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If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - -Title: Chronique du crime et de l'innocence, t. 7 of 8 - -Author: Robert Estienne - -Release Date: August 4, 2017 [EBook #55265] - -Language: French - -Character set encoding: UTF-8 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CHRONIQUE DU CRIME, T. 7 *** - - - - -Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/American Libraries.) - - - - - - - -Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le -typographe ont été corrigées. - -L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. - - - - - CHRONIQUE - - DU CRIME - - ET - - DE L'INNOCENCE. - - - - - IMPRIMERIE DE MOQUET ET Cie, - rue de la Harpe, n. 90. - - - - - CHRONIQUE - - DU CRIME - - ET - - DE L'INNOCENCE; - - - Recueil des Événemens les plus tragiques; Empoisonnemens, Assassinats, - Massacres, Parricides, et autres Forfaits, commis en France, depuis le - commencement de la monarchie jusqu'à nos jours, disposés dans l'ordre - chronologique, et extraits des anciennes Chroniques, de l'Histoire - générale de France, de l'Histoire particulière de chaque province, des - différentes Collections des Causes célèbres, de la Gazette des - Tribunaux, et autres feuilles judiciaires. - - PAR J.-B. J. CHAMPAGNAC. - - Tout ce qui me fait peur m'amuse au dernier point. - - C. DELAVIGNE. _École des Vieillards._ - - Tome Septième. - - Paris. - - CHEZ MÉNARD, LIBRAIRE, - PLACE SORBONNE, N. 3. - - 1834 - - - - -CHRONIQUE - -DU CRIME - -ET - -DE L'INNOCENCE. - - - - -LE CURÉ ÉTIENNE PACOT, - -INJUSTEMENT CONDAMNÉ A MORT. - - -«Serait-il vrai que nos lois, qui veillent assidûment à la punition du -crime, auraient laissé l'innocence sans défense et sans secours contre -les erreurs judiciaires? En armant les magistrats d'un pouvoir terrible, -mais nécessaire, aurait-on oublié qu'ils participent à la fragilité et -aux passions humaines, et que les plus belles institutions deviennent -menaçantes, au lieu d'être protectrices, si l'on ne fait rien pour en -prévenir les erreurs?» - -Tel est le début d'un mémoire publié vers 1819; et ces paroles sont le -cri de douleur d'un vieillard presque octogénaire, d'un vénérable -ecclésiastique, d'Étienne Pacot, dont les malheurs ont fini par égarer la -raison, et qui aujourd'hui attend, dans une maison de santé, la fin de sa -longue et malheureuse carrière. - -Le sieur Pacot, échappé comme par miracle aux brigandages de la -révolution, qui toutefois l'avaient contraint de quitter la paroisse -qu'il administrait, s'était retiré dans ses propriétés, situées en grande -partie à Bourberain, département de la Côte-d'Or. Un homme, nommé Prétot, -vint s'établir dans le même endroit. L'abbé Pacot le reçut sans défiance; -mais il fut bientôt cruellement puni de cet excès de sécurité. Prétot -commit chez lui un vol considérable, et attenta à sa vie à deux reprises -différentes. D'abord il lui tira un coup de fusil par sa fenêtre; ce fait -fut attesté par le nommé Nicolas Miel, qui accompagnait alors Prétot; cet -homme en fit la révélation à la justice, qui, un peu plus tard, le -condamna aux fers pour vol dans une habitation d'une autre commune. La -seconde tentative de Prétot sur la personne de l'abbé Pacot, eut lieu le -7 nivôse an VII. Il tira un coup de pistolet à ce propriétaire sur la -route de Bèze. L'intimité qui unissait cet homme au juge-de-paix du -canton lui assura l'impunité; néanmoins on n'osa l'absoudre entièrement, -et sur la déclaration du jury, portant que Prétot n'avait pas eu -l'intention de tuer le sieur Pacot, cet attentat ne fut puni que d'un -mois d'emprisonnement, et de vingt-cinq francs d'amende. - -Cependant Prétot avait fait trop de mal au sieur Pacot, pour n'être pas -devenu son ennemi juré. La présence de ce dernier à Bourberain était un -reproche continuel pour lui, comme pour ses protecteurs. Il résolut de -s'affranchir, par un crime encore plus noir, de la vue importune d'une -victime que la Providence avait dérobée à ses premières tentatives de -meurtre. - -Tout-à -coup le bruit se répandit dans la commune de Bourberain que Prétot -et sa femme venaient d'être empoisonnés _par le plus subtil des poisons_. -Le 7 germinal an IX, Prétot le dit lui-même aux deux fermiers du sieur -Pacot, qui étaient entrés dans son cabaret. Il leur montra une -demi-bouteille à moitié pleine, leur disant que sa femme et lui avaient -bu l'autre moitié qui manquait. Il raconta que cette demi-bouteille lui -avait été apportée, deux jours auparavant, avec une lettre dans laquelle -il était dit qu'on la lui adressait comme un échantillon de vin. - -Le même jour, Prétot arrêta deux officiers de santé qui traversaient la -commune. Le premier trouva la _liqueur douce_, et déclara plus tard que -_ce ne fut qu'une heure après en avoir mis sur sa langue, qu'il sentit -une légère chaleur_. Le second, au contraire, affirma que cette liqueur -_était tellement corrosive, que l'eau-forte ne serait pas plus mordante_. - -Cependant la santé de Prétot n'avait pas subi la moindre altération; son -visage coloré n'offrait aucun des symptômes de l'empoisonnement dont il -se plaignait. Aussi, dans les premiers instans, se garda-t-il bien -d'aller se montrer à l'autorité. Sa maison n'était séparée de celle du -maire de la commune que par un mur, et pourtant il ne l'instruisit pas du -crime qui, selon lui, avait failli lui coûter la vie. Il ne requit même -pas l'assistance du juge-de-paix, son ami, qui ne demeurait qu'à une -demi-lieue de Bourberain. - -La calomnie ne saurait procéder par des voies aussi directes, sans -compromettre souvent le succès de ses manÅ“uvres. Il fallait que Prétot -s'assurât d'abord des moyens d'accréditer l'odieuse fable qu'il avait -inventée. Il lui fallait quelques témoins. Il gagna une femme simple et -crédule, et lui recommanda, ainsi qu'elle le déclara elle-même plus tard, -de dire, lorsqu'elle serait interrogée à ce sujet, qu'elle avait vu -Prétot en proie à des vomissemens, et qu'elle lui avait donné du lait. - -Le 10 germinal, il fit six lieues à pied pour se rendre à Dijon, mais il -ne porta pas encore sa plainte à la justice, et revint le jour même à -Bourberain. Le lendemain, il eut encore la force de recommencer ce -pénible voyage, et, cette fois, il rendit plainte devant le directeur du -jury, mais en déclarant toutefois qu'il ignorait jusqu'alors l'auteur du -crime. - -Cette première démarche suffisait pour le moment à Prétot; il était -satisfait d'avoir éveillé l'attention de la justice; il se désista dans -les vingt-quatre heures. Cette marche était de la plus perfide habileté; -elle lui facilitait les moyens de porter à la victime qu'il s'était -choisie les coups qu'il lui préparait. Bientôt en effet, il fit circuler -de sourdes rumeurs qui désignaient l'abbé Pacot comme auteur de -l'empoisonnement, et lui-même déposa que, dans le premier moment, il -avait accusé ce prêtre, n'ayant pas d'autre ennemi sur la terre. - -Sur cette dénonciation, on arrête le sieur Pacot; le dénonciateur -lui-même vient avec un fusil, afin, dit-il, de prêter main-forte à la -gendarmerie. Le lendemain, deux simples gendarmes font une perquisition -dans le domicile de l'abbé Pacot. Deux jours après, le juge-de-paix en -fait une nouvelle, tendant à s'assurer si l'on trouverait de l'arsenic -dans la maison: il prend pour témoin le beau-frère de l'accusateur. Ce -témoin était prévenu de la visite du juge de paix; il quitta son troupeau -qu'il gardait, pour aller à la rencontre de ce magistrat. Il n'est pas -nécessaire de faire sentir à nos lecteurs combien il était irrégulier, -même scandaleux, de choisir le beau-frère du délateur pour témoin de l'un -des actes les plus importans de la procédure. Mais ce choix n'avait été -fait ni au hasard, ni sans de fortes raisons. Le témoin lui-même en -révéla le motif dans un moment de véracité. Il convint que Prétot lui -avait donné un cornet de poudre blanche, avec mission de le glisser -furtivement dans la maison de l'abbé Pacot, lors de la visite. - -Il se trouvait chez le prévenu un reste de limonade médicinale faite avec -du sel d'oseille, La décomposition qui en fut faite ne laissa pas le -moindre doute sur la nature de cette liqueur. Mais le juge de paix, ami -de Prétot, avant d'appeler un homme de l'art, comme son devoir le lui -prescrivait, s'empressa de faire avaler de cette limonade à un poussin; -puis il l'emprisonna dans une soupière qu'il ferma bien hermétiquement de -son couvercle. Privé d'air, le pauvre animal allait périr asphyxié, si la -domestique de l'abbé n'avait soulevé le couvercle. Le poussin mort, -quelle conséquence n'aurait-on pas tirée de ce fait contre l'accusé? On -n'aurait pas manqué de moyens pour travestir l'asphyxie en -empoisonnement. - -Cependant le sieur Pacot fut conduit dans les prisons; l'une de ses -domestiques, Louise Poinsot, qui devait jouer un rôle nécessaire dans -l'affreuse tragédie qu'on avait imaginée, partagea le sort de son maître. -L'abbé Pacot fut tenu au secret le plus rigoureux pendant -quatre-vingt-dix jours. - -Mais tous les maux qu'on faisait peser sur lui ne rendaient pas -l'accusation plus vraisemblable. On avait beau l'abreuver d'outrages, son -innocence n'en éclatait que plus visiblement. Un jour, on le fit sortir -de sa prison; on le traîna en spectacle dans les rues, et on le conduisit -chez un marchand droguiste, sous prétexte que la femme de ce marchand -avait déclaré qu'un homme de la campagne était venu lui demander à -acheter de l'arsenic. - -Nous arrivons à la plus odieuse des manÅ“uvres qui furent dirigées contre -l'abbé Pacot. Louise Poinsot, sa domestique, avait été, comme on vient de -le voir, arrêtée en même temps que lui. On l'accusa d'avoir remis la -bouteille _empoisonnée_ à un commissionnaire pour la porter à Prétot. On -avait fait entendre plusieurs enfans qui avaient dit avoir vu une fille -portant cette bouteille, et lui avoir offert de la porter. Les questions -les plus minutieuses avaient été faites à ces enfans touchant la figure -et les vêtemens de cette fille. Tout ce qu'on en avait pu tirer, c'est -qu'ils avaient reconnu quelques-uns des vêtemens de Louise Poinsot: -quant à la figure, l'un d'eux avait dit qu'il _croyait_ la reconnaître; -les autres répondaient qu'ils n'y avaient pas fait assez d'attention. On -pensa que c'en était assez pour effrayer une fille simple, et la rendre -l'instrument de la perte de son maître. Des magistrats n'eurent pas honte -d'employer auprès d'elle les plus vives instances pour la déterminer à -accuser l'abbé Pacot. Ils épuisèrent dans ses longs interrogatoires, -l'art des insinuations, des questions captieuses; art funeste, dont -l'usage devrait être interdit contre le crime même, dans la crainte que -l'on pût jamais en abuser contre l'innocence. - -Un jour, elle comparaît devant le directeur du jury. «La vérité est -découverte, lui dit-il; votre maître est convaincu; vous n'avez pas voulu -vous sauver seule, vous périrez avec lui.» Au même instant, quatre hommes -entrent dans le cabinet; un d'eux lui annonce qu'on veut l'arracher à la -mort; que les portes de la prison vont s'ouvrir pour elle; mais qu'il -faut qu'elle confirme de sa bouche la vérité, bien qu'elle soit déjà -connue. - -Mais cette pauvre fille, malgré son extrême simplicité, trompa les -espérances de ces juges prévaricateurs, et rendit tous leurs efforts -inutiles. On ne put parvenir à lui arracher une parole accusatrice, ni -l'engager à trahir la vérité. L'aspect de la mort qu'on lui mettait sous -les yeux ne put ébranler sa constance. Ce courage héroïque ne fut pas la -seule preuve de son dévouement; la Providence, comme on le verra bientôt, -l'avait désignée pour sauver la vie à son maître. - -L'information traînait en longueur; on ne trouvait pas de charges, et on -en cherchait toujours. Les fonctions du directeur du jury expiraient; un -autre lui succède: une nouvelle information commence, et le prévenu -continue à gémir au milieu des horreurs du secret. - -Il fallait cependant terminer l'instruction. L'acte d'accusation est -dressé contre l'abbé Pacot et sa servante. Le jury d'accusation, appelé à -prononcer sur le sort du maître, déclare à l'unanimité qu'il n'y avait -pas lieu à suivre. Mais la malheureuse domestique, au milieu des tortures -morales qu'elle avait subies, était tombée dans quelques contradictions; -le jury crut qu'il n'en fallait pas davantage pour décider qu'il y avait -lieu à accusation contre elle. - -La rage des ennemis de l'abbé Pacot avait été impuissante dans cette -première tentative; ils n'avaient pu rassembler contre lui, non seulement -des preuves de nature à entraîner une condamnation, mais même de simples -présomptions suffisantes pour motiver la mise en accusation. Vainement sa -domestique était accusée; quelques contradictions arrachées par la -cruelle adresse des interrogateurs ne sont pas des preuves de -culpabilité. Devant le jury de jugement, son acquittement était -infaillible; alors leur proie leur échappait tout entière. - -La procédure se continuant contre Louise Poinsot, la marche de -l'instruction l'amena devant le tribunal criminel. On découvrit alors -qu'un des membres du jury d'accusation, qui avait prononcé la mise en -liberté de l'abbé Pacot, n'avait pas trente ans. Le commissaire du -gouvernement requit l'annulation de tout ce qui s'était fait, non -seulement à l'égard de la domestique, mais encore au sujet du maître qui -avait été mis hors de l'accusation. - -En bonne jurisprudence, la déclaration du jury d'accusation, concernant -l'abbé Pacot, rendue depuis cinq mois, et contre laquelle le commissaire -du gouvernement ne s'était pas pourvu en cassation, était devenue -irrévocable. Et cependant les trois juges du tribunal criminel de Dijon -cassèrent la déclaration qui l'avait fait mettre en liberté, aussi bien -que celle qui mettait en accusation Louise Poinsot. Par un inconcevable -oubli de toutes les formes et des règles les plus élémentaires du droit -et de la justice, l'instruction recommença contre l'abbé Pacot. - -Ce jugement inique fut rendu le 1er nivose an X. Trois heures après, à -neuf heures du soir, les gendarmes arrêtèrent le sieur Pacot, et -saisirent tous ses papiers, dont il ne put jamais obtenir la restitution. -L'abbé Pacot subit de nouveau la torture du secret pendant cent trois -jours. - -Une troisième instruction se poursuivit alors contre le maître et sa -fidèle domestique. On leur adjoignit une autre servante, contre laquelle -on n'avait pas informé jusque alors. Un simulacre de jury d'accusation, -composé selon le caprice des juges, déclara qu'il y avait lieu à -accusation contre les trois prévenus. On ne prétend point accuser ces -jurés de perversité; mais on peut les taxer de faiblesse: ils étaient les -aveugles instrumens de ceux qui les dirigeaient. «Je n'ai été appelé, -disait l'un d'eux depuis ce jugement, que pour remplacer un juré absent: -mais tout était fini, et je n'ai eu qu'à donner ma signature.» Un autre -juré disait sur le même sujet: «Le directeur du jury, ainsi que son -substitut, nous ont dit que nous n'avions aucune part à prendre dans -cette affaire; qu'il fallait signer, et renvoyer les trois prévenus pour -être jugés au chef-lieu du département.» - -Les prévenus furent donc soumis au jury de jugement. Après trois -informations successives, pas un mot, pas une syllabe accusatrice ne -s'élevait contre eux. Cependant l'abbé Pacot fut condamné, après avoir -été privé de toutes les garanties que la loi accorde aux accusés. - -Douze jurés spéciaux devaient prononcer sur son sort. Cinq se trouvaient -absens; on les remplaça, non pas en les tirant au sort, comme la loi -l'exige formellement, mais en les désignant arbitrairement à l'instant -même. Un de ces jurés s'était acquis le surnom de _Coupe-Tête_ dans les -massacres dont la ville de Dijon avait été le théâtre pendant la -tourmente révolutionnaire. Ce fut à cette violation manifeste de la loi -que l'abbé Pacot dut son salut; ainsi le crime finit par se prendre dans -ses propres piéges. On n'eut pas honte d'appeler en témoignage un -commis-greffier qui avait rédigé tous les actes de la première procédure. -Cet homme osa déclarer qu'il avait entendu Louise Poinsot dire qu'elle -avait porté la bouteille, sans savoir ce qu'elle pouvait contenir. «Eh! -malheureux! lui répondit cette fille indignée, dites donc que c'est vous -qui m'avez dit plusieurs fois qu'il ne fallait que cette déclaration pour -me faire mettre en liberté.» La force de cette réponse accabla le témoin -qui fut réduit au silence. - -Mais vainement l'évidence terrassait les accusateurs de l'abbé Pacot; on -ne le jugeait que pour la forme; sa perte était résolue. Il entendit -prononcer son arrêt de mort; les deux domestiques furent acquittées. - -L'abbé Pacot fut reconduit en prison, après avoir protesté contre cet -assassinat juridique. Il lui restait un refuge à la Cour de cassation, -pour prévenir ou du moins retarder l'affreux triomphe de ses ennemis. -Mais plongé dans un cachot, livré à des porte-clefs qui refusaient -d'écouter sa prière, il n'avait pas la liberté de faire entendre ses -plaintes, et le fatal délai de trois jours allait expirer. Heureusement -la Providence lui envoya un frère aîné qui revenait de l'émigration et -qui, à force de soins et de peines, parvint à pénétrer jusque dans son -cachot, et à lui procurer les moyens de recourir à la justice de la Cour -suprême. - -Là , les choses devaient changer de face; la procédure était monstrueuse: -la haine avait aveuglé les ennemis du sieur Pacot au point de négliger -toutes les formes. - -On tenta un dernier effort pour rendre ce recours illusoire. Quarante -jours s'étaient écoulés depuis le jugement, et les pièces du procès -n'avaient pas encore été envoyées à la Cour de cassation; on espérait -qu'à force de retards, la victime succomberait à la rigueur de son sort. -Plongé dans le cachot le plus infect, l'abbé Pacot réunissait aux plus -pénibles des souffrances morales les souffrances physiques les plus -horribles; elles devinrent telles, que, malgré la force de son -tempérament, il tomba dangereusement malade. Sa mort paraissait -inévitable. Il fallut tout le dévouement de la fidèle Louise Poinsot pour -l'arrêter au bord de la tombe prête à l'engloutir. - -Cette simple villageoise, mue par un sentiment de la plus noble -générosité, vendit à son frère le peu qu'elle possédait, et sans prendre -conseil de personne, se rendit à Paris, à pied, pour sauver les jours de -son malheureux maître. Elle alla solliciter seule une audience du comte -Abrial, ministre de la justice. Cet homme respectable, digne de la haute -mission qui lui était confiée, accorda l'audience sollicitée, écouta -Louise Poinsot avec bonté, et lui promit de donner des ordres pour -accélérer l'envoi des pièces. Elle parvint à instruire son maître de la -démarche qu'elle venait de faire; et celui-ci trouva encore la force -d'écrire au commissaire du gouvernement, et de lui exprimer son -étonnement de ce que les pièces n'avaient pas été envoyées. La lettre du -sieur Pacot était du 1er thermidor an X; on la lui renvoya le jour même -avec une note portant que les pièces étaient parties depuis dix jours; et -cependant le comte Abrial ne les reçut que le 3 thermidor. Quand on -avait vu qu'il était impossible de les retenir, on avait cherché, par un -mensonge, à déguiser l'horreur d'une persécution qu'on poursuivait avec -tant de persévérance et d'animosité. - -Enfin, l'heure de la justice sonna pour l'abbé Pacot. L'arrêt de mort fut -cassé, parce que les jurés n'avaient pas été tirés au sort. Le -commissaire du gouvernement attendit dix-sept jours pour notifier cet -arrêt au prévenu, et trente jours s'écoulèrent encore jusqu'à sa -translation à Lons-le-Saulnier. Là , malgré les nouveaux efforts de -l'intrigue et de la perversité, le nouveau jury déclara _à l'unanimité_, -non seulement que l'accusé n'était pas coupable, mais qu'_il n'était pas -constant qu'il y eût eu même d'empoisonnement_. Cette nouvelle procédure -avait présenté plusieurs circonstances curieuses. Comme on le sait déjà , -l'accusateur prétendait avoir bu la moitié du poison contenu dans la -bouteille qui lui avait été remise, et assurait que ce breuvage lui avait -causé des coliques et des vomissemens. Or, la bouteille qu'avait -représentée Prétot contenait de l'arsenic dont la plus petite quantité -devait donner infailliblement la mort; tandis que Prétot venait soutenir -qu'il en avait bu une forte dose presque impunément. Aussi l'avocat de -l'abbé Pacot, indigné de tant d'effronterie, fut heureusement inspiré par -cette indignation même. «Vous prétendez, dit-il à Prétot, vous prétendez -que vous avez pris, sans autre accident que de simples vomissemens, une -dose de poison égale à celle que vous reproduisez ici? L'imposture ne -saurait être ni plus impudente, ni plus grossière. Mais admettons pour un -moment que vous ayez été fidèle à la vérité. C'est ici le cas de faire -une juste application de cet adage: _Qui peut le plus, peut le moins_. -Puisque vous êtes si fort contre les poisons, qu'une quantité capable de -donner la mort à plusieurs personnes vous a causé à peine quelques -nausées, prenez seulement le quart de ce qui reste dans la bouteille, et -je passe condamnation.» Cet argument était invincible; il n'y avait pas -de milieu: il fallait ou soutenir l'accusation en avalant la dose -indiquée, ou s'avouer calomniateur en s'y refusant. Prétot, confondu, -garda le silence, et dès-lors les juges furent convaincus de l'innocence -de l'accusé et l'acquittèrent. Pourtant quelque amertume se mêla, pour -l'abbé Pacot, au souvenir de cet acte de justice. On prononça son -absolution hors de sa présence, contre le vÅ“u de la loi, et pour le -priver du droit de conclure contre son délateur. On voulait étouffer le -souvenir de ce procès si déshonorant pour ceux qui y avaient figuré comme -accusateurs et comme juges; et l'on ne pensait pas que c'est encore une -injustice d'enlever à l'innocent persécuté le droit d'obtenir la -réparation qui lui est due. - -L'abbé Pacot avait cruellement souffert dans sa personne, dans son -honneur et dans ses biens. Pendant l'intervalle du temps qui s'était -écoulé entre les deux procédures, pour acquitter les frais de la -première, la justice avait mis la main sur les propriétés de l'abbé Pacot -et en avait fait consommer la vente. Une nouvelle monstruosité se -rencontra à côté de cette expropriation irrégulière. On rapporte qu'un -des juges de l'accusé devint acquéreur d'une de ses propriétés. - -On pense qu'après avoir souffert de tant de manières différentes, l'abbé -Pacot ne pouvait se contenter de l'arrêt de Lons-le-Saulnier; il était -loin de vouloir la vengeance; mais, selon lui, la vérité devait briller -dans tout son jour; son innocence devait être reconnue autrement que par -un arrêt d'acquittement. En conséquence, il éleva des réclamations à -l'effet d'obtenir une réparation plus réelle; on écouta ses raisons, on -les trouva de toute justice, on le plaignit, mais on lui objecta, comme -un obstacle insurmontable, des raisons de jurisprudence, des principes -d'ordre social. - -Néanmoins, tout rempli de la bonté de sa cause, l'abbé Pacot ne se rebuta -pas. La Restauration semblait devoir lui aplanir toutes les difficultés; -point du tout: il ne fut pas plus heureux. En 1817, lorsqu'il porta ses -plaintes au pied du trône, des magistrats le condamnèrent comme -calomniateur, comme s'il n'eût pas légitimement acquis le droit de se -plaindre! - -Ce dernier fait se trouve consigné dans un mémoire qu'il publia plus tard -avec la signature du célèbre avocat Dupin, et avec cette épigraphe tirée -d'un ouvrage de ce jurisconsulte: «S'il eût été trouvé coupable, il -aurait dû à la société une réparation dans sa personne et dans ses biens. -Il est innocent; la proposition est renversée: c'est à lui que -l'indemnité est due.» - -Au reste, que l'on ne croie pas que ce fût pour lui-même que l'abbé Pacot -réclamât une indemnité de ses souffrances, de ses malheurs et de ses -pertes. Non! ce vénérable ecclésiastique comptait au nombre de ses -vertus, le désintéressement le plus évangélique. Comme il le disait -lui-même, parvenu à plus de quatre-vingts ans, qu'avait-il besoin des -biens de ce monde? C'était uniquement dans les intérêts de sa famille -qu'il militait avec tant de persévérance contre la jurisprudence établie. - -Le plus doux et le plus tolérant des hommes dans toutes ses relations -sociales, il semblait subir une soudaine métamorphose, dès qu'il était -question de ses infortunes et de l'iniquité de ses juges. Alors ses yeux -devenaient étincelans, ses cheveux se hérissaient, sa parole s'animait; -alors il ne souffrait pas la moindre contradiction, et fermait la bouche -à ceux qui lui adressaient quelque objection, en leur disant que lui seul -pouvait sentir tout ce qu'il avait souffert injustement, et qu'on ne -parviendrait jamais à lui persuader qu'il était juste de ne pas -l'indemniser. Il était facile de voir que cette catastrophe, Å“uvre de -la plus perverse calomnie, qui avait bouleversé une portion de son -existence, ravageait insensiblement ses facultés intellectuelles, en y -établissant une idée fixe qui dominait tout, et venait se mêler à tout, -pour tout embrouiller et tout confondre. - -Nous vîmes ce bon prêtre, il y a quelques années, chez un homme d'un -grand mérite, enlevé trop prématurément à ses nombreux amis et aux -lettres, qu'il cultivait obscurément et pour elles-mêmes, mais non pas -sans utilité et sans distinction; nous voulons parler de M. L. Hubert, -auteur du _Conteur_, recueil très-remarquable, quoiqu'il fût très-peu -remarqué, n'ayant été prôné par aucun journal. Dans cet ouvrage, où sont -traitées, sous une forme piquante et dramatique, les questions les plus -importantes de la législation, le but de l'auteur était d'éclairer -l'homme sur la nature de ses devoirs et de lui faire sentir les avantages -dont la pratique du bien est la source. Une des nouvelles racontées par -M. Hubert, l'_Accusé absout_, traitait à fond le point si délicat qui -intéressait personnellement l'abbé Pacot. La question y était examinée -sous ses divers aspects; la cause de l'humanité y était plaidée avec une -chaleureuse éloquence, celle de la société avec une puissante -dialectique; tous les intérêts étaient pesés avec bonne foi; rien de -sophistique, rien de captieux: jamais controverse ne fut plus -consciencieuse. - -L'abbé Pacot, alors attaché à Saint-Sulpice, s'était lié avec M. Hubert, -par suite de la publication de cette nouvelle, qui néanmoins ne le -satisfaisait pas complètement. Il venait quelquefois discuter avec lui -sur cette question qui, hors des devoirs de son ministère, l'occupait -tout entier. Le hasard nous fit assister à une de ces discussions. Placés -pour ainsi dire en présence d'une passion intéressée, toute légitime, et -digne d'excuse dans ses exigences, et de la raison parlant au nom de -l'ordre et de la société, notre rôle se bornait à écouter. - -«Je n'ai pas la présomption de créer des règles légales, disait l'abbé -Pacot d'un ton animé; je me borne à soumettre les idées que me suggère -l'indifférence avec laquelle est vu l'état de l'homme qu'atteint le -soupçon. Lorsqu'un individu est poursuivi à la requête d'une partie -civile, il est à la discrétion du juge de lui allouer des dommages, si -la plainte semble mal fondée. Or, pourquoi, dans les poursuites -_d'office_, l'État ne serait-il partie que pour la portion favorable des -chances de l'accusation? Pourquoi, à titre égal de plaignant, la société -ne serait-elle passible d'aucun dédommagement, à raison des faux griefs -exposés en son nom, tandis que tout particulier a des risques à courir, -en amenant son meurtrier ou son spoliateur devant un tribunal? - -«--Parce que, interrompit M. Hubert, il est sagement présumé que, de la -part de la société, aucun motif coupable n'a dirigé les poursuites. On ne -pourrait rendre la société partie, sans assimiler l'officier de la loi à -un adversaire de l'accusé; sans laisser arguer envers lui de passions -haineuses; sans donner à un ministère de protection l'odieux aspect de -l'agression. Non, la partie publique ne doit jamais être vue comme -menaçante pour l'individu paisible; comme portée, dans aucun cas, à -commettre sciemment le tort; comme pouvant nuire autrement que par de -fausses notions, autrement que par le louable dessein de débarrasser la -société de l'ennemi des lois nécessaires à son existence. De même -qu'aucune flétrissure ne doit être attachée à un arrêt cassé en appel, -l'élargissement d'un prévenu, même après une détention prolongée, ne doit -accuser que la fatalité de certaines circonstances, que l'absence de -cette vue pénétrante attribuée à Dieu seul. La foi qu'il convient d'avoir -dans l'intégrité de l'examinateur d'un soupçon de délit, n'existerait -pas, s'il était déclaré qu'un accusé est indemne, parce que ce serait -reconnaître tacitement que les poursuites n'avaient pour fondement aucune -de ces causes qui justifient aux yeux du juge les attaques d'une partie -civile. - -«--Je veux m'isoler un instant pour vous répondre, reprit l'abbé tout -ému: d'après vos principes, l'esprit de la loi est d'opposer, toujours et -absolument, la société à l'individu: votre premier point de dogme est la -réunion de tous contre les écarts de chacun. Dans le zèle à punir -l'infraction, on s'occupe plutôt d'appliquer les peines que de réparer -l'atteinte faite aux intérêts particuliers; on oublie que l'objet d'une -justice substantielle est de rendre à chacun ce qui lui appartient, avant -de songer au châtiment et à ses influences. Enfin, en sévissant contre -une méchante action, on a en vue moins le tort intrinsèque, que la -manifestation du mépris pour les règles prescrites par l'autorité. Et -cela, parce que le pouvoir voit en soi l'État, toute la société; parce -que l'homme investi du pouvoir veut régner par son titre; parce qu'un -faux orgueil place la dignité dans de vains attributs. De sorte que c'est -la vanité du magistrat, de l'administrateur, qui trouve de l'avantage -dans l'esprit de la loi; c'est elle qui recueille le tribut d'abnégation -imposé au nom du principe, au nom de tout ce qu'il convient d'appeler -intérêt social. - -«--Doucement, doucement, répondit M. Hubert. Vous savez combien je -déplore vos malheurs; je comprends très-bien votre indignation; je la -partage même en compatissant à vos souffrances. Mais il faut toujours -respecter la base de l'ordre: rejetez-vous sur la fragilité humaine, et -ne perdez jamais de vue que les inconvéniens de l'état de société sont -compensés par de grands avantages. - -«--Vous en parlez bien à votre aise.... Vous n'avez jamais eu à gémir -sous le poids d'une condamnation capitale.... Mais, monsieur, ma position -est bien différente; elle doit peut-être être mise à part, entre toutes -les erreurs de la justice. L'arrêt qui me condamna fut plus monstrueux, -mille fois, que celui qui fit tomber la tête de l'infortuné Lesurques, -dont l'innocence ne saurait être contestée. Dans la malheureuse affaire -qui perdit cet honnête homme, il y avait un crime bien avéré; le corps de -la victime était là ; une fatale ressemblance fit arrêter Lesurques comme -l'un des meurtriers: il périt!..... Mais moi, non seulement j'étais -innocent, mais encore le crime que l'on m'imputait n'était qu'une -invention de la calomnie; il n'y avait pas de corps de délit. Vous savez -aussi que plusieurs de mes ennemis siégeaient parmi mes juges. Si je ne -péris pas comme Lesurques, ce fut une faveur éclatante de la Providence; -mais je fus emprisonné, spolié, abreuvé d'amertumes de toute espèce..... - -«--Oui, oui, votre position est bien cruelle, bien poignante, répliqua M. -Hubert. Je voudrais, pour tout au monde, pouvoir la soulager; vous avez -été victime de l'esprit de désordre qui s'était introduit dans l'exercice -de la justice, comme dans toutes choses. Mais songez que, pour réparer -les maux qui en sont résultés, il faudrait changer l'ordre établi, -déroger à des principes de droit généralement consacrés. C'est une arche -sainte à laquelle il ne faut porter la main qu'avec précaution et -respect. - -«--J'ai donc tort de réclamer une indemnité? s'écria l'abbé Pacot avec -chaleur. - -«--Non, vous n'avez pas tort. Comme simple particulier, je vous -l'accorderais de grand cÅ“ur; je la regarderais même comme l'acquittement -toujours insuffisant, quel qu'il fût d'ailleurs, d'une dette éminemment -sacrée. Mais l'instabilité des choses, dans les temps où nous vivons, me -fait comprendre que le gouvernement ne puisse travailler à faire cesser, -à réparer le mal dont vous vous plaignez si justement. Il n'en serait pas -de même dans un ordre politique permanent et bien réglé; car je me plais -à croire qu'il serait impossible que l'on eût de semblables erreurs à -réparer.» - -Ces mots calmèrent un peu l'abbé Pacot; il n'était pas convaincu; il se -trouvait presque dans la même situation d'esprit que le célèbre Galilée -devant les inquisiteurs. Mais les paroles de M. Hubert l'avaient amené -peu à peu à une sorte de pente vers la résignation. Le sage, le profond -interlocuteur termina l'entretien à peu près en ces termes, qui sont -textuellement ceux de la conclusion de l'_Accusé absout_: «Oui, on doit -renoncer à découvrir un moyen d'indemniser l'accusé, reconnu innocent, -des misères qui accompagnent et suivent l'état de détention. Jamais, -assurément, le législateur ne consentira à augmenter les difficultés qui -gênent la marche du pouvoir judiciaire, même en Angleterre où il a le -moins d'entraves; et voulût-il ajouter à l'inextricable chaos où se perd -déjà notre jurisprudence, je le défierais de satisfaire les moins -exigeans par une opinion quelconque, seulement sur ces deux questions qui -deviendraient bientôt la source de mille autres: les journées de -détention auront-elles un prix commun, ou relatif aux situations? la -suspension des affaires, la perte du crédit, les affections domestiques, -l'état de santé, seront-ils pris en considération?--Il faut en convenir; -rien ne peut être imaginé pour rendre la réparation satisfaisante: la -distribution de l'indemnité ferait plus de mécontens que le refus d'en -allouer aucune. Mais pourquoi s'évertuer à chercher un remède impossible, -quand il est si facile d'en prévenir le besoin? Demandez, sollicitez -sans cesse un mode de poursuites où la liberté de l'individu ait pour -garantie l'inamovibilité des magistrats; obtenez que le ministère public -soit une magistrature à laquelle il ne puisse être enjoint d'accuser et -de retarder la mise en jugement; tâchez qu'il faille au moins un -plaignant, ou des charges substantielles pour retenir un homme sous les -verroux après vingt-quatre heures d'enquête; faites décider que le -jugement sera prononcé dans un délai déterminé, si le prévenu ne s'y -oppose..... Cela, toutefois, ne pourrait avoir lieu que s'il n'existait -pas de troubles politiques; car, dans les temps d'effervescence, on ne -peut affirmer que l'action du pouvoir doit être renfermée dans de -semblables limites. Et je conçois si bien la réserve avec laquelle doit -se traiter la question d'opportunité, qu'afin d'éviter de mettre en avant -aucune proposition intempestive, je m'abstiendrai désormais d'aborder ces -matières.» - -Tous ces argumens étaient sans doute excellens, et puisés dans une raison -supérieure et dans une parfaite connaissance des difficultés qui -hérissaient la question. Mais ils ne pouvaient être à l'usage de l'abbé -Pacot. Comment lui démontrer que sa position si cruelle était cependant -une nécessité? Il n'en continua donc pas moins activement, mais toujours -sans succès, ses poursuites en indemnité. Et encore aujourd'hui, que cet -infortuné joint à tous ses autres malheurs celui de la perte de la -raison, c'est toujours cette idée qui occupe et empoisonne ses rêves du -jour et de la nuit. - - - - -COMPLICATION DE SCÉLÉRATESSES. - - -Voici encore une effrayante série de forfaits, où le libertinage et la -cupidité jouent tour-à -tour le principal rôle. On ne saurait trop le -répéter, tout s'enchaîne dans le mal, encore plus généralement que dans -le bien: un premier crime, s'il reste impuni, en entraîne presque -toujours plusieurs autres après lui; c'est un torrent qui, la digue une -fois rompue, dévaste et renverse tout sur son passage. Cette vérité n'est -que trop bien prouvée; et, il est douloureux de le dire, chaque jour -semble se charger d'apporter des exemples à l'appui. - -Le 17 mai 1817, Etienne Rouvelle, vieillard âgé de 72 ans, demeurant dans -une maison isolée, à Bennecourt (Seine-et-Oise), fut trouvé mort, près de -sa cheminée. Cet homme passait pour avoir cinq mille francs d'économies. -Après des soupçons portés sur plusieurs individus, un des gendres du -défunt, Guillaume Normand, fut arrêté, mis en cause et déclaré coupable -par le jury, à la simple majorité de sept voix contre cinq. Les -magistrats de la cour d'assises de Versailles délibérant à leur tour, -trois opinèrent pour l'acquittement, deux pour la condamnation, et aux -termes de la loi, Guillaume Normand fut condamné au supplice des -assassins, et subit sa peine peu de temps après. - -Il y avait dix-huit mois que le meurtre de Rouvelle avait été commis, -lorsque le même canton fut le theâtre de plusieurs autres événemens non -moins tragiques. - -Le meunier Planche, habitant de Villez près Bennecourt, vivait fort mal -avec sa femme, qui, au rapport de la chronique scandaleuse, avait eu -plusieurs amans, et en dernier lieu, un boulanger nommé Barnabé Pernelle, -âgé de vingt-cinq ans. Celui-ci, de son côté, s'attirait le blâme et le -mépris de tous les honnêtes gens, par les mauvais traitemens qu'il -faisait subir à sa femme, qui jouissait de l'estime générale dans le -pays. - -Le 23 novembre 1817, le meunier Planche fut trouvé noyé dans la petite -rivière d'Epte, qui faisait tourner son moulin. Comme cet homme était -presque habituellement ivre, sa mort fut regardée comme un accident. -Cependant plusieurs rumeurs circulaient dans le village contre Barnabé -Pernelle et contre la femme Planche elle-même. Un des habitans disait que -Planche étant mort, le tour de la femme Pernelle ne tarderait pas, et -qu'il ne lui donnait pas un an à vivre. - -Cette prédiction sinistre fut bientôt réalisée. Le 14 mai 1818, pendant -l'absence de Barnabé Pernelle, sa femme, restée seule à la maison, fut -trouvée assassinée, la tête dans l'âtre de la cheminée, et ses vêtemens à -demi consumés. Il fut constaté que cette femme avait péri d'une mort -violente; mais ce meurtre ne paraissait accompagné d'aucune soustraction: -une croix d'or restait au cou de la victime. Son mari, présent aux -perquisitions de la justice, retrouva dans une armoire deux louis qu'il -disait être toute la fortune actuelle de la maison; mais ensuite il se -rétracta et prétendit qu'on lui avait volé 150 francs. - -Après bien des conjectures, les soupçons s'arrêtèrent sur un vigneron, -âgé de trente-quatre ans, nommé Crespin Normand. On avait aperçu des -traces de sang sur ses vêtemens; au moment où l'on se présenta pour -l'arrêter, sa femme venait de laver sa veste, son gilet et sa chemise, et -en avait fait disparaître des traces sanglantes. A son premier -interrogatoire, vaincu par l'évidence des preuves, et peut-être aussi par -la violence de ses remords, Crespin Normand n'hésita pas à faire l'aveu -de son crime. - -Suivant lui, Barnabé Pernelle lui ayant prêté 500 francs, à raison de 40 -francs d'intérêt par an, et lui ayant fait souscrire une obligation de -800 francs, qu'il était hors d'état de payer, cette obligation l'avait -mis, lui Crespin, sous l'entière dépendance de son créancier. Pernelle -alors lui promit quittance totale, s'il voulait consentir à étouffer sa -femme _de manière à ne point lui faire de marques de violence_. Crespin -résista d'abord à ces propositions plusieurs fois réitérées; mais, pressé -par les exigences de son créancier, il se décida enfin dans la soirée du -13 mai. Rempli de son exécrable mission, il se rendit chez la femme -Pernelle, conversa tranquillement avec elle pendant deux heures, et -tandis qu'elle faisait les apprêts du souper de son mari, il l'étendit -morte d'un seul coup, à l'aide d'un gros maillet de bois. - -Quelques jours avant sa mort, la malheureuse femme Pernelle avait fait à -un de ses voisins une confidence qui formait une présomption grave en -faveur des révélations de Crespin. Tiraillé par ses irrésolutions, ou -peut-être poussé par le désir d'inspirer plus de sécurité à sa victime, -Crespin avait confié à la femme Pernelle elle-même la commission cruelle -que son mari lui avait donnée, en lui promettant bien de ne pas -l'exécuter. - -Crespin dénonça aussi Barnabé Pernelle et son cousin, Valentin Pernelle, -comme complices de l'assassinat du meunier Planche. Suivant sa -déclaration, Pernelle, qui entretenait un commerce adultère avec la femme -Planche, l'avait engagé à le débarrasser du mari. Plusieurs tentatives -échouèrent. Enfin, une nuit, pendant que la femme Planche couchait dans -le moulin, les trois assassins pénétrèrent dans le corps de logis où le -mari était couché; ils le trouvèrent pris de vin, suivant sa coutume, et -étendu sur son lit presque sans sentiment. Ils le saisirent, le -transportèrent à la rivière, et l'y plongèrent tout habillé. Planche ne -reprit ses sens qu'au moment où on allait le précipiter dans l'eau. Il -mordit un des Pernelle à la cuisse, et déchira son pantalon avec ses -dents. - -Grièvement inculpée par cette déclaration de Crespin, la femme Planche -fut arrêtée; mais on la remit en liberté, faute de preuves suffisantes. -Peu de temps après, elle s'empoisonna avec de l'arsenic. Elle avait dit à -un témoin que, quinze jours après la mort de son mari, Crespin avait osé -lui révéler le secret du fatal complot, et que, depuis ce temps, sa -conscience ne lui laissait plus un seul instant de repos. - -Enfin, dans des aveux postérieurs, Crespin, non content de s'accuser -lui-même, avait essayé de laver la mémoire de Guillaume Normand, au sujet -du meurtre du vieillard Rouvelle. Il voulut même décharger Barnabé et -Valentin Pernelle des crimes qu'il leur avait d'abord imputés. - -L'acte d'accusation était rédigé le 14 mai 1819; il fut signifié, peu de -jours après, aux accusés. Le public attendait l'ouverture des débats. On -était curieux de voir quelle attitude y prendrait Crespin Normand. Mais -celui-ci, cédant à ses remords, et voulant sans doute prévenir la mort -ignominieuse qui lui était réservée, s'étrangla dans sa prison. - -Dans cet état de choses, il ne restait plus à juger que les deux cousins -Pernelle; le premier, boulanger, accusé de complicité dans l'assassinat -de sa femme et du meunier Planche; le second, comme complice du meurtre -de ce dernier. Les débats furent longs. Enfin, les prévenus furent -déclarés coupables, à la majorité de onze voix contre une, sur les divers -chefs d'accusation portés contre eux. En conséquence, ils furent -condamnés à la peine de mort. - -Peu de temps après la décision du jury, on apprit un événement des plus -étranges, qui venait servir, en quelque sorte, de corollaire à cet -horrible procès. Le sieur Lemoyne, père de la veuve Planche, que le -désespoir d'être inculpée dans l'assassinat de son mari, avait portée à -se donner la mort, était assigné en témoignage. Voyageant à pied, pour se -rendre de Mantes à Versailles, il avait été assailli par des inconnus, -qui le précipitèrent et le noyèrent dans la Seine. - - - - -JEAN HEINRICH, - -PARRICIDE. - - -Un crime épouvantable, accompagné de circonstances non moins atroces -qu'extraordinaires, vint affliger l'Alsace, en 1818. Depuis long-temps -les discours et les menaces de Jean Heinrich annonçaient qu'il méditait -la mort de son père. Un voisin, nommé StÅ“r, déclarait que, sans son -secours, Heinrich père aurait été tué par son fils à coups de hache; que -ce dernier apostrophait l'auteur de ses jours en ces termes: «Vieux -coquin! tu ne mourras jamais que de ma main.» D'autres témoins -rapportaient de semblables menaces, faites par Jean Heinrich à son père, -en plusieurs circonstances. Ce malheureux vieillard s'étant vu contraint, -en 1817, de quitter sa maison, répondit au sieur Martin Ruhland, maire de -Stoswyr, qui l'engageait à retourner auprès de sa famille: «Ils ont voulu -me tuer: je suis trop sûr que mon fils Jean en veut à ma vie; ma femme, -qui s'entend avec lui, vaut encore moins que lui.» - -Effectivement, la mère et le fils, créatures infernales, s'étaient ligués -ensemble contre le malheureux vieillard, et les menaces parricides de -Jean ne tardèrent pas à recevoir leur horrible accomplissement. Heinrich -père était malade depuis quelque temps. Le 28 janvier 1818, son -indisposition le força de garder le lit. Cependant sa maladie, loin de -prendre un caractère grave, laissait entrevoir une prochaine guérison. -Mais cette heureuse chance contrariait les vÅ“ux criminels de Jean -Heinrich et de sa mère. Ces deux monstres résolurent de concert de mettre -un terme à leur incertitude. Ils prennent d'abord toutes les précautions -qu'ils crurent propres à cacher le forfait qu'ils préméditaient, et dans -la nuit du 28 au 29 janvier, ils s'approchent du lit où l'infortuné -vieillard reposait. Le spectacle d'un père, d'un époux souffrant, ne peut -arrêter leur férocité. Jean Heinrich se jette sur son père, le saisit à -la gorge et l'étrangle, tandis qu'avec ses genoux, il lui meurtrit à -coups redoublés et lui enfonce la poitrine. Les cris étouffés de la -victime, ses regards mourans, au lieu d'inspirer aux assassins un -sentiment de pitié, ne font qu'augmenter leur rage, en raison de la -crainte qu'ils éprouvent d'être surpris. Tremblant que son père n'échappe -à la mort, Heinrich, le barbare Heinrich, saisit la tête du vieillard -expirant, la renverse avec effort, et rompt une vertèbre du cou!..... -C'en est fait; le forfait est consommé: les vÅ“ux des deux monstres sont -accomplis. - -Mais la vengeance ne devait pas long-temps se faire attendre. Vainement -les assassins s'entourent de précautions; ces précautions elles-mêmes -doivent fournir le complément des preuves de leur attentat inouï. Un -enfant dont ils croyaient n'avoir rien à redouter, avait tout vu, tout -entendu: il fut leur premier accusateur. - -Le lendemain matin, Jean Heinrich sort de bonne heure; il annonce aux -voisins que son père est mort dans la nuit; il dit avoir arrangé les -mains du défunt telles qu'elles doivent rester; il défend expressément -d'y toucher avant son retour. Il se rend à Wyr chez le nommé -Baldenberger, pour l'engager à venir ensevelir son père, et il lui -recommande aussi _de lui laisser les mains croisées sur la poitrine, -comme il les avait placées avant son départ_. Heinrich se rend ensuite -chez un charpentier pour lui commander un cercueil, et _il lui en remet -lui-même la mesure_. Il s'éloigne, et ne rentre chez lui que le soir fort -tard. - -Cependant Baldenberger arrive à la ferme de Gigersbourg, domicile de Jean -Heinrich. Il trouve la veuve et ses deux filles encore couchées, dans la -seconde chambre, où gisait sur un lit de paille le corps de la victime, -entièrement couvert d'un grand drap. La veuve lui défend expressément de -remuer le corps. Baldenberger lui faisant observer qu'il faut lui mettre -une chemise blanche, elle s'empresse de lui répondre qu'elle n'en a pas, -et que d'ailleurs on ne le verra pas, lorsque le tout sera enveloppé d'un -linceul. Vers midi, elle envoie Baldenberger chez le charpentier pour -hâter la confection du cercueil qui ne fut apporté qu'à cinq heures du -soir. - -Le cadavre, enveloppé du linceul qu'on avait cousu dans toute sa -longueur, sur l'ordre de la femme Heinrich, et contrairement à l'usage du -pays, fut déposé dans le cercueil, à l'entrée de la nuit. Mais le -charpentier s'aperçut, en soulevant le corps, que la tête tombait en -arrière d'une manière remarquable. Il faut observer aussi que l'on évita -avec grand soin qu'aucun voisin, qu'aucun parent ne vît la dépouille -mortelle du défunt, et qu'aucun d'eux n'avait été appelé pour aider à -l'ensevelir. - -Depuis ce moment jusqu'au jour de l'arrestation des coupables, Jean -Heinrich passa plusieurs nuits hors de la ferme. Le 2 février, ayant -couché à Breitenbach, dans un cabaret, et étant informé par la fille de -la maison que deux gendarmes venaient d'arriver pour se rafraîchir, il la -pria, dans le cas où on le demanderait, de l'avertir en frappant au -plafond. Sa crainte était telle alors, qu'il fit un mouvement pour sauter -par la fenêtre. - -Peu après, le parricide fut arrêté. On connaissait déjà toute l'horreur -de son forfait; la justice avait mis aussi la main sur son infâme -complice. Les révélations de l'enfant, qui avait tout vu et tout entendu, -l'exhumation et l'examen du cadavre, les dépositions d'une foule de -témoins relativement aux menaces atroces que Jean Heinrich avait souvent -adressées à son père, levèrent entièrement le voile qui avait -momentanément caché ce mystère de scélératesse. - -Le parricide et sa mère furent amenés devant la cour d'assises de Colmar. -Tous les faits furent attestés aux débats par des témoignages -authentiques. Un témoin déclara aussi avoir entendu dire à Jean Heinrich, -parlant de son père: «Le voilà mort! c'est une grande peine de moins: -nous ne pouvions pas vivre ensemble.» Un autre déposa que la mère avait -dit: «C'est un grand bien qu'il soit parti: Jean et lui ne pouvaient pas -s'accorder. Nous avons le projet de commencer une distillerie, et le -vieux buveur n'aurait fait que boire notre eau-de-vie.» - -Le 11 mai, sur la déclaration du jury, la cour condamna à la peine -capitale Jean Heinrich, âgé de vingt-six ans, et Salomé Schwarts, sa -mère, âgée de quarante-neuf ans. - -Aux termes de la sentence, ils furent conduits à l'échafaud, pieds nus, -revêtus d'un voile noir; ils demeurèrent exposés sur l'échafaud pendant -que lecture fut faite au peuple de l'arrêt de condamnation, puis le -bourreau leur coupa le poing droit, avant de leur donner la mort. - - - - -L'ÉPICIER DUTEIL - -ET - -DELPHINE CARNET. - - -Le nommé Duteil, épicier et cultivateur à Orvilliers (Seine-et-Oise), -après de longues importunités, avait séduit Delphine Carnet, sa servante, -âgée de dix-huit ans. Le commerce adultère qu'elle entretenait avec son -maître, l'empire qu'elle avait acquis sur son esprit, inspirèrent bientôt -à cette jeune fille l'idée d'un crime. Jalouse d'être seule maîtresse -dans la maison, elle forma le projet de se débarrasser de la femme -Duteil. Soit qu'elle eût déjà le cÅ“ur assez pervers pour avoir conçu -seule cette pensée criminelle, soit qu'elle y eût été poussée par le -mari, elle ne tarda pas à tenter de mettre son dessein à exécution. - -Le 1er septembre 1819 fut le jour choisi par sa jalouse cupidité. Duteil -s'était rendu au marché de Houdan; sa femme était seule à la maison. -Delphine avait eu le soin d'en écarter les enfans. Bientôt elle appelle -sa maîtresse, pour lui montrer une petite _bête jaune_ qu'elle prétend -apercevoir au fond du puits du jardin. La femme Duteil, trop crédule, -s'approche, se penche et ne voit rien; Delphine l'invite à baisser la -tête davantage, et en même temps la précipite au fond du puits. - -Heureusement il n'y avait que deux pieds d'eau dans ce puits qui, en tout -n'avait que douze pieds de profondeur. Le forfait ne put être consommé. -La femme Duteil jeta de grands cris et appela à son secours sa fille Zoé. -Au même instant, un seau rempli d'eau tomba sur elle avec sa chaîne de -fer, et lui fit une blessure grave. Il est permis de croire que cette -chute ne fut pas accidentelle; du moins, la manière dont la servante -porta les premiers secours à sa maîtresse, permettent d'en douter. En lui -présentant une échelle, elle s'y prenait avec tant de maladresse, que la -femme Duteil en fut toute froissée et ne put s'empêcher de croire que -l'échelle était dirigée contre elle dans des intentions hostiles. Dans -son interrogatoire, cette femme se servit, pour peindre ce qui s'était -passé, d'une expression aussi naturelle qu'énergique: saisissant -fortement le bas de l'échelle que Delphine paraissait vouloir retirer, -elles faisaient, dans cette lutte singulière, tous les mouvemens de deux -scieurs de long. - -Soit que Delphine reconnût l'impossibilité d'achever son attentat, soit -qu'elle fût frappée de repentir, elle fixa enfin l'échelle, aida sa -maîtresse à sortir du puits, l'emporta dans ses bras, la mit au lit, lui -prodigua les soins les plus tendres, et implora son pardon en la -conjurant de ne rien dire à personne de l'action coupable qu'elle venait -de faire. Touchée par ses prières et par sa protestation, la malheureuse -femme Duteil poussa la bonté jusqu'à lui faire cette promesse avec -l'intention de la lui tenir. Mais la nature des plaies et des contusions -dont son corps était couvert, l'ayant forcée d'appeler un médecin, la -vérité fut reconnue, et Delphine arrêtée. D'abord Delphine, non seulement -avoua tout, mais encore elle compromit fortement Duteil, en le signalant -comme instigateur de son crime. Plus tard, elle chercha à se rétracter, -en annonçant qu'elle seule était coupable du forfait auquel l'avaient -portée sa cupidité et sa jalousie à l'égard de la femme Duteil. Cependant -le mari coupable avait été arrêté. Mis en accusation avec Delphine -Carnet, il repoussa avec beaucoup de présence d'esprit toutes les charges -qu'on lui opposait. Il fit valoir une circonstance qui fut constatée dans -l'instruction; c'est que le matin de l'événement, il ne voulait pas aller -au marché, et s'était décidé à y envoyer sa femme; qu'il n'y était allé -que parce que celle-ci avait préféré rester à la maison. Il prétendait -prouver, par cette allégation, qu'il ignorait, qu'il ne soupçonnait même -pas les projets de sa servante. - -Les deux accusés furent traduits devant la cour d'assises de Versailles. -A l'audience, Delphine Carnet changea encore une fois de langage, et -soutint que Duteil était l'instigateur du meurtre. Toutefois ces aveux -d'une fille de dix-huit ans qu'une première erreur avait poussée si loin -dans la carrière du crime, ne furent pas aussi foudroyans pour Duteil que -la modération exemplaire qui dicta la déposition de sa femme, entendue -comme témoin, en vertu du pouvoir discrétionnaire du président de la -cour. Cette malheureuse femme déclara, les larmes aux yeux, qu'elle ne -pouvait croire son mari coupable: «Le père de mes enfans, ajouta-t-elle, -n'a pu vouloir tuer leur mère.» - -Après une très-courte délibération, le jury déclara les deux accusés -coupables d'une tentative d'homicide, laquelle n'avait été interrompue -que par des circonstances fortuites et indépendantes de leur volonté. En -conséquence, Duteil et Delphine Carnet furent condamnés à la peine de -mort, par arrêt du 16 novembre 1819. - - - - -LOUVEL, - -ASSASSIN DU DUC DE BERRY. - - -L'attentat de Louvel, attentat qui couvrit la France entière de deuil et -de consternation, est, par les conséquences qu'il entraîna à sa suite, -l'un des événemens les plus considérables de notre époque. Louvel, _l'un -de ces envoyés secrets de la mort qui mettent la main sur les rois_, -avait choisi pour victime le duc de Berry, parce qu'il voyait en lui seul -l'espoir de la famille des Bourbons. Le résultat de son crime ne fut pas -tel que sa rage l'avait espéré: le prince assassiné avait pourvu à la -continuation de sa race; sous ce rapport, furent donc déçus les criminels -calculs de Louvel. Mais par une de ces combinaisons qu'il n'est pas donné -à l'homme d'expliquer, le poignard de Louvel devint l'instrument de -l'ambition d'un parti antipathique à la nation; dès ce moment, ce parti, -ennemi déclaré du progrès des lumières, fit invasion dans toutes les -branches du gouvernement, s'appliqua à faire prospérer partout ses plans -rétrogrades, mutila peu à peu toutes les libertés publiques, attisa de -nouveau, et sans s'en douter, le feu du volcan des révolutions, et vit -disparaître dans une éruption soudaine cette vieille dynastie des -Bourbons, qui, malgré les avis réitérés de ses amis sincères, lui avait -imprudemment confié sa couronne et ses destinées. - -Ce parti ambitieux, avide et rancunier, dès que la première nouvelle de -l'assassinat du duc de Berry était venu attrister la capitale, n'avait -pas manqué d'ameuter ses journaux contre les hommes à idées libérales, -désignant Louvel comme un Séide à leurs gages. La procédure prouva le -contraire, mais la tactique n'avait que trop bien réussi: le parti -anti-national tenait le pouvoir, objet de ses vÅ“ux les plus ardens, et -l'on sait quels furent les résultats de son administration. - -Louvel, enfonçant le fer assassin dans le cÅ“ur du prince, n'avait -d'autre instigateur que sa haine sombre et fanatique pour la race royale. -Depuis long-temps, il méditait son exécrable dessein, mais sans -confident, sans auxiliaire; sa trame ne se rattachait qu'à lui seul; seul -il voulait la mettre à fin. C'était un de ces êtres à part qui semblent -voués par leur destinée à trancher le fil des jours des princes, et mille -fois plus à craindre pour eux que les plus hardis conspirateurs. «Ces -hommes, dit M. de Châteaubriand, surgissent soudainement et s'abîment -aussitôt dans les supplices: rien ne les précède, rien ne les suit. -Isolés de tout, ils ne sont suspendus dans ce monde que par leur -poignard; ils ont l'existence même et la propriété d'un glaive; on ne les -entrevoit qu'un moment, à la lueur du coup qu'ils frappent. Ravaillac -était bien près de Jacques Clément. C'est un fait unique dans l'histoire, -que le dernier roi d'une race et le premier roi d'une autre aient été -assassinés de la même façon, chacun d'eux par un seul homme, au milieu de -leurs gardes et de leur cour, dans l'espace de moins de vingt-un ans. Le -même fanatisme anima les deux assassins; mais l'un immola un prince -catholique, l'autre un prince qu'il croyait protestant. Clément fut -l'instrument d'une ambition personnelle; Ravaillac, comme Louvel, -l'aveugle mandataire d'une opinion.» - -Les détails de cet événement et de la procédure extraordinaire à laquelle -il donna lieu viendront parfaitement à l'appui de ces réflexions. - -Le 13 février 1820, le duc et la duchesse de Berry s'étaient rendus à -l'Opéra; la princesse manifesta le désir de ne pas rester au théâtre -jusqu'à la fin du spectacle; le prince, vers onze heures du soir, la -reconduisit à sa voiture qui stationnait rue Rameau, et, ayant pris congé -d'elle en l'assurant qu'il la rejoindrait dans quelques instans, il se -retourna pour rentrer à l'Opéra. - -A l'instant même, un homme s'élance, passe près du duc de Berry comme un -éclair, et quelques personnes le voient heurter le prince violemment. - -La première idée qui vint au duc et à toute sa suite fut que cet homme -était tout simplement un curieux indiscret. L'aide-de-camp du prince, M. -le comte de Choiseul, fut tellement dominé par cette idée, qu'il prit -l'importun par l'habit, et le repoussa en lui disant: _Prenez donc -garde!_... L'homme prit la fuite; mais il n'avait pas fait quelques pas, -que le prince s'écria: _Je suis assassiné!_ et en même temps il tenait la -main sur un poignard abandonné dans la plaie par l'assassin. A l'instant -même, MM. de Choiseul et de Clermont volèrent sur les traces du -meurtrier, qu'eux et tous les assistans voyaient courir vers la rue de -Richelieu. Le garde-royal Desbiez, qui était de faction auprès de la -voiture à l'instant où le crime venait d'être commis, un adjudant de -ville, d'autres gardes-royaux et des gendarmes se mirent également à sa -poursuite. - -L'assassin fut arrêté non loin de là , à l'arcade Colbert, par un garçon -limonadier appelé Paulmier, qui le remit aussitôt à l'adjudant de ville -et à tous les militaires par lesquels il était poursuivi. - -Conduit au corps-de-garde, l'homme arrêté fut fouillé en présence de tous -les témoins qui avaient présidé à son arrestation. On trouva sur lui, -dans une des poches de son pantalon, une gaîne vide; c'était celle du -poignard avec lequel il avait frappé le prince. Dans l'autre poche se -trouva une alêne de sellier, affilée aussi en poignard et munie -également de sa gaîne. Ces instrumens homicides et une clef qu'il avait -sur lui, furent saisis et livrés sur-le-champ, ainsi que sa personne, à -la justice. - -Cependant on avait conduit le prince, d'abord dans un corridor du -théâtre, puis dans le salon de la loge du roi. Le duc de Berry avait -lui-même tiré d'une plaie profonde le fer qu'y avait laissé l'assassin. -L'arme était grossièrement façonnée en poignard tranchant et aigu, et -avait un demi-pied de longueur. - -Le prince eut encore assez de force pour le remettre à M. le comte de -Ménars, son premier écuyer. Bientôt des médecins furent appelés; mais -vainement les secours les plus dévoués, les plus empressés, furent -prodigués au malheureux prince: la blessure était mortelle. Le duc ne put -même être transporté dans le palais de ses pères, et le 14 février, à six -heures et demie du matin, il expira, après avoir demandé à plusieurs -reprises la _grâce de l'homme_ qui l'avait assassiné. - -Dès le matin, cette funèbre nouvelle répandit avec elle la stupeur et -l'alarme dans tous les esprits. Outre l'horreur profonde qu'inspirait -généralement le forfait qui venait d'être commis, chacun semblait -pressentir les calamités politiques auxquelles cette mort fatale allait -donner naissance. - -Immédiatement après son arrestation, le coupable avait été conduit devant -le commissaire de police, Ferré, qui, ce jour-là , était de service au -théâtre. Ce magistrat avait déjà commencé à procéder à son -interrogatoire, lorsque M. le comte Anglès, alors préfet de police, le -procureur du roi et le procureur-général arrivèrent successivement, -s'emparèrent du criminel, et lui firent subir un interrogatoire. - -Cet homme déclara s'appeler Louis-Pierre Louvel, être natif de -Versailles, âgé de trente-six ans, garçon sellier, employé pour le compte -du sieur Labouzelle, sellier du roi, et demeurer aux Écuries, place du -Carrousel. Il reconnut que c'était lui qui avait commis le meurtre du -prince, et se vanta même de mûrir cet horrible projet depuis 1814. On lui -présenta le poignard trouvé dans la plaie de la victime; il le reconnut -sans hésiter, ainsi que le petit poignard, la clef et les deux gaînes -saisis sur lui. Confronté avec les sieurs Paulmier, Desbiez et les -autres témoins de son arrestation, tous le reconnurent, les uns pour -l'assassin du prince, les autres pour l'homme qui fuyait au moment du -crime. Mais un bien plus triste devoir restait à remplir: il fallait -constater, contradictoirement avec l'assassin, le corps du délit. Le -bourreau fut mis en présence de la victime qui avait expiré sous ses -coups. Il la regarda d'un Å“il fixe et féroce, ne témoigna ni -sensibilité, ni remords, et confessa de nouveau que c'était là son -ouvrage. - -Du reste, le rapport unanime des médecins qui avaient vu et soigné le -prince, attestait que le coup, porté par Louvel, était la seule cause de -la mort du duc de Berry. - -Alors on s'occupa de rechercher les motifs qui avaient pu le porter à -commettre cet assassinat. Aucun indice du dehors ne pouvant le faire -soupçonner, Louvel fut soigneusement interrogé, et, sans varier jamais, -il déclara hautement qu'il n'avait eu à se plaindre en aucun temps du duc -de Berry ni d'aucune autre personne de sa famille; qu'il n'avait ni motif -ni prétexte de leur porter aucun sentiment de haine personnelle; qu'il -n'avait été poussé au crime qu'il avait commis que par la considération -de l'intérêt public; qu'il regardait tous les Bourbons comme les ennemis -de la France; qu'aussitôt qu'à leur retour, il avait vu flotter le -drapeau blanc, il avait conçu le projet de les assassiner tous; que ce -projet ne l'avait pas quitté un seul instant depuis 1814; que depuis -lors, il avait cherché toutes les occasions de l'exécuter, suivi les -princes dans leurs chasses, rôdé autour des spectacles qu'ils -fréquentaient, pénétré dans les lieux saints où ils allaient remplir -leurs devoirs religieux; et qu'il les aurait égorgés, si son courage ne -lui avait pas manqué, et si quelquefois, il ne s'était pas demandé: -_Ai-je tort? ai-je raison?