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diff --git a/57824-0.txt b/57824-0.txt new file mode 100644 index 0000000..6969783 --- /dev/null +++ b/57824-0.txt @@ -0,0 +1,16065 @@ +*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57824 *** + + + + + + + + + + + + + +L'IMITATION + +DE + +JÉSUS-CHRIST, + +TRADUCTION NOUVELLE + +AVEC DES + +RÉFLEXIONS À LA FIN DE CHAQUE CHAPITRE, + +PAR M. L'ABBÉ + +F. DE LAMENNAIS; + +Suivie de la Messe tirée de Fénelon et des Vêpres du Dimanche. + +XLIIIe Édition. + +PARIS. + +ANCIENNE MAISON SAGNIER ET BRAY. + +AMBROISE BRAY, LIBRAIRE-ÉDITEUR, + +RUE DES SAINTS-PÈRES, 66. + +1859 + + + + +Ouvrages du même Auteur: + + + + L'IMITATION DE JÉSUS-CHRIST, traduction nouvelle, avec des réflexions + à la fin de chaque chapitre; suivie de la MESSE tirée de Fénelon et + des Vêpres du Dimanche. 1 vol. in-32 diamant. 2 fr. + + --MÊME OUVRAGE, in-32 raisin, papier vélin glacé. 2 fr. 50 + + --_Idem_, in-18, papier ordinaire. 2 fr. 50 + + --_Idem_, grand in-18, papier vélin glacé. 3 fr. 50 + + --_Idem_, grand in-8º, papier Jésus vélin glacé, orné de 4 + magnifiques gravures sur acier. 12 fr. + + + JOURNÉE DU CHRÉTIEN, ou moyen de se sanctifier au milieu du monde. + 1 vol. in-32. 2 fr. + + --MÊME OUVRAGE, grand in-32, papier vélin glacé. 3 fr. + + --_Idem_, in-18, papier ordinaire. 2 fr. 50 + + --_Idem_, grand in-18, papier vélin glacé. 3 fr. 50 + + + LE GUIDE DE LA JEUNESSE. 1 vol. in-18. 1 fr. + + --MÊME OUVRAGE, gr. in-18, pap. vél. gl. 1 fr. 50 + + SOMMAIRE: Dangers du monde dans le premier âge.--De la vraie fin de + l'homme.--De la fidélité aux devoirs.--De la confession.--De la + communion.--De la dévotion à la sainte Vierge, aux saints Patrons et + aux Saints Anges.--Messe, Vêpres du Dimanche. + + + GUIDE SPIRITUEL, ou le _Miroir des âmes religieuses_, par le V. LOUIS + DE BLOIS; traduit du latin et précédé d'une Introduction. Ouvrage + suivi des _Maximes spirituelles_ de saint Jean-de-la-Croix. 1 vol. + in-30. 80 c. + + + + +[Illustration] + +H. Lazerges del. A. Leroy sc. + +LAISSEZ LÀ CE MISÉRABLE MONDE, ET VOTRE COEUR TROUVERA LE REPOS. + +Imit. Livre II. + + + + +AVERTISSEMENT DES ÉDITEURS. + + +Les personnes qui recherchent avec une préférence fondée sur le mérite +incontestable de la traduction et surtout des Réflexions, l'_Imitation +de Jésus-Christ_ de M. l'abbé de Lamennais, sont induites en erreur, +lorsqu'on leur présente comme enrichie de ces Réflexions la traduction +qui a paru sous le nom de M. de Genoude. Ce qui a pu accréditer cette +erreur, c'est que M. de Lamennais a donné en effet des Réflexions pour +quatre ou cinq chapitres de cette traduction, lorsqu'elle a été publiée +par les éditeurs de la _Bibliothèque des Dames chrétiennes_. + + + + +PRÉFACE. + +Décembre 1824. + + +On ne connaît point l'auteur de l'_Imitation_. Les uns l'attribuent à +Thomas A-Kempis, les autres à l'abbé Gersen: et cette diversité +d'opinions a été la source de longues controverses, selon nous assez +inutiles. Mais il n'est point d'objet frivole pour la curiosité humaine. +On a fait des recherches immenses pour découvrir le nom d'un pauvre +solitaire du treizième siècle. Qu'est-il résulté de tant de travaux? Le +solitaire est demeuré inconnu, et l'heureuse obscurité où s'écoula sa +vie a protégé son humilité contre notre vaine science. + +Au reste, si l'on se divise sur l'auteur, tout le monde est d'accord sur +l'ouvrage, _le plus beau_, dit Fontenelle, _qui soit parti de la main +des hommes, puisque l'Évangile n'en vient pas_. Il y a, en effet, +quelque chose de céleste dans la simplicité de ce livre prodigieux. On +croirait presque qu'un de ces purs esprits qui voient Dieu face à face +soit venu nous expliquer sa parole, et nous révéler ses secrets. On est +ému profondément à l'aspect de cette douce lumière, qui nourrit l'âme et +la fortifie, et l'échauffe sans la troubler. C'est ainsi qu'après avoir +entendu Jésus-Christ lui-même, les disciples d'Emmaüs se disaient l'un à +l'autre: _Notre coeur n'était-il pas tout brûlant au dedans de nous, +lorsqu'il nous parlait dans le chemin, et nous ouvrait les +Écritures[1]?_ + + [1] Luc., XXIV, 32. + +On a dit que l'_Imitation_ était le livre des parfaits: elle ne laisse +pas néanmoins d'être utile à ceux qui commencent. Nulle part on ne +trouvera une plus profonde connaissance de l'homme, de ses +contradictions, de ses faiblesses, des plus secrets mouvements de son +coeur. Mais l'auteur ne se borne pas à nous montrer nos misères; il en +indique le remède, il nous le fait goûter; et c'est un des caractères +qui distinguent les écrivains ascétiques des simples moralistes. Ceux-ci +ne savent guère que sonder la plaie de notre nature; ils nous effraient +de nous-mêmes, et affaiblissent l'espérance de tout ce qu'ils ôtent à +l'orgueil. Ceux-là, au contraire, ne nous abaissent que pour nous +relever; et, plaçant dans le Ciel notre point d'appui, ils nous +apprennent à contempler sans découragement, du sein même de notre +impuissance, la perfection infinie où les chrétiens sont appelés. + +De là ce calme ravissant, cette paix inexprimable qu'on éprouve en +lisant leurs écrits avec une foi docile et un humble amour. Il semble +que les bruits de la terre s'éteignent autour de nous. Alors, au milieu +d'un grand silence, on n'entend plus qu'une seule voix, qui parle du +sauveur Jésus, et nous attire à lui comme par un charme irrésistible. +L'âme transportée aspire au moment où se consommera son union avec le +céleste Époux. _Et l'esprit et l'épouse disent: Venez. Et que celui qui +écoute, dise: Venez. Oui, je viens, je me hâte de venir. Ainsi soit-il! +Venez, Seigneur Jésus_[2]. + + [2] Apoc., XXII, 17 et 20. + +Que sont les plaisirs du monde près de ces joies inénarrables de la foi? +Comment peut-on sacrifier le seul vrai bonheur à quelques instants +d'ivresse, bientôt suivis de longs regrets et d'un amer dégoût? Oh! _si +vous connaissiez le don de Dieu, si vous saviez quel est celui qui vous +appelle_[3], qui vous presse de vous donner à lui, afin de se donner +lui-même à vous, avec quelle ardeur vous répondriez aux invitations de +son amour! _Venez donc, et goûtez combien le Seigneur est doux_[4]: +venez et vivez. Maintenant vous ne vivez pas, car ce n'est pas vivre que +d'être séparé de celui qui a dit: _Je suis la vérité et la vie_[5]. Mais +quand vous l'aurez connu, quand votre coeur fatigué se sera +délicieusement reposé sur le sien, il ne vous restera que cette parole: +_Mon bien-aimé est à moi, et moi à lui_[6]. _J'ai trouvé celui qu'aime +mon âme: je l'ai saisi, et ne le laisserai point aller_[7]. + + [3] Joan., IV, 10. + + [4] Ps. XXXIII, 9. + + [5] Joan., XIV, 6. + + [6] Cant., II, 16. + + [7] _Ibid._, III, 4. + +Et vous qui souffrez, vous que le monde afflige, venez aussi, venez à +Jésus: il bénira vos larmes, il les essuiera de sa main compatissante. +Son âme est toute tendresse et commisération. _Il a porté nos +infirmités, et connu nos langueurs_[8]: il sait ce que c'est que +pleurer. + + [8] Is., LIII, 3 et 4. + +L'_Imitation_ ne contient pas seulement des réflexions propres à toucher +l'âme, elle est encore remplie d'admirables conseils pour toutes les +circonstances de la vie. En quelque position qu'on se trouve, on ne la +lit jamais sans fruit. M. de La Harpe en est un exemple frappant; +écoutons-le parler lui-même. + +«J'étais dans ma prison, seul, dans une petite chambre, et profondément +triste. Depuis quelques jours j'avais lu les Psaumes, l'Évangile et +quelques bons livres. Leur effet avait été rapide, quoique gradué. Déjà +j'étais rendu à la foi; je voyais une lumière nouvelle; mais elle +m'épouvantait et me consternait, en me montrant un abîme, celui de +quarante années d'égarement. Je voyais tout le mal et aucun remède: rien +autour de moi qui m'offrît les secours de la religion. D'un autre côté, +ma vie était devant mes yeux, telle que je la voyais au flambeau de la +vérité céleste; et de l'autre, la mort, la mort que j'attendais tous les +jours, telle qu'on la recevait alors. Le prêtre ne paraissait plus sur +l'échafaud pour consoler celui qui allait mourir; il n'y montait plus +que pour mourir lui-même. Plein de ces désolantes idées, mon coeur était +abattu, et s'adressait tout bas à Dieu que je venais de retrouver, et +qu'à peine connaissais-je encore. Je lui disais: Que dois-je faire? que +vais-je devenir? J'avais sur une table l'_Imitation_; et l'on m'avait +dit que dans cet excellent livre je trouverais souvent la réponse à mes +pensées. Je l'ouvre au hasard, et je tombe, en l'ouvrant, sur ces +paroles: _Me voici, mon fils! je viens à vous parce que vous m'avez +invoqué_. Je n'en lus pas davantage: l'impression subite que j'éprouvais +est au-dessus de toute expression, et il ne m'est pas plus possible de +la rendre que de l'oublier. Je tombai la face contre terre, baigné de +larmes, étouffé de sanglots, jetant des cris et des paroles +entrecoupées. Je sentais mon coeur soulagé et dilaté, mais en même temps +comme prêt à se fendre. Assailli d'une foule d'idées et de sentiments, +je pleurai assez longtemps, sans qu'il me reste d'ailleurs d'autre +souvenir de cette situation, si ce n'est que c'est, sans aucune +comparaison, ce que mon coeur a jamais senti de plus violent et de plus +délicieux; et que ces mots, _Me voici, mon fils!_ ne cessaient de +retentir dans mon âme, et d'en ébranler puissamment toutes les +facultés.» + +Que de grâces cachées renferme un livre dont un seul passage, aussi +court que simple, a pu toucher de la sorte une âme longtemps endurcie +par l'orgueil philosophique! Qu'on ne s'y trompe pas cependant: pour +produire ces vives et soudaines impressions, et même un effet vraiment +salutaire, l'_Imitation_ demande un Coeur préparé. On peut, jusqu'à un +certain point, en sentir le charme, on peut l'admirer, sans qu'il +résulte de cette stérile admiration aucun changement dans la volonté ni +dans la conduite. Rien n'est utile pour le salut que ce qui repose sur +l'humilité. Si vous n'êtes pas humble, ou si, au moins, vous ne désirez +pas le devenir, la parole de Dieu tombera sur votre âme comme la rosée +sur un sable aride. Ne croire que soi et n'aimer que soi est le +caractère de l'orgueil. Or, privé de foi et d'amour, de quel bien +l'homme est-il capable? À quoi lui peuvent servir les instructions les +plus solides, les plus pressantes exhortations? Tout se perd dans le +vide de son âme, ou se brise contre sa dureté. Humilions-nous, et la foi +et l'amour nous seront donnés: humilions-nous, et le salut sera le prix +de la victoire que nous remporterons sur l'orgueil. Quand le Sauveur +voulut montrer, pour ainsi dire, aux yeux de ses disciples la voie du +Ciel, que fit-il? _Jésus appelant un petit enfant, le plaça au milieu +d'eux, et dit: En vérité, je vous le dis, si vous ne vous convertissez +et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le +royaume des Cieux_[9]. + + [9] Matth., XVIII, 2 et 3. + + * * * * * + +_P. S._ On a cru qu'il serait utile de placer à la fin des chapitres de +l'_Imitation_ quelques _Réflexions_ qui en fussent comme le résumé. +Elles tiendront lieu des pratiques du P. GONNELIEU. Ces pratiques, qui +furent écrites dans un siècle où il y avait encore de la foi dans les +coeurs et de la simplicité dans les esprits, semblent être devenues +insuffisantes dans des temps malheureux où le _raisonnement_ a tout +attaqué et tout corrompu. On s'est néanmoins efforcé d'atteindre, par +des moyens différents, le même but que s'était proposé ce pieux +écrivain, en fixant l'attention sur les principaux préceptes ou sur les +plus importants conseils contenus dans chaque chapitre. + +Nous finirons par un mot sur les principales traductions, faites dans +notre langue, du livre de l'_Imitation_. + +La plus ancienne de celles qui méritent d'être citées a pour auteur le +chancelier de Marillac, et fut publiée en 1621. Cette traduction, qui se +rapproche plus qu'aucune autre du texte original, a, dans son vieux +langage, beaucoup de grâce et de naïveté: il est remarquable qu'elle n'a +été que rarement imitée par les traducteurs qui sont venus après. + +En 1662 parut celle de M. Le Maistre de Saci: elle eut un grand succès. +Toutefois ce n'est le plus souvent qu'une paraphrase élégante du texte. +Le P. Lallemant, qui publia la sienne en 1740[10], et M. Beauzée, dont +la traduction fut imprimée en 1788, évitèrent ce défaut, mais laissèrent +encore beaucoup à désirer. Beauzée, correct, quelquefois même élégant, +manque de chaleur et d'onction; le P. Lallemant, avec plus de précision +que Saci et moins de sécheresse que Beauzée, est loin cependant d'avoir +fidèlement rendu le tour animé et plein de sentiment, l'expression +souvent si hardie et si pittoresque de l'original. Du reste, l'un et +l'autre s'emparèrent, sans scrupule, de tout ce qu'ils jugèrent bien +traduit par leurs devanciers. + + [10] Il avait alors quatre-vingts ans. + +La traduction de Saci a été depuis revue et corrigée par l'abbé de La +Hogue, qui l'a fort améliorée, sans avoir cependant rien changé au +système de paraphrase adopté par ce traducteur. + +Il nous reste à parler de la traduction qui, depuis un siècle, a été le +plus souvent réimprimée, et qui, sous le nom du P. Gonnelieu, auteur des +pratiques et des prières dont elle est constamment accompagnée, passe +pour la plus parfaite de toutes. _Habent sua fata libelli_; ce singulier +jugement que répète, à peu près dans les mêmes termes, chaque nouvel +éditeur de cette traduction, l'a rendue, en quelque sorte, l'objet d'un +respect religieux, qu'il semble bien hardi de vouloir essayer de +détruire. La vérité est cependant que le P. Gonnelieu n'a jamais traduit +l'_Imitation_; que cette traduction, depuis si longtemps honorée d'une +si grande faveur, est d'un libraire de Paris, nommé Jean Cusson, qui la +fit paraître pour la première fois en 1673; et que, bien qu'elle ait été +retouchée et corrigée par J.-B. Cusson, son fils, qui la publia de +nouveau en 1712[11], y joignant alors, pour la première fois, les +pratiques du P. Gonnelieu, elle n'est en effet qu'une continuelle et +faible copie de celle de Saci, et, à notre avis, la plus médiocre de +toutes les traductions que nous venons de citer[12]. + + [11] Ces documents bibliographiques ont été puisés dans une + dissertation très-savante et très-bien faite sur soixante + traductions françaises de l'_Imitation_, publiée en 1812 par M. A. + A. Barbier, bibliothécaire du Roi. + + [12] Tous les traducteurs de l'_Imitation_ n'ont cessé de se copier + les uns les autres; et Saci est celui auquel on a le plus + fréquemment emprunté. (_Voy._ la dissertation déjà citée.) Du reste, + tel est le désordre qui règne dans les réimpressions continuelles + que l'on fait de ce livre, que ces pratiques du P. Gonnelieu se + trouvent, dans plusieurs éditions, à la suite des traductions de + Beauzée, de Lallemant, etc.; et néanmoins, dans l'avertissement de + l'éditeur, c'est toujours «_l'excellente traduction_ du P. Gonnelieu + que l'on présente aux lecteurs, cette traduction qui surpasse toutes + les autres _pour la fidélité et l'onction_.» + +Quoique M. Genoude, surtout dans les deux premiers livres, les ait +quelquefois corrigées heureusement, peut-être laisse-t-il encore quelque +chose à désirer. Il nous a paru du moins qu'on pouvait, en conservant ce +qu'il y a de bon dans les traductions anciennes[13], essayer de +reproduire plus fidèlement quelques unes des beautés de l'_Imitation_. +En ce genre de travail, venir le dernier est un avantage: heureux si +nous avons su en profiter pour le bien des âmes, et si nous pouvons +ainsi avoir quelque petite part dans les fruits abondants que produit +tous les jours ce saint livre! + + [13] Le P. Lallemant justifie cette manière de traduire l'_Imitation_ + par une réflexion pleine de sens: «Il y a, dit-il à la fin de sa + préface, dans l'_Imitation_, un nombre d'expressions si simples, + qu'il n'est pas possible de les rendre bien en deux façons. On ne + doit donc pas être surpris de trouver en cette traduction plusieurs + versets exprimés de la même manière que dans les éditions + précédentes. Il ne serait point juste de vouloir obliger un auteur + de traduire moins bien un texte, pour s'éloigner de ceux qui ont + saisi la seule bonne manière de le traduire.» + + + + +L'IMITATION + +DE + +JÉSUS-CHRIST. + + + + +LIVRE PREMIER. + +AVIS UTILES POUR ENTRER DANS LA VIE INTÉRIEURE. + + + + +CHAPITRE PREMIER. + +Qu'il faut imiter JÉSUS-CHRIST, et mépriser toutes les vanités du monde. + + +1. _Celui qui me suit, ne marche point dans les ténèbres_, dit le +Seigneur[14]. Ce sont les paroles de Jésus-Christ, par lesquelles il +nous exhorte à imiter sa conduite et sa vie, si nous voulons être +vraiment éclairés et délivrés de tout aveuglement du coeur. + + [14] Joan., VIII, 12. + +Que notre principale étude soit donc de méditer la vie de Jésus-Christ. + +2. La doctrine de Jésus-Christ surpasse toute doctrine des Saints; et +qui posséderait son esprit, y trouverait la manne cachée. + +Mais il arrive que plusieurs, à force d'entendre l'Évangile n'en sont +que peu touchés, parce qu'ils n'ont point l'esprit de Jésus-Christ. + +Voulez-vous comprendre parfaitement et goûter les paroles de +Jésus-Christ: appliquez-vous à conformer toute votre vie à la sienne. + +3. Que vous sert de raisonner profondément sur la Trinité, si vous +n'êtes pas humbles, et que par là vous déplaisiez à la Trinité? + +Certes les discours sublimes ne font pas l'homme juste et saint; mais +une vie pure rend cher à Dieu. + +J'aime mieux sentir la componction, que d'en savoir la définition. + +Quand vous sauriez toute la Bible et toutes les sentences des +philosophes, que vous servirait tout cela, sans la grâce et la charité? + +_Vanité des vanités, et tout n'est que vanité_[15], hors aimer Dieu, et +le servir lui seul. + + [15] Eccl., I, 2. + +La souveraine sagesse est de tendre au royaume du Ciel par le mépris du +monde. + +4. Vanité donc, d'amasser des richesses périssables, et d'espérer en +elles. + +Vanité, d'aspirer aux honneurs, et de s'élever à ce qu'il y a de plus +haut. + +Vanité, de suivre les désirs de la chair, et de rechercher ce dont il +faudra bientôt être rigoureusement puni. + +Vanité, de souhaiter une longue vie, et de ne pas se soucier de bien +vivre. + +Vanité, de ne penser qu'à la vie présente, et de ne pas prévoir ce qui +la suivra. + +Vanité, de s'attacher à ce qui passe si vite, et de ne se pas hâter vers +la joie qui ne finit point. + +5. Rappelez-vous souvent cette parole du Sage: _L'oeil n'est pas +rassasié de ce qu'il voit, ni l'oreille remplie de ce qu'elle +entend_[16]. + + [16] Eccl., I, 8. + +Appliquez-vous donc à détacher votre coeur de l'amour des choses +visibles, pour le porter tout entier vers les invisibles. + +Car ceux qui suivent l'attrait de leurs sens souillent leur âme, et +perdent la grâce de Dieu. + + +RÉFLEXION. + + Nous n'avons ici-bas qu'un intérêt, celui de notre salut[17], et nul + ne peut être sauvé qu'en Jésus-Christ et par Jésus-Christ[18]; la foi + en sa parole, l'obéissance à ses commandements, l'imitation de ses + vertus, voilà la vie, il n'y en a point d'autre: tout le reste est + vanité, et j'ai vu, dit le Sage, que _l'homme n'a rien de plus de tous + les travaux dont il se consume sous le soleil_[19]: richesses, + plaisirs, grandeurs, qu'est-ce que cela, lorsqu'on jette le corps dans + la fosse, et que l'âme s'en va dans son éternité? Pensez-y dès + aujourd'hui, dès ce moment même, car, demain peut-être, il ne sera + plus temps. Travaillez pendant que le jour luit: hâtez-vous d'amasser + un trésor qui ne périsse point[20]: _la nuit vient où l'on ne peut + rien faire_[21]. De stériles désirs ne vous sauveront pas: ce sont des + oeuvres que Dieu veut. Or donc, imitez Jésus, si vous voulez vivre + éternellement avec Jésus. + + [17] Luc., X, 42. + + [18] Act., IV, 12. + + [19] Eccl., I, 3. + + [20] Matth., VI, 20. + + [21] Joan., IX, 4. + + + + +CHAPITRE II. + +Avoir d'humbles sentiments de soi-même. + + +1. Tout homme désire naturellement de savoir: mais la science sans la +crainte de Dieu, que vaut-elle? + +Un humble paysan qui sert Dieu, est certainement fort au-dessus du +philosophe superbe qui, se négligeant lui-même, considère le cours des +astres. + +Celui qui se connaît bien, se méprise, et ne se plaît point aux louanges +des hommes. + +Quand j'aurais toute la science du monde, si je n'ai pas la charité, à +quoi cela me servirait-il devant Dieu, qui me jugera sur mes oeuvres? + +2. Modérez le désir trop vif de savoir; on ne trouvera là qu'une grande +dissipation et une grande illusion. + +Les savants sont bien aises de paraître et de passer pour habiles. + +Il y a beaucoup de choses qu'il importe peu ou qu'il n'importe point à +l'âme de connaître; et celui-là est bien insensé qui s'occupe d'autre +chose que de ce qui intéresse son salut. + +La multitude des paroles ne rassasie point l'âme; mais une vie sainte et +une conscience pure donnent le repos du coeur et une grande confiance +près de Dieu. + +3. Plus et mieux vous savez, plus vous serez sévèrement jugé, si vous +n'en vivez pas plus saintement. + +Quelque art et quelque science que vous possédiez, n'en tirez donc point +de vanité: craignez plutôt à cause des lumières qui vous ont été +données. + +Si vous croyez beaucoup savoir, et savoir bien, souvenez-vous que c'est +peu de chose près de ce que vous ignorez. + +_Ne vous élevez point en vous-même_[22]: avouez plutôt votre ignorance. + + [22] Rom., XI, 20. + +Comment pouvez-vous songer à vous préférer à quelqu'un, tandis qu'il y +en a tant de plus doctes que vous, et de plus instruits en la loi de +Dieu? + +Voulez-vous apprendre et savoir quelque chose qui vous serve? Aimez à +vivre inconnu et à n'être compté pour rien. + +4. La science la plus haute et la plus utile est la connaissance exacte +et le mépris de soi-même. + +Ne rien s'attribuer et penser favorablement des autres, c'est une grande +sagesse et une grande perfection. + +Quand vous verriez votre frère commettre ouvertement une faute, même une +faute très-grave, ne pensez pas cependant être meilleur que lui: car +vous ignorez combien de temps vous persévérerez dans le bien. + +Nous sommes tous fragiles; mais croyez que personne n'est plus fragile +que vous. + + +RÉFLEXION. + + L'orgueil a perdu l'homme, l'humilité le relève et le rétablit en + grâce avec Dieu. Son mérite n'est pas dans ce qu'il sait, mais dans ce + qu'il fait. La science sans les oeuvres ne le justifiera point au + tribunal suprême; elle aggravera plutôt son jugement. Ce n'est pas que + la science n'ait ses avantages, puisqu'elle vient de Dieu: mais elle + cache un grand piége et une grande tentation. _Elle enfle_, dit + l'Apôtre[23]; elle nourrit la superbe, elle inspire une secrète + préférence de soi, préférence criminelle et folle en même temps, car + la science la plus étendue n'est qu'un autre genre d'ignorance, et la + vraie perfection consiste uniquement dans les dispositions du coeur. + N'oublions jamais que nous ne sommes rien, que nous ne possédons en + propre que le péché, que la justice veut que nous nous abaissions + au-dessous de toutes les créatures, et que, dans le royaume de + Jésus-Christ, _les premiers seront les derniers, et les derniers + seront les premiers_[24]. + + [23] I Cor., VIII, 1. + + [24] Matth., XIX, 30. + + + + +CHAPITRE III. + +De la Doctrine de vérité. + + +1. Heureux celui que la vérité instruit elle-même, non par des figures +et des paroles qui passent, mais en se montrant telle qu'elle est. + +Notre raison et nos sens voient peu et nous trompent souvent. + +À quoi servent ces disputes subtiles sur des choses cachées et obscures, +qu'au jugement de Dieu on ne vous reprochera point d'avoir ignorées? + +C'est une grande folie de négliger ce qui est utile et nécessaire, pour +s'appliquer curieusement à ce qui nuit. Nous avons des yeux, et nous ne +voyons point. + +2. Que nous importe tout ce qu'on dit sur les genres et sur les espèces? + +Celui à qui parle le Verbe éternel est délivré de bien des opinions. + +Tout vient de ce Verbe unique: de lui procède toute parole, _il en est +le principe, et c'est lui qui parle en dedans de nous_[25]. + + [25] Joan., VIII, 25. + +Sans lui nulle intelligence; sans lui nul jugement n'est droit. + +Celui pour qui une seule chose est tout, qui rappelle tout à cette +unique chose, et voit tout en elle, ne sera point ébranlé, et son coeur +demeurera dans la paix de Dieu. + +Ô vérité, qui êtes Dieu, faites que je sois un avec vous dans un amour +éternel. + +Souvent j'éprouve un grand ennui à force de lire et d'entendre: en vous +est tout ce que je désire, tout ce que je veux. + +Que tous les docteurs se taisent: que toutes les créatures soient dans +le silence devant vous: parlez-moi vous seul. + +3. Plus un homme est recueilli en lui-même, et dégagé des choses +extérieures, plus son esprit s'étend et s'élève sans aucun travail, +parce qu'il reçoit d'en haut la lumière de l'intelligence. + +Une âme pure, simple, ferme dans le bien, n'est jamais dissipée au +milieu même des plus nombreuses occupations, parce qu'elle fait tout +pour honorer Dieu, et que, tranquille en elle-même, elle tâche de ne se +rechercher en rien. + +Qu'est-ce qui vous fatigue et vous trouble, si ce n'est les affections +immortifiées de votre coeur? + +4. L'homme bon et vraiment pieux dispose d'abord au dedans de lui tout +ce qu'il doit faire au dehors: il ne se laisse point entraîner, dans ses +actions, au désir d'une inclination vicieuse: mais il les soumet à la +règle d'une droite raison. + +Qui a un plus rude combat à soutenir que celui qui travaille à se +vaincre? + +C'est là ce qui devrait nous occuper uniquement: combattre contre +nous-mêmes, devenir chaque jour plus forts contre nous, chaque jour +faire quelques progrès dans le bien. + +Toute perfection, dans cette vie, est mêlée de quelque imperfection; et +nous ne voyons rien qu'à travers une certaine obscurité. + +L'humble connaissance de vous-même est une voie plus sûre pour aller à +Dieu, que les recherches profondes de la science. + +Ce n'est pas qu'il faille blâmer la science, ni la simple connaissance +d'aucune chose: car elle est bonne en soi et dans l'ordre de Dieu; +seulement on doit préférer toujours une conscience pure et une vie +sainte. + +Mais parce que plusieurs s'occupent davantage de savoir que de bien +vivre, ils s'égarent souvent, et ne retirent que peu ou point de fruit +de leur travail. + +5. Oh! s'ils avaient autant d'ardeur pour extirper leurs vices et pour +cultiver la vertu, que pour remuer de vaines questions, on ne verrait +pas tant de maux et de scandales dans le peuple, ni tant de relâchement +dans les monastères. + +Certes, au jour du jugement on ne nous demandera point ce que nous avons +lu, mais ce que nous avons fait; ni si nous avons bien parlé, mais si +nous avons bien vécu. + +Dites-moi où sont maintenant ces maîtres et ces docteurs que vous avez +connus, lorsqu'ils vivaient encore, et qu'ils fleurissaient dans leur +science? + +D'autres occupent à présent leurs places, et je ne sais s'ils pensent +seulement à eux. + +Ils semblaient, pendant leur vie, être quelque chose, et maintenant on +n'en parle plus. + +Oh! que la gloire du monde passe vite! Plût à Dieu que leur vie eût +répondu à leur science! Ils auraient lu alors et étudié avec fruit. + +Qu'il y en a qui se perdent dans le siècle par une vaine science, et par +l'oubli du service de Dieu! + +Et parce qu'ils aiment mieux être grands que d'être humbles, ils +s'évanouissent dans leurs pensées. + +Celui-là est vraiment grand, qui a une grande charité. + +Celui-là est vraiment grand, qui est petit à ses propres yeux, et pour +qui les honneurs du monde ne sont qu'un pur néant. + +Celui-là est vraiment sage, qui, _pour gagner Jésus-Christ, regarde +comme de la boue toutes les choses de la terre_[26]. + + [26] Philipp., III, 8. + +Celui-là possède la vraie science, qui fait la volonté de Dieu, et +renonce à la sienne. + + +RÉFLEXION. + + Il y a deux doctrines, mais il n'y a qu'une vérité. Il y a deux + doctrines, l'une de Dieu, immuable comme lui; l'autre de l'homme, + changeante comme lui. La sagesse incréée, le Verbe divin répand la + première dans les âmes préparées à la recevoir; et la lumière qu'elle + leur communique est une partie de lui-même, de la vérité substantielle + et toujours vivante. Offerte à tous, elle est donnée avec plus + d'abondance à l'humble de coeur; et comme elle ne vient pas de lui, + qu'elle peut à chaque instant lui être retirée, qu'elle ne dépend en + aucune façon de l'intelligence qu'elle éclaire, il la possède sans + être tenté de vaine complaisance dans sa possession. La doctrine de + l'homme, au contraire, flatte son orgueil, parce qu'il en est le père. + «Cette idée m'appartient; j'ai dit cela le premier; on ne savait rien + là-dessus avant moi.» Esprit superbe, voilà ton langage. Mais bientôt + on conteste à cette puissante raison ce qui fait sa joie; on rit de + ses idées fausses qu'elle a crues vraies, de ses découvertes + imaginaires: le lendemain on n'y pense plus, et le temps emporte + jusqu'au nom de l'insensé qui ne vécut que pour être immortel sur la + terre. Ô Jésus, daignez mettre en moi votre vérité sainte et qu'elle + me préserve à jamais des égarements de mon propre esprit! + + + + +CHAPITRE IV. + +De la Prévoyance dans les actions. + + +1. Il ne faut pas croire à toute parole, ni obéir à tout mouvement +intérieur; mais peser chaque chose selon Dieu, avec prudence et avec une +longue attention. + +Hélas! nous croyons et nous disons plus facilement des autres le mal que +le bien, tant nous sommes faibles! + +Mais les parfaits n'ajoutent pas foi aisément à tout ce qu'ils +entendent, parce qu'ils connaissent l'infirmité de l'homme, enclin au +mal et léger dans ses paroles. + +2. C'est une grande sagesse que de ne point agir avec précipitation, et +de ne pas s'attacher obstinément à son propre sens. + +Il est encore de la sagesse de ne pas croire indistinctement tout ce que +les hommes disent; et ce qu'on a entendu ou cru, de ne point aller +aussitôt le rapporter aux autres. + +Prenez conseil d'un homme sage et de conscience; et laissez-vous guider +par un autre qui vaille mieux que vous, plutôt que de suivre vos propres +pensées. + +Une bonne vie rend l'homme sage selon Dieu, et lui donne une grande +expérience. + +Plus on sera humble et soumis à Dieu, plus on aura de sagesse et de paix +en toutes choses. + + +RÉFLEXION. + + Dieu devant être la dernière fin de nos actions comme de nos désirs, + il est nécessaire qu'en agissant, nous évitions de nous abandonner aux + mouvements précipités de la nature, dont le penchant est de tout + rapporter à soi. Et comme nul ne se connaît lui-même, et ne peut dès + lors être son propre guide, la sagesse veut que nous ne hasardions + aucune démarche de quelque importance avant d'avoir pris conseil, en + esprit de soumission et d'humilité. Cette juste défiance de soi + prévient les chutes et purifie le coeur. _Le conseil vous gardera_, + dit l'Écriture, _et vous retirera de la voie mauvaise_[27]. + + [27] Prov., II, 11 et 12. + + + + +CHAPITRE V. + +De la lecture de l'Écriture sainte. + + +1. Il faut chercher la vérité dans l'Écriture sainte, et non +l'éloquence. + +Toute l'Écriture doit être lue dans le même esprit qui l'a dictée. + +Nous devons y chercher l'utilité, plutôt que la délicatesse du langage. + +Nous devons lire aussi volontiers les livres simples et pieux, que les +livres profonds et sublimes. + +Ne vous prévenez point contre l'auteur; mais, sans vous inquiéter s'il a +peu ou beaucoup de science, que le pur amour de la vérité vous porte à +le lire. + +Considérez ce qu'on vous dit, sans rechercher qui le dit. + +2. _Les hommes passent; mais la vérité du Seigneur demeure +éternellement_[28]. + + [28] Ps. XXXVIII, 7; CVI, 2. + +Dieu nous parle en diverses manières, et par des personnes +très-diverses. + +Dans la lecture de l'Écriture sainte, souvent notre curiosité nous nuit, +voulant examiner et comprendre, lorsqu'il faudrait passer simplement. + +Si vous voulez en retirer du fruit, lisez avec humilité, avec +simplicité, avec foi; et ne cherchez jamais à passer pour habile. + +Aimez à interroger; écoutez en silence les paroles des Saints, et ne +méprisez point les sentences des vieillards; car elles ne sont pas +proférées en vain. + + +RÉFLEXION. + + Qu'est-ce que la raison comprend? presque rien: mais la foi embrasse + l'infini. Celui qui croit est donc bien au-dessus de celui qui + raisonne, et la simplicité du coeur, bien préférable à la science qui + nourrit l'orgueil. C'est le désir de savoir qui perdit le premier + homme: il cherchait la science, il trouva la mort. Dieu qui nous parle + dans l'Écriture, n'a pas voulu satisfaire notre vaine curiosité, mais + nous éclairer sur nos devoirs, exercer notre foi, purifier et nourrir + notre âme par l'amour des vrais biens, qui sont tous renfermés en lui. + L'humilité d'esprit est donc la disposition la plus nécessaire pour + lire avec fruit les livres saints, et c'est déjà avoir profité + beaucoup que de comprendre combien ils sont au-dessus de notre raison + faible et bornée. + + + + +CHAPITRE VI. + +Des Affections déréglées. + + +1. Dès que l'homme commence à désirer quelque chose désordonnément, +aussitôt il devient inquiet en lui-même. + +Le superbe et l'avare n'ont jamais de repos; mais le pauvre et l'humble +d'esprit vivent dans l'abondance de la paix. + +L'homme qui n'est pas encore parfaitement mort à lui-même, est bien vite +tenté; et il succombe dans les plus petites choses. + +Celui dont l'esprit est encore infirme, appesanti par la chair, et +incliné vers les choses sensibles, a grande peine à se détacher +entièrement des désirs terrestres. + +C'est pourquoi, lorsqu'il se refuse à les satisfaire, souvent il éprouve +de la tristesse; et il est disposé à l'impatience, quand on lui résiste. + +2. Que s'il a obtenu ce qu'il convoitait, aussitôt le remords de la +conscience pèse sur lui, parce qu'il a suivi sa passion, qui ne sert de +rien pour la paix qu'il cherchait. + +C'est en résistant aux passions, et non en leur cédant, qu'on trouve la +véritable paix du coeur. + +Point de paix donc dans le coeur de l'homme charnel, de l'homme livré +aux choses extérieures: la paix est le partage de l'homme fervent et +spirituel. + + +RÉFLEXION. + + Un joug pesant accable les enfants d'Adam[29], fatigués sans relâche + par les convoitises de la nature corrompue. Succombent-ils, la + tristesse, le trouble, l'amertume, le remords, s'emparent aussitôt de + leur âme. «Superbe encore au fond de l'ignominie, inquiet et las de + moi-même, dit saint Augustin en racontant les désordres de sa + jeunesse, je m'en allais loin de vous, ô mon Dieu! à travers des voies + toutes semées de stériles douleurs[30].» Il en coûte plus à l'homme de + céder à ses penchants, que de les vaincre; et si le combat contre les + passions est dur, une paix ineffable en est le fruit. Appelons le + Seigneur à notre aide dans ce saint combat; n'en craignons point le + travail, il sera court: aujourd'hui, demain; et puis le repos éternel! + + [29] Eccl., XL, 1. + + [30] Conf., lib. II, cap. II. + + + + +CHAPITRE VII. + +Qu'il faut fuir l'orgueil et les vaines espérances. + + +1. Insensé celui qui met son espérance dans les hommes ou dans quelque +créature que ce soit. + +N'ayez point de honte de servir les autres, et de paraître pauvre en ce +monde, pour l'amour de Jésus-Christ. + +Ne vous appuyez point sur vous-même, et ne vous reposez que sur Dieu +seul. + +Faites ce qui est en vous, et Dieu secondera votre bonne volonté. + +Ne vous confiez point en votre science, ni dans l'habileté d'aucune +créature; mais plutôt dans la grâce de Dieu, qui aide les humbles et qui +humilie les présomptueux. + +2. Ne vous glorifiez point dans les richesses, si vous en avez, ni dans +vos amis parce qu'ils sont puissants, mais en Dieu, qui donne tout, et +qui, par-dessus tout, désire encore se donner lui-même. + +Ne vous élevez point à cause de la force ou de la beauté de votre corps, +qu'une légère infirmité abat et flétrit. + +N'ayez point de complaisance en vous-même à cause de votre esprit ou de +votre habileté, de peur de déplaire à Dieu, de qui vient tout ce que +vous avez reçu de bon de la nature. + +3. Ne vous estimez pas meilleur que les autres, de crainte que peut-être +vous ne soyez pire aux yeux de Dieu, qui sait ce qu'il y a dans l'homme. + +Ne vous enorgueillissez pas de vos bonnes oeuvres, car les jugements de +Dieu sont autres que ceux des hommes, et ce qui plaît aux hommes, +souvent lui déplaît. + +S'il y a quelque bien en vous, croyez qu'il y en a plus dans les autres, +afin de conserver l'humilité. + +Vous ne hasardez rien à vous mettre au-dessous de tous: mais il vous +serait très-nuisible de vous préférer à un seul. + +L'homme humble jouit d'une paix inaltérable; la colère et l'envie +troublent le coeur du superbe. + + +RÉFLEXION. + + En considérant la faiblesse de l'homme, la fragilité de sa vie, les + souffrances dont il est assailli de toutes parts, les ténèbres de sa + raison, les incertitudes de sa volonté _inclinée au mal dès + l'enfance_[31], on s'étonne qu'un seul mouvement d'orgueil puisse + s'élever dans une créature si misérable; et cependant l'orgueil est le + fond même de notre nature dégradée. Selon la pensée d'un Père, _il + nous sépare de la sagesse; il fait que nous voulons être nous-mêmes + notre bien, comme Dieu lui-même est son bien_[32]: tant il y a de + folie dans le crime! C'est alors que l'homme se recherche et s'admire + dans tout ce qui le distingue des autres et l'agrandit à ses propres + yeux, dans les avantages du corps, de l'esprit, de la naissance, de la + fortune, de la grâce même, abusant ainsi à la fois des dons du + créateur et du rédempteur. Oh! que ce désordre est effrayant et + combien nous devons trembler lorsque nous découvrons en nous un + sentiment de vaine complaisance, ou qu'il nous arrive de nous préférer + à l'un de nos frères! Rappelons-nous souvent le pharisien de + l'Évangile, sa fausse piété, si contente d'elle-même et si coupable + devant Dieu, son mépris pour le publicain _qui s'en alla justifié_ à + cause de l'humble aveu de sa misère, et disons au fond du coeur avec + celui-ci: _Mon Dieu, ayez pitié de moi_ pauvre pécheur[33]! + + [31] Gen., VIII, 21. + + [32] S. Aug. de lib. arbitr., lib. III, cap. XXIV. + + [33] Luc., XVIII, 13. + + + + +CHAPITRE VIII. + +Éviter la trop grande familiarité. + + +1. _N'ouvrez pas votre coeur à tous indistinctement_[34]; mais confiez +ce qui vous touche à l'homme sage et craignant Dieu. + + [34] Eccl., VIII, 22. + +Ayez peu de commerce avec les jeunes gens et les personnes du monde. + +Ne flattez point les riches, et ne désirez point de paraître devant les +grands. + +Recherchez les humbles, les simples, les personnes de piété et de bonnes +moeurs; et ne vous entretenez que de choses édifiantes. + +N'ayez de familiarité avec aucune femme; mais recommandez à Dieu toutes +celles qui sont vertueuses. + +Ne souhaitez d'être familier qu'avec Dieu et les Anges, et évitez d'être +connu des hommes. + +2. Il faut avoir de la charité pour tout le monde; mais la familiarité +ne convient point. + +Il arrive que, sans la connaître, on estime une personne sur sa bonne +réputation: et en se montrant, elle détruit l'opinion qu'on avait +d'elle. + +Nous nous imaginons quelquefois plaire aux autres par nos assiduités; et +c'est plutôt alors que nous commençons à leur déplaire par les défauts +qu'ils découvrent en nous. + + +RÉFLEXION. + + Il faut se prêter aux hommes, et ne se donner qu'à Dieu. Un commerce + trop étroit avec la créature partage l'âme et l'affaiblit: elle doit + vivre plus haut. _Notre conversation est dans le ciel_, dit + l'Apôtre[35]. + + [35] Philipp., III, 20. + + + + +CHAPITRE IX. + +De l'obéissance et du renoncement à son propre sens. + + +1. C'est quelque chose de bien grand que de vivre sous un supérieur, +dans l'obéissance, et de ne pas dépendre de soi-même. + +Il est beaucoup plus sûr d'obéir que de commander. + +Quelques-uns obéissent plutôt par nécessité que par amour; et ceux-là, +toujours souffrants, sont portés au murmure. Jamais ils ne posséderont +la liberté d'esprit, à moins qu'ils ne se soumettent de tout leur coeur, +à cause de Dieu. + +Allez où vous voudrez, vous ne trouverez de repos que dans une humble +soumission à la conduite d'un supérieur. Plusieurs, s'imaginant qu'ils +seraient meilleurs en d'autres lieux, ont été trompés par cette idée de +changement. + +2. Il est vrai que chacun aime à suivre son propre sens, et a plus +d'inclination pour ceux qui pensent comme lui. + +Mais si Dieu est au milieu de nous, il est quelquefois nécessaire de +renoncer à notre sentiment pour le bien de la paix. + +Quel est l'homme si éclairé, qu'il sache tout parfaitement? + +Ne vous fiez donc pas trop à votre sentiment; mais écoutez aussi +volontiers celui des autres. + +Si votre sentiment est bon, et qu'à cause de Dieu vous l'abandonniez +pour en suivre un autre, vous en retirerez plus d'avantage. + +3. J'ai souvent ouï dire qu'il est plus sûr d'écouter et de recevoir un +conseil, que de le donner. + +Car il peut arriver que le sentiment de chacun soit bon: mais ne vouloir +pas céder aux autres, lorsque l'occasion ou la raison le demande, c'est +la marque d'un esprit superbe et opiniâtre. + + +RÉFLEXION. + + _Le Christ s'est rendu obéissant jusqu'à la mort, et à la mort de la + croix_[36]. Qui oserait après cela refuser d'obéir? Nul ordre dans le + monde, nulle vie que par l'obéissance: elle est le lien des hommes + entre eux et avec leur auteur, le fondement de la paix et le principe + de l'harmonie universelle. La famille, la cité, l'Église ou la grande + société des intelligences, ne subsistent que par elle, et la + perfection la plus haute n'est, pour les créatures, qu'une plus + parfaite obéissance, elle seule nous garantit de l'erreur et du péché. + Qu'est-ce que l'erreur? la pensée d'un esprit faillible, qui ne + reconnaît point de maître et n'obéit qu'à soi. Qu'est-ce que le péché? + l'acte d'une volonté corrompue, qui ne reconnaît point de maître et + n'obéit qu'à soi. Mais à qui devrons-nous obéir? à un homme comme + nous? Non, non, l'homme n'a sur l'homme aucun légitime empire; son + pouvoir n'est que la force, et quand il commande en son propre nom, il + usurpe insolemment un droit qui ne lui appartient en aucune manière. + Dieu est l'unique monarque, et toute autorité légitime est un + écoulement, une participation de sa puissance éternelle, infinie. + Ainsi, comme l'enseigne l'Apôtre, _le pouvoir vient de Dieu_[37], et + il est soumis à une règle divine, aussi bien dans l'ordre temporel que + dans l'ordre religieux; de sorte qu'en obéissant au pontife, au + prince, au père, à quiconque est réellement _le ministre de Dieu pour + le bien_[38], c'est à Dieu seul qu'on obéit. Heureux celui qui + comprend cette céleste doctrine: délivré de la servitude de l'erreur + et des passions, de la servitude de l'homme, il jouit _de la vraie + liberté des enfants de Dieu_[39]. + + [36] Philipp., II, 8. + + [37] Rom., XIII, 1. + + [38] _Ibid._ + + [39] _Ibid._, VIII, 21. + + + + +CHAPITRE X. + +Qu'il faut éviter les entretiens inutiles. + + +1. Évitez, autant que vous pourrez, le tumulte du monde; car il y a du +danger à s'entretenir des choses du siècle, même avec une intention +pure. + +Bientôt la vanité souille l'âme, et la captive. + +Je voudrais souvent m'être tû, et ne m'être point trouvé avec des +hommes. + +D'où vient que nous aimons tant à parler et à converser, lorsque si +rarement il arrive que nous rentrions dans le silence avec une +conscience qui ne soit pas blessée? + +C'est que nous cherchons dans ces entretiens une consolation mutuelle, +et un soulagement pour notre coeur fatigué de pensées diverses. + +Nous nous plaisons à parler, à occuper notre esprit de ce que nous +aimons, de ce que nous souhaitons, de ce qui contrarie nos désirs. + +2. Mais souvent, hélas! bien vainement: car cette consolation extérieure +n'est pas un médiocre obstacle à la consolation que Dieu donne +intérieurement. + +Il faut donc veiller et prier, afin que le temps ne se passe pas sans +fruit. + +S'il est permis, s'il convient de parler, parlez de ce qui peut édifier. + +La mauvaise habitude et le peu de soin de notre avancement, nous +empêchent d'observer notre langue. + +Cependant, de pieuses conférences sur les choses spirituelles, entre des +personnes unies selon Dieu et animées d'un même esprit, servent beaucoup +au progrès dans la perfection. + + +RÉFLEXION. + + Il est écrit que nous rendrons compte, au jour du jugement, même d'une + parole oiseuse[40]. Ne nous étonnons pas de tant de rigueur: tout est + sérieux dans la vie humaine, dont chaque moment peut avoir de si + formidables conséquences. Ce temps que vous dissipez en des entretiens + inutiles, vous était donné pour gagner le ciel. Comparez la fin pour + laquelle vous l'avez reçu avec l'usage que vous en faites; et + cependant que savez-vous s'il vous sera seulement accordé une heure de + plus? + + [40] Matth., XII, 36. + + + + +CHAPITRE XI. + +Des moyens d'acquérir la paix intérieure, et du soin d'avancer dans la +vertu. + + +1. Nous pourrions jouir d'une grande paix, si nous voulions ne nous +point occuper de ce que disent et de ce que font les autres, et de ce +dont nous ne sommes point chargés. + +Comment peut-il être longtemps en paix, celui qui s'embarrasse de soins +étrangers, qui cherche à se répandre au dehors, et ne se recueille que +peu ou rarement en lui-même? + +Heureux les simples, parce qu'ils posséderont une grande paix! + +2. Comment quelques Saints se sont-ils élevés à un si haut degré de +vertu et de contemplation? + +C'est qu'ils se sont efforcés de mourir à tous les désirs de la terre, +et qu'ils ont pu ainsi s'unir à Dieu par le fond le plus intime de leur +coeur, et s'occuper librement d'eux-mêmes. + +Pour nous, nous sommes trop à nos passions, et trop inquiets de ce qui +se passe. + +Rarement nous surmontons parfaitement un seul vice; nous n'avons point +d'ardeur pour faire chaque jour quelque progrès, et ainsi nous restons +tièdes et froids. + +3. Si nous étions tout à fait morts à nous-mêmes, et moins préoccupés au +dedans de nous, alors nous pourrions aussi goûter les choses de Dieu, et +acquérir quelque expérience de la céleste contemplation. + +Le plus grand, l'unique obstacle, c'est qu'asservis à nos passions et à +nos convoitises, nous ne faisons aucun effort pour entrer dans la voie +parfaite des Saints. + +Et, s'il arrive que nous éprouvions quelque légère adversité, nous nous +laissons aussitôt abattre, et nous recourons aux consolations humaines. + +4. Si, tels que des soldats généreux, nous demeurions fermes dans le +combat, nous verrions certainement le secours de Dieu descendre sur nous +du Ciel. + +Car il est toujours prêt à aider ceux qui résistent, et qui espèrent en +sa grâce; et c'est lui qui nous donne des occasions de combattre, afin +de nous rendre victorieux. + +Si nous plaçons uniquement le progrès de la vie chrétienne dans les +observances extérieures, notre dévotion sera de peu de durée. + +Mettons donc la cognée à la racine de l'arbre, afin que, dégagés des +passions, nous possédions notre âme en paix. + +5. Si nous déracinions chaque année un seul vice, bientôt nous serions +parfaits. + +Mais nous sentons souvent au contraire que nous étions meilleurs, et que +notre vie était plus pure, lorsque nous quittâmes le siècle, qu'après +plusieurs années de profession. + +Nous devrions croître chaque jour en ferveur et en vertu, et maintenant +on compte pour beaucoup d'avoir conservé une partie de sa ferveur. + +Si nous nous faisions d'abord un peu de violence, nous pourrions tout +faire ensuite aisément et avec joie. + +6. Il est dur de renoncer à ses habitudes; mais il est plus dur encore +de courber sa propre volonté. + +Cependant si vous ne savez pas vous vaincre en des choses légères, +comment remporterez-vous des victoires plus difficiles? + +Résistez dès le commencement à votre inclination: rompez sans aucun +retard toute habitude mauvaise, de peur que peu à peu elle ne vous +engage dans de plus grandes difficultés. + +Oh! si vous considériez quelle paix pour vous, quelle joie pour les +autres, en vivant comme vous le devez, vous auriez, je crois, plus +d'ardeur pour votre avancement spirituel. + + +RÉFLEXION. + + _Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix, non comme le monde la + donne_[41]. Quelle aimable douceur, quel touchant amour dans ces + paroles de Jésus-Christ, et en même temps quelle instruction profonde. + Tous les hommes souhaitent la paix, mais il y a deux paix, la paix de + Jésus-Christ et la paix du monde. Le monde dit à l'ambitieux: Le désir + des grandeurs te trouble et t'agite, monte, élève-toi. Il dit à + l'avare: L'envie des richesses te dévore, amasse, amasse, sans + t'arrêter jamais. Il dit au mondain tourmenté de ses convoitises: + Enivre-toi de tous les plaisirs. Il dit enfin à chaque passion: Jouis + et tu auras la paix. Promesse menteuse! Les soucis, la tristesse, + l'inquiétude, le dégoût, les remords, voilà la paix du monde. Jésus + dit: Triomphez de vous-même, combattez vos désirs, domptez vos + convoitises, brisez vos passions: et l'âme docile à ses commandements + repose dans un calme ineffable. Les peines de la vie, les souffrances, + les injustices, les persécutions, rien n'altère sa paix; et cette + céleste paix, _qui surpasse tout sentiment_[42], l'accompagne au + dernier passage, et la suit jusqu'au ciel où se consommera sa + félicité. + + [41] Joan., XIV, 27. + + [42] Philipp., IV, 7. + + + + +CHAPITRE XII. + +De l'avantage de l'adversité. + + +1. Il nous est bon d'avoir quelquefois des peines et des traverses, +parce que souvent elles rappellent l'homme à son coeur, et lui font +sentir qu'il est en exil, et qu'il ne doit mettre son espérance en +aucune chose du monde. + +Il nous est bon de souffrir quelquefois des contradictions, et qu'on +pense mal, ou peu favorablement de nous, quelque bonnes que soient nos +actions et nos intentions. Souvent cela sert à nous rendre humbles, et à +nous prémunir contre la vaine gloire. + +Car nous avons plus d'empressement à chercher Dieu, qui voit le fond du +coeur, quand les hommes au dehors nous rabaissent, et pensent mal de +nous. + +2. C'est pourquoi l'homme devrait s'affermir tellement en Dieu, qu'il +n'eût pas besoin de chercher tant de consolations humaines. + +Lorsqu'avec une volonté droite, l'homme est troublé, tenté, affligé de +mauvaises pensées, il reconnaît alors combien Dieu lui est nécessaire, +et qu'il n'est capable d'aucun bien sans lui. + +Alors il s'attriste, il gémit, il prie, à cause des maux qu'il souffre. + +Alors il s'ennuie de vivre plus longtemps, et il souhaite que la mort +arrive, afin que, délivré de ses liens, il soit avec Jésus-Christ. + +Alors aussi il comprend bien qu'une sécurité parfaite, une pleine paix, +ne sont point de ce monde. + + +RÉFLEXION. + + C'est dans l'adversité que chacun de nous apprend à connaître ce qu'il + est réellement. _Celui qui n'a pas été éprouvé, que sait-il[43]?_ + L'homme à qui tout prospère est exposé à un grand danger; il est bien + à craindre que son âme s'assoupisse d'un sommeil pesant, et qu'à + l'heure du réveil on ne lui dise: _Souvenez-vous que vous avez reçu + vos biens sur la terre_[44]. Ici-bas les souffrances sont une grâce de + prédilection; elles nous exercent à la vertu, elles nous fournissent + de nouvelles occasions de mérite, et nous rendent conformes au Fils de + Dieu, dont il est écrit: _Il a fallu que le Christ souffrît, et qu'il + entrât ainsi dans sa gloire_[45]. + + [43] Eccl., XXXIV, 9. + + [44] Luc., XVI, 25. + + [45] Act., XVII, 3. + + + + +CHAPITRE XIII. + +De la résistance aux tentations. + + +1. Tant que nous vivons ici-bas, nous ne pouvons être exempts de +tribulations et d'épreuves. + +C'est pourquoi il est écrit au livre de Job: _La tentation est la vie de +l'homme sur la terre_[46]. + + [46] Job, VII, 1. + +Chacun devrait donc être toujours en garde contre les tentations qui +l'assiégent, et veiller et prier pour ne point laisser lieu aux +surprises du démon, qui ne dort jamais, et _qui tourne de tous côtés, +cherchant quelqu'un pour le dévorer_[47]. + + [47] I. Pet.; Ps. V, 8. + +Il n'est point d'homme si parfait et si saint, qui n'ait quelquefois des +tentations, et nous ne pouvons en être entièrement affranchis. + +2. Mais, quoique importunes et pénibles, elles ne laissent pas d'être +souvent très-utiles à l'homme, parce qu'elles l'humilient, le purifient +et l'instruisent. + +Tous les Saints ont passé par beaucoup de tentations et de souffrances, +et c'est par cette voie qu'ils ont avancé; mais ceux qui n'ont pu +soutenir ces épreuves, Dieu les a réprouvés, et ils ont défailli dans la +route du salut. + +Il n'y a point d'ordre si saint, ni de lieu si secret, où l'on ne trouve +des peines et des tentations. + +3. L'homme, tant qu'il vit, n'est jamais entièrement à l'abri des +tentations: car nous en portons le germe en nous, à cause de la +concupiscence dans laquelle nous sommes nés. + +L'une succède à l'autre; et nous aurons toujours quelque chose à +souffrir, parce que nous avons perdu le bien et la félicité primitive. + +Plusieurs cherchent à fuir pour n'être point tentés, et ils tombent dans +des tentations plus dangereuses. + +Il ne suffit pas de fuir pour vaincre; mais la patience et la véritable +humilité nous rendent plus forts que tous nos ennemis. + +4. Celui qui, sans arracher la racine du mal, évite seulement les +occasions extérieures, avancera peu: au contraire les tentations +reviennent à lui plus promptement et plus violentes. + +Vous vaincrez plus sûrement peu à peu et par une longue patience, aidé +du secours de Dieu, que par une rude et inquiète opiniâtreté. + +Prenez souvent conseil dans la tentation, et ne traitez point durement +celui qui est tenté; mais consolez-le comme vous voudriez qu'on vous +consolât vous-même. + +5. Le commencement de toutes les tentations est l'inconstance de +l'esprit et le peu de confiance en Dieu. + +Car, comme un vaisseau sans gouvernail est poussé çà et là par les +flots, ainsi l'homme faible et changeant qui abandonne ses résolutions +est agité par des tentations diverses. + +_Le feu éprouve le fer_[48], et la tentation, l'homme juste. + + [48] Eccl., XXXI, 31. + +Nous ne savons souvent ce que nous pouvons: mais la tentation montre ce +que nous sommes. + +Il faut veiller cependant, surtout au commencement de la tentation; car +on triomphe beaucoup plus facilement de l'ennemi, si on ne le laisse +point pénétrer dans l'âme, et si on le repousse à l'instant même où il +se présente pour entrer. + +C'est ce qui a fait dire à un ancien: _Arrêtez le mal dès son origine, +le remède vient trop tard, quand le mal s'est accru par de longs +délais_[49]. + + [49] Ovid. + +D'abord une simple pensée s'offre à l'esprit, puis une vive imagination; +ensuite le plaisir, et le mouvement déréglé, et le consentement. Ainsi +peu à peu l'ennemi envahit toute l'âme, lorsqu'on ne lui résiste pas dès +le commencement. + +Plus on met de retard et de langueur à le repousser, plus on s'affaiblit +chaque jour, et plus l'ennemi devient fort contre nous. + +6. Plusieurs sont affligés de tentations plus violentes au commencement +de leur conversion; d'autres à la fin: il y en a qui souffrent presque +toute leur vie. + +Quelques-uns sont tentés assez légèrement, selon l'ordre de la sagesse +et de la justice de Dieu, qui connaît l'état des hommes, pèse leurs +mérites, et dispose tout pour le salut de ses élus. + +7. C'est pourquoi, quand nous sommes tentés, nous ne devons point perdre +l'espérance, mais prier Dieu avec plus de ferveur, afin qu'il daigne +nous secourir dans toutes nos tribulations; car, selon la parole de +l'Apôtre, _il nous fera tirer avantage de la tentation même, de sorte +que nous puissions la surmonter_[50]. + + [50] I. Cor., X, 13. + +_Humilions donc nos âmes sous la main de Dieu_[51], dans toutes nos +tentations, dans toutes nos peines, parce qu'il sauvera et relèvera les +humbles d'esprit. + + [51] I. Pet. + +8. Dans les tentations et les traverses, on reconnaît combien l'homme a +fait de progrès. Le mérite est plus grand, et la vertu paraît davantage. + +Il est peu difficile d'être pieux et fervent, lorsque l'on n'éprouve +rien de pénible; mais celui qui se soutient avec patience au temps de +l'adversité, donne l'espoir d'un grand avancement. + +Quelques-uns surmontent les grandes tentations et succombent tous les +jours aux petites, afin qu'humiliés d'être si faibles dans les moindres +occasions, ils ne présument jamais d'eux-mêmes dans les grandes. + + +RÉFLEXION. + + Nul homme n'est exempt de tentations. Elles nous purifient, nous + éprouvent, nous instruisent, nous humilient. Ce n'est pas seulement + par la fuite ou par une résistance violente qu'on en triomphe, mais + par une patience tranquille et un confiant abandon entre les mains de + Dieu. Veillons cependant, selon le précepte de Jésus-Christ, _Veillons + et prions_[52]. On surmonte aisément la tentation naissante; mais si + on la laisse croître et se fortifier, on porte, en succombant, la + peine de sa négligence ou de sa présomption. Voulez-vous réellement + vaincre? Repoussez l'ennemi dès la première attaque. Voulez-vous + retirer du combat l'avantage en vue duquel Dieu permet que nous soyons + tentés? Reconnaissez votre misère, votre faiblesse, votre impuissance; + et humiliez-vous de plus en plus. L'humilité est le fondement de notre + sûreté, de notre paix et de toute perfection. + + [52] Marc., XIV, 38. + + + + +CHAPITRE XIV. + +Éviter les jugements téméraires, et ne se point rechercher soi-même. + + +1. Tournez les yeux sur vous-même, et gardez-vous de juger les actions +des autres. + +En jugeant les autres, l'homme se fatigue vainement: il se trompe le +plus souvent, et commet beaucoup de fautes; mais en s'examinant et se +jugeant lui-même, il travaille toujours avec fruit. + +D'ordinaire nous jugeons des choses selon l'inclination de notre coeur, +car l'amour-propre altère aisément en nous la droiture du jugement. + +Si nous n'avions jamais en vue que Dieu seul, nous serions moins +troublés quand on résiste à notre sentiment. + +2. Mais souvent il y a quelque chose hors de nous, ou de caché en nous, +qui nous entraîne. + +Plusieurs se recherchent secrètement eux-mêmes dans ce qu'ils font, et +ils l'ignorent. + +Ils semblent affermis dans la paix, lorsque tout va selon leurs désirs; +mais éprouvent-ils des contradictions, aussitôt ils s'émeuvent, et +tombent dans la tristesse. + +La diversité des opinions produit souvent des dissensions entre les +amis, entre les citoyens, et même entre les religieux et les personnes +dévotes. + +3. On quitte difficilement une vieille habitude; et nul ne se laisse +volontiers conduire au-delà de ce qu'il voit. + +Si vous vous appuyez sur votre esprit et sur votre pénétration, plus que +sur la soumission dont Jésus-Christ nous a donné l'exemple, vous serez +très-peu et très-tard éclairé dans la vie spirituelle: car Dieu veut que +nous lui soyons parfaitement soumis, et que nous nous élevions au-dessus +de toute raison par un ardent amour. + + +RÉFLEXION. + + Il y a en nous une secrète malice qui se complaît à découvrir les + imperfections de nos frères: et voilà pourquoi nous sommes si prompts + à les juger, oubliant qu'à Dieu seul appartient le jugement des + coeurs. Au lieu de scruter si curieusement la conscience d'autrui, + descendons dans la nôtre; nous y trouverons assez de motifs d'être + indulgents envers le prochain et de troubles pour nous-même. Vous + n'êtes chargé que de vous, vous ne répondrez que de vous; _Ne jugez + donc point, afin que vous ne soyez point jugé_[53]. + + [53] Matth., VII, 2. + + + + +CHAPITRE XV. + +Des oeuvres de charité. + + +1. Pour nulle chose au monde, ni pour l'amour d'aucun homme, on ne doit +faire le moindre mal; on peut quelquefois cependant, pour rendre un +service dans le besoin, différer une bonne oeuvre, ou lui en substituer +une meilleure: car alors le bien n'est pas détruit, mais il se change en +un plus grand. + +Aucune oeuvre extérieure ne sert sans la charité; mais tout ce qui se +fait par la charité, quelque petit et quelque vil qu'il soit, produit +des fruits abondants. + +Car Dieu regarde moins à l'action qu'au motif qui fait agir. + +2. Celui-là fait beaucoup, qui aime beaucoup. + +Celui-là fait beaucoup, qui fait bien ce qu'il fait; et il fait bien +lorsqu'il subordonne sa volonté à l'utilité publique. + +Ce qu'on prend pour la charité, souvent n'est que la convoitise; car il +est rare que l'inclination, la volonté propre, l'espoir de la +récompense, ou la vue de quelque avantage particulier, n'influe pas sur +nos actions. + +3. Celui qui possède la charité véritable et parfaite, ne se recherche +en rien; mais son unique désir est que la gloire de Dieu s'opère en +toute chose. + +Il ne porte envie à personne, parce qu'il ne souhaite aucune faveur +particulière, ne met point sa joie en lui-même, et que, dédaignant tous +les autres biens, il ne cherche qu'en Dieu son bonheur. + +Il n'attribue jamais aucun bien à la créature; il les rapporte tous à +Dieu de qui ils découlent comme de leur source, et dans la jouissance +duquel tous les Saints se reposent à jamais comme dans leur fin +dernière. + +Oh! qui aurait une étincelle de la vraie charité, que toutes les choses +de la terre lui paraîtraient vaines! + + +RÉFLEXION. + + Presque toutes les actions des hommes partent d'un principe vicié, de + cette triple concupiscence dont parle saint Jean[54], et contre + laquelle la vie chrétienne n'est qu'un perpétuel combat. L'amour + déréglé de soi, si difficile à vaincre entièrement, corrompt trop + souvent les oeuvres mêmes en apparence les plus pures. Que de travaux, + que d'aumônes, que de pénitences, dans lesquelles on se confie + peut-être, seront stériles pour le ciel! Dieu ne se donne qu'à ceux + qui l'aiment; il est le prix de la charité, de cet amour inénarrable, + sans bornes et sans mesure, qui, tandis que tout le reste passe, + demeure éternellement, dit saint Paul[55]. Amour, qui seul faites les + saints, amour _qui êtes Dieu même_[56], pénétrez, possédez, + transformez en vous toutes les puissances de mon âme, soyez ma vie, + mon unique vie, et maintenant, et à jamais dans les siècles des + siècles. Ainsi soit-il! + + [54] I. Joan., II, 16. + + [55] I. Cor., XIII, 8. + + [56] I. Joan., IV, 16. + + + + +CHAPITRE XVI. + +Qu'il faut supporter les défauts d'autrui. + + +1. Ce que l'homme ne peut corriger en soi ou dans les autres, il doit le +supporter avec patience, jusqu'à ce que Dieu en ordonne autrement. + +Songez qu'il est peut-être mieux qu'il en soit ainsi, pour vous éprouver +par la patience, sans laquelle nos mérites sont peu de chose. + +Vous devez cependant prier Dieu de vous aider à vaincre ces obstacles, +ou à les supporter avec douceur. + +2. Si quelqu'un, averti une ou deux fois, ne se rend point, ne contestez +point avec lui, mais confiez tout à Dieu, qui sait tirer le bien du mal, +afin que sa volonté s'accomplisse, et qu'il soit glorifié dans tous ses +serviteurs. + +Appliquez-vous à supporter patiemment les défauts et les infirmités des +autres, quelles qu'elles soient; parce qu'il y a aussi bien des choses +en vous, que les autres ont à supporter. + +Si vous ne pouvez vous rendre tel que vous voudriez, comment +pourrez-vous faire que les autres soient selon votre gré? + +Nous aimons que les autres soient exempts de défauts, et nous ne +corrigeons point les nôtres. + +3. Nous voulons qu'on reprenne les autres sévèrement, et nous ne voulons +pas être repris nous-mêmes. + +Nous sommes choqués qu'on leur laisse une trop grande liberté, et nous +ne voulons pas qu'on nous refuse rien. + +Nous voulons qu'on les retienne par des règlements, et nous ne souffrons +pas qu'on nous contraigne en la moindre chose. + +Par là on voit clairement combien il est rare que nous usions de la même +mesure pour nous et pour les autres. + +Si tous étaient parfaits, qu'aurions-nous de leur part à souffrir pour +Dieu? + +4. Or Dieu l'a ainsi ordonné, afin que nous apprenions à porter le +fardeau les uns des autres: car chacun a son fardeau: personne n'est +sans défauts, nul ne se suffit à soi-même, nul n'est assez sage pour se +conduire seul; mais il faut nous supporter, nous consoler, nous aider, +nous instruire, nous avertir mutuellement. + +C'est dans l'adversité qu'on voit le mieux ce que chacun a de vertus. + +Car les occasions ne rendent pas l'homme fragile; mais elles montrent ce +qu'il est. + + +RÉFLEXION. + + Vous ne sauriez, dites-vous, supporter tels et tels défauts; puissant + motif de vous humilier! Car Dieu, qui est la perfection même, les + supporte, et de beaucoup plus grands. Ce qui vous rend si susceptible, + ce n'est pas le zèle du prochain, mais un amour-propre difficile, + irritable, ombrageux. Tournez vos regards sur vous-même, et voyez si + vos frères n'ont rien à souffrir de vous? La vraie piété est douce et + patiente, parce qu'elle éclaire sur ce que l'on est. Celui qui se sent + faible, et qui en gémit, ne se choque pas aisément des faiblesses des + autres; il sait que nous avons tous besoin de support, d'indulgence et + de miséricorde; il excuse, il compatit, il pardonne, et conserve ainsi + la paix au dedans de soi et au dehors la charité. + + + + +CHAPITRE XVII. + +De la vie religieuse. + + +1. Il faut que vous appreniez à vous briser en beaucoup de choses, si +vous voulez conserver la paix et la concorde avec les autres. + +Ce n'est pas peu de chose de vivre dans un monastère ou dans une +congrégation, de n'y être jamais une occasion de plainte, et d'y +persévérer fidèlement jusqu'à la mort. + +Heureux celui qui, après une vie sainte, y a heureusement consommé sa +course! + +Si vous voulez être affermi et croître dans la vertu, regardez-vous +comme exilé et comme étranger sur la terre. + +Il faut, pour l'amour de Jésus-Christ, devenir insensé selon le monde, +si vous voulez vivre en religieux. + +2. L'habit et la tonsure servent peu: c'est le changement des moeurs et +la mortification entière des passions qui font le vrai religieux. + +Celui qui cherche autre chose que Dieu seul et le salut de son âme, ne +trouvera que tribulation et douleur. + +Celui-là ne saurait non plus demeurer longtemps en paix, qui ne +s'efforce point d'être le dernier de tous, et soumis à tous. + +3. Vous êtes venu pour servir, et non pour dominer: sachez que vous êtes +appelé pour souffrir et pour travailler, et non pour discourir dans une +vaine oisiveté. + +Ici donc les hommes sont éprouvés comme l'or dans la fournaise. + +Ici nul ne peut vivre, s'il ne veut s'humilier de tout son coeur à cause +de Dieu. + + +RÉFLEXION. + + Qu'est-ce qu'un bon religieux? c'est un chrétien toujours occupé de + tendre à la perfection. La vie religieuse n'est donc qu'une vie, pour + ainsi dire, plus chrétienne; et l'abnégation de soi-même est l'abrégé + de tous les devoirs qu'elle impose. Or ces devoirs sont aussi les + nôtres, puisque ce n'est pas seulement à quelques-uns, mais à tous, + que Jésus-Christ a dit: _Soyez parfaits comme votre Père céleste est + parfait_[57]. Pour remplir cette grande vocation, renonçons à + nous-mêmes; unissons-nous pleinement au sacrifice de notre divin chef; + aimons surtout la dépendance, les humiliations, les mépris. Le salut + est un édifice qui ne s'élève que sur les ruines de l'orgueil. + + [57] Matth., V, 48. + + + + +CHAPITRE XVIII. + +De l'exemple des Saints. + + +1. Contemplez les exemples des saints Pères, en qui reluisait la vraie +perfection de la vie religieuse, et vous verrez combien peu est ce que +nous faisons, et presque rien. + +Hélas! qu'est-ce que notre vie comparée à la leur? + +Les Saints et les amis de Jésus-Christ ont servi Dieu dans la faim et +dans la soif, dans le froid et dans la nudité, dans le travail et dans +la fatigue, dans les veilles et dans les jeûnes, dans les prières et +dans les saintes méditations, dans une infinité de persécutions et +d'opprobres. + +2. Oh! que de pesantes tribulations ont souffertes les Apôtres, les +Martyrs, les Confesseurs, les Vierges, et tous ceux qui ont voulu suivre +les traces de Jésus-Christ! _Ils ont haï leur âme en ce monde, pour la +posséder dans l'éternité_[58]. + + [58] Joan., XII, 25. + +Oh! quelle vie de renoncement et d'austérités, que celle des Saints dans +le désert! quelles longues et dures tentations ils ont essuyées! que de +fois ils ont été tourmentés par l'ennemi! que de fréquentes et ferventes +prières ils ont offertes à Dieu! Quelles rigoureuses abstinences ils ont +pratiquées! quel zèle, quelle ardeur pour leur avancement spirituel! +quelle forte guerre contre leurs passions! quelle intention pure et +droite toujours dirigée vers Dieu! + +Ils travaillaient pendant le jour, et passaient la nuit en prières; et +même, durant le travail, ils ne cessaient point de prier en esprit. + +3. Tout leur temps avait un emploi utile. Les heures qu'ils donnaient à +Dieu leur semblaient courtes, et ils trouvaient tant de douceur dans la +contemplation, qu'ils en oubliaient les besoins du corps. + +Ils renonçaient aux richesses, aux dignités, aux honneurs, à leurs amis, +à leurs parents: ils ne voulaient rien du monde; ils prenaient à peine +ce qui était nécessaire pour la vie; s'occuper du corps, même dans la +nécessité, leur était une affliction. + +Ils étaient pauvres des choses de la terre: mais ils étaient riches en +grâces et en vertus. + +Au dehors tout leur manquait; mais Dieu les fortifiait au dedans par sa +grâce et par ses consolations. + +4. Ils étaient étrangers au monde, mais unis à Dieu, et ses amis +familiers. + +Ils se regardaient comme un pur néant, et le monde les méprisait; mais +ils étaient chéris de Dieu, et précieux devant lui. + +Ils vivaient dans une sincère humilité, dans une obéissance simple, dans +la charité, dans la patience, et devenaient ainsi chaque jour plus +parfaits et plus agréables à Dieu. + +Ils ont été donnés en exemple à tous ceux qui professent la vraie +religion, et ils doivent nous exciter plus à avancer dans la perfection, +que la multitude des tièdes ne nous porte au relâchement. + +5. Oh! quelle ferveur en tous les religieux au commencement de leur +sainte institution! quelle ardeur pour la prière! quelle émulation de +vertu! quelle sévère discipline! que de soumission, que de respect ils +montraient tous pour la règle de leur fondateur! + +Ce qui nous reste d'eux atteste encore la sainteté et la perfection de +ces hommes qui, en combattant généreusement, foulèrent aux pieds le +monde. + +Aujourd'hui on compte pour beaucoup qu'un religieux ne viole point sa +règle, et qu'il porte patiemment le joug dont il s'est chargé. + +Ô tiédeur! ô négligence de notre état qui a si vite éteint parmi nous +l'ancienne ferveur! Maintenant tout fatigue notre lâcheté, jusqu'à nous +rendre la vie ennuyeuse. + +Plût à Dieu qu'après avoir vu tant d'exemples d'hommes vraiment pieux, +vous ne laissiez pas entièrement s'assoupir en vous le désir d'avancer +dans la vertu! + + +RÉFLEXION. + + À la vue des exemples admirables que nous ont laissés tant de + disciples fervents de Jésus-Christ, rougissons de notre lâcheté, et + animons-nous à marcher courageusement sur leurs traces. Répétons + souvent ces paroles d'un saint: _Quoi! je ne pourrai pas ce qu'ont pu + tels et tels?_ Et ajoutons avec l'Apôtre: _De moi-même je ne peux + rien; mais je puis tout en celui qui me fortifie_[59]. Toute notre + force consiste à sentir notre faiblesse et à en connaître le remède + qui est la grâce du médiateur. + + [59] Philipp., IV, 13. + + + + +CHAPITRE XIX. + +Des exercices d'un bon religieux. + + +1. La vie d'un vrai religieux doit être pleine de toutes les vertus; de +sorte qu'il soit tel intérieurement qu'il paraît devant les hommes. + +Et certes il doit être encore bien plus parfait au dedans qu'il ne le +semble au dehors, parce que Dieu nous regarde, et que nous devons, +partout où nous sommes, le révérer profondément, et marcher en sa +présence purs comme les Anges. + +Nous devons chaque jour renouveler notre résolution, nous exciter à la +ferveur, comme si notre conversion commençait aujourd'hui seulement, et +dire: + +Aidez-moi, Seigneur, dans mes saintes résolutions et dans votre service; +donnez-moi de bien commencer maintenant, car ce que j'ai fait jusqu'ici +n'est rien. + +2. La fermeté de notre résolution est la mesure de notre progrès; et une +grande diligence est nécessaire à celui qui veut avancer. Si celui qui +forme les résolutions les plus fortes se relâche souvent, que sera-ce de +celui qui n'en prend que rarement, ou n'en prend que de faibles? + +Toutefois nous abandonnons nos résolutions de diverses manières, et la +moindre omission dans nos exercices a presque toujours quelque suite +fâcheuse. + +Les justes, dans leurs résolutions, comptent bien plus sur la grâce de +Dieu que sur leur propre sagesse; et quelque chose qu'ils entreprennent, +c'est en lui seul qu'ils mettent leur confiance. + +_Car l'homme propose, mais Dieu dispose_[60], _et la voie de l'homme +n'est pas en lui_[61]. + + [60] Prov., XVI, 9. + + [61] Jér., X, 23. + +3. Si nous omettons quelquefois nos exercices ordinaires, par quelque +motif pieux, ou pour l'utilité de nos frères, il nous sera facile +ensuite de réparer cette omission. + +Mais si nous les abandonnons sans sujet, par ennui ou par négligence, +c'est une faute grave, et qui nous sera funeste. + +Faisons tous nos efforts, et nous tomberons encore aisément en beaucoup +de fautes. + +On doit cependant toujours se proposer quelque chose de fixe, surtout à +l'égard de ce qui forme le plus grand obstacle à notre avancement. + +Il faut examiner et régler également notre intérieur et notre extérieur, +parce que l'un et l'autre servent à nos progrès. + +4. Ne pouvez-vous continuellement vous recueillir, recueillez-vous au +moins de temps en temps, au moins une fois le jour, le matin ou le soir. + +Le matin, formez vos résolutions; le soir, examinez votre conduite, ce +que vous avez été dans vos paroles, vos actions, vos pensées: peut-être +en cela avez-vous souvent offensé Dieu et le prochain. + +Tel qu'un soldat plein de courage, armez-vous contre les attaques du +démon. + +Réprimez l'intempérance, et vous réprimerez plus aisément tous les +autres désirs de la chair. + +Ne soyez jamais tout à fait oisif; mais lisez, ou écrivez, ou priez, ou +méditez, ou travaillez à quelque chose d'utile à la communauté. + +Il ne faut cependant s'appliquer qu'avec discrétion aux exercices du +corps, et ils ne conviennent pas également à tous. + +5. Ce qui sort des pratiques communes ne doit point paraître au dehors: +il est plus sûr de remplir en secret ses exercices particuliers. + +Prenez garde cependant de négliger les exercices communs pour ceux de +votre choix. Mais, après avoir accompli fidèlement et pleinement les +devoirs prescrits, s'il vous reste du temps, rendez-vous à vous-même, +selon le mouvement de votre dévotion. + +Tous ne sauraient suivre les mêmes exercices: l'un convient mieux à +celui-ci, l'autre à celui-là. + +On aime même à les diversifier selon les temps; il y en a qu'on goûte +plus aux jours de fêtes, et d'autres aux jours ordinaires. + +Les uns nous sont nécessaires au temps de la tentation, les autres au +temps de la paix et du repos. + +Autres sont les pensées qui nous plaisent dans la tristesse, ou quand +nous éprouvons de la joie en Dieu. + +6. Il faut, vers l'époque des grandes fêtes, renouveler nos pieux +exercices, et implorer avec plus de ferveur les suffrages des Saints. + +Proposons-nous de vivre d'une fête à l'autre, comme si nous devions +alors sortir de ce monde, et entrer dans l'éternelle fête. + +Et pour cela préparons-nous avec soin dans ces saints temps, par une vie +plus fervente, par une plus sévère observance des règles, comme devant +bientôt recevoir de Dieu le prix de notre travail. + +7. Et si ce moment est différé, croyons que nous ne sommes pas encore +bien préparés, ni dignes de cette gloire immense qui nous sera +découverte en son temps, et redoublons d'efforts pour nous mieux +disposer à ce passage. + +_Heureux le serviteur_, dit saint Luc, _que le Seigneur, quand il +viendra, trouvera veillant. Je vous dis, en vérité, qu'il l'établira sur +tous ses biens_[62]. + + [62] Luc., XII, 37. + + +RÉFLEXION. + + _La vie de l'homme sur la terre est un combat perpétuel_[63] contre le + démon, contre le monde et contre lui-même. Les uns se retirent dans le + cloître pour résister plus aisément, les autres demeurent au milieu du + siècle: mais tous ne peuvent vaincre que par l'exercice d'une + continuelle vigilance. L'habitude du recueillement, l'amour de la + retraite, une attention constante sur ses paroles, ses pensées, ses + sentiments, la fidélité aux plus légers devoirs et aux plus humbles + pratiques, préservent de grandes tentations, et attirent les grâces du + Ciel. _Celui qui néglige les petites choses, tombera peu à peu_[64], + dit l'Esprit saint. + + [63] Job, VII, 1. + + [64] Eccli., XIX, 1. + + + + +CHAPITRE XX. + +De l'amour de la solitude et du silence. + + +1. Cherchez un temps propre à vous occuper de vous-même; et pensez +souvent aux bienfaits de Dieu. + +Laissez là ce qui ne sert qu'à nourrir la curiosité. Lisez plutôt ce qui +touche le coeur, que qui amuse l'esprit. + +Retranchez les discours superflus, les courses inutiles; fermez +l'oreille aux vains bruits du monde, et vous trouverez assez de loisir +pour les saintes méditations. + +Les plus grands Saints évitaient, autant qu'il leur était possible, le +commerce des hommes, et préféraient vivre en secret avec Dieu. + +2. Un ancien a dit: _Toutes les fois que j'ai été dans la compagnie des +hommes, j'en suis revenu moins homme que je n'étais_[65]. + + [65] Senec., ép. VII. + +C'est ce que nous éprouvons souvent, lorsque nous nous livrons à de +longs entretiens. + +Il est plus aisé de se taire que de ne point excéder dans ses paroles. + +Il est plus aisé de se tenir chez soi caché, que de se garder de +soi-même suffisamment au dehors. + +Celui donc qui aspire à la vie intérieure et spirituelle doit se retirer +de la foule avec Jésus. + +Nul ne se montre sans péril, s'il n'aime à demeurer caché. + +Nul ne parle avec mesure, s'il ne se tait volontiers. + +Nul n'est en sûreté dans les premières places, s'il n'aime les +dernières. + +Nul ne commande sans danger, s'il n'a pas appris à bien obéir. + +3. Nul ne se réjouit avec sécurité, s'il ne possède en lui-même le +témoignage d'une bonne conscience. + +Cependant la confiance des Saints a toujours été pleine de la crainte de +Dieu: quel que fût l'éclat de leurs vertus, quelque abondantes que +fussent leurs grâces, ils n'en étaient ni moins humbles ni moins +vigilants. + +L'assurance des méchants naît au contraire de l'orgueil et de la +présomption, et finit par l'aveuglement. + +Ne vous promettez point de sûreté en cette vie, quoique vous paraissiez +être un saint religieux ou un pieux solitaire. + +4. Souvent les meilleurs dans l'estime des hommes ont couru les plus +grands dangers, à cause de leur trop de confiance. + +Il est donc utile à plusieurs de n'être pas entièrement délivrés des +tentations, et de souffrir des attaques fréquentes; de peur que, +tranquilles sur eux-mêmes, ils ne s'élèvent avec orgueil, ou qu'ils ne +se livrent trop aux consolations du dehors. + +Oh! si l'on ne recherchait jamais les joies qui passent, si jamais l'on +ne s'occupait du monde, qu'on posséderait une conscience pure! + +Oh! qui retrancherait toute sollicitude vaine, ne pensant qu'au salut et +à Dieu, et plaçant en lui toute son espérance, de quelle paix et de quel +repos il jouirait! + +5. Nul n'est digne des consolations célestes, s'il ne s'est exercé +longtemps dans la sainte componction. + +Si vous désirez la vraie componction du coeur, entrez dans votre +cellule, et bannissez-en le bruit du monde, selon ce qui est écrit: +_Même sur votre couche, que votre coeur soit plein de componction_[66]. + + [66] Ps. IV, 5. + +Vous trouverez dans votre cellule ce que souvent vous perdrez au dehors. + +La cellule qu'on quitte peu devient douce; fréquemment délaissée, elle +engendre l'ennui. + +Si, dès le premier moment où vous sortez du siècle, vous êtes fidèle à +la garder, elle vous deviendra comme une amie chère, et sera votre +consolation la plus douce. + +6. Dans le silence et le repos, l'âme pieuse fait de grands progrès, et +pénètre ce qu'il y a de caché dans l'Écriture. + +Là, elle trouve la source des larmes dont elle se lave et se purifie +toutes les nuits; et elle s'unit d'autant plus familièrement à son +Créateur, qu'elle vit plus éloignée du tumulte du monde. + +Celui donc qui se sépare de ses connaissances et de ses amis, Dieu +s'approchera de lui avec les saints Anges. + +Il vaut mieux être caché et prendre soin de son âme, que de faire des +miracles et de s'oublier soi-même. + +Il est louable dans un religieux de sortir rarement, et de n'aimer ni à +voir les hommes ni à être vu d'eux. + +7. Pourquoi voulez-vous voir ce qu'il ne vous est point permis d'avoir? + +Le monde passe et sa concupiscence. + +Les désirs des sens entraînent çà et là; mais, l'heure passée, que +rapportez-vous, qu'une conscience pesante et un coeur dissipé? + +Parce qu'on est sorti dans la joie, souvent on revient dans la +tristesse; et la veille joyeuse du soir attriste le matin. + +Ainsi toute joie des sens s'insinue avec douceur, mais à la fin elle +blesse et tue. + +8. Que pouvez-vous voir ailleurs que vous ne voyiez où vous êtes? Voilà +le ciel, la terre, les éléments: or, c'est d'eux que tout est fait. + +Où que vous alliez, que verrez-vous qui soit stable sous le soleil? + +Vous croyez peut-être vous rassasier; mais vous n'y parviendrez jamais. + +Quand vous verriez toutes choses à la fois, que serait-ce qu'une vision +vaine? + +Levez les veux en haut vers Dieu, et priez pour vos péchés et vos +négligences. + +Laissez aux hommes vains les choses vaines: pour vous, ne vous occupez +que de ce que Dieu vous commande. + +Fermez sur vous votre porte, et appelez à vous Jésus votre bien-aimé. + +Demeurez avec lui dans votre cellule: car vous ne trouverez nulle part +autant de paix. + +Si vous n'étiez pas sorti, et que vous n'eussiez pas entendu quelque +bruit du monde, vous seriez demeuré dans cette douce paix: mais parce +que vous aimez à entendre des choses nouvelles, il vous faut supporter +ensuite le trouble du coeur. + + +RÉFLEXION. + + Que cherchez-vous dans le monde? le bonheur? Il n'y est pas. Écoutez + ce cri de détresse, cette plainte lamentable qui s'élève de tous les + points de la terre, et se prolonge de siècle en siècle. C'est la voix + du monde. Qu'y cherchez-vous encore? Des lumières, des secours, des + consolations, pour accomplir en paix votre pèlerinage? Le monde est + livré à l'esprit de ténèbres[67], à toutes les convoitises qu'il + inspire, à tous les crimes et à tous les maux dont il est le principe; + et c'est pourquoi le prophète s'écriait: _Je me suis éloigné, j'ai + fui, et j'ai demeuré dans la solitude_[68]. Là, dans le silence des + créatures, Dieu parle au coeur, et sa parole est si merveilleuse, si + douce et si ravissante, que l'âme ne veut plus entendre que lui, + jusqu'au jour où tous les voiles étant déchirés, elle le contemplera + face à face[69]. Le christianisme a peuplé le désert de ces âmes + choisies, qui, se dérobant au monde, et foulant aux pieds ses + plaisirs, ses honneurs, ses trésors, et la chair, et le sang, nous + offrent, dans la pureté de leur vie, une image de la vie des anges. + Cependant les Chrétiens ne sont pas tous appelés à ce sublime état de + perfection; mais au milieu du bruit et du tumulte de la société, tous + doivent se créer, au fond de leur coeur, une solitude où ils puissent + se retirer pour converser avec Jésus-Christ, et se recueillir en sa + présence. C'est ainsi que ramenés des pensées du temps à la pensée des + choses éternelles, ils auront à dégoût celles qui passent, et seront + dans le monde comme n'en étant pas: heureux état où s'accomplit pour + le fidèle ce que dit l'Apôtre: _notre vie est cachée avec Jésus-Christ + en Dieu_[70]. + + [67] I. Joann., V, 19. + + [68] Ps. LIV, 8. + + [69] I. Cor., XIII, 12. + + [70] Coloss., III, 3. + + + + +CHAPITRE XXI. + +De la componction du coeur. + + +1. Si vous voulez faire quelque progrès, conservez-vous dans la crainte +de Dieu, et ne soyez point trop libre; mais soumettez vos sens à une +sévère discipline, et ne vous livrez pas aux joies insensées. + +Disposez votre coeur à la componction, et vous trouverez la vraie piété. + +La componction produit beaucoup de biens, qu'on perd bientôt en +s'abandonnant aux vains mouvements de son coeur. + +Chose étrange, qu'un homme en cette vie puisse se reposer pleinement +dans la joie, lorsqu'il considère son exil, et à combien de périls est +exposée son âme! + +2. À cause de la légèreté de notre coeur et de l'oubli de nos défauts, +nous ne sentons pas les maux de notre âme, et souvent nous rions +vainement quand nous devrions bien plutôt pleurer. + +Il n'y a de vraie liberté et de joie solide que dans la crainte de Dieu +et la bonne conscience. + +Heureux qui peut éloigner tout ce qui le distrait et l'arrête, pour se +recueillir tout entier dans une sainte componction. + +Heureux qui rejette tout ce qui peut souiller sa conscience ou +l'appesantir. + +Combattez généreusement: on triomphe d'une habitude par une autre +habitude. + +Si vous savez laisser là les hommes, ils vous laisseront bientôt faire +ce que vous voudrez. + +3. N'attirez pas à vous les affaires d'autrui; et ne vous embarrassez +point dans celles des grands. + +Que votre oeil soit ouvert sur vous d'abord; et avant de reprendre vos +amis, ayez soin de vous reprendre vous-même. + +Si vous n'avez point la faveur des hommes, ne vous en attristez point; +mais que votre peine soit de ne pas vivre aussi bien et avec autant de +vigilance que le devrait un serviteur de Dieu et un bon religieux. + +Il est souvent plus utile et plus sûr de n'avoir pas beaucoup de +consolations en cette vie, et surtout de consolations sensibles. + +Cependant si nous sommes privés des consolations divines, ou si nous ne +les éprouvons que rarement, la faute en est à nous, parce que nous ne +cherchons point la componction du coeur, et que nous ne rejetons pas +entièrement les vaines consolations du dehors. + +4. Reconnaissez que vous êtes indigne des consolations célestes, et que +vous méritez plutôt de grandes tribulations. + +Quand l'homme est pénétré d'une parfaite componction, le monde entier +lui est alors amer et insupportable. + +Le juste trouve toujours assez de sujets de s'affliger et de pleurer. + +Car, en considérant, soit lui-même, soit les autres, il sait que nul +ici-bas n'est sans tribulation; et plus il se regarde attentivement, +plus profonde est sa douleur. + +Le sujet d'une juste affliction et d'une grande tristesse intérieure, ce +sont nos péchés et nos vices, dans lesquels nous sommes tellement +ensevelis, que rarement pouvons-nous contempler les choses du ciel. + +5. Si vous pensiez plus souvent à votre mort qu'à la longueur de la vie, +nul doute que vous n'auriez plus d'ardeur pour vous corriger. + +Et si vous réfléchissiez sérieusement aux peines de l'Enfer et du +Purgatoire, je crois que vous supporteriez volontiers le travail et la +douleur, et que vous ne redouteriez aucune austérité. + +Mais parce que ces vérités ne pénètrent point jusqu'au coeur, et que +nous aimons encore ce qui nous flatte, nous demeurons froids et +négligents. + +6. Souvent c'est langueur de l'âme, si notre chair misérable se plaint +si aisément. + +Priez donc humblement le Seigneur qu'il vous donne l'esprit de +componction, et dites avec le Prophète: _Nourrissez-moi, Seigneur, du +pain des larmes; abreuvez-moi du calice des pleurs_[71]. + + [71] Ps. LXXIX, 6. + + +RÉFLEXION. + + La douleur est le fond de la vie humaine. Souffrances du corps, + maladies de l'âme, inquiétudes, afflictions, péché, tel est + l'accablant fardeau qu'il nous faut porter, depuis notre naissance + jusqu'à la tombe; et cependant, à force de travail, l'homme parvient à + découvrir, au milieu de ses misères, je ne sais quelles joies + insensées dont il s'enivre avidement. Fuyons ces folles joies du + monde: arrêtons notre pensée sur le châtiment qui les doit suivre, sur + nos fautes si multipliées; et demandons à Dieu avec la componction du + coeur, ce repentir plein d'amour, ces heureuses larmes que Jésus a + bénies par ces consolantes paroles: _Beaucoup de péchés vous sont + remis, parce que vous avez beaucoup aimé_[72]. + + + [72] Luc., VII, 47. + + + + +CHAPITRE XXII. + +De la considération de la misère humaine. + + +1. En quelque lieu que vous soyez, de quelque côté que vous vous +tourniez, vous serez misérable, si vous ne revenez vers Dieu. + +Pourquoi vous troubler de ce que rien n'arrive comme vous le désirez et +comme vous le voulez? À qui est-ce que tout succède selon sa volonté? Ni +à vous, ni à moi, ni à aucun homme sur la terre. + +Nul en ce moment, fût-il roi ou pape, n'est exempt d'angoisses et de +tribulations. + +Qui donc a le meilleur sort? Celui, certes, qui sait souffrir quelque +chose pour Dieu. + +2. Dans leur faiblesse et leur peu de lumières, plusieurs disent: Que +cet homme a une heureuse vie! qu'il est riche, grand, puissant, élevé! + +Mais considérez les biens du ciel, et vous verrez que tous ces biens du +temps ne sont rien; que, toujours très-incertains, ils sont plutôt un +poids qui fatigue, parce qu'on ne les possède jamais sans défiance et +sans crainte. + +Avoir en abondance les biens du temps, ce n'est pas là le bonheur de +l'homme: la médiocrité lui suffit. + +C'est vraiment une grande misère de vivre sur la terre. + +Plus un homme veut avancer dans les voies spirituelles, plus la vie +présente lui devient amère, parce qu'il sent mieux et voit plus +clairement l'infirmité de la nature humaine et sa corruption. + +Manger, boire, veiller, dormir, se reposer, travailler, être assujetti à +toutes les nécessités de la nature, c'est vraiment une grande misère et +une grande affliction pour l'homme pieux qui voudrait être dégagé de ses +liens terrestres, et délivré de tout péché. + +3. Car l'homme intérieur est, en ce monde, étrangement appesanti par les +nécessités du corps. + +Et c'est pourquoi le Prophète demandait, avec d'ardentes prières, d'en +être affranchi, disant: _Seigneur, délivrez-moi de mes nécessités_[73]. + + [73] Ps. XXIV, 17. + +Malheur donc à ceux qui ne connaissent point leur misère! et malheur +encore plus à ceux qui aiment cette misère et cette vie périssable! + +Car il y en a qui l'embrassent si avidement, qu'ayant à peine le +nécessaire en travaillant ou en mendiant, ils n'éprouveraient aucun +souci du royaume de Dieu, s'ils pouvaient toujours vivre ici-bas. + +4. Ô coeurs insensés et infidèles, si profondément enfoncés dans les +choses de la terre, qu'ils ne goûtent rien que ce qui est charnel! + +Les malheureux! ils sentiront douloureusement à la fin combien était +vil, combien n'était rien ce qu'ils ont aimé. + +Mais les Saints de Dieu, tous les fidèles amis de Jésus-Christ ont +méprisé ce qui flatte la chair et ce qui brille dans le temps; toute +leur espérance, tous leurs désirs aspiraient aux biens éternels. + +Tout leur coeur s'élevait vers les biens invisibles et impérissables, de +peur que l'amour des choses visibles ne les abaissât vers la terre. + +5. Ne perdez pas, mon frère, l'espérance d'avancer dans la vie +spirituelle: vous en avez encore le temps. + +Pourquoi remettez-vous toujours au lendemain l'accomplissement de vos +résolutions? Levez-vous et commencez à l'instant, et dites: Voici le +temps d'agir, voici le temps de combattre, voici le temps de me +corriger. + +Quand la vie vous est pesante et amère, c'est alors le temps de méditer. + +_Il faut passer par le feu et par l'eau, avant d'entrer dans le lieu de +rafraîchissement_[74]. + + [74] Ps. LXV, 12. + +Si vous ne vous faites violence, vous ne vaincrez pas le vice. + +Tant que nous portons ce corps fragile, nous ne pouvons être sans péché, +ni sans ennui et sans douleur. + +Il nous serait doux de jouir d'un repos exempt de toute misère; mais en +perdant l'innocence par le péché, nous avons aussi perdu la vraie +félicité. + +Il faut donc persévérer dans la patience, et attendre la miséricorde de +Dieu, _jusqu'à ce que l'iniquité passe_[75], _et que ce qui est mortel +en vous soit absorbé par la vie_[76]. + + [75] Ps. LV, LVI, 2. + + [76] II. Cor., V, 4. + +6. Oh! quelle est grande la fragilité qui toujours incline l'homme au +mal! + +Vous confessez aujourd'hui vos péchés, et vous y retombez le lendemain. + +Vous vous proposez d'être sur vos gardes, et une heure après vous +agissez comme si vous ne vous étiez rien proposé. + +Nous avons donc grand sujet de nous humilier, et de ne nous jamais +élever en nous-même, étant si fragiles et si inconstants. + +Nous pouvons perdre en un moment, par notre négligence, ce qu'à peine +avons-nous acquis par la grâce, avec un long travail. + +7. Que sera-ce de nous à la fin du jour, si nous sommes si lâches dès le +matin? + +Malheur à nous, si nous voulons goûter le repos, comme si déjà nous +étions en paix et en assurance, tandis qu'on ne découvre pas dans notre +vie une seule trace de vraie sainteté! + +Nous aurions bien besoin d'être instruits encore, et formés à de +nouvelles moeurs comme des novices dociles, pour essayer du moins s'il y +aurait en nous quelque espérance de changement, et d'un plus grand +progrès dans la vertu. + + +RÉFLEXION. + + _L'homme né de la femme vit peu de jours, et il est rassasié + d'angoisses_[77]. Voilà notre destinée telle que le péché l'a faite. + Écoutez les gémissements de l'humanité entière dont Job était la + figure: «Périsse le jour où je suis né, et la nuit où il fut dit: Un + homme a été conçu! Pourquoi ne suis-je pas mort dans le sein de ma + mère, ou n'ai-je pas péri en en sortant? Pourquoi m'a-t-elle reçu sur + ses genoux, et allaité de ses mamelles? Maintenant je dormirais en + silence, et je reposerais dans mon sommeil[78].» Mais déjà sur cette + grande misère se levait l'aurore d'une grande espérance. «Je sais que + mon Rédempteur est vivant, et que je serai de nouveau revêtu de ma + chair, et dans ma chair je verrai mon Dieu; je le verrai, et mes yeux + le contempleront[79].» Dès lors tout change: ces douleurs, auparavant + sans consolation, unies à celles du Rédempteur, ne sont plus qu'une + expiation nécessaire, une épreuve de justice et de miséricorde, une + semence d'éternelles joies. Le Christ, en mourant, a ouvert le ciel à + l'homme déchu, qui, pour unique grâce, demandait à la terre un + tombeau[80]. Et nous nous plaindrions des souffrances auxquelles Dieu + réserve un tel prix! Et le murmure serait sur nos lèvres, lorsque, par + les tribulations, Jésus-Christ daigne nous associer aux mérites de son + sacrifice! C'en est fait, Seigneur, je reconnais mon aveuglement, mon + ingratitude, et je ne veux plus désirer ici-bas que d'avoir part à + votre passion, afin de participer un jour à votre gloire. + + [77] Job, XIV, 1. + + [78] _Ibid._, III, 3, 11-13. + + [79] _Ibid._, XIX, 25-27. + + [80] _Ibid._, III, 21, 22. + + + + +CHAPITRE XXIII. + +De la méditation de la mort. + + +1. C'en sera fait de vous bien vite ici-bas: voyez donc en quel état +vous êtes. + +L'homme est aujourd'hui, et demain il a disparu; et quand il n'est plus +sous les yeux, il passe bien vite de l'esprit. + +Ô stupidité et dureté du coeur humain, qui ne pense qu'au présent et ne +prévoit pas l'avenir! + +Dans toutes vos actions, dans toutes vos pensées, vous devriez être tel +que vous seriez s'il vous fallait mourir aujourd'hui. + +Si vous aviez une bonne conscience, vous craindriez peu la mort. + +Il vaudrait mieux éviter le péché que fuir la mort. + +Si aujourd'hui vous n'êtes pas prêt, comment le serez-vous demain? + +Demain est un jour incertain: et que savez-vous si vous aurez un +lendemain? + +2. Que sert de vivre longtemps, puisque nous nous corrigeons si peu? + +Ah! une longue vie ne corrige pas toujours; souvent plutôt elle augmente +nos crimes. + +Plût à Dieu que nous eussions bien vécu dans ce monde un seul jour! + +Plusieurs comptent les années de leur conversion; mais souvent qu'ils +sont peu changés, et que ces années ont été stériles! + +S'il est terrible de mourir, peut-être est-il plus dangereux de vivre si +longtemps. + +Heureux celui à qui l'heure de sa mort est toujours présente, et qui se +prépare chaque jour à mourir! + +Si vous avez vu jamais un homme mourir, songez que vous aussi vous +passerez par cette voie. + +3. Le matin, pensez que vous n'atteindrez pas le soir; le soir, n'osez +pas vous promettre de voir le matin. + +Soyez donc toujours prêt, et vivez de telle sorte que la mort ne vous +surprenne jamais. + +Plusieurs sont enlevés par une mort soudaine et imprévue: _car le Fils +de l'homme viendra à l'heure qu'on n'y pense pas_[81]. + + [81] Luc., XII, 40. + +Quand viendra cette dernière heure, vous commencerez à juger tout +autrement de votre vie passée, et vous gémirez amèrement d'avoir été si +négligent et si lâche. + +4. Qu'heureux et sage est celui qui s'efforce d'être tel dans la vie +qu'il souhaite d'être trouvé à la mort! + +Car rien ne donnera une si grande confiance de mourir heureusement, que +le parfait mépris du monde, le désir ardent d'avancer dans la vertu, +l'amour de la régularité, le travail de la pénitence, l'abnégation de +soi-même, et la constance à souffrir toutes sortes d'adversités pour +l'amour de Jésus-Christ. + +Vous pouvez faire beaucoup de bien, tandis que vous êtes en santé: mais, +malade, je ne sais ce que vous pourrez. + +Il en est peu que la maladie rende meilleurs, comme il en est peu qui se +sanctifient par de fréquents pèlerinages. + +5. Ne comptez point sur vos amis ni sur vos proches, et ne différez +point votre salut dans l'avenir, car les hommes vous oublieront plus +vite que vous ne pensez. + +Il vaut mieux y pourvoir de bonne heure et envoyer devant soi un peu de +bien, que d'espérer dans le secours des autres. + +Si vous n'avez maintenant aucun souci de vous-même, qui s'inquiétera de +vous dans l'avenir? + +Maintenant le temps est d'un grand prix. _Voici maintenant le temps +propice, voici le jour du salut_[82]. + + [82] II. Cor., VI, 2. + +Mais, ô douleur! que vous fassiez un si vain usage de ce qui pourrait +vous servir à mériter de vivre éternellement. + +6. Viendra le temps où vous désirerez un seul jour, une seule heure, +pour purifier votre âme, et je ne sais si vous l'obtiendrez. + +Ah! mon frère, de quel péril, de quelle crainte terrible vous pourriez +vous délivrer, si vous étiez à présent toujours en crainte et en +défiance de la mort! + +Étudiez-vous maintenant à vivre de telle sorte qu'à l'heure de la mort +vous ayez plus sujet de vous réjouir que de craindre. + +Apprenez maintenant à mourir au monde, afin de commencer alors à vivre +avec Jésus-Christ. + +Apprenez maintenant à tout mépriser, afin de pouvoir alors aller +librement à Jésus-Christ. + +Châtiez maintenant votre corps par la pénitence, afin que vous puissiez +alors avoir une solide confiance. + +7. Insensés, sur quoi vous promettez-vous de vivre longtemps, lorsque +vous n'avez pas un seul jour d'assuré? + +Combien ont été trompés et arrachés subitement de leurs corps! + +Combien de fois avez-vous ouï dire: Cet homme a été tué d'un coup +d'épée, celui-ci s'est noyé, celui-là s'est brisé en tombant d'un lieu +élevé; l'un a expiré en mangeant, l'autre en jouant; l'un a péri par le +feu, un autre par le fer, un autre par la peste, un autre par la main +des voleurs. + +Et ainsi la fin de tous est la mort, et _la vie des hommes passe comme +l'ombre_[83]. + + [83] Job, XIV, 10. Ps. CXLIII, 4. + +8. Qui se souviendra de vous après votre mort, et qui priera pour vous? + +Faites, faites maintenant, mon cher frère, tout ce que vous pouvez, car +vous ne savez pas quand vous mourrez, ni ce qui suivra pour vous la +mort. + +Tandis que vous en avez le temps, amassez des richesses immortelles. + +Ne pensez qu'à votre salut, ne vous occupez que des choses de Dieu. + +_Faites-vous maintenant des amis_, en honorant les Saints et en imitant +leurs oeuvres, _afin qu'arrivé au terme de cette vie, ils vous reçoivent +dans les tabernacles éternels_[84]. + + [84] Luc., XVI, 9. + +9. Vivez sur la terre comme un voyageur et un étranger à qui les choses +du monde ne sont rien. + +Conservez voire coeur libre et toujours élevé vers Dieu, parce que _vous +n'avez point ici-bas de demeure permanente_[85]. + + [85] Heb., XIII, 14. + +Que vos gémissements, vos larmes, vos prières, montent tous les jours +vers le ciel, afin que votre âme, après la mort, mérite de passer +heureusement à Dieu. + + +RÉFLEXION. + + Approchez de cette fosse, regardez ces ossements blanchis et déjoints: + voilà tout ce qui reste ici-bas d'un homme que vous avez connu + peut-être, et qui ne pensait pas plus à la mort, il y a peu d'années, + que vous n'y pensez aujourd'hui. Ne fallait-il pas, en effet, qu'il + songeât d'abord à sa fortune, à celle des siens, à l'établissement de + sa famille? aussi s'en est-il occupé jusqu'au dernier moment. Eh bien! + maintenant allez, entrez dans sa maison. Des héritiers indifférents y + jouissent des biens qu'il avait amassés, et travaillent eux-mêmes à en + amasser de nouveaux: du reste nul souvenir du mort. Quelque chose de + lui subsiste cependant, et la tombe ne le renferme pas tout entier. Il + avait une âme, une âme rachetée du sang de Jésus-Christ: où est-elle? + à l'instant où elle quitta le corps, sa demeure fut fixée, ou dans le + ciel sans crainte désormais, ou dans l'enfer sans espérance. Terrible, + terrible alternative! Et à présent, plongez-vous dans les soins de la + terre, différez votre conversion: dites encore, il sera temps demain. + Insensé! ce temps, dont tu abuses, creuse ta fosse, et demain ce sera + l'éternité! + + + + +CHAPITRE XXIV. + +Du jugement et des peines des pécheurs. + + +1. En toutes choses regardez la fin, et reportez-vous au jour où vous +serez là, debout devant le Juge sévère, à qui rien n'est caché, qu'on +n'apaise point par des présents, qui ne reçoit point d'excuses; mais qui +jugera selon la justice. + +Pécheur misérable et insensé! que répondrez-vous à Dieu qui sait tous +vos crimes, vous qui tremblez quelquefois à l'aspect d'un homme irrité? + +Par quel étrange oubli de vous-même vous en allez-vous, sans rien +prévoir, vers ce jour où nul ne pourra être excusé ni défendu par un +autre, mais où chacun sera pour soi un fardeau assez pesant? + +Maintenant votre travail produit son fruit; vos larmes sont agréées, vos +gémissements écoutés; votre douleur satisfait à Dieu, et purifie votre +âme. + +2. Il a ici-bas un grand et salutaire purgatoire, l'homme patient qui, +en butte aux outrages, s'afflige plus de la malice d'autrui que de sa +propre injure; qui prie sincèrement pour ceux qui le contristent, et +leur pardonne du fond du coeur; qui, s'il a peiné les autres, est +toujours prêt à demander pardon; qui incline à la compassion plus qu'à +la colère; qui se fait violence à lui-même, et s'efforce d'assujettir +entièrement la chair à l'esprit. + +Il vaut mieux se purifier maintenant de ses péchés et retrancher ses +vices, que d'attendre à les expier en l'autre vie. + +Oh! combien nous nous trompons nous-mêmes par l'amour désordonné que +nous avons pour notre chair! + +3. Que dévorera ce feu, sinon vos péchés? + +Plus vous vous épargnez vous-même à présent, et plus vous flattez votre +chair, plus ensuite votre châtiment sera terrible, et plus vous amassez +pour le feu éternel. + +L'homme sera puni plus rigoureusement dans les choses où il a le plus +péché. + +Là, les paresseux seront percés par des aiguillons ardents, et les +intempérants tourmentés par une faim et une soif extrêmes. + +Là, les voluptueux et les impudiques seront plongés dans une poix +brûlante et dans un soufre fétide; comme des chiens furieux, les envieux +hurleront dans leur douleur. + +4. Chaque vice aura son tourment propre. + +Là, les superbes seront remplis de confusion, et les avares réduits à la +plus misérable indigence. + +Là, une heure sera plus terrible dans le supplice, que cent années ici +dans la plus dure pénitence. + +Ici, quelquefois le travail cesse, on se console avec ses amis: là, nul +repos, nulle consolation pour les damnés. + +Soyez donc maintenant plein d'appréhension et de douleur pour vos +péchés, afin de partager, au jour du jugement, la sécurité des +bienheureux. + +_Car les justes alors s'élèveront avec une grande assurance contre ceux +qui les auront opprimés et méprisés_[86]. + + [86] Sap., V, 1. + +Alors se lèvera, pour juger, celui qui se soumet aujourd'hui humblement +aux jugements des hommes. + +Alors l'humble et le pauvre auront une grande confiance; et de tous +côtés l'épouvante environnera le superbe. + +5. Alors on verra qu'il fut sage en ce monde, celui qui apprit à être +insensé et méprisable pour Jésus-Christ. + +Alors on s'applaudira des tribulations souffertes avec patience, _et +toute iniquité sera muette_[87]. + + [87] Ps. CVI, 42. + +Alors tous les justes seront transportés d'allégresse, et tous les +impies consternés de douleur. + +Alors la chair affligée se réjouira plus que si elle avait toujours été +nourrie dans les délices. + +Alors les vêtements pauvres resplendiront, et les habits somptueux +perdront tout leur éclat. + +Alors la plus pauvre petite demeure sera jugée au-dessus du palais tout +brillant d'or. + +Alors une patience constamment soutenue sera de plus de secours que +toute la puissance du monde; et une obéissance simple, élevée plus haut +que toute la prudence du siècle. + +6. Alors on trouvera plus de joie dans la pureté d'une bonne conscience, +que dans une docte philosophie. + +Alors le mépris des richesses aura plus de poids dans la balance, que +tous les trésors de la terre. + +Alors le souvenir d'une pieuse prière vous sera de plus de consolation, +que celui d'un repas splendide. + +Alors vous vous réjouirez plus du silence gardé que des longs +entretiens. + +Alors les oeuvres saintes l'emporteront sur les beaux discours. + +Alors vous préférerez une vie de peine et de travail à tous les plaisirs +de la terre. + +Apprenez donc maintenant à supporter quelques légères souffrances, afin +d'être alors délivré de souffrances plus grandes. + +Éprouvez ici d'abord ce que vous pourrez dans la suite. + +Si vous ne pouvez maintenant souffrir si peu de chose, comment +supporterez-vous les tourments éternels? + +Si maintenant la moindre douleur vous cause tant d'impatience, que +sera-ce donc alors des tortures de l'enfer! + +Il y a, n'en doutez point, deux joies qu'on ne peut réunir; vous ne +pouvez goûter ici-bas les délices du monde, et régner ensuite avec +Jésus-Christ. + +7. Si vous aviez vécu jusqu'à ce jour dans les honneurs et les voluptés, +de quoi cela vous servirait-il, s'il vous fallait mourir à l'instant? + +Donc tout est vanité, hors aimer Dieu et le servir lui seul. + +Car celui qui aime Dieu de tout son coeur, ne craint ni la mort, ni le +supplice, ni le jugement, ni l'enfer, parce que l'amour parfait nous +donne un sûr accès près de Dieu. + +Mais celui qui aime encore le péché, il n'est pas surprenant qu'il +redoute la mort et le jugement. + +Cependant si l'amour ne vous éloigne pas encore du mal, il est bon qu'au +moins la crainte vous retienne. + +Celui qui est peu touché de la crainte de Dieu ne saurait longtemps +persévérer dans le bien: mais il tombera bientôt dans les piéges du +démon. + + +RÉFLEXION. + + _Dieu est patient_, dit saint Augustin, _parce qu'il est éternel_. + Mais, après les jours de patience, viendra le jour de la justice; jour + d'effroi, jour inévitable; où toute chair comparaîtra devant le Roi de + l'éternité, pour rendre compte de ses oeuvres et de ses pensées mêmes. + Transportez-vous en esprit à ce moment formidable: voilà que la + poussière des tombeaux s'émeut, et de toutes parts la foule des morts + accourt aux pieds du souverain juge. Là, tous les secrets sont + dévoilés, la conscience n'a plus de ténèbres, et chacun attend en + silence le sort qui lui est destiné pour toujours. Les deux cités se + séparent; la grande sentence est prononcée; elle ouvre le paradis aux + justes, et tombe sur les pécheurs avec tout le poids d'une éternelle + réprobation. Environné des anges fidèles et de la troupe + resplendissante des élus, Jésus-Christ remonte dans sa gloire: Satan + saisit sa proie et l'entraîne dans l'abîme: tout est consommé à + jamais; il ne reste plus que les joies du ciel, et le désespoir de + l'enfer. Pendant que vous êtes encore sur la terre, le choix entre ces + demeures vous est laissé: choisissez donc, mais n'oubliez pas qu'il + n'y a point de repentir de l'autre côté de la tombe. + + + + +CHAPITRE XXV. + +Qu'il faut travailler avec ferveur à l'amendement de sa vie. + + +1. Soyez vigilant et fervent dans le service de Dieu, et faites-vous +souvent cette demande: Pourquoi es-tu venu ici, et pourquoi as-tu quitté +le siècle? + +N'était-ce pas afin de vivre pour Dieu, et devenir un homme spirituel? + +Embrasez-vous donc du désir d'avancer, parce que vous recevrez bientôt +la récompense de vos travaux, et qu'alors il n'y aura plus ni crainte ni +douleur. + +Maintenant un peu de travail, et puis un grand repos: que dis-je? une +joie éternelle! + +Si vous agissez constamment avec ardeur et fidélité, Dieu aussi sera +sans doute fidèle et magnifique dans ses récompenses. + +Vous devez conserver une ferme espérance de parvenir à la gloire; mais +il ne faut pas vous livrer à une sécurité trop profonde, de peur de +tomber dans le relâchement ou dans la présomption. + +2. Un nomme qui flottait souvent, plein d'anxiétés, entre la crainte et +l'espérance, étant un jour accablé de tristesse, entra dans une église, +et, se prosternant devant un autel pour prier, il disait et redisait en +lui-même: Oh! si je savais que je dusse persévérer! Aussitôt il entendit +intérieurement cette divine réponse: Si vous le saviez, que +voudriez-vous faire? Faites maintenant ce que vous feriez alors, et vous +jouirez de la paix. + +Consolé à l'instant même, et fortifié, il s'abandonna sans réserve à la +volonté de Dieu, et ses agitations cessèrent. + +Il ne voulut plus rechercher avec curiosité ce qui lui arriverait dans +l'avenir; mais il s'appliqua uniquement à connaître la volonté de Dieu, +et ce qui lui plaît davantage, afin de commencer et d'achever tout ce +qui est bien. + +3. _Espérez en Dieu,_ dit le Prophète, _et faites le bien: habitez en +paix la terre, et vous serez nourri de ses richesses_[88], + + [88] Ps. XXXVI, 3. + +Une chose refroidit en quelques-uns l'ardeur d'avancer et de se +corriger: la crainte des difficultés, et le travail du combat. + +Eu effet, ceux-là devancent les autres dans la vertu, qui s'efforcent +avec le plus de courage de se vaincre eux-mêmes dans ce qui leur est le +plus pénible et qui contrarie le plus leurs penchants. + +Car l'homme fait d'autant plus de progrès et mérite d'autant plus de +grâces, qu'il se surmonte lui-même et se mortifie davantage. + +4. Il est vrai que tous n'ont pas également à combattre pour se vaincre +et mourir à eux-mêmes. + +Cependant un homme animé d'un zèle ardent avancera bien plus, même avec +de nombreuses passions, qu'un autre à cet égard mieux disposé, mais +tiède pour la vertu. + +Deux choses aident surtout à opérer un grand amendement: s'arracher avec +violence à ce que la nature dégradée convoite, et travailler ardemment à +acquérir la vertu dont on a le plus grand besoin. + +Attachez-vous aussi particulièrement à éviter et à vaincre les défauts +qui vous déplaisent le plus dans les autres. + +5. Profitez de tout pour votre avancement. Si vous voyez de bons +exemples, ou si vous les entendez raconter, animez-vous à les imiter. + +Que si vous apercevez quelque chose de répréhensible, prenez garde de +commettre la même faute; ou, si vous l'avez quelquefois commise, tâchez +de vous corriger promptement. + +Comme votre oeil observe les autres, les autres vous observent aussi. + +Qu'il est consolant et doux de voir des religieux zélés, pieux, +fervents, fidèles observateurs de la règle! + +Qu'il est triste, au contraire, et pénible d'en voir qui ne vivent pas +dans l'ordre, et qui ne remplissent pas les engagements auxquels ils ont +été appelés! + +Qu'on se nuit à soi-même en négligeant les devoirs de sa vocation, et en +détournant son coeur à des choses dont on n'est point chargé! + +6. Souvenez-vous de ce que vous avez promis, et que Jésus crucifié vous +soit toujours présent. + +Vous avez bien sujet de rougir, en considérant la vie de Jésus-Christ, +d'avoir jusqu'ici fait si peu d'efforts pour y conformer la vôtre, +quoique vous soyez, depuis si longtemps, entré dans la voie de Dieu. + +Un religieux qui s'exerce à méditer sérieusement, et avec piété, la vie +très-sainte et la Passion du Sauveur, y trouvera en abondance tout ce +qui lui est utile et nécessaire: et il n'a pas besoin de chercher hors +de Jésus quelque chose de meilleur. + +Ah! si Jésus crucifié entrait dans notre coeur, que nous serions bientôt +suffisamment instruits! + +7. Un religieux fervent reçoit bien ce qu'on lui commande, et s'y soumet +sans peine. + +Un religieux tiède et relâché souffre tribulation sur tribulation, et ne +trouve de tous côtés que la gêne, parce qu'il est privé des consolations +intérieures, et qu'il lui est interdit d'en chercher au dehors. + +Un religieux qui s'affranchit de sa règle est exposé à des chutes +terribles. + +Celui qui cherche une vie moins contrainte et moins austère sera +toujours dans l'angoisse: car toujours quelque chose lui déplaira. + +8. Comment font tant d'autres religieux qui observent, dans les +cloîtres, une si étroite discipline? + +Ils sortent rarement, ils vivent retirés, ils sont nourris +très-pauvrement et grossièrement vêtus; ils travaillent beaucoup, +parlent peu, veillent longtemps, se lèvent matin, font de longues +prières, de fréquentes lectures, et observent en tout une exacte +discipline. + +Considérez les Chartreux, les religieux de Cîteaux, et les autres +religieux et religieuses de différents ordres, qui se lèvent toutes les +nuits pour chanter les louanges de Dieu. + +Il serait donc bien honteux que la paresse vous tînt encore éloigné d'un +saint exercice, lorsque déjà tant de religieux commencent à célébrer le +Seigneur. + +9. Oh! si vous n'aviez autre chose à faire qu'à louer de coeur et de +bouche, perpétuellement, le Seigneur notre Dieu! si jamais vous n'aviez +besoin de manger, de boire, de dormir, et que vous puissiez ne pas +interrompre un seul moment ces louanges ni les autres exercices +spirituels! vous seriez alors beaucoup plus heureux qu'à présent, +assujetti comme vous l'êtes au corps et à toutes ses nécessités. + +Plût à Dieu que nous fussions affranchis de ces nécessités, et que nous +n'eussions à songer qu'à la nourriture de notre âme, que nous goûtons, +hélas! si rarement! + +10. Quand un homme en est venu à ne chercher sa consolation dans aucune +créature, c'est alors qu'il commence à goûter Dieu parfaitement, et +qu'il est, quoi qu'il arrive, toujours satisfait. + +Alors il ne se réjouit d'aucune prospérité, et aucun revers ne le +contriste; mais il s'abandonne tout entier, avec une pleine confiance, à +Dieu, qui lui est tout en toutes choses, pour qui rien ne périt, rien ne +meurt, pour qui, au contraire, tout vit, et à qui tout obéit sans délai. + +11. Souvenez-vous toujours que votre fin approche, et que le temps perdu +ne revient point. + +Les vertus ne s'acquièrent qu'avec beaucoup de soins et des efforts +constants. + +Dès que vous commencerez à tomber dans la tiédeur, vous tomberez dans le +trouble. + +Mais si vous persévérez dans la ferveur, vous trouverez une grande paix, +et vous sentirez votre travail plus léger, à cause de la grâce de Dieu, +et de l'amour de la vertu. + +L'homme fervent et zélé est prêt à tout. + +Il est plus pénible de résister aux vices et aux passions, que de +supporter les fatigues du corps. + +_Celui qui n'évite pas les petites fautes, tombera peu à peu dans les +grandes_[89]. + + [89] Eccli., XIX, 1. + +Vous vous réjouirez toujours le soir, quand vous aurez employé le jour +avec fruit. + +Veillez sur vous, excitez-vous, avertissez-vous; et quoi qu'il en soit +des autres, ne vous négligez pas vous-même. + +Vous ne ferez de progrès qu'autant que vous vous ferez de violence. + + +RÉFLEXION. + + Êtes-vous sincèrement résolu à vous sauver? en avez-vous la volonté + ferme? Alors préparez-vous au travail, au combat; car le salut est à + ce prix: _La voie qui conduit à la perte est large_: mais qu'étroite, + dit l'Évangile, _est celle qui conduit à la vie_[90]! Sans doute + l'onction de la grâce adoucit, pour le fidèle, ce travail, ce combat; + au milieu des fatigues et des souffrances, il jouit d'une paix céleste + que le pécheur ne connaît point. Cependant il a besoin de continuels + efforts pour triompher de lui-même, pour vaincre ses désirs, ses + passions, et le monde, _et le prince de ce monde_[91]. Qui a fait les + saints, sinon cette lutte courageuse et persévérante? _Les uns ont été + tourmentés, ne voulant pas racheter leur vie, afin d'en trouver une + meilleure dans la résurrection. Les autres ont souffert les moqueries, + les fouets, les chaînes et les prisons; ils ont été lapidés, sciés, + éprouvés_ en toute manière; _ils sont morts par le tranchant du + glaive; vagabonds, couverts de peaux de brebis et de peaux de chèvres, + oppressés par le besoin, l'affliction, l'angoisse, ils ont erré dans + les déserts, et dans les montagnes, et dans les antres, et dans les + cavernes de la terre; eux dont le monde n'était pas digne. Enveloppés + donc d'une si grande nuée de témoins, dégageons-nous de tout ce qui + nous appesantit, et du péché qui nous environne, et courons par la + patience au combat qui nous est proposé; les regards fixés sur Jésus, + l'auteur et le consommateur de la foi, qui, en vue de la joie qui lui + était préparée, a souffert la croix, en méprisant l'ignominie; et + maintenant il est assis à la droite du trône de Dieu_[92]. + + [90] Matth., VII, 13, 14. + + [91] Joann., XIV, 30. + + [92] Heb., XI, 35-38; XII, 1, 2. + + +FIN DU PREMIER LIVRE. + + + + +L'IMITATION + +DE + +JÉSUS-CHRIST. + + + + +LIVRE DEUXIÈME. + +INSTRUCTION POUR AVANCER DANS LA VIE INTÉRIEURE. + + + + +CHAPITRE PREMIER. + +De la conversation intérieure. + + +1. _Le royaume de Dieu est au dedans de vous_[93], dit le Seigneur. + + [93] Luc., XVII, 21. + +Revenez à Dieu de tout votre coeur, laissez là ce misérable monde, et +votre âme trouvera le repos. + +Apprenez à mépriser les choses extérieures, et à vous donner aux +intérieures, et vous verrez le royaume de Dieu venir en vous. + +_Car le royaume de Dieu est paix et joie dans l'Esprit saint_[94]: ce +qui n'est pas donné aux impies. + + [94] Rom., XIV, 17. + +Jésus-Christ viendra à vous, et il vous remplira de ses consolations, si +vous lui préparez au dedans de vous une demeure digne de lui. + +_Toute sa gloire_ et toute sa beauté _est intérieure_[95]; c'est dans le +secret du coeur qu'il se plaît. + + [95] Ps. XLIV, 14. + +Il visite souvent l'homme intérieur, et ses entretiens sont doux, ses +consolations ravissantes; sa paix est inépuisable, et sa familiarité +incompréhensible. + +2. Âme fidèle, hâtez-vous donc de préparer votre coeur pour l'époux, +afin qu'il daigne venir et habiter en vous. + +Car il a dit: _Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et nous +viendrons à lui, et nous ferons en lui notre demeure_[96]. Laissez donc +Jésus entrer en vous, et n'y laissez entrer que lui. + + [96] Joann., XIV, 23. + +Lorsque vous posséderez Jésus, vous serez riche, et lui seul vous +suffit. Il veillera pour vous, il prendra de vous un soin fidèle en +toutes choses, de sorte que vous n'aurez plus besoin de rien attendre +des hommes. + +Car les hommes changent vite, et vous manquent tout d'un coup; _mais +Jésus-Christ demeure éternellement_[97]: inébranlable dans sa constance, +il est près de vous jusqu'à la fin. + + [97] Joann., XII, 34. + +3. On ne doit guère compter sur un homme fragile et mortel, encore bien +qu'il vous soit utile, et que vous soyez chers l'un à l'autre; et il n'y +a pas lieu de s'attrister beaucoup, si quelquefois il vous traverse et +s'élève contre vous. + +Ceux qui sont aujourd'hui pour vous, pourront demain être contre vous, +et réciproquement: les hommes changent comme le vent. + +Mettez en Dieu toute votre confiance: qu'il soit votre crainte et votre +amour: il répondra pour vous, et il fera ce qui est le meilleur. + +_Vous n'avez point ici de demeure stable_[98]: en quelque lieu que vous +soyez, vous êtes étranger et voyageur; et vous n'aurez jamais de repos, +que vous ne soyez uni intimement à Jésus-Christ. + + [98] Heb., XIII, 14. + +4. Que cherchez-vous autour de vous? Ce n'est pas ici le lieu de votre +repos. + +Votre demeure doit être dans le ciel, et vous ne devez regarder toutes +les choses de la terre que comme en passant. + +Tout passe: et vous passez avec tout le reste. + +Prenez garde de vous attacher à quoi que ce soit, de peur d'en devenir +l'esclave, et de vous perdre. + +Que sans cesse votre pensée monte vers le Très-Haut, et votre prière +vers Jésus-Christ. + +Si vous ne savez pas encore vous élever aux contemplations célestes, +reposez-vous dans la Passion du Sauveur, et aimez à demeurer dans ses +plaies sacrées. + +Car si vous vous réfugiez avec amour dans ces plaies et ces précieux +stigmates, vous sentirez une grande force au temps de la tribulation; +vous vous inquiéterez peu du mépris des hommes, et vous supporterez +aisément les paroles médisantes. + +5. Jésus-Christ a été aussi méprisé des hommes en ce monde, et, dans les +plus extrêmes angoisses, abandonné des siens, de ses amis, de ses +proches, au milieu des opprobres. + +Jésus-Christ a voulu souffrir et être méprisé, et vous osez vous +plaindre de quelque chose! + +Jésus-Christ a eu des ennemis et des détracteurs, et vous voudriez +n'avoir que des amis et des bienfaiteurs! + +Comment votre patience méritera-t-elle d'être couronnée, s'il ne vous +arrive rien de pénible? + +Si vous ne voulez rien souffrir, comment serez-vous ami de Jésus-Christ? + +Souffrez avec Jésus-Christ et pour Jésus-Christ, si vous voulez régner +avec Jésus-Christ. + +6. Si une seule fois vous étiez entré bien avant dans le coeur de Jésus, +et que vous eussiez ressenti quelque mouvement de son amour, que vous +auriez peu de souci de ce qui peut ou vous contrarier ou vous plaire! +Vous vous réjouiriez d'un outrage reçu, parce que l'amour de Jésus +apprend à l'homme à se mépriser lui-même. + +Celui qui aime Jésus et la vérité, un homme vraiment intérieur, et +dégagé de toute affection déréglée, peut librement s'approcher de Dieu, +et, s'élevant en esprit au-dessus de soi-même, se reposer en lui par une +jouissance anticipée. + +7. Celui qui estime les choses suivant ce qu'elles sont, et non d'après +les discours et l'opinion des hommes, est vraiment sage; et c'est Dieu +qui l'instruit plus que les hommes. + +Celui qui vit au dedans de lui-même, et qui s'inquiète peu des choses du +dehors, tous les lieux lui sont bons, et tous les temps pour remplir ses +pieux exercices. + +Un homme intérieur se recueille bien vite, parce qu'il ne se répand +jamais tout entier au dehors. + +Les travaux extérieurs, les occupations nécessaires en certains temps, +ne le troublent point; mais il se prête aux choses, selon qu'elles +arrivent. + +Celui qui a établi l'ordre au dedans de soi, ne se tourmente guère de ce +qu'il y a de bien ou de mal dans les autres. + +L'on n'a de distractions et d'obstacles qu'autant que l'on s'en crée +soi-même. + +8. Si vous étiez ce que vous devez être, entièrement libre et détaché, +tout contribuerait à votre bien et à votre avancement. + +Mais beaucoup de choses vous déplaisent et souvent vous troublent, parce +que vous n'êtes pas encore tout à fait mort à vous-même et séparé des +choses de la terre. + +Rien n'embarrasse et ne souille tant le coeur de l'homme que l'amour +impur des créatures. + +Si vous rejetez les consolations du dehors, vous pourrez contempler les +choses du ciel, et goûter souvent les joies intérieures. + + +RÉFLEXION. + + L'âme chrétienne, détachée du monde, n'a qu'un désir pour le temps + comme pour l'éternité; d'être unie à Jésus, de cette union ineffable + dont la divine peinture nous ravit dans le cantique mystérieux de + l'amour. _Mon bien-aimé est à moi, et je suis à lui; il repose entre + les lis, jusqu'à ce que l'aurore se lève, et que les ombres + déclinent_[99]. Hélas! que cherchez-vous au dehors? Rentrez, rentrez + en vous-même, préparez au céleste époux une demeure digne de lui, et + il viendra, et il s'y reposera; car ses délices sont d'habiter dans le + coeur qui l'appelle. Alors, seul avec Jésus, loin des bruits de la + terre, dans le silence des créatures, il vous parlera, _comme un ami + parle à son ami_[100], et transporté de l'entendre, vous ne voudrez + plus à jamais écouter que lui. + + [99] Cant., II, 16, 17. + + [100] Exod., XXXIII, 11. + + + + +CHAPITRE II. + +Qu'il faut s'abandonner à Dieu en esprit d'humilité. + + +1. Inquiétez-vous peu de qui est pour vous ou contre vous; mais prenez +soin que Dieu soit avec vous en tout ce que vous faites. + +Ayez la conscience pure, et Dieu prendra votre défense. + +Toute la malice des hommes ne saurait nuire à celui que Dieu veut +protéger. + +Si vous savez vous taire et souffrir, Dieu, sans doute, vous assistera. + +Il sait le temps et la manière de vous délivrer; abandonnez-vous donc à +lui. + +C'est de Dieu que vient le secours, c'est lui qui délivre de la +confusion. + +Il est souvent très-utile, pour nous retenir dans une plus grande +humilité, que les autres soient instruits de nos défauts, et qu'ils nous +les reprochent. + +2. Quand un homme s'humilie de ses défauts, il apaise aisément les +autres, et se réconcilie sans peine ceux qui sont irrités contre lui. + +Dieu protége l'humble et le délivre; il aime l'humble et le console; il +s'incline vers l'humble et lui prodigue ses grâces, et après +l'abaissement, il l'élève dans la gloire. + +Il révèle à l'humble ses secrets; il l'invite et l'attire doucement à +lui. + +Quelque affront qu'il reçoive, l'humble vit encore en paix, parce qu'il +s'appuie sur Dieu et non sur le monde. + +Ne pensez pas avoir fait de progrès, si vous ne vous croyez au-dessous +de tous les autres. + + +RÉFLEXION. + + Que vous importent les discours et les pensées des hommes! Ce ne + seront point eux qui vous jugeront. S'ils vous accusent à tort, celui + qui voit le fond des consciences vous a déjà justifié. S'ils vous + reprochent des fautes réelles, n'êtes-vous pas heureux d'être averti, + heureux de souffrir une humiliation salutaire? Ce qui vous trouble, + c'est l'orgueil, qui ne saurait supporter d'être repris. L'humble ne + s'irrite point, ne s'émeut point, lors même que la passion le condamne + injustement. Plein du sentiment de sa misère, on ne saurait jamais + tant s'abaisser, qu'il ne s'abaisse dans son coeur encore davantage. + Voulez-vous que rien n'altère le calme de votre âme? abandonnez-vous à + Dieu en toutes choses; et dans les peines, les contrariétés, les + traverses, dites avec Jésus-Christ: _Oui, mon Père, parce qu'il vous a + plu ainsi_[101]! + + [101] Luc., X, 21. + + + + +CHAPITRE III. + +De l'homme pacifique. + + +1. Conservez-vous premièrement dans la paix; et alors vous pourrez la +donner aux autres. + +Le pacifique est plus utile que le savant. + +Un homme passionné change le bien en mal, et croit le mal aisément. +L'homme paisible et bon ramène tout au bien. + +Celui qui est affermi dans la paix ne pense mal de personne; mais +l'homme inquiet et mécontent est agité de divers soupçons: il n'a jamais +de repos, et n'en laisse point aux autres. + +Il dit souvent ce qu'il ne faudrait pas dire, et ne fait pas ce qu'il +faudrait faire. + +Attentif au devoir des autres, il néglige ses propres devoirs. + +Ayez donc premièrement du zèle pour vous-même, et vous pourrez ensuite +avec justice l'étendre sur le prochain. + +2. Vous savez bien colorer et excuser vos fautes, et vous ne voulez pas +recevoir les excuses des autres. + +Il serait plus juste de vous accuser vous-même, et d'excuser votre +frère. + +Si vous voulez qu'on vous supporte, supportez aussi les autres. + +Voyez combien vous êtes loin encore de la vraie charité et de +l'humilité, qui jamais ne s'irrite et ne s'indigne que contre elle-même! + +Ce n'est pas une grande chose de bien vivre avec les hommes doux et +bons, car cela plaît naturellement à tous; chacun aime son repos, et +s'affectionne à ceux qui partagent ses sentiments. + +Mais vivre en paix avec des hommes durs, pervers, sans règle, ou qui +nous contrarient, c'est une grande grâce, une vertu courageuse et digne +d'être louée. + +3. Il y en a qui sont en paix avec eux-mêmes et avec les autres. + +Et il y en a qui n'ont point la paix, et qui troublent celle d'autrui: +ils sont à charge aux autres et plus à charge à eux-mêmes. + +Il y en a enfin qui se maintiennent dans la paix, et qui s'efforcent de +la rendre aux autres. + +Au reste, toute notre paix, dans cette misérable vie, consiste plus dans +une souffrance humble que dans l'exemption de la souffrance. + +Qui sait le mieux souffrir, possédera la plus grande paix. Celui-là est +vainqueur de soi et maître du monde, ami de Jésus-Christ et héritier du +ciel. + + +RÉFLEXION. + + _Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés enfants de + Dieu_[102]. Comprenez la grandeur de ce nom et l'instruction profonde + qu'il renferme. La paix, c'est l'ordre parfait; et le trouble, les + dissensions, les discordes, la guerre, ne sont entrés dans le monde + que par la violation de l'ordre ou par le péché. Ainsi point de paix + où règne le péché; point de paix dans l'homme dont les pensées, les + affections, les volontés ne sont pas en tout conformes à l'ordre ou à + la vérité et à la volonté de Dieu; point de paix dans la société dont + les doctrines et les lois s'écartent de la loi et des doctrines + révélées de Dieu: et quiconque, homme ou peuple, brise cette loi, nie + ces doctrines, ne fût-ce qu'en un seul point, cet homme, ce peuple + rebelle à Dieu, subit à l'instant le châtiment de son crime. Un + malaise inconnu s'empare de lui: je ne sais quelle force désordonnée + le pousse et le repousse en tous sens, et nulle part il ne trouve de + repos: comme Caïn, après son meurtre, il a peur. Non, la paix n'est en + effet que pour _les enfants de Dieu_: ils la goûtent en eux-mêmes, et + la répandent sur les autres; elle coule, pour ainsi dire, de leur + coeur, comme ces fleurs qui arrosaient l'heureux séjour de notre + premier père, au temps de son innocence. Et quand viendra la dernière + heure, ce sera encore la paix; car _le royaume de Dieu est justice et + paix_[103]. Enfants de Dieu, _entrez dans le royaume qui vous a été + préparé dès le commencement du monde_[104]! + + [102] Matth., V, 9. + + [103] Rom., XIV, 17. + + [104] Matth., XXV, 34. + + + + +CHAPITRE IV. + +De la pureté d'esprit, et de la droiture d'intention. + + +1. L'homme s'élève au-dessus de la terre sur deux ailes, la simplicité +et la pureté. + +La simplicité doit être dans l'intention, et la pureté dans l'affection. + +La simplicité cherche Dieu; la pureté le trouve et le goûte. + +Nulle bonne oeuvre ne vous sera difficile, si vous êtes libre au dedans +de toute affection déréglée. + +Si vous ne voulez que ce que Dieu veut, et ce qui est utile au prochain, +vous jouirez de la liberté intérieure. + +Si votre coeur était droit, alors toute créature vous serait un miroir +de vie et un livre rempli de saintes instructions. + +Il n'est point de créature si petite et si vile qui ne présente quelque +image de la bonté de Dieu. + +2. Si vous aviez en vous assez d'innocence et de pureté, vous verriez +tout sans obstacle. Un coeur pur pénètre le ciel et l'enfer. + +Chacun juge des choses du dehors selon ce qu'il est au dedans de +lui-même. + +S'il est quelque joie dans le monde, le coeur pur la possède. + +Et s'il y a des angoisses et des tribulations, avant tout elles sont +connues de la mauvaise conscience. + +Comme le fer mis au feu perd sa rouille, et devient tout étincelant, +ainsi celui qui se donne sans réserve à Dieu, se dépouille de sa +langueur et se change en un homme nouveau. + +3. Quand l'homme commence à tomber dans la tiédeur, alors il craint le +moindre travail, et reçoit avidement les consolations du dehors. + +Mais quand il commence à se vaincre parfaitement et à marcher avec +courage dans la voie de Dieu, alors il compte pour rien ce qui lui était +le plus pénible. + + +RÉFLEXION. + + Quand Jésus-Christ voulut proposer un modèle à ses disciples, le + choisit-il parmi les hommes distingués par leur science ou par la + supériorité de leur esprit? Non; _il appela un petit enfant, le plaça + au milieu d'eux, et dit: En vérité je vous le dis, si vous ne vous + convertissez et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez + point dans le royaume des cieux_[105]. Or, que voyons-nous dans + l'enfance? la simplicité, la pureté. Elle croit, elle aime, elle agit, + sans aucun retour sur elle-même, par un premier mouvement du coeur: et + voilà ce qui plaît à Dieu. Il ne demande ni de longues prières, ni + d'éloquents discours, ni des méditations profondes, mais une volonté + droite et un amour plein de candeur. N'avoir en tout de désirs que les + siens, s'oublier entièrement soi-même, se soumettre aux volontés de + l'adorable Providence, sans chercher à les scruter; quoi de plus pur + que cet abandon, que cette simple obéissance? Aussi la récompense en + sera-t-elle grande: _Heureux_, est-il dit, _ceux qui ont le coeur pur, + parce qu'ils verront Dieu_[106]. + + [105] Matth., XVIII, 2, 3. + + [106] Matth., V, 8. + + + + +CHAPITRE V. + +De la considération de soi-même. + + +1. Nous ne devons pas trop compter sur nous-mêmes, parce que souvent la +grâce et le jugement nous manquent. + +Nous n'avons en nous que peu de lumière, et ce peu il est aisé de le +perdre par négligence. + +Souvent, nous ne nous apercevons pas combien nous sommes aveugles au +dedans de nous. + +À de mauvaises actions souvent nous donnons de pires excuses. + +Quelquefois nous sommes mus par la passion, et nous croyons que c'est +par le zèle. + +Nous relevons de petites fautes dans les autres, et nous nous en +permettons de plus grandes. + +Nous sentons bien vite, et nous pensons ce que nous souffrons des +autres; mais tout ce qu'ils ont à souffrir de nous, nous n'y songeons +point. + +Qui se jugerait équitablement soi-même, sentirait qu'il n'a droit de +juger personne sévèrement. + +2. L'homme intérieur préfère le soin de soi-même à tout autre soin; et +lorsqu'on est attentif à soi, on se tait aisément sur les autres. + +Vous ne serez jamais un homme intérieur et vraiment pieux, si vous ne +gardez le silence sur ce qui vous est étranger, et si vous ne vous +occupez principalement de vous-même. + +Si vous n'avez que Dieu et vous-même en vue, vous serez peu touché de ce +que vous apercevrez au dehors. + +Où êtes-vous quand vous n'êtes pas présent à vous-même? Et que vous +revient-il d'avoir tout parcouru, et de vous être oublié? + +Si vous voulez posséder la paix et être véritablement uni à Dieu, il +faut laisser là tout le reste, et ne penser qu'à vous seul. + +3. Vous ferez de grands progrès, si vous vous dégagez de tous les soins +du temps. + +Vous serez au contraire fatigué bien vite, si vous comptez pour quelque +chose ce qui n'est que de ce monde. + +Qu'il n'y ait rien de grand à vos yeux, d'élevé, de doux, d'aimable, que +Dieu seul, ou ce qui vient de Dieu. + +Regardez comme une pure vanité toute consolation qui repose sur la +créature. + +L'âme qui aime Dieu méprise tout ce qui est au-dessous de Dieu. + +Dieu seul est éternel, immense, et remplissant tout, est la consolation +de l'âme, et la vraie joie du coeur. + + +RÉFLEXION. + + Quand vous sauriez ce qu'il y a de bon et de mauvais dans chaque + homme, sans en excepter un seul, à quoi cela vous servirait-il, si + vous vous ignorez vous-même? On ne vous interrogera point, au dernier + jour, sur la conscience d'autrui. Laissez donc là une sollicitude dont + presque toujours l'orgueil et la malignité sont le principe, et + occupez-vous d'un soin plus agréable à Dieu et plus utile pour vous. + La grande, la vraie science est de se connaître soi-même: ce doit être + notre étude de tous les instants. Alors on apprend à se mépriser, à + gémir sur la plaie de son coeur, sur l'amour-propre effréné qui nous + domine, sur les secrètes convoitises qui nous tourmentent, et l'on + s'écrie comme l'Apôtre: _Qui me délivrera de ce corps de mort_[107]? + Heureuse, heureuse délivrance! mais que trouverons-nous après, si nous + avons été fidèles? Dieu, uniquement Dieu, et en lui toutes choses, + toute consolation, tout bien. Ô mon âme! puisqu'il est ainsi, commence + dès ce moment même à te dégager du poids qui t'affaisse, de la terre + et des créatures, pour ne t'attacher qu'à Dieu seul. + + [107] Rom., VII, 24. + + + + +CHAPITRE VI. + +De la joie d'une bonne conscience. + + +1. _La gloire de l'homme de bien est le témoignage de sa +conscience_[108]. + + [108] II. Cor., I, 12. + +Ayez la conscience pure, et vous posséderez toujours la joie. + +La bonne conscience peut supporter beaucoup de choses, et elle est +pleine de joie dans les adversités. + +La mauvaise conscience est toujours inquiète et troublée. + +Vous jouirez d'un repos ravissant, si votre coeur ne vous reproche rien. + +Ne vous réjouissez que d'avoir fait le bien. + +Les méchants n'ont jamais de véritable joie, ils ne possèdent point la +paix intérieure, _parce qu'il n'y a point de paix pour l'impie_[109], +dit le Seigneur. + + [109] Is., LVII, 21. + +Et s'ils disent: _Nous sommes dans la paix, les maux ne viendront pas +sur nous; et qui oserait nous nuire[110]?_ ne les croyez pas: car la +colère de Dieu se lèvera soudain, et leurs oeuvres seront réduites à +rien, et leurs pensées périront. + + [110] Jer., V, 12. + +2. Se faire un sujet de gloire de la tribulation, n'est pas difficile à +celui qui aime: car se glorifier ainsi, c'est _se glorifier dans la +Croix de Jésus-Christ_[111]. + + [111] Rom., V, 3. Gal., VI, 14. + +La gloire que les hommes donnent et reçoivent est courte. + +La tristesse accompagne toujours la gloire du monde. + +La gloire des bons est dans leur conscience, et non dans la bouche des +hommes. + +L'allégresse des justes est de Dieu et en Dieu, et leur joie vient de la +vérité. + +Celui qui désire la gloire véritable et éternelle dédaigne la gloire du +temps. + +Et celui qui recherche la gloire du temps, et ne la méprise pas de toute +son âme, montre qu'il aime peu la gloire éternelle. + +Il jouit d'une grande tranquillité de coeur, celui que n'émeut ni la +louange ni le blâme. + +3. Il sera aisément en paix et content, celui dont la conscience est +pure. + +Vous n'êtes pas plus saint parce qu'on vous loue, ni plus imparfait +parce qu'on vous blâme. + +Vous êtes ce que vous êtes; et tout ce qu'on pourra dire ne vous fera +pas plus grand que vous ne l'êtes aux yeux de Dieu. + +Si vous considérez bien ce que vous êtes en vous-même, vous vous +embarrasserez peu de ce que les hommes disent de vous. + +_L'homme voit le visage, mais Dieu voit le coeur_[112]. L'homme regarde +les actions, mais Dieu pèse l'intention. + + [112] I. Reg., XVI, 7. + +Faire toujours bien et s'estimer peu, c'est le signe d'une âme humble. + +Ne vouloir de consolation d'aucune créature, c'est la marque d'une +grande pureté et d'une grande confiance intérieure. + +4. Quand on ne cherche au dehors aucun témoignage en sa faveur, il est +manifeste qu'on s'est entièrement remis à Dieu. + +_Car ce n'est pas celui qui se recommande lui-même qui est approuvé,_ +dit saint Paul, _mais celui que Dieu recommande_[113]. + + [113] II. Cor., _X_, 18. + +Avoir toujours Dieu présent au dedans de soi, et ne tenir à rien au +dehors, c'est l'état de l'homme intérieur. + + +RÉFLEXION. + + Nul repos pour celui qui ne le trouve pas en soi. Le coeur inquiet qui + cherche au dehors dans les créatures la paix dont il est privé + intérieurement, se fait une grande illusion; elle n'est pas là. + Pourquoi vous tromper vous-même? La mer soulevée par les tempêtes + n'est pas plus agitée que le monde; et vous lui dites: Apaise mon + trouble! il n'y a de calme que dans le sein de Dieu: il n'y a de joie + que dans la conscience pure. Les plaisirs distraient, les passions + enivrent un moment; mais ce moment passé, que reste-t-il? Et encore + que d'ennui souvent et que d'amertume pendant sa durée! Vous + représentez-vous, au contraire, une félicité comparable à celle qui + accompagne l'innocence; quelque chose qui, dès ici-bas, ressemble plus + au ciel, que l'état d'une âme détachée de la terre, et tranquille sous + la main de Dieu qu'elle possède déjà par l'espérance et par l'amour? + Eh bien donc, que cet état devienne le vôtre; _venez et goûtez combien + le Seigneur est doux_[114]; faites un effort, veuillez seulement: + celui qui donne le bon vouloir, vous donnera aussi de l'accomplir. + + [114] Ps. XXXIII, 9. + + + + +CHAPITRE VII. + +Qu'il faut aimer JÉSUS-CHRIST par-dessus toutes choses. + + +1. Heureux celui qui comprend ce que c'est que d'aimer Jésus, et de se +mépriser soi-même à cause de Jésus. + +Il faut que notre amour pour lui nous détache de tout autre amour, parce +que Jésus veut être aimé seul par-dessus toutes choses. + +L'amour de la créature est trompeur et passe bientôt; l'amour de Jésus +est stable et fidèle. + +Celui qui s'attache à la créature tombera comme elle et avec elle; celui +qui s'attache à Jésus sera pour jamais affermi. + +Aimez et conservez pour ami celui qui ne vous quittera point, alors que +tous vous abandonneront, et qui, quand viendra votre fin, ne vous +laissera point périr. + +Que vous le vouliez ou non, il vous faudra un jour être séparé de tout. + +2. Vivant et mourant, tenez-vous donc près de Jésus, et confiez-vous à +la fidélité de celui qui seul peut vous secourir lorsque tout vous +manquera. + +Tel est votre bien-aimé, qu'il ne veut point de partage; il veut +posséder seul votre coeur, et y régner comme un roi sur le trône qui est +à lui. + +Si vous saviez bannir de votre âme toutes les créatures, Jésus se +plairait à demeurer en vous. + +Vous trouverez avoir perdu presque tout ce que vous aurez établi sur les +hommes et non sur Jésus. + +Ne vous appuyez point sur un roseau qu'agite le vent, et n'y mettez pas +votre confiance, _car toute chair est comme l'herbe, et sa gloire passe +comme la fleur des champs_[115]. + + [115] Is., XL, 6. + +Vous serez trompé souvent, si vous jugez des hommes d'après ce qui +paraît au dehors; au lieu des avantages et du soulagement que vous +cherchez en eux, vous n'éprouverez presque toujours que du préjudice. + +Cherchez Jésus en tout, et en tout vous trouverez Jésus. Si vous vous +cherchez vous-même, vous vous trouverez aussi, mais pour votre perte. + +Car l'homme qui ne cherche pas Jésus, se nuit plus à lui-même que tous +ses ennemis, et que le monde entier. + + +RÉFLEXION. + + Entraînés par le _charme de sentir_, ainsi que parle Bossuet, nous + cherchons notre bien dans les créatures qui nous échappent et + s'évanouissent comme des ombres. Nous voulons aimer et être aimés; et + nous nous éloignons de la source du véritable amour, de l'amour + infini. Comprenons enfin combien il est insensé d'attacher notre coeur + à ce qui passe, et combien sont vaines ces amitiés de la terre, _qui + s'en vont avec les années et les intérêts_. Aimons Jésus sans partage; + aimons-le comme il nous aime et comme il veut être aimé. _La mesure de + notre amour pour lui_, dit saint Bernard, _est de l'aimer sans + mesure_. Malheur à qui lui préfère quelque chose! ses désirs sont sur + la route du néant. + + + + +CHAPITRE VIII. + +De la familiarité que l'amour établit entre Jésus et l'âme fidèle. + + +1. Quand Jésus est présent, tout est doux et rien ne semble difficile; +mais quand Jésus se retire, tout fatigue. + +Quand Jésus ne parle pas au dedans, nulle consolation n'a de prix; mais +si Jésus dit une seule parole, on est merveilleusement consolé. + +Marie Madeleine ne se leva-t-elle pas aussitôt du lieu où elle pleurait, +lorsque Marthe lui dit: _Le Maître est là, et il vous appelle_[116]. + + [116] Joann., XI, 28. + +Heureux moment, où Jésus appelle des larmes à la joie de l'esprit! + +Combien, sans Jésus, n'êtes-vous pas aride et insensible! + +Et quelle vanité, quelle folie, si vous désirez autre chose que +Jésus-Christ? Ne serait-ce pas une plus grande perte que si vous aviez +perdu le monde entier? + +2. Que peut vous donner le monde sans Jésus? + +Être sans Jésus, c'est un insupportable enfer; être avec Jésus, c'est un +paradis de délices. + +Si Jésus est avec vous, nul ennemi ne pourra vous nuire. + +Qui trouve Jésus, trouve un trésor immense, ou plutôt un bien au-dessus +de tout bien. + +Qui perd Jésus, perd plus et beaucoup plus que s'il perdait le monde +entier. + +Vivre sans Jésus, c'est le comble de l'indigence; être uni à Jésus, +c'est posséder des richesses infinies. + +3. C'est un grand art que de savoir converser avec Jésus; et une grande +prudence que de savoir le retenir près de soi. + +Soyez humble et pacifique, et Jésus sera avec vous. + +Que votre vie soit pieuse et calme, et Jésus demeurera près de vous. + +Vous éloignerez bientôt Jésus, et vous perdrez sa grâce, si vous voulez +vous répandre au dehors. + +Et si vous l'éloignez et le perdez, qui sera votre refuge, et quel autre +ami chercherez-vous? + +Vous ne sauriez vivre heureux sans ami, et si Jésus n'est pas pour vous +un ami au-dessus de tous les autres, n'attendez que tristesse et +désolation. + +Qu'insensés vous êtes, si vous mettez en quelqu'autre votre confiance ou +votre joie! + +Il vaudrait mieux avoir le monde entier contre vous, que d'être dans la +disgrâce de Jésus. + +Qu'il vous soit donc plus cher que tout ce qui vous est cher. + +4. Aimez tous les autres pour Jésus, et Jésus pour lui-même. + +Lui seul doit être aimé uniquement, parce qu'il est le seul ami bon, +fidèle, entre tous les amis. + +Aimez en lui et à cause de lui, vos amis et vos ennemis, et priez-le +pour tous, afin que tous le connaissent et l'aiment. + +Ne souhaitez jamais d'obtenir aucune préférence dans l'estime ou l'amour +des hommes: car cela n'appartient qu'à Dieu, qui n'a point d'égal. + +Ne désirez point que quelqu'un s'occupe de vous dans son coeur, et ne +soyez vous-même préoccupé de l'amour de personne; mais que Jésus soit en +vous et en tout homme de bien. + +5. Soyez pur et libre au dedans, sans aucune attache à la créature. + +Il vous faut être dépouillé de tout, et offrir à Dieu un coeur pur, si +vous voulez être libre, et goûter combien le Seigneur est doux. + +Et certes, jamais vous n'y parviendrez, si sa grâce ne vous prévient et +ne vous attire; de sorte qu'ayant exclu et banni tout le reste, vous +soyez seul uni à lui seul. + +Car, lorsque la grâce de Dieu visite l'homme, alors il peut tout; et +quand elle se retire, alors il est pauvre et infirme, et ne semble +réservé qu'aux châtiments. + +En cet état même, il ne doit ni se laisser abattre ni désespérer; mais +il doit se soumettre avec calme à la volonté de Dieu, et souffrir, pour +l'amour de Jésus-Christ, tout ce qui lui arrive: car l'été succède à +l'hiver, après la nuit revient le jour, et après la tempête une grande +sérénité. + + +RÉFLEXION. + + L'amour a fait descendre le fils de Dieu sur la terre: l'amour nous + élève jusqu'à lui. Alors il s'établit entre notre âme et Jésus, comme + une union ravissante; alors s'accomplit cette promesse: _je ne vous + laisserai pas orphelin, je viendrai à vous_[117]. Venez donc, ô mon + Jésus, venez briser les derniers liens qui m'attachent aux créatures + et retardent l'heureux moment où je ne vivrai plus que pour vous. + Faites que, m'oubliant moi-même, je ne voie, je ne désire que vous + seul, et me repose sur votre sein comme le disciple bien-aimé, dans + cette paix délicieuse que _le monde ne donne pas_[118], qu'il ne peut + même comprendre, mais aussi que ses orages ne sauraient troubler. + + [117] Joann., XIV, 18. + + [118] _Ibid._, 27. + + + + +CHAPITRE IX. + +De la privation de toute consolation. + + +1. Il n'est pas difficile de mépriser les consolations humaines, quand +on jouit des consolations divines. + +Mais il est grand et très-grand de consentir à être privé tout à la fois +des consolations des hommes et de celles de Dieu, de supporter +volontairement pour sa gloire cet exil du coeur, de ne se rechercher en +rien, et de ne faire aucun retour sur ses propres mérites. + +Qu'y a-t-il d'étonnant, si vous êtes rempli d'allégresse et de ferveur +lorsque la grâce descend en vous? C'est pour tous l'heure désirable. + +Il avance aisément et avec joie, celui que la grâce soulève. + +Comment sentirait-il son fardeau, quand il est porté par le +Tout-Puissant, et conduit par le guide suprême? + +2. Toujours nous cherchons quelque soulagement, et difficilement l'homme +se dépouille de lui-même. + +Fidèle à son évêque, le saint martyr Laurent vainquit le siècle, parce +qu'il méprisa tout ce que le monde offre de séduisant, et qu'il souffrit +en paix, pour l'amour de Jésus-Christ, d'être séparé du souverain prêtre +de Dieu, de Sixte, qu'il aimait avec une vive tendresse. + +Par l'amour du Créateur, surmontant l'amour de l'homme, aux consolations +humaines il préféra le bon plaisir divin. + +Et vous aussi, apprenez donc à quitter, pour l'amour de Dieu, l'ami le +plus cher et le plus intime. + +Et ne murmurez point, s'il arrive que votre ami vous abandonne, sachant +qu'après tout il faut bien un jour se séparer tous. + +3. Ce n'est pas sans combattre beaucoup et longtemps en lui-même, que +l'homme apprend à se vaincre pleinement, et à reporter en Dieu toutes +ses affections. + +Lorsqu'il s'appuie sur lui-même, il se laisse aisément aller aux +consolations humaines. + +Mais celui qui a vraiment l'amour de Jésus-Christ, et le zèle de la +vertu, ne cède point à l'attrait des consolations, et ne cherche point +les douceurs sensibles: il désire plutôt de fortes épreuves, et de +souffrir de durs travaux pour Jésus-Christ. + +4. Quand donc Dieu vous accorde quelque consolation spirituelle, +recevez-la avec action de grâces; mais reconnaissez-y le don de Dieu, et +non votre propre mérite. + +Ne vous en élevez pas, n'en ayez point trop de joie, n'en concevez pas +une vaine présomption. Que cette grâce, au contraire, vous rende plus +humble, plus vigilant, plus timide dans toutes vos actions: car ce +moment passera et sera suivi de la tentation. + +Quand la consolation vous est ôtée, ne vous découragez pas aussitôt; +mais attendez avec humilité et avec patience que Dieu vous visite de +nouveau: car il est tout-puissant pour vous consoler encore plus. + +Cela n'est ni nouveau ni étrange pour ceux qui ont l'expérience des +voies de Dieu: les grands Saints et les anciens prophètes ont souvent +éprouvé ces vicissitudes. + +5. Un d'eux, sentant la présence de la grâce, s'écriait: _J'ai dit dans +mon abondance: Je ne serai jamais ébranlé!_ Mais la grâce s'étant +retirée, il ajoutait: _Vous avez détourné de moi votre face, et j'ai été +rempli de trouble_[119]. + + [119] Ps. XXIX, 7, 8. + +Dans ce trouble, cependant, il ne désespère point, mais il prie le +Seigneur avec plus d'instance, disant: _Seigneur, je crierai vers vous, +et j'implorerai mon Dieu_[120]. + + [120] _Ibid._, 9. + +Enfin il recueille le fruit de sa prière, et il témoigne qu'il a été +exaucé: _Le Seigneur m'a écouté, et il a eu pitié de moi: le Seigneur +s'est fait mon appui_[121]. + + [121] _Ibid._, 11. + +Mais comment? _Vous avez_, dit-il, _changé mes gémissements en chants +d'allégresse, et vous m'avez environné de joie_[122]. + + [122] _Ibid._, 12. + +Or, puisque Dieu en use ainsi avec les plus grands Saints, nous ne +devons pas perdre courage, pauvres infirmes que nous sommes, si +quelquefois nous éprouvons de la ferveur et quelquefois du +refroidissement: car l'esprit de Dieu vient et se retire comme il lui +plaît. Ce qui faisait dire au bienheureux Job: _Vous visitez l'homme dès +le matin, et aussitôt vous l'éprouvez_[123]. + + [123] Job, VII, 18. + +6. En quoi donc espérer, et en quoi mettre ma confiance, si ce n'est +uniquement dans la grande miséricorde de mon Dieu et dans l'attente de +la grâce céleste? + +Car, soit que j'aie près de moi des hommes vertueux, des religieux +fervents, des amis fidèles; soit que je lise de saints livres et +d'éloquents traités; soit que j'entende le doux chant des hymnes; tout +cela aide peu et ne touche guère, quand la grâce se retire, et que je +suis délaissé dans ma propre indigence. + +Alors il n'est point de meilleur remède qu'une humble patience, et +l'abandon de soi-même à la volonté de Dieu. + +7. Je n'ai jamais rencontré d'homme si pieux et si parfait, qui n'ait +éprouvé quelquefois cette privation de la grâce, et une diminution de +ferveur. + +Nul Saint n'a été ravi si haut ni si rempli de lumières, qu'il n'ait été +tenté avant ou après. + +Car il n'est pas digne d'être élevé jusqu'à la contemplation de Dieu +celui qui n'a pas souffert pour Dieu quelque tribulation. + +La tentation annonce d'ordinaire la consolation qui doit suivre. + +Car la consolation céleste est promise à ceux qu'a éprouvés la +tentation. _Celui qui vaincra_, dit le Seigneur, _je lui donnerai à +manger du fruit de l'arbre de vie_[124]. + + [124] Apoc., II, 7. + +8. La consolation divine est donnée, afin que l'homme ait plus de force +pour soutenir l'adversité. + +La tentation vient après, afin qu'il ne s'enorgueillisse pas du bien. + +Car Satan ne dort point, et la chair n'est pas encore morte: c'est +pourquoi ne cessez de vous préparer au combat, parce qu'à droite et à +gauche sont des ennemis qui ne se reposent jamais. + + +RÉFLEXION. + + Bien que l'humanité sainte du Sauveur ne cessât de jouir, par son + intime union avec le Verbe divin, d'une paix et d'une joie + inaltérables, il ne laissait pas de ressentir souvent, dans la partie + inférieure de l'âme, les afflictions et les douleurs devenues + l'apanage de notre nature depuis le péché. Qui n'a présentes à + l'esprit ces grandes paroles: _Mon âme est triste jusqu'à la + mort_[125]. _Mon Père! mon Père! pourquoi m'avez-vous délaissé[126]?_ + Ainsi l'âme chrétienne, sans perdre sa paix, est éprouvée aussi par la + tristesse et les tribulations intérieures. Si elle goûtait toujours la + consolation, il serait à craindre qu'elle ne tombât peu à peu dans le + relâchement; et qu'aurait-elle d'ailleurs à offrir à son bien-aimé? + _La vertu se perfectionne dans l'infirmité_. C'est l'Apôtre qui nous + l'apprend, et il ajoute aussitôt: _Je me glorifierai donc dans mes + infirmités, afin que la vertu de Jésus-Christ habite en moi_[127]. + Cette espèce d'abandon, cet _exil du coeur_ nous rappelle vivement + notre misère, que nous oublions trop facilement, exerce notre foi, + notre amour, et nous maintient dans l'humilité. Gardez-vous donc, en + ces moments où Jésus paraît se retirer de vous, de fléchir sous le + poids de l'épreuve, et de vous laisser aller au découragement. «Un des + grands secours, dit un pieux auteur, pour bien porter sa croix, est + d'en ôter l'inquiétude, et de rendre cette peine tranquille par une + totale conformité à la divine volonté[128].» Au lieu de gémir et de + vous troubler, réjouissez-vous plutôt; car il est écrit: _Ceux qui + sèment dans les larmes moissonnent dans l'allégresse. Ils allaient et + pleuraient en répandant des semences; ils reviendront pleins de joie, + portant des gerbes dans leurs mains_[129]. + + [125] Matth., XXVI, 38. + + [126] _Ibid._, XXVII, 46. + + [127] II. Cor., XII, 9. + + [128] Boudon, les Saintes Voies de la Croix, liv. II, chap. III. + + [129] Ps. CXXV, 5. 