne cherche sa paix qu'en vous.
+
+Vous êtes la véritable paix du coeur, son unique repos: hors de vous,
+tout pèse et inquiète. _Dans cette paix_, c'est-à-dire en vous seul,
+éternel et souverain Dieu, _je dormirai et je me reposerai_[247]. Ainsi
+soit-il.
+
+ [247] Ps. IV, 10.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Jamais satisfait pleinement de ce qu'il est et de ce qu'il possède,
+ fatigué du vide de son coeur, toujours inquiet, toujours aspirant à je
+ ne sais quel bien qui le fuit toujours, l'homme n'a pas un moment de
+ vrai repos, et sa vie s'écoule dans les désirs. Ce n'est pas seulement
+ une grande misère, mais encore un grand danger; _car la racine de tous
+ les maux est la convoitise, et plusieurs, en s'y livrant, ont perdu la
+ foi, et se sont engagés dans une multitude de douleurs_[248].
+ L'imagination, qui, en cet état, se porte avec force vers tout ce qui
+ l'attire, obscurcit la raison, ébranle et entraîne la volonté même: et
+ ainsi l'on doit s'attacher soigneusement à la réprimer, lors même que
+ les objets qui l'occupent paraîtraient exempts de toute espèce de mal,
+ et qu'on croirait ne chercher dans ses rêves qu'un soulagement permis
+ et une distraction innocente. La piété elle-même s'égare aisément, si
+ elle n'est en garde contre les désirs en apparence les plus saints.
+ Nous ne savons ni ce qui nous est bon, ni ce qui nous est nuisible.
+ Tantôt nous souhaiterons d'être délivrés d'une croix nécessaire
+ peut-être à notre salut, tantôt, dans un mouvement indiscret de
+ ferveur, nous en souhaiterons une autre sous laquelle nos forces
+ succomberaient, si elle nous était imposée. Que faire donc? Demander à
+ Dieu _que sa volonté se fasse_[249] en nous et hors de nous, y
+ conformer la nôtre entièrement, et renfermer en elle tous nos désirs.
+ Nous ne trouverons de paix et de sécurité que dans ce parfait abandon
+ entre les mains de notre Père. _Mon Père, non pas ce que je veux, mais
+ ce que vous voulez_[250].
+
+ [248] I. Timoth., VI. 10.
+
+ [249] Matth., VI, 10.
+
+ [250] _Ibid._, XXVI, 39.
+
+
+
+
+CHAPITRE XVI.
+
+Qu'on ne doit chercher qu'en Dieu la vraie consolation.
+
+
+1. LE F. Tout ce que je puis désirer ou imaginer pour ma consolation, je
+ne l'attends point ici, mais dans l'avenir.
+
+Quand je posséderais seul tous les biens du monde, quand je jouirais
+seul de toutes ses délices, il est certain que tout cela ne durerait pas
+longtemps.
+
+Ainsi, mon âme, tu ne peux trouver de soulagement véritable et de joie
+sans mélange qu'en Dieu, qui console les pauvres et relève les humbles.
+
+Attends un peu, mon âme, attends la divine promesse, et tu posséderas
+dans le ciel tous les biens en abondance.
+
+Si tu recherches trop avidement les biens présents, tu perdras les biens
+éternels et célestes.
+
+Use des uns et désire les autres.
+
+Aucun bien temporel ne saurait te rassasier, parce que tu n'as point été
+créée pour en jouir.
+
+2. Quand tu posséderais tous les biens créés, ils ne pourraient te
+rendre ni heureuse ni contente: en Dieu, qui a tout créé, en lui seul
+est ta félicité et tout ton bonheur;
+
+Bonheur non pas tel que se le figurent et que le souhaitent les amis
+insensés du monde, mais tel que l'attendent les vrais serviteurs de
+Jésus-Christ, et tel que le goûtent quelquefois par avance les âmes
+pieuses et les coeurs purs, _dont l'entretien est dans le ciel_[251].
+
+ [251] Philipp., III, 20.
+
+Toute consolation humaine est vide et dure peu.
+
+La vraie, la douce consolation est celle que la vérité fait sentir
+intérieurement.
+
+L'homme pieux porte avec lui partout Jésus, son consolateur, et lui dit:
+Seigneur Jésus, soyez près de moi en tout temps et en tout lieu.
+
+Que ma consolation soit d'être volontiers privé de toute consolation
+humaine.
+
+Et si la vôtre me manque aussi, que votre volonté et cette juste épreuve
+me soient une consolation au-dessus de toutes les autres.
+
+_Car vous ne serez pas toujours irrité, et vos menaces ne seront point
+éternelles_[252].
+
+ [252] Ps. CII, 9.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Toute créature gémit, dit l'Apôtre[253]; et, de siècle en siècle, le
+ monde entier le redit après lui. Que cherchez-vous donc dans les
+ créatures? que leur demandez-vous, et que peuvent-elles vous donner?
+ Toujours agitées, pleines de troubles, ainsi que vous elles souhaitent
+ le repos, et ne le trouvent point. Comment la paix vous viendrait-elle
+ du sein même de l'angoisse et des orages perpétuellement soulevés par
+ les passions? Cessez de vous abuser, cessez de dire aux tempêtes,
+ calmez-moi. Le calme est en Dieu; et n'est que là: en lui seul est le
+ repos, la paix, la joie, la consolation. _Tournez-vous donc vers le
+ Seigneur votre Dieu_[254], et renoncez à tout le reste: alors,
+ seulement alors, vous commencerez à jouir de la vraie félicité. «Rien,
+ non, rien n'est comparable au bonheur de celui qui, méprisant les
+ sens, détaché de la chair et du monde, ne tient plus aux choses
+ humaines que par les seuls liens de la nécessité, converse uniquement
+ avec Dieu et avec lui-même, et, s'élevant au-dessus des objets
+ sensibles, ne vit que des divines clartés qu'il conserve en soi
+ toujours pures, toujours brillantes, sans aucun mélange des ombres de
+ la terre et des vains fantômes errants ici-bas autour de nous; qui,
+ réfléchissant comme un miroir céleste, Dieu et ses éblouissantes
+ perfections, sans cesse ajoute à la lumière une lumière plus vive,
+ jusqu'au moment où la vérité dissipant tous les nuages, il arrive à la
+ source même de toute lumière, à l'éternelle fontaine de splendeur, fin
+ bienheureuse de son être et son immortel ravissement[255].»
+
+ [253] Rom., VIII, 22.
+
+ [254] Osee, XIV, 2.
+
+ [255] S. Greg. Nazianz., Orat. XXIX, in Princ.
+
+
+
+
+CHAPITRE XVII.
+
+Qu'il faut remettre à Dieu le soin de ce qui nous regarde.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, laissez-moi agir avec vous comme il me plaît, car je
+sais ce qui vous est bon.
+
+Vos pensées sont celles de l'homme, et vos sentiments sont, en beaucoup
+de choses, conformes aux penchants de son coeur.
+
+2. LE F. Il est vrai, Seigneur: vous prenez de moi beaucoup plus de soin
+que je n'en puis prendre moi-même.
+
+Il est menacé d'une prompte chute, celui qui ne s'appuie pas uniquement
+sur vous.
+
+Pourvu, Seigneur, que ma volonté demeure droite et qu'elle soit affermie
+en vous, faites de moi tout ce qu'il vous plaira: car tout ce que vous
+ferez de moi ne peut être que bon.
+
+Si vous voulez que je sois dans les ténèbres, soyez béni: et si vous
+voulez que je sois dans la lumière, soyez encore béni.
+
+Si vous daignez me consoler, soyez béni: et si vous voulez que j'éprouve
+des tribulations, soyez également toujours béni.
+
+3. J.-C. Mon fils, c'est ainsi que vous devez être, si vous voulez ne
+pas vous séparer de moi.
+
+Il faut que vous soyez préparé à la souffrance autant qu'à la joie, au
+dénûment et à la pauvreté, autant qu'aux richesses et à l'abondance.
+
+4. LE F. Seigneur, je souffrirai volontiers pour vous tout ce que vous
+voudrez qui vienne sur moi.
+
+Je veux recevoir indifféremment, de votre main, le bien et le mal, les
+douceurs et les amertumes, la joie et la tristesse, et vous rendre
+grâces de tout ce qui m'arrivera.
+
+Préservez-moi à jamais de tout péché, et je ne craindrai ni la mort ni
+l'enfer.
+
+Pourvu que vous ne me rejetiez pas, et que vous ne m'effaciez pas du
+livre de vie, aucune tribulation ne peut me nuire.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ On ne saurait trop le répéter, la vie chrétienne consiste uniquement à
+ vouloir ce que Dieu veut, et à ne vouloir que ce qu'il veut. Presque
+ toujours nos désirs nous trompent, par une suite de notre ignorance et
+ de notre corruption. Mais Dieu sait tout ce qui nous est caché; il
+ connaît les secrètes dispositions de notre coeur, la mesure de sa
+ faiblesse, les épreuves auxquelles il est bon que nous soyons soumis,
+ les secours nécessaires pour les supporter, car _il ne permettra pas
+ que nous soyons tentés au-delà de nos forces_[256]: _sa sagesse est
+ infinie, et il nous a aimés jusqu'à donner pour nous son Fils
+ unique_[257]. Quelle confiance, quelle paix ne devons-nous pas trouver
+ dans cette pensée! Quoi de plus doux que de s'abandonner sans réserve
+ à celui qui a tout fait pour sa pauvre créature, que de se perdre en
+ lui par l'union intime de notre volonté à la sienne, ne nous réservant
+ rien que l'action de grâces et l'amour; de sorte que notre âme, notre
+ être entier s'exhale, en quelque sorte, dans cette parole qui comprend
+ tout: _mon Seigneur et mon Dieu_[258]!
+
+ [256] I. Cor., X, 13.
+
+ [257] Joann., III, 16.
+
+ [258] _Ibid._, XX.
+
+
+
+
+CHAPITRE XVIII.
+
+Qu'il faut souffrir avec constance les misères de cette vie, à l'exemple
+de Jésus-Christ.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, je suis descendu du ciel pour votre salut; je me suis
+chargé de vos misères, afin de vous former, par mon exemple, à la
+patience, et de vous apprendre à supporter les maux de cette vie sans
+murmurer.
+
+Car, depuis l'heure de ma naissance jusqu'à ma mort sur la croix, je
+n'ai jamais été sans douleur.
+
+J'ai vécu dans une extrême indigence des choses de ce monde; j'ai
+entendu souvent bien des plaintes de moi; j'ai souffert avec douceur les
+affronts et les outrages: je n'ai recueilli sur la terre, pour mes
+bienfaits, que de l'ingratitude; pour mes miracles, que des blasphèmes;
+pour ma doctrine, que des censures.
+
+2. LE F. Puisque vous avez montré, Seigneur, tant de patience durant
+votre vie, accomplissant par là, d'une manière parfaite, ce que votre
+Père demandait de vous, il est bien juste que moi, pauvre pécheur, je
+souffre patiemment ma misère pour votre volonté, et que je porte selon
+mon salut, aussi longtemps que vous le voudrez, le poids de cette vie
+corruptible.
+
+Car, bien que la vie présente soit pleine de douleurs, elle devient
+cependant, par votre grâce, une source abondante de mérites, et votre
+exemple, suivi par vos Saints, la rend supportable et précieuse, même
+aux faibles.
+
+Elle est aussi beaucoup plus remplie de consolation que dans l'ancienne
+loi, quand les portes du ciel étaient encore fermées, que la voie du
+ciel semblait plus obscure, et que si peu s'occupaient de chercher le
+royaume de Dieu.
+
+Les justes même à qui le salut était réservé, ne pouvaient entrer dans
+le royaume céleste qu'après la consommation de vos souffrances et le
+tribut sacré de votre mort.
+
+3. Ô quelles grâces ne dois-je pas vous rendre, de ce que vous avez
+daigné me montrer, et à tous les fidèles, la voie droite et sûre qui
+conduit à votre royaume éternel.
+
+Car votre vie est notre voie; et par une sainte patience, nous marchons
+vers vous, qui êtes notre couronne.
+
+Si vous ne nous aviez précédés et instruits, qui songerait à vous
+suivre?
+
+Hélas! combien resteraient en arrière, et bien loin, s'ils n'avaient
+sous les yeux vos sacrés exemples!
+
+Après tant de miracles et d'instructions, nous sommes encore tièdes! que
+serait-ce si tant de lumière ne nous guidait sur vos traces?
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ La vie de l'homme sur la terre est pleine de douleur, de misère, de
+ souffrances; qui ne le sait? Nous sommes visiblement punis, et comme
+ la justice qui nous châtie est toute-puissante, nul moyen d'échapper
+ au châtiment. Or, en cet état, la sagesse humaine n'a vu que le choix
+ entre deux partis: ou de se raidir contre la nature et de nier le
+ supplice, ou d'y chercher une distraction dans la volupté. Elle a
+ demandé le bonheur à l'orgueil et aux sens, et, trompée dans ses
+ espérances, elle s'est voilée la tête, en disant: Il n'y a point de
+ remède. Le monde en était là, quand tout à coup une voix s'élève:
+ _Heureux ceux qui pleurent_[259]! Les peuples écoutent et s'étonnent;
+ quelque chose de nouveau se remue en eux; ils comprennent, ils goûtent
+ la joie des larmes, et du haut de la croix où _l'homme de
+ douleurs_[260] est attaché, un fleuve inépuisable de consolations
+ inconnues coule sur le genre humain. La vie a perdu sa tristesse,
+ depuis que, baigné d'une sueur de sang, et dans les transes de
+ l'agonie, Jésus s'est écrié: _Mon âme est triste jusqu'à sa
+ mort_[261]. Elle n'a plus assez de souffrances pour le repentir qui
+ les cherche, pour l'amour qui les désire et qui s'y complaît.
+ Qu'est-ce donc que cette merveille? Ô Fils du Dieu vivant, c'est que
+ votre lumière a éclairé le monde, et que votre grâce l'a touché; c'est
+ que l'homme, sorti de sa voie, l'a retrouvée en vous _qui êtes la
+ voie, la vérité et la vie_[262]; c'est qu'il a conçu qu'après le
+ péché, le seul bien qui reste est l'expiation, et il a dit en
+ regardant la croix: _Ou souffrir, ou mourir!_ Victime sainte, _Agneau
+ de Dieu qui ôtez le péché du monde_[263], donnez-moi de souffrir avec
+ vous, et de mourir en unissant mes dernières souffrances à celles qui
+ nous ont rouvert le ciel que le péché nous avait fermé!
+
+ [259] Matth., V. 5.
+
+ [260] Is., LIII, 3.
+
+ [261] Marc., XIV, 34.
+
+ [262] Joann., XIV, 6.
+
+ [263] _Ibid._, I, 29.
+
+
+
+
+CHAPITRE XIX.
+
+De la souffrance des injures et de la véritable patience.
+
+
+1. J.-C. Pourquoi ces paroles, mon fils? cessez de vous plaindre, en
+considérant mes souffrances et celles des Saints.
+
+_Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang_[264].
+
+ [264] Heb., XII, 4.
+
+Ce que vous souffrez est peu en comparaison de ce qu'ont souffert tant
+d'autres, qui ont été éprouvés et exercés par de si fortes tentations,
+par des tribulations si pesantes.
+
+Rappelez donc à votre esprit les peines extrêmes des autres, afin d'en
+supporter paisiblement de plus légères.
+
+Que si elles ne vous paraissent pas légères, prenez garde que cela ne
+vienne de votre impatience.
+
+Cependant, grandes ou petites, efforcez-vous de les souffrir patiemment.
+
+2. Plus vous vous disposez à souffrir, plus vous montrez de sagesse et
+acquérez de mérites. La ferme résolution et l'habitude de souffrir vous
+rendront même la souffrance moins dure.
+
+Ne dites pas: Je ne puis supporter cela d'un tel homme: ce sont des
+offenses qu'on n'endure point. Il m'a fait un très-grand tort, et il me
+reproche des choses auxquelles je n'ai jamais pensé: mais d'un autre je
+le souffrirai avec moins de peine, et comme je croirai devoir le
+souffrir.
+
+Ce discours est insensé: car, au lieu de considérer la vertu de
+patience, et ce qui doit la couronner, c'est regarder seulement à
+l'injure et à la personne de qui on l'a reçue.
+
+3. Celui-là n'a pas la vraie patience, qui ne veut souffrir qu'autant
+qu'il lui plaît, et de qui il lui plaît.
+
+L'homme vraiment patient n'examine point qui l'éprouve, si c'est son
+supérieur, son égal ou son inférieur, un homme de bien ou un méchant.
+
+Mais, indifférent sur les créatures, il reçoit de la main de Dieu, avec
+reconnaissance, et aussi souvent qu'il le veut, tout ce qui lui arrive
+de contraire, et l'estime un grand gain.
+
+Car Dieu ne laissera sans récompense aucune peine, même la plus légère,
+qu'on aura soufferte pour lui.
+
+4. Soyez donc prêt au combat, si vous voulez remporter la victoire.
+
+On ne peut obtenir sans combat la couronne de la patience; et refuser de
+combattre, c'est refuser d'être couronné.
+
+Si vous désirez la couronne, combattez courageusement, souffrez avec
+patience.
+
+On ne parvient pas au repos sans travail, ni sans combat à la victoire.
+
+5. LE F. Seigneur, que ce qui paraît impossible à la nature me devienne
+possible par votre grâce!
+
+J'ai, vous le savez, peu de force pour souffrir; la moindre adversité
+m'abat aussitôt.
+
+Faites que j'aime, que je désire d'être exercé, affligé pour votre nom:
+car subir l'injure et souffrir pour vous est très-salutaire à mon âme.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Si nous avons souvent à souffrir du prochain, il n'a pas moins à
+ souffrir de nous; et c'est pourquoi l'Apôtre dit: _Portez le fardeau
+ les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi de
+ Jésus-Christ_[265]. Mais je vous entends, il y a des choses qu'il est
+ dur, dites-vous, et difficile de supporter. Eh bien! votre mérite en
+ sera plus grand. La grâce ne nous est donnée que pour cela, pour que
+ vous fassiez avec elle ce qui serait impossible à la nature seule.
+ D'ailleurs que vous arrive-t-il que Dieu n'ait prévu, que Dieu n'ait
+ voulu? La patience n'est donc qu'une soumission douce et calme à ce
+ qu'il ordonne, et sans elle nous vivons dans un trouble perpétuel; car
+ _qui a résisté à Dieu, et a eu la paix_[266]? Et combien ne faut-il
+ pas qu'il soit lui-même patient avec vous? Descendez dans votre
+ conscience, et répondez. N'a-t-il rien à supporter de vous, rien à
+ vous pardonner? Oui, _le Seigneur est patient et rempli de
+ miséricorde_[267]. _Soyons donc aussi patients envers tous_[268].
+ _L'homme patient vaut mieux que l'homme fort, et celui qui domine son
+ âme, mieux que celui qui réduit des villes_[269]. _Je me suis tu_,
+ disait David en prophétisant les souffrances du Christ, _je me suis
+ tu, et je n'ai point ouvert la bouche_[270]; et un autre prophète: _Il
+ s'est tu comme l'agneau devant celui qui le tond_[271]. Qui oserait
+ après cela murmurer, s'irriter, rendre offense pour offense? Ô Jésus!
+ soyez notre modèle. Vous nous avez appris à dire à Dieu:
+ _Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à ceux qui nous
+ doivent_[272]. Voilà ce que nous demandons chaque jour, ce que chaque
+ jour nous promettons; et malheur à celui dont la prière sera trouvée
+ menteuse!
+
+ [265] Galat., VI, 2.
+
+ [266] Job, IX, 4.
+
+ [267] Ps. CXLIV. 8.
+
+ [268] I. Thess., V, 14.
+
+ [269] Prov., XVI, 32.
+
+ [270] Ps. XXXVIII, 10.
+
+ [271] Is., LIII, 7.
+
+ [272] Matth., VI, 12.
+
+
+
+
+CHAPITRE XX.
+
+De l'aveu de son infirmité et des misères de cette vie.
+
+
+1. LE F. _Je confesserai contre moi mon injustice_[273]: Je vous
+confesserai, Seigneur, mon infirmité.
+
+ [273] Ps. XXXI, 5.
+
+Souvent un rien m'abat et me jette dans la tristesse.
+
+Je me propose d'agir avec force; mais, à la moindre tentation qui
+survient, je tombe dans une grande angoisse.
+
+Souvent c'est la plus petite chose et la plus méprisable qui me cause
+une violente tentation.
+
+Et quand je ne sens rien en moi-même, et que je me crois un peu en
+sûreté, je me trouve quelquefois presque abattu par un léger souffle.
+
+2. Voyez donc, Seigneur, mon impuissance et ma fragilité, que tout
+manifeste à vos yeux.
+
+Ayez pitié de moi, _et retirez-moi de la boue, de crainte que je n'y
+demeure à jamais enfoncé_[274].
+
+ [274] Ps. LXVIII, 15.
+
+Ce qui souvent fait ma peine et ma confusion devant vous, c'est de
+tomber si aisément, et d'être si faible contre mes passions.
+
+Bien qu'elles ne parviennent pas à m'arracher un plein consentement,
+leurs sollicitations me fatiguent et me pèsent, et ce m'est un grand
+ennui de vivre ainsi toujours en guerre.
+
+Je connais surtout en ceci mon infirmité, que les plus horribles
+imaginations s'emparent de mon esprit, bien plus facilement qu'elles
+n'en sortent.
+
+3. Puissant Dieu d'Israël, défenseur des âmes fidèles, daignez jeter un
+regard sur votre serviteur affligé et dans le travail, et soyez près de
+lui pour l'aider en tout ce qu'il entreprendra.
+
+Remplissez-moi d'une force toute céleste, de peur que le vieil homme, et
+cette chair de péché qui n'est pas encore entièrement soumise à
+l'esprit, ne prévale et ne domine; elle, contre qui nous devons
+combattre jusqu'au dernier soupir, dans cette vie chargée de tant de
+misères.
+
+Hélas! qu'est-ce que cette vie, assiégée de toutes parts de tribulations
+et de peines, environnée de piéges et d'ennemis?
+
+Est-on délivré d'une affliction ou d'une tentation, une autre lui
+succède; et l'on combat même encore la première, que d'autres
+surviennent inopinément.
+
+4. Comment peut-on aimer une vie remplie de tant d'amertumes, sujette à
+tant de maux et de calamités?
+
+Comment peut-on même appeler vie ce qui engendre tant de douleurs et
+tant de morts?
+
+Et cependant on l'aime, et plusieurs y cherchent leur félicité.
+
+On reproche souvent au monde d'être trompeur et vain; et toutefois on le
+quitte difficilement, parce qu'on est encore dominé par les convoitises
+de la chair.
+
+Certaines choses nous inclinent à aimer le monde, d'autres à le
+mépriser.
+
+_Le désir de la chair, le désir des yeux, et l'orgueil de la vie_[275],
+inspirent l'amour du monde; mais les peines et les misères qui les
+suivent justement produisent la haine et le dégoût du monde.
+
+ [275] I. Joann., II, 16.
+
+5. Mais, hélas! le plaisir mauvais triomphe de l'âme livrée au monde:
+elle se repose avec délices dans l'esclavage des sens, parce qu'elle ne
+connaît pas et n'a point goûté les suavités célestes, ni le charme
+intérieur de la vertu.
+
+Mais ceux qui, méprisant le monde parfaitement, s'efforcent de vivre
+pour Dieu sous une sainte discipline, n'ignorent point les divines
+douceurs promises au vrai renoncement, et voient avec clarté combien le
+monde, abusé par des illusions diverses, s'égare dangereusement.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Que sont les épreuves qui nous viennent du dehors, comparées à celles
+ que nous trouvons au dedans de nous-mêmes? On résiste aux premières
+ avec toutes ses forces; elles sont divisées dans les secondes, et les
+ puissances de l'âme se combattent mutuellement: combat terrible que
+ saint Paul a peint en quelques traits. «_Je ne fais pas le bien que je
+ veux, et le mal que je ne veux pas, je le fais. Je me réjouis dans la
+ loi de Dieu, selon l'homme intérieur, et je vois dans mes membres une
+ autre loi, qui répugne à la loi de mon esprit et me captive sous la
+ loi du péché, qui est dans mes membres_[276].» Voilà ce qui désole les
+ âmes fidèles, humiliées de cette guerre honteuse; et sans cesse
+ tremblant de succomber; voilà ce qui faisait dire à l'Apôtre: _Qui me
+ délivrera du corps de cette mort?_ et aussitôt il ajoute: _La grâce de
+ Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur_[277]. Jetons-nous donc entre ses
+ bras divins, qu'avec un amour inexprimable il étend pour nous
+ recevoir; approchons-nous de son coeur sacré, d'où émane
+ perpétuellement une vertu redoutable aux puissances du mal; ne
+ comptons que sur lui, n'espérons qu'en lui; écrions-nous du fond de
+ nos entrailles: _Délivrez-moi, Seigneur; placez-moi près de vous, et
+ qu'ensuite la main de qui que ce soit se lève contre moi_[278]. _Le
+ Seigneur est mon appui, mon refuge, mon libérateur; il est mon Dieu et
+ mon aide, et j'espérerai en lui; il est mon protecteur, il est la
+ force qui fait mon salut. Je l'invoquerai dans mes louanges, et je
+ serai délivré de mes ennemis_[279].
+
+ [276] Rom., VII, 19, 22, 23.
+
+ [277] Rom., VII, 24, 25.
+
+ [278] Job, XVII, 2.
+
+ [279] Ps. VII, 3, 4.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXI.
+
+Qu'il faut établir son repos en Dieu, plutôt que dans tous les autres
+biens.
+
+
+1. LE F. En tout, et par-dessus tout, repose-toi en Dieu, ô mon âme,
+parce qu'il est le repos éternel des Saints.
+
+Aimable et doux Jésus, donnez-moi de me reposer en vous plus qu'en
+toutes les créatures; plus que dans la santé, la beauté, les honneurs et
+la gloire; plus que dans toute puissance et dans toute dignité; plus que
+dans la science, l'esprit, les richesses, les arts; plus que dans les
+plaisirs et la joie, la renommée et la louange, les consolations et les
+douceurs, l'espérance et les promesses; plus qu'en tout mérite et en
+tout désir; plus même que dans vos dons et toutes les récompenses que
+vous pouvez nous prodiguer; plus que dans l'allégresse et tous les
+transports que l'âme peut concevoir et sentir; plus enfin que dans les
+Anges et dans les Archanges, et dans toute l'armée des cieux; plus qu'en
+toutes les choses visibles et invisibles, plus qu'en tout ce qui n'est
+pas vous, ô mon Dieu!
+
+2. Car vous êtes seul infiniment bon, seul très-haut, très-puissant;
+vous suffisez seul, parce que seul vous possédez et vous donnez tout;
+vous seul nous consolez par vos douceurs inexprimables; seul vous êtes
+toute beauté, tout amour; votre gloire s'élève au-dessus de toute
+gloire, votre grandeur au-dessus de toute grandeur; la perfection de
+tous les biens ensemble est en vous, Seigneur mon Dieu, y a toujours
+été, y sera toujours.
+
+Ainsi, tout ce que vous me donnez hors de vous, tout ce que vous me
+découvrez de vous-même, tout ce que vous m'en promettez, est trop peu et
+ne me suffit pas, si je ne vous vois, si je ne vous possède pleinement.
+
+Car mon coeur ne peut avoir de vrai repos, ni être entièrement rassasié,
+jusqu'à ce que, s'élevant au-dessus de tous vos dons et de toute
+créature, il se repose uniquement en vous.
+
+3. Tendre époux de mon âme, pur objet de son amour, ô mon Jésus, Roi de
+toutes les créatures! qui me délivrera de mes liens, _qui me donnera des
+ailes_[280] pour voler vers vous et me reposer en vous!
+
+ [280] Ps. LIV, 7.
+
+Ô quand serai-je assez dégagé de la terre pour voir, Seigneur mon Dieu,
+et _pour goûter combien vous êtes doux_[281]!
+
+ [281] Ps. XXXIII, 9.
+
+Quand serai-je tellement absorbé en vous, tellement pénétré de votre
+amour, que je ne me sente plus moi-même, et que je ne vive plus que de
+vous, dans cette union ineffable et au-dessus des sens, que tous ne
+connaissent pas!
+
+Maintenant je ne sais que gémir, et je porte avec douleur ma misère.
+
+Car, en cette vallée de larmes, il se rencontre bien des maux qui me
+troublent, m'affligent, et couvrent mon âme comme d'un nuage. Souvent
+ils me fatiguent et me retardent: ils s'emparent de moi; ils m'arrêtent,
+et m'ôtant près de vous un libre accès, ils me privent de ces délicieux
+embrassements dont jouissent toujours et sans obstacle les célestes
+esprits.
+
+Soyez touché de mes soupirs et de ma désolation sur la terre!
+
+4. Ô Jésus! _splendeur de l'éternelle gloire_[282], consolateur de l'âme
+exilée! ma bouche est muette devant vous, et mon silence vous parle.
+
+ [282] Heb., I, 3.
+
+Jusqu'à quand mon Seigneur tardera-t-il de venir?
+
+Qu'il vienne à ce pauvre qui est à lui, et qu'il lui rende la joie.
+Qu'il étende la main pour relever un malheureux plongé dans l'angoisse.
+
+Venez, venez: car, sans vous, tous les jours, toutes les heures
+s'écoulent dans la tristesse, parce que vous êtes seul ma joie, et que
+vous pouvez seul remplir le vide de mon coeur.
+
+Je suis oppressé de misère, et comme un prisonnier chargé de fers,
+jusqu'à ce que, me ranimant par la lumière de votre présence, vous me
+rendiez la liberté, et jetiez sur moi un regard d'amour,
+
+5. Que d'autres cherchent, au lieu de vous, tout ce qu'ils voudront;
+pour moi, rien ne me plaît, ni ne me plaira jamais, que vous, ô mon
+Dieu, mon espérance, mon salut éternel!
+
+Je ne me tairai point, je ne cesserai point de prier jusqu'à ce que
+votre grâce revienne, et que vous me parliez intérieurement.
+
+6. J.-C. Me voici: je viens à vous, parce que vous m'avez invoqué. Vos
+larmes et le désir de votre âme, le brisement de votre coeur humilié,
+m'ont fléchi et ramené à vous.
+
+7. LE F. Et j'ai dit: Seigneur, je vous ai appelé, et j'ai désiré jouir
+de vous, prêt à rejeter pour vous tout le reste.
+
+Et c'est vous qui m'avez excité le premier à vous chercher.
+
+Soyez donc béni, Seigneur, d'avoir usé de cette bonté envers votre
+serviteur, selon votre infinie miséricorde.
+
+Que peut-il vous dire encore? et que lui reste-t-il qu'à s'humilier
+profondément en votre présence, plein du souvenir de son néant et de son
+iniquité.
+
+Car il n'est rien de semblable à vous dans tout ce que le ciel et la
+terre renferment de plus merveilleux.
+
+Vos oeuvres sont parfaites, _vos jugements véritables, et l'univers est
+régi par votre providence_[283].
+
+ [283] Ps. XVIII, 10. Sap., XIV, 3.
+
+Louange donc et gloire à vous, ô Sagesse du Père! Que mon âme, que ma
+bouche, que toutes les créatures ensemble vous louent et vous bénissent
+à jamais!
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ À mesure que l'âme fidèle se dégage de la terre et d'elle-même, toutes
+ ses pensées, tous ses désirs s'élèvent et viennent se confondre en
+ celui qu'elle aime uniquement. Alors elle gémit des liens qui
+ l'appesantissent et la retiennent encore ici-bas. Pressée d'un amour
+ qui croît sans cesse, elle voudrait briser son enveloppe mortelle, et
+ s'élancer dans le sein de l'Être infini auquel elle aspire, et s'y
+ plonger, et s'y perdre éternellement. _Qui me donnera des ailes comme
+ à la colombe, et je volerai et je me reposerai_[284]! Nul repos en
+ effet pour elle, jusqu'à ce qu'elle soit pleinement unie à l'objet de
+ ses ardeurs, jusqu'à ce qu'elle puisse dire dans les transports, dans
+ l'ivresse divine de sa joie, dans la jouissance, la possession à
+ jamais immuable du céleste époux: _Mon bien-aimé est à moi, et je suis
+ à lui_[285]. Oh! quand luira cet heureux jour, jour de la délivrance
+ et de l'allégresse sans fin? Quand cessera le temps de l'exil, le
+ temps de l'espérance et des larmes? Quand verrons-nous décliner les
+ ombres qui dérobent à nos regards le bien-aimé? _Comme le cerf altéré
+ désire l'eau des fontaines, ainsi mon âme vous désire, ô mon Dieu! Mon
+ âme a eu soif du Dieu fort, du Dieu vivant: oh! quand viendrai-je et
+ paraîtrai-je en présence de mon Dieu_[286]?
+
+ [284] Ps. LIV, 7.
+
+ [285] Cantic., II, 16.
+
+ [286] Ps. XLI, 2, 3.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXII.
+
+Du souvenir des bienfaits de Dieu.
+
+
+1. LE F. _Seigneur, ouvrez mon coeur à votre loi; et enseignez-moi à
+marcher dans la voie de vos commandements_[287].
+
+ [287] II. Mach., I, 4.
+
+Faites que je connaisse votre volonté, et que je rappelle dans mon
+souvenir, avec un grand respect et une sérieuse attention, tous vos
+bienfaits, afin de vous en rendre de dignes actions de grâces.
+
+Je sais cependant, et je confesse que je ne puis reconnaître dignement
+la moindre de vos faveurs.
+
+Je suis au-dessous de tous les biens que vous m'avez accordés; et quand
+je considère votre élévation infinie, mon esprit s'abîme dans votre
+grandeur.
+
+2. Tout ce que nous avons en nous, dans notre corps, dans notre âme,
+tout ce que nous possédons et au dedans et au dehors, dans l'ordre
+de la grâce ou de la nature, c'est vous qui nous l'avez donné; et vos
+bienfaits nous rappellent sans cesse votre bonté, votre tendresse,
+l'immense libéralité dont vous usez envers nous, vous de qui nous
+viennent tous les biens.
+
+Car tout vient de vous, quoique l'un reçoive plus, l'autre moins; et
+sans vous nous serions à jamais privés de tout bien.
+
+Celui qui a reçu davantage ne peut se glorifier de son mérite, ni
+s'élever au-dessus des autres, ni insulter à celui qui a moins reçu; car
+celui-là est le meilleur et le plus grand, qui s'attribue le moins, et
+qui rend grâces avec le plus de ferveur et d'humilité.
+
+Et celui qui se croit le plus vil et le plus indigne de tous, est le
+plus propre à recevoir de grands dons.
+
+3. Celui qui a moins reçu, ne doit ni s'affliger, ni se plaindre, ni
+concevoir de l'envie contre ceux qui ont reçu davantage; mais plutôt ne
+regarder que vous, et louer de toute son âme votre bonté toujours prête
+à répandre ses dons si abondamment, si gratuitement, sans acception de
+personne.
+
+Tout vient de vous, et ainsi vous devez être loué de tout.
+
+Vous savez ce qu'il convient de donner à chacun, pourquoi celui-ci
+reçoit plus, cet autre moins; ce c'est pas à nous qu'appartient ce
+discernement, mais à vous, qui pesez tous les mérites.
+
+4. C'est pourquoi, Seigneur mon Dieu, je regarde comme une grâce
+singulière que vous m'ayez accordé peu de ces dons qui paraissent au
+dehors, et qui attirent les louanges et l'admiration des hommes. Et
+certes, en considérant son indigence et son abjection, loin d'en être
+abattu, loin d'en concevoir aucune peine, aucune tristesse, on doit
+plutôt sentir une douce consolation, une grande joie; car vous avez
+choisi, mon Dieu, pour vos amis et vos serviteurs, les pauvres, les
+humbles, ceux que le monde méprise.
+
+Tels étaient vos apôtres mêmes, _que vous avez établis princes sur toute
+la terre_[288].
+
+ [288] Ps. XLIV, 17.
+
+Ils ont passé dans ce monde sans se plaindre, purs de tout artifice et
+de la pensée même du mal, si simples et si humbles, qu'_ils se
+réjouissaient de souffrir les outrages pour votre nom_[289], et qu'ils
+embrassaient avec amour tout ce que le monde abhorre.
+
+ [289] Act., V, 41.
+
+Rien ne doit causer tant de joie à celui qui vous aime et qui connaît le
+prix de vos bienfaits, que l'accomplissement de votre volonté et de vos
+desseins éternels sur lui.
+
+Il doit y trouver un contentement, une consolation telle, qu'il consente
+aussi volontiers d'être le plus petit, que d'autres désirent avec ardeur
+être le plus grand; qu'il soit aussi tranquille, aussi satisfait dans la
+dernière place que dans la première; et que toujours prêt à souffrir le
+mépris, les rebuts, il s'estime aussi heureux d'être sans nom, sans
+réputation, que les autres de jouir des honneurs et des grandeurs du
+monde.
+
+Car votre volonté et le zèle de votre gloire doivent être pour lui
+au-dessus de tout, et lui plaire et le consoler plus que tous les dons
+que vous lui avez faits, et que vous pouvez lui faire encore.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Profitons de la grâce qui nous est donnée, sans rechercher si les
+ autres en ont reçu une mesure plus grande. Dieu se communique comme il
+ lui plaît, il est le maître de ses dons, et que sommes-nous pour lui
+ en demander compte? Bénissons-le de ceux qu'il nous accorde dans sa
+ bonté toute gratuite, et bénissons-le encore de ceux qu'il nous
+ refuse, nous reconnaissant indignes du moindre de ses bienfaits. Si
+ vous êtes humble, vous n'aspirerez point à des faveurs
+ extraordinaires; et si vous manquez d'humilité, ces faveurs, loin de
+ vous être utiles, ne serviraient peut-être qu'à vous perdre, en
+ nourrissant en vous la vaine complaisance et l'orgueil. Une vive
+ gratitude envers le Seigneur, une soumission parfaite à ses volontés,
+ la fidélité dans la voie où il vous conduit, voilà ce que vous devez
+ désirer. Avec cela vous reposerez en paix, parce que vous reposerez en
+ Dieu, et qu'en lui vous trouverez le secours contre les tentations, la
+ paix dans les souffrances, la consolation dans les misères et les
+ peines de la vie, et enfin l'amour qui rend tout léger. Oh! que nous
+ penserions peu à souhaiter un état plus élevé, ou plus doux, si nous
+ aimions véritablement! Mais nous ne savons point aimer. Gémissons au
+ moins de notre tiédeur et supplions le divin Maître d'échauffer,
+ d'embraser notre coeur languissant, afin que nous puissions dire avec
+ l'Apôtre: _Qui me séparera de l'amour du Christ? la tribulation?
+ l'angoisse? la faim? la nudité? le péril? la persécution? le glaive?
+ Mais nous triomphons de toutes ces choses à cause de celui qui nous a
+ aimés. Car je suis certain que ni la mort, ni la vie, ni les Anges, ni
+ les principautés, ni les vertus, ni le présent, ni l'avenir, ni la
+ force, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne
+ pourra me séparer de la charité de Dieu, laquelle est dans le Christ
+ Jésus notre Seigneur_[290].
+
+ [290] Rom., VIII, 35, 37-39.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXIII.
+
+De quatre choses importantes pour conserver la paix.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, je vous enseignerai maintenant la voie de la paix et
+de la vraie liberté.
+
+2. LE F. Faites, Seigneur, ce que vous dites: car il m'est doux de vous
+entendre.
+
+3. Appliquez-vous, mon fils, à faire plutôt la volonté d'autrui que la
+vôtre.
+
+Choisissez toujours plutôt d'avoir moins que plus.
+
+Cherchez toujours la dernière place, et à être au-dessous de tous.
+
+Désirez toujours et priez que la volonté de Dieu s'accomplisse
+parfaitement en vous.
+
+Celui qui agit ainsi est dans la voie de la paix et du repos.
+
+4. LE F. Seigneur, ces courts préceptes renferment une grande
+perfection.
+
+Ils contiennent peu de paroles; mais elles sont pleines de sens, et
+abondantes en fruits.
+
+Si j'étais fidèle à les observer, je ne tomberais pas si aisément dans
+le trouble.
+
+Car toutes les fois qu'il m'arrive de perdre le calme et la paix, je
+reconnais que je me suis écarté de ces maximes.
+
+Mais vous qui pouvez tout, et qui désirez toujours le progrès des âmes,
+augmentez en moi votre grâce, afin qu'en obéissant à ce que vous
+commandez, je puisse accomplir mon salut.
+
+
+PRIÈRE
+
+POUR OBTENIR D'ÊTRE DÉLIVRÉ DES MAUVAISES PENSÉES.
+
+5. _Seigneur, mon Dieu, ne vous éloignez pas de moi. Mon Dieu,
+hâtez-vous de me secourir_[291]: car une foule de pensées diverses m'ont
+assailli, et de grandes terreurs agitent mon âme.
+
+ [291] Ps. LXX, 12.
+
+Comment traverserai-je tant d'ennemis, sans recevoir de blessures?
+comment les renverserai-je?
+
+_Je marcherai devant vous_, dit le Seigneur, _et j'abattrai les
+puissants de la terre_[292]. J'ouvrirai les portes de la prison, et je
+vous montrerai les issues les plus secrètes.
+
+ [292] Is., XLV, 2.
+
+Faites, Seigneur, selon votre parole; et que toutes les pensées
+mauvaises fuient devant vous.
+
+Mon unique espérance, ma seule consolation dans les maux qui me
+pressent, est de me réfugier vers vous, de me confier en vous, de vous
+invoquer du fond de mon coeur et d'attendre avec patience votre secours.
+
+
+PRIÈRE
+
+POUR DEMANDER À DIEU LA LUMIÈRE.
+
+6. Éclairez-moi intérieurement, ô bon Jésus! Faites luire votre lumière
+dans mon coeur, et dissipez toutes ses ténèbres.
+
+Arrêtez mon esprit qui s'égare, et brisez la violence des tentations qui
+me pressent.
+
+Déployez pour moi votre bras, et domptez ces bêtes furieuses, ces
+convoitises dévorantes _afin que je trouve la paix dans votre
+force_[293], et que sans cesse vos louanges retentissent dans votre
+sanctuaire, dans une conscience pure.
+
+ [293] Ps. CXXI, 7.
+
+Commandez aux vents et aux tempêtes; _dites à la mer: Apaise-toi; à
+l'aquilon: Ne souffle point: et il se fera un grand calme_[294].
+
+ [294] Marc., IV, 39.
+
+7. _Envoyez votre lumière et votre vérité_[295], pour qu'elles luisent
+sur la terre: car je ne suis qu'une terre stérile et ténébreuse, jusqu'à
+ce que vous m'éclairiez.
+
+ [295] Ps. XLII, 3.
+
+Répandez votre grâce d'en haut; versez sur mon coeur la rosée céleste;
+épanchez sur cette terre aride les eaux fécondes de la piété, afin
+qu'elle produise des fruits bons et salutaires.
+
+Relevez mon âme abattue sous le poids de ses péchés; transportez tous
+mes désirs au Ciel, afin qu'ayant trempé mes lèvres à la source des
+biens éternels, je ne puisse plus sans dégoût penser aux choses de la
+terre.
+
+8. Enlevez-moi, détachez-moi de toutes les fugitives consolations des
+créatures, car nul objet créé ne peut satisfaire ni rassasier pleinement
+mon coeur.
+
+Unissez-moi à vous par l'indissoluble lien de l'amour: car vous suffisez
+seul à celui qui vous aime, et tout le reste sans vous n'est rien.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ _Des prophètes se sont levés en Israël, qui prophétisent à Jérusalem
+ des visions de paix; et il n'y a point de paix, dit le Seigneur
+ Dieu_[296]. Et le monde aussi prophétise des visions de paix à ses
+ sectateurs; mais cette paix qu'il met dans les plaisirs, dans le
+ contentement de l'orgueil et de toutes les passions, ne se montre de
+ loin que pour tromper ceux qui la poursuivent, et quand ils se croient
+ près de la saisir, tout à coup elle s'évanouit _comme le songe d'un
+ homme qui s'éveille_[297]. La paix véritable n'est, au contraire, que
+ le calme d'une conscience pure: elle consiste à retrancher les désirs,
+ et non pas à les satisfaire. Est-il un lieu caché, un emploi obscur,
+ une place, un rang méprisable aux yeux du monde, elle est là surtout.
+ Plus le coeur s'humilie, plus elle est douce et profonde. Qu'est-ce,
+ en effet, qui pourrait troubler celui qui ne souhaite rien, et ne
+ s'attribue rien? Il n'a guère à craindre qu'on lui envie l'abaissement
+ où il se complaît. Mais que de grandeur dans cet abaissement cherché,
+ voulu de toute l'âme! Les anges le contemplent avec respect, et Dieu
+ le bénit du sein de sa gloire. Seigneur, venez à mon aide; terrassez
+ en moi l'orgueil, et j'aurai la paix; faites que, pénétré des
+ sentiments qui animaient le roi-prophète, il me soit donné de dire
+ comme lui: _J'ai choisi d'être abject dans la maison de mon Dieu,
+ plutôt que d'habiter tous les tentes des pécheurs: elegi abjectus
+ esse[298]!_
+
+ [296] Ezech., XIII, 16.
+
+ [297] Ps. LXXII, 20.
+
+ [298] Ps. LXXXIII, 11.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXIV.
+
+Qu'il ne faut point s'enquérir curieusement de la conduite des autres.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, réprimez en vous la curiosité, et ne vous troublez
+point de vaines sollicitudes.
+
+_Que vous importe ceci ou cela? suivez-moi_[299].
+
+ [299] Joan., XXI, 22.
+
+Que vous fait ce qu'est celui-ci, comment parle ou agit celui-là?
+
+Vous n'avez point à répondre des autres; mais vous répondrez pour
+vous-même: de quoi donc vous inquiétez-vous?
+
+Voilà que je connais tous les hommes; je vois tout ce qui se passe sous
+le soleil; je sais ce qu'il en est de chacun, ce qu'il pense, ce qu'il
+veut, et où tendent ses vues.
+
+C'est donc à moi qu'on doit tout abandonner. Pour vous, demeurez en
+paix, et laissez ceux qui s'agitent, s'agiter tant qu'ils voudront.
+
+Tout ce qu'ils feront, tout ce qu'ils diront, viendra sur eux; car ils
+ne peuvent me tromper.
+
+2. Ne poursuivez pas cette ombre qu'on appelle un grand nom; ne désirez
+ni de nombreuses liaisons, ni l'amitié particulière d'aucun homme.
+
+Car tout cela dissipe l'esprit, et obscurcit étrangement le coeur.
+
+Je me plairais à vous faire entendre ma parole, et à vous révéler mes
+secrets, si vous étiez, quand je viens à vous, toujours attentif et prêt
+à m'ouvrir la porte de votre coeur.
+
+Songez à l'avenir, veillez, priez sans cesse, et humiliez-vous en toutes
+choses.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Pourquoi ouvrez-vous un oeil envieux sur les actions de vos frères?
+ Qui vous a chargé de scruter leur conscience et leurs oeuvres?
+ Laissez, laissez à Dieu un soin qu'il se réserve, et songez à répondre
+ pour vous. On se trompe presque toujours en jugeant les autres, et
+ l'on se prépare à soi-même un jugement plus sévère, en usurpant un
+ droit qu'on n'a pas, et en blessant, par des soupçons malins et
+ téméraires, l'amour dû au prochain. _La charité est indulgente, elle
+ ne pense point le mal_[300]. Présumez d'autrui tout ce qui est bon,
+ pardonnez pour qu'on vous pardonne, _et ne jugez point, afin que vous
+ ne soyez point jugé_[301].
+
+ [300] I. Cor., XIII, 4, 5.
+
+ [301] Matth., VII, 1.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXV.
+
+En quoi consiste la vraie paix et le véritable progrès de l'âme.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, j'ai dit: _Je vous laisse la paix, je vous donne ma
+paix, non comme le monde la donne_[302].
+
+ [302] Joann., XIV, 27.
+
+Tous désirent la paix; mais tous ne cherchent pas ce qui procure une
+paix véritable.
+
+Ma paix est avec ceux qui sont doux et humbles de coeur.
+
+Votre paix sera dans une grande patience.
+
+Si vous m'écoutez, et si vous obéissez à ma parole, vous jouirez d'une
+profonde paix.
+
+2. LE F. Seigneur, que ferai-je donc?
+
+3. J.-C. En toutes choses, veillez à ce que vous faites et à ce que vous
+dites. N'ayez d'autre intention que celle de plaire à moi seul. Ne
+désirez, ne recherchez rien hors de moi.
+
+Ne jugez point témérairement des paroles ou des actions des autres: ne
+vous ingérez point de ce qui n'est point commis à votre charge; alors
+vous serez peu ou rarement troublé.
+
+Mais ne sentir jamais aucun trouble, n'éprouver aucune peine du coeur,
+aucune souffrance du corps, cela n'est pas de la vie présente; c'est
+l'état de l'éternel repos.
+
+Ne croyez donc pas avoir trouvé la véritable paix, lorsqu'il ne vous
+arrive aucune contrariété; ni que tout soit bien, quand vous n'essuyez
+d'opposition de personne; ni que votre bonheur soit parfait, lorsque
+tout réussit selon vos désirs.
+
+Gardez-vous aussi de concevoir une haute idée de vous-même, et
+d'imaginer que Dieu vous chérit particulièrement, si vous sentez votre
+coeur rempli d'une piété tendre et douce: car ce n'est pas en cela qu'on
+reconnaît celui qui aime vraiment la vertu, ni en cela que consiste le
+progrès de l'homme et sa perfection.
+
+4. LE F. En quoi donc, Seigneur?
+
+5. J.-C. À vous offrir de tout votre coeur à la volonté divine; à ne
+vous rechercher en aucune chose, ni petite, ni grande, ni dans le temps,
+ni dans l'éternité: de sorte que, regardant du même oeil et pesant dans
+la même balance les biens et les maux, vous m'en rendiez également
+grâces.
+
+Et ce n'est pas tout; il faut encore que vous soyez si ferme, si
+constant dans l'espérance, que, privé intérieurement de toute
+consolation, vous prépariez votre coeur à de plus dures épreuves, sans
+jamais vous justifier vous-même, comme si vous ne méritiez pas de tant
+souffrir; mais reconnaissant, au contraire, ma justice, et louant ma
+sainteté dans tout ce que j'ordonne. Alors vous marcherez dans la voie
+droite, dans la véritable voie de la paix; et vous pourrez avec
+assurance espérer _de revoir mon visage dans l'allégresse_[303].
+
+ [303] Job, XXXIII, 26.
+
+Que si vous parvenez à un parfait mépris de vous-même, je vous le dis,
+vous jouirez d'une paix aussi profonde qu'il est possible en cette vie
+d'exil.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ On ne saurait trop répéter à l'homme que sa grandeur, sa sécurité, sa
+ paix consiste à se renoncer, à se mépriser lui-même, à s'anéantir
+ devant Dieu, à ne vouloir en toutes choses et à ne désirer que
+ l'accomplissement de sa volonté sainte, sans aucun retour d'intérêt
+ propre, dans un abandon sans réserve à ce qu'il lui plaît d'ordonner
+ de nous. Il faut se détacher même de ses dons, pour s'unir à lui d'une
+ manière plus intime et plus pure. La ferveur sensible, les
+ consolations, les ravissantes douceurs de l'amour, nous sont données
+ et nous sont retirées selon des desseins que nous ignorons; elles
+ passent, et tout ce qui passe produit le trouble, si l'on s'y attache.
+ Dieu seul donc: n'aimons que Dieu seul, ne souhaitons que Dieu seul;
+ aimons-le pour lui-même, dans la tristesse comme dans la joie, dans
+ l'amertume comme dans la jouissance. Oui, _je vous aimerai,
+ Seigneur_[304], _je vous bénirai en tout temps_[305]: _vous êtes
+ vous-même notre paix_[306], _et dans cette paix, je dormirai et je me
+ reposerai_[307].
+
+ [304] Ps. XVII, 2.
+
+ [305] Ps. XXXIII, 2.
+
+ [306] Ephes., II, 14.
+
+ [307] Ps. IV, 9.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXVI.
+
+De la liberté du coeur, qui s'acquiert plutôt par la prière que par la
+lecture.
+
+
+1. LE F. Seigneur, c'est une haute perfection de ne jamais détourner des
+choses du ciel les regards de son coeur, de passer au milieu des soins
+du monde, sans se préoccuper d'aucun soin, non par indolence, mais par
+le privilége d'une âme libre, qu'aucune affection déréglée n'attache à
+la créature.
+
+2. Je vous en conjure, ô Dieu de bonté! délivrez-moi des soins de cette
+vie, de peur qu'ils ne retardent ma course; des nécessités du corps, de
+peur que la volupté ne me séduise; de tout ce qui arrête et trouble
+l'âme, de peur que l'affliction ne me brise et ne m'abatte.
+
+Je ne parle point des choses que la vanité humaine recherche avec tant
+d'ardeur; mais de ces misères qui, par une suite de la malédiction
+commune à tous les enfants d'Adam, tourmentent et appesantissent l'âme
+de votre serviteur, et l'empêchent de jouir, autant qu'il voudrait, de
+la liberté de l'esprit.
+
+3. Ô mon Dieu, douceur ineffable! changez pour moi en amertume toute
+consolation de la chair, qui me détourne de l'amour des biens éternels,
+et m'attire, et me fascine par le charme funeste du plaisir présent.
+
+Que je ne sois pas, mon Dieu, vaincu par la chair et le sang, trompé par
+le monde et sa gloire qui passe, que je ne succombe point aux ruses du
+démon.
+
+Donnez-moi la force pour résister, la patience pour souffrir, la
+constance pour persévérer.
+
+Donnez-moi, au lieu de toutes les consolations du monde, la délicieuse
+onction de votre esprit; et au lieu de l'amour terrestre, pénétrez-moi
+de l'amour de votre nom.
+
+4. Le boire, le manger, le vêtement, et les autres choses nécessaires
+pour soutenir le corps, sont à charge à une âme fervente.
+
+Faites que j'use de ces soulagements avec modération, et que je ne les
+recherche point avec trop de désir.
+
+Les rejeter tous, cela n'est pas permis, parce qu'il faut soutenir la
+nature: mais votre loi sainte défend de rechercher tout ce qui est
+au-delà du besoin et ne sert qu'à flatter les sens; autrement la chair
+se révolterait contre l'esprit.
+
+Que votre main, Seigneur, me conduise entre ces deux extrêmes, afin
+qu'instruit par vous, je me préserve de tout excès.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ En voyant combien les hommes sont enfoncés dans la vie présente,
+ l'importance qu'ils attachent à tout ce qui s'y rapporte, le désir qui
+ les consume d'amasser des biens et de s'en assurer la perpétuelle
+ jouissance, croirait-on jamais qu'ils soient persuadés que cette vie
+ doive finir, et finir si tôt? Dans leurs longues prévoyances, ils
+ n'oublient rien que l'éternité: elle seule ne les touche en aucune
+ manière, ou les touche si faiblement qu'à peine y songent-ils de loin
+ en loin et avec ennui, dans les courts intervalles des plaisirs ou des
+ affaires. Profonde pitié! et que l'exemple qu'ils ont reçu du Sauveur
+ est différent! _Il a passé sur la terre comme un homme errant, comme
+ un voyageur qui se détourne pour reposer un peu_[308]. Voilà notre
+ modèle. L'homme qui se met en voyage n'emporte que ce qui lui est
+ nécessaire pour la route; ainsi, dans notre voyage vers le ciel, nous
+ devons n'user des choses ici-bas que pour la simple nécessité, et ne
+ voir dans ce qui est au-delà qu'un fardeau souvent dangereux, et au
+ moins toujours inutile. Que faut-il à celui qui passe? _Le voyageur
+ altéré approche ses lèvres de la fontaine, et étanche sa soif de l'eau
+ la plus proche; il s'assied contre le premier arbre_[309] qu'il
+ rencontre sur le bord du chemin; et puis ayant repris ses forces, il
+ recommence à marcher. Une seule pensée l'occupe, celle d'achever
+ promptement sa course. Ira-t-il attacher son âme aux objets divers qui
+ frappent ses regards à mesure qu'il avance, et se tourmenter de mille
+ soins pour se former un établissement stable dans le pays qu'il
+ traverse, et qu'il ne reverra jamais? Or nous sommes tous ce voyageur.
+ Que m'importe la terre, ô mon Dieu! Que m'importe ce lieu étranger
+ d'où je sortirai dans un moment! Je vais à la maison de mon Père: le
+ reste ne m'est rien. Le travail, la fatigue, qu'est-ce que cela,
+ pourvu que j'arrive au terme où aspirent tous mes voeux? _Mon âme a
+ défailli de désir, mon coeur et ma chair ont tressailli de joie dans
+ l'attente du Dieu vivant. Vos autels, Dieu des vertus, mon Roi et mon
+ Dieu! vos autels!... Heureux ceux qui habitent dans la maison du
+ Seigneur[310]!_
+
+ [308] Jerem., XIV, 15.
+
+ [309] Ecclesiast., XXVI, 15.
+
+ [310] Ps. LXXXIII, 2, 5.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXVII.
+
+Que l'amour de soi est le plus grand obstacle qui empêche l'homme de
+parvenir au souverain bien.
+
+
+1. J.-C. Il faut, mon fils, que vous vous donniez tout entier pour
+posséder tout, et que rien en vous ne soit à vous-même.
+
+Sachez que l'amour de vous-même vous nuit plus qu'aucune chose du monde.
+
+On tient à chaque chose plus ou moins, selon la nature de l'affection et
+de l'amour qu'on a pour elle.
+
+Si votre amour est pur, simple et bien réglé, vous ne serez esclave
+d'aucune chose.
+
+Ne désirez point ce qu'il ne vous est pas permis d'avoir, renoncez à ce
+qui occupe trop votre âme et la prive de sa liberté.
+
+Il est étrange que vous ne vous abandonniez pas à moi du fond du coeur,
+avec tout ce que vous pouvez désirer ou posséder.
+
+2. Pourquoi vous consumer d'une vaine tristesse? Pourquoi vous fatiguer
+de soins superflus?
+
+Demeurez soumis à ma volonté, et rien ne pourra vous nuire.
+
+Si vous cherchez ceci ou cela, si vous voulez être ici ou là, sans autre
+objet que de vous satisfaire, et de vivre plus selon votre gré, vous
+n'aurez jamais de repos, et jamais vous ne serez libre d'inquiétude,
+parce qu'en tout vous trouverez quelque chose qui vous blesse, et
+partout quelqu'un qui vous contrarie.
+
+3. À quoi sert donc de posséder et d'accumuler beaucoup de choses au
+dehors? Ce qui sert, c'est de les mépriser, et de les déraciner de son
+coeur.
+
+Et n'entendez pas ceci uniquement de l'argent et des richesses, mais
+encore de la poursuite des honneurs, et du désir des vaines louanges,
+toutes choses qui passent avec le monde.
+
+Nul lieu n'est un sûr refuge, si l'on manque de l'esprit de ferveur; et
+cette paix qu'on cherche au dehors ne durera guère, si le coeur est
+privé de son véritable appui, c'est-à-dire si vous ne vous appuyez pas
+sur moi. Vous changerez, et ne serez pas mieux.
+
+Car, entraîné par l'occasion qui naîtra, vous trouverez ce que vous
+aurez fui, et pis encore.
+
+
+PRIÈRE
+
+POUR OBTENIR LA PURETÉ DU COEUR ET LA SAGESSE CÉLESTE.
+
+4. LE F. Soutenez-moi, Seigneur, par la grâce de l'Esprit-Saint.
+
+Fortifiez-moi intérieurement de votre vertu, afin que je bannisse de mon
+coeur toutes les sollicitudes vaines qui le tourmentent, et que je ne
+sois emporté par le désir d'aucune chose ou précieuse ou méprisable;
+mais plutôt qu'appréciant toutes choses ce qu'elles sont, je voie
+qu'elles passent, et que je passerai aussi avec elles.
+
+_Car il n'y a rien de stable sous le soleil; et tout est vanité et
+affliction d'esprit_[311]. Oh! qu'il est sage, celui qui juge ainsi!
+
+ [311] Eccl., I, 17.
+
+5. Donnez-moi, Seigneur, la sagesse céleste, afin que j'apprenne à vous
+chercher et à vous trouver, à vous goûter et à vous aimer par-dessus
+tout, et à ne compter tout le reste que pour ce qu'il est, selon l'ordre
+de votre sagesse.
+
+Donnez-moi la prudence pour m'éloigner de ceux qui me flattent, et la
+patience pour supporter ceux qui s'élèvent contre moi.
+
+Car c'est une grande sagesse de ne se point laisser agiter à tout vent
+de paroles, et de ne point prêter l'oreille aux perfides discours des
+flatteurs. C'est ainsi qu'on avance sûrement dans la voie où l'on est
+entré.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Si peu que l'homme se recherche lui-même, il s'éloigne de Dieu: mais à
+ l'instant le trouble naît en lui; car ou il n'atteint pas l'objet de
+ ses désirs, ou il s'en dégoûte aussitôt, toujours tourmenté, soit par
+ ses convoitises, soit par le remords et l'ennui. Il a voulu être
+ riche, puissant, posséder des titres, des honneurs, toutes choses qui
+ ne s'obtiennent guère que par de durs travaux, et qui rarement se
+ rencontrent avec une conscience pure: n'importe, le voilà élevé au
+ faîte des prospérités humaines, rien ne lui manque de ce qu'il
+ enviait; demandez-lui s'il est satisfait: il ne sortira que des
+ plaintes, des cris d'angoisse et de douleur, de la bouche de cet
+ heureux du monde. _Et maintenant_, selon la forte expression de
+ l'Apôtre, _et maintenant, ô riches, pleurez et poussez des hurlements
+ dans les misères qui fondront sur vous. Vous avez vécu sur la terre
+ dans les délices et les voluptés, vous vous êtes engraissés pour le
+ jour du sacrifice_[312]. Ainsi d'un côté, les biens d'ici-bas, ces
+ biens convoités si ardemment, fatiguent l'âme sans la rassasier; et de
+ l'autre, à moins d'une grâce peu commune, comme Jésus-Christ lui-même
+ nous l'apprend[313], ils la précipitent dans la perte. Au contraire,
+ celui qui s'est renoncé complétement, celui pour qui Dieu seul est
+ tout, jouit d'une paix inaltérable. La souffrance même lui est douce,
+ parce qu'elle accroît son espérance, purifie son amour, et que
+ l'affliction d'un moment enfantera une joie éternelle. _Persévérez
+ donc dans la patience jusqu'à l'avénement du Seigneur. Dans l'espoir
+ de recueillir le fruit précieux de la terre, le laboureur attend
+ patiemment les pluies de la première et de l'arrière-saison. Et vous
+ aussi soyez donc patients, car l'avénement du Seigneur approche_[314].
+
+ [312] Jacob., V, 1, 5.
+
+ [313] Matth., XIX, 23, 24.
+
+ [314] Jacob., V, 7, 8.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXVIII.
+
+Qu'il faut mépriser les jugements humains.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, ne vous offensez point si quelques-uns pensent mal de
+vous, et en disent des choses qu'il vous soit pénible d'entendre.
+
+Vous devez penser encore plus mal de vous-même, et croire que personne
+n'est plus imparfait que vous.
+
+Si vous êtes retiré en vous-même, que vous importeront des paroles qui
+se dissipent en l'air?
+
+Ce n'est pas une prudence médiocre que de savoir se taire au temps
+mauvais, et de se tourner vers moi intérieurement, sans se troubler des
+jugements humains.
+
+2. Que votre paix ne dépende point des discours des hommes; car, qu'ils
+jugent de vous bien ou mal, vous n'en demeurez pas moins ce que vous
+êtes. Où est la véritable paix et la gloire véritable? n'est-ce pas en
+moi?
+
+Celui qui ne désire point de plaire aux hommes, et qui ne craint point
+de leur déplaire, jouira d'une grande paix.
+
+De l'amour déréglé et des vaines craintes naissent l'inquiétude du coeur
+et la dissipation des sens.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Quelques-uns s'inquiètent plus des jugements des hommes, que de celui
+ de Dieu. Étrange folie! Quand nous paraîtrons au tribunal suprême, que
+ nous importera le blâme ou l'estime des créatures? Nous ne serons ni
+ condamnés ni absous sur leurs vaines pensées. C'est la vérité qui nous
+ jugera, et sa sentence sera éternelle. Tel qui, pendant sa vie, fut
+ enivré de louanges, s'en ira expier ses crimes cachés _là où sont les
+ pleurs et les grincements de dents, et le ver qui ne meurt
+ point_[315]. Tel autre qui vécut accablé de mépris et d'outrages,
+ entendra cette parole: _Venez, vous qui êtes le béni de mon Père;
+ possédez le royaume qui vous est préparé dès le commencement du
+ monde_[316]; car les jugements de Dieu ne sont point comme nos
+ jugements, ni sa justice comme notre justice: _Il sonde l'abîme et le
+ coeur de l'homme_[317]. N'ayez donc que lui seul en vue, et soyez
+ indifférent à tout le reste. À quoi sert ce que nous laissons à
+ l'entrée du tombeau? les éloges recherchés souillent la conscience et
+ tuent le mérite du bien qu'on a fait pour les obtenir. _Prenez garde à
+ ne pas faire vos bonnes oeuvres devant les hommes, pour être vu d'eux:
+ autrement vous n'aurez point de récompense de votre Père qui est dans
+ les cieux. Quand donc vous faites l'aumône, ne sonnez point de la
+ trompette devant vous, comme font les hypocrites dans les synagogues
+ et dans les carrefours, afin d'être honorés des hommes. En vérité je
+ vous le dis, ils ont reçu leur récompense. Pour vous, quand vous
+ faites l'aumône, que votre main gauche ne sache pas ce que fait la
+ droite, afin que votre aumône soit dans le secret; et votre Père, qui
+ voit dans le secret, vous la rendra. Et quand vous priez, ne soyez
+ point comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les
+ synagogues et dans les angles des places publiques, afin d'être vus
+ des hommes; en vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense.
+ Pour vous, lorsque vous prierez, entrez dans le lieu de la maison le
+ plus reculé, et après avoir fermé la porte, priez votre Père dans le
+ secret; et votre Père, qui voit dans le secret, vous le rendra_[318].
+
+ [315] Matth., XXV, 30. Marc, IX, 43.
+
+ [316] Matth., XXV. 34.
+
+ [317] Ecclesiast., XLII, 18.
+
+ [318] Matth., VI, 1-6.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXIX.
+
+Comment il faut invoquer et bénir Dieu dans l'affliction.
+
+
+1. LE F. Que votre nom soit béni à jamais, Seigneur, qui avez voulu
+m'éprouver par cette peine et cette tentation.
+
+Puisque je ne saurais l'éviter, qu'ai-je à faire que de me réfugier vers
+vous, pour que vous me secouriez, et qu'elle me devienne utile?
+
+Seigneur, voilà que je suis dans la tribulation, mon coeur malade est
+tourmenté par la passion qui le presse.
+
+_Et maintenant que dirai-je_[319]? Ô Père plein de tendresse! Les
+angoisses m'ont environné: _Délivrez-moi de cette heure_[320].
+
+ [319] Joan., XII, 27.
+
+ [320] _Ibid._
+
+Mais cette heure est venue pour que vous fassiez éclater votre gloire,
+en me délivrant après m'avoir humilié profondément.
+
+Daignez, Seigneur, me secourir: car, pauvre créature que je suis, que
+puis-je faire, et où irai-je sans vous?
+
+Seigneur, donnez-moi la patience encore cette fois. Soutenez-moi, mon
+Dieu, et je ne craindrai point, quelque pesante que soit cette épreuve.
+
+2. Et maintenant que dirai-je encore? Seigneur, _que votre volonté se
+fasse_[321]. J'ai bien mérité de sentir le poids de la tribulation.
+
+ [321] Matth., V, 10.
+
+Il faut donc que je le supporte: faites, mon Dieu, que ce soit avec
+patience, jusqu'à ce que la tempête passe, et que le calme revienne.
+
+Votre main toute-puissante peut éloigner de moi cette tentation, et en
+modérer la violence, afin que je ne succombe pas entièrement, comme vous
+l'avez déjà tant de fois fait pour moi, ô mon Dieu, ma miséricorde!
+
+Et autant ce changement m'est difficile, autant il vous l'est peu:
+_c'est l'oeuvre de la droite du Très-Haut_[322].
+
+ [322] Ps., LXXVI, 10.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Le premier mouvement de l'âme éprouvée par la tentation doit être de
+ s'humilier, de reconnaître son impuissance; et aussitôt de recourir
+ avec une vive foi à celui qui seul est sa force: _Seigneur,
+ sauvez-moi, car je vais périr_[323]: et Dieu se hâtera de venir au
+ secours de cette pauvre âme; il étendra pour la secourir sa main
+ toute-puissante; _il commandera aux vents et à la mer, et il se fera
+ un grand calme_[324]. Ainsi encore, lorsque le coeur est brisé
+ d'affliction, oppressé d'angoisse, que fera-t-il? Il se jettera dans
+ le sein _de Dieu le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, Père de
+ miséricorde et Dieu de toute consolation, qui nous console dans nos
+ épreuves: car de même que les souffrances de Jésus-Christ abondent en
+ nous, ainsi abonde par Jésus-Christ notre consolation_[325]. Alors, si
+ notre âme, comme celle de Jésus, _est triste jusqu'à la mort_[326], si
+ nous disons comme lui: _Mon Père, que ce calice s'éloigne de moi!_
+ comme lui aussi nous ajouterons _Non pas ce que je veux, mais ce que
+ vous voulez[327]!_
+
+ [323] Matth., VIII, 25.
+
+ [324] Matth., VIII, 26.
+
+ [325] II. Cor., I, 3, 4, 5.
+
+ [326] Matth., XXVI, 38.
+
+ [327] _Ibid._, 39.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXX.
+
+Qu'il faut implorer le secours de Dieu, et attendre avec confiance le
+retour de sa grâce.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, _je suis le Seigneur; c'est moi qui fortifie au jour
+de la tribulation_[328].
+
+ [328] Nah., I, 7.
+
+Venez à moi quand vous souffrirez.
+
+Ce qui surtout éloigne de vous les consolations célestes, c'est que vous
+recourez trop tard à la prière.
+
+Car, avant de me prier avec instance, vous cherchez au dehors du
+soulagement et une multitude de consolations.
+
+Mais tout cela vous sert peu, et il vous faut enfin reconnaître que
+_c'est moi seul qui délivre ceux qui espèrent en moi_[329]; et que hors
+de moi il n'est point de secours efficace, point de conseil utile, point
+de remède durable.
+
+ [329] Ps. XVI, 7.
+
+Mais à présent que vous commencez à respirer après la tempête,
+ranimez-vous à la lumière de mes miséricordes: car je suis près de vous,
+dit le Seigneur, pour vous rendre tout ce que vous avez perdu, et
+beaucoup plus encore.
+
+2. _Y a-t-il rien qui me soit difficile_[330]? ou serais-je semblable à
+ceux qui disent et ne font pas?
+
+ [330] Jér., XXXII, 27.
+
+Où est votre foi? Demeurez ferme et persévérez.
+
+Ne vous lassez point, prenez courage; la consolation viendra en son
+temps.
+
+Attendez-moi, attendez: _je viendrai et je vous guérirai_[331].
+
+ [331] Matth., VIII, 7.
+
+Ce qui vous agite est une tentation, et ce qui vous effraie une crainte
+vaine.
+
+Que vous revient-il de ces soucis d'un avenir incertain, sinon tristesse
+sur tristesse? _À chaque jour suffit son mal_[332].
+
+ [332] _Ibid._, VI, 34.
+
+Quoi de plus insensé, de plus vain, que de se réjouir ou de s'affliger
+de choses futures qui n'arriveront peut-être jamais?
+
+3. C'est une suite de la misère humaine d'être le jouet de ces
+imaginations, et la marque d'une âme encore faible de céder si aisément
+aux suggestions de l'ennemi.
+
+Car peu lui importe de nous séduire et de nous tromper par des objets
+réels ou par de fausses images; et de nous vaincre par l'amour des biens
+présents ou par la crainte des maux à venir.
+
+_Que votre coeur donc ne se trouble point et ne craigne point._
+
+_Croyez en moi, et confiez-vous en ma miséricorde_[333].
+
+ [333] Joann., XIV, 1, 27.
+
+Quand vous croyez être loin de moi, souvent c'est alors que je suis le
+plus près de vous.
+
+Lorsque vous croyez tout perdu, ce n'est souvent que l'occasion d'un
+plus grand mérite.
+
+Tout n'est pas perdu, quand le succès ne répond pas à vos désirs.
+
+Vous ne devez pas juger selon le sentiment présent, ni vous abandonner à
+aucune affliction, quelle qu'en soit la cause, et vous y enfoncer, comme
+s'il ne vous restait nulle espérance d'en sortir.
+
+4. Ne pensez pas que je vous aie tout à fait délaissé, lorsque je vous
+afflige pour un temps, ou que je vous retire mes consolations: car c'est
+ainsi qu'on parvient au royaume des cieux.
+
+Et certes il vaut mieux pour vous et pour tous mes serviteurs être
+exercé par des traverses, que de n'éprouver jamais aucune contrariété.
+
+Je connais le secret de votre coeur, et je sais qu'il est utile pour
+votre salut que vous soyez quelquefois dans la sécheresse, de crainte
+qu'une ferveur continue ne vous porte à la présomption, et que, par une
+vaine complaisance en vous-même, vous ne vous imaginiez être ce que vous
+n'êtes pas.
+
+Ce que j'ai donné, je puis l'ôter et le rendre quand il me plaît.
+
+5. Ce que je donne est toujours à moi; ce que je reprends n'est point à
+vous: car c'est de moi que découle tout bien et tout don parfait.
+
+Si je vous envoie quelque peine ou quelque contradiction, n'en murmurez
+pas, et que votre coeur ne se laisse point abattre: car je puis, en un
+moment, vous délivrer de ce fardeau, et changer votre tristesse en joie.
+
+Et lorsque j'en use ainsi avec vous, je suis juste et digne de toute
+louange.
+
+Si vous jugez selon la sagesse et la vérité, vous ne devez jamais vous
+affliger avec tant d'excès dans l'adversité, mais plutôt vous en réjouir
+et m'en rendre grâces.
+
+Et même ce doit être votre unique joie _que je vous frappe sans vous
+épargner_[334].
+
+ [334] Job., VI, 10.
+
+_Comme mon Père m'a aimé, et moi aussi je vous aime_[335], ai-je dit à
+mes disciples en les envoyant, non pour goûter les joies du monde, mais
+pour soutenir de grands combats; non pour posséder les honneurs, mais
+pour souffrir les mépris; non pour vivre dans l'oisiveté, mais dans le
+travail; non pour se reposer, mais _pour porter beaucoup de fruits par
+la patience_[336]. Souvenez-vous, mon fils, de ces paroles.
+
+ [335] Joann., XV, 9.
+
+ [336] Luc., XVIII, 15. Joann., XV, 16.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Bien que les hommes sachent que la vie présente n'est qu'un état de
+ passage, néanmoins il y a en eux un penchant extraordinaire à se
+ concentrer dans cette vie si courte, et à ne juger des choses que par
+ leur rapport avec elle. Ils veulent invinciblement être heureux; mais
+ ils veulent l'être dès ici-bas; ils cherchent sur la terre un bonheur
+ qui n'y est point, qui n'y peut pas être, et en cela ils se trompent
+ misérablement. Les uns le placent dans les plaisirs et les biens du
+ monde, et après s'être fatigués à leur poursuite, _ils voient que tout
+ est vanité et affliction d'esprit_[337], _et que l'homme n'a rien de
+ plus de tous les travaux dont il se consume sous le soleil_[338]. Les
+ autres, convaincus du néant de ces liens, se tournent vers Dieu; mais
+ ils veulent aussi que le désir de félicité qui les tourmente soit
+ satisfait dès à présent, toujours prêts à s'inquiéter et à se
+ plaindre, quand Dieu leur retire les grâces sensibles, ou qu'il les
+ éprouve par les souffrances et la tentation. Ils ne comprennent pas
+ que la nature humaine est malade, et incapable en cet état de tout
+ bonheur réel; que les épreuves dont ils se plaignent sont les remèdes
+ nécessaires que le céleste médecin des âmes emploie, dans sa bonté,
+ pour les guérir, et que toute notre espérance sur la terre, toute
+ notre paix consiste à nous abandonner entièrement à lui avec une
+ confiance pleine d'amour. Et voilà pourquoi le roi-prophète revient si
+ souvent a cette prière: _Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je
+ suis malade_; _guérissez-moi, car le mal a pénétré jusqu'à mes
+ os_[339]; _guérissez mon âme_[340], vous qui guérissez toutes nos
+ infirmités[341]. Donc, pendant cette vie, la résignation, la patience,
+ une tranquille soumission de la volonté, au milieu des ténèbres de
+ l'esprit et de l'amertume du coeur: et après, et bientôt, dans la
+ véritable vie, le repos imperturbable, la joie immortelle, et la
+ félicité de Dieu même, qu'il vous sera donné _de voir tel qu'il est
+ face à face_[342].
+
+ [337] Eccles., I, 14.
+
+ [338] _Ibid._, 3.
+
+ [339] Ps. VI, 3.
+
+ [340] Ps. XL, 5.
+
+ [341] Ps. CII, 3.
+
+ [342] I. Cor., XIII, 12.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXI.
+
+Qu'il faut oublier toutes les créatures pour trouver le Créateur.
+
+
+1. LE F. Seigneur, j'ai besoin d'une grâce plus grande, s'il me faut
+parvenir à cet état où nulle créature ne sera un lien pour moi.
+
+Car, tant que quelque chose m'arrête, je ne puis voler librement vers
+vous,
+
+Il aspirait à cette liberté, celui qui disait: _Qui me donnera des ailes
+comme à la colombe? et je volerai, et je me reposerai_[343].
+
+ [343] Ps. LIV, 7.
+
+Quel repos plus profond que le repos de l'homme qui n'a que vous en vue?
+et quoi de plus libre que celui qui ne désire rien sur la terre?
+
+Il faut donc s'élever au-dessus de toutes les créatures, se détacher
+parfaitement de soi-même, sortir de son esprit, monter plus haut, et là,
+reconnaître que c'est vous qui avez tout fait, et que rien n'est
+semblable à vous.
+
+Tandis qu'on tient encore à quelque créature, on ne saurait s'occuper
+librement des choses de Dieu.
+
+Et c'est pourquoi l'on trouve peu de contemplatifs, parce que peu savent
+se séparer entièrement des créatures et des choses périssables.
+
+2. Il faut pour cela une grâce puissante qui soulève l'âme et la ravisse
+au-dessus d'elle-même.
+
+Et tant que l'homme n'est pas élevé ainsi en esprit, détaché de toute
+créature, et parfaitement uni à Dieu, tout ce qu'il sait et tout ce
+qu'il a, est de bien peu de prix.
+
+Il sera longtemps faible et incliné vers la terre, celui qui estime
+quelque chose hors de l'unique, de l'immense, de l'éternel bien.
+
+Tout ce qui n'est pas Dieu n'est rien, et ne doit être compté pour rien.
+
+Il y a une grande différence entre la sagesse d'un homme que la piété
+éclaire, et la science qu'un docteur acquiert par l'étude.
+
+La science qui vient d'en haut et que Dieu lui-même répand dans l'âme,
+est bien supérieure à celle où l'homme parvient laborieusement par les
+efforts de son esprit.
+
+3. Plusieurs désirent s'élever à la contemplation; mais ce qu'il faut
+pour cela, ils ne le veulent point faire.
+
+Le grand obstacle est qu'on s'arrête à ce qu'il y a d'extérieur et de
+sensible, et que l'on s'occupe peu de se mortifier véritablement.
+
+Je ne sais ce que c'est, ni quel esprit nous conduit, ni ce que nous
+prétendons, nous qu'on regarde comme des hommes tout spirituels, de
+poursuivre avec tant de travail et de souci des choses viles et
+passagères, lorsque si rarement nous nous recueillons pour penser, sans
+aucune distraction, à notre état intérieur.
+
+4. Hélas! à peine sommes-nous rentrés en nous-mêmes, que nous nous
+hâtons d'en sortir, sans jamais sérieusement examiner nos oeuvres.
+
+Nous ne considérons point jusqu'où descendent nos affections, et nous ne
+gémissons point de ce que tout en nous est impur.
+
+_Toute chair avait corrompu sa voie_[344]; et c'est pourquoi le déluge
+suivit.
+
+ [344] Gen., VI, 12.
+
+Quand donc nos affections intérieures sont corrompues, elles corrompent
+nécessairement nos actions, et dévoilent ainsi toute la faiblesse de
+notre âme.
+
+Les fruits d'une bonne vie ne croissent que dans un coeur pur.
+
+5. On demande d'un homme, qu'a-t-il fait? Mais s'il l'a fait par vertu,
+c'est à quoi l'on regarde bien moins.
+
+On veut savoir s'il a du courage, des richesses, de la beauté, de la
+science, s'il écrit ou s'il chante bien, s'il est habile dans sa
+profession; mais on ne s'informe guère s'il est humble, doux, patient,
+pieux, intérieur;
+
+La nature ne considère que le dehors de l'homme; la grâce pénètre au
+dedans.
+
+Celle-là se trompe souvent; celle-ci espère en Dieu pour n'être pas
+trompée.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Jusqu'à ce que _notre vie soit_, comme parle l'Apôtre, _cachée en Dieu
+ avec Jésus-Christ_[345], nous ne lui appartenons qu'imparfaitement,
+ nous ne sommes pas _un_ avec le Fils et avec le Père[346], nous ne
+ sommes pas consommés dans l'unité[347]; il y a quelque chose entre
+ nous et Dieu: et c'est que nous tenons encore à nous-mêmes et aux
+ créatures: notre amour est divisé; tantôt il s'élance vers le ciel, et
+ tantôt il rampe sur la terre. Pour vivre de la vie cachée avec
+ Jésus-Christ en Dieu, il faut rompre les derniers liens qui nous
+ attachent au monde. Alors séparée de tout ce qui passe, enveloppée,
+ pour ainsi dire, de l'être divin, plongée dans sa lumière, l'âme ne
+ voit que lui, ne se sent qu'en lui, ne vit que de sa vérité et de son
+ amour, qu'il lui communique par des voies inexpliquables et
+ merveilleuses. Unie intimement au Fils, et par le Fils au Père,
+ Jésus-Christ, son modèle et son époux, la rend de plus en plus
+ conforme à lui-même. Ce qu'il a éprouvé, il veut qu'elle l'éprouve
+ aussi, qu'elle le reproduise, en quelque sorte, dans ses divers états,
+ avec le même esprit d obéissance parfaite qui le dirigeait dans
+ l'accomplissement de sa divine mission. Quelquefois il la conduit sur
+ le Thabor, comme pour lui montrer les biens promis à sa fidélité; plus
+ souvent il la guide au Jardin des Oliviers, au prétoire, sur le
+ Golgotha, où doit se consommer le sacrifice: et soit qu'il l'éclaire
+ et la console, soit qu'il paraisse la délaisser, tout coopère à sa
+ perfection, parce qu'elle aime, et que jamais elle ne se lasse
+ d'aimer, dans l'amertume comme dans la joie, _le Dieu qui l'appelle à
+ la sainteté_[348]. Elle se repose, pleine de calme, dans la volonté de
+ ce grand Dieu. Mais l'âme qui ne s'est pas encore complétement dégagée
+ des choses de la terre est toujours agitée, inquiète; elle marche dans
+ l'obscurité, et mille soins la tourmentent. Hâtons-nous donc de briser
+ nos chaînes, ne cherchons que Jésus, ne désirons que lui: _à qui
+ irions-nous? Il a les paroles de la vie éternelle_[349]. Quittons tout
+ pour le suivre, et _laissons les morts ensevelir leurs morts_[350].
+
+ [345] Coloss., III, 3.
+
+ [346] Joann., XVII, 21.
+
+ [347] _Ibid._, 23.
+
+ [348] Rom., VIII, 28.
+
+ [349] Joann., XXXV, 69.
+
+ [350] Luc., IX, 60.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXII.
+
+De l'abnégation de soi-même.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, vous ne pouvez jouir d'une liberté parfaite, si vous
+ne vous renoncez entièrement.
+
+Ils vivent en servitude tous ceux qui s'aiment, et qui veulent être à
+eux-mêmes. On les voit, avides, curieux, inquiets, cherchant toujours ce
+qui flatte leurs sens, et non ce qui me plaît, se repaître d'illusions,
+et former mille projets qui se dissipent.
+
+Car tout ce qui ne vient pas de Dieu périra.
+
+Retenez bien cette courte et profonde parole: _Quittez tout, et vous
+trouverez tout._ Renoncez à vos désirs, et vous goûterez le repos.
+
+Méditez ce précepte; et quand vous l'aurez accompli, vous saurez tout.
+
+2. LE F. Seigneur, ce n'est pas l'oeuvre d'un jour, ni un jeu d'enfants:
+cette courte maxime renferme toute la perfection religieuse.
+
+3. J.-C. Mon fils, vous ne devez point vous rebuter ni perdre courage,
+lorsqu'on vous montre la voie des parfaits; mais plutôt vous efforcer de
+parvenir à cet état sublime, ou au moins y aspirer de tous vos désirs.
+
+Ah! s'il en était ainsi de vous! si vous en étiez venu jusqu'à ne plus
+vous aimer vous-même, soumis à moi sans réserve, et au supérieur que je
+vous ai donné! Alors j'arrêterais sur vous mes regards avec
+complaisance, et tous vos jours passeraient dans la paix et dans la
+joie.
+
+Il vous reste encore bien des choses à quitter; et à moins que vous n'y
+renonciez entièrement pour moi, vous n'obtiendrez point ce que vous
+demandez.
+
+Écoutez mes conseils, et pour acquérir de vraies richesses, _achetez de
+moi de l'or éprouvé par le feu_[351], c'est-à-dire la sagesse céleste,
+qui foule aux pieds toutes les choses d'ici-bas.
+
+ [351] Apoc., III, 18.
+
+Qu'elle vous soit plus chère que la sagesse du siècle et que tout ce qui
+plaît aux hommes, ou nous plaît en nous-mêmes.
+
+4. Je vous le dis, échangez ce qu'il y a de grand et de précieux dans
+les choses humaines, contre une chose vile.
+
+Car on regarde comme petite et vile, et l'on oublie presque entièrement
+cette sagesse du ciel, la seule vraie, qui ne s'élève point en
+elle-même, et qui ne cherche point à être admirée sur la terre.
+Plusieurs ont ses louanges à la bouche, mais ils s'éloignent d'elle par
+leur vie. C'est cependant _cette perle précieuse_[352] qui est cachée au
+plus grand nombre.
+
+ [352] Matth., XIII. 46.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Qu'est-ce que l'homme livré à lui-même, à son esprit dépourvu de
+ règle, à ses désirs, à ses penchants? Esclave des erreurs diverses qui
+ le séduisent tour à tour, esclave de ses convoitises et des objets de
+ ses convoitises, est-il une servitude plus profonde que la sienne? Et
+ voilà, ô mon Dieu, l'état de toute créature qui refuse de se soumettre
+ entièrement à vous. Pour être libre, il faut obéir. La parfaite
+ liberté n'est que l'accomplissement parfait des préceptes et des
+ conseils évangéliques, et tous les préceptes et tous les conseils se
+ réduisent au renoncement de soi-même: car, en renonçant à sa raison
+ propre, on possède, dans sa plénitude et sans aucun mélange, la vérité
+ de Dieu; en renonçant à l'amour de soi corrompu en Adam, l'amour de
+ Dieu et du prochain à cause de Dieu, lequel est le sommaire de la
+ loi[353], demeure seul au fond du coeur; en renonçant à sa volonté,
+ l'on n'agit plus que d'après la volonté de Dieu, qui est l'ordre par
+ excellence. Et l'homme alors est libre comme Dieu même, dont il
+ devient la fidèle image; il est libre, car cette abnégation absolue de
+ lui-même l'affranchit du double esclavage de l'erreur et des passions.
+ _Nous avons été_, dit saint Paul, _délivrés par Jésus-Christ, et
+ appelés par lui à la liberté_[354]; c'est-à-dire, à la connaissance de
+ la loi évangélique, _loi parfaite de liberté_[355], qui, après avoir
+ délivré ceux qui s'y attachent fidèlement _de la servitude de la
+ corruption_, les conduit enfin _à la liberté de la gloire promise aux
+ enfants de Dieu_[356].
+
+ [353] Ibid., XXII, 40.
+
+ [354] Galat., IV, 31; v, 13.
+
+ [355] Jacob., I, 25.
+
+ [356] Rom., VIII, 21.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXIII.
+
+De l'inconstance du coeur, et que nous devons tout rapporter à Dieu
+comme à notre dernière fin.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, ne vous reposez point sur ce que vous sentez en vous:
+maintenant vous êtes affecté d'une certaine manière, vous le serez d'une
+autre le moment d'après.
+
+Tant que vous vivrez, vous serez sujet au changement, même malgré vous:
+tour à tour triste et gai, tranquille et inquiet, fervent et tiède;
+tantôt actif, tantôt paresseux, tantôt grave, tantôt léger.
+
+Mais l'homme sage et instruit dans les voies spirituelles s'élève
+au-dessus de ces vicissitudes. Il ne considère point ce qu'il éprouve en
+soi, ni de quel côté l'incline le vent de l'inconstance; mais il arrête
+toute son attention sur la fin bienheureuse à laquelle il doit tendre.
+
+C'est ainsi qu'au milieu de tant de mouvements divers, fixant sur moi
+seul ses regards, il demeure inébranlable et toujours le même.
+
+Plus l'oeil de l'âme est pur et son intention droite, moins on est agité
+par les tempêtes.
+
+Mais cet oeil s'obscurcit en plusieurs, parce qu'il se tourne vers
+chaque objet agréable qui se présente.
+
+Car il est rare de trouver quelqu'un tout à fait exempt de la honteuse
+recherche de soi-même.
+
+Ainsi autrefois les Juifs vinrent à Béthanie chez Marthe et Marie, _non
+pour Jésus seul, mais pour voir Lazare_[357].
+
+ [357] Joann., XII, 9.
+
+Il faut donc purifier l'intention, afin que, simple et droite, elle se
+dirige constamment vers moi, sans s'arrêter jamais aux objets
+inférieurs.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ L'esprit de l'homme va et vient sans se reposer jamais, et le coeur
+ est emporté par la même inconstance. Or ces changements qui
+ surviennent en nous, quelquefois malgré nous, sont ou des tentations
+ que l'on doit combattre, ou des misères qu'il faut supporter, ou des
+ épreuves auxquelles on doit se soumettre humblement. Et c'est pourquoi
+ il est nécessaire de travailler sans relâche à purifier notre volonté,
+ qui seule dépend de nous; autrement nous tomberons bien vite ou dans
+ le péché, ou dans le trouble, ou dans les deux à la fois. Celui qui
+ veut sincèrement être à Dieu et n'être qu'à lui, ne craint pas les
+ attaques de l'enfer, parce qu'il sait qu'il est invincible en celui
+ qui le fortifie. Il ne s'irrite point contre lui-même, il voit en paix
+ ses infirmités, il _s'en glorifie_ comme l'Apôtre[358], parce qu'elles
+ _perfectionnent la vertu_[359], et ajoutent au prix de la victoire.
+ Que si Dieu l'éprouve, il s'humilie, il se reconnaît indigne de ses
+ consolations, et il embrasse avec amour la croix qui lui est
+ présentée. Tranquille sur cette croix, dans la tristesse, dans la
+ souffrance et l'abandonnement, il n'a que cette parole, et elle lui
+ suffit: _J'ai espéré en vous, Seigneur, et je ne serai point confondu
+ éternellement_[360].
+
+ [358] II. Corinth., XI, 30.
+
+ [359] _Ibid._, XII, 9.
+
+ [360] Ps. LXX, 1.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXIV.
+
+Qu'on ne saurait goûter que Dieu seul, et qu'on le goûte en toutes
+choses, quand on l'aime véritablement.
+
+
+1. LE F. Voilà mon Dieu et mon tout! Que voudrais-je de plus? et quelle
+plus grande félicité puis-je désirer?
+
+Ô ravissante parole! mais pour celui qui aime Jésus, et non pas le
+monde, ni rien de ce qui est du monde.
+
+Mon Dieu et mon tout, c'est assez dire à qui l'entend, et le redire sans
+cesse est doux à celui qui aime.
+
+Vous présent, tout est délectable: en votre absence, tout devient amer.
+
+Vous donnez au coeur le repos, et une profonde paix, et une joie
+inénarrable.
+
+Vous faites que, content de tout, on vous bénit de tout. Au contraire,
+rien sans vous ne peut plaire longtemps, et rien n'a d'attrait ni de
+douceur sans l'impression de votre grâce et l'onction de votre sagesse.
+
+2. Que ne goûtera point celui qui vous goûte? et que trouvera d'agréable
+celui qui ne vous goûte point?
+
+Les sages du monde, qui n'ont de goût que pour les voluptés de la chair,
+s'évanouissent dans leur sagesse: car on ne trouve là qu'un vide
+immense, que la mort.
+
+Mais ceux qui, pour vous suivre, méprisent le monde et mortifient la
+chair, se montrent vraiment sages: car ils quittent le mensonge pour la
+vérité, et la chair pour l'esprit.
+
+Ceux-là savent goûter Dieu; et tout ce qu'ils trouvent de bon dans les
+créatures, ils le rapportent à la louange du Créateur.
+
+Rien pourtant ne se ressemble moins que le goût du Créateur et celui de
+la créature, du temps et de l'éternité, de la lumière incréée et de
+celle qui n'en est qu'un faible reflet.
+
+3. Ô lumière éternelle, infiniment élevée au-dessus de toute lumière
+créée, qu'un de vos rayons, tel que la foudre, parte d'en haut et
+pénètre jusqu'au fond le plus intime de mon coeur!
+
+Purifiez, dilatez, éclairez, vivifiez mon âme et toutes ses puissances,
+pour qu'elle s'unisse à vous dans des transports de joie.
+
+Oh! quand viendra cette heure heureuse, cette heure désirable où vous me
+rassasierez de votre présence, où vous me serez tout en toutes choses!
+
+Jusque là je n'aurai point de joie parfaite.
+
+Hélas! le vieil homme vit encore en moi; il n'est pas tout crucifié, il
+n'est pas mort entièrement.
+
+Ses convoitises combattent encore fortement contre l'esprit; il excite
+en moi des guerres intestines, et ne souffre point que l'âme règne en
+paix.
+
+Mais vous _qui commandez à la mer et qui calmez le mouvement des flots,
+levez-vous, secourez-moi_[361].
+
+ [361] Ps. LXXXVIII, 10; XLIII, 26.
+
+_Dissipez les nations qui veulent la guerre_[362], et brisez-les dans
+votre puissance.
+
+ [362] Ps. LXVII, 32.
+
+_Faites_, je vous conjure, _éclater vos merveilles, et signalez la
+gloire de votre bras_[363]: car je n'ai point d'autre espérance ni
+d'autre refuge que vous, ô mon Dieu!
+
+ [363] Judith, IX, 11; Eccl., XXXVI, 7.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Il est étrange que, connaissant Dieu, toute notre âme ne soit pas
+ absorbée dans son amour; qu'elle s'arrête encore aux créatures, au
+ lieu de se plonger et de se perdre dans la source de tout bien.
+ Qu'est-ce que le bonheur, sinon l'amour? et qu'est-ce que le bonheur
+ infini, sinon un amour sans bornes? Il faut donc à notre coeur un
+ objet infini, il faut Dieu: rien de créé ne saurait le satisfaire
+ jamais. Que me veut le monde? Qu'ai-je besoin de lui? Que peut-il me
+ donner? Mon coeur est plus grand que tous ses biens, et _Dieu seul est
+ plus grand que mon coeur_[364]. Dieu seul donc, Dieu seul, maintenant
+ et toujours: éternellement Dieu seul!
+
+ [364] Joann., III, 20.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXV.
+
+Qu'on est toujours, durant cette vie, exposé à la tentation.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, vous n'aurez jamais de sécurité dans cette vie; mais,
+tant que vous vivrez, les armes spirituelles vous seront toujours
+nécessaires.
+
+Vous êtes environné d'ennemis; ils vous attaquent à droite et à gauche.
+
+Si vous ne vous couvrez donc de tous côtés du bouclier de la patience,
+vous ne serez pas longtemps sans blessure.
+
+Si, de plus, votre coeur ne se fixe pas irrévocablement en moi, avec la
+ferme volonté de tout souffrir pour mon amour, vous ne soutiendrez
+jamais la violence de ce combat et vous n'obtiendrez point la palme des
+bienheureux.
+
+Il faut donc passer courageusement à travers tous les obstacles, et
+lever un bras puissant contre tout ce qui s'oppose à vous.
+
+Car _la manne est donnée aux victorieux_[365], et une grande misère est
+le partage du lâche.
+
+ [365] Apoc., II, 17.
+
+2. Si vous cherchez le repos en cette vie, comment parviendrez-vous au
+repos éternel!
+
+Ne vous préparez pas à beaucoup de repos, mais à beaucoup de patience.
+
+Cherchez la véritable paix, non sur la terre, mais dans le ciel; non
+dans les hommes ni dans aucune créature, mais en Dieu seul.
+
+Vous devez supporter tout avec joie pour l'amour de Dieu, les travaux,
+les douleurs, les tentations, les persécutions, les angoisses, les
+besoins, les infirmités, les injures, les médisances, les reproches, les
+humiliations, les affronts, les corrections, les mépris.
+
+C'est là ce qui exerce à la vertu, ce qui éprouve le nouveau soldat de
+Jésus-Christ, ce qui forme la couronne céleste.
+
+Pour un court travail je donnerai une récompense éternelle, et une
+gloire infinie pour une humiliation passagère.
+
+3. Pensez-vous que vous aurez toujours, selon votre désir, les
+consolations spirituelles?
+
+Mes Saints n'en ont pas joui constamment; mais ils ont eu beaucoup de
+peines, des tentations diverses, de grandes désolations.
+
+Et se confiant plus en Dieu qu'en eux-mêmes, ils se sont soutenus par la
+patience au milieu de toutes ces épreuves, sachant que _les souffrances
+du temps n'ont nulle proportion avec la gloire future qui doit en être
+le prix_[366].
+
+ [366] Rom., VIII, 18.
+
+Voulez-vous avoir, dès le premier moment, ce que tant d'autres ont à
+peine obtenu après beaucoup de larmes et d'immenses travaux!
+
+_Attendez le Seigneur, combattez avec courage_[367], soyez ferme, ne
+craignez point, ne reculez point, mais exposez généreusement votre vie
+pour la gloire de Dieu.
+
+ [367] Ps. XXVI, 14.
+
+_Je vous récompenserai pleinement, et je serai avec vous dans toutes vos
+tribulations_[368].
+
+ [368] Ps. XC, 15.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Gardez-vous d'attendre ici-bas un repos qui n'y est point; on ne peut
+ gagner le Ciel qu'avec beaucoup de travail, et pendant que vous serez
+ sur la terre, vous aurez toujours à combattre. Ne vous lassez donc
+ point; _renouvelez en vous l'esprit intérieur_[369]; recourez à Dieu
+ qui seul vous soutient; humiliez-vous en sa présence; _veillez et
+ priez, afin que vous n'entriez point en tentation_[370], je vous le
+ répète, _veillez et priez continuellement_[371]; demeurez ferme dans
+ la foi, _agissez avec courage et soyez forts_[372]. Il y en a qui,
+ après avoir lutté généreusement, fléchissent tout à coup, tombent dans
+ l'abattement, et abandonnent lâchement la victoire: et c'est qu'ayant
+ compté sur eux-mêmes, Dieu les délaisse en punition de leur orgueil.
+ Il ne suffit pas de résister un jour, deux jours; il faut combattre
+ sans relâche jusqu'au bout. _Qui persévèrera jusqu'à la fin, celui-là
+ sera sauvé_[373]. Et ne dites point: Cette guerre est bien longue!
+ Rien n'est long de ce qui finit: vous touchez au terme; car le _temps
+ est court, et la figure de ce monde passe_[374]. _Encore un moment_,
+ dit le Sauveur, _et le monde ne me verra plus; mais vous me verrez
+ parce que je vis, et que vous vivez_ en moi[375]. _Et l'esprit et
+ l'époux disent: Venez. Et que celui qui entend dise: Venez. Voilà que
+ je viens._ Ainsi soit-il! _Venez, Seigneur Jésus_[376].
+
+ [369] Ephes., IV, 23.
+
+ [370] Matth., XIV, 38.
+
+ [371] Luc., XXI. 36.
+
+ [372] I. Cor., XVI, 13.
+
+ [373] Matth., XXIV, 13.
+
+ [374] I. Cor., VII, 29-31.
+
+ [375] Joan., XIV, 19.
+
+ [376] Apoc., XXII. 17, 20.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXVI.
+
+Contre les vains jugements des hommes.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, ne cherchez qu'en Dieu le repos de votre coeur, et ne
+craignez point les jugements des hommes, quand votre conscience vous
+rend témoignage de votre innocence et de votre piété.
+
+Il est bon, il est heureux de souffrir ainsi; et ce ne sera point une
+chose pénible pour le coeur humble qui se confie en Dieu plus qu'en
+lui-même.
+
+On parle tant, qu'on doit ajouter peu de foi à ce qui se dit.
+
+Comment, d'ailleurs, contenter tout le monde? cela ne se peut.
+
+Bien que Paul s'efforçât de plaire à tous dans le Seigneur, et qu'il _se
+fît tout à tous_[377], _il ne laissait pas d'être fort indifférent aux
+jugements des hommes_[378].
+
+ [377] I. Cor., IX. 22.
+
+ [378] _Ibid._, IV, 3.
+
+2. Il a fait tout ce qui était en lui pour l'édification et le salut des
+autres; mais il n'a pas pu empêcher qu'ils ne l'aient quelquefois
+condamné ou méprisé.
+
+C'est pourquoi il a remis tout à Dieu, qui connaît tout; et il n'a
+opposé que l'humilité et la patience aux reproches injustes, aux faux
+soupçons et aux mensonges de ceux qui se livraient, dans leurs discours,
+à tout ce que leur suggérait la passion.
+
+Il s'est cependant justifié quelquefois, de peur que son silence ne
+causât du scandale aux faibles.
+
+3. _Qu'avez-vous à craindre d'un homme mortel_[379]? Il est aujourd'hui,
+et demain il aura disparu.
+
+ [379] Is., LI. 12.
+
+Craignez Dieu, et vous ne redouterez rien des hommes.
+
+Que peut contre vous un homme par des paroles ou des outrages? Il se
+nuit plus qu'à vous, et, quel qu'il soit, il n'évitera pas le jugement
+de Dieu.
+
+Ayez Dieu toujours présent, et laissez là les contestations et les
+plaintes.
+
+Que si vous paraissez succomber maintenant, et souffrir une confusion
+que vous ne méritez pas, n'en murmurez point, et ne diminuez pas votre
+couronne par votre impatience.
+
+Levez plutôt vos regards au ciel, vers moi, qui suis assez puissant pour
+vous délivrer de l'opprobre et de l'injure, et _pour rendre à chacun
+selon ses oeuvres_[380].
+
+ [380] Rom., II, 6.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Pourquoi vous inquiéter des jugements des hommes, et que vous font
+ leurs vaines pensées? Ils ne voient tout au plus que les dehors: leur
+ oeil ne pénètre point au fond de l'âme, là où sont cachés le bien et
+ le mal. Ne vous affligez donc point s'ils vous condamnent, et ne vous
+ élevez point s'ils vous louent. Mais prosternez-vous devant Dieu, et
+ dites-lui: _Si vous scrutez, Seigneur, nos iniquités, qui soutiendra
+ votre regard_[381]? Quelques-uns s'exagèrent l'importance de ce qu'ils
+ appellent leur réputation, et dans l'excessive chaleur avec laquelle
+ ils la défendent, il y a souvent plus d'amour-propre que de zèle
+ véritable. Jésus-Christ chargé d'outrages nous a donné un autre
+ exemple: _il s'est tu et n'a point ouvert la bouche_[382]. Tous les
+ saints ont été comme lui persécutés et calomniés. Quand on a fait ce
+ qui dépendait de soi pour ne pas scandaliser ses frères, la conscience
+ doit être tranquille: il ne reste plus qu'à demeurer en paix dans
+ l'humiliation. Dieu sait tout, et cela suffit. _J'estime_, écrivait
+ saint Paul aux Corinthiens, _j'estime que ce m'est peu de chose d'être
+ jugé par vous, ou par aucun tribunal humain; je ne me juge pas
+ moi-même; celui qui me juge, c'est le Seigneur. Ne jugez donc point
+ avant le temps, jusqu'à ce que le Seigneur vienne: il éclairera ce qui
+ est caché dans les ténèbres, il manifestera les conseils des coeurs,
+ et alors chacun recevra de Dieu la louange qu'il mérite_[383].
+
+ [381] Ps. CXXIX, 3.
+
+ [382] Ps. XXXVIII, 10.
+
+ [383] Cor., IV, 3-5.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXVII.
+
+Qu'il faut renoncer entièrement à soi-même pour obtenir la liberté du
+coeur.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, quittez-vous, et vous me trouverez.
+
+N'ayez rien à vous, pas même votre volonté, vous y gagnerez constamment.
+
+Car vous recevrez une grâce plus abondante dès que vous aurez renoncé à
+vous-même sans retour.
+
+2. LE F. Seigneur, en quoi dois-je me renoncer, et combien de fois?
+
+3. J.-C. Toujours et à toute heure, dans les plus petites choses comme
+dans les plus grandes. Je n'excepte rien, et j'exige de vous un
+dépouillement sans réserve.
+
+Comment pourrez-vous être à moi, et comment pourrai-je être à vous, si
+vous n'êtes libre au dedans et au dehors de toute volonté propre?
+
+Plus vous vous hâterez d'accomplir ce renoncement, plus vous aurez de
+paix; et plus il sera parfait et sincère, plus vous me serez agréable,
+et plus vous obtiendrez de moi.
+
+4. Il y en a qui renoncent à eux-mêmes, mais avec quelque réserve; et
+parce qu'ils n'ont pas en Dieu une pleine confiance, ils veulent encore
+s'occuper de ce qui les touche.
+
+Quelques-uns offrent tout d'abord, mais la tentation survenant, ils
+reprennent ce qu'ils avaient donné, et c'est pourquoi ils ne font
+presque aucun progrès dans la vertu.
+
+Ni les uns ni les autres ne parviendront jamais à la vraie liberté d'un
+coeur pur, jamais ils ne seront admis à ma douce familiarité, qu'après
+un entier abandon et un continuel sacrifice d'eux-mêmes, sans lequel on
+ne peut ni jouir de moi ni s'unir à moi.
+
+5. Je vous l'ai dit bien des fois, et je vous le redis encore:
+Quittez-vous, renoncez à vous, et vous jouirez d'une grande paix
+intérieure.
+
+Donnez tout pour trouver tout, ne recherchez, ne redemandez rien:
+demeurez fermement attaché à moi seul, et vous me posséderez.
+
+Votre coeur sera libre, et dégagé des ténèbres qui l'obscurcissent.
+
+Que vos efforts, vos prières, vos désirs n'aient qu'un seul objet:
+d'être dépouillé de tout intérêt propre, de suivre nu Jésus-Christ, de
+mourir à vous-même, afin de vivre pour moi éternellement.
+
+Alors s'évanouiront toutes les pensées vaines, les pénibles inquiétudes,
+les soins superflus.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Vous l'avez dit, ô mon Jésus: _Si quelqu'un veut venir après moi,
+ qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa croix, et qu'il me
+ suive_[384]; et encore: _Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il
+ possède, ne peut être mon disciple_[385]. Il n'y a donc point à
+ hésiter; il faut choisir entre le monde et vous: _on ne saurait servir
+ deux maîtres_[386], et vous ne voulez point de partage. Se rechercher,
+ c'est s'éloigner de vous. Là où il reste encore quelque attache aux
+ choses de la terre, quelque volonté propre, quelque secrète
+ complaisance dans les dons soit de la nature, soit de la grâce, vous
+ ne régnez pas pleinement, Seigneur, et votre amour est en souffrance.
+ Hélas! comment peut-on, après avoir goûté la joie de votre union,
+ refuser de s'unir plus intimement à vous? Ô faiblesse et folie
+ incompréhensible du coeur humain! Est-il donc, ô mon Dieu, si
+ difficile de reconnaître le néant de tout ce qui n'est pas vous,
+ l'inconstance de notre volonté, l'incertitude de nos projets, la
+ vanité de nos désirs, et délaisser là je ne sais quels biens stériles
+ et misérables, une heure avant que la mort nous en dépouille sans
+ retour? Quelles seront nos pensées à ce moment où toutes les illusions
+ s'évanouissent? Que nous feront les choses du temps, lorsque le temps
+ finira pour nous? C'en est fait, Seigneur, je suis résolu à consommer
+ le sacrifice que vous exigez de ceux qui veulent vous appartenir.
+ Qu'on ne me parle plus du monde ni de moi-même: j'ai rompu mes
+ derniers liens; je suis mort, je ne vis désormais que de la vie de
+ Jésus-Christ en moi: ce corps est comme le suaire qui m'enveloppe; me
+ voilà étendu dans le tombeau, _enseveli avec Jésus-Christ en
+ Dieu_[387]. Amen, qu'il soit ainsi!
+
+ [384] Matth., XVI, 24.
+
+ [385] Luc., XIV, 33.
+
+ [386] Matth., VI, 24.
+
+ [387] Rom., VI, 4.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXIII.
+
+Comment il faut se conduire dans les choses extérieures, et recourir à
+Dieu dans les périls.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, en tous lieux, dans tout ce que vous faites, en tout
+ce qui vous occupe au dehors, vous devez vous efforcer de demeurer libre
+intérieurement, et maître de vous-même, de sorte que tout vous soit
+assujetti, et que vous ne le soyez à rien.
+
+Ayez sur vos actions un empire absolu; soyez-en le maître, et non pas
+l'esclave.
+
+Tel qu'un vrai Israélite, affranchi de toute servitude, entrez dans le
+partage et dans la liberté des enfants de Dieu, qui, élevés au-dessus
+des choses présentes, contemplent celles de l'éternité; qui donnent à
+peine un regard à ce qui passe, et ne détachent jamais leurs yeux de ce
+qui durera toujours; qui, supérieurs aux biens du temps, ne cèdent point
+à leur attrait, mais plutôt les forcent de servir au bien, selon l'ordre
+établi par Dieu, le régulateur suprême, qui n'a rien laissé de
+désordonné dans ses oeuvres.
+
+2. Si, dans tous les événements, vous ne vous arrêtez point aux
+apparences, et n'en croyez point les yeux de la chair sur ce que vous
+voyez et entendez; si vous entrez d'abord, comme Moïse, dans le
+tabernacle pour consulter le Seigneur, vous recevrez quelquefois sa
+divine réponse, et vous reviendrez instruit de beaucoup de choses sur le
+présent et l'avenir.
+
+Car c'était toujours dans le tabernacle que Moïse allait chercher
+l'éclaircissement de ses difficultés et de ses doutes; et la prière
+était son unique recours contre la malice et les piéges des hommes.
+
+Ainsi, vous devez vous réfugier dans le secret de votre coeur, pour
+implorer le secours de Dieu avec plus d'instance.
+
+Nous lisons que Josué et les enfants d'Israël furent trompés par les
+Gabaonites, _parce qu'ils n'avaient point auparavant consulté le
+Seigneur_[388], et que, trop crédules à leurs flatteuses paroles, ils se
+laissèrent séduire par une fausse pitié.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ La plupart des hommes, dominés par les premières impressions, agissent
+ sans consulter Dieu, et passent leur vie à se repentir le soir de ce
+ qu'ils ont fait le matin. On doit travailler continuellement à vaincre
+ une faiblesse si déplorable, en s'efforçant de résister aux mouvements
+ soudains qui s'élèvent en nous. Celui qui n'est pas maître de soi
+ court un grand péril; il est à chaque instant près de tomber. Il faut
+ s'exercer à vouloir, à dompter l'imagination qui emporte l'âme, à
+ soumettre le coeur et ses désirs à une règle inflexible. Mais que
+ ferons-nous, pauvres infirmes, si nous ne sommes aidés, secourus? De
+ nous-mêmes nous ne pouvons rien. _Le Seigneur est notre seule
+ force_[389]: implorons-le donc avec confiance, implorons-le sans
+ cesse: _la prière de l'humble pénètre le Ciel_[390]. _Levons les yeux
+ sur la montagne d'où nous viendra le secours_[391]. _Seigneur, Dieu de
+ mon salut, j'ai crié devant vous le jour et la nuit_[392]: _ce pauvre
+ a crié, et le Seigneur l'a exaucé, et il l'a sauvé de toutes ses
+ tribulations_[393]. _Béni soit le Seigneur parce qu'il a entendu la
+ voix de ma prière! le Seigneur est mon aide et mon protecteur; mon
+ coeur a espéré en lui, et il m'a secouru, et ma chair a refleuri, et
+ du fond de ma volonté je le louerai_[394]. _Tous mes os diront:
+ Seigneur, qui est semblable à vous_[395]?
+
+ [388] Josué, IX, 14.
+
+ [389] Ps. XVII, 2.
+
+ [390] Eccl., XXXV, 21.
+
+ [391] Ps. CXX, 1.
+
+ [392] Ps. LXXX, 7, 2.
+
+ [393] Ps. XXXIII, 7.
+
+ [394] Ps. XXVII, 6-7.
+
+ [395] Ps. XXXIV, 10.
+
+
+
+
+CHAPITRE XXXIX.
+
+Qu'il faut éviter l'empressement dans les affaires.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, remettez-moi toujours vos intérêts; j'en disposerai
+selon ce qui sera le mieux, au temps convenable.
+
+Attendez ce que j'ordonnerai, et vous y trouverez un grand avantage.
+
+2. LE F. Seigneur, je vous remets tout avec beaucoup de joie: car
+j'avance bien peu quand je n'ai que mes propres lumières.
+
+Oh! que ne puis-je, oubliant l'avenir, m'abandonner, dès ce moment, sans
+réserve à votre volonté souveraine!
+
+3. J.-C. Mon fils, souvent l'homme poursuit avec ardeur une chose qu'il
+désire; l'a-t-il obtenue, il commence à s'en dégoûter, parce qu'il n'y a
+rien de durable dans ses affections, et qu'elles l'entraînent
+incessamment d'un objet à un autre.
+
+Ce n'est donc pas peu de se renoncer soi-même dans les plus petites
+choses.
+
+4. Le vrai progrès de l'homme est l'abnégation de soi-même; et l'homme
+qui ne tient plus à soi est libre et en assurance.
+
+Cependant l'ancien ennemi, qui s'oppose à tout bien, ne cesse pas de le
+tenter; il lui dresse nuit et jour des embûches, et s'efforce de le
+surprendre pour le faire tomber dans ses piéges.
+
+_Veillez et priez_, dit le Seigneur, _afin que vous n'entriez point en
+tentation_[396].
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Il y a dans les affaires un danger terrible pour l'âme, lorsqu'elle ne
+ veille pas sur elle-même attentivement. Nous ne parlons point des
+ tentations de l'intérêt, si vives pourtant, si multipliées, et qui
+ finissent ordinairement par affaiblir au moins la conscience. Alors
+ même qu'elles ne produisent pas ce triste effet, elles dessèchent le
+ coeur, préoccupent l'esprit, le détournent de Dieu et de la grande
+ pensée du salut. Il y a toujours quelque chose qui presse, qu'on ne
+ peut laisser en retard; et sous ce prétexte, sans dessein formé, par
+ le seul entraînement des occupations qu'on s'est faites, on abandonne
+ peu à peu les exercices qui nourrissent la piété, les lectures
+ saintes, la prière, les devoirs indispensables de la religion, et
+ ainsi la vie s'écoule pleine de projets, de soucis, de travaux, dans
+ l'oubli de _la seule chose nécessaire_[397]. Les maladies même ne
+ réveillent pas; aucun avertissement n'est écouté. Enfin la mort vient,
+ saisit cet homme, le présente au juge qui l'interroge: Qu'as-tu fait
+ du temps que je t'ai accordé? L'infortuné voit d'un coup d'oeil
+ trente, quarante, soixante années consumées tout entières dans les
+ soins de la terre, et il ne voit que cela. Son âme, il n'y a point
+ songé. Il est tard en ce moment pour commencer à s'occuper d'elle, et
+ son sort est fixé irrévocablement. Ah! pensez avant tout à ce qui ne
+ doit jamais finir. _Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa
+ justice, et le reste vous sera donné par surcroît_[398]. Éteindre en
+ soi le désir de ce qui passe, se confier en la Providence, ne vouloir
+ que ce qu'elle veut, comme elle le veut, et quand elle le veut, c'est
+ la voie de la paix et le seul fondement solide d'espérance à la
+ dernière heure.
+
+ [396] Matth., XXVI, 41.
+
+ [397] Luc., X, 42.
+
+ [398] _Ibid._, XII, 31.
+
+
+
+
+CHAPITRE XL.
+
+Que l'homme n'a rien de bon de lui-même, et ne peut se glorifier de
+rien.
+
+
+1. LE F. _Seigneur, qu'est-ce que l'homme, pour que vous vous souveniez
+de lui? Et qu'est-ce que le fils de l'homme, pour que vous le
+visitiez_[399].
+
+ [399] Ps. VIII, 5.
+
+Par où l'homme a-t-il pu mériter votre grâce?
+
+De quoi, Seigneur, puis-je me plaindre si vous me délaissez? Et qu'ai-je
+à dire si vous ne faites pas ce que je demande?
+
+Je ne puis, certes, penser et dire avec vérité que ceci: Seigneur, je ne
+suis rien, je ne peux rien, de moi-même je n'ai rien de bon, je sens ma
+faiblesse en tout, et tout m'incline vers le néant.
+
+Si vous ne m'aidez et ne me fortifiez intérieurement, aussitôt je tombe
+dans la tiédeur et le relâchement.
+
+2. _Mais vous, Seigneur, vous êtes toujours le même_[400], et vous
+demeurez éternellement bon, juste et saint, faisant tout avec bonté,
+avec justice, avec sainteté, et disposant tout avec sagesse.
+
+ [400] Ps. CI, 27.
+
+Pour moi, qui ai plus de penchant à m'éloigner du bien qu'à m'en
+approcher, je ne demeure pas longtemps dans un même état, et je change
+sept fois le jour.
+
+Cependant je suis moins faible dès que vous le voulez, dès que vous me
+tendez une main secourable: car vous pouvez seul, sans l'aide de
+personne, me secourir et m'affermir de telle sorte, que je ne sois plus
+sujet à tous ces changements, et que mon coeur se tourne vers vous seul,
+et s'y repose à jamais.
+
+3. Si donc je savais rejeter toute consolation humaine, soit pour
+acquérir la ferveur, soit à cause de la nécessité qui me presse de vous
+chercher, ne trouvant point d'homme qui me console; alors je pourrais
+tout espérer de votre grâce, et me réjouir de nouveau dans les
+consolations que je recevrais de vous.
+
+4. Grâces vous soient rendues, à vous de qui découle tout ce qui
+m'arrive de bien.
+
+Pour moi, je ne suis devant vous que vanité et néant, qu'un homme
+inconstant et fragile.
+
+De quoi donc puis-je me glorifier? Comment puis-je désirer qu'on
+m'estime?
+
+Serait-ce à cause de mon néant? mais quoi de plus insensé!
+
+Certes, la vaine gloire est la plus grande des vanités, et un mal
+terrible, puisqu'elle nous éloigne de la véritable gloire, et nous
+dépouille de la grâce céleste.
+
+Car, dès que l'homme se complaît en lui-même, il commence à vous
+déplaire; et lorsqu'il aspire aux louanges humaines, il perd la vraie
+vertu.
+
+5. La vraie gloire et la joie sainte est de se glorifier en vous et non
+pas en soi; de se réjouir de votre grandeur et non de sa propre vertu;
+de ne trouver de plaisir en nulle créature qu'à cause de vous.
+
+Que votre nom soit loué et non le mien; qu'on exalte vos oeuvres et non
+les miennes; que votre saint nom soit béni, et qu'il ne me revienne rien
+des louanges des hommes.
+
+Vous êtes ma gloire et la joie de mon coeur.
+
+En vous je me glorifierai, je me réjouirai sans cesse en vous et non pas
+en moi, _si ce n'est dans mes infirmités_[401].
+
+6. Que les Juifs _recherchent la gloire qu'on reçoit les uns des
+autres_[402]: pour moi, je ne rechercherai que _celle qui vient de Dieu
+seul_[403].
+
+Car toute gloire humaine, tout honneur du temps, toute grandeur de ce
+monde, comparée à votre gloire éternelle, est folie et vanité.
+
+Ô ma vérité, ma miséricorde, ô mon Dieu! Trinité bienheureuse! à vous
+seule louange, honneur, gloire, puissance dans les siècles des siècles.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Si je descends en moi-même et que je m'interroge sur ce que je suis,
+ que trouvé-je, ô mon Dieu! Une raison incertaine toujours près de
+ s'égarer, d'inconstantes affections, un mélange inexplicable
+ d'espérances et de craintes vaines, des inclinations viciées, une
+ foule innombrable de désirs qui sans cesse m'agitent et me
+ tourmentent, quelquefois une joie fugitive, habituellement un profond
+ ennui, je ne sais quel instinct du ciel et toutes les passions de la
+ terre, une volonté infirme qui tout ensemble veut et ne veut pas, un
+ grand orgueil dans une grande misère: voilà mon état tel que le péché
+ l'a fait, et je sens de plus en moi l'impuissance de relever une
+ nature si profondément déchue. Il a fallu que Dieu même vînt soulever
+ ce poids immense de dégradation: sans un Rédempteur divin, l'éternité
+ entière aurait passé sur les ruines de l'homme. Il a paru ce
+ Rédempteur, il a dit: _Me voici[404]!_ et son sang a satisfait à la
+ suprême justice, et sa grâce a réparé le désordre de l'intelligence et
+ le désordre du coeur: elle a rétabli l'image de Dieu dans sa créature
+ tombée. Incompréhensible mystère d'amour! et comment répondre à un tel
+ bienfait? Reconnaissons au moins notre faiblesse et notre indigence;
+ ne nous attribuons aucun des biens qui nous sont donnés gratuitement;
+ rendons la gloire à qui elle appartient, et entrons de toutes les
+ puissances de notre être dans les sentiments du Prophète: _Seigneur
+ mon Dieu, je vous ai invoqué, et vous m'avez guéri. Vous avez retiré
+ mon âme de l'enfer, et vous m'avez séparé de ceux qui descendent dans
+ le lac. Chantez le Seigneur, vous qui êtes ses saints, et célébrez la
+ mémoire de sa sainteté[405]!_
+
+ [401] II. Cor., XII, 5.
+
+ [402] Joann., V, 44.
+
+ [403] _Ibid._
+
+ [404] Ps. XXXIX, 8.
+
+ [405] Ps. XXIX, 3-5.
+
+
+
+
+CHAPITRE XLI.
+
+Du mépris de tous les honneurs du temps.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, n'enviez point les autres, si vous les voyez honorés
+et élevés, tandis qu'on vous méprise et qu'on vous humilie.
+
+Élevez votre coeur au ciel vers moi, et vous ne vous affligerez point
+d'être méprisé des hommes sur la terre.
+
+2. LE F. Seigneur, nous sommes aveugles, et la vanité nous séduit bien
+vite.
+
+Si je me considère attentivement, je reconnais qu'aucune créature ne m'a
+jamais fait d'injustice, et qu'ainsi je n'ai nul sujet de me plaindre de
+vous.
+
+Après vous avoir tant offensé, et si grièvement, il est juste que toute
+créature s'arme contre moi.
+
+La honte et le mépris, voilà donc ce qui m'est dû; et à vous la louange,
+l'honneur et la gloire.
+
+Et si je me dispose à souffrir avec joie, à désirer même d'être méprisé,
+abandonné de toutes les créatures et compté pour rien, je ne puis ni
+posséder au dedans de moi une paix solide, ni recevoir la lumière
+spirituelle, ni être uni parfaitement à vous.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Celui qui s'examine devant Dieu, à la lumière de la vérité, se méprise
+ souverainement, parce qu'il ne trouve en soi, sans la grâce, qu'un
+ fonds immense de corruption: et dès lors, loin de rechercher l'estime,
+ les respects, les honneurs, il se réfugie dans son abjection comme
+ dans le seul asile contre l'orgueil, la plus grande de ses misères. Si
+ on l'abaisse, si on le dédaigne, il ne se plaint ni ne s'irrite; il
+ reconnaît qu'on lui fait justice, et l'on ne saurait tant l'humilier,
+ qu'il ne s'humilie encore davantage intérieurement; car, en tout,
+ c'est Dieu qu'il regarde, et non pas les hommes. Il dit comme Job: _Si
+ je veux me justifier, ma bouche me condamnera; et si elle entreprend
+ de montrer mon innocence, elle ne prouvera que mon crime_[406]. Puis,
+ dans l'amertume de son coeur, appelant la miséricorde, il invoque le
+ Père céleste qui a pitié de sa pauvre créature. _J'ai péché: que
+ ferai-je, ô Sauveur des hommes? Pourquoi avez-vous mis la guerre entre
+ vous et moi, et suis-je devenu à charge à moi-même? Pourquoi
+ n'ôtez-vous pas mon péché, et n'effacez-vous pas mon iniquité? Voilà
+ que je dormirai dans la poussière, et quand vous me chercherez le
+ matin je ne serai plus_[407]. Heureux celui qui s'accuse, car il
+ obtiendra le pardon! heureux celui qui choisit la dernière place, car
+ on lui dira: _Montez plus haut_[408]!
+
+ [406] Job, XI, 20.
+
+ [407] Job, VII, 20, 21.
+
+ [408] Luc., XIV, 10.
+
+
+
+
+CHAPITRE XLII.
+
+Qu'il ne faut pas que notre paix dépende des hommes.
+
+
+1. J.-C. Si vous faites dépendre votre paix de quelque personne, à cause
+de l'habitude de vivre avec elle et de la conformité de vos sentiments,
+vous serez dans l'inquiétude et le trouble.
+
+Mais si vous cherchez votre appui dans la vérité immuable et toujours
+vivante, vous ne serez point accablé de tristesse quand un ami s'éloigne
+ou meurt.
+
+Toute amitié doit être fondée sur moi; et c'est pour moi que vous devez
+aimer tous ceux qui vous paraissent aimables et qui vous sont les plus
+chers en cette vie.
+
+Sans moi l'amitié est stérile et dure peu; et toute affection, dont je
+ne suis pas le lien, n'est ni véritable ni pure.
+
+Vous devez être mort à ces affections humaines, jusqu'à souhaiter de
+n'avoir, s'il se pouvait, aucun commerce avec les hommes.
+
+Plus l'homme s'éloigne des consolations de la terre, plus il s'approche
+de Dieu.
+
+Et il s'élève d'autant plus vers Dieu qu'il descend plus profondément en
+lui-même, et qu'il est plus vil à ses propres yeux.
+
+2. Celui qui s'attribue quelque bien, empêche que la grâce de Dieu
+descende en lui, parce que la grâce de l'Esprit saint cherche toujours
+les coeurs humbles.
+
+Si vous saviez vous anéantir parfaitement, et bannir de votre coeur tout
+amour de la créature, alors venant à vous, je vous inonderais de ma
+grâce.
+
+Quand vous regardez la créature, vous perdez de vue le Créateur.
+
+Apprenez à vous vaincre en tout à cause de lui, et vous pourrez alors
+parvenir à le connaître.
+
+Le plus petit objet désiré, aimé avec excès, souille l'âme et la sépare
+du souverain bien.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ La religion sanctifie tout, et ne détruit rien, hors le péché; elle
+ n'interdit pas les affections naturelles; au contraire, il y en a
+ qu'elle commande expressément, et le précepte de l'amour mutuel est un
+ de ceux que l'Évangile inculque avec le plus de soin. _Aimons-nous les
+ uns les autres_[409], répète sans cesse l'apôtre saint Jean. _Celui
+ qui n'aime point demeure dans la mort_[410]; _il ne connaît pas Dieu,
+ car Dieu est amour_[411]. Et, dans la nuit de la Cène, ne voyons-nous
+ pas reposer sur le coeur de Jésus _le disciple qu'il aimait_[412]?
+ Mais nos affections, pour être pures, doivent avoir leur principe en
+ Dieu, et leur règle dans sa volonté. Alors ce ne sont plus des
+ sentiments de la terre, qui, en passant, agitent et troublent l'âme:
+ c'est quelque chose de l'éternité, comme elle invariable et calme
+ comme elle. Défiez-vous des attachements qui altèrent la paix du
+ coeur. Nulle créature ne doit être aimée qu'avec une soumission
+ parfaite aux ordres de la Providence. Toujours nous devons être prêts
+ à supporter sans plainte ce qui afflige le plus la nature, l'absence,
+ la séparation, la mort même, nous souvenant de ce que dit l'Apôtre:
+ _Nous ne voulons pas, mes frères, que vous soyez dans l'ignorance
+ touchant ceux qui dorment, afin que vous ne vous attristiez pas comme
+ les autres hommes, qui n'ont point d'espérance. Car si nous croyons
+ que Jésus est mort et ressuscité, ainsi Dieu amènera avec Jésus ceux
+ qui se seront endormis en lui. Nous vous disons ceci d'après la parole
+ du Seigneur: nous qui vivons, qui sommes réservés pour son avénement,
+ nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil. Car, au
+ commandement de l'Archange, à sa voix, au son de la trompette de Dieu,
+ le Seigneur lui-même descendra du ciel, et les morts qui reposent dans
+ le Christ se lèveront les premiers. Ensuite, nous qui vivons et qui
+ serons demeurés jusqu'alors, nous serons enlevés avec eux dans les
+ nuées, au devant du Christ, au milieu des airs; et ainsi nous serons à
+ jamais avec le Seigneur. Consolez-vous les uns les autres dans ces
+ paroles_[413].
+
+ [409] Joann., IV, 7.
+
+ [410] _Ibid._, III, 14.
+
+ [411] _Ibid._, IV, 8.
+
+ [412] _Ibid._, XIII. 23.
+
+ [413] I. Thessal., IV, 12-17.
+
+
+
+
+CHAPITRE XLIII.
+
+Contre la vaine science du siècle.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, ne vous laissez pas émouvoir au charme et à la beauté
+des discours des hommes: _car le royaume de Dieu ne consiste pas dans
+les discours, mais dans les oeuvres_[414].
+
+ [414] I. Cor., IV, 20.
+
+Soyez attentif à mes paroles, qui enflamment le coeur, éclairent,
+attendrissent l'âme, et la remplissent de consolation.
+
+Ne lisez jamais pour paraître plus savant ou plus sage.
+
+Étudiez-vous à mortifier vos vices; cela vous servira plus que la
+connaissance des questions les plus difficiles.
+
+2. Après avoir beaucoup lu et beaucoup appris, il en faut toujours
+revenir à l'unique principe de toutes choses.
+
+C'est moi qui donne à l'homme la science, et qui éclaire l'intelligence
+des petits enfants, plus que l'homme ne le pourrait par aucun
+enseignement.
+
+Celui à qui je parle est bientôt instruit, et fait de grands progrès
+dans la vie de l'esprit.
+
+Malheur à ceux qui interrogent les hommes sur toutes sortes de questions
+curieuses, et qui s'inquiètent peu d'apprendre à me servir!
+
+Viendra le jour où Jésus-Christ, le Maître des maîtres, le Seigneur des
+anges, apparaîtra, pour demander compte à chacun de ce qu'il sait,
+c'est-à-dire pour examiner les consciences.
+
+Et alors, _la lampe à la main, il scrutera Jérusalem_[415]: _les secrets
+des ténèbres seront dévoilés_[416], et toute langue se taira.
+
+ [415] Soph., 1, 12.
+
+ [416] Cor., IV, 5.
+
+3. C'est moi qui, en un moment, élève l'âme humble, et la fais pénétrer
+plus avant dans la vérité éternelle, que ne le pourrait celui qui aurait
+étudié dix années dans les écoles.
+
+J'enseigne sans bruit de paroles, sans embarras d'opinions, sans faste,
+sans arguments, sans disputes.
+
+J'apprends à mépriser les biens de la terre, à dédaigner ce qui passe, à
+rechercher et à goûter ce qui est éternel, à fuir les honneurs, à
+souffrir les scandales, à mettre en moi toute son espérance, à ne
+désirer rien hors de moi, et à m'aimer ardemment et par-dessus tout.
+
+4. Quelques-uns, en m'aimant ainsi, ont appris des choses toutes
+divines, dont ils parlaient d'une manière admirable.
+
+Ils ont fait plus de progrès en quittant tout, que par une profonde
+étude.
+
+Mais je dis aux uns des choses plus générales; aux autres, de plus
+particulières. J'apparais à quelques-uns doucement voilé sous des ombres
+et des figures; je révèle à d'autres mes mystères au milieu d'une vive
+splendeur.
+
+Les livres parlent à tous le même langage; mais il ne produit pas sur
+tous les mêmes impressions, parce que moi seul j'enseigne la vérité au
+dedans, je scrute les coeurs, je pénètre les pensées, j'excite à agir,
+et je distribue mes dons à chacun, selon qu'il me plaît.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Plusieurs se fatiguent et se tourmentent pour acquérir la science, _et
+ j'ai vu_, dit le Sage, _que cela aussi était vanité, travail et
+ affliction d'esprit_[417]. À quoi vous servira de connaître les choses
+ de ce monde, quand ce monde même aura passé? Au dernier jour, on ne
+ vous demandera pas ce que vous avez su, mais ce que vous avez fait;
+ _et il n'y a plus de science dans les enfers, vers lesquels vous vous
+ hâtez_[418]. Cessez un vain labeur. Qui que vous soyez, vous n'avez
+ que trop cultivé l'arbre dont les fruits donnent la mort. Laissez la
+ science qui nourrit l'orgueil, _la science qui enfle_, pour vous
+ occuper uniquement d'acquérir celle qui fait les humbles et les
+ saints, _la charité qui édifie_[419]. Apprenez à vous humilier, à
+ connaître votre néant et votre corruption. Alors Dieu viendra vers
+ vous; il vous éclairera de sa lumière, il vous enseignera, dans le
+ secret du coeur, cette science merveilleuse dont Jésus a dit: _Je vous
+ bénis, mon Père, Seigneur du ciel et de le terre, parce que vont avez
+ caché ces choses aux sages et aux prudents, et les avez révélées aux
+ petits_[420].
+
+ [417] Eccl., I, 17.
+
+ [418] _Ibid._, IX, 10.
+
+ [419] I. Cor., VIII, 1.
+
+ [420] Luc., X, 21.
+
+
+
+
+CHAPITRE XLIV.
+
+Qu'il ne faut point s'embarrasser dans les choses extérieures.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, il faut que vous vous teniez dans l'ignorance de
+beaucoup de choses; _que vous soyez comme mort au monde, et que le monde
+soit mort pour vous_[421].
+
+ [421] Col., III, 3. Gal., VI, 14.
+
+Il faut aussi fermer l'oreille à bien des discours, et penser plutôt à
+vous conserver en paix.
+
+Il vaut mieux détourner les yeux de ce qui déplaît, et laisser chacun
+dans son sentiment, que de s'arrêter à contester.
+
+Si vous prenez soin d'avoir Dieu pour vous, et que son jugement vous
+soit toujours présent, vous supporterez sans peine d'être vaincu.
+
+2. LE F. Hélas! Seigneur, où en sommes-nous venus? On pleure une perte
+temporelle, on court, on se fatigue pour le moindre gain; et l'on oublie
+les pertes de l'âme, ou l'on ne s'en souvient qu'à peine et bien tard.
+
+On est attentif à ce qui ne sert peu ou point du tout, et l'on passe
+avec négligence sur ce qui est souverainement nécessaire; parce que
+l'homme se répand tout entier au dehors, et que, s'il ne rentre
+promptement en lui-même, il demeure avec joie enseveli dans les choses
+extérieures.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Si vous saviez mourir demain, que vous importeraient les choses de la
+ terre, ce qui se fait, ce qui se dit autour de vous? Eh bien! vous
+ mourrez demain; car la vie est à peine d'un jour. Soyez donc dès ce
+ moment tel que vous voudrez avoir été, quand l'éternité s'ouvrira
+ devant vous. Ni la science, ni la richesse, ni rien de ce qui est du
+ monde ne vous servira au jugement de Dieu: vous n'y porterez que vos
+ oeuvres. _Il y avait un homme riche dont les terres avaient produit
+ une moisson extraordinaire; et il pensait en lui-même, disant: Que
+ ferai-je? car je n'ai point de lieu où recueillir tous ces fruits. Et
+ il dit: Voici ce que je ferai: j'abattrai mes greniers, et j'en
+ bâtirai de plus grands, et j'y amasserai toute ma récolte, et tous mes
+ biens; et je dirai à mon âme: Mon âme, tu as beaucoup de biens en
+ réserve pour plusieurs années: repose-toi, mange, bois, fais bonne
+ chère. Mais Dieu lui dit: Insensé, cette nuit même on te redemandera
+ ton âme; et pour qui sera ce que tu as amassé? Ainsi en est-il de
+ celui qui thésaurise pour lui-même, et qui n'est pas riche devant
+ Dieu_[422].
+
+ [422] Luc., XII, 16-21.
+
+
+
+
+CHAPITRE XLV.
+
+Qu'il ne faut pas croire tout le monde, et qu'il est difficile de garder
+une sage mesure dans ses paroles.
+
+
+1. LE F. _Secourez-moi, Seigneur, dans la tribulation: car le salut ne
+vient pas de l'homme_[423].
+
+ [423] Ps. LIX, 11.
+
+Combien de fois ai-je en vain cherché la fidélité où je croyais la
+trouver? combien de fois l'ai-je trouvée où je l'attendais le moins?
+
+Vanité donc d'espérer dans les hommes; mais vous êtes, mon Dieu, le
+salut des justes.
+
+Soyez béni, Seigneur, en tout ce qui nous arrive.
+
+2. Nous sommes faibles et changeants; un rien nous séduit et nous
+ébranle.
+
+Quel est l'homme si vigilant et si réservé qu'il ne tombe jamais dans
+aucune surprise, ni dans aucune perplexité?
+
+Mais celui, mon Dieu, qui se confie en nous, et qui vous cherche dans la
+simplicité de son coeur, ne chancelle pas si aisément.
+
+Et s'il éprouve quelque affliction, s'il est engagé en quelque embarras,
+vous l'en tirez bientôt, ou vous le consolez: car vous n'abandonnez pas
+pour toujours celui qui espère en vous.
+
+Quoi de plus rare qu'un ami fidèle, qui ne s'éloigne point quand
+l'infortune accable son ami?
+
+Seigneur, vous êtes seul constamment fidèle; et nul ami n'est comparable
+à vous.
+
+3. Oh! que de sagesse dans ce que disait cette sainte âme: _Mon coeur
+est affermi et fondé en Jésus-Christ_[424]!
+
+ [424] Sainte Agathe.
+
+S'il en était ainsi de moi, je serais moins troublé par la crainte des
+hommes, et moins ému de leurs paroles malignes.
+
+Qui peut prévoir, qui peut détourner tous les maux à venir? Si ceux
+qu'on a prévus, souvent blessent encore, que sera-ce donc de ceux qui
+nous frappent inopinément?
+
+Pourquoi, malheureux que je suis, n'ai-je pas pris de plus sûres
+précautions pour moi-même? Pourquoi aussi ai-je eu tant de crédulité
+pour les autres?
+
+Mais nous sommes des hommes, et rien autre chose que des hommes
+fragiles, quoique plusieurs nous croient et nous appellent des anges.
+
+À qui croirai-je, Seigneur! à qui, si ce n'est à vous? Vous êtes la
+vérité qui ne trompe point, et qu'on ne peut tromper.
+
+Au contraire, _tout homme est menteur_[425], faible, inconstant,
+fragile, surtout dans ses paroles; de sorte qu'on doit à peine croire
+d'abord ce qui paraît le plus vrai dans ce qu'il dit.
+
+ [425] Ps. LXI, 9.
+
+4. Que vous nous avez sagement avertis de nous défier des hommes; que
+_l'homme a pour ennemis ceux de sa propre maison_[426]; et que si
+quelqu'un dit: _Le Christ est ici, ou il est là_[427], il ne faut pas le
+croire!
+
+ [426] Mich., VII, 2.
+
+ [427] Matth., XXIV, 23.
+
+Une dure expérience m'a éclairé: heureux si elle sert à me rendre moins
+insensé et plus vigilant!
+
+Soyez discret, me dit quelqu'un, soyez discret; ce que je vous dis n'est
+que pour vous. Et pendant que je me tais et que je crois la chose
+secrète, il ne peut lui-même garder le silence qu'il m'a demandé; mais,
+dans l'instant, il me trahit, se trahit lui-même et s'en va.
+
+Éloignez de moi, Seigneur, ces confidences trompeuses; ne permettez pas
+que je tombe entre les mains de ces hommes indiscrets, ou que je leur
+ressemble.
+
+Mettez dans ma bouche des paroles invariables et vraies; et que ma
+langue soit étrangère à tout artifice.
+
+Ce que je ne peux souffrir en autrui, je dois m'en préserver avec soin.
+
+5. Oh! qu'il est bon, qu'il est nécessaire pour la paix, de se taire sur
+les autres, de ne pas tout croire indifféremment, ni tout redire sans
+réflexion, de se découvrir à peu de personnes, de vous chercher toujours
+pour témoin de son coeur, de ne pas se laisser emporter à tout vent de
+paroles; mais de désirer que tout en nous et hors de nous s'accomplisse
+selon qu'il plaît à votre volonté!
+
+Que c'est encore un sûr moyen pour conserver la grâce céleste, de fuir
+ce qui a de l'éclat aux yeux des hommes, de ne point rechercher ce qui
+semble attirer leur admiration; mais de travailler ardemment à acquérir
+ce qui produit la ferveur et corrige la vie!
+
+À combien d'hommes a été funeste une vertu connue et louée trop tôt!
+
+Que de fruits, au contraire, d'autres ont tirés d'une grâce conservée en
+silence durant cette vie fragile, qui n'est qu'une tentation et une
+guerre continuelle!
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Ne vous appuyez pas sur les hommes, car ils vous manqueront tôt ou
+ tard. L'homme est faible, indiscret, inconstant, léger, enclin à tout
+ rapporter à soi. Le moindre caprice l'éloigne, le moindre intérêt
+ suffit pour le transformer en ennemi. Alors il se montre tel qu'il
+ est. Il vous aimait, mais pour lui-même, pour tirer parti de vous au
+ besoin. Fuyez, fuyez ces faux amis du monde. Celui-ci vous trahit, cet
+ autre vous délaisse. Arrive-t-il des circonstances qui vous forcent de
+ recourir à eux, _tous commencent à s'excuser. Le premier dit: J'ai
+ acheté une terre; il faut nécessairement que je l'aille voir: je vous
+ supplie de m'excuser. Un autre dit: J'ai acheté cinq paires de boeufs,
+ et je vais les éprouver: je vous supplie de m'excuser. Un autre dit:
+ J'ai épousé une femme, et c'est pourquoi je ne puis aller_[428]. Voilà
+ les amitiés humaines. Vous seul, mon Dieu, vous seul n'abandonnez
+ point ceux qui vous aiment, ceux qui espèrent en vous: toujours vous
+ êtes près d'eux pour les soutenir et les consoler. Jamais vous ne vous
+ lassez d'entendre leurs gémissements, d'écouter leurs plaintes, de
+ recueillir leurs larmes. Rien n'est au-dessous de votre tendresse: cet
+ homme abject aux yeux des hommes, ce pauvre rebuté de toutes parts,
+ _vous l'assistez, mon Dieu, sur le lit de sa douleur, et votre main
+ retourne son lit pour y reposer ses infirmités_[429]: puis, quand sa
+ tâche est accomplie, à la fin du jour, vous le recevez dans
+ l'éternelle paix.
+
+ [428] Luc., XIV, 18, 20.
+
+ [429] Ps. XL, 4.
+
+
+
+
+CHAPITRE XLVI.
+
+Qu'il faut mettre sa confiance en Dieu, lorsqu'on est assailli de
+paroles injurieuses.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, demeurez ferme, et espérez en moi. Qu'est-ce, après
+tout, que des paroles? un vain bruit. Elles frappent l'air, mais ne
+brisent point la pierre.
+
+Si vous êtes coupable, songez que votre désir doit être de vous
+corriger. Si votre conscience ne vous reproche rien, pensez que vous
+devez souffrir avec joie cette légère peine pour Dieu.
+
+C'est bien ce qu'il y a de moindre, que, de temps en temps, vous
+supportiez quelques paroles, vous qui ne pouvez encore soutenir de plus
+rudes épreuves.
+
+Et pourquoi de si petites choses vont-elles jusqu'à votre coeur, si ce
+n'est que vous êtes encore charnel, et trop occupé des jugements des
+hommes?
+
+Vous craignez le mépris, et à cause de cela vous ne voulez pas être
+repris de vos fautes, et vous cherchez des excuses pour les couvrir.