_ - -Louvel ajoutait qu'à Metz, en 1814, il avait eu un moment l'intention de -tuer le maréchal-duc de Valmy, parce qu'il servait les Bourbons; mais que -bientôt il avait pensé que c'était un simple particulier; qu'il fallait -porter ses coups plus haut; qu'il aurait tué Monsieur à Lyon, s'il l'y -eût encore trouvé, lorsque lui, Louvel, se rendit dans cette ville au -débarquement de Bonaparte; que, depuis, il s'était attaché à la personne -du duc de Berry comme celui sur lequel était fondé le principal espoir -de la race; qu'après le duc de Berry, il aurait tué le duc d'Angoulême; -après lui, MONSIEUR; après MONSIEUR, le roi; qu'il se serait peut-être -arrêté là , car il paraît qu'à cet égard son infâme résolution n'était pas -prise, et qu'il n'avait pas bien arrêté s'il continuerait dans les autres -branches de la famille royale le cours de ses assassinats; qu'il n'avait -ressenti de son arrestation qu'un seul chagrin, celui de ne pouvoir -ajouter d'autres victimes à celle qui venait de tomber sous ses coups; -qu'il était loin de se repentir de son action, qu'il regardait comme -belle et vertueuse; et qu'enfin il persisterait toujours dans ses -théories, dans ses opinions et dans ses projets, sans s'embarrasser des -jugemens des hommes, et moins encore des jugemens de la religion à -laquelle il ne croyait pas et qu'il n'avait jamais pratiquée. - -Quels avaient été les antécédens de Louvel? ceux d'un homme obscur qui, -d'abord ouvrier sellier, avait figuré plus tard dans les rangs de l'armée -française, mais sans aucune espèce de distinction. Depuis long-temps, le -gouvernement monarchique contrariait ses vÅ“ux. Dès l'année 1814, il -avait entrepris, à ses frais, le voyage de l'île d'Elbe, moins sans doute -pour grossir les rangs des fidèles compagnons de l'ex-empereur, que dans -l'intention d'y entretenir les funestes desseins qui fermentaient dans -son cÅ“ur. Pendant les Cent-Jours, il resta en dehors des mouvemens -militaires dont le retour de Napoléon avait donné le terrible signal; ou -s'il suivit l'armée, ce ne fut que pour y exercer sa profession; car, au -retour de Napoléon, il était parvenu, par le crédit d'un de ses parens, -chef de la sellerie de l'ex-empereur, à y être employé comme ouvrier. -Qu'était-il donc allé faire à l'île d'Elbe, si ce n'est aiguiser son -poignard? Mais lorsque l'anéantissement du trône impérial fut consommé, -la haine fanatique de Louvel prit un caractère plus prononcé. Il ne rêva -plus que l'extermination de la race royale. Afin peut-être de mieux -arriver à ce résultat, il sollicita un emploi aux Écuries du roi, comme -pour se rapprocher le plus possible des victimes que sa fureur avait déjà -marquées, et s'attacha principalement à la personne du duc de Berry. - -Le jugement d'un semblable criminel devait avoir une solennité toute -nationale. Dès le 14 février, une ordonnance du roi, communiquée par M. -Decazes, ministre de l'intérieur, à la chambre des pairs, institua ce -grand corps politique en haute cour de justice, conformément à l'article -33 de la charte; et l'on commença immédiatement l'instruction de ce -procès, d'où nous avons tiré les détails que l'on vient de lire. - -Indépendamment des recherches que l'autorité avait faites chez toutes les -personnes avec lesquelles Louvel avait eu les relations les plus -indifférentes, elle avait également ordonné des perquisitions chez tous -ses proches parens; mais elles ne produisirent rien à leur charge. L'acte -d'accusation déclara donc que nul complice n'avait été découvert, et que -Louvel était le seul qui dût être mis en jugement devant la cour des -pairs. - -L'ouverture des débats eut lieu le 5 juin 1820. MM. Archambault et -Bonnet, anciens bâtonniers de l'ordre des avocats, avaient été nommés -d'office pour la défense de l'accusé. L'apparition de Louvel devant le -public excita un mouvement d'effroi qu'il serait difficile de dépeindre. -Son front était chauve et sa figure dépourvue d'expression; ses yeux -étaient ternes et enfoncés. - -L'interrogatoire du prévenu fournit de nouvelles preuves à l'appui de ce -qui a été dit précédemment sur les projets régicides de Louvel. «Par quel -motif, lui dit le président, avez-vous poignardé S. A. R. monseigneur le -duc de Berry?--Je lui ai ôté la vie, répondit Louvel, dans l'intention de -détruire la race des Bourbons qui, suivant moi, faisait le malheur de la -nation.--Aviez-vous quelques motifs d'inimitié personnelle?--Aucun, mais -j'ai choisi de préférence ce prince, parce que c'était la _souche_ de la -famille royale.» - -Interrogé sur sa funeste résolution, il répondit froidement: «Mon parti -était pris; aucun sentiment d'honneur ni de religion ne pouvait me faire -changer de dessein. D'ailleurs je suis catholique, je le crois toujours, -mais j'ai changé suivant les événemens, tantôt théophilanthrope, tantôt -catholique.--Mais si vous avez le malheur de ne pas croire à la justice -divine, vous deviez croire à la justice des hommes. Vous ne saviez donc -pas que vous exposiez votre vie?--Au contraire, il faut voir en moi un -Français qui s'_est sacrifié_... Si j'ai tenté de me sauver, je ne le -faisais pas pour long-temps; j'en voulais à tous les hommes français qui -ont pris les armes contre ma patrie, et cette haine m'aurait fait -persister dans mes projets.» - -Cependant Louvel avoua qu'il avait été attendri par le spectacle des -derniers momens du prince, et que c'était alors seulement que ses yeux -s'étaient ouverts sur l'énormité de son forfait: «Mais, dit-il en -terminant, la religion ne peut remédier au crime que j'ai commis.» - -Il résulte aussi des réponses de Louvel aux questions de plusieurs -membres de la haute cour, que ses lectures habituelles pendant sa -jeunesse étaient les _Droits de l'homme_ et la _Constitution_, mais qu'il -ne lisait aucuns journaux. - -Plusieurs fois, à la demande de M. de Lally-Tollendal, le président -adjura l'accusé, devant Dieu, de déclarer s'il avait eu des complices. -Louvel, tout en convenant que son crime était horrible, affirma n'avoir -communiqué son projet à qui que ce fût. «Était-ce pour vous défendre, lui -dit le président, que vous aviez sur vous un second poignard?--Non, -Monsieur.--Pourquoi en aviez-vous deux?--C'était pour mieux réussir.» - -Dans l'instruction, l'accusé avait dit qu'il savait toutes les démarches -du prince par ses gens mêmes, à qui il le demandait. Louvel confirma -ainsi cette déclaration: «Le jour de l'événement, je n'avais pas besoin -de prendre des renseignemens, puisque c'était dans Paris; mais quand les -princes étaient à la chasse, je savais par le premier venu l'heure à -laquelle ils devaient rentrer.» - -Lors de sa confrontation avec la victime, quelqu'un lui ayant dit: _Ne -craignez-vous pas la justice divine?_ il avait répondu: _Dieu n'est qu'un -mot_. Ce propos était attesté par plusieurs témoins; Louvel, interpellé -par le président, crut se rappeler l'avoir tenu. - -M. le duc de Maillé ayant fait observer que, dans l'instruction, l'accusé -avait dit qu'il s'était rendu à Calais, en 1824, pour assassiner le roi, -et qu'il avait ensuite déclaré que telle ne pouvait être son intention, -puisqu'il savait que le roi était à Paris, interpella Louvel sur cette -circonstance. «Il est probable, répondit le prévenu, que j'étais parti de -Metz avec cette intention; mais je savais bien, en partant de Metz, que -le roi était à Paris. Je voyageais pour tâcher de réfléchir avec maintes -et maintes personnes que j'aurais entendu parler; voilà pourquoi j'ai -_rallongé_ ma route. J'ai passé par Calais pour savoir ce qu'on disait du -roi dans les endroits où il avait passé, et ensuite voir si je devais -exécuter ma _commission_.» - -Louvel, adjuré de nouveau de déclarer s'il avait des complices, répondit -avec impatience: «Non, je n'en ai jamais eu.» M. Lecoulteux de Canteleu -releva le mot de _commission_ qu'avait prononcé Louvel. «Serait-ce, -dit-il, une commission qui lui aurait été donnée par quelqu'un?--C'était -une commission intérieure que je m'étais imposée à moi-même.» - -Obligé de s'expliquer sur la qualification que méritait son crime, il -répondit: «C'est une action horrible, c'est vrai! Quand on tue un autre -homme, cela ne peut pas passer pour vertu; c'est un crime: Je n'y aurais -jamais été entraîné sans l'intérêt que je prenais à ma nation, suivant -moi; je croyais bien faire, suivant mon idée.» - -Après l'audition de tous les témoins et le réquisitoire du -procureur-général Bellart, la parole fut donnée à maître Bonnet, l'un -des conseils de l'accusé. Ce célèbre avocat, pénétré de la mission -difficile qu'il avait à remplir, sut concilier les devoirs que lui -imposait sa noble profession avec le respect qu'il devait à l'auguste -tribunal devant lequel il allait parler, et avec la position d'un accusé -qui s'était fait gloire de son crime pendant la durée des débats. Il -invoqua en faveur de son client la _monomanie_ ou _fixité d'idées_. «Oui, -messieurs, dit-il, l'individu qui a pu se dire: Ai-je tort, ai-je raison -d'assassiner un prince dont je n'ai point à me plaindre? est un insensé, -et ne peut pas être autre.» - -Nous allons transcrire la péroraison du plaidoyer de l'éloquent avocat, -parce qu'on y retrouve quelques particularités touchantes relativement -aux derniers momens du prince: «Déjà peut-être nous accuserait-on d'avoir -omis, ou même de ne nous être pas borné à faire valoir pour l'accusé la -plus sublime, la plus puissante de toutes les recommandations. Vous allez -au-devant de nos paroles, messieurs, et vous croyez entendre ce dernier -cri du prince-martyr... «_C'est un insensé!..._ Grâce! grâce pour -l'_homme_!» Le monarque, le père adoptif de la victime, le père de tous -ses sujets, n'arrive pas assez tôt, et le prince ne pense qu'à assurer la -vie de son meurtrier. Une chrétienne impatience s'empare de lui, et au -milieu de ses affreuses douleurs, le sort de celui qui les cause l'occupe -presque tout entier. C'est ici que, sans aggraver le sort de l'accusé, et -même pour le servir, pour le couvrir d'une égide tutélaire, nous pouvons -proclamer toute notre admiration pour la victime. Douloureusement soulagé -par les pleurs de sa courageuse épouse qui commande à son désespoir, par -la présence de sa jeune et innocente fille, il partage en quelque sorte -sa sollicitude entre ces illustres objets de sa tendresse et le -malheureux _insensé_ qui l'a frappé. Alliance inouïe de pensées si -diversement admirables! contraste que peut seule engendrer ou expliquer -une grande âme! Les derniers momens que peut donner ce prince chéri aux -plus tendres sentimens de la nature, il en dérobe une partie pour devenir -le protecteur, l'auguste avocat de celui qui lui arrache la vie! Grâce -pour l'homme! Quel choix bienfaisant d'expressions dans ce mot d'un usage -si vulgaire: Grâce pour l'_homme_! Eh bien! messieurs, l'homme est devant -vous! Les dernières paroles de sa victime ne seront-elles pour lui qu'un -héroïsme stérile? Et si ce cri de grâce sorti de la bouche d'un illustre -mourant est impuissant sur des juges, joignez-y ce jugement porté par la -victime: _C'est un insensé!_ Que ces deux mots réunis, plus forts que mes -vains raisonnemens, se fortifient l'un par l'autre en faveur de -l'_homme_; (pourquoi serions-nous plus sévères que celui que nous -pleurons?) en faveur de l'homme que vous allez juger; qu'ils soient son -unique défense: c'est là principalement que nous voulons placer son -refuge. Oui, c'est un insensé celui qui conçut, qui nourrit, pendant six -ans, l'infernal projet de détruire la plus illustre, la plus clémente, la -plus paternelle race de souverains, la plus digne de gouverner une nation -dévouée, libre et généreuse.» - -Le président demanda à Louvel s'il avait quelque chose à ajouter au -plaidoyer de son défenseur. L'accusé, sans répondre à cette -interpellation, se leva, tira de sa poche des feuilles de papier -détachées, écrites de sa main; et du ton de la plus froide insensibilité, -lut les phrases suivantes: - -«J'ai rougi aujourd'hui d'un crime que j'ai commis seul. J'ai la -consolation de croire, en mourant, que je n'ai point déshonoré la nation -ni ma famille. Il ne faut voir en moi qu'un Français dévoué à se -sacrifier pour détruire, suivant mon système, une partie des hommes qui -ont pris les armes contre ma patrie. Je suis accusé d'avoir ôté la vie à -un prince. Je suis seul coupable; mais parmi les hommes qui occupent le -gouvernement, il y en a d'aussi coupables que moi. Ils ont, suivant moi, -reconnu des crimes pour des vertus. Les plus mauvais gouvernemens que la -France a eus ont toujours puni les hommes qui l'ont trahie, ou qui ont -porté les armes contre la nation. - -«Suivant mon système, lorsque des armées étrangères menacent, les partis -doivent cesser et se rallier pour combattre, pour faire cause commune -contre les ennemis de tous les Français. Les Français qui ne se rallient -pas sont coupables. Suivant moi, le Français qui est obligé de sortir de -France par l'injustice du gouvernement, si ce même Français se met à -porter les armes pour les armées étrangères contre la France, alors il -est coupable. Il ne peut rentrer dans la qualité de citoyen français. - -«Selon moi, je ne peux pas m'empêcher de croire que si la bataille de -Waterloo a été si fatale à la France, c'est qu'il y avait à Gand et à -Bruxelles des Français qui ont porté dans les armées la trahison, et qui -ont donné des secours aux ennemis. - -«Suivant moi et selon mon système, la mort de Louis XVI était nécessaire, -parce que la nation y a consenti.... Si c'était une poignée d'intrigans -qui se fût portée aux Tuileries, et qui lui eût ôté la vie sur le moment, -oui, je le croirais; mais comme Louis XVI est resté long-temps en -arrestation, on ne peut pas croire que ce ne soit pas de l'aveu de la -nation. De sorte que s'il n'y avait eu que quelques hommes, il n'aurait -pas péri; la nation entière s'y serait opposée. Aujourd'hui, ils -prétendent être les maîtres de la nation; mais suivant moi, les Bourbons -sont coupables, et la nation serait déshonorée si elle se laissait -gouverner par eux.» - -Telle fut la défense de Louvel prononcée par lui-même. Vainement on avait -tenté de le détourner de lire cette défense étrange, ce tissu -d'absurdités, qui, du reste, semblait venir à l'appui du système adopté -par le défenseur. Ces paroles délirantes avaient répandu sur tous les -visages l'indignation et l'horreur; Louvel seul conservait son -immobilité. Le procureur-général repoussa la question de monomanie et -réclama, avec une noble fermeté, la juste punition du coupable. - -Le 6 juin, la cour des pairs rendit son arrêt qui condamnait Louvel à la -peine de mort. Cet arrêt, étant sans appel, il ne restait plus au -coupable qu'à songer à mourir. Mais avant de le conduire au pied de -l'échafaud, racontons quelques faits particuliers aux derniers jours de -sa vie. - -Le premier jour qu'il comparut devant ses juges, il témoigna le désir de -faire un peu de toilette. Arrivé dans la salle qui précède la chambre des -pairs, il fut frappé de la mollesse du tapis. «Quel bon tapis! dit-il, si -j'en avais eu un semblable dans ma prison, je n'aurais pas été éveillé si -souvent par le bruit des gendarmes.» - -«J'ai été fort content de la chambre des pairs, dit-il encore: je ne suis -fâché que d'une seule chose, c'est qu'elle ait fait durer le procès -pendant deux jours.--Mais c'est un jour de gagné, lui reprit-on.--Dites -donc plutôt un jour de perdu! répondit le fanatique.» - -Logé dans une chambre voisine de l'appartement de M. de Sémonville, il -eut un petit mouvement de sensualité, et dit au grand-référendaire: -«Depuis que je suis en prison, j'ai toujours couché dans de gros draps; -je voudrais bien, pour la dernière nuit, en avoir de fins.» On obtempéra -à sa demande. Il s'endormit paisiblement, et ne se réveilla qu'à six -heures. Il demanda alors un verre de vin, qui lui fut donné. Il était à -dîner quand M. Cauchy fils, greffier, arriva à la Conciergerie. Louvel -fut amené au greffe. Il entendit lecture de l'arrêt qui le condamnait à -avoir la tête tranchée. Ce misérable ne donna pas le moindre signe -d'émotion ni de trouble. Après cette lecture, le jeune greffier, -magistrat plein de piété, lui fit une courte exhortation: «Vous n'avez -plus, lui dit-il, rien à espérer des hommes; votre seule ressource est -dans la miséricorde de Dieu. Il pardonne, ce Dieu miséricordieux, au plus -grand coupable, quand il témoigne du repentir et des regrets sincères -sur son crime.--Des regrets! interrompit Louvel, je n'en ai pas.....--La -porte de l'éternité va s'ouvrir devant vous, malheureux! occupez-vous de -votre salut.--Bah! un prêtre, je n'en ai pas besoin; et puisque je dois -mourir, pourquoi demain? pourquoi pas aujourd'hui? je suis tout prêt.» -Après cet entretien, on le reconduisit à sa prison, où il acheva de dîner -tranquillement. Son repas terminé, il s'occupa d'écrire à ses parens pour -leur faire ses adieux, et leur témoigner ses regrets de leur avoir causé -tant de chagrins. - -Le mercredi, 7 juin, dès le matin, M. le procureur-général Bellart se -rendit en personne à la Conciergerie, afin de tenter, pour la dernière -fois, d'arracher des aveux au condamné. On persistait à croire que ce -n'était point un crime isolé, et que Louvel, emportant le secret de ses -complices, allait, par sa mort, leur rendre la liberté. Les efforts de M. -Bellart demeurèrent sans résultat. Le condamné paraissait en outre décidé -à repousser les secours de la religion; il avait refusé d'entendre un -ecclésiastique de Notre-Dame. Cependant, à force de persévérance, il -avait été vaincu, et s'était confessé à M. l'abbé Montès, aumônier de la -Conciergerie. - -L'exécution avait été fixée à six heures. Un quart-d'heure avant, Louvel -monta dans la charrette; il était accompagné de l'abbé Montès qui lui -prodigua constamment, et d'abord inutilement, les secours de la religion. -Sa figure était extrêmement pâle. Pendant le trajet, il regardait à -droite et à gauche, et paraissait abattu. Arrivé au pied de l'échafaud, -Louvel s'entretint avec son confesseur l'espace de quatre minutes. -L'altération de ses traits et son accablement étaient visibles. Deux -aides de l'exécuteur furent obligés de le soutenir pour lui aider à -monter à l'échafaud. Pendant qu'on l'attachait à la fatale planche, il -promenait de tous côtés un Å“il hagard. Enfin, à six heures, il avait -subi sa peine. - - - - -ASSASSINAT DE NEYRET. - - -Ce procès criminel qui, pendant près de deux années, fixa l'attention des -habitans de la Drôme, rappelle, par sa bizarrerie et l'atrocité des -circonstances dont le crime fut accompagné, le trop fameux procès de -Rhodez. - -Un ancien militaire, nommé Neyret, retiré à Valence, y avait épousé la -fille de la veuve Dupont. Dans une fête établie à Valence, à l'instar de -celle de la rosière de Salency, la fille Dupont, proclamée la plus sage -de toutes ses compagnes, avait reçu, pour prix de sa sagesse, avec la -couronne de roses, une dot de six cents francs et la main de Neyret. A -l'aide de cette dot, les deux époux levèrent un petit fonds de commerce; -mais des chances malheureuses trahirent leur espoir; Neyret manqua à ses -engagemens. Ses malheurs lui aliénèrent l'affection d'une femme qui ne -lui était unie que par l'intérêt. Elle abandonna Neyret, après s'être, -dit-on, emparée de tous les débris de son commerce. Son inconduite devint -notoire: elle recevait publiquement des hommes mariés, et fréquentait des -mauvais lieux. - -Dans les premiers jours du mois d'août 1818, Neyret disparut. Vers le -milieu du même mois, à quatre heures du matin, une veste et un chapeau, -découverts dans une barque, près du pont de Valence, furent reconnus pour -lui avoir appartenus. On crut d'abord que le malheureux Neyret s'était -donné la mort. Cependant, dès le lendemain de sa disparition, le bruit -avait circulé dans la ville que Neyret était mort victime d'un -assassinat, et que son cadavre, percé de neuf coups de couteau, avait été -jeté dans le Rhône. - -Ce bruit ayant pris de la consistance, les soupçons se portèrent sur la -femme de Neyret, ainsi que sur sa belle-mère. L'une et l'autre furent -arrêtées; et bientôt après un jeune homme, nommé Chaléat, qui, à l'époque -du crime, avait eu des liaisons avec la Neyret, fut prévenu de complicité -avec elle et partagea sa détention. - -Trois autres individus, Mélanie Durand, le nommé Vigne et sa femme, qui -semblaient avoir parlé de l'assassinat de Neyret avec connaissance de -cause, appelés d'abord comme témoins dans l'instruction dirigée contre -les trois premiers accusés, et compromis par des dénégations contraires à -l'évidence, par des réticences plus que suspectes, furent mis en -jugement, et les débats publics, relatifs à ces six prévenus, -commencèrent le 20 mars 1819. - -Une circonstance où les accusés trouvèrent moyen d'alléguer un _alibi_, -embrouilla tellement la cause, que le jury ayant déclaré, après quatre -heures de délibération, les accusés non coupables, ils furent tous mis en -liberté. - -Mais de nouvelles révélations étant parvenues à la justice sur d'autres -individus compromis dans cette horrible affaire, on instruisit une -seconde procédure où les premiers accusés ne pouvaient figurer que comme -témoins, puisqu'ils avaient été acquittés. - -La veuve Neyret qui, depuis deux ans, n'opposait à la justice qu'un -silence obstiné, avait enfin cédé au cri de sa conscience. Ses aveux -accusaient sa propre mère, son oncle Blanc qui s'était pendu en prison, -Chaléat, Sabot, Palandre, Lamotte, Vigne et sa femme. _Une étrangère_ -avait tout vu, et son témoignage pouvait confirmer le sien. Mais quelle -était cette étrangère? Sur les signalemens donnés par la veuve Neyret, -une fille publique, nommée Adélaïde Houdard, fut arrêtée à Paris, dans un -lieu de débauche; elle fut forcée d'avouer qu'elle se trouvait à Valence -à l'époque du crime; elle fut renvoyée dans cette ville, et après de -longues hésitations, elle donna les détails suivans: - -«J'étais à Valence depuis quelque temps, lorsque la femme Neyret, que je -connaissais fort peu, m'invita à un souper qu'elle donnait le soir à -d'autres filles et à quatre ou cinq hommes. Il était trois heures -après-midi. Je passai le reste de la journée chez elle. A l'entrée de la -nuit, je vis arriver sa mère, puis la Vigne, qui fut suivie à un long -intervalle du malheureux Neyret. Celui-ci jugeant, par les préparatifs -qui s'offraient à ses regards, des projets libertins de sa femme, -s'emporta contre elle en violens reproches, et lui lança même un -soufflet. Aux cris de la Neyret, un grand et beau jeune homme, qui entra -dans ce moment, se précipita sur le mari, et l'accula contre la muraille. -Alors entrèrent ensemble trois ou quatre individus qui, après avoir -renversé Neyret d'un coup de bouteille dont il eut la tête fracassée, le -traînèrent dans une chambre contiguë, où je les suivis machinalement, une -chandelle à la main. Là , un de ces monstres enfonça lentement un couteau -dans la partie supérieure du cou de la victime que les autres -comprimaient de toutes leurs forces. A ce spectacle, éperdue, hors de -moi-même, tremblante pour mes propres jours, je me réfugiai dans la pièce -où était restée la Neyret, que je trouvai sur un lit évanouie. Les forces -m'abandonnèrent aussitôt; je tombai sur une chaise, privée de sentiment; -et quand je revins à moi, les meurtriers me firent prêter le serment de -garder un silence éternel sur les événemens de cette nuit fatale.» - -D'après ces renseignemens, quatre individus furent traduits, le 30 août -1820, devant la cour d'assises de la Drôme, comme prévenus de meurtre -avec complicité sur la personne de Neyret; savoir, les nommés Sabot, -Jean-Baptiste François dit Lamotte, Palandre et Adélaïde Houdard, dite -_la Parisienne_. - -L'affaire occupa cinq séances, du 30 août au 3 septembre; sur les -soixante-quatorze témoins entendus, la déposition la plus forte fut -celle d'un nommé Ferrier; il déclara qu'ayant accompagné Chaléat, son -maître, à la maison de la Neyret, il s'approcha, en se retirant, du -contrevent d'un appartement où il y avait de la lumière, et qu'il vit -quatre hommes qui portaient un corps inanimé qui fut placé sur un -matelas; qu'il vit une vieille femme s'en approcher et plonger un couteau -dans le corps de cet homme; qu'il s'enfuit épouvanté. Il déclara qu'il ne -reconnut aucun des assassins, mais que Chaléat était sur le seuil de la -porte, et que deux femmes avaient un flambeau à la main. - -La déposition de la femme Neyret qui semblait avoir tout le secret de -l'assassinat, était encore plus vivement attendue. «Chaléat, dit-elle, -m'avait fait prévenir, par la femme Vigne, de préparer un souper pour le -10 août. Il devait y avoir cinq personnes. Chaléat désirait que Mélanie -Durand se trouvât parmi les convives; mais la Vigne qui fut chargée de -l'inviter oublia la commission. Il ne se trouvait chez moi que la femme -Vigne, Adélaïde Houdard et ma mère, lorsque mon mari entra et me donna un -soufflet. Chaléat qui arriva dans ce moment s'élança sur mon mari. -Palandre, Lamotte, Sabot et Vigne qui suivirent de près Chaléat, -lancèrent une bouteille à la tête de Neyret, et on l'entraîna dans le -troisième appartement où on l'égorgea.» Étant demeurée dans la seconde -pièce, elle déclara ignorer les détails de l'assassinat. Blanc arriva le -dernier. Ce fut lui qui porta le cadavre au Rhône, accompagné de Lamotte. -On fit prêter aux quatre femmes le serment de ne jamais rien révéler. - -La fille Houdard, interrogée comme accusée, changea quelque chose à ses -déclarations. Enfin, après cinq jours de vifs débats entre les témoins et -les accusés, après des plaidoyers où les avocats firent surtout valoir en -faveur des prévenus les contradictions entre les divers témoignages et -les précédens relatifs aux principaux témoins, la fille Houdard qui -siégeait sur le banc des accusés, fut acquittée à l'unanimité par le -jury; Palandre, à la majorité de sept voix contre cinq, fut déclaré -coupable, et la cour s'étant réunie à la minorité qui lui était -favorable, il fut acquitté. A l'égard de Sabot et Lamotte, déclarés -également coupables à la majorité de sept voix contre cinq, la cour -adopta l'avis de la majorité des jurés; en conséquence, ces deux -individus, convaincus de complicité dans le meurtre de Neyret, mais sans -préméditation, circonstance qui, résolue affirmativement, aurait appelé -sur eux la peine capitale, furent l'un et l'autre condamnés aux travaux -forcés à perpétuité, à l'exposition et à la marque. - -Ce jugement, comparé à celui qui avait acquitté la veuve Neyret, Chaléat, -etc., offre une sérieuse matière à réflexions. Sabot et Lamotte -persistèrent à soutenir leur innocence, traitant de calomniateurs tous -les témoins qui avaient déposé contre eux. - - - - -CATHERINE CAMAN - -ET SES COMPLICES. - - -Le lecteur a pu facilement se convaincre, par l'épouvantable série -d'exemples que nous avons déjà fait passer sous ses yeux, que la débauche -et l'adultère sont une des causes les plus ordinaires des crimes qui -désolent la société. Cette vérité n'est malheureusement que trop prouvée; -des forfaits nombreux sont là pour l'attester. Aussi, bravant, dans -l'intérêt des mÅ“urs, le reproche de monotonie qui pourrait nous être -adressé, nous ne nous lasserons pas d'insister sur ce point, toutes les -fois que de tristes occasions s'en présenteront. Une leçon fréquemment -répétée, et accompagnée d'exemples frappans et toujours nouveaux, doit à -la longue s'introduire et fructifier dans les cÅ“urs qui sont encore -quelque peu sensibles à la vertu. - -Catherine Caman, femme Latreyle, habitait avec son mari une commune -située dans les environs de Pau en Béarn. Depuis long-temps, des liaisons -criminelles existaient entre cette femme et le nommé Quidel dit Barros. -Catherine Caman avait fait inutilement bien des démarches pour obtenir sa -séparation. La plus grande mésintelligence régnait dans ce ménage, et -Catherine Caman ne dissimulait ni sa passion pour Barros, ni sa haine -pour son mari. - -Le 2 juillet 1820, Latreyle disparut tout-à -coup; et sa femme, pour -détourner les soupçons qui s'élevaient contre elle, fit faire des -recherches très-actives et très-empressées dans les communes voisines. -Cependant cette ruse ne put endormir ni tromper la vigilance de la -justice. Barros fut arrêté au moment où il cherchait à vendre des -vêtemens qui avaient appartenu à Latreyle. Pressé par le juge -d'instruction, il se troubla, laissa échapper une partie de la vérité, et -nomma ses complices. - -Par suite de ses révélations, les nommés Manauté, Chelles, et la femme -Latreyle furent arrêtés. Saisis d'effroi, croyant que tout était connu, -ils n'hésitèrent point à révéler tous les secrets de l'horrible mystère -qui avait présidé à la mort de Latreyle. - -Ce malheureux époux avait été assassiné dans son lit; sa femme, Barros, -Manauté et Chelles, avaient tous trempé leurs mains dans son sang, et ils -avaient préludé à ce meurtre par une sorte d'orgie. On avait transporté -son cadavre, sur une jument, dans un champ de Barros, où d'avance on -avait creusé une fosse pour le recevoir, et les funérailles de la victime -avaient été célébrées par une nouvelle orgie. - -Les accusés Barros, Manauté, Chelles et la femme Latreyle, furent -déclarés coupables du meurtre avec les circonstances atroces que l'on -vient de lire, et la Cour d'assises des Basses-Pyrénées les condamna à -mort. - - - - -LES DEUX FILS PARRICIDES. - - -Pierre Godefroy, jardinier aux Mesnils, près de Montfort-l'Amaury, -arrondissement de Rambouillet, était parvenu à l'âge de soixante-huit -ans, et pourtant, sous le rapport des mÅ“urs, sa conduite était fort -irrégulière. Il fréquentait des femmes de mauvaise vie et découchait -souvent. Il s'élevait à ce sujet entre lui, sa femme et ses enfans, des -querelles très-vives, et l'instruction rapporte des propos qui font -frémir. - -Le samedi 24 septembre 1814, dans la soirée, par un beau clair de lune, -Pierre Godefroy fut rencontré sur le chemin du bois de l'Épine; le -lendemain, son cadavre fut trouvé dans le même bois. Une trace de sang, -qui commençait sur la route et se prolongeait dans le bois, prouvait -qu'il y avait été traîné après l'assassinat. Le malheureux vieillard -avait été tué d'un coup de fusil, chargé de deux balles, qui lui avaient -fracturé la poitrine; les meurtriers, craignant que leur victime -n'échappât, avaient eu l'horrible précaution de l'achever en lui faisant -au cou, au-dessous du menton, une très-large plaie. En déposant le -cadavre sous les arbres, on avait cherché à couvrir la plaie avec le -bâton de chêne qui servait, quelques instans auparavant, à assurer la -marche chancelante du vieillard. - -La voix publique ne tarda pas à désigner les deux fils Godefroy, comme -auteurs du crime. Un des indices auxquels on attacha le plus d'importance -fut la découverte, au domicile de la veuve Godefroy, d'un fusil de chasse -non chargé, nouvellement tiré, pouvant recevoir des balles de calibre. La -veuve déclara que son fils Julien s'en était servi, le vendredi, pour -tuer un oiseau; elle montra en effet un oiseau mort qui était dans sa -huche. - -Ces charges et plusieurs autres ne parurent pas suffisantes à la chambre -d'accusation de la Cour d'assises; par arrêt du mois de février 1815, -elle ordonna la mise en liberté des deux fils Godefroy qui avaient été -arrêtés. Cinq années s'écoulèrent sans qu'aucune lumière nouvelles vint -dissiper les ténèbres qui couvraient cet exécrable attentat; mais en -février 1820, diverses indiscrétions des personnes de la famille ou de -quelques témoins, excitèrent la vigilance de la justice, et les fils de -Godefroy furent remis en prison et en cause. - -Cinquante-neuf témoins furent assignés, et confirmèrent toutes les -charges. Les deux accusés, l'un Pierre-Martin, âgé de trente-trois ans, -ancien militaire et père de six enfans; l'autre Julien, âgé de trente -ans, se renfermèrent dans une dénégation complète. Leur défenseur -repoussa surtout l'invraisemblance d'une accusation où il faudrait -supposer que d'autres femmes de la famille, la mère, une sÅ“ur et une -belle-sÅ“ur des accusés, auraient été, sinon complices, au moins -confidentes. «On ne peut croire, ajoutait-t-il, que le crime de parricide -ait été en quelque sorte traité en conseil de famille.» - -Néanmoins, après une délibération d'une demi-heure, les jurés déclarèrent -coupables de parricide les deux frères Godefroy, qui furent condamnés à -avoir le poing coupé et la tête tranchée. - - - - -LELIÈVRE, - -DIT CHEVALLIER. - - -Si dans l'ordre moral, il est à peu près possible de déterminer les -limites du bien, parce qu'il existe des règles fixes qui peuvent guider -dans cette délimitation, il n'en est malheureusement pas de même du mal; -tout ce qui en dépend n'étant que monstruosité, et par conséquent -en-dehors de toutes les lois connues, comment pourrait-on lui assigner -des bornes? - -Une action héroïque, un dévouement sublime, un grand acte de vertu, tout -en captant notre admiration, tout en nous électrisant d'enthousiasme, ne -nous sembleront jamais au-dessus des forces humaines, parce que tout -homme dont la poitrine s'élève aux battemens d'un cÅ“ur noble et -généreux, doit naturellement se croire capable des choses belles, grandes -et sublimes. Qu'on nous présente au contraire l'épouvantable tableau des -forfaits de la Brinvilliers et de Desrues, il n'est pas d'individu qui, -terrifié par cette horrible peinture, ne la considère comme le _nec plus -ultra_ de la perversité humaine, et ne soit même tenté de croire que le -narrateur ou le peintre s'est plu à forcer les couleurs. Il n'en est -pourtant rien; les crimes de ces deux grands coupables sont attestés de -manière à ne pas causer le moindre doute; ils sont affreux, certainement; -on les croirait le résultat des suggestions diaboliques d'un autre -Méphistophélès. Pourtant ils ont été surpassés par les attentats de -Lelièvre, que nous allons mettre sous les yeux du lecteur. - -Depuis neuf ans environ, un jeune homme prenant le nom de Chevallier, et -se disant natif de Lyon, occupait un emploi dans les bureaux de la -préfecture du Rhône. Il était doué de quelques talens, montrait des -manières aisées; sa figure était distinguée, sa politesse exquise. Ces -diverses qualités lui avaient mérité la bienveillance de ses chefs et -celle des habitans de Lyon. Du reste, son exactitude à remplir ses -devoirs, sa conduite en apparence régulière, lui avaient fait obtenir la -place de sous-chef au bureau des finances de la préfecture. - -Cependant, poursuivi par une sorte de fatalité, cet homme avait éprouvé -les plus cruelles infortunes. La mort lui avait ravi trois femmes qu'il -avait successivement épousées, et avec chacune desquelles il avait vécu -dans l'union la plus pure. Il venait de convoler en quatrièmes noces, et -ce nouveau mariage lui promettait enfin le sort dont il paraissait digne, -quand tout-à -coup une circonstance inexplicable attira sur lui les yeux -de la justice, et procura les plus étranges découvertes. - -Le 17 juin 1820, vers cinq heures du soir, le sieur Berthier, chapelier à -Saint-Rambert, village situé sur les bords de la Saône près de Lyon, fut -averti qu'un _monsieur_ bien vêtu venait d'emporter son enfant, et que -déjà sa femme était à la poursuite de cet individu. Berthier, sans veste -et sans souliers, part aussitôt. Bientôt il rejoint sa femme; plusieurs -ouvriers de manufactures voisines apprennent aux deux époux que le -ravisseur suivait la rive droite de la Saône. Ils arrivent au port de la -_Glaire_ au moment où l'inconnu venait de s'embarquer; ils traversent la -rivière, accompagnés de trois ouvriers qui leur avaient donné ce -renseignement. Arrivés au port de la _Feuillée_, ils aperçoivent le -bateau qui avait traversé l'homme à la douane. Ils traversent tous à leur -tour; mais le ravisseur fuyait rapidement devant eux; ils courent -jusqu'au pont de bois. Là , Berthier tout haletant, épuisé par la fatigue, -perd subitement ce qui lui reste de force; il ne peut aller plus loin. -Mais bientôt s'entendant appeler vivement du côté du pont Tilsitt, ces -cris raniment son courage, il court, il arrive à la porte d'un café; on -lui dit: Il est là ! Berthier, hors de lui, entre furieux, et balance son -bâton sur la tête de l'inconnu, prêt à lui en asséner un coup, lorsque -plusieurs personnes lui retiennent le bras. Le voleur profite du moment -d'agitation et prend la fuite; on le poursuit, et on l'arrête enfin dans -l'allée d'une maison. Conduit devant le commissaire de police, et -interrogé sur le motif qui lui avait fait enlever cet enfant, il répond -qu'_on lui en avait volé un, et qu'il en avait pris un autre_. - -Au moment de l'arrestation, l'enfant de Berthier avait aux jambes des bas -bleus que son ravisseur lui avait mis; plusieurs autres effets -d'habillement, trouvés dans la poche de cet homme, prouvèrent que son -intention était de changer le costume de l'enfant. On apprit presque -aussitôt qu'à Saint-Rambert, quelques heures avant l'enlèvement, -l'inconnu n'avait cessé de se promener dans l'avenue principale, attirant -à lui les enfans, soit en leur faisant des caresses, soit en leur donnant -des bonbons. Le petit Berthier, s'étant plusieurs fois laissé prendre par -la main, était resté bientôt au pouvoir du ravisseur qui l'avait chargé -sur ses épaules et emporté en courant. On remarqua avec étonnement que, -loin de résister, de se débattre et de crier entre les mains de -l'étranger, l'enfant s'était endormi presque aussitôt; que, dans le -trajet de Saint-Rambert à Lyon, il fut vu dans le même état de sommeil, -ce qui donnait lieu de croire que pour empêcher ses cris ou sa -résistance, l'étranger lui avait donné quelque substance soporifique, -mêlée peut-être aux bonbons qui avaient servi à l'attirer. - -La nouvelle de cet événement, répandue bientôt dans toute la ville de -Lyon, fut un sujet de conjectures et de perplexité, surtout quand on -apprit que l'individu arrêté se nommait Pierre-Claude Chevallier, et -était le même qui occupait une place de sous-chef à la préfecture du -Rhône. - -La rumeur publique ne tarda pas à s'exercer sur cette tentative -d'enlèvement et sur son auteur; on fouilla toute la vie de Chevallier -depuis le moment de son arrivée à Lyon; mille bruits défavorables -circulèrent sur son compte; des faits furent rappelés, des témoins se -présentèrent, des demi-plaintes furent portées à l'oreille de l'autorité. -On ne parlait plus seulement du vol d'un enfant; on murmurait les mots -d'_empoisonnement_, d'_infanticide_. Suivant les premiers bruits qui -furent recueillis, Chevallier n'avait cessé de commettre des crimes -depuis qu'il était à Lyon. On disait qu'une de ses maîtresses était morte -dans la fleur de l'âge, empoisonnée par lui; que sa première, sa seconde -et sa troisième femme, avaient éprouvé le même sort; et que, pour comble -d'atrocité, l'enfant de Chevallier qui avait disparu tout-à -coup, n'était -mort que de la main de son père. - -De nouvelles informations viennent confirmer à la justice les faits déjà -parvenus à sa connaissance; chaque instant révèle une circonstance -importante. Enfin, suivant les paroles de l'acte d'accusation, «si les -morts ne sortent pas de leurs tombeaux, une multitude de documens épars -se réunissent pour prouver qu'une main homicide les y a fait descendre. -L'enfant volé n'est plus que l'instrument dont la Providence semble -s'être servi pour mettre les hommes sur la voie de découvrir un grand -coupable.» - -Cependant Chevallier, rassuré par la bienveillance que ses chefs lui -avait témoignée, et par les anciennes apparences de bonne conduite qu'il -pouvait invoquer en sa faveur, entreprit de se justifier de l'enlèvement -du jeune Berthier, et fit parvenir, à cet effet, du fond de sa prison, au -lieutenant-général de police, un long mémoire qui, loin de répondre à son -attente, ne fit au contraire que fournir des armes plus sûres à -l'accusation dirigée contre lui. - -Voici le récit, plein de contradictions et d'invraisemblances, qu'il -faisait de la disparition de son enfant. Suivant son mémoire -justificatif, cet enfant qu'il avait eu de son mariage avec Marguerite -Pizard, avait deux ans quand il fut placé en nourrice à Villeurbanne. -Lui, Chevallier, ayant appris qu'il manquait de soins, alla le retirer, -et, le 2 août 1819, à sept heures du soir, il traversa le pont de la -Guillotière, en revenant de Villeurbanne, dans l'intention de le placer -chez une nouvelle nourrice dont il lui a été impossible d'indiquer le -nom. Au lieu de coucher à Lyon, il préféra, le soir même, aller coucher à -la demi-lune, sur la route de Tassin, d'où il partit le lendemain jeudi 3 -août, se dirigeant sur Pollionnay, qui n'en est éloigné que de deux -lieues. La chaleur et la fatigue de la route lui ôtèrent presque toutes -ses forces; les vapeurs du vin qu'il avait bu lui montèrent au cerveau. - -Il était dans cet état, continuait-il dans son mémoire, lorsqu'il s'égara -dans un chemin de traverse, près d'une colline, au milieu d'épaisses -broussailles. Alors une branche qu'il n'avait pu éviter vint frapper son -enfant, le réveilla et le fit chanceler; il voulut retenir le mouvement -de sa tête, qui entraînait le reste du corps, mais il ne vit pas une -cavité remplie d'herbes glissantes qui était sous ses pieds. Il tomba -brusquement; l'enfant lui échappa, roula beaucoup plus bas que lui, et -ne fit entendre aucun cri, parce que, selon toute apparence, _sa tête -avait frappé contre un rocher_. Étourdi de sa chute, égaré par le -désespoir, Chevallier perdit la tête et la raison. Dans cet état, la nuit -vint le surprendre. Il appela à son secours, et sa voix ne fut pas -entendue; il fit des recherches, au milieu de l'obscurité, pour trouver -son fils, mais elles furent vaines. Navré de douleur, il revint à Lyon, -dissimula son chagrin, fit la faute de ne pas faire la déclaration de son -malheur, et enfin, le dimanche suivant, essaya de nouvelles recherches -qui furent sans résultat. Il terminait en disant qu'il avait sans doute -fait une _faute répréhensible_, en enlevant l'enfant des époux Berthier, -mais qu'il y avait été poussé par l'idée de réparer la perte douloureuse -qu'il avait faite du sien. - -Tel fut le tissu de circonstances mensongères et invraisemblables que -Chevallier produisit pour sa justification. Les renseignemens recueillis -par la police vinrent détruire tout cet échafaudage de mensonges, et -prouver jusqu'à l'évidence que Chevallier n'avait commis un nouveau crime -que pour en cacher un précédent. Il fut facile de confondre l'accusé par -des faits et par des argumens sans réplique. - -Mais les investigations de la justice ne devaient pas s'arrêter là : on -disait que l'accusé avait usurpé le nom qu'il portait; ce point était -important à éclaircir, et ce fut dans ce but qu'on lui fit subir un -interrogatoire, le 21 juin. Chevallier soutint qu'il était de Lyon, et né -dans la paroisse de Saint-Pierre. D'après lui, son père et sa mère -n'existaient plus; l'un était mort en 1792, l'autre en 1793. Son père, -ouvrier en soie, demeurait rue de l'Arbre-Sec. Il n'avait plus de parens -à Lyon et n'en avait conservé que dans le département de l'Isère, lieu de -naissance de son père. Ayant quitté Lyon à l'âge de huit ans, avec un de -ses oncles qui le conduisit à Saint-Domingue, ses frères et ses sÅ“urs -moururent pendant son absence qui se prolongea jusqu'en l'année 1801, -époque à laquelle il s'embarqua pour revenir en France. Dans la -traversée, son oncle et lui eurent le malheur d'être pris par les -Anglais. Alors son oncle vint à périr, il ne sait comment; pour lui, il -resta à Portsmouth et obtint ensuite la liberté, par le moyen d'un -échange. De retour en France, où il débarqua à Morlaix, il prit du -service comme tambour dans la quatre-vingt-cinquième demi-brigade, et fit -la guerre en _Hollande_, en _Espagne_, à _Saint-Domingue_. Enfin, en -1811, et pour cause de douleurs rhumatismales, il obtint son congé à -Napoléon-Ville. - -On verra par la suite jusqu'à quel point cette sorte de biographie de -Chevallier, tracée par lui-même, coïncidait avec la vérité. Cet accusé -persista dans son système; il fournit même des preuves à l'appui, et la -justice, privée des moyens nécessaires pour reconnaître la fausseté de -son roman, tourna son attention d'un autre côté. Il lui importait de -recueillir avec exactitude les documens, les circonstances, les moindres -indices relatifs aux empoisonnemens imputés à Chevallier. L'information, -conduite avec une sage lenteur, ne tarda pas à produire des résultats -satisfaisans. - -Chevallier, dont la vie, avant son arrivée à Lyon, demeura encore -long-temps un mystère, y avait été rejoint au mois de mai 1812, avant son -premier mariage, par une jeune hollandaise restée veuve, à vingt-deux -ans, d'un officier nommé Debira. Chevallier l'avait connue à Anvers. -C'était une fort jolie femme, d'une santé superbe; on l'avait surnommée -_la belle Hollandaise_, à cause de ses grâces et de sa beauté. Chevallier -et la veuve Debira vécurent ensemble. Le premier semblait partager -sincèrement l'amour qu'il avait inspiré à sa maîtresse, quand tout-à -coup -celle-ci fut atteinte d'une violente inflammation de bas-ventre, -accompagnée des douleurs les plus aiguës. - -Le docteur Dittmar ayant été appelé, ordonna des remèdes qui devaient -infailliblement calmer cette inflammation; mais, après quelques visites, -s'apercevant au contraire que le mal empirait, il ne put s'empêcher d'en -témoigner son étonnement à Chevallier. «Il faut, lui dit-il, que cette -femme boive ou mange quelque chose qui irrite son mal?--Elle boit en -effet de l'eau-de-vie, répondit Chevallier sans se déconcerter.--Eh! -comment! vous ne pouvez donc pas l'en empêcher?--Non, monsieur, elle en -envoie chercher quand je suis dehors.» Le docteur ajouta que si la malade -continuait l'usage de cette boisson, elle finirait par succomber; puis -s'approchant en particulier de la veuve Debira, il lui adressa des -reproches sur son imprudence; et la jeune Hollandaise lui protesta que, -_depuis long-temps, elle n'avait point bu d'eau-de-vie_. - -Cette réponse était de nature à éveiller les plus graves soupçons; de -plus, la dame Jouvenne, hôtesse de Chevallier et de sa maîtresse, avait -remarqué que, lorsqu'elle montait dans leur chambre, il évitait toujours -de se montrer, et se cachait derrière un placard. Néanmoins ces -circonstances étaient insuffisantes pour motiver une accusation capitale. - -Le docteur Dittmar cessa ses visites, et peu de jours après, la malade -avait cessé de vivre. Il est essentiel de remarquer qu'à cette époque, -Chevallier ne prévoyant pas l'avenir, ne parla point du système qu'il mit -en Å“uvre après son arrestation, lorsqu'on lui reprocha ce premier -empoisonnement. Il ne parla pas d'un bain froid pris par sa maîtresse au -moment de ses évacuations menstruelles; il n'en dit pas un seul mot au -médecin à qui pourtant il aurait importé d'indiquer la première cause des -souffrances; et cependant depuis, Chevallier parla de ce bain comme de la -cause de la mort de la veuve Debira. - -On ne pouvait trouver le motif de ce premier attentat que dans une nature -perverse. L'intérêt que Chevallier pouvait avoir eu à le commettre, est -demeuré absolument problématique. - -Après la mort violente de la belle Hollandaise et dans l'espace de deux -années, Chevallier contracta quatre mariages successifs. Il épousa -d'abord Etiennette-Marie Desgranges, fille d'un propriétaire de -Saint-Didier-sous-Riverie. La seconde femme fut Marguerite Pizard. La -troisième se nommait Marie Riquet. Enfin il avait épousé en quatrièmes -noces Benoîte Besson. - -Plusieurs des contrats de mariage étaient dans la même forme: ils -portaient une _donation mutuelle au dernier vivant des deux époux_. La -justice en tira bientôt la conséquence que Chevallier n'avait d'autre -but, en hâtant la mort de ses femmes, que de se mettre en possession des -avantages matrimoniaux qu'il s'était assurés. - -Etiennette Desgranges, la première femme de Chevallier, était à l'époque -de son mariage, d'une constitution forte et d'une santé brillante. -Quelques mois s'étaient à peine écoulés au sein de l'union la plus -paisible, lorsque cette jeune femme éprouva des coliques toujours -renaissantes; à cet état de souffrance succéda un affaiblissement -général. Une petite fille, née de ce mariage, tomba dans une débilité -semblable à celle de sa mère. Peu alarmée des symptômes d'un mal qu'elle -ne croyait pas dangereux, elle n'eut aucun soupçon sur son mari; la mort -de son enfant, qui survint peu après, n'éveilla pas des craintes qui -n'auraient été pourtant que trop fondées; et victime de sa confiance, -elle ne tarda pas à suivre sa fille au tombeau; elle mourut en 1814. Une -circonstance, qui ne fut relevée qu'après l'arrestation de Chevallier, -marqua le dernier jour d'Etiennette Desgranges. Les cousines de cette -infortunée avaient appris, par la portière de la maison qu'elle habitait, -que, la veille à onze heures du soir, elle avait eu une crise qui avait -failli la faire périr. Elles furent aussitôt la voir, et la trouvèrent -levée et moins souffrante. Pendant leur visite, en l'absence de son mari, -elle prit quelques alimens et demanda à boire en désignant une bouteille: -_Donnez-moi de ce vin_, dit-elle en montrant le vase du doigt; _l'autre -est celui_ _de mon mari_. La malade but, et cinq minutes après elle -éprouva une crise subite: tous ses membres se contractèrent et se -raidirent. Chevallier arriva; les tortures de sa femme ne l'effrayèrent -point; il suivit sans émotion les terribles effets du breuvage. -Etiennette attacha sur lui ses yeux mourans; vaincue par la douleur, elle -tomba sur le plancher, faisant des efforts convulsifs pour rejeter la -liqueur empoisonnée: bientôt après, elle expira au milieu de tourmens -inexprimables. Chevallier, d'autant plus calme qu'il était préparé dès -long-temps à la mort de sa femme, n'attendit pas que le cadavre fût -refroidi, pour faire disparaître les traces accusatrices de ses -machinations. Il saisit vivement le verre dans lequel sa femme avait bu -et contenant encore la moitié du liquide qui y avait été versé, et alla -le vider sous la pierre de l'évier; puis, avec le plus grand sang-froid, -il ôta l'alliance et les boucles d'oreilles de la défunte. Il se hâtait -aussi de la dépouiller du jupon qui la couvrait, lorsqu'on lui fit -remarquer qu'il était inconvenant à lui de s'occuper de ces détails. -Chevallier se retira, et à l'instar de Desrues, feignit de chercher des -consolations à sa douleur dans la lecture de l'_Imitation de -Jésus-Christ_. - -Chevallier, après son arrestation, crut pouvoir se justifier de ce -forfait. Mais il fut prouvé qu'Etiennette Desgranges n'avait point eu de -maladie, dans l'acception médicale de ce mot; que ses souffrances, son -agonie et sa mort avaient eu lieu presqu'à la même heure. La veille du -décès, le docteur Para avait été appelé pour voir madame Chevallier; il -lui avait trouvé les nerfs un peu agités, et s'était borné à prescrire -une potion calmante. Le lendemain, ce médecin y étant retourné, avait -appris avec surprise qu'elle n'existait plus. On ne peut se dissimuler -que les présomptions, soulevées par une mort aussi imprévue, devaient se -convertir en preuves, en les rapprochant des événemens postérieurs. - -Facile à se consoler, Chevallier épousa en secondes noces Marguerite -Pizard. Toutefois lorsqu'il fit la demande de la main de cette -demoiselle, celle-ci témoigna d'abord quelque répugnance. Le bruit -circulait déjà sourdement que Chevallier avait tué sa maîtresse et sa -première femme. Enfin Marguerite Pizard s'étant persuadée que l'on -calomniait Chevallier, elle consentit à unir son sort au sien; leur -mariage fut célébré le 28 août 1816. Rien ne semblait devoir faire -repentir Marguerite Pizard de l'union qu'elle venait de contracter. Elle -recevait chaque jour de son mari de nouvelles marques d'attachement: il -lui prodiguait les soins les plus affectueux. Marguerite Pizard devint -enceinte, et cet événement accrut la tendresse de Chevallier, -c'est-à -dire le rendit encore plus prodigue de ses fallacieuses -démonstrations. Cependant ce fut alors qu'il commença à administrera sa -malheureuse épouse les premières doses du poison qui devait la conduire -au tombeau. - -Ce n'est qu'en frémissant que nous allons signaler la marche constamment -suivie par ce scélérat dans le cours de ses crimes. Il résulte de -l'instruction du procès, que c'était précisément à l'époque, où l'espoir -d'être père devait ouvrir son cÅ“ur aux plus douces impressions, que -Chevallier, souriant aux tortures prochaines de ses victimes, apprêtait -la coupe empoisonnée. Un funeste calcul lui avait appris que le moment où -la fragile existence d'une femme est le plus exposée aux influences -morbides, est celui où elle souffre les douleurs et éprouve les joies de -la maternité. Il savait qu'il faut peu de chose alors pour porter le -trouble dans les sources de la vie. Ce n'était point une mort prompte, -instantanée qu'il voulait donner à deux êtres à la fois; le soin de sa -propre conservation lui faisait pressentir tout ce qu'il y aurait eu de -périlleux pour lui dans un crime aussi précipité. Il préférait, par un -raffinement de cruauté, verser le poison goutte à goutte, et se repaître, -pour ainsi dire, des souffrances graduelles qu'il faisait éprouver. - -La grossesse de Marguerite Pizard avait été pénible; des vomissemens -continuels et plus abondans que ne le sont habituellement ceux des femmes -enceintes, des douleurs aiguës dans le bas-ventre en avaient signalé la -durée. Enfin, le 18 mai 1817, madame Chevallier donna le jour à un enfant -mâle qui reçut le nom d'Eugène. Cet enfant, placé en nourrice, fut -momentanément soustrait aux fureurs de son père. C'est le même qui, -vingt-sept mois plus tard, fut l'objet d'un nouveau crime. Cependant -Marguerite Pizard se remit difficilement de ses couches; le poison avait -étendu ses ravages. Trop lent au gré de Chevallier, celui-ci fit prendre -à sa femme les dernières doses. Alors de nouvelles douleurs se -manifestèrent; à chaque instant, survenaient des coliques, des attaques -de nerfs, de violentes convulsions. La malade se plaignit de n'être pas -soignée; elle accusa son médecin de ne point lui faire prendre de -remèdes, sous le faux prétexte qu'elle était de nouveau enceinte. Les -parens, alarmés, s'étonnèrent qu'on n'eût point placé de garde auprès de -Marguerite Pizard; ils offrirent de passer les nuits auprès d'elle. Mais -Chevallier, selon lui, suffisait à tout; il voulait _seul_ donner les -soins que l'état de sa femme réclamait; chaque nuit, il restait _seul_ à -son chevet. Le mal augmenta, les convulsions se succédèrent rapidement; -la mort arriva le 13 septembre 1817: tel fut le résultat de l'assistance -de Chevallier. - -Jusqu'ici notre récit n'est fondé que sur des présomptions graves qui ne -font que concourir à éclairer la culpabilité de Chevallier. Nous allons -parler d'un nouveau crime, constaté par les témoignages les moins -irrécusables et par une foule de faits qui sont prouvés. - -Au mois de juin 1818, Chevallier épousa Marie Riquet; cette troisième -épouse, comme ses deux devancières, vécut avec son mari dans une -sécurité parfaite. Toujours plus audacieux au crime, non moins habile à -se couvrir du masque des vertus qu'il n'avait pas, Chevallier avait gagné -l'amour de Marie Riquet. Elle devint grosse; c'était, pour ainsi dire, le -commencement de son agonie. Sa santé, jusque-là florissante, commença à -s'altérer. Les phénomènes qui avaient eu lieu, pendant la grossesse des -premières femmes de Chevallier, se reproduisirent chez Marie Riquet. Les -couches furent précédées de violentes douleurs et de convulsions -singulières. Il tint alors à peu de chose que Chevallier ne fût enfin -démasqué. - -La femme Pontannier, garde-malade, connue depuis long-temps de Marie -Riquet, s'était proposée pour la soigner durant ses couches; mais -Chevallier n'avait eu garde d'accepter ses offres. Cette femme en conçut -des soupçons. Chevallier l'ayant rencontrée peu de jours après, lui -annonça l'accouchement de sa femme: il convint qu'elle avait eu des -convulsions terribles, et qu'on avait été obligé d'avoir recours au -_forceps_. Tout dans ce récit dénonçait à la femme Pontannier des trames -criminelles. Elle crut reconnaître des symptômes de poison; et ne -pouvant contenir son indignation, elle se répandit en reproches contre -Chevallier. Celui-ci, confondu, se déconcerta, balbutia quelques mots -entrecoupés, et se hâta de quitter la femme Pontannier. Quelques jours se -passèrent, et Marie Riquet n'existait plus. Chevallier essaya de profiter -de cet événement pour dérouter les soupçons de la femme Pontannier; il -composa son visage, et vint lui annoncer la mort presque subite de son -épouse. Mais la femme Pontannier, loin d'être la dupe de son hypocrisie, -s'emporta, dit à Chevallier que la famille Riquet allait faire ouvrir le -cadavre de la défunte, et que, si elle ne le faisait pas, elle s'en -chargerait elle-même. Chevallier, attérré par cette menace, pâlit; il ne -chercha point à repousser l'accusation qui l'accablait. - -Mais le moment n'était pas encore arrivé où ce misérable devait être -convaincu de ses crimes. La famille Riquet hésita sur ce qu'elle devait -faire. Elle recula devant les conséquences de l'accusation qu'elle -pouvait porter; elle songea avec horreur qu'une pareille démarche pouvait -conduire Chevallier à l'échafaud, et déshonorer les enfans, sans rendre -la vie à leur mère; elle se détermina en conséquence à se taire. - -La garde qui avait pris soin de Marie Riquet avait remarqué que -Chevallier donnait à sa femme des breuvages qui n'étaient pas prescrits -par le médecin; que c'était une _liqueur forte_ dont elle n'avait pu -reconnaître la nature; et sur la représentation qu'elle fit à ce sujet à -Chevallier, elle en reçut pour réponse ces paroles atroces: _Soyez -tranquille: ce que je lui donne est pour lui débarrasser l'estomac; cela -lui donnera une crise qui la sauvera ou l'emmènera._ Les effets du -breuvage étaient bien connus à ce monstre; sa sombre prédiction ne tarda -pas à s'accomplir. Peu de minutes après, la crise annoncée se déclara -d'une manière si effrayante, que deux personnes s'enfuirent épouvantées. -Les bras et les jambes de la victime se tordirent, et les convulsions qui -l'agitèrent furent tellement horribles, que la moribonde tomba du lit. -Pendant cette scène déchirante, Chevallier suivait de l'Å“il les progrès -de son remède. Il se baissa sans émotion, ramassa l'infortunée gisante -sur le plancher, la replaça sur le lit, et, peu d'instans après, la vit -expirer, sans qu'une larme eût mouillé sa paupière. - -C'est avec une terreur que le lecteur partagera sans doute que nous -mettons sous ses yeux ces détails douloureux; la nudité du crime est -effrayante, cependant il est de notre devoir de ne pas la voiler; plus -elle blesse les regards, plus elle fait aimer la vertu. - -D'après tous les renseignemens recueillis par la justice, il n'était plus -permis de mettre en