6. + + + + +CHAPITRE X. + +De la reconnaissance pour la grâce de Dieu. + + +1. Pourquoi cherchez-vous le repos, lorsque vous êtes né pour le +travail? + +Disposez-vous à la patience plutôt qu'aux consolations, et à porter la +croix plutôt qu'à goûter la joie. + +Quel est l'homme du siècle qui ne reçût volontiers les joies et les +consolations spirituelles, s'il pouvait en jouir toujours? + +Car les consolations spirituelles surpassent toutes les délices du monde +et toutes les voluptés de la chair. + +Toutes les délices du monde sont ou honteuses ou vaines; les délices +spirituelles sont seules douces et chastes, nées des vertus et répandues +par Dieu dans les coeurs purs. + +Mais nul ne peut jouir, toujours à son gré, des consolations divines; +parce que la tentation ne cesse jamais longtemps. + +2. Une fausse liberté d'esprit et une grande confiance en soi-même +forment un grand obstacle aux visites d'en haut. + +Dieu accorde à l'homme un grand bien en lui donnant la grâce de la +consolation; mais l'homme fait un grand mal, quand il ne remercie pas +Dieu de ce don, et ne le lui rapporte pas tout entier. + +Si la grâce ne coule point abondamment sur nous, c'est que nous sommes +ingrats envers son Auteur, et que nous ne remontons point à sa source +première. + +Car la grâce n'est jamais refusée à celui qui la reçoit avec gratitude, +et Dieu ordinairement donne à l'humble ce qu'il ôte au superbe. + +3. Je ne veux point de la consolation qui m'ôte la componction; je +n'aspire point à la contemplation qui conduit à l'orgueil. + +Car tout ce qui est élevé n'est pas saint; tout ce qui est doux n'est +pas bon; tout désir n'est pas pur; tout ce qui est cher à l'homme n'est +pas agréable à Dieu. + +J'aime une grâce qui me rend plus humble, plus vigilant, plus prêt à me +renoncer moi-même. + +L'homme instruit par le don de la grâce, et par sa privation, n'osera +s'attribuer aucun bien; mais plutôt il confessera son indigence et sa +nudité. + +Donnez à Dieu ce qui est à Dieu; et ce qui est de vous, ne l'imputez +qu'à vous. Rendez gloire à Dieu de ses grâces, et reconnaissez que, +n'ayant rien à vous que le péché, rien ne vous est dû que la peine du +péché. + +4. _Mettez-vous_ toujours _à la dernière place_[130], et la première +vous sera donnée; car ce qui est le plus élevé s'appuie sur ce qui est +le plus bas. + + [130] Luc, XIV, 10. + +Les plus grands Saints aux yeux de Dieu, sont les plus petits à leurs +propres yeux; et plus leur vocation est sublime, plus ils sont humbles +dans leur coeur. + +Pleins de la vérité et de la gloire céleste, ils ne sont pas avides +d'une gloire vaine. + +Fondés et affermis en Dieu, ils ne sauraient s'élever en eux-mêmes. + +Rapportant à Dieu tout ce qu'ils ont reçu de bien, ils ne recherchent +point la gloire que donnent les hommes, et ne veulent que celle qui +vient de Dieu seul: leur unique but, leur désir unique, est qu'il soit +glorifié en lui-même et dans tous les Saints, par-dessus toutes choses. + +5. Soyez donc reconnaissant des moindres grâces, et vous mériterez d'en +recevoir de plus grandes. + +Que le plus léger don, la plus petite faveur, aient pour vous autant de +prix que le don le plus excellent et la faveur la plus singulière. + +Si vous considérez la grandeur de celui qui donne, rien de ce qu'il +donne ne vous paraîtra petit ni méprisable: car peut-il être quelque +chose de tel dans ce qui vient d'un Dieu infini? + +Vous envoie-t-il des peines et des châtiments, recevez-les encore avec +joie: car c'est toujours pour notre salut qu'il fait ou qu'il permet +tout ce qui nous arrive. + +Voulez-vous conserver la grâce de Dieu, soyez reconnaissant lorsqu'il +vous la donne, patient lorsqu'il vous l'ôte. Priez pour qu'elle vous +soit rendue, et soyez humble et vigilant pour ne pas la perdre. + + +RÉFLEXION. + + L'homme est si pauvre, qu'il n'a pas même une bonne pensée, un bon + désir, qui ne lui vienne d'en haut. De lui-même il ne peut rien, pas + même souhaiter d'être affranchi de sa misère, qu'il ne connaît que par + une lumière surnaturelle... Si la divine miséricorde ne le prévenait, + il languirait dans une éternelle impuissance de tout bien. Plus la + grâce donc lui est donnée avec abondance, plus il a raison de + s'humilier, en voyant ce qu'il serait sans elle, ce qu'il est par son + propre fonds. Créature insensée, qui t'enorgueillis des dons de Dieu, + _qu'as-tu que tu n'aies reçu? et si tu l'as reçu, pourquoi te + glorifier, comme si tu ne l'avais pas reçu_[131]? Il faut que + l'orgueil plie sous cette parole, et que l'homme tout entier + s'anéantisse en présence de celui qui seul le retire de l'abîme où le + péché l'avait précipité. Il ne se relève qu'en s'abaissant; ce qui + faisait dire à saint Paul: _Quand je me sens faible, c'est alors que + suis fort_[132]. Je vous comprends, ô grand Apôtre! ce sentiment qui + vous humilie appelle la grâce promise _aux humbles_[133], et par elle + vous êtes revêtu de la force de Dieu même. Que ne devons-nous point à + ce Dieu de bonté, et que lui rendrons-nous pour tant de bienfaits? + Hélas! dans notre indigence, nous n'avons à lui offrir que notre + coeur, et c'est aussi tout ce qu'il demande de sa pauvre créature. Que + ce coeur au moins lui appartienne sans réserve; que rien ne le + partage; qu'il ne veuille, qu'il ne goûte que Dieu, ne vive que de son + amour; et qu'ainsi commence sur la terre cette union ravissante qui + sera plus tard notre éternelle félicité! + + [131] I. Cor., IV, 7. + + [132] II. Cor., XII, 10. + + [133] Jacob, IV, 6. + + + + +CHAPITRE XI. + +Du petit nombre de ceux qui aiment la Croix de JÉSUS-CHRIST. + + +1. Il y en a beaucoup gui désirent le céleste royaume de Jésus, mais peu +consentent à porter sa Croix. + +Beaucoup souhaitent ses consolations, mais peu aiment ses souffrances. + +Il trouve beaucoup de compagnons de sa table, mais peu de son +abstinence. + +Tous veulent partager sa joie, mais peu veulent souffrir quelque chose +pour lui. + +Plusieurs suivent Jésus jusqu'à la fraction du pain, mais peu jusqu'à +boire le Calice de sa Passion. + +Plusieurs admirent ses miracles, mais peu goûtent l'ignominie de sa +Croix. + +Plusieurs aiment Jésus, pendant qu'il ne leur arrive aucune adversité. + +Plusieurs le louent et le bénissent, tandis qu'ils reçoivent ses +consolations. + +Mais si Jésus se cache et les délaisse un moment, ils tombent dans le +murmure, ou dans un excessif abattement. + +2. Mais ceux qui aiment Jésus pour Jésus, et non pour eux-mêmes, le +bénissent dans toutes les tribulations et dans l'angoisse du coeur, +comme dans les consolations les plus douces. + +Et quand il ne voudrait jamais les consoler, toujours cependant ils le +loueraient, toujours ils lui rendraient grâces. + +3. Oh! que ne peut l'amour de Jésus, quand il est pur et sans aucun +mélange d'amour ni d'intérêt propre! + +Ne sont-ce pas des mercenaires, ceux qui cherchent toujours des +consolations? + +Ne prouvent-ils pas qu'ils s'aiment eux-mêmes plus que Jésus-Christ, +ceux qui pensent toujours à leur gain et à leurs avantages? + +Où trouvera-t-on quelqu'un qui veuille servir Dieu pour Dieu seul? + +4. Rarement on rencontre un homme assez avancé dans les voies +spirituelles pour être dépouillé de tout. + +Car le véritable pauvre d'esprit, détaché de toute créature, qui le +trouvera? _Il faut le chercher bien loin, et jusqu'aux extrémités de la +terre_[134]. + + [134] Prov., XXXI, 10. + +_Si l'homme donne tout ce qu'il possède, ce n'est encore rien_[135]. + + [135] Cant., _VIII_, 7 + +S'il fait une grande pénitence, c'est peu encore. + +Et s'il embrasse toutes les sciences, il est encore loin. + +Et s'il a une grande vertu et une piété fervente, il lui manque encore +beaucoup, il lui manque une chose souverainement nécessaire. + +Qu'est-ce donc? C'est qu'après avoir tout quitté, il se quitte aussi +lui-même, et se dépouille entièrement de l'amour de soi. + +C'est, enfin, qu'après avoir fait tout ce qu'il sait devoir faire, il +pense encore n'avoir rien fait. + +5. Qu'il estime peu ce qu'on pourrait regarder comme quelque chose de +grand, et qu'en toute sincérité il confesse qu'il est un serviteur +inutile, selon la parole de la Vérité: _Quand vous aurez fait tout ce +qui vous est commandé, dites: Nous sommes des serviteur inutiles_[136]. + + [136] Luc., XVII, 10. + +Alors il sera vraiment pauvre et séparé de tout en esprit, et il pourra +dire avec le Prophète: _Oui, je suis pauvre et seul dans le monde_[137]. + + [137] Ps. XXIV, 17. + +Nul cependant n'est plus riche, plus puissant, plus libre, que celui qui +sait quitter tout, et soi-même, et se mettre au dernier rang. + + +RÉFLEXION. + + Il faut aimer Dieu pour Dieu même, et non pas à cause de la joie que + l'on goûte à le servir: car, s'il nous retirait ses consolations, que + deviendrait cet amour mercenaire? Celui qui se cherche encore en + quelque chose, ne sait point aimer. Regardez votre modèle, contemplez + Jésus, il ne s'est recherché en rien: _Christus non sibi + placuit_[138]. Il a tout sacrifié pour vous, son repos, sa vie, sa + volonté même: _Non pas ce que je veux_, disait-il, _mais ce que vous + voulez_[139]. Il a tout souffert jusqu'à la croix, jusqu'au + délaissement de son Père: _Mon Dieu! pourquoi m'avez-vous + abandonné[140]?_ Entrons, à son exemple, dans cet esprit de sacrifice; + et détachés désormais de tout intérêt propre, acceptons, avec une + égale sérénité, les biens et les maux, les peines et les joies, en + sorte que, n'ayant de pensées, de désirs que ceux de Jésus, nous + soyons _consommés avec lui dans cette unité parfaite_[141], que, près + de quitter ce monde, il demandait pour nous à son Père, comme le + dernier et le plus grand de ses dons. + + [138] Rom., XV, 3. + + [139] Matth., XXVI, 19. + + [140] _Ibid._, XXVII, 46. + + [141] Joann., XVII, 23. + + + + +CHAPITRE XII. + +De la sainte voie de la Croix. + + +1. Cette parole semble dure à plusieurs: _Renoncez à vous-même, prenez +votre croix, et suivez_[142] Jésus. + + [142] Luc., IX, 23. + +Mais il sera bien plus dur, au dernier jour, d'entendre cette parole: +_Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu éternel_[143]! + + [143] Matth., XXV, 41. + +Ceux qui écoutent maintenant volontiers la parole qui commande de porter +la Croix, et qui y obéissent, ne craindront point alors d'entendre +l'arrêt d'une éternelle condamnation. + +_Ce signe de la Croix sera dans le Ciel, lorsque le Seigneur viendra +pour juger_[144]. + + [144] _Ibid._, XXIV, 30. + +Alors tous les disciples de la Croix, qui auront imité, pendant leur +vie, Jésus crucifié, s'approcheront avec une grande confiance de +Jésus-Christ juge. + +2. Pourquoi donc craignez-vous de porter la Croix par laquelle on arrive +au royaume du Ciel? + +Dans la Croix est le salut, dans la Croix la vie, dans la Croix la +protection contre nos ennemis. + +C'est de la Croix que découlent les suavités célestes. + +Dans la Croix est la force de l'âme, dans la Croix la joie de l'esprit, +la consommation de la vertu, la perfection de la sainteté. + +Il n'y a de salut pour l'âme, ni d'espérance de vie éternelle, que dans +la Croix. + +Prenez donc votre Croix, et suivez Jésus, et vous parviendrez à +l'éternelle vie. + +Il vous a précédé portant sa Croix, et il est mort pour vous sur la +Croix, afin que vous aussi vous portiez votre Croix, et que vous +aspiriez à mourir sur la Croix. + +_Car si vous mourez avec lui, vous vivrez aussi avec lui_[145]; et si +vous partagez ses souffrances, vous partagerez sa gloire. + + [145] Rom., VI, 8. + +3. Ainsi tout est dans la Croix, et tout consiste à mourir. Il n'est +point d'autre voie qui conduise à la vie et à la véritable paix du +coeur, que la voie de la Croix et d'une mortification continuelle. + +Allez où vous voudrez, cherchez tout ce que vous voudrez, et vous ne +trouverez pas au-dessus une voie plus élevée, au-dessous une voie plus +sûre que la voie de la sainte Croix. + +Disposez de tout selon vos vues, réglez tout selon vos désirs, et +toujours vous trouverez qu'il vous faut souffrir quelque chose, que vous +le vouliez ou non; et ainsi vous trouverez toujours la Croix. + +Car, ou vous sentirez de la douleur dans le corps, ou vous éprouverez de +l'amertume dans l'âme. + +4. Tantôt vous serez délaissé de Dieu, tantôt exercé par le prochain, et +ce qui est plus encore, vous serez souvent à charge de vous-même. Vous +ne trouverez à vos peines aucun remède, aucun soulagement; mais il vous +faudra souffrir aussi longtemps que Dieu le voudra. + +Car Dieu veut que vous appreniez à souffrir sans consolation, et que +vous vous soumettiez à lui sans réserve, et que vous deveniez plus +humble par la tribulation. + +Nul n'a si avant dans son coeur la Passion de Jésus-Christ, que celui +qui a souffert quelque chose de semblable. + +La Croix est donc toujours préparée; elle vous attend partout. + +Vous ne pouvez la fuir, quelque part que vous alliez, puisque partout où +vous irez, vous vous porterez et vous trouverez toujours vous-même. + +Élevez-vous, abaissez-vous, sortez de vous-même, rentrez-y: toujours +vous trouverez la Croix; et il faut que partout vous preniez patience, +si vous voulez posséder la paix intérieure et mériter la couronne +immortelle. + +5. Si vous portez de bon coeur la Croix, elle-même vous portera, et vous +conduira au terme désiré, où vous cesserez de souffrir: mais ce ne sera +pas en ce monde. + +Si vous la portez à regret, vous en augmentez le poids, vous rendez +votre fardeau plus dur; et cependant il vous faut la porter. + +Si vous rejetez une Croix, vous en trouverez certainement une autre, et +peut-être plus pesante. + +6. Croyez-vous échapper à ce que nul homme n'a pu éviter? Quel Saint a +été en ce monde sans Croix et sans tribulation? + +Jésus-Christ lui-même, Notre-Seigneur, n'a pas été une seule heure, dans +toute sa vie, sans éprouver quelques souffrances: _Il fallait, dit-il, +que le Christ souffrît, et qu'il ressuscitât d'entre les morts, et qu'il +entrât ainsi dans sa gloire_[146]. + + [146] Luc., XXIV, 26, 46. + +Comment donc cherchez-vous une autre voie, que la voie royale de la +sainte Croix? + +7. Toute la vie de Jésus-Christ n'a été qu'une Croix et un long martyre: +et vous cherchez le repos et la joie! + +Vous vous trompez, n'en doutez pas, vous vous trompez lamentablement, si +vous cherchez autre chose que des afflictions à souffrir; car toute +cette vie mortelle est pleine de misères et environnée de Croix. + +Et plus un homme aura fait de progrès dans les voies spirituelles, plus +ses Croix souvent seront pesantes; parce que l'amour lui rend son exil +plus douloureux. + +8. Cependant celui que Dieu éprouve par tant de peines, n'est pas sans +consolations qui les adoucissent; parce qu'il sent s'accroître les +fruits de sa patience à porter sa Croix. + +Car lorsqu'il s'incline volontairement sous elle, l'affliction qui +l'accablait se change tout entière en une douce confiance qui le +console. + +Et plus la chair est affligée, brisée, plus l'esprit est fortifié +intérieurement par la grâce. + +Quelquefois même le désir de souffrir, pour être conforme à Jésus +crucifié, lui inspire tant de force, qu'il ne voudrait pas être exempt +de tribulations et de douleur, parce qu'il se croit d'autant plus +agréable à Dieu, qu'il souffre pour lui davantage. + +Ce n'est point là la vertu de l'homme, mais la grâce de Jésus-Christ, +qui opère si puissamment dans une chair infirme, que tout ce qu'elle +abhorre et fuit naturellement, elle l'embrasse et l'aime par la ferveur +de l'esprit. + +9. Il n'est pas selon l'homme de porter la Croix, d'aimer la Croix, de +châtier le corps, de le réduire en servitude, de fuir les honneurs, de +souffrir volontiers les outrages, de se mépriser soi-même et de +souhaiter d'être méprisé, de supporter les afflictions et les pertes, et +de ne désirer aucune prospérité dans ce monde. + +Si vous ne regardez que vous, vous ne pouvez rien de tout cela. + +Mais si vous vous confiez dans le Seigneur, la force vous sera donnée +d'en haut, et vous aurez pouvoir sur la chair et le monde. + +Vous ne craindrez pas même le démon, votre ennemi, si vous êtes armé de +la foi et marqué de la Croix de Jésus-Christ. + +10. Disposez-vous donc, comme un bon et fidèle serviteur de +Jésus-Christ, à porter courageusement la Croix de votre maître, crucifié +par amour pour vous. + +Préparez-vous à souffrir mille adversités, mille traverses dans cette +misérable vie: car voilà partout ce qui vous attend, ce que vous +trouverez partout, en quelque lieu que vous vous cachiez. + +Il faut qu'il en soit ainsi: et à cette foule de maux et de douleurs, il +n'y a d'autre remède que de vous supporter vous-même. + +Buvez avec joie le calice du Sauveur, si son amour vous est cher et si +vous désirez avoir part à sa gloire. + +Laissez Dieu disposer de ses consolations: qu'il les répande comme il +lui plaira. + +Pour vous, choisissez les souffrances, et regardez-les comme des +consolations d'un grand prix: _car toutes les souffrances du temps n'ont +aucune proportion avec la gloire future, et ne sauraient vous la +mériter_[147], quand seul vous les supporteriez toutes. + + [147] Rom., VIII, 18. + +11. Lorsque vous en serez venu à trouver la souffrance douce, et à +l'aimer pour Jésus-Christ, alors estimez-vous heureux, parce que vous +avez trouvé le Paradis sur la terre. + +Mais tandis que la souffrance vous sera amère, et que vous la fuirez, +vous vivrez dans le trouble; et la tribulation que vous fuirez vous +suivra partout. + +12. Si vous vous appliquez à être ce que vous devez être, à souffrir et +à mourir, bientôt vos peines s'adouciront, et vous aurez la paix. + +Quand vous auriez été ravi, avec Paul, jusqu'au troisième Ciel, vous ne +seriez pas pour cela assuré de ne rien souffrir. _Je lui montrerai_, dit +Jésus, _combien il faut qu'il souffre pour mon nom_[148]. + + [148] Act., IX, 16. + +Il ne vous reste donc qu'à souffrir, si vous voulez aimer Jésus et le +servir constamment! + +13. Plût à Dieu que vous fussiez digne de souffrir quelque chose pour le +nom de Jésus! Quelle gloire vous serait réservée! Quelle joie parmi tous +les Saints! Quelle édification pour le prochain! + +Car tous recommandent la patience, quoique peu cependant veuillent +souffrir. + +Avec quelle joie vous devriez souffrir quelque chose pour Jésus, lorsque +tant d'autres souffrent beaucoup plus pour le monde! + +14. Sachez, et croyez fermement, que votre vie doit être une mort +continuelle; et que plus on meurt à soi-même, plus on commence à vivre +pour Dieu. + +Nul n'est propre à comprendre les choses du Ciel, s'il ne se soumet à +supporter les adversités pour Jésus-Christ. + +Rien n'est plus agréable à Dieu, rien ne vous est plus salutaire en ce +monde, que de souffrir avec joie pour Jésus-Christ; et si vous aviez à +choisir, vous devriez plutôt souhaiter d'être affligé pour lui, que +d'être comblé de consolations, parce que vous seriez alors plus +semblable à Jésus-Christ et plus conforme à tous les Saints. + +Car notre mérite et notre progrès dans la perfection ne consistent point +dans la douceur et l'abondance des consolations, mais plutôt dans la +force de supporter de grandes tribulations et de pesantes épreuves. + +15. S'il y avait eu, pour l'homme, quelque chose de meilleur et de plus +utile que de souffrir, Jésus-Christ nous l'aurait appris par ses paroles +et par son exemple. + +Or, manifestement il exhorte à porter la croix, et les disciples qui le +suivaient, et tous ceux qui voudraient le suivre, disant: _Si quelqu'un +veut marcher sur mes pas, qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa croix +et qu'il me suive_[149]. + + [149] Matth., XVI, 24. + +Après donc avoir tout lu et tout examiné, concluons enfin qu'_il nous +faut passer par beaucoup de tribulations pour entrer dans le royaume de +Dieu_[150]. + + [150] Act., XIV, 21. + + +RÉFLEXION. + + La doctrine de la Croix, _scandale pour les Juifs et folie pour les + Gentils_[151], est ce que les hommes comprennent le moins. Qu'un Dieu + soit mort pour les sauver, leur raison s'abaissera devant ce mystère; + mais qu'ils doivent s'associer à cet étonnant sacrifice, en mourant à + eux-mêmes, à leurs passions, à leurs volontés, à leurs désirs, voilà + ce qui les révolte, et leur fait dire comme les Capharnaïtes: _Cette + parole est dure, et qui peut l'entendre_[152]? Il faut bien pourtant + que nous l'entendions, car notre salut dépend de là. Le ciel était + séparé de la terre, la Croix les a réunis; et c'est du pied de la + Croix que part tout ce qui va jusqu'au Ciel. Pressons-nous donc contre + la Croix; qu'elle soit ici-bas notre consolation, comme elle est notre + force. Lorsque, dans sa bonté, Dieu nous envoie quelque épreuve, + disons avec saint André: _Ô douce Croix! si longtemps désirée, et + préparée maintenant pour cette âme qui la souhaitait ardemment!_ Tout + les Saints ont senti ce désir, tous ont tenu ce langage. _Souffrir ou + mourir_, répétait souvent sainte Thérèse; et, dans la souffrance, elle + trouvait plus de paix et de bonheur que n'en goûteront jamais ceux que + le monde appelle heureux. Une seule larme versée aux pieds de Jésus + est plus délicieuse mille fois que tous les plaisirs du siècle. + + [151] I. Cor., I, 23. + + [152] Joann., VI, 61. + + +FIN DU DEUXIÈME LIVRE. + + + + +L'IMITATION + +DE + +JÉSUS-CHRIST. + + + + +LIVRE TROISIÈME. + +DE LA VIE INTÉRIEURE. + + + + +CHAPITRE PREMIER. + +Des entretiens intérieurs de JÉSUS-CHRIST avec l'âme fidèle. + + +1. _J'écouterai ce que le Seigneur Dieu dit en moi_[153]. + + [153] Ps. LXXXIV, 8. + +Heureuse l'âme qui entend le Seigneur lui parler intérieurement, et qui +reçoit de sa bouche la parole de consolation! + +Heureuses les oreilles toujours attentives à recueillir ce souffle +divin, et sourdes aux bruits du monde! + +Heureuses encore une fois les oreilles qui écoutent, non la voix qui +retentit au dehors, mais la vérité qui enseigne au dedans! + +Heureux les yeux qui, fermés aux choses extérieures, ne contemplent que +les intérieures! + +Heureux ceux qui pénètrent les mystères que le coeur recèle, et qui, par +des exercices de chaque jour, tâchent de se préparer de plus en plus à +comprendre les secrets du Ciel! + +Heureux ceux dont la joie est de s'occuper de Dieu, et qui se dégagent +de tous les embarras du siècle! + +Considère ces choses, ô mon âme! et ferme la porte de tes sens, afin que +tu puisses entendre ce que le Seigneur ton Dieu dit en toi. + +2. Voici ce que dit ton bien-aimé: Je suis votre salut, votre paix et +votre vie. + +Demeurez près de moi, et vous trouverez la paix. Laissez là tout ce qui +passe; ne cherchez que ce qui est éternel. + +Que sont toutes les choses du temps, que des séductions vaines? et de +quoi vous serviront toutes les créatures, si vous êtes abandonné du +Créateur? + +Renoncez donc à tout, et occupez-vous de plaire à votre Créateur, et de +lui être fidèle, afin de parvenir à la vraie béatitude. + + +RÉFLEXION. + + Écoutons la sagesse incréée: _Mes délices_, dit-elle, _sont d'être + avec les enfants des hommes_[154]. Mais la plupart des hommes ne + comprenant pas son langage, ou craignant de l'entendre, s'éloignent + d'elle pour s'entretenir avec les créatures. _Elle est venue dans le + monde, et le monde ne l'a point connue_[155]. C'est pourquoi l'Apôtre + nous défend _d'aimer le monde, ni rien de ce qui est dans le + monde_[156], _parce qu'il appartient tout entier à l'esprit de + malice_[157]. Si donc nous voulons attirer en nous l'esprit de Dieu, + cet esprit dont _l'onction enseigne toutes choses_[158], séparons-nous + du monde; renonçons à ses maximes, à ses plaisirs, à ses sociétés + tumultueuses. Jésus ne se trouve qu'au désert; _sa voix ne retentit + pas dans les lieux publics_[159], au milieu des assemblées du siècle; + mais lorsqu'il a résolu de répandre ses faveurs sur l'âme fidèle, _il + la conduit dans la solitude, et là il parle à son coeur_[160]. Comment + peindre les délices de ce céleste entretien? Qui les a goûtées une + fois ne peut plus supporter les entretiens des hommes. Ô Jésus! parlez + à mon coeur, je veux désormais n'écouter que votre voix, dans le + silence de toutes les créatures. + + [154] Prov., VIII, 31. + + [155] Joan., I, 10. + + [156] I. Joan., II, 15. + + [157] _Ibid._, V. 19. + + [158] Ibid., II, 27. + + [159] Matth., XII, 19. + + [160] Osée, II, 14. + + + + +CHAPITRE II. + +La vérité parle au dedans de nous sans aucun bruit de paroles. + + +1. _Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur écoute._ + +_Je suis votre serviteur: donnez-moi l'intelligence, afin que je sache +vos témoignages_[161]. + + [161] I. Reg., III, 9; Ps. CXVIII, 125. + +_Inclinez mon coeur aux paroles de votre bouche; qu'elles tombent sur +lui comme une douce rosée_[162]. + + [162] Ps. CXVIII, 36. Deuter., XXXII, 2. + +Les enfants d'Israël disaient autrefois à Moïse: _Parlez-nous, et nous +vous écouterons: mais que le Seigneur ne nous parle point, de peur que +nous ne mourions_[163]. + + [163] Exod., XX, 19. + +Ce n'est pas là, Seigneur, ce n'est pas là ma prière; mais au contraire, +je vous implore, comme le prophète Samuel, avec un humble désir, disant: +_Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur écoute_[164]. + + [164] I Reg., III, 9. + +Que Moïse ne me parle point, ni aucun des prophètes; mais vous plutôt, +parlez, Seigneur mon Dieu, vous, la lumière de tous les prophètes, et +l'esprit qui les inspirait. Sans eux, vous pouvez seul pénétrer toute +mon âme de votre vérité; et sans vous, ils ne pourraient rien. + +2. Ils peuvent prononcer des paroles, mais non les rendre efficaces. + +Leur langage est sublime; mais si vous vous taisez, il n'échauffe point +le coeur. + +Ils exposent la lettre; mais vous en découvrez le sens. + +Ils proposent les mystères; mais vous rompez le sceau qui en dérobait +l'intelligence. + +Ils publient vos commandements; mais vous aidez à les accomplir. + +Ils montrent la voie; mais vous donnez des forces pour marcher. + +Ils n'agissent qu'au dehors; mais vous éclairez et instruisez les +coeurs. + +Ils arrosent extérieurement; mais vous donnez la fécondité. + +Leurs paroles frappent l'oreille; mais vous ouvrez l'intelligence. + +3. Que Moïse donc ne me parle point; mais vous, Seigneur mon Dieu, +éternelle vérité! parlez-moi, de peur que je ne meure, et que je +n'écoute sans fruit, si, averti seulement au dehors, je ne suis point +intérieurement embrasé; de peur que je ne trouve ma condamnation dans +votre parole, entendue sans être accomplie, connue sans être aimée, crue +sans être observée. + +_Parlez-moi donc, Seigneur, parce que votre serviteur écoute: vous avez +les paroles de la vie éternelle_[165]. + + [165] I Reg., III, 9; Joann., VI, 69. + +Parlez-moi pour consoler un peu mon âme, pour m'apprendre à réformer ma +vie; parlez-moi pour la louange, la gloire, l'honneur éternel de votre +nom. + + +RÉFLEXION. + + Il y a une voix qui nous parle intérieurement et comme dans le fond de + l'âme, lorsque fermant l'oreille au bruit des créatures, nous ne + voulons plus écouter que Dieu seul, et que nous l'appelons en nous de + toute l'ardeur de nos désirs. C'est cette voix qui, loin des hommes, + ravissait au désert les Paul, les Antoine, les Pacôme, et leur + révélait sans obscurité les secrets de la science divine. C'est cette + voix qui instruit les saints, les enflamme, les console et les enivre, + pour ainsi dire, de sa céleste douceur. Moïse et les prophètes étaient + voilés pour les disciples d'Emmaüs: Jésus vient, et, à sa voix, les + ombres qui offusquaient leur intelligence se dissipent; quelque chose + d'inconnu se remue en eux, de sorte qu'ils se disaient l'un à l'antre: + _Notre coeur n'était-il pas tout brûlant au dedans de nous, lorsqu'il + nous parlait dans le chemin, et nous ouvrait les Écritures_[166]? Et + nous, pauvres infortunés que le tumulte du monde distrait encore, que + ferons-nous? Ne voulons-nous point aussi entendre Jésus? Comme les + deux disciples, nous sommes en voyage; nous nous en allons vers + l'éternité. Jésus, dans son amour, _s'approche_ de nous; il se fait, + en quelque sorte, le compagnon de notre route[167]: mais, nous + trouvant si peu attentifs, il se retire, et nous marchons seuls. + Effrayante solitude! Ah! prenons garde que la nuit ne nous surprenne + près du terme! Hâtons-nous de rappeler le divin guide et disons-lui de + toute notre âme: _Seigneur demeurez avec nous, car le soir se fait et + déjà le jour baisse_[168]. + + [166] Luc., XXIV, 32. + + [167] _Ibid._, 15. + + [168] _Ibid._, 29. + + + + +CHAPITRE III. + +Qu'il faut écouter la parole de Dieu avec humilité, et que plusieurs ne +la reçoivent pas comme ils le devraient. + + +1. J.-C. Mon fils, écoutez mes paroles, paroles pleines de douceur, et +qui surpassent toute la science des philosophes et des sages du monde. + +_Mes paroles sont esprit et vie_[169], et l'on n'en doit pas juger par +le sens humain. + + [169] Joann., VI, 64. + +Il ne faut pas en tirer une vaine complaisance, mais les écouter en +silence, et les recevoir avec une humilité profonde et un ardent amour. + +2. LE F. Et j'ai dit: _Heureux celui que vous instruisez, Seigneur, et à +qui vous enseignez votre loi, afin de lui adoucir les jours mauvais, et +de ne pas le laisser sans consolation sur la terre_[170]. + + [170] Ps. XCIII, 12, 13. + +3. J.-C. C'est moi qui ai, dès le commencement, instruit les prophètes, +dit le Seigneur; et jusqu'à présent même, je ne cesse point de parler à +tous; mais plusieurs sont endurcis et sourds à ma voix. + +Le plus grand nombre écoute le monde de préférence à Dieu: ils aiment +mieux suivre les désirs de la chair que d'obéir à la volonté divine. + +Le monde promet peu de chose, et des choses qui passent, et on le sert +avec une grande ardeur: je promets des biens immenses, éternels, et le +coeur des hommes reste froid. + +Qui me sert et m'obéit en toutes choses, avec autant de soin qu'on sert +le monde et les maîtres du monde? + +_Rougis, Sidon, dit la mer_[171]; et si tu en demandes la cause, écoute, +voici pourquoi: + + [171] Is., XXIII, 4. + +Pour un petit avantage, on entreprend une longue route; et, pour la vie +éternelle, à peine en trouve-t-on qui veuillent faire un pas. + +On recherche le plus vil gain: on plaide honteusement quelquefois pour +une pièce de monnaie; sur une légère promesse et pour une chose de rien, +on ne craint pas de se fatiguer le jour et la nuit. + +Mais, ô honte! pour un bien immuable, pour une récompense infinie, pour +un honneur suprême et une gloire sans fin, on ne saurait se résoudre à +la moindre fatigue. + +4. Serviteur paresseux et toujours murmurant, rougis donc de ce qu'il y +ait des hommes plus ardents à leur perte que tu ne l'es à te sauver, et +pour qui la vanité a plus d'attrait que n'en a pour toi la vérité. + +Et cependant ils sont souvent abusés par leurs espérances; tandis que ma +promesse ne trompe point, et que jamais je ne me refuse à celui qui se +confie en moi. + +Ce que j'ai promis, je le donnerai: ce que j'ai dit, je l'accomplirai, +si toutefois l'on demeure avec fidélité dans mon amour jusqu'à la fin. + +C'est moi qui récompense les bons, et qui éprouve fortement les justes. + +5. Gravez mes paroles dans votre coeur, et méditez-les profondément: +car, à l'heure de la tentation, elles vous seront très-nécessaires. + +Ce que vous n'entendez pas en le lisant, vous le comprendrez au jour de +ma visite. + +J'ai coutume de visiter mes élus de deux manières: par la tentation et +par la consolation. + +Et tous les jours, je leur donne deux leçons; l'une en les reprenant de +leurs défauts, l'autre en les exhortant à avancer dans la vertu. + +_Celui qui reçoit ma parole, et qui la méprise, sera jugé par elle au +dernier jour_[172]. + + [172] Joann., XII, 48. + + +PRIÈRE + +POUR DEMANDER LA GRÂCE DE LA DÉVOTION. + +6. LE F. Seigneur, mon Dieu, vous êtes tout mon bien: et qui suis-je +pour oser vous parler? + +Je suis le plus pauvre de vos serviteurs, et un abject ver de terre, +beaucoup plus pauvre et plus méprisable que je ne sais et que je n'ose +dire. + +Souvenez-vous cependant, Seigneur, que je ne suis rien, que je n'ai +rien, que je ne puis rien. + +Vous êtes seul bon, juste et saint; vous pouvez tout, vous donnez tout, +vous remplissez tout, hors le pécheur que vous laissez vide. + +_Souvenez-vous de vos miséricordes_[173], et remplissez mon coeur de +votre grâce, vous qui ne voulez point qu'aucun de vos ouvrages demeure +vide. + + [173] Ps. XXIV, 6. + +7. Comment puis-je, en cette misérable vie, porter le poids de moi-même, +si votre miséricorde et votre grâce ne me fortifient? + +Ne détournez pas de moi votre visage; ne différez pas à me visiter; ne +me retirez point votre consolation, de peur que, _privée de vous, mon +âme ne devienne comme une terre sans eau_[174]. + + [174] Ps. CXLII, 6. + +_Seigneur, apprenez-moi à faire votre volonté_[175]; apprenez-moi à +vivre d'une vie humble et digne de vous. + + [175] _Ibid._, 10. + +Car vous êtes ma sagesse, vous me connaissez dans la vérité, et vous +m'avez connu avant que je fusse au monde, et avant même que le monde +fût. + + +RÉFLEXION. + + Rien de plus rare qu'un désir sincère du salut; et c'est ce qui doit + nous faire trembler, car notre sort à chacun sera ce que nous l'aurons + fait: Dieu nous aide, il vient par sa grâce au secours du libre + arbitre, mais il ne le contraint pas. Or que voyons-nous? Quel + spectacle nous offre le monde? Nous ne parlons point ici de l'impie + résolu à se perdre, et déjà marqué du sceau de la réprobation: nous + parlons de ceux qui se disent, qui se croient les disciples de + Jésus-Christ. Dans la spéculation, ces chrétiens veulent se sauver; + mais ils veulent en même temps, ils veulent surtout posséder les biens + et goûter les jouissances de la terre. Ils donneront à Dieu, en + passant, quelques prières obligées; ils s'informeront de sa loi pour + connaître ce qu'elle commande strictement: puis, tranquilles de ce + côté, ils se jetteront à la poursuite des honneurs, des richesses, des + plaisirs qu'ils nomment légitimes, ou ils s'endormiront dans une vie + de mollesse permise à leurs yeux, parce qu'elle ne viole en apparence + aucun précepte formel. Mais dans tout cela, où est la foi qui doit + régler toutes nos actions sur la vue de l'éternité? Où est l'amour + perpétuellement occupé de son objet, l'amour avide de sacrifices? Où + est la pénitence? Où est la Croix? Ô Dieu! et c'est là désirer le + salut! N'est-il donc pas écrit que _celui qui cherche son âme la + perdra_[176]? Que chacun se juge sur cette parole avant le jour + terrible où le Seigneur lui-même le jugera. + + [176] Luc., XVII, 33. + + + + +CHAPITRE IV. + +Qu'il faut marcher en présence de Dieu dans la vérité et l'humilité. + + +1. J.-C. Mon fils, marchez devant moi dans la vérité, et cherchez-moi +toujours dans la simplicité de votre coeur. + +Celui qui marche devant moi dans la vérité ne craindra nulle attaque; la +vérité le délivrera des calomnies et des séductions des méchants. + +Si la vérité vous délivre, vous serez vraiment libre, et peu vous +importeront les vains discours des hommes. + +2. LE F. Seigneur, il est vrai: qu'il me soit fait, de grâce, selon +votre parole. Que votre vérité m'instruise, qu'elle me défende, qu'elle +me conserve jusqu'à la fin dans la voie du salut. + +Qu'elle me délivre de tout désir mauvais, de toute affection déréglée; +et je marcherai devant vous dans une grande liberté de coeur. + +3. J.-C. La vérité, c'est moi: je vous enseignerai ce qui est bon, ce +qui m'est agréable. + +Rappelez-vous vos péchés avec une grande douleur et un profond regret; +et ne pensez jamais être quelque chose, à cause du bien que vous faites. + +Car, dans la vérité, vous n'êtes qu'un pécheur, sujet à beaucoup de +passions et engagé dans leurs liens. + +De vous-même, vous tendez toujours au néant; un rien vous ébranle, un +rien vous abat, un rien vous trouble et vous décourage. + +Qu'avez-vous dont vous puissiez vous glorifier? et que de motifs, au +contraire, pour vous mépriser vous-même! car vous êtes beaucoup plus +infirme que vous ne sauriez le comprendre. + +4. Que rien de ce que vous faites ne vous paraisse donc quelque chose de +grand. + +Mais plutôt qu'à vos yeux rien ne soit grand, précieux, admirable, +élevé, digne d'être estimé, loué, recherché, que ce qui est éternel. + +Aimez, par-dessus toutes choses, l'éternelle vérité, et n'ayez jamais +que du mépris pour votre extrême bassesse. + +N'appréhendez rien tant, ne blâmez et ne fuyez rien tant que vos péchés +et vos vices: ils doivent vous affliger plus que toutes les pertes du +monde. + +Il y en a qui ne marchent pas devant moi avec un coeur sincère; mais, +guidés par une certaine curiosité présomptueuse, ils veulent découvrir +mes secrets et pénétrer les profondeurs de Dieu, tandis qu'ils négligent +de s'occuper d'eux-mêmes et de leur salut. + +Ceux-là tombent souvent, à cause de leur orgueil et de leur curiosité, +en de grandes tentations et de grandes fautes, parce que je me sépare +d'eux. + +5. Craignez les jugements de Dieu: redoutez la colère du Tout-Puissant; +ne scrutez point les oeuvres du Très-Haut; mais sondez vos iniquités, le +mal que tant de fois vous avez commis, le bien que vous avez négligé. + +Plusieurs mettent toute leur dévotion en des livres, d'autres en des +images, d'autres en des signes et des marques extérieures. + +Quelques-uns m'ont souvent dans la bouche, mais peu dans le coeur. + +Il en est d'autres qui, éclairés et purifiés intérieurement, ne cessent +d'aspirer aux biens éternels, ont à dégoût les entretiens de la terre, +et ne s'assujettissent qu'à regret aux nécessités de la nature. Ceux-là +entendent ce que l'Esprit de vérité dit en eux. + +Car il leur apprend à mépriser ce qui passe, à aimer ce qui dure +éternellement, à oublier le monde, et à désirer le Ciel, le jour et la +nuit. + + +RÉFLEXION. + + _Je suis le Dieu tout-puissant: marchez en ma présence, et soyez + parfait_[177]. Ainsi parlait le Seigneur au Père des croyants, et ce + commandement s'adresse avec encore plus de force aux chrétiens, qui + ont contemplé, dans le Fils de l'Homme, le modèle de toute perfection. + Aussi leur est-il dit: _Soyez parfaits, comme votre Père céleste est + parfait_[178]. Étonnant précepte qui, relevant notre incompréhensible + bassesse, nous apprend ce qu'est l'homme racheté, ce qu'est le + chrétien aux yeux de Dieu. Mais comment, faibles créatures, courbées + sous le poids de la chair, approcherons-nous de cette perfection + souveraine, à laquelle il nous est ordonné de tendre sans cesse? + Écoutez Jésus-Christ: _Je suis la voie, la vérité et la vie_[179]. Il + est la voie qui conduit à Dieu, la vérité qui est Dieu même; il est la + vie promise à ceux qui _marchent dans la vérité_[180], _qui font la + vérité_[181], selon le mot profond de l'Apôtre. Donc, tout en + Jésus-Christ et par Jésus-Christ. Unies aux siennes, nos pensées, nos + affections, nos oeuvres se divinisent: et comme la perfection du Fils + est la perfection même du Père, par notre union avec le Fils, qui + commence sur la terre et se consommera dans le ciel, nous devenons + parfaits comme le Père est parfait. Ainsi s'accomplit la prière du + Christ: _Père saint, conservez en votre nom ceux que vous m'avez + donnés, afin qu'ils soient un comme nous sommes un! Sanctifiez-les + dans la vérité; je me sanctifie pour eux moi-même, afin qu'ils soient + sanctifiés dans la vérité_[182]. Mais cette grande union, qui nous + élève jusqu'à participer aux mérites infinis du Rédempteur, ne + s'effectue, ne l'oublions pas, qu'en proportion du sacrifice que nous + faisons de nous-mêmes. Notre humilité en est la mesure: elle est le + fruit du renoncement propre, du détachement, de l'abaissement qui nous + anéantit devant Dieu. Là où l'amour corrompu de soi, là où la nature + vit encore, l'union avec Jésus-Christ n'est pas complète. Il faut + mourir à soi-même, à ses désirs, à ses goûts, à sa volonté, à sa + raison aveugle, pour être _un avec le Fils_, comme il est _un avec son + Père_. Pour être _sanctifié dans la vérité_[183]. Heureuse mort, qui + nous met en possession de la véritable vie, de Dieu même et de sa + sainteté, de sa vérité éternelle! + + [177] Gen., XVII, 1. + + [178] Matth., V, 48. + + [179] Joann., XIV, 6. + + [180] III. Joann., 4. + + [181] Ephes., IV, 15. + + [182] Joann., XVII, 11, 17, 19. + + [183] II. Cor., I, 3. + + + + +CHAPITRE V. + +Des merveilleux effets de l'amour divin. + + +1. LE F. Je vous bénis, Père céleste, Père de Jésus-Christ, mon +Seigneur, parce que vous avez daigné vous souvenir de moi, pauvre +créature. + +_Ô Père des miséricordes, et Dieu de toute consolation_[184], je vous +rends grâces de ce que, tout indigne que j'en suis, vous voulez bien +cependant quelquefois me consoler! + + [184] _Ibid._ + +Je vous bénis à jamais, et je vous glorifie avec votre Fils unique et +Esprit consolateur, dans les siècles des siècles. + +Ô Seigneur, mon Dieu, saint objet de mon amour! quand vous descendrez +dans mon coeur, toutes mes entrailles tressailliront de joie. + +Vous êtes ma gloire et la joie de mon coeur. + +Vous êtes mon espérance et mon refuge au jour de la tribulation. + +2. Mais, parce que mon amour est encore faible et ma vertu chancelante, +j'ai besoin d'être fortifié et consolé par vous: visitez-moi donc +souvent, et dirigez-moi par vos divines instructions. + +Délivrez-moi des passions mauvaises, et retranchez de mon coeur toutes +ses affections déréglées, afin que, guéri et purifié intérieurement, je +devienne propre à vous aimer, fort pour souffrir, ferme pour persévérer. + +3. C'est quelque chose de grand que l'amour, et un bien au-dessus de +tous les biens. Seul, il rend léger ce qui est pesant, et fait qu'on +supporte avec une âme égale toutes les vicissitudes de la vie. + +Il porte son fardeau sans en sentir le poids, et rend doux ce qu'il y a +de plus amer. + +L'amour de Jésus est généreux; il fait entreprendre de grandes choses, +et il excite toujours à ce qu'il y a de plus parfait. + +L'amour aspire à s'élever, et ne se laisse arrêter par rien de +terrestre. + +L'amour veut être libre et dégagé de toute affection du monde, afin que +ses regards pénètrent jusqu'à Dieu sans obstacle, afin qu'il ne soit ni +retardé par les biens, ni abattu par les maux du temps. + +Rien n'est plus doux que l'amour, rien n'est plus fort, plus élevé, plus +étendu, plus délicieux; il n'est rien de plus parfait ni de meilleur au +ciel et sur la terre, parce que l'amour est né de Dieu, et qu'il ne peut +se reposer qu'en Dieu, au-dessus de toutes les créatures. + +4. Celui qui aime, court, vole; il est dans la joie, il est libre, et +rien ne l'arrête. + +Il donne tout pour posséder tout; et il possède tout en toutes choses, +parce qu'au-dessus de toutes choses il se repose dans le seul Être +souverain, de qui tout bien procède et découle. + +Il ne regarde pas aux dons, mais il s'élève au-dessus de tous les biens, +jusqu'à celui qui donne. + +L'amour souvent ne connaît point de mesure; mais, comme l'eau qui +bouillonne, il déborde de toutes parts. + +Rien ne lui pèse, rien ne lui coûte; il tente plus qu'il ne peut; jamais +il ne prétexte l'impossibilité, parce qu'il se croit tout possible et +tout permis. + +Et à cause de cela il peut tout, et il accomplit beaucoup de choses qui +fatiguent et qui épuisent vainement celui qui n'aime point. + +5. L'amour veille sans cesse; dans le sommeil même il ne dort point. + +Aucune fatigue ne le lasse, aucuns liens ne l'appesantissent, aucunes +frayeurs ne le troublent; mais, tel qu'une flamme vive et pénétrante, il +s'élance vers le Ciel, et s'ouvre un sûr passage à travers tous les +obstacles. + +Si quelqu'un aime, il entend ce que dit cette voix. + +L'ardeur même d'une âme embrasée s'élève jusqu'à Dieu comme un grand +cri: Mon Dieu! mon amour! vous êtes tout à moi, et je suis tout à vous. + +6. Dilatez-moi dans l'amour, afin que j'apprenne à goûter au fond de mon +coeur combien il est doux d'aimer et de se fondre et de se perdre dans +l'amour. + +Que l'amour me ravisse et m'élève au-dessus de moi-même, par la vivacité +de ses transports. + +Que je chante le cantique de l'amour, que je vous suive, ô mon +bien-aimé, jusque dans les hauteurs de votre gloire; que toutes les +forces de mon âme s'épuisent à vous louer, et qu'elle défaille de joie +et d'amour. + +Que je vous aime plus que moi, que je ne m'aime moi-même que pour vous, +et que j'aime en vous tous ceux qui vous aiment véritablement, ainsi que +l'ordonne la loi de l'amour, que nous découvrons dans votre lumière. + +7. L'amour est prompt, sincère, pieux, doux, prudent, fort, patient, +fidèle, constant, magnanime, et il ne se recherche jamais: car dès qu'on +commence à se rechercher soi-même, à l'instant on cesse d'aimer. + +L'amour est circonspect, humble et droit, sans mollesse, sans légèreté; +il ne s'occupe point de choses vaines; il est sobre, chaste, ferme, +tranquille, et toujours attentif à veiller sur les sens. + +L'amour est obéissant et soumis aux supérieurs; il est vil et méprisable +à ses yeux. Dévoué à Dieu sans réserve, et toujours plein de +reconnaissance, il ne cesse point de se confier en lui, d'espérer en +lui, lors même qu'il semble en être délaissé, parce qu'on ne vit point +sans douleur dans l'amour. + +8. Qui n'est pas prêt à tout souffrir et à s'abandonner entièrement à la +volonté de son bien-aimé, ne sait pas ce que c'est que d'aimer. + +Il faut que celui qui aime embrasse avec joie tout ce qu'il y a de plus +dur et de plus amer, pour son bien-aimé, et qu'aucune traverse ne le +détache de lui. + + +RÉFLEXION. + + _Dieu est amour, et celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et + Dieu en lui_[185]. Mais l'amour a ses temps d'épreuve, comme ses temps + de jouissance; et cette vie tout entière ne doit être qu'un continuel + exercice d'amour, ou la consommation d'un grand sacrifice, dont une + vie éternelle ou un amour immuable sera le prix. Tous les caractères + de la charité, détaillés par saint Paul[186], nous rappellent l'idée + de sacrifice; et l'amour infini lui-même n'a pu se manifester + pleinement à nous que par un sacrifice infini. _Dieu a tant aimé le + monde, qu'il a donné son fils unique_[187]; et notre amour pour Dieu + ne peut non plus se manifester que par un sacrifice, non pas égal, il + est impossible, mais semblable, par le don de tout notre être ou une + parfaite obéissance de notre esprit, de notre coeur et de nos sens, à + la volonté de celui qui nous _a tant aimés_. C'est alors que + s'accomplit cette union ineffable que Jésus-Christ, à sa dernière + heure, conjurait son père d'opérer entre lui et la créature + _rachetée_[188]. Pendant que la nature vit encore en nous, quelque + chose nous sépare de Dieu et de Jésus; et _l'amour de Jésus nous + presse_[189] d'achever le sacrifice, et de prononcer cette parole + dernière, que le monde ne comprend pas, mais qui réjouit le Ciel: + _Tout est consommé_[190]. + + [185] I. Joann., IV, 16. + + [186] I. Cor., XIII. + + [187] Joan., III, 16. + + [188] _Ibid._, XVII, 21, 23. + + [189] II. Cor., V, 14. + + [190] Joann., XIX, 30. + + + + +CHAPITRE VI. + +De l'épreuve du véritable amour. + + +1. J.-C. Mon fils, votre amour n'est encore ni assez fort ni assez +éclairé. + +LE F. Pourquoi, Seigneur? + +J.-C. Parce qu'à la moindre contrariété vous laissez là l'oeuvre +commencée, et que vous recherchez trop avidement les consolations. + +Celui qui aime fortement demeure ferme dans la tentation, et ne cède +point aux suggestions artificieuses de l'ennemi. Dans le mauvais comme +dans le bon succès, son coeur est également à moi. + +2. Celui dont l'amour est éclairé, considère moins le don de celui qui +aime, que l'amour de celui qui donne. + +L'affection le touche plus que le bienfait, et il préfère son bien-aimé +à tout ce qu'il reçoit de lui. + +Celui qui m'aime d'un amour généreux ne se repose pas dans mes dons, +mais en moi par-dessus tous mes dons. + +Ne croyez pas tout perdu cependant, s'il vous arrive de sentir, pour moi +ou pour mes Saints, moins d'amour que vous ne voudriez. + +Cet amour tendre et doux que vous éprouvez quelquefois, est l'effet de +la présence de la grâce, et une sorte d'avant-goût de la patrie céleste; +il n'y faut pas chercher trop d'appui, parce qu'il passe comme il est +venu. + +Mais combattre les mouvements déréglés de l'âme, et mépriser les +sollicitations du démon, c'est un grand sujet de mérite, et la marque +d'une solide vertu. + +3. Ne vous troublez donc point des fantômes, quels qu'ils soient, qui +obsèdent votre imagination. + +Conservez une résolution ferme, et une intention droite devant Dieu. + +Ce n'est point une illusion, si quelquefois vous êtes soudain ravi en +extase, et qu'aussitôt vous retombiez dans les pensées misérables qui +occupent d'ordinaire votre coeur. + +Car vous souffrez alors plus que vous n'agissez; et tant qu'elles vous +déplaisent et que vous y résistez, c'est un mérite et non pas une chute. + +4. Sachez que l'antique ennemi s'efforce d'étouffer vos bons désirs, et +de vous éloigner de tout pieux exercice; du culte des Saints, de la +méditation de mes douleurs et de ma mort, du souvenir si utile de vos +péchés, de l'attention à veiller sur votre coeur, et du ferme propos +d'avancer dans la vertu. + +Il vous suggère mille pensées mauvaises, pour vous causer du trouble et +de l'ennui, pour vous détourner de la prière et des lectures saintes. + +Une humble confession lui déplaît, et s'il pouvait, il vous éloignerait +tout à fait de la communion. + +Ne le croyez point, et n'ayez de lui aucune appréhension, quoiqu'il vous +tende souvent des piéges pour vous surprendre. + +Rejetez sur lui seul les pensées criminelles et honteuses qu'il vous +inspire. Dites-lui: + +Va, esprit immonde; rougis, malheureux; il faut que tu sois étrangement +pervers pour me tenir un pareil langage. + +Retire-toi de moi, détestable séducteur, tu n'auras jamais en moi aucune +part: mais Jésus sera près de moi comme un guerrier formidable, et tu +demeureras confondu. + +J'aime mieux mourir et souffrir tous les tourments, que de consentir à +ce que tu me proposes. + +_Tais-toi donc, ne me parle plus_[191]; je ne t'écouterai pas davantage, +quoi que tu fasses pour m'inquiéter. _Le Seigneur est ma lumière et mon +salut: qui craindrai-je_[192]? + + [191] Marc., IV, 39. + + [192] Ps. XXVI, 1. + +_Quand une armée se rangerait en bataille contre moi, mon coeur ne +craindrait pas_[193]. _Le Seigneur est mon aide et mon Rédempteur_[194]. + + [193] _Ibid._, 3. + + [194] Ps. XVIII, 15. + +5. Combattez comme un généreux soldat; et si quelquefois vous succombez +par fragilité, reprenez un courage plus grand, dans l'espérance d'être +soutenu par une grâce plus forte; et gardez-vous surtout de la vaine +complaisance et de l'orgueil. + +C'est ainsi que plusieurs s'égarent, et tombent dans un aveuglement +presque incurable. + +Que la chute de ces superbes qui présumaient follement d'eux-mêmes, vous +soit une leçon continuelle de vigilance et d'humilité. + + +RÉFLEXION. + + _Tous ceux qui disent, Seigneur, Seigneur, n'entreront pas dans le + royaume des cieux; mais celui qui fait la volonté de mon père qui est + au ciel, celui-là entrera dans le royaume des cieux_[195]: c'est par + les oeuvres que se connaît le véritable amour. Toujours prompt à + obéir, jamais il ne se relâche, il ne se décourage jamais. Dans + l'amertume et dans la joie, dans la consolation et dans la souffrance, + il loue, il bénit également celui _qui frappe et qui guérit_[196], + selon ses divins conseils, impénétrables à la créature. La tentation + vient-elle l'éprouver, il combat, il résiste avec paix, parce qu'il ne + compte point sur ses propres forces, et n'attend la victoire que du + secours d'en haut. S'il succombe quelquefois, il se relève aussitôt + sans trouble, humilié, mais non abattu. Son repentir, quoique profond, + est calme, parce qu'il est exempt de l'irritation de l'orgueil. Ses + fautes l'affligent, et ne l'étonnent point. Il connaît sa fragilité, + et il en gémit, plein de confiance en la grâce qui le soutiendra, s'il + lui est fidèle. Détaché de la terre et de ses vanités qu'on appelle + des biens, que veut-il? ce que Dieu veut: il n'a point d'autre + volonté, ni d'autre désir. Quand le bien-aimé se retire et se dérobe à + ses transports, loin de murmurer, et loin de se plaindre, il s'avoue + indigne de le posséder, et la privation, qui le purifie, enflamme + encore son ardeur. Ô Jésus, qu'elles sont merveilleuses les voies par + où vous conduisez les âmes qui vous aiment, _qui ont soif de + vous_[197]! Tantôt vous les inondez de votre joie, tantôt vous les + délaissez dans les larmes: maintenant vous les prévenez, et puis elles + semblent vous appeler en vain, comme l'épouse du divin cantique. + Épreuves de tendresse et de miséricordes! Ainsi épurées, ces âmes + élues peu à peu se dégagent de leurs liens; elles s'élancent vers + vous, et un dernier effort d'amour les porte au pied du trône où vous + vous montrez sans voile. Alors la jouissance, alors l'allégresse et + l'éternel rassasiement: _Satiabor cùm apparuerit_[198]! + + [195] Matth., VII, 21. + + [196] Deuter., XXXII, 39. + + [197] Ps. XLI, 3. + + [198] _Ibid._, XVI, 15. + + + + +CHAPITRE VII. + +Qu'il faut cacher humblement les grâces que Dieu nous fait. + + +1. J.-C. Mon fils, lorsque la grâce vous inspire des mouvements de +piété, il est meilleur pour vous et plus sûr de tenir cette grâce +cachée, de ne vous en point élever, d'en parler peu, et de ne pas vous +exagérer sa grandeur; mais plutôt de vous mépriser vous-même, et de +craindre une faveur dont vous étiez indigne. + +Il ne faut pas s'attacher trop à un sentiment qui bientôt peut se +changer en on sentiment contraire. + +Quand la grâce vous est donnée, songez combien vous êtes pauvre et +misérable sans la grâce. + +Le progrès de la vie spirituelle ne consiste pas seulement à jouir des +consolations de la grâce, mais à en supporter la privation, avec +humilité, avec abnégation, avec patience; de sorte qu'alors on ne se +relâche point dans l'exercice de la prière, et qu'on n'abandonne aucune +de ses pratiques accoutumées. + +Faites au contraire tout ce qui est en vous le mieux que vous pourrez, +selon vos lumières; et ne vous négligez pas entièrement vous-même, à +cause de la sécheresse et de l'angoisse que vous sentez en votre âme. + +2. Car il y en a beaucoup qui, au temps de l'épreuve, tombent aussitôt +dans l'impatience ou le découragement. + +Cependant _la voie de l'homme n'est pas toujours en son pouvoir_[199]. +C'est à Dieu de consoler, et de donner quand il veut, autant qu'il veut, +et à qui il veut, comme il lui plaît, et non davantage. + + [199] Jer., X, 23. + +Des indiscrets se sont perdus par la grâce même de la dévotion, parce +qu'ils ont voulu faire plus qu'ils ne pouvaient, ne mesurant point leur +faiblesse, mais suivant plutôt l'impétuosité de leur coeur que le +jugement de la raison. + +Et parce qu'ils ont aspiré, dans leur présomption, à un état plus élevé +que celui où Dieu les voulait, ils ont promptement perdu la grâce. + +Ils avaient placé leur demeure dans le Ciel, et tout à coup on les a vus +pauvres et délaissés dans leur misère, afin que par l'humiliation et le +dénûment ils apprissent à ne plus tenter de s'élever sur leurs propres +ailes, mais à se réfugier sous les miennes. + +Ceux qui sont encore nouveaux et sans expérience dans les voies de Dieu +peuvent aisément s'égarer et se briser sur les écueils, s'ils ne se +laissent conduire par des personnes prudentes. + +3. Que s'ils veulent suivre leur sentiment plutôt que de croire à +l'expérience des autres, le résultat leur en sera funeste, si toutefois +ils s'obstinent dans leur propre sens. + +Rarement ceux qui sont sages à leurs yeux se laissent humblement +conduire par les autres. + +Il vaut mieux être humble avec un esprit et des lumières bornées, que de +posséder des trésors de science, et de se complaire en soi-même. + +Il vaut mieux pour vous avoir peu, que beaucoup dont vous pourriez vous +enorgueillir. + +Celui-là manque de prudence, qui se livre tout entier à la joie, +oubliant son indigence passée, et cette chaste crainte du Seigneur, qui +appréhende de perdre la grâce reçue. + +C'est aussi manquer de vertu que de se laisser aller à un découragement +excessif, au temps de l'adversité et de l'épreuve, et d'avoir des +pensées et des sentiments indignes de la confiance qu'on me doit. + +4. Celui qui, durant la paix, a trop de sécurité, se trouve souvent, +pendant la guerre, le plus timide et le plus lâche. + +Si, ne présumant jamais de vous-même, vous saviez demeurer toujours +humble, modérer et régler les mouvements de votre esprit, vous ne +tomberiez pas si vite dans le péril et dans le péché. + +C'est une pratique sage que de penser, durant la ferveur, à ce qu'on +sera dans la privation de la lumière. + +Et quand vous en êtes en effet privé, songez qu'elle peut revenir, et +que je ne vous l'ai retirée pour un temps qu'en vue de ma gloire, et +pour exciter votre vigilance. + +Souvent une telle épreuve vous est plus utile, que si tout vous +succédait constamment selon vos désirs. + +Car, pour juger du mérite, on ne doit pas regarder si quelqu'un a +beaucoup de visions ou de consolations, ou s'il est habile dans +l'Écriture sainte, on s'il occupe un rang élevé; + +Mais s'il est affermi dans la véritable humilité, et rempli de la +charité divine; s'il cherche en tout et toujours uniquement la gloire de +Dieu; s'il est bien convaincu de son néant; s'il a pour lui-même un +mépris sincère, et s'il se réjouit plus d'être méprisé des autres et +humilié par eux, que d'en être honoré. + + +RÉFLEXION. + + Reconnaître sa misère et ne la jamais perdre de vue; s'abandonner sans + réserve entre les mains de Dieu, avec une foi vive et un obéissant + amour: voilà toute la vie spirituelle, dont l'humilité est le premier + fondement. Celui qui se dit au fond de son âme: je ne suis rien que la + faiblesse et l'indigence même, ne cherche pas d'appui en soi, et met + en Jésus sa seule espérance. Il suit avec simplicité les mouvements de + la grâce, ne s'élève point dans la ferveur, ne s'abat point dans la + sécheresse; toujours satisfait, pourvu que la volonté divine + s'accomplisse en lui. L'orgueil, qui souvent se cache sous le voile de + ce qu'il y a de plus saint, ne les séduit pas par le vain désir d'un + état eu apparence plus parfait, auquel il n'est point appelé. Fidèle + et tranquille dans sa voie, il dit à Dieu: _Donnez-moi la sagesse qui + assiste près de votre trône, et ne me rejetez pas du nombre de vos + enfants; car je suis votre serviteur et le fils de votre servante, un + homme infirme, de peu de durée, et qui n'a point l'intelligence de + votre jugement et de vos lois_[200]. Qu'il aille en paix celui dont le + coeur prie ainsi, désire ainsi: Dieu le regarde avec complaisance, et + sa bénédiction reposera sur lui. + + [200] Sapient., IX, 4, 5. + + + + +CHAPITRE VIII. + +Qu'il faut s'anéantir soi-même devant Dieu. + + +1. LE F. _Je parlerai au Seigneur mon Dieu, bien que je ne sois que +cendre et poussière_[201]. Si je me crois quelque chose de plus, voilà +que vous vous élevez contre moi; et mes iniquités rendent un témoignage +vrai, et que je ne puis contredire. + + [201] Gen., XVIII, 27. + +Mais si je m'abaisse, si je m'anéantis, si je me dépouille de toute +estime pour moi-même, et que je rentre dans la poussière dont j'ai été +formé, votre grâce s'approchera de moi, et votre lumière sera près de +mon coeur; alors tout sentiment d'estime, même le plus léger, que je +pourrais concevoir de moi, disparaîtra pour jamais dans l'abîme de mon +néant. + +Là, vous me montrez à moi-même, vous me faites voir ce que je suis, ce +que j'ai été, jusqu'où je suis descendu: _car je ne suis rien, et je ne +le savais pas_[202]. + + [202] Ps. LXXII, 22. + +Si vous me laissez à moi-même, que suis-je? rien qu'infirmité; mais, dès +que vous jetez un regard sur moi, à l'instant je deviens fort, et je +suis rempli d'une joie nouvelle. + +Et certes, cela me confond d'étonnement que vous me releviez ainsi tout +d'un coup, et me preniez avec tant de bonté entre vos bras, moi toujours +entraîné par mon propre poids vers la terre. + +2. C'est votre amour qui opère cette merveille, qui me prévient +gratuitement, qui ne se lasse point de me secourir dans mes nécessités, +qui me préserve des plus grands périls, et, à vrai dire, me délivre de +maux innombrables. + +Car je me suis perdu en m'aimant d'un amour déréglé; mais en ne +cherchant que vous, en n'aimant que vous, je vous ai trouvé, et je me +suis retrouvé moi-même, et l'amour m'a fait rentrer plus avant dans mon +néant. + +Ô Dieu plein de tendresse! vous faites pour moi beaucoup plus que je ne +mérite, et plus que je n'oserais espérer ou demander. + +3. Soyez béni, mon Dieu, de ce que, tout indigne que je suis de recevoir +de vous aucune grâce, cependant votre bonté généreuse et infinie ne +cesse de faire du bien même aux ingrats, et à ceux qui se sont le plus +éloignés de vous. + +Ramenez-nous à vous, afin que nous soyons reconnaissants, humbles, +fervents, parce que vous êtes notre salut, notre vertu et notre force. + + +RÉFLEXION. + + Dieu se montre, dans l'Écriture, plein d'une immense compassion pour + les fautes, si on peut le dire, purement humaines; mais il est sans + pitié pour l'orgueil, _principe de tout mal_[203], pour l'orgueil, qui + est le crime propre de l'Ange rebelle, et qui s'attaque directement au + souverain Être. Il a dit: _Je suis Jéhova, c'est mon nom; je ne + donnerai point ma gloire à un autre_[204]. Or tout orgueil tend, par + essence, à s'égaler à Dieu, à se faire Dieu: désordre tel que + non-seulement on n'en conçoit pas de plus grand, mais qu'on hésiterait + à le croire possible, s'il n'était sans cesse présent sous nos yeux, + et si l'on n'en sentait pas le germe en soi-même. Aussi voyez comme + Dieu le foudroie: et d'abord cette ironie qui glace l'âme d'un effroi + surnaturel: _Voilà qu'Adam est devenu comme l'un de nous_[205]; Adam + jeté nu avec son péché, sur une terre maudite! Adam qui venait + d'entendre cette parole: _Tu mourras de mort_[206]! Ses enfants + imitent son crime, leur orgueil s'élève sans mesure. Alors l'esprit + divin; _Comment es-tu tombé, toi qui te levais comme l'astre du matin, + qui disais en ton coeur: Je monterai dans les cieux, je poserai mon + trône au-dessus des étoiles et je serai semblable au Très-Haut. Voilà + que tu seras traîné aux enfers, dans la profondeur du lac: on se + baissera pour te voir_[207]. Lisez, dans l'Évangile, les effroyables + malédictions prononcées contre les Pharisiens superbes, tandis que + celui qui s'abaisse est à l'instant justifié. Une femme pleure aux + pieds de Jésus: elle s'humilie de ses fautes, elle n'ose presque en + solliciter le pardon, son silence seul supplie. Le Sauveur ému la + console: _Beaucoup de péchés lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup + aimé_[208]. Mais l'orgueil n'aime point; c'est encore là un de ses + caractères, et comme le type infernal. Il est le père de la haine, de + l'envie, de la violence, de la fausse sécurité et de l'endurcissement. + Sorti de l'abîme, il s'y replonge: le reste est le mystère de + l'éternelle justice. Ô Dieu, ayez pitié de votre pauvre créature! Le + front dans la poussière, je m'anéantis devant vous. Je sens, je + confesse ma misère, ma corruption profonde, ma désolante impuissance + et tout ce qui à jamais me séparerait de vous, si votre grande + miséricorde ne venait à mon secours par le don gratuit de la grâce. + Daignez, daignez la répandre en mon âme. Ne m'abandonnez pas, + Seigneur; _sauvez-moi, ou je vais périr_[209]. Ô Dieu, ayez pitié de + votre pauvre créature! + + [203] Eccli., X, 15. + + [204] Is., XLII, 8. + + [205] Genes., III, 22. + + [206] _Ibid._, II, 17. + + [207] Is., XIV. 12-16. + + [208] Luc., VII, 47. + + [209] Matth., VIII, 25. + + + + +CHAPITRE IX. + +Qu'il faut rapporter tout à Dieu comme à notre dernière fin. + + +1. Mon fils, je dois être votre fin suprême et dernière, si +véritablement vous désirez être heureux. + +Cette vue purifiera vos affections, qui s'abaissent trop souvent jusqu'à +vous et aux créatures. + +Car, si vous vous recherchez en quelque chose, aussitôt vous tombez dans +la langueur et la sécheresse. + +Rapportez donc principalement tout à moi, parce que c'est moi qui vous +ai tout donné. + +Considérez chaque bien comme découlant du souverain bien; et songez que, +dès lors, ils doivent tous remonter à moi comme à leur origine. + +2. En moi, comme dans une source intarissable, le petit et le grand, le +pauvre et le riche, puisent l'eau vive, et ceux qui me servent +volontairement et de coeur recevront grâce sur grâce. + +Mais celui qui cherchera sa gloire hors de moi, ou sa jouissance dans un +autre bien que moi, sa joie ne sera ni vraie ni solide, et son coeur +toujours à la gêne, toujours à l'étroit, ne trouvera que des angoisses. + +Ne vous attribuez donc aucun bien, et n'attribuez à nul homme sa vertu; +mais rendez tout à Dieu, sans qui l'homme n'a rien. + +C'est moi qui vous ai tout donné, et je veux que vous vous donniez à moi +tout entier: j'exige avec une extrême rigueur les actions de grâces qui +me sont dues. + +3. Ceci est la vérité qui dissipe la vanité de la gloire. + +Là où pénètre la grâce céleste et la vraie charité, il n'y a plus de +place pour l'amour-propre, ni pour l'envie qui torture le coeur. + +Car l'amour divin subjugue tout et agrandit toutes les forces de l'âme. + +Si vous écoutez la sagesse, vous ne vous réjouirez qu'en moi, vous +n'espérerez qu'en moi, parce que nul n'est bon que Dieu seul, à qui, en +tout et par-dessus tout, est due à jamais la louange et la bénédiction. + + +RÉFLEXION. + + Tout bien découle de Dieu, qui est le bien suprême, et tout ce qu'il + fait est bon[210], parce qu'il le tire de lui. Il n'y a dans le monde + d'autre mal que le péché; car la peine du péché n'est pas un mal, + puisque, supportée patiemment, elle l'expie, et que toujours elle + rétablit l'ordre que le péché avait troublé. Ainsi nous tenons de Dieu + la vie, l'intelligence, l'amour, qui doit remonter perpétuellement + vers sa source, et de nous-mêmes nous ne pouvons rien, pas même dire: + _Mon Père_[211]! car _nous ne savons pas prier, et c'est l'esprit qui + demande en nous avec des gémissements ineffables_[212]. L'unique chose + qui nous appartienne, c'est le péché; il est le fruit de notre volonté + libre, _et son salaire est la mort_[213]. Élevons-nous tant que nous + voudrons dans notre pensée, voilà ce que nous sommes; nous n'avons + rien de plus que ce que Dieu nous donne dans sa bonté et sa + miséricorde toute gratuite. Donc à nous le mépris, la confusion, la + honte, en nous trouvant si misérables; et à Dieu _la bénédiction, + l'honneur, la gloire, la puissance_[214], comme les saints le chantent + dans le Ciel, au pied du trône de l'Agneau. + + [210] Genes., I, 4 et seq. + + [211] Rom., VIII, 15. + + [212] _Ibid._, 26. + + [213] Rom., VI, 23. + + [214] Apoc., V, 13. + + + + +CHAPITRE X. + +Qu'il est doux de servir Dieu et de mépriser le monde. + + +1. LE F. Je vous parlerai encore, Seigneur, et je ne me tairai point. Je +dirai à mon Dieu, mon Seigneur et mon roi, assis dans les hauteurs des +cieux: + +_Ô quelle abondance de douceurs vous avez réservée pour ceux qui vous +craignent_[215]! Et qu'est-ce donc pour ceux qui vous aiment, pour ceux +qui vous servent de tout leur coeur? + + [215] Ps. XXX, 20. + +Elles sont vraiment ineffables, les délices dont vous inondez ceux qui +vous aiment, quand leur âme vous contemple. + +Vous m'avez montré principalement en ceci toute la tendresse de votre +amour: je n'étais pas, et vous m'avez créé; j'errais loin de vous, vous +m'avez ramené pour vous servir, et vous m'avez commandé de vous aimer. + +2. Ô source d'amour éternel, que dirai-je de vous? + +Comment pourrai-je vous oublier, vous qui avez daigné vous souvenir de +moi, lorsque déjà épuisé, consumé, je penchais vers la mort? + +Votre miséricorde envers votre serviteur a passé toute espérance; et +vous avez répandu sur lui votre grâce et votre amour, bien au-delà de +tout ce qu'il pouvait mériter. + +Que vous rendrai-je pour une telle faveur? car il n'est pas donné à tous +de tout quitter, de renoncer au siècle pour embrasser la vie religieuse. + +Est-ce faire beaucoup que de vous servir, vous que doivent servir toutes +les créatures? + +Cela doit me sembler peu de chose: mais ce qui me paraît grand et +merveilleux, c'est que vous daigniez agréer le service d'une créature si +pauvre et si misérable, et l'admettre parmi les serviteurs que vous +aimez. + +3. Tout ce que j'ai, tout ce que je puis consacrer à votre service, est +à vous. + +Et néanmoins prenant pour ainsi dire ma place, vous me servez plus que +moi-même je ne vous sers. + +Voilà que le ciel et la terre, que vous avez créés pour le service de +l'homme, sont devant vous, et chaque jour ils exécutent tout ce que vous +leur avez commandé. + +C'est peu encore: vous avez préparé pour l'homme le ministère même des +Anges. + +Mais ce qui surpasse tout, vous avez daigné le servir vous-même, et vous +avez promis de vous donner à lui. + +4. Que vous rendrai-je pour tant de biens? Ah! si je pouvais vous servir +tous les jours de ma vie! si je pouvais même un seul jour vous servir +dignement! + +Il est bien vrai que vous êtes digne d'être servi universellement, digne +de tout honneur et d'une louange éternelle. + +Vous êtes vraiment mon Seigneur, et je suis votre pauvre serviteur, qui +dois vous servir de toutes mes forces, et ne me lasser jamais de vous +louer. + +Je le veux ainsi, je le désire ainsi: daignez suppléer vous-même à tout +ce qui me manque. + +5. C'est un grand honneur, une grande gloire de vous servir et de +mépriser tout à cause de vous. + +Car ils recevront des grâces abondantes, ceux qui se courbent +volontairement sous votre joug très-saint. + +Ils seront abreuvés de la délectable consolation de l'Esprit saint, ceux +qui, pour votre amour, auront rejeté tous les plaisirs des sens. + +Ils jouiront d'une grande liberté d'esprit, ceux qui, pour la gloire de +votre nom, seront entrés dans la voie étroite, et auront renoncé à +toutes les sollicitudes du monde. + +6. Ô aimable et douce servitude de Dieu, dans laquelle l'homme retrouve +la vraie liberté et la sainteté! + +Ô saint assujettissement de la vie religieuse, qui rend l'homme agréable +à Dieu, égal aux Anges, terrible aux démons, respectable à tous les +fidèles! + +Ô esclavage digne à jamais d'être désiré, embrassé, puisqu'il nous +mérite le souverain bien, et nous assure une joie éternelle! + + +RÉFLEXION. + + Le monde est tellement fasciné par les passions, qu'il ne peut rien + comprendre à la félicité des enfants de Dieu. Quelquefois il les + plaint, comme le monde sait plaindre, en jetant sur eux un regard de + mépris; quelquefois il les contemple avec une sorte d'étonnement + stupide. Il n'a nulle idée de ce qui se passe dans l'âme unie à son + Créateur, nulle idée des consolations et du calme délicieux dont elle + jouit. Saint Paul s'écriant: _Je surabonde de joie au milieu de mes + tribulations_[216], lui est un mystère inexpliquable; jamais il ne + concevra cette joie pure, _qui est justice et paix dans le + Saint-Esprit_[217]. Quel est donc le partage du serviteur du monde? un + immense ennui parsemé de quelques rares plaisirs; et quand Dieu ne + l'abandonne pas entièrement, le remords. Creusez dans son coeur, vous + n'y trouverez que cela. Le remords est sa _justice_ et l'ennui sa + _paix_. Âmes chrétiennes, âmes détachées, qui avez renoncé au monde et + à tout ce qui est du monde, plaignez à votre tour les infortunés + chargés encore de ses pesantes chaînes; mais plaignez-les en vous + humiliant aux pieds de celui qui vous a délivrés, et dont la grâce, + qui ne vous était pas due, vous met en possession des seuls biens + véritables. Gardez avec soin ce bon trésor que vous a confié _le Père + des lumières, de qui découle tout don parfait_[218], et demandez-lui + avec amour qu'après avoir commencé votre joie sur la terre, il la + consomme un jour dans les cieux. + + [216] II. Cor., VII, 4. + + [217] Rom., XIV, 17. + + [218] Jacob., I, 17. + + + + +CHAPITRE XI. + +Qu'il faut examiner et modérer les désirs du coeur. + + +1. J.-C. Mon fils, il faut que vous appreniez beaucoup de choses que +vous ne savez pas encore assez. + +2. LE F. Eh quoi, Seigneur? + +3. J.-C. Vous devez soumettre entièrement vos désirs à ma volonté, ne +point vous aimer vous-même, et ne rechercher en tout que ce qui me +plaît. + +Souvent vos désirs s'enflamment, et vous emportent impétueusement: mais +considérez si cette ardeur a ma gloire pour motif, ou votre intérêt +propre. + +Si c'est moi que vous avez en vue, vous serez content, quoi que +j'ordonne; mais si quelque secrète recherche de vous-même se cache au +fond de votre coeur, voilà ce qui vous abat et vous trouble. + +4. Prenez donc garde à ne vous pas trop attacher à des désirs sur +lesquels vous ne m'avez point consulté, de peur qu'ensuite vous ne +veniez à vous repentir, ou que vous éprouviez du dégoût pour ce qui vous +avait plu d'abord, et que vous aviez cru le meilleur. + +Car tout mouvement qui paraît bon ne doit pas être aussitôt suivi; de +même qu'on ne doit pas non plus céder sur-le-champ à ses répugnances. + +Quelquefois il est à propos de modérer le zèle le plus saint et les +meilleurs désirs, de peur qu'ils ne préoccupent et ne distraient votre +esprit; ou qu'en les suivant indiscrètement, vous ne causiez du scandale +aux autres; ou qu'enfin l'opposition que vous y trouverez ne vous jette +vous-même dans le trouble et dans l'abattement. + +5. Il faut aussi quelquefois user de violence, et résister aux +convoitises des sens, avec une grande force, sans prendre garde à ce que +veut la chair, et à ce qu'elle ne veut pas, et travailler surtout à la +soumettre à l'esprit malgré elle. + +Il faut la châtier et l'asservir, jusqu'à ce que, prête à tout, elle ait +appris à se contenter de peu, à aimer les choses les plus simples, et à +ne jamais se plaindre de rien. + + + +RÉFLEXION. + + Nous avons un grand combat à soutenir: contre notre esprit, qui nous + égare, séduit par de fausses lueurs et par une funeste curiosité; + contre nos désirs, qui nous troublent; contre nos sens, dont les + convoitises souillent l'âme et la courbent vers la terre. Lamentable + condition de l'homme déchu! Mais Dieu ne l'a point abandonné: il peut + vaincre s'il veut. La foi réprime l'inquiétude maladive de l'esprit, + et le fixe dans la vérité. Une entière soumission à la volonté divine + produit la paix du coeur, en étouffant les vains désirs et ceux même + qui trompent la piété par une apparence de bien. Enfin nous triomphons + des sens par la prière, l'humilité, la pénitence, en _châtiant le + corps_ rebelle, et le _réduisant en servitude_[219]. C'est dans cette + guerre de chaque moment que le chrétien se perfectionne, et c'est en + combattant avec fidélité qu'il peut dire comme l'Apôtre: _Je ne pense + point être encore arrivé où j'aspire; mais oubliant ce qui est en + arrière, et m'étendant à ce qui est devant, je cours au terme de la + carrière pour saisir le prix que Dieu nous a destiné_, la félicité + céleste _à laquelle il nous a appelés par Jésus-Christ_[220]. + + [219] I. Cor., IX, 27. + + [220] Philipp., III, 13, 14. + + + + +CHAPITRE XII. + +Qu'il faut s'exercer à la patience, et lutter contre ses passions. + + +1. LE F. Seigneur, mon Dieu, je vois combien la patience m'est +nécessaire; car cette vie est pleine de contradictions. + +Elle ne peut jamais être exempte de douleur et de guerre, quoi que je +fasse pour avoir la paix. + +2. J.-C. Il en est ainsi, mon fils; mais je ne veux pas que vous +cherchiez une paix telle que vous n'ayez ni tentations à vaincre ni +contrariétés à souffrir. + +Croyez, au contraire, avoir trouvé la paix, lorsque vous serez exercé +par beaucoup de tribulations, et éprouvé par beaucoup de traverses. + +Si vous dites que vous ne pouvez supporter tant de souffrances, comment +supporterez-vous le feu du purgatoire? + +Afin donc d'éviter des supplices éternels, efforcez-vous d'endurer pour +Dieu, avec patience, les maux présents. + +Pensez-vous que les hommes du siècle n'aient rien ou que peu de choses à +souffrir? C'est ce que vous ne trouverez pas, même en ceux qui semblent +environnés de plus de délices. + +3. Mais ils ont, dites-vous, des plaisirs en abondance; ils suivent +toutes leurs volontés; et ainsi ils sentent peu le poids de leurs maux. + +Soit, je veux qu'ils aient tout ce qu'ils désirent: combien cela +durera-t-il? + +Voilà que les riches du siècle s'évanouiront comme la fumée, et il ne +restera pas même un souvenir de leurs joies passées. + +Et, durant leur vie même, ils ne s'y reposent pas sans amertume, sans +ennui et sans crainte. + +Car souvent, là même où ils se promettaient la joie, ils rencontrent le +châtiment et la douleur, et avec justice, puisqu'il est juste que +l'amertume et l'ignominie accompagnent les plaisirs qu'ils cherchent +dans le désordre. + +4. Ô que tous ces plaisirs sont courts, qu'ils sont faux, criminels, +honteux! + +Et cependant ces malheureux, enivrés et aveuglés, ne le comprennent +point; mais, semblables à des animaux sans raison, ils exposent leur âme +à la mort, pour quelques jouissances misérables dans une vie qui va +finir. + +Pour vous, mon fils, _ne suivez pas vos convoitises, et détachez-vous de +votre volonté. Mettez vos délices dans le Seigneur, et il vous accordera +ce que votre coeur demande_[221]. + + [221] Eccli., XVIII, 30; Ps. XXXVI, 4. + +Si vous voulez goûter une véritable joie, et des consolations +abondantes, méprisez toutes les choses du monde, repoussez toutes les +joies terrestres; et je vous bénirai, je verserai sur vous mes +inépuisables consolations. + +Plus vous renoncerez à celles que donnent les créatures, plus les +miennes seront douces et puissantes. + +Mais vous ne les goûterez point sans avoir auparavant ressenti quelque +tristesse, sans avoir travaillé, combattu. + +Une mauvaise habitude vous arrêtera; mais vous la vaincrez par une +meilleure. + +La chair murmurera; mais elle sera contenue par la ferveur de l'esprit. + +L'antique serpent vous sollicitera, vous exercera; mais vous le mettrez +en fuite par la prière; et en vous occupant surtout d'un travail utile, +vous lui fermerez l'entrée de votre âme. + + +RÉFLEXION. + + Toute chair a péché, toute chair doit souffrir: c'est la loi présente + de l'humanité; loi de justice, car Dieu ne serait pas Dieu si le + désordre restait impuni; loi d'amour, car la souffrance, acceptée et + unie aux souffrances du Sauveur, guérit l'âme et la rétablit dans + l'état primitif d'innocence. De quoi donc vous plaignez-vous quand + cette loi divine s'accomplit à votre égard? Est-ce de ce que la + miséricorde prend soin de vous regénérer? Est-ce d'être semblable à + Jésus-Christ, qui a voulu, qui a _dû_, selon les paroles de + l'Évangéliste, souffrir pour vous racheter: _Et il commença à leur + enseigner comment il fallait que le Fils de l'homme souffrît beaucoup + de douleurs, qu'il fût réprouvé par les anciens, les souverains + pontifes et les scribes, et mis à mort_[222]? Voilà la grande + expiation; mais, pour qu'elle nous soit appliquée, il est nécessaire + que nous nous la rendions propre, en y joignant la nôtre. Le mystère + du salut se consomme en chacun de nous sur la Croix; et la Croix est + l'unique félicité de la terre, car il n'y en a point d'autre que la + parfaite soumission à l'ordre, d'où naît le calme de la conscience et + la paix du coeur. Le monde vous éblouit par ses joies apparentes, mais + pensez-vous donc que ses sectateurs, même les plus favorisés, n'aient + rien à souffrir? Tourmentés de leurs convoitises, qui s'accroissent + avec la jouissance, en vîtes-vous jamais un seul content? De nouveaux + désirs les dévorent sans cesse. Et n'ont-ils pas, d'ailleurs, autant + que les autres, et plus que les autres, à supporter les maux de la + vie, les soucis, les peines, les inquiétudes, et la foule innombrable + des maladies, filles des vices et des troubles secrets de l'âme? Après + arrive la fin; la justice inexorable exige sa dette; ce riche de la + terre est jeté nu _dans la prison: en vérité, je vous le dis, il n'en + sortira pas qu'il n'ait payé jusqu'à la dernière obole_[223]. + Réjouissez-vous donc, vous que le Seigneur purifie, délivre dès + ici-bas: accomplissez avec amour le sacrifice de justice. Plusieurs + disent: _Qui nous montrera les biens? Seigneur, la lumière de votre + face a été marquée sur nous: vous avez donné la paix à mon coeur. + C'est pourquoi je m'endormirai dans la paix, et je reposerai, parce + que vous m'avez, ô mon Dieu, affermi dans l'espérance_[224]. + + [222] Marc., VIII, 31. + + [223] Matth., V, 25, 26. + + [224] Ps. IV, 6, 7, 9, 10. + + + + +CHAPITRE XIII. + +Qu'il faut obéir humblement à l'exemple de Jésus-Christ. + + +1. J.-C. Mon fils, celui qui cherche à se soustraire à l'obéissance, se +soustrait à la grâce; et celui qui veut posséder seul quelque chose, +perd ce qui est à tous. + +Quand on ne se soumet pas volontairement et de bon coeur à son +supérieur, c'est une marque que la chair n'est pas encore pleinement +assujettie, mais que souvent elle murmure et se révolte. + +Apprenez donc à obéir avec promptitude à vos supérieurs, si vous désirez +dompter votre chair. + +Car l'ennemi du dehors est bien plus vite vaincu, quand l'homme n'a pas +la guerre au dedans de soi. + +L'ennemi le plus terrible et le plus dangereux pour votre âme, c'est +vous, lorsque vous êtes divisé en vous-même. + +Il faut que vous appreniez à vous mépriser sincèrement, si vous voulez +triompher de la chair et du sang. + +L'amour désordonné que vous avez encore pour vous-même, voilà ce qui +vous fait craindre de vous abandonner sans réserve à la volonté des +autres. + +2. Est-ce donc cependant un si grand effort, que toi, poussière et +néant, tu te soumettes à l'homme à cause de Dieu; lorsque moi, le +Tout-Puissant, moi, le Très-Haut, qui ai tout fait de rien, je me suis +soumis humblement à l'homme à cause de toi. + +Je me suis fait le plus humble et le dernier de tous, afin que mon +humilité t'apprît à vaincre ton orgueil. + +Poussière, apprends à obéir: apprends à t'humilier, terre et limon, à +t'abaisser sous les pieds de tout le monde. + +Apprends à briser ta volonté, et à ne refuser aucune dépendance. + +3. Enflamme-toi de zèle contre toi-même, et ne souffre pas que le +moindre orgueil vive en toi; mais fais-toi si petit, et mets-toi si bas, +que tout le monde puisse marcher sur toi et te fouler aux pieds comme la +boue des places publiques. + +Fils du néant, qu'as-tu à te plaindre? Pécheur couvert d'ignominie, +qu'as-tu à répondre, quelque reproche qu'on t'adresse, toi qui as tant +de fois offensé Dieu, tant de fois mérité l'enfer? + +Mais ma bonté t'a épargné, parce que ton âme a été précieuse devant moi: +je ne t'ai point délaissé, afin que tu connusses mon amour, et que mes +bienfaits ne cessassent jamais d'être présents à ton coeur; afin que tu +fusses toujours prêt à te soumettre, à t'humilier, et à souffrir les +mépris avec patience. + + +RÉFLEXION. + + Il n'existe qu'une volonté qui ait le droit essentiel et absolu d'être + obéie, la volonté de l'Être éternel qui a tout créé et qui conserve + tout; et de là l'admirable prière du prophète-roi: _Enseignez-moi, + Seigneur, à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu_[225]. + Cette volonté souveraine a des ministres pour rappeler ses ordonnances + et en maintenir l'exécution dans la famille, dans l'État, dans + l'Église; et l'obéissance leur est due, parce qu'ils représentent Dieu + chacun dans son ordre, selon les degrés d'une sublime hiérarchie, qui + remonte du père au roi, du roi au pontife, du pontife à Jésus-Christ, + de Jésus-Christ à celui qui l'a envoyé, et _de qui toute paternité, au + ciel et sur la terre, tire son nom_[226], c'est-à-dire son autorité. + Ainsi le devoir n'est autre chose que le commandement divin, et la + vertu n'est que l'obéissance à ce commandement. Tout péché, au + contraire, n'est, comme le premier, qu'une désobéissance, une révolte; + et l'homme est conçu dans la révolte, puisqu'il _est conçu dans le + péché_[227]; d'où cette belle et profonde expression du Psalmiste: _Le + pécheur est rebelle dès le sein de sa mère, et livré au mal dans ses + entrailles_[228]. Aussi le sacrifice qui a expié le péché et réparé la + nature humaine, consista-t-il essentiellement, suivant la doctrine du + grand Apôtre, dans une obéissance infinie. _Le Christ s'est rendu + obéissant jusqu'à la mort, et la mort de la croix_[229]. Et nous, + misérables créatures, rachetées par cette prodigieuse obéissance, nous + refuserions d'obéir! Nous opposerions notre volonté à la volonté du + Tout-Puissant, par cet épouvantable orgueil qui a créé l'enfer, où, + dans les ténèbres, dans le supplice, dans la rage et le désespoir, + dans l'ignominie de l'esclavage le plus abject et le plus hideux, + l'ange prévaricateur et ses complices répéteront éternellement: _Je + n'obéirai point, non serviam_[230]! Ô Dieu, préservez-moi d'un orgueil + aussi insensé, aussi criminel! Que votre grâce m'apprenne à me + soumettre et à vous, et à tous ceux que vous avez préposés sur moi! + _Je suis étranger sur la terre; ne me cachez point vos commandements. + Mon âme, à toute heure, en rappelle le désir_[231]. _Enseignez-moi, + Seigneur, à faire votre volonté, parce que vous êtes mon Dieu!_ + + [225] Ps. CXLII, 10. + + [226] Ephes., III, 15. + + [227] Ps. L, 7. + + [228] _Ibid._ + + [229] Philipp., II, 8. + + [230] Jerem., II, 20. + + [231] Ps. CXVIII, 19, 20. + + + + +CHAPITRE XIV. + +Qu'il faut considérer les secrets jugements de Dieu pour ne pas +s'enorgueillir du bien qu'on fait. + + +1. LE F. Vous faites tonner sur moi vos jugements, Seigneur, et tous mes +os ont tremblé d'épouvante, et mon âme est dans une profonde terreur. + +Interdit, effrayé, je considère que _les cieux ne sont pas purs à vos +yeux_[232]. + + [232] Job, XV, 15. + +_Si vous avez trouvé le mal dans vos Anges_[233], et si vous ne les avez +pas épargnés, que sera-ce de moi? + + [233] _Ibid._, IV, 18. + +_Les étoiles sont tombées du ciel_[234]: moi, poussière, que dois-je +donc attendre? + + [234] Apoc., VI, 13. + +Des hommes dont les oeuvres paraissaient louables, sont tombés aussi bas +qu'on puisse tomber, et j'ai vu ceux qui se nourrissaient du pain des +Anges faire leurs délices de la pâture des pourceaux. + +2. Il n'est donc point de sainteté, Seigneur, si vous retirez votre +main. + +Point de sagesse qui soit utile, si vous ne la dirigez plus. + +Point de force qui soit de secours, si vous cessez de la soutenir. + +Point de chasteté assurée, si vous n'en prenez la défense. + +Point de vigilance qui nous serve, si vous ne veillez vous-même pour +nous. + +Laissés à nous-mêmes, nous enfonçons dans les flots et nous périssons: +venez-vous à nous, nous nous relevons et nous vivons. + +Car nous sommes chancelants, mais vous nous affermissez; nous sommes +tièdes, mais vous nous enflammez. + +3. Ô que je dois avoir d'humbles et basses pensées de moi-même! que je +dois estimer peu ce qui paraît de bien en moi! + +Ô que je dois m'abaisser profondément, Seigneur, devant vos jugements +impénétrables, où je me perds comme dans un abîme, et vois que je ne +suis rien que néant et un pur néant! + +Ô poids immense! ô mer sans rivages, où je ne retrouve rien de moi, où +je disparais comme le rien au milieu du tout! + +Où donc l'orgueil se cachera-t-il? où la confiance dans sa propre vertu? + +Toute vanité s'éteint dans la profondeur de vos jugements sur moi. + +4. Qu'est-ce que toute chair devant vous? + +_L'argile s'élèvera-t-elle contre celui qui l'a formée_[235]? + + [235] Is., XXIX, 16. + +Comment celui dont le coeur est vraiment soumis à Dieu pourrait-il +s'enfler d'une louange vaine? + +Le monde entier ne saurait inspirer d'orgueil à celui que la vérité a +soumis à son empire; et jamais il ne sera ému des applaudissements des +hommes, celui dont toute l'espérance est affermie en Dieu. + +Car ceux qui parlent ne sont rien: ils s'évanouiront avec le bruit de +leurs paroles: mais _la vérité du Seigneur demeure éternellement_[236]. + + [236] Ps. CXVI, 2. + + +RÉFLEXION. + + Une des plus dangereuses tentations et des plus déliées, est celle de + l'orgueil dans le bien. Pour peu qu'elle se relâche de sa vigilance, + l'âme que la grâce avait élevée au-dessus de la nature et de sa + corruption, glisse imperceptiblement et retombe en elle-même. On s'est + garanti de certaines fautes, on a pratiqué certaines vertus; + l'amour-propre s'arrête à cette pensée, et s'y repose avec + complaisance. On se regarde, on est content de soi, on se préfère + peut-être à tel ou tel autre; et l'on en vient jusqu'à s'attribuer + secrètement les dons de Dieu, un des crimes qui offense le plus ce + Dieu _jaloux et vengeur_[237], _et qui ne donnera sa gloire à nul + autre_[238], _et qui résiste aux superbes_[239]. Que fait-il + cependant? Il se retire, il délaisse cet insensé qui comptait sur ses + forces, il l'abandonne à son orgueil. Alors arrivent ces chutes + terribles qui étonnent et consternent; ces chutes inattendues, + effrayants exemples des jugements divins. Malheur à qui s'appuie sur + sa propre justice! la ruine l'attend. _Je ne sens_, disait l'Apôtre, + _rien en moi qui m'accuse; mais je ne suis pas pour cela justifié, car + celui qui me juge, c'est le Seigneur_[240]. Et le prophète-roi: + _Purifiez-moi de mes fautes cachées_[241], _oubliez celles que + j'ignore_[242], _et pardonnez-moi celles d'autrui_[243]: prière + admirable qui rappelle à l'homme cette funeste communication du mal, + en vertu de laquelle il est, hélas! si peu de péchés purement + personnels. Donc nul refuge, nulle assurance que dans l'humilité, dans + l'aveu sincère, dans la conviction et le sentiment toujours présent de + notre profonde misère, joint à la confiance en Dieu seul. Prosternés à + ses pieds, disons-lui avec le Psalmiste: _Ma honte est sans cesse + devant moi_, et la confusion a couvert mon visage[244]: _Seigneur, + vous ne mépriserez point un coeur contrit et humilié_[245]! + + [237] Nahum., I, 2. + + [238] Is., XLII, 8. + + [239] I. Petr., V, 5. + + [240] I. Cor., IV, 4. + + [241] Ps. XVIII, 13. + + [242] Ps. XXIV, 7. + + [243] Ps. XVIII, 14. + + [244] Ps. XLIII, 16. + + [245] Ps. L, 19. + + + + +CHAPITRE XV. + +De ce que nous devons dire et faire quand il s'élève quelque désir en +nous. + + +1. J.-C. Mon fils, dites en toutes choses: Seigneur, qu'il soit ainsi, +si c'est votre volonté. Seigneur, que cela se fasse en votre nom, si +vous devez en être honoré. + +Si vous voyez que cela me soit bon, si vous jugez que cela me soit +utile, alors donnez-le-moi, afin que j'en use pour votre gloire. + +Mais si vous savez que cela me nuira, ou ne servira point au salut de +mon âme, éloignez de moi ce désir. + +Car tout désir n'est pas de l'Esprit saint, même lorsqu'il paraît bon et +juste à l'homme. + +Il est difficile de discerner avec certitude si c'est l'esprit bon ou +mauvais qui vous porte à désirer ceci ou cela, ou même votre esprit +propre. + +Il s'est trouvé à la fin que plusieurs étaient dans l'illusion, qui +semblaient d'abord être conduits par le bon esprit. + +2. Ainsi tout ce qui se présente de désirable à votre esprit, vous devez +le désirer toujours et le demander avec une grande humilité de coeur, et +surtout avec une pleine résignation, vous abandonnant à moi sans +réserve, et disant: + +Seigneur, vous savez ce qui est le mieux; que ceci ou cela se fasse +comme vous le voudrez. + +Donnez ce que vous voulez, autant que vous le voulez et quand vous le +voulez. + +Faites de moi ce qui vous plaira, selon ce que vous savez être bon, et +pour votre plus grande gloire. + +Placez-moi où vous voudrez, et disposez absolument de moi en toutes +choses. + +Je suis dans votre main, tournez-moi et retournez-moi en tout sens, à +votre gré. + +Voilà que je suis prêt à vous servir en tout: car je ne désire point +vivre pour moi, mais pour vous seul: heureux si je le pouvais dignement +et parfaitement! + + +PRIÈRE + +POUR DEMANDER À DIEU LA GRÂCE D'ACCOMPLIR SA VOLONTÉ. + +1. LE F. Accordez-moi, ô bon Jésus, votre grâce; _qu'elle soit en moi, +qu'elle agisse avec moi_[246], et qu'elle demeure avec moi jusqu'à la +fin. + + [246] Sap., IX, 10. + +Faites que je désire et veuille toujours ce qui vous est le plus +agréable, et ce que vous aimez le plus. + +Que votre volonté soit la mienne; et que ma volonté suive toujours la +vôtre, et jamais ne s'en écarte en rien. + +Qu'uni à vous, je ne veuille ni ne puisse vouloir que ce que vous +voulez; et qu'il en soit ainsi de ce que vous ne voulez pas. + +Donnez-moi de mourir à tout ce qui est du monde, et d'aimer à être +oublié et méprisé du siècle à cause de vous. + +Faites que je me repose en vous par-dessus tout ce qu'on peut désirer, +et que mon coeur ne cherche sa paix qu'en vous. + +Vous êtes la véritable paix du coeur, son unique repos: hors de vous, +tout pèse et inquiète. _Dans cette paix_, c'est-à-dire en vous seul, +éternel et souverain Dieu, _je dormirai et je me reposerai_[247]. Ainsi +soit-il. + + [247] Ps. IV, 10. + + +RÉFLEXION. + + Jamais satisfait pleinement de ce qu'il est et de ce qu'il possède, + fatigué du vide de son coeur, toujours inquiet, toujours aspirant à je + ne sais quel bien qui le fuit toujours, l'homme n'a pas un moment de + vrai repos, et sa vie s'écoule dans les désirs. Ce n'est pas seulement + une grande misère, mais encore un grand danger; _car la racine de tous + les maux est la convoitise, et plusieurs, en s'y livrant, ont perdu la + foi, et se sont engagés dans une multitude de douleurs_[248]. + L'imagination, qui, en cet état, se porte avec force vers tout ce qui + l'attire, obscurcit la raison, ébranle et entraîne la volonté même: et + ainsi l'on doit s'attacher soigneusement à la réprimer, lors même que + les objets qui l'occupent paraîtraient exempts de toute espèce de mal, + et qu'on croirait ne chercher dans ses rêves qu'un soulagement permis + et une distraction innocente. La piété elle-même s'égare aisément, si + elle n'est en garde contre les désirs en apparence les plus saints. + Nous ne savons ni ce qui nous est bon, ni ce qui nous est nuisible. + Tantôt nous souhaiterons d'être délivrés d'une croix nécessaire + peut-être à notre salut, tantôt, dans un mouvement indiscret de + ferveur, nous en souhaiterons une autre sous laquelle nos forces + succomberaient, si elle nous était imposée. Que faire donc? Demander à + Dieu _que sa volonté se fasse_[249] en nous et hors de nous, y + conformer la nôtre entièrement, et renfermer en elle tous nos désirs. + Nous ne trouverons de paix et de sécurité que dans ce parfait abandon + entre les mains de notre Père. _Mon Père, non pas ce que je veux, mais + ce que vous voulez_[250]. + + [248] I. Timoth., VI. 10. + + [249] Matth., VI, 10. + + [250] _Ibid._, XXVI, 39. + + + + +CHAPITRE XVI. + +Qu'on ne doit chercher qu'en Dieu la vraie consolation. + + +1. LE F. Tout ce que je puis désirer ou imaginer pour ma consolation, je +ne l'attends point ici, mais dans l'avenir. + +Quand je posséderais seul tous les biens du monde, quand je jouirais +seul de toutes ses délices, il est certain que tout cela ne durerait pas +longtemps. + +Ainsi, mon âme, tu ne peux trouver de soulagement véritable et de joie +sans mélange qu'en Dieu, qui console les pauvres et relève les humbles. + +Attends un peu, mon âme, attends la divine promesse, et tu posséderas +dans le ciel tous les biens en abondance. + +Si tu recherches trop avidement les biens présents, tu perdras les biens +éternels et célestes. + +Use des uns et désire les autres. + +Aucun bien temporel ne saurait te rassasier, parce que tu n'as point été +créée pour en jouir. + +2. Quand tu posséderais tous les biens créés, ils ne pourraient te +rendre ni heureuse ni contente: en Dieu, qui a tout créé, en lui seul +est ta félicité et tout ton bonheur; + +Bonheur non pas tel que se le figurent et que le souhaitent les amis +insensés du monde, mais tel que l'attendent les vrais serviteurs de +Jésus-Christ, et tel que le goûtent quelquefois par avance les âmes +pieuses et les coeurs purs, _dont l'entretien est dans le ciel_[251]. + + [251] Philipp., III, 20. + +Toute consolation humaine est vide et dure peu. + +La vraie, la douce consolation est celle que la vérité fait sentir +intérieurement. + +L'homme pieux porte avec lui partout Jésus, son consolateur, et lui dit: +Seigneur Jésus, soyez près de moi en tout temps et en tout lieu. + +Que ma consolation soit d'être volontiers privé de toute consolation +humaine. + +Et si la vôtre me manque aussi, que votre volonté et cette juste épreuve +me soient une consolation au-dessus de toutes les autres. + +_Car vous ne serez pas toujours irrité, et vos menaces ne seront point +éternelles_[252]. + + [252] Ps. CII, 9. + + +RÉFLEXION. + + Toute créature gémit, dit l'Apôtre[253]; et, de siècle en siècle, le + monde entier le redit après lui. Que cherchez-vous donc dans les + créatures? que leur demandez-vous, et que peuvent-elles vous donner? + Toujours agitées, pleines de troubles, ainsi que vous elles souhaitent + le repos, et ne le trouvent point. Comment la paix vous viendrait-elle + du sein même de l'angoisse et des orages perpétuellement soulevés par + les passions? Cessez de vous abuser, cessez de dire aux tempêtes, + calmez-moi. Le calme est en Dieu; et n'est que là: en lui seul est le + repos, la paix, la joie, la consolation. _Tournez-vous donc vers le + Seigneur votre Dieu_[254], et renoncez à tout le reste: alors, + seulement alors, vous commencerez à jouir de la vraie félicité. «Rien, + non, rien n'est comparable au bonheur de celui qui, méprisant les + sens, détaché de la chair et du monde, ne tient plus aux choses + humaines que par les seuls liens de la nécessité, converse uniquement + avec Dieu et avec lui-même, et, s'élevant au-dessus des objets + sensibles, ne vit que des divines clartés qu'il conserve en soi + toujours pures, toujours brillantes, sans aucun mélange des ombres de + la terre et des vains fantômes errants ici-bas autour de nous; qui, + réfléchissant comme un miroir céleste, Dieu et ses éblouissantes + perfections, sans cesse ajoute à la lumière une lumière plus vive, + jusqu'au moment où la vérité dissipant tous les nuages, il arrive à la + source même de toute lumière, à l'éternelle fontaine de splendeur, fin + bienheureuse de son être et son immortel ravissement[255].» + + [253] Rom., VIII, 22. + + [254] Osee, XIV, 2. + + [255] S. Greg. Nazianz., Orat. XXIX, in Princ. + + + + +CHAPITRE XVII. + +Qu'il faut remettre à Dieu le soin de ce qui nous regarde. + + +1. J.-C. Mon fils, laissez-moi agir avec vous comme il me plaît, car je +sais ce qui vous est bon. + +Vos pensées sont celles de l'homme, et vos sentiments sont, en beaucoup +de choses, conformes aux penchants de son coeur. + +2. LE F. Il est vrai, Seigneur: vous prenez de moi beaucoup plus de soin +que je n'en puis prendre moi-même. + +Il est menacé d'une prompte chute, celui qui ne s'appuie pas uniquement +sur vous. + +Pourvu, Seigneur, que ma volonté demeure droite et qu'elle soit affermie +en vous, faites de moi tout ce qu'il vous plaira: car tout ce que vous +ferez de moi ne peut être que bon. + +Si vous voulez que je sois dans les ténèbres, soyez béni: et si vous +voulez que je sois dans la lumière, soyez encore béni. + +Si vous daignez me consoler, soyez béni: et si vous voulez que j'éprouve +des tribulations, soyez également toujours béni. + +3. J.-C. Mon fils, c'est ainsi que vous devez être, si vous voulez ne +pas vous séparer de moi. + +Il faut que vous soyez préparé à la souffrance autant qu'à la joie, au +dénûment et à la pauvreté, autant qu'aux richesses et à l'abondance. + +4. LE F. Seigneur, je souffrirai volontiers pour vous tout ce que vous +voudrez qui vienne sur moi. + +Je veux recevoir indifféremment, de votre main, le bien et le mal, les +douceurs et les amertumes, la joie et la tristesse, et vous rendre +grâces de tout ce qui m'arrivera. + +Préservez-moi à jamais de tout péché, et je ne craindrai ni la mort ni +l'enfer. + +Pourvu que vous ne me rejetiez pas, et que vous ne m'effaciez pas du +livre de vie, aucune tribulation ne peut me nuire. + + +RÉFLEXION. + + On ne saurait trop le répéter, la vie chrétienne consiste uniquement à + vouloir ce que Dieu veut, et à ne vouloir que ce qu'il veut. Presque + toujours nos désirs nous trompent, par une suite de notre ignorance et + de notre corruption. Mais Dieu sait tout ce qui nous est caché; il + connaît les secrètes dispositions de notre coeur, la mesure de sa + faiblesse, les épreuves auxquelles il est bon que nous soyons soumis, + les secours nécessaires pour les supporter, car _il ne permettra pas + que nous soyons tentés au-delà de nos forces_[256]: _sa sagesse est + infinie, et il nous a aimés jusqu'à donner pour nous son Fils + unique_[257]. Quelle confiance, quelle paix ne devons-nous pas trouver + dans cette pensée! Quoi de plus doux que de s'abandonner sans réserve + à celui qui a tout fait pour sa pauvre créature, que de se perdre en + lui par l'union intime de notre volonté à la sienne, ne nous réservant + rien que l'action de grâces et l'amour; de sorte que notre âme, notre + être entier s'exhale, en quelque sorte, dans cette parole qui comprend + tout: _mon Seigneur et mon Dieu_[258]! + + [256] I. Cor., X, 13. + + [257] Joann., III, 16. + + [258] _Ibid._, XX. + + + + +CHAPITRE XVIII. + +Qu'il faut souffrir avec constance les misères de cette vie, à l'exemple +de Jésus-Christ. + + +1. J.-C. Mon fils, je suis descendu du ciel pour votre salut; je me suis +chargé de vos misères, afin de vous former, par mon exemple, à la +patience, et de vous apprendre à supporter les maux de cette vie sans +murmurer. + +Car, depuis l'heure de ma naissance jusqu'à ma mort sur la croix, je +n'ai jamais été sans douleur. + +J'ai vécu dans une extrême indigence des choses de ce monde; j'ai +entendu souvent bien des plaintes de moi; j'ai souffert avec douceur les +affronts et les outrages: je n'ai recueilli sur la terre, pour mes +bienfaits, que de l'ingratitude; pour mes miracles, que des blasphèmes; +pour ma doctrine, que des censures. + +2. LE F. Puisque vous avez montré, Seigneur, tant de patience durant +votre vie, accomplissant par là, d'une manière parfaite, ce que votre +Père demandait de vous, il est bien juste que moi, pauvre pécheur, je +souffre patiemment ma misère pour votre volonté, et que je porte selon +mon salut, aussi longtemps que vous le voudrez, le poids de cette vie +corruptible. + +Car, bien que la vie présente soit pleine de douleurs, elle devient +cependant, par votre grâce, une source abondante de mérites, et votre +exemple, suivi par vos Saints, la rend supportable et précieuse, même +aux faibles. + +Elle est aussi beaucoup plus remplie de consolation que dans l'ancienne +loi, quand les portes du ciel étaient encore fermées, que la voie du +ciel semblait plus obscure, et que si peu s'occupaient de chercher le +royaume de Dieu. + +Les justes même à qui le salut était réservé, ne pouvaient entrer dans +le royaume céleste qu'après la consommation de vos souffrances et le +tribut sacré de votre mort. + +3. Ô quelles grâces ne dois-je pas vous rendre, de ce que vous avez +daigné me montrer, et à tous les fidèles, la voie droite et sûre qui +conduit à votre royaume éternel. + +Car votre vie est notre voie; et par une sainte patience, nous marchons +vers vous, qui êtes notre couronne. + +Si vous ne nous aviez précédés et instruits, qui songerait à vous +suivre? + +Hélas! combien resteraient en arrière, et bien loin, s'ils n'avaient +sous les yeux vos sacrés exemples! + +Après tant de miracles et d'instructions, nous sommes encore tièdes! que +serait-ce si tant de lumière ne nous guidait sur vos traces? + + +RÉFLEXION. + + La vie de l'homme sur la terre est pleine de douleur, de misère, de + souffrances; qui ne le sait? Nous sommes visiblement punis, et comme + la justice qui nous châtie est toute-puissante, nul moyen d'échapper + au châtiment. Or, en cet état, la sagesse humaine n'a vu que le choix + entre deux partis: ou de se raidir contre la nature et de nier le + supplice, ou d'y chercher une distraction dans la volupté. Elle a + demandé le bonheur à l'orgueil et aux sens, et, trompée dans ses + espérances, elle s'est voilée la tête, en disant: Il n'y a point de + remède. Le monde en était là, quand tout à coup une voix s'élève: + _Heureux ceux qui pleurent_[259]! Les peuples écoutent et s'étonnent; + quelque chose de nouveau se remue en eux; ils comprennent, ils goûtent + la joie des larmes, et du haut de la croix où _l'homme de + douleurs_[260] est attaché, un fleuve inépuisable de consolations + inconnues coule sur le genre humain. La vie a perdu sa tristesse, + depuis que, baigné d'une sueur de sang, et dans les transes de + l'agonie, Jésus s'est écrié: _Mon âme est triste jusqu'à sa + mort_[261]. Elle n'a plus assez de souffrances pour le repentir qui + les cherche, pour l'amour qui les désire et qui s'y complaît. + Qu'est-ce donc que cette merveille? Ô Fils du Dieu vivant, c'est que + votre lumière a éclairé le monde, et que votre grâce l'a touché; c'est + que l'homme, sorti de sa voie, l'a retrouvée en vous _qui êtes la + voie, la vérité et la vie_[262]; c'est qu'il a conçu qu'après le + péché, le seul bien qui reste est l'expiation, et il a dit en + regardant la croix: _Ou souffrir, ou mourir!_ Victime sainte, _Agneau + de Dieu qui ôtez le péché du monde_[263], donnez-moi de souffrir avec + vous, et de mourir en unissant mes dernières souffrances à celles qui + nous ont rouvert le ciel que le péché nous avait fermé! + + [259] Matth., V. 5. + + [260] Is., LIII, 3. + + [261] Marc., XIV, 34. + + [262] Joann., XIV, 6. + + [263] _Ibid._, I, 29. + + + + +CHAPITRE XIX. + +De la souffrance des injures et de la véritable patience. + + +1. J.-C. Pourquoi ces paroles, mon fils? cessez de vous plaindre, en +considérant mes souffrances et celles des Saints. + +_Vous n'avez pas encore résisté jusqu'au sang_[264]. + + [264] Heb., XII, 4. + +Ce que vous souffrez est peu en comparaison de ce qu'ont souffert tant +d'autres, qui ont été éprouvés et exercés par de si fortes tentations, +par des tribulations si pesantes. + +Rappelez donc à votre esprit les peines extrêmes des autres, afin d'en +supporter paisiblement de plus légères. + +Que si elles ne vous paraissent pas légères, prenez garde que cela ne +vienne de votre impatience. + +Cependant, grandes ou petites, efforcez-vous de les souffrir patiemment. + +2. Plus vous vous disposez à souffrir, plus vous montrez de sagesse et +acquérez de mérites. La ferme résolution et l'habitude de souffrir vous +rendront même la souffrance moins dure. + +Ne dites pas: Je ne puis supporter cela d'un tel homme: ce sont des +offenses qu'on n'endure point. Il m'a fait un très-grand tort, et il me +reproche des choses auxquelles je n'ai jamais pensé: mais d'un autre je +le souffrirai avec moins de peine, et comme je croirai devoir le +souffrir. + +Ce discours est insensé: car, au lieu de considérer la vertu de +patience, et ce qui doit la couronner, c'est regarder seulement à +l'injure et à la personne de qui on l'a reçue. + +3. Celui-là n'a pas la vraie patience, qui ne veut souffrir qu'autant +qu'il lui plaît, et de qui il lui plaît. + +L'homme vraiment patient n'examine point qui l'éprouve, si c'est son +supérieur, son égal ou son inférieur, un homme de bien ou un méchant. + +Mais, indifférent sur les créatures, il reçoit de la main de Dieu, avec +reconnaissance, et aussi souvent qu'il le veut, tout ce qui lui arrive +de contraire, et l'estime un grand gain. + +Car Dieu ne laissera sans récompense aucune peine, même la plus légère, +qu'on aura soufferte pour lui. + +4. Soyez donc prêt au combat, si vous voulez remporter la victoire. + +On ne peut obtenir sans combat la couronne de la patience; et refuser de +combattre, c'est refuser d'être couronné. + +Si vous désirez la couronne, combattez courageusement, souffrez avec +patience. + +On ne parvient pas au repos sans travail, ni sans combat à la victoire. + +5. LE F. Seigneur, que ce qui paraît impossible à la nature me devienne +possible par votre grâce! + +J'ai, vous le savez, peu de force pour souffrir; la moindre adversité +m'abat aussitôt. + +Faites que j'aime, que je désire d'être exercé, affligé pour votre nom: +car subir l'injure et souffrir pour vous est très-salutaire à mon âme. + + +RÉFLEXION. + + Si nous avons souvent à souffrir du prochain, il n'a pas moins à + souffrir de nous; et c'est pourquoi l'Apôtre dit: _Portez le fardeau + les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi de + Jésus-Christ_[265]. Mais je vous entends, il y a des choses qu'il est + dur, dites-vous, et difficile de supporter. Eh bien! votre mérite en + sera plus grand. La grâce ne nous est donnée que pour cela, pour que + vous fassiez avec elle ce qui serait impossible à la nature seule. + D'ailleurs que vous arrive-t-il que Dieu n'ait prévu, que Dieu n'ait + voulu? La patience n'est donc qu'une soumission douce et calme à ce + qu'il ordonne, et sans elle nous vivons dans un trouble perpétuel; car + _qui a résisté à Dieu, et a eu la paix_[266]? Et combien ne faut-il + pas qu'il soit lui-même patient avec vous? Descendez dans votre + conscience, et répondez. N'a-t-il rien à supporter de vous, rien à + vous pardonner? Oui, _le Seigneur est patient et rempli de + miséricorde_[267]. _Soyons donc aussi patients envers tous_[268]. + _L'homme patient vaut mieux que l'homme fort, et celui qui domine son + âme, mieux que celui qui réduit des villes_[269]. _Je me suis tu_, + disait David en prophétisant les souffrances du Christ, _je me suis + tu, et je n'ai point ouvert la bouche_[270]; et un autre prophète: _Il + s'est tu comme l'agneau devant celui qui le tond_[271]. Qui oserait + après cela murmurer, s'irriter, rendre offense pour offense? Ô Jésus! + soyez notre modèle. Vous nous avez appris à dire à Dieu: + _Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons à ceux qui nous + doivent_[272]. Voilà ce que nous demandons chaque jour, ce que chaque + jour nous promettons; et malheur à celui dont la prière sera trouvée + menteuse! + + [265] Galat., VI, 2. + + [266] Job, IX, 4. + + [267] Ps. CXLIV. 8. + + [268] I. Thess., V, 14. + + [269] Prov., XVI, 32. + + [270] Ps. XXXVIII, 10. + + [271] Is., LIII, 7. + + [272] Matth., VI, 12. + + + + +CHAPITRE XX. + +De l'aveu de son infirmité et des misères de cette vie. + + +1. LE F. _Je confesserai contre moi mon injustice_[273]: Je vous +confesserai, Seigneur, mon infirmité. + + [273] Ps. XXXI, 5. + +Souvent un rien m'abat et me jette dans la tristesse. + +Je me propose d'agir avec force; mais, à la moindre tentation qui +survient, je tombe dans une grande angoisse. + +Souvent c'est la plus petite chose et la plus méprisable qui me cause +une violente tentation. + +Et quand je ne sens rien en moi-même, et que je me crois un peu en +sûreté, je me trouve quelquefois presque abattu par un léger souffle. + +2. Voyez donc, Seigneur, mon impuissance et ma fragilité, que tout +manifeste à vos yeux. + +Ayez pitié de moi, _et retirez-moi de la boue, de crainte que je n'y +demeure à jamais enfoncé_[274]. + + [274] Ps. LXVIII, 15. + +Ce qui souvent fait ma peine et ma confusion devant vous, c'est de +tomber si aisément, et d'être si faible contre mes passions. + +Bien qu'elles ne parviennent pas à m'arracher un plein consentement, +leurs sollicitations me fatiguent et me pèsent, et ce m'est un grand +ennui de vivre ainsi toujours en guerre. + +Je connais surtout en ceci mon infirmité, que les plus horribles +imaginations s'emparent de mon esprit, bien plus facilement qu'elles +n'en sortent. + +3. Puissant Dieu d'Israël, défenseur des âmes fidèles, daignez jeter un +regard sur votre serviteur affligé et dans le travail, et soyez près de +lui pour l'aider en tout ce qu'il entreprendra. + +Remplissez-moi d'une force toute céleste, de peur que le vieil homme, et +cette chair de péché qui n'est pas encore entièrement soumise à +l'esprit, ne prévale et ne domine; elle, contre qui nous devons +combattre jusqu'au dernier soupir, dans cette vie chargée de tant de +misères. + +Hélas! qu'est-ce que cette vie, assiégée de toutes parts de tribulations +et de peines, environnée de piéges et d'ennemis? + +Est-on délivré d'une affliction ou d'une tentation, une autre lui +succède; et l'on combat même encore la première, que d'autres +surviennent inopinément. + +4. Comment peut-on aimer une vie remplie de tant d'amertumes, sujette à +tant de maux et de calamités? + +Comment peut-on même appeler vie ce qui engendre tant de douleurs et +tant de morts? + +Et cependant on l'aime, et plusieurs y cherchent leur félicité. + +On reproche souvent au monde d'être trompeur et vain; et toutefois on le +quitte difficilement, parce qu'on est encore dominé par les convoitises +de la chair. + +Certaines choses nous inclinent à aimer le monde, d'autres à le +mépriser. + +_Le désir de la chair, le désir des yeux, et l'orgueil de la vie_[275], +inspirent l'amour du monde; mais les peines et les misères qui les +suivent justement produisent la haine et le dégoût du monde. + + [275] I. Joann., II, 16. + +5. Mais, hélas! le plaisir mauvais triomphe de l'âme livrée au monde: +elle se repose avec délices dans l'esclavage des sens, parce qu'elle ne +connaît pas et n'a point goûté les suavités célestes, ni le charme +intérieur de la vertu. + +Mais ceux qui, méprisant le monde parfaitement, s'efforcent de vivre +pour Dieu sous une sainte discipline, n'ignorent point les divines +douceurs promises au vrai renoncement, et voient avec clarté combien le +monde, abusé par des illusions diverses, s'égare dangereusement. + + +RÉFLEXION. + + Que sont les épreuves qui nous viennent du dehors, comparées à celles + que nous trouvons au dedans de nous-mêmes? On résiste aux premières + avec toutes ses forces; elles sont divisées dans les secondes, et les + puissances de l'âme se combattent mutuellement: combat terrible que + saint Paul a peint en quelques traits. «_Je ne fais pas le bien que je + veux, et le mal que je ne veux pas, je le fais. Je me réjouis dans la + loi de Dieu, selon l'homme intérieur, et je vois dans mes membres une + autre loi, qui répugne à la loi de mon esprit et me captive sous la + loi du péché, qui est dans mes membres_[276].» Voilà ce qui désole les + âmes fidèles, humiliées de cette guerre honteuse; et sans cesse + tremblant de succomber; voilà ce qui faisait dire à l'Apôtre: _Qui me + délivrera du corps de cette mort?_ et aussitôt il ajoute: _La grâce de + Dieu par Jésus-Christ notre Seigneur_[277]. Jetons-nous donc entre ses + bras divins, qu'avec un amour inexprimable il étend pour nous + recevoir; approchons-nous de son coeur sacré, d'où émane + perpétuellement une vertu redoutable aux puissances du mal; ne + comptons que sur lui, n'espérons qu'en lui; écrions-nous du fond de + nos entrailles: _Délivrez-moi, Seigneur; placez-moi près de vous, et + qu'ensuite la main de qui que ce soit se lève contre moi_[278]. _Le + Seigneur est mon appui, mon refuge, mon libérateur; il est mon Dieu et + mon aide, et j'espérerai en lui; il est mon protecteur, il est la + force qui fait mon salut. Je l'invoquerai dans mes louanges, et je + serai délivré de mes ennemis_[279]. + + [276] Rom., VII, 19, 22, 23. + + [277] Rom., VII, 24, 25. + + [278] Job, XVII, 2. + + [279] Ps. VII, 3, 4. + + + + +CHAPITRE XXI. + +Qu'il faut établir son repos en Dieu, plutôt que dans tous les autres +biens. + + +1. LE F. En tout, et par-dessus tout, repose-toi en Dieu, ô mon âme, +parce qu'il est le repos éternel des Saints. + +Aimable et doux Jésus, donnez-moi de me reposer en vous plus qu'en +toutes les créatures; plus que dans la santé, la beauté, les honneurs et +la gloire; plus que dans toute puissance et dans toute dignité; plus que +dans la science, l'esprit, les richesses, les arts; plus que dans les +plaisirs et la joie, la renommée et la louange, les consolations et les +douceurs, l'espérance et les promesses; plus qu'en tout mérite et en +tout désir; plus même que dans vos dons et toutes les récompenses que +vous pouvez nous prodiguer; plus que dans l'allégresse et tous les +transports que l'âme peut concevoir et sentir; plus enfin que dans les +Anges et dans les Archanges, et dans toute l'armée des cieux; plus qu'en +toutes les choses visibles et invisibles, plus qu'en tout ce qui n'est +pas vous, ô mon Dieu! + +2. Car vous êtes seul infiniment bon, seul très-haut, très-puissant; +vous suffisez seul, parce que seul vous possédez et vous donnez tout; +vous seul nous consolez par vos douceurs inexprimables; seul vous êtes +toute beauté, tout amour; votre gloire s'élève au-dessus de toute +gloire, votre grandeur au-dessus de toute grandeur; la perfection de +tous les biens ensemble est en vous, Seigneur mon Dieu, y a toujours +été, y sera toujours. + +Ainsi, tout ce que vous me donnez hors de vous, tout ce que vous me +découvrez de vous-même, tout ce que vous m'en promettez, est trop peu et +ne me suffit pas, si je ne vous vois, si je ne vous possède pleinement. + +Car mon coeur ne peut avoir de vrai repos, ni être entièrement rassasié, +jusqu'à ce que, s'élevant au-dessus de tous vos dons et de toute +créature, il se repose uniquement en vous. + +3. Tendre époux de mon âme, pur objet de son amour, ô mon Jésus, Roi de +toutes les créatures! qui me délivrera de mes liens, _qui me donnera des +ailes_[280] pour voler vers vous et me reposer en vous! + + [280] Ps. LIV, 7. + +Ô quand serai-je assez dégagé de la terre pour voir, Seigneur mon Dieu, +et _pour goûter combien vous êtes doux_[281]! + + [281] Ps. XXXIII, 9. + +Quand serai-je tellement absorbé en vous, tellement pénétré de votre +amour, que je ne me sente plus moi-même, et que je ne vive plus que de +vous, dans cette union ineffable et au-dessus des sens, que tous ne +connaissent pas! + +Maintenant je ne sais que gémir, et je porte avec douleur ma misère. + +Car, en cette vallée de larmes, il se rencontre bien des maux qui me +troublent, m'affligent, et couvrent mon âme comme d'un nuage. Souvent +ils me fatiguent et me retardent: ils s'emparent de moi; ils m'arrêtent, +et m'ôtant près de vous un libre accès, ils me privent de ces délicieux +embrassements dont jouissent toujours et sans obstacle les célestes +esprits. + +Soyez touché de mes soupirs et de ma désolation sur la terre! + +4. Ô Jésus! _splendeur de l'éternelle gloire_[282], consolateur de l'âme +exilée! ma bouche est muette devant vous, et mon silence vous parle. + + [282] Heb., I, 3. + +Jusqu'à quand mon Seigneur tardera-t-il de venir? + +Qu'il vienne à ce pauvre qui est à lui, et qu'il lui rende la joie. +Qu'il étende la main pour relever un malheureux plongé dans l'angoisse. + +Venez, venez: car, sans vous, tous les jours, toutes les heures +s'écoulent dans la tristesse, parce que vous êtes seul ma joie, et que +vous pouvez seul remplir le vide de mon coeur. + +Je suis oppressé de misère, et comme un prisonnier chargé de fers, +jusqu'à ce que, me ranimant par la lumière de votre présence, vous me +rendiez la liberté, et jetiez sur moi un regard d'amour, + +5. Que d'autres cherchent, au lieu de vous, tout ce qu'ils voudront; +pour moi, rien ne me plaît, ni ne me plaira jamais, que vous, ô mon +Dieu, mon espérance, mon salut éternel! + +Je ne me tairai point, je ne cesserai point de prier jusqu'à ce que +votre grâce revienne, et que vous me parliez intérieurement. + +6. J.-C. Me voici: je viens à vous, parce que vous m'avez invoqué. Vos +larmes et le désir de votre âme, le brisement de votre coeur humilié, +m'ont fléchi et ramené à vous. + +7. LE F. Et j'ai dit: Seigneur, je vous ai appelé, et j'ai désiré jouir +de vous, prêt à rejeter pour vous tout le reste. + +Et c'est vous qui m'avez excité le premier à vous chercher. + +Soyez donc béni, Seigneur, d'avoir usé de cette bonté envers votre +serviteur, selon votre infinie miséricorde. + +Que peut-il vous dire encore? et que lui reste-t-il qu'à s'humilier +profondément en votre présence, plein du souvenir de son néant et de son +iniquité. + +Car il n'est rien de semblable à vous dans tout ce que le ciel et la +terre renferment de plus merveilleux. + +Vos oeuvres sont parfaites, _vos jugements véritables, et l'univers est +régi par votre providence_[283]. + + [283] Ps. XVIII, 10. Sap., XIV, 3. + +Louange donc et gloire à vous, ô Sagesse du Père! Que mon âme, que ma +bouche, que toutes les créatures ensemble vous louent et vous bénissent +à jamais! + + +RÉFLEXION. + + À mesure que l'âme fidèle se dégage de la terre et d'elle-même, toutes + ses pensées, tous ses désirs s'élèvent et viennent se confondre en + celui qu'elle aime uniquement. Alors elle gémit des liens qui + l'appesantissent et la retiennent encore ici-bas. Pressée d'un amour + qui croît sans cesse, elle voudrait briser son enveloppe mortelle, et + s'élancer dans le sein de l'Être infini auquel elle aspire, et s'y + plonger, et s'y perdre éternellement. _Qui me donnera des ailes comme + à la colombe, et je volerai et je me reposerai_[284]! Nul repos en + effet pour elle, jusqu'à ce qu'elle soit pleinement unie à l'objet de + ses ardeurs, jusqu'à ce qu'elle puisse dire dans les transports, dans + l'ivresse divine de sa joie, dans la jouissance, la possession à + jamais immuable du céleste époux: _Mon bien-aimé est à moi, et je suis + à lui_[285]. Oh! quand luira cet heureux jour, jour de la délivrance + et de l'allégresse sans fin? Quand cessera le temps de l'exil, le + temps de l'espérance et des larmes? Quand verrons-nous décliner les + ombres qui dérobent à nos regards le bien-aimé? _Comme le cerf altéré + désire l'eau des fontaines, ainsi mon âme vous désire, ô mon Dieu! Mon + âme a eu soif du Dieu fort, du Dieu vivant: oh! quand viendrai-je et + paraîtrai-je en présence de mon Dieu_[286]? + + [284] Ps. LIV, 7. + + [285] Cantic., II, 16. + + [286] Ps. XLI, 2, 3. + + + + +CHAPITRE XXII. + +Du souvenir des bienfaits de Dieu. + + +1. LE F. _Seigneur, ouvrez mon coeur à votre loi; et enseignez-moi à +marcher dans la voie de vos commandements_[287]. + + [287] II. Mach., I, 4. + +Faites que je connaisse votre volonté, et que je rappelle dans mon +souvenir, avec un grand respect et une sérieuse attention, tous vos +bienfaits, afin de vous en rendre de dignes actions de grâces. + +Je sais cependant, et je confesse que je ne puis reconnaître dignement +la moindre de vos faveurs. + +Je suis au-dessous de tous les biens que vous m'avez accordés; et quand +je considère votre élévation infinie, mon esprit s'abîme dans votre +grandeur. + +2. Tout ce que nous avons en nous, dans notre corps, dans notre âme, +tout ce que nous possédons et au dedans et au dehors, dans l'ordre +de la grâce ou de la nature, c'est vous qui nous l'avez donné; et vos +bienfaits nous rappellent sans cesse votre bonté, votre tendresse, +l'immense libéralité dont vous usez envers nous, vous de qui nous +viennent tous les biens. + +Car tout vient de vous, quoique l'un reçoive plus, l'autre moins; et +sans vous nous serions à jamais privés de tout bien. + +Celui qui a reçu davantage ne peut se glorifier de son mérite, ni +s'élever au-dessus des autres, ni insulter à celui qui a moins reçu; car +celui-là est le meilleur et le plus grand, qui s'attribue le moins, et +qui rend grâces avec le plus de ferveur et d'humilité. + +Et celui qui se croit le plus vil et le plus indigne de tous, est le +plus propre à recevoir de grands dons. + +3. Celui qui a moins reçu, ne doit ni s'affliger, ni se plaindre, ni +concevoir de l'envie contre ceux qui ont reçu davantage; mais plutôt ne +regarder que vous, et louer de toute son âme votre bonté toujours prête +à répandre ses dons si abondamment, si gratuitement, sans acception de +personne. + +Tout vient de vous, et ainsi vous devez être loué de tout. + +Vous savez ce qu'il convient de donner à chacun, pourquoi celui-ci +reçoit plus, cet autre moins; ce c'est pas à nous qu'appartient ce +discernement, mais à vous, qui pesez tous les mérites. + +4. C'est pourquoi, Seigneur mon Dieu, je regarde comme une grâce +singulière que vous m'ayez accordé peu de ces dons qui paraissent au +dehors, et qui attirent les louanges et l'admiration des hommes. Et +certes, en considérant son indigence et son abjection, loin d'en être +abattu, loin d'en concevoir aucune peine, aucune tristesse, on doit +plutôt sentir une douce consolation, une grande joie; car vous avez +choisi, mon Dieu, pour vos amis et vos serviteurs, les pauvres, les +humbles, ceux que le monde méprise. + +Tels étaient vos apôtres mêmes, _que vous avez établis princes sur toute +la terre_[288]. + + [288] Ps. XLIV, 17. + +Ils ont passé dans ce monde sans se plaindre, purs de tout artifice et +de la pensée même du mal, si simples et si humbles, qu'_ils se +réjouissaient de souffrir les outrages pour votre nom_[289], et qu'ils +embrassaient avec amour tout ce que le monde abhorre. + + [289] Act., V, 41. + +Rien ne doit causer tant de joie à celui qui vous aime et qui connaît le +prix de vos bienfaits, que l'accomplissement de votre volonté et de vos +desseins éternels sur lui. + +Il doit y trouver un contentement, une consolation telle, qu'il consente +aussi volontiers d'être le plus petit, que d'autres désirent avec ardeur +être le plus grand; qu'il soit aussi tranquille, aussi satisfait dans la +dernière place que dans la première; et que toujours prêt à souffrir le +mépris, les rebuts, il s'estime aussi heureux d'être sans nom, sans +réputation, que les autres de jouir des honneurs et des grandeurs du +monde. + +Car votre volonté et le zèle de votre gloire doivent être pour lui +au-dessus de tout, et lui plaire et le consoler plus que tous les dons +que vous lui avez faits, et que vous pouvez lui faire encore. + + +RÉFLEXION. + + Profitons de la grâce qui nous est donnée, sans rechercher si les + autres en ont reçu une mesure plus grande. Dieu se communique comme il + lui plaît, il est le maître de ses dons, et que sommes-nous pour lui + en demander compte? Bénissons-le de ceux qu'il nous accorde dans sa + bonté toute gratuite, et bénissons-le encore de ceux qu'il nous + refuse, nous reconnaissant indignes du moindre de ses bienfaits. Si + vous êtes humble, vous n'aspirerez point à des faveurs + extraordinaires; et si vous manquez d'humilité, ces faveurs, loin de + vous être utiles, ne serviraient peut-être qu'à vous perdre, en + nourrissant en vous la vaine complaisance et l'orgueil. Une vive + gratitude envers le Seigneur, une soumission parfaite à ses volontés, + la fidélité dans la voie où il vous conduit, voilà ce que vous devez + désirer. Avec cela vous reposerez en paix, parce que vous reposerez en + Dieu, et qu'en lui vous trouverez le secours contre les tentations, la + paix dans les souffrances, la consolation dans les misères et les + peines de la vie, et enfin l'amour qui rend tout léger. Oh! que nous + penserions peu à souhaiter un état plus élevé, ou plus doux, si nous + aimions véritablement! Mais nous ne savons point aimer. Gémissons au + moins de notre tiédeur et supplions le divin Maître d'échauffer, + d'embraser notre coeur languissant, afin que nous puissions dire avec + l'Apôtre: _Qui me séparera de l'amour du Christ? la tribulation? + l'angoisse? la faim? la nudité? le péril? la persécution? le glaive? + Mais nous triomphons de toutes ces choses à cause de celui qui nous a + aimés. Car je suis certain que ni la mort, ni la vie, ni les Anges, ni + les principautés, ni les vertus, ni le présent, ni l'avenir, ni la + force, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre créature ne + pourra me séparer de la charité de Dieu, laquelle est dans le Christ + Jésus notre Seigneur_[290]. + + [290] Rom., VIII, 35, 37-39. + + + + +CHAPITRE XXIII. + +De quatre choses importantes pour conserver la paix. + + +1. J.-C. Mon fils, je vous enseignerai maintenant la voie de la paix et +de la vraie liberté. + +2. LE F. Faites, Seigneur, ce que vous dites: car il m'est doux de vous +entendre. + +3. Appliquez-vous, mon fils, à faire plutôt la volonté d'autrui que la +vôtre. + +Choisissez toujours plutôt d'avoir moins que plus. + +Cherchez toujours la dernière place, et à être au-dessous de tous. + +Désirez toujours et priez que la volonté de Dieu s'accomplisse +parfaitement en vous. + +Celui qui agit ainsi est dans la voie de la paix et du repos. + +4. LE F. Seigneur, ces courts préceptes renferment une grande +perfection. + +Ils contiennent peu de paroles; mais elles sont pleines de sens, et +abondantes en fruits. + +Si j'étais fidèle à les observer, je ne tomberais pas si aisément dans +le trouble. + +Car toutes les fois qu'il m'arrive de perdre le calme et la paix, je +reconnais que je me suis écarté de ces maximes. + +Mais vous qui pouvez tout, et qui désirez toujours le progrès des âmes, +augmentez en moi votre grâce, afin qu'en obéissant à ce que vous +commandez, je puisse accomplir mon salut. + + +PRIÈRE + +POUR OBTENIR D'ÊTRE DÉLIVRÉ DES MAUVAISES PENSÉES. + +5. _Seigneur, mon Dieu, ne vous éloignez pas de moi. Mon Dieu, +hâtez-vous de me secourir_[291]: car une foule de pensées diverses m'ont +assailli, et de grandes terreurs agitent mon âme. + + [291] Ps. LXX, 12. + +Comment traverserai-je tant d'ennemis, sans recevoir de blessures? +comment les renverserai-je? + +_Je marcherai devant vous_, dit le Seigneur, _et j'abattrai les +puissants de la terre_[292]. J'ouvrirai les portes de la prison, et je +vous montrerai les issues les plus secrètes. + + [292] Is., XLV, 2. + +Faites, Seigneur, selon votre parole; et que toutes les pensées +mauvaises fuient devant vous. + +Mon unique espérance, ma seule consolation dans les maux qui me +pressent, est de me réfugier vers vous, de me confier en vous, de vous +invoquer du fond de mon coeur et d'attendre avec patience votre secours. + + +PRIÈRE + +POUR DEMANDER À DIEU LA LUMIÈRE. + +6. Éclairez-moi intérieurement, ô bon Jésus! Faites luire votre lumière +dans mon coeur, et dissipez toutes ses ténèbres. + +Arrêtez mon esprit qui s'égare, et brisez la violence des tentations qui +me pressent. + +Déployez pour moi votre bras, et domptez ces bêtes furieuses, ces +convoitises dévorantes _afin que je trouve la paix dans votre +force_[293], et que sans cesse vos louanges retentissent dans votre +sanctuaire, dans une conscience pure. + + [293] Ps. CXXI, 7. + +Commandez aux vents et aux tempêtes; _dites à la mer: Apaise-toi; à +l'aquilon: Ne souffle point: et il se fera un grand calme_[294]. + + [294] Marc., IV, 39. + +7. _Envoyez votre lumière et votre vérité_[295], pour qu'elles luisent +sur la terre: car je ne suis qu'une terre stérile et ténébreuse, jusqu'à +ce que vous m'éclairiez. + + [295] Ps. XLII, 3. + +Répandez votre grâce d'en haut; versez sur mon coeur la rosée céleste; +épanchez sur cette terre aride les eaux fécondes de la piété, afin +qu'elle produise des fruits bons et salutaires. + +Relevez mon âme abattue sous le poids de ses péchés; transportez tous +mes désirs au Ciel, afin qu'ayant trempé mes lèvres à la source des +biens éternels, je ne puisse plus sans dégoût penser aux choses de la +terre. + +8. Enlevez-moi, détachez-moi de toutes les fugitives consolations des +créatures, car nul objet créé ne peut satisfaire ni rassasier pleinement +mon coeur. + +Unissez-moi à vous par l'indissoluble lien de l'amour: car vous suffisez +seul à celui qui vous aime, et tout le reste sans vous n'est rien. + + +RÉFLEXION. + + _Des prophètes se sont levés en Israël, qui prophétisent à Jérusalem + des visions de paix; et il n'y a point de paix, dit le Seigneur + Dieu_[296]. Et le monde aussi prophétise des visions de paix à ses + sectateurs; mais cette paix qu'il met dans les plaisirs, dans le + contentement de l'orgueil et de toutes les passions, ne se montre de + loin que pour tromper ceux qui la poursuivent, et quand ils se croient + près de la saisir, tout à coup elle s'évanouit _comme le songe d'un + homme qui s'éveille_[297]. La paix véritable n'est, au contraire, que + le calme d'une conscience pure: elle consiste à retrancher les désirs, + et non pas à les satisfaire. Est-il un lieu caché, un emploi obscur, + une place, un rang méprisable aux yeux du monde, elle est là surtout. + Plus le coeur s'humilie, plus elle est douce et profonde. Qu'est-ce, + en effet, qui pourrait troubler celui qui ne souhaite rien, et ne + s'attribue rien? Il n'a guère à craindre qu'on lui envie l'abaissement + où il se complaît. Mais que de grandeur dans cet abaissement cherché, + voulu de toute l'âme! Les anges le contemplent avec respect, et Dieu + le bénit du sein de sa gloire. Seigneur, venez à mon aide; terrassez + en moi l'orgueil, et j'aurai la paix; faites que, pénétré des + sentiments qui animaient le roi-prophète, il me soit donné de dire + comme lui: _J'ai choisi d'être abject dans la maison de mon Dieu, + plutôt que d'habiter tous les tentes des pécheurs: elegi abjectus + esse[298]!_ + + [296] Ezech., XIII, 16. + + [297] Ps. LXXII, 20. + + [298] Ps. LXXXIII, 11. + + + + +CHAPITRE XXIV. + +Qu'il ne faut point s'enquérir curieusement de la conduite des autres. + + +1. J.-C. Mon fils, réprimez en vous la curiosité, et ne vous troublez +point de vaines sollicitudes. + +_Que vous importe ceci ou cela? suivez-moi_[299]. + + [299] Joan., XXI, 22. + +Que vous fait ce qu'est celui-ci, comment parle ou agit celui-là? + +Vous n'avez point à répondre des autres; mais vous répondrez pour +vous-même: de quoi donc vous inquiétez-vous? + +Voilà que je connais tous les hommes; je vois tout ce qui se passe sous +le soleil; je sais ce qu'il en est de chacun, ce qu'il pense, ce qu'il +veut, et où tendent ses vues. + +C'est donc à moi qu'on doit tout abandonner. Pour vous, demeurez en +paix, et laissez ceux qui s'agitent, s'agiter tant qu'ils voudront. + +Tout ce qu'ils feront, tout ce qu'ils diront, viendra sur eux; car ils +ne peuvent me tromper. + +2. Ne poursuivez pas cette ombre qu'on appelle un grand nom; ne désirez +ni de nombreuses liaisons, ni l'amitié particulière d'aucun homme. + +Car tout cela dissipe l'esprit, et obscurcit étrangement le coeur. + +Je me plairais à vous faire entendre ma parole, et à vous révéler mes +secrets, si vous étiez, quand je viens à vous, toujours attentif et prêt +à m'ouvrir la porte de votre coeur. + +Songez à l'avenir, veillez, priez sans cesse, et humiliez-vous en toutes +choses. + + +RÉFLEXION. + + Pourquoi ouvrez-vous un oeil envieux sur les actions de vos frères? + Qui vous a chargé de scruter leur conscience et leurs oeuvres? + Laissez, laissez à Dieu un soin qu'il se réserve, et songez à répondre + pour vous. On se trompe presque toujours en jugeant les autres, et + l'on se prépare à soi-même un jugement plus sévère, en usurpant un + droit qu'on n'a pas, et en blessant, par des soupçons malins et + téméraires, l'amour dû au prochain. _La charité est indulgente, elle + ne pense point le mal_[300]. Présumez d'autrui tout ce qui est bon, + pardonnez pour qu'on vous pardonne, _et ne jugez point, afin que vous + ne soyez point jugé_[301]. + + [300] I. Cor., XIII, 4, 5. + + [301] Matth., VII, 1. + + + + +CHAPITRE XXV. + +En quoi consiste la vraie paix et le véritable progrès de l'âme. + + +1. J.-C. Mon fils, j'ai dit: _Je vous laisse la paix, je vous donne ma +paix, non comme le monde la donne_[302]. + + [302] Joann., XIV, 27. + +Tous désirent la paix; mais tous ne cherchent pas ce qui procure une +paix véritable. + +Ma paix est avec ceux qui sont doux et humbles de coeur. + +Votre paix sera dans une grande patience. + +Si vous m'écoutez, et si vous obéissez à ma parole, vous jouirez d'une +profonde paix. + +2. LE F. Seigneur, que ferai-je donc? + +3. J.-C. En toutes choses, veillez à ce que vous faites et à ce que vous +dites. N'ayez d'autre intention que celle de plaire à moi seul. Ne +désirez, ne recherchez rien hors de moi. + +Ne jugez point témérairement des paroles ou des actions des autres: ne +vous ingérez point de ce qui n'est point commis à votre charge; alors +vous serez peu ou rarement troublé. + +Mais ne sentir jamais aucun trouble, n'éprouver aucune peine du coeur, +aucune souffrance du corps, cela n'est pas de la vie présente; c'est +l'état de l'éternel repos. + +Ne croyez donc pas avoir trouvé la véritable paix, lorsqu'il ne vous +arrive aucune contrariété; ni que tout soit bien, quand vous n'essuyez +d'opposition de personne; ni que votre bonheur soit parfait, lorsque +tout réussit selon vos désirs. + +Gardez-vous aussi de concevoir une haute idée de vous-même, et +d'imaginer que Dieu vous chérit particulièrement, si vous sentez votre +coeur rempli d'une piété tendre et douce: car ce n'est pas en cela qu'on +reconnaît celui qui aime vraiment la vertu, ni en cela que consiste le +progrès de l'homme et sa perfection. + +4. LE F. En quoi donc, Seigneur? + +5. J.-C. À vous offrir de tout votre coeur à la volonté divine; à ne +vous rechercher en aucune chose, ni petite, ni grande, ni dans le temps, +ni dans l'éternité: de sorte que, regardant du même oeil et pesant dans +la même balance les biens et les maux, vous m'en rendiez également +grâces. + +Et ce n'est pas tout; il faut encore que vous soyez si ferme, si +constant dans l'espérance, que, privé intérieurement de toute +consolation, vous prépariez votre coeur à de plus dures épreuves, sans +jamais vous justifier vous-même, comme si vous ne méritiez pas de tant +souffrir; mais reconnaissant, au contraire, ma justice, et louant ma +sainteté dans tout ce que j'ordonne. Alors vous marcherez dans la voie +droite, dans la véritable voie de la paix; et vous pourrez avec +assurance espérer _de revoir mon visage dans l'allégresse_[303]. + + [303] Job, XXXIII, 26. + +Que si vous parvenez à un parfait mépris de vous-même, je vous le dis, +vous jouirez d'une paix aussi profonde qu'il est possible en cette vie +d'exil. + + +RÉFLEXION. + + On ne saurait trop répéter à l'homme que sa grandeur, sa sécurité, sa + paix consiste à se renoncer, à se mépriser lui-même, à s'anéantir + devant Dieu, à ne vouloir en toutes choses et à ne désirer que + l'accomplissement de sa volonté sainte, sans aucun retour d'intérêt + propre, dans un abandon sans réserve à ce qu'il lui plaît d'ordonner + de nous. Il faut se détacher même de ses dons, pour s'unir à lui d'une + manière plus intime et plus pure. La ferveur sensible, les + consolations, les ravissantes douceurs de l'amour, nous sont données + et nous sont retirées selon des desseins que nous ignorons; elles + passent, et tout ce qui passe produit le trouble, si l'on s'y attache. + Dieu seul donc: n'aimons que Dieu seul, ne souhaitons que Dieu seul; + aimons-le pour lui-même, dans la tristesse comme dans la joie, dans + l'amertume comme dans la jouissance. Oui, _je vous aimerai, + Seigneur_[304], _je vous bénirai en tout temps_[305]: _vous êtes + vous-même notre paix_[306], _et dans cette paix, je dormirai et je me + reposerai_[307]. + + [304] Ps. XVII, 2. + + [305] Ps. XXXIII, 2. + + [306] Ephes., II, 14. + + [307] Ps. IV, 9. + + + + +CHAPITRE XXVI. + +De la liberté du coeur, qui s'acquiert plutôt par la prière que par la +lecture. + + +1. LE F. Seigneur, c'est une haute perfection de ne jamais détourner des +choses du ciel les regards de son coeur, de passer au milieu des soins +du monde, sans se préoccuper d'aucun soin, non par indolence, mais par +le privilége d'une âme libre, qu'aucune affection déréglée n'attache à +la créature. + +2. Je vous en conjure, ô Dieu de bonté! délivrez-moi des soins de cette +vie, de peur qu'ils ne retardent ma course; des nécessités du corps, de +peur que la volupté ne me séduise; de tout ce qui arrête et trouble +l'âme, de peur que l'affliction ne me brise et ne m'abatte. + +Je ne parle point des choses que la vanité humaine recherche avec tant +d'ardeur; mais de ces misères qui, par une suite de la malédiction +commune à tous les enfants d'Adam, tourmentent et appesantissent l'âme +de votre serviteur, et l'empêchent de jouir, autant qu'il voudrait, de +la liberté de l'esprit. + +3. Ô mon Dieu, douceur ineffable! changez pour moi en amertume toute +consolation de la chair, qui me détourne de l'amour des biens éternels, +et m'attire, et me fascine par le charme funeste du plaisir présent. + +Que je ne sois pas, mon Dieu, vaincu par la chair et le sang, trompé par +le monde et sa gloire qui passe, que je ne succombe point aux ruses du +démon. + +Donnez-moi la force pour résister, la patience pour souffrir, la +constance pour persévérer. + +Donnez-moi, au lieu de toutes les consolations du monde, la délicieuse +onction de votre esprit; et au lieu de l'amour terrestre, pénétrez-moi +de l'amour de votre nom. + +4. Le boire, le manger, le vêtement, et les autres choses nécessaires +pour soutenir le corps, sont à charge à une âme fervente. + +Faites que j'use de ces soulagements avec modération, et que je ne les +recherche point avec trop de désir. + +Les rejeter tous, cela n'est pas permis, parce qu'il faut soutenir la +nature: mais votre loi sainte défend de rechercher tout ce qui est +au-delà du besoin et ne sert qu'à flatter les sens; autrement la chair +se révolterait contre l'esprit. + +Que votre main, Seigneur, me conduise entre ces deux extrêmes, afin +qu'instruit par vous, je me préserve de tout excès. + + +RÉFLEXION. + + En voyant combien les hommes sont enfoncés dans la vie présente, + l'importance qu'ils attachent à tout ce qui s'y rapporte, le désir qui + les consume d'amasser des biens et de s'en assurer la perpétuelle + jouissance, croirait-on jamais qu'ils soient persuadés que cette vie + doive finir, et finir si tôt? Dans leurs longues prévoyances, ils + n'oublient rien que l'éternité: elle seule ne les touche en aucune + manière, ou les touche si faiblement qu'à peine y songent-ils de loin + en loin et avec ennui, dans les courts intervalles des plaisirs ou des + affaires. Profonde pitié! et que l'exemple qu'ils ont reçu du Sauveur + est différent! _Il a passé sur la terre comme un homme errant, comme + un voyageur qui se détourne pour reposer un peu_[308]. Voilà notre + modèle. L'homme qui se met en voyage n'emporte que ce qui lui est + nécessaire pour la route; ainsi, dans notre voyage vers le ciel, nous + devons n'user des choses ici-bas que pour la simple nécessité, et ne + voir dans ce qui est au-delà qu'un fardeau souvent dangereux, et au + moins toujours inutile. Que faut-il à celui qui passe? _Le voyageur + altéré approche ses lèvres de la fontaine, et étanche sa soif de l'eau + la plus proche; il s'assied contre le premier arbre_[309] qu'il + rencontre sur le bord du chemin; et puis ayant repris ses forces, il + recommence à marcher. Une seule pensée l'occupe, celle d'achever + promptement sa course. Ira-t-il attacher son âme aux objets divers qui + frappent ses regards à mesure qu'il avance, et se tourmenter de mille + soins pour se former un établissement stable dans le pays qu'il + traverse, et qu'il ne reverra jamais? Or nous sommes tous ce voyageur. + Que m'importe la terre, ô mon Dieu! Que m'importe ce lieu étranger + d'où je sortirai dans un moment! Je vais à la maison de mon Père: le + reste ne m'est rien. Le travail, la fatigue, qu'est-ce que cela, + pourvu que j'arrive au terme où aspirent tous mes voeux? _Mon âme a + défailli de désir, mon coeur et ma chair ont tressailli de joie dans + l'attente du Dieu vivant. Vos autels, Dieu des vertus, mon Roi et mon + Dieu! vos autels!... Heureux ceux qui habitent dans la maison du + Seigneur[310]!_ + + [308] Jerem., XIV, 15. + + [309] Ecclesiast., XXVI, 15. + + [310] Ps. LXXXIII, 2, 5. + + + + +CHAPITRE XXVII. + +Que l'amour de soi est le plus grand obstacle qui empêche l'homme de +parvenir au souverain bien. + + +1. J.-C. Il faut, mon fils, que vous vous donniez tout entier pour +posséder tout, et que rien en vous ne soit à vous-même. + +Sachez que l'amour de vous-même vous nuit plus qu'aucune chose du monde. + +On tient à chaque chose plus ou moins, selon la nature de l'affection et +de l'amour qu'on a pour elle. + +Si votre amour est pur, simple et bien réglé, vous ne serez esclave +d'aucune chose. + +Ne désirez point ce qu'il ne vous est pas permis d'avoir, renoncez à ce +qui occupe trop votre âme et la prive de sa liberté. + +Il est étrange que vous ne vous abandonniez pas à moi du fond du coeur, +avec tout ce que vous pouvez désirer ou posséder. + +2. Pourquoi vous consumer d'une vaine tristesse? Pourquoi vous fatiguer +de soins superflus? + +Demeurez soumis à ma volonté, et rien ne pourra vous nuire. + +Si vous cherchez ceci ou cela, si vous voulez être ici ou là, sans autre +objet que de vous satisfaire, et de vivre plus selon votre gré, vous +n'aurez jamais de repos, et jamais vous ne serez libre d'inquiétude, +parce qu'en tout vous trouverez quelque chose qui vous blesse, et +partout quelqu'un qui vous contrarie. + +3. À quoi sert donc de posséder et d'accumuler beaucoup de choses au +dehors? Ce qui sert, c'est de les mépriser, et de les déraciner de son +coeur. + +Et n'entendez pas ceci uniquement de l'argent et des richesses, mais +encore de la poursuite des honneurs, et du désir des vaines louanges, +toutes choses qui passent avec le monde. + +Nul lieu n'est un sûr refuge, si l'on manque de l'esprit de ferveur; et +cette paix qu'on cherche au dehors ne durera guère, si le coeur est +privé de son véritable appui, c'est-à-dire si vous ne vous appuyez pas +sur moi. Vous changerez, et ne serez pas mieux. + +Car, entraîné par l'occasion qui naîtra, vous trouverez ce que vous +aurez fui, et pis encore. + + +PRIÈRE + +POUR OBTENIR LA PURETÉ DU COEUR ET LA SAGESSE CÉLESTE. + +4. LE F. Soutenez-moi, Seigneur, par la grâce de l'Esprit-Saint. + +Fortifiez-moi intérieurement de votre vertu, afin que je bannisse de mon +coeur toutes les sollicitudes vaines qui le tourmentent, et que je ne +sois emporté par le désir d'aucune chose ou précieuse ou méprisable; +mais plutôt qu'appréciant toutes choses ce qu'elles sont, je voie +qu'elles passent, et que je passerai aussi avec elles. + +_Car il n'y a rien de stable sous le soleil; et tout est vanité et +affliction d'esprit_[311]. Oh! qu'il est sage, celui qui juge ainsi! + + [311] Eccl., I, 17. + +5. Donnez-moi, Seigneur, la sagesse céleste, afin que j'apprenne à vous +chercher et à vous trouver, à vous goûter et à vous aimer par-dessus +tout, et à ne compter tout le reste que pour ce qu'il est, selon l'ordre +de votre sagesse. + +Donnez-moi la prudence pour m'éloigner de ceux qui me flattent, et la +patience pour supporter ceux qui s'élèvent contre moi. + +Car c'est une grande sagesse de ne se point laisser agiter à tout vent +de paroles, et de ne point prêter l'oreille aux perfides discours des +flatteurs. C'est ainsi qu'on avance sûrement dans la voie où l'on est +entré. + + +RÉFLEXION. + + Si peu que l'homme se recherche lui-même, il s'éloigne de Dieu: mais à + l'instant le trouble naît en lui; car ou il n'atteint pas l'objet de + ses désirs, ou il s'en dégoûte aussitôt, toujours tourmenté, soit par + ses convoitises, soit par le remords et l'ennui. Il a voulu être + riche, puissant, posséder des titres, des honneurs, toutes choses qui + ne s'obtiennent guère que par de durs travaux, et qui rarement se + rencontrent avec une conscience pure: n'importe, le voilà élevé au + faîte des prospérités humaines, rien ne lui manque de ce qu'il + enviait; demandez-lui s'il est satisfait: il ne sortira que des + plaintes, des cris d'angoisse et de douleur, de la bouche de cet + heureux du monde. _Et maintenant_, selon la forte expression de + l'Apôtre, _et maintenant, ô riches, pleurez et poussez des hurlements + dans les misères qui fondront sur vous. Vous avez vécu sur la terre + dans les délices et les voluptés, vous vous êtes engraissés pour le + jour du sacrifice_[312]. Ainsi d'un côté, les biens d'ici-bas, ces + biens convoités si ardemment, fatiguent l'âme sans la rassasier; et de + l'autre, à moins d'une grâce peu commune, comme Jésus-Christ lui-même + nous l'apprend[313], ils la précipitent dans la perte. Au contraire, + celui qui s'est renoncé complétement, celui pour qui Dieu seul est + tout, jouit d'une paix inaltérable. La souffrance même lui est douce, + parce qu'elle accroît son espérance, purifie son amour, et que + l'affliction d'un moment enfantera une joie éternelle. _Persévérez + donc dans la patience jusqu'à l'avénement du Seigneur. Dans l'espoir + de recueillir le fruit précieux de la terre, le laboureur attend + patiemment les pluies de la première et de l'arrière-saison. Et vous + aussi soyez donc patients, car l'avénement du Seigneur approche_[314]. + + [312] Jacob., V, 1, 5. + + [313] Matth., XIX, 23, 24. + + [314] Jacob., V, 7, 8. + + + + +CHAPITRE XXVIII. + +Qu'il faut mépriser les jugements humains. + + +1. J.-C. Mon fils, ne vous offensez point si quelques-uns pensent mal de +vous, et en disent des choses qu'il vous soit pénible d'entendre. + +Vous devez penser encore plus mal de vous-même, et croire que personne +n'est plus imparfait que vous. + +Si vous êtes retiré en vous-même, que vous importeront des paroles qui +se dissipent en l'air? + +Ce n'est pas une prudence médiocre que de savoir se taire au temps +mauvais, et de se tourner vers moi intérieurement, sans se troubler des +jugements humains. + +2. Que votre paix ne dépende point des discours des hommes; car, qu'ils +jugent de vous bien ou mal, vous n'en demeurez pas moins ce que vous +êtes. Où est la véritable paix et la gloire véritable? n'est-ce pas en +moi? + +Celui qui ne désire point de plaire aux hommes, et qui ne craint point +de leur déplaire, jouira d'une grande paix. + +De l'amour déréglé et des vaines craintes naissent l'inquiétude du coeur +et la dissipation des sens. + + +RÉFLEXION. + + Quelques-uns s'inquiètent plus des jugements des hommes, que de celui + de Dieu. Étrange folie! Quand nous paraîtrons au tribunal suprême, que + nous importera le blâme ou l'estime des créatures? Nous ne serons ni + condamnés ni absous sur leurs vaines pensées. C'est la vérité qui nous + jugera, et sa sentence sera éternelle. Tel qui, pendant sa vie, fut + enivré de louanges, s'en ira expier ses crimes cachés _là où sont les + pleurs et les grincements de dents, et le ver qui ne meurt + point_[315]. Tel autre qui vécut accablé de mépris et d'outrages, + entendra cette parole: _Venez, vous qui êtes le béni de mon Père; + possédez le royaume qui vous est préparé dès le commencement du + monde_[316]; car les jugements de Dieu ne sont point comme nos + jugements, ni sa justice comme notre justice: _Il sonde l'abîme et le + coeur de l'homme_[317]. N'ayez donc que lui seul en vue, et soyez + indifférent à tout le reste. À quoi sert ce que nous laissons à + l'entrée du tombeau? les éloges recherchés souillent la conscience et + tuent le mérite du bien qu'on a fait pour les obtenir. _Prenez garde à + ne pas faire vos bonnes oeuvres devant les hommes, pour être vu d'eux: + autrement vous n'aurez point de récompense de votre Père qui est dans + les cieux. Quand donc vous faites l'aumône, ne sonnez point de la + trompette devant vous, comme font les hypocrites dans les synagogues + et dans les carrefours, afin d'être honorés des hommes. En vérité je + vous le dis, ils ont reçu leur récompense. Pour vous, quand vous + faites l'aumône, que votre main gauche ne sache pas ce que fait la + droite, afin que votre aumône soit dans le secret; et votre Père, qui + voit dans le secret, vous la rendra. Et quand vous priez, ne soyez + point comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les + synagogues et dans les angles des places publiques, afin d'être vus + des hommes; en vérité je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. + Pour vous, lorsque vous prierez, entrez dans le lieu de la maison le + plus reculé, et après avoir fermé la porte, priez votre Père dans le + secret; et votre Père, qui voit dans le secret, vous le rendra_[318]. + + [315] Matth., XXV, 30. Marc, IX, 43. + + [316] Matth., XXV. 34. + + [317] Ecclesiast., XLII, 18. + + [318] Matth., VI, 1-6. + + + + +CHAPITRE XXIX. + +Comment il faut invoquer et bénir Dieu dans l'affliction. + + +1. LE F. Que votre nom soit béni à jamais, Seigneur, qui avez voulu +m'éprouver par cette peine et cette tentation. + +Puisque je ne saurais l'éviter, qu'ai-je à faire que de me réfugier vers +vous, pour que vous me secouriez, et qu'elle me devienne utile? + +Seigneur, voilà que je suis dans la tribulation, mon coeur malade est +tourmenté par la passion qui le presse. + +_Et maintenant que dirai-je_[319]? Ô Père plein de tendresse! Les +angoisses m'ont environné: _Délivrez-moi de cette heure_[320]. + + [319] Joan., XII, 27. + + [320] _Ibid._ + +Mais cette heure est venue pour que vous fassiez éclater votre gloire, +en me délivrant après m'avoir humilié profondément. + +Daignez, Seigneur, me secourir: car, pauvre créature que je suis, que +puis-je faire, et où irai-je sans vous? + +Seigneur, donnez-moi la patience encore cette fois. Soutenez-moi, mon +Dieu, et je ne craindrai point, quelque pesante que soit cette épreuve. + +2. Et maintenant que dirai-je encore? Seigneur, _que votre volonté se +fasse_[321]. J'ai bien mérité de sentir le poids de la tribulation. + + [321] Matth., V, 10. + +Il faut donc que je le supporte: faites, mon Dieu, que ce soit avec +patience, jusqu'à ce que la tempête passe, et que le calme revienne. + +Votre main toute-puissante peut éloigner de moi cette tentation, et en +modérer la violence, afin que je ne succombe pas entièrement, comme vous +l'avez déjà tant de fois fait pour moi, ô mon Dieu, ma miséricorde! + +Et autant ce changement m'est difficile, autant il vous l'est peu: +_c'est l'oeuvre de la droite du Très-Haut_[322]. + + [322] Ps., LXXVI, 10. + + +RÉFLEXION. + + Le premier mouvement de l'âme éprouvée par la tentation doit être de + s'humilier, de reconnaître son impuissance; et aussitôt de recourir + avec une vive foi à celui qui seul est sa force: _Seigneur, + sauvez-moi, car je vais périr_[323]: et Dieu se hâtera de venir au + secours de cette pauvre âme; il étendra pour la secourir sa main + toute-puissante; _il commandera aux vents et à la mer, et il se fera + un grand calme_[324]. Ainsi encore, lorsque le coeur est brisé + d'affliction, oppressé d'angoisse, que fera-t-il? Il se jettera dans + le sein _de Dieu le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, Père de + miséricorde et Dieu de toute consolation, qui nous console dans nos + épreuves: car de même que les souffrances de Jésus-Christ abondent en + nous, ainsi abonde par Jésus-Christ notre consolation_[325]. Alors, si + notre âme, comme celle de Jésus, _est triste jusqu'à la mort_[326], si + nous disons comme lui: _Mon Père, que ce calice s'éloigne de moi!_ + comme lui aussi nous ajouterons _Non pas ce que je veux, mais ce que + vous voulez[327]!_ + + [323] Matth., VIII, 25. + + [324] Matth., VIII, 26. + + [325] II. Cor., I, 3, 4, 5. + + [326] Matth., XXVI, 38. + + [327] _Ibid._, 39. + + + + +CHAPITRE XXX. + +Qu'il faut implorer le secours de Dieu, et attendre avec confiance le +retour de sa grâce. + + +1. J.