+
+2. Scrutez mieux votre coeur, et vous reconnaîtrez que le monde vit
+encore en vous, et le vain désir de plaire aux hommes.
+
+Car votre répugnance à être abaissé, confondu par vos faiblesses, prouve
+que vous n'avez pas une humilité sincère, que vous n'êtes pas
+_véritablement mort au monde, et que le monde n'est pas crucifié pour
+vous_[430].
+
+ [430] Galat., VI, 14.
+
+Écoutez ma parole, et vous vous inquiéterez peu de toutes les paroles
+des hommes.
+
+Quand on dirait contre vous tout ce que peut inventer la plus noire
+malice, en quoi cela vous nuirait-il, si vous le laissez passer comme la
+paille que le vent emporte? En perdriez-vous un seul cheveu?
+
+3. Celui dont le coeur n'est pas renfermé en lui-même, et qui n'a pas
+Dieu toujours présent, s'émeut aisément d'une parole de blâme.
+
+Mais celui qui se confie en moi et qui ne s'appuie pas sur son propre
+jugement, ne craindra rien des hommes.
+
+Car c'est moi qui connais et qui juge ce qui est secret; je sais la
+vérité de toute chose, qui a fait l'injure et qui la souffre.
+
+Cette parole, elle est venue de moi; cet événement, je l'ai permis,
+_afin que ce qu'il y a de caché dans beaucoup de coeurs fût
+révélé_[431].
+
+ [431] Luc., II, 35.
+
+Je jugerai l'innocent et le coupable; mais, par un secret jugement, j'ai
+voulu auparavant éprouver l'un et l'autre.
+
+4. Le témoignage des hommes trompe souvent; mais mon jugement est vrai:
+il subsistera et ne sera point ébranlé.
+
+Le plus souvent il est caché, et peu de personnes le découvrent en
+chaque chose: cependant il n'erre jamais, et ne peut errer, quoiqu'il ne
+paraisse pas toujours juste aux yeux des insensés.
+
+C'est donc à moi qu'il faut remettre le jugement de tout, sans jamais
+s'en rapporter à son propre sens.
+
+_Le juste ne sera point troublé, quoi qu'il lui arrive par l'ordre de
+Dieu_[432]. Il lui importera peu qu'on l'accuse injustement.
+
+ [432] Prov., X, 21.
+
+Et si d'autres le défendent et réussissent à le justifier, il n'en
+concevra pas non plus une vaine joie.
+
+Car il se souvient que c'est moi _qui sonde les coeurs et les
+reins_[433]; et que je ne juge point sur les dehors et les apparences
+humaines.
+
+ [433] Ps. VII, 10.
+
+Ce qui paraît louable au jugement des hommes, souvent est criminel à mes
+yeux.
+
+5. LE F. Seigneur mon Dieu, juge infiniment juste, fort et patient, qui
+connaissez la fragilité de l'homme et son penchant au mal, soyez ma
+force et toute ma confiance: car ma conscience ne me suffit pas.
+
+Vous connaissez ce que je ne connais point; ainsi j'ai dû m'abaisser
+sous tous les reproches et les supporter avec douceur.
+
+Pardonnez-moi dans votre bonté, toutes les fois que je n'ai pas agi de
+la sorte, et donnez-moi plus abondamment la grâce qui apprend à
+souffrir.
+
+Car je dois compter bien plus sur votre grande miséricorde pour obtenir
+le pardon, que sur ma vertu apparente pour justifier ce que ma
+conscience recèle.
+
+_Quoique je ne me reproche rien, je ne suis cependant pas justifié pour
+cela_[434]; parce que, sans votre miséricorde, _nul homme vivant ne sera
+juste devant vous_[435].
+
+ [434] Cor., IV, 4.
+
+ [435] Ps. CXLII, 2.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ _Vous serez heureux quand on vous maudira, et qu'on vous persécutera,
+ et qu'on dira faussement toute sorte de mal contre vous:
+ réjouissez-vous alors, et soyez ravis de joie, parce que votre
+ récompense est grande dans les cieux_[436]. Combien cependant, malgré
+ cette parole, ne nous troublons-nous pas des discours des hommes et de
+ leurs jugements? Nous ne pouvons supporter qu'on nous abaisse; nous
+ voulons à tout prix être loués, estimés. Séduits par un vain fantôme
+ de réputation, nous oublions Dieu et ses enseignements, et les biens
+ qu'il promet aux humbles. Étrange effet de l'orgueil toujours vivant
+ au fond de notre misérable coeur! Que vous importe l'outrage,
+ l'injure, la calomnie? D'où vient qu'elle excite en vous une peine si
+ amère, un si vif ressentiment? Craignez-vous donc d'avoir trop de
+ moyens d'expiation, trop d'espérances de miséricorde? Mais on vous
+ accuse à tort. Aimeriez-vous mieux que ce fût avec justice? Si vous
+ n'avez pas commis la faute qu'on vous reproche, que d'autres vous avez
+ commises qu'on ne vous reproche point! Descendez dans votre
+ conscience, vous y entendrez une voix plus sévère que celles qui
+ s'élèvent contre vous. Celles-ci se tairont, mais l'autre parlera
+ devant le Juge en présence duquel tout à l'heure vous comparaîtrez,
+ loin des bruits de la terre, dans le silence de l'éternité. Pensez à
+ ce moment formidable, et vous vous inquiéterez peu de ce que les
+ hommes disent de vous.
+
+ [436] Matth., V, 11, 12.
+
+
+
+
+CHAPITRE XLVII.
+
+Qu'il faut être prêt à souffrir pour la vie éternelle tout ce qu'il y a
+de plus pénible.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, que les travaux que vous avez entrepris pour moi ne
+brisent pas votre courage, et que les afflictions ne vous abattent pas
+entièrement; mais qu'en tout ce qui arrive, ma promesse vous console et
+vous fortifie.
+
+Je suis assez puissant pour vous récompenser au-delà de toutes bornes et
+de toute mesure.
+
+Vous ne serez pas longtemps ici dans le travail, ni toujours chargé de
+douleurs.
+
+Attendez un peu, et vous verrez promptement la fin de vos maux.
+
+Une heure viendra où le travail et le trouble cesseront.
+
+Tout ce qui passe avec le temps est peu de chose et ne dure guère.
+
+2. Faites ce que vous avez à faire; travaillez fidèlement à ma vigne, et
+je serai moi-même votre récompense.
+
+Écrivez, lisez, chantez mes louanges, gémissez, gardez le silence,
+priez, souffrez courageusement l'adversité: la vie éternelle est digne
+de tous ces combats, et de plus grands encore.
+
+_Il y a un jour connu du Seigneur_, où la paix viendra; et _il n'y aura
+plus de jour ni de nuit_[437] comme sur cette terre, mais une lumière
+perpétuelle, une splendeur infinie, une paix inaltérable, un repos
+assuré.
+
+ [437] Zachar., XIV, 7.
+
+Vous ne direz plus alors: _Qui me délivrera de ce corps de mort[438]?_
+Vous ne vous écrierez plus: _Malheur à moi, parce que mon exil a été
+prolongé[439]!_ car _la mort sera détruite_[440], et le salut sera
+éternel; plus d'angoisses, une joie ravissante, une société de gloire et
+de bonheur.
+
+ [438] Rom., VII, 24.
+
+ [439] Ps. CXIX, 5.
+
+ [440] Is., XXV, 8.
+
+3. Oh! si vous aviez vu, dans le ciel, les couronnes immortelles des
+Saints, de quel glorieux éclat resplendissent ces hommes que le monde
+méprisait et regardait comme indignes de vivre: aussitôt, certes, vous
+vous prosterneriez jusque dans la poussière, et vous aimeriez mieux être
+au-dessous de tous qu'au-dessus d'un seul!
+
+Vous ne désireriez point les jours heureux de cette vie; mais plutôt
+vous vous réjouiriez de souffrir pour Dieu, et vous regarderiez comme le
+plus grand gain d'être compté pour rien parmi les hommes.
+
+Oh! si vous goûtiez ces vérités, si elles pénétraient jusqu'au fond de
+votre coeur, comment oseriez-vous vous plaindre, même une seule fois?
+
+Est-il rien de pénible qu'on ne doive supporter pour la vie éternelle?
+
+Ce n'est pas peu que de gagner ou de perdre le royaume de Dieu.
+
+Levez donc les yeux au ciel. Me voilà, et avec moi tous mes Saints: ils
+ont soutenu dans ce monde un grand combat: et maintenant ils se
+réjouissent, maintenant ils sont consolés et à l'abri de toute crainte,
+maintenant ils se reposent, et ils demeureront à jamais avec moi dans le
+royaume de mon Père.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Quand la vie nous paraît pesante, quand nous sommes près de succomber
+ à la tristesse de l'exil, levons les yeux et contemplons l'aurore de
+ notre délivrance; car _cette enveloppe mortelle s'en va se détruisant,
+ mais l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour_[441]. Attendons,
+ souffrons en paix; l'heure du repos approche. _Les légères
+ tribulations de cette vie d'un moment, nous élevant sans mesure,
+ produisent en nous un poids éternel de gloire_[442]. Qu'importe un peu
+ de fatigue, un peu de travail sur la terre? Nous passons, et _n'avons
+ point ici de cité permanente_[443]. Jésus _est allé devant pour nous
+ préparer une demeure en la maison de son Père; et puis il viendra, et
+ il nous prendra avec lui, afin que là où il est, nous y soyons
+ aussi_[444]. _Ô Jésus, ô mon Sauveur! mon âme languit après vous, elle
+ vous désire comme le cerf altéré désire l'eau des fontaines_[445].
+ Venez, ne tardez pas: loin de vous, _nous sommes assis dans l'ombre de
+ la mort_[446]. Hâtez-vous, Seigneur; faites luire sur nous la lumière
+ de votre face, et qu'elle nous guide à la céleste Jérusalem, au pied
+ du trône de l'Agneau. Là, dans le ravissement de l'amour, dans
+ l'immortelle extase de la joie, les choeurs des Bienheureux mêlés aux
+ choeurs des Anges, célèbrent le Dieu trois fois saint. Et moi,
+ Seigneur, _sur le bord des fleuves de Babylone, j'ai pleuré en me
+ ressouvenant de Sion_[447]. Console-toi, mon âme, prête l'oreille;
+ n'entends-tu pas dans le lointain comme le premier murmure qui annonce
+ l'arrivée de l'Époux? _Encore un moment et tu le verras_[448]: encore
+ un moment, et rien jamais ne pourra te séparer de lui!
+
+ [441] II. Cor., IV, 16.
+
+ [442] _Ibid._, 17.
+
+ [443] Hebr., XIII, 14.
+
+ [444] Joann., XIV, 2, 3.
+
+ [445] Ps. XLI, 2.
+
+ [446] Luc., I, 79.
+
+ [447] Ps. CXXXVI, 1.
+
+ [448] Joann., XVI, 19.
+
+
+
+
+CHAPITRE XLVIII.
+
+De l'éternité bienheureuse, et des misères de cette vie.
+
+
+1. LE F. Ô bienheureuse demeure de la cité céleste! jour éclatant de
+l'éternité, que la nuit n'obscurcit jamais, et que la vérité souveraine
+éclaire perpétuellement de ses rayons; jour immuable de joie et de
+repos, que nulle vicissitude ne trouble!
+
+Oh! que ce jour n'a-t-il lui déjà sur les ruines du temps, et de tout ce
+qui passe avec le temps!
+
+Il luit pour les Saints dans son éternelle splendeur: mais nous,
+voyageurs sur la terre, nous ne le voyons que de loin, comme à travers
+un voile.
+
+2. Les citoyens du ciel en connaissent les délices: mais les fils d'Ève,
+encore exilés, gémissent sur l'amertume et l'ennui de la vie présente.
+
+_Les jours d'ici-bas sont courts et mauvais_[449], pleins de douleurs et
+d'angoisses.
+
+ [449] Genes., XLVII, 9.
+
+L'homme y est souillé de beaucoup de péchés, engagé dans beaucoup de
+passions, agité par mille craintes, embarrassé de mille soins, emporté
+çà et là par la curiosité, séduit par une foule de chimères, environné
+d'erreurs, brisé de travaux, accablé de tentations, énervé de délices,
+tourmenté par la pauvreté.
+
+3. Oh! quand viendra la fin de ces maux? quand serai-je délivré de la
+misérable servitude des vices? quand me souviendrai-je, Seigneur, de
+vous seul? quand goûterai-je en vous une pleine joie?
+
+Quand, dégagé de toute entrave, jouirai-je d'une vraie liberté,
+désormais exempt de toute peine et du corps et de l'esprit?
+
+Quand posséderai-je une paix solide, assurée, inaltérable, paix au
+dedans et au dehors, paix affermie de toutes parts?
+
+Ô bon Jésus! quand me sera-t-il donné de vous voir, de contempler la
+gloire de votre règne? quand me serez-vous tout en toute chose?
+
+Quand serai-je avec vous dans _le royaume que vous avez préparé de toute
+éternité à vos élus_[450]?
+
+ [450] Matth., XXV, 34.
+
+J'ai été délaissé, pauvre, exilé, en une terre ennemie, où il y a guerre
+continuelle et de grandes infortunes.
+
+4. Consolez mon exil, adoucissez l'angoisse de mon coeur: car il soupire
+après vous de toute l'ardeur de ses désirs.
+
+Tout ce que le monde m'offre ici-bas pour me consoler, me pèse.
+
+Je voudrais m'unir intimement à vous, et je ne puis atteindre à cette
+ineffable union.
+
+Je voudrais m'attacher aux choses du ciel, et mes passions immortifiées
+me replongent dans celles de la terre.
+
+Mon âme aspire à s'élever au-dessus de tout, et la chair me rabaisse
+au-dessous, malgré mes efforts.
+
+Ainsi, homme misérable, j'ai sans cesse la guerre au dedans de moi, et
+_je me suis à charge à moi-même_[451], l'esprit voulant s'élever
+toujours, et la chair toujours descendre.
+
+ [451] Job, VII, 10.
+
+5. Oh! combien je souffre en moi lorsque, méditant les choses du ciel,
+celles de la terre viennent en foule se présenter à ma pensée durant la
+prière! Mon Dieu, _ne vous éloignez pas de moi, et n'abandonnez point
+votre serviteur dans votre colère_[452].
+
+ [452] Ps. LXX, 13; XXVI, 14.
+
+Faites briller votre foudre, et dissipez ces visions de la chair: lancez
+vos flèches[453], et mettez en fuite ces fantômes de l'ennemi.
+
+ [453] Ps. CXLIII, 6.
+
+Rappelez à vous tous mes sens; faites que j'oublie toutes les choses du
+monde, et que je rejette promptement, avec mépris, ces criminelles
+images.
+
+Éternelle vérité, prêtez-moi votre secours, afin que nulle chose vaine
+ne me touche.
+
+Venez en moi, céleste douceur, et que tout ce qui n'est pas pur
+s'évanouisse devant vous.
+
+Pardonnez-moi aussi, et usez de miséricorde, toutes les fois que, dans
+la prière, je m'occupe d'autre chose que de vous.
+
+Car je confesse sincèrement que la distraction m'est habituelle.
+
+Dans le mouvement ou dans le repos, bien souvent je ne suis point où est
+mon corps, mais plutôt où mon esprit m'emporte.
+
+Je suis là où est ma pensée, et ma pensée est d'ordinaire où est ce que
+j'aime.
+
+Ce qui me plaît naturellement ou par habitude, voilà ce qui d'abord se
+présente à elle.
+
+6. Et c'est pour cela, ô Vérité, que vous avez dit expressément: _Où est
+votre trésor, là est aussi votre coeur_[454].
+
+ [454] Matth., VI, 21.
+
+Si j'aime le ciel, je pense volontiers aux choses du ciel.
+
+Si j'aime le monde, je me réjouis des prospérités du monde, et je
+m'attriste de ses adversités.
+
+Si j'aime la chair, je me représente souvent ce qui est de la chair.
+
+Si j'aime l'esprit, ma joie est de penser aux choses spirituelles.
+
+Car il m'est doux de parler et d'entendre parler de tout ce que j'aime,
+et j'en emporte avec moi le souvenir dans ma retraite.
+
+Mais heureux l'homme, ô mon Dieu, qui, à cause de vous, bannit de son
+coeur toutes les créatures; qui fait violence à la nature, et crucifie,
+par la ferveur de l'esprit, les convoitises de la chair, afin de vous
+offrir, du fond d'une conscience où règne la paix, une prière pure; et
+que, dégagé au dedans et au dehors de tout ce qui est terrestre, il
+puisse se mêler aux choeurs des Anges!
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Les maladies, les peines, les souffrances, les tentations,
+ l'invincible désir d'une félicité que rien ne nous offre ici-bas, tout
+ nous rappelle sans cesse à cette grande éternité où la foi nous
+ promet, dans la possession de Dieu même, le repos, la paix, le bien
+ parfait, infini, auquel nous aspirons de toutes les puissances de
+ notre âme. Et voilà pourquoi les saints gémissent si amèrement sous le
+ poids des liens qui les retiennent encore sur la terre; voilà pourquoi
+ l'Apôtre s'écriait: _Je désire que mon corps se dissolve, afin d'être
+ avec Jésus-Christ_[455]. Alors plus de crainte, plus de larmes, plus
+ de combat, mais un éternel triomphe et une joie éternelle. Si un
+ faible reflet[456] de la vérité souveraine ravit déjà notre
+ intelligence, que sera-ce quand nous la contemplerons dans son plein
+ éclat! et si, dès à présent, il est si doux d'aimer, que sera-ce quand
+ nous nous abreuverons à la source même de l'amour! Oh! oui, Seigneur,
+ je désire la dissolution de mon corps, afin d'être avec vous! Cette
+ espérance seule me console; elle est toute ma vie. Qu'est-ce pour moi
+ que le monde, et que peut-il me donner? _J'ai séjourné parmi les
+ habitants de Cédar, et mon âme a été étrangère au milieu d'eux_[457].
+ Votre royaume, mon Dieu, votre royaume, je n'ai point d'autre patrie.
+ Daignez y rappeler ce pauvre exilé, _et il célébrera éternellement vos
+ miséricordes_[458].
+
+ [455] Philipp., I, 23.
+
+ [456] I. Cor., XIII, 12.
+
+ [457] Ps. CXIX, 5.
+
+ [458] Ps. LXXXVIII, 2.
+
+
+
+
+CHAPITRE XLIX.
+
+Du désir de la vie éternelle, et des grands biens promis à ceux qui
+combattent courageusement.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, lorsque le désir de l'éternelle béatitude vous est
+donné d'en haut, et que vous aspirez à sortir de la prison du corps pour
+contempler ma lumière sans ombre et sans vicissitude, dilatez votre
+coeur, et recevez avec amour cette sainte inspiration.
+
+Rendez grâce de toute votre âme à la bonté céleste, qui vous prodigue
+ainsi ses faveurs, qui vous visite avec tendresse, vous excite, vous
+presse et vous soulève puissamment, de peur que votre poids ne vous
+incline vers la terre.
+
+Car rien de cela n'est le fruit de vos pensées ou de vos efforts, mais
+une grâce de Dieu qui a daigné jeter sur vous un regard, afin que,
+croissant dans la vertu et dans l'humilité, vous vous prépariez à de
+nouveaux combats, et que tout votre coeur s'attache à moi avec la
+volonté ferme de me servir.
+
+2. Quelque ardent que soit le feu, la flamme cependant ne monte point
+sans fumée.
+
+Ainsi quelques-uns, quoique embrasés du désir des choses célestes, ne
+sont point néanmoins entièrement dégagés des affections et des
+tentations de la chair.
+
+Et c'est pourquoi ils n'ont pas en vue la seule gloire de Dieu, dans ce
+qu'ils demandent avec tant d'instance.
+
+Tel est souvent votre désir, que vous croyez si vif et si pur.
+
+Car rien n'est pur ni parfait, de ce qui est mêlé d'intérêt propre.
+
+3. Demandez, non ce qui vous est doux, non ce qui vous offre quelque
+avantage, mais ce qui m'honore et me plaît: car, si vous jugez selon la
+justice, vous devez, docile à mes ordres, les préférer à vos désirs et à
+tout ce qu'on peut désirer.
+
+Je connais votre désir; j'ai entendu vos gémissements.
+
+Vous voudriez jouir déjà de la liberté glorieuse des enfants de Dieu;
+déjà la demeure éternelle, la céleste patrie où la joie ne tarit jamais,
+ravit votre pensée. Mais l'heure n'est pas encore venue, vous êtes
+encore dans un autre temps, temps de guerre, temps de travail et
+d'épreuves.
+
+Vous désirez être rassasié du souverain bien; mais cela ne se peut
+maintenant.
+
+C'est moi qui suis le bien suprême: attendez-moi, dit le Seigneur,
+_jusqu'à ce que vienne le royaume de Dieu_[459].
+
+ [459] Luc., XXII, 18.
+
+4. Il faut que vous soyez encore éprouvé sur la terre, et exercé de bien
+des manières.
+
+De temps en temps, vous recevrez des consolations, mais jamais assez
+abondantes pour rassasier vos désirs.
+
+_Ranimez donc votre force et votre courage_[460], pour accomplir et pour
+souffrir ce qui répugne à la nature.
+
+ [460] Josué, I, 6.
+
+_Il faut que vous vous revêtiez de l'homme nouveau_[461], que vous vous
+changiez en un autre homme.
+
+ [461] Eph., IV, 24. I. Reg., X. 6, 9.
+
+Il faut que souvent vous fassiez ce que vous ne voulez pas, et que vous
+renonciez à ce que vous voulez.
+
+Ce que les autres souhaitent, réussira: mille obstacles s'opposeront à
+ce que vous souhaitez.
+
+On écoutera ce que disent les autres: ce que vous direz sera compté pour
+rien.
+
+Ils demanderont, et ils obtiendront: vous demanderez, et on vous
+refusera.
+
+5. On parlera d'eux, on les exaltera; et personne ne parlera de vous.
+
+On leur confiera tel ou tel emploi; et l'on ne vous jugera propre à
+rien.
+
+Quelquefois la nature s'en affligera; et ce sera beaucoup si vous le
+supportez en silence.
+
+C'est dans ces épreuves et une infinité d'autres semblables, que,
+d'ordinaire, on reconnaît combien un vrai serviteur de Dieu sait se
+renoncer et se briser à tout.
+
+Il n'est presque rien qui vous fasse sentir autant le besoin de mourir à
+vous-même, que de voir et de souffrir ce qui répugne à votre volonté;
+surtout lorsqu'on vous commande des choses inutiles ou déraisonnables.
+
+Et, parce qu'assujetti à un supérieur vous n'osez résister à son
+autorité, il vous semble dur d'être en tout conduit par un autre, et de
+n'agir jamais selon votre propre sens.
+
+6. Mais pensez, mon fils, au fruit de ces travaux, à leur prompte fin, à
+leur _récompense trop grande_[462]; et loin de les porter avec douleur,
+vous y trouverez une puissante consolation.
+
+ [462] Genes., XV, 1.
+
+Car, pour avoir renoncé maintenant à quelques vaines convoitises, vous
+ferez éternellement votre volonté dans le ciel.
+
+Là, tous vos voeux seront accomplis, tous vos désirs satisfaits.
+
+Là, tous les biens s'offriront à vous, sans que vous ayez à craindre de
+les perdre.
+
+Là, votre volonté ne cessant jamais d'être unie à la mienne, vous ne
+souhaiterez rien hors de moi, rien qui vous soit propre.
+
+Là, personne ne vous résistera, personne ne se plaindra de vous,
+personne ne vous suscitera de contrariétés ni d'obstacles; mais tout ce
+qui peut être désiré étant présent à la fois, votre âme, rassasiée
+pleinement, n'embrassera qu'à peine cette immense félicité.
+
+Là, je donnerai la gloire pour les opprobres soufferts, la joie pour les
+larmes, pour la dernière place un trône dans mon royaume éternel.
+
+Là, éclateront les fruits de l'obéissance; la pénitence se réjouira de
+ses travaux, et l'humble dépendance sera glorieusement couronnée.
+
+7. Maintenant donc, inclinez-vous humblement sous la main de tous, et ne
+regardez point qui a dit ou ordonné cela.
+
+Mais si quelqu'un demande ou souhaite quelque chose de vous, qui que ce
+soit, ou votre supérieur, ou votre inférieur, ou votre égal, loin d'en
+être blessé, ayez soin de l'accomplir avec une affection sincère.
+
+Que l'un recherche ceci, un autre cela; que celui-là se glorifie d'une
+chose, celui-ci d'une autre, et qu'il en reçoive mille louanges; pour
+vous, ne mettez votre joie que dans le mépris de vous-même, dans ma
+volonté et ma gloire.
+
+Vous ne devez rien désirer, sinon que, _soit par la vie, soit par la
+mort, Dieu soit toujours glorifié en vous_[463].
+
+ [463] Philipp., I, 20.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ On ne saurait trop le redire, le premier et le dernier précepte, celui
+ qui les comprend tous, est l'entier renoncement de soi-même et la
+ conformité parfaite de notre volonté à celle de Dieu. Ainsi, bien
+ qu'il nous soit permis et même commandé d'aspirer à la béatitude
+ céleste, et de gémir sur _la longueur de notre exil_[464], néanmoins
+ nous devons le supporter avec une grande patience, et nous complaire
+ dans les épreuves que la Providence nous envoie, parce qu'elles sont
+ tout ensemble utiles à notre salut, et l'un des moyens que Dieu a
+ choisis pour satisfaire sa justice, et pour manifester en nous sa
+ miséricorde et sa gloire. Pécheurs, nous devons participer aux
+ souffrances de celui qui nous a rachetés; disciples de Jésus, nous
+ devons marcher à la suite de notre maître et de notre modèle en
+ portant la Croix, et, comme lui, épuiser le calice d'amertume. Nul
+ n'est couronné, s'il n'a combattu[465]. _Heureux donc l'homme qui
+ endure la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la
+ couronne de vie que Dieu a promise à ceux qui l'aiment_[466].
+ Attendons le moment qu'il a marqué, et poursuivons en paix notre
+ pèlerinage. Tout ce qui finit est court, et rien n'est pénible à celui
+ qui espère. Que cette pensée ranime notre langueur, quand nous nous
+ sentons abattus. «Au milieu de ce grand naufrage du monde, dit saint
+ Chrysostome, une main propice nous jette d'en haut le câble de
+ l'espérance, qui peu à peu retire des flots des misères humaines et
+ soulève jusqu'au Ciel ceux qui s'y attachent fortement[467].»
+
+ [464] Ps. CXIX, 5.
+
+ [465] I. Cor., IX, 25.
+
+ [466] Jacob., I, 12.
+
+ [467] Ad Theod. Laps. oper., t. I, p. 3.
+
+
+
+
+CHAPITRE L.
+
+Comment un homme dans l'affliction doit s'abandonner entre les mains de
+Dieu.
+
+
+1. LE F. Seigneur mon Dieu, Père saint, soyez béni maintenant et dans
+toute l'éternité; parce qu'il a été fait comme vous l'avez voulu, et ce
+que vous faites est bon.
+
+Que votre serviteur se réjouisse, non en lui-même ni en nul autre, mais
+en vous seul, parce que vous seul êtes la véritable joie; vous êtes,
+Seigneur, mon espérance, ma couronne, ma joie, ma gloire.
+
+_Qu'y a-t-il en votre serviteur qu'il n'ait reçu de vous_[468], et sans
+l'avoir mérité?
+
+ [468] I. Cor., IV, 7.
+
+Tout est à vous; vous avez tout fait, tout donné.
+
+_Je suis pauvre dans les travaux, dès mon enfance_[469]. Quelquefois mon
+âme est triste jusqu'aux larmes; et quelquefois elle se trouble en
+elle-même, à cause des passions qui la pressent.
+
+ [469] Ps. LXXXVII, 16.
+
+2. Je désire la joie de la paix, j'aspire à la paix de vos enfants, que
+vous nourrissez dans votre lumière et vos consolations.
+
+Si vous me donnez la paix, si vous versez en moi votre joie sainte,
+l'âme de votre serviteur sera comme remplie d'une douce mélodie; et ravi
+d'amour, il chantera vos louanges.
+
+Mais si vous vous retirez, comme vous le faites souvent, il ne pourra
+_courir dans la voie de vos commandements_[470]; alors il ne lui reste
+qu'à tomber à genoux et se frapper la poitrine, parce qu'il n'en est
+plus pour lui comme auparavant, lorsque _votre lumière resplendissait
+sur sa tête_[471], et qu'_à l'ombre de vos ailes, il trouvait un abri
+contre les tentations_[472].
+
+ [470] Ps. CXVIII, 32.
+
+ [471] Job, XXIX, 3.
+
+ [472] Ps. XVI, 10.
+
+3. Père juste et toujours digne de louange, l'heure est venue où votre
+serviteur doit être éprouvé.
+
+Père aimable, il est juste que votre serviteur souffre maintenant
+quelque chose pour vous.
+
+Père à jamais adorable, l'heure que vous avez prévue de toute éternité
+est venue, où il faut que votre serviteur succombe pour un peu de temps
+au dehors, sans cesser de vivre toujours intérieurement en vous.
+
+Il faut que, pour un peu de temps, il soit abaissé, humilié, anéanti
+devant les hommes, brisé de souffrances, accablé de langueurs, afin de
+se relever avec vous à l'aurore d'un jour nouveau, et d'être environné
+de splendeur dans le ciel.
+
+Père saint, vous l'avez ainsi ordonné, ainsi voulu; et ce que vous avez
+commandé s'est accompli.
+
+4. Car c'est la grâce que vous faites à ceux que vous aimez, de souffrir
+en ce monde pour votre amour, et d'être affligé autant de fois et par
+qui que ce soit que vous le permettiez.
+
+Rien ne se fait sur la terre sans raison, sans dessein, et sans l'ordre
+de votre Providence.
+
+_Ce m'est un bien, Seigneur, que vous m'ayez humilié, afin que je
+m'instruise de votre justice_[473], et que je bannisse de mon coeur tout
+orgueil et toute présomption.
+
+ [473] Ps. CXVIII, 71.
+
+Il m'est utile _d'avoir été couvert de confusion_[474], afin que je
+cherche à me consoler plutôt en vous que dans les hommes.
+
+ [474] Ps. LXVIII, 11.
+
+Par là, j'ai appris encore à redouter vos jugements impénétrables, selon
+lesquels vous affligez et le juste et l'impie, mais toujours avec équité
+et avec justice.
+
+5. Je vous rends grâces de ce que vous ne m'avez point épargné les maux,
+et de ce qu'au contraire vous m'avez sévèrement frappé, me chargeant de
+douleurs, et m'accablant d'angoisses au dedans et au dehors.
+
+De tout ce qui est sous le ciel, il n'est rien qui me console; je
+n'espère qu'en vous, ô mon Dieu, céleste médecin des âmes, _qui blessez
+et qui guérissez, qui conduisez jusqu'aux enfers, et qui en
+ramenez_[475].
+
+ [475] I. Reg., II, 6; Tob., XIII, 2.
+
+_Vous me guidez par vos enseignements, et votre verge même
+m'instruira_[476].
+
+ [476] Ps. XVII, 36.
+
+6. Père uniquement aimé, voilà que je suis entre vos mains, je m'incline
+sous la verge qui me corrige.
+
+Frappez, frappez encore, afin que je réforme, selon votre gré, tout ce
+qu'il y a d'imparfait en moi.
+
+Faites de moi, comme vous le savez si bien faire, un disciple humble et
+pieux, toujours prêt à vous obéir au moindre signe.
+
+Je m'abandonne, moi et tout ce qui est à moi, à votre correction. Il
+vaut mieux être châtié en ce monde qu'en l'autre.
+
+Vous savez tout, vous pénétrez tout, et rien ne vous est caché dans la
+conscience de l'homme.
+
+Vous connaissez les choses futures avant qu'elles arrivent, et il n'est
+pas besoin que personne vous instruise ou vous avertisse de ce qui se
+passe sur la terre.
+
+Vous savez ce qui est utile à mon avancement, et combien la tribulation
+sert à consumer la rouille des vices.
+
+Disposez de moi selon votre bon plaisir, et ne me délaissez point à
+cause de ma vie toute de péché, que personne ne connaît mieux que vous.
+
+7. Faites, Seigneur, que je sache ce que je dois savoir, que j'aime ce
+que je dois aimer, que je loue ce qui vous est agréable, que j'estime ce
+qui est précieux devant vous, et que je méprise ce qui est vil à vos
+regards.
+
+Ne permettez pas que _je juge d'après ce que l'oeil aperçoit au dehors,
+ni que je forme mes sentiments sur les discours insensés des
+hommes_[477]; mais faites que je porte un jugement vrai des choses
+sensibles et des spirituelles, et surtout que je cherche à connaître
+votre volonté.
+
+ [477] Is., XI, 3.
+
+8. Souvent les hommes se trompent en ne jugeant que sur le témoignage
+des sens. Les amateurs du siècle se trompent aussi en n'aimant que les
+choses visibles.
+
+Un homme en vaut-il mieux parce qu'un autre homme l'estime grand?
+
+Quand un homme en exalte un autre, c'est un menteur qui trompe un
+menteur, un superbe qui trompe un superbe, un aveugle qui trompe un
+aveugle, un malade qui trompe un malade; et les vaines louanges sont une
+véritable confusion pour qui les reçoit.
+
+Car, _ce qu'un homme est à vos yeux, Seigneur, voilà ce qu'il est
+réellement, et rien de plus_, dit l'humble saint François.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Dieu permet que notre âme soit quelquefois comme abandonnée. Nulle
+ consolation, nulle lumière; mais de toutes parts des épreuves, des
+ tentations, des angoisses: elle se croit près d'y succomber, parce
+ qu'elle n'aperçoit plus le bras qui la soutient. Que faire alors? dire
+ comme Jésus: _Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé[478]?_
+ Et cependant demeurer en paix dans la souffrance et dans les ténèbres,
+ _jusqu'à ce que les ombres déclinent, et que nous découvrions l'aurore
+ d'un nouveau jour_[479]. Cet état est le plus grand exercice de la
+ foi; c'est pour l'âme une image de la mort: froide, sans mouvement,
+ insensible en apparence, elle est comme enfermée dans le tombeau, et
+ ne tient plus, ce semble, à Dieu, que par une volonté languissante,
+ dont elle n'est pas même assurée. Oh! que de grâces sont le fruit de
+ cette agonie supportée avec une humble patience! Oh! que de péchés
+ rachètent cette passion! C'est alors que s'achève en nous le mystère
+ du salut, et que nous devenons véritablement conformes à Jésus, pourvu
+ qu'avec une foi sincère, inébranlable, nous ne cessions de répéter
+ cette parole de résignation: _Oui, mon Père_, j'accepte ce calice: je
+ veux l'épuiser jusqu'à la lie; _oui, mon Père, parce qu'il vous a plu
+ ainsi_[480].
+
+ [478] Matth., XXVI, 46.
+
+ [479] Cant., II, 17.
+
+ [480] Matth., XI, 26.
+
+
+
+
+CHAPITRE LI.
+
+Qu'il faut s'occuper d'oeuvres extérieures, quand l'âme est fatiguée des
+exercices spirituels.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, vous ne sauriez sentir toujours une égale ardeur pour
+la vertu, ni vous maintenir sans relâche dans un haut degré de
+contemplation; mais il est nécessaire, à cause du vice de votre origine,
+que vous descendiez quelquefois à des choses plus basses, et que vous
+portiez, malgré vous, et avec ennui, le poids de cette vie corruptible.
+
+Tant que vous traînerez ce corps mortel, vous éprouverez un grand dégoût
+et l'angoisse du coeur.
+
+Il vous faut donc, pendant que vous vivez dans la chair, gémir souvent
+du poids de la chair, et de ne pouvoir continuellement vous appliquer
+aux exercices spirituels et à la contemplation divine.
+
+2. Cherchez alors un refuge dans d'humbles occupations extérieures, et
+dans les bonnes oeuvres une distraction qui vous ranime: attendez avec
+une ferme confiance mon retour et la grâce d'en haut: souffrez
+patiemment votre exil et la sécheresse du coeur, jusqu'à ce que je vous
+visite de nouveau, et que je vous délivre de toutes vos peines.
+
+Car je reviendrai, et je vous ferai oublier vos travaux et jouir du
+repos intérieur.
+
+J'ouvrirai devant vous le champ des Écritures, afin que votre coeur,
+dilaté d'amour, vous presse de _courir dans la voie de mes
+commandements_[481].
+
+ [481] Ps. CXVIII, 32.
+
+Et vous direz: _Les souffrances du temps n'ont point de proportion avec
+la gloire future qui sera manifestée en nous_[482].
+
+ [482] Rom., VIII, 18.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Contempler Dieu et l'aimer, le contempler et l'aimer encore, voilà le
+ Ciel. L'âme, ici-bas, en reçoit quelquefois un avant-goût. Alors,
+ élevée au-dessus d'elle-même, elle se sent pleine d'ardeur, et enivrée
+ de joie, elle dit: _Il nous est bon d'être ici_[483]. Mais bientôt
+ arrive le temps de l'épreuve: il faut descendre du Thabor, et marcher
+ dans le chemin de la Croix. Heureuse l'âme qui, dans le dénûment,
+ l'aridité, les souffrances, demeure en paix, sans se laisser abattre
+ et sans murmurer; qui, fidèle à Jésus mourant, le suit avec courage
+ sur le Calvaire; et après avoir partagé le banquet de l'époux, prête à
+ partager son sacrifice, s'écrie comme un des Apôtres: _Et nous aussi,
+ allons et mourons avec lui[484]!_
+
+ [483] Matth., XVII, 4.
+
+ [484] Joann., XI, 16.
+
+
+
+
+CHAPITRE LII.
+
+Que l'homme ne doit pas se juger digne des consolations de Dieu, mais
+plutôt de châtiment.
+
+
+1. LE F. Seigneur, je ne mérite point que vous me consoliez et que vous
+me visitiez: ainsi vous en usez avec moi justement, lorsque vous me
+laissez pauvre et désolé.
+
+Quand je répandrais des larmes aussi abondantes que les eaux de la mer,
+je ne serais pas encore digne de vos consolations.
+
+Rien ne m'est dû que la verge et le châtiment: car je vous ai souvent et
+grièvement offensé, et mes péchés sont sans nombre.
+
+Après donc un strict examen, je me reconnais indigne de la moindre
+consolation.
+
+Mais vous, ô Dieu tendre et clément, qui ne voulez pas que vos ouvrages
+périssent, _pour faire éclater les richesses de votre bonté en des vases
+de miséricorde_[485], vous daignez consoler votre serviteur au delà de
+ce qu'il mérite, et d'une manière toute divine.
+
+ [485] Rom., IX, 23.
+
+Car vos consolations ne sont point comme les vaines paroles des hommes.
+
+2. Qu'ai-je fait, Seigneur, pour que vous me donniez quelque part aux
+consolations du ciel?
+
+Je n'ai point de souvenir d'avoir fait aucun bien; toujours, au
+contraire, je fus enclin au vice, et lent à me corriger.
+
+Il est vrai, et je ne puis le nier. Si je parlais autrement, vous vous
+élèveriez contre moi, et personne ne me défendrait.
+
+Qu'ai-je mérité pour mes péchés, sinon l'enfer et le feu éternel?
+
+Je le confesse avec sincérité: je ne suis digne que d'opprobre et de
+mépris; je ne mérite point d'être compté parmi ceux qui sont à vous. Et
+bien qu'il me soit douloureux de l'entendre, je rendrai cependant contre
+moi témoignage à la vérité, je m'accuserai de mes péchés, afin d'obtenir
+de vous plus aisément miséricorde.
+
+3. Que dirai-je, couvert, comme je le suis, de crimes et de confusion?
+
+Je n'ai à dire que ce seul mot: J'ai péché, Seigneur, j'ai péché; ayez
+pitié de moi, pardonnez-moi.
+
+_Laissez-moi un peu de temps pour exhaler ma douleur, avant que je m'en
+aille dans la terre de ténèbres, que recouvre l'ombre de la mort_[486].
+
+ [486] Job, X, 20, 22.
+
+Que demandez-vous d'un coupable, d'un misérable pécheur, sinon que,
+brisé de regrets, il s'humilie de ses péchés.
+
+La véritable contrition et l'humiliation du coeur produisent l'espérance
+du pardon, calment la conscience troublée, réparent la grâce perdue,
+protègent l'homme contre la colère à venir; et c'est alors que se
+rapprochent et se réconcilient dans un saint baiser Dieu et l'âme
+pénitente.
+
+4. Cette humble douleur des péchés vous est, Seigneur, un sacrifice
+agréable, et d'une odeur plus douce que celle de l'encens.
+
+C'est le délicieux parfum que vous permîtes de répandre sur vos pieds
+sacrés: car _vous ne méprisez jamais un coeur contrit et humilié_[487].
+
+ [487] Ps. L, 18.
+
+Là est le refuge contre la fureur de l'ennemi: là, le pécheur se
+réforme, et se purifie de toutes les souillures qu'il a contractées au
+dehors.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Quelques-uns recherchent avec un désir trop vif les consolations
+ célestes, et tombent dans l'abattement dès qu'elles leur sont
+ retirées. Mais ces grâces que Dieu accorde ou comme récompense aux
+ âmes embrasées d'une ferveur extraordinaire, ou comme encouragement
+ aux âmes faibles encore, pour les aider à supporter le travail de la
+ pénitence, ne nous sont dues en nulle manière; et toujours faut-il
+ _porter en nous la mortification de Jésus, afin que la vie de Jésus
+ soit manifestée en nous_[488]. Où serait l'expiation, où serait le
+ mérite, si nous n'avions rien à souffrir, ou si nos souffrances
+ étaient constamment accompagnées de l'onction divine qui les tempère,
+ et quelquefois les rend plus douces qu'aucune joie du monde? De
+ nous-mêmes, pécheurs misérables, nous n'avons droit qu'au supplice, et
+ nous voudrions jouir ici-bas de la félicité du ciel! Bénissons plutôt
+ la miséricorde qui, aux peines de l'éternité, substitue les épreuves
+ du temps: bénissons le Dieu qui ne se souvient, durant notre passage
+ sur la terre, de ce que nous devons à sa justice que pour l'oublier
+ ensuite à jamais; et disons-lui du fond de notre _coeur brisé_[489],
+ mais plein de reconnaissance et d'amour: _Lavez-moi de plus en plus de
+ mon iniquité, Seigneur, et purifiez-moi de mon péché; car je connais
+ mon iniquité, et mon péché est devant moi toujours_[490].
+
+ [488] II. Cor., IV, 11.
+
+ [489] Ps. L, 29.
+
+ [490] _Ibid._, 4, 5.
+
+
+
+
+CHAPITRE LIII.
+
+Que la grâce ne fructifie point en ceux qui ont le goût des choses de la
+terre.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, ma grâce est d'un grand prix, et ne souffre point le
+mélange des choses étrangères, ni des consolations terrestres.
+
+Il faut donc écarter tout ce qui l'arrête, si vous désirez qu'elle se
+répande en vous.
+
+Retirez-vous dans un lieu secret, aimez à demeurer seul avec vous-même,
+ne recherchez l'entretien de personne; mais que votre âme s'épanche
+devant Dieu en de ferventes prières, afin de conserver la componction et
+une conscience pure.
+
+Comptez pour rien le monde entier, et occupez-vous de Dieu plutôt que
+des oeuvres extérieures.
+
+Car votre coeur ne peut être à moi, et se plaire en même temps à ce qui
+passe.
+
+Il vous faut séparer de vos connaissances et de vos amis, et sevrer
+votre âme de toute consolation terrestre.
+
+C'est ainsi que le bienheureux apôtre Pierre conjure les fidèles
+serviteurs de Jésus-Christ _de se regarder ici-bas comme des étrangers
+et des voyageurs_[491].
+
+ [491] I. Pet., II, 11.
+
+2. Oh! qu'il aura de confiance à l'heure de la mort, celui que nul
+attachement ne retient en ce monde!
+
+Mais un esprit encore malade ne comprend pas que le coeur soit ainsi
+détaché de tout; et l'homme charnel ne connaît point la liberté de
+l'homme intérieur.
+
+Cependant, pour devenir vraiment spirituel, il faut renoncer à ses
+proches comme aux étrangers, et ne se garder de personne plus que de
+soi-même.
+
+Si vous parvenez à vous vaincre parfaitement, vous vaincrez aisément
+tout le reste.
+
+La parfaite victoire est de triompher de soi-même.
+
+Celui qui se tient tellement assujetti, que les sens obéissent à la
+raison, et que la raison m'obéisse en tout, est véritablement vainqueur
+de lui-même et maître du monde.
+
+3. Si vous aspirez à cette haute perfection, il faut commencer avec
+courage et mettre la cognée à la racine de l'arbre, pour arracher et
+détruire jusqu'aux restes les plus cachés de l'amour déréglé de
+vous-même, et des biens sensibles et particuliers.
+
+De cet amour désordonné que l'homme a pour lui-même, naissent presque
+tous les vices qu'il doit vaincre et déraciner; et dès qu'il l'aura
+subjugué pleinement, il jouira d'un calme et d'une paix profonde.
+
+Mais parce qu'il en est peu qui travaillent à mourir parfaitement à
+eux-mêmes, et à sortir d'eux-mêmes entièrement, ils demeurent comme
+ensevelis dans la chair, et ne peuvent s'élever au-dessus des sens.
+
+Celui qui veut me suivre librement, il faut qu'il mortifie toutes ses
+inclinations déréglées, et qu'il ne s'attache à nulle créature par un
+amour de convoitise ou particulier.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ _Personne ne peut servir deux maîtres; car, ou il aimera l'un et nuira
+ l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre_[492]. Nous ne
+ pouvons servir à la fois Dieu et le monde; et la vie chrétienne
+ consiste à s'affranchir de l'esclavage du monde, pour acquérir _la
+ liberté des enfants de Dieu_[493]. Or la grâce combat en nous pour
+ Dieu, contre la nature corrompue qui nous entraîne vers le monde;
+ combat terrible dont on ne sort vainqueur qu'en mourant à soi-même, à
+ ses pensées, à ses goûts, à ses inclinations; et la mort corporelle,
+ qui termine à jamais la lutte entre la nature et la grâce, est la
+ dernière victoire du chrétien; ce qui faisait dire à l'apôtre saint
+ Paul: _Qui me délivrera de ce corps de mort[494]?_ Exerçons-nous donc
+ à mourir: détachons-nous entièrement de la terre et de toutes les
+ choses de la terre; détachons-nous de nous-mêmes, et ne vivons plus
+ qu'en Dieu, de Dieu et pour Dieu. Que cherchons-nous hors de lui? Ne
+ renferme-t-il pas tous les biens? Oh! quand nous sera-t-il donné de le
+ voir _tel qu'il est, face à face_[495]; _de nous rassasier de son
+ être, de sa gloire_[496] infinie! Hâtons de nos voeux ce moment qui
+ fixera notre éternité; et dans l'ardeur de nos désirs, écrions-nous
+ avec le Prophète: _Malheur à moi, parce que mon exil a été prolongé!
+ J'ai habité avec les peuples de Cédar, et mon âme a été étrangère au
+ milieu d'eux_[497].
+
+ [492] Matth., VI, 24.
+
+ [493] Rom., VIII, 21.
+
+ [494] Rom., VII, 24.
+
+ [495] I. Joann., III, 2.
+
+ [496] Ps. XVI, 15.
+
+ [497] Ps. CXIX, 5.
+
+
+
+
+CHAPITRE LIV.
+
+Des divers mouvements de la nature et de la grâce.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, observez avec soin les mouvements de la nature et de
+la grâce: car, quoique très-opposées, la différence en est quelquefois
+si imperceptible, qu'à peine un homme éclairé dans la vie spirituelle en
+peut faire le discernement.
+
+Tous les hommes ont le désir du bien et tendent à quelque bien dans
+leurs paroles et dans leurs actions; c'est pourquoi plusieurs sont
+trompés dans cette apparence de bien.
+
+2. La nature est pleine d'artifice: elle attire, elle surprend, elle
+séduit, et n'a jamais d'autre fin qu'elle-même.
+
+La grâce, au contraire, agit avec simplicité, et fuit jusqu'à la moindre
+apparence du mal: elle ne tend point de piéges, et fait tout pour Dieu
+seul, en qui elle se repose comme en sa fin.
+
+3. La nature répugne à mourir; elle ne veut point être contrainte, ni
+vaincue, ni assujettie, ni se soumettre volontairement.
+
+Mais la grâce porte à se mortifier soi-même, résiste à la sensualité,
+recherche l'assujettissement, aspire à être vaincue, et ne veut pas
+jouir de sa liberté; elle aime la dépendance, ne désire dominer
+personne, mais vivre, demeurer, être toujours sous la main de Dieu; et à
+cause de Dieu, _elle est prête à s'abaisser humblement au-dessous de
+toute créature_[498].
+
+ [498] Pet., II, 13.
+
+4. La nature travaille pour son intérêt propre, et calcule le gain
+qu'elle peut retirer des autres.
+
+La grâce ne considère point ce qui lui est avantageux, mais ce qui peut
+être utile à plusieurs.
+
+5. La nature aime à recevoir les respects et les honneurs.
+
+La grâce renvoie fidèlement à Dieu tout honneur et toute gloire.
+
+6. La nature craint la confusion et le mépris.
+
+La grâce _se réjouit de souffrir des outrages pour le nom de
+Jésus_[499].
+
+ [499] Act., V, 41.
+
+7. La nature aime l'oisiveté et le repos du corps.
+
+La grâce ne peut être oisive, et se fait une joie du travail.
+
+8. La nature recherche les choses curieuses et belles, et repousse avec
+horreur ce qui est vil et grossier.
+
+La grâce se complaît dans les choses simples et humbles; elle ne
+dédaigne point ce qu'il y a de plus rude, et ne refuse point de se vêtir
+de haillons.
+
+9. La nature convoite les biens du temps, elle se réjouit d'un gain
+terrestre, s'afflige d'une perte, et s'irrite d'une légère injure.
+
+La grâce n'aspire qu'aux biens éternels, et ne s'attache point à ceux du
+temps; elle ne se trouble d'aucune perte, et ne s'offense point des
+paroles les plus dures, parce qu'elle a mis son trésor et sa joie dans
+le Ciel, où rien ne périt.
+
+10. La nature est avide, et reçoit plus volontiers qu'elle ne donne;
+elle aime ce qui lui est propre et particulier.
+
+La grâce est généreuse et ne se réserve rien; elle évite la singularité,
+se contente de peu, et croit qu'_il est plus heureux de donner que de
+recevoir_[500].
+
+ [500] _Ibid._, XX, 35.
+
+11. La nature se porte vers les créatures, la chair, les vanités; elle
+est bien aise de se produire.
+
+La grâce élève à Dieu, excite à la vertu, renonce aux créatures, fuit le
+monde, hait les désirs de la chair, ne se répand point au dehors, et
+rougit de paraître devant les hommes.
+
+12. La nature se réjouit d'avoir quelque consolation extérieure qui
+flatte le penchant des sens.
+
+La grâce ne cherche de consolation qu'en Dieu seul; et s'élevant
+au-dessus des choses visibles, elle met toutes ses délices dans le
+souverain bien.
+
+13. La nature agit en tout pour le gain et pour son avantage propre;
+elle ne sait rien faire gratuitement; mais, en obligeant, elle espère
+obtenir quelque chose d'égal ou de meilleur, des faveurs ou des
+louanges; et elle veut qu'on tienne pour beaucoup tout ce qu'elle fait
+et tout ce qu'elle donne.
+
+La grâce ne veut rien de temporel; elle ne demande d'autre récompense
+que Dieu seul, et ne désire des choses du temps, même les plus
+nécessaires, que ce qui peut lui servir pour acquérir les biens
+éternels.
+
+14. La nature se complaît dans le grand nombre des amis et des parents;
+elle se glorifie d'un rang élevé, d'une naissance illustre; elle sourit
+aux puissants, flatte les riches, et applaudit à ceux qui lui
+ressemblent.
+
+La grâce aime ses ennemis même, et ne s'enorgueillit point du nombre de
+ses amis; elle ne compte pour rien la noblesse et les ancêtres, à moins
+qu'ils ne se soient distingués par la vertu; elle favorise plutôt le
+pauvre que le riche, compatit plus à l'innocent qu'au puissant,
+recherche l'homme vrai, fuit le menteur, et ne cesse d'exhorter les bons
+_à s'efforcer de devenir meilleurs_[501], afin de se rendre semblables
+au Fils de Dieu par leurs vertus.
+
+ [501] I. Cor., XII, 31.
+
+15. La nature est prompte à se plaindre de ce qui lui manque et de ce
+qui la blesse.
+
+La grâce supporte avec constance la pauvreté.
+
+16. La nature rapporte tout à elle-même, combat, discute pour ses
+intérêts.
+
+La grâce ramène tout à Dieu, de qui tout émane originairement; elle ne
+s'attribue aucun bien, ne présume point d'elle-même avec arrogance, ne
+conteste point, ne préfère point son opinion à celle des autres; mais
+elle soumet toutes ses pensées et tous ses sentiments à l'éternelle
+sagesse et au jugement de Dieu.
+
+17. La nature est curieuse de secrets et de nouvelles; elle veut se
+montrer et voir, et examiner par elle-même; elle désire d'être connue,
+et de s'attirer la louange et l'admiration.
+
+La grâce ne s'occupe point de nouvelles, ni de ce qui nourrit la
+curiosité; car tout cela n'est que la renaissance d'une vieille
+corruption, puisqu'il n'y a rien de nouveau ni de stable sur la terre.
+
+Elle enseigne à réprimer les sens, à fuir la vaine complaisance et
+l'ostentation, à cacher humblement ce qui mérite l'éloge et l'estime, et
+à ne chercher en ce qu'on sait, et en toute chose, que ce qui peut être
+utile, en l'honneur et la gloire de Dieu.
+
+Elle ne veut point qu'on loue ni elle, ni ses oeuvres; mais elle désire
+que Dieu soit béni dans les dons qu'il répand par pur amour.
+
+18. Cette grâce est une lumière surnaturelle, un don spécial de Dieu;
+c'est proprement le sceau des élus, et le gage du salut éternel. De la
+terre où son coeur gisait, elle élève l'homme jusqu'à l'amour des biens
+célestes, et le rend spirituel, de charnel qu'il était.
+
+Plus donc la nature est affaiblie et vaincue, plus la grâce se répand
+avec abondance; et chaque jour, par de nouvelles effusions, elle
+rétablit, au dedans de l'homme, l'image de Dieu.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Selon la doctrine du grand Apôtre, nous avons en nous deux lois
+ opposées: la loi de la chair, qui nous asservit au péché, et la loi de
+ l'esprit qui nous retient dans l'ordre par le secours de la grâce que
+ Jésus-Christ nous a mérité[502]. Partagés entre ces deux lois, _entre
+ la chair et l'esprit qui se combattent sans cesse_[503], nous sommes
+ ici-bas comme flottant entre le bien et le mal, entre Dieu et le
+ monde, poussés vers l'un par la nature, attirés vers l'autre par la
+ grâce, qui n'abandonne jamais entièrement les plus grands pécheurs, de
+ même que la concupiscence ne cesse jamais de solliciter les plus
+ justes. Que deviendra notre pauvre âme en proie à cette guerre
+ terrible? Combien doit-elle trembler sur les suites d'un tel combat?
+ _Et c'est pourquoi_, dit saint Paul, _toute créature gémit, et est
+ comme dans le travail de l'enfantement: et nous aussi qui avons reçu
+ les prémices de l'Esprit, nous gémissons en nous-même, attendant
+ l'adoption des enfants de Dieu, et la délivrance de notre corps_[504].
+ Heureux jour! et quand viendra-t-il? Quand goûterons-nous la
+ délicieuse paix d'un amour immuable? _J'ai désiré la dissolution de ma
+ chair, afin d'être avec Jésus-Christ_[505]. _Mon âme a soif du Dieu
+ fort, du Dieu vivant. Quand viendrai-je et paraîtrai-je devant la face
+ de mon Dieu_[506]?
+
+ [502] Rom., VII, 23.
+
+ [503] Galat., V, 17.
+
+ [504] Rom., VIII, 22, 23.
+
+ [505] Philipp., I, 23.
+
+ [506] Ps. XLI, 3.
+
+
+
+
+CHAPITRE LV.
+
+De la corruption de la nature, et de l'efficace de la grâce divine.
+
+
+1. LE F. Seigneur, mon Dieu, qui m'avez créé à votre image et à votre
+ressemblance, accordez-moi cette grâce dont vous m'avez montré
+l'excellence et la nécessité pour le salut, afin que je puisse vaincre
+ma nature corrompue, qui m'entraîne au péché et dans la perdition.
+
+_Car je sens en ma chair la loi du péché qui contredit la loi de
+l'esprit_[507], et m'asservit aux sens pour que je leur obéisse en
+esclave; et je ne puis résister aux passions qu'ils soulèvent en moi, si
+vous ne me secourez, en ranimant mon coeur par l'effusion de votre
+sainte grâce.
+
+ [507] Rom., VII, 23.
+
+2. Votre grâce, et une grâce très-grande, est nécessaire pour vaincre la
+nature _inclinée au mal dès l'enfance_[508].
+
+ [508] Gen., VIII, 21.
+
+Car, déchue en Adam, notre premier père, et dépravée par le péché, cette
+tache passe dans tous les hommes, et ils en portent la peine: de sorte
+que cette nature même, que vous avez créée dans la justice et dans la
+droiture, ne rappelle plus que la faiblesse et le déréglement d'une
+nature corrompue, parce que, laissée à elle-même, son propre mouvement
+ne la porte qu'au mal, et vers les choses de la terre.
+
+Le peu de force qui lui est resté est comme une étincelle cachée sous la
+cendre.
+
+C'est cette raison naturelle, environnée de profondes ténèbres, sachant
+encore discerner le bien du mal, le vrai du faux, mais impuissante à
+accomplir ce qu'elle approuve, parce qu'elle ne possède pas la pleine
+lumière de la vérité, et que toutes ses affections sont malades.
+
+3. De là vient, mon Dieu, que _je me réjouis en votre loi, selon l'homme
+intérieur_[509], reconnaissant _que vos commandements sont bons, justes
+et saints_[510], qui condamnent tout mal, et détournent du péché.
+
+ [509] Rom., VII, 22.
+
+ [510] _Ibid._, 12.
+
+Mais, _dans ma chair je suis asservi à la loi du péché_[511], obéissant
+plutôt aux sens qu'à la raison, _voulant le bien, et n'ayant pas la
+force de l'accomplir_[512].
+
+ [511] _Ibid._, 25.
+
+ [512] _Ibid._, 18.
+
+C'est pourquoi souvent je forme de bonnes résolutions; mais la grâce,
+qui aide ma faiblesse, venant à manquer, au moindre obstacle je cède et
+je tombe.
+
+Je découvre la voie de la perfection, et je vois clairement ce que je
+dois faire;
+
+Mais, accablé du poids de ma corruption, je ne m'élève à rien de
+parfait.
+
+4. Ô que votre grâce, Seigneur, m'est nécessaire, pour commencer le
+bien, le continuer et l'achever!
+
+Car sans elle je ne puis rien faire; mais _je puis tout en vous, quand
+votre grâce me fortifie_[513].
+
+ [513] Philipp., IV, 13.
+
+Ô grâce vraiment céleste, sans laquelle nos mérites et les dons de la
+nature ne sont rien!
+
+Les arts, les richesses, la beauté, la force, le génie, l'éloquence,
+n'ont aucun prix, Seigneur, à vos yeux, sans la grâce.
+
+Car les dons de la nature sont communs aux bons et aux méchants; mais la
+grâce ou la charité est le don propre des élus; elle est le signe auquel
+on reconnaît ceux qui sont dignes de la vie éternelle.
+
+Telle est l'excellence de cette grâce, que ni le don de prophétie, ni le
+pouvoir d'opérer des miracles, ni la plus haute contemplation, ne
+doivent être comptés pour quelque chose sans elle.
+
+Ni la foi même, ni l'espérance, ni les autres vertus, ne vous sont
+agréables sans la grâce et la charité.
+
+5. Ô bienheureuse grâce, qui rendez riche en vertus le pauvre d'esprit,
+et celui qui possède de grands biens humble de coeur!
+
+Venez, descendez en moi, remplissez-moi dès le matin de votre
+consolation, de peur que mon âme épuisée, aride, ne vienne à défaillir
+de lassitude.
+
+J'implore votre grâce, ô mon Dieu, je ne veux qu'elle: _car votre grâce
+me suffit_[514], quand je n'obtiendrais rien de ce que la nature désire.
+
+ [514] II. Cor., XII, 9.
+
+Si je suis éprouvé, tourmenté par beaucoup de tribulations, je ne
+craindrai aucuns maux, tandis que votre grâce sera avec moi.
+
+Elle est ma force, mon conseil, mon appui.
+
+Elle est plus puissante que tous les ennemis, et plus sage que tous les
+sages.
+
+6. Elle enseigne la vérité, et règle la conduite; elle est la lumière du
+coeur, et sa consolation dans l'angoisse; elle chasse la tristesse,
+dissipe la crainte, nourrit la piété, produit les larmes.
+
+Que suis-je sans elle qu'un bois sec, un rameau stérile qui n'est bon
+qu'à jeter?
+
+_Que votre grâce, Seigneur, me prévienne donc et m'accompagne toujours;
+qu'elle me rende sans cesse attentif à la pratique des bonnes oeuvres:
+je vous en conjure par Jésus-Christ, votre Fils. Ainsi soit-il_[515].
+
+ [515] Orais. du 16e Dim. apr. la Pent.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ La religion fait deux choses: elle nous montre notre misère et nous en
+ indique le remède; elle nous enseigne que, de nous-mêmes, nous ne
+ pouvons rien pour le salut, mais que _nous pouvons tout en celui qui
+ nous fortifie_[516]. Et de là ce mot de saint Paul, mot aussi profond
+ de vérité qu'étonnant pour l'orgueil humain: _Je me glorifierai dans
+ mes infirmités, afin que la vertu de Jésus-Christ habite en moi_[517].
+ _Oui_, continue-t-il, _je me complais dans mes infirmités: car lorsque
+ je me sens infirme, c'est alors que je suis fort_[518]. Entrons dans
+ la pensée de l'Apôtre, et apprenons à nous humilier, à sentir notre
+ faiblesse, à jouir, pour ainsi parler, de notre néant. Lorsque nous
+ aurons rejeté toute vaine opinion de nous-mêmes, et creusé, en quelque
+ sorte, un lit profond dans notre âme, des flots de grâce s'y
+ précipiteront. La paix nous sera donnée sur la terre: car qui peut
+ troubler la paix de celui qui, s'oubliant et se méprisant soi-même, ne
+ s'appuie que sur Dieu et ne tient plus qu'à Dieu? _Paix aux hommes de
+ bonne volonté_[519], aux humbles de coeur, paix ici-bas: et dans le
+ Ciel _le rassasiement de la gloire_[520].
+
+ [516] Philipp., IV, 13.
+
+ [517] Cor., XII, 9.
+
+ [518] _Ibid._, 10.
+
+ [519] Luc., II, 14.
+
+ [520] Ps. XVI, 15.
+
+
+
+
+CHAPITRE LVI.
+
+Que nous devons nous renoncer nous-mêmes, et imiter Jésus-Christ en
+portant la Croix.
+
+
+1. J.-C. Mon Fils, vous n'entrerez en moi, qu'autant que vous sortirez
+de vous-même.
+
+Comme on possède en soi la paix, lorsqu'on ne désire rien au dehors,
+ainsi le renoncement intérieur unit à Dieu.
+
+Je veux que vous appreniez à vous renoncer assez parfaitement, pour vous
+soumettre à ma volonté sans répugnance et sans murmure.
+
+Suivez-moi: _Je suis la voie, la vérité et la vie_[521]. Sans la voie on
+n'avance pas; sans la vérité on ne connaît pas; on ne vit point sans la
+vie. Je suis la voie que vous devez suivre, la vérité que vous devez
+croire, la vie que vous devez espérer.
+
+ [521] Joann., XIV, 6.
+
+Je suis la voie qui n'égare point, la vérité qui ne trompe point, la vie
+qui ne finira jamais.
+
+Je suis la voie droite, la vérité souveraine, la véritable vie, la vie
+bienheureuse, la vie incréée.
+
+Si vous demeurez dans ma voie, _vous connaîtrez la vérité, et la vérité
+vous délivrera, et vous obtiendrez la vie éternelle_[522].
+
+ [522] Joann., VIII, 32.
+
+2. _Si vous voulez parvenir à la vie, gardez mes commandements_[523].
+
+ [523] Matth., XIX, 17.
+
+Si vous voulez connaître la vérité, croyez-moi.
+
+_Si vous voulez être parfait, vendez tout_[524].
+
+ [524] _Ibid._, 21.
+
+_Si vous voulez être mon disciple, renoncez-vous vous-même_[525].
+
+ [525] Luc., IX 23.
+
+Si vous voulez posséder la vie bienheureuse, méprisez la vie présente.
+
+Si vous voulez être élevé dans le Ciel, humiliez-vous sur la terre.
+
+Si vous voulez régner avec moi, portez la croix avec moi.
+
+Car les serviteurs de la Croix trouvent seuls la voie de la béatitude et
+de la vraie lumière.
+
+3. LE F. Seigneur Jésus, puisque votre vie était pauvre et que le monde
+la méprisait, donnez-moi de vous imiter, et d'être aussi méprisé du
+monde.
+
+_Car le serviteur n'est pas plus grand que celui qu'il sert, ni le
+disciple au-dessus de son maître_[526].
+
+ [526] Matth., X, 24.
+
+Que votre serviteur travaille à se former sur votre vie, parce que là
+est mon salut, et la vraie sainteté.
+
+Tout ce que je lis, tout ce que j'entends, hors cette vie céleste, ne me
+console ni ne me satisfait pleinement.
+
+4. Mon Fils, _puisque vous avez lu et que vous savez toutes ces choses,
+vous serez heureux si vous les pratiquez_[527].
+
+ [527] Joann., XIII, 17.
+
+_Celui-là m'aime, qui connaît et qui observe mes commandements; et je
+l'aimerai aussi, et je me manifesterai à lui, et je le ferai asseoir
+avec moi dans le royaume de mon Père_[528].
+
+ [528] _Ibid._, XIV, 24.
+
+5. LE F. Seigneur Jésus, qu'il soit fait selon votre parole et votre
+promesse: rendez-moi digne de ce bonheur immense.
+
+J'ai reçu, j'ai reçu de votre main la croix: je la porterai, oui, je la
+porterai, comme vous l'avez voulu, jusqu'à la mort.
+
+Certes, la vie d'un bon religieux est une croix, mais une croix qui
+conduit à la gloire.
+
+J'ai commencé; il n'est plus permis de retourner en arrière; il n'y a
+plus à s'arrêter.
+
+6. Allons, mes frères, marchons ensemble: Jésus sera avec nous.
+
+Pour Jésus, nous nous sommes chargés de la croix; continuons, pour
+Jésus, de porter la croix.
+
+Il sera notre soutien, celui qui est notre chef et notre guide.
+
+Voilà que notre roi marche devant nous; il combattra pour nous.
+
+Suivons avec courage; que rien ne nous effraie; soyons prêts _à mourir
+généreusement dans cette guerre, et ne souillons pas notre gloire_[529]
+de la honte d'avoir fui la Croix.
+
+ [529] I. Mac., IX, 10.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Il est étrange qu'il faille sans cesse redire à l'homme: Pense à ton
+ âme, le temps fuit, l'éternité s'avance; demain, aujourd'hui peut-être
+ elle aura commencé pour toi: et cependant il est vrai que si on ne lui
+ rappelait à chaque heure cette vérité formidable, à chaque heure il
+ l'oublierait, tant est puissante la fascination du monde sur cette
+ créature tombée. Réveillez-vous, sortez de votre sommeil, ne différez
+ pas davantage le soin de _l'unique chose nécessaire_[530]; hâtez-vous
+ de mettre la main à l'oeuvre, tandis que le jour luit encore; _la nuit
+ vient pendant laquelle nul ne peut travailler_[531]: nuit terrible,
+ nuit désolante, nuit qui n'aura jamais d'aurore! Quittez, quittez,
+ sans perdre un instant, _la voie large de la perdition_, pour entrer
+ dans _la voie étroite de la vie_[532]. Combattez avec courage les
+ penchants de la nature inclinés au mal, renoncez à vous-même, et
+ portez votre croix: dans la Croix est la force, l'espérance, le salut.
+ Heureux donc celui qui _ne sait_, comme l'Apôtre, _que Jésus, et Jésus
+ crucifié_[533]! il entendra, au dernier jour, cette parole d'éternelle
+ joie: _Venez, le béni de mon Père, posséder le royaume qui vous a été
+ préparé dès le commencement du monde_[534]. Mais les contempteurs de
+ la Croix, mais ceux qui se seront recherchés eux-mêmes, un autre sort
+ leur est réservé: _Dieu a dans sa main une coupe pleine d'un vin
+ mélangé; il la verse ici et là, et la lie ne s'épuise point, et tous
+ les pécheurs de la terre boiront_[535]!
+
+ [530] Luc., X. 42.
+
+ [531] Joann., IX, 4.
+
+ [532] Matth., VII, 13, 14.
+
+ [533] I. Cor., II, 2.
+
+ [534] Matth., XXV, 34.
+
+ [535] Ps. LXXIV, 9.
+
+
+
+
+CHAPITRE LVII.
+
+Qu'on ne doit point se laisser trop abattre quand on tombe en quelques
+fautes.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, la patience et l'humilité dans les traverses me
+plaisent plus que beaucoup de joie et de ferveur dans la prospérité.
+
+Pourquoi vous attrister d'une faute légère qu'on vous attribue? fût-elle
+plus grave, vous ne devriez pas en être ému.
+
+Laissez donc tomber cela; ce n'est pas une chose nouvelle, ni la
+première fois que vous l'éprouvez, et ce ne sera pas la dernière, si
+vous vivez longtemps.
+
+Vous avez assez de courage quand il ne vous arrive rien de fâcheux.
+
+Vous savez même conseiller bien les autres, et les fortifier par vos
+discours; mais lorsqu'il vous survient une affliction soudaine, vous
+manquez de conseil et de force.
+
+Considérez votre extrême fragilité, dont vous avez si souvent
+l'expérience dans les plus petites choses: et toutefois Dieu le permet
+ainsi pour votre salut.
+
+2. Bannissez de votre coeur, autant que vous le pourrez, tout ce qui le
+trouble. A-t-il été surpris, qu'il ne se laisse point abattre, mais
+qu'il se dégage sur-le-champ.
+
+Souffrez au moins avec patience, si vous ne pouvez souffrir avec joie.
+
+Lorsque vous êtes peiné d'entendre certaines choses, et que vous en
+ressentez de l'indignation, modérez-vous, et veillez à ce qu'il ne vous
+échappe aucune parole trop vive qui scandalise les faibles.
+
+Votre émotion s'apaisera bientôt, et le retour de la grâce adoucira
+l'amertume intérieure.
+
+Je suis toujours vivant, dit le Seigneur, pour vous secourir et vous
+consoler plus que jamais, si vous mettez en moi votre confiance, et si
+vous m'invoquez avec ferveur.
+
+3. Armez-vous de constance, et préparez-vous à souffrir encore
+davantage.
+
+Tout n'est pas perdu, quoique souvent vous soyez dans le trouble et
+tenté violemment.
+
+Vous êtes un homme, et non pas un Dieu; vous êtes de chair, et non pas
+un ange.
+
+Comment pourriez-vous toujours vous maintenir dans un égal degré de
+vertu, lorsque cette persévérance a manqué à l'Ange dans le ciel, et au
+premier homme dans le paradis?
+
+C'est moi qui soutiens et qui délivre ceux qui gémissent; et j'élève
+jusqu'à moi ceux qui reconnaissent leur infirmité.
+
+4. LE F. Seigneur, que votre parole soit bénie; _elle m'est plus douce
+que le miel à ma bouche_[536].
+
+ [536] Ps. XVIII, 10.
+
+Que ferais-je au milieu de tant d'afflictions et d'angoisses, si vous ne
+me ranimiez par vos saintes paroles?
+
+Pourvu que je parvienne enfin au port du salut, que m'importe que je
+souffre, et combien je souffre?
+
+Accordez-moi une bonne fin; donnez-moi de passer heureusement de ce
+monde à l'autre.
+
+Souvenez-vous de moi, mon Dieu, et conduisez-moi dans la voie droite
+vers votre royaume. Ainsi soit-il.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Ce n'est pas assez d'être patient avec les autres, il faut l'être
+ encore avec soi-même. Ce je ne sais quoi d'aigre et de violent que
+ nous ressentons en nous après avoir commis quelque faute, vient plutôt
+ de l'orgueil humilié, que d'un repentir selon Dieu. L'homme humble qui
+ connaît sa faiblesse, ne s'étonne point de tomber; il gémit de sa
+ chute, en implore le pardon, et se relève tranquille, pour combattre
+ avec un courage nouveau. Faillir est un mal sans doute, mais se
+ troubler n'est qu'un mal de plus. Le trouble a sa source ou dans une
+ sorte de dépit superbe de se trouver si infirme, ou dans le défaut de
+ confiance en celui _qui guérit notre infirmité_[537]. _Veillez et
+ priez, afin que vous n'entriez point en tentation_[538]; et si, la
+ tentation survenant, il arrive que vous succombiez, veillez et priez
+ davantage encore: mais ne perdez jamais la paix, car notre Dieu est
+ _le Dieu de la paix[539], et c'est dans la paix qu'il nous
+ appelle_[540]. _Que la grâce, la miséricorde et la paix de Dieu le
+ Père et de notre Seigneur Jésus-Christ_[541], soient donc avec nous
+ toujours et qu'elles nous conduisent, à travers les épreuves du temps,
+ aux joies de l'éternité.
+
+ [537] Ps. CII, 3.
+
+ [538] Matth., XXVI, 41.
+
+ [539] I. Cor., XIV, 33.
+
+ [540] _Ibid._, VII, 15.
+
+ [541] I. Tim., I, 2.
+
+
+
+
+CHAPITRE LVIII.
+
+Qu'il ne faut pas chercher à pénétrer ce qui est au-dessus de nous, ni
+sonder les secrets jugements de Dieu.
+
+
+1. J.-C. Mon fils, gardez-vous de disputer sur des sujets trop hauts, et
+sur les jugements cachés de Dieu: pourquoi l'un est abandonné, tandis
+qu'un autre reçoit des grâces si abondantes; pourquoi celui-ci n'a que
+des afflictions, et celui-là est comblé d'honneurs.
+
+Tout cela est au-dessus de l'esprit de l'homme, et nulle raison ne peut,
+quels que soient ses efforts, pénétrer les jugements divins.
+
+Quand donc l'ennemi vous suggère de semblables pensées, ou que les
+hommes vous pressent de questions curieuses, répondez par ces paroles du
+Prophète: _Vous êtes juste, Seigneur, et vos jugements sont
+droits_[542].
+
+ [542] Ps. CXIII, 137.
+
+2. Et encore: _Les jugements du Seigneur sont vrais et se justifient par
+eux-mêmes_[543].
+
+Il faut craindre mes jugements, et non les approfondir, parce qu'ils
+sont incompréhensibles à l'intelligence humaine.
+
+ [543] Ps. XVIII, 9.
+
+Ne disputez pas non plus des mérites des Saints, ne recherchez point si
+celui-ci est plus saint que cet autre, ni quel est le plus grand dans le
+royaume des cieux.
+
+Ces recherches produisent souvent des différends et des contestations
+inutiles; elles nourrissent l'orgueil et la vaine gloire, d'où naissent
+des jalousies et des dissensions; celui-ci préférant tel Saint, celui-là
+tel autre, et voulant qu'il soit le plus élevé.
+
+L'examen de pareilles questions, loin d'apporter aucun fruit, déplaît
+aux Saints. _Car je ne suis point un Dieu de dissension, mais de
+paix_[544]; et cette paix consiste plus à s'humilier sincèrement qu'à
+s'élever.
+
+ [544] I. Cor., XIV, 33.
+
+3. Quelques-uns ont un zèle plus ardent, une affection plus vive pour
+quelques Saints que pour d'autres; mais cette affection vient plutôt de
+l'homme que de Dieu.
+
+C'est moi qui ai fait tous les Saints, moi qui leur ai donné la grâce,
+moi qui leur ai distribué la gloire.
+
+Je sais les mérites de chacun: _Je les ai prévenus de mes plus douces
+bénédictions_[545].
+
+ [545] Ps. XX, 3.
+
+Je les ai connus et aimés avant tous les siècles: _je les ai choisis du
+milieu du monde_[546] et ce ne sont pas eux qui m'ont choisi les
+premiers.
+
+ [546] Joann., XV, 19
+
+Je les ai appelés par ma grâce, je les ai attirés par ma miséricorde, et
+conduits à travers des tentations diverses.
+
+J'ai répandu en eux d'ineffables consolations: je leur ai donné de
+persévérer, et j'ai couronné leur patience.
+
+4. Je connais le premier et le dernier, et je les embrasse tous dans mon
+amour immense.
+
+C'est moi qu'on doit louer dans tous mes Saints; moi qu'on doit bénir
+au-dessus de tout et honorer en chacun de ceux que j'ai ainsi élevés
+dans la gloire et prédestinés, sans aucuns mérites précédents de leur
+part.
+
+Celui donc qui méprise le plus petit des miens, n'honore pas le plus
+grand, parce que j'ai fait le petit et le grand.
+
+Et quiconque rabaisse quelqu'un de mes Saints, me rabaisse moi-même, et
+tous ceux qui sont dans le royaume des cieux.
+
+Tous ne sont qu'un par le lien de la charité: ils n'ont tous qu'un même
+sentiment, une même volonté, et sont tous unis par le même amour.
+
+5. Et ce qui est plus parfait encore, ils m'aiment plus qu'ils ne
+s'aiment, plus que tous leurs mérites.
+
+Ravis au-dessus d'eux-mêmes, au-dessus de leur propre amour, ils se
+plongent et se perdent dans le mien, et s'y reposent délicieusement.
+
+Rien ne saurait partager leur coeur, ni le détourner vers un autre
+objet; parce que, remplis de la vérité éternelle, ils brûlent d'une
+charité qui ne peut s'éteindre.
+
+Que les hommes ensevelis dans la chair et ses convoitises, les hommes
+qui ne savent aimer que les joies exclusives, cessent donc de discourir
+sur l'état des Saints. Ils retranchent et ils ajoutent, suivant leur
+inclination, et non pas selon que l'a réglé la vérité éternelle.
+
+6. En plusieurs, c'est ignorance, et surtout en ceux qui, peu éclairés
+de la lumière divine, aiment rarement quelqu'un d'un amour parfait et
+purement spirituel.
+
+Une inclination naturelle et une affection tout humaine les attire vers
+tel ou tel Saint; et ils transportent dans le ciel les sentiments de la
+terre.
+
+Mais il y a une distance infinie entre les pensées des hommes imparfaits
+et ce que la lumière d'en haut découvre à ceux qu'elle éclaire.
+
+7. Gardez-vous donc, mon fils, de raisonner curieusement sur ces choses
+qui passent votre intelligence: travaillez plutôt avec ardeur à obtenir
+une place, fût-ce la dernière, dans le royaume de Dieu.
+
+Et quand quelqu'un saurait qui des Saints est le plus parfait et le plus
+grand dans le royaume céleste, que lui servirait cette connaissance,
+s'il n'en tirait un nouveau motif de s'humilier devant moi, et de me
+louer davantage?
+
+Celui qui pense à la grandeur de ses péchés, à son peu de vertu, qui
+considère combien il est éloigné de la perfection des Saints, se rend
+plus agréable à Dieu, que celui qui dispute sur le degré plus ou moins
+élevé de leur gloire.
+
+Il vaut mieux prier les Saints avec larmes et avec ferveur, et implorer
+humblement leurs glorieux suffrages, que de chercher vainement à
+pénétrer le secret de leur état dans le ciel.
+
+8. Ils sont heureux, contents: qu'avons-nous besoin d'en savoir plus, et
+n'est-ce pas assez pour réprimer tous nos vains discours?
+
+Ils ne se glorifient point de leurs mérites, parce qu'ils ne
+s'attribuent rien de bon, mais qu'ils attribuent tout à moi, qui leur ai
+tout donné par une charité infinie.
+
+Ils sont remplis d'un si grand amour de la Divinité, d'une joie si
+surabondante, que comme il ne manque rien à leur gloire, rien ne peut
+manquer à leur félicité.
+
+Plus ils sont élevés dans la gloire, plus ils sont humbles en eux-mêmes:
+et leur humilité me les rend plus chers, et les unit plus étroitement à
+moi.
+
+C'est pourquoi il est écrit: _Qu'ils déposaient leurs couronnes au pied
+du trône de Dieu, qu'ils se prosternaient devant l'Agneau, et qu'ils
+adoraient celui qui vit dans les siècles des siècles_[547].
+
+ [547] Apoc., IV, 10; V, 14.
+
+9. Plusieurs recherchent _qui est le premier dans le royaume de
+Dieu_[548]; lesquels ignorent s'ils seront dignes d'être comptés parmi
+les derniers.
+
+ [548] Matth., XVIII, 1.
+
+C'est quelque chose de grand, d'être le plus petit dans le ciel, où tous
+sont grands: parce que tous seront appelés et seront en effet les
+enfants de Dieu.
+
+_Le moindre des élus sera comme le chef d'un peuple nombreux_, tandis
+que _le pécheur, après une longue vie, ne trouvera que la mort_[549].
+
+ [549] Is., LX, 22; LXV, 20.
+
+Ainsi, quand mes disciples demandèrent qui serait le plus grand dans le
+royaume des cieux, ils entendirent cette réponse:
+
+_Si vous ne vous convertissez et ne devenez comme de petits enfants,
+vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. Celui donc qui se fera
+petit comme cet enfant, sera le plus grand dans le royaume des
+cieux_[550].
+
+ [550] Matth., XVIII, 4.
+
+Malheur à ceux qui dédaignent de s'abaisser avec les petits, parce que
+la porte du ciel est basse, et qu'ils n'y pourront passer.
+
+_Malheur aussi aux riches qui ont ici leur consolation_[551], parce que,
+quand les pauvres entreront dans le royaume de Dieu, ils demeureront
+dehors poussant des hurlements.
+
+ [551] Luc., VI, 24.
+
+Humbles, réjouissez-vous; pauvres, tressaillez d'allégresse, _parce que
+le royaume de Dieu est à vous_[552], si cependant vous marchez dans la
+vérité.
+
+ [552] _Ibid._, 20.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ C'est une grande misère que le penchant qu'ont les hommes à
+ s'inquiéter de mille vaines questions, tandis qu'à peine songent-ils
+ aux vérités les plus importantes. Ils veulent tout savoir, excepté la
+ seule chose indispensable. Leur orgueil se complaît dans des
+ spéculations presque toujours dangereuses, ou au moins stériles pour
+ le salut. En s'efforçant de pénétrer des mystères impénétrables, ils
+ s'égarent dans leurs pensées, et ne saisissent que l'erreur, au moment
+ même où ils croient ravir à Dieu son secret. Voilà le fruit des
+ travaux dont ils se consument sous le soleil. Ah! qu'il y a de
+ profondeur et de véritable science de l'homme, dons ce conseil du
+ Sage: _Ne recherchez point ce qui est au-dessus de vous, et ne scrutez
+ point ce qui est plus fort que vous; mais pensez sans cesse à ce que
+ Dieu vous prescrit, et gardez-vous de sonder curieusement toutes ses
+ oeuvres: car il ne vous est pas nécessaire de voir de vos yeux ce qui
+ est caché_[553]. Songeons à nous-mêmes, à nos devoirs, au compte
+ rigoureux qu'il nous faudra rendre de nos oeuvres et de nos paroles.
+ Il y a bien là de quoi nous occuper et remplir tout notre temps: il ne
+ nous est donné que pour cela.
+
+ [553] Eccles., III, 22, 23.
+
+
+
+
+CHAPITRE LIX.
+
+Qu'on doit mettre toute son espérance et toute sa confiance en Dieu
+seul.
+
+
+1. LE F. Seigneur, quelle est ma confiance en cette vie, et ma plus
+grande consolation au milieu de tout ce qui s'offre à mes regards sous
+le ciel?
+
+N'est-ce pas vous, Seigneur mon Dieu, dont la miséricorde est infinie?
+
+Où ai-je été bien sans vous? et avec vous, où ai-je pu être mal?
+
+J'aime mieux être pauvre à cause de vous, que riche sans vous.
+
+J'aime mieux être avec vous voyageur sur la terre, que de posséder le
+ciel sans vous. Où vous êtes, là est le ciel; et la mort et l'enfer sont
+où vous n'êtes pas.
+
+Vous êtes tout mon désir: et c'est pourquoi je ne puis, loin de vous,
+que soupirer, gémir, prier.
+
+Je ne puis me confier pleinement qu'en vous, ni espérer dans mes besoins
+de secours que de vous seul, ô mon Dieu!
+
+Vous êtes mon espérance, ma confiance, mon consolateur toujours fidèle.
+
+2. _Tous cherchent leur intérêt_[554]; vous seul vous ne cherchez que
+mon salut et mon avancement, et vous disposez tout pour mon bien.
+
+ [554] Philipp, II, 21.
+
+Même quand vous m'exposez à beaucoup de tentations et de peines, c'est
+encore pour mon avantage; car vous avez coutume d'éprouver ainsi ceux
+qui vous sont chers.
+
+Et je ne dois pas moins vous aimer ni vous louer dans ces épreuves, que
+si vous me remplissiez des plus douces consolations.
+
+3. C'est donc en vous, Seigneur mon Dieu, que je mets toute mon
+espérance et tout mon appui; c'est dans votre sein que je dépose toutes
+mes afflictions et toutes mes angoisses; car je ne trouve que faiblesse
+et inconstance dans tout ce que je vois hors de vous.
+
+Il n'est point d'amis qui puissent me servir, point de protecteurs qui
+me soient de secours, ni de sages qui me donnent un conseil utile, ni de
+livre qui me console, ni de trésor assez grand pour me racheter, ni de
+lieu assez secret pour m'offrir un sûr asile, si vous ne daignez
+vous-même me secourir, m'aider, me fortifier, me consoler, m'instruire
+et me prendre sous votre garde.
+
+4. Car tout ce qui semble devoir procurer la paix et le bonheur, n'est
+rien sans vous, et réellement ne sert de rien pour rendre heureux.
+
+Vous êtes donc le principe et le terme de tous les biens, la plénitude
+de la vie, la source inépuisable de toute lumière et de toute parole; et
+la plus grande consolation de vos serviteurs est d'espérer uniquement en
+vous.
+
+Mes yeux sont élevés vers vous; en vous je mets toute ma confiance, mon
+Dieu, père des miséricordes.
+
+Sanctifiez mon âme, bénissez-la de votre céleste bénédiction, afin
+qu'elle devienne votre demeure sainte, le siége de votre éternelle
+gloire, et que, dans ce temple où vous ne dédaignez pas d'habiter, il
+n'y ait rien qui offense vos regards.
+
+_Regardez-moi, Seigneur, dans votre immense bonté; et, selon l'abondance
+de vos miséricordes_[555], exaucez la prière de votre serviteur
+misérable, exilé loin de vous dans la région des ténèbres et de la mort.
+
+ [555] Ps. LXVIII, 16, 17.
+
+Protégez et conservez l'âme de votre pauvre serviteur au milieu des
+dangers de cette vie corruptible; que votre grâce l'accompagne et le
+conduise par le chemin de la paix, dans la patrie de l'éternelle
+lumière. Ainsi soit-il.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Quand on a tout parcouru, tout entendu, tout vu, il faut en revenir à
+ cette parole qui renferme toute sagesse et toute perfection: DIEU
+ SEUL. «Considérez, disait un humble religieux de saint François, des
+ mille millions de créatures plus parfaites que celles qui sont à
+ présent, tant dans les voies de la nature que dans les voies de la
+ grâce. Réitérez à l'infini votre multiplication, et comparez ensuite
+ ces créatures si parfaites au grand Dieu des éternités; dans cette
+ vue, elles deviennent à rien. Je prenais, ajoutait-il, un grand
+ plaisir dans cette multiplication; et de voir qu'en même temps que
+ l'Être de Dieu paraissait, ces créatures qui se montraient si
+ excellentes et si pleines de gloire, se retiraient d'une rapidité
+ incroyable dans leur centre qui est le néant. Et voyant que le grand
+ Dieu était en moi, et plus en moi que je n'y étais moi-même, j'en
+ ressentais une joie inexplicable, et je ne pouvais comprendre comment
+ il était possible d'avoir Dieu en soi et partout au dehors de soi, et
+ de s'occuper des créatures. J'étais ravi qu'il fût seul éternel, seul
+ immuable, seul infini, et je vous dis en vérité, qu'en disant: _En mon
+ Dieu tout est Dieu_, ma volonté était touchée d'un si grand et si
+ ardent amour, qu'il me semblait que tout l'être créé disparaissait
+ devant moi, et qu'à jamais je ne serais plus occupé que de Dieu seul.
+ Je ne puis expliquer l'infinie jubilation de mon coeur à la vue de ses
+ immenses perfections: mais voyant ses grandeurs incompréhensibles, et
+ d'autre part mon néant avec toutes les misères qui l'accompagnent,
+ j'allais de l'infini à l'infini, et je me trouvais incapable, de
+ l'infini à l'infini, de l'aimer comme je l'aurais voulu, ce qui me
+ faisait souffrir inénarrablement; car plus je me trouvais impuissant à
+ l'aimer d'un amour réciproque, plus un secret amour me dévorait
+ intérieurement. Alors j'allais cherchant des secrets dans ma bassesse,
+ comme navré et enivré d'amour, ne connaissant pas ce que je faisais:
+ et, chose étrange, dans ce travail de l'âme, ces saillies de l'infini
+ en perfection à l'infini de ma bassesse, m'étaient autant de feux
+ d'amour qui me consumaient de leurs ardeurs[556].»
+
+ [556] L'homme intérieur, ou la Vie du vénérable père Jean-Chysostome,
+ religieux pénitent du tiers-ordre de Saint François; pag. 158, 175,
+ 176.
+
+
+FIN DU TROISIÈME LIVRE.
+
+
+
+
+L'IMITATION
+
+DE
+
+JÉSUS-CHRIST.
+
+
+
+
+LIVRE QUATRIÈME.
+
+DU SACREMENT DE L'EUCHARISTIE.
+
+
+
+
+EXHORTATION
+
+À LA SAINTE COMMUNION.
+
+
+VOIX DE JÉSUS-CHRIST.
+
+1. J.-C. _Venez à moi, vous tous qui êtes épuisés de travail et qui êtes
+chargés, et je vous soulagerai_[557].
+
+ [557] Matth., XI, 28.
+
+_Le pain que je donnerai, c'est ma chair_, que je donnerai _pour la vie
+du monde_[558].
+
+ [558] Joann., VI, 52.
+
+_Prenez et mangez: ceci est mon corps, qui sera livré pour vous. Faites
+ceci en mémoire de moi_[559].
+
+ [559] Luc., XXII, 19. I. Cor., XI, 24.
+
+_Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure en moi et moi en
+lui_[560].
+
+ [560] Joann., VI, 57.
+
+_Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie_[561].
+
+ [561] _Ibid._, 64.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Nous voyons ici l'accomplissement des promesses divines, des
+ espérances du genre humain, des figures et des prophéties de
+ l'ancienne Loi. Le sacrifice réel, celui qui opère à jamais la
+ réconciliation de l'homme avec Dieu, succède aux sacrifices
+ symboliques et sans efficacité. La véritable Pâque est immolée[562],
+ la manne céleste nourrit désormais, non plus seulement le peuple
+ d'Israël, mais tous les peuples de l'alliance nouvelle, tous les vrais
+ enfants du Père des croyants. À l'exemple du _Roi de Paix[563], le
+ Pontife éternel selon l'ordre de Melchisedech_[564], offre au
+ Très-Haut le pain et le vin, _le pain vivant descendu du Ciel_[565]:
+ _et le pain qu'il donne est sa chair_[566], et le vin est son sang; et
+ _en vérité, à moins qu'on ne mange la chair, et qu'on ne boive le sang
+ du Fils de l'homme, on n'aura point la vie en soi_[567]: _car ma
+ chair_, il le dit lui-même, _est vraiment une viande, et mon sang un
+ breuvage: celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et
+ moi en lui_[568]: _voilà le pain descendu du Ciel: qui mange ce pain
+ vivra éternellement_[569]. Il n'y a point à hésiter; ce langage est
+ clair; il faut se soumettre, il faut dire: Je crois; Seigneur,
+ augmentez ma foi[570]. Et qu'avaient annoncé les Prophètes? _Les
+ pauvres mangeront et seront rassassiés, et leur âme vivra
+ éternellement. Tous les riches de la terre ont mangé et ont adoré:
+ tous ceux qui habitent la terre se prosterneront en sa présence_[571].
+ Et nous aussi, dans l'inébranlable fermeté de notre foi, mangeons et
+ adorons; rassasions-nous de celle chair, abreuvons-nous de ce sang,
+ qui nous transforme en Jésus-Christ même. Victime d'un prix
+ inestimable, il acquitte volontairement notre dette envers la justice
+ divine, et pour nous appliquer, sans réserve et sans mesure, la vertu
+ de son sacrifice, il unit sa chair à notre chair, son âme à notre âme,
+ de sorte que, par celle ineffable union, _nous sommes remplis de la
+ divinité dont la plénitude habite en lui corporellement_[572].
+ Prodigieux mystère d'amour! _L'homme a mangé le pain des anges_[573].
+ Et comment? parce que «le Verbe de Dieu qui nourrit, dit saint
+ Augustin, de sa substance incorruptible les anges incorruptibles,
+ s'est fait chair, et a habité parmi nous[574]. Comme donc la créature
+ spirituelle se nourrit du Verbe, qui est son aliment par excellence;
+ et comme l'âme humaine, spirituelle aussi, mais, en punition du péché,
+ chargée des liens de la mortalité, a été abaissée de telle sorte,
+ qu'il faut qu'elle s'efforce d'atteindre par les conjectures des
+ choses visibles, à l'intelligence des choses invisibles: l'aliment
+ spirituel de la créature a été fait visible, non par un changement de
+ sa nature, mais relativement à la nôtre, afin qu'en cherchant ce qui
+ est visible, nous fussions rappelés au Verbe invisible[575].»
+ Chrétiens, allez au banquet sacré, approchez-vous de cette table où
+ Jésus-Christ tout entier se livre à vous, où le Verbe divin se fait
+ lui-même votre aliment incompréhensible: _Prenez et mangez le
+ véritable pain du Ciel_[576]. Là est l'espérance, la vie, la dernière
+ épreuve de la foi, la consommation de l'amour.
+
+ [562] I. Cor., V, 7.
+
+ [563] Gen., XIV, 18.
+
+ [564] Ps. CIX, 4.
+
+ [565] Joann., VI, 51.
+
+ [566] _Ibid._, 52.
+
+ [567] _Ibid._, 54.
+
+ [568] _Ibid._, 56, 57.
+
+ [569] _Ibid._, 59.
+
+ [570] Luc., XVII, 5.
+
+ [571] Ps. LIX, 21, 27, 30.
+
+ [572] Coloss, II, 9, 10.
+
+ [573] Ps. LXXVII, 25.
+
+ [574] S. Aug., Enarrat. in Ps. LXXVI, c. 17.
+
+ [575] Aug., De liber. arbitr., libr. III, cap. 30.
+
+ [576] Luc., XXII, 10. Joann., VI, 33.
+
+
+
+
+CHAPITRE PREMIER.
+
+Avec quel respect il faut recevoir Jésus.
+
+
+VOIX DU DISCIPLE.
+
+1. LE F. Ce sont là vos paroles, ô Jésus, vérité éternelle! quoiqu'elles
+n'aient pas été dites dans le même temps, et qu'elles ne soient pas
+écrites dans le même lieu.
+
+Et puisqu'elles viennent de vous, et qu'elles sont véritables, je dois
+les recevoir toutes avec une foi pleine de reconnaissance.
+
+Elles sont de vous, car c'est vous qui les avez dites; mais elles sont
+aussi à moi, parce que vous les avez dites pour mon salut.
+
+Je les reçois avec joie de votre bouche, afin qu'elles se gravent
+profondément dans mon coeur.
+
+Ces paroles pleines de tant de bonté, de tendresse et d'amour,
+m'animent; mais la pensée de mes crimes m'effraie, et ma conscience
+impure m'éloigne d'un mystère si saint.
+
+La douceur de vos paroles m'attire, mais le poids de mes péchés me
+retient.
+
+2. Vous m'ordonnez d'aller à vous avec confiance, si je veux _avoir part
+avec vous_; et de me nourrir du pain de l'immortalité, si je veux
+obtenir la vie et la gloire éternelle.
+
+Venez, dites-vous, _venez à moi vous tous qui souffrez et qui êtes
+oppressés, et je vous ranimerai_[577].
+
+ [577] Matth., XI, 28.
+
+Ô douce et aimable parole à l'oreille d'un pécheur! vous invitez,
+Seigneur mon Dieu, le pauvre et l'indigent à la participation de votre
+corps sacré.
+
+Mais qui suis-je, Seigneur, pour oser m'approcher de vous?
+
+_Voilà que les Cieux des cieux ne peuvent vous contenir_[578], et vous
+dites: _Venez tous à moi_.
+
+ [578] I. Reg., VIII, 27.
+
+3. D'où vient cette miséricordieuse condescendance, une si tendre
+invitation?
+
+Comment oserai-je aller à vous, moi qui ne sens en moi-même aucun bien
+qui puisse me donner quelque confiance?
+
+Comment vous recevrai-je en ma maison, moi qui ai si souvent outragé
+votre bonté?
+
+Les Anges et les Archanges vous adorent en tremblant, les Saints et les
+Justes sont saisis de frayeur; et vous dites: _Venez tous à moi!_
+
+Si ce n'était vous qui le dites, Seigneur, qui pourrait le croire?
+
+Et si vous n'ordonniez vous-même d'approcher de vous, qui en aurait
+l'audace?
+
+4. Noé, cet homme juste, travailla cent ans à construire l'arche, pour
+se sauver avec peu de personnes: et moi, comment pourrai-je, en une
+heure, me préparer à recevoir dignement le Créateur du monde?
+
+Moïse, le plus grand de vos serviteurs, pour qui vous étiez comme un
+ami, fit une arche d'un bois incorruptible, qu'il revêtit d'un or
+très-pur, afin d'y déposer les tables de la loi: et moi, vile créature,
+j'oserai recevoir si facilement le fondateur de la loi et l'auteur de la
+vie?
+
+Salomon, le plus sage des rois d'Israël, employa sept ans à élever un
+temple magnifique à la gloire de votre nom: il célébra, pendant huit
+jours, la fête de sa dédicace; il offrit mille hosties pacifiques, et,
+au son des trompettes, au milieu des cris de joie, il plaça
+solennellement l'arche d'alliance dans le lieu qui lui était préparé.
+
+Et moi, misérable que je suis et le plus pauvre des hommes, comment vous
+introduirai-je dans ma maison, moi qui sais à peine employer pieusement
+une demi-heure? Et plût à Dieu que j'eusse une seule fois employé
+dignement un moindre temps encore!
+
+5. Ô mon Dieu, que n'ont point fait ces saints hommes pour vous plaire,
+et combien, hélas! ce que je fais est peu! combien est court le temps
+que je consacre à me préparer à la communion!
+
+Rarement suis-je bien recueilli; plus rarement suis-je libre de toute
+distraction.
+
+Et certes, en votre divine et salutaire présence, nulle pensée profane
+ne devrait s'offrir à mon esprit, nulle créature ne devrait l'occuper:
+car ce n'est pas un ange, mais le Seigneur des anges que je dois
+recevoir en moi.
+
+6. Quelle distance infinie d'ailleurs entre l'arche d'alliance avec ce
+qu'elle renfermait, et votre corps très-pur avec ses ineffables vertus;
+entre les sacrifices de la loi, figure du sacrifice à venir, et la
+véritable hostie de votre corps, accomplissement de tous les anciens
+sacrifices!
+
+7. Pourquoi donc ne suis-je pas plus enflammé en votre adorable
+présence?
+
+Pourquoi n'ai-je pas soin de me mieux préparer à la participation de vos
+saints mystères; lorsque ces antiques patriarches, ces saints prophètes,
+et ces rois, et ces princes avec tout leur peuple, ont montré tant de
+zèle pour le culte divin?
+
+8. David, ce roi si pieux, fit éclater ses transports par des danses
+religieuses devant l'arche, se souvenant des bienfaits que Dieu avait
+répandus sur ses pères; il fit faire divers instruments de musique, il
+composa des psaumes que le peuple chantait avec allégresse, selon ce
+qu'il avait ordonné, et, animé de l'Esprit saint, souvent il les chanta
+lui-même sur sa harpe; il apprit aux enfants d'Israël à louer Dieu de
+tout leur coeur, et à unir chaque jour leurs voix pour le célébrer et le
+bénir.
+
+Si la vue de l'arche d'alliance inspirait tant de ferveur, tant de zèle
+pour les louanges de Dieu, quel respect, quel amour ne doit pas
+m'inspirer, et à tout le peuple chrétien, la présence de votre
+sacrement, ô Jésus, et la réception de votre corps adorable?
+
+9. Plusieurs courent en divers lieux pour visiter les reliques des
+Saints; ils écoutent avidement le récit de leurs actions; ils admirent
+les vastes temples bâtis en leur honneur, et baisent leurs os sacrés,
+enveloppés dans l'or et la soie.
+
+Et voilà que vous-même, ô mon Dieu, vous êtes ici présent devant moi sur
+l'autel, vous, le Saint des saints, le Créateur des hommes, le Roi des
+anges!
+
+Souvent c'est la curiosité, le désir de voir des choses nouvelles, qui
+fait entreprendre ces pèlerinages; et de là vient que, guidé par ce
+motif frivole, sans véritable contrition, on en tire peu de fruit pour
+la réforme des moeurs.
+
+Mais ici, dans le sacrement de l'autel, vous êtes présent tout entier, ô
+Christ Jésus, vrai Dieu et vrai homme; et toutes les fois qu'on vous
+reçoit dignement et avec ferveur, on recueille en abondance les fruits
+du salut éternel.
+
+Ce n'est pas la légèreté, ni la curiosité, ni l'attrait des sens, qui
+conduit à ce banquet sacré; mais une foi ferme, une vive espérance, une
+charité sincère.
+
+10. Ô Dieu créateur invisible du monde, que vous êtes admirable dans ce
+que vous faites pour nous! avec quelle bonté, quelle tendresse vous
+veillez sur vos élus, vous donnant vous-même à eux pour nourriture dans
+votre Sacrement!
+
+C'est là ce qui surpasse toute intelligence; ce qui, plus qu'aucune
+autre chose, attire à vous les coeurs pieux et enflamme leur amour.
+
+Car vos vrais fidèles, occupés toute leur vie de se corriger, puisent
+dans la fréquente réception de cet auguste Sacrement une merveilleuse
+ferveur et un zèle ardent pour la vertu.
+
+11. Ô grâce admirable et cachée du Sacrement, connue des seuls fidèles
+serviteurs de Jésus-Christ! car les serviteurs infidèles, asservis au
+péché, ne peuvent en ressentir l'influence.
+
+La grâce de l'Esprit saint est donnée dans ce Sacrement; il répare les
+forces de l'âme, et lui rend sa beauté première, que le péché avait
+effacée.
+
+Telle est quelquefois la puissance de cette grâce et la ferveur qu'elle
+inspire, que non-seulement l'esprit, mais le corps languissant, en
+reçoit une vigueur nouvelle.
+
+12. Et c'est pourquoi nous devons déplorer avec amertume la tiédeur et
+la négligence qui affaiblissent en nous le désir de recevoir
+Jésus-Christ, unique espérance des élus et leur seul mérite.
+
+Car c'est lui qui nous sanctifie et qui nous a rachetés; il est la
+consolation de ceux qui voyagent sur la terre, et l'éternelle félicité
+des Saints.
+
+Combien donc ne doit-on pas gémir de ce que plusieurs montrent tant
+d'indifférence pour ce sacré mystère, qui est la joie du ciel et le
+salut du monde!
+
+Ô aveuglement! ô dureté du coeur humain, d'être si peu touché de ce don
+ineffable, qui semble perdre de son prix à mesure qu'on en use
+davantage!
+
+13. Si cet adorable Sacrement ne s'accomplissait qu'en un seul lieu, et
+qu'un seul prêtre, dans le monde entier, consacrât l'hostie sainte, avec
+quelle ardeur les hommes n'accourraient-ils pas en ce lieu, vers ce
+prêtre unique, pour voir célébrer les saints mystères?
+
+Mais il y a plusieurs prêtres, et le Christ est offert en plusieurs
+lieux, afin que la miséricorde et l'amour de Dieu pour l'homme éclatent
+d'autant plus, que la sainte communion est plus répandue dans le monde.
+
+Je vous rends grâces, ô Jésus, pasteur éternel, qui, dans notre exil et
+notre indigence, daignez nous nourrir de votre corps et de votre sang
+précieux, et nous inviter, de votre propre bouche, à la participation de
+ces sacrés mystères, disant: _Venez à moi, vous tous qui portez votre
+fardeau avec travail, et je vous soulagerai_[579].
+
+ [579] Matth., XI, 28.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Tout ce qu'offrait de plus grand, de plus imposant, de plus saint, le
+ culte de l'ancienne alliance, n'était qu'une légère ombre des mystères
+ de l'Homme-Dieu. David célèbre avec pompe le retour de l'arche à
+ Jérusalem: mais cette arche était vide, elle ne renfermait pas le
+ Sauveur du genre humain. Salomon bâtit un temple magnifique; il en
+ fait, en présence du peuple saisi de respect, la dédicace solennelle;
+ des victimes sans nombre sont immolées; mais ces victimes, qu'est-ce?
+ de vils animaux dont le sang ne peut apaiser la souveraine Justice. Le
+ monde demeurait dans l'attente du salut annoncé, lorsque voilà qu'au
+ moment prédit, s'accomplissent _les promesses aperçues et saluées de
+ loin par les Patriarches, durant leur pèlerinage sur la terre_[580].
+ _Le désiré des nations_[581], _le Dominateur, l'Ange de
+ l'alliance_[582], _celui dont le nom est JEHOVAH_[583], _vient dans
+ son temple_[584], et le vrai sacrifice de propitiation remplace à
+ jamais les sacrifices figuratifs[585]. Au fond du tabernacle, sous les
+ voiles du sanctuaire repose l'Hostie toujours vivante, l'_Agneau de
+ Dieu, qui ôte le péché du monde_[586]. Le même _qui est assis à la
+ droite du Père_[587], est là présent, et sa voix nous appelle: _Prenez
+ et mangez, ceci est mon corps: buvez, ceci est mon sang, le sang de la
+ nouvelle alliance, répandu pour la rémission des péchés_[588].
+ _Mangez, ô mes amis: buvez, enivrez-vous, mes bien-aimés_[589]! _vous
+ tous qui avez soif, venez à la source_[590] _dont les eaux
+ rejaillissent dans l'éternelle vie_[591]. Ceux qui, refusant de se
+ désaltérer à cette source pure, s'en vont cherchant à l'écart _des
+ eaux furtives_[592], Dieu leur _prépare un breuvage assoupissant, et
+ leurs yeux se ferment. Dans ce sommeil, il leur semble qu'ils ont faim
+ et qu'ils mangent, et au réveil leur âme est vide. Altérés, ils rêvent
+ qu'ils boivent, et ils se réveillent pleins de lassitude, et ils ont
+ encore soif, et leur âme est vide[593]. Venez donc: je suis le pain de
+ vie; celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en
+ moi n'aura jamais soif_[594]. _Qui mange ma chair et boit mon sang a
+ la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour_[595].
+ Seigneur, je crois et j'adore: mon âme, haletante de désir, s'élance
+ vers vous; et puis soudain une grande frayeur l'arrête: car, hélas!
+ que suis-je pour oser m'approcher de mon Dieu? Quand je considère mes
+ souillures, ma bassesse, ma misère profonde, je n'ai plus qu'un
+ sentiment, qu'une parole: _Retirez-vous de moi, parce que je suis un
+ homme pécheur[596]. Cependant, ô Jésus, ce sont les pécheurs que vous
+ êtes venu appeler, et non pas les justes_[597]. Et c'est pourquoi,
+ frappant ma poitrine et implorant votre miséricorde, _je me lèverai et
+ j'irai_[598]: j'irai avec une vive foi, avec un ardent amour, vers _le
+ Fils_, le Verbe, _splendeur de la gloire de Dieu, et figure de sa
+ substance_[599], vers le Sauveur divin _qui nous purifie de nos
+ péchés_[600], qui s'incorpore à sa créature, pour l'élever jusqu'à
+ lui; j'irai, et je dirai: _Seigneur, je ne suis pas digne que vous
+ entriez en moi; mais dites seulement un mot, et mon âme sera
+ guérie_[601].
+
+ [580] Hebr., XI, 3.
+
+ [581] Agg., II, 8.
+
+ [582] Malach., III, 1.
+
+ [583] Jér., XXIII, 6.
+
+ [584] Malach., III, 1.
+
+ [585] _Ibid._ 3.
+
+ [586] Joann., I, 29.
+
+ [587] Ps. CIX, 1. Hebr., I, 3.
+
+ [588] Matth., XXVI, 27, 28.
+
+ [589] Cant., V, 1.
+
+ [590] Is., LV, 1
+
+ [591] Joann., IV, 14.
+
+ [592] Prov., IX, 17.
+
+ [593] Is., XXIX, 10, 8.
+
+ [594] Joann., VI, 35.
+
+ [595] _Ibid._, 55.
+
+ [596] Luc., V, 8.
+
+ [597] Matth., IX, 13.
+
+ [598] Luc., XV, 18.
+
+ [599] Hebr., I, 3.
+
+ [600] _Ibid._
+
+ [601] Matth., VIII, 8.
+
+
+
+
+CHAPITRE II.
+
+Combien Dieu manifeste à l'homme sa bonté et son amour dans le Sacrement
+de l'Eucharistie.
+
+
+VOIX DU DISCIPLE.
+
+1. Plein de confiance en votre bonté et votre grande miséricorde, je
+m'approche de vous, Seigneur: malade, je viens à mon Sauveur; consumé de
+faim et de soif, je viens à la source de la vie; pauvre, je viens au Roi
+du ciel; esclave, je viens à mon Maître; créature, je viens à celui qui
+m'a fait; désolé, je viens à mon tendre consolateur.
+
+Mais qu'y a-t-il en ce misérable, qui vous porte à venir à lui? que
+suis-je pour que vous vous donniez vous-même à moi?
+
+Comment un pécheur osera-t-il paraître devant vous? et comment
+daignerez-vous venir vers ce pécheur?
+
+Vous connaissez votre serviteur, et vous savez qu'il n'y a en lui aucun
+bien qui mérite cette grâce.
+
+Je confesse donc ma bassesse, je reconnais votre bonté, je bénis votre
+miséricorde, et je vous rends grâces, à cause de votre immense charité.
+
+Car c'est pour vous-même et non pour mes mérites que vous en usez de la
+sorte, afin que je connaisse mieux votre tendresse, et que, embrasé d'un
+plus grand amour, j'apprenne à m'humilier plus parfaitement, à votre
+exemple.
+
+Et puisqu'il vous plaît ainsi, et que vous l'avez ainsi ordonné, je
+reçois avec joie la grâce que vous daignez me faire: et puisse mon
+iniquité n'y pas mettre obstacle!
+
+2. Ô tendre et bon Jésus! quel respect, quelles actions de grâces,
+quelles louanges perpétuelles ne vous devons-nous pas, pour la réception
+de votre sacré Corps, si élevé au-dessus de tout ce que peut exprimer le
+langage de l'homme!
+
+Mais que penserai-je en le recevant, en m'approchant de mon Seigneur,
+que je ne puis révérer autant que je le dois, et que cependant je désire
+ardemment recevoir?
+
+Quelle pensée meilleure et plus salutaire que de m'abaisser profondément
+devant vous, et d'exalter votre bonté infinie pour moi?
+
+Je vous bénis, mon Dieu, et je veux vous louer éternellement. Je me
+méprise et me confonds devant vous dans l'abîme de mon abjection.
+
+3. Vous êtes le Saint des saints, et moi le rebut des pécheurs.
+
+Vous vous inclinez vers moi, qui ne suis pas digne de lever les yeux sur
+vous.
+
+Vous venez à moi, vous voulez être avec moi, vous m'invitez à votre
+table. Vous voulez me donner à manger un aliment céleste, le pain des
+Anges, qui n'est autre que vous-même, _ô pain vivant, qui êtes descendu
+du ciel, et qui donnez la vie au monde_[602]!
+
+ [602] Joann., VI, 48, 50, 54.
+
+4. Voilà la source de l'amour et le triomphe de votre miséricorde. Que
+ne vous doit-on pas d'actions de grâces et de louanges pour ce bienfait!
+
+Ô salutaire dessein que celui que vous conçûtes d'instituer votre
+Sacrement! ô doux et délicieux banquet, où vous vous donnâtes vous-même
+pour nourriture!
+
+Que vos oeuvres sont admirables, Seigneur! que votre puissance est
+grande! que votre vérité est ineffable!
+
+_Vous avez dit, et tout a été fait_[603], et rien n'a été fait que ce
+que vous avez ordonné.
+
+ [603] Ps. CXLVIII, 5.
+
+5. Chose merveilleuse, que nul homme ne saurait comprendre, mais que
+tous doivent croire; que vous, Seigneur mon Dieu, vrai Dieu et vrai
+homme, vous soyez contenu tout entier sous la moindre partie des espèces
+du pain et du vin, et que, sans être consumé, vous soyez mangé par celui
+qui vous reçoit.
+
+Souverain maître de l'univers, vous qui, n'ayant besoin de personne,
+avez cependant voulu habiter en nous par votre Sacrement: conservez sans
+tache mon âme et mon corps, afin que je puisse plus souvent célébrer vos
+saints mystères, avec la joie d'une conscience pure, et recevoir pour
+mon salut éternel ce que vous avez institué principalement pour votre
+gloire, et pour perpétuer à jamais le souvenir de votre amour.
+
+6. Réjouis-toi, mon âme, et rends grâces à Dieu d'un don si magnifique,
+d'une si ravissante consolation, qu'il t'a laissée dans cette vallée de
+larmes.
+
+Car toutes les fois qu'on célèbre ce mystère, et qu'on reçoit le corps
+de Jésus-Christ, l'on consomme soi-même l'oeuvre de sa rédemption, et on
+participe à tous les mérites du Christ.
+
+Car la charité de Jésus-Christ ne s'affaiblit jamais, et jamais sa
+propitiation infinie ne s'épuise.
+
+Vous devez donc toujours vous disposer à cette action sainte par un
+renouvellement d'esprit, et méditer attentivement ce grand mystère de
+salut.
+
+Lorsque vous célébrez le divin sacrifice, ou que vous y assistez, il
+doit vous paraître aussi grand, aussi nouveau, aussi digne d'amour que
+si, ce jour là-même, Jésus-Christ descendant pour la première fois dans
+le sein de la Vierge, se faisait homme, ou que, suspendu à la croix, il
+souffrît et mourût pour le salut des hommes.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ L'Apôtre saint Jean, ravi en esprit dans la Jérusalem céleste, vit, au
+ milieu du trône de Dieu, un Agneau comme égorgé, et autour de lui les
+ sept esprits que Dieu envoie par toute la terre, et vingt-quatre
+ vieillards; et ces vieillards se prosternèrent devant l'Agneau, tenant
+ dans leurs mains des harpes et des coupes pleines de parfums, qui sont
+ les prières des saints: et ils chantaient un cantique nouveau à la
+ louange de celui qui a été mis à mort, et qui nous a rachetés pour
+ Dieu, de toute tribu, de toute langue, de tout peuple, et de toute
+ nation: et des myriades d'anges élevaient leurs voix, et disaient:
+ L'Agneau qui a été égorgé est digne de recevoir puissance, dignité,
+ sagesse, force, honneur, gloire et bénédiction! et toutes les
+ créatures qui sont dans le ciel, sur la terre, sous la terre, et dans
+ la mer, et tout ce qui est dans ces lieux, disaient: À celui qui est
+ assis sur le trône et à l'Agneau, bénédiction, honneur, gloire et
+ puissance dans les siècles des siècles[604]! Voici maintenant un autre
+ spectacle. Ce même agneau qui reçoit, sur son trône éternel,
+ l'adoration des anges et des saints, et qu'environne toute la gloire
+ des Cieux, _vient à nous plein de douceur_[605], et, voilé sous les
+ apparences d'un peu de pain, il se donne à ses pauvres créatures, pour
+ sanctifier notre âme, pour la nourrir, et notre corps même, par
+ l'union substantielle de sa chair à notre chair, de son sang à notre
+ sang, s'incarnant, si on peut le dire, de nouveau en chacun de nous,
+ et y accomplissant, d'une manière incompréhensible, en se communiquant
+ à nous selon tout ce qu'il est, le grand sacrifice de la Croix. Ô
+ Christ, fils du Dieu vivant, que vos voies sont merveilleuses! et qui
+ m'en développera le mystère impénétrable? Si je monte jusqu'au Ciel,
+ je vous y vois dans le sein du Père, tout éclatant de sa splendeur. Si
+ je redescends sur la terre, je vous y vois aussi dans le sein de
+ l'homme pécheur, indigent, misérable; attiré en quelque sorte et fixé
+ par l'amour, aux deux termes extrêmes de ce qui peut être conçu, dans
+ l'infini de la grandeur et dans l'infini de la bassesse; et comme si
+ ce n'était pas assez de venir à cet être déchu quand il vous désire,
+ quand il vous appelle, vous l'appelez vous-même le premier, vous
+ l'appelez avec instance, vous lui dites: _Venez, venez à moi, vous
+ tous qui souffrez, et je vous soulagerai_[606]: _venez, j'ai désiré
+ d'un grand désir de manger cette Pâque avec vous_[607]. C'en est trop,
+ Seigneur, c'en est trop; souvenez-vous qui vous êtes: ou plutôt
+ faites, mon Dieu, que je ne l'oublie jamais, et que je m'approche de
+ vous comme les anges eux-mêmes s'en approchent, en tremblant de
+ respect, avec un coeur rempli du sentiment de son indignité, pénétré
+ de vos miséricordes et embrasé de ce même amour inépuisable, immense,
+ éternel, qui vous porte à descendre jusqu'à lui!
+
+ [604] Apoc., V.
+
+ [605] Matth., XXI, 5.
+
+ [606] Matth., XI, 28.
+
+ [607] Luc., XXII, 15.
+
+
+
+
+CHAPITRE III.
+
+Qu'il est utile de communier souvent.
+
+
+VOIX DU DISCIPLE.
+
+1. Je viens à vous, Seigneur, pour jouir de votre don, et goûter la joie
+du banquet sacré _que, dans votre tendresse, vous avez, mon Dieu,
+préparé pour le pauvre_[608].
+
+ [608] Ps. LXVII, 11.
+
+En vous est tout ce que je puis, tout ce que je dois désirer; vous êtes
+mon salut et ma rédemption, mon espérance et ma force, mon honneur et ma
+gloire.
+
+Réjouissez donc aujourd'hui l'âme de votre serviteur, _parce que j'ai
+élevé mon âme vers vous_[609], Seigneur Jésus.
+
+ [609] Ps. LXXXV, 3.
+
+Je désire maintenant vous recevoir avec un respect plein d'amour; je
+désire que vous entriez dans ma maison, pour mériter d'être béni de vous
+comme Zachée, et d'être compté parmi les enfants d'Abraham.
+
+Votre corps, voilà l'objet auquel mon âme aspire; mon coeur brûle d'être
+uni à vous.
+
+2. Donnez-vous à moi, et ce don me suffit: car sans vous, rien ne me
+console.
+
+Je ne puis être sans vous, et je ne saurais vivre si vous ne venez à
+moi.
+
+Il faut donc que je m'approche de vous souvent, et que je vous reçoive
+comme le soutien de ma vie, de peur que, privé de cette céleste
+nourriture, je ne tombe de défaillance dans le chemin.
+
+C'est ainsi, miséricordieux Jésus, que, prêchant aux peuples, et les
+guérissant de diverses langueurs, vous dites un jour: _Je ne veux pas
+les renvoyer à jeun dans leurs maisons, de peur que les forces ne leur
+manquent en route_[610].
+
+ [610] Matth., XV, 32.
+
+Daignez donc en user de la même manière avec moi, vous qui avez voulu
+demeurer dans votre Sacrement pour la consolation des fidèles.
+
+Car vous êtes le doux aliment de l'âme; et celui qui vous mange
+dignement aura part à l'héritage de la gloire éternelle.
+
+Combien il m'est nécessaire, à moi qui tombe et pèche si souvent, qui me
+laisse aller si vite à la tiédeur, au découragement, de me renouveler,
+de me purifier, de me ranimer, par des prières et des confessions
+fréquentes, et par la réception de votre corps sacré; de peur que, m'en
+abstenant trop longtemps, je n'abandonne mes résolutions.
+
+3. Car _les penchants de l'homme l'inclinent au mal dès l'enfance_[611];
+et s'il n'est soutenu par ce remède divin, il s'y enfonce de plus en
+plus.
+
+ [611] Gen., VIII, 21.
+
+La sainte Communion retire du mal, et fortifie dans le bien.
+
+Si donc je suis maintenant si souvent négligent et tiède, quand je
+communie ou que je célèbre le saint Sacrifice, que serait-ce si je
+renonçais à cet aliment salutaire, et si je me privais de ce secours
+puissant?
+
+Ainsi, quoique je ne sois pas tous les jours assez bien disposé pour
+célébrer les divins mystères, j'aurai soin cependant d'en approcher aux
+temps convenables, et de participer à une grâce si grande.
+
+Car c'est la principale consolation de l'âme fidèle, _tandis qu'elle
+voyage loin de vous dans un corps mortel_[612], de se souvenir souvent
+de son Dieu, et de recevoir son bien-aimé dans un coeur embrasé d'amour.
+
+ [612] I. Cor., V, 6.
+
+4. Ô prodige de votre tendresse pour nous! Vous, Seigneur mon Dieu, qui
+donnez l'être et la vie à tous les esprits, vous daignez venir à une
+pauvre âme misérable, et avec votre divinité et votre humanité tout
+entière, rassasier sa faim!
+
+Ô heureuse, mille fois heureuse l'âme qui peut vous recevoir dignement,
+vous son Seigneur et son Dieu, et goûter avec plénitude la joie de votre
+présence!
+
+Ô qu'il est grand le Seigneur qu'elle reçoit! qu'il est aimable l'hôte
+qu'elle possède! que le compagnon, l'ami qui se donne à elle, est doux
+et fidèle! que l'époux qu'elle embrasse est beau! qu'il est noble et
+digne d'être aimé par-dessus tout ce qu'on peut aimer, et tout ce qu'il
+y a de désirable!
+
+Que le ciel et la terre, dans leur parure magnifique, se taisent devant
+vous, ô mon bien-aimé! car tout ce qu'on admire de beau en eux, ils le
+tiennent de vous, _dont la sagesse n'a point de bornes_[613], et jamais
+ils n'approcheront de votre beauté souveraine.
+
+ [613] Ps. CXLVI, 5.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Autant on doit apporter de soin à s'éprouver soi-même, avant de manger
+ le pain et de boire le calice du Seigneur[614], autant il faut prendre
+ garde à ne se pas tenir éloigné de la Table sainte par un faux respect
+ et une crainte excessive. Nous serons toujours, quoi que nous
+ fassions, infiniment indignes d'une faveur si haute: nul n'est pur,
+ nul n'est saint devant celui qui est la Sainteté même. Mais quand le
+ Sauveur nous dit: Venez, il connaît notre misère, et c'est pour la
+ guérir qu'il nous presse de venir à lui. Allons-y donc, non comme le
+ Pharisien hypocrite, _en rendant grâces à Dieu dans notre coeur de
+ n'être pas tel que les autres hommes_[615]: Dieu repousse avec horreur
+ cet orgueil d'une conscience qui se déguise à elle-même sa plaie
+ secrète; allons-y, mais comme l'humble Publicain, _les yeux baissés
+ vers la terre_, frappant notre poitrine, et disant: _Seigneur_, ayez
+ pitié de moi; _soyez propice à ce pauvre pécheur_[616]! Il est
+ nécessaire sans doute de se préparer par la pénitence, le
+ recueillement, la prière, à la communion du corps et du sang de
+ Jésus-Christ; mais après s'y être disposé sincèrement et de toute son
+ âme, c'est faire injure au Rédempteur que de refuser ses dons, c'est
+ se priver volontairement des grâces les plus précieuses, les plus
+ abondantes, les plus saintes, c'est renoncer à la vie: car, _si l'on
+ ne mange la chair du Fils de l'homme, et si l'on ne boit son sang, on
+ n'aura point la vie en soi_[617]. Nous devons aspirer continuellement
+ à _ce pain descendu du Ciel_[618]; sans cesse, nous devons le
+ demander, nous devons nous en nourrir sans cesse, pour qu'il détruise
+ le principe de mort qui est en nous depuis le péché. «_Seigneur,
+ donnez-nous toujours ce pain_[619]: _ce pain dont vous avez dit_,
+ qu'il donne la vie éternelle. C'est ce que disent les Juifs; et ils
+ expriment par là le désir de toute la nature humaine, ou plutôt de
+ toute la nature intelligente. Elle veut vivre éternellement; elle veut
+ ne manquer de rien; en un mot, elle veut être heureuse. C'est encore
+ ce qu'en pensait la Samaritaine, lorsque Jésus lui ayant dit: _Ô
+ femme! celui qui boit de l'eau que je donne n'a jamais soif_, elle
+ répond aussitôt: _Seigneur, donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie
+ jamais soif, et que je ne sois pas obligée à venir ici puiser de
+ l'eau_[620], dans un puits si profond, avec tant de peine. Encore un
+ coup, la nature humaine veut être heureuse; elle ne veut avoir aucun
+ besoin; elle ne veut avoir ni faim, ni soif: aucun désir à remplir:
+ aucun travail: aucune fatigue: et cela, qu'est-ce autre chose, sinon
+ être heureuse? Voilà ce que veut la nature humaine: voilà son fond.
+ Elle se trompe dans les moyens: elle a soif des plaisirs des sens:
+ elle veut exceller: elle a soif des honneurs du monde. Pour parvenir
+ aux uns et aux autres, elle a soif des richesses: sa soif est
+ insatiable; elle demande toujours, et ne dit jamais: C'est assez,
+ toujours plus, et toujours plus. Elle est curieuse: elle a soif de la
+ vérité; mais elle ne sait où la prendre, ni quelle vérité la peut
+ satisfaire: elle en ramasse ce qu'elle peut par-ci, par-là; par de
+ bons, par de mauvais moyens; et comme toute âme curieuse est légère,
+ elle se laisse tromper par tous ceux qui lui promettent cette vérité
+ qu'elle cherche. Voulez-vous n'avoir jamais faim, jamais n'avoir soif:
+ venez au pain qui ne périt point, et au Fils de l'homme qui vous
+ l'administre: à sa chair, à son sang où est tout ensemble la vérité et
+ la vie, parce que c'est la chair et le sang, non point du fils de
+ Joseph, comme disaient les Juifs, mais du Fils de Dieu. _Ô Seigneur,
+ donnez-moi toujours ce pain!_ Qui n'en serait affamé? qui ne voudrait
+ être assis à votre table? qui la pourrait jamais quitter[621]?»
+
+ [614] I. Cor., XI, 28.
+
+ [615] Luc., XVIII, 11.
+
+ [616] _Ibid._, 13.
+
+ [617] Joann., VI, 54.
+
+ [618] _Ibid._, 33.
+
+ [619] _Ibid._, 34.
+
+ [620] _Ibid._, IV, 10, 15.
+
+ [621] Bossuet.
+
+
+
+
+CHAPITRE IV.
+
+Que Dieu répand des grâces abondantes en ceux qui communient dignement.
+
+
+VOIX DU DISCIPLE.
+
+1. Seigneur mon Dieu, _prévenez votre serviteur de vos plus douces
+bénédictions_[622], afin que je puisse approcher dignement et avec
+ferveur de votre auguste Sacrement.
+
+ [622] Ps. XX, 3.
+
+Rappelez mon coeur à vous; réveillez-moi du profond assoupissement où je
+languis. _Visitez-moi pour me sauver_[623], pour que je goûte
+intérieurement la douceur qui est cachée en abondance dans ce Sacrement,
+comme dans sa source.
+
+Faites briller aussi votre lumière à mes yeux, afin qu'ils discernent un
+si grand mystère, et fortifiez ma foi pour le croire inébranlablement.
+
+ [623] Ps. CV, 4.
+
+Car c'est l'oeuvre de votre amour et non de la puissance humaine: c'est
+votre institution sacrée, et non une invention de l'homme.
+
+Nul ne peut concevoir par lui-même des merveilles au-dessus de la
+pénétration des Anges mêmes.
+
+Que pourrai-je donc, moi, pécheur indigne, moi, cendre et poussière,
+découvrir et comprendre d'un mystère si haut?
+
+2. Seigneur, dans la simplicité de mon coeur, avec une foi ferme et
+sincère, et sur le commandement que vous m'en avez fait, je m'approche
+de vous plein de confiance et de respect; et je crois, sans hésiter, que
+vous êtes ici présent dans ce Sacrement, et comme Dieu et comme homme.
+
+Vous voulez donc que je vous reçoive et que je m'unisse à vous dans la
+charité?
+
+C'est pourquoi j'implore votre clémence, et je vous demande en ce moment
+une grâce particulière, afin qu'embrasé d'amour, je me fonde et m'écoule
+tout entier en vous, et que je ne désire plus aucune autre consolation.
+
+Car cet adorable Sacrement est le salut de l'âme et du corps, le remède
+de toute langueur spirituelle. Il guérit les vices, réprime les
+passions, dissipe les tentations ou les affaiblit, augmente la grâce,
+accroît la vertu, affermit la foi, fortifie l'espérance, enflamme et
+dilate l'amour.
+
+3. Quels biens sans nombre n'avez-vous pas accordés, et n'accordez-vous
+pas encore chaque jour dans ce Sacrement, à ceux que vous aimez, et qui
+le reçoivent avec ferveur, ô mon Dieu, unique appui de mon âme,
+réparateur de l'infirmité humaine, source de toute consolation
+intérieure!
+
+Car vous les consolez avec abondance en leurs tribulations diverses;
+vous les relevez de leur abattement par l'espérance de votre protection;
+vous les ranimez intérieurement et les éclairez par une grâce nouvelle;
+de sorte que ceux qui se sentaient pleins de trouble et de tiédeur avant
+la communion, se trouvent tout changés après s'être nourris de cette
+viande et de ce breuvage céleste.
+
+Vous en usez ainsi avec vos élus, afin qu'ils reconnaissent clairement,
+et par une manifeste expérience, toute la faiblesse qui leur est propre,
+et tout ce qu'ils reçoivent de votre grâce et de votre bonté.
+
+Car d'eux-mêmes, froids, durs, sans goût pour la piété, par vous ils
+deviennent pieux, zélés, fervents.
+
+Qui, en effet, s'approchant humblement de la fontaine de suavité, n'en
+remporte pas un peu de douceur? ou qui, se tenant près d'un grand feu,
+n'en reçoit pas quelque chaleur?
+
+Vous êtes, mon Dieu, cette fontaine toujours pleine et surabondante, ce
+feu toujours ardent, et qui ne s'éteint jamais.
+
+4. Si donc il ne m'est pas permis de puiser à la plénitude de la source,
+et de m'y désaltérer parfaitement, j'approcherai cependant ma bouche de
+l'ouverture par où s'écoulent les eaux célestes, afin d'en recueillir au
+moins une petite goutte pour apaiser ma soif, et ne pas tomber dans une
+entière sécheresse.
+
+Et si je ne puis encore être tout céleste, et tout de feu, comme les
+Chérubins et les Séraphins, je m'efforcerai pourtant de m'animer à la
+piété, et de préparer mon coeur, afin qu'en participant avec humilité à
+ce Sacrement de vie, je reçoive au moins quelque légère étincelle de ce
+feu divin.
+
+Bon Jésus, Sauveur très-saint, suppléez vous-même, par votre bonté et
+votre grâce, à ce qui me manque, vous qui avez daigné appeler à vous
+tous les hommes, en disant: _Venez à moi, vous tous qui êtes accablés de
+travail et de douleur, et je vous soulagerai_[624].
+
+ [624] Matth., XI, 28.
+
+5. Je travaille à la sueur de mon front, mon coeur est brisé de douleur,
+le poids de mes péchés m'accable, les tentations m'agitent, une foule de
+passions mauvaises m'enveloppent et me pressent; et il n'y a personne
+qui me secoure, qui me délivre, qui me sauve, si ce n'est vous, Seigneur
+mon Dieu, mon Sauveur, entre les mains de qui je me remets, et tout ce
+qui est à moi, afin que vous me protégiez et me conduisiez à la vie
+éternelle.
+
+Recevez-moi pour l'honneur et la gloire de votre nom, vous qui m'avez
+préparé votre corps et votre sang pour nourriture et pour breuvage.
+
+«Faites, Seigneur mon Dieu, mon Sauveur, que ma ferveur et mon amour
+croissent d'autant plus, que je participe plus souvent à ce divin
+mystère[625].»
+
+ [625] Oraison de l'Église.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Jésus-Christ, près de quitter la terre, promit à ses disciples de leur
+ envoyer l'Esprit consolateur[626]: et c'est ce divin Esprit qui nous
+ est donné dans les sacrements de la nouvelle alliance. Amour
+ substantiel du Père et du Fils, _il aide notre infirmité, car nous ne
+ savons pas demander comme il faut, mais l'Esprit demande pour nous
+ avec des gémissements ineffables; et celui qui scrute les coeurs sait
+ ce que désire l'Esprit, parce qu'il demande selon Dieu pour les
+ Saints_[627]. Par une invisible opération aussi douce que puissante,
+ il incline librement notre volonté au bien, il la purifie, il l'élève
+ vers Dieu: il est notre force, comme le Verbe est notre lumière. Or,
+ quand nous possédons en nous Jésus-Christ, nous possédons le Verbe
+ même, et nous participons à tous les dons que le Verbe et l'Esprit qui
+ procède de lui, répandent incessamment sur l'humanité sainte du
+ Sauveur, devenu _un_ avec nous par la communion de son corps et de son
+ sang, de son âme et de sa Divinité, qui en est inséparable. En lui
+ sont _toutes les richesses de la plénitude de l'intelligence, tous les
+ trésors de la sagesse et de la science souveraine_[628]: et ces
+ trésors, il les ouvre pour nous dans le sacrement de l'Eucharistie; il
+ nous dispense, selon nos besoins, ces célestes richesses: tandis que
+ l'Esprit sanctificateur nous embrase de ses flammes divines qui
+ consument les dernières traces du péché, nous donnent comme un
+ avant-goût de la félicité céleste, et nous préparent à en jouir
+ pleinement, lorsque nous aurons atteint le terme heureux de nos
+ épreuves sur la terre. Allez donc à la source des grâces, allez à
+ l'autel, allez à Jésus: _et à qui, Seigneur, irions-nous? Vous seul
+ avez les paroles de la vie éternelle_[629]. Languissants, vous nous
+ fortifiez; affligés, vous nous consolez; troublés par les tempêtes qui
+ s'élèvent au dedans et au dehors de nous, _vous commandez aux vents,
+ et il se fait un grand calme_[630]. Ô Jésus! _votre amour me
+ presse_[631], et mon âme a défailli dans l'ardeur de s'unir à vous.
+ C'est là tout mon désir, je n'en ai point d'autre, je ne veux que
+ vous, ô mon Dieu! Oh! quand pourrai-je dire: _Mon bien-aimé est à moi,
+ et je suis à lui_[632]: _ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ
+ qui vit en moi_[633]?
+
+ [626] Joann., XIV, 26.
+
+ [627] Rom., VIII, 26, 27.
+
+ [628] Coloss., II, 2, 3.
+
+ [629] Joann., VI, 69.
+
+ [630] Marc., IV, 39.
+
+ [631] II. Cor., V, 14.
+
+ [632] Cant., II, 16.
+
+ [633] Galat., II, 20.
+
+
+
+
+CHAPITRE V.
+
+De l'excellence du Sacrement de l'autel, et de la dignité du Sacerdoce.
+
+
+VOIX DU BIEN-AIMÉ.
+
+1. Quand vous auriez la pureté des Anges et la sainteté de
+Jean-Baptiste, vous ne seriez pas digne de recevoir ni même de toucher
+ce Sacrement.
+
+Car ce ne sont pas les mérites de l'homme qui lui donnent le droit de
+consacrer et de toucher le corps de Jésus-Christ, et de se nourrir du
+pain des Anges.
+
+Ô mystère ineffable! ô sublime dignité des prêtres, auxquels est donné
+ce qui n'a point été accordé aux Anges!
+
+Car les prêtres, validement ordonnés dans l'Église, ont seuls le pouvoir
+de célébrer et de consacrer le corps de Jésus-Christ.
+
+Le prêtre est le ministre de Dieu; il use de la parole de Dieu selon le
+commandement et l'institution de Dieu: mais Dieu, à la volonté de qui
+tout est soumis, à qui tout obéit lorsqu'il commande, est le principal
+auteur du miracle qui s'accomplit sur l'autel, et c'est lui qui l'opère
+invisiblement.
+
+2. Vous devez donc, dans cet auguste Sacrement, croire plus à la
+toute-puissance de Dieu qu'à vos propres sens, et à ce qui paraît aux
+yeux: et vous ne sauriez dès lors approcher de l'autel avec assez de
+respect et de crainte.
+
+Pensez à ce que vous êtes, et considérez quel est celui dont vous avez
+été fait le ministre par l'imposition des mains de l'Évêque.
+
+Vous avez été fait prêtre, et consacré pour célébrer les saints
+mystères: maintenant soyez fidèle à offrir à Dieu le sacrifice avec
+ferveur, au temps convenable, et que toute votre conduite soit
+irrépréhensible.
+
+Votre fardeau n'est pas plus léger; vous êtes lié, au contraire, par des
+obligations plus étroites, et obligé à une plus grande sainteté.
+
+Un prêtre doit être orné de toutes les vertus, et donner aux autres
+l'exemple d'une vie pure.
+
+Ses moeurs ne doivent point ressembler à celles du peuple: il ne doit
+pas marcher dans les voies communes; mais il doit vivre comme les Anges
+dans le ciel, ou comme les hommes parfaits sur la terre.
+
+3. Le prêtre, revêtu des habits sacrés, tient la place de Jésus-Christ,
+afin d'offrir à Dieu d'humbles supplications pour lui-même et pour tout
+le peuple.
+
+Il porte devant et derrière lui le signe de la croix du Sauveur, afin
+que le souvenir de sa passion lui soit toujours présent.
+
+Il porte devant lui la croix sur la chasuble, afin de considérer
+attentivement les traces de Jésus-Christ, et de s'animer à les suivre.
+
+Il porte la croix derrière lui, afin d'apprendre à souffrir avec douceur
+pour Dieu, tout ce que les hommes peuvent lui faire de mal.
+
+Il porte la croix devant lui, afin de pleurer ses propres péchés;
+derrière lui, afin que, par une tendre compassion, il pleure aussi les
+péchés des autres; et se souvenant qu'il est établi médiateur entre Dieu
+et le pécheur, il ne se lasse point d'offrir des prières et des
+sacrifices, jusqu'à ce qu'il ait obtenu grâce et miséricorde.
+
+Quand le prêtre célèbre, il honore Dieu, il réjouit les Anges, il édifie
+l'Église, il procure des secours aux vivants, du repos aux morts, et se
+rend lui-même participant de tous les biens.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Pour comprendre la grandeur du sacerdoce chrétien, il faut considérer
+ les caractères qui le distinguent immuablement, et forment comme le
+ sceau divin dont il fut marqué à son origine. Et d'abord il est un:
+ _de même qu'il n'y a qu'un Dieu, il n'y a qu'un Médiateur de Dieu et
+ des hommes, Jésus-Christ_[634], _apôtre et pontife de notre foi_[635],
+ _toujours vivant pour intercéder en notre faveur_[636]. Tout prêtre,
+ dans l'exercice de ses célestes fonctions, représente Jésus-Christ, ou
+ plutôt est Jésus-Christ même, qui seul opère véritablement ce
+ qu'annoncent les paroles et les actes de son ministre, seul lie et
+ délie, seul dispense la grâce, seul immole et offre à son Père la
+ victime de propitiation, qui est une aussi: car _Jésus entrant par son
+ sang une seule fois dans le Saint des saints, a consommé la rédemption
+ éternelle_[637]. Ainsi un sacrifice, un prêtre, un sacerdoce, qui,
+ dans son immense hiérarchie, n'est que le _Pontife_ invisible des
+ _biens futurs_[638], est multiplié visiblement sur tous les points de
+ la terre, pour y continuer sa grande mission jusqu'à la fin des
+ siècles[639]. Et non-seulement le sacerdoce est un, il est encore
+ universel; car _tous les peuples ont été donnés en héritage à
+ Jésus-Christ_[640], et _depuis le lever du soleil jusqu'au couchant,
+ en tous lieux le sacrifice doit être accompli et l'offrande pure
+ présentée au Seigneur_[641]. Il est éternel; car, de toute éternité,
+ _Dieu a dit au Christ: Tu es mon fils, je t'ai engendré aujourd'hui_;
+ et encore: _Tu es prêtre éternellement selon l'ordre de
+ Melchisédech_[642]. Il est saint; _car il convenait que nous eussions
+ un tel Pontife, saint, pur, sans tache, séparé des pécheurs, et élevé
+ au-dessus des cieux_[643]; et les démons mêmes, vaincus par celui _qui
+ possède le sacerdoce éternel_[644], lui ont rendu ce témoignage: _Je
+ sais qui vous êtes, le Saint de Dieu_[645]. Oh! qu'elle est élevée,
+ qu'elle est sublime la dignité du prêtre! mais aussi qu'elle est
+ redoutable! Associé à la puissance de Jésus-Christ Pontife, dans
+ l'unité de son sacerdoce, ministre avec lui et en lui du sacrifice de
+ la Croix, renouvelé chaque jour sur l'autel, d'une manière non
+ sanglante; distributeur du pain de vie, du corps et du sang du
+ Rédempteur, sur lesquels il lui a été donné pouvoir; revêtu de la
+ mission du Fils de Dieu pour le salut du monde, ses devoirs sont
+ proportionnés à une si haute vocation, et c'est à lui surtout qu'il
+ est dit: _Soyez saint, parce que moi, le Seigneur votre Dieu, je suis
+ saint_[646]. Pauvre pécheur, si faible, si languissant, si infirme,
+ comment pourrai-je m'élever, ô Jésus! à la sainteté que vous exigez de
+ moi? Je tremble à cette pensée, et je perdrais toute espérance, si
+ votre bonté ne daignait me rassurer, disant: _Cela est impossible aux
+ hommes, mais tout est possible à Dieu_[647]?
+
+ [634] Tim., II, 5.
+
+ [635] Hebr., III, 1.
+
+ [636] _Ib._, VII, 25.
+
+ [637] _Ib._, IX, 12; VII, 27.
+
+ [638] _Ib._, IX, 11.
+
+ [639] Matth., XXVIII, 20.
+
+ [640] Ps. II, 8.
+
+ [641] Malach., I, 11.
+
+ [642] Hebr., V, 5, 6; VI, 20.
+
+ [643] _Ib._, VII, 26.
+
+ [644] _Ib._, 24.
+
+ [645] Marc., I, 24.
+
+ [646] Levit., XIX, 2.
+
+ [647] Matth., XIX. 26.
+
+
+
+
+CHAPITRE VI.
+
+Prière du Chrétien avant la Communion.
+
+
+VOIX DU DISCIPLE.
+
+1. Seigneur, lorsque je considère votre grandeur et ma bassesse, je suis
+saisi de frayeur, et je me confonds en moi-même.
+
+Car si je ne m'approche de vous, je fuis la vie; et si je m'en approche
+indignement, j'irrite votre colère.
+
+Que ferai-je donc, mon Dieu, mon protecteur, mon conseil dans tous mes
+besoins?
+
+2. Montrez-moi la voie droite, enseignez-moi quelque court exercice pour
+me disposer à la sainte Communion.