doute la profonde scélératesse du prévenu. Cependant -il avait été jusque-là impossible de soulever le voile qui couvrait les -premières années de la vie de Chevallier. Tout-à -coup un événement -imprévu vint aider à trouver le mot de l'énigme et répandre un nouvel -intérêt sur toute cette affaire. - -Déjà on savait que l'accusé avait usurpé le nom de Chevallier qu'il -portait. Il était de notoriété publique qu'un jeune homme de Lyon, nommé -Chevallier, de la même taille, du même âge que l'accusé, avait été au -service; mais on était encore incertain si ce n'était pas le prévenu. -Soudain on apprend que le véritable Chevallier vit encore; qu'il est -officier dans nos armées; il a perdu, il y a quelques années, son -portefeuille et ses papiers. Il se trouve en ce moment en garnison à deux -cents lieues de Lyon: on lui écrit, il arrive, on le confronte aussitôt -avec l'accusé; ils ne se connaissent ni l'un ni l'autre. L'imposteur est -confondu. - -Cependant il se rassure, et soutient qu'il se nomme Pierre-Claude -Chevallier; qu'il n'a jamais connu d'autre nom, et que si ce n'est pas le -sien, il a été induit en erreur par ceux qui l'ont élevé. - -Cette obstination annonçait que le faux Chevallier avait de graves motifs -pour ne pas faire connaître son véritable nom. On l'accable de questions, -on emploie tous les moyens pour lui arracher la vérité. Enfin le faux -Chevallier se décide à parler. Il demande qu'il lui soit permis de voir -sa femme. C'était Benoîte Besson, qu'il avait épousée en quatrièmes -noces. - -Plongée dans la douleur, cette femme arrive à la prison et s'assied près -de son mari: celui-ci lui tient ce discours: «Je vous ai trompée, j'ai -voulu vous voir pour vous l'apprendre. Je ne suis point Pierre-Claude -Chevallier; je viens de voir celui dont j'ai pris le nom. Je ne sais -jusqu'à quel point notre union est valable; vous prendrez des mesures -pour la faire rompre. J'appartiens à une famille respectable: elle avait -de la fortune, et tenait un rang dans la société: j'ai mon père et ma -mère; mes frères et sÅ“urs existent encore. Je ne me nommerai pas, parce -que je ne veux pas les déshonorer. Ce sont eux qui m'ont forcé à prendre -du service. Par suite d'une erreur de jeunesse, j'étais sur le point -d'être condamné à une peine infamante: de puissantes protections me -sauvèrent; je n'ai subi aucune condamnation. Depuis mon entrée au -service, je n'ai pas revu mes respectables parens. Je sais que je suis -perdu; je n'ai d'autre ressource que la mort, que je désire. Je crois -qu'il est de mon devoir de ne pas faire rejaillir sur ma famille la honte -qui m'attend.» - -Après ces premiers aveux, le prévenu pressé de plus en plus par -l'aiguillon de sa conscience, déclara se nommer Pierre-Étienne-Gabriel -Lelièvre; dit qu'il était né à Madrid, d'origine française; que son père, -propriétaire et rentier, habitait à Paris, rue de la Muette, no 6. Il -borna là ses révélations, ajoutant qu'il allait se recueillir, et -consigner dans un mémoire tous les événemens de sa vie. - -On fit prendre, en attendant, des renseignemens à la police de Paris, et -l'on sut que Lelièvre appartenant à une famille distinguée, s'était -adonné de bonne heure aux vices les plus déshonorans. - -Lelièvre, montrant de la netteté dans les idées, des dispositions pour le -calcul, tous les germes d'un esprit froid et réfléchi, ayant d'ailleurs -reçu une éducation soignée, son père l'avait fait entrer à la Banque de -France avec un emploi de cent louis de traitement et l'espoir de places -plus lucratives et plus importantes. Cependant ses émolumens et les -libéralités de son père ne pouvaient suffire aux dépenses du jeune -Lelièvre. A peine sorti de l'adolescence, il toucha à la Banque de -France, sur de faux bons, une somme de soixante mille francs. Le vol -ayant été découvert, il fut arrêté le 7 janvier 1809. Dès ce moment, il -avait mérité d'être voué à une infamie perpétuelle; son père paya la -somme entière et obtint du ministre, à force de larmes et de prières, -qu'on ne fît aucune poursuite. Mais il fallait infliger une punition au -jeune Lelièvre; il fut enrôlé dans un bataillon colonial. Lelièvre -déserta, arriva à Flessingue et y trouva les papiers d'un nommé -Pierre-Claude Chevallier, qui appartenait, ou qui avait appartenu au même -bataillon. Il conçut alors l'idée de s'emparer du nom de ce militaire, et -joignant de nouveaux crimes aux premiers, de voleur et de déserteur, il -devint faussaire et fabriqua un faux congé et une fausse feuille de -route. Muni de tous ces papiers, Lelièvre vint à Lyon, ville natale du -véritable Chevallier; il se présenta hardiment comme Lyonnais au préfet -du département, et ce fut à ce titre qu'il obtint dans les bureaux une -place d'où, comme on la vu, sa conduite extérieure n'avait pas tardé à le -faire arriver à celle de sous-chef. - -Après des renseignemens aussi positifs, il ne restait plus à la justice -qu'à sévir contre l'auteur de tant de crimes accumulés. Une ordonnance de -la chambre des mises en accusation le renvoya devant la Cour d'assises du -Rhône, et toute la ville de Lyon, indignée d'avoir si long-temps recelé -dans son sein un scélérat aussi infâme, attendit avec une véritable -sollicitude, l'époque de son jugement fixé au 11 décembre 1820. - -Lelièvre comparut devant la Cour, en présence d'une affluence -considérable de spectacle de tous les rangs de la société. Tous les -regards étaient fixés sur l'accusé. Sa taille était au-dessus de la -moyenne; ses yeux bleus respiraient la douceur; sa figure pâle n'offrait -que des traits réguliers; sa chevelure blonde et bouclée était -magnifique; seulement on remarquait dans ses lèvres un mouvement de -contraction, qui donnait parfois à sa physionomie un air effrayant et -sinistre. - -Les débats du procès n'ajoutèrent rien aux faits déjà connus. Lelièvre, -fidèle à son caractère, combattit l'accusation avec une tranquillité, -avec un calme apparent, qui sembleraient ne devoir appartenir qu'à -l'innocence, avec des formes que l'on croirait incompatibles avec le -crime. La fourbe et l'hypocrisie présidèrent à tous ses gestes, dictèrent -toutes ses réponses. - -Le ministère public soutint l'accusation avec une énergie mêlée -d'indignation. Après avoir présenté d'une manière pathétique le tableau -des crimes reprochés à Lelièvre, il termina en s'écriant: «Je le demande, -existe-t-il dans les annales du crime, je ne dis pas rien de semblable, -mais rien qui puisse, même de loin, approcher de tant d'horreurs? Et -n'avais-je pas le droit de m'écrier tout-à -l'heure, qu'il eût bien mieux -valu pour l'accusé et pour sa famille, pour ses amis et pour ses -protecteurs, pour nous-mêmes, qu'il eût porté sur l'échafaud la peine de -son premier crime?» - -Il était impossible de définir les sentimens qui se retracèrent sur la -figure de Lelièvre pendant toute la durée de ce discours. Quelquefois il -semblait déconcerté; il baissait les yeux, changeait de couleur: il -paraissait surpris et accablé quelquefois; et alors que l'on écoutait -avec émotion le détail des souffrances des victimes de Lelièvre, un -sourire infernal errait sur les lèvres de l'accusé, et semblait venir à -l'appui de la conjecture faite par l'avocat-général, relativement aux -causes qui avaient poussé le prévenu au crime; causes qu'il attribuait à -des penchans secrets ou à des goûts dépravés. - -Quatre séries de questions furent proposées au jury; la première se -composant de dix-neuf accusations de faux en écritures publiques; la -seconde concernant l'empoisonnement des trois femmes de Lelièvre; la -troisième relative à l'infanticide commis sur la personne de Denis-Eugène -Chevallier, son fils; et la quatrième se rapportant à l'enlèvement de -l'enfant Berthier. Le jury répondit affirmativement et à l'unanimité sur -toutes les questions, excepté sur celles qui portaient sur -l'empoisonnement des deux premières femmes, ces deux forfaits n'étant pas -suffisamment prouvés. - -Sur ces réponses, le ministère public requit l'application des peines -portées par la loi, et le président de la Cour prononça l'arrêt qui -condamnait Pierre-Étienne-Gabriel Lelièvre à la peine de mort, et -ordonnait qu'il aurait la tête tranchée sur l'une des places publiques de -la ville de Lyon. Cet arrêt ne parut faire aucune impression sur le -coupable. Reconduit à sa prison, il s'empressa d'adresser son pourvoi à -la Cour suprême. Son hypocrisie systématique ne l'abandonna pas après sa -condamnation. «Tout mon espoir, disait-il, est dans l'Être suprême dont -les volontés sont invisibles sur la terre; s'il éclaire mes juges, et que -mon arrêt soit cassé, mon innocence triomphera devant d'autres juges. -J'ai la ferme croyance que mon arrêt sera cassé; cette confiance est -fondée sur mon innocence. Mais d'ailleurs je suis résigné à mon sort; -l'échafaud n'a jamais fait pâlir un innocent.» Puis il montrait aux -personnes qui allaient le visiter un Évangile qu'il tenait à la main, et -s'écriait: «Voilà pour moi une source de consolations! J'en ai fait toute -ma vie la règle de ma conduite.» - -Il souffrait, disait-il, sans être coupable, _de même que Jésus-Christ -qui avait été sacrifié_; il était victime des préventions qu'on avait -élevées contre lui. Il disait qu'il dormait _comme un ange_, et qu'il y -avait des gens plus malheureux que lui. Enfin, quelques personnes, -presque convaincues de son innocence, le pressant de publier un mémoire -justificatif: _C'est un soin dont je m'occuperai_, répondit-il, _lorsque -je serai sorti de ma prison_.--Mais s'il arrivait que votre captivité -n'eût d'autre terme que la mort?--_Alors_, répliquait-il, en souriant: -_les anges se chargeront de ce soin_. - -Et cependant au moment où Lelièvre protestait de son innocence, on venait -d'apprendre le genre de mort qu'il avait fait souffrir à son enfant. - -On apprit que cet enfant avait été trouvé noyé sur les bords du Rhône, en -face de Thernay, petite commune située à trois lieues de Lyon. Les -habillemens trouvés sur le cadavre furent remis à l'autorité, qui -constata qu'ils étaient bien les mêmes que ceux que portait l'enfant -Chevallier. Lorsqu'on apprit à Lelièvre l'importante découverte que -venait de faire la justice, sa contenance fut un instant ébranlée: «_Ah! -si j'avais su cela!_» s'écria-t-il d'abord; puis il garda le silence. -Mais sa pensée perçait tout entière dans ces seuls mots. - -La Cour de cassation rejeta le pourvoi de Lelièvre, le 11 janvier 1821. -Quand on lui annonça cette nouvelle, le condamné entra dans une fureur -extrême, accusant et maudissant ses juges, et persistant toujours dans -ses protestations d'innocence. Le 29 janvier, jour fixé pour l'exécution, -il écrivit encore au procureur-général pour détailler de prétendues -nullités qu'il voyait dans son arrêt; la veille, il s'était adressé au -préfet pour obtenir un sursis. - -Mais l'heure de la vindicte publique allait sonner; il n'y avait que trop -long-temps que ce misérable, chargé de crimes, pesait sur la terre. -Lelièvre, sans force et sans audace, fut conduit au lieu du supplice, au -milieu d'une foule immense à laquelle il s'efforçait de cacher ses -traits. Parvenu auprès de l'échafaud, l'exécuteur fut obligé de soutenir -sa marche chancelante. Un instant après, il avait subi son arrêt. - - - - -PEYRACHE, - -FAUX TÉMOIN; - -RISPAL ET GALLAND, - -SES VICTIMES. - - -«En élevant la main au ciel, dit un écrivain moderne, le témoin invoque -sur sa tête la vengeance du Tout-Puissant; il porte contre soi -l'imprécation la plus terrible; s'il conserve dans son cÅ“ur -l'arrière-pensée de trahir la vérité promise, il engage son honneur, sa -réputation, la paix de son âme, pour l'assurance de sa parole. - -«Le faux témoignage est le plus grand des attentats; ses conséquences -sont effrayantes. Il annonce une démoralisation absolue; il tend à -détruire toute confiance parmi les hommes; il sape les fondemens de la -sûreté publique; il anéantit la tranquillité des familles; il introduit -le désordre le plus affreux, la confusion la plus universelle; il conduit -à la dissolution de la société, et peut causer la perte et la ruine de -tous ses membres. - -«Le plus sage des rois de l'antiquité comparait le faux témoin et le -parjure aux instrumens les plus meurtriers, aux animaux les plus perfides -et les plus dangereux, aux fléaux les plus épouvantables dont le ciel, -dans sa colère, puisse accabler les hommes. Le faux témoin et le parjure, -disait-il, sont une massue, une épée, une flèche aiguë, un poignard -caché, un poison plus dangereux que celui de l'aspic et des serpens les -plus redoutés, contre lesquels il n'est point de remède.» - -Le fait que nous allons rapporter va fournir les preuves de cette -définition, et nous dispensera de toute autre réflexion. - -Le sieur Jean Courbon, de Mazet près Yssengeaux (Haute-Loire), jouissait -d'une honnête aisance et de la considération de tous ses voisins; on ne -lui connaissait pas d'ennemis. Ses bonnes qualités n'étaient un peu -tachées que par le défaut qu'il avait de s'adonner au au vin et d'en -faire un fréquent abus. - -Le 9 septembre 1817, il passa la journée et une partie de la soirée à -boire dans divers cabarets du bourg de Dunière, canton de Montfaucon, -avec les nommés Galland, Rispal et Tavernier, tous trois beaux-frères. Le -lendemain, à cinq heures du matin, le cadavre de ce malheureux fut trouvé -dans une fosse de deux pieds de profondeur, derrière une auberge un peu -éloignée de celle où il avait laissé ses trois compagnons. La position du -cadavre ressemblait assez à celle d'un homme qui ferait une culbute sur -la tête; le poids du corps portait sur la nuque, la tête étant repliée -sur la poitrine, ce que la nature du terrain semblait expliquer. Il -offrait dans toutes ses parties une raideur extraordinaire, et conservait -encore quelque chaleur. L'état de ses habits, de sa cravatte, l'absence -de toute contusion, éloignaient l'idée d'une lutte ou d'un crime. Son -argent, ses effets et les morceaux d'un billet qu'il avait payé la veille -à Tavernier, furent trouvés dans ses poches. - -Le sieur Thomas, médecin, qui fut appelé sur-le-champ, n'hésita pas à -attribuer la mort de Courbon à une attaque d'apoplexie, résultat des -excès de boisson auxquels il s'était livré la veille. La constitution -physique de Courbon venait encore corroborer cette opinion: il avait les -épaules larges, le cou court et la tête grosse; son embonpoint était -extraordinaire; il pesait au moins deux cents livres; aussi, à chaque -instant, pouvait-on craindre qu'une mort subite ne vînt l'enlever à sa -famille et à ses nombreux amis. L'ouverture du cadavre ne fit également -que confirmer l'idée qu'avait fait naître sa forte constitution, et -fournir les preuves de son intempérance. - -Cependant, malgré les procès-verbaux et rapports qui repoussaient tout -soupçon de crime, vingt-quatre heures s'étaient à peine écoulées depuis -l'inhumation de Courbon, qu'une clameur, d'abord sourde et timide, puis -pleine d'assurance, articula hautement le mot d'assassinat, et désigna -comme meurtriers Galland, Rispal et Tavernier. A défaut de faits -positifs, de preuves _de visu_, on eut recours, suivant l'usage, aux -conjectures, aux présomptions. Quoique le cadavre, d'après le -procès-verbal du juge-de-paix, n'eût présenté aucune lésion, pas la -moindre égratignure, quelques individus prétendirent qu'il y avait -rupture des vertèbres cervicales, et qu'il existait des ecchymoses au cou -et à la poitrine. Sans pouvoir en alléguer le motif, on répandit que les -trois beaux-frères ci-dessus désignés avaient de la haine, de l'animosité -contre Courbon. Galland était connu pour avoir une humeur querelleuse, -emportée; mais il était constant aussi que Rispal était doux, honnête et -de mÅ“urs paisibles. Mais l'esprit de prévention ne tint aucun compte de -toutes ces considérations, et bientôt la clameur publique éclata si -violente, si exaspérée, que le juge-de-paix, qui d'abord avait rédigé son -procès-verbal dans le même sens que le rapport du médecin, finit par -ajouter quelque foi à la possibilité d'un assassinat. - -Le procureur d'Yssengeaux fut prévenu des faits d'une manière officielle. -Tavernier et Rispal furent arrêtés, le 3 octobre 1817; et Galland, leur -beau-frère, ayant appris leur arrestation, et sachant que la gendarmerie -s'était présentée chez lui, vint se constituer lui-même prisonnier, le -lendemain 4 octobre. Cette démarche pouvait, ce semble, être considérée -comme une présomption d'innocence. Bientôt après, les trois beaux-frères -furent élargis par ordonnance du tribunal, sur le rapport du juge -d'instruction. Mais leur mise en liberté, qui eut lieu le 8 octobre, loin -de calmer les rumeurs, ne fit qu'aigrir certains esprits et envenimer les -soupçons. - -Alors le juge-de-paix redoubla d'activité et de vigilance pour parvenir à -la découverte de la vérité. C'était à l'époque où l'horrible meurtre de -Fualdès était le sujet de toutes les conversations dans les villes comme -dans les campagnes. On crut trouver dans la mort de Courbon quelque -ressemblance avec l'épouvantable catastrophe de Rodez. On cherchait à -accumuler les conjectures pour en former un corps de preuves. Le bruit -courut qu'une femme, nommée Anne Colombette, demeurant à Guignebaude, -situé à environ une heure de chemin de Dunière, avait dit que Galland, en -passant près de chez elle, lui avait annoncé la mort de Courbon, le 8 -septembre 1817, au moment où l'on découvrait le cadavre derrière -l'auberge. Deux tailleurs d'habits, Aulanier et Celsette dirent aussi -qu'un nommé Lardon avait entendu cette conversation; et ce Lardon finit -par en déposer. Mais ce qui semblait positif et entraînant était une -autre conversation que le nommé Claude Peyrache prétendait avoir entendu -tenir par les trois beaux-frères, le 8 octobre, jour de leur mise en -liberté. Ce témoin rapportait avoir couché dans une auberge d'Yssengeaux, -où il n'était séparé d'eux que par une simple cloison qui lui avait -permis, disait-il, de les entendre causer confidentiellement. Voici cet -entretien qui fut le fondement du procès et de la condamnation. - -Suivant lui, l'un d'eux disait: «Nous avons tort,» et il le répétait -souvent. Galland répliquait: «Tais-toi, baveux; tu nous feras mettre en -prison.» Alors, parlant plus bas, un autre avait ajouté: «Si vous m'aviez -cru, nous ne serions pas dans l'embarras où nous sommes; vous ne l'auriez -pas tué: j'en suis fâché.--Point de regret, dit Galland, qui est mort est -mort.--Nous avons été trop vite, observait un troisième: nous avons trop -enfoncé le mouchoir; ce qui a fait enfler le cou, et ce qui a éveillé les -soupçons.» - -Il est à remarquer que ce Claude Peyrache, appelé devant le juge -d'instruction le 26 août 1818, n'avait point parlé de ce fait, et que ce -ne fut que le lendemain 27, qu'il alla le révéler au juge-de-paix de -Montfaucon. Il fut depuis appelé, par délégation du président des -assises, devant le juge d'instruction d'Yssengeaux, auquel il répéta la -même déclaration qu'il avait faite au juge-de-paix. La chambre -d'accusation, sur de tels élémens, mit en état de prévention Galland, -Rispal et Tavernier, qui bientôt furent traduits aux assises de la -Haute-Loire. - -Peyrache rapporta cette conversation avec de nouveaux détails devant la -cour, quoique les personnes de l'auberge assurassent ne l'avoir pas vu le -jour indiqué, et qu'un témoin prétendît avoir couché dans le lit que -Peyrache désignait comme celui d'où il avait entendu la conversation des -trois beaux-frères. Pour prouver qu'il était venu ce jour-là à -Yssengeaux, il produisit une quittance portant la date du 8 octobre, -signée par un avoué d'Yssengeaux et reconnue par ce dernier. Nous prions -nos lecteurs de ne pas perdre de vue cette circonstance qui deviendra -très-importante dans la suite de ce récit. - -Dans le cours des débats qui eurent lieu devant la cour d'assises, les -défenseurs des accusés demandèrent l'arrestation de Peyrache et de -Lardon, comme faux témoins, et qu'il fût procédé à la vérification des -lieux. Mais la cour passa outre, refusant de statuer sur ces demandes. A -la suite d'une discussion qui dura six jours, Galland et Rispal furent -condamnés, le 9 mars 1819, aux travaux forcés à perpétuité, comme -coupables de meurtre, et Tavernier à un an de prison, comme complice -involontaire de l'homicide. L'arrêt fut exécuté; Galland et Rispal, -flétris, furent transférés au bagne de Toulon. - -Cependant les femmes de ces deux condamnés n'avaient pas renoncé à la -plainte en faux témoignage; et sur la décision du garde-des-sceaux (M. de -Serre), le tribunal d'Yssengeaux ordonna, le 20 décembre 1819, qu'il -serait fait des expériences pour constater si la conversation d'Anne -Colombette avec Galland avait pu être entendue par Lardon, et si Peyrache -avait également bien pu entendre celle qu'il rapportait. - -Ces vérifications furent faites avec beaucoup de soin et d'exactitude. De -nouveaux témoins furent appelés; et le résultat fut la mise en prévention -d'abord de Peyrache pour le fait qui le concernait seul, et ensuite de -Lardon, avec Anne Colombette, Aulanier et Cellette, comme complices de -l'autre fait de faux témoignage. Ces cinq témoins avaient été entendus -aux assises du Puy-en-Velay. - -La chambre d'accusation ne trouva pas de preuves suffisantes contre -Lardon et ses adhérens; en conséquence ils furent renvoyés. - -Mais il n'en fut pas de même de Peyrache. Comme les expériences -établissaient qu'au lieu d'une légère cloison, ainsi que ce misérable -l'avait avancé, il existait au contraire entre les deux chambres de -l'auberge, une muraille de l'épaisseur de deux pieds; comme dès-lors il -n'avait pu, de celle qu'il disait avoir occupée, entendre ce qui aurait -été dit dans la chambre voisine; qu'en outre, il n'avait point reconnu ou -avait mal désigné les lieux qu'il disait avoir parcourus pour sortir, la -nuit, de sa chambre et de la cuisine de l'auberge; que d'ailleurs, et ce -qui devenait le plus important pour justifier ou détruire les assertions -de Peyrache, il paraissait certain qu'il n'était pas venu à Yssengeaux, -le jour que les trois beaux-frères avaient couché à l'auberge, où il -prétendait avoir aussi passé la nuit: la chambre de la cour royale -prononça la mise en accusation de Claude Peyrache. - -Sur la requête du procureur général en règlement de juges, la cour de -cassation attribua la connaissance de cette affaire à la cour d'assises -de Riom, et le prévenu comparut devant ce tribunal le 23 mai 1821. - -Peyrache, qui deux ans auparavant, s'était trouvé sur le banc des -témoins, attirait actuellement tous les regards sur le banc des accusés. -Non loin de lui, mais sous le poids terrible d'une condamnation -flétrissante, se trouvaient Galland et Rispal que l'on avait extraits du -bagne pour assister à cette procédure qui les intéressait si vivement. A -côté de ces deux condamnés étaient placées leurs épouses, modèles de -patience et de sollicitude conjugale. - -Auprès de MM. Tailhand père et Bayle aîné, avocats des plaignantes -devenues parties civiles, on voyait Me Montellier, avoué au Puy, qui, -lors de la mise en jugement de Galland et de Rispal, défenseur intrépide -autant que généreux, fut leur soutien et leur consolation dans leur -infortune, et qui, par sa persévérance dévouée et désintéressée, parvint -à assurer le triomphe de l'innocence. - -L'accusation de faux témoignage fut soutenue par M. Voysin de Gartempe, -avocat-général, avec un talent très-remarquable. «S'il arrive, plus tard, -dit ce magistrat, que l'innocence de ces deux infortunés soit reconnue, -il sera temps alors que la voix du ministère public éclate et retentisse -pour leur offrir des réparations tardives, mais nécessaires. Il faudra, -comme le disait un grand magistrat (Servan), que la justice ait le -courage qui convient le mieux à l'homme sujet à tant d'erreurs, celui de -les reconnaître et de les réparer.» - -Après l'exposé du ministère public, on procéda à l'audition des témoins; -ceux dont les dépositions paraissaient devoir être d'une grande -importance, étaient sans doute les personnes qui se trouvaient dans -l'auberge où Peyrache disait avoir couché, la nuit du 8 octobre 1817 et -où il prétendait avoir entendu la conversation par lui atribuée aux trois -beaux-frères. Le sieur Perrot, propriétaire de l'auberge, et Rose Vidal, -domestique de la même auberge, déclarèrent ne pas avoir vu l'accusé. -Plusieurs faits avancés par Peyrache furent niés formellement par les -témoins. - -Peyrache, lors de l'instruction, avait désigné le lit dans lequel il -disait avait couché; cependant le nommé Deschomet, témoin, déclara avoir -occupé, dans la nuit indiquée, le lit désigné par l'accusé. - -Celui-ci avait rapporté devant le juge d'instruction que la chambre dans -laquelle il avait couché n'était séparée de celle où étaient les trois -beaux-frères que par une cloison en planches; et il fut constaté et -répété à l'audience qu'un mur de deux pieds les divisait et que ce mur -était crépi des deux côtés. Dans son premier récit, Peyrache avait dit -que c'était de son lit qu'il avait entendu la conversation des trois -beaux-frères. Plus tard, il avait rétracté cette assertion et, avait dit -s'être blotti à la porte de la chambre de Galland, Rispal et Tavernier, -et que de là il avait entendu les propos révélés par lui. Cependant les -deux experts, chargés de faire la vérification des lieux, rapportèrent à -l'audience que, du lit désigné par Peyrache, il y avait impossibilité -d'entendre ce qui se disait dans la chambre voisine; que de sa porte l'on -pouvait bien entendre quelques mots détachés, mais qu'il était impossible -de saisir une phrase entière. - -Nous passons sur quelques particularités peu importantes, pour arriver à -des faits décisifs. Peyrache, sommé de rapporter quelques circonstances -de son séjour à Yssengeaux, le 8 octobre 1817, prétendit qu'il avait fait -ce voyage pour traiter d'affaires avec M. Labatie, avoué au tribunal de -cette ville; qu'il était arrivé à Yssengeaux, à l'approche de la nuit; -qu'il s'était rendu chez M. Labatie, et était sorti avec cet avoué pour -aller ailleurs; qu'après avoir terminé ses affaires, il s'était retiré, -accompagné de M. Labatie, à l'auberge de Perrot. M. Labatie ne se rappela -pas précisément plusieurs des particularités alléguées par Peyrache; mais -il assura bien positivement qu'il avait vu cet accusé le jour même auquel -il lui avait fourni une quittance par suite d'un compte qu'ils venaient -de faire. - -Cette quittance, produite jusqu'alors comme une preuve irréfragable de la -présence de Peyrache à Yssengeaux, le 8 octobre 1817, fut reconnue par M. -Labatie pour être la même qui avait été mise sous les yeux de la Cour -d'assises du Puy, au mois de mars 1819. - -Au même instant, Me Tailhand père, en parcourant le contexte de -cette quittance, s'aperçut qu'elle était datée du 8 octobre -mil-huit-cent-_dix-huit_, et non du 8 octobre mil-huit-cent-_dix-sept_. -Cette circonstance, relative au millésime, et qui jusque-là avait échappé -à tous les regards, fit une si vive sensation sur l'auditoire, que -personne ne fut maître de l'émotion qu'elle devait nécessairement -produire. Quelle preuve plus forte pouvait-on acquérir du faux témoignage -de Peyrache et de l'innocence de Galland et de Rispal? - -Cette impression profonde fut encore entretenue par les éloquentes -plaidoieries des défenseurs et du ministère public, en faveur de -l'innocence calomniée et opprimée. La vérité venait d'éclairer tous les -esprits; la réponse du jury n'était plus incertaine. Après quelques -minutes de délibération, les jurés déclarèrent à l'unanimité Peyrache -coupable de faux témoignage, avec toutes les circonstances comprises dans -l'acte d'accusation. En conséquence, le prévenu, sur les conclusions du -ministère public, fut condamné aux travaux forcés à perpétuité. - -Ce procès, dont les débats durèrent quatre jours, excita dans la ville de -Riom le plus vif intérêt en faveur de Galland et de Rispal. Tous les -assistans auraient voulu pouvoir sur-le-champ briser leurs fers. - -Peyrache se pourvut en cassation contre l'arrêt qui le condamnait; mais -la Cour suprême rejeta son pourvoi par arrêt du 18 juin. Cette décision -donna lieu à la Cour de cassation de faire usage, pour la première fois -peut-être, du pouvoir que lui attribue l'article 445 du Code -d'instruction criminelle. En conséquence, et par nouvel arrêt du 9 août -suivant, elle annula le premier arrêt rendu au Puy contre Rispal et -Galland, et ordonna qu'il serait procédé contre ces derniers sur l'acte -d'accusation subsistant, devant la Cour d'assises du département de la -Loire, séant à Montbrison. - -Le jugement qui devait résulter de cette nouvelle procédure fut prononcé -le 5 décembre 1821. Sur la déclaration du jury de jugement de la Loire, -portant que Rispal et Galland n'étaient pas coupables de l'homicide qui -leur était imputé, M. Reyre, conseiller à la Cour royale de Lyon, -président des assises, prononça, après huit jours de débats, la mise en -liberté de ces deux intéressantes victimes d'un faux témoignage. Ce -magistrat leur adressa les paroles suivantes: - -«Vous fûtes victimes d'une erreur judiciaire dont la justice a à gémir -profondément, et c'est par la justice elle-même qu'elle vient d'être -réparée, autant qu'elle pouvait l'être. - -«La société à qui vous fûtes si cruellement arrachés, va vous recueillir -avec tout l'intérêt que peut être digne d'inspirer l'innocence trop -long-temps méconnue. En rentrant dans son sein, abjurez, étouffez s'il se -peut, par intérêt pour votre repos, les ressentimens que d'amers -souvenirs pourraient nourrir ou éveiller dans votre cÅ“ur. Ne songez qu'à -bénir le ciel de ce qu'il a appelé à votre secours des défenseurs si -nobles, si généreux, et de ce qu'il a éclairé la justice des hommes. -Bénissez-le aussi sans cesse de ce que votre sort rigoureux s'est trouvé -uni à celui de deux femmes, vrais modèles de leur sexe, qui par leur -tendresse pour vous, par leur courage, leur constance tout-à -fait -héroïque, vous ont aidé si puissamment à sortir purs et sans tache du -tombeau où vous étiez comme ensevelis..... Dans ce jour, va commencer -pour vous, en quelque sorte, une nouvelle vie, et l'horrible épreuve que -vous avez subie s'est trop prolongée pour que votre ruine n'en ait pas -été la suite inévitable. Mais il vous est permis d'élever vos vÅ“ux, vos -espérances vers d'augustes mains, qui ne laissent presque pas passer un -seul jour sans sécher quelques larmes, sans répandre quelques bienfaits -sur le malheur. - -«Après tant de maux que vous avez soufferts, vous ne pouvez que mériter -d'une manière toute spéciale, la protection du gouvernement, et ce ne -sera pas en vain qu'il attirera sur vous, sur vos enfans, les regards -paternels du meilleur des rois». - -On ne pourrait qu'exprimer faiblement la vive sympathie, l'intérêt -universel que l'infortune de Galland et de Rispal avait excités. Les -juges, les jurés, le public s'empressèrent de le témoigner, en envoyant -leur offrande au notaire qui avait ouvert une souscription à Montbrison -pour ces malheureux. La femme de Galland était morte le 14 décembre à -Montbrison, après dix-sept jours de maladie. Elle n'avait pu assister aux -débats que le premier jour. - -Le roi (Louis XVIII) voulant réparer, autant que possible, le tort que -Rispal avait éprouvé par suite de cette erreur judiciaire, accorda à -madame Rispal une pension de trois cents francs. - -Nous nous faisons un vrai plaisir de signaler ici le zèle et le -désintéressement des avocats qui embrassèrent la défense des deux -infortunés beaux-frères. Me Montellier, leur infatigable défenseur, -mérite surtout le tribut de nos éloges et la reconnaissance de -l'humanité. Il ne négligea rien pour faire éclater l'innocence de ses -cliens; démarches actives, conseils éclairés, consultations de médecins -et avocats célèbres, tout fut mis en usage par lui pour parvenir à son -noble but, et rien ne put rebuter sa persévérance généreuse. Aussi -reçut-il la récompense de sa belle conduite; la libération de Rispal et -de Galland était en grande partie son Å“uvre: il en a partagé l'honneur, -et il y a joint cette intime et douce satisfaction, qui est le prix le -plus précieux de toute bonne action. - - - - -TRAIT DE FÉROCITÉ D'UN FORÇAT. - - -En octobre 1822, un forçat à vie fut condamné à la peine de mort, pour -avoir porté un coup de couteau à un agent de surveillance du bagne. Ce -misérable subit son jugement avec une sorte de plaisir, s'il est permis -de s'exprimer ainsi; et loin de manifester aucun repentir de son crime, -il exprima le regret de n'avoir pu atteindre le sous-commissaire, -directeur du bagne. - -Il avoua cependant que son compagnon de chaîne, surnommé _Casquette_, -aussi condamné à vie, avait, comme lui, conçu le dessein de se venger de -prétendues vexations qu'il disait avoir essuyées de la part de son -gardien. - -Sur cet avis, on fit passer Casquette dans une autre salle où il devint -l'objet d'une surveillance plus active; malgré toutes ces précautions, le -nommé Ricoux, sous-adjudant de surveillance, et père de famille, eut le -malheur de tomber sous les coups de ce scélérat. Ce Ricoux assistait le -soir à la distribution; au moment où il entrait, une chaîne de forçats -revenait des travaux. Casquette profita de la confusion pour se couler -auprès de lui, et feignant de s'incliner pour marchander un quart de vin, -il sortit de sa poche, en se relevant, un couteau à deux tranchans qu'il -lui plongea dans le ventre. Alors Ricoux, dont une partie des entrailles -sortait avec des flots de sang, tomba à la renverse, privé de sentiment. - -Un chaloupier (c'est ainsi qu'on désigne ceux qui rament dans les -embarcations), également condamné, pour épargner à Ricoux de nouvelles -blessures, vint s'interposer entre lui et le meurtrier; mais sept à huit -coups de couteau furent le prix de son dévouement. M. le sous-commissaire -Rignoux étant arrivé au moment où on se saisissait de ce furieux, -celui-ci n'exprima qu'un regret atroce, celui de le voir arriver deux -minutes trop tard: «Mais n'importe, lui dit-il, vous ne perdrez rien pour -attendre; car j'en connais vingt autres qui ont formé le même dessein que -moi.» - -Ce monstre, condamné à mort par le tribunal maritime, témoigna -constamment le regret qu'il avait exprimé, jusqu'au moment où il reçut la -peine due à ses crimes. - - - - -JEUNE FILLE - -ASSASSINÉE PAR SON CORRUPTEUR. - - -Le crime dont nous allons rapporter les principales circonstances fut -surtout inspiré par une vaniteuse ambition qui ne se trouve que trop -communément dans toutes les classes de la société. - -Le jeune Maurice Salgue éprouvait depuis trois ans une passion violente -pour Catherine Fondegoire, qui demeurait dans la même paroisse que lui; -en vain il avait cherché souvent à assouvir sa passion, et fait plusieurs -fois des tentatives que la résistance de la jeune fille avait rendues -inutiles. Mais enfin, et pour son malheur, elle céda aux poursuites de -Maurice Salgue, et devint enceinte. Jean-Baptiste Salgue père était -riche, et n'aurait jamais consenti au mariage de son fils avec Catherine, -qui était pauvre; sa famille même se sentait humiliée d'une pareille -liaison. Maurice avait promis de lui donner des secours pour ses -couches. - -Catherine avait fait confidence de sa grossesse et des dispositions de -Maurice au curé de sa paroisse, chez qui les deux amans devaient se -rendre conjointement pour prendre des arrangemens. - -Au jour indiqué, Catherine fut aperçue, le soir, près de la maison des -Salgue; depuis cette époque, elle disparut. On soupçonna qu'elle avait -été la victime d'un horrible attentat. Des perquisitions furent faites -dans la maison des Salgue et dans leur jardin. On trouva dans la maison -un couteau en forme de stylet, encore tout ensanglanté, et dans le -jardin, qu'on fit bêcher en totalité, on découvrit le cadavre de la -malheureuse Catherine. - -L'examen que l'on fit de ce cadavre fit reconnaître que des coups de -couteau lui avaient été portés à la gorge; que, pour étouffer les cris de -la victime, on lui avait mis un bâillon de paille, enfoncé si fortement -dans la bouche, sans doute avec un bâton, qu'on eut peine à le retirer; -qu'on l'avait de plus étranglée à plusieurs reprises, d'abord avec les -mains, puis avec un mouchoir noué et serré avec force. - -Un grand nombre de témoins furent entendus dans cette affaire, dont les -débats durèrent quatre jours. Le père Salgue mourut dans sa prison, trois -jours avant le jugement; ses deux fils, Pierre et Antoine furent -acquittés. Quant à Maurice, une foule de circonstances donnaient la -conviction la plus intime de sa culpabilité. Il fut condamné à la peine -de mort, par la cour d'assises de Riom, le 4 janvier 1822. - - - - -LE CURÉ MINGRAT. - - -Lors de la publication de nos deux premiers volumes, un journal, se -fondant sur ce que plusieurs articles ont traité de crimes commis par des -princes, des seigneurs ou des prêtres, montra la plus grande répugnance à -insérer l'annonce relative à cet ouvrage, et ne le fit qu'avec une -insigne mauvaise volonté. Nous respectons les scrupules des rédacteurs de -cette feuille; mais qu'il nous soit permis de ne pas les partager. Nous -sommes loin d'aimer le scandale. A nos yeux, le scandale n'est, le plus -souvent, qu'une Å“uvre de méchanceté qui se recommande aux -applaudissemens des passions ou de la sottise. Tout-à -fait en dehors de -la politique des partis, ne caressant aucune opinion aux dépens d'une -opinion contraire, n'ayant qu'un poids et qu'une mesure, nous n'avons -qu'une seule ambition, celle de faire tourner notre travail au profit de -la raison et de la morale. - -Nous ne concevons pas qu'il puisse y avoir scandale à parler d'un crime, -quand le coupable se trouve placé haut dans la hiérarchie sociale, ou -bien quand il fait partie de quelque corps puissant. Le crime ne doit-il -pas être réprimé et puni partout où il se trouve? Et si quelque classe -pouvait réclamer le privilége de l'indulgence, ne serait-ce pas plutôt -celle qui se trouve privée des lumières de l'éducation? Vainement -l'esprit de parti, si exclusif dans ses jugemens, vainement l'esprit de -corporation, qui ne se montre pas moins injuste dans son égoïsme, jettent -les hauts cris quand la justice met sa main de fer sur quelqu'un de leurs -affiliés dont le crime est flagrant. Cet homme est un prêtre, un ministre -de la religion. Faudra-t-il donc pour cela qu'il puisse être assassin -impunément? Ou plutôt le vrai scandale ne viendra-t-il pas de la part de -ceux qui, par un esprit de corps mal entendu, chercheront à soustraire le -criminel à la vindicte des lois? Comment expliquer cette susceptibilité -maladroite, manifestée par le clergé dans plusieurs circonstances -déplorables? Les fautes, les crimes même de quelques-uns de ses membres, -peuvent-ils altérer en rien la réputation de vertu et de sainteté dont -jouit à juste titre l'auguste ministère du sacerdoce? N'est-ce pas au -contraire assumer sur soi la honteuse solidarité d'actes répréhensibles -ou criminels, que protéger ceux qui s'en sont rendus coupables? Une armée -ne se croit pas déshonorée par la désertion de quelques lâches; elle les -voue au mépris et les repousse à jamais de son sein. La justice déplore -toute espèce de prévarication commise par l'un de ses agens; mais loin de -chercher à étouffer son crime, elle lui inflige une punition exemplaire -et le bannit à toujours de son sanctuaire. - -Il serait bien temps, ce semble, que le bon sens public fît enfin justice -de ce préjugé barbare qui fait encore peser sur toute une famille, sur -tout un corps, la faute d'un seul individu. Les fautes sont personnelles, -et il ne doit rien en rejaillir sur ceux qui en sont innocens. Pour que -cette importante vérité pût s'infiltrer dans les masses, il faudrait -nécessairement, il serait à désirer qu'elle descendît de plus haut, et -surtout qu'elle fût professée publiquement par les prêtres, eux que leurs -fonctions rapprochent à toute heure des classes pauvres et ignorantes. Ce -serait un moyen d'inspirer de la confiance à tous, de raffermir la foi -dans les cÅ“urs chancelans, et de l'entretenir dans les âmes pieuses et -candides des vrais croyans. - -Quel tort pouvait éprouver la religion de l'attentat commis par Mingrat? -Que pouvait-on, à cette occasion, reprocher au clergé, sinon sa trop -grande facilité à admettre, presque sans examen, parmi les lévites du -Seigneur, une foule de jeunes gens sans vocation, et qui n'embrassent cet -état que _pour faire leur chemin_? Certes, les crimes isolés des Mingrat -et des Contrafatto ne peuvent porter atteinte à cette glorieuse religion -qui a produit un Las-Casas, un Vincent de Paul, un François de Sales, un -Belzunce, un Cheverrus, et tant d'autres hommes de sagesse et de vertu; à -cette religion bienfaisante dont tous les pas sont marqués par une rosée -inépuisable de dons et de bénédictions; à cette religion prévoyante, qui -fait qu'il se trouve «un homme dans chaque paroisse qui n'a point de -famille, mais qui est de la famille de tout le monde, qu'on appelle comme -témoin, comme conseil ou comme agent, dans tous les actes solennels de la -vie civile; sans lequel on ne peut naître ni mourir, qui prend l'homme au -sein de sa mère, et ne le quitte qu'à la tombe; qui bénit ou consacre le -berceau, la couche conjugale, le lit de mort et le cercueil; un homme que -les petits enfans s'accoutument à aimer, à vénérer et à craindre; que les -inconnus mêmes appellent mon père; aux pieds duquel les chrétiens vont -répandre leurs aveux les plus intimes, leurs larmes les plus secrètes; un -homme qui est le consolateur, par état, de toutes les misères de l'âme et -du corps, l'intermédiaire obligé de la richesse et de l'indigence, qui -voit le pauvre et le riche frapper tour-à -tour à sa porte: le riche, pour -y verser l'aumône secrète, le pauvre pour la recevoir sans rougir; qui, -n'étant d'aucun rang social, tient également à toutes les classes; aux -classes inférieures, par la vie pauvre, et souvent par l'humilité de la -naissance; aux classes élevées, par l'éducation, la science et -l'élévation de sentimens qu'une religion philanthropique inspire et -commande; un homme enfin qui sait tout, qui a le droit de tout dire, et -dont la parole tombe de haut sur les intelligences et sur les cÅ“urs, -avec l'autorité d'une mission divine et l'empire d'une foi toute faite.» - -Cette belle et touchante définition du bon curé, dans laquelle M. de -Lamartine n'a fait que peindre d'après nature un grand nombre de pasteurs -de nos villes et de nos campagnes, contrastera sans doute horriblement -avec les faits que nous allons rapporter. Mais du moins cette citation, -ainsi que les réflexions qui la précèdent feront voir que nous ne -confondons nullement la religion et ses ministres fidèles avec quelques -misérables, qui, sous le masque d'une pieuse hypocrisie, se rendent -coupables des plus noirs forfaits. - -Antoine Mingrat était né à Grand-Lamps, petit village du Dauphiné, à -quelques lieues de Saint-Quentin. Sa mère, dont le caractère était un -mélange d'ambition et de fanatisme religieux, lui inspira de bonne heure -le goût des choses matérielles du culte. Comme Mingrat aimait à primer -sur tous ceux qui l'entouraient, et qu'il avait entendu sa mère parler -avec déférence des gens d'église, il résolut de se vouer à l'état -ecclésiastique; et son imagination, d'ailleurs active, ne s'occupa plus -que du soin de s'en assurer les moyens. - -Voici ce qu'on raconte à ce sujet. Un jour que son enthousiasme était -porté au comble, il fit part de son projet à de jeunes filles, chez la -mère desquelles madame Mingrat prenait des leçons d'accouchement, à -Grenoble. Celles-ci s'offrirent de le tonsurer; il courba son front, et -bientôt ses cheveux tombèrent sous les ciseaux. L'opération terminée, il -vole chez sa mère; elle était absente. Il emploie cet instant à se -composer un maintien doctoral, prend un livre et s'étudie à déclamer -comme les prédicateurs qu'il entendait chaque jour. Il était dans cette -attitude grotesque, lorsque sa mère rentra; il courut au-devant d'elle, -et d'un air triomphant, lui montra sa tonsure. Madame Mingrat, étonnée, -demanda la cause de ce qu'elle attribuait à un accident. «Ah! ma mère, -répondit Antoine avec émotion, on m'a fait prêtre! Telle est la volonté -du ciel.» A ces mots, sa mère, enflammée d'un saint courroux, vola chez -les joyeuses tonsurières, qui s'étaient fait un jeu du désir du jeune -Mingrat, les accabla d'invectives, cria au sacrilége, et sortit en disant -que son fils n'était pas digne de recevoir les ordres. Revenue chez elle, -vainement voulut-elle faire entendre à son fils que l'on n'avait fait -qu'abuser de sa crédulité; Antoine s'obstina et lui jura que sa -résolution était prise irrévocablement, que le ciel l'appelait à la -prêtrise, et qu'il suivrait sa vocation en dépit de tous. - -Néanmoins, Mingrat fut mis en apprentissage chez un peigneur de chanvre, -d'où il fut bientôt honteusement chassé pour son indocilité et sa -paresse. Une de ses tantes qui l'aimait tendrement, le fit venir auprès -d'elle. On intéressa en sa faveur une dame influente et riche. La -protectrice voulut voir Antoine; il lui fut présenté. Elle l'interrogea -sur ses goûts, son éducation, ses habitudes: on parla de religion. -Mingrat venait d'atteindre sa seizième année: il brûlait d'entrer dans -l'état ecclésiastique; il répondit à toutes les questions avec assez de -justesse; et telle était sa prévoyante adulation, qu'il ne parla devant -cette dame que de Dieu, de son divin Rédempteur; et pour mieux encore -édifier ses auditeurs, il accompagnait chacune de ses paroles d'un signe -de croix. - -Dupe de ses pieuses grimaces, cette dame le fit entrer au séminaire de -Grenoble, croyant ce jeune homme appelé à donner un nouveau lustre à la -carrière qu'il voulait embrasser. - -Toutefois, malgré sa prétendue vocation, Mingrat, une fois installé, ne -se distingua ni par son application ni par sa conduite; mais il possédait -un art qui lui tenait lieu de tout le reste, celui de s'emparer par de -basses adulations de la confiance de ses supérieurs. Il était même devenu -l'agent secret des délations auxquelles ont recours presque -indistinctement tous ceux qui ont à gouverner ou à diriger un grand -nombre d'individus. Par ce moyen honteux, il obtenait des priviléges -exclusifs, dont il profitait pour se soustraire aux rigueurs de la vie -claustrale, et passer dans des lieux de débauche des momens qu'il eût pu -donner à d'honnêtes amusemens. - -Enfin Mingrat fut ordonné prêtre; c'était le but de son ambition. -_Oserait-on_, disait-il souvent, _attaquer la réputation d'un prêtre_? Le -caractère sacré dont il venait d'être revêtu semblait être à ses yeux une -autorisation de tout faire avec impunité. Nommé à la cure de Saint-Aupe, -il ne tarda pas à commencer sa vie scandaleuse, et ne contraignit plus -ses inclinations ni son caractère. Son presbytère devint un lieu de -scandale; et quoiqu'il ne négligeât rien pour cacher sa conduite, on -connut bientôt ses intrigues clandestines. La désunion de plusieurs -ménages, le déshonneur de plusieurs filles, attestèrent son séjour dans -cette paroisse. - -Plus d'une fois, abusant de la force extraordinaire dont la nature -l'avait doué, il l'employait contre les femmes qu'il ne pouvait gagner -par ses discours; plus d'une fois aussi, il dut à sa brutalité ce qui -n'était réservé qu'à l'amour. Les habitans de Saint-Aupe lui témoignèrent -souvent leur indignation, et le menacèrent d'avoir recours aux autorités -pour l'éloigner d'une paroisse dont il était le fléau, au lieu d'en être -le père. Mais Mingrat se riait de leurs impuissantes menaces. Cependant, -et malgré son inconcevable audace, l'indigne curé commençait à -s'apercevoir que ses désordres étaient connus de ses supérieurs. Une -nouvelle liaison avec la fille d'un de ses paroissiens ameutant contre -lui tous les habitans, ceux-ci allèrent en foule se plaindre aux -autorités, et peu après, Mingrat reçut l'ordre d'abandonner son -presbytère. Le curé de Mirebel lui écrivit à cette occasion une lettre de -reproches dans laquelle il lui disait textuellement: «Mettez une montagne -entre vous et les hommes.» Mingrat ne pouvait suivre un semblable -conseil. Chassé de Saint-Aupe, il fut envoyé à Saint-Quentin, pour le -malheur de cette commune. - -A son arrivée dans sa nouvelle paroisse, Mingrat, pour détruire -l'impression des bruits qui l'y avaient précédé, et pour faire croire -qu'il avait été victime de la calomnie, afficha une grande austérité de -principes. Son caractère dominateur se faisait surtout remarquer dans ses -sermons. Il exerçait le despotisme le plus révoltant, au nom d'un Dieu de -paix et de miséricorde. Dès son apparition à Saint-Quentin, les danses, -les jeux, les plus innocens plaisirs furent défendus. Le jour de la fête -patronale, la jeunesse s'étant réunie, animée par la gaîté, crut pouvoir -se permettre d'enfreindre un moment les ordres du curé; on dansa. Mingrat -les épiait. Il monta dans le haut du clocher, et regardant par un trou, -il fut le spectateur des plaisirs qu'il avait anathématisés dans ses -sermons. Les jeunes gens s'apercevant des menées du pasteur, ne firent -qu'en rire. Mingrat se promit bien de prendre sa revanche. Le dimanche -suivant, réunissant tous les foudres de son éloquence, il laissa tomber -de la chaire sainte ces mots foudroyans: «Vous avez foulé aux pieds les -cendres de vos ancêtres, qui sont là -bas au diable!...» La place où l'on -avait dansé avait été un cimetière; c'est ce qui expliquait l'étrange -mouvement oratoire du pasteur irrité; et l'on peut juger de l'effet que -dut produire un sermon de ce genre. - -A cette époque, Mingrat avait à peine atteint sa vingt-huitième année. -Par ce rigorisme extérieur, par cette autorité despotique, il semblait -préluder en silence et dans l'ombre au forfait qui bientôt devait frapper -d'épouvante et de douleur les paisibles habitans de Saint-Quentin. Du -reste, son hypocrisie ne pouvait en imposer qu'à des âmes crédules et -timorées, car son extérieur était un indice assez fidèle de ce qui se -passait au-dedans de lui. Des cheveux noirs et plats, un front -très-étroit, des sourcils très-épais ombrageant un Å“il brun, sombre et -faux; un regard farouche, des lèvres épaisses, n'exprimant que la colère -ou le dédain; une taille élevée, massive, et presque gigantesque: tel -était au physique l'homme que l'on avait envoyé à Saint-Quentin comme -l'apôtre et le vicaire d'un Dieu de miséricorde, de consolation, de -mansuétude et de paix, d'un Dieu qui sur la croix bénissait ses -bourreaux, d'un Dieu que l'on représente sous la forme symbolique du plus -doux, du plus inoffensif des animaux. - -Mais, malgré l'imposture la plus habilement calculée, un cÅ“ur corrompu -par les passions les plus honteuses et par les goûts les plus dépravés, -ne peut, quelque gêne qu'il veuille s'imposer, tenir long-temps cachée la -plaie honteuse qui le ronge. Il ne faut qu'une occasion pour lui arracher -son masque frauduleux, et mettre à nu toute sa laideur. Cette -circonstance se présenta bientôt pour Mingrat. - -Maintenant que nous avons tracé le portrait de l'assassin, nous allons -essayer de faire connaître sa victime. - -A un quart de lieue de Saint-Quentin, au hameau du Gît, paroisse -desservie par Mingrat, vivait en paix un couple heureux, Étienne -Charnalet et Marie Gérin. Retiré du service en 1817, Étienne avait -rapporté dans ses foyers des marques distinctives de sa bravoure et une -médiocre aisance. Il avait épousé Marie, en qui la beauté ne semblait -qu'être le complément des plus rares qualités. - -Les deux époux vivaient dans la plus parfaite union depuis six ans, -lorsque la mère de Marie mourut. Religieuse par besoin, pieuse par -sentiment, Marie redoubla encore de ferveur, par suite de cet événement. -Cette piété la portait, en toute occasion, à concourir avec zèle à tous -les soins qu'exigeaient l'entretien et l'arrangement de l'église. Ce -louable empressement, qui lui conciliait tous les éloges, la fit surtout -remarquer par le nouveau pasteur. Celui-ci conçut pour elle une passion -coupable, et ne songea plus qu'aux moyens de la faire partager, ou du -moins de la satisfaire, à quelque prix que ce fût. Plusieurs fois il se -rendit chez Marie pour l'entretenir de l'amour criminel qu'elle lui avait -inspiré; mais celle-ci lui faisait accepter les épargnes qu'elle -destinait aux pauvres, et Mingrat, réduit au silence, trouvait dans la -vertu de celle qu'il convoitait un obstacle à ses desseins libidineux. -Déjà trois mois s'étaient écoulés depuis qu'il desservait la cure de -Saint-Quentin, et il n'était point encore parvenu à faire comprendre à -Marie le véritable but de ses fréquentes visites, lorsqu'il apprit par -elle, le 7 mai 1822, que l'on devait célébrer le 9, à Veurey, village -situé à deux lieues de Saint-Quentin, une première communion. Aussitôt -son imagination s'enflamme; il entrevoit la possibilité de réaliser ses -coupables projets. Le lendemain, il se rend chez un sieur Bourdes, l'un -des voisins de Marie, afin de donner le change sur ses intentions; il dit -à cet homme, qu'ayant appris que madame Charnalet se rendait le lendemain -à Veurey, il vient la charger d'une lettre pour le curé de cette -paroisse. Le fils de Bourdes s'offre d'accompagner Mingrat jusque chez -Marie; et celui-ci, n'osant pas refuser, ils sortent ensemble. Marie -était seule; elle les reçut avec sa franchise accoutumée. Mingrat, que la -présence du jeune Bourdes contrariait, attendit, pour parler du véritable -objet de sa visite, que l'importun témoin eût pris congé. Bourdes partit -en effet quelques instans après, et le curé s'applaudissait déjà du -tête-à -tête qu'il avait su se ménager, quand une nouvelle visite vint le -troubler; néanmoins il demeura intrépidement jusqu'à ce que ce dernier -venu se fût aussi retiré. Resté seul, pour la seconde fois, avec celle -dont il méditait le déshonneur ou la perte, il aurait bien voulu hasarder -un aveu non équivoque, mais le lieu ne lui parut pas favorable à -l'exécution de ses vues criminelles; aussi n'entretient-il Marie que du -voyage de Veurey et de la lettre dont il voulait la charger. Mais pour -attirer plus sûrement sa faible proie dans le piége que lui avait tendu -sa scélératesse, il dit qu'il n'avait pas cette lettre sur lui, et qu'il -ne pourrait la lui remettre que dans la soirée, lorsqu'elle viendrait se -confesser à Saint-Quentin. La chose étant ainsi arrangée, Mingrat était -au comble de ses vÅ“ux. Cependant, avant de se retirer, il aurait désiré -informer Marie de son amour. Il lui fit lecture d'un livre qui traitait -de l'amour du créateur; l'infâme n'y voyait que celui de la créature. Il -espérait faire naître dans le cÅ“ur de Marie la pensée adultère qui -préoccupait vivement son imagination en délire. Mais la candide Marie, -édifiée et non séduite, ne voyait dans les expressions du curé qu'une -ferveur évangélique qu'elle interprétait dans le sens de ses sentimens -religieux. Il en était de même des gestes significatifs dont le curé -accompagnait sa lecture. - -Après cette lecture, Mingrat recommande à sa pénitente de ne pas manquer -de venir le trouver le soir même. Celle-ci n'eut garde d'y manquer; mais -avant de se rendre à l'église, elle prévint ses voisines qu'elle allait à -confesse. L'infortunée était loin de soupçonner qu'elle allait à la mort. - -Marie arriva, à cinq heures, à la porte de l'église; lorsqu'elle y fut -entrée, elle n'aperçut qu'une seule personne, une dame de Saint-Michel, -ancienne religieuse qui terminait sa prière. Marie, en attendant le -prêtre, alla se prosterner aux pieds de la statue de la Vierge. Madame de -Saint-Michel allait quitter l'église, lorsqu'elle vit à la porte du -clocher voisin de l'autel, un grand fantôme noir, ne présentant ni bras -ni jambes, et paraissant surmonté d'un chapeau de forme triangulaire; le -fantôme approche ou plutôt il s'élance vers Marie, mais s'arrêtant -tout-à -coup, il recula et disparut par la porte du clocher. Madame de -Saint-Michel, tremblante, se hâte de quitter son banc, mais en passant -devant Marie, elle s'arrête un instant afin de pouvoir l'avertir par un -signe de fuir ce lieu redoutable. Marie, occupée de sa prière, ne tint -aucun compte de ce salutaire avertissement. Le fantôme n'était autre que -Mingrat, qui, caché dans un large manteau, était venu épier Marie, et -s'était retiré précipitamment aussitôt qu'il avait aperçu madame de -Saint-Michel. - -Sûr alors d'être seul, Mingrat dépouille son lugubre accoutrement et -s'approche de Marie. Il lui dit qu'il ne la trouve pas mise assez -décemment pour être confessée dans l'église; il l'invite à l'accompagner -au presbytère, où il l'entendra, dit-il, plus paisiblement, et pourra lui -remettre la lettre en question. Marie, soumise et confiante, ne fait -aucune difficulté d'accompagner le prêtre. Arrivée avec lui dans un -arrière-cabinet dont la porte est aussitôt fermée avec soin, la -malheureuse commence à connaître l'homme qu'elle considérait comme un -respectable protecteur. Mingrat ne perd pas le temps, il saisit d'un bras -vigoureux la tremblante Marie; il la bâillonne pour s'assurer de son -silence; il l'entraîne sur un lit qui devait être le lit de mort de sa -victime. - -Il n'y eut aucun témoin de cette scène horrible; mais, comme tout fut -éclairé par les débats, et que des faits racontés par la servante de -Mingrat, et des inductions tirées de l'état du cadavre, il résulta des -preuves irrésistibles, nous allons essayer de retracer les principales -particularités de cette lutte abominable. - -Le monstre, fatigué par ses vains efforts, effrayé des cris prolongés et -sourds de la victime, ne voit plus que l'impérieuse nécessité d'accélérer -son dernier moment. D'un bras vigoureux, il lui serre la gorge, et son -genou, appuyé sur sa poitrine, il appelle et attend son dernier soupir -qu'il surprend inhumainement sur les lèvres de la mourante Marie, dont la -vertu et le courage semblent survivre à ses forces éteintes. La servante -du curé, attirée par le bruit extraordinaire qu'elle vient d'entendre, -était montée jusqu'à la porte, et avait, par ses cris, contraint Mingrat -d'abandonner sa victime. «Ah! monsieur! dit-elle en apercevant son maître -l'Å“il hagard et en désordre, que vous m'avez fait peur! J'ai cru que -vous alliez mourir. «Taisez-vous, taisez-vous! répond le curé en délire, -vous êtes une imbécille.» Puis il retourne vers le lit où Marie expire, -mêler les frissons de son atroce passion au râle effrayant de la -mort.... A sept heures et demie le crime était consommé, l'infortunée -avait cessé de vivre. - -Cependant le besoin de veiller à sa sûreté, rappelle bientôt Mingrat à -lui-même; il se résout à éloigner sa domestique indiscrète, et à cet -effet, il lui ordonne de porter un journal à un sieur Heuraud, qui -demeurait environ à quinze minutes du bourg. Cette fille, n'osant -insister, prit le journal, feignit d'obéir, et comme tout ce qu'elle -venait de voir lui semblait extraordinaire, elle se borna à rôder autour -du presbytère. Suivant les dépositions de cette fille, le curé ne l'eut -pas plus tôt éloignée, qu'il courut au fatal cabinet; celle-ci, étonnée -de l'y voir paraître, grimpa sur un portail qui le dominait, et fut -surprise par son maître; de sorte que son indiscrétion faillit lui être -funeste. - -Mingrat lui commanda de nouveau, d'un ton menaçant, de faire sa -commission; et profitant de la courte absence de la servante, pour -préparer les moyens de faire disparaître le cadavre, il se munit d'un -couteau, de plusieurs ficelles et dépouilla entièrement Marie de ses -vêtemens. - -Il cache ensuite soigneusement les hardes de cette infortunée, à -l'exception de son mouchoir de cou; il attache les deux pieds ensemble -avec la plus longue des cordes; les deux bras sont également attachés, -croisant sur la poitrine. Sur ces entrefaites, revient la servante; le -curé est encore forcé d'interrompre son affreux travail. Il interroge -cette fille sur ce qu'elle a vu. Celle-ci déclare tout ignorer; il lui -recommande le silence sur tout ce qu'elle avait pu entendre. Contre son -ordinaire, le curé n'avait pas encore soupé. La domestique, n'osant -toucher à la table, prend un livre de prières. Des cris redoublés se font -entendre à la porte du presbytère; Mingrat se présente, en s'écriant -brusquement: Qui est là ?..... C'était Charnalet, l'époux de Marie, qui, -accompagné de plusieurs parens, venait demander au curé s'il n'avait pas -vu sa femme. Mingrat répond que non. Charnalet insiste; on lui avait -affirmé que Marie était entrée dans l'église à six heures du soir; le -curé embarrassé répond en balbutiant: «En effet, je l'ai vue dans -l'église, où elle priait dévotement. Elle m'a demandé à être confessée; -ce que j'ai refusé, à cause qu'elle n'était pas mise avec assez de -décence, et depuis ce moment je ne l'ai pas revue.» Puis il quitta -brusquement Charnalet, dans la crainte qu'une plus longue conversation ne -le trahît, ou que le malheureux époux ne fût tenté d'entrer au -presbytère. Charnalet retourne chez lui, espérant encore y retrouver sa -femme. Vaine espérance! elle n'avait pas encore reparu. Il revient à -l'église, en parcourt tous les détours, appelle Marie.... Les échos seuls -répondent à ces touchans appels. - -Cependant Mingrat, après avoir congédié Charnalet, se débarrassa de sa -servante qui ne couchait pas au presbytère, et immédiatement après son -départ, il courut auprès du cadavre de Marie et le soulevant avec force, -il le descendit par une fenêtre, au moyen de cordes, au pied du mur de la -maison. Puis, cachant la lumière, il vint aussitôt dans la basse-cour, -s'empara de la corde, et se mit en devoir de traîner le corps inanimé de -la malheureuse Marie sur les ronces et sur les cailloux, jusque vers -l'Isère, à un quart de lieue de Saint-Quentin. Le temps était orageux; -la nuit, sombre, semblait protéger le scélérat de son obscurité. Il -arrive sur le lieu que l'on appelait la Roche, où deux marches pratiquées -dans le roc présentent un obstacle à surmonter; il s'élance au-delà des -escaliers, tirant après lui le corps meurtri, qui, en rebondissant, -laisse sur les marches rocailleuses des lambeaux de chair et des cheveux, -vestiges délateurs qui devaient bientôt servir à convaincre Mingrat de -son crime. - -De la Roche aux bords de l'Isère, il y avait un assez long espace à -parcourir. Mingrat, épuisé par les efforts qu'il avait déjà été obligé de -faire, cherche un moyen d'alléger sa charge; il tire un couteau de sa -poche; il porte un premier coup obliquement depuis l'épaule droite -jusqu'au-dessous du côté gauche, et partage tout le sein droit; mais les -membres du cadavre offrant de la résistance à ses barbares efforts, il -attache le corps sanglant par une jambe à l'arbre le plus prochain, se -saisit de l'autre jambe, et par de nombreuses et violentes secousses, -s'efforce inutilement de séparer les jambes du tronc. Dans sa rage, il -imagine un autre moyen; il court au presbytère, y prend un couteau à -hacher, à l'usage de la cuisine, qui, d'après la déclaration de la -servante, était tout couvert de rouille, et revient à la Roche achever -son ouvrage de cannibale. Cette fois, il réussit au gré de ses désirs; -les jambes sont séparées du tronc; il les lance dans un ruisseau voisin -qui se jetait dans l'Isère. Il revient de nouveau sur le théâtre de son -affreux charnier, se charge du tronc et le précipite bientôt dans le -fleuve, en laissant, par un calcul horrible, sur la rive, le mouchoir de -cou de Marie, afin de faire naître le soupçon que cette malheureuse -s'était noyée. - -Après cette effroyable boucherie, Mingrat, retourné dans son repaire, -songe à faire disparaître tous les indices qui pourraient déposer contre -lui; il dépouille sa soutane, et la joignant aux vêtemens de Marie, il y -met le feu et en jette les cendres dans une fosse d'aisances qu'il -recouvre de terre fraîche; puis, il nettoie soigneusement le couteau à -hacher, se rhabille proprement et attend le jour, en s'efforçant de -rendre à son visage le calme de l'innocence. - -Mais, malgré toutes ses minutieuses précautions, son crime allait -bientôt être découvert. Quelques instans avant le jour, Joseph Michon, -laboureur à Saint-Quentin, passant sous la Roche, à l'endroit même où -Mingrat avait dépecé le cadavre, aperçut une place à terre de la largeur -de deux pieds, couverte de sang fraîchement répandu, et près de là , une -corde ensanglantée. Effrayé, il approche, regarde autour de lui, et -trouve, à quelques pas plus loin, au pied d'un noyer, une place semblable -à la première; il regarde avec plus d'attention, et rencontre bientôt un -couteau à manche, souillé de sang, enfoncé dans la terre. Un mouvement -d'horreur lui fait d'abord jeter ce couteau dans un buisson; mais -réfléchissant que cet indice pouvait mettre sur la trace des auteurs d'un -crime, il le ramasse, le lave avec soin, et retourne chez lui pour le -renfermer. - -Le féroce Mingrat, vivement préoccupé de toutes les précautions à prendre -pour cacher ses horreurs, se rappelle qu'il s'est d'abord servi d'un -couteau; il le cherche avec anxiété, et s'aperçoit qu'il l'a oublié sur -le théâtre de son forfait. Saisi d'effroi, il court en toute hâte à la -Roche où il l'avait laissé. Mais, inutiles recherches! l'instrument -accusateur avait disparu. Deux bouchers du pays, qui passaient en ce -moment près de la Roche, furent étonnés de rencontrer le curé, à cette -heure, en un semblable endroit; ils remarquèrent son air inquiet et son -agitation; et leur étonnement fut à son comble quand, après son départ, -ils virent des flots de sang répandu dans les lieux qu'il venait de -quitter. - -De retour chez lui, Mingrat appelle sa servante et d'une voix menaçante, -il l'interpelle ainsi: «Qu'avez-vous vu?.... répondez!» La malheureuse ne -sait que répondre. «Je n'ai rien vu, dit-elle en tremblant; j'ai entendu -des gémissemens; j'ai cru que vous alliez mourir.» Quelques instans -après, en faisant le ménage, elle trouve le chapelet de la malheureuse -Charnalet à moitié brûlé, et un pressentiment sinistre, dont elle ne peut -se rendre compte, la pousse à le déposer dans un trou du mur sous le -hangar. Chaque pas qu'elle fait dans le presbytère lui fait faire une -nouvelle découverte. Là , ce sont des cendres et quelques morceaux de -linges à demi brûlés; ailleurs, de la paille encore ensanglantée; plus -loin, un lambeau de chair; enfin le couteau à hacher qu'elle savait être -rouillé, est brillant; elle ne peut douter qu'il n'ait été tout récemment -nettoyé. Malgré la faiblesse de son esprit, elle conçoit d'horribles -soupçons. Elle prend la résolution de quitter le service d'un maître dont -la conduite lui semble si étrangement mystérieuse. - -Pendant ce temps, le malheureux Charnalet, en proie aux plus vives -alarmes, avait cherché sa pauvre Marie partout où il avait eu quelque -espoir de la trouver. Il revint à la ferme du Gît, le désespoir dans le -cÅ“ur. Déjà le bruit de la mort de sa femme s'était répandu; son -mouchoir, trouvé sur les bords de l'Isère, avait fait croire au -stratagème de Mingrat. Cet événement donnait lieu à mille conjectures. -Une cousine de Marie, accompagnée de quelques voisines, alla trouver -Mingrat qui se promenait gravement, son bréviaire à la main. «Ah! -monsieur le curé, lui dit la crédule cousine, si vous l'aviez confessée -comme elle le désirait, peut-être l'eussiez-vous détournée de son fatal -projet!