-C. Mon fils, _je suis le Seigneur; c'est moi qui fortifie au jour +de la tribulation_[328]. + + [328] Nah., I, 7. + +Venez à moi quand vous souffrirez. + +Ce qui surtout éloigne de vous les consolations célestes, c'est que vous +recourez trop tard à la prière. + +Car, avant de me prier avec instance, vous cherchez au dehors du +soulagement et une multitude de consolations. + +Mais tout cela vous sert peu, et il vous faut enfin reconnaître que +_c'est moi seul qui délivre ceux qui espèrent en moi_[329]; et que hors +de moi il n'est point de secours efficace, point de conseil utile, point +de remède durable. + + [329] Ps. XVI, 7. + +Mais à présent que vous commencez à respirer après la tempête, +ranimez-vous à la lumière de mes miséricordes: car je suis près de vous, +dit le Seigneur, pour vous rendre tout ce que vous avez perdu, et +beaucoup plus encore. + +2. _Y a-t-il rien qui me soit difficile_[330]? ou serais-je semblable à +ceux qui disent et ne font pas? + + [330] Jér., XXXII, 27. + +Où est votre foi? Demeurez ferme et persévérez. + +Ne vous lassez point, prenez courage; la consolation viendra en son +temps. + +Attendez-moi, attendez: _je viendrai et je vous guérirai_[331]. + + [331] Matth., VIII, 7. + +Ce qui vous agite est une tentation, et ce qui vous effraie une crainte +vaine. + +Que vous revient-il de ces soucis d'un avenir incertain, sinon tristesse +sur tristesse? _À chaque jour suffit son mal_[332]. + + [332] _Ibid._, VI, 34. + +Quoi de plus insensé, de plus vain, que de se réjouir ou de s'affliger +de choses futures qui n'arriveront peut-être jamais? + +3. C'est une suite de la misère humaine d'être le jouet de ces +imaginations, et la marque d'une âme encore faible de céder si aisément +aux suggestions de l'ennemi. + +Car peu lui importe de nous séduire et de nous tromper par des objets +réels ou par de fausses images; et de nous vaincre par l'amour des biens +présents ou par la crainte des maux à venir. + +_Que votre coeur donc ne se trouble point et ne craigne point._ + +_Croyez en moi, et confiez-vous en ma miséricorde_[333]. + + [333] Joann., XIV, 1, 27. + +Quand vous croyez être loin de moi, souvent c'est alors que je suis le +plus près de vous. + +Lorsque vous croyez tout perdu, ce n'est souvent que l'occasion d'un +plus grand mérite. + +Tout n'est pas perdu, quand le succès ne répond pas à vos désirs. + +Vous ne devez pas juger selon le sentiment présent, ni vous abandonner à +aucune affliction, quelle qu'en soit la cause, et vous y enfoncer, comme +s'il ne vous restait nulle espérance d'en sortir. + +4. Ne pensez pas que je vous aie tout à fait délaissé, lorsque je vous +afflige pour un temps, ou que je vous retire mes consolations: car c'est +ainsi qu'on parvient au royaume des cieux. + +Et certes il vaut mieux pour vous et pour tous mes serviteurs être +exercé par des traverses, que de n'éprouver jamais aucune contrariété. + +Je connais le secret de votre coeur, et je sais qu'il est utile pour +votre salut que vous soyez quelquefois dans la sécheresse, de crainte +qu'une ferveur continue ne vous porte à la présomption, et que, par une +vaine complaisance en vous-même, vous ne vous imaginiez être ce que vous +n'êtes pas. + +Ce que j'ai donné, je puis l'ôter et le rendre quand il me plaît. + +5. Ce que je donne est toujours à moi; ce que je reprends n'est point à +vous: car c'est de moi que découle tout bien et tout don parfait. + +Si je vous envoie quelque peine ou quelque contradiction, n'en murmurez +pas, et que votre coeur ne se laisse point abattre: car je puis, en un +moment, vous délivrer de ce fardeau, et changer votre tristesse en joie. + +Et lorsque j'en use ainsi avec vous, je suis juste et digne de toute +louange. + +Si vous jugez selon la sagesse et la vérité, vous ne devez jamais vous +affliger avec tant d'excès dans l'adversité, mais plutôt vous en réjouir +et m'en rendre grâces. + +Et même ce doit être votre unique joie _que je vous frappe sans vous +épargner_[334]. + + [334] Job., VI, 10. + +_Comme mon Père m'a aimé, et moi aussi je vous aime_[335], ai-je dit à +mes disciples en les envoyant, non pour goûter les joies du monde, mais +pour soutenir de grands combats; non pour posséder les honneurs, mais +pour souffrir les mépris; non pour vivre dans l'oisiveté, mais dans le +travail; non pour se reposer, mais _pour porter beaucoup de fruits par +la patience_[336]. Souvenez-vous, mon fils, de ces paroles. + + [335] Joann., XV, 9. + + [336] Luc., XVIII, 15. Joann., XV, 16. + + +RÉFLEXION. + + Bien que les hommes sachent que la vie présente n'est qu'un état de + passage, néanmoins il y a en eux un penchant extraordinaire à se + concentrer dans cette vie si courte, et à ne juger des choses que par + leur rapport avec elle. Ils veulent invinciblement être heureux; mais + ils veulent l'être dès ici-bas; ils cherchent sur la terre un bonheur + qui n'y est point, qui n'y peut pas être, et en cela ils se trompent + misérablement. Les uns le placent dans les plaisirs et les biens du + monde, et après s'être fatigués à leur poursuite, _ils voient que tout + est vanité et affliction d'esprit_[337], _et que l'homme n'a rien de + plus de tous les travaux dont il se consume sous le soleil_[338]. Les + autres, convaincus du néant de ces liens, se tournent vers Dieu; mais + ils veulent aussi que le désir de félicité qui les tourmente soit + satisfait dès à présent, toujours prêts à s'inquiéter et à se + plaindre, quand Dieu leur retire les grâces sensibles, ou qu'il les + éprouve par les souffrances et la tentation. Ils ne comprennent pas + que la nature humaine est malade, et incapable en cet état de tout + bonheur réel; que les épreuves dont ils se plaignent sont les remèdes + nécessaires que le céleste médecin des âmes emploie, dans sa bonté, + pour les guérir, et que toute notre espérance sur la terre, toute + notre paix consiste à nous abandonner entièrement à lui avec une + confiance pleine d'amour. Et voilà pourquoi le roi-prophète revient si + souvent a cette prière: _Ayez pitié de moi, Seigneur, parce que je + suis malade_; _guérissez-moi, car le mal a pénétré jusqu'à mes + os_[339]; _guérissez mon âme_[340], vous qui guérissez toutes nos + infirmités[341]. Donc, pendant cette vie, la résignation, la patience, + une tranquille soumission de la volonté, au milieu des ténèbres de + l'esprit et de l'amertume du coeur: et après, et bientôt, dans la + véritable vie, le repos imperturbable, la joie immortelle, et la + félicité de Dieu même, qu'il vous sera donné _de voir tel qu'il est + face à face_[342]. + + [337] Eccles., I, 14. + + [338] _Ibid._, 3. + + [339] Ps. VI, 3. + + [340] Ps. XL, 5. + + [341] Ps. CII, 3. + + [342] I. Cor., XIII, 12. + + + + +CHAPITRE XXXI. + +Qu'il faut oublier toutes les créatures pour trouver le Créateur. + + +1. LE F. Seigneur, j'ai besoin d'une grâce plus grande, s'il me faut +parvenir à cet état où nulle créature ne sera un lien pour moi. + +Car, tant que quelque chose m'arrête, je ne puis voler librement vers +vous, + +Il aspirait à cette liberté, celui qui disait: _Qui me donnera des ailes +comme à la colombe? et je volerai, et je me reposerai_[343]. + + [343] Ps. LIV, 7. + +Quel repos plus profond que le repos de l'homme qui n'a que vous en vue? +et quoi de plus libre que celui qui ne désire rien sur la terre? + +Il faut donc s'élever au-dessus de toutes les créatures, se détacher +parfaitement de soi-même, sortir de son esprit, monter plus haut, et là, +reconnaître que c'est vous qui avez tout fait, et que rien n'est +semblable à vous. + +Tandis qu'on tient encore à quelque créature, on ne saurait s'occuper +librement des choses de Dieu. + +Et c'est pourquoi l'on trouve peu de contemplatifs, parce que peu savent +se séparer entièrement des créatures et des choses périssables. + +2. Il faut pour cela une grâce puissante qui soulève l'âme et la ravisse +au-dessus d'elle-même. + +Et tant que l'homme n'est pas élevé ainsi en esprit, détaché de toute +créature, et parfaitement uni à Dieu, tout ce qu'il sait et tout ce +qu'il a, est de bien peu de prix. + +Il sera longtemps faible et incliné vers la terre, celui qui estime +quelque chose hors de l'unique, de l'immense, de l'éternel bien. + +Tout ce qui n'est pas Dieu n'est rien, et ne doit être compté pour rien. + +Il y a une grande différence entre la sagesse d'un homme que la piété +éclaire, et la science qu'un docteur acquiert par l'étude. + +La science qui vient d'en haut et que Dieu lui-même répand dans l'âme, +est bien supérieure à celle où l'homme parvient laborieusement par les +efforts de son esprit. + +3. Plusieurs désirent s'élever à la contemplation; mais ce qu'il faut +pour cela, ils ne le veulent point faire. + +Le grand obstacle est qu'on s'arrête à ce qu'il y a d'extérieur et de +sensible, et que l'on s'occupe peu de se mortifier véritablement. + +Je ne sais ce que c'est, ni quel esprit nous conduit, ni ce que nous +prétendons, nous qu'on regarde comme des hommes tout spirituels, de +poursuivre avec tant de travail et de souci des choses viles et +passagères, lorsque si rarement nous nous recueillons pour penser, sans +aucune distraction, à notre état intérieur. + +4. Hélas! à peine sommes-nous rentrés en nous-mêmes, que nous nous +hâtons d'en sortir, sans jamais sérieusement examiner nos oeuvres. + +Nous ne considérons point jusqu'où descendent nos affections, et nous ne +gémissons point de ce que tout en nous est impur. + +_Toute chair avait corrompu sa voie_[344]; et c'est pourquoi le déluge +suivit. + + [344] Gen., VI, 12. + +Quand donc nos affections intérieures sont corrompues, elles corrompent +nécessairement nos actions, et dévoilent ainsi toute la faiblesse de +notre âme. + +Les fruits d'une bonne vie ne croissent que dans un coeur pur. + +5. On demande d'un homme, qu'a-t-il fait? Mais s'il l'a fait par vertu, +c'est à quoi l'on regarde bien moins. + +On veut savoir s'il a du courage, des richesses, de la beauté, de la +science, s'il écrit ou s'il chante bien, s'il est habile dans sa +profession; mais on ne s'informe guère s'il est humble, doux, patient, +pieux, intérieur; + +La nature ne considère que le dehors de l'homme; la grâce pénètre au +dedans. + +Celle-là se trompe souvent; celle-ci espère en Dieu pour n'être pas +trompée. + + +RÉFLEXION. + + Jusqu'à ce que _notre vie soit_, comme parle l'Apôtre, _cachée en Dieu + avec Jésus-Christ_[345], nous ne lui appartenons qu'imparfaitement, + nous ne sommes pas _un_ avec le Fils et avec le Père[346], nous ne + sommes pas consommés dans l'unité[347]; il y a quelque chose entre + nous et Dieu: et c'est que nous tenons encore à nous-mêmes et aux + créatures: notre amour est divisé; tantôt il s'élance vers le ciel, et + tantôt il rampe sur la terre. Pour vivre de la vie cachée avec + Jésus-Christ en Dieu, il faut rompre les derniers liens qui nous + attachent au monde. Alors séparée de tout ce qui passe, enveloppée, + pour ainsi dire, de l'être divin, plongée dans sa lumière, l'âme ne + voit que lui, ne se sent qu'en lui, ne vit que de sa vérité et de son + amour, qu'il lui communique par des voies inexpliquables et + merveilleuses. Unie intimement au Fils, et par le Fils au Père, + Jésus-Christ, son modèle et son époux, la rend de plus en plus + conforme à lui-même. Ce qu'il a éprouvé, il veut qu'elle l'éprouve + aussi, qu'elle le reproduise, en quelque sorte, dans ses divers états, + avec le même esprit d obéissance parfaite qui le dirigeait dans + l'accomplissement de sa divine mission. Quelquefois il la conduit sur + le Thabor, comme pour lui montrer les biens promis à sa fidélité; plus + souvent il la guide au Jardin des Oliviers, au prétoire, sur le + Golgotha, où doit se consommer le sacrifice: et soit qu'il l'éclaire + et la console, soit qu'il paraisse la délaisser, tout coopère à sa + perfection, parce qu'elle aime, et que jamais elle ne se lasse + d'aimer, dans l'amertume comme dans la joie, _le Dieu qui l'appelle à + la sainteté_[348]. Elle se repose, pleine de calme, dans la volonté de + ce grand Dieu. Mais l'âme qui ne s'est pas encore complétement dégagée + des choses de la terre est toujours agitée, inquiète; elle marche dans + l'obscurité, et mille soins la tourmentent. Hâtons-nous donc de briser + nos chaînes, ne cherchons que Jésus, ne désirons que lui: _à qui + irions-nous? Il a les paroles de la vie éternelle_[349]. Quittons tout + pour le suivre, et _laissons les morts ensevelir leurs morts_[350]. + + [345] Coloss., III, 3. + + [346] Joann., XVII, 21. + + [347] _Ibid._, 23. + + [348] Rom., VIII, 28. + + [349] Joann., XXXV, 69. + + [350] Luc., IX, 60. + + + + +CHAPITRE XXXII. + +De l'abnégation de soi-même. + + +1. J.-C. Mon fils, vous ne pouvez jouir d'une liberté parfaite, si vous +ne vous renoncez entièrement. + +Ils vivent en servitude tous ceux qui s'aiment, et qui veulent être à +eux-mêmes. On les voit, avides, curieux, inquiets, cherchant toujours ce +qui flatte leurs sens, et non ce qui me plaît, se repaître d'illusions, +et former mille projets qui se dissipent. + +Car tout ce qui ne vient pas de Dieu périra. + +Retenez bien cette courte et profonde parole: _Quittez tout, et vous +trouverez tout._ Renoncez à vos désirs, et vous goûterez le repos. + +Méditez ce précepte; et quand vous l'aurez accompli, vous saurez tout. + +2. LE F. Seigneur, ce n'est pas l'oeuvre d'un jour, ni un jeu d'enfants: +cette courte maxime renferme toute la perfection religieuse. + +3. J.-C. Mon fils, vous ne devez point vous rebuter ni perdre courage, +lorsqu'on vous montre la voie des parfaits; mais plutôt vous efforcer de +parvenir à cet état sublime, ou au moins y aspirer de tous vos désirs. + +Ah! s'il en était ainsi de vous! si vous en étiez venu jusqu'à ne plus +vous aimer vous-même, soumis à moi sans réserve, et au supérieur que je +vous ai donné! Alors j'arrêterais sur vous mes regards avec +complaisance, et tous vos jours passeraient dans la paix et dans la +joie. + +Il vous reste encore bien des choses à quitter; et à moins que vous n'y +renonciez entièrement pour moi, vous n'obtiendrez point ce que vous +demandez. + +Écoutez mes conseils, et pour acquérir de vraies richesses, _achetez de +moi de l'or éprouvé par le feu_[351], c'est-à-dire la sagesse céleste, +qui foule aux pieds toutes les choses d'ici-bas. + + [351] Apoc., III, 18. + +Qu'elle vous soit plus chère que la sagesse du siècle et que tout ce qui +plaît aux hommes, ou nous plaît en nous-mêmes. + +4. Je vous le dis, échangez ce qu'il y a de grand et de précieux dans +les choses humaines, contre une chose vile. + +Car on regarde comme petite et vile, et l'on oublie presque entièrement +cette sagesse du ciel, la seule vraie, qui ne s'élève point en +elle-même, et qui ne cherche point à être admirée sur la terre. +Plusieurs ont ses louanges à la bouche, mais ils s'éloignent d'elle par +leur vie. C'est cependant _cette perle précieuse_[352] qui est cachée au +plus grand nombre. + + [352] Matth., XIII. 46. + + +RÉFLEXION. + + Qu'est-ce que l'homme livré à lui-même, à son esprit dépourvu de + règle, à ses désirs, à ses penchants? Esclave des erreurs diverses qui + le séduisent tour à tour, esclave de ses convoitises et des objets de + ses convoitises, est-il une servitude plus profonde que la sienne? Et + voilà, ô mon Dieu, l'état de toute créature qui refuse de se soumettre + entièrement à vous. Pour être libre, il faut obéir. La parfaite + liberté n'est que l'accomplissement parfait des préceptes et des + conseils évangéliques, et tous les préceptes et tous les conseils se + réduisent au renoncement de soi-même: car, en renonçant à sa raison + propre, on possède, dans sa plénitude et sans aucun mélange, la vérité + de Dieu; en renonçant à l'amour de soi corrompu en Adam, l'amour de + Dieu et du prochain à cause de Dieu, lequel est le sommaire de la + loi[353], demeure seul au fond du coeur; en renonçant à sa volonté, + l'on n'agit plus que d'après la volonté de Dieu, qui est l'ordre par + excellence. Et l'homme alors est libre comme Dieu même, dont il + devient la fidèle image; il est libre, car cette abnégation absolue de + lui-même l'affranchit du double esclavage de l'erreur et des passions. + _Nous avons été_, dit saint Paul, _délivrés par Jésus-Christ, et + appelés par lui à la liberté_[354]; c'est-à-dire, à la connaissance de + la loi évangélique, _loi parfaite de liberté_[355], qui, après avoir + délivré ceux qui s'y attachent fidèlement _de la servitude de la + corruption_, les conduit enfin _à la liberté de la gloire promise aux + enfants de Dieu_[356]. + + [353] Ibid., XXII, 40. + + [354] Galat., IV, 31; v, 13. + + [355] Jacob., I, 25. + + [356] Rom., VIII, 21. + + + + +CHAPITRE XXXIII. + +De l'inconstance du coeur, et que nous devons tout rapporter à Dieu +comme à notre dernière fin. + + +1. J.-C. Mon fils, ne vous reposez point sur ce que vous sentez en vous: +maintenant vous êtes affecté d'une certaine manière, vous le serez d'une +autre le moment d'après. + +Tant que vous vivrez, vous serez sujet au changement, même malgré vous: +tour à tour triste et gai, tranquille et inquiet, fervent et tiède; +tantôt actif, tantôt paresseux, tantôt grave, tantôt léger. + +Mais l'homme sage et instruit dans les voies spirituelles s'élève +au-dessus de ces vicissitudes. Il ne considère point ce qu'il éprouve en +soi, ni de quel côté l'incline le vent de l'inconstance; mais il arrête +toute son attention sur la fin bienheureuse à laquelle il doit tendre. + +C'est ainsi qu'au milieu de tant de mouvements divers, fixant sur moi +seul ses regards, il demeure inébranlable et toujours le même. + +Plus l'oeil de l'âme est pur et son intention droite, moins on est agité +par les tempêtes. + +Mais cet oeil s'obscurcit en plusieurs, parce qu'il se tourne vers +chaque objet agréable qui se présente. + +Car il est rare de trouver quelqu'un tout à fait exempt de la honteuse +recherche de soi-même. + +Ainsi autrefois les Juifs vinrent à Béthanie chez Marthe et Marie, _non +pour Jésus seul, mais pour voir Lazare_[357]. + + [357] Joann., XII, 9. + +Il faut donc purifier l'intention, afin que, simple et droite, elle se +dirige constamment vers moi, sans s'arrêter jamais aux objets +inférieurs. + + +RÉFLEXION. + + L'esprit de l'homme va et vient sans se reposer jamais, et le coeur + est emporté par la même inconstance. Or ces changements qui + surviennent en nous, quelquefois malgré nous, sont ou des tentations + que l'on doit combattre, ou des misères qu'il faut supporter, ou des + épreuves auxquelles on doit se soumettre humblement. Et c'est pourquoi + il est nécessaire de travailler sans relâche à purifier notre volonté, + qui seule dépend de nous; autrement nous tomberons bien vite ou dans + le péché, ou dans le trouble, ou dans les deux à la fois. Celui qui + veut sincèrement être à Dieu et n'être qu'à lui, ne craint pas les + attaques de l'enfer, parce qu'il sait qu'il est invincible en celui + qui le fortifie. Il ne s'irrite point contre lui-même, il voit en paix + ses infirmités, il _s'en glorifie_ comme l'Apôtre[358], parce qu'elles + _perfectionnent la vertu_[359], et ajoutent au prix de la victoire. + Que si Dieu l'éprouve, il s'humilie, il se reconnaît indigne de ses + consolations, et il embrasse avec amour la croix qui lui est + présentée. Tranquille sur cette croix, dans la tristesse, dans la + souffrance et l'abandonnement, il n'a que cette parole, et elle lui + suffit: _J'ai espéré en vous, Seigneur, et je ne serai point confondu + éternellement_[360]. + + [358] II. Corinth., XI, 30. + + [359] _Ibid._, XII, 9. + + [360] Ps. LXX, 1. + + + + +CHAPITRE XXXIV. + +Qu'on ne saurait goûter que Dieu seul, et qu'on le goûte en toutes +choses, quand on l'aime véritablement. + + +1. LE F. Voilà mon Dieu et mon tout! Que voudrais-je de plus? et quelle +plus grande félicité puis-je désirer? + +Ô ravissante parole! mais pour celui qui aime Jésus, et non pas le +monde, ni rien de ce qui est du monde. + +Mon Dieu et mon tout, c'est assez dire à qui l'entend, et le redire sans +cesse est doux à celui qui aime. + +Vous présent, tout est délectable: en votre absence, tout devient amer. + +Vous donnez au coeur le repos, et une profonde paix, et une joie +inénarrable. + +Vous faites que, content de tout, on vous bénit de tout. Au contraire, +rien sans vous ne peut plaire longtemps, et rien n'a d'attrait ni de +douceur sans l'impression de votre grâce et l'onction de votre sagesse. + +2. Que ne goûtera point celui qui vous goûte? et que trouvera d'agréable +celui qui ne vous goûte point? + +Les sages du monde, qui n'ont de goût que pour les voluptés de la chair, +s'évanouissent dans leur sagesse: car on ne trouve là qu'un vide +immense, que la mort. + +Mais ceux qui, pour vous suivre, méprisent le monde et mortifient la +chair, se montrent vraiment sages: car ils quittent le mensonge pour la +vérité, et la chair pour l'esprit. + +Ceux-là savent goûter Dieu; et tout ce qu'ils trouvent de bon dans les +créatures, ils le rapportent à la louange du Créateur. + +Rien pourtant ne se ressemble moins que le goût du Créateur et celui de +la créature, du temps et de l'éternité, de la lumière incréée et de +celle qui n'en est qu'un faible reflet. + +3. Ô lumière éternelle, infiniment élevée au-dessus de toute lumière +créée, qu'un de vos rayons, tel que la foudre, parte d'en haut et +pénètre jusqu'au fond le plus intime de mon coeur! + +Purifiez, dilatez, éclairez, vivifiez mon âme et toutes ses puissances, +pour qu'elle s'unisse à vous dans des transports de joie. + +Oh! quand viendra cette heure heureuse, cette heure désirable où vous me +rassasierez de votre présence, où vous me serez tout en toutes choses! + +Jusque là je n'aurai point de joie parfaite. + +Hélas! le vieil homme vit encore en moi; il n'est pas tout crucifié, il +n'est pas mort entièrement. + +Ses convoitises combattent encore fortement contre l'esprit; il excite +en moi des guerres intestines, et ne souffre point que l'âme règne en +paix. + +Mais vous _qui commandez à la mer et qui calmez le mouvement des flots, +levez-vous, secourez-moi_[361]. + + [361] Ps. LXXXVIII, 10; XLIII, 26. + +_Dissipez les nations qui veulent la guerre_[362], et brisez-les dans +votre puissance. + + [362] Ps. LXVII, 32. + +_Faites_, je vous conjure, _éclater vos merveilles, et signalez la +gloire de votre bras_[363]: car je n'ai point d'autre espérance ni +d'autre refuge que vous, ô mon Dieu! + + [363] Judith, IX, 11; Eccl., XXXVI, 7. + + +RÉFLEXION. + + Il est étrange que, connaissant Dieu, toute notre âme ne soit pas + absorbée dans son amour; qu'elle s'arrête encore aux créatures, au + lieu de se plonger et de se perdre dans la source de tout bien. + Qu'est-ce que le bonheur, sinon l'amour? et qu'est-ce que le bonheur + infini, sinon un amour sans bornes? Il faut donc à notre coeur un + objet infini, il faut Dieu: rien de créé ne saurait le satisfaire + jamais. Que me veut le monde? Qu'ai-je besoin de lui? Que peut-il me + donner? Mon coeur est plus grand que tous ses biens, et _Dieu seul est + plus grand que mon coeur_[364]. Dieu seul donc, Dieu seul, maintenant + et toujours: éternellement Dieu seul! + + [364] Joann., III, 20. + + + + +CHAPITRE XXXV. + +Qu'on est toujours, durant cette vie, exposé à la tentation. + + +1. J.-C. Mon fils, vous n'aurez jamais de sécurité dans cette vie; mais, +tant que vous vivrez, les armes spirituelles vous seront toujours +nécessaires. + +Vous êtes environné d'ennemis; ils vous attaquent à droite et à gauche. + +Si vous ne vous couvrez donc de tous côtés du bouclier de la patience, +vous ne serez pas longtemps sans blessure. + +Si, de plus, votre coeur ne se fixe pas irrévocablement en moi, avec la +ferme volonté de tout souffrir pour mon amour, vous ne soutiendrez +jamais la violence de ce combat et vous n'obtiendrez point la palme des +bienheureux. + +Il faut donc passer courageusement à travers tous les obstacles, et +lever un bras puissant contre tout ce qui s'oppose à vous. + +Car _la manne est donnée aux victorieux_[365], et une grande misère est +le partage du lâche. + + [365] Apoc., II, 17. + +2. Si vous cherchez le repos en cette vie, comment parviendrez-vous au +repos éternel! + +Ne vous préparez pas à beaucoup de repos, mais à beaucoup de patience. + +Cherchez la véritable paix, non sur la terre, mais dans le ciel; non +dans les hommes ni dans aucune créature, mais en Dieu seul. + +Vous devez supporter tout avec joie pour l'amour de Dieu, les travaux, +les douleurs, les tentations, les persécutions, les angoisses, les +besoins, les infirmités, les injures, les médisances, les reproches, les +humiliations, les affronts, les corrections, les mépris. + +C'est là ce qui exerce à la vertu, ce qui éprouve le nouveau soldat de +Jésus-Christ, ce qui forme la couronne céleste. + +Pour un court travail je donnerai une récompense éternelle, et une +gloire infinie pour une humiliation passagère. + +3. Pensez-vous que vous aurez toujours, selon votre désir, les +consolations spirituelles? + +Mes Saints n'en ont pas joui constamment; mais ils ont eu beaucoup de +peines, des tentations diverses, de grandes désolations. + +Et se confiant plus en Dieu qu'en eux-mêmes, ils se sont soutenus par la +patience au milieu de toutes ces épreuves, sachant que _les souffrances +du temps n'ont nulle proportion avec la gloire future qui doit en être +le prix_[366]. + + [366] Rom., VIII, 18. + +Voulez-vous avoir, dès le premier moment, ce que tant d'autres ont à +peine obtenu après beaucoup de larmes et d'immenses travaux! + +_Attendez le Seigneur, combattez avec courage_[367], soyez ferme, ne +craignez point, ne reculez point, mais exposez généreusement votre vie +pour la gloire de Dieu. + + [367] Ps. XXVI, 14. + +_Je vous récompenserai pleinement, et je serai avec vous dans toutes vos +tribulations_[368]. + + [368] Ps. XC, 15. + + +RÉFLEXION. + + Gardez-vous d'attendre ici-bas un repos qui n'y est point; on ne peut + gagner le Ciel qu'avec beaucoup de travail, et pendant que vous serez + sur la terre, vous aurez toujours à combattre. Ne vous lassez donc + point; _renouvelez en vous l'esprit intérieur_[369]; recourez à Dieu + qui seul vous soutient; humiliez-vous en sa présence; _veillez et + priez, afin que vous n'entriez point en tentation_[370], je vous le + répète, _veillez et priez continuellement_[371]; demeurez ferme dans + la foi, _agissez avec courage et soyez forts_[372]. Il y en a qui, + après avoir lutté généreusement, fléchissent tout à coup, tombent dans + l'abattement, et abandonnent lâchement la victoire: et c'est qu'ayant + compté sur eux-mêmes, Dieu les délaisse en punition de leur orgueil. + Il ne suffit pas de résister un jour, deux jours; il faut combattre + sans relâche jusqu'au bout. _Qui persévèrera jusqu'à la fin, celui-là + sera sauvé_[373]. Et ne dites point: Cette guerre est bien longue! + Rien n'est long de ce qui finit: vous touchez au terme; car le _temps + est court, et la figure de ce monde passe_[374]. _Encore un moment_, + dit le Sauveur, _et le monde ne me verra plus; mais vous me verrez + parce que je vis, et que vous vivez_ en moi[375]. _Et l'esprit et + l'époux disent: Venez. Et que celui qui entend dise: Venez. Voilà que + je viens._ Ainsi soit-il! _Venez, Seigneur Jésus_[376]. + + [369] Ephes., IV, 23. + + [370] Matth., XIV, 38. + + [371] Luc., XXI. 36. + + [372] I. Cor., XVI, 13. + + [373] Matth., XXIV, 13. + + [374] I. Cor., VII, 29-31. + + [375] Joan., XIV, 19. + + [376] Apoc., XXII. 17, 20. + + + + +CHAPITRE XXXVI. + +Contre les vains jugements des hommes. + + +1. J.-C. Mon fils, ne cherchez qu'en Dieu le repos de votre coeur, et ne +craignez point les jugements des hommes, quand votre conscience vous +rend témoignage de votre innocence et de votre piété. + +Il est bon, il est heureux de souffrir ainsi; et ce ne sera point une +chose pénible pour le coeur humble qui se confie en Dieu plus qu'en +lui-même. + +On parle tant, qu'on doit ajouter peu de foi à ce qui se dit. + +Comment, d'ailleurs, contenter tout le monde? cela ne se peut. + +Bien que Paul s'efforçât de plaire à tous dans le Seigneur, et qu'il _se +fît tout à tous_[377], _il ne laissait pas d'être fort indifférent aux +jugements des hommes_[378]. + + [377] I. Cor., IX. 22. + + [378] _Ibid._, IV, 3. + +2. Il a fait tout ce qui était en lui pour l'édification et le salut des +autres; mais il n'a pas pu empêcher qu'ils ne l'aient quelquefois +condamné ou méprisé. + +C'est pourquoi il a remis tout à Dieu, qui connaît tout; et il n'a +opposé que l'humilité et la patience aux reproches injustes, aux faux +soupçons et aux mensonges de ceux qui se livraient, dans leurs discours, +à tout ce que leur suggérait la passion. + +Il s'est cependant justifié quelquefois, de peur que son silence ne +causât du scandale aux faibles. + +3. _Qu'avez-vous à craindre d'un homme mortel_[379]? Il est aujourd'hui, +et demain il aura disparu. + + [379] Is., LI. 12. + +Craignez Dieu, et vous ne redouterez rien des hommes. + +Que peut contre vous un homme par des paroles ou des outrages? Il se +nuit plus qu'à vous, et, quel qu'il soit, il n'évitera pas le jugement +de Dieu. + +Ayez Dieu toujours présent, et laissez là les contestations et les +plaintes. + +Que si vous paraissez succomber maintenant, et souffrir une confusion +que vous ne méritez pas, n'en murmurez point, et ne diminuez pas votre +couronne par votre impatience. + +Levez plutôt vos regards au ciel, vers moi, qui suis assez puissant pour +vous délivrer de l'opprobre et de l'injure, et _pour rendre à chacun +selon ses oeuvres_[380]. + + [380] Rom., II, 6. + + +RÉFLEXION. + + Pourquoi vous inquiéter des jugements des hommes, et que vous font + leurs vaines pensées? Ils ne voient tout au plus que les dehors: leur + oeil ne pénètre point au fond de l'âme, là où sont cachés le bien et + le mal. Ne vous affligez donc point s'ils vous condamnent, et ne vous + élevez point s'ils vous louent. Mais prosternez-vous devant Dieu, et + dites-lui: _Si vous scrutez, Seigneur, nos iniquités, qui soutiendra + votre regard_[381]? Quelques-uns s'exagèrent l'importance de ce qu'ils + appellent leur réputation, et dans l'excessive chaleur avec laquelle + ils la défendent, il y a souvent plus d'amour-propre que de zèle + véritable. Jésus-Christ chargé d'outrages nous a donné un autre + exemple: _il s'est tu et n'a point ouvert la bouche_[382]. Tous les + saints ont été comme lui persécutés et calomniés. Quand on a fait ce + qui dépendait de soi pour ne pas scandaliser ses frères, la conscience + doit être tranquille: il ne reste plus qu'à demeurer en paix dans + l'humiliation. Dieu sait tout, et cela suffit. _J'estime_, écrivait + saint Paul aux Corinthiens, _j'estime que ce m'est peu de chose d'être + jugé par vous, ou par aucun tribunal humain; je ne me juge pas + moi-même; celui qui me juge, c'est le Seigneur. Ne jugez donc point + avant le temps, jusqu'à ce que le Seigneur vienne: il éclairera ce qui + est caché dans les ténèbres, il manifestera les conseils des coeurs, + et alors chacun recevra de Dieu la louange qu'il mérite_[383]. + + [381] Ps. CXXIX, 3. + + [382] Ps. XXXVIII, 10. + + [383] Cor., IV, 3-5. + + + + +CHAPITRE XXXVII. + +Qu'il faut renoncer entièrement à soi-même pour obtenir la liberté du +coeur. + + +1. J.-C. Mon fils, quittez-vous, et vous me trouverez. + +N'ayez rien à vous, pas même votre volonté, vous y gagnerez constamment. + +Car vous recevrez une grâce plus abondante dès que vous aurez renoncé à +vous-même sans retour. + +2. LE F. Seigneur, en quoi dois-je me renoncer, et combien de fois? + +3. J.-C. Toujours et à toute heure, dans les plus petites choses comme +dans les plus grandes. Je n'excepte rien, et j'exige de vous un +dépouillement sans réserve. + +Comment pourrez-vous être à moi, et comment pourrai-je être à vous, si +vous n'êtes libre au dedans et au dehors de toute volonté propre? + +Plus vous vous hâterez d'accomplir ce renoncement, plus vous aurez de +paix; et plus il sera parfait et sincère, plus vous me serez agréable, +et plus vous obtiendrez de moi. + +4. Il y en a qui renoncent à eux-mêmes, mais avec quelque réserve; et +parce qu'ils n'ont pas en Dieu une pleine confiance, ils veulent encore +s'occuper de ce qui les touche. + +Quelques-uns offrent tout d'abord, mais la tentation survenant, ils +reprennent ce qu'ils avaient donné, et c'est pourquoi ils ne font +presque aucun progrès dans la vertu. + +Ni les uns ni les autres ne parviendront jamais à la vraie liberté d'un +coeur pur, jamais ils ne seront admis à ma douce familiarité, qu'après +un entier abandon et un continuel sacrifice d'eux-mêmes, sans lequel on +ne peut ni jouir de moi ni s'unir à moi. + +5. Je vous l'ai dit bien des fois, et je vous le redis encore: +Quittez-vous, renoncez à vous, et vous jouirez d'une grande paix +intérieure. + +Donnez tout pour trouver tout, ne recherchez, ne redemandez rien: +demeurez fermement attaché à moi seul, et vous me posséderez. + +Votre coeur sera libre, et dégagé des ténèbres qui l'obscurcissent. + +Que vos efforts, vos prières, vos désirs n'aient qu'un seul objet: +d'être dépouillé de tout intérêt propre, de suivre nu Jésus-Christ, de +mourir à vous-même, afin de vivre pour moi éternellement. + +Alors s'évanouiront toutes les pensées vaines, les pénibles inquiétudes, +les soins superflus. + + +RÉFLEXION. + + Vous l'avez dit, ô mon Jésus: _Si quelqu'un veut venir après moi, + qu'il renonce à soi-même, qu'il porte sa croix, et qu'il me + suive_[384]; et encore: _Celui qui ne renonce pas à tout ce qu'il + possède, ne peut être mon disciple_[385]. Il n'y a donc point à + hésiter; il faut choisir entre le monde et vous: _on ne saurait servir + deux maîtres_[386], et vous ne voulez point de partage. Se rechercher, + c'est s'éloigner de vous. Là où il reste encore quelque attache aux + choses de la terre, quelque volonté propre, quelque secrète + complaisance dans les dons soit de la nature, soit de la grâce, vous + ne régnez pas pleinement, Seigneur, et votre amour est en souffrance. + Hélas! comment peut-on, après avoir goûté la joie de votre union, + refuser de s'unir plus intimement à vous? Ô faiblesse et folie + incompréhensible du coeur humain! Est-il donc, ô mon Dieu, si + difficile de reconnaître le néant de tout ce qui n'est pas vous, + l'inconstance de notre volonté, l'incertitude de nos projets, la + vanité de nos désirs, et délaisser là je ne sais quels biens stériles + et misérables, une heure avant que la mort nous en dépouille sans + retour? Quelles seront nos pensées à ce moment où toutes les illusions + s'évanouissent? Que nous feront les choses du temps, lorsque le temps + finira pour nous? C'en est fait, Seigneur, je suis résolu à consommer + le sacrifice que vous exigez de ceux qui veulent vous appartenir. + Qu'on ne me parle plus du monde ni de moi-même: j'ai rompu mes + derniers liens; je suis mort, je ne vis désormais que de la vie de + Jésus-Christ en moi: ce corps est comme le suaire qui m'enveloppe; me + voilà étendu dans le tombeau, _enseveli avec Jésus-Christ en + Dieu_[387]. Amen, qu'il soit ainsi! + + [384] Matth., XVI, 24. + + [385] Luc., XIV, 33. + + [386] Matth., VI, 24. + + [387] Rom., VI, 4. + + + + +CHAPITRE XXXIII. + +Comment il faut se conduire dans les choses extérieures, et recourir à +Dieu dans les périls. + + +1. J.-C. Mon fils, en tous lieux, dans tout ce que vous faites, en tout +ce qui vous occupe au dehors, vous devez vous efforcer de demeurer libre +intérieurement, et maître de vous-même, de sorte que tout vous soit +assujetti, et que vous ne le soyez à rien. + +Ayez sur vos actions un empire absolu; soyez-en le maître, et non pas +l'esclave. + +Tel qu'un vrai Israélite, affranchi de toute servitude, entrez dans le +partage et dans la liberté des enfants de Dieu, qui, élevés au-dessus +des choses présentes, contemplent celles de l'éternité; qui donnent à +peine un regard à ce qui passe, et ne détachent jamais leurs yeux de ce +qui durera toujours; qui, supérieurs aux biens du temps, ne cèdent point +à leur attrait, mais plutôt les forcent de servir au bien, selon l'ordre +établi par Dieu, le régulateur suprême, qui n'a rien laissé de +désordonné dans ses oeuvres. + +2. Si, dans tous les événements, vous ne vous arrêtez point aux +apparences, et n'en croyez point les yeux de la chair sur ce que vous +voyez et entendez; si vous entrez d'abord, comme Moïse, dans le +tabernacle pour consulter le Seigneur, vous recevrez quelquefois sa +divine réponse, et vous reviendrez instruit de beaucoup de choses sur le +présent et l'avenir. + +Car c'était toujours dans le tabernacle que Moïse allait chercher +l'éclaircissement de ses difficultés et de ses doutes; et la prière +était son unique recours contre la malice et les piéges des hommes. + +Ainsi, vous devez vous réfugier dans le secret de votre coeur, pour +implorer le secours de Dieu avec plus d'instance. + +Nous lisons que Josué et les enfants d'Israël furent trompés par les +Gabaonites, _parce qu'ils n'avaient point auparavant consulté le +Seigneur_[388], et que, trop crédules à leurs flatteuses paroles, ils se +laissèrent séduire par une fausse pitié. + + +RÉFLEXION. + + La plupart des hommes, dominés par les premières impressions, agissent + sans consulter Dieu, et passent leur vie à se repentir le soir de ce + qu'ils ont fait le matin. On doit travailler continuellement à vaincre + une faiblesse si déplorable, en s'efforçant de résister aux mouvements + soudains qui s'élèvent en nous. Celui qui n'est pas maître de soi + court un grand péril; il est à chaque instant près de tomber. Il faut + s'exercer à vouloir, à dompter l'imagination qui emporte l'âme, à + soumettre le coeur et ses désirs à une règle inflexible. Mais que + ferons-nous, pauvres infirmes, si nous ne sommes aidés, secourus? De + nous-mêmes nous ne pouvons rien. _Le Seigneur est notre seule + force_[389]: implorons-le donc avec confiance, implorons-le sans + cesse: _la prière de l'humble pénètre le Ciel_[390]. _Levons les yeux + sur la montagne d'où nous viendra le secours_[391]. _Seigneur, Dieu de + mon salut, j'ai crié devant vous le jour et la nuit_[392]: _ce pauvre + a crié, et le Seigneur l'a exaucé, et il l'a sauvé de toutes ses + tribulations_[393]. _Béni soit le Seigneur parce qu'il a entendu la + voix de ma prière! le Seigneur est mon aide et mon protecteur; mon + coeur a espéré en lui, et il m'a secouru, et ma chair a refleuri, et + du fond de ma volonté je le louerai_[394]. _Tous mes os diront: + Seigneur, qui est semblable à vous_[395]? + + [388] Josué, IX, 14. + + [389] Ps. XVII, 2. + + [390] Eccl., XXXV, 21. + + [391] Ps. CXX, 1. + + [392] Ps. LXXX, 7, 2. + + [393] Ps. XXXIII, 7. + + [394] Ps. XXVII, 6-7. + + [395] Ps. XXXIV, 10. + + + + +CHAPITRE XXXIX. + +Qu'il faut éviter l'empressement dans les affaires. + + +1. J.-C. Mon fils, remettez-moi toujours vos intérêts; j'en disposerai +selon ce qui sera le mieux, au temps convenable. + +Attendez ce que j'ordonnerai, et vous y trouverez un grand avantage. + +2. LE F. Seigneur, je vous remets tout avec beaucoup de joie: car +j'avance bien peu quand je n'ai que mes propres lumières. + +Oh! que ne puis-je, oubliant l'avenir, m'abandonner, dès ce moment, sans +réserve à votre volonté souveraine! + +3. J.-C. Mon fils, souvent l'homme poursuit avec ardeur une chose qu'il +désire; l'a-t-il obtenue, il commence à s'en dégoûter, parce qu'il n'y a +rien de durable dans ses affections, et qu'elles l'entraînent +incessamment d'un objet à un autre. + +Ce n'est donc pas peu de se renoncer soi-même dans les plus petites +choses. + +4. Le vrai progrès de l'homme est l'abnégation de soi-même; et l'homme +qui ne tient plus à soi est libre et en assurance. + +Cependant l'ancien ennemi, qui s'oppose à tout bien, ne cesse pas de le +tenter; il lui dresse nuit et jour des embûches, et s'efforce de le +surprendre pour le faire tomber dans ses piéges. + +_Veillez et priez_, dit le Seigneur, _afin que vous n'entriez point en +tentation_[396]. + + +RÉFLEXION. + + Il y a dans les affaires un danger terrible pour l'âme, lorsqu'elle ne + veille pas sur elle-même attentivement. Nous ne parlons point des + tentations de l'intérêt, si vives pourtant, si multipliées, et qui + finissent ordinairement par affaiblir au moins la conscience. Alors + même qu'elles ne produisent pas ce triste effet, elles dessèchent le + coeur, préoccupent l'esprit, le détournent de Dieu et de la grande + pensée du salut. Il y a toujours quelque chose qui presse, qu'on ne + peut laisser en retard; et sous ce prétexte, sans dessein formé, par + le seul entraînement des occupations qu'on s'est faites, on abandonne + peu à peu les exercices qui nourrissent la piété, les lectures + saintes, la prière, les devoirs indispensables de la religion, et + ainsi la vie s'écoule pleine de projets, de soucis, de travaux, dans + l'oubli de _la seule chose nécessaire_[397]. Les maladies même ne + réveillent pas; aucun avertissement n'est écouté. Enfin la mort vient, + saisit cet homme, le présente au juge qui l'interroge: Qu'as-tu fait + du temps que je t'ai accordé? L'infortuné voit d'un coup d'oeil + trente, quarante, soixante années consumées tout entières dans les + soins de la terre, et il ne voit que cela. Son âme, il n'y a point + songé. Il est tard en ce moment pour commencer à s'occuper d'elle, et + son sort est fixé irrévocablement. Ah! pensez avant tout à ce qui ne + doit jamais finir. _Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa + justice, et le reste vous sera donné par surcroît_[398]. Éteindre en + soi le désir de ce qui passe, se confier en la Providence, ne vouloir + que ce qu'elle veut, comme elle le veut, et quand elle le veut, c'est + la voie de la paix et le seul fondement solide d'espérance à la + dernière heure. + + [396] Matth., XXVI, 41. + + [397] Luc., X, 42. + + [398] _Ibid._, XII, 31. + + + + +CHAPITRE XL. + +Que l'homme n'a rien de bon de lui-même, et ne peut se glorifier de +rien. + + +1. LE F. _Seigneur, qu'est-ce que l'homme, pour que vous vous souveniez +de lui? Et qu'est-ce que le fils de l'homme, pour que vous le +visitiez_[399]. + + [399] Ps. VIII, 5. + +Par où l'homme a-t-il pu mériter votre grâce? + +De quoi, Seigneur, puis-je me plaindre si vous me délaissez? Et qu'ai-je +à dire si vous ne faites pas ce que je demande? + +Je ne puis, certes, penser et dire avec vérité que ceci: Seigneur, je ne +suis rien, je ne peux rien, de moi-même je n'ai rien de bon, je sens ma +faiblesse en tout, et tout m'incline vers le néant. + +Si vous ne m'aidez et ne me fortifiez intérieurement, aussitôt je tombe +dans la tiédeur et le relâchement. + +2. _Mais vous, Seigneur, vous êtes toujours le même_[400], et vous +demeurez éternellement bon, juste et saint, faisant tout avec bonté, +avec justice, avec sainteté, et disposant tout avec sagesse. + + [400] Ps. CI, 27. + +Pour moi, qui ai plus de penchant à m'éloigner du bien qu'à m'en +approcher, je ne demeure pas longtemps dans un même état, et je change +sept fois le jour. + +Cependant je suis moins faible dès que vous le voulez, dès que vous me +tendez une main secourable: car vous pouvez seul, sans l'aide de +personne, me secourir et m'affermir de telle sorte, que je ne sois plus +sujet à tous ces changements, et que mon coeur se tourne vers vous seul, +et s'y repose à jamais. + +3. Si donc je savais rejeter toute consolation humaine, soit pour +acquérir la ferveur, soit à cause de la nécessité qui me presse de vous +chercher, ne trouvant point d'homme qui me console; alors je pourrais +tout espérer de votre grâce, et me réjouir de nouveau dans les +consolations que je recevrais de vous. + +4. Grâces vous soient rendues, à vous de qui découle tout ce qui +m'arrive de bien. + +Pour moi, je ne suis devant vous que vanité et néant, qu'un homme +inconstant et fragile. + +De quoi donc puis-je me glorifier? Comment puis-je désirer qu'on +m'estime? + +Serait-ce à cause de mon néant? mais quoi de plus insensé! + +Certes, la vaine gloire est la plus grande des vanités, et un mal +terrible, puisqu'elle nous éloigne de la véritable gloire, et nous +dépouille de la grâce céleste. + +Car, dès que l'homme se complaît en lui-même, il commence à vous +déplaire; et lorsqu'il aspire aux louanges humaines, il perd la vraie +vertu. + +5. La vraie gloire et la joie sainte est de se glorifier en vous et non +pas en soi; de se réjouir de votre grandeur et non de sa propre vertu; +de ne trouver de plaisir en nulle créature qu'à cause de vous. + +Que votre nom soit loué et non le mien; qu'on exalte vos oeuvres et non +les miennes; que votre saint nom soit béni, et qu'il ne me revienne rien +des louanges des hommes. + +Vous êtes ma gloire et la joie de mon coeur. + +En vous je me glorifierai, je me réjouirai sans cesse en vous et non pas +en moi, _si ce n'est dans mes infirmités_[401]. + +6. Que les Juifs _recherchent la gloire qu'on reçoit les uns des +autres_[402]: pour moi, je ne rechercherai que _celle qui vient de Dieu +seul_[403]. + +Car toute gloire humaine, tout honneur du temps, toute grandeur de ce +monde, comparée à votre gloire éternelle, est folie et vanité. + +Ô ma vérité, ma miséricorde, ô mon Dieu! Trinité bienheureuse! à vous +seule louange, honneur, gloire, puissance dans les siècles des siècles. + + +RÉFLEXION. + + Si je descends en moi-même et que je m'interroge sur ce que je suis, + que trouvé-je, ô mon Dieu! Une raison incertaine toujours près de + s'égarer, d'inconstantes affections, un mélange inexplicable + d'espérances et de craintes vaines, des inclinations viciées, une + foule innombrable de désirs qui sans cesse m'agitent et me + tourmentent, quelquefois une joie fugitive, habituellement un profond + ennui, je ne sais quel instinct du ciel et toutes les passions de la + terre, une volonté infirme qui tout ensemble veut et ne veut pas, un + grand orgueil dans une grande misère: voilà mon état tel que le péché + l'a fait, et je sens de plus en moi l'impuissance de relever une + nature si profondément déchue. Il a fallu que Dieu même vînt soulever + ce poids immense de dégradation: sans un Rédempteur divin, l'éternité + entière aurait passé sur les ruines de l'homme. Il a paru ce + Rédempteur, il a dit: _Me voici[404]!_ et son sang a satisfait à la + suprême justice, et sa grâce a réparé le désordre de l'intelligence et + le désordre du coeur: elle a rétabli l'image de Dieu dans sa créature + tombée. Incompréhensible mystère d'amour! et comment répondre à un tel + bienfait? Reconnaissons au moins notre faiblesse et notre indigence; + ne nous attribuons aucun des biens qui nous sont donnés gratuitement; + rendons la gloire à qui elle appartient, et entrons de toutes les + puissances de notre être dans les sentiments du Prophète: _Seigneur + mon Dieu, je vous ai invoqué, et vous m'avez guéri. Vous avez retiré + mon âme de l'enfer, et vous m'avez séparé de ceux qui descendent dans + le lac. Chantez le Seigneur, vous qui êtes ses saints, et célébrez la + mémoire de sa sainteté[405]!_ + + [401] II. Cor., XII, 5. + + [402] Joann., V, 44. + + [403] _Ibid._ + + [404] Ps. XXXIX, 8. + + [405] Ps. XXIX, 3-5. + + + + +CHAPITRE XLI. + +Du mépris de tous les honneurs du temps. + + +1. J.-C. Mon fils, n'enviez point les autres, si vous les voyez honorés +et élevés, tandis qu'on vous méprise et qu'on vous humilie. + +Élevez votre coeur au ciel vers moi, et vous ne vous affligerez point +d'être méprisé des hommes sur la terre. + +2. LE F. Seigneur, nous sommes aveugles, et la vanité nous séduit bien +vite. + +Si je me considère attentivement, je reconnais qu'aucune créature ne m'a +jamais fait d'injustice, et qu'ainsi je n'ai nul sujet de me plaindre de +vous. + +Après vous avoir tant offensé, et si grièvement, il est juste que toute +créature s'arme contre moi. + +La honte et le mépris, voilà donc ce qui m'est dû; et à vous la louange, +l'honneur et la gloire. + +Et si je me dispose à souffrir avec joie, à désirer même d'être méprisé, +abandonné de toutes les créatures et compté pour rien, je ne puis ni +posséder au dedans de moi une paix solide, ni recevoir la lumière +spirituelle, ni être uni parfaitement à vous. + + +RÉFLEXION. + + Celui qui s'examine devant Dieu, à la lumière de la vérité, se méprise + souverainement, parce qu'il ne trouve en soi, sans la grâce, qu'un + fonds immense de corruption: et dès lors, loin de rechercher l'estime, + les respects, les honneurs, il se réfugie dans son abjection comme + dans le seul asile contre l'orgueil, la plus grande de ses misères. Si + on l'abaisse, si on le dédaigne, il ne se plaint ni ne s'irrite; il + reconnaît qu'on lui fait justice, et l'on ne saurait tant l'humilier, + qu'il ne s'humilie encore davantage intérieurement; car, en tout, + c'est Dieu qu'il regarde, et non pas les hommes. Il dit comme Job: _Si + je veux me justifier, ma bouche me condamnera; et si elle entreprend + de montrer mon innocence, elle ne prouvera que mon crime_[406]. Puis, + dans l'amertume de son coeur, appelant la miséricorde, il invoque le + Père céleste qui a pitié de sa pauvre créature. _J'ai péché: que + ferai-je, ô Sauveur des hommes? Pourquoi avez-vous mis la guerre entre + vous et moi, et suis-je devenu à charge à moi-même? Pourquoi + n'ôtez-vous pas mon péché, et n'effacez-vous pas mon iniquité? Voilà + que je dormirai dans la poussière, et quand vous me chercherez le + matin je ne serai plus_[407]. Heureux celui qui s'accuse, car il + obtiendra le pardon! heureux celui qui choisit la dernière place, car + on lui dira: _Montez plus haut_[408]! + + [406] Job, XI, 20. + + [407] Job, VII, 20, 21. + + [408] Luc., XIV, 10. + + + + +CHAPITRE XLII. + +Qu'il ne faut pas que notre paix dépende des hommes. + + +1. J.-C. Si vous faites dépendre votre paix de quelque personne, à cause +de l'habitude de vivre avec elle et de la conformité de vos sentiments, +vous serez dans l'inquiétude et le trouble. + +Mais si vous cherchez votre appui dans la vérité immuable et toujours +vivante, vous ne serez point accablé de tristesse quand un ami s'éloigne +ou meurt. + +Toute amitié doit être fondée sur moi; et c'est pour moi que vous devez +aimer tous ceux qui vous paraissent aimables et qui vous sont les plus +chers en cette vie. + +Sans moi l'amitié est stérile et dure peu; et toute affection, dont je +ne suis pas le lien, n'est ni véritable ni pure. + +Vous devez être mort à ces affections humaines, jusqu'à souhaiter de +n'avoir, s'il se pouvait, aucun commerce avec les hommes. + +Plus l'homme s'éloigne des consolations de la terre, plus il s'approche +de Dieu. + +Et il s'élève d'autant plus vers Dieu qu'il descend plus profondément en +lui-même, et qu'il est plus vil à ses propres yeux. + +2. Celui qui s'attribue quelque bien, empêche que la grâce de Dieu +descende en lui, parce que la grâce de l'Esprit saint cherche toujours +les coeurs humbles. + +Si vous saviez vous anéantir parfaitement, et bannir de votre coeur tout +amour de la créature, alors venant à vous, je vous inonderais de ma +grâce. + +Quand vous regardez la créature, vous perdez de vue le Créateur. + +Apprenez à vous vaincre en tout à cause de lui, et vous pourrez alors +parvenir à le connaître. + +Le plus petit objet désiré, aimé avec excès, souille l'âme et la sépare +du souverain bien. + + +RÉFLEXION. + + La religion sanctifie tout, et ne détruit rien, hors le péché; elle + n'interdit pas les affections naturelles; au contraire, il y en a + qu'elle commande expressément, et le précepte de l'amour mutuel est un + de ceux que l'Évangile inculque avec le plus de soin. _Aimons-nous les + uns les autres_[409], répète sans cesse l'apôtre saint Jean. _Celui + qui n'aime point demeure dans la mort_[410]; _il ne connaît pas Dieu, + car Dieu est amour_[411]. Et, dans la nuit de la Cène, ne voyons-nous + pas reposer sur le coeur de Jésus _le disciple qu'il aimait_[412]? + Mais nos affections, pour être pures, doivent avoir leur principe en + Dieu, et leur règle dans sa volonté. Alors ce ne sont plus des + sentiments de la terre, qui, en passant, agitent et troublent l'âme: + c'est quelque chose de l'éternité, comme elle invariable et calme + comme elle. Défiez-vous des attachements qui altèrent la paix du + coeur. Nulle créature ne doit être aimée qu'avec une soumission + parfaite aux ordres de la Providence. Toujours nous devons être prêts + à supporter sans plainte ce qui afflige le plus la nature, l'absence, + la séparation, la mort même, nous souvenant de ce que dit l'Apôtre: + _Nous ne voulons pas, mes frères, que vous soyez dans l'ignorance + touchant ceux qui dorment, afin que vous ne vous attristiez pas comme + les autres hommes, qui n'ont point d'espérance. Car si nous croyons + que Jésus est mort et ressuscité, ainsi Dieu amènera avec Jésus ceux + qui se seront endormis en lui. Nous vous disons ceci d'après la parole + du Seigneur: nous qui vivons, qui sommes réservés pour son avénement, + nous ne préviendrons point ceux qui sont déjà dans le sommeil. Car, au + commandement de l'Archange, à sa voix, au son de la trompette de Dieu, + le Seigneur lui-même descendra du ciel, et les morts qui reposent dans + le Christ se lèveront les premiers. Ensuite, nous qui vivons et qui + serons demeurés jusqu'alors, nous serons enlevés avec eux dans les + nuées, au devant du Christ, au milieu des airs; et ainsi nous serons à + jamais avec le Seigneur. Consolez-vous les uns les autres dans ces + paroles_[413]. + + [409] Joann., IV, 7. + + [410] _Ibid._, III, 14. + + [411] _Ibid._, IV, 8. + + [412] _Ibid._, XIII. 23. + + [413] I. Thessal., IV, 12-17. + + + + +CHAPITRE XLIII. + +Contre la vaine science du siècle. + + +1. J.-C. Mon fils, ne vous laissez pas émouvoir au charme et à la beauté +des discours des hommes: _car le royaume de Dieu ne consiste pas dans +les discours, mais dans les oeuvres_[414]. + + [414] I. Cor., IV, 20. + +Soyez attentif à mes paroles, qui enflamment le coeur, éclairent, +attendrissent l'âme, et la remplissent de consolation. + +Ne lisez jamais pour paraître plus savant ou plus sage. + +Étudiez-vous à mortifier vos vices; cela vous servira plus que la +connaissance des questions les plus difficiles. + +2. Après avoir beaucoup lu et beaucoup appris, il en faut toujours +revenir à l'unique principe de toutes choses. + +C'est moi qui donne à l'homme la science, et qui éclaire l'intelligence +des petits enfants, plus que l'homme ne le pourrait par aucun +enseignement. + +Celui à qui je parle est bientôt instruit, et fait de grands progrès +dans la vie de l'esprit. + +Malheur à ceux qui interrogent les hommes sur toutes sortes de questions +curieuses, et qui s'inquiètent peu d'apprendre à me servir! + +Viendra le jour où Jésus-Christ, le Maître des maîtres, le Seigneur des +anges, apparaîtra, pour demander compte à chacun de ce qu'il sait, +c'est-à-dire pour examiner les consciences. + +Et alors, _la lampe à la main, il scrutera Jérusalem_[415]: _les secrets +des ténèbres seront dévoilés_[416], et toute langue se taira. + + [415] Soph., 1, 12. + + [416] Cor., IV, 5. + +3. C'est moi qui, en un moment, élève l'âme humble, et la fais pénétrer +plus avant dans la vérité éternelle, que ne le pourrait celui qui aurait +étudié dix années dans les écoles. + +J'enseigne sans bruit de paroles, sans embarras d'opinions, sans faste, +sans arguments, sans disputes. + +J'apprends à mépriser les biens de la terre, à dédaigner ce qui passe, à +rechercher et à goûter ce qui est éternel, à fuir les honneurs, à +souffrir les scandales, à mettre en moi toute son espérance, à ne +désirer rien hors de moi, et à m'aimer ardemment et par-dessus tout. + +4. Quelques-uns, en m'aimant ainsi, ont appris des choses toutes +divines, dont ils parlaient d'une manière admirable. + +Ils ont fait plus de progrès en quittant tout, que par une profonde +étude. + +Mais je dis aux uns des choses plus générales; aux autres, de plus +particulières. J'apparais à quelques-uns doucement voilé sous des ombres +et des figures; je révèle à d'autres mes mystères au milieu d'une vive +splendeur. + +Les livres parlent à tous le même langage; mais il ne produit pas sur +tous les mêmes impressions, parce que moi seul j'enseigne la vérité au +dedans, je scrute les coeurs, je pénètre les pensées, j'excite à agir, +et je distribue mes dons à chacun, selon qu'il me plaît. + + +RÉFLEXION. + + Plusieurs se fatiguent et se tourmentent pour acquérir la science, _et + j'ai vu_, dit le Sage, _que cela aussi était vanité, travail et + affliction d'esprit_[417]. À quoi vous servira de connaître les choses + de ce monde, quand ce monde même aura passé? Au dernier jour, on ne + vous demandera pas ce que vous avez su, mais ce que vous avez fait; + _et il n'y a plus de science dans les enfers, vers lesquels vous vous + hâtez_[418]. Cessez un vain labeur. Qui que vous soyez, vous n'avez + que trop cultivé l'arbre dont les fruits donnent la mort. Laissez la + science qui nourrit l'orgueil, _la science qui enfle_, pour vous + occuper uniquement d'acquérir celle qui fait les humbles et les + saints, _la charité qui édifie_[419]. Apprenez à vous humilier, à + connaître votre néant et votre corruption. Alors Dieu viendra vers + vous; il vous éclairera de sa lumière, il vous enseignera, dans le + secret du coeur, cette science merveilleuse dont Jésus a dit: _Je vous + bénis, mon Père, Seigneur du ciel et de le terre, parce que vont avez + caché ces choses aux sages et aux prudents, et les avez révélées aux + petits_[420]. + + [417] Eccl., I, 17. + + [418] _Ibid._, IX, 10. + + [419] I. Cor., VIII, 1. + + [420] Luc., X, 21. + + + + +CHAPITRE XLIV. + +Qu'il ne faut point s'embarrasser dans les choses extérieures. + + +1. J.-C. Mon fils, il faut que vous vous teniez dans l'ignorance de +beaucoup de choses; _que vous soyez comme mort au monde, et que le monde +soit mort pour vous_[421]. + + [421] Col., III, 3. Gal., VI, 14. + +Il faut aussi fermer l'oreille à bien des discours, et penser plutôt à +vous conserver en paix. + +Il vaut mieux détourner les yeux de ce qui déplaît, et laisser chacun +dans son sentiment, que de s'arrêter à contester. + +Si vous prenez soin d'avoir Dieu pour vous, et que son jugement vous +soit toujours présent, vous supporterez sans peine d'être vaincu. + +2. LE F. Hélas! Seigneur, où en sommes-nous venus? On pleure une perte +temporelle, on court, on se fatigue pour le moindre gain; et l'on oublie +les pertes de l'âme, ou l'on ne s'en souvient qu'à peine et bien tard. + +On est attentif à ce qui ne sert peu ou point du tout, et l'on passe +avec négligence sur ce qui est souverainement nécessaire; parce que +l'homme se répand tout entier au dehors, et que, s'il ne rentre +promptement en lui-même, il demeure avec joie enseveli dans les choses +extérieures. + + +RÉFLEXION. + + Si vous saviez mourir demain, que vous importeraient les choses de la + terre, ce qui se fait, ce qui se dit autour de vous? Eh bien! vous + mourrez demain; car la vie est à peine d'un jour. Soyez donc dès ce + moment tel que vous voudrez avoir été, quand l'éternité s'ouvrira + devant vous. Ni la science, ni la richesse, ni rien de ce qui est du + monde ne vous servira au jugement de Dieu: vous n'y porterez que vos + oeuvres. _Il y avait un homme riche dont les terres avaient produit + une moisson extraordinaire; et il pensait en lui-même, disant: Que + ferai-je? car je n'ai point de lieu où recueillir tous ces fruits. Et + il dit: Voici ce que je ferai: j'abattrai mes greniers, et j'en + bâtirai de plus grands, et j'y amasserai toute ma récolte, et tous mes + biens; et je dirai à mon âme: Mon âme, tu as beaucoup de biens en + réserve pour plusieurs années: repose-toi, mange, bois, fais bonne + chère. Mais Dieu lui dit: Insensé, cette nuit même on te redemandera + ton âme; et pour qui sera ce que tu as amassé? Ainsi en est-il de + celui qui thésaurise pour lui-même, et qui n'est pas riche devant + Dieu_[422]. + + [422] Luc., XII, 16-21. + + + + +CHAPITRE XLV. + +Qu'il ne faut pas croire tout le monde, et qu'il est difficile de garder +une sage mesure dans ses paroles. + + +1. LE F. _Secourez-moi, Seigneur, dans la tribulation: car le salut ne +vient pas de l'homme_[423]. + + [423] Ps. LIX, 11. + +Combien de fois ai-je en vain cherché la fidélité où je croyais la +trouver? combien de fois l'ai-je trouvée où je l'attendais le moins? + +Vanité donc d'espérer dans les hommes; mais vous êtes, mon Dieu, le +salut des justes. + +Soyez béni, Seigneur, en tout ce qui nous arrive. + +2. Nous sommes faibles et changeants; un rien nous séduit et nous +ébranle. + +Quel est l'homme si vigilant et si réservé qu'il ne tombe jamais dans +aucune surprise, ni dans aucune perplexité? + +Mais celui, mon Dieu, qui se confie en nous, et qui vous cherche dans la +simplicité de son coeur, ne chancelle pas si aisément. + +Et s'il éprouve quelque affliction, s'il est engagé en quelque embarras, +vous l'en tirez bientôt, ou vous le consolez: car vous n'abandonnez pas +pour toujours celui qui espère en vous. + +Quoi de plus rare qu'un ami fidèle, qui ne s'éloigne point quand +l'infortune accable son ami? + +Seigneur, vous êtes seul constamment fidèle; et nul ami n'est comparable +à vous. + +3. Oh! que de sagesse dans ce que disait cette sainte âme: _Mon coeur +est affermi et fondé en Jésus-Christ_[424]! + + [424] Sainte Agathe. + +S'il en était ainsi de moi, je serais moins troublé par la crainte des +hommes, et moins ému de leurs paroles malignes. + +Qui peut prévoir, qui peut détourner tous les maux à venir? Si ceux +qu'on a prévus, souvent blessent encore, que sera-ce donc de ceux qui +nous frappent inopinément? + +Pourquoi, malheureux que je suis, n'ai-je pas pris de plus sûres +précautions pour moi-même? Pourquoi aussi ai-je eu tant de crédulité +pour les autres? + +Mais nous sommes des hommes, et rien autre chose que des hommes +fragiles, quoique plusieurs nous croient et nous appellent des anges. + +À qui croirai-je, Seigneur! à qui, si ce n'est à vous? Vous êtes la +vérité qui ne trompe point, et qu'on ne peut tromper. + +Au contraire, _tout homme est menteur_[425], faible, inconstant, +fragile, surtout dans ses paroles; de sorte qu'on doit à peine croire +d'abord ce qui paraît le plus vrai dans ce qu'il dit. + + [425] Ps. LXI, 9. + +4. Que vous nous avez sagement avertis de nous défier des hommes; que +_l'homme a pour ennemis ceux de sa propre maison_[426]; et que si +quelqu'un dit: _Le Christ est ici, ou il est là_[427], il ne faut pas le +croire! + + [426] Mich., VII, 2. + + [427] Matth., XXIV, 23. + +Une dure expérience m'a éclairé: heureux si elle sert à me rendre moins +insensé et plus vigilant! + +Soyez discret, me dit quelqu'un, soyez discret; ce que je vous dis n'est +que pour vous. Et pendant que je me tais et que je crois la chose +secrète, il ne peut lui-même garder le silence qu'il m'a demandé; mais, +dans l'instant, il me trahit, se trahit lui-même et s'en va. + +Éloignez de moi, Seigneur, ces confidences trompeuses; ne permettez pas +que je tombe entre les mains de ces hommes indiscrets, ou que je leur +ressemble. + +Mettez dans ma bouche des paroles invariables et vraies; et que ma +langue soit étrangère à tout artifice. + +Ce que je ne peux souffrir en autrui, je dois m'en préserver avec soin. + +5. Oh! qu'il est bon, qu'il est nécessaire pour la paix, de se taire sur +les autres, de ne pas tout croire indifféremment, ni tout redire sans +réflexion, de se découvrir à peu de personnes, de vous chercher toujours +pour témoin de son coeur, de ne pas se laisser emporter à tout vent de +paroles; mais de désirer que tout en nous et hors de nous s'accomplisse +selon qu'il plaît à votre volonté! + +Que c'est encore un sûr moyen pour conserver la grâce céleste, de fuir +ce qui a de l'éclat aux yeux des hommes, de ne point rechercher ce qui +semble attirer leur admiration; mais de travailler ardemment à acquérir +ce qui produit la ferveur et corrige la vie! + +À combien d'hommes a été funeste une vertu connue et louée trop tôt! + +Que de fruits, au contraire, d'autres ont tirés d'une grâce conservée en +silence durant cette vie fragile, qui n'est qu'une tentation et une +guerre continuelle! + + +RÉFLEXION. + + Ne vous appuyez pas sur les hommes, car ils vous manqueront tôt ou + tard. L'homme est faible, indiscret, inconstant, léger, enclin à tout + rapporter à soi. Le moindre caprice l'éloigne, le moindre intérêt + suffit pour le transformer en ennemi. Alors il se montre tel qu'il + est. Il vous aimait, mais pour lui-même, pour tirer parti de vous au + besoin. Fuyez, fuyez ces faux amis du monde. Celui-ci vous trahit, cet + autre vous délaisse. Arrive-t-il des circonstances qui vous forcent de + recourir à eux, _tous commencent à s'excuser. Le premier dit: J'ai + acheté une terre; il faut nécessairement que je l'aille voir: je vous + supplie de m'excuser. Un autre dit: J'ai acheté cinq paires de boeufs, + et je vais les éprouver: je vous supplie de m'excuser. Un autre dit: + J'ai épousé une femme, et c'est pourquoi je ne puis aller_[428]. Voilà + les amitiés humaines. Vous seul, mon Dieu, vous seul n'abandonnez + point ceux qui vous aiment, ceux qui espèrent en vous: toujours vous + êtes près d'eux pour les soutenir et les consoler. Jamais vous ne vous + lassez d'entendre leurs gémissements, d'écouter leurs plaintes, de + recueillir leurs larmes. Rien n'est au-dessous de votre tendresse: cet + homme abject aux yeux des hommes, ce pauvre rebuté de toutes parts, + _vous l'assistez, mon Dieu, sur le lit de sa douleur, et votre main + retourne son lit pour y reposer ses infirmités_[429]: puis, quand sa + tâche est accomplie, à la fin du jour, vous le recevez dans + l'éternelle paix. + + [428] Luc., XIV, 18, 20. + + [429] Ps. XL, 4. + + + + +CHAPITRE XLVI. + +Qu'il faut mettre sa confiance en Dieu, lorsqu'on est assailli de +paroles injurieuses. + + +1. J.-C. Mon fils, demeurez ferme, et espérez en moi. Qu'est-ce, après +tout, que des paroles? un vain bruit. Elles frappent l'air, mais ne +brisent point la pierre. + +Si vous êtes coupable, songez que votre désir doit être de vous +corriger. Si votre conscience ne vous reproche rien, pensez que vous +devez souffrir avec joie cette légère peine pour Dieu. + +C'est bien ce qu'il y a de moindre, que, de temps en temps, vous +supportiez quelques paroles, vous qui ne pouvez encore soutenir de plus +rudes épreuves. + +Et pourquoi de si petites choses vont-elles jusqu'à votre coeur, si ce +n'est que vous êtes encore charnel, et trop occupé des jugements des +hommes? + +Vous craignez le mépris, et à cause de cela vous ne voulez pas être +repris de vos fautes, et vous cherchez des excuses pour les couvrir. + +2. Scrutez mieux votre coeur, et vous reconnaîtrez que le monde vit +encore en vous, et le vain désir de plaire aux hommes. + +Car votre répugnance à être abaissé, confondu par vos faiblesses, prouve +que vous n'avez pas une humilité sincère, que vous n'êtes pas +_véritablement mort au monde, et que le monde n'est pas crucifié pour +vous_[430]. + + [430] Galat., VI, 14. + +Écoutez ma parole, et vous vous inquiéterez peu de toutes les paroles +des hommes. + +Quand on dirait contre vous tout ce que peut inventer la plus noire +malice, en quoi cela vous nuirait-il, si vous le laissez passer comme la +paille que le vent emporte? En perdriez-vous un seul cheveu? + +3. Celui dont le coeur n'est pas renfermé en lui-même, et qui n'a pas +Dieu toujours présent, s'émeut aisément d'une parole de blâme. + +Mais celui qui se confie en moi et qui ne s'appuie pas sur son propre +jugement, ne craindra rien des hommes. + +Car c'est moi qui connais et qui juge ce qui est secret; je sais la +vérité de toute chose, qui a fait l'injure et qui la souffre. + +Cette parole, elle est venue de moi; cet événement, je l'ai permis, +_afin que ce qu'il y a de caché dans beaucoup de coeurs fût +révélé_[431]. + + [431] Luc., II, 35. + +Je jugerai l'innocent et le coupable; mais, par un secret jugement, j'ai +voulu auparavant éprouver l'un et l'autre. + +4. Le témoignage des hommes trompe souvent; mais mon jugement est vrai: +il subsistera et ne sera point ébranlé. + +Le plus souvent il est caché, et peu de personnes le découvrent en +chaque chose: cependant il n'erre jamais, et ne peut errer, quoiqu'il ne +paraisse pas toujours juste aux yeux des insensés. + +C'est donc à moi qu'il faut remettre le jugement de tout, sans jamais +s'en rapporter à son propre sens. + +_Le juste ne sera point troublé, quoi qu'il lui arrive par l'ordre de +Dieu_[432]. Il lui importera peu qu'on l'accuse injustement. + + [432] Prov., X, 21. + +Et si d'autres le défendent et réussissent à le justifier, il n'en +concevra pas non plus une vaine joie. + +Car il se souvient que c'est moi _qui sonde les coeurs et les +reins_[433]; et que je ne juge point sur les dehors et les apparences +humaines. + + [433] Ps. VII, 10. + +Ce qui paraît louable au jugement des hommes, souvent est criminel à mes +yeux. + +5. LE F. Seigneur mon Dieu, juge infiniment juste, fort et patient, qui +connaissez la fragilité de l'homme et son penchant au mal, soyez ma +force et toute ma confiance: car ma conscience ne me suffit pas. + +Vous connaissez ce que je ne connais point; ainsi j'ai dû m'abaisser +sous tous les reproches et les supporter avec douceur. + +Pardonnez-moi dans votre bonté, toutes les fois que je n'ai pas agi de +la sorte, et donnez-moi plus abondamment la grâce qui apprend à +souffrir. + +Car je dois compter bien plus sur votre grande miséricorde pour obtenir +le pardon, que sur ma vertu apparente pour justifier ce que ma +conscience recèle. + +_Quoique je ne me reproche rien, je ne suis cependant pas justifié pour +cela_[434]; parce que, sans votre miséricorde, _nul homme vivant ne sera +juste devant vous_[435]. + + [434] Cor., IV, 4. + + [435] Ps. CXLII, 2. + + +RÉFLEXION. + + _Vous serez heureux quand on vous maudira, et qu'on vous persécutera, + et qu'on dira faussement toute sorte de mal contre vous: + réjouissez-vous alors, et soyez ravis de joie, parce que votre + récompense est grande dans les cieux_[436]. Combien cependant, malgré + cette parole, ne nous troublons-nous pas des discours des hommes et de + leurs jugements? Nous ne pouvons supporter qu'on nous abaisse; nous + voulons à tout prix être loués, estimés. Séduits par un vain fantôme + de réputation, nous oublions Dieu et ses enseignements, et les biens + qu'il promet aux humbles. Étrange effet de l'orgueil toujours vivant + au fond de notre misérable coeur! Que vous importe l'outrage, + l'injure, la calomnie? D'où vient qu'elle excite en vous une peine si + amère, un si vif ressentiment? Craignez-vous donc d'avoir trop de + moyens d'expiation, trop d'espérances de miséricorde? Mais on vous + accuse à tort. Aimeriez-vous mieux que ce fût avec justice? Si vous + n'avez pas commis la faute qu'on vous reproche, que d'autres vous avez + commises qu'on ne vous reproche point! Descendez dans votre + conscience, vous y entendrez une voix plus sévère que celles qui + s'élèvent contre vous. Celles-ci se tairont, mais l'autre parlera + devant le Juge en présence duquel tout à l'heure vous comparaîtrez, + loin des bruits de la terre, dans le silence de l'éternité. Pensez à + ce moment formidable, et vous vous inquiéterez peu de ce que les + hommes disent de vous. + + [436] Matth., V, 11, 12. + + + + +CHAPITRE XLVII. + +Qu'il faut être prêt à souffrir pour la vie éternelle tout ce qu'il y a +de plus pénible. + + +1. J.-C. Mon fils, que les travaux que vous avez entrepris pour moi ne +brisent pas votre courage, et que les afflictions ne vous abattent pas +entièrement; mais qu'en tout ce qui arrive, ma promesse vous console et +vous fortifie. + +Je suis assez puissant pour vous récompenser au-delà de toutes bornes et +de toute mesure. + +Vous ne serez pas longtemps ici dans le travail, ni toujours chargé de +douleurs. + +Attendez un peu, et vous verrez promptement la fin de vos maux. + +Une heure viendra où le travail et le trouble cesseront. + +Tout ce qui passe avec le temps est peu de chose et ne dure guère. + +2. Faites ce que vous avez à faire; travaillez fidèlement à ma vigne, et +je serai moi-même votre récompense. + +Écrivez, lisez, chantez mes louanges, gémissez, gardez le silence, +priez, souffrez courageusement l'adversité: la vie éternelle est digne +de tous ces combats, et de plus grands encore. + +_Il y a un jour connu du Seigneur_, où la paix viendra; et _il n'y aura +plus de jour ni de nuit_[437] comme sur cette terre, mais une lumière +perpétuelle, une splendeur infinie, une paix inaltérable, un repos +assuré. + + [437] Zachar., XIV, 7. + +Vous ne direz plus alors: _Qui me délivrera de ce corps de mort[438]?_ +Vous ne vous écrierez plus: _Malheur à moi, parce que mon exil a été +prolongé[439]!_ car _la mort sera détruite_[440], et le salut sera +éternel; plus d'angoisses, une joie ravissante, une société de gloire et +de bonheur. + + [438] Rom., VII, 24. + + [439] Ps. CXIX, 5. + + [440] Is., XXV, 8. + +3. Oh! si vous aviez vu, dans le ciel, les couronnes immortelles des +Saints, de quel glorieux éclat resplendissent ces hommes que le monde +méprisait et regardait comme indignes de vivre: aussitôt, certes, vous +vous prosterneriez jusque dans la poussière, et vous aimeriez mieux être +au-dessous de tous qu'au-dessus d'un seul! + +Vous ne désireriez point les jours heureux de cette vie; mais plutôt +vous vous réjouiriez de souffrir pour Dieu, et vous regarderiez comme le +plus grand gain d'être compté pour rien parmi les hommes. + +Oh! si vous goûtiez ces vérités, si elles pénétraient jusqu'au fond de +votre coeur, comment oseriez-vous vous plaindre, même une seule fois? + +Est-il rien de pénible qu'on ne doive supporter pour la vie éternelle? + +Ce n'est pas peu que de gagner ou de perdre le royaume de Dieu. + +Levez donc les yeux au ciel. Me voilà, et avec moi tous mes Saints: ils +ont soutenu dans ce monde un grand combat: et maintenant ils se +réjouissent, maintenant ils sont consolés et à l'abri de toute crainte, +maintenant ils se reposent, et ils demeureront à jamais avec moi dans le +royaume de mon Père. + + +RÉFLEXION. + + Quand la vie nous paraît pesante, quand nous sommes près de succomber + à la tristesse de l'exil, levons les yeux et contemplons l'aurore de + notre délivrance; car _cette enveloppe mortelle s'en va se détruisant, + mais l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour_[441]. Attendons, + souffrons en paix; l'heure du repos approche. _Les légères + tribulations de cette vie d'un moment, nous élevant sans mesure, + produisent en nous un poids éternel de gloire_[442]. Qu'importe un peu + de fatigue, un peu de travail sur la terre? Nous passons, et _n'avons + point ici de cité permanente_[443]. Jésus _est allé devant pour nous + préparer une demeure en la maison de son Père; et puis il viendra, et + il nous prendra avec lui, afin que là où il est, nous y soyons + aussi_[444]. _Ô Jésus, ô mon Sauveur! mon âme languit après vous, elle + vous désire comme le cerf altéré désire l'eau des fontaines_[445]. + Venez, ne tardez pas: loin de vous, _nous sommes assis dans l'ombre de + la mort_[446]. Hâtez-vous, Seigneur; faites luire sur nous la lumière + de votre face, et qu'elle nous guide à la céleste Jérusalem, au pied + du trône de l'Agneau. Là, dans le ravissement de l'amour, dans + l'immortelle extase de la joie, les choeurs des Bienheureux mêlés aux + choeurs des Anges, célèbrent le Dieu trois fois saint. Et moi, + Seigneur, _sur le bord des fleuves de Babylone, j'ai pleuré en me + ressouvenant de Sion_[447]. Console-toi, mon âme, prête l'oreille; + n'entends-tu pas dans le lointain comme le premier murmure qui annonce + l'arrivée de l'Époux? _Encore un moment et tu le verras_[448]: encore + un moment, et rien jamais ne pourra te séparer de lui! + + [441] II. Cor., IV, 16. + + [442] _Ibid._, 17. + + [443] Hebr., XIII, 14. + + [444] Joann., XIV, 2, 3. + + [445] Ps. XLI, 2. + + [446] Luc., I, 79. + + [447] Ps. CXXXVI, 1. + + [448] Joann., XVI, 19. + + + + +CHAPITRE XLVIII. + +De l'éternité bienheureuse, et des misères de cette vie. + + +1. LE F. Ô bienheureuse demeure de la cité céleste! jour éclatant de +l'éternité, que la nuit n'obscurcit jamais, et que la vérité souveraine +éclaire perpétuellement de ses rayons; jour immuable de joie et de +repos, que nulle vicissitude ne trouble! + +Oh! que ce jour n'a-t-il lui déjà sur les ruines du temps, et de tout ce +qui passe avec le temps! + +Il luit pour les Saints dans son éternelle splendeur: mais nous, +voyageurs sur la terre, nous ne le voyons que de loin, comme à travers +un voile. + +2. Les citoyens du ciel en connaissent les délices: mais les fils d'Ève, +encore exilés, gémissent sur l'amertume et l'ennui de la vie présente. + +_Les jours d'ici-bas sont courts et mauvais_[449], pleins de douleurs et +d'angoisses. + + [449] Genes., XLVII, 9. + +L'homme y est souillé de beaucoup de péchés, engagé dans beaucoup de +passions, agité par mille craintes, embarrassé de mille soins, emporté +çà et là par la curiosité, séduit par une foule de chimères, environné +d'erreurs, brisé de travaux, accablé de tentations, énervé de délices, +tourmenté par la pauvreté. + +3. Oh! quand viendra la fin de ces maux? quand serai-je délivré de la +misérable servitude des vices? quand me souviendrai-je, Seigneur, de +vous seul? quand goûterai-je en vous une pleine joie? + +Quand, dégagé de toute entrave, jouirai-je d'une vraie liberté, +désormais exempt de toute peine et du corps et de l'esprit? + +Quand posséderai-je une paix solide, assurée, inaltérable, paix au +dedans et au dehors, paix affermie de toutes parts? + +Ô bon Jésus! quand me sera-t-il donné de vous voir, de contempler la +gloire de votre règne? quand me serez-vous tout en toute chose? + +Quand serai-je avec vous dans _le royaume que vous avez préparé de toute +éternité à vos élus_[450]? + + [450] Matth., XXV, 34. + +J'ai été délaissé, pauvre, exilé, en une terre ennemie, où il y a guerre +continuelle et de grandes infortunes. + +4. Consolez mon exil, adoucissez l'angoisse de mon coeur: car il soupire +après vous de toute l'ardeur de ses désirs. + +Tout ce que le monde m'offre ici-bas pour me consoler, me pèse. + +Je voudrais m'unir intimement à vous, et je ne puis atteindre à cette +ineffable union. + +Je voudrais m'attacher aux choses du ciel, et mes passions immortifiées +me replongent dans celles de la terre. + +Mon âme aspire à s'élever au-dessus de tout, et la chair me rabaisse +au-dessous, malgré mes efforts. + +Ainsi, homme misérable, j'ai sans cesse la guerre au dedans de moi, et +_je me suis à charge à moi-même_[451], l'esprit voulant s'élever +toujours, et la chair toujours descendre. + + [451] Job, VII, 10. + +5. Oh! combien je souffre en moi lorsque, méditant les choses du ciel, +celles de la terre viennent en foule se présenter à ma pensée durant la +prière! Mon Dieu, _ne vous éloignez pas de moi, et n'abandonnez point +votre serviteur dans votre colère_[452]. + + [452] Ps. LXX, 13; XXVI, 14. + +Faites briller votre foudre, et dissipez ces visions de la chair: lancez +vos flèches[453], et mettez en fuite ces fantômes de l'ennemi. + + [453] Ps. CXLIII, 6. + +Rappelez à vous tous mes sens; faites que j'oublie toutes les choses du +monde, et que je rejette promptement, avec mépris, ces criminelles +images. + +Éternelle vérité, prêtez-moi votre secours, afin que nulle chose vaine +ne me touche. + +Venez en moi, céleste douceur, et que tout ce qui n'est pas pur +s'évanouisse devant vous. + +Pardonnez-moi aussi, et usez de miséricorde, toutes les fois que, dans +la prière, je m'occupe d'autre chose que de vous. + +Car je confesse sincèrement que la distraction m'est habituelle. + +Dans le mouvement ou dans le repos, bien souvent je ne suis point où est +mon corps, mais plutôt où mon esprit m'emporte. + +Je suis là où est ma pensée, et ma pensée est d'ordinaire où est ce que +j'aime. + +Ce qui me plaît naturellement ou par habitude, voilà ce qui d'abord se +présente à elle. + +6. Et c'est pour cela, ô Vérité, que vous avez dit expressément: _Où est +votre trésor, là est aussi votre coeur_[454]. + + [454] Matth., VI, 21. + +Si j'aime le ciel, je pense volontiers aux choses du ciel. + +Si j'aime le monde, je me réjouis des prospérités du monde, et je +m'attriste de ses adversités. + +Si j'aime la chair, je me représente souvent ce qui est de la chair. + +Si j'aime l'esprit, ma joie est de penser aux choses spirituelles. + +Car il m'est doux de parler et d'entendre parler de tout ce que j'aime, +et j'en emporte avec moi le souvenir dans ma retraite. + +Mais heureux l'homme, ô mon Dieu, qui, à cause de vous, bannit de son +coeur toutes les créatures; qui fait violence à la nature, et crucifie, +par la ferveur de l'esprit, les convoitises de la chair, afin de vous +offrir, du fond d'une conscience où règne la paix, une prière pure; et +que, dégagé au dedans et au dehors de tout ce qui est terrestre, il +puisse se mêler aux choeurs des Anges! + + +RÉFLEXION. + + Les maladies, les peines, les souffrances, les tentations, + l'invincible désir d'une félicité que rien ne nous offre ici-bas, tout + nous rappelle sans cesse à cette grande éternité où la foi nous + promet, dans la possession de Dieu même, le repos, la paix, le bien + parfait, infini, auquel nous aspirons de toutes les puissances de + notre âme. Et voilà pourquoi les saints gémissent si amèrement sous le + poids des liens qui les retiennent encore sur la terre; voilà pourquoi + l'Apôtre s'écriait: _Je désire que mon corps se dissolve, afin d'être + avec Jésus-Christ_[455]. Alors plus de crainte, plus de larmes, plus + de combat, mais un éternel triomphe et une joie éternelle. Si un + faible reflet[456] de la vérité souveraine ravit déjà notre + intelligence, que sera-ce quand nous la contemplerons dans son plein + éclat! et si, dès à présent, il est si doux d'aimer, que sera-ce quand + nous nous abreuverons à la source même de l'amour! Oh! oui, Seigneur, + je désire la dissolution de mon corps, afin d'être avec vous! Cette + espérance seule me console; elle est toute ma vie. Qu'est-ce pour moi + que le monde, et que peut-il me donner? _J'ai séjourné parmi les + habitants de Cédar, et mon âme a été étrangère au milieu d'eux_[457]. + Votre royaume, mon Dieu, votre royaume, je n'ai point d'autre patrie. + Daignez y rappeler ce pauvre exilé, _et il célébrera éternellement vos + miséricordes_[458]. + + [455] Philipp., I, 23. + + [456] I. Cor., XIII, 12. + + [457] Ps. CXIX, 5. + + [458] Ps. LXXXVIII, 2. + + + + +CHAPITRE XLIX. + +Du désir de la vie éternelle, et des grands biens promis à ceux qui +combattent courageusement. + + +1. J.-C. Mon fils, lorsque le désir de l'éternelle béatitude vous est +donné d'en haut, et que vous aspirez à sortir de la prison du corps pour +contempler ma lumière sans ombre et sans vicissitude, dilatez votre +coeur, et recevez avec amour cette sainte inspiration. + +Rendez grâce de toute votre âme à la bonté céleste, qui vous prodigue +ainsi ses faveurs, qui vous visite avec tendresse, vous excite, vous +presse et vous soulève puissamment, de peur que votre poids ne vous +incline vers la terre. + +Car rien de cela n'est le fruit de vos pensées ou de vos efforts, mais +une grâce de Dieu qui a daigné jeter sur vous un regard, afin que, +croissant dans la vertu et dans l'humilité, vous vous prépariez à de +nouveaux combats, et que tout votre coeur s'attache à moi avec la +volonté ferme de me servir. + +2. Quelque ardent que soit le feu, la flamme cependant ne monte point +sans fumée. + +Ainsi quelques-uns, quoique embrasés du désir des choses célestes, ne +sont point néanmoins entièrement dégagés des affections et des +tentations de la chair. + +Et c'est pourquoi ils n'ont pas en vue la seule gloire de Dieu, dans ce +qu'ils demandent avec tant d'instance. + +Tel est souvent votre désir, que vous croyez si vif et si pur. + +Car rien n'est pur ni parfait, de ce qui est mêlé d'intérêt propre. + +3. Demandez, non ce qui vous est doux, non ce qui vous offre quelque +avantage, mais ce qui m'honore et me plaît: car, si vous jugez selon la +justice, vous devez, docile à mes ordres, les préférer à vos désirs et à +tout ce qu'on peut désirer. + +Je connais votre désir; j'ai entendu vos gémissements. + +Vous voudriez jouir déjà de la liberté glorieuse des enfants de Dieu; +déjà la demeure éternelle, la céleste patrie où la joie ne tarit jamais, +ravit votre pensée. Mais l'heure n'est pas encore venue, vous êtes +encore dans un autre temps, temps de guerre, temps de travail et +d'épreuves. + +Vous désirez être rassasié du souverain bien; mais cela ne se peut +maintenant. + +C'est moi qui suis le bien suprême: attendez-moi, dit le Seigneur, +_jusqu'à ce que vienne le royaume de Dieu_[459]. + + [459] Luc., XXII, 18. + +4. Il faut que vous soyez encore éprouvé sur la terre, et exercé de bien +des manières. + +De temps en temps, vous recevrez des consolations, mais jamais assez +abondantes pour rassasier vos désirs. + +_Ranimez donc votre force et votre courage_[460], pour accomplir et pour +souffrir ce qui répugne à la nature. + + [460] Josué, I, 6. + +_Il faut que vous vous revêtiez de l'homme nouveau_[461], que vous vous +changiez en un autre homme. + + [461] Eph., IV, 24. I. Reg., X. 6, 9. + +Il faut que souvent vous fassiez ce que vous ne voulez pas, et que vous +renonciez à ce que vous voulez. + +Ce que les autres souhaitent, réussira: mille obstacles s'opposeront à +ce que vous souhaitez. + +On écoutera ce que disent les autres: ce que vous direz sera compté pour +rien. + +Ils demanderont, et ils obtiendront: vous demanderez, et on vous +refusera. + +5. On parlera d'eux, on les exaltera; et personne ne parlera de vous. + +On leur confiera tel ou tel emploi; et l'on ne vous jugera propre à +rien. + +Quelquefois la nature s'en affligera; et ce sera beaucoup si vous le +supportez en silence. + +C'est dans ces épreuves et une infinité d'autres semblables, que, +d'ordinaire, on reconnaît combien un vrai serviteur de Dieu sait se +renoncer et se briser à tout. + +Il n'est presque rien qui vous fasse sentir autant le besoin de mourir à +vous-même, que de voir et de souffrir ce qui répugne à votre volonté; +surtout lorsqu'on vous commande des choses inutiles ou déraisonnables. + +Et, parce qu'assujetti à un supérieur vous n'osez résister à son +autorité, il vous semble dur d'être en tout conduit par un autre, et de +n'agir jamais selon votre propre sens. + +6. Mais pensez, mon fils, au fruit de ces travaux, à leur prompte fin, à +leur _récompense trop grande_[462]; et loin de les porter avec douleur, +vous y trouverez une puissante consolation. + + [462] Genes., XV, 1. + +Car, pour avoir renoncé maintenant à quelques vaines convoitises, vous +ferez éternellement votre volonté dans le ciel. + +Là, tous vos voeux seront accomplis, tous vos désirs satisfaits. + +Là, tous les biens s'offriront à vous, sans que vous ayez à craindre de +les perdre. + +Là, votre volonté ne cessant jamais d'être unie à la mienne, vous ne +souhaiterez rien hors de moi, rien qui vous soit propre. + +Là, personne ne vous résistera, personne ne se plaindra de vous, +personne ne vous suscitera de contrariétés ni d'obstacles; mais tout ce +qui peut être désiré étant présent à la fois, votre âme, rassasiée +pleinement, n'embrassera qu'à peine cette immense félicité. + +Là, je donnerai la gloire pour les opprobres soufferts, la joie pour les +larmes, pour la dernière place un trône dans mon royaume éternel. + +Là, éclateront les fruits de l'obéissance; la pénitence se réjouira de +ses travaux, et l'humble dépendance sera glorieusement couronnée. + +7. Maintenant donc, inclinez-vous humblement sous la main de tous, et ne +regardez point qui a dit ou ordonné cela. + +Mais si quelqu'un demande ou souhaite quelque chose de vous, qui que ce +soit, ou votre supérieur, ou votre inférieur, ou votre égal, loin d'en +être blessé, ayez soin de l'accomplir avec une affection sincère. + +Que l'un recherche ceci, un autre cela; que celui-là se glorifie d'une +chose, celui-ci d'une autre, et qu'il en reçoive mille louanges; pour +vous, ne mettez votre joie que dans le mépris de vous-même, dans ma +volonté et ma gloire. + +Vous ne devez rien désirer, sinon que, _soit par la vie, soit par la +mort, Dieu soit toujours glorifié en vous_[463]. + + [463] Philipp., I, 20. + + +RÉFLEXION. + + On ne saurait trop le redire, le premier et le dernier précepte, celui + qui les comprend tous, est l'entier renoncement de soi-même et la + conformité parfaite de notre volonté à celle de Dieu. Ainsi, bien + qu'il nous soit permis et même commandé d'aspirer à la béatitude + céleste, et de gémir sur _la longueur de notre exil_[464], néanmoins + nous devons le supporter avec une grande patience, et nous complaire + dans les épreuves que la Providence nous envoie, parce qu'elles sont + tout ensemble utiles à notre salut, et l'un des moyens que Dieu a + choisis pour satisfaire sa justice, et pour manifester en nous sa + miséricorde et sa gloire. Pécheurs, nous devons participer aux + souffrances de celui qui nous a rachetés; disciples de Jésus, nous + devons marcher à la suite de notre maître et de notre modèle en + portant la Croix, et, comme lui, épuiser le calice d'amertume. Nul + n'est couronné, s'il n'a combattu[465]. _Heureux donc l'homme qui + endure la tentation, parce qu'après avoir été éprouvé, il recevra la + couronne de vie que Dieu a promise à ceux qui l'aiment_[466]. + Attendons le moment qu'il a marqué, et poursuivons en paix notre + pèlerinage. Tout ce qui finit est court, et rien n'est pénible à celui + qui espère. Que cette pensée ranime notre langueur, quand nous nous + sentons abattus. «Au milieu de ce grand naufrage du monde, dit saint + Chrysostome, une main propice nous jette d'en haut le câble de + l'espérance, qui peu à peu retire des flots des misères humaines et + soulève jusqu'au Ciel ceux qui s'y attachent fortement[467].» + + [464] Ps. CXIX, 5. + + [465] I. Cor., IX, 25. + + [466] Jacob., I, 12. + + [467] Ad Theod. Laps. oper., t. I, p. 3. + + + + +CHAPITRE L. + +Comment un homme dans l'affliction doit s'abandonner entre les mains de +Dieu. + + +1. LE F. Seigneur mon Dieu, Père saint, soyez béni maintenant et dans +toute l'éternité; parce qu'il a été fait comme vous l'avez voulu, et ce +que vous faites est bon. + +Que votre serviteur se réjouisse, non en lui-même ni en nul autre, mais +en vous seul, parce que vous seul êtes la véritable joie; vous êtes, +Seigneur, mon espérance, ma couronne, ma joie, ma gloire. + +_Qu'y a-t-il en votre serviteur qu'il n'ait reçu de vous_[468], et sans +l'avoir mérité? + + [468] I. Cor., IV, 7. + +Tout est à vous; vous avez tout fait, tout donné. + +_Je suis pauvre dans les travaux, dès mon enfance_[469]. Quelquefois mon +âme est triste jusqu'aux larmes; et quelquefois elle se trouble en +elle-même, à cause des passions qui la pressent. + + [469] Ps. LXXXVII, 16. + +2. Je désire la joie de la paix, j'aspire à la paix de vos enfants, que +vous nourrissez dans votre lumière et vos consolations. + +Si vous me donnez la paix, si vous versez en moi votre joie sainte, +l'âme de votre serviteur sera comme remplie d'une douce mélodie; et ravi +d'amour, il chantera vos louanges. + +Mais si vous vous retirez, comme vous le faites souvent, il ne pourra +_courir dans la voie de vos commandements_[470]; alors il ne lui reste +qu'à tomber à genoux et se frapper la poitrine, parce qu'il n'en est +plus pour lui comme auparavant, lorsque _votre lumière resplendissait +sur sa tête_[471], et qu'_à l'ombre de vos ailes, il trouvait un abri +contre les tentations_[472]. + + [470] Ps. CXVIII, 32. + + [471] Job, XXIX, 3. + + [472] Ps. XVI, 10. + +3. Père juste et toujours digne de louange, l'heure est venue où votre +serviteur doit être éprouvé. + +Père aimable, il est juste que votre serviteur souffre maintenant +quelque chose pour vous. + +Père à jamais adorable, l'heure que vous avez prévue de toute éternité +est venue, où il faut que votre serviteur succombe pour un peu de temps +au dehors, sans cesser de vivre toujours intérieurement en vous. + +Il faut que, pour un peu de temps, il soit abaissé, humilié, anéanti +devant les hommes, brisé de souffrances, accablé de langueurs, afin de +se relever avec vous à l'aurore d'un jour nouveau, et d'être environné +de splendeur dans le ciel. + +Père saint, vous l'avez ainsi ordonné, ainsi voulu; et ce que vous avez +commandé s'est accompli. + +4. Car c'est la grâce que vous faites à ceux que vous aimez, de souffrir +en ce monde pour votre amour, et d'être affligé autant de fois et par +qui que ce soit que vous le permettiez. + +Rien ne se fait sur la terre sans raison, sans dessein, et sans l'ordre +de votre Providence. + +_Ce m'est un bien, Seigneur, que vous m'ayez humilié, afin que je +m'instruise de votre justice_[473], et que je bannisse de mon coeur tout +orgueil et toute présomption. + + [473] Ps. CXVIII, 71. + +Il m'est utile _d'avoir été couvert de confusion_[474], afin que je +cherche à me consoler plutôt en vous que dans les hommes. + + [474] Ps. LXVIII, 11. + +Par là, j'ai appris encore à redouter vos jugements impénétrables, selon +lesquels vous affligez et le juste et l'impie, mais toujours avec équité +et avec justice. + +5. Je vous rends grâces de ce que vous ne m'avez point épargné les maux, +et de ce qu'au contraire vous m'avez sévèrement frappé, me chargeant de +douleurs, et m'accablant d'angoisses au dedans et au dehors. + +De tout ce qui est sous le ciel, il n'est rien qui me console; je +n'espère qu'en vous, ô mon Dieu, céleste médecin des âmes, _qui blessez +et qui guérissez, qui conduisez jusqu'aux enfers, et qui en +ramenez_[475]. + + [475] I. Reg., II, 6; Tob., XIII, 2. + +_Vous me guidez par vos enseignements, et votre verge même +m'instruira_[476]. + + [476] Ps. XVII, 36. + +6. Père uniquement aimé, voilà que je suis entre vos mains, je m'incline +sous la verge qui me corrige. + +Frappez, frappez encore, afin que je réforme, selon votre gré, tout ce +qu'il y a d'imparfait en moi. + +Faites de moi, comme vous le savez si bien faire, un disciple humble et +pieux, toujours prêt à vous obéir au moindre signe. + +Je m'abandonne, moi et tout ce qui est à moi, à votre correction. Il +vaut mieux être châtié en ce monde qu'en l'autre. + +Vous savez tout, vous pénétrez tout, et rien ne vous est caché dans la +conscience de l'homme. + +Vous connaissez les choses futures avant qu'elles arrivent, et il n'est +pas besoin que personne vous instruise ou vous avertisse de ce qui se +passe sur la terre. + +Vous savez ce qui est utile à mon avancement, et combien la tribulation +sert à consumer la rouille des vices. + +Disposez de moi selon votre bon plaisir, et ne me délaissez point à +cause de ma vie toute de péché, que personne ne connaît mieux que vous. + +7. Faites, Seigneur, que je sache ce que je dois savoir, que j'aime ce +que je dois aimer, que je loue ce qui vous est agréable, que j'estime ce +qui est précieux devant vous, et que je méprise ce qui est vil à vos +regards. + +Ne permettez pas que _je juge d'après ce que l'oeil aperçoit au dehors, +ni que je forme mes sentiments sur les discours insensés des +hommes_[477]; mais faites que je porte un jugement vrai des choses +sensibles et des spirituelles, et surtout que je cherche à connaître +votre volonté. + + [477] Is., XI, 3. + +8. Souvent les hommes se trompent en ne jugeant que sur le témoignage +des sens. Les amateurs du siècle se trompent aussi en n'aimant que les +choses visibles. + +Un homme en vaut-il mieux parce qu'un autre homme l'estime grand? + +Quand un homme en exalte un autre, c'est un menteur qui trompe un +menteur, un superbe qui trompe un superbe, un aveugle qui trompe un +aveugle, un malade qui trompe un malade; et les vaines louanges sont une +véritable confusion pour qui les reçoit. + +Car, _ce qu'un homme est à vos yeux, Seigneur, voilà ce qu'il est +réellement, et rien de plus_, dit l'humble saint François. + + +RÉFLEXION. + + Dieu permet que notre âme soit quelquefois comme abandonnée. Nulle + consolation, nulle lumière; mais de toutes parts des épreuves, des + tentations, des angoisses: elle se croit près d'y succomber, parce + qu'elle n'aperçoit plus le bras qui la soutient. Que faire alors? dire + comme Jésus: _Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous délaissé[478]?_ + Et cependant demeurer en paix dans la souffrance et dans les ténèbres, + _jusqu'à ce que les ombres déclinent, et que nous découvrions l'aurore + d'un nouveau jour_[479]. Cet état est le plus grand exercice de la + foi; c'est pour l'âme une image de la mort: froide, sans mouvement, + insensible en apparence, elle est comme enfermée dans le tombeau, et + ne tient plus, ce semble, à Dieu, que par une volonté languissante, + dont elle n'est pas même assurée. Oh! que de grâces sont le fruit de + cette agonie supportée avec une humble patience! Oh! que de péchés + rachètent cette passion! C'est alors que s'achève en nous le mystère + du salut, et que nous devenons véritablement conformes à Jésus, pourvu + qu'avec une foi sincère, inébranlable, nous ne cessions de répéter + cette parole de résignation: _Oui, mon Père_, j'accepte ce calice: je + veux l'épuiser jusqu'à la lie; _oui, mon Père, parce qu'il vous a plu + ainsi_[480]. + + [478] Matth., XXVI, 46. + + [479] Cant., II, 17. + + [480] Matth., XI, 26. + + + + +CHAPITRE LI. + +Qu'il faut s'occuper d'oeuvres extérieures, quand l'âme est fatiguée des +exercices spirituels. + + +1. J.-C. Mon fils, vous ne sauriez sentir toujours une égale ardeur pour +la vertu, ni vous maintenir sans relâche dans un haut degré de +contemplation; mais il est nécessaire, à cause du vice de votre origine, +que vous descendiez quelquefois à des choses plus basses, et que vous +portiez, malgré vous, et avec ennui, le poids de cette vie corruptible. + +Tant que vous traînerez ce corps mortel, vous éprouverez un grand dégoût +et l'angoisse du coeur. + +Il vous faut donc, pendant que vous vivez dans la chair, gémir souvent +du poids de la chair, et de ne pouvoir continuellement vous appliquer +aux exercices spirituels et à la contemplation divine. + +2. Cherchez alors un refuge dans d'humbles occupations extérieures, et +dans les bonnes oeuvres une distraction qui vous ranime: attendez avec +une ferme confiance mon retour et la grâce d'en haut: souffrez +patiemment votre exil et la sécheresse du coeur, jusqu'à ce que je vous +visite de nouveau, et que je vous délivre de toutes vos peines. + +Car je reviendrai, et je vous ferai oublier vos travaux et jouir du +repos intérieur. + +J'ouvrirai devant vous le champ des Écritures, afin que votre coeur, +dilaté d'amour, vous presse de _courir dans la voie de mes +commandements_[481]. + + [481] Ps. CXVIII, 32. + +Et vous direz: _Les souffrances du temps n'ont point de proportion avec +la gloire future qui sera manifestée en nous_[482]. + + [482] Rom., VIII, 18. + + +RÉFLEXION. + + Contempler Dieu et l'aimer, le contempler et l'aimer encore, voilà le + Ciel. L'âme, ici-bas, en reçoit quelquefois un avant-goût. Alors, + élevée au-dessus d'elle-même, elle se sent pleine d'ardeur, et enivrée + de joie, elle dit: _Il nous est bon d'être ici_[483]. Mais bientôt + arrive le temps de l'épreuve: il faut descendre du Thabor, et marcher + dans le chemin de la Croix. Heureuse l'âme qui, dans le dénûment, + l'aridité, les souffrances, demeure en paix, sans se laisser abattre + et sans murmurer; qui, fidèle à Jésus mourant, le suit avec courage + sur le Calvaire; et après avoir partagé le banquet de l'époux, prête à + partager son sacrifice, s'écrie comme un des Apôtres: _Et nous aussi, + allons et mourons avec lui[484]!_ + + [483] Matth., XVII, 4. + + [484] Joann., XI, 16. + + + + +CHAPITRE LII. + +Que l'homme ne doit pas se juger digne des consolations de Dieu, mais +plutôt de châtiment. + + +1. LE F. Seigneur, je ne mérite point que vous me consoliez et que vous +me visitiez: ainsi vous en usez avec moi justement, lorsque vous me +laissez pauvre et désolé. + +Quand je répandrais des larmes aussi abondantes que les eaux de la mer, +je ne serais pas encore digne de vos consolations. + +Rien ne m'est dû que la verge et le châtiment: car je vous ai souvent et +grièvement offensé, et mes péchés sont sans nombre. + +Après donc un strict examen, je me reconnais indigne de la moindre +consolation. + +Mais vous, ô Dieu tendre et clément, qui ne voulez pas que vos ouvrages +périssent, _pour faire éclater les richesses de votre bonté en des vases +de miséricorde_[485], vous daignez consoler votre serviteur au delà de +ce qu'il mérite, et d'une manière toute divine. + + [485] Rom., IX, 23. + +Car vos consolations ne sont point comme les vaines paroles des hommes. + +2. Qu'ai-je fait, Seigneur, pour que vous me donniez quelque part aux +consolations du ciel? + +Je n'ai point de souvenir d'avoir fait aucun bien; toujours, au +contraire, je fus enclin au vice, et lent à me corriger. + +Il est vrai, et je ne puis le nier. Si je parlais autrement, vous vous +élèveriez contre moi, et personne ne me défendrait. + +Qu'ai-je mérité pour mes péchés, sinon l'enfer et le feu éternel? + +Je le confesse avec sincérité: je ne suis digne que d'opprobre et de +mépris; je ne mérite point d'être compté parmi ceux qui sont à vous. Et +bien qu'il me soit douloureux de l'entendre, je rendrai cependant contre +moi témoignage à la vérité, je m'accuserai de mes péchés, afin d'obtenir +de vous plus aisément miséricorde. + +3. Que dirai-je, couvert, comme je le suis, de crimes et de confusion? + +Je n'ai à dire que ce seul mot: J'ai péché, Seigneur, j'ai péché; ayez +pitié de moi, pardonnez-moi. + +_Laissez-moi un peu de temps pour exhaler ma douleur, avant que je m'en +aille dans la terre de ténèbres, que recouvre l'ombre de la mort_[486]. + + [486] Job, X, 20, 22. + +Que demandez-vous d'un coupable, d'un misérable pécheur, sinon que, +brisé de regrets, il s'humilie de ses péchés. + +La véritable contrition et l'humiliation du coeur produisent l'espérance +du pardon, calment la conscience troublée, réparent la grâce perdue, +protègent l'homme contre la colère à venir; et c'est alors que se +rapprochent et se réconcilient dans un saint baiser Dieu et l'âme +pénitente. + +4. Cette humble douleur des péchés vous est, Seigneur, un sacrifice +agréable, et d'une odeur plus douce que celle de l'encens. + +C'est le délicieux parfum que vous permîtes de répandre sur vos pieds +sacrés: car _vous ne méprisez jamais un coeur contrit et humilié_[487]. + + [487] Ps. L, 18. + +Là est le refuge contre la fureur de l'ennemi: là, le pécheur se +réforme, et se purifie de toutes les souillures qu'il a contractées au +dehors. + + +RÉFLEXION. + + Quelques-uns recherchent avec un désir trop vif les consolations + célestes, et tombent dans l'abattement dès qu'elles leur sont + retirées. Mais ces grâces que Dieu accorde ou comme récompense aux + âmes embrasées d'une ferveur extraordinaire, ou comme encouragement + aux âmes faibles encore, pour les aider à supporter le travail de la + pénitence, ne nous sont dues en nulle manière; et toujours faut-il + _porter en nous la mortification de Jésus, afin que la vie de Jésus + soit manifestée en nous_[488]. Où serait l'expiation, où serait le + mérite, si nous n'avions rien à souffrir, ou si nos souffrances + étaient constamment accompagnées de l'onction divine qui les tempère, + et quelquefois les rend plus douces qu'aucune joie du monde? De + nous-mêmes, pécheurs misérables, nous n'avons droit qu'au supplice, et + nous voudrions jouir ici-bas de la félicité du ciel! Bénissons plutôt + la miséricorde qui, aux peines de l'éternité, substitue les épreuves + du temps: bénissons le Dieu qui ne se souvient, durant notre passage + sur la terre, de ce que nous devons à sa justice que pour l'oublier + ensuite à jamais; et disons-lui du fond de notre _coeur brisé_[489], + mais plein de reconnaissance et d'amour: _Lavez-moi de plus en plus de + mon iniquité, Seigneur, et purifiez-moi de mon péché; car je connais + mon iniquité, et mon péché est devant moi toujours_[490]. + + [488] II. Cor., IV, 11. + + [489] Ps. L, 29. + + [490] _Ibid._, 4, 5. + + + + +CHAPITRE LIII. + +Que la grâce ne fructifie point en ceux qui ont le goût des choses de la +terre. + + +1. J.-C. Mon fils, ma grâce est d'un grand prix, et ne souffre point le +mélange des choses étrangères, ni des consolations terrestres. + +Il faut donc écarter tout ce qui l'arrête, si vous désirez qu'elle se +répande en vous. + +Retirez-vous dans un lieu secret, aimez à demeurer seul avec vous-même, +ne recherchez l'entretien de personne; mais que votre âme s'épanche +devant Dieu en de ferventes prières, afin de conserver la componction et +une conscience pure. + +Comptez pour rien le monde entier, et occupez-vous de Dieu plutôt que +des oeuvres extérieures. + +Car votre coeur ne peut être à moi, et se plaire en même temps à ce qui +passe. + +Il vous faut séparer de vos connaissances et de vos amis, et sevrer +votre âme de toute consolation terrestre. + +C'est ainsi que le bienheureux apôtre Pierre conjure les fidèles +serviteurs de Jésus-Christ _de se regarder ici-bas comme des étrangers +et des voyageurs_[491]. + + [491] I. Pet., II, 11. + +2. Oh! qu'il aura de confiance à l'heure de la mort, celui que nul +attachement ne retient en ce monde! + +Mais un esprit encore malade ne comprend pas que le coeur soit ainsi +détaché de tout; et l'homme charnel ne connaît point la liberté de +l'homme intérieur. + +Cependant, pour devenir vraiment spirituel, il faut renoncer à ses +proches comme aux étrangers, et ne se garder de personne plus que de +soi-même. + +Si vous parvenez à vous vaincre parfaitement, vous vaincrez aisément +tout le reste. + +La parfaite victoire est de triompher de soi-même. + +Celui qui se tient tellement assujetti, que les sens obéissent à la +raison, et que la raison m'obéisse en tout, est véritablement vainqueur +de lui-même et maître du monde. + +3. Si vous aspirez à cette haute perfection, il faut commencer avec +courage et mettre la cognée à la racine de l'arbre, pour arracher et +détruire jusqu'aux restes les plus cachés de l'amour déréglé de +vous-même, et des biens sensibles et particuliers. + +De cet amour désordonné que l'homme a pour lui-même, naissent presque +tous les vices qu'il doit vaincre et déraciner; et dès qu'il l'aura +subjugué pleinement, il jouira d'un calme et d'une paix profonde. + +Mais parce qu'il en est peu qui travaillent à mourir parfaitement à +eux-mêmes, et à sortir d'eux-mêmes entièrement, ils demeurent comme +ensevelis dans la chair, et ne peuvent s'élever au-dessus des sens. + +Celui qui veut me suivre librement, il faut qu'il mortifie toutes ses +inclinations déréglées, et qu'il ne s'attache à nulle créature par un +amour de convoitise ou particulier. + + +RÉFLEXION. + + _Personne ne peut servir deux maîtres; car, ou il aimera l'un et nuira + l'autre, ou il s'attachera à l'un et méprisera l'autre_[492]. Nous ne + pouvons servir à la fois Dieu et le monde; et la vie chrétienne + consiste à s'affranchir de l'esclavage du monde, pour acquérir _la + liberté des enfants de Dieu_[493]. Or la grâce combat en nous pour + Dieu, contre la nature corrompue qui nous entraîne vers le monde; + combat terrible dont on ne sort vainqueur qu'en mourant à soi-même, à + ses pensées, à ses goûts, à ses inclinations; et la mort corporelle, + qui termine à jamais la lutte entre la nature et la grâce, est la + dernière victoire du chrétien; ce qui faisait dire à l'apôtre saint + Paul: _Qui me délivrera de ce corps de mort[494]?_ Exerçons-nous donc + à mourir: détachons-nous entièrement de la terre et de toutes les + choses de la terre; détachons-nous de nous-mêmes, et ne vivons plus + qu'en Dieu, de Dieu et pour Dieu. Que cherchons-nous hors de lui? Ne + renferme-t-il pas tous les biens? Oh! quand nous sera-t-il donné de le + voir _tel qu'il est, face à face_[495]; _de nous rassasier de son + être, de sa gloire_[496] infinie! Hâtons de nos voeux ce moment qui + fixera notre éternité; et dans l'ardeur de nos désirs, écrions-nous + avec le Prophète: _Malheur à moi, parce que mon exil a été prolongé! + J'ai habité avec les peuples de Cédar, et mon âme a été étrangère au + milieu d'eux_[497]. + + [492] Matth., VI, 24. + + [493] Rom., VIII, 21. + + [494] Rom., VII, 24. + + [495] I. Joann., III, 2. + + [496] Ps. XVI, 15. + + [497] Ps. CXIX, 5. + + + + +CHAPITRE LIV. + +Des divers mouvements de la nature et de la grâce. + + +1. J.-C. Mon fils, observez avec soin les mouvements de la nature et de +la grâce: car, quoique très-opposées, la différence en est quelquefois +si imperceptible, qu'à peine un homme éclairé dans la vie spirituelle en +peut faire le discernement. + +Tous les hommes ont le désir du bien et tendent à quelque bien dans +leurs paroles et dans leurs actions; c'est pourquoi plusieurs sont +trompés dans cette apparence de bien. + +2. La nature est pleine d'artifice: elle attire, elle surprend, elle +séduit, et n'a jamais d'autre fin qu'elle-même. + +La grâce, au contraire, agit avec simplicité, et fuit jusqu'à la moindre +apparence du mal: elle ne tend point de piéges, et fait tout pour Dieu +seul, en qui elle se repose comme en sa fin. + +3. La nature répugne à mourir; elle ne veut point être contrainte, ni +vaincue, ni assujettie, ni se soumettre volontairement. + +Mais la grâce porte à se mortifier soi-même, résiste à la sensualité, +recherche l'assujettissement, aspire à être vaincue, et ne veut pas +jouir de sa liberté; elle aime la dépendance, ne désire dominer +personne, mais vivre, demeurer, être toujours sous la main de Dieu; et à +cause de Dieu, _elle est prête à s'abaisser humblement au-dessous de +toute créature_[498]. + + [498] Pet., II, 13. + +4. La nature travaille pour son intérêt propre, et calcule le gain +qu'elle peut retirer des autres. + +La grâce ne considère point ce qui lui est avantageux, mais ce qui peut +être utile à plusieurs. + +5. La nature aime à recevoir les respects et les honneurs. + +La grâce renvoie fidèlement à Dieu tout honneur et toute gloire. + +6. La nature craint la confusion et le mépris. + +La grâce _se réjouit de souffrir des outrages pour le nom de +Jésus_[499]. + + [499] Act., V, 41. + +7. La nature aime l'oisiveté et le repos du corps. + +La grâce ne peut être oisive, et se fait une joie du travail. + +8. La nature recherche les choses curieuses et belles, et repousse avec +horreur ce qui est vil et grossier. + +La grâce se complaît dans les choses simples et humbles; elle ne +dédaigne point ce qu'il y a de plus rude, et ne refuse point de se vêtir +de haillons. + +9. La nature convoite les biens du temps, elle se réjouit d'un gain +terrestre, s'afflige d'une perte, et s'irrite d'une légère injure. + +La grâce n'aspire qu'aux biens éternels, et ne s'attache point à ceux du +temps; elle ne se trouble d'aucune perte, et ne s'offense point des +paroles les plus dures, parce qu'elle a mis son trésor et sa joie dans +le Ciel, où rien ne périt. + +10. La nature est avide, et reçoit plus volontiers qu'elle ne donne; +elle aime ce qui lui est propre et particulier. + +La grâce est généreuse et ne se réserve rien; elle évite la singularité, +se contente de peu, et croit qu'_il est plus heureux de donner que de +recevoir_[500]. + + [500] _Ibid._, XX, 35. + +11. La nature se porte vers les créatures, la chair, les vanités; elle +est bien aise de se produire. + +La grâce élève à Dieu, excite à la vertu, renonce aux créatures, fuit le +monde, hait les désirs de la chair, ne se répand point au dehors, et +rougit de paraître devant les hommes. + +12. La nature se réjouit d'avoir quelque consolation extérieure qui +flatte le penchant des sens. + +La grâce ne cherche de consolation qu'en Dieu seul; et s'élevant +au-dessus des choses visibles, elle met toutes ses délices dans le +souverain bien. + +13. La nature agit en tout pour le gain et pour son avantage propre; +elle ne sait rien faire gratuitement; mais, en obligeant, elle espère +obtenir quelque chose d'égal ou de meilleur, des faveurs ou des +louanges; et elle veut qu'on tienne pour beaucoup tout ce qu'elle fait +et tout ce qu'elle donne. + +La grâce ne veut rien de temporel; elle ne demande d'autre récompense +que Dieu seul, et ne désire des choses du temps, même les plus +nécessaires, que ce qui peut lui servir pour acquérir les biens +éternels. + +14. La nature se complaît dans le grand nombre des amis et des parents; +elle se glorifie d'un rang élevé, d'une naissance illustre; elle sourit +aux puissants, flatte les riches, et applaudit à ceux qui lui +ressemblent. + +La grâce aime ses ennemis même, et ne s'enorgueillit point du nombre de +ses amis; elle ne compte pour rien la noblesse et les ancêtres, à moins +qu'ils ne se soient distingués par la vertu; elle favorise plutôt le +pauvre que le riche, compatit plus à l'innocent qu'au puissant, +recherche l'homme vrai, fuit le menteur, et ne cesse d'exhorter les bons +_à s'efforcer de devenir meilleurs_[501], afin de se rendre semblables +au Fils de Dieu par leurs vertus. + + [501] I. Cor., XII, 31. + +15. La nature est prompte à se plaindre de ce qui lui manque et de ce +qui la blesse. + +La grâce supporte avec constance la pauvreté. + +16. La nature rapporte tout à elle-même, combat, discute pour ses +intérêts. + +La grâce ramène tout à Dieu, de qui tout émane originairement; elle ne +s'attribue aucun bien, ne présume point d'elle-même avec arrogance, ne +conteste point, ne préfère point son opinion à celle des autres; mais +elle soumet toutes ses pensées et tous ses sentiments à l'éternelle +sagesse et au jugement de Dieu. + +17. La nature est curieuse de secrets et de nouvelles; elle veut se +montrer et voir, et examiner par elle-même; elle désire d'être connue, +et de s'attirer la louange et l'admiration. + +La grâce ne s'occupe point de nouvelles, ni de ce qui nourrit la +curiosité; car tout cela n'est que la renaissance d'une vieille +corruption, puisqu'il n'y a rien de nouveau ni de stable sur la terre. + +Elle enseigne à réprimer les sens, à fuir la vaine complaisance et +l'ostentation, à cacher humblement ce qui mérite l'éloge et l'estime, et +à ne chercher en ce qu'on sait, et en toute chose, que ce qui peut être +utile, en l'honneur et la gloire de Dieu. + +Elle ne veut point qu'on loue ni elle, ni ses oeuvres; mais elle désire +que Dieu soit béni dans les dons qu'il répand par pur amour. + +18. Cette grâce est une lumière surnaturelle, un don spécial de Dieu; +c'est proprement le sceau des élus, et le gage du salut éternel. De la +terre où son coeur gisait, elle élève l'homme jusqu'à l'amour des biens +célestes, et le rend spirituel, de charnel qu'il était. + +Plus donc la nature est affaiblie et vaincue, plus la grâce se répand +avec abondance; et chaque jour, par de nouvelles effusions, elle +rétablit, au dedans de l'homme, l'image de Dieu. + + +RÉFLEXION. + + Selon la doctrine du grand Apôtre, nous avons en nous deux lois + opposées: la loi de la chair, qui nous asservit au péché, et la loi de + l'esprit qui nous retient dans l'ordre par le secours de la grâce que + Jésus-Christ nous a mérité[502]. Partagés entre ces deux lois, _entre + la chair et l'esprit qui se combattent sans cesse_[503], nous sommes + ici-bas comme flottant entre le bien et le mal, entre Dieu et le + monde, poussés vers l'un par la nature, attirés vers l'autre par la + grâce, qui n'abandonne jamais entièrement les plus grands pécheurs, de + même que la concupiscence ne cesse jamais de solliciter les plus + justes. Que deviendra notre pauvre âme en proie à cette guerre + terrible? Combien doit-elle trembler sur les suites d'un tel combat? + _Et c'est pourquoi_, dit saint Paul, _toute créature gémit, et est + comme dans le travail de l'enfantement: et nous aussi qui avons reçu + les prémices de l'Esprit, nous gémissons en nous-même, attendant + l'adoption des enfants de Dieu, et la délivrance de notre corps_[504]. + Heureux jour! et quand viendra-t-il? Quand goûterons-nous la + délicieuse paix d'un amour immuable? _J'ai désiré la dissolution de ma + chair, afin d'être avec Jésus-Christ_[505]. _Mon âme a soif du Dieu + fort, du Dieu vivant. Quand viendrai-je et paraîtrai-je devant la face + de mon Dieu_[506]? + + [502] Rom., VII, 23. + + [503] Galat., V, 17. + + [504] Rom., VIII, 22, 23. + + [505] Philipp., I, 23. + + [506] Ps. XLI, 3. + + + + +CHAPITRE LV. + +De la corruption de la nature, et de l'efficace de la grâce divine. + + +1. LE F. Seigneur, mon Dieu, qui m'avez créé à votre image et à votre +ressemblance, accordez-moi cette grâce dont vous m'avez montré +l'excellence et la nécessité pour le salut, afin que je puisse vaincre +ma nature corrompue, qui m'entraîne au péché et dans la perdition. + +_Car je sens en ma chair la loi du péché qui contredit la loi de +l'esprit_[507], et m'asservit aux sens pour que je leur obéisse en +esclave; et je ne puis résister aux passions qu'ils soulèvent en moi, si +vous ne me secourez, en ranimant mon coeur par l'effusion de votre +sainte grâce. + + [507] Rom., VII, 23. + +2. Votre grâce, et une grâce très-grande, est nécessaire pour vaincre la +nature _inclinée au mal dès l'enfance_[508]. + + [508] Gen., VIII, 21. + +Car, déchue en Adam, notre premier père, et dépravée par le péché, cette +tache passe dans tous les hommes, et ils en portent la peine: de sorte +que cette nature même, que vous avez créée dans la justice et dans la +droiture, ne rappelle plus que la faiblesse et le déréglement d'une +nature corrompue, parce que, laissée à elle-même, son propre mouvement +ne la porte qu'au mal, et vers les choses de la terre. + +Le peu de force qui lui est resté est comme une étincelle cachée sous la +cendre. + +C'est cette raison naturelle, environnée de profondes ténèbres, sachant +encore discerner le bien du mal, le vrai du faux, mais impuissante à +accomplir ce qu'elle approuve, parce qu'elle ne possède pas la pleine +lumière de la vérité, et que toutes ses affections sont malades. + +3. De là vient, mon Dieu, que _je me réjouis en votre loi, selon l'homme +intérieur_[509], reconnaissant _que vos commandements sont bons, justes +et saints_[510], qui condamnent tout mal, et détournent du péché. + + [509] Rom., VII, 22. + + [510] _Ibid._, 12. + +Mais, _dans ma chair je suis asservi à la loi du péché_[511], obéissant +plutôt aux sens qu'à la raison, _voulant le bien, et n'ayant pas la +force de l'accomplir_[512]. + + [511] _Ibid._, 25. + + [512] _Ibid._, 18. + +C'est pourquoi souvent je forme de bonnes résolutions; mais la grâce, +qui aide ma faiblesse, venant à manquer, au moindre obstacle je cède et +je tombe. + +Je découvre la voie de la perfection, et je vois clairement ce que je +dois faire; + +Mais, accablé du poids de ma corruption, je ne m'élève à rien de +parfait. + +4. Ô que votre grâce, Seigneur, m'est nécessaire, pour commencer le +bien, le continuer et l'achever! + +Car sans elle je ne puis rien faire; mais _je puis tout en vous, quand +votre grâce me fortifie_[513]. + + [513] Philipp., IV, 13. + +Ô grâce vraiment céleste, sans laquelle nos mérites et les dons de la +nature ne sont rien! + +Les arts, les richesses, la beauté, la force, le génie, l'éloquence, +n'ont aucun prix, Seigneur, à vos yeux, sans la grâce. + +Car les dons de la nature sont communs aux bons et aux méchants; mais la +grâce ou la charité est le don propre des élus; elle est le signe auquel +on reconnaît ceux qui sont dignes de la vie éternelle. + +Telle est l'excellence de cette grâce, que ni le don de prophétie, ni le +pouvoir d'opérer des miracles, ni la plus haute contemplation, ne +doivent être comptés pour quelque chose sans elle. + +Ni la foi même, ni l'espérance, ni les autres vertus, ne vous sont +agréables sans la grâce et la charité. + +5. Ô bienheureuse grâce, qui rendez riche en vertus le pauvre d'esprit, +et celui qui possède de grands biens humble de coeur! + +Venez, descendez en moi, remplissez-moi dès le matin de votre +consolation, de peur que mon âme épuisée, aride, ne vienne à défaillir +de lassitude. + +J'implore votre grâce, ô mon Dieu, je ne veux qu'elle: _car votre grâce +me suffit_[514], quand je n'obtiendrais rien de ce que la nature désire. + + [514] II. Cor., XII, 9. + +Si je suis éprouvé, tourmenté par beaucoup de tribulations, je ne +craindrai aucuns maux, tandis que votre grâce sera avec moi. + +Elle est ma force, mon conseil, mon appui. + +Elle est plus puissante que tous les ennemis, et plus sage que tous les +sages. + +6. Elle enseigne la vérité, et règle la conduite; elle est la lumière du +coeur, et sa consolation dans l'angoisse; elle chasse la tristesse, +dissipe la crainte, nourrit la piété, produit les larmes. + +Que suis-je sans elle qu'un bois sec, un rameau stérile qui n'est bon +qu'à jeter? + +_Que votre grâce, Seigneur, me prévienne donc et m'accompagne toujours; +qu'elle me rende sans cesse attentif à la pratique des bonnes oeuvres: +je vous en conjure par Jésus-Christ, votre Fils. Ainsi soit-il_[515]. + + [515] Orais. du 16e Dim. apr. la Pent. + + +RÉFLEXION. + + La religion fait deux choses: elle nous montre notre misère et nous en + indique le remède; elle nous enseigne que, de nous-mêmes, nous ne + pouvons rien pour le salut, mais que _nous pouvons tout en celui qui + nous fortifie_[516]. Et de là ce mot de saint Paul, mot aussi profond + de vérité qu'étonnant pour l'orgueil humain: _Je me glorifierai dans + mes infirmités, afin que la vertu de Jésus-Christ habite en moi_[517]. + _Oui_, continue-t-il, _je me complais dans mes infirmités: car lorsque + je me sens infirme, c'est alors que je suis fort_[518]. Entrons dans + la pensée de l'Apôtre, et apprenons à nous humilier, à sentir notre + faiblesse, à jouir, pour ainsi parler, de notre néant. Lorsque nous + aurons rejeté toute vaine opinion de nous-mêmes, et creusé, en quelque + sorte, un lit profond dans notre âme, des flots de grâce s'y + précipiteront. La paix nous sera donnée sur la terre: car qui peut + troubler la paix de celui qui, s'oubliant et se méprisant soi-même, ne + s'appuie que sur Dieu et ne tient plus qu'à Dieu? _Paix aux hommes de + bonne volonté_[519], aux humbles de coeur, paix ici-bas: et dans le + Ciel _le rassasiement de la gloire_[520]. + + [516] Philipp., IV, 13. + + [517] Cor., XII, 9. + + [518] _Ibid._, 10. + + [519] Luc., II, 14. + + [520] Ps. XVI, 15. + + + + +CHAPITRE LVI. + +Que nous devons nous renoncer nous-mêmes, et imiter Jésus-Christ en +portant la Croix. + + +1. J.-C. Mon Fils, vous n'entrerez en moi, qu'autant que vous sortirez +de vous-même. + +Comme on possède en soi la paix, lorsqu'on ne désire rien au dehors, +ainsi le renoncement intérieur unit à Dieu. + +Je veux que vous appreniez à vous renoncer assez parfaitement, pour vous +soumettre à ma volonté sans répugnance et sans murmure. + +Suivez-moi: _Je suis la voie, la vérité et la vie_[521]. Sans la voie on +n'avance pas; sans la vérité on ne connaît pas; on ne vit point sans la +vie. Je suis la voie que vous devez suivre, la vérité que vous devez +croire, la vie que vous devez espérer. + + [521] Joann., XIV, 6. + +Je suis la voie qui n'égare point, la vérité qui ne trompe point, la vie +qui ne finira jamais. + +Je suis la voie droite, la vérité souveraine, la véritable vie, la vie +bienheureuse, la vie incréée. + +Si vous demeurez dans ma voie, _vous connaîtrez la vérité, et la vérité +vous délivrera, et vous obtiendrez la vie éternelle_[522]. + + [522] Joann., VIII, 32. + +2. _Si vous voulez parvenir à la vie, gardez mes commandements_[523]. + + [523] Matth., XIX, 17. + +Si vous voulez connaître la vérité, croyez-moi. + +_Si vous voulez être parfait, vendez tout_[524]. + + [524] _Ibid._, 21. + +_Si vous voulez être mon disciple, renoncez-vous vous-même_[525]. + + [525] Luc., IX 23. + +Si vous voulez posséder la vie bienheureuse, méprisez la vie présente. + +Si vous voulez être élevé dans le Ciel, humiliez-vous sur la terre. + +Si vous voulez régner avec moi, portez la croix avec moi. + +Car les serviteurs de la Croix trouvent seuls la voie de la béatitude et +de la vraie lumière. + +3. LE F. Seigneur Jésus, puisque votre vie était pauvre et que le monde +la méprisait, donnez-moi de vous imiter, et d'être aussi méprisé du +monde. + +_Car le serviteur n'est pas plus grand que celui qu'il sert, ni le +disciple au-dessus de son maître_[526]. + + [526] Matth., X, 24. + +Que votre serviteur travaille à se former sur votre vie, parce que là +est mon salut, et la vraie sainteté. + +Tout ce que je lis, tout ce que j'entends, hors cette vie céleste, ne me +console ni ne me satisfait pleinement. + +4. Mon Fils, _puisque vous avez lu et que vous savez toutes ces choses, +vous serez heureux si vous les pratiquez_[527]. + + [527] Joann., XIII, 17. + +_Celui-là m'aime, qui connaît et qui observe mes commandements; et je +l'aimerai aussi, et je me manifesterai à lui, et je le ferai asseoir +avec moi dans le royaume de mon Père_[528]. + + [528] _Ibid._, XIV, 24. + +5. LE F. Seigneur Jésus, qu'il soit fait selon votre parole et votre +promesse: rendez-moi digne de ce bonheur immense. + +J'ai reçu, j'ai reçu de votre main la croix: je la porterai, oui, je la +porterai, comme vous l'avez voulu, jusqu'à la mort. + +Certes, la vie d'un bon religieux est une croix, mais une croix qui +conduit à la gloire. + +J'ai commencé; il n'est plus permis de retourner en arrière; il n'y a +plus à s'arrêter. + +6. Allons, mes frères, marchons ensemble: Jésus sera avec nous. + +Pour Jésus, nous nous sommes chargés de la croix; continuons, pour +Jésus, de porter la croix. + +Il sera notre soutien, celui qui est notre chef et notre guide. + +Voilà que notre roi marche devant nous; il combattra pour nous. + +Suivons avec courage; que rien ne nous effraie; soyons prêts _à mourir +généreusement dans cette guerre, et ne souillons pas notre gloire_[529] +de la honte d'avoir fui la Croix. + + [529] I. Mac., IX, 10. + + +RÉFLEXION. + + Il est étrange qu'il faille sans cesse redire à l'homme: Pense à ton + âme, le temps fuit, l'éternité s'avance; demain, aujourd'hui peut-être + elle aura commencé pour toi: et cependant il est vrai que si on ne lui + rappelait à chaque heure cette vérité formidable, à chaque heure il + l'oublierait, tant est puissante la fascination du monde sur cette + créature tombée. Réveillez-vous, sortez de votre sommeil, ne différez + pas davantage le soin de _l'unique chose nécessaire_[530]; hâtez-vous + de mettre la main à l'oeuvre, tandis que le jour luit encore; _la nuit + vient pendant laquelle nul ne peut travailler_[531]: nuit terrible, + nuit désolante, nuit qui n'aura jamais d'aurore! Quittez, quittez, + sans perdre un instant, _la voie large de la perdition_, pour entrer + dans _la voie étroite de la vie_[532]. Combattez avec courage les + penchants de la nature inclinés au mal, renoncez à vous-même, et + portez votre croix: dans la Croix est la force, l'espérance, le salut. + Heureux donc celui qui _ne sait_, comme l'Apôtre, _que Jésus, et Jésus + crucifié_[533]! il entendra, au dernier jour, cette parole d'éternelle + joie: _Venez, le béni de mon Père, posséder le royaume qui vous a été + préparé dès le commencement du monde_[534]. Mais les contempteurs de + la Croix, mais ceux qui se seront recherchés eux-mêmes, un autre sort + leur est réservé: _Dieu a dans sa main une coupe pleine d'un vin + mélangé; il la verse ici et là, et la lie ne s'épuise point, et tous + les pécheurs de la terre boiront_[535]! + + [530] Luc., X. 42. + + [531] Joann., IX, 4. + + [532] Matth., VII, 13, 14. + + [533] I. Cor., II, 2. + + [534] Matth., XXV, 34. + + [535] Ps. LXXIV, 9. + + + + +CHAPITRE LVII. + +Qu'on ne doit point se laisser trop abattre quand on tombe en quelques +fautes. + + +1. J.-C. Mon fils, la patience et l'humilité dans les traverses me +plaisent plus que beaucoup de joie et de ferveur dans la prospérité. + +Pourquoi vous attrister d'une faute légère qu'on vous attribue? fût-elle +plus grave, vous ne devriez pas en être ému. + +Laissez donc tomber cela; ce n'est pas une chose nouvelle, ni la +première fois que vous l'éprouvez, et ce ne sera pas la dernière, si +vous vivez longtemps. + +Vous avez assez de courage quand il ne vous arrive rien de fâcheux. + +Vous savez même conseiller bien les autres, et les fortifier par vos +discours; mais lorsqu'il vous survient une affliction soudaine, vous +manquez de conseil et de force. + +Considérez votre extrême fragilité, dont vous avez si souvent +l'expérience dans les plus petites choses: et toutefois Dieu le permet +ainsi pour votre salut. + +2. Bannissez de votre coeur, autant que vous le pourrez, tout ce qui le +trouble. A-t-il été surpris, qu'il ne se laisse point abattre, mais +qu'il se dégage sur-le-champ. + +Souffrez au moins avec patience, si vous ne pouvez souffrir avec joie. + +Lorsque vous êtes peiné d'entendre certaines choses, et que vous en +ressentez de l'indignation, modérez-vous, et veillez à ce qu'il ne vous +échappe aucune parole trop vive qui scandalise les faibles. + +Votre émotion s'apaisera bientôt, et le retour de la grâce adoucira +l'amertume intérieure. + +Je suis toujours vivant, dit le Seigneur, pour vous secourir et vous +consoler plus que jamais, si vous mettez en moi votre confiance, et si +vous m'invoquez avec ferveur. + +3. Armez-vous de constance, et préparez-vous à souffrir encore +davantage. + +Tout n'est pas perdu, quoique souvent vous soyez dans le trouble et +tenté violemment. + +Vous êtes un homme, et non pas un Dieu; vous êtes de chair, et non pas +un ange. + +Comment pourriez-vous toujours vous maintenir dans un égal degré de +vertu, lorsque cette persévérance a manqué à l'Ange dans le ciel, et au +premier homme dans le paradis? + +C'est moi qui soutiens et qui délivre ceux qui gémissent; et j'élève +jusqu'à moi ceux qui reconnaissent leur infirmité. + +4. LE F. Seigneur, que votre parole soit bénie; _elle m'est plus douce +que le miel à ma bouche_[536]. + + [536] Ps. XVIII, 10. + +Que ferais-je au milieu de tant d'afflictions et d'angoisses, si vous ne +me ranimiez par vos saintes paroles? + +Pourvu que je parvienne enfin au port du salut, que m'importe que je +souffre, et combien je souffre? + +Accordez-moi une bonne fin; donnez-moi de passer heureusement de ce +monde à l'autre. + +Souvenez-vous de moi, mon Dieu, et conduisez-moi dans la voie droite +vers votre royaume. Ainsi soit-il. + + +RÉFLEXION. + + Ce n'est pas assez d'être patient avec les autres, il faut l'être + encore avec soi-même. Ce je ne sais quoi d'aigre et de violent que + nous ressentons en nous après avoir commis quelque faute, vient plutôt + de l'orgueil humilié, que d'un repentir selon Dieu. L'homme humble qui + connaît sa faiblesse, ne s'étonne point de tomber; il gémit de sa + chute, en implore le pardon, et se relève tranquille, pour combattre + avec un courage nouveau. Faillir est un mal sans doute, mais se + troubler n'est qu'un mal de plus. Le trouble a sa source ou dans une + sorte de dépit superbe de se trouver si infirme, ou dans le défaut de + confiance en celui _qui guérit notre infirmité_[537]. _Veillez et + priez, afin que vous n'entriez point en tentation_[538]; et si, la + tentation survenant, il arrive que vous succombiez, veillez et priez + davantage encore: mais ne perdez jamais la paix, car notre Dieu est + _le Dieu de la paix[539], et c'est dans la paix qu'il nous + appelle_[540]. _Que la grâce, la miséricorde et la paix de Dieu le + Père et de notre Seigneur Jésus-Christ_[541], soient donc avec nous + toujours et qu'elles nous conduisent, à travers les épreuves du temps, + aux joies de l'éternité. + + [537] Ps. CII, 3. + + [538] Matth., XXVI, 41. + + [539] I. Cor., XIV, 33. + + [540] _Ibid._, VII, 15. + + [541] I. Tim., I, 2. + + + + +CHAPITRE LVIII. + +Qu'il ne faut pas chercher à pénétrer ce qui est au-dessus de nous, ni +sonder les secrets jugements de Dieu. + + +1. J.-C. Mon fils, gardez-vous de disputer sur des sujets trop hauts, et +sur les jugements cachés de Dieu: pourquoi l'un est abandonné, tandis +qu'un autre reçoit des grâces si abondantes; pourquoi celui-ci n'a que +des afflictions, et celui-là est comblé d'honneurs. + +Tout cela est au-dessus de l'esprit de l'homme, et nulle raison ne peut, +quels que soient ses efforts, pénétrer les jugements divins. + +Quand donc l'ennemi vous suggère de semblables pensées, ou que les +hommes vous pressent de questions curieuses, répondez par ces paroles du +Prophète: _Vous êtes juste, Seigneur, et vos jugements sont +droits_[542]. + + [542] Ps. CXIII, 137. + +2. Et encore: _Les jugements du Seigneur sont vrais et se justifient par +eux-mêmes_[543]. + +Il faut craindre mes jugements, et non les approfondir, parce qu'ils +sont incompréhensibles à l'intelligence humaine. + + [543] Ps. XVIII, 9. + +Ne disputez pas non plus des mérites des Saints, ne recherchez point si +celui-ci est plus saint que cet autre, ni quel est le plus grand dans le +royaume des cieux. + +Ces recherches produisent souvent des différends et des contestations +inutiles; elles nourrissent l'orgueil et la vaine gloire, d'où naissent +des jalousies et des dissensions; celui-ci préférant tel Saint, celui-là +tel autre, et voulant qu'il soit le plus élevé. + +L'examen de pareilles questions, loin d'apporter aucun fruit, déplaît +aux Saints. _Car je ne suis point un Dieu de dissension, mais de +paix_[544]; et cette paix consiste plus à s'humilier sincèrement qu'à +s'élever. + + [544] I. Cor., XIV, 33. + +3. Quelques-uns ont un zèle plus ardent, une affection plus vive pour +quelques Saints que pour d'autres; mais cette affection vient plutôt de +l'homme que de Dieu. + +C'est moi qui ai fait tous les Saints, moi qui leur ai donné la grâce, +moi qui leur ai distribué la gloire. + +Je sais les mérites de chacun: _Je les ai prévenus de mes plus douces +bénédictions_[545]. + + [545] Ps. XX, 3. + +Je les ai connus et aimés avant tous les siècles: _je les ai choisis du +milieu du monde_[546] et ce ne sont pas eux qui m'ont choisi les +premiers. + + [546] Joann., XV, 19 + +Je les ai appelés par ma grâce, je les ai attirés par ma miséricorde, et +conduits à travers des tentations diverses. + +J'ai répandu en eux d'ineffables consolations: je leur ai donné de +persévérer, et j'ai couronné leur patience. + +4. Je connais le premier et le dernier, et je les embrasse tous dans mon +amour immense. + +C'est moi qu'on doit louer dans tous mes Saints; moi qu'on doit bénir +au-dessus de tout et honorer en chacun de ceux que j'ai ainsi élevés +dans la gloire et prédestinés, sans aucuns mérites précédents de leur +part. + +Celui donc qui méprise le plus petit des miens, n'honore pas le plus +grand, parce que j'ai fait le petit et le grand. + +Et quiconque rabaisse quelqu'un de mes Saints, me rabaisse moi-même, et +tous ceux qui sont dans le royaume des cieux. + +Tous ne sont qu'un par le lien de la charité: ils n'ont tous qu'un même +sentiment, une même volonté, et sont tous unis par le même amour. + +5. Et ce qui est plus parfait encore, ils m'aiment plus qu'ils ne +s'aiment, plus que tous leurs mérites. + +Ravis au-dessus d'eux-mêmes, au-dessus de leur propre amour, ils se +plongent et se perdent dans le mien, et s'y reposent délicieusement. + +Rien ne saurait partager leur coeur, ni le détourner vers un autre +objet; parce que, remplis de la vérité éternelle, ils brûlent d'une +charité qui ne peut s'éteindre. + +Que les hommes ensevelis dans la chair et ses convoitises, les hommes +qui ne savent aimer que les joies exclusives, cessent donc de discourir +sur l'état des Saints. Ils retranchent et ils ajoutent, suivant leur +inclination, et non pas selon que l'a réglé la vérité éternelle. + +6. En plusieurs, c'est ignorance, et surtout en ceux qui, peu éclairés +de la lumière divine, aiment rarement quelqu'un d'un amour parfait et +purement spirituel. + +Une inclination naturelle et une affection tout humaine les attire vers +tel ou tel Saint; et ils transportent dans le ciel les sentiments de la +terre. + +Mais il y a une distance infinie entre les pensées des hommes imparfaits +et ce que la lumière d'en haut découvre à ceux qu'elle éclaire. + +7. Gardez-vous donc, mon fils, de raisonner curieusement sur ces choses +qui passent votre intelligence: travaillez plutôt avec ardeur à obtenir +une place, fût-ce la dernière, dans le royaume de Dieu. + +Et quand quelqu'un saurait qui des Saints est le plus parfait et le plus +grand dans le royaume céleste, que lui servirait cette connaissance, +s'il n'en tirait un nouveau motif de s'humilier devant moi, et de me +louer davantage? + +Celui qui pense à la grandeur de ses péchés, à son peu de vertu, qui +considère combien il est éloigné de la perfection des Saints, se rend +plus agréable à Dieu, que celui qui dispute sur le degré plus ou moins +élevé de leur gloire. + +Il vaut mieux prier les Saints avec larmes et avec ferveur, et implorer +humblement leurs glorieux suffrages, que de chercher vainement à +pénétrer le secret de leur état dans le ciel. + +8. Ils sont heureux, contents: qu'avons-nous besoin d'en savoir plus, et +n'est-ce pas assez pour réprimer tous nos vains discours? + +Ils ne se glorifient point de leurs mérites, parce qu'ils ne +s'attribuent rien de bon, mais qu'ils attribuent tout à moi, qui leur ai +tout donné par une charité infinie. + +Ils sont remplis d'un si grand amour de la Divinité, d'une joie si +surabondante, que comme il ne manque rien à leur gloire, rien ne peut +manquer à leur félicité. + +Plus ils sont élevés dans la gloire, plus ils sont humbles en eux-mêmes: +et leur humilité me les rend plus chers, et les unit plus étroitement à +moi. + +C'est pourquoi il est écrit: _Qu'ils déposaient leurs couronnes au pied +du trône de Dieu, qu'ils se prosternaient devant l'Agneau, et qu'ils +adoraient celui qui vit dans les siècles des siècles_[547]. + + [547] Apoc., IV, 10; V, 14. + +9. Plusieurs recherchent _qui est le premier dans le royaume de +Dieu_[548]; lesquels ignorent s'ils seront dignes d'être comptés parmi +les derniers. + + [548] Matth., XVIII, 1. + +C'est quelque chose de grand, d'être le plus petit dans le ciel, où tous +sont grands: parce que tous seront appelés et seront en effet les +enfants de Dieu. + +_Le moindre des élus sera comme le chef d'un peuple nombreux_, tandis +que _le pécheur, après une longue vie, ne trouvera que la mort_[549]. + + [549] Is., LX, 22; LXV, 20. + +Ainsi, quand mes disciples demandèrent qui serait le plus grand dans le +royaume des cieux, ils entendirent cette réponse: + +_Si vous ne vous convertissez et ne devenez comme de petits enfants, +vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. Celui donc qui se fera +petit comme cet enfant, sera le plus grand dans le royaume des +cieux_[550]. + + [550] Matth., XVIII, 4. + +Malheur à ceux qui dédaignent de s'abaisser avec les petits, parce que +la porte du ciel est basse, et qu'ils n'y pourront passer. + +_Malheur aussi aux riches qui ont ici leur consolation_[551], parce que, +quand les pauvres entreront dans le royaume de Dieu, ils demeureront +dehors poussant des hurlements. + + [551] Luc., VI, 24. + +Humbles, réjouissez-vous; pauvres, tressaillez d'allégresse, _parce que +le royaume de Dieu est à vous_[552], si cependant vous marchez dans la +vérité. + + [552] _Ibid._, 20. + + +RÉFLEXION. + + C'est une grande misère que le penchant qu'ont les hommes à + s'inquiéter de mille vaines questions, tandis qu'à peine songent-ils + aux vérités les plus importantes. Ils veulent tout savoir, excepté la + seule chose indispensable. Leur orgueil se complaît dans des + spéculations presque toujours dangereuses, ou au moins stériles pour + le salut. En s'efforçant de pénétrer des mystères impénétrables, ils + s'égarent dans leurs pensées, et ne saisissent que l'erreur, au moment + même où ils croient ravir à Dieu son secret. Voilà le fruit des + travaux dont ils se consument sous le soleil. Ah! qu'il y a de + profondeur et de véritable science de l'homme, dons ce conseil du + Sage: _Ne recherchez point ce qui est au-dessus de vous, et ne scrutez + point ce qui est plus fort que vous; mais pensez sans cesse à ce que + Dieu vous prescrit, et gardez-vous de sonder curieusement toutes ses + oeuvres: car il ne vous est pas nécessaire de voir de vos yeux ce qui + est caché_[553]. Songeons à nous-mêmes, à nos devoirs, au compte + rigoureux qu'il nous faudra rendre de nos oeuvres et de nos paroles. + Il y a bien là de quoi nous occuper et remplir tout notre temps: il ne + nous est donné que pour cela. + + [553] Eccles., III, 22, 23. + + + + +CHAPITRE LIX. + +Qu'on doit mettre toute son espérance et toute sa confiance en Dieu +seul. + + +1. LE F. Seigneur, quelle est ma confiance en cette vie, et ma plus +grande consolation au milieu de tout ce qui s'offre à mes regards sous +le ciel? + +N'est-ce pas vous, Seigneur mon Dieu, dont la miséricorde est infinie? + +Où ai-je été bien sans vous? et avec vous, où ai-je pu être mal? + +J'aime mieux être pauvre à cause de vous, que riche sans vous. + +J'aime mieux être avec vous voyageur sur la terre, que de posséder le +ciel sans vous. Où vous êtes, là est le ciel; et la mort et l'enfer sont +où vous n'êtes pas. + +Vous êtes tout mon désir: et c'est pourquoi je ne puis, loin de vous, +que soupirer, gémir, prier. + +Je ne puis me confier pleinement qu'en vous, ni espérer dans mes besoins +de secours que de vous seul, ô mon Dieu! + +Vous êtes mon espérance, ma confiance, mon consolateur toujours fidèle. + +2. _Tous cherchent leur intérêt_[554]; vous seul vous ne cherchez que +mon salut et mon avancement, et vous disposez tout pour mon bien. + + [554] Philipp, II, 21. + +Même quand vous m'exposez à beaucoup de tentations et de peines, c'est +encore pour mon avantage; car vous avez coutume d'éprouver ainsi ceux +qui vous sont chers. + +Et je ne dois pas moins vous aimer ni vous louer dans ces épreuves, que +si vous me remplissiez des plus douces consolations. + +3. C'est donc en vous, Seigneur mon Dieu, que je mets toute mon +espérance et tout mon appui; c'est dans votre sein que je dépose toutes +mes afflictions et toutes mes angoisses; car je ne trouve que faiblesse +et inconstance dans tout ce que je vois hors de vous. + +Il n'est point d'amis qui puissent me servir, point de protecteurs qui +me soient de secours, ni de sages qui me donnent un conseil utile, ni de +livre qui me console, ni de trésor assez grand pour me racheter, ni de +lieu assez secret pour m'offrir un sûr asile, si vous ne daignez +vous-même me secourir, m'aider, me fortifier, me consoler, m'instruire +et me prendre sous votre garde. + +4. Car tout ce qui semble devoir procurer la paix et le bonheur, n'est +rien sans vous, et réellement ne sert de rien pour rendre heureux. + +Vous êtes donc le principe et le terme de tous les biens, la plénitude +de la vie, la source inépuisable de toute lumière et de toute parole; et +la plus grande consolation de vos serviteurs est d'espérer uniquement en +vous. + +Mes yeux sont élevés vers vous; en vous je mets toute ma confiance, mon +Dieu, père des miséricordes. + +Sanctifiez mon âme, bénissez-la de votre céleste bénédiction, afin +qu'elle devienne votre demeure sainte, le siége de votre éternelle +gloire, et que, dans ce temple où vous ne dédaignez pas d'habiter, il +n'y ait rien qui offense vos regards. + +_Regardez-moi, Seigneur, dans votre immense bonté; et, selon l'abondance +de vos miséricordes_[555], exaucez la prière de votre serviteur +misérable, exilé loin de vous dans la région des ténèbres et de la mort. + + [555] Ps. LXVIII, 16, 17. + +Protégez et conservez l'âme de votre pauvre serviteur au milieu des +dangers de cette vie corruptible; que votre grâce l'accompagne et le +conduise par le chemin de la paix, dans la patrie de l'éternelle +lumière. Ainsi soit-il. + + +RÉFLEXION. + + Quand on a tout parcouru, tout entendu, tout vu, il faut en revenir à + cette parole qui renferme toute sagesse et toute perfection: DIEU + SEUL. «Considérez, disait un humble religieux de saint François, des + mille millions de créatures plus parfaites que celles qui sont à + présent, tant dans les voies de la nature que dans les voies de la + grâce. Réitérez à l'infini votre multiplication, et comparez ensuite + ces créatures si parfaites au grand Dieu des éternités; dans cette + vue, elles deviennent à rien. Je prenais, ajoutait-il, un grand + plaisir dans cette multiplication; et de voir qu'en même temps que + l'Être de Dieu paraissait, ces créatures qui se montraient si + excellentes et si pleines de gloire, se retiraient d'une rapidité + incroyable dans leur centre qui est le néant. Et voyant que le grand + Dieu était en moi, et plus en moi que je n'y étais moi-même, j'en + ressentais une joie inexplicable, et je ne pouvais comprendre comment + il était possible d'avoir Dieu en soi et partout au dehors de soi, et + de s'occuper des créatures. J'étais ravi qu'il fût seul éternel, seul + immuable, seul infini, et je vous dis en vérité, qu'en disant: _En mon + Dieu tout est Dieu_, ma volonté était touchée d'un si grand et si + ardent amour, qu'il me semblait que tout l'être créé disparaissait + devant moi, et qu'à jamais je ne serais plus occupé que de Dieu seul. + Je ne puis expliquer l'infinie jubilation de mon coeur à la vue de ses + immenses perfections: mais voyant ses grandeurs incompréhensibles, et + d'autre part mon néant avec toutes les misères qui l'accompagnent, + j'allais de l'infini à l'infini, et je me trouvais incapable, de + l'infini à l'infini, de l'aimer comme je l'aurais voulu, ce qui me + faisait souffrir inénarrablement; car plus je me trouvais impuissant à + l'aimer d'un amour réciproque, plus un secret amour me dévorait + intérieurement. Alors j'allais cherchant des secrets dans ma bassesse, + comme navré et enivré d'amour, ne connaissant pas ce que je faisais: + et, chose étrange, dans ce travail de l'âme, ces saillies de l'infini + en perfection à l'infini de ma bassesse, m'étaient autant de feux + d'amour qui me consumaient de leurs ardeurs[556].» + + [556] L'homme intérieur, ou la Vie du vénérable père Jean-Chysostome, + religieux pénitent du tiers-ordre de Saint François; pag. 158, 175, + 176. + + +FIN DU TROISIÈME LIVRE. + + + + +L'IMITATION + +DE + +JÉSUS-CHRIST. + + + + +LIVRE QUATRIÈME. + +DU SACREMENT DE L'EUCHARISTIE. + + + + +EXHORTATION + +À LA SAINTE COMMUNION. + + +VOIX DE JÉSUS-CHRIST. + +1. J.-C. _Venez à moi, vous tous qui êtes épuisés de travail et qui êtes +chargés, et je vous soulagerai_[557]. + + [557] Matth., XI, 28. + +_Le pain que je donnerai, c'est ma chair_, que je donnerai _pour la vie +du monde_[558]. + + [558] Joann., VI, 52. + +_Prenez et mangez: ceci est mon corps, qui sera livré pour vous. Faites +ceci en mémoire de moi_[559]. + + [559] Luc., XXII, 19. I. Cor., XI, 24. + +_Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure en moi et moi en +lui_[560]. + + [560] Joann., VI, 57. + +_Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie_[561]. + + [561] _Ibid._, 64. + + +RÉFLEXION. + + Nous voyons ici l'accomplissement des promesses divines, des + espérances du genre humain, des figures et des prophéties de + l'ancienne Loi. Le sacrifice réel, celui qui opère à jamais la + réconciliation de l'homme avec Dieu, succède aux sacrifices + symboliques et sans efficacité. La véritable Pâque est immolée[562], + la manne céleste nourrit désormais, non plus seulement le peuple + d'Israël, mais tous les peuples de l'alliance nouvelle, tous les vrais + enfants du Père des croyants. À l'exemple du _Roi de Paix[563], le + Pontife éternel selon l'ordre de Melchisedech_[564], offre au + Très-Haut le pain et le vin, _le pain vivant descendu du Ciel_[565]: + _et le pain qu'il donne est sa chair_[566], et le vin est son sang; et + _en vérité, à moins qu'on ne mange la chair, et qu'on ne boive le sang + du Fils de l'homme, on n'aura point la vie en soi_[567]: _car ma + chair_, il le dit lui-même, _est vraiment une viande, et mon sang un + breuvage: celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et + moi en lui_[568]: _voilà le pain descendu du Ciel: qui mange ce pain + vivra éternellement_[569]. Il n'y a point à hésiter; ce langage est + clair; il faut se soumettre, il faut dire: Je crois; Seigneur, + augmentez ma foi[570]. Et qu'avaient annoncé les Prophètes? _Les + pauvres mangeront et seront rassassiés, et leur âme vivra + éternellement. Tous les riches de la terre ont mangé et ont adoré: + tous ceux qui habitent la terre se prosterneront en sa présence_[571]. + Et nous aussi, dans l'inébranlable fermeté de notre foi, mangeons et + adorons; rassasions-nous de celle chair, abreuvons-nous de ce sang, + qui nous transforme en Jésus-Christ même. Victime d'un prix + inestimable, il acquitte volontairement notre dette envers la justice + divine, et pour nous appliquer, sans réserve et sans mesure, la vertu + de son sacrifice, il unit sa chair à notre chair, son âme à notre âme, + de sorte que, par celle ineffable union, _nous sommes remplis de la + divinité dont la plénitude habite en lui corporellement_[572]. + Prodigieux mystère d'amour! _L'homme a mangé le pain des anges_[573]. + Et comment? parce que «le Verbe de Dieu qui nourrit, dit saint + Augustin, de sa substance incorruptible les anges incorruptibles, + s'est fait chair, et a habité parmi nous[574]. Comme donc la créature + spirituelle se nourrit du Verbe, qui est son aliment par excellence; + et comme l'âme humaine, spirituelle aussi, mais, en punition du péché, + chargée des liens de la mortalité, a été abaissée de telle sorte, + qu'il faut qu'elle s'efforce d'atteindre par les conjectures des + choses visibles, à l'intelligence des choses invisibles: l'aliment + spirituel de la créature a été fait visible, non par un changement de + sa nature, mais relativement à la nôtre, afin qu'en cherchant ce qui + est visible, nous fussions rappelés au Verbe invisible[575].» + Chrétiens, allez au banquet sacré, approchez-vous de cette table où + Jésus-Christ tout entier se livre à vous, où le Verbe divin se fait + lui-même votre aliment incompréhensible: _Prenez et mangez le + véritable pain du Ciel_[576]. Là est l'espérance, la vie, la dernière + épreuve de la foi, la consommation de l'amour. + + [562] I. Cor., V, 7. + + [563] Gen., XIV, 18. + + [564] Ps. CIX, 4. + + [565] Joann., VI, 51. + + [566] _Ibid._, 52. + + [567] _Ibid._, 54. + + [568] _Ibid._, 56, 57. + + [569] _Ibid._, 59. + + [570] Luc., XVII, 5. + + [571] Ps. LIX, 21, 27, 30. + + [572] Coloss, II, 9, 10. + + [573] Ps. LXXVII, 25. + + [574] S. Aug., Enarrat. in Ps. LXXVI, c. 17. + + [575] Aug., De liber. arbitr., libr. III, cap. 30. + + [576] Luc., XXII, 10. Joann., VI, 33. + + + + +CHAPITRE PREMIER. + +Avec quel respect il faut recevoir Jésus. + + +VOIX DU DISCIPLE. + +1. LE F. Ce sont là vos paroles, ô Jésus, vérité éternelle! quoiqu'elles +n'aient pas été dites dans le même temps, et qu'elles ne soient pas +écrites dans le même lieu. + +Et puisqu'elles viennent de vous, et qu'elles sont véritables, je dois +les recevoir toutes avec une foi pleine de reconnaissance. + +Elles sont de vous, car c'est vous qui les avez dites; mais elles sont +aussi à moi, parce que vous les avez dites pour mon salut. + +Je les reçois avec joie de votre bouche, afin qu'elles se gravent +profondément dans mon coeur. + +Ces paroles pleines de tant de bonté, de tendresse et d'amour, +m'animent; mais la pensée de mes crimes m'effraie, et ma conscience +impure m'éloigne d'un mystère si saint. + +La douceur de vos paroles m'attire, mais le poids de mes péchés me +retient. + +2. Vous m'ordonnez d'aller à vous avec confiance, si je veux _avoir part +avec vous_; et de me nourrir du pain de l'immortalité, si je veux +obtenir la vie et la gloire éternelle. + +Venez, dites-vous, _venez à moi vous tous qui souffrez et qui êtes +oppressés, et je vous ranimerai_[577]. + + [577] Matth., XI, 28. + +Ô douce et aimable parole à l'oreille d'un pécheur! vous invitez, +Seigneur mon Dieu, le pauvre et l'indigent à la participation de votre +corps sacré. + +Mais qui suis-je, Seigneur, pour oser m'approcher de vous? + +_Voilà que les Cieux des cieux ne peuvent vous contenir_[578], et vous +dites: _Venez tous à moi_. + + [578] I. Reg., VIII, 27. + +3. D'où vient cette miséricordieuse condescendance, une si tendre +invitation? + +Comment oserai-je aller à vous, moi qui ne sens en moi-même aucun bien +qui puisse me donner quelque confiance? + +Comment vous recevrai-je en ma maison, moi qui ai si souvent outragé +votre bonté? + +Les Anges et les Archanges vous adorent en tremblant, les Saints et les +Justes sont saisis de frayeur; et vous dites: _Venez tous à moi!