+
+Car il m'est important de savoir avec quelle ferveur et quel respect je
+dois préparer mon coeur, pour recevoir avec fruit votre Sacrement, ou
+pour vous offrir ce grand et divin sacrifice.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ S'il est nécessaire de _préparer son âme avant la prière_[648],
+ combien plus avant d'approcher de la divine Eucharistie? Et c'est
+ pourquoi l'Apôtre dit: _Que l'homme s'éprouve soi-même, et qu'il mange
+ ainsi de ce pain, et boive de ce calice: car celui qui mange et boit
+ indignement, mange et boit son jugement, ne discernant point le corps
+ du Seigneur_[649]. Mais, hélas! mon Dieu, plus je m'éprouve, plus je
+ me reconnais indigne de m'unir à vous dans le sacrement adorable de
+ votre corps et de votre sang: et cependant _si je ne mange votre
+ chair, et ne bois votre sang, je n'aurai point la vie en moi_[650]; de
+ sorte que je suis partagé entre le désir de m'asseoir au banquet sacré
+ où vous invitez vos fidèles, et la crainte d'entendre ces paroles
+ terribles: _Pourquoi êtes-vous entré ici sans être revêtu de la robe
+ nuptiale? Jetez-le, pieds et mains liés, dans les ténèbres
+ extérieures: là sont les pleurs et les grincements de dents_[651]. Que
+ ferai-je donc? Ah! voici ce que je ferai. Je me présenterai tel que je
+ suis, dépouillé, nu, misérable, devant mon Seigneur et mon Dieu, et je
+ lui dirai: Ayez pitié de moi, Seigneur, et daignez me revêtir
+ vous-même du vêtement pur, qui me rendra digne d'être admis dans la
+ salle du festin. Si vous ne venez à mon secours, si vous ne suppléez à
+ mon indigence, je serai, ô mon divin maître, à jamais exclu de votre
+ Table sainte; mais vous laisserez tomber sur ce pauvre un regard de
+ compassion; vous viendrez à lui dans votre bonté, dans votre
+ miséricorde immense, et votre main s'étendra pour couvrir sa nudité:
+ oui, _Seigneur, j'ai espéré en vous, et je ne serai point confondu
+ éternellement_[652].
+
+ [648] Eccles., XVIII, 23.
+
+ [649] I. Cor., XI, 28, 29.
+
+ [650] Joann., VI, 54.
+
+ [651] Matth., XXII, 12, 13.
+
+ [652] Ps. XXX, 2.
+
+
+
+
+CHAPITRE VII.
+
+De l'examen de conscience, et de la résolution de se corriger.
+
+
+VOIX DU BIEN-AIMÉ.
+
+1. Sur toutes choses, il faut que le prêtre qui se dispose à célébrer
+les saints mystères, à toucher et à recevoir le corps de Jésus-Christ,
+s'approche de ce Sacrement avec une profonde humilité de coeur, un
+respect suppliant, une pleine foi, et une pieuse intention d'honorer
+Dieu.
+
+Examinez avec soin votre conscience, et, autant que vous le pourrez,
+purifiez-la par une contrition véritable et par une humble confession;
+de sorte que, délivré du poids de vos fautes, exempt de trouble et de
+remords, vous puissiez librement venir à moi.
+
+Ayez une vive douleur de tous vos péchés en général; déplorez en
+particulier ceux que vous commettez chaque jour; et, si le temps vous le
+permet, confessez à Dieu, dans le secret du coeur, toutes les misères
+qui sont le fruit de vos passions.
+
+2. Affligez-vous et gémissez d'être encore sous l'empire de la chair et
+du monde:
+
+Si peu occupé de mourir à vos inclinations; si agité par les mouvements
+de la concupiscence:
+
+Si peu exact à veiller sur vos sens; si souvent séduit par de vains
+fantômes:
+
+Si enclin à vous répandre au dehors; si négligent à rentrer en
+vous-même:
+
+Si porté au rire et à la dissipation; si dur, quand vous devriez verser
+des larmes de componction:
+
+Si prompt à vous livrer au relâchement et à la mollesse; si lent à
+embrasser une vie austère et fervente:
+
+Si curieux de nouvelles, et de ce qui attire les regards par sa beauté;
+si plein de répugnance pour ce qui abaisse et humilie:
+
+Si avide de beaucoup avoir, si avare pour donner, si ardent à retenir:
+
+Si inconsidéré dans vos discours; si impuissant à vous taire:
+
+Si déréglé dans vos moeurs; si indiscret dans vos actions:
+
+Si intempérant dans le manger et le boire; si sourd à la parole de Dieu:
+
+Si convoiteux de repos; si ennemi du travail:
+
+Si éveillé pour des récits frivoles: si appesanti par le sommeil durant
+les veilles saintes; si pressé d'en voir la fin; si peu attentif en y
+assistant:
+
+Si dissipé en récitant l'office divin, si tiède en célébrant, si aride
+dans la Communion:
+
+Si aisément distrait; si rarement bien recueilli:
+
+Si tôt ému de colère; si prompt à blesser les autres:
+
+Si enclin à juger mal; si sévère à reprendre:
+
+Si enivré de joie dans la prospérité; si abattu dans l'adversité:
+
+Si fécond en bonnes résolutions, et si stérile en bonnes oeuvres.
+
+3. Après avoir confessé et déploré avec une grande douleur et un vif
+sentiment de votre faiblesse, ces défauts et tous les autres qui peuvent
+être en vous, formez un ferme propos de vous corriger, et d'avancer dans
+la vertu.
+
+Offrez-vous ensuite, avec une pleine résignation et sans aucune réserve,
+sur l'autel de votre coeur, comme un holocauste perpétuel, en l'honneur
+de mon nom, m'abandonnant entièrement le soin de votre corps et de votre
+âme, afin d'obtenir ainsi la grâce de célébrer dignement le saint
+Sacrifice, et de recevoir avec fruit le Sacrement de mon corps.
+
+4. Car il n'est point d'oblation plus méritoire, ni de satisfaction plus
+grande pour les péchés, que de s'offrir soi-même sincèrement à Dieu, en
+lui offrant, à la Messe et dans la Communion, le Corps de Jésus-Christ.
+
+Si l'homme fait ce qui est en lui, et s'il a un vrai repentir toutes les
+fois qu'il s'approche de moi pour demander grâce et miséricorde: _J'en
+jure par moi-même_, dit le Seigneur, _je ne me souviendrai plus de ses
+péchés, et ils lui seront tous pardonnés; car je ne veux point la mort
+du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive_[653].
+
+ [653] Ezech., XXIII, 22; XXXIII, 11.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Il n'est rien de plus utile en soi, ni de plus indispensable pour
+ approcher dignement de l'autel, que de descendre en sa conscience, et
+ d'en scruter, avec une sévérité salutaire, les tristes profondeurs.
+ Nous avons en nous-mêmes comme une image du royaume des ténèbres: là
+ vit, et croît, et se propage l'innombrable famille des vices, nés de
+ la triple concupiscence[654] qui a infecté la vie humaine dans sa
+ source. Quiconque examine sérieusement son coeur, y trouve le germe de
+ tout ce qui est mauvais; un orgueil tantôt hardi et violent, tantôt
+ plein de déguisements et de ruses, une curiosité effrénée, des
+ convoitises ardentes, la haine qu'accompagnent l'injure, l'outrage et
+ la calomnie, l'envie mère du meurtre, l'avarice qui dit sans cesse:
+ _Apporte, apporte_[655], la dureté d'âme, les joies coupables de
+ l'esprit; et bien que ces semences de mort ne se développent pas dans
+ chaque homme au même degré, tous les ont en eux-mêmes, et la grâce
+ seule les étouffe plus ou moins. Tel est, depuis la chute originelle,
+ le partage des enfants d'Adam. Qui, dans son effroi, ne _crierait vers
+ Dieu du fond de cette immense misère_[656], pour implorer de lui
+ secours et miséricorde? _Il délaisse ceux qui cachent leurs crimes, et
+ pardonne à ceux qui s'accusent_[657]. Touché de pitié pour les
+ pécheurs, Jésus-Christ a institué le sacrement de pénitence, qui les
+ régénère dans le sang de l'Agneau, et les revêt de l'innocence
+ primitive. Voilà la robe nuptiale nécessaire pour assister au festin
+ de l'Époux. Vous qui portez avec douleur le poids de vos péchés,
+ hâtez-vous donc, allez pleins de repentir, de foi, d'espérance et
+ d'amour, déposer cet accablant fardeau aux pieds de celui qui tient,
+ dans le tribunal sacré, la place du Fils de Dieu même: allez et
+ humiliez-vous, allez et pleurez: une main divine essuiera vos larmes,
+ et, rétablis en grâce avec Dieu, en paix avec vous-mêmes, vous
+ chanterez dans l'allégresse l'hymne du pardon: _Heureux ceux dont les
+ iniquités ont été remises, et les péchés couverts! Heureux celui à qui
+ le Seigneur n'a point imputé son péché, et dont le coeur a été sans
+ fraude! Parce que j'ai tu mon crime, il a vieilli dans mes os, et crié
+ dans mon sein pendant tout le jour. Car votre main s'est appesantie
+ sur moi le jour et la nuit: je me suis tourné et retourné dans mon
+ angoisse, tandis que l'épine perçait mon coeur. Alors je vous ai
+ déclaré mon péché: je n'ai point caché mon injustice. J'ai dit: Je
+ confesserai contre moi mon iniquité au Seigneur; et vous, Seigneur,
+ vous m'avez remis l'impiété de mon péché. C'est pour cela que vos
+ serviteurs vous invoqueront dans le temps propice; et le déluge des
+ grandes eaux n'approchera point d'eux_[658].
+
+ [654] Joann., I, 11, 16.
+
+ [655] Prov., XXX, 15.
+
+ [656] Ps. CXXIX, 1.
+
+ [657] Prov., XXVIII, 13.
+
+ [658] Ps. XXXI, 1-6.
+
+
+
+
+CHAPITRE VIII.
+
+De l'oblation de Jésus-Christ sur la Croix, et de la résignation de soi
+même.
+
+
+VOIX DU BIEN-AIMÉ.
+
+1. Comme je me suis offert volontairement pour vos péchés, à mon Père,
+les bras étendus sur la Croix, et le corps nu, ne réservant rien, et
+m'immolant tout entier, pour apaiser Dieu: ainsi vous devez tous les
+jours, dans le sacrifice de la Messe, vous offrir à moi, comme une
+hostie pure et sainte, du plus profond de votre coeur, et de toutes les
+puissances de votre âme.
+
+Que demandé-je de vous, sinon que vous vous abandonniez à moi sans
+réserve?
+
+Tout ce que vous me donnez, hors vous, ne m'est rien, parce que c'est
+vous que je veux, et non pas vos dons.
+
+2. Comme tout le reste ne vous suffirait pas sans moi, ainsi aucun de
+vos dons ne peut me plaire si vous ne vous donnez vous-même.
+
+Offrez-vous à moi, donnez-vous pour Dieu, tout entier, et votre oblation
+me sera agréable.
+
+Je me suis offert tout entier pour vous à mon Père; je vous ai donné
+tout mon Corps et tout mon Sang pour nourriture, afin d'être tout à
+vous, et que vous fussiez à jamais tout à moi.
+
+Mais si vous demeurez en vous-même, si vous ne vous abandonnez pas sans
+réserve à ma volonté, votre oblation n'est pas entière, et nous ne
+serons pas unis parfaitement.
+
+L'oblation volontaire de vous-même, entre les mains de Dieu, doit donc
+précéder toutes vos oeuvres, si vous voulez acquérir la grâce et la
+liberté.
+
+S'il en est si peu qui soient éclairés de ma lumière, et qui jouissent
+de la liberté intérieure, c'est qu'ils ne savent pas se renoncer
+entièrement eux-mêmes.
+
+Je l'ai dit, et ma parole est immuable: _Si quelqu'un ne renonce pas à
+tout, il ne peut être mon disciple_[659]. Si donc vous voulez être mon
+disciple, offrez-vous à moi avec toutes vos affections.
+
+ [659] Luc., XIV, 15.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ On n'aurait qu'une idée bien faible et bien incomplète du sacrifice de
+ la Croix, si l'on n'y voyait que ce qui paraît, pour ainsi dire, aux
+ sens. Jésus-Christ a offert non-seulement son corps sacré, en proie à
+ toutes les souffrances et à toutes les angoisses que peut endurer la
+ nature humaine, mais encore son âme sainte étroitement unie au Verbe
+ divin, toutes ses douleurs, toutes ses affections, toutes ses
+ volontés, et l'agonie et le délaissement qui tira de son coeur ce
+ dernier cri: _Mon Père, pourquoi m'avez-vous abandonné[660]?_ En cet
+ état il représentait l'humanité entière condamnée à mourir, et l'homme
+ en effet fut frappé de mort jusque dans les plus secrètes profondeurs
+ de son être. Alors _tout fut consommé_[661], et le supplice et la
+ rédemption. Or, chaque fois que le prêtre, montant à l'autel, y
+ renouvelle, selon l'institution divine, cet ineffable sacrifice,
+ chaque fois que le fidèle participe à la victime immolée, et le fidèle
+ et le prêtre doivent s'offrir ainsi que Jésus-Christ s'est offert
+ lui-même: leur sacrifice uni au sien doit être, comme le sien, sans
+ réserve: car, nous aussi, nous sommes attachés à la Croix, et avec
+ Jésus-Christ et en Jésus-Christ, nous souffrons pour nous, pour nos
+ frères, pour les vivants, pour les morts, pour toute la grande famille
+ humaine; ce qui fait dire à l'apôtre saint Paul ces étonnantes
+ paroles: _Je me réjouis de mes souffrances à cause de vous; et ce qui
+ manque à la Passion de Jésus-Christ, je l'accomplis en ma chair, pour
+ son corps qui est l'Église_[662]; non sans doute que la Passion du
+ Sauveur ne fût plus que surabondante pour _ôter le péché du
+ monde_[663], et satisfaire à la justice de Dieu; mais parce que chacun
+ de nous doit la reproduire en soi, et parce qu'_étant les membres d'un
+ seul corps, qui est le corps du Christ_[664], tout ce que nous
+ souffrons, il le souffre avec nous, de sorte que nos souffrances
+ deviennent comme une partie de sa Passion propre. Ô Jésus! je m'offre
+ avec vous, je m'offre tout entier; me voilà sur l'autel: frappez,
+ Seigneur, achevez le sacrifice; détruisez tout ce qui en moi est de
+ l'homme condamné, ces désirs de la terre, ces affections, ces
+ volontés, ces sens qui me troublent, ce corps de péché; et les yeux
+ fixés sur votre Croix, je dirai: _Tout est consommé!_
+
+ [660] Matth., XXVII, 47.
+
+ [661] Joann., XIV, 30.
+
+ [662] Coloss., I, 24.
+
+ [663] Joann., I, 29.
+
+ [664] I. Cor., XII, 27.
+
+
+
+
+CHAPITRE IX.
+
+Que nous devons nous offrir à Dieu avec tout ce qui est à nous, et prier
+pour tous.
+
+
+VOIX DU DISCIPLE.
+
+1. Seigneur, à qui tout appartient dans le ciel et sur la terre, je veux
+aussi me donner à vous, par une oblation volontaire; je veux être à vous
+pour toujours.
+
+Dans la simplicité de mon coeur, je m'offre à vous aujourd'hui, mon
+Dieu, pour vous servir à jamais, pour vous obéir, pour m'immoler sans
+cesse à votre gloire.
+
+Recevez-moi avec l'oblation sainte de votre précieux Corps, que je vous
+offre aujourd'hui en présence des Anges, qui assistent invisiblement à
+ce sacrifice; et faites qu'il porte des fruits de salut pour moi et pour
+tout votre peuple.
+
+2. Toutes les fautes et tous les crimes que j'ai commis devant vous et
+devant vos saints Anges, depuis le jour où j'ai pu commencer à pécher
+jusqu'à ce moment, je vous les offre, Seigneur, sur votre autel de
+propitiation, afin que vous les consumiez par le feu de votre amour, que
+vous effaciez toutes les taches dont ils ont souillé ma conscience, et
+qu'après l'avoir purifiée, vous me rendiez votre grâce que mes péchés
+m'avaient fait perdre, me les pardonnant tous pleinement, et me
+recevant, dans votre miséricorde, au baiser de paix.
+
+3. Que puis-je faire pour expier mes péchés, que de les confesser
+humblement, avec une amère douleur, et d'implorer sans cesse votre
+clémence?
+
+Je vous en conjure, exaucez-moi, soyez-moi propice, quand je me présente
+devant vous, mon Dieu.
+
+J'ai une vive horreur de tous mes péchés, et je suis résolu à ne plus
+les commettre. Ils m'affligent profondément, et toute ma vie je ne
+cesserai de m'en affliger, prêt à faire pénitence, et à satisfaire pour
+eux selon mon pouvoir.
+
+Pardonnez-les-moi, Seigneur, pardonnez-les-moi, pour la gloire de votre
+saint nom. Sauvez mon âme, que vous avez rachetée au prix de votre sang.
+
+Voilà que je m'abandonne à votre miséricorde; je me remets entre vos
+mains: traitez-moi selon votre bonté, et non selon ma malice et mon
+iniquité.
+
+4. Je vous offre aussi tout ce qu'il y a de bien en moi, quelque faible,
+quelque imparfait qu'il soit, afin que, l'épurant, le sanctifiant, le
+perfectionnant sans cesse, vous le rendiez plus digne de vous, plus
+agréable à vos yeux, et que vous me conduisiez à une heureuse fin, moi
+le plus inutile, le plus languissant et le dernier des hommes.
+
+5. Je vous offre encore tous les pieux désirs des âmes fidèles, les
+besoins de mes parents, de mes amis, de mes frères, de mes soeurs, de
+tous ceux qui me sont chers; de ceux qui m'ont fait, ou à d'autres,
+quelque bien pour l'amour de vous; de ceux qui ont demandé ou désiré que
+j'offrisse des prières et le saint Sacrifice pour eux et pour les leurs,
+soit qu'ils vivent encore en la chair, soit que le temps ait fini pour
+eux.
+
+Que tous sentent le secours de votre grâce, la puissance de vos
+consolations; protégez-les dans les périls, délivrez-les de leurs
+peines, et qu'affranchis de tous les maux, ils vous rendent, pleins de
+joie, d'éclatantes actions de grâces.
+
+6. Je vous offre enfin des supplications et l'hostie de paix,
+principalement pour ceux qui m'ont offensé en quelque chose, qui m'ont
+contristé, qui m'ont blâmé, qui m'ont fait quelques torts ou quelques
+peines; et pour tous ceux aussi que j'ai moi-même affligés, blessés,
+troublés, scandalisés, le sachant ou sans le savoir; afin que vous nous
+pardonniez à tous nos péchés et nos offenses mutuelles.
+
+Ôtez de nos coeurs, ô mon Dieu! le soupçon, l'aigreur, la colère, tout
+ce qui divise, tout ce qui peut altérer la charité et diminuer l'amour
+fraternel.
+
+Ayez pitié, Seigneur, ayez pitié de ces pauvres qui implorent votre
+grâce, votre miséricorde; et faites que nous soyons dignes de jouir
+ici-bas de vos dons, et d'arriver à l'éternelle vie. Ainsi soit-il.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Après s'être purifié par le sacrement de pénitence, et s'être uni,
+ selon tout ce qu'il est, à Jésus-Christ, hostie de propitiation pour
+ le salut des hommes, le prêtre s'offre encore pour eux et pour
+ lui-même, afin que la vertu du sacrifice qui va s'accomplir, lui soit
+ appliquée, et à ses frères, et à tous ceux pour qui Jésus-Christ,
+ sacrificateur, est victime[665], l'a consommé sur la Croix. Comme le
+ Sauveur s'est immolé pour lui, il veut s'immoler pour le Sauveur, ne
+ vivre que pour sa gloire, et mourir pour elle. Il le supplie de
+ consumer dans le feu de son amour tout ce qui reste en lui d'impur et
+ de terrestre. Il dépose, en quelque manière, sur l'autel et ses
+ pensées et ses affections, ses volontés, ses désirs, tout son être,
+ afin d'être revêtu en Jésus-Christ d'une vie nouvelle, de cette _vie
+ selon Dieu_[666], qui fait que l'homme _ne vit plus pour soi, mais
+ pour celui qui est mort et ressuscité pour lui_[667]. Ainsi anéanti
+ dans la présence du souverain Maître, et comme baigné déjà du sang qui
+ demande grâce, il intercède pour ses proches, ses amis, ses
+ bienfaiteurs, pour ses ennemis même, pour ceux qui le haïssent et le
+ persécutent, embrassant dans sa charité, immense comme celle du
+ Christ, toutes les créatures qu'il a rachetées, tous les enfants du
+ Père céleste, _qui fait luire son soleil sur les bons et sur les
+ méchants_[668]. Élevé, par l'onction sacerdotale, entre la terre et le
+ ciel, il couvre, pour ainsi dire, le genre humain tout entier de sa
+ prière et de son amour. Il le voit, par le péché, dans un état de
+ mort, et ses désirs l'enfantent à la vie: semblable au Médiateur
+ suprême, qui, _dans les jours de sa chair, offrant avec un grand cri
+ et avec larmes, des prières et des supplications à celui qui peut
+ sauver de la mort, fut exaucé à cause de son respect_[669]. Oui, _le
+ salut vient du Seigneur_[670]; _il a fait éclater les merveilles de
+ son Saint_[671]. Prêtres du Dieu vivant, _offrez-lui le sacrifice de
+ justice_[672]. _Je vous prierai, Seigneur; vous entendrez ma voix le
+ matin; le matin je me présenterai devant vous; j'entrerai dans votre
+ maison, et, rempli de votre crainte, j'adorerai dans votre saint
+ temple; et tous ceux qui espèrent en vous se réjouiront, et ils
+ tressailleront d'allégresse éternellement, parce que vous habiterez en
+ eux_[673].
+
+ [665] Hebr., IX, 14.
+
+ [666] I. Petr., IV, 6.
+
+ [667] II. Cor., V, 15.
+
+ [668] Matth., V, 45.
+
+ [669] Hebr., V, 7.
+
+ [670] Ps. III, 9.
+
+ [671] Ps. IV. 4.
+
+ [672] _Ibid._, 6.
+
+ [673] Ps. V, 4, 5, 12.
+
+
+
+
+CHAPITRE X.
+
+Qu'on ne doit pas facilement s'éloigner de la sainte Communion.
+
+
+VOIX DU BIEN-AIMÉ.
+
+1. Il faut recourir souvent à la source de la grâce et de la divine
+miséricorde, à la source de toute bonté et de toute pureté, afin que
+vous puissiez être guéri de vos passions et de vos vices, et que, plus
+fort et plus vigilant, vous ne soyez ni vaincu par les attaques du
+démon, ni surpris par ses artifices.
+
+L'ennemi des hommes, sachant quel est le fruit de la sainte Communion,
+et combien est grand le remède qu'y trouvent les âmes pieuses et
+fidèles, s'efforce, en toute occasion et par tous les moyens, de les en
+éloigner autant qu'il peut.
+
+2. Aussi est-ce au moment où ils s'y disposent, que quelques-uns
+éprouvent les plus vives attaques de Satan.
+
+Cet esprit de malice, comme il est écrit au livre de Job, vient parmi
+les enfants de Dieu pour les troubler par les ruses ordinaires de sa
+haine, cherchant à leur inspirer des craintes excessives et de pénibles
+perplexités, pour affaiblir leur amour, ébranler leur foi, afin qu'ils
+renoncent à communier, ou qu'ils ne communient qu'avec tiédeur.
+
+Mais il ne faut pas s'inquiéter de ses artifices et de ses suggestions,
+quelque honteuses, quelque horribles qu'elles soient, mais les rejeter
+toutes sur lui.
+
+Il faut se rire avec mépris de cet esprit misérable, et n'abandonner
+jamais la sainte Communion, à cause de ses attaques et des mouvements
+qu'il excite en nous.
+
+3. Souvent aussi l'on s'en éloigne par un désir trop vif de la ferveur
+sensible, et parce qu'on a conçu de l'inquiétude sur sa confession.
+
+Agissez selon le conseil de personnes prudentes, et bannissez de votre
+coeur l'anxiété et les scrupules, parce qu'ils détruisent la piété, et
+sont un obstacle à la grâce de Dieu.
+
+Ne vous privez point de la sainte Communion, dès que vous éprouvez
+quelque trouble ou une légère peine de conscience; mais confessez-vous
+au plus tôt, et pardonnez sincèrement aux autres les offenses que vous
+ayez reçues d'eux.
+
+Que si vous avez vous-même offensé quelqu'un, demandez-lui humblement
+pardon, et Dieu aussi vous pardonnera.
+
+4. Que sert de tarder à se confesser, et de différer la sainte
+Communion?
+
+Purifiez-vous promptement, hâtez-vous de rejeter le venin et de recourir
+au remède; vous vous en trouverez mieux que de différer longtemps.
+
+Si vous différez aujourd'hui pour une raison, peut-être s'en
+présentera-t-il demain une plus forte; et vous pourriez ainsi être sans
+cesse détourné de la Communion, et sans cesse vous y sentir moins
+disposé.
+
+Ne perdez pas un moment, secouez votre langueur, déchargez-vous de ce
+qui vous pèse: car à quoi revient-il de vivre toujours dans l'anxiété,
+toujours dans le trouble, et d'être éloigné chaque jour par de nouveaux
+obstacles de la Table sainte?
+
+Rien au contraire ne nuit davantage que de s'abstenir longtemps de
+communier, car d'ordinaire l'âme tombe par là dans un profond
+assoupissement.
+
+Ô douleur! il se rencontre des chrétiens si tièdes et si lâches, qu'ils
+saisissent avec joie tous les prétextes pour différer à se confesser, et
+dès lors aussi à communier, afin de n'être pas obligés de veiller avec
+plus de soin sur eux-mêmes.
+
+5. Hélas! qu'ils ont peu de piété, peu d'amour, ceux qui se privent si
+aisément de la sainte Communion!
+
+Qu'il est heureux, au contraire, et agréable à Dieu, celui qui vit de
+telle sorte, et qui conserve sa conscience si pure, qu'il serait préparé
+à communier tous les jours, et communierait en effet s'il lui était
+permis, et qu'il pût le faire sans singularité!
+
+Si quelqu'un s'en abstient quelquefois par humilité, ou par une cause
+légitime, on doit louer son respect.
+
+Mais si sa ferveur s'est refroidie, il doit se ranimer, et faire tout ce
+qu'il peut; et Dieu secondera ses désirs, à cause de la droiture de sa
+volonté qu'il considère principalement.
+
+6. Que si des motifs légitimes l'empêchent d'approcher de la sainte
+Table, il conservera toujours l'intention et le saint désir de
+communier; et ainsi il ne sera pas entièrement privé du fruit du
+Sacrement.
+
+Quoique tout fidèle doive, à certains jours et au temps fixé, recevoir,
+avec un tendre respect, le Corps du Sauveur dans son Sacrement, et
+rechercher en cela plutôt la gloire de Dieu que sa propre consolation;
+cependant il peut aussi communier en esprit tous les jours, à toute
+heure, avec beaucoup de fruit.
+
+Car il communie de cette manière, et se nourrit invisiblement de
+Jésus-Christ, toutes les fois qu'il médite avec piété les mystères de
+son Incarnation et de sa Passion, et qu'il s'enflamme de son amour.
+
+7. Celui qui ne se prépare à la Communion qu'aux approches des fêtes, ou
+quand la coutume l'y oblige, sera souvent mal préparé.
+
+Heureux celui qui s'offre au Seigneur en holocauste, toutes les fois
+qu'il célèbre le sacrifice, ou qu'il communie.
+
+Ne soyez, en célébrant les saints mystères, ni trop lent ni trop prompt,
+mais conformez-vous à l'usage ordinaire et régulier de ceux avec qui
+vous vivez.
+
+Il ne faut point fatiguer les autres ni leur causer d'ennui, mais suivre
+l'ordre commun établi par vos pères, et consulter plutôt l'utilité de
+tous, que votre attrait et votre piété particulière.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Qu'il faille exciter des chrétiens à s'asseoir à la Table sainte, à se
+ nourrir du pain de vie, à recevoir en eux _l'auteur et le consommateur
+ de la foi_[674], le Sauveur des hommes, le Verbe de Dieu; qu'ils
+ cherchent de tous côtés des prétextes pour se tenir éloignés de lui;
+ qu'ils regardent comme une dure obligation le devoir qu'impose
+ l'Église de participer, en certains temps, au corps et au sang de
+ Jésus-Christ: c'est quelque chose de si prodigieux et tout ensemble de
+ si effrayant, que l'âme fuit cette pensée, comme elle fuirait une
+ vision de l'enfer. Mais, parmi les fidèles que l'amour attire au
+ banquet sacré de l'Époux, il en est qui, abusés par de tristes et
+ fausses doctrines, ou retenus par les scrupules d'une conscience
+ timide à l'excès, ne se croient jamais assez préparés, et se privent
+ volontairement de la divine Eucharistie, à cause du respect même que
+ leur inspire cet auguste sacrement. Sans doute on doit s'éprouver
+ soi-même; sans doute il serait à désirer que ceux qui mangent le pain
+ des Anges, eussent toute la pureté de ces célestes esprits: mais celui
+ qui connaît notre misère, et qui est venu la guérir, n'exige pas que
+ l'homme soit parfait pour approcher de la source des grâces; il
+ demande seulement qu'il se soit purifié par la pénitence, et qu'il
+ apporte au pied de l'autel _un coeur contrit et humilié_[675], un
+ repentir sincère de ses fautes, une volonté droite, un amour ardent.
+ Tandis que Jésus repousse et maudit les Pharisiens, superbes
+ observateurs de la Loi, il accueille la femme pécheresse, il compatit
+ à son humble douleur, il bénit ses larmes, et _beaucoup de péchés lui
+ sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé_[676]. Trop souvent les
+ apparentes délicatesses de conscience qui séparent longtemps de la
+ communion, cachent un grand et coupable orgueil. Au lieu de
+ s'abandonner aux conseils du guide qui tient la place de Dieu, on veut
+ se conduire et se juger soi-même: erreur funeste dont le dernier
+ terme, le terme inévitable est ou le désespoir, ou une effroyable
+ présomption. Ne quittez, ne quittez jamais la voie de l'obéissance:
+ toutes les autres aboutissent à la perdition. Si l'on vous interdit
+ l'accès de la Table sainte, abstenez-vous et pleurez; car quel sujet
+ plus légitime de pleurs? Si l'on vous dit: Allez à Jésus dans le
+ sacrement de son amour; approchez avec allégresse. Nulle disposition
+ n'égale le sacrifice entier du raisonnement humain et de la volonté
+ propre; ayez en tout et toujours la simplicité d'un petit enfant: la
+ simplicité du coeur est chère à Dieu; il la bénit pour le temps, il la
+ bénit pour l'éternité.
+
+ [674] Héb., XII, 2.
+
+ [675] Ps. L, 19.
+
+ [676] Luc, VII, 47.
+
+
+
+
+CHAPITRE XI.
+
+Que le Corps de Jésus-Christ et l'Écriture sainte sont très-nécessaires
+à l'âme fidèle.
+
+
+VOIX DU DISCIPLE.
+
+1. Seigneur Jésus, quelles délices inondent l'âme fidèle admise à votre
+Table, où on ne lui présente d'autre aliment que vous-même, son unique
+bien-aimé, le plus cher objet de ses désirs!
+
+Oh! qu'il me serait doux de répandre en votre présence des pleurs
+d'amour, et d'arroser vos pieds de mes larmes comme Magdeleine!
+
+Mais où est cette tendre piété, et cette abondante effusion de larmes
+saintes?
+
+Certes, en votre présence et celle des saints Anges, tout mon coeur
+devrait s'embraser et se fondre de joie.
+
+Car vous m'êtes véritablement présent dans votre Sacrement, quoique
+caché sous des apparences étrangères.
+
+2. Mes yeux ne pourraient supporter l'éclat de votre divine lumière, et
+le monde entier s'évanouirait devant la splendeur de votre gloire.
+
+C'est donc pour ménager ma faiblesse que vous vous cachez sous les
+voiles du Sacrement.
+
+Je possède réellement et j'adore celui que les anges adorent dans le
+ciel: mais je ne le vois encore que par la foi, tandis qu'ils le voient
+tel qu'il est et sans voile!
+
+Il faut que je me contente de ce flambeau de la vraie foi, et que je
+marche à sa lumière, _jusqu'à ce que luise l'aurore du jour éternel, et
+que les ombres des figures déclinent_[677].
+
+ [677] Cant., II, 17.
+
+Mais _quand ce qui est parfait sera venu_[678], l'usage des Sacrements
+cessera, parce que les bienheureux, dans la gloire céleste, n'ont plus
+besoin de secours.
+
+ [678] Cor., XIII, 10.
+
+Ils se réjouissent sans fin dans la présence de Dieu, et contemplent sa
+gloire face à face; pénétrés de sa lumière et comme plongés dans l'abîme
+de sa divinité, ils goûtent le Verbe de Dieu fait chair, tel qu'il était
+au commencement et tel qu'il sera durant toute l'éternité.
+
+3. Qu'au souvenir de ces merveilles, tout me soit un pesant ennui, même
+les consolations spirituelles! car tandis que je ne verrai point le
+Seigneur mon Dieu dans l'éclat de sa gloire, tout ce que je vois, tout
+ce que j'entends en ce monde ne m'est rien.
+
+Vous m'êtes témoin, Seigneur, que je ne trouve nulle part de
+consolation, de repos en nulle créature; je ne puis en trouver qu'en
+vous seul, mon Dieu, que je désire contempler éternellement.
+
+Mais cela ne peut être tant que je vivrai dans ce corps mortel.
+
+Il faut donc que je me prépare à une grande patience, et que je soumette
+à votre volonté tous mes désirs.
+
+Car vos Saints, Seigneur, qui, ravis d'allégresse, règnent maintenant
+avec vous dans le ciel, ont aussi, pendant qu'ils vivaient, attendu avec
+une grande foi et une grande patience l'avénement de votre gloire.
+
+Je crois ce qu'ils ont cru; ce qu'ils ont espéré, je l'espère; j'ai la
+confiance de parvenir, aidé de votre grâce, là où ils sont parvenus.
+
+Jusque-là, je marcherai dans la foi, fortifié par leurs exemples.
+
+J'aurai aussi les Livres saints pour me consoler et m'instruire, et
+par-dessus tout votre sacré Corps, pour remède et pour refuge.
+
+4. Car je sens que deux choses me sont ici-bas souverainement
+nécessaires, et que sans elles je ne pourrais porter le poids de cette
+misérable vie.
+
+Enfermé dans la prison du corps, j'ai besoin d'aliments et de lumière.
+
+C'est pourquoi vous avez donné à ce pauvre infirme votre chair sacrée,
+pour être la nourriture de son âme et de son corps, et _votre parole
+pour luire comme une lampe devant ses pas_[679].
+
+ [679] Ps. CXVIII, 105.
+
+Je ne pourrais vivre sans ces deux choses: car la parole de Dieu est la
+lumière de l'âme, et votre Sacrement le pain de vie.
+
+On peut encore les regarder comme deux tables placées dans les trésors
+de l'Église.
+
+L'une est la table de l'autel sacré, sur lequel repose un pain
+sanctifié, c'est-à-dire le Corps précieux de Jésus-Christ.
+
+L'autre est la table de la loi divine, qui contient la doctrine sainte,
+qui enseigne la vraie foi, qui soulève le voile du sanctuaire, et nous
+conduit avec sûreté jusque dans le Saint des saints.
+
+Je vous rends grâces, Seigneur Jésus, lumière de l'éternelle lumière, de
+nous avoir donné, par le ministère des prophètes, des apôtres et des
+autres docteurs, cette table de la doctrine sainte.
+
+5. Je vous rends grâces, ô Créateur et Rédempteur des hommes, de ce
+qu'afin de manifester votre amour au monde, vous avez préparé un grand
+festin, où vous nous offrez pour nourriture, non l'agneau figuratif,
+mais votre très-saint Corps et votre Sang.
+
+Dans ce sacré banquet, que partagent avec nous les Anges, mais dont ils
+goûtent plus vivement la douceur, vous comblez de joie tous les fidèles,
+et vous les enivrez du calice du salut, qui contient toutes les délices
+du ciel.
+
+6. Oh! qu'elles sont grandes, qu'elles sont glorieuses les fonctions des
+prêtres, à qui il a été donné de consacrer le Dieu de majesté par des
+paroles saintes, de le bénir de leurs lèvres, de le tenir entre leurs
+mains, de le recevoir dans leur bouche, et de le distribuer aux autres
+hommes!
+
+Oh! qu'elles doivent être innocentes les mains du prêtre, que sa bouche
+doit être pure, son corps saint et son âme exempte des plus légères
+taches, pour recevoir si souvent l'Auteur de la pureté!
+
+Il ne doit sortir rien que de saint, rien que d'honnête, rien que
+d'utile, de la bouche du prêtre qui participe si fréquemment au
+Sacrement de Jésus-Christ.
+
+7. Qu'ils soient simples et chastes les yeux qui contemplent
+habituellement le Corps de Jésus-Christ. Qu'elles soient pures et
+élevées au ciel, les mains qui touchent sans cesse le Créateur du ciel
+et de la terre.
+
+C'est aux prêtres surtout qu'il est dit dans la Loi: _Soyez saints,
+parce que je suis saint, moi le Seigneur votre Dieu_[680].
+
+ [680] Lev., XIX, 2; XX, 7.
+
+8. Que votre grâce nous aide, ô Dieu tout-puissant, nous qui avons été
+revêtus du sacerdoce, afin que nous puissions vous servir dignement,
+avec une vraie piété et une conscience pure.
+
+Et si nous ne pouvons vivre dans une innocence aussi parfaite que nous
+le devrions, accordez-nous du moins de pleurer sincèrement nos fautes,
+et de former, en esprit d'humilité, la ferme résolution de vous servir
+désormais avec plus de ferveur.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Qu'est-ce que la terre? Un lieu d'exil, _une vallée de larmes_, comme
+ l'appelle l'Église. L'homme y cherche dans les ténèbres la vérité, qui
+ est la vie de son intelligence; il y cherche, au milieu de maux sans
+ nombre, un bien, il ne sait quel bien, immense, inépuisable, éternel,
+ qui est la vie de son coeur: et tout ce qu'il cherche lui échappe. Le
+ doute, l'opinion, l'erreur, fatiguent sa raison épuisée. Ce qu'il a
+ cru des biens se change en amertume. Il trouve au fond de tout le vide
+ et l'ennui. Est-il seul, son âme retombe avec douleur sur elle-même:
+ il a besoin de support, et malheur à lui s'il met sa confiance dans
+ les autres hommes! Ils se masquent pour le surprendre, ils profanent
+ pour le tromper le nom d'ami: tandis que leur bouche lui sourit, ils
+ lui tendent des piéges dans l'ombre, et quand à force de ruses, de
+ mensonges et de basses noirceurs, ils l'ont enveloppé de leurs rets,
+ tout à coup, se dévoilant, ils se ruent sur lui et le dévorent, comme
+ l'hyène dévore sa proie. Lamentable condition! Mais Dieu n'a pas
+ abandonné sa pauvre créature dans ces extrémités de la misère. Il
+ l'éclaire par sa parole, il la soutient par sa grâce, il l'anime, il
+ la console par la foi d'une vie meilleure, par l'espérance de
+ posséder, après ces jours d'épreuve, le bien auquel elle aspire, le
+ bien infini, qui est lui-même. Et ces dons merveilleux d'un amour
+ inénarrable, rassemblés, concentrés, en quelque sorte, dans la divine
+ Eucharistie, y sont offerts à nos désirs sans autre mesure que ces
+ désirs mêmes. Toutes les fois que nous approchons de cet auguste
+ Sacrement, nous recevons en nous la Sagesse, la Lumière incréée, le
+ Verbe de Dieu, la Parole vivante; nous recevons l'Auteur de la grâce,
+ le Consommateur de la foi, le gage immortel de notre espérance: la
+ chair crucifiée pour nous s'incorpore à notre chair, le sang qui a
+ sauvé le monde se mêle à notre sang; un saint baiser unit notre âme à
+ l'âme du Rédempteur; sa Divinité nous pénètre, et consume en nous tout
+ ce que le péché avait corrompu: l'ami fidèle repose dans notre sein,
+ il nous parle, il nous dit: _Pose-moi comme un sceau sur ton coeur;
+ car l'amour est plus fort que la mort_[681]: et alors, embrasés de cet
+ _amour ardent comme le feu_[682], nous ne voyons plus que le
+ bien-aimé, nous n'avons plus de vie que la sienne, et la tristesse de
+ notre pèlerinage s'évanouit dans les joies du Ciel.
+
+ [681] Cant., VIII, 6.
+
+ [682] _Ibid._
+
+
+
+
+CHAPITRE XII.
+
+Qu'on doit se préparer avec un grand soin à la sainte Communion.
+
+
+VOIX DU BIEN-AIMÉ.
+
+1. Je suis l'ami de la pureté, et c'est de moi que vient toute sainteté.
+
+Je cherche un coeur pur, et là est le lieu de mon repos.
+
+_Préparez-moi un grand Cénacle, et je célébrerai chez vous la Pâque avec
+mes disciples_[683].
+
+ [683] Marc., XIV, 15. Luc., XXII, 12.
+
+Si vous voulez que je vienne à vous, et que je demeure en vous,
+_purifiez-vous du vieux levain_[684], et nettoyez la maison de votre
+coeur.
+
+ [684] I. Cor., V, 7.
+
+Bannissez-en les pensées du siècle, et le tumulte des vices.
+
+_Comme le passereau qui gémit sous un toit solitaire_[685],
+rappelez-vous vos péchés dans l'amertume de votre âme.
+
+ [685] Ps. CI, 8.
+
+Car un ami prépare toujours à son ami le lieu le meilleur et le plus
+beau; et c'est ainsi qu'il lui fait connaître avec quelle affection il
+le reçoit.
+
+2. Sachez cependant que vous ne pouvez, quels que soient vos propres
+efforts, vous préparer dignement, quand vous y emploieriez une année
+entière, sans vous occuper d'autre chose.
+
+Mais c'est par ma grâce et ma seule bonté qu'il vous est permis
+d'approcher de ma table, comme un mendiant invité au festin du riche, et
+qui n'a, pour reconnaître ce bienfait, que d'humbles actions de grâces.
+
+Faites ce qui est en vous, et faites-le avec un grand soin. Recevez, non
+pour suivre la coutume ou pour remplir un devoir rigoureux, mais avec
+crainte, avec respect, avec amour, le corps du Seigneur bien-aimé, de
+votre Dieu, qui daigne venir à vous.
+
+C'est moi qui vous appelle, qui vous commande de venir: je suppléerai à
+ce qui vous manque; venez et recevez-moi.
+
+3. Lorsque je vous accorde le don de la ferveur, remerciez-en votre
+Dieu: car ce n'est pas que vous en soyez digne, mais parce que j'ai eu
+pitié de vous.
+
+Si vous vous sentez, au contraire, aride, priez avec instance, gémissez
+et ne cessez point de frapper à la porte, jusqu'à ce que vous obteniez
+quelque miette de ma table, ou une goutte des eaux salutaires de la
+grâce.
+
+Vous avez besoin de moi, et je n'ai pas besoin de vous. Vous ne venez
+pas à moi pour me sanctifier; mais c'est moi qui viens à vous pour vous
+rendre meilleur et plus saint.
+
+Vous venez pour que je vous sanctifie, et pour vous unir à moi, pour
+recevoir une grâce nouvelle, et vous enflammer d'une nouvelle ardeur
+d'avancer dans la vertu.
+
+Ne négligez point cette grâce; mais préparez votre coeur avec un soin
+extrême, et recevez-y votre bien-aimé.
+
+4. Mais il ne faut pas seulement vous exciter à la ferveur avant la
+Communion, il faut encore travailler à vous y conserver après; et la
+vigilance qui la doit suivre n'est pas moins nécessaire que la
+préparation qui la précède: car cette vigilance est elle-même la
+meilleure préparation pour obtenir une grâce plus grande.
+
+Rien, au contraire, n'éloigne davantage des dispositions où l'on doit
+être pour communier, que de se trop répandre au dehors en sortant de la
+Table sainte.
+
+Parlez peu, retirez-vous dans un lieu secret, et jouissez de votre Dieu.
+
+Car vous possédez celui que le monde entier ne peut vous ravir.
+
+Je suis celui à qui vous vous devez donner sans réserve; de sorte que,
+dégagé de toute inquiétude, vous ne viviez plus en vous, mais en moi.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ La préparation à la Pâque nouvelle comprend deux choses: il faut
+ purifier le Cénacle, et il faut l'orner; c'est-à-dire que, pour
+ recevoir dignement le corps et le sang de Jésus-Christ, l'âme doit
+ être avant tout exempte de souillures, elle doit avoir été lavée dans
+ les eaux de la pénitence, et ensuite s'être exercée à la pratique des
+ vertus, qui la rendent agréable à Dieu. Ce qui plaît au Seigneur, ce
+ qui attire ses grâces, c'est une profonde humilité[686], un souverain
+ mépris de soi-même, une foi vive, un abandon parfait à ses volontés,
+ le détachement de la terre et le désir des biens célestes, _la charité
+ qui est douce, patiente, qui n'est point jalouse, qui n'agit point
+ témérairement, qui ne s'enfle point d'orgueil, qui n'est point
+ ambitieuse, qui ne cherche point ses intérêts, qui ne s'aigrit de
+ rien, ne soupçonne point le mal, ne se réjouit point de l'injustice,
+ mais se réjouit de la vérité; qui souffre tout, croit tout, espère
+ tout, supporte tout_[687]: charité vraiment divine, et, selon la
+ doctrine du grand apôtre, préférable à tout ce qu'il y a de plus
+ élevé. _Quand je parlerais toutes les langues des hommes et le langage
+ des Anges, si je n'ai point la charité, je suis comme un airain
+ sonnant, ou une cymbale retentissante. Et quand j'aurais le don de
+ prophétie, quand je pénétrerais tous les mystères, et que je
+ posséderais toute science, quand j'aurais la foi parfaite jusqu'à
+ transporter les montagnes, si je n'ai point la charité, je ne suis
+ rien. Et quand j'aurais distribué tous mes biens pour nourrir les
+ pauvres, et livré mon corps aux flammes, si je n'ai point la charité,
+ tout cela ne me sert de rien_[688]. Âme chrétienne; qui aspirez au
+ banquet nuptial, imitez donc les Vierges sages; _prenez de l'huile,
+ allumez votre lampe, pour aller au-devant de l'Époux_[689]; car celles
+ dont les lampes seront éteintes, entendront cette parole terrible: _En
+ vérité je ne vous connais point_[690].
+
+ [686] I. Petr., V, 5.
+
+ [687] Cor., XIII, 4-7.
+
+ [688] I. Cor., XIII, 1-3.
+
+ [689] Luc., XXV, 4 et seq.
+
+ [690] _Ibid._, 12.
+
+
+
+
+CHAPITRE XIII.
+
+Que le fidèle doit désirer de tout son coeur de s'unir à Jésus-Christ
+dans la Communion.
+
+
+VOIX DU DISCIPLE.
+
+1. Qui me donnera, Seigneur, de vous trouver seul, et de vous ouvrir
+tout mon coeur, et de jouir de vous comme mon âme le désire; de sorte
+que je ne sois plus pour personne un objet de mépris, et, qu'étranger à
+toute créature, vous me parliez seul, et moi à vous, comme un ami parle
+à son ami, et s'assied avec lui à la même table?
+
+Ce que je demande, ce que je désire, c'est d'être uni tout entier à
+vous, que mon coeur se détache de toutes les choses créées, et que, par
+la sainte Communion et la fréquente célébration des divins mystères,
+j'apprenne à goûter les choses du ciel et de l'éternité.
+
+Ah! Seigneur mon Dieu, quand, m'oubliant tout à fait moi-même, serai-je
+parfaitement uni à vous, et absorbé en vous?
+
+Que je sois en vous, et vous en moi, et que cette union soit
+inaltérable!
+
+2. Vous êtes vraiment mon bien-aimé, _choisi entre mille_[691], en qui
+mon âme se complaît, et veut demeurer à jamais.
+
+ [691] Cant., V, 10.
+
+Vous êtes _le Roi pacifique_[692]; en vous est la paix souveraine et le
+vrai repos; hors de vous, il n'y a que travail, douleur, misère infinie.
+
+ [692] I. Paralip., XXII, 9.
+
+_Vous êtes vraiment un Dieu caché_; vous vous éloignez des impies, mais
+_vous aimez à converser avec les humbles et les simples_[693].
+
+ [693] Is., XIV, 15. Prov., III, 32.
+
+_Oh! que votre tendresse est touchante, Seigneur, vous qui, pour montrer
+à vos enfants tout votre amour, daignez les rassasier d'un pain
+délicieux qui descend du ciel_[694]!
+
+ [694] Offic. du S. Sacrem.
+
+Certes, _nul autre peuple, quelque grand qu'il soit, n'a des dieux qui
+s'approchent de lui_[695], comme vous, mon Dieu; vous vous rendez
+présent à tous vos fidèles, vous donnant vous-même à eux chaque jour,
+pour être leur nourriture, et pour qu'ils jouissent de vous, afin de les
+consoler et d'élever leur coeur vers le ciel.
+
+ [695] Deut., IV, 7.
+
+3. Quel est le peuple, en effet, comparable au peuple chrétien? quelle
+est, sous le ciel, la créature aussi chérie que l'âme fervente en qui
+Dieu daigne entrer pour la nourrir de sa chair glorieuse?
+
+Ô faveur ineffable! ô condescendance merveilleuse! ô amour infini, qui
+n'a été montré qu'à l'homme!
+
+Mais que rendrai-je au Seigneur pour cette grâce, pour cette immense
+charité?
+
+Je ne puis rien offrir à mon Dieu qui lui soit plus agréable, que de lui
+donner mon coeur sans réserve, et de m'unir intimement à lui.
+
+Alors mes entrailles tressailliront de joie, lorsque mon âme sera
+parfaitement unie à Dieu.
+
+Alors il me dira: Si vous voulez être avec moi, je veux être avec vous.
+Et je lui répondrai: Daignez demeurer avec moi, Seigneur; je désire
+ardemment d'être avec vous. Tout mon désir est que mon coeur vous soit
+uni.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ «Je m'abandonne à vous, ô mon Dieu: à votre unité pour être fait un
+ avec vous; à votre infinité et à votre immensité incompréhensible,
+ pour m'y perdre et m'y oublier moi-même; à votre sagesse infinie, pour
+ être gouverné selon vos desseins, et non pas selon mes pensées; à vos
+ décrets éternels, connus et inconnus, pour m'y conformer, parce qu'ils
+ sont tous également justes; à votre éternité, pour en faire mon
+ bonheur; à votre toute-puissance, pour être toujours sous votre main;
+ à votre bonté paternelle, afin que, dans le temps que vous m'avez
+ marqué, vous receviez mon esprit entre vos bras; à votre justice,
+ autant qu'elle justifie l'impie et le pécheur, afin que, d'impie et de
+ pécheur, vous le fassiez juste et saint. Il n'y a qu'à cette justice
+ qui punit les crimes que je ne veux pas m'abandonner; car ce serait
+ m'abandonner à la damnation que je mérite; et néanmoins, Seigneur,
+ elle est sainte, cette justice, comme tous vos autres attributs; elle
+ est sainte et ne doit pas être privée de son sacrifice. Il faut donc
+ aussi m'y abandonner, et voici que Jésus-Christ se présente, afin que
+ je m'y abandonne en lui et par lui[696].»
+
+ [696] Bossuet.
+
+
+
+
+CHAPITRE XIV.
+
+Du désir ardent que quelques âmes saintes ont de recevoir le Corps de
+Jésus-Christ.
+
+
+VOIX DU DISCIPLE.
+
+1. _Combien est grande, ô mon Dieu, l'abondance de douceur que vous avez
+réservée à ceux qui vous craignent_[697]!
+
+ [697] Ps. XXX, 23.
+
+Quand je viens à considérer avec quel désir et quel amour quelques âmes
+fidèles s'approchent, Seigneur, de votre sacrement, alors je me confonds
+souvent en moi-même, et je rougis de me présenter à votre autel et à la
+table sacrée de la Communion, avec tant de froideur et de sécheresse;
+d'y porter un coeur si aride, si tiède, et de ne point ressentir cet
+attrait puissant, cette ardeur qu'éprouvent quelques-uns de vos
+serviteurs, qui, en se disposant à vous recevoir, ne sauraient retenir
+leurs larmes, tant le désir qui les presse est grand, et leur émotion
+profonde.
+
+Ils ont soif de vous, ô mon Dieu, qui êtes la source d'eau vive; et leur
+coeur et leur bouche s'ouvrent également pour s'y désaltérer. Rien ne
+peut rassasier ni tempérer leur faim que votre sacré Corps, qu'ils
+reçoivent avec une sainte avidité et les transports d'une joie
+ineffable.
+
+2. Oh! que cette ardente foi est une preuve sensible de votre présence
+dans le sacrement!
+
+Car _ils reconnaissent véritablement le Seigneur dans la fraction du
+pain, ceux dont le coeur est tout brûlant, lorsque Jésus est avec
+eux_[698].
+
+ [698] Luc., XXIV, 49.
+
+Qu'une affection si tendre, un amour si vif, est souvent loin de moi!
+
+Soyez-moi propice, ô bon Jésus, plein de douceur et de miséricorde! Ayez
+pitié d'un pauvre mendiant, et faites que j'éprouve, au moins
+quelquefois, dans la sainte Communion, quelques mouvements de cet amour
+qui embrase tout le coeur, afin que ma foi s'affermisse, que mon
+espérance en votre bonté s'accroisse, et qu'enflammé par cette manne
+céleste, jamais la charité ne s éteigne en moi.
+
+3. Dieu de bonté, vous êtes tout-puissant pour m'accorder la grâce que
+j'implore, pour me remplir de l'esprit de ferveur, et me visiter dans
+votre clémence, quand le jour choisi par vous sera venu.
+
+Car encore que je ne brûle pas de la même ardeur que ces âmes pieuses,
+cependant, par votre grâce, j'aspire à leur ressembler, désirant et
+demandant d'être compté parmi ceux qui ont pour vous un si vif amour, et
+d'entrer dans leur société sainte.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ _Avant le jour de la Pâque, Jésus sachant que son heure était venue de
+ passer de ce monde à son Père; comme il avait aimé les siens qui
+ étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la fin_[699]. Ce fut alors
+ qu'il institua la divine Eucharistie, comme pour perpétuer sa demeure
+ au milieu des disciples qu'il avait aimés, et de tous ceux qu'il
+ aimerait jusqu'à la consommation des siècles, accomplissant ainsi
+ cette promesse: _Je ne vous laisserai pas orphelins; je viendrai à
+ vous_[700]: et il est venu, _il a habité parmi nous, et nous avons vu
+ sa gloire, la gloire du Fils unique du Père, plein de grâce et de
+ vérité_[701]. Il est vrai que sa présence se dérobe à nos sens; mais
+ elle n'en est ni moins réelle, ni moins efficace: ainsi je crois,
+ Seigneur; ainsi j'adore. Si Jésus-Christ, en se donnant à nous dans le
+ Sacrement de l'autel, ne se couvrait pas d'un voile, s'il ne retenait
+ pas en soi une partie de sa lumière, s'il se montrait selon tout ce
+ qu'il est, _plus beau qu'aucun des enfants des hommes_[702], et avec
+ une tendresse ineffable aspirant de s'unir à nous, _corps à corps,
+ coeur à coeur, esprit à esprit_[703], notre frêle humanité ne pourrait
+ supporter le poids d'une félicité semblable, et l'âme briserait ses
+ liens mortels. C'est pourquoi le divin Sauveur a voulu ne se rendre
+ visible qu'à la foi seule; et la foi suffit pour embraser de telles
+ ardeurs les vrais fidèles, qu'il n'est rien sur la terre de comparable
+ à leur amour. Aucune langue ne peut exprimer ce qui se passe, dans le
+ secret du coeur, entre l'Époux et l'Épouse: ces transports, ce calme,
+ ces élans du désir, cette joie de la possession, ces chastes
+ embrassements de deux âmes perdues l'une dans l'autre, cette douce
+ langueur, ces paroles brûlantes, ce silence plus ravissant. Ah! _si
+ vous saviez le don de Dieu, et quel est celui qui vous dit: Donnez-moi
+ à boire, vous lui demanderiez vous-même, et il vous donnerait de l'eau
+ vive_[704]. Tous les saints lui ont demandé, et il a entendu leur
+ voix, et il les a désaltérés à la source éternelle. Demandez aussi,
+ priez, suppliez: _l'Esprit et l'Épouse disent: Venez. Et que celui qui
+ écoute, dise: Venez. Que celui qui a soif vienne, et que celui qui
+ veut, reçoive gratuitement l'eau qui donne la vie._ Et l'Époux dit:
+ _Je viens. Ainsi soit-il! Venez, Seigneur Jésus_[705].
+
+ [699] Joann., XIII, 1.
+
+ [700] _Ibid._, XIV, 18.
+
+ [701] _Ibid._, I, 14.
+
+ [702] Ps. XLIV.
+
+ [703] Bossuet.
+
+ [704] Joann., IV, 10.
+
+ [705] Apoc., XXII. 17, 20.
+
+
+
+
+CHAPITRE XV.
+
+Que la grâce de la dévotion s'acquiert par l'humilité et l'abnégation de
+soi-même.
+
+
+VOIX DU BIEN-AIMÉ.
+
+1. Il faut désirer ardemment la grâce de la ferveur, ne vous lasser
+jamais de la demander, l'attendre patiemment et avec confiance, la
+recevoir avec gratitude, la conserver avec humilité, concourir avec zèle
+à son opération, et, jusqu'à ce que Dieu vienne à vous, ne vous point
+inquiéter en quel temps et de quelle manière il lui plaira de vous
+visiter.
+
+Vous devez surtout vous humilier, lorsque vous ne sentez en vous que peu
+ou point de ferveur; mais ne vous laissez point trop abattre, et ne vous
+affligez point avec excès.
+
+Souvent Dieu donne en un moment ce qu'il a longtemps refusé; il accorde
+quelquefois à la fin de la prière, ce qu'il a différé de donner au
+commencement.
+
+2. Si la grâce était toujours donnée aussitôt qu'on la désire, ce serait
+une tentation pour la faiblesse de l'homme.
+
+C'est pourquoi l'on doit attendre la grâce de la ferveur avec une
+confiance ferme et une humble patience.
+
+Lorsqu'elle vous est cependant ou refusée ou ôtée secrètement, ne
+l'imputez qu'à vous-même et à vos péchés.
+
+C'est souvent peu de chose qui arrête, ou qui affaiblit la grâce; si
+pourtant l'on peut appeler peu de chose, et si l'on ne doit pas plutôt
+compter pour beaucoup, ce qui nous prive d'un si grand bien.
+
+Mais, quel que soit cet obstacle, si vous le surmontez parfaitement,
+vous obtiendrez ce que vous demandez.
+
+3. Car, dès que vous vous serez donné à Dieu de tout votre coeur, et
+que, cessant d'errer d'objets en objets au gré de vos désirs, vous vous
+serez remis entièrement entre ses mains, vous trouverez la paix dans
+cette union, parce que rien ne vous sera doux que ce qui peut lui
+plaire.
+
+Quiconque élèvera donc son intention vers Dieu avec un coeur simple, et
+se dégagera de tout amour et de toute aversion déréglée des créatures,
+sera propre à recevoir la grâce, et digne du don de la ferveur.
+
+Car Dieu répand sa bénédiction où il trouve des vases vides; et plus un
+homme renonce parfaitement aux choses d'ici-bas, plus il se méprise et
+meurt à lui-même, plus la grâce vient à lui promptement, plus elle
+remplit son coeur, et l'affranchit et l'élève.
+
+4. Alors, ravi d'étonnement, il verra ce qu'il n'avait point vu, et il
+sera dans l'abondance, et son coeur se dilatera, parce que le Seigneur
+est avec lui, et qu'il s'est lui-même remis sans réserve et pour
+toujours entre ses mains.
+
+C'est ainsi que sera béni l'homme qui cherche Dieu de tout son coeur, et
+_qui n'a pas reçu son âme en vain_[706].
+
+ [706] Ps. XXIII, 4.
+
+Ce disciple fidèle, en recevant la sainte Eucharistie, mérite d'obtenir
+la grâce d'une union plus grande avec le Seigneur, parce qu'il ne
+considère point ce qui lui est doux, ce qui le console, mais, au-dessus
+de toute douceur et de toute consolation, l'honneur et la gloire de
+Dieu.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Bien qu'on doive aimer Dieu pour lui seul, il est permis de désirer
+ ses dons, pourvu qu'on demeure pleinement soumis à sa volonté sainte.
+ Les grâces les plus précieuses ne sont pas toujours les grâces
+ senties, celles qui, pour ainsi dire, inondent l'âme de lumière et de
+ joie. Elles peuvent, si l'on n'y prend garde, exciter la vaine
+ complaisance. Souvent il est plus sûr de marcher en cette vie dans les
+ ténèbres de la pure foi, d'être éprouvé par la tristesse, la
+ souffrance, l'amertume, et de porter la Croix intérieure comme Jésus,
+ lorsqu'il s'écriait: _Mon Père! pourquoi m'avez-vous délaissé_[707]?
+ Alors tout orgueil est abattu; on ne trouve en soi qu'infirmité; on
+ s'humilie sous la main qui frappe, mais qui frappe pour guérir, et ce
+ saint exercice d'abnégation, plus méritoire pour l'âme fidèle et plus
+ agréable à Dieu qu'aucune ferveur sensible, attendrit le céleste Époux
+ et le ramène près de l'Épouse qui, privée de son bien-aimé, _veillait_
+ dans sa douleur, _semblable au passereau solitaire qui gémit sous le
+ toit_[708]. Il se découvre à elle dans la divine Eucharistie; il la
+ console, il essuie ses larmes, il lui prodigue ses chastes caresses,
+ il l'embrase de son amour, comme les disciples d'Emmaüs, alors qu'ils
+ disaient: _Notre coeur n'était-il pas tout brûlant au dedans de nous,
+ lorsqu'il nous parlait dans le chemin, et nous ouvrait les
+ Écritures[709]?_ Seigneur, je m'avoue indigne de goûter ces
+ ravissantes douceurs. _Je connais mon iniquité, et mon péché est sans
+ cesse devant moi_[710]. Que me devez-vous, sinon la rigueur et le
+ châtiment? Et toutefois j'oserai implorer votre miséricorde immense:
+ je m'approcherai, le front contre terre, de la source d'eau vive,
+ espérant que votre pitié en laissera tomber quelques gouttes sur mon
+ âme aride. _Accordez-moi, Seigneur, ce rafraîchissement avant que je
+ m'en aille, et bientôt je ne serai plus_[711].
+
+ [707] Marc., XV, 34.
+
+ [708] Ps. CI, 8.
+
+ [709] Luc., XXIV, 32.
+
+ [710] Ps. L, 5.
+
+ [711] Ps. XXVIII, 14.
+
+
+
+
+CHAPITRE XVI.
+
+Qu'il faut dans la Communion exposer ses besoins à Jésus-Christ, et lui
+demander sa grâce.
+
+
+VOIX DU DISCIPLE.
+
+1. Seigneur plein de tendresse et de bonté, que je désire recevoir en ce
+moment avec un pieux respect, vous connaissez mon infirmité et mes
+pressants besoins; vous savez en combien de maux et de vices je suis
+plongé, quelles sont mes peines, mes tentations, mes troubles et mes
+souillures.
+
+Je viens à vous chercher le remède, pour obtenir un peu de soulagement
+et de consolation.
+
+Je parle à celui qui sait tout, qui voit tout ce qu'il y a de plus
+secret en moi, et qui seul peut me secourir et me consoler parfaitement.
+
+Vous savez quels biens me sont principalement nécessaires, et combien je
+suis pauvre en vertus.
+
+2. Voilà que je suis devant vous, pauvre et nu, demandant votre grâce,
+implorant voire miséricorde.
+
+Rassasiez ce mendiant affamé, réchauffez ma froideur du feu de votre
+amour, éclairez mes ténèbres par la lumière de votre présence.
+
+Changez pour moi toutes les choses de la terre en amertume; faites que
+tout ce qui m'est dur et pénible, fortifie ma patience: que je méprise
+et que j'oublie tout ce qui est créé, tout ce qui passe.
+
+Élevez mon coeur à vous dans le ciel, et ne me laissez pas errer sur la
+terre.
+
+Que, de ce moment et à jamais, rien ne me soit doux que vous seul, parce
+que vous seul êtes ma nourriture, mon breuvage, mon amour, ma joie, ma
+douceur et tout mon bien.
+
+3. Oh! que ne puis-je, enflammé, embrasé par votre présence, être
+transformé en vous, de sorte que je devienne un même esprit avec vous,
+par la grâce d'une union intime, et par l'effusion d'un ardent amour!
+
+Ne souffrez pas que je m'éloigne de vous sans m'être rassasié et
+désaltéré; mais usez envers moi de la même miséricorde dont vous avez
+souvent usé avec vos Saints d'une manière si merveilleuse.
+
+Qui pourrait s'étonner qu'en m'approchant de vous je fusse entièrement
+consumé de votre ardeur, puisque vous êtes un feu qui brûle toujours et
+ne s'éteint jamais, un amour qui purifie les coeurs, et qui éclaire
+l'intelligence?
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ Ce n'est point en nous efforçant d'élever notre esprit à de sublimes
+ pensées, que nous recueillerons le fruit de la sainte Communion; mais
+ en adorant, pleins d'amour, Jésus-Christ en nous, en lui ouvrant notre
+ coeur avec une grande confiance et une grande simplicité, _comme un
+ ami parle à son ami_[712]. Nous avons des besoins, il faut les lui
+ exposer. Nous sommes couverts de plaies, il faut les lui montrer, afin
+ qu'il les lave dans son divin sang. Nous sommes faibles, il faut lui
+ demander de ranimer nos forces. Nous sommes nus, affamés, altérés; il
+ faut lui dire: Ayez pitié de ce pauvre mendiant. De lui découlent
+ toutes les grâces. Écoutez ses paroles: _Je suis la résurrection et la
+ vie: celui qui croit en moi, encore qu'il soit mort, il vivra: et tout
+ homme qui vit et qui croit en moi ne mourra point à jamais.
+ Croyez-vous ainsi[713]?_ «Ô chrétien! je ne te dis plus rien: c'est
+ Jésus-Christ qui te parle en la personne de Marthe; réponds avec elle.
+ _Oui, Seigneur, je crois que vous êtes le Christ, fils du Dieu vivant,
+ qui êtes venu en ce monde_[714]. Ajoutez avec saint Paul: _Afin de
+ sauver les pécheurs, desquels je suis le premier_[715]. Crois donc,
+ âme chrétienne, adore, espère, aime. Ô Jésus! ôtez les voiles, et que
+ je vous voie. Ô Jésus! parlez dans mon coeur, et faites que je vous
+ écoute. Parlez, parlez, parlez; Il n'y a plus qu'un moment: parlez.
+ Donnez-moi des larmes pour vous répondre: frappez la pierre; et que
+ les eaux d'un amour plein d'espérance, pénétré de reconnaissance,
+ coulent jusqu'à terre[716].»
+
+ [712] Levit., XXXIII, 11.
+
+ [713] Joann., XI, 25, 26.
+
+ [714] Joann., XI, 27.
+
+ [715] I. Tim., I, 15.
+
+ [716] Bossuet.
+
+
+
+
+CHAPITRE XVII.
+
+Du désir ardent de recevoir Jésus-Christ.
+
+
+VOIX DU DISCIPLE.
+
+1. Seigneur, je désire vous recevoir avec un pieux et ardent amour, avec
+toute la tendresse et l'affection de mon coeur, comme vous ont désiré
+dans la Communion tant de Saints et de fidèles qui vous étaient si
+chers, à cause de leur vie pure et de leur fervente piété.
+
+Ô mon Dieu! Amour éternel, mon unique bien, ma félicité toujours
+durable, je désire vous recevoir avec toute la ferveur, tout le respect
+qu'ait jamais pu ressentir aucun de vos Saints.
+
+2. Et quoique je sois indigne d'éprouver ces admirables sentiments
+d'amour, je vous offre cependant toute l'affection de mon coeur, comme
+si j'étais animé seul de ces désirs enflammés qui vous sont si
+agréables.
+
+Tout ce que peut concevoir et désirer une âme pieuse, je vous le
+présente, je vous l'offre, avec un respect profond et une vive ardeur.
+
+Je ne veux rien me réserver; mais je veux vous offrir sans réserve le
+sacrifice de moi-même et de tout ce qui est à moi.
+
+Seigneur mon Dieu, mon Créateur et mon Rédempteur, je désire vous
+recevoir aujourd'hui avec autant de ferveur et de respect, avec autant
+de zèle pour votre gloire, avec autant de reconnaissance, de sainteté,
+d'amour, de foi, d'espérance et de pureté, que vous désira et vous reçut
+votre sainte Mère, la glorieuse Vierge Marie; lorsque, l'Ange lui
+annonçant le mystère de l'Incarnation, elle répondit avec une pieuse
+humilité: _Voici la servante du Seigneur; qu'il me soit fait selon votre
+parole_[717].
+
+ [717] Luc., I, 38.
+
+3. Et de même que votre bienheureux précurseur, le plus grand des
+Saints, Jean-Baptiste, lorsqu'il était encore dans le sein de sa mère,
+tressaillit de joie en votre présence, par un mouvement du Saint-Esprit,
+et que, vous voyant ensuite converser avec les hommes, il disait avec un
+tendre amour et en s'humiliant profondément: _L'ami de l'époux, qui est
+près de lui et qui l'écoute, est ravi d'allégresse, parce qu'il entend
+la voix de l'époux_[718]; ainsi je voudrais être embrasé des plus
+saints, des plus ardents désirs, et m'offrir à vous de toute l'affection
+de mon coeur.
+
+ [718] Joann., III, 29.
+
+C'est pourquoi je vous offre tous les transports d'amour et de joie, les
+extases, les ravissements, les révélations, les visions célestes de
+toutes les âmes saintes, avec les hommages que vous rendent et vous
+rendront à jamais toutes les créatures dans le ciel et sur la terre; je
+vous les offre ainsi que leurs vertus, pour moi et pour tous ceux qui se
+sont recommandés à mes prières, afin qu'ils célèbrent dignement vos
+louanges, et vous glorifient éternellement.
+
+4. Seigneur mon Dieu, recevez mes voeux, et le désir qui m'anime de vous
+louer, de vous bénir, avec l'amour immense, infini, dû à votre ineffable
+grandeur.
+
+Voilà ce que je vous offre, et ce que je voudrais vous offrir chaque
+jour et à chaque moment; et je prie et je conjure, de tout mon coeur,
+tous les esprits célestes et tous vos fidèles serviteurs, de s'unir à
+moi pour vous louer, et vous rendre de dignes actions de grâces.
+
+5. Que tous les peuples, toutes les tribus, toutes les langues vous
+bénissent, et célèbrent, dans des transports de joie et d'amour, la
+douceur et la sainteté de votre nom.
+
+Que tous ceux qui offrent, avec révérence et avec piété, les divins
+mystères, et qui les reçoivent avec une pleine foi, trouvent devant vous
+grâce et miséricorde, et qu'ils prient avec instance pour moi, pauvre
+pécheur.
+
+Et lorsque après s'être unis à vous, selon leurs pieux désirs, ils se
+retireront de la Table sainte, rassasiés et consolés merveilleusement,
+qu'ils daignent se souvenir de moi, qui languis dans l'indigence.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ «Que cet adorable Sacrement opère en moi, ô mon Sauveur! la rémission
+ de mes péchés; que ce sang divin me purifie; qu'il lave toutes les
+ taches qui ont souillé cette robe nuptiale dont vous m'aviez revêtu
+ dans le baptême, afin que je puisse m'asseoir avec assurance au
+ banquet des noces de votre Fils. Je suis, je l'avoue, une âme
+ pécheresse, une épouse infidèle, qui ai manqué une infinité de fois à
+ la foi donnée: _Mais revenez_, me dites-vous, ô Seigneur! _revenez, je
+ vous recevrai_[719]: pourvu que vous ayez repris votre première robe,
+ et que vous portiez, dans l'anneau que l'on vous met au doigt, la
+ marque de l'union où le Verbe divin entre avec vous. Rendez-moi cet
+ anneau mystique: revêtez-moi de nouveau, ô mon Père, comme un enfant
+ prodigue qui retourne à vous, de cette robe de l'innocence et de la
+ sainteté que je dois apporter à votre Table. C'est l'immortelle parure
+ que vous nous demandez, vous qui êtes en même temps l'époux, le
+ convive et la victime immolée qu'on nous donne à manger. C'est à cette
+ Table mystérieuse que l'on trouve l'accomplissement de cette parole:
+ _Qui me mange vivra pour moi_[720]. Qu'elle s'accomplisse en moi, ô
+ mon Sauveur! que j'en sente l'effet: transformez-moi en vous, et que
+ ce soit vous-même qui viviez en moi. Mais, pour cela, que je
+ m'approche de ce céleste repos avec les habits les plus magnifiques;
+ que j'y vienne avec toutes les vertus; que j'y coure avec une joie
+ digne d'un tel festin et de la viande immortelle que vous m'y
+ donnez[721].»
+
+ [719] Jer., III, 1.
+
+ [720] Joann., VI, 58.
+
+ [721] Bossuet.
+
+
+
+
+CHAPITRE XVIII.
+
+Qu'on ne doit point chercher à pénétrer le mystère de l'Eucharistie,
+mais qu'il faut soumettre ses sens à la Foi.
+
+
+VOIX DU BIEN-AIMÉ.
+
+1. Gardez-vous du désir curieux et inutile de sonder ce profond mystère,
+si vous ne voulez pas vous plonger dans un abîme de doutes.
+
+_Celui qui scrute la majesté sera accablé par la gloire_[722].
+
+ [722] Prov., XXV, 27.
+
+Dieu peut faire plus que l'homme ne peut comprendre.
+
+On ne défend pas une humble et pieuse recherche de la vérité, pourvu
+qu'on soit toujours prêt à se laisser instruire, et qu'on s'attache
+fidèlement à la sainte doctrine des Pères.
+
+2. Heureuse la simplicité qui laisse le sentier des questions
+difficiles, pour marcher dans la voie droite et sûre des commandements
+de Dieu.
+
+Plusieurs ont perdu la piété en voulant approfondir ce qui est
+impénétrable.
+
+Ce qu'on demande de vous, c'est la foi et une vie pure, et non une
+intelligence qui pénètre la profondeur des mystères de Dieu.
+
+Si vous ne comprenez pas ce qui est au-dessous de vous, comment
+comprendrez-vous ce qui est au-dessus?
+
+Soumettez-vous humblement à Dieu, captivez votre raison sous le joug de
+la foi; et vous recevrez la lumière de la science, selon qu'il vous sera
+utile ou nécessaire.
+
+3. Plusieurs sont violemment tentés sur la foi à ce Sacrement; mais il
+faut l'imputer moins à eux qu'à l'ennemi.
+
+Ne vous troublez point, ne disputez point avec vos pensées, ne répondez
+point aux doutes que le démon vous suggère; mais croyez à la parole de
+Dieu, croyez à ses Saints et à ses Prophètes, et l'esprit de malice
+s'enfuira loin de vous.
+
+Il est souvent très-utile à un serviteur de Dieu d'être éprouvé ainsi.
+
+Car le démon ne tente point les infidèles et les pécheurs qui sont à lui
+déjà; mais il attaque et tourmente de diverses manières les âmes pieuses
+et fidèles.
+
+4. Allez donc avec une foi simple et inébranlable, et recevez le
+Sacrement avec un humble respect, vous reposant sur la toute-puissance
+de Dieu, de ce que vous ne pourrez comprendre.
+
+Dieu ne trompe point; mais celui qui se croit trop lui-même est souvent
+trompé.
+
+Dieu s'approche des simples; il se révèle aux humbles, _il donne
+l'intelligence aux petits_[723], et il cache sa grâce aux curieux et aux
+superbes.
+
+ [723] Ps. CXVIII, 130.
+
+La raison de l'homme est faible, et se trompe aisément; mais la vraie
+foi ne peut être trompée.
+
+5. La raison et toutes les recherches naturelles doivent suivre la foi,
+et non la précéder ni la combattre.
+
+Car la foi et l'amour s'élèvent par-dessus tout, et opèrent d'une
+manière inconnue dans le très-saint et très-auguste Sacrement.
+
+Dieu éternel, immense, infiniment puissant, fait dans le ciel et sur la
+terre des choses grandes, incompréhensibles, et nul ne saurait pénétrer
+ses merveilles.
+
+Si les oeuvres de Dieu étaient telles que la raison de l'homme pût
+aisément les comprendre, elles cesseraient d'être merveilleuses et ne
+pourraient être appelées ineffables.
+
+
+RÉFLEXION.
+
+ L'impie veut savoir, et c'est là sa perte. Il demande le salut à la
+ science, il le demande à l'orgueil, il se le demande à lui-même: et du
+ fond de son intelligence ténébreuse, de sa nature impuissante et
+ dégradée, sort une réponse de mort. Chrétiens, ne l'oubliez jamais,
+ _le juste vit de la foi_[724]. Vivez donc de la foi, en vivant de
+ l'adorable Eucharistie, qui en est la plus forte comme la plus douce
+ épreuve. Celui _qui est la voie, la vérité, la vie_[725],
+ Jésus-Christ, fils de Dieu, a parlé; il a dit: _Ceci est mon corps,
+ ceci est mon sang_[726]. _Le croyez-vous ainsi_[727]? Oui, je le crois
+ ainsi, Seigneur. _Le ciel et la terre passeront, mais vos paroles ne
+ passeront point_[728]. Je crois et je confesse que ce qui était du
+ pain est vraiment votre corps, que ce qui était du vin est vraiment
+ votre sang. Mon esprit se soumet, et impose silence aux sens révoltés.
+ _Dieu a tant aimé l'homme qu'il a donné pour lui son fils
+ unique_[729]: et pour compléter, pour perpétuer à jamais ce grand don,
+ le Fils aussi se donne à l'homme, tous les jours, à la Table sainte,
+ réellement et substantiellement. Encore un coup, je crois, Seigneur,
+ _je crois à l'amour que Dieu a eu pour nous_[730], à l'amour du Père,
+ à l'amour du Fils; et cet amour infini explique tout, éclaircit tout,
+ satisfait à tout. Qu'importe que nous comprenions? Ne savons-nous pas
+ que vos _voies sont impénétrables_[731], _et que celui qui scrute la
+ majesté sera opprimé par la gloire_[732]? Notre bonheur est de croire
+ sans comprendre; notre bonheur est de nous plonger les yeux fermés et
+ de nous perdre dans l'abîme incompréhensible de votre amour. Que la
+ raison superbe et contentieuse se taise donc: qu'elle cesse d'opposer
+ insolemment sa faiblesse à votre toute-puissance. À ses doutes, à ses
+ demandes curieuses, nous n'avons qu'une réponse: _Dieu a tant aimé!_
+ et cette réponse suffit, et nulle autre ne suffit sans elle. Elle
+ pénètre comme une vive lumière, au fond du coeur en état de
+ l'entendre, _du coeur qui croit à l'amour_, qui sait et qui sent ce
+ que c'est que d'aimer. Vous vous étonnez qu'un Dieu se cache sous les
+ faibles apparences d'un pain terrestre et corruptible, que le Sauveur
+ des hommes se soit fait leur aliment; vous hésitez, votre foi
+ chancelle: c'est que vous n'aimez pas! et vous, âmes croyantes, âmes
+ fidèles, allez à l'autel avec joie, fermeté, confiance; allez à Jésus,
+ allez au banquet mystérieux de l'amour. «Et où irions-nous, Seigneur?
+ Quoi! à la chair et au sang, à la raison, à la philosophie? aux sages
+ du monde? aux murmurateurs, aux incrédules, à ceux qui sont encore
+ tous les jours à nous demander: Comment nous peut-il donner sa chair à
+ manger? comment est-il dans le ciel, si, en même temps, on le mange
+ sur la terre? Non, Seigneur, nous ne voulons point aller à eux, ni
+ suivre ceux qui vous quittent. Nous suivrons saint Pierre, et nous
+ dirons[733]: _Maître, où irions-nous? vous avez les paroles de la vie
+ éternelle_[734].»
+
+ [724] Rom., I, 17.
+
+ [725] Joann., XIV, 6.
+
+ [726] Matth., XXVI, 26, 28.
+
+ [727] Joann., XI, 26.
+
+ [728] Matth., XXIV, 35.
+
+ [729] Joann., III, 16.
+
+ [730] I. Joan., IV, 16.
+
+ [731] Rom., XI, 33.
+
+ [732] Prov., XXV, 27.
+
+ [733] Joann., VI, 60.
+
+ [734] Bossuet.
+
+
+FIN DU LIVRE QUATRIÈME.
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+PRIÈRES PENDANT LA MESSE.
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+_Ces Prières sont extraites du MANUEL DE PIÉTÉ de Fénelon_.
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+ La Messe est de toutes les actions du Christianisme la plus glorieuse
+ à Dieu et la plus utile au salut de l'homme. Jésus-Christ y renouvelle
+ le grand mystère de la Rédemption. Il se fait encore dans ce sacrifice
+ réel, quoique non sanglant, notre victime, et vient en personne nous
+ appliquer à chacun en particulier les mérites de ce sang adorable
+ qu'il a répandu pour nous tous sur la croix. Assistez donc à la sainte
+ messe avec modestie, avec attention, avec respect; venez-y avec des
+ dispositions vraiment chrétiennes; prenez-y l'esprit de Jésus-Christ,
+ offrez-vous avec lui et par lui.
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+AVANT LA MESSE.
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+Je crois fermement, ô mon Dieu! que la Messe est le sacrifice non
+sanglant du corps et du sang de Jésus-Christ, votre Fils. Faites que j'y
+assiste aujourd'hui avec l'attention, le respect et la frayeur que
+demandent de si redoutables mystères.
+
+Je m'unis au prêtre et à toute votre Église, pour vous offrir ce
+sacrifice dans les mêmes rues, dans lesquelles Jésus-Christ l'a offert.
+
+Ne permettez pas que j'entre dans la salle du festin des noces de votre
+Fils, sans avoir la robe nuptiale. Purifiez mon âme; les choses saintes
+sont pour les saints; il ne m'est pas permis d'approcher si près de
+vous, que je n'aie ôté auparavant mes souliers de mes pieds,
+c'est-à-dire l'attachement et l'affection de mon coeur au péché. Je
+déteste donc tous mes péchés; je vous en demande pardon, j'y renonce à
+jamais.
+
+
+PENDANT QUE LE PRÊTRE EST AU BAS DE L'AUTEL.
+
+ Le prêtre, étant au pied de l'autel, commence par le signe de la
+ croix, pour faire concevoir la pensée de l'auguste présence de la
+ Sainte Trinité, et invoquer son secours. Le _Confiteor_ se dit pour
+ demander pardon à Dieu de nos péchés par les mérites de Jésus-Christ
+ notre Sauveur, de la sainte Vierge et de tous les Saints.
+
+Mon Dieu! faites que je connaisse et que je sente le nombre et
+l'énormité de mes péchés; je vous supplie, par les mérites de
+Jésus-Christ et par l'intercession de la sainte Vierge et de tous les
+Saints, de m'en accorder le pardon et la rémission.
+
+
+LORSQUE LE PRÊTRE MONTE À L'AUTEL.
+
+ Le prêtre baise l'autel pour marque de l'espérance qu'il a d'être
+ réconcilié avec Dieu. Animons-nous avec lui d'une sainte confiance.
+
+
+À L'INTROÏT.
+
+Mon Dieu! purifiez par votre grâce mon coeur et mes lèvres, pour me
+rendre digne de vous offrir avec le prêtre les louanges qu'il vous
+donne, et d'obtenir la miséricorde qu'il vous demande pour moi et pour
+tous les fidèles vivants et morts.
+
+
+AU KYRIE ELEISON.
+
+ Ces mots grecs signifient: _Seigneur, ayez pitié de nous! Christ, ayez
+ pitié de nous!_ Chaque invocation se répète trois fois, afin d'exciter
+ l'attention et la ferveur des fidèles, et de nous faire voir que ce
+ n'est qu'à force de prier que nous pouvons obtenir le secours de Dieu
+ dans nos besoins.
+
+Père tout-puissant qui nous avez créés, ayez pitié de nous! Fils éternel
+qui nous avez rachetés, ayez pitié de nous! Esprit saint, qui seul
+pouvez nous sanctifier, ayez pitié de nous!
+
+
+AU GLORIA IN EXCELSIS.
+
+ Le _Gloria in excelsis_ est un cantique de joie composé par les anges
+ et par les hommes; l'Église y exprime le respect qu'elle a pour la
+ majesté de Dieu, et l'amour qu'elle porte à son fils Jésus-Christ.
+
+ Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes
+ de bonne volonté. Nous vous louons. Nous vous bénissons. Nous vous
+ adorons. Nous vous glorifions. Nous vous rendons grâces à cause de
+ votre grande gloire. Ô Seigneur Dieu! Roi du ciel, Ô Dieu! Père
+ tout-puissant! Seigneur, Fils unique de Dieu, Jésus-Christ. Seigneur
+ Dieu, Agneau de Dieu, Fils du Père. Vous qui effacez les péchés du
+ monde, ayez pitié de nous. Vous qui effacez les péchés du monde,
+ recevez notre prière. Vous qui êtes assis à la droite de Dieu, ayez
+ pitié de nous. Car vous êtes le seul Saint, le seul Seigneur, le seul
+ Très-Haut, ô Jésus-Christ, avec le Saint-Esprit, en la gloire de Dieu
+ le Père. Ainsi soit-il.
+
+ Gloria in excelsis Deo, et in terrâ pax hominibus bonæ voluntatis.
+ Laudamus te. Benedicimus te. Adoramus te. Glorificamus te. Gratias
+ agimus tibi, propter magnam gloriam tuam. Domine Deus, Rex coelestis,
+ Deus pater omnipotens. Domine, Fili unigenite, Jesu Christe. Domine
+ Deus, Agnus Dei, Filius Patris. Qui tollis peccata mundi, miserere
+ nobis. Qui tollis peccata mundi, suscipe deprecationem nostram. Qui
+ sedes ad dexteram Patris, miserere nobis. Quoniam tu solus Sanctus, tu
+ solus Dominus, tu solus Altisssimus, Jesu Christe, cum sancto Spiritu,
+ in gloriâ Dei Patris. Amen.
+
+ Après le _Gloria_, le prêtre se tourne vers les fidèles, en disant:
+ _Dominus vobiscum_, c'est-à-dire, que le Seigneur soit avec vous, pour
+ les avertir qu'il va prier pour lui et pour eux.
+
+Seigneur, répandez votre esprit sur le prêtre et sur nous, afin que nous
+puissions vous bien prier et être exaucés pour votre gloire et pour
+notre salut.
+
+
+PENDANT L'OREMUS.
+
+ Par ce mot _oremus_, qui veut dire _prions_, le prêtre nous invite à
+ nous unir à lui pour l'accomplissement de nos demandes à Dieu. Il
+ finit l'oraison par les mots de _per Dominum nostrum Jesum Christum,
+ etc._, c'est-à-dire, Seigneur nous vous demandons ces choses par
+ Jésus-Christ, notre médiateur auprès de vous.
+
+Seigneur, daignez écouter favorablement les prières que le prêtre vous
+adresse pour nous. Donnez-nous, s'il vous plaît, les grâces et les
+vertus dont nous avons besoin pour mériter le bonheur éternel.
+Remplissez notre coeur de reconnaissance pour vos bontés, d'aversion
+pour nos défauts, de charité pour notre prochain, même pour nos ennemis.
+Enfin, mon Dieu, faites que nous nous conduisions en tout temps et en
+toute occasion d'une manière qui vous soit agréable. Nous sommes
+indignes de toutes ces grâces, mais nous vous les demandons au nom et
+par les mérites de Jésus-Christ, qui les a méritées pour nous.
+
+
+DE L'AMEN.
+
+ On répond _Amen_, après les oraisons, c'est-à-dire, _ainsi soit-il_,
+ pour montrer que nous consentons aux paroles du prêtre, et que nous
+ ratifions toutes les demandes qu'il a faites à Dieu.
+
+
+À L'ÉPÎTRE.
+
+ L'Épître contient les enseignements des Prophètes et des Apôtres; elle
+ nous apprend à connaître, à servir Dieu, et nous prépare à la
+ perfection de la loi qui est renfermée dans l'Évangile.
+
+Seigneur, vos saintes Écritures nous apprennent qu'il faut fuir le péché
+comme un serpent; qu'il faut nous abstenir de tout ce qui a quelque
+apparence de mal; qu'il faut nous supporter charitablement les uns les
+autres, souffrir patiemment les injures et les injustices qu'on nous
+fera, ne rendre jamais le mal pour le mal, et tâcher de gagner ceux qui
+nous persécutent en leur faisant du bien. Imprimez, ô mon Dieu! toutes
+ces vérités dans notre coeur, et faites, par votre grâce, que nous nous
+y conformions dans toute notre conduite.
+
+
+À L'ÉVANGILE.
+
+ L'Évangile contient la vie de Jésus-Christ et la loi qu'il nous a
+ apportée; ce sont les paroles de la vie éternelle que les fidèles
+ doivent écouter, méditer, pour en nourrir leur âme. On se lève à cet
+ effet, afin de marquer que nous devons tout quitter pour suivre
+ Jésus-Christ, et nous tenir prêts à ce qu'il commande dans son
+ Évangile. Nous faisons une croix sur notre front pour annoncer que
+ nous ne rougirons jamais de l'Évangile; sur notre bouche, pour montrer
+ que nous serons toujours prêts à confesser notre foi; sur notre coeur,
+ pour signifier que notre coeur sera toujours à Dieu seul.
+
+Mon Dieu, vous nous enseignez dans votre Évangile que tous ceux qui
+disent: Seigneur, Seigneur (c'est-à-dire qui se contentent de faire des
+prières sans avoir une volonté sincère de garder votre loi), n'entreront
+pas dans le royaume du ciel; mais que ceux-là y entreront qui auront
+fait la volonté de Dieu en pratiquant ses commandements, et en
+s'acquittant fidèlement des devoirs de leur état; vous nous enseignez
+aussi qu'il faut être doux et humble de coeur, aimer nos ennemis,
+renoncer à nous-mêmes, combattre sans cesse nos mauvaises inclinations,
+porter notre croix tous les jours et mener une vie mortifiée et
+pénitente. Faites-nous la grâce d'aimer ces vérités, puisque ce ne sera
+qu'en les aimant que nous les observerons comme nous le devons.
+
+
+AU CREDO.
+
+ Le _Credo_ est une profession de foi par laquelle le prêtre et les
+ fidèles déclarent publiquement qu'ils croient toutes les vérités de la
+ religion enseignées par l'Église.
+
+ Je crois en un seul Dieu, Père tout-puissant, qui a fait le ciel et la
+ terre, et toutes les choses visibles et invisibles. Et en un seul
+ Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, et né du Père avant tous
+ les siècles; Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu;
+ qui n'a pas été fait, mais engendré, consubstantiel au Père, par qui
+ tout a été fait; qui est descendu des cieux pour nous autres hommes et
+ pour notre salut; qui s'est incarné en prenant un corps dans le sein
+ de la Vierge Marie, par l'opération du Saint-Esprit; qui S'EST FAIT
+ HOMME; qui a été crucifié pour nous sous Ponce-Pilate; qui a souffert,
+ et qui a été mis an tombeau; qui est ressuscité le troisième jour,
+ selon les Écritures; qui est monté au ciel, où il est assis à la
+ droite du Père; qui viendra de nouveau plein de gloire pour juger les
+ vivants et les morts, et dont le règne n'aura point de fin. Je crois
+ au Saint-Esprit, qui est aussi Seigneur, et qui donne la vie; qui
+ procède du Père et du Fils; qui est adoré et glorifié conjointement
+ avec le Père et le Fils; qui a parlé par les Prophètes. Je crois
+ l'Église, qui est Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Je confesse
+ un Baptême pour la rémission des péchés. J'attends la Résurrection des
+ morts, et la vie du siècle à venir. Ainsi soit-il.
+
+ Credo in unum Deum, Patrem omnipotentem, factorem coeli et terræ,
+ visibilium omnium et invisibilium. Et in unum Dominum Jesum Christum
+ Filium Dei unigenitum: Et ex Patre natum ante omnia secula: Deum de
+ Deo, lumen de lumine, Deum verum de Deo vero: Genitum non factum,
+ consubstantialem Patri, per quem omnia facta sunt: Qui propter nos
+ homines, et propter nostram salutem descendit de Coelis: Et incarnatus
+ est de Spiritu sancto, ex Mariâ Virgine: Et HOMO FACTUS EST.
+ Crucifixus etiam pro nobis sub Pontio Pilato; passus et sepultus est.
+ Et resurrexit tertiâ die secundùm Scripturas. Et ascendit in Coelum,
+ sedet ad dexteram Patris. Et iterùm venturus est cum gloriâ judicare
+ vivos et mortuos; cujus regni non erit finis. Et in Spiritum sanctum
+ Dominum, et vivificantem; qui ex Patre Filioque procedit; qui cum
+ Patre et Filio simul adoratur et conglorificatur; qui locutus est per
+ Prophetas. Et Unam, Sanctam, Catholicam, et Apostolicam Ecclesiam.
+ Confiteor unum Baptisma in remissionem peccatorum. Et expecto
+ resurrectionem mortuorum, et vitam venturi seculi. Amen.
+
+
+À L'OFFERTOIRE.
+
+ Le prêtre ayant découvert le calice, prend le pain et le vin qui vont
+ être changés en corps et sang de Jésus-Christ; il les élève un peu,
+ les offre à Dieu comme préparés à devenir par la consécration une
+ hostie sainte et sans tache, le suppliant de la recevoir pour
+ l'expiation de ses péchés, de ceux des assistants et de tous les
+ fidèles vivants et morts. Nous devons donc nous unir au prêtre dans
+ cette action si utile à notre salut.
+
+Père éternel, recevez le pain et le vin qui vous sont offerts, et qui
+seront bientôt changés au corps et au sang de Jésus-Christ votre Fils,
+qui veut nous servir de victime, s'offrir lui-même pour nous, et nous
+offrir avec lui. Tout indignes que nous sommes, ô mon Dieu! nous vous
+offrons ce divin Fils pour vous rendre par lui toute la gloire qui vous
+est due, pour vous remercier de tous vos bienfaits, et pour obtenir par
+ses mérites la rémission de nos péchés, et toutes les grâces qui nous
+sont nécessaires pour parvenir à la vie éternelle.
+
+
+AU LAVABO.
+
+ Le prêtre ayant lavé ses mains avant de commencer la messe, lave ici
+ ses doigts, pour montrer que ce n'est pas assez pour célébrer les
+ saints mystères de n'être point souillé d'actions criminelles, mais
+ qu'il faut se purifier des moindres taches du péché.
+
+Mon Dieu, daignez laver mon âme et la purifier de toutes les souillures
+du péché, détruisez en moi jusqu'aux moindres imperfections, et rendez
+par votre sainte grâce mon âme aussi pure qu'elle l'était après le
+baptême.
+
+
+À L'ORATE FRATRES.
+
+ Le prêtre se tourne vers les assistants en leur disant: _Priez, mes
+ frères_, pour les avertir de se joindre à lui par leurs prières, et
+ rendre ainsi agréable à Dieu l'oblation qu'il va lui faire du
+ sacrifice pour lui et pour eux.
+
+Seigneur, exaucez les prières de tous vos fidèles qui sont unis pour
+vous offrir ce grand sacrifice, que nous vous supplions de recevoir pour
+la gloire de votre nom, pour notre utilité particulière et pour le bien
+de toute votre Église. Daignez mettre dans notre coeur les dispositions
+nécessaires pour assister utilement et avec fruit à cette grande action
+de notre religion: sanctifiez le prêtre qui célèbre vos divins mystères,
+et purifiez ses mains et son coeur, afin qu'il soit en état d'attirer
+vos grâces sur lui et sur nous.
+
+
+À LA PRÉFACE ET AU SANCTUS.
+
+ Les apprêts du sacrifice sont terminés: le mystère de foi va
+ s'accomplir. À ces paroles que le prêtre vous adresse, _le coeur en
+ haut_, élevez vos sentiments et vos pensées jusqu'à ces esprits
+ immortels qui, à la vue des merveilles de miséricorde et d'amour,
+ prêtes à se renouveler sur l'autel, font éclater leurs transports par
+ les plus doux cantiques, et dites avec eux:
+
+Qu'il est juste, qu'il est raisonnable, Père tout-puissant, Dieu
+éternel, de vous rendre grâces en tout temps et en tous lieux, puisque
+vous ne cessez jamais de faire du bien aux hommes! Mais comment vos
+pauvres créatures pourront-elles célébrer dignement vos grandeurs? Ce
+sera par votre Fils adorable, Jésus-Christ. Nous vous adresserons les
+louanges qu'il nous a enseignées, ou plutôt nous vous offrirons celles
+qu'il vous adressera lui-même, ce sacrifice de ses lèvres, qu'il portait
+jusqu'à votre trône, pendant les jours de sa vie mortelle. C'est par lui
+que les Anges glorifient votre Majesté, que les Dominations, que les
+Puissances vous révèrent en tremblant. Souffrez, ô Père saint,
+qu'unissant nos faibles voix à leurs choeurs glorieux, nous répétions
+avec eux cet hymne, qui retentira éternellement dans la sainte Sion:
+
+Saint, Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des armées. Le ciel et la
+terre sont remplis de sa gloire et de sa puissance; gloire à Dieu au
+plus haut des cieux.
+
+
+AU MEMENTO DES VIVANTS.
+
+ Le prêtre fait ce _Memento_, parce qu'il offre le sacrifice pour lui,
+ pour tous les assistants et pour toute l'Église, c'est-à-dire, pour la
+ société des fidèles, et particulièrement pour ceux qu'il recommande à
+ Dieu. Imitons l'exemple du prêtre, et joignons nos prières aux
+ siennes.
+
+Seigneur, nous vous offrons ce grand sacrifice pour tous nos besoins, et
+principalement pour ceux de nos âmes; nous vous l'offrons aussi pour
+toute l'Église, pour le Pape, pour les évêques, pour les princes et
+autres supérieurs qui nous gouvernent, et pour tous les fidèles qui sont
+répandus par toute la terre. Nous vous l'offrons en particulier pour nos
+parents, pour nos bienfaiteurs, pour nos amis, et aussi pour nos
+ennemis. Nous vous supplions par les mérites de Jésus-Christ, et par
+l'intercession de la sainte Vierge et de tous les Saints, de nous donner
+la paix durant cette vie, de nous sauver de la damnation éternelle, et
+de nous mettre au nombre de vos élus, afin que nous puissions vous aimer
+et vous louer avec les Anges et les Saints pendant toute l'éternité.
+
+
+À LA CONSÉCRATION.
+
+ À ce moment redoutable nous devons redoubler d'attention et de
+ ferveur, en adressant à Dieu toutes sortes de remercîments de ce qu'il
+ va nous donner de nouveau son Fils Jésus-Christ pour rédempteur.
+
+Mon Sauveur Jésus-Christ, je crois que vous faites sur l'autel, par le
+ministère du prêtre, ce que vous avez fait la veille de votre mort, en
+changeant le pain et le vin en votre corps et en votre sang: daignez
+aussi changer mon coeur par la puissance de votre grâce; donnez-moi un
+coeur qui soit selon le vôtre.
+
+
+À L'ÉLÉVATION.
+
+ C'est pour rendre à Dieu un hommage infini, que le prêtre élève en sa
+ présence le corps et le sang de Jésus-Christ. On doit alors se
+ recueillir profondément prosterné et en silence, pour adorer Dieu du
+ fond de son coeur; on pourra dire ensuite la prière suivante:
+
+Je vous adore, mon aimable Sauveur, qui avez bien voulu être attaché
+pour moi sur la croix. Ô bon Jésus! qui avez été le prix de mon âme,
+soyez mon salut et ma vie. Je vous adore présent sur l'autel, je
+m'anéantis devant vous et avec vous, Seigneur, augmentez ma foi, mon
+respect et ma reconnaissance pour vous.
+
+
+APRÈS L'ÉLÉVATION.
+
+Ô Père de miséricorde! nous vous offrons cette hostie sainte qui est sur
+l'autel, pour vous rendre nos hommages et nos adorations, pour vous
+remercier de tous vos bienfaits, pour obtenir le pardon de nos péchés,
+et pour vous demander toutes les grâces dont nous avons besoin pour
+mener une vie chrétienne, exempte de péchés et remplie de bonnes
+oeuvres.
+
+
+AU MEMENTO DES MORTS.
+
+ Le prêtre prie Dieu de se souvenir de ceux qui, étant morts dans la
+ foi et dans la grâce, n'ont cependant pas été trouvés assez purs pour
+ entrer dans le ciel aussitôt après leur mort, et qui souffrent les
+ peines du purgatoire.
+
+Nous vous supplions aussi, ô mon Dieu! de vous souvenir des fidèles qui
+sont morts dans votre grâce, particulièrement de nos parents, amis et
+bienfaiteurs; daignez leur pardonner les restes de leurs péchés, et leur
+accorder le repos éternel et la joie de votre paradis. Comme rien n'est
+bon, rien ne vous plaît qu'en Jésus-Christ votre Fils, et que vous ne
+nous aimez qu'à cause que nous sommes ses membres; c'est par lui que
+vous nous donnez les grâces; recevez par lui nos remercîments, soyez
+béni et glorifié en lui, par lui et avec lui, ô Dieu! Père
+tout-puissant, en l'unité du Saint-Esprit dans tous les siècles des
+siècles.
+
+
+AU NOBIS QUOQUE PECCATORIBUS.
+
+ On se frappe alors la poitrine, pour faire voir qu'on est pécheur,
+ qu'on a besoin de la miséricorde de Dieu; et pour l'obtenir, nous
+ fondons notre espérance sur sa bonté divine, et sur les mérites du
+ sacrifice de Jésus-Christ renouvelé sur l'autel par les mains du
+ prêtre.
+
+
+AU PATER.
+
+ Le prêtre dit cette prière, parce qu'elle fut enseignée par
+ Jésus-Christ lui même, et qu'elle est la plus sainte et la plus
+ efficace que l'on puisse faire, renfermant tout ce que nous devons
+ demander à Dieu. Nous devons donc aussi la réciter avec ferveur et
+ confiance.
+
+Mon Dieu, délivrez-moi des péchés que j'ai commis pendant ma vie passée
+et dont je suis comptable à votre justice; délivrez-moi de mes mauvaises
+habitudes, et de ma concupiscence toujours présente, qui me sollicite au
+mal. Enfin, mon Dieu, délivrez-moi des tentations du démon, de la chair
+et du monde, et de la mort éternelle.
+
+
+À L'AGNUS DEI.
+
+ Le prêtre, avant la communion, priant pour tout le peuple, fait cette
+ invocation à Jésus-Christ, pour reconnaître le besoin que nous avons
+ toujours de sa miséricorde.
+
+Mon Sauveur Jésus-Christ, vous êtes le véritable agneau de Dieu immolé
+pour effacer nos péchés; faites par votre grâce qu'ayant reçu le pardon
+de nos péchés, nous menions une vie nouvelle, et accordez-nous la
+charité et la paix avec notre prochain, que vous avez tant recommandées,
+et qui est si nécessaire pour avoir part aux effets et aux grâces de la
+sainte communion.
+
+
+AU DOMINE NON SUM DIGNUS.
+
+ Lorsque le prêtre va communier, il dit trois fois avec un profond
+ sentiment de son indignité: _Domine, non sum dignus_, c'est-à-dire,
+ _Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez en moi; mais dites
+ seulement une parole, et mon âme sera guérie_. Quand nous ne
+ communions pas réellement, nous devons toujours communier
+ spirituellement, en demandant à Jésus-Christ de nous donner son esprit
+ par la participation de sa grâce.
+
+Seigneur, quoique je sois très-indigne par mes péchés et mes infidélités
+de m'approcher de votre autel, et de vous recevoir par la communion,
+j'ose vous supplier de me donner quelque part à vos miséricordes.
+Daignez m'accorder la grâce de participer à la vertu de votre sacrifice;
+éclairez mon esprit, fortifiez ma volonté et purifiez mon coeur pour ne
+penser qu'à vous, pour ne vouloir et n'aimer que vous, et pour l'amour
+de vous; faites par votre grâce que je désire de ne vivre, de ne
+souffrir et de ne mourir que pour vous.
+
+
+AUX DERNIÈRES ORAISONS.
+
+ Le prêtre demande les fruits de l'excellent sacrifice qui vient d'être
+ offert à Dieu; ce sont la rémission des péchés, la grâce d'une sainte
+ vie, et le mérite de la vie éternelle.
+
+Mon Dieu, accordez-nous, en vertu du sacrifice que nous venons de vous
+offrir, la rémission de nos péchés et toutes les grâces qui nous sont
+nécessaires pour nous sauver. Donnez-nous surtout un amour ardent pour
+vous, une grande crainte de vous déplaire, un grand désir et un grand
+soin de vous plaire, l'application à nos devoirs, la patience dans les
+afflictions, la douceur et la charité pour bien vivre avec tout le
+monde, l'humanité, la pureté, la tempérance, la mortification de nos
+sens, un grand détachement des biens, des plaisirs et des honneurs de ce
+monde, un grand dégoût et une sainte horreur des folles joies du siècle;
+un véritable esprit de pénitence, qui nous inspire une vive douleur des
+péchés de notre vie passée, un désir sincère de les expier, et une ferme
+résolution de n'y plus retomber et d'en éviter toutes les occasions.
+Enfin, mon Dieu, donnez-nous toutes les grâces nécessaires pour mener
+une vie chrétienne, suivie d'une sainte mort et d'une heureuse éternité.
+
+
+À L'ITE MISSA EST.
+
+ Le prêtre, se tournant vers le peuple, l'avertit par ces mots que le
+ sacrifice de la messe est achevé. Il donne ensuite la bénédiction au
+ nom de la sainte Trinité.
+
+
+QUAND LE PRÊTRE DONNE LA BÉNÉDICTION.
+
+Dieu tout-puissant et tout miséricordieux, Père, Fils et Saint-Esprit,
+bénissez-nous par Jésus-Christ, et que cette bénédiction nous soit un
+gage de la bénédiction que vous donnerez un jour à vos élus.
+
+
+AU DERNIER ÉVANGILE.
+
+ Avant de quitter le saint autel, le prêtre dit l'Évangile de saint
+ Jean, qui annonce l'éternité du Verbe et la miséricorde qui l'a porté
+ à prendre notre chair et à habiter parmi nous. Demandons d'être du
+ nombre de ceux qui le reçoivent et deviennent ses enfants.
+
+Seigneur, gravez par votre grâce votre Évangile dans nos esprits et dans
+nos coeurs, afin que nous ne suivions plus l'égarement de nos pensées,
+la fougue de nos passions ni le déréglement de notre coeur; mais que
+nous nous soumettions entièrement à tout ce que vous demandez de nous,
+et que nous réglions toutes nos démarches sur les maximes de votre saint
+Évangile, et non sur les maximes et sur les coutumes corrompues du
+monde.
+
+
+PRIÈRE APRÈS LA MESSE.
+
+Mon Dieu, je vous remercie des grâces et des bonnes résolutions que vous
+m'avez inspirées pendant le saint sacrifice de la messe; donnez-moi la
+grâce de les mettre toutes en pratique. Faites que je montre par ma
+conduite le reste de la journée, que ce n'est pas en vain que j'ai
+offert avec le prêtre ce saint sacrifice; faites-moi souvenir que je
+viens de vous présenter, par Jésus-Christ, mon âme, mon corps, ma vie,
+mon travail, mon occupation, mes biens, tout ce que je suis et tout ce
+que j'ai. C'est pourquoi je dois avoir grand soin de les employer à
+votre service, par l'intercession de la sainte Vierge et de tous les
+Saints. Ainsi soit-il.
+
+
+
+
+VÊPRES DU DIMANCHE
+
+
+V. Deus, in adjutorium meum intende.
+
+R. Domine, ad adjuvandum me festina.
+
+V. Gloria Patri, et Filio, et Spiritui sancto.
+
+R. Sicut erat in Principio, et nunc et semper, et in secula seculorum
+Amen.
+
+
+PSAUME 109.
+
+Dixit Dominus Domino meo: * Sede à dextris meis,
+
+Donec ponam inimicos tuos * scabellum pedum tuorum.
+
+Virgam virtutis tuæ emittet Dominus ex Sion: * Dominare in medio
+inimicorum tuorum.
+
+Tecum principium in die virtutis tuæ in splendoribus Sanctorum; * ex
+utero ante luciferum genui te.
+
+Juravit Dominus, et non poenitebit eum: * tu es sacerdos in æternum
+secundùm ordinem Melchisedech.
+
+Dominus à dextris tuis: * confregit in die iræ suæ reges.
+
+Judicabit in nationibus, implebit ruinas; * conquassabit capita in terrâ
+multorum.
+
+De torrente in viâ bibet; * proptereà exaltabit caput.
+
+Gloria Patri, etc.
+
+
+PSAUME 110.
+
+Confitebor tibi, Domine, in toto corde meo; * in concilio justorum et
+congregatione.
+
+Magna opera Domini, * exquisita in omnes voluntates ejus.
+
+Confessio et magnificentia opus ejus, * et justitia ejus manet in
+seculum seculi.
+
+Memoriam fecit mirabilium suorum misericors et miserator Dominus: *
+escam dedit timentibus se.
+
+Memor erit in seculum testamenti sui: * virtutem operum suorum
+annuntiabit populo suo.
+
+Ut det illis hæreditatem gentium, * opera manuum ejus veritas et
+judicium.
+
+Fidelia omnia mandata ejus, confirmata in seculum seculi, * facta in
+veritate et æquitate.
+
+Redemptionem misit populo suo: * mandavit in æternum testamentum suum.
+
+Sanctum et terribile nomen ejus: * initium sapientiæ timor Domini.
+
+Intellectus bonus omnibus facientibus eum: * laudatio ejus manet in
+seculum seculi.
+
+
+PSAUME 111.
+
+Beatus vir qui timet Dominum, * in mandatis ejus volet nimis.
+
+Potens in terrâ erit semen ejus: * generatio rectorum benedicetur.
+
+Gloria et divitiæ in domo ejus: * et justitia ejus manet in seculum
+seculi.
+
+Exortum est in tenebris lumen rectis: * misericors et miserator et
+justus.
+
+Jucundus homo qui miseretur et commodat, disponet sermones suos in
+judicio: * quia in æternum non commovebitur.
+
+In memoriâ æternâ erit justus, * ab auditione malâ non timebit.
+
+Paratum cor ejus sperare in Domino, confirmatum est cor ejus: * non
+commovebitur donec despiciat inimicos suos.
+
+Dispersit, dedit pauperibus, justitia ejus manet in seculum seculi: *
+cornu ejus exaltabitur in gloriâ.
+
+Peccator videbit et irascetur, dentibus suis fremet et tabescet; *
+desiderium peccatorum peribit.
+
+
+PSAUME 112.
+
+Laudate, pueri, Dominum; * laudate nomen Domini.
+
+Sit nomen Domini benedictum, * ex hoc nunc et usque in seculum.
+
+A solis ortu usque ad occasum, * laudabile nomen Domini.
+
+Excelsus super omnes gentes Dominus, * et super coelos gloria ejus.
+
+Quis sicut Dominus Deus noster, qui in altis habitat, * et humilia
+respicit in coelo et in terrâ.
+
+Suscitans à terrâ inopem, * et de stercore erigens pauperem.
+
+Ut collocet eum cum principibus, * cum principibus populi sui.
+
+Qui habitare fecit sterilem in domo, * matrem filiorum lætantem.
+
+
+PSAUME 113.
+
+In exitu Israel de Ægypto, * domus Jacob de populo barbaro;
+
+Facta est Judæa sanctificatio ejus; * Israël potestas ejus.
+
+Mare vidit et fugit; * Jordanis conversus est retrorsùm.
+
+Montes exultaverunt ut arietes, * et colles sicut agni ovium.
+
+Quid est tibi mare, quod fugisti? * et tu, Jordanis, qui conversus es
+retrorsùm?
+
+Montes exultâstis sicut arietes? * et colles sicut agni ovium?
+
+A facie Domini mota est terra, * à facie Dei Jacob.
+
+Qui convertit petram in stagna aquarum, * et rupem in fontes aquarum.
+
+Non nobis, Domine, non nobis: * sed nomini tuo da gloriam, super
+misericordiâ tuâ et veritate tuâ;
+
+Nequando dicant gentes: * Ubi est Deus eorum?
+
+Deus autem noster in coelo: * omnia quæcumque voluit, fecit.
+
+Simulacra gentium argentum et aurum, * opera manuum hominum.
+
+Os habent, et non loquentur * oculos habent, et non videbunt.
+
+Aures habent, et non audient; * nares habent, et non odorabunt.
+
+Manus habent, et non palpabunt; pedes habent, et non ambulabunt; * non
+clamabunt in gutture suo.
+
+Similes illis fiant qui faciunt ea, * et omnes qui confidunt in eis.
+
+Domus Israel speravit in Domino: * adjutor eorum et protector eorum est.
+
+Domus Aaron speravit in Domino: * adjutor eorum et protector eorum est.
+
+Qui timent Dominum, speraverunt in Domino: * adjutor eorum et protector
+eorum est.
+
+Dominus memor fuit nostri, * et benedixit nobis.
+
+Benedixit domui Israel; * benedixit domui Aaron.
+
+Benedixit omnibus qui timent Dominum, * pusillis cum majoribus.
+
+Adjiciat Dominus super vos, * super vos et super filios vestros.
+
+Benedicti vos à Domino, * qui fecit coelum et terram.
+
+Coelum coeli Domino: * terram autem dedit filiis hominum.
+
+Non mortui laudabunt te, Domine, * neque omnes qui descendunt in
+infernum.
+
+Sed nos qui vivimus, benedicimus Domino, * ex hoc nunc et usquè in
+seculum.
+
+
+CAPITULE.
+
+Benedictus Deus, et Pater Domini nostri Jesu Christi, Pater
+misericordiarum, et Deus totius consolationis, qui consolatur nos in
+omni tribulatione nostrâ.
+
+Deo gratias.
+
+
+HYMNE.
+
+ Lucis Creator optime,
+ Lucem dierum proferens,
+ Primordiis lucis novæ,
+ Mundi parans originem.
+
+ Qui manè junctum vesperi
+ Diem vocari præcipis,
+ Tetrum chaos illabitur,
+ Audi preces cum fletibus.
+
+ Ne mens gravata crimine,
+ Vitæ sit exsul munere,
+ Dùm nil perenne cogitat,
+ Seseque culpis illigat.
+
+ Coeleste pulset ostium,
+ Vitale tollat præmium,
+ Vitemus omne noxium,
+ Purgemus omne pessimum
+
+ Præsta, Pater piissime,
+ Patrique compar Unice,
+ Cum Spiritu Paracleto,
+ Regnans per omne seculum.
+
+ Amen.
+
+
+CANTIQUE DE LA SAINTE VIERGE.
+
+Magnificat * anima mea Dominum;
+
+Et exultavit spiritus meus, * in Deo salutari meo.
+
+Quia respexit humilitatem ancillæ suæ: * ecce enim ex hoc beatam me
+dicent omnes generationes.
+
+Quia fecit mihi magna qui potens est, * et sanctum nomen ejus.
+
+Et misericordia ejus à progenie in progenies, * timentibus eum.
+
+Fecit potentiam in brachio suo: * dispersit superbos mente cordis sui.
+
+Deposuit potentes de sede, * et exaltavit humiles.
+
+Esurientes implevit bonis, * et divites dimisit inanes.
+
+Suscepit Israel puerum suum, * recordatus misericordiæ suæ.
+
+Sicut locutus est ad patres nostros, * Abraham et semini ejus in secula.
+
+Gloria Patri, etc.
+
+
+À COMPLIES.
+
+V. Converte nos, Deus, salutaris noster;
+
+R. Et averte iram tuam à nobis.
+
+V. Deus in adjutorium, etc.
+
+
+PSAUME 4.
+
+Cùm invocarem exaudivit me, Deus justitiæ meæ: * in tribulatione
+dilatasti mihi.
+
+Misereri mei, * et exaudi orationem meam.
+
+Filii hominum, usquequò gravi corde? * ut quid diligitis vanitatem, et
+quæritis mendacium?
+
+Et scitote quoniam mirificavit Dominus Sanctum tuum: * Dominus exaudiet
+me, cùm clamavero ad eum.
+
+Irascimini, et nolite peccare; * quæ dicitis in cordibus vestris, in
+cubilibus vestris compungimini.
+
+Sacrificate sacrificium justitiæ, et sperate in Domino; * multi dicunt:
+Quis ostendit nobis bona?
+
+Signatum est super nos lumen vultûs tui, Domine; * dedisti lætitiam in
+corde meo.
+
+A fructu frumenti, vini et olei sui * multiplicati sunt.
+
+In pace in idipsum dormiam, * et requiescam;
+
+Quoniam tu, Domine, * singulariter in spe constituisti me.
+
+
+PSAUME 30.
+
+In te, Domine, speravi, non confundar in æternum; * in justitiâ tuâ
+libera me.
+
+Inclina ad me aurem tuam, * accelera ut eruas me.
+
+Esto mihi in Deum protectorem et in domum refugi, * ut salvum me facias.
+
+Quoniam fortitudo mea et refugium meum es tu, * et propter nomen tuum
+deduces me et enutries me.
+
+Educes me de laqueo hoc quem absconderunt mihi: * quoniam tu es
+protector meus.
+
+In manus tuas commendo spiritum meum: * redemisti me, Domine, Deus
+veritatis.
+
+
+PSAUME 90.
+
+Qui habitat in adjutorio Altissimi, * in protectione Dei coeli
+commorabitur.
+
+Dicet Domino: Susceptor meus es tu, et refugium meum; * Deus meus,
+sperabo in eum.
+
+Quoniam ipse liberavit me de laqueo venantium, * et à verbo aspero.
+
+Scapulis suis obumbrabit tibi, * et sub pennis ejus sperabis.
+
+Scuto circumdabit te veritas ejus, * non timebis à timore nocturno.
+
+A sagittâ volante in die, à negotio perambulante in tenebris, * ab
+incursu et dæmonio meridiano.
+
+Cadent à latero tuo mille et decem millia à dextris tuis: * ad te autem
+non appropinquabit.
+
+Verùmtamen oculis tuis considerabis, * et retributionem peccatorum
+videbis.
+
+Quoniam tu es, Domine, spes mea: * Altissimum posuisti refugium tuum.
+
+Non accedet ad te malum, * et flagellum non appropinquabit tabernaculo
+tuo.
+
+Quoniam Angelis suis mandavit de te, * ut custodiant te omnibus viis
+tuis.
+
+In manibus portabunt te, * ne fortè offendas ad lapidem pedem tuum.
+
+Super aspidem et basiliscum ambulabis, * et conculcabis leonem et
+draconem.
+
+Quoniam in me speravit, liberabo eum: * protegam eum, quoniam cognovit
+nomen meum.
+
+Clamavit ad me, * et ego exaudiam eum:
+
+Cum ipso sum in tribulatione; * eripiam eum et glorificabo eum.
+
+Longitudine dierum replebo eum, * ostendam illi salutare meum.
+
+
+PSAUME 133.
+
+Ecce nunc benedicite Dominum, * omnes servi Domini.
+
+Qui statis in domo Domini, * in atriis domûs Dei nostri.
+
+In noctibus extollite manus vestras in sancta; * et benedicite Dominum.
+
+Benedicat te Dominus ex Sion: * qui fecit coelum et terram.
+
+
+HYMNE.
+
+ De lucis ante terminum,
+ Rerum Creator, poscimus,
+ Ut pro tuâ clementiâ
+ Sis præsul et custodia.
+
+ Procul recedant somnia,
+ Et noctium phantasmata;
+ Hostemque nostrum comprime,
+ Ne polluantur corpora.
+
+ Præsta, Pater omnipotens,
+ Per Jesum Christum Dominum,
+ Qui tecum in perpetuum
+ Regnat cum Sancto Spiritu.
+
+ Amen.
+
+
+CAPITULE.
+
+Tu autem in nobis es, Domine, et nomen sanctum tuum invocatum est super
+nos; ne derelinquas nos, Domine Deus noster.
+
+Deo gratias.
+
+R. _br_. In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum. In. V. Redemisti
+me, Domine, Deus veritatis. Commendo. Gloria. In.
+
+V. Custodi nos, Domine, ut pupillam oculi. R. Sub umbrâ alarum tuarum
+protege nos.
+
+
+CANTIQUE DE SAINT SIMÉON.
+
+Nunc dimittis servum tuum, Domine, * secundùm verbum tuum, in pace.
+
+Quia viderunt oculi mei * salutare tuum
+
+Quod parasti, * ante faciem, omnium populorum,
+
+Lumen ad revelationem gentium, * et gloriam plebis tuæ Israel.
+
+Gloria, etc.
+
+_Ant._ Salva nos, Domine, vigilantes; custodi nos dormientes, ut
+vigilemus cum Christo et requiescamus in pace.
+
+
+ORAISON.
+
+Nous vous supplions, Seigneur, de visiter cette demeure, et d'éloigner
+d'elle toutes les embûches de notre ennemi; que vos saints Anges y
+habitent, pour nous conserver en paix, et que votre bénédiction soit
+toujours sur nous. Par notre Seigneur.
+
+Que le Seigneur soit avec vous.
+
+Rendons grâces à Dieu.
+
+
+_Les Complies étant finies, on dit à voix basse_:
+
+Gratia Domini nostri Jesu Christi, et caritas Dei, et communicatio
+Sancti Spiritûs sit cum omnibus vobis.
+
+R. Amen.
+
+
+_Après l'office, on dit tout bas_:
+
+Pater, Ave, Credo.
+
+
+
+
+ANTIENNES À LA SAINTE VIERGE.
+
+
+PENDANT L'AVENT.
+
+Alma Redemptoris Mater, quæ pervia coeli Porta manes, et Stella maris,
+succurre cadenti, surgere qui curat populo: tu quæ genuisti, Naturâ
+mirante, tuum sanctum Genitorem. Virgo priùs ac posteriùs: Gabrielis ab
+ore, Sumens illud Ave, peccatorum miserere.
+
+V. Angelus Domini nuntiavit Mariæ.
+
+R. Et concepit de Spiritu sancto.
+
+
+ORAISON.
+
+Répandez, s'il vous plaît, Seigneur, votre grâce dans nos âmes, afin
+qu'ayant connu par la voix de l'Ange l'Incarnation de Jésus-Christ votre
+Fils, nous arrivions, par sa Passion et sa Croix, à la gloire de sa
+Résurrection. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. Ainsi soit-il.
+
+
+APRÈS L'AVENT.
+
+V. Post partum Virgo inviolata permansisti.
+
+R. Dei Genitrix, intercede pro nobis.
+
+
+ORAISON.
+
+Ô Dieu, qui, en rendant féconde la virginité de la bienheureuse Vierge
+Marie, avez assuré au genre humain les récompenses du salut éternel,
+nous vous prions de nous faire éprouver dans nos besoins combien est
+puissante auprès de vous l'intercession de celle par laquelle nous avons
+reçu l'auteur de la vie, Jésus-Christ votre Fils.
+
+
+DE LA PURIFICATION AU JEUDI SAINT.
+
+ Ave, Regina coelorum;
+ Ave, Domina Angelorum;
+ Salve, Radix; salve, Porta,
+ Ex quâ mundo lux est orta.
+
+ GAUDE, Virgo gloriosa:
+ Super omnes speciosa:
+ Vale, ô valde decora,
+ Et pro nobis Christum exora.
+
+V. Dignare me laudare te, Virgo sacrata.
+
+R. Da mihi virtutem contra hostes tuos.
+
+
+ORAISON.
+
+Dieu de bonté, accordez à notre faiblesse les secours de votre grâce: et
+comme nous honorons la mémoire de la sainte Mère de Dieu, faites que,
+par le secours de son intercession, nous ressuscitions de nos iniquités;
+nous vous en supplions par le même Jésus-Christ. Ainsi soit-il.
+
+
+DE PAQUES À LA TRINITÉ.
+
+ Regina coeli, lætare, alleluia:
+ Quia quem meruisti portare, alleluia,
+ Resurrexit sicut dixit, alleluia.
+ Ora pro nobis Deum, alleluia.
+
+V. Gaude et lætare, Virgo Maria:
+
+R. Quia surrexit Dominus vere.
+
+
+ORAISON.
+
+Ô Dieu, qui avez daigné réjouir le monde par la résurrection de votre
+Fils notre Seigneur Jésus-Christ; faites, s'il vous plaît, que, par la
+Vierge Marie sa mère, nous goûtions les joies d'une vie éternelle et
+bienheureuse. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. R. Ainsi soit-il.
+
+
+DE LA TRINITÉ À L'AVENT.
+
+Salve, Regina, mater misericordiæ, vita, dulcedo, et spes nostra, salve.
+Ad te clamamus, exules Filii Evæ; ad te suspiramus gementes et flentes
+in hâc lacrymarum valle: Eia ergo Advocata nostra, illos tuos
+misericordes oculos ad nos converte; Et Jesum, benedictum fructum
+ventris tui, nobis post hoc exilium ostende, ô clemens, ô pia ô dulcis
+Virgo Maria!
+
+V. Ora pro nobis, sancta Dei Genitrix,
+
+R. Ut digni efficiamur promissionibus Christi.
+
+
+ORAISON.
+
+Dieu tout-puissant et éternel, qui, par la coopération du Saint-Esprit,
+avez préparé le corps et l'âme de la glorieuse Vierge Marie, pour en
+faire une demeure digne de votre Fils, accordez-nous la grâce, pendant
+que nous célébrons sa mémoire avec joie, d'être délivrés, par son
+intercession, des maux présents et de la mort éternelle. Nous vous en
+supplions par le même Jésus-Christ notre Seigneur. Ainsi soit-il.
+
+
+PROSE À LA SAINTE VIERGE.
+
+ Inviolata, integra et casta es, Maria,
+ Quæ es effecta fulgida coeli porta.
+
+ Ô Mater alma, Christi carissima,
+ Suscipe pia laudum præconia;
+
+ Nostra ut pura pectora sint et corpora,
+ Te nunc flagitant devota corda et ora.
+
+ Tua per precata dulcisona,
+ Nobis concedas veniam per secula
+
+ Ô benigna! ô benigna! ô benigna!
+ Quæ sola inviolata permansisti.
+
+
+
+
+TABLE DES CHAPITRES.
+
+
+ Pages.
+ Avertissement des éditeurs. 1
+ Préface. 3
+
+
+LIVRE PREMIER.
+
+AVIS UTILES POUR ENTRER DANS LA VIE INTÉRIEURE.
+
+ Chap. I. Qu'il faut imiter JÉSUS-CHRIST, et mépriser toutes les
+ vanités du monde. 15
+ Chap. II. Avoir d'humbles sentiments de soi-même. 18
+ Chap. III. De la Doctrine de vérité. 20
+ Chap. IV. De la Prévoyance dans les actions. 25
+ Chap. V. De la lecture de l'Écriture sainte. 26
+ Chap. VI. Des affections déréglées. 28
+ Chap. VII. Qu'il faut fuir l'orgueil et les vaines espérances. 29
+ Chap. VIII. Éviter la trop grande familiarité. 32
+ Chap. IX. De l'obéissance et du renoncement à son propre sens. 33
+ Chap. X. Qu'il faut éviter les entretiens inutiles. 35
+ Chap. XI. Des moyens d'acquérir la paix intérieure, et du soin
+ d'avancer dans la vertu. 37
+ Chap. XII.--De l'avantage de l'adversité. 40
+ Chap. XIII. De la résistance aux tentations. 42
+ Chap. XIV. Éviter les jugements téméraires, et ne se point
+ rechercher soi-même. 47
+ Chap. XV. Des oeuvres de charité. 48
+ Chap. XVI. Qu'il faut supporter les défauts d'autrui. 50
+ Chap. XVII. De la vie religieuse. 53
+ Chap. XVIII. De l'exemple des Saints. 54
+ Chap. XIX. Des exercices d'un bon religieux. 58
+ Chap. XX. De l'amour de la solitude et du silence. 62
+ Chap. XXI. De la componction du coeur. 67
+ Chap. XXII. De la considération de la misère humaine. 71
+ Chap. XXIII. De la méditation de la mort. 76
+ Chap. XXIV. Du jugement et des peines des pécheurs. 81
+ Chap. XXV. Qu'il faut travailler avec ferveur à l'amendement
+ de sa vie. 86
+
+LIVRE DEUXIÈME.
+
+INSTRUCTION POUR AVANCER DANS LA VIE INTÉRIEURE.
+
+ Chap. I. De la conversation intérieure. 95
+ Chap. II. Qu'il faut s'abandonner à Dieu en esprit d'humilité. 100
+ Chap. III. De l'homme pacifique. 102
+ Chap. IV. De la pureté d'esprit, et de la droiture d'intention. 105
+ Chap. V. De la considération de soi-même. 107
+ Chap. VI. De la joie d'une bonne conscience. 109
+ Chap. VII. Qu'il faut aimer JÉSUS-CHRIST par-dessus toutes
+ choses. 113
+ Chap. VIII. De la familiarité que l'amour établit entre JÉSUS
+ et l'âme fidèle. 113
+ Chap. IX. De la privation de toute consolation. 119
+ Chap. X. De la reconnaissance pour la grâce de Dieu. 124
+ Chap. XI. Du petit nombre de ceux qui aiment la Croix de
+ JÉSUS-CHRIST. 128
+ Chap. XII. De la sainte voie de la Croix. 132
+
+LIVRE TROISIÈME.
+
+DE LA VIE INTÉRIEURE.
+
+ Chap. I. Des entretiens intérieurs de JÉSUS-CHRIST avec l'âme
+ fidèle. 141
+ Chap. II. La vérité parle au dedans de nous sans aucun bruit
+ de paroles. 143
+ Chap. III. Qu'il faut écouter la parole de Dieu avec humilité;
+ et que plusieurs ne la reçoivent pas comme ils le devraient. 146
+ Chap. IV. Qu'il faut marcher en présence de Dieu dans la vérité
+ et l'humilité. 151
+ Chap. V. Des merveilleux effets de l'amour divin. 155
+ Chap. VI. De l'épreuve du véritable amour. 160
+ Chap. VII. Qu'il faut cacher humblement les grâces que Dieu
+ nous fait. 164
+ Chap. VIII. Qu'il faut s'anéantir soi-même devant Dieu. 168
+ Chap. IX. Qu'il faut rapporter tout à Dieu comme à notre
+ dernière fin. 172
+ Chap. X. Qu'il est doux de servir Dieu et de mépriser le monde. 174
+ Chap. XI. Qu'il faut examiner et modérer les désirs du coeur. 178
+ Chap. XII. Qu'il faut s'exercer à la patience, et lutter contre
+ ses passions. 180
+ Chap. XIII. Qu'il faut obéir humblement à l'exemple de
+ JÉSUS-CHRIST. 184
+ Chap. XIV. Qu'il faut considérer les secrets jugements de Dieu
+ pour ne pas s'enorgueillir du bien qu'on fait. 187
+ Chap. XV. De ce que nous devons dire et faire quand il s'élève
+ quelque désir en nous. 191
+ Chap. XVI. Qu'on ne doit chercher qu'en Dieu la vraie
+ consolation. 194
+ Chap. XVII. Qu'il faut remettre à Dieu le soin de ce qui nous
+ regarde. 197
+ Chap. XVIII. Qu'il faut souffrir avec constance les misères de
+ cette vie, à l'exemple de JÉSUS-CHRIST. 199
+ Chap. XIX. De la souffrance des injures, et de la véritable
+ patience. 202
+ Chap. XX. De l'aveu de son infirmité, et des misères de cette
+ vie. 205
+ Chap. XXI. Qu'il faut établir son repos en Dieu, plutôt que
+ dans tous les autres biens. 209
+ Chap. XXII. Du souvenir des bienfaits de Dieu. 214
+ Chap. XXIII. De quatre choses importantes pour conserver la
+ paix. 218
+ Chap. XXIV. Qu'il ne faut point s'enquérir curieusement de la
+ conduite des autres. 222
+ Chap. XXV. En quoi consiste la vraie paix et le véritable
+ progrès de l'âme. 224
+ Chap. XXVI. De la liberté du coeur, qui s'acquiert plutôt par
+ la prière que par la lecture. 227
+ Chap. XXVII. Que l'amour de soi est le plus grand obstacle qui
+ empêche l'homme de parvenir au souverain bien. 230
+ Chap. XXVIII. Qu'il faut mépriser les jugements humains. 234
+ Chap. XXIX. Comment il faut invoquer et bénir Dieu dans
+ l'affliction. 236
+ Chap. XXX. Qu'il faut implorer le secours de Dieu, et attendre
+ avec confiance le retour de sa grâce. 238
+ Chap. XXXI. Qu'il faut oublier toutes les créatures pour
+ trouver le Créateur. 243
+ Chap. XXXII. De l'abnégation de soi-même. 247
+ Chap. XXXIII. De l'inconstance du coeur, et que nous devons
+ tout rapporter à Dieu comme à notre dernière fin. 250
+ Chap. XXXIV. Qu'on ne saurait goûter que Dieu seul, et qu'on
+ le goûte en toutes choses, quand on l'aime véritablement. 252
+ Chap. XXXV. Qu'on est toujours, durant cette vie, exposé à
+ la tentation. 255
+ Chap. XXXVI. Contre les vains jugements des hommes. 258
+ Chap. XXXVII. Qu'il faut renoncer entièrement à soi-même pour
+ obtenir la liberté du coeur. 261
+ Chap. XXXVIII. Comment il faut se conduire dans les choses
+ extérieures, et recourir à Dieu dans les périls. 264
+ Chap. XXXIX. Qu'il faut éviter l'empressement dans les affaires. 266
+ Chap. XL. Que l'homme n'a rien de bon de lui-même, et ne peut
+ se glorifier de rien. 268
+ Chap. XLI. Du mépris de tous les honneurs du temps. 272
+ Chap. XLII. Qu'il ne faut pas que notre paix dépende des hommes. 274
+ Chap. XLIII. Contre la vaine science du siècle. 276
+ Chap. XLIV. Qu'il ne faut point s'embarrasser dans les choses
+ extérieures. 279
+ Chap. XLV. Qu'il ne faut pas croire tout le monde, et qu'il est
+ difficile de garder une sage mesure dans ses paroles. 281
+ Chap. XLVI. Qu'il faut mettre sa confiance en Dieu, lorsqu'on
+ est assailli de paroles injurieuses. 285
+ Chap. XLVII. Qu'il faut être prêt à souffrir pour la vie
+ éternelle tout ce qu'il y a de plus pénible. 289
+ Chap. XLVIII. De l'éternité bienheureuse, et des misères de
+ cette vie. 293
+ Chap. XLIX. Du désir de la vie éternelle, et des grands biens
+ promis à ceux qui combattent courageusement. 298
+ Chap. L. Comment un homme dans l'affliction doit s'abandonner
+ entre les mains de Dieu. 303
+ Chap. LI. Qu'il faut s'occuper d'oeuvres extérieures, quand
+ l'âme est fatiguée des exercices spirituels. 309
+ Chap. LII. Que l'homme ne doit pas se juger digne des
+ consolations de Dieu, mais plutôt de châtiment. 311
+ Chap. LIII. Que la grâce ne fructifie point en ceux qui ont
+ le goût des choses de la terre. 314
+ Chap. LIV. Des divers mouvements de la nature et de la grâce. 317
+ Chap. LV. De la corruption de la nature, et de l'efficace de
+ la grâce divine. 323
+ Chap. LVI. Que nous devons nous renoncer nous-mêmes, et imiter
+ JÉSUS-CHRIST en portant la Croix. 328
+ Chap. LVII. Qu'on ne doit point se laisser trop abattre quand
+ on tombe en quelques fautes. 332
+ Chap. LVIII. Qu'il ne faut pas chercher à pénétrer ce qui est
+ au-dessus de nous, ni sonder les secrets jugements de Dieu. 335
+ Chap. LIX. Qu'on doit mettre toute son espérance et toute sa
+ confiance en Dieu seul. 341
+
+LIVRE QUATRIÈME.
+
+DU SACREMENT DE L'EUCHARISTIE.
+
+ Exhortation à la sainte Communion. 347
+
+ Chap. I. Avec quel respect il faut recevoir JÉSUS. 350
+ Chap. II. Combien Dieu manifeste à l'homme sa bonté et son
+ amour dans le Sacrement de l'Eucharistie. 358
+ Chap. III. Qu'il est utile de communier souvent. 364
+ Chap. IV. Que Dieu répand des grâces abondantes en ceux qui
+ communient dignement. 369
+ Chap. V. De l'excellence du Sacrement de l'autel, et de la
+ dignité du Sacerdoce. 374
+ Chap. VI. Prière du chrétien avant la Communion. 378
+ Chap. VII. De l'examen de conscience, et de la résolution de
+ se corriger. 380
+ Chap. VIII. De l'oblation de JÉSUS-CHRIST sur la Croix, et de
+ la résignation de soi-même. 385
+ Chap. IX. Que nous devons nous offrir à Dieu avec tout ce qui
+ est à nous, et prier pour tous. 388
+ Chap. X. Qu'on ne doit pas facilement s'éloigner de la sainte
+ Communion. 392
+ Chap. XI. Que le Corps de JÉSUS-CHRIST et l'Écriture sainte
+ sont très-nécessaires à l'âme fidèle. 398
+ Chap. XII. Qu'on doit se préparer avec un grand soin à la
+ sainte Communion. 404
+ Chap. XIII. Que le fidèle doit désirer de tout son coeur de
+ s'unir à JÉSUS-CHRIST dans la Communion. 408
+ Chap. XIV. Du désir ardent que quelques âmes saintes ont de
+ recevoir le Corps de JÉSUS-CHRIST. 411
+ Chap. XV. Que la grâce de la dévotion s'acquiert par l'humilité
+ et l'abnégation de soi-même. 414
+ Chap. XVI. Qu'il faut dans la Communion exposer ses besoins à
+ JÉSUS-CHRIST, et lui demander sa grâce. 417
+ Chap. XVII. Du désir ardent de recevoir JÉSUS-CHRIST. 420
+ Chap. XVIII. Qu'on ne doit point chercher à pénétrer le
+ mystère de l'Eucharistie, mais qu'il faut soumettre ses
+ sens à la Foi. 424
+
+
+FIN DE LA TABLE.
+
+
+
+
+LECTURES
+
+DU LIVRE DE L'IMITATION,
+
+DIVISÉES
+
+Selon les différents besoins des Fidèles.
+
+
+Pour les Prêtres.
+
+ Livre I.--Ch. 18, 19, 20, 25.
+ -- II.--Ch. 11 et 12.
+ -- III.--Ch. 3, 10, 31, 56.
+ -- IV.--Ch. 5, 7, 10, 11, 12, 18.
+
+ Pour la préparation à la Messe et l'Action de grâces, _voyez_ page 404
+ et suiv.: _Avant et après la Communion_, et, de plus, tous les
+ chapitres indiqués _pour les personnes pieuses_.
+
+Pour les Séminaristes.
+
+ Livre I.--Ch. 17, 18, 19, 20, 21, 25.
+ -- III.--Ch. 2, 3, 10, 31, 56.
+ -- IV.--Ch. 5, 7, 10, 11, 12, 18.
+
+Pour ceux qui s'adonnent à l'étude, particulièrement à celle de la
+Philosophie et de la Théologie.
+
+ Livre I.--Ch. 1, 2, 3, 5.
+ -- III.--Ch. 2, 43, 44, 48, 58.
+ -- IV.--Ch. 18.
+
+Pour les Personnes affligées de leur peu de progrès dans l'étude.
+
+ Livre III.--Ch. 29, 39, 41, 47.
+
+Pour les Religieux et les Religieuses.
+
+ Les chapitres indiqués ci-avant pour les Séminaristes. Ceux indiqués
+ ci-après pour les personnes pieuses.
+
+Pour les Personnes pieuses.
+
+ Livre I.--Ch. 15, 18, 19, 20, 21, 22, 25.
+ -- II.--Ch. 1, 4, 7, 8, 9, 11, 12.
+ -- III.--Ch. 5, 6, 7, 11, 27, 31, 32, 33, 53, 54, 55, 56.
+
+Pour les Personnes affligées et humiliées.
+
+ Livre I.--Ch. 12.
+ -- II.--Ch. 11, 12.
+ -- III.--Ch. 12, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 29, 30, 35, 41, 47,
+ 48, 49, 50, 52, 55, 56.
+
+Pour les Personnes trop sensibles à leurs souffrances.
+
+ Livre I.--Ch. 12.
+ -- III.--Ch. 12.
+
+Pour les Personnes tentées.
+
+ Livre I.--Ch. 13.
+ -- II.--Ch. 9.
+ -- III.--Ch. 6, 16. 17, 18, 19, 20, 21, 23, 30, 35, 37, 47, 48,
+ 49, 50, 52, 55.
+
+Pour les Peines intérieures.
+
+ Livre II.--Ch. 3, 9, 11, 12.
+ -- III.--Ch. 7, 12, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 30, 35, 47, 48, 49,
+ 50, 51, 52, 55, 56.
+
+Pour les Personnes inquiètes de l'avenir, de leur santé, de leur
+fortune, du succès d'une démarche.
+
+ Livre III.--Ch. 39.
+
+Pour les Personnes qui vivent dans le monde, ou qui sont distraites par
+leurs occupations.
+
+ Livre III.--Ch. 38, 53.
+
+Pour les Personnes attaquées par la calomnie ou la médisance.
+
+ Livre II.--Ch. 2.
+ -- III.--Ch. 6, 11, 28, 36, 46.
+
+Pour les Personnes qui commencent à se convertir.
+
+ Livre I.--Ch. 18, 25.
+ -- II.--Ch. 1.
+ -- III.--Ch. 6, 7, 23, 25, 26, 27, 33, 37, 52, 54, 55.
+
+Pour les Personnes pusillanimes, faibles ou négligentes.
+
+ Livre I.--Ch. 18. 21. 22, 25.
+ -- II.--Ch. 10, 11, 12.
+ -- III.--Ch. 3, 6, 27, 30, 35, 37, 54, 55, 57.
+
+Pour une Retraite.
+
+ Livre III.--Ch. 53. } Pour s'y disposer.
+ -- I.--Ch. 20, 21. }
+ Ch. 22. Misères de la vie.
+ Ch. 23. La mort.
+ Ch. 24 } Le Jugement et l'Enfer
+ -- III.--Ch. 14 }
+ Ch. 48. Le Ciel.
+ Ch. 59. Pour clore la Retraite
+
+Pour obtenir la Paix intérieure.
+
+ Livre I.--Ch. 6, 11.
+ -- II.--Ch. 3, 6.
+ -- III.--Ch. 7, 23, 25, 38.
+
+Pour les Personnes dissipées.
+
+ Livre I.--Ch. 18, 21, 22, 23, 24.
+ -- II.--Ch. 10, 12.
+ -- III.--Ch. 14, 27, 33, 45, 53, 55.
+
+Pour les Pécheurs insensibles.
+
+ Livre I.--Ch. 23, 24.
+ -- III.--Ch. 14, 55.
+
+Pour les Personnes oisives.
+
+ Livre III.--Ch. 24, 27.
+
+Pour ceux qui écoutent les médisances.
+
+ Livre I.--Ch. 4.
+
+Pour les Personnes portées à l'orgueil.
+
+ Livre I.--Ch. 7. 14.
+ -- II.--Ch. 11.
+ -- III.--Ch. 7, 8, 9, 11, 13, 14, 40, 52.
+
+Pour les esprits querelleurs et opiniâtres.
+
+ Livre I.--Ch. 9.
+ -- III.--Ch. 13, 32, 44.
+
+Pour les Personnes impatientes.
+
+ Livre III.--Ch. 15, 16, 17, 18, 19.
+ (Parag. 5 du Chap. XIX. Prière pour demander la patience).
+
+Pour les Désobéissants.
+
+ Livre I.--Ch. 9.
+ -- III.--Ch. 13, 32.
+
+Pour les Personnes causeuses.
+
+ Livre I.--Ch. 10.
+ -- III.--Ch. 24, 44, 45.
+
+Pour ceux qui s'occupent des défauts des autres et négligent
+les leurs.
+
+ Livre I.--Ch. 11, 14, 16.
+ -- II.--Ch. 5.
+
+Pour les Personnes qui ont une dévotion fausse ou mal entendue.
+
+ Livre III.--Ch. 4, 6, 7.
+
+Pour inspirer la droiture d'intention.
+
+ Livre III.--Ch. 9.
+
+Pour les Personnes trop susceptibles.
+
+ Livre III.--Ch. 44.
+
+Pour celles qui s'attachent trop aux douceurs de l'amitié humaine.
+
+ Livre I.--Ch. 8, 10.
+ -- II.--Ch. 7, 8.
+ -- III.--Ch. 32, 42, 45.
+
+Pour celles qui se scandalisent de la simplicité ou de l'obscurité
+des Livres saints.
+
+ Livre I.--Ch. 5.
+
+Pour les Personnes portées à la jalousie.
+
+ Livre III.--Ch. 22, 41.
+
+
+
+
+PRIÈRES
+
+TIRÉES
+
+DU LIVRE DE L'IMITATION.
+
+
+Prière avant la lecture spirituelle.
+
+ Livre III.--Ch. II.
+
+Pour obtenir la grâce de la dévotion.
+
+ Même livre.--Ch. III, parag. 6 et 7.
+
+Prière pour implorer le secours des Consolations divines.
+
+ Livre III.--Ch. IV, V, parag. 1 et 2.
+ (Le même avant ou après la Communion.)
+
+Pour obtenir l'accroissement de l'amour de Dieu en nous.