--Je la vis en effet dans l'église, répondit l'hypocrite; elle -priait dévotement. Elle vint à moi, me témoignant le désir d'être -confessée; mais la voyant mise peu décemment, lui trouvant d'ailleurs -l'Å“il hagard, je la renvoyai à un autre jour. Je suis bien aise, au -contraire, d'avoir refusé de l'entendre; car si je l'eusse confessée, et -qu'elle eût péri tout de même, l'on m'aurait donné tort et l'on m'aurait -dit que j'étais cause de sa mort, ayant exalté son imagination..... -Pourtant voyons! descendons vers la Roche.» Ils se rendirent en effet -dans cet endroit; une foule de personnes en exploraient les alentours. -Mingrat ne craignit pas de paraître au milieu de cette multitude -rassemblée. Son front calme, quoique sévère, ne laissait rien paraître -des sentimens qui devaient l'agiter. - -Après cette démarche audacieuse, Mingrat revint au presbytère, où sa -servante l'attendait pour lui demander à quitter son service... «Montez! -Votre ouvrage n'est point ici, s'écria le curé en l'apercevant.--Oh! -monsieur, répliqua-t-elle avec effroi; je n'y saurais tenir: laissez-moi -m'en aller!» Ces mots firent comprendre à Mingrat que cette fille avait -deviné ou découvert son crime. Il la saisit d'un bras vigoureux, -l'entraîne au pied du sanctuaire, et d'une main, retirant du tabernacle -le Saint-Sacrement, et de l'autre lui tenant avec force le bras tendu -vers l'autel, il la contraignit de jurer qu'elle garderait le plus -profond silence sur tout ce qu'elle avait vu. La tremblante domestique -obéit et répéta le serment que Mingrat dicta lui-même. Ce serment, -prononcé dans de telles circonstances, fit une si forte impression sur -l'esprit faible de cette pauvre fille, qu'elle ne consentit à révéler à -la justice les affreux mystères de la nuit du 9 mai, qu'après y avoir été -autorisée par son confesseur, qui lui dit qu'elle était obligée de -raconter tout ce qu'elle savait. - -Cependant un événement aussi extraordinaire ne devait pas rester -long-temps sans appeler l'attention de l'autorité locale. Elle prit les -informations les plus minutieuses sur tout ce qui pouvait avoir rapport à -la disparition subite de l'épouse de Charnalet. M. Bossan, l'adjoint du -maire de Saint-Quentin, déploya surtout beaucoup de zèle dans la -poursuite de cette déplorable affaire. Ce fut par ses soins que l'on -acquit la conviction que le couteau trouvé par le cultivateur Michon, -appartenait à Mingrat. - -Quelques jours s'étaient passés sans que l'on eût acquis de nouveaux -éclaircissemens sur la catastrophe du 9 mai; on remarquait seulement que -Mingrat évitait autant que possible de se montrer en public; lorsque, le -16 mai, jour de l'Ascension, à sept heures du matin, de jeunes bergers, -s'amusant à pêcher dans un fossé qui communique à l'Isère, amenèrent au -bout de leur ligne une cuisse humaine. Saisis d'épouvante, ils rejettent -dans le ruisseau cet affreux objet, et s'enfuient vers le bourg, en -répétant partout la cause de leur effroi. L'adjoint, prévenu de cette -circonstance, se transporte sur les lieux indiqués par les jeunes pâtres; -on retrouve la cuisse sanglante. Il résulte de l'examen des médecins, que -le membre mutilé est une cuisse de femme, et tout semble s'éclaircir. -Déjà l'on murmurait tout bas le nom de Mingrat. - -On alla déposer dans le cimetière la cuisse retrouvée; mais à peine les -autorités, qui avaient accompagné ce douloureux convoi, se furent -retirées, que le fourbe et audacieux curé, sans doute pour faire taire -les rumeurs sourdes dont il était l'objet, courut au cimetière et ordonna -que cette cuisse fût jetée dans un coin, loin des âmes justes qui -reposaient dans ces lieux. «Marie, disait-il, ne méritait aucune -sépulture puisqu'elle s'était noyée et avait perdu son salut. Je l'ai -vue, ajoutait-il, possédée par le diable, oui, par Satan qui la tenait -dans ses bras pour l'entraîner dans l'abîme!» Quand il sut que les -soupçons à son égard prenaient de plus en plus de la consistance, il fit -dire à M. Bossan: «Qu'il était prêt à donner ses réponses, si on voulait -l'interroger.» Mais cette proposition, qui n'avait pour objet que d'en -imposer à des gens peu éclairés, ne fut qu'un indice de plus de sa -culpabilité. - -Jusque-là l'autorité avait été forcée à de grands ménagemens à cause du -caractère sacré dont Mingrat était revêtu; mais les élémens sur lesquels -se fondait la présomption ne permettaient plus de rester inactif. On se -décida à prendre contre le coupable des mesures de sûreté. L'indigne -curé, prévenu, par un confrère officieux, du projet qu'on avait de -l'arrêter, jugea à propos de se soustraire à la justice. Les gendarmes, -envoyés à sa poursuite, ne purent le joindre; il les avait devancés de -quelques heures, et arrivés aux frontières, ils furent contraints de -remettre à l'autorité sarde les ordres qu'ils avaient reçus. Mingrat -s'était réfugié dans la grotte dite des Échelles. Les carabiniers -piémontais le découvrirent et l'arrêtèrent, quoiqu'il protestât de son -innocence et qu'il s'écriât _qu'on ne pouvait saisir un homme de sa -robe_. - -Malgré ses récriminations, il fut entraîné et conduit dans les prisons de -Chambéry. Il dut à son habit d'y jouir d'une liberté peu commune, et il -en profita pour commettre à demi un nouveau crime. La nièce du concierge -de la prison, qu'il avait déjà remarquée, se trouvant un soir dans un -passage obscur où le scélérat l'attendait, il tenta de lui faire -violence. La jeune fille poussant des cris affreux, Mingrat, dans la -crainte d'être découvert, l'avait déjà saisie à la gorge comme pour -l'étrangler, quand plusieurs personnes étant accourues, l'arrachèrent de -ses mains forcenées; et sur les plaintes des parens de la jeune fille, on -obtint la translation de Mingrat à Fénestrelle, forteresse de la Savoie, -à dix lieues de Besançon. - -Il paraît que pendant son séjour à Chambéry, ce maître tartufe avait eu -tellement l'art de se couvrir du masque de la vertu, que toutes les -dévotes, qui le visitaient par humanité, ne doutaient pas qu'il n'eût été -victime de fausses accusations, et le regardaient comme un martyr de la -méchanceté humaine. - -Cependant les forfaits de ce monstre étaient patens. Trois jours après sa -fuite, on avait retrouvé dans les parages de Fory, à cinq lieues de -Saint-Quentin, le tronc mutilé de Marie. L'examen judiciaire de ce -cadavre eut lieu, en présence des médecins; on reconnut facilement les -traces sanglantes du couteau et les meurtrissures que les mains du curé -avaient faites sur la victime. Après de longues hésitations, la servante -de Mingrat se décida à raconter tout ce qui était à sa connaissance; elle -reconnut aussi le couteau de son maître; et ses révélations achevèrent de -compléter les preuves du crime commis au presbytère de Saint-Quentin dans -la nuit du 9 mai. - -Enfin la procédure fut portée devant la Cour d'assises de l'Isère, qui, -par arrêt du 9 décembre 1822, condamna par contumace le curé Mingrat à la -peine de mort, comme coupable du crime de viol et d'assassinat. - -Vainement Charnalet et Gérin, époux et frère de la victime, firent les -démarches les plus actives pour obtenir l'extradition de l'assassin: une -protection mystérieuse lui servit constamment d'égide contre le glaive de -la loi. Pour prix de sa tendresse fraternelle, le sieur Gérin fut -présenté par d'ignobles calomniateurs comme le fauteur de l'assassinat, -bien que depuis long-temps il habitât une contrée fort éloignée du séjour -de sa sÅ“ur; et l'on ne saurait nombrer les brutales persécutions -auxquelles il fut en butte, lorsque, pour faire connaître dans toute sa -hideuse vérité le curé Mingrat, il alla distribuer dans nos provinces -l'histoire des malheurs de sa famille. - -Depuis son arrestation, l'assassin de Marie jouit, dans la forteresse de -Fénestrelle, de l'impunité qu'on lui a ménagée. Puissent au moins ses -protecteurs le faire garder étroitement, et ne jamais lâcher sur la -société cette bête féroce, dont la présence serait un fléau partout où le -monstre porterait ses pas! - - - - -CASTAING. - - -Le nom de Castaing fit, il y a dix ans, une assez profonde impression sur -tous les esprits, pour qu'il soit permis de croire que le souvenir de cet -homme, jugé coupable de grands forfaits, n'est point effacé, malgré les -événemens de tout genre et de la plus haute importance, malgré les -scélératesses inouies qui depuis lors ont pris place en foule dans notre -histoire contemporaine. - -Castaing, il faut le dire, fut un second Desrues: au lieu du masque de la -religion, il eut recours à celui de l'amitié, et tous deux se montrèrent -également hypocrites; tous deux furent également inspirés par une avide -cupidité; tous deux voulurent veiller seuls auprès de leurs victimes, -comme pour mieux jouir de leur crime, comme pour mieux en assurer -l'effet. Ce qui établit entre eux une différence qui ne tourne pas à -l'avantage de Castaing, c'est que Desrues avait manifesté ses -inclinations vicieuses dès ses plus jeunes ans, et que son éducation fut -très-négligée, au lieu que Castaing trouva des exemples de toutes les -vertus dans sa propre famille, tint lui-même une conduite long-temps -exemplaire, se distingua par sa douceur et l'aménité de ses mÅ“urs, et -cultiva, avec non moins de succès que de zèle, des sciences dont il -devait faire plus tard un usage si criminel. Ajoutons que Castaing était -médecin! Ainsi l'art qui a pour but de guérir les maux qui nous -assiégent, Castaing s'en servit pour assassiner savamment deux amis, dont -préalablement il s'était assuré la fortune par des testamens! - -Et, à propos de testamens, qu'il nous soit permis de hasarder quelques -réflexions qui peuvent être de quelque utilité. Les testamens tels que la -loi les tolère aujourd'hui dans notre état de société, servent, dans une -foule de cas, à frustrer des héritiers légitimes, au profit d'habiles -intrigans, qui n'ont capté le testateur que dans un but unique, celui de -se faire donner sa fortune. Par héritiers légitimes, nous n'entendons pas -les collatéraux dont les droits seraient souvent très-contestables, sous -certains rapports; il s'agit ici d'enfans, de frères, de sÅ“urs, qui, au -moyen de testamens extorqués par adresse ou arrachés à l'imbécillité de -l'âge, se sont vus dépouillés par d'avides étrangers. Nous ne prétendons -nullement enchaîner la volonté des testateurs; mais nous pensons qu'il -serait désirable que l'on revît d'un Å“il sévère et prévoyant toute la -législation relative aux testamens. Que de spoliations, que d'iniquités, -que de crimes secrets ont été la suite de dispositions testamentaires! - -Combien de fois s'est renouvelée l'histoire tragique de ce vieux prélat -dont parle le _Diable boiteux_ de notre Lesage! Cet homme sortit de ce -monde assez brusquement, pour avoir fait son testament en pleine santé, -et l'avoir lu à ses domestiques, à qui, comme un bon maître, il léguait -quelque chose. Son cuisinier fut impatient d'avoir son legs! - -J.-J. Rousseau a protesté quelquefois, par ses écrits et par ses -exemples, contre la manie des testamens. Milord Maréchal voulait le -mettre dans le sien: Rousseau s'y opposa de toute sa force, disant qu'il -ne voudrait pour rien au monde se savoir dans le testament de qui que ce -fût. Milord Maréchal, vaincu par les motifs du philosophe, voulut au -moins lui faire une pension viagère; Rousseau ne s'y opposa point. «On -dira, écrivait-il à ce sujet, que je gagne à ce changement: cela se peut. -Mais, ô mon bienfaiteur et mon père! si j'ai le malheur de vous survivre, -je sais qu'en vous perdant, j'ai tout à perdre, et que je n'ai rien à -gagner.» Plus tard, le même Rousseau manifesta la même opinion, à -l'occasion de la mort de M. le maréchal de Luxembourg. Comme ce seigneur -avait une véritable amitié pour le grand écrivain, on écrivait à celui-ci -qu'il était sur le testament. Rousseau se trouva fort embarrassé pour la -détermination à prendre sur ce legs. Tout bien pesé, il résolut de -l'accepter. «J'ai été, dit-il, dispensé de ce devoir, n'ayant plus -entendu parler de ce legs vrai ou faux; et en vérité, j'aurais été peiné -de blesser une des grandes maximes de la morale, en profitant de quelque -chose à la mort de quelqu'un qui m'avait été cher.» Que de gens ne se -font pas de semblables scrupules dans des circonstances de ce genre! Ceux -qui héritent par testament ne se font guère ces objections de -délicatesse, et ne vont pas s'amuser à chercher une question de morale -au fond de leur legs. On hérite en vertu de la loi: peu importe le reste. - -Revenons à Castaing, triste et nouvel exemple du désordre que peut -enfanter la cupidité, l'une des plus viles passions humaines. Edme-Samuel -Castaing, né en 1796 à Alençon, d'une famille justement considérée, -montra, dès ses jeunes années, un caractère ardent et une fermeté qui -allait jusqu'à la ténacité. Il fit ses études au collége d'Angers, et s'y -fit remarquer de ses professeurs par son application et par ses progrès. -Ses études terminées, il se destina à la profession de médecin et -travailla avec ardeur à se procurer les connaissances nécessaires pour -parcourir cette carrière avec distinction. Il suivit, pendant deux ans, -avec la plus grande exactitude, les cours de la Faculté; mais vers la fin -de 1819, on put s'apercevoir qu'il était captivé par un sentiment d'une -autre nature. Castaing avait eu l'occasion de donner, dans une légère -maladie, quelques soins à une dame, veuve depuis peu de temps d'un ancien -magistrat, et n'avait pu la voir sans en être violemment épris. - -Cette passion nuisit à celle de l'étude qui jusque alors avait -constamment dominé Castaing; ce jeune homme ne fut plus occupé que des -moyens de plaire à celle qu'il aimait et de lui faire partager ses -sentimens. Après avoir éprouvé d'abord quelques résistances, il fut -ensuite plus heureux; la liaison la plus intime s'établit entre les deux -amans, et le 17 juillet 1821, Castaing devint père. - -Cédant aux remontrances de ses parens, il reprit le cours de ses études -et se fit recevoir médecin. Dès ce moment, il se sépara presque -tout-à -fait de sa famille, et se rapprocha davantage de sa maîtresse. -Cette coupable liaison était un secret pour le monde, excepté pour deux -jeunes frères, Hippolyte et Auguste Ballet, avec lesquels il était lié -depuis quelque temps, surtout avec le premier qui, valétudinaire et -craignant continuellement de perdre le peu de santé dont il jouissait, -s'estimait heureux de trouver son médecin dans son ami. - -Les deux frères Ballet étaient tous les deux possesseurs d'une fortune -considérable que leur avaient laissée leurs parens, morts tout récemment. -Ils s'attachèrent à Castaing qui n'avait rien négligé pour les capter, et -lui accordèrent la plus aveugle confiance, en retour de ses -complaisances et de son dévouement apparent. - -Dans cet état de choses, Hippolyte Ballet mourut le 22 octobre 1822; -l'état de malaise continuel dans lequel on était habitué à le voir fit -regarder sa mort comme naturelle, quoiqu'elle fût prématurée; et Castaing -n'en continua pas moins à vivre avec le frère survivant dans une intimité -rendue encore plus étroite par l'isolement d'Auguste après la mort de son -frère. Les faits que nous allons présenter apprendront avec quelle -inconcevable barbarie, avec quelle froide cruauté, l'homme, que ces deux -frères caressaient ainsi, devint leur bourreau commun. - -Le 29 mai 1823, Auguste Ballet, accompagné seulement de Castaing, arrive -en bonne santé à Saint-Cloud. Le lendemain au soir, il se plaint -tout-à -coup de douleurs très-vives qui vont toujours en augmentant. Il -meurt le 1er juin. Une mort aussi subite paraît extraordinaire; des -soupçons s'éveillent; la justice ne tarde pas à être informée; une -enquête scrupuleuse a lieu, et les résultats de cette enquête provoquent -une ordonnance de la Cour royale qui, le 26 août, renvoie Castaing -devant la Cour d'assises de la Seine, comme prévenu d'attentat à la vie -des deux frères Ballet, et de destruction du testament d'Hippolyte. - -Voici quelques détails qui nous sont fournis par l'acte d'accusation: «La -maladie qui emporta le jeune Ballet avait commencé subitement le soir du -vendredi 30 mai, lendemain de son arrivée à Saint-Cloud, après avoir bu -du vin chaud. Elle redoubla le samedi matin, après avoir pris une tasse -de lait froid. Elle devint une agonie le même jour, quelques minutes -après qu'il eut avalé une cuillerée de potion calmante; dès ce moment il -perdit connaissance. Il expira le dimanche, à une heure après-midi, après -l'avoir recouvrée. La maladie parut extraordinaire, sa marche bien -brusque, la catastrophe effrayante. Le défunt avait exhalé son dernier -soupir loin de tous les siens, dans les bras de son compagnon de voyage. -Le vin chaud, le lait froid, la cuillerée de potion calmante, lui avaient -été administrés par ce dernier. - -«Avant qu'on sût rien de plus, et durant cette courte maladie, en en -observant les symptômes, et après son issue, en en appréciant les -circonstances, aubergistes, médecins, voisins, tout le monde fut frappé -de stupeur; tout le monde s'était demandé ce que cela signifiait, et ce -qu'étaient ces deux étrangers. Des soupçons affreux, quoique vagues -encore, s'élevèrent sur celui qui survivait. Une circonstance vint -tout-à -coup leur donner plus de gravité, on apprit avec une sorte de -terreur que le jeune homme survivant était légataire universel du -prédécédé, et que celui-ci était riche. - -«Même avant cette découverte, les médecins auxquels, selon leurs propres -expressions, les circonstances du décès paraissaient _extraordinaires et -contre l'ordre naturel des choses_, avaient cru que la justice devait -prendre connaissance de cette affaire. Le nouvel incident rendit ce -devoir plus impérieux.» - -Il résulta de l'enquête qui eut lieu que la correspondance de Castaing -prouve qu'il était d'un naturel ardent, ambitieux; qu'il avait toujours -été dévoré d'un violent désir de faire fortune: on lut dans une lettre -saisie chez lui, que sa propre mère, quelques années auparavant, disait -de lui des _horreurs_. Pour avoir l'explication de ce mot, il eût fallu -interroger sa mère; la nature le défendait. On aurait pu interroger -l'auteur de la lettre; on ne le fit pas par ménagement pour une grande -passion. On ne put donc savoir quels étaient au juste les griefs qui -arrachèrent à sa mère une aussi sévère expression. Le père était aussi -très-mécontent de la conduite de son fils: c'est encore dans les papiers -de ce dernier qu'on en a trouvé des preuves. - -Castaing, dans ses études aussi opiniâtres qu'étendues, avait cherché à -approfondir la physiologie, l'anatomie, la botanique, la chimie. Ses -travaux sur ces diverses sciences étaient attestés par de nombreux -cahiers, tout couverts de ses observations et de ses extraits, et qui -furent trouvés dans ses papiers. Mais après le déplorable événement qui -donnait lieu à cette instruction, on ne put s'empêcher de frémir en -remarquant que les studieuses investigations du jeune adepte embrassaient -aussi les différentes espèces de poisons; qu'il recherchait avec grand -soin quels sont ceux qui laissent après eux des traces dénonciatrices, et -ceux qui, bien plus perfides, ne laissent après eux aucuns vestiges -perceptibles aux yeux mêmes de l'anatomiste le plus exercé. On vit qu'il -était enfin arrivé à la funeste connaissance que tels poisons n'agissent -qu'à l'égard de certaines maladies, et en ne signalant leur passage que -par des symptômes identiques avec ceux qu'auraient offerts après la mort -ces mêmes maladies. «Tout cela, suivant l'acte d'accusation, résulte -clairement des pièces trouvées chez Castaing. Ainsi un point bien -certain, c'est qu'il savait très-bien, et peut-être trop bien, que -certains poisons ne laissent aucune trace.» - -Ajoutons à ces indices que Castaing, quoique peu riche, pouvait se -suffire à lui-même, en attendant que les bénéfices de son art lui -procurassent une situation plus aisée. Mais Castaing avait une maîtresse -très-pauvre elle-même, et si pauvre, qu'il avait à sa charge, outre ses -besoins personnels, ceux de cette femme et de trois enfans d'un mari qui -n'existait plus. En ajoutant l'entretien de deux autres enfans nés du -commerce illégitime qui s'était établi entr'eux, on verra qu'il ne -pouvait naturellement suffire à une pareille dépense. Il était d'autant -plus tourmenté par cette idée, que sa passion n'était pas une passion -vulgaire. La débauche n'avait point formé les nÅ“uds de cette union. -Castaing idolâtrait ses deux enfans, il adorait leur mère qu'il appelait -sa femme; ces trois êtres paraissaient être les seuls objets de ses -pensées; il ne rêvait qu'aux moyens de leur assurer une existence. - -L'accusation rappela ensuite que Castaing se trouvait dans un tel état de -gêne, en juin 1822, qu'il ne savait alors comment opérer le remboursement -d'une somme de 600 francs; et que, quatre mois après, c'est-à -dire au -mois d'octobre de la même année, il se trouvait tout-à -coup avoir à sa -disposition des capitaux considérables, prêtait 30,000 francs à sa mère, -et en plaçait 70,000 dans les fonds publics sous des noms supposés, sans -qu'on pût expliquer naturellement un pareil changement de fortune. - -A l'époque dont nous parlons, Castaing était déjà lié avec les deux -frères Ballet, et s'était ménagé un puissant ascendant sur l'esprit de -chacun d'eux. Jusque-là les frères Ballet s'étaient montrés très-attachés -l'un à l'autre; mais vers ce temps-là même, cet attachement s'était -beaucoup refroidi, sans que l'on sût quelle était la véritable cause de -ce changement. - -Ce qui n'est point douteux, c'est qu'Hippolyte, dans les temps voisins de -sa mort, confia à plusieurs de ses amis, aux uns d'abord, qu'il voulait -faire un testament, aux autres ensuite, qu'il avait fait un testament, et -que, par ce testament, il portait une grande atteinte aux droits légaux -de son frère Auguste. L'existence de ce testament, attestée par plusieurs -personnes notables en position de connaître les faits, pouvait d'autant -moins être révoquée en doute, que Castaing lui-même avait déclaré à -plusieurs personnes qu'Hippolyte avait testé, et qu'il avait déshérité -son frère. Auguste Ballet avait confessé, en présence de témoins, qu'il -avait vu et tenu ce testament après la mort de son frère. Quoi qu'il en -soit, ce testament ne se retrouva pas dans la succession d'Hippolyte. - -Voici à peu près de quelle manière l'accusation expliquait la disparition -de cet acte important. Hippolyte avait rendu le dernier soupir entre les -bras de Castaing, comme Auguste; Castaing était resté seul dans -l'appartement du moribond. Personne n'avait donc vu ni pu voir ce que fit -Castaing dans cette maison dont il était resté le maître. On pouvait -donc présumer que Castaing s'était emparé du testament d'Hippolyte, et -l'avait livré à Auguste pour une somme de 100,000 francs. - -«Castaing, suivant l'accusation, était en beau train de fortune; déjà -dans les 100,000 francs il avait recueilli une partie des dépouilles -d'Hippolyte. Mais là ne s'arrêtait pas sa cupidité, et il est bien -apparent qu'il avait le vif désir de recueillir tout ce qui en était -passé dans la fortune d'Auguste, et avec cette seconde proie, toute la -fortune même de celui-ci, puisqu'il s'était fait faire par lui un -testament qui lui donnait tout ce qu'il possédait. Toutefois Castaing -n'ignorait pas qu'un testament est un acte bien fragile, et toujours -destructible au premier caprice du testateur. Et Auguste se -refroidissait! et Auguste voulait aller demeurer loin de lui! et Auguste, -impatient de son joug, de ses assiduités, de sa surveillance, paraissait -vouloir reprendre sa liberté! Qu'en ferait-il? Que deviendrait le -testament? Chaque jour, chaque heure, chaque minute pouvaient renverser -de fond en comble les espérances de Castaing. Mais Castaing savait trop -ce qu'en pareil cas il était possible de faire, et quels étaient les -moyens puissans de fixer à jamais les choses dans l'état où elles étaient -encore. - -«Il n'y avait même pas, par d'autres raisons, beaucoup de temps à perdre. -Auguste venait de réaliser un capital de 100,000 francs; cela n'est pas -douteux, car, peu de jours avant le voyage de Saint-Cloud, il les avait -montrés à son ami Raisson, qui en a déposé. Castaing ne l'ignorait pas; -sa conduite ultérieure prouvera qu'il savait non seulement qu'Auguste -était en possession de cette somme, mais encore quel était précisément -celui de ses meubles dans lequel il l'avait renfermée. - -«C'est sur ces entrefaites mêmes, et vers la fin du mois de mai, que se -lie entre Auguste et Castaing une partie de campagne, sans que personne -puisse dire ou savoir comment elle s'arrangea, lequel des deux la -proposa, pourquoi ils la firent seuls, et enfin quel en fut le but.» - -Ce fut à la suite de cette partie de campagne qu'eut lieu la catastrophe -subite d'Auguste Ballet. Certaines circonstances révélées, soit pendant -l'instruction, soit pendant les débats, répandirent quelque lumière sur -le crime et sur quelques-unes des démarches de son auteur. Voici ce que -l'acte d'accusation offrait de plus important à ce sujet: - -Le 29 mai, de six à sept heures du matin, Auguste Ballet et Castaing -allèrent ensemble, par les petites voitures, faire une course à -Saint-Germain-en-Laye, et de retour de cette promenade, ils repartirent -vers sept heures du soir, sans indiquer le lieu où ils allaient, après -qu'Auguste eut dit seulement qu'ils seraient absens pendant deux ou trois -jours. Ils se rendirent à Saint-Cloud, aussi par les petites voitures, et -s'y rendirent seuls. Cette circonstance paraîtra, sinon étonnante, du -moins un peu bizarre; car Auguste avait trois chevaux, plusieurs -voitures, plusieurs domestiques: tous restèrent à Paris, sans qu'aucun -d'eux connût le lieu où se rendaient les deux maîtres. On ne le sut que -deux jours après, c'est-à -dire le 31 mai. Ce jour-là , arriva dans -l'après-midi, à l'adresse du domestique d'Auguste, un billet de Castaing -ainsi conçu: «M. Ballet se trouvant indisposé à Saint-Cloud, Jean viendra -de suite le rejoindre avec le cheval gris et le cabriolet; lui et la mère -Buret (femme de charge d'Auguste), ne parleront à personne de tout cela. -On dira à ceux qui le demanderont qu'il est à la campagne, et cela, par -ordre très-exprès de M. Ballet.--Adresse de M. Ballet: _Tête-Noire_, à -Saint-Cloud.» - -Le domestique Jean partit sur-le-champ avec le cabriolet, arriva à -Saint-Cloud et trouva son maître au lit. Celui-ci se plaignit d'avoir été -tourmenté par des coliques et des vomissemens. - -Que s'était-il donc passé dans ce malheureux voyage? Le voici: Castaing -et Auguste étaient arrivés à la Tête-Noire à Saint-Cloud, le 29 mai, vers -neuf heures du soir. On avait donné aux voyageurs une chambre à deux -lits, qu'ils occupèrent ensemble. Les deux amis se promenèrent, toujours -ensemble, toute la journée du vendredi 30, sauf le temps du dîner, qu'ils -vinrent prendre à l'auberge, et après lequel ils rentrèrent à neuf heures -du soir, et Castaing demanda alors une demi-bouteille de vin chaud sans -sucre, attendu qu'ils avaient le leur avec eux. On monta le vin, et les -voyageurs y mirent de leur sucre et des citrons que Castaing avait -achetés. Les choses en étaient là , lorsque Castaing, sans nulle -provocation, quitta la chambre et se trouva, quelques instans après, -devant le lit d'un jeune domestique de la maison qui était malade et à -qui il tâta le pouls, sans toutefois rien lui prescrire. - -Pendant ce temps, Auguste avait goûté le vin chaud, qui lui sembla si -mauvais qu'il ne but pas ce qui lui avait été versé. La servante de la -maison étant survenue, Auguste lui dit: «J'ai trop mis de citron dans ce -vin; il est si amer que je ne puis le boire.» La servante en goûta et le -trouva effectivement bien sûr; puis elle se retira. Les deux amis se -mirent au lit; cette nuit n'eut pas d'autre témoin que Castaing. Quelque -suspect que puisse être son récit, il est cependant certains détails -auxquels on est forcé d'ajouter foi. Auguste, suivant lui, fut agité -toute la nuit; il ne dormit pas, il se plaignit plusieurs fois à Castaing -de ne pouvoir rester en place. Il eut des coliques; le matin enfin, il -déclara qu'il ne pouvait sortir du lit, qu'il avait les jambes enflées et -ne pouvait mettre ses bottes. Quant à Castaing, il sortit, suivant son -récit, pour faire un tour de parc. Ce n'était pas seulement une fantaisie -assez déplacée, c'était encore une fantaisie bien pressée, à ce qu'il -paraît, car il n'était encore que quatre heures du matin, et un des -domestiques de la maison fut obligé de se lever pour lui ouvrir la porte. -Cette prétendue promenade dans le parc n'était qu'une allégation, mise en -avant pour cacher une bien affreuse vérité. - -Castaing ne rentra que sur les huit heures; son premier soin fut de -demander pour Auguste du lait froid; dans l'instruction, il prétendit -qu'il avait demandé du lait chaud: tous les témoins déposèrent du -contraire. - -Auguste prit le lait qui lui fut présenté par Castaing, et fort peu de -temps après, les vomissemens se succédèrent rapidement, et furent -accompagnés de coliques. On se débarrassa sur-le-champ de toutes les -déjections. Cependant l'état du malade empirait visiblement. Il demanda -un médecin; Castaing lui proposa d'en faire venir un de Paris, mais -Auguste voulut qu'on en prît un sur les lieux mêmes. - -On alla chercher M. Pigache, médecin à Saint-Cloud, lequel ne put arriver -qu'à onze heures du matin. Il demanda à Castaing ce qu'il pensait de la -maladie; celui-ci répondit qu'il la regardait comme un _cholera-morbus_. -M. Pigache ordonna des émolliens et se retira. Il revint vers trois -heures, et trouva le malade encore plus mal. Castaing était sorti, pour -la troisième fois de la journée. M. Pigache se plaignit de ce que ses -prescriptions n'avaient pas été ponctuellement suivies. On lui promit -plus d'exactitude, et il quitta le malade jusqu'à cinq heures. A son -retour, il ordonna une potion calmante, et ne fut pas d'avis qu'on -obtempérât au désir qu'avait manifesté le malade d'être transporté à -Paris. Ayant annoncé, en se retirant, l'intention de revenir encore dans -la soirée, Castaing lui dit que cela n'était pas nécessaire. Celui-ci, au -reste, avait écrit la lettre qu'on a vue plus haut, et qui motiva -l'arrivée du nègre Jean. - -Les soins de ce fidèle domestique furent à peu près inutiles. Les -symptômes alarmans augmentèrent; la respiration du malade était gênée; il -ne pouvait plus avaler sa salive. Castaing, sur ces entrefaites, lui -administra une cuillerée de potion; l'effet en fut prompt et malheureux: -cinq minutes après, il eut une espèce d'attaque de nerfs; à partir de ce -moment, il demeura constamment sans connaissance. Castaing le laissa dans -cet état jusqu'à onze heures et demie du soir. Alors M. Pigache, averti -par un domestique de la maison, à qui Castaing avait dit que son ami ne -passerait pas la nuit, vint encore une fois. - -Le corps du malade était couvert d'une sueur froide et parsemé de taches -bleuâtres. Cependant une saignée ayant produit un peu de mieux, M. -Pigache dit à Castaing qu'il regardait l'état de son ami comme à peu près -désespéré, mais que pourtant une seconde saignée pourrait être salutaire; -Castaing objecta que si elle n'était pas suivie du succès, on pourrait -s'attirer des reproches. M. Pigache alors demanda un médecin de Paris; -mais comme il était une heure du matin, Castaing fit observer que l'heure -était trop avancée. On attendit donc, et, à trois heures, Jean partit -avec deux lettres de M. Pigache, adressées à deux médecins de Paris, avec -ordre de ramener l'un ou l'autre. - -Pendant ce temps, Castaing, sur l'avis de M. Pigache, alla chercher le -curé de Saint-Cloud, à qui il dit que le malade avait une fièvre -cérébrale. Tandis que l'on administrait l'extrême-onction au moribond, -Castaing resta à genoux dans un recueillement et dans une ferveur qui -frappèrent le sacristain, émerveillé de tant de piété. Après la -cérémonie, Castaing sortit de nouveau et resta dehors une ou deux heures. -Il rentra vers six heures. Peu après, arriva le docteur Pelletan fils, -qui, ainsi que le sieur Pigache, pensa que le malade était sans -ressource. On tenta cependant quelques derniers remèdes qui ne -produisirent aucun effet. Enfin Auguste expira, entre midi et une heure, -au milieu des pleurs et des gémissemens de Castaing, qui paraissait -accablé de douleur. - -Quant aux médecins, ils furent frappés de surprise, et ils requirent la -justice d'intervenir. - -Le mystère qui paraissait envelopper cette mort aussi prompte -qu'inopinée, demeurait jusque-là impénétrable et n'éveillait que des -soupçons vagues. Afin de faire tomber le voile qui cachait le crime de -Castaing, et pour mieux faire connaître aux lecteurs les moyens employés -par lui pour le consommer, nous allons, empruntant le langage du -procureur-général, dévoiler les parties de sa conduite, que, dans ces -trois tristes journées, le criminel avait espéré tenir toujours cachées. -Pour cela, il devient nécessaire de se reporter à la première de ces -trois journées, celle du vendredi 30 mai. - -On se rappelle qu'Auguste, après avoir pris la veille, vers son coucher, -ce vin si suspect, avait passé une très-mauvaise nuit, si mauvaise que, -de l'aveu même de Castaing, il n'avait pu se lever le matin. - -On se rappelle également que ce même matin, dès quatre heures, Castaing -était sur pied, et quittait son ami malade pour aller se promener, -disait-il, dans le parc. - -Castaing mentait quand il disait qu'il allait se promener; il allait à -Paris. Il prenait une voiture pour s'y rendre plus vite, et pour revenir -aussitôt, de manière qu'on n'attribuât en effet son absence qu'à une -promenade. Et qu'allait-il chercher si vite et si mystérieusement à -Paris? du poison. Quel poison? Le même que celui acheté déjà par lui, -dix-sept jours avant la mort d'Hippolyte, du poison végétal, du poison -qui ne laisse aucune trace de son passage dans l'organisation humaine; du -poison dont les effets, au dire des médecins, étant identiques avec ceux -que produisent certaines maladies, permettent toujours en présence des -symptômes, de douter s'ils sont produits par l'empoisonnement ou par la -maladie; de l'acétate de morphine enfin. Castaing arriva à Paris comme on -ouvrait les boutiques. Il entra dans celle de M. Robin, pharmacien, rue -de la Feuillade, no 5; il n'y trouva que l'élève, auquel, se donnant -lui-même pour un commissionnaire, il présenta une ordonnance au crayon, -signé, _Castaing, docteur-médecin_, pour se faire délivrer douze grains -d'émétique. L'élève, effrayé de la quantité, qui est en effet plus que -suffisante, administrée en masse, pour donner la mort, parut hésiter. Le -prétendu commissionnaire lui dit que c'était pour le faire prendre en -lavage, selon la méthode du docteur Castaing. Étourdi par ce grand mot, -l'élève livra les douze grains. - -Muni de ce premier moyen de destruction, Castaing se transporta sans -perdre de temps à la place du pont Saint-Michel, chez M. Chevalier, autre -pharmacien, et lui acheta un demi-gros d'acétate de morphine. Dans la -conversation, contraint de s'expliquer sur l'usage auquel il le -destinait, il déclara que c'était pour faire des essais sur des animaux. - -Il remonta en cabriolet et revint en toute hâte à Saint-Cloud. En -rentrant dans l'auberge, il demanda du lait froid pour son ami; Auguste -but le lait; les vomissemens et les coliques le travaillèrent -sur-le-champ, et désormais, pour quiconque n'est pas privé de bon sens, -tout n'est que trop expliqué. En effet, il devient évident qu'en partant -pour Saint-Cloud, Castaing s'était muni d'une dose de poison quelconque, -qu'il avait crue suffisante pour l'effet qu'il s'en promettait; et cette -dose, il avait eu toutes les facilités du monde pour l'emporter. On avait -fait une perquisition chez lui; on avait trouvé de l'acétate de morphine -en grande quantité, et d'autres poisons, tant minéraux que végétaux; d'où -il résulte que Castaing, en partant, avait pu puiser à son gré dans ses -provisions de poison. - -Une autre circonstance est bien remarquable encore; le jour où les deux -amis étaient partis le soir pour Saint-Cloud, ils avaient fait le matin -une course à Saint-Germain-en-Laye. Il n'était pas probable que Castaing -se fût nanti, avant cette course, de la dose de poison dont il méditait -de se servir à Saint-Cloud; aussi, entre les deux voyages de -Saint-Germain et de Saint-Cloud, retourna-t-il chez lui, quoique sans -grand besoin apparent. - -Ce fait connu, tout s'explique dans les bizarreries de la conduite -extérieure de Castaing à Saint-Cloud. Auguste et lui arrivent le 29; ils -se promènent, et, dans cette promenade, Castaing achète du citron et du -sucre pour sa préparation du soir. Il fallait acheter soi-même du sucre -et du citron, afin que l'aubergiste ne montât pas le vin tout préparé, -que Castaing eût un prétexte pour mettre la main à sa confection, et -qu'il pût y glisser les funestes ingrédiens. Il fallait du citron -surtout; l'acétate est très-amer: l'amertume dans le vin pouvait, et -trahir sa présence, et empêcher Auguste d'en boire. La saveur du citron a -une grande énergie; Castaing espérait qu'elle masquerait et vaincrait la -saveur de l'acétate de morphine. - -A présent, on voit pourquoi Auguste et Castaing sont partis seuls; -Castaing, pour le projet qu'il méditait, ne voulait avoir auprès -d'Auguste que lui-même; il n'avait pas besoin de témoin. On voit pourquoi -Auguste a trouvé de l'amertume dans un mélange de vin, de sucre et de -jus de citron, qui ne devait en renfermer aucune. - -On voit pourquoi, n'en ayant bu que fort peu, le premier empoisonnement -manqua son effet, ou n'en produisit d'autres que celui de donner de -grandes agitations, des coliques, des enflures, et de faire passer à -Auguste une très-mauvaise nuit. On voit encore comment Castaing fut -contrarié de voir son projet arrêté; comment démuni qu'il était de -poison, soit parce qu'il avait mis dans le vin tout ce qu'il en avait -apporté, soit parce que, après y avoir mis la dose par lui jugée -suffisante, il s'était hâté, dans le trajet de la chambre d'Auguste à -celle du domestique, près du lit duquel il fut vu quelques instans après -qu'on eut monté le vin, de se défaire de tout ce qu'il avait pu en -conserver sur lui, et comment, persistant toutefois dans son affreux -projet, il fut obligé d'aller à Paris, si matin et avec tant de mystère, -en faire une nouvelle provision. On voit comment, de retour à -Saint-Cloud, il demanda aussitôt du lait, du lait froid, que cette -qualité rend plus propre à resserrer les saveurs; comment il le fit boire -à Auguste, après y avoir certainement mis les douze grains d'émétique; -comment le lait produisit sur-le-champ les vomissemens, les coliques et -les tranchées. On voit comment, aussitôt après avoir administré ce lait, -Castaing faisait une course sans but apparent, mais dont le but caché -était d'ôter de sa possession, et de déposer quelque part l'acétate qu'il -voulait réserver pour le besoin. On voit comment, rentré à l'auberge, et -s'apercevant que l'effet du lait ne marchait ni assez vite, ni assez -violemment, craignant peut-être que la bonté du tempérament d'Auguste ne -triomphât de ce lait homicide, il ressortit pour aller reprendre -l'acétate; comment il donna à son retour la cuillerée de potion, et -comment, après cette cuillerée de potion préparée par lui et subitement, -Auguste entra en agonie. - -Tels étaient les faits et les conjectures plus ou moins fondés, fournis -par l'instruction et énoncés dans l'acte d'accusation. Quant au genre -d'intérêt que Castaing avait eu à commettre le crime, il était mis à -découvert d'une manière incontestable. Dès la matinée du 31, Castaing -s'était emparé des clefs de meubles qui étaient dans l'appartement -d'Auguste à Paris, et dans l'un desquels se trouvait alors une somme de -soixante-dix mille francs en billets de banque; une fois maître de ces -clefs, aussitôt que Jean fut arrivé, il les lui donna, en lui disant que -son maître les lui avait confiées pour les remettre à quelqu'un; mais que -ne pouvant le quitter, c'était lui, Jean, qu'il chargeait de les porter à -la personne désignée. Cette personne était un sieur Malassis, clerc de Me -Collin de Saint-Menge, notaire à Paris, et dépositaire du testament -d'Auguste Ballet, objet de la convoitise et du dernier crime de Castaing. - -Dès les premiers momens qui avaient suivi la mort d'Auguste, Castaing -avait été arrêté. A peine arrivé dans la prison de Versailles, il chercha -un prisonnier qui pût recevoir ses confidences, et l'aider à combattre -les difficultés de sa position en devenant un intermédiaire entre lui et -les personnes qu'il était intéressé à engager au silence. Il crut -rencontrer cet intermédiaire dans un sieur Goupil, prisonnier comme lui -en apparence, mais qui, en réalité avait été placé à dessein près de -Castaing, pour provoquer ses confidences. Ce fut à ce Goupil que Castaing -fit, sauf l'aveu de ses crimes, des révélations très-circonstanciées sur -sa triste position, sur la résolution qu'il avait prise de se suicider -par un moyen très-subtil et très-doux, si l'autopsie du corps était à -charge contre lui; sur son commerce avec une femme dont il avait eu des -enfans; sur l'amitié qui l'avait lié avec les frères Ballet; sur les -soupçons qui se rattachaient à lui, et par rapport au testament de -l'aîné, et par rapport à la mort presque subite du second; sur les cent -mille francs qu'il possédait et qui lui venaient, disait-il, d'un oncle; -sur les placemens qu'il avait faits et qu'il lui détailla; sur les -poisons qu'il avait en sa possession; sur ceux qu'il avait achetés -dernièrement; sur le grand danger qu'il y avait pour lui que ces faits -fussent connus, etc. Il proposa à ce même Goupil de se charger du soin -d'écrire à sa mère, pour qu'elle fît, auprès de plusieurs personnes qui -connaissaient les faits relatés ci-dessus, les démarches nécessaires pour -les déterminer à garder le silence. Goupil consentit à tout; il écrivit à -la mère de Castaing, mais en même temps il transmit à la justice les -singulières confidences qu'il avait reçues. - -Transféré dans les prisons de Paris, Castaing s'efforça de nouveau de -nouer des intrigues du même genre avec les prisonniers, pour qu'ils -écrivissent au pharmacien Chevalier de ne pas dire que c'était de -l'acétate de morphine qu'il avait acheté chez lui. Puis, ne sachant plus -comment sortir du chaos inextricable de contradictions et de mensonges -accumulés dans ses divers interrogatoires, il prit le parti de faire le -fou. Le genre de folie qu'il avait adopté consistait à boire son urine et -à s'abstenir d'alimens. Mais cette aliénation simulée fut de courte -durée. Au bout de trois jours, il s'en lassa, et revint ou parut revenir -à la raison. - -Castaing comparut, le 10 novembre 1823, devant la Cour d'assises de la -Seine; la gravité, la célébrité de cette cause avaient attiré une -affluence nombreuse de spectateurs. - -L'interrogatoire de l'accusé qui fut très-long et très-détaillé, ainsi -que l'audition des témoins, vinrent corroborer la plupart des charges -énoncées dans l'accusation. Interrogé sur sa sortie de l'auberge à cinq -heures du matin, il répondit qu'il était allé à Paris acheter des -substances vénéneuses destinées à des expériences qu'il devait faire -avec Auguste Ballet sur des animaux de l'auberge. Il avait d'abord parlé -des rats; il soutint ensuite qu'il n'avait été question que des chiens et -des chats de l'auberge, dont le bruit avait incommodé Auguste pendant la -nuit. - -Plusieurs pharmaciens déposèrent que Castaing avait acheté chez eux de -fortes quantités d'acétate de morphine, chez l'un vingt grains, chez -l'autre dix: ce dernier achat avait eu lieu le 18 septembre. Des -dépositions accablantes furent faites par des parens des frères Ballet, -tant au sujet du testament que du soin que Castaing prenait d'isoler ces -deux jeunes gens de leur famille. Le président ayant demandé à l'accusé -pourquoi il n'avait pas cru devoir, lors de la maladie subite de son ami, -faire prévenir la sÅ“ur et le beau-frère de Ballet: _J'étais troublé_, -répondit Castaing. - -M. Vatrey, agent de change, déclara que, le 10 octobre, l'accusé lui -avait remis 70,000 francs pour les placer en rentes. Les hommes de l'art -furent ensuite entendus à l'occasion de l'autopsie du cadavre d'Auguste -Ballet. Le docteur Chaussier fonda sa déposition à décharge sur cet -axiome de jurisprudence: _Que là où il n'y a pas de corps de délit, il -n'y a point de délit_; et il soutint son opinion avec une véhémence qui -ne trouvait d'excuse que dans son grand âge et dans son autorité -médicale. Une discussion assez longue et sans résultat positif s'engagea -sur l'absorption des poisons. M. Chaussier déclara qu'il était d'avis que -l'acétate de morphine devait laisser des traces de son passage dans -l'estomac. M. Magendie exposa que le cas contraire lui paraissait -possible, et qu'il penchait à croire que les accidens remarqués dans -l'autopsie de Ballet, opération, selon lui, très-incomplète, auraient pu -être produits par l'administration d'un poison. - -Enfin on procéda à l'audition des plaidoieries. Me Persil, avocat de la -partie civile, dénonça, au nom de M. Martignon, beau-frère d'Hippolyte et -d'Auguste Ballet, l'empoisonnement des deux frères et la soustraction du -testament de l'un d'eux. «Je pouvais, dit en terminant l'avocat, je -pouvais intéresser votre cÅ“ur, en vous présentant l'infortuné Ballet -luttant contre la mort, la société alarmée redoutant les suites de cette -funeste découverte des poisons à l'aide desquels on peut donner la mort -avec impunité: j'ai préféré ne parler qu'à votre raison. C'est ma raison -qui m'a convaincu; c'est votre raison qui doit vous convaincre. Si cette -raison vous dit qu'Hippolyte Ballet a été empoisonné; qu'il y a eu -soustraction de testament, moyennant 100,000 fr. donnés; qu'Auguste a eu -le sort de son infortuné frère, vous prononcerez la culpabilité de -l'accusé: si elle vous dit qu'il n'est pas coupable, vous rejetterez -Castaing dans la société». - -Le ministère public prit ensuite la parole. Il reprit la discussion des -faits dans leur ensemble, et s'attacha principalement à prouver qu'il ne -fallait pas confondre le corps du délit avec les preuves du délit. «Que -doit-on entendre, dit-il, par le corps du délit? L'illustre d'Aguesseau -le définit par un mot aussi juste que profond. Ce n'est, selon lui, autre -chose que le délit lui-même; quant aux preuves, elles forment l'ensemble -qui amène la conviction. Il y a des cas où, par la force des choses, les -preuves accessoires du crime sont les seules possibles, et où le corps du -délit n'existe pas. C'est la doctrine des d'Aguesseau, des Séguier, de -tous les criminalistes: quant aux preuves, elles peuvent varier à -l'infini. Sommes-nous dans l'application de ce principe? Oui, parce que -les poisons végétaux ne laissent point de traces, ou qu'elles se -confondent avec les accidens des maladies naturelles. - -«Si vous admettez qu'il faille obtenir dans le cas d'empoisonnement par -les poisons végétaux, ce qu'on appelle la preuve matérielle, -c'est-à -dire, la présence du poison dans le corps de l'empoisonné, il -faut ajouter au Code pénal un article supplémentaire ainsi conçu: -«Attendu que les poisons végétaux ne laissent point de traces, on peut -empoisonner impunément: libre à tous de le faire.» On vous demanderait, -en d'autres termes, d'adresser aux empoisonneurs ces paroles: Maladroits! -n'allez pas chercher pour poison de l'arsenic; il laisse des traces: on -vous dénoncerait. Prenez des poisons végétaux, empoisonnez votre père, -empoisonnez votre mère, toute votre famille; vous hériterez d'eux. Et ne -craignez rien, on ne vous découvrira pas: vous jouirez de l'impunité. -Vous aurez empoisonné, oui; mais le corps du délit n'existera pas, parce -qu'il ne peut pas exister. - -«Ah! messieurs, si des hommes raisonnables pouvaient admettre une -pareille législation; si telles pouvaient être les lois d'un pays -civilisé, il faudrait fuir une pareille société, où il n'y aurait plus ni -sûreté, ni garantie. Vous n'y seriez plus en sûreté vous-mêmes, si un -effroyable exemple d'empoisonnement restait impuni. Les conséquences -qu'aurait une aussi funeste impunité sont incalculables. Nous craindrions -les conséquences, non pas de votre arrêt, il sera toujours juste, mais de -la fatale publicité de cette procédure, qui a initié le public dans la -connaissance des poisons végétaux et de leurs sinistres effets.» - -L'avocat-général, passant à l'examen des faits relatifs à -l'empoisonnement, prouva la ridicule absurdité du moyen de défense -employé par l'accusé, et ayant pour objet de faire croire qu'Auguste -Ballet, qui n'était pas médecin, eût voulu faire des expériences avec des -poisons végétaux, sur des animaux, dans une maison étrangère, et dans un -espace de temps qui n'était pas suffisant pour juger du résultat de -l'expérience, puisqu'il devait le jour même repartir pour Paris. - -«Songez, messieurs, s'écriait ce magistrat, à la présence du poison à -côté du cadavre, à la nature de la maladie, à celle du poison choisi, et -vous n'hésiterez pas. Voilà tout le procès, je le répète; et tout effort -pour en détourner votre attention serait superflu. - -«Le poison, qu'est-il devenu? C'est à l'accusé à en justifier l'emploi. -Nous prouvons sa présence; nous montrons le cadavre. Nous demandons à -l'accusé: Qu'avez-vous fait du poison? Il l'a jeté dans les latrines, -dit-il. On ne l'a pas trouvé. Et pourquoi l'a-t-il jeté? parce qu'il a -été effrayé, dit-il encore, du concours des circonstances. Raison de plus -pour le garder; il aurait prouvé, en le montrant, qu'il ne l'avait pas -employé. D'ailleurs, cette crainte des soupçons serait-elle naturelle -dans une âme honnête, de la part d'un ami, qui assiste son ami dans ses -derniers momens? - -«Mais voici une circonstance bien grave et bien remarquable. Une seconde -ordonnance a été envoyée au pharmacien de Boulogne; nous en avons acquis -la preuve. Ainsi il y a eu deux ordonnances portées chez ce pharmacien, -et deux potions livrées par lui. Était-ce celle-là ou l'autre qui avait -été empoisonnée? Voilà un trait de lumière qui fera qu'on ne s'étonnera -plus, lorsque le domestique Léon dira qu'il n'y avait rien dans la -cuillère avant d'y verser la potion. Il y avait deux potions: l'une fut -empoisonnée, et ce fut celle qui fut administrée sous les yeux du nègre; -l'autre était innocente; elle fut abandonnée pour tromper la justice. On -n'avertit pas la famille de l'agonie d'Auguste; l'infortuné n'était pas -encore dépouillé. Castaing voulait les deux clefs d'Auguste; ce n'est que -lorsqu'il les possède qu'il avertit la famille. Il remet les clefs au -nègre pour les porter à Malassis; mais ce serviteur fidèle conçoit des -soupçons. _Il y a du louche dans tout cela_, vous a-t-il dit dans son -gros bon sens: il avait raison.» - -L'avocat-général rappela aussi la piété feinte de Castaing pendant les -prières du curé de Saint-Cloud, les mensonges et les sermens de cet -accusé, lors des divers interrogatoires. «Il nous a suffi, dit-il en -achevant de dérouler devant vous ce désolant tableau: vous avez senti -jusqu'à quel point il intéresse l'ordre social. Vous ne donnerez pas à -l'empoisonneur les riches dépouilles qu'il vient réclamer de vous, tenant -de chaque main la tête d'un ami. Vous ne donnerez pas à l'empoisonnement -un brevet d'encouragement et d'impunité. La société consternée a jeté le -cri d'alarme; la société sera vengée.» - -On remarqua que l'accusé eut sans cesse les yeux fixés sur -l'avocat-général pendant toute la durée de son réquisitoire; son teint -était vivement animé, et principalement sur la fin, il se livra plusieurs -fois à des mouvemens d'impatience. - -La cause de Castaing fut défendue avec talent par Mes Roussel et Berryer. -Mais que peuvent le zèle le plus vrai, l'éloquence la plus puissante, -contre des circonstances aussi avérées, contre des faits si peu douteux, -tranchons le mot, contre des preuves si irrécusables? - -Les jurés eurent à délibérer sur les trois questions suivantes: - -Edme-Samuel Castaing est-il coupable d'avoir, dans le courant d'octobre -1822, à l'aide de substances vénéneuses, causé la mort d'Hippolyte -Ballet? - -Est-il coupable d'avoir, de complicité avec Auguste Ballet, détruit le -testament d'Hippolyte Ballet? - -Est-il coupable d'avoir, les 30 mai et 1er juin, à l'aide de substances -vénéneuses, causé la mort d'Auguste Ballet? - -La délibération du jury dura près de deux heures. La déclaration fut -négative sur la première question, et affirmative sur les deux autres. -Pour la dernière question, il n'y eut qu'une majorité de sept voix contre -cinq; mais la Cour se réunit, à l'unanimité, à la majorité du jury. - -Alors on fit rentrer Castaing dans la salle d'audience. Sa démarche était -ferme et assurée; il entendit, sans changer de couleur, la lecture de la -déclaration du jury et les conclusions du ministère public tendantes à -l'application des peines portées par la loi. Sur la demande du président -s'il avait quelque chose à dire sur cette application, il répondit d'une -voix forte: - -«Non, M. le président; je saurai mourir, quoique je sois bien malheureux, -et quoique des circonstances fatales m'entraînent dans la tombe! J'irai -retrouver mes deux amis. On m'accuse de les avoir assassinés -lâchement..... mais il y a une Providence! S'il y a quelque chose de -divin dans l'être qui vit, ce quelque chose ira vous retrouver, ô mes -amis, Auguste, Hippolyte! Ce ne sont point de vaines déclamations, je -n'implore point votre miséricorde; je n'implore rien de ce qui est humain -(élevant ses mains vers le ciel); mon espérance est maintenant dans la -Divinité. Je marcherai avec délices à l'échafaud..... parce que ma -conscience ne me reproche rien, parce que ma conscience ne m'accusera -pas, lors même que je sentirai..... (Il porta les mains à son cou.) -Hélas! il est des choses qu'on éprouve et qu'on ne peut exprimer.» Il -ajouta d'une voix affaiblie: «Vous avez voulu ma mort; la voilà ...» - -L'avocat de la partie civile prit, d'une voix altérée, des conclusions -tendantes à la nullité du testament d'Auguste Ballet; et la Cour se -retira de nouveau pour délibérer sur l'application de la peine. - -Pendant ce temps, les jurés étaient restés appuyés sur leurs bancs dans -un morne silence. La nuit était fort avancée; les bougies qui -commençaient à pâlir, la sombre lueur des lampes épuisées, tout -concourait à donner à cette scène un aspect lugubre et déchirant. Me -Roussel, l'un des avocats du prévenu, fondait en larmes. Castaing se -pencha vers lui; son accent et ses gestes étaient pleins d'énergie. -«Allons, lui dit-il, rassurez-vous, Roussel; regardez-moi: je ne pleure -pas. Je vous remercie des efforts que vous avez faits pour ma défense; -vous avez cru à mon innocence, je suis innocent en effet... Embrassez mon -père, ma mère, mes frères... (Avec un accent douloureux.) ma fille... -Vous me le promettez, n'est-ce pas?» - -Puis, s'adressant aux jeunes avocats placés dans le parquet: - -«Et vous, jeunes gens, qui avez assisté à mon jugement, vous, mes -contemporains, assistez aussi à mon exécution. Ma fermeté ne se démentira -pas; une prompte mort est la seule grâce que je demande... Je rougirais -d'implorer la clémence...» - -La Cour alors rentra en séance, et le président lut, d'une voix très -basse, l'arrêt qui condamnait Castaing à la peine de mort. Cet arrêt le -condamnait en outre à payer la somme de cent mille francs, à titre de -dommages et intérêts à la partie civile, en raison du préjudice qu'il -devait réparer. - -Cette effrayante et mémorable procédure avait