_ + +Si ce n'était vous qui le dites, Seigneur, qui pourrait le croire? + +Et si vous n'ordonniez vous-même d'approcher de vous, qui en aurait +l'audace? + +4. Noé, cet homme juste, travailla cent ans à construire l'arche, pour +se sauver avec peu de personnes: et moi, comment pourrai-je, en une +heure, me préparer à recevoir dignement le Créateur du monde? + +Moïse, le plus grand de vos serviteurs, pour qui vous étiez comme un +ami, fit une arche d'un bois incorruptible, qu'il revêtit d'un or +très-pur, afin d'y déposer les tables de la loi: et moi, vile créature, +j'oserai recevoir si facilement le fondateur de la loi et l'auteur de la +vie? + +Salomon, le plus sage des rois d'Israël, employa sept ans à élever un +temple magnifique à la gloire de votre nom: il célébra, pendant huit +jours, la fête de sa dédicace; il offrit mille hosties pacifiques, et, +au son des trompettes, au milieu des cris de joie, il plaça +solennellement l'arche d'alliance dans le lieu qui lui était préparé. + +Et moi, misérable que je suis et le plus pauvre des hommes, comment vous +introduirai-je dans ma maison, moi qui sais à peine employer pieusement +une demi-heure? Et plût à Dieu que j'eusse une seule fois employé +dignement un moindre temps encore! + +5. Ô mon Dieu, que n'ont point fait ces saints hommes pour vous plaire, +et combien, hélas! ce que je fais est peu! combien est court le temps +que je consacre à me préparer à la communion! + +Rarement suis-je bien recueilli; plus rarement suis-je libre de toute +distraction. + +Et certes, en votre divine et salutaire présence, nulle pensée profane +ne devrait s'offrir à mon esprit, nulle créature ne devrait l'occuper: +car ce n'est pas un ange, mais le Seigneur des anges que je dois +recevoir en moi. + +6. Quelle distance infinie d'ailleurs entre l'arche d'alliance avec ce +qu'elle renfermait, et votre corps très-pur avec ses ineffables vertus; +entre les sacrifices de la loi, figure du sacrifice à venir, et la +véritable hostie de votre corps, accomplissement de tous les anciens +sacrifices! + +7. Pourquoi donc ne suis-je pas plus enflammé en votre adorable +présence? + +Pourquoi n'ai-je pas soin de me mieux préparer à la participation de vos +saints mystères; lorsque ces antiques patriarches, ces saints prophètes, +et ces rois, et ces princes avec tout leur peuple, ont montré tant de +zèle pour le culte divin? + +8. David, ce roi si pieux, fit éclater ses transports par des danses +religieuses devant l'arche, se souvenant des bienfaits que Dieu avait +répandus sur ses pères; il fit faire divers instruments de musique, il +composa des psaumes que le peuple chantait avec allégresse, selon ce +qu'il avait ordonné, et, animé de l'Esprit saint, souvent il les chanta +lui-même sur sa harpe; il apprit aux enfants d'Israël à louer Dieu de +tout leur coeur, et à unir chaque jour leurs voix pour le célébrer et le +bénir. + +Si la vue de l'arche d'alliance inspirait tant de ferveur, tant de zèle +pour les louanges de Dieu, quel respect, quel amour ne doit pas +m'inspirer, et à tout le peuple chrétien, la présence de votre +sacrement, ô Jésus, et la réception de votre corps adorable? + +9. Plusieurs courent en divers lieux pour visiter les reliques des +Saints; ils écoutent avidement le récit de leurs actions; ils admirent +les vastes temples bâtis en leur honneur, et baisent leurs os sacrés, +enveloppés dans l'or et la soie. + +Et voilà que vous-même, ô mon Dieu, vous êtes ici présent devant moi sur +l'autel, vous, le Saint des saints, le Créateur des hommes, le Roi des +anges! + +Souvent c'est la curiosité, le désir de voir des choses nouvelles, qui +fait entreprendre ces pèlerinages; et de là vient que, guidé par ce +motif frivole, sans véritable contrition, on en tire peu de fruit pour +la réforme des moeurs. + +Mais ici, dans le sacrement de l'autel, vous êtes présent tout entier, ô +Christ Jésus, vrai Dieu et vrai homme; et toutes les fois qu'on vous +reçoit dignement et avec ferveur, on recueille en abondance les fruits +du salut éternel. + +Ce n'est pas la légèreté, ni la curiosité, ni l'attrait des sens, qui +conduit à ce banquet sacré; mais une foi ferme, une vive espérance, une +charité sincère. + +10. Ô Dieu créateur invisible du monde, que vous êtes admirable dans ce +que vous faites pour nous! avec quelle bonté, quelle tendresse vous +veillez sur vos élus, vous donnant vous-même à eux pour nourriture dans +votre Sacrement! + +C'est là ce qui surpasse toute intelligence; ce qui, plus qu'aucune +autre chose, attire à vous les coeurs pieux et enflamme leur amour. + +Car vos vrais fidèles, occupés toute leur vie de se corriger, puisent +dans la fréquente réception de cet auguste Sacrement une merveilleuse +ferveur et un zèle ardent pour la vertu. + +11. Ô grâce admirable et cachée du Sacrement, connue des seuls fidèles +serviteurs de Jésus-Christ! car les serviteurs infidèles, asservis au +péché, ne peuvent en ressentir l'influence. + +La grâce de l'Esprit saint est donnée dans ce Sacrement; il répare les +forces de l'âme, et lui rend sa beauté première, que le péché avait +effacée. + +Telle est quelquefois la puissance de cette grâce et la ferveur qu'elle +inspire, que non-seulement l'esprit, mais le corps languissant, en +reçoit une vigueur nouvelle. + +12. Et c'est pourquoi nous devons déplorer avec amertume la tiédeur et +la négligence qui affaiblissent en nous le désir de recevoir +Jésus-Christ, unique espérance des élus et leur seul mérite. + +Car c'est lui qui nous sanctifie et qui nous a rachetés; il est la +consolation de ceux qui voyagent sur la terre, et l'éternelle félicité +des Saints. + +Combien donc ne doit-on pas gémir de ce que plusieurs montrent tant +d'indifférence pour ce sacré mystère, qui est la joie du ciel et le +salut du monde! + +Ô aveuglement! ô dureté du coeur humain, d'être si peu touché de ce don +ineffable, qui semble perdre de son prix à mesure qu'on en use +davantage! + +13. Si cet adorable Sacrement ne s'accomplissait qu'en un seul lieu, et +qu'un seul prêtre, dans le monde entier, consacrât l'hostie sainte, avec +quelle ardeur les hommes n'accourraient-ils pas en ce lieu, vers ce +prêtre unique, pour voir célébrer les saints mystères? + +Mais il y a plusieurs prêtres, et le Christ est offert en plusieurs +lieux, afin que la miséricorde et l'amour de Dieu pour l'homme éclatent +d'autant plus, que la sainte communion est plus répandue dans le monde. + +Je vous rends grâces, ô Jésus, pasteur éternel, qui, dans notre exil et +notre indigence, daignez nous nourrir de votre corps et de votre sang +précieux, et nous inviter, de votre propre bouche, à la participation de +ces sacrés mystères, disant: _Venez à moi, vous tous qui portez votre +fardeau avec travail, et je vous soulagerai_[579]. + + [579] Matth., XI, 28. + + +RÉFLEXION. + + Tout ce qu'offrait de plus grand, de plus imposant, de plus saint, le + culte de l'ancienne alliance, n'était qu'une légère ombre des mystères + de l'Homme-Dieu. David célèbre avec pompe le retour de l'arche à + Jérusalem: mais cette arche était vide, elle ne renfermait pas le + Sauveur du genre humain. Salomon bâtit un temple magnifique; il en + fait, en présence du peuple saisi de respect, la dédicace solennelle; + des victimes sans nombre sont immolées; mais ces victimes, qu'est-ce? + de vils animaux dont le sang ne peut apaiser la souveraine Justice. Le + monde demeurait dans l'attente du salut annoncé, lorsque voilà qu'au + moment prédit, s'accomplissent _les promesses aperçues et saluées de + loin par les Patriarches, durant leur pèlerinage sur la terre_[580]. + _Le désiré des nations_[581], _le Dominateur, l'Ange de + l'alliance_[582], _celui dont le nom est JEHOVAH_[583], _vient dans + son temple_[584], et le vrai sacrifice de propitiation remplace à + jamais les sacrifices figuratifs[585]. Au fond du tabernacle, sous les + voiles du sanctuaire repose l'Hostie toujours vivante, l'_Agneau de + Dieu, qui ôte le péché du monde_[586]. Le même _qui est assis à la + droite du Père_[587], est là présent, et sa voix nous appelle: _Prenez + et mangez, ceci est mon corps: buvez, ceci est mon sang, le sang de la + nouvelle alliance, répandu pour la rémission des péchés_[588]. + _Mangez, ô mes amis: buvez, enivrez-vous, mes bien-aimés_[589]! _vous + tous qui avez soif, venez à la source_[590] _dont les eaux + rejaillissent dans l'éternelle vie_[591]. Ceux qui, refusant de se + désaltérer à cette source pure, s'en vont cherchant à l'écart _des + eaux furtives_[592], Dieu leur _prépare un breuvage assoupissant, et + leurs yeux se ferment. Dans ce sommeil, il leur semble qu'ils ont faim + et qu'ils mangent, et au réveil leur âme est vide. Altérés, ils rêvent + qu'ils boivent, et ils se réveillent pleins de lassitude, et ils ont + encore soif, et leur âme est vide[593]. Venez donc: je suis le pain de + vie; celui qui vient à moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en + moi n'aura jamais soif_[594]. _Qui mange ma chair et boit mon sang a + la vie éternelle, et je le ressusciterai au dernier jour_[595]. + Seigneur, je crois et j'adore: mon âme, haletante de désir, s'élance + vers vous; et puis soudain une grande frayeur l'arrête: car, hélas! + que suis-je pour oser m'approcher de mon Dieu? Quand je considère mes + souillures, ma bassesse, ma misère profonde, je n'ai plus qu'un + sentiment, qu'une parole: _Retirez-vous de moi, parce que je suis un + homme pécheur[596]. Cependant, ô Jésus, ce sont les pécheurs que vous + êtes venu appeler, et non pas les justes_[597]. Et c'est pourquoi, + frappant ma poitrine et implorant votre miséricorde, _je me lèverai et + j'irai_[598]: j'irai avec une vive foi, avec un ardent amour, vers _le + Fils_, le Verbe, _splendeur de la gloire de Dieu, et figure de sa + substance_[599], vers le Sauveur divin _qui nous purifie de nos + péchés_[600], qui s'incorpore à sa créature, pour l'élever jusqu'à + lui; j'irai, et je dirai: _Seigneur, je ne suis pas digne que vous + entriez en moi; mais dites seulement un mot, et mon âme sera + guérie_[601]. + + [580] Hebr., XI, 3. + + [581] Agg., II, 8. + + [582] Malach., III, 1. + + [583] Jér., XXIII, 6. + + [584] Malach., III, 1. + + [585] _Ibid._ 3. + + [586] Joann., I, 29. + + [587] Ps. CIX, 1. Hebr., I, 3. + + [588] Matth., XXVI, 27, 28. + + [589] Cant., V, 1. + + [590] Is., LV, 1 + + [591] Joann., IV, 14. + + [592] Prov., IX, 17. + + [593] Is., XXIX, 10, 8. + + [594] Joann., VI, 35. + + [595] _Ibid._, 55. + + [596] Luc., V, 8. + + [597] Matth., IX, 13. + + [598] Luc., XV, 18. + + [599] Hebr., I, 3. + + [600] _Ibid._ + + [601] Matth., VIII, 8. + + + + +CHAPITRE II. + +Combien Dieu manifeste à l'homme sa bonté et son amour dans le Sacrement +de l'Eucharistie. + + +VOIX DU DISCIPLE. + +1. Plein de confiance en votre bonté et votre grande miséricorde, je +m'approche de vous, Seigneur: malade, je viens à mon Sauveur; consumé de +faim et de soif, je viens à la source de la vie; pauvre, je viens au Roi +du ciel; esclave, je viens à mon Maître; créature, je viens à celui qui +m'a fait; désolé, je viens à mon tendre consolateur. + +Mais qu'y a-t-il en ce misérable, qui vous porte à venir à lui? que +suis-je pour que vous vous donniez vous-même à moi? + +Comment un pécheur osera-t-il paraître devant vous? et comment +daignerez-vous venir vers ce pécheur? + +Vous connaissez votre serviteur, et vous savez qu'il n'y a en lui aucun +bien qui mérite cette grâce. + +Je confesse donc ma bassesse, je reconnais votre bonté, je bénis votre +miséricorde, et je vous rends grâces, à cause de votre immense charité. + +Car c'est pour vous-même et non pour mes mérites que vous en usez de la +sorte, afin que je connaisse mieux votre tendresse, et que, embrasé d'un +plus grand amour, j'apprenne à m'humilier plus parfaitement, à votre +exemple. + +Et puisqu'il vous plaît ainsi, et que vous l'avez ainsi ordonné, je +reçois avec joie la grâce que vous daignez me faire: et puisse mon +iniquité n'y pas mettre obstacle! + +2. Ô tendre et bon Jésus! quel respect, quelles actions de grâces, +quelles louanges perpétuelles ne vous devons-nous pas, pour la réception +de votre sacré Corps, si élevé au-dessus de tout ce que peut exprimer le +langage de l'homme! + +Mais que penserai-je en le recevant, en m'approchant de mon Seigneur, +que je ne puis révérer autant que je le dois, et que cependant je désire +ardemment recevoir? + +Quelle pensée meilleure et plus salutaire que de m'abaisser profondément +devant vous, et d'exalter votre bonté infinie pour moi? + +Je vous bénis, mon Dieu, et je veux vous louer éternellement. Je me +méprise et me confonds devant vous dans l'abîme de mon abjection. + +3. Vous êtes le Saint des saints, et moi le rebut des pécheurs. + +Vous vous inclinez vers moi, qui ne suis pas digne de lever les yeux sur +vous. + +Vous venez à moi, vous voulez être avec moi, vous m'invitez à votre +table. Vous voulez me donner à manger un aliment céleste, le pain des +Anges, qui n'est autre que vous-même, _ô pain vivant, qui êtes descendu +du ciel, et qui donnez la vie au monde_[602]! + + [602] Joann., VI, 48, 50, 54. + +4. Voilà la source de l'amour et le triomphe de votre miséricorde. Que +ne vous doit-on pas d'actions de grâces et de louanges pour ce bienfait! + +Ô salutaire dessein que celui que vous conçûtes d'instituer votre +Sacrement! ô doux et délicieux banquet, où vous vous donnâtes vous-même +pour nourriture! + +Que vos oeuvres sont admirables, Seigneur! que votre puissance est +grande! que votre vérité est ineffable! + +_Vous avez dit, et tout a été fait_[603], et rien n'a été fait que ce +que vous avez ordonné. + + [603] Ps. CXLVIII, 5. + +5. Chose merveilleuse, que nul homme ne saurait comprendre, mais que +tous doivent croire; que vous, Seigneur mon Dieu, vrai Dieu et vrai +homme, vous soyez contenu tout entier sous la moindre partie des espèces +du pain et du vin, et que, sans être consumé, vous soyez mangé par celui +qui vous reçoit. + +Souverain maître de l'univers, vous qui, n'ayant besoin de personne, +avez cependant voulu habiter en nous par votre Sacrement: conservez sans +tache mon âme et mon corps, afin que je puisse plus souvent célébrer vos +saints mystères, avec la joie d'une conscience pure, et recevoir pour +mon salut éternel ce que vous avez institué principalement pour votre +gloire, et pour perpétuer à jamais le souvenir de votre amour. + +6. Réjouis-toi, mon âme, et rends grâces à Dieu d'un don si magnifique, +d'une si ravissante consolation, qu'il t'a laissée dans cette vallée de +larmes. + +Car toutes les fois qu'on célèbre ce mystère, et qu'on reçoit le corps +de Jésus-Christ, l'on consomme soi-même l'oeuvre de sa rédemption, et on +participe à tous les mérites du Christ. + +Car la charité de Jésus-Christ ne s'affaiblit jamais, et jamais sa +propitiation infinie ne s'épuise. + +Vous devez donc toujours vous disposer à cette action sainte par un +renouvellement d'esprit, et méditer attentivement ce grand mystère de +salut. + +Lorsque vous célébrez le divin sacrifice, ou que vous y assistez, il +doit vous paraître aussi grand, aussi nouveau, aussi digne d'amour que +si, ce jour là-même, Jésus-Christ descendant pour la première fois dans +le sein de la Vierge, se faisait homme, ou que, suspendu à la croix, il +souffrît et mourût pour le salut des hommes. + + +RÉFLEXION. + + L'Apôtre saint Jean, ravi en esprit dans la Jérusalem céleste, vit, au + milieu du trône de Dieu, un Agneau comme égorgé, et autour de lui les + sept esprits que Dieu envoie par toute la terre, et vingt-quatre + vieillards; et ces vieillards se prosternèrent devant l'Agneau, tenant + dans leurs mains des harpes et des coupes pleines de parfums, qui sont + les prières des saints: et ils chantaient un cantique nouveau à la + louange de celui qui a été mis à mort, et qui nous a rachetés pour + Dieu, de toute tribu, de toute langue, de tout peuple, et de toute + nation: et des myriades d'anges élevaient leurs voix, et disaient: + L'Agneau qui a été égorgé est digne de recevoir puissance, dignité, + sagesse, force, honneur, gloire et bénédiction! et toutes les + créatures qui sont dans le ciel, sur la terre, sous la terre, et dans + la mer, et tout ce qui est dans ces lieux, disaient: À celui qui est + assis sur le trône et à l'Agneau, bénédiction, honneur, gloire et + puissance dans les siècles des siècles[604]! Voici maintenant un autre + spectacle. Ce même agneau qui reçoit, sur son trône éternel, + l'adoration des anges et des saints, et qu'environne toute la gloire + des Cieux, _vient à nous plein de douceur_[605], et, voilé sous les + apparences d'un peu de pain, il se donne à ses pauvres créatures, pour + sanctifier notre âme, pour la nourrir, et notre corps même, par + l'union substantielle de sa chair à notre chair, de son sang à notre + sang, s'incarnant, si on peut le dire, de nouveau en chacun de nous, + et y accomplissant, d'une manière incompréhensible, en se communiquant + à nous selon tout ce qu'il est, le grand sacrifice de la Croix. Ô + Christ, fils du Dieu vivant, que vos voies sont merveilleuses! et qui + m'en développera le mystère impénétrable? Si je monte jusqu'au Ciel, + je vous y vois dans le sein du Père, tout éclatant de sa splendeur. Si + je redescends sur la terre, je vous y vois aussi dans le sein de + l'homme pécheur, indigent, misérable; attiré en quelque sorte et fixé + par l'amour, aux deux termes extrêmes de ce qui peut être conçu, dans + l'infini de la grandeur et dans l'infini de la bassesse; et comme si + ce n'était pas assez de venir à cet être déchu quand il vous désire, + quand il vous appelle, vous l'appelez vous-même le premier, vous + l'appelez avec instance, vous lui dites: _Venez, venez à moi, vous + tous qui souffrez, et je vous soulagerai_[606]: _venez, j'ai désiré + d'un grand désir de manger cette Pâque avec vous_[607]. C'en est trop, + Seigneur, c'en est trop; souvenez-vous qui vous êtes: ou plutôt + faites, mon Dieu, que je ne l'oublie jamais, et que je m'approche de + vous comme les anges eux-mêmes s'en approchent, en tremblant de + respect, avec un coeur rempli du sentiment de son indignité, pénétré + de vos miséricordes et embrasé de ce même amour inépuisable, immense, + éternel, qui vous porte à descendre jusqu'à lui! + + [604] Apoc., V. + + [605] Matth., XXI, 5. + + [606] Matth., XI, 28. + + [607] Luc., XXII, 15. + + + + +CHAPITRE III. + +Qu'il est utile de communier souvent. + + +VOIX DU DISCIPLE. + +1. Je viens à vous, Seigneur, pour jouir de votre don, et goûter la joie +du banquet sacré _que, dans votre tendresse, vous avez, mon Dieu, +préparé pour le pauvre_[608]. + + [608] Ps. LXVII, 11. + +En vous est tout ce que je puis, tout ce que je dois désirer; vous êtes +mon salut et ma rédemption, mon espérance et ma force, mon honneur et ma +gloire. + +Réjouissez donc aujourd'hui l'âme de votre serviteur, _parce que j'ai +élevé mon âme vers vous_[609], Seigneur Jésus. + + [609] Ps. LXXXV, 3. + +Je désire maintenant vous recevoir avec un respect plein d'amour; je +désire que vous entriez dans ma maison, pour mériter d'être béni de vous +comme Zachée, et d'être compté parmi les enfants d'Abraham. + +Votre corps, voilà l'objet auquel mon âme aspire; mon coeur brûle d'être +uni à vous. + +2. Donnez-vous à moi, et ce don me suffit: car sans vous, rien ne me +console. + +Je ne puis être sans vous, et je ne saurais vivre si vous ne venez à +moi. + +Il faut donc que je m'approche de vous souvent, et que je vous reçoive +comme le soutien de ma vie, de peur que, privé de cette céleste +nourriture, je ne tombe de défaillance dans le chemin. + +C'est ainsi, miséricordieux Jésus, que, prêchant aux peuples, et les +guérissant de diverses langueurs, vous dites un jour: _Je ne veux pas +les renvoyer à jeun dans leurs maisons, de peur que les forces ne leur +manquent en route_[610]. + + [610] Matth., XV, 32. + +Daignez donc en user de la même manière avec moi, vous qui avez voulu +demeurer dans votre Sacrement pour la consolation des fidèles. + +Car vous êtes le doux aliment de l'âme; et celui qui vous mange +dignement aura part à l'héritage de la gloire éternelle. + +Combien il m'est nécessaire, à moi qui tombe et pèche si souvent, qui me +laisse aller si vite à la tiédeur, au découragement, de me renouveler, +de me purifier, de me ranimer, par des prières et des confessions +fréquentes, et par la réception de votre corps sacré; de peur que, m'en +abstenant trop longtemps, je n'abandonne mes résolutions. + +3. Car _les penchants de l'homme l'inclinent au mal dès l'enfance_[611]; +et s'il n'est soutenu par ce remède divin, il s'y enfonce de plus en +plus. + + [611] Gen., VIII, 21. + +La sainte Communion retire du mal, et fortifie dans le bien. + +Si donc je suis maintenant si souvent négligent et tiède, quand je +communie ou que je célèbre le saint Sacrifice, que serait-ce si je +renonçais à cet aliment salutaire, et si je me privais de ce secours +puissant? + +Ainsi, quoique je ne sois pas tous les jours assez bien disposé pour +célébrer les divins mystères, j'aurai soin cependant d'en approcher aux +temps convenables, et de participer à une grâce si grande. + +Car c'est la principale consolation de l'âme fidèle, _tandis qu'elle +voyage loin de vous dans un corps mortel_[612], de se souvenir souvent +de son Dieu, et de recevoir son bien-aimé dans un coeur embrasé d'amour. + + [612] I. Cor., V, 6. + +4. Ô prodige de votre tendresse pour nous! Vous, Seigneur mon Dieu, qui +donnez l'être et la vie à tous les esprits, vous daignez venir à une +pauvre âme misérable, et avec votre divinité et votre humanité tout +entière, rassasier sa faim! + +Ô heureuse, mille fois heureuse l'âme qui peut vous recevoir dignement, +vous son Seigneur et son Dieu, et goûter avec plénitude la joie de votre +présence! + +Ô qu'il est grand le Seigneur qu'elle reçoit! qu'il est aimable l'hôte +qu'elle possède! que le compagnon, l'ami qui se donne à elle, est doux +et fidèle! que l'époux qu'elle embrasse est beau! qu'il est noble et +digne d'être aimé par-dessus tout ce qu'on peut aimer, et tout ce qu'il +y a de désirable! + +Que le ciel et la terre, dans leur parure magnifique, se taisent devant +vous, ô mon bien-aimé! car tout ce qu'on admire de beau en eux, ils le +tiennent de vous, _dont la sagesse n'a point de bornes_[613], et jamais +ils n'approcheront de votre beauté souveraine. + + [613] Ps. CXLVI, 5. + + +RÉFLEXION. + + Autant on doit apporter de soin à s'éprouver soi-même, avant de manger + le pain et de boire le calice du Seigneur[614], autant il faut prendre + garde à ne se pas tenir éloigné de la Table sainte par un faux respect + et une crainte excessive. Nous serons toujours, quoi que nous + fassions, infiniment indignes d'une faveur si haute: nul n'est pur, + nul n'est saint devant celui qui est la Sainteté même. Mais quand le + Sauveur nous dit: Venez, il connaît notre misère, et c'est pour la + guérir qu'il nous presse de venir à lui. Allons-y donc, non comme le + Pharisien hypocrite, _en rendant grâces à Dieu dans notre coeur de + n'être pas tel que les autres hommes_[615]: Dieu repousse avec horreur + cet orgueil d'une conscience qui se déguise à elle-même sa plaie + secrète; allons-y, mais comme l'humble Publicain, _les yeux baissés + vers la terre_, frappant notre poitrine, et disant: _Seigneur_, ayez + pitié de moi; _soyez propice à ce pauvre pécheur_[616]! Il est + nécessaire sans doute de se préparer par la pénitence, le + recueillement, la prière, à la communion du corps et du sang de + Jésus-Christ; mais après s'y être disposé sincèrement et de toute son + âme, c'est faire injure au Rédempteur que de refuser ses dons, c'est + se priver volontairement des grâces les plus précieuses, les plus + abondantes, les plus saintes, c'est renoncer à la vie: car, _si l'on + ne mange la chair du Fils de l'homme, et si l'on ne boit son sang, on + n'aura point la vie en soi_[617]. Nous devons aspirer continuellement + à _ce pain descendu du Ciel_[618]; sans cesse, nous devons le + demander, nous devons nous en nourrir sans cesse, pour qu'il détruise + le principe de mort qui est en nous depuis le péché. «_Seigneur, + donnez-nous toujours ce pain_[619]: _ce pain dont vous avez dit_, + qu'il donne la vie éternelle. C'est ce que disent les Juifs; et ils + expriment par là le désir de toute la nature humaine, ou plutôt de + toute la nature intelligente. Elle veut vivre éternellement; elle veut + ne manquer de rien; en un mot, elle veut être heureuse. C'est encore + ce qu'en pensait la Samaritaine, lorsque Jésus lui ayant dit: _Ô + femme! celui qui boit de l'eau que je donne n'a jamais soif_, elle + répond aussitôt: _Seigneur, donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie + jamais soif, et que je ne sois pas obligée à venir ici puiser de + l'eau_[620], dans un puits si profond, avec tant de peine. Encore un + coup, la nature humaine veut être heureuse; elle ne veut avoir aucun + besoin; elle ne veut avoir ni faim, ni soif: aucun désir à remplir: + aucun travail: aucune fatigue: et cela, qu'est-ce autre chose, sinon + être heureuse? Voilà ce que veut la nature humaine: voilà son fond. + Elle se trompe dans les moyens: elle a soif des plaisirs des sens: + elle veut exceller: elle a soif des honneurs du monde. Pour parvenir + aux uns et aux autres, elle a soif des richesses: sa soif est + insatiable; elle demande toujours, et ne dit jamais: C'est assez, + toujours plus, et toujours plus. Elle est curieuse: elle a soif de la + vérité; mais elle ne sait où la prendre, ni quelle vérité la peut + satisfaire: elle en ramasse ce qu'elle peut par-ci, par-là; par de + bons, par de mauvais moyens; et comme toute âme curieuse est légère, + elle se laisse tromper par tous ceux qui lui promettent cette vérité + qu'elle cherche. Voulez-vous n'avoir jamais faim, jamais n'avoir soif: + venez au pain qui ne périt point, et au Fils de l'homme qui vous + l'administre: à sa chair, à son sang où est tout ensemble la vérité et + la vie, parce que c'est la chair et le sang, non point du fils de + Joseph, comme disaient les Juifs, mais du Fils de Dieu. _Ô Seigneur, + donnez-moi toujours ce pain!_ Qui n'en serait affamé? qui ne voudrait + être assis à votre table? qui la pourrait jamais quitter[621]?» + + [614] I. Cor., XI, 28. + + [615] Luc., XVIII, 11. + + [616] _Ibid._, 13. + + [617] Joann., VI, 54. + + [618] _Ibid._, 33. + + [619] _Ibid._, 34. + + [620] _Ibid._, IV, 10, 15. + + [621] Bossuet. + + + + +CHAPITRE IV. + +Que Dieu répand des grâces abondantes en ceux qui communient dignement. + + +VOIX DU DISCIPLE. + +1. Seigneur mon Dieu, _prévenez votre serviteur de vos plus douces +bénédictions_[622], afin que je puisse approcher dignement et avec +ferveur de votre auguste Sacrement. + + [622] Ps. XX, 3. + +Rappelez mon coeur à vous; réveillez-moi du profond assoupissement où je +languis. _Visitez-moi pour me sauver_[623], pour que je goûte +intérieurement la douceur qui est cachée en abondance dans ce Sacrement, +comme dans sa source. + +Faites briller aussi votre lumière à mes yeux, afin qu'ils discernent un +si grand mystère, et fortifiez ma foi pour le croire inébranlablement. + + [623] Ps. CV, 4. + +Car c'est l'oeuvre de votre amour et non de la puissance humaine: c'est +votre institution sacrée, et non une invention de l'homme. + +Nul ne peut concevoir par lui-même des merveilles au-dessus de la +pénétration des Anges mêmes. + +Que pourrai-je donc, moi, pécheur indigne, moi, cendre et poussière, +découvrir et comprendre d'un mystère si haut? + +2. Seigneur, dans la simplicité de mon coeur, avec une foi ferme et +sincère, et sur le commandement que vous m'en avez fait, je m'approche +de vous plein de confiance et de respect; et je crois, sans hésiter, que +vous êtes ici présent dans ce Sacrement, et comme Dieu et comme homme. + +Vous voulez donc que je vous reçoive et que je m'unisse à vous dans la +charité? + +C'est pourquoi j'implore votre clémence, et je vous demande en ce moment +une grâce particulière, afin qu'embrasé d'amour, je me fonde et m'écoule +tout entier en vous, et que je ne désire plus aucune autre consolation. + +Car cet adorable Sacrement est le salut de l'âme et du corps, le remède +de toute langueur spirituelle. Il guérit les vices, réprime les +passions, dissipe les tentations ou les affaiblit, augmente la grâce, +accroît la vertu, affermit la foi, fortifie l'espérance, enflamme et +dilate l'amour. + +3. Quels biens sans nombre n'avez-vous pas accordés, et n'accordez-vous +pas encore chaque jour dans ce Sacrement, à ceux que vous aimez, et qui +le reçoivent avec ferveur, ô mon Dieu, unique appui de mon âme, +réparateur de l'infirmité humaine, source de toute consolation +intérieure! + +Car vous les consolez avec abondance en leurs tribulations diverses; +vous les relevez de leur abattement par l'espérance de votre protection; +vous les ranimez intérieurement et les éclairez par une grâce nouvelle; +de sorte que ceux qui se sentaient pleins de trouble et de tiédeur avant +la communion, se trouvent tout changés après s'être nourris de cette +viande et de ce breuvage céleste. + +Vous en usez ainsi avec vos élus, afin qu'ils reconnaissent clairement, +et par une manifeste expérience, toute la faiblesse qui leur est propre, +et tout ce qu'ils reçoivent de votre grâce et de votre bonté. + +Car d'eux-mêmes, froids, durs, sans goût pour la piété, par vous ils +deviennent pieux, zélés, fervents. + +Qui, en effet, s'approchant humblement de la fontaine de suavité, n'en +remporte pas un peu de douceur? ou qui, se tenant près d'un grand feu, +n'en reçoit pas quelque chaleur? + +Vous êtes, mon Dieu, cette fontaine toujours pleine et surabondante, ce +feu toujours ardent, et qui ne s'éteint jamais. + +4. Si donc il ne m'est pas permis de puiser à la plénitude de la source, +et de m'y désaltérer parfaitement, j'approcherai cependant ma bouche de +l'ouverture par où s'écoulent les eaux célestes, afin d'en recueillir au +moins une petite goutte pour apaiser ma soif, et ne pas tomber dans une +entière sécheresse. + +Et si je ne puis encore être tout céleste, et tout de feu, comme les +Chérubins et les Séraphins, je m'efforcerai pourtant de m'animer à la +piété, et de préparer mon coeur, afin qu'en participant avec humilité à +ce Sacrement de vie, je reçoive au moins quelque légère étincelle de ce +feu divin. + +Bon Jésus, Sauveur très-saint, suppléez vous-même, par votre bonté et +votre grâce, à ce qui me manque, vous qui avez daigné appeler à vous +tous les hommes, en disant: _Venez à moi, vous tous qui êtes accablés de +travail et de douleur, et je vous soulagerai_[624]. + + [624] Matth., XI, 28. + +5. Je travaille à la sueur de mon front, mon coeur est brisé de douleur, +le poids de mes péchés m'accable, les tentations m'agitent, une foule de +passions mauvaises m'enveloppent et me pressent; et il n'y a personne +qui me secoure, qui me délivre, qui me sauve, si ce n'est vous, Seigneur +mon Dieu, mon Sauveur, entre les mains de qui je me remets, et tout ce +qui est à moi, afin que vous me protégiez et me conduisiez à la vie +éternelle. + +Recevez-moi pour l'honneur et la gloire de votre nom, vous qui m'avez +préparé votre corps et votre sang pour nourriture et pour breuvage. + +«Faites, Seigneur mon Dieu, mon Sauveur, que ma ferveur et mon amour +croissent d'autant plus, que je participe plus souvent à ce divin +mystère[625].» + + [625] Oraison de l'Église. + + +RÉFLEXION. + + Jésus-Christ, près de quitter la terre, promit à ses disciples de leur + envoyer l'Esprit consolateur[626]: et c'est ce divin Esprit qui nous + est donné dans les sacrements de la nouvelle alliance. Amour + substantiel du Père et du Fils, _il aide notre infirmité, car nous ne + savons pas demander comme il faut, mais l'Esprit demande pour nous + avec des gémissements ineffables; et celui qui scrute les coeurs sait + ce que désire l'Esprit, parce qu'il demande selon Dieu pour les + Saints_[627]. Par une invisible opération aussi douce que puissante, + il incline librement notre volonté au bien, il la purifie, il l'élève + vers Dieu: il est notre force, comme le Verbe est notre lumière. Or, + quand nous possédons en nous Jésus-Christ, nous possédons le Verbe + même, et nous participons à tous les dons que le Verbe et l'Esprit qui + procède de lui, répandent incessamment sur l'humanité sainte du + Sauveur, devenu _un_ avec nous par la communion de son corps et de son + sang, de son âme et de sa Divinité, qui en est inséparable. En lui + sont _toutes les richesses de la plénitude de l'intelligence, tous les + trésors de la sagesse et de la science souveraine_[628]: et ces + trésors, il les ouvre pour nous dans le sacrement de l'Eucharistie; il + nous dispense, selon nos besoins, ces célestes richesses: tandis que + l'Esprit sanctificateur nous embrase de ses flammes divines qui + consument les dernières traces du péché, nous donnent comme un + avant-goût de la félicité céleste, et nous préparent à en jouir + pleinement, lorsque nous aurons atteint le terme heureux de nos + épreuves sur la terre. Allez donc à la source des grâces, allez à + l'autel, allez à Jésus: _et à qui, Seigneur, irions-nous? Vous seul + avez les paroles de la vie éternelle_[629]. Languissants, vous nous + fortifiez; affligés, vous nous consolez; troublés par les tempêtes qui + s'élèvent au dedans et au dehors de nous, _vous commandez aux vents, + et il se fait un grand calme_[630]. Ô Jésus! _votre amour me + presse_[631], et mon âme a défailli dans l'ardeur de s'unir à vous. + C'est là tout mon désir, je n'en ai point d'autre, je ne veux que + vous, ô mon Dieu! Oh! quand pourrai-je dire: _Mon bien-aimé est à moi, + et je suis à lui_[632]: _ce n'est plus moi qui vis, c'est Jésus-Christ + qui vit en moi_[633]? + + [626] Joann., XIV, 26. + + [627] Rom., VIII, 26, 27. + + [628] Coloss., II, 2, 3. + + [629] Joann., VI, 69. + + [630] Marc., IV, 39. + + [631] II. Cor., V, 14. + + [632] Cant., II, 16. + + [633] Galat., II, 20. + + + + +CHAPITRE V. + +De l'excellence du Sacrement de l'autel, et de la dignité du Sacerdoce. + + +VOIX DU BIEN-AIMÉ. + +1. Quand vous auriez la pureté des Anges et la sainteté de +Jean-Baptiste, vous ne seriez pas digne de recevoir ni même de toucher +ce Sacrement. + +Car ce ne sont pas les mérites de l'homme qui lui donnent le droit de +consacrer et de toucher le corps de Jésus-Christ, et de se nourrir du +pain des Anges. + +Ô mystère ineffable! ô sublime dignité des prêtres, auxquels est donné +ce qui n'a point été accordé aux Anges! + +Car les prêtres, validement ordonnés dans l'Église, ont seuls le pouvoir +de célébrer et de consacrer le corps de Jésus-Christ. + +Le prêtre est le ministre de Dieu; il use de la parole de Dieu selon le +commandement et l'institution de Dieu: mais Dieu, à la volonté de qui +tout est soumis, à qui tout obéit lorsqu'il commande, est le principal +auteur du miracle qui s'accomplit sur l'autel, et c'est lui qui l'opère +invisiblement. + +2. Vous devez donc, dans cet auguste Sacrement, croire plus à la +toute-puissance de Dieu qu'à vos propres sens, et à ce qui paraît aux +yeux: et vous ne sauriez dès lors approcher de l'autel avec assez de +respect et de crainte. + +Pensez à ce que vous êtes, et considérez quel est celui dont vous avez +été fait le ministre par l'imposition des mains de l'Évêque. + +Vous avez été fait prêtre, et consacré pour célébrer les saints +mystères: maintenant soyez fidèle à offrir à Dieu le sacrifice avec +ferveur, au temps convenable, et que toute votre conduite soit +irrépréhensible. + +Votre fardeau n'est pas plus léger; vous êtes lié, au contraire, par des +obligations plus étroites, et obligé à une plus grande sainteté. + +Un prêtre doit être orné de toutes les vertus, et donner aux autres +l'exemple d'une vie pure. + +Ses moeurs ne doivent point ressembler à celles du peuple: il ne doit +pas marcher dans les voies communes; mais il doit vivre comme les Anges +dans le ciel, ou comme les hommes parfaits sur la terre. + +3. Le prêtre, revêtu des habits sacrés, tient la place de Jésus-Christ, +afin d'offrir à Dieu d'humbles supplications pour lui-même et pour tout +le peuple. + +Il porte devant et derrière lui le signe de la croix du Sauveur, afin +que le souvenir de sa passion lui soit toujours présent. + +Il porte devant lui la croix sur la chasuble, afin de considérer +attentivement les traces de Jésus-Christ, et de s'animer à les suivre. + +Il porte la croix derrière lui, afin d'apprendre à souffrir avec douceur +pour Dieu, tout ce que les hommes peuvent lui faire de mal. + +Il porte la croix devant lui, afin de pleurer ses propres péchés; +derrière lui, afin que, par une tendre compassion, il pleure aussi les +péchés des autres; et se souvenant qu'il est établi médiateur entre Dieu +et le pécheur, il ne se lasse point d'offrir des prières et des +sacrifices, jusqu'à ce qu'il ait obtenu grâce et miséricorde. + +Quand le prêtre célèbre, il honore Dieu, il réjouit les Anges, il édifie +l'Église, il procure des secours aux vivants, du repos aux morts, et se +rend lui-même participant de tous les biens. + + +RÉFLEXION. + + Pour comprendre la grandeur du sacerdoce chrétien, il faut considérer + les caractères qui le distinguent immuablement, et forment comme le + sceau divin dont il fut marqué à son origine. Et d'abord il est un: + _de même qu'il n'y a qu'un Dieu, il n'y a qu'un Médiateur de Dieu et + des hommes, Jésus-Christ_[634], _apôtre et pontife de notre foi_[635], + _toujours vivant pour intercéder en notre faveur_[636]. Tout prêtre, + dans l'exercice de ses célestes fonctions, représente Jésus-Christ, ou + plutôt est Jésus-Christ même, qui seul opère véritablement ce + qu'annoncent les paroles et les actes de son ministre, seul lie et + délie, seul dispense la grâce, seul immole et offre à son Père la + victime de propitiation, qui est une aussi: car _Jésus entrant par son + sang une seule fois dans le Saint des saints, a consommé la rédemption + éternelle_[637]. Ainsi un sacrifice, un prêtre, un sacerdoce, qui, + dans son immense hiérarchie, n'est que le _Pontife_ invisible des + _biens futurs_[638], est multiplié visiblement sur tous les points de + la terre, pour y continuer sa grande mission jusqu'à la fin des + siècles[639]. Et non-seulement le sacerdoce est un, il est encore + universel; car _tous les peuples ont été donnés en héritage à + Jésus-Christ_[640], et _depuis le lever du soleil jusqu'au couchant, + en tous lieux le sacrifice doit être accompli et l'offrande pure + présentée au Seigneur_[641]. Il est éternel; car, de toute éternité, + _Dieu a dit au Christ: Tu es mon fils, je t'ai engendré aujourd'hui_; + et encore: _Tu es prêtre éternellement selon l'ordre de + Melchisédech_[642]. Il est saint; _car il convenait que nous eussions + un tel Pontife, saint, pur, sans tache, séparé des pécheurs, et élevé + au-dessus des cieux_[643]; et les démons mêmes, vaincus par celui _qui + possède le sacerdoce éternel_[644], lui ont rendu ce témoignage: _Je + sais qui vous êtes, le Saint de Dieu_[645]. Oh! qu'elle est élevée, + qu'elle est sublime la dignité du prêtre! mais aussi qu'elle est + redoutable! Associé à la puissance de Jésus-Christ Pontife, dans + l'unité de son sacerdoce, ministre avec lui et en lui du sacrifice de + la Croix, renouvelé chaque jour sur l'autel, d'une manière non + sanglante; distributeur du pain de vie, du corps et du sang du + Rédempteur, sur lesquels il lui a été donné pouvoir; revêtu de la + mission du Fils de Dieu pour le salut du monde, ses devoirs sont + proportionnés à une si haute vocation, et c'est à lui surtout qu'il + est dit: _Soyez saint, parce que moi, le Seigneur votre Dieu, je suis + saint_[646]. Pauvre pécheur, si faible, si languissant, si infirme, + comment pourrai-je m'élever, ô Jésus! à la sainteté que vous exigez de + moi? Je tremble à cette pensée, et je perdrais toute espérance, si + votre bonté ne daignait me rassurer, disant: _Cela est impossible aux + hommes, mais tout est possible à Dieu_[647]? + + [634] Tim., II, 5. + + [635] Hebr., III, 1. + + [636] _Ib._, VII, 25. + + [637] _Ib._, IX, 12; VII, 27. + + [638] _Ib._, IX, 11. + + [639] Matth., XXVIII, 20. + + [640] Ps. II, 8. + + [641] Malach., I, 11. + + [642] Hebr., V, 5, 6; VI, 20. + + [643] _Ib._, VII, 26. + + [644] _Ib._, 24. + + [645] Marc., I, 24. + + [646] Levit., XIX, 2. + + [647] Matth., XIX. 26. + + + + +CHAPITRE VI. + +Prière du Chrétien avant la Communion. + + +VOIX DU DISCIPLE. + +1. Seigneur, lorsque je considère votre grandeur et ma bassesse, je suis +saisi de frayeur, et je me confonds en moi-même. + +Car si je ne m'approche de vous, je fuis la vie; et si je m'en approche +indignement, j'irrite votre colère. + +Que ferai-je donc, mon Dieu, mon protecteur, mon conseil dans tous mes +besoins? + +2. Montrez-moi la voie droite, enseignez-moi quelque court exercice pour +me disposer à la sainte Communion. + +Car il m'est important de savoir avec quelle ferveur et quel respect je +dois préparer mon coeur, pour recevoir avec fruit votre Sacrement, ou +pour vous offrir ce grand et divin sacrifice. + + +RÉFLEXION. + + S'il est nécessaire de _préparer son âme avant la prière_[648], + combien plus avant d'approcher de la divine Eucharistie? Et c'est + pourquoi l'Apôtre dit: _Que l'homme s'éprouve soi-même, et qu'il mange + ainsi de ce pain, et boive de ce calice: car celui qui mange et boit + indignement, mange et boit son jugement, ne discernant point le corps + du Seigneur_[649]. Mais, hélas! mon Dieu, plus je m'éprouve, plus je + me reconnais indigne de m'unir à vous dans le sacrement adorable de + votre corps et de votre sang: et cependant _si je ne mange votre + chair, et ne bois votre sang, je n'aurai point la vie en moi_[650]; de + sorte que je suis partagé entre le désir de m'asseoir au banquet sacré + où vous invitez vos fidèles, et la crainte d'entendre ces paroles + terribles: _Pourquoi êtes-vous entré ici sans être revêtu de la robe + nuptiale? Jetez-le, pieds et mains liés, dans les ténèbres + extérieures: là sont les pleurs et les grincements de dents_[651]. Que + ferai-je donc? Ah! voici ce que je ferai. Je me présenterai tel que je + suis, dépouillé, nu, misérable, devant mon Seigneur et mon Dieu, et je + lui dirai: Ayez pitié de moi, Seigneur, et daignez me revêtir + vous-même du vêtement pur, qui me rendra digne d'être admis dans la + salle du festin. Si vous ne venez à mon secours, si vous ne suppléez à + mon indigence, je serai, ô mon divin maître, à jamais exclu de votre + Table sainte; mais vous laisserez tomber sur ce pauvre un regard de + compassion; vous viendrez à lui dans votre bonté, dans votre + miséricorde immense, et votre main s'étendra pour couvrir sa nudité: + oui, _Seigneur, j'ai espéré en vous, et je ne serai point confondu + éternellement_[652]. + + [648] Eccles., XVIII, 23. + + [649] I. Cor., XI, 28, 29. + + [650] Joann., VI, 54. + + [651] Matth., XXII, 12, 13. + + [652] Ps. XXX, 2. + + + + +CHAPITRE VII. + +De l'examen de conscience, et de la résolution de se corriger. + + +VOIX DU BIEN-AIMÉ. + +1. Sur toutes choses, il faut que le prêtre qui se dispose à célébrer +les saints mystères, à toucher et à recevoir le corps de Jésus-Christ, +s'approche de ce Sacrement avec une profonde humilité de coeur, un +respect suppliant, une pleine foi, et une pieuse intention d'honorer +Dieu. + +Examinez avec soin votre conscience, et, autant que vous le pourrez, +purifiez-la par une contrition véritable et par une humble confession; +de sorte que, délivré du poids de vos fautes, exempt de trouble et de +remords, vous puissiez librement venir à moi. + +Ayez une vive douleur de tous vos péchés en général; déplorez en +particulier ceux que vous commettez chaque jour; et, si le temps vous le +permet, confessez à Dieu, dans le secret du coeur, toutes les misères +qui sont le fruit de vos passions. + +2. Affligez-vous et gémissez d'être encore sous l'empire de la chair et +du monde: + +Si peu occupé de mourir à vos inclinations; si agité par les mouvements +de la concupiscence: + +Si peu exact à veiller sur vos sens; si souvent séduit par de vains +fantômes: + +Si enclin à vous répandre au dehors; si négligent à rentrer en +vous-même: + +Si porté au rire et à la dissipation; si dur, quand vous devriez verser +des larmes de componction: + +Si prompt à vous livrer au relâchement et à la mollesse; si lent à +embrasser une vie austère et fervente: + +Si curieux de nouvelles, et de ce qui attire les regards par sa beauté; +si plein de répugnance pour ce qui abaisse et humilie: + +Si avide de beaucoup avoir, si avare pour donner, si ardent à retenir: + +Si inconsidéré dans vos discours; si impuissant à vous taire: + +Si déréglé dans vos moeurs; si indiscret dans vos actions: + +Si intempérant dans le manger et le boire; si sourd à la parole de Dieu: + +Si convoiteux de repos; si ennemi du travail: + +Si éveillé pour des récits frivoles: si appesanti par le sommeil durant +les veilles saintes; si pressé d'en voir la fin; si peu attentif en y +assistant: + +Si dissipé en récitant l'office divin, si tiède en célébrant, si aride +dans la Communion: + +Si aisément distrait; si rarement bien recueilli: + +Si tôt ému de colère; si prompt à blesser les autres: + +Si enclin à juger mal; si sévère à reprendre: + +Si enivré de joie dans la prospérité; si abattu dans l'adversité: + +Si fécond en bonnes résolutions, et si stérile en bonnes oeuvres. + +3. Après avoir confessé et déploré avec une grande douleur et un vif +sentiment de votre faiblesse, ces défauts et tous les autres qui peuvent +être en vous, formez un ferme propos de vous corriger, et d'avancer dans +la vertu. + +Offrez-vous ensuite, avec une pleine résignation et sans aucune réserve, +sur l'autel de votre coeur, comme un holocauste perpétuel, en l'honneur +de mon nom, m'abandonnant entièrement le soin de votre corps et de votre +âme, afin d'obtenir ainsi la grâce de célébrer dignement le saint +Sacrifice, et de recevoir avec fruit le Sacrement de mon corps. + +4. Car il n'est point d'oblation plus méritoire, ni de satisfaction plus +grande pour les péchés, que de s'offrir soi-même sincèrement à Dieu, en +lui offrant, à la Messe et dans la Communion, le Corps de Jésus-Christ. + +Si l'homme fait ce qui est en lui, et s'il a un vrai repentir toutes les +fois qu'il s'approche de moi pour demander grâce et miséricorde: _J'en +jure par moi-même_, dit le Seigneur, _je ne me souviendrai plus de ses +péchés, et ils lui seront tous pardonnés; car je ne veux point la mort +du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive_[653]. + + [653] Ezech., XXIII, 22; XXXIII, 11. + + +RÉFLEXION. + + Il n'est rien de plus utile en soi, ni de plus indispensable pour + approcher dignement de l'autel, que de descendre en sa conscience, et + d'en scruter, avec une sévérité salutaire, les tristes profondeurs. + Nous avons en nous-mêmes comme une image du royaume des ténèbres: là + vit, et croît, et se propage l'innombrable famille des vices, nés de + la triple concupiscence[654] qui a infecté la vie humaine dans sa + source. Quiconque examine sérieusement son coeur, y trouve le germe de + tout ce qui est mauvais; un orgueil tantôt hardi et violent, tantôt + plein de déguisements et de ruses, une curiosité effrénée, des + convoitises ardentes, la haine qu'accompagnent l'injure, l'outrage et + la calomnie, l'envie mère du meurtre, l'avarice qui dit sans cesse: + _Apporte, apporte_[655], la dureté d'âme, les joies coupables de + l'esprit; et bien que ces semences de mort ne se développent pas dans + chaque homme au même degré, tous les ont en eux-mêmes, et la grâce + seule les étouffe plus ou moins. Tel est, depuis la chute originelle, + le partage des enfants d'Adam. Qui, dans son effroi, ne _crierait vers + Dieu du fond de cette immense misère_[656], pour implorer de lui + secours et miséricorde? _Il délaisse ceux qui cachent leurs crimes, et + pardonne à ceux qui s'accusent_[657]. Touché de pitié pour les + pécheurs, Jésus-Christ a institué le sacrement de pénitence, qui les + régénère dans le sang de l'Agneau, et les revêt de l'innocence + primitive. Voilà la robe nuptiale nécessaire pour assister au festin + de l'Époux. Vous qui portez avec douleur le poids de vos péchés, + hâtez-vous donc, allez pleins de repentir, de foi, d'espérance et + d'amour, déposer cet accablant fardeau aux pieds de celui qui tient, + dans le tribunal sacré, la place du Fils de Dieu même: allez et + humiliez-vous, allez et pleurez: une main divine essuiera vos larmes, + et, rétablis en grâce avec Dieu, en paix avec vous-mêmes, vous + chanterez dans l'allégresse l'hymne du pardon: _Heureux ceux dont les + iniquités ont été remises, et les péchés couverts! Heureux celui à qui + le Seigneur n'a point imputé son péché, et dont le coeur a été sans + fraude! Parce que j'ai tu mon crime, il a vieilli dans mes os, et crié + dans mon sein pendant tout le jour. Car votre main s'est appesantie + sur moi le jour et la nuit: je me suis tourné et retourné dans mon + angoisse, tandis que l'épine perçait mon coeur. Alors je vous ai + déclaré mon péché: je n'ai point caché mon injustice. J'ai dit: Je + confesserai contre moi mon iniquité au Seigneur; et vous, Seigneur, + vous m'avez remis l'impiété de mon péché. C'est pour cela que vos + serviteurs vous invoqueront dans le temps propice; et le déluge des + grandes eaux n'approchera point d'eux_[658]. + + [654] Joann., I, 11, 16. + + [655] Prov., XXX, 15. + + [656] Ps. CXXIX, 1. + + [657] Prov., XXVIII, 13. + + [658] Ps. XXXI, 1-6. + + + + +CHAPITRE VIII. + +De l'oblation de Jésus-Christ sur la Croix, et de la résignation de soi +même. + + +VOIX DU BIEN-AIMÉ. + +1. Comme je me suis offert volontairement pour vos péchés, à mon Père, +les bras étendus sur la Croix, et le corps nu, ne réservant rien, et +m'immolant tout entier, pour apaiser Dieu: ainsi vous devez tous les +jours, dans le sacrifice de la Messe, vous offrir à moi, comme une +hostie pure et sainte, du plus profond de votre coeur, et de toutes les +puissances de votre âme. + +Que demandé-je de vous, sinon que vous vous abandonniez à moi sans +réserve? + +Tout ce que vous me donnez, hors vous, ne m'est rien, parce que c'est +vous que je veux, et non pas vos dons. + +2. Comme tout le reste ne vous suffirait pas sans moi, ainsi aucun de +vos dons ne peut me plaire si vous ne vous donnez vous-même. + +Offrez-vous à moi, donnez-vous pour Dieu, tout entier, et votre oblation +me sera agréable. + +Je me suis offert tout entier pour vous à mon Père; je vous ai donné +tout mon Corps et tout mon Sang pour nourriture, afin d'être tout à +vous, et que vous fussiez à jamais tout à moi. + +Mais si vous demeurez en vous-même, si vous ne vous abandonnez pas sans +réserve à ma volonté, votre oblation n'est pas entière, et nous ne +serons pas unis parfaitement. + +L'oblation volontaire de vous-même, entre les mains de Dieu, doit donc +précéder toutes vos oeuvres, si vous voulez acquérir la grâce et la +liberté. + +S'il en est si peu qui soient éclairés de ma lumière, et qui jouissent +de la liberté intérieure, c'est qu'ils ne savent pas se renoncer +entièrement eux-mêmes. + +Je l'ai dit, et ma parole est immuable: _Si quelqu'un ne renonce pas à +tout, il ne peut être mon disciple_[659]. Si donc vous voulez être mon +disciple, offrez-vous à moi avec toutes vos affections. + + [659] Luc., XIV, 15. + + +RÉFLEXION. + + On n'aurait qu'une idée bien faible et bien incomplète du sacrifice de + la Croix, si l'on n'y voyait que ce qui paraît, pour ainsi dire, aux + sens. Jésus-Christ a offert non-seulement son corps sacré, en proie à + toutes les souffrances et à toutes les angoisses que peut endurer la + nature humaine, mais encore son âme sainte étroitement unie au Verbe + divin, toutes ses douleurs, toutes ses affections, toutes ses + volontés, et l'agonie et le délaissement qui tira de son coeur ce + dernier cri: _Mon Père, pourquoi m'avez-vous abandonné[660]?_ En cet + état il représentait l'humanité entière condamnée à mourir, et l'homme + en effet fut frappé de mort jusque dans les plus secrètes profondeurs + de son être. Alors _tout fut consommé_[661], et le supplice et la + rédemption. Or, chaque fois que le prêtre, montant à l'autel, y + renouvelle, selon l'institution divine, cet ineffable sacrifice, + chaque fois que le fidèle participe à la victime immolée, et le fidèle + et le prêtre doivent s'offrir ainsi que Jésus-Christ s'est offert + lui-même: leur sacrifice uni au sien doit être, comme le sien, sans + réserve: car, nous aussi, nous sommes attachés à la Croix, et avec + Jésus-Christ et en Jésus-Christ, nous souffrons pour nous, pour nos + frères, pour les vivants, pour les morts, pour toute la grande famille + humaine; ce qui fait dire à l'apôtre saint Paul ces étonnantes + paroles: _Je me réjouis de mes souffrances à cause de vous; et ce qui + manque à la Passion de Jésus-Christ, je l'accomplis en ma chair, pour + son corps qui est l'Église_[662]; non sans doute que la Passion du + Sauveur ne fût plus que surabondante pour _ôter le péché du + monde_[663], et satisfaire à la justice de Dieu; mais parce que chacun + de nous doit la reproduire en soi, et parce qu'_étant les membres d'un + seul corps, qui est le corps du Christ_[664], tout ce que nous + souffrons, il le souffre avec nous, de sorte que nos souffrances + deviennent comme une partie de sa Passion propre. Ô Jésus! je m'offre + avec vous, je m'offre tout entier; me voilà sur l'autel: frappez, + Seigneur, achevez le sacrifice; détruisez tout ce qui en moi est de + l'homme condamné, ces désirs de la terre, ces affections, ces + volontés, ces sens qui me troublent, ce corps de péché; et les yeux + fixés sur votre Croix, je dirai: _Tout est consommé!_ + + [660] Matth., XXVII, 47. + + [661] Joann., XIV, 30. + + [662] Coloss., I, 24. + + [663] Joann., I, 29. + + [664] I. Cor., XII, 27. + + + + +CHAPITRE IX. + +Que nous devons nous offrir à Dieu avec tout ce qui est à nous, et prier +pour tous. + + +VOIX DU DISCIPLE. + +1. Seigneur, à qui tout appartient dans le ciel et sur la terre, je veux +aussi me donner à vous, par une oblation volontaire; je veux être à vous +pour toujours. + +Dans la simplicité de mon coeur, je m'offre à vous aujourd'hui, mon +Dieu, pour vous servir à jamais, pour vous obéir, pour m'immoler sans +cesse à votre gloire. + +Recevez-moi avec l'oblation sainte de votre précieux Corps, que je vous +offre aujourd'hui en présence des Anges, qui assistent invisiblement à +ce sacrifice; et faites qu'il porte des fruits de salut pour moi et pour +tout votre peuple. + +2. Toutes les fautes et tous les crimes que j'ai commis devant vous et +devant vos saints Anges, depuis le jour où j'ai pu commencer à pécher +jusqu'à ce moment, je vous les offre, Seigneur, sur votre autel de +propitiation, afin que vous les consumiez par le feu de votre amour, que +vous effaciez toutes les taches dont ils ont souillé ma conscience, et +qu'après l'avoir purifiée, vous me rendiez votre grâce que mes péchés +m'avaient fait perdre, me les pardonnant tous pleinement, et me +recevant, dans votre miséricorde, au baiser de paix. + +3. Que puis-je faire pour expier mes péchés, que de les confesser +humblement, avec une amère douleur, et d'implorer sans cesse votre +clémence? + +Je vous en conjure, exaucez-moi, soyez-moi propice, quand je me présente +devant vous, mon Dieu. + +J'ai une vive horreur de tous mes péchés, et je suis résolu à ne plus +les commettre. Ils m'affligent profondément, et toute ma vie je ne +cesserai de m'en affliger, prêt à faire pénitence, et à satisfaire pour +eux selon mon pouvoir. + +Pardonnez-les-moi, Seigneur, pardonnez-les-moi, pour la gloire de votre +saint nom. Sauvez mon âme, que vous avez rachetée au prix de votre sang. + +Voilà que je m'abandonne à votre miséricorde; je me remets entre vos +mains: traitez-moi selon votre bonté, et non selon ma malice et mon +iniquité. + +4. Je vous offre aussi tout ce qu'il y a de bien en moi, quelque faible, +quelque imparfait qu'il soit, afin que, l'épurant, le sanctifiant, le +perfectionnant sans cesse, vous le rendiez plus digne de vous, plus +agréable à vos yeux, et que vous me conduisiez à une heureuse fin, moi +le plus inutile, le plus languissant et le dernier des hommes. + +5. Je vous offre encore tous les pieux désirs des âmes fidèles, les +besoins de mes parents, de mes amis, de mes frères, de mes soeurs, de +tous ceux qui me sont chers; de ceux qui m'ont fait, ou à d'autres, +quelque bien pour l'amour de vous; de ceux qui ont demandé ou désiré que +j'offrisse des prières et le saint Sacrifice pour eux et pour les leurs, +soit qu'ils vivent encore en la chair, soit que le temps ait fini pour +eux. + +Que tous sentent le secours de votre grâce, la puissance de vos +consolations; protégez-les dans les périls, délivrez-les de leurs +peines, et qu'affranchis de tous les maux, ils vous rendent, pleins de +joie, d'éclatantes actions de grâces. + +6. Je vous offre enfin des supplications et l'hostie de paix, +principalement pour ceux qui m'ont offensé en quelque chose, qui m'ont +contristé, qui m'ont blâmé, qui m'ont fait quelques torts ou quelques +peines; et pour tous ceux aussi que j'ai moi-même affligés, blessés, +troublés, scandalisés, le sachant ou sans le savoir; afin que vous nous +pardonniez à tous nos péchés et nos offenses mutuelles. + +Ôtez de nos coeurs, ô mon Dieu! le soupçon, l'aigreur, la colère, tout +ce qui divise, tout ce qui peut altérer la charité et diminuer l'amour +fraternel. + +Ayez pitié, Seigneur, ayez pitié de ces pauvres qui implorent votre +grâce, votre miséricorde; et faites que nous soyons dignes de jouir +ici-bas de vos dons, et d'arriver à l'éternelle vie. Ainsi soit-il. + + +RÉFLEXION. + + Après s'être purifié par le sacrement de pénitence, et s'être uni, + selon tout ce qu'il est, à Jésus-Christ, hostie de propitiation pour + le salut des hommes, le prêtre s'offre encore pour eux et pour + lui-même, afin que la vertu du sacrifice qui va s'accomplir, lui soit + appliquée, et à ses frères, et à tous ceux pour qui Jésus-Christ, + sacrificateur, est victime[665], l'a consommé sur la Croix. Comme le + Sauveur s'est immolé pour lui, il veut s'immoler pour le Sauveur, ne + vivre que pour sa gloire, et mourir pour elle. Il le supplie de + consumer dans le feu de son amour tout ce qui reste en lui d'impur et + de terrestre. Il dépose, en quelque manière, sur l'autel et ses + pensées et ses affections, ses volontés, ses désirs, tout son être, + afin d'être revêtu en Jésus-Christ d'une vie nouvelle, de cette _vie + selon Dieu_[666], qui fait que l'homme _ne vit plus pour soi, mais + pour celui qui est mort et ressuscité pour lui_[667]. Ainsi anéanti + dans la présence du souverain Maître, et comme baigné déjà du sang qui + demande grâce, il intercède pour ses proches, ses amis, ses + bienfaiteurs, pour ses ennemis même, pour ceux qui le haïssent et le + persécutent, embrassant dans sa charité, immense comme celle du + Christ, toutes les créatures qu'il a rachetées, tous les enfants du + Père céleste, _qui fait luire son soleil sur les bons et sur les + méchants_[668]. Élevé, par l'onction sacerdotale, entre la terre et le + ciel, il couvre, pour ainsi dire, le genre humain tout entier de sa + prière et de son amour. Il le voit, par le péché, dans un état de + mort, et ses désirs l'enfantent à la vie: semblable au Médiateur + suprême, qui, _dans les jours de sa chair, offrant avec un grand cri + et avec larmes, des prières et des supplications à celui qui peut + sauver de la mort, fut exaucé à cause de son respect_[669]. Oui, _le + salut vient du Seigneur_[670]; _il a fait éclater les merveilles de + son Saint_[671]. Prêtres du Dieu vivant, _offrez-lui le sacrifice de + justice_[672]. _Je vous prierai, Seigneur; vous entendrez ma voix le + matin; le matin je me présenterai devant vous; j'entrerai dans votre + maison, et, rempli de votre crainte, j'adorerai dans votre saint + temple; et tous ceux qui espèrent en vous se réjouiront, et ils + tressailleront d'allégresse éternellement, parce que vous habiterez en + eux_[673]. + + [665] Hebr., IX, 14. + + [666] I. Petr., IV, 6. + + [667] II. Cor., V, 15. + + [668] Matth., V, 45. + + [669] Hebr., V, 7. + + [670] Ps. III, 9. + + [671] Ps. IV. 4. + + [672] _Ibid._, 6. + + [673] Ps. V, 4, 5, 12. + + + + +CHAPITRE X. + +Qu'on ne doit pas facilement s'éloigner de la sainte Communion. + + +VOIX DU BIEN-AIMÉ. + +1. Il faut recourir souvent à la source de la grâce et de la divine +miséricorde, à la source de toute bonté et de toute pureté, afin que +vous puissiez être guéri de vos passions et de vos vices, et que, plus +fort et plus vigilant, vous ne soyez ni vaincu par les attaques du +démon, ni surpris par ses artifices. + +L'ennemi des hommes, sachant quel est le fruit de la sainte Communion, +et combien est grand le remède qu'y trouvent les âmes pieuses et +fidèles, s'efforce, en toute occasion et par tous les moyens, de les en +éloigner autant qu'il peut. + +2. Aussi est-ce au moment où ils s'y disposent, que quelques-uns +éprouvent les plus vives attaques de Satan. + +Cet esprit de malice, comme il est écrit au livre de Job, vient parmi +les enfants de Dieu pour les troubler par les ruses ordinaires de sa +haine, cherchant à leur inspirer des craintes excessives et de pénibles +perplexités, pour affaiblir leur amour, ébranler leur foi, afin qu'ils +renoncent à communier, ou qu'ils ne communient qu'avec tiédeur. + +Mais il ne faut pas s'inquiéter de ses artifices et de ses suggestions, +quelque honteuses, quelque horribles qu'elles soient, mais les rejeter +toutes sur lui. + +Il faut se rire avec mépris de cet esprit misérable, et n'abandonner +jamais la sainte Communion, à cause de ses attaques et des mouvements +qu'il excite en nous. + +3. Souvent aussi l'on s'en éloigne par un désir trop vif de la ferveur +sensible, et parce qu'on a conçu de l'inquiétude sur sa confession. + +Agissez selon le conseil de personnes prudentes, et bannissez de votre +coeur l'anxiété et les scrupules, parce qu'ils détruisent la piété, et +sont un obstacle à la grâce de Dieu. + +Ne vous privez point de la sainte Communion, dès que vous éprouvez +quelque trouble ou une légère peine de conscience; mais confessez-vous +au plus tôt, et pardonnez sincèrement aux autres les offenses que vous +ayez reçues d'eux. + +Que si vous avez vous-même offensé quelqu'un, demandez-lui humblement +pardon, et Dieu aussi vous pardonnera. + +4. Que sert de tarder à se confesser, et de différer la sainte +Communion? + +Purifiez-vous promptement, hâtez-vous de rejeter le venin et de recourir +au remède; vous vous en trouverez mieux que de différer longtemps. + +Si vous différez aujourd'hui pour une raison, peut-être s'en +présentera-t-il demain une plus forte; et vous pourriez ainsi être sans +cesse détourné de la Communion, et sans cesse vous y sentir moins +disposé. + +Ne perdez pas un moment, secouez votre langueur, déchargez-vous de ce +qui vous pèse: car à quoi revient-il de vivre toujours dans l'anxiété, +toujours dans le trouble, et d'être éloigné chaque jour par de nouveaux +obstacles de la Table sainte? + +Rien au contraire ne nuit davantage que de s'abstenir longtemps de +communier, car d'ordinaire l'âme tombe par là dans un profond +assoupissement. + +Ô douleur! il se rencontre des chrétiens si tièdes et si lâches, qu'ils +saisissent avec joie tous les prétextes pour différer à se confesser, et +dès lors aussi à communier, afin de n'être pas obligés de veiller avec +plus de soin sur eux-mêmes. + +5. Hélas! qu'ils ont peu de piété, peu d'amour, ceux qui se privent si +aisément de la sainte Communion! + +Qu'il est heureux, au contraire, et agréable à Dieu, celui qui vit de +telle sorte, et qui conserve sa conscience si pure, qu'il serait préparé +à communier tous les jours, et communierait en effet s'il lui était +permis, et qu'il pût le faire sans singularité! + +Si quelqu'un s'en abstient quelquefois par humilité, ou par une cause +légitime, on doit louer son respect. + +Mais si sa ferveur s'est refroidie, il doit se ranimer, et faire tout ce +qu'il peut; et Dieu secondera ses désirs, à cause de la droiture de sa +volonté qu'il considère principalement. + +6. Que si des motifs légitimes l'empêchent d'approcher de la sainte +Table, il conservera toujours l'intention et le saint désir de +communier; et ainsi il ne sera pas entièrement privé du fruit du +Sacrement. + +Quoique tout fidèle doive, à certains jours et au temps fixé, recevoir, +avec un tendre respect, le Corps du Sauveur dans son Sacrement, et +rechercher en cela plutôt la gloire de Dieu que sa propre consolation; +cependant il peut aussi communier en esprit tous les jours, à toute +heure, avec beaucoup de fruit. + +Car il communie de cette manière, et se nourrit invisiblement de +Jésus-Christ, toutes les fois qu'il médite avec piété les mystères de +son Incarnation et de sa Passion, et qu'il s'enflamme de son amour. + +7. Celui qui ne se prépare à la Communion qu'aux approches des fêtes, ou +quand la coutume l'y oblige, sera souvent mal préparé. + +Heureux celui qui s'offre au Seigneur en holocauste, toutes les fois +qu'il célèbre le sacrifice, ou qu'il communie. + +Ne soyez, en célébrant les saints mystères, ni trop lent ni trop prompt, +mais conformez-vous à l'usage ordinaire et régulier de ceux avec qui +vous vivez. + +Il ne faut point fatiguer les autres ni leur causer d'ennui, mais suivre +l'ordre commun établi par vos pères, et consulter plutôt l'utilité de +tous, que votre attrait et votre piété particulière. + + +RÉFLEXION. + + Qu'il faille exciter des chrétiens à s'asseoir à la Table sainte, à se + nourrir du pain de vie, à recevoir en eux _l'auteur et le consommateur + de la foi_[674], le Sauveur des hommes, le Verbe de Dieu; qu'ils + cherchent de tous côtés des prétextes pour se tenir éloignés de lui; + qu'ils regardent comme une dure obligation le devoir qu'impose + l'Église de participer, en certains temps, au corps et au sang de + Jésus-Christ: c'est quelque chose de si prodigieux et tout ensemble de + si effrayant, que l'âme fuit cette pensée, comme elle fuirait une + vision de l'enfer. Mais, parmi les fidèles que l'amour attire au + banquet sacré de l'Époux, il en est qui, abusés par de tristes et + fausses doctrines, ou retenus par les scrupules d'une conscience + timide à l'excès, ne se croient jamais assez préparés, et se privent + volontairement de la divine Eucharistie, à cause du respect même que + leur inspire cet auguste sacrement. Sans doute on doit s'éprouver + soi-même; sans doute il serait à désirer que ceux qui mangent le pain + des Anges, eussent toute la pureté de ces célestes esprits: mais celui + qui connaît notre misère, et qui est venu la guérir, n'exige pas que + l'homme soit parfait pour approcher de la source des grâces; il + demande seulement qu'il se soit purifié par la pénitence, et qu'il + apporte au pied de l'autel _un coeur contrit et humilié_[675], un + repentir sincère de ses fautes, une volonté droite, un amour ardent. + Tandis que Jésus repousse et maudit les Pharisiens, superbes + observateurs de la Loi, il accueille la femme pécheresse, il compatit + à son humble douleur, il bénit ses larmes, et _beaucoup de péchés lui + sont remis, parce qu'elle a beaucoup aimé_[676]. Trop souvent les + apparentes délicatesses de conscience qui séparent longtemps de la + communion, cachent un grand et coupable orgueil. Au lieu de + s'abandonner aux conseils du guide qui tient la place de Dieu, on veut + se conduire et se juger soi-même: erreur funeste dont le dernier + terme, le terme inévitable est ou le désespoir, ou une effroyable + présomption. Ne quittez, ne quittez jamais la voie de l'obéissance: + toutes les autres aboutissent à la perdition. Si l'on vous interdit + l'accès de la Table sainte, abstenez-vous et pleurez; car quel sujet + plus légitime de pleurs? Si l'on vous dit: Allez à Jésus dans le + sacrement de son amour; approchez avec allégresse. Nulle disposition + n'égale le sacrifice entier du raisonnement humain et de la volonté + propre; ayez en tout et toujours la simplicité d'un petit enfant: la + simplicité du coeur est chère à Dieu; il la bénit pour le temps, il la + bénit pour l'éternité. + + [674] Héb., XII, 2. + + [675] Ps. L, 19. + + [676] Luc, VII, 47. + + + + +CHAPITRE XI. + +Que le Corps de Jésus-Christ et l'Écriture sainte sont très-nécessaires +à l'âme fidèle. + + +VOIX DU DISCIPLE. + +1. Seigneur Jésus, quelles délices inondent l'âme fidèle admise à votre +Table, où on ne lui présente d'autre aliment que vous-même, son unique +bien-aimé, le plus cher objet de ses désirs! + +Oh! qu'il me serait doux de répandre en votre présence des pleurs +d'amour, et d'arroser vos pieds de mes larmes comme Magdeleine! + +Mais où est cette tendre piété, et cette abondante effusion de larmes +saintes? + +Certes, en votre présence et celle des saints Anges, tout mon coeur +devrait s'embraser et se fondre de joie. + +Car vous m'êtes véritablement présent dans votre Sacrement, quoique +caché sous des apparences étrangères. + +2. Mes yeux ne pourraient supporter l'éclat de votre divine lumière, et +le monde entier s'évanouirait devant la splendeur de votre gloire. + +C'est donc pour ménager ma faiblesse que vous vous cachez sous les +voiles du Sacrement. + +Je possède réellement et j'adore celui que les anges adorent dans le +ciel: mais je ne le vois encore que par la foi, tandis qu'ils le voient +tel qu'il est et sans voile! + +Il faut que je me contente de ce flambeau de la vraie foi, et que je +marche à sa lumière, _jusqu'à ce que luise l'aurore du jour éternel, et +que les ombres des figures déclinent_[677]. + + [677] Cant., II, 17. + +Mais _quand ce qui est parfait sera venu_[678], l'usage des Sacrements +cessera, parce que les bienheureux, dans la gloire céleste, n'ont plus +besoin de secours. + + [678] Cor., XIII, 10. + +Ils se réjouissent sans fin dans la présence de Dieu, et contemplent sa +gloire face à face; pénétrés de sa lumière et comme plongés dans l'abîme +de sa divinité, ils goûtent le Verbe de Dieu fait chair, tel qu'il était +au commencement et tel qu'il sera durant toute l'éternité. + +3. Qu'au souvenir de ces merveilles, tout me soit un pesant ennui, même +les consolations spirituelles! car tandis que je ne verrai point le +Seigneur mon Dieu dans l'éclat de sa gloire, tout ce que je vois, tout +ce que j'entends en ce monde ne m'est rien. + +Vous m'êtes témoin, Seigneur, que je ne trouve nulle part de +consolation, de repos en nulle créature; je ne puis en trouver qu'en +vous seul, mon Dieu, que je désire contempler éternellement. + +Mais cela ne peut être tant que je vivrai dans ce corps mortel. + +Il faut donc que je me prépare à une grande patience, et que je soumette +à votre volonté tous mes désirs. + +Car vos Saints, Seigneur, qui, ravis d'allégresse, règnent maintenant +avec vous dans le ciel, ont aussi, pendant qu'ils vivaient, attendu avec +une grande foi et une grande patience l'avénement de votre gloire. + +Je crois ce qu'ils ont cru; ce qu'ils ont espéré, je l'espère; j'ai la +confiance de parvenir, aidé de votre grâce, là où ils sont parvenus. + +Jusque-là, je marcherai dans la foi, fortifié par leurs exemples. + +J'aurai aussi les Livres saints pour me consoler et m'instruire, et +par-dessus tout votre sacré Corps, pour remède et pour refuge. + +4. Car je sens que deux choses me sont ici-bas souverainement +nécessaires, et que sans elles je ne pourrais porter le poids de cette +misérable vie. + +Enfermé dans la prison du corps, j'ai besoin d'aliments et de lumière. + +C'est pourquoi vous avez donné à ce pauvre infirme votre chair sacrée, +pour être la nourriture de son âme et de son corps, et _votre parole +pour luire comme une lampe devant ses pas_[679]. + + [679] Ps. CXVIII, 105. + +Je ne pourrais vivre sans ces deux choses: car la parole de Dieu est la +lumière de l'âme, et votre Sacrement le pain de vie. + +On peut encore les regarder comme deux tables placées dans les trésors +de l'Église. + +L'une est la table de l'autel sacré, sur lequel repose un pain +sanctifié, c'est-à-dire le Corps précieux de Jésus-Christ. + +L'autre est la table de la loi divine, qui contient la doctrine sainte, +qui enseigne la vraie foi, qui soulève le voile du sanctuaire, et nous +conduit avec sûreté jusque dans le Saint des saints. + +Je vous rends grâces, Seigneur Jésus, lumière de l'éternelle lumière, de +nous avoir donné, par le ministère des prophètes, des apôtres et des +autres docteurs, cette table de la doctrine sainte. + +5. Je vous rends grâces, ô Créateur et Rédempteur des hommes, de ce +qu'afin de manifester votre amour au monde, vous avez préparé un grand +festin, où vous nous offrez pour nourriture, non l'agneau figuratif, +mais votre très-saint Corps et votre Sang. + +Dans ce sacré banquet, que partagent avec nous les Anges, mais dont ils +goûtent plus vivement la douceur, vous comblez de joie tous les fidèles, +et vous les enivrez du calice du salut, qui contient toutes les délices +du ciel. + +6. Oh! qu'elles sont grandes, qu'elles sont glorieuses les fonctions des +prêtres, à qui il a été donné de consacrer le Dieu de majesté par des +paroles saintes, de le bénir de leurs lèvres, de le tenir entre leurs +mains, de le recevoir dans leur bouche, et de le distribuer aux autres +hommes! + +Oh! qu'elles doivent être innocentes les mains du prêtre, que sa bouche +doit être pure, son corps saint et son âme exempte des plus légères +taches, pour recevoir si souvent l'Auteur de la pureté! + +Il ne doit sortir rien que de saint, rien que d'honnête, rien que +d'utile, de la bouche du prêtre qui participe si fréquemment au +Sacrement de Jésus-Christ. + +7. Qu'ils soient simples et chastes les yeux qui contemplent +habituellement le Corps de Jésus-Christ. Qu'elles soient pures et +élevées au ciel, les mains qui touchent sans cesse le Créateur du ciel +et de la terre. + +C'est aux prêtres surtout qu'il est dit dans la Loi: _Soyez saints, +parce que je suis saint, moi le Seigneur votre Dieu_[680]. + + [680] Lev., XIX, 2; XX, 7. + +8. Que votre grâce nous aide, ô Dieu tout-puissant, nous qui avons été +revêtus du sacerdoce, afin que nous puissions vous servir dignement, +avec une vraie piété et une conscience pure. + +Et si nous ne pouvons vivre dans une innocence aussi parfaite que nous +le devrions, accordez-nous du moins de pleurer sincèrement nos fautes, +et de former, en esprit d'humilité, la ferme résolution de vous servir +désormais avec plus de ferveur. + + +RÉFLEXION. + + Qu'est-ce que la terre? Un lieu d'exil, _une vallée de larmes_, comme + l'appelle l'Église. L'homme y cherche dans les ténèbres la vérité, qui + est la vie de son intelligence; il y cherche, au milieu de maux sans + nombre, un bien, il ne sait quel bien, immense, inépuisable, éternel, + qui est la vie de son coeur: et tout ce qu'il cherche lui échappe. Le + doute, l'opinion, l'erreur, fatiguent sa raison épuisée. Ce qu'il a + cru des biens se change en amertume. Il trouve au fond de tout le vide + et l'ennui. Est-il seul, son âme retombe avec douleur sur elle-même: + il a besoin de support, et malheur à lui s'il met sa confiance dans + les autres hommes! Ils se masquent pour le surprendre, ils profanent + pour le tromper le nom d'ami: tandis que leur bouche lui sourit, ils + lui tendent des piéges dans l'ombre, et quand à force de ruses, de + mensonges et de basses noirceurs, ils l'ont enveloppé de leurs rets, + tout à coup, se dévoilant, ils se ruent sur lui et le dévorent, comme + l'hyène dévore sa proie. Lamentable condition! Mais Dieu n'a pas + abandonné sa pauvre créature dans ces extrémités de la misère. Il + l'éclaire par sa parole, il la soutient par sa grâce, il l'anime, il + la console par la foi d'une vie meilleure, par l'espérance de + posséder, après ces jours d'épreuve, le bien auquel elle aspire, le + bien infini, qui est lui-même. Et ces dons merveilleux d'un amour + inénarrable, rassemblés, concentrés, en quelque sorte, dans la divine + Eucharistie, y sont offerts à nos désirs sans autre mesure que ces + désirs mêmes. Toutes les fois que nous approchons de cet auguste + Sacrement, nous recevons en nous la Sagesse, la Lumière incréée, le + Verbe de Dieu, la Parole vivante; nous recevons l'Auteur de la grâce, + le Consommateur de la foi, le gage immortel de notre espérance: la + chair crucifiée pour nous s'incorpore à notre chair, le sang qui a + sauvé le monde se mêle à notre sang; un saint baiser unit notre âme à + l'âme du Rédempteur; sa Divinité nous pénètre, et consume en nous tout + ce que le péché avait corrompu: l'ami fidèle repose dans notre sein, + il nous parle, il nous dit: _Pose-moi comme un sceau sur ton coeur; + car l'amour est plus fort que la mort_[681]: et alors, embrasés de cet + _amour ardent comme le feu_[682], nous ne voyons plus que le + bien-aimé, nous n'avons plus de vie que la sienne, et la tristesse de + notre pèlerinage s'évanouit dans les joies du Ciel. + + [681] Cant., VIII, 6. + + [682] _Ibid._ + + + + +CHAPITRE XII. + +Qu'on doit se préparer avec un grand soin à la sainte Communion. + + +VOIX DU BIEN-AIMÉ. + +1. Je suis l'ami de la pureté, et c'est de moi que vient toute sainteté. + +Je cherche un coeur pur, et là est le lieu de mon repos. + +_Préparez-moi un grand Cénacle, et je célébrerai chez vous la Pâque avec +mes disciples_[683]. + + [683] Marc., XIV, 15. Luc., XXII, 12. + +Si vous voulez que je vienne à vous, et que je demeure en vous, +_purifiez-vous du vieux levain_[684], et nettoyez la maison de votre +coeur. + + [684] I. Cor., V, 7. + +Bannissez-en les pensées du siècle, et le tumulte des vices. + +_Comme le passereau qui gémit sous un toit solitaire_[685], +rappelez-vous vos péchés dans l'amertume de votre âme. + + [685] Ps. CI, 8. + +Car un ami prépare toujours à son ami le lieu le meilleur et le plus +beau; et c'est ainsi qu'il lui fait connaître avec quelle affection il +le reçoit. + +2. Sachez cependant que vous ne pouvez, quels que soient vos propres +efforts, vous préparer dignement, quand vous y emploieriez une année +entière, sans vous occuper d'autre chose. + +Mais c'est par ma grâce et ma seule bonté qu'il vous est permis +d'approcher de ma table, comme un mendiant invité au festin du riche, et +qui n'a, pour reconnaître ce bienfait, que d'humbles actions de grâces. + +Faites ce qui est en vous, et faites-le avec un grand soin. Recevez, non +pour suivre la coutume ou pour remplir un devoir rigoureux, mais avec +crainte, avec respect, avec amour, le corps du Seigneur bien-aimé, de +votre Dieu, qui daigne venir à vous. + +C'est moi qui vous appelle, qui vous commande de venir: je suppléerai à +ce qui vous manque; venez et recevez-moi. + +3. Lorsque je vous accorde le don de la ferveur, remerciez-en votre +Dieu: car ce n'est pas que vous en soyez digne, mais parce que j'ai eu +pitié de vous. + +Si vous vous sentez, au contraire, aride, priez avec instance, gémissez +et ne cessez point de frapper à la porte, jusqu'à ce que vous obteniez +quelque miette de ma table, ou une goutte des eaux salutaires de la +grâce. + +Vous avez besoin de moi, et je n'ai pas besoin de vous. Vous ne venez +pas à moi pour me sanctifier; mais c'est moi qui viens à vous pour vous +rendre meilleur et plus saint. + +Vous venez pour que je vous sanctifie, et pour vous unir à moi, pour +recevoir une grâce nouvelle, et vous enflammer d'une nouvelle ardeur +d'avancer dans la vertu. + +Ne négligez point cette grâce; mais préparez votre coeur avec un soin +extrême, et recevez-y votre bien-aimé. + +4. Mais il ne faut pas seulement vous exciter à la ferveur avant la +Communion, il faut encore travailler à vous y conserver après; et la +vigilance qui la doit suivre n'est pas moins nécessaire que la +préparation qui la précède: car cette vigilance est elle-même la +meilleure préparation pour obtenir une grâce plus grande. + +Rien, au contraire, n'éloigne davantage des dispositions où l'on doit +être pour communier, que de se trop répandre au dehors en sortant de la +Table sainte. + +Parlez peu, retirez-vous dans un lieu secret, et jouissez de votre Dieu. + +Car vous possédez celui que le monde entier ne peut vous ravir. + +Je suis celui à qui vous vous devez donner sans réserve; de sorte que, +dégagé de toute inquiétude, vous ne viviez plus en vous, mais en moi. + + +RÉFLEXION. + + La préparation à la Pâque nouvelle comprend deux choses: il faut + purifier le Cénacle, et il faut l'orner; c'est-à-dire que, pour + recevoir dignement le corps et le sang de Jésus-Christ, l'âme doit + être avant tout exempte de souillures, elle doit avoir été lavée dans + les eaux de la pénitence, et ensuite s'être exercée à la pratique des + vertus, qui la rendent agréable à Dieu. Ce qui plaît au Seigneur, ce + qui attire ses grâces, c'est une profonde humilité[686], un souverain + mépris de soi-même, une foi vive, un abandon parfait à ses volontés, + le détachement de la terre et le désir des biens célestes, _la charité + qui est douce, patiente, qui n'est point jalouse, qui n'agit point + témérairement, qui ne s'enfle point d'orgueil, qui n'est point + ambitieuse, qui ne cherche point ses intérêts, qui ne s'aigrit de + rien, ne soupçonne point le mal, ne se réjouit point de l'injustice, + mais se réjouit de la vérité; qui souffre tout, croit tout, espère + tout, supporte tout_[687]: charité vraiment divine, et, selon la + doctrine du grand apôtre, préférable à tout ce qu'il y a de plus + élevé. _Quand je parlerais toutes les langues des hommes et le langage + des Anges, si je n'ai point la charité, je suis comme un airain + sonnant, ou une cymbale retentissante. Et quand j'aurais le don de + prophétie, quand je pénétrerais tous les mystères, et que je + posséderais toute science, quand j'aurais la foi parfaite jusqu'à + transporter les montagnes, si je n'ai point la charité, je ne suis + rien. Et quand j'aurais distribué tous mes biens pour nourrir les + pauvres, et livré mon corps aux flammes, si je n'ai point la charité, + tout cela ne me sert de rien_[688]. Âme chrétienne; qui aspirez au + banquet nuptial, imitez donc les Vierges sages; _prenez de l'huile, + allumez votre lampe, pour aller au-devant de l'Époux_[689]; car celles + dont les lampes seront éteintes, entendront cette parole terrible: _En + vérité je ne vous connais point_[690]. + + [686] I. Petr., V, 5. + + [687] Cor., XIII, 4-7. + + [688] I. Cor., XIII, 1-3. + + [689] Luc., XXV, 4 et seq. + + [690] _Ibid._, 12. + + + + +CHAPITRE XIII. + +Que le fidèle doit désirer de tout son coeur de s'unir à Jésus-Christ +dans la Communion. + + +VOIX DU DISCIPLE. + +1. Qui me donnera, Seigneur, de vous trouver seul, et de vous ouvrir +tout mon coeur, et de jouir de vous comme mon âme le désire; de sorte +que je ne sois plus pour personne un objet de mépris, et, qu'étranger à +toute créature, vous me parliez seul, et moi à vous, comme un ami parle +à son ami, et s'assied avec lui à la même table? + +Ce que je demande, ce que je désire, c'est d'être uni tout entier à +vous, que mon coeur se détache de toutes les choses créées, et que, par +la sainte Communion et la fréquente célébration des divins mystères, +j'apprenne à goûter les choses du ciel et de l'éternité. + +Ah! Seigneur mon Dieu, quand, m'oubliant tout à fait moi-même, serai-je +parfaitement uni à vous, et absorbé en vous? + +Que je sois en vous, et vous en moi, et que cette union soit +inaltérable! + +2. Vous êtes vraiment mon bien-aimé, _choisi entre mille_[691], en qui +mon âme se complaît, et veut demeurer à jamais. + + [691] Cant., V, 10. + +Vous êtes _le Roi pacifique_[692]; en vous est la paix souveraine et le +vrai repos; hors de vous, il n'y a que travail, douleur, misère infinie. + + [692] I. Paralip., XXII, 9. + +_Vous êtes vraiment un Dieu caché_; vous vous éloignez des impies, mais +_vous aimez à converser avec les humbles et les simples_[693]. + + [693] Is., XIV, 15. Prov., III, 32. + +_Oh! que votre tendresse est touchante, Seigneur, vous qui, pour montrer +à vos enfants tout votre amour, daignez les rassasier d'un pain +délicieux qui descend du ciel_[694]! + + [694] Offic. du S. Sacrem. + +Certes, _nul autre peuple, quelque grand qu'il soit, n'a des dieux qui +s'approchent de lui_[695], comme vous, mon Dieu; vous vous rendez +présent à tous vos fidèles, vous donnant vous-même à eux chaque jour, +pour être leur nourriture, et pour qu'ils jouissent de vous, afin de les +consoler et d'élever leur coeur vers le ciel. + + [695] Deut., IV, 7. + +3. Quel est le peuple, en effet, comparable au peuple chrétien? quelle +est, sous le ciel, la créature aussi chérie que l'âme fervente en qui +Dieu daigne entrer pour la nourrir de sa chair glorieuse? + +Ô faveur ineffable! ô condescendance merveilleuse! ô amour infini, qui +n'a été montré qu'à l'homme! + +Mais que rendrai-je au Seigneur pour cette grâce, pour cette immense +charité? + +Je ne puis rien offrir à mon Dieu qui lui soit plus agréable, que de lui +donner mon coeur sans réserve, et de m'unir intimement à lui. + +Alors mes entrailles tressailliront de joie, lorsque mon âme sera +parfaitement unie à Dieu. + +Alors il me dira: Si vous voulez être avec moi, je veux être avec vous. +Et je lui répondrai: Daignez demeurer avec moi, Seigneur; je désire +ardemment d'être avec vous. Tout mon désir est que mon coeur vous soit +uni. + + +RÉFLEXION. + + «Je m'abandonne à vous, ô mon Dieu: à votre unité pour être fait un + avec vous; à votre infinité et à votre immensité incompréhensible, + pour m'y perdre et m'y oublier moi-même; à votre sagesse infinie, pour + être gouverné selon vos desseins, et non pas selon mes pensées; à vos + décrets éternels, connus et inconnus, pour m'y conformer, parce qu'ils + sont tous également justes; à votre éternité, pour en faire mon + bonheur; à votre toute-puissance, pour être toujours sous votre main; + à votre bonté paternelle, afin que, dans le temps que vous m'avez + marqué, vous receviez mon esprit entre vos bras; à votre justice, + autant qu'elle justifie l'impie et le pécheur, afin que, d'impie et de + pécheur, vous le fassiez juste et saint. Il n'y a qu'à cette justice + qui punit les crimes que je ne veux pas m'abandonner; car ce serait + m'abandonner à la damnation que je mérite; et néanmoins, Seigneur, + elle est sainte, cette justice, comme tous vos autres attributs; elle + est sainte et ne doit pas être privée de son sacrifice. Il faut donc + aussi m'y abandonner, et voici que Jésus-Christ se présente, afin que + je m'y abandonne en lui et par lui[696].» + + [696] Bossuet. + + + + +CHAPITRE XIV. + +Du désir ardent que quelques âmes saintes ont de recevoir le Corps de +Jésus-Christ. + + +VOIX DU DISCIPLE. + +1. _Combien est grande, ô mon Dieu, l'abondance de douceur que vous avez +réservée à ceux qui vous craignent_[697]! + + [697] Ps. XXX, 23. + +Quand je viens à considérer avec quel désir et quel amour quelques âmes +fidèles s'approchent, Seigneur, de votre sacrement, alors je me confonds +souvent en moi-même, et je rougis de me présenter à votre autel et à la +table sacrée de la Communion, avec tant de froideur et de sécheresse; +d'y porter un coeur si aride, si tiède, et de ne point ressentir cet +attrait puissant, cette ardeur qu'éprouvent quelques-uns de vos +serviteurs, qui, en se disposant à vous recevoir, ne sauraient retenir +leurs larmes, tant le désir qui les presse est grand, et leur émotion +profonde. + +Ils ont soif de vous, ô mon Dieu, qui êtes la source d'eau vive; et leur +coeur et leur bouche s'ouvrent également pour s'y désaltérer. Rien ne +peut rassasier ni tempérer leur faim que votre sacré Corps, qu'ils +reçoivent avec une sainte avidité et les transports d'une joie +ineffable. + +2. Oh! que cette ardente foi est une preuve sensible de votre présence +dans le sacrement! + +Car _ils reconnaissent véritablement le Seigneur dans la fraction du +pain, ceux dont le coeur est tout brûlant, lorsque Jésus est avec +eux_[698]. + + [698] Luc., XXIV, 49. + +Qu'une affection si tendre, un amour si vif, est souvent loin de moi! + +Soyez-moi propice, ô bon Jésus, plein de douceur et de miséricorde! Ayez +pitié d'un pauvre mendiant, et faites que j'éprouve, au moins +quelquefois, dans la sainte Communion, quelques mouvements de cet amour +qui embrase tout le coeur, afin que ma foi s'affermisse, que mon +espérance en votre bonté s'accroisse, et qu'enflammé par cette manne +céleste, jamais la charité ne s éteigne en moi. + +3. Dieu de bonté, vous êtes tout-puissant pour m'accorder la grâce que +j'implore, pour me remplir de l'esprit de ferveur, et me visiter dans +votre clémence, quand le jour choisi par vous sera venu. + +Car encore que je ne brûle pas de la même ardeur que ces âmes pieuses, +cependant, par votre grâce, j'aspire à leur ressembler, désirant et +demandant d'être compté parmi ceux qui ont pour vous un si vif amour, et +d'entrer dans leur société sainte. + + +RÉFLEXION. + + _Avant le jour de la Pâque, Jésus sachant que son heure était venue de + passer de ce monde à son Père; comme il avait aimé les siens qui + étaient dans le monde, il les aima jusqu'à la fin_[699]. Ce fut alors + qu'il institua la divine Eucharistie, comme pour perpétuer sa demeure + au milieu des disciples qu'il avait aimés, et de tous ceux qu'il + aimerait jusqu'à la consommation des siècles, accomplissant ainsi + cette promesse: _Je ne vous laisserai pas orphelins; je viendrai à + vous_[700]: et il est venu, _il a habité parmi nous, et nous avons vu + sa gloire, la gloire du Fils unique du Père, plein de grâce et de + vérité_[701]. Il est vrai que sa présence se dérobe à nos sens; mais + elle n'en est ni moins réelle, ni moins efficace: ainsi je crois, + Seigneur; ainsi j'adore. Si Jésus-Christ, en se donnant à nous dans le + Sacrement de l'autel, ne se couvrait pas d'un voile, s'il ne retenait + pas en soi une partie de sa lumière, s'il se montrait selon tout ce + qu'il est, _plus beau qu'aucun des enfants des hommes_[702], et avec + une tendresse ineffable aspirant de s'unir à nous, _corps à corps, + coeur à coeur, esprit à esprit_[703], notre frêle humanité ne pourrait + supporter le poids d'une félicité semblable, et l'âme briserait ses + liens mortels. C'est pourquoi le divin Sauveur a voulu ne se rendre + visible qu'à la foi seule; et la foi suffit pour embraser de telles + ardeurs les vrais fidèles, qu'il n'est rien sur la terre de comparable + à leur amour. Aucune langue ne peut exprimer ce qui se passe, dans le + secret du coeur, entre l'Époux et l'Épouse: ces transports, ce calme, + ces élans du désir, cette joie de la possession, ces chastes + embrassements de deux âmes perdues l'une dans l'autre, cette douce + langueur, ces paroles brûlantes, ce silence plus ravissant. Ah! _si + vous saviez le don de Dieu, et quel est celui qui vous dit: Donnez-moi + à boire, vous lui demanderiez vous-même, et il vous donnerait de l'eau + vive_[704]. Tous les saints lui ont demandé, et il a entendu leur + voix, et il les a désaltérés à la source éternelle. Demandez aussi, + priez, suppliez: _l'Esprit et l'Épouse disent: Venez. Et que celui qui + écoute, dise: Venez. Que celui qui a soif vienne, et que celui qui + veut, reçoive gratuitement l'eau qui donne la vie._ Et l'Époux dit: + _Je viens. Ainsi soit-il! Venez, Seigneur Jésus_[705]. + + [699] Joann., XIII, 1. + + [700] _Ibid._, XIV, 18. + + [701] _Ibid._, I, 14. + + [702] Ps. XLIV. + + [703] Bossuet. + + [704] Joann., IV, 10. + + [705] Apoc., XXII. 17, 20. + + + + +CHAPITRE XV. + +Que la grâce de la dévotion s'acquiert par l'humilité et l'abnégation de +soi-même. + + +VOIX DU BIEN-AIMÉ. + +1. Il faut désirer ardemment la grâce de la ferveur, ne vous lasser +jamais de la demander, l'attendre patiemment et avec confiance, la +recevoir avec gratitude, la conserver avec humilité, concourir avec zèle +à son opération, et, jusqu'à ce que Dieu vienne à vous, ne vous point +inquiéter en quel temps et de quelle manière il lui plaira de vous +visiter. + +Vous devez surtout vous humilier, lorsque vous ne sentez en vous que peu +ou point de ferveur; mais ne vous laissez point trop abattre, et ne vous +affligez point avec excès. + +Souvent Dieu donne en un moment ce qu'il a longtemps refusé; il accorde +quelquefois à la fin de la prière, ce qu'il a différé de donner au +commencement. + +2. Si la grâce était toujours donnée aussitôt qu'on la désire, ce serait +une tentation pour la faiblesse de l'homme. + +C'est pourquoi l'on doit attendre la grâce de la ferveur avec une +confiance ferme et une humble patience. + +Lorsqu'elle vous est cependant ou refusée ou ôtée secrètement, ne +l'imputez qu'à vous-même et à vos péchés. + +C'est souvent peu de chose qui arrête, ou qui affaiblit la grâce; si +pourtant l'on peut appeler peu de chose, et si l'on ne doit pas plutôt +compter pour beaucoup, ce qui nous prive d'un si grand bien. + +Mais, quel que soit cet obstacle, si vous le surmontez parfaitement, +vous obtiendrez ce que vous demandez. + +3. Car, dès que vous vous serez donné à Dieu de tout votre coeur, et +que, cessant d'errer d'objets en objets au gré de vos désirs, vous vous +serez remis entièrement entre ses mains, vous trouverez la paix dans +cette union, parce que rien ne vous sera doux que ce qui peut lui +plaire. + +Quiconque élèvera donc son intention vers Dieu avec un coeur simple, et +se dégagera de tout amour et de toute aversion déréglée des créatures, +sera propre à recevoir la grâce, et digne du don de la ferveur. + +Car Dieu répand sa bénédiction où il trouve des vases vides; et plus un +homme renonce parfaitement aux choses d'ici-bas, plus il se méprise et +meurt à lui-même, plus la grâce vient à lui promptement, plus elle +remplit son coeur, et l'affranchit et l'élève. + +4. Alors, ravi d'étonnement, il verra ce qu'il n'avait point vu, et il +sera dans l'abondance, et son coeur se dilatera, parce que le Seigneur +est avec lui, et qu'il s'est lui-même remis sans réserve et pour +toujours entre ses mains. + +C'est ainsi que sera béni l'homme qui cherche Dieu de tout son coeur, et +_qui n'a pas reçu son âme en vain_[706]. + + [706] Ps. XXIII, 4. + +Ce disciple fidèle, en recevant la sainte Eucharistie, mérite d'obtenir +la grâce d'une union plus grande avec le Seigneur, parce qu'il ne +considère point ce qui lui est doux, ce qui le console, mais, au-dessus +de toute douceur et de toute consolation, l'honneur et la gloire de +Dieu. + + +RÉFLEXION. + + Bien qu'on doive aimer Dieu pour lui seul, il est permis de désirer + ses dons, pourvu qu'on demeure pleinement soumis à sa volonté sainte. + Les grâces les plus précieuses ne sont pas toujours les grâces + senties, celles qui, pour ainsi dire, inondent l'âme de lumière et de + joie. Elles peuvent, si l'on n'y prend garde, exciter la vaine + complaisance. Souvent il est plus sûr de marcher en cette vie dans les + ténèbres de la pure foi, d'être éprouvé par la tristesse, la + souffrance, l'amertume, et de porter la Croix intérieure comme Jésus, + lorsqu'il s'écriait: _Mon Père! pourquoi m'avez-vous délaissé_[707]? + Alors tout orgueil est abattu; on ne trouve en soi qu'infirmité; on + s'humilie sous la main qui frappe, mais qui frappe pour guérir, et ce + saint exercice d'abnégation, plus méritoire pour l'âme fidèle et plus + agréable à Dieu qu'aucune ferveur sensible, attendrit le céleste Époux + et le ramène près de l'Épouse qui, privée de son bien-aimé, _veillait_ + dans sa douleur, _semblable au passereau solitaire qui gémit sous le + toit_[708]. Il se découvre à elle dans la divine Eucharistie; il la + console, il essuie ses larmes, il lui prodigue ses chastes caresses, + il l'embrase de son amour, comme les disciples d'Emmaüs, alors qu'ils + disaient: _Notre coeur n'était-il pas tout brûlant au dedans de nous, + lorsqu'il nous parlait dans le chemin, et nous ouvrait les + Écritures[709]?_ Seigneur, je m'avoue indigne de goûter ces + ravissantes douceurs. _Je connais mon iniquité, et mon péché est sans + cesse devant moi_[710]. Que me devez-vous, sinon la rigueur et le + châtiment? Et toutefois j'oserai implorer votre miséricorde immense: + je m'approcherai, le front contre terre, de la source d'eau vive, + espérant que votre pitié en laissera tomber quelques gouttes sur mon + âme aride. _Accordez-moi, Seigneur, ce rafraîchissement avant que je + m'en aille, et bientôt je ne serai plus_[711]. + + [707] Marc., XV, 34. + + [708] Ps. CI, 8. + + [709] Luc., XXIV, 32. + + [710] Ps. L, 5. + + [711] Ps. XXVIII, 14. + + + + +CHAPITRE XVI. + +Qu'il faut dans la Communion exposer ses besoins à Jésus-Christ, et lui +demander sa grâce. + + +VOIX DU DISCIPLE. + +1. Seigneur plein de tendresse et de bonté, que je désire recevoir en ce +moment avec un pieux respect, vous connaissez mon infirmité et mes +pressants besoins; vous savez en combien de maux et de vices je suis +plongé, quelles sont mes peines, mes tentations, mes troubles et mes +souillures. + +Je viens à vous chercher le remède, pour obtenir un peu de soulagement +et de consolation. + +Je parle à celui qui sait tout, qui voit tout ce qu'il y a de plus +secret en moi, et qui seul peut me secourir et me consoler parfaitement. + +Vous savez quels biens me sont principalement nécessaires, et combien je +suis pauvre en vertus. + +2. Voilà que je suis devant vous, pauvre et nu, demandant votre grâce, +implorant voire miséricorde. + +Rassasiez ce mendiant affamé, réchauffez ma froideur du feu de votre +amour, éclairez mes ténèbres par la lumière de votre présence. + +Changez pour moi toutes les choses de la terre en amertume; faites que +tout ce qui m'est dur et pénible, fortifie ma patience: que je méprise +et que j'oublie tout ce qui est créé, tout ce qui passe. + +Élevez mon coeur à vous dans le ciel, et ne me laissez pas errer sur la +terre. + +Que, de ce moment et à jamais, rien ne me soit doux que vous seul, parce +que vous seul êtes ma nourriture, mon breuvage, mon amour, ma joie, ma +douceur et tout mon bien. + +3. Oh! que ne puis-je, enflammé, embrasé par votre présence, être +transformé en vous, de sorte que je devienne un même esprit avec vous, +par la grâce d'une union intime, et par l'effusion d'un ardent amour! + +Ne souffrez pas que je m'éloigne de vous sans m'être rassasié et +désaltéré; mais usez envers moi de la même miséricorde dont vous avez +souvent usé avec vos Saints d'une manière si merveilleuse. + +Qui pourrait s'étonner qu'en m'approchant de vous je fusse entièrement +consumé de votre ardeur, puisque vous êtes un feu qui brûle toujours et +ne s'éteint jamais, un amour qui purifie les coeurs, et qui éclaire +l'intelligence? + + +RÉFLEXION. + + Ce n'est point en nous efforçant d'élever notre esprit à de sublimes + pensées, que nous recueillerons le fruit de la sainte Communion; mais + en adorant, pleins d'amour, Jésus-Christ en nous, en lui ouvrant notre + coeur avec une grande confiance et une grande simplicité, _comme un + ami parle à son ami_[712]. Nous avons des besoins, il faut les lui + exposer. Nous sommes couverts de plaies, il faut les lui montrer, afin + qu'il les lave dans son divin sang. Nous sommes faibles, il faut lui + demander de ranimer nos forces. Nous sommes nus, affamés, altérés; il + faut lui dire: Ayez pitié de ce pauvre mendiant. De lui découlent + toutes les grâces. Écoutez ses paroles: _Je suis la résurrection et la + vie: celui qui croit en moi, encore qu'il soit mort, il vivra: et tout + homme qui vit et qui croit en moi ne mourra point à jamais. + Croyez-vous ainsi[713]?_ «Ô chrétien! je ne te dis plus rien: c'est + Jésus-Christ qui te parle en la personne de Marthe; réponds avec elle. + _Oui, Seigneur, je crois que vous êtes le Christ, fils du Dieu vivant, + qui êtes venu en ce monde_[714]. Ajoutez avec saint Paul: _Afin de + sauver les pécheurs, desquels je suis le premier_[715]. Crois donc, + âme chrétienne, adore, espère, aime. Ô Jésus! ôtez les voiles, et que + je vous voie. Ô Jésus! parlez dans mon coeur, et faites que je vous + écoute. Parlez, parlez, parlez; Il n'y a plus qu'un moment: parlez. + Donnez-moi des larmes pour vous répondre: frappez la pierre; et que + les eaux d'un amour plein d'espérance, pénétré de reconnaissance, + coulent jusqu'à terre[716].» + + [712] Levit., XXXIII, 11. + + [713] Joann., XI, 25, 26. + + [714] Joann., XI, 27. + + [715] I. Tim., I, 15. + + [716] Bossuet. + + + + +CHAPITRE XVII. + +Du désir ardent de recevoir Jésus-Christ. + + +VOIX DU DISCIPLE. + +1. Seigneur, je désire vous recevoir avec un pieux et ardent amour, avec +toute la tendresse et l'affection de mon coeur, comme vous ont désiré +dans la Communion tant de Saints et de fidèles qui vous étaient si +chers, à cause de leur vie pure et de leur fervente piété. + +Ô mon Dieu! Amour éternel, mon unique bien, ma félicité toujours +durable, je désire vous recevoir avec toute la ferveur, tout le respect +qu'ait jamais pu ressentir aucun de vos Saints. + +2. Et quoique je sois indigne d'éprouver ces admirables sentiments +d'amour, je vous offre cependant toute l'affection de mon coeur, comme +si j'étais animé seul de ces désirs enflammés qui vous sont si +agréables. + +Tout ce que peut concevoir et désirer une âme pieuse, je vous le +présente, je vous l'offre, avec un respect profond et une vive ardeur. + +Je ne veux rien me réserver; mais je veux vous offrir sans réserve le +sacrifice de moi-même et de tout ce qui est à moi. + +Seigneur mon Dieu, mon Créateur et mon Rédempteur, je désire vous +recevoir aujourd'hui avec autant de ferveur et de respect, avec autant +de zèle pour votre gloire, avec autant de reconnaissance, de sainteté, +d'amour, de foi, d'espérance et de pureté, que vous désira et vous reçut +votre sainte Mère, la glorieuse Vierge Marie; lorsque, l'Ange lui +annonçant le mystère de l'Incarnation, elle répondit avec une pieuse +humilité: _Voici la servante du Seigneur; qu'il me soit fait selon votre +parole_[717]. + + [717] Luc., I, 38. + +3. Et de même que votre bienheureux précurseur, le plus grand des +Saints, Jean-Baptiste, lorsqu'il était encore dans le sein de sa mère, +tressaillit de joie en votre présence, par un mouvement du Saint-Esprit, +et que, vous voyant ensuite converser avec les hommes, il disait avec un +tendre amour et en s'humiliant profondément: _L'ami de l'époux, qui est +près de lui et qui l'écoute, est ravi d'allégresse, parce qu'il entend +la voix de l'époux_[718]; ainsi je voudrais être embrasé des plus +saints, des plus ardents désirs, et m'offrir à vous de toute l'affection +de mon coeur. + + [718] Joann., III, 29. + +C'est pourquoi je vous offre tous les transports d'amour et de joie, les +extases, les ravissements, les révélations, les visions célestes de +toutes les âmes saintes, avec les hommages que vous rendent et vous +rendront à jamais toutes les créatures dans le ciel et sur la terre; je +vous les offre ainsi que leurs vertus, pour moi et pour tous ceux qui se +sont recommandés à mes prières, afin qu'ils célèbrent dignement vos +louanges, et vous glorifient éternellement. + +4. Seigneur mon Dieu, recevez mes voeux, et le désir qui m'anime de vous +louer, de vous bénir, avec l'amour immense, infini, dû à votre ineffable +grandeur. + +Voilà ce que je vous offre, et ce que je voudrais vous offrir chaque +jour et à chaque moment; et je prie et je conjure, de tout mon coeur, +tous les esprits célestes et tous vos fidèles serviteurs, de s'unir à +moi pour vous louer, et vous rendre de dignes actions de grâces. + +5. Que tous les peuples, toutes les tribus, toutes les langues vous +bénissent, et célèbrent, dans des transports de joie et d'amour, la +douceur et la sainteté de votre nom. + +Que tous ceux qui offrent, avec révérence et avec piété, les divins +mystères, et qui les reçoivent avec une pleine foi, trouvent devant vous +grâce et miséricorde, et qu'ils prient avec instance pour moi, pauvre +pécheur. + +Et lorsque après s'être unis à vous, selon leurs pieux désirs, ils se +retireront de la Table sainte, rassasiés et consolés merveilleusement, +qu'ils daignent se souvenir de moi, qui languis dans l'indigence. + + +RÉFLEXION. + + «Que cet adorable Sacrement opère en moi, ô mon Sauveur! la rémission + de mes péchés; que ce sang divin me purifie; qu'il lave toutes les + taches qui ont souillé cette robe nuptiale dont vous m'aviez revêtu + dans le baptême, afin que je puisse m'asseoir avec assurance au + banquet des noces de votre Fils. Je suis, je l'avoue, une âme + pécheresse, une épouse infidèle, qui ai manqué une infinité de fois à + la foi donnée: _Mais revenez_, me dites-vous, ô Seigneur! _revenez, je + vous recevrai_[719]: pourvu que vous ayez repris votre première robe, + et que vous portiez, dans l'anneau que l'on vous met au doigt, la + marque de l'union où le Verbe divin entre avec vous. Rendez-moi cet + anneau mystique: revêtez-moi de nouveau, ô mon Père, comme un enfant + prodigue qui retourne à vous, de cette robe de l'innocence et de la + sainteté que je dois apporter à votre Table. C'est l'immortelle parure + que vous nous demandez, vous qui êtes en même temps l'époux, le + convive et la victime immolée qu'on nous donne à manger. C'est à cette + Table mystérieuse que l'on trouve l'accomplissement de cette parole: + _Qui me mange vivra pour moi_[720]. Qu'elle s'accomplisse en moi, ô + mon Sauveur! que j'en sente l'effet: transformez-moi en vous, et que + ce soit vous-même qui viviez en moi. Mais, pour cela, que je + m'approche de ce céleste repos avec les habits les plus magnifiques; + que j'y vienne avec toutes les vertus; que j'y coure avec une joie + digne d'un tel festin et de la viande immortelle que vous m'y + donnez[721].» + + [719] Jer., III, 1. + + [720] Joann., VI, 58. + + [721] Bossuet. + + + + +CHAPITRE XVIII. + +Qu'on ne doit point chercher à pénétrer le mystère de l'Eucharistie, +mais qu'il faut soumettre ses sens à la Foi. + + +VOIX DU BIEN-AIMÉ. + +1. Gardez-vous du désir curieux et inutile de sonder ce profond mystère, +si vous ne voulez pas vous plonger dans un abîme de doutes. + +_Celui qui scrute la majesté sera accablé par la gloire_[722]. + + [722] Prov., XXV, 27. + +Dieu peut faire plus que l'homme ne peut comprendre. + +On ne défend pas une humble et pieuse recherche de la vérité, pourvu +qu'on soit toujours prêt à se laisser instruire, et qu'on s'attache +fidèlement à la sainte doctrine des Pères. + +2. Heureuse la simplicité qui laisse le sentier des questions +difficiles, pour marcher dans la voie droite et sûre des commandements +de Dieu. + +Plusieurs ont perdu la piété en voulant approfondir ce qui est +impénétrable. + +Ce qu'on demande de vous, c'est la foi et une vie pure, et non une +intelligence qui pénètre la profondeur des mystères de Dieu. + +Si vous ne comprenez pas ce qui est au-dessous de vous, comment +comprendrez-vous ce qui est au-dessus? + +Soumettez-vous humblement à Dieu, captivez votre raison sous le joug de +la foi; et vous recevrez la lumière de la science, selon qu'il vous sera +utile ou nécessaire. + +3. Plusieurs sont violemment tentés sur la foi à ce Sacrement; mais il +faut l'imputer moins à eux qu'à l'ennemi. + +Ne vous troublez point, ne disputez point avec vos pensées, ne répondez +point aux doutes que le démon vous suggère; mais croyez à la parole de +Dieu, croyez à ses Saints et à ses Prophètes, et l'esprit de malice +s'enfuira loin de vous. + +Il est souvent très-utile à un serviteur de Dieu d'être éprouvé ainsi. + +Car le démon ne tente point les infidèles et les pécheurs qui sont à lui +déjà; mais il attaque et tourmente de diverses manières les âmes pieuses +et fidèles. + +4. Allez donc avec une foi simple et inébranlable, et recevez le +Sacrement avec un humble respect, vous reposant sur la toute-puissance +de Dieu, de ce que vous ne pourrez comprendre. + +Dieu ne trompe point; mais celui qui se croit trop lui-même est souvent +trompé. + +Dieu s'approche des simples; il se révèle aux humbles, _il donne +l'intelligence aux petits_[723], et il cache sa grâce aux curieux et aux +superbes. + + [723] Ps. CXVIII, 130. + +La raison de l'homme est faible, et se trompe aisément; mais la vraie +foi ne peut être trompée. + +5. La raison et toutes les recherches naturelles doivent suivre la foi, +et non la précéder ni la combattre. + +Car la foi et l'amour s'élèvent par-dessus tout, et opèrent d'une +manière inconnue dans le très-saint et très-auguste Sacrement. + +Dieu éternel, immense, infiniment puissant, fait dans le ciel et sur la +terre des choses grandes, incompréhensibles, et nul ne saurait pénétrer +ses merveilles. + +Si les oeuvres de Dieu étaient telles que la raison de l'homme pût +aisément les comprendre, elles cesseraient d'être merveilleuses et ne +pourraient être appelées ineffables. + + +RÉFLEXION. + + L'impie veut savoir, et c'est là sa perte. Il demande le salut à la + science, il le demande à l'orgueil, il se le demande à lui-même: et du + fond de son intelligence ténébreuse, de sa nature impuissante et + dégradée, sort une réponse de mort. Chrétiens, ne l'oubliez jamais, + _le juste vit de la foi_[724]. Vivez donc de la foi, en vivant de + l'adorable Eucharistie, qui en est la plus forte comme la plus douce + épreuve. Celui _qui est la voie, la vérité, la vie_[725], + Jésus-Christ, fils de Dieu, a parlé; il a dit: _Ceci est mon corps, + ceci est mon sang_[726]. _Le croyez-vous ainsi_[727]? Oui, je le crois + ainsi, Seigneur. _Le ciel et la terre passeront, mais vos paroles ne + passeront point_[728]. Je crois et je confesse que ce qui était du + pain est vraiment votre corps, que ce qui était du vin est vraiment + votre sang. Mon esprit se soumet, et impose silence aux sens révoltés. + _Dieu a tant aimé l'homme qu'il a donné pour lui son fils + unique_[729]: et pour compléter, pour perpétuer à jamais ce grand don, + le Fils aussi se donne à l'homme, tous les jours, à la Table sainte, + réellement et substantiellement. Encore un coup, je crois, Seigneur, + _je crois à l'amour que Dieu a eu pour nous_[730], à l'amour du Père, + à l'amour du Fils; et cet amour infini explique tout, éclaircit tout, + satisfait à tout. Qu'importe que nous comprenions? Ne savons-nous pas + que vos _voies sont impénétrables_[731], _et que celui qui scrute la + majesté sera opprimé par la gloire_[732]? Notre bonheur est de croire + sans comprendre; notre bonheur est de nous plonger les yeux fermés et + de nous perdre dans l'abîme incompréhensible de votre amour. Que la + raison superbe et contentieuse se taise donc: qu'elle cesse d'opposer + insolemment sa faiblesse à votre toute-puissance. À ses doutes, à ses + demandes curieuses, nous n'avons qu'une réponse: _Dieu a tant aimé!_ + et cette réponse suffit, et nulle autre ne suffit sans elle. Elle + pénètre comme une vive lumière, au fond du coeur en état de + l'entendre, _du coeur qui croit à l'amour_, qui sait et qui sent ce + que c'est que d'aimer. Vous vous étonnez qu'un Dieu se cache sous les + faibles apparences d'un pain terrestre et corruptible, que le Sauveur + des hommes se soit fait leur aliment; vous hésitez, votre foi + chancelle: c'est que vous n'aimez pas! et vous, âmes croyantes, âmes + fidèles, allez à l'autel avec joie, fermeté, confiance; allez à Jésus, + allez au banquet mystérieux de l'amour. «Et où irions-nous, Seigneur? + Quoi! à la chair et au sang, à la raison, à la philosophie? aux sages + du monde? aux murmurateurs, aux incrédules, à ceux qui sont encore + tous les jours à nous demander: Comment nous peut-il donner sa chair à + manger? comment est-il dans le ciel, si, en même temps, on le mange + sur la terre? Non, Seigneur, nous ne voulons point aller à eux, ni + suivre ceux qui vous quittent. Nous suivrons saint Pierre, et nous + dirons[733]: _Maître, où irions-nous? vous avez les paroles de la vie + éternelle_[734].» + + [724] Rom., I, 17. + + [725] Joann., XIV, 6. + + [726] Matth., XXVI, 26, 28. + + [727] Joann., XI, 26. + + [728] Matth., XXIV, 35. + + [729] Joann., III, 16. + + [730] I. Joan., IV, 16. + + [731] Rom., XI, 33. + + [732] Prov., XXV, 27. + + [733] Joann., VI, 60. + + [734] Bossuet. + + +FIN DU LIVRE QUATRIÈME. + + + + +PRIÈRES PENDANT LA MESSE. + + +_Ces Prières sont extraites du MANUEL DE PIÉTÉ de Fénelon_. + + + La Messe est de toutes les actions du Christianisme la plus glorieuse + à Dieu et la plus utile au salut de l'homme. Jésus-Christ y renouvelle + le grand mystère de la Rédemption. Il se fait encore dans ce sacrifice + réel, quoique non sanglant, notre victime, et vient en personne nous + appliquer à chacun en particulier les mérites de ce sang adorable + qu'il a répandu pour nous tous sur la croix. Assistez donc à la sainte + messe avec modestie, avec attention, avec respect; venez-y avec des + dispositions vraiment chrétiennes; prenez-y l'esprit de Jésus-Christ, + offrez-vous avec lui et par lui. + + +AVANT LA MESSE. + +Je crois fermement, ô mon Dieu! que la Messe est le sacrifice non +sanglant du corps et du sang de Jésus-Christ, votre Fils. Faites que j'y +assiste aujourd'hui avec l'attention, le respect et la frayeur que +demandent de si redoutables mystères. + +Je m'unis au prêtre et à toute votre Église, pour vous offrir ce +sacrifice dans les mêmes rues, dans lesquelles Jésus-Christ l'a offert. + +Ne permettez pas que j'entre dans la salle du festin des noces de votre +Fils, sans avoir la robe nuptiale. Purifiez mon âme; les choses saintes +sont pour les saints; il ne m'est pas permis d'approcher si près de +vous, que je n'aie ôté auparavant mes souliers de mes pieds, +c'est-à-dire l'attachement et l'affection de mon coeur au péché. Je +déteste donc tous mes péchés; je vous en demande pardon, j'y renonce à +jamais. + + +PENDANT QUE LE PRÊTRE EST AU BAS DE L'AUTEL. + + Le prêtre, étant au pied de l'autel, commence par le signe de la + croix, pour faire concevoir la pensée de l'auguste présence de la + Sainte Trinité, et invoquer son secours. Le _Confiteor_ se dit pour + demander pardon à Dieu de nos péchés par les mérites de Jésus-Christ + notre Sauveur, de la sainte Vierge et de tous les Saints. + +Mon Dieu! faites que je connaisse et que je sente le nombre et +l'énormité de mes péchés; je vous supplie, par les mérites de +Jésus-Christ et par l'intercession de la sainte Vierge et de tous les +Saints, de m'en accorder le pardon et la rémission. + + +LORSQUE LE PRÊTRE MONTE À L'AUTEL. + + Le prêtre baise l'autel pour marque de l'espérance qu'il a d'être + réconcilié avec Dieu. Animons-nous avec lui d'une sainte confiance. + + +À L'INTROÏT. + +Mon Dieu! purifiez par votre grâce mon coeur et mes lèvres, pour me +rendre digne de vous offrir avec le prêtre les louanges qu'il vous +donne, et d'obtenir la miséricorde qu'il vous demande pour moi et pour +tous les fidèles vivants et morts. + + +AU KYRIE ELEISON. + + Ces mots grecs signifient: _Seigneur, ayez pitié de nous! Christ, ayez + pitié de nous!_ Chaque invocation se répète trois fois, afin d'exciter + l'attention et la ferveur des fidèles, et de nous faire voir que ce + n'est qu'à force de prier que nous pouvons obtenir le secours de Dieu + dans nos besoins. + +Père tout-puissant qui nous avez créés, ayez pitié de nous! Fils éternel +qui nous avez rachetés, ayez pitié de nous! Esprit saint, qui seul +pouvez nous sanctifier, ayez pitié de nous! + + +AU GLORIA IN EXCELSIS. + + Le _Gloria in excelsis_ est un cantique de joie composé par les anges + et par les hommes; l'Église y exprime le respect qu'elle a pour la + majesté de Dieu, et l'amour qu'elle porte à son fils Jésus-Christ. + + Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes + de bonne volonté. Nous vous louons. Nous vous bénissons. Nous vous + adorons. Nous vous glorifions. Nous vous rendons grâces à cause de + votre grande gloire. Ô Seigneur Dieu! Roi du ciel, Ô Dieu! Père + tout-puissant! Seigneur, Fils unique de Dieu, Jésus-Christ. Seigneur + Dieu, Agneau de Dieu, Fils du Père. Vous qui effacez les péchés du + monde, ayez pitié de nous. Vous qui effacez les péchés du monde, + recevez notre prière. Vous qui êtes assis à la droite de Dieu, ayez + pitié de nous. Car vous êtes le seul Saint, le seul Seigneur, le seul + Très-Haut, ô Jésus-Christ, avec le Saint-Esprit, en la gloire de Dieu + le Père. Ainsi soit-il. + + Gloria in excelsis Deo, et in terrâ pax hominibus bonæ voluntatis. + Laudamus te. Benedicimus te. Adoramus te. Glorificamus te. Gratias + agimus tibi, propter magnam gloriam tuam. Domine Deus, Rex coelestis, + Deus pater omnipotens. Domine, Fili unigenite, Jesu Christe. Domine + Deus, Agnus Dei, Filius Patris. Qui tollis peccata mundi, miserere + nobis. Qui tollis peccata mundi, suscipe deprecationem nostram. Qui + sedes ad dexteram Patris, miserere nobis. Quoniam tu solus Sanctus, tu + solus Dominus, tu solus Altisssimus, Jesu Christe, cum sancto Spiritu, + in gloriâ Dei Patris. Amen. + + Après le _Gloria_, le prêtre se tourne vers les fidèles, en disant: + _Dominus vobiscum_, c'est-à-dire, que le Seigneur soit avec vous, pour + les avertir qu'il va prier pour lui et pour eux. + +Seigneur, répandez votre esprit sur le prêtre et sur nous, afin que nous +puissions vous bien prier et être exaucés pour votre gloire et pour +notre salut. + + +PENDANT L'OREMUS. + + Par ce mot _oremus_, qui veut dire _prions_, le prêtre nous invite à + nous unir à lui pour l'accomplissement de nos demandes à Dieu. Il + finit l'oraison par les mots de _per Dominum nostrum Jesum Christum, + etc._, c'est-à-dire, Seigneur nous vous demandons ces choses par + Jésus-Christ, notre médiateur auprès de vous. + +Seigneur, daignez écouter favorablement les prières que le prêtre vous +adresse pour nous. Donnez-nous, s'il vous plaît, les grâces et les +vertus dont nous avons besoin pour mériter le bonheur éternel. +Remplissez notre coeur de reconnaissance pour vos bontés, d'aversion +pour nos défauts, de charité pour notre prochain, même pour nos ennemis. +Enfin, mon Dieu, faites que nous nous conduisions en tout temps et en +toute occasion d'une manière qui vous soit agréable. Nous sommes +indignes de toutes ces grâces, mais nous vous les demandons au nom et +par les mérites de Jésus-Christ, qui les a méritées pour nous. + + +DE L'AMEN. + + On répond _Amen_, après les oraisons, c'est-à-dire, _ainsi soit-il_, + pour montrer que nous consentons aux paroles du prêtre, et que nous + ratifions toutes les demandes qu'il a faites à Dieu. + + +À L'ÉPÎTRE. + + L'Épître contient les enseignements des Prophètes et des Apôtres; elle + nous apprend à connaître, à servir Dieu, et nous prépare à la + perfection de la loi qui est renfermée dans l'Évangile. + +Seigneur, vos saintes Écritures nous apprennent qu'il faut fuir le péché +comme un serpent; qu'il faut nous abstenir de tout ce qui a quelque +apparence de mal; qu'il faut nous supporter charitablement les uns les +autres, souffrir patiemment les injures et les injustices qu'on nous +fera, ne rendre jamais le mal pour le mal, et tâcher de gagner ceux qui +nous persécutent en leur faisant du bien. Imprimez, ô mon Dieu! toutes +ces vérités dans notre coeur, et faites, par votre grâce, que nous nous +y conformions dans toute notre conduite. + + +À L'ÉVANGILE. + + L'Évangile contient la vie de Jésus-Christ et la loi qu'il nous a + apportée; ce sont les paroles de la vie éternelle que les fidèles + doivent écouter, méditer, pour en nourrir leur âme. On se lève à cet + effet, afin de marquer que nous devons tout quitter pour suivre + Jésus-Christ, et nous tenir prêts à ce qu'il commande dans son + Évangile. Nous faisons une croix sur notre front pour annoncer que + nous ne rougirons jamais de l'Évangile; sur notre bouche, pour montrer + que nous serons toujours prêts à confesser notre foi; sur notre coeur, + pour signifier que notre coeur sera toujours à Dieu seul. + +Mon Dieu, vous nous enseignez dans votre Évangile que tous ceux qui +disent: Seigneur, Seigneur (c'est-à-dire qui se contentent de faire des +prières sans avoir une volonté sincère de garder votre loi), n'entreront +pas dans le royaume du ciel; mais que ceux-là y entreront qui auront +fait la volonté de Dieu en pratiquant ses commandements, et en +s'acquittant fidèlement des devoirs de leur état; vous nous enseignez +aussi qu'il faut être doux et humble de coeur, aimer nos ennemis, +renoncer à nous-mêmes, combattre sans cesse nos mauvaises inclinations, +porter notre croix tous les jours et mener une vie mortifiée et +pénitente. Faites-nous la grâce d'aimer ces vérités, puisque ce ne sera +qu'en les aimant que nous les observerons comme nous le devons. + + +AU CREDO. + + Le _Credo_ est une profession de foi par laquelle le prêtre et les + fidèles déclarent publiquement qu'ils croient toutes les vérités de la + religion enseignées par l'Église. + + Je crois en un seul Dieu, Père tout-puissant, qui a fait le ciel et la + terre, et toutes les choses visibles et invisibles. Et en un seul + Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, et né du Père avant tous + les siècles; Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu; + qui n'a pas été fait, mais engendré, consubstantiel au Père, par qui + tout a été fait; qui est descendu des cieux pour nous autres hommes et + pour notre salut; qui s'est incarné en prenant un corps dans le sein + de la Vierge Marie, par l'opération du Saint-Esprit; qui S'EST FAIT + HOMME; qui a été crucifié pour nous sous Ponce-Pilate; qui a souffert, + et qui a été mis an tombeau; qui est ressuscité le troisième jour, + selon les Écritures; qui est monté au ciel, où il est assis à la + droite du Père; qui viendra de nouveau plein de gloire pour juger les + vivants et les morts, et dont le règne n'aura point de fin. Je crois + au Saint-Esprit, qui est aussi Seigneur, et qui donne la vie; qui + procède du Père et du Fils; qui est adoré et glorifié conjointement + avec le Père et le Fils; qui a parlé par les Prophètes. Je crois + l'Église, qui est Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Je confesse + un Baptême pour la rémission des péchés. J'attends la Résurrection des + morts, et la vie du siècle à venir. Ainsi soit-il. + + Credo in unum Deum, Patrem omnipotentem, factorem coeli et terræ, + visibilium omnium et invisibilium. Et in unum Dominum Jesum Christum + Filium Dei unigenitum: Et ex Patre natum ante omnia secula: Deum de + Deo, lumen de lumine, Deum verum de Deo vero: Genitum non factum, + consubstantialem Patri, per quem omnia facta sunt: Qui propter nos + homines, et propter nostram salutem descendit de Coelis: Et incarnatus + est de Spiritu sancto, ex Mariâ Virgine: Et HOMO FACTUS EST. + Crucifixus etiam pro nobis sub Pontio Pilato; passus et sepultus est. + Et resurrexit tertiâ die secundùm Scripturas. Et ascendit in Coelum, + sedet ad dexteram Patris. Et iterùm venturus est cum gloriâ judicare + vivos et mortuos; cujus regni non erit finis. Et in Spiritum sanctum + Dominum, et vivificantem; qui ex Patre Filioque procedit; qui cum + Patre et Filio simul adoratur et conglorificatur; qui locutus est per + Prophetas. Et Unam, Sanctam, Catholicam, et Apostolicam Ecclesiam. + Confiteor unum Baptisma in remissionem peccatorum. Et expecto + resurrectionem mortuorum, et vitam venturi seculi. Amen. + + +À L'OFFERTOIRE. + + Le prêtre ayant découvert le calice, prend le pain et le vin qui vont + être changés en corps et sang de Jésus-Christ; il les élève un peu, + les offre à Dieu comme préparés à devenir par la consécration une + hostie sainte et sans tache, le suppliant de la recevoir pour + l'expiation de ses péchés, de ceux des assistants et de tous les + fidèles vivants et morts. Nous devons donc nous unir au prêtre dans + cette action si utile à notre salut. + +Père éternel, recevez le pain et le vin qui vous sont offerts, et qui +seront bientôt changés au corps et au sang de Jésus-Christ votre Fils, +qui veut nous servir de victime, s'offrir lui-même pour nous, et nous +offrir avec lui. Tout indignes que nous sommes, ô mon Dieu! nous vous +offrons ce divin Fils pour vous rendre par lui toute la gloire qui vous +est due, pour vous remercier de tous vos bienfaits, et pour obtenir par +ses mérites la rémission de nos péchés, et toutes les grâces qui nous +sont nécessaires pour parvenir à la vie éternelle. + + +AU LAVABO. + + Le prêtre ayant lavé ses mains avant de commencer la messe, lave ici + ses doigts, pour montrer que ce n'est pas assez pour célébrer les + saints mystères de n'être point souillé d'actions criminelles, mais + qu'il faut se purifier des moindres taches du péché. + +Mon Dieu, daignez laver mon âme et la purifier de toutes les souillures +du péché, détruisez en moi jusqu'aux moindres imperfections, et rendez +par votre sainte grâce mon âme aussi pure qu'elle l'était après le +baptême. + + +À L'ORATE FRATRES. + + Le prêtre se tourne vers les assistants en leur disant: _Priez, mes + frères_, pour les avertir de se joindre à lui par leurs prières, et + rendre ainsi agréable à Dieu l'oblation qu'il va lui faire du + sacrifice pour lui et pour eux. + +Seigneur, exaucez les prières de tous vos fidèles qui sont unis pour +vous offrir ce grand sacrifice, que nous vous supplions de recevoir pour +la gloire de votre nom, pour notre utilité particulière et pour le bien +de toute votre Église. Daignez mettre dans notre coeur les dispositions +nécessaires pour assister utilement et avec fruit à cette grande action +de notre religion: sanctifiez le prêtre qui célèbre vos divins mystères, +et purifiez ses mains et son coeur, afin qu'il soit en état d'attirer +vos grâces sur lui et sur nous. + + +À LA PRÉFACE ET AU SANCTUS. + + Les apprêts du sacrifice sont terminés: le mystère de foi va + s'accomplir. À ces paroles que le prêtre vous adresse, _le coeur en + haut_, élevez vos sentiments et vos pensées jusqu'à ces esprits + immortels qui, à la vue des merveilles de miséricorde et d'amour, + prêtes à se renouveler sur l'autel, font éclater leurs transports par + les plus doux cantiques, et dites avec eux: + +Qu'il est juste, qu'il est raisonnable, Père tout-puissant, Dieu +éternel, de vous rendre grâces en tout temps et en tous lieux, puisque +vous ne cessez jamais de faire du bien aux hommes! Mais comment vos +pauvres créatures pourront-elles célébrer dignement vos grandeurs? Ce +sera par votre Fils adorable, Jésus-Christ. Nous vous adresserons les +louanges qu'il nous a enseignées, ou plutôt nous vous offrirons celles +qu'il vous adressera lui-même, ce sacrifice de ses lèvres, qu'il portait +jusqu'à votre trône, pendant les jours de sa vie mortelle. C'est par lui +que les Anges glorifient votre Majesté, que les Dominations, que les +Puissances vous révèrent en tremblant. Souffrez, ô Père saint, +qu'unissant nos faibles voix à leurs choeurs glorieux, nous répétions +avec eux cet hymne, qui retentira éternellement dans la sainte Sion: + +Saint, Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des armées. Le ciel et la +terre sont remplis de sa gloire et de sa puissance; gloire à Dieu au +plus haut des cieux. + + +AU MEMENTO DES VIVANTS. + + Le prêtre fait ce _Memento_, parce qu'il offre le sacrifice pour lui, + pour tous les assistants et pour toute l'Église, c'est-à-dire, pour la + société des fidèles, et particulièrement pour ceux qu'il recommande à + Dieu. Imitons l'exemple du prêtre, et joignons nos prières aux + siennes. + +Seigneur, nous vous offrons ce grand sacrifice pour tous nos besoins, et +principalement pour ceux de nos âmes; nous vous l'offrons aussi pour +toute l'Église, pour le Pape, pour les évêques, pour les princes et +autres supérieurs qui nous gouvernent, et pour tous les fidèles qui sont +répandus par toute la terre. Nous vous l'offrons en particulier pour nos +parents, pour nos bienfaiteurs, pour nos amis, et aussi pour nos +ennemis. Nous vous supplions par les mérites de Jésus-Christ, et par +l'intercession de la sainte Vierge et de tous les Saints, de nous donner +la paix durant cette vie, de nous sauver de la damnation éternelle, et +de nous mettre au nombre de vos élus, afin que nous puissions vous aimer +et vous louer avec les Anges et les Saints pendant toute l'éternité. + + +À LA CONSÉCRATION. + + À ce moment redoutable nous devons redoubler d'attention et de + ferveur, en adressant à Dieu toutes sortes de remercîments de ce qu'il + va nous donner de nouveau son Fils Jésus-Christ pour rédempteur. + +Mon Sauveur Jésus-Christ, je crois que vous faites sur l'autel, par le +ministère du prêtre, ce que vous avez fait la veille de votre mort, en +changeant le pain et le vin en votre corps et en votre sang: daignez +aussi changer mon coeur par la puissance de votre grâce; donnez-moi un +coeur qui soit selon le vôtre. + + +À L'ÉLÉVATION. + + C'est pour rendre à Dieu un hommage infini, que le prêtre élève en sa + présence le corps et le sang de Jésus-Christ. On doit alors se + recueillir profondément prosterné et en silence, pour adorer Dieu du + fond de son coeur; on pourra dire ensuite la prière suivante: + +Je vous adore, mon aimable Sauveur, qui avez bien voulu être attaché +pour moi sur la croix. Ô bon Jésus! qui avez été le prix de mon âme, +soyez mon salut et ma vie. Je vous adore présent sur l'autel, je +m'anéantis devant vous et avec vous, Seigneur, augmentez ma foi, mon +respect et ma reconnaissance pour vous. + + +APRÈS L'ÉLÉVATION. + +Ô Père de miséricorde! nous vous offrons cette hostie sainte qui est sur +l'autel, pour vous rendre nos hommages et nos adorations, pour vous +remercier de tous vos bienfaits, pour obtenir le pardon de nos péchés, +et pour vous demander toutes les grâces dont nous avons besoin pour +mener une vie chrétienne, exempte de péchés et remplie de bonnes +oeuvres. + + +AU MEMENTO DES MORTS. + + Le prêtre prie Dieu de se souvenir de ceux qui, étant morts dans la + foi et dans la grâce, n'ont cependant pas été trouvés assez purs pour + entrer dans le ciel aussitôt après leur mort, et qui souffrent les + peines du purgatoire. + +Nous vous supplions aussi, ô mon Dieu! de vous souvenir des fidèles qui +sont morts dans votre grâce, particulièrement de nos parents, amis et +bienfaiteurs; daignez leur pardonner les restes de leurs péchés, et leur +accorder le repos éternel et la joie de votre paradis. Comme rien n'est +bon, rien ne vous plaît qu'en Jésus-Christ votre Fils, et que vous ne +nous aimez qu'à cause que nous sommes ses membres; c'est par lui que +vous nous donnez les grâces; recevez par lui nos remercîments, soyez +béni et glorifié en lui, par lui et avec lui, ô Dieu! Père +tout-puissant, en l'unité du Saint-Esprit dans tous les siècles des +siècles. + + +AU NOBIS QUOQUE PECCATORIBUS. + + On se frappe alors la poitrine, pour faire voir qu'on est pécheur, + qu'on a besoin de la miséricorde de Dieu; et pour l'obtenir, nous + fondons notre espérance sur sa bonté divine, et sur les mérites du + sacrifice de Jésus-Christ renouvelé sur l'autel par les mains du + prêtre. + + +AU PATER. + + Le prêtre dit cette prière, parce qu'elle fut enseignée par + Jésus-Christ lui même, et qu'elle est la plus sainte et la plus + efficace que l'on puisse faire, renfermant tout ce que nous devons + demander à Dieu. Nous devons donc aussi la réciter avec ferveur et + confiance. + +Mon Dieu, délivrez-moi des péchés que j'ai commis pendant ma vie passée +et dont je suis comptable à votre justice; délivrez-moi de mes mauvaises +habitudes, et de ma concupiscence toujours présente, qui me sollicite au +mal. Enfin, mon Dieu, délivrez-moi des tentations du démon, de la chair +et du monde, et de la mort éternelle. + + +À L'AGNUS DEI. + + Le prêtre, avant la communion, priant pour tout le peuple, fait cette + invocation à Jésus-Christ, pour reconnaître le besoin que nous avons + toujours de sa miséricorde. + +Mon Sauveur Jésus-Christ, vous êtes le véritable agneau de Dieu immolé +pour effacer nos péchés; faites par votre grâce qu'ayant reçu le pardon +de nos péchés, nous menions une vie nouvelle, et accordez-nous la +charité et la paix avec notre prochain, que vous avez tant recommandées, +et qui est si nécessaire pour avoir part aux effets et aux grâces de la +sainte communion. + + +AU DOMINE NON SUM DIGNUS. + + Lorsque le prêtre va communier, il dit trois fois avec un profond + sentiment de son indignité: _Domine, non sum dignus_, c'est-à-dire, + _Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez en moi; mais dites + seulement une parole, et mon âme sera guérie_. Quand nous ne + communions pas réellement, nous devons toujours communier + spirituellement, en demandant à Jésus-Christ de nous donner son esprit + par la participation de sa grâce. + +Seigneur, quoique je sois très-indigne par mes péchés et mes infidélités +de m'approcher de votre autel, et de vous recevoir par la communion, +j'ose vous supplier de me donner quelque part à vos miséricordes. +Daignez m'accorder la grâce de participer à la vertu de votre sacrifice; +éclairez mon esprit, fortifiez ma volonté et purifiez mon coeur pour ne +penser qu'à vous, pour ne vouloir et n'aimer que vous, et pour l'amour +de vous; faites par votre grâce que je désire de ne vivre, de ne +souffrir et de ne mourir que pour vous. + + +AUX DERNIÈRES ORAISONS. + + Le prêtre demande les fruits de l'excellent sacrifice qui vient d'être + offert à Dieu; ce sont la rémission des péchés, la grâce d'une sainte + vie, et le mérite de la vie éternelle. + +Mon Dieu, accordez-nous, en vertu du sacrifice que nous venons de vous +offrir, la rémission de nos péchés et toutes les grâces qui nous sont +nécessaires pour nous sauver. Donnez-nous surtout un amour ardent pour +vous, une grande crainte de vous déplaire, un grand désir et un grand +soin de vous plaire, l'application à nos devoirs, la patience dans les +afflictions, la douceur et la charité pour bien vivre avec tout le +monde, l'humanité, la pureté, la tempérance, la mortification de nos +sens, un grand détachement des biens, des plaisirs et des honneurs de ce +monde, un grand dégoût et une sainte horreur des folles joies du siècle; +un véritable esprit de pénitence, qui nous inspire une vive douleur des +péchés de notre vie passée, un désir sincère de les expier, et une ferme +résolution de n'y plus retomber et d'en éviter toutes les occasions. +Enfin, mon Dieu, donnez-nous toutes les grâces nécessaires pour mener +une vie chrétienne, suivie d'une sainte mort et d'une heureuse éternité. + + +À L'ITE MISSA EST. + + Le prêtre, se tournant vers le peuple, l'avertit par ces mots que le + sacrifice de la messe est achevé. Il donne ensuite la bénédiction au + nom de la sainte Trinité. + + +QUAND LE PRÊTRE DONNE LA BÉNÉDICTION. + +Dieu tout-puissant et tout miséricordieux, Père, Fils et Saint-Esprit, +bénissez-nous par Jésus-Christ, et que cette bénédiction nous soit un +gage de la bénédiction que vous donnerez un jour à vos élus. + + +AU DERNIER ÉVANGILE. + + Avant de quitter le saint autel, le prêtre dit l'Évangile de saint + Jean, qui annonce l'éternité du Verbe et la miséricorde qui l'a porté + à prendre notre chair et à habiter parmi nous. Demandons d'être du + nombre de ceux qui le reçoivent et deviennent ses enfants. + +Seigneur, gravez par votre grâce votre Évangile dans nos esprits et dans +nos coeurs, afin que nous ne suivions plus l'égarement de nos pensées, +la fougue de nos passions ni le déréglement de notre coeur; mais que +nous nous soumettions entièrement à tout ce que vous demandez de nous, +et que nous réglions toutes nos démarches sur les maximes de votre saint +Évangile, et non sur les maximes et sur les coutumes corrompues du +monde. + + +PRIÈRE APRÈS LA MESSE. + +Mon Dieu, je vous remercie des grâces et des bonnes résolutions que vous +m'avez inspirées pendant le saint sacrifice de la messe; donnez-moi la +grâce de les mettre toutes en pratique. Faites que je montre par ma +conduite le reste de la journée, que ce n'est pas en vain que j'ai +offert avec le prêtre ce saint sacrifice; faites-moi souvenir que je +viens de vous présenter, par Jésus-Christ, mon âme, mon corps, ma vie, +mon travail, mon occupation, mes biens, tout ce que je suis et tout ce +que j'ai. C'est pourquoi je dois avoir grand soin de les employer à +votre service, par l'intercession de la sainte Vierge et de tous les +Saints. Ainsi soit-il. + + + + +VÊPRES DU DIMANCHE + + +V. Deus, in adjutorium meum intende. + +R. Domine, ad adjuvandum me festina. + +V. Gloria Patri, et Filio, et Spiritui sancto. + +R. Sicut erat in Principio, et nunc et semper, et in secula seculorum +Amen. + + +PSAUME 109. + +Dixit Dominus Domino meo: * Sede à dextris meis, + +Donec ponam inimicos tuos * scabellum pedum tuorum. + +Virgam virtutis tuæ emittet Dominus ex Sion: * Dominare in medio +inimicorum tuorum. + +Tecum principium in die virtutis tuæ in splendoribus Sanctorum; * ex +utero ante luciferum genui te. + +Juravit Dominus, et non poenitebit eum: * tu es sacerdos in æternum +secundùm ordinem Melchisedech. + +Dominus à dextris tuis: * confregit in die iræ suæ reges. + +Judicabit in nationibus, implebit ruinas; * conquassabit capita in terrâ +multorum. + +De torrente in viâ bibet; * proptereà exaltabit caput. + +Gloria Patri, etc. + + +PSAUME 110. + +Confitebor tibi, Domine, in toto corde meo; * in concilio justorum et +congregatione. + +Magna opera Domini, * exquisita in omnes voluntates ejus. + +Confessio et magnificentia opus ejus, * et justitia ejus manet in +seculum seculi. + +Memoriam fecit mirabilium suorum misericors et miserator Dominus: * +escam dedit timentibus se. + +Memor erit in seculum testamenti sui: * virtutem operum suorum +annuntiabit populo suo. + +Ut det illis hæreditatem gentium, * opera manuum ejus veritas et +judicium. + +Fidelia omnia mandata ejus, confirmata in seculum seculi, * facta in +veritate et æquitate. + +Redemptionem misit populo suo: * mandavit in æternum testamentum suum. + +Sanctum et terribile nomen ejus: * initium sapientiæ timor Domini. + +Intellectus bonus omnibus facientibus eum: * laudatio ejus manet in +seculum seculi. + + +PSAUME 111. + +Beatus vir qui timet Dominum, * in mandatis ejus volet nimis. + +Potens in terrâ erit semen ejus: * generatio rectorum benedicetur. + +Gloria et divitiæ in domo ejus: * et justitia ejus manet in seculum +seculi. + +Exortum est in tenebris lumen rectis: * misericors et miserator et +justus. + +Jucundus homo qui miseretur et commodat, disponet sermones suos in +judicio: * quia in æternum non commovebitur. + +In memoriâ æternâ erit justus, * ab auditione malâ non timebit. + +Paratum cor ejus sperare in Domino, confirmatum est cor ejus: * non +commovebitur donec despiciat inimicos suos. + +Dispersit, dedit pauperibus, justitia ejus manet in seculum seculi: * +cornu ejus exaltabitur in gloriâ. + +Peccator videbit et irascetur, dentibus suis fremet et tabescet; * +desiderium peccatorum peribit. + + +PSAUME 112. + +Laudate, pueri, Dominum; * laudate nomen Domini. + +Sit nomen Domini benedictum, * ex hoc nunc et usque in seculum. + +A solis ortu usque ad occasum, * laudabile nomen Domini. + +Excelsus super omnes gentes Dominus, * et super coelos gloria ejus. + +Quis sicut Dominus Deus noster, qui in altis habitat, * et humilia +respicit in coelo et in terrâ. + +Suscitans à terrâ inopem, * et de stercore erigens pauperem. + +Ut collocet eum cum principibus, * cum principibus populi sui. + +Qui habitare fecit sterilem in domo, * matrem filiorum lætantem. + + +PSAUME 113. + +In exitu Israel de Ægypto, * domus Jacob de populo barbaro; + +Facta est Judæa sanctificatio ejus; * Israël potestas ejus. + +Mare vidit et fugit; * Jordanis conversus est retrorsùm. + +Montes exultaverunt ut arietes, * et colles sicut agni ovium. + +Quid est tibi mare, quod fugisti? * et tu, Jordanis, qui conversus es +retrorsùm? + +Montes exultâstis sicut arietes? * et colles sicut agni ovium? + +A facie Domini mota est terra, * à facie Dei Jacob. + +Qui convertit petram in stagna aquarum, * et rupem in fontes aquarum. + +Non nobis, Domine, non nobis: * sed nomini tuo da gloriam, super +misericordiâ tuâ et veritate tuâ; + +Nequando dicant gentes: * Ubi est Deus eorum? + +Deus autem noster in coelo: * omnia quæcumque voluit, fecit. + +Simulacra gentium argentum et aurum, * opera manuum hominum. + +Os habent, et non loquentur * oculos habent, et non videbunt. + +Aures habent, et non audient; * nares habent, et non odorabunt. + +Manus habent, et non palpabunt; pedes habent, et non ambulabunt; * non +clamabunt in gutture suo. + +Similes illis fiant qui faciunt ea, * et omnes qui confidunt in eis. + +Domus Israel speravit in Domino: * adjutor eorum et protector eorum est. + +Domus Aaron speravit in Domino: * adjutor eorum et protector eorum est. + +Qui timent Dominum, speraverunt in Domino: * adjutor eorum et protector +eorum est. + +Dominus memor fuit nostri, * et benedixit nobis. + +Benedixit domui Israel; * benedixit domui Aaron. + +Benedixit omnibus qui timent Dominum, * pusillis cum majoribus. + +Adjiciat Dominus super vos, * super vos et super filios vestros. + +Benedicti vos à Domino, * qui fecit coelum et terram. + +Coelum coeli Domino: * terram autem dedit filiis hominum. + +Non mortui laudabunt te, Domine, * neque omnes qui descendunt in +infernum. + +Sed nos qui vivimus, benedicimus Domino, * ex hoc nunc et usquè in +seculum. + + +CAPITULE. + +Benedictus Deus, et Pater Domini nostri Jesu Christi, Pater +misericordiarum, et Deus totius consolationis, qui consolatur nos in +omni tribulatione nostrâ. + +Deo gratias. + + +HYMNE. + + Lucis Creator optime, + Lucem dierum proferens, + Primordiis lucis novæ, + Mundi parans originem. + + Qui manè junctum vesperi + Diem vocari præcipis, + Tetrum chaos illabitur, + Audi preces cum fletibus. + + Ne mens gravata crimine, + Vitæ sit exsul munere, + Dùm nil perenne cogitat, + Seseque culpis illigat. + + Coeleste pulset ostium, + Vitale tollat præmium, + Vitemus omne noxium, + Purgemus omne pessimum + + Præsta, Pater piissime, + Patrique compar Unice, + Cum Spiritu Paracleto, + Regnans per omne seculum. + + Amen. + + +CANTIQUE DE LA SAINTE VIERGE. + +Magnificat * anima mea Dominum; + +Et exultavit spiritus meus, * in Deo salutari meo. + +Quia respexit humilitatem ancillæ suæ: * ecce enim ex hoc beatam me +dicent omnes generationes. + +Quia fecit mihi magna qui potens est, * et sanctum nomen ejus. + +Et misericordia ejus à progenie in progenies, * timentibus eum. + +Fecit potentiam in brachio suo: * dispersit superbos mente cordis sui. + +Deposuit potentes de sede, * et exaltavit humiles. + +Esurientes implevit bonis, * et divites dimisit inanes. + +Suscepit Israel puerum suum, * recordatus misericordiæ suæ. + +Sicut locutus est ad patres nostros, * Abraham et semini ejus in secula. + +Gloria Patri, etc. + + +À COMPLIES. + +V. Converte nos, Deus, salutaris noster; + +R. Et averte iram tuam à nobis. + +V. Deus in adjutorium, etc. + + +PSAUME 4. + +Cùm invocarem exaudivit me, Deus justitiæ meæ: * in tribulatione +dilatasti mihi. + +Misereri mei, * et exaudi orationem meam. + +Filii hominum, usquequò gravi corde? * ut quid diligitis vanitatem, et +quæritis mendacium? + +Et scitote quoniam mirificavit Dominus Sanctum tuum: * Dominus exaudiet +me, cùm clamavero ad eum. + +Irascimini, et nolite peccare; * quæ dicitis in cordibus vestris, in +cubilibus vestris compungimini. + +Sacrificate sacrificium justitiæ, et sperate in Domino; * multi dicunt: +Quis ostendit nobis bona? + +Signatum est super nos lumen vultûs tui, Domine; * dedisti lætitiam in +corde meo. + +A fructu frumenti, vini et olei sui * multiplicati sunt. + +In pace in idipsum dormiam, * et requiescam; + +Quoniam tu, Domine, * singulariter in spe constituisti me. + + +PSAUME 30. + +In te, Domine, speravi, non confundar in æternum; * in justitiâ tuâ +libera me. + +Inclina ad me aurem tuam, * accelera ut eruas me. + +Esto mihi in Deum protectorem et in domum refugi, * ut salvum me facias. + +Quoniam fortitudo mea et refugium meum es tu, * et propter nomen tuum +deduces me et enutries me. + +Educes me de laqueo hoc quem absconderunt mihi: * quoniam tu es +protector meus. + +In manus tuas commendo spiritum meum: * redemisti me, Domine, Deus +veritatis. + + +PSAUME 90. + +Qui habitat in adjutorio Altissimi, * in protectione Dei coeli +commorabitur. + +Dicet Domino: Susceptor meus es tu, et refugium meum; * Deus meus, +sperabo in eum. + +Quoniam ipse liberavit me de laqueo venantium, * et à verbo aspero. + +Scapulis suis obumbrabit tibi, * et sub pennis ejus sperabis. + +Scuto circumdabit te veritas ejus, * non timebis à timore nocturno. + +A sagittâ volante in die, à negotio perambulante in tenebris, * ab +incursu et dæmonio meridiano. + +Cadent à latero tuo mille et decem millia à dextris tuis: * ad te autem +non appropinquabit. + +Verùmtamen oculis tuis considerabis, * et retributionem peccatorum +videbis. + +Quoniam tu es, Domine, spes mea: * Altissimum posuisti refugium tuum. + +Non accedet ad te malum, * et flagellum non appropinquabit tabernaculo +tuo. + +Quoniam Angelis suis mandavit de te, * ut custodiant te omnibus viis +tuis. + +In manibus portabunt te, * ne fortè offendas ad lapidem pedem tuum. + +Super aspidem et basiliscum ambulabis, * et conculcabis leonem et +draconem. + +Quoniam in me speravit, liberabo eum: * protegam eum, quoniam cognovit +nomen meum. + +Clamavit ad me, * et ego exaudiam eum: + +Cum ipso sum in tribulatione; * eripiam eum et glorificabo eum. + +Longitudine dierum replebo eum, * ostendam illi salutare meum. + + +PSAUME 133. + +Ecce nunc benedicite Dominum, * omnes servi Domini. + +Qui statis in domo Domini, * in atriis domûs Dei nostri. + +In noctibus extollite manus vestras in sancta; * et benedicite Dominum. + +Benedicat te Dominus ex Sion: * qui fecit coelum et terram. + + +HYMNE. + + De lucis ante terminum, + Rerum Creator, poscimus, + Ut pro tuâ clementiâ + Sis præsul et custodia. + + Procul recedant somnia, + Et noctium phantasmata; + Hostemque nostrum comprime, + Ne polluantur corpora. + + Præsta, Pater omnipotens, + Per Jesum Christum Dominum, + Qui tecum in perpetuum + Regnat cum Sancto Spiritu. + + Amen. + + +CAPITULE. + +Tu autem in nobis es, Domine, et nomen sanctum tuum invocatum est super +nos; ne derelinquas nos, Domine Deus noster. + +Deo gratias. + +R. _br_. In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum. In. V. Redemisti +me, Domine, Deus veritatis. Commendo. Gloria. In. + +V. Custodi nos, Domine, ut pupillam oculi. R. Sub umbrâ alarum tuarum +protege nos. + + +CANTIQUE DE SAINT SIMÉON. + +Nunc dimittis servum tuum, Domine, * secundùm verbum tuum, in pace. + +Quia viderunt oculi mei * salutare tuum + +Quod parasti, * ante faciem, omnium populorum, + +Lumen ad revelationem gentium, * et gloriam plebis tuæ Israel. + +Gloria, etc. + +_Ant._ Salva nos, Domine, vigilantes; custodi nos dormientes, ut +vigilemus cum Christo et requiescamus in pace. + + +ORAISON. + +Nous vous supplions, Seigneur, de visiter cette demeure, et d'éloigner +d'elle toutes les embûches de notre ennemi; que vos saints Anges y +habitent, pour nous conserver en paix, et que votre bénédiction soit +toujours sur nous. Par notre Seigneur. + +Que le Seigneur soit avec vous. + +Rendons grâces à Dieu. + + +_Les Complies étant finies, on dit à voix basse_: + +Gratia Domini nostri Jesu Christi, et caritas Dei, et communicatio +Sancti Spiritûs sit cum omnibus vobis. + +R. Amen. + + +_Après l'office, on dit tout bas_: + +Pater, Ave, Credo. + + + + +ANTIENNES À LA SAINTE VIERGE. + + +PENDANT L'AVENT. + +Alma Redemptoris Mater, quæ pervia coeli Porta manes, et Stella maris, +succurre cadenti, surgere qui curat populo: tu quæ genuisti, Naturâ +mirante, tuum sanctum Genitorem. Virgo priùs ac posteriùs: Gabrielis ab +ore, Sumens illud Ave, peccatorum miserere. + +V. Angelus Domini nuntiavit Mariæ. + +R. Et concepit de Spiritu sancto. + + +ORAISON. + +Répandez, s'il vous plaît, Seigneur, votre grâce dans nos âmes, afin +qu'ayant connu par la voix de l'Ange l'Incarnation de Jésus-Christ votre +Fils, nous arrivions, par sa Passion et sa Croix, à la gloire de sa +Résurrection. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. Ainsi soit-il. + + +APRÈS L'AVENT. + +V. Post partum Virgo inviolata permansisti. + +R. Dei Genitrix, intercede pro nobis. + + +ORAISON. + +Ô Dieu, qui, en rendant féconde la virginité de la bienheureuse Vierge +Marie, avez assuré au genre humain les récompenses du salut éternel, +nous vous prions de nous faire éprouver dans nos besoins combien est +puissante auprès de vous l'intercession de celle par laquelle nous avons +reçu l'auteur de la vie, Jésus-Christ votre Fils. + + +DE LA PURIFICATION AU JEUDI SAINT. + + Ave, Regina coelorum; + Ave, Domina Angelorum; + Salve, Radix; salve, Porta, + Ex quâ mundo lux est orta. + + GAUDE, Virgo gloriosa: + Super omnes speciosa: + Vale, ô valde decora, + Et pro nobis Christum exora. + +V. Dignare me laudare te, Virgo sacrata. + +R. Da mihi virtutem contra hostes tuos. + + +ORAISON. + +Dieu de bonté, accordez à notre faiblesse les secours de votre grâce: et +comme nous honorons la mémoire de la sainte Mère de Dieu, faites que, +par le secours de son intercession, nous ressuscitions de nos iniquités; +nous vous en supplions par le même Jésus-Christ. Ainsi soit-il. + + +DE PAQUES À LA TRINITÉ. + + Regina coeli, lætare, alleluia: + Quia quem meruisti portare, alleluia, + Resurrexit sicut dixit, alleluia. + Ora pro nobis Deum, alleluia. + +V. Gaude et lætare, Virgo Maria: + +R. Quia surrexit Dominus vere. + + +ORAISON. + +Ô Dieu, qui avez daigné réjouir le monde par la résurrection de votre +Fils notre Seigneur Jésus-Christ; faites, s'il vous plaît, que, par la +Vierge Marie sa mère, nous goûtions les joies d'une vie éternelle et +bienheureuse. Par le même Jésus-Christ notre Seigneur. R. Ainsi soit-il. + + +DE LA TRINITÉ À L'AVENT. + +Salve, Regina, mater misericordiæ, vita, dulcedo, et spes nostra, salve. +Ad te clamamus, exules Filii Evæ; ad te suspiramus gementes et flentes +in hâc lacrymarum valle: Eia ergo Advocata nostra, illos tuos +misericordes oculos ad nos converte; Et Jesum, benedictum fructum +ventris tui, nobis post hoc exilium ostende, ô clemens, ô pia ô dulcis +Virgo Maria! + +V. Ora pro nobis, sancta Dei Genitrix, + +R. Ut digni efficiamur promissionibus Christi. + + +ORAISON. + +Dieu tout-puissant et éternel, qui, par la coopération du Saint-Esprit, +avez préparé le corps et l'âme de la glorieuse Vierge Marie, pour en +faire une demeure digne de votre Fils, accordez-nous la grâce, pendant +que nous célébrons sa mémoire avec joie, d'être délivrés, par son +intercession, des maux présents et de la mort éternelle. Nous vous en +supplions par le même Jésus-Christ notre Seigneur. Ainsi soit-il. + + +PROSE À LA SAINTE VIERGE. + + Inviolata, integra et casta es, Maria, + Quæ es effecta fulgida coeli porta. + + Ô Mater alma, Christi carissima, + Suscipe pia laudum præconia; + + Nostra ut pura pectora sint et corpora, + Te nunc flagitant devota corda et ora. + + Tua per precata dulcisona, + Nobis concedas veniam per secula + + Ô benigna! ô benigna! ô benigna! + Quæ sola inviolata permansisti. + + + + +TABLE DES CHAPITRES. + + + Pages. + Avertissement des éditeurs. 1 + Préface. 3 + + +LIVRE PREMIER. + +AVIS UTILES POUR ENTRER DANS LA VIE INTÉRIEURE. + + Chap. I. Qu'il faut imiter JÉSUS-CHRIST, et mépriser toutes les + vanités du monde. 15 + Chap. II. Avoir d'humbles sentiments de soi-même. 18 + Chap. III. De la Doctrine de vérité. 20 + Chap. IV. De la Prévoyance dans les actions. 25 + Chap. V. De la lecture de l'Écriture sainte. 26 + Chap. VI. Des affections déréglées. 28 + Chap. VII. Qu'il faut fuir l'orgueil et les vaines espérances. 29 + Chap. VIII. Éviter la trop grande familiarité. 32 + Chap. IX. De l'obéissance et du renoncement à son propre sens. 33 + Chap. X. Qu'il faut éviter les entretiens inutiles. 35 + Chap. XI. Des moyens d'acquérir la paix intérieure, et du soin + d'avancer dans la vertu. 37 + Chap. XII.--De l'avantage de l'adversité. 40 + Chap. XIII. De la résistance aux tentations. 42 + Chap. XIV. Éviter les jugements téméraires, et ne se point + rechercher soi-même. 47 + Chap. XV. Des oeuvres de charité. 48 + Chap. XVI. Qu'il faut supporter les défauts d'autrui. 50 + Chap. XVII. De la vie religieuse. 53 + Chap. XVIII. De l'exemple des Saints. 54 + Chap. XIX. Des exercices d'un bon religieux. 58 + Chap. XX. De l'amour de la solitude et du silence. 62 + Chap. XXI. De la componction du coeur. 67 + Chap. XXII. De la considération de la misère humaine. 71 + Chap. XXIII. De la méditation de la mort. 76 + Chap. XXIV. Du jugement et des peines des pécheurs. 81 + Chap. XXV. Qu'il faut travailler avec ferveur à l'amendement + de sa vie. 86 + +LIVRE DEUXIÈME. + +INSTRUCTION POUR AVANCER DANS LA VIE INTÉRIEURE. + + Chap. I. De la conversation intérieure. 95 + Chap. II. Qu'il faut s'abandonner à Dieu en esprit d'humilité. 100 + Chap. III. De l'homme pacifique. 102 + Chap. IV. De la pureté d'esprit, et de la droiture d'intention. 105 + Chap. V. De la considération de soi-même. 107 + Chap. VI. De la joie d'une bonne conscience. 109 + Chap. VII. Qu'il faut aimer JÉSUS-CHRIST par-dessus toutes + choses. 113 + Chap. VIII. De la familiarité que l'amour établit entre JÉSUS + et l'âme fidèle. 113 + Chap. IX. De la privation de toute consolation. 119 + Chap. X. De la reconnaissance pour la grâce de Dieu. 124 + Chap. XI. Du petit nombre de ceux qui aiment la Croix de + JÉSUS-CHRIST. 128 + Chap. XII. De la sainte voie de la Croix. 132 + +LIVRE TROISIÈME. + +DE LA VIE INTÉRIEURE. + + Chap. I. Des entretiens intérieurs de JÉSUS-CHRIST avec l'âme + fidèle. 141 + Chap. II. La vérité parle au dedans de nous sans aucun bruit + de paroles. 143 + Chap. III. Qu'il faut écouter la parole de Dieu avec humilité; + et que plusieurs ne la reçoivent pas comme ils le devraient. 146 + Chap. IV. Qu'il faut marcher en présence de Dieu dans la vérité + et l'humilité. 151 + Chap. V. Des merveilleux effets de l'amour divin. 155 + Chap. VI. De l'épreuve du véritable amour. 160 + Chap. VII. Qu'il faut cacher humblement les grâces que Dieu + nous fait. 164 + Chap. VIII. Qu'il faut s'anéantir soi-même devant Dieu. 168 + Chap. IX. Qu'il faut rapporter tout à Dieu comme à notre + dernière fin. 172 + Chap. X. Qu'il est doux de servir Dieu et de mépriser le monde. 174 + Chap. XI. Qu'il faut examiner et modérer les désirs du coeur. 178 + Chap. XII. Qu'il faut s'exercer à la patience, et lutter contre + ses passions. 180 + Chap. XIII. Qu'il faut obéir humblement à l'exemple de + JÉSUS-CHRIST. 184 + Chap. XIV. Qu'il faut considérer les secrets jugements de Dieu + pour ne pas s'enorgueillir du bien qu'on fait. 187 + Chap. XV. De ce que nous devons dire et faire quand il s'élève + quelque désir en nous. 191 + Chap. XVI. Qu'on ne doit chercher qu'en Dieu la vraie + consolation. 194 + Chap. XVII. Qu'il faut remettre à Dieu le soin de ce qui nous + regarde. 197 + Chap. XVIII. Qu'il faut souffrir avec constance les misères de + cette vie, à l'exemple de JÉSUS-CHRIST. 199 + Chap. XIX. De la souffrance des injures, et de la véritable + patience. 202 + Chap. XX. De l'aveu de son infirmité, et des misères de cette + vie. 205 + Chap. XXI. Qu'il faut établir son repos en Dieu, plutôt que + dans tous les autres biens. 209 + Chap. XXII. Du souvenir des bienfaits de Dieu. 214 + Chap. XXIII. De quatre choses importantes pour conserver la + paix. 218 + Chap. XXIV. Qu'il ne faut point s'enquérir curieusement de la + conduite des autres. 222 + Chap. XXV. En quoi consiste la vraie paix et le véritable + progrès de l'âme. 224 + Chap. XXVI. De la liberté du coeur, qui s'acquiert plutôt par + la prière que par la lecture. 227 + Chap. XXVII. Que l'amour de soi est le plus grand obstacle qui + empêche l'homme de parvenir au souverain bien. 230 + Chap. XXVIII. Qu'il faut mépriser les jugements humains. 234 + Chap. XXIX. Comment il faut invoquer et bénir Dieu dans + l'affliction. 236 + Chap. XXX. Qu'il faut implorer le secours de Dieu, et attendre + avec confiance le retour de sa grâce. 238 + Chap. XXXI. Qu'il faut oublier toutes les créatures pour + trouver le Créateur. 243 + Chap. XXXII. De l'abnégation de soi-même. 247 + Chap. XXXIII. De l'inconstance du coeur, et que nous devons + tout rapporter à Dieu comme à notre dernière fin. 250 + Chap. XXXIV. Qu'on ne saurait goûter que Dieu seul, et qu'on + le goûte en toutes choses, quand on l'aime véritablement. 252 + Chap. XXXV. Qu'on est toujours, durant cette vie, exposé à + la tentation. 255 + Chap. XXXVI. Contre les vains jugements des hommes. 258 + Chap. XXXVII. Qu'il faut renoncer entièrement à soi-même pour + obtenir la liberté du coeur. 261 + Chap. XXXVIII. Comment il faut se conduire dans les choses + extérieures, et recourir à Dieu dans les périls. 264 + Chap. XXXIX. Qu'il faut éviter l'empressement dans les affaires. 266 + Chap. XL. Que l'homme n'a rien de bon de lui-même, et ne peut + se glorifier de rien. 268 + Chap. XLI. Du mépris de tous les honneurs du temps. 272 + Chap. XLII. Qu'il ne faut pas que notre paix dépende des hommes. 274 + Chap. XLIII. Contre la vaine science du siècle. 276 + Chap. XLIV. Qu'il ne faut point s'embarrasser dans les choses + extérieures. 279 + Chap. XLV. Qu'il ne faut pas croire tout le monde, et qu'il est + difficile de garder une sage mesure dans ses paroles. 281 + Chap. XLVI. Qu'il faut mettre sa confiance en Dieu, lorsqu'on + est assailli de paroles injurieuses. 285 + Chap. XLVII. Qu'il faut être prêt à souffrir pour la vie + éternelle tout ce qu'il y a de plus pénible. 289 + Chap. XLVIII. De l'éternité bienheureuse, et des misères de + cette vie. 293 + Chap. XLIX. Du désir de la vie éternelle, et des grands biens + promis à ceux qui combattent courageusement. 298 + Chap. L. Comment un homme dans l'affliction doit s'abandonner + entre les mains de Dieu. 303 + Chap. LI. Qu'il faut s'occuper d'oeuvres extérieures, quand + l'âme est fatiguée des exercices spirituels. 309 + Chap. LII. Que l'homme ne doit pas se juger digne des + consolations de Dieu, mais plutôt de châtiment. 311 + Chap. LIII. Que la grâce ne fructifie point en ceux qui ont + le goût des choses de la terre. 314 + Chap. LIV. Des divers mouvements de la nature et de la grâce. 317 + Chap. LV. De la corruption de la nature, et de l'efficace de + la grâce divine. 323 + Chap. LVI. Que nous devons nous renoncer nous-mêmes, et imiter + JÉSUS-CHRIST en portant la Croix. 328 + Chap. LVII. Qu'on ne doit point se laisser trop abattre quand + on tombe en quelques fautes. 332 + Chap. LVIII. Qu'il ne faut pas chercher à pénétrer ce qui est + au-dessus de nous, ni sonder les secrets jugements de Dieu. 335 + Chap. LIX. Qu'on doit mettre toute son espérance et toute sa + confiance en Dieu seul. 341 + +LIVRE QUATRIÈME. + +DU SACREMENT DE L'EUCHARISTIE. + + Exhortation à la sainte Communion. 347 + + Chap. I. Avec quel respect il faut recevoir JÉSUS. 350 + Chap. II. Combien Dieu manifeste à l'homme sa bonté et son + amour dans le Sacrement de l'Eucharistie. 358 + Chap. III. Qu'il est utile de communier souvent. 364 + Chap. IV. Que Dieu répand des grâces abondantes en ceux qui + communient dignement. 369 + Chap. V. De l'excellence du Sacrement de l'autel, et de la + dignité du Sacerdoce. 374 + Chap. VI. Prière du chrétien avant la Communion. 378 + Chap. VII. De l'examen de conscience, et de la résolution de + se corriger. 380 + Chap. VIII. De l'oblation de JÉSUS-CHRIST sur la Croix, et de + la résignation de soi-même. 385 + Chap. IX. Que nous devons nous offrir à Dieu avec tout ce qui + est à nous, et prier pour tous. 388 + Chap. X. Qu'on ne doit pas facilement s'éloigner de la sainte + Communion. 392 + Chap. XI. Que le Corps de JÉSUS-CHRIST et l'Écriture sainte + sont très-nécessaires à l'âme fidèle. 398 + Chap. XII. Qu'on doit se préparer avec un grand soin à la + sainte Communion. 404 + Chap. XIII. Que le fidèle doit désirer de tout son coeur de + s'unir à JÉSUS-CHRIST dans la Communion. 408 + Chap. XIV. Du désir ardent que quelques âmes saintes ont de + recevoir le Corps de JÉSUS-CHRIST. 411 + Chap. XV. Que la grâce de la dévotion s'acquiert par l'humilité + et l'abnégation de soi-même. 414 + Chap. XVI. Qu'il faut dans la Communion exposer ses besoins à + JÉSUS-CHRIST, et lui demander sa grâce. 417 + Chap. XVII. Du désir ardent de recevoir JÉSUS-CHRIST. 420 + Chap. XVIII. Qu'on ne doit point chercher à pénétrer le + mystère de l'Eucharistie, mais qu'il faut soumettre ses + sens à la Foi. 424 + + +FIN DE LA TABLE. + + + + +LECTURES + +DU LIVRE DE L'IMITATION, + +DIVISÉES + +Selon les différents besoins des Fidèles. + + +Pour les Prêtres. + + Livre I.--Ch. 18, 19, 20, 25. + -- II.--Ch. 11 et 12. + -- III.--Ch. 3, 10, 31, 56. + -- IV.--Ch. 5, 7, 10, 11, 12, 18. + + Pour la préparation à la Messe et l'Action de grâces, _voyez_ page 404 + et suiv.: _Avant et après la Communion_, et, de plus, tous les + chapitres indiqués _pour les personnes pieuses_. + +Pour les Séminaristes. + + Livre I.--Ch. 17, 18, 19, 20, 21, 25. + -- III.--Ch. 2, 3, 10, 31, 56. + -- IV.--Ch. 5, 7, 10, 11, 12, 18. + +Pour ceux qui s'adonnent à l'étude, particulièrement à celle de la +Philosophie et de la Théologie. + + Livre I.--Ch. 1, 2, 3, 5. + -- III.--Ch. 2, 43, 44, 48, 58. + -- IV.--Ch. 18. + +Pour les Personnes affligées de leur peu de progrès dans l'étude. + + Livre III.--Ch. 29, 39, 41, 47. + +Pour les Religieux et les Religieuses. + + Les chapitres indiqués ci-avant pour les Séminaristes. Ceux indiqués + ci-après pour les personnes pieuses. + +Pour les Personnes pieuses. + + Livre I.--Ch. 15, 18, 19, 20, 21, 22, 25. + -- II.--Ch. 1, 4, 7, 8, 9, 11, 12. + -- III.--Ch. 5, 6, 7, 11, 27, 31, 32, 33, 53, 54, 55, 56. + +Pour les Personnes affligées et humiliées. + + Livre I.--Ch. 12. + -- II.--Ch. 11, 12. + -- III.--Ch. 12, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 29, 30, 35, 41, 47, + 48, 49, 50, 52, 55, 56. + +Pour les Personnes trop sensibles à leurs souffrances. + + Livre I.--Ch. 12. + -- III.--Ch. 12. + +Pour les Personnes tentées. + + Livre I.--Ch. 13. + -- II.--Ch. 9. + -- III.--Ch. 6, 16. 17, 18, 19, 20, 21, 23, 30, 35, 37, 47, 48, + 49, 50, 52, 55. + +Pour les Peines intérieures. + + Livre II.--Ch. 3, 9, 11, 12. + -- III.--Ch. 7, 12, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 30, 35, 47, 48, 49, + 50, 51, 52, 55, 56. + +Pour les Personnes inquiètes de l'avenir, de leur santé, de leur +fortune, du succès d'une démarche. + + Livre III.--Ch. 39. + +Pour les Personnes qui vivent dans le monde, ou qui sont distraites par +leurs occupations. + + Livre III.--Ch. 38, 53. + +Pour les Personnes attaquées par la calomnie ou la médisance. + + Livre II.--Ch. 2. + -- III.--Ch. 6, 11, 28, 36, 46. + +Pour les Personnes qui commencent à se convertir. + + Livre I.--Ch. 18, 25. + -- II.--Ch. 1. + -- III.--Ch. 6, 7, 23, 25, 26, 27, 33, 37, 52, 54, 55. + +Pour les Personnes pusillanimes, faibles ou négligentes. + + Livre I.--Ch. 18. 21. 22, 25. + -- II.--Ch. 10, 11, 12. + -- III.--Ch. 3, 6, 27, 30, 35, 37, 54, 55, 57. + +Pour une Retraite. + + Livre III.--Ch. 53. } Pour s'y disposer. + -- I.--Ch. 20, 21. } + Ch. 22. Misères de la vie. + Ch. 23. La mort. + Ch. 24 } Le Jugement et l'Enfer + -- III.--Ch. 14 } + Ch. 48. Le Ciel. + Ch. 59. Pour clore la Retraite + +Pour obtenir la Paix intérieure. + + Livre I.--Ch. 6, 11. + -- II.--Ch. 3, 6. + -- III.--Ch. 7, 23, 25, 38. + +Pour les Personnes dissipées. + + Livre I.--Ch. 18, 21, 22, 23, 24. + -- II.--Ch. 10, 12. + -- III.--Ch. 14, 27, 33, 45, 53, 55. + +Pour les Pécheurs insensibles. + + Livre I.--Ch. 23, 24. + -- III.--Ch. 14, 55. + +Pour les Personnes oisives. + + Livre III.--Ch. 24, 27. + +Pour ceux qui écoutent les médisances. + + Livre I.--Ch. 4. + +Pour les Personnes portées à l'orgueil. + + Livre I.--Ch. 7. 14. + -- II.--Ch. 11. + -- III.--Ch. 7, 8, 9, 11, 13, 14, 40, 52. + +Pour les esprits querelleurs et opiniâtres. + + Livre I.--Ch. 9. + -- III.--Ch. 13, 32, 44. + +Pour les Personnes impatientes. + + Livre III.--Ch. 15, 16, 17, 18, 19. + (Parag. 5 du Chap. XIX. Prière pour demander la patience). + +Pour les Désobéissants. + + Livre I.--Ch. 9. + -- III.--Ch. 13, 32. + +Pour les Personnes causeuses. + + Livre I.--Ch. 10. + -- III.--Ch. 24, 44, 45. + +Pour ceux qui s'occupent des défauts des autres et négligent +les leurs. + + Livre I.--Ch. 11, 14, 16. + -- II.--Ch. 5. + +Pour les Personnes qui ont une dévotion fausse ou mal entendue. + + Livre III.--Ch. 4, 6, 7. + +Pour inspirer la droiture d'intention. + + Livre III.--Ch. 9. + +Pour les Personnes trop susceptibles. + + Livre III.--Ch. 44. + +Pour celles qui s'attachent trop aux douceurs de l'amitié humaine. + + Livre I.--Ch. 8, 10. + -- II.--Ch. 7, 8. + -- III.--Ch. 32, 42, 45. + +Pour celles qui se scandalisent de la simplicité ou de l'obscurité +des Livres saints. + + Livre I.--Ch. 5. + +Pour les Personnes portées à la jalousie. + + Livre III.--Ch. 22, 41. + + + + +PRIÈRES + +TIRÉES + +DU LIVRE DE L'IMITATION. + + +Prière avant la lecture spirituelle. + + Livre III.--Ch. II. + +Pour obtenir la grâce de la dévotion. + + Même livre.--Ch. III, parag. 6 et 7. + +Prière pour implorer le secours des Consolations divines. + + Livre III.--Ch. IV, V, parag. 1 et 2. + (Le même avant ou après la Communion.) + +Pour obtenir l'accroissement de l'amour de Dieu en nous. + + Même livre.--Ch. V, parag. 6. + +Sentiments d'anéantissement en la présence de Dieu + + Même livre.--Ch. VIII. + (Avant la Communion.) + +Prière pour une Personne qui vit dans la retraite et la piété. + + Même livre.--Ch. X. + +Sentiments profonds d'humilité. + + Même livre.--Ch. XIV. + (Avant ou après la Communion.) + +Pour demander la résignation à la volonté de Dieu. + + Même livre.--Ch. XV. + (Depuis la deuxième phrase du parag. 2, jusqu'à la fin, et partie du + premier.) + +Sentiments de Résignation. + + Même livre.--Ch. XVI, à la fin; XVII, parag. 2 et 4; XVIII, parag. 2. + +Pour demander la Patience. + + Même livre.--Ch. XIX, parag. 5. + +Prière pour une Personne affligée ou tentée. + + Même livre.--Ch. XX, XXI, parag. 1, 2, 3, 4, 5. + +Même prière pour celles qui se sentent remplies de l'amour de Dieu. + + (La dire encore avant et après la Communion.) + +Acte de remercîment. + + Livre III.--Ch. XXI, parag. 7. + (Après la Communion.) + +Prière propre aux personnes qui croiraient avoir moins reçu de Dieu que +les autres, soit pour le corps, soit pour l'âme. + + Même livre.--Ch. XXII. + +Pour demander la pureté de l'esprit et le détachement des créatures. + + Même livre.--Ch. XXIII, parag. 5, jusqu'à la fin. + +Prière d'une personne qui commence sa conversion. + + Même livre.--Ch. XXVI. + +(La même, pour une personne qui désire avancer dans la vertu.) + +Prière pour demander l'esprit de force et de sagesse. + + Même livre.--Ch. XXVII, parag. 4 et 5. + +Prière propre aux personnes qui éprouvent une vive affliction. + + Même livre.--Ch. XXIX. + +Prière après la Communion. + + Même livre.--Ch. XXXIV. + (La même pour s'exciter à l'amour de Dieu.) + +Sentiments d'abandon à la divine Providence. + + Même Livre.--Ch. XXXIX, parag. 2. + +Sentiments d'humilité. + + Livre III.--Ch. XL. + (Avant ou après la Communion.) + +Prière quand on a reçu quelque grâce de Dieu. + + Même livre.--Même chapitre. + (Avant ou après la Communion.) + +Sentiments de résignation. + + Même livre.--Ch. XLI, parag. 2. + +Sentiments pieux. + + Même livre.--Ch. XLIV, parag. 2. + +Prière d'une personne attaquée par la calomnie. + + Même livre.--Ch. XLVI, parag. 5. + +Prière sur le bonheur du Ciel, qu'on peut dire particulièrement les +jours de Pâques, de l'Ascension et de la Toussaint. + + Même livre.--Ch. XLVIII. + (Avant ou après la Communion.) + +Sentiment d'humilité et de contrition. + + Même livre.--Ch. LII. + (Avant la Communion.) + +Prière pour demander les secours de la grâce. + + Même livre.--Ch. LV. + +Prière pour les Prêtres, Religieux et Religieuses, pour demander la +persévérance dans leur vocation. + + Même livre.--Ch. LVI, parag. 3, 5, 6. + +Sentiment de confiance en Dieu. + + Même livre.--Ch. LVII, parag. 4. + +Prière pour toute personne pieuse et chrétienne. + + Livre III.--Ch. LIX. + (Après la Communion.) + (On peut s'en servir aussi pour terminer une retraite.) + +Prière devant le Très-Saint Sacrement. + + Livre IV.--Ch. I, II, III, IV, IX, XI, jusqu'au paragraphe 6; XIII, + XIV, XVI, XVII, et partie des prières ci-dessus. + +Élévations sur la dignité des Prêtres et la sainteté de leur ministère. + + Même livre.--Ch. V. + +Pour les Prêtres et les Séminaristes. + + Même livre.--Ch. XI, parag. 6, 7 et 8. + + + + +LECTURES + +POUR LA SAINTE COMMUNION. + + +(Il est bon de faire précéder la réception de la sainte Communion d'une +retraite de trois jours, à l'exemple de plusieurs Saints.) + +PREMIER JOUR. + +Esprit de retraite. + +LE MATIN. + + Livre III.--Ch. 53. + +À MIDI. + + Livre I.--Ch. 20. + +LE SOIR. + + Livre I.--Ch. 21. + + +DEUXIÈME JOUR. + +LE MATIN. + + Livre I.--Ch. 22. Misères de la vie. + Ch. 23. La Mort. + +À MIDI. + + Livre I.--Ch. 24. Le Jugement et l'Enfer. + -- III.--Ch. 14. + +LE SOIR. + + Livre III.