+
+ Même livre.--Ch. V, parag. 6.
+
+Sentiments d'anéantissement en la présence de Dieu
+
+ Même livre.--Ch. VIII.
+ (Avant la Communion.)
+
+Prière pour une Personne qui vit dans la retraite et la piété.
+
+ Même livre.--Ch. X.
+
+Sentiments profonds d'humilité.
+
+ Même livre.--Ch. XIV.
+ (Avant ou après la Communion.)
+
+Pour demander la résignation à la volonté de Dieu.
+
+ Même livre.--Ch. XV.
+ (Depuis la deuxième phrase du parag. 2, jusqu'à la fin, et partie du
+ premier.)
+
+Sentiments de Résignation.
+
+ Même livre.--Ch. XVI, à la fin; XVII, parag. 2 et 4; XVIII, parag. 2.
+
+Pour demander la Patience.
+
+ Même livre.--Ch. XIX, parag. 5.
+
+Prière pour une Personne affligée ou tentée.
+
+ Même livre.--Ch. XX, XXI, parag. 1, 2, 3, 4, 5.
+
+Même prière pour celles qui se sentent remplies de l'amour de Dieu.
+
+ (La dire encore avant et après la Communion.)
+
+Acte de remercîment.
+
+ Livre III.--Ch. XXI, parag. 7.
+ (Après la Communion.)
+
+Prière propre aux personnes qui croiraient avoir moins reçu de Dieu que
+les autres, soit pour le corps, soit pour l'âme.
+
+ Même livre.--Ch. XXII.
+
+Pour demander la pureté de l'esprit et le détachement des créatures.
+
+ Même livre.--Ch. XXIII, parag. 5, jusqu'à la fin.
+
+Prière d'une personne qui commence sa conversion.
+
+ Même livre.--Ch. XXVI.
+
+(La même, pour une personne qui désire avancer dans la vertu.)
+
+Prière pour demander l'esprit de force et de sagesse.
+
+ Même livre.--Ch. XXVII, parag. 4 et 5.
+
+Prière propre aux personnes qui éprouvent une vive affliction.
+
+ Même livre.--Ch. XXIX.
+
+Prière après la Communion.
+
+ Même livre.--Ch. XXXIV.
+ (La même pour s'exciter à l'amour de Dieu.)
+
+Sentiments d'abandon à la divine Providence.
+
+ Même Livre.--Ch. XXXIX, parag. 2.
+
+Sentiments d'humilité.
+
+ Livre III.--Ch. XL.
+ (Avant ou après la Communion.)
+
+Prière quand on a reçu quelque grâce de Dieu.
+
+ Même livre.--Même chapitre.
+ (Avant ou après la Communion.)
+
+Sentiments de résignation.
+
+ Même livre.--Ch. XLI, parag. 2.
+
+Sentiments pieux.
+
+ Même livre.--Ch. XLIV, parag. 2.
+
+Prière d'une personne attaquée par la calomnie.
+
+ Même livre.--Ch. XLVI, parag. 5.
+
+Prière sur le bonheur du Ciel, qu'on peut dire particulièrement les
+jours de Pâques, de l'Ascension et de la Toussaint.
+
+ Même livre.--Ch. XLVIII.
+ (Avant ou après la Communion.)
+
+Sentiment d'humilité et de contrition.
+
+ Même livre.--Ch. LII.
+ (Avant la Communion.)
+
+Prière pour demander les secours de la grâce.
+
+ Même livre.--Ch. LV.
+
+Prière pour les Prêtres, Religieux et Religieuses, pour demander la
+persévérance dans leur vocation.
+
+ Même livre.--Ch. LVI, parag. 3, 5, 6.
+
+Sentiment de confiance en Dieu.
+
+ Même livre.--Ch. LVII, parag. 4.
+
+Prière pour toute personne pieuse et chrétienne.
+
+ Livre III.--Ch. LIX.
+ (Après la Communion.)
+ (On peut s'en servir aussi pour terminer une retraite.)
+
+Prière devant le Très-Saint Sacrement.
+
+ Livre IV.--Ch. I, II, III, IV, IX, XI, jusqu'au paragraphe 6; XIII,
+ XIV, XVI, XVII, et partie des prières ci-dessus.
+
+Élévations sur la dignité des Prêtres et la sainteté de leur ministère.
+
+ Même livre.--Ch. V.
+
+Pour les Prêtres et les Séminaristes.
+
+ Même livre.--Ch. XI, parag. 6, 7 et 8.
+
+
+
+
+LECTURES
+
+POUR LA SAINTE COMMUNION.
+
+
+(Il est bon de faire précéder la réception de la sainte Communion d'une
+retraite de trois jours, à l'exemple de plusieurs Saints.)
+
+PREMIER JOUR.
+
+Esprit de retraite.
+
+LE MATIN.
+
+ Livre III.--Ch. 53.
+
+À MIDI.
+
+ Livre I.--Ch. 20.
+
+LE SOIR.
+
+ Livre I.--Ch. 21.
+
+
+DEUXIÈME JOUR.
+
+LE MATIN.
+
+ Livre I.--Ch. 22. Misères de la vie.
+ Ch. 23. La Mort.
+
+À MIDI.
+
+ Livre I.--Ch. 24. Le Jugement et l'Enfer.
+ -- III.--Ch. 14.
+
+LE SOIR.
+
+ Livre III.--Ch. 48. Le CIEL.
+ --Ch. 59. _Conclusion._
+
+
+TROISIÈME JOUR.
+
+LE MATIN.
+
+_Préparation et exercice d'humilité._
+
+ Livre IV.--Ch. 6. Prière pour obtenir la grâce de s'approcher
+ saintement des Sacrements.
+ Ch. 7. Examen de Conscience, Contrition, ferme Propos,
+ Confession et Satisfaction.
+
+(Lire ensuite à genoux le 8e chap. du liv. III.)
+
+À MIDI.
+
+ Livre IV.--Ch. 18. Foi soumise au mystère de l'Eucharistie.
+ Ch. 10. Avantage de la fréquente Communion.
+
+(Ne pas lire la 2e partie du parag. 7 jusqu'à la fin.--Lire à genoux le
+52e chap. du liv. III.)
+
+LE SOIR.
+
+ Livre IV.--Ch. 12. Préparation à la sainte Communion.
+ Ch. 15. Dévotion fondée sur l'humilité et le renoncement
+ à soi-même.
+ Ch. 9. S'offrir à Dieu dans la Communion.
+
+(Lire à genoux le 40e chap. du liv. III.)
+
+
+POUR LE JOUR
+
+OÙ L'ON COMMUNIE.
+
+LE MATIN.
+
+LIVRE IV.--CH. 1, 2, 3, 4.
+
+AVANT ET PENDANT LA MESSE.
+
+LIVRE IV.--CH. 9, 16 et 17.
+
+(Après le _Pater_, fermer son livre, dire par coeur les Actes avant la
+Communion, ou bien l'Acte de contrition, ceux des trois Vertus
+théologales et les trois Oraisons qui suivent l'_Agnus Dei_; rester
+ensuite en adoration.)
+
+(Après la sainte Communion, rester en adoration jusqu'à la fin de la
+Messe; dire par coeur les Actes après la Communion.)
+
+APRÈS LA MESSE.
+
+LIVRE IV.--CH. 11, 13 et 14.
+
+(Ne pas lire les parag. 6, 7 et 8.--Réciter les cantiques _Benedictus_,
+_Magnificat_, _Nunc dimittis_, et le _Te Deum_, soit à l'église, soit en
+rentrant chez soi.)
+
+DANS LA JOURNÉE ET LE SOIR.
+
+LIVRE III.--CH. 21, 34, 48.
+
+(Répéter ensuite le 9e chap. du IVe livre, et choisir à volonté une
+lecture dans les prières ci-dessus indiquées, page 467 et suiv.)
+
+
+PRATIQUE DE PERSÉVÉRANCE
+
+APRÈS LA SAINTE COMMUNION.
+
+PREMIER JOUR.
+
+Remercier Notre-Seigneur Jésus-Christ, et s'exciter à son amour.
+
+ Livre III.--Ch. 5, 7, 8, 10.
+
+DEUXIÈME JOUR.
+
+Écouter la voix de Jésus-Christ parlant à l'âme qui l'a reçu.
+
+ Livre II.--Ch. 1.
+ Livre III.--Ch. 1, 2, 3.
+
+TROISIÈME JOUR.
+
+Se détacher des créatures.
+
+ Livre III.--Ch. 26, 31, 42, 45.
+
+QUATRIÈME JOUR.
+
+Se détacher de soi-même, et s'abandonner à Dieu.
+
+ Livre III.--Ch. 15, 17, 27, 37.
+
+CINQUIÈME JOUR.
+
+Souffrir avec patience en union aux souffrances de Jésus-Christ.
+
+ Livre II.--Ch. 12.
+ Livre III.--Ch. 16, 18, 19.
+
+SIXIÈME JOUR.
+
+Persévérer dans sa ferveur dans les bonnes résolutions qu'on a prises en
+communiant.
+
+ Livre I.--Ch. 19, 25.
+ Livre III.--Ch. 23, 55.
+
+(Si on ne peut pas lire les quatre chapitres, il faudra de préférence
+lire le premier et le dernier de chaque jour. On peut aussi en lire deux
+le matin et deux le soir.)
+
+
+FIN
+
+
+Imp. BAILLY, DIVRY et Cie, place Sorbonne, 2.
+
+
+
+
+
+End of the Project Gutenberg EBook of L'imitation de Jésus-Christ, by Various
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57824 ***
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-The Project Gutenberg EBook of L'imitation de Jsus-Christ, by Various
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
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-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
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-
-Title: L'imitation de Jsus-Christ
- Traduction nouvelle avec des rflexions la fin de chaque chapitre
-
-Author: Various
-
-Translator: Flicit de Lamennais
-
-Release Date: September 1, 2018 [EBook #57824]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'IMITATION DE JSUS-CHRIST ***
-
-
-
-
-Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
-Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was
-produced from scanned images of public domain material
-from the Google Books project.)
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-
-L'IMITATION
-
-DE
-
-JSUS-CHRIST,
-
-TRADUCTION NOUVELLE
-
-AVEC DES
-
-RFLEXIONS LA FIN DE CHAQUE CHAPITRE,
-
-PAR M. L'ABB
-
-F. DE LAMENNAIS;
-
-Suivie de la Messe tire de Fnelon et des Vpres du Dimanche.
-
-XLIIIe dition.
-
-PARIS.
-
-ANCIENNE MAISON SAGNIER ET BRAY.
-
-AMBROISE BRAY, LIBRAIRE-DITEUR,
-
-RUE DES SAINTS-PRES, 66.
-
-1859
-
-
-
-
-Ouvrages du mme Auteur:
-
-
-
- L'IMITATION DE JSUS-CHRIST, traduction nouvelle, avec des rflexions
- la fin de chaque chapitre; suivie de la MESSE tire de Fnelon et
- des Vpres du Dimanche. 1 vol. in-32 diamant. 2 fr.
-
- --MME OUVRAGE, in-32 raisin, papier vlin glac. 2 fr. 50
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- magnifiques gravures sur acier. 12 fr.
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-
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- 1 vol. in-32. 2 fr.
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- --MME OUVRAGE, grand in-32, papier vlin glac. 3 fr.
-
- --_Idem_, in-18, papier ordinaire. 2 fr. 50
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- --_Idem_, grand in-18, papier vlin glac. 3 fr. 50
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-
- LE GUIDE DE LA JEUNESSE. 1 vol. in-18. 1 fr.
-
- --MME OUVRAGE, gr. in-18, pap. vl. gl. 1 fr. 50
-
- SOMMAIRE: Dangers du monde dans le premier ge.--De la vraie fin de
- l'homme.--De la fidlit aux devoirs.--De la confession.--De la
- communion.--De la dvotion la sainte Vierge, aux saints Patrons et
- aux Saints Anges.--Messe, Vpres du Dimanche.
-
-
- GUIDE SPIRITUEL, ou le _Miroir des mes religieuses_, par le V. LOUIS
- DE BLOIS; traduit du latin et prcd d'une Introduction. Ouvrage
- suivi des _Maximes spirituelles_ de saint Jean-de-la-Croix. 1 vol.
- in-30. 80 c.
-
-
-
-
-[Illustration]
-
-H. Lazerges del. A. Leroy sc.
-
-LAISSEZ L CE MISRABLE MONDE, ET VOTRE COEUR TROUVERA LE REPOS.
-
-Imit. Livre II.
-
-
-
-
-AVERTISSEMENT DES DITEURS.
-
-
-Les personnes qui recherchent avec une prfrence fonde sur le mrite
-incontestable de la traduction et surtout des Rflexions, l'_Imitation
-de Jsus-Christ_ de M. l'abb de Lamennais, sont induites en erreur,
-lorsqu'on leur prsente comme enrichie de ces Rflexions la traduction
-qui a paru sous le nom de M. de Genoude. Ce qui a pu accrditer cette
-erreur, c'est que M. de Lamennais a donn en effet des Rflexions pour
-quatre ou cinq chapitres de cette traduction, lorsqu'elle a t publie
-par les diteurs de la _Bibliothque des Dames chrtiennes_.
-
-
-
-
-PRFACE.
-
-Dcembre 1824.
-
-
-On ne connat point l'auteur de l'_Imitation_. Les uns l'attribuent
-Thomas A-Kempis, les autres l'abb Gersen: et cette diversit
-d'opinions a t la source de longues controverses, selon nous assez
-inutiles. Mais il n'est point d'objet frivole pour la curiosit humaine.
-On a fait des recherches immenses pour dcouvrir le nom d'un pauvre
-solitaire du treizime sicle. Qu'est-il rsult de tant de travaux? Le
-solitaire est demeur inconnu, et l'heureuse obscurit o s'coula sa
-vie a protg son humilit contre notre vaine science.
-
-Au reste, si l'on se divise sur l'auteur, tout le monde est d'accord sur
-l'ouvrage, _le plus beau_, dit Fontenelle, _qui soit parti de la main
-des hommes, puisque l'vangile n'en vient pas_. Il y a, en effet,
-quelque chose de cleste dans la simplicit de ce livre prodigieux. On
-croirait presque qu'un de ces purs esprits qui voient Dieu face face
-soit venu nous expliquer sa parole, et nous rvler ses secrets. On est
-mu profondment l'aspect de cette douce lumire, qui nourrit l'me et
-la fortifie, et l'chauffe sans la troubler. C'est ainsi qu'aprs avoir
-entendu Jsus-Christ lui-mme, les disciples d'Emmas se disaient l'un
-l'autre: _Notre coeur n'tait-il pas tout brlant au dedans de nous,
-lorsqu'il nous parlait dans le chemin, et nous ouvrait les
-critures[1]?_
-
- [1] Luc., XXIV, 32.
-
-On a dit que l'_Imitation_ tait le livre des parfaits: elle ne laisse
-pas nanmoins d'tre utile ceux qui commencent. Nulle part on ne
-trouvera une plus profonde connaissance de l'homme, de ses
-contradictions, de ses faiblesses, des plus secrets mouvements de son
-coeur. Mais l'auteur ne se borne pas nous montrer nos misres; il en
-indique le remde, il nous le fait goter; et c'est un des caractres
-qui distinguent les crivains asctiques des simples moralistes. Ceux-ci
-ne savent gure que sonder la plaie de notre nature; ils nous effraient
-de nous-mmes, et affaiblissent l'esprance de tout ce qu'ils tent
-l'orgueil. Ceux-l, au contraire, ne nous abaissent que pour nous
-relever; et, plaant dans le Ciel notre point d'appui, ils nous
-apprennent contempler sans dcouragement, du sein mme de notre
-impuissance, la perfection infinie o les chrtiens sont appels.
-
-De l ce calme ravissant, cette paix inexprimable qu'on prouve en
-lisant leurs crits avec une foi docile et un humble amour. Il semble
-que les bruits de la terre s'teignent autour de nous. Alors, au milieu
-d'un grand silence, on n'entend plus qu'une seule voix, qui parle du
-sauveur Jsus, et nous attire lui comme par un charme irrsistible.
-L'me transporte aspire au moment o se consommera son union avec le
-cleste poux. _Et l'esprit et l'pouse disent: Venez. Et que celui qui
-coute, dise: Venez. Oui, je viens, je me hte de venir. Ainsi soit-il!
-Venez, Seigneur Jsus_[2].
-
- [2] Apoc., XXII, 17 et 20.
-
-Que sont les plaisirs du monde prs de ces joies innarrables de la foi?
-Comment peut-on sacrifier le seul vrai bonheur quelques instants
-d'ivresse, bientt suivis de longs regrets et d'un amer dgot? Oh! _si
-vous connaissiez le don de Dieu, si vous saviez quel est celui qui vous
-appelle_[3], qui vous presse de vous donner lui, afin de se donner
-lui-mme vous, avec quelle ardeur vous rpondriez aux invitations de
-son amour! _Venez donc, et gotez combien le Seigneur est doux_[4]:
-venez et vivez. Maintenant vous ne vivez pas, car ce n'est pas vivre que
-d'tre spar de celui qui a dit: _Je suis la vrit et la vie_[5]. Mais
-quand vous l'aurez connu, quand votre coeur fatigu se sera
-dlicieusement repos sur le sien, il ne vous restera que cette parole:
-_Mon bien-aim est moi, et moi lui_[6]. _J'ai trouv celui qu'aime
-mon me: je l'ai saisi, et ne le laisserai point aller_[7].
-
- [3] Joan., IV, 10.
-
- [4] Ps. XXXIII, 9.
-
- [5] Joan., XIV, 6.
-
- [6] Cant., II, 16.
-
- [7] _Ibid._, III, 4.
-
-Et vous qui souffrez, vous que le monde afflige, venez aussi, venez
-Jsus: il bnira vos larmes, il les essuiera de sa main compatissante.
-Son me est toute tendresse et commisration. _Il a port nos
-infirmits, et connu nos langueurs_[8]: il sait ce que c'est que
-pleurer.
-
- [8] Is., LIII, 3 et 4.
-
-L'_Imitation_ ne contient pas seulement des rflexions propres toucher
-l'me, elle est encore remplie d'admirables conseils pour toutes les
-circonstances de la vie. En quelque position qu'on se trouve, on ne la
-lit jamais sans fruit. M. de La Harpe en est un exemple frappant;
-coutons-le parler lui-mme.
-
-J'tais dans ma prison, seul, dans une petite chambre, et profondment
-triste. Depuis quelques jours j'avais lu les Psaumes, l'vangile et
-quelques bons livres. Leur effet avait t rapide, quoique gradu. Dj
-j'tais rendu la foi; je voyais une lumire nouvelle; mais elle
-m'pouvantait et me consternait, en me montrant un abme, celui de
-quarante annes d'garement. Je voyais tout le mal et aucun remde: rien
-autour de moi qui m'offrt les secours de la religion. D'un autre ct,
-ma vie tait devant mes yeux, telle que je la voyais au flambeau de la
-vrit cleste; et de l'autre, la mort, la mort que j'attendais tous les
-jours, telle qu'on la recevait alors. Le prtre ne paraissait plus sur
-l'chafaud pour consoler celui qui allait mourir; il n'y montait plus
-que pour mourir lui-mme. Plein de ces dsolantes ides, mon coeur tait
-abattu, et s'adressait tout bas Dieu que je venais de retrouver, et
-qu' peine connaissais-je encore. Je lui disais: Que dois-je faire? que
-vais-je devenir? J'avais sur une table l'_Imitation_; et l'on m'avait
-dit que dans cet excellent livre je trouverais souvent la rponse mes
-penses. Je l'ouvre au hasard, et je tombe, en l'ouvrant, sur ces
-paroles: _Me voici, mon fils! je viens vous parce que vous m'avez
-invoqu_. Je n'en lus pas davantage: l'impression subite que j'prouvais
-est au-dessus de toute expression, et il ne m'est pas plus possible de
-la rendre que de l'oublier. Je tombai la face contre terre, baign de
-larmes, touff de sanglots, jetant des cris et des paroles
-entrecoupes. Je sentais mon coeur soulag et dilat, mais en mme temps
-comme prt se fendre. Assailli d'une foule d'ides et de sentiments,
-je pleurai assez longtemps, sans qu'il me reste d'ailleurs d'autre
-souvenir de cette situation, si ce n'est que c'est, sans aucune
-comparaison, ce que mon coeur a jamais senti de plus violent et de plus
-dlicieux; et que ces mots, _Me voici, mon fils!_ ne cessaient de
-retentir dans mon me, et d'en branler puissamment toutes les
-facults.
-
-Que de grces caches renferme un livre dont un seul passage, aussi
-court que simple, a pu toucher de la sorte une me longtemps endurcie
-par l'orgueil philosophique! Qu'on ne s'y trompe pas cependant: pour
-produire ces vives et soudaines impressions, et mme un effet vraiment
-salutaire, l'_Imitation_ demande un Coeur prpar. On peut, jusqu' un
-certain point, en sentir le charme, on peut l'admirer, sans qu'il
-rsulte de cette strile admiration aucun changement dans la volont ni
-dans la conduite. Rien n'est utile pour le salut que ce qui repose sur
-l'humilit. Si vous n'tes pas humble, ou si, au moins, vous ne dsirez
-pas le devenir, la parole de Dieu tombera sur votre me comme la rose
-sur un sable aride. Ne croire que soi et n'aimer que soi est le
-caractre de l'orgueil. Or, priv de foi et d'amour, de quel bien
-l'homme est-il capable? quoi lui peuvent servir les instructions les
-plus solides, les plus pressantes exhortations? Tout se perd dans le
-vide de son me, ou se brise contre sa duret. Humilions-nous, et la foi
-et l'amour nous seront donns: humilions-nous, et le salut sera le prix
-de la victoire que nous remporterons sur l'orgueil. Quand le Sauveur
-voulut montrer, pour ainsi dire, aux yeux de ses disciples la voie du
-Ciel, que fit-il? _Jsus appelant un petit enfant, le plaa au milieu
-d'eux, et dit: En vrit, je vous le dis, si vous ne vous convertissez
-et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le
-royaume des Cieux_[9].
-
- [9] Matth., XVIII, 2 et 3.
-
- * * * * *
-
-_P. S._ On a cru qu'il serait utile de placer la fin des chapitres de
-l'_Imitation_ quelques _Rflexions_ qui en fussent comme le rsum.
-Elles tiendront lieu des pratiques du P. GONNELIEU. Ces pratiques, qui
-furent crites dans un sicle o il y avait encore de la foi dans les
-coeurs et de la simplicit dans les esprits, semblent tre devenues
-insuffisantes dans des temps malheureux o le _raisonnement_ a tout
-attaqu et tout corrompu. On s'est nanmoins efforc d'atteindre, par
-des moyens diffrents, le mme but que s'tait propos ce pieux
-crivain, en fixant l'attention sur les principaux prceptes ou sur les
-plus importants conseils contenus dans chaque chapitre.
-
-Nous finirons par un mot sur les principales traductions, faites dans
-notre langue, du livre de l'_Imitation_.
-
-La plus ancienne de celles qui mritent d'tre cites a pour auteur le
-chancelier de Marillac, et fut publie en 1621. Cette traduction, qui se
-rapproche plus qu'aucune autre du texte original, a, dans son vieux
-langage, beaucoup de grce et de navet: il est remarquable qu'elle n'a
-t que rarement imite par les traducteurs qui sont venus aprs.
-
-En 1662 parut celle de M. Le Maistre de Saci: elle eut un grand succs.
-Toutefois ce n'est le plus souvent qu'une paraphrase lgante du texte.
-Le P. Lallemant, qui publia la sienne en 1740[10], et M. Beauze, dont
-la traduction fut imprime en 1788, vitrent ce dfaut, mais laissrent
-encore beaucoup dsirer. Beauze, correct, quelquefois mme lgant,
-manque de chaleur et d'onction; le P. Lallemant, avec plus de prcision
-que Saci et moins de scheresse que Beauze, est loin cependant d'avoir
-fidlement rendu le tour anim et plein de sentiment, l'expression
-souvent si hardie et si pittoresque de l'original. Du reste, l'un et
-l'autre s'emparrent, sans scrupule, de tout ce qu'ils jugrent bien
-traduit par leurs devanciers.
-
- [10] Il avait alors quatre-vingts ans.
-
-La traduction de Saci a t depuis revue et corrige par l'abb de La
-Hogue, qui l'a fort amliore, sans avoir cependant rien chang au
-systme de paraphrase adopt par ce traducteur.
-
-Il nous reste parler de la traduction qui, depuis un sicle, a t le
-plus souvent rimprime, et qui, sous le nom du P. Gonnelieu, auteur des
-pratiques et des prires dont elle est constamment accompagne, passe
-pour la plus parfaite de toutes. _Habent sua fata libelli_; ce singulier
-jugement que rpte, peu prs dans les mmes termes, chaque nouvel
-diteur de cette traduction, l'a rendue, en quelque sorte, l'objet d'un
-respect religieux, qu'il semble bien hardi de vouloir essayer de
-dtruire. La vrit est cependant que le P. Gonnelieu n'a jamais traduit
-l'_Imitation_; que cette traduction, depuis si longtemps honore d'une
-si grande faveur, est d'un libraire de Paris, nomm Jean Cusson, qui la
-fit paratre pour la premire fois en 1673; et que, bien qu'elle ait t
-retouche et corrige par J.-B. Cusson, son fils, qui la publia de
-nouveau en 1712[11], y joignant alors, pour la premire fois, les
-pratiques du P. Gonnelieu, elle n'est en effet qu'une continuelle et
-faible copie de celle de Saci, et, notre avis, la plus mdiocre de
-toutes les traductions que nous venons de citer[12].
-
- [11] Ces documents bibliographiques ont t puiss dans une
- dissertation trs-savante et trs-bien faite sur soixante
- traductions franaises de l'_Imitation_, publie en 1812 par M. A.
- A. Barbier, bibliothcaire du Roi.
-
- [12] Tous les traducteurs de l'_Imitation_ n'ont cess de se copier
- les uns les autres; et Saci est celui auquel on a le plus
- frquemment emprunt. (_Voy._ la dissertation dj cite.) Du reste,
- tel est le dsordre qui rgne dans les rimpressions continuelles
- que l'on fait de ce livre, que ces pratiques du P. Gonnelieu se
- trouvent, dans plusieurs ditions, la suite des traductions de
- Beauze, de Lallemant, etc.; et nanmoins, dans l'avertissement de
- l'diteur, c'est toujours _l'excellente traduction_ du P. Gonnelieu
- que l'on prsente aux lecteurs, cette traduction qui surpasse toutes
- les autres _pour la fidlit et l'onction_.
-
-Quoique M. Genoude, surtout dans les deux premiers livres, les ait
-quelquefois corriges heureusement, peut-tre laisse-t-il encore quelque
-chose dsirer. Il nous a paru du moins qu'on pouvait, en conservant ce
-qu'il y a de bon dans les traductions anciennes[13], essayer de
-reproduire plus fidlement quelques unes des beauts de l'_Imitation_.
-En ce genre de travail, venir le dernier est un avantage: heureux si
-nous avons su en profiter pour le bien des mes, et si nous pouvons
-ainsi avoir quelque petite part dans les fruits abondants que produit
-tous les jours ce saint livre!
-
- [13] Le P. Lallemant justifie cette manire de traduire l'_Imitation_
- par une rflexion pleine de sens: Il y a, dit-il la fin de sa
- prface, dans l'_Imitation_, un nombre d'expressions si simples,
- qu'il n'est pas possible de les rendre bien en deux faons. On ne
- doit donc pas tre surpris de trouver en cette traduction plusieurs
- versets exprims de la mme manire que dans les ditions
- prcdentes. Il ne serait point juste de vouloir obliger un auteur
- de traduire moins bien un texte, pour s'loigner de ceux qui ont
- saisi la seule bonne manire de le traduire.
-
-
-
-
-L'IMITATION
-
-DE
-
-JSUS-CHRIST.
-
-
-
-
-LIVRE PREMIER.
-
-AVIS UTILES POUR ENTRER DANS LA VIE INTRIEURE.
-
-
-
-
-CHAPITRE PREMIER.
-
-Qu'il faut imiter JSUS-CHRIST, et mpriser toutes les vanits du monde.
-
-
-1. _Celui qui me suit, ne marche point dans les tnbres_, dit le
-Seigneur[14]. Ce sont les paroles de Jsus-Christ, par lesquelles il
-nous exhorte imiter sa conduite et sa vie, si nous voulons tre
-vraiment clairs et dlivrs de tout aveuglement du coeur.
-
- [14] Joan., VIII, 12.
-
-Que notre principale tude soit donc de mditer la vie de Jsus-Christ.
-
-2. La doctrine de Jsus-Christ surpasse toute doctrine des Saints; et
-qui possderait son esprit, y trouverait la manne cache.
-
-Mais il arrive que plusieurs, force d'entendre l'vangile n'en sont
-que peu touchs, parce qu'ils n'ont point l'esprit de Jsus-Christ.
-
-Voulez-vous comprendre parfaitement et goter les paroles de
-Jsus-Christ: appliquez-vous conformer toute votre vie la sienne.
-
-3. Que vous sert de raisonner profondment sur la Trinit, si vous
-n'tes pas humbles, et que par l vous dplaisiez la Trinit?
-
-Certes les discours sublimes ne font pas l'homme juste et saint; mais
-une vie pure rend cher Dieu.
-
-J'aime mieux sentir la componction, que d'en savoir la dfinition.
-
-Quand vous sauriez toute la Bible et toutes les sentences des
-philosophes, que vous servirait tout cela, sans la grce et la charit?
-
-_Vanit des vanits, et tout n'est que vanit_[15], hors aimer Dieu, et
-le servir lui seul.
-
- [15] Eccl., I, 2.
-
-La souveraine sagesse est de tendre au royaume du Ciel par le mpris du
-monde.
-
-4. Vanit donc, d'amasser des richesses prissables, et d'esprer en
-elles.
-
-Vanit, d'aspirer aux honneurs, et de s'lever ce qu'il y a de plus
-haut.
-
-Vanit, de suivre les dsirs de la chair, et de rechercher ce dont il
-faudra bientt tre rigoureusement puni.
-
-Vanit, de souhaiter une longue vie, et de ne pas se soucier de bien
-vivre.
-
-Vanit, de ne penser qu' la vie prsente, et de ne pas prvoir ce qui
-la suivra.
-
-Vanit, de s'attacher ce qui passe si vite, et de ne se pas hter vers
-la joie qui ne finit point.
-
-5. Rappelez-vous souvent cette parole du Sage: _L'oeil n'est pas
-rassasi de ce qu'il voit, ni l'oreille remplie de ce qu'elle
-entend_[16].
-
- [16] Eccl., I, 8.
-
-Appliquez-vous donc dtacher votre coeur de l'amour des choses
-visibles, pour le porter tout entier vers les invisibles.
-
-Car ceux qui suivent l'attrait de leurs sens souillent leur me, et
-perdent la grce de Dieu.
-
-
-RFLEXION.
-
- Nous n'avons ici-bas qu'un intrt, celui de notre salut[17], et nul
- ne peut tre sauv qu'en Jsus-Christ et par Jsus-Christ[18]; la foi
- en sa parole, l'obissance ses commandements, l'imitation de ses
- vertus, voil la vie, il n'y en a point d'autre: tout le reste est
- vanit, et j'ai vu, dit le Sage, que _l'homme n'a rien de plus de tous
- les travaux dont il se consume sous le soleil_[19]: richesses,
- plaisirs, grandeurs, qu'est-ce que cela, lorsqu'on jette le corps dans
- la fosse, et que l'me s'en va dans son ternit? Pensez-y ds
- aujourd'hui, ds ce moment mme, car, demain peut-tre, il ne sera
- plus temps. Travaillez pendant que le jour luit: htez-vous d'amasser
- un trsor qui ne prisse point[20]: _la nuit vient o l'on ne peut
- rien faire_[21]. De striles dsirs ne vous sauveront pas: ce sont des
- oeuvres que Dieu veut. Or donc, imitez Jsus, si vous voulez vivre
- ternellement avec Jsus.
-
- [17] Luc., X, 42.
-
- [18] Act., IV, 12.
-
- [19] Eccl., I, 3.
-
- [20] Matth., VI, 20.
-
- [21] Joan., IX, 4.
-
-
-
-
-CHAPITRE II.
-
-Avoir d'humbles sentiments de soi-mme.
-
-
-1. Tout homme dsire naturellement de savoir: mais la science sans la
-crainte de Dieu, que vaut-elle?
-
-Un humble paysan qui sert Dieu, est certainement fort au-dessus du
-philosophe superbe qui, se ngligeant lui-mme, considre le cours des
-astres.
-
-Celui qui se connat bien, se mprise, et ne se plat point aux louanges
-des hommes.
-
-Quand j'aurais toute la science du monde, si je n'ai pas la charit,
-quoi cela me servirait-il devant Dieu, qui me jugera sur mes oeuvres?
-
-2. Modrez le dsir trop vif de savoir; on ne trouvera l qu'une grande
-dissipation et une grande illusion.
-
-Les savants sont bien aises de paratre et de passer pour habiles.
-
-Il y a beaucoup de choses qu'il importe peu ou qu'il n'importe point
-l'me de connatre; et celui-l est bien insens qui s'occupe d'autre
-chose que de ce qui intresse son salut.
-
-La multitude des paroles ne rassasie point l'me; mais une vie sainte et
-une conscience pure donnent le repos du coeur et une grande confiance
-prs de Dieu.
-
-3. Plus et mieux vous savez, plus vous serez svrement jug, si vous
-n'en vivez pas plus saintement.
-
-Quelque art et quelque science que vous possdiez, n'en tirez donc point
-de vanit: craignez plutt cause des lumires qui vous ont t
-donnes.
-
-Si vous croyez beaucoup savoir, et savoir bien, souvenez-vous que c'est
-peu de chose prs de ce que vous ignorez.
-
-_Ne vous levez point en vous-mme_[22]: avouez plutt votre ignorance.
-
- [22] Rom., XI, 20.
-
-Comment pouvez-vous songer vous prfrer quelqu'un, tandis qu'il y
-en a tant de plus doctes que vous, et de plus instruits en la loi de
-Dieu?
-
-Voulez-vous apprendre et savoir quelque chose qui vous serve? Aimez
-vivre inconnu et n'tre compt pour rien.
-
-4. La science la plus haute et la plus utile est la connaissance exacte
-et le mpris de soi-mme.
-
-Ne rien s'attribuer et penser favorablement des autres, c'est une grande
-sagesse et une grande perfection.
-
-Quand vous verriez votre frre commettre ouvertement une faute, mme une
-faute trs-grave, ne pensez pas cependant tre meilleur que lui: car
-vous ignorez combien de temps vous persvrerez dans le bien.
-
-Nous sommes tous fragiles; mais croyez que personne n'est plus fragile
-que vous.
-
-
-RFLEXION.
-
- L'orgueil a perdu l'homme, l'humilit le relve et le rtablit en
- grce avec Dieu. Son mrite n'est pas dans ce qu'il sait, mais dans ce
- qu'il fait. La science sans les oeuvres ne le justifiera point au
- tribunal suprme; elle aggravera plutt son jugement. Ce n'est pas que
- la science n'ait ses avantages, puisqu'elle vient de Dieu: mais elle
- cache un grand pige et une grande tentation. _Elle enfle_, dit
- l'Aptre[23]; elle nourrit la superbe, elle inspire une secrte
- prfrence de soi, prfrence criminelle et folle en mme temps, car
- la science la plus tendue n'est qu'un autre genre d'ignorance, et la
- vraie perfection consiste uniquement dans les dispositions du coeur.
- N'oublions jamais que nous ne sommes rien, que nous ne possdons en
- propre que le pch, que la justice veut que nous nous abaissions
- au-dessous de toutes les cratures, et que, dans le royaume de
- Jsus-Christ, _les premiers seront les derniers, et les derniers
- seront les premiers_[24].
-
- [23] I Cor., VIII, 1.
-
- [24] Matth., XIX, 30.
-
-
-
-
-CHAPITRE III.
-
-De la Doctrine de vrit.
-
-
-1. Heureux celui que la vrit instruit elle-mme, non par des figures
-et des paroles qui passent, mais en se montrant telle qu'elle est.
-
-Notre raison et nos sens voient peu et nous trompent souvent.
-
- quoi servent ces disputes subtiles sur des choses caches et obscures,
-qu'au jugement de Dieu on ne vous reprochera point d'avoir ignores?
-
-C'est une grande folie de ngliger ce qui est utile et ncessaire, pour
-s'appliquer curieusement ce qui nuit. Nous avons des yeux, et nous ne
-voyons point.
-
-2. Que nous importe tout ce qu'on dit sur les genres et sur les espces?
-
-Celui qui parle le Verbe ternel est dlivr de bien des opinions.
-
-Tout vient de ce Verbe unique: de lui procde toute parole, _il en est
-le principe, et c'est lui qui parle en dedans de nous_[25].
-
- [25] Joan., VIII, 25.
-
-Sans lui nulle intelligence; sans lui nul jugement n'est droit.
-
-Celui pour qui une seule chose est tout, qui rappelle tout cette
-unique chose, et voit tout en elle, ne sera point branl, et son coeur
-demeurera dans la paix de Dieu.
-
- vrit, qui tes Dieu, faites que je sois un avec vous dans un amour
-ternel.
-
-Souvent j'prouve un grand ennui force de lire et d'entendre: en vous
-est tout ce que je dsire, tout ce que je veux.
-
-Que tous les docteurs se taisent: que toutes les cratures soient dans
-le silence devant vous: parlez-moi vous seul.
-
-3. Plus un homme est recueilli en lui-mme, et dgag des choses
-extrieures, plus son esprit s'tend et s'lve sans aucun travail,
-parce qu'il reoit d'en haut la lumire de l'intelligence.
-
-Une me pure, simple, ferme dans le bien, n'est jamais dissipe au
-milieu mme des plus nombreuses occupations, parce qu'elle fait tout
-pour honorer Dieu, et que, tranquille en elle-mme, elle tche de ne se
-rechercher en rien.
-
-Qu'est-ce qui vous fatigue et vous trouble, si ce n'est les affections
-immortifies de votre coeur?
-
-4. L'homme bon et vraiment pieux dispose d'abord au dedans de lui tout
-ce qu'il doit faire au dehors: il ne se laisse point entraner, dans ses
-actions, au dsir d'une inclination vicieuse: mais il les soumet la
-rgle d'une droite raison.
-
-Qui a un plus rude combat soutenir que celui qui travaille se
-vaincre?
-
-C'est l ce qui devrait nous occuper uniquement: combattre contre
-nous-mmes, devenir chaque jour plus forts contre nous, chaque jour
-faire quelques progrs dans le bien.
-
-Toute perfection, dans cette vie, est mle de quelque imperfection; et
-nous ne voyons rien qu' travers une certaine obscurit.
-
-L'humble connaissance de vous-mme est une voie plus sre pour aller
-Dieu, que les recherches profondes de la science.
-
-Ce n'est pas qu'il faille blmer la science, ni la simple connaissance
-d'aucune chose: car elle est bonne en soi et dans l'ordre de Dieu;
-seulement on doit prfrer toujours une conscience pure et une vie
-sainte.
-
-Mais parce que plusieurs s'occupent davantage de savoir que de bien
-vivre, ils s'garent souvent, et ne retirent que peu ou point de fruit
-de leur travail.
-
-5. Oh! s'ils avaient autant d'ardeur pour extirper leurs vices et pour
-cultiver la vertu, que pour remuer de vaines questions, on ne verrait
-pas tant de maux et de scandales dans le peuple, ni tant de relchement
-dans les monastres.
-
-Certes, au jour du jugement on ne nous demandera point ce que nous avons
-lu, mais ce que nous avons fait; ni si nous avons bien parl, mais si
-nous avons bien vcu.
-
-Dites-moi o sont maintenant ces matres et ces docteurs que vous avez
-connus, lorsqu'ils vivaient encore, et qu'ils fleurissaient dans leur
-science?
-
-D'autres occupent prsent leurs places, et je ne sais s'ils pensent
-seulement eux.
-
-Ils semblaient, pendant leur vie, tre quelque chose, et maintenant on
-n'en parle plus.
-
-Oh! que la gloire du monde passe vite! Plt Dieu que leur vie et
-rpondu leur science! Ils auraient lu alors et tudi avec fruit.
-
-Qu'il y en a qui se perdent dans le sicle par une vaine science, et par
-l'oubli du service de Dieu!
-
-Et parce qu'ils aiment mieux tre grands que d'tre humbles, ils
-s'vanouissent dans leurs penses.
-
-Celui-l est vraiment grand, qui a une grande charit.
-
-Celui-l est vraiment grand, qui est petit ses propres yeux, et pour
-qui les honneurs du monde ne sont qu'un pur nant.
-
-Celui-l est vraiment sage, qui, _pour gagner Jsus-Christ, regarde
-comme de la boue toutes les choses de la terre_[26].
-
- [26] Philipp., III, 8.
-
-Celui-l possde la vraie science, qui fait la volont de Dieu, et
-renonce la sienne.
-
-
-RFLEXION.
-
- Il y a deux doctrines, mais il n'y a qu'une vrit. Il y a deux
- doctrines, l'une de Dieu, immuable comme lui; l'autre de l'homme,
- changeante comme lui. La sagesse incre, le Verbe divin rpand la
- premire dans les mes prpares la recevoir; et la lumire qu'elle
- leur communique est une partie de lui-mme, de la vrit substantielle
- et toujours vivante. Offerte tous, elle est donne avec plus
- d'abondance l'humble de coeur; et comme elle ne vient pas de lui,
- qu'elle peut chaque instant lui tre retire, qu'elle ne dpend en
- aucune faon de l'intelligence qu'elle claire, il la possde sans
- tre tent de vaine complaisance dans sa possession. La doctrine de
- l'homme, au contraire, flatte son orgueil, parce qu'il en est le pre.
- Cette ide m'appartient; j'ai dit cela le premier; on ne savait rien
- l-dessus avant moi. Esprit superbe, voil ton langage. Mais bientt
- on conteste cette puissante raison ce qui fait sa joie; on rit de
- ses ides fausses qu'elle a crues vraies, de ses dcouvertes
- imaginaires: le lendemain on n'y pense plus, et le temps emporte
- jusqu'au nom de l'insens qui ne vcut que pour tre immortel sur la
- terre. Jsus, daignez mettre en moi votre vrit sainte et qu'elle
- me prserve jamais des garements de mon propre esprit!
-
-
-
-
-CHAPITRE IV.
-
-De la Prvoyance dans les actions.
-
-
-1. Il ne faut pas croire toute parole, ni obir tout mouvement
-intrieur; mais peser chaque chose selon Dieu, avec prudence et avec une
-longue attention.
-
-Hlas! nous croyons et nous disons plus facilement des autres le mal que
-le bien, tant nous sommes faibles!
-
-Mais les parfaits n'ajoutent pas foi aisment tout ce qu'ils
-entendent, parce qu'ils connaissent l'infirmit de l'homme, enclin au
-mal et lger dans ses paroles.
-
-2. C'est une grande sagesse que de ne point agir avec prcipitation, et
-de ne pas s'attacher obstinment son propre sens.
-
-Il est encore de la sagesse de ne pas croire indistinctement tout ce que
-les hommes disent; et ce qu'on a entendu ou cru, de ne point aller
-aussitt le rapporter aux autres.
-
-Prenez conseil d'un homme sage et de conscience; et laissez-vous guider
-par un autre qui vaille mieux que vous, plutt que de suivre vos propres
-penses.
-
-Une bonne vie rend l'homme sage selon Dieu, et lui donne une grande
-exprience.
-
-Plus on sera humble et soumis Dieu, plus on aura de sagesse et de paix
-en toutes choses.
-
-
-RFLEXION.
-
- Dieu devant tre la dernire fin de nos actions comme de nos dsirs,
- il est ncessaire qu'en agissant, nous vitions de nous abandonner aux
- mouvements prcipits de la nature, dont le penchant est de tout
- rapporter soi. Et comme nul ne se connat lui-mme, et ne peut ds
- lors tre son propre guide, la sagesse veut que nous ne hasardions
- aucune dmarche de quelque importance avant d'avoir pris conseil, en
- esprit de soumission et d'humilit. Cette juste dfiance de soi
- prvient les chutes et purifie le coeur. _Le conseil vous gardera_,
- dit l'criture, _et vous retirera de la voie mauvaise_[27].
-
- [27] Prov., II, 11 et 12.
-
-
-
-
-CHAPITRE V.
-
-De la lecture de l'criture sainte.
-
-
-1. Il faut chercher la vrit dans l'criture sainte, et non
-l'loquence.
-
-Toute l'criture doit tre lue dans le mme esprit qui l'a dicte.
-
-Nous devons y chercher l'utilit, plutt que la dlicatesse du langage.
-
-Nous devons lire aussi volontiers les livres simples et pieux, que les
-livres profonds et sublimes.
-
-Ne vous prvenez point contre l'auteur; mais, sans vous inquiter s'il a
-peu ou beaucoup de science, que le pur amour de la vrit vous porte
-le lire.
-
-Considrez ce qu'on vous dit, sans rechercher qui le dit.
-
-2. _Les hommes passent; mais la vrit du Seigneur demeure
-ternellement_[28].
-
- [28] Ps. XXXVIII, 7; CVI, 2.
-
-Dieu nous parle en diverses manires, et par des personnes
-trs-diverses.
-
-Dans la lecture de l'criture sainte, souvent notre curiosit nous nuit,
-voulant examiner et comprendre, lorsqu'il faudrait passer simplement.
-
-Si vous voulez en retirer du fruit, lisez avec humilit, avec
-simplicit, avec foi; et ne cherchez jamais passer pour habile.
-
-Aimez interroger; coutez en silence les paroles des Saints, et ne
-mprisez point les sentences des vieillards; car elles ne sont pas
-profres en vain.
-
-
-RFLEXION.
-
- Qu'est-ce que la raison comprend? presque rien: mais la foi embrasse
- l'infini. Celui qui croit est donc bien au-dessus de celui qui
- raisonne, et la simplicit du coeur, bien prfrable la science qui
- nourrit l'orgueil. C'est le dsir de savoir qui perdit le premier
- homme: il cherchait la science, il trouva la mort. Dieu qui nous parle
- dans l'criture, n'a pas voulu satisfaire notre vaine curiosit, mais
- nous clairer sur nos devoirs, exercer notre foi, purifier et nourrir
- notre me par l'amour des vrais biens, qui sont tous renferms en lui.
- L'humilit d'esprit est donc la disposition la plus ncessaire pour
- lire avec fruit les livres saints, et c'est dj avoir profit
- beaucoup que de comprendre combien ils sont au-dessus de notre raison
- faible et borne.
-
-
-
-
-CHAPITRE VI.
-
-Des Affections drgles.
-
-
-1. Ds que l'homme commence dsirer quelque chose dsordonnment,
-aussitt il devient inquiet en lui-mme.
-
-Le superbe et l'avare n'ont jamais de repos; mais le pauvre et l'humble
-d'esprit vivent dans l'abondance de la paix.
-
-L'homme qui n'est pas encore parfaitement mort lui-mme, est bien vite
-tent; et il succombe dans les plus petites choses.
-
-Celui dont l'esprit est encore infirme, appesanti par la chair, et
-inclin vers les choses sensibles, a grande peine se dtacher
-entirement des dsirs terrestres.
-
-C'est pourquoi, lorsqu'il se refuse les satisfaire, souvent il prouve
-de la tristesse; et il est dispos l'impatience, quand on lui rsiste.
-
-2. Que s'il a obtenu ce qu'il convoitait, aussitt le remords de la
-conscience pse sur lui, parce qu'il a suivi sa passion, qui ne sert de
-rien pour la paix qu'il cherchait.
-
-C'est en rsistant aux passions, et non en leur cdant, qu'on trouve la
-vritable paix du coeur.
-
-Point de paix donc dans le coeur de l'homme charnel, de l'homme livr
-aux choses extrieures: la paix est le partage de l'homme fervent et
-spirituel.
-
-
-RFLEXION.
-
- Un joug pesant accable les enfants d'Adam[29], fatigus sans relche
- par les convoitises de la nature corrompue. Succombent-ils, la
- tristesse, le trouble, l'amertume, le remords, s'emparent aussitt de
- leur me. Superbe encore au fond de l'ignominie, inquiet et las de
- moi-mme, dit saint Augustin en racontant les dsordres de sa
- jeunesse, je m'en allais loin de vous, mon Dieu! travers des voies
- toutes semes de striles douleurs[30]. Il en cote plus l'homme de
- cder ses penchants, que de les vaincre; et si le combat contre les
- passions est dur, une paix ineffable en est le fruit. Appelons le
- Seigneur notre aide dans ce saint combat; n'en craignons point le
- travail, il sera court: aujourd'hui, demain; et puis le repos ternel!
-
- [29] Eccl., XL, 1.
-
- [30] Conf., lib. II, cap. II.
-
-
-
-
-CHAPITRE VII.
-
-Qu'il faut fuir l'orgueil et les vaines esprances.
-
-
-1. Insens celui qui met son esprance dans les hommes ou dans quelque
-crature que ce soit.
-
-N'ayez point de honte de servir les autres, et de paratre pauvre en ce
-monde, pour l'amour de Jsus-Christ.
-
-Ne vous appuyez point sur vous-mme, et ne vous reposez que sur Dieu
-seul.
-
-Faites ce qui est en vous, et Dieu secondera votre bonne volont.
-
-Ne vous confiez point en votre science, ni dans l'habilet d'aucune
-crature; mais plutt dans la grce de Dieu, qui aide les humbles et qui
-humilie les prsomptueux.
-
-2. Ne vous glorifiez point dans les richesses, si vous en avez, ni dans
-vos amis parce qu'ils sont puissants, mais en Dieu, qui donne tout, et
-qui, par-dessus tout, dsire encore se donner lui-mme.
-
-Ne vous levez point cause de la force ou de la beaut de votre corps,
-qu'une lgre infirmit abat et fltrit.
-
-N'ayez point de complaisance en vous-mme cause de votre esprit ou de
-votre habilet, de peur de dplaire Dieu, de qui vient tout ce que
-vous avez reu de bon de la nature.
-
-3. Ne vous estimez pas meilleur que les autres, de crainte que peut-tre
-vous ne soyez pire aux yeux de Dieu, qui sait ce qu'il y a dans l'homme.
-
-Ne vous enorgueillissez pas de vos bonnes oeuvres, car les jugements de
-Dieu sont autres que ceux des hommes, et ce qui plat aux hommes,
-souvent lui dplat.
-
-S'il y a quelque bien en vous, croyez qu'il y en a plus dans les autres,
-afin de conserver l'humilit.
-
-Vous ne hasardez rien vous mettre au-dessous de tous: mais il vous
-serait trs-nuisible de vous prfrer un seul.
-
-L'homme humble jouit d'une paix inaltrable; la colre et l'envie
-troublent le coeur du superbe.
-
-
-RFLEXION.
-
- En considrant la faiblesse de l'homme, la fragilit de sa vie, les
- souffrances dont il est assailli de toutes parts, les tnbres de sa
- raison, les incertitudes de sa volont _incline au mal ds
- l'enfance_[31], on s'tonne qu'un seul mouvement d'orgueil puisse
- s'lever dans une crature si misrable; et cependant l'orgueil est le
- fond mme de notre nature dgrade. Selon la pense d'un Pre, _il
- nous spare de la sagesse; il fait que nous voulons tre nous-mmes
- notre bien, comme Dieu lui-mme est son bien_[32]: tant il y a de
- folie dans le crime! C'est alors que l'homme se recherche et s'admire
- dans tout ce qui le distingue des autres et l'agrandit ses propres
- yeux, dans les avantages du corps, de l'esprit, de la naissance, de la
- fortune, de la grce mme, abusant ainsi la fois des dons du
- crateur et du rdempteur. Oh! que ce dsordre est effrayant et
- combien nous devons trembler lorsque nous dcouvrons en nous un
- sentiment de vaine complaisance, ou qu'il nous arrive de nous prfrer
- l'un de nos frres! Rappelons-nous souvent le pharisien de
- l'vangile, sa fausse pit, si contente d'elle-mme et si coupable
- devant Dieu, son mpris pour le publicain _qui s'en alla justifi_
- cause de l'humble aveu de sa misre, et disons au fond du coeur avec
- celui-ci: _Mon Dieu, ayez piti de moi_ pauvre pcheur[33]!
-
- [31] Gen., VIII, 21.
-
- [32] S. Aug. de lib. arbitr., lib. III, cap. XXIV.
-
- [33] Luc., XVIII, 13.
-
-
-
-
-CHAPITRE VIII.
-
-viter la trop grande familiarit.
-
-
-1. _N'ouvrez pas votre coeur tous indistinctement_[34]; mais confiez
-ce qui vous touche l'homme sage et craignant Dieu.
-
- [34] Eccl., VIII, 22.
-
-Ayez peu de commerce avec les jeunes gens et les personnes du monde.
-
-Ne flattez point les riches, et ne dsirez point de paratre devant les
-grands.
-
-Recherchez les humbles, les simples, les personnes de pit et de bonnes
-moeurs; et ne vous entretenez que de choses difiantes.
-
-N'ayez de familiarit avec aucune femme; mais recommandez Dieu toutes
-celles qui sont vertueuses.
-
-Ne souhaitez d'tre familier qu'avec Dieu et les Anges, et vitez d'tre
-connu des hommes.
-
-2. Il faut avoir de la charit pour tout le monde; mais la familiarit
-ne convient point.
-
-Il arrive que, sans la connatre, on estime une personne sur sa bonne
-rputation: et en se montrant, elle dtruit l'opinion qu'on avait
-d'elle.
-
-Nous nous imaginons quelquefois plaire aux autres par nos assiduits; et
-c'est plutt alors que nous commenons leur dplaire par les dfauts
-qu'ils dcouvrent en nous.
-
-
-RFLEXION.
-
- Il faut se prter aux hommes, et ne se donner qu' Dieu. Un commerce
- trop troit avec la crature partage l'me et l'affaiblit: elle doit
- vivre plus haut. _Notre conversation est dans le ciel_, dit
- l'Aptre[35].
-
- [35] Philipp., III, 20.
-
-
-
-
-CHAPITRE IX.
-
-De l'obissance et du renoncement son propre sens.
-
-
-1. C'est quelque chose de bien grand que de vivre sous un suprieur,
-dans l'obissance, et de ne pas dpendre de soi-mme.
-
-Il est beaucoup plus sr d'obir que de commander.
-
-Quelques-uns obissent plutt par ncessit que par amour; et ceux-l,
-toujours souffrants, sont ports au murmure. Jamais ils ne possderont
-la libert d'esprit, moins qu'ils ne se soumettent de tout leur coeur,
- cause de Dieu.
-
-Allez o vous voudrez, vous ne trouverez de repos que dans une humble
-soumission la conduite d'un suprieur. Plusieurs, s'imaginant qu'ils
-seraient meilleurs en d'autres lieux, ont t tromps par cette ide de
-changement.
-
-2. Il est vrai que chacun aime suivre son propre sens, et a plus
-d'inclination pour ceux qui pensent comme lui.
-
-Mais si Dieu est au milieu de nous, il est quelquefois ncessaire de
-renoncer notre sentiment pour le bien de la paix.
-
-Quel est l'homme si clair, qu'il sache tout parfaitement?
-
-Ne vous fiez donc pas trop votre sentiment; mais coutez aussi
-volontiers celui des autres.
-
-Si votre sentiment est bon, et qu' cause de Dieu vous l'abandonniez
-pour en suivre un autre, vous en retirerez plus d'avantage.
-
-3. J'ai souvent ou dire qu'il est plus sr d'couter et de recevoir un
-conseil, que de le donner.
-
-Car il peut arriver que le sentiment de chacun soit bon: mais ne vouloir
-pas cder aux autres, lorsque l'occasion ou la raison le demande, c'est
-la marque d'un esprit superbe et opinitre.
-
-
-RFLEXION.
-
- _Le Christ s'est rendu obissant jusqu' la mort, et la mort de la
- croix_[36]. Qui oserait aprs cela refuser d'obir? Nul ordre dans le
- monde, nulle vie que par l'obissance: elle est le lien des hommes
- entre eux et avec leur auteur, le fondement de la paix et le principe
- de l'harmonie universelle. La famille, la cit, l'glise ou la grande
- socit des intelligences, ne subsistent que par elle, et la
- perfection la plus haute n'est, pour les cratures, qu'une plus
- parfaite obissance, elle seule nous garantit de l'erreur et du pch.
- Qu'est-ce que l'erreur? la pense d'un esprit faillible, qui ne
- reconnat point de matre et n'obit qu' soi. Qu'est-ce que le pch?
- l'acte d'une volont corrompue, qui ne reconnat point de matre et
- n'obit qu' soi. Mais qui devrons-nous obir? un homme comme
- nous? Non, non, l'homme n'a sur l'homme aucun lgitime empire; son
- pouvoir n'est que la force, et quand il commande en son propre nom, il
- usurpe insolemment un droit qui ne lui appartient en aucune manire.
- Dieu est l'unique monarque, et toute autorit lgitime est un
- coulement, une participation de sa puissance ternelle, infinie.
- Ainsi, comme l'enseigne l'Aptre, _le pouvoir vient de Dieu_[37], et
- il est soumis une rgle divine, aussi bien dans l'ordre temporel que
- dans l'ordre religieux; de sorte qu'en obissant au pontife, au
- prince, au pre, quiconque est rellement _le ministre de Dieu pour
- le bien_[38], c'est Dieu seul qu'on obit. Heureux celui qui
- comprend cette cleste doctrine: dlivr de la servitude de l'erreur
- et des passions, de la servitude de l'homme, il jouit _de la vraie
- libert des enfants de Dieu_[39].
-
- [36] Philipp., II, 8.
-
- [37] Rom., XIII, 1.
-
- [38] _Ibid._
-
- [39] _Ibid._, VIII, 21.
-
-
-
-
-CHAPITRE X.
-
-Qu'il faut viter les entretiens inutiles.
-
-
-1. vitez, autant que vous pourrez, le tumulte du monde; car il y a du
-danger s'entretenir des choses du sicle, mme avec une intention
-pure.
-
-Bientt la vanit souille l'me, et la captive.
-
-Je voudrais souvent m'tre t, et ne m'tre point trouv avec des
-hommes.
-
-D'o vient que nous aimons tant parler et converser, lorsque si
-rarement il arrive que nous rentrions dans le silence avec une
-conscience qui ne soit pas blesse?
-
-C'est que nous cherchons dans ces entretiens une consolation mutuelle,
-et un soulagement pour notre coeur fatigu de penses diverses.
-
-Nous nous plaisons parler, occuper notre esprit de ce que nous
-aimons, de ce que nous souhaitons, de ce qui contrarie nos dsirs.
-
-2. Mais souvent, hlas! bien vainement: car cette consolation extrieure
-n'est pas un mdiocre obstacle la consolation que Dieu donne
-intrieurement.
-
-Il faut donc veiller et prier, afin que le temps ne se passe pas sans
-fruit.
-
-S'il est permis, s'il convient de parler, parlez de ce qui peut difier.
-
-La mauvaise habitude et le peu de soin de notre avancement, nous
-empchent d'observer notre langue.
-
-Cependant, de pieuses confrences sur les choses spirituelles, entre des
-personnes unies selon Dieu et animes d'un mme esprit, servent beaucoup
-au progrs dans la perfection.
-
-
-RFLEXION.
-
- Il est crit que nous rendrons compte, au jour du jugement, mme d'une
- parole oiseuse[40]. Ne nous tonnons pas de tant de rigueur: tout est
- srieux dans la vie humaine, dont chaque moment peut avoir de si
- formidables consquences. Ce temps que vous dissipez en des entretiens
- inutiles, vous tait donn pour gagner le ciel. Comparez la fin pour
- laquelle vous l'avez reu avec l'usage que vous en faites; et
- cependant que savez-vous s'il vous sera seulement accord une heure de
- plus?
-
- [40] Matth., XII, 36.
-
-
-
-
-CHAPITRE XI.
-
-Des moyens d'acqurir la paix intrieure, et du soin d'avancer dans la
-vertu.
-
-
-1. Nous pourrions jouir d'une grande paix, si nous voulions ne nous
-point occuper de ce que disent et de ce que font les autres, et de ce
-dont nous ne sommes point chargs.
-
-Comment peut-il tre longtemps en paix, celui qui s'embarrasse de soins
-trangers, qui cherche se rpandre au dehors, et ne se recueille que
-peu ou rarement en lui-mme?
-
-Heureux les simples, parce qu'ils possderont une grande paix!
-
-2. Comment quelques Saints se sont-ils levs un si haut degr de
-vertu et de contemplation?
-
-C'est qu'ils se sont efforcs de mourir tous les dsirs de la terre,
-et qu'ils ont pu ainsi s'unir Dieu par le fond le plus intime de leur
-coeur, et s'occuper librement d'eux-mmes.
-
-Pour nous, nous sommes trop nos passions, et trop inquiets de ce qui
-se passe.
-
-Rarement nous surmontons parfaitement un seul vice; nous n'avons point
-d'ardeur pour faire chaque jour quelque progrs, et ainsi nous restons
-tides et froids.
-
-3. Si nous tions tout fait morts nous-mmes, et moins proccups au
-dedans de nous, alors nous pourrions aussi goter les choses de Dieu, et
-acqurir quelque exprience de la cleste contemplation.
-
-Le plus grand, l'unique obstacle, c'est qu'asservis nos passions et
-nos convoitises, nous ne faisons aucun effort pour entrer dans la voie
-parfaite des Saints.
-
-Et, s'il arrive que nous prouvions quelque lgre adversit, nous nous
-laissons aussitt abattre, et nous recourons aux consolations humaines.
-
-4. Si, tels que des soldats gnreux, nous demeurions fermes dans le
-combat, nous verrions certainement le secours de Dieu descendre sur nous
-du Ciel.
-
-Car il est toujours prt aider ceux qui rsistent, et qui esprent en
-sa grce; et c'est lui qui nous donne des occasions de combattre, afin
-de nous rendre victorieux.
-
-Si nous plaons uniquement le progrs de la vie chrtienne dans les
-observances extrieures, notre dvotion sera de peu de dure.
-
-Mettons donc la cogne la racine de l'arbre, afin que, dgags des
-passions, nous possdions notre me en paix.
-
-5. Si nous dracinions chaque anne un seul vice, bientt nous serions
-parfaits.
-
-Mais nous sentons souvent au contraire que nous tions meilleurs, et que
-notre vie tait plus pure, lorsque nous quittmes le sicle, qu'aprs
-plusieurs annes de profession.
-
-Nous devrions crotre chaque jour en ferveur et en vertu, et maintenant
-on compte pour beaucoup d'avoir conserv une partie de sa ferveur.
-
-Si nous nous faisions d'abord un peu de violence, nous pourrions tout
-faire ensuite aisment et avec joie.
-
-6. Il est dur de renoncer ses habitudes; mais il est plus dur encore
-de courber sa propre volont.
-
-Cependant si vous ne savez pas vous vaincre en des choses lgres,
-comment remporterez-vous des victoires plus difficiles?
-
-Rsistez ds le commencement votre inclination: rompez sans aucun
-retard toute habitude mauvaise, de peur que peu peu elle ne vous
-engage dans de plus grandes difficults.
-
-Oh! si vous considriez quelle paix pour vous, quelle joie pour les
-autres, en vivant comme vous le devez, vous auriez, je crois, plus
-d'ardeur pour votre avancement spirituel.
-
-
-RFLEXION.
-
- _Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix, non comme le monde la
- donne_[41]. Quelle aimable douceur, quel touchant amour dans ces
- paroles de Jsus-Christ, et en mme temps quelle instruction profonde.
- Tous les hommes souhaitent la paix, mais il y a deux paix, la paix de
- Jsus-Christ et la paix du monde. Le monde dit l'ambitieux: Le dsir
- des grandeurs te trouble et t'agite, monte, lve-toi. Il dit
- l'avare: L'envie des richesses te dvore, amasse, amasse, sans
- t'arrter jamais. Il dit au mondain tourment de ses convoitises:
- Enivre-toi de tous les plaisirs. Il dit enfin chaque passion: Jouis
- et tu auras la paix. Promesse menteuse! Les soucis, la tristesse,
- l'inquitude, le dgot, les remords, voil la paix du monde. Jsus
- dit: Triomphez de vous-mme, combattez vos dsirs, domptez vos
- convoitises, brisez vos passions: et l'me docile ses commandements
- repose dans un calme ineffable. Les peines de la vie, les souffrances,
- les injustices, les perscutions, rien n'altre sa paix; et cette
- cleste paix, _qui surpasse tout sentiment_[42], l'accompagne au
- dernier passage, et la suit jusqu'au ciel o se consommera sa
- flicit.
-
- [41] Joan., XIV, 27.
-
- [42] Philipp., IV, 7.
-
-
-
-
-CHAPITRE XII.
-
-De l'avantage de l'adversit.
-
-
-1. Il nous est bon d'avoir quelquefois des peines et des traverses,
-parce que souvent elles rappellent l'homme son coeur, et lui font
-sentir qu'il est en exil, et qu'il ne doit mettre son esprance en
-aucune chose du monde.
-
-Il nous est bon de souffrir quelquefois des contradictions, et qu'on
-pense mal, ou peu favorablement de nous, quelque bonnes que soient nos
-actions et nos intentions. Souvent cela sert nous rendre humbles, et
-nous prmunir contre la vaine gloire.
-
-Car nous avons plus d'empressement chercher Dieu, qui voit le fond du
-coeur, quand les hommes au dehors nous rabaissent, et pensent mal de
-nous.
-
-2. C'est pourquoi l'homme devrait s'affermir tellement en Dieu, qu'il
-n'et pas besoin de chercher tant de consolations humaines.
-
-Lorsqu'avec une volont droite, l'homme est troubl, tent, afflig de
-mauvaises penses, il reconnat alors combien Dieu lui est ncessaire,
-et qu'il n'est capable d'aucun bien sans lui.
-
-Alors il s'attriste, il gmit, il prie, cause des maux qu'il souffre.
-
-Alors il s'ennuie de vivre plus longtemps, et il souhaite que la mort
-arrive, afin que, dlivr de ses liens, il soit avec Jsus-Christ.
-
-Alors aussi il comprend bien qu'une scurit parfaite, une pleine paix,
-ne sont point de ce monde.
-
-
-RFLEXION.
-
- C'est dans l'adversit que chacun de nous apprend connatre ce qu'il
- est rellement. _Celui qui n'a pas t prouv, que sait-il[43]?_
- L'homme qui tout prospre est expos un grand danger; il est bien
- craindre que son me s'assoupisse d'un sommeil pesant, et qu'
- l'heure du rveil on ne lui dise: _Souvenez-vous que vous avez reu
- vos biens sur la terre_[44]. Ici-bas les souffrances sont une grce de
- prdilection; elles nous exercent la vertu, elles nous fournissent
- de nouvelles occasions de mrite, et nous rendent conformes au Fils de
- Dieu, dont il est crit: _Il a fallu que le Christ souffrt, et qu'il
- entrt ainsi dans sa gloire_[45].
-
- [43] Eccl., XXXIV, 9.
-
- [44] Luc., XVI, 25.
-
- [45] Act., XVII, 3.
-
-
-
-
-CHAPITRE XIII.
-
-De la rsistance aux tentations.
-
-
-1. Tant que nous vivons ici-bas, nous ne pouvons tre exempts de
-tribulations et d'preuves.
-
-C'est pourquoi il est crit au livre de Job: _La tentation est la vie de
-l'homme sur la terre_[46].
-
- [46] Job, VII, 1.
-
-Chacun devrait donc tre toujours en garde contre les tentations qui
-l'assigent, et veiller et prier pour ne point laisser lieu aux
-surprises du dmon, qui ne dort jamais, et _qui tourne de tous cts,
-cherchant quelqu'un pour le dvorer_[47].
-
- [47] I. Pet.; Ps. V, 8.
-
-Il n'est point d'homme si parfait et si saint, qui n'ait quelquefois des
-tentations, et nous ne pouvons en tre entirement affranchis.
-
-2. Mais, quoique importunes et pnibles, elles ne laissent pas d'tre
-souvent trs-utiles l'homme, parce qu'elles l'humilient, le purifient
-et l'instruisent.
-
-Tous les Saints ont pass par beaucoup de tentations et de souffrances,
-et c'est par cette voie qu'ils ont avanc; mais ceux qui n'ont pu
-soutenir ces preuves, Dieu les a rprouvs, et ils ont dfailli dans la
-route du salut.
-
-Il n'y a point d'ordre si saint, ni de lieu si secret, o l'on ne trouve
-des peines et des tentations.
-
-3. L'homme, tant qu'il vit, n'est jamais entirement l'abri des
-tentations: car nous en portons le germe en nous, cause de la
-concupiscence dans laquelle nous sommes ns.
-
-L'une succde l'autre; et nous aurons toujours quelque chose
-souffrir, parce que nous avons perdu le bien et la flicit primitive.
-
-Plusieurs cherchent fuir pour n'tre point tents, et ils tombent dans
-des tentations plus dangereuses.
-
-Il ne suffit pas de fuir pour vaincre; mais la patience et la vritable
-humilit nous rendent plus forts que tous nos ennemis.
-
-4. Celui qui, sans arracher la racine du mal, vite seulement les
-occasions extrieures, avancera peu: au contraire les tentations
-reviennent lui plus promptement et plus violentes.
-
-Vous vaincrez plus srement peu peu et par une longue patience, aid
-du secours de Dieu, que par une rude et inquite opinitret.
-
-Prenez souvent conseil dans la tentation, et ne traitez point durement
-celui qui est tent; mais consolez-le comme vous voudriez qu'on vous
-consolt vous-mme.
-
-5. Le commencement de toutes les tentations est l'inconstance de
-l'esprit et le peu de confiance en Dieu.
-
-Car, comme un vaisseau sans gouvernail est pouss et l par les
-flots, ainsi l'homme faible et changeant qui abandonne ses rsolutions
-est agit par des tentations diverses.
-
-_Le feu prouve le fer_[48], et la tentation, l'homme juste.
-
- [48] Eccl., XXXI, 31.
-
-Nous ne savons souvent ce que nous pouvons: mais la tentation montre ce
-que nous sommes.
-
-Il faut veiller cependant, surtout au commencement de la tentation; car
-on triomphe beaucoup plus facilement de l'ennemi, si on ne le laisse
-point pntrer dans l'me, et si on le repousse l'instant mme o il
-se prsente pour entrer.
-
-C'est ce qui a fait dire un ancien: _Arrtez le mal ds son origine,
-le remde vient trop tard, quand le mal s'est accru par de longs
-dlais_[49].
-
- [49] Ovid.
-
-D'abord une simple pense s'offre l'esprit, puis une vive imagination;
-ensuite le plaisir, et le mouvement drgl, et le consentement. Ainsi
-peu peu l'ennemi envahit toute l'me, lorsqu'on ne lui rsiste pas ds
-le commencement.
-
-Plus on met de retard et de langueur le repousser, plus on s'affaiblit
-chaque jour, et plus l'ennemi devient fort contre nous.
-
-6. Plusieurs sont affligs de tentations plus violentes au commencement
-de leur conversion; d'autres la fin: il y en a qui souffrent presque
-toute leur vie.
-
-Quelques-uns sont tents assez lgrement, selon l'ordre de la sagesse
-et de la justice de Dieu, qui connat l'tat des hommes, pse leurs
-mrites, et dispose tout pour le salut de ses lus.
-
-7. C'est pourquoi, quand nous sommes tents, nous ne devons point perdre
-l'esprance, mais prier Dieu avec plus de ferveur, afin qu'il daigne
-nous secourir dans toutes nos tribulations; car, selon la parole de
-l'Aptre, _il nous fera tirer avantage de la tentation mme, de sorte
-que nous puissions la surmonter_[50].
-
- [50] I. Cor., X, 13.
-
-_Humilions donc nos mes sous la main de Dieu_[51], dans toutes nos
-tentations, dans toutes nos peines, parce qu'il sauvera et relvera les
-humbles d'esprit.
-
- [51] I. Pet.
-
-8. Dans les tentations et les traverses, on reconnat combien l'homme a
-fait de progrs. Le mrite est plus grand, et la vertu parat davantage.
-
-Il est peu difficile d'tre pieux et fervent, lorsque l'on n'prouve
-rien de pnible; mais celui qui se soutient avec patience au temps de
-l'adversit, donne l'espoir d'un grand avancement.
-
-Quelques-uns surmontent les grandes tentations et succombent tous les
-jours aux petites, afin qu'humilis d'tre si faibles dans les moindres
-occasions, ils ne prsument jamais d'eux-mmes dans les grandes.
-
-
-RFLEXION.
-
- Nul homme n'est exempt de tentations. Elles nous purifient, nous
- prouvent, nous instruisent, nous humilient. Ce n'est pas seulement
- par la fuite ou par une rsistance violente qu'on en triomphe, mais
- par une patience tranquille et un confiant abandon entre les mains de
- Dieu. Veillons cependant, selon le prcepte de Jsus-Christ, _Veillons
- et prions_[52]. On surmonte aisment la tentation naissante; mais si
- on la laisse crotre et se fortifier, on porte, en succombant, la
- peine de sa ngligence ou de sa prsomption. Voulez-vous rellement
- vaincre? Repoussez l'ennemi ds la premire attaque. Voulez-vous
- retirer du combat l'avantage en vue duquel Dieu permet que nous soyons
- tents? Reconnaissez votre misre, votre faiblesse, votre impuissance;
- et humiliez-vous de plus en plus. L'humilit est le fondement de notre
- sret, de notre paix et de toute perfection.
-
- [52] Marc., XIV, 38.
-
-
-
-
-CHAPITRE XIV.
-
-viter les jugements tmraires, et ne se point rechercher soi-mme.
-
-
-1. Tournez les yeux sur vous-mme, et gardez-vous de juger les actions
-des autres.
-
-En jugeant les autres, l'homme se fatigue vainement: il se trompe le
-plus souvent, et commet beaucoup de fautes; mais en s'examinant et se
-jugeant lui-mme, il travaille toujours avec fruit.
-
-D'ordinaire nous jugeons des choses selon l'inclination de notre coeur,
-car l'amour-propre altre aisment en nous la droiture du jugement.
-
-Si nous n'avions jamais en vue que Dieu seul, nous serions moins
-troubls quand on rsiste notre sentiment.
-
-2. Mais souvent il y a quelque chose hors de nous, ou de cach en nous,
-qui nous entrane.
-
-Plusieurs se recherchent secrtement eux-mmes dans ce qu'ils font, et
-ils l'ignorent.
-
-Ils semblent affermis dans la paix, lorsque tout va selon leurs dsirs;
-mais prouvent-ils des contradictions, aussitt ils s'meuvent, et
-tombent dans la tristesse.
-
-La diversit des opinions produit souvent des dissensions entre les
-amis, entre les citoyens, et mme entre les religieux et les personnes
-dvotes.
-
-3. On quitte difficilement une vieille habitude; et nul ne se laisse
-volontiers conduire au-del de ce qu'il voit.
-
-Si vous vous appuyez sur votre esprit et sur votre pntration, plus que
-sur la soumission dont Jsus-Christ nous a donn l'exemple, vous serez
-trs-peu et trs-tard clair dans la vie spirituelle: car Dieu veut que
-nous lui soyons parfaitement soumis, et que nous nous levions au-dessus
-de toute raison par un ardent amour.
-
-
-RFLEXION.
-
- Il y a en nous une secrte malice qui se complat dcouvrir les
- imperfections de nos frres: et voil pourquoi nous sommes si prompts
- les juger, oubliant qu' Dieu seul appartient le jugement des
- coeurs. Au lieu de scruter si curieusement la conscience d'autrui,
- descendons dans la ntre; nous y trouverons assez de motifs d'tre
- indulgents envers le prochain et de troubles pour nous-mme. Vous
- n'tes charg que de vous, vous ne rpondrez que de vous; _Ne jugez
- donc point, afin que vous ne soyez point jug_[53].
-
- [53] Matth., VII, 2.
-
-
-
-
-CHAPITRE XV.
-
-Des oeuvres de charit.
-
-
-1. Pour nulle chose au monde, ni pour l'amour d'aucun homme, on ne doit
-faire le moindre mal; on peut quelquefois cependant, pour rendre un
-service dans le besoin, diffrer une bonne oeuvre, ou lui en substituer
-une meilleure: car alors le bien n'est pas dtruit, mais il se change en
-un plus grand.
-
-Aucune oeuvre extrieure ne sert sans la charit; mais tout ce qui se
-fait par la charit, quelque petit et quelque vil qu'il soit, produit
-des fruits abondants.
-
-Car Dieu regarde moins l'action qu'au motif qui fait agir.
-
-2. Celui-l fait beaucoup, qui aime beaucoup.
-
-Celui-l fait beaucoup, qui fait bien ce qu'il fait; et il fait bien
-lorsqu'il subordonne sa volont l'utilit publique.
-
-Ce qu'on prend pour la charit, souvent n'est que la convoitise; car il
-est rare que l'inclination, la volont propre, l'espoir de la
-rcompense, ou la vue de quelque avantage particulier, n'influe pas sur
-nos actions.
-
-3. Celui qui possde la charit vritable et parfaite, ne se recherche
-en rien; mais son unique dsir est que la gloire de Dieu s'opre en
-toute chose.
-
-Il ne porte envie personne, parce qu'il ne souhaite aucune faveur
-particulire, ne met point sa joie en lui-mme, et que, ddaignant tous
-les autres biens, il ne cherche qu'en Dieu son bonheur.
-
-Il n'attribue jamais aucun bien la crature; il les rapporte tous
-Dieu de qui ils dcoulent comme de leur source, et dans la jouissance
-duquel tous les Saints se reposent jamais comme dans leur fin
-dernire.
-
-Oh! qui aurait une tincelle de la vraie charit, que toutes les choses
-de la terre lui paratraient vaines!
-
-
-RFLEXION.
-
- Presque toutes les actions des hommes partent d'un principe vici, de
- cette triple concupiscence dont parle saint Jean[54], et contre
- laquelle la vie chrtienne n'est qu'un perptuel combat. L'amour
- drgl de soi, si difficile vaincre entirement, corrompt trop
- souvent les oeuvres mmes en apparence les plus pures. Que de travaux,
- que d'aumnes, que de pnitences, dans lesquelles on se confie
- peut-tre, seront striles pour le ciel! Dieu ne se donne qu' ceux
- qui l'aiment; il est le prix de la charit, de cet amour innarrable,
- sans bornes et sans mesure, qui, tandis que tout le reste passe,
- demeure ternellement, dit saint Paul[55]. Amour, qui seul faites les
- saints, amour _qui tes Dieu mme_[56], pntrez, possdez,
- transformez en vous toutes les puissances de mon me, soyez ma vie,
- mon unique vie, et maintenant, et jamais dans les sicles des
- sicles. Ainsi soit-il!
-
- [54] I. Joan., II, 16.
-
- [55] I. Cor., XIII, 8.
-
- [56] I. Joan., IV, 16.
-
-
-
-
-CHAPITRE XVI.
-
-Qu'il faut supporter les dfauts d'autrui.
-
-
-1. Ce que l'homme ne peut corriger en soi ou dans les autres, il doit le
-supporter avec patience, jusqu' ce que Dieu en ordonne autrement.
-
-Songez qu'il est peut-tre mieux qu'il en soit ainsi, pour vous prouver
-par la patience, sans laquelle nos mrites sont peu de chose.
-
-Vous devez cependant prier Dieu de vous aider vaincre ces obstacles,
-ou les supporter avec douceur.
-
-2. Si quelqu'un, averti une ou deux fois, ne se rend point, ne contestez
-point avec lui, mais confiez tout Dieu, qui sait tirer le bien du mal,
-afin que sa volont s'accomplisse, et qu'il soit glorifi dans tous ses
-serviteurs.
-
-Appliquez-vous supporter patiemment les dfauts et les infirmits des
-autres, quelles qu'elles soient; parce qu'il y a aussi bien des choses
-en vous, que les autres ont supporter.
-
-Si vous ne pouvez vous rendre tel que vous voudriez, comment
-pourrez-vous faire que les autres soient selon votre gr?
-
-Nous aimons que les autres soient exempts de dfauts, et nous ne
-corrigeons point les ntres.
-
-3. Nous voulons qu'on reprenne les autres svrement, et nous ne voulons
-pas tre repris nous-mmes.
-
-Nous sommes choqus qu'on leur laisse une trop grande libert, et nous
-ne voulons pas qu'on nous refuse rien.
-
-Nous voulons qu'on les retienne par des rglements, et nous ne souffrons
-pas qu'on nous contraigne en la moindre chose.
-
-Par l on voit clairement combien il est rare que nous usions de la mme
-mesure pour nous et pour les autres.
-
-Si tous taient parfaits, qu'aurions-nous de leur part souffrir pour
-Dieu?
-
-4. Or Dieu l'a ainsi ordonn, afin que nous apprenions porter le
-fardeau les uns des autres: car chacun a son fardeau: personne n'est
-sans dfauts, nul ne se suffit soi-mme, nul n'est assez sage pour se
-conduire seul; mais il faut nous supporter, nous consoler, nous aider,
-nous instruire, nous avertir mutuellement.
-
-C'est dans l'adversit qu'on voit le mieux ce que chacun a de vertus.
-
-Car les occasions ne rendent pas l'homme fragile; mais elles montrent ce
-qu'il est.
-
-
-RFLEXION.
-
- Vous ne sauriez, dites-vous, supporter tels et tels dfauts; puissant
- motif de vous humilier! Car Dieu, qui est la perfection mme, les
- supporte, et de beaucoup plus grands. Ce qui vous rend si susceptible,
- ce n'est pas le zle du prochain, mais un amour-propre difficile,
- irritable, ombrageux. Tournez vos regards sur vous-mme, et voyez si
- vos frres n'ont rien souffrir de vous? La vraie pit est douce et
- patiente, parce qu'elle claire sur ce que l'on est. Celui qui se sent
- faible, et qui en gmit, ne se choque pas aisment des faiblesses des
- autres; il sait que nous avons tous besoin de support, d'indulgence et
- de misricorde; il excuse, il compatit, il pardonne, et conserve ainsi
- la paix au dedans de soi et au dehors la charit.
-
-
-
-
-CHAPITRE XVII.
-
-De la vie religieuse.
-
-
-1. Il faut que vous appreniez vous briser en beaucoup de choses, si
-vous voulez conserver la paix et la concorde avec les autres.
-
-Ce n'est pas peu de chose de vivre dans un monastre ou dans une
-congrgation, de n'y tre jamais une occasion de plainte, et d'y
-persvrer fidlement jusqu' la mort.
-
-Heureux celui qui, aprs une vie sainte, y a heureusement consomm sa
-course!
-
-Si vous voulez tre affermi et crotre dans la vertu, regardez-vous
-comme exil et comme tranger sur la terre.
-
-Il faut, pour l'amour de Jsus-Christ, devenir insens selon le monde,
-si vous voulez vivre en religieux.
-
-2. L'habit et la tonsure servent peu: c'est le changement des moeurs et
-la mortification entire des passions qui font le vrai religieux.
-
-Celui qui cherche autre chose que Dieu seul et le salut de son me, ne
-trouvera que tribulation et douleur.
-
-Celui-l ne saurait non plus demeurer longtemps en paix, qui ne
-s'efforce point d'tre le dernier de tous, et soumis tous.
-
-3. Vous tes venu pour servir, et non pour dominer: sachez que vous tes
-appel pour souffrir et pour travailler, et non pour discourir dans une
-vaine oisivet.
-
-Ici donc les hommes sont prouvs comme l'or dans la fournaise.
-
-Ici nul ne peut vivre, s'il ne veut s'humilier de tout son coeur cause
-de Dieu.
-
-
-RFLEXION.
-
- Qu'est-ce qu'un bon religieux? c'est un chrtien toujours occup de
- tendre la perfection. La vie religieuse n'est donc qu'une vie, pour
- ainsi dire, plus chrtienne; et l'abngation de soi-mme est l'abrg
- de tous les devoirs qu'elle impose. Or ces devoirs sont aussi les
- ntres, puisque ce n'est pas seulement quelques-uns, mais tous,
- que Jsus-Christ a dit: _Soyez parfaits comme votre Pre cleste est
- parfait_[57]. Pour remplir cette grande vocation, renonons
- nous-mmes; unissons-nous pleinement au sacrifice de notre divin chef;
- aimons surtout la dpendance, les humiliations, les mpris. Le salut
- est un difice qui ne s'lve que sur les ruines de l'orgueil.
-
- [57] Matth., V, 48.
-
-
-
-
-CHAPITRE XVIII.
-
-De l'exemple des Saints.
-
-
-1. Contemplez les exemples des saints Pres, en qui reluisait la vraie
-perfection de la vie religieuse, et vous verrez combien peu est ce que
-nous faisons, et presque rien.
-
-Hlas! qu'est-ce que notre vie compare la leur?
-
-Les Saints et les amis de Jsus-Christ ont servi Dieu dans la faim et
-dans la soif, dans le froid et dans la nudit, dans le travail et dans
-la fatigue, dans les veilles et dans les jenes, dans les prires et
-dans les saintes mditations, dans une infinit de perscutions et
-d'opprobres.
-
-2. Oh! que de pesantes tribulations ont souffertes les Aptres, les
-Martyrs, les Confesseurs, les Vierges, et tous ceux qui ont voulu suivre
-les traces de Jsus-Christ! _Ils ont ha leur me en ce monde, pour la
-possder dans l'ternit_[58].
-
- [58] Joan., XII, 25.
-
-Oh! quelle vie de renoncement et d'austrits, que celle des Saints dans
-le dsert! quelles longues et dures tentations ils ont essuyes! que de
-fois ils ont t tourments par l'ennemi! que de frquentes et ferventes
-prires ils ont offertes Dieu! Quelles rigoureuses abstinences ils ont
-pratiques! quel zle, quelle ardeur pour leur avancement spirituel!
-quelle forte guerre contre leurs passions! quelle intention pure et
-droite toujours dirige vers Dieu!
-
-Ils travaillaient pendant le jour, et passaient la nuit en prires; et
-mme, durant le travail, ils ne cessaient point de prier en esprit.
-
-3. Tout leur temps avait un emploi utile. Les heures qu'ils donnaient
-Dieu leur semblaient courtes, et ils trouvaient tant de douceur dans la
-contemplation, qu'ils en oubliaient les besoins du corps.
-
-Ils renonaient aux richesses, aux dignits, aux honneurs, leurs amis,
- leurs parents: ils ne voulaient rien du monde; ils prenaient peine
-ce qui tait ncessaire pour la vie; s'occuper du corps, mme dans la
-ncessit, leur tait une affliction.
-
-Ils taient pauvres des choses de la terre: mais ils taient riches en
-grces et en vertus.
-
-Au dehors tout leur manquait; mais Dieu les fortifiait au dedans par sa
-grce et par ses consolations.
-
-4. Ils taient trangers au monde, mais unis Dieu, et ses amis
-familiers.
-
-Ils se regardaient comme un pur nant, et le monde les mprisait; mais
-ils taient chris de Dieu, et prcieux devant lui.
-
-Ils vivaient dans une sincre humilit, dans une obissance simple, dans
-la charit, dans la patience, et devenaient ainsi chaque jour plus
-parfaits et plus agrables Dieu.
-
-Ils ont t donns en exemple tous ceux qui professent la vraie
-religion, et ils doivent nous exciter plus avancer dans la perfection,
-que la multitude des tides ne nous porte au relchement.
-
-5. Oh! quelle ferveur en tous les religieux au commencement de leur
-sainte institution! quelle ardeur pour la prire! quelle mulation de
-vertu! quelle svre discipline! que de soumission, que de respect ils
-montraient tous pour la rgle de leur fondateur!
-
-Ce qui nous reste d'eux atteste encore la saintet et la perfection de
-ces hommes qui, en combattant gnreusement, foulrent aux pieds le
-monde.
-
-Aujourd'hui on compte pour beaucoup qu'un religieux ne viole point sa
-rgle, et qu'il porte patiemment le joug dont il s'est charg.
-
- tideur! ngligence de notre tat qui a si vite teint parmi nous
-l'ancienne ferveur! Maintenant tout fatigue notre lchet, jusqu' nous
-rendre la vie ennuyeuse.
-
-Plt Dieu qu'aprs avoir vu tant d'exemples d'hommes vraiment pieux,
-vous ne laissiez pas entirement s'assoupir en vous le dsir d'avancer
-dans la vertu!
-
-
-RFLEXION.
-
- la vue des exemples admirables que nous ont laisss tant de
- disciples fervents de Jsus-Christ, rougissons de notre lchet, et
- animons-nous marcher courageusement sur leurs traces. Rptons
- souvent ces paroles d'un saint: _Quoi! je ne pourrai pas ce qu'ont pu
- tels et tels?_ Et ajoutons avec l'Aptre: _De moi-mme je ne peux
- rien; mais je puis tout en celui qui me fortifie_[59]. Toute notre
- force consiste sentir notre faiblesse et en connatre le remde
- qui est la grce du mdiateur.
-
- [59] Philipp., IV, 13.
-
-
-
-
-CHAPITRE XIX.
-
-Des exercices d'un bon religieux.
-
-
-1. La vie d'un vrai religieux doit tre pleine de toutes les vertus; de
-sorte qu'il soit tel intrieurement qu'il parat devant les hommes.
-
-Et certes il doit tre encore bien plus parfait au dedans qu'il ne le
-semble au dehors, parce que Dieu nous regarde, et que nous devons,
-partout o nous sommes, le rvrer profondment, et marcher en sa
-prsence purs comme les Anges.
-
-Nous devons chaque jour renouveler notre rsolution, nous exciter la
-ferveur, comme si notre conversion commenait aujourd'hui seulement, et
-dire:
-
-Aidez-moi, Seigneur, dans mes saintes rsolutions et dans votre service;
-donnez-moi de bien commencer maintenant, car ce que j'ai fait jusqu'ici
-n'est rien.
-
-2. La fermet de notre rsolution est la mesure de notre progrs; et une
-grande diligence est ncessaire celui qui veut avancer. Si celui qui
-forme les rsolutions les plus fortes se relche souvent, que sera-ce de
-celui qui n'en prend que rarement, ou n'en prend que de faibles?
-
-Toutefois nous abandonnons nos rsolutions de diverses manires, et la
-moindre omission dans nos exercices a presque toujours quelque suite
-fcheuse.
-
-Les justes, dans leurs rsolutions, comptent bien plus sur la grce de
-Dieu que sur leur propre sagesse; et quelque chose qu'ils entreprennent,
-c'est en lui seul qu'ils mettent leur confiance.
-
-_Car l'homme propose, mais Dieu dispose_[60], _et la voie de l'homme
-n'est pas en lui_[61].
-
- [60] Prov., XVI, 9.
-
- [61] Jr., X, 23.
-
-3. Si nous omettons quelquefois nos exercices ordinaires, par quelque
-motif pieux, ou pour l'utilit de nos frres, il nous sera facile
-ensuite de rparer cette omission.
-
-Mais si nous les abandonnons sans sujet, par ennui ou par ngligence,
-c'est une faute grave, et qui nous sera funeste.
-
-Faisons tous nos efforts, et nous tomberons encore aisment en beaucoup
-de fautes.
-
-On doit cependant toujours se proposer quelque chose de fixe, surtout
-l'gard de ce qui forme le plus grand obstacle notre avancement.
-
-Il faut examiner et rgler galement notre intrieur et notre extrieur,
-parce que l'un et l'autre servent nos progrs.
-
-4. Ne pouvez-vous continuellement vous recueillir, recueillez-vous au
-moins de temps en temps, au moins une fois le jour, le matin ou le soir.
-
-Le matin, formez vos rsolutions; le soir, examinez votre conduite, ce
-que vous avez t dans vos paroles, vos actions, vos penses: peut-tre
-en cela avez-vous souvent offens Dieu et le prochain.
-
-Tel qu'un soldat plein de courage, armez-vous contre les attaques du
-dmon.
-
-Rprimez l'intemprance, et vous rprimerez plus aisment tous les
-autres dsirs de la chair.
-
-Ne soyez jamais tout fait oisif; mais lisez, ou crivez, ou priez, ou
-mditez, ou travaillez quelque chose d'utile la communaut.
-
-Il ne faut cependant s'appliquer qu'avec discrtion aux exercices du
-corps, et ils ne conviennent pas galement tous.
-
-5. Ce qui sort des pratiques communes ne doit point paratre au dehors:
-il est plus sr de remplir en secret ses exercices particuliers.
-
-Prenez garde cependant de ngliger les exercices communs pour ceux de
-votre choix. Mais, aprs avoir accompli fidlement et pleinement les
-devoirs prescrits, s'il vous reste du temps, rendez-vous vous-mme,
-selon le mouvement de votre dvotion.
-
-Tous ne sauraient suivre les mmes exercices: l'un convient mieux
-celui-ci, l'autre celui-l.
-
-On aime mme les diversifier selon les temps; il y en a qu'on gote
-plus aux jours de ftes, et d'autres aux jours ordinaires.
-
-Les uns nous sont ncessaires au temps de la tentation, les autres au
-temps de la paix et du repos.
-
-Autres sont les penses qui nous plaisent dans la tristesse, ou quand
-nous prouvons de la joie en Dieu.
-
-6. Il faut, vers l'poque des grandes ftes, renouveler nos pieux
-exercices, et implorer avec plus de ferveur les suffrages des Saints.
-
-Proposons-nous de vivre d'une fte l'autre, comme si nous devions
-alors sortir de ce monde, et entrer dans l'ternelle fte.
-
-Et pour cela prparons-nous avec soin dans ces saints temps, par une vie
-plus fervente, par une plus svre observance des rgles, comme devant
-bientt recevoir de Dieu le prix de notre travail.
-
-7. Et si ce moment est diffr, croyons que nous ne sommes pas encore
-bien prpars, ni dignes de cette gloire immense qui nous sera
-dcouverte en son temps, et redoublons d'efforts pour nous mieux
-disposer ce passage.
-
-_Heureux le serviteur_, dit saint Luc, _que le Seigneur, quand il
-viendra, trouvera veillant. Je vous dis, en vrit, qu'il l'tablira sur
-tous ses biens_[62].
-
- [62] Luc., XII, 37.
-
-
-RFLEXION.
-
- _La vie de l'homme sur la terre est un combat perptuel_[63] contre le
- dmon, contre le monde et contre lui-mme. Les uns se retirent dans le
- clotre pour rsister plus aisment, les autres demeurent au milieu du
- sicle: mais tous ne peuvent vaincre que par l'exercice d'une
- continuelle vigilance. L'habitude du recueillement, l'amour de la
- retraite, une attention constante sur ses paroles, ses penses, ses
- sentiments, la fidlit aux plus lgers devoirs et aux plus humbles
- pratiques, prservent de grandes tentations, et attirent les grces du
- Ciel. _Celui qui nglige les petites choses, tombera peu peu_[64],
- dit l'Esprit saint.
-
- [63] Job, VII, 1.
-
- [64] Eccli., XIX, 1.
-
-
-
-
-CHAPITRE XX.
-
-De l'amour de la solitude et du silence.
-
-
-1. Cherchez un temps propre vous occuper de vous-mme; et pensez
-souvent aux bienfaits de Dieu.
-
-Laissez l ce qui ne sert qu' nourrir la curiosit. Lisez plutt ce qui
-touche le coeur, que qui amuse l'esprit.
-
-Retranchez les discours superflus, les courses inutiles; fermez
-l'oreille aux vains bruits du monde, et vous trouverez assez de loisir
-pour les saintes mditations.
-
-Les plus grands Saints vitaient, autant qu'il leur tait possible, le
-commerce des hommes, et prfraient vivre en secret avec Dieu.
-
-2. Un ancien a dit: _Toutes les fois que j'ai t dans la compagnie des
-hommes, j'en suis revenu moins homme que je n'tais_[65].
-
- [65] Senec., p. VII.
-
-C'est ce que nous prouvons souvent, lorsque nous nous livrons de
-longs entretiens.
-
-Il est plus ais de se taire que de ne point excder dans ses paroles.
-
-Il est plus ais de se tenir chez soi cach, que de se garder de
-soi-mme suffisamment au dehors.
-
-Celui donc qui aspire la vie intrieure et spirituelle doit se retirer
-de la foule avec Jsus.
-
-Nul ne se montre sans pril, s'il n'aime demeurer cach.
-
-Nul ne parle avec mesure, s'il ne se tait volontiers.
-
-Nul n'est en sret dans les premires places, s'il n'aime les
-dernires.
-
-Nul ne commande sans danger, s'il n'a pas appris bien obir.
-
-3. Nul ne se rjouit avec scurit, s'il ne possde en lui-mme le
-tmoignage d'une bonne conscience.
-
-Cependant la confiance des Saints a toujours t pleine de la crainte de
-Dieu: quel que ft l'clat de leurs vertus, quelque abondantes que
-fussent leurs grces, ils n'en taient ni moins humbles ni moins
-vigilants.
-
-L'assurance des mchants nat au contraire de l'orgueil et de la
-prsomption, et finit par l'aveuglement.
-
-Ne vous promettez point de sret en cette vie, quoique vous paraissiez
-tre un saint religieux ou un pieux solitaire.
-
-4. Souvent les meilleurs dans l'estime des hommes ont couru les plus
-grands dangers, cause de leur trop de confiance.
-
-Il est donc utile plusieurs de n'tre pas entirement dlivrs des
-tentations, et de souffrir des attaques frquentes; de peur que,
-tranquilles sur eux-mmes, ils ne s'lvent avec orgueil, ou qu'ils ne
-se livrent trop aux consolations du dehors.
-
-Oh! si l'on ne recherchait jamais les joies qui passent, si jamais l'on
-ne s'occupait du monde, qu'on possderait une conscience pure!
-
-Oh! qui retrancherait toute sollicitude vaine, ne pensant qu'au salut et
- Dieu, et plaant en lui toute son esprance, de quelle paix et de quel
-repos il jouirait!
-
-5. Nul n'est digne des consolations clestes, s'il ne s'est exerc
-longtemps dans la sainte componction.
-
-Si vous dsirez la vraie componction du coeur, entrez dans votre
-cellule, et bannissez-en le bruit du monde, selon ce qui est crit:
-_Mme sur votre couche, que votre coeur soit plein de componction_[66].
-
- [66] Ps. IV, 5.
-
-Vous trouverez dans votre cellule ce que souvent vous perdrez au dehors.
-
-La cellule qu'on quitte peu devient douce; frquemment dlaisse, elle
-engendre l'ennui.
-
-Si, ds le premier moment o vous sortez du sicle, vous tes fidle
-la garder, elle vous deviendra comme une amie chre, et sera votre
-consolation la plus douce.
-
-6. Dans le silence et le repos, l'me pieuse fait de grands progrs, et
-pntre ce qu'il y a de cach dans l'criture.
-
-L, elle trouve la source des larmes dont elle se lave et se purifie
-toutes les nuits; et elle s'unit d'autant plus familirement son
-Crateur, qu'elle vit plus loigne du tumulte du monde.
-
-Celui donc qui se spare de ses connaissances et de ses amis, Dieu
-s'approchera de lui avec les saints Anges.
-
-Il vaut mieux tre cach et prendre soin de son me, que de faire des
-miracles et de s'oublier soi-mme.
-
-Il est louable dans un religieux de sortir rarement, et de n'aimer ni
-voir les hommes ni tre vu d'eux.
-
-7. Pourquoi voulez-vous voir ce qu'il ne vous est point permis d'avoir?
-
-Le monde passe et sa concupiscence.
-
-Les dsirs des sens entranent et l; mais, l'heure passe, que
-rapportez-vous, qu'une conscience pesante et un coeur dissip?
-
-Parce qu'on est sorti dans la joie, souvent on revient dans la
-tristesse; et la veille joyeuse du soir attriste le matin.
-
-Ainsi toute joie des sens s'insinue avec douceur, mais la fin elle
-blesse et tue.
-
-8. Que pouvez-vous voir ailleurs que vous ne voyiez o vous tes? Voil
-le ciel, la terre, les lments: or, c'est d'eux que tout est fait.
-
-O que vous alliez, que verrez-vous qui soit stable sous le soleil?
-
-Vous croyez peut-tre vous rassasier; mais vous n'y parviendrez jamais.
-
-Quand vous verriez toutes choses la fois, que serait-ce qu'une vision
-vaine?
-
-Levez les veux en haut vers Dieu, et priez pour vos pchs et vos
-ngligences.
-
-Laissez aux hommes vains les choses vaines: pour vous, ne vous occupez
-que de ce que Dieu vous commande.
-
-Fermez sur vous votre porte, et appelez vous Jsus votre bien-aim.
-
-Demeurez avec lui dans votre cellule: car vous ne trouverez nulle part
-autant de paix.
-
-Si vous n'tiez pas sorti, et que vous n'eussiez pas entendu quelque
-bruit du monde, vous seriez demeur dans cette douce paix: mais parce
-que vous aimez entendre des choses nouvelles, il vous faut supporter
-ensuite le trouble du coeur.
-
-
-RFLEXION.
-
- Que cherchez-vous dans le monde? le bonheur? Il n'y est pas. coutez
- ce cri de dtresse, cette plainte lamentable qui s'lve de tous les
- points de la terre, et se prolonge de sicle en sicle. C'est la voix
- du monde. Qu'y cherchez-vous encore? Des lumires, des secours, des
- consolations, pour accomplir en paix votre plerinage? Le monde est
- livr l'esprit de tnbres[67], toutes les convoitises qu'il
- inspire, tous les crimes et tous les maux dont il est le principe;
- et c'est pourquoi le prophte s'criait: _Je me suis loign, j'ai
- fui, et j'ai demeur dans la solitude_[68]. L, dans le silence des
- cratures, Dieu parle au coeur, et sa parole est si merveilleuse, si
- douce et si ravissante, que l'me ne veut plus entendre que lui,
- jusqu'au jour o tous les voiles tant dchirs, elle le contemplera
- face face[69]. Le christianisme a peupl le dsert de ces mes
- choisies, qui, se drobant au monde, et foulant aux pieds ses
- plaisirs, ses honneurs, ses trsors, et la chair, et le sang, nous
- offrent, dans la puret de leur vie, une image de la vie des anges.
- Cependant les Chrtiens ne sont pas tous appels ce sublime tat de
- perfection; mais au milieu du bruit et du tumulte de la socit, tous
- doivent se crer, au fond de leur coeur, une solitude o ils puissent
- se retirer pour converser avec Jsus-Christ, et se recueillir en sa
- prsence. C'est ainsi que ramens des penses du temps la pense des
- choses ternelles, ils auront dgot celles qui passent, et seront
- dans le monde comme n'en tant pas: heureux tat o s'accomplit pour
- le fidle ce que dit l'Aptre: _notre vie est cache avec Jsus-Christ
- en Dieu_[70].
-
- [67] I. Joann., V, 19.
-
- [68] Ps. LIV, 8.
-
- [69] I. Cor., XIII, 12.
-
- [70] Coloss., III, 3.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXI.
-
-De la componction du coeur.
-
-
-1. Si vous voulez faire quelque progrs, conservez-vous dans la crainte
-de Dieu, et ne soyez point trop libre; mais soumettez vos sens une
-svre discipline, et ne vous livrez pas aux joies insenses.
-
-Disposez votre coeur la componction, et vous trouverez la vraie pit.
-
-La componction produit beaucoup de biens, qu'on perd bientt en
-s'abandonnant aux vains mouvements de son coeur.
-
-Chose trange, qu'un homme en cette vie puisse se reposer pleinement
-dans la joie, lorsqu'il considre son exil, et combien de prils est
-expose son me!
-
-2. cause de la lgret de notre coeur et de l'oubli de nos dfauts,
-nous ne sentons pas les maux de notre me, et souvent nous rions
-vainement quand nous devrions bien plutt pleurer.
-
-Il n'y a de vraie libert et de joie solide que dans la crainte de Dieu
-et la bonne conscience.
-
-Heureux qui peut loigner tout ce qui le distrait et l'arrte, pour se
-recueillir tout entier dans une sainte componction.
-
-Heureux qui rejette tout ce qui peut souiller sa conscience ou
-l'appesantir.
-
-Combattez gnreusement: on triomphe d'une habitude par une autre
-habitude.
-
-Si vous savez laisser l les hommes, ils vous laisseront bientt faire
-ce que vous voudrez.
-
-3. N'attirez pas vous les affaires d'autrui; et ne vous embarrassez
-point dans celles des grands.
-
-Que votre oeil soit ouvert sur vous d'abord; et avant de reprendre vos
-amis, ayez soin de vous reprendre vous-mme.
-
-Si vous n'avez point la faveur des hommes, ne vous en attristez point;
-mais que votre peine soit de ne pas vivre aussi bien et avec autant de
-vigilance que le devrait un serviteur de Dieu et un bon religieux.
-
-Il est souvent plus utile et plus sr de n'avoir pas beaucoup de
-consolations en cette vie, et surtout de consolations sensibles.
-
-Cependant si nous sommes privs des consolations divines, ou si nous ne
-les prouvons que rarement, la faute en est nous, parce que nous ne
-cherchons point la componction du coeur, et que nous ne rejetons pas
-entirement les vaines consolations du dehors.
-
-4. Reconnaissez que vous tes indigne des consolations clestes, et que
-vous mritez plutt de grandes tribulations.
-
-Quand l'homme est pntr d'une parfaite componction, le monde entier
-lui est alors amer et insupportable.
-
-Le juste trouve toujours assez de sujets de s'affliger et de pleurer.
-
-Car, en considrant, soit lui-mme, soit les autres, il sait que nul
-ici-bas n'est sans tribulation; et plus il se regarde attentivement,
-plus profonde est sa douleur.
-
-Le sujet d'une juste affliction et d'une grande tristesse intrieure, ce
-sont nos pchs et nos vices, dans lesquels nous sommes tellement
-ensevelis, que rarement pouvons-nous contempler les choses du ciel.
-
-5. Si vous pensiez plus souvent votre mort qu' la longueur de la vie,
-nul doute que vous n'auriez plus d'ardeur pour vous corriger.
-
-Et si vous rflchissiez srieusement aux peines de l'Enfer et du
-Purgatoire, je crois que vous supporteriez volontiers le travail et la
-douleur, et que vous ne redouteriez aucune austrit.
-
-Mais parce que ces vrits ne pntrent point jusqu'au coeur, et que
-nous aimons encore ce qui nous flatte, nous demeurons froids et
-ngligents.
-
-6. Souvent c'est langueur de l'me, si notre chair misrable se plaint
-si aisment.
-
-Priez donc humblement le Seigneur qu'il vous donne l'esprit de
-componction, et dites avec le Prophte: _Nourrissez-moi, Seigneur, du
-pain des larmes; abreuvez-moi du calice des pleurs_[71].
-
- [71] Ps. LXXIX, 6.
-
-
-RFLEXION.
-
- La douleur est le fond de la vie humaine. Souffrances du corps,
- maladies de l'me, inquitudes, afflictions, pch, tel est
- l'accablant fardeau qu'il nous faut porter, depuis notre naissance
- jusqu' la tombe; et cependant, force de travail, l'homme parvient
- dcouvrir, au milieu de ses misres, je ne sais quelles joies
- insenses dont il s'enivre avidement. Fuyons ces folles joies du
- monde: arrtons notre pense sur le chtiment qui les doit suivre, sur
- nos fautes si multiplies; et demandons Dieu avec la componction du
- coeur, ce repentir plein d'amour, ces heureuses larmes que Jsus a
- bnies par ces consolantes paroles: _Beaucoup de pchs vous sont
- remis, parce que vous avez beaucoup aim_[72].
-
-
- [72] Luc., VII, 47.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXII.
-
-De la considration de la misre humaine.
-
-
-1. En quelque lieu que vous soyez, de quelque ct que vous vous
-tourniez, vous serez misrable, si vous ne revenez vers Dieu.
-
-Pourquoi vous troubler de ce que rien n'arrive comme vous le dsirez et
-comme vous le voulez? qui est-ce que tout succde selon sa volont? Ni
- vous, ni moi, ni aucun homme sur la terre.
-
-Nul en ce moment, ft-il roi ou pape, n'est exempt d'angoisses et de
-tribulations.
-
-Qui donc a le meilleur sort? Celui, certes, qui sait souffrir quelque
-chose pour Dieu.
-
-2. Dans leur faiblesse et leur peu de lumires, plusieurs disent: Que
-cet homme a une heureuse vie! qu'il est riche, grand, puissant, lev!
-
-Mais considrez les biens du ciel, et vous verrez que tous ces biens du
-temps ne sont rien; que, toujours trs-incertains, ils sont plutt un
-poids qui fatigue, parce qu'on ne les possde jamais sans dfiance et
-sans crainte.
-
-Avoir en abondance les biens du temps, ce n'est pas l le bonheur de
-l'homme: la mdiocrit lui suffit.
-
-C'est vraiment une grande misre de vivre sur la terre.
-
-Plus un homme veut avancer dans les voies spirituelles, plus la vie
-prsente lui devient amre, parce qu'il sent mieux et voit plus
-clairement l'infirmit de la nature humaine et sa corruption.
-
-Manger, boire, veiller, dormir, se reposer, travailler, tre assujetti
-toutes les ncessits de la nature, c'est vraiment une grande misre et
-une grande affliction pour l'homme pieux qui voudrait tre dgag de ses
-liens terrestres, et dlivr de tout pch.
-
-3. Car l'homme intrieur est, en ce monde, trangement appesanti par les
-ncessits du corps.
-
-Et c'est pourquoi le Prophte demandait, avec d'ardentes prires, d'en
-tre affranchi, disant: _Seigneur, dlivrez-moi de mes ncessits_[73].
-
- [73] Ps. XXIV, 17.
-
-Malheur donc ceux qui ne connaissent point leur misre! et malheur
-encore plus ceux qui aiment cette misre et cette vie prissable!
-
-Car il y en a qui l'embrassent si avidement, qu'ayant peine le
-ncessaire en travaillant ou en mendiant, ils n'prouveraient aucun
-souci du royaume de Dieu, s'ils pouvaient toujours vivre ici-bas.
-
-4. coeurs insenss et infidles, si profondment enfoncs dans les
-choses de la terre, qu'ils ne gotent rien que ce qui est charnel!
-
-Les malheureux! ils sentiront douloureusement la fin combien tait
-vil, combien n'tait rien ce qu'ils ont aim.
-
-Mais les Saints de Dieu, tous les fidles amis de Jsus-Christ ont
-mpris ce qui flatte la chair et ce qui brille dans le temps; toute
-leur esprance, tous leurs dsirs aspiraient aux biens ternels.
-
-Tout leur coeur s'levait vers les biens invisibles et imprissables, de
-peur que l'amour des choses visibles ne les abaisst vers la terre.
-
-5. Ne perdez pas, mon frre, l'esprance d'avancer dans la vie
-spirituelle: vous en avez encore le temps.
-
-Pourquoi remettez-vous toujours au lendemain l'accomplissement de vos
-rsolutions? Levez-vous et commencez l'instant, et dites: Voici le
-temps d'agir, voici le temps de combattre, voici le temps de me
-corriger.
-
-Quand la vie vous est pesante et amre, c'est alors le temps de mditer.
-
-_Il faut passer par le feu et par l'eau, avant d'entrer dans le lieu de
-rafrachissement_[74].
-
- [74] Ps. LXV, 12.
-
-Si vous ne vous faites violence, vous ne vaincrez pas le vice.
-
-Tant que nous portons ce corps fragile, nous ne pouvons tre sans pch,
-ni sans ennui et sans douleur.
-
-Il nous serait doux de jouir d'un repos exempt de toute misre; mais en
-perdant l'innocence par le pch, nous avons aussi perdu la vraie
-flicit.
-
-Il faut donc persvrer dans la patience, et attendre la misricorde de
-Dieu, _jusqu' ce que l'iniquit passe_[75], _et que ce qui est mortel
-en vous soit absorb par la vie_[76].
-
- [75] Ps. LV, LVI, 2.
-
- [76] II. Cor., V, 4.
-
-6. Oh! quelle est grande la fragilit qui toujours incline l'homme au
-mal!
-
-Vous confessez aujourd'hui vos pchs, et vous y retombez le lendemain.
-
-Vous vous proposez d'tre sur vos gardes, et une heure aprs vous
-agissez comme si vous ne vous tiez rien propos.
-
-Nous avons donc grand sujet de nous humilier, et de ne nous jamais
-lever en nous-mme, tant si fragiles et si inconstants.
-
-Nous pouvons perdre en un moment, par notre ngligence, ce qu' peine
-avons-nous acquis par la grce, avec un long travail.
-
-7. Que sera-ce de nous la fin du jour, si nous sommes si lches ds le
-matin?
-
-Malheur nous, si nous voulons goter le repos, comme si dj nous
-tions en paix et en assurance, tandis qu'on ne dcouvre pas dans notre
-vie une seule trace de vraie saintet!
-
-Nous aurions bien besoin d'tre instruits encore, et forms de
-nouvelles moeurs comme des novices dociles, pour essayer du moins s'il y
-aurait en nous quelque esprance de changement, et d'un plus grand
-progrs dans la vertu.
-
-
-RFLEXION.
-
- _L'homme n de la femme vit peu de jours, et il est rassasi
- d'angoisses_[77]. Voil notre destine telle que le pch l'a faite.
- coutez les gmissements de l'humanit entire dont Job tait la
- figure: Prisse le jour o je suis n, et la nuit o il fut dit: Un
- homme a t conu! Pourquoi ne suis-je pas mort dans le sein de ma
- mre, ou n'ai-je pas pri en en sortant? Pourquoi m'a-t-elle reu sur
- ses genoux, et allait de ses mamelles? Maintenant je dormirais en
- silence, et je reposerais dans mon sommeil[78]. Mais dj sur cette
- grande misre se levait l'aurore d'une grande esprance. Je sais que
- mon Rdempteur est vivant, et que je serai de nouveau revtu de ma
- chair, et dans ma chair je verrai mon Dieu; je le verrai, et mes yeux
- le contempleront[79]. Ds lors tout change: ces douleurs, auparavant
- sans consolation, unies celles du Rdempteur, ne sont plus qu'une
- expiation ncessaire, une preuve de justice et de misricorde, une
- semence d'ternelles joies. Le Christ, en mourant, a ouvert le ciel
- l'homme dchu, qui, pour unique grce, demandait la terre un
- tombeau[80]. Et nous nous plaindrions des souffrances auxquelles Dieu
- rserve un tel prix! Et le murmure serait sur nos lvres, lorsque, par
- les tribulations, Jsus-Christ daigne nous associer aux mrites de son
- sacrifice! C'en est fait, Seigneur, je reconnais mon aveuglement, mon
- ingratitude, et je ne veux plus dsirer ici-bas que d'avoir part
- votre passion, afin de participer un jour votre gloire.
-
- [77] Job, XIV, 1.
-
- [78] _Ibid._, III, 3, 11-13.
-
- [79] _Ibid._, XIX, 25-27.
-
- [80] _Ibid._, III, 21, 22.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXIII.
-
-De la mditation de la mort.
-
-
-1. C'en sera fait de vous bien vite ici-bas: voyez donc en quel tat
-vous tes.
-
-L'homme est aujourd'hui, et demain il a disparu; et quand il n'est plus
-sous les yeux, il passe bien vite de l'esprit.
-
- stupidit et duret du coeur humain, qui ne pense qu'au prsent et ne
-prvoit pas l'avenir!
-
-Dans toutes vos actions, dans toutes vos penses, vous devriez tre tel
-que vous seriez s'il vous fallait mourir aujourd'hui.
-
-Si vous aviez une bonne conscience, vous craindriez peu la mort.
-
-Il vaudrait mieux viter le pch que fuir la mort.
-
-Si aujourd'hui vous n'tes pas prt, comment le serez-vous demain?
-
-Demain est un jour incertain: et que savez-vous si vous aurez un
-lendemain?
-
-2. Que sert de vivre longtemps, puisque nous nous corrigeons si peu?
-
-Ah! une longue vie ne corrige pas toujours; souvent plutt elle augmente
-nos crimes.
-
-Plt Dieu que nous eussions bien vcu dans ce monde un seul jour!
-
-Plusieurs comptent les annes de leur conversion; mais souvent qu'ils
-sont peu changs, et que ces annes ont t striles!
-
-S'il est terrible de mourir, peut-tre est-il plus dangereux de vivre si
-longtemps.
-
-Heureux celui qui l'heure de sa mort est toujours prsente, et qui se
-prpare chaque jour mourir!
-
-Si vous avez vu jamais un homme mourir, songez que vous aussi vous
-passerez par cette voie.
-
-3. Le matin, pensez que vous n'atteindrez pas le soir; le soir, n'osez
-pas vous promettre de voir le matin.
-
-Soyez donc toujours prt, et vivez de telle sorte que la mort ne vous
-surprenne jamais.
-
-Plusieurs sont enlevs par une mort soudaine et imprvue: _car le Fils
-de l'homme viendra l'heure qu'on n'y pense pas_[81].
-
- [81] Luc., XII, 40.
-
-Quand viendra cette dernire heure, vous commencerez juger tout
-autrement de votre vie passe, et vous gmirez amrement d'avoir t si
-ngligent et si lche.
-
-4. Qu'heureux et sage est celui qui s'efforce d'tre tel dans la vie
-qu'il souhaite d'tre trouv la mort!
-
-Car rien ne donnera une si grande confiance de mourir heureusement, que
-le parfait mpris du monde, le dsir ardent d'avancer dans la vertu,
-l'amour de la rgularit, le travail de la pnitence, l'abngation de
-soi-mme, et la constance souffrir toutes sortes d'adversits pour
-l'amour de Jsus-Christ.
-
-Vous pouvez faire beaucoup de bien, tandis que vous tes en sant: mais,
-malade, je ne sais ce que vous pourrez.
-
-Il en est peu que la maladie rende meilleurs, comme il en est peu qui se
-sanctifient par de frquents plerinages.
-
-5. Ne comptez point sur vos amis ni sur vos proches, et ne diffrez
-point votre salut dans l'avenir, car les hommes vous oublieront plus
-vite que vous ne pensez.
-
-Il vaut mieux y pourvoir de bonne heure et envoyer devant soi un peu de
-bien, que d'esprer dans le secours des autres.
-
-Si vous n'avez maintenant aucun souci de vous-mme, qui s'inquitera de
-vous dans l'avenir?
-
-Maintenant le temps est d'un grand prix. _Voici maintenant le temps
-propice, voici le jour du salut_[82].
-
- [82] II. Cor., VI, 2.
-
-Mais, douleur! que vous fassiez un si vain usage de ce qui pourrait
-vous servir mriter de vivre ternellement.
-
-6. Viendra le temps o vous dsirerez un seul jour, une seule heure,
-pour purifier votre me, et je ne sais si vous l'obtiendrez.
-
-Ah! mon frre, de quel pril, de quelle crainte terrible vous pourriez
-vous dlivrer, si vous tiez prsent toujours en crainte et en
-dfiance de la mort!
-
-tudiez-vous maintenant vivre de telle sorte qu' l'heure de la mort
-vous ayez plus sujet de vous rjouir que de craindre.
-
-Apprenez maintenant mourir au monde, afin de commencer alors vivre
-avec Jsus-Christ.
-
-Apprenez maintenant tout mpriser, afin de pouvoir alors aller
-librement Jsus-Christ.
-
-Chtiez maintenant votre corps par la pnitence, afin que vous puissiez
-alors avoir une solide confiance.
-
-7. Insenss, sur quoi vous promettez-vous de vivre longtemps, lorsque
-vous n'avez pas un seul jour d'assur?
-
-Combien ont t tromps et arrachs subitement de leurs corps!
-
-Combien de fois avez-vous ou dire: Cet homme a t tu d'un coup
-d'pe, celui-ci s'est noy, celui-l s'est bris en tombant d'un lieu
-lev; l'un a expir en mangeant, l'autre en jouant; l'un a pri par le
-feu, un autre par le fer, un autre par la peste, un autre par la main
-des voleurs.
-
-Et ainsi la fin de tous est la mort, et _la vie des hommes passe comme
-l'ombre_[83].
-
- [83] Job, XIV, 10. Ps. CXLIII, 4.
-
-8. Qui se souviendra de vous aprs votre mort, et qui priera pour vous?
-
-Faites, faites maintenant, mon cher frre, tout ce que vous pouvez, car
-vous ne savez pas quand vous mourrez, ni ce qui suivra pour vous la
-mort.
-
-Tandis que vous en avez le temps, amassez des richesses immortelles.
-
-Ne pensez qu' votre salut, ne vous occupez que des choses de Dieu.
-
-_Faites-vous maintenant des amis_, en honorant les Saints et en imitant
-leurs oeuvres, _afin qu'arriv au terme de cette vie, ils vous reoivent
-dans les tabernacles ternels_[84].
-
- [84] Luc., XVI, 9.
-
-9. Vivez sur la terre comme un voyageur et un tranger qui les choses
-du monde ne sont rien.
-
-Conservez voire coeur libre et toujours lev vers Dieu, parce que _vous
-n'avez point ici-bas de demeure permanente_[85].
-
- [85] Heb., XIII, 14.
-
-Que vos gmissements, vos larmes, vos prires, montent tous les jours
-vers le ciel, afin que votre me, aprs la mort, mrite de passer
-heureusement Dieu.
-
-
-RFLEXION.
-
- Approchez de cette fosse, regardez ces ossements blanchis et djoints:
- voil tout ce qui reste ici-bas d'un homme que vous avez connu
- peut-tre, et qui ne pensait pas plus la mort, il y a peu d'annes,
- que vous n'y pensez aujourd'hui. Ne fallait-il pas, en effet, qu'il
- songet d'abord sa fortune, celle des siens, l'tablissement de
- sa famille? aussi s'en est-il occup jusqu'au dernier moment. Eh bien!
- maintenant allez, entrez dans sa maison. Des hritiers indiffrents y
- jouissent des biens qu'il avait amasss, et travaillent eux-mmes en
- amasser de nouveaux: du reste nul souvenir du mort. Quelque chose de
- lui subsiste cependant, et la tombe ne le renferme pas tout entier. Il
- avait une me, une me rachete du sang de Jsus-Christ: o est-elle?
- l'instant o elle quitta le corps, sa demeure fut fixe, ou dans le
- ciel sans crainte dsormais, ou dans l'enfer sans esprance. Terrible,
- terrible alternative! Et prsent, plongez-vous dans les soins de la
- terre, diffrez votre conversion: dites encore, il sera temps demain.
- Insens! ce temps, dont tu abuses, creuse ta fosse, et demain ce sera
- l'ternit!
-
-
-
-
-CHAPITRE XXIV.
-
-Du jugement et des peines des pcheurs.
-
-
-1. En toutes choses regardez la fin, et reportez-vous au jour o vous
-serez l, debout devant le Juge svre, qui rien n'est cach, qu'on
-n'apaise point par des prsents, qui ne reoit point d'excuses; mais qui
-jugera selon la justice.
-
-Pcheur misrable et insens! que rpondrez-vous Dieu qui sait tous
-vos crimes, vous qui tremblez quelquefois l'aspect d'un homme irrit?
-
-Par quel trange oubli de vous-mme vous en allez-vous, sans rien
-prvoir, vers ce jour o nul ne pourra tre excus ni dfendu par un
-autre, mais o chacun sera pour soi un fardeau assez pesant?
-
-Maintenant votre travail produit son fruit; vos larmes sont agres, vos
-gmissements couts; votre douleur satisfait Dieu, et purifie votre
-me.
-
-2. Il a ici-bas un grand et salutaire purgatoire, l'homme patient qui,
-en butte aux outrages, s'afflige plus de la malice d'autrui que de sa
-propre injure; qui prie sincrement pour ceux qui le contristent, et
-leur pardonne du fond du coeur; qui, s'il a pein les autres, est
-toujours prt demander pardon; qui incline la compassion plus qu'
-la colre; qui se fait violence lui-mme, et s'efforce d'assujettir
-entirement la chair l'esprit.
-
-Il vaut mieux se purifier maintenant de ses pchs et retrancher ses
-vices, que d'attendre les expier en l'autre vie.
-
-Oh! combien nous nous trompons nous-mmes par l'amour dsordonn que
-nous avons pour notre chair!
-
-3. Que dvorera ce feu, sinon vos pchs?
-
-Plus vous vous pargnez vous-mme prsent, et plus vous flattez votre
-chair, plus ensuite votre chtiment sera terrible, et plus vous amassez
-pour le feu ternel.
-
-L'homme sera puni plus rigoureusement dans les choses o il a le plus
-pch.
-
-L, les paresseux seront percs par des aiguillons ardents, et les
-intemprants tourments par une faim et une soif extrmes.
-
-L, les voluptueux et les impudiques seront plongs dans une poix
-brlante et dans un soufre ftide; comme des chiens furieux, les envieux
-hurleront dans leur douleur.
-
-4. Chaque vice aura son tourment propre.
-
-L, les superbes seront remplis de confusion, et les avares rduits la
-plus misrable indigence.
-
-L, une heure sera plus terrible dans le supplice, que cent annes ici
-dans la plus dure pnitence.
-
-Ici, quelquefois le travail cesse, on se console avec ses amis: l, nul
-repos, nulle consolation pour les damns.
-
-Soyez donc maintenant plein d'apprhension et de douleur pour vos
-pchs, afin de partager, au jour du jugement, la scurit des
-bienheureux.
-
-_Car les justes alors s'lveront avec une grande assurance contre ceux
-qui les auront opprims et mpriss_[86].
-
- [86] Sap., V, 1.
-
-Alors se lvera, pour juger, celui qui se soumet aujourd'hui humblement
-aux jugements des hommes.
-
-Alors l'humble et le pauvre auront une grande confiance; et de tous
-cts l'pouvante environnera le superbe.
-
-5. Alors on verra qu'il fut sage en ce monde, celui qui apprit tre
-insens et mprisable pour Jsus-Christ.
-
-Alors on s'applaudira des tribulations souffertes avec patience, _et
-toute iniquit sera muette_[87].
-
- [87] Ps. CVI, 42.
-
-Alors tous les justes seront transports d'allgresse, et tous les
-impies consterns de douleur.
-
-Alors la chair afflige se rjouira plus que si elle avait toujours t
-nourrie dans les dlices.
-
-Alors les vtements pauvres resplendiront, et les habits somptueux
-perdront tout leur clat.
-
-Alors la plus pauvre petite demeure sera juge au-dessus du palais tout
-brillant d'or.
-
-Alors une patience constamment soutenue sera de plus de secours que
-toute la puissance du monde; et une obissance simple, leve plus haut
-que toute la prudence du sicle.
-
-6. Alors on trouvera plus de joie dans la puret d'une bonne conscience,
-que dans une docte philosophie.
-
-Alors le mpris des richesses aura plus de poids dans la balance, que
-tous les trsors de la terre.
-
-Alors le souvenir d'une pieuse prire vous sera de plus de consolation,
-que celui d'un repas splendide.
-
-Alors vous vous rjouirez plus du silence gard que des longs
-entretiens.
-
-Alors les oeuvres saintes l'emporteront sur les beaux discours.
-
-Alors vous prfrerez une vie de peine et de travail tous les plaisirs
-de la terre.
-
-Apprenez donc maintenant supporter quelques lgres souffrances, afin
-d'tre alors dlivr de souffrances plus grandes.
-
-prouvez ici d'abord ce que vous pourrez dans la suite.
-
-Si vous ne pouvez maintenant souffrir si peu de chose, comment
-supporterez-vous les tourments ternels?
-
-Si maintenant la moindre douleur vous cause tant d'impatience, que
-sera-ce donc alors des tortures de l'enfer!
-
-Il y a, n'en doutez point, deux joies qu'on ne peut runir; vous ne
-pouvez goter ici-bas les dlices du monde, et rgner ensuite avec
-Jsus-Christ.
-
-7. Si vous aviez vcu jusqu' ce jour dans les honneurs et les volupts,
-de quoi cela vous servirait-il, s'il vous fallait mourir l'instant?
-
-Donc tout est vanit, hors aimer Dieu et le servir lui seul.
-
-Car celui qui aime Dieu de tout son coeur, ne craint ni la mort, ni le
-supplice, ni le jugement, ni l'enfer, parce que l'amour parfait nous
-donne un sr accs prs de Dieu.
-
-Mais celui qui aime encore le pch, il n'est pas surprenant qu'il
-redoute la mort et le jugement.
-
-Cependant si l'amour ne vous loigne pas encore du mal, il est bon qu'au
-moins la crainte vous retienne.
-
-Celui qui est peu touch de la crainte de Dieu ne saurait longtemps
-persvrer dans le bien: mais il tombera bientt dans les piges du
-dmon.
-
-
-RFLEXION.
-
- _Dieu est patient_, dit saint Augustin, _parce qu'il est ternel_.
- Mais, aprs les jours de patience, viendra le jour de la justice; jour
- d'effroi, jour invitable; o toute chair comparatra devant le Roi de
- l'ternit, pour rendre compte de ses oeuvres et de ses penses mmes.
- Transportez-vous en esprit ce moment formidable: voil que la
- poussire des tombeaux s'meut, et de toutes parts la foule des morts
- accourt aux pieds du souverain juge. L, tous les secrets sont
- dvoils, la conscience n'a plus de tnbres, et chacun attend en
- silence le sort qui lui est destin pour toujours. Les deux cits se
- sparent; la grande sentence est prononce; elle ouvre le paradis aux
- justes, et tombe sur les pcheurs avec tout le poids d'une ternelle
- rprobation. Environn des anges fidles et de la troupe
- resplendissante des lus, Jsus-Christ remonte dans sa gloire: Satan
- saisit sa proie et l'entrane dans l'abme: tout est consomm
- jamais; il ne reste plus que les joies du ciel, et le dsespoir de
- l'enfer. Pendant que vous tes encore sur la terre, le choix entre ces
- demeures vous est laiss: choisissez donc, mais n'oubliez pas qu'il
- n'y a point de repentir de l'autre ct de la tombe.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXV.
-
-Qu'il faut travailler avec ferveur l'amendement de sa vie.
-
-
-1. Soyez vigilant et fervent dans le service de Dieu, et faites-vous
-souvent cette demande: Pourquoi es-tu venu ici, et pourquoi as-tu quitt
-le sicle?
-
-N'tait-ce pas afin de vivre pour Dieu, et devenir un homme spirituel?
-
-Embrasez-vous donc du dsir d'avancer, parce que vous recevrez bientt
-la rcompense de vos travaux, et qu'alors il n'y aura plus ni crainte ni
-douleur.
-
-Maintenant un peu de travail, et puis un grand repos: que dis-je? une
-joie ternelle!
-
-Si vous agissez constamment avec ardeur et fidlit, Dieu aussi sera
-sans doute fidle et magnifique dans ses rcompenses.
-
-Vous devez conserver une ferme esprance de parvenir la gloire; mais
-il ne faut pas vous livrer une scurit trop profonde, de peur de
-tomber dans le relchement ou dans la prsomption.
-
-2. Un nomme qui flottait souvent, plein d'anxits, entre la crainte et
-l'esprance, tant un jour accabl de tristesse, entra dans une glise,
-et, se prosternant devant un autel pour prier, il disait et redisait en
-lui-mme: Oh! si je savais que je dusse persvrer! Aussitt il entendit
-intrieurement cette divine rponse: Si vous le saviez, que
-voudriez-vous faire? Faites maintenant ce que vous feriez alors, et vous
-jouirez de la paix.
-
-Consol l'instant mme, et fortifi, il s'abandonna sans rserve la
-volont de Dieu, et ses agitations cessrent.
-
-Il ne voulut plus rechercher avec curiosit ce qui lui arriverait dans
-l'avenir; mais il s'appliqua uniquement connatre la volont de Dieu,
-et ce qui lui plat davantage, afin de commencer et d'achever tout ce
-qui est bien.
-
-3. _Esprez en Dieu,_ dit le Prophte, _et faites le bien: habitez en
-paix la terre, et vous serez nourri de ses richesses_[88],
-
- [88] Ps. XXXVI, 3.
-
-Une chose refroidit en quelques-uns l'ardeur d'avancer et de se
-corriger: la crainte des difficults, et le travail du combat.
-
-Eu effet, ceux-l devancent les autres dans la vertu, qui s'efforcent
-avec le plus de courage de se vaincre eux-mmes dans ce qui leur est le
-plus pnible et qui contrarie le plus leurs penchants.
-
-Car l'homme fait d'autant plus de progrs et mrite d'autant plus de
-grces, qu'il se surmonte lui-mme et se mortifie davantage.
-
-4. Il est vrai que tous n'ont pas galement combattre pour se vaincre
-et mourir eux-mmes.
-
-Cependant un homme anim d'un zle ardent avancera bien plus, mme avec
-de nombreuses passions, qu'un autre cet gard mieux dispos, mais
-tide pour la vertu.
-
-Deux choses aident surtout oprer un grand amendement: s'arracher avec
-violence ce que la nature dgrade convoite, et travailler ardemment
-acqurir la vertu dont on a le plus grand besoin.
-
-Attachez-vous aussi particulirement viter et vaincre les dfauts
-qui vous dplaisent le plus dans les autres.
-
-5. Profitez de tout pour votre avancement. Si vous voyez de bons
-exemples, ou si vous les entendez raconter, animez-vous les imiter.
-
-Que si vous apercevez quelque chose de rprhensible, prenez garde de
-commettre la mme faute; ou, si vous l'avez quelquefois commise, tchez
-de vous corriger promptement.
-
-Comme votre oeil observe les autres, les autres vous observent aussi.
-
-Qu'il est consolant et doux de voir des religieux zls, pieux,
-fervents, fidles observateurs de la rgle!
-
-Qu'il est triste, au contraire, et pnible d'en voir qui ne vivent pas
-dans l'ordre, et qui ne remplissent pas les engagements auxquels ils ont
-t appels!
-
-Qu'on se nuit soi-mme en ngligeant les devoirs de sa vocation, et en
-dtournant son coeur des choses dont on n'est point charg!
-
-6. Souvenez-vous de ce que vous avez promis, et que Jsus crucifi vous
-soit toujours prsent.
-
-Vous avez bien sujet de rougir, en considrant la vie de Jsus-Christ,
-d'avoir jusqu'ici fait si peu d'efforts pour y conformer la vtre,
-quoique vous soyez, depuis si longtemps, entr dans la voie de Dieu.
-
-Un religieux qui s'exerce mditer srieusement, et avec pit, la vie
-trs-sainte et la Passion du Sauveur, y trouvera en abondance tout ce
-qui lui est utile et ncessaire: et il n'a pas besoin de chercher hors
-de Jsus quelque chose de meilleur.
-
-Ah! si Jsus crucifi entrait dans notre coeur, que nous serions bientt
-suffisamment instruits!
-
-7. Un religieux fervent reoit bien ce qu'on lui commande, et s'y soumet
-sans peine.
-
-Un religieux tide et relch souffre tribulation sur tribulation, et ne
-trouve de tous cts que la gne, parce qu'il est priv des consolations
-intrieures, et qu'il lui est interdit d'en chercher au dehors.
-
-Un religieux qui s'affranchit de sa rgle est expos des chutes
-terribles.
-
-Celui qui cherche une vie moins contrainte et moins austre sera
-toujours dans l'angoisse: car toujours quelque chose lui dplaira.
-
-8. Comment font tant d'autres religieux qui observent, dans les
-clotres, une si troite discipline?
-
-Ils sortent rarement, ils vivent retirs, ils sont nourris
-trs-pauvrement et grossirement vtus; ils travaillent beaucoup,
-parlent peu, veillent longtemps, se lvent matin, font de longues
-prires, de frquentes lectures, et observent en tout une exacte
-discipline.
-
-Considrez les Chartreux, les religieux de Cteaux, et les autres
-religieux et religieuses de diffrents ordres, qui se lvent toutes les
-nuits pour chanter les louanges de Dieu.
-
-Il serait donc bien honteux que la paresse vous tnt encore loign d'un
-saint exercice, lorsque dj tant de religieux commencent clbrer le
-Seigneur.
-
-9. Oh! si vous n'aviez autre chose faire qu' louer de coeur et de
-bouche, perptuellement, le Seigneur notre Dieu! si jamais vous n'aviez
-besoin de manger, de boire, de dormir, et que vous puissiez ne pas
-interrompre un seul moment ces louanges ni les autres exercices
-spirituels! vous seriez alors beaucoup plus heureux qu' prsent,
-assujetti comme vous l'tes au corps et toutes ses ncessits.
-
-Plt Dieu que nous fussions affranchis de ces ncessits, et que nous
-n'eussions songer qu' la nourriture de notre me, que nous gotons,
-hlas! si rarement!
-
-10. Quand un homme en est venu ne chercher sa consolation dans aucune
-crature, c'est alors qu'il commence goter Dieu parfaitement, et
-qu'il est, quoi qu'il arrive, toujours satisfait.
-
-Alors il ne se rjouit d'aucune prosprit, et aucun revers ne le
-contriste; mais il s'abandonne tout entier, avec une pleine confiance,
-Dieu, qui lui est tout en toutes choses, pour qui rien ne prit, rien ne
-meurt, pour qui, au contraire, tout vit, et qui tout obit sans dlai.
-
-11. Souvenez-vous toujours que votre fin approche, et que le temps perdu
-ne revient point.
-
-Les vertus ne s'acquirent qu'avec beaucoup de soins et des efforts
-constants.
-
-Ds que vous commencerez tomber dans la tideur, vous tomberez dans le
-trouble.
-
-Mais si vous persvrez dans la ferveur, vous trouverez une grande paix,
-et vous sentirez votre travail plus lger, cause de la grce de Dieu,
-et de l'amour de la vertu.
-
-L'homme fervent et zl est prt tout.
-
-Il est plus pnible de rsister aux vices et aux passions, que de
-supporter les fatigues du corps.
-
-_Celui qui n'vite pas les petites fautes, tombera peu peu dans les
-grandes_[89].
-
- [89] Eccli., XIX, 1.
-
-Vous vous rjouirez toujours le soir, quand vous aurez employ le jour
-avec fruit.
-
-Veillez sur vous, excitez-vous, avertissez-vous; et quoi qu'il en soit
-des autres, ne vous ngligez pas vous-mme.
-
-Vous ne ferez de progrs qu'autant que vous vous ferez de violence.
-
-
-RFLEXION.
-
- tes-vous sincrement rsolu vous sauver? en avez-vous la volont
- ferme? Alors prparez-vous au travail, au combat; car le salut est
- ce prix: _La voie qui conduit la perte est large_: mais qu'troite,
- dit l'vangile, _est celle qui conduit la vie_[90]! Sans doute
- l'onction de la grce adoucit, pour le fidle, ce travail, ce combat;
- au milieu des fatigues et des souffrances, il jouit d'une paix cleste
- que le pcheur ne connat point. Cependant il a besoin de continuels
- efforts pour triompher de lui-mme, pour vaincre ses dsirs, ses
- passions, et le monde, _et le prince de ce monde_[91]. Qui a fait les
- saints, sinon cette lutte courageuse et persvrante? _Les uns ont t
- tourments, ne voulant pas racheter leur vie, afin d'en trouver une
- meilleure dans la rsurrection. Les autres ont souffert les moqueries,
- les fouets, les chanes et les prisons; ils ont t lapids, scis,
- prouvs_ en toute manire; _ils sont morts par le tranchant du
- glaive; vagabonds, couverts de peaux de brebis et de peaux de chvres,
- oppresss par le besoin, l'affliction, l'angoisse, ils ont err dans
- les dserts, et dans les montagnes, et dans les antres, et dans les
- cavernes de la terre; eux dont le monde n'tait pas digne. Envelopps
- donc d'une si grande nue de tmoins, dgageons-nous de tout ce qui
- nous appesantit, et du pch qui nous environne, et courons par la
- patience au combat qui nous est propos; les regards fixs sur Jsus,
- l'auteur et le consommateur de la foi, qui, en vue de la joie qui lui
- tait prpare, a souffert la croix, en mprisant l'ignominie; et
- maintenant il est assis la droite du trne de Dieu_[92].
-
- [90] Matth., VII, 13, 14.
-
- [91] Joann., XIV, 30.
-
- [92] Heb., XI, 35-38; XII, 1, 2.
-
-
-FIN DU PREMIER LIVRE.
-
-
-
-
-L'IMITATION
-
-DE
-
-JSUS-CHRIST.
-
-
-
-
-LIVRE DEUXIME.
-
-INSTRUCTION POUR AVANCER DANS LA VIE INTRIEURE.
-
-
-
-
-CHAPITRE PREMIER.
-
-De la conversation intrieure.
-
-
-1. _Le royaume de Dieu est au dedans de vous_[93], dit le Seigneur.
-
- [93] Luc., XVII, 21.
-
-Revenez Dieu de tout votre coeur, laissez l ce misrable monde, et
-votre me trouvera le repos.
-
-Apprenez mpriser les choses extrieures, et vous donner aux
-intrieures, et vous verrez le royaume de Dieu venir en vous.
-
-_Car le royaume de Dieu est paix et joie dans l'Esprit saint_[94]: ce
-qui n'est pas donn aux impies.
-
- [94] Rom., XIV, 17.
-
-Jsus-Christ viendra vous, et il vous remplira de ses consolations, si
-vous lui prparez au dedans de vous une demeure digne de lui.
-
-_Toute sa gloire_ et toute sa beaut _est intrieure_[95]; c'est dans le
-secret du coeur qu'il se plat.
-
- [95] Ps. XLIV, 14.
-
-Il visite souvent l'homme intrieur, et ses entretiens sont doux, ses
-consolations ravissantes; sa paix est inpuisable, et sa familiarit
-incomprhensible.
-
-2. me fidle, htez-vous donc de prparer votre coeur pour l'poux,
-afin qu'il daigne venir et habiter en vous.
-
-Car il a dit: _Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et nous
-viendrons lui, et nous ferons en lui notre demeure_[96]. Laissez donc
-Jsus entrer en vous, et n'y laissez entrer que lui.
-
- [96] Joann., XIV, 23.
-
-Lorsque vous possderez Jsus, vous serez riche, et lui seul vous
-suffit. Il veillera pour vous, il prendra de vous un soin fidle en
-toutes choses, de sorte que vous n'aurez plus besoin de rien attendre
-des hommes.
-
-Car les hommes changent vite, et vous manquent tout d'un coup; _mais
-Jsus-Christ demeure ternellement_[97]: inbranlable dans sa constance,
-il est prs de vous jusqu' la fin.
-
- [97] Joann., XII, 34.
-
-3. On ne doit gure compter sur un homme fragile et mortel, encore bien
-qu'il vous soit utile, et que vous soyez chers l'un l'autre; et il n'y
-a pas lieu de s'attrister beaucoup, si quelquefois il vous traverse et
-s'lve contre vous.
-
-Ceux qui sont aujourd'hui pour vous, pourront demain tre contre vous,
-et rciproquement: les hommes changent comme le vent.
-
-Mettez en Dieu toute votre confiance: qu'il soit votre crainte et votre
-amour: il rpondra pour vous, et il fera ce qui est le meilleur.
-
-_Vous n'avez point ici de demeure stable_[98]: en quelque lieu que vous
-soyez, vous tes tranger et voyageur; et vous n'aurez jamais de repos,
-que vous ne soyez uni intimement Jsus-Christ.
-
- [98] Heb., XIII, 14.
-
-4. Que cherchez-vous autour de vous? Ce n'est pas ici le lieu de votre
-repos.
-
-Votre demeure doit tre dans le ciel, et vous ne devez regarder toutes
-les choses de la terre que comme en passant.
-
-Tout passe: et vous passez avec tout le reste.
-
-Prenez garde de vous attacher quoi que ce soit, de peur d'en devenir
-l'esclave, et de vous perdre.
-
-Que sans cesse votre pense monte vers le Trs-Haut, et votre prire
-vers Jsus-Christ.
-
-Si vous ne savez pas encore vous lever aux contemplations clestes,
-reposez-vous dans la Passion du Sauveur, et aimez demeurer dans ses
-plaies sacres.
-
-Car si vous vous rfugiez avec amour dans ces plaies et ces prcieux
-stigmates, vous sentirez une grande force au temps de la tribulation;
-vous vous inquiterez peu du mpris des hommes, et vous supporterez
-aisment les paroles mdisantes.
-
-5. Jsus-Christ a t aussi mpris des hommes en ce monde, et, dans les
-plus extrmes angoisses, abandonn des siens, de ses amis, de ses
-proches, au milieu des opprobres.
-
-Jsus-Christ a voulu souffrir et tre mpris, et vous osez vous
-plaindre de quelque chose!
-
-Jsus-Christ a eu des ennemis et des dtracteurs, et vous voudriez
-n'avoir que des amis et des bienfaiteurs!
-
-Comment votre patience mritera-t-elle d'tre couronne, s'il ne vous
-arrive rien de pnible?
-
-Si vous ne voulez rien souffrir, comment serez-vous ami de Jsus-Christ?
-
-Souffrez avec Jsus-Christ et pour Jsus-Christ, si vous voulez rgner
-avec Jsus-Christ.
-
-6. Si une seule fois vous tiez entr bien avant dans le coeur de Jsus,
-et que vous eussiez ressenti quelque mouvement de son amour, que vous
-auriez peu de souci de ce qui peut ou vous contrarier ou vous plaire!
-Vous vous rjouiriez d'un outrage reu, parce que l'amour de Jsus
-apprend l'homme se mpriser lui-mme.