duré huit jours entiers, -tant elle demandait d'efforts de la part des magistrats pour les amener à -découvrir la vérité! - -Castaing se pourvut en cassation contre l'arrêt de la Cour d'assises, et -la Cour suprême s'occupa de cette affaire, le 4 décembre suivant. Les -trois moyens de nullité sur lesquels se fondait le pourvoi de Castaing, -malgré l'appui que leur prêta Me Odilon-Barrot, ne furent pas jugés -admissibles par la Cour, qui, en conséquence, rejeta le pourvoi. - -Le 6 décembre, deux jours après le rejet de son pourvoi, Castaing fut -transféré des prisons de Bicêtre, où il avait été conduit le lendemain de -sa condamnation, à la Conciergerie. Pendant tout le temps qu'il avait -passé à Bicêtre, il avait été l'objet de la surveillance la plus active, -parce que l'on craignait qu'il n'attentât à ses jours. Cette crainte -n'était pas sans fondement, s'il est vrai, comme on l'a dit, que la -boîte d'une montre qu'on chercha à lui faire passer du dehors, et qui fut -saisie, contenait du poison. Quoi qu'il en soit, lorsqu'on vint lui -annoncer sa translation à Paris, il fallut le réveiller d'un sommeil -profond. Il paraît qu'il ne s'abusa pas sur le motif de cette visite, car -il dit aussitôt: «Je vois ce que c'est.» - -Arrivé à la Conciergerie, il écrivit à son ancienne maîtresse une longue -lettre, remarquable par un mélange confus d'idées religieuses et -philosophiques. Il se fit ensuite conduire à la chapelle, et s'entretint -avec le prêtre qui devait l'exhorter à la mort. Comme il avait témoigné -le désir de voir encore une fois son père et sa fille, l'autorité -s'empressa de donner la permission nécessaire pour cette entrevue; mais, -par des motifs demeurés inconnus, elle n'eut pas lieu. Castaing demanda -par écrit la bénédiction de son père, qui lui fut envoyée. L'heure de -l'exécution avait été avancée. A cette époque, c'était ordinairement à -quatre heures que l'on exécutait les condamnés. On vint, un peu avant -deux heures, annoncer à Castaing que l'heure fatale était arrivée. A -cette nouvelle, ses forces l'abandonnèrent un instant, et il parut -vivement regretter les deux heures dont, selon lui, sa vie se trouvait -abrégée. A sa sortie du dernier guichet de la Conciergerie, il parut -entendre sans beaucoup d'émotion les murmures de la foule qui de toutes -parts se précipitait dans la cour du Palais-de-Justice. Il s'élança alors -sur le crucifix, l'embrassa avec force et à plusieurs reprises. On fut -obligé de le monter à bras sur la fatale charrette. Pendant qu'on le -liait, il promenait ses regards autour de lui avec un air assez -tranquille; mais, pendant le trajet du Palais à la place de Grève, son -maintien fut loin de conserver la même assurance: il sembla que son -courage l'eût tout-à -coup abandonné. Son visage, jusque-là fortement -coloré, se couvrit d'une pâleur mortelle; sa tête, cédant aux secousses -de la charrette, tombait sur l'épaule du confesseur, avec qui néanmoins -il conversait de temps en temps, et dont il paraissait écouter -attentivement les exhortations. - -Arrivé au pied de l'échafaud, il tomba plutôt qu'il ne se mit à genoux, -et demeura dans cette attitude pieuse près de quatre minutes. Il n'eut -pas la force de se relever, et deux aides de l'exécuteur furent obligés -de le soutenir pour monter sur l'échafaud. - -Cette condamnation de Castaing, comme empoisonneur, donna lieu, dans le -temps, à des opinions diverses. Les uns, et ce fut le plus grand nombre, -n'hésitaient pas, tout en plaignant une famille si digne d'intérêt et de -compassion, à regarder Castaing comme coupable; les autres, à la tête -desquels se trouvait un grand nombre de médecins, déclarèrent hautement -qu'il mourait innocent. D'après toutes les particularités du procès que -nous avons rapportées, et jugeant sous la seule influence de notre -conscience, nous penchons à croire que cette opinion procédait uniquement -d'un esprit de corps mal entendu. On a vu à peu près la même chose, lors -des crimes du curé Mingrat: comme si une corporation quelconque ne se -nuisait pas plutôt qu'elle ne sert ses vrais intérêts, en protégeant -celui de ses membres qui s'est rendu digne de la vindicte des lois! - -Quant à nous, notre opinion sur cette déplorable affaire est exprimée -tout entière par ces paroles de M. Persil, avocat de la partie civile: - -«C'était, dit l'accusé, pour faire des expériences qu'il a acheté de -l'acétate de morphine et de l'émétique, qu'il a opéré le mélange de ces -substances. Mais en admettant cela, les expériences n'ont pas été faites; -et si Castaing ne nous montre pas, ne nous indique pas ce qu'est devenu -le poison qu'il a acheté en grande quantité, et qu'on n'a pas trouvé où -il prétend l'avoir jeté, il faudra bien en conclure que c'est ce poison -qui a donné la mort à Auguste Ballet.» - - - - -ASSASSINAT - -DE LA MÈRE JÉROME. - - -La procédure à laquelle donna lieu le crime dont nous allons parler, se -fit surtout remarquer par la bizarrerie des faits et par les étranges -révélations, au moyen desquelles la justice, après avoir fait long-temps -d'infructueuses recherches, arriva enfin sur la trace des coupables. - -Un assassinat avait été commis, le 20 mai 1823, entre sept et huit heures -du soir, rue du Faubourg du Roule, n. 45, sur la personne d'une femme de -quatre-vingts ans, dite la mère Jérôme. A la suite de cet assassinat, on -avait enlevé toute l'argenterie de la victime; mais on avait oublié une -somme de douze cents francs environ, qui fut retrouvée dans un de ses -tiroirs. - -Dans les premiers momens, la connaissance des auteurs de ce forfait -échappa aux investigations judiciaires; mais enfin les soupçons -atteignirent Louis-Marie Lecouffe, âgé de vingt-quatre ans, tailleur -d'habits, et sa mère, la veuve Lecouffe, qui tous deux demeuraient dans -la même maison que la mère Jérôme. La mère et le fils furent arrêtés et -mis en accusation. Le fils était prévenu d'avoir commis le crime, et la -mère d'y avoir excité son fils par menaces et abus d'autorité, le -menaçant, s'il refusait de s'emparer du trésor de la mère Jérôme, de -s'opposer au mariage qu'il projetait, et qui en effet fut célébré trois -jours après l'assassinat. - -Lecouffe, du moment qu'il fut détenu, ne cessa de donner des marques de -folie vraie ou simulée. A l'en croire, il n'avait fait ses révélations -que par ordre exprès de l'ombre de son père, mort depuis quatre ans, et -qui s'était présentée à lui dans sa prison, accompagnée de l'ange -Gabriel. Tous ses interrogatoires furent remplis de ses prétendues -conversations avec le spectre, qui lui avait commandé, comme à un autre -Hamlet, de dévoiler et de punir le forfait de sa mère. Lecouffe poussa -même la démence ou la fourberie jusqu'à supplier les geôliers de son -cachot de boucher le trou par lequel il prétendait voir arriver ces -apparitions importunes. - -Les accusés furent traduits devant la cour d'assises de la Seine, le 11 -décembre 1823. Les dépositions des témoins qui furent entendus établirent -la vérité des faits dans le sens de l'accusation; mais l'accusé Lecouffe -rejeta constamment tout l'odieux du crime sur sa mère. - -Ce spectacle d'un fils et d'une mère qui se renvoyaient mutuellement le -poids d'un horrible forfait, et qui, suivant l'expression énergique du -ministère public, se poussaient l'un l'autre vers l'échafaud, avait plus -d'une fois fait frémir l'auditoire. - -Enfin, après trois audiences consécutives, le jury prononça la -culpabilité de Lecouffe sur toutes les questions qui lui furent posées; -la mère, acquittée sur la question de complicité d'assassinat, fut -déclarée coupable de recel d'objets volés, avec connaissance que le vol -avait été accompagné d'homicide volontaire, mais sans savoir que -l'homicide avait été commis avec préméditation et guet-à -pens. Tous les -deux furent condamnés à la peine de mort. - -La mère et le fils se pourvurent en cassation contre le jugement qui les -condamnait; mais leur pourvoi fut rejeté. Le 24 janvier 1824 fut le jour -fixé pour leur exécution. La mère fut amenée, dès le matin, de sa prison -de Saint-Lazare à la Conciergerie, et le fils arriva de Bicêtre quelques -instans après. Ils furent mis tous deux dans une prison séparée; et après -qu'ils eurent entendu lecture de l'arrêt portant rejet de leur pourvoi, -deux ecclésiastiques vinrent leur apporter les secours de la religion. -Lecouffe, qui s'était préparé à ce fatal dénouement, les reçut avec -reconnaissance et contrition; sa mère montra d'abord moins de résignation -et de fermeté, mais les exhortations du vertueux ecclésiastique -ramenèrent peu à peu l'espoir de la clémence divine dans son âme -coupable. Les deux condamnés passèrent en prières tout le temps qui -précéda l'exécution. A quatre heures précises, ils montèrent dans la -charrette. Arrivée au pied de l'échafaud, la femme Lecouffe descendit la -première, monta les degrés d'un pas mal assuré, et se livra aux -exécuteurs sans avoir jeté un seul regard en arrière pour voir son fils. -Lecouffe embrassa deux fois son confesseur, et se dirigea vers -l'échafaud d'une marche assez ferme. Si quelque chose peut diminuer -l'horreur qu'inspire tout criminel aux âmes honnêtes, c'est le repentir -qu'ils manifestent à leur dernier moment; celui que témoignèrent la mère -Lecouffe et son fils fut un éloquent commentaire du spectacle de leur -exécution, qui avait attiré une foule immense. - - - - -HENRI FELDTMANN, - -OU - -PÈRE INCESTUEUX ET ASSASSIN DE SA FILLE. - - -Henri Feldtmann, ouvrier tailleur, avait une fille nommée Victoire, qui -était encore en nourrice à l'époque de la mort de sa mère, arrivée en -1801. - -Peu de temps après le décès de sa femme, Henri Feldtmann forma une -liaison illégitime avec Madeleine Léger. Il en eut une fille naturelle -nommée Élisabeth-Constance. Au vice près qui avait présidé à cette -nouvelle union, le ménage de Feldtmann avait toutes les apparences de la -régularité: Madeleine Léger remplissait les devoirs de mère, non -seulement à l'égard de sa fille, mais à l'égard de la jeune Victoire. - -Feldtmann donna pendant plusieurs années des leçons et des exemples de -vertu à ses deux filles. Professant la religion réformée, il confia ses -deux filles aux soins de M. le pasteur GÅ“pp. Cet homme respectable fut -frappé des excellentes qualités qui distinguaient Victoire. La modestie -de cette jeune personne, sa candeur, son sincère désir de pratiquer la -vertu, étaient en effet bien dignes de remarque et d'admiration. A -l'époque de la première communion, M. GÅ“pp promit solennellement à -Victoire de l'entourer de sa bienveillance et de sa protection. - -Mais cette intéressante fille, étant parvenue à l'adolescence, eut le -malheur d'inspirer à son père les premiers sentimens d'une passion -incestueuse. Cette horrible passion se développa prodigieusement dans le -cÅ“ur de Feldtmann. Nous ne retracerons point les efforts de Victoire -pour cacher à tous les yeux la coupable faiblesse et la turpitude de son -père, sa résistance à toutes ses tentatives criminelles, enfin sa -retraite de la maison paternelle, accompagnée de sa sÅ“ur et de Madeleine -Léger, lorsqu'elle eut acquis l'affreuse conviction que la fuite pouvait -seule la soustraire à la brutalité de Feldtmann. - -Mais celui-ci, après beaucoup de recherches, parvint à découvrir la -maison où ses filles et Madeleine Léger s'étaient réfugiées. Il se -présenta plusieurs fois à leur nouveau domicile pour les engager à -rentrer avec lui. Elles s'y refusèrent constamment, et principalement -Victoire. Enfin il se rendit chez elles une dernière fois, le lundi 24 -mars 1823, et voici en quels termes l'acte d'accusation retrace la -catastrophe qui termina cette fatale entrevue. - -Après avoir acheté un couteau de cuisine sur le quai dit de la -_Ferraille_, Feldtmann se rendit chez ses filles. Celles-ci étaient -levées; la fille Léger était encore couchée: elle se leva aussitôt. On -offrit à Feldtmann à déjeûner; il accepta, et prit, comme ses convives, -une tasse de café. Après ce repas, il entama le sujet ordinaire de ses -conversations; il pressa, supplia ses enfans et la fille Léger de rentrer -avec lui. Même refus de la part de chacune d'elles; même opposition -calme, respectueuse, mais invariable de Victoire. - -La famille était réunie autour de la cheminée; Victoire était assise d'un -côté, la fille Léger était au coin vis-à -vis, et la jeune Élisabeth se -trouvait au milieu. Feldtmann était debout, le dos appuyé contre la -cheminée. Tous ses regards étaient concentrés sur sa fille aînée. - -Après environ deux heures de débats, Victoire déclara avec fermeté à son -père qu'elle aimerait mieux mourir que de retourner avec lui. _Tu seras -cause que je mourrai sur l'échafaud!_ répliqua Feldtmann avec une fureur -concentrée. Cette menace positive d'un assassinat prochain n'ayant point -ébranlé cette jeune et vertueuse fille, Feldtmann reprit: _Tu es -obstinée... tu seras cause de ma perte._ Et aussitôt il tira de sa poche -de côté le couteau de cuisine qu'il y tenait caché, et le plongea tout -entier dans la poitrine de Victoire. - -A ce spectacle, Élisabeth reste immobile de stupeur. Feldtmann retire du -sein de sa fille aînée son couteau tout fumant, et se prépare à frapper -sa fille cadette. A cette vue, la mère se jette sur le bras de -l'assassin, dérange la direction du coup et en affaiblit la violence. -Élisabeth est frappée, mais moins dangereusement. Une lutte horrible -s'établit entre Élisabeth et la fille Léger d'une part, et Feldtmann de -l'autre. La fille Léger est frappée à son tour, mais sa blessure est -légère. Des voisins accourent au bruit; on arrête le meurtrier. Celui-ci -laisse échapper son couteau ensanglanté, et proteste qu'il n'a pas envie -de prendre la fuite. - -Cependant la malheureuse Victoire, qui perdait son sang à flots, avait eu -encore la force d'ouvrir la porte et de se traîner jusqu'au palier du -premier étage, où elle était tombée à la renverse et sans connaissance. -Peu d'instans après, elle avait cessé d'exister. - -En conséquence de ces déplorables faits, Feldtmann fut traduit devant la -cour d'assises de la Seine, et comparut devant ce tribunal, le 23 avril -1823. - -Pendant la lecture de l'acte d'accusation, Madeleine Léger, appelée comme -témoin, s'évanouit, vaincue par les émotions qu'elle éprouvait. Quant à -Feldtmann, il conserva un calme imperturbable, et son interrogatoire se -fit remarquer par l'incohérence des explications qu'il donna, et par le -scandale de plusieurs imputations qu'il présenta comme moyens de défense. -Il nia opiniâtrément qu'il eût éprouvé un sentiment coupable pour sa -fille Victoire; il ne craignit pas de lui imputer de graves désordres -dans sa conduite, sous le rapport des mÅ“urs et de la probité; il -accumula également les imputations les plus graves contre Madeleine -Léger. - -Entre toutes les dépositions, celle du pasteur GÅ“pp excita un intérêt -particulier. Il rendit compte de ses rapports avec la famille Feldtmann -dont il avait été le bienfaiteur; il parla des terribles confidences qui -lui avaient été faites, soit par la mère de Feldtmann, soit par Victoire -elle-même, au sujet des tentatives criminelles dont cette dernière avait -été l'objet; il énonça les démarches qu'il avait cru devoir faire à la -préfecture de police pour prévenir les excès que l'on pouvait redouter de -la part de l'accusé. M. GÅ“pp ajouta qu'à diverses époques, et surtout -lors de la dernière entrevue qu'il avait eue avec Feldtmann (la veille du -crime), cet homme ne lui avait pas semblé jouir de la plénitude de ses -facultés lorsqu'il s'agissait de ses relations avec sa fille; qu'il -l'avait considéré comme un de ces hommes dominés par une idée fixe, et -qui ne sont plus maîtres de leur imagination, lorsqu'elle vient à -s'arrêter sur cette idée. - -Après quelques autres dépositions moins importantes, M. l'avocat-général -soutint l'accusation, discutant d'avance le moyen unique qui pouvait être -présenté au nom de l'accusé. Il prouva qu'une passion, une passion -infâme, à quelque degré qu'elle fût portée, ne pouvait servir d'excuse à -un crime. Vainement le défenseur, nommé d'office, fit-il tous ses efforts -pour soustraire Feldtmann à la peine capitale, en écartant les -circonstances de la préméditation, et en cherchant à établir qu'il avait -été entraîné à ce crime par un ascendant irrésistible plutôt que par -l'effet de sa volonté; le jury, après une longue délibération, déclara -Feldtmann coupable sur toutes les questions, tant d'assassinat prémédité, -consommé sur la personne de sa fille Victoire, que de tentatives -d'homicide contre son autre fille, Élisabeth, et Madeleine Léger. Le -résultat de cette réponse fut la condamnation à mort de Feldtmann. - -L'inconcevable sang-froid que ce malheureux avait montré dans le cours -des débats ne se démentit point en cet instant fatal. - -Feldtmann se pourvut en cassation; mais son pourvoi ayant été rejeté, il -subit son supplice le 21 mai, en place de Grève. Dans cet horrible -moment, toute son impassibilité l'avait abandonné; il fallut que les -exécuteurs l'aidassent à monter les degrés de l'échafaud, et l'on peut -même dire qu'il était mort avant d'être décapité. - - - - -ASSASSINAT - -DE - -MADAME VEUVE AILLET, - -ET DE - -LA FILLE GOUSSARD, SA DOMESTIQUE, - -A CHARTRES. - - -En 1823, la ville de Chartres fut le théâtre d'un double meurtre, qui -frappa de terreur tous les esprits. La mauvaise conduite, la débauche et -la cupidité, sources ordinaires de tant de désordres, avaient armé les -principaux assassins. Tout portait à croire que plusieurs de leurs -complices n'étaient point sous la main de la justice. Il est donc facile -de s'expliquer l'effroi général, en présence des dangers auxquels chacun -pouvait être exposé. Voici les faits qui ont été révélés par -l'instruction de ce procès. - -La dame Aillet, propriétaire à Chartres, âgée de plus de quatre-vingts -ans, et la fille Louise Goussard, sa domestique, âgée de cinquante-huit -ans environ, habitaient seules une maison, rue des Grenets, dans le -voisinage du cloître Saint-Aignan, au centre de la ville. Cette maison -est située entre cour et jardin; les murs de la cour s'élèvent sur la rue -à environ treize pieds de hauteur; de la cour on entre dans un petit -corridor fermant sur la rue par une porte vitrée, et dans lequel donne la -porte de la chambre où couchaient la dame Aillet et sa domestique. Le -dimanche 22 juin 1823, un peu avant sept heures du matin, la fille -Chifflet, laitière, étant venue, suivant son usage, apporter du lait, -sonna vainement à plusieurs reprises; personne ne lui répondit. Elle -conçut des inquiétudes qu'elle communiqua dans le voisinage. On prit des -renseignemens; on passa dans le jardin, on trouva les portes et les -contrevents exactement fermés de ce côté, on n'entendit aucun bruit dans -l'intérieur de la maison, et l'on appela plusieurs fois, mais sans -succès. Les inquiétudes croissant, l'autorité fut avertie; alors on monta -à l'aide d'une échelle au haut du mur donnant sur la rue, et l'on -aperçut une autre échelle dressée le long de ce mur, dans l'intérieur de -la cour. Dès ce moment, on ne douta plus que la dame Aillet et sa -domestique n'eussent été assassinées. La porte de la rue fut ouverte, et -l'on entra; aucune des portes de l'intérieur n'était fermée. On trouva -dans une chambre les corps de la dame Aillet et de sa domestique étendus -sans vie au pied des deux lits, nus pieds, en chemise et baignant dans -leur sang. La dame Aillet avait à la tête deux longues et profondes -blessures, faites avec un instrument tranchant; la domestique était -percée de dix blessures, paraissant faites avec un couteau long et fort -aigu, dont huit à la partie gauche de la poitrine et deux à la main -gauche. La disposition des lits montrait que les deux victimes s'étaient -levées spontanément et avaient été frappées dans la chambre; une -veilleuse brûlait encore; un seul fauteuil était taché de sang, un autre -était brisé en partie: une commode placée dans la chambre, avait été -forcée et un tiroir ôté. Les assassins étaient entrés dans deux cabinets -voisins, dans l'un desquels fut trouvé un couperet teint de sang: on y -avait ouvert une armoire à linge, mais rien ne parut y avoir été dérangé; -l'armoire à l'argenterie parut également intacte; on n'avait touché, ni à -un coffre-fort fermé, dans lequel se trouvèrent douze mille quatre cent -vingt-cinq francs, ni à une somme de deux cents francs, placée dans le -tiroir d'une petite table, non fermée à clef, ni même à celle de -trente-six francs, exposée en évidence sur une tablette. Enfin, tout -indiquait que les meurtriers avaient fait des recherches, et qu'un -événement fortuit les avait forcés de les abandonner pour fuir -précipitamment. On ne put s'assurer s'ils avaient pris de l'argent, mais -on ne tarda pas à reconnaître qu'ils avaient emporté deux montres d'or -accrochées à la cheminée; une chaîne d'acier, attachée à l'une de ces -montres, en avait été arrachée et lancée à terre. Ces deux montres -étaient de forme ancienne; l'une des deux était à répétition et portait -une chaîne d'or ainsi qu'une petite clef et un cachet en or: le couperet, -l'un des instrumens du crime appartenait à la dame Aillet; l'instrument -aigu, dont la domestique avait été frappée, ne fut point retrouvé. -L'échelle avait été apportée d'une maison peu éloignée, qui était alors -en réparation. La position de cette échelle dressée contre le mur de la -cour, et des dégradations récentes faites à une corniche qui est -au-dessus de la porte de la rue en dehors, indiquaient que les assassins -s'étaient retirés par ce chemin, et l'on fut confirmé dans cette opinion -en reconnaissant que toutes les ouvertures sur le jardin étaient -exactement fermées dans l'intérieur. Le crime était donc évident; il -avait été commis par deux personnes au moins: la différence des -instrumens avec lesquels avaient été frappées les deux victimes le -démontrait. Il était probable, en outre, qu'un complice veillait dans la -rue, pour prévenir toute surprise et donner avis du moindre danger. - -Ce soupçon fut confirmé par la déposition de plusieurs témoins, dont l'un -déclara que, la nuit où le crime fut commis, vers une heure du matin, il -avait entendu un grand cri, puis le bruit de la sonnette de madame -Aillet, tirée avec force, ensuite deux autres cris. Cette sonnette était -sans doute tirée par le complice pour avertir que les cris étaient -entendus au dehors. Le même témoin ajouta que, vers une heure et demie, -plusieurs personnes, marchant très-vite, avaient passé sous ses -fenêtres, venant de la rue des Grenets. Un autre témoin avait vu, à cette -même heure, dans la rue Saint-Michel, voisine de celle des Grenets, -quatre hommes, portant des blouses bleues et des souliers ferrés, courir -très-vite vers la porte Saint-Michel. - -Pendant quelque temps, on n'eut aucune idée fixe sur ceux qui pouvaient -être les auteurs de ce crime; mais par suite de quelques renseignemens, -des soupçons s'élevèrent sur Bouin dit Lapalette: on arrêta une fille -Curot avec laquelle il vivait depuis trois ans. Cette fille avait d'abord -déclaré que Lapalette était sorti de chez lui le samedi soir, qu'il -n'était rentré que le lendemain, à six heures du matin. Ensuite, pressée -par les questions qui lui furent faites, elle ajouta que le vendredi -matin, dès trois heures, un nommé Fréon était venu trouver Lapalette; -qu'ils avaient passé ensemble la journée, la nuit suivante, toute la -journée du samedi, et qu'ils étaient sortis tous deux le samedi soir. Sur -cette déclaration, Fréon et Lapalette furent également arrêtés. Il est -utile de faire connaître ici plus particulièrement ces deux individus. - -Lapalette avait toujours été un mauvais sujet, redouté de ses camarades à -cause de sa force et de sa brutalité. Il avait été condamné -correctionnellement pour vol, et suspendu plusieurs fois de sa place de -portefaix à Chartres, à cause de sa mauvaise conduite; il venait d'être -supprimé définitivement, pour abus de confiance, et était réduit, les -jours de marché, à suivre les voitures de blé, pour avoir la paille. - -Fréon n'avait pas une réputation meilleure. A l'âge de quinze ans -environ, il avait volé une montre et de l'argent; étant ensuite entré au -service militaire, en 1807, il fut condamné à trois ans de travaux -publics, pour vol d'argent commis à son corps. Revenu à Chartres, -il s'était marié avantageusement et avait pris l'état de -perruquier-parfumeur; mais il avait mal vécu avec sa femme et dissipé -tout son avoir. Il se livrait au braconnage des rivières, et fut -poursuivi plusieurs fois pour ce délit. Il fit aussi de faux billets, -mais son père les remboursa, et l'affaire fut assoupie. Il connaissait -parfaitement la maison de la dame Aillet, son père y ayant été employé -comme perruquier. Dix jours avant le crime, il avait abandonné son -domicile et mené une vie errante, se cachant sans cesse aux yeux de sa -famille: en outre, plusieurs propos qu'il avait tenus à différentes -reprises montrent qu'il roulait souvent dans son esprit des projets -funestes, et qu'il se complaisait dans les idées les plus sombres et les -plus sinistres. Ainsi, vers 1817 ou 1818, il disait au sieur Levassor en -le rasant: «Quand vous serez dans votre nouveau domicile, rue du -Puits-Berchot, je pourrai, en l'absence de votre femme, vous couper le -cou en vous rasant. Je vous mettrais un rasoir dans la main, alors je -deviendrais le maître dans la maison; j'y prendrais tout ce qui me -conviendrait; j'y resterais enfermé jusqu'à la nuit; je sortirais -ensuite. Puis le lendemain, on fait ouvrir vos portes, et l'on dit: M. -Levassor s'est suicidé!» Mais une chose plus directe à l'assassinat -actuel, et qui prouve que Fréon le méditait depuis long-temps, c'est -qu'en 1813, il fit au sieur Basin, lequel le déclara dans l'instruction, -la proposition formelle d'assassiner de concert avec lui, les sieur et -dame Aillet et leur domestique, et de les voler, ajoutant qu'ils avaient -beaucoup d'argent, qu'il connaissait les êtres de la maison, et que rien -ne serait plus facile; puis il fit un détail circonstancié des moyens -qu'ils emploieraient. Sur le refus d'indignation que fit le témoin, il -insista et lui dit: «Viens à la pêche avec moi lundi prochain; nous -raisonnerons de tout cela et nous prendrons jour.» Enfin, dans le courant -de mai 1823, Fréon dit à un témoin qui se plaignait de n'avoir pas -d'argent: «_Si vous aviez du courage!... Mais il n'est pas héréditaire -dans votre famille._» - -C'est avec de pareils antécédens que le 11 juin, à la suite, selon lui, -d'une scène de jalousie qu'il aurait eue avec sa femme, Fréon quitta son -domicile et se rendit à Paris. Il était sans argent; dès son arrivée il -va chez un sieur Cornut, ancienne connaissance; il lui dit qu'il n'a que -deux francs, le charge de mettre des habits en gage et en retire vingt -francs; plus tard, il fait vendre encore pour sept francs d'effets, et le -mercredi 18 juin, prêt à retourner à Chartres, comme il n'avait plus -d'argent, il laisse au même témoin d'autres effets et reçoit de lui cinq -francs; il lui annonce en même temps qu'il part pour Chartres, qu'il -sera revenu le dimanche ou le lundi suivant, ou qu'il sera mort; qu'il -apportera de l'argent et une montre d'or, et il lui déclara depuis qu'il -emportait alors un couteau très-pointu qu'il avait acheté six sous sur le -quai de la Ferraille, et que ce couteau lui servirait à se percer le -cÅ“ur, en présence de son père, s'il ne réussissait pas à se procurer de -l'argent. Le 19 juin, à huit heures du matin, il arrive à Saint-Piat, à -trois lieues de Chartres, y passe la journée, y fait quelques dépenses -qu'il ne peut payer qu'en partie, avouant qu'il n'a que deux francs, et -il demeure débiteur d'un litre de vin. Il attend exprès six heures du -soir pour se rendre à Chartres, disant qu'il ne veut y entrer que de -nuit, pour n'être pas reconnu. Arrivé dans cette ville à dix heures du -soir, il ne va pas chez lui: il va frapper à la porte de Lapalette. Mais, -effrayé par la voix d'un locataire de la maison, il se sauve, rôde une -partie de la nuit, et dès trois heures du matin, il entre chez Lapalette. -A peine sont-ils réunis, qu'ils sortent ensemble; ils vont d'abord du -côté des Filles-Dieu. Vers cinq heures, Lapalette rentre chez lui, il -s'emporte contre la fille Curot, l'injurie, et cependant lui dit à voix -basse: _Tais-toi! tu es une mauvaise langue_; puis encore: _Veux-tu bien -te taire! veux-tu bien te taire!_ Il retourne de là joindre Fréon, et ils -se rendent ensemble à Morancez dans le cabaret de Laigneau, à qui ils -disent qu'ils viennent de se rencontrer par hasard en pêchant. Ils y -passent la journée à manger et à boire, et projettent ensemble un voyage -à Paris. C'est là que Lapalette, causant avec un témoin, sort avec lui du -cabaret, cherche d'abord à lui représenter son état comme misérable et -sans ressources, et ajoute: _Laisse faire: dans peu de temps, je ne -manquerai de rien; nous nous soutenons, Fréon et moi. Si tu étais un bon -enfant, je te confierais quelque chose._ Ils font dans ce cabaret une -dépense de huit francs. Fréon ne la paie pas, engage Laigneau à venir -chercher son argent chez lui, et se retire avec Lapalette à huit heures -du soir, en disant: «Nous nous en allons, parce que nous avons affaire -ensemble.» Il retourne chez Lapalette, et Fréon, qui n'était revenu à -Chartres, à ce qu'il prétend, que pour voir une maîtresse qu'il avait, et -qui ne voulait y aller que la nuit, de peur d'être reconnu, n'y va -cependant pas; il ne se rend point non plus chez lui, mais il passe la -nuit chez Lapalette. - -Le lendemain samedi 21, ils restent toute la journée sans sortir: la -fille Curot est avec eux; Lapalette s'occupe à raccommoder ses guêtres; -Fréon ne fait rien, et paraît plongé dans de profondes rêveries. La -misère est telle parmi eux, que la fille Curot est obligée d'aller vendre -deux chaises pour subsister pendant la journée, et cependant Fréon dit, -dans la conversation, qu'il va acheter un fonds de boutique, moyennant -huit cents francs. Il promet trente francs à Lapalette, qui se plaint de -n'avoir pas de quoi payer son loyer, et la fille Curot s'étonnant d'une -pareille promesse, il lui répond: _Qu'est-ce que cela vous fait?_ Il lui -dit encore qu'il était venu à Chartres pour faire de l'argent en vendant -des effets; que la personne chargée de cette vente avait demandé toute la -journée du samedi, et qu'il ne pourrait toucher des fonds que vers neuf -heures et demie du soir. Du reste, il n'indique ni les effets qu'il peut -vendre, ni le mandataire qu'il en avait chargé. - -Le soir étant venu, Fréon, sans s'embarrasser d'aller chercher le -produit de sa prétendue vente, sort avec Lapalette à dix heures. Tous -deux avaient des souliers ferrés; Fréon avait un chapeau rond, une veste -brune, un pantalon marron. Lapalette portait un bonnet de police bleu, un -gilet rond en nankin blanchâtre, un pantalon d'été bleu; la fille Curot -prend toutes les précautions nécessaires pour qu'ils ne soient pas -aperçus, au point même d'aller faire, de neuf à dix heures et demie du -soir, le guet deux à trois fois sur le pas de la porte, pour voir s'ils -peuvent sortir sans être vus, et Fréon se couvre de la blouse de -Lapalette: celui-ci prend en sortant la précaution bien singulière de -faire coucher la fille Curot et de l'enfermer à clef dans sa chambre. Où -vont-ils ensuite? Fréon prétendait qu'il était allé seul au grand -faubourg pour tâcher de voir sa maîtresse, disant à Lapalette de venir -l'y rejoindre; que n'ayant pas rencontré sa maîtresse, il était revenu -chez Lapalette qui était sorti; qu'il avait été le rejoindre dans le -tertre Saint-François; qu'ils sont aussitôt sortis ensemble de la ville, -et se sont dirigés vers l'ancienne route de Paris. - -De son côté, Lapalette soutint que Fréon ne lui avait pas dit de venir le -rejoindre dans le grand faubourg, mais simplement de l'attendre dans le -tertre Saint-François; que, ne le voyant pas venir, il était prêt à s'en -retourner lorsqu'il le vit enfin arriver; qu'ils allèrent ensemble à -Lucé, village voisin pour voir la filleule de la femme Fréon; qu'ils y -rôdèrent quelque temps et revinrent par les promenades à la route de -Paris, qu'ils suivirent jusqu'au bois d'Oisême, où ils se séparèrent. Ils -dirent tous deux qu'ils avaient quitté Chartres vers onze heures et -qu'ils n'avaient point été ce soir-là dans les environs du cloître -Saint-Aignan. Ces deux versions ne s'accordaient pas, elles se -contredisaient même formellement; car Fréon soutenait qu'ils n'étaient -point allé à Lucé, mais qu'ils étaient sortis de la ville pour gagner la -route de Paris. Elles furent de plus démenties par l'instruction. En -effet, le samedi soir, vers dix heures et demie, des témoins virent dans -le cloître de Saint-Aignan, près duquel est située la maison de la dame -Aillet, deux hommes dont le signalement se rapportait entièrement à celui -des accusés. Trois autres témoins reconnurent positivement Lapalette en -ce même endroit. On le vit, à onze heures, passer du cloître Saint-Aignan -dans la rue des Grenets, et c'est vers une heure que le crime fut commis. -Dans cette nuit fatale du 21 au 22 juin, Fréon qui, depuis deux jours, -était avec Lapalette et ne l'avait pas quitté depuis son retour, se -sépare tout-à -coup de lui et part à pied pour Paris; il va jusqu'à Ablis. -Là , il quitte la route et gagne Rambouillet, où il dit être arrivé à dix -heures, mais il est constant qu'il n'y arriva qu'à trois ou quatre heures -après-midi; il entre aussitôt dans une auberge, y reste trois heures, -faisant voir la plus grande fatigue, et prend le soir même la diligence -de Paris, où il arrive le 23 au matin. A peine arrivé, il se rend chez -Cornut, dont il a été question ci-dessus, et lui fait voir une montre -d'or de forme ancienne à répétition, garnie d'une chaîne d'or. Il annonce -vouloir la changer; il dit qu'il a apporté trois cents francs de chez -lui; qu'y étant arrivé vers neuf heures et demie du soir, son père était -venu lui ouvrir la porte, et qu'en l'absence de sa femme, il avait fait -ouvrir la porte d'une armoire par un serrurier, pour prendre ces trois -cents francs, et cependant il est constant que, depuis long-temps, il -n'avait pas mis le pied chez lui. Il montre ensuite cent cinquante francs -qu'il a dans sa poche et donne vingt-cinq francs à Cornut pour retirer -les effets engagés à son dernier voyage. - -Le 24, il va chez le sieur Lejeune, horloger, rue Saint-Martin; il y -échange deux montres anciennes contre une nouvelle, et reçoit -quatre-vingts francs de retour. Le signalement de ces deux montres est le -même que celui des deux montres volées. Ce qu'on en put retrouver, -savoir, le mouvement, la chaîne d'or, la clef et le cachet d'or, tout fut -reconnu par les témoins et par l'horloger qui entretenait les montres de -la dame Aillet. Cet échange consommé, Fréon se fait conduire par Lejeune -chez un bijoutier dans la même rue, où il achète une chaîne d'or, et chez -un autre, rue Michel-Lecomte, où il se procure des breloques. Dans -l'instruction, il nia tous ces faits; mais il fut formellement reconnu -par l'horloger Lejeune et par les deux bijoutiers. Trois témoins et -Lapalette lui-même qui, de son côté, arriva à Paris le 25, déclarèrent -lui avoir vu, les jours suivans, une montre d'or à la mode avec chaîne et -breloques en or. Fréon la présenta lui-même à un sieur Muller, son ami, -en lui disant: _Tiens, vois donc cette montre: je l'ai changée contre -deux autres montres d'or, et je crains d'avoir été trompé._ Il donnait en -même temps une fausse adresse du marchand chez lequel il avait fait cet -échange. Il ajouta qu'ayant des affaires à Paris, il avait apporté ces -deux montres pour les changer, attendu qu'elles étaient anciennes et -n'étaient plus de mode. Le 27, il remit cette nouvelle montre à Vigneau -pour l'engager au Mont-de-Piété; il en retira cent vingt francs. Fréon -nia encore tous ces faits; seulement il convint que, le 23, il avait -acheté dans les rues de Paris, moyennant dix-huit francs, une montre en -chrysocale, avec chaîne et breloques, et qu'il l'avait revendue le 27. - -Le 28 au matin, Fréon se trouvant à boire avec un sieur Rondeau, chez un -marchand de vin, rue des Saints-Pères, deux individus assez mal vêtus -entrèrent dans le même cabaret, Fréon parut très-effrayé; il leur parla -quelque temps, et dit ensuite à Rondeau qui était sorti dans -l'intervalle: _J'ai acheté leur silence._ Le soir même, il reprit la -diligence de Chartres; son intention était sans doute de découvrir dans -le pays ce que l'on pouvait dire sur son compte, car il ne prit sa place -que jusqu'à Maintenon. Son seul but, à l'entendre, était de voir un nommé -Frot, dont il voulait affermer la pêche sur la rivière d'Eure. Il alla -chez ce Frot le 29, et il ne fut nullement question de ce marché. - -Dès son arrivée à Maintenon, le 29, à quatre heures du matin, il dit -qu'il vient de Chartres pour affaire; plus tard, il dit à d'autres qu'il -arrive de Paris; il passe la journée dans différens cabarets et cafés, va -à Saint-Piat, y boit avec trois jeunes gens de sa connaissance, à qui il -dit qu'il est venu à Maintenon pour des affaires qui devaient durer deux -jours, mais qu'on lui a compté des pièces de cinq francs et qu'il va -repartir: et cependant il fut établi qu'il n'avait fait aucune affaire à -Maintenon, et que personne ne lui avait compté d'argent. Il retourne le -soir, avec ces jeunes gens à Maintenon, joue avec eux au billard, et -tout-à -coup au milieu de la partie où, suivant les témoins, son jeu était -d'abord brillant, dès qu'il aperçoit le brigadier de gendarmerie, il ne -peut plus jouer, il devient inquiet et tremblant; ses jambes et ses mains -sont dans une agitation continuelle. Il affecte des politesses tant -envers les gendarmes qu'envers ceux de qui il croit pouvoir se réclamer. -Enfin, prêt à monter en diligence, ses papiers ne sont pas en règle; il -est arrêté et conduit au quartier de gendarmerie, où il passe une nuit -très-agitée. Lapalette, de son côté, après avoir quitté Fréon pendant la -nuit du 21 au 22, était revenu à Chartres. Il ne rentra chez lui qu'à six -heures du matin. La fille Curot lui demande ce qu'il a fait; il la -maltraite, il lui dit: _Veux-tu te taire! Je ne veux pas que les voisins -sachent que j'ai passé la nuit dehors._ Il lui dit, un instant après, -qu'il vient de reconduire Fréon, et lui montre quarante francs que -celui-ci lui a donnés. - -Au moment où l'assassinat venait d'être commis, et où la foule se portait -à la maison de la dame Aillet, Lapalette s'y trouva avec un nommé -Lailler. Ils aidèrent tous deux à ouvrir la porte, mais au moment où -Lailler se disposait à franchir le mur, Lapalette prétexta une affaire, -se retira, et environ une heure après, passant dans une rue voisine d'où -l'on voyait la foule, il s'adressa à la femme Fauquereau et lui demanda -ce qu'il y avait, comme s'il eût été possible qu'il l'ignorât; puis se -retrouvant avec Lailler, au moment où celui-ci était encore tout ému de -la vue des cadavres, il le railla sur son émotion. - -Le soir même, Lapalette prend la diligence de Paris; le 25 au matin, il -dit à un témoin en présence de Fréon, qu'il vient s'amuser à Paris, qu'il -a touché de l'argent à Chartres, qu'il l'a gagné à conduire des chevaux à -la foire en Picardie; et Fréon le dément au même instant. Il dit à un -autre qu'il a de l'argent, et qu'il ne quittera Paris qu'après avoir tout -mangé; en effet, il passe trois jours dans la débauche la plus complète -et fait une dépense considérable. Il paie le prix d'un déjeûner fait avec -Fréon et Muller, et frappant sur sa poche, il dit: _Je ne veux pas que tu -paies, Henry: nous avons de l'argent._ Il est arrêté le 29; on trouve sur -lui cent quatre-vingt-dix francs. On l'interroge sur deux masques de -parchemin, trouvés dans la paillasse de son lit, à Chartres; il prétend -que ces masques sont anciens, qu'il s'en est servi autrefois pendant le -carnaval, et que depuis long-temps la fille Curot les lui a cachés. -Celle-ci, au contraire, soutient qu'elle ne les a jamais vus et qu'elle -ignorait jusqu'à leur existence. Il est probable que ces masques avaient -servi à Lapalette et à son complice pour se déguiser lors de l'exécution -de leur forfait. On demande compte à Lapalette des cent quatre-vingt-dix -francs trouvés sur lui, il dit qu'en quittant Chartres, il avait près de -trois cents francs; qu'il les avait depuis quelque temps, quoiqu'il -vendît ses meubles et ses effets; qu'il ne faisait ces ventes que pour -laisser ignorer à la fille Curot qu'il eût cet argent; que ces trois -cents francs provenaient tant de la vente de son mobilier et de ses -effets, que d'un don de quarante francs fait par Fréon, et le reste -résultant de ses économies. Il ajouta que ce trésor était caché dans son -grenier, comme si l'on pouvait croire aux économies d'un homme réduit à -vendre ses habits, ne gagnant plus que douze sous par semaine, et qui, la -veille même de l'assassinat, faisait vendre deux chaises pour subsister. -Il en imposait évidemment; d'où pouvait donc lui provenir cet argent? - -Les preuves les plus fortes désignant Fréon comme l'un des auteurs de -l'assassinat commis dans la nuit du 21 au 22, des preuves pareilles -atteignaient Lapalette comme son complice. De son propre aveu, il ne -l'avait pas quitté, depuis le samedi soir à neuf heures, jusqu'à deux -heures du lendemain matin; il avait donc assisté à tout; il avait puisé à -la même source. Tous deux avaient partagé le même crime, et quand on -rapproche de ces circonstances le changement subit de leur situation -pécuniaire et la dépense qu'on leur a vu faire ensuite; quand on remarque -leurs variations dans leurs réponses, au point de se contredire -formellement sur un point essentiel, et de rendre chacun un compte -contradictoire de ce qu'ils firent dans la nuit du samedi au dimanche; -lorsqu'on rapproche tous ces faits des propos extraordinaires que -plusieurs témoins ont recueillis, on demeure convaincu, que tous deux -faisaient partie des assassins, et que cet argent qu'on leur avait vu -répandre à pleines mains, dès le lendemain du crime, ne pouvait en être -que le fruit. L'intimité dans laquelle la fille Curot vivait avec le -nommé Bouin, avait fait d'abord présumer qu'elle n'était pas étrangère au -crime dont celui-ci était accusé; on avait tout lieu de croire que les -assassins avaient eu pour complice une personne affidée, qui était restée -en dehors de la maison de la veuve Aillet pour faire le guet, tandis que -les auteurs principaux du crime s'étaient introduits dans l'intérieur. -Dans cette hypothèse, la fille Curot semblait avoir dû être chargée, dans -l'exécution du crime, de la coopération qui s'accordait le plus avec les -idées que son sexe et sa force pouvaient faire naître; mais les charges -qui s'élevaient contre elle ayant paru insuffisantes pour la mettre en -accusation, la Cour, par son arrêt du 1er août, la renvoya de la -poursuite, et ne maintint l'ordonnance de prise de corps que contre -Lapalette et Fréon. - -En conséquence de ces faits, Charles-Philippe-Toussaint Fréon et -André-François Bouin dit Lapalette, furent renvoyés devant la Cour -d'assises d'Eure-et-Loir, séant à Chartres, sous l'accusation 1º d'avoir, -dans la nuit du 21 au 22 juin 1823, commis de complicité, volontairement -et avec préméditation, un homicide sur la personne de la dame veuve -Aillet; 2º d'avoir, dans la même nuit, commis de complicité, -volontairement et avec préméditation, un homicide sur la personne de la -fille Goussard; 3º d'avoir dans la même nuit, et au moment ou lesdits -homicides avaient eu lieu, soustrait frauduleusement, de complicité, à -l'aide d'escalade et d'effraction dans une maison habitée, de l'argent -monnayé, deux montres en or et d'autres effets appartenans à la dame -Aillet. - -Les débats de cette grave affaire s'ouvrirent, le 19 août, sous la -présidence de M. Chevalier-Lemore, au milieu d'un concours immense de -spectateurs. - -Les défenseurs des accusés leur avaient été nommés d'office. Me Doublet, -avocat stagiaire, aujourd'hui attaché au barreau de Chartres, plaidait -pour Fréon. La tâche des défenseurs était pénible. Ils firent tous leurs -efforts pour concilier ce qu'ils devaient à leur mission, et ce que leur -imposait leur conscience; aussi, lorsque après une discussion approfondie -de l'accusation, l'avocat de Fréon, s'écria d'une voix émue: -«Puissions-nous ne plus avoir à remplir ce douloureux ministère! -Puissions-nous avoir concilié nos devoirs comme citoyens, nos obligations -comme hommes de la loi! Puissions-nous trouver le prix de nos efforts et -un adoucissement à notre tâche dans le sentiment de l'intérêt public!» Un -murmure d'approbation se fit entendre, et fut ratifié par tous ceux qui -avaient suivi ces débats. La preuve la plus accablante contre Fréon, fut -la reconnaissance formelle de l'horloger à qui il avait vendu la montre -de la dame Aillet. - -Cette procédure dura trois jours, et le résultat fut la condamnation à -mort des accusés. Ils se pourvurent en cassation; dans cet intervalle, -Fréon fut pris de violens vomissemens, et tout annonça qu'il cherchait à -s'empoisonner à l'instar de Bancal dans l'affaire Fualdès, en buvant de -l'urine dans laquelle il avait laissé de la monnaie de cuivre. Fréon -répétait à son défenseur, qu'il ne serait jamais exécuté. - -Lorsque le pourvoi eut été rejeté par la Cour de cassation, et le jour de -l'exécution arrêté, les condamnés se barricadèrent dans leur cachot, et -l'on ne put s'y introduire. L'exécution fut ajournée; depuis, Lapalette -chercha à retarder sa mort par des révélations qu'il fit, révélations qui -semblaient annoncer que les condamnés avaient des complices, (et c'était -l'opinion générale à Chartres). Cependant, les investigations nouvelles, -auxquelles la justice se livra, prouvèrent que ces révélations étaient -mensongères, et bientôt Fréon et Lapalette portèrent leur tête sur -l'échafaud!... - -Ce crime avait jeté l'effroi dans la ville de Chartres; la population ne -fut rassurée, que lorsque les assassins eurent cessé de vivre. On parla -long-temps de cet assassinat; on se rappelait encore le jour de -l'inhumation de madame Aillet et de sa domestique; on parlait de cette -fille Goussard qui, pour sauver sa maîtresse, avait dû soutenir une lutte -si longue avec l'un des assassins. C'est d'elle que le ministère public -disait dans son réquisitoire: _La palme des martyrs vous était -réservée!_... - - - - -ANTOINE LÉGER, - -OU - -L'ANTHROPOPHAGE DES ENVIRONS DE VERSAILLES. - - -Un crime affreux, dont les circonstances présentent un caractère de -férocité sans exemple dans les annales criminelles, jeta, en 1824, -l'épouvante et l'horreur dans plusieurs communes du département de -Seine-et-Oise. - -Le 10 août, Aimée-Constance Debully, jeune fille de la commune -d'Esteville, arrondissement d'Étampes, âgée de douze ans et demi, sortit -de chez ses parens, vers quatre heures du soir, pour aller débourgeonner -une pièce de vigne qu'ils possédaient à un quart de lieue du village, et -près du bois de Sardion. Le soir, sa famille ne la voyant pas revenir, en -conçut quelque inquiétude, et se mit à sa recherche. On se rendit à la -vigne; on y trouva ses souliers, son chapeau et sa serpette, rangés avec -assez d'ordre. Mais ce fut vainement que son père et ses frères la -cherchèrent en l'appelant, une partie de la nuit, dans les bois des -environs. - -Les autorités locales, instruites de cette disparition, ordonnèrent -aussitôt des battues générales dans tout le pays. Durant les cinq -premiers jours, elles ne produisirent d'autre résultat que la découverte -d'un mouchoir rayé bleu et blanc, qui n'avait pas appartenu à la jeune -Debully, et qui fut trouvé à peu de distance de la pièce de vigne. - -Enfin le 16 août, dans une battue faite au milieu d'une roche située -au-dessus de Montmiraux, dite la roche _de la Charbonnière_, on remarqua -dans l'une des crevasses du roc des branchages de fougère fanée, qui -paraissaient avoir été tout récemment foulés; on les déplaça, et l'on -découvrit, par ce moyen, l'entrée d'une espèce de caverne dans laquelle -on descendit. - -Des débris d'artichaux, d'ognons, de cosses de pois et d'épis de blé, et -un lit de foin et de mousse que l'on y trouva, annoncèrent que cette -tanière avait servi d'habitation. Une odeur fortement cadavéreuse qui -s'en exhalait excita de nouvelles recherches; et, à l'aide de lumières -que l'on fit apporter, on trouva caché sous deux pieds de sable environ, -dans un enfoncement pratiqué au fond de la grotte, un paquet volumineux -que l'on en retira aussitôt. - -Ce paquet renfermait un cadavre déjà en putréfaction; les jambes et les -cuisses étaient repliées sur le ventre; le tronc étaient horriblement -mutilé: le tout avait été enveloppé dans une chemise, un jupon et un -mouchoir fortement entortillés par un lien de chêne. Les malheureux époux -Debully reconnurent dans ce cadavre celui de leur fille. - -Informé de cette découverte, qui ne laissait plus aucun doute sur -l'existence d'un crime, le juge d'instruction du tribunal d'Étampes se -transporta aussitôt sur les lieux, accompagné d'un chirurgien qui examina -le cadavre avec soin. On reconnut que le corps avait été ouvert dans -toute son étendue, à l'aide d'un instrument fort tranchant; que des -plaies nombreuses et profondes avaient été faites sur plusieurs parties -du corps avec la pointe du même instrument. La tête et le cou étaient -gorgés de sang, tandis que le cÅ“ur et les vaisseaux sanguins qui -l'environnent, étaient absolument desséchés. - -Cependant, depuis la disparition de la jeune Debully, l'inquiétude -régnait dans les campagnes voisines, et on épiait avec soin tous les -étrangers qui paraissaient dans le pays. - -Le 12 août, le garde particulier du canton aperçut dans un bois, et près -d'une fontaine, un homme qui lui était inconnu, et dont la figure et -l'extérieur lui parurent étranges. Il voulut s'en approcher, et cet homme -disparut. Le lendemain, le garde le guetta presque toute la journée à la -fontaine, et le voyant revenir le soir, il l'arrêta. - -C'était Antoine Léger. Long-temps cet homme se renferma dans un système -de dénégation absolue; mais enfin dans un interrogatoire où il avait été -vivement pressé, il déroula lui-même la série de crimes dont il s'était -rendu coupable; il en révéla jusqu'aux moindres circonstances; il en -produisit les preuves; il indiqua à la justice et le théâtre du forfait -et la manière dont il avait été consommé. - -Léger, d'après son propre récit, avait toujours paru, dès sa jeunesse, -d'un caractère sombre et farouche; il recherchait habituellement la -solitude, et fuyait la société des femmes et des jeunes garçons de son -âge. Impatient de s'éloigner de sa famille, de vivre dans un isolement -complet, il quitta la maison paternelle, le 24 juin 1824, jour de la -Saint-Jean, sous prétexte d'aller se placer à Dourdan comme domestique, -n'emportant avec lui qu'une somme de cinquante francs et les habits qui -le couvraient au moment de son arrestation. Au lieu de se rendre à -Dourdan, comme il en avait manifesté l'intention, il vint directement à -Étampes, y passa la nuit dans une auberge, se dirigea sur la Ferté-Aleps, -s'arrêta dans les bois qui dominent le hameau de Montmiraux près de cette -ville, et y resta jusqu'au 11 août. Il parcourut d'abord ces bois pour y -chercher une retraite où il pût se mettre à l'abri des injures de l'air, -et ce ne fut qu'au bout de huit jours qu'il découvrit les rochers de la -Charbonnière, qui dès-lors lui servirent de repaire. Il s'y prépara -aussitôt un lit composé de regain sec, qu'il descendit chercher dans la -vallée. - -Léger prétendit qu'il avait vécu pendant les quinze premiers jours de -racines, de pois, d'épis de blé, de groseilles, et de fruits qu'il allait -cueillir sur la lisière des bois; que, notamment au mois d'août, il alla -la nuit voler des artichauts dans le jardin d'une filature voisine. Ayant -un jour pris un lapin sur une roche, il le tua, et le mangea cru -sur-le-champ; mais bientôt, sentant plus vivement les atteintes de la -faim, pressé par le besoin, il se rendit un jour, vers neuf heures, à la -Ferté-Aleps pour y acheter quelques livres de pain et du fromage de -Gruyère. Il y retourna trois ou quatre fois encore à la même heure, en -suivant le même chemin, et pour le même objet. Cependant, au milieu de la -solitude, de violentes passions l'agitaient. Il éprouvait en même temps -l'horrible besoin de manger de la chair humaine, de s'abreuver de sang; -il ne tarda pas à en trouver l'occasion. - -Le 10 août, comme il se promenait dans les bois, se trouvant vers les -quatre heures de l'après-midi, sur les hauteurs qui dominent le vallon -d'Esteville, il aperçut dans une vigne, près de la lisière du bois, une -jeune fille (c'était Aimée-Constance Debully), et conçut l'infernal -projet de l'enlever. L'endroit était solitaire; quelques bergers, -quelques cultivateurs étaient épars dans la plaine; mais une grande -distance les séparait de lui: les cris de sa victime ne pouvaient être -entendus. Aussitôt il descend rapidement la côte, et à travers le bois, -fond comme une bête féroce sur sa timide proie. La jeune Debully, qui -était assise près de sa vigne, ne le vit pas s'approcher; elle n'eut même -pas le temps de se retourner, que déjà Léger avait passé son mouchoir -autour d'elle, l'avait chargée sur son dos, et emportée à pas précipités -au milieu de l'épaisseur du bois. - -Fatigué de sa course, et voyant que la jeune fille était sans mouvement, -il la jeta sur l'herbe. L'horrible projet que ce cannibale avait conçu, -le forfait qu'il avait médité, furent exécutés; la jeune fille était sans -vie; le tigre eut soif de son sang..... - -Ici nous écartons des faits épouvantables qui, par respect pour la morale -publique, ne furent mentionnés qu'à huis-clos, lors de la procédure. «Ici -notre silence s'arrête, dit un historien de ce crime monstrueux; -l'imagination s'épouvante devant une série de forfaits que, pour la -première fois, la barbarie, et la férocité ont enfantés. Le soleil -n'avait pas encore éclairé un pareil forfait: c'est le festin d'Atrée!» - -La rage de Léger étant assouvie, le monstre sentit la nécessité d'effacer -jusqu'aux moindres traces de son crime. Il saisit ce corps inanimé, -l'enveloppa dans les vêtemens qui le couvraient, le lia avec une forte -branche de chêne qu'il coupa sur le lieu même, l'emporta dans sa grotte -et l'y ensevelit. - -Léger, après avoir fait lui-même le récit très-détaillé des faits qu'on -vient de lire, fournit, à l'appui de ses aveux, des preuves matérielles -de leur véracité. Conduit sur les lieux, il montra l'endroit où il -s'était arrêté pour commettre son crime. Il indiqua le pied du chêne sur -lequel il avait coupé la branche pour lier le cadavre, et cette branche, -rapprochée de sa tige, s'y rapportait parfaitement; enfin, il désigna le -rocher sous lequel il avait caché le col et les manches de sa chemise: en -effet, on les y trouva. - -Depuis le jour où il avait tout avoué, Léger conserva un sang-froid -épouvantable. Quand on lui rappelait toutes les circonstances de son -crime, un _oui_, prononcé avec indifférence, était la seule réponse à -toutes les questions qu'on lui adressait. - -Léger comparut devant la Cour d'assises de Seine-et-Oise, le 23 novembre. -Bien que l'on sût d'avance que la nature de sa cause ne permettait pas -que l'audience fût publique, un concours de spectateurs avait envahi -toutes les avenues du tribunal. On était curieux de voir la physionomie -de cet anthropophage. Mais la figure de Léger trompa l'attente de tout le -monde. Ses traits présentaient l'apparence du calme et de la douceur; -seulement ses regards étaient hébétés. Ses yeux fixes, sa contenance -immobile, son air silencieux et méditatif, son teint blême et décoloré, -glaçaient presque d'effroi les spectateurs. Son costume était celui de sa -profession de vigneron, une veste et un pantalon bleu. - -Interpellé par le président sur ses nom et prénoms, il répondit avec la -même tranquillité que s'il se fût agi de l'affaire la plus ordinaire: «Je -me nomme Antoine Léger: je suis journalier, âgé d'environ vingt-neuf ans, -né et demeurant dans la commune de Saint-Martin-Betencourt -(Seine-et-Oise).» - -Nous allons donner quelques parties de son interrogatoire public, qui -présentent aussi des détails révoltans: - -_D._ A quelle heure êtes-vous sorti, le 10 août, de votre caverne? - -_R._ Je n'étais pas réglé pour sortir; je suis sorti vers trois heures et -demie. - -_D._ Répétez de vous-même, comme vous l'avez fait dans l'instruction, ce -que vous avez fait le même jour, à quatre heures du soir. - -_R._ J'étais allé pour cueillir des pommes: j'ai aperçu, au bout du bois, -une petite fille qui était assise. Il m'a pris idée de l'enlever; je lui -ai passé mon mouchoir autour du cou et l'ai chargée sur mon dos. La -petite fille n'a jeté qu'un petit cri. J'ai marché à travers le bois, et -me suis trouvé mal de faim, de soif et de chaleur. Je suis resté -peut-être une demi-heure comme ça sans connaissance. La soif et la faim -m'ayant pris trop fort, je me suis mis à la dévorer..... - -_D._ Dans quel état se trouvait alors la jeune fille? - -_R._ Sans mouvement: elle était morte. Je n'ai essayé que d'en manger, et -voilà tout. - -_D._ Dites toute la vérité, comme vous l'avez fait dans l'instruction; ce -qui vous a soulagé, ainsi que vous l'avez observé vous-même. - -L'accusé se renferma dans une dénégation absolue sur tout ce qui avait -rapport au viol. Le président de la Cour donna lecture des réponses -précédentes de Léger; elles firent frémir. L'accusé était convenu -qu'ayant ouvert le corps de l'infortunée créature, et voyant sortir le -sang en abondance, il y désaltéra sa soif exécrable, «et poussé, dit-il, -par le malin esprit qui me dominait, j'allai jusqu'à lui sucer le -cÅ“ur...» - -_L'Accusé_: Je n'ai rien dit de tout cela à messieurs les juges, qui ont -écrit ce qu'ils ont voulu. - -A d'autres questions, Léger répondit avec un inconcevable sang-froid: Je -n'y ai pas fait attention..... D'ailleurs, je suis tombé en faiblesse, et -me suis trouvé mal..... Je n'ai fait tout cela, dit-il plus loin, que -pour avoir du sang..... Je voulais boire du sang..... J'étais tourmenté -de la soif; je n'étais plus maître de moi. - -_D._ N'avez-vous pas détaché avec votre couteau le cÅ“ur de votre -victime? - -_R._ Je l'ai _tâté_ un peu avec mon couteau, et je l'ai percé..... - -_D._ Qu'avez-vous fait des débris du cadavre? - -_R._ Je les ai cachés hors de la grotte, sous de la fougère et toutes -sortes de choses. Il y avait des oiseaux qui croassaient après moi. - -_D._ Quels oiseaux? - -_R._ Des pies, que je croyais être là pour me faire prendre..... parce -qu'elles croassaient contre moi. - -_D._ Vous étiez donc agité par la crainte? vous sentiez donc que vous -aviez mal fait? - -_R._ Oui; quand j'ai repris connaissance, je suis allé me cacher dans des -roches, plus bas: j'y ai passé une partie de la nuit sans pouvoir dormir. -Le lendemain, je me suis en allé à travers les champs, par-dessus les -montagnes; je me suis lavé la figure sur les roches où il y avait de -l'eau, et j'ai lavé aussi ma chemise; j'ai coupé le col et le bout des -manches où il y avait encore du sang _à même_. J'ai rencontré un garde et -j'ai pris la fuite. Quand je voyais quelqu'un d'un côté, je m'en allais -de l'autre. Le garde m'a dit: _Halte-là , de par le roi!