--Ch. 48. Le CIEL. + --Ch. 59. _Conclusion._ + + +TROISIÈME JOUR. + +LE MATIN. + +_Préparation et exercice d'humilité._ + + Livre IV.--Ch. 6. Prière pour obtenir la grâce de s'approcher + saintement des Sacrements. + Ch. 7. Examen de Conscience, Contrition, ferme Propos, + Confession et Satisfaction. + +(Lire ensuite à genoux le 8e chap. du liv. III.) + +À MIDI. + + Livre IV.--Ch. 18. Foi soumise au mystère de l'Eucharistie. + Ch. 10. Avantage de la fréquente Communion. + +(Ne pas lire la 2e partie du parag. 7 jusqu'à la fin.--Lire à genoux le +52e chap. du liv. III.) + +LE SOIR. + + Livre IV.--Ch. 12. Préparation à la sainte Communion. + Ch. 15. Dévotion fondée sur l'humilité et le renoncement + à soi-même. + Ch. 9. S'offrir à Dieu dans la Communion. + +(Lire à genoux le 40e chap. du liv. III.) + + +POUR LE JOUR + +OÙ L'ON COMMUNIE. + +LE MATIN. + +LIVRE IV.--CH. 1, 2, 3, 4. + +AVANT ET PENDANT LA MESSE. + +LIVRE IV.--CH. 9, 16 et 17. + +(Après le _Pater_, fermer son livre, dire par coeur les Actes avant la +Communion, ou bien l'Acte de contrition, ceux des trois Vertus +théologales et les trois Oraisons qui suivent l'_Agnus Dei_; rester +ensuite en adoration.) + +(Après la sainte Communion, rester en adoration jusqu'à la fin de la +Messe; dire par coeur les Actes après la Communion.) + +APRÈS LA MESSE. + +LIVRE IV.--CH. 11, 13 et 14. + +(Ne pas lire les parag. 6, 7 et 8.--Réciter les cantiques _Benedictus_, +_Magnificat_, _Nunc dimittis_, et le _Te Deum_, soit à l'église, soit en +rentrant chez soi.) + +DANS LA JOURNÉE ET LE SOIR. + +LIVRE III.--CH. 21, 34, 48. + +(Répéter ensuite le 9e chap. du IVe livre, et choisir à volonté une +lecture dans les prières ci-dessus indiquées, page 467 et suiv.) + + +PRATIQUE DE PERSÉVÉRANCE + +APRÈS LA SAINTE COMMUNION. + +PREMIER JOUR. + +Remercier Notre-Seigneur Jésus-Christ, et s'exciter à son amour. + + Livre III.--Ch. 5, 7, 8, 10. + +DEUXIÈME JOUR. + +Écouter la voix de Jésus-Christ parlant à l'âme qui l'a reçu. + + Livre II.--Ch. 1. + Livre III.--Ch. 1, 2, 3. + +TROISIÈME JOUR. + +Se détacher des créatures. + + Livre III.--Ch. 26, 31, 42, 45. + +QUATRIÈME JOUR. + +Se détacher de soi-même, et s'abandonner à Dieu. + + Livre III.--Ch. 15, 17, 27, 37. + +CINQUIÈME JOUR. + +Souffrir avec patience en union aux souffrances de Jésus-Christ. + + Livre II.--Ch. 12. + Livre III.--Ch. 16, 18, 19. + +SIXIÈME JOUR. + +Persévérer dans sa ferveur dans les bonnes résolutions qu'on a prises en +communiant. + + Livre I.--Ch. 19, 25. + Livre III.--Ch. 23, 55. + +(Si on ne peut pas lire les quatre chapitres, il faudra de préférence +lire le premier et le dernier de chaque jour. On peut aussi en lire deux +le matin et deux le soir.) + + +FIN + + +Imp. BAILLY, DIVRY et Cie, place Sorbonne, 2. + + + + + +End of the Project Gutenberg EBook of L'imitation de Jésus-Christ, by Various + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57824 *** diff --git a/57824-8.txt b/57824-8.txt deleted file mode 100644 index ade0acf..0000000 --- a/57824-8.txt +++ /dev/null @@ -1,16455 +0,0 @@ -The Project Gutenberg EBook of L'imitation de Jsus-Christ, by Various - -This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most -other parts of the world at no cost and with almost no restrictions -whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of -the Project Gutenberg License included with this eBook or online at -www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - -Title: L'imitation de Jsus-Christ - Traduction nouvelle avec des rflexions la fin de chaque chapitre - -Author: Various - -Translator: Flicit de Lamennais - -Release Date: September 1, 2018 [EBook #57824] - -Language: French - -Character set encoding: ISO-8859-1 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'IMITATION DE JSUS-CHRIST *** - - - - -Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed -Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was -produced from scanned images of public domain material -from the Google Books project.) - - - - - - - - - - -L'IMITATION - -DE - -JSUS-CHRIST, - -TRADUCTION NOUVELLE - -AVEC DES - -RFLEXIONS LA FIN DE CHAQUE CHAPITRE, - -PAR M. L'ABB - -F. DE LAMENNAIS; - -Suivie de la Messe tire de Fnelon et des Vpres du Dimanche. - -XLIIIe dition. - -PARIS. - -ANCIENNE MAISON SAGNIER ET BRAY. - -AMBROISE BRAY, LIBRAIRE-DITEUR, - -RUE DES SAINTS-PRES, 66. - -1859 - - - - -Ouvrages du mme Auteur: - - - - L'IMITATION DE JSUS-CHRIST, traduction nouvelle, avec des rflexions - la fin de chaque chapitre; suivie de la MESSE tire de Fnelon et - des Vpres du Dimanche. 1 vol. in-32 diamant. 2 fr. - - --MME OUVRAGE, in-32 raisin, papier vlin glac. 2 fr. 50 - - --_Idem_, in-18, papier ordinaire. 2 fr. 50 - - --_Idem_, grand in-18, papier vlin glac. 3 fr. 50 - - --_Idem_, grand in-8, papier Jsus vlin glac, orn de 4 - magnifiques gravures sur acier. 12 fr. - - - JOURNE DU CHRTIEN, ou moyen de se sanctifier au milieu du monde. - 1 vol. in-32. 2 fr. - - --MME OUVRAGE, grand in-32, papier vlin glac. 3 fr. - - --_Idem_, in-18, papier ordinaire. 2 fr. 50 - - --_Idem_, grand in-18, papier vlin glac. 3 fr. 50 - - - LE GUIDE DE LA JEUNESSE. 1 vol. in-18. 1 fr. - - --MME OUVRAGE, gr. in-18, pap. vl. gl. 1 fr. 50 - - SOMMAIRE: Dangers du monde dans le premier ge.--De la vraie fin de - l'homme.--De la fidlit aux devoirs.--De la confession.--De la - communion.--De la dvotion la sainte Vierge, aux saints Patrons et - aux Saints Anges.--Messe, Vpres du Dimanche. - - - GUIDE SPIRITUEL, ou le _Miroir des mes religieuses_, par le V. LOUIS - DE BLOIS; traduit du latin et prcd d'une Introduction. Ouvrage - suivi des _Maximes spirituelles_ de saint Jean-de-la-Croix. 1 vol. - in-30. 80 c. - - - - -[Illustration] - -H. Lazerges del. A. Leroy sc. - -LAISSEZ L CE MISRABLE MONDE, ET VOTRE COEUR TROUVERA LE REPOS. - -Imit. Livre II. - - - - -AVERTISSEMENT DES DITEURS. - - -Les personnes qui recherchent avec une prfrence fonde sur le mrite -incontestable de la traduction et surtout des Rflexions, l'_Imitation -de Jsus-Christ_ de M. l'abb de Lamennais, sont induites en erreur, -lorsqu'on leur prsente comme enrichie de ces Rflexions la traduction -qui a paru sous le nom de M. de Genoude. Ce qui a pu accrditer cette -erreur, c'est que M. de Lamennais a donn en effet des Rflexions pour -quatre ou cinq chapitres de cette traduction, lorsqu'elle a t publie -par les diteurs de la _Bibliothque des Dames chrtiennes_. - - - - -PRFACE. - -Dcembre 1824. - - -On ne connat point l'auteur de l'_Imitation_. Les uns l'attribuent -Thomas A-Kempis, les autres l'abb Gersen: et cette diversit -d'opinions a t la source de longues controverses, selon nous assez -inutiles. Mais il n'est point d'objet frivole pour la curiosit humaine. -On a fait des recherches immenses pour dcouvrir le nom d'un pauvre -solitaire du treizime sicle. Qu'est-il rsult de tant de travaux? Le -solitaire est demeur inconnu, et l'heureuse obscurit o s'coula sa -vie a protg son humilit contre notre vaine science. - -Au reste, si l'on se divise sur l'auteur, tout le monde est d'accord sur -l'ouvrage, _le plus beau_, dit Fontenelle, _qui soit parti de la main -des hommes, puisque l'vangile n'en vient pas_. Il y a, en effet, -quelque chose de cleste dans la simplicit de ce livre prodigieux. On -croirait presque qu'un de ces purs esprits qui voient Dieu face face -soit venu nous expliquer sa parole, et nous rvler ses secrets. On est -mu profondment l'aspect de cette douce lumire, qui nourrit l'me et -la fortifie, et l'chauffe sans la troubler. C'est ainsi qu'aprs avoir -entendu Jsus-Christ lui-mme, les disciples d'Emmas se disaient l'un -l'autre: _Notre coeur n'tait-il pas tout brlant au dedans de nous, -lorsqu'il nous parlait dans le chemin, et nous ouvrait les -critures[1]?_ - - [1] Luc., XXIV, 32. - -On a dit que l'_Imitation_ tait le livre des parfaits: elle ne laisse -pas nanmoins d'tre utile ceux qui commencent. Nulle part on ne -trouvera une plus profonde connaissance de l'homme, de ses -contradictions, de ses faiblesses, des plus secrets mouvements de son -coeur. Mais l'auteur ne se borne pas nous montrer nos misres; il en -indique le remde, il nous le fait goter; et c'est un des caractres -qui distinguent les crivains asctiques des simples moralistes. Ceux-ci -ne savent gure que sonder la plaie de notre nature; ils nous effraient -de nous-mmes, et affaiblissent l'esprance de tout ce qu'ils tent -l'orgueil. Ceux-l, au contraire, ne nous abaissent que pour nous -relever; et, plaant dans le Ciel notre point d'appui, ils nous -apprennent contempler sans dcouragement, du sein mme de notre -impuissance, la perfection infinie o les chrtiens sont appels. - -De l ce calme ravissant, cette paix inexprimable qu'on prouve en -lisant leurs crits avec une foi docile et un humble amour. Il semble -que les bruits de la terre s'teignent autour de nous. Alors, au milieu -d'un grand silence, on n'entend plus qu'une seule voix, qui parle du -sauveur Jsus, et nous attire lui comme par un charme irrsistible. -L'me transporte aspire au moment o se consommera son union avec le -cleste poux. _Et l'esprit et l'pouse disent: Venez. Et que celui qui -coute, dise: Venez. Oui, je viens, je me hte de venir. Ainsi soit-il! -Venez, Seigneur Jsus_[2]. - - [2] Apoc., XXII, 17 et 20. - -Que sont les plaisirs du monde prs de ces joies innarrables de la foi? -Comment peut-on sacrifier le seul vrai bonheur quelques instants -d'ivresse, bientt suivis de longs regrets et d'un amer dgot? Oh! _si -vous connaissiez le don de Dieu, si vous saviez quel est celui qui vous -appelle_[3], qui vous presse de vous donner lui, afin de se donner -lui-mme vous, avec quelle ardeur vous rpondriez aux invitations de -son amour! _Venez donc, et gotez combien le Seigneur est doux_[4]: -venez et vivez. Maintenant vous ne vivez pas, car ce n'est pas vivre que -d'tre spar de celui qui a dit: _Je suis la vrit et la vie_[5]. Mais -quand vous l'aurez connu, quand votre coeur fatigu se sera -dlicieusement repos sur le sien, il ne vous restera que cette parole: -_Mon bien-aim est moi, et moi lui_[6]. _J'ai trouv celui qu'aime -mon me: je l'ai saisi, et ne le laisserai point aller_[7]. - - [3] Joan., IV, 10. - - [4] Ps. XXXIII, 9. - - [5] Joan., XIV, 6. - - [6] Cant., II, 16. - - [7] _Ibid._, III, 4. - -Et vous qui souffrez, vous que le monde afflige, venez aussi, venez -Jsus: il bnira vos larmes, il les essuiera de sa main compatissante. -Son me est toute tendresse et commisration. _Il a port nos -infirmits, et connu nos langueurs_[8]: il sait ce que c'est que -pleurer. - - [8] Is., LIII, 3 et 4. - -L'_Imitation_ ne contient pas seulement des rflexions propres toucher -l'me, elle est encore remplie d'admirables conseils pour toutes les -circonstances de la vie. En quelque position qu'on se trouve, on ne la -lit jamais sans fruit. M. de La Harpe en est un exemple frappant; -coutons-le parler lui-mme. - -J'tais dans ma prison, seul, dans une petite chambre, et profondment -triste. Depuis quelques jours j'avais lu les Psaumes, l'vangile et -quelques bons livres. Leur effet avait t rapide, quoique gradu. Dj -j'tais rendu la foi; je voyais une lumire nouvelle; mais elle -m'pouvantait et me consternait, en me montrant un abme, celui de -quarante annes d'garement. Je voyais tout le mal et aucun remde: rien -autour de moi qui m'offrt les secours de la religion. D'un autre ct, -ma vie tait devant mes yeux, telle que je la voyais au flambeau de la -vrit cleste; et de l'autre, la mort, la mort que j'attendais tous les -jours, telle qu'on la recevait alors. Le prtre ne paraissait plus sur -l'chafaud pour consoler celui qui allait mourir; il n'y montait plus -que pour mourir lui-mme. Plein de ces dsolantes ides, mon coeur tait -abattu, et s'adressait tout bas Dieu que je venais de retrouver, et -qu' peine connaissais-je encore. Je lui disais: Que dois-je faire? que -vais-je devenir? J'avais sur une table l'_Imitation_; et l'on m'avait -dit que dans cet excellent livre je trouverais souvent la rponse mes -penses. Je l'ouvre au hasard, et je tombe, en l'ouvrant, sur ces -paroles: _Me voici, mon fils! je viens vous parce que vous m'avez -invoqu_. Je n'en lus pas davantage: l'impression subite que j'prouvais -est au-dessus de toute expression, et il ne m'est pas plus possible de -la rendre que de l'oublier. Je tombai la face contre terre, baign de -larmes, touff de sanglots, jetant des cris et des paroles -entrecoupes. Je sentais mon coeur soulag et dilat, mais en mme temps -comme prt se fendre. Assailli d'une foule d'ides et de sentiments, -je pleurai assez longtemps, sans qu'il me reste d'ailleurs d'autre -souvenir de cette situation, si ce n'est que c'est, sans aucune -comparaison, ce que mon coeur a jamais senti de plus violent et de plus -dlicieux; et que ces mots, _Me voici, mon fils!_ ne cessaient de -retentir dans mon me, et d'en branler puissamment toutes les -facults. - -Que de grces caches renferme un livre dont un seul passage, aussi -court que simple, a pu toucher de la sorte une me longtemps endurcie -par l'orgueil philosophique! Qu'on ne s'y trompe pas cependant: pour -produire ces vives et soudaines impressions, et mme un effet vraiment -salutaire, l'_Imitation_ demande un Coeur prpar. On peut, jusqu' un -certain point, en sentir le charme, on peut l'admirer, sans qu'il -rsulte de cette strile admiration aucun changement dans la volont ni -dans la conduite. Rien n'est utile pour le salut que ce qui repose sur -l'humilit. Si vous n'tes pas humble, ou si, au moins, vous ne dsirez -pas le devenir, la parole de Dieu tombera sur votre me comme la rose -sur un sable aride. Ne croire que soi et n'aimer que soi est le -caractre de l'orgueil. Or, priv de foi et d'amour, de quel bien -l'homme est-il capable? quoi lui peuvent servir les instructions les -plus solides, les plus pressantes exhortations? Tout se perd dans le -vide de son me, ou se brise contre sa duret. Humilions-nous, et la foi -et l'amour nous seront donns: humilions-nous, et le salut sera le prix -de la victoire que nous remporterons sur l'orgueil. Quand le Sauveur -voulut montrer, pour ainsi dire, aux yeux de ses disciples la voie du -Ciel, que fit-il? _Jsus appelant un petit enfant, le plaa au milieu -d'eux, et dit: En vrit, je vous le dis, si vous ne vous convertissez -et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez point dans le -royaume des Cieux_[9]. - - [9] Matth., XVIII, 2 et 3. - - * * * * * - -_P. S._ On a cru qu'il serait utile de placer la fin des chapitres de -l'_Imitation_ quelques _Rflexions_ qui en fussent comme le rsum. -Elles tiendront lieu des pratiques du P. GONNELIEU. Ces pratiques, qui -furent crites dans un sicle o il y avait encore de la foi dans les -coeurs et de la simplicit dans les esprits, semblent tre devenues -insuffisantes dans des temps malheureux o le _raisonnement_ a tout -attaqu et tout corrompu. On s'est nanmoins efforc d'atteindre, par -des moyens diffrents, le mme but que s'tait propos ce pieux -crivain, en fixant l'attention sur les principaux prceptes ou sur les -plus importants conseils contenus dans chaque chapitre. - -Nous finirons par un mot sur les principales traductions, faites dans -notre langue, du livre de l'_Imitation_. - -La plus ancienne de celles qui mritent d'tre cites a pour auteur le -chancelier de Marillac, et fut publie en 1621. Cette traduction, qui se -rapproche plus qu'aucune autre du texte original, a, dans son vieux -langage, beaucoup de grce et de navet: il est remarquable qu'elle n'a -t que rarement imite par les traducteurs qui sont venus aprs. - -En 1662 parut celle de M. Le Maistre de Saci: elle eut un grand succs. -Toutefois ce n'est le plus souvent qu'une paraphrase lgante du texte. -Le P. Lallemant, qui publia la sienne en 1740[10], et M. Beauze, dont -la traduction fut imprime en 1788, vitrent ce dfaut, mais laissrent -encore beaucoup dsirer. Beauze, correct, quelquefois mme lgant, -manque de chaleur et d'onction; le P. Lallemant, avec plus de prcision -que Saci et moins de scheresse que Beauze, est loin cependant d'avoir -fidlement rendu le tour anim et plein de sentiment, l'expression -souvent si hardie et si pittoresque de l'original. Du reste, l'un et -l'autre s'emparrent, sans scrupule, de tout ce qu'ils jugrent bien -traduit par leurs devanciers. - - [10] Il avait alors quatre-vingts ans. - -La traduction de Saci a t depuis revue et corrige par l'abb de La -Hogue, qui l'a fort amliore, sans avoir cependant rien chang au -systme de paraphrase adopt par ce traducteur. - -Il nous reste parler de la traduction qui, depuis un sicle, a t le -plus souvent rimprime, et qui, sous le nom du P. Gonnelieu, auteur des -pratiques et des prires dont elle est constamment accompagne, passe -pour la plus parfaite de toutes. _Habent sua fata libelli_; ce singulier -jugement que rpte, peu prs dans les mmes termes, chaque nouvel -diteur de cette traduction, l'a rendue, en quelque sorte, l'objet d'un -respect religieux, qu'il semble bien hardi de vouloir essayer de -dtruire. La vrit est cependant que le P. Gonnelieu n'a jamais traduit -l'_Imitation_; que cette traduction, depuis si longtemps honore d'une -si grande faveur, est d'un libraire de Paris, nomm Jean Cusson, qui la -fit paratre pour la premire fois en 1673; et que, bien qu'elle ait t -retouche et corrige par J.-B. Cusson, son fils, qui la publia de -nouveau en 1712[11], y joignant alors, pour la premire fois, les -pratiques du P. Gonnelieu, elle n'est en effet qu'une continuelle et -faible copie de celle de Saci, et, notre avis, la plus mdiocre de -toutes les traductions que nous venons de citer[12]. - - [11] Ces documents bibliographiques ont t puiss dans une - dissertation trs-savante et trs-bien faite sur soixante - traductions franaises de l'_Imitation_, publie en 1812 par M. A. - A. Barbier, bibliothcaire du Roi. - - [12] Tous les traducteurs de l'_Imitation_ n'ont cess de se copier - les uns les autres; et Saci est celui auquel on a le plus - frquemment emprunt. (_Voy._ la dissertation dj cite.) Du reste, - tel est le dsordre qui rgne dans les rimpressions continuelles - que l'on fait de ce livre, que ces pratiques du P. Gonnelieu se - trouvent, dans plusieurs ditions, la suite des traductions de - Beauze, de Lallemant, etc.; et nanmoins, dans l'avertissement de - l'diteur, c'est toujours _l'excellente traduction_ du P. Gonnelieu - que l'on prsente aux lecteurs, cette traduction qui surpasse toutes - les autres _pour la fidlit et l'onction_. - -Quoique M. Genoude, surtout dans les deux premiers livres, les ait -quelquefois corriges heureusement, peut-tre laisse-t-il encore quelque -chose dsirer. Il nous a paru du moins qu'on pouvait, en conservant ce -qu'il y a de bon dans les traductions anciennes[13], essayer de -reproduire plus fidlement quelques unes des beauts de l'_Imitation_. -En ce genre de travail, venir le dernier est un avantage: heureux si -nous avons su en profiter pour le bien des mes, et si nous pouvons -ainsi avoir quelque petite part dans les fruits abondants que produit -tous les jours ce saint livre! - - [13] Le P. Lallemant justifie cette manire de traduire l'_Imitation_ - par une rflexion pleine de sens: Il y a, dit-il la fin de sa - prface, dans l'_Imitation_, un nombre d'expressions si simples, - qu'il n'est pas possible de les rendre bien en deux faons. On ne - doit donc pas tre surpris de trouver en cette traduction plusieurs - versets exprims de la mme manire que dans les ditions - prcdentes. Il ne serait point juste de vouloir obliger un auteur - de traduire moins bien un texte, pour s'loigner de ceux qui ont - saisi la seule bonne manire de le traduire. - - - - -L'IMITATION - -DE - -JSUS-CHRIST. - - - - -LIVRE PREMIER. - -AVIS UTILES POUR ENTRER DANS LA VIE INTRIEURE. - - - - -CHAPITRE PREMIER. - -Qu'il faut imiter JSUS-CHRIST, et mpriser toutes les vanits du monde. - - -1. _Celui qui me suit, ne marche point dans les tnbres_, dit le -Seigneur[14]. Ce sont les paroles de Jsus-Christ, par lesquelles il -nous exhorte imiter sa conduite et sa vie, si nous voulons tre -vraiment clairs et dlivrs de tout aveuglement du coeur. - - [14] Joan., VIII, 12. - -Que notre principale tude soit donc de mditer la vie de Jsus-Christ. - -2. La doctrine de Jsus-Christ surpasse toute doctrine des Saints; et -qui possderait son esprit, y trouverait la manne cache. - -Mais il arrive que plusieurs, force d'entendre l'vangile n'en sont -que peu touchs, parce qu'ils n'ont point l'esprit de Jsus-Christ. - -Voulez-vous comprendre parfaitement et goter les paroles de -Jsus-Christ: appliquez-vous conformer toute votre vie la sienne. - -3. Que vous sert de raisonner profondment sur la Trinit, si vous -n'tes pas humbles, et que par l vous dplaisiez la Trinit? - -Certes les discours sublimes ne font pas l'homme juste et saint; mais -une vie pure rend cher Dieu. - -J'aime mieux sentir la componction, que d'en savoir la dfinition. - -Quand vous sauriez toute la Bible et toutes les sentences des -philosophes, que vous servirait tout cela, sans la grce et la charit? - -_Vanit des vanits, et tout n'est que vanit_[15], hors aimer Dieu, et -le servir lui seul. - - [15] Eccl., I, 2. - -La souveraine sagesse est de tendre au royaume du Ciel par le mpris du -monde. - -4. Vanit donc, d'amasser des richesses prissables, et d'esprer en -elles. - -Vanit, d'aspirer aux honneurs, et de s'lever ce qu'il y a de plus -haut. - -Vanit, de suivre les dsirs de la chair, et de rechercher ce dont il -faudra bientt tre rigoureusement puni. - -Vanit, de souhaiter une longue vie, et de ne pas se soucier de bien -vivre. - -Vanit, de ne penser qu' la vie prsente, et de ne pas prvoir ce qui -la suivra. - -Vanit, de s'attacher ce qui passe si vite, et de ne se pas hter vers -la joie qui ne finit point. - -5. Rappelez-vous souvent cette parole du Sage: _L'oeil n'est pas -rassasi de ce qu'il voit, ni l'oreille remplie de ce qu'elle -entend_[16]. - - [16] Eccl., I, 8. - -Appliquez-vous donc dtacher votre coeur de l'amour des choses -visibles, pour le porter tout entier vers les invisibles. - -Car ceux qui suivent l'attrait de leurs sens souillent leur me, et -perdent la grce de Dieu. - - -RFLEXION. - - Nous n'avons ici-bas qu'un intrt, celui de notre salut[17], et nul - ne peut tre sauv qu'en Jsus-Christ et par Jsus-Christ[18]; la foi - en sa parole, l'obissance ses commandements, l'imitation de ses - vertus, voil la vie, il n'y en a point d'autre: tout le reste est - vanit, et j'ai vu, dit le Sage, que _l'homme n'a rien de plus de tous - les travaux dont il se consume sous le soleil_[19]: richesses, - plaisirs, grandeurs, qu'est-ce que cela, lorsqu'on jette le corps dans - la fosse, et que l'me s'en va dans son ternit? Pensez-y ds - aujourd'hui, ds ce moment mme, car, demain peut-tre, il ne sera - plus temps. Travaillez pendant que le jour luit: htez-vous d'amasser - un trsor qui ne prisse point[20]: _la nuit vient o l'on ne peut - rien faire_[21]. De striles dsirs ne vous sauveront pas: ce sont des - oeuvres que Dieu veut. Or donc, imitez Jsus, si vous voulez vivre - ternellement avec Jsus. - - [17] Luc., X, 42. - - [18] Act., IV, 12. - - [19] Eccl., I, 3. - - [20] Matth., VI, 20. - - [21] Joan., IX, 4. - - - - -CHAPITRE II. - -Avoir d'humbles sentiments de soi-mme. - - -1. Tout homme dsire naturellement de savoir: mais la science sans la -crainte de Dieu, que vaut-elle? - -Un humble paysan qui sert Dieu, est certainement fort au-dessus du -philosophe superbe qui, se ngligeant lui-mme, considre le cours des -astres. - -Celui qui se connat bien, se mprise, et ne se plat point aux louanges -des hommes. - -Quand j'aurais toute la science du monde, si je n'ai pas la charit, -quoi cela me servirait-il devant Dieu, qui me jugera sur mes oeuvres? - -2. Modrez le dsir trop vif de savoir; on ne trouvera l qu'une grande -dissipation et une grande illusion. - -Les savants sont bien aises de paratre et de passer pour habiles. - -Il y a beaucoup de choses qu'il importe peu ou qu'il n'importe point -l'me de connatre; et celui-l est bien insens qui s'occupe d'autre -chose que de ce qui intresse son salut. - -La multitude des paroles ne rassasie point l'me; mais une vie sainte et -une conscience pure donnent le repos du coeur et une grande confiance -prs de Dieu. - -3. Plus et mieux vous savez, plus vous serez svrement jug, si vous -n'en vivez pas plus saintement. - -Quelque art et quelque science que vous possdiez, n'en tirez donc point -de vanit: craignez plutt cause des lumires qui vous ont t -donnes. - -Si vous croyez beaucoup savoir, et savoir bien, souvenez-vous que c'est -peu de chose prs de ce que vous ignorez. - -_Ne vous levez point en vous-mme_[22]: avouez plutt votre ignorance. - - [22] Rom., XI, 20. - -Comment pouvez-vous songer vous prfrer quelqu'un, tandis qu'il y -en a tant de plus doctes que vous, et de plus instruits en la loi de -Dieu? - -Voulez-vous apprendre et savoir quelque chose qui vous serve? Aimez -vivre inconnu et n'tre compt pour rien. - -4. La science la plus haute et la plus utile est la connaissance exacte -et le mpris de soi-mme. - -Ne rien s'attribuer et penser favorablement des autres, c'est une grande -sagesse et une grande perfection. - -Quand vous verriez votre frre commettre ouvertement une faute, mme une -faute trs-grave, ne pensez pas cependant tre meilleur que lui: car -vous ignorez combien de temps vous persvrerez dans le bien. - -Nous sommes tous fragiles; mais croyez que personne n'est plus fragile -que vous. - - -RFLEXION. - - L'orgueil a perdu l'homme, l'humilit le relve et le rtablit en - grce avec Dieu. Son mrite n'est pas dans ce qu'il sait, mais dans ce - qu'il fait. La science sans les oeuvres ne le justifiera point au - tribunal suprme; elle aggravera plutt son jugement. Ce n'est pas que - la science n'ait ses avantages, puisqu'elle vient de Dieu: mais elle - cache un grand pige et une grande tentation. _Elle enfle_, dit - l'Aptre[23]; elle nourrit la superbe, elle inspire une secrte - prfrence de soi, prfrence criminelle et folle en mme temps, car - la science la plus tendue n'est qu'un autre genre d'ignorance, et la - vraie perfection consiste uniquement dans les dispositions du coeur. - N'oublions jamais que nous ne sommes rien, que nous ne possdons en - propre que le pch, que la justice veut que nous nous abaissions - au-dessous de toutes les cratures, et que, dans le royaume de - Jsus-Christ, _les premiers seront les derniers, et les derniers - seront les premiers_[24]. - - [23] I Cor., VIII, 1. - - [24] Matth., XIX, 30. - - - - -CHAPITRE III. - -De la Doctrine de vrit. - - -1. Heureux celui que la vrit instruit elle-mme, non par des figures -et des paroles qui passent, mais en se montrant telle qu'elle est. - -Notre raison et nos sens voient peu et nous trompent souvent. - - quoi servent ces disputes subtiles sur des choses caches et obscures, -qu'au jugement de Dieu on ne vous reprochera point d'avoir ignores? - -C'est une grande folie de ngliger ce qui est utile et ncessaire, pour -s'appliquer curieusement ce qui nuit. Nous avons des yeux, et nous ne -voyons point. - -2. Que nous importe tout ce qu'on dit sur les genres et sur les espces? - -Celui qui parle le Verbe ternel est dlivr de bien des opinions. - -Tout vient de ce Verbe unique: de lui procde toute parole, _il en est -le principe, et c'est lui qui parle en dedans de nous_[25]. - - [25] Joan., VIII, 25. - -Sans lui nulle intelligence; sans lui nul jugement n'est droit. - -Celui pour qui une seule chose est tout, qui rappelle tout cette -unique chose, et voit tout en elle, ne sera point branl, et son coeur -demeurera dans la paix de Dieu. - - vrit, qui tes Dieu, faites que je sois un avec vous dans un amour -ternel. - -Souvent j'prouve un grand ennui force de lire et d'entendre: en vous -est tout ce que je dsire, tout ce que je veux. - -Que tous les docteurs se taisent: que toutes les cratures soient dans -le silence devant vous: parlez-moi vous seul. - -3. Plus un homme est recueilli en lui-mme, et dgag des choses -extrieures, plus son esprit s'tend et s'lve sans aucun travail, -parce qu'il reoit d'en haut la lumire de l'intelligence. - -Une me pure, simple, ferme dans le bien, n'est jamais dissipe au -milieu mme des plus nombreuses occupations, parce qu'elle fait tout -pour honorer Dieu, et que, tranquille en elle-mme, elle tche de ne se -rechercher en rien. - -Qu'est-ce qui vous fatigue et vous trouble, si ce n'est les affections -immortifies de votre coeur? - -4. L'homme bon et vraiment pieux dispose d'abord au dedans de lui tout -ce qu'il doit faire au dehors: il ne se laisse point entraner, dans ses -actions, au dsir d'une inclination vicieuse: mais il les soumet la -rgle d'une droite raison. - -Qui a un plus rude combat soutenir que celui qui travaille se -vaincre? - -C'est l ce qui devrait nous occuper uniquement: combattre contre -nous-mmes, devenir chaque jour plus forts contre nous, chaque jour -faire quelques progrs dans le bien. - -Toute perfection, dans cette vie, est mle de quelque imperfection; et -nous ne voyons rien qu' travers une certaine obscurit. - -L'humble connaissance de vous-mme est une voie plus sre pour aller -Dieu, que les recherches profondes de la science. - -Ce n'est pas qu'il faille blmer la science, ni la simple connaissance -d'aucune chose: car elle est bonne en soi et dans l'ordre de Dieu; -seulement on doit prfrer toujours une conscience pure et une vie -sainte. - -Mais parce que plusieurs s'occupent davantage de savoir que de bien -vivre, ils s'garent souvent, et ne retirent que peu ou point de fruit -de leur travail. - -5. Oh! s'ils avaient autant d'ardeur pour extirper leurs vices et pour -cultiver la vertu, que pour remuer de vaines questions, on ne verrait -pas tant de maux et de scandales dans le peuple, ni tant de relchement -dans les monastres. - -Certes, au jour du jugement on ne nous demandera point ce que nous avons -lu, mais ce que nous avons fait; ni si nous avons bien parl, mais si -nous avons bien vcu. - -Dites-moi o sont maintenant ces matres et ces docteurs que vous avez -connus, lorsqu'ils vivaient encore, et qu'ils fleurissaient dans leur -science? - -D'autres occupent prsent leurs places, et je ne sais s'ils pensent -seulement eux. - -Ils semblaient, pendant leur vie, tre quelque chose, et maintenant on -n'en parle plus. - -Oh! que la gloire du monde passe vite! Plt Dieu que leur vie et -rpondu leur science! Ils auraient lu alors et tudi avec fruit. - -Qu'il y en a qui se perdent dans le sicle par une vaine science, et par -l'oubli du service de Dieu! - -Et parce qu'ils aiment mieux tre grands que d'tre humbles, ils -s'vanouissent dans leurs penses. - -Celui-l est vraiment grand, qui a une grande charit. - -Celui-l est vraiment grand, qui est petit ses propres yeux, et pour -qui les honneurs du monde ne sont qu'un pur nant. - -Celui-l est vraiment sage, qui, _pour gagner Jsus-Christ, regarde -comme de la boue toutes les choses de la terre_[26]. - - [26] Philipp., III, 8. - -Celui-l possde la vraie science, qui fait la volont de Dieu, et -renonce la sienne. - - -RFLEXION. - - Il y a deux doctrines, mais il n'y a qu'une vrit. Il y a deux - doctrines, l'une de Dieu, immuable comme lui; l'autre de l'homme, - changeante comme lui. La sagesse incre, le Verbe divin rpand la - premire dans les mes prpares la recevoir; et la lumire qu'elle - leur communique est une partie de lui-mme, de la vrit substantielle - et toujours vivante. Offerte tous, elle est donne avec plus - d'abondance l'humble de coeur; et comme elle ne vient pas de lui, - qu'elle peut chaque instant lui tre retire, qu'elle ne dpend en - aucune faon de l'intelligence qu'elle claire, il la possde sans - tre tent de vaine complaisance dans sa possession. La doctrine de - l'homme, au contraire, flatte son orgueil, parce qu'il en est le pre. - Cette ide m'appartient; j'ai dit cela le premier; on ne savait rien - l-dessus avant moi. Esprit superbe, voil ton langage. Mais bientt - on conteste cette puissante raison ce qui fait sa joie; on rit de - ses ides fausses qu'elle a crues vraies, de ses dcouvertes - imaginaires: le lendemain on n'y pense plus, et le temps emporte - jusqu'au nom de l'insens qui ne vcut que pour tre immortel sur la - terre. Jsus, daignez mettre en moi votre vrit sainte et qu'elle - me prserve jamais des garements de mon propre esprit! - - - - -CHAPITRE IV. - -De la Prvoyance dans les actions. - - -1. Il ne faut pas croire toute parole, ni obir tout mouvement -intrieur; mais peser chaque chose selon Dieu, avec prudence et avec une -longue attention. - -Hlas! nous croyons et nous disons plus facilement des autres le mal que -le bien, tant nous sommes faibles! - -Mais les parfaits n'ajoutent pas foi aisment tout ce qu'ils -entendent, parce qu'ils connaissent l'infirmit de l'homme, enclin au -mal et lger dans ses paroles. - -2. C'est une grande sagesse que de ne point agir avec prcipitation, et -de ne pas s'attacher obstinment son propre sens. - -Il est encore de la sagesse de ne pas croire indistinctement tout ce que -les hommes disent; et ce qu'on a entendu ou cru, de ne point aller -aussitt le rapporter aux autres. - -Prenez conseil d'un homme sage et de conscience; et laissez-vous guider -par un autre qui vaille mieux que vous, plutt que de suivre vos propres -penses. - -Une bonne vie rend l'homme sage selon Dieu, et lui donne une grande -exprience. - -Plus on sera humble et soumis Dieu, plus on aura de sagesse et de paix -en toutes choses. - - -RFLEXION. - - Dieu devant tre la dernire fin de nos actions comme de nos dsirs, - il est ncessaire qu'en agissant, nous vitions de nous abandonner aux - mouvements prcipits de la nature, dont le penchant est de tout - rapporter soi. Et comme nul ne se connat lui-mme, et ne peut ds - lors tre son propre guide, la sagesse veut que nous ne hasardions - aucune dmarche de quelque importance avant d'avoir pris conseil, en - esprit de soumission et d'humilit. Cette juste dfiance de soi - prvient les chutes et purifie le coeur. _Le conseil vous gardera_, - dit l'criture, _et vous retirera de la voie mauvaise_[27]. - - [27] Prov., II, 11 et 12. - - - - -CHAPITRE V. - -De la lecture de l'criture sainte. - - -1. Il faut chercher la vrit dans l'criture sainte, et non -l'loquence. - -Toute l'criture doit tre lue dans le mme esprit qui l'a dicte. - -Nous devons y chercher l'utilit, plutt que la dlicatesse du langage. - -Nous devons lire aussi volontiers les livres simples et pieux, que les -livres profonds et sublimes. - -Ne vous prvenez point contre l'auteur; mais, sans vous inquiter s'il a -peu ou beaucoup de science, que le pur amour de la vrit vous porte -le lire. - -Considrez ce qu'on vous dit, sans rechercher qui le dit. - -2. _Les hommes passent; mais la vrit du Seigneur demeure -ternellement_[28]. - - [28] Ps. XXXVIII, 7; CVI, 2. - -Dieu nous parle en diverses manires, et par des personnes -trs-diverses. - -Dans la lecture de l'criture sainte, souvent notre curiosit nous nuit, -voulant examiner et comprendre, lorsqu'il faudrait passer simplement. - -Si vous voulez en retirer du fruit, lisez avec humilit, avec -simplicit, avec foi; et ne cherchez jamais passer pour habile. - -Aimez interroger; coutez en silence les paroles des Saints, et ne -mprisez point les sentences des vieillards; car elles ne sont pas -profres en vain. - - -RFLEXION. - - Qu'est-ce que la raison comprend? presque rien: mais la foi embrasse - l'infini. Celui qui croit est donc bien au-dessus de celui qui - raisonne, et la simplicit du coeur, bien prfrable la science qui - nourrit l'orgueil. C'est le dsir de savoir qui perdit le premier - homme: il cherchait la science, il trouva la mort. Dieu qui nous parle - dans l'criture, n'a pas voulu satisfaire notre vaine curiosit, mais - nous clairer sur nos devoirs, exercer notre foi, purifier et nourrir - notre me par l'amour des vrais biens, qui sont tous renferms en lui. - L'humilit d'esprit est donc la disposition la plus ncessaire pour - lire avec fruit les livres saints, et c'est dj avoir profit - beaucoup que de comprendre combien ils sont au-dessus de notre raison - faible et borne. - - - - -CHAPITRE VI. - -Des Affections drgles. - - -1. Ds que l'homme commence dsirer quelque chose dsordonnment, -aussitt il devient inquiet en lui-mme. - -Le superbe et l'avare n'ont jamais de repos; mais le pauvre et l'humble -d'esprit vivent dans l'abondance de la paix. - -L'homme qui n'est pas encore parfaitement mort lui-mme, est bien vite -tent; et il succombe dans les plus petites choses. - -Celui dont l'esprit est encore infirme, appesanti par la chair, et -inclin vers les choses sensibles, a grande peine se dtacher -entirement des dsirs terrestres. - -C'est pourquoi, lorsqu'il se refuse les satisfaire, souvent il prouve -de la tristesse; et il est dispos l'impatience, quand on lui rsiste. - -2. Que s'il a obtenu ce qu'il convoitait, aussitt le remords de la -conscience pse sur lui, parce qu'il a suivi sa passion, qui ne sert de -rien pour la paix qu'il cherchait. - -C'est en rsistant aux passions, et non en leur cdant, qu'on trouve la -vritable paix du coeur. - -Point de paix donc dans le coeur de l'homme charnel, de l'homme livr -aux choses extrieures: la paix est le partage de l'homme fervent et -spirituel. - - -RFLEXION. - - Un joug pesant accable les enfants d'Adam[29], fatigus sans relche - par les convoitises de la nature corrompue. Succombent-ils, la - tristesse, le trouble, l'amertume, le remords, s'emparent aussitt de - leur me. Superbe encore au fond de l'ignominie, inquiet et las de - moi-mme, dit saint Augustin en racontant les dsordres de sa - jeunesse, je m'en allais loin de vous, mon Dieu! travers des voies - toutes semes de striles douleurs[30]. Il en cote plus l'homme de - cder ses penchants, que de les vaincre; et si le combat contre les - passions est dur, une paix ineffable en est le fruit. Appelons le - Seigneur notre aide dans ce saint combat; n'en craignons point le - travail, il sera court: aujourd'hui, demain; et puis le repos ternel! - - [29] Eccl., XL, 1. - - [30] Conf., lib. II, cap. II. - - - - -CHAPITRE VII. - -Qu'il faut fuir l'orgueil et les vaines esprances. - - -1. Insens celui qui met son esprance dans les hommes ou dans quelque -crature que ce soit. - -N'ayez point de honte de servir les autres, et de paratre pauvre en ce -monde, pour l'amour de Jsus-Christ. - -Ne vous appuyez point sur vous-mme, et ne vous reposez que sur Dieu -seul. - -Faites ce qui est en vous, et Dieu secondera votre bonne volont. - -Ne vous confiez point en votre science, ni dans l'habilet d'aucune -crature; mais plutt dans la grce de Dieu, qui aide les humbles et qui -humilie les prsomptueux. - -2. Ne vous glorifiez point dans les richesses, si vous en avez, ni dans -vos amis parce qu'ils sont puissants, mais en Dieu, qui donne tout, et -qui, par-dessus tout, dsire encore se donner lui-mme. - -Ne vous levez point cause de la force ou de la beaut de votre corps, -qu'une lgre infirmit abat et fltrit. - -N'ayez point de complaisance en vous-mme cause de votre esprit ou de -votre habilet, de peur de dplaire Dieu, de qui vient tout ce que -vous avez reu de bon de la nature. - -3. Ne vous estimez pas meilleur que les autres, de crainte que peut-tre -vous ne soyez pire aux yeux de Dieu, qui sait ce qu'il y a dans l'homme. - -Ne vous enorgueillissez pas de vos bonnes oeuvres, car les jugements de -Dieu sont autres que ceux des hommes, et ce qui plat aux hommes, -souvent lui dplat. - -S'il y a quelque bien en vous, croyez qu'il y en a plus dans les autres, -afin de conserver l'humilit. - -Vous ne hasardez rien vous mettre au-dessous de tous: mais il vous -serait trs-nuisible de vous prfrer un seul. - -L'homme humble jouit d'une paix inaltrable; la colre et l'envie -troublent le coeur du superbe. - - -RFLEXION. - - En considrant la faiblesse de l'homme, la fragilit de sa vie, les - souffrances dont il est assailli de toutes parts, les tnbres de sa - raison, les incertitudes de sa volont _incline au mal ds - l'enfance_[31], on s'tonne qu'un seul mouvement d'orgueil puisse - s'lever dans une crature si misrable; et cependant l'orgueil est le - fond mme de notre nature dgrade. Selon la pense d'un Pre, _il - nous spare de la sagesse; il fait que nous voulons tre nous-mmes - notre bien, comme Dieu lui-mme est son bien_[32]: tant il y a de - folie dans le crime! C'est alors que l'homme se recherche et s'admire - dans tout ce qui le distingue des autres et l'agrandit ses propres - yeux, dans les avantages du corps, de l'esprit, de la naissance, de la - fortune, de la grce mme, abusant ainsi la fois des dons du - crateur et du rdempteur. Oh! que ce dsordre est effrayant et - combien nous devons trembler lorsque nous dcouvrons en nous un - sentiment de vaine complaisance, ou qu'il nous arrive de nous prfrer - l'un de nos frres! Rappelons-nous souvent le pharisien de - l'vangile, sa fausse pit, si contente d'elle-mme et si coupable - devant Dieu, son mpris pour le publicain _qui s'en alla justifi_ - cause de l'humble aveu de sa misre, et disons au fond du coeur avec - celui-ci: _Mon Dieu, ayez piti de moi_ pauvre pcheur[33]! - - [31] Gen., VIII, 21. - - [32] S. Aug. de lib. arbitr., lib. III, cap. XXIV. - - [33] Luc., XVIII, 13. - - - - -CHAPITRE VIII. - -viter la trop grande familiarit. - - -1. _N'ouvrez pas votre coeur tous indistinctement_[34]; mais confiez -ce qui vous touche l'homme sage et craignant Dieu. - - [34] Eccl., VIII, 22. - -Ayez peu de commerce avec les jeunes gens et les personnes du monde. - -Ne flattez point les riches, et ne dsirez point de paratre devant les -grands. - -Recherchez les humbles, les simples, les personnes de pit et de bonnes -moeurs; et ne vous entretenez que de choses difiantes. - -N'ayez de familiarit avec aucune femme; mais recommandez Dieu toutes -celles qui sont vertueuses. - -Ne souhaitez d'tre familier qu'avec Dieu et les Anges, et vitez d'tre -connu des hommes. - -2. Il faut avoir de la charit pour tout le monde; mais la familiarit -ne convient point. - -Il arrive que, sans la connatre, on estime une personne sur sa bonne -rputation: et en se montrant, elle dtruit l'opinion qu'on avait -d'elle. - -Nous nous imaginons quelquefois plaire aux autres par nos assiduits; et -c'est plutt alors que nous commenons leur dplaire par les dfauts -qu'ils dcouvrent en nous. - - -RFLEXION. - - Il faut se prter aux hommes, et ne se donner qu' Dieu. Un commerce - trop troit avec la crature partage l'me et l'affaiblit: elle doit - vivre plus haut. _Notre conversation est dans le ciel_, dit - l'Aptre[35]. - - [35] Philipp., III, 20. - - - - -CHAPITRE IX. - -De l'obissance et du renoncement son propre sens. - - -1. C'est quelque chose de bien grand que de vivre sous un suprieur, -dans l'obissance, et de ne pas dpendre de soi-mme. - -Il est beaucoup plus sr d'obir que de commander. - -Quelques-uns obissent plutt par ncessit que par amour; et ceux-l, -toujours souffrants, sont ports au murmure. Jamais ils ne possderont -la libert d'esprit, moins qu'ils ne se soumettent de tout leur coeur, - cause de Dieu. - -Allez o vous voudrez, vous ne trouverez de repos que dans une humble -soumission la conduite d'un suprieur. Plusieurs, s'imaginant qu'ils -seraient meilleurs en d'autres lieux, ont t tromps par cette ide de -changement. - -2. Il est vrai que chacun aime suivre son propre sens, et a plus -d'inclination pour ceux qui pensent comme lui. - -Mais si Dieu est au milieu de nous, il est quelquefois ncessaire de -renoncer notre sentiment pour le bien de la paix. - -Quel est l'homme si clair, qu'il sache tout parfaitement? - -Ne vous fiez donc pas trop votre sentiment; mais coutez aussi -volontiers celui des autres. - -Si votre sentiment est bon, et qu' cause de Dieu vous l'abandonniez -pour en suivre un autre, vous en retirerez plus d'avantage. - -3. J'ai souvent ou dire qu'il est plus sr d'couter et de recevoir un -conseil, que de le donner. - -Car il peut arriver que le sentiment de chacun soit bon: mais ne vouloir -pas cder aux autres, lorsque l'occasion ou la raison le demande, c'est -la marque d'un esprit superbe et opinitre. - - -RFLEXION. - - _Le Christ s'est rendu obissant jusqu' la mort, et la mort de la - croix_[36]. Qui oserait aprs cela refuser d'obir? Nul ordre dans le - monde, nulle vie que par l'obissance: elle est le lien des hommes - entre eux et avec leur auteur, le fondement de la paix et le principe - de l'harmonie universelle. La famille, la cit, l'glise ou la grande - socit des intelligences, ne subsistent que par elle, et la - perfection la plus haute n'est, pour les cratures, qu'une plus - parfaite obissance, elle seule nous garantit de l'erreur et du pch. - Qu'est-ce que l'erreur? la pense d'un esprit faillible, qui ne - reconnat point de matre et n'obit qu' soi. Qu'est-ce que le pch? - l'acte d'une volont corrompue, qui ne reconnat point de matre et - n'obit qu' soi. Mais qui devrons-nous obir? un homme comme - nous? Non, non, l'homme n'a sur l'homme aucun lgitime empire; son - pouvoir n'est que la force, et quand il commande en son propre nom, il - usurpe insolemment un droit qui ne lui appartient en aucune manire. - Dieu est l'unique monarque, et toute autorit lgitime est un - coulement, une participation de sa puissance ternelle, infinie. - Ainsi, comme l'enseigne l'Aptre, _le pouvoir vient de Dieu_[37], et - il est soumis une rgle divine, aussi bien dans l'ordre temporel que - dans l'ordre religieux; de sorte qu'en obissant au pontife, au - prince, au pre, quiconque est rellement _le ministre de Dieu pour - le bien_[38], c'est Dieu seul qu'on obit. Heureux celui qui - comprend cette cleste doctrine: dlivr de la servitude de l'erreur - et des passions, de la servitude de l'homme, il jouit _de la vraie - libert des enfants de Dieu_[39]. - - [36] Philipp., II, 8. - - [37] Rom., XIII, 1. - - [38] _Ibid._ - - [39] _Ibid._, VIII, 21. - - - - -CHAPITRE X. - -Qu'il faut viter les entretiens inutiles. - - -1. vitez, autant que vous pourrez, le tumulte du monde; car il y a du -danger s'entretenir des choses du sicle, mme avec une intention -pure. - -Bientt la vanit souille l'me, et la captive. - -Je voudrais souvent m'tre t, et ne m'tre point trouv avec des -hommes. - -D'o vient que nous aimons tant parler et converser, lorsque si -rarement il arrive que nous rentrions dans le silence avec une -conscience qui ne soit pas blesse? - -C'est que nous cherchons dans ces entretiens une consolation mutuelle, -et un soulagement pour notre coeur fatigu de penses diverses. - -Nous nous plaisons parler, occuper notre esprit de ce que nous -aimons, de ce que nous souhaitons, de ce qui contrarie nos dsirs. - -2. Mais souvent, hlas! bien vainement: car cette consolation extrieure -n'est pas un mdiocre obstacle la consolation que Dieu donne -intrieurement. - -Il faut donc veiller et prier, afin que le temps ne se passe pas sans -fruit. - -S'il est permis, s'il convient de parler, parlez de ce qui peut difier. - -La mauvaise habitude et le peu de soin de notre avancement, nous -empchent d'observer notre langue. - -Cependant, de pieuses confrences sur les choses spirituelles, entre des -personnes unies selon Dieu et animes d'un mme esprit, servent beaucoup -au progrs dans la perfection. - - -RFLEXION. - - Il est crit que nous rendrons compte, au jour du jugement, mme d'une - parole oiseuse[40]. Ne nous tonnons pas de tant de rigueur: tout est - srieux dans la vie humaine, dont chaque moment peut avoir de si - formidables consquences. Ce temps que vous dissipez en des entretiens - inutiles, vous tait donn pour gagner le ciel. Comparez la fin pour - laquelle vous l'avez reu avec l'usage que vous en faites; et - cependant que savez-vous s'il vous sera seulement accord une heure de - plus? - - [40] Matth., XII, 36. - - - - -CHAPITRE XI. - -Des moyens d'acqurir la paix intrieure, et du soin d'avancer dans la -vertu. - - -1. Nous pourrions jouir d'une grande paix, si nous voulions ne nous -point occuper de ce que disent et de ce que font les autres, et de ce -dont nous ne sommes point chargs. - -Comment peut-il tre longtemps en paix, celui qui s'embarrasse de soins -trangers, qui cherche se rpandre au dehors, et ne se recueille que -peu ou rarement en lui-mme? - -Heureux les simples, parce qu'ils possderont une grande paix! - -2. Comment quelques Saints se sont-ils levs un si haut degr de -vertu et de contemplation? - -C'est qu'ils se sont efforcs de mourir tous les dsirs de la terre, -et qu'ils ont pu ainsi s'unir Dieu par le fond le plus intime de leur -coeur, et s'occuper librement d'eux-mmes. - -Pour nous, nous sommes trop nos passions, et trop inquiets de ce qui -se passe. - -Rarement nous surmontons parfaitement un seul vice; nous n'avons point -d'ardeur pour faire chaque jour quelque progrs, et ainsi nous restons -tides et froids. - -3. Si nous tions tout fait morts nous-mmes, et moins proccups au -dedans de nous, alors nous pourrions aussi goter les choses de Dieu, et -acqurir quelque exprience de la cleste contemplation. - -Le plus grand, l'unique obstacle, c'est qu'asservis nos passions et -nos convoitises, nous ne faisons aucun effort pour entrer dans la voie -parfaite des Saints. - -Et, s'il arrive que nous prouvions quelque lgre adversit, nous nous -laissons aussitt abattre, et nous recourons aux consolations humaines. - -4. Si, tels que des soldats gnreux, nous demeurions fermes dans le -combat, nous verrions certainement le secours de Dieu descendre sur nous -du Ciel. - -Car il est toujours prt aider ceux qui rsistent, et qui esprent en -sa grce; et c'est lui qui nous donne des occasions de combattre, afin -de nous rendre victorieux. - -Si nous plaons uniquement le progrs de la vie chrtienne dans les -observances extrieures, notre dvotion sera de peu de dure. - -Mettons donc la cogne la racine de l'arbre, afin que, dgags des -passions, nous possdions notre me en paix. - -5. Si nous dracinions chaque anne un seul vice, bientt nous serions -parfaits. - -Mais nous sentons souvent au contraire que nous tions meilleurs, et que -notre vie tait plus pure, lorsque nous quittmes le sicle, qu'aprs -plusieurs annes de profession. - -Nous devrions crotre chaque jour en ferveur et en vertu, et maintenant -on compte pour beaucoup d'avoir conserv une partie de sa ferveur. - -Si nous nous faisions d'abord un peu de violence, nous pourrions tout -faire ensuite aisment et avec joie. - -6. Il est dur de renoncer ses habitudes; mais il est plus dur encore -de courber sa propre volont. - -Cependant si vous ne savez pas vous vaincre en des choses lgres, -comment remporterez-vous des victoires plus difficiles? - -Rsistez ds le commencement votre inclination: rompez sans aucun -retard toute habitude mauvaise, de peur que peu peu elle ne vous -engage dans de plus grandes difficults. - -Oh! si vous considriez quelle paix pour vous, quelle joie pour les -autres, en vivant comme vous le devez, vous auriez, je crois, plus -d'ardeur pour votre avancement spirituel. - - -RFLEXION. - - _Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix, non comme le monde la - donne_[41]. Quelle aimable douceur, quel touchant amour dans ces - paroles de Jsus-Christ, et en mme temps quelle instruction profonde. - Tous les hommes souhaitent la paix, mais il y a deux paix, la paix de - Jsus-Christ et la paix du monde. Le monde dit l'ambitieux: Le dsir - des grandeurs te trouble et t'agite, monte, lve-toi. Il dit - l'avare: L'envie des richesses te dvore, amasse, amasse, sans - t'arrter jamais. Il dit au mondain tourment de ses convoitises: - Enivre-toi de tous les plaisirs. Il dit enfin chaque passion: Jouis - et tu auras la paix. Promesse menteuse! Les soucis, la tristesse, - l'inquitude, le dgot, les remords, voil la paix du monde. Jsus - dit: Triomphez de vous-mme, combattez vos dsirs, domptez vos - convoitises, brisez vos passions: et l'me docile ses commandements - repose dans un calme ineffable. Les peines de la vie, les souffrances, - les injustices, les perscutions, rien n'altre sa paix; et cette - cleste paix, _qui surpasse tout sentiment_[42], l'accompagne au - dernier passage, et la suit jusqu'au ciel o se consommera sa - flicit. - - [41] Joan., XIV, 27. - - [42] Philipp., IV, 7. - - - - -CHAPITRE XII. - -De l'avantage de l'adversit. - - -1. Il nous est bon d'avoir quelquefois des peines et des traverses, -parce que souvent elles rappellent l'homme son coeur, et lui font -sentir qu'il est en exil, et qu'il ne doit mettre son esprance en -aucune chose du monde. - -Il nous est bon de souffrir quelquefois des contradictions, et qu'on -pense mal, ou peu favorablement de nous, quelque bonnes que soient nos -actions et nos intentions. Souvent cela sert nous rendre humbles, et -nous prmunir contre la vaine gloire. - -Car nous avons plus d'empressement chercher Dieu, qui voit le fond du -coeur, quand les hommes au dehors nous rabaissent, et pensent mal de -nous. - -2. C'est pourquoi l'homme devrait s'affermir tellement en Dieu, qu'il -n'et pas besoin de chercher tant de consolations humaines. - -Lorsqu'avec une volont droite, l'homme est troubl, tent, afflig de -mauvaises penses, il reconnat alors combien Dieu lui est ncessaire, -et qu'il n'est capable d'aucun bien sans lui. - -Alors il s'attriste, il gmit, il prie, cause des maux qu'il souffre. - -Alors il s'ennuie de vivre plus longtemps, et il souhaite que la mort -arrive, afin que, dlivr de ses liens, il soit avec Jsus-Christ. - -Alors aussi il comprend bien qu'une scurit parfaite, une pleine paix, -ne sont point de ce monde. - - -RFLEXION. - - C'est dans l'adversit que chacun de nous apprend connatre ce qu'il - est rellement. _Celui qui n'a pas t prouv, que sait-il[43]?_ - L'homme qui tout prospre est expos un grand danger; il est bien - craindre que son me s'assoupisse d'un sommeil pesant, et qu' - l'heure du rveil on ne lui dise: _Souvenez-vous que vous avez reu - vos biens sur la terre_[44]. Ici-bas les souffrances sont une grce de - prdilection; elles nous exercent la vertu, elles nous fournissent - de nouvelles occasions de mrite, et nous rendent conformes au Fils de - Dieu, dont il est crit: _Il a fallu que le Christ souffrt, et qu'il - entrt ainsi dans sa gloire_[45]. - - [43] Eccl., XXXIV, 9. - - [44] Luc., XVI, 25. - - [45] Act., XVII, 3. - - - - -CHAPITRE XIII. - -De la rsistance aux tentations. - - -1. Tant que nous vivons ici-bas, nous ne pouvons tre exempts de -tribulations et d'preuves. - -C'est pourquoi il est crit au livre de Job: _La tentation est la vie de -l'homme sur la terre_[46]. - - [46] Job, VII, 1. - -Chacun devrait donc tre toujours en garde contre les tentations qui -l'assigent, et veiller et prier pour ne point laisser lieu aux -surprises du dmon, qui ne dort jamais, et _qui tourne de tous cts, -cherchant quelqu'un pour le dvorer_[47]. - - [47] I. Pet.; Ps. V, 8. - -Il n'est point d'homme si parfait et si saint, qui n'ait quelquefois des -tentations, et nous ne pouvons en tre entirement affranchis. - -2. Mais, quoique importunes et pnibles, elles ne laissent pas d'tre -souvent trs-utiles l'homme, parce qu'elles l'humilient, le purifient -et l'instruisent. - -Tous les Saints ont pass par beaucoup de tentations et de souffrances, -et c'est par cette voie qu'ils ont avanc; mais ceux qui n'ont pu -soutenir ces preuves, Dieu les a rprouvs, et ils ont dfailli dans la -route du salut. - -Il n'y a point d'ordre si saint, ni de lieu si secret, o l'on ne trouve -des peines et des tentations. - -3. L'homme, tant qu'il vit, n'est jamais entirement l'abri des -tentations: car nous en portons le germe en nous, cause de la -concupiscence dans laquelle nous sommes ns. - -L'une succde l'autre; et nous aurons toujours quelque chose -souffrir, parce que nous avons perdu le bien et la flicit primitive. - -Plusieurs cherchent fuir pour n'tre point tents, et ils tombent dans -des tentations plus dangereuses. - -Il ne suffit pas de fuir pour vaincre; mais la patience et la vritable -humilit nous rendent plus forts que tous nos ennemis. - -4. Celui qui, sans arracher la racine du mal, vite seulement les -occasions extrieures, avancera peu: au contraire les tentations -reviennent lui plus promptement et plus violentes. - -Vous vaincrez plus srement peu peu et par une longue patience, aid -du secours de Dieu, que par une rude et inquite opinitret. - -Prenez souvent conseil dans la tentation, et ne traitez point durement -celui qui est tent; mais consolez-le comme vous voudriez qu'on vous -consolt vous-mme. - -5. Le commencement de toutes les tentations est l'inconstance de -l'esprit et le peu de confiance en Dieu. - -Car, comme un vaisseau sans gouvernail est pouss et l par les -flots, ainsi l'homme faible et changeant qui abandonne ses rsolutions -est agit par des tentations diverses. - -_Le feu prouve le fer_[48], et la tentation, l'homme juste. - - [48] Eccl., XXXI, 31. - -Nous ne savons souvent ce que nous pouvons: mais la tentation montre ce -que nous sommes. - -Il faut veiller cependant, surtout au commencement de la tentation; car -on triomphe beaucoup plus facilement de l'ennemi, si on ne le laisse -point pntrer dans l'me, et si on le repousse l'instant mme o il -se prsente pour entrer. - -C'est ce qui a fait dire un ancien: _Arrtez le mal ds son origine, -le remde vient trop tard, quand le mal s'est accru par de longs -dlais_[49]. - - [49] Ovid. - -D'abord une simple pense s'offre l'esprit, puis une vive imagination; -ensuite le plaisir, et le mouvement drgl, et le consentement. Ainsi -peu peu l'ennemi envahit toute l'me, lorsqu'on ne lui rsiste pas ds -le commencement. - -Plus on met de retard et de langueur le repousser, plus on s'affaiblit -chaque jour, et plus l'ennemi devient fort contre nous. - -6. Plusieurs sont affligs de tentations plus violentes au commencement -de leur conversion; d'autres la fin: il y en a qui souffrent presque -toute leur vie. - -Quelques-uns sont tents assez lgrement, selon l'ordre de la sagesse -et de la justice de Dieu, qui connat l'tat des hommes, pse leurs -mrites, et dispose tout pour le salut de ses lus. - -7. C'est pourquoi, quand nous sommes tents, nous ne devons point perdre -l'esprance, mais prier Dieu avec plus de ferveur, afin qu'il daigne -nous secourir dans toutes nos tribulations; car, selon la parole de -l'Aptre, _il nous fera tirer avantage de la tentation mme, de sorte -que nous puissions la surmonter_[50]. - - [50] I. Cor., X, 13. - -_Humilions donc nos mes sous la main de Dieu_[51], dans toutes nos -tentations, dans toutes nos peines, parce qu'il sauvera et relvera les -humbles d'esprit. - - [51] I. Pet. - -8. Dans les tentations et les traverses, on reconnat combien l'homme a -fait de progrs. Le mrite est plus grand, et la vertu parat davantage. - -Il est peu difficile d'tre pieux et fervent, lorsque l'on n'prouve -rien de pnible; mais celui qui se soutient avec patience au temps de -l'adversit, donne l'espoir d'un grand avancement. - -Quelques-uns surmontent les grandes tentations et succombent tous les -jours aux petites, afin qu'humilis d'tre si faibles dans les moindres -occasions, ils ne prsument jamais d'eux-mmes dans les grandes. - - -RFLEXION. - - Nul homme n'est exempt de tentations. Elles nous purifient, nous - prouvent, nous instruisent, nous humilient. Ce n'est pas seulement - par la fuite ou par une rsistance violente qu'on en triomphe, mais - par une patience tranquille et un confiant abandon entre les mains de - Dieu. Veillons cependant, selon le prcepte de Jsus-Christ, _Veillons - et prions_[52]. On surmonte aisment la tentation naissante; mais si - on la laisse crotre et se fortifier, on porte, en succombant, la - peine de sa ngligence ou de sa prsomption. Voulez-vous rellement - vaincre? Repoussez l'ennemi ds la premire attaque. Voulez-vous - retirer du combat l'avantage en vue duquel Dieu permet que nous soyons - tents? Reconnaissez votre misre, votre faiblesse, votre impuissance; - et humiliez-vous de plus en plus. L'humilit est le fondement de notre - sret, de notre paix et de toute perfection. - - [52] Marc., XIV, 38. - - - - -CHAPITRE XIV. - -viter les jugements tmraires, et ne se point rechercher soi-mme. - - -1. Tournez les yeux sur vous-mme, et gardez-vous de juger les actions -des autres. - -En jugeant les autres, l'homme se fatigue vainement: il se trompe le -plus souvent, et commet beaucoup de fautes; mais en s'examinant et se -jugeant lui-mme, il travaille toujours avec fruit. - -D'ordinaire nous jugeons des choses selon l'inclination de notre coeur, -car l'amour-propre altre aisment en nous la droiture du jugement. - -Si nous n'avions jamais en vue que Dieu seul, nous serions moins -troubls quand on rsiste notre sentiment. - -2. Mais souvent il y a quelque chose hors de nous, ou de cach en nous, -qui nous entrane. - -Plusieurs se recherchent secrtement eux-mmes dans ce qu'ils font, et -ils l'ignorent. - -Ils semblent affermis dans la paix, lorsque tout va selon leurs dsirs; -mais prouvent-ils des contradictions, aussitt ils s'meuvent, et -tombent dans la tristesse. - -La diversit des opinions produit souvent des dissensions entre les -amis, entre les citoyens, et mme entre les religieux et les personnes -dvotes. - -3. On quitte difficilement une vieille habitude; et nul ne se laisse -volontiers conduire au-del de ce qu'il voit. - -Si vous vous appuyez sur votre esprit et sur votre pntration, plus que -sur la soumission dont Jsus-Christ nous a donn l'exemple, vous serez -trs-peu et trs-tard clair dans la vie spirituelle: car Dieu veut que -nous lui soyons parfaitement soumis, et que nous nous levions au-dessus -de toute raison par un ardent amour. - - -RFLEXION. - - Il y a en nous une secrte malice qui se complat dcouvrir les - imperfections de nos frres: et voil pourquoi nous sommes si prompts - les juger, oubliant qu' Dieu seul appartient le jugement des - coeurs. Au lieu de scruter si curieusement la conscience d'autrui, - descendons dans la ntre; nous y trouverons assez de motifs d'tre - indulgents envers le prochain et de troubles pour nous-mme. Vous - n'tes charg que de vous, vous ne rpondrez que de vous; _Ne jugez - donc point, afin que vous ne soyez point jug_[53]. - - [53] Matth., VII, 2. - - - - -CHAPITRE XV. - -Des oeuvres de charit. - - -1. Pour nulle chose au monde, ni pour l'amour d'aucun homme, on ne doit -faire le moindre mal; on peut quelquefois cependant, pour rendre un -service dans le besoin, diffrer une bonne oeuvre, ou lui en substituer -une meilleure: car alors le bien n'est pas dtruit, mais il se change en -un plus grand. - -Aucune oeuvre extrieure ne sert sans la charit; mais tout ce qui se -fait par la charit, quelque petit et quelque vil qu'il soit, produit -des fruits abondants. - -Car Dieu regarde moins l'action qu'au motif qui fait agir. - -2. Celui-l fait beaucoup, qui aime beaucoup. - -Celui-l fait beaucoup, qui fait bien ce qu'il fait; et il fait bien -lorsqu'il subordonne sa volont l'utilit publique. - -Ce qu'on prend pour la charit, souvent n'est que la convoitise; car il -est rare que l'inclination, la volont propre, l'espoir de la -rcompense, ou la vue de quelque avantage particulier, n'influe pas sur -nos actions. - -3. Celui qui possde la charit vritable et parfaite, ne se recherche -en rien; mais son unique dsir est que la gloire de Dieu s'opre en -toute chose. - -Il ne porte envie personne, parce qu'il ne souhaite aucune faveur -particulire, ne met point sa joie en lui-mme, et que, ddaignant tous -les autres biens, il ne cherche qu'en Dieu son bonheur. - -Il n'attribue jamais aucun bien la crature; il les rapporte tous -Dieu de qui ils dcoulent comme de leur source, et dans la jouissance -duquel tous les Saints se reposent jamais comme dans leur fin -dernire. - -Oh! qui aurait une tincelle de la vraie charit, que toutes les choses -de la terre lui paratraient vaines! - - -RFLEXION. - - Presque toutes les actions des hommes partent d'un principe vici, de - cette triple concupiscence dont parle saint Jean[54], et contre - laquelle la vie chrtienne n'est qu'un perptuel combat. L'amour - drgl de soi, si difficile vaincre entirement, corrompt trop - souvent les oeuvres mmes en apparence les plus pures. Que de travaux, - que d'aumnes, que de pnitences, dans lesquelles on se confie - peut-tre, seront striles pour le ciel! Dieu ne se donne qu' ceux - qui l'aiment; il est le prix de la charit, de cet amour innarrable, - sans bornes et sans mesure, qui, tandis que tout le reste passe, - demeure ternellement, dit saint Paul[55]. Amour, qui seul faites les - saints, amour _qui tes Dieu mme_[56], pntrez, possdez, - transformez en vous toutes les puissances de mon me, soyez ma vie, - mon unique vie, et maintenant, et jamais dans les sicles des - sicles. Ainsi soit-il! - - [54] I. Joan., II, 16. - - [55] I. Cor., XIII, 8. - - [56] I. Joan., IV, 16. - - - - -CHAPITRE XVI. - -Qu'il faut supporter les dfauts d'autrui. - - -1. Ce que l'homme ne peut corriger en soi ou dans les autres, il doit le -supporter avec patience, jusqu' ce que Dieu en ordonne autrement. - -Songez qu'il est peut-tre mieux qu'il en soit ainsi, pour vous prouver -par la patience, sans laquelle nos mrites sont peu de chose. - -Vous devez cependant prier Dieu de vous aider vaincre ces obstacles, -ou les supporter avec douceur. - -2. Si quelqu'un, averti une ou deux fois, ne se rend point, ne contestez -point avec lui, mais confiez tout Dieu, qui sait tirer le bien du mal, -afin que sa volont s'accomplisse, et qu'il soit glorifi dans tous ses -serviteurs. - -Appliquez-vous supporter patiemment les dfauts et les infirmits des -autres, quelles qu'elles soient; parce qu'il y a aussi bien des choses -en vous, que les autres ont supporter. - -Si vous ne pouvez vous rendre tel que vous voudriez, comment -pourrez-vous faire que les autres soient selon votre gr? - -Nous aimons que les autres soient exempts de dfauts, et nous ne -corrigeons point les ntres. - -3. Nous voulons qu'on reprenne les autres svrement, et nous ne voulons -pas tre repris nous-mmes. - -Nous sommes choqus qu'on leur laisse une trop grande libert, et nous -ne voulons pas qu'on nous refuse rien. - -Nous voulons qu'on les retienne par des rglements, et nous ne souffrons -pas qu'on nous contraigne en la moindre chose. - -Par l on voit clairement combien il est rare que nous usions de la mme -mesure pour nous et pour les autres. - -Si tous taient parfaits, qu'aurions-nous de leur part souffrir pour -Dieu? - -4. Or Dieu l'a ainsi ordonn, afin que nous apprenions porter le -fardeau les uns des autres: car chacun a son fardeau: personne n'est -sans dfauts, nul ne se suffit soi-mme, nul n'est assez sage pour se -conduire seul; mais il faut nous supporter, nous consoler, nous aider, -nous instruire, nous avertir mutuellement. - -C'est dans l'adversit qu'on voit le mieux ce que chacun a de vertus. - -Car les occasions ne rendent pas l'homme fragile; mais elles montrent ce -qu'il est. - - -RFLEXION. - - Vous ne sauriez, dites-vous, supporter tels et tels dfauts; puissant - motif de vous humilier! Car Dieu, qui est la perfection mme, les - supporte, et de beaucoup plus grands. Ce qui vous rend si susceptible, - ce n'est pas le zle du prochain, mais un amour-propre difficile, - irritable, ombrageux. Tournez vos regards sur vous-mme, et voyez si - vos frres n'ont rien souffrir de vous? La vraie pit est douce et - patiente, parce qu'elle claire sur ce que l'on est. Celui qui se sent - faible, et qui en gmit, ne se choque pas aisment des faiblesses des - autres; il sait que nous avons tous besoin de support, d'indulgence et - de misricorde; il excuse, il compatit, il pardonne, et conserve ainsi - la paix au dedans de soi et au dehors la charit. - - - - -CHAPITRE XVII. - -De la vie religieuse. - - -1. Il faut que vous appreniez vous briser en beaucoup de choses, si -vous voulez conserver la paix et la concorde avec les autres. - -Ce n'est pas peu de chose de vivre dans un monastre ou dans une -congrgation, de n'y tre jamais une occasion de plainte, et d'y -persvrer fidlement jusqu' la mort. - -Heureux celui qui, aprs une vie sainte, y a heureusement consomm sa -course! - -Si vous voulez tre affermi et crotre dans la vertu, regardez-vous -comme exil et comme tranger sur la terre. - -Il faut, pour l'amour de Jsus-Christ, devenir insens selon le monde, -si vous voulez vivre en religieux. - -2. L'habit et la tonsure servent peu: c'est le changement des moeurs et -la mortification entire des passions qui font le vrai religieux. - -Celui qui cherche autre chose que Dieu seul et le salut de son me, ne -trouvera que tribulation et douleur. - -Celui-l ne saurait non plus demeurer longtemps en paix, qui ne -s'efforce point d'tre le dernier de tous, et soumis tous. - -3. Vous tes venu pour servir, et non pour dominer: sachez que vous tes -appel pour souffrir et pour travailler, et non pour discourir dans une -vaine oisivet. - -Ici donc les hommes sont prouvs comme l'or dans la fournaise. - -Ici nul ne peut vivre, s'il ne veut s'humilier de tout son coeur cause -de Dieu. - - -RFLEXION. - - Qu'est-ce qu'un bon religieux? c'est un chrtien toujours occup de - tendre la perfection. La vie religieuse n'est donc qu'une vie, pour - ainsi dire, plus chrtienne; et l'abngation de soi-mme est l'abrg - de tous les devoirs qu'elle impose. Or ces devoirs sont aussi les - ntres, puisque ce n'est pas seulement quelques-uns, mais tous, - que Jsus-Christ a dit: _Soyez parfaits comme votre Pre cleste est - parfait_[57]. Pour remplir cette grande vocation, renonons - nous-mmes; unissons-nous pleinement au sacrifice de notre divin chef; - aimons surtout la dpendance, les humiliations, les mpris. Le salut - est un difice qui ne s'lve que sur les ruines de l'orgueil. - - [57] Matth., V, 48. - - - - -CHAPITRE XVIII. - -De l'exemple des Saints. - - -1. Contemplez les exemples des saints Pres, en qui reluisait la vraie -perfection de la vie religieuse, et vous verrez combien peu est ce que -nous faisons, et presque rien. - -Hlas! qu'est-ce que notre vie compare la leur? - -Les Saints et les amis de Jsus-Christ ont servi Dieu dans la faim et -dans la soif, dans le froid et dans la nudit, dans le travail et dans -la fatigue, dans les veilles et dans les jenes, dans les prires et -dans les saintes mditations, dans une infinit de perscutions et -d'opprobres. - -2. Oh! que de pesantes tribulations ont souffertes les Aptres, les -Martyrs, les Confesseurs, les Vierges, et tous ceux qui ont voulu suivre -les traces de Jsus-Christ! _Ils ont ha leur me en ce monde, pour la -possder dans l'ternit_[58]. - - [58] Joan., XII, 25. - -Oh! quelle vie de renoncement et d'austrits, que celle des Saints dans -le dsert! quelles longues et dures tentations ils ont essuyes! que de -fois ils ont t tourments par l'ennemi! que de frquentes et ferventes -prires ils ont offertes Dieu! Quelles rigoureuses abstinences ils ont -pratiques! quel zle, quelle ardeur pour leur avancement spirituel! -quelle forte guerre contre leurs passions! quelle intention pure et -droite toujours dirige vers Dieu! - -Ils travaillaient pendant le jour, et passaient la nuit en prires; et -mme, durant le travail, ils ne cessaient point de prier en esprit. - -3. Tout leur temps avait un emploi utile. Les heures qu'ils donnaient -Dieu leur semblaient courtes, et ils trouvaient tant de douceur dans la -contemplation, qu'ils en oubliaient les besoins du corps. - -Ils renonaient aux richesses, aux dignits, aux honneurs, leurs amis, - leurs parents: ils ne voulaient rien du monde; ils prenaient peine -ce qui tait ncessaire pour la vie; s'occuper du corps, mme dans la -ncessit, leur tait une affliction. - -Ils taient pauvres des choses de la terre: mais ils taient riches en -grces et en vertus. - -Au dehors tout leur manquait; mais Dieu les fortifiait au dedans par sa -grce et par ses consolations. - -4. Ils taient trangers au monde, mais unis Dieu, et ses amis -familiers. - -Ils se regardaient comme un pur nant, et le monde les mprisait; mais -ils taient chris de Dieu, et prcieux devant lui. - -Ils vivaient dans une sincre humilit, dans une obissance simple, dans -la charit, dans la patience, et devenaient ainsi chaque jour plus -parfaits et plus agrables Dieu. - -Ils ont t donns en exemple tous ceux qui professent la vraie -religion, et ils doivent nous exciter plus avancer dans la perfection, -que la multitude des tides ne nous porte au relchement. - -5. Oh! quelle ferveur en tous les religieux au commencement de leur -sainte institution! quelle ardeur pour la prire! quelle mulation de -vertu! quelle svre discipline! que de soumission, que de respect ils -montraient tous pour la rgle de leur fondateur! - -Ce qui nous reste d'eux atteste encore la saintet et la perfection de -ces hommes qui, en combattant gnreusement, foulrent aux pieds le -monde. - -Aujourd'hui on compte pour beaucoup qu'un religieux ne viole point sa -rgle, et qu'il porte patiemment le joug dont il s'est charg. - - tideur! ngligence de notre tat qui a si vite teint parmi nous -l'ancienne ferveur! Maintenant tout fatigue notre lchet, jusqu' nous -rendre la vie ennuyeuse. - -Plt Dieu qu'aprs avoir vu tant d'exemples d'hommes vraiment pieux, -vous ne laissiez pas entirement s'assoupir en vous le dsir d'avancer -dans la vertu! - - -RFLEXION. - - la vue des exemples admirables que nous ont laisss tant de - disciples fervents de Jsus-Christ, rougissons de notre lchet, et - animons-nous marcher courageusement sur leurs traces. Rptons - souvent ces paroles d'un saint: _Quoi! je ne pourrai pas ce qu'ont pu - tels et tels?_ Et ajoutons avec l'Aptre: _De moi-mme je ne peux - rien; mais je puis tout en celui qui me fortifie_[59]. Toute notre - force consiste sentir notre faiblesse et en connatre le remde - qui est la grce du mdiateur. - - [59] Philipp., IV, 13. - - - - -CHAPITRE XIX. - -Des exercices d'un bon religieux. - - -1. La vie d'un vrai religieux doit tre pleine de toutes les vertus; de -sorte qu'il soit tel intrieurement qu'il parat devant les hommes. - -Et certes il doit tre encore bien plus parfait au dedans qu'il ne le -semble au dehors, parce que Dieu nous regarde, et que nous devons, -partout o nous sommes, le rvrer profondment, et marcher en sa -prsence purs comme les Anges. - -Nous devons chaque jour renouveler notre rsolution, nous exciter la -ferveur, comme si notre conversion commenait aujourd'hui seulement, et -dire: - -Aidez-moi, Seigneur, dans mes saintes rsolutions et dans votre service; -donnez-moi de bien commencer maintenant, car ce que j'ai fait jusqu'ici -n'est rien. - -2. La fermet de notre rsolution est la mesure de notre progrs; et une -grande diligence est ncessaire celui qui veut avancer. Si celui qui -forme les rsolutions les plus fortes se relche souvent, que sera-ce de -celui qui n'en prend que rarement, ou n'en prend que de faibles? - -Toutefois nous abandonnons nos rsolutions de diverses manires, et la -moindre omission dans nos exercices a presque toujours quelque suite -fcheuse. - -Les justes, dans leurs rsolutions, comptent bien plus sur la grce de -Dieu que sur leur propre sagesse; et quelque chose qu'ils entreprennent, -c'est en lui seul qu'ils mettent leur confiance. - -_Car l'homme propose, mais Dieu dispose_[60], _et la voie de l'homme -n'est pas en lui_[61]. - - [60] Prov., XVI, 9. - - [61] Jr., X, 23. - -3. Si nous omettons quelquefois nos exercices ordinaires, par quelque -motif pieux, ou pour l'utilit de nos frres, il nous sera facile -ensuite de rparer cette omission. - -Mais si nous les abandonnons sans sujet, par ennui ou par ngligence, -c'est une faute grave, et qui nous sera funeste. - -Faisons tous nos efforts, et nous tomberons encore aisment en beaucoup -de fautes. - -On doit cependant toujours se proposer quelque chose de fixe, surtout -l'gard de ce qui forme le plus grand obstacle notre avancement. - -Il faut examiner et rgler galement notre intrieur et notre extrieur, -parce que l'un et l'autre servent nos progrs. - -4. Ne pouvez-vous continuellement vous recueillir, recueillez-vous au -moins de temps en temps, au moins une fois le jour, le matin ou le soir. - -Le matin, formez vos rsolutions; le soir, examinez votre conduite, ce -que vous avez t dans vos paroles, vos actions, vos penses: peut-tre -en cela avez-vous souvent offens Dieu et le prochain. - -Tel qu'un soldat plein de courage, armez-vous contre les attaques du -dmon. - -Rprimez l'intemprance, et vous rprimerez plus aisment tous les -autres dsirs de la chair. - -Ne soyez jamais tout fait oisif; mais lisez, ou crivez, ou priez, ou -mditez, ou travaillez quelque chose d'utile la communaut. - -Il ne faut cependant s'appliquer qu'avec discrtion aux exercices du -corps, et ils ne conviennent pas galement tous. - -5. Ce qui sort des pratiques communes ne doit point paratre au dehors: -il est plus sr de remplir en secret ses exercices particuliers. - -Prenez garde cependant de ngliger les exercices communs pour ceux de -votre choix. Mais, aprs avoir accompli fidlement et pleinement les -devoirs prescrits, s'il vous reste du temps, rendez-vous vous-mme, -selon le mouvement de votre dvotion. - -Tous ne sauraient suivre les mmes exercices: l'un convient mieux -celui-ci, l'autre celui-l. - -On aime mme les diversifier selon les temps; il y en a qu'on gote -plus aux jours de ftes, et d'autres aux jours ordinaires. - -Les uns nous sont ncessaires au temps de la tentation, les autres au -temps de la paix et du repos. - -Autres sont les penses qui nous plaisent dans la tristesse, ou quand -nous prouvons de la joie en Dieu. - -6. Il faut, vers l'poque des grandes ftes, renouveler nos pieux -exercices, et implorer avec plus de ferveur les suffrages des Saints. - -Proposons-nous de vivre d'une fte l'autre, comme si nous devions -alors sortir de ce monde, et entrer dans l'ternelle fte. - -Et pour cela prparons-nous avec soin dans ces saints temps, par une vie -plus fervente, par une plus svre observance des rgles, comme devant -bientt recevoir de Dieu le prix de notre travail. - -7. Et si ce moment est diffr, croyons que nous ne sommes pas encore -bien prpars, ni dignes de cette gloire immense qui nous sera -dcouverte en son temps, et redoublons d'efforts pour nous mieux -disposer ce passage. - -_Heureux le serviteur_, dit saint Luc, _que le Seigneur, quand il -viendra, trouvera veillant. Je vous dis, en vrit, qu'il l'tablira sur -tous ses biens_[62]. - - [62] Luc., XII, 37. - - -RFLEXION. - - _La vie de l'homme sur la terre est un combat perptuel_[63] contre le - dmon, contre le monde et contre lui-mme. Les uns se retirent dans le - clotre pour rsister plus aisment, les autres demeurent au milieu du - sicle: mais tous ne peuvent vaincre que par l'exercice d'une - continuelle vigilance. L'habitude du recueillement, l'amour de la - retraite, une attention constante sur ses paroles, ses penses, ses - sentiments, la fidlit aux plus lgers devoirs et aux plus humbles - pratiques, prservent de grandes tentations, et attirent les grces du - Ciel. _Celui qui nglige les petites choses, tombera peu peu_[64], - dit l'Esprit saint. - - [63] Job, VII, 1. - - [64] Eccli., XIX, 1. - - - - -CHAPITRE XX. - -De l'amour de la solitude et du silence. - - -1. Cherchez un temps propre vous occuper de vous-mme; et pensez -souvent aux bienfaits de Dieu. - -Laissez l ce qui ne sert qu' nourrir la curiosit. Lisez plutt ce qui -touche le coeur, que qui amuse l'esprit. - -Retranchez les discours superflus, les courses inutiles; fermez -l'oreille aux vains bruits du monde, et vous trouverez assez de loisir -pour les saintes mditations. - -Les plus grands Saints vitaient, autant qu'il leur tait possible, le -commerce des hommes, et prfraient vivre en secret avec Dieu. - -2. Un ancien a dit: _Toutes les fois que j'ai t dans la compagnie des -hommes, j'en suis revenu moins homme que je n'tais_[65]. - - [65] Senec., p. VII. - -C'est ce que nous prouvons souvent, lorsque nous nous livrons de -longs entretiens. - -Il est plus ais de se taire que de ne point excder dans ses paroles. - -Il est plus ais de se tenir chez soi cach, que de se garder de -soi-mme suffisamment au dehors. - -Celui donc qui aspire la vie intrieure et spirituelle doit se retirer -de la foule avec Jsus. - -Nul ne se montre sans pril, s'il n'aime demeurer cach. - -Nul ne parle avec mesure, s'il ne se tait volontiers. - -Nul n'est en sret dans les premires places, s'il n'aime les -dernires. - -Nul ne commande sans danger, s'il n'a pas appris bien obir. - -3. Nul ne se rjouit avec scurit, s'il ne possde en lui-mme le -tmoignage d'une bonne conscience. - -Cependant la confiance des Saints a toujours t pleine de la crainte de -Dieu: quel que ft l'clat de leurs vertus, quelque abondantes que -fussent leurs grces, ils n'en taient ni moins humbles ni moins -vigilants. - -L'assurance des mchants nat au contraire de l'orgueil et de la -prsomption, et finit par l'aveuglement. - -Ne vous promettez point de sret en cette vie, quoique vous paraissiez -tre un saint religieux ou un pieux solitaire. - -4. Souvent les meilleurs dans l'estime des hommes ont couru les plus -grands dangers, cause de leur trop de confiance. - -Il est donc utile plusieurs de n'tre pas entirement dlivrs des -tentations, et de souffrir des attaques frquentes; de peur que, -tranquilles sur eux-mmes, ils ne s'lvent avec orgueil, ou qu'ils ne -se livrent trop aux consolations du dehors. - -Oh! si l'on ne recherchait jamais les joies qui passent, si jamais l'on -ne s'occupait du monde, qu'on possderait une conscience pure! - -Oh! qui retrancherait toute sollicitude vaine, ne pensant qu'au salut et - Dieu, et plaant en lui toute son esprance, de quelle paix et de quel -repos il jouirait! - -5. Nul n'est digne des consolations clestes, s'il ne s'est exerc -longtemps dans la sainte componction. - -Si vous dsirez la vraie componction du coeur, entrez dans votre -cellule, et bannissez-en le bruit du monde, selon ce qui est crit: -_Mme sur votre couche, que votre coeur soit plein de componction_[66]. - - [66] Ps. IV, 5. - -Vous trouverez dans votre cellule ce que souvent vous perdrez au dehors. - -La cellule qu'on quitte peu devient douce; frquemment dlaisse, elle -engendre l'ennui. - -Si, ds le premier moment o vous sortez du sicle, vous tes fidle -la garder, elle vous deviendra comme une amie chre, et sera votre -consolation la plus douce. - -6. Dans le silence et le repos, l'me pieuse fait de grands progrs, et -pntre ce qu'il y a de cach dans l'criture. - -L, elle trouve la source des larmes dont elle se lave et se purifie -toutes les nuits; et elle s'unit d'autant plus familirement son -Crateur, qu'elle vit plus loigne du tumulte du monde. - -Celui donc qui se spare de ses connaissances et de ses amis, Dieu -s'approchera de lui avec les saints Anges. - -Il vaut mieux tre cach et prendre soin de son me, que de faire des -miracles et de s'oublier soi-mme. - -Il est louable dans un religieux de sortir rarement, et de n'aimer ni -voir les hommes ni tre vu d'eux. - -7. Pourquoi voulez-vous voir ce qu'il ne vous est point permis d'avoir? - -Le monde passe et sa concupiscence. - -Les dsirs des sens entranent et l; mais, l'heure passe, que -rapportez-vous, qu'une conscience pesante et un coeur dissip? - -Parce qu'on est sorti dans la joie, souvent on revient dans la -tristesse; et la veille joyeuse du soir attriste le matin. - -Ainsi toute joie des sens s'insinue avec douceur, mais la fin elle -blesse et tue. - -8. Que pouvez-vous voir ailleurs que vous ne voyiez o vous tes? Voil -le ciel, la terre, les lments: or, c'est d'eux que tout est fait. - -O que vous alliez, que verrez-vous qui soit stable sous le soleil? - -Vous croyez peut-tre vous rassasier; mais vous n'y parviendrez jamais. - -Quand vous verriez toutes choses la fois, que serait-ce qu'une vision -vaine? - -Levez les veux en haut vers Dieu, et priez pour vos pchs et vos -ngligences. - -Laissez aux hommes vains les choses vaines: pour vous, ne vous occupez -que de ce que Dieu vous commande. - -Fermez sur vous votre porte, et appelez vous Jsus votre bien-aim. - -Demeurez avec lui dans votre cellule: car vous ne trouverez nulle part -autant de paix. - -Si vous n'tiez pas sorti, et que vous n'eussiez pas entendu quelque -bruit du monde, vous seriez demeur dans cette douce paix: mais parce -que vous aimez entendre des choses nouvelles, il vous faut supporter -ensuite le trouble du coeur. - - -RFLEXION. - - Que cherchez-vous dans le monde? le bonheur? Il n'y est pas. coutez - ce cri de dtresse, cette plainte lamentable qui s'lve de tous les - points de la terre, et se prolonge de sicle en sicle. C'est la voix - du monde. Qu'y cherchez-vous encore? Des lumires, des secours, des - consolations, pour accomplir en paix votre plerinage? Le monde est - livr l'esprit de tnbres[67], toutes les convoitises qu'il - inspire, tous les crimes et tous les maux dont il est le principe; - et c'est pourquoi le prophte s'criait: _Je me suis loign, j'ai - fui, et j'ai demeur dans la solitude_[68]. L, dans le silence des - cratures, Dieu parle au coeur, et sa parole est si merveilleuse, si - douce et si ravissante, que l'me ne veut plus entendre que lui, - jusqu'au jour o tous les voiles tant dchirs, elle le contemplera - face face[69]. Le christianisme a peupl le dsert de ces mes - choisies, qui, se drobant au monde, et foulant aux pieds ses - plaisirs, ses honneurs, ses trsors, et la chair, et le sang, nous - offrent, dans la puret de leur vie, une image de la vie des anges. - Cependant les Chrtiens ne sont pas tous appels ce sublime tat de - perfection; mais au milieu du bruit et du tumulte de la socit, tous - doivent se crer, au fond de leur coeur, une solitude o ils puissent - se retirer pour converser avec Jsus-Christ, et se recueillir en sa - prsence. C'est ainsi que ramens des penses du temps la pense des - choses ternelles, ils auront dgot celles qui passent, et seront - dans le monde comme n'en tant pas: heureux tat o s'accomplit pour - le fidle ce que dit l'Aptre: _notre vie est cache avec Jsus-Christ - en Dieu_[70]. - - [67] I. Joann., V, 19. - - [68] Ps. LIV, 8. - - [69] I. Cor., XIII, 12. - - [70] Coloss., III, 3. - - - - -CHAPITRE XXI. - -De la componction du coeur. - - -1. Si vous voulez faire quelque progrs, conservez-vous dans la crainte -de Dieu, et ne soyez point trop libre; mais soumettez vos sens une -svre discipline, et ne vous livrez pas aux joies insenses. - -Disposez votre coeur la componction, et vous trouverez la vraie pit. - -La componction produit beaucoup de biens, qu'on perd bientt en -s'abandonnant aux vains mouvements de son coeur. - -Chose trange, qu'un homme en cette vie puisse se reposer pleinement -dans la joie, lorsqu'il considre son exil, et combien de prils est -expose son me! - -2. cause de la lgret de notre coeur et de l'oubli de nos dfauts, -nous ne sentons pas les maux de notre me, et souvent nous rions -vainement quand nous devrions bien plutt pleurer. - -Il n'y a de vraie libert et de joie solide que dans la crainte de Dieu -et la bonne conscience. - -Heureux qui peut loigner tout ce qui le distrait et l'arrte, pour se -recueillir tout entier dans une sainte componction. - -Heureux qui rejette tout ce qui peut souiller sa conscience ou -l'appesantir. - -Combattez gnreusement: on triomphe d'une habitude par une autre -habitude. - -Si vous savez laisser l les hommes, ils vous laisseront bientt faire -ce que vous voudrez. - -3. N'attirez pas vous les affaires d'autrui; et ne vous embarrassez -point dans celles des grands. - -Que votre oeil soit ouvert sur vous d'abord; et avant de reprendre vos -amis, ayez soin de vous reprendre vous-mme. - -Si vous n'avez point la faveur des hommes, ne vous en attristez point; -mais que votre peine soit de ne pas vivre aussi bien et avec autant de -vigilance que le devrait un serviteur de Dieu et un bon religieux. - -Il est souvent plus utile et plus sr de n'avoir pas beaucoup de -consolations en cette vie, et surtout de consolations sensibles. - -Cependant si nous sommes privs des consolations divines, ou si nous ne -les prouvons que rarement, la faute en est nous, parce que nous ne -cherchons point la componction du coeur, et que nous ne rejetons pas -entirement les vaines consolations du dehors. - -4. Reconnaissez que vous tes indigne des consolations clestes, et que -vous mritez plutt de grandes tribulations. - -Quand l'homme est pntr d'une parfaite componction, le monde entier -lui est alors amer et insupportable. - -Le juste trouve toujours assez de sujets de s'affliger et de pleurer. - -Car, en considrant, soit lui-mme, soit les autres, il sait que nul -ici-bas n'est sans tribulation; et plus il se regarde attentivement, -plus profonde est sa douleur. - -Le sujet d'une juste affliction et d'une grande tristesse intrieure, ce -sont nos pchs et nos vices, dans lesquels nous sommes tellement -ensevelis, que rarement pouvons-nous contempler les choses du ciel. - -5. Si vous pensiez plus souvent votre mort qu' la longueur de la vie, -nul doute que vous n'auriez plus d'ardeur pour vous corriger. - -Et si vous rflchissiez srieusement aux peines de l'Enfer et du -Purgatoire, je crois que vous supporteriez volontiers le travail et la -douleur, et que vous ne redouteriez aucune austrit. - -Mais parce que ces vrits ne pntrent point jusqu'au coeur, et que -nous aimons encore ce qui nous flatte, nous demeurons froids et -ngligents. - -6. Souvent c'est langueur de l'me, si notre chair misrable se plaint -si aisment. - -Priez donc humblement le Seigneur qu'il vous donne l'esprit de -componction, et dites avec le Prophte: _Nourrissez-moi, Seigneur, du -pain des larmes; abreuvez-moi du calice des pleurs_[71]. - - [71] Ps. LXXIX, 6. - - -RFLEXION. - - La douleur est le fond de la vie humaine. Souffrances du corps, - maladies de l'me, inquitudes, afflictions, pch, tel est - l'accablant fardeau qu'il nous faut porter, depuis notre naissance - jusqu' la tombe; et cependant, force de travail, l'homme parvient - dcouvrir, au milieu de ses misres, je ne sais quelles joies - insenses dont il s'enivre avidement. Fuyons ces folles joies du - monde: arrtons notre pense sur le chtiment qui les doit suivre, sur - nos fautes si multiplies; et demandons Dieu avec la componction du - coeur, ce repentir plein d'amour, ces heureuses larmes que Jsus a - bnies par ces consolantes paroles: _Beaucoup de pchs vous sont - remis, parce que vous avez beaucoup aim_[72]. - - - [72] Luc., VII, 47. - - - - -CHAPITRE XXII. - -De la considration de la misre humaine. - - -1. En quelque lieu que vous soyez, de quelque ct que vous vous -tourniez, vous serez misrable, si vous ne revenez vers Dieu. - -Pourquoi vous troubler de ce que rien n'arrive comme vous le dsirez et -comme vous le voulez? qui est-ce que tout succde selon sa volont? Ni - vous, ni moi, ni aucun homme sur la terre. - -Nul en ce moment, ft-il roi ou pape, n'est exempt d'angoisses et de -tribulations. - -Qui donc a le meilleur sort? Celui, certes, qui sait souffrir quelque -chose pour Dieu. - -2. Dans leur faiblesse et leur peu de lumires, plusieurs disent: Que -cet homme a une heureuse vie! qu'il est riche, grand, puissant, lev! - -Mais considrez les biens du ciel, et vous verrez que tous ces biens du -temps ne sont rien; que, toujours trs-incertains, ils sont plutt un -poids qui fatigue, parce qu'on ne les possde jamais sans dfiance et -sans crainte. - -Avoir en abondance les biens du temps, ce n'est pas l le bonheur de -l'homme: la mdiocrit lui suffit. - -C'est vraiment une grande misre de vivre sur la terre. - -Plus un homme veut avancer dans les voies spirituelles, plus la vie -prsente lui devient amre, parce qu'il sent mieux et voit plus -clairement l'infirmit de la nature humaine et sa corruption. - -Manger, boire, veiller, dormir, se reposer, travailler, tre assujetti -toutes les ncessits de la nature, c'est vraiment une grande misre et -une grande affliction pour l'homme pieux qui voudrait tre dgag de ses -liens terrestres, et dlivr de tout pch. - -3. Car l'homme intrieur est, en ce monde, trangement appesanti par les -ncessits du corps. - -Et c'est pourquoi le Prophte demandait, avec d'ardentes prires, d'en -tre affranchi, disant: _Seigneur, dlivrez-moi de mes ncessits_[73]. - - [73] Ps. XXIV, 17. - -Malheur donc ceux qui ne connaissent point leur misre! et malheur -encore plus ceux qui aiment cette misre et cette vie prissable! - -Car il y en a qui l'embrassent si avidement, qu'ayant peine le -ncessaire en travaillant ou en mendiant, ils n'prouveraient aucun -souci du royaume de Dieu, s'ils pouvaient toujours vivre ici-bas. - -4. coeurs insenss et infidles, si profondment enfoncs dans les -choses de la terre, qu'ils ne gotent rien que ce qui est charnel! - -Les malheureux! ils sentiront douloureusement la fin combien tait -vil, combien n'tait rien ce qu'ils ont aim. - -Mais les Saints de Dieu, tous les fidles amis de Jsus-Christ ont -mpris ce qui flatte la chair et ce qui brille dans le temps; toute -leur esprance, tous leurs dsirs aspiraient aux biens ternels. - -Tout leur coeur s'levait vers les biens invisibles et imprissables, de -peur que l'amour des choses visibles ne les abaisst vers la terre. - -5. Ne perdez pas, mon frre, l'esprance d'avancer dans la vie -spirituelle: vous en avez encore le temps. - -Pourquoi remettez-vous toujours au lendemain l'accomplissement de vos -rsolutions? Levez-vous et commencez l'instant, et dites: Voici le -temps d'agir, voici le temps de combattre, voici le temps de me -corriger. - -Quand la vie vous est pesante et amre, c'est alors le temps de mditer. - -_Il faut passer par le feu et par l'eau, avant d'entrer dans le lieu de -rafrachissement_[74]. - - [74] Ps. LXV, 12. - -Si vous ne vous faites violence, vous ne vaincrez pas le vice. - -Tant que nous portons ce corps fragile, nous ne pouvons tre sans pch, -ni sans ennui et sans douleur. - -Il nous serait doux de jouir d'un repos exempt de toute misre; mais en -perdant l'innocence par le pch, nous avons aussi perdu la vraie -flicit. - -Il faut donc persvrer dans la patience, et attendre la misricorde de -Dieu, _jusqu' ce que l'iniquit passe_[75], _et que ce qui est mortel -en vous soit absorb par la vie_[76]. - - [75] Ps. LV, LVI, 2. - - [76] II. Cor., V, 4. - -6. Oh! quelle est grande la fragilit qui toujours incline l'homme au -mal! - -Vous confessez aujourd'hui vos pchs, et vous y retombez le lendemain. - -Vous vous proposez d'tre sur vos gardes, et une heure aprs vous -agissez comme si vous ne vous tiez rien propos. - -Nous avons donc grand sujet de nous humilier, et de ne nous jamais -lever en nous-mme, tant si fragiles et si inconstants. - -Nous pouvons perdre en un moment, par notre ngligence, ce qu' peine -avons-nous acquis par la grce, avec un long travail. - -7. Que sera-ce de nous la fin du jour, si nous sommes si lches ds le -matin? - -Malheur nous, si nous voulons goter le repos, comme si dj nous -tions en paix et en assurance, tandis qu'on ne dcouvre pas dans notre -vie une seule trace de vraie saintet! - -Nous aurions bien besoin d'tre instruits encore, et forms de -nouvelles moeurs comme des novices dociles, pour essayer du moins s'il y -aurait en nous quelque esprance de changement, et d'un plus grand -progrs dans la vertu. - - -RFLEXION. - - _L'homme n de la femme vit peu de jours, et il est rassasi - d'angoisses_[77]. Voil notre destine telle que le pch l'a faite. - coutez les gmissements de l'humanit entire dont Job tait la - figure: Prisse le jour o je suis n, et la nuit o il fut dit: Un - homme a t conu! Pourquoi ne suis-je pas mort dans le sein de ma - mre, ou n'ai-je pas pri en en sortant? Pourquoi m'a-t-elle reu sur - ses genoux, et allait de ses mamelles? Maintenant je dormirais en - silence, et je reposerais dans mon sommeil[78]. Mais dj sur cette - grande misre se levait l'aurore d'une grande esprance. Je sais que - mon Rdempteur est vivant, et que je serai de nouveau revtu de ma - chair, et dans ma chair je verrai mon Dieu; je le verrai, et mes yeux - le contempleront[79]. Ds lors tout change: ces douleurs, auparavant - sans consolation, unies celles du Rdempteur, ne sont plus qu'une - expiation ncessaire, une preuve de justice et de misricorde, une - semence d'ternelles joies. Le Christ, en mourant, a ouvert le ciel - l'homme dchu, qui, pour unique grce, demandait la terre un - tombeau[80]. Et nous nous plaindrions des souffrances auxquelles Dieu - rserve un tel prix! Et le murmure serait sur nos lvres, lorsque, par - les tribulations, Jsus-Christ daigne nous associer aux mrites de son - sacrifice! C'en est fait, Seigneur, je reconnais mon aveuglement, mon - ingratitude, et je ne veux plus dsirer ici-bas que d'avoir part - votre passion, afin de participer un jour votre gloire. - - [77] Job, XIV, 1. - - [78] _Ibid._, III, 3, 11-13. - - [79] _Ibid._, XIX, 25-27. - - [80] _Ibid._, III, 21, 22. - - - - -CHAPITRE XXIII. - -De la mditation de la mort. - - -1. C'en sera fait de vous bien vite ici-bas: voyez donc en quel tat -vous tes. - -L'homme est aujourd'hui, et demain il a disparu; et quand il n'est plus -sous les yeux, il passe bien vite de l'esprit. - - stupidit et duret du coeur humain, qui ne pense qu'au prsent et ne -prvoit pas l'avenir! - -Dans toutes vos actions, dans toutes vos penses, vous devriez tre tel -que vous seriez s'il vous fallait mourir aujourd'hui. - -Si vous aviez une bonne conscience, vous craindriez peu la mort. - -Il vaudrait mieux viter le pch que fuir la mort. - -Si aujourd'hui vous n'tes pas prt, comment le serez-vous demain? - -Demain est un jour incertain: et que savez-vous si vous aurez un -lendemain? - -2. Que sert de vivre longtemps, puisque nous nous corrigeons si peu? - -Ah! une longue vie ne corrige pas toujours; souvent plutt elle augmente -nos crimes. - -Plt Dieu que nous eussions bien vcu dans ce monde un seul jour! - -Plusieurs comptent les annes de leur conversion; mais souvent qu'ils -sont peu changs, et que ces annes ont t striles! - -S'il est terrible de mourir, peut-tre est-il plus dangereux de vivre si -longtemps. - -Heureux celui qui l'heure de sa mort est toujours prsente, et qui se -prpare chaque jour mourir! - -Si vous avez vu jamais un homme mourir, songez que vous aussi vous -passerez par cette voie. - -3. Le matin, pensez que vous n'atteindrez pas le soir; le soir, n'osez -pas vous promettre de voir le matin. - -Soyez donc toujours prt, et vivez de telle sorte que la mort ne vous -surprenne jamais. - -Plusieurs sont enlevs par une mort soudaine et imprvue: _car le Fils -de l'homme viendra l'heure qu'on n'y pense pas_[81]. - - [81] Luc., XII, 40. - -Quand viendra cette dernire heure, vous commencerez juger tout -autrement de votre vie passe, et vous gmirez amrement d'avoir t si -ngligent et si lche. - -4. Qu'heureux et sage est celui qui s'efforce d'tre tel dans la vie -qu'il souhaite d'tre trouv la mort! - -Car rien ne donnera une si grande confiance de mourir heureusement, que -le parfait mpris du monde, le dsir ardent d'avancer dans la vertu, -l'amour de la rgularit, le travail de la pnitence, l'abngation de -soi-mme, et la constance souffrir toutes sortes d'adversits pour -l'amour de Jsus-Christ. - -Vous pouvez faire beaucoup de bien, tandis que vous tes en sant: mais, -malade, je ne sais ce que vous pourrez. - -Il en est peu que la maladie rende meilleurs, comme il en est peu qui se -sanctifient par de frquents plerinages. - -5. Ne comptez point sur vos amis ni sur vos proches, et ne diffrez -point votre salut dans l'avenir, car les hommes vous oublieront plus -vite que vous ne pensez. - -Il vaut mieux y pourvoir de bonne heure et envoyer devant soi un peu de -bien, que d'esprer dans le secours des autres. - -Si vous n'avez maintenant aucun souci de vous-mme, qui s'inquitera de -vous dans l'avenir? - -Maintenant le temps est d'un grand prix. _Voici maintenant le temps -propice, voici le jour du salut_[82]. - - [82] II. Cor., VI, 2. - -Mais, douleur! que vous fassiez un si vain usage de ce qui pourrait -vous servir mriter de vivre ternellement. - -6. Viendra le temps o vous dsirerez un seul jour, une seule heure, -pour purifier votre me, et je ne sais si vous l'obtiendrez. - -Ah! mon frre, de quel pril, de quelle crainte terrible vous pourriez -vous dlivrer, si vous tiez prsent toujours en crainte et en -dfiance de la mort! - -tudiez-vous maintenant vivre de telle sorte qu' l'heure de la mort -vous ayez plus sujet de vous rjouir que de craindre. - -Apprenez maintenant mourir au monde, afin de commencer alors vivre -avec Jsus-Christ. - -Apprenez maintenant tout mpriser, afin de pouvoir alors aller -librement Jsus-Christ. - -Chtiez maintenant votre corps par la pnitence, afin que vous puissiez -alors avoir une solide confiance. - -7. Insenss, sur quoi vous promettez-vous de vivre longtemps, lorsque -vous n'avez pas un seul jour d'assur? - -Combien ont t tromps et arrachs subitement de leurs corps! - -Combien de fois avez-vous ou dire: Cet homme a t tu d'un coup -d'pe, celui-ci s'est noy, celui-l s'est bris en tombant d'un lieu -lev; l'un a expir en mangeant, l'autre en jouant; l'un a pri par le -feu, un autre par le fer, un autre par la peste, un autre par la main -des voleurs. - -Et ainsi la fin de tous est la mort, et _la vie des hommes passe comme -l'ombre_[83]. - - [83] Job, XIV, 10. Ps. CXLIII, 4. - -8. Qui se souviendra de vous aprs votre mort, et qui priera pour vous? - -Faites, faites maintenant, mon cher frre, tout ce que vous pouvez, car -vous ne savez pas quand vous mourrez, ni ce qui suivra pour vous la -mort. - -Tandis que vous en avez le temps, amassez des richesses immortelles. - -Ne pensez qu' votre salut, ne vous occupez que des choses de Dieu. - -_Faites-vous maintenant des amis_, en honorant les Saints et en imitant -leurs oeuvres, _afin qu'arriv au terme de cette vie, ils vous reoivent -dans les tabernacles ternels_[84]. - - [84] Luc., XVI, 9. - -9. Vivez sur la terre comme un voyageur et un tranger qui les choses -du monde ne sont rien. - -Conservez voire coeur libre et toujours lev vers Dieu, parce que _vous -n'avez point ici-bas de demeure permanente_[85]. - - [85] Heb., XIII, 14. - -Que vos gmissements, vos larmes, vos prires, montent tous les jours -vers le ciel, afin que votre me, aprs la mort, mrite de passer -heureusement Dieu. - - -RFLEXION. - - Approchez de cette fosse, regardez ces ossements blanchis et djoints: - voil tout ce qui reste ici-bas d'un homme que vous avez connu - peut-tre, et qui ne pensait pas plus la mort, il y a peu d'annes, - que vous n'y pensez aujourd'hui. Ne fallait-il pas, en effet, qu'il - songet d'abord sa fortune, celle des siens, l'tablissement de - sa famille? aussi s'en est-il occup jusqu'au dernier moment. Eh bien! - maintenant allez, entrez dans sa maison. Des hritiers indiffrents y - jouissent des biens qu'il avait amasss, et travaillent eux-mmes en - amasser de nouveaux: du reste nul souvenir du mort. Quelque chose de - lui subsiste cependant, et la tombe ne le renferme pas tout entier. Il - avait une me, une me rachete du sang de Jsus-Christ: o est-elle? - l'instant o elle quitta le corps, sa demeure fut fixe, ou dans le - ciel sans crainte dsormais, ou dans l'enfer sans esprance. Terrible, - terrible alternative! Et prsent, plongez-vous dans les soins de la - terre, diffrez votre conversion: dites encore, il sera temps demain. - Insens! ce temps, dont tu abuses, creuse ta fosse, et demain ce sera - l'ternit! - - - - -CHAPITRE XXIV. - -Du jugement et des peines des pcheurs. - - -1. En toutes choses regardez la fin, et reportez-vous au jour o vous -serez l, debout devant le Juge svre, qui rien n'est cach, qu'on -n'apaise point par des prsents, qui ne reoit point d'excuses; mais qui -jugera selon la justice. - -Pcheur misrable et insens! que rpondrez-vous Dieu qui sait tous -vos crimes, vous qui tremblez quelquefois l'aspect d'un homme irrit? - -Par quel trange oubli de vous-mme vous en allez-vous, sans rien -prvoir, vers ce jour o nul ne pourra tre excus ni dfendu par un -autre, mais o chacun sera pour soi un fardeau assez pesant? - -Maintenant votre travail produit son fruit; vos larmes sont agres, vos -gmissements couts; votre douleur satisfait Dieu, et purifie votre -me. - -2. Il a ici-bas un grand et salutaire purgatoire, l'homme patient qui, -en butte aux outrages, s'afflige plus de la malice d'autrui que de sa -propre injure; qui prie sincrement pour ceux qui le contristent, et -leur pardonne du fond du coeur; qui, s'il a pein les autres, est -toujours prt demander pardon; qui incline la compassion plus qu' -la colre; qui se fait violence lui-mme, et s'efforce d'assujettir -entirement la chair l'esprit. - -Il vaut mieux se purifier maintenant de ses pchs et retrancher ses -vices, que d'attendre les expier en l'autre vie. - -Oh! combien nous nous trompons nous-mmes par l'amour dsordonn que -nous avons pour notre chair! - -3. Que dvorera ce feu, sinon vos pchs? - -Plus vous vous pargnez vous-mme prsent, et plus vous flattez votre -chair, plus ensuite votre chtiment sera terrible, et plus vous amassez -pour le feu ternel. - -L'homme sera puni plus rigoureusement dans les choses o il a le plus -pch. - -L, les paresseux seront percs par des aiguillons ardents, et les -intemprants tourments par une faim et une soif extrmes. - -L, les voluptueux et les impudiques seront plongs dans une poix -brlante et dans un soufre ftide; comme des chiens furieux, les envieux -hurleront dans leur douleur. - -4. Chaque vice aura son tourment propre. - -L, les superbes seront remplis de confusion, et les avares rduits la -plus misrable indigence. - -L, une heure sera plus terrible dans le supplice, que cent annes ici -dans la plus dure pnitence. - -Ici, quelquefois le travail cesse, on se console avec ses amis: l, nul -repos, nulle consolation pour les damns. - -Soyez donc maintenant plein d'apprhension et de douleur pour vos -pchs, afin de partager, au jour du jugement, la scurit des -bienheureux. - -_Car les justes alors s'lveront avec une grande assurance contre ceux -qui les auront opprims et mpriss_[86]. - - [86] Sap., V, 1. - -Alors se lvera, pour juger, celui qui se soumet aujourd'hui humblement -aux jugements des hommes. - -Alors l'humble et le pauvre auront une grande confiance; et de tous -cts l'pouvante environnera le superbe. - -5. Alors on verra qu'il fut sage en ce monde, celui qui apprit tre -insens et mprisable pour Jsus-Christ. - -Alors on s'applaudira des tribulations souffertes avec patience, _et -toute iniquit sera muette_[87]. - - [87] Ps. CVI, 42. - -Alors tous les justes seront transports d'allgresse, et tous les -impies consterns de douleur. - -Alors la chair afflige se rjouira plus que si elle avait toujours t -nourrie dans les dlices. - -Alors les vtements pauvres resplendiront, et les habits somptueux -perdront tout leur clat. - -Alors la plus pauvre petite demeure sera juge au-dessus du palais tout -brillant d'or. - -Alors une patience constamment soutenue sera de plus de secours que -toute la puissance du monde; et une obissance simple, leve plus haut -que toute la prudence du sicle. - -6. Alors on trouvera plus de joie dans la puret d'une bonne conscience, -que dans une docte philosophie. - -Alors le mpris des richesses aura plus de poids dans la balance, que -tous les trsors de la terre. - -Alors le souvenir d'une pieuse prire vous sera de plus de consolation, -que celui d'un repas splendide. - -Alors vous vous rjouirez plus du silence gard que des longs -entretiens. - -Alors les oeuvres saintes l'emporteront sur les beaux discours. - -Alors vous prfrerez une vie de peine et de travail tous les plaisirs -de la terre. - -Apprenez donc maintenant supporter quelques lgres souffrances, afin -d'tre alors dlivr de souffrances plus grandes. - -prouvez ici d'abord ce que vous pourrez dans la suite. - -Si vous ne pouvez maintenant souffrir si peu de chose, comment -supporterez-vous les tourments ternels? - -Si maintenant la moindre douleur vous cause tant d'impatience, que -sera-ce donc alors des tortures de l'enfer! - -Il y a, n'en doutez point, deux joies qu'on ne peut runir; vous ne -pouvez goter ici-bas les dlices du monde, et rgner ensuite avec -Jsus-Christ. - -7. Si vous aviez vcu jusqu' ce jour dans les honneurs et les volupts, -de quoi cela vous servirait-il, s'il vous fallait mourir l'instant? - -Donc tout est vanit, hors aimer Dieu et le servir lui seul. - -Car celui qui aime Dieu de tout son coeur, ne craint ni la mort, ni le -supplice, ni le jugement, ni l'enfer, parce que l'amour parfait nous -donne un sr accs prs de Dieu. - -Mais celui qui aime encore le pch, il n'est pas surprenant qu'il -redoute la mort et le jugement. - -Cependant si l'amour ne vous loigne pas encore du mal, il est bon qu'au -moins la crainte vous retienne. - -Celui qui est peu touch de la crainte de Dieu ne saurait longtemps -persvrer dans le bien: mais il tombera bientt dans les piges du -dmon. - - -RFLEXION. - - _Dieu est patient_, dit saint Augustin, _parce qu'il est ternel_. - Mais, aprs les jours de patience, viendra le jour de la justice; jour - d'effroi, jour invitable; o toute chair comparatra devant le Roi de - l'ternit, pour rendre compte de ses oeuvres et de ses penses mmes. - Transportez-vous en esprit ce moment formidable: voil que la - poussire des tombeaux s'meut, et de toutes parts la foule des morts - accourt aux pieds du souverain juge. L, tous les secrets sont - dvoils, la conscience n'a plus de tnbres, et chacun attend en - silence le sort qui lui est destin pour toujours. Les deux cits se - sparent; la grande sentence est prononce; elle ouvre le paradis aux - justes, et tombe sur les pcheurs avec tout le poids d'une ternelle - rprobation. Environn des anges fidles et de la troupe - resplendissante des lus, Jsus-Christ remonte dans sa gloire: Satan - saisit sa proie et l'entrane dans l'abme: tout est consomm - jamais; il ne reste plus que les joies du ciel, et le dsespoir de - l'enfer. Pendant que vous tes encore sur la terre, le choix entre ces - demeures vous est laiss: choisissez donc, mais n'oubliez pas qu'il - n'y a point de repentir de l'autre ct de la tombe. - - - - -CHAPITRE XXV. - -Qu'il faut travailler avec ferveur l'amendement de sa vie. - - -1. Soyez vigilant et fervent dans le service de Dieu, et faites-vous -souvent cette demande: Pourquoi es-tu venu ici, et pourquoi as-tu quitt -le sicle? - -N'tait-ce pas afin de vivre pour Dieu, et devenir un homme spirituel? - -Embrasez-vous donc du dsir d'avancer, parce que vous recevrez bientt -la rcompense de vos travaux, et qu'alors il n'y aura plus ni crainte ni -douleur. - -Maintenant un peu de travail, et puis un grand repos: que dis-je? une -joie ternelle! - -Si vous agissez constamment avec ardeur et fidlit, Dieu aussi sera -sans doute fidle et magnifique dans ses rcompenses. - -Vous devez conserver une ferme esprance de parvenir la gloire; mais -il ne faut pas vous livrer une scurit trop profonde, de peur de -tomber dans le relchement ou dans la prsomption. - -2. Un nomme qui flottait souvent, plein d'anxits, entre la crainte et -l'esprance, tant un jour accabl de tristesse, entra dans une glise, -et, se prosternant devant un autel pour prier, il disait et redisait en -lui-mme: Oh! si je savais que je dusse persvrer! Aussitt il entendit -intrieurement cette divine rponse: Si vous le saviez, que -voudriez-vous faire? Faites maintenant ce que vous feriez alors, et vous -jouirez de la paix. - -Consol l'instant mme, et fortifi, il s'abandonna sans rserve la -volont de Dieu, et ses agitations cessrent. - -Il ne voulut plus rechercher avec curiosit ce qui lui arriverait dans -l'avenir; mais il s'appliqua uniquement connatre la volont de Dieu, -et ce qui lui plat davantage, afin de commencer et d'achever tout ce -qui est bien. - -3. _Esprez en Dieu,_ dit le Prophte, _et faites le bien: habitez en -paix la terre, et vous serez nourri de ses richesses_[88], - - [88] Ps. XXXVI, 3. - -Une chose refroidit en quelques-uns l'ardeur d'avancer et de se -corriger: la crainte des difficults, et le travail du combat. - -Eu effet, ceux-l devancent les autres dans la vertu, qui s'efforcent -avec le plus de courage de se vaincre eux-mmes dans ce qui leur est le -plus pnible et qui contrarie le plus leurs penchants. - -Car l'homme fait d'autant plus de progrs et mrite d'autant plus de -grces, qu'il se surmonte lui-mme et se mortifie davantage. - -4. Il est vrai que tous n'ont pas galement combattre pour se vaincre -et mourir eux-mmes. - -Cependant un homme anim d'un zle ardent avancera bien plus, mme avec -de nombreuses passions, qu'un autre cet gard mieux dispos, mais -tide pour la vertu. - -Deux choses aident surtout oprer un grand amendement: s'arracher avec -violence ce que la nature dgrade convoite, et travailler ardemment -acqurir la vertu dont on a le plus grand besoin. - -Attachez-vous aussi particulirement viter et vaincre les dfauts -qui vous dplaisent le plus dans les autres. - -5. Profitez de tout pour votre avancement. Si vous voyez de bons -exemples, ou si vous les entendez raconter, animez-vous les imiter. - -Que si vous apercevez quelque chose de rprhensible, prenez garde de -commettre la mme faute; ou, si vous l'avez quelquefois commise, tchez -de vous corriger promptement. - -Comme votre oeil observe les autres, les autres vous observent aussi. - -Qu'il est consolant et doux de voir des religieux zls, pieux, -fervents, fidles observateurs de la rgle! - -Qu'il est triste, au contraire, et pnible d'en voir qui ne vivent pas -dans l'ordre, et qui ne remplissent pas les engagements auxquels ils ont -t appels! - -Qu'on se nuit soi-mme en ngligeant les devoirs de sa vocation, et en -dtournant son coeur des choses dont on n'est point charg! - -6. Souvenez-vous de ce que vous avez promis, et que Jsus crucifi vous -soit toujours prsent. - -Vous avez bien sujet de rougir, en considrant la vie de Jsus-Christ, -d'avoir jusqu'ici fait si peu d'efforts pour y conformer la vtre, -quoique vous soyez, depuis si longtemps, entr dans la voie de Dieu. - -Un religieux qui s'exerce mditer srieusement, et avec pit, la vie -trs-sainte et la Passion du Sauveur, y trouvera en abondance tout ce -qui lui est utile et ncessaire: et il n'a pas besoin de chercher hors -de Jsus quelque chose de meilleur. - -Ah! si Jsus crucifi entrait dans notre coeur, que nous serions bientt -suffisamment instruits! - -7. Un religieux fervent reoit bien ce qu'on lui commande, et s'y soumet -sans peine. - -Un religieux tide et relch souffre tribulation sur tribulation, et ne -trouve de tous cts que la gne, parce qu'il est priv des consolations -intrieures, et qu'il lui est interdit d'en chercher au dehors. - -Un religieux qui s'affranchit de sa rgle est expos des chutes -terribles. - -Celui qui cherche une vie moins contrainte et moins austre sera -toujours dans l'angoisse: car toujours quelque chose lui dplaira. - -8. Comment font tant d'autres religieux qui observent, dans les -clotres, une si troite discipline? - -Ils sortent rarement, ils vivent retirs, ils sont nourris -trs-pauvrement et grossirement vtus; ils travaillent beaucoup, -parlent peu, veillent longtemps, se lvent matin, font de longues -prires, de frquentes lectures, et observent en tout une exacte -discipline. - -Considrez les Chartreux, les religieux de Cteaux, et les autres -religieux et religieuses de diffrents ordres, qui se lvent toutes les -nuits pour chanter les louanges de Dieu. - -Il serait donc bien honteux que la paresse vous tnt encore loign d'un -saint exercice, lorsque dj tant de religieux commencent clbrer le -Seigneur. - -9. Oh! si vous n'aviez autre chose faire qu' louer de coeur et de -bouche, perptuellement, le Seigneur notre Dieu! si jamais vous n'aviez -besoin de manger, de boire, de dormir, et que vous puissiez ne pas -interrompre un seul moment ces louanges ni les autres exercices -spirituels! vous seriez alors beaucoup plus heureux qu' prsent, -assujetti comme vous l'tes au corps et toutes ses ncessits. - -Plt Dieu que nous fussions affranchis de ces ncessits, et que nous -n'eussions songer qu' la nourriture de notre me, que nous gotons, -hlas! si rarement! - -10. Quand un homme en est venu ne chercher sa consolation dans aucune -crature, c'est alors qu'il commence goter Dieu parfaitement, et -qu'il est, quoi qu'il arrive, toujours satisfait. - -Alors il ne se rjouit d'aucune prosprit, et aucun revers ne le -contriste; mais il s'abandonne tout entier, avec une pleine confiance, -Dieu, qui lui est tout en toutes choses, pour qui rien ne prit, rien ne -meurt, pour qui, au contraire, tout vit, et qui tout obit sans dlai. - -11. Souvenez-vous toujours que votre fin approche, et que le temps perdu -ne revient point. - -Les vertus ne s'acquirent qu'avec beaucoup de soins et des efforts -constants. - -Ds que vous commencerez tomber dans la tideur, vous tomberez dans le -trouble. - -Mais si vous persvrez dans la ferveur, vous trouverez une grande paix, -et vous sentirez votre travail plus lger, cause de la grce de Dieu, -et de l'amour de la vertu. - -L'homme fervent et zl est prt tout. - -Il est plus pnible de rsister aux vices et aux passions, que de -supporter les fatigues du corps. - -_Celui qui n'vite pas les petites fautes, tombera peu peu dans les -grandes_[89]. - - [89] Eccli., XIX, 1. - -Vous vous rjouirez toujours le soir, quand vous aurez employ le jour -avec fruit. - -Veillez sur vous, excitez-vous, avertissez-vous; et quoi qu'il en soit -des autres, ne vous ngligez pas vous-mme. - -Vous ne ferez de progrs qu'autant que vous vous ferez de violence. - - -RFLEXION. - - tes-vous sincrement rsolu vous sauver? en avez-vous la volont - ferme? Alors prparez-vous au travail, au combat; car le salut est - ce prix: _La voie qui conduit la perte est large_: mais qu'troite, - dit l'vangile, _est celle qui conduit la vie_[90]! Sans doute - l'onction de la grce adoucit, pour le fidle, ce travail, ce combat; - au milieu des fatigues et des souffrances, il jouit d'une paix cleste - que le pcheur ne connat point. Cependant il a besoin de continuels - efforts pour triompher de lui-mme, pour vaincre ses dsirs, ses - passions, et le monde, _et le prince de ce monde_[91]. Qui a fait les - saints, sinon cette lutte courageuse et persvrante? _Les uns ont t - tourments, ne voulant pas racheter leur vie, afin d'en trouver une - meilleure dans la rsurrection. Les autres ont souffert les moqueries, - les fouets, les chanes et les prisons; ils ont t lapids, scis, - prouvs_ en toute manire; _ils sont morts par le tranchant du - glaive; vagabonds, couverts de peaux de brebis et de peaux de chvres, - oppresss par le besoin, l'affliction, l'angoisse, ils ont err dans - les dserts, et dans les montagnes, et dans les antres, et dans les - cavernes de la terre; eux dont le monde n'tait pas digne. Envelopps - donc d'une si grande nue de tmoins, dgageons-nous de tout ce qui - nous appesantit, et du pch qui nous environne, et courons par la - patience au combat qui nous est propos; les regards fixs sur Jsus, - l'auteur et le consommateur de la foi, qui, en vue de la joie qui lui - tait prpare, a souffert la croix, en mprisant l'ignominie; et - maintenant il est assis la droite du trne de Dieu_[92]. - - [90] Matth., VII, 13, 14. - - [91] Joann., XIV, 30. - - [92] Heb., XI, 35-38; XII, 1, 2. - - -FIN DU PREMIER LIVRE. - - - - -L'IMITATION - -DE - -JSUS-CHRIST. - - - - -LIVRE DEUXIME. - -INSTRUCTION POUR AVANCER DANS LA VIE INTRIEURE. - - - - -CHAPITRE PREMIER. - -De la conversation intrieure. - - -1. _Le royaume de Dieu est au dedans de vous_[93], dit le Seigneur. - - [93] Luc., XVII, 21. - -Revenez Dieu de tout votre coeur, laissez l ce misrable monde, et -votre me trouvera le repos. - -Apprenez mpriser les choses extrieures, et vous donner aux -intrieures, et vous verrez le royaume de Dieu venir en vous. - -_Car le royaume de Dieu est paix et joie dans l'Esprit saint_[94]: ce -qui n'est pas donn aux impies. - - [94] Rom., XIV, 17. - -Jsus-Christ viendra vous, et il vous remplira de ses consolations, si -vous lui prparez au dedans de vous une demeure digne de lui. - -_Toute sa gloire_ et toute sa beaut _est intrieure_[95]; c'est dans le -secret du coeur qu'il se plat. - - [95] Ps. XLIV, 14. - -Il visite souvent l'homme intrieur, et ses entretiens sont doux, ses -consolations ravissantes; sa paix est inpuisable, et sa familiarit -incomprhensible. - -2. me fidle, htez-vous donc de prparer votre coeur pour l'poux, -afin qu'il daigne venir et habiter en vous. - -Car il a dit: _Si quelqu'un m'aime, il gardera ma parole, et nous -viendrons lui, et nous ferons en lui notre demeure_[96]. Laissez donc -Jsus entrer en vous, et n'y laissez entrer que lui. - - [96] Joann., XIV, 23. - -Lorsque vous possderez Jsus, vous serez riche, et lui seul vous -suffit. Il veillera pour vous, il prendra de vous un soin fidle en -toutes choses, de sorte que vous n'aurez plus besoin de rien attendre -des hommes. - -Car les hommes changent vite, et vous manquent tout d'un coup; _mais -Jsus-Christ demeure ternellement_[97]: inbranlable dans sa constance, -il est prs de vous jusqu' la fin. - - [97] Joann., XII, 34. - -3. On ne doit gure compter sur un homme fragile et mortel, encore bien -qu'il vous soit utile, et que vous soyez chers l'un l'autre; et il n'y -a pas lieu de s'attrister beaucoup, si quelquefois il vous traverse et -s'lve contre vous. - -Ceux qui sont aujourd'hui pour vous, pourront demain tre contre vous, -et rciproquement: les hommes changent comme le vent. - -Mettez en Dieu toute votre confiance: qu'il soit votre crainte et votre -amour: il rpondra pour vous, et il fera ce qui est le meilleur. - -_Vous n'avez point ici de demeure stable_[98]: en quelque lieu que vous -soyez, vous tes tranger et voyageur; et vous n'aurez jamais de repos, -que vous ne soyez uni intimement Jsus-Christ. - - [98] Heb., XIII, 14. - -4. Que cherchez-vous autour de vous? Ce n'est pas ici le lieu de votre -repos. - -Votre demeure doit tre dans le ciel, et vous ne devez regarder toutes -les choses de la terre que comme en passant. - -Tout passe: et vous passez avec tout le reste. - -Prenez garde de vous attacher quoi que ce soit, de peur d'en devenir -l'esclave, et de vous perdre. - -Que sans cesse votre pense monte vers le Trs-Haut, et votre prire -vers Jsus-Christ. - -Si vous ne savez pas encore vous lever aux contemplations clestes, -reposez-vous dans la Passion du Sauveur, et aimez demeurer dans ses -plaies sacres. - -Car si vous vous rfugiez avec amour dans ces plaies et ces prcieux -stigmates, vous sentirez une grande force au temps de la tribulation; -vous vous inquiterez peu du mpris des hommes, et vous supporterez -aisment les paroles mdisantes. - -5. Jsus-Christ a t aussi mpris des hommes en ce monde, et, dans les -plus extrmes angoisses, abandonn des siens, de ses amis, de ses -proches, au milieu des opprobres. - -Jsus-Christ a voulu souffrir et tre mpris, et vous osez vous -plaindre de quelque chose! - -Jsus-Christ a eu des ennemis et des dtracteurs, et vous voudriez -n'avoir que des amis et des bienfaiteurs! - -Comment votre patience mritera-t-elle d'tre couronne, s'il ne vous -arrive rien de pnible? - -Si vous ne voulez rien souffrir, comment serez-vous ami de Jsus-Christ? - -Souffrez avec Jsus-Christ et pour Jsus-Christ, si vous voulez rgner -avec Jsus-Christ. - -6. Si une seule fois vous tiez entr bien avant dans le coeur de Jsus, -et que vous eussiez ressenti quelque mouvement de son amour, que vous -auriez peu de souci de ce qui peut ou vous contrarier ou vous plaire! -Vous vous rjouiriez d'un outrage reu, parce que l'amour de Jsus -apprend l'homme se mpriser lui-mme. - -Celui qui aime Jsus et la vrit, un homme vraiment intrieur, et -dgag de toute affection drgle, peut librement s'approcher de Dieu, -et, s'levant en esprit au-dessus de soi-mme, se reposer en lui par une -jouissance anticipe. - -7. Celui qui estime les choses suivant ce qu'elles sont, et non d'aprs -les discours et l'opinion des hommes, est vraiment sage; et c'est Dieu -qui l'instruit plus que les hommes. - -Celui qui vit au dedans de lui-mme, et qui s'inquite peu des choses du -dehors, tous les lieux lui sont bons, et tous les temps pour remplir ses -pieux exercices. - -Un homme intrieur se recueille bien vite, parce qu'il ne se rpand -jamais tout entier au dehors. - -Les travaux extrieurs, les occupations ncessaires en certains temps, -ne le troublent point; mais il se prte aux choses, selon qu'elles -arrivent. - -Celui qui a tabli l'ordre au dedans de soi, ne se tourmente gure de ce -qu'il y a de bien ou de mal dans les autres. - -L'on n'a de distractions et d'obstacles qu'autant que l'on s'en cre -soi-mme. - -8. Si vous tiez ce que vous devez tre, entirement libre et dtach, -tout contribuerait votre bien et votre avancement. - -Mais beaucoup de choses vous dplaisent et souvent vous troublent, parce -que vous n'tes pas encore tout fait mort vous-mme et spar des -choses de la terre. - -Rien n'embarrasse et ne souille tant le coeur de l'homme que l'amour -impur des cratures. - -Si vous rejetez les consolations du dehors, vous pourrez contempler les -choses du ciel, et goter souvent les joies intrieures. - - -RFLEXION. - - L'me chrtienne, dtache du monde, n'a qu'un dsir pour le temps - comme pour l'ternit; d'tre unie Jsus, de cette union ineffable - dont la divine peinture nous ravit dans le cantique mystrieux de - l'amour. _Mon bien-aim est moi, et je suis lui; il repose entre - les lis, jusqu' ce que l'aurore se lve, et que les ombres - dclinent_[99]. Hlas! que cherchez-vous au dehors? Rentrez, rentrez - en vous-mme, prparez au cleste poux une demeure digne de lui, et - il viendra, et il s'y reposera; car ses dlices sont d'habiter dans le - coeur qui l'appelle. Alors, seul avec Jsus, loin des bruits de la - terre, dans le silence des cratures, il vous parlera, _comme un ami - parle son ami_[100], et transport de l'entendre, vous ne voudrez - plus jamais couter que lui. - - [99] Cant., II, 16, 17. - - [100] Exod., XXXIII, 11. - - - - -CHAPITRE II. - -Qu'il faut s'abandonner Dieu en esprit d'humilit. - - -1. Inquitez-vous peu de qui est pour vous ou contre vous; mais prenez -soin que Dieu soit avec vous en tout ce que vous faites. - -Ayez la conscience pure, et Dieu prendra votre dfense. - -Toute la malice des hommes ne saurait nuire celui que Dieu veut -protger. - -Si vous savez vous taire et souffrir, Dieu, sans doute, vous assistera. - -Il sait le temps et la manire de vous dlivrer; abandonnez-vous donc -lui. - -C'est de Dieu que vient le secours, c'est lui qui dlivre de la -confusion. - -Il est souvent trs-utile, pour nous retenir dans une plus grande -humilit, que les autres soient instruits de nos dfauts, et qu'ils nous -les reprochent. - -2. Quand un homme s'humilie de ses dfauts, il apaise aisment les -autres, et se rconcilie sans peine ceux qui sont irrits contre lui. - -Dieu protge l'humble et le dlivre; il aime l'humble et le console; il -s'incline vers l'humble et lui prodigue ses grces, et aprs -l'abaissement, il l'lve dans la gloire. - -Il rvle l'humble ses secrets; il l'invite et l'attire doucement -lui. - -Quelque affront qu'il reoive, l'humble vit encore en paix, parce qu'il -s'appuie sur Dieu et non sur le monde. - -Ne pensez pas avoir fait de progrs, si vous ne vous croyez au-dessous -de tous les autres. - - -RFLEXION. - - Que vous importent les discours et les penses des hommes! Ce ne - seront point eux qui vous jugeront. S'ils vous accusent tort, celui - qui voit le fond des consciences vous a dj justifi. S'ils vous - reprochent des fautes relles, n'tes-vous pas heureux d'tre averti, - heureux de souffrir une humiliation salutaire? Ce qui vous trouble, - c'est l'orgueil, qui ne saurait supporter d'tre repris. L'humble ne - s'irrite point, ne s'meut point, lors mme que la passion le condamne - injustement. Plein du sentiment de sa misre, on ne saurait jamais - tant s'abaisser, qu'il ne s'abaisse dans son coeur encore davantage. - Voulez-vous que rien n'altre le calme de votre me? abandonnez-vous - Dieu en toutes choses; et dans les peines, les contrarits, les - traverses, dites avec Jsus-Christ: _Oui, mon Pre, parce qu'il vous a - plu ainsi_[101]! - - [101] Luc., X, 21. - - - - -CHAPITRE III. - -De l'homme pacifique. - - -1. Conservez-vous premirement dans la paix; et alors vous pourrez la -donner aux autres. - -Le pacifique est plus utile que le savant. - -Un homme passionn change le bien en mal, et croit le mal aisment. -L'homme paisible et bon ramne tout au bien. - -Celui qui est affermi dans la paix ne pense mal de personne; mais -l'homme inquiet et mcontent est agit de divers soupons: il n'a jamais -de repos, et n'en laisse point aux autres. - -Il dit souvent ce qu'il ne faudrait pas dire, et ne fait pas ce qu'il -faudrait faire. - -Attentif au devoir des autres, il nglige ses propres devoirs. - -Ayez donc premirement du zle pour vous-mme, et vous pourrez ensuite -avec justice l'tendre sur le prochain. - -2. Vous savez bien colorer et excuser vos fautes, et vous ne voulez pas -recevoir les excuses des autres. - -Il serait plus juste de vous accuser vous-mme, et d'excuser votre -frre. - -Si vous voulez qu'on vous supporte, supportez aussi les autres. - -Voyez combien vous tes loin encore de la vraie charit et de -l'humilit, qui jamais ne s'irrite et ne s'indigne que contre elle-mme! - -Ce n'est pas une grande chose de bien vivre avec les hommes doux et -bons, car cela plat naturellement tous; chacun aime son repos, et -s'affectionne ceux qui partagent ses sentiments. - -Mais vivre en paix avec des hommes durs, pervers, sans rgle, ou qui -nous contrarient, c'est une grande grce, une vertu courageuse et digne -d'tre loue. - -3. Il y en a qui sont en paix avec eux-mmes et avec les autres. - -Et il y en a qui n'ont point la paix, et qui troublent celle d'autrui: -ils sont charge aux autres et plus charge eux-mmes. - -Il y en a enfin qui se maintiennent dans la paix, et qui s'efforcent de -la rendre aux autres. - -Au reste, toute notre paix, dans cette misrable vie, consiste plus dans -une souffrance humble que dans l'exemption de la souffrance. - -Qui sait le mieux souffrir, possdera la plus grande paix. Celui-l est -vainqueur de soi et matre du monde, ami de Jsus-Christ et hritier du -ciel. - - -RFLEXION. - - _Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appels enfants de - Dieu_[102]. Comprenez la grandeur de ce nom et l'instruction profonde - qu'il renferme. La paix, c'est l'ordre parfait; et le trouble, les - dissensions, les discordes, la guerre, ne sont entrs dans le monde - que par la violation de l'ordre ou par le pch. Ainsi point de paix - o rgne le pch; point de paix dans l'homme dont les penses, les - affections, les volonts ne sont pas en tout conformes l'ordre ou - la vrit et la volont de Dieu; point de paix dans la socit dont - les doctrines et les lois s'cartent de la loi et des doctrines - rvles de Dieu: et quiconque, homme ou peuple, brise cette loi, nie - ces doctrines, ne ft-ce qu'en un seul point, cet homme, ce peuple - rebelle Dieu, subit l'instant le chtiment de son crime. Un - malaise inconnu s'empare de lui: je ne sais quelle force dsordonne - le pousse et le repousse en tous sens, et nulle part il ne trouve de - repos: comme Can, aprs son meurtre, il a peur. Non, la paix n'est en - effet que pour _les enfants de Dieu_: ils la gotent en eux-mmes, et - la rpandent sur les autres; elle coule, pour ainsi dire, de leur - coeur, comme ces fleurs qui arrosaient l'heureux sjour de notre - premier pre, au temps de son innocence. Et quand viendra la dernire - heure, ce sera encore la paix; car _le royaume de Dieu est justice et - paix_[103]. Enfants de Dieu, _entrez dans le royaume qui vous a t - prpar ds le commencement du monde_[104]! - - [102] Matth., V, 9. - - [103] Rom., XIV, 17. - - [104] Matth., XXV, 34. - - - - -CHAPITRE IV. - -De la puret d'esprit, et de la droiture d'intention. - - -1. L'homme s'lve au-dessus de la terre sur deux ailes, la simplicit -et la puret. - -La simplicit doit tre dans l'intention, et la puret dans l'affection. - -La simplicit cherche Dieu; la puret le trouve et le gote. - -Nulle bonne oeuvre ne vous sera difficile, si vous tes libre au dedans -de toute affection drgle. - -Si vous ne voulez que ce que Dieu veut, et ce qui est utile au prochain, -vous jouirez de la libert intrieure. - -Si votre coeur tait droit, alors toute crature vous serait un miroir -de vie et un livre rempli de saintes instructions. - -Il n'est point de crature si petite et si vile qui ne prsente quelque -image de la bont de Dieu. - -2. Si vous aviez en vous assez d'innocence et de puret, vous verriez -tout sans obstacle. Un coeur pur pntre le ciel et l'enfer. - -Chacun juge des choses du dehors selon ce qu'il est au dedans de -lui-mme. - -S'il est quelque joie dans le monde, le coeur pur la possde. - -Et s'il y a des angoisses et des tribulations, avant tout elles sont -connues de la mauvaise conscience. - -Comme le fer mis au feu perd sa rouille, et devient tout tincelant, -ainsi celui qui se donne sans rserve Dieu, se dpouille de sa -langueur et se change en un homme nouveau. - -3. Quand l'homme commence tomber dans la tideur, alors il craint le -moindre travail, et reoit avidement les consolations du dehors. - -Mais quand il commence se vaincre parfaitement et marcher avec -courage dans la voie de Dieu, alors il compte pour rien ce qui lui tait -le plus pnible. - - -RFLEXION. - - Quand Jsus-Christ voulut proposer un modle ses disciples, le - choisit-il parmi les hommes distingus par leur science ou par la - supriorit de leur esprit? Non; _il appela un petit enfant, le plaa - au milieu d'eux, et dit: En vrit je vous le dis, si vous ne vous - convertissez et ne devenez comme de petits enfants, vous n'entrerez - point dans le royaume des cieux_[105]. Or, que voyons-nous dans - l'enfance? la simplicit, la puret. Elle croit, elle aime, elle agit, - sans aucun retour sur elle-mme, par un premier mouvement du coeur: et - voil ce qui plat Dieu. Il ne demande ni de longues prires, ni - d'loquents discours, ni des mditations profondes, mais une volont - droite et un amour plein de candeur. N'avoir en tout de dsirs que les - siens, s'oublier entirement soi-mme, se soumettre aux volonts de - l'adorable Providence, sans chercher les scruter; quoi de plus pur - que cet abandon, que cette simple obissance? Aussi la rcompense en - sera-t-elle grande: _Heureux_, est-il dit, _ceux qui ont le coeur pur, - parce qu'ils verront Dieu_[106]. - - [105] Matth., XVIII, 2, 3. - - [106] Matth., V, 8. - - - - -CHAPITRE V. - -De la considration de soi-mme. - - -1. Nous ne devons pas trop compter sur nous-mmes, parce que souvent la -grce et le jugement nous manquent. - -Nous n'avons en nous que peu de lumire, et ce peu il est ais de le -perdre par ngligence. - -Souvent, nous ne nous apercevons pas combien nous sommes aveugles au -dedans de nous. - - de mauvaises actions souvent nous donnons de pires excuses. - -Quelquefois nous sommes mus par la passion, et nous croyons que c'est -par le zle. - -Nous relevons de petites fautes dans les autres, et nous nous en -permettons de plus grandes. - -Nous sentons bien vite, et nous pensons ce que nous souffrons des -autres; mais tout ce qu'ils ont souffrir de nous, nous n'y songeons -point. - -Qui se jugerait quitablement soi-mme, sentirait qu'il n'a droit de -juger personne svrement. - -2. L'homme intrieur prfre le soin de soi-mme tout autre soin; et -lorsqu'on est attentif soi, on se tait aisment sur les autres. - -Vous ne serez jamais un homme intrieur et vraiment pieux, si vous ne -gardez le silence sur ce qui vous est tranger, et si vous ne vous -occupez principalement de vous-mme. - -Si vous n'avez que Dieu et vous-mme en vue, vous serez peu touch de ce -que vous apercevrez au dehors. - -O tes-vous quand vous n'tes pas prsent vous-mme? Et que vous -revient-il d'avoir tout parcouru, et de vous tre oubli? - -Si vous voulez possder la paix et tre vritablement uni Dieu, il -faut laisser l tout le reste, et ne penser qu' vous seul. - -3. Vous ferez de grands progrs, si vous vous dgagez de tous les soins -du temps. - -Vous serez au contraire fatigu bien vite, si vous comptez pour quelque -chose ce qui n'est que de ce monde. - -Qu'il n'y ait rien de grand vos yeux, d'lev, de doux, d'aimable, que -Dieu seul, ou ce qui vient de Dieu. - -Regardez comme une pure vanit toute consolation qui repose sur la -crature. - -L'me qui aime Dieu mprise tout ce qui est au-dessous de Dieu. - -Dieu seul est ternel, immense, et remplissant tout, est la consolation -de l'me, et la vraie joie du coeur. - - -RFLEXION. - - Quand vous sauriez ce qu'il y a de bon et de mauvais dans chaque - homme, sans en excepter un seul, quoi cela vous servirait-il, si - vous vous ignorez vous-mme? On ne vous interrogera point, au dernier - jour, sur la conscience d'autrui. Laissez donc l une sollicitude dont - presque toujours l'orgueil et la malignit sont le principe, et - occupez-vous d'un soin plus agrable Dieu et plus utile pour vous. - La grande, la vraie science est de se connatre soi-mme: ce doit tre - notre tude de tous les instants. Alors on apprend se mpriser, - gmir sur la plaie de son coeur, sur l'amour-propre effrn qui nous - domine, sur les secrtes convoitises qui nous tourmentent, et l'on - s'crie comme l'Aptre: _Qui me dlivrera de ce corps de mort_[107]? - Heureuse, heureuse dlivrance! mais que trouverons-nous aprs, si nous - avons t fidles? Dieu, uniquement Dieu, et en lui toutes choses, - toute consolation, tout bien. mon me! puisqu'il est ainsi, commence - ds ce moment mme te dgager du poids qui t'affaisse, de la terre - et des cratures, pour ne t'attacher qu' Dieu seul. - - [107] Rom., VII, 24. - - - - -CHAPITRE VI. - -De la joie d'une bonne conscience. - - -1. _La gloire de l'homme de bien est le tmoignage de sa -conscience_[108]. - - [108] II. Cor., I, 12. - -Ayez la conscience pure, et vous possderez toujours la joie. - -La bonne conscience peut supporter beaucoup de choses, et elle est -pleine de joie dans les adversits. - -La mauvaise conscience est toujours inquite et trouble. - -Vous jouirez d'un repos ravissant, si votre coeur ne vous reproche rien. - -Ne vous rjouissez que d'avoir fait le bien. - -Les mchants n'ont jamais de vritable joie, ils ne possdent point la -paix intrieure, _parce qu'il n'y a point de paix pour l'impie_[109], -dit le Seigneur. - - [109] Is., LVII, 21. - -Et s'ils disent: _Nous sommes dans la paix, les maux ne viendront pas -sur nous; et qui oserait nous nuire[110]?_ ne les croyez pas: car la -colre de Dieu se lvera soudain, et leurs oeuvres seront rduites -rien, et leurs penses priront. - - [110] Jer., V, 12. - -2. Se faire un sujet de gloire de la tribulation, n'est pas difficile -celui qui aime: car se glorifier ainsi, c'est _se glorifier dans la -Croix de Jsus-Christ_[111]. - - [111] Rom., V, 3. Gal., VI, 14. - -La gloire que les hommes donnent et reoivent est courte. - -La tristesse accompagne toujours la gloire du monde. - -La gloire des bons est dans leur conscience, et non dans la bouche des -hommes. - -L'allgresse des justes est de Dieu et en Dieu, et leur joie vient de la -vrit. - -Celui qui dsire la gloire vritable et ternelle ddaigne la gloire du -temps. - -Et celui qui recherche la gloire du temps, et ne la mprise pas de toute -son me, montre qu'il aime peu la gloire ternelle. - -Il jouit d'une grande tranquillit de coeur, celui que n'meut ni la -louange ni le blme. - -3. Il sera aisment en paix et content, celui dont la conscience est -pure. - -Vous n'tes pas plus saint parce qu'on vous loue, ni plus imparfait -parce qu'on vous blme. - -Vous tes ce que vous tes; et tout ce qu'on pourra dire ne vous fera -pas plus grand que vous ne l'tes aux yeux de Dieu. - -Si vous considrez bien ce que vous tes en vous-mme, vous vous -embarrasserez peu de ce que les hommes disent de vous. - -_L'homme voit le visage, mais Dieu voit le coeur_[112]. L'homme regarde -les actions, mais Dieu pse l'intention. - - [112] I. Reg., XVI, 7. - -Faire toujours bien et s'estimer peu, c'est le signe d'une me humble. - -Ne vouloir de consolation d'aucune crature, c'est la marque d'une -grande puret et d'une grande confiance intrieure. - -4. Quand on ne cherche au dehors aucun tmoignage en sa faveur, il est -manifeste qu'on s'est entirement remis Dieu. - -_Car ce n'est pas celui qui se recommande lui-mme qui est approuv,_ -dit saint Paul, _mais celui que Dieu recommande_[113]. - - [113] II. Cor., _X_, 18. - -Avoir toujours Dieu prsent au dedans de soi, et ne tenir rien au -dehors, c'est l'tat de l'homme intrieur. - - -RFLEXION. - - Nul repos pour celui qui ne le trouve pas en soi. Le coeur inquiet qui - cherche au dehors dans les cratures la paix dont il est priv - intrieurement, se fait une grande illusion; elle n'est pas l. - Pourquoi vous tromper vous-mme? La mer souleve par les temptes - n'est pas plus agite que le monde; et vous lui dites: Apaise mon - trouble! il n'y a de calme que dans le sein de Dieu: il n'y a de joie - que dans la conscience pure. Les plaisirs distraient, les passions - enivrent un moment; mais ce moment pass, que reste-t-il? Et encore - que d'ennui souvent et que d'amertume pendant sa dure! Vous - reprsentez-vous, au contraire, une flicit comparable celle qui - accompagne l'innocence; quelque chose qui, ds ici-bas, ressemble plus - au ciel, que l'tat d'une me dtache de la terre, et tranquille sous - la main de Dieu qu'elle possde dj par l'esprance et par l'amour? - Eh bien donc, que cet tat devienne le vtre; _venez et gotez combien - le Seigneur est doux_[114]; faites un effort, veuillez seulement: - celui qui donne le bon vouloir, vous donnera aussi de l'accomplir. - - [114] Ps. XXXIII, 9. - - - - -CHAPITRE VII. - -Qu'il faut aimer JSUS-CHRIST par-dessus toutes choses. - - -1. Heureux celui qui comprend ce que c'est que d'aimer Jsus, et de se -mpriser soi-mme cause de Jsus. - -Il faut que notre amour pour lui nous dtache de tout autre amour, parce -que Jsus veut tre aim seul par-dessus toutes choses. - -L'amour de la crature est trompeur et passe bientt; l'amour de Jsus -est stable et fidle. - -Celui qui s'attache la crature tombera comme elle et avec elle; celui -qui s'attache Jsus sera pour jamais affermi. - -Aimez et conservez pour ami celui qui ne vous quittera point, alors que -tous vous abandonneront, et qui, quand viendra votre fin, ne vous -laissera point prir. - -Que vous le vouliez ou non, il vous faudra un jour tre spar de tout. - -2. Vivant et mourant, tenez-vous donc prs de Jsus, et confiez-vous -la fidlit de celui qui seul peut vous secourir lorsque tout vous -manquera. - -Tel est votre bien-aim, qu'il ne veut point de partage; il veut -possder seul votre coeur, et y rgner comme un roi sur le trne qui est - lui. - -Si vous saviez bannir de votre me toutes les cratures, Jsus se -plairait demeurer en vous. - -Vous trouverez avoir perdu presque tout ce que vous aurez tabli sur les -hommes et non sur Jsus. - -Ne vous appuyez point sur un roseau qu'agite le vent, et n'y mettez pas -votre confiance, _car toute chair est comme l'herbe, et sa gloire passe -comme la fleur des champs_[115]. - - [115] Is., XL, 6. - -Vous serez tromp souvent, si vous jugez des hommes d'aprs ce qui -parat au dehors; au lieu des avantages et du soulagement que vous -cherchez en eux, vous n'prouverez presque toujours que du prjudice. - -Cherchez Jsus en tout, et en tout vous trouverez Jsus. Si vous vous -cherchez vous-mme, vous vous trouverez aussi, mais pour votre perte. - -Car l'homme qui ne cherche pas Jsus, se nuit plus lui-mme que tous -ses ennemis, et que le monde entier. - - -RFLEXION. - - Entrans par le _charme de sentir_, ainsi que parle Bossuet, nous - cherchons notre bien dans les cratures qui nous chappent et - s'vanouissent comme des ombres. Nous voulons aimer et tre aims; et - nous nous loignons de la source du vritable amour, de l'amour - infini. Comprenons enfin combien il est insens d'attacher notre coeur - ce qui passe, et combien sont vaines ces amitis de la terre, _qui - s'en vont avec les annes et les intrts_. Aimons Jsus sans partage; - aimons-le comme il nous aime et comme il veut tre aim. _La mesure de - notre amour pour lui_, dit saint Bernard, _est de l'aimer sans - mesure_. Malheur qui lui prfre quelque chose! ses dsirs sont sur - la route du nant. - - - - -CHAPITRE VIII. - -De la familiarit que l'amour tablit entre Jsus et l'me fidle. - - -1. Quand Jsus est prsent, tout est doux et rien ne semble difficile; -mais quand Jsus se retire, tout fatigue. - -Quand Jsus ne parle pas au dedans, nulle consolation n'a de prix; mais -si Jsus dit une seule parole, on est merveilleusement consol. - -Marie Madeleine ne se leva-t-elle pas aussitt du lieu o elle pleurait, -lorsque Marthe lui dit: _Le Matre est l, et il vous appelle_[116]. - - [116] Joann., XI, 28. - -Heureux moment, o Jsus appelle des larmes la joie de l'esprit! - -Combien, sans Jsus, n'tes-vous pas aride et insensible! - -Et quelle vanit, quelle folie, si vous dsirez autre chose que -Jsus-Christ? Ne serait-ce pas une plus grande perte que si vous aviez -perdu le monde entier? - -2. Que peut vous donner le monde sans Jsus? - -tre sans Jsus, c'est un insupportable enfer; tre avec Jsus, c'est un -paradis de dlices. - -Si Jsus est avec vous, nul ennemi ne pourra vous nuire. - -Qui trouve Jsus, trouve un trsor immense, ou plutt un bien au-dessus -de tout bien. - -Qui perd Jsus, perd plus et beaucoup plus que s'il perdait le monde -entier. - -Vivre sans Jsus, c'est le comble de l'indigence; tre uni Jsus, -c'est possder des richesses infinies. - -3. C'est un grand art que de savoir converser avec Jsus; et une grande -prudence que de savoir le retenir prs de soi. - -Soyez humble et pacifique, et Jsus sera avec vous. - -Que votre vie soit pieuse et calme, et Jsus demeurera prs de vous. - -Vous loignerez bientt Jsus, et vous perdrez sa grce, si vous voulez -vous rpandre au dehors. - -Et si vous l'loignez et le perdez, qui sera votre refuge, et quel autre -ami chercherez-vous? - -Vous ne sauriez vivre heureux sans ami, et si Jsus n'est pas pour vous -un ami au-dessus de tous les autres, n'attendez que tristesse et -dsolation. - -Qu'insenss vous tes, si vous mettez en quelqu'autre votre confiance ou -votre joie! - -Il vaudrait mieux avoir le monde entier contre vous, que d'tre dans la -disgrce de Jsus. - -Qu'il vous soit donc plus cher que tout ce qui vous est cher. - -4. Aimez tous les autres pour Jsus, et Jsus pour lui-mme. - -Lui seul doit tre aim uniquement, parce qu'il est le seul ami bon, -fidle, entre tous les amis. - -Aimez en lui et cause de lui, vos amis et vos ennemis, et priez-le -pour tous, afin que tous le connaissent et l'aiment. - -Ne souhaitez jamais d'obtenir aucune prfrence dans l'estime ou l'amour -des hommes: car cela n'appartient qu' Dieu, qui n'a point d'gal. - -Ne dsirez point que quelqu'un s'occupe de vous dans son coeur, et ne -soyez vous-mme proccup de l'amour de personne; mais que Jsus soit en -vous et en tout homme de bien. - -5. Soyez pur et libre au dedans, sans aucune attache la crature. - -Il vous faut tre dpouill de tout, et offrir Dieu un coeur pur, si -vous voulez tre libre, et goter combien le Seigneur est doux. - -Et certes, jamais vous n'y parviendrez, si sa grce ne vous prvient et -ne vous attire; de sorte qu'ayant exclu et banni tout le reste, vous -soyez seul uni lui seul. - -Car, lorsque la grce de Dieu visite l'homme, alors il peut tout; et -quand elle se retire, alors il est pauvre et infirme, et ne semble -rserv qu'aux chtiments. - -En cet tat mme, il ne doit ni se laisser abattre ni dsesprer; mais -il doit se soumettre avec calme la volont de Dieu, et souffrir, pour -l'amour de Jsus-Christ, tout ce qui lui arrive: car l't succde -l'hiver, aprs la nuit revient le jour, et aprs la tempte une grande -srnit. - - -RFLEXION. - - L'amour a fait descendre le fils de Dieu sur la terre: l'amour nous - lve jusqu' lui. Alors il s'tablit entre notre me et Jsus, comme - une union ravissante; alors s'accomplit cette promesse: _je ne vous - laisserai pas orphelin, je viendrai vous_[117]. Venez donc, mon - Jsus, venez briser les derniers liens qui m'attachent aux cratures - et retardent l'heureux moment o je ne vivrai plus que pour vous. - Faites que, m'oubliant moi-mme, je ne voie, je ne dsire que vous - seul, et me repose sur votre sein comme le disciple bien-aim, dans - cette paix dlicieuse que _le monde ne donne pas_[118], qu'il ne peut - mme comprendre, mais aussi que ses orages ne sauraient troubler. - - [117] Joann., XIV, 18. - - [118] _Ibid._, 27. - - - - -CHAPITRE IX. - -De la privation de toute consolation. - - -1. Il n'est pas difficile de mpriser les consolations humaines, quand -on jouit des consolations divines. - -Mais il est grand et trs-grand de consentir tre priv tout la fois -des consolations des hommes et de celles de Dieu, de supporter -volontairement pour sa gloire cet exil du coeur, de ne se rechercher en -rien, et de ne faire aucun retour sur ses propres mrites. - -Qu'y a-t-il d'tonnant, si vous tes rempli d'allgresse et de ferveur -lorsque la grce descend en vous? C'est pour tous l'heure dsirable. - -Il avance aisment et avec joie, celui que la grce soulve. - -Comment sentirait-il son fardeau, quand il est port par le -Tout-Puissant, et conduit par le guide suprme? - -2. Toujours nous cherchons quelque soulagement, et difficilement l'homme -se dpouille de lui-mme. - -Fidle son vque, le saint martyr Laurent vainquit le sicle, parce -qu'il mprisa tout ce que le monde offre de sduisant, et qu'il souffrit -en paix, pour l'amour de Jsus-Christ, d'tre spar du souverain prtre -de Dieu, de Sixte, qu'il aimait avec une vive tendresse. - -Par l'amour du Crateur, surmontant l'amour de l'homme, aux consolations -humaines il prfra le bon plaisir divin. - -Et vous aussi, apprenez donc quitter, pour l'amour de Dieu, l'ami le -plus cher et le plus intime. - -Et ne murmurez point, s'il arrive que votre ami vous abandonne, sachant -qu'aprs tout il faut bien un jour se sparer tous. - -3. Ce n'est pas sans combattre beaucoup et longtemps en lui-mme, que -l'homme apprend se vaincre pleinement, et reporter en Dieu toutes -ses affections. - -Lorsqu'il s'appuie sur lui-mme, il se laisse aisment aller aux -consolations humaines. - -Mais celui qui a vraiment l'amour de Jsus-Christ, et le zle de la -vertu, ne cde point l'attrait des consolations, et ne cherche point -les douceurs sensibles: il dsire plutt de fortes preuves, et de -souffrir de durs travaux pour Jsus-Christ. - -4. Quand donc Dieu vous accorde quelque consolation spirituelle, -recevez-la avec action de grces; mais reconnaissez-y le don de Dieu, et -non votre propre mrite. - -Ne vous en levez pas, n'en ayez point trop de joie, n'en concevez pas -une vaine prsomption. Que cette grce, au contraire, vous rende plus -humble, plus vigilant, plus timide dans toutes vos actions: car ce -moment passera et sera suivi de la tentation. - -Quand la consolation vous est te, ne vous dcouragez pas aussitt; -mais attendez avec humilit et avec patience que Dieu vous visite de -nouveau: car il est tout-puissant pour vous consoler encore plus. - -Cela n'est ni nouveau ni trange pour ceux qui ont l'exprience des -voies de Dieu: les grands Saints et les anciens prophtes ont souvent -prouv ces vicissitudes. - -5. Un d'eux, sentant la prsence de la grce, s'criait: _J'ai dit dans -mon abondance: Je ne serai jamais branl!_ Mais la grce s'tant -retire, il ajoutait: _Vous avez dtourn de moi votre face, et j'ai t -rempli de trouble_[119]. - - [119] Ps. XXIX, 7, 8. - -Dans ce trouble, cependant, il ne dsespre point, mais il prie le -Seigneur avec plus d'instance, disant: _Seigneur, je crierai vers vous, -et j'implorerai mon Dieu_[120]. - - [120] _Ibid._, 9. - -Enfin il recueille le fruit de sa prire, et il tmoigne qu'il a t -exauc: _Le Seigneur m'a cout, et il a eu piti de moi: le Seigneur -s'est fait mon appui_[121]. - - [121] _Ibid._, 11. - -Mais comment? _Vous avez_, dit-il, _chang mes gmissements en chants -d'allgresse, et vous m'avez environn de joie_[122]. - - [122] _Ibid._, 12. - -Or, puisque Dieu en use ainsi avec les plus grands Saints, nous ne -devons pas perdre courage, pauvres infirmes que nous sommes, si -quelquefois nous prouvons de la ferveur et quelquefois du -refroidissement: car l'esprit de Dieu vient et se retire comme il lui -plat. Ce qui faisait dire au bienheureux Job: _Vous visitez l'homme ds -le matin, et aussitt vous l'prouvez_[123]. - - [123] Job, VII, 18. - -6. En quoi donc esprer, et en quoi mettre ma confiance, si ce n'est -uniquement dans la grande misricorde de mon Dieu et dans l'attente de -la grce cleste? - -Car, soit que j'aie prs de moi des hommes vertueux, des religieux -fervents, des amis fidles; soit que je lise de saints livres et -d'loquents traits; soit que j'entende le doux chant des hymnes; tout -cela aide peu et ne touche gure, quand la grce se retire, et que je -suis dlaiss dans ma propre indigence. - -Alors il n'est point de meilleur remde qu'une humble patience, et -l'abandon de soi-mme la volont de Dieu. - -7. Je n'ai jamais rencontr d'homme si pieux et si parfait, qui n'ait -prouv quelquefois cette privation de la grce, et une diminution de -ferveur. - -Nul Saint n'a t ravi si haut ni si rempli de lumires, qu'il n'ait t -tent avant ou aprs. - -Car il n'est pas digne d'tre lev jusqu' la contemplation de Dieu -celui qui n'a pas souffert pour Dieu quelque tribulation. - -La tentation annonce d'ordinaire la consolation qui doit suivre. - -Car la consolation cleste est promise ceux qu'a prouvs la -tentation. _Celui qui vaincra_, dit le Seigneur, _je lui donnerai -manger du fruit de l'arbre de vie_[124]. - - [124] Apoc., II, 7. - -8. La consolation divine est donne, afin que l'homme ait plus de force -pour soutenir l'adversit. - -La tentation vient aprs, afin qu'il ne s'enorgueillisse pas du bien. - -Car Satan ne dort point, et la chair n'est pas encore morte: c'est -pourquoi ne cessez de vous prparer au combat, parce qu' droite et -gauche sont des ennemis qui ne se reposent jamais. - - -RFLEXION. - - Bien que l'humanit sainte du Sauveur ne cesst de jouir, par son - intime union avec le Verbe divin, d'une paix et d'une joie - inaltrables, il ne laissait pas de ressentir souvent, dans la partie - infrieure de l'me, les afflictions et les douleurs devenues - l'apanage de notre nature depuis le pch. Qui n'a prsentes - l'esprit ces grandes paroles: _Mon me est triste jusqu' la - mort_[125]. _Mon Pre! mon Pre! pourquoi m'avez-vous dlaiss[126]?_ - Ainsi l'me chrtienne, sans perdre sa paix, est prouve aussi par la - tristesse et les tribulations intrieures. Si elle gotait toujours la - consolation, il serait craindre qu'elle ne tombt peu peu dans le - relchement; et qu'aurait-elle d'ailleurs offrir son bien-aim? - _La vertu se perfectionne dans l'infirmit_. C'est l'Aptre qui nous - l'apprend, et il ajoute aussitt: _Je me glorifierai donc dans mes - infirmits, afin que la vertu de Jsus-Christ habite en moi_[127]. - Cette espce d'abandon, cet _exil du coeur_ nous rappelle vivement - notre misre, que nous oublions trop facilement, exerce notre foi, - notre amour, et nous maintient dans l'humilit. Gardez-vous donc, en - ces moments o Jsus parat se retirer de vous, de flchir sous le - poids de l'preuve, et de vous laisser aller au dcouragement. Un des - grands secours, dit un pieux auteur, pour bien porter sa croix, est - d'en ter l'inquitude, et de rendre cette peine tranquille par une - totale conformit la divine volont[128]. Au lieu de gmir et de - vous troubler, rjouissez-vous plutt; car il est crit: _Ceux qui - sment dans les larmes moissonnent dans l'allgresse. Ils allaient et - pleuraient en rpandant des semences; ils reviendront pleins de joie, - portant des gerbes dans leurs mains_[129]. - - [125] Matth., XXVI, 38. - - [126] _Ibid._, XXVII, 46. - - [127] II. Cor., XII, 9. - - [128] Boudon, les Saintes Voies de la Croix, liv. II, chap. III. - - [129] Ps. CXXV, 5. 