-
-Celui qui aime Jsus et la vrit, un homme vraiment intrieur, et
-dgag de toute affection drgle, peut librement s'approcher de Dieu,
-et, s'levant en esprit au-dessus de soi-mme, se reposer en lui par une
-jouissance anticipe.
-
-7. Celui qui estime les choses suivant ce qu'elles sont, et non d'aprs
-les discours et l'opinion des hommes, est vraiment sage; et c'est Dieu
-qui l'instruit plus que les hommes.
-
-Celui qui vit au dedans de lui-mme, et qui s'inquite peu des choses du
-dehors, tous les lieux lui sont bons, et tous les temps pour remplir ses
-pieux exercices.
-
-Un homme intrieur se recueille bien vite, parce qu'il ne se rpand
-jamais tout entier au dehors.
-
-Les travaux extrieurs, les occupations ncessaires en certains temps,
-ne le troublent point; mais il se prte aux choses, selon qu'elles
-arrivent.
-
-Celui qui a tabli l'ordre au dedans de soi, ne se tourmente gure de ce
-qu'il y a de bien ou de mal dans les autres.
-
-L'on n'a de distractions et d'obstacles qu'autant que l'on s'en cre
-soi-mme.
-
-8. Si vous tiez ce que vous devez tre, entirement libre et dtach,
-tout contribuerait votre bien et votre avancement.
-
-Mais beaucoup de choses vous dplaisent et souvent vous troublent, parce
-que vous n'tes pas encore tout fait mort vous-mme et spar des
-choses de la terre.
-
-Rien n'embarrasse et ne souille tant le coeur de l'homme que l'amour
-impur des cratures.
-
-Si vous rejetez les consolations du dehors, vous pourrez contempler les
-choses du ciel, et goter souvent les joies intrieures.
-
-
-RFLEXION.
-
- L'me chrtienne, dtache du monde, n'a qu'un dsir pour le temps
- comme pour l'ternit; d'tre unie Jsus, de cette union ineffable
- dont la divine peinture nous ravit dans le cantique mystrieux de
- l'amour. _Mon bien-aim est moi, et je suis lui; il repose entre
- les lis, jusqu' ce que l'aurore se lve, et que les ombres
- dclinent_[99]. Hlas! que cherchez-vous au dehors? Rentrez, rentrez
- en vous-mme, prparez au cleste poux une demeure digne de lui, et
- il viendra, et il s'y reposera; car ses dlices sont d'habiter dans le
- coeur qui l'appelle. Alors, seul avec Jsus, loin des bruits de la
- terre, dans le silence des cratures, il vous parlera, _comme un ami
- parle son ami_[100], et transport de l'entendre, vous ne voudrez
- plus jamais couter que lui.
-
- [99] Cant., II, 16, 17.
-
- [100] Exod., XXXIII, 11.
-
-
-
-
-CHAPITRE II.
-
-Qu'il faut s'abandonner Dieu en esprit d'humilit.
-
-
-1. Inquitez-vous peu de qui est pour vous ou contre vous; mais prenez
-soin que Dieu soit avec vous en tout ce que vous faites.
-
-Ayez la conscience pure, et Dieu prendra votre dfense.
-
-Toute la malice des hommes ne saurait nuire celui que Dieu veut
-protger.
-
-Si vous savez vous taire et souffrir, Dieu, sans doute, vous assistera.
-
-Il sait le temps et la manire de vous dlivrer; abandonnez-vous donc
-lui.
-
-C'est de Dieu que vient le secours, c'est lui qui dlivre de la
-confusion.
-
-Il est souvent trs-utile, pour nous retenir dans une plus grande
-humilit, que les autres soient instruits de nos dfauts, et qu'ils nous
-les reprochent.
-
-2. Quand un homme s'humilie de ses dfauts, il apaise aisment les
-autres, et se rconcilie sans peine ceux qui sont irrits contre lui.
-
-Dieu protge l'humble et le dlivre; il aime l'humble et le console; il
-s'incline vers l'humble et lui prodigue ses grces, et aprs
-l'abaissement, il l'lve dans la gloire.
-
-Il rvle l'humble ses secrets; il l'invite et l'attire doucement
-lui.
-
-Quelque affront qu'il reoive, l'humble vit encore en paix, parce qu'il
-s'appuie sur Dieu et non sur le monde.
-
-Ne pensez pas avoir fait de progrs, si vous ne vous croyez au-dessous
-de tous les autres.
-
-
-RFLEXION.
-
- Que vous importent les discours et les penses des hommes! Ce ne
- seront point eux qui vous jugeront. S'ils vous accusent tort, celui
- qui voit le fond des consciences vous a dj justifi. S'ils vous
- reprochent des fautes relles, n'tes-vous pas heureux d'tre averti,
- heureux de souffrir une humiliation salutaire? Ce qui vous trouble,
- c'est l'orgueil, qui ne saurait supporter d'tre repris. L'humble ne
- s'irrite point, ne s'meut point, lors mme que la passion le condamne
- injustement. Plein du sentiment de sa misre, on ne saurait jamais
- tant s'abaisser, qu'il ne s'abaisse dans son coeur encore davantage.
- Voulez-vous que rien n'altre le calme de votre me? abandonnez-vous
- Dieu en toutes choses; et dans les peines, les contrarits, les
- traverses, dites avec Jsus-Christ: _Oui, mon Pre, parce qu'il vous a
- plu ainsi_[101]!
-
- [101] Luc., X, 21.
-
-
-
-
-CHAPITRE III.
-
-De l'homme pacifique.
-
-
-1. Conservez-vous premirement dans la paix; et alors vous pourrez la
-donner aux autres.
-
-Le pacifique est plus utile que le savant.
-
-Un homme passionn change le bien en mal, et croit le mal aisment.
-L'homme paisible et bon ramne tout au bien.
-
-Celui qui est affermi dans la paix ne pense mal de personne; mais
-l'homme inquiet et mcontent est agit de divers soupons: il n'a jamais
-de repos, et n'en laisse point aux autres.
-
-Il dit souvent ce qu'il ne faudrait pas dire, et ne fait pas ce qu'il
-faudrait faire.
-
-Attentif au devoir des autres, il nglige ses propres devoirs.
-
-Ayez donc premirement du zle pour vous-mme, et vous pourrez ensuite
-avec justice l'tendre sur le prochain.
-
-2. Vous savez bien colorer et excuser vos fautes, et vous ne voulez pas
-recevoir les excuses des autres.
-
-Il serait plus juste de vous accuser vous-mme, et d'excuser votre
-frre.
-
-Si vous voulez qu'on vous supporte, supportez aussi les autres.
-
-Voyez combien vous tes loin encore de la vraie charit et de
-l'humilit, qui jamais ne s'irrite et ne s'indigne que contre elle-mme!
-
-Ce n'est pas une grande chose de bien vivre avec les hommes doux et
-bons, car cela plat naturellement tous; chacun aime son repos, et
-s'affectionne ceux qui partagent ses sentiments.
-
-Mais vivre en paix avec des hommes durs, pervers, sans rgle, ou qui
-nous contrarient, c'est une grande grce, une vertu courageuse et digne
-d'tre loue.
-
-3. Il y en a qui sont en paix avec eux-mmes et avec les autres.
-
-Et il y en a qui n'ont point la paix, et qui troublent celle d'autrui:
-ils sont charge aux autres et plus charge eux-mmes.
-
-Il y en a enfin qui se maintiennent dans la paix, et qui s'efforcent de
-la rendre aux autres.
-
-Au reste, toute notre paix, dans cette misrable vie, consiste plus dans
-une souffrance humble que dans l'exemption de la souffrance.
-
-Qui sait le mieux souffrir, possdera la plus grande paix. Celui-l est
-vainqueur de soi et matre du monde, ami de Jsus-Christ et hritier du
-ciel.
-
-
-RFLEXION.
-
- _Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appels enfants de
- Dieu_[102]. Comprenez la grandeur de ce nom et l'instruction profonde
- qu'il renferme. La paix, c'est l'ordre parfait; et le trouble, les
- dissensions, les discordes, la guerre, ne sont entrs dans le monde
- que par la violation de l'ordre ou par le pch. Ainsi point de paix
- o rgne le pch; point de paix dans l'homme dont les penses, les
- affections, les volonts ne sont pas en tout conformes l'ordre ou
- la vrit et la volont de Dieu; point de paix dans la socit dont
- les doctrines et les lois s'cartent de la loi et des doctrines
- rvles de Dieu: et quiconque, homme ou peuple, brise cette loi, nie
- ces doctrines, ne ft-ce qu'en un seul point, cet homme, ce peuple
- rebelle Dieu, subit l'instant le chtiment de son crime. Un
- malaise inconnu s'empare de lui: je ne sais quelle force dsordonne
- le pousse et le repousse en tous sens, et nulle part il ne trouve de
- repos: comme Can, aprs son meurtre, il a peur. Non, la paix n'est en
- effet que pour _les enfants de Dieu_: ils la gotent en eux-mmes, et
- la rpandent sur les autres; elle coule, pour ainsi dire, de leur
- coeur, comme ces fleurs qui arrosaient l'heureux sjour de notre
- premier pre, au temps de son innocence. Et quand viendra la dernire
- heure, ce sera encore la paix; car _le royaume de Dieu est justice et
- paix_[103]. Enfants de Dieu, _entrez dans le royaume qui vous a t
- prpar ds le commencement du monde_[104]!
-
- [102] Matth., V, 9.
-
- [103] Rom., XIV, 17.
-
- [104] Matth., XXV, 34.
-
-
-
-
-CHAPITRE IV.
-
-De la puret d'esprit, et de la droiture d'intention.
-
-
-1. L'homme s'lve au-dessus de la terre sur deux ailes, la simplicit
-et la puret.
-
-La simplicit doit tre dans l'intention, et la puret dans l'affection.
-
-La simplicit cherche Dieu; la puret le trouve et le gote.
-
-Nulle bonne oeuvre ne vous sera difficile, si vous tes libre au dedans
-de toute affection drgle.
-
-Si vous ne voulez que ce que Dieu veut, et ce qui est utile au prochain,
-vous jouirez de la libert intrieure.
-
-Si votre coeur tait droit, alors toute crature vous serait un miroir
-de vie et un livre rempli de saintes instructions.
-
-Il n'est point de crature si petite et si vile qui ne prsente quelque
-image de la bont de Dieu.
-
-2. Si vous aviez en vous assez d'innocence et de puret, vous verriez
-tout sans obstacle. Un coeur pur pntre le ciel et l'enfer.
-
-Chacun juge des choses du dehors selon ce qu'il est au dedans de
-lui-mme.
-
-S'il est quelque joie dans le monde, le coeur pur la possde.
-
-Et s'il y a des angoisses et des tribulations, avant tout elles sont
-connues de la mauvaise conscience.
-
-Comme le fer mis au feu perd sa rouille, et devient tout tincelant,
-ainsi celui qui se donne sans rserve Dieu, se dpouille de sa
-langueur et se change en un homme nouveau.
-
-3. Quand l'homme commence tomber dans la tideur, alors il craint le
-moindre travail, et reoit avidement les consolations du dehors.
-
-Mais quand il commence se vaincre parfaitement et marcher avec
-courage dans la voie de Dieu, alors il compte pour rien ce qui lui tait
-le plus pnible.
-
-
-RFLEXION.
-
- Quand Jsus-Christ voulut proposer un modle ses disciples, le
- choisit-il parmi les hommes distingus par leur science ou par la
- supriorit de leur esprit? Non; _il appela un petit enfant, le plaa
- au milieu d'eux, et dit: En vrit je vous le dis, si vous ne vous
- convertissez et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez
- point dans le royaume des cieux_[105]. Or, que voyons-nous dans
- l'enfance? la simplicit, la puret. Elle croit, elle aime, elle agit,
- sans aucun retour sur elle-mme, par un premier mouvement du coeur: et
- voil ce qui plat Dieu. Il ne demande ni de longues prires, ni
- d'loquents discours, ni des mditations profondes, mais une volont
- droite et un amour plein de candeur. N'avoir en tout de dsirs que les
- siens, s'oublier entirement soi-mme, se soumettre aux volonts de
- l'adorable Providence, sans chercher les scruter; quoi de plus pur
- que cet abandon, que cette simple obissance? Aussi la rcompense en
- sera-t-elle grande: _Heureux_, est-il dit, _ceux qui ont le coeur pur,
- parce qu'ils verront Dieu_[106].
-
- [105] Matth., XVIII, 2, 3.
-
- [106] Matth., V, 8.
-
-
-
-
-CHAPITRE V.
-
-De la considration de soi-mme.
-
-
-1. Nous ne devons pas trop compter sur nous-mmes, parce que souvent la
-grce et le jugement nous manquent.
-
-Nous n'avons en nous que peu de lumire, et ce peu il est ais de le
-perdre par ngligence.
-
-Souvent, nous ne nous apercevons pas combien nous sommes aveugles au
-dedans de nous.
-
- de mauvaises actions souvent nous donnons de pires excuses.
-
-Quelquefois nous sommes mus par la passion, et nous croyons que c'est
-par le zle.
-
-Nous relevons de petites fautes dans les autres, et nous nous en
-permettons de plus grandes.
-
-Nous sentons bien vite, et nous pensons ce que nous souffrons des
-autres; mais tout ce qu'ils ont souffrir de nous, nous n'y songeons
-point.
-
-Qui se jugerait quitablement soi-mme, sentirait qu'il n'a droit de
-juger personne svrement.
-
-2. L'homme intrieur prfre le soin de soi-mme tout autre soin; et
-lorsqu'on est attentif soi, on se tait aisment sur les autres.
-
-Vous ne serez jamais un homme intrieur et vraiment pieux, si vous ne
-gardez le silence sur ce qui vous est tranger, et si vous ne vous
-occupez principalement de vous-mme.
-
-Si vous n'avez que Dieu et vous-mme en vue, vous serez peu touch de ce
-que vous apercevrez au dehors.
-
-O tes-vous quand vous n'tes pas prsent vous-mme? Et que vous
-revient-il d'avoir tout parcouru, et de vous tre oubli?
-
-Si vous voulez possder la paix et tre vritablement uni Dieu, il
-faut laisser l tout le reste, et ne penser qu' vous seul.
-
-3. Vous ferez de grands progrs, si vous vous dgagez de tous les soins
-du temps.
-
-Vous serez au contraire fatigu bien vite, si vous comptez pour quelque
-chose ce qui n'est que de ce monde.
-
-Qu'il n'y ait rien de grand vos yeux, d'lev, de doux, d'aimable, que
-Dieu seul, ou ce qui vient de Dieu.
-
-Regardez comme une pure vanit toute consolation qui repose sur la
-crature.
-
-L'me qui aime Dieu mprise tout ce qui est au-dessous de Dieu.
-
-Dieu seul est ternel, immense, et remplissant tout, est la consolation
-de l'me, et la vraie joie du coeur.
-
-
-RFLEXION.
-
- Quand vous sauriez ce qu'il y a de bon et de mauvais dans chaque
- homme, sans en excepter un seul, quoi cela vous servirait-il, si
- vous vous ignorez vous-mme? On ne vous interrogera point, au dernier
- jour, sur la conscience d'autrui. Laissez donc l une sollicitude dont
- presque toujours l'orgueil et la malignit sont le principe, et
- occupez-vous d'un soin plus agrable Dieu et plus utile pour vous.
- La grande, la vraie science est de se connatre soi-mme: ce doit tre
- notre tude de tous les instants. Alors on apprend se mpriser,
- gmir sur la plaie de son coeur, sur l'amour-propre effrn qui nous
- domine, sur les secrtes convoitises qui nous tourmentent, et l'on
- s'crie comme l'Aptre: _Qui me dlivrera de ce corps de mort_[107]?
- Heureuse, heureuse dlivrance! mais que trouverons-nous aprs, si nous
- avons t fidles? Dieu, uniquement Dieu, et en lui toutes choses,
- toute consolation, tout bien. mon me! puisqu'il est ainsi, commence
- ds ce moment mme te dgager du poids qui t'affaisse, de la terre
- et des cratures, pour ne t'attacher qu' Dieu seul.
-
- [107] Rom., VII, 24.
-
-
-
-
-CHAPITRE VI.
-
-De la joie d'une bonne conscience.
-
-
-1. _La gloire de l'homme de bien est le tmoignage de sa
-conscience_[108].
-
- [108] II. Cor., I, 12.
-
-Ayez la conscience pure, et vous possderez toujours la joie.
-
-La bonne conscience peut supporter beaucoup de choses, et elle est
-pleine de joie dans les adversits.
-
-La mauvaise conscience est toujours inquite et trouble.
-
-Vous jouirez d'un repos ravissant, si votre coeur ne vous reproche rien.
-
-Ne vous rjouissez que d'avoir fait le bien.
-
-Les mchants n'ont jamais de vritable joie, ils ne possdent point la
-paix intrieure, _parce qu'il n'y a point de paix pour l'impie_[109],
-dit le Seigneur.
-
- [109] Is., LVII, 21.
-
-Et s'ils disent: _Nous sommes dans la paix, les maux ne viendront pas
-sur nous; et qui oserait nous nuire[110]?_ ne les croyez pas: car la
-colre de Dieu se lvera soudain, et leurs oeuvres seront rduites
-rien, et leurs penses priront.
-
- [110] Jer., V, 12.
-
-2. Se faire un sujet de gloire de la tribulation, n'est pas difficile
-celui qui aime: car se glorifier ainsi, c'est _se glorifier dans la
-Croix de Jsus-Christ_[111].
-
- [111] Rom., V, 3. Gal., VI, 14.
-
-La gloire que les hommes donnent et reoivent est courte.
-
-La tristesse accompagne toujours la gloire du monde.
-
-La gloire des bons est dans leur conscience, et non dans la bouche des
-hommes.
-
-L'allgresse des justes est de Dieu et en Dieu, et leur joie vient de la
-vrit.
-
-Celui qui dsire la gloire vritable et ternelle ddaigne la gloire du
-temps.
-
-Et celui qui recherche la gloire du temps, et ne la mprise pas de toute
-son me, montre qu'il aime peu la gloire ternelle.
-
-Il jouit d'une grande tranquillit de coeur, celui que n'meut ni la
-louange ni le blme.
-
-3. Il sera aisment en paix et content, celui dont la conscience est
-pure.
-
-Vous n'tes pas plus saint parce qu'on vous loue, ni plus imparfait
-parce qu'on vous blme.
-
-Vous tes ce que vous tes; et tout ce qu'on pourra dire ne vous fera
-pas plus grand que vous ne l'tes aux yeux de Dieu.
-
-Si vous considrez bien ce que vous tes en vous-mme, vous vous
-embarrasserez peu de ce que les hommes disent de vous.
-
-_L'homme voit le visage, mais Dieu voit le coeur_[112]. L'homme regarde
-les actions, mais Dieu pse l'intention.
-
- [112] I. Reg., XVI, 7.
-
-Faire toujours bien et s'estimer peu, c'est le signe d'une me humble.
-
-Ne vouloir de consolation d'aucune crature, c'est la marque d'une
-grande puret et d'une grande confiance intrieure.
-
-4. Quand on ne cherche au dehors aucun tmoignage en sa faveur, il est
-manifeste qu'on s'est entirement remis Dieu.
-
-_Car ce n'est pas celui qui se recommande lui-mme qui est approuv,_
-dit saint Paul, _mais celui que Dieu recommande_[113].
-
- [113] II. Cor., _X_, 18.
-
-Avoir toujours Dieu prsent au dedans de soi, et ne tenir rien au
-dehors, c'est l'tat de l'homme intrieur.
-
-
-RFLEXION.
-
- Nul repos pour celui qui ne le trouve pas en soi. Le coeur inquiet qui
- cherche au dehors dans les cratures la paix dont il est priv
- intrieurement, se fait une grande illusion; elle n'est pas l.
- Pourquoi vous tromper vous-mme? La mer souleve par les temptes
- n'est pas plus agite que le monde; et vous lui dites: Apaise mon
- trouble! il n'y a de calme que dans le sein de Dieu: il n'y a de joie
- que dans la conscience pure. Les plaisirs distraient, les passions
- enivrent un moment; mais ce moment pass, que reste-t-il? Et encore
- que d'ennui souvent et que d'amertume pendant sa dure! Vous
- reprsentez-vous, au contraire, une flicit comparable celle qui
- accompagne l'innocence; quelque chose qui, ds ici-bas, ressemble plus
- au ciel, que l'tat d'une me dtache de la terre, et tranquille sous
- la main de Dieu qu'elle possde dj par l'esprance et par l'amour?
- Eh bien donc, que cet tat devienne le vtre; _venez et gotez combien
- le Seigneur est doux_[114]; faites un effort, veuillez seulement:
- celui qui donne le bon vouloir, vous donnera aussi de l'accomplir.
-
- [114] Ps. XXXIII, 9.
-
-
-
-
-CHAPITRE VII.
-
-Qu'il faut aimer JSUS-CHRIST par-dessus toutes choses.
-
-
-1. Heureux celui qui comprend ce que c'est que d'aimer Jsus, et de se
-mpriser soi-mme cause de Jsus.
-
-Il faut que notre amour pour lui nous dtache de tout autre amour, parce
-que Jsus veut tre aim seul par-dessus toutes choses.
-
-L'amour de la crature est trompeur et passe bientt; l'amour de Jsus
-est stable et fidle.
-
-Celui qui s'attache la crature tombera comme elle et avec elle; celui
-qui s'attache Jsus sera pour jamais affermi.
-
-Aimez et conservez pour ami celui qui ne vous quittera point, alors que
-tous vous abandonneront, et qui, quand viendra votre fin, ne vous
-laissera point prir.
-
-Que vous le vouliez ou non, il vous faudra un jour tre spar de tout.
-
-2. Vivant et mourant, tenez-vous donc prs de Jsus, et confiez-vous
-la fidlit de celui qui seul peut vous secourir lorsque tout vous
-manquera.
-
-Tel est votre bien-aim, qu'il ne veut point de partage; il veut
-possder seul votre coeur, et y rgner comme un roi sur le trne qui est
- lui.
-
-Si vous saviez bannir de votre me toutes les cratures, Jsus se
-plairait demeurer en vous.
-
-Vous trouverez avoir perdu presque tout ce que vous aurez tabli sur les
-hommes et non sur Jsus.
-
-Ne vous appuyez point sur un roseau qu'agite le vent, et n'y mettez pas
-votre confiance, _car toute chair est comme l'herbe, et sa gloire passe
-comme la fleur des champs_[115].
-
- [115] Is., XL, 6.
-
-Vous serez tromp souvent, si vous jugez des hommes d'aprs ce qui
-parat au dehors; au lieu des avantages et du soulagement que vous
-cherchez en eux, vous n'prouverez presque toujours que du prjudice.
-
-Cherchez Jsus en tout, et en tout vous trouverez Jsus. Si vous vous
-cherchez vous-mme, vous vous trouverez aussi, mais pour votre perte.
-
-Car l'homme qui ne cherche pas Jsus, se nuit plus lui-mme que tous
-ses ennemis, et que le monde entier.
-
-
-RFLEXION.
-
- Entrans par le _charme de sentir_, ainsi que parle Bossuet, nous
- cherchons notre bien dans les cratures qui nous chappent et
- s'vanouissent comme des ombres. Nous voulons aimer et tre aims; et
- nous nous loignons de la source du vritable amour, de l'amour
- infini. Comprenons enfin combien il est insens d'attacher notre coeur
- ce qui passe, et combien sont vaines ces amitis de la terre, _qui
- s'en vont avec les annes et les intrts_. Aimons Jsus sans partage;
- aimons-le comme il nous aime et comme il veut tre aim. _La mesure de
- notre amour pour lui_, dit saint Bernard, _est de l'aimer sans
- mesure_. Malheur qui lui prfre quelque chose! ses dsirs sont sur
- la route du nant.
-
-
-
-
-CHAPITRE VIII.
-
-De la familiarit que l'amour tablit entre Jsus et l'me fidle.
-
-
-1. Quand Jsus est prsent, tout est doux et rien ne semble difficile;
-mais quand Jsus se retire, tout fatigue.
-
-Quand Jsus ne parle pas au dedans, nulle consolation n'a de prix; mais
-si Jsus dit une seule parole, on est merveilleusement consol.
-
-Marie Madeleine ne se leva-t-elle pas aussitt du lieu o elle pleurait,
-lorsque Marthe lui dit: _Le Matre est l, et il vous appelle_[116].
-
- [116] Joann., XI, 28.
-
-Heureux moment, o Jsus appelle des larmes la joie de l'esprit!
-
-Combien, sans Jsus, n'tes-vous pas aride et insensible!
-
-Et quelle vanit, quelle folie, si vous dsirez autre chose que
-Jsus-Christ? Ne serait-ce pas une plus grande perte que si vous aviez
-perdu le monde entier?
-
-2. Que peut vous donner le monde sans Jsus?
-
-tre sans Jsus, c'est un insupportable enfer; tre avec Jsus, c'est un
-paradis de dlices.
-
-Si Jsus est avec vous, nul ennemi ne pourra vous nuire.
-
-Qui trouve Jsus, trouve un trsor immense, ou plutt un bien au-dessus
-de tout bien.
-
-Qui perd Jsus, perd plus et beaucoup plus que s'il perdait le monde
-entier.
-
-Vivre sans Jsus, c'est le comble de l'indigence; tre uni Jsus,
-c'est possder des richesses infinies.
-
-3. C'est un grand art que de savoir converser avec Jsus; et une grande
-prudence que de savoir le retenir prs de soi.
-
-Soyez humble et pacifique, et Jsus sera avec vous.
-
-Que votre vie soit pieuse et calme, et Jsus demeurera prs de vous.
-
-Vous loignerez bientt Jsus, et vous perdrez sa grce, si vous voulez
-vous rpandre au dehors.
-
-Et si vous l'loignez et le perdez, qui sera votre refuge, et quel autre
-ami chercherez-vous?
-
-Vous ne sauriez vivre heureux sans ami, et si Jsus n'est pas pour vous
-un ami au-dessus de tous les autres, n'attendez que tristesse et
-dsolation.
-
-Qu'insenss vous tes, si vous mettez en quelqu'autre votre confiance ou
-votre joie!
-
-Il vaudrait mieux avoir le monde entier contre vous, que d'tre dans la
-disgrce de Jsus.
-
-Qu'il vous soit donc plus cher que tout ce qui vous est cher.
-
-4. Aimez tous les autres pour Jsus, et Jsus pour lui-mme.
-
-Lui seul doit tre aim uniquement, parce qu'il est le seul ami bon,
-fidle, entre tous les amis.
-
-Aimez en lui et cause de lui, vos amis et vos ennemis, et priez-le
-pour tous, afin que tous le connaissent et l'aiment.
-
-Ne souhaitez jamais d'obtenir aucune prfrence dans l'estime ou l'amour
-des hommes: car cela n'appartient qu' Dieu, qui n'a point d'gal.
-
-Ne dsirez point que quelqu'un s'occupe de vous dans son coeur, et ne
-soyez vous-mme proccup de l'amour de personne; mais que Jsus soit en
-vous et en tout homme de bien.
-
-5. Soyez pur et libre au dedans, sans aucune attache la crature.
-
-Il vous faut tre dpouill de tout, et offrir Dieu un coeur pur, si
-vous voulez tre libre, et goter combien le Seigneur est doux.
-
-Et certes, jamais vous n'y parviendrez, si sa grce ne vous prvient et
-ne vous attire; de sorte qu'ayant exclu et banni tout le reste, vous
-soyez seul uni lui seul.
-
-Car, lorsque la grce de Dieu visite l'homme, alors il peut tout; et
-quand elle se retire, alors il est pauvre et infirme, et ne semble
-rserv qu'aux chtiments.
-
-En cet tat mme, il ne doit ni se laisser abattre ni dsesprer; mais
-il doit se soumettre avec calme la volont de Dieu, et souffrir, pour
-l'amour de Jsus-Christ, tout ce qui lui arrive: car l't succde
-l'hiver, aprs la nuit revient le jour, et aprs la tempte une grande
-srnit.
-
-
-RFLEXION.
-
- L'amour a fait descendre le fils de Dieu sur la terre: l'amour nous
- lve jusqu' lui. Alors il s'tablit entre notre me et Jsus, comme
- une union ravissante; alors s'accomplit cette promesse: _je ne vous
- laisserai pas orphelin, je viendrai vous_[117]. Venez donc, mon
- Jsus, venez briser les derniers liens qui m'attachent aux cratures
- et retardent l'heureux moment o je ne vivrai plus que pour vous.
- Faites que, m'oubliant moi-mme, je ne voie, je ne dsire que vous
- seul, et me repose sur votre sein comme le disciple bien-aim, dans
- cette paix dlicieuse que _le monde ne donne pas_[118], qu'il ne peut
- mme comprendre, mais aussi que ses orages ne sauraient troubler.
-
- [117] Joann., XIV, 18.
-
- [118] _Ibid._, 27.
-
-
-
-
-CHAPITRE IX.
-
-De la privation de toute consolation.
-
-
-1. Il n'est pas difficile de mpriser les consolations humaines, quand
-on jouit des consolations divines.
-
-Mais il est grand et trs-grand de consentir tre priv tout la fois
-des consolations des hommes et de celles de Dieu, de supporter
-volontairement pour sa gloire cet exil du coeur, de ne se rechercher en
-rien, et de ne faire aucun retour sur ses propres mrites.
-
-Qu'y a-t-il d'tonnant, si vous tes rempli d'allgresse et de ferveur
-lorsque la grce descend en vous? C'est pour tous l'heure dsirable.
-
-Il avance aisment et avec joie, celui que la grce soulve.
-
-Comment sentirait-il son fardeau, quand il est port par le
-Tout-Puissant, et conduit par le guide suprme?
-
-2. Toujours nous cherchons quelque soulagement, et difficilement l'homme
-se dpouille de lui-mme.
-
-Fidle son vque, le saint martyr Laurent vainquit le sicle, parce
-qu'il mprisa tout ce que le monde offre de sduisant, et qu'il souffrit
-en paix, pour l'amour de Jsus-Christ, d'tre spar du souverain prtre
-de Dieu, de Sixte, qu'il aimait avec une vive tendresse.
-
-Par l'amour du Crateur, surmontant l'amour de l'homme, aux consolations
-humaines il prfra le bon plaisir divin.
-
-Et vous aussi, apprenez donc quitter, pour l'amour de Dieu, l'ami le
-plus cher et le plus intime.
-
-Et ne murmurez point, s'il arrive que votre ami vous abandonne, sachant
-qu'aprs tout il faut bien un jour se sparer tous.
-
-3. Ce n'est pas sans combattre beaucoup et longtemps en lui-mme, que
-l'homme apprend se vaincre pleinement, et reporter en Dieu toutes
-ses affections.
-
-Lorsqu'il s'appuie sur lui-mme, il se laisse aisment aller aux
-consolations humaines.
-
-Mais celui qui a vraiment l'amour de Jsus-Christ, et le zle de la
-vertu, ne cde point l'attrait des consolations, et ne cherche point
-les douceurs sensibles: il dsire plutt de fortes preuves, et de
-souffrir de durs travaux pour Jsus-Christ.
-
-4. Quand donc Dieu vous accorde quelque consolation spirituelle,
-recevez-la avec action de grces; mais reconnaissez-y le don de Dieu, et
-non votre propre mrite.
-
-Ne vous en levez pas, n'en ayez point trop de joie, n'en concevez pas
-une vaine prsomption. Que cette grce, au contraire, vous rende plus
-humble, plus vigilant, plus timide dans toutes vos actions: car ce
-moment passera et sera suivi de la tentation.
-
-Quand la consolation vous est te, ne vous dcouragez pas aussitt;
-mais attendez avec humilit et avec patience que Dieu vous visite de
-nouveau: car il est tout-puissant pour vous consoler encore plus.
-
-Cela n'est ni nouveau ni trange pour ceux qui ont l'exprience des
-voies de Dieu: les grands Saints et les anciens prophtes ont souvent
-prouv ces vicissitudes.
-
-5. Un d'eux, sentant la prsence de la grce, s'criait: _J'ai dit dans
-mon abondance: Je ne serai jamais branl!_ Mais la grce s'tant
-retire, il ajoutait: _Vous avez dtourn de moi votre face, et j'ai t
-rempli de trouble_[119].
-
- [119] Ps. XXIX, 7, 8.
-
-Dans ce trouble, cependant, il ne dsespre point, mais il prie le
-Seigneur avec plus d'instance, disant: _Seigneur, je crierai vers vous,
-et j'implorerai mon Dieu_[120].
-
- [120] _Ibid._, 9.
-
-Enfin il recueille le fruit de sa prire, et il tmoigne qu'il a t
-exauc: _Le Seigneur m'a cout, et il a eu piti de moi: le Seigneur
-s'est fait mon appui_[121].
-
- [121] _Ibid._, 11.
-
-Mais comment? _Vous avez_, dit-il, _chang mes gmissements en chants
-d'allgresse, et vous m'avez environn de joie_[122].
-
- [122] _Ibid._, 12.
-
-Or, puisque Dieu en use ainsi avec les plus grands Saints, nous ne
-devons pas perdre courage, pauvres infirmes que nous sommes, si
-quelquefois nous prouvons de la ferveur et quelquefois du
-refroidissement: car l'esprit de Dieu vient et se retire comme il lui
-plat. Ce qui faisait dire au bienheureux Job: _Vous visitez l'homme ds
-le matin, et aussitt vous l'prouvez_[123].
-
- [123] Job, VII, 18.
-
-6. En quoi donc esprer, et en quoi mettre ma confiance, si ce n'est
-uniquement dans la grande misricorde de mon Dieu et dans l'attente de
-la grce cleste?
-
-Car, soit que j'aie prs de moi des hommes vertueux, des religieux
-fervents, des amis fidles; soit que je lise de saints livres et
-d'loquents traits; soit que j'entende le doux chant des hymnes; tout
-cela aide peu et ne touche gure, quand la grce se retire, et que je
-suis dlaiss dans ma propre indigence.
-
-Alors il n'est point de meilleur remde qu'une humble patience, et
-l'abandon de soi-mme la volont de Dieu.
-
-7. Je n'ai jamais rencontr d'homme si pieux et si parfait, qui n'ait
-prouv quelquefois cette privation de la grce, et une diminution de
-ferveur.
-
-Nul Saint n'a t ravi si haut ni si rempli de lumires, qu'il n'ait t
-tent avant ou aprs.
-
-Car il n'est pas digne d'tre lev jusqu' la contemplation de Dieu
-celui qui n'a pas souffert pour Dieu quelque tribulation.
-
-La tentation annonce d'ordinaire la consolation qui doit suivre.
-
-Car la consolation cleste est promise ceux qu'a prouvs la
-tentation. _Celui qui vaincra_, dit le Seigneur, _je lui donnerai
-manger du fruit de l'arbre de vie_[124].
-
- [124] Apoc., II, 7.
-
-8. La consolation divine est donne, afin que l'homme ait plus de force
-pour soutenir l'adversit.
-
-La tentation vient aprs, afin qu'il ne s'enorgueillisse pas du bien.
-
-Car Satan ne dort point, et la chair n'est pas encore morte: c'est
-pourquoi ne cessez de vous prparer au combat, parce qu' droite et
-gauche sont des ennemis qui ne se reposent jamais.
-
-
-RFLEXION.
-
- Bien que l'humanit sainte du Sauveur ne cesst de jouir, par son
- intime union avec le Verbe divin, d'une paix et d'une joie
- inaltrables, il ne laissait pas de ressentir souvent, dans la partie
- infrieure de l'me, les afflictions et les douleurs devenues
- l'apanage de notre nature depuis le pch. Qui n'a prsentes
- l'esprit ces grandes paroles: _Mon me est triste jusqu' la
- mort_[125]. _Mon Pre! mon Pre! pourquoi m'avez-vous dlaiss[126]?_
- Ainsi l'me chrtienne, sans perdre sa paix, est prouve aussi par la
- tristesse et les tribulations intrieures. Si elle gotait toujours la
- consolation, il serait craindre qu'elle ne tombt peu peu dans le
- relchement; et qu'aurait-elle d'ailleurs offrir son bien-aim?
- _La vertu se perfectionne dans l'infirmit_. C'est l'Aptre qui nous
- l'apprend, et il ajoute aussitt: _Je me glorifierai donc dans mes
- infirmits, afin que la vertu de Jsus-Christ habite en moi_[127].
- Cette espce d'abandon, cet _exil du coeur_ nous rappelle vivement
- notre misre, que nous oublions trop facilement, exerce notre foi,
- notre amour, et nous maintient dans l'humilit. Gardez-vous donc, en
- ces moments o Jsus parat se retirer de vous, de flchir sous le
- poids de l'preuve, et de vous laisser aller au dcouragement. Un des
- grands secours, dit un pieux auteur, pour bien porter sa croix, est
- d'en ter l'inquitude, et de rendre cette peine tranquille par une
- totale conformit la divine volont[128]. Au lieu de gmir et de
- vous troubler, rjouissez-vous plutt; car il est crit: _Ceux qui
- sment dans les larmes moissonnent dans l'allgresse. Ils allaient et
- pleuraient en rpandant des semences; ils reviendront pleins de joie,
- portant des gerbes dans leurs mains_[129].
-
- [125] Matth., XXVI, 38.
-
- [126] _Ibid._, XXVII, 46.
-
- [127] II. Cor., XII, 9.
-
- [128] Boudon, les Saintes Voies de la Croix, liv. II, chap. III.
-
- [129] Ps. CXXV, 5. 6.
-
-
-
-
-CHAPITRE X.
-
-De la reconnaissance pour la grce de Dieu.
-
-
-1. Pourquoi cherchez-vous le repos, lorsque vous tes n pour le
-travail?
-
-Disposez-vous la patience plutt qu'aux consolations, et porter la
-croix plutt qu' goter la joie.
-
-Quel est l'homme du sicle qui ne ret volontiers les joies et les
-consolations spirituelles, s'il pouvait en jouir toujours?
-
-Car les consolations spirituelles surpassent toutes les dlices du monde
-et toutes les volupts de la chair.
-
-Toutes les dlices du monde sont ou honteuses ou vaines; les dlices
-spirituelles sont seules douces et chastes, nes des vertus et rpandues
-par Dieu dans les coeurs purs.
-
-Mais nul ne peut jouir, toujours son gr, des consolations divines;
-parce que la tentation ne cesse jamais longtemps.
-
-2. Une fausse libert d'esprit et une grande confiance en soi-mme
-forment un grand obstacle aux visites d'en haut.
-
-Dieu accorde l'homme un grand bien en lui donnant la grce de la
-consolation; mais l'homme fait un grand mal, quand il ne remercie pas
-Dieu de ce don, et ne le lui rapporte pas tout entier.
-
-Si la grce ne coule point abondamment sur nous, c'est que nous sommes
-ingrats envers son Auteur, et que nous ne remontons point sa source
-premire.
-
-Car la grce n'est jamais refuse celui qui la reoit avec gratitude,
-et Dieu ordinairement donne l'humble ce qu'il te au superbe.
-
-3. Je ne veux point de la consolation qui m'te la componction; je
-n'aspire point la contemplation qui conduit l'orgueil.
-
-Car tout ce qui est lev n'est pas saint; tout ce qui est doux n'est
-pas bon; tout dsir n'est pas pur; tout ce qui est cher l'homme n'est
-pas agrable Dieu.
-
-J'aime une grce qui me rend plus humble, plus vigilant, plus prt me
-renoncer moi-mme.
-
-L'homme instruit par le don de la grce, et par sa privation, n'osera
-s'attribuer aucun bien; mais plutt il confessera son indigence et sa
-nudit.
-
-Donnez Dieu ce qui est Dieu; et ce qui est de vous, ne l'imputez
-qu' vous. Rendez gloire Dieu de ses grces, et reconnaissez que,
-n'ayant rien vous que le pch, rien ne vous est d que la peine du
-pch.
-
-4. _Mettez-vous_ toujours _ la dernire place_[130], et la premire
-vous sera donne; car ce qui est le plus lev s'appuie sur ce qui est
-le plus bas.
-
- [130] Luc, XIV, 10.
-
-Les plus grands Saints aux yeux de Dieu, sont les plus petits leurs
-propres yeux; et plus leur vocation est sublime, plus ils sont humbles
-dans leur coeur.
-
-Pleins de la vrit et de la gloire cleste, ils ne sont pas avides
-d'une gloire vaine.
-
-Fonds et affermis en Dieu, ils ne sauraient s'lever en eux-mmes.
-
-Rapportant Dieu tout ce qu'ils ont reu de bien, ils ne recherchent
-point la gloire que donnent les hommes, et ne veulent que celle qui
-vient de Dieu seul: leur unique but, leur dsir unique, est qu'il soit
-glorifi en lui-mme et dans tous les Saints, par-dessus toutes choses.
-
-5. Soyez donc reconnaissant des moindres grces, et vous mriterez d'en
-recevoir de plus grandes.
-
-Que le plus lger don, la plus petite faveur, aient pour vous autant de
-prix que le don le plus excellent et la faveur la plus singulire.
-
-Si vous considrez la grandeur de celui qui donne, rien de ce qu'il
-donne ne vous paratra petit ni mprisable: car peut-il tre quelque
-chose de tel dans ce qui vient d'un Dieu infini?
-
-Vous envoie-t-il des peines et des chtiments, recevez-les encore avec
-joie: car c'est toujours pour notre salut qu'il fait ou qu'il permet
-tout ce qui nous arrive.
-
-Voulez-vous conserver la grce de Dieu, soyez reconnaissant lorsqu'il
-vous la donne, patient lorsqu'il vous l'te. Priez pour qu'elle vous
-soit rendue, et soyez humble et vigilant pour ne pas la perdre.
-
-
-RFLEXION.
-
- L'homme est si pauvre, qu'il n'a pas mme une bonne pense, un bon
- dsir, qui ne lui vienne d'en haut. De lui-mme il ne peut rien, pas
- mme souhaiter d'tre affranchi de sa misre, qu'il ne connat que par
- une lumire surnaturelle... Si la divine misricorde ne le prvenait,
- il languirait dans une ternelle impuissance de tout bien. Plus la
- grce donc lui est donne avec abondance, plus il a raison de
- s'humilier, en voyant ce qu'il serait sans elle, ce qu'il est par son
- propre fonds. Crature insense, qui t'enorgueillis des dons de Dieu,
- _qu'as-tu que tu n'aies reu? et si tu l'as reu, pourquoi te
- glorifier, comme si tu ne l'avais pas reu_[131]? Il faut que
- l'orgueil plie sous cette parole, et que l'homme tout entier
- s'anantisse en prsence de celui qui seul le retire de l'abme o le
- pch l'avait prcipit. Il ne se relve qu'en s'abaissant; ce qui
- faisait dire saint Paul: _Quand je me sens faible, c'est alors que
- suis fort_[132]. Je vous comprends, grand Aptre! ce sentiment qui
- vous humilie appelle la grce promise _aux humbles_[133], et par elle
- vous tes revtu de la force de Dieu mme. Que ne devons-nous point
- ce Dieu de bont, et que lui rendrons-nous pour tant de bienfaits?
- Hlas! dans notre indigence, nous n'avons lui offrir que notre
- coeur, et c'est aussi tout ce qu'il demande de sa pauvre crature. Que
- ce coeur au moins lui appartienne sans rserve; que rien ne le
- partage; qu'il ne veuille, qu'il ne gote que Dieu, ne vive que de son
- amour; et qu'ainsi commence sur la terre cette union ravissante qui
- sera plus tard notre ternelle flicit!
-
- [131] I. Cor., IV, 7.
-
- [132] II. Cor., XII, 10.
-
- [133] Jacob, IV, 6.
-
-
-
-
-CHAPITRE XI.
-
-Du petit nombre de ceux qui aiment la Croix de JSUS-CHRIST.
-
-
-1. Il y en a beaucoup gui dsirent le cleste royaume de Jsus, mais peu
-consentent porter sa Croix.
-
-Beaucoup souhaitent ses consolations, mais peu aiment ses souffrances.
-
-Il trouve beaucoup de compagnons de sa table, mais peu de son
-abstinence.
-
-Tous veulent partager sa joie, mais peu veulent souffrir quelque chose
-pour lui.
-
-Plusieurs suivent Jsus jusqu' la fraction du pain, mais peu jusqu'
-boire le Calice de sa Passion.
-
-Plusieurs admirent ses miracles, mais peu gotent l'ignominie de sa
-Croix.
-
-Plusieurs aiment Jsus, pendant qu'il ne leur arrive aucune adversit.
-
-Plusieurs le louent et le bnissent, tandis qu'ils reoivent ses
-consolations.
-
-Mais si Jsus se cache et les dlaisse un moment, ils tombent dans le
-murmure, ou dans un excessif abattement.
-
-2. Mais ceux qui aiment Jsus pour Jsus, et non pour eux-mmes, le
-bnissent dans toutes les tribulations et dans l'angoisse du coeur,
-comme dans les consolations les plus douces.
-
-Et quand il ne voudrait jamais les consoler, toujours cependant ils le
-loueraient, toujours ils lui rendraient grces.
-
-3. Oh! que ne peut l'amour de Jsus, quand il est pur et sans aucun
-mlange d'amour ni d'intrt propre!
-
-Ne sont-ce pas des mercenaires, ceux qui cherchent toujours des
-consolations?
-
-Ne prouvent-ils pas qu'ils s'aiment eux-mmes plus que Jsus-Christ,
-ceux qui pensent toujours leur gain et leurs avantages?
-
-O trouvera-t-on quelqu'un qui veuille servir Dieu pour Dieu seul?
-
-4. Rarement on rencontre un homme assez avanc dans les voies
-spirituelles pour tre dpouill de tout.
-
-Car le vritable pauvre d'esprit, dtach de toute crature, qui le
-trouvera? _Il faut le chercher bien loin, et jusqu'aux extrmits de la
-terre_[134].
-
- [134] Prov., XXXI, 10.
-
-_Si l'homme donne tout ce qu'il possde, ce n'est encore rien_[135].
-
- [135] Cant., _VIII_, 7
-
-S'il fait une grande pnitence, c'est peu encore.
-
-Et s'il embrasse toutes les sciences, il est encore loin.
-
-Et s'il a une grande vertu et une pit fervente, il lui manque encore
-beaucoup, il lui manque une chose souverainement ncessaire.
-
-Qu'est-ce donc? C'est qu'aprs avoir tout quitt, il se quitte aussi
-lui-mme, et se dpouille entirement de l'amour de soi.
-
-C'est, enfin, qu'aprs avoir fait tout ce qu'il sait devoir faire, il
-pense encore n'avoir rien fait.
-
-5. Qu'il estime peu ce qu'on pourrait regarder comme quelque chose de
-grand, et qu'en toute sincrit il confesse qu'il est un serviteur
-inutile, selon la parole de la Vrit: _Quand vous aurez fait tout ce
-qui vous est command, dites: Nous sommes des serviteur inutiles_[136].
-
- [136] Luc., XVII, 10.
-
-Alors il sera vraiment pauvre et spar de tout en esprit, et il pourra
-dire avec le Prophte: _Oui, je suis pauvre et seul dans le monde_[137].
-
- [137] Ps. XXIV, 17.
-
-Nul cependant n'est plus riche, plus puissant, plus libre, que celui qui
-sait quitter tout, et soi-mme, et se mettre au dernier rang.
-
-
-RFLEXION.
-
- Il faut aimer Dieu pour Dieu mme, et non pas cause de la joie que
- l'on gote le servir: car, s'il nous retirait ses consolations, que
- deviendrait cet amour mercenaire? Celui qui se cherche encore en
- quelque chose, ne sait point aimer. Regardez votre modle, contemplez
- Jsus, il ne s'est recherch en rien: _Christus non sibi
- placuit_[138]. Il a tout sacrifi pour vous, son repos, sa vie, sa
- volont mme: _Non pas ce que je veux_, disait-il, _mais ce que vous
- voulez_[139]. Il a tout souffert jusqu' la croix, jusqu'au
- dlaissement de son Pre: _Mon Dieu! pourquoi m'avez-vous
- abandonn[140]?_ Entrons, son exemple, dans cet esprit de sacrifice;
- et dtachs dsormais de tout intrt propre, acceptons, avec une
- gale srnit, les biens et les maux, les peines et les joies, en
- sorte que, n'ayant de penses, de dsirs que ceux de Jsus, nous
- soyons _consomms avec lui dans cette unit parfaite_[141], que, prs
- de quitter ce monde, il demandait pour nous son Pre, comme le
- dernier et le plus grand de ses dons.
-
- [138] Rom., XV, 3.
-
- [139] Matth., XXVI, 19.
-
- [140] _Ibid._, XXVII, 46.
-
- [141] Joann., XVII, 23.
-
-
-
-
-CHAPITRE XII.
-
-De la sainte voie de la Croix.
-
-
-1. Cette parole semble dure plusieurs: _Renoncez vous-mme, prenez
-votre croix, et suivez_[142] Jsus.
-
- [142] Luc., IX, 23.
-
-Mais il sera bien plus dur, au dernier jour, d'entendre cette parole:
-_Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu ternel_[143]!
-
- [143] Matth., XXV, 41.
-
-Ceux qui coutent maintenant volontiers la parole qui commande de porter
-la Croix, et qui y obissent, ne craindront point alors d'entendre
-l'arrt d'une ternelle condamnation.
-
-_Ce signe de la Croix sera dans le Ciel, lorsque le Seigneur viendra
-pour juger_[144].
-
- [144] _Ibid._, XXIV, 30.
-
-Alors tous les disciples de la Croix, qui auront imit, pendant leur
-vie, Jsus crucifi, s'approcheront avec une grande confiance de
-Jsus-Christ juge.
-
-2. Pourquoi donc craignez-vous de porter la Croix par laquelle on arrive
-au royaume du Ciel?
-
-Dans la Croix est le salut, dans la Croix la vie, dans la Croix la
-protection contre nos ennemis.
-
-C'est de la Croix que dcoulent les suavits clestes.
-
-Dans la Croix est la force de l'me, dans la Croix la joie de l'esprit,
-la consommation de la vertu, la perfection de la saintet.
-
-Il n'y a de salut pour l'me, ni d'esprance de vie ternelle, que dans
-la Croix.
-
-Prenez donc votre Croix, et suivez Jsus, et vous parviendrez
-l'ternelle vie.
-
-Il vous a prcd portant sa Croix, et il est mort pour vous sur la
-Croix, afin que vous aussi vous portiez votre Croix, et que vous
-aspiriez mourir sur la Croix.
-
-_Car si vous mourez avec lui, vous vivrez aussi avec lui_[145]; et si
-vous partagez ses souffrances, vous partagerez sa gloire.
-
- [145] Rom., VI, 8.
-
-3. Ainsi tout est dans la Croix, et tout consiste mourir. Il n'est
-point d'autre voie qui conduise la vie et la vritable paix du
-coeur, que la voie de la Croix et d'une mortification continuelle.
-
-Allez o vous voudrez, cherchez tout ce que vous voudrez, et vous ne
-trouverez pas au-dessus une voie plus leve, au-dessous une voie plus
-sre que la voie de la sainte Croix.
-
-Disposez de tout selon vos vues, rglez tout selon vos dsirs, et
-toujours vous trouverez qu'il vous faut souffrir quelque chose, que vous
-le vouliez ou non; et ainsi vous trouverez toujours la Croix.
-
-Car, ou vous sentirez de la douleur dans le corps, ou vous prouverez de
-l'amertume dans l'me.
-
-4. Tantt vous serez dlaiss de Dieu, tantt exerc par le prochain, et
-ce qui est plus encore, vous serez souvent charge de vous-mme. Vous
-ne trouverez vos peines aucun remde, aucun soulagement; mais il vous
-faudra souffrir aussi longtemps que Dieu le voudra.
-
-Car Dieu veut que vous appreniez souffrir sans consolation, et que
-vous vous soumettiez lui sans rserve, et que vous deveniez plus
-humble par la tribulation.
-
-Nul n'a si avant dans son coeur la Passion de Jsus-Christ, que celui
-qui a souffert quelque chose de semblable.
-
-La Croix est donc toujours prpare; elle vous attend partout.
-
-Vous ne pouvez la fuir, quelque part que vous alliez, puisque partout o
-vous irez, vous vous porterez et vous trouverez toujours vous-mme.
-
-levez-vous, abaissez-vous, sortez de vous-mme, rentrez-y: toujours
-vous trouverez la Croix; et il faut que partout vous preniez patience,
-si vous voulez possder la paix intrieure et mriter la couronne
-immortelle.
-
-5. Si vous portez de bon coeur la Croix, elle-mme vous portera, et vous
-conduira au terme dsir, o vous cesserez de souffrir: mais ce ne sera
-pas en ce monde.
-
-Si vous la portez regret, vous en augmentez le poids, vous rendez
-votre fardeau plus dur; et cependant il vous faut la porter.
-
-Si vous rejetez une Croix, vous en trouverez certainement une autre, et
-peut-tre plus pesante.
-
-6. Croyez-vous chapper ce que nul homme n'a pu viter? Quel Saint a
-t en ce monde sans Croix et sans tribulation?
-
-Jsus-Christ lui-mme, Notre-Seigneur, n'a pas t une seule heure, dans
-toute sa vie, sans prouver quelques souffrances: _Il fallait, dit-il,
-que le Christ souffrt, et qu'il ressuscitt d'entre les morts, et qu'il
-entrt ainsi dans sa gloire_[146].
-
- [146] Luc., XXIV, 26, 46.
-
-Comment donc cherchez-vous une autre voie, que la voie royale de la
-sainte Croix?
-
-7. Toute la vie de Jsus-Christ n'a t qu'une Croix et un long martyre:
-et vous cherchez le repos et la joie!
-
-Vous vous trompez, n'en doutez pas, vous vous trompez lamentablement, si
-vous cherchez autre chose que des afflictions souffrir; car toute
-cette vie mortelle est pleine de misres et environne de Croix.
-
-Et plus un homme aura fait de progrs dans les voies spirituelles, plus
-ses Croix souvent seront pesantes; parce que l'amour lui rend son exil
-plus douloureux.
-
-8. Cependant celui que Dieu prouve par tant de peines, n'est pas sans
-consolations qui les adoucissent; parce qu'il sent s'accrotre les
-fruits de sa patience porter sa Croix.
-
-Car lorsqu'il s'incline volontairement sous elle, l'affliction qui
-l'accablait se change tout entire en une douce confiance qui le
-console.
-
-Et plus la chair est afflige, brise, plus l'esprit est fortifi
-intrieurement par la grce.
-
-Quelquefois mme le dsir de souffrir, pour tre conforme Jsus
-crucifi, lui inspire tant de force, qu'il ne voudrait pas tre exempt
-de tribulations et de douleur, parce qu'il se croit d'autant plus
-agrable Dieu, qu'il souffre pour lui davantage.
-
-Ce n'est point l la vertu de l'homme, mais la grce de Jsus-Christ,
-qui opre si puissamment dans une chair infirme, que tout ce qu'elle
-abhorre et fuit naturellement, elle l'embrasse et l'aime par la ferveur
-de l'esprit.
-
-9. Il n'est pas selon l'homme de porter la Croix, d'aimer la Croix, de
-chtier le corps, de le rduire en servitude, de fuir les honneurs, de
-souffrir volontiers les outrages, de se mpriser soi-mme et de
-souhaiter d'tre mpris, de supporter les afflictions et les pertes, et
-de ne dsirer aucune prosprit dans ce monde.
-
-Si vous ne regardez que vous, vous ne pouvez rien de tout cela.
-
-Mais si vous vous confiez dans le Seigneur, la force vous sera donne
-d'en haut, et vous aurez pouvoir sur la chair et le monde.
-
-Vous ne craindrez pas mme le dmon, votre ennemi, si vous tes arm de
-la foi et marqu de la Croix de Jsus-Christ.
-
-10. Disposez-vous donc, comme un bon et fidle serviteur de
-Jsus-Christ, porter courageusement la Croix de votre matre, crucifi
-par amour pour vous.
-
-Prparez-vous souffrir mille adversits, mille traverses dans cette
-misrable vie: car voil partout ce qui vous attend, ce que vous
-trouverez partout, en quelque lieu que vous vous cachiez.
-
-Il faut qu'il en soit ainsi: et cette foule de maux et de douleurs, il
-n'y a d'autre remde que de vous supporter vous-mme.
-
-Buvez avec joie le calice du Sauveur, si son amour vous est cher et si
-vous dsirez avoir part sa gloire.
-
-Laissez Dieu disposer de ses consolations: qu'il les rpande comme il
-lui plaira.
-
-Pour vous, choisissez les souffrances, et regardez-les comme des
-consolations d'un grand prix: _car toutes les souffrances du temps n'ont
-aucune proportion avec la gloire future, et ne sauraient vous la
-mriter_[147], quand seul vous les supporteriez toutes.
-
- [147] Rom., VIII, 18.
-
-11. Lorsque vous en serez venu trouver la souffrance douce, et
-l'aimer pour Jsus-Christ, alors estimez-vous heureux, parce que vous
-avez trouv le Paradis sur la terre.
-
-Mais tandis que la souffrance vous sera amre, et que vous la fuirez,
-vous vivrez dans le trouble; et la tribulation que vous fuirez vous
-suivra partout.
-
-12. Si vous vous appliquez tre ce que vous devez tre, souffrir et
- mourir, bientt vos peines s'adouciront, et vous aurez la paix.
-
-Quand vous auriez t ravi, avec Paul, jusqu'au troisime Ciel, vous ne
-seriez pas pour cela assur de ne rien souffrir. _Je lui montrerai_, dit
-Jsus, _combien il faut qu'il souffre pour mon nom_[148].
-
- [148] Act., IX, 16.
-
-Il ne vous reste donc qu' souffrir, si vous voulez aimer Jsus et le
-servir constamment!
-
-13. Plt Dieu que vous fussiez digne de souffrir quelque chose pour le
-nom de Jsus! Quelle gloire vous serait rserve! Quelle joie parmi tous
-les Saints! Quelle dification pour le prochain!
-
-Car tous recommandent la patience, quoique peu cependant veuillent
-souffrir.
-
-Avec quelle joie vous devriez souffrir quelque chose pour Jsus, lorsque
-tant d'autres souffrent beaucoup plus pour le monde!
-
-14. Sachez, et croyez fermement, que votre vie doit tre une mort
-continuelle; et que plus on meurt soi-mme, plus on commence vivre
-pour Dieu.
-
-Nul n'est propre comprendre les choses du Ciel, s'il ne se soumet
-supporter les adversits pour Jsus-Christ.
-
-Rien n'est plus agrable Dieu, rien ne vous est plus salutaire en ce
-monde, que de souffrir avec joie pour Jsus-Christ; et si vous aviez
-choisir, vous devriez plutt souhaiter d'tre afflig pour lui, que
-d'tre combl de consolations, parce que vous seriez alors plus
-semblable Jsus-Christ et plus conforme tous les Saints.
-
-Car notre mrite et notre progrs dans la perfection ne consistent point
-dans la douceur et l'abondance des consolations, mais plutt dans la
-force de supporter de grandes tribulations et de pesantes preuves.
-
-15. S'il y avait eu, pour l'homme, quelque chose de meilleur et de plus
-utile que de souffrir, Jsus-Christ nous l'aurait appris par ses paroles
-et par son exemple.
-
-Or, manifestement il exhorte porter la croix, et les disciples qui le
-suivaient, et tous ceux qui voudraient le suivre, disant: _Si quelqu'un
-veut marcher sur mes pas, qu'il renonce soi-mme, qu'il porte sa croix
-et qu'il me suive_[149].
-
- [149] Matth., XVI, 24.
-
-Aprs donc avoir tout lu et tout examin, concluons enfin qu'_il nous
-faut passer par beaucoup de tribulations pour entrer dans le royaume de
-Dieu_[150].
-
- [150] Act., XIV, 21.
-
-
-RFLEXION.
-
- La doctrine de la Croix, _scandale pour les Juifs et folie pour les
- Gentils_[151], est ce que les hommes comprennent le moins. Qu'un Dieu
- soit mort pour les sauver, leur raison s'abaissera devant ce mystre;
- mais qu'ils doivent s'associer cet tonnant sacrifice, en mourant
- eux-mmes, leurs passions, leurs volonts, leurs dsirs, voil
- ce qui les rvolte, et leur fait dire comme les Capharnates: _Cette
- parole est dure, et qui peut l'entendre_[152]? Il faut bien pourtant
- que nous l'entendions, car notre salut dpend de l. Le ciel tait
- spar de la terre, la Croix les a runis; et c'est du pied de la
- Croix que part tout ce qui va jusqu'au Ciel. Pressons-nous donc contre
- la Croix; qu'elle soit ici-bas notre consolation, comme elle est notre
- force. Lorsque, dans sa bont, Dieu nous envoie quelque preuve,
- disons avec saint Andr: _ douce Croix! si longtemps dsire, et
- prpare maintenant pour cette me qui la souhaitait ardemment!_ Tout
- les Saints ont senti ce dsir, tous ont tenu ce langage. _Souffrir ou
- mourir_, rptait souvent sainte Thrse; et, dans la souffrance, elle
- trouvait plus de paix et de bonheur que n'en goteront jamais ceux que
- le monde appelle heureux. Une seule larme verse aux pieds de Jsus
- est plus dlicieuse mille fois que tous les plaisirs du sicle.
-
- [151] I. Cor., I, 23.
-
- [152] Joann., VI, 61.
-
-
-FIN DU DEUXIME LIVRE.
-
-
-
-
-L'IMITATION
-
-DE
-
-JSUS-CHRIST.
-
-
-
-
-LIVRE TROISIME.
-
-DE LA VIE INTRIEURE.
-
-
-
-
-CHAPITRE PREMIER.
-
-Des entretiens intrieurs de JSUS-CHRIST avec l'me fidle.
-
-
-1. _J'couterai ce que le Seigneur Dieu dit en moi_[153].
-
- [153] Ps. LXXXIV, 8.
-
-Heureuse l'me qui entend le Seigneur lui parler intrieurement, et qui
-reoit de sa bouche la parole de consolation!
-
-Heureuses les oreilles toujours attentives recueillir ce souffle
-divin, et sourdes aux bruits du monde!
-
-Heureuses encore une fois les oreilles qui coutent, non la voix qui
-retentit au dehors, mais la vrit qui enseigne au dedans!
-
-Heureux les yeux qui, ferms aux choses extrieures, ne contemplent que
-les intrieures!
-
-Heureux ceux qui pntrent les mystres que le coeur recle, et qui, par
-des exercices de chaque jour, tchent de se prparer de plus en plus
-comprendre les secrets du Ciel!
-
-Heureux ceux dont la joie est de s'occuper de Dieu, et qui se dgagent
-de tous les embarras du sicle!
-
-Considre ces choses, mon me! et ferme la porte de tes sens, afin que
-tu puisses entendre ce que le Seigneur ton Dieu dit en toi.
-
-2. Voici ce que dit ton bien-aim: Je suis votre salut, votre paix et
-votre vie.
-
-Demeurez prs de moi, et vous trouverez la paix. Laissez l tout ce qui
-passe; ne cherchez que ce qui est ternel.
-
-Que sont toutes les choses du temps, que des sductions vaines? et de
-quoi vous serviront toutes les cratures, si vous tes abandonn du
-Crateur?
-
-Renoncez donc tout, et occupez-vous de plaire votre Crateur, et de
-lui tre fidle, afin de parvenir la vraie batitude.
-
-
-RFLEXION.
-
- coutons la sagesse incre: _Mes dlices_, dit-elle, _sont d'tre
- avec les enfants des hommes_[154]. Mais la plupart des hommes ne
- comprenant pas son langage, ou craignant de l'entendre, s'loignent
- d'elle pour s'entretenir avec les cratures. _Elle est venue dans le
- monde, et le monde ne l'a point connue_[155]. C'est pourquoi l'Aptre
- nous dfend _d'aimer le monde, ni rien de ce qui est dans le
- monde_[156], _parce qu'il appartient tout entier l'esprit de
- malice_[157]. Si donc nous voulons attirer en nous l'esprit de Dieu,
- cet esprit dont _l'onction enseigne toutes choses_[158], sparons-nous
- du monde; renonons ses maximes, ses plaisirs, ses socits
- tumultueuses. Jsus ne se trouve qu'au dsert; _sa voix ne retentit
- pas dans les lieux publics_[159], au milieu des assembles du sicle;
- mais lorsqu'il a rsolu de rpandre ses faveurs sur l'me fidle, _il
- la conduit dans la solitude, et l il parle son coeur_[160]. Comment
- peindre les dlices de ce cleste entretien? Qui les a gotes une
- fois ne peut plus supporter les entretiens des hommes. Jsus! parlez
- mon coeur, je veux dsormais n'couter que votre voix, dans le
- silence de toutes les cratures.
-
- [154] Prov., VIII, 31.
-
- [155] Joan., I, 10.
-
- [156] I. Joan., II, 15.
-
- [157] _Ibid._, V. 19.
-
- [158] Ibid., II, 27.
-
- [159] Matth., XII, 19.
-
- [160] Ose, II, 14.
-
-
-
-
-CHAPITRE II.
-
-La vrit parle au dedans de nous sans aucun bruit de paroles.
-
-
-1. _Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur coute._
-
-_Je suis votre serviteur: donnez-moi l'intelligence, afin que je sache
-vos tmoignages_[161].
-
- [161] I. Reg., III, 9; Ps. CXVIII, 125.
-
-_Inclinez mon coeur aux paroles de votre bouche; qu'elles tombent sur
-lui comme une douce rose_[162].
-
- [162] Ps. CXVIII, 36. Deuter., XXXII, 2.
-
-Les enfants d'Isral disaient autrefois Mose: _Parlez-nous, et nous
-vous couterons: mais que le Seigneur ne nous parle point, de peur que
-nous ne mourions_[163].
-
- [163] Exod., XX, 19.
-
-Ce n'est pas l, Seigneur, ce n'est pas l ma prire; mais au contraire,
-je vous implore, comme le prophte Samuel, avec un humble dsir, disant:
-_Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur coute_[164].
-
- [164] I Reg., III, 9.
-
-Que Mose ne me parle point, ni aucun des prophtes; mais vous plutt,
-parlez, Seigneur mon Dieu, vous, la lumire de tous les prophtes, et
-l'esprit qui les inspirait. Sans eux, vous pouvez seul pntrer toute
-mon me de votre vrit; et sans vous, ils ne pourraient rien.
-
-2. Ils peuvent prononcer des paroles, mais non les rendre efficaces.
-
-Leur langage est sublime; mais si vous vous taisez, il n'chauffe point
-le coeur.
-
-Ils exposent la lettre; mais vous en dcouvrez le sens.
-
-Ils proposent les mystres; mais vous rompez le sceau qui en drobait
-l'intelligence.
-
-Ils publient vos commandements; mais vous aidez les accomplir.
-
-Ils montrent la voie; mais vous donnez des forces pour marcher.
-
-Ils n'agissent qu'au dehors; mais vous clairez et instruisez les
-coeurs.
-
-Ils arrosent extrieurement; mais vous donnez la fcondit.
-
-Leurs paroles frappent l'oreille; mais vous ouvrez l'intelligence.
-
-3. Que Mose donc ne me parle point; mais vous, Seigneur mon Dieu,
-ternelle vrit! parlez-moi, de peur que je ne meure, et que je
-n'coute sans fruit, si, averti seulement au dehors, je ne suis point
-intrieurement embras; de peur que je ne trouve ma condamnation dans
-votre parole, entendue sans tre accomplie, connue sans tre aime, crue
-sans tre observe.
-
-_Parlez-moi donc, Seigneur, parce que votre serviteur coute: vous avez
-les paroles de la vie ternelle_[165].
-
- [165] I Reg., III, 9; Joann., VI, 69.
-
-Parlez-moi pour consoler un peu mon me, pour m'apprendre rformer ma
-vie; parlez-moi pour la louange, la gloire, l'honneur ternel de votre
-nom.
-
-
-RFLEXION.
-
- Il y a une voix qui nous parle intrieurement et comme dans le fond de
- l'me, lorsque fermant l'oreille au bruit des cratures, nous ne
- voulons plus couter que Dieu seul, et que nous l'appelons en nous de
- toute l'ardeur de nos dsirs. C'est cette voix qui, loin des hommes,
- ravissait au dsert les Paul, les Antoine, les Pacme, et leur
- rvlait sans obscurit les secrets de la science divine. C'est cette
- voix qui instruit les saints, les enflamme, les console et les enivre,
- pour ainsi dire, de sa cleste douceur. Mose et les prophtes taient
- voils pour les disciples d'Emmas: Jsus vient, et, sa voix, les
- ombres qui offusquaient leur intelligence se dissipent; quelque chose
- d'inconnu se remue en eux, de sorte qu'ils se disaient l'un l'antre:
- _Notre coeur n'tait-il pas tout brlant au dedans de nous, lorsqu'il
- nous parlait dans le chemin, et nous ouvrait les critures_[166]? Et
- nous, pauvres infortuns que le tumulte du monde distrait encore, que
- ferons-nous? Ne voulons-nous point aussi entendre Jsus? Comme les
- deux disciples, nous sommes en voyage; nous nous en allons vers
- l'ternit. Jsus, dans son amour, _s'approche_ de nous; il se fait,
- en quelque sorte, le compagnon de notre route[167]: mais, nous
- trouvant si peu attentifs, il se retire, et nous marchons seuls.
- Effrayante solitude! Ah! prenons garde que la nuit ne nous surprenne
- prs du terme! Htons-nous de rappeler le divin guide et disons-lui de
- toute notre me: _Seigneur demeurez avec nous, car le soir se fait et
- dj le jour baisse_[168].
-
- [166] Luc., XXIV, 32.
-
- [167] _Ibid._, 15.
-
- [168] _Ibid._, 29.
-
-
-
-
-CHAPITRE III.
-
-Qu'il faut couter la parole de Dieu avec humilit, et que plusieurs ne
-la reoivent pas comme ils le devraient.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, coutez mes paroles, paroles pleines de douceur, et
-qui surpassent toute la science des philosophes et des sages du monde.
-
-_Mes paroles sont esprit et vie_[169], et l'on n'en doit pas juger par
-le sens humain.
-
- [169] Joann., VI, 64.
-
-Il ne faut pas en tirer une vaine complaisance, mais les couter en
-silence, et les recevoir avec une humilit profonde et un ardent amour.
-
-2. LE F. Et j'ai dit: _Heureux celui que vous instruisez, Seigneur, et
-qui vous enseignez votre loi, afin de lui adoucir les jours mauvais, et
-de ne pas le laisser sans consolation sur la terre_[170].
-
- [170] Ps. XCIII, 12, 13.
-
-3. J.-C. C'est moi qui ai, ds le commencement, instruit les prophtes,
-dit le Seigneur; et jusqu' prsent mme, je ne cesse point de parler
-tous; mais plusieurs sont endurcis et sourds ma voix.
-
-Le plus grand nombre coute le monde de prfrence Dieu: ils aiment
-mieux suivre les dsirs de la chair que d'obir la volont divine.
-
-Le monde promet peu de chose, et des choses qui passent, et on le sert
-avec une grande ardeur: je promets des biens immenses, ternels, et le
-coeur des hommes reste froid.
-
-Qui me sert et m'obit en toutes choses, avec autant de soin qu'on sert
-le monde et les matres du monde?
-
-_Rougis, Sidon, dit la mer_[171]; et si tu en demandes la cause, coute,
-voici pourquoi:
-
- [171] Is., XXIII, 4.
-
-Pour un petit avantage, on entreprend une longue route; et, pour la vie
-ternelle, peine en trouve-t-on qui veuillent faire un pas.
-
-On recherche le plus vil gain: on plaide honteusement quelquefois pour
-une pice de monnaie; sur une lgre promesse et pour une chose de rien,
-on ne craint pas de se fatiguer le jour et la nuit.
-
-Mais, honte! pour un bien immuable, pour une rcompense infinie, pour
-un honneur suprme et une gloire sans fin, on ne saurait se rsoudre
-la moindre fatigue.
-
-4. Serviteur paresseux et toujours murmurant, rougis donc de ce qu'il y
-ait des hommes plus ardents leur perte que tu ne l'es te sauver, et
-pour qui la vanit a plus d'attrait que n'en a pour toi la vrit.
-
-Et cependant ils sont souvent abuss par leurs esprances; tandis que ma
-promesse ne trompe point, et que jamais je ne me refuse celui qui se
-confie en moi.
-
-Ce que j'ai promis, je le donnerai: ce que j'ai dit, je l'accomplirai,
-si toutefois l'on demeure avec fidlit dans mon amour jusqu' la fin.
-
-C'est moi qui rcompense les bons, et qui prouve fortement les justes.
-
-5. Gravez mes paroles dans votre coeur, et mditez-les profondment:
-car, l'heure de la tentation, elles vous seront trs-ncessaires.
-
-Ce que vous n'entendez pas en le lisant, vous le comprendrez au jour de
-ma visite.
-
-J'ai coutume de visiter mes lus de deux manires: par la tentation et
-par la consolation.
-
-Et tous les jours, je leur donne deux leons; l'une en les reprenant de
-leurs dfauts, l'autre en les exhortant avancer dans la vertu.
-
-_Celui qui reoit ma parole, et qui la mprise, sera jug par elle au
-dernier jour_[172].
-
- [172] Joann., XII, 48.
-
-
-PRIRE
-
-POUR DEMANDER LA GRCE DE LA DVOTION.
-
-6. LE F. Seigneur, mon Dieu, vous tes tout mon bien: et qui suis-je
-pour oser vous parler?
-
-Je suis le plus pauvre de vos serviteurs, et un abject ver de terre,
-beaucoup plus pauvre et plus mprisable que je ne sais et que je n'ose
-dire.
-
-Souvenez-vous cependant, Seigneur, que je ne suis rien, que je n'ai
-rien, que je ne puis rien.
-
-Vous tes seul bon, juste et saint; vous pouvez tout, vous donnez tout,
-vous remplissez tout, hors le pcheur que vous laissez vide.
-
-_Souvenez-vous de vos misricordes_[173], et remplissez mon coeur de
-votre grce, vous qui ne voulez point qu'aucun de vos ouvrages demeure
-vide.
-
- [173] Ps. XXIV, 6.
-
-7. Comment puis-je, en cette misrable vie, porter le poids de moi-mme,
-si votre misricorde et votre grce ne me fortifient?
-
-Ne dtournez pas de moi votre visage; ne diffrez pas me visiter; ne
-me retirez point votre consolation, de peur que, _prive de vous, mon
-me ne devienne comme une terre sans eau_[174].
-
- [174] Ps. CXLII, 6.
-
-_Seigneur, apprenez-moi faire votre volont_[175]; apprenez-moi
-vivre d'une vie humble et digne de vous.
-
- [175] _Ibid._, 10.
-
-Car vous tes ma sagesse, vous me connaissez dans la vrit, et vous
-m'avez connu avant que je fusse au monde, et avant mme que le monde
-ft.
-
-
-RFLEXION.
-
- Rien de plus rare qu'un dsir sincre du salut; et c'est ce qui doit
- nous faire trembler, car notre sort chacun sera ce que nous l'aurons
- fait: Dieu nous aide, il vient par sa grce au secours du libre
- arbitre, mais il ne le contraint pas. Or que voyons-nous? Quel
- spectacle nous offre le monde? Nous ne parlons point ici de l'impie
- rsolu se perdre, et dj marqu du sceau de la rprobation: nous
- parlons de ceux qui se disent, qui se croient les disciples de
- Jsus-Christ. Dans la spculation, ces chrtiens veulent se sauver;
- mais ils veulent en mme temps, ils veulent surtout possder les biens
- et goter les jouissances de la terre. Ils donneront Dieu, en
- passant, quelques prires obliges; ils s'informeront de sa loi pour
- connatre ce qu'elle commande strictement: puis, tranquilles de ce
- ct, ils se jetteront la poursuite des honneurs, des richesses, des
- plaisirs qu'ils nomment lgitimes, ou ils s'endormiront dans une vie
- de mollesse permise leurs yeux, parce qu'elle ne viole en apparence
- aucun prcepte formel. Mais dans tout cela, o est la foi qui doit
- rgler toutes nos actions sur la vue de l'ternit? O est l'amour
- perptuellement occup de son objet, l'amour avide de sacrifices? O
- est la pnitence? O est la Croix? Dieu! et c'est l dsirer le
- salut! N'est-il donc pas crit que _celui qui cherche son me la
- perdra_[176]? Que chacun se juge sur cette parole avant le jour
- terrible o le Seigneur lui-mme le jugera.
-
- [176] Luc., XVII, 33.
-
-
-
-
-CHAPITRE IV.
-
-Qu'il faut marcher en prsence de Dieu dans la vrit et l'humilit.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, marchez devant moi dans la vrit, et cherchez-moi
-toujours dans la simplicit de votre coeur.
-
-Celui qui marche devant moi dans la vrit ne craindra nulle attaque; la
-vrit le dlivrera des calomnies et des sductions des mchants.
-
-Si la vrit vous dlivre, vous serez vraiment libre, et peu vous
-importeront les vains discours des hommes.
-
-2. LE F. Seigneur, il est vrai: qu'il me soit fait, de grce, selon
-votre parole. Que votre vrit m'instruise, qu'elle me dfende, qu'elle
-me conserve jusqu' la fin dans la voie du salut.
-
-Qu'elle me dlivre de tout dsir mauvais, de toute affection drgle;
-et je marcherai devant vous dans une grande libert de coeur.
-
-3. J.-C. La vrit, c'est moi: je vous enseignerai ce qui est bon, ce
-qui m'est agrable.
-
-Rappelez-vous vos pchs avec une grande douleur et un profond regret;
-et ne pensez jamais tre quelque chose, cause du bien que vous faites.
-
-Car, dans la vrit, vous n'tes qu'un pcheur, sujet beaucoup de
-passions et engag dans leurs liens.
-
-De vous-mme, vous tendez toujours au nant; un rien vous branle, un
-rien vous abat, un rien vous trouble et vous dcourage.
-
-Qu'avez-vous dont vous puissiez vous glorifier? et que de motifs, au
-contraire, pour vous mpriser vous-mme! car vous tes beaucoup plus
-infirme que vous ne sauriez le comprendre.
-
-4. Que rien de ce que vous faites ne vous paraisse donc quelque chose de
-grand.
-
-Mais plutt qu' vos yeux rien ne soit grand, prcieux, admirable,
-lev, digne d'tre estim, lou, recherch, que ce qui est ternel.
-
-Aimez, par-dessus toutes choses, l'ternelle vrit, et n'ayez jamais
-que du mpris pour votre extrme bassesse.
-
-N'apprhendez rien tant, ne blmez et ne fuyez rien tant que vos pchs
-et vos vices: ils doivent vous affliger plus que toutes les pertes du
-monde.
-
-Il y en a qui ne marchent pas devant moi avec un coeur sincre; mais,
-guids par une certaine curiosit prsomptueuse, ils veulent dcouvrir
-mes secrets et pntrer les profondeurs de Dieu, tandis qu'ils ngligent
-de s'occuper d'eux-mmes et de leur salut.
-
-Ceux-l tombent souvent, cause de leur orgueil et de leur curiosit,
-en de grandes tentations et de grandes fautes, parce que je me spare
-d'eux.
-
-5. Craignez les jugements de Dieu: redoutez la colre du Tout-Puissant;
-ne scrutez point les oeuvres du Trs-Haut; mais sondez vos iniquits, le
-mal que tant de fois vous avez commis, le bien que vous avez nglig.
-
-Plusieurs mettent toute leur dvotion en des livres, d'autres en des
-images, d'autres en des signes et des marques extrieures.
-
-Quelques-uns m'ont souvent dans la bouche, mais peu dans le coeur.
-
-Il en est d'autres qui, clairs et purifis intrieurement, ne cessent
-d'aspirer aux biens ternels, ont dgot les entretiens de la terre,
-et ne s'assujettissent qu' regret aux ncessits de la nature. Ceux-l
-entendent ce que l'Esprit de vrit dit en eux.
-
-Car il leur apprend mpriser ce qui passe, aimer ce qui dure
-ternellement, oublier le monde, et dsirer le Ciel, le jour et la
-nuit.
-
-
-RFLEXION.
-
- _Je suis le Dieu tout-puissant: marchez en ma prsence, et soyez
- parfait_[177]. Ainsi parlait le Seigneur au Pre des croyants, et ce
- commandement s'adresse avec encore plus de force aux chrtiens, qui
- ont contempl, dans le Fils de l'Homme, le modle de toute perfection.
- Aussi leur est-il dit: _Soyez parfaits, comme votre Pre cleste est
- parfait_[178]. tonnant prcepte qui, relevant notre incomprhensible
- bassesse, nous apprend ce qu'est l'homme rachet, ce qu'est le
- chrtien aux yeux de Dieu. Mais comment, faibles cratures, courbes
- sous le poids de la chair, approcherons-nous de cette perfection
- souveraine, laquelle il nous est ordonn de tendre sans cesse?
- coutez Jsus-Christ: _Je suis la voie, la vrit et la vie_[179]. Il
- est la voie qui conduit Dieu, la vrit qui est Dieu mme; il est la
- vie promise ceux qui _marchent dans la vrit_[180], _qui font la
- vrit_[181], selon le mot profond de l'Aptre. Donc, tout en
- Jsus-Christ et par Jsus-Christ. Unies aux siennes, nos penses, nos
- affections, nos oeuvres se divinisent: et comme la perfection du Fils
- est la perfection mme du Pre, par notre union avec le Fils, qui
- commence sur la terre et se consommera dans le ciel, nous devenons
- parfaits comme le Pre est parfait. Ainsi s'accomplit la prire du
- Christ: _Pre saint, conservez en votre nom ceux que vous m'avez
- donns, afin qu'ils soient un comme nous sommes un! Sanctifiez-les
- dans la vrit; je me sanctifie pour eux moi-mme, afin qu'ils soient
- sanctifis dans la vrit_[182]. Mais cette grande union, qui nous
- lve jusqu' participer aux mrites infinis du Rdempteur, ne
- s'effectue, ne l'oublions pas, qu'en proportion du sacrifice que nous
- faisons de nous-mmes. Notre humilit en est la mesure: elle est le
- fruit du renoncement propre, du dtachement, de l'abaissement qui nous
- anantit devant Dieu. L o l'amour corrompu de soi, l o la nature
- vit encore, l'union avec Jsus-Christ n'est pas complte. Il faut
- mourir soi-mme, ses dsirs, ses gots, sa volont, sa
- raison aveugle, pour tre _un avec le Fils_, comme il est _un avec son
- Pre_. Pour tre _sanctifi dans la vrit_[183]. Heureuse mort, qui
- nous met en possession de la vritable vie, de Dieu mme et de sa
- saintet, de sa vrit ternelle!
-
- [177] Gen., XVII, 1.
-
- [178] Matth., V, 48.
-
- [179] Joann., XIV, 6.
-
- [180] III. Joann., 4.
-
- [181] Ephes., IV, 15.
-
- [182] Joann., XVII, 11, 17, 19.
-
- [183] II. Cor., I, 3.
-
-
-
-
-CHAPITRE V.
-
-Des merveilleux effets de l'amour divin.
-
-
-1. LE F. Je vous bnis, Pre cleste, Pre de Jsus-Christ, mon
-Seigneur, parce que vous avez daign vous souvenir de moi, pauvre
-crature.
-
-_ Pre des misricordes, et Dieu de toute consolation_[184], je vous
-rends grces de ce que, tout indigne que j'en suis, vous voulez bien
-cependant quelquefois me consoler!
-
- [184] _Ibid._
-
-Je vous bnis jamais, et je vous glorifie avec votre Fils unique et
-Esprit consolateur, dans les sicles des sicles.
-
- Seigneur, mon Dieu, saint objet de mon amour! quand vous descendrez
-dans mon coeur, toutes mes entrailles tressailliront de joie.
-
-Vous tes ma gloire et la joie de mon coeur.
-
-Vous tes mon esprance et mon refuge au jour de la tribulation.
-
-2. Mais, parce que mon amour est encore faible et ma vertu chancelante,
-j'ai besoin d'tre fortifi et consol par vous: visitez-moi donc
-souvent, et dirigez-moi par vos divines instructions.
-
-Dlivrez-moi des passions mauvaises, et retranchez de mon coeur toutes
-ses affections drgles, afin que, guri et purifi intrieurement, je
-devienne propre vous aimer, fort pour souffrir, ferme pour persvrer.
-
-3. C'est quelque chose de grand que l'amour, et un bien au-dessus de
-tous les biens. Seul, il rend lger ce qui est pesant, et fait qu'on
-supporte avec une me gale toutes les vicissitudes de la vie.
-
-Il porte son fardeau sans en sentir le poids, et rend doux ce qu'il y a
-de plus amer.
-
-L'amour de Jsus est gnreux; il fait entreprendre de grandes choses,
-et il excite toujours ce qu'il y a de plus parfait.
-
-L'amour aspire s'lever, et ne se laisse arrter par rien de
-terrestre.
-
-L'amour veut tre libre et dgag de toute affection du monde, afin que
-ses regards pntrent jusqu' Dieu sans obstacle, afin qu'il ne soit ni
-retard par les biens, ni abattu par les maux du temps.
-
-Rien n'est plus doux que l'amour, rien n'est plus fort, plus lev, plus
-tendu, plus dlicieux; il n'est rien de plus parfait ni de meilleur au
-ciel et sur la terre, parce que l'amour est n de Dieu, et qu'il ne peut
-se reposer qu'en Dieu, au-dessus de toutes les cratures.
-
-4. Celui qui aime, court, vole; il est dans la joie, il est libre, et
-rien ne l'arrte.
-
-Il donne tout pour possder tout; et il possde tout en toutes choses,
-parce qu'au-dessus de toutes choses il se repose dans le seul tre
-souverain, de qui tout bien procde et dcoule.
-
-Il ne regarde pas aux dons, mais il s'lve au-dessus de tous les biens,
-jusqu' celui qui donne.
-
-L'amour souvent ne connat point de mesure; mais, comme l'eau qui
-bouillonne, il dborde de toutes parts.
-
-Rien ne lui pse, rien ne lui cote; il tente plus qu'il ne peut; jamais
-il ne prtexte l'impossibilit, parce qu'il se croit tout possible et
-tout permis.
-
-Et cause de cela il peut tout, et il accomplit beaucoup de choses qui
-fatiguent et qui puisent vainement celui qui n'aime point.
-
-5. L'amour veille sans cesse; dans le sommeil mme il ne dort point.
-
-Aucune fatigue ne le lasse, aucuns liens ne l'appesantissent, aucunes
-frayeurs ne le troublent; mais, tel qu'une flamme vive et pntrante, il
-s'lance vers le Ciel, et s'ouvre un sr passage travers tous les
-obstacles.
-
-Si quelqu'un aime, il entend ce que dit cette voix.
-
-L'ardeur mme d'une me embrase s'lve jusqu' Dieu comme un grand
-cri: Mon Dieu! mon amour! vous tes tout moi, et je suis tout vous.
-
-6. Dilatez-moi dans l'amour, afin que j'apprenne goter au fond de mon
-coeur combien il est doux d'aimer et de se fondre et de se perdre dans
-l'amour.
-
-Que l'amour me ravisse et m'lve au-dessus de moi-mme, par la vivacit
-de ses transports.
-
-Que je chante le cantique de l'amour, que je vous suive, mon
-bien-aim, jusque dans les hauteurs de votre gloire; que toutes les
-forces de mon me s'puisent vous louer, et qu'elle dfaille de joie
-et d'amour.
-
-Que je vous aime plus que moi, que je ne m'aime moi-mme que pour vous,
-et que j'aime en vous tous ceux qui vous aiment vritablement, ainsi que
-l'ordonne la loi de l'amour, que nous dcouvrons dans votre lumire.
-
-7. L'amour est prompt, sincre, pieux, doux, prudent, fort, patient,
-fidle, constant, magnanime, et il ne se recherche jamais: car ds qu'on
-commence se rechercher soi-mme, l'instant on cesse d'aimer.
-
-L'amour est circonspect, humble et droit, sans mollesse, sans lgret;
-il ne s'occupe point de choses vaines; il est sobre, chaste, ferme,
-tranquille, et toujours attentif veiller sur les sens.
-
-L'amour est obissant et soumis aux suprieurs; il est vil et mprisable
- ses yeux. Dvou Dieu sans rserve, et toujours plein de
-reconnaissance, il ne cesse point de se confier en lui, d'esprer en
-lui, lors mme qu'il semble en tre dlaiss, parce qu'on ne vit point
-sans douleur dans l'amour.
-
-8. Qui n'est pas prt tout souffrir et s'abandonner entirement la
-volont de son bien-aim, ne sait pas ce que c'est que d'aimer.
-
-Il faut que celui qui aime embrasse avec joie tout ce qu'il y a de plus
-dur et de plus amer, pour son bien-aim, et qu'aucune traverse ne le
-dtache de lui.
-
-
-RFLEXION.
-
- _Dieu est amour, et celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et
- Dieu en lui_[185]. Mais l'amour a ses temps d'preuve, comme ses temps
- de jouissance; et cette vie tout entire ne doit tre qu'un continuel
- exercice d'amour, ou la consommation d'un grand sacrifice, dont une
- vie ternelle ou un amour immuable sera le prix. Tous les caractres
- de la charit, dtaills par saint Paul[186], nous rappellent l'ide
- de sacrifice; et l'amour infini lui-mme n'a pu se manifester
- pleinement nous que par un sacrifice infini. _Dieu a tant aim le
- monde, qu'il a donn son fils unique_[187]; et notre amour pour Dieu
- ne peut non plus se manifester que par un sacrifice, non pas gal, il
- est impossible, mais semblable, par le don de tout notre tre ou une
- parfaite obissance de notre esprit, de notre coeur et de nos sens,
- la volont de celui qui nous _a tant aims_. C'est alors que
- s'accomplit cette union ineffable que Jsus-Christ, sa dernire
- heure, conjurait son pre d'oprer entre lui et la crature
- _rachete_[188]. Pendant que la nature vit encore en nous, quelque
- chose nous spare de Dieu et de Jsus; et _l'amour de Jsus nous
- presse_[189] d'achever le sacrifice, et de prononcer cette parole
- dernire, que le monde ne comprend pas, mais qui rjouit le Ciel:
- _Tout est consomm_[190].
-
- [185] I. Joann., IV, 16.
-
- [186] I. Cor., XIII.
-
- [187] Joan., III, 16.
-
- [188] _Ibid._, XVII, 21, 23.
-
- [189] II. Cor., V, 14.
-
- [190] Joann., XIX, 30.
-
-
-
-
-CHAPITRE VI.
-
-De l'preuve du vritable amour.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, votre amour n'est encore ni assez fort ni assez
-clair.
-
-LE F. Pourquoi, Seigneur?
-
-J.-C. Parce qu' la moindre contrarit vous laissez l l'oeuvre
-commence, et que vous recherchez trop avidement les consolations.
-
-Celui qui aime fortement demeure ferme dans la tentation, et ne cde
-point aux suggestions artificieuses de l'ennemi. Dans le mauvais comme
-dans le bon succs, son coeur est galement moi.
-
-2. Celui dont l'amour est clair, considre moins le don de celui qui
-aime, que l'amour de celui qui donne.
-
-L'affection le touche plus que le bienfait, et il prfre son bien-aim
- tout ce qu'il reoit de lui.
-
-Celui qui m'aime d'un amour gnreux ne se repose pas dans mes dons,
-mais en moi par-dessus tous mes dons.
-
-Ne croyez pas tout perdu cependant, s'il vous arrive de sentir, pour moi
-ou pour mes Saints, moins d'amour que vous ne voudriez.
-
-Cet amour tendre et doux que vous prouvez quelquefois, est l'effet de
-la prsence de la grce, et une sorte d'avant-got de la patrie cleste;
-il n'y faut pas chercher trop d'appui, parce qu'il passe comme il est
-venu.
-
-Mais combattre les mouvements drgls de l'me, et mpriser les
-sollicitations du dmon, c'est un grand sujet de mrite, et la marque
-d'une solide vertu.
-
-3. Ne vous troublez donc point des fantmes, quels qu'ils soient, qui
-obsdent votre imagination.
-
-Conservez une rsolution ferme, et une intention droite devant Dieu.
-
-Ce n'est point une illusion, si quelquefois vous tes soudain ravi en
-extase, et qu'aussitt vous retombiez dans les penses misrables qui
-occupent d'ordinaire votre coeur.
-
-Car vous souffrez alors plus que vous n'agissez; et tant qu'elles vous
-dplaisent et que vous y rsistez, c'est un mrite et non pas une chute.
-
-4. Sachez que l'antique ennemi s'efforce d'touffer vos bons dsirs, et
-de vous loigner de tout pieux exercice; du culte des Saints, de la
-mditation de mes douleurs et de ma mort, du souvenir si utile de vos
-pchs, de l'attention veiller sur votre coeur, et du ferme propos
-d'avancer dans la vertu.
-
-Il vous suggre mille penses mauvaises, pour vous causer du trouble et
-de l'ennui, pour vous dtourner de la prire et des lectures saintes.
-
-Une humble confession lui dplat, et s'il pouvait, il vous loignerait
-tout fait de la communion.
-
-Ne le croyez point, et n'ayez de lui aucune apprhension, quoiqu'il vous
-tende souvent des piges pour vous surprendre.
-
-Rejetez sur lui seul les penses criminelles et honteuses qu'il vous
-inspire. Dites-lui:
-
-Va, esprit immonde; rougis, malheureux; il faut que tu sois trangement
-pervers pour me tenir un pareil langage.
-
-Retire-toi de moi, dtestable sducteur, tu n'auras jamais en moi aucune
-part: mais Jsus sera prs de moi comme un guerrier formidable, et tu
-demeureras confondu.
-
-J'aime mieux mourir et souffrir tous les tourments, que de consentir
-ce que tu me proposes.
-
-_Tais-toi donc, ne me parle plus_[191]; je ne t'couterai pas davantage,
-quoi que tu fasses pour m'inquiter. _Le Seigneur est ma lumire et mon
-salut: qui craindrai-je_[192]?
-
- [191] Marc., IV, 39.
-
- [192] Ps. XXVI, 1.
-
-_Quand une arme se rangerait en bataille contre moi, mon coeur ne
-craindrait pas_[193]. _Le Seigneur est mon aide et mon Rdempteur_[194].
-
- [193] _Ibid._, 3.
-
- [194] Ps. XVIII, 15.
-
-5. Combattez comme un gnreux soldat; et si quelquefois vous succombez
-par fragilit, reprenez un courage plus grand, dans l'esprance d'tre
-soutenu par une grce plus forte; et gardez-vous surtout de la vaine
-complaisance et de l'orgueil.
-
-C'est ainsi que plusieurs s'garent, et tombent dans un aveuglement
-presque incurable.
-
-Que la chute de ces superbes qui prsumaient follement d'eux-mmes, vous
-soit une leon continuelle de vigilance et d'humilit.
-
-
-RFLEXION.
-
- _Tous ceux qui disent, Seigneur, Seigneur, n'entreront pas dans le
- royaume des cieux; mais celui qui fait la volont de mon pre qui est
- au ciel, celui-l entrera dans le royaume des cieux_[195]: c'est par
- les oeuvres que se connat le vritable amour. Toujours prompt
- obir, jamais il ne se relche, il ne se dcourage jamais. Dans
- l'amertume et dans la joie, dans la consolation et dans la souffrance,
- il loue, il bnit galement celui _qui frappe et qui gurit_[196],
- selon ses divins conseils, impntrables la crature. La tentation
- vient-elle l'prouver, il combat, il rsiste avec paix, parce qu'il ne
- compte point sur ses propres forces, et n'attend la victoire que du
- secours d'en haut. S'il succombe quelquefois, il se relve aussitt
- sans trouble, humili, mais non abattu. Son repentir, quoique profond,
- est calme, parce qu'il est exempt de l'irritation de l'orgueil. Ses
- fautes l'affligent, et ne l'tonnent point. Il connat sa fragilit,
- et il en gmit, plein de confiance en la grce qui le soutiendra, s'il
- lui est fidle. Dtach de la terre et de ses vanits qu'on appelle
- des biens, que veut-il? ce que Dieu veut: il n'a point d'autre
- volont, ni d'autre dsir. Quand le bien-aim se retire et se drobe
- ses transports, loin de murmurer, et loin de se plaindre, il s'avoue
- indigne de le possder, et la privation, qui le purifie, enflamme
- encore son ardeur. Jsus, qu'elles sont merveilleuses les voies par
- o vous conduisez les mes qui vous aiment, _qui ont soif de
- vous_[197]! Tantt vous les inondez de votre joie, tantt vous les
- dlaissez dans les larmes: maintenant vous les prvenez, et puis elles
- semblent vous appeler en vain, comme l'pouse du divin cantique.
- preuves de tendresse et de misricordes! Ainsi pures, ces mes
- lues peu peu se dgagent de leurs liens; elles s'lancent vers
- vous, et un dernier effort d'amour les porte au pied du trne o vous
- vous montrez sans voile. Alors la jouissance, alors l'allgresse et
- l'ternel rassasiement: _Satiabor cm apparuerit_[198]!
-
- [195] Matth., VII, 21.
-
- [196] Deuter., XXXII, 39.
-
- [197] Ps. XLI, 3.
-
- [198] _Ibid._, XVI, 15.
-
-
-
-
-CHAPITRE VII.
-
-Qu'il faut cacher humblement les grces que Dieu nous fait.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, lorsque la grce vous inspire des mouvements de
-pit, il est meilleur pour vous et plus sr de tenir cette grce
-cache, de ne vous en point lever, d'en parler peu, et de ne pas vous
-exagrer sa grandeur; mais plutt de vous mpriser vous-mme, et de
-craindre une faveur dont vous tiez indigne.
-
-Il ne faut pas s'attacher trop un sentiment qui bientt peut se
-changer en on sentiment contraire.
-
-Quand la grce vous est donne, songez combien vous tes pauvre et
-misrable sans la grce.
-
-Le progrs de la vie spirituelle ne consiste pas seulement jouir des
-consolations de la grce, mais en supporter la privation, avec
-humilit, avec abngation, avec patience; de sorte qu'alors on ne se
-relche point dans l'exercice de la prire, et qu'on n'abandonne aucune
-de ses pratiques accoutumes.
-
-Faites au contraire tout ce qui est en vous le mieux que vous pourrez,
-selon vos lumires; et ne vous ngligez pas entirement vous-mme,
-cause de la scheresse et de l'angoisse que vous sentez en votre me.
-
-2. Car il y en a beaucoup qui, au temps de l'preuve, tombent aussitt
-dans l'impatience ou le dcouragement.
-
-Cependant _la voie de l'homme n'est pas toujours en son pouvoir_[199].
-C'est Dieu de consoler, et de donner quand il veut, autant qu'il veut,
-et qui il veut, comme il lui plat, et non davantage.
-
- [199] Jer., X, 23.
-
-Des indiscrets se sont perdus par la grce mme de la dvotion, parce
-qu'ils ont voulu faire plus qu'ils ne pouvaient, ne mesurant point leur
-faiblesse, mais suivant plutt l'imptuosit de leur coeur que le
-jugement de la raison.
-
-Et parce qu'ils ont aspir, dans leur prsomption, un tat plus lev
-que celui o Dieu les voulait, ils ont promptement perdu la grce.
-
-Ils avaient plac leur demeure dans le Ciel, et tout coup on les a vus
-pauvres et dlaisss dans leur misre, afin que par l'humiliation et le
-dnment ils apprissent ne plus tenter de s'lever sur leurs propres
-ailes, mais se rfugier sous les miennes.
-
-Ceux qui sont encore nouveaux et sans exprience dans les voies de Dieu
-peuvent aisment s'garer et se briser sur les cueils, s'ils ne se
-laissent conduire par des personnes prudentes.
-
-3. Que s'ils veulent suivre leur sentiment plutt que de croire
-l'exprience des autres, le rsultat leur en sera funeste, si toutefois
-ils s'obstinent dans leur propre sens.
-
-Rarement ceux qui sont sages leurs yeux se laissent humblement
-conduire par les autres.
-
-Il vaut mieux tre humble avec un esprit et des lumires bornes, que de
-possder des trsors de science, et de se complaire en soi-mme.
-
-Il vaut mieux pour vous avoir peu, que beaucoup dont vous pourriez vous
-enorgueillir.
-
-Celui-l manque de prudence, qui se livre tout entier la joie,
-oubliant son indigence passe, et cette chaste crainte du Seigneur, qui
-apprhende de perdre la grce reue.
-
-C'est aussi manquer de vertu que de se laisser aller un dcouragement
-excessif, au temps de l'adversit et de l'preuve, et d'avoir des
-penses et des sentiments indignes de la confiance qu'on me doit.
-
-4. Celui qui, durant la paix, a trop de scurit, se trouve souvent,
-pendant la guerre, le plus timide et le plus lche.
-
-Si, ne prsumant jamais de vous-mme, vous saviez demeurer toujours
-humble, modrer et rgler les mouvements de votre esprit, vous ne
-tomberiez pas si vite dans le pril et dans le pch.
-
-C'est une pratique sage que de penser, durant la ferveur, ce qu'on
-sera dans la privation de la lumire.
-
-Et quand vous en tes en effet priv, songez qu'elle peut revenir, et
-que je ne vous l'ai retire pour un temps qu'en vue de ma gloire, et
-pour exciter votre vigilance.
-
-Souvent une telle preuve vous est plus utile, que si tout vous
-succdait constamment selon vos dsirs.
-
-Car, pour juger du mrite, on ne doit pas regarder si quelqu'un a
-beaucoup de visions ou de consolations, ou s'il est habile dans
-l'criture sainte, on s'il occupe un rang lev;
-
-Mais s'il est affermi dans la vritable humilit, et rempli de la
-charit divine; s'il cherche en tout et toujours uniquement la gloire de
-Dieu; s'il est bien convaincu de son nant; s'il a pour lui-mme un
-mpris sincre, et s'il se rjouit plus d'tre mpris des autres et
-humili par eux, que d'en tre honor.
-
-
-RFLEXION.
-
- Reconnatre sa misre et ne la jamais perdre de vue; s'abandonner sans
- rserve entre les mains de Dieu, avec une foi vive et un obissant
- amour: voil toute la vie spirituelle, dont l'humilit est le premier
- fondement. Celui qui se dit au fond de son me: je ne suis rien que la
- faiblesse et l'indigence mme, ne cherche pas d'appui en soi, et met
- en Jsus sa seule esprance. Il suit avec simplicit les mouvements de
- la grce, ne s'lve point dans la ferveur, ne s'abat point dans la
- scheresse; toujours satisfait, pourvu que la volont divine
- s'accomplisse en lui. L'orgueil, qui souvent se cache sous le voile de
- ce qu'il y a de plus saint, ne les sduit pas par le vain dsir d'un
- tat eu apparence plus parfait, auquel il n'est point appel. Fidle
- et tranquille dans sa voie, il dit Dieu: _Donnez-moi la sagesse qui
- assiste prs de votre trne, et ne me rejetez pas du nombre de vos
- enfants; car je suis votre serviteur et le fils de votre servante, un
- homme infirme, de peu de dure, et qui n'a point l'intelligence de
- votre jugement et de vos lois_[200]. Qu'il aille en paix celui dont le
- coeur prie ainsi, dsire ainsi: Dieu le regarde avec complaisance, et
- sa bndiction reposera sur lui.
-
- [200] Sapient., IX, 4, 5.
-
-
-
-
-CHAPITRE VIII.
-
-Qu'il faut s'anantir soi-mme devant Dieu.
-
-
-1. LE F. _Je parlerai au Seigneur mon Dieu, bien que je ne sois que
-cendre et poussire_[201]. Si je me crois quelque chose de plus, voil
-que vous vous levez contre moi; et mes iniquits rendent un tmoignage
-vrai, et que je ne puis contredire.
-
- [201] Gen., XVIII, 27.
-
-Mais si je m'abaisse, si je m'anantis, si je me dpouille de toute
-estime pour moi-mme, et que je rentre dans la poussire dont j'ai t
-form, votre grce s'approchera de moi, et votre lumire sera prs de
-mon coeur; alors tout sentiment d'estime, mme le plus lger, que je
-pourrais concevoir de moi, disparatra pour jamais dans l'abme de mon
-nant.
-
-L, vous me montrez moi-mme, vous me faites voir ce que je suis, ce
-que j'ai t, jusqu'o je suis descendu: _car je ne suis rien, et je ne
-le savais pas_[202].
-
- [202] Ps. LXXII, 22.
-
-Si vous me laissez moi-mme, que suis-je? rien qu'infirmit; mais, ds
-que vous jetez un regard sur moi, l'instant je deviens fort, et je
-suis rempli d'une joie nouvelle.
-
-Et certes, cela me confond d'tonnement que vous me releviez ainsi tout
-d'un coup, et me preniez avec tant de bont entre vos bras, moi toujours
-entran par mon propre poids vers la terre.
-
-2. C'est votre amour qui opre cette merveille, qui me prvient
-gratuitement, qui ne se lasse point de me secourir dans mes ncessits,
-qui me prserve des plus grands prils, et, vrai dire, me dlivre de
-maux innombrables.
-
-Car je me suis perdu en m'aimant d'un amour drgl; mais en ne
-cherchant que vous, en n'aimant que vous, je vous ai trouv, et je me
-suis retrouv moi-mme, et l'amour m'a fait rentrer plus avant dans mon
-nant.
-
- Dieu plein de tendresse! vous faites pour moi beaucoup plus que je ne
-mrite, et plus que je n'oserais esprer ou demander.
-
-3. Soyez bni, mon Dieu, de ce que, tout indigne que je suis de recevoir
-de vous aucune grce, cependant votre bont gnreuse et infinie ne
-cesse de faire du bien mme aux ingrats, et ceux qui se sont le plus
-loigns de vous.
-
-Ramenez-nous vous, afin que nous soyons reconnaissants, humbles,
-fervents, parce que vous tes notre salut, notre vertu et notre force.
-
-
-RFLEXION.
-
- Dieu se montre, dans l'criture, plein d'une immense compassion pour
- les fautes, si on peut le dire, purement humaines; mais il est sans
- piti pour l'orgueil, _principe de tout mal_[203], pour l'orgueil, qui
- est le crime propre de l'Ange rebelle, et qui s'attaque directement au
- souverain tre. Il a dit: _Je suis Jhova, c'est mon nom; je ne
- donnerai point ma gloire un autre_[204]. Or tout orgueil tend, par
- essence, s'galer Dieu, se faire Dieu: dsordre tel que
- non-seulement on n'en conoit pas de plus grand, mais qu'on hsiterait
- le croire possible, s'il n'tait sans cesse prsent sous nos yeux,
- et si l'on n'en sentait pas le germe en soi-mme. Aussi voyez comme
- Dieu le foudroie: et d'abord cette ironie qui glace l'me d'un effroi
- surnaturel: _Voil qu'Adam est devenu comme l'un de nous_[205]; Adam
- jet nu avec son pch, sur une terre maudite! Adam qui venait
- d'entendre cette parole: _Tu mourras de mort_[206]! Ses enfants
- imitent son crime, leur orgueil s'lve sans mesure. Alors l'esprit
- divin; _Comment es-tu tomb, toi qui te levais comme l'astre du matin,
- qui disais en ton coeur: Je monterai dans les cieux, je poserai mon
- trne au-dessus des toiles et je serai semblable au Trs-Haut. Voil
- que tu seras tran aux enfers, dans la profondeur du lac: on se
- baissera pour te voir_[207]. Lisez, dans l'vangile, les effroyables
- maldictions prononces contre les Pharisiens superbes, tandis que
- celui qui s'abaisse est l'instant justifi. Une femme pleure aux
- pieds de Jsus: elle s'humilie de ses fautes, elle n'ose presque en
- solliciter le pardon, son silence seul supplie. Le Sauveur mu la
- console: _Beaucoup de pchs lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup
- aim_[208]. Mais l'orgueil n'aime point; c'est encore l un de ses
- caractres, et comme le type infernal. Il est le pre de la haine, de
- l'envie, de la violence, de la fausse scurit et de l'endurcissement.
- Sorti de l'abme, il s'y replonge: le reste est le mystre de
- l'ternelle justice. Dieu, ayez piti de votre pauvre crature! Le
- front dans la poussire, je m'anantis devant vous. Je sens, je
- confesse ma misre, ma corruption profonde, ma dsolante impuissance
- et tout ce qui jamais me sparerait de vous, si votre grande
- misricorde ne venait mon secours par le don gratuit de la grce.
- Daignez, daignez la rpandre en mon me. Ne m'abandonnez pas,
- Seigneur; _sauvez-moi, ou je vais prir_[209]. Dieu, ayez piti de
- votre pauvre crature!
-
- [203] Eccli., X, 15.
-
- [204] Is., XLII, 8.
-
- [205] Genes., III, 22.
-
- [206] _Ibid._, II, 17.
-
- [207] Is., XIV. 12-16.
-
- [208] Luc., VII, 47.
-
- [209] Matth., VIII, 25.
-
-
-
-
-CHAPITRE IX.
-
-Qu'il faut rapporter tout Dieu comme notre dernire fin.
-
-
-1. Mon fils, je dois tre votre fin suprme et dernire, si
-vritablement vous dsirez tre heureux.
-
-Cette vue purifiera vos affections, qui s'abaissent trop souvent jusqu'
-vous et aux cratures.
-
-Car, si vous vous recherchez en quelque chose, aussitt vous tombez dans
-la langueur et la scheresse.
-
-Rapportez donc principalement tout moi, parce que c'est moi qui vous
-ai tout donn.
-
-Considrez chaque bien comme dcoulant du souverain bien; et songez que,
-ds lors, ils doivent tous remonter moi comme leur origine.
-
-2. En moi, comme dans une source intarissable, le petit et le grand, le
-pauvre et le riche, puisent l'eau vive, et ceux qui me servent
-volontairement et de coeur recevront grce sur grce.
-
-Mais celui qui cherchera sa gloire hors de moi, ou sa jouissance dans un
-autre bien que moi, sa joie ne sera ni vraie ni solide, et son coeur
-toujours la gne, toujours l'troit, ne trouvera que des angoisses.
-
-Ne vous attribuez donc aucun bien, et n'attribuez nul homme sa vertu;
-mais rendez tout Dieu, sans qui l'homme n'a rien.
-
-C'est moi qui vous ai tout donn, et je veux que vous vous donniez moi
-tout entier: j'exige avec une extrme rigueur les actions de grces qui
-me sont dues.
-
-3. Ceci est la vrit qui dissipe la vanit de la gloire.
-
-L o pntre la grce cleste et la vraie charit, il n'y a plus de
-place pour l'amour-propre, ni pour l'envie qui torture le coeur.
-
-Car l'amour divin subjugue tout et agrandit toutes les forces de l'me.
-
-Si vous coutez la sagesse, vous ne vous rjouirez qu'en moi, vous
-n'esprerez qu'en moi, parce que nul n'est bon que Dieu seul, qui, en
-tout et par-dessus tout, est due jamais la louange et la bndiction.
-
-
-RFLEXION.
-
- Tout bien dcoule de Dieu, qui est le bien suprme, et tout ce qu'il
- fait est bon[210], parce qu'il le tire de lui. Il n'y a dans le monde
- d'autre mal que le pch; car la peine du pch n'est pas un mal,
- puisque, supporte patiemment, elle l'expie, et que toujours elle
- rtablit l'ordre que le pch avait troubl. Ainsi nous tenons de Dieu
- la vie, l'intelligence, l'amour, qui doit remonter perptuellement
- vers sa source, et de nous-mmes nous ne pouvons rien, pas mme dire:
- _Mon Pre_[211]! car _nous ne savons pas prier, et c'est l'esprit qui
- demande en nous avec des gmissements ineffables_[212]. L'unique chose
- qui nous appartienne, c'est le pch; il est le fruit de notre volont
- libre, _et son salaire est la mort_[213]. levons-nous tant que nous
- voudrons dans notre pense, voil ce que nous sommes; nous n'avons
- rien de plus que ce que Dieu nous donne dans sa bont et sa
- misricorde toute gratuite. Donc nous le mpris, la confusion, la
- honte, en nous trouvant si misrables; et Dieu _la bndiction,
- l'honneur, la gloire, la puissance_[214], comme les saints le chantent
- dans le Ciel, au pied du trne de l'Agneau.
-
- [210] Genes., I, 4 et seq.
-
- [211] Rom., VIII, 15.
-
- [212] _Ibid._, 26.
-
- [213] Rom., VI, 23.
-
- [214] Apoc., V, 13.
-
-
-
-
-CHAPITRE X.
-
-Qu'il est doux de servir Dieu et de mpriser le monde.
-
-
-1. LE F. Je vous parlerai encore, Seigneur, et je ne me tairai point. Je
-dirai mon Dieu, mon Seigneur et mon roi, assis dans les hauteurs des
-cieux:
-
-_ quelle abondance de douceurs vous avez rserve pour ceux qui vous
-craignent_[215]! Et qu'est-ce donc pour ceux qui vous aiment, pour ceux
-qui vous servent de tout leur coeur?
-
- [215] Ps. XXX, 20.
-
-Elles sont vraiment ineffables, les dlices dont vous inondez ceux qui
-vous aiment, quand leur me vous contemple.
-
-Vous m'avez montr principalement en ceci toute la tendresse de votre
-amour: je n'tais pas, et vous m'avez cr; j'errais loin de vous, vous
-m'avez ramen pour vous servir, et vous m'avez command de vous aimer.
-
-2. source d'amour ternel, que dirai-je de vous?
-
-Comment pourrai-je vous oublier, vous qui avez daign vous souvenir de
-moi, lorsque dj puis, consum, je penchais vers la mort?
-
-Votre misricorde envers votre serviteur a pass toute esprance; et
-vous avez rpandu sur lui votre grce et votre amour, bien au-del de
-tout ce qu'il pouvait mriter.
-
-Que vous rendrai-je pour une telle faveur? car il n'est pas donn tous
-de tout quitter, de renoncer au sicle pour embrasser la vie religieuse.
-
-Est-ce faire beaucoup que de vous servir, vous que doivent servir toutes
-les cratures?
-
-Cela doit me sembler peu de chose: mais ce qui me parat grand et
-merveilleux, c'est que vous daigniez agrer le service d'une crature si
-pauvre et si misrable, et l'admettre parmi les serviteurs que vous
-aimez.
-
-3. Tout ce que j'ai, tout ce que je puis consacrer votre service, est
- vous.
-
-Et nanmoins prenant pour ainsi dire ma place, vous me servez plus que
-moi-mme je ne vous sers.
-
-Voil que le ciel et la terre, que vous avez crs pour le service de
-l'homme, sont devant vous, et chaque jour ils excutent tout ce que vous
-leur avez command.
-
-C'est peu encore: vous avez prpar pour l'homme le ministre mme des
-Anges.
-
-Mais ce qui surpasse tout, vous avez daign le servir vous-mme, et vous
-avez promis de vous donner lui.
-
-4. Que vous rendrai-je pour tant de biens? Ah! si je pouvais vous servir
-tous les jours de ma vie! si je pouvais mme un seul jour vous servir
-dignement!
-
-Il est bien vrai que vous tes digne d'tre servi universellement, digne
-de tout honneur et d'une louange ternelle.
-
-Vous tes vraiment mon Seigneur, et je suis votre pauvre serviteur, qui
-dois vous servir de toutes mes forces, et ne me lasser jamais de vous
-louer.
-
-Je le veux ainsi, je le dsire ainsi: daignez suppler vous-mme tout
-ce qui me manque.
-
-5. C'est un grand honneur, une grande gloire de vous servir et de
-mpriser tout cause de vous.
-
-Car ils recevront des grces abondantes, ceux qui se courbent
-volontairement sous votre joug trs-saint.
-
-Ils seront abreuvs de la dlectable consolation de l'Esprit saint, ceux
-qui, pour votre amour, auront rejet tous les plaisirs des sens.
-
-Ils jouiront d'une grande libert d'esprit, ceux qui, pour la gloire de
-votre nom, seront entrs dans la voie troite, et auront renonc
-toutes les sollicitudes du monde.
-
-6. aimable et douce servitude de Dieu, dans laquelle l'homme retrouve
-la vraie libert et la saintet!
-
- saint assujettissement de la vie religieuse, qui rend l'homme agrable
- Dieu, gal aux Anges, terrible aux dmons, respectable tous les
-fidles!
-
- esclavage digne jamais d'tre dsir, embrass, puisqu'il nous
-mrite le souverain bien, et nous assure une joie ternelle!
-
-
-RFLEXION.
-
- Le monde est tellement fascin par les passions, qu'il ne peut rien
- comprendre la flicit des enfants de Dieu. Quelquefois il les
- plaint, comme le monde sait plaindre, en jetant sur eux un regard de
- mpris; quelquefois il les contemple avec une sorte d'tonnement
- stupide. Il n'a nulle ide de ce qui se passe dans l'me unie son
- Crateur, nulle ide des consolations et du calme dlicieux dont elle
- jouit. Saint Paul s'criant: _Je surabonde de joie au milieu de mes
- tribulations_[216], lui est un mystre inexpliquable; jamais il ne
- concevra cette joie pure, _qui est justice et paix dans le
- Saint-Esprit_[217]. Quel est donc le partage du serviteur du monde? un
- immense ennui parsem de quelques rares plaisirs; et quand Dieu ne
- l'abandonne pas entirement, le remords. Creusez dans son coeur, vous
- n'y trouverez que cela. Le remords est sa _justice_ et l'ennui sa
- _paix_. mes chrtiennes, mes dtaches, qui avez renonc au monde et
- tout ce qui est du monde, plaignez votre tour les infortuns
- chargs encore de ses pesantes chanes; mais plaignez-les en vous
- humiliant aux pieds de celui qui vous a dlivrs, et dont la grce,
- qui ne vous tait pas due, vous met en possession des seuls biens
- vritables. Gardez avec soin ce bon trsor que vous a confi _le Pre
- des lumires, de qui dcoule tout don parfait_[218], et demandez-lui
- avec amour qu'aprs avoir commenc votre joie sur la terre, il la
- consomme un jour dans les cieux.
-
- [216] II. Cor., VII, 4.
-
- [217] Rom., XIV, 17.
-
- [218] Jacob., I, 17.
-
-
-
-
-CHAPITRE XI.
-
-Qu'il faut examiner et modrer les dsirs du coeur.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, il faut que vous appreniez beaucoup de choses que
-vous ne savez pas encore assez.
-
-2. LE F. Eh quoi, Seigneur?
-
-3. J.-C. Vous devez soumettre entirement vos dsirs ma volont, ne
-point vous aimer vous-mme, et ne rechercher en tout que ce qui me
-plat.
-
-Souvent vos dsirs s'enflamment, et vous emportent imptueusement: mais
-considrez si cette ardeur a ma gloire pour motif, ou votre intrt
-propre.
-
-Si c'est moi que vous avez en vue, vous serez content, quoi que
-j'ordonne; mais si quelque secrte recherche de vous-mme se cache au
-fond de votre coeur, voil ce qui vous abat et vous trouble.
-
-4. Prenez donc garde ne vous pas trop attacher des dsirs sur
-lesquels vous ne m'avez point consult, de peur qu'ensuite vous ne
-veniez vous repentir, ou que vous prouviez du dgot pour ce qui vous
-avait plu d'abord, et que vous aviez cru le meilleur.
-
-Car tout mouvement qui parat bon ne doit pas tre aussitt suivi; de
-mme qu'on ne doit pas non plus cder sur-le-champ ses rpugnances.
-
-Quelquefois il est propos de modrer le zle le plus saint et les
-meilleurs dsirs, de peur qu'ils ne proccupent et ne distraient votre
-esprit; ou qu'en les suivant indiscrtement, vous ne causiez du scandale
-aux autres; ou qu'enfin l'opposition que vous y trouverez ne vous jette
-vous-mme dans le trouble et dans l'abattement.
-
-5. Il faut aussi quelquefois user de violence, et rsister aux
-convoitises des sens, avec une grande force, sans prendre garde ce que
-veut la chair, et ce qu'elle ne veut pas, et travailler surtout la
-soumettre l'esprit malgr elle.
-
-Il faut la chtier et l'asservir, jusqu' ce que, prte tout, elle ait
-appris se contenter de peu, aimer les choses les plus simples, et
-ne jamais se plaindre de rien.
-
-
-
-RFLEXION.
-
- Nous avons un grand combat soutenir: contre notre esprit, qui nous
- gare, sduit par de fausses lueurs et par une funeste curiosit;
- contre nos dsirs, qui nous troublent; contre nos sens, dont les
- convoitises souillent l'me et la courbent vers la terre. Lamentable
- condition de l'homme dchu! Mais Dieu ne l'a point abandonn: il peut
- vaincre s'il veut. La foi rprime l'inquitude maladive de l'esprit,
- et le fixe dans la vrit. Une entire soumission la volont divine
- produit la paix du coeur, en touffant les vains dsirs et ceux mme
- qui trompent la pit par une apparence de bien. Enfin nous triomphons
- des sens par la prire, l'humilit, la pnitence, en _chtiant le
- corps_ rebelle, et le _rduisant en servitude_[219]. C'est dans cette
- guerre de chaque moment que le chrtien se perfectionne, et c'est en
- combattant avec fidlit qu'il peut dire comme l'Aptre: _Je ne pense
- point tre encore arriv o j'aspire; mais oubliant ce qui est en
- arrire, et m'tendant ce qui est devant, je cours au terme de la
- carrire pour saisir le prix que Dieu nous a destin_, la flicit
- cleste _ laquelle il nous a appels par Jsus-Christ_[220].
-
- [219] I. Cor., IX, 27.
-
- [220] Philipp., III, 13, 14.
-
-
-
-
-CHAPITRE XII.
-
-Qu'il faut s'exercer la patience, et lutter contre ses passions.
-
-
-1. LE F. Seigneur, mon Dieu, je vois combien la patience m'est
-ncessaire; car cette vie est pleine de contradictions.
-
-Elle ne peut jamais tre exempte de douleur et de guerre, quoi que je
-fasse pour avoir la paix.
-
-2. J.-C. Il en est ainsi, mon fils; mais je ne veux pas que vous
-cherchiez une paix telle que vous n'ayez ni tentations vaincre ni
-contrarits souffrir.
-
-Croyez, au contraire, avoir trouv la paix, lorsque vous serez exerc
-par beaucoup de tribulations, et prouv par beaucoup de traverses.
-
-Si vous dites que vous ne pouvez supporter tant de souffrances, comment
-supporterez-vous le feu du purgatoire?
-
-Afin donc d'viter des supplices ternels, efforcez-vous d'endurer pour
-Dieu, avec patience, les maux prsents.
-
-Pensez-vous que les hommes du sicle n'aient rien ou que peu de choses
-souffrir? C'est ce que vous ne trouverez pas, mme en ceux qui semblent
-environns de plus de dlices.
-
-3. Mais ils ont, dites-vous, des plaisirs en abondance; ils suivent
-toutes leurs volonts; et ainsi ils sentent peu le poids de leurs maux.
-
-Soit, je veux qu'ils aient tout ce qu'ils dsirent: combien cela
-durera-t-il?
-
-Voil que les riches du sicle s'vanouiront comme la fume, et il ne
-restera pas mme un souvenir de leurs joies passes.
-
-Et, durant leur vie mme, ils ne s'y reposent pas sans amertume, sans
-ennui et sans crainte.
-
-Car souvent, l mme o ils se promettaient la joie, ils rencontrent le
-chtiment et la douleur, et avec justice, puisqu'il est juste que
-l'amertume et l'ignominie accompagnent les plaisirs qu'ils cherchent
-dans le dsordre.
-
-4. que tous ces plaisirs sont courts, qu'ils sont faux, criminels,
-honteux!
-
-Et cependant ces malheureux, enivrs et aveugls, ne le comprennent
-point; mais, semblables des animaux sans raison, ils exposent leur me
- la mort, pour quelques jouissances misrables dans une vie qui va
-finir.
-
-Pour vous, mon fils, _ne suivez pas vos convoitises, et dtachez-vous de
-votre volont. Mettez vos dlices dans le Seigneur, et il vous accordera
-ce que votre coeur demande_[221].
-
- [221] Eccli., XVIII, 30; Ps. XXXVI, 4.
-
-Si vous voulez goter une vritable joie, et des consolations
-abondantes, mprisez toutes les choses du monde, repoussez toutes les
-joies terrestres; et je vous bnirai, je verserai sur vous mes
-inpuisables consolations.
-
-Plus vous renoncerez celles que donnent les cratures, plus les
-miennes seront douces et puissantes.
-
-Mais vous ne les goterez point sans avoir auparavant ressenti quelque
-tristesse, sans avoir travaill, combattu.
-
-Une mauvaise habitude vous arrtera; mais vous la vaincrez par une
-meilleure.
-
-La chair murmurera; mais elle sera contenue par la ferveur de l'esprit.
-
-L'antique serpent vous sollicitera, vous exercera; mais vous le mettrez
-en fuite par la prire; et en vous occupant surtout d'un travail utile,
-vous lui fermerez l'entre de votre me.
-
-
-RFLEXION.
-
- Toute chair a pch, toute chair doit souffrir: c'est la loi prsente
- de l'humanit; loi de justice, car Dieu ne serait pas Dieu si le
- dsordre restait impuni; loi d'amour, car la souffrance, accepte et
- unie aux souffrances du Sauveur, gurit l'me et la rtablit dans
- l'tat primitif d'innocence. De quoi donc vous plaignez-vous quand
- cette loi divine s'accomplit votre gard? Est-ce de ce que la
- misricorde prend soin de vous regnrer? Est-ce d'tre semblable
- Jsus-Christ, qui a voulu, qui a _d_, selon les paroles de
- l'vangliste, souffrir pour vous racheter: _Et il commena leur
- enseigner comment il fallait que le Fils de l'homme souffrt beaucoup
- de douleurs, qu'il ft rprouv par les anciens, les souverains
- pontifes et les scribes, et mis mort_[222]? Voil la grande
- expiation; mais, pour qu'elle nous soit applique, il est ncessaire
- que nous nous la rendions propre, en y joignant la ntre. Le mystre
- du salut se consomme en chacun de nous sur la Croix; et la Croix est
- l'unique flicit de la terre, car il n'y en a point d'autre que la
- parfaite soumission l'ordre, d'o nat le calme de la conscience et
- la paix du coeur. Le monde vous blouit par ses joies apparentes, mais
- pensez-vous donc que ses sectateurs, mme les plus favoriss, n'aient
- rien souffrir? Tourments de leurs convoitises, qui s'accroissent
- avec la jouissance, en vtes-vous jamais un seul content? De nouveaux
- dsirs les dvorent sans cesse. Et n'ont-ils pas, d'ailleurs, autant
- que les autres, et plus que les autres, supporter les maux de la
- vie, les soucis, les peines, les inquitudes, et la foule innombrable
- des maladies, filles des vices et des troubles secrets de l'me? Aprs
- arrive la fin; la justice inexorable exige sa dette; ce riche de la
- terre est jet nu _dans la prison: en vrit, je vous le dis, il n'en
- sortira pas qu'il n'ait pay jusqu' la dernire obole_[223].
- Rjouissez-vous donc, vous que le Seigneur purifie, dlivre ds
- ici-bas: accomplissez avec amour le sacrifice de justice. Plusieurs
- disent: _Qui nous montrera les biens? Seigneur, la lumire de votre
- face a t marque sur nous: vous avez donn la paix mon coeur.
- C'est pourquoi je m'endormirai dans la paix, et je reposerai, parce
- que vous m'avez, mon Dieu, affermi dans l'esprance_[224].
-
- [222] Marc., VIII, 31.
-
- [223] Matth., V, 25, 26.
-
- [224] Ps. IV, 6, 7, 9, 10.
-
-
-
-
-CHAPITRE XIII.
-
-Qu'il faut obir humblement l'exemple de Jsus-Christ.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, celui qui cherche se soustraire l'obissance, se
-soustrait la grce; et celui qui veut possder seul quelque chose,
-perd ce qui est tous.
-
-Quand on ne se soumet pas volontairement et de bon coeur son
-suprieur, c'est une marque que la chair n'est pas encore pleinement
-assujettie, mais que souvent elle murmure et se rvolte.
-
-Apprenez donc obir avec promptitude vos suprieurs, si vous dsirez
-dompter votre chair.
-
-Car l'ennemi du dehors est bien plus vite vaincu, quand l'homme n'a pas
-la guerre au dedans de soi.
-
-L'ennemi le plus terrible et le plus dangereux pour votre me, c'est
-vous, lorsque vous tes divis en vous-mme.
-
-Il faut que vous appreniez vous mpriser sincrement, si vous voulez
-triompher de la chair et du sang.
-
-L'amour dsordonn que vous avez encore pour vous-mme, voil ce qui
-vous fait craindre de vous abandonner sans rserve la volont des
-autres.
-
-2. Est-ce donc cependant un si grand effort, que toi, poussire et
-nant, tu te soumettes l'homme cause de Dieu; lorsque moi, le
-Tout-Puissant, moi, le Trs-Haut, qui ai tout fait de rien, je me suis
-soumis humblement l'homme cause de toi.
-
-Je me suis fait le plus humble et le dernier de tous, afin que mon
-humilit t'apprt vaincre ton orgueil.
-
-Poussire, apprends obir: apprends t'humilier, terre et limon,
-t'abaisser sous les pieds de tout le monde.
-
-Apprends briser ta volont, et ne refuser aucune dpendance.
-
-3. Enflamme-toi de zle contre toi-mme, et ne souffre pas que le
-moindre orgueil vive en toi; mais fais-toi si petit, et mets-toi si bas,
-que tout le monde puisse marcher sur toi et te fouler aux pieds comme la
-boue des places publiques.
-
-Fils du nant, qu'as-tu te plaindre? Pcheur couvert d'ignominie,
-qu'as-tu rpondre, quelque reproche qu'on t'adresse, toi qui as tant
-de fois offens Dieu, tant de fois mrit l'enfer?
-
-Mais ma bont t'a pargn, parce que ton me a t prcieuse devant moi:
-je ne t'ai point dlaiss, afin que tu connusses mon amour, et que mes
-bienfaits ne cessassent jamais d'tre prsents ton coeur; afin que tu
-fusses toujours prt te soumettre, t'humilier, et souffrir les
-mpris avec patience.
-
-
-RFLEXION.
-
- Il n'existe qu'une volont qui ait le droit essentiel et absolu d'tre
- obie, la volont de l'tre ternel qui a tout cr et qui conserve
- tout; et de l l'admirable prire du prophte-roi: _Enseignez-moi,
- Seigneur, faire votre volont, parce que vous tes mon Dieu_[225].
- Cette volont souveraine a des ministres pour rappeler ses ordonnances
- et en maintenir l'excution dans la famille, dans l'tat, dans
- l'glise; et l'obissance leur est due, parce qu'ils reprsentent Dieu
- chacun dans son ordre, selon les degrs d'une sublime hirarchie, qui
- remonte du pre au roi, du roi au pontife, du pontife Jsus-Christ,
- de Jsus-Christ celui qui l'a envoy, et _de qui toute paternit, au
- ciel et sur la terre, tire son nom_[226], c'est--dire son autorit.
- Ainsi le devoir n'est autre chose que le commandement divin, et la
- vertu n'est que l'obissance ce commandement. Tout pch, au
- contraire, n'est, comme le premier, qu'une dsobissance, une rvolte;
- et l'homme est conu dans la rvolte, puisqu'il _est conu dans le
- pch_[227]; d'o cette belle et profonde expression du Psalmiste: _Le
- pcheur est rebelle ds le sein de sa mre, et livr au mal dans ses
- entrailles_[228]. Aussi le sacrifice qui a expi le pch et rpar la
- nature humaine, consista-t-il essentiellement, suivant la doctrine du
- grand Aptre, dans une obissance infinie. _Le Christ s'est rendu
- obissant jusqu' la mort, et la mort de la croix_[229]. Et nous,
- misrables cratures, rachetes par cette prodigieuse obissance, nous
- refuserions d'obir! Nous opposerions notre volont la volont du
- Tout-Puissant, par cet pouvantable orgueil qui a cr l'enfer, o,
- dans les tnbres, dans le supplice, dans la rage et le dsespoir,
- dans l'ignominie de l'esclavage le plus abject et le plus hideux,
- l'ange prvaricateur et ses complices rpteront ternellement: _Je
- n'obirai point, non serviam_[230]! Dieu, prservez-moi d'un orgueil
- aussi insens, aussi criminel! Que votre grce m'apprenne me
- soumettre et vous, et tous ceux que vous avez prposs sur moi!
- _Je suis tranger sur la terre; ne me cachez point vos commandements.
- Mon me, toute heure, en rappelle le dsir_[231]. _Enseignez-moi,
- Seigneur, faire votre volont, parce que vous tes mon Dieu!_
-
- [225] Ps. CXLII, 10.
-
- [226] Ephes., III, 15.
-
- [227] Ps. L, 7.
-
- [228] _Ibid._
-
- [229] Philipp., II, 8.
-
- [230] Jerem., II, 20.
-
- [231] Ps. CXVIII, 19, 20.
-
-
-
-
-CHAPITRE XIV.
-
-Qu'il faut considrer les secrets jugements de Dieu pour ne pas
-s'enorgueillir du bien qu'on fait.
-
-
-1. LE F. Vous faites tonner sur moi vos jugements, Seigneur, et tous mes
-os ont trembl d'pouvante, et mon me est dans une profonde terreur.
-
-Interdit, effray, je considre que _les cieux ne sont pas purs vos
-yeux_[232].
-
- [232] Job, XV, 15.
-
-_Si vous avez trouv le mal dans vos Anges_[233], et si vous ne les avez
-pas pargns, que sera-ce de moi?
-
- [233] _Ibid._, IV, 18.
-
-_Les toiles sont tombes du ciel_[234]: moi, poussire, que dois-je
-donc attendre?
-
- [234] Apoc., VI, 13.
-
-Des hommes dont les oeuvres paraissaient louables, sont tombs aussi bas
-qu'on puisse tomber, et j'ai vu ceux qui se nourrissaient du pain des
-Anges faire leurs dlices de la pture des pourceaux.
-
-2. Il n'est donc point de saintet, Seigneur, si vous retirez votre
-main.
-
-Point de sagesse qui soit utile, si vous ne la dirigez plus.
-
-Point de force qui soit de secours, si vous cessez de la soutenir.
-
-Point de chastet assure, si vous n'en prenez la dfense.
-
-Point de vigilance qui nous serve, si vous ne veillez vous-mme pour
-nous.
-
-Laisss nous-mmes, nous enfonons dans les flots et nous prissons:
-venez-vous nous, nous nous relevons et nous vivons.
-
-Car nous sommes chancelants, mais vous nous affermissez; nous sommes
-tides, mais vous nous enflammez.
-
-3. que je dois avoir d'humbles et basses penses de moi-mme! que je
-dois estimer peu ce qui parat de bien en moi!
-
- que je dois m'abaisser profondment, Seigneur, devant vos jugements
-impntrables, o je me perds comme dans un abme, et vois que je ne
-suis rien que nant et un pur nant!
-
- poids immense! mer sans rivages, o je ne retrouve rien de moi, o
-je disparais comme le rien au milieu du tout!
-
-O donc l'orgueil se cachera-t-il? o la confiance dans sa propre vertu?
-
-Toute vanit s'teint dans la profondeur de vos jugements sur moi.
-
-4. Qu'est-ce que toute chair devant vous?
-
-_L'argile s'lvera-t-elle contre celui qui l'a forme_[235]?
-
- [235] Is., XXIX, 16.
-
-Comment celui dont le coeur est vraiment soumis Dieu pourrait-il
-s'enfler d'une louange vaine?
-
-Le monde entier ne saurait inspirer d'orgueil celui que la vrit a
-soumis son empire; et jamais il ne sera mu des applaudissements des
-hommes, celui dont toute l'esprance est affermie en Dieu.
-
-Car ceux qui parlent ne sont rien: ils s'vanouiront avec le bruit de
-leurs paroles: mais _la vrit du Seigneur demeure ternellement_[236].
-
- [236] Ps. CXVI, 2.
-
-
-RFLEXION.
-
- Une des plus dangereuses tentations et des plus dlies, est celle de
- l'orgueil dans le bien. Pour peu qu'elle se relche de sa vigilance,
- l'me que la grce avait leve au-dessus de la nature et de sa
- corruption, glisse imperceptiblement et retombe en elle-mme. On s'est
- garanti de certaines fautes, on a pratiqu certaines vertus;
- l'amour-propre s'arrte cette pense, et s'y repose avec
- complaisance. On se regarde, on est content de soi, on se prfre
- peut-tre tel ou tel autre; et l'on en vient jusqu' s'attribuer
- secrtement les dons de Dieu, un des crimes qui offense le plus ce
- Dieu _jaloux et vengeur_[237], _et qui ne donnera sa gloire nul
- autre_[238], _et qui rsiste aux superbes_[239]. Que fait-il
- cependant? Il se retire, il dlaisse cet insens qui comptait sur ses
- forces, il l'abandonne son orgueil. Alors arrivent ces chutes
- terribles qui tonnent et consternent; ces chutes inattendues,
- effrayants exemples des jugements divins. Malheur qui s'appuie sur
- sa propre justice! la ruine l'attend. _Je ne sens_, disait l'Aptre,
- _rien en moi qui m'accuse; mais je ne suis pas pour cela justifi, car
- celui qui me juge, c'est le Seigneur_[240]. Et le prophte-roi:
- _Purifiez-moi de mes fautes caches_[241], _oubliez celles que
- j'ignore_[242], _et pardonnez-moi celles d'autrui_[243]: prire
- admirable qui rappelle l'homme cette funeste communication du mal,
- en vertu de laquelle il est, hlas! si peu de pchs purement
- personnels. Donc nul refuge, nulle assurance que dans l'humilit, dans
- l'aveu sincre, dans la conviction et le sentiment toujours prsent de
- notre profonde misre, joint la confiance en Dieu seul. Prosterns
- ses pieds, disons-lui avec le Psalmiste: _Ma honte est sans cesse
- devant moi_, et la confusion a couvert mon visage[244]: _Seigneur,
- vous ne mpriserez point un coeur contrit et humili_[245]!
-
- [237] Nahum., I, 2.
-
- [238] Is., XLII, 8.
-
- [239] I. Petr., V, 5.
-
- [240] I. Cor., IV, 4.
-
- [241] Ps. XVIII, 13.
-
- [242] Ps. XXIV, 7.
-
- [243] Ps. XVIII, 14.
-
- [244] Ps. XLIII, 16.
-
- [245] Ps. L, 19.
-
-
-
-
-CHAPITRE XV.
-
-De ce que nous devons dire et faire quand il s'lve quelque dsir en
-nous.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, dites en toutes choses: Seigneur, qu'il soit ainsi,
-si c'est votre volont. Seigneur, que cela se fasse en votre nom, si
-vous devez en tre honor.
-
-Si vous voyez que cela me soit bon, si vous jugez que cela me soit
-utile, alors donnez-le-moi, afin que j'en use pour votre gloire.
-
-Mais si vous savez que cela me nuira, ou ne servira point au salut de
-mon me, loignez de moi ce dsir.
-
-Car tout dsir n'est pas de l'Esprit saint, mme lorsqu'il parat bon et
-juste l'homme.
-
-Il est difficile de discerner avec certitude si c'est l'esprit bon ou
-mauvais qui vous porte dsirer ceci ou cela, ou mme votre esprit
-propre.
-
-Il s'est trouv la fin que plusieurs taient dans l'illusion, qui
-semblaient d'abord tre conduits par le bon esprit.
-
-2. Ainsi tout ce qui se prsente de dsirable votre esprit, vous devez
-le dsirer toujours et le demander avec une grande humilit de coeur, et
-surtout avec une pleine rsignation, vous abandonnant moi sans
-rserve, et disant:
-
-Seigneur, vous savez ce qui est le mieux; que ceci ou cela se fasse
-comme vous le voudrez.
-
-Donnez ce que vous voulez, autant que vous le voulez et quand vous le
-voulez.
-
-Faites de moi ce qui vous plaira, selon ce que vous savez tre bon, et
-pour votre plus grande gloire.
-
-Placez-moi o vous voudrez, et disposez absolument de moi en toutes
-choses.
-
-Je suis dans votre main, tournez-moi et retournez-moi en tout sens,
-votre gr.
-
-Voil que je suis prt vous servir en tout: car je ne dsire point
-vivre pour moi, mais pour vous seul: heureux si je le pouvais dignement
-et parfaitement!
-
-
-PRIRE
-
-POUR DEMANDER DIEU LA GRCE D'ACCOMPLIR SA VOLONT.
-
-1. LE F. Accordez-moi, bon Jsus, votre grce; _qu'elle soit en moi,
-qu'elle agisse avec moi_[246], et qu'elle demeure avec moi jusqu' la
-fin.
-
- [246] Sap., IX, 10.
-
-Faites que je dsire et veuille toujours ce qui vous est le plus
-agrable, et ce que vous aimez le plus.
-
-Que votre volont soit la mienne; et que ma volont suive toujours la
-vtre, et jamais ne s'en carte en rien.
-
-Qu'uni vous, je ne veuille ni ne puisse vouloir que ce que vous
-voulez; et qu'il en soit ainsi de ce que vous ne voulez pas.
-
-Donnez-moi de mourir tout ce qui est du monde, et d'aimer tre
-oubli et mpris du sicle cause de vous.
-
-Faites que je me repose en vous par-dessus tout ce qu'on peut dsirer,
-et que mon coeur ne cherche sa paix qu'en vous.
-
-Vous tes la vritable paix du coeur, son unique repos: hors de vous,
-tout pse et inquite. _Dans cette paix_, c'est--dire en vous seul,
-ternel et souverain Dieu, _je dormirai et je me reposerai_[247]. Ainsi
-soit-il.
-
- [247] Ps. IV, 10.
-
-
-RFLEXION.
-
- Jamais satisfait pleinement de ce qu'il est et de ce qu'il possde,
- fatigu du vide de son coeur, toujours inquiet, toujours aspirant je
- ne sais quel bien qui le fuit toujours, l'homme n'a pas un moment de
- vrai repos, et sa vie s'coule dans les dsirs. Ce n'est pas seulement
- une grande misre, mais encore un grand danger; _car la racine de tous
- les maux est la convoitise, et plusieurs, en s'y livrant, ont perdu la
- foi, et se sont engags dans une multitude de douleurs_[248].
- L'imagination, qui, en cet tat, se porte avec force vers tout ce qui
- l'attire, obscurcit la raison, branle et entrane la volont mme: et
- ainsi l'on doit s'attacher soigneusement la rprimer, lors mme que
- les objets qui l'occupent paratraient exempts de toute espce de mal,
- et qu'on croirait ne chercher dans ses rves qu'un soulagement permis
- et une distraction innocente. La pit elle-mme s'gare aisment, si
- elle n'est en garde contre les dsirs en apparence les plus saints.
- Nous ne savons ni ce qui nous est bon, ni ce qui nous est nuisible.
- Tantt nous souhaiterons d'tre dlivrs d'une croix ncessaire
- peut-tre notre salut, tantt, dans un mouvement indiscret de
- ferveur, nous en souhaiterons une autre sous laquelle nos forces
- succomberaient, si elle nous tait impose. Que faire donc? Demander
- Dieu _que sa volont se fasse_[249] en nous et hors de nous, y
- conformer la ntre entirement, et renfermer en elle tous nos dsirs.
- Nous ne trouverons de paix et de scurit que dans ce parfait abandon
- entre les mains de notre Pre. _Mon Pre, non pas ce que je veux, mais
- ce que vous voulez_[250].
-
- [248] I. Timoth., VI. 10.
-
- [249] Matth., VI, 10.
-
- [250] _Ibid._, XXVI, 39.
-
-
-
-
-CHAPITRE XVI.
-
-Qu'on ne doit chercher qu'en Dieu la vraie consolation.
-
-
-1. LE F. Tout ce que je puis dsirer ou imaginer pour ma consolation, je
-ne l'attends point ici, mais dans l'avenir.
-
-Quand je possderais seul tous les biens du monde, quand je jouirais
-seul de toutes ses dlices, il est certain que tout cela ne durerait pas
-longtemps.
-
-Ainsi, mon me, tu ne peux trouver de soulagement vritable et de joie
-sans mlange qu'en Dieu, qui console les pauvres et relve les humbles.
-
-Attends un peu, mon me, attends la divine promesse, et tu possderas
-dans le ciel tous les biens en abondance.
-
-Si tu recherches trop avidement les biens prsents, tu perdras les biens
-ternels et clestes.
-
-Use des uns et dsire les autres.
-
-Aucun bien temporel ne saurait te rassasier, parce que tu n'as point t
-cre pour en jouir.
-
-2. Quand tu possderais tous les biens crs, ils ne pourraient te
-rendre ni heureuse ni contente: en Dieu, qui a tout cr, en lui seul
-est ta flicit et tout ton bonheur;
-
-Bonheur non pas tel que se le figurent et que le souhaitent les amis
-insenss du monde, mais tel que l'attendent les vrais serviteurs de
-Jsus-Christ, et tel que le gotent quelquefois par avance les mes
-pieuses et les coeurs purs, _dont l'entretien est dans le ciel_[251].
-
- [251] Philipp., III, 20.
-
-Toute consolation humaine est vide et dure peu.
-
-La vraie, la douce consolation est celle que la vrit fait sentir
-intrieurement.
-
-L'homme pieux porte avec lui partout Jsus, son consolateur, et lui dit:
-Seigneur Jsus, soyez prs de moi en tout temps et en tout lieu.