_ Je me suis -arrêté tout court. - -_D._ Vous avez dit: Ce n'est pas vous qui m'emmèneriez. Le garde a -répondu: Je t'emmènerai mort ou vif. Il a donné un coup de sifflet, des -passans sont accourus et vous ont arrêté comme vagabond, car on ne -soupçonnait pas alors l'assassinat de la jeune Debully. Vous avez -prétendu que vous aviez été condamné à vingt années de fer, et que vous -vous étiez évadé? - -_R._ C'est possible. - -_D._ Vous êtes-vous coupé les cheveux, à la roche de la Charbonnière? - -_R._ Oui, j'ai coupé les cheveux que vous me montrez avec un de mes -couteaux, celui à manche de corne, qui est tranchant comme un rasoir. Je -mettais un rouleau de bois sous mes cheveux qui ne tenaient pas; ils -tombaient d'eux-mêmes. - -Léger reconnut le mouchoir avec lequel, après l'avoir tordu, il entraîna -la jeune Debully. - -_D._ Que vouliez-vous faire de cette enfant? - -_R._ Je n'avais pas de connaissance; j'étais poussé par le _malin -esprit_. - -La chemise saisie sur l'accusé, toute sale, toute ensanglantée et -couverte de déchirures, lui fut présentée. Cette vue ne le fit pas un -seul instant sourciller. - -Après l'audition des témoins, parmi lesquels on voyait le père et la mère -de l'enfant égorgée, et dont les dépositions ne firent que confirmer le -monstrueux attentat de Léger et redoubler l'intérêt et la pitié pour sa -victime, on entendit les médecins qui déclarèrent, relativement au genre -de mort de la petite Debully, qu'il y avait eu asphyxie, soit par -strangulation, soit par étouffement. Leur opinion fut aussi, et elle -était fondée sur des signes non équivoques, que l'attentat à la pudeur -avait été commencé pendant la vie de l'enfant, et consommé après sa mort, -seule circonstance que Léger ait persisté à nier. - -Dans cet état de choses, le défenseur, nommé d'office, présenta Léger -comme un être privé de la raison, et se fonda sur les habitudes vicieuses -qu'il avait contractées, sur sa fuite de chez ses parens et sur le genre -de vie qu'il menait. - -Le président, après avoir résumé d'une manière extrêmement lumineuse, -toutes les circonstances qui se rattachaient au crime atroce de Léger, -posa au jury les questions de viol et d'homicide volontaire, résultant de -l'acte d'accusation, en y ajoutant, sur la demande expresse du défenseur, -la question de démence. Le jury, après une demi-heure de délibération, -résolut affirmativement les questions de viol, d'attentat à la pudeur et -d'homicide avec préméditation et guet-à -pens, et négativement celle -relative à la démence: en conséquence, Léger fut condamné à la peine de -mort. Il entendit son arrêt avec une stupidité bien différente de la -froide impassibilité qu'il avait montrée aux débats. - - - - -VEILLÈRE, - -OU LA PASSION DU JEU. - - -Chez la plupart des joueurs, la passion qui les domine n'est autre que -l'ambition; sans l'espoir du gain, le jeu serait sans attraits pour eux. -C'est pourquoi, lorsque viennent les chances malheureuses, la raison, -l'honneur, le devoir, tout est oublié; une rage sombre, une sorte de -démence les obsède; alors tous les moyens leur sont bons pour se procurer -les ressources qu'ils croient propres à réparer leurs pertes. De là tant -de calamités domestiques! de là tant de crimes qui, si fréquemment, -portent l'épouvante au sein de la société! - -Toutefois, le criminel dont nous allons parler semble faire une exception -à cette règle générale. La passion du jeu était devenue chez lui une -monomanie qui n'avait d'autre objet que le jeu lui-même. Cette passion, -qui lui fit commettre un crime atroce, ne procédait point d'un rapace et -sordide intérêt. Il voulait toujours jouer, mais uniquement pour jouer; -et certes, ce n'était pas l'appât du gain qui, le jour même de son -exécution, alors qu'il savait très-bien qu'il n'y avait plus pour lui -d'espoir en ce monde, lui mettait encore les cartes à la main. - -Veillère, perruquier dans la ville de Rouen, marié depuis 1821, se -livrait à la funeste passion dont nous venons de parler, de manière à -compromettre les intérêts de sa maison. Il en résultait des scènes -violentes dans son ménage; il ne cessait d'accabler sa jeune et vertueuse -épouse de traitemens atroces: enfin, un jour, il en vint au point de se -précipiter sur elle et de lui porter, en présence de quelques autres -femmes qui voulurent vainement l'arrêter, plusieurs coups de couteau à la -gorge. Le malheureux voulait aussi se détruire et mourir avec elle, mais -les blessures qu'il se fit, quoique graves, ne furent pas mortelles. - -Il fut mis en accusation et traduit devant la Cour d'assises de la -Seine-Inférieure, le 14 août 1824; il parut devant ses juges avec une -contenance assurée. Condamné à mort sur la déclaration unanime du jury, -il entendit son arrêt sans dire un seul mot, sans donner aucun signe -d'émotion. Résigné à mourir, il refusa opiniâtrément de se pourvoir. - -Dès ce moment, il attendit la mort avec une impassibilité étonnante, -continuant de jouer, suppliant quelques prisonniers de ne pas lui refuser -de faire sa partie pour les derniers momens de sa vie, et les menaçant -plaisamment de venir les tourmenter après sa mort, s'ils ne se rendaient -pas à son désir. - -Le 18 août, veille de son exécution, il ne quitta le jeu que pour se -coucher, et presque aussitôt s'endormit d'un sommeil paisible. Le -lendemain matin, le matin de son dernier jour, à son lever, il déjeûna -avec appétit et se remit au jeu jusqu'au moment de passer dans la -chapelle, où le prêtre l'attendait. Il demanda avec beaucoup d'instance -que le détenu qui jouait avec lui l'accompagnât jusque dans cet endroit; -puis il se confessa avec le plus grand calme, écouta avec beaucoup -d'attention les consolations et les prières de l'ecclésiastique qui -l'assistait, et marcha à l'échafaud, avec la même impassibilité qu'il -avait toujours montrée. - - - - -EFFRAYANTE SÉRIE D'ATROCITÉS. - - -François Turrel, propriétaire et cultivateur à Merlieux, arrondissement -de Belley, offrit, en 1824, à la Cour d'assises de l'Ain devant laquelle -il fut traduit, un criminel capable de disputer le prix de la -scélératesse au trop fameux Lelièvre, condamné et exécuté à Lyon quelques -années auparavant. - -Ce monstre était accusé non seulement d'avoir assassiné Anthelmette Genet -sa femme, mais encore d'avoir causé la mort de trois autres femmes, -auxquelles il s'était uni par le mariage, sans que toutefois la réalité -de ces derniers crimes fût démontrée. Nous allons rapporter les faits de -cette cause tels qu'ils furent présentés dans le système de l'accusation. - -Turrel, âgé de soixante ans, à l'époque de son jugement, avait épousé en -premières noces, trente années auparavant, une femme originaire de -Savoie. Pendant quelque temps, il vécut avec elle en assez bonne -intelligence; mais bientôt entraîné par la passion du libertinage, il se -livra à un commerce illégitime avec la fille Gouge, sa servante, et -conçut dès-lors le projet d'attenter à la vie de sa femme, pour épouser -sa concubine. Un jour, embusqué derrière un rocher, il assaillit sa femme -à coups de pierres et la blessa à l'épaule. Une autre fois, l'ayant -dirigée sur une ouverture pratiquée dans son fenil, il la précipita du -haut en bas sur des chariots et des pièces de bois qu'il avait placées -au-dessous; et la malheureuse femme, brisée par cette chute, mourut au -bout de quelques jours. - -Turrel épousa alors la fille Gouge; mais cette seconde femme ne fut pas -plus heureuse que celle qu'elle avait si cruellement supplantée. Abreuvée -de chagrins de toute espèce, elle finit par y succomber, et le bruit -courut qu'elle était morte des suites d'un coup de pied que son mari lui -avait donné dans le bas-ventre. - -Pendant la durée de son second mariage, Turrel avait pris à son service -sa propre nièce qui périt peu de temps après, si l'on s'en tient au cri -public, du fait de Turrel. - -Resté veuf, Turrel convola à de troisièmes noces; il épousa la fille -Goddet, mais alors même, il avait une inclination très-vive pour -Anthelmette Genet, sa servante. La fille Goddet avait quelques -propriétés; ce qui donna lieu de croire que le mariage de Turrel avec -elle n'avait été qu'une spéculation d'intérêt. En effet, pressé du désir -de vivre en toute liberté avec sa concubine, il conçut bientôt le dessein -de se défaire de sa nouvelle femme, et Anthelmette Genet consentit à -devenir sa complice. Ainsi, au bout d'une année de mariage, un nouveau -crime fut commis; Turrel fit empoisonner sa femme par les mains de celle -qui était depuis long-temps sa servante et sa concubine, et la -malheureuse épouse périt en proie à des convulsions qui ne permirent pas -de douter de la cause de sa mort. - -Ce fut alors qu'il prit pour femme Anthelmette Genet, et les premières -années de cette union furent assez paisibles; mais, à la longue, Turrel -conçut pour la Genet du dégoût et de l'aversion, et dans ses désirs -effrénés, il rechercha d'autres femmes pour satisfaire ses passions. La -femme Turrel, égarée par la jalousie, se livra aux plus violens -emportemens. Des scènes terribles eurent lieu entre les deux époux, et, -après dix-huit ans de mariage, Turrel médita de nouveaux projets -d'homicide; il résolut d'être encore le meurtrier de sa quatrième femme. - -Ses premières tentatives échouèrent; mais elles furent toutes marquées -d'un caractère de noirceur et d'atrocité. Un jour qu'il poursuivait sa -femme, celle-ci voulut traverser une rivière pour se soustraire à sa -fureur; il lui plongea la tête dans l'eau pour la noyer; et ne la laissa -s'échapper que lorsqu'on accourut pour la secourir. Une autre fois, cette -malheureuse s'aperçut qu'il avait caché de gros cailloux dans la -paillasse de son lit: elle s'en étonne; il lui dit que ce sont ses -défenseurs, mais elle ne doute point qu'il ne veuille s'en servir pour -attenter à ses jours. Dès-lors, elle se renferme, la nuit, dans une -chambre séparée de celle de son mari, pour reposer du moins sans avoir la -crainte d'une mort prochaine. Turrel trouve un moyen de l'en faire -sortir: il feint d'être malade, il l'appelle, la fait monter au grenier; -il veut qu'elle y cherche du bois pour allumer du feu; puis quand elle -redescend, il retire l'échelle, et la malheureuse femme, exposée au -danger d'une chute cruelle, reste suspendue jusqu'au moment où l'on vient -la secourir. - -Enfin arrive le 12 décembre 1823; c'était le jour où Turrel devait mettre -le comble à ses forfaits. Entre onze heures et midi, des cris sont -entendus: _Pardon! au secours!_ ces cris partaient de sa maison. Une -fille du voisinage regarde au travers d'une ouverture pratiquée dans la -muraille; elle voit Turrel sur la porte de son écurie, ayant l'air -inquiet et cherchant à s'assurer s'il n'est vu de personne. Il rentre, il -sort, et après quelques instans, il revient avec un de ses neveux qu'il a -rencontré. Le neveu, en entrant dans l'écurie, aperçoit un cadavre étendu -par terre, et couvert de contusions et de blessures, _O mon Dieu!_ -s'écrie-t-il, _ma pauvre tante est morte!_ Turrel dit que c'est son -cheval qui l'a tuée; qu'il l'a trouvée sous ses pieds dans l'état le plus -déplorable: et il frappe ce pauvre animal, comme pour se venger, comme -pour le punir! - -Bientôt des voisins arrivent. Le corps de la femme Turrel est emporté. -Un chirurgien est appelé; il fait l'examen du cadavre, et reconnaît que -les blessures qui ont causé la mort n'ont pu être faites qu'avec un -instrument contondant. Alors Turrel devient l'objet des soupçons les plus -véhémens, et après qu'on a trouvé dans l'écurie un trident et un _racle_ -en fer, tout ensanglantés, quand on découvre un pantalon de Turrel taché -de sang, et auquel étaient collés des cheveux de la victime, on ne doute -plus qu'il ne soit l'assassin; la justice est avertie, et sur-le-champ -fait arrêter Turrel. - -La Cour d'assises de l'Ain, séant à Bourg, fut saisie de cette horrible -cause. Turrel comparut devant elle, en mai 1824. L'instruction, les -dépositions des témoins et les débats confirmèrent la vérité des faits -épouvantables que l'on vient de lire, et le scélérat Turrel fut condamné -à la peine de mort. - - - - -PAPAVOINE, - -OU LE MEURTRE DU BOIS DE VINCENNES. - - -Voici un de ces épouvantables forfaits devant lesquels la science demeure -confondue, qui déconcertent la raison humaine, dont les motifs, s'il en -existe, échappent à toutes les investigations, et qui feraient presque -croire que cette fameuse fatalité des anciens, si fertile en crimes, si -énergiquement peinte par les tragiques grecs, n'était autre que cette -nouvelle et déplorable faiblesse à laquelle l'humanité semble être -assujétie depuis quelques années, et que le barreau a déjà tant de fois -invoquée sous le nom de _monomanie du sang_. - -Dans le procès de Papavoine, comme dans plusieurs autres dont les -tribunaux ont retenti, on ne voit figurer ni l'ambition, ni la jalousie, -ni la cupidité, ni la vengeance. Cet homme ne connaissait même pas les -enfans qu'il frappa si cruellement. L'horrible meurtre dont il se souilla -n'était donc inspiré par aucun des motifs qui arment ordinairement le -bras de l'assassin. - -Il est présumable que Papavoine cherchait dans une vengeance, dont -l'objet lui était indifférent, un allégement à de vagues inquiétudes, à -une mélancolie profonde; peut-être aussi tout autre individu qu'une -créature humaine aurait-il pu l'assouvir; il eût même été possible qu'il -tombât lui-même victime de ses propres coups, s'il eût été seul lorsque -cette fièvre homicide s'empara de lui. - -Mais, comme l'a fort judicieusement observé un savant légiste: «La -justice n'a pas besoin de plonger dans les abîmes du cÅ“ur humain, -lorsque le crime est constant, et que la société en demande la -répression.» Lorsqu'un crime a été commis, le coupable, s'il est prouvé -qu'il n'est pas en démence, est nécessairement justiciable des lois -applicables à ce crime. Vainement alléguera-t-on en sa faveur qu'il est -sujet à des accès de frénésie sanguinaire, qu'il a un penchant -irrésistible au meurtre, qu'il est monomane enfin; la société justement -alarmée, doit, dans l'intérêt de sa conservation, frapper ce furieux qui -a soif de sang, et s'affranchir des craintes et des périls continuels -auxquels donnerait lieu l'existence de cette espèce de monstre féroce. - -Passons maintenant aux singularités qui caractérisent le tragique -attentat de Papavoine. Elles serviront à fixer les idées du lecteur sur -la nature de cet assassinat. - -Dans la soirée du 10 octobre 1824, la nouvelle se répandit dans Paris que -deux enfans venaient d'être assassinés dans le bois de Vincennes. Les -contes les plus étranges, longuement et diversement commentés, donnèrent -lieu à plusieurs versions plus absurdes les unes que les autres; la -distance qui sépare la capitale du bois de Vincennes favorisait aussi -toutes ces amplifications de commères, naturellement avides de tout ce -qui paraît merveilleux. Toutefois, il était un point malheureusement trop -vrai; le fait matériel était exact: deux enfans avaient été assassinés. - -La demoiselle Hérin, poussée par une malheureuse destinée, s'était rendue -ce jour-là à Vincennes. Cette demoiselle, fille du portier de -l'Intendance militaire, avait fait, depuis 1815, la connaissance du -sieur Gerbod fils; une liaison intime, à laquelle il ne manquait que la -consécration légale, s'était établie entre eux, et il en était résulté -deux enfans mâles, âgés, l'un de cinq ans, l'autre de six. Gerbod fils, -qui avait reconnu ces deux enfans, manifestait depuis long-temps -l'intention d'épouser la demoiselle Hérin; mais son père s'était -constamment opposé à cette union. Gerbod père, possesseur d'un -établissement considérable de charronnage, était parvenu, à l'aide de ses -travaux et d'une honnête industrie, à acquérir une sorte d'opulence; ce -qui explique son refus de marier son fils avec une fille sans fortune, et -déjà devenue mère de deux enfans, sous les yeux de ses parens qui -souffraient son commerce avec Gerbod fils. Ce père avait d'ailleurs -d'autres projets, qui, à la vérité, ne purent être réalisés, soit à cause -du refus du jeune homme, soit par suite de la reconnaissance que celui-ci -avait faite de ses deux enfans naturels. Cependant, et malgré un acte -respectueux signifié, et une scène assez vive entre la demoiselle Hérin -et la famille Gerbod, la bonne intelligence ne fut pas sérieusement -troublée entre le père et le fils. Les enfans de la demoiselle Hérin -avaient été mis en pension à Vincennes; et le 10 octobre, leur mère -s'était rendue auprès d'eux. - -Le même jour, une demoiselle Malservait, marchande de modes, ayant donné -rendez-vous, dans le bois de Vincennes, à une personne de sa connaissance -qui était allée à Alfort, entra dans la boutique de la dame Jean; elle se -fit servir un verre de liqueur. Dans le même moment, on aperçut -Papavoine; il s'arrêta auprès de cette boutique et suivit la demoiselle -Malservait dans le bois. Il était vêtu d'un pantalon noir et d'une -redingotte bleue, boutonnée depuis le haut jusqu'en bas. - -De son côté, la demoiselle Hérin, accompagnée de ses enfans, se promenait -dans le bois de Vincennes. La demoiselle Malservait ayant rencontré -mademoiselle Hérin, lui demanda la permission de faire quelques caresses -à ses enfans. Papavoine passa auprès d'elles, ôta son chapeau et les -salua; il continua sa route. La demoiselle Malservait, qui se dirigeait -de l'autre côté, l'atteignit, et Papavoine lui adressant la parole, lui -dit: «Connaissez-vous ces enfans que vous venez d'embrasser?» A quoi -elle répondit: «On peut faire des caresses à des enfans qu'on ne connaît -pas.» Papavoine s'éloigna; c'est alors, à ce qu'il paraît, qu'il conçut -l'épouvantable pensée qu'il exécuta peu d'instans après. Il se transporta -dans la boutique de la dame Jean, et y demanda un couteau. La dame Jean -n'avait que des couteaux assortis par douzaine. Papavoine refusa de -prendre la douzaine entière; il obtint qu'on en détachât un, qui était en -tout semblable de forme, de mesure et de proportion aux autres, en -offrant de le payer un peu plus cher qu'on ne l'aurait vendu avec les -onze autres; la marchande consentit à le lui livrer à ce prix. - -Alors Papavoine, muni de cet instrument qu'il destinait au plus odieux -usage, retourna dans les allées du bois où les enfans se promenaient -encore. La demoiselle Malservait avait quitté les allées; elle était -partie pour se rendre au café où devait la rejoindre la personne qu'elle -attendait; il était alors onze heures et demie. Papavoine, dont la figure -était pâle, l'Å“il hagard, et qui se trouvait dans une sorte de frénésie, -aborda la demoiselle Hérin: «Votre promenade a été bientôt faite,» -dit-il à la mère; et se baissant, comme pour embrasser l'un des enfans, -il lui plongea son couteau dans le cÅ“ur. Aux cris de la victime -expirante, la demoiselle Hérin, quoique ignorant encore l'étendue de son -malheur, frappa l'assassin avec un parapluie qu'elle tenait à la main. Le -parapluie atteignit le chapeau de cet homme, et y laissa un trou qui fut -remarqué après l'événement. - -Pendant que la mère éplorée s'occupait des soins à prodiguer à cette -première victime, Papavoine plongea son couteau dans le cÅ“ur de l'autre -enfant, s'enfuit à pas précipités, et s'enfonça dans le taillis. - -La malheureuse mère, s'abandonnant à un désespoir difficile à décrire, -courait au hasard, appelant du secours; plusieurs personnes accoururent. -Elle leur donna le signalement de l'assassin, leur désignant sa figure, -ses vêtemens; et comme si les douleurs que lui faisait ressentir la -terrible scène qui venait de se passer sous ses yeux, avaient eu pour un -moment le pouvoir de lui interdire d'autres sentimens que celui de la -vengeance, elle indiquait, par des signes non équivoques, à quels traits -et de quelle manière on pouvait reconnaître le scélérat qui venait de -lui enlever les plus chers objets de sa tendresse. Au signalement qu'elle -donna du coupable, quelques personnes se souvinrent de l'avoir aperçu -quelque temps auparavant. - -On fit de vains efforts pour rappeler à la vie les deux malheureux -enfans; le meurtrier les avait frappés d'une main si assurée qu'ils -étaient morts sur le coup. Alors on s'empressa de courir à la recherche -de l'auteur du crime. Les portes du bois de Vincennes furent fermées, et -la gendarmerie, aidée par les militaires de la garnison, se mit en devoir -de fouiller le bois. - -La demoiselle Malservait, qui avait embrassé les deux enfans quelques -minutes avant leur assassinat, et qui avait parlé à l'homme qui se -préparait à leur plonger son couteau dans le sein, fut arrêtée, sous la -prévention de complicité. - -L'autorité locale, poursuivant ses recherches avec activité, découvrit -bientôt l'acquisition du couteau chez la dame Jean. Le signalement que -cette femme donna de l'individu qui l'avait acheté, fut conforme à ce -qu'avait déjà déclaré, à cet égard, la demoiselle Hérin. - -Enfin, vers midi, un gendarme rencontra dans une allée parallèle à celle -où le crime avait été commis, un individu qui causait avec un militaire, -et à qui s'appliquait parfaitement le signalement donné par la demoiselle -Hérin. Le gendarme le somma de le suivre; il ne fit aucune résistance; -seulement il objecta, avec un calme apparent, qu'il n'avait rien à se -reprocher, et que peut-être son arrestation ferait perdre la trace du -coupable. Cependant le militaire avec lequel cet homme avait causé ayant -déclaré qu'il venait de traverser le taillis, et lui avait demandé les -moyens de sortir du bois; qu'il l'avait aperçu examinant ses habits avec -une grande attention, comme pour s'assurer s'il n'y trouverait pas -quelques taches; et qu'il l'avait même questionné pour savoir si sa -figure n'était pas barbouillée, l'ensemble de ces circonstances détermina -le gendarme à arrêter cet homme, et il le conduisit dans la maison où la -demoiselle Hérin s'était retirée. A l'aspect du prisonnier que l'on -venait confronter avec elle, cette mère au désespoir s'écria: _C'est le -monstre qui a tué mes enfans_! - -La dame Jean le reconnut aussi pour être l'individu qui lui avait acheté -le couteau, et plusieurs personnes affirmèrent l'avoir aperçu dans les -allées du bois, peu d'instans avant la consommation du forfait. -Toutefois, cet homme ne paraissait pas moins repousser avec autant de -force que d'adresse ces accusations foudroyantes. Interrogé sur son nom, -il répondit qu'il se nommait Papavoine. - -L'autopsie des cadavres des deux jeunes victimes prouva que leur mort -avait été le résultat instantané de coups d'un instrument dont la forme -ressemblait à celle d'un couteau. Un des onze couteaux restans de la -douzaine, dans laquelle avait été pris celui vendu à Papavoine, ayant été -appliqué aux plaies, s'y adapta parfaitement. - -Tant de preuves réunies ne laissaient pas la moindre place au doute. -Cependant, en présence du juge d'instruction, le prévenu chercha, dans -ses réponses, à repousser l'accusation dirigée contre lui, et sa défense -prouva non seulement la rectitude et la clarté de ses idées, mais encore -une habileté véritable et peu commune. Depuis le 10 octobre, jour de son -arrestation, jusqu'au 15 novembre, il persévéra dans le même système de -dénégation; mais, à cette dernière époque, accablé par l'évidence des -preuves, il adopta tout-à -coup un nouveau système. Il commença par -déclarer qu'il avait de grandes révélations à faire; mais qu'il ne les -ferait qu'à condition qu'il serait entendu par deux augustes princesses: -on sent bien qu'il était impossible d'acquiescer à une demande aussi -bizarre. Il la restreignit ensuite à la faveur de paraître devant une -seule des deux princesses: nouveau refus. Il se détermina à parler, et se -reconnut enfin coupable du meurtre des deux enfans. Mais comme si ce -crime ne suffisait pas pour motiver l'application de la peine capitale, -il annonça qu'il s'était trompé en donnant la mort aux deux enfans de la -demoiselle Hérin, et que son intention avait été d'égorger les deux -jeunes enfans de France, Mademoiselle et le duc de Bordeaux. - -Cette monstrueuse explication, démentie par la vraisemblance, par les -faits et même par les opinions politiques de l'auteur du crime, n'en -imposa à personne. Les magistrats ne virent en elle que la base d'un -système de défense adopté par l'accusé. Son but était de persuader qu'il -était atteint d'une démence furieuse. Il développa bientôt son plan par -de nouveaux faits, qui, s'ils n'étaient pas le résultat d'une véritable -folie, attestaient une atroce habileté. - -Mais avant de passer outre, il ne sera pas hors de propos de jeter un -coup-d'Å“il sur la vie de Papavoine. Diverses circonstances dans -lesquelles son caractère viendra se refléter, aideront peut-être à -expliquer son crime, ou du moins à le rendre un peu moins -incompréhensible. - -Louis-Auguste Papavoine était né à Mouy (Eure), en 1784. Son père, -fabricant de draps dans cette ville, jouissait d'une aisance qui lui -avait permis de donner à son fils une éducation solide, qui pût le mettre -à même d'occuper un rang honorable dans la société. Le commerce -paraissant incompatible avec le caractère taciturne du jeune Papavoine, -on le destina à la bureaucratie. Admis dans l'administration de la -marine, il y fut placé, en 1804, en qualité de commis extraordinaire, et -s'embarqua successivement à bord de plusieurs vaisseaux de l'état, sur -lesquels il fit diverses courses maritimes. Nommé ensuite commis de -seconde classe, il fut promu, quelques années après, au grade de -quartier-maître, puis devint commis de première classe au port de Brest. -Ces divers emplois dont les fonctions ne sont ni sans importance, ni sans -responsabilité, Papavoine les remplit non seulement avec zèle, mais -encore avec une constante exactitude et une intelligence remarquable. - -Toutefois, on remarquait, et cette observation doit trouver place ici, -que Papavoine était d'une humeur peu sociable; qu'il fuyait ses -camarades, et ne prenait jamais la moindre part aux distractions -habituelles de son âge. Il paraissait sombre et mélancolique, se -promenait souvent seul, et toujours dans des lieux solitaires. Jamais on -ne lui avait connu de liaisons intimes, ni même aucun de ces attachemens -qu'excuse la fragilité humaine; dans les diverses relations qui lui -étaient imposées par ses emplois, on avait toujours trouvé ses idées -pleines de justesse et de convenance. Ce caractère se rencontre assez -souvent dans le monde. Papavoine appartenait à cette classe d'esprits -chagrins et misanthropes qui, sans éprouver de haine pour la société, la -fuient continuellement, moins par antipathie que par ennui. Du reste, -naturellement obligeant, s'il lui eût été possible de former d'intimes -liaisons, nul doute que son commerce n'eût été fort agréable; il ne lui -manquait à cet égard que la volonté. - -Papavoine perdit son père en décembre 1823. Celui-ci avait conservé son -établissement de Mouy, et laissait à sa veuve et à son fils, des affaires -dans le plus grand désordre; Papavoine, à cette époque, était encore au -service. La mort de son père lui fit solliciter un congé qu'il obtint. Il -alla aussitôt rejoindre sa mère, et jugeant qu'elle serait hors d'état de -continuer seule l'exploitation de sa fabrique, il se détermina à demander -sa retraite, et à s'établir à Mouy. Jusque alors, la manufacture laissée -par son père avait joui du privilége de faire des fournitures pour -l'habillement des troupes; mais peu de temps après, l'administration de -la guerre refusa de renouveler ses marchés; et par ce refus, les affaires -de la famille Papavoine se trouvèrent dans une situation fort critique. - -Papavoine alors exprima quelque regret d'avoir volontairement abandonné -son emploi; il fit même des démarches pour le recouvrer, mais elles -demeurèrent infructueuses. Les contrariétés qu'il éprouva dans cette -circonstance influèrent sur son caractère, à tel point que sa mère, avec -laquelle il avait constamment vécu en bonne intelligence, profita d'un -prétexte pour ne plus prendre ses repas avec lui, quoiqu'ils -continuassent de vivre sous le même toit et au même foyer. Aigri par une -suite de désagrémens qu'il n'avait pu ni prévoir ni éviter, il était -devenu de jour en jour plus morose et plus chagrin; sa physionomie -portait quelque chose de sinistre et de repoussant, qui faisait fuir son -approche. - -Vers la fin de septembre 1824, il prétendit qu'il était malade. Le -médecin consulté déclara reconnaître quelques symptômes de fièvre, et -ordonna un vomitif. Il prescrivit en outre au malade un exercice modéré; -un voyage surtout lui parut devoir être très-efficace. Papavoine usa du -remède qui lui avait été indiqué; il en éprouva du soulagement, et afin -de suivre en tout point l'ordonnance de son médecin, il partit pour -Beauvais, où il arriva le 2 octobre. Il devait trouver dans cette ville -des parens et un sieur Branche, avec lequel il était en relation -d'affaires. L'accueil qu'il reçut des personnes qu'il visita ne changea -rien à son humeur. Fidèle à sa misanthropie, on remarqua constamment en -lui sa taciturnité, ses regards sombres. Toutefois, rien n'annonçait -extérieurement qu'il mûrît aucune idée fixe de la nature de celles que -l'on attribue aux monomanes. Il était triste, rêveur, il est vrai; mais -du reste, sa conversation, loin de se sentir du désordre d'un esprit -exalté, était sensée et même spirituelle. Seulement on se souvint plus -tard d'une question bizarre qu'il avait faite, relativement à la mort de -son frère et d'un de ses oncles, décédés depuis long-temps. «Mon frère et -mon oncle sont-ils bien morts? dit-il à M. Branche.--Votre frère? mais -vous avez dans vos papiers son acte mortuaire! Votre oncle? mais vous -savez qu'il est mort à mes côtés, à table, d'un coup d'apoplexie: vous -avez concouru à régler sa succession!--Ah! c'est qu'il y a tant de genres -de mort! et souvent on enterre des gens qui vivent encore, et on dresse -des actes pour constater qu'ils ne vivent plus!...« Du reste, nous ne -rappelons ce fait de peu d'importance que par rapport au crime dont -Papavoine se rendit coupable. - -Le lendemain de son arrivée à Beauvais, (3 octobre 1824), Papavoine, qui -était toujours en réclamation auprès de l'administration de la guerre -pour le renouvellement de ses marchés, reçut inopinément de sa mère deux -de ces marchés, qui venaient d'être agréés par le ministre; mais les -soumissions avaient besoin d'être régularisées, et il partit aussitôt -pour Paris, à l'effet de remplir cette formalité. Il y arriva le 5, après -avoir emprunté quelque argent pour faire son voyage. Il emportait avec -lui ceux de ses effets qu'il avait pris à Mouy pour son voyage de -Beauvais; et comme ils étaient insuffisans, il écrivit à sa mère pour lui -en demander d'autres. Il est bon de faire remarquer, à l'occasion de -cette nouvelle demande, qu'il avait compris parmi les premiers effets -deux _couteaux de table, aiguisés et non fermant_. Qu'en voulait-il -faire? Méditait-il déjà quelque crime? ce n'est pas présumable, puisqu'il -acheta un autre couteau à Vincennes. Cependant un motif quelconque les -lui avait fait demander. Quel était-il? ce motif est resté un mystère. -Il est dans le cÅ“ur de l'homme tant de secrets impénétrables, que le -plus judicieux observateur se voit presqu'à chaque instant contraint de -ne pas s'y arrêter, ou de borner leur application à des conjectures plus -ou moins vraisemblables. - -Arrivé à Paris, Papavoine descendit à l'hôtel de la Providence, situé rue -Saint-Pierre-Montmartre, et se rendit chez d'honorables négocians, ses -correspondans, auxquels il remit ses marchés, pour qu'ils fussent soumis -à la formalité du timbre. - -Depuis ce moment jusqu'au 10 octobre, jour de l'affreuse catastrophe, -Papavoine vécut fort retiré; du moins l'instruction ne fait rien -connaître de sa conduite pendant cet intervalle. Ce qui est constant, -c'est que, ce même jour, 10 octobre, il sortit après avoir fait un léger -repas, et se dirigea vers Vincennes. - -Tel est sommairement l'ensemble des circonstances de la vie de Papavoine; -on a vu les détails de son crime, son arrestation, ses dénégations dans -le premier moment, enfin ses aveux et son système de défense fondé sur -l'aliénation mentale. - -Peu de temps après ces révélations, et voyant qu'il tenterait inutilement -de se faire passer pour un second Louvel, il demanda souvent à deux -prisonniers de lui prêter un couteau bien pointu; d'autres fois, il se -levait la nuit, et feignait d'en chercher un; il alla même jusqu'à tenter -de mettre le feu à la paillasse de son lit. - -Cependant, il avait obtenu d'être dans une chambre particulière, où il -n'y avait aucune espèce d'armes, et provisoirement on l'avait débarrassé -de la camisole. Le 17 novembre, le gardien ayant ouvert la porte, pour -donner de l'air à cette chambre, Papavoine s'introduisit dans une pièce -voisine où déjeûnaient plusieurs jeunes détenus, et s'élançant sur l'un -d'eux, le nommé Labiey, âgé de douze ans, qui tenait un couteau, il se -saisit de cette arme et l'en frappa à plusieurs reprises. Les personnes -présentes l'empêchèrent heureusement de consommer ce nouveau crime; et le -malheureux enfant, qui n'avait donné à Papavoine aucun sujet de plainte, -qui peut-être ne l'avait jamais vu, en fut quitte pour trois blessures -qui, bien que très-graves, n'étaient cependant pas mortelles. Ainsi, -suivant la judicieuse remarque du ministère public, cet homme fournissait -l'exemple, heureusement fort rare, d'un accusé qui cherche dans de -nouveaux crimes la justification d'un premier attentat. - -A la première nouvelle du meurtre des deux enfans de la demoiselle Hérin, -une pensée avait préoccupé tous les esprits. Le public, si facile à se -prévenir, si disposé à se passionner, si prompt à porter des jugemens -même sur les notions les plus vagues, s'était représenté Papavoine comme -ayant des complices et comme un instrument mis en Å“uvre. La demoiselle -Malservait, arrêtée peu d'instans après l'assassinat, était regardée -comme la complice avérée du meurtrier: on supposait qu'elle avait indiqué -à Papavoine les deux victimes qu'il fallait frapper, puisqu'elle avait -embrassé les deux enfans, quelques minutes avant que le bourreau ne levât -le couteau sur eux. La justice ne put s'empêcher de partager cette -prévention. La demoiselle Malservait, que la fatalité seule avait -conduite à Vincennes ce jour-là , resta plus de deux mois en prison, sous -le poids de cette affreuse présomption; mais l'instruction prouva jusqu'à -l'évidence qu'elle ne connaissait nullement Papavoine, et qu'elle n'avait -jamais eu le moindre rapport avec lui. - -D'après la rumeur universelle, Papavoine n'avait été que l'instrument de -la famille Gerbod, qui aurait commandé la mort des deux enfans, pour -mettre obstacle à un mariage qu'elle désapprouvait, qu'elle repoussait de -toutes ses forces. Cette supposition était dénuée de vraisemblance. -D'ailleurs, la justice ordonna à cet égard des enquêtes trop scrupuleuses -pour qu'il soit possible de penser un seul instant à chercher dans cette -famille les complices ou les instigateurs de Papavoine. En outre, si le -sieur Gerbod père, vieillard d'une vie sans tache, avait eu la coupable -pensée de ramener son fils à ses projets, en frappant la famille que -celui-ci s'était créée, on conçoit qu'il aurait choisi pour victime la -personne qui contrariait le plus directement son ambition de père, et non -d'innocentes créatures, qu'il avait au contraire souvent promis de -protéger lui-même. D'ailleurs, les investigations les plus sévères -concoururent à la justification de ce père de famille; il n'avait jamais -eu de relations avec la demoiselle Malservait, ni avec Papavoine; tous -ces individus étaient ignorés les uns des autres, avant le triste -événement du 10 octobre. Pourrait-on s'expliquer d'ailleurs comment le -sieur Gerbod, s'il eût eu l'odieux projet dont on le soupçonnait, se -serait adressé, pour le réaliser, à un homme tel que Papavoine? - -Enfin il fut constaté que cet homme n'avait eu ni suggesteurs, ni -complices; qu'il n'avait été entraîné ni par la cupidité, ni par la -vengeance, ni par l'ambition, mais par une haine, heureusement bien rare, -pour l'humanité toute entière; haine qui avait eu d'abord pour principe -un humeur misanthropique et atrabilaire, et que des mécontentemens, des -chagrins, avaient pu ensuite fomenter et exalter jusqu'à la frénésie. -Suivant les expressions du ministère public, Papavoine avait tué, -uniquement pour répandre le sang humain et pour satisfaire une passion -féroce. - -En examinant avec attention le caractère et les habitudes de Papavoine, -on a pu se convaincre qu'il nourrissait depuis long-temps de monstrueuses -pensées, et qu'il se préparait à une catastrophe telle que celle du bois -de Vincennes; on a vu qu'en venant à Paris, il s'était muni de deux -couteaux dont l'usage n'est pas nécessaire aux besoins de notre genre de -vie; que, depuis un grand nombre d'années, il fuyait, d'une manière -bizarre, toute société, toute communication; il semblait avoir de la -répugnance pour ses semblables. Peu à peu, sans doute, cet éloignement -extraordinaire avait germé dans son âme, s'y était développé; une haine -générale et prononcée en avait été le résultat, et son imagination, -livrée à la solitude, lui avait fait concevoir l'idée du crime et l'y -avait entraîné. Telles étaient les données que produisait l'analyse du -caractère et des habitudes du prévenu, et ces données servirent de base à -l'accusation. - -Papavoine comparut devant la Cour d'assises de la Seine, le 28 février -1825, en présence de spectateurs nombreux, attirés par la curiosité. -L'accusé, quoique calme, portait sur ses traits l'empreinte profonde de -la tristesse et de la mélancolie. - -Interrogé par le président, Papavoine avoua qu'il avait assassiné les -deux enfans Gerbod, mais que c'était dans un moment où il n'avait pas la -tête à lui, ajoutant qu'il voudrait, au prix de son sang, rappeler à la -vie ces deux malheureuses victimes. Il repoussa la préméditation, en -disant que s'il eût projeté le crime, il aurait pris un des deux couteaux -qu'il avait apportés dans sa valise, et n'en aurait pas acheté un à -Vincennes même, non loin du lieu de l'assassinat; il ajouta que l'intérêt -est le mobile des actions humaines, et qu'il n'en avait eu aucun à tuer -ces enfans, qu'il ne connaissait pas. Il ne put rendre compte du motif -qui l'avait fait agir; il s'était trouvé, dit-il, entraîné à commettre -cette action par une sorte de mouvement machinal, contre sa saine -volonté; mais qu'après avoir frappé ces enfans, il s'était opéré dans son -esprit une sorte de révolution subite qui l'avait rappelé à la raison; et -que s'apercevant alors des conséquences de son action, il avait voulu en -soustraire les traces aux recherches de la justice, et avait enfoncé son -couteau dans la terre; que c'était aussi ce motif qui lui avait fait -examiner s'il n'avait pas sur lui quelques taches de sang, et demander au -canonnier qu'il avait rencontré si sa figure n'était pas _Barbouillée_. -Il repoussa avec autant de force que d'indignation la déclaration, qu'il -avait faite devant le juge d'instruction, d'avoir voulu frapper les -enfans de France. Il dit à ce sujet que, fatigué de sa position pénible, -et ne pouvant mettre fin à son existence, parce qu'on lui en avait ôté -les moyens, il s'était accusé de cet horrible projet. - -Interpellé sur ses premières dénégations, il répondit qu'il était -tellement épouvanté par la pensée de ce crime, qu'il cherchait à se -persuader à lui-même qu'il ne l'avait pas commis; qu'il avait craint -d'ailleurs de compromettre la réputation de sa famille. Toutes ses autres -réponses furent dans le même sens, et tendaient à établir qu'il n'avait -commis son crime que dans un accès de démence. - -De nombreux témoins furent ensuite entendus, tant sur la vie antérieure -de Papavoine que sur les circonstances de l'assassinat. Leurs dépositions -ne firent que confirmer ce que nous avons déjà mis sous les yeux du -lecteur. - -L'introduction de la mère des deux enfans dans la salle d'audience -produisit sur tous les cÅ“urs une impression pénible et donna lieu à une -scène déchirante. Les genoux de cette jeune dame paraissaient fléchir; -elle pouvait à peine se soutenir. Au moment où, après les questions -d'usage, le président lui demanda si elle reconnaissait l'accusé, elle -tourna à peine les regards, et répondit en frémissant: _Oui, monsieur._ -Invitée à dire quels étaient les faits à sa connaissance: Je me -promenais, dit-elle, avec mes enfans.... A ces mots qui lui rappelaient -tout son malheur, elle s'interrompit, se troubla, et fit un nouvel effort -pour reprendre son récit; mais, à peine eut-elle prononcé quelques mots, -qu'elle jeta un cri et s'évanouit. Ses yeux se fermèrent; on s'empressa -de lui prodiguer des secours, mais sans succès; on fut obligé de -l'emporter privée de connaissance. Cette scène produisit sur l'auditoire -un effet difficile à décrire. La plupart des spectateurs versaient des -larmes; Papavoine lui-même, la tête baissée, portait sa main à ses yeux, -comme pour essuyer quelques pleurs. - -Quelques instans après, la demoiselle Hérin, introduite de nouveau, -recommença son récit. Mais la faiblesse de son organe obligeait le -président de répéter les réponses qu'elle faisait à ses questions. Elle -déclara que, le 10 octobre, après avoir habillé ses enfans, elle les -conduisit dans l'allée des Minimes; qu'elle y aperçut la demoiselle -Malservait, qui lui demanda s'ils étaient jumeaux, et qui les caressa; -qu'en se retournant, elle vit un homme dont la figure la frappa, mais que -toutefois elle n'eut aucun pressentiment sinistre. «Après avoir quitté -cette dame, dit la demoiselle Hérin d'une voix qu'altéraient de pénibles -sanglots, l'homme habillé de bleu, accosta la femme au chapeau rose: elle -rentrait à cause de la pluie. L'homme lui adressa la parole d'une voix -horrible et lui dit: _Votre promenade a été bientôt finie._ Cet homme -était très-pâle. Alors il se pencha vers l'un de mes enfans et le frappa -d'un coup de couteau, puis il s'élança sur le second; alors je me -précipitai sur lui et le frappai à la tête d'un coup de parapluie. Il -prit la fuite et s'enfonça dans la forêt.» - -Après l'audition de tous les témoins, le président, pour fixer le jury -sur la présence d'esprit déployée dans l'instruction par l'accusé, donna -lecture de l'un de ses interrogatoires, et fit remarquer que les réponses -de Papavoine étaient un chef-d'Å“uvre de dialectique. Cette lecture fit -une profonde sensation sur l'auditoire. - -Le lendemain, le ministère public soutint l'accusation, et repoussa la -question de démence qui rentrait dans le système de défense adopté par -l'accusé. «La prétendue démence de l'accusé, dit-il en terminant, est un -prétexte invoqué en désespoir de cause. Il est certain que cette -aliénation ne serait pas totale; il est prouvé qu'elle ne serait que -partielle, et, dans cette dernière supposition même, elle ne pourrait -servir d'excuse admissible.» Enfin, le ministère public demanda, au nom -de la société, au nom de la sûreté générale, l'application de la peine de -mort à l'accusé. - -La défense de Papavoine était confiée à Me Paillet, jeune avocat d'un -talent très-distingué, qui fit des efforts d'éloquence et de zèle pour -sauver son client. Mais malgré l'art avec lequel il sut diminuer -l'horreur qu'inspirait l'accusé, malgré les hautes considérations qu'il y -développa en sa faveur, malgré le soin minutieux qu'il prit de raconter -les principales actions de la vie de Papavoine, et de leur appliquer une -foule d'observations des médecins les plus célèbres pour les maladies -mentales, le défenseur ne put qu'obtenir les éloges que méritait son -plaidoyer remarquable. Après une demi-heure de délibération, le jury -déclara l'accusé coupable sur toutes les questions. En conséquence, la -Cour faisant l'application de la loi, condamna Louis-Auguste Papavoine à -la peine de mort. - -L'accusé, en entendant ce terrible arrêt, se leva et s'écria, les yeux -tournés vers le ciel: _J'en appelle à la justice divine!.._ L'avocat -paraissait vivement ému, et on remarqua que Papavoine se penchait vers -lui, comme pour le consoler. - -Papavoine se pourvut en cassation, et Me Paillet lui prêta encore le -secours de son beau talent devant la Cour suprême; le pourvoi fut rejeté. - -Le dernier jour de Papavoine semblait donc arrivé; encore quelques -heures, et il allait monter à l'échafaud. Mais sa famille, qui redoutait, -pour elle comme pour lui, l'ignominie attachée à une exécution publique, -implora la clémence royale. Cette démarche ne fit que retarder de -quelques jours le supplice du coupable. L'arrêt de la Cour d'assises du -28 février, confirmé par celui de la Cour de cassation du 19 mars, dut -enfin recevoir son exécution, le 25 du même mois. - -Avant de sortir de la Conciergerie pour être conduit au lieu du supplice, -Papavoine demanda à embrasser le crucifix; son confesseur s'empressa de -le lui présenter. Il témoigna en outre l'intention d'ajouter quelques -déclarations à celles qu'il avait faites devant la Cour d'assises, et -l'un des conseillers de la Cour royale fut délégué pour l'entendre. Rien -ne transpira de cette révélation dernière. Tout porte à croire qu'elle -n'avait aucun rapport avec le procès dont l'issue venait de lui être si -funeste; car cinq mois employés à l'enquête judiciaire ne permettaient -pas de supposer qu'il aurait pu rien échapper à l'investigation de la -justice. Peut-être Papavoine, en rendant le magistrat chargé de -recueillir ses dernières paroles, témoin du désordre de son esprit, -voulut-il prouver, par quelques traits bizarres, alors même que cette -preuve ne pouvait rien changer à son sort, que réellement il était -frappé d'aliénation mentale. - -Quoi qu'il en soit, il subit son arrêt le 25 mars 1825, sur la place de -Grève, à quatre heures de relevée. - - - - -LA VEUVE BOURSIER. - - -Il n'est point d'individu, si vertueux, si isolé, si obscur qu'il soit, -qui puisse, à juste titre, se dire certain d'être toujours à l'abri des -atteintes de la méchanceté. On aura beau tenir une conduite sans -reproche; on aura beau cacher soigneusement sa vie; presque toujours et -par cela même, on rencontrera des envieux, des ennemis acharnés qui, -manÅ“uvrant dans l'ombre, s'efforceront de dénaturer aux yeux du monde ce -qui excite leur jalousie secrète, et ne réussiront que trop souvent à -répandre des nuages sur le mérite qui les offusque. C'est là une des -servitudes conditionnelles de notre état social, que personne ne peut -éluder, et à laquelle l'homme sage tâche de se résigner d'avance. Il est -sans doute bien disgracieux, bien pénible, par fois même infiniment -douloureux, de se voir le point de mire des attaques de la calomnie; -mais l'expérience de chaque jour a quelque chose de rassurant à cet -égard, en ce qu'elle prouve qu'une vie pure est un impénétrable bouclier -contre lequel viennent s'émousser les traits empoisonnés que décochent la -haine et l'esprit de satire. - -On cesse de jouir du même avantage, du moment que l'on transgresse les -limites du devoir. Dès-lors on devient plus vulnérable; on s'est -découvert, on montre son côté faible: l'ennemi n'est pas lent à en -profiter. Une première infraction favorise la supposition de beaucoup -d'autres. Procédant comme le mathématicien, du connu à l'inconnu, le -public se laisse aller sans peine à croire que tel homme qui déjà s'est -souillé d'un crime, a bien pu commettre un crime plus grand encore; et, -il faut en convenir, dans ce cas, la prévention porte avec elle des -preuves morales qui, bien qu'insuffisantes aux yeux de la justice, n'en -sont pas moins accablantes pour l'accusé. Combien n'avons-nous pas vu de -femmes adultères, prévenues de l'assassinat ou de l'empoisonnement de -leurs maris! Certes, le premier crime de la plupart de ces épouses -coupables n'est ordinairement que le point de départ de la seconde -accusation dirigée contre elles. Rarement, on voit la malignité humaine -assez audacieuse pour accuser une femme douce, paisible, attachée à son -mari comme à ses devoirs, d'avoir eu, seulement une minute, l'horrible -pensée d'abréger l'existence du père de ses enfans. Mais la femme qui a -pu consentir à violer la foi conjugale, qui, sans pudeur comme sans -remords, a pu former des liaisons scandaleuses, ne saurait revendiquer -pour elle ce privilége exclusif de l'innocence. Si son époux succombe au -milieu des déchiremens des plus horribles convulsions, déjà de ce seul -fait surgira le soupçon le plus prononcé. Et si cette mort violente et -subite est tenue presque secrète; si, au lieu de provoquer elle-même les -investigations que réclame un événement de ce genre, la femme s'oppose -vivement à tout ce qui pourrait faire découvrir la cause de la maladie et -de la mort; si d'autres circonstances viennent corroborer ces -circonstances déjà si graves; de quel poids seront les protestations et -les dénégations de cette malheureuse, au tribunal de l'opinion publique? -Son acquittement, prononcé peut-être faute de preuves suffisantes, ne -l'absoudra pas aux yeux de la société doublement outragée; et les paroles -de blâme, sorties de de la bouche du magistrat, forcé de suspendre le -glaive des lois, malgré son intime conviction, équivaudront à une sorte -de condamnation. Passons maintenant aux faits qui nous ont suggéré ces -réflexions. Les voici tels qu'ils ressortent de l'acte d'accusation. - -Guillaume-Étienne Boursier, marié, depuis 1809, avec Marie-Adelaïde -Bodin, avait eu cinq enfans de cette union. Il faisait le commerce -d'épicerie dans une boutique qu'il occupait au coin de la rue de la Paix -et de la rue Neuve-Saint-Augustin. Le commerce de Boursier prospéra à tel -point que, plusieurs années après son mariage, ses bénéfices annuels -s'élevaient à près de onze mille francs. Peu de temps avant sa mort, il -avait manifesté l'intention de ne continuer à travailler que pendant -quatre ans encore, attendu qu'à cette époque, il espérait réaliser 15,000 -livres de rente. - -Boursier était d'un naturel vif et emporté, mais très-bon et -très-obligeant. Il avait beaucoup d'amis, et jouissait de l'estime de -tous ceux qui le connaissaient. Les personnes qui habitaient son -domicile étaient la veuve Flamand, sa tante, âgée de soixante-onze ans; -la fille Joséphine Blin, cuisinière, depuis quatre mois au service de sa -maison; les nommés Delonge et Béranger, garçons de magasin, et la -demoiselle Reine, fille de boutique: le nommé Halbout, qui était chargé -de la tenue des livres, ne demeurait pas chez Boursier. - -Le 25 mars 1822, Boursier avait acheté chez le sieur Bordot, son ami, -droguiste, une demi-livre d'arsénic pour faire périr les souris et les -rats qui s'étaient multipliés dans ses caves et ses magasins; il avait en -outre acheté, vers la même époque, de la mort-aux-rats, qui était en pâte -malléable. - -Boursier, avec un nommé Bailli, son commis, prépara, avec _une partie de -l'arsenic_, des boulettes qui furent placées dans la cave. Bailli, qui -avait coopéré à cette opération, remit à Boursier le restant de -l'arsenic, que celui-ci rangea. Il paraît que ce qui restait de la -mort-aux-rats fut placé dans un casier à bouteilles. - -Boursier et sa femme vivaient en très-bonne intelligence. Vers le milieu -de 1821, un nommé Charles, qui connaissait la veuve Flamand, lui présenta -le sieur Kostolo, natif de Constantinople, et d'origine grecque; ce -Kostolo cherchait une place de valet-de-chambre. Par le récit vrai ou -supposé des malheurs qui le poursuivaient, ainsi que sa famille, il -parvint à intéresser la veuve Flamand, qui le recommanda à sa nièce, la -femme Boursier. - -Kostolo était en France depuis quatre ou cinq ans. Doué d'un physique -assez agréable, il était parvenu à former des liaisons intimes avec une -dame Olivereau, qui fournissait en grande partie à ses dépenses, et chez -qui il trouvait ses repas. Quand il eut mis le pied dans la maison -Boursier, il y vint très-fréquemment, s'y impatronisa, et l'intérêt que -lui portait la dame de la maison se changea bientôt en une inclination -coupable; elle lui prêta de l'argent à l'insu de son mari; il venait -presque tous les jours, sous prétexte de s'informer du résultat des -démarches qu'on avait promis de faire pour le placer, en ayant soin de ne -pas éveiller les soupçons du mari. - -De son côté, la dame Boursier, en femme habile, ne sortait jamais seule, -et se faisait accompagner de la fille Reine, sa demoiselle de boutique. -Sous prétexte de promenades nécessaires à sa santé, elle se rendait de -très-grand matin aux Champs-Élysées, où Kostolo l'attendait; puis la -promenade se dirigeait du côté du logement de Kostolo. La femme Boursier -et la fille Reine montèrent chez lui une première fois; mais ensuite la -femme Boursier montait seule chez Kostolo, et la fille Reine, confidente -discrète, venait plus tard la reprendre. Suivant Kostolo, ces coupables -rendez-vous commencèrent seulement quinze jours avant le décès de -Boursier. - -La femme Boursier avait fait, avec plusieurs autres personnes, la partie -d'aller passer la journée à Versailles; Kostolo fut invité, et Boursier -ignora absolument que le Grec avait été de cette partie de campagne. -Cependant Boursier continuait toujours à lui faire le même accueil. Une -de ses nièces étant accouchée, il fit tenir l'enfant sur les fonts de -baptême par Kostolo et par la femme Boursier, son épouse. - -Le 28 juin, jour fatal au trop crédule époux, Boursier devait faire une -promenade avec le nommé Alberti, l'un de ses amis: le rendez-vous était -fixé à dix heures. Boursier se leva, selon son habitude journalière, à -six heures du matin; il était très-gai et bien portant. La femme Boursier -ayant pris l'émétique la veille, se leva plus tard; son mari, pour lui -faire une plaisanterie, entra doucement dans sa chambre et lui dessina -deux moustaches avec une pommade noire dont il se servait pour les -cheveux; il envoya ensuite la fille Blin, sa domestique, pour réveiller -sa femme, avec ordre de lui présenter en même temps un miroir. La femme -Boursier, en apercevant ses moustaches, se fâcha un peu. Boursier rit -beaucoup de la surprise de sa femme, qui se leva en boudant; elle se -rendit ensuite à son comptoir, où ils s'embrassèrent mutuellement. - -Boursier ne prenait jamais rien en se levant; il déjeûnait -habituellement, entre neuf et dix heures du matin, avec un potage au riz. -Ce jour-là , il demanda son potage à neuf heures. La fille Blin le lui -prépara sur le fourneau de la cuisine, dans une casserolle en fer battu, -qui servait toujours à cet usage. Quand ce potage fut prêt, elle -l'apporta dans la casserolle même, sur un petit secrétaire qui était -dans la salle à manger, et sur lequel Boursier déjeûnait toujours. La -fille Blin avait l'habitude, avant de servir le potage, d'en conserver -une partie pour elle et pour le plus jeune des enfans de son maître, qui -était âgé de cinq ans. Cet enfant et la fille Blin mangèrent cette -portion de potage, et n'en furent point incommodés. Quand Boursier était -prévenu par la domestique que son déjeûner était prêt, il arrivait -souvent qu'il ne le mangeait pas sur-le-champ, surtout quand il voulait -terminer quelque chose dont il s'occupait. Ce potage restait quelquefois -un quart d'heure à l'endroit où la servante le plaçait, c'est-à -dire sur -le secrétaire qui était dans la salle à manger, à peu de distance du -comptoir où se tenait habituellement la femme Boursier. - -L'instruction, quels qu'aient été ses soins, n'a pu déterminer l'espace -de temps qui s'était écoulé entre le moment où le potage avait été -apporté sur le secrétaire et celui où Boursier commença à déjeûner. -Cependant la fille Blin a pensé qu'il avait pu s'écouler quatre à cinq -minutes dans cet intervalle. Par les mêmes motifs, il serait difficile -d'établir, par les témoignages, ce que faisaient Boursier et sa femme au -moment où le potage fut apporté, et depuis cet instant jusqu'au déjeûner. - -Cependant, aussitôt que Boursier eut goûté de son potage au riz, il -appela la fille Blin, et se plaignit du mauvais goût qu'il lui trouvait. -Cette fille lui répondit qu'elle en était étonnée, attendu qu'elle avait -mis dans le déjeûner trois jaunes d'Å“ufs, au lieu de deux qu'elle y -mettait habituellement. Il avait aussi appelé sa femme pour lui dire que -son potage était mauvais, qu'il avait un _goût empoisonné_; et sur -l'observation que lui avait faite la domestique, il avait dit: «Puisqu'il -est bon, il faut en manger;» et il en prit alors quelques cuillerées. Il -déclara alors que son potage était décidément mauvais, qu'il ne pouvait -le manger; en même temps, il lui prit un vomissement qui lui fit rendre -une partie du riz et des matières vertes qui ressemblaient à de la bile. -La femme Boursier alla préparer un verre d'eau sucrée. - -Cependant les vomissemens continuaient, accompagnés de flux de sang. -Boursier fut mis au lit; il se plaignait d'une extrême lassitude dans les -reins; bientôt survinrent des évacuations d'une grande fétidité. Le sieur -Bordeu, médecin appelé, arriva entre onze heures et midi, et traita la -maladie comme une indigestion; il ordonna des potions calmantes. Revenu à -six heures du soir, et jugeant que la maladie était plus grave, il fit -appliquer des sangsues et des sinapismes. Néanmoins l'état du malade -empirait. Le lendemain matin, un autre médecin, nommé Tartra, est appelé; -on prescrit de nouveaux moyens. Un élève en médecine, le sieur Toupié, -est chargé de passer la nuit près du malade; mais tous les remèdes -étaient inutiles: Boursier expira à quatre heures du matin, après -d'effrayantes convulsions. - -Toupié avait remarqué que les extrémités étaient froides, et que les -ongles étaient bleuâtres. MM. Bordeu et Tartra arrivèrent après le décès -de Boursier; ils examinèrent le cadavre et firent la même remarque que -l'élève Toupié, et tous deux, ne pouvant se rendre compte d'une mort -aussi subite, firent demander à sa veuve la permission de faire -l'autopsie du cadavre; mais elle s'y opposa, malgré leurs pressantes -insistances. - -Le même jour, la femme Boursier, sous le prétexte que son mari était -très-replet, et que la putréfaction occasionnée par les chaleurs, -pourrait nuire aux comestibles qui étaient dans son magasin, témoigna le -désir que l'inhumation eût lieu le soir même. Deux amis du défunt -reçurent mission d'en faire la demande à la mairie; mais la permission -fut refusée. Les obsèques eurent lieu le lendemain mardi, à dix heures du -matin. Le corps fut déposé dans une fosse particulière, au cimetière du -Père-Lachaise. - -Le 28 juin, c'est-à -dire le jour même que Boursier était tombé malade, -Kostolo était venu, selon son habitude journalière, au magasin. Étonné de -la soudaineté de la maladie de Boursier et des symptômes alarmans qui se -manifestaient, il se tint près du lit du malade toute la journée; le -lendemain, il revint près de lui, et ne le quitta plus qu'à sa mort. Ce -fut lui qui, pendant la dernière nuit, lui administra les boissons qui -avaient été prescrites par les médecins. De même que le sieur Toupié, -Kostolo déclara avoir remarqué les taches bleuâtres, indices presque -certains d'un empoisonnement. - -Enfin tout était consommé, et la mort et l'inhumation du malheureux -Boursier; mais des bruits sinistres éclatèrent bientôt, et le 31 juillet, -le procureur du roi ordonna l'exhumation du corps. MM. Orfila, docteur en -médecine, Hardy, professeur de la faculté de médecine, et Hamel, candidat -en médecine, appelés par le juge d'instruction, procédèrent sur le lieu -même à l'autopsie du cadavre; ils firent l'extraction de l'estomac et des -intestins, qui furent placés aussitôt dans un vase de terre, sur lequel -les scellés furent apposés; ils recueillirent aussi dans un vase un -liquide jaune. Les médecins déclarèrent, dans le procès-verbal qu'ils -dressèrent, qu'ils n'avaient trouvé aucune trace de lésion qui pût faire -soupçonner que Boursier eût succombé à la suite d'une rupture ou d'une -ulcération du cÅ“ur, des poumons et des gros vaisseaux qui sont contenus -dans le thorax. Après un examen approfondi, les médecins attestèrent -qu'il s'était trouvé, tant dans l'estomac que dans les intestins qu'ils -avaient analysés, une quantité d'arsénic suffisante pour donner la mort. -Dans le cours de leur première opération, ils en avaient en outre -signalé quelques grains au juge d'instruction. - -Enfin cinq docteurs en médecine, parmi lesquels étaient MM. Orfila, -Chaussier et Pelletan, consultés sur la réunion des circonstances -rapportées ci-dessus, furent unanimement d'avis que Boursier était -évidemment mort des effets de l'arsenic, et que l'autopsie n'avait -nullement justifié la supposition d'une rupture de vaisseaux dans la -poitrine. - -Ces explications si claires, si précises, si concordantes, ne pouvaient -laisser subsister le plus léger doute sur les causes de la mort de -Boursier: _il était mort empoisonné_. Il s'agissait de savoir si cet -événement était le résultat d'un crime, d'un suicide ou d'un simple -accident. Telles étaient les seules suppositions auxquelles pouvait -donner lieu la mort inopinée de cet homme. Tout tendait à démontrer -jusqu'à l'évidence que Boursier ne s'était pas empoisonné lui-même. Il -était père de cinq enfans; son commerce était aussi prospère qu'il -pouvait le désirer; son intérieur n'avait rien que de riant pour lui; il -vivait en très-bonne intelligence avec sa femme dont il ignorait les -désordres; il était d'une humeur très-gaie, et la plaisanterie qu'il fit -à sa femme, le 28 juin, n'indique guère qu'il fût, ce jour-là , tourmenté -par quelque souci. D'ailleurs, si Boursier eût mis lui-même de l'arsenic -dans son potage, est-il présumable qu'il eût appelé sa femme et la -cuisinière, pour leur dire que ce potage était mauvais? - -On ne pouvait pas attribuer davantage la mort de Boursier à un simple -accident. Aussi l'accusation l'attribua-t-elle à un crime. D'après -l'autopsie, l'empoisonnement était constant. Les liaisons criminelles qui -existaient entre la veuve Boursier et Kostolo appelèrent sur eux les -soupçons de la justice: tous deux furent arrêtés. - -Aussitôt que les vomissemens avaient commencé, la femme Boursier avait -pris la casserolle qui contenait le riz; elle avait jeté ce riz dans une -terrine d'eau sale qui était sous la fontaine; elle avait passé ensuite -un peu d'eau dans la casserolle, et ordonné à la fille Blin de la -nettoyer; ce que celle-ci avait exécuté, en la frottant avec du sable et -de la cendre. La veuve Boursier chercha à expliquer cette circonstance -extraordinaire: «Boursier, disait-elle, était très-susceptible sur la -propreté. Pour lui prouver que la casserolle était propre, j'allai la -vider; et, comme il y avait un peu de riz attaché au fond, j'y ai passé -de l'eau pour le détacher, et ai montré ensuite la casserolle à mon -mari.» - -L'accusation s'empara de cet aveu et crut y trouver une preuve du crime. -Les réticences de la femme Boursier, ses tergiversations dans plusieurs -réponses importantes, furent autant de probabilités contre elle. Une -fois, elle dit que son mari ne lui avait jamais parlé d'arsénic; une -autre fois, qu'il lui avait parlé de mort-aux-rats et d'arsénic. - -Interrogée sur le compte des personnes qui fréquentaient habituellement -sa maison, la veuve Boursier cita tous les amis de son mari; mais elle ne -nomma pas Kostolo, et soutint même qu'elle n'avait jamais eu de relations -intimes avec cet homme. Mais Kostolo, assez impudent pour ne rien -ménager, révéla la nature de ses liaisons avec la veuve Boursier; et -celle-ci, forcée par l'évidence à avouer ces coupables habitudes, avoua -d'abord qu'elle avait vu Kostolo avec intérêt et plaisir, et bientôt fut -contrainte de confesser que, dans la chambre même du défunt, elle s'était -abandonnée aux vÅ“ux criminels de son misérable complice. Il résulta -aussi des interrogatoires qu'elle donnait de l'argent à Kostolo, et l'on -en conclut que, puisqu'elle n'ignorait pas le dénuement de cet homme, -elle stipendiait ses assiduités adultères, et lui livrait le patrimoine -de ses enfans. - -Après avoir entendu tous les témoins, l'accusation posa la question -suivante: - -«La veuve Boursier prétendra-t-elle, comme elle l'a fait dans ses -interrogatoires, qu'elle n'avait aucun intérêt ni aucun motif pour -commettre ce crime?» Puis elle y répondit: «On ne le pense pas; car sa -conduite après la mort de son mari, les projets formés entre elle et -Kostolo de s'unir en mariage, la promesse qu'elle lui en avait faite, la -crainte qu'elle avait qu'il ne changeât d'avis, démontrent suffisamment -le motif qui l'a portée à cet attentat.» Ces allégations de l'acte -d'accusation résultaient des déclarations réitérées de Kostolo, et -paraissaient être confirmées d'ailleurs par la franchise grossière avec -laquelle il répondit aux questions du magistrat chargé de l'instruction -de ce procès. - -Pour établir la complicité de Kostolo dans l'empoisonnement présumé du -malheureux Boursier, l'acte d'accusation présenta cet homme attaché au -chevet du lit du moribond, lui administrant les boissons prescrites par -les médecins, et pouvant bien y avoir introduit de nouvelles substances -vénéneuses. On le montrait encore comme un homme dénué de ressources, -sans moyens d'existence, et pouvant avoir un grand intérêt à s'associer à -une femme qui le mettrait à la tête d'un établissement florissant et -capable d'assurer son avenir. - -Pendant l'instruction, le témoin Bailly, ancien commis de Boursier, avait -dit d'abord que son patron, après avoir préparé des boulettes pour faire -périr les rats, avait serré le restant de l'arsenic lui-même; plus tard, -ce témoin changea de langage, et dit que c'était lui Bailly, qui avait -serré le reste d'arsénic, et qu'il ne s'en était pas souvenu d'abord. Ces -deux déclarations si différentes, cette attention que Bailly apportait à -justifier l'accusée, que jusque-là il avait cherché à faire regarder -comme coupable, donna lieu de penser que l'on avait fait des démarches -pour le circonvenir, et lui faire rétracter sa première déclaration. En -conséquence, l'avocat-général pris des réserves à son égard. - -Les débats durèrent plusieurs jours. La plupart des circonstances que -l'on a déjà vues furent pleinement confirmées. La veuve Boursier se -renferma dans un système de dénégation presque absolu, non seulement -touchant l'empoisonnement de son mari, mais encore relativement à la -nature de ses liaisons et de ses entrevues avec Kostolo. Mais, quant à -ces derniers faits, elle fut plusieurs fois confondue par les réponses -énergiques, précises, et grossièrement effrontées de Kostolo. A plusieurs -reprises, l'auditoire eut peine à imposer silence à la juste indignation -qu'il éprouvait en entendant ce misérable aventurier qui, pour mieux -prouver son innocence, faisait parade de ses honteux trophées. - -Le 29 novembre 1825, sur la réponse négative du jury, le président de la -Cour d'assises de la Seine, déclara la veuve Boursier et Kostolo -déchargés de l'accusation intentée contre eux, et ordonna leur mise en -liberté. - -L'autorité prit en même temps des mesures pour que Kostolo, étranger sans -aveu, sans ressources et sans recommandation, qui faisait un si hideux -trafic de ses avantages physiques, purgeât de sa présence un pays qu'il -avait souillé des plus scandaleux désordres. Il resta sous la -surveillance de la police jusqu'à son départ. - -Quant à la veuve Boursier, elle revint, le soir même de son acquittement, -dans son domicile qui devait au moins lui rappeler de bien graves -erreurs. Ses amis l'attendaient. Une nuit bruyante en félicitations -succéda aux transes de la veille. La veuve Boursier reparut, presque le -lendemain, dans son comptoir, et se vit, pendant plusieurs jours, l'objet -de la curiosité publique. Tout le monde voulait voir l'amante de -l'aventurier Kostolo, devenue si tristement fameuse par la formidable -accusation dirigée contre elle. - -On aurait mieux aimé, dans l'intérêt même de la veuve Boursier, ne pas -lui voir oublier si promptement les périls qu'elle venait de courir, -pouvoir lui supposer un repentir sincère, une pudique honte des torts -avérés qu'on avait à lui reprocher. Comment avait-elle pu si tôt oublier -la touchante et paternelle admonition du président de la Cour? «Veuve -Boursier, lui avait dit ce magistrat, en prononçant son acquittement, -vous allez recouvrer la liberté que les plus graves soupçons vous avaient -fait perdre. Le jury vous a déclarée non-coupable du crime qui vous était -imputé: puissiez-vous trouver la même absolution dans le témoignage de -votre conscience! Mais n'oubliez pas que la cause de vos malheurs et du -déshonneur qui couvrira peut-être à jamais votre nom, fut le désordre de -vos mÅ“urs et la violation des nÅ“uds les plus sacrés. Descendez au fond -de votre cÅ“ur; que votre conduite à venir efface la honte de votre -conduite passée, et que le repentir remplace l'honneur que vous avez -perdu!» - -A l'époque de son procès, la veuve Boursier avait trente-sept ans. On -était fort curieux de connaître son extérieur. Sa taille était peu -élevée, même petite (quatre pieds cinq pouces); sa figure, sillonnée par -la petite vérole, était peu agréable; ses traits n'avaient rien de ce qui -rappelle la beauté. Elle contrastait avec Kostolo, dont les traits -étaient réguliers et la taille élevée. - - - - -LE FORÇAT SUREAU. - - -Sureau, garçon tailleur, était au bagne de Brest, depuis l'année 1823 ou -1824. Voici sommairement les circonstances qui l'avaient plongé dans ce -cloaque de criminels. Ce jeune homme devait épouser une jeune fille, sa -cousine. Celle-ci, au moment de s'unir à lui, se rétracta. Alors Sureau -s'abandonna au désespoir; ses passions fermentèrent, sa tête s'exalta; -une sorte de délire furieux s'empara de lui. Il se rendit chez celle -qu'il aimait, armé de deux pistolets; il voulait se brûler la cervelle à -ses yeux; peut-être aussi voulait-il l'immoler elle-même et périr sur son -cadavre. Qui pourrait savoir quel était son projet? Le savait-il bien -lui-même? Quoi qu'il en soit, la jeune fille seule expira sous l'arme -meurtrière, et Sureau fut, quelques mois après, envoyé au bagne de Brest, -et attaché côte à côte avec un galérien. - -Chose étrangement monstrueuse! Dans ce séjour de l'opprobre et de la -misère, ce jeune homme retrouva encore des passions semblables à celles -qu'il avait déjà éprouvées, mais avec cette différence qu'elles étaient -empreintes de cette hideur et de cette dépravation que le bagne attache à -tout. Le forçat dont l'existence était enchaînée à la sienne par des -liens de fer, était devenu pour lui l'objet d'une affection infâme. -Depuis deux ans environ, il traînait sa chaîne avec ce compagnon, -lorsqu'une mésintelligence éclata entre eux. Pendant la nuit, la tête du -galérien Sureau s'exalta comme lors de son premier crime. Tout-à -coup il -se lève, s'arme de ciseaux qui se trouvaient à côté de lui, les plonge à -plusieurs reprises dans les flancs de son compagnon endormi, et appelant -à grands cris le garde-chiourme: _Qu'on me conduise à la mort!