6. - - - - -CHAPITRE X. - -De la reconnaissance pour la grce de Dieu. - - -1. Pourquoi cherchez-vous le repos, lorsque vous tes n pour le -travail? - -Disposez-vous la patience plutt qu'aux consolations, et porter la -croix plutt qu' goter la joie. - -Quel est l'homme du sicle qui ne ret volontiers les joies et les -consolations spirituelles, s'il pouvait en jouir toujours? - -Car les consolations spirituelles surpassent toutes les dlices du monde -et toutes les volupts de la chair. - -Toutes les dlices du monde sont ou honteuses ou vaines; les dlices -spirituelles sont seules douces et chastes, nes des vertus et rpandues -par Dieu dans les coeurs purs. - -Mais nul ne peut jouir, toujours son gr, des consolations divines; -parce que la tentation ne cesse jamais longtemps. - -2. Une fausse libert d'esprit et une grande confiance en soi-mme -forment un grand obstacle aux visites d'en haut. - -Dieu accorde l'homme un grand bien en lui donnant la grce de la -consolation; mais l'homme fait un grand mal, quand il ne remercie pas -Dieu de ce don, et ne le lui rapporte pas tout entier. - -Si la grce ne coule point abondamment sur nous, c'est que nous sommes -ingrats envers son Auteur, et que nous ne remontons point sa source -premire. - -Car la grce n'est jamais refuse celui qui la reoit avec gratitude, -et Dieu ordinairement donne l'humble ce qu'il te au superbe. - -3. Je ne veux point de la consolation qui m'te la componction; je -n'aspire point la contemplation qui conduit l'orgueil. - -Car tout ce qui est lev n'est pas saint; tout ce qui est doux n'est -pas bon; tout dsir n'est pas pur; tout ce qui est cher l'homme n'est -pas agrable Dieu. - -J'aime une grce qui me rend plus humble, plus vigilant, plus prt me -renoncer moi-mme. - -L'homme instruit par le don de la grce, et par sa privation, n'osera -s'attribuer aucun bien; mais plutt il confessera son indigence et sa -nudit. - -Donnez Dieu ce qui est Dieu; et ce qui est de vous, ne l'imputez -qu' vous. Rendez gloire Dieu de ses grces, et reconnaissez que, -n'ayant rien vous que le pch, rien ne vous est d que la peine du -pch. - -4. _Mettez-vous_ toujours _ la dernire place_[130], et la premire -vous sera donne; car ce qui est le plus lev s'appuie sur ce qui est -le plus bas. - - [130] Luc, XIV, 10. - -Les plus grands Saints aux yeux de Dieu, sont les plus petits leurs -propres yeux; et plus leur vocation est sublime, plus ils sont humbles -dans leur coeur. - -Pleins de la vrit et de la gloire cleste, ils ne sont pas avides -d'une gloire vaine. - -Fonds et affermis en Dieu, ils ne sauraient s'lever en eux-mmes. - -Rapportant Dieu tout ce qu'ils ont reu de bien, ils ne recherchent -point la gloire que donnent les hommes, et ne veulent que celle qui -vient de Dieu seul: leur unique but, leur dsir unique, est qu'il soit -glorifi en lui-mme et dans tous les Saints, par-dessus toutes choses. - -5. Soyez donc reconnaissant des moindres grces, et vous mriterez d'en -recevoir de plus grandes. - -Que le plus lger don, la plus petite faveur, aient pour vous autant de -prix que le don le plus excellent et la faveur la plus singulire. - -Si vous considrez la grandeur de celui qui donne, rien de ce qu'il -donne ne vous paratra petit ni mprisable: car peut-il tre quelque -chose de tel dans ce qui vient d'un Dieu infini? - -Vous envoie-t-il des peines et des chtiments, recevez-les encore avec -joie: car c'est toujours pour notre salut qu'il fait ou qu'il permet -tout ce qui nous arrive. - -Voulez-vous conserver la grce de Dieu, soyez reconnaissant lorsqu'il -vous la donne, patient lorsqu'il vous l'te. Priez pour qu'elle vous -soit rendue, et soyez humble et vigilant pour ne pas la perdre. - - -RFLEXION. - - L'homme est si pauvre, qu'il n'a pas mme une bonne pense, un bon - dsir, qui ne lui vienne d'en haut. De lui-mme il ne peut rien, pas - mme souhaiter d'tre affranchi de sa misre, qu'il ne connat que par - une lumire surnaturelle... Si la divine misricorde ne le prvenait, - il languirait dans une ternelle impuissance de tout bien. Plus la - grce donc lui est donne avec abondance, plus il a raison de - s'humilier, en voyant ce qu'il serait sans elle, ce qu'il est par son - propre fonds. Crature insense, qui t'enorgueillis des dons de Dieu, - _qu'as-tu que tu n'aies reu? et si tu l'as reu, pourquoi te - glorifier, comme si tu ne l'avais pas reu_[131]? Il faut que - l'orgueil plie sous cette parole, et que l'homme tout entier - s'anantisse en prsence de celui qui seul le retire de l'abme o le - pch l'avait prcipit. Il ne se relve qu'en s'abaissant; ce qui - faisait dire saint Paul: _Quand je me sens faible, c'est alors que - suis fort_[132]. Je vous comprends, grand Aptre! ce sentiment qui - vous humilie appelle la grce promise _aux humbles_[133], et par elle - vous tes revtu de la force de Dieu mme. Que ne devons-nous point - ce Dieu de bont, et que lui rendrons-nous pour tant de bienfaits? - Hlas! dans notre indigence, nous n'avons lui offrir que notre - coeur, et c'est aussi tout ce qu'il demande de sa pauvre crature. Que - ce coeur au moins lui appartienne sans rserve; que rien ne le - partage; qu'il ne veuille, qu'il ne gote que Dieu, ne vive que de son - amour; et qu'ainsi commence sur la terre cette union ravissante qui - sera plus tard notre ternelle flicit! - - [131] I. Cor., IV, 7. - - [132] II. Cor., XII, 10. - - [133] Jacob, IV, 6. - - - - -CHAPITRE XI. - -Du petit nombre de ceux qui aiment la Croix de JSUS-CHRIST. - - -1. Il y en a beaucoup gui dsirent le cleste royaume de Jsus, mais peu -consentent porter sa Croix. - -Beaucoup souhaitent ses consolations, mais peu aiment ses souffrances. - -Il trouve beaucoup de compagnons de sa table, mais peu de son -abstinence. - -Tous veulent partager sa joie, mais peu veulent souffrir quelque chose -pour lui. - -Plusieurs suivent Jsus jusqu' la fraction du pain, mais peu jusqu' -boire le Calice de sa Passion. - -Plusieurs admirent ses miracles, mais peu gotent l'ignominie de sa -Croix. - -Plusieurs aiment Jsus, pendant qu'il ne leur arrive aucune adversit. - -Plusieurs le louent et le bnissent, tandis qu'ils reoivent ses -consolations. - -Mais si Jsus se cache et les dlaisse un moment, ils tombent dans le -murmure, ou dans un excessif abattement. - -2. Mais ceux qui aiment Jsus pour Jsus, et non pour eux-mmes, le -bnissent dans toutes les tribulations et dans l'angoisse du coeur, -comme dans les consolations les plus douces. - -Et quand il ne voudrait jamais les consoler, toujours cependant ils le -loueraient, toujours ils lui rendraient grces. - -3. Oh! que ne peut l'amour de Jsus, quand il est pur et sans aucun -mlange d'amour ni d'intrt propre! - -Ne sont-ce pas des mercenaires, ceux qui cherchent toujours des -consolations? - -Ne prouvent-ils pas qu'ils s'aiment eux-mmes plus que Jsus-Christ, -ceux qui pensent toujours leur gain et leurs avantages? - -O trouvera-t-on quelqu'un qui veuille servir Dieu pour Dieu seul? - -4. Rarement on rencontre un homme assez avanc dans les voies -spirituelles pour tre dpouill de tout. - -Car le vritable pauvre d'esprit, dtach de toute crature, qui le -trouvera? _Il faut le chercher bien loin, et jusqu'aux extrmits de la -terre_[134]. - - [134] Prov., XXXI, 10. - -_Si l'homme donne tout ce qu'il possde, ce n'est encore rien_[135]. - - [135] Cant., _VIII_, 7 - -S'il fait une grande pnitence, c'est peu encore. - -Et s'il embrasse toutes les sciences, il est encore loin. - -Et s'il a une grande vertu et une pit fervente, il lui manque encore -beaucoup, il lui manque une chose souverainement ncessaire. - -Qu'est-ce donc? C'est qu'aprs avoir tout quitt, il se quitte aussi -lui-mme, et se dpouille entirement de l'amour de soi. - -C'est, enfin, qu'aprs avoir fait tout ce qu'il sait devoir faire, il -pense encore n'avoir rien fait. - -5. Qu'il estime peu ce qu'on pourrait regarder comme quelque chose de -grand, et qu'en toute sincrit il confesse qu'il est un serviteur -inutile, selon la parole de la Vrit: _Quand vous aurez fait tout ce -qui vous est command, dites: Nous sommes des serviteur inutiles_[136]. - - [136] Luc., XVII, 10. - -Alors il sera vraiment pauvre et spar de tout en esprit, et il pourra -dire avec le Prophte: _Oui, je suis pauvre et seul dans le monde_[137]. - - [137] Ps. XXIV, 17. - -Nul cependant n'est plus riche, plus puissant, plus libre, que celui qui -sait quitter tout, et soi-mme, et se mettre au dernier rang. - - -RFLEXION. - - Il faut aimer Dieu pour Dieu mme, et non pas cause de la joie que - l'on gote le servir: car, s'il nous retirait ses consolations, que - deviendrait cet amour mercenaire? Celui qui se cherche encore en - quelque chose, ne sait point aimer. Regardez votre modle, contemplez - Jsus, il ne s'est recherch en rien: _Christus non sibi - placuit_[138]. Il a tout sacrifi pour vous, son repos, sa vie, sa - volont mme: _Non pas ce que je veux_, disait-il, _mais ce que vous - voulez_[139]. Il a tout souffert jusqu' la croix, jusqu'au - dlaissement de son Pre: _Mon Dieu! pourquoi m'avez-vous - abandonn[140]?_ Entrons, son exemple, dans cet esprit de sacrifice; - et dtachs dsormais de tout intrt propre, acceptons, avec une - gale srnit, les biens et les maux, les peines et les joies, en - sorte que, n'ayant de penses, de dsirs que ceux de Jsus, nous - soyons _consomms avec lui dans cette unit parfaite_[141], que, prs - de quitter ce monde, il demandait pour nous son Pre, comme le - dernier et le plus grand de ses dons. - - [138] Rom., XV, 3. - - [139] Matth., XXVI, 19. - - [140] _Ibid._, XXVII, 46. - - [141] Joann., XVII, 23. - - - - -CHAPITRE XII. - -De la sainte voie de la Croix. - - -1. Cette parole semble dure plusieurs: _Renoncez vous-mme, prenez -votre croix, et suivez_[142] Jsus. - - [142] Luc., IX, 23. - -Mais il sera bien plus dur, au dernier jour, d'entendre cette parole: -_Retirez-vous de moi, maudits, allez au feu ternel_[143]! - - [143] Matth., XXV, 41. - -Ceux qui coutent maintenant volontiers la parole qui commande de porter -la Croix, et qui y obissent, ne craindront point alors d'entendre -l'arrt d'une ternelle condamnation. - -_Ce signe de la Croix sera dans le Ciel, lorsque le Seigneur viendra -pour juger_[144]. - - [144] _Ibid._, XXIV, 30. - -Alors tous les disciples de la Croix, qui auront imit, pendant leur -vie, Jsus crucifi, s'approcheront avec une grande confiance de -Jsus-Christ juge. - -2. Pourquoi donc craignez-vous de porter la Croix par laquelle on arrive -au royaume du Ciel? - -Dans la Croix est le salut, dans la Croix la vie, dans la Croix la -protection contre nos ennemis. - -C'est de la Croix que dcoulent les suavits clestes. - -Dans la Croix est la force de l'me, dans la Croix la joie de l'esprit, -la consommation de la vertu, la perfection de la saintet. - -Il n'y a de salut pour l'me, ni d'esprance de vie ternelle, que dans -la Croix. - -Prenez donc votre Croix, et suivez Jsus, et vous parviendrez -l'ternelle vie. - -Il vous a prcd portant sa Croix, et il est mort pour vous sur la -Croix, afin que vous aussi vous portiez votre Croix, et que vous -aspiriez mourir sur la Croix. - -_Car si vous mourez avec lui, vous vivrez aussi avec lui_[145]; et si -vous partagez ses souffrances, vous partagerez sa gloire. - - [145] Rom., VI, 8. - -3. Ainsi tout est dans la Croix, et tout consiste mourir. Il n'est -point d'autre voie qui conduise la vie et la vritable paix du -coeur, que la voie de la Croix et d'une mortification continuelle. - -Allez o vous voudrez, cherchez tout ce que vous voudrez, et vous ne -trouverez pas au-dessus une voie plus leve, au-dessous une voie plus -sre que la voie de la sainte Croix. - -Disposez de tout selon vos vues, rglez tout selon vos dsirs, et -toujours vous trouverez qu'il vous faut souffrir quelque chose, que vous -le vouliez ou non; et ainsi vous trouverez toujours la Croix. - -Car, ou vous sentirez de la douleur dans le corps, ou vous prouverez de -l'amertume dans l'me. - -4. Tantt vous serez dlaiss de Dieu, tantt exerc par le prochain, et -ce qui est plus encore, vous serez souvent charge de vous-mme. Vous -ne trouverez vos peines aucun remde, aucun soulagement; mais il vous -faudra souffrir aussi longtemps que Dieu le voudra. - -Car Dieu veut que vous appreniez souffrir sans consolation, et que -vous vous soumettiez lui sans rserve, et que vous deveniez plus -humble par la tribulation. - -Nul n'a si avant dans son coeur la Passion de Jsus-Christ, que celui -qui a souffert quelque chose de semblable. - -La Croix est donc toujours prpare; elle vous attend partout. - -Vous ne pouvez la fuir, quelque part que vous alliez, puisque partout o -vous irez, vous vous porterez et vous trouverez toujours vous-mme. - -levez-vous, abaissez-vous, sortez de vous-mme, rentrez-y: toujours -vous trouverez la Croix; et il faut que partout vous preniez patience, -si vous voulez possder la paix intrieure et mriter la couronne -immortelle. - -5. Si vous portez de bon coeur la Croix, elle-mme vous portera, et vous -conduira au terme dsir, o vous cesserez de souffrir: mais ce ne sera -pas en ce monde. - -Si vous la portez regret, vous en augmentez le poids, vous rendez -votre fardeau plus dur; et cependant il vous faut la porter. - -Si vous rejetez une Croix, vous en trouverez certainement une autre, et -peut-tre plus pesante. - -6. Croyez-vous chapper ce que nul homme n'a pu viter? Quel Saint a -t en ce monde sans Croix et sans tribulation? - -Jsus-Christ lui-mme, Notre-Seigneur, n'a pas t une seule heure, dans -toute sa vie, sans prouver quelques souffrances: _Il fallait, dit-il, -que le Christ souffrt, et qu'il ressuscitt d'entre les morts, et qu'il -entrt ainsi dans sa gloire_[146]. - - [146] Luc., XXIV, 26, 46. - -Comment donc cherchez-vous une autre voie, que la voie royale de la -sainte Croix? - -7. Toute la vie de Jsus-Christ n'a t qu'une Croix et un long martyre: -et vous cherchez le repos et la joie! - -Vous vous trompez, n'en doutez pas, vous vous trompez lamentablement, si -vous cherchez autre chose que des afflictions souffrir; car toute -cette vie mortelle est pleine de misres et environne de Croix. - -Et plus un homme aura fait de progrs dans les voies spirituelles, plus -ses Croix souvent seront pesantes; parce que l'amour lui rend son exil -plus douloureux. - -8. Cependant celui que Dieu prouve par tant de peines, n'est pas sans -consolations qui les adoucissent; parce qu'il sent s'accrotre les -fruits de sa patience porter sa Croix. - -Car lorsqu'il s'incline volontairement sous elle, l'affliction qui -l'accablait se change tout entire en une douce confiance qui le -console. - -Et plus la chair est afflige, brise, plus l'esprit est fortifi -intrieurement par la grce. - -Quelquefois mme le dsir de souffrir, pour tre conforme Jsus -crucifi, lui inspire tant de force, qu'il ne voudrait pas tre exempt -de tribulations et de douleur, parce qu'il se croit d'autant plus -agrable Dieu, qu'il souffre pour lui davantage. - -Ce n'est point l la vertu de l'homme, mais la grce de Jsus-Christ, -qui opre si puissamment dans une chair infirme, que tout ce qu'elle -abhorre et fuit naturellement, elle l'embrasse et l'aime par la ferveur -de l'esprit. - -9. Il n'est pas selon l'homme de porter la Croix, d'aimer la Croix, de -chtier le corps, de le rduire en servitude, de fuir les honneurs, de -souffrir volontiers les outrages, de se mpriser soi-mme et de -souhaiter d'tre mpris, de supporter les afflictions et les pertes, et -de ne dsirer aucune prosprit dans ce monde. - -Si vous ne regardez que vous, vous ne pouvez rien de tout cela. - -Mais si vous vous confiez dans le Seigneur, la force vous sera donne -d'en haut, et vous aurez pouvoir sur la chair et le monde. - -Vous ne craindrez pas mme le dmon, votre ennemi, si vous tes arm de -la foi et marqu de la Croix de Jsus-Christ. - -10. Disposez-vous donc, comme un bon et fidle serviteur de -Jsus-Christ, porter courageusement la Croix de votre matre, crucifi -par amour pour vous. - -Prparez-vous souffrir mille adversits, mille traverses dans cette -misrable vie: car voil partout ce qui vous attend, ce que vous -trouverez partout, en quelque lieu que vous vous cachiez. - -Il faut qu'il en soit ainsi: et cette foule de maux et de douleurs, il -n'y a d'autre remde que de vous supporter vous-mme. - -Buvez avec joie le calice du Sauveur, si son amour vous est cher et si -vous dsirez avoir part sa gloire. - -Laissez Dieu disposer de ses consolations: qu'il les rpande comme il -lui plaira. - -Pour vous, choisissez les souffrances, et regardez-les comme des -consolations d'un grand prix: _car toutes les souffrances du temps n'ont -aucune proportion avec la gloire future, et ne sauraient vous la -mriter_[147], quand seul vous les supporteriez toutes. - - [147] Rom., VIII, 18. - -11. Lorsque vous en serez venu trouver la souffrance douce, et -l'aimer pour Jsus-Christ, alors estimez-vous heureux, parce que vous -avez trouv le Paradis sur la terre. - -Mais tandis que la souffrance vous sera amre, et que vous la fuirez, -vous vivrez dans le trouble; et la tribulation que vous fuirez vous -suivra partout. - -12. Si vous vous appliquez tre ce que vous devez tre, souffrir et - mourir, bientt vos peines s'adouciront, et vous aurez la paix. - -Quand vous auriez t ravi, avec Paul, jusqu'au troisime Ciel, vous ne -seriez pas pour cela assur de ne rien souffrir. _Je lui montrerai_, dit -Jsus, _combien il faut qu'il souffre pour mon nom_[148]. - - [148] Act., IX, 16. - -Il ne vous reste donc qu' souffrir, si vous voulez aimer Jsus et le -servir constamment! - -13. Plt Dieu que vous fussiez digne de souffrir quelque chose pour le -nom de Jsus! Quelle gloire vous serait rserve! Quelle joie parmi tous -les Saints! Quelle dification pour le prochain! - -Car tous recommandent la patience, quoique peu cependant veuillent -souffrir. - -Avec quelle joie vous devriez souffrir quelque chose pour Jsus, lorsque -tant d'autres souffrent beaucoup plus pour le monde! - -14. Sachez, et croyez fermement, que votre vie doit tre une mort -continuelle; et que plus on meurt soi-mme, plus on commence vivre -pour Dieu. - -Nul n'est propre comprendre les choses du Ciel, s'il ne se soumet -supporter les adversits pour Jsus-Christ. - -Rien n'est plus agrable Dieu, rien ne vous est plus salutaire en ce -monde, que de souffrir avec joie pour Jsus-Christ; et si vous aviez -choisir, vous devriez plutt souhaiter d'tre afflig pour lui, que -d'tre combl de consolations, parce que vous seriez alors plus -semblable Jsus-Christ et plus conforme tous les Saints. - -Car notre mrite et notre progrs dans la perfection ne consistent point -dans la douceur et l'abondance des consolations, mais plutt dans la -force de supporter de grandes tribulations et de pesantes preuves. - -15. S'il y avait eu, pour l'homme, quelque chose de meilleur et de plus -utile que de souffrir, Jsus-Christ nous l'aurait appris par ses paroles -et par son exemple. - -Or, manifestement il exhorte porter la croix, et les disciples qui le -suivaient, et tous ceux qui voudraient le suivre, disant: _Si quelqu'un -veut marcher sur mes pas, qu'il renonce soi-mme, qu'il porte sa croix -et qu'il me suive_[149]. - - [149] Matth., XVI, 24. - -Aprs donc avoir tout lu et tout examin, concluons enfin qu'_il nous -faut passer par beaucoup de tribulations pour entrer dans le royaume de -Dieu_[150]. - - [150] Act., XIV, 21. - - -RFLEXION. - - La doctrine de la Croix, _scandale pour les Juifs et folie pour les - Gentils_[151], est ce que les hommes comprennent le moins. Qu'un Dieu - soit mort pour les sauver, leur raison s'abaissera devant ce mystre; - mais qu'ils doivent s'associer cet tonnant sacrifice, en mourant - eux-mmes, leurs passions, leurs volonts, leurs dsirs, voil - ce qui les rvolte, et leur fait dire comme les Capharnates: _Cette - parole est dure, et qui peut l'entendre_[152]? Il faut bien pourtant - que nous l'entendions, car notre salut dpend de l. Le ciel tait - spar de la terre, la Croix les a runis; et c'est du pied de la - Croix que part tout ce qui va jusqu'au Ciel. Pressons-nous donc contre - la Croix; qu'elle soit ici-bas notre consolation, comme elle est notre - force. Lorsque, dans sa bont, Dieu nous envoie quelque preuve, - disons avec saint Andr: _ douce Croix! si longtemps dsire, et - prpare maintenant pour cette me qui la souhaitait ardemment!_ Tout - les Saints ont senti ce dsir, tous ont tenu ce langage. _Souffrir ou - mourir_, rptait souvent sainte Thrse; et, dans la souffrance, elle - trouvait plus de paix et de bonheur que n'en goteront jamais ceux que - le monde appelle heureux. Une seule larme verse aux pieds de Jsus - est plus dlicieuse mille fois que tous les plaisirs du sicle. - - [151] I. Cor., I, 23. - - [152] Joann., VI, 61. - - -FIN DU DEUXIME LIVRE. - - - - -L'IMITATION - -DE - -JSUS-CHRIST. - - - - -LIVRE TROISIME. - -DE LA VIE INTRIEURE. - - - - -CHAPITRE PREMIER. - -Des entretiens intrieurs de JSUS-CHRIST avec l'me fidle. - - -1. _J'couterai ce que le Seigneur Dieu dit en moi_[153]. - - [153] Ps. LXXXIV, 8. - -Heureuse l'me qui entend le Seigneur lui parler intrieurement, et qui -reoit de sa bouche la parole de consolation! - -Heureuses les oreilles toujours attentives recueillir ce souffle -divin, et sourdes aux bruits du monde! - -Heureuses encore une fois les oreilles qui coutent, non la voix qui -retentit au dehors, mais la vrit qui enseigne au dedans! - -Heureux les yeux qui, ferms aux choses extrieures, ne contemplent que -les intrieures! - -Heureux ceux qui pntrent les mystres que le coeur recle, et qui, par -des exercices de chaque jour, tchent de se prparer de plus en plus -comprendre les secrets du Ciel! - -Heureux ceux dont la joie est de s'occuper de Dieu, et qui se dgagent -de tous les embarras du sicle! - -Considre ces choses, mon me! et ferme la porte de tes sens, afin que -tu puisses entendre ce que le Seigneur ton Dieu dit en toi. - -2. Voici ce que dit ton bien-aim: Je suis votre salut, votre paix et -votre vie. - -Demeurez prs de moi, et vous trouverez la paix. Laissez l tout ce qui -passe; ne cherchez que ce qui est ternel. - -Que sont toutes les choses du temps, que des sductions vaines? et de -quoi vous serviront toutes les cratures, si vous tes abandonn du -Crateur? - -Renoncez donc tout, et occupez-vous de plaire votre Crateur, et de -lui tre fidle, afin de parvenir la vraie batitude. - - -RFLEXION. - - coutons la sagesse incre: _Mes dlices_, dit-elle, _sont d'tre - avec les enfants des hommes_[154]. Mais la plupart des hommes ne - comprenant pas son langage, ou craignant de l'entendre, s'loignent - d'elle pour s'entretenir avec les cratures. _Elle est venue dans le - monde, et le monde ne l'a point connue_[155]. C'est pourquoi l'Aptre - nous dfend _d'aimer le monde, ni rien de ce qui est dans le - monde_[156], _parce qu'il appartient tout entier l'esprit de - malice_[157]. Si donc nous voulons attirer en nous l'esprit de Dieu, - cet esprit dont _l'onction enseigne toutes choses_[158], sparons-nous - du monde; renonons ses maximes, ses plaisirs, ses socits - tumultueuses. Jsus ne se trouve qu'au dsert; _sa voix ne retentit - pas dans les lieux publics_[159], au milieu des assembles du sicle; - mais lorsqu'il a rsolu de rpandre ses faveurs sur l'me fidle, _il - la conduit dans la solitude, et l il parle son coeur_[160]. Comment - peindre les dlices de ce cleste entretien? Qui les a gotes une - fois ne peut plus supporter les entretiens des hommes. Jsus! parlez - mon coeur, je veux dsormais n'couter que votre voix, dans le - silence de toutes les cratures. - - [154] Prov., VIII, 31. - - [155] Joan., I, 10. - - [156] I. Joan., II, 15. - - [157] _Ibid._, V. 19. - - [158] Ibid., II, 27. - - [159] Matth., XII, 19. - - [160] Ose, II, 14. - - - - -CHAPITRE II. - -La vrit parle au dedans de nous sans aucun bruit de paroles. - - -1. _Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur coute._ - -_Je suis votre serviteur: donnez-moi l'intelligence, afin que je sache -vos tmoignages_[161]. - - [161] I. Reg., III, 9; Ps. CXVIII, 125. - -_Inclinez mon coeur aux paroles de votre bouche; qu'elles tombent sur -lui comme une douce rose_[162]. - - [162] Ps. CXVIII, 36. Deuter., XXXII, 2. - -Les enfants d'Isral disaient autrefois Mose: _Parlez-nous, et nous -vous couterons: mais que le Seigneur ne nous parle point, de peur que -nous ne mourions_[163]. - - [163] Exod., XX, 19. - -Ce n'est pas l, Seigneur, ce n'est pas l ma prire; mais au contraire, -je vous implore, comme le prophte Samuel, avec un humble dsir, disant: -_Parlez, Seigneur, parce que votre serviteur coute_[164]. - - [164] I Reg., III, 9. - -Que Mose ne me parle point, ni aucun des prophtes; mais vous plutt, -parlez, Seigneur mon Dieu, vous, la lumire de tous les prophtes, et -l'esprit qui les inspirait. Sans eux, vous pouvez seul pntrer toute -mon me de votre vrit; et sans vous, ils ne pourraient rien. - -2. Ils peuvent prononcer des paroles, mais non les rendre efficaces. - -Leur langage est sublime; mais si vous vous taisez, il n'chauffe point -le coeur. - -Ils exposent la lettre; mais vous en dcouvrez le sens. - -Ils proposent les mystres; mais vous rompez le sceau qui en drobait -l'intelligence. - -Ils publient vos commandements; mais vous aidez les accomplir. - -Ils montrent la voie; mais vous donnez des forces pour marcher. - -Ils n'agissent qu'au dehors; mais vous clairez et instruisez les -coeurs. - -Ils arrosent extrieurement; mais vous donnez la fcondit. - -Leurs paroles frappent l'oreille; mais vous ouvrez l'intelligence. - -3. Que Mose donc ne me parle point; mais vous, Seigneur mon Dieu, -ternelle vrit! parlez-moi, de peur que je ne meure, et que je -n'coute sans fruit, si, averti seulement au dehors, je ne suis point -intrieurement embras; de peur que je ne trouve ma condamnation dans -votre parole, entendue sans tre accomplie, connue sans tre aime, crue -sans tre observe. - -_Parlez-moi donc, Seigneur, parce que votre serviteur coute: vous avez -les paroles de la vie ternelle_[165]. - - [165] I Reg., III, 9; Joann., VI, 69. - -Parlez-moi pour consoler un peu mon me, pour m'apprendre rformer ma -vie; parlez-moi pour la louange, la gloire, l'honneur ternel de votre -nom. - - -RFLEXION. - - Il y a une voix qui nous parle intrieurement et comme dans le fond de - l'me, lorsque fermant l'oreille au bruit des cratures, nous ne - voulons plus couter que Dieu seul, et que nous l'appelons en nous de - toute l'ardeur de nos dsirs. C'est cette voix qui, loin des hommes, - ravissait au dsert les Paul, les Antoine, les Pacme, et leur - rvlait sans obscurit les secrets de la science divine. C'est cette - voix qui instruit les saints, les enflamme, les console et les enivre, - pour ainsi dire, de sa cleste douceur. Mose et les prophtes taient - voils pour les disciples d'Emmas: Jsus vient, et, sa voix, les - ombres qui offusquaient leur intelligence se dissipent; quelque chose - d'inconnu se remue en eux, de sorte qu'ils se disaient l'un l'antre: - _Notre coeur n'tait-il pas tout brlant au dedans de nous, lorsqu'il - nous parlait dans le chemin, et nous ouvrait les critures_[166]? Et - nous, pauvres infortuns que le tumulte du monde distrait encore, que - ferons-nous? Ne voulons-nous point aussi entendre Jsus? Comme les - deux disciples, nous sommes en voyage; nous nous en allons vers - l'ternit. Jsus, dans son amour, _s'approche_ de nous; il se fait, - en quelque sorte, le compagnon de notre route[167]: mais, nous - trouvant si peu attentifs, il se retire, et nous marchons seuls. - Effrayante solitude! Ah! prenons garde que la nuit ne nous surprenne - prs du terme! Htons-nous de rappeler le divin guide et disons-lui de - toute notre me: _Seigneur demeurez avec nous, car le soir se fait et - dj le jour baisse_[168]. - - [166] Luc., XXIV, 32. - - [167] _Ibid._, 15. - - [168] _Ibid._, 29. - - - - -CHAPITRE III. - -Qu'il faut couter la parole de Dieu avec humilit, et que plusieurs ne -la reoivent pas comme ils le devraient. - - -1. J.-C. Mon fils, coutez mes paroles, paroles pleines de douceur, et -qui surpassent toute la science des philosophes et des sages du monde. - -_Mes paroles sont esprit et vie_[169], et l'on n'en doit pas juger par -le sens humain. - - [169] Joann., VI, 64. - -Il ne faut pas en tirer une vaine complaisance, mais les couter en -silence, et les recevoir avec une humilit profonde et un ardent amour. - -2. LE F. Et j'ai dit: _Heureux celui que vous instruisez, Seigneur, et -qui vous enseignez votre loi, afin de lui adoucir les jours mauvais, et -de ne pas le laisser sans consolation sur la terre_[170]. - - [170] Ps. XCIII, 12, 13. - -3. J.-C. C'est moi qui ai, ds le commencement, instruit les prophtes, -dit le Seigneur; et jusqu' prsent mme, je ne cesse point de parler -tous; mais plusieurs sont endurcis et sourds ma voix. - -Le plus grand nombre coute le monde de prfrence Dieu: ils aiment -mieux suivre les dsirs de la chair que d'obir la volont divine. - -Le monde promet peu de chose, et des choses qui passent, et on le sert -avec une grande ardeur: je promets des biens immenses, ternels, et le -coeur des hommes reste froid. - -Qui me sert et m'obit en toutes choses, avec autant de soin qu'on sert -le monde et les matres du monde? - -_Rougis, Sidon, dit la mer_[171]; et si tu en demandes la cause, coute, -voici pourquoi: - - [171] Is., XXIII, 4. - -Pour un petit avantage, on entreprend une longue route; et, pour la vie -ternelle, peine en trouve-t-on qui veuillent faire un pas. - -On recherche le plus vil gain: on plaide honteusement quelquefois pour -une pice de monnaie; sur une lgre promesse et pour une chose de rien, -on ne craint pas de se fatiguer le jour et la nuit. - -Mais, honte! pour un bien immuable, pour une rcompense infinie, pour -un honneur suprme et une gloire sans fin, on ne saurait se rsoudre -la moindre fatigue. - -4. Serviteur paresseux et toujours murmurant, rougis donc de ce qu'il y -ait des hommes plus ardents leur perte que tu ne l'es te sauver, et -pour qui la vanit a plus d'attrait que n'en a pour toi la vrit. - -Et cependant ils sont souvent abuss par leurs esprances; tandis que ma -promesse ne trompe point, et que jamais je ne me refuse celui qui se -confie en moi. - -Ce que j'ai promis, je le donnerai: ce que j'ai dit, je l'accomplirai, -si toutefois l'on demeure avec fidlit dans mon amour jusqu' la fin. - -C'est moi qui rcompense les bons, et qui prouve fortement les justes. - -5. Gravez mes paroles dans votre coeur, et mditez-les profondment: -car, l'heure de la tentation, elles vous seront trs-ncessaires. - -Ce que vous n'entendez pas en le lisant, vous le comprendrez au jour de -ma visite. - -J'ai coutume de visiter mes lus de deux manires: par la tentation et -par la consolation. - -Et tous les jours, je leur donne deux leons; l'une en les reprenant de -leurs dfauts, l'autre en les exhortant avancer dans la vertu. - -_Celui qui reoit ma parole, et qui la mprise, sera jug par elle au -dernier jour_[172]. - - [172] Joann., XII, 48. - - -PRIRE - -POUR DEMANDER LA GRCE DE LA DVOTION. - -6. LE F. Seigneur, mon Dieu, vous tes tout mon bien: et qui suis-je -pour oser vous parler? - -Je suis le plus pauvre de vos serviteurs, et un abject ver de terre, -beaucoup plus pauvre et plus mprisable que je ne sais et que je n'ose -dire. - -Souvenez-vous cependant, Seigneur, que je ne suis rien, que je n'ai -rien, que je ne puis rien. - -Vous tes seul bon, juste et saint; vous pouvez tout, vous donnez tout, -vous remplissez tout, hors le pcheur que vous laissez vide. - -_Souvenez-vous de vos misricordes_[173], et remplissez mon coeur de -votre grce, vous qui ne voulez point qu'aucun de vos ouvrages demeure -vide. - - [173] Ps. XXIV, 6. - -7. Comment puis-je, en cette misrable vie, porter le poids de moi-mme, -si votre misricorde et votre grce ne me fortifient? - -Ne dtournez pas de moi votre visage; ne diffrez pas me visiter; ne -me retirez point votre consolation, de peur que, _prive de vous, mon -me ne devienne comme une terre sans eau_[174]. - - [174] Ps. CXLII, 6. - -_Seigneur, apprenez-moi faire votre volont_[175]; apprenez-moi -vivre d'une vie humble et digne de vous. - - [175] _Ibid._, 10. - -Car vous tes ma sagesse, vous me connaissez dans la vrit, et vous -m'avez connu avant que je fusse au monde, et avant mme que le monde -ft. - - -RFLEXION. - - Rien de plus rare qu'un dsir sincre du salut; et c'est ce qui doit - nous faire trembler, car notre sort chacun sera ce que nous l'aurons - fait: Dieu nous aide, il vient par sa grce au secours du libre - arbitre, mais il ne le contraint pas. Or que voyons-nous? Quel - spectacle nous offre le monde? Nous ne parlons point ici de l'impie - rsolu se perdre, et dj marqu du sceau de la rprobation: nous - parlons de ceux qui se disent, qui se croient les disciples de - Jsus-Christ. Dans la spculation, ces chrtiens veulent se sauver; - mais ils veulent en mme temps, ils veulent surtout possder les biens - et goter les jouissances de la terre. Ils donneront Dieu, en - passant, quelques prires obliges; ils s'informeront de sa loi pour - connatre ce qu'elle commande strictement: puis, tranquilles de ce - ct, ils se jetteront la poursuite des honneurs, des richesses, des - plaisirs qu'ils nomment lgitimes, ou ils s'endormiront dans une vie - de mollesse permise leurs yeux, parce qu'elle ne viole en apparence - aucun prcepte formel. Mais dans tout cela, o est la foi qui doit - rgler toutes nos actions sur la vue de l'ternit? O est l'amour - perptuellement occup de son objet, l'amour avide de sacrifices? O - est la pnitence? O est la Croix? Dieu! et c'est l dsirer le - salut! N'est-il donc pas crit que _celui qui cherche son me la - perdra_[176]? Que chacun se juge sur cette parole avant le jour - terrible o le Seigneur lui-mme le jugera. - - [176] Luc., XVII, 33. - - - - -CHAPITRE IV. - -Qu'il faut marcher en prsence de Dieu dans la vrit et l'humilit. - - -1. J.-C. Mon fils, marchez devant moi dans la vrit, et cherchez-moi -toujours dans la simplicit de votre coeur. - -Celui qui marche devant moi dans la vrit ne craindra nulle attaque; la -vrit le dlivrera des calomnies et des sductions des mchants. - -Si la vrit vous dlivre, vous serez vraiment libre, et peu vous -importeront les vains discours des hommes. - -2. LE F. Seigneur, il est vrai: qu'il me soit fait, de grce, selon -votre parole. Que votre vrit m'instruise, qu'elle me dfende, qu'elle -me conserve jusqu' la fin dans la voie du salut. - -Qu'elle me dlivre de tout dsir mauvais, de toute affection drgle; -et je marcherai devant vous dans une grande libert de coeur. - -3. J.-C. La vrit, c'est moi: je vous enseignerai ce qui est bon, ce -qui m'est agrable. - -Rappelez-vous vos pchs avec une grande douleur et un profond regret; -et ne pensez jamais tre quelque chose, cause du bien que vous faites. - -Car, dans la vrit, vous n'tes qu'un pcheur, sujet beaucoup de -passions et engag dans leurs liens. - -De vous-mme, vous tendez toujours au nant; un rien vous branle, un -rien vous abat, un rien vous trouble et vous dcourage. - -Qu'avez-vous dont vous puissiez vous glorifier? et que de motifs, au -contraire, pour vous mpriser vous-mme! car vous tes beaucoup plus -infirme que vous ne sauriez le comprendre. - -4. Que rien de ce que vous faites ne vous paraisse donc quelque chose de -grand. - -Mais plutt qu' vos yeux rien ne soit grand, prcieux, admirable, -lev, digne d'tre estim, lou, recherch, que ce qui est ternel. - -Aimez, par-dessus toutes choses, l'ternelle vrit, et n'ayez jamais -que du mpris pour votre extrme bassesse. - -N'apprhendez rien tant, ne blmez et ne fuyez rien tant que vos pchs -et vos vices: ils doivent vous affliger plus que toutes les pertes du -monde. - -Il y en a qui ne marchent pas devant moi avec un coeur sincre; mais, -guids par une certaine curiosit prsomptueuse, ils veulent dcouvrir -mes secrets et pntrer les profondeurs de Dieu, tandis qu'ils ngligent -de s'occuper d'eux-mmes et de leur salut. - -Ceux-l tombent souvent, cause de leur orgueil et de leur curiosit, -en de grandes tentations et de grandes fautes, parce que je me spare -d'eux. - -5. Craignez les jugements de Dieu: redoutez la colre du Tout-Puissant; -ne scrutez point les oeuvres du Trs-Haut; mais sondez vos iniquits, le -mal que tant de fois vous avez commis, le bien que vous avez nglig. - -Plusieurs mettent toute leur dvotion en des livres, d'autres en des -images, d'autres en des signes et des marques extrieures. - -Quelques-uns m'ont souvent dans la bouche, mais peu dans le coeur. - -Il en est d'autres qui, clairs et purifis intrieurement, ne cessent -d'aspirer aux biens ternels, ont dgot les entretiens de la terre, -et ne s'assujettissent qu' regret aux ncessits de la nature. Ceux-l -entendent ce que l'Esprit de vrit dit en eux. - -Car il leur apprend mpriser ce qui passe, aimer ce qui dure -ternellement, oublier le monde, et dsirer le Ciel, le jour et la -nuit. - - -RFLEXION. - - _Je suis le Dieu tout-puissant: marchez en ma prsence, et soyez - parfait_[177]. Ainsi parlait le Seigneur au Pre des croyants, et ce - commandement s'adresse avec encore plus de force aux chrtiens, qui - ont contempl, dans le Fils de l'Homme, le modle de toute perfection. - Aussi leur est-il dit: _Soyez parfaits, comme votre Pre cleste est - parfait_[178]. tonnant prcepte qui, relevant notre incomprhensible - bassesse, nous apprend ce qu'est l'homme rachet, ce qu'est le - chrtien aux yeux de Dieu. Mais comment, faibles cratures, courbes - sous le poids de la chair, approcherons-nous de cette perfection - souveraine, laquelle il nous est ordonn de tendre sans cesse? - coutez Jsus-Christ: _Je suis la voie, la vrit et la vie_[179]. Il - est la voie qui conduit Dieu, la vrit qui est Dieu mme; il est la - vie promise ceux qui _marchent dans la vrit_[180], _qui font la - vrit_[181], selon le mot profond de l'Aptre. Donc, tout en - Jsus-Christ et par Jsus-Christ. Unies aux siennes, nos penses, nos - affections, nos oeuvres se divinisent: et comme la perfection du Fils - est la perfection mme du Pre, par notre union avec le Fils, qui - commence sur la terre et se consommera dans le ciel, nous devenons - parfaits comme le Pre est parfait. Ainsi s'accomplit la prire du - Christ: _Pre saint, conservez en votre nom ceux que vous m'avez - donns, afin qu'ils soient un comme nous sommes un! Sanctifiez-les - dans la vrit; je me sanctifie pour eux moi-mme, afin qu'ils soient - sanctifis dans la vrit_[182]. Mais cette grande union, qui nous - lve jusqu' participer aux mrites infinis du Rdempteur, ne - s'effectue, ne l'oublions pas, qu'en proportion du sacrifice que nous - faisons de nous-mmes. Notre humilit en est la mesure: elle est le - fruit du renoncement propre, du dtachement, de l'abaissement qui nous - anantit devant Dieu. L o l'amour corrompu de soi, l o la nature - vit encore, l'union avec Jsus-Christ n'est pas complte. Il faut - mourir soi-mme, ses dsirs, ses gots, sa volont, sa - raison aveugle, pour tre _un avec le Fils_, comme il est _un avec son - Pre_. Pour tre _sanctifi dans la vrit_[183]. Heureuse mort, qui - nous met en possession de la vritable vie, de Dieu mme et de sa - saintet, de sa vrit ternelle! - - [177] Gen., XVII, 1. - - [178] Matth., V, 48. - - [179] Joann., XIV, 6. - - [180] III. Joann., 4. - - [181] Ephes., IV, 15. - - [182] Joann., XVII, 11, 17, 19. - - [183] II. Cor., I, 3. - - - - -CHAPITRE V. - -Des merveilleux effets de l'amour divin. - - -1. LE F. Je vous bnis, Pre cleste, Pre de Jsus-Christ, mon -Seigneur, parce que vous avez daign vous souvenir de moi, pauvre -crature. - -_ Pre des misricordes, et Dieu de toute consolation_[184], je vous -rends grces de ce que, tout indigne que j'en suis, vous voulez bien -cependant quelquefois me consoler! - - [184] _Ibid._ - -Je vous bnis jamais, et je vous glorifie avec votre Fils unique et -Esprit consolateur, dans les sicles des sicles. - - Seigneur, mon Dieu, saint objet de mon amour! quand vous descendrez -dans mon coeur, toutes mes entrailles tressailliront de joie. - -Vous tes ma gloire et la joie de mon coeur. - -Vous tes mon esprance et mon refuge au jour de la tribulation. - -2. Mais, parce que mon amour est encore faible et ma vertu chancelante, -j'ai besoin d'tre fortifi et consol par vous: visitez-moi donc -souvent, et dirigez-moi par vos divines instructions. - -Dlivrez-moi des passions mauvaises, et retranchez de mon coeur toutes -ses affections drgles, afin que, guri et purifi intrieurement, je -devienne propre vous aimer, fort pour souffrir, ferme pour persvrer. - -3. C'est quelque chose de grand que l'amour, et un bien au-dessus de -tous les biens. Seul, il rend lger ce qui est pesant, et fait qu'on -supporte avec une me gale toutes les vicissitudes de la vie. - -Il porte son fardeau sans en sentir le poids, et rend doux ce qu'il y a -de plus amer. - -L'amour de Jsus est gnreux; il fait entreprendre de grandes choses, -et il excite toujours ce qu'il y a de plus parfait. - -L'amour aspire s'lever, et ne se laisse arrter par rien de -terrestre. - -L'amour veut tre libre et dgag de toute affection du monde, afin que -ses regards pntrent jusqu' Dieu sans obstacle, afin qu'il ne soit ni -retard par les biens, ni abattu par les maux du temps. - -Rien n'est plus doux que l'amour, rien n'est plus fort, plus lev, plus -tendu, plus dlicieux; il n'est rien de plus parfait ni de meilleur au -ciel et sur la terre, parce que l'amour est n de Dieu, et qu'il ne peut -se reposer qu'en Dieu, au-dessus de toutes les cratures. - -4. Celui qui aime, court, vole; il est dans la joie, il est libre, et -rien ne l'arrte. - -Il donne tout pour possder tout; et il possde tout en toutes choses, -parce qu'au-dessus de toutes choses il se repose dans le seul tre -souverain, de qui tout bien procde et dcoule. - -Il ne regarde pas aux dons, mais il s'lve au-dessus de tous les biens, -jusqu' celui qui donne. - -L'amour souvent ne connat point de mesure; mais, comme l'eau qui -bouillonne, il dborde de toutes parts. - -Rien ne lui pse, rien ne lui cote; il tente plus qu'il ne peut; jamais -il ne prtexte l'impossibilit, parce qu'il se croit tout possible et -tout permis. - -Et cause de cela il peut tout, et il accomplit beaucoup de choses qui -fatiguent et qui puisent vainement celui qui n'aime point. - -5. L'amour veille sans cesse; dans le sommeil mme il ne dort point. - -Aucune fatigue ne le lasse, aucuns liens ne l'appesantissent, aucunes -frayeurs ne le troublent; mais, tel qu'une flamme vive et pntrante, il -s'lance vers le Ciel, et s'ouvre un sr passage travers tous les -obstacles. - -Si quelqu'un aime, il entend ce que dit cette voix. - -L'ardeur mme d'une me embrase s'lve jusqu' Dieu comme un grand -cri: Mon Dieu! mon amour! vous tes tout moi, et je suis tout vous. - -6. Dilatez-moi dans l'amour, afin que j'apprenne goter au fond de mon -coeur combien il est doux d'aimer et de se fondre et de se perdre dans -l'amour. - -Que l'amour me ravisse et m'lve au-dessus de moi-mme, par la vivacit -de ses transports. - -Que je chante le cantique de l'amour, que je vous suive, mon -bien-aim, jusque dans les hauteurs de votre gloire; que toutes les -forces de mon me s'puisent vous louer, et qu'elle dfaille de joie -et d'amour. - -Que je vous aime plus que moi, que je ne m'aime moi-mme que pour vous, -et que j'aime en vous tous ceux qui vous aiment vritablement, ainsi que -l'ordonne la loi de l'amour, que nous dcouvrons dans votre lumire. - -7. L'amour est prompt, sincre, pieux, doux, prudent, fort, patient, -fidle, constant, magnanime, et il ne se recherche jamais: car ds qu'on -commence se rechercher soi-mme, l'instant on cesse d'aimer. - -L'amour est circonspect, humble et droit, sans mollesse, sans lgret; -il ne s'occupe point de choses vaines; il est sobre, chaste, ferme, -tranquille, et toujours attentif veiller sur les sens. - -L'amour est obissant et soumis aux suprieurs; il est vil et mprisable - ses yeux. Dvou Dieu sans rserve, et toujours plein de -reconnaissance, il ne cesse point de se confier en lui, d'esprer en -lui, lors mme qu'il semble en tre dlaiss, parce qu'on ne vit point -sans douleur dans l'amour. - -8. Qui n'est pas prt tout souffrir et s'abandonner entirement la -volont de son bien-aim, ne sait pas ce que c'est que d'aimer. - -Il faut que celui qui aime embrasse avec joie tout ce qu'il y a de plus -dur et de plus amer, pour son bien-aim, et qu'aucune traverse ne le -dtache de lui. - - -RFLEXION. - - _Dieu est amour, et celui qui demeure dans l'amour demeure en Dieu et - Dieu en lui_[185]. Mais l'amour a ses temps d'preuve, comme ses temps - de jouissance; et cette vie tout entire ne doit tre qu'un continuel - exercice d'amour, ou la consommation d'un grand sacrifice, dont une - vie ternelle ou un amour immuable sera le prix. Tous les caractres - de la charit, dtaills par saint Paul[186], nous rappellent l'ide - de sacrifice; et l'amour infini lui-mme n'a pu se manifester - pleinement nous que par un sacrifice infini. _Dieu a tant aim le - monde, qu'il a donn son fils unique_[187]; et notre amour pour Dieu - ne peut non plus se manifester que par un sacrifice, non pas gal, il - est impossible, mais semblable, par le don de tout notre tre ou une - parfaite obissance de notre esprit, de notre coeur et de nos sens, - la volont de celui qui nous _a tant aims_. C'est alors que - s'accomplit cette union ineffable que Jsus-Christ, sa dernire - heure, conjurait son pre d'oprer entre lui et la crature - _rachete_[188]. Pendant que la nature vit encore en nous, quelque - chose nous spare de Dieu et de Jsus; et _l'amour de Jsus nous - presse_[189] d'achever le sacrifice, et de prononcer cette parole - dernire, que le monde ne comprend pas, mais qui rjouit le Ciel: - _Tout est consomm_[190]. - - [185] I. Joann., IV, 16. - - [186] I. Cor., XIII. - - [187] Joan., III, 16. - - [188] _Ibid._, XVII, 21, 23. - - [189] II. Cor., V, 14. - - [190] Joann., XIX, 30. - - - - -CHAPITRE VI. - -De l'preuve du vritable amour. - - -1. J.-C. Mon fils, votre amour n'est encore ni assez fort ni assez -clair. - -LE F. Pourquoi, Seigneur? - -J.-C. Parce qu' la moindre contrarit vous laissez l l'oeuvre -commence, et que vous recherchez trop avidement les consolations. - -Celui qui aime fortement demeure ferme dans la tentation, et ne cde -point aux suggestions artificieuses de l'ennemi. Dans le mauvais comme -dans le bon succs, son coeur est galement moi. - -2. Celui dont l'amour est clair, considre moins le don de celui qui -aime, que l'amour de celui qui donne. - -L'affection le touche plus que le bienfait, et il prfre son bien-aim - tout ce qu'il reoit de lui. - -Celui qui m'aime d'un amour gnreux ne se repose pas dans mes dons, -mais en moi par-dessus tous mes dons. - -Ne croyez pas tout perdu cependant, s'il vous arrive de sentir, pour moi -ou pour mes Saints, moins d'amour que vous ne voudriez. - -Cet amour tendre et doux que vous prouvez quelquefois, est l'effet de -la prsence de la grce, et une sorte d'avant-got de la patrie cleste; -il n'y faut pas chercher trop d'appui, parce qu'il passe comme il est -venu. - -Mais combattre les mouvements drgls de l'me, et mpriser les -sollicitations du dmon, c'est un grand sujet de mrite, et la marque -d'une solide vertu. - -3. Ne vous troublez donc point des fantmes, quels qu'ils soient, qui -obsdent votre imagination. - -Conservez une rsolution ferme, et une intention droite devant Dieu. - -Ce n'est point une illusion, si quelquefois vous tes soudain ravi en -extase, et qu'aussitt vous retombiez dans les penses misrables qui -occupent d'ordinaire votre coeur. - -Car vous souffrez alors plus que vous n'agissez; et tant qu'elles vous -dplaisent et que vous y rsistez, c'est un mrite et non pas une chute. - -4. Sachez que l'antique ennemi s'efforce d'touffer vos bons dsirs, et -de vous loigner de tout pieux exercice; du culte des Saints, de la -mditation de mes douleurs et de ma mort, du souvenir si utile de vos -pchs, de l'attention veiller sur votre coeur, et du ferme propos -d'avancer dans la vertu. - -Il vous suggre mille penses mauvaises, pour vous causer du trouble et -de l'ennui, pour vous dtourner de la prire et des lectures saintes. - -Une humble confession lui dplat, et s'il pouvait, il vous loignerait -tout fait de la communion. - -Ne le croyez point, et n'ayez de lui aucune apprhension, quoiqu'il vous -tende souvent des piges pour vous surprendre. - -Rejetez sur lui seul les penses criminelles et honteuses qu'il vous -inspire. Dites-lui: - -Va, esprit immonde; rougis, malheureux; il faut que tu sois trangement -pervers pour me tenir un pareil langage. - -Retire-toi de moi, dtestable sducteur, tu n'auras jamais en moi aucune -part: mais Jsus sera prs de moi comme un guerrier formidable, et tu -demeureras confondu. - -J'aime mieux mourir et souffrir tous les tourments, que de consentir -ce que tu me proposes. - -_Tais-toi donc, ne me parle plus_[191]; je ne t'couterai pas davantage, -quoi que tu fasses pour m'inquiter. _Le Seigneur est ma lumire et mon -salut: qui craindrai-je_[192]? - - [191] Marc., IV, 39. - - [192] Ps. XXVI, 1. - -_Quand une arme se rangerait en bataille contre moi, mon coeur ne -craindrait pas_[193]. _Le Seigneur est mon aide et mon Rdempteur_[194]. - - [193] _Ibid._, 3. - - [194] Ps. XVIII, 15. - -5. Combattez comme un gnreux soldat; et si quelquefois vous succombez -par fragilit, reprenez un courage plus grand, dans l'esprance d'tre -soutenu par une grce plus forte; et gardez-vous surtout de la vaine -complaisance et de l'orgueil. - -C'est ainsi que plusieurs s'garent, et tombent dans un aveuglement -presque incurable. - -Que la chute de ces superbes qui prsumaient follement d'eux-mmes, vous -soit une leon continuelle de vigilance et d'humilit. - - -RFLEXION. - - _Tous ceux qui disent, Seigneur, Seigneur, n'entreront pas dans le - royaume des cieux; mais celui qui fait la volont de mon pre qui est - au ciel, celui-l entrera dans le royaume des cieux_[195]: c'est par - les oeuvres que se connat le vritable amour. Toujours prompt - obir, jamais il ne se relche, il ne se dcourage jamais. Dans - l'amertume et dans la joie, dans la consolation et dans la souffrance, - il loue, il bnit galement celui _qui frappe et qui gurit_[196], - selon ses divins conseils, impntrables la crature. La tentation - vient-elle l'prouver, il combat, il rsiste avec paix, parce qu'il ne - compte point sur ses propres forces, et n'attend la victoire que du - secours d'en haut. S'il succombe quelquefois, il se relve aussitt - sans trouble, humili, mais non abattu. Son repentir, quoique profond, - est calme, parce qu'il est exempt de l'irritation de l'orgueil. Ses - fautes l'affligent, et ne l'tonnent point. Il connat sa fragilit, - et il en gmit, plein de confiance en la grce qui le soutiendra, s'il - lui est fidle. Dtach de la terre et de ses vanits qu'on appelle - des biens, que veut-il? ce que Dieu veut: il n'a point d'autre - volont, ni d'autre dsir. Quand le bien-aim se retire et se drobe - ses transports, loin de murmurer, et loin de se plaindre, il s'avoue - indigne de le possder, et la privation, qui le purifie, enflamme - encore son ardeur. Jsus, qu'elles sont merveilleuses les voies par - o vous conduisez les mes qui vous aiment, _qui ont soif de - vous_[197]! Tantt vous les inondez de votre joie, tantt vous les - dlaissez dans les larmes: maintenant vous les prvenez, et puis elles - semblent vous appeler en vain, comme l'pouse du divin cantique. - preuves de tendresse et de misricordes! Ainsi pures, ces mes - lues peu peu se dgagent de leurs liens; elles s'lancent vers - vous, et un dernier effort d'amour les porte au pied du trne o vous - vous montrez sans voile. Alors la jouissance, alors l'allgresse et - l'ternel rassasiement: _Satiabor cm apparuerit_[198]! - - [195] Matth., VII, 21. - - [196] Deuter., XXXII, 39. - - [197] Ps. XLI, 3. - - [198] _Ibid._, XVI, 15. - - - - -CHAPITRE VII. - -Qu'il faut cacher humblement les grces que Dieu nous fait. - - -1. J.-C. Mon fils, lorsque la grce vous inspire des mouvements de -pit, il est meilleur pour vous et plus sr de tenir cette grce -cache, de ne vous en point lever, d'en parler peu, et de ne pas vous -exagrer sa grandeur; mais plutt de vous mpriser vous-mme, et de -craindre une faveur dont vous tiez indigne. - -Il ne faut pas s'attacher trop un sentiment qui bientt peut se -changer en on sentiment contraire. - -Quand la grce vous est donne, songez combien vous tes pauvre et -misrable sans la grce. - -Le progrs de la vie spirituelle ne consiste pas seulement jouir des -consolations de la grce, mais en supporter la privation, avec -humilit, avec abngation, avec patience; de sorte qu'alors on ne se -relche point dans l'exercice de la prire, et qu'on n'abandonne aucune -de ses pratiques accoutumes. - -Faites au contraire tout ce qui est en vous le mieux que vous pourrez, -selon vos lumires; et ne vous ngligez pas entirement vous-mme, -cause de la scheresse et de l'angoisse que vous sentez en votre me. - -2. Car il y en a beaucoup qui, au temps de l'preuve, tombent aussitt -dans l'impatience ou le dcouragement. - -Cependant _la voie de l'homme n'est pas toujours en son pouvoir_[199]. -C'est Dieu de consoler, et de donner quand il veut, autant qu'il veut, -et qui il veut, comme il lui plat, et non davantage. - - [199] Jer., X, 23. - -Des indiscrets se sont perdus par la grce mme de la dvotion, parce -qu'ils ont voulu faire plus qu'ils ne pouvaient, ne mesurant point leur -faiblesse, mais suivant plutt l'imptuosit de leur coeur que le -jugement de la raison. - -Et parce qu'ils ont aspir, dans leur prsomption, un tat plus lev -que celui o Dieu les voulait, ils ont promptement perdu la grce. - -Ils avaient plac leur demeure dans le Ciel, et tout coup on les a vus -pauvres et dlaisss dans leur misre, afin que par l'humiliation et le -dnment ils apprissent ne plus tenter de s'lever sur leurs propres -ailes, mais se rfugier sous les miennes. - -Ceux qui sont encore nouveaux et sans exprience dans les voies de Dieu -peuvent aisment s'garer et se briser sur les cueils, s'ils ne se -laissent conduire par des personnes prudentes. - -3. Que s'ils veulent suivre leur sentiment plutt que de croire -l'exprience des autres, le rsultat leur en sera funeste, si toutefois -ils s'obstinent dans leur propre sens. - -Rarement ceux qui sont sages leurs yeux se laissent humblement -conduire par les autres. - -Il vaut mieux tre humble avec un esprit et des lumires bornes, que de -possder des trsors de science, et de se complaire en soi-mme. - -Il vaut mieux pour vous avoir peu, que beaucoup dont vous pourriez vous -enorgueillir. - -Celui-l manque de prudence, qui se livre tout entier la joie, -oubliant son indigence passe, et cette chaste crainte du Seigneur, qui -apprhende de perdre la grce reue. - -C'est aussi manquer de vertu que de se laisser aller un dcouragement -excessif, au temps de l'adversit et de l'preuve, et d'avoir des -penses et des sentiments indignes de la confiance qu'on me doit. - -4. Celui qui, durant la paix, a trop de scurit, se trouve souvent, -pendant la guerre, le plus timide et le plus lche. - -Si, ne prsumant jamais de vous-mme, vous saviez demeurer toujours -humble, modrer et rgler les mouvements de votre esprit, vous ne -tomberiez pas si vite dans le pril et dans le pch. - -C'est une pratique sage que de penser, durant la ferveur, ce qu'on -sera dans la privation de la lumire. - -Et quand vous en tes en effet priv, songez qu'elle peut revenir, et -que je ne vous l'ai retire pour un temps qu'en vue de ma gloire, et -pour exciter votre vigilance. - -Souvent une telle preuve vous est plus utile, que si tout vous -succdait constamment selon vos dsirs. - -Car, pour juger du mrite, on ne doit pas regarder si quelqu'un a -beaucoup de visions ou de consolations, ou s'il est habile dans -l'criture sainte, on s'il occupe un rang lev; - -Mais s'il est affermi dans la vritable humilit, et rempli de la -charit divine; s'il cherche en tout et toujours uniquement la gloire de -Dieu; s'il est bien convaincu de son nant; s'il a pour lui-mme un -mpris sincre, et s'il se rjouit plus d'tre mpris des autres et -humili par eux, que d'en tre honor. - - -RFLEXION. - - Reconnatre sa misre et ne la jamais perdre de vue; s'abandonner sans - rserve entre les mains de Dieu, avec une foi vive et un obissant - amour: voil toute la vie spirituelle, dont l'humilit est le premier - fondement. Celui qui se dit au fond de son me: je ne suis rien que la - faiblesse et l'indigence mme, ne cherche pas d'appui en soi, et met - en Jsus sa seule esprance. Il suit avec simplicit les mouvements de - la grce, ne s'lve point dans la ferveur, ne s'abat point dans la - scheresse; toujours satisfait, pourvu que la volont divine - s'accomplisse en lui. L'orgueil, qui souvent se cache sous le voile de - ce qu'il y a de plus saint, ne les sduit pas par le vain dsir d'un - tat eu apparence plus parfait, auquel il n'est point appel. Fidle - et tranquille dans sa voie, il dit Dieu: _Donnez-moi la sagesse qui - assiste prs de votre trne, et ne me rejetez pas du nombre de vos - enfants; car je suis votre serviteur et le fils de votre servante, un - homme infirme, de peu de dure, et qui n'a point l'intelligence de - votre jugement et de vos lois_[200]. Qu'il aille en paix celui dont le - coeur prie ainsi, dsire ainsi: Dieu le regarde avec complaisance, et - sa bndiction reposera sur lui. - - [200] Sapient., IX, 4, 5. - - - - -CHAPITRE VIII. - -Qu'il faut s'anantir soi-mme devant Dieu. - - -1. LE F. _Je parlerai au Seigneur mon Dieu, bien que je ne sois que -cendre et poussire_[201]. Si je me crois quelque chose de plus, voil -que vous vous levez contre moi; et mes iniquits rendent un tmoignage -vrai, et que je ne puis contredire. - - [201] Gen., XVIII, 27. - -Mais si je m'abaisse, si je m'anantis, si je me dpouille de toute -estime pour moi-mme, et que je rentre dans la poussire dont j'ai t -form, votre grce s'approchera de moi, et votre lumire sera prs de -mon coeur; alors tout sentiment d'estime, mme le plus lger, que je -pourrais concevoir de moi, disparatra pour jamais dans l'abme de mon -nant. - -L, vous me montrez moi-mme, vous me faites voir ce que je suis, ce -que j'ai t, jusqu'o je suis descendu: _car je ne suis rien, et je ne -le savais pas_[202]. - - [202] Ps. LXXII, 22. - -Si vous me laissez moi-mme, que suis-je? rien qu'infirmit; mais, ds -que vous jetez un regard sur moi, l'instant je deviens fort, et je -suis rempli d'une joie nouvelle. - -Et certes, cela me confond d'tonnement que vous me releviez ainsi tout -d'un coup, et me preniez avec tant de bont entre vos bras, moi toujours -entran par mon propre poids vers la terre. - -2. C'est votre amour qui opre cette merveille, qui me prvient -gratuitement, qui ne se lasse point de me secourir dans mes ncessits, -qui me prserve des plus grands prils, et, vrai dire, me dlivre de -maux innombrables. - -Car je me suis perdu en m'aimant d'un amour drgl; mais en ne -cherchant que vous, en n'aimant que vous, je vous ai trouv, et je me -suis retrouv moi-mme, et l'amour m'a fait rentrer plus avant dans mon -nant. - - Dieu plein de tendresse! vous faites pour moi beaucoup plus que je ne -mrite, et plus que je n'oserais esprer ou demander. - -3. Soyez bni, mon Dieu, de ce que, tout indigne que je suis de recevoir -de vous aucune grce, cependant votre bont gnreuse et infinie ne -cesse de faire du bien mme aux ingrats, et ceux qui se sont le plus -loigns de vous. - -Ramenez-nous vous, afin que nous soyons reconnaissants, humbles, -fervents, parce que vous tes notre salut, notre vertu et notre force. - - -RFLEXION. - - Dieu se montre, dans l'criture, plein d'une immense compassion pour - les fautes, si on peut le dire, purement humaines; mais il est sans - piti pour l'orgueil, _principe de tout mal_[203], pour l'orgueil, qui - est le crime propre de l'Ange rebelle, et qui s'attaque directement au - souverain tre. Il a dit: _Je suis Jhova, c'est mon nom; je ne - donnerai point ma gloire un autre_[204]. Or tout orgueil tend, par - essence, s'galer Dieu, se faire Dieu: dsordre tel que - non-seulement on n'en conoit pas de plus grand, mais qu'on hsiterait - le croire possible, s'il n'tait sans cesse prsent sous nos yeux, - et si l'on n'en sentait pas le germe en soi-mme. Aussi voyez comme - Dieu le foudroie: et d'abord cette ironie qui glace l'me d'un effroi - surnaturel: _Voil qu'Adam est devenu comme l'un de nous_[205]; Adam - jet nu avec son pch, sur une terre maudite! Adam qui venait - d'entendre cette parole: _Tu mourras de mort_[206]! Ses enfants - imitent son crime, leur orgueil s'lve sans mesure. Alors l'esprit - divin; _Comment es-tu tomb, toi qui te levais comme l'astre du matin, - qui disais en ton coeur: Je monterai dans les cieux, je poserai mon - trne au-dessus des toiles et je serai semblable au Trs-Haut. Voil - que tu seras tran aux enfers, dans la profondeur du lac: on se - baissera pour te voir_[207]. Lisez, dans l'vangile, les effroyables - maldictions prononces contre les Pharisiens superbes, tandis que - celui qui s'abaisse est l'instant justifi. Une femme pleure aux - pieds de Jsus: elle s'humilie de ses fautes, elle n'ose presque en - solliciter le pardon, son silence seul supplie. Le Sauveur mu la - console: _Beaucoup de pchs lui sont remis, parce qu'elle a beaucoup - aim_[208]. Mais l'orgueil n'aime point; c'est encore l un de ses - caractres, et comme le type infernal. Il est le pre de la haine, de - l'envie, de la violence, de la fausse scurit et de l'endurcissement. - Sorti de l'abme, il s'y replonge: le reste est le mystre de - l'ternelle justice. Dieu, ayez piti de votre pauvre crature! Le - front dans la poussire, je m'anantis devant vous. Je sens, je - confesse ma misre, ma corruption profonde, ma dsolante impuissance - et tout ce qui jamais me sparerait de vous, si votre grande - misricorde ne venait mon secours par le don gratuit de la grce. - Daignez, daignez la rpandre en mon me. Ne m'abandonnez pas, - Seigneur; _sauvez-moi, ou je vais prir_[209]. Dieu, ayez piti de - votre pauvre crature! - - [203] Eccli., X, 15. - - [204] Is., XLII, 8. - - [205] Genes., III, 22. - - [206] _Ibid._, II, 17. - - [207] Is., XIV. 12-16. - - [208] Luc., VII, 47. - - [209] Matth., VIII, 25. - - - - -CHAPITRE IX. - -Qu'il faut rapporter tout Dieu comme notre dernire fin. - - -1. Mon fils, je dois tre votre fin suprme et dernire, si -vritablement vous dsirez tre heureux. - -Cette vue purifiera vos affections, qui s'abaissent trop souvent jusqu' -vous et aux cratures. - -Car, si vous vous recherchez en quelque chose, aussitt vous tombez dans -la langueur et la scheresse. - -Rapportez donc principalement tout moi, parce que c'est moi qui vous -ai tout donn. - -Considrez chaque bien comme dcoulant du souverain bien; et songez que, -ds lors, ils doivent tous remonter moi comme leur origine. - -2. En moi, comme dans une source intarissable, le petit et le grand, le -pauvre et le riche, puisent l'eau vive, et ceux qui me servent -volontairement et de coeur recevront grce sur grce. - -Mais celui qui cherchera sa gloire hors de moi, ou sa jouissance dans un -autre bien que moi, sa joie ne sera ni vraie ni solide, et son coeur -toujours la gne, toujours l'troit, ne trouvera que des angoisses. - -Ne vous attribuez donc aucun bien, et n'attribuez nul homme sa vertu; -mais rendez tout Dieu, sans qui l'homme n'a rien. - -C'est moi qui vous ai tout donn, et je veux que vous vous donniez moi -tout entier: j'exige avec une extrme rigueur les actions de grces qui -me sont dues. - -3. Ceci est la vrit qui dissipe la vanit de la gloire. - -L o pntre la grce cleste et la vraie charit, il n'y a plus de -place pour l'amour-propre, ni pour l'envie qui torture le coeur. - -Car l'amour divin subjugue tout et agrandit toutes les forces de l'me. - -Si vous coutez la sagesse, vous ne vous rjouirez qu'en moi, vous -n'esprerez qu'en moi, parce que nul n'est bon que Dieu seul, qui, en -tout et par-dessus tout, est due jamais la louange et la bndiction. - - -RFLEXION. - - Tout bien dcoule de Dieu, qui est le bien suprme, et tout ce qu'il - fait est bon[210], parce qu'il le tire de lui. Il n'y a dans le monde - d'autre mal que le pch; car la peine du pch n'est pas un mal, - puisque, supporte patiemment, elle l'expie, et que toujours elle - rtablit l'ordre que le pch avait troubl. Ainsi nous tenons de Dieu - la vie, l'intelligence, l'amour, qui doit remonter perptuellement - vers sa source, et de nous-mmes nous ne pouvons rien, pas mme dire: - _Mon Pre_[211]! car _nous ne savons pas prier, et c'est l'esprit qui - demande en nous avec des gmissements ineffables_[212]. L'unique chose - qui nous appartienne, c'est le pch; il est le fruit de notre volont - libre, _et son salaire est la mort_[213]. levons-nous tant que nous - voudrons dans notre pense, voil ce que nous sommes; nous n'avons - rien de plus que ce que Dieu nous donne dans sa bont et sa - misricorde toute gratuite. Donc nous le mpris, la confusion, la - honte, en nous trouvant si misrables; et Dieu _la bndiction, - l'honneur, la gloire, la puissance_[214], comme les saints le chantent - dans le Ciel, au pied du trne de l'Agneau. - - [210] Genes., I, 4 et seq. - - [211] Rom., VIII, 15. - - [212] _Ibid._, 26. - - [213] Rom., VI, 23. - - [214] Apoc., V, 13. - - - - -CHAPITRE X. - -Qu'il est doux de servir Dieu et de mpriser le monde. - - -1. LE F. Je vous parlerai encore, Seigneur, et je ne me tairai point. Je -dirai mon Dieu, mon Seigneur et mon roi, assis dans les hauteurs des -cieux: - -_ quelle abondance de douceurs vous avez rserve pour ceux qui vous -craignent_[215]! Et qu'est-ce donc pour ceux qui vous aiment, pour ceux -qui vous servent de tout leur coeur? - - [215] Ps. XXX, 20. - -Elles sont vraiment ineffables, les dlices dont vous inondez ceux qui -vous aiment, quand leur me vous contemple. - -Vous m'avez montr principalement en ceci toute la tendresse de votre -amour: je n'tais pas, et vous m'avez cr; j'errais loin de vous, vous -m'avez ramen pour vous servir, et vous m'avez command de vous aimer. - -2. source d'amour ternel, que dirai-je de vous? - -Comment pourrai-je vous oublier, vous qui avez daign vous souvenir de -moi, lorsque dj puis, consum, je penchais vers la mort? - -Votre misricorde envers votre serviteur a pass toute esprance; et -vous avez rpandu sur lui votre grce et votre amour, bien au-del de -tout ce qu'il pouvait mriter. - -Que vous rendrai-je pour une telle faveur? car il n'est pas donn tous -de tout quitter, de renoncer au sicle pour embrasser la vie religieuse. - -Est-ce faire beaucoup que de vous servir, vous que doivent servir toutes -les cratures? - -Cela doit me sembler peu de chose: mais ce qui me parat grand et -merveilleux, c'est que vous daigniez agrer le service d'une crature si -pauvre et si misrable, et l'admettre parmi les serviteurs que vous -aimez. - -3. Tout ce que j'ai, tout ce que je puis consacrer votre service, est - vous. - -Et nanmoins prenant pour ainsi dire ma place, vous me servez plus que -moi-mme je ne vous sers. - -Voil que le ciel et la terre, que vous avez crs pour le service de -l'homme, sont devant vous, et chaque jour ils excutent tout ce que vous -leur avez command. - -C'est peu encore: vous avez prpar pour l'homme le ministre mme des -Anges. - -Mais ce qui surpasse tout, vous avez daign le servir vous-mme, et vous -avez promis de vous donner lui. - -4. Que vous rendrai-je pour tant de biens? Ah! si je pouvais vous servir -tous les jours de ma vie! si je pouvais mme un seul jour vous servir -dignement! - -Il est bien vrai que vous tes digne d'tre servi universellement, digne -de tout honneur et d'une louange ternelle. - -Vous tes vraiment mon Seigneur, et je suis votre pauvre serviteur, qui -dois vous servir de toutes mes forces, et ne me lasser jamais de vous -louer. - -Je le veux ainsi, je le dsire ainsi: daignez suppler vous-mme tout -ce qui me manque. - -5. C'est un grand honneur, une grande gloire de vous servir et de -mpriser tout cause de vous. - -Car ils recevront des grces abondantes, ceux qui se courbent -volontairement sous votre joug trs-saint. - -Ils seront abreuvs de la dlectable consolation de l'Esprit saint, ceux -qui, pour votre amour, auront rejet tous les plaisirs des sens. - -Ils jouiront d'une grande libert d'esprit, ceux qui, pour la gloire de -votre nom, seront entrs dans la voie troite, et auront renonc -toutes les sollicitudes du monde. - -6. aimable et douce servitude de Dieu, dans laquelle l'homme retrouve -la vraie libert et la saintet! - - saint assujettissement de la vie religieuse, qui rend l'homme agrable - Dieu, gal aux Anges, terrible aux dmons, respectable tous les -fidles! - - esclavage digne jamais d'tre dsir, embrass, puisqu'il nous -mrite le souverain bien, et nous assure une joie ternelle! - - -RFLEXION. - - Le monde est tellement fascin par les passions, qu'il ne peut rien - comprendre la flicit des enfants de Dieu. Quelquefois il les - plaint, comme le monde sait plaindre, en jetant sur eux un regard de - mpris; quelquefois il les contemple avec une sorte d'tonnement - stupide. Il n'a nulle ide de ce qui se passe dans l'me unie son - Crateur, nulle ide des consolations et du calme dlicieux dont elle - jouit. Saint Paul s'criant: _Je surabonde de joie au milieu de mes - tribulations_[216], lui est un mystre inexpliquable; jamais il ne - concevra cette joie pure, _qui est justice et paix dans le - Saint-Esprit_[217]. Quel est donc le partage du serviteur du monde? un - immense ennui parsem de quelques rares plaisirs; et quand Dieu ne - l'abandonne pas entirement, le remords. Creusez dans son coeur, vous - n'y trouverez que cela. Le remords est sa _justice_ et l'ennui sa - _paix_. mes chrtiennes, mes dtaches, qui avez renonc au monde et - tout ce qui est du monde, plaignez votre tour les infortuns - chargs encore de ses pesantes chanes; mais plaignez-les en vous - humiliant aux pieds de celui qui vous a dlivrs, et dont la grce, - qui ne vous tait pas due, vous met en possession des seuls biens - vritables. Gardez avec soin ce bon trsor que vous a confi _le Pre - des lumires, de qui dcoule tout don parfait_[218], et demandez-lui - avec amour qu'aprs avoir commenc votre joie sur la terre, il la - consomme un jour dans les cieux. - - [216] II. Cor., VII, 4. - - [217] Rom., XIV, 17. - - [218] Jacob., I, 17. - - - - -CHAPITRE XI. - -Qu'il faut examiner et modrer les dsirs du coeur. - - -1. J.-C. Mon fils, il faut que vous appreniez beaucoup de choses que -vous ne savez pas encore assez. - -2. LE F. Eh quoi, Seigneur? - -3. J.-C. Vous devez soumettre entirement vos dsirs ma volont, ne -point vous aimer vous-mme, et ne rechercher en tout que ce qui me -plat. - -Souvent vos dsirs s'enflamment, et vous emportent imptueusement: mais -considrez si cette ardeur a ma gloire pour motif, ou votre intrt -propre. - -Si c'est moi que vous avez en vue, vous serez content, quoi que -j'ordonne; mais si quelque secrte recherche de vous-mme se cache au -fond de votre coeur, voil ce qui vous abat et vous trouble. - -4. Prenez donc garde ne vous pas trop attacher des dsirs sur -lesquels vous ne m'avez point consult, de peur qu'ensuite vous ne -veniez vous repentir, ou que vous prouviez du dgot pour ce qui vous -avait plu d'abord, et que vous aviez cru le meilleur. - -Car tout mouvement qui parat bon ne doit pas tre aussitt suivi; de -mme qu'on ne doit pas non plus cder sur-le-champ ses rpugnances. - -Quelquefois il est propos de modrer le zle le plus saint et les -meilleurs dsirs, de peur qu'ils ne proccupent et ne distraient votre -esprit; ou qu'en les suivant indiscrtement, vous ne causiez du scandale -aux autres; ou qu'enfin l'opposition que vous y trouverez ne vous jette -vous-mme dans le trouble et dans l'abattement. - -5. Il faut aussi quelquefois user de violence, et rsister aux -convoitises des sens, avec une grande force, sans prendre garde ce que -veut la chair, et ce qu'elle ne veut pas, et travailler surtout la -soumettre l'esprit malgr elle. - -Il faut la chtier et l'asservir, jusqu' ce que, prte tout, elle ait -appris se contenter de peu, aimer les choses les plus simples, et -ne jamais se plaindre de rien. - - - -RFLEXION. - - Nous avons un grand combat soutenir: contre notre esprit, qui nous - gare, sduit par de fausses lueurs et par une funeste curiosit; - contre nos dsirs, qui nous troublent; contre nos sens, dont les - convoitises souillent l'me et la courbent vers la terre. Lamentable - condition de l'homme dchu! Mais Dieu ne l'a point abandonn: il peut - vaincre s'il veut. La foi rprime l'inquitude maladive de l'esprit, - et le fixe dans la vrit. Une entire soumission la volont divine - produit la paix du coeur, en touffant les vains dsirs et ceux mme - qui trompent la pit par une apparence de bien. Enfin nous triomphons - des sens par la prire, l'humilit, la pnitence, en _chtiant le - corps_ rebelle, et le _rduisant en servitude_[219]. C'est dans cette - guerre de chaque moment que le chrtien se perfectionne, et c'est en - combattant avec fidlit qu'il peut dire comme l'Aptre: _Je ne pense - point tre encore arriv o j'aspire; mais oubliant ce qui est en - arrire, et m'tendant ce qui est devant, je cours au terme de la - carrire pour saisir le prix que Dieu nous a destin_, la flicit - cleste _ laquelle il nous a appels par Jsus-Christ_[220]. - - [219] I. Cor., IX, 27. - - [220] Philipp., III, 13, 14. - - - - -CHAPITRE XII. - -Qu'il faut s'exercer la patience, et lutter contre ses passions. - - -1. LE F. Seigneur, mon Dieu, je vois combien la patience m'est -ncessaire; car cette vie est pleine de contradictions. - -Elle ne peut jamais tre exempte de douleur et de guerre, quoi que je -fasse pour avoir la paix. - -2. J.-C. Il en est ainsi, mon fils; mais je ne veux pas que vous -cherchiez une paix telle que vous n'ayez ni tentations vaincre ni -contrarits souffrir. - -Croyez, au contraire, avoir trouv la paix, lorsque vous serez exerc -par beaucoup de tribulations, et prouv par beaucoup de traverses. - -Si vous dites que vous ne pouvez supporter tant de souffrances, comment -supporterez-vous le feu du purgatoire? - -Afin donc d'viter des supplices ternels, efforcez-vous d'endurer pour -Dieu, avec patience, les maux prsents. - -Pensez-vous que les hommes du sicle n'aient rien ou que peu de choses -souffrir? C'est ce que vous ne trouverez pas, mme en ceux qui semblent -environns de plus de dlices. - -3. Mais ils ont, dites-vous, des plaisirs en abondance; ils suivent -toutes leurs volonts; et ainsi ils sentent peu le poids de leurs maux. - -Soit, je veux qu'ils aient tout ce qu'ils dsirent: combien cela -durera-t-il? - -Voil que les riches du sicle s'vanouiront comme la fume, et il ne -restera pas mme un souvenir de leurs joies passes. - -Et, durant leur vie mme, ils ne s'y reposent pas sans amertume, sans -ennui et sans crainte. - -Car souvent, l mme o ils se promettaient la joie, ils rencontrent le -chtiment et la douleur, et avec justice, puisqu'il est juste que -l'amertume et l'ignominie accompagnent les plaisirs qu'ils cherchent -dans le dsordre. - -4. que tous ces plaisirs sont courts, qu'ils sont faux, criminels, -honteux! - -Et cependant ces malheureux, enivrs et aveugls, ne le comprennent -point; mais, semblables des animaux sans raison, ils exposent leur me - la mort, pour quelques jouissances misrables dans une vie qui va -finir. - -Pour vous, mon fils, _ne suivez pas vos convoitises, et dtachez-vous de -votre volont. Mettez vos dlices dans le Seigneur, et il vous accordera -ce que votre coeur demande_[221]. - - [221] Eccli., XVIII, 30; Ps. XXXVI, 4. - -Si vous voulez goter une vritable joie, et des consolations -abondantes, mprisez toutes les choses du monde, repoussez toutes les -joies terrestres; et je vous bnirai, je verserai sur vous mes -inpuisables consolations. - -Plus vous renoncerez celles que donnent les cratures, plus les -miennes seront douces et puissantes. - -Mais vous ne les goterez point sans avoir auparavant ressenti quelque -tristesse, sans avoir travaill, combattu. - -Une mauvaise habitude vous arrtera; mais vous la vaincrez par une -meilleure. - -La chair murmurera; mais elle sera contenue par la ferveur de l'esprit. - -L'antique serpent vous sollicitera, vous exercera; mais vous le mettrez -en fuite par la prire; et en vous occupant surtout d'un travail utile, -vous lui fermerez l'entre de votre me. - - -RFLEXION. - - Toute chair a pch, toute chair doit souffrir: c'est la loi prsente - de l'humanit; loi de justice, car Dieu ne serait pas Dieu si le - dsordre restait impuni; loi d'amour, car la souffrance, accepte et - unie aux souffrances du Sauveur, gurit l'me et la rtablit dans - l'tat primitif d'innocence. De quoi donc vous plaignez-vous quand - cette loi divine s'accomplit votre gard? Est-ce de ce que la - misricorde prend soin de vous regnrer? Est-ce d'tre semblable - Jsus-Christ, qui a voulu, qui a _d_, selon les paroles de - l'vangliste, souffrir pour vous racheter: _Et il commena leur - enseigner comment il fallait que le Fils de l'homme souffrt beaucoup - de douleurs, qu'il ft rprouv par les anciens, les souverains - pontifes et les scribes, et mis mort_[222]? Voil la grande - expiation; mais, pour qu'elle nous soit applique, il est ncessaire - que nous nous la rendions propre, en y joignant la ntre. Le mystre - du salut se consomme en chacun de nous sur la Croix; et la Croix est - l'unique flicit de la terre, car il n'y en a point d'autre que la - parfaite soumission l'ordre, d'o nat le calme de la conscience et - la paix du coeur. Le monde vous blouit par ses joies apparentes, mais - pensez-vous donc que ses sectateurs, mme les plus favoriss, n'aient - rien souffrir? Tourments de leurs convoitises, qui s'accroissent - avec la jouissance, en vtes-vous jamais un seul content? De nouveaux - dsirs les dvorent sans cesse. Et n'ont-ils pas, d'ailleurs, autant - que les autres, et plus que les autres, supporter les maux de la - vie, les soucis, les peines, les inquitudes, et la foule innombrable - des maladies, filles des vices et des troubles secrets de l'me? Aprs - arrive la fin; la justice inexorable exige sa dette; ce riche de la - terre est jet nu _dans la prison: en vrit, je vous le dis, il n'en - sortira pas qu'il n'ait pay jusqu' la dernire obole_[223]. - Rjouissez-vous donc, vous que le Seigneur purifie, dlivre ds - ici-bas: accomplissez avec amour le sacrifice de justice. Plusieurs - disent: _Qui nous montrera les biens? Seigneur, la lumire de votre - face a t marque sur nous: vous avez donn la paix mon coeur. - C'est pourquoi je m'endormirai dans la paix, et je reposerai, parce - que vous m'avez, mon Dieu, affermi dans l'esprance_[224]. - - [222] Marc., VIII, 31. - - [223] Matth., V, 25, 26. - - [224] Ps. IV, 6, 7, 9, 10. - - - - -CHAPITRE XIII. - -Qu'il faut obir humblement l'exemple de Jsus-Christ. - - -1. J.-C. Mon fils, celui qui cherche se soustraire l'obissance, se -soustrait la grce; et celui qui veut possder seul quelque chose, -perd ce qui est tous. - -Quand on ne se soumet pas volontairement et de bon coeur son -suprieur, c'est une marque que la chair n'est pas encore pleinement -assujettie, mais que souvent elle murmure et se rvolte. - -Apprenez donc obir avec promptitude vos suprieurs, si vous dsirez -dompter votre chair. - -Car l'ennemi du dehors est bien plus vite vaincu, quand l'homme n'a pas -la guerre au dedans de soi. - -L'ennemi le plus terrible et le plus dangereux pour votre me, c'est -vous, lorsque vous tes divis en vous-mme. - -Il faut que vous appreniez vous mpriser sincrement, si vous voulez -triompher de la chair et du sang. - -L'amour dsordonn que vous avez encore pour vous-mme, voil ce qui -vous fait craindre de vous abandonner sans rserve la volont des -autres. - -2. Est-ce donc cependant un si grand effort, que toi, poussire et -nant, tu te soumettes l'homme cause de Dieu; lorsque moi, le -Tout-Puissant, moi, le Trs-Haut, qui ai tout fait de rien, je me suis -soumis humblement l'homme cause de toi. - -Je me suis fait le plus humble et le dernier de tous, afin que mon -humilit t'apprt vaincre ton orgueil. - -Poussire, apprends obir: apprends t'humilier, terre et limon, -t'abaisser sous les pieds de tout le monde. - -Apprends briser ta volont, et ne refuser aucune dpendance. - -3. Enflamme-toi de zle contre toi-mme, et ne souffre pas que le -moindre orgueil vive en toi; mais fais-toi si petit, et mets-toi si bas, -que tout le monde puisse marcher sur toi et te fouler aux pieds comme la -boue des places publiques. - -Fils du nant, qu'as-tu te plaindre? Pcheur couvert d'ignominie, -qu'as-tu rpondre, quelque reproche qu'on t'adresse, toi qui as tant -de fois offens Dieu, tant de fois mrit l'enfer? - -Mais ma bont t'a pargn, parce que ton me a t prcieuse devant moi: -je ne t'ai point dlaiss, afin que tu connusses mon amour, et que mes -bienfaits ne cessassent jamais d'tre prsents ton coeur; afin que tu -fusses toujours prt te soumettre, t'humilier, et souffrir les -mpris avec patience. - - -RFLEXION. - - Il n'existe qu'une volont qui ait le droit essentiel et absolu d'tre - obie, la volont de l'tre ternel qui a tout cr et qui conserve - tout; et de l l'admirable prire du prophte-roi: _Enseignez-moi, - Seigneur, faire votre volont, parce que vous tes mon Dieu_[225]. - Cette volont souveraine a des ministres pour rappeler ses ordonnances - et en maintenir l'excution dans la famille, dans l'tat, dans - l'glise; et l'obissance leur est due, parce qu'ils reprsentent Dieu - chacun dans son ordre, selon les degrs d'une sublime hirarchie, qui - remonte du pre au roi, du roi au pontife, du pontife Jsus-Christ, - de Jsus-Christ celui qui l'a envoy, et _de qui toute paternit, au - ciel et sur la terre, tire son nom_[226], c'est--dire son autorit. - Ainsi le devoir n'est autre chose que le commandement divin, et la - vertu n'est que l'obissance ce commandement. Tout pch, au - contraire, n'est, comme le premier, qu'une dsobissance, une rvolte; - et l'homme est conu dans la rvolte, puisqu'il _est conu dans le - pch_[227]; d'o cette belle et profonde expression du Psalmiste: _Le - pcheur est rebelle ds le sein de sa mre, et livr au mal dans ses - entrailles_[228]. Aussi le sacrifice qui a expi le pch et rpar la - nature humaine, consista-t-il essentiellement, suivant la doctrine du - grand Aptre, dans une obissance infinie. _Le Christ s'est rendu - obissant jusqu' la mort, et la mort de la croix_[229]. Et nous, - misrables cratures, rachetes par cette prodigieuse obissance, nous - refuserions d'obir! Nous opposerions notre volont la volont du - Tout-Puissant, par cet pouvantable orgueil qui a cr l'enfer, o, - dans les tnbres, dans le supplice, dans la rage et le dsespoir, - dans l'ignominie de l'esclavage le plus abject et le plus hideux, - l'ange prvaricateur et ses complices rpteront ternellement: _Je - n'obirai point, non serviam_[230]! Dieu, prservez-moi d'un orgueil - aussi insens, aussi criminel! Que votre grce m'apprenne me - soumettre et vous, et tous ceux que vous avez prposs sur moi! - _Je suis tranger sur la terre; ne me cachez point vos commandements. - Mon me, toute heure, en rappelle le dsir_[231]. _Enseignez-moi, - Seigneur, faire votre volont, parce que vous tes mon Dieu!_ - - [225] Ps. CXLII, 10. - - [226] Ephes., III, 15. - - [227] Ps. L, 7. - - [228] _Ibid._ - - [229] Philipp., II, 8. - - [230] Jerem., II, 20. - - [231] Ps. CXVIII, 19, 20. - - - - -CHAPITRE XIV. - -Qu'il faut considrer les secrets jugements de Dieu pour ne pas -s'enorgueillir du bien qu'on fait. - - -1. LE F. Vous faites tonner sur moi vos jugements, Seigneur, et tous mes -os ont trembl d'pouvante, et mon me est dans une profonde terreur. - -Interdit, effray, je considre que _les cieux ne sont pas purs vos -yeux_[232]. - - [232] Job, XV, 15. - -_Si vous avez trouv le mal dans vos Anges_[233], et si vous ne les avez -pas pargns, que sera-ce de moi? - - [233] _Ibid._, IV, 18. - -_Les toiles sont tombes du ciel_[234]: moi, poussire, que dois-je -donc attendre? - - [234] Apoc., VI, 13. - -Des hommes dont les oeuvres paraissaient louables, sont tombs aussi bas -qu'on puisse tomber, et j'ai vu ceux qui se nourrissaient du pain des -Anges faire leurs dlices de la pture des pourceaux. - -2. Il n'est donc point de saintet, Seigneur, si vous retirez votre -main. - -Point de sagesse qui soit utile, si vous ne la dirigez plus. - -Point de force qui soit de secours, si vous cessez de la soutenir. - -Point de chastet assure, si vous n'en prenez la dfense. - -Point de vigilance qui nous serve, si vous ne veillez vous-mme pour -nous. - -Laisss nous-mmes, nous enfonons dans les flots et nous prissons: -venez-vous nous, nous nous relevons et nous vivons. - -Car nous sommes chancelants, mais vous nous affermissez; nous sommes -tides, mais vous nous enflammez. - -3. que je dois avoir d'humbles et basses penses de moi-mme! que je -dois estimer peu ce qui parat de bien en moi! - - que je dois m'abaisser profondment, Seigneur, devant vos jugements -impntrables, o je me perds comme dans un abme, et vois que je ne -suis rien que nant et un pur nant! - - poids immense! mer sans rivages, o je ne retrouve rien de moi, o -je disparais comme le rien au milieu du tout! - -O donc l'orgueil se cachera-t-il? o la confiance dans sa propre vertu? - -Toute vanit s'teint dans la profondeur de vos jugements sur moi. - -4. Qu'est-ce que toute chair devant vous? - -_L'argile s'lvera-t-elle contre celui qui l'a forme_[235]? - - [235] Is., XXIX, 16. - -Comment celui dont le coeur est vraiment soumis Dieu pourrait-il -s'enfler d'une louange vaine? - -Le monde entier ne saurait inspirer d'orgueil celui que la vrit a -soumis son empire; et jamais il ne sera mu des applaudissements des -hommes, celui dont toute l'esprance est affermie en Dieu. - -Car ceux qui parlent ne sont rien: ils s'vanouiront avec le bruit de -leurs paroles: mais _la vrit du Seigneur demeure ternellement_[236]. - - [236] Ps. CXVI, 2. - - -RFLEXION. - - Une des plus dangereuses tentations et des plus dlies, est celle de - l'orgueil dans le bien. Pour peu qu'elle se relche de sa vigilance, - l'me que la grce avait leve au-dessus de la nature et de sa - corruption, glisse imperceptiblement et retombe en elle-mme. On s'est - garanti de certaines fautes, on a pratiqu certaines vertus; - l'amour-propre s'arrte cette pense, et s'y repose avec - complaisance. On se regarde, on est content de soi, on se prfre - peut-tre tel ou tel autre; et l'on en vient jusqu' s'attribuer - secrtement les dons de Dieu, un des crimes qui offense le plus ce - Dieu _jaloux et vengeur_[237], _et qui ne donnera sa gloire nul - autre_[238], _et qui rsiste aux superbes_[239]. Que fait-il - cependant? Il se retire, il dlaisse cet insens qui comptait sur ses - forces, il l'abandonne son orgueil. Alors arrivent ces chutes - terribles qui tonnent et consternent; ces chutes inattendues, - effrayants exemples des jugements divins. Malheur qui s'appuie sur - sa propre justice! la ruine l'attend. _Je ne sens_, disait l'Aptre, - _rien en moi qui m'accuse; mais je ne suis pas pour cela justifi, car - celui qui me juge, c'est le Seigneur_[240]. Et le prophte-roi: - _Purifiez-moi de mes fautes caches_[241], _oubliez celles que - j'ignore_[242], _et pardonnez-moi celles d'autrui_[243]: prire - admirable qui rappelle l'homme cette funeste communication du mal, - en vertu de laquelle il est, hlas! si peu de pchs purement - personnels. Donc nul refuge, nulle assurance que dans l'humilit, dans - l'aveu sincre, dans la conviction et le sentiment toujours prsent de - notre profonde misre, joint la confiance en Dieu seul. Prosterns - ses pieds, disons-lui avec le Psalmiste: _Ma honte est sans cesse - devant moi_, et la confusion a couvert mon visage[244]: _Seigneur, - vous ne mpriserez point un coeur contrit et humili_[245]! - - [237] Nahum., I, 2. - - [238] Is., XLII, 8. - - [239] I. Petr., V, 5. - - [240] I. Cor., IV, 4. - - [241] Ps. XVIII, 13. - - [242] Ps. XXIV, 7. - - [243] Ps. XVIII, 14. - - [244] Ps. XLIII, 16. - - [245] Ps. L, 19. - - - - -CHAPITRE XV. - -De ce que nous devons dire et faire quand il s'lve quelque dsir en -nous. - - -1. J.-C. Mon fils, dites en toutes choses: Seigneur, qu'il soit ainsi, -si c'est votre volont. Seigneur, que cela se fasse en votre nom, si -vous devez en tre honor. - -Si vous voyez que cela me soit bon, si vous jugez que cela me soit -utile, alors donnez-le-moi, afin que j'en use pour votre gloire. - -Mais si vous savez que cela me nuira, ou ne servira point au salut de -mon me, loignez de moi ce dsir. - -Car tout dsir n'est pas de l'Esprit saint, mme lorsqu'il parat bon et -juste l'homme. - -Il est difficile de discerner avec certitude si c'est l'esprit bon ou -mauvais qui vous porte dsirer ceci ou cela, ou mme votre esprit -propre. - -Il s'est trouv la fin que plusieurs taient dans l'illusion, qui -semblaient d'abord tre conduits par le bon esprit. - -2. Ainsi tout ce qui se prsente de dsirable votre esprit, vous devez -le dsirer toujours et le demander avec une grande humilit de coeur, et -surtout avec une pleine rsignation, vous abandonnant moi sans -rserve, et disant: - -Seigneur, vous savez ce qui est le mieux; que ceci ou cela se fasse -comme vous le voudrez. - -Donnez ce que vous voulez, autant que vous le voulez et quand vous le -voulez. - -Faites de moi ce qui vous plaira, selon ce que vous savez tre bon, et -pour votre plus grande gloire. - -Placez-moi o vous voudrez, et disposez absolument de moi en toutes -choses. - -Je suis dans votre main, tournez-moi et retournez-moi en tout sens, -votre gr. - -Voil que je suis prt vous servir en tout: car je ne dsire point -vivre pour moi, mais pour vous seul: heureux si je le pouvais dignement -et parfaitement! - - -PRIRE - -POUR DEMANDER DIEU LA GRCE D'ACCOMPLIR SA VOLONT. - -1. LE F. Accordez-moi, bon Jsus, votre grce; _qu'elle soit en moi, -qu'elle agisse avec moi_[246], et qu'elle demeure avec moi jusqu' la -fin. - - [246] Sap., IX, 10. - -Faites que je dsire et veuille toujours ce qui vous est le plus -agrable, et ce que vous aimez le plus. - -Que votre volont soit la mienne; et que ma volont suive toujours la -vtre, et jamais ne s'en carte en rien. - -Qu'uni vous, je ne veuille ni ne puisse vouloir que ce que vous -voulez; et qu'il en soit ainsi de ce que vous ne voulez pas. - -Donnez-moi de mourir tout ce qui est du monde, et d'aimer tre -oubli et mpris du sicle cause de vous. - -Faites que je me repose en vous par-dessus tout ce qu'on peut dsirer, -et que mon coeur ne cherche sa paix qu'en vous. - -Vous tes la vritable paix du coeur, son unique repos: hors de vous, -tout pse et inquite. _Dans cette paix_, c'est--dire en vous seul, -ternel et souverain Dieu, _je dormirai et je me reposerai_[247]. Ainsi -soit-il. - - [247] Ps. IV, 10. - - -RFLEXION. - - Jamais satisfait pleinement de ce qu'il est et de ce qu'il possde, - fatigu du vide de son coeur, toujours inquiet, toujours aspirant je - ne sais quel bien qui le fuit toujours, l'homme n'a pas un moment de - vrai repos, et sa vie s'coule dans les dsirs. Ce n'est pas seulement - une grande misre, mais encore un grand danger; _car la racine de tous - les maux est la convoitise, et plusieurs, en s'y livrant, ont perdu la - foi, et se sont engags dans une multitude de douleurs_[248]. - L'imagination, qui, en cet tat, se porte avec force vers tout ce qui - l'attire, obscurcit la raison, branle et entrane la volont mme: et - ainsi l'on doit s'attacher soigneusement la rprimer, lors mme que - les objets qui l'occupent paratraient exempts de toute espce de mal, - et qu'on croirait ne chercher dans ses rves qu'un soulagement permis - et une distraction innocente. La pit elle-mme s'gare aisment, si - elle n'est en garde contre les dsirs en apparence les plus saints. - Nous ne savons ni ce qui nous est bon, ni ce qui nous est nuisible. - Tantt nous souhaiterons d'tre dlivrs d'une croix ncessaire - peut-tre notre salut, tantt, dans un mouvement indiscret de - ferveur, nous en souhaiterons une autre sous laquelle nos forces - succomberaient, si elle nous tait impose. Que faire donc? Demander - Dieu _que sa volont se fasse_[249] en nous et hors de nous, y - conformer la ntre entirement, et renfermer en elle tous nos dsirs. - Nous ne trouverons de paix et de scurit que dans ce parfait abandon - entre les mains de notre Pre. _Mon Pre, non pas ce que je veux, mais - ce que vous voulez_[250]. - - [248] I. Timoth., VI. 10. - - [249] Matth., VI, 10. - - [250] _Ibid._, XXVI, 39. - - - - -CHAPITRE XVI. - -Qu'on ne doit chercher qu'en Dieu la vraie consolation. - - -1. LE F. Tout ce que je puis dsirer ou imaginer pour ma consolation, je -ne l'attends point ici, mais dans l'avenir. - -Quand je possderais seul tous les biens du monde, quand je jouirais -seul de toutes ses dlices, il est certain que tout cela ne durerait pas -longtemps. - -Ainsi, mon me, tu ne peux trouver de soulagement vritable et de joie -sans mlange qu'en Dieu, qui console les pauvres et relve les humbles. - -Attends un peu, mon me, attends la divine promesse, et tu possderas -dans le ciel tous les biens en abondance. - -Si tu recherches trop avidement les biens prsents, tu perdras les biens -ternels et clestes. - -Use des uns et dsire les autres. - -Aucun bien temporel ne saurait te rassasier, parce que tu n'as point t -cre pour en jouir. - -2. Quand tu possderais tous les biens crs, ils ne pourraient te -rendre ni heureuse ni contente: en Dieu, qui a tout cr, en lui seul -est ta flicit et tout ton bonheur; - -Bonheur non pas tel que se le figurent et que le souhaitent les amis -insenss du monde, mais tel que l'attendent les vrais serviteurs de -Jsus-Christ, et tel que le gotent quelquefois par avance les mes -pieuses et les coeurs purs, _dont l'entretien est dans le ciel_[251]. - - [251] Philipp., III, 20. - -Toute consolation humaine est vide et dure peu. - -La vraie, la douce consolation est celle que la vrit fait sentir -intrieurement. - -L'homme pieux porte avec lui partout Jsus, son consolateur, et lui dit: -Seigneur Jsus, soyez prs de moi en tout temps et en tout lieu. - -Que ma consolation soit d'tre volontiers priv de toute consolation -humaine. - -Et si la vtre me manque aussi, que votre volont et cette juste preuve -me soient une consolation au-dessus de toutes les autres. - -_Car vous ne serez pas toujours irrit, et vos menaces ne seront point -ternelles_[252]. - - [252] Ps. CII, 9. - - -RFLEXION. - - Toute crature gmit, dit l'Aptre[253]; et, de sicle en sicle, le - monde entier le redit aprs lui. Que cherchez-vous donc dans les - cratures? que leur demandez-vous, et que peuvent-elles vous donner? - Toujours agites, pleines de troubles, ainsi que vous elles souhaitent - le repos, et ne le trouvent point. Comment la paix vous viendrait-elle - du sein mme de l'angoisse et des orages perptuellement soulevs par - les passions? Cessez de vous abuser, cessez de dire aux temptes, - calmez-moi. Le calme est en Dieu; et n'est que l: en lui seul est le - repos, la paix, la joie, la consolation. _Tournez-vous donc vers le - Seigneur votre Dieu_[254], et renoncez tout le reste: alors, - seulement alors, vous commencerez jouir de la vraie flicit. Rien, - non, rien n'est comparable au bonheur de celui qui, mprisant les - sens, dtach de la chair et du monde, ne tient plus aux choses - humaines que par les seuls liens de la ncessit, converse uniquement - avec Dieu et avec lui-mme, et, s'levant au-dessus des objets - sensibles, ne vit que des divines clarts qu'il conserve en soi - toujours pures, toujours brillantes, sans aucun mlange des ombres de - la terre et des vains fantmes errants ici-bas autour de nous; qui, - rflchissant comme un miroir cleste, Dieu et ses blouissantes - perfections, sans cesse ajoute la lumire une lumire plus vive, - jusqu'au moment o la vrit dissipant tous les nuages, il arrive la - source mme de toute lumire, l'ternelle fontaine de splendeur, fin - bienheureuse de son tre et son immortel ravissement[255]. - - [253] Rom., VIII, 22. - - [254] Osee, XIV, 2. - - [255] S. Greg. Nazianz., Orat. XXIX, in Princ. - - - - -CHAPITRE XVII. - -Qu'il faut remettre Dieu le soin de ce qui nous regarde. - - -1. J.-C. Mon fils, laissez-moi agir avec vous comme il me plat, car je -sais ce qui vous est bon. - -Vos penses sont celles de l'homme, et vos sentiments sont, en beaucoup -de choses, conformes aux penchants de son coeur. - -2. LE F. Il est vrai, Seigneur: vous prenez de moi beaucoup plus de soin -que je n'en puis prendre moi-mme. - -Il est menac d'une prompte chute, celui qui ne s'appuie pas uniquement -sur vous. - -Pourvu, Seigneur, que ma volont demeure droite et qu'elle soit affermie -en vous, faites de moi tout ce qu'il vous plaira: car tout ce que vous -ferez de moi ne peut tre que bon. - -Si vous voulez que je sois dans les tnbres, soyez bni: et si vous -voulez que je sois dans la lumire, soyez encore bni. - -Si vous daignez me consoler, soyez bni: et si vous voulez que j'prouve -des tribulations, soyez galement toujours bni. - -3. J.-C. Mon fils, c'est ainsi que vous devez tre, si vous voulez ne -pas vous sparer de moi. - -Il faut que vous soyez prpar la souffrance autant qu' la joie, au -dnment et la pauvret, autant qu'aux richesses et l'abondance. - -4. LE F. Seigneur, je souffrirai volontiers pour vous tout ce que vous -voudrez qui vienne sur moi. - -Je veux recevoir indiffremment, de votre main, le bien et le mal, les -douceurs et les amertumes, la joie et la tristesse, et vous rendre -grces de tout ce qui m'arrivera. - -Prservez-moi jamais de tout pch, et je ne craindrai ni la mort ni -l'enfer. - -Pourvu que vous ne me rejetiez pas, et que vous ne m'effaciez pas du -livre de vie, aucune tribulation ne peut me nuire. - - -RFLEXION. - - On ne saurait trop le rpter, la vie chrtienne consiste uniquement - vouloir ce que Dieu veut, et ne vouloir que ce qu'il veut. Presque - toujours nos dsirs nous trompent, par une suite de notre ignorance et - de notre corruption. Mais Dieu sait tout ce qui nous est cach; il - connat les secrtes dispositions de notre coeur, la mesure de sa - faiblesse, les preuves auxquelles il est bon que nous soyons soumis, - les secours ncessaires pour les supporter, car _il ne permettra pas - que nous soyons tents au-del de nos forces_[256]: _sa sagesse est - infinie, et il nous a aims jusqu' donner pour nous son Fils - unique_[257]. Quelle confiance, quelle paix ne devons-nous pas trouver - dans cette pense! Quoi de plus doux que de s'abandonner sans rserve - celui qui a tout fait pour sa pauvre crature, que de se perdre en - lui par l'union intime de notre volont la sienne, ne nous rservant - rien que l'action de grces et l'amour; de sorte que notre me, notre - tre entier s'exhale, en quelque sorte, dans cette parole qui comprend - tout: _mon Seigneur et mon Dieu_[258]! - - [256] I. Cor., X, 13. - - [257] Joann., III, 16. - - [258] _Ibid._, XX. - - - - -CHAPITRE XVIII. - -Qu'il faut souffrir avec constance les misres de cette vie, l'exemple -de Jsus-Christ. - - -1. J.-C. Mon fils, je suis descendu du ciel pour votre salut; je me suis -charg de vos misres, afin de vous former, par mon exemple, la -patience, et de vous apprendre supporter les maux de cette vie sans -murmurer. - -Car, depuis l'heure de ma naissance jusqu' ma mort sur la croix, je -n'ai jamais t sans douleur. - -J'ai vcu dans une extrme indigence des choses de ce monde; j'ai -entendu souvent bien des plaintes de moi; j'ai souffert avec douceur les -affronts et les outrages: je n'ai recueilli sur la terre, pour mes -bienfaits, que de l'ingratitude; pour mes miracles, que des blasphmes; -pour ma doctrine, que des censures. - -2. LE F. Puisque vous avez montr, Seigneur, tant de patience durant -votre vie, accomplissant par l, d'une manire parfaite, ce que votre -Pre demandait de vous, il est bien juste que moi, pauvre pcheur, je -souffre patiemment ma misre pour votre volont, et que je porte selon -mon salut, aussi longtemps que vous le voudrez, le poids de cette vie -corruptible. - -Car, bien que la vie prsente soit pleine de douleurs, elle devient -cependant, par votre grce, une source abondante de mrites, et votre -exemple, suivi par vos Saints, la rend supportable et prcieuse, mme -aux faibles. - -Elle est aussi beaucoup plus remplie de consolation que dans l'ancienne -loi, quand les portes du ciel taient encore fermes, que la voie du -ciel semblait plus obscure, et que si peu s'occupaient de chercher le -royaume de Dieu. - -Les justes mme qui le salut tait rserv, ne pouvaient entrer dans -le royaume cleste qu'aprs la consommation de vos souffrances et le -tribut sacr de votre mort. - -3. quelles grces ne dois-je pas vous rendre, de ce que vous avez -daign me montrer, et tous les fidles, la voie droite et sre qui -conduit votre royaume ternel. - -Car votre vie est notre voie; et par une sainte patience, nous marchons -vers vous, qui tes notre couronne. - -Si vous ne nous aviez prcds et instruits, qui songerait vous -suivre? - -Hlas! combien resteraient en arrire, et bien loin, s'ils n'avaient -sous les yeux vos sacrs exemples! - -Aprs tant de miracles et d'instructions, nous sommes encore tides! que -serait-ce si tant de lumire ne nous guidait sur vos traces? - - -RFLEXION. - - La vie de l'homme sur la terre est pleine de douleur, de misre, de - souffrances; qui ne le sait? Nous sommes visiblement punis, et comme - la justice qui nous chtie est toute-puissante, nul moyen d'chapper - au chtiment. Or, en cet tat, la sagesse humaine n'a vu que le choix - entre deux partis: ou de se raidir contre la nature et de nier le - supplice, ou d'y chercher une distraction dans la volupt. Elle a - demand le bonheur l'orgueil et aux sens, et, trompe dans ses - esprances, elle s'est voile la tte, en disant: Il n'y a point de - remde. Le monde en tait l, quand tout coup une voix s'lve: - _Heureux ceux qui pleurent_[259]! Les peuples coutent et s'tonnent; - quelque chose de nouveau se remue en eux; ils comprennent, ils gotent - la joie des larmes, et du haut de la croix o _l'homme de - douleurs_[260] est attach, un fleuve inpuisable de consolations - inconnues coule sur le genre humain. La vie a perdu sa tristesse, - depuis que, baign d'une sueur de sang, et dans les transes de - l'agonie, Jsus s'est cri: _Mon me est triste jusqu' sa - mort_[261]. Elle n'a plus assez de souffrances pour le repentir qui - les cherche, pour l'amour qui les dsire et qui s'y complat. - Qu'est-ce donc que cette merveille? Fils du Dieu vivant, c'est que - votre lumire a clair le monde, et que votre grce l'a touch; c'est - que l'homme, sorti de sa voie, l'a retrouve en vous _qui tes la - voie, la vrit et la vie_[262]; c'est qu'il a conu qu'aprs le - pch, le seul bien qui reste est l'expiation, et il a dit en - regardant la croix: _Ou souffrir, ou mourir!_ Victime sainte, _Agneau - de Dieu qui tez le pch du monde_[263], donnez-moi de souffrir avec - vous, et de mourir en unissant mes dernires souffrances celles qui - nous ont rouvert le ciel que le pch nous avait ferm! - - [259] Matth., V. 5. - - [260] Is., LIII, 3. - - [261] Marc., XIV, 34. - - [262] Joann., XIV, 6. - - [263] _Ibid._, I, 29. - - - - -CHAPITRE XIX. - -De la souffrance des injures et de la vritable patience. - - -1. J.-C. Pourquoi ces paroles, mon fils? cessez de vous plaindre, en -considrant mes souffrances et celles des Saints. - -_Vous n'avez pas encore rsist jusqu'au sang_[264]. - - [264] Heb., XII, 4. - -Ce que vous souffrez est peu en comparaison de ce qu'ont souffert tant -d'autres, qui ont t prouvs et exercs par de si fortes tentations, -par des tribulations si pesantes. - -Rappelez donc votre esprit les peines extrmes des autres, afin d'en -supporter paisiblement de plus lgres. - -Que si elles ne vous paraissent pas lgres, prenez garde que cela ne -vienne de votre impatience. - -Cependant, grandes ou petites, efforcez-vous de les souffrir patiemment. - -2. Plus vous vous disposez souffrir, plus vous montrez de sagesse et -acqurez de mrites. La ferme rsolution et l'habitude de souffrir vous -rendront mme la souffrance moins dure. - -Ne dites pas: Je ne puis supporter cela d'un tel homme: ce sont des -offenses qu'on n'endure point. Il m'a fait un trs-grand tort, et il me -reproche des choses auxquelles je n'ai jamais pens: mais d'un autre je -le souffrirai avec moins de peine, et comme je croirai devoir le -souffrir. - -Ce discours est insens: car, au lieu de considrer la vertu de -patience, et ce qui doit la couronner, c'est regarder seulement -l'injure et la personne de qui on l'a reue. - -3. Celui-l n'a pas la vraie patience, qui ne veut souffrir qu'autant -qu'il lui plat, et de qui il lui plat. - -L'homme vraiment patient n'examine point qui l'prouve, si c'est son -suprieur, son gal ou son infrieur, un homme de bien ou un mchant. - -Mais, indiffrent sur les cratures, il reoit de la main de Dieu, avec -reconnaissance, et aussi souvent qu'il le veut, tout ce qui lui arrive -de contraire, et l'estime un grand gain. - -Car Dieu ne laissera sans rcompense aucune peine, mme la plus lgre, -qu'on aura soufferte pour lui. - -4. Soyez donc prt au combat, si vous voulez remporter la victoire. - -On ne peut obtenir sans combat la couronne de la patience; et refuser de -combattre, c'est refuser d'tre couronn. - -Si vous dsirez la couronne, combattez courageusement, souffrez avec -patience. - -On ne parvient pas au repos sans travail, ni sans combat la victoire. - -5. LE F. Seigneur, que ce qui parat impossible la nature me devienne -possible par votre grce! - -J'ai, vous le savez, peu de force pour souffrir; la moindre adversit -m'abat aussitt. - -Faites que j'aime, que je dsire d'tre exerc, afflig pour votre nom: -car subir l'injure et souffrir pour vous est trs-salutaire mon me. - - -RFLEXION. - - Si nous avons souvent souffrir du prochain, il n'a pas moins - souffrir de nous; et c'est pourquoi l'Aptre dit: _Portez le fardeau - les uns des autres, et ainsi vous accomplirez la loi de - Jsus-Christ_[265]. Mais je vous entends, il y a des choses qu'il est - dur, dites-vous, et difficile de supporter. Eh bien! votre mrite en - sera plus grand. La grce ne nous est donne que pour cela, pour que - vous fassiez avec elle ce qui serait impossible la nature seule. - D'ailleurs que vous arrive-t-il que Dieu n'ait prvu, que Dieu n'ait - voulu? La patience n'est donc qu'une soumission douce et calme ce - qu'il ordonne, et sans elle nous vivons dans un trouble perptuel; car - _qui a rsist Dieu, et a eu la paix_[266]? Et combien ne faut-il - pas qu'il soit lui-mme patient avec vous? Descendez dans votre - conscience, et rpondez. N'a-t-il rien supporter de vous, rien - vous pardonner? Oui, _le Seigneur est patient et rempli de - misricorde_[267]. _Soyons donc aussi patients envers tous_[268]. - _L'homme patient vaut mieux que l'homme fort, et celui qui domine son - me, mieux que celui qui rduit des villes_[269]. _Je me suis tu_, - disait David en prophtisant les souffrances du Christ, _je me suis - tu, et je n'ai point ouvert la bouche_[270]; et un autre prophte: _Il - s'est tu comme l'agneau devant celui qui le tond_[271]. Qui oserait - aprs cela murmurer, s'irriter, rendre offense pour offense? Jsus! - soyez notre modle. Vous nous avez appris dire Dieu: - _Remettez-nous nos dettes, comme nous les remettons ceux qui nous - doivent_[272]. Voil ce que nous demandons chaque jour, ce que chaque - jour nous promettons; et malheur celui dont la prire sera trouve - menteuse! - - [265] Galat., VI, 2. - - [266] Job, IX, 4. - - [267] Ps. CXLIV. 8. - - [268] I. Thess., V, 14. - - [269] Prov., XVI, 32. - - [270] Ps. XXXVIII, 10. - - [271] Is., LIII, 7. - - [272] Matth., VI, 12. - - - - -CHAPITRE XX. - -De l'aveu de son infirmit et des misres de cette vie. - - -1. LE F. _Je confesserai contre moi mon injustice_[273]: Je vous -confesserai, Seigneur, mon infirmit. - - [273] Ps. XXXI, 5. - -Souvent un rien m'abat et me jette dans la tristesse. - -Je me propose d'agir avec force; mais, la moindre tentation qui -survient, je tombe dans une grande angoisse. - -Souvent c'est la plus petite chose et la plus mprisable qui me cause -une violente tentation. - -Et quand je ne sens rien en moi-mme, et que je me crois un peu en -sret, je me trouve quelquefois presque abattu par un lger souffle. - -2. Voyez donc, Seigneur, mon impuissance et ma fragilit, que tout -manifeste vos yeux. - -Ayez piti de moi, _et retirez-moi de la boue, de crainte que je n'y -demeure jamais enfonc_[274]. - - [274] Ps. LXVIII, 15. - -Ce qui souvent fait ma peine et ma confusion devant vous, c'est de -tomber si aisment, et d'tre si faible contre mes passions. - -Bien qu'elles ne parviennent pas m'arracher un plein consentement, -leurs sollicitations me fatiguent et me psent, et ce m'est un grand -ennui de vivre ainsi toujours en guerre. - -Je connais surtout en ceci mon infirmit, que les plus horribles -imaginations s'emparent de mon esprit, bien plus facilement qu'elles -n'en sortent. - -3. Puissant Dieu d'Isral, dfenseur des mes fidles, daignez jeter un -regard sur votre serviteur afflig et dans le travail, et soyez prs de -lui pour l'aider en tout ce qu'il entreprendra. - -Remplissez-moi d'une force toute cleste, de peur que le vieil homme, et -cette chair de pch qui n'est pas encore entirement soumise -l'esprit, ne prvale et ne domine; elle, contre qui nous devons -combattre jusqu'au dernier soupir, dans cette vie charge de tant de -misres. - -Hlas! qu'est-ce que cette vie, assige de toutes parts de tribulations -et de peines, environne de piges et d'ennemis? - -Est-on dlivr d'une affliction ou d'une tentation, une autre lui -succde; et l'on combat mme encore la premire, que d'autres -surviennent inopinment. - -4. Comment peut-on aimer une vie remplie de tant d'amertumes, sujette -tant de maux et de calamits? - -Comment peut-on mme appeler vie ce qui engendre tant de douleurs et -tant de morts? - -Et cependant on l'aime, et plusieurs y cherchent leur flicit. - -On reproche souvent au monde d'tre trompeur et vain; et toutefois on le -quitte difficilement, parce qu'on est encore domin par les convoitises -de la chair. - -Certaines choses nous inclinent aimer le monde, d'autres le -mpriser. - -_Le dsir de la chair, le dsir des yeux, et l'orgueil de la vie_[275], -inspirent l'amour du monde; mais les peines et les misres qui les -suivent justement produisent la haine et le dgot du monde. - - [275] I. Joann., II, 16. - -5. Mais, hlas! le plaisir mauvais triomphe de l'me livre au monde: -elle se repose avec dlices dans l'esclavage des sens, parce qu'elle ne -connat pas et n'a point got les suavits clestes, ni le charme -intrieur de la vertu. - -Mais ceux qui, mprisant le monde parfaitement, s'efforcent de vivre -pour Dieu sous une sainte discipline, n'ignorent point les divines -douceurs promises au vrai renoncement, et voient avec clart combien le -monde, abus par des illusions diverses, s'gare dangereusement. - - -RFLEXION. - - Que sont les preuves qui nous viennent du dehors, compares celles - que nous trouvons au dedans de nous-mmes? On rsiste aux premires - avec toutes ses forces; elles sont divises dans les secondes, et les - puissances de l'me se combattent mutuellement: combat terrible que - saint Paul a peint en quelques traits. _Je ne fais pas le bien que je - veux, et le mal que je ne veux pas, je le fais. Je me rjouis dans la - loi de Dieu, selon l'homme intrieur, et je vois dans mes membres une - autre loi, qui rpugne la loi de mon esprit et me captive sous la - loi du pch, qui est dans mes membres_[276]. Voil ce qui dsole les - mes fidles, humilies de cette guerre honteuse; et sans cesse - tremblant de succomber; voil ce qui faisait dire l'Aptre: _Qui me - dlivrera du corps de cette mort?_ et aussitt il ajoute: _La grce de - Dieu par Jsus-Christ notre Seigneur_[277]. Jetons-nous donc entre ses - bras divins, qu'avec un amour inexprimable il tend pour nous - recevoir; approchons-nous de son coeur sacr, d'o mane - perptuellement une vertu redoutable aux puissances du mal; ne - comptons que sur lui, n'esprons qu'en lui; crions-nous du fond de - nos entrailles: _Dlivrez-moi, Seigneur; placez-moi prs de vous, et - qu'ensuite la main de qui que ce soit se lve contre moi_[278]. _Le - Seigneur est mon appui, mon refuge, mon librateur; il est mon Dieu et - mon aide, et j'esprerai en lui; il est mon protecteur, il est la - force qui fait mon salut. Je l'invoquerai dans mes louanges, et je - serai dlivr de mes ennemis_[279]. - - [276] Rom., VII, 19, 22, 23. - - [277] Rom., VII, 24, 25. - - [278] Job, XVII, 2. - - [279] Ps. VII, 3, 4. - - - - -CHAPITRE XXI. - -Qu'il faut tablir son repos en Dieu, plutt que dans tous les autres -biens. - - -1. LE F. En tout, et par-dessus tout, repose-toi en Dieu, mon me, -parce qu'il est le repos ternel des Saints. - -Aimable et doux Jsus, donnez-moi de me reposer en vous plus qu'en -toutes les cratures; plus que dans la sant, la beaut, les honneurs et -la gloire; plus que dans toute puissance et dans toute dignit; plus que -dans la science, l'esprit, les richesses, les arts; plus que dans les -plaisirs et la joie, la renomme et la louange, les consolations et les -douceurs, l'esprance et les promesses; plus qu'en tout mrite et en -tout dsir; plus mme que dans vos dons et toutes les rcompenses que -vous pouvez nous prodiguer; plus que dans l'allgresse et tous les -transports que l'me peut concevoir et sentir; plus enfin que dans les -Anges et dans les Archanges, et dans toute l'arme des cieux; plus qu'en -toutes les choses visibles et invisibles, plus qu'en tout ce qui n'est -pas vous, mon Dieu! - -2. Car vous tes seul infiniment bon, seul trs-haut, trs-puissant; -vous suffisez seul, parce que seul vous possdez et vous donnez tout; -vous seul nous consolez par vos douceurs inexprimables; seul vous tes -toute beaut, tout amour; votre gloire s'lve au-dessus de toute -gloire, votre grandeur au-dessus de toute grandeur; la perfection de -tous les biens ensemble est en vous, Seigneur mon Dieu, y a toujours -t, y sera toujours. - -Ainsi, tout ce que vous me donnez hors de vous, tout ce que vous me -dcouvrez de vous-mme, tout ce que vous m'en promettez, est trop peu et -ne me suffit pas, si je ne vous vois, si je ne vous possde pleinement. - -Car mon coeur ne peut avoir de vrai repos, ni tre entirement rassasi, -jusqu' ce que, s'levant au-dessus de tous vos dons et de toute -crature, il se repose uniquement en vous. - -3. Tendre poux de mon me, pur objet de son amour, mon Jsus, Roi de -toutes les cratures! qui me dlivrera de mes liens, _qui me donnera des -ailes_[280] pour voler vers vous et me reposer en vous! - - [280] Ps. LIV, 7. - - quand serai-je assez dgag de la terre pour voir, Seigneur mon Dieu, -et _pour goter combien vous tes doux_[281]! - - [281] Ps. XXXIII, 9. - -Quand serai-je tellement absorb en vous, tellement pntr de votre -amour, que je ne me sente plus moi-mme, et que je ne vive plus que de -vous, dans cette union ineffable et au-dessus des sens, que tous ne -connaissent pas! - -Maintenant je ne sais que gmir, et je porte avec douleur ma misre. - -Car, en cette valle de larmes, il se rencontre bien des maux qui me -troublent, m'affligent, et couvrent mon me comme d'un nuage. Souvent -ils me fatiguent et me retardent: ils s'emparent de moi; ils m'arrtent, -et m'tant prs de vous un libre accs, ils me privent de ces dlicieux -embrassements dont jouissent toujours et sans obstacle les clestes -esprits. - -Soyez touch de mes soupirs et de ma dsolation sur la terre! - -4. Jsus! _splendeur de l'ternelle gloire_[282], consolateur de l'me -exile! ma bouche est muette devant vous, et mon silence vous parle. - - [282] Heb., I, 3. - -Jusqu' quand mon Seigneur tardera-t-il de venir? - -Qu'il vienne ce pauvre qui est lui, et qu'il lui rende la joie. -Qu'il tende la main pour relever un malheureux plong dans l'angoisse. - -Venez, venez: car, sans vous, tous les jours, toutes les heures -s'coulent dans la tristesse, parce que vous tes seul ma joie, et que -vous pouvez seul remplir le vide de mon coeur. - -Je suis oppress de misre, et comme un prisonnier charg de fers, -jusqu' ce que, me ranimant par la lumire de votre prsence, vous me -rendiez la libert, et jetiez sur moi un regard d'amour, - -5. Que d'autres cherchent, au lieu de vous, tout ce qu'ils voudront; -pour moi, rien ne me plat, ni ne me plaira jamais, que vous, mon -Dieu, mon esprance, mon salut ternel! - -Je ne me tairai point, je ne cesserai point de prier jusqu' ce que -votre grce revienne, et que vous me parliez intrieurement. - -6. J.-C. Me voici: je viens vous, parce que vous m'avez invoqu. Vos -larmes et le dsir de votre me, le brisement de votre coeur humili, -m'ont flchi et ramen vous. - -7. LE F. Et j'ai dit: Seigneur, je vous ai appel, et j'ai dsir jouir -de vous, prt rejeter pour vous tout le reste. - -Et c'est vous qui m'avez excit le premier vous chercher. - -Soyez donc bni, Seigneur, d'avoir us de cette bont envers votre -serviteur, selon votre infinie misricorde. - -Que peut-il vous dire encore? et que lui reste-t-il qu' s'humilier -profondment en votre prsence, plein du souvenir de son nant et de son -iniquit. - -Car il n'est rien de semblable vous dans tout ce que le ciel et la -terre renferment de plus merveilleux. - -Vos oeuvres sont parfaites, _vos jugements vritables, et l'univers est -rgi par votre providence_[283]. - - [283] Ps. XVIII, 10. Sap., XIV, 3. - -Louange donc et gloire vous, Sagesse du Pre! Que mon me, que ma -bouche, que toutes les cratures ensemble vous louent et vous bnissent - jamais! - - -RFLEXION. - - mesure que l'me fidle se dgage de la terre et d'elle-mme, toutes - ses penses, tous ses dsirs s'lvent et viennent se confondre en - celui qu'elle aime uniquement. Alors elle gmit des liens qui - l'appesantissent et la retiennent encore ici-bas. Presse d'un amour - qui crot sans cesse, elle voudrait briser son enveloppe mortelle, et - s'lancer dans le sein de l'tre infini auquel elle aspire, et s'y - plonger, et s'y perdre ternellement. _Qui me donnera des ailes comme - la colombe, et je volerai et je me reposerai_[284]! Nul repos en - effet pour elle, jusqu' ce qu'elle soit pleinement unie l'objet de - ses ardeurs, jusqu' ce qu'elle puisse dire dans les transports, dans - l'ivresse divine de sa joie, dans la jouissance, la possession - jamais immuable du cleste poux: _Mon bien-aim est moi, et je suis - lui_[285]. Oh! quand luira cet heureux jour, jour de la dlivrance - et de l'allgresse sans fin? Quand cessera le temps de l'exil, le - temps de l'esprance et des larmes? Quand verrons-nous dcliner les - ombres qui drobent nos regards le bien-aim? _Comme le cerf altr - dsire l'eau des fontaines, ainsi mon me vous dsire, mon Dieu! Mon - me a eu soif du Dieu fort, du Dieu vivant: oh! quand viendrai-je et - paratrai-je en prsence de mon Dieu_[286]? - - [284] Ps. LIV, 7. - - [285] Cantic., II, 16. - - [286] Ps. XLI, 2, 3. - - - - -CHAPITRE XXII. - -Du souvenir des bienfaits de Dieu. - - -1. LE F. _Seigneur, ouvrez mon coeur votre loi; et enseignez-moi -marcher dans la voie de vos commandements_[287]. - - [287] II. Mach., I, 4. - -Faites que je connaisse votre volont, et que je rappelle dans mon -souvenir, avec un grand respect et une srieuse attention, tous vos -bienfaits, afin de vous en rendre de dignes actions de grces. - -Je sais cependant, et je confesse que je ne puis reconnatre dignement -la moindre de vos faveurs. - -Je suis au-dessous de tous les biens que vous m'avez accords; et quand -je considre votre lvation infinie, mon esprit s'abme dans votre -grandeur. - -2. Tout ce que nous avons en nous, dans notre corps, dans notre me, -tout ce que nous possdons et au dedans et au dehors, dans l'ordre -de la grce ou de la nature, c'est vous qui nous l'avez donn; et vos -bienfaits nous rappellent sans cesse votre bont, votre tendresse, -l'immense libralit dont vous usez envers nous, vous de qui nous -viennent tous les biens. - -Car tout vient de vous, quoique l'un reoive plus, l'autre moins; et -sans vous nous serions jamais privs de tout bien. - -Celui qui a reu davantage ne peut se glorifier de son mrite, ni -s'lever au-dessus des autres, ni insulter celui qui a moins reu; car -celui-l est le meilleur et le plus grand, qui s'attribue le moins, et -qui rend grces avec le plus de ferveur et d'humilit. - -Et celui qui se croit le plus vil et le plus indigne de tous, est le -plus propre recevoir de grands dons. - -3. Celui qui a moins reu, ne doit ni s'affliger, ni se plaindre, ni -concevoir de l'envie contre ceux qui ont reu davantage; mais plutt ne -regarder que vous, et louer de toute son me votre bont toujours prte - rpandre ses dons si abondamment, si gratuitement, sans acception de -personne. - -Tout vient de vous, et ainsi vous devez tre lou de tout. - -Vous savez ce qu'il convient de donner chacun, pourquoi celui-ci -reoit plus, cet autre moins; ce c'est pas nous qu'appartient ce -discernement, mais vous, qui pesez tous les mrites. - -4. C'est pourquoi, Seigneur mon Dieu, je regarde comme une grce -singulire que vous m'ayez accord peu de ces dons qui paraissent au -dehors, et qui attirent les louanges et l'admiration des hommes. Et -certes, en considrant son indigence et son abjection, loin d'en tre -abattu, loin d'en concevoir aucune peine, aucune tristesse, on doit -plutt sentir une douce consolation, une grande joie; car vous avez -choisi, mon Dieu, pour vos amis et vos serviteurs, les pauvres, les -humbles, ceux que le monde mprise. - -Tels taient vos aptres mmes, _que vous avez tablis princes sur toute -la terre_[288]. - - [288] Ps. XLIV, 17. - -Ils ont pass dans ce monde sans se plaindre, purs de tout artifice et -de la pense mme du mal, si simples et si humbles, qu'_ils se -rjouissaient de souffrir les outrages pour votre nom_[289], et qu'ils -embrassaient avec amour tout ce que le monde abhorre. - - [289] Act., V, 41. - -Rien ne doit causer tant de joie celui qui vous aime et qui connat le -prix de vos bienfaits, que l'accomplissement de votre volont et de vos -desseins ternels sur lui. - -Il doit y trouver un contentement, une consolation telle, qu'il consente -aussi volontiers d'tre le plus petit, que d'autres dsirent avec ardeur -tre le plus grand; qu'il soit aussi tranquille, aussi satisfait dans la -dernire place que dans la premire; et que toujours prt souffrir le -mpris, les rebuts, il s'estime aussi heureux d'tre sans nom, sans -rputation, que les autres de jouir des honneurs et des grandeurs du -monde. - -Car votre volont et le zle de votre gloire doivent tre pour lui -au-dessus de tout, et lui plaire et le consoler plus que tous les dons -que vous lui avez faits, et que vous pouvez lui faire encore. - - -RFLEXION. - - Profitons de la grce qui nous est donne, sans rechercher si les - autres en ont reu une mesure plus grande. Dieu se communique comme il - lui plat, il est le matre de ses dons, et que sommes-nous pour lui - en demander compte? Bnissons-le de ceux qu'il nous accorde dans sa - bont toute gratuite, et bnissons-le encore de ceux qu'il nous - refuse, nous reconnaissant indignes du moindre de ses bienfaits. Si - vous tes humble, vous n'aspirerez point des faveurs - extraordinaires; et si vous manquez d'humilit, ces faveurs, loin de - vous tre utiles, ne serviraient peut-tre qu' vous perdre, en - nourrissant en vous la vaine complaisance et l'orgueil. Une vive - gratitude envers le Seigneur, une soumission parfaite ses volonts, - la fidlit dans la voie o il vous conduit, voil ce que vous devez - dsirer. Avec cela vous reposerez en paix, parce que vous reposerez en - Dieu, et qu'en lui vous trouverez le secours contre les tentations, la - paix dans les souffrances, la consolation dans les misres et les - peines de la vie, et enfin l'amour qui rend tout lger. Oh! que nous - penserions peu souhaiter un tat plus lev, ou plus doux, si nous - aimions vritablement! Mais nous ne savons point aimer. Gmissons au - moins de notre tideur et supplions le divin Matre d'chauffer, - d'embraser notre coeur languissant, afin que nous puissions dire avec - l'Aptre: _Qui me sparera de l'amour du Christ? la tribulation? - l'angoisse? la faim? la nudit? le pril? la perscution? le glaive? - Mais nous triomphons de toutes ces choses cause de celui qui nous a - aims. Car je suis certain que ni la mort, ni la vie, ni les Anges, ni - les principauts, ni les vertus, ni le prsent, ni l'avenir, ni la - force, ni la hauteur, ni la profondeur, ni aucune autre crature ne - pourra me sparer de la charit de Dieu, laquelle est dans le Christ - Jsus notre Seigneur_[290]. - - [290] Rom., VIII, 35, 37-39. - - - - -CHAPITRE XXIII. - -De quatre choses importantes pour conserver la paix. - - -1. J.-C. Mon fils, je vous enseignerai maintenant la voie de la paix et -de la vraie libert. - -2. LE F. Faites, Seigneur, ce que vous dites: car il m'est doux de vous -entendre. - -3. Appliquez-vous, mon fils, faire plutt la volont d'autrui que la -vtre. - -Choisissez toujours plutt d'avoir moins que plus. - -Cherchez toujours la dernire place, et tre au-dessous de tous. - -Dsirez toujours et priez que la volont de Dieu s'accomplisse -parfaitement en vous. - -Celui qui agit ainsi est dans la voie de la paix et du repos. - -4. LE F. Seigneur, ces courts prceptes renferment une grande -perfection. - -Ils contiennent peu de paroles; mais elles sont pleines de sens, et -abondantes en fruits. - -Si j'tais fidle les observer, je ne tomberais pas si aisment dans -le trouble. - -Car toutes les fois qu'il m'arrive de perdre le calme et la paix, je -reconnais que je me suis cart de ces maximes. - -Mais vous qui pouvez tout, et qui dsirez toujours le progrs des mes, -augmentez en moi votre grce, afin qu'en obissant ce que vous -commandez, je puisse accomplir mon salut. - - -PRIRE - -POUR OBTENIR D'TRE DLIVR DES MAUVAISES PENSES. - -5. _Seigneur, mon Dieu, ne vous loignez pas de moi. Mon Dieu, -htez-vous de me secourir_[291]: car une foule de penses diverses m'ont -assailli, et de grandes terreurs agitent mon me. - - [291] Ps. LXX, 12. - -Comment traverserai-je tant d'ennemis, sans recevoir de blessures? -comment les renverserai-je? - -_Je marcherai devant vous_, dit le Seigneur, _et j'abattrai les -puissants de la terre_[292]. J'ouvrirai les portes de la prison, et je -vous montrerai les issues les plus secrtes. - - [292] Is., XLV, 2. - -Faites, Seigneur, selon votre parole; et que toutes les penses -mauvaises fuient devant vous. - -Mon unique esprance, ma seule consolation dans les maux qui me -pressent, est de me rfugier vers vous, de me confier en vous, de vous -invoquer du fond de mon coeur et d'attendre avec patience votre secours. - - -PRIRE - -POUR DEMANDER DIEU LA LUMIRE. - -6. clairez-moi intrieurement, bon Jsus! Faites luire votre lumire -dans mon coeur, et dissipez toutes ses tnbres. - -Arrtez mon esprit qui s'gare, et brisez la violence des tentations qui -me pressent. - -Dployez pour moi votre bras, et domptez ces btes furieuses, ces -convoitises dvorantes _afin que je trouve la paix dans votre -force_[293], et que sans cesse vos louanges retentissent dans votre -sanctuaire, dans une conscience pure. - - [293] Ps. CXXI, 7. - -Commandez aux vents et aux temptes; _dites la mer: Apaise-toi; -l'aquilon: Ne souffle point: et il se fera un grand calme_[294]. - - [294] Marc., IV, 39. - -7. _Envoyez votre lumire et votre vrit_[295], pour qu'elles luisent -sur la terre: car je ne suis qu'une terre strile et tnbreuse, jusqu' -ce que vous m'clairiez. - - [295] Ps. XLII, 3. - -Rpandez votre grce d'en haut; versez sur mon coeur la rose cleste; -panchez sur cette terre aride les eaux fcondes de la pit, afin -qu'elle produise des fruits bons et salutaires. - -Relevez mon me abattue sous le poids de ses pchs; transportez tous -mes dsirs au Ciel, afin qu'ayant tremp mes lvres la source des -biens ternels, je ne puisse plus sans dgot penser aux choses de la -terre. - -8. Enlevez-moi, dtachez-moi de toutes les fugitives consolations des -cratures, car nul objet cr ne peut satisfaire ni rassasier pleinement -mon coeur. - -Unissez-moi vous par l'indissoluble lien de l'amour: car vous suffisez -seul celui qui vous aime, et tout le reste sans vous n'est rien. - - -RFLEXION. - - _Des prophtes se sont levs en Isral, qui prophtisent Jrusalem - des visions de paix; et il n'y a point de paix, dit le Seigneur - Dieu_[296]. Et le monde aussi prophtise des visions de paix ses - sectateurs; mais cette paix qu'il met dans les plaisirs, dans le - contentement de l'orgueil et de toutes les passions, ne se montre de - loin que pour tromper ceux qui la poursuivent, et quand ils se croient - prs de la saisir, tout coup elle s'vanouit _comme le songe d'un - homme qui s'veille_[297]. La paix vritable n'est, au contraire, que - le calme d'une conscience pure: elle consiste retrancher les dsirs, - et non pas les satisfaire. Est-il un lieu cach, un emploi obscur, - une place, un rang mprisable aux yeux du monde, elle est l surtout. - Plus le coeur s'humilie, plus elle est douce et profonde. Qu'est-ce, - en effet, qui pourrait troubler celui qui ne souhaite rien, et ne - s'attribue rien? Il n'a gure craindre qu'on lui envie l'abaissement - o il se complat. Mais que de grandeur dans cet abaissement cherch, - voulu de toute l'me! Les anges le contemplent avec respect, et Dieu - le bnit du sein de sa gloire. Seigneur, venez mon aide; terrassez - en moi l'orgueil, et j'aurai la paix; faites que, pntr des - sentiments qui animaient le roi-prophte, il me soit donn de dire - comme lui: _J'ai choisi d'tre abject dans la maison de mon Dieu, - plutt que d'habiter tous les tentes des pcheurs: elegi abjectus - esse[298]!_ - - [296] Ezech., XIII, 16. - - [297] Ps. LXXII, 20. - - [298] Ps. LXXXIII, 11. - - - - -CHAPITRE XXIV. - -Qu'il ne faut point s'enqurir curieusement de la conduite des autres. - - -1. J.-C. Mon fils, rprimez en vous la curiosit, et ne vous troublez -point de vaines sollicitudes. - -_Que vous importe ceci ou cela? suivez-moi_[299]. - - [299] Joan., XXI, 22. - -Que vous fait ce qu'est celui-ci, comment parle ou agit celui-l? - -Vous n'avez point rpondre des autres; mais vous rpondrez pour -vous-mme: de quoi donc vous inquitez-vous? - -Voil que je connais tous les hommes; je vois tout ce qui se passe sous -le soleil; je sais ce qu'il en est de chacun, ce qu'il pense, ce qu'il -veut, et o tendent ses vues. - -C'est donc moi qu'on doit tout abandonner. Pour vous, demeurez en -paix, et laissez ceux qui s'agitent, s'agiter tant qu'ils voudront. - -Tout ce qu'ils feront, tout ce qu'ils diront, viendra sur eux; car ils -ne peuvent me tromper. - -2. Ne poursuivez pas cette ombre qu'on appelle un grand nom; ne dsirez -ni de nombreuses liaisons, ni l'amiti particulire d'aucun homme. - -Car tout cela dissipe l'esprit, et obscurcit trangement le coeur. - -Je me plairais vous faire entendre ma parole, et vous rvler mes -secrets, si vous tiez, quand je viens vous, toujours attentif et prt - m'ouvrir la porte de votre coeur. - -Songez l'avenir, veillez, priez sans cesse, et humiliez-vous en toutes -choses. - - -RFLEXION. - - Pourquoi ouvrez-vous un oeil envieux sur les actions de vos frres? - Qui vous a charg de scruter leur conscience et leurs oeuvres? - Laissez, laissez Dieu un soin qu'il se rserve, et songez rpondre - pour vous. On se trompe presque toujours en jugeant les autres, et - l'on se prpare soi-mme un jugement plus svre, en usurpant un - droit qu'on n'a pas, et en blessant, par des soupons malins et - tmraires, l'amour d au prochain. _La charit est indulgente, elle - ne pense point le mal_[300]. Prsumez d'autrui tout ce qui est bon, - pardonnez pour qu'on vous pardonne, _et ne jugez point, afin que vous - ne soyez point jug_[301]. - - [300] I. Cor., XIII, 4, 5. - - [301] Matth., VII, 1. - - - - -CHAPITRE XXV. - -En quoi consiste la vraie paix et le vritable progrs de l'me. - - -1. J.-C. Mon fils, j'ai dit: _Je vous laisse la paix, je vous donne ma -paix, non comme le monde la donne_[302]. - - [302] Joann., XIV, 27. - -Tous dsirent la paix; mais tous ne cherchent pas ce qui procure une -paix vritable. - -Ma paix est avec ceux qui sont doux et humbles de coeur. - -Votre paix sera dans une grande patience. - -Si vous m'coutez, et si vous obissez ma parole, vous jouirez d'une -profonde paix. - -2. LE F. Seigneur, que ferai-je donc? - -3. J.-C. En toutes choses, veillez ce que vous faites et ce que vous -dites. N'ayez d'autre intention que celle de plaire moi seul. Ne -dsirez, ne recherchez rien hors de moi. - -Ne jugez point tmrairement des paroles ou des actions des autres: ne -vous ingrez point de ce qui n'est point commis votre charge; alors -vous serez peu ou rarement troubl. - -Mais ne sentir jamais aucun trouble, n'prouver aucune peine du coeur, -aucune souffrance du corps, cela n'est pas de la vie prsente; c'est -l'tat de l'ternel repos. - -Ne croyez donc pas avoir trouv la vritable paix, lorsqu'il ne vous -arrive aucune contrarit; ni que tout soit bien, quand vous n'essuyez -d'opposition de personne; ni que votre bonheur soit parfait, lorsque -tout russit selon vos dsirs. - -Gardez-vous aussi de concevoir une haute ide de vous-mme, et -d'imaginer que Dieu vous chrit particulirement, si vous sentez votre -coeur rempli d'une pit tendre et douce: car ce n'est pas en cela qu'on -reconnat celui qui aime vraiment la vertu, ni en cela que consiste le -progrs de l'homme et sa perfection. - -4. LE F. En quoi donc, Seigneur? - -5. J.-C. vous offrir de tout votre coeur la volont divine; ne -vous rechercher en aucune chose, ni petite, ni grande, ni dans le temps, -ni dans l'ternit: de sorte que, regardant du mme oeil et pesant dans -la mme balance les biens et les maux, vous m'en rendiez galement -grces. - -Et ce n'est pas tout; il faut encore que vous soyez si ferme, si -constant dans l'esprance, que, priv intrieurement de toute -consolation, vous prpariez votre coeur de plus dures preuves, sans -jamais vous justifier vous-mme, comme si vous ne mritiez pas de tant -souffrir; mais reconnaissant, au contraire, ma justice, et louant ma -saintet dans tout ce que j'ordonne. Alors vous marcherez dans la voie -droite, dans la vritable voie de la paix; et vous pourrez avec -assurance esprer _de revoir mon visage dans l'allgresse_[303]. - - [303] Job, XXXIII, 26. - -Que si vous parvenez un parfait mpris de vous-mme, je vous le dis, -vous jouirez d'une paix aussi profonde qu'il est possible en cette vie -d'exil. - - -RFLEXION. - - On ne saurait trop rpter l'homme que sa grandeur, sa scurit, sa - paix consiste se renoncer, se mpriser lui-mme, s'anantir - devant Dieu, ne vouloir en toutes choses et ne dsirer que - l'accomplissement de sa volont sainte, sans aucun retour d'intrt - propre, dans un abandon sans rserve ce qu'il lui plat d'ordonner - de nous. Il faut se dtacher mme de ses dons, pour s'unir lui d'une - manire plus intime et plus pure. La ferveur sensible, les - consolations, les ravissantes douceurs de l'amour, nous sont donnes - et nous sont retires selon des desseins que nous ignorons; elles - passent, et tout ce qui passe produit le trouble, si l'on s'y attache. - Dieu seul donc: n'aimons que Dieu seul, ne souhaitons que Dieu seul; - aimons-le pour lui-mme, dans la tristesse comme dans la joie, dans - l'amertume comme dans la jouissance. Oui, _je vous aimerai, - Seigneur_[304], _je vous bnirai en tout temps_[305]: _vous tes - vous-mme notre paix_[306], _et dans cette paix, je dormirai et je me - reposerai_[307]. - - [304] Ps. XVII, 2. - - [305] Ps. XXXIII, 2. - - [306] Ephes., II, 14. - - [307] Ps. IV, 9. - - - - -CHAPITRE XXVI. - -De la libert du coeur, qui s'acquiert plutt par la prire que par la -lecture. - - -1. LE F. Seigneur, c'est une haute perfection de ne jamais dtourner des -choses du ciel les regards de son coeur, de passer au milieu des soins -du monde, sans se proccuper d'aucun soin, non par indolence, mais par -le privilge d'une me libre, qu'aucune affection drgle n'attache -la crature. - -2. Je vous en conjure, Dieu de bont! dlivrez-moi des soins de cette -vie, de peur qu'ils ne retardent ma course; des ncessits du corps, de -peur que la volupt ne me sduise; de tout ce qui arrte et trouble -l'me, de peur que l'affliction ne me brise et ne m'abatte. - -Je ne parle point des choses que la vanit humaine recherche avec tant -d'ardeur; mais de ces misres qui, par une suite de la maldiction -commune tous les enfants d'Adam, tourmentent et appesantissent l'me -de votre serviteur, et l'empchent de jouir, autant qu'il voudrait, de -la libert de l'esprit. - -3. mon Dieu, douceur ineffable! changez pour moi en amertume toute -consolation de la chair, qui me dtourne de l'amour des biens ternels, -et m'attire, et me fascine par le charme funeste du plaisir prsent. - -Que je ne sois pas, mon Dieu, vaincu par la chair et le sang, tromp par -le monde et sa gloire qui passe, que je ne succombe point aux ruses du -dmon. - -Donnez-moi la force pour rsister, la patience pour souffrir, la -constance pour persvrer. - -Donnez-moi, au lieu de toutes les consolations du monde, la dlicieuse -onction de votre esprit; et au lieu de l'amour terrestre, pntrez-moi -de l'amour de votre nom. - -4. Le boire, le manger, le vtement, et les autres choses ncessaires -pour soutenir le corps, sont charge une me fervente. - -Faites que j'use de ces soulagements avec modration, et que je ne les -recherche point avec trop de dsir. - -Les rejeter tous, cela n'est pas permis, parce qu'il faut soutenir la -nature: mais votre loi sainte dfend de rechercher tout ce qui est -au-del du besoin et ne sert qu' flatter les sens; autrement la chair -se rvolterait contre l'esprit. - -Que votre main, Seigneur, me conduise entre ces deux extrmes, afin -qu'instruit par vous, je me prserve de tout excs. - - -RFLEXION. - - En voyant combien les hommes sont enfoncs dans la vie prsente, - l'importance qu'ils attachent tout ce qui s'y rapporte, le dsir qui - les consume d'amasser des biens et de s'en assurer la perptuelle - jouissance, croirait-on jamais qu'ils soient persuads que cette vie - doive finir, et finir si tt? Dans leurs longues prvoyances, ils - n'oublient rien que l'ternit: elle seule ne les touche en aucune - manire, ou les touche si faiblement qu' peine y songent-ils de loin - en loin et avec ennui, dans les courts intervalles des plaisirs ou des - affaires. Profonde piti! et que l'exemple qu'ils ont reu du Sauveur - est diffrent! _Il a pass sur la terre comme un homme errant, comme - un voyageur qui se dtourne pour reposer un peu_[308]. Voil notre - modle. L'homme qui se met en voyage n'emporte que ce qui lui est - ncessaire pour la route; ainsi, dans notre voyage vers le ciel, nous - devons n'user des choses ici-bas que pour la simple ncessit, et ne - voir dans ce qui est au-del qu'un fardeau souvent dangereux, et au - moins toujours inutile. Que faut-il celui qui passe? _Le voyageur - altr approche ses lvres de la fontaine, et tanche sa soif de l'eau - la plus proche; il s'assied contre le premier arbre_[309] qu'il - rencontre sur le bord du chemin; et puis ayant repris ses forces, il - recommence marcher. Une seule pense l'occupe, celle d'achever - promptement sa course. Ira-t-il attacher son me aux objets divers qui - frappent ses regards mesure qu'il avance, et se tourmenter de mille - soins pour se former un tablissement stable dans le pays qu'il - traverse, et qu'il ne reverra jamais? Or nous sommes tous ce voyageur. - Que m'importe la terre, mon Dieu! Que m'importe ce lieu tranger - d'o je sortirai dans un moment! Je vais la maison de mon Pre: le - reste ne m'est rien. Le travail, la fatigue, qu'est-ce que cela, - pourvu que j'arrive au terme o aspirent tous mes voeux? _Mon me a - dfailli de dsir, mon coeur et ma chair ont tressailli de joie dans - l'attente du Dieu vivant. Vos autels, Dieu des vertus, mon Roi et mon - Dieu! vos autels!... Heureux ceux qui habitent dans la maison du - Seigneur[310]!_ - - [308] Jerem., XIV, 15. - - [309] Ecclesiast., XXVI, 15. - - [310] Ps. LXXXIII, 2, 5. - - - - -CHAPITRE XXVII. - -Que l'amour de soi est le plus grand obstacle qui empche l'homme de -parvenir au souverain bien. - - -1. J.-C. Il faut, mon fils, que vous vous donniez tout entier pour -possder tout, et que rien en vous ne soit vous-mme. - -Sachez que l'amour de vous-mme vous nuit plus qu'aucune chose du monde. - -On tient chaque chose plus ou moins, selon la nature de l'affection et -de l'amour qu'on a pour elle. - -Si votre amour est pur, simple et bien rgl, vous ne serez esclave -d'aucune chose. - -Ne dsirez point ce qu'il ne vous est pas permis d'avoir, renoncez ce -qui occupe trop votre me et la prive de sa libert. - -Il est trange que vous ne vous abandonniez pas moi du fond du coeur, -avec tout ce que vous pouvez dsirer ou possder. - -2. Pourquoi vous consumer d'une vaine tristesse? Pourquoi vous fatiguer -de soins superflus? - -Demeurez soumis ma volont, et rien ne pourra vous nuire. - -Si vous cherchez ceci ou cela, si vous voulez tre ici ou l, sans autre -objet que de vous satisfaire, et de vivre plus selon votre gr, vous -n'aurez jamais de repos, et jamais vous ne serez libre d'inquitude, -parce qu'en tout vous trouverez quelque chose qui vous blesse, et -partout quelqu'un qui vous contrarie. - -3. quoi sert donc de possder et d'accumuler beaucoup de choses au -dehors? Ce qui sert, c'est de les mpriser, et de les draciner de son -coeur. - -Et n'entendez pas ceci uniquement de l'argent et des richesses, mais -encore de la poursuite des honneurs, et du dsir des vaines louanges, -toutes choses qui passent avec le monde. - -Nul lieu n'est un sr refuge, si l'on manque de l'esprit de ferveur; et -cette paix qu'on cherche au dehors ne durera gure, si le coeur est -priv de son vritable appui, c'est--dire si vous ne vous appuyez pas -sur moi. Vous changerez, et ne serez pas mieux. - -Car, entran par l'occasion qui natra, vous trouverez ce que vous -aurez fui, et pis encore. - - -PRIRE - -POUR OBTENIR LA PURET DU COEUR ET LA SAGESSE CLESTE. - -4. LE F. Soutenez-moi, Seigneur, par la grce de l'Esprit-Saint. - -Fortifiez-moi intrieurement de votre vertu, afin que je bannisse de mon -coeur toutes les sollicitudes vaines qui le tourmentent, et que je ne -sois emport par le dsir d'aucune chose ou prcieuse ou mprisable; -mais plutt qu'apprciant toutes choses ce qu'elles sont, je voie -qu'elles passent, et que je passerai aussi avec elles. - -_Car il n'y a rien de stable sous le soleil; et tout est vanit et -affliction d'esprit_[311]. Oh! qu'il est sage, celui qui juge ainsi! - - [311] Eccl., I, 17. - -5. Donnez-moi, Seigneur, la sagesse cleste, afin que j'apprenne vous -chercher et vous trouver, vous goter et vous aimer par-dessus -tout, et ne compter tout le reste que pour ce qu'il est, selon l'ordre -de votre sagesse. - -Donnez-moi la prudence pour m'loigner de ceux qui me flattent, et la -patience pour supporter ceux qui s'lvent contre moi. - -Car c'est une grande sagesse de ne se point laisser agiter tout vent -de paroles, et de ne point prter l'oreille aux perfides discours des -flatteurs. C'est ainsi qu'on avance srement dans la voie o l'on est -entr. - - -RFLEXION. - - Si peu que l'homme se recherche lui-mme, il s'loigne de Dieu: mais - l'instant le trouble nat en lui; car ou il n'atteint pas l'objet de - ses dsirs, ou il s'en dgote aussitt, toujours tourment, soit par - ses convoitises, soit par le remords et l'ennui. Il a voulu tre - riche, puissant, possder des titres, des honneurs, toutes choses qui - ne s'obtiennent gure que par de durs travaux, et qui rarement se - rencontrent avec une conscience pure: n'importe, le voil lev au - fate des prosprits humaines, rien ne lui manque de ce qu'il - enviait; demandez-lui s'il est satisfait: il ne sortira que des - plaintes, des cris d'angoisse et de douleur, de la bouche de cet - heureux du monde. _Et maintenant_, selon la forte expression de - l'Aptre, _et maintenant, riches, pleurez et poussez des hurlements - dans les misres qui fondront sur vous. Vous avez vcu sur la terre - dans les dlices et les volupts, vous vous tes engraisss pour le - jour du sacrifice_[312]. Ainsi d'un ct, les biens d'ici-bas, ces - biens convoits si ardemment, fatiguent l'me sans la rassasier; et de - l'autre, moins d'une grce peu commune, comme Jsus-Christ lui-mme - nous l'apprend[313], ils la prcipitent dans la perte. Au contraire, - celui qui s'est renonc compltement, celui pour qui Dieu seul est - tout, jouit d'une paix inaltrable. La souffrance mme lui est douce, - parce qu'elle accrot son esprance, purifie son amour, et que - l'affliction d'un moment enfantera une joie ternelle. _Persvrez - donc dans la patience jusqu' l'avnement du Seigneur. Dans l'espoir - de recueillir le fruit prcieux de la terre, le laboureur attend - patiemment les pluies de la premire et de l'arrire-saison. Et vous - aussi soyez donc patients, car l'avnement du Seigneur approche_[314]. - - [312] Jacob., V, 1, 5. - - [313] Matth., XIX, 23, 24. - - [314] Jacob., V, 7, 8. - - - - -CHAPITRE XXVIII. - -Qu'il faut mpriser les jugements humains. - - -1. J.-C. Mon fils, ne vous offensez point si quelques-uns pensent mal de -vous, et en disent des choses qu'il vous soit pnible d'entendre. - -Vous devez penser encore plus mal de vous-mme, et croire que personne -n'est plus imparfait que vous. - -Si vous tes retir en vous-mme, que vous importeront des paroles qui -se dissipent en l'air? - -Ce n'est pas une prudence mdiocre que de savoir se taire au temps -mauvais, et de se tourner vers moi intrieurement, sans se troubler des -jugements humains. - -2. Que votre paix ne dpende point des discours des hommes; car, qu'ils -jugent de vous bien ou mal, vous n'en demeurez pas moins ce que vous -tes. O est la vritable paix et la gloire vritable? n'est-ce pas en -moi? - -Celui qui ne dsire point de plaire aux hommes, et qui ne craint point -de leur dplaire, jouira d'une grande paix. - -De l'amour drgl et des vaines craintes naissent l'inquitude du coeur -et la dissipation des sens. - - -RFLEXION. - - Quelques-uns s'inquitent plus des jugements des hommes, que de celui - de Dieu. trange folie! Quand nous paratrons au tribunal suprme, que - nous importera le blme ou l'estime des cratures? Nous ne serons ni - condamns ni absous sur leurs vaines penses. C'est la vrit qui nous - jugera, et sa sentence sera ternelle. Tel qui, pendant sa vie, fut - enivr de louanges, s'en ira expier ses crimes cachs _l o sont les - pleurs et les grincements de dents, et le ver qui ne meurt - point_[315]. Tel autre qui vcut accabl de mpris et d'outrages, - entendra cette parole: _Venez, vous qui tes le bni de mon Pre; - possdez le royaume qui vous est prpar ds le commencement du - monde_[316]; car les jugements de Dieu ne sont point comme nos - jugements, ni sa justice comme notre justice: _Il sonde l'abme et le - coeur de l'homme_[317]. N'ayez donc que lui seul en vue, et soyez - indiffrent tout le reste. quoi sert ce que nous laissons - l'entre du tombeau? les loges recherchs souillent la conscience et - tuent le mrite du bien qu'on a fait pour les obtenir. _Prenez garde - ne pas faire vos bonnes oeuvres devant les hommes, pour tre vu d'eux: - autrement vous n'aurez point de rcompense de votre Pre qui est dans - les cieux. Quand donc vous faites l'aumne, ne sonnez point de la - trompette devant vous, comme font les hypocrites dans les synagogues - et dans les carrefours, afin d'tre honors des hommes. En vrit je - vous le dis, ils ont reu leur rcompense. Pour vous, quand vous - faites l'aumne, que votre main gauche ne sache pas ce que fait la - droite, afin que votre aumne soit dans le secret; et votre Pre, qui - voit dans le secret, vous la rendra. Et quand vous priez, ne soyez - point comme les hypocrites, qui aiment prier debout dans les - synagogues et dans les angles des places publiques, afin d'tre vus - des hommes; en vrit je vous le dis, ils ont reu leur rcompense. - Pour vous, lorsque vous prierez, entrez dans le lieu de la maison le - plus recul, et aprs avoir ferm la porte, priez votre Pre dans le - secret; et votre Pre, qui voit dans le secret, vous le rendra_[318]. - - [315] Matth., XXV, 30. Marc, IX, 43. - - [316] Matth., XXV. 34. - - [317] Ecclesiast., XLII, 18. - - [318] Matth., VI, 1-6. - - - - -CHAPITRE XXIX. - -Comment il faut invoquer et bnir Dieu dans l'affliction. - - -1. LE F. Que votre nom soit bni jamais, Seigneur, qui avez voulu -m'prouver par cette peine et cette tentation. - -Puisque je ne saurais l'viter, qu'ai-je faire que de me rfugier vers -vous, pour que vous me secouriez, et qu'elle me devienne utile? - -Seigneur, voil que je suis dans la tribulation, mon coeur malade est -tourment par la passion qui le presse. - -_Et maintenant que dirai-je_[319]? Pre plein de tendresse! Les -angoisses m'ont environn: _Dlivrez-moi de cette heure_[320]. - - [319] Joan., XII, 27. - - [320] _Ibid._ - -Mais cette heure est venue pour que vous fassiez clater votre gloire, -en me dlivrant aprs m'avoir humili profondment. - -Daignez, Seigneur, me secourir: car, pauvre crature que je suis, que -puis-je faire, et o irai-je sans vous? - -Seigneur, donnez-moi la patience encore cette fois. Soutenez-moi, mon -Dieu, et je ne craindrai point, quelque pesante que soit cette preuve. - -2. Et maintenant que dirai-je encore? Seigneur, _que votre volont se -fasse_[321]. J'ai bien mrit de sentir le poids de la tribulation. - - [321] Matth., V, 10. - -Il faut donc que je le supporte: faites, mon Dieu, que ce soit avec -patience, jusqu' ce que la tempte passe, et que le calme revienne. - -Votre main toute-puissante peut loigner de moi cette tentation, et en -modrer la violence, afin que je ne succombe pas entirement, comme vous -l'avez dj tant de fois fait pour moi, mon Dieu, ma misricorde! - -Et autant ce changement m'est difficile, autant il vous l'est peu: -_c'est l'oeuvre de la droite du Trs-Haut_[322]. - - [322] Ps., LXXVI, 10. - - -RFLEXION. - - Le premier mouvement de l'me prouve par la tentation doit tre de - s'humilier, de reconnatre son impuissance; et aussitt de recourir - avec une vive foi celui qui seul est sa force: _Seigneur, - sauvez-moi, car je vais prir_[323]: et Dieu se htera de venir au - secours de cette pauvre me; il tendra pour la secourir sa main - toute-puissante; _il commandera aux vents et la mer, et il se fera - un grand calme_[324]. Ainsi encore, lorsque le coeur est bris - d'affliction, oppress d'angoisse, que fera-t-il? Il se jettera dans - le sein _de Dieu le Pre de notre Seigneur Jsus-Christ, Pre de - misricorde et Dieu de toute consolation, qui nous console dans nos - preuves: car de mme que les souffrances de Jsus-Christ abondent en - nous, ainsi abonde par Jsus-Christ notre consolation_[325]. Alors, si - notre me, comme celle de Jsus, _est triste jusqu' la mort_[326], si - nous disons comme lui: _Mon Pre, que ce calice s'loigne de moi!_ - comme lui aussi nous ajouterons _Non pas ce que je veux, mais ce que - vous voulez[327]!_ - - [323] Matth., VIII, 25. - - [324] Matth., VIII, 26. - - [325] II. Cor., I, 3, 4, 5. - - [326] Matth., XXVI, 38. - - [327] _Ibid._, 39. - - - - -CHAPITRE XXX. - -Qu'il faut implorer le secours de Dieu, et attendre avec confiance le -retour de sa grce. - - -1. J.-C. Mon fils, _je suis le Seigneur; c'est moi qui fortifie au jour -de la tribulation_[328]. - - [328] Nah., I, 7. - -Venez moi quand vous souffrirez. - -Ce qui surtout loigne de vous les consolations clestes, c'est que vous -recourez trop tard la prire. - -Car, avant de me prier avec instance, vous cherchez au dehors du -soulagement et une multitude de consolations. - -Mais tout cela vous sert peu, et il vous faut enfin reconnatre que -_c'est moi seul qui dlivre ceux qui esprent en moi_[329]; et que hors -de moi il n'est point de secours efficace, point de conseil utile, point -de remde durable. - - [329] Ps. XVI, 7. - -Mais prsent que vous commencez respirer aprs la tempte, -ranimez-vous la lumire de mes misricordes: car je suis prs de vous, -dit le Seigneur, pour vous rendre tout ce que vous avez perdu, et -beaucoup plus encore. - -2. _Y a-t-il rien qui me soit difficile_[330]? ou serais-je semblable -ceux qui disent et ne font pas? - - [330] Jr., XXXII, 27. - -O est votre foi? Demeurez ferme et persvrez. - -Ne vous lassez point, prenez courage; la consolation viendra en son -temps. - -Attendez-moi, attendez: _je viendrai et je vous gurirai_[331]. - - [331] Matth., VIII, 7. - -Ce qui vous agite est une tentation, et ce qui vous effraie une crainte -vaine. - -Que vous revient-il de ces soucis d'un avenir incertain, sinon tristesse -sur tristesse? _ chaque jour suffit son mal_[332]. - - [332] _Ibid._, VI, 34. - -Quoi de plus insens, de plus vain, que de se rjouir ou de s'affliger -de choses futures qui n'arriveront peut-tre jamais? - -3. C'est une suite de la misre humaine d'tre le jouet de ces -imaginations, et la marque d'une me encore faible de cder si aisment -aux suggestions de l'ennemi. - -Car peu lui importe de nous sduire et de nous tromper par des objets -rels ou par de fausses images; et de nous vaincre par l'amour des biens -prsents ou par la crainte des maux venir. - -_Que votre coeur donc ne se trouble point et ne craigne point._ - -_Croyez en moi, et confiez-vous en ma misricorde_[333]. - - [333] Joann., XIV, 1, 27. - -Quand vous croyez tre loin de moi, souvent c'est alors que je suis le -plus prs de vous. - -Lorsque vous croyez tout perdu, ce n'est souvent que l'occasion d'un -plus grand mrite. - -Tout n'est pas perdu, quand le succs ne rpond pas vos dsirs. - -Vous ne devez pas juger selon le sentiment prsent, ni vous abandonner -aucune affliction, quelle qu'en soit la cause, et vous y enfoncer, comme -s'il ne vous restait nulle esprance d'en sortir. - -4. Ne pensez pas que je vous aie tout fait dlaiss, lorsque je vous -afflige pour un temps, ou que je vous retire mes consolations: car c'est -ainsi qu'on parvient au royaume des cieux. - -Et certes il vaut mieux pour vous et pour tous mes serviteurs tre -exerc par des traverses, que de n'prouver jamais aucune contrarit. - -Je connais le secret de votre coeur, et je sais qu'il est utile pour -votre salut que vous soyez quelquefois dans la scheresse, de crainte -qu'une ferveur continue ne vous porte la prsomption, et que, par une -vaine complaisance en vous-mme, vous ne vous imaginiez tre ce que vous -n'tes pas. - -Ce que j'ai donn, je puis l'ter et le rendre quand il me plat. - -5. Ce que je donne est toujours moi; ce que je reprends n'est point -vous: car c'est de moi que dcoule tout bien et tout don parfait. - -Si je vous envoie quelque peine ou quelque contradiction, n'en murmurez -pas, et que votre coeur ne se laisse point abattre: car je puis, en un -moment, vous dlivrer de ce fardeau, et changer votre tristesse en joie. - -Et lorsque j'en use ainsi avec vous, je suis juste et digne de toute -louange. - -Si vous jugez selon la sagesse et la vrit, vous ne devez jamais vous -affliger avec tant d'excs dans l'adversit, mais plutt vous en rjouir -et m'en rendre grces. - -Et mme ce doit tre votre unique joie _que je vous frappe sans vous -pargner_[334]. - - [334] Job., VI, 10. - -_Comme mon Pre m'a aim, et moi aussi je vous aime_[335], ai-je dit -mes disciples en les envoyant, non pour goter les joies du monde, mais -pour soutenir de grands combats; non pour possder les honneurs, mais -pour souffrir les mpris; non pour vivre dans l'oisivet, mais dans le -travail; non pour se reposer, mais _pour porter beaucoup de fruits par -la patience_[336]. Souvenez-vous, mon fils, de ces paroles. - - [335] Joann., XV, 9. - - [336] Luc., XVIII, 15. Joann., XV, 16. - - -RFLEXION. - - Bien que les hommes sachent que la vie prsente n'est qu'un tat de - passage, nanmoins il y a en eux un penchant extraordinaire se - concentrer dans cette vie si courte, et ne juger des choses que par - leur rapport avec elle. Ils veulent invinciblement tre heureux; mais - ils veulent l'tre ds ici-bas; ils cherchent sur la terre un bonheur - qui n'y est point, qui n'y peut pas tre, et en cela ils se trompent - misrablement. Les uns le placent dans les plaisirs et les biens du - monde, et aprs s'tre fatigus leur poursuite, _ils voient que tout - est vanit et affliction d'esprit_[337], _et que l'homme n'a rien de - plus de tous les travaux dont il se consume sous le soleil_[338]. Les - autres, convaincus du nant de ces liens, se tournent vers Dieu; mais - ils veulent aussi que le dsir de flicit qui les tourmente soit - satisfait ds prsent, toujours prts s'inquiter et se - plaindre, quand Dieu leur retire les grces sensibles, ou qu'il les - prouve par les souffrances et la tentation. Ils ne comprennent pas - que la nature humaine est malade, et incapable en cet tat de tout - bonheur rel; que les preuves dont ils se plaignent sont les remdes - ncessaires que le cleste mdecin des mes emploie, dans sa bont, - pour les gurir, et que toute notre esprance sur la terre, toute - notre paix consiste nous abandonner entirement lui avec une - confiance pleine d'amour. Et voil pourquoi le roi-prophte revient si - souvent a cette prire: _Ayez piti de moi, Seigneur, parce que je - suis malade_; _gurissez-moi, car le mal a pntr jusqu' mes - os_[339]; _gurissez mon me_[340], vous qui gurissez toutes nos - infirmits[341]. Donc, pendant cette vie, la rsignation, la patience, - une tranquille soumission de la volont, au milieu des tnbres de - l'esprit et de l'amertume du coeur: et aprs, et bientt, dans la - vritable vie, le repos imperturbable, la joie immortelle, et la - flicit de Dieu mme, qu'il vous sera donn _de voir tel qu'il est - face face_[342]. - - [337] Eccles., I, 14. - - [338] _Ibid._, 3. - - [339] Ps. VI, 3. - - [340] Ps. XL, 5. - - [341] Ps. CII, 3. - - [342] I. Cor., XIII, 12. - - - - -CHAPITRE XXXI. - -Qu'il faut oublier toutes les cratures pour trouver le Crateur. - - -1. LE F. Seigneur, j'ai besoin d'une grce plus grande, s'il me faut -parvenir cet tat o nulle crature ne sera un lien pour moi. - -Car, tant que quelque chose m'arrte, je ne puis voler librement vers -vous, - -Il aspirait cette libert, celui qui disait: _Qui me donnera des ailes -comme la colombe? et je volerai, et je me reposerai_[343]. - - [343] Ps. LIV, 7. - -Quel repos plus profond que le repos de l'homme qui n'a que vous en vue? -et quoi de plus libre que celui qui ne dsire rien sur la terre? - -Il faut donc s'lever au-dessus de toutes les cratures, se dtacher -parfaitement de soi-mme, sortir de son esprit, monter plus haut, et l, -reconnatre que c'est vous qui avez tout fait, et que rien n'est -semblable vous. - -Tandis qu'on tient encore quelque crature, on ne saurait s'occuper -librement des choses de Dieu. - -Et c'est pourquoi l'on trouve peu de contemplatifs, parce que peu savent -se sparer entirement des cratures et des choses prissables. - -2. Il faut pour cela une grce puissante qui soulve l'me et la ravisse -au-dessus d'elle-mme. - -Et tant que l'homme n'est pas lev ainsi en esprit, dtach de toute -crature, et parfaitement uni Dieu, tout ce qu'il sait et tout ce -qu'il a, est de bien peu de prix. - -Il sera longtemps faible et inclin vers la terre, celui qui estime -quelque chose hors de l'unique, de l'immense, de l'ternel bien. - -Tout ce qui n'est pas Dieu n'est rien, et ne doit tre compt pour rien. - -Il y a une grande diffrence entre la sagesse d'un homme que la pit -claire, et la science qu'un docteur acquiert par l'tude. - -La science qui vient d'en haut et que Dieu lui-mme rpand dans l'me, -est bien suprieure celle o l'homme parvient laborieusement par les -efforts de son esprit. - -3. Plusieurs dsirent s'lever la contemplation; mais ce qu'il faut -pour cela, ils ne le veulent point faire. - -Le grand obstacle est qu'on s'arrte ce qu'il y a d'extrieur et de -sensible, et que l'on s'occupe peu de se mortifier vritablement. - -Je ne sais ce que c'est, ni quel esprit nous conduit, ni ce que nous -prtendons, nous qu'on regarde comme des hommes tout spirituels, de -poursuivre avec tant de travail et de souci des choses viles et -passagres, lorsque si rarement nous nous recueillons pour penser, sans -aucune distraction, notre tat intrieur. - -4. Hlas! peine sommes-nous rentrs en nous-mmes, que nous nous -htons d'en sortir, sans jamais srieusement examiner nos oeuvres. - -Nous ne considrons point jusqu'o descendent nos affections, et nous ne -gmissons point de ce que tout en nous est impur. - -_Toute chair avait corrompu sa voie_[344]; et c'est pourquoi le dluge -suivit. - - [344] Gen., VI, 12. - -Quand donc nos affections intrieures sont corrompues, elles corrompent -ncessairement nos actions, et dvoilent ainsi toute la faiblesse de -notre me. - -Les fruits d'une bonne vie ne croissent que dans un coeur pur. - -5. On demande d'un homme, qu'a-t-il fait? Mais s'il l'a fait par vertu, -c'est quoi l'on regarde bien moins. - -On veut savoir s'il a du courage, des richesses, de la beaut, de la -science, s'il crit ou s'il chante bien, s'il est habile dans sa -profession; mais on ne s'informe gure s'il est humble, doux, patient, -pieux, intrieur; - -La nature ne considre que le dehors de l'homme; la grce pntre au -dedans. - -Celle-l se trompe souvent; celle-ci espre en Dieu pour n'tre pas -trompe. - - -RFLEXION. - - Jusqu' ce que _notre vie soit_, comme parle l'Aptre, _cache en Dieu - avec Jsus-Christ_[345], nous ne lui appartenons qu'imparfaitement, - nous ne sommes pas _un_ avec le Fils et avec le Pre[346], nous ne - sommes pas consomms dans l'unit[347]; il y a quelque chose entre - nous et Dieu: et c'est que nous tenons encore nous-mmes et aux - cratures: notre amour est divis; tantt il s'lance vers le ciel, et - tantt il rampe sur la terre. Pour vivre de la vie cache avec - Jsus-Christ en Dieu, il faut rompre les derniers liens qui nous - attachent au monde. Alors spare de tout ce qui passe, enveloppe, - pour ainsi dire, de l'tre divin, plonge dans sa lumire, l'me ne - voit que lui, ne se sent qu'en lui, ne vit que de sa vrit et de son - amour, qu'il lui communique par des voies inexpliquables et - merveilleuses. Unie intimement au Fils, et par le Fils au Pre, - Jsus-Christ, son modle et son poux, la rend de plus en plus - conforme lui-mme. Ce qu'il a prouv, il veut qu'elle l'prouve - aussi, qu'elle le reproduise, en quelque sorte, dans ses divers tats, - avec le mme esprit d obissance parfaite qui le dirigeait dans - l'accomplissement de sa divine mission. Quelquefois il la conduit sur - le Thabor, comme pour lui montrer les biens promis sa fidlit; plus - souvent il la guide au Jardin des Oliviers, au prtoire, sur le - Golgotha, o doit se consommer le sacrifice: et soit qu'il l'claire - et la console, soit qu'il paraisse la dlaisser, tout coopre sa - perfection, parce qu'elle aime, et que jamais elle ne se lasse - d'aimer, dans l'amertume comme dans la joie, _le Dieu qui l'appelle - la saintet_[348]. Elle se repose, pleine de calme, dans la volont de - ce grand Dieu. Mais l'me qui ne s'est pas encore compltement dgage - des choses de la terre est toujours agite, inquite; elle marche dans - l'obscurit, et mille soins la tourmentent. Htons-nous donc de briser - nos chanes, ne cherchons que Jsus, ne dsirons que lui: _ qui - irions-nous? Il a les paroles de la vie ternelle_[349]. Quittons tout - pour le suivre, et _laissons les morts ensevelir leurs morts_[350]. - - [345] Coloss., III, 3. - - [346] Joann., XVII, 21. - - [347] _Ibid._, 23. - - [348] Rom., VIII, 28. - - [349] Joann., XXXV, 69. - - [350] Luc., IX, 60. - - - - -CHAPITRE XXXII. - -De l'abngation de soi-mme. - - -1. J.