-
-Que ma consolation soit d'tre volontiers priv de toute consolation
-humaine.
-
-Et si la vtre me manque aussi, que votre volont et cette juste preuve
-me soient une consolation au-dessus de toutes les autres.
-
-_Car vous ne serez pas toujours irrit, et vos menaces ne seront point
-ternelles_[252].
-
- [252] Ps. CII, 9.
-
-
-RFLEXION.
-
- Toute crature gmit, dit l'Aptre[253]; et, de sicle en sicle, le
- monde entier le redit aprs lui. Que cherchez-vous donc dans les
- cratures? que leur demandez-vous, et que peuvent-elles vous donner?
- Toujours agites, pleines de troubles, ainsi que vous elles souhaitent
- le repos, et ne le trouvent point. Comment la paix vous viendrait-elle
- du sein mme de l'angoisse et des orages perptuellement soulevs par
- les passions? Cessez de vous abuser, cessez de dire aux temptes,
- calmez-moi. Le calme est en Dieu; et n'est que l: en lui seul est le
- repos, la paix, la joie, la consolation. _Tournez-vous donc vers le
- Seigneur votre Dieu_[254], et renoncez tout le reste: alors,
- seulement alors, vous commencerez jouir de la vraie flicit. Rien,
- non, rien n'est comparable au bonheur de celui qui, mprisant les
- sens, dtach de la chair et du monde, ne tient plus aux choses
- humaines que par les seuls liens de la ncessit, converse uniquement
- avec Dieu et avec lui-mme, et, s'levant au-dessus des objets
- sensibles, ne vit que des divines clarts qu'il conserve en soi
- toujours pures, toujours brillantes, sans aucun mlange des ombres de
- la terre et des vains fantmes errants ici-bas autour de nous; qui,
- rflchissant comme un miroir cleste, Dieu et ses blouissantes
- perfections, sans cesse ajoute la lumire une lumire plus vive,
- jusqu'au moment o la vrit dissipant tous les nuages, il arrive la
- source mme de toute lumire, l'ternelle fontaine de splendeur, fin
- bienheureuse de son tre et son immortel ravissement[255].
-
- [253] Rom., VIII, 22.
-
- [254] Osee, XIV, 2.
-
- [255] S. Greg. Nazianz., Orat. XXIX, in Princ.
-
-
-
-
-CHAPITRE XVII.
-
-Qu'il faut remettre Dieu le soin de ce qui nous regarde.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, laissez-moi agir avec vous comme il me plat, car je
-sais ce qui vous est bon.
-
-Vos penses sont celles de l'homme, et vos sentiments sont, en beaucoup
-de choses, conformes aux penchants de son coeur.
-
-2. LE F. Il est vrai, Seigneur: vous prenez de moi beaucoup plus de soin
-que je n'en puis prendre moi-mme.
-
-Il est menac d'une prompte chute, celui qui ne s'appuie pas uniquement
-sur vous.
-
-Pourvu, Seigneur, que ma volont demeure droite et qu'elle soit affermie
-en vous, faites de moi tout ce qu'il vous plaira: car tout ce que vous
-ferez de moi ne peut tre que bon.
-
-Si vous voulez que je sois dans les tnbres, soyez bni: et si vous
-voulez que je sois dans la lumire, soyez encore bni.
-
-Si vous daignez me consoler, soyez bni: et si vous voulez que j'prouve
-des tribulations, soyez galement toujours bni.
-
-3. J.-C. Mon fils, c'est ainsi que vous devez tre, si vous voulez ne
-pas vous sparer de moi.
-
-Il faut que vous soyez prpar la souffrance autant qu' la joie, au
-dnment et la pauvret, autant qu'aux richesses et l'abondance.
-
-4. LE F. Seigneur, je souffrirai volontiers pour vous tout ce que vous
-voudrez qui vienne sur moi.
-
-Je veux recevoir indiffremment, de votre main, le bien et le mal, les
-douceurs et les amertumes, la joie et la tristesse, et vous rendre
-grces de tout ce qui m'arrivera.
-
-Prservez-moi jamais de tout pch, et je ne craindrai ni la mort ni
-l'enfer.
-
-Pourvu que vous ne me rejetiez pas, et que vous ne m'effaciez pas du
-livre de vie, aucune tribulation ne peut me nuire.
-
-
-RFLEXION.
-
- On ne saurait trop le rpter, la vie chrtienne consiste uniquement
- vouloir ce que Dieu veut, et ne vouloir que ce qu'il veut. Presque
- toujours nos dsirs nous trompent, par une suite de notre ignorance et
- de notre corruption. Mais Dieu sait tout ce qui nous est cach; il
- connat les secrtes dispositions de notre coeur, la mesure de sa
- faiblesse, les preuves auxquelles il est bon que nous soyons soumis,
- les secours ncessaires pour les supporter, car _il ne permettra pas
- que nous soyons tents au-del de nos forces_[256]: _sa sagesse est
- infinie, et il nous a aims jusqu' donner pour nous son Fils
- unique_[257]. Quelle confiance, quelle paix ne devons-nous pas trouver
- dans cette pense! Quoi de plus doux que de s'abandonner sans rserve
- celui qui a tout fait pour sa pauvre crature, que de se perdre en
- lui par l'union intime de notre volont la sienne, ne nous rservant
- rien que l'action de grces et l'amour; de sorte que notre me, notre
- tre entier s'exhale, en quelque sorte, dans cette parole qui comprend
- tout: _mon Seigneur et mon Dieu_[258]!
-
- [256] I. Cor., X, 13.
-
- [257] Joann., III, 16.
-
- [258] _Ibid._, XX.
-
-
-
-
-CHAPITRE XVIII.
-
-Qu'il faut souffrir avec constance les misres de cette vie, l'exemple
-de Jsus-Christ.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, je suis descendu du ciel pour votre salut; je me suis
-charg de vos misres, afin de vous former, par mon exemple, la
-patience, et de vous apprendre supporter les maux de cette vie sans
-murmurer.
-
-Car, depuis l'heure de ma naissance jusqu' ma mort sur la croix, je
-n'ai jamais t sans douleur.
-
-J'ai vcu dans une extrme indigence des choses de ce monde; j'ai
-entendu souvent bien des plaintes de moi; j'ai souffert avec douceur les
-affronts et les outrages: je n'ai recueilli sur la terre, pour mes
-bienfaits, que de l'ingratitude; pour mes miracles, que des blasphmes;
-pour ma doctrine, que des censures.
-
-2. LE F. Puisque vous avez montr, Seigneur, tant de patience durant
-votre vie, accomplissant par l, d'une manire parfaite, ce que votre
-Pre demandait de vous, il est bien juste que moi, pauvre pcheur, je
-souffre patiemment ma misre pour votre volont, et que je porte selon
-mon salut, aussi longtemps que vous le voudrez, le poids de cette vie
-corruptible.
-
-Car, bien que la vie prsente soit pleine de douleurs, elle devient
-cependant, par votre grce, une source abondante de mrites, et votre
-exemple, suivi par vos Saints, la rend supportable et prcieuse, mme
-aux faibles.
-
-Elle est aussi beaucoup plus remplie de consolation que dans l'ancienne
-loi, quand les portes du ciel taient encore fermes, que la voie du
-ciel semblait plus obscure, et que si peu s'occupaient de chercher le
-royaume de Dieu.
-
-Les justes mme qui le salut tait rserv, ne pouvaient entrer dans
-le royaume cleste qu'aprs la consommation de vos souffrances et le
-tribut sacr de votre mort.
-
-3. quelles grces ne dois-je pas vous rendre, de ce que vous avez
-daign me montrer, et tous les fidles, la voie droite et sre qui
-conduit votre royaume ternel.
-
-Car votre vie est notre voie; et par une sainte patience, nous marchons
-vers vous, qui tes notre couronne.
-
-Si vous ne nous aviez prcds et instruits, qui songerait vous
-suivre?
-
-Hlas! combien resteraient en arrire, et bien loin, s'ils n'avaient
-sous les yeux vos sacrs exemples!
-
-Aprs tant de miracles et d'instructions, nous sommes encore tides! que
-serait-ce si tant de lumire ne nous guidait sur vos traces?
-
-
-RFLEXION.
-
- La vie de l'homme sur la terre est pleine de douleur, de misre, de
- souffrances; qui ne le sait? Nous sommes visiblement punis, et comme
- la justice qui nous chtie est toute-puissante, nul moyen d'chapper
- au chtiment. Or, en cet tat, la sagesse humaine n'a vu que le choix
- entre deux partis: ou de se raidir contre la nature et de nier le
- supplice, ou d'y chercher une distraction dans la volupt. Elle a
- demand le bonheur l'orgueil et aux sens, et, trompe dans ses
- esprances, elle s'est voile la tte, en disant: Il n'y a point de
- remde. Le monde en tait l, quand tout coup une voix s'lve:
- _Heureux ceux qui pleurent_[259]! Les peuples coutent et s'tonnent;
- quelque chose de nouveau se remue en eux; ils comprennent, ils gotent
- la joie des larmes, et du haut de la croix o _l'homme de
- douleurs_[260] est attach, un fleuve inpuisable de consolations
- inconnues coule sur le genre humain. La vie a perdu sa tristesse,
- depuis que, baign d'une sueur de sang, et dans les transes de
- l'agonie, Jsus s'est cri: _Mon me est triste jusqu' sa
- mort_[261]. Elle n'a plus assez de souffrances pour le repentir qui
- les cherche, pour l'amour qui les dsire et qui s'y complat.
- Qu'est-ce donc que cette merveille? Fils du Dieu vivant, c'est que
- votre lumire a clair le monde, et que votre grce l'a touch; c'est
- que l'homme, sorti de sa voie, l'a retrouve en vous _qui tes la
- voie, la vrit et la vie_[262]; c'est qu'il a conu qu'aprs le
- pch, le seul bien qui reste est l'expiation, et il a dit en
- regardant la croix: _Ou souffrir, ou mourir!_ Victime sainte, _Agneau
- de Dieu qui tez le pch du monde_[263], donnez-moi de souffrir avec
- vous, et de mourir en unissant mes dernires souffrances celles qui
- nous ont rouvert le ciel que le pch nous avait ferm!
-
- [259] Matth., V. 5.
-
- [260] Is., LIII, 3.
-
- [261] Marc., XIV, 34.
-
- [262] Joann., XIV, 6.
-
- [263] _Ibid._, I, 29.
-
-
-
-
-CHAPITRE XIX.
-
-De la souffrance des injures et de la vritable patience.
-
-
-1. J.-C. Pourquoi ces paroles, mon fils? cessez de vous plaindre, en
-considrant mes souffrances et celles des Saints.
-
-_Vous n'avez pas encore rsist jusqu'au sang_[264].
-
- [264] Heb., XII, 4.
-
-Ce que vous souffrez est peu en comparaison de ce qu'ont souffert tant
-d'autres, qui ont t prouvs et exercs par de si fortes tentations,
-par des tribulations si pesantes.
-
-Rappelez donc votre esprit les peines extrmes des autres, afin d'en
-supporter paisiblement de plus lgres.
-
-Que si elles ne vous paraissent pas lgres, prenez garde que cela ne
-vienne de votre impatience.
-
-Cependant, grandes ou petites, efforcez-vous de les souffrir patiemment.
-
-2. Plus vous vous disposez souffrir, plus vous montrez de sagesse et
-acqurez de mrites. La ferme rsolution et l'habitude de souffrir vous
-rendront mme la souffrance moins dure.
-
-Ne dites pas: Je ne puis supporter cela d'un tel homme: ce sont des
-offenses qu'on n'endure point. Il m'a fait un trs-grand tort, et il me
-reproche des choses auxquelles je n'ai jamais pens: mais d'un autre je
-le souffrirai avec moins de peine, et comme je croirai devoir le
-souffrir.
-
-Ce discours est insens: car, au lieu de considrer la vertu de
-patience, et ce qui doit la couronner, c'est regarder seulement
-l'injure et la personne de qui on l'a reue.
-
-3. Celui-l n'a pas la vraie patience, qui ne veut souffrir qu'autant
-qu'il lui plat, et de qui il lui plat.
-
-L'homme vraiment patient n'examine point qui l'prouve, si c'est son
-suprieur, son gal ou son infrieur, un homme de bien ou un mchant.
-
-Mais, indiffrent sur les cratures, il reoit de la main de Dieu, avec
-reconnaissance, et aussi souvent qu'il le veut, tout ce qui lui arrive
-de contraire, et l'estime un grand gain.
-
-Car Dieu ne laissera sans rcompense aucune peine, mme la plus lgre,
-qu'on aura soufferte pour lui.
-
-4. Soyez donc prt au combat, si vous voulez remporter la victoire.
-
-On ne peut obtenir sans combat la couronne de la patience; et refuser de
-combattre, c'est refuser d'tre couronn.
-
-Si vous dsirez la couronne, combattez courageusement, souffrez avec
-patience.
-
-On ne parvient pas au repos sans travail, ni sans combat la victoire.
-
-5. LE F. Seigneur, que ce qui parat impossible la nature me devienne
-possible par votre grce!
-
-J'ai, vous le savez, peu de force pour souffrir; la moindre adversit
-m'abat aussitt.
-
-Faites que j'aime, que je dsire d'tre exerc, afflig pour votre nom:
-car subir l'injure et souffrir pour vous est trs-salutaire mon me.
-
-
-RFLEXION.
-
- Si nous avons souvent souffrir du prochain, il n'a pas moins
- souffrir de nous; et c'est pourquoi l'Aptre dit: _Portez le fardeau
- les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi de
- Jsus-Christ_[265]. Mais je vous entends, il y a des choses qu'il est
- dur, dites-vous, et difficile de supporter. Eh bien! votre mrite en
- sera plus grand. La grce ne nous est donne que pour cela, pour que
- vous fassiez avec elle ce qui serait impossible la nature seule.
- D'ailleurs que vous arrive-t-il que Dieu n'ait prvu, que Dieu n'ait
- voulu? La patience n'est donc qu'une soumission douce et calme ce
- qu'il ordonne, et sans elle nous vivons dans un trouble perptuel; car
- _qui a rsist Dieu, et a eu la paix_[266]? Et combien ne faut-il
- pas qu'il soit lui-mme patient avec vous? Descendez dans votre
- conscience, et rpondez. N'a-t-il rien supporter de vous, rien
- vous pardonner? Oui, _le Seigneur est patient et rempli de
- misricorde_[267]. _Soyons donc aussi patients envers tous_[268].
- _L'homme patient vaut mieux que l'homme fort, et celui qui domine son
- me, mieux que celui qui rduit des villes_[269]. _Je me suis tu_,
- disait David en prophtisant les souffrances du Christ, _je me suis
- tu, et je n'ai point ouvert la bouche_[270]; et un autre prophte: _Il
- s'est tu comme l'agneau devant celui qui le tond_[271]. Qui oserait
- aprs cela murmurer, s'irriter, rendre offense pour offense? Jsus!
- soyez notre modle. Vous nous avez appris dire Dieu:
- _Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons ceux qui nous
- doivent_[272]. Voil ce que nous demandons chaque jour, ce que chaque
- jour nous promettons; et malheur celui dont la prire sera trouve
- menteuse!
-
- [265] Galat., VI, 2.
-
- [266] Job, IX, 4.
-
- [267] Ps. CXLIV. 8.
-
- [268] I. Thess., V, 14.
-
- [269] Prov., XVI, 32.
-
- [270] Ps. XXXVIII, 10.
-
- [271] Is., LIII, 7.
-
- [272] Matth., VI, 12.
-
-
-
-
-CHAPITRE XX.
-
-De l'aveu de son infirmit et des misres de cette vie.
-
-
-1. LE F. _Je confesserai contre moi mon injustice_[273]: Je vous
-confesserai, Seigneur, mon infirmit.
-
- [273] Ps. XXXI, 5.
-
-Souvent un rien m'abat et me jette dans la tristesse.
-
-Je me propose d'agir avec force; mais, la moindre tentation qui
-survient, je tombe dans une grande angoisse.
-
-Souvent c'est la plus petite chose et la plus mprisable qui me cause
-une violente tentation.
-
-Et quand je ne sens rien en moi-mme, et que je me crois un peu en
-sret, je me trouve quelquefois presque abattu par un lger souffle.
-
-2. Voyez donc, Seigneur, mon impuissance et ma fragilit, que tout
-manifeste vos yeux.
-
-Ayez piti de moi, _et retirez-moi de la boue, de crainte que je n'y
-demeure jamais enfonc_[274].
-
- [274] Ps. LXVIII, 15.
-
-Ce qui souvent fait ma peine et ma confusion devant vous, c'est de
-tomber si aisment, et d'tre si faible contre mes passions.
-
-Bien qu'elles ne parviennent pas m'arracher un plein consentement,
-leurs sollicitations me fatiguent et me psent, et ce m'est un grand
-ennui de vivre ainsi toujours en guerre.
-
-Je connais surtout en ceci mon infirmit, que les plus horribles
-imaginations s'emparent de mon esprit, bien plus facilement qu'elles
-n'en sortent.
-
-3. Puissant Dieu d'Isral, dfenseur des mes fidles, daignez jeter un
-regard sur votre serviteur afflig et dans le travail, et soyez prs de
-lui pour l'aider en tout ce qu'il entreprendra.
-
-Remplissez-moi d'une force toute cleste, de peur que le vieil homme, et
-cette chair de pch qui n'est pas encore entirement soumise
-l'esprit, ne prvale et ne domine; elle, contre qui nous devons
-combattre jusqu'au dernier soupir, dans cette vie charge de tant de
-misres.
-
-Hlas! qu'est-ce que cette vie, assige de toutes parts de tribulations
-et de peines, environne de piges et d'ennemis?
-
-Est-on dlivr d'une affliction ou d'une tentation, une autre lui
-succde; et l'on combat mme encore la premire, que d'autres
-surviennent inopinment.
-
-4. Comment peut-on aimer une vie remplie de tant d'amertumes, sujette
-tant de maux et de calamits?
-
-Comment peut-on mme appeler vie ce qui engendre tant de douleurs et
-tant de morts?
-
-Et cependant on l'aime, et plusieurs y cherchent leur flicit.
-
-On reproche souvent au monde d'tre trompeur et vain; et toutefois on le
-quitte difficilement, parce qu'on est encore domin par les convoitises
-de la chair.
-
-Certaines choses nous inclinent aimer le monde, d'autres le
-mpriser.
-
-_Le dsir de la chair, le dsir des yeux, et l'orgueil de la vie_[275],
-inspirent l'amour du monde; mais les peines et les misres qui les
-suivent justement produisent la haine et le dgot du monde.
-
- [275] I. Joann., II, 16.
-
-5. Mais, hlas! le plaisir mauvais triomphe de l'me livre au monde:
-elle se repose avec dlices dans l'esclavage des sens, parce qu'elle ne
-connat pas et n'a point got les suavits clestes, ni le charme
-intrieur de la vertu.
-
-Mais ceux qui, mprisant le monde parfaitement, s'efforcent de vivre
-pour Dieu sous une sainte discipline, n'ignorent point les divines
-douceurs promises au vrai renoncement, et voient avec clart combien le
-monde, abus par des illusions diverses, s'gare dangereusement.
-
-
-RFLEXION.
-
- Que sont les preuves qui nous viennent du dehors, compares celles
- que nous trouvons au dedans de nous-mmes? On rsiste aux premires
- avec toutes ses forces; elles sont divises dans les secondes, et les
- puissances de l'me se combattent mutuellement: combat terrible que
- saint Paul a peint en quelques traits. _Je ne fais pas le bien que je
- veux, et le mal que je ne veux pas, je le fais. Je me rjouis dans la
- loi de Dieu, selon l'homme intrieur, et je vois dans mes membres une
- autre loi, qui rpugne la loi de mon esprit et me captive sous la
- loi du pch, qui est dans mes membres_[276]. Voil ce qui dsole les
- mes fidles, humilies de cette guerre honteuse; et sans cesse
- tremblant de succomber; voil ce qui faisait dire l'Aptre: _Qui me
- dlivrera du corps de cette mort?_ et aussitt il ajoute: _La grce de
- Dieu par Jsus-Christ notre Seigneur_[277]. Jetons-nous donc entre ses
- bras divins, qu'avec un amour inexprimable il tend pour nous
- recevoir; approchons-nous de son coeur sacr, d'o mane
- perptuellement une vertu redoutable aux puissances du mal; ne
- comptons que sur lui, n'esprons qu'en lui; crions-nous du fond de
- nos entrailles: _Dlivrez-moi, Seigneur; placez-moi prs de vous, et
- qu'ensuite la main de qui que ce soit se lve contre moi_[278]. _Le
- Seigneur est mon appui, mon refuge, mon librateur; il est mon Dieu et
- mon aide, et j'esprerai en lui; il est mon protecteur, il est la
- force qui fait mon salut. Je l'invoquerai dans mes louanges, et je
- serai dlivr de mes ennemis_[279].
-
- [276] Rom., VII, 19, 22, 23.
-
- [277] Rom., VII, 24, 25.
-
- [278] Job, XVII, 2.
-
- [279] Ps. VII, 3, 4.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXI.
-
-Qu'il faut tablir son repos en Dieu, plutt que dans tous les autres
-biens.
-
-
-1. LE F. En tout, et par-dessus tout, repose-toi en Dieu, mon me,
-parce qu'il est le repos ternel des Saints.
-
-Aimable et doux Jsus, donnez-moi de me reposer en vous plus qu'en
-toutes les cratures; plus que dans la sant, la beaut, les honneurs et
-la gloire; plus que dans toute puissance et dans toute dignit; plus que
-dans la science, l'esprit, les richesses, les arts; plus que dans les
-plaisirs et la joie, la renomme et la louange, les consolations et les
-douceurs, l'esprance et les promesses; plus qu'en tout mrite et en
-tout dsir; plus mme que dans vos dons et toutes les rcompenses que
-vous pouvez nous prodiguer; plus que dans l'allgresse et tous les
-transports que l'me peut concevoir et sentir; plus enfin que dans les
-Anges et dans les Archanges, et dans toute l'arme des cieux; plus qu'en
-toutes les choses visibles et invisibles, plus qu'en tout ce qui n'est
-pas vous, mon Dieu!
-
-2. Car vous tes seul infiniment bon, seul trs-haut, trs-puissant;
-vous suffisez seul, parce que seul vous possdez et vous donnez tout;
-vous seul nous consolez par vos douceurs inexprimables; seul vous tes
-toute beaut, tout amour; votre gloire s'lve au-dessus de toute
-gloire, votre grandeur au-dessus de toute grandeur; la perfection de
-tous les biens ensemble est en vous, Seigneur mon Dieu, y a toujours
-t, y sera toujours.
-
-Ainsi, tout ce que vous me donnez hors de vous, tout ce que vous me
-dcouvrez de vous-mme, tout ce que vous m'en promettez, est trop peu et
-ne me suffit pas, si je ne vous vois, si je ne vous possde pleinement.
-
-Car mon coeur ne peut avoir de vrai repos, ni tre entirement rassasi,
-jusqu' ce que, s'levant au-dessus de tous vos dons et de toute
-crature, il se repose uniquement en vous.
-
-3. Tendre poux de mon me, pur objet de son amour, mon Jsus, Roi de
-toutes les cratures! qui me dlivrera de mes liens, _qui me donnera des
-ailes_[280] pour voler vers vous et me reposer en vous!
-
- [280] Ps. LIV, 7.
-
- quand serai-je assez dgag de la terre pour voir, Seigneur mon Dieu,
-et _pour goter combien vous tes doux_[281]!
-
- [281] Ps. XXXIII, 9.
-
-Quand serai-je tellement absorb en vous, tellement pntr de votre
-amour, que je ne me sente plus moi-mme, et que je ne vive plus que de
-vous, dans cette union ineffable et au-dessus des sens, que tous ne
-connaissent pas!
-
-Maintenant je ne sais que gmir, et je porte avec douleur ma misre.
-
-Car, en cette valle de larmes, il se rencontre bien des maux qui me
-troublent, m'affligent, et couvrent mon me comme d'un nuage. Souvent
-ils me fatiguent et me retardent: ils s'emparent de moi; ils m'arrtent,
-et m'tant prs de vous un libre accs, ils me privent de ces dlicieux
-embrassements dont jouissent toujours et sans obstacle les clestes
-esprits.
-
-Soyez touch de mes soupirs et de ma dsolation sur la terre!
-
-4. Jsus! _splendeur de l'ternelle gloire_[282], consolateur de l'me
-exile! ma bouche est muette devant vous, et mon silence vous parle.
-
- [282] Heb., I, 3.
-
-Jusqu' quand mon Seigneur tardera-t-il de venir?
-
-Qu'il vienne ce pauvre qui est lui, et qu'il lui rende la joie.
-Qu'il tende la main pour relever un malheureux plong dans l'angoisse.
-
-Venez, venez: car, sans vous, tous les jours, toutes les heures
-s'coulent dans la tristesse, parce que vous tes seul ma joie, et que
-vous pouvez seul remplir le vide de mon coeur.
-
-Je suis oppress de misre, et comme un prisonnier charg de fers,
-jusqu' ce que, me ranimant par la lumire de votre prsence, vous me
-rendiez la libert, et jetiez sur moi un regard d'amour,
-
-5. Que d'autres cherchent, au lieu de vous, tout ce qu'ils voudront;
-pour moi, rien ne me plat, ni ne me plaira jamais, que vous, mon
-Dieu, mon esprance, mon salut ternel!
-
-Je ne me tairai point, je ne cesserai point de prier jusqu' ce que
-votre grce revienne, et que vous me parliez intrieurement.
-
-6. J.-C. Me voici: je viens vous, parce que vous m'avez invoqu. Vos
-larmes et le dsir de votre me, le brisement de votre coeur humili,
-m'ont flchi et ramen vous.
-
-7. LE F. Et j'ai dit: Seigneur, je vous ai appel, et j'ai dsir jouir
-de vous, prt rejeter pour vous tout le reste.
-
-Et c'est vous qui m'avez excit le premier vous chercher.
-
-Soyez donc bni, Seigneur, d'avoir us de cette bont envers votre
-serviteur, selon votre infinie misricorde.
-
-Que peut-il vous dire encore? et que lui reste-t-il qu' s'humilier
-profondment en votre prsence, plein du souvenir de son nant et de son
-iniquit.
-
-Car il n'est rien de semblable vous dans tout ce que le ciel et la
-terre renferment de plus merveilleux.
-
-Vos oeuvres sont parfaites, _vos jugements vritables, et l'univers est
-rgi par votre providence_[283].
-
- [283] Ps. XVIII, 10. Sap., XIV, 3.
-
-Louange donc et gloire vous, Sagesse du Pre! Que mon me, que ma
-bouche, que toutes les cratures ensemble vous louent et vous bnissent
- jamais!
-
-
-RFLEXION.
-
- mesure que l'me fidle se dgage de la terre et d'elle-mme, toutes
- ses penses, tous ses dsirs s'lvent et viennent se confondre en
- celui qu'elle aime uniquement. Alors elle gmit des liens qui
- l'appesantissent et la retiennent encore ici-bas. Presse d'un amour
- qui crot sans cesse, elle voudrait briser son enveloppe mortelle, et
- s'lancer dans le sein de l'tre infini auquel elle aspire, et s'y
- plonger, et s'y perdre ternellement. _Qui me donnera des ailes comme
- la colombe, et je volerai et je me reposerai_[284]! Nul repos en
- effet pour elle, jusqu' ce qu'elle soit pleinement unie l'objet de
- ses ardeurs, jusqu' ce qu'elle puisse dire dans les transports, dans
- l'ivresse divine de sa joie, dans la jouissance, la possession
- jamais immuable du cleste poux: _Mon bien-aim est moi, et je suis
- lui_[285]. Oh! quand luira cet heureux jour, jour de la dlivrance
- et de l'allgresse sans fin? Quand cessera le temps de l'exil, le
- temps de l'esprance et des larmes? Quand verrons-nous dcliner les
- ombres qui drobent nos regards le bien-aim? _Comme le cerf altr
- dsire l'eau des fontaines, ainsi mon me vous dsire, mon Dieu! Mon
- me a eu soif du Dieu fort, du Dieu vivant: oh! quand viendrai-je et
- paratrai-je en prsence de mon Dieu_[286]?
-
- [284] Ps. LIV, 7.
-
- [285] Cantic., II, 16.
-
- [286] Ps. XLI, 2, 3.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXII.
-
-Du souvenir des bienfaits de Dieu.
-
-
-1. LE F. _Seigneur, ouvrez mon coeur votre loi; et enseignez-moi
-marcher dans la voie de vos commandements_[287].
-
- [287] II. Mach., I, 4.
-
-Faites que je connaisse votre volont, et que je rappelle dans mon
-souvenir, avec un grand respect et une srieuse attention, tous vos
-bienfaits, afin de vous en rendre de dignes actions de grces.
-
-Je sais cependant, et je confesse que je ne puis reconnatre dignement
-la moindre de vos faveurs.
-
-Je suis au-dessous de tous les biens que vous m'avez accords; et quand
-je considre votre lvation infinie, mon esprit s'abme dans votre
-grandeur.
-
-2. Tout ce que nous avons en nous, dans notre corps, dans notre me,
-tout ce que nous possdons et au dedans et au dehors, dans l'ordre
-de la grce ou de la nature, c'est vous qui nous l'avez donn; et vos
-bienfaits nous rappellent sans cesse votre bont, votre tendresse,
-l'immense libralit dont vous usez envers nous, vous de qui nous
-viennent tous les biens.
-
-Car tout vient de vous, quoique l'un reoive plus, l'autre moins; et
-sans vous nous serions jamais privs de tout bien.
-
-Celui qui a reu davantage ne peut se glorifier de son mrite, ni
-s'lever au-dessus des autres, ni insulter celui qui a moins reu; car
-celui-l est le meilleur et le plus grand, qui s'attribue le moins, et
-qui rend grces avec le plus de ferveur et d'humilit.
-
-Et celui qui se croit le plus vil et le plus indigne de tous, est le
-plus propre recevoir de grands dons.
-
-3. Celui qui a moins reu, ne doit ni s'affliger, ni se plaindre, ni
-concevoir de l'envie contre ceux qui ont reu davantage; mais plutt ne
-regarder que vous, et louer de toute son me votre bont toujours prte
- rpandre ses dons si abondamment, si gratuitement, sans acception de
-personne.
-
-Tout vient de vous, et ainsi vous devez tre lou de tout.
-
-Vous savez ce qu'il convient de donner chacun, pourquoi celui-ci
-reoit plus, cet autre moins; ce c'est pas nous qu'appartient ce
-discernement, mais vous, qui pesez tous les mrites.
-
-4. C'est pourquoi, Seigneur mon Dieu, je regarde comme une grce
-singulire que vous m'ayez accord peu de ces dons qui paraissent au
-dehors, et qui attirent les louanges et l'admiration des hommes. Et
-certes, en considrant son indigence et son abjection, loin d'en tre
-abattu, loin d'en concevoir aucune peine, aucune tristesse, on doit
-plutt sentir une douce consolation, une grande joie; car vous avez
-choisi, mon Dieu, pour vos amis et vos serviteurs, les pauvres, les
-humbles, ceux que le monde mprise.
-
-Tels taient vos aptres mmes, _que vous avez tablis princes sur toute
-la terre_[288].
-
- [288] Ps. XLIV, 17.
-
-Ils ont pass dans ce monde sans se plaindre, purs de tout artifice et
-de la pense mme du mal, si simples et si humbles, qu'_ils se
-rjouissaient de souffrir les outrages pour votre nom_[289], et qu'ils
-embrassaient avec amour tout ce que le monde abhorre.
-
- [289] Act., V, 41.
-
-Rien ne doit causer tant de joie celui qui vous aime et qui connat le
-prix de vos bienfaits, que l'accomplissement de votre volont et de vos
-desseins ternels sur lui.
-
-Il doit y trouver un contentement, une consolation telle, qu'il consente
-aussi volontiers d'tre le plus petit, que d'autres dsirent avec ardeur
-tre le plus grand; qu'il soit aussi tranquille, aussi satisfait dans la
-dernire place que dans la premire; et que toujours prt souffrir le
-mpris, les rebuts, il s'estime aussi heureux d'tre sans nom, sans
-rputation, que les autres de jouir des honneurs et des grandeurs du
-monde.
-
-Car votre volont et le zle de votre gloire doivent tre pour lui
-au-dessus de tout, et lui plaire et le consoler plus que tous les dons
-que vous lui avez faits, et que vous pouvez lui faire encore.
-
-
-RFLEXION.
-
- Profitons de la grce qui nous est donne, sans rechercher si les
- autres en ont reu une mesure plus grande. Dieu se communique comme il
- lui plat, il est le matre de ses dons, et que sommes-nous pour lui
- en demander compte? Bnissons-le de ceux qu'il nous accorde dans sa
- bont toute gratuite, et bnissons-le encore de ceux qu'il nous
- refuse, nous reconnaissant indignes du moindre de ses bienfaits. Si
- vous tes humble, vous n'aspirerez point des faveurs
- extraordinaires; et si vous manquez d'humilit, ces faveurs, loin de
- vous tre utiles, ne serviraient peut-tre qu' vous perdre, en
- nourrissant en vous la vaine complaisance et l'orgueil. Une vive
- gratitude envers le Seigneur, une soumission parfaite ses volonts,
- la fidlit dans la voie o il vous conduit, voil ce que vous devez
- dsirer. Avec cela vous reposerez en paix, parce que vous reposerez en
- Dieu, et qu'en lui vous trouverez le secours contre les tentations, la
- paix dans les souffrances, la consolation dans les misres et les
- peines de la vie, et enfin l'amour qui rend tout lger. Oh! que nous
- penserions peu souhaiter un tat plus lev, ou plus doux, si nous
- aimions vritablement! Mais nous ne savons point aimer. Gmissons au
- moins de notre tideur et supplions le divin Matre d'chauffer,
- d'embraser notre coeur languissant, afin que nous puissions dire avec
- l'Aptre: _Qui me sparera de l'amour du Christ? la tribulation?
- l'angoisse? la faim? la nudit? le pril? la perscution? le glaive?
- Mais nous triomphons de toutes ces choses cause de celui qui nous a
- aims. Car je suis certain que ni la mort, ni la vie, ni les Anges, ni
- les principauts, ni les vertus, ni le prsent, ni l'avenir, ni la
- force, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre crature ne
- pourra me sparer de la charit de Dieu, laquelle est dans le Christ
- Jsus notre Seigneur_[290].
-
- [290] Rom., VIII, 35, 37-39.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXIII.
-
-De quatre choses importantes pour conserver la paix.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, je vous enseignerai maintenant la voie de la paix et
-de la vraie libert.
-
-2. LE F. Faites, Seigneur, ce que vous dites: car il m'est doux de vous
-entendre.
-
-3. Appliquez-vous, mon fils, faire plutt la volont d'autrui que la
-vtre.
-
-Choisissez toujours plutt d'avoir moins que plus.
-
-Cherchez toujours la dernire place, et tre au-dessous de tous.
-
-Dsirez toujours et priez que la volont de Dieu s'accomplisse
-parfaitement en vous.
-
-Celui qui agit ainsi est dans la voie de la paix et du repos.
-
-4. LE F. Seigneur, ces courts prceptes renferment une grande
-perfection.
-
-Ils contiennent peu de paroles; mais elles sont pleines de sens, et
-abondantes en fruits.
-
-Si j'tais fidle les observer, je ne tomberais pas si aisment dans
-le trouble.
-
-Car toutes les fois qu'il m'arrive de perdre le calme et la paix, je
-reconnais que je me suis cart de ces maximes.
-
-Mais vous qui pouvez tout, et qui dsirez toujours le progrs des mes,
-augmentez en moi votre grce, afin qu'en obissant ce que vous
-commandez, je puisse accomplir mon salut.
-
-
-PRIRE
-
-POUR OBTENIR D'TRE DLIVR DES MAUVAISES PENSES.
-
-5. _Seigneur, mon Dieu, ne vous loignez pas de moi. Mon Dieu,
-htez-vous de me secourir_[291]: car une foule de penses diverses m'ont
-assailli, et de grandes terreurs agitent mon me.
-
- [291] Ps. LXX, 12.
-
-Comment traverserai-je tant d'ennemis, sans recevoir de blessures?
-comment les renverserai-je?
-
-_Je marcherai devant vous_, dit le Seigneur, _et j'abattrai les
-puissants de la terre_[292]. J'ouvrirai les portes de la prison, et je
-vous montrerai les issues les plus secrtes.
-
- [292] Is., XLV, 2.
-
-Faites, Seigneur, selon votre parole; et que toutes les penses
-mauvaises fuient devant vous.
-
-Mon unique esprance, ma seule consolation dans les maux qui me
-pressent, est de me rfugier vers vous, de me confier en vous, de vous
-invoquer du fond de mon coeur et d'attendre avec patience votre secours.
-
-
-PRIRE
-
-POUR DEMANDER DIEU LA LUMIRE.
-
-6. clairez-moi intrieurement, bon Jsus! Faites luire votre lumire
-dans mon coeur, et dissipez toutes ses tnbres.
-
-Arrtez mon esprit qui s'gare, et brisez la violence des tentations qui
-me pressent.
-
-Dployez pour moi votre bras, et domptez ces btes furieuses, ces
-convoitises dvorantes _afin que je trouve la paix dans votre
-force_[293], et que sans cesse vos louanges retentissent dans votre
-sanctuaire, dans une conscience pure.
-
- [293] Ps. CXXI, 7.
-
-Commandez aux vents et aux temptes; _dites la mer: Apaise-toi;
-l'aquilon: Ne souffle point: et il se fera un grand calme_[294].
-
- [294] Marc., IV, 39.
-
-7. _Envoyez votre lumire et votre vrit_[295], pour qu'elles luisent
-sur la terre: car je ne suis qu'une terre strile et tnbreuse, jusqu'
-ce que vous m'clairiez.
-
- [295] Ps. XLII, 3.
-
-Rpandez votre grce d'en haut; versez sur mon coeur la rose cleste;
-panchez sur cette terre aride les eaux fcondes de la pit, afin
-qu'elle produise des fruits bons et salutaires.
-
-Relevez mon me abattue sous le poids de ses pchs; transportez tous
-mes dsirs au Ciel, afin qu'ayant tremp mes lvres la source des
-biens ternels, je ne puisse plus sans dgot penser aux choses de la
-terre.
-
-8. Enlevez-moi, dtachez-moi de toutes les fugitives consolations des
-cratures, car nul objet cr ne peut satisfaire ni rassasier pleinement
-mon coeur.
-
-Unissez-moi vous par l'indissoluble lien de l'amour: car vous suffisez
-seul celui qui vous aime, et tout le reste sans vous n'est rien.
-
-
-RFLEXION.
-
- _Des prophtes se sont levs en Isral, qui prophtisent Jrusalem
- des visions de paix; et il n'y a point de paix, dit le Seigneur
- Dieu_[296]. Et le monde aussi prophtise des visions de paix ses
- sectateurs; mais cette paix qu'il met dans les plaisirs, dans le
- contentement de l'orgueil et de toutes les passions, ne se montre de
- loin que pour tromper ceux qui la poursuivent, et quand ils se croient
- prs de la saisir, tout coup elle s'vanouit _comme le songe d'un
- homme qui s'veille_[297]. La paix vritable n'est, au contraire, que
- le calme d'une conscience pure: elle consiste retrancher les dsirs,
- et non pas les satisfaire. Est-il un lieu cach, un emploi obscur,
- une place, un rang mprisable aux yeux du monde, elle est l surtout.
- Plus le coeur s'humilie, plus elle est douce et profonde. Qu'est-ce,
- en effet, qui pourrait troubler celui qui ne souhaite rien, et ne
- s'attribue rien? Il n'a gure craindre qu'on lui envie l'abaissement
- o il se complat. Mais que de grandeur dans cet abaissement cherch,
- voulu de toute l'me! Les anges le contemplent avec respect, et Dieu
- le bnit du sein de sa gloire. Seigneur, venez mon aide; terrassez
- en moi l'orgueil, et j'aurai la paix; faites que, pntr des
- sentiments qui animaient le roi-prophte, il me soit donn de dire
- comme lui: _J'ai choisi d'tre abject dans la maison de mon Dieu,
- plutt que d'habiter tous les tentes des pcheurs: elegi abjectus
- esse[298]!_
-
- [296] Ezech., XIII, 16.
-
- [297] Ps. LXXII, 20.
-
- [298] Ps. LXXXIII, 11.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXIV.
-
-Qu'il ne faut point s'enqurir curieusement de la conduite des autres.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, rprimez en vous la curiosit, et ne vous troublez
-point de vaines sollicitudes.
-
-_Que vous importe ceci ou cela? suivez-moi_[299].
-
- [299] Joan., XXI, 22.
-
-Que vous fait ce qu'est celui-ci, comment parle ou agit celui-l?
-
-Vous n'avez point rpondre des autres; mais vous rpondrez pour
-vous-mme: de quoi donc vous inquitez-vous?
-
-Voil que je connais tous les hommes; je vois tout ce qui se passe sous
-le soleil; je sais ce qu'il en est de chacun, ce qu'il pense, ce qu'il
-veut, et o tendent ses vues.
-
-C'est donc moi qu'on doit tout abandonner. Pour vous, demeurez en
-paix, et laissez ceux qui s'agitent, s'agiter tant qu'ils voudront.
-
-Tout ce qu'ils feront, tout ce qu'ils diront, viendra sur eux; car ils
-ne peuvent me tromper.
-
-2. Ne poursuivez pas cette ombre qu'on appelle un grand nom; ne dsirez
-ni de nombreuses liaisons, ni l'amiti particulire d'aucun homme.
-
-Car tout cela dissipe l'esprit, et obscurcit trangement le coeur.
-
-Je me plairais vous faire entendre ma parole, et vous rvler mes
-secrets, si vous tiez, quand je viens vous, toujours attentif et prt
- m'ouvrir la porte de votre coeur.
-
-Songez l'avenir, veillez, priez sans cesse, et humiliez-vous en toutes
-choses.
-
-
-RFLEXION.
-
- Pourquoi ouvrez-vous un oeil envieux sur les actions de vos frres?
- Qui vous a charg de scruter leur conscience et leurs oeuvres?
- Laissez, laissez Dieu un soin qu'il se rserve, et songez rpondre
- pour vous. On se trompe presque toujours en jugeant les autres, et
- l'on se prpare soi-mme un jugement plus svre, en usurpant un
- droit qu'on n'a pas, et en blessant, par des soupons malins et
- tmraires, l'amour d au prochain. _La charit est indulgente, elle
- ne pense point le mal_[300]. Prsumez d'autrui tout ce qui est bon,
- pardonnez pour qu'on vous pardonne, _et ne jugez point, afin que vous
- ne soyez point jug_[301].
-
- [300] I. Cor., XIII, 4, 5.
-
- [301] Matth., VII, 1.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXV.
-
-En quoi consiste la vraie paix et le vritable progrs de l'me.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, j'ai dit: _Je vous laisse la paix, je vous donne ma
-paix, non comme le monde la donne_[302].
-
- [302] Joann., XIV, 27.
-
-Tous dsirent la paix; mais tous ne cherchent pas ce qui procure une
-paix vritable.
-
-Ma paix est avec ceux qui sont doux et humbles de coeur.
-
-Votre paix sera dans une grande patience.
-
-Si vous m'coutez, et si vous obissez ma parole, vous jouirez d'une
-profonde paix.
-
-2. LE F. Seigneur, que ferai-je donc?
-
-3. J.-C. En toutes choses, veillez ce que vous faites et ce que vous
-dites. N'ayez d'autre intention que celle de plaire moi seul. Ne
-dsirez, ne recherchez rien hors de moi.
-
-Ne jugez point tmrairement des paroles ou des actions des autres: ne
-vous ingrez point de ce qui n'est point commis votre charge; alors
-vous serez peu ou rarement troubl.
-
-Mais ne sentir jamais aucun trouble, n'prouver aucune peine du coeur,
-aucune souffrance du corps, cela n'est pas de la vie prsente; c'est
-l'tat de l'ternel repos.
-
-Ne croyez donc pas avoir trouv la vritable paix, lorsqu'il ne vous
-arrive aucune contrarit; ni que tout soit bien, quand vous n'essuyez
-d'opposition de personne; ni que votre bonheur soit parfait, lorsque
-tout russit selon vos dsirs.
-
-Gardez-vous aussi de concevoir une haute ide de vous-mme, et
-d'imaginer que Dieu vous chrit particulirement, si vous sentez votre
-coeur rempli d'une pit tendre et douce: car ce n'est pas en cela qu'on
-reconnat celui qui aime vraiment la vertu, ni en cela que consiste le
-progrs de l'homme et sa perfection.
-
-4. LE F. En quoi donc, Seigneur?
-
-5. J.-C. vous offrir de tout votre coeur la volont divine; ne
-vous rechercher en aucune chose, ni petite, ni grande, ni dans le temps,
-ni dans l'ternit: de sorte que, regardant du mme oeil et pesant dans
-la mme balance les biens et les maux, vous m'en rendiez galement
-grces.
-
-Et ce n'est pas tout; il faut encore que vous soyez si ferme, si
-constant dans l'esprance, que, priv intrieurement de toute
-consolation, vous prpariez votre coeur de plus dures preuves, sans
-jamais vous justifier vous-mme, comme si vous ne mritiez pas de tant
-souffrir; mais reconnaissant, au contraire, ma justice, et louant ma
-saintet dans tout ce que j'ordonne. Alors vous marcherez dans la voie
-droite, dans la vritable voie de la paix; et vous pourrez avec
-assurance esprer _de revoir mon visage dans l'allgresse_[303].
-
- [303] Job, XXXIII, 26.
-
-Que si vous parvenez un parfait mpris de vous-mme, je vous le dis,
-vous jouirez d'une paix aussi profonde qu'il est possible en cette vie
-d'exil.
-
-
-RFLEXION.
-
- On ne saurait trop rpter l'homme que sa grandeur, sa scurit, sa
- paix consiste se renoncer, se mpriser lui-mme, s'anantir
- devant Dieu, ne vouloir en toutes choses et ne dsirer que
- l'accomplissement de sa volont sainte, sans aucun retour d'intrt
- propre, dans un abandon sans rserve ce qu'il lui plat d'ordonner
- de nous. Il faut se dtacher mme de ses dons, pour s'unir lui d'une
- manire plus intime et plus pure. La ferveur sensible, les
- consolations, les ravissantes douceurs de l'amour, nous sont donnes
- et nous sont retires selon des desseins que nous ignorons; elles
- passent, et tout ce qui passe produit le trouble, si l'on s'y attache.
- Dieu seul donc: n'aimons que Dieu seul, ne souhaitons que Dieu seul;
- aimons-le pour lui-mme, dans la tristesse comme dans la joie, dans
- l'amertume comme dans la jouissance. Oui, _je vous aimerai,
- Seigneur_[304], _je vous bnirai en tout temps_[305]: _vous tes
- vous-mme notre paix_[306], _et dans cette paix, je dormirai et je me
- reposerai_[307].
-
- [304] Ps. XVII, 2.
-
- [305] Ps. XXXIII, 2.
-
- [306] Ephes., II, 14.
-
- [307] Ps. IV, 9.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXVI.
-
-De la libert du coeur, qui s'acquiert plutt par la prire que par la
-lecture.
-
-
-1. LE F. Seigneur, c'est une haute perfection de ne jamais dtourner des
-choses du ciel les regards de son coeur, de passer au milieu des soins
-du monde, sans se proccuper d'aucun soin, non par indolence, mais par
-le privilge d'une me libre, qu'aucune affection drgle n'attache
-la crature.
-
-2. Je vous en conjure, Dieu de bont! dlivrez-moi des soins de cette
-vie, de peur qu'ils ne retardent ma course; des ncessits du corps, de
-peur que la volupt ne me sduise; de tout ce qui arrte et trouble
-l'me, de peur que l'affliction ne me brise et ne m'abatte.
-
-Je ne parle point des choses que la vanit humaine recherche avec tant
-d'ardeur; mais de ces misres qui, par une suite de la maldiction
-commune tous les enfants d'Adam, tourmentent et appesantissent l'me
-de votre serviteur, et l'empchent de jouir, autant qu'il voudrait, de
-la libert de l'esprit.
-
-3. mon Dieu, douceur ineffable! changez pour moi en amertume toute
-consolation de la chair, qui me dtourne de l'amour des biens ternels,
-et m'attire, et me fascine par le charme funeste du plaisir prsent.
-
-Que je ne sois pas, mon Dieu, vaincu par la chair et le sang, tromp par
-le monde et sa gloire qui passe, que je ne succombe point aux ruses du
-dmon.
-
-Donnez-moi la force pour rsister, la patience pour souffrir, la
-constance pour persvrer.
-
-Donnez-moi, au lieu de toutes les consolations du monde, la dlicieuse
-onction de votre esprit; et au lieu de l'amour terrestre, pntrez-moi
-de l'amour de votre nom.
-
-4. Le boire, le manger, le vtement, et les autres choses ncessaires
-pour soutenir le corps, sont charge une me fervente.
-
-Faites que j'use de ces soulagements avec modration, et que je ne les
-recherche point avec trop de dsir.
-
-Les rejeter tous, cela n'est pas permis, parce qu'il faut soutenir la
-nature: mais votre loi sainte dfend de rechercher tout ce qui est
-au-del du besoin et ne sert qu' flatter les sens; autrement la chair
-se rvolterait contre l'esprit.
-
-Que votre main, Seigneur, me conduise entre ces deux extrmes, afin
-qu'instruit par vous, je me prserve de tout excs.
-
-
-RFLEXION.
-
- En voyant combien les hommes sont enfoncs dans la vie prsente,
- l'importance qu'ils attachent tout ce qui s'y rapporte, le dsir qui
- les consume d'amasser des biens et de s'en assurer la perptuelle
- jouissance, croirait-on jamais qu'ils soient persuads que cette vie
- doive finir, et finir si tt? Dans leurs longues prvoyances, ils
- n'oublient rien que l'ternit: elle seule ne les touche en aucune
- manire, ou les touche si faiblement qu' peine y songent-ils de loin
- en loin et avec ennui, dans les courts intervalles des plaisirs ou des
- affaires. Profonde piti! et que l'exemple qu'ils ont reu du Sauveur
- est diffrent! _Il a pass sur la terre comme un homme errant, comme
- un voyageur qui se dtourne pour reposer un peu_[308]. Voil notre
- modle. L'homme qui se met en voyage n'emporte que ce qui lui est
- ncessaire pour la route; ainsi, dans notre voyage vers le ciel, nous
- devons n'user des choses ici-bas que pour la simple ncessit, et ne
- voir dans ce qui est au-del qu'un fardeau souvent dangereux, et au
- moins toujours inutile. Que faut-il celui qui passe? _Le voyageur
- altr approche ses lvres de la fontaine, et tanche sa soif de l'eau
- la plus proche; il s'assied contre le premier arbre_[309] qu'il
- rencontre sur le bord du chemin; et puis ayant repris ses forces, il
- recommence marcher. Une seule pense l'occupe, celle d'achever
- promptement sa course. Ira-t-il attacher son me aux objets divers qui
- frappent ses regards mesure qu'il avance, et se tourmenter de mille
- soins pour se former un tablissement stable dans le pays qu'il
- traverse, et qu'il ne reverra jamais? Or nous sommes tous ce voyageur.
- Que m'importe la terre, mon Dieu! Que m'importe ce lieu tranger
- d'o je sortirai dans un moment! Je vais la maison de mon Pre: le
- reste ne m'est rien. Le travail, la fatigue, qu'est-ce que cela,
- pourvu que j'arrive au terme o aspirent tous mes voeux? _Mon me a
- dfailli de dsir, mon coeur et ma chair ont tressailli de joie dans
- l'attente du Dieu vivant. Vos autels, Dieu des vertus, mon Roi et mon
- Dieu! vos autels!... Heureux ceux qui habitent dans la maison du
- Seigneur[310]!_
-
- [308] Jerem., XIV, 15.
-
- [309] Ecclesiast., XXVI, 15.
-
- [310] Ps. LXXXIII, 2, 5.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXVII.
-
-Que l'amour de soi est le plus grand obstacle qui empche l'homme de
-parvenir au souverain bien.
-
-
-1. J.-C. Il faut, mon fils, que vous vous donniez tout entier pour
-possder tout, et que rien en vous ne soit vous-mme.
-
-Sachez que l'amour de vous-mme vous nuit plus qu'aucune chose du monde.
-
-On tient chaque chose plus ou moins, selon la nature de l'affection et
-de l'amour qu'on a pour elle.
-
-Si votre amour est pur, simple et bien rgl, vous ne serez esclave
-d'aucune chose.
-
-Ne dsirez point ce qu'il ne vous est pas permis d'avoir, renoncez ce
-qui occupe trop votre me et la prive de sa libert.
-
-Il est trange que vous ne vous abandonniez pas moi du fond du coeur,
-avec tout ce que vous pouvez dsirer ou possder.
-
-2. Pourquoi vous consumer d'une vaine tristesse? Pourquoi vous fatiguer
-de soins superflus?
-
-Demeurez soumis ma volont, et rien ne pourra vous nuire.
-
-Si vous cherchez ceci ou cela, si vous voulez tre ici ou l, sans autre
-objet que de vous satisfaire, et de vivre plus selon votre gr, vous
-n'aurez jamais de repos, et jamais vous ne serez libre d'inquitude,
-parce qu'en tout vous trouverez quelque chose qui vous blesse, et
-partout quelqu'un qui vous contrarie.
-
-3. quoi sert donc de possder et d'accumuler beaucoup de choses au
-dehors? Ce qui sert, c'est de les mpriser, et de les draciner de son
-coeur.
-
-Et n'entendez pas ceci uniquement de l'argent et des richesses, mais
-encore de la poursuite des honneurs, et du dsir des vaines louanges,
-toutes choses qui passent avec le monde.
-
-Nul lieu n'est un sr refuge, si l'on manque de l'esprit de ferveur; et
-cette paix qu'on cherche au dehors ne durera gure, si le coeur est
-priv de son vritable appui, c'est--dire si vous ne vous appuyez pas
-sur moi. Vous changerez, et ne serez pas mieux.
-
-Car, entran par l'occasion qui natra, vous trouverez ce que vous
-aurez fui, et pis encore.
-
-
-PRIRE
-
-POUR OBTENIR LA PURET DU COEUR ET LA SAGESSE CLESTE.
-
-4. LE F. Soutenez-moi, Seigneur, par la grce de l'Esprit-Saint.
-
-Fortifiez-moi intrieurement de votre vertu, afin que je bannisse de mon
-coeur toutes les sollicitudes vaines qui le tourmentent, et que je ne
-sois emport par le dsir d'aucune chose ou prcieuse ou mprisable;
-mais plutt qu'apprciant toutes choses ce qu'elles sont, je voie
-qu'elles passent, et que je passerai aussi avec elles.
-
-_Car il n'y a rien de stable sous le soleil; et tout est vanit et
-affliction d'esprit_[311]. Oh! qu'il est sage, celui qui juge ainsi!
-
- [311] Eccl., I, 17.
-
-5. Donnez-moi, Seigneur, la sagesse cleste, afin que j'apprenne vous
-chercher et vous trouver, vous goter et vous aimer par-dessus
-tout, et ne compter tout le reste que pour ce qu'il est, selon l'ordre
-de votre sagesse.
-
-Donnez-moi la prudence pour m'loigner de ceux qui me flattent, et la
-patience pour supporter ceux qui s'lvent contre moi.
-
-Car c'est une grande sagesse de ne se point laisser agiter tout vent
-de paroles, et de ne point prter l'oreille aux perfides discours des
-flatteurs. C'est ainsi qu'on avance srement dans la voie o l'on est
-entr.
-
-
-RFLEXION.
-
- Si peu que l'homme se recherche lui-mme, il s'loigne de Dieu: mais
- l'instant le trouble nat en lui; car ou il n'atteint pas l'objet de
- ses dsirs, ou il s'en dgote aussitt, toujours tourment, soit par
- ses convoitises, soit par le remords et l'ennui. Il a voulu tre
- riche, puissant, possder des titres, des honneurs, toutes choses qui
- ne s'obtiennent gure que par de durs travaux, et qui rarement se
- rencontrent avec une conscience pure: n'importe, le voil lev au
- fate des prosprits humaines, rien ne lui manque de ce qu'il
- enviait; demandez-lui s'il est satisfait: il ne sortira que des
- plaintes, des cris d'angoisse et de douleur, de la bouche de cet
- heureux du monde. _Et maintenant_, selon la forte expression de
- l'Aptre, _et maintenant, riches, pleurez et poussez des hurlements
- dans les misres qui fondront sur vous. Vous avez vcu sur la terre
- dans les dlices et les volupts, vous vous tes engraisss pour le
- jour du sacrifice_[312]. Ainsi d'un ct, les biens d'ici-bas, ces
- biens convoits si ardemment, fatiguent l'me sans la rassasier; et de
- l'autre, moins d'une grce peu commune, comme Jsus-Christ lui-mme
- nous l'apprend[313], ils la prcipitent dans la perte. Au contraire,
- celui qui s'est renonc compltement, celui pour qui Dieu seul est
- tout, jouit d'une paix inaltrable. La souffrance mme lui est douce,
- parce qu'elle accrot son esprance, purifie son amour, et que
- l'affliction d'un moment enfantera une joie ternelle. _Persvrez
- donc dans la patience jusqu' l'avnement du Seigneur. Dans l'espoir
- de recueillir le fruit prcieux de la terre, le laboureur attend
- patiemment les pluies de la premire et de l'arrire-saison. Et vous
- aussi soyez donc patients, car l'avnement du Seigneur approche_[314].
-
- [312] Jacob., V, 1, 5.
-
- [313] Matth., XIX, 23, 24.
-
- [314] Jacob., V, 7, 8.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXVIII.
-
-Qu'il faut mpriser les jugements humains.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, ne vous offensez point si quelques-uns pensent mal de
-vous, et en disent des choses qu'il vous soit pnible d'entendre.
-
-Vous devez penser encore plus mal de vous-mme, et croire que personne
-n'est plus imparfait que vous.
-
-Si vous tes retir en vous-mme, que vous importeront des paroles qui
-se dissipent en l'air?
-
-Ce n'est pas une prudence mdiocre que de savoir se taire au temps
-mauvais, et de se tourner vers moi intrieurement, sans se troubler des
-jugements humains.
-
-2. Que votre paix ne dpende point des discours des hommes; car, qu'ils
-jugent de vous bien ou mal, vous n'en demeurez pas moins ce que vous
-tes. O est la vritable paix et la gloire vritable? n'est-ce pas en
-moi?
-
-Celui qui ne dsire point de plaire aux hommes, et qui ne craint point
-de leur dplaire, jouira d'une grande paix.
-
-De l'amour drgl et des vaines craintes naissent l'inquitude du coeur
-et la dissipation des sens.
-
-
-RFLEXION.
-
- Quelques-uns s'inquitent plus des jugements des hommes, que de celui
- de Dieu. trange folie! Quand nous paratrons au tribunal suprme, que
- nous importera le blme ou l'estime des cratures? Nous ne serons ni
- condamns ni absous sur leurs vaines penses. C'est la vrit qui nous
- jugera, et sa sentence sera ternelle. Tel qui, pendant sa vie, fut
- enivr de louanges, s'en ira expier ses crimes cachs _l o sont les
- pleurs et les grincements de dents, et le ver qui ne meurt
- point_[315]. Tel autre qui vcut accabl de mpris et d'outrages,
- entendra cette parole: _Venez, vous qui tes le bni de mon Pre;
- possdez le royaume qui vous est prpar ds le commencement du
- monde_[316]; car les jugements de Dieu ne sont point comme nos
- jugements, ni sa justice comme notre justice: _Il sonde l'abme et le
- coeur de l'homme_[317]. N'ayez donc que lui seul en vue, et soyez
- indiffrent tout le reste. quoi sert ce que nous laissons
- l'entre du tombeau? les loges recherchs souillent la conscience et
- tuent le mrite du bien qu'on a fait pour les obtenir. _Prenez garde
- ne pas faire vos bonnes oeuvres devant les hommes, pour tre vu d'eux:
- autrement vous n'aurez point de rcompense de votre Pre qui est dans
- les cieux. Quand donc vous faites l'aumne, ne sonnez point de la
- trompette devant vous, comme font les hypocrites dans les synagogues
- et dans les carrefours, afin d'tre honors des hommes. En vrit je
- vous le dis, ils ont reu leur rcompense. Pour vous, quand vous
- faites l'aumne, que votre main gauche ne sache pas ce que fait la
- droite, afin que votre aumne soit dans le secret; et votre Pre, qui
- voit dans le secret, vous la rendra. Et quand vous priez, ne soyez
- point comme les hypocrites, qui aiment prier debout dans les
- synagogues et dans les angles des places publiques, afin d'tre vus
- des hommes; en vrit je vous le dis, ils ont reu leur rcompense.
- Pour vous, lorsque vous prierez, entrez dans le lieu de la maison le
- plus recul, et aprs avoir ferm la porte, priez votre Pre dans le
- secret; et votre Pre, qui voit dans le secret, vous le rendra_[318].
-
- [315] Matth., XXV, 30. Marc, IX, 43.
-
- [316] Matth., XXV. 34.
-
- [317] Ecclesiast., XLII, 18.
-
- [318] Matth., VI, 1-6.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXIX.
-
-Comment il faut invoquer et bnir Dieu dans l'affliction.
-
-
-1. LE F. Que votre nom soit bni jamais, Seigneur, qui avez voulu
-m'prouver par cette peine et cette tentation.
-
-Puisque je ne saurais l'viter, qu'ai-je faire que de me rfugier vers
-vous, pour que vous me secouriez, et qu'elle me devienne utile?
-
-Seigneur, voil que je suis dans la tribulation, mon coeur malade est
-tourment par la passion qui le presse.
-
-_Et maintenant que dirai-je_[319]? Pre plein de tendresse! Les
-angoisses m'ont environn: _Dlivrez-moi de cette heure_[320].
-
- [319] Joan., XII, 27.
-
- [320] _Ibid._
-
-Mais cette heure est venue pour que vous fassiez clater votre gloire,
-en me dlivrant aprs m'avoir humili profondment.
-
-Daignez, Seigneur, me secourir: car, pauvre crature que je suis, que
-puis-je faire, et o irai-je sans vous?
-
-Seigneur, donnez-moi la patience encore cette fois. Soutenez-moi, mon
-Dieu, et je ne craindrai point, quelque pesante que soit cette preuve.
-
-2. Et maintenant que dirai-je encore? Seigneur, _que votre volont se
-fasse_[321]. J'ai bien mrit de sentir le poids de la tribulation.
-
- [321] Matth., V, 10.
-
-Il faut donc que je le supporte: faites, mon Dieu, que ce soit avec
-patience, jusqu' ce que la tempte passe, et que le calme revienne.
-
-Votre main toute-puissante peut loigner de moi cette tentation, et en
-modrer la violence, afin que je ne succombe pas entirement, comme vous
-l'avez dj tant de fois fait pour moi, mon Dieu, ma misricorde!
-
-Et autant ce changement m'est difficile, autant il vous l'est peu:
-_c'est l'oeuvre de la droite du Trs-Haut_[322].
-
- [322] Ps., LXXVI, 10.
-
-
-RFLEXION.
-
- Le premier mouvement de l'me prouve par la tentation doit tre de
- s'humilier, de reconnatre son impuissance; et aussitt de recourir
- avec une vive foi celui qui seul est sa force: _Seigneur,
- sauvez-moi, car je vais prir_[323]: et Dieu se htera de venir au
- secours de cette pauvre me; il tendra pour la secourir sa main
- toute-puissante; _il commandera aux vents et la mer, et il se fera
- un grand calme_[324]. Ainsi encore, lorsque le coeur est bris
- d'affliction, oppress d'angoisse, que fera-t-il? Il se jettera dans
- le sein _de Dieu le Pre de notre Seigneur Jsus-Christ, Pre de
- misricorde et Dieu de toute consolation, qui nous console dans nos
- preuves: car de mme que les souffrances de Jsus-Christ abondent en
- nous, ainsi abonde par Jsus-Christ notre consolation_[325]. Alors, si
- notre me, comme celle de Jsus, _est triste jusqu' la mort_[326], si
- nous disons comme lui: _Mon Pre, que ce calice s'loigne de moi!_
- comme lui aussi nous ajouterons _Non pas ce que je veux, mais ce que
- vous voulez[327]!_
-
- [323] Matth., VIII, 25.
-
- [324] Matth., VIII, 26.
-
- [325] II. Cor., I, 3, 4, 5.
-
- [326] Matth., XXVI, 38.
-
- [327] _Ibid._, 39.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXX.
-
-Qu'il faut implorer le secours de Dieu, et attendre avec confiance le
-retour de sa grce.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, _je suis le Seigneur; c'est moi qui fortifie au jour
-de la tribulation_[328].
-
- [328] Nah., I, 7.
-
-Venez moi quand vous souffrirez.
-
-Ce qui surtout loigne de vous les consolations clestes, c'est que vous
-recourez trop tard la prire.
-
-Car, avant de me prier avec instance, vous cherchez au dehors du
-soulagement et une multitude de consolations.
-
-Mais tout cela vous sert peu, et il vous faut enfin reconnatre que
-_c'est moi seul qui dlivre ceux qui esprent en moi_[329]; et que hors
-de moi il n'est point de secours efficace, point de conseil utile, point
-de remde durable.
-
- [329] Ps. XVI, 7.
-
-Mais prsent que vous commencez respirer aprs la tempte,
-ranimez-vous la lumire de mes misricordes: car je suis prs de vous,
-dit le Seigneur, pour vous rendre tout ce que vous avez perdu, et
-beaucoup plus encore.
-
-2. _Y a-t-il rien qui me soit difficile_[330]? ou serais-je semblable
-ceux qui disent et ne font pas?
-
- [330] Jr., XXXII, 27.
-
-O est votre foi? Demeurez ferme et persvrez.
-
-Ne vous lassez point, prenez courage; la consolation viendra en son
-temps.
-
-Attendez-moi, attendez: _je viendrai et je vous gurirai_[331].
-
- [331] Matth., VIII, 7.
-
-Ce qui vous agite est une tentation, et ce qui vous effraie une crainte
-vaine.
-
-Que vous revient-il de ces soucis d'un avenir incertain, sinon tristesse
-sur tristesse? _ chaque jour suffit son mal_[332].
-
- [332] _Ibid._, VI, 34.
-
-Quoi de plus insens, de plus vain, que de se rjouir ou de s'affliger
-de choses futures qui n'arriveront peut-tre jamais?
-
-3. C'est une suite de la misre humaine d'tre le jouet de ces
-imaginations, et la marque d'une me encore faible de cder si aisment
-aux suggestions de l'ennemi.
-
-Car peu lui importe de nous sduire et de nous tromper par des objets
-rels ou par de fausses images; et de nous vaincre par l'amour des biens
-prsents ou par la crainte des maux venir.
-
-_Que votre coeur donc ne se trouble point et ne craigne point._
-
-_Croyez en moi, et confiez-vous en ma misricorde_[333].
-
- [333] Joann., XIV, 1, 27.
-
-Quand vous croyez tre loin de moi, souvent c'est alors que je suis le
-plus prs de vous.
-
-Lorsque vous croyez tout perdu, ce n'est souvent que l'occasion d'un
-plus grand mrite.
-
-Tout n'est pas perdu, quand le succs ne rpond pas vos dsirs.
-
-Vous ne devez pas juger selon le sentiment prsent, ni vous abandonner
-aucune affliction, quelle qu'en soit la cause, et vous y enfoncer, comme
-s'il ne vous restait nulle esprance d'en sortir.
-
-4. Ne pensez pas que je vous aie tout fait dlaiss, lorsque je vous
-afflige pour un temps, ou que je vous retire mes consolations: car c'est
-ainsi qu'on parvient au royaume des cieux.
-
-Et certes il vaut mieux pour vous et pour tous mes serviteurs tre
-exerc par des traverses, que de n'prouver jamais aucune contrarit.
-
-Je connais le secret de votre coeur, et je sais qu'il est utile pour
-votre salut que vous soyez quelquefois dans la scheresse, de crainte
-qu'une ferveur continue ne vous porte la prsomption, et que, par une
-vaine complaisance en vous-mme, vous ne vous imaginiez tre ce que vous
-n'tes pas.
-
-Ce que j'ai donn, je puis l'ter et le rendre quand il me plat.
-
-5. Ce que je donne est toujours moi; ce que je reprends n'est point
-vous: car c'est de moi que dcoule tout bien et tout don parfait.
-
-Si je vous envoie quelque peine ou quelque contradiction, n'en murmurez
-pas, et que votre coeur ne se laisse point abattre: car je puis, en un
-moment, vous dlivrer de ce fardeau, et changer votre tristesse en joie.
-
-Et lorsque j'en use ainsi avec vous, je suis juste et digne de toute
-louange.
-
-Si vous jugez selon la sagesse et la vrit, vous ne devez jamais vous
-affliger avec tant d'excs dans l'adversit, mais plutt vous en rjouir
-et m'en rendre grces.
-
-Et mme ce doit tre votre unique joie _que je vous frappe sans vous
-pargner_[334].
-
- [334] Job., VI, 10.
-
-_Comme mon Pre m'a aim, et moi aussi je vous aime_[335], ai-je dit
-mes disciples en les envoyant, non pour goter les joies du monde, mais
-pour soutenir de grands combats; non pour possder les honneurs, mais
-pour souffrir les mpris; non pour vivre dans l'oisivet, mais dans le
-travail; non pour se reposer, mais _pour porter beaucoup de fruits par
-la patience_[336]. Souvenez-vous, mon fils, de ces paroles.
-
- [335] Joann., XV, 9.
-
- [336] Luc., XVIII, 15. Joann., XV, 16.
-
-
-RFLEXION.
-
- Bien que les hommes sachent que la vie prsente n'est qu'un tat de
- passage, nanmoins il y a en eux un penchant extraordinaire se
- concentrer dans cette vie si courte, et ne juger des choses que par
- leur rapport avec elle. Ils veulent invinciblement tre heureux; mais
- ils veulent l'tre ds ici-bas; ils cherchent sur la terre un bonheur
- qui n'y est point, qui n'y peut pas tre, et en cela ils se trompent
- misrablement. Les uns le placent dans les plaisirs et les biens du
- monde, et aprs s'tre fatigus leur poursuite, _ils voient que tout
- est vanit et affliction d'esprit_[337], _et que l'homme n'a rien de
- plus de tous les travaux dont il se consume sous le soleil_[338]. Les
- autres, convaincus du nant de ces liens, se tournent vers Dieu; mais
- ils veulent aussi que le dsir de flicit qui les tourmente soit
- satisfait ds prsent, toujours prts s'inquiter et se
- plaindre, quand Dieu leur retire les grces sensibles, ou qu'il les
- prouve par les souffrances et la tentation. Ils ne comprennent pas
- que la nature humaine est malade, et incapable en cet tat de tout
- bonheur rel; que les preuves dont ils se plaignent sont les remdes
- ncessaires que le cleste mdecin des mes emploie, dans sa bont,
- pour les gurir, et que toute notre esprance sur la terre, toute
- notre paix consiste nous abandonner entirement lui avec une
- confiance pleine d'amour. Et voil pourquoi le roi-prophte revient si
- souvent a cette prire: _Ayez piti de moi, Seigneur, parce que je
- suis malade_; _gurissez-moi, car le mal a pntr jusqu' mes
- os_[339]; _gurissez mon me_[340], vous qui gurissez toutes nos
- infirmits[341]. Donc, pendant cette vie, la rsignation, la patience,
- une tranquille soumission de la volont, au milieu des tnbres de
- l'esprit et de l'amertume du coeur: et aprs, et bientt, dans la
- vritable vie, le repos imperturbable, la joie immortelle, et la
- flicit de Dieu mme, qu'il vous sera donn _de voir tel qu'il est
- face face_[342].
-
- [337] Eccles., I, 14.
-
- [338] _Ibid._, 3.
-
- [339] Ps. VI, 3.
-
- [340] Ps. XL, 5.
-
- [341] Ps. CII, 3.
-
- [342] I. Cor., XIII, 12.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXXI.
-
-Qu'il faut oublier toutes les cratures pour trouver le Crateur.
-
-
-1. LE F. Seigneur, j'ai besoin d'une grce plus grande, s'il me faut
-parvenir cet tat o nulle crature ne sera un lien pour moi.
-
-Car, tant que quelque chose m'arrte, je ne puis voler librement vers
-vous,
-
-Il aspirait cette libert, celui qui disait: _Qui me donnera des ailes
-comme la colombe? et je volerai, et je me reposerai_[343].
-
- [343] Ps. LIV, 7.
-
-Quel repos plus profond que le repos de l'homme qui n'a que vous en vue?
-et quoi de plus libre que celui qui ne dsire rien sur la terre?
-
-Il faut donc s'lever au-dessus de toutes les cratures, se dtacher
-parfaitement de soi-mme, sortir de son esprit, monter plus haut, et l,
-reconnatre que c'est vous qui avez tout fait, et que rien n'est
-semblable vous.
-
-Tandis qu'on tient encore quelque crature, on ne saurait s'occuper
-librement des choses de Dieu.
-
-Et c'est pourquoi l'on trouve peu de contemplatifs, parce que peu savent
-se sparer entirement des cratures et des choses prissables.
-
-2. Il faut pour cela une grce puissante qui soulve l'me et la ravisse
-au-dessus d'elle-mme.
-
-Et tant que l'homme n'est pas lev ainsi en esprit, dtach de toute
-crature, et parfaitement uni Dieu, tout ce qu'il sait et tout ce
-qu'il a, est de bien peu de prix.
-
-Il sera longtemps faible et inclin vers la terre, celui qui estime
-quelque chose hors de l'unique, de l'immense, de l'ternel bien.
-
-Tout ce qui n'est pas Dieu n'est rien, et ne doit tre compt pour rien.
-
-Il y a une grande diffrence entre la sagesse d'un homme que la pit
-claire, et la science qu'un docteur acquiert par l'tude.
-
-La science qui vient d'en haut et que Dieu lui-mme rpand dans l'me,
-est bien suprieure celle o l'homme parvient laborieusement par les
-efforts de son esprit.
-
-3. Plusieurs dsirent s'lever la contemplation; mais ce qu'il faut
-pour cela, ils ne le veulent point faire.
-
-Le grand obstacle est qu'on s'arrte ce qu'il y a d'extrieur et de
-sensible, et que l'on s'occupe peu de se mortifier vritablement.
-
-Je ne sais ce que c'est, ni quel esprit nous conduit, ni ce que nous
-prtendons, nous qu'on regarde comme des hommes tout spirituels, de
-poursuivre avec tant de travail et de souci des choses viles et
-passagres, lorsque si rarement nous nous recueillons pour penser, sans
-aucune distraction, notre tat intrieur.
-
-4. Hlas! peine sommes-nous rentrs en nous-mmes, que nous nous
-htons d'en sortir, sans jamais srieusement examiner nos oeuvres.
-
-Nous ne considrons point jusqu'o descendent nos affections, et nous ne
-gmissons point de ce que tout en nous est impur.
-
-_Toute chair avait corrompu sa voie_[344]; et c'est pourquoi le dluge
-suivit.
-
- [344] Gen., VI, 12.
-
-Quand donc nos affections intrieures sont corrompues, elles corrompent
-ncessairement nos actions, et dvoilent ainsi toute la faiblesse de
-notre me.
-
-Les fruits d'une bonne vie ne croissent que dans un coeur pur.
-
-5. On demande d'un homme, qu'a-t-il fait? Mais s'il l'a fait par vertu,
-c'est quoi l'on regarde bien moins.
-
-On veut savoir s'il a du courage, des richesses, de la beaut, de la
-science, s'il crit ou s'il chante bien, s'il est habile dans sa
-profession; mais on ne s'informe gure s'il est humble, doux, patient,
-pieux, intrieur;
-
-La nature ne considre que le dehors de l'homme; la grce pntre au
-dedans.
-
-Celle-l se trompe souvent; celle-ci espre en Dieu pour n'tre pas
-trompe.
-
-
-RFLEXION.
-
- Jusqu' ce que _notre vie soit_, comme parle l'Aptre, _cache en Dieu
- avec Jsus-Christ_[345], nous ne lui appartenons qu'imparfaitement,
- nous ne sommes pas _un_ avec le Fils et avec le Pre[346], nous ne
- sommes pas consomms dans l'unit[347]; il y a quelque chose entre
- nous et Dieu: et c'est que nous tenons encore nous-mmes et aux
- cratures: notre amour est divis; tantt il s'lance vers le ciel, et
- tantt il rampe sur la terre. Pour vivre de la vie cache avec
- Jsus-Christ en Dieu, il faut rompre les derniers liens qui nous
- attachent au monde. Alors spare de tout ce qui passe, enveloppe,
- pour ainsi dire, de l'tre divin, plonge dans sa lumire, l'me ne
- voit que lui, ne se sent qu'en lui, ne vit que de sa vrit et de son
- amour, qu'il lui communique par des voies inexpliquables et
- merveilleuses. Unie intimement au Fils, et par le Fils au Pre,
- Jsus-Christ, son modle et son poux, la rend de plus en plus
- conforme lui-mme. Ce qu'il a prouv, il veut qu'elle l'prouve
- aussi, qu'elle le reproduise, en quelque sorte, dans ses divers tats,
- avec le mme esprit d obissance parfaite qui le dirigeait dans
- l'accomplissement de sa divine mission. Quelquefois il la conduit sur
- le Thabor, comme pour lui montrer les biens promis sa fidlit; plus
- souvent il la guide au Jardin des Oliviers, au prtoire, sur le
- Golgotha, o doit se consommer le sacrifice: et soit qu'il l'claire
- et la console, soit qu'il paraisse la dlaisser, tout coopre sa
- perfection, parce qu'elle aime, et que jamais elle ne se lasse
- d'aimer, dans l'amertume comme dans la joie, _le Dieu qui l'appelle
- la saintet_[348]. Elle se repose, pleine de calme, dans la volont de
- ce grand Dieu. Mais l'me qui ne s'est pas encore compltement dgage
- des choses de la terre est toujours agite, inquite; elle marche dans
- l'obscurit, et mille soins la tourmentent. Htons-nous donc de briser
- nos chanes, ne cherchons que Jsus, ne dsirons que lui: _ qui
- irions-nous? Il a les paroles de la vie ternelle_[349]. Quittons tout
- pour le suivre, et _laissons les morts ensevelir leurs morts_[350].
-
- [345] Coloss., III, 3.
-
- [346] Joann., XVII, 21.
-
- [347] _Ibid._, 23.
-
- [348] Rom., VIII, 28.
-
- [349] Joann., XXXV, 69.
-
- [350] Luc., IX, 60.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXXII.
-
-De l'abngation de soi-mme.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, vous ne pouvez jouir d'une libert parfaite, si vous
-ne vous renoncez entirement.
-
-Ils vivent en servitude tous ceux qui s'aiment, et qui veulent tre
-eux-mmes. On les voit, avides, curieux, inquiets, cherchant toujours ce
-qui flatte leurs sens, et non ce qui me plat, se repatre d'illusions,
-et former mille projets qui se dissipent.
-
-Car tout ce qui ne vient pas de Dieu prira.
-
-Retenez bien cette courte et profonde parole: _Quittez tout, et vous
-trouverez tout._ Renoncez vos dsirs, et vous goterez le repos.
-
-Mditez ce prcepte; et quand vous l'aurez accompli, vous saurez tout.
-
-2. LE F. Seigneur, ce n'est pas l'oeuvre d'un jour, ni un jeu d'enfants:
-cette courte maxime renferme toute la perfection religieuse.
-
-3. J.-C. Mon fils, vous ne devez point vous rebuter ni perdre courage,
-lorsqu'on vous montre la voie des parfaits; mais plutt vous efforcer de
-parvenir cet tat sublime, ou au moins y aspirer de tous vos dsirs.
-
-Ah! s'il en tait ainsi de vous! si vous en tiez venu jusqu' ne plus
-vous aimer vous-mme, soumis moi sans rserve, et au suprieur que je
-vous ai donn! Alors j'arrterais sur vous mes regards avec
-complaisance, et tous vos jours passeraient dans la paix et dans la
-joie.
-
-Il vous reste encore bien des choses quitter; et moins que vous n'y
-renonciez entirement pour moi, vous n'obtiendrez point ce que vous
-demandez.
-
-coutez mes conseils, et pour acqurir de vraies richesses, _achetez de
-moi de l'or prouv par le feu_[351], c'est--dire la sagesse cleste,
-qui foule aux pieds toutes les choses d'ici-bas.
-
- [351] Apoc., III, 18.
-
-Qu'elle vous soit plus chre que la sagesse du sicle et que tout ce qui
-plat aux hommes, ou nous plat en nous-mmes.
-
-4. Je vous le dis, changez ce qu'il y a de grand et de prcieux dans
-les choses humaines, contre une chose vile.
-
-Car on regarde comme petite et vile, et l'on oublie presque entirement
-cette sagesse du ciel, la seule vraie, qui ne s'lve point en
-elle-mme, et qui ne cherche point tre admire sur la terre.
-Plusieurs ont ses louanges la bouche, mais ils s'loignent d'elle par
-leur vie. C'est cependant _cette perle prcieuse_[352] qui est cache au
-plus grand nombre.
-
- [352] Matth., XIII. 46.
-
-
-RFLEXION.
-
- Qu'est-ce que l'homme livr lui-mme, son esprit dpourvu de
- rgle, ses dsirs, ses penchants? Esclave des erreurs diverses qui
- le sduisent tour tour, esclave de ses convoitises et des objets de
- ses convoitises, est-il une servitude plus profonde que la sienne? Et
- voil, mon Dieu, l'tat de toute crature qui refuse de se soumettre
- entirement vous. Pour tre libre, il faut obir. La parfaite
- libert n'est que l'accomplissement parfait des prceptes et des
- conseils vangliques, et tous les prceptes et tous les conseils se
- rduisent au renoncement de soi-mme: car, en renonant sa raison
- propre, on possde, dans sa plnitude et sans aucun mlange, la vrit
- de Dieu; en renonant l'amour de soi corrompu en Adam, l'amour de
- Dieu et du prochain cause de Dieu, lequel est le sommaire de la
- loi[353], demeure seul au fond du coeur; en renonant sa volont,
- l'on n'agit plus que d'aprs la volont de Dieu, qui est l'ordre par
- excellence. Et l'homme alors est libre comme Dieu mme, dont il
- devient la fidle image; il est libre, car cette abngation absolue de
- lui-mme l'affranchit du double esclavage de l'erreur et des passions.
- _Nous avons t_, dit saint Paul, _dlivrs par Jsus-Christ, et
- appels par lui la libert_[354]; c'est--dire, la connaissance de
- la loi vanglique, _loi parfaite de libert_[355], qui, aprs avoir
- dlivr ceux qui s'y attachent fidlement _de la servitude de la
- corruption_, les conduit enfin _ la libert de la gloire promise aux
- enfants de Dieu_[356].
-
- [353] Ibid., XXII, 40.
-
- [354] Galat., IV, 31; v, 13.
-
- [355] Jacob., I, 25.
-
- [356] Rom., VIII, 21.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXXIII.
-
-De l'inconstance du coeur, et que nous devons tout rapporter Dieu
-comme notre dernire fin.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, ne vous reposez point sur ce que vous sentez en vous:
-maintenant vous tes affect d'une certaine manire, vous le serez d'une
-autre le moment d'aprs.
-
-Tant que vous vivrez, vous serez sujet au changement, mme malgr vous:
-tour tour triste et gai, tranquille et inquiet, fervent et tide;
-tantt actif, tantt paresseux, tantt grave, tantt lger.
-
-Mais l'homme sage et instruit dans les voies spirituelles s'lve
-au-dessus de ces vicissitudes. Il ne considre point ce qu'il prouve en
-soi, ni de quel ct l'incline le vent de l'inconstance; mais il arrte
-toute son attention sur la fin bienheureuse laquelle il doit tendre.
-
-C'est ainsi qu'au milieu de tant de mouvements divers, fixant sur moi
-seul ses regards, il demeure inbranlable et toujours le mme.
-
-Plus l'oeil de l'me est pur et son intention droite, moins on est agit
-par les temptes.
-
-Mais cet oeil s'obscurcit en plusieurs, parce qu'il se tourne vers
-chaque objet agrable qui se prsente.
-
-Car il est rare de trouver quelqu'un tout fait exempt de la honteuse
-recherche de soi-mme.
-
-Ainsi autrefois les Juifs vinrent Bthanie chez Marthe et Marie, _non
-pour Jsus seul, mais pour voir Lazare_[357].
-
- [357] Joann., XII, 9.
-
-Il faut donc purifier l'intention, afin que, simple et droite, elle se
-dirige constamment vers moi, sans s'arrter jamais aux objets
-infrieurs.
-
-
-RFLEXION.
-
- L'esprit de l'homme va et vient sans se reposer jamais, et le coeur
- est emport par la mme inconstance. Or ces changements qui
- surviennent en nous, quelquefois malgr nous, sont ou des tentations
- que l'on doit combattre, ou des misres qu'il faut supporter, ou des
- preuves auxquelles on doit se soumettre humblement. Et c'est pourquoi
- il est ncessaire de travailler sans relche purifier notre volont,
- qui seule dpend de nous; autrement nous tomberons bien vite ou dans
- le pch, ou dans le trouble, ou dans les deux la fois. Celui qui
- veut sincrement tre Dieu et n'tre qu' lui, ne craint pas les
- attaques de l'enfer, parce qu'il sait qu'il est invincible en celui
- qui le fortifie. Il ne s'irrite point contre lui-mme, il voit en paix
- ses infirmits, il _s'en glorifie_ comme l'Aptre[358], parce qu'elles
- _perfectionnent la vertu_[359], et ajoutent au prix de la victoire.
- Que si Dieu l'prouve, il s'humilie, il se reconnat indigne de ses
- consolations, et il embrasse avec amour la croix qui lui est
- prsente. Tranquille sur cette croix, dans la tristesse, dans la
- souffrance et l'abandonnement, il n'a que cette parole, et elle lui
- suffit: _J'ai espr en vous, Seigneur, et je ne serai point confondu
- ternellement_[360].
-
- [358] II. Corinth., XI, 30.
-
- [359] _Ibid._, XII, 9.
-
- [360] Ps. LXX, 1.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXXIV.
-
-Qu'on ne saurait goter que Dieu seul, et qu'on le gote en toutes
-choses, quand on l'aime vritablement.
-
-
-1. LE F. Voil mon Dieu et mon tout! Que voudrais-je de plus? et quelle
-plus grande flicit puis-je dsirer?
-
- ravissante parole! mais pour celui qui aime Jsus, et non pas le
-monde, ni rien de ce qui est du monde.
-
-Mon Dieu et mon tout, c'est assez dire qui l'entend, et le redire sans
-cesse est doux celui qui aime.
-
-Vous prsent, tout est dlectable: en votre absence, tout devient amer.
-
-Vous donnez au coeur le repos, et une profonde paix, et une joie
-innarrable.
-
-Vous faites que, content de tout, on vous bnit de tout. Au contraire,
-rien sans vous ne peut plaire longtemps, et rien n'a d'attrait ni de
-douceur sans l'impression de votre grce et l'onction de votre sagesse.
-
-2. Que ne gotera point celui qui vous gote? et que trouvera d'agrable
-celui qui ne vous gote point?
-
-Les sages du monde, qui n'ont de got que pour les volupts de la chair,
-s'vanouissent dans leur sagesse: car on ne trouve l qu'un vide
-immense, que la mort.
-
-Mais ceux qui, pour vous suivre, mprisent le monde et mortifient la
-chair, se montrent vraiment sages: car ils quittent le mensonge pour la
-vrit, et la chair pour l'esprit.
-
-Ceux-l savent goter Dieu; et tout ce qu'ils trouvent de bon dans les
-cratures, ils le rapportent la louange du Crateur.
-
-Rien pourtant ne se ressemble moins que le got du Crateur et celui de
-la crature, du temps et de l'ternit, de la lumire incre et de
-celle qui n'en est qu'un faible reflet.
-
-3. lumire ternelle, infiniment leve au-dessus de toute lumire
-cre, qu'un de vos rayons, tel que la foudre, parte d'en haut et
-pntre jusqu'au fond le plus intime de mon coeur!
-
-Purifiez, dilatez, clairez, vivifiez mon me et toutes ses puissances,
-pour qu'elle s'unisse vous dans des transports de joie.
-
-Oh! quand viendra cette heure heureuse, cette heure dsirable o vous me
-rassasierez de votre prsence, o vous me serez tout en toutes choses!
-
-Jusque l je n'aurai point de joie parfaite.
-
-Hlas! le vieil homme vit encore en moi; il n'est pas tout crucifi, il
-n'est pas mort entirement.
-
-Ses convoitises combattent encore fortement contre l'esprit; il excite
-en moi des guerres intestines, et ne souffre point que l'me rgne en
-paix.
-
-Mais vous _qui commandez la mer et qui calmez le mouvement des flots,
-levez-vous, secourez-moi_[361].
-
- [361] Ps. LXXXVIII, 10; XLIII, 26.
-
-_Dissipez les nations qui veulent la guerre_[362], et brisez-les dans
-votre puissance.
-
- [362] Ps. LXVII, 32.
-
-_Faites_, je vous conjure, _clater vos merveilles, et signalez la
-gloire de votre bras_[363]: car je n'ai point d'autre esprance ni
-d'autre refuge que vous, mon Dieu!
-
- [363] Judith, IX, 11; Eccl., XXXVI, 7.
-
-
-RFLEXION.
-
- Il est trange que, connaissant Dieu, toute notre me ne soit pas
- absorbe dans son amour; qu'elle s'arrte encore aux cratures, au
- lieu de se plonger et de se perdre dans la source de tout bien.
- Qu'est-ce que le bonheur, sinon l'amour? et qu'est-ce que le bonheur
- infini, sinon un amour sans bornes? Il faut donc notre coeur un
- objet infini, il faut Dieu: rien de cr ne saurait le satisfaire
- jamais. Que me veut le monde? Qu'ai-je besoin de lui? Que peut-il me
- donner? Mon coeur est plus grand que tous ses biens, et _Dieu seul est
- plus grand que mon coeur_[364]. Dieu seul donc, Dieu seul, maintenant
- et toujours: ternellement Dieu seul!
-
- [364] Joann., III, 20.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXXV.
-
-Qu'on est toujours, durant cette vie, expos la tentation.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, vous n'aurez jamais de scurit dans cette vie; mais,
-tant que vous vivrez, les armes spirituelles vous seront toujours
-ncessaires.
-
-Vous tes environn d'ennemis; ils vous attaquent droite et gauche.
-
-Si vous ne vous couvrez donc de tous cts du bouclier de la patience,
-vous ne serez pas longtemps sans blessure.
-
-Si, de plus, votre coeur ne se fixe pas irrvocablement en moi, avec la
-ferme volont de tout souffrir pour mon amour, vous ne soutiendrez
-jamais la violence de ce combat et vous n'obtiendrez point la palme des
-bienheureux.
-
-Il faut donc passer courageusement travers tous les obstacles, et
-lever un bras puissant contre tout ce qui s'oppose vous.
-
-Car _la manne est donne aux victorieux_[365], et une grande misre est
-le partage du lche.
-
- [365] Apoc., II, 17.
-
-2. Si vous cherchez le repos en cette vie, comment parviendrez-vous au
-repos ternel!
-
-Ne vous prparez pas beaucoup de repos, mais beaucoup de patience.
-
-Cherchez la vritable paix, non sur la terre, mais dans le ciel; non
-dans les hommes ni dans aucune crature, mais en Dieu seul.
-
-Vous devez supporter tout avec joie pour l'amour de Dieu, les travaux,
-les douleurs, les tentations, les perscutions, les angoisses, les
-besoins, les infirmits, les injures, les mdisances, les reproches, les
-humiliations, les affronts, les corrections, les mpris.
-
-C'est l ce qui exerce la vertu, ce qui prouve le nouveau soldat de
-Jsus-Christ, ce qui forme la couronne cleste.
-
-Pour un court travail je donnerai une rcompense ternelle, et une
-gloire infinie pour une humiliation passagre.
-
-3. Pensez-vous que vous aurez toujours, selon votre dsir, les
-consolations spirituelles?
-
-Mes Saints n'en ont pas joui constamment; mais ils ont eu beaucoup de
-peines, des tentations diverses, de grandes dsolations.
-
-Et se confiant plus en Dieu qu'en eux-mmes, ils se sont soutenus par la
-patience au milieu de toutes ces preuves, sachant que _les souffrances
-du temps n'ont nulle proportion avec la gloire future qui doit en tre
-le prix_[366].
-
- [366] Rom., VIII, 18.
-
-Voulez-vous avoir, ds le premier moment, ce que tant d'autres ont
-peine obtenu aprs beaucoup de larmes et d'immenses travaux!
-
-_Attendez le Seigneur, combattez avec courage_[367], soyez ferme, ne
-craignez point, ne reculez point, mais exposez gnreusement votre vie
-pour la gloire de Dieu.
-
- [367] Ps. XXVI, 14.
-
-_Je vous rcompenserai pleinement, et je serai avec vous dans toutes vos
-tribulations_[368].
-
- [368] Ps. XC, 15.
-
-
-RFLEXION.
-
- Gardez-vous d'attendre ici-bas un repos qui n'y est point; on ne peut
- gagner le Ciel qu'avec beaucoup de travail, et pendant que vous serez
- sur la terre, vous aurez toujours combattre. Ne vous lassez donc
- point; _renouvelez en vous l'esprit intrieur_[369]; recourez Dieu
- qui seul vous soutient; humiliez-vous en sa prsence; _veillez et
- priez, afin que vous n'entriez point en tentation_[370], je vous le
- rpte, _veillez et priez continuellement_[371]; demeurez ferme dans
- la foi, _agissez avec courage et soyez forts_[372]. Il y en a qui,
- aprs avoir lutt gnreusement, flchissent tout coup, tombent dans
- l'abattement, et abandonnent lchement la victoire: et c'est qu'ayant
- compt sur eux-mmes, Dieu les dlaisse en punition de leur orgueil.
- Il ne suffit pas de rsister un jour, deux jours; il faut combattre
- sans relche jusqu'au bout. _Qui persvrera jusqu' la fin, celui-l
- sera sauv_[373]. Et ne dites point: Cette guerre est bien longue!
- Rien n'est long de ce qui finit: vous touchez au terme; car le _temps
- est court, et la figure de ce monde passe_[374]. _Encore un moment_,
- dit le Sauveur, _et le monde ne me verra plus; mais vous me verrez
- parce que je vis, et que vous vivez_ en moi[375]. _Et l'esprit et
- l'poux disent: Venez. Et que celui qui entend dise: Venez. Voil que
- je viens._ Ainsi soit-il! _Venez, Seigneur Jsus_[376].
-
- [369] Ephes., IV, 23.
-
- [370] Matth., XIV, 38.
-
- [371] Luc., XXI. 36.
-
- [372] I. Cor., XVI, 13.
-
- [373] Matth., XXIV, 13.
-
- [374] I. Cor., VII, 29-31.
-
- [375] Joan., XIV, 19.
-
- [376] Apoc., XXII. 17, 20.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXXVI.
-
-Contre les vains jugements des hommes.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, ne cherchez qu'en Dieu le repos de votre coeur, et ne
-craignez point les jugements des hommes, quand votre conscience vous
-rend tmoignage de votre innocence et de votre pit.
-
-Il est bon, il est heureux de souffrir ainsi; et ce ne sera point une
-chose pnible pour le coeur humble qui se confie en Dieu plus qu'en
-lui-mme.
-
-On parle tant, qu'on doit ajouter peu de foi ce qui se dit.
-
-Comment, d'ailleurs, contenter tout le monde? cela ne se peut.
-
-Bien que Paul s'effort de plaire tous dans le Seigneur, et qu'il _se
-ft tout tous_[377], _il ne laissait pas d'tre fort indiffrent aux
-jugements des hommes_[378].
-
- [377] I. Cor., IX. 22.
-
- [378] _Ibid._, IV, 3.
-
-2. Il a fait tout ce qui tait en lui pour l'dification et le salut des
-autres; mais il n'a pas pu empcher qu'ils ne l'aient quelquefois
-condamn ou mpris.
-
-C'est pourquoi il a remis tout Dieu, qui connat tout; et il n'a
-oppos que l'humilit et la patience aux reproches injustes, aux faux
-soupons et aux mensonges de ceux qui se livraient, dans leurs discours,
- tout ce que leur suggrait la passion.
-
-Il s'est cependant justifi quelquefois, de peur que son silence ne
-caust du scandale aux faibles.
-
-3. _Qu'avez-vous craindre d'un homme mortel_[379]? Il est aujourd'hui,
-et demain il aura disparu.
-
- [379] Is., LI. 12.
-
-Craignez Dieu, et vous ne redouterez rien des hommes.
-
-Que peut contre vous un homme par des paroles ou des outrages? Il se
-nuit plus qu' vous, et, quel qu'il soit, il n'vitera pas le jugement
-de Dieu.
-
-Ayez Dieu toujours prsent, et laissez l les contestations et les
-plaintes.
-
-Que si vous paraissez succomber maintenant, et souffrir une confusion
-que vous ne mritez pas, n'en murmurez point, et ne diminuez pas votre
-couronne par votre impatience.
-
-Levez plutt vos regards au ciel, vers moi, qui suis assez puissant pour
-vous dlivrer de l'opprobre et de l'injure, et _pour rendre chacun
-selon ses oeuvres_[380].
-
- [380] Rom., II, 6.
-
-
-RFLEXION.
-
- Pourquoi vous inquiter des jugements des hommes, et que vous font
- leurs vaines penses? Ils ne voient tout au plus que les dehors: leur
- oeil ne pntre point au fond de l'me, l o sont cachs le bien et
- le mal. Ne vous affligez donc point s'ils vous condamnent, et ne vous
- levez point s'ils vous louent. Mais prosternez-vous devant Dieu, et
- dites-lui: _Si vous scrutez, Seigneur, nos iniquits, qui soutiendra
- votre regard_[381]? Quelques-uns s'exagrent l'importance de ce qu'ils
- appellent leur rputation, et dans l'excessive chaleur avec laquelle
- ils la dfendent, il y a souvent plus d'amour-propre que de zle
- vritable. Jsus-Christ charg d'outrages nous a donn un autre
- exemple: _il s'est tu et n'a point ouvert la bouche_[382]. Tous les
- saints ont t comme lui perscuts et calomnis. Quand on a fait ce
- qui dpendait de soi pour ne pas scandaliser ses frres, la conscience
- doit tre tranquille: il ne reste plus qu' demeurer en paix dans
- l'humiliation. Dieu sait tout, et cela suffit. _J'estime_, crivait
- saint Paul aux Corinthiens, _j'estime que ce m'est peu de chose d'tre
- jug par vous, ou par aucun tribunal humain; je ne me juge pas
- moi-mme; celui qui me juge, c'est le Seigneur. Ne jugez donc point
- avant le temps, jusqu' ce que le Seigneur vienne: il clairera ce qui
- est cach dans les tnbres, il manifestera les conseils des coeurs,
- et alors chacun recevra de Dieu la louange qu'il mrite_[383].
-
- [381] Ps. CXXIX, 3.
-
- [382] Ps. XXXVIII, 10.
-
- [383] Cor., IV, 3-5.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXXVII.
-
-Qu'il faut renoncer entirement soi-mme pour obtenir la libert du
-coeur.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, quittez-vous, et vous me trouverez.
-
-N'ayez rien vous, pas mme votre volont, vous y gagnerez constamment.
-
-Car vous recevrez une grce plus abondante ds que vous aurez renonc
-vous-mme sans retour.
-
-2. LE F. Seigneur, en quoi dois-je me renoncer, et combien de fois?
-
-3. J.-C. Toujours et toute heure, dans les plus petites choses comme
-dans les plus grandes. Je n'excepte rien, et j'exige de vous un
-dpouillement sans rserve.
-
-Comment pourrez-vous tre moi, et comment pourrai-je tre vous, si
-vous n'tes libre au dedans et au dehors de toute volont propre?
-
-Plus vous vous hterez d'accomplir ce renoncement, plus vous aurez de
-paix; et plus il sera parfait et sincre, plus vous me serez agrable,
-et plus vous obtiendrez de moi.
-
-4. Il y en a qui renoncent eux-mmes, mais avec quelque rserve; et
-parce qu'ils n'ont pas en Dieu une pleine confiance, ils veulent encore
-s'occuper de ce qui les touche.
-
-Quelques-uns offrent tout d'abord, mais la tentation survenant, ils
-reprennent ce qu'ils avaient donn, et c'est pourquoi ils ne font
-presque aucun progrs dans la vertu.
-
-Ni les uns ni les autres ne parviendront jamais la vraie libert d'un
-coeur pur, jamais ils ne seront admis ma douce familiarit, qu'aprs
-un entier abandon et un continuel sacrifice d'eux-mmes, sans lequel on
-ne peut ni jouir de moi ni s'unir moi.
-
-5. Je vous l'ai dit bien des fois, et je vous le redis encore:
-Quittez-vous, renoncez vous, et vous jouirez d'une grande paix
-intrieure.
-
-Donnez tout pour trouver tout, ne recherchez, ne redemandez rien:
-demeurez fermement attach moi seul, et vous me possderez.
-
-Votre coeur sera libre, et dgag des tnbres qui l'obscurcissent.
-
-Que vos efforts, vos prires, vos dsirs n'aient qu'un seul objet:
-d'tre dpouill de tout intrt propre, de suivre nu Jsus-Christ, de
-mourir vous-mme, afin de vivre pour moi ternellement.
-
-Alors s'vanouiront toutes les penses vaines, les pnibles inquitudes,
-les soins superflus.
-
-
-RFLEXION.
-
- Vous l'avez dit, mon Jsus: _Si quelqu'un veut venir aprs moi,
- qu'il renonce soi-mme, qu'il porte sa croix, et qu'il me
- suive_[384]; et encore: _Celui qui ne renonce pas tout ce qu'il
- possde, ne peut tre mon disciple_[385]. Il n'y a donc point
- hsiter; il faut choisir entre le monde et vous: _on ne saurait servir
- deux matres_[386], et vous ne voulez point de partage. Se rechercher,
- c'est s'loigner de vous. L o il reste encore quelque attache aux
- choses de la terre, quelque volont propre, quelque secrte
- complaisance dans les dons soit de la nature, soit de la grce, vous
- ne rgnez pas pleinement, Seigneur, et votre amour est en souffrance.
- Hlas! comment peut-on, aprs avoir got la joie de votre union,
- refuser de s'unir plus intimement vous? faiblesse et folie
- incomprhensible du coeur humain! Est-il donc, mon Dieu, si
- difficile de reconnatre le nant de tout ce qui n'est pas vous,
- l'inconstance de notre volont, l'incertitude de nos projets, la
- vanit de nos dsirs, et dlaisser l je ne sais quels biens striles
- et misrables, une heure avant que la mort nous en dpouille sans
- retour? Quelles seront nos penses ce moment o toutes les illusions
- s'vanouissent? Que nous feront les choses du temps, lorsque le temps
- finira pour nous? C'en est fait, Seigneur, je suis rsolu consommer
- le sacrifice que vous exigez de ceux qui veulent vous appartenir.
- Qu'on ne me parle plus du monde ni de moi-mme: j'ai rompu mes
- derniers liens; je suis mort, je ne vis dsormais que de la vie de
- Jsus-Christ en moi: ce corps est comme le suaire qui m'enveloppe; me
- voil tendu dans le tombeau, _enseveli avec Jsus-Christ en
- Dieu_[387]. Amen, qu'il soit ainsi!
-
- [384] Matth., XVI, 24.
-
- [385] Luc., XIV, 33.
-
- [386] Matth., VI, 24.
-
- [387] Rom., VI, 4.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXXIII.
-
-Comment il faut se conduire dans les choses extrieures, et recourir
-Dieu dans les prils.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, en tous lieux, dans tout ce que vous faites, en tout
-ce qui vous occupe au dehors, vous devez vous efforcer de demeurer libre
-intrieurement, et matre de vous-mme, de sorte que tout vous soit
-assujetti, et que vous ne le soyez rien.
-
-Ayez sur vos actions un empire absolu; soyez-en le matre, et non pas
-l'esclave.
-
-Tel qu'un vrai Isralite, affranchi de toute servitude, entrez dans le
-partage et dans la libert des enfants de Dieu, qui, levs au-dessus
-des choses prsentes, contemplent celles de l'ternit; qui donnent
-peine un regard ce qui passe, et ne dtachent jamais leurs yeux de ce
-qui durera toujours; qui, suprieurs aux biens du temps, ne cdent point
- leur attrait, mais plutt les forcent de servir au bien, selon l'ordre
-tabli par Dieu, le rgulateur suprme, qui n'a rien laiss de
-dsordonn dans ses oeuvres.
-
-2. Si, dans tous les vnements, vous ne vous arrtez point aux
-apparences, et n'en croyez point les yeux de la chair sur ce que vous
-voyez et entendez; si vous entrez d'abord, comme Mose, dans le
-tabernacle pour consulter le Seigneur, vous recevrez quelquefois sa
-divine rponse, et vous reviendrez instruit de beaucoup de choses sur le
-prsent et l'avenir.
-
-Car c'tait toujours dans le tabernacle que Mose allait chercher
-l'claircissement de ses difficults et de ses doutes; et la prire
-tait son unique recours contre la malice et les piges des hommes.
-
-Ainsi, vous devez vous rfugier dans le secret de votre coeur, pour
-implorer le secours de Dieu avec plus d'instance.
-
-Nous lisons que Josu et les enfants d'Isral furent tromps par les
-Gabaonites, _parce qu'ils n'avaient point auparavant consult le
-Seigneur_[388], et que, trop crdules leurs flatteuses paroles, ils se
-laissrent sduire par une fausse piti.
-
-
-RFLEXION.
-
- La plupart des hommes, domins par les premires impressions, agissent
- sans consulter Dieu, et passent leur vie se repentir le soir de ce
- qu'ils ont fait le matin. On doit travailler continuellement vaincre
- une faiblesse si dplorable, en s'efforant de rsister aux mouvements
- soudains qui s'lvent en nous. Celui qui n'est pas matre de soi
- court un grand pril; il est chaque instant prs de tomber. Il faut
- s'exercer vouloir, dompter l'imagination qui emporte l'me,
- soumettre le coeur et ses dsirs une rgle inflexible. Mais que
- ferons-nous, pauvres infirmes, si nous ne sommes aids, secourus? De
- nous-mmes nous ne pouvons rien. _Le Seigneur est notre seule
- force_[389]: implorons-le donc avec confiance, implorons-le sans
- cesse: _la prire de l'humble pntre le Ciel_[390]. _Levons les yeux
- sur la montagne d'o nous viendra le secours_[391]. _Seigneur, Dieu de
- mon salut, j'ai cri devant vous le jour et la nuit_[392]: _ce pauvre
- a cri, et le Seigneur l'a exauc, et il l'a sauv de toutes ses
- tribulations_[393]. _Bni soit le Seigneur parce qu'il a entendu la
- voix de ma prire! le Seigneur est mon aide et mon protecteur; mon
- coeur a espr en lui, et il m'a secouru, et ma chair a refleuri, et
- du fond de ma volont je le louerai_[394]. _Tous mes os diront:
- Seigneur, qui est semblable vous_[395]?
-
- [388] Josu, IX, 14.
-
- [389] Ps. XVII, 2.
-
- [390] Eccl., XXXV, 21.
-
- [391] Ps. CXX, 1.
-
- [392] Ps. LXXX, 7, 2.
-
- [393] Ps. XXXIII, 7.
-
- [394] Ps. XXVII, 6-7.
-
- [395] Ps. XXXIV, 10.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXXIX.
-
-Qu'il faut viter l'empressement dans les affaires.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, remettez-moi toujours vos intrts; j'en disposerai
-selon ce qui sera le mieux, au temps convenable.
-
-Attendez ce que j'ordonnerai, et vous y trouverez un grand avantage.
-
-2. LE F. Seigneur, je vous remets tout avec beaucoup de joie: car
-j'avance bien peu quand je n'ai que mes propres lumires.
-
-Oh! que ne puis-je, oubliant l'avenir, m'abandonner, ds ce moment, sans
-rserve votre volont souveraine!
-
-3. J.-C. Mon fils, souvent l'homme poursuit avec ardeur une chose qu'il
-dsire; l'a-t-il obtenue, il commence s'en dgoter, parce qu'il n'y a
-rien de durable dans ses affections, et qu'elles l'entranent
-incessamment d'un objet un autre.
-
-Ce n'est donc pas peu de se renoncer soi-mme dans les plus petites
-choses.
-
-4. Le vrai progrs de l'homme est l'abngation de soi-mme; et l'homme
-qui ne tient plus soi est libre et en assurance.
-
-Cependant l'ancien ennemi, qui s'oppose tout bien, ne cesse pas de le
-tenter; il lui dresse nuit et jour des embches, et s'efforce de le
-surprendre pour le faire tomber dans ses piges.
-
-_Veillez et priez_, dit le Seigneur, _afin que vous n'entriez point en
-tentation_[396].
-
-
-RFLEXION.
-
- Il y a dans les affaires un danger terrible pour l'me, lorsqu'elle ne
- veille pas sur elle-mme attentivement. Nous ne parlons point des
- tentations de l'intrt, si vives pourtant, si multiplies, et qui
- finissent ordinairement par affaiblir au moins la conscience. Alors
- mme qu'elles ne produisent pas ce triste effet, elles desschent le
- coeur, proccupent l'esprit, le dtournent de Dieu et de la grande
- pense du salut. Il y a toujours quelque chose qui presse, qu'on ne
- peut laisser en retard; et sous ce prtexte, sans dessein form, par
- le seul entranement des occupations qu'on s'est faites, on abandonne
- peu peu les exercices qui nourrissent la pit, les lectures
- saintes, la prire, les devoirs indispensables de la religion, et
- ainsi la vie s'coule pleine de projets, de soucis, de travaux, dans
- l'oubli de _la seule chose ncessaire_[397]. Les maladies mme ne
- rveillent pas; aucun avertissement n'est cout. Enfin la mort vient,
- saisit cet homme, le prsente au juge qui l'interroge: Qu'as-tu fait
- du temps que je t'ai accord? L'infortun voit d'un coup d'oeil
- trente, quarante, soixante annes consumes tout entires dans les
- soins de la terre, et il ne voit que cela. Son me, il n'y a point
- song. Il est tard en ce moment pour commencer s'occuper d'elle, et
- son sort est fix irrvocablement. Ah! pensez avant tout ce qui ne
- doit jamais finir. _Cherchez premirement le royaume de Dieu et sa
- justice, et le reste vous sera donn par surcrot_[398]. teindre en
- soi le dsir de ce qui passe, se confier en la Providence, ne vouloir
- que ce qu'elle veut, comme elle le veut, et quand elle le veut, c'est
- la voie de la paix et le seul fondement solide d'esprance la
- dernire heure.
-
- [396] Matth., XXVI, 41.
-
- [397] Luc., X, 42.
-
- [398] _Ibid._, XII, 31.
-
-
-
-
-CHAPITRE XL.
-
-Que l'homme n'a rien de bon de lui-mme, et ne peut se glorifier de
-rien.
-
-
-1. LE F. _Seigneur, qu'est-ce que l'homme, pour que vous vous souveniez
-de lui? Et qu'est-ce que le fils de l'homme, pour que vous le
-visitiez_[399].
-
- [399] Ps. VIII, 5.
-
-Par o l'homme a-t-il pu mriter votre grce?
-
-De quoi, Seigneur, puis-je me plaindre si vous me dlaissez? Et qu'ai-je
- dire si vous ne faites pas ce que je demande?
-
-Je ne puis, certes, penser et dire avec vrit que ceci: Seigneur, je ne
-suis rien, je ne peux rien, de moi-mme je n'ai rien de bon, je sens ma
-faiblesse en tout, et tout m'incline vers le nant.
-
-Si vous ne m'aidez et ne me fortifiez intrieurement, aussitt je tombe
-dans la tideur et le relchement.
-
-2. _Mais vous, Seigneur, vous tes toujours le mme_[400], et vous
-demeurez ternellement bon, juste et saint, faisant tout avec bont,
-avec justice, avec saintet, et disposant tout avec sagesse.
-
- [400] Ps. CI, 27.
-
-Pour moi, qui ai plus de penchant m'loigner du bien qu' m'en
-approcher, je ne demeure pas longtemps dans un mme tat, et je change
-sept fois le jour.
-
-Cependant je suis moins faible ds que vous le voulez, ds que vous me
-tendez une main secourable: car vous pouvez seul, sans l'aide de
-personne, me secourir et m'affermir de telle sorte, que je ne sois plus
-sujet tous ces changements, et que mon coeur se tourne vers vous seul,
-et s'y repose jamais.
-
-3. Si donc je savais rejeter toute consolation humaine, soit pour
-acqurir la ferveur, soit cause de la ncessit qui me presse de vous
-chercher, ne trouvant point d'homme qui me console; alors je pourrais
-tout esprer de votre grce, et me rjouir de nouveau dans les
-consolations que je recevrais de vous.
-
-4. Grces vous soient rendues, vous de qui dcoule tout ce qui
-m'arrive de bien.
-
-Pour moi, je ne suis devant vous que vanit et nant, qu'un homme
-inconstant et fragile.
-
-De quoi donc puis-je me glorifier? Comment puis-je dsirer qu'on
-m'estime?
-
-Serait-ce cause de mon nant? mais quoi de plus insens!
-
-Certes, la vaine gloire est la plus grande des vanits, et un mal
-terrible, puisqu'elle nous loigne de la vritable gloire, et nous
-dpouille de la grce cleste.
-
-Car, ds que l'homme se complat en lui-mme, il commence vous
-dplaire; et lorsqu'il aspire aux louanges humaines, il perd la vraie
-vertu.
-
-5. La vraie gloire et la joie sainte est de se glorifier en vous et non
-pas en soi; de se rjouir de votre grandeur et non de sa propre vertu;
-de ne trouver de plaisir en nulle crature qu' cause de vous.
-
-Que votre nom soit lou et non le mien; qu'on exalte vos oeuvres et non
-les miennes; que votre saint nom soit bni, et qu'il ne me revienne rien
-des louanges des hommes.
-
-Vous tes ma gloire et la joie de mon coeur.
-
-En vous je me glorifierai, je me rjouirai sans cesse en vous et non pas
-en moi, _si ce n'est dans mes infirmits_[401].
-
-6. Que les Juifs _recherchent la gloire qu'on reoit les uns des
-autres_[402]: pour moi, je ne rechercherai que _celle qui vient de Dieu
-seul_[403].
-
-Car toute gloire humaine, tout honneur du temps, toute grandeur de ce
-monde, compare votre gloire ternelle, est folie et vanit.
-
- ma vrit, ma misricorde, mon Dieu! Trinit bienheureuse! vous
-seule louange, honneur, gloire, puissance dans les sicles des sicles.
-
-
-RFLEXION.
-
- Si je descends en moi-mme et que je m'interroge sur ce que je suis,
- que trouv-je, mon Dieu! Une raison incertaine toujours prs de
- s'garer, d'inconstantes affections, un mlange inexplicable
- d'esprances et de craintes vaines, des inclinations vicies, une
- foule innombrable de dsirs qui sans cesse m'agitent et me
- tourmentent, quelquefois une joie fugitive, habituellement un profond
- ennui, je ne sais quel instinct du ciel et toutes les passions de la
- terre, une volont infirme qui tout ensemble veut et ne veut pas, un
- grand orgueil dans une grande misre: voil mon tat tel que le pch
- l'a fait, et je sens de plus en moi l'impuissance de relever une
- nature si profondment dchue. Il a fallu que Dieu mme vnt soulever
- ce poids immense de dgradation: sans un Rdempteur divin, l'ternit
- entire aurait pass sur les ruines de l'homme. Il a paru ce
- Rdempteur, il a dit: _Me voici[404]!_ et son sang a satisfait la
- suprme justice, et sa grce a rpar le dsordre de l'intelligence et
- le dsordre du coeur: elle a rtabli l'image de Dieu dans sa crature
- tombe. Incomprhensible mystre d'amour! et comment rpondre un tel
- bienfait? Reconnaissons au moins notre faiblesse et notre indigence;
- ne nous attribuons aucun des biens qui nous sont donns gratuitement;
- rendons la gloire qui elle appartient, et entrons de toutes les
- puissances de notre tre dans les sentiments du Prophte: _Seigneur
- mon Dieu, je vous ai invoqu, et vous m'avez guri. Vous avez retir
- mon me de l'enfer, et vous m'avez spar de ceux qui descendent dans
- le lac. Chantez le Seigneur, vous qui tes ses saints, et clbrez la
- mmoire de sa saintet[405]!_
-
- [401] II. Cor., XII, 5.
-
- [402] Joann., V, 44.
-
- [403] _Ibid._
-
- [404] Ps. XXXIX, 8.
-
- [405] Ps. XXIX, 3-5.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLI.
-
-Du mpris de tous les honneurs du temps.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, n'enviez point les autres, si vous les voyez honors
-et levs, tandis qu'on vous mprise et qu'on vous humilie.
-
-levez votre coeur au ciel vers moi, et vous ne vous affligerez point
-d'tre mpris des hommes sur la terre.
-
-2. LE F. Seigneur, nous sommes aveugles, et la vanit nous sduit bien
-vite.
-
-Si je me considre attentivement, je reconnais qu'aucune crature ne m'a
-jamais fait d'injustice, et qu'ainsi je n'ai nul sujet de me plaindre de
-vous.
-
-Aprs vous avoir tant offens, et si grivement, il est juste que toute
-crature s'arme contre moi.
-
-La honte et le mpris, voil donc ce qui m'est d; et vous la louange,
-l'honneur et la gloire.
-
-Et si je me dispose souffrir avec joie, dsirer mme d'tre mpris,
-abandonn de toutes les cratures et compt pour rien, je ne puis ni
-possder au dedans de moi une paix solide, ni recevoir la lumire
-spirituelle, ni tre uni parfaitement vous.
-
-
-RFLEXION.
-
- Celui qui s'examine devant Dieu, la lumire de la vrit, se mprise
- souverainement, parce qu'il ne trouve en soi, sans la grce, qu'un
- fonds immense de corruption: et ds lors, loin de rechercher l'estime,
- les respects, les honneurs, il se rfugie dans son abjection comme
- dans le seul asile contre l'orgueil, la plus grande de ses misres. Si
- on l'abaisse, si on le ddaigne, il ne se plaint ni ne s'irrite; il
- reconnat qu'on lui fait justice, et l'on ne saurait tant l'humilier,
- qu'il ne s'humilie encore davantage intrieurement; car, en tout,
- c'est Dieu qu'il regarde, et non pas les hommes. Il dit comme Job: _Si
- je veux me justifier, ma bouche me condamnera; et si elle entreprend
- de montrer mon innocence, elle ne prouvera que mon crime_[406]. Puis,
- dans l'amertume de son coeur, appelant la misricorde, il invoque le
- Pre cleste qui a piti de sa pauvre crature. _J'ai pch: que
- ferai-je, Sauveur des hommes? Pourquoi avez-vous mis la guerre entre
- vous et moi, et suis-je devenu charge moi-mme? Pourquoi
- n'tez-vous pas mon pch, et n'effacez-vous pas mon iniquit? Voil
- que je dormirai dans la poussire, et quand vous me chercherez le
- matin je ne serai plus_[407]. Heureux celui qui s'accuse, car il
- obtiendra le pardon! heureux celui qui choisit la dernire place, car
- on lui dira: _Montez plus haut_[408]!
-
- [406] Job, XI, 20.
-
- [407] Job, VII, 20, 21.
-
- [408] Luc., XIV, 10.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLII.
-
-Qu'il ne faut pas que notre paix dpende des hommes.
-
-
-1. J.-C. Si vous faites dpendre votre paix de quelque personne, cause
-de l'habitude de vivre avec elle et de la conformit de vos sentiments,
-vous serez dans l'inquitude et le trouble.
-
-Mais si vous cherchez votre appui dans la vrit immuable et toujours
-vivante, vous ne serez point accabl de tristesse quand un ami s'loigne
-ou meurt.
-
-Toute amiti doit tre fonde sur moi; et c'est pour moi que vous devez
-aimer tous ceux qui vous paraissent aimables et qui vous sont les plus
-chers en cette vie.
-
-Sans moi l'amiti est strile et dure peu; et toute affection, dont je
-ne suis pas le lien, n'est ni vritable ni pure.
-
-Vous devez tre mort ces affections humaines, jusqu' souhaiter de
-n'avoir, s'il se pouvait, aucun commerce avec les hommes.
-
-Plus l'homme s'loigne des consolations de la terre, plus il s'approche
-de Dieu.
-
-Et il s'lve d'autant plus vers Dieu qu'il descend plus profondment en
-lui-mme, et qu'il est plus vil ses propres yeux.
-
-2. Celui qui s'attribue quelque bien, empche que la grce de Dieu
-descende en lui, parce que la grce de l'Esprit saint cherche toujours
-les coeurs humbles.
-
-Si vous saviez vous anantir parfaitement, et bannir de votre coeur tout
-amour de la crature, alors venant vous, je vous inonderais de ma
-grce.
-
-Quand vous regardez la crature, vous perdez de vue le Crateur.
-
-Apprenez vous vaincre en tout cause de lui, et vous pourrez alors
-parvenir le connatre.
-
-Le plus petit objet dsir, aim avec excs, souille l'me et la spare
-du souverain bien.
-
-
-RFLEXION.
-
- La religion sanctifie tout, et ne dtruit rien, hors le pch; elle
- n'interdit pas les affections naturelles; au contraire, il y en a
- qu'elle commande expressment, et le prcepte de l'amour mutuel est un
- de ceux que l'vangile inculque avec le plus de soin. _Aimons-nous les
- uns les autres_[409], rpte sans cesse l'aptre saint Jean. _Celui
- qui n'aime point demeure dans la mort_[410]; _il ne connat pas Dieu,
- car Dieu est amour_[411]. Et, dans la nuit de la Cne, ne voyons-nous
- pas reposer sur le coeur de Jsus _le disciple qu'il aimait_[412]?
- Mais nos affections, pour tre pures, doivent avoir leur principe en
- Dieu, et leur rgle dans sa volont. Alors ce ne sont plus des
- sentiments de la terre, qui, en passant, agitent et troublent l'me:
- c'est quelque chose de l'ternit, comme elle invariable et calme
- comme elle. Dfiez-vous des attachements qui altrent la paix du
- coeur. Nulle crature ne doit tre aime qu'avec une soumission
- parfaite aux ordres de la Providence. Toujours nous devons tre prts
- supporter sans plainte ce qui afflige le plus la nature, l'absence,
- la sparation, la mort mme, nous souvenant de ce que dit l'Aptre:
- _Nous ne voulons pas, mes frres, que vous soyez dans l'ignorance
- touchant ceux qui dorment, afin que vous ne vous attristiez pas comme
- les autres hommes, qui n'ont point d'esprance. Car si nous croyons
- que Jsus est mort et ressuscit, ainsi Dieu amnera avec Jsus ceux
- qui se seront endormis en lui. Nous vous disons ceci d'aprs la parole
- du Seigneur: nous qui vivons, qui sommes rservs pour son avnement,
- nous ne prviendrons point ceux qui sont dj dans le sommeil. Car, au
- commandement de l'Archange, sa voix, au son de la trompette de Dieu,
- le Seigneur lui-mme descendra du ciel, et les morts qui reposent dans
- le Christ se lveront les premiers. Ensuite, nous qui vivons et qui
- serons demeurs jusqu'alors, nous serons enlevs avec eux dans les
- nues, au devant du Christ, au milieu des airs; et ainsi nous serons
- jamais avec le Seigneur. Consolez-vous les uns les autres dans ces
- paroles_[413].
-
- [409] Joann., IV, 7.
-
- [410] _Ibid._, III, 14.
-
- [411] _Ibid._, IV, 8.
-
- [412] _Ibid._, XIII. 23.
-
- [413] I. Thessal., IV, 12-17.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLIII.
-
-Contre la vaine science du sicle.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, ne vous laissez pas mouvoir au charme et la beaut
-des discours des hommes: _car le royaume de Dieu ne consiste pas dans
-les discours, mais dans les oeuvres_[414].
-
- [414] I. Cor., IV, 20.
-
-Soyez attentif mes paroles, qui enflamment le coeur, clairent,
-attendrissent l'me, et la remplissent de consolation.
-
-Ne lisez jamais pour paratre plus savant ou plus sage.
-
-tudiez-vous mortifier vos vices; cela vous servira plus que la
-connaissance des questions les plus difficiles.
-
-2. Aprs avoir beaucoup lu et beaucoup appris, il en faut toujours
-revenir l'unique principe de toutes choses.
-
-C'est moi qui donne l'homme la science, et qui claire l'intelligence
-des petits enfants, plus que l'homme ne le pourrait par aucun
-enseignement.
-
-Celui qui je parle est bientt instruit, et fait de grands progrs
-dans la vie de l'esprit.
-
-Malheur ceux qui interrogent les hommes sur toutes sortes de questions
-curieuses, et qui s'inquitent peu d'apprendre me servir!
-
-Viendra le jour o Jsus-Christ, le Matre des matres, le Seigneur des
-anges, apparatra, pour demander compte chacun de ce qu'il sait,
-c'est--dire pour examiner les consciences.
-
-Et alors, _la lampe la main, il scrutera Jrusalem_[415]: _les secrets
-des tnbres seront dvoils_[416], et toute langue se taira.
-
- [415] Soph., 1, 12.
-
- [416] Cor., IV, 5.
-
-3. C'est moi qui, en un moment, lve l'me humble, et la fais pntrer
-plus avant dans la vrit ternelle, que ne le pourrait celui qui aurait
-tudi dix annes dans les coles.
-
-J'enseigne sans bruit de paroles, sans embarras d'opinions, sans faste,
-sans arguments, sans disputes.
-
-J'apprends mpriser les biens de la terre, ddaigner ce qui passe,
-rechercher et goter ce qui est ternel, fuir les honneurs,
-souffrir les scandales, mettre en moi toute son esprance, ne
-dsirer rien hors de moi, et m'aimer ardemment et par-dessus tout.
-
-4. Quelques-uns, en m'aimant ainsi, ont appris des choses toutes
-divines, dont ils parlaient d'une manire admirable.
-
-Ils ont fait plus de progrs en quittant tout, que par une profonde
-tude.
-
-Mais je dis aux uns des choses plus gnrales; aux autres, de plus
-particulires. J'apparais quelques-uns doucement voil sous des ombres
-et des figures; je rvle d'autres mes mystres au milieu d'une vive
-splendeur.
-
-Les livres parlent tous le mme langage; mais il ne produit pas sur
-tous les mmes impressions, parce que moi seul j'enseigne la vrit au
-dedans, je scrute les coeurs, je pntre les penses, j'excite agir,
-et je distribue mes dons chacun, selon qu'il me plat.
-
-
-RFLEXION.
-
- Plusieurs se fatiguent et se tourmentent pour acqurir la science, _et
- j'ai vu_, dit le Sage, _que cela aussi tait vanit, travail et
- affliction d'esprit_[417]. quoi vous servira de connatre les choses
- de ce monde, quand ce monde mme aura pass? Au dernier jour, on ne
- vous demandera pas ce que vous avez su, mais ce que vous avez fait;
- _et il n'y a plus de science dans les enfers, vers lesquels vous vous
- htez_[418]. Cessez un vain labeur. Qui que vous soyez, vous n'avez
- que trop cultiv l'arbre dont les fruits donnent la mort. Laissez la
- science qui nourrit l'orgueil, _la science qui enfle_, pour vous
- occuper uniquement d'acqurir celle qui fait les humbles et les
- saints, _la charit qui difie_[419]. Apprenez vous humilier,
- connatre votre nant et votre corruption. Alors Dieu viendra vers
- vous; il vous clairera de sa lumire, il vous enseignera, dans le
- secret du coeur, cette science merveilleuse dont Jsus a dit: _Je vous
- bnis, mon Pre, Seigneur du ciel et de le terre, parce que vont avez
- cach ces choses aux sages et aux prudents, et les avez rvles aux
- petits_[420].
-
- [417] Eccl., I, 17.
-
- [418] _Ibid._, IX, 10.
-
- [419] I. Cor., VIII, 1.
-
- [420] Luc., X, 21.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLIV.
-
-Qu'il ne faut point s'embarrasser dans les choses extrieures.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, il faut que vous vous teniez dans l'ignorance de
-beaucoup de choses; _que vous soyez comme mort au monde, et que le monde
-soit mort pour vous_[421].
-
- [421] Col., III, 3. Gal., VI, 14.
-
-Il faut aussi fermer l'oreille bien des discours, et penser plutt
-vous conserver en paix.
-
-Il vaut mieux dtourner les yeux de ce qui dplat, et laisser chacun
-dans son sentiment, que de s'arrter contester.
-
-Si vous prenez soin d'avoir Dieu pour vous, et que son jugement vous
-soit toujours prsent, vous supporterez sans peine d'tre vaincu.
-
-2. LE F. Hlas! Seigneur, o en sommes-nous venus? On pleure une perte
-temporelle, on court, on se fatigue pour le moindre gain; et l'on oublie
-les pertes de l'me, ou l'on ne s'en souvient qu' peine et bien tard.
-
-On est attentif ce qui ne sert peu ou point du tout, et l'on passe
-avec ngligence sur ce qui est souverainement ncessaire; parce que
-l'homme se rpand tout entier au dehors, et que, s'il ne rentre
-promptement en lui-mme, il demeure avec joie enseveli dans les choses
-extrieures.
-
-
-RFLEXION.
-
- Si vous saviez mourir demain, que vous importeraient les choses de la
- terre, ce qui se fait, ce qui se dit autour de vous? Eh bien! vous
- mourrez demain; car la vie est peine d'un jour. Soyez donc ds ce
- moment tel que vous voudrez avoir t, quand l'ternit s'ouvrira
- devant vous. Ni la science, ni la richesse, ni rien de ce qui est du
- monde ne vous servira au jugement de Dieu: vous n'y porterez que vos
- oeuvres. _Il y avait un homme riche dont les terres avaient produit
- une moisson extraordinaire; et il pensait en lui-mme, disant: Que
- ferai-je? car je n'ai point de lieu o recueillir tous ces fruits. Et
- il dit: Voici ce que je ferai: j'abattrai mes greniers, et j'en
- btirai de plus grands, et j'y amasserai toute ma rcolte, et tous mes
- biens; et je dirai mon me: Mon me, tu as beaucoup de biens en
- rserve pour plusieurs annes: repose-toi, mange, bois, fais bonne
- chre. Mais Dieu lui dit: Insens, cette nuit mme on te redemandera
- ton me; et pour qui sera ce que tu as amass? Ainsi en est-il de
- celui qui thsaurise pour lui-mme, et qui n'est pas riche devant
- Dieu_[422].
-
- [422] Luc., XII, 16-21.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLV.
-
-Qu'il ne faut pas croire tout le monde, et qu'il est difficile de garder
-une sage mesure dans ses paroles.
-
-
-1. LE F. _Secourez-moi, Seigneur, dans la tribulation: car le salut ne
-vient pas de l'homme_[423].
-
- [423] Ps. LIX, 11.
-
-Combien de fois ai-je en vain cherch la fidlit o je croyais la
-trouver? combien de fois l'ai-je trouve o je l'attendais le moins?
-
-Vanit donc d'esprer dans les hommes; mais vous tes, mon Dieu, le
-salut des justes.
-
-Soyez bni, Seigneur, en tout ce qui nous arrive.
-
-2. Nous sommes faibles et changeants; un rien nous sduit et nous
-branle.
-
-Quel est l'homme si vigilant et si rserv qu'il ne tombe jamais dans
-aucune surprise, ni dans aucune perplexit?
-
-Mais celui, mon Dieu, qui se confie en nous, et qui vous cherche dans la
-simplicit de son coeur, ne chancelle pas si aisment.
-
-Et s'il prouve quelque affliction, s'il est engag en quelque embarras,
-vous l'en tirez bientt, ou vous le consolez: car vous n'abandonnez pas
-pour toujours celui qui espre en vous.
-
-Quoi de plus rare qu'un ami fidle, qui ne s'loigne point quand
-l'infortune accable son ami?
-
-Seigneur, vous tes seul constamment fidle; et nul ami n'est comparable
- vous.
-
-3. Oh! que de sagesse dans ce que disait cette sainte me: _Mon coeur
-est affermi et fond en Jsus-Christ_[424]!
-
- [424] Sainte Agathe.
-
-S'il en tait ainsi de moi, je serais moins troubl par la crainte des
-hommes, et moins mu de leurs paroles malignes.
-
-Qui peut prvoir, qui peut dtourner tous les maux venir? Si ceux
-qu'on a prvus, souvent blessent encore, que sera-ce donc de ceux qui
-nous frappent inopinment?
-
-Pourquoi, malheureux que je suis, n'ai-je pas pris de plus sres
-prcautions pour moi-mme? Pourquoi aussi ai-je eu tant de crdulit
-pour les autres?
-
-Mais nous sommes des hommes, et rien autre chose que des hommes
-fragiles, quoique plusieurs nous croient et nous appellent des anges.
-
- qui croirai-je, Seigneur! qui, si ce n'est vous? Vous tes la
-vrit qui ne trompe point, et qu'on ne peut tromper.
-
-Au contraire, _tout homme est menteur_[425], faible, inconstant,
-fragile, surtout dans ses paroles; de sorte qu'on doit peine croire
-d'abord ce qui parat le plus vrai dans ce qu'il dit.
-
- [425] Ps. LXI, 9.
-
-4. Que vous nous avez sagement avertis de nous dfier des hommes; que
-_l'homme a pour ennemis ceux de sa propre maison_[426]; et que si
-quelqu'un dit: _Le Christ est ici, ou il est l_[427], il ne faut pas le
-croire!
-
- [426] Mich., VII, 2.
-
- [427] Matth., XXIV, 23.
-
-Une dure exprience m'a clair: heureux si elle sert me rendre moins
-insens et plus vigilant!
-
-Soyez discret, me dit quelqu'un, soyez discret; ce que je vous dis n'est
-que pour vous. Et pendant que je me tais et que je crois la chose
-secrte, il ne peut lui-mme garder le silence qu'il m'a demand; mais,
-dans l'instant, il me trahit, se trahit lui-mme et s'en va.
-
-loignez de moi, Seigneur, ces confidences trompeuses; ne permettez pas
-que je tombe entre les mains de ces hommes indiscrets, ou que je leur
-ressemble.
-
-Mettez dans ma bouche des paroles invariables et vraies; et que ma
-langue soit trangre tout artifice.
-
-Ce que je ne peux souffrir en autrui, je dois m'en prserver avec soin.
-
-5. Oh! qu'il est bon, qu'il est ncessaire pour la paix, de se taire sur
-les autres, de ne pas tout croire indiffremment, ni tout redire sans
-rflexion, de se dcouvrir peu de personnes, de vous chercher toujours
-pour tmoin de son coeur, de ne pas se laisser emporter tout vent de
-paroles; mais de dsirer que tout en nous et hors de nous s'accomplisse
-selon qu'il plat votre volont!
-
-Que c'est encore un sr moyen pour conserver la grce cleste, de fuir
-ce qui a de l'clat aux yeux des hommes, de ne point rechercher ce qui
-semble attirer leur admiration; mais de travailler ardemment acqurir
-ce qui produit la ferveur et corrige la vie!
-
- combien d'hommes a t funeste une vertu connue et loue trop tt!
-
-Que de fruits, au contraire, d'autres ont tirs d'une grce conserve en
-silence durant cette vie fragile, qui n'est qu'une tentation et une
-guerre continuelle!
-
-
-RFLEXION.
-
- Ne vous appuyez pas sur les hommes, car ils vous manqueront tt ou
- tard. L'homme est faible, indiscret, inconstant, lger, enclin tout
- rapporter soi. Le moindre caprice l'loigne, le moindre intrt
- suffit pour le transformer en ennemi. Alors il se montre tel qu'il
- est. Il vous aimait, mais pour lui-mme, pour tirer parti de vous au
- besoin. Fuyez, fuyez ces faux amis du monde. Celui-ci vous trahit, cet
- autre vous dlaisse. Arrive-t-il des circonstances qui vous forcent de
- recourir eux, _tous commencent s'excuser. Le premier dit: J'ai
- achet une terre; il faut ncessairement que je l'aille voir: je vous
- supplie de m'excuser. Un autre dit: J'ai achet cinq paires de boeufs,
- et je vais les prouver: je vous supplie de m'excuser. Un autre dit:
- J'ai pous une femme, et c'est pourquoi je ne puis aller_[428]. Voil
- les amitis humaines. Vous seul, mon Dieu, vous seul n'abandonnez
- point ceux qui vous aiment, ceux qui esprent en vous: toujours vous
- tes prs d'eux pour les soutenir et les consoler. Jamais vous ne vous
- lassez d'entendre leurs gmissements, d'couter leurs plaintes, de
- recueillir leurs larmes. Rien n'est au-dessous de votre tendresse: cet
- homme abject aux yeux des hommes, ce pauvre rebut de toutes parts,
- _vous l'assistez, mon Dieu, sur le lit de sa douleur, et votre main
- retourne son lit pour y reposer ses infirmits_[429]: puis, quand sa
- tche est accomplie, la fin du jour, vous le recevez dans
- l'ternelle paix.
-
- [428] Luc., XIV, 18, 20.
-
- [429] Ps. XL, 4.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLVI.
-
-Qu'il faut mettre sa confiance en Dieu, lorsqu'on est assailli de
-paroles injurieuses.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, demeurez ferme, et esprez en moi. Qu'est-ce, aprs
-tout, que des paroles? un vain bruit. Elles frappent l'air, mais ne
-brisent point la pierre.
-
-Si vous tes coupable, songez que votre dsir doit tre de vous
-corriger. Si votre conscience ne vous reproche rien, pensez que vous
-devez souffrir avec joie cette lgre peine pour Dieu.
-
-C'est bien ce qu'il y a de moindre, que, de temps en temps, vous
-supportiez quelques paroles, vous qui ne pouvez encore soutenir de plus
-rudes preuves.
-
-Et pourquoi de si petites choses vont-elles jusqu' votre coeur, si ce
-n'est que vous tes encore charnel, et trop occup des jugements des
-hommes?
-
-Vous craignez le mpris, et cause de cela vous ne voulez pas tre
-repris de vos fautes, et vous cherchez des excuses pour les couvrir.
-
-2. Scrutez mieux votre coeur, et vous reconnatrez que le monde vit
-encore en vous, et le vain dsir de plaire aux hommes.
-
-Car votre rpugnance tre abaiss, confondu par vos faiblesses, prouve
-que vous n'avez pas une humilit sincre, que vous n'tes pas
-_vritablement mort au monde, et que le monde n'est pas crucifi pour
-vous_[430].
-
- [430] Galat., VI, 14.
-
-coutez ma parole, et vous vous inquiterez peu de toutes les paroles
-des hommes.
-
-Quand on dirait contre vous tout ce que peut inventer la plus noire
-malice, en quoi cela vous nuirait-il, si vous le laissez passer comme la
-paille que le vent emporte? En perdriez-vous un seul cheveu?
-
-3. Celui dont le coeur n'est pas renferm en lui-mme, et qui n'a pas
-Dieu toujours prsent, s'meut aisment d'une parole de blme.
-
-Mais celui qui se confie en moi et qui ne s'appuie pas sur son propre
-jugement, ne craindra rien des hommes.
-
-Car c'est moi qui connais et qui juge ce qui est secret; je sais la
-vrit de toute chose, qui a fait l'injure et qui la souffre.
-
-Cette parole, elle est venue de moi; cet vnement, je l'ai permis,
-_afin que ce qu'il y a de cach dans beaucoup de coeurs ft
-rvl_[431].
-
- [431] Luc., II, 35.
-
-Je jugerai l'innocent et le coupable; mais, par un secret jugement, j'ai
-voulu auparavant prouver l'un et l'autre.
-
-4. Le tmoignage des hommes trompe souvent; mais mon jugement est vrai:
-il subsistera et ne sera point branl.
-
-Le plus souvent il est cach, et peu de personnes le dcouvrent en
-chaque chose: cependant il n'erre jamais, et ne peut errer, quoiqu'il ne
-paraisse pas toujours juste aux yeux des insenss.
-
-C'est donc moi qu'il faut remettre le jugement de tout, sans jamais
-s'en rapporter son propre sens.
-
-_Le juste ne sera point troubl, quoi qu'il lui arrive par l'ordre de
-Dieu_[432]. Il lui importera peu qu'on l'accuse injustement.
-
- [432] Prov., X, 21.
-
-Et si d'autres le dfendent et russissent le justifier, il n'en
-concevra pas non plus une vaine joie.
-
-Car il se souvient que c'est moi _qui sonde les coeurs et les
-reins_[433]; et que je ne juge point sur les dehors et les apparences
-humaines.
-
- [433] Ps. VII, 10.
-
-Ce qui parat louable au jugement des hommes, souvent est criminel mes
-yeux.
-
-5. LE F. Seigneur mon Dieu, juge infiniment juste, fort et patient, qui
-connaissez la fragilit de l'homme et son penchant au mal, soyez ma
-force et toute ma confiance: car ma conscience ne me suffit pas.
-
-Vous connaissez ce que je ne connais point; ainsi j'ai d m'abaisser
-sous tous les reproches et les supporter avec douceur.
-
-Pardonnez-moi dans votre bont, toutes les fois que je n'ai pas agi de
-la sorte, et donnez-moi plus abondamment la grce qui apprend
-souffrir.
-
-Car je dois compter bien plus sur votre grande misricorde pour obtenir
-le pardon, que sur ma vertu apparente pour justifier ce que ma
-conscience recle.
-
-_Quoique je ne me reproche rien, je ne suis cependant pas justifi pour
-cela_[434]; parce que, sans votre misricorde, _nul homme vivant ne sera
-juste devant vous_[435].
-
- [434] Cor., IV, 4.
-
- [435] Ps. CXLII, 2.
-
-
-RFLEXION.
-
- _Vous serez heureux quand on vous maudira, et qu'on vous perscutera,
- et qu'on dira faussement toute sorte de mal contre vous:
- rjouissez-vous alors, et soyez ravis de joie, parce que votre
- rcompense est grande dans les cieux_[436]. Combien cependant, malgr
- cette parole, ne nous troublons-nous pas des discours des hommes et de
- leurs jugements? Nous ne pouvons supporter qu'on nous abaisse; nous
- voulons tout prix tre lous, estims. Sduits par un vain fantme
- de rputation, nous oublions Dieu et ses enseignements, et les biens
- qu'il promet aux humbles. trange effet de l'orgueil toujours vivant
- au fond de notre misrable coeur! Que vous importe l'outrage,
- l'injure, la calomnie? D'o vient qu'elle excite en vous une peine si
- amre, un si vif ressentiment? Craignez-vous donc d'avoir trop de
- moyens d'expiation, trop d'esprances de misricorde? Mais on vous
- accuse tort. Aimeriez-vous mieux que ce ft avec justice? Si vous
- n'avez pas commis la faute qu'on vous reproche, que d'autres vous avez
- commises qu'on ne vous reproche point! Descendez dans votre
- conscience, vous y entendrez une voix plus svre que celles qui
- s'lvent contre vous. Celles-ci se tairont, mais l'autre parlera
- devant le Juge en prsence duquel tout l'heure vous comparatrez,
- loin des bruits de la terre, dans le silence de l'ternit. Pensez
- ce moment formidable, et vous vous inquiterez peu de ce que les
- hommes disent de vous.
-
- [436] Matth., V, 11, 12.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLVII.
-
-Qu'il faut tre prt souffrir pour la vie ternelle tout ce qu'il y a
-de plus pnible.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, que les travaux que vous avez entrepris pour moi ne
-brisent pas votre courage, et que les afflictions ne vous abattent pas
-entirement; mais qu'en tout ce qui arrive, ma promesse vous console et
-vous fortifie.
-
-Je suis assez puissant pour vous rcompenser au-del de toutes bornes et
-de toute mesure.
-
-Vous ne serez pas longtemps ici dans le travail, ni toujours charg de
-douleurs.
-
-Attendez un peu, et vous verrez promptement la fin de vos maux.
-
-Une heure viendra o le travail et le trouble cesseront.
-
-Tout ce qui passe avec le temps est peu de chose et ne dure gure.
-
-2. Faites ce que vous avez faire; travaillez fidlement ma vigne, et
-je serai moi-mme votre rcompense.
-
-crivez, lisez, chantez mes louanges, gmissez, gardez le silence,
-priez, souffrez courageusement l'adversit: la vie ternelle est digne
-de tous ces combats, et de plus grands encore.
-
-_Il y a un jour connu du Seigneur_, o la paix viendra; et _il n'y aura
-plus de jour ni de nuit_[437] comme sur cette terre, mais une lumire
-perptuelle, une splendeur infinie, une paix inaltrable, un repos
-assur.
-
- [437] Zachar., XIV, 7.
-
-Vous ne direz plus alors: _Qui me dlivrera de ce corps de mort[438]?_
-Vous ne vous crierez plus: _Malheur moi, parce que mon exil a t
-prolong[439]!_ car _la mort sera dtruite_[440], et le salut sera
-ternel; plus d'angoisses, une joie ravissante, une socit de gloire et
-de bonheur.