_ -s'écrie-t-il, d'une voix forcenée. _Je viens d'assassiner l'homme que -j'aimais plus que ma vie._ - -Sureau ne tarda pas à être traduit devant un conseil composé d'officiers -et d'ingénieurs de la marine. Rien de plus extraordinaire que l'aspect -d'un tel tribunal: là , les accusés sont toujours des criminels; là , les -témoins eux-mêmes comparaissent couverts de leurs vêtemens rouges, et -traînant leurs chaînes. - -Connaissez-vous, dit le président à l'un de ces témoins qui paraissait -avoir vieilli aux galères, connaissez-vous quelque motif qui ait pu -porter l'accusé à tuer son camarade? - -_Le forçat_: Oui, monsieur le président. Je crois, sauf votre respect, -que son camarade l'avait appelé _mouton_. - -_Le président_: Eh bien? que signifie cela? - -_Le forçat_: C'est que, monsieur, quand on dit à quelqu'un qu'il est un -_mouton_, ça veut dire, sauf votre respect, qu'il rapporte aux chefs tout -ce qui se fait. - -_Le président_: Quel grand mal y a-t-il là ? comment voulez-vous qu'il ait -pu le tuer pour cette parole? - -_Le forçat_: C'est que, monsieur, chez nous, celui qui est _mouton_, sauf -votre respect, ça veut dire _qu'il faut qu'on l'assassine_, et alors vous -comprenez qu'on n'aime pas d'avoir cette réputation. - -Le sang-froid, le ton de naïveté avec laquelle le vieux forçat débitait -ces maximes, indiquaient assez qu'elles constituaient un des points de -droit de ce lieu d'infamie, et qu'elles avaient été plus d'une fois mises -à exécution. - -Après la plaidoierie de son avocat, le galérien Sureau voulut se défendre -lui-même. Son improvisation offrait un mélange singulier du langage de la -passion et de l'argot du bagne: l'idée de la cousine et de son compagnon -de chaîne se confondait dans son esprit, et l'image de ces deux victimes -de sa fureur, harcelant sans cesse sa pensée, lui inspirait des paroles -et des mouvemens d'une véritable éloquence. - -Le forçat Sureau fut condamné à mort le 17 octobre 1826, et fut exécuté -dans les vingt-quatre heures. - - - - -PIERRE BARRIÉ, - -PARRICIDE. - - -Le 16 novembre 1826, le nommé Pierre Barrié, âgé de trente-trois ans, né -à Cocural, canton de Saint-Amans (Aveyron), comparut devant la Cour -d'assises de Rhodez, accusé de meurtre sur la personne de sa mère. Cette -cause avait attiré une grande affluence de spectateurs. Nous allons en -rapporter les principaux faits. - -Depuis quelque temps, Marguerite Bouges, veuve Barrié, âgée de soixante -ans, était atteinte d'aliénation mentale. Ses enfans, qui faisaient de -fréquens voyages à Paris, trouvèrent convenable, pour sa propre sûreté -comme pour la sûreté commune, de la faire renfermer dans un hospice, et -confièrent ce soin à Pierre, l'aîné de la famille. Ce projet fut conçu au -mois de septembre 1824. A cette époque, Pierre Barrié, Jean, son frère, -et Marie-Anne, sa sÅ“ur, étaient dans le pays; toutefois il a été établi -que ces deux derniers ne se trouvaient pas à Cocural, et que Pierre -habitait seul avec sa mère dans la maison de feu Barrié, son père. - -Dans les derniers jours de ce même mois de septembre, Pierre Barrié -prétendit avoir rempli la commission dont il s'était chargé. Selon lui, -il s'était adressé à cet effet au nommé Frédéric-Alexandre Cambonne, -marchand à Espalion et propriétaire à Montpellier, lequel, moyennant la -somme de 440 francs, devait conduire dans cette dernière ville Marguerite -Bouges, et la placer dans un établissement de charité. Pierre Barrié -ajoutait quelques circonstances sur le départ de sa malheureuse mère. Il -disait qu'elle avait opposé une vive résistance... que l'on avait été -forcé de recourir à l'assistance des gendarmes en résidence à Espalion. - -Dans le courant du mois d'octobre suivant, Pierre, Jean et Marie-Anne -Barrié partirent pour Paris. Ce fut dans cette ville, au mois de janvier -1825, que Pierre apprit aux deux autres la mort de leur mère, survenue, -disait-il, par suite d'un accident tragique. La voiture qui la -conduisait à Montpellier avait versé... Elle s'était fracassé le crâne... -On l'avait transportée dans un hospice où elle avait rendu le dernier -soupir... Le prétendu conducteur Cambonne était aussi décédé... Pierre -Barrié écrivit même à Cocural pour faire prendre le deuil aux autres -membres de la famille. - -Comme la plupart des hommes de son pays, Pierre exerçait à Paris la -profession de porteur d'eau; il était domicilié rue du Bac. - -Jean revint de Paris à Cocural dans le courant de mai 1825, portant un -reçu de 440 francs, souscrit et signé par le prétendu Cambonne. Ce reçu -lui avait été remis par son frère Pierre. - -Cependant une sourde et vague rumeur s'était répandue au sujet de la -disparition de Marguerite Bouges; on disait que cette femme n'était pas -sortie du pays, et, chaque jour, ces conjectures acquéraient plus de -consistance. On apprit de quelques individus qui avaient fait le voyage -de Montpellier, que toutes recherches avaient été infructueuses pour se -procurer des nouvelles de cette femme. On se rappela aussi que, vers la -fin de septembre 1824, Pierre Barrié, qui était naturellement gai, avait -paru sombre et agité, et qu'il avait supplié un de ses voisins de lui -permettre de coucher chez lui, ne pouvant, disait-il, habiter seul dans -sa maison, où le bruit des portes battues par le vent le glaçait -d'épouvante. Enfin, on sut dans le public que, dans une police de bail à -ferme consentie à son oncle, peu de jours avant son départ pour Paris, -Pierre Barrié s'était réservé un petit réduit, qu'il avait lui-même fermé -soigneusement avec une cloison en planches, après y avoir entassé de -vieux meubles et du bois de chauffage, et le docteur Capoulade, -d'Albouze, parlant un jour de la disparition de la veuve Barrié, s'écria -que c'était dans ce petit réduit que l'on pourrait trouver le cadavre de -cette femme. - -Cette circonstance paraissait trop extraordinaire pour qu'elle n'éveillât -pas l'attention. Aussi ce fut vers le lieu indiqué que la justice dirigea -ses premières démarches. On ne tarda pas à découvrir l'horrible mystère. -Bientôt, sous un amas de meubles, dans une auge de pierre, hermétiquement -fermée avec de la terre glaise, on trouva le cadavre de Marguerite -Bouges, recouvert de quelques lambeaux de vêtemens, le tout assez bien -conservé pour qu'on pût constater l'identité. Le frère de l'accusé et -plusieurs habitans la reconnurent. Marie Crassels déclara l'avoir -reconnue à un doigt de la main gauche, dont la première phalange avait -été emportée par un panaris. - -Aussitôt la police fut instruite, et des ordres furent donnés pour que -Pierre Barrié fût arrêté à Paris, et conduit sans retard à Rhodez. - -Devant le juge d'instruction, l'accusé se renferma dans une dénégation -absolue, parlant toujours du prétendu Cambonne, qui n'était, suivant -toutes les probabilités, qu'un personnage de son invention; car on ne -trouva aucun vestige de cet individu, ni sur les registres des morts, ni -sur ceux des vivans. A cette terrible question: «Comment s'est-il fait -que votre mère, décédée à Montpellier, ait été trouvée dans l'auge de -Cocural?» Pierre Barrié se borna à répondre: _C'est par miracle!_ - -En présence de la Cour d'assises, le président lui fit subir -l'interrogatoire suivant: - -_D._ Qu'était devenue votre mère, lors de votre départ pour Paris en -1824? - -_R._ M'étant chargé de la placer dans un hospice, au nom de tous ses -enfans, un cocher de fiacre que j'avais connu à Paris, mais dont j'ignore -le nom et le domicile, me conseilla de la confier à un monsieur qui, pour -440 francs une fois payés, prit l'engagement de la conduire et de la -faire recevoir à Montpellier, dans la maison centrale de cette ville. - -_D._ Connaissiez-vous ce monsieur? - -_R._ Je ne le connaissais pas: il disait s'appeler Alexandre-Frédéric -Cambonne. - -_D._ D'où était-il? - -_R._ Je l'ignore: mais il prenait les qualités de propriétaire à -Montpellier, et de marchand à Espalion. - -_D._ Vous aviez déjà consulté M. Jalabert fils, avocat à Espalion. Il -vous avait promis ses bons offices pour obtenir une place pour votre mère -dans l'hospice de cette ville, ou dans celui de Rhodez. Lui parlâtes-vous -du traité que vous veniez de faire avec Cambonne? - -_R._ Non, monsieur. - -_D._ Vous n'accompagnâtes pas votre mère jusqu'au moment de son départ? - -_R._ Cela m'aurait fait mal. - -_D._ Plusieurs témoins ont déposé, dans l'instruction, qu'il vous avait -fallu des gendarmes pour la contraindre: vous-même leur avez appris cette -circonstance. - -_R._ Ils se trompent. - -_D._ Il résulte des informations qu'on a prises qu'il n'existe, ni à -Montpellier ni à Espalion, aucun individu portant le nom de Cambonne, et -que votre mère n'a jamais été reçue dans la maison centrale de -Montpellier? - -_R._ J'ai été trompé. - -_D._ Qui vous apprit la mort de votre mère? - -_R._ Je l'appris par une lettre qui me fut écrite de Montpellier. - -_D._ Par qui? - -_R._ J'ai oublié le nom du signataire de la lettre. - -_D._ Mais enfin, comment se fait-il que votre mère ait été trouvée dans -l'auge de Cocural? - -_R._ Je n'en sais rien. - -A chaque question, l'accusé essayait, mais en vain, de lever sa tête, qui -retombait aussitôt sur sa poitrine. - -Les témoins furent entendus au nombre de trente-deux. Plusieurs -rappelèrent le propos tenu par M. Capoulade, médecin d'Albouze. Celui-ci -avoua le fait, et l'expliqua par diverses circonstances qui avaient -appelé ses réflexions sur ce sujet. - -Le ministère public soutint l'accusation avec beaucoup de force et de -précision, et fit voir que les circonstances diverses et multipliées qui -avaient été recueillies à l'occasion du meurtre de la veuve Barrié, -devaient suppléer à l'absence de témoins _de visu_ et aux doutes que -pouvait laisser la matérialité du fait. - -L'accusé fut défendu par Me Grandet, avec le talent et la loyauté dont il -avait donné déjà des preuves si brillantes dans l'affaire Fualdès. -Plusieurs parties de sa plaidoierie firent une vive impression sur -l'auditoire. - -Mais la délibération du jury ne pouvait être favorable à l'accusé. Trop -de charges, des charges trop accablantes pesaient sur lui. Chacun était -en droit de lui adresser ces terribles paroles: _Pierre Barrié, qu'as-tu -fait de ta mère?_ Le jury répondit affirmativement aux questions de -culpabilité qui lui furent soumises, et le président prononça contre le -prévenu la peine du parricide. L'abattement que ce malheureux avait -montré pendant les débats, redoubla lorsqu'il entendit l'arrêt qui le -condamnait à la mort; il ne put marcher jusqu'à sa prison qu'avec le -secours des gendarmes qui le soutenaient. Ce jugement fut rendu le 17 -novembre 1826. - -La Cour de cassation ayant rejeté le pourvoi de Pierre Barrié, et le roi -n'ayant pas admis son recours en grâce, ce malheureux subit sa peine le -19 février 1827 à Rhodez. Ce spectacle, qu'un appareil extraordinaire -rendait encore plus hideux, avait attiré une foule immense. Le condamné -fut transporté dans une charrette au lieu du supplice; il était -pieds-nus, en chemise, et sa tête était couverte d'un voile noir. -L'aumônier des prisons était assis auprès de lui; Barrié, triste et -abattu, paraissait attentif aux exhortations de ce charitable -ecclésiastique. - -Depuis sa condamnation, il avait substitué une autre version au système -absurde qu'il avait suivi dans ses interrogatoires et dans les débats. Il -assurait que sa mère était morte à la suite d'une chute violente qu'elle -aurait faite dans un accès de démence; que, l'ayant trouvée ensanglantée -et couverte de contusions, il s'était abstenu d'appeler du secours, de -peur qu'on ne l'accusât de meurtre, et qu'alors il avait caché le cadavre -dans l'auge où il avait été découvert dix-huit mois après. - - - - -ANDRÉ BLUM, - -ACCUSÉ DE FAUX ET D'EMPOISONNEMENT. - - -Au mois de mars 1821, André Blum fut employé dans les ateliers de la -maison Haussman et Jordan, au Logelbach, près Colmar. - -En 1825, M. Jordan remarqua du désordre dans la conduite de cet homme. -Plusieurs fois, il lui adressa des remontrances; Blum promit de se -corriger; mais, loin de tenir sa promesse, il contracta de nouvelles -dettes. - -Ses appointemens étant insuffisans pour subvenir à ses dépenses, il -fabriqua et mit en circulation de faux billets de commerce. Dans le -courant de 1825, il donna au sieur Édighoffen, aubergiste à l'enseigne du -Roi de Pologne, à Colmar, en paiement d'une somme de 130 francs, un -billet de 750 francs, paraissant souscrit, à son ordre, par son père -Jacob Blum. Vers la même époque, il remit au sieur Simon, en paiement -d'une somme de 100 francs, une lettre de change de 400 francs, -paraissant pareillement souscrite à son ordre par son père. A leur -échéance, ces deux effets furent protestés. Le père de l'accusé ne les -reconnut pas, déclarant qu'il ne devait rien à son fils; que ce n'était -pas le premier tour de ce genre qu'il lui faisait, et engageant le sieur -Édighoffen à le poursuivre très-rigoureusement. M. Jordan, ayant eu -connaissance de cette affaire, en parla à Blum. Celui-ci nia d'abord -qu'il eût fabriqué les effets en question; mais il finit par en faire -l'aveu. Blum était déjà débiteur de la maison Haussman d'une somme de -plus de 800 francs, qu'elle avait payée pour lui. Dès ce moment, M. -Jordan résolut de faire le sacrifice de cet argent et de se débarrasser -de Blum. En conséquence, on lui adjoignit deux ouvriers, destinés à le -remplacer, Joseph Grimmer et Louis Vautrin. - -Ces mesures rendirent Blum furieux: il forma le projet d'en tirer -vengeance, et ne dissimula pas ses intentions. Dans le mois d'avril, il -dit à un des ouvriers de la fabrique qu'il connaissait des individus qui -l'avaient desservi auprès de M. Jordan; qu'il leur conserverait une -haine implacable, et qu'il s'en vengerait, ne dût-ce être que dans vingt -ans. Vers la même époque, il tint à un autre ouvrier un propos à peu près -semblable, ajoutant que, s'il rencontrait celui qui l'avait calomnié, il -le tuerait, et se suiciderait ensuite. Ces menaces demeurèrent sans -effet. - -Comme chef d'atelier, Blum avait sous ses ordres un enfant de seize ans, -Joseph Goechlinger. Dans le courant de l'hiver et du printemps de 1826, -il l'avait envoyé par trois fois à Colmar, chercher de l'émétique. Chaque -fois, il l'avait adressé à trois pharmaciens différens, et lui avait fait -prendre chez chacun d'eux trois grains d'émétique, ce qui lui avait -procuré vingt-sept grains de ce vomitif. - -Vers le même temps, il avait amené une femme dans son atelier, et lui -avait fait placer de la mort-aux-rats dans trois endroits différens, sur -des petits morceaux de papier; deux ou trois jours après, il s'en était -emparé. Ainsi muni d'arsénic et d'émétique, Blum tenait des moyens de -vengeance entre ses mains. Il choisit Joseph Grimmer pour sa victime, et -attendit un moment favorable pour l'exécution de son forfait. - -Dans la matinée du 24 avril 1826, il crut l'avoir trouvé, et tenta -d'empoisonner cet ouvrier. Ce jour-là , entre six et sept heures du matin, -Blum, ayant vu que Joseph Grimmer avait des Å“ufs, lui témoigna le désir -d'en manger, et le pria de lui en préparer au beurre noir. Grimmer y -consentit, lui en fit cuire quelques-uns dans une casserole, et les lui -apporta avec du pain. Blum en mangea une petite partie, les saupoudra -avec une poudre blanchâtre, et les remua pour mêler le tout. Dès-lors, il -cessa d'en manger, en se plaignant qu'ils étaient trop salés; puis, il -engagea Grimmer à les manger, et sortit. - -Il se rendit à Turckheim, où était le domicile de Grimmer, et fit dire à -la femme de celui-ci que son mari ne rentrerait que vers onze heures ou -minuit, et peut-être pas du tout. - -Cependant Grimmer, après le départ de Blum, s'était mis à manger les -Å“ufs qui restaient; mais à peine en avait-il avalé la moitié, que, -dégoûté par l'amertume qu'il y trouva, il avait cessé d'en manger et -s'était remis à l'ouvrage. Toutefois, il ne tarda pas à en éprouver -l'effet. - -Une heure s'est à peine écoulée, qu'il est torturé par de fortes -coliques; une sueur glacée découle de son front; il ressent un malaise -général. Bientôt les vomissemens commencent. Ses compagnons n'hésitent -pas à soupçonner Blum d'avoir empoisonné Grimmer. Heureusement pour ce -pauvre malheureux que ce soupçon d'empoisonnement vint les frapper -sur-le-champ. Ils prodiguèrent sans retard à leur camarade les secours -les plus efficaces en pareil cas; ils lui firent prendre du bouillon, de -l'huile et du lait, et il fut sauvé. - -Vers cinq heures du soir, Blum rentra à l'atelier. On lui reprocha -d'avoir mis quelque chose dans les Å“ufs de Grimmer. Il ne s'en défendit -pas, et se borna à répondre: _Moi aussi, j'en ai mangé: pourvu qu'il ne -soit pas crevé, cela suffit; je m'en moque._ En prononçant ces paroles, -il rougit, et jeta sur une table une pièce qu'il pliait. Puis, pour -anéantir autant que possible les traces de son crime, il barbouilla avec -le reste des Å“ufs la figure d'une ouvrière, et cassa le vase dans lequel -Grimmer les avait fait cuire. Cependant des poursuites ayant été -dirigées contre lui, il essaya de s'y soustraire, en se cachant dans les -forêts qui environnent Soultz et les communes voisines; mais il fut -arrêté, le 14 juin, aux environs d'Ollviller. On trouva sur lui une -petite pièce de bois, tournée en forme de cachet, et qui paraissait -destinée à contrefaire un sceau, et un petit paquet de papier gris, -contenant une matière graisseuse. - -Transféré dans la maison d'arrêt de Colmar, il fut fouillé une seconde -fois; on trouva dans une de ses poches un petit paquet de toile ficelée, -contenant une poudre blanche. L'analyse chimique que l'on fit de ces -matières prouva que la première était composée de morceaux d'éponge cuits -dans la graisse et saupoudrés d'arsénic métallique; et que la seconde -était une substance végétale sucrée, mélangée aussi avec de l'arsenic -métallique. - -En conséquence, André Blum fut traduit devant la Cour d'assises de -Colmar, le 18 novembre 1826, comme accusé de faux en écriture de -commerce, et d'empoisonnement. L'accusé était vêtu de noir. C'était un -jeune homme d'une belle taille et d'une figure assez régulière, mais -l'expression de sa physionomie était froide et dure, et sa contenance -plus qu'assurée. Il entendit la lecture de l'acte d'accusation d'un air -impassible et presque effronté, et garda la même contenance pendant toute -la durée des débats. Le docteur Morel, entendu comme témoin, rapporta -plusieurs faits de nature à faire soupçonner l'accusé de plusieurs -empoisonnemens antérieurs à celui qui l'avait fait mettre en prévention. -La femme même de Blum aurait été victime d'une de ces tentatives. M. -Pélicier, chimiste attaché à la fabrique Haussman, déposa que l'accusé -était venu, à plusieurs reprises, lui demander de l'arsenic communément -connu sous le nom de _mort-aux-rats_, lui disant que son logement était -infesté de rats qui rongeaient ses habits et ses alimens; mais que lui, -Pélicier, s'y était constamment refusé; que, sur des sollicitations -itératives, il lui avait dit que, quand il y avait des rats et des souris -dans les ateliers, il y plaçait des harengs imprégnés d'arsénic. Alors -Blum lui dit qu'il lui apporterait un hareng pour qu'il y mît de -l'arsenic; mais le témoin le lui refusa, parce qu'il connaissait la -situation de l'accusé, et que l'on pouvait craindre qu'il ne voulût -attenter à sa propre vie, ou chercher à donner la mort à d'autres. - -Les pharmaciens, chargés d'analyser les matières trouvées sur Blum, lors -de son arrestation, déclarèrent qu'ils avaient parfaitement constaté la -présence de l'arsenic, soit dans les éponges graisseuses qui en étaient -imprégnées, soit dans le petit paquet de toile, où l'arsenic pur était -mélangé avec une poudre végétale sucrée. - -Un autre témoin, Jacques Ohl, âgé de soixante-un an, ouvrier de la -fabrique, déposa très-formellement des menaces proférées par Blum à -plusieurs reprises. Il rapporta surtout ces mots: «Je me vengerai de ceux -qui m'ont desservi; j'en tuerai un; je m'en vengerai, ne fût-ce que dans -vingt ans. Je ferai comme cet Africain;» et, en faisant cette menace, -l'accusé montrait un petit paquet qu'il avait à la main. - -Le jeune homme de seize ans, que Blum chargeait de l'achat de ses -poisons, fut aussi entendu. Il déclara être allé à Colmar neuf à dix -fois, avec la commission d'y prendre chaque fois neuf grains d'émétique -chez des pharmaciens différens, d'après les ordres exprès de l'accusé, -qui recommandait aussi au témoin de ne remettre les petits paquets qu'à -lui seul, et qui, chaque fois qu'il voyait arriver son commissionnaire, -sortait, soit de son atelier, soit de la chambre qu'il habitait, pour le -recevoir mystérieusement. - -Blum nia constamment toutes ces dépositions. Il parlait beaucoup et avec -une véhémence inconcevable; et cependant ses réponses étaient -incohérentes, peu vraisemblables, et quelquefois injurieuses pour les -témoins. Quoi qu'il en soit, ceux-ci persistèrent dans toutes leurs -déclarations. - -Les faits de faux furent seuls avoués et reconnus formellement par -l'accusé. - -Le ministère public soutint l'accusation avec force et éloquence, mais -avec calme, se bornant à faire ressortir la culpabilité de l'accusé des -dépositions seules. Le défenseur de Grimmer remplit sa tâche avec zèle; -il s'appliqua surtout à prouver que l'empoisonnement ne pouvait être que -présumé, et invoqua la commisération des jurés en faveur de ce jeune -homme, menacé du supplice à l'âge de vingt-sept ans, ayant un père plus -que septuagénaire, une mère de soixante-six ans, et étant lui-même père -de trois enfans en bas âge. L'accusé prit aussi la parole après son -avocat, et s'efforça d'exciter la compassion des jurés. - -Après une demi-heure de délibération, le jury déclara Blum non coupable -d'empoisonnement; mais il n'en fut pas de même de l'accusation de faux: -sa culpabilité sur ce dernier chef fut prononcée à l'unanimité, et il fut -condamné à vingt ans de travaux forcés, à l'exposition et à la -flétrissure. - -Blum entendit son arrêt avec assez de calme; mais bientôt il lança sur la -Cour des regards courroucés, et sortit en disant: _Il aurait mieux valu -me condamner à être guillotiné!_ A peine était-il rentré dans la prison, -qu'il saisit un couteau et s'en frappa dans le bas-ventre. Il tomba -baigné dans son sang, et fut conduit à l'hôpital, sous la surveillance -d'un gendarme. Mais il fut reconnu que sa blessure n'était pas -dangereuse. - - - - -ASSASSINS DE GRAND CHEMIN. - - -Vers la fin de 1825 et pendant les premiers mois de 1826, quatre -assassinats furent commis sur des chemins, qui traversent la forêt de -Londe et celle de Brothonne. Ces meurtres répandirent l'effroi dans toute -la contrée. La justice fit d'actives recherches; mais malgré tous ses -efforts, elle ne put mettre la main sur les auteurs de ces trois crimes. -Un seul assassinat, celui qui avait été commis le 8 février, entre sept -heures et demie et huit heures du matin, sur la personne du sieur Voisin, -devint l'objet d'une accusation. - -Armand Voisin, clerc de notaire, avait des capitaux à recevoir à Paris, à -Bordeaux et au Hâvre. Il partit le 8 février de la Bouille, en annonçant -qu'il allait à Boissy-le-Châtel. Les sieurs Cornu et Sillé, ainsi que -plusieurs autres individus, le virent et le rencontrèrent sur la route. A -cent cinquante ou deux cents pas de l'endroit où il avait été rencontré, -le nommé Revel, allant à la Bouille, trouva sur le bord de la route le -corps du malheureux Voisin; le cheval de la victime était à peu de -distance, paissant dans la forêt, la bride sur le cou. Les autorités -furent aussitôt prévenues de ce tragique événement; et il fut constaté -que le corps était étendu sur le dos, mais penché du côté droit, la tête -inclinée sur l'épaule droite, les pieds tournés vers la grande route, le -bras droit étendu en supination le long du corps, les quatre premiers -doigts fléchis, le pouce également incliné en dedans. Un pistolet de -calibre de cavalerie était posé dans la main droite, de manière que -l'extrémité de la crosse appuyait dans le fond de la main; tandis que la -partie supérieure de cette même crosse appuyait sur le pouce; le bras -gauche était légèrement fléchi, la main à moitié sur la hanche; les -jambes étaient légèrement écartées. L'autopsie de la tête prouva que le -pistolet avait été bourré avec des feuilles. A côté du cadavre était un -mouchoir de poche contenant une montre de chasse à boîte en argent avec -une chaîne en or. A trente pas du cadavre, dans la forêt, on trouva la -ceinture en daim de Voisin; elle avait été coupée dans toute sa longueur -et vidée; le cheval portait encore la valise. Le médecin constata que le -cadavre avait à la tête, du côté droit, un peu au-dessous de la tempe et -au niveau de l'oreille, une plaie d'un pouce et demi de long, faisant -cavité, entourée d'un cercle noir et paraissant être l'effet d'un coup -d'arme à feu; les os de la tête étaient fracturés, et la partie -supérieure des favoris était brûlée. De l'autre côté, au-dessous de -l'oreille, on voyait une plaie plus petite que la première, et formant -aussi cavité avec fracture d'os. Une foule de circonstances indiquaient -que la mort violente du sieur Voisin n'était pas le résultat d'un -suicide, comme ses assassins avaient voulu le faire croire. - -Cet assassinat dont les auteurs étaient d'abord inconnus, ouvrit un champ -vaste aux conjectures; d'injustes soupçons planèrent un moment sur -quelques personnes innocentes. Mais on apprit enfin que le nommé -Heurtaux, meunier, âgé de trente-deux ans, avait été vu près du lieu où -le crime avait été commis; que, ce jour-là , il s'était fréquemment -déplacé et qu'il avait tenu quelques propos qui décelaient une conscience -alarmée. Heurtaux fut arrêté, et traduit devant la Cour d'assises de -Rouen, avec le nommé Daguet, cultivateur, âgé de quarante-trois ans, et -Françoise Hébert, femme Heurtaux, comme accusés, les deux premiers -d'assassinats suivi de vol, la troisième de recel d'argent. - -Les accusés comparurent devant leurs juges, le 28 novembre 1826, en -présence d'un nombreux auditoire. D'après l'instruction et les -dépositions des témoins, Heurtaux avait été vu par plusieurs personnes à -la Bouille, le 7 février; le 8, il avait quitté Savale à deux heures du -matin et s'était rendu à une demi-lieue de là chez sa femme, où il avait -donné rendez-vous à Daguet. Vers sept heures un quart, ils étaient -arrivés tous deux près de la Maison-Brûlée, et ils n'avaient alors qu'une -avance de deux cent à deux cent-vingt pas sur Voisin qui les suivait à -cheval. Plus haut, à trois cent cinquante pas au-dessous du lieu où le -crime avait été commis, ils furent encore rencontrés par deux témoins, et -ces derniers trouvèrent Voisin, montant la côte à pied, à cent cinquante -ou deux cents pas environ au-dessous de l'endroit où il avait perdu la -vie. Quelques instans après, vers huit heures ou huit heures moins un -quart, la fille Cabour, suivant sa déposition, les vit tous deux sortir -du bois, saisir Voisin et l'entraîner violemment dans la partie de la -forêt où il fut trouvé mort; suivant le même témoin, Voisin, dans cette -lutte, n'avait pas jeté un cri: elle n'avait pas non plus entendu la -détonation du pistolet, parce qu'elle avait perdu connaissance pendant -cette scène. - -Quoique cette déposition se trouvât fortement contrariée par d'autres -déclarations, trois bûcherons, par leur témoignage, lui prêtaient un -puissant appui. Ils affirmaient qu'étant à travailler au bord de la -forêt, à peu de distance de la route, et à trois cent cinquante pas -au-dessus du lieu où les accusés avaient été rencontrés par Cornu et -Sillé, ils ne virent Daguet et Heurtaux paraître à leur hauteur qu'un -quart d'heure environ après avoir entendu le coup d'arme à feu qui donna -la mort au malheureux Voisin; ils dirent, en outre, que Daguet, monté sur -sa voiture, était tout en sueur; que la femme Heurtaux n'était pas avec -ses coaccusés, quoiqu'elle soutînt le contraire, et que Daguet ne s'était -pas arrêté pour faire la conversation avec eux, quoique les accusés -eussent affirmé ce fait. Un quart de lieue plus loin, les trois accusés, -alors réunis, trouvèrent le nommé Boucachard fort impatient de ne pas -voir paraître Voisin qu'il attendait, et comme cet homme témoignait -l'intention de retourner vers la Bouille, pour voir si le voyageur ne -s'était pas égaré, Daguet chercha à le détourner de ce dessein, et -l'engagea à continuer sa route jusqu'au Bourgtheroulde. - -Une autre circonstance déposait aussi violemment contre les accusés. Un -sieur Dubourg, serrurier à la Bouille, avait déclaré, après beaucoup de -tergiversations, qu'il reconnaissait le pistolet pour avoir appartenu à -Heurtaux père, qui le lui avait donné naguère à raccommoder. - -Toutes ces dépositions furent reproduites à l'audience. Les accusés -protestèrent de leur innocence; ils cherchèrent à expliquer leur présence -dans le voisinage de la scène du crime, et soutinrent que la fille Cabour -en imposait à la justice, en les signalant comme les auteurs de -l'assassinat de Voisin. Ils nièrent également tous les propos qui leur -étaient imputés. - -Cependant la fille Cabour avait désigné les moindres parties du costume -des accusés; elle les avait reconnus, dès l'abord, entre plusieurs -autres prisonniers. Elle déclara que la crainte que lui inspirait Daguet -avait été la seule cause du silence qu'elle avait long-temps gardé sur -cette malheureuse affaire. Malgré les vives apostrophes et les violentes -interpellations des trois accusés, la fille Cabour n'en persista pas -moins dans sa déclaration. - -Cette procédure, commencée le 28 novembre, se prolongea jusqu'au 4 -décembre. Sur la déclaration du jury, Heurtaux et Daguet, déclarés -coupables d'assassinat suivi de vol, furent condamnés à la peine de mort. -La femme Heurtaux fut acquittée de l'accusation de recélé. - -Quand les accusés furent introduits dans la salle, pour entendre la -déclaration du jury, une scène déchirante émut vivement les spectateurs. -Le président prononça d'abord l'acquittement de la femme Heurtaux; mais, -lorsqu'il donna ordre de la faire sortir, elle se cramponna au banc, en -s'écriant qu'elle voulait partager le sort de son mari. «Il est innocent -comme moi, s'écriait-elle; c'est une injustice! je ne veux pas le -quitter.» Les gendarmes furent obligés de l'enlever de vive force. - -Daguet, abattu, gardait un morne silence. Heurtaux s'écria qu'il était -innocent, et qu'il en appelait aux magistrats de la décision du jury; -Daguet se leva, et, à voix basse, protesta aussi de son innocence. - -Le pourvoi des deux condamnés ayant été rejeté par la Cour de cassation, -ils furent exécutés sur la place publique de Bourgtheroulde. - - - - -BANCELIN, - -MEURTRIER DE SON ÉPOUSE. - - -Ici le crime ne fut point la conséquence du libertinage. La victime et le -bourreau sont presque également dignes d'intérêt. Bancelin aimait sa -femme; mais sa brutalité, ses emportemens, sa fureur presque habituelle, -avaient à la fin forcé cette malheureuse épouse de fuir le domicile -conjugal, et ce fut le désespoir que causa à Bancelin cet abandon, qui le -rendit criminel. - -Jean-Baptiste-Auguste Bancelin, âgé de trente-neuf ans, propriétaire et -marchand de bois à Saint-Menehould, appartenait à une famille très-connue -par l'étendue de son commerce. Il avait épousé Marie-Élisabeth Salmon, -issue d'une famille très-recommandable. - -Des spéculations extravagantes et malheureuses avaient aigri le caractère -de Bancelin. Sa femme, par ses manières douces et affectueuses, tâchait -de calmer les fureurs qui l'agitaient; elle supportait avec patience et -résignation les injures qu'il lui prodiguait, ne laissait échapper aucune -plainte au sujet des mauvais traitemens qu'elle en éprouvait, et dérobait -avec soin à la connaissance du public les scènes déplorables qui se -passaient dans l'intérieur de la maison: en un mot, suivant l'expression -d'un témoin, madame Bancelin était un ange de vertu. - -Dans le mois de juillet 1826, Bancelin conçut le projet d'ouvrir une -auberge. Sa femme lui fit, avec tous les ménagemens possibles, des -remontrances sages sur les difficultés que présentait cet établissement. -Bancelin, au lieu de les écouter et de les peser, devint furieux; il -s'arma d'une bouteille et la lança à la tête de sa femme: celle-ci fut -blessée, mais elle dissimula courageusement sa souffrance. Bancelin la -prit aux cheveux, l'entraîna dans un cabinet voisin, la renversa sur le -carreau et la foula aux pieds. Elle lui déclara alors qu'elle le -quitterait, qu'elle ne pouvait vivre plus long-temps avec lui. Cette -menace ne fut qu'un stimulant pour la fureur de Bancelin; il redoubla -ses mauvais traitemens. Au milieu de cette scène de violence, la -malheureuse femme s'écriait: _Laisse-moi la vie, je t'en conjure; si ce -n'est pas pour moi, que ce soit pour mes enfans!_ Une voisine qui -l'entendit, vola à son secours; elle arriva au moment où Bancelin, armé -d'un canon de fusil servant de soufflet, allait en frapper sa femme. -Cette infortunée, accablée de douleur et de chagrin, ne pouvant plus -rester avec son mari, prit la fuite pendant la nuit. Elle conserva encore -assez de courage pour emporter avec elle un de ses jeunes enfans, et, -chargée de ce précieux fardeau, elle se rendit des Islettes à -Sainte-Menehould, et se réfugia chez une de ses sÅ“urs, établie en cette -ville. - -Bancelin, ne pouvant supporter l'idée de vivre séparé de sa femme, -tourmenté peut-être aussi par les remords de sa conscience, tenta tous -les moyens de réconciliation, mais inutilement. Un mois s'était écoulé -sans qu'il eût pu obtenir que sa femme revînt chez lui. Enfin, le 1er -septembre, ayant formé un projet sinistre, il se rendit à Verdun pour y -acheter de l'arsenic, mais il ne put s'en procurer. Il entra dans la -boutique d'un armurier, qui lui vendit un pistolet. Il s'informa si, avec -cette arme, on pouvait tuer un chien à quatre pas; et, sur la réponse -affirmative, il s'en alla. Mais bientôt il revint acheter un second -pistolet, et retourna à son domicile, où il fit lui-même l'essai de ses -nouvelles armes. - -Le lendemain, jour du fatal événement, déterminé à partir pour -Sainte-Menehould, il brûla ses papiers, enveloppa son violon d'un crêpe, -et recouvrit une table ronde avec une robe noire de sa femme. A trois -heures environ, il se rendit à Sainte-Menehould. Il avait emporté deux -bouteilles de vin blanc; il en prit une pour sceller sans doute le -raccommodement, et courut au logis de sa belle-sÅ“ur, où sa femme s'était -retirée. Il demanda à la voir. On avertit madame Bancelin de la visite de -son mari: elle se présenta. La conversation s'engagea sans humeur de part -ni d'autre, seulement la femme refusa de venir aux Islettes, et Bancelin -sortit. Un instant après, il reparaît, pénètre dans l'arrière-boutique, -où sa femme s'était mise à tricoter à côté de sa sÅ“ur, qui elle-même -travaillait à une robe et causait avec un marchand étranger, assis près -de sa fenêtre. Bancelin réitère ses sollicitations, en se promenant à -grands pas dans la chambre. _Veux-tu enfin revenir avec moi?_ dit-il à sa -femme.--_Ce ne sera pas encore aujourd'hui_, répondit-elle. Au même -moment, une détonation se fait entendre... La malheureuse femme tombe, en -s'écriant: _Je suis tuée!_ - -Bancelin prit aussitôt la fuite et courut se précipiter dans la rivière. -Comme l'eau n'était pas profonde, on parvint aisément à l'en retirer, et -on le conduisit dans une salle de l'Hôtel-de-Ville, où bientôt après il -fut interrogé par le juge d'instruction. - -Le pistolet dont il s'était servi pour son crime, était chargé de deux -chevrotines, qui avaient pénétré dans la partie postérieure et inférieure -du cou. Les blessures, qui n'étaient pas mortelles de leur nature, le -devinrent par la suite, d'après le rapport des médecins appelés pour en -constater l'état, et la malheureuse femme Bancelin succomba, après six -semaines de souffrance et d'agonie. - -Lors de son interrogatoire, Bancelin était calme et de sang-froid. Il -déclara que des deux pistolets qu'il avait achetés, l'un chargé de deux -chevrotines, était destiné à sa femme, l'autre, chargé de trois, devait -servir pour lui-même; et qu'afin de ne pas se tromper, il avait mis le -premier dans la poche de son habit, et le second dans le gousset de son -pantalon; que son intention pourtant, en entrant dans la chambre où il -avait vu sa femme, n'était pas de la tuer, mais que cela devait dépendre -de la bonne ou mauvaise réception qu'elle lui ferait; que, désespéré de -la fatale obstination qu'elle mettait à ne pas vouloir rentrer avec lui, -il avait tiré sur elle; que voulant aussitôt terminer ses propres jours, -il avait dirigé contre lui son second pistolet, que le coup avait raté, -et que le seul parti qui lui restait à prendre étant de se jeter à l'eau, -il l'avait fait. - -Bancelin changea de langage aux débats qui eurent lieu devant la Cour -d'assises de Reims, dans la session de décembre 1826, selon son nouveau -système de défense, il n'avait pas eu l'intention de tuer sa femme, -puisqu'il lui apportait de l'argent, des meubles et autres objets propres -à son usage. Il n'avait point de projet de meurtre, puisqu'il se -proposait de goûter avec elle. Il prétendit que s'il l'avait frappée à -mort, c'est qu'en armant le pistolet qu'il voulait diriger contre -lui-même, le coup était parti inopinément. Il fit valoir divers -témoignages de son affection et de son attachement pour sa femme, et ses -larmes abondantes n'attestaient que trop, selon lui, combien il la -regrettait. - -Un incident important s'éleva sur l'application de la peine. Les -questions suivantes avaient été posées au jury: Bancelin, accusé, est-il -coupable d'avoir, le 2 septembre dernier, commis volontairement un -homicide sur la personne de Marie-Élisabeth Salmon, sa femme, en lui -tirant à bout portant un coup de pistolet? Avant cette action, Bancelin -avait-il formé le dessein d'attenter à la personne de sa femme? - -Le ministère public déclara qu'il ne lui semblait pas que la -préméditation fût suffisamment établie, et requit que la question fût -posée dans les termes résultant de l'accusation, c'est-à -dire de la -manière suivante: Est-il coupable d'avoir, le 2 septembre, commis -volontairement et avec préméditation un homicide sur la personne de -Marie-Élisabeth Salmon, son épouse? - -La cour, après en avoir délibéré, décida qu'il ne serait rien changé aux -questions posées primitivement, et qui furent toutes deux résolues -affirmativement par le jury. - -Le procureur du roi s'étant fait remettre la déclaration des jurés, -requit, après une lecture attentive, l'application de plusieurs articles -du code pénal portant la peine de mort. Le président demanda à l'accusé -s'il n'avait pas quelques observations à faire sur ce réquisitoire. Alors -le procureur du roi se leva de nouveau, et s'exprima en ces termes: -«Messieurs, nous avons un devoir, un devoir de conscience à remplir; nous -demandons qu'il plaise à la cour nous donner acte de ce que, rectifiant -nos conclusions, et attendu que de la déclaration du jury, il résulte que -Bancelin est coupable d'homicide volontaire, mais qu'il ne résulte pas -que cet homicide ait été commis avec préméditation; qu'en effet, il n'est -déclaré coupable que d'avoir, à l'avance, formé le dessein d'un attentat -à la personne de sa femme, mais que cet attentat n'est spécifié ni dans -la question, ni dans la réponse; qu'il peut y avoir diverses sortes -d'attentats contre la personne d'un individu, et que les termes de la -réponse du jury n'apprennent pas si l'attentat médité par Bancelin contre -la personne de sa femme était de nature à lui donner la mort; qu'à la -vérité on pourrait, jusqu'à un certain point, l'induire de la corrélation -des deux questions, mais qu'une simple induction ne peut suffire pour -établir d'une circonstance de fait en matière criminelle, surtout -lorsqu'elle entraîne la peine capitale; nous requérons contre Bancelin -l'application des articles 95 et 104 du code pénal, et sa condamnation -aux travaux forcés à perpétuité.» - -Après une heure de délibération, le président prononça un arrêt dont les -considérans établissaient qu'il n'y avait aucune incertitude dans les -réponses du jury, et qu'il condamnait en conséquence Bancelin à la peine -de mort. - -«Bancelin, ajouta le président d'une voix qui trahissait sa vive émotion, -vous avez trois jours francs pour déclarer si vous entendez vous pourvoir -en cassation contre l'arrêt que la Cour s'est vue dans la nécessité de -prononcer contre vous.» - -Bancelin, d'un organe altéré, s'écria pour toute réponse: _Adieu, mes -pauvres enfans!_ - -Néanmoins il se pourvut en cassation et en grâce, et les jurés le -recommandèrent à la clémence du roi. - - - - -LE COUPLE ASSASSIN. - - -Le 14 juillet 1826, Marguerite Durand, veuve Corpedanne, et Françoise -Bourgine, sa belle-fille, furent assassinées dans leur maison, à -Villeflon. Le mari de cette dernière étant rentré chez lui, et ayant vu -sa femme étendue par terre, la tête appuyée sur une table, et nageant -dans son sang, fut saisi d'un tel effroi qu'il s'enfuit par la baie de la -croisée en poussant des cris de désespoir qui attirèrent plusieurs -voisins. Sur sa déclaration, on pénétra dans la maison, et l'on trouva la -veuve Corpedanne étendue sans vie dans son lit. Elle avait au visage six -blessures différentes, faites avec un instrument contondant. - -Sa belle-fille avait aussi plusieurs plaies profondes sur la tête et sur -la figure; elle était sans connaissance. On crut d'abord qu'elle -n'existait plus: ce fut en la mettant dans son lit qu'on s'aperçut -qu'elle respirait encore. On trouva par terre, dans la maison, un -morceau de chevron de trois pieds deux pouces de longueur et de trois -pouces de largeur; ce morceau de chevron était teint de sang à l'une de -ses extrémités; on y reconnaissait des empreintes de doigts ensanglantés, -et il fut constaté que ces empreintes provenaient de la main d'un homme -qui était gaucher. Un fusil qui était pendu dans la chambre avait été -volé; il avait servi à frapper la veuve Corpedanne. On le reconnut aux -trous profonds que le chien de la batterie avait faits sur la figure de -la victime; on trouva en outre sur le lit et sur une chaise deux éclats -de bois ensanglantés, paraissant provenir de la crosse d'un fusil. Une -timballe d'argent portait aussi des empreintes de doigts et des traces de -sueur indiquant la main d'un gaucher. Au milieu de la chambre, et dans -une mare de sang, était la clef de la porte de la maison donnant sur la -rue, ce qui semblait prouver qu'avant d'être terrassée, la belle-fille de -la veuve avait cherché à sortir pour appeler du secours. Deux commodes, -dans lesquelles les époux Corpedanne mettaient leur argent et leurs -effets, avaient été fracturées avec la pelle à feu, et l'on en avait -soustrait un sac de toile contenant 30 francs en pièces de 5 francs; on -avait pris aussi quelques sous en monnaie de cuivre, ainsi que du linge -et des effets. - -Une vile cupidité avait fait commettre ce double assassinat; mais quels -en étaient les auteurs? La jeune femme Corpedanne, dans les premiers -instans, était hors d'état de donner les moindres indices. Elle resta -plusieurs jours dans la maison de Villeflon, mais toujours plongée dans -un assoupissement complet, ne pouvant prononcer aucune parole, ni même -faire le moindre signe. Le 20 juillet, on la transféra à l'hospice de -Provins; le 23, son mari et le nommé Bourgine, son cousin, qui étaient -auprès de son lit, lui demandèrent si elle connaissait ses assassins. -Elle ne put d'abord leur répondre que ces mots: _Oui, je le sais bien, -c'est un voisin_. Son mari et son cousin lui nommèrent alors tous les -habitans de Villeflon, et elle répondait toujours: _Non._ Mais quand ils -prononcèrent le nom de Ninonet, elle répondit: _Oui, c'est Ninonet_. - -Le juge d'instruction et le procureur du roi furent à peine instruits de -cette circonstance, qu'ils se rendirent à l'Hôtel-Dieu, et la femme -Corpedanne qui était encore dans un état alarmant, et dont les idées -n'étaient pas encore bien nettes, puisqu'elle commençait seulement à -recouvrer la mémoire, fit avec beaucoup de peine la déclaration suivante: -«C'est Pierre Ninonet; il était habillé en drap bleu; il est entré par la -croisée; je me suis lancée sur lui; je l'ai nommé; il ne répondait pas. -Je lui ai dit: Pierre, laissez-moi donc tranquille. Il me disait: -Va-t'en, grande gueuse; donne-moi ta bourse ou ta vie. Il m'a donné un -coup entre les épaules; il a allumé la chandelle avec l'amadou; il m'a -donné des coups; il a pris le fusil et il s'est enfui avec. Je ne l'ai vu -que tout seul: je l'ai vu comme je vous vois. C'est un habit de drap -bleu, ce n'est point une veste. Avant, il me disait: Tu restes seule dans -cette maison, toi; ton parrain a envie de faire ton affaire. Ce n'est pas -mon parrain, mais c'est bien lui qui voulait faire mon affaire. Je suis -fatiguée... Je n'en puis plus...» - -Le lendemain, à onze heures du matin, Corpedanne se trouvant encore -auprès du lit de sa femme, celle-ci lui dit que la femme Ninonet était -avec son mari, que tous deux l'avaient battue; que Ninonet lui disait: -«Garce, tu as de l'argent; il faut que tu me le donnes ou que tu perdes -la vie;» que la femme Ninonet fouillait dans les meubles; qu'elle -cherchait partout; qu'elle était bien sûre de ce qu'elle disait, et -qu'elle ne dirait pas autrement, parce que c'était lui. - -Le même jour, le juge d'instruction et le procureur du roi se rendirent -de nouveau à l'Hôtel-Dieu de Provins, et la femme Corpedanne leur fit -cette nouvelle déclaration: «La femme Ninonet; c'est elle qui m'a -consommée: elle est venue avec son mari; je l'ai bien vue. Tous les deux -m'ont frappée; elle m'a bien fait souffrir. Elle me tenait par les -cheveux; elle a fouillé dans tous les meubles; elle croyait que nous -avions de l'argent; elle me disait: Tu as de l'argent, tu ne le montres -pas. Nous n'avions qu'une dixaine d'écus; si mon mari avait reçu son -gage, nous aurions eu 250 francs qui n'auraient pas encore été employés. -Nous avions 300 francs chacun quand nous nous sommes mariés; nous les -avons employés dans la maison. C'était comme un lion; elle a cherché -partout. Elle m'a dit: _La bourse ou la vie!_ Je l'ai vue fouiller dans -la commode. Son homme m'a frappée dans mon lit; je me suis traînée par -terre; c'est le mari qui a frappé le premier coup de la mort. Elle -regardait partout; elle faisait le diable; parce que nous avons donné un -loyer plus fort, ils nous croyaient bien riches. La femme Ninonet avait -un cotillon de laine à raies, un fichu d'indienne fond bleu à fleur; ils -ont apporté une chandelle. Ninonet venait chez nous tous les huit jours; -il me disait quelquefois: «Je la connais mieux que toi, la maison.» - -Le même jour, à cinq heures du soir, Corpedanne était encore près de sa -femme. «Ma bonne amie, lui dit-il, il faut déclarer la vérité; si ce -n'est pas Ninonet, il ne faut pas le dire.--Je te dis que c'est lui; sa -femme était avec lui; je ne dirai jamais autrement.» - -Le 22 août, Ninonet et sa femme, qui avaient été arrêtés, furent -confrontés avec la femme Corpedanne. Celle-ci, en apercevant Ninonet, -s'écria: _Je vois mon bourreau! tu croyais bien m'avoir tuée?