-C. Mon fils, vous ne pouvez jouir d'une libert parfaite, si vous -ne vous renoncez entirement. - -Ils vivent en servitude tous ceux qui s'aiment, et qui veulent tre -eux-mmes. On les voit, avides, curieux, inquiets, cherchant toujours ce -qui flatte leurs sens, et non ce qui me plat, se repatre d'illusions, -et former mille projets qui se dissipent. - -Car tout ce qui ne vient pas de Dieu prira. - -Retenez bien cette courte et profonde parole: _Quittez tout, et vous -trouverez tout._ Renoncez vos dsirs, et vous goterez le repos. - -Mditez ce prcepte; et quand vous l'aurez accompli, vous saurez tout. - -2. LE F. Seigneur, ce n'est pas l'oeuvre d'un jour, ni un jeu d'enfants: -cette courte maxime renferme toute la perfection religieuse. - -3. J.-C. Mon fils, vous ne devez point vous rebuter ni perdre courage, -lorsqu'on vous montre la voie des parfaits; mais plutt vous efforcer de -parvenir cet tat sublime, ou au moins y aspirer de tous vos dsirs. - -Ah! s'il en tait ainsi de vous! si vous en tiez venu jusqu' ne plus -vous aimer vous-mme, soumis moi sans rserve, et au suprieur que je -vous ai donn! Alors j'arrterais sur vous mes regards avec -complaisance, et tous vos jours passeraient dans la paix et dans la -joie. - -Il vous reste encore bien des choses quitter; et moins que vous n'y -renonciez entirement pour moi, vous n'obtiendrez point ce que vous -demandez. - -coutez mes conseils, et pour acqurir de vraies richesses, _achetez de -moi de l'or prouv par le feu_[351], c'est--dire la sagesse cleste, -qui foule aux pieds toutes les choses d'ici-bas. - - [351] Apoc., III, 18. - -Qu'elle vous soit plus chre que la sagesse du sicle et que tout ce qui -plat aux hommes, ou nous plat en nous-mmes. - -4. Je vous le dis, changez ce qu'il y a de grand et de prcieux dans -les choses humaines, contre une chose vile. - -Car on regarde comme petite et vile, et l'on oublie presque entirement -cette sagesse du ciel, la seule vraie, qui ne s'lve point en -elle-mme, et qui ne cherche point tre admire sur la terre. -Plusieurs ont ses louanges la bouche, mais ils s'loignent d'elle par -leur vie. C'est cependant _cette perle prcieuse_[352] qui est cache au -plus grand nombre. - - [352] Matth., XIII. 46. - - -RFLEXION. - - Qu'est-ce que l'homme livr lui-mme, son esprit dpourvu de - rgle, ses dsirs, ses penchants? Esclave des erreurs diverses qui - le sduisent tour tour, esclave de ses convoitises et des objets de - ses convoitises, est-il une servitude plus profonde que la sienne? Et - voil, mon Dieu, l'tat de toute crature qui refuse de se soumettre - entirement vous. Pour tre libre, il faut obir. La parfaite - libert n'est que l'accomplissement parfait des prceptes et des - conseils vangliques, et tous les prceptes et tous les conseils se - rduisent au renoncement de soi-mme: car, en renonant sa raison - propre, on possde, dans sa plnitude et sans aucun mlange, la vrit - de Dieu; en renonant l'amour de soi corrompu en Adam, l'amour de - Dieu et du prochain cause de Dieu, lequel est le sommaire de la - loi[353], demeure seul au fond du coeur; en renonant sa volont, - l'on n'agit plus que d'aprs la volont de Dieu, qui est l'ordre par - excellence. Et l'homme alors est libre comme Dieu mme, dont il - devient la fidle image; il est libre, car cette abngation absolue de - lui-mme l'affranchit du double esclavage de l'erreur et des passions. - _Nous avons t_, dit saint Paul, _dlivrs par Jsus-Christ, et - appels par lui la libert_[354]; c'est--dire, la connaissance de - la loi vanglique, _loi parfaite de libert_[355], qui, aprs avoir - dlivr ceux qui s'y attachent fidlement _de la servitude de la - corruption_, les conduit enfin _ la libert de la gloire promise aux - enfants de Dieu_[356]. - - [353] Ibid., XXII, 40. - - [354] Galat., IV, 31; v, 13. - - [355] Jacob., I, 25. - - [356] Rom., VIII, 21. - - - - -CHAPITRE XXXIII. - -De l'inconstance du coeur, et que nous devons tout rapporter Dieu -comme notre dernire fin. - - -1. J.-C. Mon fils, ne vous reposez point sur ce que vous sentez en vous: -maintenant vous tes affect d'une certaine manire, vous le serez d'une -autre le moment d'aprs. - -Tant que vous vivrez, vous serez sujet au changement, mme malgr vous: -tour tour triste et gai, tranquille et inquiet, fervent et tide; -tantt actif, tantt paresseux, tantt grave, tantt lger. - -Mais l'homme sage et instruit dans les voies spirituelles s'lve -au-dessus de ces vicissitudes. Il ne considre point ce qu'il prouve en -soi, ni de quel ct l'incline le vent de l'inconstance; mais il arrte -toute son attention sur la fin bienheureuse laquelle il doit tendre. - -C'est ainsi qu'au milieu de tant de mouvements divers, fixant sur moi -seul ses regards, il demeure inbranlable et toujours le mme. - -Plus l'oeil de l'me est pur et son intention droite, moins on est agit -par les temptes. - -Mais cet oeil s'obscurcit en plusieurs, parce qu'il se tourne vers -chaque objet agrable qui se prsente. - -Car il est rare de trouver quelqu'un tout fait exempt de la honteuse -recherche de soi-mme. - -Ainsi autrefois les Juifs vinrent Bthanie chez Marthe et Marie, _non -pour Jsus seul, mais pour voir Lazare_[357]. - - [357] Joann., XII, 9. - -Il faut donc purifier l'intention, afin que, simple et droite, elle se -dirige constamment vers moi, sans s'arrter jamais aux objets -infrieurs. - - -RFLEXION. - - L'esprit de l'homme va et vient sans se reposer jamais, et le coeur - est emport par la mme inconstance. Or ces changements qui - surviennent en nous, quelquefois malgr nous, sont ou des tentations - que l'on doit combattre, ou des misres qu'il faut supporter, ou des - preuves auxquelles on doit se soumettre humblement. Et c'est pourquoi - il est ncessaire de travailler sans relche purifier notre volont, - qui seule dpend de nous; autrement nous tomberons bien vite ou dans - le pch, ou dans le trouble, ou dans les deux la fois. Celui qui - veut sincrement tre Dieu et n'tre qu' lui, ne craint pas les - attaques de l'enfer, parce qu'il sait qu'il est invincible en celui - qui le fortifie. Il ne s'irrite point contre lui-mme, il voit en paix - ses infirmits, il _s'en glorifie_ comme l'Aptre[358], parce qu'elles - _perfectionnent la vertu_[359], et ajoutent au prix de la victoire. - Que si Dieu l'prouve, il s'humilie, il se reconnat indigne de ses - consolations, et il embrasse avec amour la croix qui lui est - prsente. Tranquille sur cette croix, dans la tristesse, dans la - souffrance et l'abandonnement, il n'a que cette parole, et elle lui - suffit: _J'ai espr en vous, Seigneur, et je ne serai point confondu - ternellement_[360]. - - [358] II. Corinth., XI, 30. - - [359] _Ibid._, XII, 9. - - [360] Ps. LXX, 1. - - - - -CHAPITRE XXXIV. - -Qu'on ne saurait goter que Dieu seul, et qu'on le gote en toutes -choses, quand on l'aime vritablement. - - -1. LE F. Voil mon Dieu et mon tout! Que voudrais-je de plus? et quelle -plus grande flicit puis-je dsirer? - - ravissante parole! mais pour celui qui aime Jsus, et non pas le -monde, ni rien de ce qui est du monde. - -Mon Dieu et mon tout, c'est assez dire qui l'entend, et le redire sans -cesse est doux celui qui aime. - -Vous prsent, tout est dlectable: en votre absence, tout devient amer. - -Vous donnez au coeur le repos, et une profonde paix, et une joie -innarrable. - -Vous faites que, content de tout, on vous bnit de tout. Au contraire, -rien sans vous ne peut plaire longtemps, et rien n'a d'attrait ni de -douceur sans l'impression de votre grce et l'onction de votre sagesse. - -2. Que ne gotera point celui qui vous gote? et que trouvera d'agrable -celui qui ne vous gote point? - -Les sages du monde, qui n'ont de got que pour les volupts de la chair, -s'vanouissent dans leur sagesse: car on ne trouve l qu'un vide -immense, que la mort. - -Mais ceux qui, pour vous suivre, mprisent le monde et mortifient la -chair, se montrent vraiment sages: car ils quittent le mensonge pour la -vrit, et la chair pour l'esprit. - -Ceux-l savent goter Dieu; et tout ce qu'ils trouvent de bon dans les -cratures, ils le rapportent la louange du Crateur. - -Rien pourtant ne se ressemble moins que le got du Crateur et celui de -la crature, du temps et de l'ternit, de la lumire incre et de -celle qui n'en est qu'un faible reflet. - -3. lumire ternelle, infiniment leve au-dessus de toute lumire -cre, qu'un de vos rayons, tel que la foudre, parte d'en haut et -pntre jusqu'au fond le plus intime de mon coeur! - -Purifiez, dilatez, clairez, vivifiez mon me et toutes ses puissances, -pour qu'elle s'unisse vous dans des transports de joie. - -Oh! quand viendra cette heure heureuse, cette heure dsirable o vous me -rassasierez de votre prsence, o vous me serez tout en toutes choses! - -Jusque l je n'aurai point de joie parfaite. - -Hlas! le vieil homme vit encore en moi; il n'est pas tout crucifi, il -n'est pas mort entirement. - -Ses convoitises combattent encore fortement contre l'esprit; il excite -en moi des guerres intestines, et ne souffre point que l'me rgne en -paix. - -Mais vous _qui commandez la mer et qui calmez le mouvement des flots, -levez-vous, secourez-moi_[361]. - - [361] Ps. LXXXVIII, 10; XLIII, 26. - -_Dissipez les nations qui veulent la guerre_[362], et brisez-les dans -votre puissance. - - [362] Ps. LXVII, 32. - -_Faites_, je vous conjure, _clater vos merveilles, et signalez la -gloire de votre bras_[363]: car je n'ai point d'autre esprance ni -d'autre refuge que vous, mon Dieu! - - [363] Judith, IX, 11; Eccl., XXXVI, 7. - - -RFLEXION. - - Il est trange que, connaissant Dieu, toute notre me ne soit pas - absorbe dans son amour; qu'elle s'arrte encore aux cratures, au - lieu de se plonger et de se perdre dans la source de tout bien. - Qu'est-ce que le bonheur, sinon l'amour? et qu'est-ce que le bonheur - infini, sinon un amour sans bornes? Il faut donc notre coeur un - objet infini, il faut Dieu: rien de cr ne saurait le satisfaire - jamais. Que me veut le monde? Qu'ai-je besoin de lui? Que peut-il me - donner? Mon coeur est plus grand que tous ses biens, et _Dieu seul est - plus grand que mon coeur_[364]. Dieu seul donc, Dieu seul, maintenant - et toujours: ternellement Dieu seul! - - [364] Joann., III, 20. - - - - -CHAPITRE XXXV. - -Qu'on est toujours, durant cette vie, expos la tentation. - - -1. J.-C. Mon fils, vous n'aurez jamais de scurit dans cette vie; mais, -tant que vous vivrez, les armes spirituelles vous seront toujours -ncessaires. - -Vous tes environn d'ennemis; ils vous attaquent droite et gauche. - -Si vous ne vous couvrez donc de tous cts du bouclier de la patience, -vous ne serez pas longtemps sans blessure. - -Si, de plus, votre coeur ne se fixe pas irrvocablement en moi, avec la -ferme volont de tout souffrir pour mon amour, vous ne soutiendrez -jamais la violence de ce combat et vous n'obtiendrez point la palme des -bienheureux. - -Il faut donc passer courageusement travers tous les obstacles, et -lever un bras puissant contre tout ce qui s'oppose vous. - -Car _la manne est donne aux victorieux_[365], et une grande misre est -le partage du lche. - - [365] Apoc., II, 17. - -2. Si vous cherchez le repos en cette vie, comment parviendrez-vous au -repos ternel! - -Ne vous prparez pas beaucoup de repos, mais beaucoup de patience. - -Cherchez la vritable paix, non sur la terre, mais dans le ciel; non -dans les hommes ni dans aucune crature, mais en Dieu seul. - -Vous devez supporter tout avec joie pour l'amour de Dieu, les travaux, -les douleurs, les tentations, les perscutions, les angoisses, les -besoins, les infirmits, les injures, les mdisances, les reproches, les -humiliations, les affronts, les corrections, les mpris. - -C'est l ce qui exerce la vertu, ce qui prouve le nouveau soldat de -Jsus-Christ, ce qui forme la couronne cleste. - -Pour un court travail je donnerai une rcompense ternelle, et une -gloire infinie pour une humiliation passagre. - -3. Pensez-vous que vous aurez toujours, selon votre dsir, les -consolations spirituelles? - -Mes Saints n'en ont pas joui constamment; mais ils ont eu beaucoup de -peines, des tentations diverses, de grandes dsolations. - -Et se confiant plus en Dieu qu'en eux-mmes, ils se sont soutenus par la -patience au milieu de toutes ces preuves, sachant que _les souffrances -du temps n'ont nulle proportion avec la gloire future qui doit en tre -le prix_[366]. - - [366] Rom., VIII, 18. - -Voulez-vous avoir, ds le premier moment, ce que tant d'autres ont -peine obtenu aprs beaucoup de larmes et d'immenses travaux! - -_Attendez le Seigneur, combattez avec courage_[367], soyez ferme, ne -craignez point, ne reculez point, mais exposez gnreusement votre vie -pour la gloire de Dieu. - - [367] Ps. XXVI, 14. - -_Je vous rcompenserai pleinement, et je serai avec vous dans toutes vos -tribulations_[368]. - - [368] Ps. XC, 15. - - -RFLEXION. - - Gardez-vous d'attendre ici-bas un repos qui n'y est point; on ne peut - gagner le Ciel qu'avec beaucoup de travail, et pendant que vous serez - sur la terre, vous aurez toujours combattre. Ne vous lassez donc - point; _renouvelez en vous l'esprit intrieur_[369]; recourez Dieu - qui seul vous soutient; humiliez-vous en sa prsence; _veillez et - priez, afin que vous n'entriez point en tentation_[370], je vous le - rpte, _veillez et priez continuellement_[371]; demeurez ferme dans - la foi, _agissez avec courage et soyez forts_[372]. Il y en a qui, - aprs avoir lutt gnreusement, flchissent tout coup, tombent dans - l'abattement, et abandonnent lchement la victoire: et c'est qu'ayant - compt sur eux-mmes, Dieu les dlaisse en punition de leur orgueil. - Il ne suffit pas de rsister un jour, deux jours; il faut combattre - sans relche jusqu'au bout. _Qui persvrera jusqu' la fin, celui-l - sera sauv_[373]. Et ne dites point: Cette guerre est bien longue! - Rien n'est long de ce qui finit: vous touchez au terme; car le _temps - est court, et la figure de ce monde passe_[374]. _Encore un moment_, - dit le Sauveur, _et le monde ne me verra plus; mais vous me verrez - parce que je vis, et que vous vivez_ en moi[375]. _Et l'esprit et - l'poux disent: Venez. Et que celui qui entend dise: Venez. Voil que - je viens._ Ainsi soit-il! _Venez, Seigneur Jsus_[376]. - - [369] Ephes., IV, 23. - - [370] Matth., XIV, 38. - - [371] Luc., XXI. 36. - - [372] I. Cor., XVI, 13. - - [373] Matth., XXIV, 13. - - [374] I. Cor., VII, 29-31. - - [375] Joan., XIV, 19. - - [376] Apoc., XXII. 17, 20. - - - - -CHAPITRE XXXVI. - -Contre les vains jugements des hommes. - - -1. J.-C. Mon fils, ne cherchez qu'en Dieu le repos de votre coeur, et ne -craignez point les jugements des hommes, quand votre conscience vous -rend tmoignage de votre innocence et de votre pit. - -Il est bon, il est heureux de souffrir ainsi; et ce ne sera point une -chose pnible pour le coeur humble qui se confie en Dieu plus qu'en -lui-mme. - -On parle tant, qu'on doit ajouter peu de foi ce qui se dit. - -Comment, d'ailleurs, contenter tout le monde? cela ne se peut. - -Bien que Paul s'effort de plaire tous dans le Seigneur, et qu'il _se -ft tout tous_[377], _il ne laissait pas d'tre fort indiffrent aux -jugements des hommes_[378]. - - [377] I. Cor., IX. 22. - - [378] _Ibid._, IV, 3. - -2. Il a fait tout ce qui tait en lui pour l'dification et le salut des -autres; mais il n'a pas pu empcher qu'ils ne l'aient quelquefois -condamn ou mpris. - -C'est pourquoi il a remis tout Dieu, qui connat tout; et il n'a -oppos que l'humilit et la patience aux reproches injustes, aux faux -soupons et aux mensonges de ceux qui se livraient, dans leurs discours, - tout ce que leur suggrait la passion. - -Il s'est cependant justifi quelquefois, de peur que son silence ne -caust du scandale aux faibles. - -3. _Qu'avez-vous craindre d'un homme mortel_[379]? Il est aujourd'hui, -et demain il aura disparu. - - [379] Is., LI. 12. - -Craignez Dieu, et vous ne redouterez rien des hommes. - -Que peut contre vous un homme par des paroles ou des outrages? Il se -nuit plus qu' vous, et, quel qu'il soit, il n'vitera pas le jugement -de Dieu. - -Ayez Dieu toujours prsent, et laissez l les contestations et les -plaintes. - -Que si vous paraissez succomber maintenant, et souffrir une confusion -que vous ne mritez pas, n'en murmurez point, et ne diminuez pas votre -couronne par votre impatience. - -Levez plutt vos regards au ciel, vers moi, qui suis assez puissant pour -vous dlivrer de l'opprobre et de l'injure, et _pour rendre chacun -selon ses oeuvres_[380]. - - [380] Rom., II, 6. - - -RFLEXION. - - Pourquoi vous inquiter des jugements des hommes, et que vous font - leurs vaines penses? Ils ne voient tout au plus que les dehors: leur - oeil ne pntre point au fond de l'me, l o sont cachs le bien et - le mal. Ne vous affligez donc point s'ils vous condamnent, et ne vous - levez point s'ils vous louent. Mais prosternez-vous devant Dieu, et - dites-lui: _Si vous scrutez, Seigneur, nos iniquits, qui soutiendra - votre regard_[381]? Quelques-uns s'exagrent l'importance de ce qu'ils - appellent leur rputation, et dans l'excessive chaleur avec laquelle - ils la dfendent, il y a souvent plus d'amour-propre que de zle - vritable. Jsus-Christ charg d'outrages nous a donn un autre - exemple: _il s'est tu et n'a point ouvert la bouche_[382]. Tous les - saints ont t comme lui perscuts et calomnis. Quand on a fait ce - qui dpendait de soi pour ne pas scandaliser ses frres, la conscience - doit tre tranquille: il ne reste plus qu' demeurer en paix dans - l'humiliation. Dieu sait tout, et cela suffit. _J'estime_, crivait - saint Paul aux Corinthiens, _j'estime que ce m'est peu de chose d'tre - jug par vous, ou par aucun tribunal humain; je ne me juge pas - moi-mme; celui qui me juge, c'est le Seigneur. Ne jugez donc point - avant le temps, jusqu' ce que le Seigneur vienne: il clairera ce qui - est cach dans les tnbres, il manifestera les conseils des coeurs, - et alors chacun recevra de Dieu la louange qu'il mrite_[383]. - - [381] Ps. CXXIX, 3. - - [382] Ps. XXXVIII, 10. - - [383] Cor., IV, 3-5. - - - - -CHAPITRE XXXVII. - -Qu'il faut renoncer entirement soi-mme pour obtenir la libert du -coeur. - - -1. J.-C. Mon fils, quittez-vous, et vous me trouverez. - -N'ayez rien vous, pas mme votre volont, vous y gagnerez constamment. - -Car vous recevrez une grce plus abondante ds que vous aurez renonc -vous-mme sans retour. - -2. LE F. Seigneur, en quoi dois-je me renoncer, et combien de fois? - -3. J.-C. Toujours et toute heure, dans les plus petites choses comme -dans les plus grandes. Je n'excepte rien, et j'exige de vous un -dpouillement sans rserve. - -Comment pourrez-vous tre moi, et comment pourrai-je tre vous, si -vous n'tes libre au dedans et au dehors de toute volont propre? - -Plus vous vous hterez d'accomplir ce renoncement, plus vous aurez de -paix; et plus il sera parfait et sincre, plus vous me serez agrable, -et plus vous obtiendrez de moi. - -4. Il y en a qui renoncent eux-mmes, mais avec quelque rserve; et -parce qu'ils n'ont pas en Dieu une pleine confiance, ils veulent encore -s'occuper de ce qui les touche. - -Quelques-uns offrent tout d'abord, mais la tentation survenant, ils -reprennent ce qu'ils avaient donn, et c'est pourquoi ils ne font -presque aucun progrs dans la vertu. - -Ni les uns ni les autres ne parviendront jamais la vraie libert d'un -coeur pur, jamais ils ne seront admis ma douce familiarit, qu'aprs -un entier abandon et un continuel sacrifice d'eux-mmes, sans lequel on -ne peut ni jouir de moi ni s'unir moi. - -5. Je vous l'ai dit bien des fois, et je vous le redis encore: -Quittez-vous, renoncez vous, et vous jouirez d'une grande paix -intrieure. - -Donnez tout pour trouver tout, ne recherchez, ne redemandez rien: -demeurez fermement attach moi seul, et vous me possderez. - -Votre coeur sera libre, et dgag des tnbres qui l'obscurcissent. - -Que vos efforts, vos prires, vos dsirs n'aient qu'un seul objet: -d'tre dpouill de tout intrt propre, de suivre nu Jsus-Christ, de -mourir vous-mme, afin de vivre pour moi ternellement. - -Alors s'vanouiront toutes les penses vaines, les pnibles inquitudes, -les soins superflus. - - -RFLEXION. - - Vous l'avez dit, mon Jsus: _Si quelqu'un veut venir aprs moi, - qu'il renonce soi-mme, qu'il porte sa croix, et qu'il me - suive_[384]; et encore: _Celui qui ne renonce pas tout ce qu'il - possde, ne peut tre mon disciple_[385]. Il n'y a donc point - hsiter; il faut choisir entre le monde et vous: _on ne saurait servir - deux matres_[386], et vous ne voulez point de partage. Se rechercher, - c'est s'loigner de vous. L o il reste encore quelque attache aux - choses de la terre, quelque volont propre, quelque secrte - complaisance dans les dons soit de la nature, soit de la grce, vous - ne rgnez pas pleinement, Seigneur, et votre amour est en souffrance. - Hlas! comment peut-on, aprs avoir got la joie de votre union, - refuser de s'unir plus intimement vous? faiblesse et folie - incomprhensible du coeur humain! Est-il donc, mon Dieu, si - difficile de reconnatre le nant de tout ce qui n'est pas vous, - l'inconstance de notre volont, l'incertitude de nos projets, la - vanit de nos dsirs, et dlaisser l je ne sais quels biens striles - et misrables, une heure avant que la mort nous en dpouille sans - retour? Quelles seront nos penses ce moment o toutes les illusions - s'vanouissent? Que nous feront les choses du temps, lorsque le temps - finira pour nous? C'en est fait, Seigneur, je suis rsolu consommer - le sacrifice que vous exigez de ceux qui veulent vous appartenir. - Qu'on ne me parle plus du monde ni de moi-mme: j'ai rompu mes - derniers liens; je suis mort, je ne vis dsormais que de la vie de - Jsus-Christ en moi: ce corps est comme le suaire qui m'enveloppe; me - voil tendu dans le tombeau, _enseveli avec Jsus-Christ en - Dieu_[387]. Amen, qu'il soit ainsi! - - [384] Matth., XVI, 24. - - [385] Luc., XIV, 33. - - [386] Matth., VI, 24. - - [387] Rom., VI, 4. - - - - -CHAPITRE XXXIII. - -Comment il faut se conduire dans les choses extrieures, et recourir -Dieu dans les prils. - - -1. J.-C. Mon fils, en tous lieux, dans tout ce que vous faites, en tout -ce qui vous occupe au dehors, vous devez vous efforcer de demeurer libre -intrieurement, et matre de vous-mme, de sorte que tout vous soit -assujetti, et que vous ne le soyez rien. - -Ayez sur vos actions un empire absolu; soyez-en le matre, et non pas -l'esclave. - -Tel qu'un vrai Isralite, affranchi de toute servitude, entrez dans le -partage et dans la libert des enfants de Dieu, qui, levs au-dessus -des choses prsentes, contemplent celles de l'ternit; qui donnent -peine un regard ce qui passe, et ne dtachent jamais leurs yeux de ce -qui durera toujours; qui, suprieurs aux biens du temps, ne cdent point - leur attrait, mais plutt les forcent de servir au bien, selon l'ordre -tabli par Dieu, le rgulateur suprme, qui n'a rien laiss de -dsordonn dans ses oeuvres. - -2. Si, dans tous les vnements, vous ne vous arrtez point aux -apparences, et n'en croyez point les yeux de la chair sur ce que vous -voyez et entendez; si vous entrez d'abord, comme Mose, dans le -tabernacle pour consulter le Seigneur, vous recevrez quelquefois sa -divine rponse, et vous reviendrez instruit de beaucoup de choses sur le -prsent et l'avenir. - -Car c'tait toujours dans le tabernacle que Mose allait chercher -l'claircissement de ses difficults et de ses doutes; et la prire -tait son unique recours contre la malice et les piges des hommes. - -Ainsi, vous devez vous rfugier dans le secret de votre coeur, pour -implorer le secours de Dieu avec plus d'instance. - -Nous lisons que Josu et les enfants d'Isral furent tromps par les -Gabaonites, _parce qu'ils n'avaient point auparavant consult le -Seigneur_[388], et que, trop crdules leurs flatteuses paroles, ils se -laissrent sduire par une fausse piti. - - -RFLEXION. - - La plupart des hommes, domins par les premires impressions, agissent - sans consulter Dieu, et passent leur vie se repentir le soir de ce - qu'ils ont fait le matin. On doit travailler continuellement vaincre - une faiblesse si dplorable, en s'efforant de rsister aux mouvements - soudains qui s'lvent en nous. Celui qui n'est pas matre de soi - court un grand pril; il est chaque instant prs de tomber. Il faut - s'exercer vouloir, dompter l'imagination qui emporte l'me, - soumettre le coeur et ses dsirs une rgle inflexible. Mais que - ferons-nous, pauvres infirmes, si nous ne sommes aids, secourus? De - nous-mmes nous ne pouvons rien. _Le Seigneur est notre seule - force_[389]: implorons-le donc avec confiance, implorons-le sans - cesse: _la prire de l'humble pntre le Ciel_[390]. _Levons les yeux - sur la montagne d'o nous viendra le secours_[391]. _Seigneur, Dieu de - mon salut, j'ai cri devant vous le jour et la nuit_[392]: _ce pauvre - a cri, et le Seigneur l'a exauc, et il l'a sauv de toutes ses - tribulations_[393]. _Bni soit le Seigneur parce qu'il a entendu la - voix de ma prire! le Seigneur est mon aide et mon protecteur; mon - coeur a espr en lui, et il m'a secouru, et ma chair a refleuri, et - du fond de ma volont je le louerai_[394]. _Tous mes os diront: - Seigneur, qui est semblable vous_[395]? - - [388] Josu, IX, 14. - - [389] Ps. XVII, 2. - - [390] Eccl., XXXV, 21. - - [391] Ps. CXX, 1. - - [392] Ps. LXXX, 7, 2. - - [393] Ps. XXXIII, 7. - - [394] Ps. XXVII, 6-7. - - [395] Ps. XXXIV, 10. - - - - -CHAPITRE XXXIX. - -Qu'il faut viter l'empressement dans les affaires. - - -1. J.-C. Mon fils, remettez-moi toujours vos intrts; j'en disposerai -selon ce qui sera le mieux, au temps convenable. - -Attendez ce que j'ordonnerai, et vous y trouverez un grand avantage. - -2. LE F. Seigneur, je vous remets tout avec beaucoup de joie: car -j'avance bien peu quand je n'ai que mes propres lumires. - -Oh! que ne puis-je, oubliant l'avenir, m'abandonner, ds ce moment, sans -rserve votre volont souveraine! - -3. J.-C. Mon fils, souvent l'homme poursuit avec ardeur une chose qu'il -dsire; l'a-t-il obtenue, il commence s'en dgoter, parce qu'il n'y a -rien de durable dans ses affections, et qu'elles l'entranent -incessamment d'un objet un autre. - -Ce n'est donc pas peu de se renoncer soi-mme dans les plus petites -choses. - -4. Le vrai progrs de l'homme est l'abngation de soi-mme; et l'homme -qui ne tient plus soi est libre et en assurance. - -Cependant l'ancien ennemi, qui s'oppose tout bien, ne cesse pas de le -tenter; il lui dresse nuit et jour des embches, et s'efforce de le -surprendre pour le faire tomber dans ses piges. - -_Veillez et priez_, dit le Seigneur, _afin que vous n'entriez point en -tentation_[396]. - - -RFLEXION. - - Il y a dans les affaires un danger terrible pour l'me, lorsqu'elle ne - veille pas sur elle-mme attentivement. Nous ne parlons point des - tentations de l'intrt, si vives pourtant, si multiplies, et qui - finissent ordinairement par affaiblir au moins la conscience. Alors - mme qu'elles ne produisent pas ce triste effet, elles desschent le - coeur, proccupent l'esprit, le dtournent de Dieu et de la grande - pense du salut. Il y a toujours quelque chose qui presse, qu'on ne - peut laisser en retard; et sous ce prtexte, sans dessein form, par - le seul entranement des occupations qu'on s'est faites, on abandonne - peu peu les exercices qui nourrissent la pit, les lectures - saintes, la prire, les devoirs indispensables de la religion, et - ainsi la vie s'coule pleine de projets, de soucis, de travaux, dans - l'oubli de _la seule chose ncessaire_[397]. Les maladies mme ne - rveillent pas; aucun avertissement n'est cout. Enfin la mort vient, - saisit cet homme, le prsente au juge qui l'interroge: Qu'as-tu fait - du temps que je t'ai accord? L'infortun voit d'un coup d'oeil - trente, quarante, soixante annes consumes tout entires dans les - soins de la terre, et il ne voit que cela. Son me, il n'y a point - song. Il est tard en ce moment pour commencer s'occuper d'elle, et - son sort est fix irrvocablement. Ah! pensez avant tout ce qui ne - doit jamais finir. _Cherchez premirement le royaume de Dieu et sa - justice, et le reste vous sera donn par surcrot_[398]. teindre en - soi le dsir de ce qui passe, se confier en la Providence, ne vouloir - que ce qu'elle veut, comme elle le veut, et quand elle le veut, c'est - la voie de la paix et le seul fondement solide d'esprance la - dernire heure. - - [396] Matth., XXVI, 41. - - [397] Luc., X, 42. - - [398] _Ibid._, XII, 31. - - - - -CHAPITRE XL. - -Que l'homme n'a rien de bon de lui-mme, et ne peut se glorifier de -rien. - - -1. LE F. _Seigneur, qu'est-ce que l'homme, pour que vous vous souveniez -de lui? Et qu'est-ce que le fils de l'homme, pour que vous le -visitiez_[399]. - - [399] Ps. VIII, 5. - -Par o l'homme a-t-il pu mriter votre grce? - -De quoi, Seigneur, puis-je me plaindre si vous me dlaissez? Et qu'ai-je - dire si vous ne faites pas ce que je demande? - -Je ne puis, certes, penser et dire avec vrit que ceci: Seigneur, je ne -suis rien, je ne peux rien, de moi-mme je n'ai rien de bon, je sens ma -faiblesse en tout, et tout m'incline vers le nant. - -Si vous ne m'aidez et ne me fortifiez intrieurement, aussitt je tombe -dans la tideur et le relchement. - -2. _Mais vous, Seigneur, vous tes toujours le mme_[400], et vous -demeurez ternellement bon, juste et saint, faisant tout avec bont, -avec justice, avec saintet, et disposant tout avec sagesse. - - [400] Ps. CI, 27. - -Pour moi, qui ai plus de penchant m'loigner du bien qu' m'en -approcher, je ne demeure pas longtemps dans un mme tat, et je change -sept fois le jour. - -Cependant je suis moins faible ds que vous le voulez, ds que vous me -tendez une main secourable: car vous pouvez seul, sans l'aide de -personne, me secourir et m'affermir de telle sorte, que je ne sois plus -sujet tous ces changements, et que mon coeur se tourne vers vous seul, -et s'y repose jamais. - -3. Si donc je savais rejeter toute consolation humaine, soit pour -acqurir la ferveur, soit cause de la ncessit qui me presse de vous -chercher, ne trouvant point d'homme qui me console; alors je pourrais -tout esprer de votre grce, et me rjouir de nouveau dans les -consolations que je recevrais de vous. - -4. Grces vous soient rendues, vous de qui dcoule tout ce qui -m'arrive de bien. - -Pour moi, je ne suis devant vous que vanit et nant, qu'un homme -inconstant et fragile. - -De quoi donc puis-je me glorifier? Comment puis-je dsirer qu'on -m'estime? - -Serait-ce cause de mon nant? mais quoi de plus insens! - -Certes, la vaine gloire est la plus grande des vanits, et un mal -terrible, puisqu'elle nous loigne de la vritable gloire, et nous -dpouille de la grce cleste. - -Car, ds que l'homme se complat en lui-mme, il commence vous -dplaire; et lorsqu'il aspire aux louanges humaines, il perd la vraie -vertu. - -5. La vraie gloire et la joie sainte est de se glorifier en vous et non -pas en soi; de se rjouir de votre grandeur et non de sa propre vertu; -de ne trouver de plaisir en nulle crature qu' cause de vous. - -Que votre nom soit lou et non le mien; qu'on exalte vos oeuvres et non -les miennes; que votre saint nom soit bni, et qu'il ne me revienne rien -des louanges des hommes. - -Vous tes ma gloire et la joie de mon coeur. - -En vous je me glorifierai, je me rjouirai sans cesse en vous et non pas -en moi, _si ce n'est dans mes infirmits_[401]. - -6. Que les Juifs _recherchent la gloire qu'on reoit les uns des -autres_[402]: pour moi, je ne rechercherai que _celle qui vient de Dieu -seul_[403]. - -Car toute gloire humaine, tout honneur du temps, toute grandeur de ce -monde, compare votre gloire ternelle, est folie et vanit. - - ma vrit, ma misricorde, mon Dieu! Trinit bienheureuse! vous -seule louange, honneur, gloire, puissance dans les sicles des sicles. - - -RFLEXION. - - Si je descends en moi-mme et que je m'interroge sur ce que je suis, - que trouv-je, mon Dieu! Une raison incertaine toujours prs de - s'garer, d'inconstantes affections, un mlange inexplicable - d'esprances et de craintes vaines, des inclinations vicies, une - foule innombrable de dsirs qui sans cesse m'agitent et me - tourmentent, quelquefois une joie fugitive, habituellement un profond - ennui, je ne sais quel instinct du ciel et toutes les passions de la - terre, une volont infirme qui tout ensemble veut et ne veut pas, un - grand orgueil dans une grande misre: voil mon tat tel que le pch - l'a fait, et je sens de plus en moi l'impuissance de relever une - nature si profondment dchue. Il a fallu que Dieu mme vnt soulever - ce poids immense de dgradation: sans un Rdempteur divin, l'ternit - entire aurait pass sur les ruines de l'homme. Il a paru ce - Rdempteur, il a dit: _Me voici[404]!_ et son sang a satisfait la - suprme justice, et sa grce a rpar le dsordre de l'intelligence et - le dsordre du coeur: elle a rtabli l'image de Dieu dans sa crature - tombe. Incomprhensible mystre d'amour! et comment rpondre un tel - bienfait? Reconnaissons au moins notre faiblesse et notre indigence; - ne nous attribuons aucun des biens qui nous sont donns gratuitement; - rendons la gloire qui elle appartient, et entrons de toutes les - puissances de notre tre dans les sentiments du Prophte: _Seigneur - mon Dieu, je vous ai invoqu, et vous m'avez guri. Vous avez retir - mon me de l'enfer, et vous m'avez spar de ceux qui descendent dans - le lac. Chantez le Seigneur, vous qui tes ses saints, et clbrez la - mmoire de sa saintet[405]!_ - - [401] II. Cor., XII, 5. - - [402] Joann., V, 44. - - [403] _Ibid._ - - [404] Ps. XXXIX, 8. - - [405] Ps. XXIX, 3-5. - - - - -CHAPITRE XLI. - -Du mpris de tous les honneurs du temps. - - -1. J.-C. Mon fils, n'enviez point les autres, si vous les voyez honors -et levs, tandis qu'on vous mprise et qu'on vous humilie. - -levez votre coeur au ciel vers moi, et vous ne vous affligerez point -d'tre mpris des hommes sur la terre. - -2. LE F. Seigneur, nous sommes aveugles, et la vanit nous sduit bien -vite. - -Si je me considre attentivement, je reconnais qu'aucune crature ne m'a -jamais fait d'injustice, et qu'ainsi je n'ai nul sujet de me plaindre de -vous. - -Aprs vous avoir tant offens, et si grivement, il est juste que toute -crature s'arme contre moi. - -La honte et le mpris, voil donc ce qui m'est d; et vous la louange, -l'honneur et la gloire. - -Et si je me dispose souffrir avec joie, dsirer mme d'tre mpris, -abandonn de toutes les cratures et compt pour rien, je ne puis ni -possder au dedans de moi une paix solide, ni recevoir la lumire -spirituelle, ni tre uni parfaitement vous. - - -RFLEXION. - - Celui qui s'examine devant Dieu, la lumire de la vrit, se mprise - souverainement, parce qu'il ne trouve en soi, sans la grce, qu'un - fonds immense de corruption: et ds lors, loin de rechercher l'estime, - les respects, les honneurs, il se rfugie dans son abjection comme - dans le seul asile contre l'orgueil, la plus grande de ses misres. Si - on l'abaisse, si on le ddaigne, il ne se plaint ni ne s'irrite; il - reconnat qu'on lui fait justice, et l'on ne saurait tant l'humilier, - qu'il ne s'humilie encore davantage intrieurement; car, en tout, - c'est Dieu qu'il regarde, et non pas les hommes. Il dit comme Job: _Si - je veux me justifier, ma bouche me condamnera; et si elle entreprend - de montrer mon innocence, elle ne prouvera que mon crime_[406]. Puis, - dans l'amertume de son coeur, appelant la misricorde, il invoque le - Pre cleste qui a piti de sa pauvre crature. _J'ai pch: que - ferai-je, Sauveur des hommes? Pourquoi avez-vous mis la guerre entre - vous et moi, et suis-je devenu charge moi-mme? Pourquoi - n'tez-vous pas mon pch, et n'effacez-vous pas mon iniquit? Voil - que je dormirai dans la poussire, et quand vous me chercherez le - matin je ne serai plus_[407]. Heureux celui qui s'accuse, car il - obtiendra le pardon! heureux celui qui choisit la dernire place, car - on lui dira: _Montez plus haut_[408]! - - [406] Job, XI, 20. - - [407] Job, VII, 20, 21. - - [408] Luc., XIV, 10. - - - - -CHAPITRE XLII. - -Qu'il ne faut pas que notre paix dpende des hommes. - - -1. J.-C. Si vous faites dpendre votre paix de quelque personne, cause -de l'habitude de vivre avec elle et de la conformit de vos sentiments, -vous serez dans l'inquitude et le trouble. - -Mais si vous cherchez votre appui dans la vrit immuable et toujours -vivante, vous ne serez point accabl de tristesse quand un ami s'loigne -ou meurt. - -Toute amiti doit tre fonde sur moi; et c'est pour moi que vous devez -aimer tous ceux qui vous paraissent aimables et qui vous sont les plus -chers en cette vie. - -Sans moi l'amiti est strile et dure peu; et toute affection, dont je -ne suis pas le lien, n'est ni vritable ni pure. - -Vous devez tre mort ces affections humaines, jusqu' souhaiter de -n'avoir, s'il se pouvait, aucun commerce avec les hommes. - -Plus l'homme s'loigne des consolations de la terre, plus il s'approche -de Dieu. - -Et il s'lve d'autant plus vers Dieu qu'il descend plus profondment en -lui-mme, et qu'il est plus vil ses propres yeux. - -2. Celui qui s'attribue quelque bien, empche que la grce de Dieu -descende en lui, parce que la grce de l'Esprit saint cherche toujours -les coeurs humbles. - -Si vous saviez vous anantir parfaitement, et bannir de votre coeur tout -amour de la crature, alors venant vous, je vous inonderais de ma -grce. - -Quand vous regardez la crature, vous perdez de vue le Crateur. - -Apprenez vous vaincre en tout cause de lui, et vous pourrez alors -parvenir le connatre. - -Le plus petit objet dsir, aim avec excs, souille l'me et la spare -du souverain bien. - - -RFLEXION. - - La religion sanctifie tout, et ne dtruit rien, hors le pch; elle - n'interdit pas les affections naturelles; au contraire, il y en a - qu'elle commande expressment, et le prcepte de l'amour mutuel est un - de ceux que l'vangile inculque avec le plus de soin. _Aimons-nous les - uns les autres_[409], rpte sans cesse l'aptre saint Jean. _Celui - qui n'aime point demeure dans la mort_[410]; _il ne connat pas Dieu, - car Dieu est amour_[411]. Et, dans la nuit de la Cne, ne voyons-nous - pas reposer sur le coeur de Jsus _le disciple qu'il aimait_[412]? - Mais nos affections, pour tre pures, doivent avoir leur principe en - Dieu, et leur rgle dans sa volont. Alors ce ne sont plus des - sentiments de la terre, qui, en passant, agitent et troublent l'me: - c'est quelque chose de l'ternit, comme elle invariable et calme - comme elle. Dfiez-vous des attachements qui altrent la paix du - coeur. Nulle crature ne doit tre aime qu'avec une soumission - parfaite aux ordres de la Providence. Toujours nous devons tre prts - supporter sans plainte ce qui afflige le plus la nature, l'absence, - la sparation, la mort mme, nous souvenant de ce que dit l'Aptre: - _Nous ne voulons pas, mes frres, que vous soyez dans l'ignorance - touchant ceux qui dorment, afin que vous ne vous attristiez pas comme - les autres hommes, qui n'ont point d'esprance. Car si nous croyons - que Jsus est mort et ressuscit, ainsi Dieu amnera avec Jsus ceux - qui se seront endormis en lui. Nous vous disons ceci d'aprs la parole - du Seigneur: nous qui vivons, qui sommes rservs pour son avnement, - nous ne prviendrons point ceux qui sont dj dans le sommeil. Car, au - commandement de l'Archange, sa voix, au son de la trompette de Dieu, - le Seigneur lui-mme descendra du ciel, et les morts qui reposent dans - le Christ se lveront les premiers. Ensuite, nous qui vivons et qui - serons demeurs jusqu'alors, nous serons enlevs avec eux dans les - nues, au devant du Christ, au milieu des airs; et ainsi nous serons - jamais avec le Seigneur. Consolez-vous les uns les autres dans ces - paroles_[413]. - - [409] Joann., IV, 7. - - [410] _Ibid._, III, 14. - - [411] _Ibid._, IV, 8. - - [412] _Ibid._, XIII. 23. - - [413] I. Thessal., IV, 12-17. - - - - -CHAPITRE XLIII. - -Contre la vaine science du sicle. - - -1. J.-C. Mon fils, ne vous laissez pas mouvoir au charme et la beaut -des discours des hommes: _car le royaume de Dieu ne consiste pas dans -les discours, mais dans les oeuvres_[414]. - - [414] I. Cor., IV, 20. - -Soyez attentif mes paroles, qui enflamment le coeur, clairent, -attendrissent l'me, et la remplissent de consolation. - -Ne lisez jamais pour paratre plus savant ou plus sage. - -tudiez-vous mortifier vos vices; cela vous servira plus que la -connaissance des questions les plus difficiles. - -2. Aprs avoir beaucoup lu et beaucoup appris, il en faut toujours -revenir l'unique principe de toutes choses. - -C'est moi qui donne l'homme la science, et qui claire l'intelligence -des petits enfants, plus que l'homme ne le pourrait par aucun -enseignement. - -Celui qui je parle est bientt instruit, et fait de grands progrs -dans la vie de l'esprit. - -Malheur ceux qui interrogent les hommes sur toutes sortes de questions -curieuses, et qui s'inquitent peu d'apprendre me servir! - -Viendra le jour o Jsus-Christ, le Matre des matres, le Seigneur des -anges, apparatra, pour demander compte chacun de ce qu'il sait, -c'est--dire pour examiner les consciences. - -Et alors, _la lampe la main, il scrutera Jrusalem_[415]: _les secrets -des tnbres seront dvoils_[416], et toute langue se taira. - - [415] Soph., 1, 12. - - [416] Cor., IV, 5. - -3. C'est moi qui, en un moment, lve l'me humble, et la fais pntrer -plus avant dans la vrit ternelle, que ne le pourrait celui qui aurait -tudi dix annes dans les coles. - -J'enseigne sans bruit de paroles, sans embarras d'opinions, sans faste, -sans arguments, sans disputes. - -J'apprends mpriser les biens de la terre, ddaigner ce qui passe, -rechercher et goter ce qui est ternel, fuir les honneurs, -souffrir les scandales, mettre en moi toute son esprance, ne -dsirer rien hors de moi, et m'aimer ardemment et par-dessus tout. - -4. Quelques-uns, en m'aimant ainsi, ont appris des choses toutes -divines, dont ils parlaient d'une manire admirable. - -Ils ont fait plus de progrs en quittant tout, que par une profonde -tude. - -Mais je dis aux uns des choses plus gnrales; aux autres, de plus -particulires. J'apparais quelques-uns doucement voil sous des ombres -et des figures; je rvle d'autres mes mystres au milieu d'une vive -splendeur. - -Les livres parlent tous le mme langage; mais il ne produit pas sur -tous les mmes impressions, parce que moi seul j'enseigne la vrit au -dedans, je scrute les coeurs, je pntre les penses, j'excite agir, -et je distribue mes dons chacun, selon qu'il me plat. - - -RFLEXION. - - Plusieurs se fatiguent et se tourmentent pour acqurir la science, _et - j'ai vu_, dit le Sage, _que cela aussi tait vanit, travail et - affliction d'esprit_[417]. quoi vous servira de connatre les choses - de ce monde, quand ce monde mme aura pass? Au dernier jour, on ne - vous demandera pas ce que vous avez su, mais ce que vous avez fait; - _et il n'y a plus de science dans les enfers, vers lesquels vous vous - htez_[418]. Cessez un vain labeur. Qui que vous soyez, vous n'avez - que trop cultiv l'arbre dont les fruits donnent la mort. Laissez la - science qui nourrit l'orgueil, _la science qui enfle_, pour vous - occuper uniquement d'acqurir celle qui fait les humbles et les - saints, _la charit qui difie_[419]. Apprenez vous humilier, - connatre votre nant et votre corruption. Alors Dieu viendra vers - vous; il vous clairera de sa lumire, il vous enseignera, dans le - secret du coeur, cette science merveilleuse dont Jsus a dit: _Je vous - bnis, mon Pre, Seigneur du ciel et de le terre, parce que vont avez - cach ces choses aux sages et aux prudents, et les avez rvles aux - petits_[420]. - - [417] Eccl., I, 17. - - [418] _Ibid._, IX, 10. - - [419] I. Cor., VIII, 1. - - [420] Luc., X, 21. - - - - -CHAPITRE XLIV. - -Qu'il ne faut point s'embarrasser dans les choses extrieures. - - -1. J.-C. Mon fils, il faut que vous vous teniez dans l'ignorance de -beaucoup de choses; _que vous soyez comme mort au monde, et que le monde -soit mort pour vous_[421]. - - [421] Col., III, 3. Gal., VI, 14. - -Il faut aussi fermer l'oreille bien des discours, et penser plutt -vous conserver en paix. - -Il vaut mieux dtourner les yeux de ce qui dplat, et laisser chacun -dans son sentiment, que de s'arrter contester. - -Si vous prenez soin d'avoir Dieu pour vous, et que son jugement vous -soit toujours prsent, vous supporterez sans peine d'tre vaincu. - -2. LE F. Hlas! Seigneur, o en sommes-nous venus? On pleure une perte -temporelle, on court, on se fatigue pour le moindre gain; et l'on oublie -les pertes de l'me, ou l'on ne s'en souvient qu' peine et bien tard. - -On est attentif ce qui ne sert peu ou point du tout, et l'on passe -avec ngligence sur ce qui est souverainement ncessaire; parce que -l'homme se rpand tout entier au dehors, et que, s'il ne rentre -promptement en lui-mme, il demeure avec joie enseveli dans les choses -extrieures. - - -RFLEXION. - - Si vous saviez mourir demain, que vous importeraient les choses de la - terre, ce qui se fait, ce qui se dit autour de vous? Eh bien! vous - mourrez demain; car la vie est peine d'un jour. Soyez donc ds ce - moment tel que vous voudrez avoir t, quand l'ternit s'ouvrira - devant vous. Ni la science, ni la richesse, ni rien de ce qui est du - monde ne vous servira au jugement de Dieu: vous n'y porterez que vos - oeuvres. _Il y avait un homme riche dont les terres avaient produit - une moisson extraordinaire; et il pensait en lui-mme, disant: Que - ferai-je? car je n'ai point de lieu o recueillir tous ces fruits. Et - il dit: Voici ce que je ferai: j'abattrai mes greniers, et j'en - btirai de plus grands, et j'y amasserai toute ma rcolte, et tous mes - biens; et je dirai mon me: Mon me, tu as beaucoup de biens en - rserve pour plusieurs annes: repose-toi, mange, bois, fais bonne - chre. Mais Dieu lui dit: Insens, cette nuit mme on te redemandera - ton me; et pour qui sera ce que tu as amass? Ainsi en est-il de - celui qui thsaurise pour lui-mme, et qui n'est pas riche devant - Dieu_[422]. - - [422] Luc., XII, 16-21. - - - - -CHAPITRE XLV. - -Qu'il ne faut pas croire tout le monde, et qu'il est difficile de garder -une sage mesure dans ses paroles. - - -1. LE F. _Secourez-moi, Seigneur, dans la tribulation: car le salut ne -vient pas de l'homme_[423]. - - [423] Ps. LIX, 11. - -Combien de fois ai-je en vain cherch la fidlit o je croyais la -trouver? combien de fois l'ai-je trouve o je l'attendais le moins? - -Vanit donc d'esprer dans les hommes; mais vous tes, mon Dieu, le -salut des justes. - -Soyez bni, Seigneur, en tout ce qui nous arrive. - -2. Nous sommes faibles et changeants; un rien nous sduit et nous -branle. - -Quel est l'homme si vigilant et si rserv qu'il ne tombe jamais dans -aucune surprise, ni dans aucune perplexit? - -Mais celui, mon Dieu, qui se confie en nous, et qui vous cherche dans la -simplicit de son coeur, ne chancelle pas si aisment. - -Et s'il prouve quelque affliction, s'il est engag en quelque embarras, -vous l'en tirez bientt, ou vous le consolez: car vous n'abandonnez pas -pour toujours celui qui espre en vous. - -Quoi de plus rare qu'un ami fidle, qui ne s'loigne point quand -l'infortune accable son ami? - -Seigneur, vous tes seul constamment fidle; et nul ami n'est comparable - vous. - -3. Oh! que de sagesse dans ce que disait cette sainte me: _Mon coeur -est affermi et fond en Jsus-Christ_[424]! - - [424] Sainte Agathe. - -S'il en tait ainsi de moi, je serais moins troubl par la crainte des -hommes, et moins mu de leurs paroles malignes. - -Qui peut prvoir, qui peut dtourner tous les maux venir? Si ceux -qu'on a prvus, souvent blessent encore, que sera-ce donc de ceux qui -nous frappent inopinment? - -Pourquoi, malheureux que je suis, n'ai-je pas pris de plus sres -prcautions pour moi-mme? Pourquoi aussi ai-je eu tant de crdulit -pour les autres? - -Mais nous sommes des hommes, et rien autre chose que des hommes -fragiles, quoique plusieurs nous croient et nous appellent des anges. - - qui croirai-je, Seigneur! qui, si ce n'est vous? Vous tes la -vrit qui ne trompe point, et qu'on ne peut tromper. - -Au contraire, _tout homme est menteur_[425], faible, inconstant, -fragile, surtout dans ses paroles; de sorte qu'on doit peine croire -d'abord ce qui parat le plus vrai dans ce qu'il dit. - - [425] Ps. LXI, 9. - -4. Que vous nous avez sagement avertis de nous dfier des hommes; que -_l'homme a pour ennemis ceux de sa propre maison_[426]; et que si -quelqu'un dit: _Le Christ est ici, ou il est l_[427], il ne faut pas le -croire! - - [426] Mich., VII, 2. - - [427] Matth., XXIV, 23. - -Une dure exprience m'a clair: heureux si elle sert me rendre moins -insens et plus vigilant! - -Soyez discret, me dit quelqu'un, soyez discret; ce que je vous dis n'est -que pour vous. Et pendant que je me tais et que je crois la chose -secrte, il ne peut lui-mme garder le silence qu'il m'a demand; mais, -dans l'instant, il me trahit, se trahit lui-mme et s'en va. - -loignez de moi, Seigneur, ces confidences trompeuses; ne permettez pas -que je tombe entre les mains de ces hommes indiscrets, ou que je leur -ressemble. - -Mettez dans ma bouche des paroles invariables et vraies; et que ma -langue soit trangre tout artifice. - -Ce que je ne peux souffrir en autrui, je dois m'en prserver avec soin. - -5. Oh! qu'il est bon, qu'il est ncessaire pour la paix, de se taire sur -les autres, de ne pas tout croire indiffremment, ni tout redire sans -rflexion, de se dcouvrir peu de personnes, de vous chercher toujours -pour tmoin de son coeur, de ne pas se laisser emporter tout vent de -paroles; mais de dsirer que tout en nous et hors de nous s'accomplisse -selon qu'il plat votre volont! - -Que c'est encore un sr moyen pour conserver la grce cleste, de fuir -ce qui a de l'clat aux yeux des hommes, de ne point rechercher ce qui -semble attirer leur admiration; mais de travailler ardemment acqurir -ce qui produit la ferveur et corrige la vie! - - combien d'hommes a t funeste une vertu connue et loue trop tt! - -Que de fruits, au contraire, d'autres ont tirs d'une grce conserve en -silence durant cette vie fragile, qui n'est qu'une tentation et une -guerre continuelle! - - -RFLEXION. - - Ne vous appuyez pas sur les hommes, car ils vous manqueront tt ou - tard. L'homme est faible, indiscret, inconstant, lger, enclin tout - rapporter soi. Le moindre caprice l'loigne, le moindre intrt - suffit pour le transformer en ennemi. Alors il se montre tel qu'il - est. Il vous aimait, mais pour lui-mme, pour tirer parti de vous au - besoin. Fuyez, fuyez ces faux amis du monde. Celui-ci vous trahit, cet - autre vous dlaisse. Arrive-t-il des circonstances qui vous forcent de - recourir eux, _tous commencent s'excuser. Le premier dit: J'ai - achet une terre; il faut ncessairement que je l'aille voir: je vous - supplie de m'excuser. Un autre dit: J'ai achet cinq paires de boeufs, - et je vais les prouver: je vous supplie de m'excuser. Un autre dit: - J'ai pous une femme, et c'est pourquoi je ne puis aller_[428]. Voil - les amitis humaines. Vous seul, mon Dieu, vous seul n'abandonnez - point ceux qui vous aiment, ceux qui esprent en vous: toujours vous - tes prs d'eux pour les soutenir et les consoler. Jamais vous ne vous - lassez d'entendre leurs gmissements, d'couter leurs plaintes, de - recueillir leurs larmes. Rien n'est au-dessous de votre tendresse: cet - homme abject aux yeux des hommes, ce pauvre rebut de toutes parts, - _vous l'assistez, mon Dieu, sur le lit de sa douleur, et votre main - retourne son lit pour y reposer ses infirmits_[429]: puis, quand sa - tche est accomplie, la fin du jour, vous le recevez dans - l'ternelle paix. - - [428] Luc., XIV, 18, 20. - - [429] Ps. XL, 4. - - - - -CHAPITRE XLVI. - -Qu'il faut mettre sa confiance en Dieu, lorsqu'on est assailli de -paroles injurieuses. - - -1. J.-C. Mon fils, demeurez ferme, et esprez en moi. Qu'est-ce, aprs -tout, que des paroles? un vain bruit. Elles frappent l'air, mais ne -brisent point la pierre. - -Si vous tes coupable, songez que votre dsir doit tre de vous -corriger. Si votre conscience ne vous reproche rien, pensez que vous -devez souffrir avec joie cette lgre peine pour Dieu. - -C'est bien ce qu'il y a de moindre, que, de temps en temps, vous -supportiez quelques paroles, vous qui ne pouvez encore soutenir de plus -rudes preuves. - -Et pourquoi de si petites choses vont-elles jusqu' votre coeur, si ce -n'est que vous tes encore charnel, et trop occup des jugements des -hommes? - -Vous craignez le mpris, et cause de cela vous ne voulez pas tre -repris de vos fautes, et vous cherchez des excuses pour les couvrir. - -2. Scrutez mieux votre coeur, et vous reconnatrez que le monde vit -encore en vous, et le vain dsir de plaire aux hommes. - -Car votre rpugnance tre abaiss, confondu par vos faiblesses, prouve -que vous n'avez pas une humilit sincre, que vous n'tes pas -_vritablement mort au monde, et que le monde n'est pas crucifi pour -vous_[430]. - - [430] Galat., VI, 14. - -coutez ma parole, et vous vous inquiterez peu de toutes les paroles -des hommes. - -Quand on dirait contre vous tout ce que peut inventer la plus noire -malice, en quoi cela vous nuirait-il, si vous le laissez passer comme la -paille que le vent emporte? En perdriez-vous un seul cheveu? - -3. Celui dont le coeur n'est pas renferm en lui-mme, et qui n'a pas -Dieu toujours prsent, s'meut aisment d'une parole de blme. - -Mais celui qui se confie en moi et qui ne s'appuie pas sur son propre -jugement, ne craindra rien des hommes. - -Car c'est moi qui connais et qui juge ce qui est secret; je sais la -vrit de toute chose, qui a fait l'injure et qui la souffre. - -Cette parole, elle est venue de moi; cet vnement, je l'ai permis, -_afin que ce qu'il y a de cach dans beaucoup de coeurs ft -rvl_[431]. - - [431] Luc., II, 35. - -Je jugerai l'innocent et le coupable; mais, par un secret jugement, j'ai -voulu auparavant prouver l'un et l'autre. - -4. Le tmoignage des hommes trompe souvent; mais mon jugement est vrai: -il subsistera et ne sera point branl. - -Le plus souvent il est cach, et peu de personnes le dcouvrent en -chaque chose: cependant il n'erre jamais, et ne peut errer, quoiqu'il ne -paraisse pas toujours juste aux yeux des insenss. - -C'est donc moi qu'il faut remettre le jugement de tout, sans jamais -s'en rapporter son propre sens. - -_Le juste ne sera point troubl, quoi qu'il lui arrive par l'ordre de -Dieu_[432]. Il lui importera peu qu'on l'accuse injustement. - - [432] Prov., X, 21. - -Et si d'autres le dfendent et russissent le justifier, il n'en -concevra pas non plus une vaine joie. - -Car il se souvient que c'est moi _qui sonde les coeurs et les -reins_[433]; et que je ne juge point sur les dehors et les apparences -humaines. - - [433] Ps. VII, 10. - -Ce qui parat louable au jugement des hommes, souvent est criminel mes -yeux. - -5. LE F. Seigneur mon Dieu, juge infiniment juste, fort et patient, qui -connaissez la fragilit de l'homme et son penchant au mal, soyez ma -force et toute ma confiance: car ma conscience ne me suffit pas. - -Vous connaissez ce que je ne connais point; ainsi j'ai d m'abaisser -sous tous les reproches et les supporter avec douceur. - -Pardonnez-moi dans votre bont, toutes les fois que je n'ai pas agi de -la sorte, et donnez-moi plus abondamment la grce qui apprend -souffrir. - -Car je dois compter bien plus sur votre grande misricorde pour obtenir -le pardon, que sur ma vertu apparente pour justifier ce que ma -conscience recle. - -_Quoique je ne me reproche rien, je ne suis cependant pas justifi pour -cela_[434]; parce que, sans votre misricorde, _nul homme vivant ne sera -juste devant vous_[435]. - - [434] Cor., IV, 4. - - [435] Ps. CXLII, 2. - - -RFLEXION. - - _Vous serez heureux quand on vous maudira, et qu'on vous perscutera, - et qu'on dira faussement toute sorte de mal contre vous: - rjouissez-vous alors, et soyez ravis de joie, parce que votre - rcompense est grande dans les cieux_[436]. Combien cependant, malgr - cette parole, ne nous troublons-nous pas des discours des hommes et de - leurs jugements? Nous ne pouvons supporter qu'on nous abaisse; nous - voulons tout prix tre lous, estims. Sduits par un vain fantme - de rputation, nous oublions Dieu et ses enseignements, et les biens - qu'il promet aux humbles. trange effet de l'orgueil toujours vivant - au fond de notre misrable coeur! Que vous importe l'outrage, - l'injure, la calomnie? D'o vient qu'elle excite en vous une peine si - amre, un si vif ressentiment? Craignez-vous donc d'avoir trop de - moyens d'expiation, trop d'esprances de misricorde? Mais on vous - accuse tort. Aimeriez-vous mieux que ce ft avec justice? Si vous - n'avez pas commis la faute qu'on vous reproche, que d'autres vous avez - commises qu'on ne vous reproche point! Descendez dans votre - conscience, vous y entendrez une voix plus svre que celles qui - s'lvent contre vous. Celles-ci se tairont, mais l'autre parlera - devant le Juge en prsence duquel tout l'heure vous comparatrez, - loin des bruits de la terre, dans le silence de l'ternit. Pensez - ce moment formidable, et vous vous inquiterez peu de ce que les - hommes disent de vous. - - [436] Matth., V, 11, 12. - - - - -CHAPITRE XLVII. - -Qu'il faut tre prt souffrir pour la vie ternelle tout ce qu'il y a -de plus pnible. - - -1. J.-C. Mon fils, que les travaux que vous avez entrepris pour moi ne -brisent pas votre courage, et que les afflictions ne vous abattent pas -entirement; mais qu'en tout ce qui arrive, ma promesse vous console et -vous fortifie. - -Je suis assez puissant pour vous rcompenser au-del de toutes bornes et -de toute mesure. - -Vous ne serez pas longtemps ici dans le travail, ni toujours charg de -douleurs. - -Attendez un peu, et vous verrez promptement la fin de vos maux. - -Une heure viendra o le travail et le trouble cesseront. - -Tout ce qui passe avec le temps est peu de chose et ne dure gure. - -2. Faites ce que vous avez faire; travaillez fidlement ma vigne, et -je serai moi-mme votre rcompense. - -crivez, lisez, chantez mes louanges, gmissez, gardez le silence, -priez, souffrez courageusement l'adversit: la vie ternelle est digne -de tous ces combats, et de plus grands encore. - -_Il y a un jour connu du Seigneur_, o la paix viendra; et _il n'y aura -plus de jour ni de nuit_[437] comme sur cette terre, mais une lumire -perptuelle, une splendeur infinie, une paix inaltrable, un repos -assur. - - [437] Zachar., XIV, 7. - -Vous ne direz plus alors: _Qui me dlivrera de ce corps de mort[438]?_ -Vous ne vous crierez plus: _Malheur moi, parce que mon exil a t -prolong[439]!_ car _la mort sera dtruite_[440], et le salut sera -ternel; plus d'angoisses, une joie ravissante, une socit de gloire et -de bonheur. - - [438] Rom., VII, 24. - - [439] Ps. CXIX, 5. - - [440] Is., XXV, 8. - -3. Oh! si vous aviez vu, dans le ciel, les couronnes immortelles des -Saints, de quel glorieux clat resplendissent ces hommes que le monde -mprisait et regardait comme indignes de vivre: aussitt, certes, vous -vous prosterneriez jusque dans la poussire, et vous aimeriez mieux tre -au-dessous de tous qu'au-dessus d'un seul! - -Vous ne dsireriez point les jours heureux de cette vie; mais plutt -vous vous rjouiriez de souffrir pour Dieu, et vous regarderiez comme le -plus grand gain d'tre compt pour rien parmi les hommes. - -Oh! si vous gotiez ces vrits, si elles pntraient jusqu'au fond de -votre coeur, comment oseriez-vous vous plaindre, mme une seule fois? - -Est-il rien de pnible qu'on ne doive supporter pour la vie ternelle? - -Ce n'est pas peu que de gagner ou de perdre le royaume de Dieu. - -Levez donc les yeux au ciel. Me voil, et avec moi tous mes Saints: ils -ont soutenu dans ce monde un grand combat: et maintenant ils se -rjouissent, maintenant ils sont consols et l'abri de toute crainte, -maintenant ils se reposent, et ils demeureront jamais avec moi dans le -royaume de mon Pre. - - -RFLEXION. - - Quand la vie nous parat pesante, quand nous sommes prs de succomber - la tristesse de l'exil, levons les yeux et contemplons l'aurore de - notre dlivrance; car _cette enveloppe mortelle s'en va se dtruisant, - mais l'homme intrieur se renouvelle de jour en jour_[441]. Attendons, - souffrons en paix; l'heure du repos approche. _Les lgres - tribulations de cette vie d'un moment, nous levant sans mesure, - produisent en nous un poids ternel de gloire_[442]. Qu'importe un peu - de fatigue, un peu de travail sur la terre? Nous passons, et _n'avons - point ici de cit permanente_[443]. Jsus _est all devant pour nous - prparer une demeure en la maison de son Pre; et puis il viendra, et - il nous prendra avec lui, afin que l o il est, nous y soyons - aussi_[444]. _ Jsus, mon Sauveur! mon me languit aprs vous, elle - vous dsire comme le cerf altr dsire l'eau des fontaines_[445]. - Venez, ne tardez pas: loin de vous, _nous sommes assis dans l'ombre de - la mort_[446]. Htez-vous, Seigneur; faites luire sur nous la lumire - de votre face, et qu'elle nous guide la cleste Jrusalem, au pied - du trne de l'Agneau. L, dans le ravissement de l'amour, dans - l'immortelle extase de la joie, les choeurs des Bienheureux mls aux - choeurs des Anges, clbrent le Dieu trois fois saint. Et moi, - Seigneur, _sur le bord des fleuves de Babylone, j'ai pleur en me - ressouvenant de Sion_[447]. Console-toi, mon me, prte l'oreille; - n'entends-tu pas dans le lointain comme le premier murmure qui annonce - l'arrive de l'poux? _Encore un moment et tu le verras_[448]: encore - un moment, et rien jamais ne pourra te sparer de lui! - - [441] II. Cor., IV, 16. - - [442] _Ibid._, 17. - - [443] Hebr., XIII, 14. - - [444] Joann., XIV, 2, 3. - - [445] Ps. XLI, 2. - - [446] Luc., I, 79. - - [447] Ps. CXXXVI, 1. - - [448] Joann., XVI, 19. - - - - -CHAPITRE XLVIII. - -De l'ternit bienheureuse, et des misres de cette vie. - - -1. LE F. bienheureuse demeure de la cit cleste! jour clatant de -l'ternit, que la nuit n'obscurcit jamais, et que la vrit souveraine -claire perptuellement de ses rayons; jour immuable de joie et de -repos, que nulle vicissitude ne trouble! - -Oh! que ce jour n'a-t-il lui dj sur les ruines du temps, et de tout ce -qui passe avec le temps! - -Il luit pour les Saints dans son ternelle splendeur: mais nous, -voyageurs sur la terre, nous ne le voyons que de loin, comme travers -un voile. - -2. Les citoyens du ciel en connaissent les dlices: mais les fils d've, -encore exils, gmissent sur l'amertume et l'ennui de la vie prsente. - -_Les jours d'ici-bas sont courts et mauvais_[449], pleins de douleurs et -d'angoisses. - - [449] Genes., XLVII, 9. - -L'homme y est souill de beaucoup de pchs, engag dans beaucoup de -passions, agit par mille craintes, embarrass de mille soins, emport - et l par la curiosit, sduit par une foule de chimres, environn -d'erreurs, bris de travaux, accabl de tentations, nerv de dlices, -tourment par la pauvret. - -3. Oh! quand viendra la fin de ces maux? quand serai-je dlivr de la -misrable servitude des vices? quand me souviendrai-je, Seigneur, de -vous seul? quand goterai-je en vous une pleine joie? - -Quand, dgag de toute entrave, jouirai-je d'une vraie libert, -dsormais exempt de toute peine et du corps et de l'esprit? - -Quand possderai-je une paix solide, assure, inaltrable, paix au -dedans et au dehors, paix affermie de toutes parts? - - bon Jsus! quand me sera-t-il donn de vous voir, de contempler la -gloire de votre rgne? quand me serez-vous tout en toute chose? - -Quand serai-je avec vous dans _le royaume que vous avez prpar de toute -ternit vos lus_[450]? - - [450] Matth., XXV, 34. - -J'ai t dlaiss, pauvre, exil, en une terre ennemie, o il y a guerre -continuelle et de grandes infortunes. - -4. Consolez mon exil, adoucissez l'angoisse de mon coeur: car il soupire -aprs vous de toute l'ardeur de ses dsirs. - -Tout ce que le monde m'offre ici-bas pour me consoler, me pse. - -Je voudrais m'unir intimement vous, et je ne puis atteindre cette -ineffable union. - -Je voudrais m'attacher aux choses du ciel, et mes passions immortifies -me replongent dans celles de la terre. - -Mon me aspire s'lever au-dessus de tout, et la chair me rabaisse -au-dessous, malgr mes efforts. - -Ainsi, homme misrable, j'ai sans cesse la guerre au dedans de moi, et -_je me suis charge moi-mme_[451], l'esprit voulant s'lever -toujours, et la chair toujours descendre. - - [451] Job, VII, 10. - -5. Oh! combien je souffre en moi lorsque, mditant les choses du ciel, -celles de la terre viennent en foule se prsenter ma pense durant la -prire! Mon Dieu, _ne vous loignez pas de moi, et n'abandonnez point -votre serviteur dans votre colre_[452]. - - [452] Ps. LXX, 13; XXVI, 14. - -Faites briller votre foudre, et dissipez ces visions de la chair: lancez -vos flches[453], et mettez en fuite ces fantmes de l'ennemi. - - [453] Ps. CXLIII, 6. - -Rappelez vous tous mes sens; faites que j'oublie toutes les choses du -monde, et que je rejette promptement, avec mpris, ces criminelles -images. - -ternelle vrit, prtez-moi votre secours, afin que nulle chose vaine -ne me touche. - -Venez en moi, cleste douceur, et que tout ce qui n'est pas pur -s'vanouisse devant vous. - -Pardonnez-moi aussi, et usez de misricorde, toutes les fois que, dans -la prire, je m'occupe d'autre chose que de vous. - -Car je confesse sincrement que la distraction m'est habituelle. - -Dans le mouvement ou dans le repos, bien souvent je ne suis point o est -mon corps, mais plutt o mon esprit m'emporte. - -Je suis l o est ma pense, et ma pense est d'ordinaire o est ce que -j'aime. - -Ce qui me plat naturellement ou par habitude, voil ce qui d'abord se -prsente elle. - -6. Et c'est pour cela, Vrit, que vous avez dit expressment: _O est -votre trsor, l est aussi votre coeur_[454]. - - [454] Matth., VI, 21. - -Si j'aime le ciel, je pense volontiers aux choses du ciel. - -Si j'aime le monde, je me rjouis des prosprits du monde, et je -m'attriste de ses adversits. - -Si j'aime la chair, je me reprsente souvent ce qui est de la chair. - -Si j'aime l'esprit, ma joie est de penser aux choses spirituelles. - -Car il m'est doux de parler et d'entendre parler de tout ce que j'aime, -et j'en emporte avec moi le souvenir dans ma retraite. - -Mais heureux l'homme, mon Dieu, qui, cause de vous, bannit de son -coeur toutes les cratures; qui fait violence la nature, et crucifie, -par la ferveur de l'esprit, les convoitises de la chair, afin de vous -offrir, du fond d'une conscience o rgne la paix, une prire pure; et -que, dgag au dedans et au dehors de tout ce qui est terrestre, il -puisse se mler aux choeurs des Anges! - - -RFLEXION. - - Les maladies, les peines, les souffrances, les tentations, - l'invincible dsir d'une flicit que rien ne nous offre ici-bas, tout - nous rappelle sans cesse cette grande ternit o la foi nous - promet, dans la possession de Dieu mme, le repos, la paix, le bien - parfait, infini, auquel nous aspirons de toutes les puissances de - notre me. Et voil pourquoi les saints gmissent si amrement sous le - poids des liens qui les retiennent encore sur la terre; voil pourquoi - l'Aptre s'criait: _Je dsire que mon corps se dissolve, afin d'tre - avec Jsus-Christ_[455]. Alors plus de crainte, plus de larmes, plus - de combat, mais un ternel triomphe et une joie ternelle. Si un - faible reflet[456] de la vrit souveraine ravit dj notre - intelligence, que sera-ce quand nous la contemplerons dans son plein - clat! et si, ds prsent, il est si doux d'aimer, que sera-ce quand - nous nous abreuverons la source mme de l'amour! Oh! oui, Seigneur, - je dsire la dissolution de mon corps, afin d'tre avec vous! Cette - esprance seule me console; elle est toute ma vie. Qu'est-ce pour moi - que le monde, et que peut-il me donner? _J'ai sjourn parmi les - habitants de Cdar, et mon me a t trangre au milieu d'eux_[457]. - Votre royaume, mon Dieu, votre royaume, je n'ai point d'autre patrie. - Daignez y rappeler ce pauvre exil, _et il clbrera ternellement vos - misricordes_[458]. - - [455] Philipp., I, 23. - - [456] I. Cor., XIII, 12. - - [457] Ps. CXIX, 5. - - [458] Ps. LXXXVIII, 2. - - - - -CHAPITRE XLIX. - -Du dsir de la vie ternelle, et des grands biens promis ceux qui -combattent courageusement. - - -1. J.-C. Mon fils, lorsque le dsir de l'ternelle batitude vous est -donn d'en haut, et que vous aspirez sortir de la prison du corps pour -contempler ma lumire sans ombre et sans vicissitude, dilatez votre -coeur, et recevez avec amour cette sainte inspiration. - -Rendez grce de toute votre me la bont cleste, qui vous prodigue -ainsi ses faveurs, qui vous visite avec tendresse, vous excite, vous -presse et vous soulve puissamment, de peur que votre poids ne vous -incline vers la terre. - -Car rien de cela n'est le fruit de vos penses ou de vos efforts, mais -une grce de Dieu qui a daign jeter sur vous un regard, afin que, -croissant dans la vertu et dans l'humilit, vous vous prpariez de -nouveaux combats, et que tout votre coeur s'attache moi avec la -volont ferme de me servir. - -2. Quelque ardent que soit le feu, la flamme cependant ne monte point -sans fume. - -Ainsi quelques-uns, quoique embrass du dsir des choses clestes, ne -sont point nanmoins entirement dgags des affections et des -tentations de la chair. - -Et c'est pourquoi ils n'ont pas en vue la seule gloire de Dieu, dans ce -qu'ils demandent avec tant d'instance. - -Tel est souvent votre dsir, que vous croyez si vif et si pur. - -Car rien n'est pur ni parfait, de ce qui est ml d'intrt propre. - -3. Demandez, non ce qui vous est doux, non ce qui vous offre quelque -avantage, mais ce qui m'honore et me plat: car, si vous jugez selon la -justice, vous devez, docile mes ordres, les prfrer vos dsirs et -tout ce qu'on peut dsirer. - -Je connais votre dsir; j'ai entendu vos gmissements. - -Vous voudriez jouir dj de la libert glorieuse des enfants de Dieu; -dj la demeure ternelle, la cleste patrie o la joie ne tarit jamais, -ravit votre pense. Mais l'heure n'est pas encore venue, vous tes -encore dans un autre temps, temps de guerre, temps de travail et -d'preuves. - -Vous dsirez tre rassasi du souverain bien; mais cela ne se peut -maintenant. - -C'est moi qui suis le bien suprme: attendez-moi, dit le Seigneur, -_jusqu' ce que vienne le royaume de Dieu_[459]. - - [459] Luc., XXII, 18. - -4. Il faut que vous soyez encore prouv sur la terre, et exerc de bien -des manires. - -De temps en temps, vous recevrez des consolations, mais jamais assez -abondantes pour rassasier vos dsirs. - -_Ranimez donc votre force et votre courage_[460], pour accomplir et pour -souffrir ce qui rpugne la nature. - - [460] Josu, I, 6. - -_Il faut que vous vous revtiez de l'homme nouveau_[461], que vous vous -changiez en un autre homme. - - [461] Eph., IV, 24. I. Reg., X. 6, 9. - -Il faut que souvent vous fassiez ce que vous ne voulez pas, et que vous -renonciez ce que vous voulez. - -Ce que les autres souhaitent, russira: mille obstacles s'opposeront -ce que vous souhaitez. - -On coutera ce que disent les autres: ce que vous direz sera compt pour -rien. - -Ils demanderont, et ils obtiendront: vous demanderez, et on vous -refusera. - -5. On parlera d'eux, on les exaltera; et personne ne parlera de vous. - -On leur confiera tel ou tel emploi; et l'on ne vous jugera propre -rien. - -Quelquefois la nature s'en affligera; et ce sera beaucoup si vous le -supportez en silence. - -C'est dans ces preuves et une infinit d'autres semblables, que, -d'ordinaire, on reconnat combien un vrai serviteur de Dieu sait se -renoncer et se briser tout. - -Il n'est presque rien qui vous fasse sentir autant le besoin de mourir -vous-mme, que de voir et de souffrir ce qui rpugne votre volont; -surtout lorsqu'on vous commande des choses inutiles ou draisonnables. - -Et, parce qu'assujetti un suprieur vous n'osez rsister son -autorit, il vous semble dur d'tre en tout conduit par un autre, et de -n'agir jamais selon votre propre sens. - -6. Mais pensez, mon fils, au fruit de ces travaux, leur prompte fin, -leur _rcompense trop grande_[462]; et loin de les porter avec douleur, -vous y trouverez une puissante consolation. - - [462] Genes., XV, 1. - -Car, pour avoir renonc maintenant quelques vaines convoitises, vous -ferez ternellement votre volont dans le ciel. - -L, tous vos voeux seront accomplis, tous vos dsirs satisfaits. - -L, tous les biens s'offriront vous, sans que vous ayez craindre de -les perdre. - -L, votre volont ne cessant jamais d'tre unie la mienne, vous ne -souhaiterez rien hors de moi, rien qui vous soit propre. - -L, personne ne vous rsistera, personne ne se plaindra de vous, -personne ne vous suscitera de contrarits ni d'obstacles; mais tout ce -qui peut tre dsir tant prsent la fois, votre me, rassasie -pleinement, n'embrassera qu' peine cette immense flicit. - -L, je donnerai la gloire pour les opprobres soufferts, la joie pour les -larmes, pour la dernire place un trne dans mon royaume ternel. - -L, clateront les fruits de l'obissance; la pnitence se rjouira de -ses travaux, et l'humble dpendance sera glorieusement couronne. - -7. Maintenant donc, inclinez-vous humblement sous la main de tous, et ne -regardez point qui a dit ou ordonn cela. - -Mais si quelqu'un demande ou souhaite quelque chose de vous, qui que ce -soit, ou votre suprieur, ou votre infrieur, ou votre gal, loin d'en -tre bless, ayez soin de l'accomplir avec une affection sincre. - -Que l'un recherche ceci, un autre cela; que celui-l se glorifie d'une -chose, celui-ci d'une autre, et qu'il en reoive mille louanges; pour -vous, ne mettez votre joie que dans le mpris de vous-mme, dans ma -volont et ma gloire. - -Vous ne devez rien dsirer, sinon que, _soit par la vie, soit par la -mort, Dieu soit toujours glorifi en vous_[463]. - - [463] Philipp., I, 20. - - -RFLEXION. - - On ne saurait trop le redire, le premier et le dernier prcepte, celui - qui les comprend tous, est l'entier renoncement de soi-mme et la - conformit parfaite de notre volont celle de Dieu. Ainsi, bien - qu'il nous soit permis et mme command d'aspirer la batitude - cleste, et de gmir sur _la longueur de notre exil_[464], nanmoins - nous devons le supporter avec une grande patience, et nous complaire - dans les preuves que la Providence nous envoie, parce qu'elles sont - tout ensemble utiles notre salut, et l'un des moyens que Dieu a - choisis pour satisfaire sa justice, et pour manifester en nous sa - misricorde et sa gloire. Pcheurs, nous devons participer aux - souffrances de celui qui nous a rachets; disciples de Jsus, nous - devons marcher la suite de notre matre et de notre modle en - portant la Croix, et, comme lui, puiser le calice d'amertume. Nul - n'est couronn, s'il n'a combattu[465]. _Heureux donc l'homme qui - endure la tentation, parce qu'aprs avoir t prouv, il recevra la - couronne de vie que Dieu a promise ceux qui l'aiment_[466]. - Attendons le moment qu'il a marqu, et poursuivons en paix notre - plerinage. Tout ce qui finit est court, et rien n'est pnible celui - qui espre. Que cette pense ranime notre langueur, quand nous nous - sentons abattus. Au milieu de ce grand naufrage du monde, dit saint - Chrysostome, une main propice nous jette d'en haut le cble de - l'esprance, qui peu peu retire des flots des misres humaines et - soulve jusqu'au Ciel ceux qui s'y attachent fortement[467]. - - [464] Ps. CXIX, 5. - - [465] I. Cor., IX, 25. - - [466] Jacob., I, 12. - - [467] Ad Theod. Laps. oper., t. I, p. 3. - - - - -CHAPITRE L. - -Comment un homme dans l'affliction doit s'abandonner entre les mains de -Dieu. - - -1. LE F. Seigneur mon Dieu, Pre saint, soyez bni maintenant et dans -toute l'ternit; parce qu'il a t fait comme vous l'avez voulu, et ce -que vous faites est bon. - -Que votre serviteur se rjouisse, non en lui-mme ni en nul autre, mais -en vous seul, parce que vous seul tes la vritable joie; vous tes, -Seigneur, mon esprance, ma couronne, ma joie, ma gloire. - -_Qu'y a-t-il en votre serviteur qu'il n'ait reu de vous_[468], et sans -l'avoir mrit? - - [468] I. Cor., IV, 7. - -Tout est vous; vous avez tout fait, tout donn. - -_Je suis pauvre dans les travaux, ds mon enfance_[469]. Quelquefois mon -me est triste jusqu'aux larmes; et quelquefois elle se trouble en -elle-mme, cause des passions qui la pressent. - - [469] Ps. LXXXVII, 16. - -2. Je dsire la joie de la paix, j'aspire la paix de vos enfants, que -vous nourrissez dans votre lumire et vos consolations. - -Si vous me donnez la paix, si vous versez en moi votre joie sainte, -l'me de votre serviteur sera comme remplie d'une douce mlodie; et ravi -d'amour, il chantera vos louanges. - -Mais si vous vous retirez, comme vous le faites souvent, il ne pourra -_courir dans la voie de vos commandements_[470]; alors il ne lui reste -qu' tomber genoux et se frapper la poitrine, parce qu'il n'en est -plus pour lui comme auparavant, lorsque _votre lumire resplendissait -sur sa tte_[471], et qu'_ l'ombre de vos ailes, il trouvait un abri -contre les tentations_[472]. - - [470] Ps. CXVIII, 32. - - [471] Job, XXIX, 3. - - [472] Ps. XVI, 10. - -3. Pre juste et toujours digne de louange, l'heure est venue o votre -serviteur doit tre prouv. - -Pre aimable, il est juste que votre serviteur souffre maintenant -quelque chose pour vous. - -Pre jamais adorable, l'heure que vous avez prvue de toute ternit -est venue, o il faut que votre serviteur succombe pour un peu de temps -au dehors, sans cesser de vivre toujours intrieurement en vous. - -Il faut que, pour un peu de temps, il soit abaiss, humili, ananti -devant les hommes, bris de souffrances, accabl de langueurs, afin de -se relever avec vous l'aurore d'un jour nouveau, et d'tre environn -de splendeur dans le ciel. - -Pre saint, vous l'avez ainsi ordonn, ainsi voulu; et ce que vous avez -command s'est accompli. - -4. Car c'est la grce que vous faites ceux que vous aimez, de souffrir -en ce monde pour votre amour, et d'tre afflig autant de fois et par -qui que ce soit que vous le permettiez. - -Rien ne se fait sur la terre sans raison, sans dessein, et sans l'ordre -de votre Providence. - -_Ce m'est un bien, Seigneur, que vous m'ayez humili, afin que je -m'instruise de votre justice_[473], et que je bannisse de mon coeur tout -orgueil et toute prsomption. - - [473] Ps. CXVIII, 71. - -Il m'est utile _d'avoir t couvert de confusion_[474], afin que je -cherche me consoler plutt en vous que dans les hommes. - - [474] Ps. LXVIII, 11. - -Par l, j'ai appris encore redouter vos jugements impntrables, selon -lesquels vous affligez et le juste et l'impie, mais toujours avec quit -et avec justice. - -5. Je vous rends grces de ce que vous ne m'avez point pargn les maux, -et de ce qu'au contraire vous m'avez svrement frapp, me chargeant de -douleurs, et m'accablant d'angoisses au dedans et au dehors. - -De tout ce qui est sous le ciel, il n'est rien qui me console; je -n'espre qu'en vous, mon Dieu, cleste mdecin des mes, _qui blessez -et qui gurissez, qui conduisez jusqu'aux enfers, et qui en -ramenez_[475]. - - [475] I. Reg., II, 6; Tob., XIII, 2. - -_Vous me guidez par vos enseignements, et votre verge mme -m'instruira_[476]. - - [476] Ps. XVII, 36. - -6. Pre uniquement aim, voil que je suis entre vos mains, je m'incline -sous la verge qui me corrige. - -Frappez, frappez encore, afin que je rforme, selon votre gr, tout ce -qu'il y a d'imparfait en moi. - -Faites de moi, comme vous le savez si bien faire, un disciple humble et -pieux, toujours prt vous obir au moindre signe. - -Je m'abandonne, moi et tout ce qui est moi, votre correction. Il -vaut mieux tre chti en ce monde qu'en l'autre. - -Vous savez tout, vous pntrez tout, et rien ne vous est cach dans la -conscience de l'homme. - -Vous connaissez les choses futures avant qu'elles arrivent, et il n'est -pas besoin que personne vous instruise ou vous avertisse de ce qui se -passe sur la terre. - -Vous savez ce qui est utile mon avancement, et combien la tribulation -sert consumer la rouille des vices. - -Disposez de moi selon votre bon plaisir, et ne me dlaissez point -cause de ma vie toute de pch, que personne ne connat mieux que vous. - -7. Faites, Seigneur, que je sache ce que je dois savoir, que j'aime ce -que je dois aimer, que je loue ce qui vous est agrable, que j'estime ce -qui est prcieux devant vous, et que je mprise ce qui est vil vos -regards. - -Ne permettez pas que _je juge d'aprs ce que l'oeil aperoit au dehors, -ni que je forme mes sentiments sur les discours insenss des -hommes_[477]; mais faites que je porte un jugement vrai des choses -sensibles et des spirituelles, et surtout que je cherche connatre -votre volont. - - [477] Is., XI, 3. - -8. Souvent les hommes se trompent en ne jugeant que sur le tmoignage -des sens. Les amateurs du sicle se trompent aussi en n'aimant que les -choses visibles. - -Un homme en vaut-il mieux parce qu'un autre homme l'estime grand? - -Quand un homme en exalte un autre, c'est un menteur qui trompe un -menteur, un superbe qui trompe un superbe, un aveugle qui trompe un -aveugle, un malade qui trompe un malade; et les vaines louanges sont une -vritable confusion pour qui les reoit. - -Car, _ce qu'un homme est vos yeux, Seigneur, voil ce qu'il est -rellement, et rien de plus_, dit l'humble saint Franois. - - -RFLEXION. - - Dieu permet que notre me soit quelquefois comme abandonne. Nulle - consolation, nulle lumire; mais de toutes parts des preuves, des - tentations, des angoisses: elle se croit prs d'y succomber, parce - qu'elle n'aperoit plus le bras qui la soutient. Que faire alors? dire - comme Jsus: _Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-vous dlaiss[478]?_ - Et cependant demeurer en paix dans la souffrance et dans les tnbres, - _jusqu' ce que les ombres dclinent, et que nous dcouvrions l'aurore - d'un nouveau jour_[479]. Cet tat est le plus grand exercice de la - foi; c'est pour l'me une image de la mort: froide, sans mouvement, - insensible en apparence, elle est comme enferme dans le tombeau, et - ne tient plus, ce semble, Dieu, que par une volont languissante, - dont elle n'est pas mme assure. Oh! que de grces sont le fruit de - cette agonie supporte avec une humble patience! Oh! que de pchs - rachtent cette passion! C'est alors que s'achve en nous le mystre - du salut, et que nous devenons vritablement conformes Jsus, pourvu - qu'avec une foi sincre, inbranlable, nous ne cessions de rpter - cette parole de rsignation: _Oui, mon Pre_, j'accepte ce calice: je - veux l'puiser jusqu' la lie; _oui, mon Pre, parce qu'il vous a plu - ainsi_[480]. - - [478] Matth., XXVI, 46. - - [479] Cant., II, 17. - - [480] Matth., XI, 26. - - - - -CHAPITRE LI. - -Qu'il faut s'occuper d'oeuvres extrieures, quand l'me est fatigue des -exercices spirituels. - - -1. J.-C. Mon fils, vous ne sauriez sentir toujours une gale ardeur pour -la vertu, ni vous maintenir sans relche dans un haut degr de -contemplation; mais il est ncessaire, cause du vice de votre origine, -que vous descendiez quelquefois des choses plus basses, et que vous -portiez, malgr vous, et avec ennui, le poids de cette vie corruptible. - -Tant que vous tranerez ce corps mortel, vous prouverez un grand dgot -et l'angoisse du coeur. - -Il vous faut donc, pendant que vous vivez dans la chair, gmir souvent -du poids de la chair, et de ne pouvoir continuellement vous appliquer -aux exercices spirituels et la contemplation divine. - -2. Cherchez alors un refuge dans d'humbles occupations extrieures, et -dans les bonnes oeuvres une distraction qui vous ranime: attendez avec -une ferme confiance mon retour et la grce d'en haut: souffrez -patiemment votre exil et la scheresse du coeur, jusqu' ce que je vous -visite de nouveau, et que je vous dlivre de toutes vos peines. - -Car je reviendrai, et je vous ferai oublier vos travaux et jouir du -repos intrieur. - -J'ouvrirai devant vous le champ des critures, afin que votre coeur, -dilat d'amour, vous presse de _courir dans la voie de mes -commandements_[481]. - - [481] Ps. CXVIII, 32. - -Et vous direz: _Les souffrances du temps n'ont point de proportion avec -la gloire future qui sera manifeste en nous_[482]. - - [482] Rom., VIII, 18. - - -RFLEXION. - - Contempler Dieu et l'aimer, le contempler et l'aimer encore, voil le - Ciel. L'me, ici-bas, en reoit quelquefois un avant-got. Alors, - leve au-dessus d'elle-mme, elle se sent pleine d'ardeur, et enivre - de joie, elle dit: _Il nous est bon d'tre ici_[483]. Mais bientt - arrive le temps de l'preuve: il faut descendre du Thabor, et marcher - dans le chemin de la Croix. Heureuse l'me qui, dans le dnment, - l'aridit, les souffrances, demeure en paix, sans se laisser abattre - et sans murmurer; qui, fidle Jsus mourant, le suit avec courage - sur le Calvaire; et aprs avoir partag le banquet de l'poux, prte - partager son sacrifice, s'crie comme un des Aptres: _Et nous aussi, - allons et mourons avec lui[484]!_ - - [483] Matth., XVII, 4. - - [484] Joann., XI, 16. - - - - -CHAPITRE LII. - -Que l'homme ne doit pas se juger digne des consolations de Dieu, mais -plutt de chtiment. - - -1. LE F. Seigneur, je ne mrite point que vous me consoliez et que vous -me visitiez: ainsi vous en usez avec moi justement, lorsque vous me -laissez pauvre et dsol. - -Quand je rpandrais des larmes aussi abondantes que les eaux de la mer, -je ne serais pas encore digne de vos consolations. - -Rien ne m'est d que la verge et le chtiment: car je vous ai souvent et -grivement offens, et mes pchs sont sans nombre. - -Aprs donc un strict examen, je me reconnais indigne de la moindre -consolation. - -Mais vous, Dieu tendre et clment, qui ne voulez pas que vos ouvrages -prissent, _pour faire clater les richesses de votre bont en des vases -de misricorde_[485], vous daignez consoler votre serviteur au del de -ce qu'il mrite, et d'une manire toute divine. - - [485] Rom., IX, 23. - -Car vos consolations ne sont point comme les vaines paroles des hommes. - -2. Qu'ai-je fait, Seigneur, pour que vous me donniez quelque part aux -consolations du ciel? - -Je n'ai point de souvenir d'avoir fait aucun bien; toujours, au -contraire, je fus enclin au vice, et lent me corriger. - -Il est vrai, et je ne puis le nier. Si je parlais autrement, vous vous -lveriez contre moi, et personne ne me dfendrait. - -Qu'ai-je mrit pour mes pchs, sinon l'enfer et le feu ternel? - -Je le confesse avec sincrit: je ne suis digne que d'opprobre et de -mpris; je ne mrite point d'tre compt parmi ceux qui sont vous. Et -bien qu'il me soit douloureux de l'entendre, je rendrai cependant contre -moi tmoignage la vrit, je m'accuserai de mes pchs, afin d'obtenir -de vous plus aisment misricorde. - -3. Que dirai-je, couvert, comme je le suis, de crimes et de confusion? - -Je n'ai dire que ce seul mot: J'ai pch, Seigneur, j'ai pch; ayez -piti de moi, pardonnez-moi. - -_Laissez-moi un peu de temps pour exhaler ma douleur, avant que je m'en -aille dans la terre de tnbres, que recouvre l'ombre de la mort_[486]. - - [486] Job, X, 20, 22. - -Que demandez-vous d'un coupable, d'un misrable pcheur, sinon que, -bris de regrets, il s'humilie de ses pchs. - -La vritable contrition et l'humiliation du coeur produisent l'esprance -du pardon, calment la conscience trouble, rparent la grce perdue, -protgent l'homme contre la colre venir; et c'est alors que se -rapprochent et se rconcilient dans un saint baiser Dieu et l'me -pnitente. - -4. Cette humble douleur des pchs vous est, Seigneur, un sacrifice -agrable, et d'une odeur plus douce que celle de l'encens. - -C'est le dlicieux parfum que vous permtes de rpandre sur vos pieds -sacrs: car _vous ne mprisez jamais un coeur contrit et humili_[487]. - - [487] Ps. L, 18. - -L est le refuge contre la fureur de l'ennemi: l, le pcheur se -rforme, et se purifie de toutes les souillures qu'il a contractes au -dehors. - - -RFLEXION. - - Quelques-uns recherchent avec un dsir trop vif les consolations - clestes, et tombent dans l'abattement ds qu'elles leur sont - retires. Mais ces grces que Dieu accorde ou comme rcompense aux - mes embrases d'une ferveur extraordinaire, ou comme encouragement - aux mes faibles encore, pour les aider supporter le travail de la - pnitence, ne nous sont dues en nulle manire; et toujours faut-il - _porter en nous la mortification de Jsus, afin que la vie de Jsus - soit manifeste en nous_[488]. O serait l'expiation, o serait le - mrite, si nous n'avions rien souffrir, ou si nos souffrances - taient constamment accompagnes de l'onction divine qui les tempre, - et quelquefois les rend plus douces qu'aucune joie du monde? De - nous-mmes, pcheurs misrables, nous n'avons droit qu'au supplice, et - nous voudrions jouir ici-bas de la flicit du ciel! Bnissons plutt - la misricorde qui, aux peines de l'ternit, substitue les preuves - du temps: bnissons le Dieu qui ne se souvient, durant notre passage - sur la terre, de ce que nous devons sa justice que pour l'oublier - ensuite jamais; et disons-lui du fond de notre _coeur bris_[489], - mais plein de reconnaissance et d'amour: _Lavez-moi de plus en plus de - mon iniquit, Seigneur, et purifiez-moi de mon pch; car je connais - mon iniquit, et mon pch est devant moi toujours_[490]. - - [488] II. Cor., IV, 11. - - [489] Ps. L, 29. - - [490] _Ibid._, 4, 5. - - - - -CHAPITRE LIII. - -Que la grce ne fructifie point en ceux qui ont le got des choses de la -terre. - - -1. J.-C. Mon fils, ma grce est d'un grand prix, et ne souffre point le -mlange des choses trangres, ni des consolations terrestres. - -Il faut donc carter tout ce qui l'arrte, si vous dsirez qu'elle se -rpande en vous. - -Retirez-vous dans un lieu secret, aimez demeurer seul avec vous-mme, -ne recherchez l'entretien de personne; mais que votre me s'panche -devant Dieu en de ferventes prires, afin de conserver la componction et -une conscience pure. - -Comptez pour rien le monde entier, et occupez-vous de Dieu plutt que -des oeuvres extrieures. - -Car votre coeur ne peut tre moi, et se plaire en mme temps ce qui -passe. - -Il vous faut sparer de vos connaissances et de vos amis, et sevrer -votre me de toute consolation terrestre. - -C'est ainsi que le bienheureux aptre Pierre conjure les fidles -serviteurs de Jsus-Christ _de se regarder ici-bas comme des trangers -et des voyageurs_[491]. - - [491] I. Pet., II, 11. - -2. Oh! qu'il aura de confiance l'heure de la mort, celui que nul -attachement ne retient en ce monde! - -Mais un esprit encore malade ne comprend pas que le coeur soit ainsi -dtach de tout; et l'homme charnel ne connat point la libert de -l'homme intrieur. - -Cependant, pour devenir vraiment spirituel, il faut renoncer ses -proches comme aux trangers, et ne se garder de personne plus que de -soi-mme. - -Si vous parvenez vous vaincre parfaitement, vous vaincrez aisment -tout le reste. - -La parfaite victoire est de triompher de soi-mme. - -Celui qui se tient tellement assujetti, que les sens obissent la -raison, et que la raison m'obisse en tout, est vritablement vainqueur -de lui-mme et matre du monde. - -3. Si vous aspirez cette haute perfection, il faut commencer avec -courage et mettre la cogne la racine de l'arbre, pour arracher et -dtruire jusqu'aux restes les plus cachs de l'amour drgl de -vous-mme, et des biens sensibles et particuliers. - -De cet amour dsordonn que l'homme a pour lui-mme, naissent presque -tous les vices qu'il doit vaincre et draciner; et ds qu'il l'aura -subjugu pleinement, il jouira d'un calme et d'une paix profonde. - -Mais parce qu'il en est peu qui travaillent mourir parfaitement -eux-mmes, et sortir d'eux-mmes entirement, ils demeurent comme -ensevelis dans la chair, et ne peuvent s'lever au-dessus des sens. - -Celui qui veut me suivre librement, il faut qu'il mortifie toutes ses -inclinations drgles, et qu'il ne s'attache nulle crature par un -amour de convoitise ou particulier. - - -RFLEXION. - - _Personne ne peut servir deux matres; car, ou il aimera l'un et nuira - l'autre, ou il s'attachera l'un et mprisera l'autre_[492]. Nous ne - pouvons servir la fois Dieu et le monde; et la vie chrtienne - consiste s'affranchir de l'esclavage du monde, pour acqurir _la - libert des enfants de Dieu_[493]. Or la grce combat en nous pour - Dieu, contre la nature corrompue qui nous entrane vers le monde; - combat terrible dont on ne sort vainqueur qu'en mourant soi-mme, - ses penses, ses gots, ses inclinations; et la mort corporelle, - qui termine jamais la lutte entre la nature et la grce, est la - dernire victoire du chrtien; ce qui faisait dire l'aptre saint - Paul: _Qui me dlivrera de ce corps de mort[494]?_ Exerons-nous donc - mourir: dtachons-nous entirement de la terre et de toutes les - choses de la terre; dtachons-nous de nous-mmes, et ne vivons plus - qu'en Dieu, de Dieu et pour Dieu. Que cherchons-nous hors de lui? Ne - renferme-t-il pas tous les biens? Oh! quand nous sera-t-il donn de le - voir _tel qu'il est, face face_[495]; _de nous rassasier de son - tre, de sa gloire_[496] infinie! Htons de nos voeux ce moment qui - fixera notre ternit; et dans l'ardeur de nos dsirs, crions-nous - avec le Prophte: _Malheur moi, parce que mon exil a t prolong! - J'ai habit avec les peuples de Cdar, et mon me a t trangre au - milieu d'eux_[497]. - - [492] Matth., VI, 24. - - [493] Rom., VIII, 21. - - [494] Rom., VII, 24. - - [495] I. Joann., III, 2. - - [496] Ps. XVI, 15. - - [497] Ps. CXIX, 5. - - - - -CHAPITRE LIV. - -Des divers mouvements de la nature et de la grce. - - -1. J.-C. Mon fils, observez avec soin les mouvements de la nature et de -la grce: car, quoique trs-opposes, la diffrence en est quelquefois -si imperceptible, qu' peine un homme clair dans la vie spirituelle en -peut faire le discernement. - -Tous les hommes ont le dsir du bien et tendent quelque bien dans -leurs paroles et dans leurs actions; c'est pourquoi plusieurs sont -tromps dans cette apparence de bien. - -2. La nature est pleine d'artifice: elle attire, elle surprend, elle -sduit, et n'a jamais d'autre fin qu'elle-mme. - -La grce, au contraire, agit avec simplicit, et fuit jusqu' la moindre -apparence du mal: elle ne tend point de piges, et fait tout pour Dieu -seul, en qui elle se repose comme en sa fin. - -3. La nature rpugne mourir; elle ne veut point tre contrainte, ni -vaincue, ni assujettie, ni se soumettre volontairement. - -Mais la grce porte se mortifier soi-mme, rsiste la sensualit, -recherche l'assujettissement, aspire tre vaincue, et ne veut pas -jouir de sa libert; elle aime la dpendance, ne dsire dominer -personne, mais vivre, demeurer, tre toujours sous la main de Dieu; et -cause de Dieu, _elle est prte s'abaisser humblement au-dessous de -toute crature_[498]. - - [498] Pet., II, 13. - -4. La nature travaille pour son intrt propre, et calcule le gain -qu'elle peut retirer des autres. - -La grce ne considre point ce qui lui est avantageux, mais ce qui peut -tre utile plusieurs. - -5. La nature aime recevoir les respects et les honneurs. - -La grce renvoie fidlement Dieu tout honneur et toute gloire. - -6. La nature craint la confusion et le mpris. - -La grce _se rjouit de souffrir des outrages pour le nom de -Jsus_[499]. - - [499] Act., V, 41. - -7. La nature aime l'oisivet et le repos du corps. - -La grce ne peut tre oisive, et se fait une joie du travail. - -8. La nature recherche les choses curieuses et belles, et repousse avec -horreur ce qui est vil et grossier. - -La grce se complat dans les choses simples et humbles; elle ne -ddaigne point ce qu'il y a de plus rude, et ne refuse point de se vtir -de haillons. - -9. La nature convoite les biens du temps, elle se rjouit d'un gain -terrestre, s'afflige d'une perte, et s'irrite d'une lgre injure. - -La grce n'aspire qu'aux biens ternels, et ne s'attache point ceux du -temps; elle ne se trouble d'aucune perte, et ne s'offense point des -paroles les plus dures, parce qu'elle a mis son trsor et sa joie dans -le Ciel, o rien ne prit. - -10. La nature est avide, et reoit plus volontiers qu'elle ne donne; -elle aime ce qui lui est propre et particulier. - -La grce est gnreuse et ne se rserve rien; elle vite la singularit, -se contente de peu, et croit qu'_il est plus heureux de donner que de -recevoir_[500]. - - [500] _Ibid._, XX, 35. - -11. La nature se porte vers les cratures, la chair, les vanits; elle -est bien aise de se produire. - -La grce lve Dieu, excite la vertu, renonce aux cratures, fuit le -monde, hait les dsirs de la chair, ne se rpand point au dehors, et -rougit de paratre devant les hommes. - -12. La nature se rjouit d'avoir quelque consolation extrieure qui -flatte le penchant des sens. - -La grce ne cherche de consolation qu'en Dieu seul; et s'levant -au-dessus des choses visibles, elle met toutes ses dlices dans le -souverain bien. - -13. La nature agit en tout pour le gain et pour son avantage propre; -elle ne sait rien faire gratuitement; mais, en obligeant, elle espre -obtenir quelque chose d'gal ou de meilleur, des faveurs ou des -louanges; et elle veut qu'on tienne pour beaucoup tout ce qu'elle fait -et tout ce qu'elle donne. - -La grce ne veut rien de temporel; elle ne demande d'autre rcompense -que Dieu seul, et ne dsire des choses du temps, mme les plus -ncessaires, que ce qui peut lui servir pour acqurir les biens -ternels. - -14. La nature se complat dans le grand nombre des amis et des parents; -elle se glorifie d'un rang lev, d'une naissance illustre; elle sourit -aux puissants, flatte les riches, et applaudit ceux qui lui -ressemblent. - -La grce aime ses ennemis mme, et ne s'enorgueillit point du nombre de -ses amis; elle ne compte pour rien la noblesse et les anctres, moins -qu'ils ne se soient distingus par la vertu; elle favorise plutt le -pauvre que le riche, compatit plus l'innocent qu'au puissant, -recherche l'homme vrai, fuit le menteur, et ne cesse d'exhorter les bons -_ s'efforcer de devenir meilleurs_[501], afin de se rendre semblables -au Fils de Dieu par leurs vertus. - - [501] I. Cor., XII, 31. - -15. La nature est prompte se plaindre de ce qui lui manque et de ce -qui la blesse. - -La grce supporte avec constance la pauvret. - -16. La nature rapporte tout elle-mme, combat, discute pour ses -intrts. - -La grce ramne tout Dieu, de qui tout mane originairement; elle ne -s'attribue aucun bien, ne prsume point d'elle-mme avec arrogance, ne -conteste point, ne prfre point son opinion celle des autres; mais -elle soumet toutes ses penses et tous ses sentiments l'ternelle -sagesse et au jugement de Dieu. - -17. La nature est curieuse de secrets et de nouvelles; elle veut se -montrer et voir, et examiner par elle-mme; elle dsire d'tre connue, -et de s'attirer la louange et l'admiration. - -La grce ne s'occupe point de nouvelles, ni de ce qui nourrit la -curiosit; car tout cela n'est que la renaissance d'une vieille -corruption, puisqu'il n'y a rien de nouveau ni de stable sur la terre. - -Elle enseigne rprimer les sens, fuir la vaine complaisance et -l'ostentation, cacher humblement ce qui mrite l'loge et l'estime, et - ne chercher en ce qu'on sait, et en toute chose, que ce qui peut tre -utile, en l'honneur et la gloire de Dieu. - -Elle ne veut point qu'on loue ni elle, ni ses oeuvres; mais elle dsire -que Dieu soit bni dans les dons qu'il rpand par pur amour. - -18. Cette grce est une lumire surnaturelle, un don spcial de Dieu; -c'est proprement le sceau des lus, et le gage du salut ternel. De la -terre o son coeur gisait, elle lve l'homme jusqu' l'amour des biens -clestes, et le rend spirituel, de charnel qu'il tait. - -Plus donc la nature est affaiblie et vaincue, plus la grce se rpand -avec abondance; et chaque jour, par de nouvelles effusions, elle -rtablit, au dedans de l'homme, l'image de Dieu. - - -RFLEXION. - - Selon la doctrine du grand Aptre, nous avons en nous deux lois - opposes: la loi de la chair, qui nous asservit au pch, et la loi de - l'esprit qui nous retient dans l'ordre par le secours de la grce que - Jsus-Christ nous a mrit[502]. Partags entre ces deux lois, _entre - la chair et l'esprit qui se combattent sans cesse_[503], nous sommes - ici-bas comme flottant entre le bien et le mal, entre Dieu et le - monde, pousss vers l'un par la nature, attirs vers l'autre par la - grce, qui n'abandonne jamais entirement les plus grands pcheurs, de - mme que la concupiscence ne cesse jamais de solliciter les plus - justes. Que deviendra notre pauvre me en proie cette guerre - terrible? Combien doit-elle trembler sur les suites d'un tel combat? - _Et c'est pourquoi_, dit saint Paul, _toute crature gmit, et est - comme dans le travail de l'enfantement: et nous aussi qui avons reu - les prmices de l'Esprit, nous gmissons en nous-mme, attendant - l'adoption des enfants de Dieu, et la dlivrance de notre corps_[504]. - Heureux jour! et quand viendra-t-il? Quand goterons-nous la - dlicieuse paix d'un amour immuable? _J'ai dsir la dissolution de ma - chair, afin d'tre avec Jsus-Christ_[505]. _Mon me a soif du Dieu - fort, du Dieu vivant. Quand viendrai-je et paratrai-je devant la face - de mon Dieu_[506]? - - [502] Rom., VII, 23. - - [503] Galat., V, 17. - - [504] Rom., VIII, 22, 23. - - [505] Philipp., I, 23. - - [506] Ps. XLI, 3. - - - - -CHAPITRE LV. - -De la corruption de la nature, et de l'efficace de la grce divine. - - -1. LE F. Seigneur, mon Dieu, qui m'avez cr votre image et votre -ressemblance, accordez-moi cette grce dont vous m'avez montr -l'excellence et la ncessit pour le salut, afin que je puisse vaincre -ma nature corrompue, qui m'entrane au pch et dans la perdition. - -_Car je sens en ma chair la loi du pch qui contredit la loi de -l'esprit_[507], et m'asservit aux sens pour que je leur obisse en -esclave; et je ne puis rsister aux passions qu'ils soulvent en moi, si -vous ne me secourez, en ranimant mon coeur par l'effusion de votre -sainte grce. - - [507] Rom., VII, 23. - -2. Votre grce, et une grce trs-grande, est ncessaire pour vaincre la -nature _incline au mal ds l'enfance_[508]. - - [508] Gen., VIII, 21. - -Car, dchue en Adam, notre premier pre, et dprave par le pch, cette -tache passe dans tous les hommes, et ils en portent la peine: de sorte -que cette nature mme, que vous avez cre dans la justice et dans la -droiture, ne rappelle plus que la faiblesse et le drglement d'une -nature corrompue, parce que, laisse elle-mme, son propre mouvement -ne la porte qu'au mal, et vers les choses de la terre. - -Le peu de force qui lui est rest est comme une tincelle cache sous la -cendre. - -C'est cette raison naturelle, environne de profondes tnbres, sachant -encore discerner le bien du mal, le vrai du faux, mais impuissante -accomplir ce qu'elle approuve, parce qu'elle ne possde pas la pleine -lumire de la vrit, et que toutes ses affections sont malades. - -3. De l vient, mon Dieu, que _je me rjouis en votre loi, selon l'homme -intrieur_[509], reconnaissant _que vos commandements sont bons, justes -et saints_[510], qui condamnent tout mal, et dtournent du pch. - - [509] Rom., VII, 22. - - [510] _Ibid._, 12. - -Mais, _dans ma chair je suis asservi la loi du pch_[511], obissant -plutt aux sens qu' la raison, _voulant le bien, et n'ayant pas la -force de l'accomplir_[512]. - - [511] _Ibid._, 25. - - [512] _Ibid._, 18. - -C'est pourquoi souvent je forme de bonnes rsolutions; mais la grce, -qui aide ma faiblesse, venant manquer, au moindre obstacle je cde et -je tombe. - -Je dcouvre la voie de la perfection, et je vois clairement ce que je -dois faire; - -Mais, accabl du poids de ma corruption, je ne m'lve rien de -parfait. - -4. que votre grce, Seigneur, m'est ncessaire, pour commencer le -bien, le continuer et l'achever! - -Car sans elle je ne puis rien faire; mais _je puis tout en vous, quand -votre grce me fortifie_[513]. - - [513] Philipp., IV, 13. - - grce vraiment cleste, sans laquelle nos mrites et les dons de la -nature ne sont rien! - -Les arts, les richesses, la beaut, la force, le gnie, l'loquence, -n'ont aucun prix, Seigneur, vos yeux, sans la grce. - -Car les dons de la nature sont communs aux bons et aux mchants; mais la -grce ou la charit est le don propre des lus; elle est le signe auquel -on reconnat ceux qui sont dignes de la vie ternelle. - -Telle est l'excellence de cette grce, que ni le don de prophtie, ni le -pouvoir d'oprer des miracles, ni la plus haute contemplation, ne -doivent tre compts pour quelque chose sans elle. - -Ni la foi mme, ni l'esprance, ni les autres vertus, ne vous sont -agrables sans la grce et la charit. - -5. bienheureuse grce, qui rendez riche en vertus le pauvre d'esprit, -et celui qui possde de grands biens humble de coeur! - -Venez, descendez en moi, remplissez-moi ds le matin de votre -consolation, de peur que mon me puise, aride, ne vienne dfaillir -de lassitude. - -J'implore votre grce, mon Dieu, je ne veux qu'elle: _car votre grce -me suffit_[514], quand je n'obtiendrais rien de ce que la nature dsire. - - [514] II. Cor., XII, 9. - -Si je suis prouv, tourment par beaucoup de tribulations, je ne -craindrai aucuns maux, tandis que votre grce sera avec moi. - -Elle est ma force, mon conseil, mon appui. - -Elle est plus puissante que tous les ennemis, et plus sage que tous les -sages. - -6. Elle enseigne la vrit, et rgle la conduite; elle est la lumire du -coeur, et sa consolation dans l'angoisse; elle chasse la tristesse, -dissipe la crainte, nourrit la pit, produit les larmes. - -Que suis-je sans elle qu'un bois sec, un rameau strile qui n'est bon -qu' jeter? - -_Que votre grce, Seigneur, me prvienne donc et m'accompagne toujours; -qu'elle me rende sans cesse attentif la pratique des bonnes oeuvres: -je vous en conjure par Jsus-Christ, votre Fils. Ainsi soit-il_[515]. - - [515] Orais. du 16e Dim. apr. la Pent. - - -RFLEXION. - - La religion fait deux choses: elle nous montre notre misre et nous en - indique le remde; elle nous enseigne que, de nous-mmes, nous ne - pouvons rien pour le salut, mais que _nous pouvons tout en celui qui - nous fortifie_[516]. Et de l ce mot de saint Paul, mot aussi profond - de vrit qu'tonnant pour l'orgueil humain: _Je me glorifierai dans - mes infirmits, afin que la vertu de Jsus-Christ habite en moi_[517]. - _Oui_, continue-t-il, _je me complais dans mes infirmits: car lorsque - je me sens infirme, c'est alors que je suis fort_[518]. Entrons dans - la pense de l'Aptre, et apprenons nous humilier, sentir notre - faiblesse, jouir, pour ainsi parler, de notre nant. Lorsque nous - aurons rejet toute vaine opinion de nous-mmes, et creus, en quelque - sorte, un lit profond dans notre me, des flots de grce s'y - prcipiteront. La paix nous sera donne sur la terre: car qui peut - troubler la paix de celui qui, s'oubliant et se mprisant soi-mme, ne - s'appuie que sur Dieu et ne tient plus qu' Dieu? _Paix aux hommes de - bonne volont_[519], aux humbles de coeur, paix ici-bas: et dans le - Ciel _le rassasiement de la gloire_[520]. - - [516] Philipp., IV, 13. - - [517] Cor., XII, 9. - - [518] _Ibid._, 10. - - [519] Luc., II, 14. - - [520] Ps. XVI, 15. - - - - -CHAPITRE LVI. - -Que nous devons nous renoncer nous-mmes, et imiter Jsus-Christ en -portant la Croix. - - -1. J.-C. Mon Fils, vous n'entrerez en moi, qu'autant que vous sortirez -de vous-mme. - -Comme on possde en soi la paix, lorsqu'on ne dsire rien au dehors, -ainsi le renoncement intrieur unit Dieu. - -Je veux que vous appreniez vous renoncer assez parfaitement, pour vous -soumettre ma volont sans rpugnance et sans murmure. - -Suivez-moi: _Je suis la voie, la vrit et la vie_[521]. Sans la voie on -n'avance pas; sans la vrit on ne connat pas; on ne vit point sans la -vie. Je suis la voie que vous devez suivre, la vrit que vous devez -croire, la vie que vous devez esprer. - - [521] Joann., XIV, 6. - -Je suis la voie qui n'gare point, la vrit qui ne trompe point, la vie -qui ne finira jamais. - -Je suis la voie droite, la vrit souveraine, la vritable vie, la vie -bienheureuse, la vie incre. - -Si vous demeurez dans ma voie, _vous connatrez la vrit, et la vrit -vous dlivrera, et vous obtiendrez la vie ternelle_[522]. - - [522] Joann., VIII, 32. - -2. _Si vous voulez parvenir la vie, gardez mes commandements_[523]. - - [523] Matth., XIX, 17. - -Si vous voulez connatre la vrit, croyez-moi. - -_Si vous voulez tre parfait, vendez tout_[524]. - - [524] _Ibid._, 21. - -_Si vous voulez tre mon disciple, renoncez-vous vous-mme_[525]. - - [525] Luc., IX 23. - -Si vous voulez possder la vie bienheureuse, mprisez la vie prsente. - -Si vous voulez tre lev dans le Ciel, humiliez-vous sur la terre. - -Si vous voulez rgner avec moi, portez la croix avec moi. - -Car les serviteurs de la Croix trouvent seuls la voie de la batitude et -de la vraie lumire. - -3. LE F. Seigneur Jsus, puisque votre vie tait pauvre et que le monde -la mprisait, donnez-moi de vous imiter, et d'tre aussi mpris du -monde. - -_Car le serviteur n'est pas plus grand que celui qu'il sert, ni le -disciple au-dessus de son matre_[526]. - - [526] Matth., X, 24. - -Que votre serviteur travaille se former sur votre vie, parce que l -est mon salut, et la vraie saintet. - -Tout ce que je lis, tout ce que j'entends, hors cette vie cleste, ne me -console ni ne me satisfait pleinement. - -4. Mon Fils, _puisque vous avez lu et que vous savez toutes ces choses, -vous serez heureux si vous les pratiquez_[527]. - - [527] Joann., XIII, 17. - -_Celui-l m'aime, qui connat et qui observe mes commandements; et je -l'aimerai aussi, et je me manifesterai lui, et je le ferai asseoir -avec moi dans le royaume de mon Pre_[528]. - - [528] _Ibid._, XIV, 24. - -5. LE F. Seigneur Jsus, qu'il soit fait selon votre parole et votre -promesse: rendez-moi digne de ce bonheur immense. - -J'ai reu, j'ai reu de votre main la croix: je la porterai, oui, je la -porterai, comme vous l'avez voulu, jusqu' la mort. - -Certes, la vie d'un bon religieux est une croix, mais une croix qui -conduit la gloire. - -J'ai commenc; il n'est plus permis de retourner en arrire; il n'y a -plus s'arrter. - -6. Allons, mes frres, marchons ensemble: Jsus sera avec nous. - -Pour Jsus, nous nous sommes chargs de la croix; continuons, pour -Jsus, de porter la croix. - -Il sera notre soutien, celui qui est notre chef et notre guide. - -Voil que notre roi marche devant nous; il combattra pour nous. - -Suivons avec courage; que rien ne nous effraie; soyons prts _ mourir -gnreusement dans cette guerre, et ne souillons pas notre gloire_[529] -de la honte d'avoir fui la Croix. - - [529] I. Mac., IX, 10. - - -RFLEXION. - - Il est trange qu'il faille sans cesse redire l'homme: Pense ton - me, le temps fuit, l'ternit s'avance; demain, aujourd'hui peut-tre - elle aura commenc pour toi: et cependant il est vrai que si on ne lui - rappelait chaque heure cette vrit formidable, chaque heure il - l'oublierait, tant est puissante la fascination du monde sur cette - crature tombe. Rveillez-vous, sortez de votre sommeil, ne diffrez - pas davantage le soin de _l'unique chose ncessaire_[530]; htez-vous - de mettre la main l'oeuvre, tandis que le jour luit encore; _la nuit - vient pendant laquelle nul ne peut travailler_[531]: nuit terrible, - nuit dsolante, nuit qui n'aura jamais d'aurore! Quittez, quittez, - sans perdre un instant, _la voie large de la perdition_, pour entrer - dans _la voie troite de la vie_[532]. Combattez avec courage les - penchants de la nature inclins au mal, renoncez vous-mme, et - portez votre croix: dans la Croix est la force, l'esprance, le salut. - Heureux donc celui qui _ne sait_, comme l'Aptre, _que Jsus, et Jsus - crucifi_[533]! il entendra, au dernier jour, cette parole d'ternelle - joie: _Venez, le bni de mon Pre, possder le royaume qui vous a t - prpar ds le commencement du monde_[534]. Mais les contempteurs de - la Croix, mais ceux qui se seront recherchs eux-mmes, un autre sort - leur est rserv: _Dieu a dans sa main une coupe pleine d'un vin - mlang; il la verse ici et l, et la lie ne s'puise point, et tous - les pcheurs de la terre boiront_[535]! - - [530] Luc., X. 42. - - [531] Joann., IX, 4. - - [532] Matth., VII, 13, 14. - - [533] I. Cor., II, 2. - - [534] Matth., XXV, 34. - - [535] Ps. LXXIV, 9. - - - - -CHAPITRE LVII. - -Qu'on ne doit point se laisser trop abattre quand on tombe en quelques -fautes. - - -1. J.-C. Mon fils, la patience et l'humilit dans les traverses me -plaisent plus que beaucoup de joie et de ferveur dans la prosprit. - -Pourquoi vous attrister d'une faute lgre qu'on vous attribue? ft-elle -plus grave, vous ne devriez pas en tre mu. - -Laissez donc tomber cela; ce n'est pas une chose nouvelle, ni la -premire fois que vous l'prouvez, et ce ne sera pas la dernire, si -vous vivez longtemps. - -Vous avez assez de courage quand il ne vous arrive rien de fcheux. - -Vous savez mme conseiller bien les autres, et les fortifier par vos -discours; mais lorsqu'il vous survient une affliction soudaine, vous -manquez de conseil et de force. - -Considrez votre extrme fragilit, dont vous avez si souvent -l'exprience dans les plus petites choses: et toutefois Dieu le permet -ainsi pour votre salut. - -2. Bannissez de votre coeur, autant que vous le pourrez, tout ce qui le -trouble. A-t-il t surpris, qu'il ne se laisse point abattre, mais -qu'il se dgage sur-le-champ. - -Souffrez au moins avec patience, si vous ne pouvez souffrir avec joie. - -Lorsque vous tes pein d'entendre certaines choses, et que vous en -ressentez de l'indignation, modrez-vous, et veillez ce qu'il ne vous -chappe aucune parole trop vive qui scandalise les faibles. - -Votre motion s'apaisera bientt, et le retour de la grce adoucira -l'amertume intrieure. - -Je suis toujours vivant, dit le Seigneur, pour vous secourir et vous -consoler plus que jamais, si vous mettez en moi votre confiance, et si -vous m'invoquez avec ferveur. - -3. Armez-vous de constance, et prparez-vous souffrir encore -davantage. - -Tout n'est pas perdu, quoique souvent vous soyez dans le trouble et -tent violemment. - -Vous tes un homme, et non pas un Dieu; vous tes de chair, et non pas -un ange. - -Comment pourriez-vous toujours vous maintenir dans un gal degr de -vertu, lorsque cette persvrance a manqu l'Ange dans le ciel, et au -premier homme dans le paradis? - -C'est moi qui soutiens et qui dlivre ceux qui gmissent; et j'lve -jusqu' moi ceux qui reconnaissent leur infirmit. - -4. LE F. Seigneur, que votre parole soit bnie; _elle m'est plus douce -que le miel ma bouche_[536]. - - [536] Ps. XVIII, 10. - -Que ferais-je au milieu de tant d'afflictions et d'angoisses, si vous ne -me ranimiez par vos saintes paroles? - -Pourvu que je parvienne enfin au port du salut, que m'importe que je -souffre, et combien je souffre? - -Accordez-moi une bonne fin; donnez-moi de passer heureusement de ce -monde l'autre. - -Souvenez-vous de moi, mon Dieu, et conduisez-moi dans la voie droite -vers votre royaume. Ainsi soit-il. - - -RFLEXION. - - Ce n'est pas assez d'tre patient avec les autres, il faut l'tre - encore avec soi-mme. Ce je ne sais quoi d'aigre et de violent que - nous ressentons en nous aprs avoir commis quelque faute, vient plutt - de l'orgueil humili, que d'un repentir selon Dieu. L'homme humble qui - connat sa faiblesse, ne s'tonne point de tomber; il gmit de sa - chute, en implore le pardon, et se relve tranquille, pour combattre - avec un courage nouveau. Faillir est un mal sans doute, mais se - troubler n'est qu'un mal de plus. Le trouble a sa source ou dans une - sorte de dpit superbe de se trouver si infirme, ou dans le dfaut de - confiance en celui _qui gurit notre infirmit_[537]. _Veillez et - priez, afin que vous n'entriez point en tentation_[538]; et si, la - tentation survenant, il arrive que vous succombiez, veillez et priez - davantage encore: mais ne perdez jamais la paix, car notre Dieu est - _le Dieu de la paix[539], et c'est dans la paix qu'il nous - appelle_[540]. _Que la grce, la misricorde et la paix de Dieu le - Pre et de notre Seigneur Jsus-Christ_[541], soient donc avec nous - toujours et qu'elles nous conduisent, travers les preuves du temps, - aux joies de l'ternit. - - [537] Ps. CII, 3. - - [538] Matth., XXVI, 41. - - [539] I. Cor., XIV, 33. - - [540] _Ibid._, VII, 15. - - [541] I. Tim., I, 2. - - - - -CHAPITRE LVIII. - -Qu'il ne faut pas chercher pntrer ce qui est au-dessus de nous, ni -sonder les secrets jugements de Dieu. - - -1. J.-C. Mon fils, gardez-vous de disputer sur des sujets trop hauts, et -sur les jugements cachs de Dieu: pourquoi l'un est abandonn, tandis -qu'un autre reoit des grces si abondantes; pourquoi celui-ci n'a que -des afflictions, et celui-l est combl d'honneurs. - -Tout cela est au-dessus de l'esprit de l'homme, et nulle raison ne peut, -quels que soient ses efforts, pntrer les jugements divins. - -Quand donc l'ennemi vous suggre de semblables penses, ou que les -hommes vous pressent de questions curieuses, rpondez par ces paroles du -Prophte: _Vous tes juste, Seigneur, et vos jugements sont -droits_[542]. - - [542] Ps. CXIII, 137. - -2. Et encore: _Les jugements du Seigneur sont vrais et se justifient par -eux-mmes_[543]. - -Il faut craindre mes jugements, et non les approfondir, parce qu'ils -sont incomprhensibles l'intelligence humaine. - - [543] Ps. XVIII, 9. - -Ne disputez pas non plus des mrites des Saints, ne recherchez point si -celui-ci est plus saint que cet autre, ni quel est le plus grand dans le -royaume des cieux. - -Ces recherches produisent souvent des diffrends et des contestations -inutiles; elles nourrissent l'orgueil et la vaine gloire, d'o naissent -des jalousies et des dissensions; celui-ci prfrant tel Saint, celui-l -tel autre, et voulant qu'il soit le plus lev. - -L'examen de pareilles questions, loin d'apporter aucun fruit, dplat -aux Saints. _Car je ne suis point un Dieu de dissension, mais de -paix_[544]; et cette paix consiste plus s'humilier sincrement qu' -s'lever. - - [544] I. Cor., XIV, 33. - -3. Quelques-uns ont un zle plus ardent, une affection plus vive pour -quelques Saints que pour d'autres; mais cette affection vient plutt de -l'homme que de Dieu. - -C'est moi qui ai fait tous les Saints, moi qui leur ai donn la grce, -moi qui leur ai distribu la gloire. - -Je sais les mrites de chacun: _Je les ai prvenus de mes plus douces -bndictions_[545]. - - [545] Ps. XX, 3. - -Je les ai connus et aims avant tous les sicles: _je les ai choisis du -milieu du monde_[546] et ce ne sont pas eux qui m'ont choisi les -premiers. - - [546] Joann., XV, 19 - -Je les ai appels par ma grce, je les ai attirs par ma misricorde, et -conduits travers des tentations diverses. - -J'ai rpandu en eux d'ineffables consolations: je leur ai donn de -persvrer, et j'ai couronn leur patience. - -4. Je connais le premier et le dernier, et je les embrasse tous dans mon -amour immense. - -C'est moi qu'on doit louer dans tous mes Saints; moi qu'on doit bnir -au-dessus de tout et honorer en chacun de ceux que j'ai ainsi levs -dans la gloire et prdestins, sans aucuns mrites prcdents de leur -part. - -Celui donc qui mprise le plus petit des miens, n'honore pas le plus -grand, parce que j'ai fait le petit et le grand. - -Et quiconque rabaisse quelqu'un de mes Saints, me rabaisse moi-mme, et -tous ceux qui sont dans le royaume des cieux. - -Tous ne sont qu'un par le lien de la charit: ils n'ont tous qu'un mme -sentiment, une mme volont, et sont tous unis par le mme amour. - -5. Et ce qui est plus parfait encore, ils m'aiment plus qu'ils ne -s'aiment, plus que tous leurs mrites. - -Ravis au-dessus d'eux-mmes, au-dessus de leur propre amour, ils se -plongent et se perdent dans le mien, et s'y reposent dlicieusement. - -Rien ne saurait partager leur coeur, ni le dtourner vers un autre -objet; parce que, remplis de la vrit ternelle, ils brlent d'une -charit qui ne peut s'teindre. - -Que les hommes ensevelis dans la chair et ses convoitises, les hommes -qui ne savent aimer que les joies exclusives, cessent donc de discourir -sur l'tat des Saints. Ils retranchent et ils ajoutent, suivant leur -inclination, et non pas selon que l'a rgl la vrit ternelle. - -6. En plusieurs, c'est ignorance, et surtout en ceux qui, peu clairs -de la lumire divine, aiment rarement quelqu'un d'un amour parfait et -purement spirituel. - -Une inclination naturelle et une affection tout humaine les attire vers -tel ou tel Saint; et ils transportent dans le ciel les sentiments de la -terre. - -Mais il y a une distance infinie entre les penses des hommes imparfaits -et ce que la lumire d'en haut dcouvre ceux qu'elle claire. - -7. Gardez-vous donc, mon fils, de raisonner curieusement sur ces choses -qui passent votre intelligence: travaillez plutt avec ardeur obtenir -une place, ft-ce la dernire, dans le royaume de Dieu. - -Et quand quelqu'un saurait qui des Saints est le plus parfait et le plus -grand dans le royaume cleste, que lui servirait cette connaissance, -s'il n'en tirait un nouveau motif de s'humilier devant moi, et de me -louer davantage? - -Celui qui pense la grandeur de ses pchs, son peu de vertu, qui -considre combien il est loign de la perfection des Saints, se rend -plus agrable Dieu, que celui qui dispute sur le degr plus ou moins -lev de leur gloire. - -Il vaut mieux prier les Saints avec larmes et avec ferveur, et implorer -humblement leurs glorieux suffrages, que de chercher vainement -pntrer le secret de leur tat dans le ciel. - -8. Ils sont heureux, contents: qu'avons-nous besoin d'en savoir plus, et -n'est-ce pas assez pour rprimer tous nos vains discours? - -Ils ne se glorifient point de leurs mrites, parce qu'ils ne -s'attribuent rien de bon, mais qu'ils attribuent tout moi, qui leur ai -tout donn par une charit infinie. - -Ils sont remplis d'un si grand amour de la Divinit, d'une joie si -surabondante, que comme il ne manque rien leur gloire, rien ne peut -manquer leur flicit. - -Plus ils sont levs dans la gloire, plus ils sont humbles en eux-mmes: -et leur humilit me les rend plus chers, et les unit plus troitement -moi. - -C'est pourquoi il est crit: _Qu'ils dposaient leurs couronnes au pied -du trne de Dieu, qu'ils se prosternaient devant l'Agneau, et qu'ils -adoraient celui qui vit dans les sicles des sicles_[547]. - - [547] Apoc., IV, 10; V, 14. - -9. Plusieurs recherchent _qui est le premier dans le royaume de -Dieu_[548]; lesquels ignorent s'ils seront dignes d'tre compts parmi -les derniers. - - [548] Matth., XVIII, 1. - -C'est quelque chose de grand, d'tre le plus petit dans le ciel, o tous -sont grands: parce que tous seront appels et seront en effet les -enfants de Dieu. - -_Le moindre des lus sera comme le chef d'un peuple nombreux_, tandis -que _le pcheur, aprs une longue vie, ne trouvera que la mort_[549]. - - [549] Is., LX, 22; LXV, 20. - -Ainsi, quand mes disciples demandrent qui serait le plus grand dans le -royaume des cieux, ils entendirent cette rponse: - -_Si vous ne vous convertissez et ne devenez comme de petits enfants, -vous n'entrerez point dans le royaume des cieux. Celui donc qui se fera -petit comme cet enfant, sera le plus grand dans le royaume des -cieux_[550]. - - [550] Matth., XVIII, 4. - -Malheur ceux qui ddaignent de s'abaisser avec les petits, parce que -la porte du ciel est basse, et qu'ils n'y pourront passer. - -_Malheur aussi aux riches qui ont ici leur consolation_[551], parce que, -quand les pauvres entreront dans le royaume de Dieu, ils demeureront -dehors poussant des hurlements. - - [551] Luc., VI, 24. - -Humbles, rjouissez-vous; pauvres, tressaillez d'allgresse, _parce que -le royaume de Dieu est vous_[552], si cependant vous marchez dans la -vrit. - - [552] _Ibid._, 20. - - -RFLEXION. - - C'est une grande misre que le penchant qu'ont les hommes - s'inquiter de mille vaines questions, tandis qu' peine songent-ils - aux vrits les plus importantes. Ils veulent tout savoir, except la - seule chose indispensable. Leur orgueil se complat dans des - spculations presque toujours dangereuses, ou au moins striles pour - le salut. En s'efforant de pntrer des mystres impntrables, ils - s'garent dans leurs penses, et ne saisissent que l'erreur, au moment - mme o ils croient ravir Dieu son secret. Voil le fruit des - travaux dont ils se consument sous le soleil. Ah! qu'il y a de - profondeur et de vritable science de l'homme, dons ce conseil du - Sage: _Ne recherchez point ce qui est au-dessus de vous, et ne scrutez - point ce qui est plus fort que vous; mais pensez sans cesse ce que - Dieu vous prescrit, et gardez-vous de sonder curieusement toutes ses - oeuvres: car il ne vous est pas ncessaire de voir de vos yeux ce qui - est cach_[553]. Songeons nous-mmes, nos devoirs, au compte - rigoureux qu'il nous faudra rendre de nos oeuvres et de nos paroles. - Il y a bien l de quoi nous occuper et remplir tout notre temps: il ne - nous est donn que pour cela. - - [553] Eccles., III, 22, 23. - - - - -CHAPITRE LIX. - -Qu'on doit mettre toute son esprance et toute sa confiance en Dieu -seul. - - -1. LE F. Seigneur, quelle est ma confiance en cette vie, et ma plus -grande consolation au milieu de tout ce qui s'offre mes regards sous -le ciel? - -N'est-ce pas vous, Seigneur mon Dieu, dont la misricorde est infinie? - -O ai-je t bien sans vous? et avec vous, o ai-je pu tre mal? - -J'aime mieux tre pauvre cause de vous, que riche sans vous. - -J'aime mieux tre avec vous voyageur sur la terre, que de possder le -ciel sans vous. O vous tes, l est le ciel; et la mort et l'enfer sont -o vous n'tes pas. - -Vous tes tout mon dsir: et c'est pourquoi je ne puis, loin de vous, -que soupirer, gmir, prier. - -Je ne puis me confier pleinement qu'en vous, ni esprer dans mes besoins -de secours que de vous seul, mon Dieu! - -Vous tes mon esprance, ma confiance, mon consolateur toujours fidle. - -2. _Tous cherchent leur intrt_[554]; vous seul vous ne cherchez que -mon salut et mon avancement, et vous disposez tout pour mon bien. - - [554] Philipp, II, 21. - -Mme quand vous m'exposez beaucoup de tentations et de peines, c'est -encore pour mon avantage; car vous avez coutume d'prouver ainsi ceux -qui vous sont chers. - -Et je ne dois pas moins vous aimer ni vous louer dans ces preuves, que -si vous me remplissiez des plus douces consolations. - -3. C'est donc en vous, Seigneur mon Dieu, que je mets toute mon -esprance et tout mon appui; c'est dans votre sein que je dpose toutes -mes afflictions et toutes mes angoisses; car je ne trouve que faiblesse -et inconstance dans tout ce que je vois hors de vous. - -Il n'est point d'amis qui puissent me servir, point de protecteurs qui -me soient de secours, ni de sages qui me donnent un conseil utile, ni de -livre qui me console, ni de trsor assez grand pour me racheter, ni de -lieu assez secret pour m'offrir un sr asile, si vous ne daignez -vous-mme me secourir, m'aider, me fortifier, me consoler, m'instruire -et me prendre sous votre garde. - -4. Car tout ce qui semble devoir procurer la paix et le bonheur, n'est -rien sans vous, et rellement ne sert de rien pour rendre heureux. - -Vous tes donc le principe et le terme de tous les biens, la plnitude -de la vie, la source inpuisable de toute lumire et de toute parole; et -la plus grande consolation de vos serviteurs est d'esprer uniquement en -vous. - -Mes yeux sont levs vers vous; en vous je mets toute ma confiance, mon -Dieu, pre des misricordes. - -Sanctifiez mon me, bnissez-la de votre cleste bndiction, afin -qu'elle devienne votre demeure sainte, le sige de votre ternelle -gloire, et que, dans ce temple o vous ne ddaignez pas d'habiter, il -n'y ait rien qui offense vos regards. - -_Regardez-moi, Seigneur, dans votre immense bont; et, selon l'abondance -de vos misricordes_[555], exaucez la prire de votre serviteur -misrable, exil loin de vous dans la rgion des tnbres et de la mort. - - [555] Ps. LXVIII, 16, 17. - -Protgez et conservez l'me de votre pauvre serviteur au milieu des -dangers de cette vie corruptible; que votre grce l'accompagne et le -conduise par le chemin de la paix, dans la patrie de l'ternelle -lumire. Ainsi soit-il. - - -RFLEXION. - - Quand on a tout parcouru, tout entendu, tout vu, il faut en revenir - cette parole qui renferme toute sagesse et toute perfection: DIEU - SEUL. Considrez, disait un humble religieux de saint Franois, des - mille millions de cratures plus parfaites que celles qui sont - prsent, tant dans les voies de la nature que dans les voies de la - grce. Ritrez l'infini votre multiplication, et comparez ensuite - ces cratures si parfaites au grand Dieu des ternits; dans cette - vue, elles deviennent rien. Je prenais, ajoutait-il, un grand - plaisir dans cette multiplication; et de voir qu'en mme temps que - l'tre de Dieu paraissait, ces cratures qui se montraient si - excellentes et si pleines de gloire, se retiraient d'une rapidit - incroyable dans leur centre qui est le nant. Et voyant que le grand - Dieu tait en moi, et plus en moi que je n'y tais moi-mme, j'en - ressentais une joie inexplicable, et je ne pouvais comprendre comment - il tait possible d'avoir Dieu en soi et partout au dehors de soi, et - de s'occuper des cratures. J'tais ravi qu'il ft seul ternel, seul - immuable, seul infini, et je vous dis en vrit, qu'en disant: _En mon - Dieu tout est Dieu_, ma volont tait touche d'un si grand et si - ardent amour, qu'il me semblait que tout l'tre cr disparaissait - devant moi, et qu' jamais je ne serais plus occup que de Dieu seul. - Je ne puis expliquer l'infinie jubilation de mon coeur la vue de ses - immenses perfections: mais voyant ses grandeurs incomprhensibles, et - d'autre part mon nant avec toutes les misres qui l'accompagnent, - j'allais de l'infini l'infini, et je me trouvais incapable, de - l'infini l'infini, de l'aimer comme je l'aurais voulu, ce qui me - faisait souffrir innarrablement; car plus je me trouvais impuissant - l'aimer d'un amour rciproque, plus un secret amour me dvorait - intrieurement. Alors j'allais cherchant des secrets dans ma bassesse, - comme navr et enivr d'amour, ne connaissant pas ce que je faisais: - et, chose trange, dans ce travail de l'me, ces saillies de l'infini - en perfection l'infini de ma bassesse, m'taient autant de feux - d'amour qui me consumaient de leurs ardeurs[556]. - - [556] L'homme intrieur, ou la Vie du vnrable pre Jean-Chysostome, - religieux pnitent du tiers-ordre de Saint Franois; pag. 158, 175, - 176. - - -FIN DU TROISIME LIVRE. - - - - -L'IMITATION - -DE - -JSUS-CHRIST. - - - - -LIVRE QUATRIME. - -DU SACREMENT DE L'EUCHARISTIE. - - - - -EXHORTATION - - LA SAINTE COMMUNION. - - -VOIX DE JSUS-CHRIST. - -1. J.-C. _Venez moi, vous tous qui tes puiss de travail et qui tes -chargs, et je vous soulagerai_[557]. - - [557] Matth., XI, 28. - -_Le pain que je donnerai, c'est ma chair_, que je donnerai _pour la vie -du monde_[558]. - - [558] Joann., VI, 52. - -_Prenez et mangez: ceci est mon corps, qui sera livr pour vous. Faites -ceci en mmoire de moi_[559]. - - [559] Luc., XXII, 19. I. Cor., XI, 24. - -_Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang, demeure en moi et moi en -lui_[560]. - - [560] Joann., VI, 57. - -_Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie_[561]. - - [561] _Ibid._, 64. - - -RFLEXION. - - Nous voyons ici l'accomplissement des promesses divines, des - esprances du genre humain, des figures et des prophties de - l'ancienne Loi. Le sacrifice rel, celui qui opre jamais la - rconciliation de l'homme avec Dieu, succde aux sacrifices - symboliques et sans efficacit. La vritable Pque est immole[562], - la manne cleste nourrit dsormais, non plus seulement le peuple - d'Isral, mais tous les peuples de l'alliance nouvelle, tous les vrais - enfants du Pre des croyants. l'exemple du _Roi de Paix[563], le - Pontife ternel selon l'ordre de Melchisedech_[564], offre au - Trs-Haut le pain et le vin, _le pain vivant descendu du Ciel_[565]: - _et le pain qu'il donne est sa chair_[566], et le vin est son sang; et - _en vrit, moins qu'on ne mange la chair, et qu'on ne boive le sang - du Fils de l'homme, on n'aura point la vie en soi_[567]: _car ma - chair_, il le dit lui-mme, _est vraiment une viande, et mon sang un - breuvage: celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et - moi en lui_[568]: _voil le pain descendu du Ciel: qui mange ce pain - vivra ternellement_[569]. Il n'y a point hsiter; ce langage est - clair; il faut se soumettre, il faut dire: Je crois; Seigneur, - augmentez ma foi[570]. Et qu'avaient annonc les Prophtes? _Les - pauvres mangeront et seront rassassis, et leur me vivra - ternellement. Tous les riches de la terre ont mang et ont ador: - tous ceux qui habitent la terre se prosterneront en sa prsence_[571]. - Et nous aussi, dans l'inbranlable fermet de notre foi, mangeons et - adorons; rassasions-nous de celle chair, abreuvons-nous de ce sang, - qui nous transforme en Jsus-Christ mme. Victime d'un prix - inestimable, il acquitte volontairement notre dette envers la justice - divine, et pour nous appliquer, sans rserve et sans mesure, la vertu - de son sacrifice, il unit sa chair notre chair, son me notre me, - de sorte que, par celle ineffable union, _nous sommes remplis de la - divinit dont la plnitude habite en lui corporellement_[572]. - Prodigieux mystre d'amour! _L'homme a mang le pain des anges_[573]. - Et comment? parce que le Verbe de Dieu qui nourrit, dit saint - Augustin, de sa substance incorruptible les anges incorruptibles, - s'est fait chair, et a habit parmi nous[574]. Comme donc la crature - spirituelle se nourrit du Verbe, qui est son aliment par excellence; - et comme l'me humaine, spirituelle aussi, mais, en punition du pch, - charge des liens de la mortalit, a t abaisse de telle sorte, - qu'il faut qu'elle s'efforce d'atteindre par les conjectures des - choses visibles, l'intelligence des choses invisibles: l'aliment - spirituel de la crature a t fait visible, non par un changement de - sa nature, mais relativement la ntre, afin qu'en cherchant ce qui - est visible, nous fussions rappels au Verbe invisible[575]. - Chrtiens, allez au banquet sacr, approchez-vous de cette table o - Jsus-Christ tout entier se livre vous, o le Verbe divin se fait - lui-mme votre aliment incomprhensible: _Prenez et mangez le - vritable pain du Ciel_[576]. L est l'esprance, la vie, la dernire - preuve de la foi, la consommation de l'amour. - - [562] I. Cor., V, 7. - - [563] Gen., XIV, 18. - - [564] Ps. CIX, 4. - - [565] Joann., VI, 51. - - [566] _Ibid._, 52. - - [567] _Ibid._, 54. - - [568] _Ibid._, 56, 57. - - [569] _Ibid._, 59. - - [570] Luc., XVII, 5. - - [571] Ps. LIX, 21, 27, 30. - - [572] Coloss, II, 9, 10. - - [573] Ps. LXXVII, 25. - - [574] S. Aug., Enarrat. in Ps. LXXVI, c. 17. - - [575] Aug., De liber. arbitr., libr. III, cap. 30. - - [576] Luc., XXII, 10. Joann., VI, 33. - - - - -CHAPITRE PREMIER. - -Avec quel respect il faut recevoir Jsus. - - -VOIX DU DISCIPLE. - -1. LE F. Ce sont l vos paroles, Jsus, vrit ternelle! quoiqu'elles -n'aient pas t dites dans le mme temps, et qu'elles ne soient pas -crites dans le mme lieu. - -Et puisqu'elles viennent de vous, et qu'elles sont vritables, je dois -les recevoir toutes avec une foi pleine de reconnaissance. - -Elles sont de vous, car c'est vous qui les avez dites; mais elles sont -aussi moi, parce que vous les avez dites pour mon salut. - -Je les reois avec joie de votre bouche, afin qu'elles se gravent -profondment dans mon coeur. - -Ces paroles pleines de tant de bont, de tendresse et d'amour, -m'animent; mais la pense de mes crimes m'effraie, et ma conscience -impure m'loigne d'un mystre si saint. - -La douceur de vos paroles m'attire, mais le poids de mes pchs me -retient. - -2. Vous m'ordonnez d'aller vous avec confiance, si je veux _avoir part -avec vous_; et de me nourrir du pain de l'immortalit, si je veux -obtenir la vie et la gloire ternelle. - -Venez, dites-vous, _venez moi vous tous qui souffrez et qui tes -oppresss, et je vous ranimerai_[577]. - - [577] Matth., XI, 28. - - douce et aimable parole l'oreille d'un pcheur! vous invitez, -Seigneur mon Dieu, le pauvre et l'indigent la participation de votre -corps sacr. - -Mais qui suis-je, Seigneur, pour oser m'approcher de vous? - -_Voil que les Cieux des cieux ne peuvent vous contenir_[578], et vous -dites: _Venez tous moi_. - - [578] I. Reg., VIII, 27. - -3. D'o vient cette misricordieuse condescendance, une si tendre -invitation? - -Comment oserai-je aller vous, moi qui ne sens en moi-mme aucun bien -qui puisse me donner quelque confiance? - -Comment vous recevrai-je en ma maison, moi qui ai si souvent outrag -votre bont? - -Les Anges et les Archanges vous adorent en tremblant, les Saints et les -Justes sont saisis de frayeur; et vous dites: _Venez tous moi!_ - -Si ce n'tait vous qui le dites, Seigneur, qui pourrait le croire? - -Et si vous n'ordonniez vous-mme d'approcher de vous, qui en aurait -l'audace? - -4. No, cet homme juste, travailla cent ans construire l'arche, pour -se sauver avec peu de personnes: et moi, comment pourrai-je, en une -heure, me prparer recevoir dignement le Crateur du monde? - -Mose, le plus grand de vos serviteurs, pour qui vous tiez comme un -ami, fit une arche d'un bois incorruptible, qu'il revtit d'un or -trs-pur, afin d'y dposer les tables de la loi: et moi, vile crature, -j'oserai recevoir si facilement le fondateur de la loi et l'auteur de la -vie? - -Salomon, le plus sage des rois d'Isral, employa sept ans lever un -temple magnifique la gloire de votre nom: il clbra, pendant huit -jours, la fte de sa ddicace; il offrit mille hosties pacifiques, et, -au son des trompettes, au milieu des cris de joie, il plaa -solennellement l'arche d'alliance dans le lieu qui lui tait prpar. - -Et moi, misrable que je suis et le plus pauvre des hommes, comment vous -introduirai-je dans ma maison, moi qui sais peine employer pieusement -une demi-heure? Et plt Dieu que j'eusse une seule fois employ -dignement un moindre temps encore! - -5. mon Dieu, que n'ont point fait ces saints hommes pour vous plaire, -et combien, hlas! ce que je fais est peu! combien est court le temps -que je consacre me prparer la communion! - -Rarement suis-je bien recueilli; plus rarement suis-je libre de toute -distraction. - -Et certes, en votre divine et salutaire prsence, nulle pense profane -ne devrait s'offrir mon esprit, nulle crature ne devrait l'occuper: -car ce n'est pas un ange, mais le Seigneur des anges que je dois -recevoir en moi. - -6. Quelle distance infinie d'ailleurs entre l'arche d'alliance avec ce -qu'elle renfermait, et votre corps trs-pur avec ses ineffables vertus; -entre les sacrifices de la loi, figure du sacrifice venir, et la -vritable hostie de votre corps, accomplissement de tous les anciens -sacrifices! - -7. Pourquoi donc ne suis-je pas plus enflamm en votre adorable -prsence? - -Pourquoi n'ai-je pas soin de me mieux prparer la participation de vos -saints mystres; lorsque ces antiques patriarches, ces saints prophtes, -et ces rois, et ces princes avec tout leur peuple, ont montr tant de -zle pour le culte divin? - -8. David, ce roi si pieux, fit clater ses transports par des danses -religieuses devant l'arche, se souvenant des bienfaits que Dieu avait -rpandus sur ses pres; il fit faire divers instruments de musique, il -composa des psaumes que le peuple chantait avec allgresse, selon ce -qu'il avait ordonn, et, anim de l'Esprit saint, souvent il les chanta -lui-mme sur sa harpe; il apprit aux enfants d'Isral louer Dieu de -tout leur coeur, et unir chaque jour leurs voix pour le clbrer et le -bnir. - -Si la vue de l'arche d'alliance inspirait tant de ferveur, tant de zle -pour les louanges de Dieu, quel respect, quel amour ne doit pas -m'inspirer, et tout le peuple chrtien, la prsence de votre -sacrement, Jsus, et la rception de votre corps adorable? - -9. Plusieurs courent en divers lieux pour visiter les reliques des -Saints; ils coutent avidement le rcit de leurs actions; ils admirent -les vastes temples btis en leur honneur, et baisent leurs os sacrs, -envelopps dans l'or et la soie. - -Et voil que vous-mme, mon Dieu, vous tes ici prsent devant moi sur -l'autel, vous, le Saint des saints, le Crateur des hommes, le Roi des -anges! - -Souvent c'est la curiosit, le dsir de voir des choses nouvelles, qui -fait entreprendre ces plerinages; et de l vient que, guid par ce -motif frivole, sans vritable contrition, on en tire peu de fruit pour -la rforme des moeurs. - -Mais ici, dans le sacrement de l'autel, vous tes prsent tout entier, -Christ Jsus, vrai Dieu et vrai homme; et toutes les fois qu'on vous -reoit dignement et avec ferveur, on recueille en abondance les fruits -du salut ternel. - -Ce n'est pas la lgret, ni la curiosit, ni l'attrait des sens, qui -conduit ce banquet sacr; mais une foi ferme, une vive esprance, une -charit sincre. - -10. Dieu crateur invisible du monde, que vous tes admirable dans ce -que vous faites pour nous! avec quelle bont, quelle tendresse vous -veillez sur vos lus, vous donnant vous-mme eux pour nourriture dans -votre Sacrement! - -C'est l ce qui surpasse toute intelligence; ce qui, plus qu'aucune -autre chose, attire vous les coeurs pieux et enflamme leur amour. - -Car vos vrais fidles, occups toute leur vie de se corriger, puisent -dans la frquente rception de cet auguste Sacrement une merveilleuse -ferveur et un zle ardent pour la vertu. - -11. grce admirable et cache du Sacrement, connue des seuls fidles -serviteurs de Jsus-Christ! car les serviteurs infidles, asservis au -pch, ne peuvent en ressentir l'influence. - -La grce de l'Esprit saint est donne dans ce Sacrement; il rpare les -forces de l'me, et lui rend sa beaut premire, que le pch avait -efface. - -Telle est quelquefois la puissance de cette grce et la ferveur qu'elle -inspire, que non-seulement l'esprit, mais le corps languissant, en -reoit une vigueur nouvelle. - -12. Et c'est pourquoi nous devons dplorer avec amertume la tideur et -la ngligence qui affaiblissent en nous le dsir de recevoir -Jsus-Christ, unique esprance des lus et leur seul mrite. - -Car c'est lui qui nous sanctifie et qui nous a rachets; il est la -consolation de ceux qui voyagent sur la terre, et l'ternelle flicit -des Saints. - -Combien donc ne doit-on pas gmir de ce que plusieurs montrent tant -d'indiffrence pour ce sacr mystre, qui est la joie du ciel et le -salut du monde! - - aveuglement! duret du coeur humain, d'tre si peu touch de ce don -ineffable, qui semble perdre de son prix mesure qu'on en use -davantage! - -13. Si cet adorable Sacrement ne s'accomplissait qu'en un seul lieu, et -qu'un seul prtre, dans le monde entier, consacrt l'hostie sainte, avec -quelle ardeur les hommes n'accourraient-ils pas en ce lieu, vers ce -prtre unique, pour voir clbrer les saints mystres? - -Mais il y a plusieurs prtres, et le Christ est offert en plusieurs -lieux, afin que la misricorde et l'amour de Dieu pour l'homme clatent -d'autant plus, que la sainte communion est plus rpandue dans le monde. - -Je vous rends grces, Jsus, pasteur ternel, qui, dans notre exil et -notre indigence, daignez nous nourrir de votre corps et de votre sang -prcieux, et nous inviter, de votre propre bouche, la participation de -ces sacrs mystres, disant: _Venez moi, vous tous qui portez votre -fardeau avec travail, et je vous soulagerai_[579]. - - [579] Matth., XI, 28. - - -RFLEXION. - - Tout ce qu'offrait de plus grand, de plus imposant, de plus saint, le - culte de l'ancienne alliance, n'tait qu'une lgre ombre des mystres - de l'Homme-Dieu. David clbre avec pompe le retour de l'arche - Jrusalem: mais cette arche tait vide, elle ne renfermait pas le - Sauveur du genre humain. Salomon btit un temple magnifique; il en - fait, en prsence du peuple saisi de respect, la ddicace solennelle; - des victimes sans nombre sont immoles; mais ces victimes, qu'est-ce? - de vils animaux dont le sang ne peut apaiser la souveraine Justice. Le - monde demeurait dans l'attente du salut annonc, lorsque voil qu'au - moment prdit, s'accomplissent _les promesses aperues et salues de - loin par les Patriarches, durant leur plerinage sur la terre_[580]. - _Le dsir des nations_[581], _le Dominateur, l'Ange de - l'alliance_[582], _celui dont le nom est JEHOVAH_[583], _vient dans - son temple_[584], et le vrai sacrifice de propitiation remplace - jamais les sacrifices figuratifs[585]. Au fond du tabernacle, sous les - voiles du sanctuaire repose l'Hostie toujours vivante, l'_Agneau de - Dieu, qui te le pch du monde_[586]. Le mme _qui est assis la - droite du Pre_[587], est l prsent, et sa voix nous appelle: _Prenez - et mangez, ceci est mon corps: buvez, ceci est mon sang, le sang de la - nouvelle alliance, rpandu pour la rmission des pchs_[588]. - _Mangez, mes amis: buvez, enivrez-vous, mes bien-aims_[589]! _vous - tous qui avez soif, venez la source_[590] _dont les eaux - rejaillissent dans l'ternelle vie_[591]. Ceux qui, refusant de se - dsaltrer cette source pure, s'en vont cherchant l'cart _des - eaux furtives_[592], Dieu leur _prpare un breuvage assoupissant, et - leurs yeux se ferment. Dans ce sommeil, il leur semble qu'ils ont faim - et qu'ils mangent, et au rveil leur me est vide. Altrs, ils rvent - qu'ils boivent, et ils se rveillent pleins de lassitude, et ils ont - encore soif, et leur me est vide[593]. Venez donc: je suis le pain de - vie; celui qui vient moi n'aura jamais faim, et celui qui croit en - moi n'aura jamais soif_[594]. _Qui mange ma chair et boit mon sang a - la vie ternelle, et je le ressusciterai au dernier jour_[595]. - Seigneur, je crois et j'adore: mon me, haletante de dsir, s'lance - vers vous; et puis soudain une grande frayeur l'arrte: car, hlas! - que suis-je pour oser m'approcher de mon Dieu? Quand je considre mes - souillures, ma bassesse, ma misre profonde, je n'ai plus qu'un - sentiment, qu'une parole: _Retirez-vous de moi, parce que je suis un - homme pcheur[596]. Cependant, Jsus, ce sont les pcheurs que vous - tes venu appeler, et non pas les justes_[597]. Et c'est pourquoi, - frappant ma poitrine et implorant votre misricorde, _je me lverai et - j'irai_[598]: j'irai avec une vive foi, avec un ardent amour, vers _le - Fils_, le Verbe, _splendeur de la gloire de Dieu, et figure de sa - substance_[599], vers le Sauveur divin _qui nous purifie de nos - pchs_[600], qui s'incorpore sa crature, pour l'lever jusqu' - lui; j'irai, et je dirai: _Seigneur, je ne suis pas digne que vous - entriez en moi; mais dites seulement un mot, et mon me sera - gurie_[601]. - - [580] Hebr., XI, 3. - - [581] Agg., II, 8. - - [582] Malach., III, 1. - - [583] Jr., XXIII, 6. - - [584] Malach., III, 1. - - [585] _Ibid._ 3. - - [586] Joann., I, 29. - - [587] Ps. CIX, 1. Hebr., I, 3. - - [588] Matth., XXVI, 27, 28. - - [589] Cant., V, 1. - - [590] Is., LV, 1 - - [591] Joann., IV, 14. - - [592] Prov., IX, 17. - - [593] Is., XXIX, 10, 8. - - [594] Joann., VI, 35. - - [595] _Ibid._, 55. - - [596] Luc., V, 8. - - [597] Matth., IX, 13. - - [598] Luc., XV, 18. - - [599] Hebr., I, 3. - - [600] _Ibid._ - - [601] Matth., VIII, 8. - - - - -CHAPITRE II. - -Combien Dieu manifeste l'homme sa bont et son amour dans le Sacrement -de l'Eucharistie. - - -VOIX DU DISCIPLE. - -1. Plein de confiance en votre bont et votre grande misricorde, je -m'approche de vous, Seigneur: malade, je viens mon Sauveur; consum de -faim et de soif, je viens la source de la vie; pauvre, je viens au Roi -du ciel; esclave, je viens mon Matre; crature, je viens celui qui -m'a fait; dsol, je viens mon tendre consolateur. - -Mais qu'y a-t-il en ce misrable, qui vous porte venir lui? que -suis-je pour que vous vous donniez vous-mme moi? - -Comment un pcheur osera-t-il paratre devant vous? et comment -daignerez-vous venir vers ce pcheur? - -Vous connaissez votre serviteur, et vous savez qu'il n'y a en lui aucun -bien qui mrite cette grce. - -Je confesse donc ma bassesse, je reconnais votre bont, je bnis votre -misricorde, et je vous rends grces, cause de votre immense charit. - -Car c'est pour vous-mme et non pour mes mrites que vous en usez de la -sorte, afin que je connaisse mieux votre tendresse, et que, embras d'un -plus grand amour, j'apprenne m'humilier plus parfaitement, votre -exemple. - -Et puisqu'il vous plat ainsi, et que vous l'avez ainsi ordonn, je -reois avec joie la grce que vous daignez me faire: et puisse mon -iniquit n'y pas mettre obstacle! - -2. tendre et bon Jsus! quel respect, quelles actions de grces, -quelles louanges perptuelles ne vous devons-nous pas, pour la rception -de votre sacr Corps, si lev au-dessus de tout ce que peut exprimer le -langage de l'homme! - -Mais que penserai-je en le recevant, en m'approchant de mon Seigneur, -que je ne puis rvrer autant que je le dois, et que cependant je dsire -ardemment recevoir? - -Quelle pense meilleure et plus salutaire que de m'abaisser profondment -devant vous, et d'exalter votre bont infinie pour moi? - -Je vous bnis, mon Dieu, et je veux vous louer ternellement. Je me -mprise et me confonds devant vous dans l'abme de mon abjection. - -3. Vous tes le Saint des saints, et moi le rebut des pcheurs. - -Vous vous inclinez vers moi, qui ne suis pas digne de lever les yeux sur -vous. - -Vous venez moi, vous voulez tre avec moi, vous m'invitez votre -table. Vous voulez me donner manger un aliment cleste, le pain des -Anges, qui n'est autre que vous-mme, _ pain vivant, qui tes descendu -du ciel, et qui donnez la vie au monde_[602]! - - [602] Joann., VI, 48, 50, 54. - -4. Voil la source de l'amour et le triomphe de votre misricorde. Que -ne vous doit-on pas d'actions de grces et de louanges pour ce bienfait! - - salutaire dessein que celui que vous contes d'instituer votre -Sacrement! doux et dlicieux banquet, o vous vous donntes vous-mme -pour nourriture! - -Que vos oeuvres sont admirables, Seigneur! que votre puissance est -grande! que votre vrit est ineffable! - -_Vous avez dit, et tout a t fait_[603], et rien n'a t fait que ce -que vous avez ordonn. - - [603] Ps. CXLVIII, 5. - -5. Chose merveilleuse, que nul homme ne saurait comprendre, mais que -tous doivent croire; que vous, Seigneur mon Dieu, vrai Dieu et vrai -homme, vous soyez contenu tout entier sous la moindre partie des espces -du pain et du vin, et que, sans tre consum, vous soyez mang par celui -qui vous reoit. - -Souverain matre de l'univers, vous qui, n'ayant besoin de personne, -avez cependant voulu habiter en nous par votre Sacrement: conservez sans -tache mon me et mon corps, afin que je puisse plus souvent clbrer vos -saints mystres, avec la joie d'une conscience pure, et recevoir pour -mon salut ternel ce que vous avez institu principalement pour votre -gloire, et pour perptuer jamais le souvenir de votre amour. - -6. Rjouis-toi, mon me, et rends grces Dieu d'un don si magnifique, -d'une si ravissante consolation, qu'il t'a laisse dans cette valle de -larmes. - -Car toutes les fois qu'on clbre ce mystre, et qu'on reoit le corps -de Jsus-Christ, l'on consomme soi-mme l'oeuvre de sa rdemption, et on -participe tous les mrites du Christ. - -Car la charit de Jsus-Christ ne s'affaiblit jamais, et jamais sa -propitiation infinie ne s'puise. - -Vous devez donc toujours vous disposer cette action sainte par un -renouvellement d'esprit, et mditer attentivement ce grand mystre de -salut. - -Lorsque vous clbrez le divin sacrifice, ou que vous y assistez, il -doit vous paratre aussi grand, aussi nouveau, aussi digne d'amour que -si, ce jour l-mme, Jsus-Christ descendant pour la premire fois dans -le sein de la Vierge, se faisait homme, ou que, suspendu la croix, il -souffrt et mourt pour le salut des hommes. - - -RFLEXION. - - L'Aptre saint Jean, ravi en esprit dans la Jrusalem cleste, vit, au - milieu du trne de Dieu, un Agneau comme gorg, et autour de lui les - sept esprits que Dieu envoie par toute la terre, et vingt-quatre - vieillards; et ces vieillards se prosternrent devant l'Agneau, tenant - dans leurs mains des harpes et des coupes pleines de parfums, qui sont - les prires des saints: et ils chantaient un cantique nouveau la - louange de celui qui a t mis mort, et qui nous a rachets pour - Dieu, de toute tribu, de toute langue, de tout peuple, et de toute - nation: et des myriades d'anges levaient leurs voix, et disaient: - L'Agneau qui a t gorg est digne de recevoir puissance, dignit, - sagesse, force, honneur, gloire et bndiction! et toutes les - cratures qui sont dans le ciel, sur la terre, sous la terre, et dans - la mer, et tout ce qui est dans ces lieux, disaient: celui qui est - assis sur le trne et l'Agneau, bndiction, honneur, gloire et - puissance dans les sicles des sicles[604]! Voici maintenant un autre - spectacle. Ce mme agneau qui reoit, sur son trne ternel, - l'adoration des anges et des saints, et qu'environne toute la gloire - des Cieux, _vient nous plein de douceur_[605], et, voil sous les - apparences d'un peu de pain, il se donne ses pauvres cratures, pour - sanctifier notre me, pour la nourrir, et notre corps mme, par - l'union substantielle de sa chair notre chair, de son sang notre - sang, s'incarnant, si on peut le dire, de nouveau en chacun de nous, - et y accomplissant, d'une manire incomprhensible, en se communiquant - nous selon tout ce qu'il est, le grand sacrifice de la Croix. - Christ, fils du Dieu vivant, que vos voies sont merveilleuses! et qui - m'en dveloppera le mystre impntrable? Si je monte jusqu'au Ciel, - je vous y vois dans le sein du Pre, tout clatant de sa splendeur. Si - je redescends sur la terre, je vous y vois aussi dans le sein de - l'homme pcheur, indigent, misrable; attir en quelque sorte et fix - par l'amour, aux deux termes extrmes de ce qui peut tre conu, dans - l'infini de la grandeur et dans l'infini de la bassesse; et comme si - ce n'tait pas assez de venir cet tre dchu quand il vous dsire, - quand il vous appelle, vous l'appelez vous-mme le premier, vous - l'appelez avec instance, vous lui dites: _Venez, venez moi, vous - tous qui souffrez, et je vous soulagerai_[606]: _venez, j'ai dsir - d'un grand dsir de manger cette Pque avec vous_[607]. C'en est trop, - Seigneur, c'en est trop; souvenez-vous qui vous tes: ou plutt - faites, mon Dieu, que je ne l'oublie jamais, et que je m'approche de - vous comme les anges eux-mmes s'en approchent, en tremblant de - respect, avec un coeur rempli du sentiment de son indignit, pntr - de vos misricordes et embras de ce mme amour inpuisable, immense, - ternel, qui vous porte descendre jusqu' lui! - - [604] Apoc., V. - - [605] Matth., XXI, 5. - - [606] Matth., XI, 28. - - [607] Luc., XXII, 15. - - - - -CHAPITRE III. - -Qu'il est utile de communier souvent. - - -VOIX DU DISCIPLE. - -1. Je viens vous, Seigneur, pour jouir de votre don, et goter la joie -du banquet sacr _que, dans votre tendresse, vous avez, mon Dieu, -prpar pour le pauvre_[608]. - - [608] Ps. LXVII, 11. - -En vous est tout ce que je puis, tout ce que je dois dsirer; vous tes -mon salut et ma rdemption, mon esprance et ma force, mon honneur et ma -gloire. - -Rjouissez donc aujourd'hui l'me de votre serviteur, _parce que j'ai -lev mon me vers vous_[609], Seigneur Jsus. - - [609] Ps. LXXXV, 3. - -Je dsire maintenant vous recevoir avec un respect plein d'amour; je -dsire que vous entriez dans ma maison, pour mriter d'tre bni de vous -comme Zache, et d'tre compt parmi les enfants d'Abraham. - -Votre corps, voil l'objet auquel mon me aspire; mon coeur brle d'tre -uni vous. - -2. Donnez-vous moi, et ce don me suffit: car sans vous, rien ne me -console. - -Je ne puis tre sans vous, et je ne saurais vivre si vous ne venez -moi. - -Il faut donc que je m'approche de vous souvent, et que je vous reoive -comme le soutien de ma vie, de peur que, priv de cette cleste -nourriture, je ne tombe de dfaillance dans le chemin. - -C'est ainsi, misricordieux Jsus, que, prchant aux peuples, et les -gurissant de diverses langueurs, vous dites un jour: _Je ne veux pas -les renvoyer jeun dans leurs maisons, de peur que les forces ne leur -manquent en route_[610]. - - [610] Matth., XV, 32. - -Daignez donc en user de la mme manire avec moi, vous qui avez voulu -demeurer dans votre Sacrement pour la consolation des fidles. - -Car vous tes le doux aliment de l'me; et celui qui vous mange -dignement aura part l'hritage de la gloire ternelle. - -Combien il m'est ncessaire, moi qui tombe et pche si souvent, qui me -laisse aller si vite la tideur, au dcouragement, de me renouveler, -de me purifier, de me ranimer, par des prires et des confessions -frquentes, et par la rception de votre corps sacr; de peur que, m'en -abstenant trop longtemps, je n'abandonne mes rsolutions. - -3. Car _les penchants de l'homme l'inclinent au mal ds l'enfance_[611]; -et s'il n'est soutenu par ce remde divin, il s'y enfonce de plus en -plus. - - [611] Gen., VIII, 21. - -La sainte Communion retire du mal, et fortifie dans le bien. - -Si donc je suis maintenant si souvent ngligent et tide, quand je -communie ou que je clbre le saint Sacrifice, que serait-ce si je -renonais cet aliment salutaire, et si je me privais de ce secours -puissant? - -Ainsi, quoique je ne sois pas tous les jours assez bien dispos pour -clbrer les divins mystres, j'aurai soin cependant d'en approcher aux -temps convenables, et de participer une grce si grande. - -Car c'est la principale consolation de l'me fidle, _tandis qu'elle -voyage loin de vous dans un corps mortel_[612], de se souvenir souvent -de son Dieu, et de recevoir son bien-aim dans un coeur embras d'amour. - - [612] I. Cor., V, 6. - -4. prodige de votre tendresse pour nous! Vous, Seigneur mon Dieu, qui -donnez l'tre et la vie tous les esprits, vous daignez venir une -pauvre me misrable, et avec votre divinit et votre humanit tout -entire, rassasier sa faim! - - heureuse, mille fois heureuse l'me qui peut vous recevoir dignement, -vous son Seigneur et son Dieu, et goter avec plnitude la joie de votre -prsence! - - qu'il est grand le Seigneur qu'elle reoit! qu'il est aimable l'hte -qu'elle possde! que le compagnon, l'ami qui se donne elle, est doux -et fidle! que l'poux qu'elle embrasse est beau! qu'il est noble et -digne d'tre aim par-dessus tout ce qu'on peut aimer, et tout ce qu'il -y a de dsirable! - -Que le ciel et la terre, dans leur parure magnifique, se taisent devant -vous, mon bien-aim! car tout ce qu'on admire de beau en eux, ils le -tiennent de vous, _dont la sagesse n'a point de bornes_[613], et jamais -ils n'approcheront de votre beaut souveraine. - - [613] Ps. CXLVI, 5. - - -RFLEXION. - - Autant on doit apporter de soin s'prouver soi-mme, avant de manger - le pain et de boire le calice du Seigneur[614], autant il faut prendre - garde ne se pas tenir loign de la Table sainte par un faux respect - et une crainte excessive. Nous serons toujours, quoi que nous - fassions, infiniment indignes d'une faveur si haute: nul n'est pur, - nul n'est saint devant celui qui est la Saintet mme. Mais quand le - Sauveur nous dit: Venez, il connat notre misre, et c'est pour la - gurir qu'il nous presse de venir lui. Allons-y donc, non comme le - Pharisien hypocrite, _en rendant grces Dieu dans notre coeur de - n'tre pas tel que les autres hommes_[615]: Dieu repousse avec horreur - cet orgueil d'une conscience qui se dguise elle-mme sa plaie - secrte; allons-y, mais comme l'humble Publicain, _les yeux baisss - vers la terre_, frappant notre poitrine, et disant: _Seigneur_, ayez - piti de moi; _soyez propice ce pauvre pcheur_[616]! Il est - ncessaire sans doute de se prparer par la pnitence, le - recueillement, la prire, la communion du corps et du sang de - Jsus-Christ; mais aprs s'y tre dispos sincrement et de toute son - me, c'est faire injure au Rdempteur que de refuser ses dons, c'est - se priver volontairement des grces les plus prcieuses, les plus - abondantes, les plus saintes, c'est renoncer la vie: car, _si l'on - ne mange la chair du Fils de l'homme, et si l'on ne boit son sang, on - n'aura point la vie en soi_[617]. Nous devons aspirer continuellement - _ce pain descendu du Ciel_[618]; sans cesse, nous devons le - demander, nous devons nous en nourrir sans cesse, pour qu'il dtruise - le principe de mort qui est en nous depuis le pch. _Seigneur, - donnez-nous toujours ce pain_[619]: _ce pain dont vous avez dit_, - qu'il donne la vie ternelle. C'est ce que disent les Juifs; et ils - expriment par l le dsir de toute la nature humaine, ou plutt de - toute la nature intelligente. Elle veut vivre ternellement; elle veut - ne manquer de rien; en un mot, elle veut tre heureuse. C'est encore - ce qu'en pensait la Samaritaine, lorsque Jsus lui ayant dit: _ - femme! celui qui boit de l'eau que je donne n'a jamais soif_, elle - rpond aussitt: _Seigneur, donnez-moi de cette eau, afin que je n'aie - jamais soif, et que je ne sois pas oblige venir ici puiser de - l'eau_[620], dans un puits si profond, avec tant de peine. Encore un - coup, la nature humaine veut tre heureuse; elle ne veut avoir aucun - besoin; elle ne veut avoir ni faim, ni soif: aucun dsir remplir: - aucun travail: aucune fatigue: et cela, qu'est-ce autre chose, sinon - tre heureuse? Voil ce que veut la nature humaine: voil son fond. - Elle se trompe dans les moyens: elle a soif des plaisirs des sens: - elle veut exceller: elle a soif des honneurs du monde. Pour parvenir - aux uns et aux autres, elle a soif des richesses: sa soif est - insatiable; elle demande toujours, et ne dit jamais: C'est assez, - toujours plus, et toujours plus. Elle est curieuse: elle a soif de la - vrit; mais elle ne sait o la prendre, ni quelle vrit la peut - satisfaire: elle en ramasse ce qu'elle peut par-ci, par-l; par de - bons, par de mauvais moyens; et comme toute me curieuse est lgre, - elle se laisse tromper par tous ceux qui lui promettent cette vrit - qu'elle cherche. Voulez-vous n'avoir jamais faim, jamais n'avoir soif: - venez au pain qui ne prit point, et au Fils de l'homme qui vous - l'administre: sa chair, son sang o est tout ensemble la vrit et - la vie, parce que c'est la chair et le sang, non point du fils de - Joseph, comme disaient les Juifs, mais du Fils de Dieu. _ Seigneur, - donnez-moi toujours ce pain!