-
- [438] Rom., VII, 24.
-
- [439] Ps. CXIX, 5.
-
- [440] Is., XXV, 8.
-
-3. Oh! si vous aviez vu, dans le ciel, les couronnes immortelles des
-Saints, de quel glorieux clat resplendissent ces hommes que le monde
-mprisait et regardait comme indignes de vivre: aussitt, certes, vous
-vous prosterneriez jusque dans la poussire, et vous aimeriez mieux tre
-au-dessous de tous qu'au-dessus d'un seul!
-
-Vous ne dsireriez point les jours heureux de cette vie; mais plutt
-vous vous rjouiriez de souffrir pour Dieu, et vous regarderiez comme le
-plus grand gain d'tre compt pour rien parmi les hommes.
-
-Oh! si vous gotiez ces vrits, si elles pntraient jusqu'au fond de
-votre coeur, comment oseriez-vous vous plaindre, mme une seule fois?
-
-Est-il rien de pnible qu'on ne doive supporter pour la vie ternelle?
-
-Ce n'est pas peu que de gagner ou de perdre le royaume de Dieu.
-
-Levez donc les yeux au ciel. Me voil, et avec moi tous mes Saints: ils
-ont soutenu dans ce monde un grand combat: et maintenant ils se
-rjouissent, maintenant ils sont consols et l'abri de toute crainte,
-maintenant ils se reposent, et ils demeureront jamais avec moi dans le
-royaume de mon Pre.
-
-
-RFLEXION.
-
- Quand la vie nous parat pesante, quand nous sommes prs de succomber
- la tristesse de l'exil, levons les yeux et contemplons l'aurore de
- notre dlivrance; car _cette enveloppe mortelle s'en va se dtruisant,
- mais l'homme intrieur se renouvelle de jour en jour_[441]. Attendons,
- souffrons en paix; l'heure du repos approche. _Les lgres
- tribulations de cette vie d'un moment, nous levant sans mesure,
- produisent en nous un poids ternel de gloire_[442]. Qu'importe un peu
- de fatigue, un peu de travail sur la terre? Nous passons, et _n'avons
- point ici de cit permanente_[443]. Jsus _est all devant pour nous
- prparer une demeure en la maison de son Pre; et puis il viendra, et
- il nous prendra avec lui, afin que l o il est, nous y soyons
- aussi_[444]. _ Jsus, mon Sauveur! mon me languit aprs vous, elle
- vous dsire comme le cerf altr dsire l'eau des fontaines_[445].
- Venez, ne tardez pas: loin de vous, _nous sommes assis dans l'ombre de
- la mort_[446]. Htez-vous, Seigneur; faites luire sur nous la lumire
- de votre face, et qu'elle nous guide la cleste Jrusalem, au pied
- du trne de l'Agneau. L, dans le ravissement de l'amour, dans
- l'immortelle extase de la joie, les choeurs des Bienheureux mls aux
- choeurs des Anges, clbrent le Dieu trois fois saint. Et moi,
- Seigneur, _sur le bord des fleuves de Babylone, j'ai pleur en me
- ressouvenant de Sion_[447]. Console-toi, mon me, prte l'oreille;
- n'entends-tu pas dans le lointain comme le premier murmure qui annonce
- l'arrive de l'poux? _Encore un moment et tu le verras_[448]: encore
- un moment, et rien jamais ne pourra te sparer de lui!
-
- [441] II. Cor., IV, 16.
-
- [442] _Ibid._, 17.
-
- [443] Hebr., XIII, 14.
-
- [444] Joann., XIV, 2, 3.
-
- [445] Ps. XLI, 2.
-
- [446] Luc., I, 79.
-
- [447] Ps. CXXXVI, 1.
-
- [448] Joann., XVI, 19.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLVIII.
-
-De l'ternit bienheureuse, et des misres de cette vie.
-
-
-1. LE F. bienheureuse demeure de la cit cleste! jour clatant de
-l'ternit, que la nuit n'obscurcit jamais, et que la vrit souveraine
-claire perptuellement de ses rayons; jour immuable de joie et de
-repos, que nulle vicissitude ne trouble!
-
-Oh! que ce jour n'a-t-il lui dj sur les ruines du temps, et de tout ce
-qui passe avec le temps!
-
-Il luit pour les Saints dans son ternelle splendeur: mais nous,
-voyageurs sur la terre, nous ne le voyons que de loin, comme travers
-un voile.
-
-2. Les citoyens du ciel en connaissent les dlices: mais les fils d've,
-encore exils, gmissent sur l'amertume et l'ennui de la vie prsente.
-
-_Les jours d'ici-bas sont courts et mauvais_[449], pleins de douleurs et
-d'angoisses.
-
- [449] Genes., XLVII, 9.
-
-L'homme y est souill de beaucoup de pchs, engag dans beaucoup de
-passions, agit par mille craintes, embarrass de mille soins, emport
- et l par la curiosit, sduit par une foule de chimres, environn
-d'erreurs, bris de travaux, accabl de tentations, nerv de dlices,
-tourment par la pauvret.
-
-3. Oh! quand viendra la fin de ces maux? quand serai-je dlivr de la
-misrable servitude des vices? quand me souviendrai-je, Seigneur, de
-vous seul? quand goterai-je en vous une pleine joie?
-
-Quand, dgag de toute entrave, jouirai-je d'une vraie libert,
-dsormais exempt de toute peine et du corps et de l'esprit?
-
-Quand possderai-je une paix solide, assure, inaltrable, paix au
-dedans et au dehors, paix affermie de toutes parts?
-
- bon Jsus! quand me sera-t-il donn de vous voir, de contempler la
-gloire de votre rgne? quand me serez-vous tout en toute chose?
-
-Quand serai-je avec vous dans _le royaume que vous avez prpar de toute
-ternit vos lus_[450]?
-
- [450] Matth., XXV, 34.
-
-J'ai t dlaiss, pauvre, exil, en une terre ennemie, o il y a guerre
-continuelle et de grandes infortunes.
-
-4. Consolez mon exil, adoucissez l'angoisse de mon coeur: car il soupire
-aprs vous de toute l'ardeur de ses dsirs.
-
-Tout ce que le monde m'offre ici-bas pour me consoler, me pse.
-
-Je voudrais m'unir intimement vous, et je ne puis atteindre cette
-ineffable union.
-
-Je voudrais m'attacher aux choses du ciel, et mes passions immortifies
-me replongent dans celles de la terre.
-
-Mon me aspire s'lever au-dessus de tout, et la chair me rabaisse
-au-dessous, malgr mes efforts.
-
-Ainsi, homme misrable, j'ai sans cesse la guerre au dedans de moi, et
-_je me suis charge moi-mme_[451], l'esprit voulant s'lever
-toujours, et la chair toujours descendre.
-
- [451] Job, VII, 10.
-
-5. Oh! combien je souffre en moi lorsque, mditant les choses du ciel,
-celles de la terre viennent en foule se prsenter ma pense durant la
-prire! Mon Dieu, _ne vous loignez pas de moi, et n'abandonnez point
-votre serviteur dans votre colre_[452].
-
- [452] Ps. LXX, 13; XXVI, 14.
-
-Faites briller votre foudre, et dissipez ces visions de la chair: lancez
-vos flches[453], et mettez en fuite ces fantmes de l'ennemi.
-
- [453] Ps. CXLIII, 6.
-
-Rappelez vous tous mes sens; faites que j'oublie toutes les choses du
-monde, et que je rejette promptement, avec mpris, ces criminelles
-images.
-
-ternelle vrit, prtez-moi votre secours, afin que nulle chose vaine
-ne me touche.
-
-Venez en moi, cleste douceur, et que tout ce qui n'est pas pur
-s'vanouisse devant vous.
-
-Pardonnez-moi aussi, et usez de misricorde, toutes les fois que, dans
-la prire, je m'occupe d'autre chose que de vous.
-
-Car je confesse sincrement que la distraction m'est habituelle.
-
-Dans le mouvement ou dans le repos, bien souvent je ne suis point o est
-mon corps, mais plutt o mon esprit m'emporte.
-
-Je suis l o est ma pense, et ma pense est d'ordinaire o est ce que
-j'aime.
-
-Ce qui me plat naturellement ou par habitude, voil ce qui d'abord se
-prsente elle.
-
-6. Et c'est pour cela, Vrit, que vous avez dit expressment: _O est
-votre trsor, l est aussi votre coeur_[454].
-
- [454] Matth., VI, 21.
-
-Si j'aime le ciel, je pense volontiers aux choses du ciel.
-
-Si j'aime le monde, je me rjouis des prosprits du monde, et je
-m'attriste de ses adversits.
-
-Si j'aime la chair, je me reprsente souvent ce qui est de la chair.
-
-Si j'aime l'esprit, ma joie est de penser aux choses spirituelles.
-
-Car il m'est doux de parler et d'entendre parler de tout ce que j'aime,
-et j'en emporte avec moi le souvenir dans ma retraite.
-
-Mais heureux l'homme, mon Dieu, qui, cause de vous, bannit de son
-coeur toutes les cratures; qui fait violence la nature, et crucifie,
-par la ferveur de l'esprit, les convoitises de la chair, afin de vous
-offrir, du fond d'une conscience o rgne la paix, une prire pure; et
-que, dgag au dedans et au dehors de tout ce qui est terrestre, il
-puisse se mler aux choeurs des Anges!
-
-
-RFLEXION.
-
- Les maladies, les peines, les souffrances, les tentations,
- l'invincible dsir d'une flicit que rien ne nous offre ici-bas, tout
- nous rappelle sans cesse cette grande ternit o la foi nous
- promet, dans la possession de Dieu mme, le repos, la paix, le bien
- parfait, infini, auquel nous aspirons de toutes les puissances de
- notre me. Et voil pourquoi les saints gmissent si amrement sous le
- poids des liens qui les retiennent encore sur la terre; voil pourquoi
- l'Aptre s'criait: _Je dsire que mon corps se dissolve, afin d'tre
- avec Jsus-Christ_[455]. Alors plus de crainte, plus de larmes, plus
- de combat, mais un ternel triomphe et une joie ternelle. Si un
- faible reflet[456] de la vrit souveraine ravit dj notre
- intelligence, que sera-ce quand nous la contemplerons dans son plein
- clat! et si, ds prsent, il est si doux d'aimer, que sera-ce quand
- nous nous abreuverons la source mme de l'amour! Oh! oui, Seigneur,
- je dsire la dissolution de mon corps, afin d'tre avec vous! Cette
- esprance seule me console; elle est toute ma vie. Qu'est-ce pour moi
- que le monde, et que peut-il me donner? _J'ai sjourn parmi les
- habitants de Cdar, et mon me a t trangre au milieu d'eux_[457].
- Votre royaume, mon Dieu, votre royaume, je n'ai point d'autre patrie.
- Daignez y rappeler ce pauvre exil, _et il clbrera ternellement vos
- misricordes_[458].
-
- [455] Philipp., I, 23.
-
- [456] I. Cor., XIII, 12.
-
- [457] Ps. CXIX, 5.
-
- [458] Ps. LXXXVIII, 2.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLIX.
-
-Du dsir de la vie ternelle, et des grands biens promis ceux qui
-combattent courageusement.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, lorsque le dsir de l'ternelle batitude vous est
-donn d'en haut, et que vous aspirez sortir de la prison du corps pour
-contempler ma lumire sans ombre et sans vicissitude, dilatez votre
-coeur, et recevez avec amour cette sainte inspiration.
-
-Rendez grce de toute votre me la bont cleste, qui vous prodigue
-ainsi ses faveurs, qui vous visite avec tendresse, vous excite, vous
-presse et vous soulve puissamment, de peur que votre poids ne vous
-incline vers la terre.
-
-Car rien de cela n'est le fruit de vos penses ou de vos efforts, mais
-une grce de Dieu qui a daign jeter sur vous un regard, afin que,
-croissant dans la vertu et dans l'humilit, vous vous prpariez de
-nouveaux combats, et que tout votre coeur s'attache moi avec la
-volont ferme de me servir.
-
-2. Quelque ardent que soit le feu, la flamme cependant ne monte point
-sans fume.
-
-Ainsi quelques-uns, quoique embrass du dsir des choses clestes, ne
-sont point nanmoins entirement dgags des affections et des
-tentations de la chair.
-
-Et c'est pourquoi ils n'ont pas en vue la seule gloire de Dieu, dans ce
-qu'ils demandent avec tant d'instance.
-
-Tel est souvent votre dsir, que vous croyez si vif et si pur.
-
-Car rien n'est pur ni parfait, de ce qui est ml d'intrt propre.
-
-3. Demandez, non ce qui vous est doux, non ce qui vous offre quelque
-avantage, mais ce qui m'honore et me plat: car, si vous jugez selon la
-justice, vous devez, docile mes ordres, les prfrer vos dsirs et
-tout ce qu'on peut dsirer.
-
-Je connais votre dsir; j'ai entendu vos gmissements.
-
-Vous voudriez jouir dj de la libert glorieuse des enfants de Dieu;
-dj la demeure ternelle, la cleste patrie o la joie ne tarit jamais,
-ravit votre pense. Mais l'heure n'est pas encore venue, vous tes
-encore dans un autre temps, temps de guerre, temps de travail et
-d'preuves.
-
-Vous dsirez tre rassasi du souverain bien; mais cela ne se peut
-maintenant.
-
-C'est moi qui suis le bien suprme: attendez-moi, dit le Seigneur,
-_jusqu' ce que vienne le royaume de Dieu_[459].
-
- [459] Luc., XXII, 18.
-
-4. Il faut que vous soyez encore prouv sur la terre, et exerc de bien
-des manires.
-
-De temps en temps, vous recevrez des consolations, mais jamais assez
-abondantes pour rassasier vos dsirs.
-
-_Ranimez donc votre force et votre courage_[460], pour accomplir et pour
-souffrir ce qui rpugne la nature.
-
- [460] Josu, I, 6.
-
-_Il faut que vous vous revtiez de l'homme nouveau_[461], que vous vous
-changiez en un autre homme.
-
- [461] Eph., IV, 24. I. Reg., X. 6, 9.
-
-Il faut que souvent vous fassiez ce que vous ne voulez pas, et que vous
-renonciez ce que vous voulez.
-
-Ce que les autres souhaitent, russira: mille obstacles s'opposeront
-ce que vous souhaitez.
-
-On coutera ce que disent les autres: ce que vous direz sera compt pour
-rien.
-
-Ils demanderont, et ils obtiendront: vous demanderez, et on vous
-refusera.
-
-5. On parlera d'eux, on les exaltera; et personne ne parlera de vous.
-
-On leur confiera tel ou tel emploi; et l'on ne vous jugera propre
-rien.
-
-Quelquefois la nature s'en affligera; et ce sera beaucoup si vous le
-supportez en silence.
-
-C'est dans ces preuves et une infinit d'autres semblables, que,
-d'ordinaire, on reconnat combien un vrai serviteur de Dieu sait se
-renoncer et se briser tout.
-
-Il n'est presque rien qui vous fasse sentir autant le besoin de mourir
-vous-mme, que de voir et de souffrir ce qui rpugne votre volont;
-surtout lorsqu'on vous commande des choses inutiles ou draisonnables.
-
-Et, parce qu'assujetti un suprieur vous n'osez rsister son
-autorit, il vous semble dur d'tre en tout conduit par un autre, et de
-n'agir jamais selon votre propre sens.
-
-6. Mais pensez, mon fils, au fruit de ces travaux, leur prompte fin,
-leur _rcompense trop grande_[462]; et loin de les porter avec douleur,
-vous y trouverez une puissante consolation.
-
- [462] Genes., XV, 1.
-
-Car, pour avoir renonc maintenant quelques vaines convoitises, vous
-ferez ternellement votre volont dans le ciel.
-
-L, tous vos voeux seront accomplis, tous vos dsirs satisfaits.
-
-L, tous les biens s'offriront vous, sans que vous ayez craindre de
-les perdre.
-
-L, votre volont ne cessant jamais d'tre unie la mienne, vous ne
-souhaiterez rien hors de moi, rien qui vous soit propre.
-
-L, personne ne vous rsistera, personne ne se plaindra de vous,
-personne ne vous suscitera de contrarits ni d'obstacles; mais tout ce
-qui peut tre dsir tant prsent la fois, votre me, rassasie
-pleinement, n'embrassera qu' peine cette immense flicit.
-
-L, je donnerai la gloire pour les opprobres soufferts, la joie pour les
-larmes, pour la dernire place un trne dans mon royaume ternel.
-
-L, clateront les fruits de l'obissance; la pnitence se rjouira de
-ses travaux, et l'humble dpendance sera glorieusement couronne.
-
-7. Maintenant donc, inclinez-vous humblement sous la main de tous, et ne
-regardez point qui a dit ou ordonn cela.
-
-Mais si quelqu'un demande ou souhaite quelque chose de vous, qui que ce
-soit, ou votre suprieur, ou votre infrieur, ou votre gal, loin d'en
-tre bless, ayez soin de l'accomplir avec une affection sincre.
-
-Que l'un recherche ceci, un autre cela; que celui-l se glorifie d'une
-chose, celui-ci d'une autre, et qu'il en reoive mille louanges; pour
-vous, ne mettez votre joie que dans le mpris de vous-mme, dans ma
-volont et ma gloire.
-
-Vous ne devez rien dsirer, sinon que, _soit par la vie, soit par la
-mort, Dieu soit toujours glorifi en vous_[463].
-
- [463] Philipp., I, 20.
-
-
-RFLEXION.
-
- On ne saurait trop le redire, le premier et le dernier prcepte, celui
- qui les comprend tous, est l'entier renoncement de soi-mme et la
- conformit parfaite de notre volont celle de Dieu. Ainsi, bien
- qu'il nous soit permis et mme command d'aspirer la batitude
- cleste, et de gmir sur _la longueur de notre exil_[464], nanmoins
- nous devons le supporter avec une grande patience, et nous complaire
- dans les preuves que la Providence nous envoie, parce qu'elles sont
- tout ensemble utiles notre salut, et l'un des moyens que Dieu a
- choisis pour satisfaire sa justice, et pour manifester en nous sa
- misricorde et sa gloire. Pcheurs, nous devons participer aux
- souffrances de celui qui nous a rachets; disciples de Jsus, nous
- devons marcher la suite de notre matre et de notre modle en
- portant la Croix, et, comme lui, puiser le calice d'amertume. Nul
- n'est couronn, s'il n'a combattu[465]. _Heureux donc l'homme qui
- endure la tentation, parce qu'aprs avoir t prouv, il recevra la
- couronne de vie que Dieu a promise ceux qui l'aiment_[466].
- Attendons le moment qu'il a marqu, et poursuivons en paix notre
- plerinage. Tout ce qui finit est court, et rien n'est pnible celui
- qui espre. Que cette pense ranime notre langueur, quand nous nous
- sentons abattus. Au milieu de ce grand naufrage du monde, dit saint
- Chrysostome, une main propice nous jette d'en haut le cble de
- l'esprance, qui peu peu retire des flots des misres humaines et
- soulve jusqu'au Ciel ceux qui s'y attachent fortement[467].
-
- [464] Ps. CXIX, 5.
-
- [465] I. Cor., IX, 25.
-
- [466] Jacob., I, 12.
-
- [467] Ad Theod. Laps. oper., t. I, p. 3.
-
-
-
-
-CHAPITRE L.
-
-Comment un homme dans l'affliction doit s'abandonner entre les mains de
-Dieu.
-
-
-1. LE F. Seigneur mon Dieu, Pre saint, soyez bni maintenant et dans
-toute l'ternit; parce qu'il a t fait comme vous l'avez voulu, et ce
-que vous faites est bon.
-
-Que votre serviteur se rjouisse, non en lui-mme ni en nul autre, mais
-en vous seul, parce que vous seul tes la vritable joie; vous tes,
-Seigneur, mon esprance, ma couronne, ma joie, ma gloire.
-
-_Qu'y a-t-il en votre serviteur qu'il n'ait reu de vous_[468], et sans
-l'avoir mrit?
-
- [468] I. Cor., IV, 7.
-
-Tout est vous; vous avez tout fait, tout donn.
-
-_Je suis pauvre dans les travaux, ds mon enfance_[469]. Quelquefois mon
-me est triste jusqu'aux larmes; et quelquefois elle se trouble en
-elle-mme, cause des passions qui la pressent.
-
- [469] Ps. LXXXVII, 16.
-
-2. Je dsire la joie de la paix, j'aspire la paix de vos enfants, que
-vous nourrissez dans votre lumire et vos consolations.
-
-Si vous me donnez la paix, si vous versez en moi votre joie sainte,
-l'me de votre serviteur sera comme remplie d'une douce mlodie; et ravi
-d'amour, il chantera vos louanges.
-
-Mais si vous vous retirez, comme vous le faites souvent, il ne pourra
-_courir dans la voie de vos commandements_[470]; alors il ne lui reste
-qu' tomber genoux et se frapper la poitrine, parce qu'il n'en est
-plus pour lui comme auparavant, lorsque _votre lumire resplendissait
-sur sa tte_[471], et qu'_ l'ombre de vos ailes, il trouvait un abri
-contre les tentations_[472].
-
- [470] Ps. CXVIII, 32.
-
- [471] Job, XXIX, 3.
-
- [472] Ps. XVI, 10.
-
-3. Pre juste et toujours digne de louange, l'heure est venue o votre
-serviteur doit tre prouv.
-
-Pre aimable, il est juste que votre serviteur souffre maintenant
-quelque chose pour vous.
-
-Pre jamais adorable, l'heure que vous avez prvue de toute ternit
-est venue, o il faut que votre serviteur succombe pour un peu de temps
-au dehors, sans cesser de vivre toujours intrieurement en vous.
-
-Il faut que, pour un peu de temps, il soit abaiss, humili, ananti
-devant les hommes, bris de souffrances, accabl de langueurs, afin de
-se relever avec vous l'aurore d'un jour nouveau, et d'tre environn
-de splendeur dans le ciel.
-
-Pre saint, vous l'avez ainsi ordonn, ainsi voulu; et ce que vous avez
-command s'est accompli.
-
-4. Car c'est la grce que vous faites ceux que vous aimez, de souffrir
-en ce monde pour votre amour, et d'tre afflig autant de fois et par
-qui que ce soit que vous le permettiez.
-
-Rien ne se fait sur la terre sans raison, sans dessein, et sans l'ordre
-de votre Providence.
-
-_Ce m'est un bien, Seigneur, que vous m'ayez humili, afin que je
-m'instruise de votre justice_[473], et que je bannisse de mon coeur tout
-orgueil et toute prsomption.
-
- [473] Ps. CXVIII, 71.
-
-Il m'est utile _d'avoir t couvert de confusion_[474], afin que je
-cherche me consoler plutt en vous que dans les hommes.
-
- [474] Ps. LXVIII, 11.
-
-Par l, j'ai appris encore redouter vos jugements impntrables, selon
-lesquels vous affligez et le juste et l'impie, mais toujours avec quit
-et avec justice.
-
-5. Je vous rends grces de ce que vous ne m'avez point pargn les maux,
-et de ce qu'au contraire vous m'avez svrement frapp, me chargeant de
-douleurs, et m'accablant d'angoisses au dedans et au dehors.
-
-De tout ce qui est sous le ciel, il n'est rien qui me console; je
-n'espre qu'en vous, mon Dieu, cleste mdecin des mes, _qui blessez
-et qui gurissez, qui conduisez jusqu'aux enfers, et qui en
-ramenez_[475].
-
- [475] I. Reg., II, 6; Tob., XIII, 2.
-
-_Vous me guidez par vos enseignements, et votre verge mme
-m'instruira_[476].
-
- [476] Ps. XVII, 36.
-
-6. Pre uniquement aim, voil que je suis entre vos mains, je m'incline
-sous la verge qui me corrige.
-
-Frappez, frappez encore, afin que je rforme, selon votre gr, tout ce
-qu'il y a d'imparfait en moi.
-
-Faites de moi, comme vous le savez si bien faire, un disciple humble et
-pieux, toujours prt vous obir au moindre signe.
-
-Je m'abandonne, moi et tout ce qui est moi, votre correction. Il
-vaut mieux tre chti en ce monde qu'en l'autre.
-
-Vous savez tout, vous pntrez tout, et rien ne vous est cach dans la
-conscience de l'homme.
-
-Vous connaissez les choses futures avant qu'elles arrivent, et il n'est
-pas besoin que personne vous instruise ou vous avertisse de ce qui se
-passe sur la terre.
-
-Vous savez ce qui est utile mon avancement, et combien la tribulation
-sert consumer la rouille des vices.
-
-Disposez de moi selon votre bon plaisir, et ne me dlaissez point
-cause de ma vie toute de pch, que personne ne connat mieux que vous.
-
-7. Faites, Seigneur, que je sache ce que je dois savoir, que j'aime ce
-que je dois aimer, que je loue ce qui vous est agrable, que j'estime ce
-qui est prcieux devant vous, et que je mprise ce qui est vil vos
-regards.
-
-Ne permettez pas que _je juge d'aprs ce que l'oeil aperoit au dehors,
-ni que je forme mes sentiments sur les discours insenss des
-hommes_[477]; mais faites que je porte un jugement vrai des choses
-sensibles et des spirituelles, et surtout que je cherche connatre
-votre volont.
-
- [477] Is., XI, 3.
-
-8. Souvent les hommes se trompent en ne jugeant que sur le tmoignage
-des sens. Les amateurs du sicle se trompent aussi en n'aimant que les
-choses visibles.
-
-Un homme en vaut-il mieux parce qu'un autre homme l'estime grand?
-
-Quand un homme en exalte un autre, c'est un menteur qui trompe un
-menteur, un superbe qui trompe un superbe, un aveugle qui trompe un
-aveugle, un malade qui trompe un malade; et les vaines louanges sont une
-vritable confusion pour qui les reoit.
-
-Car, _ce qu'un homme est vos yeux, Seigneur, voil ce qu'il est
-rellement, et rien de plus_, dit l'humble saint Franois.
-
-
-RFLEXION.
-
- Dieu permet que notre me soit quelquefois comme abandonne. Nulle
- consolation, nulle lumire; mais de toutes parts des preuves, des
- tentations, des angoisses: elle se croit prs d'y succomber, parce
- qu'elle n'aperoit plus le bras qui la soutient. Que faire alors? dire
- comme Jsus: _Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous dlaiss[478]?_
- Et cependant demeurer en paix dans la souffrance et dans les tnbres,
- _jusqu' ce que les ombres dclinent, et que nous dcouvrions l'aurore
- d'un nouveau jour_[479]. Cet tat est le plus grand exercice de la
- foi; c'est pour l'me une image de la mort: froide, sans mouvement,
- insensible en apparence, elle est comme enferme dans le tombeau, et
- ne tient plus, ce semble, Dieu, que par une volont languissante,
- dont elle n'est pas mme assure. Oh! que de grces sont le fruit de
- cette agonie supporte avec une humble patience! Oh! que de pchs
- rachtent cette passion! C'est alors que s'achve en nous le mystre
- du salut, et que nous devenons vritablement conformes Jsus, pourvu
- qu'avec une foi sincre, inbranlable, nous ne cessions de rpter
- cette parole de rsignation: _Oui, mon Pre_, j'accepte ce calice: je
- veux l'puiser jusqu' la lie; _oui, mon Pre, parce qu'il vous a plu
- ainsi_[480].
-
- [478] Matth., XXVI, 46.
-
- [479] Cant., II, 17.
-
- [480] Matth., XI, 26.
-
-
-
-
-CHAPITRE LI.
-
-Qu'il faut s'occuper d'oeuvres extrieures, quand l'me est fatigue des
-exercices spirituels.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, vous ne sauriez sentir toujours une gale ardeur pour
-la vertu, ni vous maintenir sans relche dans un haut degr de
-contemplation; mais il est ncessaire, cause du vice de votre origine,
-que vous descendiez quelquefois des choses plus basses, et que vous
-portiez, malgr vous, et avec ennui, le poids de cette vie corruptible.
-
-Tant que vous tranerez ce corps mortel, vous prouverez un grand dgot
-et l'angoisse du coeur.
-
-Il vous faut donc, pendant que vous vivez dans la chair, gmir souvent
-du poids de la chair, et de ne pouvoir continuellement vous appliquer
-aux exercices spirituels et la contemplation divine.
-
-2. Cherchez alors un refuge dans d'humbles occupations extrieures, et
-dans les bonnes oeuvres une distraction qui vous ranime: attendez avec
-une ferme confiance mon retour et la grce d'en haut: souffrez
-patiemment votre exil et la scheresse du coeur, jusqu' ce que je vous
-visite de nouveau, et que je vous dlivre de toutes vos peines.
-
-Car je reviendrai, et je vous ferai oublier vos travaux et jouir du
-repos intrieur.
-
-J'ouvrirai devant vous le champ des critures, afin que votre coeur,
-dilat d'amour, vous presse de _courir dans la voie de mes
-commandements_[481].
-
- [481] Ps. CXVIII, 32.
-
-Et vous direz: _Les souffrances du temps n'ont point de proportion avec
-la gloire future qui sera manifeste en nous_[482].
-
- [482] Rom., VIII, 18.
-
-
-RFLEXION.
-
- Contempler Dieu et l'aimer, le contempler et l'aimer encore, voil le
- Ciel. L'me, ici-bas, en reoit quelquefois un avant-got. Alors,
- leve au-dessus d'elle-mme, elle se sent pleine d'ardeur, et enivre
- de joie, elle dit: _Il nous est bon d'tre ici_[483]. Mais bientt
- arrive le temps de l'preuve: il faut descendre du Thabor, et marcher
- dans le chemin de la Croix. Heureuse l'me qui, dans le dnment,
- l'aridit, les souffrances, demeure en paix, sans se laisser abattre
- et sans murmurer; qui, fidle Jsus mourant, le suit avec courage
- sur le Calvaire; et aprs avoir partag le banquet de l'poux, prte
- partager son sacrifice, s'crie comme un des Aptres: _Et nous aussi,
- allons et mourons avec lui[484]!_
-
- [483] Matth., XVII, 4.
-
- [484] Joann., XI, 16.
-
-
-
-
-CHAPITRE LII.
-
-Que l'homme ne doit pas se juger digne des consolations de Dieu, mais
-plutt de chtiment.
-
-
-1. LE F. Seigneur, je ne mrite point que vous me consoliez et que vous
-me visitiez: ainsi vous en usez avec moi justement, lorsque vous me
-laissez pauvre et dsol.
-
-Quand je rpandrais des larmes aussi abondantes que les eaux de la mer,
-je ne serais pas encore digne de vos consolations.
-
-Rien ne m'est d que la verge et le chtiment: car je vous ai souvent et
-grivement offens, et mes pchs sont sans nombre.
-
-Aprs donc un strict examen, je me reconnais indigne de la moindre
-consolation.
-
-Mais vous, Dieu tendre et clment, qui ne voulez pas que vos ouvrages
-prissent, _pour faire clater les richesses de votre bont en des vases
-de misricorde_[485], vous daignez consoler votre serviteur au del de
-ce qu'il mrite, et d'une manire toute divine.
-
- [485] Rom., IX, 23.
-
-Car vos consolations ne sont point comme les vaines paroles des hommes.
-
-2. Qu'ai-je fait, Seigneur, pour que vous me donniez quelque part aux
-consolations du ciel?
-
-Je n'ai point de souvenir d'avoir fait aucun bien; toujours, au
-contraire, je fus enclin au vice, et lent me corriger.
-
-Il est vrai, et je ne puis le nier. Si je parlais autrement, vous vous
-lveriez contre moi, et personne ne me dfendrait.
-
-Qu'ai-je mrit pour mes pchs, sinon l'enfer et le feu ternel?
-
-Je le confesse avec sincrit: je ne suis digne que d'opprobre et de
-mpris; je ne mrite point d'tre compt parmi ceux qui sont vous. Et
-bien qu'il me soit douloureux de l'entendre, je rendrai cependant contre
-moi tmoignage la vrit, je m'accuserai de mes pchs, afin d'obtenir
-de vous plus aisment misricorde.
-
-3. Que dirai-je, couvert, comme je le suis, de crimes et de confusion?
-
-Je n'ai dire que ce seul mot: J'ai pch, Seigneur, j'ai pch; ayez
-piti de moi, pardonnez-moi.
-
-_Laissez-moi un peu de temps pour exhaler ma douleur, avant que je m'en
-aille dans la terre de tnbres, que recouvre l'ombre de la mort_[486].
-
- [486] Job, X, 20, 22.
-
-Que demandez-vous d'un coupable, d'un misrable pcheur, sinon que,
-bris de regrets, il s'humilie de ses pchs.
-
-La vritable contrition et l'humiliation du coeur produisent l'esprance
-du pardon, calment la conscience trouble, rparent la grce perdue,
-protgent l'homme contre la colre venir; et c'est alors que se
-rapprochent et se rconcilient dans un saint baiser Dieu et l'me
-pnitente.
-
-4. Cette humble douleur des pchs vous est, Seigneur, un sacrifice
-agrable, et d'une odeur plus douce que celle de l'encens.
-
-C'est le dlicieux parfum que vous permtes de rpandre sur vos pieds
-sacrs: car _vous ne mprisez jamais un coeur contrit et humili_[487].
-
- [487] Ps. L, 18.
-
-L est le refuge contre la fureur de l'ennemi: l, le pcheur se
-rforme, et se purifie de toutes les souillures qu'il a contractes au
-dehors.
-
-
-RFLEXION.
-
- Quelques-uns recherchent avec un dsir trop vif les consolations
- clestes, et tombent dans l'abattement ds qu'elles leur sont
- retires. Mais ces grces que Dieu accorde ou comme rcompense aux
- mes embrases d'une ferveur extraordinaire, ou comme encouragement
- aux mes faibles encore, pour les aider supporter le travail de la
- pnitence, ne nous sont dues en nulle manire; et toujours faut-il
- _porter en nous la mortification de Jsus, afin que la vie de Jsus
- soit manifeste en nous_[488]. O serait l'expiation, o serait le
- mrite, si nous n'avions rien souffrir, ou si nos souffrances
- taient constamment accompagnes de l'onction divine qui les tempre,
- et quelquefois les rend plus douces qu'aucune joie du monde? De
- nous-mmes, pcheurs misrables, nous n'avons droit qu'au supplice, et
- nous voudrions jouir ici-bas de la flicit du ciel! Bnissons plutt
- la misricorde qui, aux peines de l'ternit, substitue les preuves
- du temps: bnissons le Dieu qui ne se souvient, durant notre passage
- sur la terre, de ce que nous devons sa justice que pour l'oublier
- ensuite jamais; et disons-lui du fond de notre _coeur bris_[489],
- mais plein de reconnaissance et d'amour: _Lavez-moi de plus en plus de
- mon iniquit, Seigneur, et purifiez-moi de mon pch; car je connais
- mon iniquit, et mon pch est devant moi toujours_[490].
-
- [488] II. Cor., IV, 11.
-
- [489] Ps. L, 29.
-
- [490] _Ibid._, 4, 5.
-
-
-
-
-CHAPITRE LIII.
-
-Que la grce ne fructifie point en ceux qui ont le got des choses de la
-terre.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, ma grce est d'un grand prix, et ne souffre point le
-mlange des choses trangres, ni des consolations terrestres.
-
-Il faut donc carter tout ce qui l'arrte, si vous dsirez qu'elle se
-rpande en vous.
-
-Retirez-vous dans un lieu secret, aimez demeurer seul avec vous-mme,
-ne recherchez l'entretien de personne; mais que votre me s'panche
-devant Dieu en de ferventes prires, afin de conserver la componction et
-une conscience pure.
-
-Comptez pour rien le monde entier, et occupez-vous de Dieu plutt que
-des oeuvres extrieures.
-
-Car votre coeur ne peut tre moi, et se plaire en mme temps ce qui
-passe.
-
-Il vous faut sparer de vos connaissances et de vos amis, et sevrer
-votre me de toute consolation terrestre.
-
-C'est ainsi que le bienheureux aptre Pierre conjure les fidles
-serviteurs de Jsus-Christ _de se regarder ici-bas comme des trangers
-et des voyageurs_[491].
-
- [491] I. Pet., II, 11.
-
-2. Oh! qu'il aura de confiance l'heure de la mort, celui que nul
-attachement ne retient en ce monde!
-
-Mais un esprit encore malade ne comprend pas que le coeur soit ainsi
-dtach de tout; et l'homme charnel ne connat point la libert de
-l'homme intrieur.
-
-Cependant, pour devenir vraiment spirituel, il faut renoncer ses
-proches comme aux trangers, et ne se garder de personne plus que de
-soi-mme.
-
-Si vous parvenez vous vaincre parfaitement, vous vaincrez aisment
-tout le reste.
-
-La parfaite victoire est de triompher de soi-mme.
-
-Celui qui se tient tellement assujetti, que les sens obissent la
-raison, et que la raison m'obisse en tout, est vritablement vainqueur
-de lui-mme et matre du monde.
-
-3. Si vous aspirez cette haute perfection, il faut commencer avec
-courage et mettre la cogne la racine de l'arbre, pour arracher et
-dtruire jusqu'aux restes les plus cachs de l'amour drgl de
-vous-mme, et des biens sensibles et particuliers.
-
-De cet amour dsordonn que l'homme a pour lui-mme, naissent presque
-tous les vices qu'il doit vaincre et draciner; et ds qu'il l'aura
-subjugu pleinement, il jouira d'un calme et d'une paix profonde.
-
-Mais parce qu'il en est peu qui travaillent mourir parfaitement
-eux-mmes, et sortir d'eux-mmes entirement, ils demeurent comme
-ensevelis dans la chair, et ne peuvent s'lever au-dessus des sens.
-
-Celui qui veut me suivre librement, il faut qu'il mortifie toutes ses
-inclinations drgles, et qu'il ne s'attache nulle crature par un
-amour de convoitise ou particulier.
-
-
-RFLEXION.
-
- _Personne ne peut servir deux matres; car, ou il aimera l'un et nuira
- l'autre, ou il s'attachera l'un et mprisera l'autre_[492]. Nous ne
- pouvons servir la fois Dieu et le monde; et la vie chrtienne
- consiste s'affranchir de l'esclavage du monde, pour acqurir _la
- libert des enfants de Dieu_[493]. Or la grce combat en nous pour
- Dieu, contre la nature corrompue qui nous entrane vers le monde;
- combat terrible dont on ne sort vainqueur qu'en mourant soi-mme,
- ses penses, ses gots, ses inclinations; et la mort corporelle,
- qui termine jamais la lutte entre la nature et la grce, est la
- dernire victoire du chrtien; ce qui faisait dire l'aptre saint
- Paul: _Qui me dlivrera de ce corps de mort[494]?_ Exerons-nous donc
- mourir: dtachons-nous entirement de la terre et de toutes les
- choses de la terre; dtachons-nous de nous-mmes, et ne vivons plus
- qu'en Dieu, de Dieu et pour Dieu. Que cherchons-nous hors de lui? Ne
- renferme-t-il pas tous les biens? Oh! quand nous sera-t-il donn de le
- voir _tel qu'il est, face face_[495]; _de nous rassasier de son
- tre, de sa gloire_[496] infinie! Htons de nos voeux ce moment qui
- fixera notre ternit; et dans l'ardeur de nos dsirs, crions-nous
- avec le Prophte: _Malheur moi, parce que mon exil a t prolong!
- J'ai habit avec les peuples de Cdar, et mon me a t trangre au
- milieu d'eux_[497].
-
- [492] Matth., VI, 24.
-
- [493] Rom., VIII, 21.
-
- [494] Rom., VII, 24.
-
- [495] I. Joann., III, 2.
-
- [496] Ps. XVI, 15.
-
- [497] Ps. CXIX, 5.
-
-
-
-
-CHAPITRE LIV.
-
-Des divers mouvements de la nature et de la grce.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, observez avec soin les mouvements de la nature et de
-la grce: car, quoique trs-opposes, la diffrence en est quelquefois
-si imperceptible, qu' peine un homme clair dans la vie spirituelle en
-peut faire le discernement.
-
-Tous les hommes ont le dsir du bien et tendent quelque bien dans
-leurs paroles et dans leurs actions; c'est pourquoi plusieurs sont
-tromps dans cette apparence de bien.
-
-2. La nature est pleine d'artifice: elle attire, elle surprend, elle
-sduit, et n'a jamais d'autre fin qu'elle-mme.
-
-La grce, au contraire, agit avec simplicit, et fuit jusqu' la moindre
-apparence du mal: elle ne tend point de piges, et fait tout pour Dieu
-seul, en qui elle se repose comme en sa fin.
-
-3. La nature rpugne mourir; elle ne veut point tre contrainte, ni
-vaincue, ni assujettie, ni se soumettre volontairement.
-
-Mais la grce porte se mortifier soi-mme, rsiste la sensualit,
-recherche l'assujettissement, aspire tre vaincue, et ne veut pas
-jouir de sa libert; elle aime la dpendance, ne dsire dominer
-personne, mais vivre, demeurer, tre toujours sous la main de Dieu; et
-cause de Dieu, _elle est prte s'abaisser humblement au-dessous de
-toute crature_[498].
-
- [498] Pet., II, 13.
-
-4. La nature travaille pour son intrt propre, et calcule le gain
-qu'elle peut retirer des autres.
-
-La grce ne considre point ce qui lui est avantageux, mais ce qui peut
-tre utile plusieurs.
-
-5. La nature aime recevoir les respects et les honneurs.
-
-La grce renvoie fidlement Dieu tout honneur et toute gloire.
-
-6. La nature craint la confusion et le mpris.
-
-La grce _se rjouit de souffrir des outrages pour le nom de
-Jsus_[499].
-
- [499] Act., V, 41.
-
-7. La nature aime l'oisivet et le repos du corps.
-
-La grce ne peut tre oisive, et se fait une joie du travail.
-
-8. La nature recherche les choses curieuses et belles, et repousse avec
-horreur ce qui est vil et grossier.
-
-La grce se complat dans les choses simples et humbles; elle ne
-ddaigne point ce qu'il y a de plus rude, et ne refuse point de se vtir
-de haillons.
-
-9. La nature convoite les biens du temps, elle se rjouit d'un gain
-terrestre, s'afflige d'une perte, et s'irrite d'une lgre injure.
-
-La grce n'aspire qu'aux biens ternels, et ne s'attache point ceux du
-temps; elle ne se trouble d'aucune perte, et ne s'offense point des
-paroles les plus dures, parce qu'elle a mis son trsor et sa joie dans
-le Ciel, o rien ne prit.
-
-10. La nature est avide, et reoit plus volontiers qu'elle ne donne;
-elle aime ce qui lui est propre et particulier.
-
-La grce est gnreuse et ne se rserve rien; elle vite la singularit,
-se contente de peu, et croit qu'_il est plus heureux de donner que de
-recevoir_[500].
-
- [500] _Ibid._, XX, 35.
-
-11. La nature se porte vers les cratures, la chair, les vanits; elle
-est bien aise de se produire.
-
-La grce lve Dieu, excite la vertu, renonce aux cratures, fuit le
-monde, hait les dsirs de la chair, ne se rpand point au dehors, et
-rougit de paratre devant les hommes.
-
-12. La nature se rjouit d'avoir quelque consolation extrieure qui
-flatte le penchant des sens.
-
-La grce ne cherche de consolation qu'en Dieu seul; et s'levant
-au-dessus des choses visibles, elle met toutes ses dlices dans le
-souverain bien.
-
-13. La nature agit en tout pour le gain et pour son avantage propre;
-elle ne sait rien faire gratuitement; mais, en obligeant, elle espre
-obtenir quelque chose d'gal ou de meilleur, des faveurs ou des
-louanges; et elle veut qu'on tienne pour beaucoup tout ce qu'elle fait
-et tout ce qu'elle donne.
-
-La grce ne veut rien de temporel; elle ne demande d'autre rcompense
-que Dieu seul, et ne dsire des choses du temps, mme les plus
-ncessaires, que ce qui peut lui servir pour acqurir les biens
-ternels.
-
-14. La nature se complat dans le grand nombre des amis et des parents;
-elle se glorifie d'un rang lev, d'une naissance illustre; elle sourit
-aux puissants, flatte les riches, et applaudit ceux qui lui
-ressemblent.
-
-La grce aime ses ennemis mme, et ne s'enorgueillit point du nombre de
-ses amis; elle ne compte pour rien la noblesse et les anctres, moins
-qu'ils ne se soient distingus par la vertu; elle favorise plutt le
-pauvre que le riche, compatit plus l'innocent qu'au puissant,
-recherche l'homme vrai, fuit le menteur, et ne cesse d'exhorter les bons
-_ s'efforcer de devenir meilleurs_[501], afin de se rendre semblables
-au Fils de Dieu par leurs vertus.
-
- [501] I. Cor., XII, 31.
-
-15. La nature est prompte se plaindre de ce qui lui manque et de ce
-qui la blesse.
-
-La grce supporte avec constance la pauvret.
-
-16. La nature rapporte tout elle-mme, combat, discute pour ses
-intrts.
-
-La grce ramne tout Dieu, de qui tout mane originairement; elle ne
-s'attribue aucun bien, ne prsume point d'elle-mme avec arrogance, ne
-conteste point, ne prfre point son opinion celle des autres; mais
-elle soumet toutes ses penses et tous ses sentiments l'ternelle
-sagesse et au jugement de Dieu.
-
-17. La nature est curieuse de secrets et de nouvelles; elle veut se
-montrer et voir, et examiner par elle-mme; elle dsire d'tre connue,
-et de s'attirer la louange et l'admiration.
-
-La grce ne s'occupe point de nouvelles, ni de ce qui nourrit la
-curiosit; car tout cela n'est que la renaissance d'une vieille
-corruption, puisqu'il n'y a rien de nouveau ni de stable sur la terre.
-
-Elle enseigne rprimer les sens, fuir la vaine complaisance et
-l'ostentation, cacher humblement ce qui mrite l'loge et l'estime, et
- ne chercher en ce qu'on sait, et en toute chose, que ce qui peut tre
-utile, en l'honneur et la gloire de Dieu.
-
-Elle ne veut point qu'on loue ni elle, ni ses oeuvres; mais elle dsire
-que Dieu soit bni dans les dons qu'il rpand par pur amour.
-
-18. Cette grce est une lumire surnaturelle, un don spcial de Dieu;
-c'est proprement le sceau des lus, et le gage du salut ternel. De la
-terre o son coeur gisait, elle lve l'homme jusqu' l'amour des biens
-clestes, et le rend spirituel, de charnel qu'il tait.
-
-Plus donc la nature est affaiblie et vaincue, plus la grce se rpand
-avec abondance; et chaque jour, par de nouvelles effusions, elle
-rtablit, au dedans de l'homme, l'image de Dieu.
-
-
-RFLEXION.
-
- Selon la doctrine du grand Aptre, nous avons en nous deux lois
- opposes: la loi de la chair, qui nous asservit au pch, et la loi de
- l'esprit qui nous retient dans l'ordre par le secours de la grce que
- Jsus-Christ nous a mrit[502]. Partags entre ces deux lois, _entre
- la chair et l'esprit qui se combattent sans cesse_[503], nous sommes
- ici-bas comme flottant entre le bien et le mal, entre Dieu et le
- monde, pousss vers l'un par la nature, attirs vers l'autre par la
- grce, qui n'abandonne jamais entirement les plus grands pcheurs, de
- mme que la concupiscence ne cesse jamais de solliciter les plus
- justes. Que deviendra notre pauvre me en proie cette guerre
- terrible? Combien doit-elle trembler sur les suites d'un tel combat?
- _Et c'est pourquoi_, dit saint Paul, _toute crature gmit, et est
- comme dans le travail de l'enfantement: et nous aussi qui avons reu
- les prmices de l'Esprit, nous gmissons en nous-mme, attendant
- l'adoption des enfants de Dieu, et la dlivrance de notre corps_[504].
- Heureux jour! et quand viendra-t-il? Quand goterons-nous la
- dlicieuse paix d'un amour immuable? _J'ai dsir la dissolution de ma
- chair, afin d'tre avec Jsus-Christ_[505]. _Mon me a soif du Dieu
- fort, du Dieu vivant. Quand viendrai-je et paratrai-je devant la face
- de mon Dieu_[506]?
-
- [502] Rom., VII, 23.
-
- [503] Galat., V, 17.
-
- [504] Rom., VIII, 22, 23.
-
- [505] Philipp., I, 23.
-
- [506] Ps. XLI, 3.
-
-
-
-
-CHAPITRE LV.
-
-De la corruption de la nature, et de l'efficace de la grce divine.
-
-
-1. LE F. Seigneur, mon Dieu, qui m'avez cr votre image et votre
-ressemblance, accordez-moi cette grce dont vous m'avez montr
-l'excellence et la ncessit pour le salut, afin que je puisse vaincre
-ma nature corrompue, qui m'entrane au pch et dans la perdition.
-
-_Car je sens en ma chair la loi du pch qui contredit la loi de
-l'esprit_[507], et m'asservit aux sens pour que je leur obisse en
-esclave; et je ne puis rsister aux passions qu'ils soulvent en moi, si
-vous ne me secourez, en ranimant mon coeur par l'effusion de votre
-sainte grce.
-
- [507] Rom., VII, 23.
-
-2. Votre grce, et une grce trs-grande, est ncessaire pour vaincre la
-nature _incline au mal ds l'enfance_[508].
-
- [508] Gen., VIII, 21.
-
-Car, dchue en Adam, notre premier pre, et dprave par le pch, cette
-tache passe dans tous les hommes, et ils en portent la peine: de sorte
-que cette nature mme, que vous avez cre dans la justice et dans la
-droiture, ne rappelle plus que la faiblesse et le drglement d'une
-nature corrompue, parce que, laisse elle-mme, son propre mouvement
-ne la porte qu'au mal, et vers les choses de la terre.
-
-Le peu de force qui lui est rest est comme une tincelle cache sous la
-cendre.
-
-C'est cette raison naturelle, environne de profondes tnbres, sachant
-encore discerner le bien du mal, le vrai du faux, mais impuissante
-accomplir ce qu'elle approuve, parce qu'elle ne possde pas la pleine
-lumire de la vrit, et que toutes ses affections sont malades.
-
-3. De l vient, mon Dieu, que _je me rjouis en votre loi, selon l'homme
-intrieur_[509], reconnaissant _que vos commandements sont bons, justes
-et saints_[510], qui condamnent tout mal, et dtournent du pch.
-
- [509] Rom., VII, 22.
-
- [510] _Ibid._, 12.
-
-Mais, _dans ma chair je suis asservi la loi du pch_[511], obissant
-plutt aux sens qu' la raison, _voulant le bien, et n'ayant pas la
-force de l'accomplir_[512].
-
- [511] _Ibid._, 25.
-
- [512] _Ibid._, 18.
-
-C'est pourquoi souvent je forme de bonnes rsolutions; mais la grce,
-qui aide ma faiblesse, venant manquer, au moindre obstacle je cde et
-je tombe.
-
-Je dcouvre la voie de la perfection, et je vois clairement ce que je
-dois faire;
-
-Mais, accabl du poids de ma corruption, je ne m'lve rien de
-parfait.
-
-4. que votre grce, Seigneur, m'est ncessaire, pour commencer le
-bien, le continuer et l'achever!
-
-Car sans elle je ne puis rien faire; mais _je puis tout en vous, quand
-votre grce me fortifie_[513].
-
- [513] Philipp., IV, 13.
-
- grce vraiment cleste, sans laquelle nos mrites et les dons de la
-nature ne sont rien!
-
-Les arts, les richesses, la beaut, la force, le gnie, l'loquence,
-n'ont aucun prix, Seigneur, vos yeux, sans la grce.
-
-Car les dons de la nature sont communs aux bons et aux mchants; mais la
-grce ou la charit est le don propre des lus; elle est le signe auquel
-on reconnat ceux qui sont dignes de la vie ternelle.
-
-Telle est l'excellence de cette grce, que ni le don de prophtie, ni le
-pouvoir d'oprer des miracles, ni la plus haute contemplation, ne
-doivent tre compts pour quelque chose sans elle.
-
-Ni la foi mme, ni l'esprance, ni les autres vertus, ne vous sont
-agrables sans la grce et la charit.
-
-5. bienheureuse grce, qui rendez riche en vertus le pauvre d'esprit,
-et celui qui possde de grands biens humble de coeur!
-
-Venez, descendez en moi, remplissez-moi ds le matin de votre
-consolation, de peur que mon me puise, aride, ne vienne dfaillir
-de lassitude.
-
-J'implore votre grce, mon Dieu, je ne veux qu'elle: _car votre grce
-me suffit_[514], quand je n'obtiendrais rien de ce que la nature dsire.
-
- [514] II. Cor., XII, 9.
-
-Si je suis prouv, tourment par beaucoup de tribulations, je ne
-craindrai aucuns maux, tandis que votre grce sera avec moi.
-
-Elle est ma force, mon conseil, mon appui.
-
-Elle est plus puissante que tous les ennemis, et plus sage que tous les
-sages.
-
-6. Elle enseigne la vrit, et rgle la conduite; elle est la lumire du
-coeur, et sa consolation dans l'angoisse; elle chasse la tristesse,
-dissipe la crainte, nourrit la pit, produit les larmes.
-
-Que suis-je sans elle qu'un bois sec, un rameau strile qui n'est bon
-qu' jeter?
-
-_Que votre grce, Seigneur, me prvienne donc et m'accompagne toujours;
-qu'elle me rende sans cesse attentif la pratique des bonnes oeuvres:
-je vous en conjure par Jsus-Christ, votre Fils. Ainsi soit-il_[515].
-
- [515] Orais. du 16e Dim. apr. la Pent.
-
-
-RFLEXION.
-
- La religion fait deux choses: elle nous montre notre misre et nous en
- indique le remde; elle nous enseigne que, de nous-mmes, nous ne
- pouvons rien pour le salut, mais que _nous pouvons tout en celui qui
- nous fortifie_[516]. Et de l ce mot de saint Paul, mot aussi profond
- de vrit qu'tonnant pour l'orgueil humain: _Je me glorifierai dans
- mes infirmits, afin que la vertu de Jsus-Christ habite en moi_[517].
- _Oui_, continue-t-il, _je me complais dans mes infirmits: car lorsque
- je me sens infirme, c'est alors que je suis fort_[518]. Entrons dans
- la pense de l'Aptre, et apprenons nous humilier, sentir notre
- faiblesse, jouir, pour ainsi parler, de notre nant. Lorsque nous
- aurons rejet toute vaine opinion de nous-mmes, et creus, en quelque
- sorte, un lit profond dans notre me, des flots de grce s'y
- prcipiteront. La paix nous sera donne sur la terre: car qui peut
- troubler la paix de celui qui, s'oubliant et se mprisant soi-mme, ne
- s'appuie que sur Dieu et ne tient plus qu' Dieu? _Paix aux hommes de
- bonne volont_[519], aux humbles de coeur, paix ici-bas: et dans le
- Ciel _le rassasiement de la gloire_[520].
-
- [516] Philipp., IV, 13.
-
- [517] Cor., XII, 9.
-
- [518] _Ibid._, 10.
-
- [519] Luc., II, 14.
-
- [520] Ps. XVI, 15.
-
-
-
-
-CHAPITRE LVI.
-
-Que nous devons nous renoncer nous-mmes, et imiter Jsus-Christ en
-portant la Croix.
-
-
-1. J.-C. Mon Fils, vous n'entrerez en moi, qu'autant que vous sortirez
-de vous-mme.
-
-Comme on possde en soi la paix, lorsqu'on ne dsire rien au dehors,
-ainsi le renoncement intrieur unit Dieu.
-
-Je veux que vous appreniez vous renoncer assez parfaitement, pour vous
-soumettre ma volont sans rpugnance et sans murmure.
-
-Suivez-moi: _Je suis la voie, la vrit et la vie_[521]. Sans la voie on
-n'avance pas; sans la vrit on ne connat pas; on ne vit point sans la
-vie. Je suis la voie que vous devez suivre, la vrit que vous devez
-croire, la vie que vous devez esprer.
-
- [521] Joann., XIV, 6.
-
-Je suis la voie qui n'gare point, la vrit qui ne trompe point, la vie
-qui ne finira jamais.
-
-Je suis la voie droite, la vrit souveraine, la vritable vie, la vie
-bienheureuse, la vie incre.
-
-Si vous demeurez dans ma voie, _vous connatrez la vrit, et la vrit
-vous dlivrera, et vous obtiendrez la vie ternelle_[522].
-
- [522] Joann., VIII, 32.
-
-2. _Si vous voulez parvenir la vie, gardez mes commandements_[523].
-
- [523] Matth., XIX, 17.
-
-Si vous voulez connatre la vrit, croyez-moi.
-
-_Si vous voulez tre parfait, vendez tout_[524].
-
- [524] _Ibid._, 21.
-
-_Si vous voulez tre mon disciple, renoncez-vous vous-mme_[525].
-
- [525] Luc., IX 23.
-
-Si vous voulez possder la vie bienheureuse, mprisez la vie prsente.
-
-Si vous voulez tre lev dans le Ciel, humiliez-vous sur la terre.
-
-Si vous voulez rgner avec moi, portez la croix avec moi.
-
-Car les serviteurs de la Croix trouvent seuls la voie de la batitude et
-de la vraie lumire.
-
-3. LE F. Seigneur Jsus, puisque votre vie tait pauvre et que le monde
-la mprisait, donnez-moi de vous imiter, et d'tre aussi mpris du
-monde.
-
-_Car le serviteur n'est pas plus grand que celui qu'il sert, ni le
-disciple au-dessus de son matre_[526].
-
- [526] Matth., X, 24.
-
-Que votre serviteur travaille se former sur votre vie, parce que l
-est mon salut, et la vraie saintet.
-
-Tout ce que je lis, tout ce que j'entends, hors cette vie cleste, ne me
-console ni ne me satisfait pleinement.
-
-4. Mon Fils, _puisque vous avez lu et que vous savez toutes ces choses,
-vous serez heureux si vous les pratiquez_[527].
-
- [527] Joann., XIII, 17.
-
-_Celui-l m'aime, qui connat et qui observe mes commandements; et je
-l'aimerai aussi, et je me manifesterai lui, et je le ferai asseoir
-avec moi dans le royaume de mon Pre_[528].
-
- [528] _Ibid._, XIV, 24.
-
-5. LE F. Seigneur Jsus, qu'il soit fait selon votre parole et votre
-promesse: rendez-moi digne de ce bonheur immense.
-
-J'ai reu, j'ai reu de votre main la croix: je la porterai, oui, je la
-porterai, comme vous l'avez voulu, jusqu' la mort.
-
-Certes, la vie d'un bon religieux est une croix, mais une croix qui
-conduit la gloire.
-
-J'ai commenc; il n'est plus permis de retourner en arrire; il n'y a
-plus s'arrter.
-
-6. Allons, mes frres, marchons ensemble: Jsus sera avec nous.
-
-Pour Jsus, nous nous sommes chargs de la croix; continuons, pour
-Jsus, de porter la croix.
-
-Il sera notre soutien, celui qui est notre chef et notre guide.
-
-Voil que notre roi marche devant nous; il combattra pour nous.
-
-Suivons avec courage; que rien ne nous effraie; soyons prts _ mourir
-gnreusement dans cette guerre, et ne souillons pas notre gloire_[529]
-de la honte d'avoir fui la Croix.
-
- [529] I. Mac., IX, 10.
-
-
-RFLEXION.
-
- Il est trange qu'il faille sans cesse redire l'homme: Pense ton
- me, le temps fuit, l'ternit s'avance; demain, aujourd'hui peut-tre
- elle aura commenc pour toi: et cependant il est vrai que si on ne lui
- rappelait chaque heure cette vrit formidable, chaque heure il
- l'oublierait, tant est puissante la fascination du monde sur cette
- crature tombe. Rveillez-vous, sortez de votre sommeil, ne diffrez
- pas davantage le soin de _l'unique chose ncessaire_[530]; htez-vous
- de mettre la main l'oeuvre, tandis que le jour luit encore; _la nuit
- vient pendant laquelle nul ne peut travailler_[531]: nuit terrible,
- nuit dsolante, nuit qui n'aura jamais d'aurore! Quittez, quittez,
- sans perdre un instant, _la voie large de la perdition_, pour entrer
- dans _la voie troite de la vie_[532]. Combattez avec courage les
- penchants de la nature inclins au mal, renoncez vous-mme, et
- portez votre croix: dans la Croix est la force, l'esprance, le salut.
- Heureux donc celui qui _ne sait_, comme l'Aptre, _que Jsus, et Jsus
- crucifi_[533]! il entendra, au dernier jour, cette parole d'ternelle
- joie: _Venez, le bni de mon Pre, possder le royaume qui vous a t
- prpar ds le commencement du monde_[534]. Mais les contempteurs de
- la Croix, mais ceux qui se seront recherchs eux-mmes, un autre sort
- leur est rserv: _Dieu a dans sa main une coupe pleine d'un vin
- mlang; il la verse ici et l, et la lie ne s'puise point, et tous
- les pcheurs de la terre boiront_[535]!
-
- [530] Luc., X. 42.
-
- [531] Joann., IX, 4.
-
- [532] Matth., VII, 13, 14.
-
- [533] I. Cor., II, 2.
-
- [534] Matth., XXV, 34.
-
- [535] Ps. LXXIV, 9.
-
-
-
-
-CHAPITRE LVII.
-
-Qu'on ne doit point se laisser trop abattre quand on tombe en quelques
-fautes.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, la patience et l'humilit dans les traverses me
-plaisent plus que beaucoup de joie et de ferveur dans la prosprit.
-
-Pourquoi vous attrister d'une faute lgre qu'on vous attribue? ft-elle
-plus grave, vous ne devriez pas en tre mu.
-
-Laissez donc tomber cela; ce n'est pas une chose nouvelle, ni la
-premire fois que vous l'prouvez, et ce ne sera pas la dernire, si
-vous vivez longtemps.
-
-Vous avez assez de courage quand il ne vous arrive rien de fcheux.
-
-Vous savez mme conseiller bien les autres, et les fortifier par vos
-discours; mais lorsqu'il vous survient une affliction soudaine, vous
-manquez de conseil et de force.
-
-Considrez votre extrme fragilit, dont vous avez si souvent
-l'exprience dans les plus petites choses: et toutefois Dieu le permet
-ainsi pour votre salut.
-
-2. Bannissez de votre coeur, autant que vous le pourrez, tout ce qui le
-trouble. A-t-il t surpris, qu'il ne se laisse point abattre, mais
-qu'il se dgage sur-le-champ.
-
-Souffrez au moins avec patience, si vous ne pouvez souffrir avec joie.
-
-Lorsque vous tes pein d'entendre certaines choses, et que vous en
-ressentez de l'indignation, modrez-vous, et veillez ce qu'il ne vous
-chappe aucune parole trop vive qui scandalise les faibles.
-
-Votre motion s'apaisera bientt, et le retour de la grce adoucira
-l'amertume intrieure.
-
-Je suis toujours vivant, dit le Seigneur, pour vous secourir et vous
-consoler plus que jamais, si vous mettez en moi votre confiance, et si
-vous m'invoquez avec ferveur.
-
-3. Armez-vous de constance, et prparez-vous souffrir encore
-davantage.
-
-Tout n'est pas perdu, quoique souvent vous soyez dans le trouble et
-tent violemment.
-
-Vous tes un homme, et non pas un Dieu; vous tes de chair, et non pas
-un ange.
-
-Comment pourriez-vous toujours vous maintenir dans un gal degr de
-vertu, lorsque cette persvrance a manqu l'Ange dans le ciel, et au
-premier homme dans le paradis?
-
-C'est moi qui soutiens et qui dlivre ceux qui gmissent; et j'lve
-jusqu' moi ceux qui reconnaissent leur infirmit.
-
-4. LE F. Seigneur, que votre parole soit bnie; _elle m'est plus douce
-que le miel ma bouche_[536].
-
- [536] Ps. XVIII, 10.
-
-Que ferais-je au milieu de tant d'afflictions et d'angoisses, si vous ne
-me ranimiez par vos saintes paroles?
-
-Pourvu que je parvienne enfin au port du salut, que m'importe que je
-souffre, et combien je souffre?
-
-Accordez-moi une bonne fin; donnez-moi de passer heureusement de ce
-monde l'autre.
-
-Souvenez-vous de moi, mon Dieu, et conduisez-moi dans la voie droite
-vers votre royaume. Ainsi soit-il.
-
-
-RFLEXION.
-
- Ce n'est pas assez d'tre patient avec les autres, il faut l'tre
- encore avec soi-mme. Ce je ne sais quoi d'aigre et de violent que
- nous ressentons en nous aprs avoir commis quelque faute, vient plutt
- de l'orgueil humili, que d'un repentir selon Dieu. L'homme humble qui
- connat sa faiblesse, ne s'tonne point de tomber; il gmit de sa
- chute, en implore le pardon, et se relve tranquille, pour combattre
- avec un courage nouveau. Faillir est un mal sans doute, mais se
- troubler n'est qu'un mal de plus. Le trouble a sa source ou dans une
- sorte de dpit superbe de se trouver si infirme, ou dans le dfaut de
- confiance en celui _qui gurit notre infirmit_[537]. _Veillez et
- priez, afin que vous n'entriez point en tentation_[538]; et si, la
- tentation survenant, il arrive que vous succombiez, veillez et priez
- davantage encore: mais ne perdez jamais la paix, car notre Dieu est
- _le Dieu de la paix[539], et c'est dans la paix qu'il nous
- appelle_[540]. _Que la grce, la misricorde et la paix de Dieu le
- Pre et de notre Seigneur Jsus-Christ_[541], soient donc avec nous
- toujours et qu'elles nous conduisent, travers les preuves du temps,
- aux joies de l'ternit.
-
- [537] Ps. CII, 3.
-
- [538] Matth., XXVI, 41.
-
- [539] I. Cor., XIV, 33.
-
- [540] _Ibid._, VII, 15.
-
- [541] I. Tim., I, 2.
-
-
-
-
-CHAPITRE LVIII.
-
-Qu'il ne faut pas chercher pntrer ce qui est au-dessus de nous, ni
-sonder les secrets jugements de Dieu.
-
-
-1. J.-C. Mon fils, gardez-vous de disputer sur des sujets trop hauts, et
-sur les jugements cachs de Dieu: pourquoi l'un est abandonn, tandis
-qu'un autre reoit des grces si abondantes; pourquoi celui-ci n'a que
-des afflictions, et celui-l est combl d'honneurs.
-
-Tout cela est au-dessus de l'esprit de l'homme, et nulle raison ne peut,
-quels que soient ses efforts, pntrer les jugements divins.
-
-Quand donc l'ennemi vous suggre de semblables penses, ou que les
-hommes vous pressent de questions curieuses, rpondez par ces paroles du
-Prophte: _Vous tes juste, Seigneur, et vos jugements sont
-droits_[542].
-
- [542] Ps. CXIII, 137.
-
-2. Et encore: _Les jugements du Seigneur sont vrais et se justifient par
-eux-mmes_[543].
-
-Il faut craindre mes jugements, et non les approfondir, parce qu'ils
-sont incomprhensibles l'intelligence humaine.
-
- [543] Ps. XVIII, 9.
-
-Ne disputez pas non plus des mrites des Saints, ne recherchez point si
-celui-ci est plus saint que cet autre, ni quel est le plus grand dans le
-royaume des cieux.
-
-Ces recherches produisent souvent des diffrends et des contestations
-inutiles; elles nourrissent l'orgueil et la vaine gloire, d'o naissent
-des jalousies et des dissensions; celui-ci prfrant tel Saint, celui-l
-tel autre, et voulant qu'il soit le plus lev.
-
-L'examen de pareilles questions, loin d'apporter aucun fruit, dplat
-aux Saints. _Car je ne suis point un Dieu de dissension, mais de
-paix_[544]; et cette paix consiste plus s'humilier sincrement qu'
-s'lever.
-
- [544] I. Cor., XIV, 33.
-
-3. Quelques-uns ont un zle plus ardent, une affection plus vive pour
-quelques Saints que pour d'autres; mais cette affection vient plutt de
-l'homme que de Dieu.
-
-C'est moi qui ai fait tous les Saints, moi qui leur ai donn la grce,
-moi qui leur ai distribu la gloire.
-
-Je sais les mrites de chacun: _Je les ai prvenus de mes plus douces
-bndictions_[545].
-
- [545] Ps. XX, 3.
-
-Je les ai connus et aims avant tous les sicles: _je les ai choisis du
-milieu du monde_[546] et ce ne sont pas eux qui m'ont choisi les
-premiers.
-
- [546] Joann., XV, 19
-
-Je les ai appels par ma grce, je les ai attirs par ma misricorde, et
-conduits travers des tentations diverses.
-
-J'ai rpandu en eux d'ineffables consolations: je leur ai donn de
-persvrer, et j'ai couronn leur patience.
-
-4. Je connais le premier et le dernier, et je les embrasse tous dans mon
-amour immense.
-
-C'est moi qu'on doit louer dans tous mes Saints; moi qu'on doit bnir
-au-dessus de tout et honorer en chacun de ceux que j'ai ainsi levs
-dans la gloire et prdestins, sans aucuns mrites prcdents de leur
-part.
-
-Celui donc qui mprise le plus petit des miens, n'honore pas le plus
-grand, parce que j'ai fait le petit et le grand.
-
-Et quiconque rabaisse quelqu'un de mes Saints, me rabaisse moi-mme, et
-tous ceux qui sont dans le royaume des cieux.
-
-Tous ne sont qu'un par le lien de la charit: ils n'ont tous qu'un mme
-sentiment, une mme volont, et sont tous unis par le mme amour.
-
-5. Et ce qui est plus parfait encore, ils m'aiment plus qu'ils ne
-s'aiment, plus que tous leurs mrites.
-
-Ravis au-dessus d'eux-mmes, au-dessus de leur propre amour, ils se
-plongent et se perdent dans le mien, et s'y reposent dlicieusement.
-
-Rien ne saurait partager leur coeur, ni le dtourner vers un autre
-objet; parce que, remplis de la vrit ternelle, ils brlent d'une
-charit qui ne peut s'teindre.
-
-Que les hommes ensevelis dans la chair et ses convoitises, les hommes
-qui ne savent aimer que les joies exclusives, cessent donc de discourir
-sur l'tat des Saints. Ils retranchent et ils ajoutent, suivant leur
-inclination, et non pas selon que l'a rgl la vrit ternelle.
-
-6. En plusieurs, c'est ignorance, et surtout en ceux qui, peu clairs
-de la lumire divine, aiment rarement quelqu'un d'un amour parfait et
-purement spirituel.
-
-Une inclination naturelle et une affection tout humaine les attire vers
-tel ou tel Saint; et ils transportent dans le ciel les sentiments de la
-terre.
-
-Mais il y a une distance infinie entre les penses des hommes imparfaits
-et ce que la lumire d'en haut dcouvre ceux qu'elle claire.
-
-7. Gardez-vous donc, mon fils, de raisonner curieusement sur ces choses
-qui passent votre intelligence: travaillez plutt avec ardeur obtenir
-une place, ft-ce la dernire, dans le royaume de Dieu.
-
-Et quand quelqu'un saurait qui des Saints est le plus parfait et le plus
-grand dans le royaume cleste, que lui servirait cette connaissance,
-s'il n'en tirait un nouveau motif de s'humilier devant moi, et de me
-louer davantage?
-
-Celui qui pense la grandeur de ses pchs, son peu de vertu, qui
-considre combien il est loign de la perfection des Saints, se rend
-plus agrable Dieu, que celui qui dispute sur le degr plus ou moins
-lev de leur gloire.
-
-Il vaut mieux prier les Saints avec larmes et avec ferveur, et implorer
-humblement leurs glorieux suffrages, que de chercher vainement
-pntrer le secret de leur tat dans le ciel.
-
-8. Ils sont heureux, contents: qu'avons-nous besoin d'en savoir plus, et
-n'est-ce pas assez pour rprimer tous nos vains discours?
-
-Ils ne se glorifient point de leurs mrites, parce qu'ils ne
-s'attribuent rien de bon, mais qu'ils attribuent tout moi, qui leur ai
-tout donn par une charit infinie.
-
-Ils sont remplis d'un si grand amour de la Divinit, d'une joie si
-surabondante, que comme il ne manque rien leur gloire, rien ne peut
-manquer leur flicit.
-
-Plus ils sont levs dans la gloire, plus ils sont humbles en eux-mmes:
-et leur humilit me les rend plus chers, et les unit plus troitement
-moi.
-
-C'est pourquoi il est crit: _Qu'ils dposaient leurs couronnes au pied
-du trne de Dieu, qu'ils se prosternaient devant l'Agneau, et qu'ils
-adoraient celui qui vit dans les sicles des sicles_[547].
-
- [547] Apoc., IV, 10; V, 14.
-
-9. Plusieurs recherchent _qui est le premier dans le royaume de
-Dieu_[548]; lesquels ignorent s'ils seront dignes d'tre compts parmi
-les derniers.
-
- [548] Matth., XVIII, 1.
-
-C'est quelque chose de grand, d'tre le plus petit dans le ciel, o tous
-sont grands: parce que tous seront appels et seront en effet les
-enfants de Dieu.
-
-_Le moindre des lus sera comme le chef d'un peuple nombreux_, tandis
-que _le pcheur, aprs une longue vie, ne trouvera que la mort_[549].
-
- [549] Is., LX, 22; LXV, 20.
-
-Ainsi, quand mes disciples demandrent qui serait le plus grand dans le
-royaume des cieux, ils entendirent cette rponse:
-
-_Si vous ne vous convertissez et ne devenez comme de petits enfants,
-vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. Celui donc qui se fera
-petit comme cet enfant, sera le plus grand dans le royaume des
-cieux_[550].
-
- [550] Matth., XVIII, 4.
-
-Malheur ceux qui ddaignent de s'abaisser avec les petits, parce que
-la porte du ciel est basse, et qu'ils n'y pourront passer.
-
-_Malheur aussi aux riches qui ont ici leur consolation_[551], parce que,
-quand les pauvres entreront dans le royaume de Dieu, ils demeureront
-dehors poussant des hurlements.
-
- [551] Luc., VI, 24.
-
-Humbles, rjouissez-vous; pauvres, tressaillez d'allgresse, _parce que
-le royaume de Dieu est vous_[552], si cependant vous marchez dans la
-vrit.
-
- [552] _Ibid._, 20.
-
-
-RFLEXION.
-
- C'est une grande misre que le penchant qu'ont les hommes
- s'inquiter de mille vaines questions, tandis qu' peine songent-ils
- aux vrits les plus importantes. Ils veulent tout savoir, except la
- seule chose indispensable. Leur orgueil se complat dans des
- spculations presque toujours dangereuses, ou au moins striles pour
- le salut. En s'efforant de pntrer des mystres impntrables, ils
- s'garent dans leurs penses, et ne saisissent que l'erreur, au moment
- mme o ils croient ravir Dieu son secret. Voil le fruit des
- travaux dont ils se consument sous le soleil. Ah! qu'il y a de
- profondeur et de vritable science de l'homme, dons ce conseil du
- Sage: _Ne recherchez point ce qui est au-dessus de vous, et ne scrutez
- point ce qui est plus fort que vous; mais pensez sans cesse ce que
- Dieu vous prescrit, et gardez-vous de sonder curieusement toutes ses
- oeuvres: car il ne vous est pas ncessaire de voir de vos yeux ce qui
- est cach_[553]. Songeons nous-mmes, nos devoirs, au compte
- rigoureux qu'il nous faudra rendre de nos oeuvres et de nos paroles.
- Il y a bien l de quoi nous occuper et remplir tout notre temps: il ne
- nous est donn que pour cela.
-
- [553] Eccles., III, 22, 23.
-
-
-
-
-CHAPITRE LIX.
-
-Qu'on doit mettre toute son esprance et toute sa confiance en Dieu
-seul.
-
-
-1. LE F. Seigneur, quelle est ma confiance en cette vie, et ma plus
-grande consolation au milieu de tout ce qui s'offre mes regards sous
-le ciel?
-
-N'est-ce pas vous, Seigneur mon Dieu, dont la misricorde est infinie?
-
-O ai-je t bien sans vous? et avec vous, o ai-je pu tre mal?
-
-J'aime mieux tre pauvre cause de vous, que riche sans vous.
-
-J'aime mieux tre avec vous voyageur sur la terre, que de possder le
-ciel sans vous. O vous tes, l est le ciel; et la mort et l'enfer sont
-o vous n'tes pas.
-
-Vous tes tout mon dsir: et c'est pourquoi je ne puis, loin de vous,
-que soupirer, gmir, prier.
-
-Je ne puis me confier pleinement qu'en vous, ni esprer dans mes besoins
-de secours que de vous seul, mon Dieu!
-
-Vous tes mon esprance, ma confiance, mon consolateur toujours fidle.
-
-2. _Tous cherchent leur intrt_[554]; vous seul vous ne cherchez que
-mon salut et mon avancement, et vous disposez tout pour mon bien.
-
- [554] Philipp, II, 21.
-
-Mme quand vous m'exposez beaucoup de tentations et de peines, c'est
-encore pour mon avantage; car vous avez coutume d'prouver ainsi ceux
-qui vous sont chers.
-
-Et je ne dois pas moins vous aimer ni vous louer dans ces preuves, que
-si vous me remplissiez des plus douces consolations.
-
-3. C'est donc en vous, Seigneur mon Dieu, que je mets toute mon
-esprance et tout mon appui; c'est dans votre sein que je dpose toutes
-mes afflictions et toutes mes angoisses; car je ne trouve que faiblesse
-et inconstance dans tout ce que je vois hors de vous.
-
-Il n'est point d'amis qui puissent me servir, point de protecteurs qui
-me soient de secours, ni de sages qui me donnent un conseil utile, ni de
-livre qui me console, ni de trsor assez grand pour me racheter, ni de
-lieu assez secret pour m'offrir un sr asile, si vous ne daignez
-vous-mme me secourir, m'aider, me fortifier, me consoler, m'instruire
-et me prendre sous votre garde.
-
-4. Car tout ce qui semble devoir procurer la paix et le bonheur, n'est
-rien sans vous, et rellement ne sert de rien pour rendre heureux.
-
-Vous tes donc le principe et le terme de tous les biens, la plnitude
-de la vie, la source inpuisable de toute lumire et de toute parole; et
-la plus grande consolation de vos serviteurs est d'esprer uniquement en
-vous.
-
-Mes yeux sont levs vers vous; en vous je mets toute ma confiance, mon
-Dieu, pre des misricordes.
-
-Sanctifiez mon me, bnissez-la de votre cleste bndiction, afin
-qu'elle devienne votre demeure sainte, le sige de votre ternelle
-gloire, et que, dans ce temple o vous ne ddaignez pas d'habiter, il
-n'y ait rien qui offense vos regards.
-
-_Regardez-moi, Seigneur, dans votre immense bont; et, selon l'abondance
-de vos misricordes_[555], exaucez la prire de votre serviteur
-misrable, exil loin de vous dans la rgion des tnbres et de la mort.
-
- [555] Ps. LXVIII, 16, 17.
-
-Protgez et conservez l'me de votre pauvre serviteur au milieu des
-dangers de cette vie corruptible; que votre grce l'accompagne et le
-conduise par le chemin de la paix, dans la patrie de l'ternelle
-lumire. Ainsi soit-il.
-
-
-RFLEXION.
-
- Quand on a tout parcouru, tout entendu, tout vu, il faut en revenir
- cette parole qui renferme toute sagesse et toute perfection: DIEU
- SEUL. Considrez, disait un humble religieux de saint Franois, des
- mille millions de cratures plus parfaites que celles qui sont
- prsent, tant dans les voies de la nature que dans les voies de la
- grce. Ritrez l'infini votre multiplication, et comparez ensuite
- ces cratures si parfaites au grand Dieu des ternits; dans cette
- vue, elles deviennent rien. Je prenais, ajoutait-il, un grand
- plaisir dans cette multiplication; et de voir qu'en mme temps que
- l'tre de Dieu paraissait, ces cratures qui se montraient si
- excellentes et si pleines de gloire, se retiraient d'une rapidit
- incroyable dans leur centre qui est le nant. Et voyant que le grand
- Dieu tait en moi, et plus en moi que je n'y tais moi-mme, j'en
- ressentais une joie inexplicable, et je ne pouvais comprendre comment
- il tait possible d'avoir Dieu en soi et partout au dehors de soi, et
- de s'occuper des cratures. J'tais ravi qu'il ft seul ternel, seul
- immuable, seul infini, et je vous dis en vrit, qu'en disant: _En mon
- Dieu tout est Dieu_, ma volont tait touche d'un si grand et si
- ardent amour, qu'il me semblait que tout l'tre cr disparaissait
- devant moi, et qu' jamais je ne serais plus occup que de Dieu seul.
- Je ne puis expliquer l'infinie jubilation de mon coeur la vue de ses
- immenses perfections: mais voyant ses grandeurs incomprhensibles, et
- d'autre part mon nant avec toutes les misres qui l'accompagnent,
- j'allais de l'infini l'infini, et je me trouvais incapable, de
- l'infini l'infini, de l'aimer comme je l'aurais voulu, ce qui me
- faisait souffrir innarrablement; car plus je me trouvais impuissant
- l'aimer d'un amour rciproque, plus un secret amour me dvorait
- intrieurement. Alors j'allais cherchant des secrets dans ma bassesse,
- comme navr et enivr d'amour, ne connaissant pas ce que je faisais:
- et, chose trange, dans ce travail de l'me, ces saillies de l'infini
- en perfection l'infini de ma bassesse, m'taient autant de feux
- d'amour qui me consumaient de leurs ardeurs[556].
-
- [556] L'homme intrieur, ou la Vie du vnrable pre Jean-Chysostome,
- religieux pnitent du tiers-ordre de Saint Franois; pag. 158, 175,
- 176.
-
-
-FIN DU TROISIME LIVRE.
-
-
-
-
-L'IMITATION
-
-DE
-
-JSUS-CHRIST.
-
-
-
-
-LIVRE QUATRIME.
-
-DU SACREMENT DE L'EUCHARISTIE.
-
-
-
-
-EXHORTATION
-
- LA SAINTE COMMUNION.
-
-
-VOIX DE JSUS-CHRIST.
-
-1. J.-C. _Venez moi, vous tous qui tes puiss de travail et qui tes
-chargs, et je vous soulagerai_[557].
-
- [557] Matth., XI, 28.
-
-_Le pain que je donnerai, c'est ma chair_, que je donnerai _pour la vie
-du monde_[558].
-
- [558] Joann., VI, 52.
-
-_Prenez et mangez: ceci est mon corps, qui sera livr pour vous. Faites
-ceci en mmoire de moi_[559].
-
- [559] Luc., XXII, 19. I. Cor., XI, 24.
-
-_Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure en moi et moi en
-lui_[560].
-
- [560] Joann., VI, 57.
-
-_Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie_[561].
-
- [561] _Ibid._, 64.
-
-
-RFLEXION.
-
- Nous voyons ici l'accomplissement des promesses divines, des
- esprances du genre humain, des figures et des prophties de
- l'ancienne Loi. Le sacrifice rel, celui qui opre jamais la
- rconciliation de l'homme avec Dieu, succde aux sacrifices
- symboliques et sans efficacit. La vritable Pque est immole[562],
- la manne cleste nourrit dsormais, non plus seulement le peuple
- d'Isral, mais tous les peuples de l'alliance nouvelle, tous les vrais
- enfants du Pre des croyants. l'exemple du _Roi de Paix[563], le
- Pontife ternel selon l'ordre de Melchisedech_[564], offre au
- Trs-Haut le pain et le vin, _le pain vivant descendu du Ciel_[565]:
- _et le pain qu'il donne est sa chair_[566], et le vin est son sang; et
- _en vrit, moins qu'on ne mange la chair, et qu'on ne boive le sang
- du Fils de l'homme, on n'aura point la vie en soi_[567]: _car ma
- chair_, il le dit lui-mme, _est vraiment une viande, et mon sang un
- breuvage: celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et
- moi en lui_[568]: _voil le pain descendu du Ciel: qui mange ce pain
- vivra ternellement_[569]. Il n'y a point hsiter; ce langage est
- clair; il faut se soumettre, il faut dire: Je crois; Seigneur,
- augmentez ma foi[570]. Et qu'avaient annonc les Prophtes? _Les
- pauvres mangeront et seront rassassis, et leur me vivra
- ternellement. Tous les riches de la terre ont mang et ont ador:
- tous ceux qui habitent la terre se prosterneront en sa prsence_[571].
- Et nous aussi, dans l'inbranlable fermet de notre foi, mangeons et
- adorons; rassasions-nous de celle chair, abreuvons-nous de ce sang,
- qui nous transforme en Jsus-Christ mme. Victime d'un prix
- inestimable, il acquitte volontairement notre dette envers la justice
- divine, et pour nous appliquer, sans rserve et sans mesure, la vertu
- de son sacrifice, il unit sa chair notre chair, son me notre me,
- de sorte que, par celle ineffable union, _nous sommes remplis de la
- divinit dont la plnitude habite en lui corporellement_[572].
- Prodigieux mystre d'amour! _L'homme a mang le pain des anges_[573].
- Et comment? parce que le Verbe de Dieu qui nourrit, dit saint
- Augustin, de sa substance incorruptible les anges incorruptibles,
- s'est fait chair, et a habit parmi nous[574]. Comme donc la crature
- spirituelle se nourrit du Verbe, qui est son aliment par excellence;
- et comme l'me humaine, spirituelle aussi, mais, en punition du pch,
- charge des liens de la mortalit, a t abaisse de telle sorte,
- qu'il faut qu'elle s'efforce d'atteindre par les conjectures des
- choses visibles, l'intelligence des choses invisibles: l'aliment
- spirituel de la crature a t fait visible, non par un changement de
- sa nature, mais relativement la ntre, afin qu'en cherchant ce qui
- est visible, nous fussions rappels au Verbe invisible[575].
- Chrtiens, allez au banquet sacr, approchez-vous de cette table o
- Jsus-Christ tout entier se livre vous, o le Verbe divin se fait
- lui-mme votre aliment incomprhensible: _Prenez et mangez le
- vritable pain du Ciel_[576]. L est l'esprance, la vie, la dernire
- preuve de la foi, la consommation de l'amour.
-
- [562] I. Cor., V, 7.
-
- [563] Gen., XIV, 18.
-
- [564] Ps. CIX, 4.
-
- [565] Joann., VI, 51.
-
- [566] _Ibid._, 52.
-
- [567] _Ibid._, 54.
-
- [568] _Ibid._, 56, 57.
-
- [569] _Ibid._, 59.
-
- [570] Luc., XVII, 5.
-
- [571] Ps. LIX, 21, 27, 30.
-
- [572] Coloss, II, 9, 10.
-
- [573] Ps. LXXVII, 25.
-
- [574] S. Aug., Enarrat. in Ps. LXXVI, c. 17.
-
- [575] Aug., De liber. arbitr., libr. III, cap. 30.
-
- [576] Luc., XXII, 10. Joann., VI, 33.
-
-
-
-
-CHAPITRE PREMIER.
-
-Avec quel respect il faut recevoir Jsus.
-
-
-VOIX DU DISCIPLE.
-
-1. LE F. Ce sont l vos paroles, Jsus, vrit ternelle! quoiqu'elles
-n'aient pas t dites dans le mme temps, et qu'elles ne soient pas
-crites dans le mme lieu.
-
-Et puisqu'elles viennent de vous, et qu'elles sont vritables, je dois
-les recevoir toutes avec une foi pleine de reconnaissance.
-
-Elles sont de vous, car c'est vous qui les avez dites; mais elles sont
-aussi moi, parce que vous les avez dites pour mon salut.
-
-Je les reois avec joie de votre bouche, afin qu'elles se gravent
-profondment dans mon coeur.
-
-Ces paroles pleines de tant de bont, de tendresse et d'amour,
-m'animent; mais la pense de mes crimes m'effraie, et ma conscience
-impure m'loigne d'un mystre si saint.
-
-La douceur de vos paroles m'attire, mais le poids de mes pchs me
-retient.
-
-2. Vous m'ordonnez d'aller vous avec confiance, si je veux _avoir part
-avec vous_; et de me nourrir du pain de l'immortalit, si je veux
-obtenir la vie et la gloire ternelle.
-
-Venez, dites-vous, _venez moi vous tous qui souffrez et qui tes
-oppresss, et je vous ranimerai_[577].
-
- [577] Matth., XI, 28.
-
- douce et aimable parole l'oreille d'un pcheur! vous invitez,
-Seigneur mon Dieu, le pauvre et l'indigent la participation de votre
-corps sacr.
-
-Mais qui suis-je, Seigneur, pour oser m'approcher de vous?
-
-_Voil que les Cieux des cieux ne peuvent vous contenir_[578], et vous
-dites: _Venez tous moi_.
-
- [578] I. Reg., VIII, 27.
-
-3. D'o vient cette misricordieuse condescendance, une si tendre
-invitation?
-
-Comment oserai-je aller vous, moi qui ne sens en moi-mme aucun bien
-qui puisse me donner quelque confiance?
-
-Comment vous recevrai-je en ma maison, moi qui ai si souvent outrag
-votre bont?
-
-Les Anges et les Archanges vous adorent en tremblant, les Saints et les
-Justes sont saisis de frayeur; et vous dites: _Venez tous moi!_
-
-Si ce n'tait vous qui le dites, Seigneur, qui pourrait le croire?
-
-Et si vous n'ordonniez vous-mme d'approcher de vous, qui en aurait
-l'audace?
-
-4. No, cet homme juste, travailla cent ans construire l'arche, pour
-se sauver avec peu de personnes: et moi, comment pourrai-je, en une
-heure, me prparer recevoir dignement le Crateur du monde?
-
-Mose, le plus grand de vos serviteurs, pour qui vous tiez comme un
-ami, fit une arche d'un bois incorruptible, qu'il revtit d'un or
-trs-pur, afin d'y dposer les tables de la loi: et moi, vile crature,
-j'oserai recevoir si facilement le fondateur de la loi et l'auteur de la
-vie?
-
-Salomon, le plus sage des rois d'Isral, employa sept ans lever un
-temple magnifique la gloire de votre nom: il clbra, pendant huit
-jours, la fte de sa ddicace; il offrit mille hosties pacifiques, et,
-au son des trompettes, au milieu des cris de joie, il plaa
-solennellement l'arche d'alliance dans le lieu qui lui tait prpar.
-
-Et moi, misrable que je suis et le plus pauvre des hommes, comment vous
-introduirai-je dans ma maison, moi qui sais peine employer pieusement
-une demi-heure? Et plt Dieu que j'eusse une seule fois employ
-dignement un moindre temps encore!
-
-5. mon Dieu, que n'ont point fait ces saints hommes pour vous plaire,
-et combien, hlas! ce que je fais est peu! combien est court le temps
-que je consacre me prparer la communion!
-
-Rarement suis-je bien recueilli; plus rarement suis-je libre de toute
-distraction.
-
-Et certes, en votre divine et salutaire prsence, nulle pense profane
-ne devrait s'offrir mon esprit, nulle crature ne devrait l'occuper:
-car ce n'est pas un ange, mais le Seigneur des anges que je dois
-recevoir en moi.
-
-6. Quelle distance infinie d'ailleurs entre l'arche d'alliance avec ce
-qu'elle renfermait, et votre corps trs-pur avec ses ineffables vertus;
-entre les sacrifices de la loi, figure du sacrifice venir, et la
-vritable hostie de votre corps, accomplissement de tous les anciens
-sacrifices!
-
-7. Pourquoi donc ne suis-je pas plus enflamm en votre adorable
-prsence?
-
-Pourquoi n'ai-je pas soin de me mieux prparer la participation de vos
-saints mystres; lorsque ces antiques patriarches, ces saints prophtes,
-et ces rois, et ces princes avec tout leur peuple, ont montr tant de
-zle pour le culte divin?
-
-8. David, ce roi si pieux, fit clater ses transports par des danses
-religieuses devant l'arche, se souvenant des bienfaits que Dieu avait
-rpandus sur ses pres; il fit faire divers instruments de musique, il
-composa des psaumes que le peuple chantait avec allgresse, selon ce
-qu'il avait ordonn, et, anim de l'Esprit saint, souvent il les chanta
-lui-mme sur sa harpe; il apprit aux enfants d'Isral louer Dieu de
-tout leur coeur, et unir chaque jour leurs voix pour le clbrer et le
-bnir.
-
-Si la vue de l'arche d'alliance inspirait tant de ferveur, tant de zle
-pour les louanges de Dieu, quel respect, quel amour ne doit pas
-m'inspirer, et tout le peuple chrtien, la prsence de votre
-sacrement, Jsus, et la rception de votre corps adorable?
-
-9. Plusieurs courent en divers lieux pour visiter les reliques des
-Saints; ils coutent avidement le rcit de leurs actions; ils admirent
-les vastes temples btis en leur honneur, et baisent leurs os sacrs,
-envelopps dans l'or et la soie.
-
-Et voil que vous-mme, mon Dieu, vous tes ici prsent devant moi sur
-l'autel, vous, le Saint des saints, le Crateur des hommes, le Roi des
-anges!
-
-Souvent c'est la curiosit, le dsir de voir des choses nouvelles, qui
-fait entreprendre ces plerinages; et de l vient que, guid par ce
-motif frivole, sans vritable contrition, on en tire peu de fruit pour
-la rforme des moeurs.
-
-Mais ici, dans le sacrement de l'autel, vous tes prsent tout entier,
-Christ Jsus, vrai Dieu et vrai homme; et toutes les fois qu'on vous
-reoit dignement et avec ferveur, on recueille en abondance les fruits
-du salut ternel.
-
-Ce n'est pas la lgret, ni la curiosit, ni l'attrait des sens, qui
-conduit ce banquet sacr; mais une foi ferme, une vive esprance, une
-charit sincre.
-
-10. Dieu crateur invisible du monde, que vous tes admirable dans ce
-que vous faites pour nous! avec quelle bont, quelle tendresse vous
-veillez sur vos lus, vous donnant vous-mme eux pour nourriture dans
-votre Sacrement!
-
-C'est l ce qui surpasse toute intelligence; ce qui, plus qu'aucune
-autre chose, attire vous les coeurs pieux et enflamme leur amour.
-
-Car vos vrais fidles, occups toute leur vie de se corriger, puisent
-dans la frquente rception de cet auguste Sacrement une merveilleuse
-ferveur et un zle ardent pour la vertu.
-
-11. grce admirable et cache du Sacrement, connue des seuls fidles
-serviteurs de Jsus-Christ! car les serviteurs infidles, asservis au
-pch, ne peuvent en ressentir l'influence.
-
-La grce de l'Esprit saint est donne dans ce Sacrement; il rpare les
-forces de l'me, et lui rend sa beaut premire, que le pch avait
-efface.
-
-Telle est quelquefois la puissance de cette grce et la ferveur qu'elle
-inspire, que non-seulement l'esprit, mais le corps languissant, en
-reoit une vigueur nouvelle.
-
-12. Et c'est pourquoi nous devons dplorer avec amertume la tideur et
-la ngligence qui affaiblissent en nous le dsir de recevoir
-Jsus-Christ, unique esprance des lus et leur seul mrite.
-
-Car c'est lui qui nous sanctifie et qui nous a rachets; il est la
-consolation de ceux qui voyagent sur la terre, et l'ternelle flicit
-des Saints.
-
-Combien donc ne doit-on pas gmir de ce que plusieurs montrent tant
-d'indiffrence pour ce sacr mystre, qui est la joie du ciel et le
-salut du monde!
-
- aveuglement! duret du coeur humain, d'tre si peu touch de ce don
-ineffable, qui semble perdre de son prix mesure qu'on en use
-davantage!
-
-13. Si cet adorable Sacrement ne s'accomplissait qu'en un seul lieu, et
-qu'un seul prtre, dans le monde entier, consacrt l'hostie sainte, avec
-quelle ardeur les hommes n'accourraient-ils pas en ce lieu, vers ce
-prtre unique, pour voir clbrer les saints mystres?
-
-Mais il y a plusieurs prtres, et le Christ est offert en plusieurs
-lieux, afin que la misricorde et l'amour de Dieu pour l'homme clatent
-d'autant plus, que la sainte communion est plus rpandue dans le monde.
-
-Je vous rends grces, Jsus, pasteur ternel, qui, dans notre exil et
-notre indigence, daignez nous nourrir de votre corps et de votre sang
-prcieux, et nous inviter, de votre propre bouche, la participation de
-ces sacrs mystres, disant: _Venez moi, vous tous qui portez votre
-fardeau avec travail, et je vous soulagerai_[579].
-
- [579] Matth., XI, 28.
-
-
-RFLEXION.
-
- Tout ce qu'offrait de plus grand, de plus imposant, de plus saint, le
- culte de l'ancienne alliance, n'tait qu'une lgre ombre des mystres
- de l'Homme-Dieu. David clbre avec pompe le retour de l'arche
- Jrusalem: mais cette arche tait vide, elle ne renfermait pas le
- Sauveur du genre humain. Salomon btit un temple magnifique; il en
- fait, en prsence du peuple saisi de respect, la ddicace solennelle;
- des victimes sans nombre sont immoles; mais ces victimes, qu'est-ce?
- de vils animaux dont le sang ne peut apaiser la souveraine Justice. Le
- monde demeurait dans l'attente du salut annonc, lorsque voil qu'au
- moment prdit, s'accomplissent _les promesses aperues et salues de
- loin par les Patriarches, durant leur plerinage sur la terre_[580].
- _Le dsir des nations_[581], _le Dominateur, l'Ange de
- l'alliance_[582], _celui dont le nom est JEHOVAH_[583], _vient dans
- son temple_[584], et le vrai sacrifice de propitiation remplace
- jamais les sacrifices figuratifs[585]. Au fond du tabernacle, sous les
- voiles du sanctuaire repose l'Hostie toujours vivante, l'_Agneau de
- Dieu, qui te le pch du monde_[586]. Le mme _qui est assis la
- droite du Pre_[587], est l prsent, et sa voix nous appelle: _Prenez
- et mangez, ceci est mon corps: buvez, ceci est mon sang, le sang de la
- nouvelle alliance, rpandu pour la rmission des pchs_[588].
- _Mangez, mes amis: buvez, enivrez-vous, mes bien-aims_[589]! _vous
- tous qui avez soif, venez la source_[590] _dont les eaux
- rejaillissent dans l'ternelle vie_[591]. Ceux qui, refusant de se
- dsaltrer cette source pure, s'en vont cherchant l'cart _des
- eaux furtives_[592], Dieu leur _prpare un breuvage assoupissant, et
- leurs yeux se ferment. Dans ce sommeil, il leur semble qu'ils ont faim
- et qu'ils mangent, et au rveil leur me est vide. Altrs, ils rvent
- qu'ils boivent, et ils se rveillent pleins de lassitude, et ils ont
- encore soif, et leur me est vide[593]. Venez donc: je suis le pain de
- vie; celui qui vient moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en
- moi n'aura jamais soif_[594]. _Qui mange ma chair et boit mon sang a
- la vie ternelle, et je le ressusciterai au dernier jour_[595].
- Seigneur, je crois et j'adore: mon me, haletante de dsir, s'lance
- vers vous; et puis soudain une grande frayeur l'arrte: car, hlas!
- que suis-je pour oser m'approcher de mon Dieu? Quand je considre mes
- souillures, ma bassesse, ma misre profonde, je n'ai plus qu'un
- sentiment, qu'une parole: _Retirez-vous de moi, parce que je suis un
- homme pcheur[596]. Cependant, Jsus, ce sont les pcheurs que vous
- tes venu appeler, et non pas les justes_[597]. Et c'est pourquoi,
- frappant ma poitrine et implorant votre misricorde, _je me lverai et
- j'irai_[598]: j'irai avec une vive foi, avec un ardent amour, vers _le
- Fils_, le Verbe, _splendeur de la gloire de Dieu, et figure de sa
- substance_[599], vers le Sauveur divin _qui nous purifie de nos
- pchs_[600], qui s'incorpore sa crature, pour l'lever jusqu'
- lui; j'irai, et je dirai: _Seigneur, je ne suis pas digne que vous
- entriez en moi; mais dites seulement un mot, et mon me sera
- gurie_[601].
-
- [580] Hebr., XI, 3.
-
- [581] Agg., II, 8.
-
- [582] Malach., III, 1.
-
- [583] Jr., XXIII, 6.
-
- [584] Malach., III, 1.
-
- [585] _Ibid._ 3.
-
- [586] Joann., I, 29.
-
- [587] Ps. CIX, 1. Hebr., I, 3.
-
- [588] Matth., XXVI, 27, 28.
-
- [589] Cant., V, 1.
-
- [590] Is., LV, 1
-
- [591] Joann., IV, 14.
-
- [592] Prov., IX, 17.
-
- [593] Is., XXIX, 10, 8.
-
- [594] Joann., VI, 35.
-
- [595] _Ibid._, 55.
-
- [596] Luc., V, 8.
-
- [597] Matth., IX, 13.
-
- [598] Luc., XV, 18.
-
- [599] Hebr., I, 3.
-
- [600] _Ibid._
-
- [601] Matth., VIII, 8.
-
-
-
-
-CHAPITRE II.
-
-Combien Dieu manifeste l'homme sa bont et son amour dans le Sacrement
-de l'Eucharistie.
-
-
-VOIX DU DISCIPLE.
-
-1. Plein de confiance en votre bont et votre grande misricorde, je
-m'approche de vous, Seigneur: malade, je viens mon Sauveur; consum de
-faim et de soif, je viens la source de la vie; pauvre, je viens au Roi
-du ciel; esclave, je viens mon Matre; crature, je viens celui qui
-m'a fait; dsol, je viens mon tendre consolateur.
-
-Mais qu'y a-t-il en ce misrable, qui vous porte venir lui? que
-suis-je pour que vous vous donniez vous-mme moi?
-
-Comment un pcheur osera-t-il paratre devant vous? et comment
-daignerez-vous venir vers ce pcheur?
-
-Vous connaissez votre serviteur, et vous savez qu'il n'y a en lui aucun
-bien qui mrite cette grce.
-
-Je confesse donc ma bassesse, je reconnais votre bont, je bnis votre
-misricorde, et je vous rends grces, cause de votre immense charit.
-
-Car c'est pour vous-mme et non pour mes mrites que vous en usez de la
-sorte, afin que je connaisse mieux votre tendresse, et que, embras d'un
-plus grand amour, j'apprenne m'humilier plus parfaitement, votre
-exemple.
-
-Et puisqu'il vous plat ainsi, et que vous l'avez ainsi ordonn, je
-reois avec joie la grce que vous daignez me faire: et puisse mon
-iniquit n'y pas mettre obstacle!
-
-2. tendre et bon Jsus! quel respect, quelles actions de grces,
-quelles louanges perptuelles ne vous devons-nous pas, pour la rception
-de votre sacr Corps, si lev au-dessus de tout ce que peut exprimer le
-langage de l'homme!
-
-Mais que penserai-je en le recevant, en m'approchant de mon Seigneur,
-que je ne puis rvrer autant que je le dois, et que cependant je dsire
-ardemment recevoir?
-
-Quelle pense meilleure et plus salutaire que de m'abaisser profondment
-devant vous, et d'exalter votre bont infinie pour moi?
-
-Je vous bnis, mon Dieu, et je veux vous louer ternellement. Je me
-mprise et me confonds devant vous dans l'abme de mon abjection.
-
-3. Vous tes le Saint des saints, et moi le rebut des pcheurs.
-
-Vous vous inclinez vers moi, qui ne suis pas digne de lever les yeux sur
-vous.
-
-Vous venez moi, vous voulez tre avec moi, vous m'invitez votre
-table. Vous voulez me donner manger un aliment cleste, le pain des
-Anges, qui n'est autre que vous-mme, _ pain vivant, qui tes descendu
-du ciel, et qui donnez la vie au monde_[602]!
-
- [602] Joann., VI, 48, 50, 54.
-
-4. Voil la source de l'amour et le triomphe de votre misricorde. Que
-ne vous doit-on pas d'actions de grces et de louanges pour ce bienfait!
-
- salutaire dessein que celui que vous contes d'instituer votre
-Sacrement! doux et dlicieux banquet, o vous vous donntes vous-mme
-pour nourriture!
-
-Que vos oeuvres sont admirables, Seigneur! que votre puissance est
-grande! que votre vrit est ineffable!
-
-_Vous avez dit, et tout a t fait_[603], et rien n'a t fait que ce
-que vous avez ordonn.
-
- [603] Ps. CXLVIII, 5.
-
-5. Chose merveilleuse, que nul homme ne saurait comprendre, mais que
-tous doivent croire; que vous, Seigneur mon Dieu, vrai Dieu et vrai
-homme, vous soyez contenu tout entier sous la moindre partie des espces
-du pain et du vin, et que, sans tre consum, vous soyez mang par celui
-qui vous reoit.
-
-Souverain matre de l'univers, vous qui, n'ayant besoin de personne,
-avez cependant voulu habiter en nous par votre Sacrement: conservez sans
-tache mon me et mon corps, afin que je puisse plus souvent clbrer vos
-saints mystres, avec la joie d'une conscience pure, et recevoir pour
-mon salut ternel ce que vous avez institu principalement pour votre
-gloire, et pour perptuer jamais le souvenir de votre amour.
-
-6. Rjouis-toi, mon me, et rends grces Dieu d'un don si magnifique,
-d'une si ravissante consolation, qu'il t'a laisse dans cette valle de
-larmes.
-
-Car toutes les fois qu'on clbre ce mystre, et qu'on reoit le corps
-de Jsus-Christ, l'on consomme soi-mme l'oeuvre de sa rdemption, et on
-participe tous les mrites du Christ.
-
-Car la charit de Jsus-Christ ne s'affaiblit jamais, et jamais sa
-propitiation infinie ne s'puise.
-
-Vous devez donc toujours vous disposer cette action sainte par un
-renouvellement d'esprit, et mditer attentivement ce grand mystre de
-salut.
-
-Lorsque vous clbrez le divin sacrifice, ou que vous y assistez, il
-doit vous paratre aussi grand, aussi nouveau, aussi digne d'amour que
-si, ce jour l-mme, Jsus-Christ descendant pour la premire fois dans
-le sein de la Vierge, se faisait homme, ou que, suspendu la croix, il
-souffrt et mourt pour le salut des hommes.
-
-
-RFLEXION.
-
- L'Aptre saint Jean, ravi en esprit dans la Jrusalem cleste, vit, au
- milieu du trne de Dieu, un Agneau comme gorg, et autour de lui les
- sept esprits que Dieu envoie par toute la terre, et vingt-quatre
- vieillards; et ces vieillards se prosternrent devant l'Agneau, tenant
- dans leurs mains des harpes et des coupes pleines de parfums, qui sont
- les prires des saints: et ils chantaient un cantique nouveau la
- louange de celui qui a t mis mort, et qui nous a rachets pour
- Dieu, de toute tribu, de toute langue, de tout peuple, et de toute
- nation: et des myriades d'anges levaient leurs voix, et disaient:
- L'Agneau qui a t gorg est digne de recevoir puissance, dignit,
- sagesse, force, honneur, gloire et bndiction! et toutes les
- cratures qui sont dans le ciel, sur la terre, sous la terre, et dans
- la mer, et tout ce qui est dans ces lieux, disaient: celui qui est
- assis sur le trne et l'Agneau, bndiction, honneur, gloire et
- puissance dans les sicles des sicles[604]! Voici maintenant un autre
- spectacle. Ce mme agneau qui reoit, sur son trne ternel,
- l'adoration des anges et des saints, et qu'environne toute la gloire
- des Cieux, _vient nous plein de douceur_[605], et, voil sous les
- apparences d'un peu de pain, il se donne ses pauvres cratures, pour
- sanctifier notre me, pour la nourrir, et notre corps mme, par
- l'union substantielle de sa chair notre chair, de son sang notre
- sang, s'incarnant, si on peut le dire, de nouveau en chacun de nous,
- et y accomplissant, d'une manire incomprhensible, en se communiquant
- nous selon tout ce qu'il est, le grand sacrifice de la Croix.
- Christ, fils du Dieu vivant, que vos voies sont merveilleuses! et qui
- m'en dveloppera le mystre impntrable? Si je monte jusqu'au Ciel,
- je vous y vois dans le sein du Pre, tout clatant de sa splendeur. Si
- je redescends sur la terre, je vous y vois aussi dans le sein de
- l'homme pcheur, indigent, misrable; attir en quelque sorte et fix
- par l'amour, aux deux termes extrmes de ce qui peut tre conu, dans
- l'infini de la grandeur et dans l'infini de la bassesse; et comme si
- ce n'tait pas assez de venir cet tre dchu quand il vous dsire,
- quand il vous appelle, vous l'appelez vous-mme le premier, vous
- l'appelez avec instance, vous lui dites: _Venez, venez moi, vous
- tous qui souffrez, et je vous soulagerai_[606]: _venez, j'ai dsir
- d'un grand dsir de manger cette Pque avec vous_[607]. C'en est trop,
- Seigneur, c'en est trop; souvenez-vous qui vous tes: ou plutt
- faites, mon Dieu, que je ne l'oublie jamais, et que je m'approche de
- vous comme les anges eux-mmes s'en approchent, en tremblant de
- respect, avec un coeur rempli du sentiment de son indignit, pntr
- de vos misricordes et embras de ce mme amour inpuisable, immense,
- ternel, qui vous porte descendre jusqu' lui!
-
- [604] Apoc., V.
-
- [605] Matth., XXI, 5.
-
- [606] Matth., XI, 28.
-
- [607] Luc., XXII, 15.
-
-
-
-
-CHAPITRE III.
-
-Qu'il est utile de communier souvent.
-
-
-VOIX DU DISCIPLE.
-
-1. Je viens vous, Seigneur, pour jouir de votre don, et goter la joie
-du banquet sacr _que, dans votre tendresse, vous avez, mon Dieu,
-prpar pour le pauvre_[608].
-
- [608] Ps. LXVII, 11.
-
-En vous est tout ce que je puis, tout ce que je dois dsirer; vous tes
-mon salut et ma rdemption, mon esprance et ma force, mon honneur et ma
-gloire.
-
-Rjouissez donc aujourd'hui l'me de votre serviteur, _parce que j'ai
-lev mon me vers vous_[609], Seigneur Jsus.
-
- [609] Ps. LXXXV, 3.
-
-Je dsire maintenant vous recevoir avec un respect plein d'amour; je
-dsire que vous entriez dans ma maison, pour mriter d'tre bni de vous
-comme Zache, et d'tre compt parmi les enfants d'Abraham.
-
-Votre corps, voil l'objet auquel mon me aspire; mon coeur brle d'tre
-uni vous.
-
-2. Donnez-vous moi, et ce don me suffit: car sans vous, rien ne me
-console.
-
-Je ne puis tre sans vous, et je ne saurais vivre si vous ne venez
-moi.
-
-Il faut donc que je m'approche de vous souvent, et que je vous reoive
-comme le soutien de ma vie, de peur que, priv de cette cleste
-nourriture, je ne tombe de dfaillance dans le chemin.
-
-C'est ainsi, misricordieux Jsus, que, prchant aux peuples, et les
-gurissant de diverses langueurs, vous dites un jour: _Je ne veux pas
-les renvoyer jeun dans leurs maisons, de peur que les forces ne leur
-manquent en route_[610].
-
- [610] Matth., XV, 32.
-
-Daignez donc en user de la mme manire avec moi, vous qui avez voulu
-demeurer dans votre Sacrement pour la consolation des fidles.
-
-Car vous tes le doux aliment de l'me; et celui qui vous mange
-dignement aura part l'hritage de la gloire ternelle.
-
-Combien il m'est ncessaire, moi qui tombe et pche si souvent, qui me
-laisse aller si vite la tideur, au dcouragement, de me renouveler,
-de me purifier, de me ranimer, par des prires et des confessions
-frquentes, et par la rception de votre corps sacr; de peur que, m'en
-abstenant trop longtemps, je n'abandonne mes rsolutions.
-
-3. Car _les penchants de l'homme l'inclinent au mal ds l'enfance_[611];
-et s'il n'est soutenu par ce remde divin, il s'y enfonce de plus en
-plus.
-
- [611] Gen., VIII, 21.
-
-La sainte Communion retire du mal, et fortifie dans le bien.
-
-Si donc je suis maintenant si souvent ngligent et tide, quand je
-communie ou que je clbre le saint Sacrifice, que serait-ce si je
-renonais cet aliment salutaire, et si je me privais de ce secours
-puissant?
-
-Ainsi, quoique je ne sois pas tous les jours assez bien dispos pour
-clbrer les divins mystres, j'aurai soin cependant d'en approcher aux
-temps convenables, et de participer une grce si grande.
-
-Car c'est la principale consolation de l'me fidle, _tandis qu'elle
-voyage loin de vous dans un corps mortel_[612], de se souvenir souvent
-de son Dieu, et de recevoir son bien-aim dans un coeur embras d'amour.
-
- [612] I. Cor., V, 6.
-
-4. prodige de votre tendresse pour nous! Vous, Seigneur mon Dieu, qui
-donnez l'tre et la vie tous les esprits, vous daignez venir une
-pauvre me misrable, et avec votre divinit et votre humanit tout
-entire, rassasier sa faim!
-
- heureuse, mille fois heureuse l'me qui peut vous recevoir dignement,
-vous son Seigneur et son Dieu, et goter avec plnitude la joie de votre
-prsence!
-
- qu'il est grand le Seigneur qu'elle reoit! qu'il est aimable l'hte
-qu'elle possde! que le compagnon, l'ami qui se donne elle, est doux
-et fidle! que l'poux qu'elle embrasse est beau! qu'il est noble et
-digne d'tre aim par-dessus tout ce qu'on peut aimer, et tout ce qu'il
-y a de dsirable!
-
-Que le ciel et la terre, dans leur parure magnifique, se taisent devant
-vous, mon bien-aim! car tout ce qu'on admire de beau en eux, ils le
-tiennent de vous, _dont la sagesse n'a point de bornes_[613], et jamais
-ils n'approcheront de votre beaut souveraine.
-
- [613] Ps. CXLVI, 5.
-
-
-RFLEXION.
-
- Autant on doit apporter de soin s'prouver soi-mme, avant de manger
- le pain et de boire le calice du Seigneur[614], autant il faut prendre
- garde ne se pas tenir loign de la Table sainte par un faux respect
- et une crainte excessive. Nous serons toujours, quoi que nous
- fassions, infiniment indignes d'une faveur si haute: nul n'est pur,
- nul n'est saint devant celui qui est la Saintet mme. Mais quand le
- Sauveur nous dit: Venez, il connat notre misre, et c'est pour la
- gurir qu'il nous presse de venir lui. Allons-y donc, non comme le
- Pharisien hypocrite, _en rendant grces Dieu dans notre coeur de
- n'tre pas tel que les autres hommes_[615]: Dieu repousse avec horreur
- cet orgueil d'une conscience qui se dguise elle-mme sa plaie
- secrte; allons-y, mais comme l'humble Publicain, _les yeux baisss
- vers la terre_, frappant notre poitrine, et disant: _Seigneur_, ayez
- piti de moi; _soyez propice ce pauvre pcheur_[616]! Il est
- ncessaire sans doute de se prparer par la pnitence, le
- recueillement, la prire, la communion du corps et du sang de
- Jsus-Christ; mais aprs s'y tre dispos sincrement et de toute son
- me, c'est faire injure au Rdempteur que de refuser ses dons, c'est
- se priver volontairement des grces les plus prcieuses, les plus
- abondantes, les plus saintes, c'est renoncer la vie: car, _si l'on
- ne mange la chair du Fils de l'homme, et si l'on ne boit son sang, on
- n'aura point la vie en soi_[617]. Nous devons aspirer continuellement
- _ce pain descendu du Ciel_[618]; sans cesse, nous devons le
- demander, nous devons nous en nourrir sans cesse, pour qu'il dtruise
- le principe de mort qui est en nous depuis le pch. _Seigneur,
- donnez-nous toujours ce pain_[619]: _ce pain dont vous avez dit_,
- qu'il donne la vie ternelle. C'est ce que disent les Juifs; et ils
- expriment par l le dsir de toute la nature humaine, ou plutt de
- toute la nature intelligente. Elle veut vivre ternellement; elle veut
- ne manquer de rien; en un mot, elle veut tre heureuse. C'est encore
- ce qu'en pensait la Samaritaine, lorsque Jsus lui ayant dit: _
- femme! celui qui boit de l'eau que je donne n'a jamais soif_, elle
- rpond aussitt: _Seigneur, donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie
- jamais soif, et que je ne sois pas oblige venir ici puiser de
- l'eau_[620], dans un puits si profond, avec tant de peine. Encore un
- coup, la nature humaine veut tre heureuse; elle ne veut avoir aucun
- besoin; elle ne veut avoir ni faim, ni soif: aucun dsir remplir:
- aucun travail: aucune fatigue: et cela, qu'est-ce autre chose, sinon
- tre heureuse? Voil ce que veut la nature humaine: voil son fond.
- Elle se trompe dans les moyens: elle a soif des plaisirs des sens:
- elle veut exceller: elle a soif des honneurs du monde. Pour parvenir
- aux uns et aux autres, elle a soif des richesses: sa soif est
- insatiable; elle demande toujours, et ne dit jamais: C'est assez,
- toujours plus, et toujours plus. Elle est curieuse: elle a soif de la
- vrit; mais elle ne sait o la prendre, ni quelle vrit la peut
- satisfaire: elle en ramasse ce qu'elle peut par-ci, par-l; par de
- bons, par de mauvais moyens; et comme toute me curieuse est lgre,
- elle se laisse tromper par tous ceux qui lui promettent cette vrit
- qu'elle cherche. Voulez-vous n'avoir jamais faim, jamais n'avoir soif:
- venez au pain qui ne prit point, et au Fils de l'homme qui vous
- l'administre: sa chair, son sang o est tout ensemble la vrit et
- la vie, parce que c'est la chair et le sang, non point du fils de
- Joseph, comme disaient les Juifs, mais du Fils de Dieu. _ Seigneur,
- donnez-moi toujours ce pain!_ Qui n'en serait affam? qui ne voudrait
- tre assis votre table? qui la pourrait jamais quitter[621]?
-
- [614] I. Cor., XI, 28.
-
- [615] Luc., XVIII, 11.
-
- [616] _Ibid._, 13.
-
- [617] Joann., VI, 54.
-
- [618] _Ibid._, 33.
-
- [619] _Ibid._, 34.
-
- [620] _Ibid._, IV, 10, 15.
-
- [621] Bossuet.
-
-
-
-
-CHAPITRE IV.
-
-Que Dieu rpand des grces abondantes en ceux qui communient dignement.
-
-
-VOIX DU DISCIPLE.
-
-1. Seigneur mon Dieu, _prvenez votre serviteur de vos plus douces
-bndictions_[622], afin que je puisse approcher dignement et avec
-ferveur de votre auguste Sacrement.
-
- [622] Ps. XX, 3.
-
-Rappelez mon coeur vous; rveillez-moi du profond assoupissement o je
-languis. _Visitez-moi pour me sauver_[623], pour que je gote
-intrieurement la douceur qui est cache en abondance dans ce Sacrement,
-comme dans sa source.
-
-Faites briller aussi votre lumire mes yeux, afin qu'ils discernent un
-si grand mystre, et fortifiez ma foi pour le croire inbranlablement.
-
- [623] Ps. CV, 4.
-
-Car c'est l'oeuvre de votre amour et non de la puissance humaine: c'est
-votre institution sacre, et non une invention de l'homme.
-
-Nul ne peut concevoir par lui-mme des merveilles au-dessus de la
-pntration des Anges mmes.
-
-Que pourrai-je donc, moi, pcheur indigne, moi, cendre et poussire,
-dcouvrir et comprendre d'un mystre si haut?
-
-2. Seigneur, dans la simplicit de mon coeur, avec une foi ferme et
-sincre, et sur le commandement que vous m'en avez fait, je m'approche
-de vous plein de confiance et de respect; et je crois, sans hsiter, que
-vous tes ici prsent dans ce Sacrement, et comme Dieu et comme homme.
-
-Vous voulez donc que je vous reoive et que je m'unisse vous dans la
-charit?
-
-C'est pourquoi j'implore votre clmence, et je vous demande en ce moment
-une grce particulire, afin qu'embras d'amour, je me fonde et m'coule
-tout entier en vous, et que je ne dsire plus aucune autre consolation.
-
-Car cet adorable Sacrement est le salut de l'me et du corps, le remde
-de toute langueur spirituelle. Il gurit les vices, rprime les
-passions, dissipe les tentations ou les affaiblit, augmente la grce,
-accrot la vertu, affermit la foi, fortifie l'esprance, enflamme et
-dilate l'amour.
-
-3. Quels biens sans nombre n'avez-vous pas accords, et n'accordez-vous
-pas encore chaque jour dans ce Sacrement, ceux que vous aimez, et qui
-le reoivent avec ferveur, mon Dieu, unique appui de mon me,
-rparateur de l'infirmit humaine, source de toute consolation
-intrieure!
-
-Car vous les consolez avec abondance en leurs tribulations diverses;
-vous les relevez de leur abattement par l'esprance de votre protection;
-vous les ranimez intrieurement et les clairez par une grce nouvelle;
-de sorte que ceux qui se sentaient pleins de trouble et de tideur avant
-la communion, se trouvent tout changs aprs s'tre nourris de cette
-viande et de ce breuvage cleste.
-
-Vous en usez ainsi avec vos lus, afin qu'ils reconnaissent clairement,
-et par une manifeste exprience, toute la faiblesse qui leur est propre,
-et tout ce qu'ils reoivent de votre grce et de votre bont.
-
-Car d'eux-mmes, froids, durs, sans got pour la pit, par vous ils
-deviennent pieux, zls, fervents.
-
-Qui, en effet, s'approchant humblement de la fontaine de suavit, n'en
-remporte pas un peu de douceur? ou qui, se tenant prs d'un grand feu,
-n'en reoit pas quelque chaleur?
-
-Vous tes, mon Dieu, cette fontaine toujours pleine et surabondante, ce
-feu toujours ardent, et qui ne s'teint jamais.
-
-4. Si donc il ne m'est pas permis de puiser la plnitude de la source,
-et de m'y dsaltrer parfaitement, j'approcherai cependant ma bouche de
-l'ouverture par o s'coulent les eaux clestes, afin d'en recueillir au
-moins une petite goutte pour apaiser ma soif, et ne pas tomber dans une
-entire scheresse.
-
-Et si je ne puis encore tre tout cleste, et tout de feu, comme les
-Chrubins et les Sraphins, je m'efforcerai pourtant de m'animer la
-pit, et de prparer mon coeur, afin qu'en participant avec humilit
-ce Sacrement de vie, je reoive au moins quelque lgre tincelle de ce
-feu divin.
-
-Bon Jsus, Sauveur trs-saint, supplez vous-mme, par votre bont et
-votre grce, ce qui me manque, vous qui avez daign appeler vous
-tous les hommes, en disant: _Venez moi, vous tous qui tes accabls de
-travail et de douleur, et je vous soulagerai_[624].
-
- [624] Matth., XI, 28.
-
-5. Je travaille la sueur de mon front, mon coeur est bris de douleur,
-le poids de mes pchs m'accable, les tentations m'agitent, une foule de
-passions mauvaises m'enveloppent et me pressent; et il n'y a personne
-qui me secoure, qui me dlivre, qui me sauve, si ce n'est vous, Seigneur
-mon Dieu, mon Sauveur, entre les mains de qui je me remets, et tout ce
-qui est moi, afin que vous me protgiez et me conduisiez la vie
-ternelle.
-
-Recevez-moi pour l'honneur et la gloire de votre nom, vous qui m'avez
-prpar votre corps et votre sang pour nourriture et pour breuvage.
-
-Faites, Seigneur mon Dieu, mon Sauveur, que ma ferveur et mon amour
-croissent d'autant plus, que je participe plus souvent ce divin
-mystre[625].
-
- [625] Oraison de l'glise.
-
-
-RFLEXION.
-
- Jsus-Christ, prs de quitter la terre, promit ses disciples de leur
- envoyer l'Esprit consolateur[626]: et c'est ce divin Esprit qui nous
- est donn dans les sacrements de la nouvelle alliance. Amour
- substantiel du Pre et du Fils, _il aide notre infirmit, car nous ne
- savons pas demander comme il faut, mais l'Esprit demande pour nous
- avec des gmissements ineffables; et celui qui scrute les coeurs sait
- ce que dsire l'Esprit, parce qu'il demande selon Dieu pour les
- Saints_[627]. Par une invisible opration aussi douce que puissante,
- il incline librement notre volont au bien, il la purifie, il l'lve
- vers Dieu: il est notre force, comme le Verbe est notre lumire. Or,
- quand nous possdons en nous Jsus-Christ, nous possdons le Verbe
- mme, et nous participons tous les dons que le Verbe et l'Esprit qui
- procde de lui, rpandent incessamment sur l'humanit sainte du
- Sauveur, devenu _un_ avec nous par la communion de son corps et de son
- sang, de son me et de sa Divinit, qui en est insparable. En lui
- sont _toutes les richesses de la plnitude de l'intelligence, tous les
- trsors de la sagesse et de la science souveraine_[628]: et ces
- trsors, il les ouvre pour nous dans le sacrement de l'Eucharistie; il
- nous dispense, selon nos besoins, ces clestes richesses: tandis que
- l'Esprit sanctificateur nous embrase de ses flammes divines qui
- consument les dernires traces du pch, nous donnent comme un
- avant-got de la flicit cleste, et nous prparent en jouir
- pleinement, lorsque nous aurons atteint le terme heureux de nos
- preuves sur la terre. Allez donc la source des grces, allez
- l'autel, allez Jsus: _et qui, Seigneur, irions-nous? Vous seul
- avez les paroles de la vie ternelle_[629]. Languissants, vous nous
- fortifiez; affligs, vous nous consolez; troubls par les temptes qui
- s'lvent au dedans et au dehors de nous, _vous commandez aux vents,
- et il se fait un grand calme_[630]. Jsus! _votre amour me
- presse_[631], et mon me a dfailli dans l'ardeur de s'unir vous.
- C'est l tout mon dsir, je n'en ai point d'autre, je ne veux que
- vous, mon Dieu! Oh! quand pourrai-je dire: _Mon bien-aim est moi,
- et je suis lui_[632]: _ce n'est plus moi qui vis, c'est Jsus-Christ
- qui vit en moi_[633]?
-
- [626] Joann., XIV, 26.
-
- [627] Rom., VIII, 26, 27.
-
- [628] Coloss., II, 2, 3.
-
- [629] Joann., VI, 69.
-
- [630] Marc., IV, 39.
-
- [631] II. Cor., V, 14.
-
- [632] Cant., II, 16.
-
- [633] Galat., II, 20.
-
-
-
-
-CHAPITRE V.
-
-De l'excellence du Sacrement de l'autel, et de la dignit du Sacerdoce.
-
-
-VOIX DU BIEN-AIM.
-
-1. Quand vous auriez la puret des Anges et la saintet de
-Jean-Baptiste, vous ne seriez pas digne de recevoir ni mme de toucher
-ce Sacrement.
-
-Car ce ne sont pas les mrites de l'homme qui lui donnent le droit de
-consacrer et de toucher le corps de Jsus-Christ, et de se nourrir du
-pain des Anges.
-
- mystre ineffable! sublime dignit des prtres, auxquels est donn
-ce qui n'a point t accord aux Anges!
-
-Car les prtres, validement ordonns dans l'glise, ont seuls le pouvoir
-de clbrer et de consacrer le corps de Jsus-Christ.
-
-Le prtre est le ministre de Dieu; il use de la parole de Dieu selon le
-commandement et l'institution de Dieu: mais Dieu, la volont de qui
-tout est soumis, qui tout obit lorsqu'il commande, est le principal
-auteur du miracle qui s'accomplit sur l'autel, et c'est lui qui l'opre
-invisiblement.
-
-2. Vous devez donc, dans cet auguste Sacrement, croire plus la
-toute-puissance de Dieu qu' vos propres sens, et ce qui parat aux
-yeux: et vous ne sauriez ds lors approcher de l'autel avec assez de
-respect et de crainte.
-
-Pensez ce que vous tes, et considrez quel est celui dont vous avez
-t fait le ministre par l'imposition des mains de l'vque.
-
-Vous avez t fait prtre, et consacr pour clbrer les saints
-mystres: maintenant soyez fidle offrir Dieu le sacrifice avec
-ferveur, au temps convenable, et que toute votre conduite soit
-irrprhensible.
-
-Votre fardeau n'est pas plus lger; vous tes li, au contraire, par des
-obligations plus troites, et oblig une plus grande saintet.
-
-Un prtre doit tre orn de toutes les vertus, et donner aux autres
-l'exemple d'une vie pure.
-
-Ses moeurs ne doivent point ressembler celles du peuple: il ne doit
-pas marcher dans les voies communes; mais il doit vivre comme les Anges
-dans le ciel, ou comme les hommes parfaits sur la terre.
-
-3. Le prtre, revtu des habits sacrs, tient la place de Jsus-Christ,
-afin d'offrir Dieu d'humbles supplications pour lui-mme et pour tout
-le peuple.
-
-Il porte devant et derrire lui le signe de la croix du Sauveur, afin
-que le souvenir de sa passion lui soit toujours prsent.
-
-Il porte devant lui la croix sur la chasuble, afin de considrer
-attentivement les traces de Jsus-Christ, et de s'animer les suivre.
-
-Il porte la croix derrire lui, afin d'apprendre souffrir avec douceur
-pour Dieu, tout ce que les hommes peuvent lui faire de mal.
-
-Il porte la croix devant lui, afin de pleurer ses propres pchs;
-derrire lui, afin que, par une tendre compassion, il pleure aussi les
-pchs des autres; et se souvenant qu'il est tabli mdiateur entre Dieu
-et le pcheur, il ne se lasse point d'offrir des prires et des
-sacrifices, jusqu' ce qu'il ait obtenu grce et misricorde.
-
-Quand le prtre clbre, il honore Dieu, il rjouit les Anges, il difie
-l'glise, il procure des secours aux vivants, du repos aux morts, et se
-rend lui-mme participant de tous les biens.
-
-
-RFLEXION.
-
- Pour comprendre la grandeur du sacerdoce chrtien, il faut considrer
- les caractres qui le distinguent immuablement, et forment comme le
- sceau divin dont il fut marqu son origine. Et d'abord il est un:
- _de mme qu'il n'y a qu'un Dieu, il n'y a qu'un Mdiateur de Dieu et
- des hommes, Jsus-Christ_[634], _aptre et pontife de notre foi_[635],
- _toujours vivant pour intercder en notre faveur_[636]. Tout prtre,
- dans l'exercice de ses clestes fonctions, reprsente Jsus-Christ, ou
- plutt est Jsus-Christ mme, qui seul opre vritablement ce
- qu'annoncent les paroles et les actes de son ministre, seul lie et
- dlie, seul dispense la grce, seul immole et offre son Pre la
- victime de propitiation, qui est une aussi: car _Jsus entrant par son
- sang une seule fois dans le Saint des saints, a consomm la rdemption
- ternelle_[637]. Ainsi un sacrifice, un prtre, un sacerdoce, qui,
- dans son immense hirarchie, n'est que le _Pontife_ invisible des
- _biens futurs_[638], est multipli visiblement sur tous les points de
- la terre, pour y continuer sa grande mission jusqu' la fin des
- sicles[639]. Et non-seulement le sacerdoce est un, il est encore
- universel; car _tous les peuples ont t donns en hritage
- Jsus-Christ_[640], et _depuis le lever du soleil jusqu'au couchant,
- en tous lieux le sacrifice doit tre accompli et l'offrande pure
- prsente au Seigneur_[641]. Il est ternel; car, de toute ternit,
- _Dieu a dit au Christ: Tu es mon fils, je t'ai engendr aujourd'hui_;
- et encore: _Tu es prtre ternellement selon l'ordre de
- Melchisdech_[642]. Il est saint; _car il convenait que nous eussions
- un tel Pontife, saint, pur, sans tache, spar des pcheurs, et lev
- au-dessus des cieux_[643]; et les dmons mmes, vaincus par celui _qui
- possde le sacerdoce ternel_[644], lui ont rendu ce tmoignage: _Je
- sais qui vous tes, le Saint de Dieu_[645]. Oh! qu'elle est leve,
- qu'elle est sublime la dignit du prtre! mais aussi qu'elle est
- redoutable! Associ la puissance de Jsus-Christ Pontife, dans
- l'unit de son sacerdoce, ministre avec lui et en lui du sacrifice de
- la Croix, renouvel chaque jour sur l'autel, d'une manire non
- sanglante; distributeur du pain de vie, du corps et du sang du
- Rdempteur, sur lesquels il lui a t donn pouvoir; revtu de la
- mission du Fils de Dieu pour le salut du monde, ses devoirs sont
- proportionns une si haute vocation, et c'est lui surtout qu'il
- est dit: _Soyez saint, parce que moi, le Seigneur votre Dieu, je suis
- saint_[646]. Pauvre pcheur, si faible, si languissant, si infirme,
- comment pourrai-je m'lever, Jsus! la saintet que vous exigez de
- moi? Je tremble cette pense, et je perdrais toute esprance, si
- votre bont ne daignait me rassurer, disant: _Cela est impossible aux
- hommes, mais tout est possible Dieu_[647]?
-
- [634] Tim., II, 5.
-
- [635] Hebr., III, 1.
-
- [636] _Ib._, VII, 25.
-
- [637] _Ib._, IX, 12; VII, 27.
-
- [638] _Ib._, IX, 11.
-
- [639] Matth., XXVIII, 20.
-
- [640] Ps. II, 8.
-
- [641] Malach., I, 11.
-
- [642] Hebr., V, 5, 6; VI, 20.
-
- [643] _Ib._, VII, 26.
-
- [644] _Ib._, 24.
-
- [645] Marc., I, 24.
-
- [646] Levit., XIX, 2.
-
- [647] Matth., XIX. 26.
-
-
-
-
-CHAPITRE VI.
-
-Prire du Chrtien avant la Communion.
-
-
-VOIX DU DISCIPLE.
-
-1. Seigneur, lorsque je considre votre grandeur et ma bassesse, je suis
-saisi de frayeur, et je me confonds en moi-mme.
-
-Car si je ne m'approche de vous, je fuis la vie; et si je m'en approche
-indignement, j'irrite votre colre.
-
-Que ferai-je donc, mon Dieu, mon protecteur, mon conseil dans tous mes
-besoins?
-
-2. Montrez-moi la voie droite, enseignez-moi quelque court exercice pour
-me disposer la sainte Communion.
-
-Car il m'est important de savoir avec quelle ferveur et quel respect je
-dois prparer mon coeur, pour recevoir avec fruit votre Sacrement, ou
-pour vous offrir ce grand et divin sacrifice.
-
-
-RFLEXION.
-
- S'il est ncessaire de _prparer son me avant la prire_[648],
- combien plus avant d'approcher de la divine Eucharistie? Et c'est
- pourquoi l'Aptre dit: _Que l'homme s'prouve soi-mme, et qu'il mange
- ainsi de ce pain, et boive de ce calice: car celui qui mange et boit
- indignement, mange et boit son jugement, ne discernant point le corps
- du Seigneur_[649]. Mais, hlas! mon Dieu, plus je m'prouve, plus je
- me reconnais indigne de m'unir vous dans le sacrement adorable de
- votre corps et de votre sang: et cependant _si je ne mange votre
- chair, et ne bois votre sang, je n'aurai point la vie en moi_[650]; de
- sorte que je suis partag entre le dsir de m'asseoir au banquet sacr
- o vous invitez vos fidles, et la crainte d'entendre ces paroles
- terribles: _Pourquoi tes-vous entr ici sans tre revtu de la robe
- nuptiale? Jetez-le, pieds et mains lis, dans les tnbres
- extrieures: l sont les pleurs et les grincements de dents_[651]. Que
- ferai-je donc? Ah! voici ce que je ferai. Je me prsenterai tel que je
- suis, dpouill, nu, misrable, devant mon Seigneur et mon Dieu, et je
- lui dirai: Ayez piti de moi, Seigneur, et daignez me revtir
- vous-mme du vtement pur, qui me rendra digne d'tre admis dans la
- salle du festin. Si vous ne venez mon secours, si vous ne supplez
- mon indigence, je serai, mon divin matre, jamais exclu de votre
- Table sainte; mais vous laisserez tomber sur ce pauvre un regard de
- compassion; vous viendrez lui dans votre bont, dans votre
- misricorde immense, et votre main s'tendra pour couvrir sa nudit:
- oui, _Seigneur, j'ai espr en vous, et je ne serai point confondu
- ternellement_[652].
-
- [648] Eccles., XVIII, 23.
-
- [649] I. Cor., XI, 28, 29.
-
- [650] Joann., VI, 54.
-
- [651] Matth., XXII, 12, 13.
-
- [652] Ps. XXX, 2.
-
-
-
-
-CHAPITRE VII.
-
-De l'examen de conscience, et de la rsolution de se corriger.
-
-
-VOIX DU BIEN-AIM.
-
-1. Sur toutes choses, il faut que le prtre qui se dispose clbrer
-les saints mystres, toucher et recevoir le corps de Jsus-Christ,
-s'approche de ce Sacrement avec une profonde humilit de coeur, un
-respect suppliant, une pleine foi, et une pieuse intention d'honorer
-Dieu.
-
-Examinez avec soin votre conscience, et, autant que vous le pourrez,
-purifiez-la par une contrition vritable et par une humble confession;
-de sorte que, dlivr du poids de vos fautes, exempt de trouble et de
-remords, vous puissiez librement venir moi.
-
-Ayez une vive douleur de tous vos pchs en gnral; dplorez en
-particulier ceux que vous commettez chaque jour; et, si le temps vous le
-permet, confessez Dieu, dans le secret du coeur, toutes les misres
-qui sont le fruit de vos passions.
-
-2. Affligez-vous et gmissez d'tre encore sous l'empire de la chair et
-du monde:
-
-Si peu occup de mourir vos inclinations; si agit par les mouvements
-de la concupiscence:
-
-Si peu exact veiller sur vos sens; si souvent sduit par de vains
-fantmes:
-
-Si enclin vous rpandre au dehors; si ngligent rentrer en
-vous-mme:
-
-Si port au rire et la dissipation; si dur, quand vous devriez verser
-des larmes de componction:
-
-Si prompt vous livrer au relchement et la mollesse; si lent
-embrasser une vie austre et fervente:
-
-Si curieux de nouvelles, et de ce qui attire les regards par sa beaut;
-si plein de rpugnance pour ce qui abaisse et humilie:
-
-Si avide de beaucoup avoir, si avare pour donner, si ardent retenir:
-
-Si inconsidr dans vos discours; si impuissant vous taire:
-
-Si drgl dans vos moeurs; si indiscret dans vos actions:
-
-Si intemprant dans le manger et le boire; si sourd la parole de Dieu:
-
-Si convoiteux de repos; si ennemi du travail:
-
-Si veill pour des rcits frivoles: si appesanti par le sommeil durant
-les veilles saintes; si press d'en voir la fin; si peu attentif en y
-assistant:
-
-Si dissip en rcitant l'office divin, si tide en clbrant, si aride
-dans la Communion:
-
-Si aisment distrait; si rarement bien recueilli:
-
-Si tt mu de colre; si prompt blesser les autres:
-
-Si enclin juger mal; si svre reprendre:
-
-Si enivr de joie dans la prosprit; si abattu dans l'adversit:
-
-Si fcond en bonnes rsolutions, et si strile en bonnes oeuvres.
-
-3. Aprs avoir confess et dplor avec une grande douleur et un vif
-sentiment de votre faiblesse, ces dfauts et tous les autres qui peuvent
-tre en vous, formez un ferme propos de vous corriger, et d'avancer dans
-la vertu.
-
-Offrez-vous ensuite, avec une pleine rsignation et sans aucune rserve,
-sur l'autel de votre coeur, comme un holocauste perptuel, en l'honneur
-de mon nom, m'abandonnant entirement le soin de votre corps et de votre
-me, afin d'obtenir ainsi la grce de clbrer dignement le saint
-Sacrifice, et de recevoir avec fruit le Sacrement de mon corps.
-
-4. Car il n'est point d'oblation plus mritoire, ni de satisfaction plus
-grande pour les pchs, que de s'offrir soi-mme sincrement Dieu, en
-lui offrant, la Messe et dans la Communion, le Corps de Jsus-Christ.
-
-Si l'homme fait ce qui est en lui, et s'il a un vrai repentir toutes les
-fois qu'il s'approche de moi pour demander grce et misricorde: _J'en
-jure par moi-mme_, dit le Seigneur, _je ne me souviendrai plus de ses
-pchs, et ils lui seront tous pardonns; car je ne veux point la mort
-du pcheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive_[653].
-
- [653] Ezech., XXIII, 22; XXXIII, 11.
-
-
-RFLEXION.
-
- Il n'est rien de plus utile en soi, ni de plus indispensable pour
- approcher dignement de l'autel, que de descendre en sa conscience, et
- d'en scruter, avec une svrit salutaire, les tristes profondeurs.
- Nous avons en nous-mmes comme une image du royaume des tnbres: l
- vit, et crot, et se propage l'innombrable famille des vices, ns de
- la triple concupiscence[654] qui a infect la vie humaine dans sa
- source. Quiconque examine srieusement son coeur, y trouve le germe de
- tout ce qui est mauvais; un orgueil tantt hardi et violent, tantt
- plein de dguisements et de ruses, une curiosit effrne, des
- convoitises ardentes, la haine qu'accompagnent l'injure, l'outrage et
- la calomnie, l'envie mre du meurtre, l'avarice qui dit sans cesse:
- _Apporte, apporte_[655], la duret d'me, les joies coupables de
- l'esprit; et bien que ces semences de mort ne se dveloppent pas dans
- chaque homme au mme degr, tous les ont en eux-mmes, et la grce
- seule les touffe plus ou moins. Tel est, depuis la chute originelle,
- le partage des enfants d'Adam. Qui, dans son effroi, ne _crierait vers
- Dieu du fond de cette immense misre_[656], pour implorer de lui
- secours et misricorde? _Il dlaisse ceux qui cachent leurs crimes, et
- pardonne ceux qui s'accusent_[657]. Touch de piti pour les
- pcheurs, Jsus-Christ a institu le sacrement de pnitence, qui les
- rgnre dans le sang de l'Agneau, et les revt de l'innocence
- primitive. Voil la robe nuptiale ncessaire pour assister au festin
- de l'poux. Vous qui portez avec douleur le poids de vos pchs,
- htez-vous donc, allez pleins de repentir, de foi, d'esprance et
- d'amour, dposer cet accablant fardeau aux pieds de celui qui tient,
- dans le tribunal sacr, la place du Fils de Dieu mme: allez et
- humiliez-vous, allez et pleurez: une main divine essuiera vos larmes,
- et, rtablis en grce avec Dieu, en paix avec vous-mmes, vous
- chanterez dans l'allgresse l'hymne du pardon: _Heureux ceux dont les
- iniquits ont t remises, et les pchs couverts! Heureux celui qui
- le Seigneur n'a point imput son pch, et dont le coeur a t sans
- fraude! Parce que j'ai tu mon crime, il a vieilli dans mes os, et cri
- dans mon sein pendant tout le jour. Car votre main s'est appesantie
- sur moi le jour et la nuit: je me suis tourn et retourn dans mon
- angoisse, tandis que l'pine perait mon coeur. Alors je vous ai
- dclar mon pch: je n'ai point cach mon injustice. J'ai dit: Je
- confesserai contre moi mon iniquit au Seigneur; et vous, Seigneur,
- vous m'avez remis l'impit de mon pch. C'est pour cela que vos
- serviteurs vous invoqueront dans le temps propice; et le dluge des
- grandes eaux n'approchera point d'eux_[658].
-
- [654] Joann., I, 11, 16.
-
- [655] Prov., XXX, 15.
-
- [656] Ps. CXXIX, 1.
-
- [657] Prov., XXVIII, 13.
-
- [658] Ps. XXXI, 1-6.
-
-
-
-
-CHAPITRE VIII.
-
-De l'oblation de Jsus-Christ sur la Croix, et de la rsignation de soi
-mme.
-
-
-VOIX DU BIEN-AIM.
-
-1. Comme je me suis offert volontairement pour vos pchs, mon Pre,
-les bras tendus sur la Croix, et le corps nu, ne rservant rien, et
-m'immolant tout entier, pour apaiser Dieu: ainsi vous devez tous les
-jours, dans le sacrifice de la Messe, vous offrir moi, comme une
-hostie pure et sainte, du plus profond de votre coeur, et de toutes les
-puissances de votre me.
-
-Que demand-je de vous, sinon que vous vous abandonniez moi sans
-rserve?
-
-Tout ce que vous me donnez, hors vous, ne m'est rien, parce que c'est
-vous que je veux, et non pas vos dons.
-
-2. Comme tout le reste ne vous suffirait pas sans moi, ainsi aucun de
-vos dons ne peut me plaire si vous ne vous donnez vous-mme.
-
-Offrez-vous moi, donnez-vous pour Dieu, tout entier, et votre oblation
-me sera agrable.
-
-Je me suis offert tout entier pour vous mon Pre; je vous ai donn
-tout mon Corps et tout mon Sang pour nourriture, afin d'tre tout
-vous, et que vous fussiez jamais tout moi.
-
-Mais si vous demeurez en vous-mme, si vous ne vous abandonnez pas sans
-rserve ma volont, votre oblation n'est pas entire, et nous ne
-serons pas unis parfaitement.
-
-L'oblation volontaire de vous-mme, entre les mains de Dieu, doit donc
-prcder toutes vos oeuvres, si vous voulez acqurir la grce et la
-libert.
-
-S'il en est si peu qui soient clairs de ma lumire, et qui jouissent
-de la libert intrieure, c'est qu'ils ne savent pas se renoncer
-entirement eux-mmes.
-
-Je l'ai dit, et ma parole est immuable: _Si quelqu'un ne renonce pas
-tout, il ne peut tre mon disciple_[659]. Si donc vous voulez tre mon
-disciple, offrez-vous moi avec toutes vos affections.
-
- [659] Luc., XIV, 15.
-
-
-RFLEXION.
-
- On n'aurait qu'une ide bien faible et bien incomplte du sacrifice de
- la Croix, si l'on n'y voyait que ce qui parat, pour ainsi dire, aux
- sens. Jsus-Christ a offert non-seulement son corps sacr, en proie
- toutes les souffrances et toutes les angoisses que peut endurer la
- nature humaine, mais encore son me sainte troitement unie au Verbe
- divin, toutes ses douleurs, toutes ses affections, toutes ses
- volonts, et l'agonie et le dlaissement qui tira de son coeur ce
- dernier cri: _Mon Pre, pourquoi m'avez-vous abandonn[660]?_ En cet
- tat il reprsentait l'humanit entire condamne mourir, et l'homme
- en effet fut frapp de mort jusque dans les plus secrtes profondeurs
- de son tre. Alors _tout fut consomm_[661], et le supplice et la
- rdemption. Or, chaque fois que le prtre, montant l'autel, y
- renouvelle, selon l'institution divine, cet ineffable sacrifice,
- chaque fois que le fidle participe la victime immole, et le fidle
- et le prtre doivent s'offrir ainsi que Jsus-Christ s'est offert
- lui-mme: leur sacrifice uni au sien doit tre, comme le sien, sans
- rserve: car, nous aussi, nous sommes attachs la Croix, et avec
- Jsus-Christ et en Jsus-Christ, nous souffrons pour nous, pour nos
- frres, pour les vivants, pour les morts, pour toute la grande famille
- humaine; ce qui fait dire l'aptre saint Paul ces tonnantes
- paroles: _Je me rjouis de mes souffrances cause de vous; et ce qui
- manque la Passion de Jsus-Christ, je l'accomplis en ma chair, pour
- son corps qui est l'glise_[662]; non sans doute que la Passion du
- Sauveur ne ft plus que surabondante pour _ter le pch du
- monde_[663], et satisfaire la justice de Dieu; mais parce que chacun
- de nous doit la reproduire en soi, et parce qu'_tant les membres d'un
- seul corps, qui est le corps du Christ_[664], tout ce que nous
- souffrons, il le souffre avec nous, de sorte que nos souffrances
- deviennent comme une partie de sa Passion propre. Jsus! je m'offre
- avec vous, je m'offre tout entier; me voil sur l'autel: frappez,
- Seigneur, achevez le sacrifice; dtruisez tout ce qui en moi est de
- l'homme condamn, ces dsirs de la terre, ces affections, ces
- volonts, ces sens qui me troublent, ce corps de pch; et les yeux
- fixs sur votre Croix, je dirai: _Tout est consomm!_
-
- [660] Matth., XXVII, 47.
-
- [661] Joann., XIV, 30.
-
- [662] Coloss., I, 24.
-
- [663] Joann., I, 29.
-
- [664] I. Cor., XII, 27.
-
-
-
-
-CHAPITRE IX.
-
-Que nous devons nous offrir Dieu avec tout ce qui est nous, et prier
-pour tous.
-
-
-VOIX DU DISCIPLE.
-
-1. Seigneur, qui tout appartient dans le ciel et sur la terre, je veux
-aussi me donner vous, par une oblation volontaire; je veux tre vous
-pour toujours.
-
-Dans la simplicit de mon coeur, je m'offre vous aujourd'hui, mon
-Dieu, pour vous servir jamais, pour vous obir, pour m'immoler sans
-cesse votre gloire.
-
-Recevez-moi avec l'oblation sainte de votre prcieux Corps, que je vous
-offre aujourd'hui en prsence des Anges, qui assistent invisiblement
-ce sacrifice; et faites qu'il porte des fruits de salut pour moi et pour
-tout votre peuple.
-
-2. Toutes les fautes et tous les crimes que j'ai commis devant vous et
-devant vos saints Anges, depuis le jour o j'ai pu commencer pcher
-jusqu' ce moment, je vous les offre, Seigneur, sur votre autel de
-propitiation, afin que vous les consumiez par le feu de votre amour, que
-vous effaciez toutes les taches dont ils ont souill ma conscience, et
-qu'aprs l'avoir purifie, vous me rendiez votre grce que mes pchs
-m'avaient fait perdre, me les pardonnant tous pleinement, et me
-recevant, dans votre misricorde, au baiser de paix.
-
-3. Que puis-je faire pour expier mes pchs, que de les confesser
-humblement, avec une amre douleur, et d'implorer sans cesse votre
-clmence?
-
-Je vous en conjure, exaucez-moi, soyez-moi propice, quand je me prsente
-devant vous, mon Dieu.
-
-J'ai une vive horreur de tous mes pchs, et je suis rsolu ne plus
-les commettre. Ils m'affligent profondment, et toute ma vie je ne
-cesserai de m'en affliger, prt faire pnitence, et satisfaire pour
-eux selon mon pouvoir.
-
-Pardonnez-les-moi, Seigneur, pardonnez-les-moi, pour la gloire de votre
-saint nom. Sauvez mon me, que vous avez rachete au prix de votre sang.
-
-Voil que je m'abandonne votre misricorde; je me remets entre vos
-mains: traitez-moi selon votre bont, et non selon ma malice et mon
-iniquit.
-
-4. Je vous offre aussi tout ce qu'il y a de bien en moi, quelque faible,
-quelque imparfait qu'il soit, afin que, l'purant, le sanctifiant, le
-perfectionnant sans cesse, vous le rendiez plus digne de vous, plus
-agrable vos yeux, et que vous me conduisiez une heureuse fin, moi
-le plus inutile, le plus languissant et le dernier des hommes.
-
-5. Je vous offre encore tous les pieux dsirs des mes fidles, les
-besoins de mes parents, de mes amis, de mes frres, de mes soeurs, de
-tous ceux qui me sont chers; de ceux qui m'ont fait, ou d'autres,
-quelque bien pour l'amour de vous; de ceux qui ont demand ou dsir que
-j'offrisse des prires et le saint Sacrifice pour eux et pour les leurs,
-soit qu'ils vivent encore en la chair, soit que le temps ait fini pour
-eux.
-
-Que tous sentent le secours de votre grce, la puissance de vos
-consolations; protgez-les dans les prils, dlivrez-les de leurs
-peines, et qu'affranchis de tous les maux, ils vous rendent, pleins de
-joie, d'clatantes actions de grces.
-
-6. Je vous offre enfin des supplications et l'hostie de paix,
-principalement pour ceux qui m'ont offens en quelque chose, qui m'ont
-contrist, qui m'ont blm, qui m'ont fait quelques torts ou quelques
-peines; et pour tous ceux aussi que j'ai moi-mme affligs, blesss,
-troubls, scandaliss, le sachant ou sans le savoir; afin que vous nous
-pardonniez tous nos pchs et nos offenses mutuelles.
-
-tez de nos coeurs, mon Dieu! le soupon, l'aigreur, la colre, tout
-ce qui divise, tout ce qui peut altrer la charit et diminuer l'amour
-fraternel.
-
-Ayez piti, Seigneur, ayez piti de ces pauvres qui implorent votre
-grce, votre misricorde; et faites que nous soyons dignes de jouir
-ici-bas de vos dons, et d'arriver l'ternelle vie. Ainsi soit-il.
-
-
-RFLEXION.
-
- Aprs s'tre purifi par le sacrement de pnitence, et s'tre uni,
- selon tout ce qu'il est, Jsus-Christ, hostie de propitiation pour
- le salut des hommes, le prtre s'offre encore pour eux et pour
- lui-mme, afin que la vertu du sacrifice qui va s'accomplir, lui soit
- applique, et ses frres, et tous ceux pour qui Jsus-Christ,
- sacrificateur, est victime[665], l'a consomm sur la Croix. Comme le
- Sauveur s'est immol pour lui, il veut s'immoler pour le Sauveur, ne
- vivre que pour sa gloire, et mourir pour elle. Il le supplie de
- consumer dans le feu de son amour tout ce qui reste en lui d'impur et
- de terrestre. Il dpose, en quelque manire, sur l'autel et ses
- penses et ses affections, ses volonts, ses dsirs, tout son tre,
- afin d'tre revtu en Jsus-Christ d'une vie nouvelle, de cette _vie
- selon Dieu_[666], qui fait que l'homme _ne vit plus pour soi, mais
- pour celui qui est mort et ressuscit pour lui_[667]. Ainsi ananti
- dans la prsence du souverain Matre, et comme baign dj du sang qui
- demande grce, il intercde pour ses proches, ses amis, ses
- bienfaiteurs, pour ses ennemis mme, pour ceux qui le hassent et le
- perscutent, embrassant dans sa charit, immense comme celle du
- Christ, toutes les cratures qu'il a rachetes, tous les enfants du
- Pre cleste, _qui fait luire son soleil sur les bons et sur les
- mchants_[668]. lev, par l'onction sacerdotale, entre la terre et le
- ciel, il couvre, pour ainsi dire, le genre humain tout entier de sa
- prire et de son amour. Il le voit, par le pch, dans un tat de
- mort, et ses dsirs l'enfantent la vie: semblable au Mdiateur
- suprme, qui, _dans les jours de sa chair, offrant avec un grand cri
- et avec larmes, des prires et des supplications celui qui peut
- sauver de la mort, fut exauc cause de son respect_[669]. Oui, _le
- salut vient du Seigneur_[670]; _il a fait clater les merveilles de
- son Saint_[671]. Prtres du Dieu vivant, _offrez-lui le sacrifice de
- justice_[672]. _Je vous prierai, Seigneur; vous entendrez ma voix le
- matin; le matin je me prsenterai devant vous; j'entrerai dans votre
- maison, et, rempli de votre crainte, j'adorerai dans votre saint
- temple; et tous ceux qui esprent en vous se rjouiront, et ils
- tressailleront d'allgresse ternellement, parce que vous habiterez en
- eux_[673].
-
- [665] Hebr., IX, 14.
-
- [666] I. Petr., IV, 6.
-
- [667] II. Cor., V, 15.
-
- [668] Matth., V, 45.
-
- [669] Hebr., V, 7.
-
- [670] Ps. III, 9.
-
- [671] Ps. IV. 4.
-
- [672] _Ibid._, 6.
-
- [673] Ps. V, 4, 5, 12.
-
-
-
-
-CHAPITRE X.
-
-Qu'on ne doit pas facilement s'loigner de la sainte Communion.
-
-
-VOIX DU BIEN-AIM.
-
-1. Il faut recourir souvent la source de la grce et de la divine
-misricorde, la source de toute bont et de toute puret, afin que
-vous puissiez tre guri de vos passions et de vos vices, et que, plus
-fort et plus vigilant, vous ne soyez ni vaincu par les attaques du
-dmon, ni surpris par ses artifices.
-
-L'ennemi des hommes, sachant quel est le fruit de la sainte Communion,
-et combien est grand le remde qu'y trouvent les mes pieuses et
-fidles, s'efforce, en toute occasion et par tous les moyens, de les en
-loigner autant qu'il peut.
-
-2. Aussi est-ce au moment o ils s'y disposent, que quelques-uns
-prouvent les plus vives attaques de Satan.
-
-Cet esprit de malice, comme il est crit au livre de Job, vient parmi
-les enfants de Dieu pour les troubler par les ruses ordinaires de sa
-haine, cherchant leur inspirer des craintes excessives et de pnibles
-perplexits, pour affaiblir leur amour, branler leur foi, afin qu'ils
-renoncent communier, ou qu'ils ne communient qu'avec tideur.
-
-Mais il ne faut pas s'inquiter de ses artifices et de ses suggestions,
-quelque honteuses, quelque horribles qu'elles soient, mais les rejeter
-toutes sur lui.
-
-Il faut se rire avec mpris de cet esprit misrable, et n'abandonner
-jamais la sainte Communion, cause de ses attaques et des mouvements
-qu'il excite en nous.
-
-3. Souvent aussi l'on s'en loigne par un dsir trop vif de la ferveur
-sensible, et parce qu'on a conu de l'inquitude sur sa confession.
-
-Agissez selon le conseil de personnes prudentes, et bannissez de votre
-coeur l'anxit et les scrupules, parce qu'ils dtruisent la pit, et
-sont un obstacle la grce de Dieu.
-
-Ne vous privez point de la sainte Communion, ds que vous prouvez
-quelque trouble ou une lgre peine de conscience; mais confessez-vous
-au plus tt, et pardonnez sincrement aux autres les offenses que vous
-ayez reues d'eux.
-
-Que si vous avez vous-mme offens quelqu'un, demandez-lui humblement
-pardon, et Dieu aussi vous pardonnera.
-
-4. Que sert de tarder se confesser, et de diffrer la sainte
-Communion?
-
-Purifiez-vous promptement, htez-vous de rejeter le venin et de recourir
-au remde; vous vous en trouverez mieux que de diffrer longtemps.
-
-Si vous diffrez aujourd'hui pour une raison, peut-tre s'en
-prsentera-t-il demain une plus forte; et vous pourriez ainsi tre sans
-cesse dtourn de la Communion, et sans cesse vous y sentir moins
-dispos.
-
-Ne perdez pas un moment, secouez votre langueur, dchargez-vous de ce
-qui vous pse: car quoi revient-il de vivre toujours dans l'anxit,
-toujours dans le trouble, et d'tre loign chaque jour par de nouveaux
-obstacles de la Table sainte?
-
-Rien au contraire ne nuit davantage que de s'abstenir longtemps de
-communier, car d'ordinaire l'me tombe par l dans un profond
-assoupissement.
-
- douleur! il se rencontre des chrtiens si tides et si lches, qu'ils
-saisissent avec joie tous les prtextes pour diffrer se confesser, et
-ds lors aussi communier, afin de n'tre pas obligs de veiller avec
-plus de soin sur eux-mmes.
-
-5. Hlas! qu'ils ont peu de pit, peu d'amour, ceux qui se privent si
-aisment de la sainte Communion!
-
-Qu'il est heureux, au contraire, et agrable Dieu, celui qui vit de
-telle sorte, et qui conserve sa conscience si pure, qu'il serait prpar
- communier tous les jours, et communierait en effet s'il lui tait
-permis, et qu'il pt le faire sans singularit!
-
-Si quelqu'un s'en abstient quelquefois par humilit, ou par une cause
-lgitime, on doit louer son respect.
-
-Mais si sa ferveur s'est refroidie, il doit se ranimer, et faire tout ce
-qu'il peut; et Dieu secondera ses dsirs, cause de la droiture de sa
-volont qu'il considre principalement.
-
-6. Que si des motifs lgitimes l'empchent d'approcher de la sainte
-Table, il conservera toujours l'intention et le saint dsir de
-communier; et ainsi il ne sera pas entirement priv du fruit du
-Sacrement.
-
-Quoique tout fidle doive, certains jours et au temps fix, recevoir,
-avec un tendre respect, le Corps du Sauveur dans son Sacrement, et
-rechercher en cela plutt la gloire de Dieu que sa propre consolation;
-cependant il peut aussi communier en esprit tous les jours, toute
-heure, avec beaucoup de fruit.
-
-Car il communie de cette manire, et se nourrit invisiblement de
-Jsus-Christ, toutes les fois qu'il mdite avec pit les mystres de
-son Incarnation et de sa Passion, et qu'il s'enflamme de son amour.
-
-7. Celui qui ne se prpare la Communion qu'aux approches des ftes, ou
-quand la coutume l'y oblige, sera souvent mal prpar.
-
-Heureux celui qui s'offre au Seigneur en holocauste, toutes les fois
-qu'il clbre le sacrifice, ou qu'il communie.
-
-Ne soyez, en clbrant les saints mystres, ni trop lent ni trop prompt,
-mais conformez-vous l'usage ordinaire et rgulier de ceux avec qui
-vous vivez.
-
-Il ne faut point fatiguer les autres ni leur causer d'ennui, mais suivre
-l'ordre commun tabli par vos pres, et consulter plutt l'utilit de
-tous, que votre attrait et votre pit particulire.
-
-
-RFLEXION.
-
- Qu'il faille exciter des chrtiens s'asseoir la Table sainte, se
- nourrir du pain de vie, recevoir en eux _l'auteur et le consommateur
- de la foi_[674], le Sauveur des hommes, le Verbe de Dieu; qu'ils
- cherchent de tous cts des prtextes pour se tenir loigns de lui;
- qu'ils regardent comme une dure obligation le devoir qu'impose
- l'glise de participer, en certains temps, au corps et au sang de
- Jsus-Christ: c'est quelque chose de si prodigieux et tout ensemble de
- si effrayant, que l'me fuit cette pense, comme elle fuirait une
- vision de l'enfer. Mais, parmi les fidles que l'amour attire au
- banquet sacr de l'poux, il en est qui, abuss par de tristes et
- fausses doctrines, ou retenus par les scrupules d'une conscience
- timide l'excs, ne se croient jamais assez prpars, et se privent
- volontairement de la divine Eucharistie, cause du respect mme que
- leur inspire cet auguste sacrement. Sans doute on doit s'prouver
- soi-mme; sans doute il serait dsirer que ceux qui mangent le pain
- des Anges, eussent toute la puret de ces clestes esprits: mais celui
- qui connat notre misre, et qui est venu la gurir, n'exige pas que
- l'homme soit parfait pour approcher de la source des grces; il
- demande seulement qu'il se soit purifi par la pnitence, et qu'il
- apporte au pied de l'autel _un coeur contrit et humili_[675], un
- repentir sincre de ses fautes, une volont droite, un amour ardent.
- Tandis que Jsus repousse et maudit les Pharisiens, superbes
- observateurs de la Loi, il accueille la femme pcheresse, il compatit
- son humble douleur, il bnit ses larmes, et _beaucoup de pchs lui
- sont remis, parce qu'elle a beaucoup aim_[676]. Trop souvent les
- apparentes dlicatesses de conscience qui sparent longtemps de la
- communion, cachent un grand et coupable orgueil. Au lieu de
- s'abandonner aux conseils du guide qui tient la place de Dieu, on veut
- se conduire et se juger soi-mme: erreur funeste dont le dernier
- terme, le terme invitable est ou le dsespoir, ou une effroyable
- prsomption. Ne quittez, ne quittez jamais la voie de l'obissance:
- toutes les autres aboutissent la perdition. Si l'on vous interdit
- l'accs de la Table sainte, abstenez-vous et pleurez; car quel sujet
- plus lgitime de pleurs? Si l'on vous dit: Allez Jsus dans le
- sacrement de son amour; approchez avec allgresse. Nulle disposition
- n'gale le sacrifice entier du raisonnement humain et de la volont
- propre; ayez en tout et toujours la simplicit d'un petit enfant: la
- simplicit du coeur est chre Dieu; il la bnit pour le temps, il la
- bnit pour l'ternit.
-
- [674] Hb., XII, 2.
-
- [675] Ps. L, 19.
-
- [676] Luc, VII, 47.
-
-
-
-
-CHAPITRE XI.
-
-Que le Corps de Jsus-Christ et l'criture sainte sont trs-ncessaires
- l'me fidle.
-
-
-VOIX DU DISCIPLE.
-
-1. Seigneur Jsus, quelles dlices inondent l'me fidle admise votre
-Table, o on ne lui prsente d'autre aliment que vous-mme, son unique
-bien-aim, le plus cher objet de ses dsirs!
-
-Oh! qu'il me serait doux de rpandre en votre prsence des pleurs
-d'amour, et d'arroser vos pieds de mes larmes comme Magdeleine!
-
-Mais o est cette tendre pit, et cette abondante effusion de larmes
-saintes?
-
-Certes, en votre prsence et celle des saints Anges, tout mon coeur
-devrait s'embraser et se fondre de joie.
-
-Car vous m'tes vritablement prsent dans votre Sacrement, quoique
-cach sous des apparences trangres.
-
-2. Mes yeux ne pourraient supporter l'clat de votre divine lumire, et
-le monde entier s'vanouirait devant la splendeur de votre gloire.
-
-C'est donc pour mnager ma faiblesse que vous vous cachez sous les
-voiles du Sacrement.
-
-Je possde rellement et j'adore celui que les anges adorent dans le
-ciel: mais je ne le vois encore que par la foi, tandis qu'ils le voient
-tel qu'il est et sans voile!
-
-Il faut que je me contente de ce flambeau de la vraie foi, et que je
-marche sa lumire, _jusqu' ce que luise l'aurore du jour ternel, et
-que les ombres des figures dclinent_[677].
-
- [677] Cant., II, 17.
-
-Mais _quand ce qui est parfait sera venu_[678], l'usage des Sacrements
-cessera, parce que les bienheureux, dans la gloire cleste, n'ont plus
-besoin de secours.
-
- [678] Cor., XIII, 10.
-
-Ils se rjouissent sans fin dans la prsence de Dieu, et contemplent sa
-gloire face face; pntrs de sa lumire et comme plongs dans l'abme
-de sa divinit, ils gotent le Verbe de Dieu fait chair, tel qu'il tait
-au commencement et tel qu'il sera durant toute l'ternit.
-
-3. Qu'au souvenir de ces merveilles, tout me soit un pesant ennui, mme
-les consolations spirituelles! car tandis que je ne verrai point le
-Seigneur mon Dieu dans l'clat de sa gloire, tout ce que je vois, tout
-ce que j'entends en ce monde ne m'est rien.
-
-Vous m'tes tmoin, Seigneur, que je ne trouve nulle part de
-consolation, de repos en nulle crature; je ne puis en trouver qu'en
-vous seul, mon Dieu, que je dsire contempler ternellement.
-
-Mais cela ne peut tre tant que je vivrai dans ce corps mortel.
-
-Il faut donc que je me prpare une grande patience, et que je soumette
- votre volont tous mes dsirs.
-
-Car vos Saints, Seigneur, qui, ravis d'allgresse, rgnent maintenant
-avec vous dans le ciel, ont aussi, pendant qu'ils vivaient, attendu avec
-une grande foi et une grande patience l'avnement de votre gloire.
-
-Je crois ce qu'ils ont cru; ce qu'ils ont espr, je l'espre; j'ai la
-confiance de parvenir, aid de votre grce, l o ils sont parvenus.
-
-Jusque-l, je marcherai dans la foi, fortifi par leurs exemples.
-
-J'aurai aussi les Livres saints pour me consoler et m'instruire, et
-par-dessus tout votre sacr Corps, pour remde et pour refuge.
-
-4. Car je sens que deux choses me sont ici-bas souverainement
-ncessaires, et que sans elles je ne pourrais porter le poids de cette
-misrable vie.
-
-Enferm dans la prison du corps, j'ai besoin d'aliments et de lumire.
-
-C'est pourquoi vous avez donn ce pauvre infirme votre chair sacre,
-pour tre la nourriture de son me et de son corps, et _votre parole
-pour luire comme une lampe devant ses pas_[679].
-
- [679] Ps. CXVIII, 105.
-
-Je ne pourrais vivre sans ces deux choses: car la parole de Dieu est la
-lumire de l'me, et votre Sacrement le pain de vie.
-
-On peut encore les regarder comme deux tables places dans les trsors
-de l'glise.
-
-L'une est la table de l'autel sacr, sur lequel repose un pain
-sanctifi, c'est--dire le Corps prcieux de Jsus-Christ.
-
-L'autre est la table de la loi divine, qui contient la doctrine sainte,
-qui enseigne la vraie foi, qui soulve le voile du sanctuaire, et nous
-conduit avec sret jusque dans le Saint des saints.
-
-Je vous rends grces, Seigneur Jsus, lumire de l'ternelle lumire, de
-nous avoir donn, par le ministre des prophtes, des aptres et des
-autres docteurs, cette table de la doctrine sainte.
-
-5. Je vous rends grces, Crateur et Rdempteur des hommes, de ce
-qu'afin de manifester votre amour au monde, vous avez prpar un grand
-festin, o vous nous offrez pour nourriture, non l'agneau figuratif,
-mais votre trs-saint Corps et votre Sang.
-
-Dans ce sacr banquet, que partagent avec nous les Anges, mais dont ils
-gotent plus vivement la douceur, vous comblez de joie tous les fidles,
-et vous les enivrez du calice du salut, qui contient toutes les dlices
-du ciel.
-
-6. Oh! qu'elles sont grandes, qu'elles sont glorieuses les fonctions des
-prtres, qui il a t donn de consacrer le Dieu de majest par des
-paroles saintes, de le bnir de leurs lvres, de le tenir entre leurs
-mains, de le recevoir dans leur bouche, et de le distribuer aux autres
-hommes!
-
-Oh! qu'elles doivent tre innocentes les mains du prtre, que sa bouche
-doit tre pure, son corps saint et son me exempte des plus lgres
-taches, pour recevoir si souvent l'Auteur de la puret!
-
-Il ne doit sortir rien que de saint, rien que d'honnte, rien que
-d'utile, de la bouche du prtre qui participe si frquemment au
-Sacrement de Jsus-Christ.
-
-7. Qu'ils soient simples et chastes les yeux qui contemplent
-habituellement le Corps de Jsus-Christ. Qu'elles soient pures et
-leves au ciel, les mains qui touchent sans cesse le Crateur du ciel
-et de la terre.
-
-C'est aux prtres surtout qu'il est dit dans la Loi: _Soyez saints,
-parce que je suis saint, moi le Seigneur votre Dieu_[680].
-
- [680] Lev., XIX, 2; XX, 7.
-
-8. Que votre grce nous aide, Dieu tout-puissant, nous qui avons t
-revtus du sacerdoce, afin que nous puissions vous servir dignement,
-avec une vraie pit et une conscience pure.
-
-Et si nous ne pouvons vivre dans une innocence aussi parfaite que nous
-le devrions, accordez-nous du moins de pleurer sincrement nos fautes,
-et de former, en esprit d'humilit, la ferme rsolution de vous servir
-dsormais avec plus de ferveur.
-
-
-RFLEXION.
-
- Qu'est-ce que la terre? Un lieu d'exil, _une valle de larmes_, comme
- l'appelle l'glise. L'homme y cherche dans les tnbres la vrit, qui
- est la vie de son intelligence; il y cherche, au milieu de maux sans
- nombre, un bien, il ne sait quel bien, immense, inpuisable, ternel,
- qui est la vie de son coeur: et tout ce qu'il cherche lui chappe. Le
- doute, l'opinion, l'erreur, fatiguent sa raison puise. Ce qu'il a
- cru des biens se change en amertume. Il trouve au fond de tout le vide
- et l'ennui. Est-il seul, son me retombe avec douleur sur elle-mme:
- il a besoin de support, et malheur lui s'il met sa confiance dans
- les autres hommes! Ils se masquent pour le surprendre, ils profanent
- pour le tromper le nom d'ami: tandis que leur bouche lui sourit, ils
- lui tendent des piges dans l'ombre, et quand force de ruses, de
- mensonges et de basses noirceurs, ils l'ont envelopp de leurs rets,
- tout coup, se dvoilant, ils se ruent sur lui et le dvorent, comme
- l'hyne dvore sa proie. Lamentable condition! Mais Dieu n'a pas
- abandonn sa pauvre crature dans ces extrmits de la misre. Il
- l'claire par sa parole, il la soutient par sa grce, il l'anime, il
- la console par la foi d'une vie meilleure, par l'esprance de
- possder, aprs ces jours d'preuve, le bien auquel elle aspire, le
- bien infini, qui est lui-mme. Et ces dons merveilleux d'un amour
- innarrable, rassembls, concentrs, en quelque sorte, dans la divine
- Eucharistie, y sont offerts nos dsirs sans autre mesure que ces
- dsirs mmes. Toutes les fois que nous approchons de cet auguste
- Sacrement, nous recevons en nous la Sagesse, la Lumire incre, le
- Verbe de Dieu, la Parole vivante; nous recevons l'Auteur de la grce,
- le Consommateur de la foi, le gage immortel de notre esprance: la
- chair crucifie pour nous s'incorpore notre chair, le sang qui a
- sauv le monde se mle notre sang; un saint baiser unit notre me
- l'me du Rdempteur; sa Divinit nous pntre, et consume en nous tout
- ce que le pch avait corrompu: l'ami fidle repose dans notre sein,
- il nous parle, il nous dit: _Pose-moi comme un sceau sur ton coeur;
- car l'amour est plus fort que la mort_[681]: et alors, embrass de cet
- _amour ardent comme le feu_[682], nous ne voyons plus que le
- bien-aim, nous n'avons plus de vie que la sienne, et la tristesse de
- notre plerinage s'vanouit dans les joies du Ciel.
-
- [681] Cant., VIII, 6.
-
- [682] _Ibid._
-
-
-
-
-CHAPITRE XII.
-
-Qu'on doit se prparer avec un grand soin la sainte Communion.
-
-
-VOIX DU BIEN-AIM.
-
-1. Je suis l'ami de la puret, et c'est de moi que vient toute saintet.
-
-Je cherche un coeur pur, et l est le lieu de mon repos.
-
-_Prparez-moi un grand Cnacle, et je clbrerai chez vous la Pque avec
-mes disciples_[683].
-
- [683] Marc., XIV, 15. Luc., XXII, 12.
-
-Si vous voulez que je vienne vous, et que je demeure en vous,
-_purifiez-vous du vieux levain_[684], et nettoyez la maison de votre
-coeur.
-
- [684] I. Cor., V, 7.
-
-Bannissez-en les penses du sicle, et le tumulte des vices.
-
-_Comme le passereau qui gmit sous un toit solitaire_[685],
-rappelez-vous vos pchs dans l'amertume de votre me.
-
- [685] Ps. CI, 8.
-
-Car un ami prpare toujours son ami le lieu le meilleur et le plus
-beau; et c'est ainsi qu'il lui fait connatre avec quelle affection il
-le reoit.
-
-2. Sachez cependant que vous ne pouvez, quels que soient vos propres
-efforts, vous prparer dignement, quand vous y emploieriez une anne
-entire, sans vous occuper d'autre chose.
-
-Mais c'est par ma grce et ma seule bont qu'il vous est permis
-d'approcher de ma table, comme un mendiant invit au festin du riche, et
-qui n'a, pour reconnatre ce bienfait, que d'humbles actions de grces.
-
-Faites ce qui est en vous, et faites-le avec un grand soin. Recevez, non
-pour suivre la coutume ou pour remplir un devoir rigoureux, mais avec
-crainte, avec respect, avec amour, le corps du Seigneur bien-aim, de
-votre Dieu, qui daigne venir vous.
-
-C'est moi qui vous appelle, qui vous commande de venir: je supplerai
-ce qui vous manque; venez et recevez-moi.
-
-3. Lorsque je vous accorde le don de la ferveur, remerciez-en votre
-Dieu: car ce n'est pas que vous en soyez digne, mais parce que j'ai eu
-piti de vous.
-
-Si vous vous sentez, au contraire, aride, priez avec instance, gmissez
-et ne cessez point de frapper la porte, jusqu' ce que vous obteniez
-quelque miette de ma table, ou une goutte des eaux salutaires de la
-grce.
-
-Vous avez besoin de moi, et je n'ai pas besoin de vous. Vous ne venez
-pas moi pour me sanctifier; mais c'est moi qui viens vous pour vous
-rendre meilleur et plus saint.
-
-Vous venez pour que je vous sanctifie, et pour vous unir moi, pour
-recevoir une grce nouvelle, et vous enflammer d'une nouvelle ardeur
-d'avancer dans la vertu.
-
-Ne ngligez point cette grce; mais prparez votre coeur avec un soin
-extrme, et recevez-y votre bien-aim.
-
-4. Mais il ne faut pas seulement vous exciter la ferveur avant la
-Communion, il faut encore travailler vous y conserver aprs; et la
-vigilance qui la doit suivre n'est pas moins ncessaire que la
-prparation qui la prcde: car cette vigilance est elle-mme la
-meilleure prparation pour obtenir une grce plus grande.
-
-Rien, au contraire, n'loigne davantage des dispositions o l'on doit
-tre pour communier, que de se trop rpandre au dehors en sortant de la
-Table sainte.
-
-Parlez peu, retirez-vous dans un lieu secret, et jouissez de votre Dieu.
-
-Car vous possdez celui que le monde entier ne peut vous ravir.
-
-Je suis celui qui vous vous devez donner sans rserve; de sorte que,
-dgag de toute inquitude, vous ne viviez plus en vous, mais en moi.
-
-
-RFLEXION.
-
- La prparation la Pque nouvelle comprend deux choses: il faut
- purifier le Cnacle, et il faut l'orner; c'est--dire que, pour
- recevoir dignement le corps et le sang de Jsus-Christ, l'me doit
- tre avant tout exempte de souillures, elle doit avoir t lave dans
- les eaux de la pnitence, et ensuite s'tre exerce la pratique des
- vertus, qui la rendent agrable Dieu. Ce qui plat au Seigneur, ce
- qui attire ses grces, c'est une profonde humilit[686], un souverain
- mpris de soi-mme, une foi vive, un abandon parfait ses volonts,
- le dtachement de la terre et le dsir des biens clestes, _la charit
- qui est douce, patiente, qui n'est point jalouse, qui n'agit point
- tmrairement, qui ne s'enfle point d'orgueil, qui n'est point
- ambitieuse, qui ne cherche point ses intrts, qui ne s'aigrit de
- rien, ne souponne point le mal, ne se rjouit point de l'injustice,
- mais se rjouit de la vrit; qui souffre tout, croit tout, espre
- tout, supporte tout_[687]: charit vraiment divine, et, selon la
- doctrine du grand aptre, prfrable tout ce qu'il y a de plus
- lev. _Quand je parlerais toutes les langues des hommes et le langage
- des Anges, si je n'ai point la charit, je suis comme un airain
- sonnant, ou une cymbale retentissante. Et quand j'aurais le don de
- prophtie, quand je pntrerais tous les mystres, et que je
- possderais toute science, quand j'aurais la foi parfaite jusqu'
- transporter les montagnes, si je n'ai point la charit, je ne suis
- rien. Et quand j'aurais distribu tous mes biens pour nourrir les
- pauvres, et livr mon corps aux flammes, si je n'ai point la charit,
- tout cela ne me sert de rien_[688]. me chrtienne; qui aspirez au
- banquet nuptial, imitez donc les Vierges sages; _prenez de l'huile,
- allumez votre lampe, pour aller au-devant de l'poux_[689]; car celles
- dont les lampes seront teintes, entendront cette parole terrible: _En
- vrit je ne vous connais point_[690].
-
- [686] I. Petr., V, 5.
-
- [687] Cor., XIII, 4-7.
-
- [688] I. Cor., XIII, 1-3.
-
- [689] Luc., XXV, 4 et seq.
-
- [690] _Ibid._, 12.
-
-
-
-
-CHAPITRE XIII.
-
-Que le fidle doit dsirer de tout son coeur de s'unir Jsus-Christ
-dans la Communion.
-
-
-VOIX DU DISCIPLE.
-
-1. Qui me donnera, Seigneur, de vous trouver seul, et de vous ouvrir
-tout mon coeur, et de jouir de vous comme mon me le dsire; de sorte
-que je ne sois plus pour personne un objet de mpris, et, qu'tranger
-toute crature, vous me parliez seul, et moi vous, comme un ami parle
- son ami, et s'assied avec lui la mme table?
-
-Ce que je demande, ce que je dsire, c'est d'tre uni tout entier
-vous, que mon coeur se dtache de toutes les choses cres, et que, par
-la sainte Communion et la frquente clbration des divins mystres,
-j'apprenne goter les choses du ciel et de l'ternit.
-
-Ah! Seigneur mon Dieu, quand, m'oubliant tout fait moi-mme, serai-je
-parfaitement uni vous, et absorb en vous?
-
-Que je sois en vous, et vous en moi, et que cette union soit
-inaltrable!
-
-2. Vous tes vraiment mon bien-aim, _choisi entre mille_[691], en qui
-mon me se complat, et veut demeurer jamais.
-
- [691] Cant., V, 10.
-
-Vous tes _le Roi pacifique_[692]; en vous est la paix souveraine et le
-vrai repos; hors de vous, il n'y a que travail, douleur, misre infinie.
-
- [692] I. Paralip., XXII, 9.
-
-_Vous tes vraiment un Dieu cach_; vous vous loignez des impies, mais
-_vous aimez converser avec les humbles et les simples_[693].
-
- [693] Is., XIV, 15. Prov., III, 32.
-
-_Oh! que votre tendresse est touchante, Seigneur, vous qui, pour montrer
- vos enfants tout votre amour, daignez les rassasier d'un pain
-dlicieux qui descend du ciel_[694]!
-
- [694] Offic. du S. Sacrem.
-
-Certes, _nul autre peuple, quelque grand qu'il soit, n'a des dieux qui
-s'approchent de lui_[695], comme vous, mon Dieu; vous vous rendez
-prsent tous vos fidles, vous donnant vous-mme eux chaque jour,
-pour tre leur nourriture, et pour qu'ils jouissent de vous, afin de les
-consoler et d'lever leur coeur vers le ciel.
-
- [695] Deut., IV, 7.
-
-3. Quel est le peuple, en effet, comparable au peuple chrtien? quelle
-est, sous le ciel, la crature aussi chrie que l'me fervente en qui
-Dieu daigne entrer pour la nourrir de sa chair glorieuse?
-
- faveur ineffable! condescendance merveilleuse! amour infini, qui
-n'a t montr qu' l'homme!
-
-Mais que rendrai-je au Seigneur pour cette grce, pour cette immense
-charit?
-
-Je ne puis rien offrir mon Dieu qui lui soit plus agrable, que de lui
-donner mon coeur sans rserve, et de m'unir intimement lui.
-
-Alors mes entrailles tressailliront de joie, lorsque mon me sera
-parfaitement unie Dieu.
-
-Alors il me dira: Si vous voulez tre avec moi, je veux tre avec vous.
-Et je lui rpondrai: Daignez demeurer avec moi, Seigneur; je dsire
-ardemment d'tre avec vous. Tout mon dsir est que mon coeur vous soit
-uni.
-
-
-RFLEXION.
-
- Je m'abandonne vous, mon Dieu: votre unit pour tre fait un
- avec vous; votre infinit et votre immensit incomprhensible,
- pour m'y perdre et m'y oublier moi-mme; votre sagesse infinie, pour
- tre gouvern selon vos desseins, et non pas selon mes penses; vos
- dcrets ternels, connus et inconnus, pour m'y conformer, parce qu'ils
- sont tous galement justes; votre ternit, pour en faire mon
- bonheur; votre toute-puissance, pour tre toujours sous votre main;
- votre bont paternelle, afin que, dans le temps que vous m'avez
- marqu, vous receviez mon esprit entre vos bras; votre justice,
- autant qu'elle justifie l'impie et le pcheur, afin que, d'impie et de
- pcheur, vous le fassiez juste et saint. Il n'y a qu' cette justice
- qui punit les crimes que je ne veux pas m'abandonner; car ce serait
- m'abandonner la damnation que je mrite; et nanmoins, Seigneur,
- elle est sainte, cette justice, comme tous vos autres attributs; elle
- est sainte et ne doit pas tre prive de son sacrifice. Il faut donc
- aussi m'y abandonner, et voici que Jsus-Christ se prsente, afin que
- je m'y abandonne en lui et par lui[696].
-
- [696] Bossuet.
-
-
-
-
-CHAPITRE XIV.
-
-Du dsir ardent que quelques mes saintes ont de recevoir le Corps de
-Jsus-Christ.
-
-
-VOIX DU DISCIPLE.
-
-1. _Combien est grande, mon Dieu, l'abondance de douceur que vous avez
-rserve ceux qui vous craignent_[697]!
-
- [697] Ps. XXX, 23.
-
-Quand je viens considrer avec quel dsir et quel amour quelques mes
-fidles s'approchent, Seigneur, de votre sacrement, alors je me confonds
-souvent en moi-mme, et je rougis de me prsenter votre autel et la
-table sacre de la Communion, avec tant de froideur et de scheresse;
-d'y porter un coeur si aride, si tide, et de ne point ressentir cet
-attrait puissant, cette ardeur qu'prouvent quelques-uns de vos
-serviteurs, qui, en se disposant vous recevoir, ne sauraient retenir
-leurs larmes, tant le dsir qui les presse est grand, et leur motion
-profonde.
-
-Ils ont soif de vous, mon Dieu, qui tes la source d'eau vive; et leur
-coeur et leur bouche s'ouvrent galement pour s'y dsaltrer. Rien ne
-peut rassasier ni temprer leur faim que votre sacr Corps, qu'ils
-reoivent avec une sainte avidit et les transports d'une joie
-ineffable.
-
-2. Oh! que cette ardente foi est une preuve sensible de votre prsence
-dans le sacrement!
-
-Car _ils reconnaissent vritablement le Seigneur dans la fraction du
-pain, ceux dont le coeur est tout brlant, lorsque Jsus est avec
-eux_[698].
-
- [698] Luc., XXIV, 49.
-
-Qu'une affection si tendre, un amour si vif, est souvent loin de moi!
-
-Soyez-moi propice, bon Jsus, plein de douceur et de misricorde! Ayez
-piti d'un pauvre mendiant, et faites que j'prouve, au moins
-quelquefois, dans la sainte Communion, quelques mouvements de cet amour
-qui embrase tout le coeur, afin que ma foi s'affermisse, que mon
-esprance en votre bont s'accroisse, et qu'enflamm par cette manne
-cleste, jamais la charit ne s teigne en moi.
-
-3. Dieu de bont, vous tes tout-puissant pour m'accorder la grce que
-j'implore, pour me remplir de l'esprit de ferveur, et me visiter dans
-votre clmence, quand le jour choisi par vous sera venu.
-
-Car encore que je ne brle pas de la mme ardeur que ces mes pieuses,
-cependant, par votre grce, j'aspire leur ressembler, dsirant et
-demandant d'tre compt parmi ceux qui ont pour vous un si vif amour, et
-d'entrer dans leur socit sainte.
-
-
-RFLEXION.
-
- _Avant le jour de la Pque, Jsus sachant que son heure tait venue de
- passer de ce monde son Pre; comme il avait aim les siens qui
- taient dans le monde, il les aima jusqu' la fin_[699]. Ce fut alors
- qu'il institua la divine Eucharistie, comme pour perptuer sa demeure
- au milieu des disciples qu'il avait aims, et de tous ceux qu'il
- aimerait jusqu' la consommation des sicles, accomplissant ainsi
- cette promesse: _Je ne vous laisserai pas orphelins; je viendrai
- vous_[700]: et il est venu, _il a habit parmi nous, et nous avons vu
- sa gloire, la gloire du Fils unique du Pre, plein de grce et de
- vrit_[701]. Il est vrai que sa prsence se drobe nos sens; mais
- elle n'en est ni moins relle, ni moins efficace: ainsi je crois,
- Seigneur; ainsi j'adore. Si Jsus-Christ, en se donnant nous dans le
- Sacrement de l'autel, ne se couvrait pas d'un voile, s'il ne retenait
- pas en soi une partie de sa lumire, s'il se montrait selon tout ce
- qu'il est, _plus beau qu'aucun des enfants des hommes_[702], et avec
- une tendresse ineffable aspirant de s'unir nous, _corps corps,
- coeur coeur, esprit esprit_[703], notre frle humanit ne pourrait
- supporter le poids d'une flicit semblable, et l'me briserait ses
- liens mortels. C'est pourquoi le divin Sauveur a voulu ne se rendre
- visible qu' la foi seule; et la foi suffit pour embraser de telles
- ardeurs les vrais fidles, qu'il n'est rien sur la terre de comparable
- leur amour. Aucune langue ne peut exprimer ce qui se passe, dans le
- secret du coeur, entre l'poux et l'pouse: ces transports, ce calme,
- ces lans du dsir, cette joie de la possession, ces chastes
- embrassements de deux mes perdues l'une dans l'autre, cette douce
- langueur, ces paroles brlantes, ce silence plus ravissant. Ah! _si
- vous saviez le don de Dieu, et quel est celui qui vous dit: Donnez-moi
- boire, vous lui demanderiez vous-mme, et il vous donnerait de l'eau
- vive_[704]. Tous les saints lui ont demand, et il a entendu leur
- voix, et il les a dsaltrs la source ternelle. Demandez aussi,
- priez, suppliez: _l'Esprit et l'pouse disent: Venez. Et que celui qui
- coute, dise: Venez. Que celui qui a soif vienne, et que celui qui
- veut, reoive gratuitement l'eau qui donne la vie._ Et l'poux dit:
- _Je viens. Ainsi soit-il! Venez, Seigneur Jsus_[705].
-
- [699] Joann., XIII, 1.
-
- [700] _Ibid._, XIV, 18.
-
- [701] _Ibid._, I, 14.
-
- [702] Ps. XLIV.
-
- [703] Bossuet.
-
- [704] Joann., IV, 10.
-
- [705] Apoc., XXII. 17, 20.
-
-
-
-
-CHAPITRE XV.
-
-Que la grce de la dvotion s'acquiert par l'humilit et l'abngation de
-soi-mme.
-
-
-VOIX DU BIEN-AIM.
-
-1. Il faut dsirer ardemment la grce de la ferveur, ne vous lasser
-jamais de la demander, l'attendre patiemment et avec confiance, la
-recevoir avec gratitude, la conserver avec humilit, concourir avec zle
- son opration, et, jusqu' ce que Dieu vienne vous, ne vous point
-inquiter en quel temps et de quelle manire il lui plaira de vous
-visiter.
-
-Vous devez surtout vous humilier, lorsque vous ne sentez en vous que peu
-ou point de ferveur; mais ne vous laissez point trop abattre, et ne vous
-affligez point avec excs.
-
-Souvent Dieu donne en un moment ce qu'il a longtemps refus; il accorde
-quelquefois la fin de la prire, ce qu'il a diffr de donner au
-commencement.
-
-2. Si la grce tait toujours donne aussitt qu'on la dsire, ce serait
-une tentation pour la faiblesse de l'homme.
-
-C'est pourquoi l'on doit attendre la grce de la ferveur avec une
-confiance ferme et une humble patience.
-
-Lorsqu'elle vous est cependant ou refuse ou te secrtement, ne
-l'imputez qu' vous-mme et vos pchs.
-
-C'est souvent peu de chose qui arrte, ou qui affaiblit la grce; si
-pourtant l'on peut appeler peu de chose, et si l'on ne doit pas plutt
-compter pour beaucoup, ce qui nous prive d'un si grand bien.
-
-Mais, quel que soit cet obstacle, si vous le surmontez parfaitement,
-vous obtiendrez ce que vous demandez.
-
-3. Car, ds que vous vous serez donn Dieu de tout votre coeur, et
-que, cessant d'errer d'objets en objets au gr de vos dsirs, vous vous
-serez remis entirement entre ses mains, vous trouverez la paix dans
-cette union, parce que rien ne vous sera doux que ce qui peut lui
-plaire.
-
-Quiconque lvera donc son intention vers Dieu avec un coeur simple, et
-se dgagera de tout amour et de toute aversion drgle des cratures,
-sera propre recevoir la grce, et digne du don de la ferveur.
-
-Car Dieu rpand sa bndiction o il trouve des vases vides; et plus un
-homme renonce parfaitement aux choses d'ici-bas, plus il se mprise et
-meurt lui-mme, plus la grce vient lui promptement, plus elle
-remplit son coeur, et l'affranchit et l'lve.
-
-4. Alors, ravi d'tonnement, il verra ce qu'il n'avait point vu, et il
-sera dans l'abondance, et son coeur se dilatera, parce que le Seigneur
-est avec lui, et qu'il s'est lui-mme remis sans rserve et pour
-toujours entre ses mains.
-
-C'est ainsi que sera bni l'homme qui cherche Dieu de tout son coeur, et
-_qui n'a pas reu son me en vain_[706].
-
- [706] Ps. XXIII, 4.
-
-Ce disciple fidle, en recevant la sainte Eucharistie, mrite d'obtenir
-la grce d'une union plus grande avec le Seigneur, parce qu'il ne
-considre point ce qui lui est doux, ce qui le console, mais, au-dessus
-de toute douceur et de toute consolation, l'honneur et la gloire de
-Dieu.
-
-
-RFLEXION.
-
- Bien qu'on doive aimer Dieu pour lui seul, il est permis de dsirer
- ses dons, pourvu qu'on demeure pleinement soumis sa volont sainte.
- Les grces les plus prcieuses ne sont pas toujours les grces
- senties, celles qui, pour ainsi dire, inondent l'me de lumire et de
- joie. Elles peuvent, si l'on n'y prend garde, exciter la vaine
- complaisance. Souvent il est plus sr de marcher en cette vie dans les
- tnbres de la pure foi, d'tre prouv par la tristesse, la
- souffrance, l'amertume, et de porter la Croix intrieure comme Jsus,
- lorsqu'il s'criait: _Mon Pre! pourquoi m'avez-vous dlaiss_[707]?
- Alors tout orgueil est abattu; on ne trouve en soi qu'infirmit; on
- s'humilie sous la main qui frappe, mais qui frappe pour gurir, et ce
- saint exercice d'abngation, plus mritoire pour l'me fidle et plus
- agrable Dieu qu'aucune ferveur sensible, attendrit le cleste poux
- et le ramne prs de l'pouse qui, prive de son bien-aim, _veillait_
- dans sa douleur, _semblable au passereau solitaire qui gmit sous le
- toit_[708]. Il se dcouvre elle dans la divine Eucharistie; il la
- console, il essuie ses larmes, il lui prodigue ses chastes caresses,
- il l'embrase de son amour, comme les disciples d'Emmas, alors qu'ils
- disaient: _Notre coeur n'tait-il pas tout brlant au dedans de nous,
- lorsqu'il nous parlait dans le chemin, et nous ouvrait les
- critures[709]?_ Seigneur, je m'avoue indigne de goter ces
- ravissantes douceurs. _Je connais mon iniquit, et mon pch est sans
- cesse devant moi_[710]. Que me devez-vous, sinon la rigueur et le
- chtiment? Et toutefois j'oserai implorer votre misricorde immense:
- je m'approcherai, le front contre terre, de la source d'eau vive,
- esprant que votre piti en laissera tomber quelques gouttes sur mon
- me aride. _Accordez-moi, Seigneur, ce rafrachissement avant que je
- m'en aille, et bientt je ne serai plus_[711].
-
- [707] Marc., XV, 34.
-
- [708] Ps. CI, 8.
-
- [709] Luc., XXIV, 32.
-
- [710] Ps. L, 5.
-
- [711] Ps. XXVIII, 14.
-
-
-
-
-CHAPITRE XVI.
-
-Qu'il faut dans la Communion exposer ses besoins Jsus-Christ, et lui
-demander sa grce.
-
-
-VOIX DU DISCIPLE.
-
-1. Seigneur plein de tendresse et de bont, que je dsire recevoir en ce
-moment avec un pieux respect, vous connaissez mon infirmit et mes
-pressants besoins; vous savez en combien de maux et de vices je suis
-plong, quelles sont mes peines, mes tentations, mes troubles et mes
-souillures.
-
-Je viens vous chercher le remde, pour obtenir un peu de soulagement
-et de consolation.
-
-Je parle celui qui sait tout, qui voit tout ce qu'il y a de plus
-secret en moi, et qui seul peut me secourir et me consoler parfaitement.
-
-Vous savez quels biens me sont principalement ncessaires, et combien je
-suis pauvre en vertus.
-
-2. Voil que je suis devant vous, pauvre et nu, demandant votre grce,
-implorant voire misricorde.
-
-Rassasiez ce mendiant affam, rchauffez ma froideur du feu de votre
-amour, clairez mes tnbres par la lumire de votre prsence.
-
-Changez pour moi toutes les choses de la terre en amertume; faites que
-tout ce qui m'est dur et pnible, fortifie ma patience: que je mprise
-et que j'oublie tout ce qui est cr, tout ce qui passe.
-
-levez mon coeur vous dans le ciel, et ne me laissez pas errer sur la
-terre.
-
-Que, de ce moment et jamais, rien ne me soit doux que vous seul, parce
-que vous seul tes ma nourriture, mon breuvage, mon amour, ma joie, ma
-douceur et tout mon bien.
-
-3. Oh! que ne puis-je, enflamm, embras par votre prsence, tre
-transform en vous, de sorte que je devienne un mme esprit avec vous,
-par la grce d'une union intime, et par l'effusion d'un ardent amour!
-
-Ne souffrez pas que je m'loigne de vous sans m'tre rassasi et
-dsaltr; mais usez envers moi de la mme misricorde dont vous avez
-souvent us avec vos Saints d'une manire si merveilleuse.
-
-Qui pourrait s'tonner qu'en m'approchant de vous je fusse entirement
-consum de votre ardeur, puisque vous tes un feu qui brle toujours et
-ne s'teint jamais, un amour qui purifie les coeurs, et qui claire
-l'intelligence?
-
-
-RFLEXION.
-
- Ce n'est point en nous efforant d'lever notre esprit de sublimes
- penses, que nous recueillerons le fruit de la sainte Communion; mais
- en adorant, pleins d'amour, Jsus-Christ en nous, en lui ouvrant notre
- coeur avec une grande confiance et une grande simplicit, _comme un
- ami parle son ami_[712]. Nous avons des besoins, il faut les lui
- exposer. Nous sommes couverts de plaies, il faut les lui montrer, afin
- qu'il les lave dans son divin sang. Nous sommes faibles, il faut lui
- demander de ranimer nos forces. Nous sommes nus, affams, altrs; il
- faut lui dire: Ayez piti de ce pauvre mendiant. De lui dcoulent
- toutes les grces. coutez ses paroles: _Je suis la rsurrection et la
- vie: celui qui croit en moi, encore qu'il soit mort, il vivra: et tout
- homme qui vit et qui croit en moi ne mourra point jamais.
- Croyez-vous ainsi[713]?_ chrtien! je ne te dis plus rien: c'est
- Jsus-Christ qui te parle en la personne de Marthe; rponds avec elle.
- _Oui, Seigneur, je crois que vous tes le Christ, fils du Dieu vivant,
- qui tes venu en ce monde_[714]. Ajoutez avec saint Paul: _Afin de
- sauver les pcheurs, desquels je suis le premier_[715]. Crois donc,
- me chrtienne, adore, espre, aime. Jsus! tez les voiles, et que
- je vous voie. Jsus! parlez dans mon coeur, et faites que je vous
- coute. Parlez, parlez, parlez; Il n'y a plus qu'un moment: parlez.
- Donnez-moi des larmes pour vous rpondre: frappez la pierre; et que
- les eaux d'un amour plein d'esprance, pntr de reconnaissance,
- coulent jusqu' terre[716].
-
- [712] Levit., XXXIII, 11.
-
- [713] Joann., XI, 25, 26.
-
- [714] Joann., XI, 27.
-
- [715] I. Tim., I, 15.
-
- [716] Bossuet.
-
-
-
-
-CHAPITRE XVII.
-
-Du dsir ardent de recevoir Jsus-Christ.
-
-
-VOIX DU DISCIPLE.
-
-1. Seigneur, je dsire vous recevoir avec un pieux et ardent amour, avec
-toute la tendresse et l'affection de mon coeur, comme vous ont dsir
-dans la Communion tant de Saints et de fidles qui vous taient si
-chers, cause de leur vie pure et de leur fervente pit.
-
- mon Dieu! Amour ternel, mon unique bien, ma flicit toujours
-durable, je dsire vous recevoir avec toute la ferveur, tout le respect
-qu'ait jamais pu ressentir aucun de vos Saints.
-
-2. Et quoique je sois indigne d'prouver ces admirables sentiments
-d'amour, je vous offre cependant toute l'affection de mon coeur, comme
-si j'tais anim seul de ces dsirs enflamms qui vous sont si
-agrables.
-
-Tout ce que peut concevoir et dsirer une me pieuse, je vous le
-prsente, je vous l'offre, avec un respect profond et une vive ardeur.
-
-Je ne veux rien me rserver; mais je veux vous offrir sans rserve le
-sacrifice de moi-mme et de tout ce qui est moi.
-
-Seigneur mon Dieu, mon Crateur et mon Rdempteur, je dsire vous
-recevoir aujourd'hui avec autant de ferveur et de respect, avec autant
-de zle pour votre gloire, avec autant de reconnaissance, de saintet,
-d'amour, de foi, d'esprance et de puret, que vous dsira et vous reut
-votre sainte Mre, la glorieuse Vierge Marie; lorsque, l'Ange lui
-annonant le mystre de l'Incarnation, elle rpondit avec une pieuse
-humilit: _Voici la servante du Seigneur; qu'il me soit fait selon votre
-parole_[717].
-
- [717] Luc., I, 38.
-
-3. Et de mme que votre bienheureux prcurseur, le plus grand des
-Saints, Jean-Baptiste, lorsqu'il tait encore dans le sein de sa mre,
-tressaillit de joie en votre prsence, par un mouvement du Saint-Esprit,
-et que, vous voyant ensuite converser avec les hommes, il disait avec un
-tendre amour et en s'humiliant profondment: _L'ami de l'poux, qui est
-prs de lui et qui l'coute, est ravi d'allgresse, parce qu'il entend
-la voix de l'poux_[718]; ainsi je voudrais tre embras des plus
-saints, des plus ardents dsirs, et m'offrir vous de toute l'affection
-de mon coeur.
-
- [718] Joann., III, 29.
-
-C'est pourquoi je vous offre tous les transports d'amour et de joie, les
-extases, les ravissements, les rvlations, les visions clestes de
-toutes les mes saintes, avec les hommages que vous rendent et vous
-rendront jamais toutes les cratures dans le ciel et sur la terre; je
-vous les offre ainsi que leurs vertus, pour moi et pour tous ceux qui se
-sont recommands mes prires, afin qu'ils clbrent dignement vos
-louanges, et vous glorifient ternellement.
-
-4. Seigneur mon Dieu, recevez mes voeux, et le dsir qui m'anime de vous
-louer, de vous bnir, avec l'amour immense, infini, d votre ineffable
-grandeur.
-
-Voil ce que je vous offre, et ce que je voudrais vous offrir chaque
-jour et chaque moment; et je prie et je conjure, de tout mon coeur,
-tous les esprits clestes et tous vos fidles serviteurs, de s'unir
-moi pour vous louer, et vous rendre de dignes actions de grces.
-
-5. Que tous les peuples, toutes les tribus, toutes les langues vous
-bnissent, et clbrent, dans des transports de joie et d'amour, la
-douceur et la saintet de votre nom.
-
-Que tous ceux qui offrent, avec rvrence et avec pit, les divins
-mystres, et qui les reoivent avec une pleine foi, trouvent devant vous
-grce et misricorde, et qu'ils prient avec instance pour moi, pauvre
-pcheur.
-
-Et lorsque aprs s'tre unis vous, selon leurs pieux dsirs, ils se
-retireront de la Table sainte, rassasis et consols merveilleusement,
-qu'ils daignent se souvenir de moi, qui languis dans l'indigence.
-
-
-RFLEXION.
-
- Que cet adorable Sacrement opre en moi, mon Sauveur! la rmission
- de mes pchs; que ce sang divin me purifie; qu'il lave toutes les
- taches qui ont souill cette robe nuptiale dont vous m'aviez revtu
- dans le baptme, afin que je puisse m'asseoir avec assurance au
- banquet des noces de votre Fils. Je suis, je l'avoue, une me
- pcheresse, une pouse infidle, qui ai manqu une infinit de fois
- la foi donne: _Mais revenez_, me dites-vous, Seigneur! _revenez, je
- vous recevrai_[719]: pourvu que vous ayez repris votre premire robe,
- et que vous portiez, dans l'anneau que l'on vous met au doigt, la
- marque de l'union o le Verbe divin entre avec vous. Rendez-moi cet
- anneau mystique: revtez-moi de nouveau, mon Pre, comme un enfant
- prodigue qui retourne vous, de cette robe de l'innocence et de la
- saintet que je dois apporter votre Table. C'est l'immortelle parure
- que vous nous demandez, vous qui tes en mme temps l'poux, le
- convive et la victime immole qu'on nous donne manger. C'est cette
- Table mystrieuse que l'on trouve l'accomplissement de cette parole:
- _Qui me mange vivra pour moi_[720]. Qu'elle s'accomplisse en moi,
- mon Sauveur! que j'en sente l'effet: transformez-moi en vous, et que
- ce soit vous-mme qui viviez en moi. Mais, pour cela, que je
- m'approche de ce cleste repos avec les habits les plus magnifiques;
- que j'y vienne avec toutes les vertus; que j'y coure avec une joie
- digne d'un tel festin et de la viande immortelle que vous m'y
- donnez[721].
-
- [719] Jer., III, 1.
-
- [720] Joann., VI, 58.
-
- [721] Bossuet.
-
-
-
-
-CHAPITRE XVIII.
-
-Qu'on ne doit point chercher pntrer le mystre de l'Eucharistie,
-mais qu'il faut soumettre ses sens la Foi.
-
-
-VOIX DU BIEN-AIM.
-
-1. Gardez-vous du dsir curieux et inutile de sonder ce profond mystre,
-si vous ne voulez pas vous plonger dans un abme de doutes.
-
-_Celui qui scrute la majest sera accabl par la gloire_[722].
-
- [722] Prov., XXV, 27.
-
-Dieu peut faire plus que l'homme ne peut comprendre.
-
-On ne dfend pas une humble et pieuse recherche de la vrit, pourvu
-qu'on soit toujours prt se laisser instruire, et qu'on s'attache
-fidlement la sainte doctrine des Pres.
-
-2. Heureuse la simplicit qui laisse le sentier des questions
-difficiles, pour marcher dans la voie droite et sre des commandements
-de Dieu.
-
-Plusieurs ont perdu la pit en voulant approfondir ce qui est
-impntrable.
-
-Ce qu'on demande de vous, c'est la foi et une vie pure, et non une
-intelligence qui pntre la profondeur des mystres de Dieu.
-
-Si vous ne comprenez pas ce qui est au-dessous de vous, comment
-comprendrez-vous ce qui est au-dessus?
-
-Soumettez-vous humblement Dieu, captivez votre raison sous le joug de
-la foi; et vous recevrez la lumire de la science, selon qu'il vous sera
-utile ou ncessaire.
-
-3. Plusieurs sont violemment tents sur la foi ce Sacrement; mais il
-faut l'imputer moins eux qu' l'ennemi.
-
-Ne vous troublez point, ne disputez point avec vos penses, ne rpondez
-point aux doutes que le dmon vous suggre; mais croyez la parole de
-Dieu, croyez ses Saints et ses Prophtes, et l'esprit de malice
-s'enfuira loin de vous.
-
-Il est souvent trs-utile un serviteur de Dieu d'tre prouv ainsi.
-
-Car le dmon ne tente point les infidles et les pcheurs qui sont lui
-dj; mais il attaque et tourmente de diverses manires les mes pieuses
-et fidles.
-
-4. Allez donc avec une foi simple et inbranlable, et recevez le
-Sacrement avec un humble respect, vous reposant sur la toute-puissance
-de Dieu, de ce que vous ne pourrez comprendre.
-
-Dieu ne trompe point; mais celui qui se croit trop lui-mme est souvent
-tromp.
-
-Dieu s'approche des simples; il se rvle aux humbles, _il donne
-l'intelligence aux petits_[723], et il cache sa grce aux curieux et aux
-superbes.
-
- [723] Ps. CXVIII, 130.
-
-La raison de l'homme est faible, et se trompe aisment; mais la vraie
-foi ne peut tre trompe.
-
-5. La raison et toutes les recherches naturelles doivent suivre la foi,
-et non la prcder ni la combattre.
-
-Car la foi et l'amour s'lvent par-dessus tout, et oprent d'une
-manire inconnue dans le trs-saint et trs-auguste Sacrement.
-
-Dieu ternel, immense, infiniment puissant, fait dans le ciel et sur la
-terre des choses grandes, incomprhensibles, et nul ne saurait pntrer
-ses merveilles.
-
-Si les oeuvres de Dieu taient telles que la raison de l'homme pt
-aisment les comprendre, elles cesseraient d'tre merveilleuses et ne
-pourraient tre appeles ineffables.
-
-
-RFLEXION.
-
- L'impie veut savoir, et c'est l sa perte. Il demande le salut la
- science, il le demande l'orgueil, il se le demande lui-mme: et du
- fond de son intelligence tnbreuse, de sa nature impuissante et
- dgrade, sort une rponse de mort. Chrtiens, ne l'oubliez jamais,
- _le juste vit de la foi_[724]. Vivez donc de la foi, en vivant de
- l'adorable Eucharistie, qui en est la plus forte comme la plus douce
- preuve. Celui _qui est la voie, la vrit, la vie_[725],
- Jsus-Christ, fils de Dieu, a parl; il a dit: _Ceci est mon corps,
- ceci est mon sang_[726]. _Le croyez-vous ainsi_[727]? Oui, je le crois
- ainsi, Seigneur. _Le ciel et la terre passeront, mais vos paroles ne
- passeront point_[728]. Je crois et je confesse que ce qui tait du
- pain est vraiment votre corps, que ce qui tait du vin est vraiment
- votre sang. Mon esprit se soumet, et impose silence aux sens rvolts.
- _Dieu a tant aim l'homme qu'il a donn pour lui son fils
- unique_[729]: et pour complter, pour perptuer jamais ce grand don,
- le Fils aussi se donne l'homme, tous les jours, la Table sainte,
- rellement et substantiellement. Encore un coup, je crois, Seigneur,
- _je crois l'amour que Dieu a eu pour nous_[730], l'amour du Pre,
- l'amour du Fils; et cet amour infini explique tout, claircit tout,
- satisfait tout. Qu'importe que nous comprenions? Ne savons-nous pas
- que vos _voies sont impntrables_[731], _et que celui qui scrute la
- majest sera opprim par la gloire_[732]? Notre bonheur est de croire
- sans comprendre; notre bonheur est de nous plonger les yeux ferms et
- de nous perdre dans l'abme incomprhensible de votre amour. Que la
- raison superbe et contentieuse se taise donc: qu'elle cesse d'opposer
- insolemment sa faiblesse votre toute-puissance. ses doutes, ses
- demandes curieuses, nous n'avons qu'une rponse: _Dieu a tant aim!_
- et cette rponse suffit, et nulle autre ne suffit sans elle. Elle
- pntre comme une vive lumire, au fond du coeur en tat de
- l'entendre, _du coeur qui croit l'amour_, qui sait et qui sent ce
- que c'est que d'aimer. Vous vous tonnez qu'un Dieu se cache sous les
- faibles apparences d'un pain terrestre et corruptible, que le Sauveur
- des hommes se soit fait leur aliment; vous hsitez, votre foi
- chancelle: c'est que vous n'aimez pas! et vous, mes croyantes, mes
- fidles, allez l'autel avec joie, fermet, confiance; allez Jsus,
- allez au banquet mystrieux de l'amour. Et o irions-nous, Seigneur?
- Quoi! la chair et au sang, la raison, la philosophie? aux sages
- du monde? aux murmurateurs, aux incrdules, ceux qui sont encore
- tous les jours nous demander: Comment nous peut-il donner sa chair
- manger? comment est-il dans le ciel, si, en mme temps, on le mange
- sur la terre? Non, Seigneur, nous ne voulons point aller eux, ni
- suivre ceux qui vous quittent. Nous suivrons saint Pierre, et nous
- dirons[733]: _Matre, o irions-nous? vous avez les paroles de la vie
- ternelle_[734].
-
- [724] Rom., I, 17.
-
- [725] Joann., XIV, 6.
-
- [726] Matth., XXVI, 26, 28.
-
- [727] Joann., XI, 26.
-
- [728] Matth., XXIV, 35.
-
- [729] Joann., III, 16.
-
- [730] I. Joan., IV, 16.
-
- [731] Rom., XI, 33.
-
- [732] Prov., XXV, 27.
-
- [733] Joann., VI, 60.
-
- [734] Bossuet.
-
-
-FIN DU LIVRE QUATRIME.
-
-
-
-
-PRIRES PENDANT LA MESSE.
-
-
-_Ces Prires sont extraites du MANUEL DE PIT de Fnelon_.
-
-
- La Messe est de toutes les actions du Christianisme la plus glorieuse
- Dieu et la plus utile au salut de l'homme. Jsus-Christ y renouvelle
- le grand mystre de la Rdemption. Il se fait encore dans ce sacrifice
- rel, quoique non sanglant, notre victime, et vient en personne nous
- appliquer chacun en particulier les mrites de ce sang adorable
- qu'il a rpandu pour nous tous sur la croix. Assistez donc la sainte
- messe avec modestie, avec attention, avec respect; venez-y avec des
- dispositions vraiment chrtiennes; prenez-y l'esprit de Jsus-Christ,
- offrez-vous avec lui et par lui.
-
-
-AVANT LA MESSE.
-
-Je crois fermement, mon Dieu! que la Messe est le sacrifice non
-sanglant du corps et du sang de Jsus-Christ, votre Fils. Faites que j'y
-assiste aujourd'hui avec l'attention, le respect et la frayeur que
-demandent de si redoutables mystres.
-
-Je m'unis au prtre et toute votre glise, pour vous offrir ce
-sacrifice dans les mmes rues, dans lesquelles Jsus-Christ l'a offert.
-
-Ne permettez pas que j'entre dans la salle du festin des noces de votre
-Fils, sans avoir la robe nuptiale. Purifiez mon me; les choses saintes
-sont pour les saints; il ne m'est pas permis d'approcher si prs de
-vous, que je n'aie t auparavant mes souliers de mes pieds,
-c'est--dire l'attachement et l'affection de mon coeur au pch. Je
-dteste donc tous mes pchs; je vous en demande pardon, j'y renonce
-jamais.
-
-
-PENDANT QUE LE PRTRE EST AU BAS DE L'AUTEL.
-
- Le prtre, tant au pied de l'autel, commence par le signe de la
- croix, pour faire concevoir la pense de l'auguste prsence de la
- Sainte Trinit, et invoquer son secours. Le _Confiteor_ se dit pour
- demander pardon Dieu de nos pchs par les mrites de Jsus-Christ
- notre Sauveur, de la sainte Vierge et de tous les Saints.
-
-Mon Dieu! faites que je connaisse et que je sente le nombre et
-l'normit de mes pchs; je vous supplie, par les mrites de
-Jsus-Christ et par l'intercession de la sainte Vierge et de tous les
-Saints, de m'en accorder le pardon et la rmission.
-
-
-LORSQUE LE PRTRE MONTE L'AUTEL.
-
- Le prtre baise l'autel pour marque de l'esprance qu'il a d'tre
- rconcili avec Dieu. Animons-nous avec lui d'une sainte confiance.
-
-
- L'INTROT.
-
-Mon Dieu! purifiez par votre grce mon coeur et mes lvres, pour me
-rendre digne de vous offrir avec le prtre les louanges qu'il vous
-donne, et d'obtenir la misricorde qu'il vous demande pour moi et pour
-tous les fidles vivants et morts.
-
-
-AU KYRIE ELEISON.
-
- Ces mots grecs signifient: _Seigneur, ayez piti de nous! Christ, ayez
- piti de nous!_ Chaque invocation se rpte trois fois, afin d'exciter
- l'attention et la ferveur des fidles, et de nous faire voir que ce
- n'est qu' force de prier que nous pouvons obtenir le secours de Dieu
- dans nos besoins.
-
-Pre tout-puissant qui nous avez crs, ayez piti de nous! Fils ternel
-qui nous avez rachets, ayez piti de nous! Esprit saint, qui seul
-pouvez nous sanctifier, ayez piti de nous!
-
-
-AU GLORIA IN EXCELSIS.
-
- Le _Gloria in excelsis_ est un cantique de joie compos par les anges
- et par les hommes; l'glise y exprime le respect qu'elle a pour la
- majest de Dieu, et l'amour qu'elle porte son fils Jsus-Christ.
-
- Gloire Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes
- de bonne volont. Nous vous louons. Nous vous bnissons. Nous vous
- adorons. Nous vous glorifions. Nous vous rendons grces cause de
- votre grande gloire. Seigneur Dieu! Roi du ciel, Dieu! Pre
- tout-puissant! Seigneur, Fils unique de Dieu, Jsus-Christ. Seigneur
- Dieu, Agneau de Dieu, Fils du Pre. Vous qui effacez les pchs du
- monde, ayez piti de nous. Vous qui effacez les pchs du monde,
- recevez notre prire. Vous qui tes assis la droite de Dieu, ayez
- piti de nous. Car vous tes le seul Saint, le seul Seigneur, le seul
- Trs-Haut, Jsus-Christ, avec le Saint-Esprit, en la gloire de Dieu
- le Pre. Ainsi soit-il.
-
- Gloria in excelsis Deo, et in terr pax hominibus bon voluntatis.
- Laudamus te. Benedicimus te. Adoramus te. Glorificamus te. Gratias
- agimus tibi, propter magnam gloriam tuam. Domine Deus, Rex coelestis,
- Deus pater omnipotens. Domine, Fili unigenite, Jesu Christe. Domine
- Deus, Agnus Dei, Filius Patris. Qui tollis peccata mundi, miserere
- nobis. Qui tollis peccata mundi, suscipe deprecationem nostram. Qui
- sedes ad dexteram Patris, miserere nobis. Quoniam tu solus Sanctus, tu
- solus Dominus, tu solus Altisssimus, Jesu Christe, cum sancto Spiritu,
- in glori Dei Patris. Amen.
-
- Aprs le _Gloria_, le prtre se tourne vers les fidles, en disant:
- _Dominus vobiscum_, c'est--dire, que le Seigneur soit avec vous, pour
- les avertir qu'il va prier pour lui et pour eux.
-
-Seigneur, rpandez votre esprit sur le prtre et sur nous, afin que nous
-puissions vous bien prier et tre exaucs pour votre gloire et pour
-notre salut.
-
-
-PENDANT L'OREMUS.
-
- Par ce mot _oremus_, qui veut dire _prions_, le prtre nous invite
- nous unir lui pour l'accomplissement de nos demandes Dieu. Il
- finit l'oraison par les mots de _per Dominum nostrum Jesum Christum,
- etc._, c'est--dire, Seigneur nous vous demandons ces choses par
- Jsus-Christ, notre mdiateur auprs de vous.
-
-Seigneur, daignez couter favorablement les prires que le prtre vous
-adresse pour nous. Donnez-nous, s'il vous plat, les grces et les
-vertus dont nous avons besoin pour mriter le bonheur ternel.
-Remplissez notre coeur de reconnaissance pour vos bonts, d'aversion
-pour nos dfauts, de charit pour notre prochain, mme pour nos ennemis.
-Enfin, mon Dieu, faites que nous nous conduisions en tout temps et en
-toute occasion d'une manire qui vous soit agrable. Nous sommes
-indignes de toutes ces grces, mais nous vous les demandons au nom et
-par les mrites de Jsus-Christ, qui les a mrites pour nous.
-
-
-DE L'AMEN.
-
- On rpond _Amen_, aprs les oraisons, c'est--dire, _ainsi soit-il_,
- pour montrer que nous consentons aux paroles du prtre, et que nous
- ratifions toutes les demandes qu'il a faites Dieu.
-
-
- L'PTRE.
-
- L'ptre contient les enseignements des Prophtes et des Aptres; elle
- nous apprend connatre, servir Dieu, et nous prpare la
- perfection de la loi qui est renferme dans l'vangile.
-
-Seigneur, vos saintes critures nous apprennent qu'il faut fuir le pch
-comme un serpent; qu'il faut nous abstenir de tout ce qui a quelque
-apparence de mal; qu'il faut nous supporter charitablement les uns les
-autres, souffrir patiemment les injures et les injustices qu'on nous
-fera, ne rendre jamais le mal pour le mal, et tcher de gagner ceux qui
-nous perscutent en leur faisant du bien. Imprimez, mon Dieu! toutes
-ces vrits dans notre coeur, et faites, par votre grce, que nous nous
-y conformions dans toute notre conduite.
-
-
- L'VANGILE.
-
- L'vangile contient la vie de Jsus-Christ et la loi qu'il nous a
- apporte; ce sont les paroles de la vie ternelle que les fidles
- doivent couter, mditer, pour en nourrir leur me. On se lve cet
- effet, afin de marquer que nous devons tout quitter pour suivre
- Jsus-Christ, et nous tenir prts ce qu'il commande dans son
- vangile. Nous faisons une croix sur notre front pour annoncer que
- nous ne rougirons jamais de l'vangile; sur notre bouche, pour montrer
- que nous serons toujours prts confesser notre foi; sur notre coeur,
- pour signifier que notre coeur sera toujours Dieu seul.
-
-Mon Dieu, vous nous enseignez dans votre vangile que tous ceux qui
-disent: Seigneur, Seigneur (c'est--dire qui se contentent de faire des
-prires sans avoir une volont sincre de garder votre loi), n'entreront
-pas dans le royaume du ciel; mais que ceux-l y entreront qui auront
-fait la volont de Dieu en pratiquant ses commandements, et en
-s'acquittant fidlement des devoirs de leur tat; vous nous enseignez
-aussi qu'il faut tre doux et humble de coeur, aimer nos ennemis,
-renoncer nous-mmes, combattre sans cesse nos mauvaises inclinations,
-porter notre croix tous les jours et mener une vie mortifie et
-pnitente. Faites-nous la grce d'aimer ces vrits, puisque ce ne sera
-qu'en les aimant que nous les observerons comme nous le devons.
-
-
-AU CREDO.
-
- Le _Credo_ est une profession de foi par laquelle le prtre et les
- fidles dclarent publiquement qu'ils croient toutes les vrits de la
- religion enseignes par l'glise.
-
- Je crois en un seul Dieu, Pre tout-puissant, qui a fait le ciel et la
- terre, et toutes les choses visibles et invisibles. Et en un seul
- Seigneur Jsus-Christ, Fils unique de Dieu, et n du Pre avant tous
- les sicles; Dieu de Dieu, lumire de lumire, vrai Dieu de vrai Dieu;
- qui n'a pas t fait, mais engendr, consubstantiel au Pre, par qui
- tout a t fait; qui est descendu des cieux pour nous autres hommes et
- pour notre salut; qui s'est incarn en prenant un corps dans le sein
- de la Vierge Marie, par l'opration du Saint-Esprit; qui S'EST FAIT
- HOMME; qui a t crucifi pour nous sous Ponce-Pilate; qui a souffert,
- et qui a t mis an tombeau; qui est ressuscit le troisime jour,
- selon les critures; qui est mont au ciel, o il est assis la
- droite du Pre; qui viendra de nouveau plein de gloire pour juger les
- vivants et les morts, et dont le rgne n'aura point de fin. Je crois
- au Saint-Esprit, qui est aussi Seigneur, et qui donne la vie; qui
- procde du Pre et du Fils; qui est ador et glorifi conjointement
- avec le Pre et le Fils; qui a parl par les Prophtes. Je crois
- l'glise, qui est Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Je confesse
- un Baptme pour la rmission des pchs. J'attends la Rsurrection des
- morts, et la vie du sicle venir. Ainsi soit-il.
-
- Credo in unum Deum, Patrem omnipotentem, factorem coeli et terr,
- visibilium omnium et invisibilium. Et in unum Dominum Jesum Christum
- Filium Dei unigenitum: Et ex Patre natum ante omnia secula: Deum de
- Deo, lumen de lumine, Deum verum de Deo vero: Genitum non factum,
- consubstantialem Patri, per quem omnia facta sunt: Qui propter nos
- homines, et propter nostram salutem descendit de Coelis: Et incarnatus
- est de Spiritu sancto, ex Mari Virgine: Et HOMO FACTUS EST.
- Crucifixus etiam pro nobis sub Pontio Pilato; passus et sepultus est.
- Et resurrexit terti die secundm Scripturas. Et ascendit in Coelum,
- sedet ad dexteram Patris. Et iterm venturus est cum glori judicare
- vivos et mortuos; cujus regni non erit finis. Et in Spiritum sanctum
- Dominum, et vivificantem; qui ex Patre Filioque procedit; qui cum
- Patre et Filio simul adoratur et conglorificatur; qui locutus est per
- Prophetas. Et Unam, Sanctam, Catholicam, et Apostolicam Ecclesiam.
- Confiteor unum Baptisma in remissionem peccatorum. Et expecto
- resurrectionem mortuorum, et vitam venturi seculi. Amen.
-
-
- L'OFFERTOIRE.
-
- Le prtre ayant dcouvert le calice, prend le pain et le vin qui vont
- tre changs en corps et sang de Jsus-Christ; il les lve un peu,
- les offre Dieu comme prpars devenir par la conscration une
- hostie sainte et sans tache, le suppliant de la recevoir pour
- l'expiation de ses pchs, de ceux des assistants et de tous les
- fidles vivants et morts. Nous devons donc nous unir au prtre dans
- cette action si utile notre salut.
-
-Pre ternel, recevez le pain et le vin qui vous sont offerts, et qui
-seront bientt changs au corps et au sang de Jsus-Christ votre Fils,
-qui veut nous servir de victime, s'offrir lui-mme pour nous, et nous
-offrir avec lui. Tout indignes que nous sommes, mon Dieu! nous vous
-offrons ce divin Fils pour vous rendre par lui toute la gloire qui vous
-est due, pour vous remercier de tous vos bienfaits, et pour obtenir par
-ses mrites la rmission de nos pchs, et toutes les grces qui nous
-sont ncessaires pour parvenir la vie ternelle.
-
-
-AU LAVABO.
-
- Le prtre ayant lav ses mains avant de commencer la messe, lave ici
- ses doigts, pour montrer que ce n'est pas assez pour clbrer les
- saints mystres de n'tre point souill d'actions criminelles, mais
- qu'il faut se purifier des moindres taches du pch.
-
-Mon Dieu, daignez laver mon me et la purifier de toutes les souillures
-du pch, dtruisez en moi jusqu'aux moindres imperfections, et rendez
-par votre sainte grce mon me aussi pure qu'elle l'tait aprs le
-baptme.
-
-
- L'ORATE FRATRES.
-
- Le prtre se tourne vers les assistants en leur disant: _Priez, mes
- frres_, pour les avertir de se joindre lui par leurs prires, et
- rendre ainsi agrable Dieu l'oblation qu'il va lui faire du
- sacrifice pour lui et pour eux.
-
-Seigneur, exaucez les prires de tous vos fidles qui sont unis pour
-vous offrir ce grand sacrifice, que nous vous supplions de recevoir pour
-la gloire de votre nom, pour notre utilit particulire et pour le bien
-de toute votre glise. Daignez mettre dans notre coeur les dispositions
-ncessaires pour assister utilement et avec fruit cette grande action
-de notre religion: sanctifiez le prtre qui clbre vos divins mystres,
-et purifiez ses mains et son coeur, afin qu'il soit en tat d'attirer
-vos grces sur lui et sur nous.
-
-
- LA PRFACE ET AU SANCTUS.
-
- Les apprts du sacrifice sont termins: le mystre de foi va
- s'accomplir. ces paroles que le prtre vous adresse, _le coeur en
- haut_, levez vos sentiments et vos penses jusqu' ces esprits
- immortels qui, la vue des merveilles de misricorde et d'amour,
- prtes se renouveler sur l'autel, font clater leurs transports par
- les plus doux cantiques, et dites avec eux:
-
-Qu'il est juste, qu'il est raisonnable, Pre tout-puissant, Dieu
-ternel, de vous rendre grces en tout temps et en tous lieux, puisque
-vous ne cessez jamais de faire du bien aux hommes! Mais comment vos
-pauvres cratures pourront-elles clbrer dignement vos grandeurs? Ce
-sera par votre Fils adorable, Jsus-Christ. Nous vous adresserons les
-louanges qu'il nous a enseignes, ou plutt nous vous offrirons celles
-qu'il vous adressera lui-mme, ce sacrifice de ses lvres, qu'il portait
-jusqu' votre trne, pendant les jours de sa vie mortelle. C'est par lui
-que les Anges glorifient votre Majest, que les Dominations, que les
-Puissances vous rvrent en tremblant. Souffrez, Pre saint,
-qu'unissant nos faibles voix leurs choeurs glorieux, nous rptions
-avec eux cet hymne, qui retentira ternellement dans la sainte Sion:
-
-Saint, Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des armes. Le ciel et la
-terre sont remplis de sa gloire et de sa puissance; gloire Dieu au
-plus haut des cieux.
-
-
-AU MEMENTO DES VIVANTS.
-
- Le prtre fait ce _Memento_, parce qu'il offre le sacrifice pour lui,
- pour tous les assistants et pour toute l'glise, c'est--dire, pour la
- socit des fidles, et particulirement pour ceux qu'il recommande
- Dieu. Imitons l'exemple du prtre, et joignons nos prires aux
- siennes.
-
-Seigneur, nous vous offrons ce grand sacrifice pour tous nos besoins, et
-principalement pour ceux de nos mes; nous vous l'offrons aussi pour
-toute l'glise, pour le Pape, pour les vques, pour les princes et
-autres suprieurs qui nous gouvernent, et pour tous les fidles qui sont
-rpandus par toute la terre. Nous vous l'offrons en particulier pour nos
-parents, pour nos bienfaiteurs, pour nos amis, et aussi pour nos
-ennemis. Nous vous supplions par les mrites de Jsus-Christ, et par
-l'intercession de la sainte Vierge et de tous les Saints, de nous donner
-la paix durant cette vie, de nous sauver de la damnation ternelle, et
-de nous mettre au nombre de vos lus, afin que nous puissions vous aimer
-et vous louer avec les Anges et les Saints pendant toute l'ternit.
-
-
- LA CONSCRATION.
-
- ce moment redoutable nous devons redoubler d'attention et de
- ferveur, en adressant Dieu toutes sortes de remercments de ce qu'il
- va nous donner de nouveau son Fils Jsus-Christ pour rdempteur.
-
-Mon Sauveur Jsus-Christ, je crois que vous faites sur l'autel, par le
-ministre du prtre, ce que vous avez fait la veille de votre mort, en
-changeant le pain et le vin en votre corps et en votre sang: daignez
-aussi changer mon coeur par la puissance de votre grce; donnez-moi un
-coeur qui soit selon le vtre.
-
-
- L'LVATION.
-
- C'est pour rendre Dieu un hommage infini, que le prtre lve en sa
- prsence le corps et le sang de Jsus-Christ. On doit alors se
- recueillir profondment prostern et en silence, pour adorer Dieu du
- fond de son coeur; on pourra dire ensuite la prire suivante:
-
-Je vous adore, mon aimable Sauveur, qui avez bien voulu tre attach
-pour moi sur la croix. bon Jsus! qui avez t le prix de mon me,
-soyez mon salut et ma vie. Je vous adore prsent sur l'autel, je
-m'anantis devant vous et avec vous, Seigneur, augmentez ma foi, mon
-respect et ma reconnaissance pour vous.
-
-
-APRS L'LVATION.
-
- Pre de misricorde! nous vous offrons cette hostie sainte qui est sur
-l'autel, pour vous rendre nos hommages et nos adorations, pour vous
-remercier de tous vos bienfaits, pour obtenir le pardon de nos pchs,
-et pour vous demander toutes les grces dont nous avons besoin pour
-mener une vie chrtienne, exempte de pchs et remplie de bonnes
-oeuvres.
-
-
-AU MEMENTO DES MORTS.
-
- Le prtre prie Dieu de se souvenir de ceux qui, tant morts dans la
- foi et dans la grce, n'ont cependant pas t trouvs assez purs pour
- entrer dans le ciel aussitt aprs leur mort, et qui souffrent les
- peines du purgatoire.
-
-Nous vous supplions aussi, mon Dieu! de vous souvenir des fidles qui
-sont morts dans votre grce, particulirement de nos parents, amis et
-bienfaiteurs; daignez leur pardonner les restes de leurs pchs, et leur
-accorder le repos ternel et la joie de votre paradis. Comme rien n'est
-bon, rien ne vous plat qu'en Jsus-Christ votre Fils, et que vous ne
-nous aimez qu' cause que nous sommes ses membres; c'est par lui que
-vous nous donnez les grces; recevez par lui nos remercments, soyez
-bni et glorifi en lui, par lui et avec lui, Dieu! Pre
-tout-puissant, en l'unit du Saint-Esprit dans tous les sicles des
-sicles.
-
-
-AU NOBIS QUOQUE PECCATORIBUS.
-
- On se frappe alors la poitrine, pour faire voir qu'on est pcheur,
- qu'on a besoin de la misricorde de Dieu; et pour l'obtenir, nous
- fondons notre esprance sur sa bont divine, et sur les mrites du
- sacrifice de Jsus-Christ renouvel sur l'autel par les mains du
- prtre.
-
-
-AU PATER.
-
- Le prtre dit cette prire, parce qu'elle fut enseigne par
- Jsus-Christ lui mme, et qu'elle est la plus sainte et la plus
- efficace que l'on puisse faire, renfermant tout ce que nous devons
- demander Dieu. Nous devons donc aussi la rciter avec ferveur et
- confiance.
-
-Mon Dieu, dlivrez-moi des pchs que j'ai commis pendant ma vie passe
-et dont je suis comptable votre justice; dlivrez-moi de mes mauvaises
-habitudes, et de ma concupiscence toujours prsente, qui me sollicite au
-mal. Enfin, mon Dieu, dlivrez-moi des tentations du dmon, de la chair
-et du monde, et de la mort ternelle.
-
-
- L'AGNUS DEI.
-
- Le prtre, avant la communion, priant pour tout le peuple, fait cette
- invocation Jsus-Christ, pour reconnatre le besoin que nous avons
- toujours de sa misricorde.
-
-Mon Sauveur Jsus-Christ, vous tes le vritable agneau de Dieu immol
-pour effacer nos pchs; faites par votre grce qu'ayant reu le pardon
-de nos pchs, nous menions une vie nouvelle, et accordez-nous la
-charit et la paix avec notre prochain, que vous avez tant recommandes,
-et qui est si ncessaire pour avoir part aux effets et aux grces de la
-sainte communion.
-
-
-AU DOMINE NON SUM DIGNUS.
-
- Lorsque le prtre va communier, il dit trois fois avec un profond
- sentiment de son indignit: _Domine, non sum dignus_, c'est--dire,
- _Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez en moi; mais dites
- seulement une parole, et mon me sera gurie_. Quand nous ne
- communions pas rellement, nous devons toujours communier
- spirituellement, en demandant Jsus-Christ de nous donner son esprit
- par la participation de sa grce.
-
-Seigneur, quoique je sois trs-indigne par mes pchs et mes infidlits
-de m'approcher de votre autel, et de vous recevoir par la communion,
-j'ose vous supplier de me donner quelque part vos misricordes.
-Daignez m'accorder la grce de participer la vertu de votre sacrifice;
-clairez mon esprit, fortifiez ma volont et purifiez mon coeur pour ne
-penser qu' vous, pour ne vouloir et n'aimer que vous, et pour l'amour
-de vous; faites par votre grce que je dsire de ne vivre, de ne
-souffrir et de ne mourir que pour vous.
-
-
-AUX DERNIRES ORAISONS.
-
- Le prtre demande les fruits de l'excellent sacrifice qui vient d'tre
- offert Dieu; ce sont la rmission des pchs, la grce d'une sainte
- vie, et le mrite de la vie ternelle.
-
-Mon Dieu, accordez-nous, en vertu du sacrifice que nous venons de vous
-offrir, la rmission de nos pchs et toutes les grces qui nous sont
-ncessaires pour nous sauver. Donnez-nous surtout un amour ardent pour
-vous, une grande crainte de vous dplaire, un grand dsir et un grand
-soin de vous plaire, l'application nos devoirs, la patience dans les
-afflictions, la douceur et la charit pour bien vivre avec tout le
-monde, l'humanit, la puret, la temprance, la mortification de nos
-sens, un grand dtachement des biens, des plaisirs et des honneurs de ce
-monde, un grand dgot et une sainte horreur des folles joies du sicle;
-un vritable esprit de pnitence, qui nous inspire une vive douleur des
-pchs de notre vie passe, un dsir sincre de les expier, et une ferme
-rsolution de n'y plus retomber et d'en viter toutes les occasions.
-Enfin, mon Dieu, donnez-nous toutes les grces ncessaires pour mener
-une vie chrtienne, suivie d'une sainte mort et d'une heureuse ternit.
-
-
- L'ITE MISSA EST.
-
- Le prtre, se tournant vers le peuple, l'avertit par ces mots que le
- sacrifice de la messe est achev. Il donne ensuite la bndiction au
- nom de la sainte Trinit.
-
-
-QUAND LE PRTRE DONNE LA BNDICTION.
-
-Dieu tout-puissant et tout misricordieux, Pre, Fils et Saint-Esprit,
-bnissez-nous par Jsus-Christ, et que cette bndiction nous soit un
-gage de la bndiction que vous donnerez un jour vos lus.
-
-
-AU DERNIER VANGILE.
-
- Avant de quitter le saint autel, le prtre dit l'vangile de saint
- Jean, qui annonce l'ternit du Verbe et la misricorde qui l'a port
- prendre notre chair et habiter parmi nous. Demandons d'tre du
- nombre de ceux qui le reoivent et deviennent ses enfants.
-
-Seigneur, gravez par votre grce votre vangile dans nos esprits et dans
-nos coeurs, afin que nous ne suivions plus l'garement de nos penses,
-la fougue de nos passions ni le drglement de notre coeur; mais que
-nous nous soumettions entirement tout ce que vous demandez de nous,
-et que nous rglions toutes nos dmarches sur les maximes de votre saint
-vangile, et non sur les maximes et sur les coutumes corrompues du
-monde.
-
-
-PRIRE APRS LA MESSE.
-
-Mon Dieu, je vous remercie des grces et des bonnes rsolutions que vous
-m'avez inspires pendant le saint sacrifice de la messe; donnez-moi la
-grce de les mettre toutes en pratique. Faites que je montre par ma
-conduite le reste de la journe, que ce n'est pas en vain que j'ai
-offert avec le prtre ce saint sacrifice; faites-moi souvenir que je
-viens de vous prsenter, par Jsus-Christ, mon me, mon corps, ma vie,
-mon travail, mon occupation, mes biens, tout ce que je suis et tout ce
-que j'ai. C'est pourquoi je dois avoir grand soin de les employer
-votre service, par l'intercession de la sainte Vierge et de tous les
-Saints. Ainsi soit-il.
-
-
-
-
-VPRES DU DIMANCHE
-
-
-V. Deus, in adjutorium meum intende.
-
-R. Domine, ad adjuvandum me festina.
-
-V. Gloria Patri, et Filio, et Spiritui sancto.
-
-R. Sicut erat in Principio, et nunc et semper, et in secula seculorum
-Amen.
-
-
-PSAUME 109.
-
-Dixit Dominus Domino meo: * Sede dextris meis,
-
-Donec ponam inimicos tuos * scabellum pedum tuorum.
-
-Virgam virtutis tu emittet Dominus ex Sion: * Dominare in medio
-inimicorum tuorum.
-
-Tecum principium in die virtutis tu in splendoribus Sanctorum; * ex
-utero ante luciferum genui te.
-
-Juravit Dominus, et non poenitebit eum: * tu es sacerdos in ternum
-secundm ordinem Melchisedech.
-
-Dominus dextris tuis: * confregit in die ir su reges.
-
-Judicabit in nationibus, implebit ruinas; * conquassabit capita in terr
-multorum.
-
-De torrente in vi bibet; * proptere exaltabit caput.
-
-Gloria Patri, etc.
-
-
-PSAUME 110.
-
-Confitebor tibi, Domine, in toto corde meo; * in concilio justorum et
-congregatione.
-
-Magna opera Domini, * exquisita in omnes voluntates ejus.
-
-Confessio et magnificentia opus ejus, * et justitia ejus manet in
-seculum seculi.
-
-Memoriam fecit mirabilium suorum misericors et miserator Dominus: *
-escam dedit timentibus se.
-
-Memor erit in seculum testamenti sui: * virtutem operum suorum
-annuntiabit populo suo.
-
-Ut det illis hreditatem gentium, * opera manuum ejus veritas et
-judicium.
-
-Fidelia omnia mandata ejus, confirmata in seculum seculi, * facta in
-veritate et quitate.
-
-Redemptionem misit populo suo: * mandavit in ternum testamentum suum.
-
-Sanctum et terribile nomen ejus: * initium sapienti timor Domini.
-
-Intellectus bonus omnibus facientibus eum: * laudatio ejus manet in
-seculum seculi.
-
-
-PSAUME 111.
-
-Beatus vir qui timet Dominum, * in mandatis ejus volet nimis.
-
-Potens in terr erit semen ejus: * generatio rectorum benedicetur.
-
-Gloria et diviti in domo ejus: * et justitia ejus manet in seculum
-seculi.
-
-Exortum est in tenebris lumen rectis: * misericors et miserator et
-justus.
-
-Jucundus homo qui miseretur et commodat, disponet sermones suos in
-judicio: * quia in ternum non commovebitur.
-
-In memori tern erit justus, * ab auditione mal non timebit.
-
-Paratum cor ejus sperare in Domino, confirmatum est cor ejus: * non
-commovebitur donec despiciat inimicos suos.
-
-Dispersit, dedit pauperibus, justitia ejus manet in seculum seculi: *
-cornu ejus exaltabitur in glori.
-
-Peccator videbit et irascetur, dentibus suis fremet et tabescet; *
-desiderium peccatorum peribit.
-
-
-PSAUME 112.
-
-Laudate, pueri, Dominum; * laudate nomen Domini.
-
-Sit nomen Domini benedictum, * ex hoc nunc et usque in seculum.
-
-A solis ortu usque ad occasum, * laudabile nomen Domini.
-
-Excelsus super omnes gentes Dominus, * et super coelos gloria ejus.
-
-Quis sicut Dominus Deus noster, qui in altis habitat, * et humilia
-respicit in coelo et in terr.
-
-Suscitans terr inopem, * et de stercore erigens pauperem.
-
-Ut collocet eum cum principibus, * cum principibus populi sui.
-
-Qui habitare fecit sterilem in domo, * matrem filiorum ltantem.
-
-
-PSAUME 113.
-
-In exitu Israel de gypto, * domus Jacob de populo barbaro;
-
-Facta est Juda sanctificatio ejus; * Isral potestas ejus.
-
-Mare vidit et fugit; * Jordanis conversus est retrorsm.
-
-Montes exultaverunt ut arietes, * et colles sicut agni ovium.
-
-Quid est tibi mare, quod fugisti? * et tu, Jordanis, qui conversus es
-retrorsm?
-
-Montes exultstis sicut arietes? * et colles sicut agni ovium?
-
-A facie Domini mota est terra, * facie Dei Jacob.
-
-Qui convertit petram in stagna aquarum, * et rupem in fontes aquarum.
-
-Non nobis, Domine, non nobis: * sed nomini tuo da gloriam, super
-misericordi tu et veritate tu;
-
-Nequando dicant gentes: * Ubi est Deus eorum?
-
-Deus autem noster in coelo: * omnia qucumque voluit, fecit.
-
-Simulacra gentium argentum et aurum, * opera manuum hominum.
-
-Os habent, et non loquentur * oculos habent, et non videbunt.
-
-Aures habent, et non audient; * nares habent, et non odorabunt.
-
-Manus habent, et non palpabunt; pedes habent, et non ambulabunt; * non
-clamabunt in gutture suo.
-
-Similes illis fiant qui faciunt ea, * et omnes qui confidunt in eis.
-
-Domus Israel speravit in Domino: * adjutor eorum et protector eorum est.
-
-Domus Aaron speravit in Domino: * adjutor eorum et protector eorum est.
-
-Qui timent Dominum, speraverunt in Domino: * adjutor eorum et protector
-eorum est.
-
-Dominus memor fuit nostri, * et benedixit nobis.
-
-Benedixit domui Israel; * benedixit domui Aaron.
-
-Benedixit omnibus qui timent Dominum, * pusillis cum majoribus.
-
-Adjiciat Dominus super vos, * super vos et super filios vestros.
-
-Benedicti vos Domino, * qui fecit coelum et terram.
-
-Coelum coeli Domino: * terram autem dedit filiis hominum.
-
-Non mortui laudabunt te, Domine, * neque omnes qui descendunt in
-infernum.
-
-Sed nos qui vivimus, benedicimus Domino, * ex hoc nunc et usqu in
-seculum.
-
-
-CAPITULE.
-
-Benedictus Deus, et Pater Domini nostri Jesu Christi, Pater
-misericordiarum, et Deus totius consolationis, qui consolatur nos in
-omni tribulatione nostr.
-
-Deo gratias.
-
-
-HYMNE.
-
- Lucis Creator optime,
- Lucem dierum proferens,
- Primordiis lucis nov,
- Mundi parans originem.
-
- Qui man junctum vesperi
- Diem vocari prcipis,
- Tetrum chaos illabitur,
- Audi preces cum fletibus.
-
- Ne mens gravata crimine,
- Vit sit exsul munere,
- Dm nil perenne cogitat,
- Seseque culpis illigat.
-
- Coeleste pulset ostium,
- Vitale tollat prmium,
- Vitemus omne noxium,
- Purgemus omne pessimum
-
- Prsta, Pater piissime,
- Patrique compar Unice,
- Cum Spiritu Paracleto,
- Regnans per omne seculum.
-
- Amen.
-
-
-CANTIQUE DE LA SAINTE VIERGE.
-
-Magnificat * anima mea Dominum;
-
-Et exultavit spiritus meus, * in Deo salutari meo.
-
-Quia respexit humilitatem ancill su: * ecce enim ex hoc beatam me
-dicent omnes generationes.
-
-Quia fecit mihi magna qui potens est, * et sanctum nomen ejus.
-
-Et misericordia ejus progenie in progenies, * timentibus eum.
-
-Fecit potentiam in brachio suo: * dispersit superbos mente cordis sui.
-
-Deposuit potentes de sede, * et exaltavit humiles.
-
-Esurientes implevit bonis, * et divites dimisit inanes.
-
-Suscepit Israel puerum suum, * recordatus misericordi su.
-
-Sicut locutus est ad patres nostros, * Abraham et semini ejus in secula.
-
-Gloria Patri, etc.
-
-
- COMPLIES.
-
-V. Converte nos, Deus, salutaris noster;
-
-R. Et averte iram tuam nobis.
-
-V. Deus in adjutorium, etc.
-
-
-PSAUME 4.
-
-Cm invocarem exaudivit me, Deus justiti me: * in tribulatione
-dilatasti mihi.
-
-Misereri mei, * et exaudi orationem meam.
-
-Filii hominum, usquequ gravi corde? * ut quid diligitis vanitatem, et
-quritis mendacium?
-
-Et scitote quoniam mirificavit Dominus Sanctum tuum: * Dominus exaudiet
-me, cm clamavero ad eum.
-
-Irascimini, et nolite peccare; * qu dicitis in cordibus vestris, in
-cubilibus vestris compungimini.
-
-Sacrificate sacrificium justiti, et sperate in Domino; * multi dicunt:
-Quis ostendit nobis bona?
-
-Signatum est super nos lumen vults tui, Domine; * dedisti ltitiam in
-corde meo.
-
-A fructu frumenti, vini et olei sui * multiplicati sunt.
-
-In pace in idipsum dormiam, * et requiescam;
-
-Quoniam tu, Domine, * singulariter in spe constituisti me.
-
-
-PSAUME 30.
-
-In te, Domine, speravi, non confundar in ternum; * in justiti tu
-libera me.
-
-Inclina ad me aurem tuam, * accelera ut eruas me.
-
-Esto mihi in Deum protectorem et in domum refugi, * ut salvum me facias.
-
-Quoniam fortitudo mea et refugium meum es tu, * et propter nomen tuum
-deduces me et enutries me.
-
-Educes me de laqueo hoc quem absconderunt mihi: * quoniam tu es
-protector meus.
-
-In manus tuas commendo spiritum meum: * redemisti me, Domine, Deus
-veritatis.
-
-
-PSAUME 90.
-
-Qui habitat in adjutorio Altissimi, * in protectione Dei coeli
-commorabitur.
-
-Dicet Domino: Susceptor meus es tu, et refugium meum; * Deus meus,
-sperabo in eum.
-
-Quoniam ipse liberavit me de laqueo venantium, * et verbo aspero.
-
-Scapulis suis obumbrabit tibi, * et sub pennis ejus sperabis.
-
-Scuto circumdabit te veritas ejus, * non timebis timore nocturno.
-
-A sagitt volante in die, negotio perambulante in tenebris, * ab
-incursu et dmonio meridiano.
-
-Cadent latero tuo mille et decem millia dextris tuis: * ad te autem
-non appropinquabit.
-
-Vermtamen oculis tuis considerabis, * et retributionem peccatorum
-videbis.
-
-Quoniam tu es, Domine, spes mea: * Altissimum posuisti refugium tuum.
-
-Non accedet ad te malum, * et flagellum non appropinquabit tabernaculo
-tuo.
-
-Quoniam Angelis suis mandavit de te, * ut custodiant te omnibus viis
-tuis.
-
-In manibus portabunt te, * ne fort offendas ad lapidem pedem tuum.
-
-Super aspidem et basiliscum ambulabis, * et conculcabis leonem et
-draconem.
-
-Quoniam in me speravit, liberabo eum: * protegam eum, quoniam cognovit
-nomen meum.
-
-Clamavit ad me, * et ego exaudiam eum:
-
-Cum ipso sum in tribulatione; * eripiam eum et glorificabo eum.
-
-Longitudine dierum replebo eum, * ostendam illi salutare meum.
-
-
-PSAUME 133.
-
-Ecce nunc benedicite Dominum, * omnes servi Domini.
-
-Qui statis in domo Domini, * in atriis doms Dei nostri.
-
-In noctibus extollite manus vestras in sancta; * et benedicite Dominum.
-
-Benedicat te Dominus ex Sion: * qui fecit coelum et terram.
-
-
-HYMNE.
-
- De lucis ante terminum,
- Rerum Creator, poscimus,
- Ut pro tu clementi
- Sis prsul et custodia.
-
- Procul recedant somnia,
- Et noctium phantasmata;
- Hostemque nostrum comprime,
- Ne polluantur corpora.
-
- Prsta, Pater omnipotens,
- Per Jesum Christum Dominum,
- Qui tecum in perpetuum
- Regnat cum Sancto Spiritu.
-
- Amen.
-
-
-CAPITULE.
-
-Tu autem in nobis es, Domine, et nomen sanctum tuum invocatum est super
-nos; ne derelinquas nos, Domine Deus noster.
-
-Deo gratias.
-
-R. _br_. In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum. In. V. Redemisti
-me, Domine, Deus veritatis. Commendo. Gloria. In.
-
-V. Custodi nos, Domine, ut pupillam oculi. R. Sub umbr alarum tuarum
-protege nos.
-
-
-CANTIQUE DE SAINT SIMON.
-
-Nunc dimittis servum tuum, Domine, * secundm verbum tuum, in pace.
-
-Quia viderunt oculi mei * salutare tuum
-
-Quod parasti, * ante faciem, omnium populorum,
-
-Lumen ad revelationem gentium, * et gloriam plebis tu Israel.
-
-Gloria, etc.
-
-_Ant._ Salva nos, Domine, vigilantes; custodi nos dormientes, ut
-vigilemus cum Christo et requiescamus in pace.
-
-
-ORAISON.
-
-Nous vous supplions, Seigneur, de visiter cette demeure, et d'loigner
-d'elle toutes les embches de notre ennemi; que vos saints Anges y
-habitent, pour nous conserver en paix, et que votre bndiction soit
-toujours sur nous. Par notre Seigneur.
-
-Que le Seigneur soit avec vous.
-
-Rendons grces Dieu.
-
-
-_Les Complies tant finies, on dit voix basse_:
-
-Gratia Domini nostri Jesu Christi, et caritas Dei, et communicatio
-Sancti Spirits sit cum omnibus vobis.
-
-R. Amen.
-
-
-_Aprs l'office, on dit tout bas_:
-
-Pater, Ave, Credo.
-
-
-
-
-ANTIENNES LA SAINTE VIERGE.
-
-
-PENDANT L'AVENT.
-
-Alma Redemptoris Mater, qu pervia coeli Porta manes, et Stella maris,
-succurre cadenti, surgere qui curat populo: tu qu genuisti, Natur
-mirante, tuum sanctum Genitorem. Virgo pris ac posteris: Gabrielis ab
-ore, Sumens illud Ave, peccatorum miserere.
-
-V. Angelus Domini nuntiavit Mari.
-
-R. Et concepit de Spiritu sancto.
-
-
-ORAISON.
-
-Rpandez, s'il vous plat, Seigneur, votre grce dans nos mes, afin
-qu'ayant connu par la voix de l'Ange l'Incarnation de Jsus-Christ votre
-Fils, nous arrivions, par sa Passion et sa Croix, la gloire de sa
-Rsurrection. Par le mme Jsus-Christ notre Seigneur. Ainsi soit-il.
-
-
-APRS L'AVENT.
-
-V. Post partum Virgo inviolata permansisti.
-
-R. Dei Genitrix, intercede pro nobis.
-
-
-ORAISON.
-
- Dieu, qui, en rendant fconde la virginit de la bienheureuse Vierge
-Marie, avez assur au genre humain les rcompenses du salut ternel,
-nous vous prions de nous faire prouver dans nos besoins combien est
-puissante auprs de vous l'intercession de celle par laquelle nous avons
-reu l'auteur de la vie, Jsus-Christ votre Fils.
-
-
-DE LA PURIFICATION AU JEUDI SAINT.
-
- Ave, Regina coelorum;
- Ave, Domina Angelorum;
- Salve, Radix; salve, Porta,
- Ex qu mundo lux est orta.
-
- GAUDE, Virgo gloriosa:
- Super omnes speciosa:
- Vale, valde decora,
- Et pro nobis Christum exora.
-
-V. Dignare me laudare te, Virgo sacrata.
-
-R. Da mihi virtutem contra hostes tuos.
-
-
-ORAISON.
-
-Dieu de bont, accordez notre faiblesse les secours de votre grce: et
-comme nous honorons la mmoire de la sainte Mre de Dieu, faites que,
-par le secours de son intercession, nous ressuscitions de nos iniquits;
-nous vous en supplions par le mme Jsus-Christ. Ainsi soit-il.
-
-
-DE PAQUES LA TRINIT.
-
- Regina coeli, ltare, alleluia:
- Quia quem meruisti portare, alleluia,
- Resurrexit sicut dixit, alleluia.
- Ora pro nobis Deum, alleluia.
-
-V. Gaude et ltare, Virgo Maria:
-
-R. Quia surrexit Dominus vere.
-
-
-ORAISON.
-
- Dieu, qui avez daign rjouir le monde par la rsurrection de votre
-Fils notre Seigneur Jsus-Christ; faites, s'il vous plat, que, par la
-Vierge Marie sa mre, nous gotions les joies d'une vie ternelle et
-bienheureuse. Par le mme Jsus-Christ notre Seigneur. R. Ainsi soit-il.
-
-
-DE LA TRINIT L'AVENT.
-
-Salve, Regina, mater misericordi, vita, dulcedo, et spes nostra, salve.
-Ad te clamamus, exules Filii Ev; ad te suspiramus gementes et flentes
-in hc lacrymarum valle: Eia ergo Advocata nostra, illos tuos
-misericordes oculos ad nos converte; Et Jesum, benedictum fructum
-ventris tui, nobis post hoc exilium ostende, clemens, pia dulcis
-Virgo Maria!
-
-V. Ora pro nobis, sancta Dei Genitrix,
-
-R. Ut digni efficiamur promissionibus Christi.
-
-
-ORAISON.
-
-Dieu tout-puissant et ternel, qui, par la coopration du Saint-Esprit,
-avez prpar le corps et l'me de la glorieuse Vierge Marie, pour en
-faire une demeure digne de votre Fils, accordez-nous la grce, pendant
-que nous clbrons sa mmoire avec joie, d'tre dlivrs, par son
-intercession, des maux prsents et de la mort ternelle. Nous vous en
-supplions par le mme Jsus-Christ notre Seigneur. Ainsi soit-il.
-
-
-PROSE LA SAINTE VIERGE.
-
- Inviolata, integra et casta es, Maria,
- Qu es effecta fulgida coeli porta.
-
- Mater alma, Christi carissima,
- Suscipe pia laudum prconia;
-
- Nostra ut pura pectora sint et corpora,
- Te nunc flagitant devota corda et ora.
-
- Tua per precata dulcisona,
- Nobis concedas veniam per secula
-
- benigna! benigna! benigna!
- Qu sola inviolata permansisti.
-
-
-
-
-TABLE DES CHAPITRES.
-
-
- Pages.
- Avertissement des diteurs. 1
- Prface. 3
-
-
-LIVRE PREMIER.
-
-AVIS UTILES POUR ENTRER DANS LA VIE INTRIEURE.
-
- Chap. I. Qu'il faut imiter JSUS-CHRIST, et mpriser toutes les
- vanits du monde. 15
- Chap. II. Avoir d'humbles sentiments de soi-mme. 18
- Chap. III. De la Doctrine de vrit. 20
- Chap. IV. De la Prvoyance dans les actions. 25
- Chap. V. De la lecture de l'criture sainte. 26
- Chap. VI. Des affections drgles. 28
- Chap. VII. Qu'il faut fuir l'orgueil et les vaines esprances. 29
- Chap. VIII. viter la trop grande familiarit. 32
- Chap. IX. De l'obissance et du renoncement son propre sens. 33
- Chap. X. Qu'il faut viter les entretiens inutiles. 35
- Chap. XI. Des moyens d'acqurir la paix intrieure, et du soin
- d'avancer dans la vertu. 37
- Chap. XII.--De l'avantage de l'adversit. 40
- Chap. XIII. De la rsistance aux tentations. 42
- Chap. XIV. viter les jugements tmraires, et ne se point
- rechercher soi-mme. 47
- Chap. XV. Des oeuvres de charit. 48
- Chap. XVI. Qu'il faut supporter les dfauts d'autrui. 50
- Chap. XVII. De la vie religieuse. 53
- Chap. XVIII. De l'exemple des Saints. 54
- Chap. XIX. Des exercices d'un bon religieux. 58
- Chap. XX. De l'amour de la solitude et du silence. 62
- Chap. XXI. De la componction du coeur. 67
- Chap. XXII. De la considration de la misre humaine. 71
- Chap. XXIII. De la mditation de la mort. 76
- Chap. XXIV. Du jugement et des peines des pcheurs. 81
- Chap. XXV. Qu'il faut travailler avec ferveur l'amendement
- de sa vie. 86
-
-LIVRE DEUXIME.
-
-INSTRUCTION POUR AVANCER DANS LA VIE INTRIEURE.
-
- Chap. I. De la conversation intrieure. 95
- Chap. II. Qu'il faut s'abandonner Dieu en esprit d'humilit. 100
- Chap. III. De l'homme pacifique. 102
- Chap. IV. De la puret d'esprit, et de la droiture d'intention. 105
- Chap. V. De la considration de soi-mme. 107
- Chap. VI. De la joie d'une bonne conscience. 109
- Chap. VII. Qu'il faut aimer JSUS-CHRIST par-dessus toutes
- choses. 113
- Chap. VIII. De la familiarit que l'amour tablit entre JSUS
- et l'me fidle. 113
- Chap. IX. De la privation de toute consolation. 119
- Chap. X. De la reconnaissance pour la grce de Dieu. 124
- Chap. XI. Du petit nombre de ceux qui aiment la Croix de
- JSUS-CHRIST. 128
- Chap. XII. De la sainte voie de la Croix. 132
-
-LIVRE TROISIME.
-
-DE LA VIE INTRIEURE.
-
- Chap. I. Des entretiens intrieurs de JSUS-CHRIST avec l'me
- fidle. 141
- Chap. II. La vrit parle au dedans de nous sans aucun bruit
- de paroles. 143
- Chap. III. Qu'il faut couter la parole de Dieu avec humilit;
- et que plusieurs ne la reoivent pas comme ils le devraient. 146
- Chap. IV. Qu'il faut marcher en prsence de Dieu dans la vrit
- et l'humilit. 151
- Chap. V. Des merveilleux effets de l'amour divin. 155
- Chap. VI. De l'preuve du vritable amour. 160
- Chap. VII. Qu'il faut cacher humblement les grces que Dieu
- nous fait. 164
- Chap. VIII. Qu'il faut s'anantir soi-mme devant Dieu. 168
- Chap. IX. Qu'il faut rapporter tout Dieu comme notre
- dernire fin. 172
- Chap. X. Qu'il est doux de servir Dieu et de mpriser le monde. 174
- Chap. XI. Qu'il faut examiner et modrer les dsirs du coeur. 178
- Chap. XII. Qu'il faut s'exercer la patience, et lutter contre
- ses passions. 180
- Chap. XIII. Qu'il faut obir humblement l'exemple de
- JSUS-CHRIST. 184
- Chap. XIV. Qu'il faut considrer les secrets jugements de Dieu
- pour ne pas s'enorgueillir du bien qu'on fait. 187
- Chap. XV. De ce que nous devons dire et faire quand il s'lve
- quelque dsir en nous. 191
- Chap. XVI. Qu'on ne doit chercher qu'en Dieu la vraie
- consolation. 194
- Chap. XVII. Qu'il faut remettre Dieu le soin de ce qui nous
- regarde. 197
- Chap. XVIII. Qu'il faut souffrir avec constance les misres de
- cette vie, l'exemple de JSUS-CHRIST. 199
- Chap. XIX. De la souffrance des injures, et de la vritable
- patience. 202
- Chap. XX. De l'aveu de son infirmit, et des misres de cette
- vie. 205
- Chap. XXI. Qu'il faut tablir son repos en Dieu, plutt que
- dans tous les autres biens. 209
- Chap. XXII. Du souvenir des bienfaits de Dieu. 214
- Chap. XXIII. De quatre choses importantes pour conserver la
- paix. 218
- Chap. XXIV. Qu'il ne faut point s'enqurir curieusement de la
- conduite des autres. 222
- Chap. XXV. En quoi consiste la vraie paix et le vritable
- progrs de l'me. 224
- Chap. XXVI. De la libert du coeur, qui s'acquiert plutt par
- la prire que par la lecture. 227
- Chap. XXVII. Que l'amour de soi est le plus grand obstacle qui
- empche l'homme de parvenir au souverain bien. 230
- Chap. XXVIII. Qu'il faut mpriser les jugements humains. 234
- Chap. XXIX. Comment il faut invoquer et bnir Dieu dans
- l'affliction. 236
- Chap. XXX. Qu'il faut implorer le secours de Dieu, et attendre
- avec confiance le retour de sa grce. 238
- Chap. XXXI. Qu'il faut oublier toutes les cratures pour
- trouver le Crateur. 243
- Chap. XXXII. De l'abngation de soi-mme. 247
- Chap. XXXIII. De l'inconstance du coeur, et que nous devons
- tout rapporter Dieu comme notre dernire fin. 250
- Chap. XXXIV. Qu'on ne saurait goter que Dieu seul, et qu'on
- le gote en toutes choses, quand on l'aime vritablement. 252
- Chap. XXXV. Qu'on est toujours, durant cette vie, expos
- la tentation. 255
- Chap. XXXVI. Contre les vains jugements des hommes. 258
- Chap. XXXVII. Qu'il faut renoncer entirement soi-mme pour
- obtenir la libert du coeur. 261
- Chap. XXXVIII. Comment il faut se conduire dans les choses
- extrieures, et recourir Dieu dans les prils. 264
- Chap. XXXIX. Qu'il faut viter l'empressement dans les affaires. 266
- Chap. XL. Que l'homme n'a rien de bon de lui-mme, et ne peut
- se glorifier de rien. 268
- Chap. XLI. Du mpris de tous les honneurs du temps. 272
- Chap. XLII. Qu'il ne faut pas que notre paix dpende des hommes. 274
- Chap. XLIII. Contre la vaine science du sicle. 276
- Chap. XLIV. Qu'il ne faut point s'embarrasser dans les choses
- extrieures. 279
- Chap. XLV. Qu'il ne faut pas croire tout le monde, et qu'il est
- difficile de garder une sage mesure dans ses paroles. 281
- Chap. XLVI. Qu'il faut mettre sa confiance en Dieu, lorsqu'on
- est assailli de paroles injurieuses. 285
- Chap. XLVII. Qu'il faut tre prt souffrir pour la vie
- ternelle tout ce qu'il y a de plus pnible. 289
- Chap. XLVIII. De l'ternit bienheureuse, et des misres de
- cette vie. 293
- Chap. XLIX. Du dsir de la vie ternelle, et des grands biens
- promis ceux qui combattent courageusement. 298
- Chap. L. Comment un homme dans l'affliction doit s'abandonner
- entre les mains de Dieu. 303
- Chap. LI. Qu'il faut s'occuper d'oeuvres extrieures, quand
- l'me est fatigue des exercices spirituels. 309
- Chap. LII. Que l'homme ne doit pas se juger digne des
- consolations de Dieu, mais plutt de chtiment. 311
- Chap. LIII. Que la grce ne fructifie point en ceux qui ont
- le got des choses de la terre. 314
- Chap. LIV. Des divers mouvements de la nature et de la grce. 317
- Chap. LV. De la corruption de la nature, et de l'efficace de
- la grce divine. 323
- Chap. LVI. Que nous devons nous renoncer nous-mmes, et imiter
- JSUS-CHRIST en portant la Croix. 328
- Chap. LVII. Qu'on ne doit point se laisser trop abattre quand
- on tombe en quelques fautes. 332
- Chap. LVIII. Qu'il ne faut pas chercher pntrer ce qui est
- au-dessus de nous, ni sonder les secrets jugements de Dieu. 335
- Chap. LIX. Qu'on doit mettre toute son esprance et toute sa
- confiance en Dieu seul. 341
-
-LIVRE QUATRIME.
-
-DU SACREMENT DE L'EUCHARISTIE.
-
- Exhortation la sainte Communion. 347
-
- Chap. I. Avec quel respect il faut recevoir JSUS. 350
- Chap. II. Combien Dieu manifeste l'homme sa bont et son
- amour dans le Sacrement de l'Eucharistie. 358
- Chap. III. Qu'il est utile de communier souvent. 364
- Chap. IV. Que Dieu rpand des grces abondantes en ceux qui
- communient dignement. 369
- Chap. V. De l'excellence du Sacrement de l'autel, et de la
- dignit du Sacerdoce. 374
- Chap. VI. Prire du chrtien avant la Communion. 378
- Chap. VII. De l'examen de conscience, et de la rsolution de
- se corriger. 380
- Chap. VIII. De l'oblation de JSUS-CHRIST sur la Croix, et de
- la rsignation de soi-mme. 385
- Chap. IX. Que nous devons nous offrir Dieu avec tout ce qui
- est nous, et prier pour tous. 388
- Chap. X. Qu'on ne doit pas facilement s'loigner de la sainte
- Communion. 392
- Chap. XI. Que le Corps de JSUS-CHRIST et l'criture sainte
- sont trs-ncessaires l'me fidle. 398
- Chap. XII. Qu'on doit se prparer avec un grand soin la
- sainte Communion. 404
- Chap. XIII. Que le fidle doit dsirer de tout son coeur de
- s'unir JSUS-CHRIST dans la Communion. 408
- Chap. XIV. Du dsir ardent que quelques mes saintes ont de
- recevoir le Corps de JSUS-CHRIST. 411
- Chap. XV. Que la grce de la dvotion s'acquiert par l'humilit
- et l'abngation de soi-mme. 414
- Chap. XVI. Qu'il faut dans la Communion exposer ses besoins
- JSUS-CHRIST, et lui demander sa grce. 417
- Chap. XVII. Du dsir ardent de recevoir JSUS-CHRIST. 420
- Chap. XVIII. Qu'on ne doit point chercher pntrer le
- mystre de l'Eucharistie, mais qu'il faut soumettre ses
- sens la Foi. 424
-
-
-FIN DE LA TABLE.
-
-
-
-
-LECTURES
-
-DU LIVRE DE L'IMITATION,
-
-DIVISES
-
-Selon les diffrents besoins des Fidles.
-
-
-Pour les Prtres.
-
- Livre I.--Ch. 18, 19, 20, 25.
- -- II.--Ch. 11 et 12.
- -- III.--Ch. 3, 10, 31, 56.
- -- IV.--Ch. 5, 7, 10, 11, 12, 18.
-
- Pour la prparation la Messe et l'Action de grces, _voyez_ page 404
- et suiv.: _Avant et aprs la Communion_, et, de plus, tous les
- chapitres indiqus _pour les personnes pieuses_.
-
-Pour les Sminaristes.
-
- Livre I.--Ch. 17, 18, 19, 20, 21, 25.
- -- III.--Ch. 2, 3, 10, 31, 56.
- -- IV.--Ch. 5, 7, 10, 11, 12, 18.
-
-Pour ceux qui s'adonnent l'tude, particulirement celle de la
-Philosophie et de la Thologie.
-
- Livre I.--Ch. 1, 2, 3, 5.
- -- III.--Ch. 2, 43, 44, 48, 58.
- -- IV.--Ch. 18.
-
-Pour les Personnes affliges de leur peu de progrs dans l'tude.
-
- Livre III.--Ch. 29, 39, 41, 47.
-
-Pour les Religieux et les Religieuses.
-
- Les chapitres indiqus ci-avant pour les Sminaristes. Ceux indiqus
- ci-aprs pour les personnes pieuses.
-
-Pour les Personnes pieuses.
-
- Livre I.--Ch. 15, 18, 19, 20, 21, 22, 25.
- -- II.--Ch. 1, 4, 7, 8, 9, 11, 12.
- -- III.--Ch. 5, 6, 7, 11, 27, 31, 32, 33, 53, 54, 55, 56.
-
-Pour les Personnes affliges et humilies.
-
- Livre I.--Ch. 12.
- -- II.--Ch. 11, 12.
- -- III.--Ch. 12, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 29, 30, 35, 41, 47,
- 48, 49, 50, 52, 55, 56.
-
-Pour les Personnes trop sensibles leurs souffrances.
-
- Livre I.--Ch. 12.
- -- III.--Ch. 12.
-
-Pour les Personnes tentes.
-
- Livre I.--Ch. 13.
- -- II.--Ch. 9.
- -- III.--Ch. 6, 16. 17, 18, 19, 20, 21, 23, 30, 35, 37, 47, 48,
- 49, 50, 52, 55.
-
-Pour les Peines intrieures.
-
- Livre II.--Ch. 3, 9, 11, 12.
- -- III.--Ch. 7, 12, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 30, 35, 47, 48, 49,
- 50, 51, 52, 55, 56.
-
-Pour les Personnes inquites de l'avenir, de leur sant, de leur
-fortune, du succs d'une dmarche.
-
- Livre III.--Ch. 39.
-
-Pour les Personnes qui vivent dans le monde, ou qui sont distraites par
-leurs occupations.
-
- Livre III.--Ch. 38, 53.
-
-Pour les Personnes attaques par la calomnie ou la mdisance.
-
- Livre II.--Ch. 2.
- -- III.--Ch. 6, 11, 28, 36, 46.
-
-Pour les Personnes qui commencent se convertir.
-
- Livre I.--Ch. 18, 25.
- -- II.--Ch. 1.
- -- III.--Ch. 6, 7, 23, 25, 26, 27, 33, 37, 52, 54, 55.
-
-Pour les Personnes pusillanimes, faibles ou ngligentes.
-
- Livre I.--Ch. 18. 21. 22, 25.
- -- II.--Ch. 10, 11, 12.
- -- III.--Ch. 3, 6, 27, 30, 35, 37, 54, 55, 57.
-
-Pour une Retraite.
-
- Livre III.--Ch. 53. } Pour s'y disposer.
- -- I.--Ch. 20, 21. }
- Ch. 22. Misres de la vie.
- Ch. 23. La mort.
- Ch. 24 } Le Jugement et l'Enfer
- -- III.--Ch. 14 }
- Ch. 48. Le Ciel.
- Ch. 59. Pour clore la Retraite
-
-Pour obtenir la Paix intrieure.
-
- Livre I.--Ch. 6, 11.
- -- II.--Ch. 3, 6.
- -- III.--Ch. 7, 23, 25, 38.
-
-Pour les Personnes dissipes.
-
- Livre I.--Ch. 18, 21, 22, 23, 24.
- -- II.--Ch. 10, 12.
- -- III.--Ch. 14, 27, 33, 45, 53, 55.
-
-Pour les Pcheurs insensibles.
-
- Livre I.--Ch. 23, 24.
- -- III.--Ch. 14, 55.
-
-Pour les Personnes oisives.
-
- Livre III.--Ch. 24, 27.
-
-Pour ceux qui coutent les mdisances.
-
- Livre I.--Ch. 4.
-
-Pour les Personnes portes l'orgueil.
-
- Livre I.--Ch. 7. 14.
- -- II.--Ch. 11.
- -- III.--Ch. 7, 8, 9, 11, 13, 14, 40, 52.
-
-Pour les esprits querelleurs et opinitres.
-
- Livre I.--Ch. 9.
- -- III.--Ch. 13, 32, 44.
-
-Pour les Personnes impatientes.
-
- Livre III.--Ch. 15, 16, 17, 18, 19.
- (Parag. 5 du Chap. XIX. Prire pour demander la patience).
-
-Pour les Dsobissants.
-
- Livre I.--Ch. 9.
- -- III.--Ch. 13, 32.
-
-Pour les Personnes causeuses.
-
- Livre I.--Ch. 10.
- -- III.--Ch. 24, 44, 45.
-
-Pour ceux qui s'occupent des dfauts des autres et ngligent
-les leurs.
-
- Livre I.--Ch. 11, 14, 16.
- -- II.--Ch. 5.
-
-Pour les Personnes qui ont une dvotion fausse ou mal entendue.
-
- Livre III.--Ch. 4, 6, 7.
-
-Pour inspirer la droiture d'intention.
-
- Livre III.--Ch. 9.
-
-Pour les Personnes trop susceptibles.
-
- Livre III.--Ch. 44.
-
-Pour celles qui s'attachent trop aux douceurs de l'amiti humaine.
-
- Livre I.--Ch. 8, 10.
- -- II.--Ch. 7, 8.
- -- III.--Ch. 32, 42, 45.
-
-Pour celles qui se scandalisent de la simplicit ou de l'obscurit
-des Livres saints.
-
- Livre I.--Ch. 5.
-
-Pour les Personnes portes la jalousie.
-
- Livre III.--Ch. 22, 41.
-
-
-
-
-PRIRES
-
-TIRES
-
-DU LIVRE DE L'IMITATION.
-
-
-Prire avant la lecture spirituelle.
-
- Livre III.--Ch. II.
-
-Pour obtenir la grce de la dvotion.
-
- Mme livre.--Ch. III, parag. 6 et 7.
-
-Prire pour implorer le secours des Consolations divines.
-
- Livre III.--Ch. IV, V, parag. 1 et 2.
- (Le mme avant ou aprs la Communion.)
-
-Pour obtenir l'accroissement de l'amour de Dieu en nous.
-
- Mme livre.--Ch. V, parag. 6.
-
-Sentiments d'anantissement en la prsence de Dieu
-
- Mme livre.--Ch. VIII.
- (Avant la Communion.)
-
-Prire pour une Personne qui vit dans la retraite et la pit.
-
- Mme livre.--Ch. X.
-
-Sentiments profonds d'humilit.
-
- Mme livre.--Ch. XIV.
- (Avant ou aprs la Communion.)
-
-Pour demander la rsignation la volont de Dieu.
-
- Mme livre.--Ch. XV.
- (Depuis la deuxime phrase du parag. 2, jusqu' la fin, et partie du
- premier.)
-
-Sentiments de Rsignation.
-
- Mme livre.--Ch. XVI, la fin; XVII, parag. 2 et 4; XVIII, parag. 2.
-
-Pour demander la Patience.
-
- Mme livre.--Ch. XIX, parag. 5.
-
-Prire pour une Personne afflige ou tente.
-
- Mme livre.--Ch. XX, XXI, parag. 1, 2, 3, 4, 5.
-
-Mme prire pour celles qui se sentent remplies de l'amour de Dieu.
-
- (La dire encore avant et aprs la Communion.)
-
-Acte de remercment.
-
- Livre III.--Ch. XXI, parag. 7.
- (Aprs la Communion.)
-
-Prire propre aux personnes qui croiraient avoir moins reu de Dieu que
-les autres, soit pour le corps, soit pour l'me.
-
- Mme livre.--Ch. XXII.
-
-Pour demander la puret de l'esprit et le dtachement des cratures.
-
- Mme livre.--Ch. XXIII, parag. 5, jusqu' la fin.
-
-Prire d'une personne qui commence sa conversion.
-
- Mme livre.--Ch. XXVI.
-
-(La mme, pour une personne qui dsire avancer dans la vertu.)
-
-Prire pour demander l'esprit de force et de sagesse.
-
- Mme livre.--Ch. XXVII, parag. 4 et 5.
-
-Prire propre aux personnes qui prouvent une vive affliction.
-
- Mme livre.--Ch. XXIX.
-
-Prire aprs la Communion.
-
- Mme livre.--Ch. XXXIV.
- (La mme pour s'exciter l'amour de Dieu.)
-
-Sentiments d'abandon la divine Providence.
-
- Mme Livre.--Ch. XXXIX, parag. 2.
-
-Sentiments d'humilit.
-
- Livre III.--Ch. XL.
- (Avant ou aprs la Communion.)
-
-Prire quand on a reu quelque grce de Dieu.
-
- Mme livre.--Mme chapitre.
- (Avant ou aprs la Communion.)
-
-Sentiments de rsignation.
-
- Mme livre.--Ch. XLI, parag. 2.
-
-Sentiments pieux.
-
- Mme livre.--Ch. XLIV, parag. 2.
-
-Prire d'une personne attaque par la calomnie.
-
- Mme livre.--Ch. XLVI, parag. 5.
-
-Prire sur le bonheur du Ciel, qu'on peut dire particulirement les
-jours de Pques, de l'Ascension et de la Toussaint.
-
- Mme livre.--Ch. XLVIII.
- (Avant ou aprs la Communion.)
-
-Sentiment d'humilit et de contrition.
-
- Mme livre.--Ch. LII.
- (Avant la Communion.)
-
-Prire pour demander les secours de la grce.
-
- Mme livre.--Ch. LV.
-
-Prire pour les Prtres, Religieux et Religieuses, pour demander la
-persvrance dans leur vocation.
-
- Mme livre.--Ch. LVI, parag. 3, 5, 6.
-
-Sentiment de confiance en Dieu.
-
- Mme livre.--Ch. LVII, parag. 4.
-
-Prire pour toute personne pieuse et chrtienne.
-
- Livre III.--Ch. LIX.
- (Aprs la Communion.)
- (On peut s'en servir aussi pour terminer une retraite.)
-
-Prire devant le Trs-Saint Sacrement.
-
- Livre IV.--Ch. I, II, III, IV, IX, XI, jusqu'au paragraphe 6; XIII,
- XIV, XVI, XVII, et partie des prires ci-dessus.
-
-lvations sur la dignit des Prtres et la saintet de leur ministre.
-
- Mme livre.--Ch. V.
-
-Pour les Prtres et les Sminaristes.
-
- Mme livre.--Ch. XI, parag. 6, 7 et 8.
-
-
-
-
-LECTURES
-
-POUR LA SAINTE COMMUNION.
-
-
-(Il est bon de faire prcder la rception de la sainte Communion d'une
-retraite de trois jours, l'exemple de plusieurs Saints.)
-
-PREMIER JOUR.
-
-Esprit de retraite.
-
-LE MATIN.
-
- Livre III.--Ch. 53.
-
- MIDI.
-
- Livre I.--Ch. 20.
-
-LE SOIR.
-
- Livre I.--Ch. 21.
-
-
-DEUXIME JOUR.
-
-LE MATIN.
-
- Livre I.--Ch. 22. Misres de la vie.
- Ch. 23. La Mort.
-
- MIDI.
-
- Livre I.--Ch. 24. Le Jugement et l'Enfer.
- -- III.--Ch. 14.
-
-LE SOIR.
-
- Livre III.--Ch. 48. Le CIEL.
- --Ch. 59. _Conclusion._
-
-
-TROISIME JOUR.
-
-LE MATIN.
-
-_Prparation et exercice d'humilit._
-
- Livre IV.--Ch. 6. Prire pour obtenir la grce de s'approcher
- saintement des Sacrements.
- Ch. 7. Examen de Conscience, Contrition, ferme Propos,
- Confession et Satisfaction.
-
-(Lire ensuite genoux le 8e chap. du liv. III.)
-
- MIDI.
-
- Livre IV.--Ch. 18. Foi soumise au mystre de l'Eucharistie.
- Ch. 10. Avantage de la frquente Communion.
-
-(Ne pas lire la 2e partie du parag. 7 jusqu' la fin.--Lire genoux le
-52e chap. du liv. III.)
-
-LE SOIR.
-
- Livre IV.--Ch. 12. Prparation la sainte Communion.
- Ch. 15. Dvotion fonde sur l'humilit et le renoncement
- soi-mme.
- Ch. 9. S'offrir Dieu dans la Communion.
-
-(Lire genoux le 40e chap. du liv. III.)
-
-
-POUR LE JOUR
-
-O L'ON COMMUNIE.
-
-LE MATIN.
-
-LIVRE IV.--CH. 1, 2, 3, 4.
-
-AVANT ET PENDANT LA MESSE.
-
-LIVRE IV.--CH. 9, 16 et 17.
-
-(Aprs le _Pater_, fermer son livre, dire par coeur les Actes avant la
-Communion, ou bien l'Acte de contrition, ceux des trois Vertus
-thologales et les trois Oraisons qui suivent l'_Agnus Dei_; rester
-ensuite en adoration.)
-
-(Aprs la sainte Communion, rester en adoration jusqu' la fin de la
-Messe; dire par coeur les Actes aprs la Communion.)
-
-APRS LA MESSE.
-
-LIVRE IV.--CH. 11, 13 et 14.
-
-(Ne pas lire les parag. 6, 7 et 8.--Rciter les cantiques _Benedictus_,
-_Magnificat_, _Nunc dimittis_, et le _Te Deum_, soit l'glise, soit en
-rentrant chez soi.)
-
-DANS LA JOURNE ET LE SOIR.
-
-LIVRE III.--CH. 21, 34, 48.
-
-(Rpter ensuite le 9e chap. du IVe livre, et choisir volont une
-lecture dans les prires ci-dessus indiques, page 467 et suiv.)
-
-
-PRATIQUE DE PERSVRANCE
-
-APRS LA SAINTE COMMUNION.
-
-PREMIER JOUR.
-
-Remercier Notre-Seigneur Jsus-Christ, et s'exciter son amour.
-
- Livre III.--Ch. 5, 7, 8, 10.
-
-DEUXIME JOUR.
-
-couter la voix de Jsus-Christ parlant l'me qui l'a reu.
-
- Livre II.--Ch. 1.
- Livre III.--Ch. 1, 2, 3.
-
-TROISIME JOUR.
-
-Se dtacher des cratures.
-
- Livre III.--Ch. 26, 31, 42, 45.
-
-QUATRIME JOUR.
-
-Se dtacher de soi-mme, et s'abandonner Dieu.
-
- Livre III.--Ch. 15, 17, 27, 37.
-
-CINQUIME JOUR.
-
-Souffrir avec patience en union aux souffrances de Jsus-Christ.
-
- Livre II.--Ch. 12.
- Livre III.--Ch. 16, 18, 19.
-
-SIXIME JOUR.
-
-Persvrer dans sa ferveur dans les bonnes rsolutions qu'on a prises en
-communiant.
-
- Livre I.--Ch. 19, 25.
- Livre III.--Ch. 23, 55.
-
-(Si on ne peut pas lire les quatre chapitres, il faudra de prfrence
-lire le premier et le dernier de chaque jour. On peut aussi en lire deux
-le matin et deux le soir.)
-
-
-FIN
-
-
-Imp. BAILLY, DIVRY et Cie, place Sorbonne, 2.
-
-
-
-
-
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-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'IMITATION DE JSUS-CHRIST ***
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-The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the
-mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its
-volunteers and employees are scattered throughout numerous
-locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt
-Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to
-date contact information can be found at the Foundation's web site and
-official page at www.gutenberg.org/contact
-
-For additional contact information:
-
- Dr. Gregory B. Newby
- Chief Executive and Director
- gbnewby@pglaf.org
-
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
-spread public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
-where we have not received written confirmation of compliance. To SEND
-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular
-state visit www.gutenberg.org/donate
-
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-
-Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-
-Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works.
-
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of
-volunteer support.
-
-Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
-the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
-necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
-edition.
-
-Most people start at our Web site which has the main PG search
-facility: www.gutenberg.org
-
-This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
-subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
-
diff --git a/57824-h/57824-h.htm b/57824-h/57824-h.htm
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@@ -85,46 +85,7 @@ a { text-decoration: none; }
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-<pre>
-
-The Project Gutenberg EBook of L'imitation de Jsus-Christ, by Various
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: L'imitation de Jsus-Christ
- Traduction nouvelle avec des rflexions la fin de chaque chapitre
-
-Author: Various
-
-Translator: Flicit de Lamennais
-
-Release Date: September 1, 2018 [EBook #57824]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'IMITATION DE JSUS-CHRIST ***
-
-
-
-
-Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
-Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was
-produced from scanned images of public domain material
-from the Google Books project.)
-
-
-
-
-
-
-</pre>
+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57824 ***</div>
<h1>L'IMITATION<br/>
<span class="xsmall">DE</span><br/>
@@ -20080,381 +20041,7 @@ C<sup>e</sup>, place Sorbonne, 2.</p>
-<pre>
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of L'imitation de Jsus-Christ, by Various
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'IMITATION DE JSUS-CHRIST ***
-
-***** This file should be named 57824-h.htm or 57824-h.zip *****
-This and all associated files of various formats will be found in:
- http://www.gutenberg.org/5/7/8/2/57824/
-
-Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
-Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was
-produced from scanned images of public domain material
-from the Google Books project.)
-
-Updated editions will replace the previous one--the old editions will
-be renamed.
-
-Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright
-law means that no one owns a United States copyright in these works,
-so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United
-States without permission and without paying copyright
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-of this license, apply to copying and distributing Project
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-concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark,
-and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive
-specific permission. If you do not charge anything for copies of this
-eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook
-for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports,
-performances and research. They may be modified and printed and given
-away--you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks
-not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the
-trademark license, especially commercial redistribution.
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-START: FULL LICENSE
-
-THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE
-PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK
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-distribution of electronic works, by using or distributing this work
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-things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works
-even without complying with the full terms of this agreement. See
-paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project
-Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this
-agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm
-electronic works. See paragraph 1.E below.
-
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-Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection
-of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual
-works in the collection are in the public domain in the United
-States. If an individual work is unprotected by copyright law in the
-United States and you are located in the United States, we do not
-claim a right to prevent you from copying, distributing, performing,
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-that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting
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-what you can do with this work. Copyright laws in most countries are
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- This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and
- most other parts of the world at no cost and with almost no
- restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it
- under the terms of the Project Gutenberg License included with this
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-derived from texts not protected by U.S. copyright law (does not
-contain a notice indicating that it is posted with permission of the
-copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in
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-additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms
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-posted with the permission of the copyright holder found at the
-beginning of this work.
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-electronic work, or any part of this electronic work, without
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-active links or immediate access to the full terms of the Project
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-compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including
-any word processing or hypertext form. However, if you provide access
-to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format
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-version posted on the official Project Gutenberg-tm web site
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- you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed
- to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has
- agreed to donate royalties under this paragraph to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid
- within 60 days following each date on which you prepare (or are
- legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty
- payments should be clearly marked as such and sent to the Project
- Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in
- Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg
- Literary Archive Foundation."
-
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- you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he
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- License. You must require such a user to return or destroy all
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- all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm
- works.
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- any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the
- electronic work is discovered and reported to you within 90 days of
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-1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project
-Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than
-are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing
-from both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and The
-Project Gutenberg Trademark LLC, the owner of the Project Gutenberg-tm
-trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below.
-
-1.F.
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-effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread
-works not protected by U.S. copyright law in creating the Project
-Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm
-electronic works, and the medium on which they may be stored, may
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-LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR
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-defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can
-receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a
-written explanation to the person you received the work from. If you
-received the work on a physical medium, you must return the medium
-with your written explanation. The person or entity that provided you
-with the defective work may elect to provide a replacement copy in
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-or entity providing it to you may choose to give you a second
-opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If
-the second copy is also defective, you may demand a refund in writing
-without further opportunities to fix the problem.
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-in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS', WITH NO
-OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT
-LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTABILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE.
-
-1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied
-warranties or the exclusion or limitation of certain types of
-damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement
-violates the law of the state applicable to this agreement, the
-agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or
-limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or
-unenforceability of any provision of this agreement shall not void the
-remaining provisions.
-
-1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
-trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
-providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in
-accordance with this agreement, and any volunteers associated with the
-production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm
-electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
-including legal fees, that arise directly or indirectly from any of
-the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this
-or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or
-additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any
-Defect you cause.
-
-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
-
-Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
-electronic works in formats readable by the widest variety of
-computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It
-exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations
-from people in all walks of life.
-
-Volunteers and financial support to provide volunteers with the
-assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
-goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
-www.gutenberg.org
-
-
-
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state's laws.
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-The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the
-mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its
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