_ Qui n'en serait affam? qui ne voudrait - tre assis votre table? qui la pourrait jamais quitter[621]? - - [614] I. Cor., XI, 28. - - [615] Luc., XVIII, 11. - - [616] _Ibid._, 13. - - [617] Joann., VI, 54. - - [618] _Ibid._, 33. - - [619] _Ibid._, 34. - - [620] _Ibid._, IV, 10, 15. - - [621] Bossuet. - - - - -CHAPITRE IV. - -Que Dieu rpand des grces abondantes en ceux qui communient dignement. - - -VOIX DU DISCIPLE. - -1. Seigneur mon Dieu, _prvenez votre serviteur de vos plus douces -bndictions_[622], afin que je puisse approcher dignement et avec -ferveur de votre auguste Sacrement. - - [622] Ps. XX, 3. - -Rappelez mon coeur vous; rveillez-moi du profond assoupissement o je -languis. _Visitez-moi pour me sauver_[623], pour que je gote -intrieurement la douceur qui est cache en abondance dans ce Sacrement, -comme dans sa source. - -Faites briller aussi votre lumire mes yeux, afin qu'ils discernent un -si grand mystre, et fortifiez ma foi pour le croire inbranlablement. - - [623] Ps. CV, 4. - -Car c'est l'oeuvre de votre amour et non de la puissance humaine: c'est -votre institution sacre, et non une invention de l'homme. - -Nul ne peut concevoir par lui-mme des merveilles au-dessus de la -pntration des Anges mmes. - -Que pourrai-je donc, moi, pcheur indigne, moi, cendre et poussire, -dcouvrir et comprendre d'un mystre si haut? - -2. Seigneur, dans la simplicit de mon coeur, avec une foi ferme et -sincre, et sur le commandement que vous m'en avez fait, je m'approche -de vous plein de confiance et de respect; et je crois, sans hsiter, que -vous tes ici prsent dans ce Sacrement, et comme Dieu et comme homme. - -Vous voulez donc que je vous reoive et que je m'unisse vous dans la -charit? - -C'est pourquoi j'implore votre clmence, et je vous demande en ce moment -une grce particulire, afin qu'embras d'amour, je me fonde et m'coule -tout entier en vous, et que je ne dsire plus aucune autre consolation. - -Car cet adorable Sacrement est le salut de l'me et du corps, le remde -de toute langueur spirituelle. Il gurit les vices, rprime les -passions, dissipe les tentations ou les affaiblit, augmente la grce, -accrot la vertu, affermit la foi, fortifie l'esprance, enflamme et -dilate l'amour. - -3. Quels biens sans nombre n'avez-vous pas accords, et n'accordez-vous -pas encore chaque jour dans ce Sacrement, ceux que vous aimez, et qui -le reoivent avec ferveur, mon Dieu, unique appui de mon me, -rparateur de l'infirmit humaine, source de toute consolation -intrieure! - -Car vous les consolez avec abondance en leurs tribulations diverses; -vous les relevez de leur abattement par l'esprance de votre protection; -vous les ranimez intrieurement et les clairez par une grce nouvelle; -de sorte que ceux qui se sentaient pleins de trouble et de tideur avant -la communion, se trouvent tout changs aprs s'tre nourris de cette -viande et de ce breuvage cleste. - -Vous en usez ainsi avec vos lus, afin qu'ils reconnaissent clairement, -et par une manifeste exprience, toute la faiblesse qui leur est propre, -et tout ce qu'ils reoivent de votre grce et de votre bont. - -Car d'eux-mmes, froids, durs, sans got pour la pit, par vous ils -deviennent pieux, zls, fervents. - -Qui, en effet, s'approchant humblement de la fontaine de suavit, n'en -remporte pas un peu de douceur? ou qui, se tenant prs d'un grand feu, -n'en reoit pas quelque chaleur? - -Vous tes, mon Dieu, cette fontaine toujours pleine et surabondante, ce -feu toujours ardent, et qui ne s'teint jamais. - -4. Si donc il ne m'est pas permis de puiser la plnitude de la source, -et de m'y dsaltrer parfaitement, j'approcherai cependant ma bouche de -l'ouverture par o s'coulent les eaux clestes, afin d'en recueillir au -moins une petite goutte pour apaiser ma soif, et ne pas tomber dans une -entire scheresse. - -Et si je ne puis encore tre tout cleste, et tout de feu, comme les -Chrubins et les Sraphins, je m'efforcerai pourtant de m'animer la -pit, et de prparer mon coeur, afin qu'en participant avec humilit -ce Sacrement de vie, je reoive au moins quelque lgre tincelle de ce -feu divin. - -Bon Jsus, Sauveur trs-saint, supplez vous-mme, par votre bont et -votre grce, ce qui me manque, vous qui avez daign appeler vous -tous les hommes, en disant: _Venez moi, vous tous qui tes accabls de -travail et de douleur, et je vous soulagerai_[624]. - - [624] Matth., XI, 28. - -5. Je travaille la sueur de mon front, mon coeur est bris de douleur, -le poids de mes pchs m'accable, les tentations m'agitent, une foule de -passions mauvaises m'enveloppent et me pressent; et il n'y a personne -qui me secoure, qui me dlivre, qui me sauve, si ce n'est vous, Seigneur -mon Dieu, mon Sauveur, entre les mains de qui je me remets, et tout ce -qui est moi, afin que vous me protgiez et me conduisiez la vie -ternelle. - -Recevez-moi pour l'honneur et la gloire de votre nom, vous qui m'avez -prpar votre corps et votre sang pour nourriture et pour breuvage. - -Faites, Seigneur mon Dieu, mon Sauveur, que ma ferveur et mon amour -croissent d'autant plus, que je participe plus souvent ce divin -mystre[625]. - - [625] Oraison de l'glise. - - -RFLEXION. - - Jsus-Christ, prs de quitter la terre, promit ses disciples de leur - envoyer l'Esprit consolateur[626]: et c'est ce divin Esprit qui nous - est donn dans les sacrements de la nouvelle alliance. Amour - substantiel du Pre et du Fils, _il aide notre infirmit, car nous ne - savons pas demander comme il faut, mais l'Esprit demande pour nous - avec des gmissements ineffables; et celui qui scrute les coeurs sait - ce que dsire l'Esprit, parce qu'il demande selon Dieu pour les - Saints_[627]. Par une invisible opration aussi douce que puissante, - il incline librement notre volont au bien, il la purifie, il l'lve - vers Dieu: il est notre force, comme le Verbe est notre lumire. Or, - quand nous possdons en nous Jsus-Christ, nous possdons le Verbe - mme, et nous participons tous les dons que le Verbe et l'Esprit qui - procde de lui, rpandent incessamment sur l'humanit sainte du - Sauveur, devenu _un_ avec nous par la communion de son corps et de son - sang, de son me et de sa Divinit, qui en est insparable. En lui - sont _toutes les richesses de la plnitude de l'intelligence, tous les - trsors de la sagesse et de la science souveraine_[628]: et ces - trsors, il les ouvre pour nous dans le sacrement de l'Eucharistie; il - nous dispense, selon nos besoins, ces clestes richesses: tandis que - l'Esprit sanctificateur nous embrase de ses flammes divines qui - consument les dernires traces du pch, nous donnent comme un - avant-got de la flicit cleste, et nous prparent en jouir - pleinement, lorsque nous aurons atteint le terme heureux de nos - preuves sur la terre. Allez donc la source des grces, allez - l'autel, allez Jsus: _et qui, Seigneur, irions-nous? Vous seul - avez les paroles de la vie ternelle_[629]. Languissants, vous nous - fortifiez; affligs, vous nous consolez; troubls par les temptes qui - s'lvent au dedans et au dehors de nous, _vous commandez aux vents, - et il se fait un grand calme_[630]. Jsus! _votre amour me - presse_[631], et mon me a dfailli dans l'ardeur de s'unir vous. - C'est l tout mon dsir, je n'en ai point d'autre, je ne veux que - vous, mon Dieu! Oh! quand pourrai-je dire: _Mon bien-aim est moi, - et je suis lui_[632]: _ce n'est plus moi qui vis, c'est Jsus-Christ - qui vit en moi_[633]? - - [626] Joann., XIV, 26. - - [627] Rom., VIII, 26, 27. - - [628] Coloss., II, 2, 3. - - [629] Joann., VI, 69. - - [630] Marc., IV, 39. - - [631] II. Cor., V, 14. - - [632] Cant., II, 16. - - [633] Galat., II, 20. - - - - -CHAPITRE V. - -De l'excellence du Sacrement de l'autel, et de la dignit du Sacerdoce. - - -VOIX DU BIEN-AIM. - -1. Quand vous auriez la puret des Anges et la saintet de -Jean-Baptiste, vous ne seriez pas digne de recevoir ni mme de toucher -ce Sacrement. - -Car ce ne sont pas les mrites de l'homme qui lui donnent le droit de -consacrer et de toucher le corps de Jsus-Christ, et de se nourrir du -pain des Anges. - - mystre ineffable! sublime dignit des prtres, auxquels est donn -ce qui n'a point t accord aux Anges! - -Car les prtres, validement ordonns dans l'glise, ont seuls le pouvoir -de clbrer et de consacrer le corps de Jsus-Christ. - -Le prtre est le ministre de Dieu; il use de la parole de Dieu selon le -commandement et l'institution de Dieu: mais Dieu, la volont de qui -tout est soumis, qui tout obit lorsqu'il commande, est le principal -auteur du miracle qui s'accomplit sur l'autel, et c'est lui qui l'opre -invisiblement. - -2. Vous devez donc, dans cet auguste Sacrement, croire plus la -toute-puissance de Dieu qu' vos propres sens, et ce qui parat aux -yeux: et vous ne sauriez ds lors approcher de l'autel avec assez de -respect et de crainte. - -Pensez ce que vous tes, et considrez quel est celui dont vous avez -t fait le ministre par l'imposition des mains de l'vque. - -Vous avez t fait prtre, et consacr pour clbrer les saints -mystres: maintenant soyez fidle offrir Dieu le sacrifice avec -ferveur, au temps convenable, et que toute votre conduite soit -irrprhensible. - -Votre fardeau n'est pas plus lger; vous tes li, au contraire, par des -obligations plus troites, et oblig une plus grande saintet. - -Un prtre doit tre orn de toutes les vertus, et donner aux autres -l'exemple d'une vie pure. - -Ses moeurs ne doivent point ressembler celles du peuple: il ne doit -pas marcher dans les voies communes; mais il doit vivre comme les Anges -dans le ciel, ou comme les hommes parfaits sur la terre. - -3. Le prtre, revtu des habits sacrs, tient la place de Jsus-Christ, -afin d'offrir Dieu d'humbles supplications pour lui-mme et pour tout -le peuple. - -Il porte devant et derrire lui le signe de la croix du Sauveur, afin -que le souvenir de sa passion lui soit toujours prsent. - -Il porte devant lui la croix sur la chasuble, afin de considrer -attentivement les traces de Jsus-Christ, et de s'animer les suivre. - -Il porte la croix derrire lui, afin d'apprendre souffrir avec douceur -pour Dieu, tout ce que les hommes peuvent lui faire de mal. - -Il porte la croix devant lui, afin de pleurer ses propres pchs; -derrire lui, afin que, par une tendre compassion, il pleure aussi les -pchs des autres; et se souvenant qu'il est tabli mdiateur entre Dieu -et le pcheur, il ne se lasse point d'offrir des prires et des -sacrifices, jusqu' ce qu'il ait obtenu grce et misricorde. - -Quand le prtre clbre, il honore Dieu, il rjouit les Anges, il difie -l'glise, il procure des secours aux vivants, du repos aux morts, et se -rend lui-mme participant de tous les biens. - - -RFLEXION. - - Pour comprendre la grandeur du sacerdoce chrtien, il faut considrer - les caractres qui le distinguent immuablement, et forment comme le - sceau divin dont il fut marqu son origine. Et d'abord il est un: - _de mme qu'il n'y a qu'un Dieu, il n'y a qu'un Mdiateur de Dieu et - des hommes, Jsus-Christ_[634], _aptre et pontife de notre foi_[635], - _toujours vivant pour intercder en notre faveur_[636]. Tout prtre, - dans l'exercice de ses clestes fonctions, reprsente Jsus-Christ, ou - plutt est Jsus-Christ mme, qui seul opre vritablement ce - qu'annoncent les paroles et les actes de son ministre, seul lie et - dlie, seul dispense la grce, seul immole et offre son Pre la - victime de propitiation, qui est une aussi: car _Jsus entrant par son - sang une seule fois dans le Saint des saints, a consomm la rdemption - ternelle_[637]. Ainsi un sacrifice, un prtre, un sacerdoce, qui, - dans son immense hirarchie, n'est que le _Pontife_ invisible des - _biens futurs_[638], est multipli visiblement sur tous les points de - la terre, pour y continuer sa grande mission jusqu' la fin des - sicles[639]. Et non-seulement le sacerdoce est un, il est encore - universel; car _tous les peuples ont t donns en hritage - Jsus-Christ_[640], et _depuis le lever du soleil jusqu'au couchant, - en tous lieux le sacrifice doit tre accompli et l'offrande pure - prsente au Seigneur_[641]. Il est ternel; car, de toute ternit, - _Dieu a dit au Christ: Tu es mon fils, je t'ai engendr aujourd'hui_; - et encore: _Tu es prtre ternellement selon l'ordre de - Melchisdech_[642]. Il est saint; _car il convenait que nous eussions - un tel Pontife, saint, pur, sans tache, spar des pcheurs, et lev - au-dessus des cieux_[643]; et les dmons mmes, vaincus par celui _qui - possde le sacerdoce ternel_[644], lui ont rendu ce tmoignage: _Je - sais qui vous tes, le Saint de Dieu_[645]. Oh! qu'elle est leve, - qu'elle est sublime la dignit du prtre! mais aussi qu'elle est - redoutable! Associ la puissance de Jsus-Christ Pontife, dans - l'unit de son sacerdoce, ministre avec lui et en lui du sacrifice de - la Croix, renouvel chaque jour sur l'autel, d'une manire non - sanglante; distributeur du pain de vie, du corps et du sang du - Rdempteur, sur lesquels il lui a t donn pouvoir; revtu de la - mission du Fils de Dieu pour le salut du monde, ses devoirs sont - proportionns une si haute vocation, et c'est lui surtout qu'il - est dit: _Soyez saint, parce que moi, le Seigneur votre Dieu, je suis - saint_[646]. Pauvre pcheur, si faible, si languissant, si infirme, - comment pourrai-je m'lever, Jsus! la saintet que vous exigez de - moi? Je tremble cette pense, et je perdrais toute esprance, si - votre bont ne daignait me rassurer, disant: _Cela est impossible aux - hommes, mais tout est possible Dieu_[647]? - - [634] Tim., II, 5. - - [635] Hebr., III, 1. - - [636] _Ib._, VII, 25. - - [637] _Ib._, IX, 12; VII, 27. - - [638] _Ib._, IX, 11. - - [639] Matth., XXVIII, 20. - - [640] Ps. II, 8. - - [641] Malach., I, 11. - - [642] Hebr., V, 5, 6; VI, 20. - - [643] _Ib._, VII, 26. - - [644] _Ib._, 24. - - [645] Marc., I, 24. - - [646] Levit., XIX, 2. - - [647] Matth., XIX. 26. - - - - -CHAPITRE VI. - -Prire du Chrtien avant la Communion. - - -VOIX DU DISCIPLE. - -1. Seigneur, lorsque je considre votre grandeur et ma bassesse, je suis -saisi de frayeur, et je me confonds en moi-mme. - -Car si je ne m'approche de vous, je fuis la vie; et si je m'en approche -indignement, j'irrite votre colre. - -Que ferai-je donc, mon Dieu, mon protecteur, mon conseil dans tous mes -besoins? - -2. Montrez-moi la voie droite, enseignez-moi quelque court exercice pour -me disposer la sainte Communion. - -Car il m'est important de savoir avec quelle ferveur et quel respect je -dois prparer mon coeur, pour recevoir avec fruit votre Sacrement, ou -pour vous offrir ce grand et divin sacrifice. - - -RFLEXION. - - S'il est ncessaire de _prparer son me avant la prire_[648], - combien plus avant d'approcher de la divine Eucharistie? Et c'est - pourquoi l'Aptre dit: _Que l'homme s'prouve soi-mme, et qu'il mange - ainsi de ce pain, et boive de ce calice: car celui qui mange et boit - indignement, mange et boit son jugement, ne discernant point le corps - du Seigneur_[649]. Mais, hlas! mon Dieu, plus je m'prouve, plus je - me reconnais indigne de m'unir vous dans le sacrement adorable de - votre corps et de votre sang: et cependant _si je ne mange votre - chair, et ne bois votre sang, je n'aurai point la vie en moi_[650]; de - sorte que je suis partag entre le dsir de m'asseoir au banquet sacr - o vous invitez vos fidles, et la crainte d'entendre ces paroles - terribles: _Pourquoi tes-vous entr ici sans tre revtu de la robe - nuptiale? Jetez-le, pieds et mains lis, dans les tnbres - extrieures: l sont les pleurs et les grincements de dents_[651]. Que - ferai-je donc? Ah! voici ce que je ferai. Je me prsenterai tel que je - suis, dpouill, nu, misrable, devant mon Seigneur et mon Dieu, et je - lui dirai: Ayez piti de moi, Seigneur, et daignez me revtir - vous-mme du vtement pur, qui me rendra digne d'tre admis dans la - salle du festin. Si vous ne venez mon secours, si vous ne supplez - mon indigence, je serai, mon divin matre, jamais exclu de votre - Table sainte; mais vous laisserez tomber sur ce pauvre un regard de - compassion; vous viendrez lui dans votre bont, dans votre - misricorde immense, et votre main s'tendra pour couvrir sa nudit: - oui, _Seigneur, j'ai espr en vous, et je ne serai point confondu - ternellement_[652]. - - [648] Eccles., XVIII, 23. - - [649] I. Cor., XI, 28, 29. - - [650] Joann., VI, 54. - - [651] Matth., XXII, 12, 13. - - [652] Ps. XXX, 2. - - - - -CHAPITRE VII. - -De l'examen de conscience, et de la rsolution de se corriger. - - -VOIX DU BIEN-AIM. - -1. Sur toutes choses, il faut que le prtre qui se dispose clbrer -les saints mystres, toucher et recevoir le corps de Jsus-Christ, -s'approche de ce Sacrement avec une profonde humilit de coeur, un -respect suppliant, une pleine foi, et une pieuse intention d'honorer -Dieu. - -Examinez avec soin votre conscience, et, autant que vous le pourrez, -purifiez-la par une contrition vritable et par une humble confession; -de sorte que, dlivr du poids de vos fautes, exempt de trouble et de -remords, vous puissiez librement venir moi. - -Ayez une vive douleur de tous vos pchs en gnral; dplorez en -particulier ceux que vous commettez chaque jour; et, si le temps vous le -permet, confessez Dieu, dans le secret du coeur, toutes les misres -qui sont le fruit de vos passions. - -2. Affligez-vous et gmissez d'tre encore sous l'empire de la chair et -du monde: - -Si peu occup de mourir vos inclinations; si agit par les mouvements -de la concupiscence: - -Si peu exact veiller sur vos sens; si souvent sduit par de vains -fantmes: - -Si enclin vous rpandre au dehors; si ngligent rentrer en -vous-mme: - -Si port au rire et la dissipation; si dur, quand vous devriez verser -des larmes de componction: - -Si prompt vous livrer au relchement et la mollesse; si lent -embrasser une vie austre et fervente: - -Si curieux de nouvelles, et de ce qui attire les regards par sa beaut; -si plein de rpugnance pour ce qui abaisse et humilie: - -Si avide de beaucoup avoir, si avare pour donner, si ardent retenir: - -Si inconsidr dans vos discours; si impuissant vous taire: - -Si drgl dans vos moeurs; si indiscret dans vos actions: - -Si intemprant dans le manger et le boire; si sourd la parole de Dieu: - -Si convoiteux de repos; si ennemi du travail: - -Si veill pour des rcits frivoles: si appesanti par le sommeil durant -les veilles saintes; si press d'en voir la fin; si peu attentif en y -assistant: - -Si dissip en rcitant l'office divin, si tide en clbrant, si aride -dans la Communion: - -Si aisment distrait; si rarement bien recueilli: - -Si tt mu de colre; si prompt blesser les autres: - -Si enclin juger mal; si svre reprendre: - -Si enivr de joie dans la prosprit; si abattu dans l'adversit: - -Si fcond en bonnes rsolutions, et si strile en bonnes oeuvres. - -3. Aprs avoir confess et dplor avec une grande douleur et un vif -sentiment de votre faiblesse, ces dfauts et tous les autres qui peuvent -tre en vous, formez un ferme propos de vous corriger, et d'avancer dans -la vertu. - -Offrez-vous ensuite, avec une pleine rsignation et sans aucune rserve, -sur l'autel de votre coeur, comme un holocauste perptuel, en l'honneur -de mon nom, m'abandonnant entirement le soin de votre corps et de votre -me, afin d'obtenir ainsi la grce de clbrer dignement le saint -Sacrifice, et de recevoir avec fruit le Sacrement de mon corps. - -4. Car il n'est point d'oblation plus mritoire, ni de satisfaction plus -grande pour les pchs, que de s'offrir soi-mme sincrement Dieu, en -lui offrant, la Messe et dans la Communion, le Corps de Jsus-Christ. - -Si l'homme fait ce qui est en lui, et s'il a un vrai repentir toutes les -fois qu'il s'approche de moi pour demander grce et misricorde: _J'en -jure par moi-mme_, dit le Seigneur, _je ne me souviendrai plus de ses -pchs, et ils lui seront tous pardonns; car je ne veux point la mort -du pcheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive_[653]. - - [653] Ezech., XXIII, 22; XXXIII, 11. - - -RFLEXION. - - Il n'est rien de plus utile en soi, ni de plus indispensable pour - approcher dignement de l'autel, que de descendre en sa conscience, et - d'en scruter, avec une svrit salutaire, les tristes profondeurs. - Nous avons en nous-mmes comme une image du royaume des tnbres: l - vit, et crot, et se propage l'innombrable famille des vices, ns de - la triple concupiscence[654] qui a infect la vie humaine dans sa - source. Quiconque examine srieusement son coeur, y trouve le germe de - tout ce qui est mauvais; un orgueil tantt hardi et violent, tantt - plein de dguisements et de ruses, une curiosit effrne, des - convoitises ardentes, la haine qu'accompagnent l'injure, l'outrage et - la calomnie, l'envie mre du meurtre, l'avarice qui dit sans cesse: - _Apporte, apporte_[655], la duret d'me, les joies coupables de - l'esprit; et bien que ces semences de mort ne se dveloppent pas dans - chaque homme au mme degr, tous les ont en eux-mmes, et la grce - seule les touffe plus ou moins. Tel est, depuis la chute originelle, - le partage des enfants d'Adam. Qui, dans son effroi, ne _crierait vers - Dieu du fond de cette immense misre_[656], pour implorer de lui - secours et misricorde? _Il dlaisse ceux qui cachent leurs crimes, et - pardonne ceux qui s'accusent_[657]. Touch de piti pour les - pcheurs, Jsus-Christ a institu le sacrement de pnitence, qui les - rgnre dans le sang de l'Agneau, et les revt de l'innocence - primitive. Voil la robe nuptiale ncessaire pour assister au festin - de l'poux. Vous qui portez avec douleur le poids de vos pchs, - htez-vous donc, allez pleins de repentir, de foi, d'esprance et - d'amour, dposer cet accablant fardeau aux pieds de celui qui tient, - dans le tribunal sacr, la place du Fils de Dieu mme: allez et - humiliez-vous, allez et pleurez: une main divine essuiera vos larmes, - et, rtablis en grce avec Dieu, en paix avec vous-mmes, vous - chanterez dans l'allgresse l'hymne du pardon: _Heureux ceux dont les - iniquits ont t remises, et les pchs couverts! Heureux celui qui - le Seigneur n'a point imput son pch, et dont le coeur a t sans - fraude! Parce que j'ai tu mon crime, il a vieilli dans mes os, et cri - dans mon sein pendant tout le jour. Car votre main s'est appesantie - sur moi le jour et la nuit: je me suis tourn et retourn dans mon - angoisse, tandis que l'pine perait mon coeur. Alors je vous ai - dclar mon pch: je n'ai point cach mon injustice. J'ai dit: Je - confesserai contre moi mon iniquit au Seigneur; et vous, Seigneur, - vous m'avez remis l'impit de mon pch. C'est pour cela que vos - serviteurs vous invoqueront dans le temps propice; et le dluge des - grandes eaux n'approchera point d'eux_[658]. - - [654] Joann., I, 11, 16. - - [655] Prov., XXX, 15. - - [656] Ps. CXXIX, 1. - - [657] Prov., XXVIII, 13. - - [658] Ps. XXXI, 1-6. - - - - -CHAPITRE VIII. - -De l'oblation de Jsus-Christ sur la Croix, et de la rsignation de soi -mme. - - -VOIX DU BIEN-AIM. - -1. Comme je me suis offert volontairement pour vos pchs, mon Pre, -les bras tendus sur la Croix, et le corps nu, ne rservant rien, et -m'immolant tout entier, pour apaiser Dieu: ainsi vous devez tous les -jours, dans le sacrifice de la Messe, vous offrir moi, comme une -hostie pure et sainte, du plus profond de votre coeur, et de toutes les -puissances de votre me. - -Que demand-je de vous, sinon que vous vous abandonniez moi sans -rserve? - -Tout ce que vous me donnez, hors vous, ne m'est rien, parce que c'est -vous que je veux, et non pas vos dons. - -2. Comme tout le reste ne vous suffirait pas sans moi, ainsi aucun de -vos dons ne peut me plaire si vous ne vous donnez vous-mme. - -Offrez-vous moi, donnez-vous pour Dieu, tout entier, et votre oblation -me sera agrable. - -Je me suis offert tout entier pour vous mon Pre; je vous ai donn -tout mon Corps et tout mon Sang pour nourriture, afin d'tre tout -vous, et que vous fussiez jamais tout moi. - -Mais si vous demeurez en vous-mme, si vous ne vous abandonnez pas sans -rserve ma volont, votre oblation n'est pas entire, et nous ne -serons pas unis parfaitement. - -L'oblation volontaire de vous-mme, entre les mains de Dieu, doit donc -prcder toutes vos oeuvres, si vous voulez acqurir la grce et la -libert. - -S'il en est si peu qui soient clairs de ma lumire, et qui jouissent -de la libert intrieure, c'est qu'ils ne savent pas se renoncer -entirement eux-mmes. - -Je l'ai dit, et ma parole est immuable: _Si quelqu'un ne renonce pas -tout, il ne peut tre mon disciple_[659]. Si donc vous voulez tre mon -disciple, offrez-vous moi avec toutes vos affections. - - [659] Luc., XIV, 15. - - -RFLEXION. - - On n'aurait qu'une ide bien faible et bien incomplte du sacrifice de - la Croix, si l'on n'y voyait que ce qui parat, pour ainsi dire, aux - sens. Jsus-Christ a offert non-seulement son corps sacr, en proie - toutes les souffrances et toutes les angoisses que peut endurer la - nature humaine, mais encore son me sainte troitement unie au Verbe - divin, toutes ses douleurs, toutes ses affections, toutes ses - volonts, et l'agonie et le dlaissement qui tira de son coeur ce - dernier cri: _Mon Pre, pourquoi m'avez-vous abandonn[660]?_ En cet - tat il reprsentait l'humanit entire condamne mourir, et l'homme - en effet fut frapp de mort jusque dans les plus secrtes profondeurs - de son tre. Alors _tout fut consomm_[661], et le supplice et la - rdemption. Or, chaque fois que le prtre, montant l'autel, y - renouvelle, selon l'institution divine, cet ineffable sacrifice, - chaque fois que le fidle participe la victime immole, et le fidle - et le prtre doivent s'offrir ainsi que Jsus-Christ s'est offert - lui-mme: leur sacrifice uni au sien doit tre, comme le sien, sans - rserve: car, nous aussi, nous sommes attachs la Croix, et avec - Jsus-Christ et en Jsus-Christ, nous souffrons pour nous, pour nos - frres, pour les vivants, pour les morts, pour toute la grande famille - humaine; ce qui fait dire l'aptre saint Paul ces tonnantes - paroles: _Je me rjouis de mes souffrances cause de vous; et ce qui - manque la Passion de Jsus-Christ, je l'accomplis en ma chair, pour - son corps qui est l'glise_[662]; non sans doute que la Passion du - Sauveur ne ft plus que surabondante pour _ter le pch du - monde_[663], et satisfaire la justice de Dieu; mais parce que chacun - de nous doit la reproduire en soi, et parce qu'_tant les membres d'un - seul corps, qui est le corps du Christ_[664], tout ce que nous - souffrons, il le souffre avec nous, de sorte que nos souffrances - deviennent comme une partie de sa Passion propre. Jsus! je m'offre - avec vous, je m'offre tout entier; me voil sur l'autel: frappez, - Seigneur, achevez le sacrifice; dtruisez tout ce qui en moi est de - l'homme condamn, ces dsirs de la terre, ces affections, ces - volonts, ces sens qui me troublent, ce corps de pch; et les yeux - fixs sur votre Croix, je dirai: _Tout est consomm!_ - - [660] Matth., XXVII, 47. - - [661] Joann., XIV, 30. - - [662] Coloss., I, 24. - - [663] Joann., I, 29. - - [664] I. Cor., XII, 27. - - - - -CHAPITRE IX. - -Que nous devons nous offrir Dieu avec tout ce qui est nous, et prier -pour tous. - - -VOIX DU DISCIPLE. - -1. Seigneur, qui tout appartient dans le ciel et sur la terre, je veux -aussi me donner vous, par une oblation volontaire; je veux tre vous -pour toujours. - -Dans la simplicit de mon coeur, je m'offre vous aujourd'hui, mon -Dieu, pour vous servir jamais, pour vous obir, pour m'immoler sans -cesse votre gloire. - -Recevez-moi avec l'oblation sainte de votre prcieux Corps, que je vous -offre aujourd'hui en prsence des Anges, qui assistent invisiblement -ce sacrifice; et faites qu'il porte des fruits de salut pour moi et pour -tout votre peuple. - -2. Toutes les fautes et tous les crimes que j'ai commis devant vous et -devant vos saints Anges, depuis le jour o j'ai pu commencer pcher -jusqu' ce moment, je vous les offre, Seigneur, sur votre autel de -propitiation, afin que vous les consumiez par le feu de votre amour, que -vous effaciez toutes les taches dont ils ont souill ma conscience, et -qu'aprs l'avoir purifie, vous me rendiez votre grce que mes pchs -m'avaient fait perdre, me les pardonnant tous pleinement, et me -recevant, dans votre misricorde, au baiser de paix. - -3. Que puis-je faire pour expier mes pchs, que de les confesser -humblement, avec une amre douleur, et d'implorer sans cesse votre -clmence? - -Je vous en conjure, exaucez-moi, soyez-moi propice, quand je me prsente -devant vous, mon Dieu. - -J'ai une vive horreur de tous mes pchs, et je suis rsolu ne plus -les commettre. Ils m'affligent profondment, et toute ma vie je ne -cesserai de m'en affliger, prt faire pnitence, et satisfaire pour -eux selon mon pouvoir. - -Pardonnez-les-moi, Seigneur, pardonnez-les-moi, pour la gloire de votre -saint nom. Sauvez mon me, que vous avez rachete au prix de votre sang. - -Voil que je m'abandonne votre misricorde; je me remets entre vos -mains: traitez-moi selon votre bont, et non selon ma malice et mon -iniquit. - -4. Je vous offre aussi tout ce qu'il y a de bien en moi, quelque faible, -quelque imparfait qu'il soit, afin que, l'purant, le sanctifiant, le -perfectionnant sans cesse, vous le rendiez plus digne de vous, plus -agrable vos yeux, et que vous me conduisiez une heureuse fin, moi -le plus inutile, le plus languissant et le dernier des hommes. - -5. Je vous offre encore tous les pieux dsirs des mes fidles, les -besoins de mes parents, de mes amis, de mes frres, de mes soeurs, de -tous ceux qui me sont chers; de ceux qui m'ont fait, ou d'autres, -quelque bien pour l'amour de vous; de ceux qui ont demand ou dsir que -j'offrisse des prires et le saint Sacrifice pour eux et pour les leurs, -soit qu'ils vivent encore en la chair, soit que le temps ait fini pour -eux. - -Que tous sentent le secours de votre grce, la puissance de vos -consolations; protgez-les dans les prils, dlivrez-les de leurs -peines, et qu'affranchis de tous les maux, ils vous rendent, pleins de -joie, d'clatantes actions de grces. - -6. Je vous offre enfin des supplications et l'hostie de paix, -principalement pour ceux qui m'ont offens en quelque chose, qui m'ont -contrist, qui m'ont blm, qui m'ont fait quelques torts ou quelques -peines; et pour tous ceux aussi que j'ai moi-mme affligs, blesss, -troubls, scandaliss, le sachant ou sans le savoir; afin que vous nous -pardonniez tous nos pchs et nos offenses mutuelles. - -tez de nos coeurs, mon Dieu! le soupon, l'aigreur, la colre, tout -ce qui divise, tout ce qui peut altrer la charit et diminuer l'amour -fraternel. - -Ayez piti, Seigneur, ayez piti de ces pauvres qui implorent votre -grce, votre misricorde; et faites que nous soyons dignes de jouir -ici-bas de vos dons, et d'arriver l'ternelle vie. Ainsi soit-il. - - -RFLEXION. - - Aprs s'tre purifi par le sacrement de pnitence, et s'tre uni, - selon tout ce qu'il est, Jsus-Christ, hostie de propitiation pour - le salut des hommes, le prtre s'offre encore pour eux et pour - lui-mme, afin que la vertu du sacrifice qui va s'accomplir, lui soit - applique, et ses frres, et tous ceux pour qui Jsus-Christ, - sacrificateur, est victime[665], l'a consomm sur la Croix. Comme le - Sauveur s'est immol pour lui, il veut s'immoler pour le Sauveur, ne - vivre que pour sa gloire, et mourir pour elle. Il le supplie de - consumer dans le feu de son amour tout ce qui reste en lui d'impur et - de terrestre. Il dpose, en quelque manire, sur l'autel et ses - penses et ses affections, ses volonts, ses dsirs, tout son tre, - afin d'tre revtu en Jsus-Christ d'une vie nouvelle, de cette _vie - selon Dieu_[666], qui fait que l'homme _ne vit plus pour soi, mais - pour celui qui est mort et ressuscit pour lui_[667]. Ainsi ananti - dans la prsence du souverain Matre, et comme baign dj du sang qui - demande grce, il intercde pour ses proches, ses amis, ses - bienfaiteurs, pour ses ennemis mme, pour ceux qui le hassent et le - perscutent, embrassant dans sa charit, immense comme celle du - Christ, toutes les cratures qu'il a rachetes, tous les enfants du - Pre cleste, _qui fait luire son soleil sur les bons et sur les - mchants_[668]. lev, par l'onction sacerdotale, entre la terre et le - ciel, il couvre, pour ainsi dire, le genre humain tout entier de sa - prire et de son amour. Il le voit, par le pch, dans un tat de - mort, et ses dsirs l'enfantent la vie: semblable au Mdiateur - suprme, qui, _dans les jours de sa chair, offrant avec un grand cri - et avec larmes, des prires et des supplications celui qui peut - sauver de la mort, fut exauc cause de son respect_[669]. Oui, _le - salut vient du Seigneur_[670]; _il a fait clater les merveilles de - son Saint_[671]. Prtres du Dieu vivant, _offrez-lui le sacrifice de - justice_[672]. _Je vous prierai, Seigneur; vous entendrez ma voix le - matin; le matin je me prsenterai devant vous; j'entrerai dans votre - maison, et, rempli de votre crainte, j'adorerai dans votre saint - temple; et tous ceux qui esprent en vous se rjouiront, et ils - tressailleront d'allgresse ternellement, parce que vous habiterez en - eux_[673]. - - [665] Hebr., IX, 14. - - [666] I. Petr., IV, 6. - - [667] II. Cor., V, 15. - - [668] Matth., V, 45. - - [669] Hebr., V, 7. - - [670] Ps. III, 9. - - [671] Ps. IV. 4. - - [672] _Ibid._, 6. - - [673] Ps. V, 4, 5, 12. - - - - -CHAPITRE X. - -Qu'on ne doit pas facilement s'loigner de la sainte Communion. - - -VOIX DU BIEN-AIM. - -1. Il faut recourir souvent la source de la grce et de la divine -misricorde, la source de toute bont et de toute puret, afin que -vous puissiez tre guri de vos passions et de vos vices, et que, plus -fort et plus vigilant, vous ne soyez ni vaincu par les attaques du -dmon, ni surpris par ses artifices. - -L'ennemi des hommes, sachant quel est le fruit de la sainte Communion, -et combien est grand le remde qu'y trouvent les mes pieuses et -fidles, s'efforce, en toute occasion et par tous les moyens, de les en -loigner autant qu'il peut. - -2. Aussi est-ce au moment o ils s'y disposent, que quelques-uns -prouvent les plus vives attaques de Satan. - -Cet esprit de malice, comme il est crit au livre de Job, vient parmi -les enfants de Dieu pour les troubler par les ruses ordinaires de sa -haine, cherchant leur inspirer des craintes excessives et de pnibles -perplexits, pour affaiblir leur amour, branler leur foi, afin qu'ils -renoncent communier, ou qu'ils ne communient qu'avec tideur. - -Mais il ne faut pas s'inquiter de ses artifices et de ses suggestions, -quelque honteuses, quelque horribles qu'elles soient, mais les rejeter -toutes sur lui. - -Il faut se rire avec mpris de cet esprit misrable, et n'abandonner -jamais la sainte Communion, cause de ses attaques et des mouvements -qu'il excite en nous. - -3. Souvent aussi l'on s'en loigne par un dsir trop vif de la ferveur -sensible, et parce qu'on a conu de l'inquitude sur sa confession. - -Agissez selon le conseil de personnes prudentes, et bannissez de votre -coeur l'anxit et les scrupules, parce qu'ils dtruisent la pit, et -sont un obstacle la grce de Dieu. - -Ne vous privez point de la sainte Communion, ds que vous prouvez -quelque trouble ou une lgre peine de conscience; mais confessez-vous -au plus tt, et pardonnez sincrement aux autres les offenses que vous -ayez reues d'eux. - -Que si vous avez vous-mme offens quelqu'un, demandez-lui humblement -pardon, et Dieu aussi vous pardonnera. - -4. Que sert de tarder se confesser, et de diffrer la sainte -Communion? - -Purifiez-vous promptement, htez-vous de rejeter le venin et de recourir -au remde; vous vous en trouverez mieux que de diffrer longtemps. - -Si vous diffrez aujourd'hui pour une raison, peut-tre s'en -prsentera-t-il demain une plus forte; et vous pourriez ainsi tre sans -cesse dtourn de la Communion, et sans cesse vous y sentir moins -dispos. - -Ne perdez pas un moment, secouez votre langueur, dchargez-vous de ce -qui vous pse: car quoi revient-il de vivre toujours dans l'anxit, -toujours dans le trouble, et d'tre loign chaque jour par de nouveaux -obstacles de la Table sainte? - -Rien au contraire ne nuit davantage que de s'abstenir longtemps de -communier, car d'ordinaire l'me tombe par l dans un profond -assoupissement. - - douleur! il se rencontre des chrtiens si tides et si lches, qu'ils -saisissent avec joie tous les prtextes pour diffrer se confesser, et -ds lors aussi communier, afin de n'tre pas obligs de veiller avec -plus de soin sur eux-mmes. - -5. Hlas! qu'ils ont peu de pit, peu d'amour, ceux qui se privent si -aisment de la sainte Communion! - -Qu'il est heureux, au contraire, et agrable Dieu, celui qui vit de -telle sorte, et qui conserve sa conscience si pure, qu'il serait prpar - communier tous les jours, et communierait en effet s'il lui tait -permis, et qu'il pt le faire sans singularit! - -Si quelqu'un s'en abstient quelquefois par humilit, ou par une cause -lgitime, on doit louer son respect. - -Mais si sa ferveur s'est refroidie, il doit se ranimer, et faire tout ce -qu'il peut; et Dieu secondera ses dsirs, cause de la droiture de sa -volont qu'il considre principalement. - -6. Que si des motifs lgitimes l'empchent d'approcher de la sainte -Table, il conservera toujours l'intention et le saint dsir de -communier; et ainsi il ne sera pas entirement priv du fruit du -Sacrement. - -Quoique tout fidle doive, certains jours et au temps fix, recevoir, -avec un tendre respect, le Corps du Sauveur dans son Sacrement, et -rechercher en cela plutt la gloire de Dieu que sa propre consolation; -cependant il peut aussi communier en esprit tous les jours, toute -heure, avec beaucoup de fruit. - -Car il communie de cette manire, et se nourrit invisiblement de -Jsus-Christ, toutes les fois qu'il mdite avec pit les mystres de -son Incarnation et de sa Passion, et qu'il s'enflamme de son amour. - -7. Celui qui ne se prpare la Communion qu'aux approches des ftes, ou -quand la coutume l'y oblige, sera souvent mal prpar. - -Heureux celui qui s'offre au Seigneur en holocauste, toutes les fois -qu'il clbre le sacrifice, ou qu'il communie. - -Ne soyez, en clbrant les saints mystres, ni trop lent ni trop prompt, -mais conformez-vous l'usage ordinaire et rgulier de ceux avec qui -vous vivez. - -Il ne faut point fatiguer les autres ni leur causer d'ennui, mais suivre -l'ordre commun tabli par vos pres, et consulter plutt l'utilit de -tous, que votre attrait et votre pit particulire. - - -RFLEXION. - - Qu'il faille exciter des chrtiens s'asseoir la Table sainte, se - nourrir du pain de vie, recevoir en eux _l'auteur et le consommateur - de la foi_[674], le Sauveur des hommes, le Verbe de Dieu; qu'ils - cherchent de tous cts des prtextes pour se tenir loigns de lui; - qu'ils regardent comme une dure obligation le devoir qu'impose - l'glise de participer, en certains temps, au corps et au sang de - Jsus-Christ: c'est quelque chose de si prodigieux et tout ensemble de - si effrayant, que l'me fuit cette pense, comme elle fuirait une - vision de l'enfer. Mais, parmi les fidles que l'amour attire au - banquet sacr de l'poux, il en est qui, abuss par de tristes et - fausses doctrines, ou retenus par les scrupules d'une conscience - timide l'excs, ne se croient jamais assez prpars, et se privent - volontairement de la divine Eucharistie, cause du respect mme que - leur inspire cet auguste sacrement. Sans doute on doit s'prouver - soi-mme; sans doute il serait dsirer que ceux qui mangent le pain - des Anges, eussent toute la puret de ces clestes esprits: mais celui - qui connat notre misre, et qui est venu la gurir, n'exige pas que - l'homme soit parfait pour approcher de la source des grces; il - demande seulement qu'il se soit purifi par la pnitence, et qu'il - apporte au pied de l'autel _un coeur contrit et humili_[675], un - repentir sincre de ses fautes, une volont droite, un amour ardent. - Tandis que Jsus repousse et maudit les Pharisiens, superbes - observateurs de la Loi, il accueille la femme pcheresse, il compatit - son humble douleur, il bnit ses larmes, et _beaucoup de pchs lui - sont remis, parce qu'elle a beaucoup aim_[676]. Trop souvent les - apparentes dlicatesses de conscience qui sparent longtemps de la - communion, cachent un grand et coupable orgueil. Au lieu de - s'abandonner aux conseils du guide qui tient la place de Dieu, on veut - se conduire et se juger soi-mme: erreur funeste dont le dernier - terme, le terme invitable est ou le dsespoir, ou une effroyable - prsomption. Ne quittez, ne quittez jamais la voie de l'obissance: - toutes les autres aboutissent la perdition. Si l'on vous interdit - l'accs de la Table sainte, abstenez-vous et pleurez; car quel sujet - plus lgitime de pleurs? Si l'on vous dit: Allez Jsus dans le - sacrement de son amour; approchez avec allgresse. Nulle disposition - n'gale le sacrifice entier du raisonnement humain et de la volont - propre; ayez en tout et toujours la simplicit d'un petit enfant: la - simplicit du coeur est chre Dieu; il la bnit pour le temps, il la - bnit pour l'ternit. - - [674] Hb., XII, 2. - - [675] Ps. L, 19. - - [676] Luc, VII, 47. - - - - -CHAPITRE XI. - -Que le Corps de Jsus-Christ et l'criture sainte sont trs-ncessaires - l'me fidle. - - -VOIX DU DISCIPLE. - -1. Seigneur Jsus, quelles dlices inondent l'me fidle admise votre -Table, o on ne lui prsente d'autre aliment que vous-mme, son unique -bien-aim, le plus cher objet de ses dsirs! - -Oh! qu'il me serait doux de rpandre en votre prsence des pleurs -d'amour, et d'arroser vos pieds de mes larmes comme Magdeleine! - -Mais o est cette tendre pit, et cette abondante effusion de larmes -saintes? - -Certes, en votre prsence et celle des saints Anges, tout mon coeur -devrait s'embraser et se fondre de joie. - -Car vous m'tes vritablement prsent dans votre Sacrement, quoique -cach sous des apparences trangres. - -2. Mes yeux ne pourraient supporter l'clat de votre divine lumire, et -le monde entier s'vanouirait devant la splendeur de votre gloire. - -C'est donc pour mnager ma faiblesse que vous vous cachez sous les -voiles du Sacrement. - -Je possde rellement et j'adore celui que les anges adorent dans le -ciel: mais je ne le vois encore que par la foi, tandis qu'ils le voient -tel qu'il est et sans voile! - -Il faut que je me contente de ce flambeau de la vraie foi, et que je -marche sa lumire, _jusqu' ce que luise l'aurore du jour ternel, et -que les ombres des figures dclinent_[677]. - - [677] Cant., II, 17. - -Mais _quand ce qui est parfait sera venu_[678], l'usage des Sacrements -cessera, parce que les bienheureux, dans la gloire cleste, n'ont plus -besoin de secours. - - [678] Cor., XIII, 10. - -Ils se rjouissent sans fin dans la prsence de Dieu, et contemplent sa -gloire face face; pntrs de sa lumire et comme plongs dans l'abme -de sa divinit, ils gotent le Verbe de Dieu fait chair, tel qu'il tait -au commencement et tel qu'il sera durant toute l'ternit. - -3. Qu'au souvenir de ces merveilles, tout me soit un pesant ennui, mme -les consolations spirituelles! car tandis que je ne verrai point le -Seigneur mon Dieu dans l'clat de sa gloire, tout ce que je vois, tout -ce que j'entends en ce monde ne m'est rien. - -Vous m'tes tmoin, Seigneur, que je ne trouve nulle part de -consolation, de repos en nulle crature; je ne puis en trouver qu'en -vous seul, mon Dieu, que je dsire contempler ternellement. - -Mais cela ne peut tre tant que je vivrai dans ce corps mortel. - -Il faut donc que je me prpare une grande patience, et que je soumette - votre volont tous mes dsirs. - -Car vos Saints, Seigneur, qui, ravis d'allgresse, rgnent maintenant -avec vous dans le ciel, ont aussi, pendant qu'ils vivaient, attendu avec -une grande foi et une grande patience l'avnement de votre gloire. - -Je crois ce qu'ils ont cru; ce qu'ils ont espr, je l'espre; j'ai la -confiance de parvenir, aid de votre grce, l o ils sont parvenus. - -Jusque-l, je marcherai dans la foi, fortifi par leurs exemples. - -J'aurai aussi les Livres saints pour me consoler et m'instruire, et -par-dessus tout votre sacr Corps, pour remde et pour refuge. - -4. Car je sens que deux choses me sont ici-bas souverainement -ncessaires, et que sans elles je ne pourrais porter le poids de cette -misrable vie. - -Enferm dans la prison du corps, j'ai besoin d'aliments et de lumire. - -C'est pourquoi vous avez donn ce pauvre infirme votre chair sacre, -pour tre la nourriture de son me et de son corps, et _votre parole -pour luire comme une lampe devant ses pas_[679]. - - [679] Ps. CXVIII, 105. - -Je ne pourrais vivre sans ces deux choses: car la parole de Dieu est la -lumire de l'me, et votre Sacrement le pain de vie. - -On peut encore les regarder comme deux tables places dans les trsors -de l'glise. - -L'une est la table de l'autel sacr, sur lequel repose un pain -sanctifi, c'est--dire le Corps prcieux de Jsus-Christ. - -L'autre est la table de la loi divine, qui contient la doctrine sainte, -qui enseigne la vraie foi, qui soulve le voile du sanctuaire, et nous -conduit avec sret jusque dans le Saint des saints. - -Je vous rends grces, Seigneur Jsus, lumire de l'ternelle lumire, de -nous avoir donn, par le ministre des prophtes, des aptres et des -autres docteurs, cette table de la doctrine sainte. - -5. Je vous rends grces, Crateur et Rdempteur des hommes, de ce -qu'afin de manifester votre amour au monde, vous avez prpar un grand -festin, o vous nous offrez pour nourriture, non l'agneau figuratif, -mais votre trs-saint Corps et votre Sang. - -Dans ce sacr banquet, que partagent avec nous les Anges, mais dont ils -gotent plus vivement la douceur, vous comblez de joie tous les fidles, -et vous les enivrez du calice du salut, qui contient toutes les dlices -du ciel. - -6. Oh! qu'elles sont grandes, qu'elles sont glorieuses les fonctions des -prtres, qui il a t donn de consacrer le Dieu de majest par des -paroles saintes, de le bnir de leurs lvres, de le tenir entre leurs -mains, de le recevoir dans leur bouche, et de le distribuer aux autres -hommes! - -Oh! qu'elles doivent tre innocentes les mains du prtre, que sa bouche -doit tre pure, son corps saint et son me exempte des plus lgres -taches, pour recevoir si souvent l'Auteur de la puret! - -Il ne doit sortir rien que de saint, rien que d'honnte, rien que -d'utile, de la bouche du prtre qui participe si frquemment au -Sacrement de Jsus-Christ. - -7. Qu'ils soient simples et chastes les yeux qui contemplent -habituellement le Corps de Jsus-Christ. Qu'elles soient pures et -leves au ciel, les mains qui touchent sans cesse le Crateur du ciel -et de la terre. - -C'est aux prtres surtout qu'il est dit dans la Loi: _Soyez saints, -parce que je suis saint, moi le Seigneur votre Dieu_[680]. - - [680] Lev., XIX, 2; XX, 7. - -8. Que votre grce nous aide, Dieu tout-puissant, nous qui avons t -revtus du sacerdoce, afin que nous puissions vous servir dignement, -avec une vraie pit et une conscience pure. - -Et si nous ne pouvons vivre dans une innocence aussi parfaite que nous -le devrions, accordez-nous du moins de pleurer sincrement nos fautes, -et de former, en esprit d'humilit, la ferme rsolution de vous servir -dsormais avec plus de ferveur. - - -RFLEXION. - - Qu'est-ce que la terre? Un lieu d'exil, _une valle de larmes_, comme - l'appelle l'glise. L'homme y cherche dans les tnbres la vrit, qui - est la vie de son intelligence; il y cherche, au milieu de maux sans - nombre, un bien, il ne sait quel bien, immense, inpuisable, ternel, - qui est la vie de son coeur: et tout ce qu'il cherche lui chappe. Le - doute, l'opinion, l'erreur, fatiguent sa raison puise. Ce qu'il a - cru des biens se change en amertume. Il trouve au fond de tout le vide - et l'ennui. Est-il seul, son me retombe avec douleur sur elle-mme: - il a besoin de support, et malheur lui s'il met sa confiance dans - les autres hommes! Ils se masquent pour le surprendre, ils profanent - pour le tromper le nom d'ami: tandis que leur bouche lui sourit, ils - lui tendent des piges dans l'ombre, et quand force de ruses, de - mensonges et de basses noirceurs, ils l'ont envelopp de leurs rets, - tout coup, se dvoilant, ils se ruent sur lui et le dvorent, comme - l'hyne dvore sa proie. Lamentable condition! Mais Dieu n'a pas - abandonn sa pauvre crature dans ces extrmits de la misre. Il - l'claire par sa parole, il la soutient par sa grce, il l'anime, il - la console par la foi d'une vie meilleure, par l'esprance de - possder, aprs ces jours d'preuve, le bien auquel elle aspire, le - bien infini, qui est lui-mme. Et ces dons merveilleux d'un amour - innarrable, rassembls, concentrs, en quelque sorte, dans la divine - Eucharistie, y sont offerts nos dsirs sans autre mesure que ces - dsirs mmes. Toutes les fois que nous approchons de cet auguste - Sacrement, nous recevons en nous la Sagesse, la Lumire incre, le - Verbe de Dieu, la Parole vivante; nous recevons l'Auteur de la grce, - le Consommateur de la foi, le gage immortel de notre esprance: la - chair crucifie pour nous s'incorpore notre chair, le sang qui a - sauv le monde se mle notre sang; un saint baiser unit notre me - l'me du Rdempteur; sa Divinit nous pntre, et consume en nous tout - ce que le pch avait corrompu: l'ami fidle repose dans notre sein, - il nous parle, il nous dit: _Pose-moi comme un sceau sur ton coeur; - car l'amour est plus fort que la mort_[681]: et alors, embrass de cet - _amour ardent comme le feu_[682], nous ne voyons plus que le - bien-aim, nous n'avons plus de vie que la sienne, et la tristesse de - notre plerinage s'vanouit dans les joies du Ciel. - - [681] Cant., VIII, 6. - - [682] _Ibid._ - - - - -CHAPITRE XII. - -Qu'on doit se prparer avec un grand soin la sainte Communion. - - -VOIX DU BIEN-AIM. - -1. Je suis l'ami de la puret, et c'est de moi que vient toute saintet. - -Je cherche un coeur pur, et l est le lieu de mon repos. - -_Prparez-moi un grand Cnacle, et je clbrerai chez vous la Pque avec -mes disciples_[683]. - - [683] Marc., XIV, 15. Luc., XXII, 12. - -Si vous voulez que je vienne vous, et que je demeure en vous, -_purifiez-vous du vieux levain_[684], et nettoyez la maison de votre -coeur. - - [684] I. Cor., V, 7. - -Bannissez-en les penses du sicle, et le tumulte des vices. - -_Comme le passereau qui gmit sous un toit solitaire_[685], -rappelez-vous vos pchs dans l'amertume de votre me. - - [685] Ps. CI, 8. - -Car un ami prpare toujours son ami le lieu le meilleur et le plus -beau; et c'est ainsi qu'il lui fait connatre avec quelle affection il -le reoit. - -2. Sachez cependant que vous ne pouvez, quels que soient vos propres -efforts, vous prparer dignement, quand vous y emploieriez une anne -entire, sans vous occuper d'autre chose. - -Mais c'est par ma grce et ma seule bont qu'il vous est permis -d'approcher de ma table, comme un mendiant invit au festin du riche, et -qui n'a, pour reconnatre ce bienfait, que d'humbles actions de grces. - -Faites ce qui est en vous, et faites-le avec un grand soin. Recevez, non -pour suivre la coutume ou pour remplir un devoir rigoureux, mais avec -crainte, avec respect, avec amour, le corps du Seigneur bien-aim, de -votre Dieu, qui daigne venir vous. - -C'est moi qui vous appelle, qui vous commande de venir: je supplerai -ce qui vous manque; venez et recevez-moi. - -3. Lorsque je vous accorde le don de la ferveur, remerciez-en votre -Dieu: car ce n'est pas que vous en soyez digne, mais parce que j'ai eu -piti de vous. - -Si vous vous sentez, au contraire, aride, priez avec instance, gmissez -et ne cessez point de frapper la porte, jusqu' ce que vous obteniez -quelque miette de ma table, ou une goutte des eaux salutaires de la -grce. - -Vous avez besoin de moi, et je n'ai pas besoin de vous. Vous ne venez -pas moi pour me sanctifier; mais c'est moi qui viens vous pour vous -rendre meilleur et plus saint. - -Vous venez pour que je vous sanctifie, et pour vous unir moi, pour -recevoir une grce nouvelle, et vous enflammer d'une nouvelle ardeur -d'avancer dans la vertu. - -Ne ngligez point cette grce; mais prparez votre coeur avec un soin -extrme, et recevez-y votre bien-aim. - -4. Mais il ne faut pas seulement vous exciter la ferveur avant la -Communion, il faut encore travailler vous y conserver aprs; et la -vigilance qui la doit suivre n'est pas moins ncessaire que la -prparation qui la prcde: car cette vigilance est elle-mme la -meilleure prparation pour obtenir une grce plus grande. - -Rien, au contraire, n'loigne davantage des dispositions o l'on doit -tre pour communier, que de se trop rpandre au dehors en sortant de la -Table sainte. - -Parlez peu, retirez-vous dans un lieu secret, et jouissez de votre Dieu. - -Car vous possdez celui que le monde entier ne peut vous ravir. - -Je suis celui qui vous vous devez donner sans rserve; de sorte que, -dgag de toute inquitude, vous ne viviez plus en vous, mais en moi. - - -RFLEXION. - - La prparation la Pque nouvelle comprend deux choses: il faut - purifier le Cnacle, et il faut l'orner; c'est--dire que, pour - recevoir dignement le corps et le sang de Jsus-Christ, l'me doit - tre avant tout exempte de souillures, elle doit avoir t lave dans - les eaux de la pnitence, et ensuite s'tre exerce la pratique des - vertus, qui la rendent agrable Dieu. Ce qui plat au Seigneur, ce - qui attire ses grces, c'est une profonde humilit[686], un souverain - mpris de soi-mme, une foi vive, un abandon parfait ses volonts, - le dtachement de la terre et le dsir des biens clestes, _la charit - qui est douce, patiente, qui n'est point jalouse, qui n'agit point - tmrairement, qui ne s'enfle point d'orgueil, qui n'est point - ambitieuse, qui ne cherche point ses intrts, qui ne s'aigrit de - rien, ne souponne point le mal, ne se rjouit point de l'injustice, - mais se rjouit de la vrit; qui souffre tout, croit tout, espre - tout, supporte tout_[687]: charit vraiment divine, et, selon la - doctrine du grand aptre, prfrable tout ce qu'il y a de plus - lev. _Quand je parlerais toutes les langues des hommes et le langage - des Anges, si je n'ai point la charit, je suis comme un airain - sonnant, ou une cymbale retentissante. Et quand j'aurais le don de - prophtie, quand je pntrerais tous les mystres, et que je - possderais toute science, quand j'aurais la foi parfaite jusqu' - transporter les montagnes, si je n'ai point la charit, je ne suis - rien. Et quand j'aurais distribu tous mes biens pour nourrir les - pauvres, et livr mon corps aux flammes, si je n'ai point la charit, - tout cela ne me sert de rien_[688]. me chrtienne; qui aspirez au - banquet nuptial, imitez donc les Vierges sages; _prenez de l'huile, - allumez votre lampe, pour aller au-devant de l'poux_[689]; car celles - dont les lampes seront teintes, entendront cette parole terrible: _En - vrit je ne vous connais point_[690]. - - [686] I. Petr., V, 5. - - [687] Cor., XIII, 4-7. - - [688] I. Cor., XIII, 1-3. - - [689] Luc., XXV, 4 et seq. - - [690] _Ibid._, 12. - - - - -CHAPITRE XIII. - -Que le fidle doit dsirer de tout son coeur de s'unir Jsus-Christ -dans la Communion. - - -VOIX DU DISCIPLE. - -1. Qui me donnera, Seigneur, de vous trouver seul, et de vous ouvrir -tout mon coeur, et de jouir de vous comme mon me le dsire; de sorte -que je ne sois plus pour personne un objet de mpris, et, qu'tranger -toute crature, vous me parliez seul, et moi vous, comme un ami parle - son ami, et s'assied avec lui la mme table? - -Ce que je demande, ce que je dsire, c'est d'tre uni tout entier -vous, que mon coeur se dtache de toutes les choses cres, et que, par -la sainte Communion et la frquente clbration des divins mystres, -j'apprenne goter les choses du ciel et de l'ternit. - -Ah! Seigneur mon Dieu, quand, m'oubliant tout fait moi-mme, serai-je -parfaitement uni vous, et absorb en vous? - -Que je sois en vous, et vous en moi, et que cette union soit -inaltrable! - -2. Vous tes vraiment mon bien-aim, _choisi entre mille_[691], en qui -mon me se complat, et veut demeurer jamais. - - [691] Cant., V, 10. - -Vous tes _le Roi pacifique_[692]; en vous est la paix souveraine et le -vrai repos; hors de vous, il n'y a que travail, douleur, misre infinie. - - [692] I. Paralip., XXII, 9. - -_Vous tes vraiment un Dieu cach_; vous vous loignez des impies, mais -_vous aimez converser avec les humbles et les simples_[693]. - - [693] Is., XIV, 15. Prov., III, 32. - -_Oh! que votre tendresse est touchante, Seigneur, vous qui, pour montrer - vos enfants tout votre amour, daignez les rassasier d'un pain -dlicieux qui descend du ciel_[694]! - - [694] Offic. du S. Sacrem. - -Certes, _nul autre peuple, quelque grand qu'il soit, n'a des dieux qui -s'approchent de lui_[695], comme vous, mon Dieu; vous vous rendez -prsent tous vos fidles, vous donnant vous-mme eux chaque jour, -pour tre leur nourriture, et pour qu'ils jouissent de vous, afin de les -consoler et d'lever leur coeur vers le ciel. - - [695] Deut., IV, 7. - -3. Quel est le peuple, en effet, comparable au peuple chrtien? quelle -est, sous le ciel, la crature aussi chrie que l'me fervente en qui -Dieu daigne entrer pour la nourrir de sa chair glorieuse? - - faveur ineffable! condescendance merveilleuse! amour infini, qui -n'a t montr qu' l'homme! - -Mais que rendrai-je au Seigneur pour cette grce, pour cette immense -charit? - -Je ne puis rien offrir mon Dieu qui lui soit plus agrable, que de lui -donner mon coeur sans rserve, et de m'unir intimement lui. - -Alors mes entrailles tressailliront de joie, lorsque mon me sera -parfaitement unie Dieu. - -Alors il me dira: Si vous voulez tre avec moi, je veux tre avec vous. -Et je lui rpondrai: Daignez demeurer avec moi, Seigneur; je dsire -ardemment d'tre avec vous. Tout mon dsir est que mon coeur vous soit -uni. - - -RFLEXION. - - Je m'abandonne vous, mon Dieu: votre unit pour tre fait un - avec vous; votre infinit et votre immensit incomprhensible, - pour m'y perdre et m'y oublier moi-mme; votre sagesse infinie, pour - tre gouvern selon vos desseins, et non pas selon mes penses; vos - dcrets ternels, connus et inconnus, pour m'y conformer, parce qu'ils - sont tous galement justes; votre ternit, pour en faire mon - bonheur; votre toute-puissance, pour tre toujours sous votre main; - votre bont paternelle, afin que, dans le temps que vous m'avez - marqu, vous receviez mon esprit entre vos bras; votre justice, - autant qu'elle justifie l'impie et le pcheur, afin que, d'impie et de - pcheur, vous le fassiez juste et saint. Il n'y a qu' cette justice - qui punit les crimes que je ne veux pas m'abandonner; car ce serait - m'abandonner la damnation que je mrite; et nanmoins, Seigneur, - elle est sainte, cette justice, comme tous vos autres attributs; elle - est sainte et ne doit pas tre prive de son sacrifice. Il faut donc - aussi m'y abandonner, et voici que Jsus-Christ se prsente, afin que - je m'y abandonne en lui et par lui[696]. - - [696] Bossuet. - - - - -CHAPITRE XIV. - -Du dsir ardent que quelques mes saintes ont de recevoir le Corps de -Jsus-Christ. - - -VOIX DU DISCIPLE. - -1. _Combien est grande, mon Dieu, l'abondance de douceur que vous avez -rserve ceux qui vous craignent_[697]! - - [697] Ps. XXX, 23. - -Quand je viens considrer avec quel dsir et quel amour quelques mes -fidles s'approchent, Seigneur, de votre sacrement, alors je me confonds -souvent en moi-mme, et je rougis de me prsenter votre autel et la -table sacre de la Communion, avec tant de froideur et de scheresse; -d'y porter un coeur si aride, si tide, et de ne point ressentir cet -attrait puissant, cette ardeur qu'prouvent quelques-uns de vos -serviteurs, qui, en se disposant vous recevoir, ne sauraient retenir -leurs larmes, tant le dsir qui les presse est grand, et leur motion -profonde. - -Ils ont soif de vous, mon Dieu, qui tes la source d'eau vive; et leur -coeur et leur bouche s'ouvrent galement pour s'y dsaltrer. Rien ne -peut rassasier ni temprer leur faim que votre sacr Corps, qu'ils -reoivent avec une sainte avidit et les transports d'une joie -ineffable. - -2. Oh! que cette ardente foi est une preuve sensible de votre prsence -dans le sacrement! - -Car _ils reconnaissent vritablement le Seigneur dans la fraction du -pain, ceux dont le coeur est tout brlant, lorsque Jsus est avec -eux_[698]. - - [698] Luc., XXIV, 49. - -Qu'une affection si tendre, un amour si vif, est souvent loin de moi! - -Soyez-moi propice, bon Jsus, plein de douceur et de misricorde! Ayez -piti d'un pauvre mendiant, et faites que j'prouve, au moins -quelquefois, dans la sainte Communion, quelques mouvements de cet amour -qui embrase tout le coeur, afin que ma foi s'affermisse, que mon -esprance en votre bont s'accroisse, et qu'enflamm par cette manne -cleste, jamais la charit ne s teigne en moi. - -3. Dieu de bont, vous tes tout-puissant pour m'accorder la grce que -j'implore, pour me remplir de l'esprit de ferveur, et me visiter dans -votre clmence, quand le jour choisi par vous sera venu. - -Car encore que je ne brle pas de la mme ardeur que ces mes pieuses, -cependant, par votre grce, j'aspire leur ressembler, dsirant et -demandant d'tre compt parmi ceux qui ont pour vous un si vif amour, et -d'entrer dans leur socit sainte. - - -RFLEXION. - - _Avant le jour de la Pque, Jsus sachant que son heure tait venue de - passer de ce monde son Pre; comme il avait aim les siens qui - taient dans le monde, il les aima jusqu' la fin_[699]. Ce fut alors - qu'il institua la divine Eucharistie, comme pour perptuer sa demeure - au milieu des disciples qu'il avait aims, et de tous ceux qu'il - aimerait jusqu' la consommation des sicles, accomplissant ainsi - cette promesse: _Je ne vous laisserai pas orphelins; je viendrai - vous_[700]: et il est venu, _il a habit parmi nous, et nous avons vu - sa gloire, la gloire du Fils unique du Pre, plein de grce et de - vrit_[701]. Il est vrai que sa prsence se drobe nos sens; mais - elle n'en est ni moins relle, ni moins efficace: ainsi je crois, - Seigneur; ainsi j'adore. Si Jsus-Christ, en se donnant nous dans le - Sacrement de l'autel, ne se couvrait pas d'un voile, s'il ne retenait - pas en soi une partie de sa lumire, s'il se montrait selon tout ce - qu'il est, _plus beau qu'aucun des enfants des hommes_[702], et avec - une tendresse ineffable aspirant de s'unir nous, _corps corps, - coeur coeur, esprit esprit_[703], notre frle humanit ne pourrait - supporter le poids d'une flicit semblable, et l'me briserait ses - liens mortels. C'est pourquoi le divin Sauveur a voulu ne se rendre - visible qu' la foi seule; et la foi suffit pour embraser de telles - ardeurs les vrais fidles, qu'il n'est rien sur la terre de comparable - leur amour. Aucune langue ne peut exprimer ce qui se passe, dans le - secret du coeur, entre l'poux et l'pouse: ces transports, ce calme, - ces lans du dsir, cette joie de la possession, ces chastes - embrassements de deux mes perdues l'une dans l'autre, cette douce - langueur, ces paroles brlantes, ce silence plus ravissant. Ah! _si - vous saviez le don de Dieu, et quel est celui qui vous dit: Donnez-moi - boire, vous lui demanderiez vous-mme, et il vous donnerait de l'eau - vive_[704]. Tous les saints lui ont demand, et il a entendu leur - voix, et il les a dsaltrs la source ternelle. Demandez aussi, - priez, suppliez: _l'Esprit et l'pouse disent: Venez. Et que celui qui - coute, dise: Venez. Que celui qui a soif vienne, et que celui qui - veut, reoive gratuitement l'eau qui donne la vie._ Et l'poux dit: - _Je viens. Ainsi soit-il! Venez, Seigneur Jsus_[705]. - - [699] Joann., XIII, 1. - - [700] _Ibid._, XIV, 18. - - [701] _Ibid._, I, 14. - - [702] Ps. XLIV. - - [703] Bossuet. - - [704] Joann., IV, 10. - - [705] Apoc., XXII. 17, 20. - - - - -CHAPITRE XV. - -Que la grce de la dvotion s'acquiert par l'humilit et l'abngation de -soi-mme. - - -VOIX DU BIEN-AIM. - -1. Il faut dsirer ardemment la grce de la ferveur, ne vous lasser -jamais de la demander, l'attendre patiemment et avec confiance, la -recevoir avec gratitude, la conserver avec humilit, concourir avec zle - son opration, et, jusqu' ce que Dieu vienne vous, ne vous point -inquiter en quel temps et de quelle manire il lui plaira de vous -visiter. - -Vous devez surtout vous humilier, lorsque vous ne sentez en vous que peu -ou point de ferveur; mais ne vous laissez point trop abattre, et ne vous -affligez point avec excs. - -Souvent Dieu donne en un moment ce qu'il a longtemps refus; il accorde -quelquefois la fin de la prire, ce qu'il a diffr de donner au -commencement. - -2. Si la grce tait toujours donne aussitt qu'on la dsire, ce serait -une tentation pour la faiblesse de l'homme. - -C'est pourquoi l'on doit attendre la grce de la ferveur avec une -confiance ferme et une humble patience. - -Lorsqu'elle vous est cependant ou refuse ou te secrtement, ne -l'imputez qu' vous-mme et vos pchs. - -C'est souvent peu de chose qui arrte, ou qui affaiblit la grce; si -pourtant l'on peut appeler peu de chose, et si l'on ne doit pas plutt -compter pour beaucoup, ce qui nous prive d'un si grand bien. - -Mais, quel que soit cet obstacle, si vous le surmontez parfaitement, -vous obtiendrez ce que vous demandez. - -3. Car, ds que vous vous serez donn Dieu de tout votre coeur, et -que, cessant d'errer d'objets en objets au gr de vos dsirs, vous vous -serez remis entirement entre ses mains, vous trouverez la paix dans -cette union, parce que rien ne vous sera doux que ce qui peut lui -plaire. - -Quiconque lvera donc son intention vers Dieu avec un coeur simple, et -se dgagera de tout amour et de toute aversion drgle des cratures, -sera propre recevoir la grce, et digne du don de la ferveur. - -Car Dieu rpand sa bndiction o il trouve des vases vides; et plus un -homme renonce parfaitement aux choses d'ici-bas, plus il se mprise et -meurt lui-mme, plus la grce vient lui promptement, plus elle -remplit son coeur, et l'affranchit et l'lve. - -4. Alors, ravi d'tonnement, il verra ce qu'il n'avait point vu, et il -sera dans l'abondance, et son coeur se dilatera, parce que le Seigneur -est avec lui, et qu'il s'est lui-mme remis sans rserve et pour -toujours entre ses mains. - -C'est ainsi que sera bni l'homme qui cherche Dieu de tout son coeur, et -_qui n'a pas reu son me en vain_[706]. - - [706] Ps. XXIII, 4. - -Ce disciple fidle, en recevant la sainte Eucharistie, mrite d'obtenir -la grce d'une union plus grande avec le Seigneur, parce qu'il ne -considre point ce qui lui est doux, ce qui le console, mais, au-dessus -de toute douceur et de toute consolation, l'honneur et la gloire de -Dieu. - - -RFLEXION. - - Bien qu'on doive aimer Dieu pour lui seul, il est permis de dsirer - ses dons, pourvu qu'on demeure pleinement soumis sa volont sainte. - Les grces les plus prcieuses ne sont pas toujours les grces - senties, celles qui, pour ainsi dire, inondent l'me de lumire et de - joie. Elles peuvent, si l'on n'y prend garde, exciter la vaine - complaisance. Souvent il est plus sr de marcher en cette vie dans les - tnbres de la pure foi, d'tre prouv par la tristesse, la - souffrance, l'amertume, et de porter la Croix intrieure comme Jsus, - lorsqu'il s'criait: _Mon Pre! pourquoi m'avez-vous dlaiss_[707]? - Alors tout orgueil est abattu; on ne trouve en soi qu'infirmit; on - s'humilie sous la main qui frappe, mais qui frappe pour gurir, et ce - saint exercice d'abngation, plus mritoire pour l'me fidle et plus - agrable Dieu qu'aucune ferveur sensible, attendrit le cleste poux - et le ramne prs de l'pouse qui, prive de son bien-aim, _veillait_ - dans sa douleur, _semblable au passereau solitaire qui gmit sous le - toit_[708]. Il se dcouvre elle dans la divine Eucharistie; il la - console, il essuie ses larmes, il lui prodigue ses chastes caresses, - il l'embrase de son amour, comme les disciples d'Emmas, alors qu'ils - disaient: _Notre coeur n'tait-il pas tout brlant au dedans de nous, - lorsqu'il nous parlait dans le chemin, et nous ouvrait les - critures[709]?_ Seigneur, je m'avoue indigne de goter ces - ravissantes douceurs. _Je connais mon iniquit, et mon pch est sans - cesse devant moi_[710]. Que me devez-vous, sinon la rigueur et le - chtiment? Et toutefois j'oserai implorer votre misricorde immense: - je m'approcherai, le front contre terre, de la source d'eau vive, - esprant que votre piti en laissera tomber quelques gouttes sur mon - me aride. _Accordez-moi, Seigneur, ce rafrachissement avant que je - m'en aille, et bientt je ne serai plus_[711]. - - [707] Marc., XV, 34. - - [708] Ps. CI, 8. - - [709] Luc., XXIV, 32. - - [710] Ps. L, 5. - - [711] Ps. XXVIII, 14. - - - - -CHAPITRE XVI. - -Qu'il faut dans la Communion exposer ses besoins Jsus-Christ, et lui -demander sa grce. - - -VOIX DU DISCIPLE. - -1. Seigneur plein de tendresse et de bont, que je dsire recevoir en ce -moment avec un pieux respect, vous connaissez mon infirmit et mes -pressants besoins; vous savez en combien de maux et de vices je suis -plong, quelles sont mes peines, mes tentations, mes troubles et mes -souillures. - -Je viens vous chercher le remde, pour obtenir un peu de soulagement -et de consolation. - -Je parle celui qui sait tout, qui voit tout ce qu'il y a de plus -secret en moi, et qui seul peut me secourir et me consoler parfaitement. - -Vous savez quels biens me sont principalement ncessaires, et combien je -suis pauvre en vertus. - -2. Voil que je suis devant vous, pauvre et nu, demandant votre grce, -implorant voire misricorde. - -Rassasiez ce mendiant affam, rchauffez ma froideur du feu de votre -amour, clairez mes tnbres par la lumire de votre prsence. - -Changez pour moi toutes les choses de la terre en amertume; faites que -tout ce qui m'est dur et pnible, fortifie ma patience: que je mprise -et que j'oublie tout ce qui est cr, tout ce qui passe. - -levez mon coeur vous dans le ciel, et ne me laissez pas errer sur la -terre. - -Que, de ce moment et jamais, rien ne me soit doux que vous seul, parce -que vous seul tes ma nourriture, mon breuvage, mon amour, ma joie, ma -douceur et tout mon bien. - -3. Oh! que ne puis-je, enflamm, embras par votre prsence, tre -transform en vous, de sorte que je devienne un mme esprit avec vous, -par la grce d'une union intime, et par l'effusion d'un ardent amour! - -Ne souffrez pas que je m'loigne de vous sans m'tre rassasi et -dsaltr; mais usez envers moi de la mme misricorde dont vous avez -souvent us avec vos Saints d'une manire si merveilleuse. - -Qui pourrait s'tonner qu'en m'approchant de vous je fusse entirement -consum de votre ardeur, puisque vous tes un feu qui brle toujours et -ne s'teint jamais, un amour qui purifie les coeurs, et qui claire -l'intelligence? - - -RFLEXION. - - Ce n'est point en nous efforant d'lever notre esprit de sublimes - penses, que nous recueillerons le fruit de la sainte Communion; mais - en adorant, pleins d'amour, Jsus-Christ en nous, en lui ouvrant notre - coeur avec une grande confiance et une grande simplicit, _comme un - ami parle son ami_[712]. Nous avons des besoins, il faut les lui - exposer. Nous sommes couverts de plaies, il faut les lui montrer, afin - qu'il les lave dans son divin sang. Nous sommes faibles, il faut lui - demander de ranimer nos forces. Nous sommes nus, affams, altrs; il - faut lui dire: Ayez piti de ce pauvre mendiant. De lui dcoulent - toutes les grces. coutez ses paroles: _Je suis la rsurrection et la - vie: celui qui croit en moi, encore qu'il soit mort, il vivra: et tout - homme qui vit et qui croit en moi ne mourra point jamais. - Croyez-vous ainsi[713]?_ chrtien! je ne te dis plus rien: c'est - Jsus-Christ qui te parle en la personne de Marthe; rponds avec elle. - _Oui, Seigneur, je crois que vous tes le Christ, fils du Dieu vivant, - qui tes venu en ce monde_[714]. Ajoutez avec saint Paul: _Afin de - sauver les pcheurs, desquels je suis le premier_[715]. Crois donc, - me chrtienne, adore, espre, aime. Jsus! tez les voiles, et que - je vous voie. Jsus! parlez dans mon coeur, et faites que je vous - coute. Parlez, parlez, parlez; Il n'y a plus qu'un moment: parlez. - Donnez-moi des larmes pour vous rpondre: frappez la pierre; et que - les eaux d'un amour plein d'esprance, pntr de reconnaissance, - coulent jusqu' terre[716]. - - [712] Levit., XXXIII, 11. - - [713] Joann., XI, 25, 26. - - [714] Joann., XI, 27. - - [715] I. Tim., I, 15. - - [716] Bossuet. - - - - -CHAPITRE XVII. - -Du dsir ardent de recevoir Jsus-Christ. - - -VOIX DU DISCIPLE. - -1. Seigneur, je dsire vous recevoir avec un pieux et ardent amour, avec -toute la tendresse et l'affection de mon coeur, comme vous ont dsir -dans la Communion tant de Saints et de fidles qui vous taient si -chers, cause de leur vie pure et de leur fervente pit. - - mon Dieu! Amour ternel, mon unique bien, ma flicit toujours -durable, je dsire vous recevoir avec toute la ferveur, tout le respect -qu'ait jamais pu ressentir aucun de vos Saints. - -2. Et quoique je sois indigne d'prouver ces admirables sentiments -d'amour, je vous offre cependant toute l'affection de mon coeur, comme -si j'tais anim seul de ces dsirs enflamms qui vous sont si -agrables. - -Tout ce que peut concevoir et dsirer une me pieuse, je vous le -prsente, je vous l'offre, avec un respect profond et une vive ardeur. - -Je ne veux rien me rserver; mais je veux vous offrir sans rserve le -sacrifice de moi-mme et de tout ce qui est moi. - -Seigneur mon Dieu, mon Crateur et mon Rdempteur, je dsire vous -recevoir aujourd'hui avec autant de ferveur et de respect, avec autant -de zle pour votre gloire, avec autant de reconnaissance, de saintet, -d'amour, de foi, d'esprance et de puret, que vous dsira et vous reut -votre sainte Mre, la glorieuse Vierge Marie; lorsque, l'Ange lui -annonant le mystre de l'Incarnation, elle rpondit avec une pieuse -humilit: _Voici la servante du Seigneur; qu'il me soit fait selon votre -parole_[717]. - - [717] Luc., I, 38. - -3. Et de mme que votre bienheureux prcurseur, le plus grand des -Saints, Jean-Baptiste, lorsqu'il tait encore dans le sein de sa mre, -tressaillit de joie en votre prsence, par un mouvement du Saint-Esprit, -et que, vous voyant ensuite converser avec les hommes, il disait avec un -tendre amour et en s'humiliant profondment: _L'ami de l'poux, qui est -prs de lui et qui l'coute, est ravi d'allgresse, parce qu'il entend -la voix de l'poux_[718]; ainsi je voudrais tre embras des plus -saints, des plus ardents dsirs, et m'offrir vous de toute l'affection -de mon coeur. - - [718] Joann., III, 29. - -C'est pourquoi je vous offre tous les transports d'amour et de joie, les -extases, les ravissements, les rvlations, les visions clestes de -toutes les mes saintes, avec les hommages que vous rendent et vous -rendront jamais toutes les cratures dans le ciel et sur la terre; je -vous les offre ainsi que leurs vertus, pour moi et pour tous ceux qui se -sont recommands mes prires, afin qu'ils clbrent dignement vos -louanges, et vous glorifient ternellement. - -4. Seigneur mon Dieu, recevez mes voeux, et le dsir qui m'anime de vous -louer, de vous bnir, avec l'amour immense, infini, d votre ineffable -grandeur. - -Voil ce que je vous offre, et ce que je voudrais vous offrir chaque -jour et chaque moment; et je prie et je conjure, de tout mon coeur, -tous les esprits clestes et tous vos fidles serviteurs, de s'unir -moi pour vous louer, et vous rendre de dignes actions de grces. - -5. Que tous les peuples, toutes les tribus, toutes les langues vous -bnissent, et clbrent, dans des transports de joie et d'amour, la -douceur et la saintet de votre nom. - -Que tous ceux qui offrent, avec rvrence et avec pit, les divins -mystres, et qui les reoivent avec une pleine foi, trouvent devant vous -grce et misricorde, et qu'ils prient avec instance pour moi, pauvre -pcheur. - -Et lorsque aprs s'tre unis vous, selon leurs pieux dsirs, ils se -retireront de la Table sainte, rassasis et consols merveilleusement, -qu'ils daignent se souvenir de moi, qui languis dans l'indigence. - - -RFLEXION. - - Que cet adorable Sacrement opre en moi, mon Sauveur! la rmission - de mes pchs; que ce sang divin me purifie; qu'il lave toutes les - taches qui ont souill cette robe nuptiale dont vous m'aviez revtu - dans le baptme, afin que je puisse m'asseoir avec assurance au - banquet des noces de votre Fils. Je suis, je l'avoue, une me - pcheresse, une pouse infidle, qui ai manqu une infinit de fois - la foi donne: _Mais revenez_, me dites-vous, Seigneur! _revenez, je - vous recevrai_[719]: pourvu que vous ayez repris votre premire robe, - et que vous portiez, dans l'anneau que l'on vous met au doigt, la - marque de l'union o le Verbe divin entre avec vous. Rendez-moi cet - anneau mystique: revtez-moi de nouveau, mon Pre, comme un enfant - prodigue qui retourne vous, de cette robe de l'innocence et de la - saintet que je dois apporter votre Table. C'est l'immortelle parure - que vous nous demandez, vous qui tes en mme temps l'poux, le - convive et la victime immole qu'on nous donne manger. C'est cette - Table mystrieuse que l'on trouve l'accomplissement de cette parole: - _Qui me mange vivra pour moi_[720]. Qu'elle s'accomplisse en moi, - mon Sauveur! que j'en sente l'effet: transformez-moi en vous, et que - ce soit vous-mme qui viviez en moi. Mais, pour cela, que je - m'approche de ce cleste repos avec les habits les plus magnifiques; - que j'y vienne avec toutes les vertus; que j'y coure avec une joie - digne d'un tel festin et de la viande immortelle que vous m'y - donnez[721]. - - [719] Jer., III, 1. - - [720] Joann., VI, 58. - - [721] Bossuet. - - - - -CHAPITRE XVIII. - -Qu'on ne doit point chercher pntrer le mystre de l'Eucharistie, -mais qu'il faut soumettre ses sens la Foi. - - -VOIX DU BIEN-AIM. - -1. Gardez-vous du dsir curieux et inutile de sonder ce profond mystre, -si vous ne voulez pas vous plonger dans un abme de doutes. - -_Celui qui scrute la majest sera accabl par la gloire_[722]. - - [722] Prov., XXV, 27. - -Dieu peut faire plus que l'homme ne peut comprendre. - -On ne dfend pas une humble et pieuse recherche de la vrit, pourvu -qu'on soit toujours prt se laisser instruire, et qu'on s'attache -fidlement la sainte doctrine des Pres. - -2. Heureuse la simplicit qui laisse le sentier des questions -difficiles, pour marcher dans la voie droite et sre des commandements -de Dieu. - -Plusieurs ont perdu la pit en voulant approfondir ce qui est -impntrable. - -Ce qu'on demande de vous, c'est la foi et une vie pure, et non une -intelligence qui pntre la profondeur des mystres de Dieu. - -Si vous ne comprenez pas ce qui est au-dessous de vous, comment -comprendrez-vous ce qui est au-dessus? - -Soumettez-vous humblement Dieu, captivez votre raison sous le joug de -la foi; et vous recevrez la lumire de la science, selon qu'il vous sera -utile ou ncessaire. - -3. Plusieurs sont violemment tents sur la foi ce Sacrement; mais il -faut l'imputer moins eux qu' l'ennemi. - -Ne vous troublez point, ne disputez point avec vos penses, ne rpondez -point aux doutes que le dmon vous suggre; mais croyez la parole de -Dieu, croyez ses Saints et ses Prophtes, et l'esprit de malice -s'enfuira loin de vous. - -Il est souvent trs-utile un serviteur de Dieu d'tre prouv ainsi. - -Car le dmon ne tente point les infidles et les pcheurs qui sont lui -dj; mais il attaque et tourmente de diverses manires les mes pieuses -et fidles. - -4. Allez donc avec une foi simple et inbranlable, et recevez le -Sacrement avec un humble respect, vous reposant sur la toute-puissance -de Dieu, de ce que vous ne pourrez comprendre. - -Dieu ne trompe point; mais celui qui se croit trop lui-mme est souvent -tromp. - -Dieu s'approche des simples; il se rvle aux humbles, _il donne -l'intelligence aux petits_[723], et il cache sa grce aux curieux et aux -superbes. - - [723] Ps. CXVIII, 130. - -La raison de l'homme est faible, et se trompe aisment; mais la vraie -foi ne peut tre trompe. - -5. La raison et toutes les recherches naturelles doivent suivre la foi, -et non la prcder ni la combattre. - -Car la foi et l'amour s'lvent par-dessus tout, et oprent d'une -manire inconnue dans le trs-saint et trs-auguste Sacrement. - -Dieu ternel, immense, infiniment puissant, fait dans le ciel et sur la -terre des choses grandes, incomprhensibles, et nul ne saurait pntrer -ses merveilles. - -Si les oeuvres de Dieu taient telles que la raison de l'homme pt -aisment les comprendre, elles cesseraient d'tre merveilleuses et ne -pourraient tre appeles ineffables. - - -RFLEXION. - - L'impie veut savoir, et c'est l sa perte. Il demande le salut la - science, il le demande l'orgueil, il se le demande lui-mme: et du - fond de son intelligence tnbreuse, de sa nature impuissante et - dgrade, sort une rponse de mort. Chrtiens, ne l'oubliez jamais, - _le juste vit de la foi_[724]. Vivez donc de la foi, en vivant de - l'adorable Eucharistie, qui en est la plus forte comme la plus douce - preuve. Celui _qui est la voie, la vrit, la vie_[725], - Jsus-Christ, fils de Dieu, a parl; il a dit: _Ceci est mon corps, - ceci est mon sang_[726]. _Le croyez-vous ainsi_[727]? Oui, je le crois - ainsi, Seigneur. _Le ciel et la terre passeront, mais vos paroles ne - passeront point_[728]. Je crois et je confesse que ce qui tait du - pain est vraiment votre corps, que ce qui tait du vin est vraiment - votre sang. Mon esprit se soumet, et impose silence aux sens rvolts. - _Dieu a tant aim l'homme qu'il a donn pour lui son fils - unique_[729]: et pour complter, pour perptuer jamais ce grand don, - le Fils aussi se donne l'homme, tous les jours, la Table sainte, - rellement et substantiellement. Encore un coup, je crois, Seigneur, - _je crois l'amour que Dieu a eu pour nous_[730], l'amour du Pre, - l'amour du Fils; et cet amour infini explique tout, claircit tout, - satisfait tout. Qu'importe que nous comprenions? Ne savons-nous pas - que vos _voies sont impntrables_[731], _et que celui qui scrute la - majest sera opprim par la gloire_[732]? Notre bonheur est de croire - sans comprendre; notre bonheur est de nous plonger les yeux ferms et - de nous perdre dans l'abme incomprhensible de votre amour. Que la - raison superbe et contentieuse se taise donc: qu'elle cesse d'opposer - insolemment sa faiblesse votre toute-puissance. ses doutes, ses - demandes curieuses, nous n'avons qu'une rponse: _Dieu a tant aim!_ - et cette rponse suffit, et nulle autre ne suffit sans elle. Elle - pntre comme une vive lumire, au fond du coeur en tat de - l'entendre, _du coeur qui croit l'amour_, qui sait et qui sent ce - que c'est que d'aimer. Vous vous tonnez qu'un Dieu se cache sous les - faibles apparences d'un pain terrestre et corruptible, que le Sauveur - des hommes se soit fait leur aliment; vous hsitez, votre foi - chancelle: c'est que vous n'aimez pas! et vous, mes croyantes, mes - fidles, allez l'autel avec joie, fermet, confiance; allez Jsus, - allez au banquet mystrieux de l'amour. Et o irions-nous, Seigneur? - Quoi! la chair et au sang, la raison, la philosophie? aux sages - du monde? aux murmurateurs, aux incrdules, ceux qui sont encore - tous les jours nous demander: Comment nous peut-il donner sa chair - manger? comment est-il dans le ciel, si, en mme temps, on le mange - sur la terre? Non, Seigneur, nous ne voulons point aller eux, ni - suivre ceux qui vous quittent. Nous suivrons saint Pierre, et nous - dirons[733]: _Matre, o irions-nous? vous avez les paroles de la vie - ternelle_[734]. - - [724] Rom., I, 17. - - [725] Joann., XIV, 6. - - [726] Matth., XXVI, 26, 28. - - [727] Joann., XI, 26. - - [728] Matth., XXIV, 35. - - [729] Joann., III, 16. - - [730] I. Joan., IV, 16. - - [731] Rom., XI, 33. - - [732] Prov., XXV, 27. - - [733] Joann., VI, 60. - - [734] Bossuet. - - -FIN DU LIVRE QUATRIME. - - - - -PRIRES PENDANT LA MESSE. - - -_Ces Prires sont extraites du MANUEL DE PIT de Fnelon_. - - - La Messe est de toutes les actions du Christianisme la plus glorieuse - Dieu et la plus utile au salut de l'homme. Jsus-Christ y renouvelle - le grand mystre de la Rdemption. Il se fait encore dans ce sacrifice - rel, quoique non sanglant, notre victime, et vient en personne nous - appliquer chacun en particulier les mrites de ce sang adorable - qu'il a rpandu pour nous tous sur la croix. Assistez donc la sainte - messe avec modestie, avec attention, avec respect; venez-y avec des - dispositions vraiment chrtiennes; prenez-y l'esprit de Jsus-Christ, - offrez-vous avec lui et par lui. - - -AVANT LA MESSE. - -Je crois fermement, mon Dieu! que la Messe est le sacrifice non -sanglant du corps et du sang de Jsus-Christ, votre Fils. Faites que j'y -assiste aujourd'hui avec l'attention, le respect et la frayeur que -demandent de si redoutables mystres. - -Je m'unis au prtre et toute votre glise, pour vous offrir ce -sacrifice dans les mmes rues, dans lesquelles Jsus-Christ l'a offert. - -Ne permettez pas que j'entre dans la salle du festin des noces de votre -Fils, sans avoir la robe nuptiale. Purifiez mon me; les choses saintes -sont pour les saints; il ne m'est pas permis d'approcher si prs de -vous, que je n'aie t auparavant mes souliers de mes pieds, -c'est--dire l'attachement et l'affection de mon coeur au pch. Je -dteste donc tous mes pchs; je vous en demande pardon, j'y renonce -jamais. - - -PENDANT QUE LE PRTRE EST AU BAS DE L'AUTEL. - - Le prtre, tant au pied de l'autel, commence par le signe de la - croix, pour faire concevoir la pense de l'auguste prsence de la - Sainte Trinit, et invoquer son secours. Le _Confiteor_ se dit pour - demander pardon Dieu de nos pchs par les mrites de Jsus-Christ - notre Sauveur, de la sainte Vierge et de tous les Saints. - -Mon Dieu! faites que je connaisse et que je sente le nombre et -l'normit de mes pchs; je vous supplie, par les mrites de -Jsus-Christ et par l'intercession de la sainte Vierge et de tous les -Saints, de m'en accorder le pardon et la rmission. - - -LORSQUE LE PRTRE MONTE L'AUTEL. - - Le prtre baise l'autel pour marque de l'esprance qu'il a d'tre - rconcili avec Dieu. Animons-nous avec lui d'une sainte confiance. - - - L'INTROT. - -Mon Dieu! purifiez par votre grce mon coeur et mes lvres, pour me -rendre digne de vous offrir avec le prtre les louanges qu'il vous -donne, et d'obtenir la misricorde qu'il vous demande pour moi et pour -tous les fidles vivants et morts. - - -AU KYRIE ELEISON. - - Ces mots grecs signifient: _Seigneur, ayez piti de nous! Christ, ayez - piti de nous!_ Chaque invocation se rpte trois fois, afin d'exciter - l'attention et la ferveur des fidles, et de nous faire voir que ce - n'est qu' force de prier que nous pouvons obtenir le secours de Dieu - dans nos besoins. - -Pre tout-puissant qui nous avez crs, ayez piti de nous! Fils ternel -qui nous avez rachets, ayez piti de nous! Esprit saint, qui seul -pouvez nous sanctifier, ayez piti de nous! - - -AU GLORIA IN EXCELSIS. - - Le _Gloria in excelsis_ est un cantique de joie compos par les anges - et par les hommes; l'glise y exprime le respect qu'elle a pour la - majest de Dieu, et l'amour qu'elle porte son fils Jsus-Christ. - - Gloire Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes - de bonne volont. Nous vous louons. Nous vous bnissons. Nous vous - adorons. Nous vous glorifions. Nous vous rendons grces cause de - votre grande gloire. Seigneur Dieu! Roi du ciel, Dieu! Pre - tout-puissant! Seigneur, Fils unique de Dieu, Jsus-Christ. Seigneur - Dieu, Agneau de Dieu, Fils du Pre. Vous qui effacez les pchs du - monde, ayez piti de nous. Vous qui effacez les pchs du monde, - recevez notre prire. Vous qui tes assis la droite de Dieu, ayez - piti de nous. Car vous tes le seul Saint, le seul Seigneur, le seul - Trs-Haut, Jsus-Christ, avec le Saint-Esprit, en la gloire de Dieu - le Pre. Ainsi soit-il. - - Gloria in excelsis Deo, et in terr pax hominibus bon voluntatis. - Laudamus te. Benedicimus te. Adoramus te. Glorificamus te. Gratias - agimus tibi, propter magnam gloriam tuam. Domine Deus, Rex coelestis, - Deus pater omnipotens. Domine, Fili unigenite, Jesu Christe. Domine - Deus, Agnus Dei, Filius Patris. Qui tollis peccata mundi, miserere - nobis. Qui tollis peccata mundi, suscipe deprecationem nostram. Qui - sedes ad dexteram Patris, miserere nobis. Quoniam tu solus Sanctus, tu - solus Dominus, tu solus Altisssimus, Jesu Christe, cum sancto Spiritu, - in glori Dei Patris. Amen. - - Aprs le _Gloria_, le prtre se tourne vers les fidles, en disant: - _Dominus vobiscum_, c'est--dire, que le Seigneur soit avec vous, pour - les avertir qu'il va prier pour lui et pour eux. - -Seigneur, rpandez votre esprit sur le prtre et sur nous, afin que nous -puissions vous bien prier et tre exaucs pour votre gloire et pour -notre salut. - - -PENDANT L'OREMUS. - - Par ce mot _oremus_, qui veut dire _prions_, le prtre nous invite - nous unir lui pour l'accomplissement de nos demandes Dieu. Il - finit l'oraison par les mots de _per Dominum nostrum Jesum Christum, - etc._, c'est--dire, Seigneur nous vous demandons ces choses par - Jsus-Christ, notre mdiateur auprs de vous. - -Seigneur, daignez couter favorablement les prires que le prtre vous -adresse pour nous. Donnez-nous, s'il vous plat, les grces et les -vertus dont nous avons besoin pour mriter le bonheur ternel. -Remplissez notre coeur de reconnaissance pour vos bonts, d'aversion -pour nos dfauts, de charit pour notre prochain, mme pour nos ennemis. -Enfin, mon Dieu, faites que nous nous conduisions en tout temps et en -toute occasion d'une manire qui vous soit agrable. Nous sommes -indignes de toutes ces grces, mais nous vous les demandons au nom et -par les mrites de Jsus-Christ, qui les a mrites pour nous. - - -DE L'AMEN. - - On rpond _Amen_, aprs les oraisons, c'est--dire, _ainsi soit-il_, - pour montrer que nous consentons aux paroles du prtre, et que nous - ratifions toutes les demandes qu'il a faites Dieu. - - - L'PTRE. - - L'ptre contient les enseignements des Prophtes et des Aptres; elle - nous apprend connatre, servir Dieu, et nous prpare la - perfection de la loi qui est renferme dans l'vangile. - -Seigneur, vos saintes critures nous apprennent qu'il faut fuir le pch -comme un serpent; qu'il faut nous abstenir de tout ce qui a quelque -apparence de mal; qu'il faut nous supporter charitablement les uns les -autres, souffrir patiemment les injures et les injustices qu'on nous -fera, ne rendre jamais le mal pour le mal, et tcher de gagner ceux qui -nous perscutent en leur faisant du bien. Imprimez, mon Dieu! toutes -ces vrits dans notre coeur, et faites, par votre grce, que nous nous -y conformions dans toute notre conduite. - - - L'VANGILE. - - L'vangile contient la vie de Jsus-Christ et la loi qu'il nous a - apporte; ce sont les paroles de la vie ternelle que les fidles - doivent couter, mditer, pour en nourrir leur me. On se lve cet - effet, afin de marquer que nous devons tout quitter pour suivre - Jsus-Christ, et nous tenir prts ce qu'il commande dans son - vangile. Nous faisons une croix sur notre front pour annoncer que - nous ne rougirons jamais de l'vangile; sur notre bouche, pour montrer - que nous serons toujours prts confesser notre foi; sur notre coeur, - pour signifier que notre coeur sera toujours Dieu seul. - -Mon Dieu, vous nous enseignez dans votre vangile que tous ceux qui -disent: Seigneur, Seigneur (c'est--dire qui se contentent de faire des -prires sans avoir une volont sincre de garder votre loi), n'entreront -pas dans le royaume du ciel; mais que ceux-l y entreront qui auront -fait la volont de Dieu en pratiquant ses commandements, et en -s'acquittant fidlement des devoirs de leur tat; vous nous enseignez -aussi qu'il faut tre doux et humble de coeur, aimer nos ennemis, -renoncer nous-mmes, combattre sans cesse nos mauvaises inclinations, -porter notre croix tous les jours et mener une vie mortifie et -pnitente. Faites-nous la grce d'aimer ces vrits, puisque ce ne sera -qu'en les aimant que nous les observerons comme nous le devons. - - -AU CREDO. - - Le _Credo_ est une profession de foi par laquelle le prtre et les - fidles dclarent publiquement qu'ils croient toutes les vrits de la - religion enseignes par l'glise. - - Je crois en un seul Dieu, Pre tout-puissant, qui a fait le ciel et la - terre, et toutes les choses visibles et invisibles. Et en un seul - Seigneur Jsus-Christ, Fils unique de Dieu, et n du Pre avant tous - les sicles; Dieu de Dieu, lumire de lumire, vrai Dieu de vrai Dieu; - qui n'a pas t fait, mais engendr, consubstantiel au Pre, par qui - tout a t fait; qui est descendu des cieux pour nous autres hommes et - pour notre salut; qui s'est incarn en prenant un corps dans le sein - de la Vierge Marie, par l'opration du Saint-Esprit; qui S'EST FAIT - HOMME; qui a t crucifi pour nous sous Ponce-Pilate; qui a souffert, - et qui a t mis an tombeau; qui est ressuscit le troisime jour, - selon les critures; qui est mont au ciel, o il est assis la - droite du Pre; qui viendra de nouveau plein de gloire pour juger les - vivants et les morts, et dont le rgne n'aura point de fin. Je crois - au Saint-Esprit, qui est aussi Seigneur, et qui donne la vie; qui - procde du Pre et du Fils; qui est ador et glorifi conjointement - avec le Pre et le Fils; qui a parl par les Prophtes. Je crois - l'glise, qui est Une, Sainte, Catholique et Apostolique. Je confesse - un Baptme pour la rmission des pchs. J'attends la Rsurrection des - morts, et la vie du sicle venir. Ainsi soit-il. - - Credo in unum Deum, Patrem omnipotentem, factorem coeli et terr, - visibilium omnium et invisibilium. Et in unum Dominum Jesum Christum - Filium Dei unigenitum: Et ex Patre natum ante omnia secula: Deum de - Deo, lumen de lumine, Deum verum de Deo vero: Genitum non factum, - consubstantialem Patri, per quem omnia facta sunt: Qui propter nos - homines, et propter nostram salutem descendit de Coelis: Et incarnatus - est de Spiritu sancto, ex Mari Virgine: Et HOMO FACTUS EST. - Crucifixus etiam pro nobis sub Pontio Pilato; passus et sepultus est. - Et resurrexit terti die secundm Scripturas. Et ascendit in Coelum, - sedet ad dexteram Patris. Et iterm venturus est cum glori judicare - vivos et mortuos; cujus regni non erit finis. Et in Spiritum sanctum - Dominum, et vivificantem; qui ex Patre Filioque procedit; qui cum - Patre et Filio simul adoratur et conglorificatur; qui locutus est per - Prophetas. Et Unam, Sanctam, Catholicam, et Apostolicam Ecclesiam. - Confiteor unum Baptisma in remissionem peccatorum. Et expecto - resurrectionem mortuorum, et vitam venturi seculi. Amen. - - - L'OFFERTOIRE. - - Le prtre ayant dcouvert le calice, prend le pain et le vin qui vont - tre changs en corps et sang de Jsus-Christ; il les lve un peu, - les offre Dieu comme prpars devenir par la conscration une - hostie sainte et sans tache, le suppliant de la recevoir pour - l'expiation de ses pchs, de ceux des assistants et de tous les - fidles vivants et morts. Nous devons donc nous unir au prtre dans - cette action si utile notre salut. - -Pre ternel, recevez le pain et le vin qui vous sont offerts, et qui -seront bientt changs au corps et au sang de Jsus-Christ votre Fils, -qui veut nous servir de victime, s'offrir lui-mme pour nous, et nous -offrir avec lui. Tout indignes que nous sommes, mon Dieu! nous vous -offrons ce divin Fils pour vous rendre par lui toute la gloire qui vous -est due, pour vous remercier de tous vos bienfaits, et pour obtenir par -ses mrites la rmission de nos pchs, et toutes les grces qui nous -sont ncessaires pour parvenir la vie ternelle. - - -AU LAVABO. - - Le prtre ayant lav ses mains avant de commencer la messe, lave ici - ses doigts, pour montrer que ce n'est pas assez pour clbrer les - saints mystres de n'tre point souill d'actions criminelles, mais - qu'il faut se purifier des moindres taches du pch. - -Mon Dieu, daignez laver mon me et la purifier de toutes les souillures -du pch, dtruisez en moi jusqu'aux moindres imperfections, et rendez -par votre sainte grce mon me aussi pure qu'elle l'tait aprs le -baptme. - - - L'ORATE FRATRES. - - Le prtre se tourne vers les assistants en leur disant: _Priez, mes - frres_, pour les avertir de se joindre lui par leurs prires, et - rendre ainsi agrable Dieu l'oblation qu'il va lui faire du - sacrifice pour lui et pour eux. - -Seigneur, exaucez les prires de tous vos fidles qui sont unis pour -vous offrir ce grand sacrifice, que nous vous supplions de recevoir pour -la gloire de votre nom, pour notre utilit particulire et pour le bien -de toute votre glise. Daignez mettre dans notre coeur les dispositions -ncessaires pour assister utilement et avec fruit cette grande action -de notre religion: sanctifiez le prtre qui clbre vos divins mystres, -et purifiez ses mains et son coeur, afin qu'il soit en tat d'attirer -vos grces sur lui et sur nous. - - - LA PRFACE ET AU SANCTUS. - - Les apprts du sacrifice sont termins: le mystre de foi va - s'accomplir. ces paroles que le prtre vous adresse, _le coeur en - haut_, levez vos sentiments et vos penses jusqu' ces esprits - immortels qui, la vue des merveilles de misricorde et d'amour, - prtes se renouveler sur l'autel, font clater leurs transports par - les plus doux cantiques, et dites avec eux: - -Qu'il est juste, qu'il est raisonnable, Pre tout-puissant, Dieu -ternel, de vous rendre grces en tout temps et en tous lieux, puisque -vous ne cessez jamais de faire du bien aux hommes! Mais comment vos -pauvres cratures pourront-elles clbrer dignement vos grandeurs? Ce -sera par votre Fils adorable, Jsus-Christ. Nous vous adresserons les -louanges qu'il nous a enseignes, ou plutt nous vous offrirons celles -qu'il vous adressera lui-mme, ce sacrifice de ses lvres, qu'il portait -jusqu' votre trne, pendant les jours de sa vie mortelle. C'est par lui -que les Anges glorifient votre Majest, que les Dominations, que les -Puissances vous rvrent en tremblant. Souffrez, Pre saint, -qu'unissant nos faibles voix leurs choeurs glorieux, nous rptions -avec eux cet hymne, qui retentira ternellement dans la sainte Sion: - -Saint, Saint, Saint est le Seigneur, le Dieu des armes. Le ciel et la -terre sont remplis de sa gloire et de sa puissance; gloire Dieu au -plus haut des cieux. - - -AU MEMENTO DES VIVANTS. - - Le prtre fait ce _Memento_, parce qu'il offre le sacrifice pour lui, - pour tous les assistants et pour toute l'glise, c'est--dire, pour la - socit des fidles, et particulirement pour ceux qu'il recommande - Dieu. Imitons l'exemple du prtre, et joignons nos prires aux - siennes. - -Seigneur, nous vous offrons ce grand sacrifice pour tous nos besoins, et -principalement pour ceux de nos mes; nous vous l'offrons aussi pour -toute l'glise, pour le Pape, pour les vques, pour les princes et -autres suprieurs qui nous gouvernent, et pour tous les fidles qui sont -rpandus par toute la terre. Nous vous l'offrons en particulier pour nos -parents, pour nos bienfaiteurs, pour nos amis, et aussi pour nos -ennemis. Nous vous supplions par les mrites de Jsus-Christ, et par -l'intercession de la sainte Vierge et de tous les Saints, de nous donner -la paix durant cette vie, de nous sauver de la damnation ternelle, et -de nous mettre au nombre de vos lus, afin que nous puissions vous aimer -et vous louer avec les Anges et les Saints pendant toute l'ternit. - - - LA CONSCRATION. - - ce moment redoutable nous devons redoubler d'attention et de - ferveur, en adressant Dieu toutes sortes de remercments de ce qu'il - va nous donner de nouveau son Fils Jsus-Christ pour rdempteur. - -Mon Sauveur Jsus-Christ, je crois que vous faites sur l'autel, par le -ministre du prtre, ce que vous avez fait la veille de votre mort, en -changeant le pain et le vin en votre corps et en votre sang: daignez -aussi changer mon coeur par la puissance de votre grce; donnez-moi un -coeur qui soit selon le vtre. - - - L'LVATION. - - C'est pour rendre Dieu un hommage infini, que le prtre lve en sa - prsence le corps et le sang de Jsus-Christ. On doit alors se - recueillir profondment prostern et en silence, pour adorer Dieu du - fond de son coeur; on pourra dire ensuite la prire suivante: - -Je vous adore, mon aimable Sauveur, qui avez bien voulu tre attach -pour moi sur la croix. bon Jsus! qui avez t le prix de mon me, -soyez mon salut et ma vie. Je vous adore prsent sur l'autel, je -m'anantis devant vous et avec vous, Seigneur, augmentez ma foi, mon -respect et ma reconnaissance pour vous. - - -APRS L'LVATION. - - Pre de misricorde! nous vous offrons cette hostie sainte qui est sur -l'autel, pour vous rendre nos hommages et nos adorations, pour vous -remercier de tous vos bienfaits, pour obtenir le pardon de nos pchs, -et pour vous demander toutes les grces dont nous avons besoin pour -mener une vie chrtienne, exempte de pchs et remplie de bonnes -oeuvres. - - -AU MEMENTO DES MORTS. - - Le prtre prie Dieu de se souvenir de ceux qui, tant morts dans la - foi et dans la grce, n'ont cependant pas t trouvs assez purs pour - entrer dans le ciel aussitt aprs leur mort, et qui souffrent les - peines du purgatoire. - -Nous vous supplions aussi, mon Dieu! de vous souvenir des fidles qui -sont morts dans votre grce, particulirement de nos parents, amis et -bienfaiteurs; daignez leur pardonner les restes de leurs pchs, et leur -accorder le repos ternel et la joie de votre paradis. Comme rien n'est -bon, rien ne vous plat qu'en Jsus-Christ votre Fils, et que vous ne -nous aimez qu' cause que nous sommes ses membres; c'est par lui que -vous nous donnez les grces; recevez par lui nos remercments, soyez -bni et glorifi en lui, par lui et avec lui, Dieu! Pre -tout-puissant, en l'unit du Saint-Esprit dans tous les sicles des -sicles. - - -AU NOBIS QUOQUE PECCATORIBUS. - - On se frappe alors la poitrine, pour faire voir qu'on est pcheur, - qu'on a besoin de la misricorde de Dieu; et pour l'obtenir, nous - fondons notre esprance sur sa bont divine, et sur les mrites du - sacrifice de Jsus-Christ renouvel sur l'autel par les mains du - prtre. - - -AU PATER. - - Le prtre dit cette prire, parce qu'elle fut enseigne par - Jsus-Christ lui mme, et qu'elle est la plus sainte et la plus - efficace que l'on puisse faire, renfermant tout ce que nous devons - demander Dieu. Nous devons donc aussi la rciter avec ferveur et - confiance. - -Mon Dieu, dlivrez-moi des pchs que j'ai commis pendant ma vie passe -et dont je suis comptable votre justice; dlivrez-moi de mes mauvaises -habitudes, et de ma concupiscence toujours prsente, qui me sollicite au -mal. Enfin, mon Dieu, dlivrez-moi des tentations du dmon, de la chair -et du monde, et de la mort ternelle. - - - L'AGNUS DEI. - - Le prtre, avant la communion, priant pour tout le peuple, fait cette - invocation Jsus-Christ, pour reconnatre le besoin que nous avons - toujours de sa misricorde. - -Mon Sauveur Jsus-Christ, vous tes le vritable agneau de Dieu immol -pour effacer nos pchs; faites par votre grce qu'ayant reu le pardon -de nos pchs, nous menions une vie nouvelle, et accordez-nous la -charit et la paix avec notre prochain, que vous avez tant recommandes, -et qui est si ncessaire pour avoir part aux effets et aux grces de la -sainte communion. - - -AU DOMINE NON SUM DIGNUS. - - Lorsque le prtre va communier, il dit trois fois avec un profond - sentiment de son indignit: _Domine, non sum dignus_, c'est--dire, - _Seigneur, je ne suis pas digne que vous entriez en moi; mais dites - seulement une parole, et mon me sera gurie_. Quand nous ne - communions pas rellement, nous devons toujours communier - spirituellement, en demandant Jsus-Christ de nous donner son esprit - par la participation de sa grce. - -Seigneur, quoique je sois trs-indigne par mes pchs et mes infidlits -de m'approcher de votre autel, et de vous recevoir par la communion, -j'ose vous supplier de me donner quelque part vos misricordes. -Daignez m'accorder la grce de participer la vertu de votre sacrifice; -clairez mon esprit, fortifiez ma volont et purifiez mon coeur pour ne -penser qu' vous, pour ne vouloir et n'aimer que vous, et pour l'amour -de vous; faites par votre grce que je dsire de ne vivre, de ne -souffrir et de ne mourir que pour vous. - - -AUX DERNIRES ORAISONS. - - Le prtre demande les fruits de l'excellent sacrifice qui vient d'tre - offert Dieu; ce sont la rmission des pchs, la grce d'une sainte - vie, et le mrite de la vie ternelle. - -Mon Dieu, accordez-nous, en vertu du sacrifice que nous venons de vous -offrir, la rmission de nos pchs et toutes les grces qui nous sont -ncessaires pour nous sauver. Donnez-nous surtout un amour ardent pour -vous, une grande crainte de vous dplaire, un grand dsir et un grand -soin de vous plaire, l'application nos devoirs, la patience dans les -afflictions, la douceur et la charit pour bien vivre avec tout le -monde, l'humanit, la puret, la temprance, la mortification de nos -sens, un grand dtachement des biens, des plaisirs et des honneurs de ce -monde, un grand dgot et une sainte horreur des folles joies du sicle; -un vritable esprit de pnitence, qui nous inspire une vive douleur des -pchs de notre vie passe, un dsir sincre de les expier, et une ferme -rsolution de n'y plus retomber et d'en viter toutes les occasions. -Enfin, mon Dieu, donnez-nous toutes les grces ncessaires pour mener -une vie chrtienne, suivie d'une sainte mort et d'une heureuse ternit. - - - L'ITE MISSA EST. - - Le prtre, se tournant vers le peuple, l'avertit par ces mots que le - sacrifice de la messe est achev. Il donne ensuite la bndiction au - nom de la sainte Trinit. - - -QUAND LE PRTRE DONNE LA BNDICTION. - -Dieu tout-puissant et tout misricordieux, Pre, Fils et Saint-Esprit, -bnissez-nous par Jsus-Christ, et que cette bndiction nous soit un -gage de la bndiction que vous donnerez un jour vos lus. - - -AU DERNIER VANGILE. - - Avant de quitter le saint autel, le prtre dit l'vangile de saint - Jean, qui annonce l'ternit du Verbe et la misricorde qui l'a port - prendre notre chair et habiter parmi nous. Demandons d'tre du - nombre de ceux qui le reoivent et deviennent ses enfants. - -Seigneur, gravez par votre grce votre vangile dans nos esprits et dans -nos coeurs, afin que nous ne suivions plus l'garement de nos penses, -la fougue de nos passions ni le drglement de notre coeur; mais que -nous nous soumettions entirement tout ce que vous demandez de nous, -et que nous rglions toutes nos dmarches sur les maximes de votre saint -vangile, et non sur les maximes et sur les coutumes corrompues du -monde. - - -PRIRE APRS LA MESSE. - -Mon Dieu, je vous remercie des grces et des bonnes rsolutions que vous -m'avez inspires pendant le saint sacrifice de la messe; donnez-moi la -grce de les mettre toutes en pratique. Faites que je montre par ma -conduite le reste de la journe, que ce n'est pas en vain que j'ai -offert avec le prtre ce saint sacrifice; faites-moi souvenir que je -viens de vous prsenter, par Jsus-Christ, mon me, mon corps, ma vie, -mon travail, mon occupation, mes biens, tout ce que je suis et tout ce -que j'ai. C'est pourquoi je dois avoir grand soin de les employer -votre service, par l'intercession de la sainte Vierge et de tous les -Saints. Ainsi soit-il. - - - - -VPRES DU DIMANCHE - - -V. Deus, in adjutorium meum intende. - -R. Domine, ad adjuvandum me festina. - -V. Gloria Patri, et Filio, et Spiritui sancto. - -R. Sicut erat in Principio, et nunc et semper, et in secula seculorum -Amen. - - -PSAUME 109. - -Dixit Dominus Domino meo: * Sede dextris meis, - -Donec ponam inimicos tuos * scabellum pedum tuorum. - -Virgam virtutis tu emittet Dominus ex Sion: * Dominare in medio -inimicorum tuorum. - -Tecum principium in die virtutis tu in splendoribus Sanctorum; * ex -utero ante luciferum genui te. - -Juravit Dominus, et non poenitebit eum: * tu es sacerdos in ternum -secundm ordinem Melchisedech. - -Dominus dextris tuis: * confregit in die ir su reges. - -Judicabit in nationibus, implebit ruinas; * conquassabit capita in terr -multorum. - -De torrente in vi bibet; * proptere exaltabit caput. - -Gloria Patri, etc. - - -PSAUME 110. - -Confitebor tibi, Domine, in toto corde meo; * in concilio justorum et -congregatione. - -Magna opera Domini, * exquisita in omnes voluntates ejus. - -Confessio et magnificentia opus ejus, * et justitia ejus manet in -seculum seculi. - -Memoriam fecit mirabilium suorum misericors et miserator Dominus: * -escam dedit timentibus se. - -Memor erit in seculum testamenti sui: * virtutem operum suorum -annuntiabit populo suo. - -Ut det illis hreditatem gentium, * opera manuum ejus veritas et -judicium. - -Fidelia omnia mandata ejus, confirmata in seculum seculi, * facta in -veritate et quitate. - -Redemptionem misit populo suo: * mandavit in ternum testamentum suum. - -Sanctum et terribile nomen ejus: * initium sapienti timor Domini. - -Intellectus bonus omnibus facientibus eum: * laudatio ejus manet in -seculum seculi. - - -PSAUME 111. - -Beatus vir qui timet Dominum, * in mandatis ejus volet nimis. - -Potens in terr erit semen ejus: * generatio rectorum benedicetur. - -Gloria et diviti in domo ejus: * et justitia ejus manet in seculum -seculi. - -Exortum est in tenebris lumen rectis: * misericors et miserator et -justus. - -Jucundus homo qui miseretur et commodat, disponet sermones suos in -judicio: * quia in ternum non commovebitur. - -In memori tern erit justus, * ab auditione mal non timebit. - -Paratum cor ejus sperare in Domino, confirmatum est cor ejus: * non -commovebitur donec despiciat inimicos suos. - -Dispersit, dedit pauperibus, justitia ejus manet in seculum seculi: * -cornu ejus exaltabitur in glori. - -Peccator videbit et irascetur, dentibus suis fremet et tabescet; * -desiderium peccatorum peribit. - - -PSAUME 112. - -Laudate, pueri, Dominum; * laudate nomen Domini. - -Sit nomen Domini benedictum, * ex hoc nunc et usque in seculum. - -A solis ortu usque ad occasum, * laudabile nomen Domini. - -Excelsus super omnes gentes Dominus, * et super coelos gloria ejus. - -Quis sicut Dominus Deus noster, qui in altis habitat, * et humilia -respicit in coelo et in terr. - -Suscitans terr inopem, * et de stercore erigens pauperem. - -Ut collocet eum cum principibus, * cum principibus populi sui. - -Qui habitare fecit sterilem in domo, * matrem filiorum ltantem. - - -PSAUME 113. - -In exitu Israel de gypto, * domus Jacob de populo barbaro; - -Facta est Juda sanctificatio ejus; * Isral potestas ejus. - -Mare vidit et fugit; * Jordanis conversus est retrorsm. - -Montes exultaverunt ut arietes, * et colles sicut agni ovium. - -Quid est tibi mare, quod fugisti? * et tu, Jordanis, qui conversus es -retrorsm? - -Montes exultstis sicut arietes? * et colles sicut agni ovium? - -A facie Domini mota est terra, * facie Dei Jacob. - -Qui convertit petram in stagna aquarum, * et rupem in fontes aquarum. - -Non nobis, Domine, non nobis: * sed nomini tuo da gloriam, super -misericordi tu et veritate tu; - -Nequando dicant gentes: * Ubi est Deus eorum? - -Deus autem noster in coelo: * omnia qucumque voluit, fecit. - -Simulacra gentium argentum et aurum, * opera manuum hominum. - -Os habent, et non loquentur * oculos habent, et non videbunt. - -Aures habent, et non audient; * nares habent, et non odorabunt. - -Manus habent, et non palpabunt; pedes habent, et non ambulabunt; * non -clamabunt in gutture suo. - -Similes illis fiant qui faciunt ea, * et omnes qui confidunt in eis. - -Domus Israel speravit in Domino: * adjutor eorum et protector eorum est. - -Domus Aaron speravit in Domino: * adjutor eorum et protector eorum est. - -Qui timent Dominum, speraverunt in Domino: * adjutor eorum et protector -eorum est. - -Dominus memor fuit nostri, * et benedixit nobis. - -Benedixit domui Israel; * benedixit domui Aaron. - -Benedixit omnibus qui timent Dominum, * pusillis cum majoribus. - -Adjiciat Dominus super vos, * super vos et super filios vestros. - -Benedicti vos Domino, * qui fecit coelum et terram. - -Coelum coeli Domino: * terram autem dedit filiis hominum. - -Non mortui laudabunt te, Domine, * neque omnes qui descendunt in -infernum. - -Sed nos qui vivimus, benedicimus Domino, * ex hoc nunc et usqu in -seculum. - - -CAPITULE. - -Benedictus Deus, et Pater Domini nostri Jesu Christi, Pater -misericordiarum, et Deus totius consolationis, qui consolatur nos in -omni tribulatione nostr. - -Deo gratias. - - -HYMNE. - - Lucis Creator optime, - Lucem dierum proferens, - Primordiis lucis nov, - Mundi parans originem. - - Qui man junctum vesperi - Diem vocari prcipis, - Tetrum chaos illabitur, - Audi preces cum fletibus. - - Ne mens gravata crimine, - Vit sit exsul munere, - Dm nil perenne cogitat, - Seseque culpis illigat. - - Coeleste pulset ostium, - Vitale tollat prmium, - Vitemus omne noxium, - Purgemus omne pessimum - - Prsta, Pater piissime, - Patrique compar Unice, - Cum Spiritu Paracleto, - Regnans per omne seculum. - - Amen. - - -CANTIQUE DE LA SAINTE VIERGE. - -Magnificat * anima mea Dominum; - -Et exultavit spiritus meus, * in Deo salutari meo. - -Quia respexit humilitatem ancill su: * ecce enim ex hoc beatam me -dicent omnes generationes. - -Quia fecit mihi magna qui potens est, * et sanctum nomen ejus. - -Et misericordia ejus progenie in progenies, * timentibus eum. - -Fecit potentiam in brachio suo: * dispersit superbos mente cordis sui. - -Deposuit potentes de sede, * et exaltavit humiles. - -Esurientes implevit bonis, * et divites dimisit inanes. - -Suscepit Israel puerum suum, * recordatus misericordi su. - -Sicut locutus est ad patres nostros, * Abraham et semini ejus in secula. - -Gloria Patri, etc. - - - COMPLIES. - -V. Converte nos, Deus, salutaris noster; - -R. Et averte iram tuam nobis. - -V. Deus in adjutorium, etc. - - -PSAUME 4. - -Cm invocarem exaudivit me, Deus justiti me: * in tribulatione -dilatasti mihi. - -Misereri mei, * et exaudi orationem meam. - -Filii hominum, usquequ gravi corde? * ut quid diligitis vanitatem, et -quritis mendacium? - -Et scitote quoniam mirificavit Dominus Sanctum tuum: * Dominus exaudiet -me, cm clamavero ad eum. - -Irascimini, et nolite peccare; * qu dicitis in cordibus vestris, in -cubilibus vestris compungimini. - -Sacrificate sacrificium justiti, et sperate in Domino; * multi dicunt: -Quis ostendit nobis bona? - -Signatum est super nos lumen vults tui, Domine; * dedisti ltitiam in -corde meo. - -A fructu frumenti, vini et olei sui * multiplicati sunt. - -In pace in idipsum dormiam, * et requiescam; - -Quoniam tu, Domine, * singulariter in spe constituisti me. - - -PSAUME 30. - -In te, Domine, speravi, non confundar in ternum; * in justiti tu -libera me. - -Inclina ad me aurem tuam, * accelera ut eruas me. - -Esto mihi in Deum protectorem et in domum refugi, * ut salvum me facias. - -Quoniam fortitudo mea et refugium meum es tu, * et propter nomen tuum -deduces me et enutries me. - -Educes me de laqueo hoc quem absconderunt mihi: * quoniam tu es -protector meus. - -In manus tuas commendo spiritum meum: * redemisti me, Domine, Deus -veritatis. - - -PSAUME 90. - -Qui habitat in adjutorio Altissimi, * in protectione Dei coeli -commorabitur. - -Dicet Domino: Susceptor meus es tu, et refugium meum; * Deus meus, -sperabo in eum. - -Quoniam ipse liberavit me de laqueo venantium, * et verbo aspero. - -Scapulis suis obumbrabit tibi, * et sub pennis ejus sperabis. - -Scuto circumdabit te veritas ejus, * non timebis timore nocturno. - -A sagitt volante in die, negotio perambulante in tenebris, * ab -incursu et dmonio meridiano. - -Cadent latero tuo mille et decem millia dextris tuis: * ad te autem -non appropinquabit. - -Vermtamen oculis tuis considerabis, * et retributionem peccatorum -videbis. - -Quoniam tu es, Domine, spes mea: * Altissimum posuisti refugium tuum. - -Non accedet ad te malum, * et flagellum non appropinquabit tabernaculo -tuo. - -Quoniam Angelis suis mandavit de te, * ut custodiant te omnibus viis -tuis. - -In manibus portabunt te, * ne fort offendas ad lapidem pedem tuum. - -Super aspidem et basiliscum ambulabis, * et conculcabis leonem et -draconem. - -Quoniam in me speravit, liberabo eum: * protegam eum, quoniam cognovit -nomen meum. - -Clamavit ad me, * et ego exaudiam eum: - -Cum ipso sum in tribulatione; * eripiam eum et glorificabo eum. - -Longitudine dierum replebo eum, * ostendam illi salutare meum. - - -PSAUME 133. - -Ecce nunc benedicite Dominum, * omnes servi Domini. - -Qui statis in domo Domini, * in atriis doms Dei nostri. - -In noctibus extollite manus vestras in sancta; * et benedicite Dominum. - -Benedicat te Dominus ex Sion: * qui fecit coelum et terram. - - -HYMNE. - - De lucis ante terminum, - Rerum Creator, poscimus, - Ut pro tu clementi - Sis prsul et custodia. - - Procul recedant somnia, - Et noctium phantasmata; - Hostemque nostrum comprime, - Ne polluantur corpora. - - Prsta, Pater omnipotens, - Per Jesum Christum Dominum, - Qui tecum in perpetuum - Regnat cum Sancto Spiritu. - - Amen. - - -CAPITULE. - -Tu autem in nobis es, Domine, et nomen sanctum tuum invocatum est super -nos; ne derelinquas nos, Domine Deus noster. - -Deo gratias. - -R. _br_. In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum. In. V. Redemisti -me, Domine, Deus veritatis. Commendo. Gloria. In. - -V. Custodi nos, Domine, ut pupillam oculi. R. Sub umbr alarum tuarum -protege nos. - - -CANTIQUE DE SAINT SIMON. - -Nunc dimittis servum tuum, Domine, * secundm verbum tuum, in pace. - -Quia viderunt oculi mei * salutare tuum - -Quod parasti, * ante faciem, omnium populorum, - -Lumen ad revelationem gentium, * et gloriam plebis tu Israel. - -Gloria, etc. - -_Ant._ Salva nos, Domine, vigilantes; custodi nos dormientes, ut -vigilemus cum Christo et requiescamus in pace. - - -ORAISON. - -Nous vous supplions, Seigneur, de visiter cette demeure, et d'loigner -d'elle toutes les embches de notre ennemi; que vos saints Anges y -habitent, pour nous conserver en paix, et que votre bndiction soit -toujours sur nous. Par notre Seigneur. - -Que le Seigneur soit avec vous. - -Rendons grces Dieu. - - -_Les Complies tant finies, on dit voix basse_: - -Gratia Domini nostri Jesu Christi, et caritas Dei, et communicatio -Sancti Spirits sit cum omnibus vobis. - -R. Amen. - - -_Aprs l'office, on dit tout bas_: - -Pater, Ave, Credo. - - - - -ANTIENNES LA SAINTE VIERGE. - - -PENDANT L'AVENT. - -Alma Redemptoris Mater, qu pervia coeli Porta manes, et Stella maris, -succurre cadenti, surgere qui curat populo: tu qu genuisti, Natur -mirante, tuum sanctum Genitorem. Virgo pris ac posteris: Gabrielis ab -ore, Sumens illud Ave, peccatorum miserere. - -V. Angelus Domini nuntiavit Mari. - -R. Et concepit de Spiritu sancto. - - -ORAISON. - -Rpandez, s'il vous plat, Seigneur, votre grce dans nos mes, afin -qu'ayant connu par la voix de l'Ange l'Incarnation de Jsus-Christ votre -Fils, nous arrivions, par sa Passion et sa Croix, la gloire de sa -Rsurrection. Par le mme Jsus-Christ notre Seigneur. Ainsi soit-il. - - -APRS L'AVENT. - -V. Post partum Virgo inviolata permansisti. - -R. Dei Genitrix, intercede pro nobis. - - -ORAISON. - - Dieu, qui, en rendant fconde la virginit de la bienheureuse Vierge -Marie, avez assur au genre humain les rcompenses du salut ternel, -nous vous prions de nous faire prouver dans nos besoins combien est -puissante auprs de vous l'intercession de celle par laquelle nous avons -reu l'auteur de la vie, Jsus-Christ votre Fils. - - -DE LA PURIFICATION AU JEUDI SAINT. - - Ave, Regina coelorum; - Ave, Domina Angelorum; - Salve, Radix; salve, Porta, - Ex qu mundo lux est orta. - - GAUDE, Virgo gloriosa: - Super omnes speciosa: - Vale, valde decora, - Et pro nobis Christum exora. - -V. Dignare me laudare te, Virgo sacrata. - -R. Da mihi virtutem contra hostes tuos. - - -ORAISON. - -Dieu de bont, accordez notre faiblesse les secours de votre grce: et -comme nous honorons la mmoire de la sainte Mre de Dieu, faites que, -par le secours de son intercession, nous ressuscitions de nos iniquits; -nous vous en supplions par le mme Jsus-Christ. Ainsi soit-il. - - -DE PAQUES LA TRINIT. - - Regina coeli, ltare, alleluia: - Quia quem meruisti portare, alleluia, - Resurrexit sicut dixit, alleluia. - Ora pro nobis Deum, alleluia. - -V. Gaude et ltare, Virgo Maria: - -R. Quia surrexit Dominus vere. - - -ORAISON. - - Dieu, qui avez daign rjouir le monde par la rsurrection de votre -Fils notre Seigneur Jsus-Christ; faites, s'il vous plat, que, par la -Vierge Marie sa mre, nous gotions les joies d'une vie ternelle et -bienheureuse. Par le mme Jsus-Christ notre Seigneur. R. Ainsi soit-il. - - -DE LA TRINIT L'AVENT. - -Salve, Regina, mater misericordi, vita, dulcedo, et spes nostra, salve. -Ad te clamamus, exules Filii Ev; ad te suspiramus gementes et flentes -in hc lacrymarum valle: Eia ergo Advocata nostra, illos tuos -misericordes oculos ad nos converte; Et Jesum, benedictum fructum -ventris tui, nobis post hoc exilium ostende, clemens, pia dulcis -Virgo Maria! - -V. Ora pro nobis, sancta Dei Genitrix, - -R. Ut digni efficiamur promissionibus Christi. - - -ORAISON. - -Dieu tout-puissant et ternel, qui, par la coopration du Saint-Esprit, -avez prpar le corps et l'me de la glorieuse Vierge Marie, pour en -faire une demeure digne de votre Fils, accordez-nous la grce, pendant -que nous clbrons sa mmoire avec joie, d'tre dlivrs, par son -intercession, des maux prsents et de la mort ternelle. Nous vous en -supplions par le mme Jsus-Christ notre Seigneur. Ainsi soit-il. - - -PROSE LA SAINTE VIERGE. - - Inviolata, integra et casta es, Maria, - Qu es effecta fulgida coeli porta. - - Mater alma, Christi carissima, - Suscipe pia laudum prconia; - - Nostra ut pura pectora sint et corpora, - Te nunc flagitant devota corda et ora. - - Tua per precata dulcisona, - Nobis concedas veniam per secula - - benigna! benigna! benigna! - Qu sola inviolata permansisti. - - - - -TABLE DES CHAPITRES. - - - Pages. - Avertissement des diteurs. 1 - Prface. 3 - - -LIVRE PREMIER. - -AVIS UTILES POUR ENTRER DANS LA VIE INTRIEURE. - - Chap. I. Qu'il faut imiter JSUS-CHRIST, et mpriser toutes les - vanits du monde. 15 - Chap. II. Avoir d'humbles sentiments de soi-mme. 18 - Chap. III. De la Doctrine de vrit. 20 - Chap. IV. De la Prvoyance dans les actions. 25 - Chap. V. De la lecture de l'criture sainte. 26 - Chap. VI. Des affections drgles. 28 - Chap. VII. Qu'il faut fuir l'orgueil et les vaines esprances. 29 - Chap. VIII. viter la trop grande familiarit. 32 - Chap. IX. De l'obissance et du renoncement son propre sens. 33 - Chap. X. Qu'il faut viter les entretiens inutiles. 35 - Chap. XI. Des moyens d'acqurir la paix intrieure, et du soin - d'avancer dans la vertu. 37 - Chap. XII.--De l'avantage de l'adversit. 40 - Chap. XIII. De la rsistance aux tentations. 42 - Chap. XIV. viter les jugements tmraires, et ne se point - rechercher soi-mme. 47 - Chap. XV. Des oeuvres de charit. 48 - Chap. XVI. Qu'il faut supporter les dfauts d'autrui. 50 - Chap. XVII. De la vie religieuse. 53 - Chap. XVIII. De l'exemple des Saints. 54 - Chap. XIX. Des exercices d'un bon religieux. 58 - Chap. XX. De l'amour de la solitude et du silence. 62 - Chap. XXI. De la componction du coeur. 67 - Chap. XXII. De la considration de la misre humaine. 71 - Chap. XXIII. De la mditation de la mort. 76 - Chap. XXIV. Du jugement et des peines des pcheurs. 81 - Chap. XXV. Qu'il faut travailler avec ferveur l'amendement - de sa vie. 86 - -LIVRE DEUXIME. - -INSTRUCTION POUR AVANCER DANS LA VIE INTRIEURE. - - Chap. I. De la conversation intrieure. 95 - Chap. II. Qu'il faut s'abandonner Dieu en esprit d'humilit. 100 - Chap. III. De l'homme pacifique. 102 - Chap. IV. De la puret d'esprit, et de la droiture d'intention. 105 - Chap. V. De la considration de soi-mme. 107 - Chap. VI. De la joie d'une bonne conscience. 109 - Chap. VII. Qu'il faut aimer JSUS-CHRIST par-dessus toutes - choses. 113 - Chap. VIII. De la familiarit que l'amour tablit entre JSUS - et l'me fidle. 113 - Chap. IX. De la privation de toute consolation. 119 - Chap. X. De la reconnaissance pour la grce de Dieu. 124 - Chap. XI. Du petit nombre de ceux qui aiment la Croix de - JSUS-CHRIST. 128 - Chap. XII. De la sainte voie de la Croix. 132 - -LIVRE TROISIME. - -DE LA VIE INTRIEURE. - - Chap. I. Des entretiens intrieurs de JSUS-CHRIST avec l'me - fidle. 141 - Chap. II. La vrit parle au dedans de nous sans aucun bruit - de paroles. 143 - Chap. III. Qu'il faut couter la parole de Dieu avec humilit; - et que plusieurs ne la reoivent pas comme ils le devraient. 146 - Chap. IV. Qu'il faut marcher en prsence de Dieu dans la vrit - et l'humilit. 151 - Chap. V. Des merveilleux effets de l'amour divin. 155 - Chap. VI. De l'preuve du vritable amour. 160 - Chap. VII. Qu'il faut cacher humblement les grces que Dieu - nous fait. 164 - Chap. VIII. Qu'il faut s'anantir soi-mme devant Dieu. 168 - Chap. IX. Qu'il faut rapporter tout Dieu comme notre - dernire fin. 172 - Chap. X. Qu'il est doux de servir Dieu et de mpriser le monde. 174 - Chap. XI. Qu'il faut examiner et modrer les dsirs du coeur. 178 - Chap. XII. Qu'il faut s'exercer la patience, et lutter contre - ses passions. 180 - Chap. XIII. Qu'il faut obir humblement l'exemple de - JSUS-CHRIST. 184 - Chap. XIV. Qu'il faut considrer les secrets jugements de Dieu - pour ne pas s'enorgueillir du bien qu'on fait. 187 - Chap. XV. De ce que nous devons dire et faire quand il s'lve - quelque dsir en nous. 191 - Chap. XVI. Qu'on ne doit chercher qu'en Dieu la vraie - consolation. 194 - Chap. XVII. Qu'il faut remettre Dieu le soin de ce qui nous - regarde. 197 - Chap. XVIII. Qu'il faut souffrir avec constance les misres de - cette vie, l'exemple de JSUS-CHRIST. 199 - Chap. XIX. De la souffrance des injures, et de la vritable - patience. 202 - Chap. XX. De l'aveu de son infirmit, et des misres de cette - vie. 205 - Chap. XXI. Qu'il faut tablir son repos en Dieu, plutt que - dans tous les autres biens. 209 - Chap. XXII. Du souvenir des bienfaits de Dieu. 214 - Chap. XXIII. De quatre choses importantes pour conserver la - paix. 218 - Chap. XXIV. Qu'il ne faut point s'enqurir curieusement de la - conduite des autres. 222 - Chap. XXV. En quoi consiste la vraie paix et le vritable - progrs de l'me. 224 - Chap. XXVI. De la libert du coeur, qui s'acquiert plutt par - la prire que par la lecture. 227 - Chap. XXVII. Que l'amour de soi est le plus grand obstacle qui - empche l'homme de parvenir au souverain bien. 230 - Chap. XXVIII. Qu'il faut mpriser les jugements humains. 234 - Chap. XXIX. Comment il faut invoquer et bnir Dieu dans - l'affliction. 236 - Chap. XXX. Qu'il faut implorer le secours de Dieu, et attendre - avec confiance le retour de sa grce. 238 - Chap. XXXI. Qu'il faut oublier toutes les cratures pour - trouver le Crateur. 243 - Chap. XXXII. De l'abngation de soi-mme. 247 - Chap. XXXIII. De l'inconstance du coeur, et que nous devons - tout rapporter Dieu comme notre dernire fin. 250 - Chap. XXXIV. Qu'on ne saurait goter que Dieu seul, et qu'on - le gote en toutes choses, quand on l'aime vritablement. 252 - Chap. XXXV. Qu'on est toujours, durant cette vie, expos - la tentation. 255 - Chap. XXXVI. Contre les vains jugements des hommes. 258 - Chap. XXXVII. Qu'il faut renoncer entirement soi-mme pour - obtenir la libert du coeur. 261 - Chap. XXXVIII. Comment il faut se conduire dans les choses - extrieures, et recourir Dieu dans les prils. 264 - Chap. XXXIX. Qu'il faut viter l'empressement dans les affaires. 266 - Chap. XL. Que l'homme n'a rien de bon de lui-mme, et ne peut - se glorifier de rien. 268 - Chap. XLI. Du mpris de tous les honneurs du temps. 272 - Chap. XLII. Qu'il ne faut pas que notre paix dpende des hommes. 274 - Chap. XLIII. Contre la vaine science du sicle. 276 - Chap. XLIV. Qu'il ne faut point s'embarrasser dans les choses - extrieures. 279 - Chap. XLV. Qu'il ne faut pas croire tout le monde, et qu'il est - difficile de garder une sage mesure dans ses paroles. 281 - Chap. XLVI. Qu'il faut mettre sa confiance en Dieu, lorsqu'on - est assailli de paroles injurieuses. 285 - Chap. XLVII. Qu'il faut tre prt souffrir pour la vie - ternelle tout ce qu'il y a de plus pnible. 289 - Chap. XLVIII. De l'ternit bienheureuse, et des misres de - cette vie. 293 - Chap. XLIX. Du dsir de la vie ternelle, et des grands biens - promis ceux qui combattent courageusement. 298 - Chap. L. Comment un homme dans l'affliction doit s'abandonner - entre les mains de Dieu. 303 - Chap. LI. Qu'il faut s'occuper d'oeuvres extrieures, quand - l'me est fatigue des exercices spirituels. 309 - Chap. LII. Que l'homme ne doit pas se juger digne des - consolations de Dieu, mais plutt de chtiment. 311 - Chap. LIII. Que la grce ne fructifie point en ceux qui ont - le got des choses de la terre. 314 - Chap. LIV. Des divers mouvements de la nature et de la grce. 317 - Chap. LV. De la corruption de la nature, et de l'efficace de - la grce divine. 323 - Chap. LVI. Que nous devons nous renoncer nous-mmes, et imiter - JSUS-CHRIST en portant la Croix. 328 - Chap. LVII. Qu'on ne doit point se laisser trop abattre quand - on tombe en quelques fautes. 332 - Chap. LVIII. Qu'il ne faut pas chercher pntrer ce qui est - au-dessus de nous, ni sonder les secrets jugements de Dieu. 335 - Chap. LIX. Qu'on doit mettre toute son esprance et toute sa - confiance en Dieu seul. 341 - -LIVRE QUATRIME. - -DU SACREMENT DE L'EUCHARISTIE. - - Exhortation la sainte Communion. 347 - - Chap. I. Avec quel respect il faut recevoir JSUS. 350 - Chap. II. Combien Dieu manifeste l'homme sa bont et son - amour dans le Sacrement de l'Eucharistie. 358 - Chap. III. Qu'il est utile de communier souvent. 364 - Chap. IV. Que Dieu rpand des grces abondantes en ceux qui - communient dignement. 369 - Chap. V. De l'excellence du Sacrement de l'autel, et de la - dignit du Sacerdoce. 374 - Chap. VI. Prire du chrtien avant la Communion. 378 - Chap. VII. De l'examen de conscience, et de la rsolution de - se corriger. 380 - Chap. VIII. De l'oblation de JSUS-CHRIST sur la Croix, et de - la rsignation de soi-mme. 385 - Chap. IX. Que nous devons nous offrir Dieu avec tout ce qui - est nous, et prier pour tous. 388 - Chap. X. Qu'on ne doit pas facilement s'loigner de la sainte - Communion. 392 - Chap. XI. Que le Corps de JSUS-CHRIST et l'criture sainte - sont trs-ncessaires l'me fidle. 398 - Chap. XII. Qu'on doit se prparer avec un grand soin la - sainte Communion. 404 - Chap. XIII. Que le fidle doit dsirer de tout son coeur de - s'unir JSUS-CHRIST dans la Communion. 408 - Chap. XIV. Du dsir ardent que quelques mes saintes ont de - recevoir le Corps de JSUS-CHRIST. 411 - Chap. XV. Que la grce de la dvotion s'acquiert par l'humilit - et l'abngation de soi-mme. 414 - Chap. XVI. Qu'il faut dans la Communion exposer ses besoins - JSUS-CHRIST, et lui demander sa grce. 417 - Chap. XVII. Du dsir ardent de recevoir JSUS-CHRIST. 420 - Chap. XVIII. Qu'on ne doit point chercher pntrer le - mystre de l'Eucharistie, mais qu'il faut soumettre ses - sens la Foi. 424 - - -FIN DE LA TABLE. - - - - -LECTURES - -DU LIVRE DE L'IMITATION, - -DIVISES - -Selon les diffrents besoins des Fidles. - - -Pour les Prtres. - - Livre I.--Ch. 18, 19, 20, 25. - -- II.--Ch. 11 et 12. - -- III.--Ch. 3, 10, 31, 56. - -- IV.--Ch. 5, 7, 10, 11, 12, 18. - - Pour la prparation la Messe et l'Action de grces, _voyez_ page 404 - et suiv.: _Avant et aprs la Communion_, et, de plus, tous les - chapitres indiqus _pour les personnes pieuses_. - -Pour les Sminaristes. - - Livre I.--Ch. 17, 18, 19, 20, 21, 25. - -- III.--Ch. 2, 3, 10, 31, 56. - -- IV.--Ch. 5, 7, 10, 11, 12, 18. - -Pour ceux qui s'adonnent l'tude, particulirement celle de la -Philosophie et de la Thologie. - - Livre I.--Ch. 1, 2, 3, 5. - -- III.--Ch. 2, 43, 44, 48, 58. - -- IV.--Ch. 18. - -Pour les Personnes affliges de leur peu de progrs dans l'tude. - - Livre III.--Ch. 29, 39, 41, 47. - -Pour les Religieux et les Religieuses. - - Les chapitres indiqus ci-avant pour les Sminaristes. Ceux indiqus - ci-aprs pour les personnes pieuses. - -Pour les Personnes pieuses. - - Livre I.--Ch. 15, 18, 19, 20, 21, 22, 25. - -- II.--Ch. 1, 4, 7, 8, 9, 11, 12. - -- III.--Ch. 5, 6, 7, 11, 27, 31, 32, 33, 53, 54, 55, 56. - -Pour les Personnes affliges et humilies. - - Livre I.--Ch. 12. - -- II.--Ch. 11, 12. - -- III.--Ch. 12, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 29, 30, 35, 41, 47, - 48, 49, 50, 52, 55, 56. - -Pour les Personnes trop sensibles leurs souffrances. - - Livre I.--Ch. 12. - -- III.--Ch. 12. - -Pour les Personnes tentes. - - Livre I.--Ch. 13. - -- II.--Ch. 9. - -- III.--Ch. 6, 16. 17, 18, 19, 20, 21, 23, 30, 35, 37, 47, 48, - 49, 50, 52, 55. - -Pour les Peines intrieures. - - Livre II.--Ch. 3, 9, 11, 12. - -- III.--Ch. 7, 12, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 30, 35, 47, 48, 49, - 50, 51, 52, 55, 56. - -Pour les Personnes inquites de l'avenir, de leur sant, de leur -fortune, du succs d'une dmarche. - - Livre III.--Ch. 39. - -Pour les Personnes qui vivent dans le monde, ou qui sont distraites par -leurs occupations. - - Livre III.--Ch. 38, 53. - -Pour les Personnes attaques par la calomnie ou la mdisance. - - Livre II.--Ch. 2. - -- III.--Ch. 6, 11, 28, 36, 46. - -Pour les Personnes qui commencent se convertir. - - Livre I.--Ch. 18, 25. - -- II.--Ch. 1. - -- III.--Ch. 6, 7, 23, 25, 26, 27, 33, 37, 52, 54, 55. - -Pour les Personnes pusillanimes, faibles ou ngligentes. - - Livre I.--Ch. 18. 21. 22, 25. - -- II.--Ch. 10, 11, 12. - -- III.--Ch. 3, 6, 27, 30, 35, 37, 54, 55, 57. - -Pour une Retraite. - - Livre III.--Ch. 53. } Pour s'y disposer. - -- I.--Ch. 20, 21. } - Ch. 22. Misres de la vie. - Ch. 23. La mort. - Ch. 24 } Le Jugement et l'Enfer - -- III.--Ch. 14 } - Ch. 48. Le Ciel. - Ch. 59. Pour clore la Retraite - -Pour obtenir la Paix intrieure. - - Livre I.--Ch. 6, 11. - -- II.--Ch. 3, 6. - -- III.--Ch. 7, 23, 25, 38. - -Pour les Personnes dissipes. - - Livre I.--Ch. 18, 21, 22, 23, 24. - -- II.--Ch. 10, 12. - -- III.--Ch. 14, 27, 33, 45, 53, 55. - -Pour les Pcheurs insensibles. - - Livre I.--Ch. 23, 24. - -- III.--Ch. 14, 55. - -Pour les Personnes oisives. - - Livre III.--Ch. 24, 27. - -Pour ceux qui coutent les mdisances. - - Livre I.--Ch. 4. - -Pour les Personnes portes l'orgueil. - - Livre I.--Ch. 7. 14. - -- II.--Ch. 11. - -- III.--Ch. 7, 8, 9, 11, 13, 14, 40, 52. - -Pour les esprits querelleurs et opinitres. - - Livre I.--Ch. 9. - -- III.--Ch. 13, 32, 44. - -Pour les Personnes impatientes. - - Livre III.--Ch. 15, 16, 17, 18, 19. - (Parag. 5 du Chap. XIX. Prire pour demander la patience). - -Pour les Dsobissants. - - Livre I.--Ch. 9. - -- III.--Ch. 13, 32. - -Pour les Personnes causeuses. - - Livre I.--Ch. 10. - -- III.--Ch. 24, 44, 45. - -Pour ceux qui s'occupent des dfauts des autres et ngligent -les leurs. - - Livre I.--Ch. 11, 14, 16. - -- II.--Ch. 5. - -Pour les Personnes qui ont une dvotion fausse ou mal entendue. - - Livre III.--Ch. 4, 6, 7. - -Pour inspirer la droiture d'intention. - - Livre III.--Ch. 9. - -Pour les Personnes trop susceptibles. - - Livre III.--Ch. 44. - -Pour celles qui s'attachent trop aux douceurs de l'amiti humaine. - - Livre I.--Ch. 8, 10. - -- II.--Ch. 7, 8. - -- III.--Ch. 32, 42, 45. - -Pour celles qui se scandalisent de la simplicit ou de l'obscurit -des Livres saints. - - Livre I.--Ch. 5. - -Pour les Personnes portes la jalousie. - - Livre III.--Ch. 22, 41. - - - - -PRIRES - -TIRES - -DU LIVRE DE L'IMITATION. - - -Prire avant la lecture spirituelle. - - Livre III.--Ch. II. - -Pour obtenir la grce de la dvotion. - - Mme livre.--Ch. III, parag. 6 et 7. - -Prire pour implorer le secours des Consolations divines. - - Livre III.--Ch. IV, V, parag. 1 et 2. - (Le mme avant ou aprs la Communion.) - -Pour obtenir l'accroissement de l'amour de Dieu en nous. - - Mme livre.--Ch. V, parag. 6. - -Sentiments d'anantissement en la prsence de Dieu - - Mme livre.--Ch. VIII. - (Avant la Communion.) - -Prire pour une Personne qui vit dans la retraite et la pit. - - Mme livre.--Ch. X. - -Sentiments profonds d'humilit. - - Mme livre.--Ch. XIV. - (Avant ou aprs la Communion.) - -Pour demander la rsignation la volont de Dieu. - - Mme livre.--Ch. XV. - (Depuis la deuxime phrase du parag. 2, jusqu' la fin, et partie du - premier.) - -Sentiments de Rsignation. - - Mme livre.--Ch. XVI, la fin; XVII, parag. 2 et 4; XVIII, parag. 2. - -Pour demander la Patience. - - Mme livre.--Ch. XIX, parag. 5. - -Prire pour une Personne afflige ou tente. - - Mme livre.--Ch. XX, XXI, parag. 1, 2, 3, 4, 5. - -Mme prire pour celles qui se sentent remplies de l'amour de Dieu. - - (La dire encore avant et aprs la Communion.) - -Acte de remercment. - - Livre III.--Ch. XXI, parag. 7. - (Aprs la Communion.) - -Prire propre aux personnes qui croiraient avoir moins reu de Dieu que -les autres, soit pour le corps, soit pour l'me. - - Mme livre.--Ch. XXII. - -Pour demander la puret de l'esprit et le dtachement des cratures. - - Mme livre.--Ch. XXIII, parag. 5, jusqu' la fin. - -Prire d'une personne qui commence sa conversion. - - Mme livre.--Ch. XXVI. - -(La mme, pour une personne qui dsire avancer dans la vertu.) - -Prire pour demander l'esprit de force et de sagesse. - - Mme livre.--Ch. XXVII, parag. 4 et 5. - -Prire propre aux personnes qui prouvent une vive affliction. - - Mme livre.--Ch. XXIX. - -Prire aprs la Communion. - - Mme livre.--Ch. XXXIV. - (La mme pour s'exciter l'amour de Dieu.) - -Sentiments d'abandon la divine Providence. - - Mme Livre.--Ch. XXXIX, parag. 2. - -Sentiments d'humilit. - - Livre III.--Ch. XL. - (Avant ou aprs la Communion.) - -Prire quand on a reu quelque grce de Dieu. - - Mme livre.--Mme chapitre. - (Avant ou aprs la Communion.) - -Sentiments de rsignation. - - Mme livre.--Ch. XLI, parag. 2. - -Sentiments pieux. - - Mme livre.--Ch. XLIV, parag. 2. - -Prire d'une personne attaque par la calomnie. - - Mme livre.--Ch. XLVI, parag. 5. - -Prire sur le bonheur du Ciel, qu'on peut dire particulirement les -jours de Pques, de l'Ascension et de la Toussaint. - - Mme livre.--Ch. XLVIII. - (Avant ou aprs la Communion.) - -Sentiment d'humilit et de contrition. - - Mme livre.--Ch. LII. - (Avant la Communion.) - -Prire pour demander les secours de la grce. - - Mme livre.--Ch. LV. - -Prire pour les Prtres, Religieux et Religieuses, pour demander la -persvrance dans leur vocation. - - Mme livre.--Ch. LVI, parag. 3, 5, 6. - -Sentiment de confiance en Dieu. - - Mme livre.--Ch. LVII, parag. 4. - -Prire pour toute personne pieuse et chrtienne. - - Livre III.--Ch. LIX. - (Aprs la Communion.) - (On peut s'en servir aussi pour terminer une retraite.) - -Prire devant le Trs-Saint Sacrement. - - Livre IV.--Ch. I, II, III, IV, IX, XI, jusqu'au paragraphe 6; XIII, - XIV, XVI, XVII, et partie des prires ci-dessus. - -lvations sur la dignit des Prtres et la saintet de leur ministre. - - Mme livre.--Ch. V. - -Pour les Prtres et les Sminaristes. - - Mme livre.--Ch. XI, parag. 6, 7 et 8. - - - - -LECTURES - -POUR LA SAINTE COMMUNION. - - -(Il est bon de faire prcder la rception de la sainte Communion d'une -retraite de trois jours, l'exemple de plusieurs Saints.) - -PREMIER JOUR. - -Esprit de retraite. - -LE MATIN. - - Livre III.--Ch. 53. - - MIDI. - - Livre I.--Ch. 20. - -LE SOIR. - - Livre I.--Ch. 21. - - -DEUXIME JOUR. - -LE MATIN. - - Livre I.--Ch. 22. Misres de la vie. - Ch. 23. La Mort. - - MIDI. - - Livre I.--Ch. 24. Le Jugement et l'Enfer. - -- III.--Ch. 14. - -LE SOIR. - - Livre III.--Ch. 48. Le CIEL. - --Ch. 59. _Conclusion._ - - -TROISIME JOUR. - -LE MATIN. - -_Prparation et exercice d'humilit._ - - Livre IV.--Ch. 6. Prire pour obtenir la grce de s'approcher - saintement des Sacrements. - Ch. 7. Examen de Conscience, Contrition, ferme Propos, - Confession et Satisfaction. - -(Lire ensuite genoux le 8e chap. du liv. III.) - - MIDI. - - Livre IV.--Ch. 18. Foi soumise au mystre de l'Eucharistie. - Ch. 10. Avantage de la frquente Communion. - -(Ne pas lire la 2e partie du parag. 7 jusqu' la fin.--Lire genoux le -52e chap. du liv. III.) - -LE SOIR. - - Livre IV.--Ch. 12. Prparation la sainte Communion. - Ch. 15. Dvotion fonde sur l'humilit et le renoncement - soi-mme. - Ch. 9. S'offrir Dieu dans la Communion. - -(Lire genoux le 40e chap. du liv. III.) - - -POUR LE JOUR - -O L'ON COMMUNIE. - -LE MATIN. - -LIVRE IV.--CH. 1, 2, 3, 4. - -AVANT ET PENDANT LA MESSE. - -LIVRE IV.--CH. 9, 16 et 17. - -(Aprs le _Pater_, fermer son livre, dire par coeur les Actes avant la -Communion, ou bien l'Acte de contrition, ceux des trois Vertus -thologales et les trois Oraisons qui suivent l'_Agnus Dei_; rester -ensuite en adoration.) - -(Aprs la sainte Communion, rester en adoration jusqu' la fin de la -Messe; dire par coeur les Actes aprs la Communion.) - -APRS LA MESSE. - -LIVRE IV.--CH. 11, 13 et 14. - -(Ne pas lire les parag. 6, 7 et 8.--Rciter les cantiques _Benedictus_, -_Magnificat_, _Nunc dimittis_, et le _Te Deum_, soit l'glise, soit en -rentrant chez soi.) - -DANS LA JOURNE ET LE SOIR. - -LIVRE III.--CH. 21, 34, 48. - -(Rpter ensuite le 9e chap. du IVe livre, et choisir volont une -lecture dans les prires ci-dessus indiques, page 467 et suiv.) - - -PRATIQUE DE PERSVRANCE - -APRS LA SAINTE COMMUNION. - -PREMIER JOUR. - -Remercier Notre-Seigneur Jsus-Christ, et s'exciter son amour. - - Livre III.--Ch. 5, 7, 8, 10. - -DEUXIME JOUR. - -couter la voix de Jsus-Christ parlant l'me qui l'a reu. - - Livre II.--Ch. 1. - Livre III.--Ch. 1, 2, 3. - -TROISIME JOUR. - -Se dtacher des cratures. - - Livre III.--Ch. 26, 31, 42, 45. - -QUATRIME JOUR. - -Se dtacher de soi-mme, et s'abandonner Dieu. - - Livre III.--Ch. 15, 17, 27, 37. - -CINQUIME JOUR. - -Souffrir avec patience en union aux souffrances de Jsus-Christ. - - Livre II.--Ch. 12. - Livre III.--Ch. 16, 18, 19. - -SIXIME JOUR. - -Persvrer dans sa ferveur dans les bonnes rsolutions qu'on a prises en -communiant. - - Livre I.--Ch. 19, 25. - Livre III.--Ch. 23, 55. - -(Si on ne peut pas lire les quatre chapitres, il faudra de prfrence -lire le premier et le dernier de chaque jour. On peut aussi en lire deux -le matin et deux le soir.) - - -FIN - - -Imp. BAILLY, DIVRY et Cie, place Sorbonne, 2. - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of L'imitation de Jsus-Christ, by Various - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'IMITATION DE JSUS-CHRIST *** - -***** This file should be named 57824-8.txt or 57824-8.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/7/8/2/57824/ - -Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed -Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was -produced from scanned images of public domain material -from the Google Books project.) - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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It -exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations -from people in all walks of life. - -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's -goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg-tm and future -generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see -Sections 3 and 4 and the Foundation information page at -www.gutenberg.org - - - -Section 3. 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Email contact links and up to -date contact information can be found at the Foundation's web site and -official page at www.gutenberg.org/contact - -For additional contact information: - - Dr. Gregory B. Newby - Chief Executive and Director - gbnewby@pglaf.org - -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide -spread public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. - -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. We do not solicit donations in locations -where we have not received written confirmation of compliance. To SEND -DONATIONS or determine the status of compliance for any particular -state visit www.gutenberg.org/donate - -While we cannot and do not solicit contributions from states where we -have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition -against accepting unsolicited donations from donors in such states who -approach us with offers to donate. - -International donations are gratefully accepted, but we cannot make -any statements concerning tax treatment of donations received from -outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. - -Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation -methods and addresses. Donations are accepted in a number of other -ways including checks, online payments and credit card donations. To -donate, please visit: www.gutenberg.org/donate - -Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. - -Professor Michael S. Hart was the originator of the Project -Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be -freely shared with anyone. For forty years, he produced and -distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of -volunteer support. - -Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in -the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not -necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper -edition. - -Most people start at our Web site which has the main PG search -facility: www.gutenberg.org - -This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. - diff --git a/57824-h/57824-h.htm b/57824-h/57824-h.htm index 796b822..d0a5cbd 100644 --- a/57824-h/57824-h.htm +++ b/57824-h/57824-h.htm @@ -85,46 +85,7 @@ a { text-decoration: none; } <body> -<pre> - -The Project Gutenberg EBook of L'imitation de Jsus-Christ, by Various - -This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most -other parts of the world at no cost and with almost no restrictions -whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of -the Project Gutenberg License included with this eBook or online at -www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - -Title: L'imitation de Jsus-Christ - Traduction nouvelle avec des rflexions la fin de chaque chapitre - -Author: Various - -Translator: Flicit de Lamennais - -Release Date: September 1, 2018 [EBook #57824] - -Language: French - -Character set encoding: ISO-8859-1 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'IMITATION DE JSUS-CHRIST *** - - - - -Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed -Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was -produced from scanned images of public domain material -from the Google Books project.) - - - - - - -</pre> +<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57824 ***</div> <h1>L'IMITATION<br/> <span class="xsmall">DE</span><br/> @@ -20080,381 +20041,7 @@ C<sup>e</sup>, place Sorbonne, 2.</p> -<pre> - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of L'imitation de Jsus-Christ, by Various - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK L'IMITATION DE JSUS-CHRIST *** - -***** This file should be named 57824-h.htm or 57824-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/7/8/2/57824/ - -Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed -Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This book was -produced from scanned images of public domain material -from the Google Books project.) - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part -of this license, apply to copying and distributing Project -Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm -concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, -and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive -specific permission. If you do not charge anything for copies of this -eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook -for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, -performances and research. They may be modified and printed and given -away--you may do practically ANYTHING in the United States with eBooks -not protected by U.S. copyright law. Redistribution is subject to the -trademark license, especially commercial redistribution. - -START: FULL LICENSE - -THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE -PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK - -To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free -distribution of electronic works, by using or distributing this work -(or any other work associated in any way with the phrase "Project -Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full -Project Gutenberg-tm License available with this file or online at -www.gutenberg.org/license. - -Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project -Gutenberg-tm electronic works - -1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm -electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to -and accept all the terms of this license and intellectual property -(trademark/copyright) agreement. 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It -exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations -from people in all walks of life. - -Volunteers and financial support to provide volunteers with the -assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's -goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will -remain freely available for generations to come. In 2001, the Project -Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure -and permanent future for Project Gutenberg-tm and future -generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see -Sections 3 and 4 and the Foundation information page at -www.gutenberg.org - - - -Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation - -The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit -501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the -state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal -Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification -number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by -U.S. federal laws and your state's laws. - -The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the -mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its -volunteers and employees are scattered throughout numerous -locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt -Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to -date contact information can be found at the Foundation's web site and -official page at www.gutenberg.org/contact - -For additional contact information: - - Dr. Gregory B. Newby - Chief Executive and Director - gbnewby@pglaf.org - -Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg -Literary Archive Foundation - -Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide -spread public support and donations to carry out its mission of -increasing the number of public domain and licensed works that can be -freely distributed in machine readable form accessible by the widest -array of equipment including outdated equipment. Many small donations -($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt -status with the IRS. - -The Foundation is committed to complying with the laws regulating -charities and charitable donations in all 50 states of the United -States. Compliance requirements are not uniform and it takes a -considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up -with these requirements. We do not solicit donations in locations -where we have not received written confirmation of compliance. To SEND -DONATIONS or determine the status of compliance for any particular -state visit www.gutenberg.org/donate - -While we cannot and do not solicit contributions from states where we -have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition -against accepting unsolicited donations from donors in such states who -approach us with offers to donate. - -International donations are gratefully accepted, but we cannot make -any statements concerning tax treatment of donations received from -outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. - -Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation -methods and addresses. Donations are accepted in a number of other -ways including checks, online payments and credit card donations. To -donate, please visit: www.gutenberg.org/donate - -Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. - -Professor Michael S. Hart was the originator of the Project -Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be -freely shared with anyone. For forty years, he produced and -distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of -volunteer support. - -Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed -editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in -the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not -necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper -edition. - -Most people start at our Web site which has the main PG search -facility: www.gutenberg.org - -This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, -including how to make donations to the Project Gutenberg Literary -Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to -subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. - - - -</pre> +<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 57824 ***</div> </body> </html> |