_ Elle -rappela ensuite en sa présence tous les faits dont elle avait parlé -précédemment. - -Confrontée ensuite avec la femme Ninonet, elle lui dit que, sans doute, -elle avait bien prié le bon Dieu pour qu'elle mourût de ses blessures, -mais qu'elle était encore en vie. «Si j'avais su ce que vous projetiez, -ajouta-t-elle, je ne vous aurais pas reçus chez nous tous les jours.» -Puis elle exprima le déplaisir et la peine qu'elle éprouvait, lorsque -étant dans son lit, à Villeflon, sans pouvoir articuler une parole, elle -voyait dans la chambre et autour d'elle la femme Ninonet qui voulait lui -porter des soins, lui donner à boire et se rendre utile dans la maison. -La malheureuse Corpedanne, apostrophant cette femme, lui dit: «Si j'avais -pu parler le lendemain, vous ne seriez pas entrée dans la maison; j'avais -peur que vous ne m'acheviez, ou que vous m'empoisonniez en me donnant à -boire; vous aviez l'air de vous intéresser à moi; au fond, vous désiriez -bien que je n'en revienne pas.» - -Ninonet et sa femme se renfermèrent dans un système absolu de dénégation. -L'un était âgé de trente-six ans, et l'autre de vingt-sept. Les débats de -cette cause, qui furent portés devant la cour d'assises de Melun, -durèrent deux jours. La déposition de la femme Corpedanne était -accablante pour les deux accusés; elle fut recueillie avec tout -l'intérêt qu'inspiraient ses malheurs et la vérité frappante dont elle -semblait être l'organe. Elle répondit à toutes les questions qui lui -furent adressées, avec une candeur, une clarté, une précision -remarquable. - -L'accusation fut soutenue par le ministère public avec cette force que -donne une conviction profonde. Les deux prévenus furent condamnés à la -peine de mort. Ninonet versa des larmes abondantes en entendant sa -condamnation, mais sa femme demeura impassible. - -Le pourvoi de ces deux misérables ayant été rejeté par la Cour de -cassation, l'arrêt fut exécuté le 21 avril 1827, sur la place Saint-Ayou, -à Provins. Les condamnés avaient été extraits, la veille, de la maison de -justice de Melun, et furent transférés dans celle de Provins. Le -procureur du roi et le juge d'instruction se rendirent auprès d'eux et -les engagèrent vainement à faire l'aveu de leur crime; tous deux -persistèrent à protester de leur innocence. La femme Ninonet s'emporta -même au point de dire au juge d'instruction: _Si_ _Dieu me donnait sa -puissance, vous n'en jugeriez pas d'autres._ Ils tinrent constamment le -même langage jusqu'au moment de leur exécution, qui eut lieu en présence -d'un grand concours d'habitans des campagnes voisines. - - - - -HENRIETTE CORNIER. - - -Le nom de cette malheureuse femme rappelle un de ces crimes étranges, -commis sans intérêt, sans passion, sans esprit de vengeance, qui -demeurent des énigmes pour la raison comme pour la science de l'homme. - -Henriette Cornier était entrée comme domestique chez le sieur Fournier, à -Paris. Le 4 novembre 1825, elle vit et caressa chez un fruitier du -voisinage l'enfant de la femme Belon. Cette petite fille, nommée Fanny, -n'était âgée que de dix-neuf mois. La fille Cornier la fit monter dans sa -chambre en la comblant de caresses; puis, elle l'étendit sur son lit, lui -coupa la tête et la jeta dans la rue, où elle alla rouler aux pieds du -père de cette innocente créature! - -Cette action horrible, à laquelle on supposa d'abord des motifs que l'on -ne connaissait point encore, mais qui devaient exister, répandit en un -instant la douleur et l'effroi dans tout Paris. Celle qui s'en était -rendue coupable fut arrêtée et interrogée par les magistrats. - -Traduite devant la Cour d'assises de la Seine, à raison du forfait -qu'elle avait commis, elle dut d'abord comparaître devant ce tribunal le -27 février 1826; mais on sursit aux débats pour donner aux hommes de -l'art le temps d'apprécier l'état moral de l'accusée. Après deux mois -d'examen, les trois médecins, chargés de cette importante mission, -déclarèrent n'avoir aperçu en elle aucune trace matérielle de démence; -cependant ils ajoutèrent que cette opinion pourrait être modifiée par les -circonstances existantes ou éventuelles du procès. - -En conséquence, Henriette Cornier fut ramenée devant la Cour d'assises le -24 juin suivant, comme accusée du crime de meurtre, commis avec -préméditation. Elle déclara se nommer Henriette Cornier, née à la -Charité, et être âgée de vingt-sept ans. Sa figure pâle portait -l'empreinte de la douceur. Elle répondit d'une voix éteinte aux questions -qu'on lui adressa; un tremblement convulsif l'agitait continuellement et -semblait redoubler encore quand elle ouvrit la bouche pour faire entendre -quelques accens entrecoupés. - -Il résultait en substance de l'acte d'accusation qu'Henriette Cornier, -qui avait eu, pendant toute sa jeunesse, un caractère gai, léger et même -folâtre, avait tout-à -coup changé depuis dix-huit mois, et semblait, -depuis cette époque, dominée par une sombre mélancolie qui l'avait -conduite un jour à se précipiter dans la Seine. Ce fut quelque temps -après qu'elle exécuta l'horrible meurtre qui l'avait mise sous la main de -la justice. - -C'est surtout dans une cause de ce genre qu'il est important de -reproduire textuellement l'interrogatoire de la personne accusée. Celui -d'Henriette Cornier, s'il n'apprend rien de nouveau, quant au triste fait -accompli, servira du moins à faire apprécier la situation mentale de -cette fille, au moment de son épouvantable attentat. - -_M. le Président._ Femme Cornier, a quelle époque êtes-vous entrée chez -Fournier? n'est-ce pas à la fin d'octobre? - -_R._ Oui, monsieur. - -_D._ Comment vous trouviez-vous dans cette condition? vous y -trouviez-vous bien? - -_R._ Oui, monsieur. - -_D._ Le 4 novembre, vous avez vu et caressé chez le fruitier l'enfant de -la femme Belon? - -_R._ Oui, monsieur. - -_D._ Vous êtes montée avec elle dans votre chambre, et l'avez embrassée? - -_R._ Oui, monsieur. - -_D._ Vous avez pris un couteau; quelle était votre pensée? - -_R._ Je ne voulais pas le faire. - -_D._ En prenant ce couteau, vous aviez donc l'intention de la tuer? - -_R._ Je n'y ai pas pensé. - -_D._ Vous l'avez placée sur votre lit et lui avez donné la mort? - -_R._ Oui, monsieur. - -_D._ Quand la mère est venue vous demander son enfant, vous lui avez -répondu qu'elle était morte? - -_R._ Oui, monsieur. - -_D._ Quel était votre dessein en jetant la tête de cette enfant par la -fenêtre? - -_R._ La voix de l'accusée ne se fait plus entendre. - -_Un juré._ On n'entend pas. - -_M. le Président._ Faites venir l'accusée près la Cour, (à l'accusée) -Quel était votre dessein en jetant la tête de cette enfant? - -_R._ Pour prouver que j'étais seule. - -_D._ Vous vouliez faire connaître que vous étiez l'auteur du crime? - -_R._ Je n'en sais rien. Ça s'est passé comme un éclair. - -_D._ Vous n'avez donc pas été arrêtée par la crainte de Dieu? - -_R._ J'ai abandonné Dieu ce jour-là . - -_D._ Quand vous avez tué l'enfant, aviez-vous la crainte d'être punie? - -_R._ Je ne pensais à rien dans cet instant là . - -_D._ Aviez-vous éprouvé des malheurs avant cette époque? - -_R._ Non, Monsieur. - -_D._ Cependant on vous a vue pleurer antérieurement? - -_R._ J'étais triste; je ne sais pas pourquoi. - -_D._ Comment la crainte de Dieu ne vous a-t-elle pas arrêtée? - -_R._ J'étais triste ce jour-là . - -_D._ Qui vous a arrêtée au moment de vous jeter à la rivière? - -_R._ La crainte de Dieu. - -_D._ Vous aviez dit que c'étaient les passans qui vous en avaient -détournée. - -_Un juré_: A cette époque, l'accusée avait-elle déjà la pensée de tuer un -enfant? - -_L'accusée_: Non, jamais. - -_D._ Vous aviez pourtant cette idée en prenant un couteau dans la -cuisine? - -_R._ Non, monsieur. - -_D._ Mais vous l'aviez quand vous avez emporté l'enfant dans votre -chambre? - -_R._ Non, monsieur. - -Après cet interrogatoire, on appela comme témoins le père et la mère de -l'enfant, qui déposèrent des faits tels qu'on les connaît déjà , sans rien -ajouter qui pût donner au crime de la fille Cornier d'autre motif que la -domination tyrannique d'une affreuse idée. - -Quelques témoins à décharge déposèrent qu'ils avaient connu la fille -Cornier fort gaie, mais que son caractère avait totalement changé depuis -dix-huit mois. - -Les trois médecins chargés d'observer l'état mental d'Henriette Cornier, -(MM. Esquirol, Adelon et Léveillé), répétèrent ce qu'ils avaient dit dans -leur premier rapport: que cette femme, livrée à une mélancolie profonde, -n'était pas dans un état de folie proprement dite. Mais M. Esquirol y -ajouta ces mots: «Notre jugement cesserait d'être absolu, s'il était -prouvé, comme on l'a énoncé dans l'acte d'accusation, que cette femme, -plusieurs mois avant l'événement, était devenue sombre et rêveuse, et si -elle avait commis, quelque temps auparavant, des tentatives de suicide.» - -Tout l'intérêt de la question se réduisait, comme on le voit, à savoir si -le crime de la fille Cornier pouvait être regardé comme un acte de -démence; c'est ce que ses défenseurs s'efforcèrent d'établir, mais ce que -le ministère public repoussa avec la plus grande énergie, comme un -système désorganisateur, à l'aide duquel les plus grands criminels -échapperaient au châtiment. - -En définitive, sur la seule question posée, celle d'homicide volontaire, -le jury fit une réponse affirmative, mais en écartant la circonstance de -la préméditation. - -En conséquence, Henriette Cornier fut condamnée aux travaux forcés à -perpétuité et à la marque des lettres T. P. Elle entendit son arrêt sans -manifester la moindre émotion. - - - - -HORRIBLE ASSASSINAT - -ET - -SUICIDE. - - -M. Bruant, conseiller de préfecture à Besançon, avait épousé une femme -d'une grande beauté. Il en eut trois enfans: une fille, qui épousa un -colonel au service de Russie, et deux fils. La jalousie s'empara de son -cÅ“ur, les soupçons la suivirent. Il s'imagina que les deux fils étaient -les fruits d'amours adultères. Dès ce moment, il ne put plus les -souffrir; il maltraitait sa femme; les enfans prenaient la défense de -leur mère, ce qui augmenta encore la haine qu'il avait conçue contre eux. -Il forma l'affreux projet de s'en défaire, et le malheureux Charles, son -fils aîné, fut sa première victime. - -Le jour du crime, étant à déjeûner avec sa femme et ses enfans, sous -prétexte de réclamer une somme de soixante-dix francs qu'on lui avait -envoyée, et que Charles avait remise à sa mère, il fit une scène violente -à ses fils, en disant que c'était à lui, qui était chef de la famille, -qu'on devait remettre l'argent qui entrait dans la maison. La scène prit -un tel caractère, que la mère, effrayée, se retira dans sa chambre, -accompagnée de son plus jeune fils. Charles, craignant que sa mère ne se -trouvât indisposée, se leva pour la suivre. Le père le rappelle et lui -dit qu'il veut lui parler. Charles obéit, revient près de son père qui -aussitôt tire un poignard de sa poche et le lui plonge dans le cÅ“ur. -Charles, se sentant frappé, crie au secours. La mère, en entendant les -cris de son fils, ouvre la porte de sa chambre donnant dans la salle à -manger, et voit Charles couvert de sang. Le mari, tranquille, lui montre -son enfant, et lui dit avec un horrible sang-froid: «Tenez, madame, voici -votre bon sujet de Charles qui vient de se suicider.» Alors le malheureux -jeune homme, recueillant le peu de forces qui lui restaient, put dire -d'une voix presque éteinte: «Monsieur, n'ajoutez pas le mensonge au -crime; ma mère, prenez garde à vous!» et il expira. La mère se sauva dans -son appartement où elle s'évanouit. - -Pendant que madame Bruant, en proie au plus affreux désespoir, était -renfermée avec son fils cadet, le coupable s'occupait des moyens de faire -disparaître les traces de son crime. Il porte le cadavre de sa victime -sur un lit et le couvre d'un drap. Il envoie chercher un ecclésiastique, -prend, à son arrivée, un air patelin et hypocrite, lui dit que son fils -vient d'avoir un coup de sang; qu'il craint qu'il ne soit trop tard pour -lui administrer les derniers sacremens. Le prêtre l'engage à ne point se -désespérer, et l'assure que, pour peu qu'il y ait encore le moindre -souffle de vie, il pourra remplir son ministère. Il s'approche du lit -pour poser sa main sur le cÅ“ur du jeune homme, et recule d'horreur. Il -se retire en disant que son ministère n'est plus nécessaire. - -Cependant, l'assassin voulant se débarrasser du cadavre accusateur, -envoie chercher un médecin, et lui demande un certificat constatant que -le corps de son fils est en putréfaction, et qu'il faut l'enterrer sans -retard. Le médecin s'y refuse en disant que la mort est trop récente; -que ce serait une lâche complaisance de sa part, et il se retire. Au -refus du médecin, il envoie chercher un pharmacien auquel il fait la même -demande; même refus. - -Pendant ce temps, le bruit de la mort de Charles s'était déjà répandu -dans Besançon. Craignant alors que son crime ne fût découvert, M. Bruant -se décide à inhumer son fils de ses propres mains. Il fait venir six -planches, fabrique lui-même une bière, enveloppe le corps dans une -mauvaise toile à emballage; dans la crainte que les coups de marteau ne -le trahissent, il renonce à clouer la bière; il a l'horrible patience de -la fermer avec des clous à vis. Il porte le corps dans la campagne, et -l'enterre dans un cimetière. - -Le lendemain matin, il voulait se rendre au conseil pour remplir ses -fonctions; mais le crime était connu de toute la ville; quelques -personnes le désignaient comme le coupable: il reçut l'avis de ne pas se -montrer en public. - -Cependant la multitude se portait autour de sa maison; une clameur -générale l'accusait; des poursuites commencèrent. On découvrit le -cimetière où le malheureux Charles avait été enterré; l'exhumation eut -lieu, et l'attentat fut constaté. - -D'après le procès-verbal des médecins, le coup de poignard avait été -porté avec une telle violence, que la blessure avait six pouces de -profondeur. Un mandat d'arrêt fut lancé contre M. Bruant. - -Averti qu'il ne pouvait plus cacher son crime, ni soustraire sa tête à -l'échafaud, ce père dénaturé se décida à mettre fin à ses jours. Il se -barricada dans sa chambre, s'étendit sur un matelas et se brûla la -cervelle avec un pistolet. Il avait placé dans sa chambre du charbon -allumé pour s'asphyxier, dans le cas où il se serait manqué avec le -pistolet. - -La haine de ce monstre (car on ne saurait lui donner un autre nom), la -haine de ce monstre pour ses enfans n'avait point été assouvie par la -mort de Charles. Avant de se tuer, il avait fait un testament par lequel -il déshéritait son second fils. Par une autre disposition testamentaire, -il laissait à la ville de Besançon son cabinet d'antiquités; mais la -ville rejeta le legs avec horreur. - -La malheureuse mère ne survécut que quelques semaines à cet affreux -événement, qui effraya Besançon au commencement de 1826. - - - - -DERNIERS MOMENS - -D'UN SCÉLÉRAT CONDAMNÉ A MORT. - - -Il est, chez la plupart des êtres qui se lancent dans la carrière du -crime, un degré de dépravation qui exclut toute idée de repentir, qui -enlève tout espoir de guérison. Ce sont des membres gangrenés qu'il est -urgent de retrancher pour le salut et la sécurité du corps social. Tant -qu'il existera des scélérats comme celui dont nous allons parler, la -nécessité de la peine de mort se fera sentir, sinon comme moyen -d'améliorer les mÅ“urs, mais comme mesure de sûreté. Ce n'est pas que -nous ne fassions, à l'instar d'une foule de généreux philanthropes, des -vÅ“ux sincères pour l'abolition de cette peine de sang, qui n'est pas -toujours d'un salutaire exemple. Mais nous pensons que, dans l'état -actuel des choses, un acte législatif de cette nature serait peut-être -funestement prématuré. Ce grand Å“uvre ne pourra être consommé, aux -applaudissemens de toutes les classes de la société, que lorsqu'on aura -donné à cette société des garanties sûres et suffisantes; et ces -garanties ne peuvent se trouver que dans la propagation des bonnes mÅ“urs -et surtout dans leur heureuse implantation dans les rangs inférieurs. -Alors, mais seulement alors, les vÅ“ux que forment tant d'âmes -généreuses, vÅ“ux que nous aimons à partager, pourront être réalisés sans -danger. - -Les détails succincts que nous allons donner sur les derniers instans de -Guillaume, forçat libéré, exécuté à Meaux, le 16 février 1826, peuvent -servir de corollaire à ces réflexions. - -Ce Guillaume, convaincu d'avoir tué six personnes, avait été condamné à -mort. Après sa condamnation, il n'avait pas été mis au cachot; il fut -gardé à vue, nuit et jour, dans une chambre où il y avait du feu. Ses -gardes, autant pour le distraire que pour se distraire eux-mêmes, -jouèrent au piquet avec lui. Guillaume, à plusieurs reprises, leur -disait: «Allons, 10,000 francs; allons, cette fois, 100,000 francs, à -payer dimanche matin.» Il leur raconta, tout en jouant, diverses -anecdotes de sa vie, et notamment celle-ci, qu'il citait comme sa plus -belle action: «A l'époque de la terreur, disait-il, l'argenterie et les -bijoux de M. l'abbé de Flay, mon parrain, furent confisqués. Ayant -découvert le lieu où ils étaient déposés, je parvins à les voler; je les -vendis à un juif, et en remis fidèlement le prix à mon parrain.» - -L'aumônier des prisons, qui avait fait auprès de lui plusieurs tentatives -infructueuses pour le ramener à des sentimens religieux, le visita le -matin du jour de l'exécution. Il lui demanda comment il allait?--Mal, -répondit Guillaume; je sens les angoisses de la mort; je suis à -l'agonie.--Mais vous vouliez mourir avec tant de courage! lui dit le -respectable ecclésiastique.--Oh! je le retrouverai, répliqua Guillaume. -Puis il remercia l'aumônier de l'offre qu'il lui faisait de l'accompagner -à l'échafaud. - -La veille de l'exécution, il avait écrit au procureur du roi qu'il -désirait avoir pour son déjeûner un poulet et trois bouteilles de vin, -afin de finir sa vie comme il l'avait passée. - -Quelques heures avant l'instant fatal, il but un litre de vin chaud avec -du sucre, et au moment de monter sur la charrette, il envoya chercher -pour huit sous d'absinthe, qu'il avala tout d'un trait. Pendant le -trajet, on lui entendit dire plusieurs fois, en jetant les yeux sur la -foule immense des spectateurs: «Les imbécilles de Français, de venir voir -un tel spectacle!... Ne courez pas si vite... On ne fera rien sans moi.» -Du plus loin qu'il aperçut l'échafaud, il s'écria: _Ah! la voilà , cette -fois-ci; je ne l'échapperai pas!_ Au moment de descendre de la voiture, -il prononça ces mots d'une voix assurée: _Adieu, mes amis, je suis -innocent; j'ai toujours le même courage pour mourir._ - -Il avait enfin consenti à laisser monter avec lui, sur la charrette, le -curé de Notre-Dame, ancien aumônier de la maison de justice. Mais, -pendant les exhortations de ce vénérable ecclésiastique, il tournait la -tête de tous côtés et ne paraissait y faire aucune attention. Jusqu'au -dernier moment, il ne quitta pas son ton de plaisanterie. En arrivant sur -l'échafaud, il frappa le plancher avec son pied en disant à l'exécuteur: -Est-ce solide ici?--Oui, ne craignez rien, répondit le bourreau. Quelques -secondes après, Guillaume avait cessé d'exister. - - - - -ASSELINEAU, - -OU - -LES SUITES FUNESTES DE LA PASSION DU JEU. - - -Qui pourrait compter les victimes de la passion du jeu? Que de familles -affligées, ruinées, déshonorées par cette lèpre de notre société! Poètes, -moralistes, auteurs dramatiques, une foule d'écrivains en tous genres ont -déploré les excès de cette malheureuse passion, et se sont efforcés d'y -apporter remède. Le mal a triomphé de leurs généreux efforts. En vain -madame Deshoulières a dit: - - Le désir de gagner qui nuit et jour occupe, - Est un dangereux aiguillon. - Souvent, quoique l'esprit, quoique le cÅ“ur soit bon, - On commence par être dupe, - On finit par être fripon. -En vain les tragiques fureurs de _Béverley_ ont fait frissonner au -théâtre des milliers de spectateurs; en vain _Trente ans de la vie d'un -Joueur_ ont excité, de nos jours, les plus lugubres et les plus -déchirantes émotions; on n'en continue pas moins à jouer, à jouer avec -fureur, et il n'est pas de jour où le jeu ne fasse quelques nouvelles -victimes, tant cette passion est commune! tant elle semble fortement -enracinée dans le cÅ“ur de l'homme! On s'est beaucoup récrié, et non sans -raison, contre les maisons publiques ouvertes aux joueurs. Cette -tolérance est un grand malheur sans doute; mais ce qui en est un bien -plus grand, c'est qu'il y ait par le monde tant de maisons particulières, -qui, sous ce rapport, sont de véritables maisons publiques. Ah! il faut -bien le dire, les seules leçons à donner à cet égard, si les leçons sur -ce point peuvent être bonnes à quelque chose, ce sont les tristes récits -des effrayantes catastrophes qui terminent quelquefois les désordres des -joueurs passionnés. - -Voici un extrait de l'acte d'accusation d'Asselineau, prévenu -d'assassinat sur la personne de Brouet, garçon marchand de vin, qui est -de nature à provoquer au moins quelques réflexions salutaires. - -Asselineau, arrivé de son village à l'âge de quatorze ans, mérita d'abord -la confiance des marchands de vin qui l'employèrent en qualité de garçon. -Chacun vantait son intelligence et sa probité. Mais bientôt on s'aperçut -qu'il se dérangeait; sa conduite devint suspecte, et le sieur Haro, chez -qui il servait alors, crut devoir le congédier. Il est probable qu'à -cette époque, vers la fin de 1825, Asselineau avait déjà fréquenté les -maisons de jeu, et peut-être faut-il attribuer à cette funeste source une -somme de 2,000 francs dont il était possesseur, et qu'il avait déposée -chez un sieur Barthélemy. - -Une faute en entraîne bientôt une autre. Le sieur Barthélemy, en recevant -d'Asselineau cette somme de 2,000 francs, lui en avait souscrit la -reconnaissance. Asselineau, qui ne pouvait suffire avec son travail seul -à sa dévorante passion, fabriqua de faux billets, et y apposa la -signature Barthélemy qu'il avait appris à contrefaire. Les billets faux -se succédèrent rapidement; plus de dix furent produits à la justice, et -plusieurs étaient des effets de commerce. C'est par ce moyen -qu'Asselineau parvint à se soutenir depuis la fin de 1825 jusqu'au -commencement de 1827. Sa famille paya quelques-uns de ces effets; les -plaintes de ceux qui avaient été trompés furent étouffées, mais le moment -était venu où le crime ne pouvait plus échapper à la rigueur des lois. - -Asselineau le pressentait bien. Plusieurs de ses faux billets étaient -échus; d'autres touchaient à leur échéance; il était le débiteur des -derniers maîtres qui l'avaient employé, à raison des déficits assez -considérables trouvés dans ses comptes. En un mot, au commencement de -février 1827, il restait totalement privé de ressources et chargé de 7 à -8,000 fr. de dettes. Une nouvelle escroquerie lui procura, pour quelques -jours encore, les moyens d'exister. Il se présenta dans la soirée du 2 -février, chez un sieur Lefèvre, marchand de bijoux, rue du Ponceau, -auquel il avait fait précédemment divers achats, et ne trouvant au -comptoir que la mère du sieur Lefèvre, il demanda à emporter plusieurs -cachets en or, montés en topazes et en améthystes, qu'un de ses amis, -disait-il, l'avait chargé d'acheter. Asselineau promit de rapporter -très-prochainement ou les cachets ou leur valeur. On eut trop de -confiance en ses paroles. Il mit la main sur les cachets et les porta au -Mont-de-Piété, où il en reçut quatre-vingt-quinze francs. A quelques pas -de là , Asselineau vendit la reconnaissance moyennant quinze francs. Mais -cette escroquerie n'était qu'un danger de plus ajouté à tant d'autres. Le -sieur Lefèvre porta plainte dans les vingt-quatre heures, et les agens de -police se mirent à la recherche d'Asselineau. - -Ici commence le dernier acte de ce drame terrible. Une irrésistible -fatalité, ou plutôt une passion sans frein entraînait Asselineau de crime -en crime, et déjà les plus atroces ne l'effrayaient plus. Il connaissait -d'ancienne date un sieur Moreau, arquebusier, rue Joquelet. Au mois -d'août précédent, il lui avait acheté des pistolets et des balles. Il -vint lui acheter une nouvelle paire de pistolets et désormais ne sortit -plus qu'armé. Il prétendit depuis que c'était pour se donner la mort. -Mais comment accueillir cette assertion? Le 19 février, Asselineau se -livrait encore à une folle gaîté; on le vit danser et sauter sur les -tables d'un cabaret. - -Asselineau était lié avec un sieur Brouet, garçon marchand de vin comme -lui, mais dont la conduite contrastait singulièrement avec celle de son -ami. Brouet était doux, honnête et d'une vie irréprochable. Il tenait une -cave, rue Saint-Honoré, no 346, pour le compte du sieur Raimbault. Le -mercredi, 22 février, à neuf heures du matin, les voisins s'aperçoivent -que la boutique de Brouet est encore fermée; ils s'en inquiètent; bientôt -le commissaire de police arrive, accompagné de l'un des substituts du -procureur du roi. Il fallut briser un carreau et pénétrer dans la -boutique par la fenêtre du premier étage. Spectacle horrible! Brouet -était étendu baigné dans son sang, la tête vers le comptoir, et les pieds -du côté du fourneau. Il était couvert de ses vêtemens; près de lui, on -voyait les débris d'une bouteille. Mais ce n'était pas à des coups de -bouteille qu'il avait succombé. Un coup de pistolet, tiré dans l'oreille -gauche à bout portant, lui avait seul ôté la vie. Brouet n'était pas -coupable d'un suicide; car il n'était pas gaucher, et c'était à gauche -qu'il avait été frappé. Une balle avait traversé la tête; une autre fut -trouvée dans la bouche, où elle avait fracturé plusieurs dents, et ouvert -une artère par où le sang s'était épanché. Le coup avait été entendu vers -onze heures par des vidangeurs qui travaillaient dans le voisinage, et -qui avaient cru que l'on frappait à une porte avec violence. L'assassin -avait pris la fuite en fermant la porte sur lui et en emportant la clef. - -On avait volé la victime. Une montre d'or avec des breloques de même -métal, des boucles d'argent, une somme de cent dix francs, une -inscription de rente de cinquante francs, un billet à ordre de neuf cent -cinquante fr., signé Forquignon, d'autres billets et des registres -renfermés dans une cassette, enfin du linge et des vêtemens, tout avait -disparu, mais on ne connaissait pas encore le coupable. - -Asselineau avait été vu dans la boutique de Brouet, le 21 février, dès -trois heures et demie. Il y avait passé toute la soirée; tantôt écartant -sous un faux prétexte un témoin qui l'importunait, tantôt regardant -fixement et avec affectation les pratiques de Brouet, ôtant et remettant -ses habits, demeurant les bras nus, et quelquefois paraissant occupé à -lire. A onze heures, Brouet fermait sa boutique; Asselineau seul y était -encore. A onze heures et quelques minutes, Brouet avait cessé d'exister. -Asselineau était donc l'assassin. - -Le 19 février, Asselineau s'était occupé de l'achat d'une feuillette de -vin pour un sieur Daudé, employé aux jeux du Palais-Royal, n. 9, lequel -destinait cette feuillette à une dame Rose Massyr, femme de -charge. Asselineau s'adressa à un marchand de vin, rue des -Boucheries-Saint-Honoré; il paya un à -compte de 80 francs en or, parla -d'une inscription de rente de 50 francs qu'il devait aller vendre à la -Bourse, et le soir du même jour, revint pour payer la feuillette, muni -d'un billet de 500 francs qu'on ne put lui changer. Ses démarches -éveillèrent des soupçons; l'autorité fut avertie, et, le 24 février, -Asselineau, revenant chez ce marchand de vin pour achever de payer la -feuillette, fut arrêté par des agens de police placés en embuscade. Il -voulait d'abord faire résistance et portait fréquemment les mains à ses -poches. On le fouilla, et on trouva sur lui un pistolet. Les agens de -police se firent prêter main-forte, et conduisirent Asselineau en lieu de -sûreté. - -Chose étrange! le 23 février même, Asselineau, se trouvant dans le -cabaret du sieur Niquet, rue de la Sourdière, s'entretenait froidement de -l'assassinat de Brouet, l'ami qu'il avait tué. «Eh bien! dit-il à Niquet, -vous avez donc un de vos camarades qui a été assassiné?--C'est vrai, -répondit Niquet.--Que dit-on là -dessus?--On dit que c'est un de ses amis -qui l'a assassiné: c'était un bien brave homme, bien estimé que -Baptiste!--Dit-on si on l'a volé?--C'est bien présumable.» - -Asselineau, arrêté, ne pouvait nier son forfait: on avait saisi sur lui -la montre et les boucles d'oreilles de Brouet. Il était encore vêtu d'un -habit noir et d'un pantalon arrachés à sa victime. On retrouva dans son -domicile les registres de Brouet. Asselineau, confondu par ces preuves -accablantes, se confessa coupable et du vol et de l'assassinat. Il -chercha seulement, dans les interrogatoires postérieurs, à écarter la -préméditation, en soutenant que la pensée de son crime lui était venue en -un instant. - -«Dans la maison de jeu du Palais-Royal, n. 9, que fréquentait Asselineau, -il y avait, suivant l'acte d'accusation, un étranger soi-disant -commissionnaire en marchandises, nommé Georges Sunboef, qui prêtait de -l'argent aux joueurs, sur nantissement de billets et d'effets publics; ou -bien il escomptait les uns et achetait les autres. C'était cet homme qui -avait acheté d'Asselineau l'inscription de rente de 50 francs; c'était -lui qui lui avait escompté le billet de 950 francs signé _Forquignon_, et -qui n'avait pas eu honte de lui donner de l'un et de l'autre une somme de -960 francs. Asselineau avait endossé le billet du nom de sa victime à la -date du 25 janvier 1827; il avait signé du même nom une cession de la -rente.» Ainsi, pour cette somme de 960 francs, il s'était rendu coupable -d'un assassinat, d'un vol et de deux faux. - -Asselineau fut traduit devant la Cour d'assises de la Seine, le 26 mars. -Cinquante-sept témoins avaient été assignés pour déposer dans cette -affaire. L'accusé paraissait calme et s'efforçait de se soustraire à la -curiosité publique, en se tournant du côté de la Cour. Il était âgé de -vingt-un ans, et natif du département de la Nièvre. - -Dans l'interrogatoire qui eut lieu devant la Cour, Asselineau convint de -l'assassinat et du vol, reconnut les faux billets qui lui furent -représentés, avoua que c'était lui qui les avait fabriqués, et borna tout -son système de défense à écarter la préméditation. On entendit plusieurs -témoins dont les dépositions ne firent que confirmer les faits déjà -connus et avoués par l'accusé lui-même. On attendit avec impatience la -comparution de Sunboef, le commissionnaire du Palais-Royal que l'acte -d'accusation avait gravement inculpé. Mais ce témoin expliqua sa conduite -d'une manière qui parut satisfaire la Cour. Il n'avait fait, dit-il, -qu'avancer à l'accusé le prix de la rente de 50 francs qui devait être -vendue plus tard; et, quant au billet signé _Forquignon_, Asselineau ne -l'avait point passé à son ordre; il le lui avait seulement confié pour -l'escompter. Tous ces faits furent confirmés par le prévenu. «J'étais -hardi au jeu, dit Asselineau, puisqu'en moins de dix mois, j'ai perdu -plus de dix mille francs. On me prenait pour un gros marchand de vins, -et j'inspirais de la confiance. C'est un de mes amis qui m'a perdu. Il -vint me débaucher chez le sieur Haro, où je ne songeais qu'à travailler, -et me conduisit dans les maisons de jeux que j'ai toujours fréquentées -depuis.» - -Il n'est peut-être pas inutile de faire remarquer qu'Asselineau commença -par _jouer au billard_. Il y gagna même à la poule une _queue d'honneur_, -et son malheureux père ne prévoyait que trop dès-lors les funestes -conséquences d'une passion, qui alors pouvait paraître encore innocente. -Disons néanmoins que tout sentiment d'honneur n'était pas éteint dans le -cÅ“ur de l'accusé. Une lettre de lui atteste le désir qu'il avait de -payer ses dettes, et de dédommager ceux qu'il avait trompés. «L'heure est -sonnée, écrivait-il; c'en est fait! il faut vous avouer mes erreurs et -mettre au jour toutes mes bassesses. Si, en mourant, je ne laissais pas -de dupes, je serais content.» - -Le ministère public soutint l'accusation avec force. «Sans doute, dit-il, -il faudrait plaindre un malheureux jeune homme, qui, entraîné par un ami -perfide dans ces maisons où l'on perd à la fois et sa fortune et -l'honneur, demanderait grâce pour sa faiblesse et son inexpérience. Mais -en est-il ainsi d'Asselineau? Non, sans doute; c'est dans un café qu'on -l'a d'abord entraîné, et depuis il s'est livré successivement, et pendant -deux années, à tous les excès du jeu!» - -Me Gechter, défenseur de l'accusé, présenta le tableau hideux des maisons -de jeu, de ces maisons où, suivant son expression, _la démoralisation, -l'usure et le vol sont affermés_. Il appela l'indulgence des juges sur -l'extrême jeunesse d'Asselineau, et tout en le regardant comme un grand -coupable, il les excita vivement à prendre en pitié le sort de ce jeune -homme qu'un entraînement funeste et irrésistible avait conduit à sa -perte. - -Asselineau prit lui-même la parole après son défenseur; il retraça avec -précision et clarté l'histoire déplorable de sa vie et de sa passion. -Arrivé à la catastrophe du 21 février, il ne put achever et retomba sur -son banc. - -La réponse du jury ayant été affirmative sur tous les chefs, excepté -celui de la préméditation, aux termes de l'article 304 du Code pénal, la -Cour condamna Asselineau à la peine de mort. - -Le coupable entendit avec calme ce terrible arrêt. Quand il fut prononcé, -il voulut parler. «J'ai dit la vérité, toute la vérité, répétait-il à -voix basse.--Du courage! lui dit son avocat.--Du courage! s'écria -Asselineau, j'en ai plus que vous. Vous trembliez en me défendant!» - -Asselineau avait lui-même rédigé dans le plus grand détail un précis de -sa vie entière. Cette relation curieuse fut publiée à l'époque de la -procédure. En lisant la vie de cet infortuné, on ne peut se défendre des -sentimens les plus pénibles, et des réflexions les plus douloureuses. On -gémit sur la cause qui put, en quelques mois, d'un jeune homme honnête et -laborieux faire un assassin. - -Asselineau, dans sa prison, manifesta constamment un repentir sincère, -sans faiblesse et sans abattement: il ne témoignait pas la plus légère -inquiétude; la veille même de l'exécution, il joua très-gaîment aux -barres et il étonnait les autres prisonniers par ses tours de force et -d'adresse. C'était toujours avec beaucoup d'émotion qu'il parlait de son -crime, et en le racontant, il maudissait le no 9 du Palais-Royal. Il -affirmait qu'en entrant dans la chambre de Brouet, il n'avait pas eu -l'idée de l'assassiner. «Je me rappelle bien, ajouta-t-il, que trois fois -je tirai le pistolet de ma poche et trois fois je le remis.» Après le -crime, tel était son trouble, qu'il chercha long-temps, pour ouvrir le -tiroir, les clés qu'il tenait dans sa main. - -Le calme d'Asselineau ne venait point d'une stupide indifférence, mais -d'une résignation réfléchie. Il avait pour compagnon d'infortune à -Bicêtre, le nommé Buisson, condamné aussi, et tout nouvellement, à la -peine de mort, pour avoir assassiné son ami. Asselineau ne cessait de le -consoler, de l'encourager et de l'exhorter à avouer son crime, en faisant -valoir auprès de lui des considérations morales et religieuses. «Tes -dénégations te rendent plus criminel encore, lui disait-il, imite-moi; -avoue-toi coupable; c'est la plus grande preuve de repentir.... Songe que -nous devons paraître devant Dieu: cet aveu ne nous servira de rien auprès -des hommes; mais Dieu nous en tiendra compte.» Cédant à ses conseils et à -ses exhortations, Buisson fit en effet l'aveu de son crime, qu'il avait -nié jusque-là avec force. - -Enfin, Asselineau était parvenu à intéresser vivement à son sort toutes -les personnes qui l'entouraient. Les gardiens faisaient des vÅ“ux pour -qu'il obtînt sa grâce. Pendant les derniers jours de sa vie, il -s'occupait beaucoup à écrire. Il avait composé un petit discours qu'il -apprenait par cÅ“ur, et qu'il avait l'intention de prononcer sur -l'échafaud. Mais de sages conseils le firent sans doute renoncer à ce -dessein. - -Quand, le 8 mai 1827, l'huissier chargé de l'extraire de Bicêtre, vint -lui annoncer le rejet de son pourvoi, cette nouvelle ne lui causa pas la -moindre émotion. Il fit, avec tranquillité, ses adieux aux vétérans de -garde à la porte et remercia cordialement les gardiens de tous les soins -qu'ils lui avaient prodigués. - -La voiture était à peine arrivée dans la cour du palais de Justice -qu'elle fut entourée par une multitude avidement curieuse. Pour se -soustraire à tant de regards, Asselineau, malgré les liens qui le -privaient de l'usage de ses deux mains, se précipita de la voiture avec -une vigueur et une agilité qui surprirent et effrayèrent les personnes -placées autour de lui. Le public put à peine l'apercevoir. - -Dès-lors Asselineau passa la plus grande partie de ses instans avec son -confesseur. On lui offrit quelque nourriture: «Non, je vous remercie, -répondit-il; elle ne passerait pas.» Il s'empressa d'envoyer à -l'exécuteur un billet ainsi conçu: «Je prie tous ces messieurs de vouloir -bien remettre à M. Morel, tailleur, rue Montorgueil, no 31, mon habit et -mon pantalon que je lui ai achetés quelques jours avant mon arrestation, -et que je ne lui ai point payés. Je pense qu'il ne peut pas avoir les -moyens de les perdre. En le faisant, vous obligerez un malheureux. - - B. ASSELINEAU.» - -A quatre heures moins un quart, le patient fut amené, suivant l'usage -dans l'avant-greffe de la prison où l'on prépare la victime pour le -supplice. C'est ce qu'on appelle la _toilette_ des condamnés. Asselineau -s'avança d'un pas ferme vers les exécuteurs qui l'attendaient. Sa figure -était rayonnante de jeunesse et de santé; on n'apercevait aucune trace -d'altération sur ses traits, aucune hésitation dans ses mouvemens. A -peine délivré de la camisole de force, il ôta lui-même son habit, et -s'assit sans proférer un seul mot sur une sellette de bois placée -vis-à -vis le guichet, à travers lequel on entrevoyait la fatale -charrette. L'un lui lie les mains derrière le dos; un autre attache une -longue ficelle à ses deux jambes; un troisième coupe le col de sa chemise -avec des ciseaux et taille ensuite le bas des cheveux pour disposer la -place. Asselineau, en sentant l'acier glisser sur son cou, ne put se -défendre d'un mouvement de frisson, et il pâlit pour la première fois. -L'obscurité de la salle, le morne silence qui régnait autour de la -victime, les rumeurs du dehors qui pénétraient sourdement jusqu'à elle, -tout ajoutait à l'horreur de cette lugubre scène. - -Enfin la porte s'ouvrit, et Asselineau s'avança à pas lents, entouré des -exécuteurs, et précédé du vénérable aumônier des prisons. - -On voulut l'aider à monter dans la charrette. «Laissez, dit-il, je -monterai bien tout seul.» A peine fut-il assis, que le confesseur placé à -ses côtés, lui présenta le crucifix, et il le baisa avec une pieuse -résignation. - -Arrivé à la place de Grève, Asselineau, sur l'invitation de l'aumônier, -se mit à genoux et fit un acte de contrition; puis, il monta avec fermeté -sur l'échafaud, et quelques secondes après, il n'existait plus. - -Arrivé à l'échafaud, il s'était tourné vers le peuple, en disant: _Que -ceci vous serve d'exemple!_ Pendant qu'on le plaçait sur la planche -fatale, il répéta à plusieurs reprises: _Que Dieu aie pitié de moi!_ - -La recommandation d'Asselineau fut fidèlement exécutée. Son habit bleu et -son pantalon furent remis à M. Morel, tailleur. Dans la poche de cet -habit, on avait trouvé une lettre du père d'Asselineau, écrite d'Antrain -(Nièvre) le 7 avril, et adressée au directeur de Bicêtre. Elle était -ainsi conçue: - - «Mon fils, - - «En réponse à ta lettre en date du 31 mars, que j'ai reçue le 6 - avril, par laquelle tu nous fais tes adieux, et tu nous demandes - des pardons...... Que Dieu te pardonne! A l'égard de nous, nous - te pardonnons tous, père et mère, frère et sÅ“ur. Nous t'avons - toujours élevé en la crainte de Dieu, et dit les dangers qu'il y - avait de fréquenter les mauvaises compagnies. - - «Tu n'as pas pu t'en défendre...... Que Dieu te pardonne, comme - nous te pardonnons! Tu seras heureux, et nous, le restant de nos - jours, nous serons malheureux... - - «Tu attends sur la clémence du roi...... que Dieu soit béni! - - «Nous te faisons tous nos adieux pour toujours: recommande-toi à - Dieu. - - «_Ton père_ F. ASSELINEAU.» - -Nous ne commenterons pas cette lettre: il faudrait revenir aux réflexions -qu'on a lues au commencement de cet article. A travers le laconisme de -cet homme illettré, à travers ses pieuses répétitions, on y reconnaît -trop bien le cÅ“ur brisé d'un malheureux père. - - - - -FAMILLE DE PARRICIDES. - - -Nos lecteurs ont pu voir dans le second volume de cette collection -l'épouvantable histoire d'un malheureux père assassiné par deux de ses -fils, aidés de leur mère. Les fastes criminels de notre temps présentent -un forfait du même genre et non moins horrible. - -Le 16 mai 1826, à quatre heures du matin, le garde du moulin de Croûtes -(Aisne) aperçut quelque chose qui passait sous la volée ou le tournant du -moulin; c'était un cadavre qui s'accrocha à des saules. Un instant après, -arrivèrent deux pêcheurs; Jaquin, l'un d'eux, courut avertir le maire et -le juge-de-paix. Des magistrats se rendirent sur-le-champ au lieu où -gisait le cadavre; on le retira de la rivière en leur présence: on -reconnut que c'était celui de Dupré. Il avait autour du cou une petite -corde un peu plus grosse que la ficelle ordinaire; à cette corde était un -nÅ“ud coulant que l'on avait ensuite fixé et arrêté par un autre nÅ“ud. - -Le cadavre était complètement vêtu; il avait des bas, des chaussons et -des sabots couverts. On trouva dans une poche de son gilet une clef qui -était celle du secrétaire ou de l'armoire qui contenait l'argent de -Dupré. Le procès-verbal du médecin, appelé pour examiner le corps, -portait qu'il y avait sur le cadavre un signe de pression occasionée par -la corde, une ecchymose au pariétal droit, une autre plus légère à la -pommette gauche. Il fut établi par l'accusation que les contusions et les -ecchymoses n'avaient pu être produites par une submersion volontaire, ni -même par le passage du corps sous la roue du moulin: elles étaient -nécessairement le résultat des violences exercées sur Dupré avant la -submersion. Ce qui en donnait une preuve irrécusable, c'était une plaie -qui existait au bas du ventre, ayant quatre à cinq pouces de diamètre. -Cette plaie semblait expliquer le propos de la veuve Dupré, qui avait -dit: _Je sais bien comment il faut le prendre pour le dompter; un coup de -pied le rend blanc comme neige._ - -L'enquête, qui eut lieu, fit naître de véhémens soupçons contre quatre -individus qui furent aussitôt arrêtés. C'étaient la veuve du malheureux -Dupré, Rose-Victoire Dupré, sa fille légitime, Jean-Étienne Duchesne, dit -_Bancroche_, fils naturel de cette dernière, et le nommé Vaillant, père -de Pierre-François Vaillant, gendre de Dupré. - -Ces quatre prévenus comparurent devant la Cour d'assises de Laon le 5 -mars 1827. Tous les regards étaient fixés sur cette famille qui -n'inspirait que l'horreur et le mépris. Vaillant avait dit à un témoin: -_Prends-garde à toi, si tu parles trop!_ On avait remarqué sur le bord de -la rivière, où le corps de Dupré devait avoir été jeté, l'empreinte de -traces faites avec des bas ou des chaussons, et le cadavre repêché le 16 -avait des sabots couverts. On trouva dans la rivière une pierre de -quatre-vingt-huit livres dans une fosse placée vis-à -vis l'empreinte des -traces remarquées. N'était-il pas présumable et même certain que cette -pierre avait été employée par les auteurs du crime, au moyen du nÅ“ud -coulant de la ficelle, pour tenir le corps au fond de l'eau et y -ensevelir le secret de la plus noire scélératesse? - -Voici quelques circonstances antérieures à l'assassinat. La femme Dupré -vivait très-mal avec son mari; chaque jour voyait éclater de nouvelles -querelles. La fille se joignait à la mère pour maltraiter son père. Cette -fille dénaturée était, au reste, connue pour avoir la conduite la plus -déréglée. Elle avait eu deux enfans naturels, fruits honteux de sa -débauche: l'un de ces enfans, Duchesne, dit _Bancroche_, se montrait en -tout digne de sa mère. Il se vantait publiquement des mauvais traitemens -exercés contre son grand-père Dupré, et n'était pas le dernier à y -prendre part. - -Au milieu des chagrins dont il était continuellement abreuvé, il était -arrivé à Dupré de dire un jour à quelqu'un qu'il voudrait bien qu'on lui -tirât un coup de fusil, pour le délivrer de sa pénible existence. Ses -meurtriers profitèrent de ce propos pour lui supposer l'intention d'un -suicide. De là le projet et l'exécution du crime sur lequel les accusés -voulaient faire prendre le change, en prêtant à Dupré la volonté de se -détruire et la résolution de se noyer. - -Dupré gardait soigneusement la clé du meuble où était son argent. Six -semaines avant sa mort, il avait répondu à une personne qui lui faisait -une question relativement aux plaintes de ses enfans: «Pourquoi les -doter? Ils boivent et mangent tout; ils se coalisent pour me ruiner.» - -La mère et les enfans avaient répété souvent ce propos infâme: _Si ce -gueux, si ce cochon-là était mort, nous jouirions......_ - -Ces faits et ces propos furent attestés par plusieurs témoins. Que -fallait-il de plus pour donner de la vraisemblance à la consommation du -crime? - -Mais deux femmes et un jeune homme infirme ne suffisaient pas à l'entière -exécution du projet. Il fallait quelqu'un d'assez fort pour les aider, et -ce fut, suivant l'accusation, Vaillant père, que l'on choisit pour cet -exécrable ministère. La réputation de cet homme était loin d'être -intacte: il passait pour avoir des liaisons intimes avec sa belle-fille; -ce fut lui, suivant quelques dépositions, que Rose Dupré alla chercher -pendant la nuit, et qui aida à porter le cadavre à la rivière. On -remarqua que Vaillant fils lui-même avait dit dans sa déposition: _Ce -n'est pas mon père qui a tué Dupré; il n'a fait que le porter à la -rivière._ - -Après les plaidoieries, le président fit le résumé des débats avec la -plus exacte impartialité, et posa aux jurés les cinq questions résultant -de l'acte d'accusation. - -Le jury répondit affirmativement sur les deux premières questions -relatives à la veuve Dupré et à sa fille, en écartant seulement la -préméditation; semblable réponse fut faite relativement à Duchesne dit -_Bancroche_, mais à la majorité de sept voix contre cinq. Les deux -questions relatives à Vaillant père furent résolues négativement. La -Cour, sur la question qui concernait _Bancroche_, se réunit à la minorité -du jury; en conséquence Duchesne dit _Bancroche_ et Vaillant furent -acquittés. - -Sur les conclusions du ministère public, la veuve Dupré et Rose-Victoire -Dupré, sa fille, furent condamnées à la peine des parricides. - - - - -COMPTE, - -MEURTRIER DE SA FEMME ET DE SON ENFANT. - - -Depuis plusieurs années, on a vu se multiplier d'une manière effrayante -des crimes dont la justice ne s'explique que très-difficilement la cause. -Les fureurs sanguinaires de Papavoine et de la fille Cornier n'ont eu que -trop d'imitateurs. Les médecins, appelés au secours des magistrats, pour -trouver l'explication de ces phénomènes criminels, ont invoqué une sorte -de démence d'un genre particulier, à laquelle on a donné le nom de -_monomanie_; et malgré cette assertion de la science, pour un grand -nombre d'esprits prévenus ou incrédules, beaucoup de crimes sont demeurés -presque inexplicables. De ce nombre est celui dont nous allons rapporter -les principales circonstances. - -Le nommé Compte, charron, s'était constamment fait remarquer par la -douceur de son caractère et par son attachement pour sa femme et ses -enfans. Cet homme, tout-à -coup, devint triste et rêveur; il recherchait -les lieux solitaires; tantôt il prodiguait des marques de tendresse à son -épouse, tantôt il repoussait ses caresses. - -Le 15 mars 1827, Compte se trouvait seul à son atelier, lorsque sa femme -vint l'y voir dans l'intention de lui tenir compagnie et de chercher à -dissiper les idées sombres qui le tourmentaient. Soudain Compte -l'interrompit en lui disant: _Je voudrais bien mourir, et tu devrais -mourir avec moi!_ Anne Constant, sa femme, pour calmer l'agitation de son -mari, s'approcha de lui et l'embrassa; mais cette prévenance, loin de -tranquilliser Compte, le met hors de lui-même; il agite un couteau qu'il -tenait dans sa main, et bientôt il en porte un coup à la gorge de sa -femme. Celle-ci s'échappe en jetant de grands cris; Compte la poursuit -avec acharnement, il l'atteint dans la cour et lui porte à la gorge un -second coup de couteau. - -Les pères et mères des époux accourent; ils prennent dans leurs bras Anne -Constant et l'arrachent à la fureur de son mari. Compte alors veut -rentrer dans son atelier; mais, trouvant sur son passage son enfant âgé -de deux ans, il s'en saisit, l'emporte sous un hangar, et là , lui enfonce -dans la poitrine le couteau qui dégouttait encore du sang de sa -malheureuse femme. L'enfant expire sous ses yeux, et ce malheureux, pour -terminer cette horrible tragédie, retourne contre lui le fatal couteau; -il s'en frappe à la tête et se blesse grièvement. - -Les poursuites judiciaires étaient faciles à exécuter: c'était un mari -qui avait voulu égorger sa femme; c'était un père qui avait donné la mort -à son enfant. Compte fut arrêté, et traduit devant la Cour d'assises de -la Charente, le 8 mai 1827. - -Cette cour avait paru hésiter à mettre Compte en accusation. On lit en -effet, dans l'arrêt de renvoi, le considérant suivant: - -«Considérant qu'on serait tenté de croire à _la démence_ du prévenu; que -l'esprit est ramené souvent à cette idée par les détails que renferme la -procédure, mais qu'on se trouve arrêté par certains aveux de Jean Compte, -desquels il résulte que sa femme lui paraissait depuis quelque temps -légère, coquette, et peu disposée à payer sa tendresse de retour; - -«Qu'il est donc _possible_ d'attribuer à un violent accès de jalousie le -double attentat dont le prévenu s'est rendu coupable, et qu'il convient -de laisser aux débats de l'audience le soin de faire connaître la -véritable situation _mentale_ du prévenu, lorsqu'il enfonça le couteau -dans la gorge de sa femme et dans le sein de son fils.» - -Après les débats, qui furent de peu de durée, le président de la Cour -posa deux questions aux jurés sur la culpabilité du prévenu. Sur la -première question, les jurés répondirent: Non, Compte n'est pas coupable -d'avoir _volontairement_ donné la mort à son fils; sur la seconde: Oui, à -la majorité de sept voix contre cinq, l'accusé est coupable d'une -tentative d'homicide, manifestée par des actes extérieurs, suivie d'un -commencement d'exécution, et qui n'aurait manqué son effet que par des -circonstances indépendantes de sa _volonté_. - -La Cour s'étant réunie à la majorité du jury, Compte fut en conséquence -condamné aux travaux forcés à perpétuité. - - - - -CASTANIER, - -OU LES RÉSULTATS CRIMINELS DE L'EXALTATION RELIGIEUSE. - - -L'exaltation religieuse, comme l'exaltation politique, peut tourner au -crime les individus les plus inoffensifs de leur nature et leur faire -regarder comme des actes vraiment méritoires les forfaits les plus -atroces. Sans doute, si leurs attentats procèdent d'une faiblesse, d'une -affection ou d'une lésion des organes du cerveau; s'il est prouvé qu'ils -soient les résultats de cette sombre monomanie qui se plaît à verser le -sang, et parfois celui des êtres les plus innocens et les plus chéris de -celui même qui les égorge, il faut plaindre le sort de ces criminels -d'une classe particulière; on doit des égards à la position de malheureux -qui, dans des accès de folie, sont capables d'immoler ceux qu'ils aiment -le plus au monde. Mais si la loi doit épargner des coupables -involontaires, chez qui l'intention n'a pas été complice du bras, -l'intérêt de la société exige impérieusement qu'on la mette à l'abri des -atteintes meurtrières de ces furieux; il veut aussi qu'on n'accorde pas -une créance trop aveugle à un système de défense dont il serait facile -d'abuser et derrière lequel les plus grands scélérats, assurés de -l'impunité, finiraient par venir se retrancher comme dans un asile -inviolable. - -Le nommé Castanier dont le procès nous a suggéré les réflexions que l'on -vient de lire, avait subitement passé d'une vie désordonnée à une vie -bigotte. Pendant sa jeunesse à Camaret Vaucluse, il était libertin, -joueur, débauché; il passait presque tout son temps au cabaret. Étant -venu demeurer à Orange, il fut entouré de personnes pieuses qui -entreprirent sa conversion; dès-lors, son train de vie fut tout-à -fait -changé: il restait des journées entières à l'église; bientôt il eût passé -pour un saint homme. Depuis, cet homme s'était fixé à Carpentras. - -Le 16 janvier 1827, la petite fille de Castanier, charmante enfant, aimée -de tout le voisinage, chérie de son père et de sa mère, disparut -tout-à -coup. On crut d'abord qu'elle s'était égarée dans la ville. La -veuve Bouche avait vu, à midi, Castanier et sa fille qui allait après lui -en pleurant. Elle avait dit au père: «Attendez donc votre enfant!» sur -quoi il avait pris sa petite par la main. Dans la soirée, la veuve Bouche -retourna chez Castanier pour demander si l'enfant était retrouvée. Le -mari était d'un côté du poêle; sa femme, désolée, de l'autre côté; le -témoin s'assit entr'eux deux. La femme dit à son mari: «A midi, tu as -rencontré ton enfant sur le Pont-Neuf?--Oui.--Tu l'as pris par la -main?--Oui.--Tu l'as amenée à la maison?--Oui.--Tu lui as donné du -pain?--Oui.--Et puis, qu'est-elle devenue?» A cette question, Castanier -resta sans voix! «Va la chercher: lui dit la femme.--Et où veux-tu que -j'aille? répondit-il.» - -Cependant on trouva le cadavre de la jeune Castanier dans le puits du -Cirque, avec une pierre au cou, et percé de deux coups de couteau. - -Aussitôt la justice instruisit. Le commissaire de police se transporta -chez Castanier avec le juge d'instruction. Castanier était couché tout -habillé sur son lit, et en se levant, il s'écria: _Je n'ai plus -d'enfant!_ Et pourtant, il ignorait encore que l'on eût retrouvé le -cadavre dans le puits. Un couteau avait été enfoncé jusqu'au manche dans -les côtes de la victime; la femme Castanier reconnut ce couteau pour être -celui de son mari; elle reconnut aussi la pierre trouvée au cou de -l'enfant pour avoir été enlevée du bas de l'escalier de sa chambre. Cette -pierre fut présentée à la place qu'elle devait occuper; elle s'y adaptait -parfaitement: on ne pouvait s'y tromper, cette place vide ayant gardé -l'empreinte des rugosités de la pierre. - -Ces indices, joints aux témoignages de plusieurs personnes, déterminèrent -l'arrestation de Castanier; et il fut traduit le 8 mai devant la Cour -d'assises de Vaucluse. Quand il comparut devant le tribunal, tous les -regards cherchèrent sur la figure de Castanier les signes de cette -démence à laquelle, en l'absence de tout autre motif, on attribuait -généralement son attentat. On vit un homme maigre et d'un teint cuivré. -Ses cheveux étaient noirs et plats, ses lèvres enflées et blafardes; ses -yeux, d'une forme ronde, étaient caves et brillans; il semblait étranger -à tout ce qui se passait autour de lui. Au mouvement de ses lèvres, on -aurait pu croire qu'il récitait des prières. - -Nous allons donner un extrait de son interrogatoire, qui pourra faire -connaître aux lecteurs la situation mentale de l'accusé. Assez long-temps -avant le meurtre de sa fille, Castanier était toujours entouré chez lui -de livres de dévotion; il ne travaillait plus, et quand sa femme lui -représentait le besoin qu'ils avaient du travail, il lui répondait par -des exclamations religieuses. Il avait fréquemment des rêves d'enfer et -de démon, et se levait la nuit pour prier Dieu. On va voir quelles -étranges réponses il fit à la plupart des questions qui lui furent -adressées. - -_Le Président_: Comment vous appelez-vous? - -L'accusé, regarde sans répondre, comme s'il n'avait pas entendu. Un -gendarme le pousse; et interrogé une seconde fois, il déclare se nommer -Castanier. - -_D._ Où demeurez-vous? - -_R._ Ici. - -_D._ Comment ici! vous ne demeurez pas à Orange? - -_R._ Oui, à Orange. - -_D._ Quel âge avez-vous? - -_R._ Je ne m'en souviens pas. - -Alors Me Bourdon, nommé d'office pour assister Castanier, exposa à la -Cour que la seule chose explicite qu'il eût pu obtenir du prévenu, -c'était qu'il ne voulait pas de défenseur; que Dieu saurait bien le -défendre. - -Non! s'écria Castanier avec force, je ne veux point de défenseur; je n'en -ai pas besoin. - -_D._ Castanier, voulez-vous être jugé? - -_R._ A la volonté de Dieu. - -_D._ On dit que vous êtes fou? - -_R._ Je n'en sais rien. - -_D._ Avez-vous tué votre enfant? - -_R._ Je n'ai jamais fait de mal à mon sang. - -Pendant les dépositions des témoins, l'accusé s'était endormi; -tout-à -coup il se réveilla en riant à la manière d'un hébété. - -_D._ Que fîtes-vous le 16 janvier, de dix heures à deux heures? - -_R._ Je fus à l'église; je ne puis pas vous le dire. - -_D._ Aimiez-vous votre fille? - -_R._ Pauvre petite! - -_D._ Est-ce vous qui l'avez tuée? - -_R._ Castanier sanglote en détournant la tête, et finit par dire: C'est -un grand malheur! - -_Un juré._ Avez-vous tué votre fille? - -_R._ Tu n'as point de sens. - -_D._ Ne craignez pas de l'avouer: peut-être n'avez-vous pas cru mal -faire. L'avez-vous tuée? - -_R._ Si vous me le dites encore, je m'en vais. - -_Le procureur du roi._ N'avez-vous pas de regret d'avoir tué votre -enfant? - -_R._ Je ne veux pas vous écouter: (après quelques momens de silence, et -en mettant sa tête dans ses mains), c'est depuis la mort de mon enfant -que la tête me fait mal; avant aussi, elle me faisait mal. - -François Bouche, assigné comme témoin, commençait sa déposition; -Castanier l'interrompit, et lui dit, comme en se réveillant: «Ah! -bonjour, Bouche!» - -Un témoin ayant dit que le prévenu restait habituellement des heures -entières prosterné à l'église sans remuer, Castanier s'écria: «J'y suis -resté une fois neuf heures; j'ai bien du plaisir à y être; je voudrais -bien y aller.» - -_D._ N'avez-vous pas cru, en tuant votre enfant, l'envoyer au ciel? - -_R._ Je ne vous écoute pas. - -Le procureur du roi, après avoir démontré la culpabilité de l'accusé, -déclara qu'il ne pensait point que l'accusé eût agi avec discernement, et -que son état moral lui semblait devoir faire écarter les circonstances de -la préméditation. - -De son côté, le défenseur s'attacha à faire ressortir la preuve de la -démence, des circonstances de la cause et de la conduite de l'accusé dans -tout le cours des débats. - -Après une courte délibération, le jury déclara l'accusé coupable, mais -sans préméditation; et par suite de cette déclaration, Castanier fut -condamné aux travaux forcés à perpétuité. - - - - -ACCUSATION D'ASSASSINAT - -RÉSULTANT D'UN SUICIDE. - - -Les sieur et dame Coutelas vivaient à Reuil, village situé sur la rive -droite de la Marne. Ils jouissaient d'une certaine aisance. Le sieur -Coutelas, ancien militaire, fils d'un honnête vigneron, avait épousé, en -1815, une personne dont la condition était au-dessus de la sienne. Les -deux époux n'ayant pas d'enfans, avaient, en 1819, par deux testamens -déposés chez un notaire, disposé mutuellement de l'usufruit de leurs -biens en faveur du survivant. - -Le sieur Coutelas, âgé de cinquante-un ans, était d'un caractère froid et -apathique. La dame Coutelas, petite et replète, était, depuis quelques -mois, affectée d'un commencement d'hypocondrie. Elle était tourmentée par -des insomnies; le sang l'incommodait; son médecin lui avait conseillé -une saignée qui avait été ajournée. Elle souffrait et se plaignait -beaucoup. - -Dans la journée du 30 mars 1826, ses plaintes redoublèrent et furent -continuelles. Le matin, un neveu de son mari, informé de son état de -maladie, était venu la voir. Elle avait annoncé l'intention de prendre -l'émétique. Le mari et le neveu s'y opposèrent, en lui faisant observer -qu'elle devait auparavant prendre l'avis du médecin; mais elle ne voulut -point le consulter, et dit même qu'elle ne ferait rien de ce qu'il lui -prescrirait. - -Son neveu la quitta: elle lui avait pris plusieurs fois la main avec -attendrissement. Son mari se rendit aux champs. La nommée Sophie Placial, -sa domestique, alla travailler dans une vigne située près de la maison. -Une voisine de la dame Coutelas, la femme Pierrot, passa l'après-midi -avec elle, dans la cuisine, et remarqua qu'elle était très-agitée, -qu'elle ne parlait pas comme à l'ordinaire. - -Sophie rentra à deux heures pour savoir des nouvelles de sa maîtresse; à -quatre heures, elle revint encore pour goûter. Cette dernière fois, la -dame Coutelas lui prit la main en lui disant: _Ma Sophie! ma pauvre -Sophie!_ Elle ajouta même, suivant la déposition de cette fille: _Je suis -une femme perdue!_ Puis elle dit à la femme Pierrot qu'elle était lasse -de la vie. - -Vers le soir, Sophie quitta son travail et rentra à la maison. Trouvant -ouverte la porte de la chambre à coucher de ses maîtres, elle regarda si -sa maîtresse y était, et ne l'y voyant pas, ni dans une chambre voisine -dont la porte était également ouverte, elle entra dans la cuisine où le -sieur Coutelas était assis auprès du feu. Elle lui demanda où était sa -maîtresse: il répondit qu'elle venait de passer dans sa chambre, et sur -l'observation que lui fit la domestique qu'elle n'y était pas, il dit -qu'elle était sans doute chez quelqu'une de ses voisines. - -Sophie alla s'informer dans le voisinage, et n'y ayant pas trouvé la dame -Coutelas, rentra fort inquiète à la maison. Son maître lui donna l'ordre -de prendre une lanterne, et d'aller chercher sa femme du côté de la -rivière, attendu que plusieurs fois elle avait dit que, pour rien, elle -se jetterait à l'eau. Cette fille, éplorée, parcourut les bords de la -Marne, en cherchant sa maîtresse. - -De retour à la maison, après avoir fait des recherches infructueuses, la -femme Pierrot et une autre voisine vinrent bientôt l'y rejoindre. Alors -toutes les trois et le sieur Coutelas lui-même, qui commençait à -s'émouvoir, s'entretinrent ensemble, dans la cour de la maison, des -recherches qui restaient encore à faire. Sophie descendit seule dans la -cave; sa maîtresse n'y était pas. Il y avait dans la maison une autre -cave pour ainsi dire abandonnée, qui se composait de plusieurs berceaux -qui se croisaient. Au fond et sur la gauche de l'un de ces berceaux qui -se prolongeait au-delà des bâtimens, sous une vigne, était un petit -caveau où le jour ne pénétrait jamais. La dame Coutelas n'était presque -jamais entrée dans cette cave. Une des voisines proposa néanmoins de voir -si elle n'y serait pas; Coutelas observa qu'elle n'aurait pas osé y aller -seule: néanmoins on y descendit. - -Sophie marchait la première; elle était suivie des deux autres femmes. -Toutes les trois portaient des lanternes; Coutelas marchait le dernier. -Tout-à -coup Sophie jette un cri d'effroi; elle a vu sa maîtresse étendue -par terre: _La voilà ici_, s'écrie-t-elle, _la chère_ _dame Coutelas!_ -et elle recule épouvantée. La femme Pierrot s'enfuit. L'autre femme, plus -courageuse, s'approche avec Coutelas. Tous deux voient la malheureuse -femme étendue sur le dos, la tête contre le mur, ayant du sang au cou. -Ils aperçoivent un rasoir ouvert, placé sur le bras gauche. Coutelas -s'écrie: _Ah! pauvre femme! qu'as-tu fait?..._ Puis ayant reconnu son -rasoir, il ajoute: _La malheureuse s'est coupé le cou avec mon rasoir... -Que vais-je faire?... Il faut prévenir les autorités._ On remarqua qu'il -n'y avait aucun dérangement ni dans les vêtemens ni dans la chevelure de -la dame Coutelas. - -Bientôt, on procéda à l'information judiciaire la plus scrupuleuse. -Plusieurs médecins et chirurgiens de Reims et des environs jugèrent que -la mort de la dame Coutelas était l'effet d'un suicide. Mais trois -médecins de Paris, MM. Dubois, Boyer et Adelon déclarèrent, au contraire, -qu'il leur paraissait extrêmement probable, que la dame Coutelas ne se -fût pas fait elle-même les blessures qui lui avaient ôté la vie. - -Cette déclaration, jointe à diverses circonstances commentées par la -clameur publique, fit planer des soupçons d'assassinat sur le sieur -Coutelas. On parla de sa froide indifférence pour sa femme, des paroles -qui lui étaient échappées, à la vue de son rasoir, qui avait servi à -commettre le crime; la malignité n'eut garde d'oublier la circonstance -des deux testamens. Enfin, le sieur Coutelas fut arrêté, prévenu d'avoir -assassiné sa femme, et traduit, en conséquence, le 9 mai 1827, devant la -Cour d'assises de la Marne. - -Les débats de cette affaire durèrent trois jours. Cinquante-quatre -témoins furent entendus. Les docteurs Boyer et Dubois ne purent s'y -trouver, l'état de leur santé ne leur ayant pas permis de faire le voyage -de Reims. Le procureur du roi, M. Gasbon, dans une plaidoierie qui dura -plus de deux heures, se livra au consciencieux examen de cette grande et -difficile affaire. Ce magistrat, après avoir discuté la question -médico-légale, déclara qu'il ne croyait pas qu'il y eût eu homicide; -qu'aucune charge sérieuse ne résultait d'ailleurs des témoignages, et il -termina en ces termes: «Non, Messieurs, l'accusé n'est pas coupable.» - -Le défenseur du sieur Coutelas se borna dès-lors à rétablir des faits de -moralité qui avaient été présentés dans l'instruction d'une manière -défavorable à son client; et le jury, après une courte délibération, -déclara à l'unanimité que l'accusé n'était pas coupable. - -Cette déclaration fut accueillie avec une satisfaction générale. On -entendit avec plaisir prononcer l'acquittement d'un homme accablé d'abord -par une perte douloureuse, et atteint ensuite par un malheur plus grand -encore, d'un homme dont l'innocence était reconnue et proclamée par la -justice, et qui, pendant huit mois, avait été privé de sa liberté, et -avait eu à gémir sous le poids du plus affreux soupçon. - - - - -JOSEPH MAURI. - - -Le 28 novembre 1826, Joseph Mauri, qui servait en qualité de domestique -dans la métairie du sieur Codine, apprit que son père se proposait de -vendre une de ses propriétés au comte de Saint-Marsal, pour en remettre -le prix à son beau-fils, Charles Noguères, dans la maison duquel il -s'était retiré depuis quelque temps. - -Aussitôt Joseph Mauri, mû par la jalousie et la cupidité, quitta la -métairie de Codine, se fit remplacer dans les travaux des champs par un -ouvrier dont il paya lui-même le salaire, et arriva vers neuf heures du -matin dans la commune de Pin, où résidait son père. Il se rendit aussitôt -dans la maison de son beau-frère. Mauri père, infirme depuis long-temps, -paralysé de la moitié du corps, était encore couché dans une chambre -attenante à la cuisine, où s'arrêta son fils. Ce dernier s'approcha de -sa sÅ“ur Élisabeth qui était devant le foyer avec ses trois enfans; -auprès du feu, se trouvait un plat contenant _une soupe à l'ail et une -côtelette placée sur le gril_. Mauri fils demanda pour qui étaient ces -alimens. Sa sÅ“ur lui répondit qu'ils avaient été préparés pour le -déjeûner de la famille; en même temps, elle quitta la cuisine et passa -dans la chambre de son vieux père pour l'habiller et le conduire auprès -du feu. - -Joseph Mauri, se trouvant seul alors avec les enfans de sa sÅ“ur, -témoigna le désir de faire cuire des châtaignes, et fit sortir sa nièce -Élisabeth, âgée d'environ quinze ans, pour s'informer dans le village si -l'on n'en trouverait pas à acheter. Élisabeth sortit et rentra quelques -instans après, en annonçant qu'elle avait trouvé des châtaignes: son -oncle ne parut point faire attention à ses paroles, et ne lui répondit -rien. - -Dans ce moment, Mauri père fut amené par sa fille dans la cuisine; elle -l'installa auprès du feu et lui servit un peu de soupe; elle en donna -aussi à ses enfans, à l'exception d'Élisabeth, et en garda une portion -pour elle-même. Mauri père mangea sa part de soupe et un morceau de la -côtelette; mais bientôt les enfans éprouvèrent des picotemens, des -angoisses; et des vomissemens ne tardèrent pas à se déclarer. Le -grand-père ressentit les mêmes accidens. La femme Noguères examina la -soupe avec attention, et ne lui trouva point sa couleur naturelle; son -jeune fils, Joseph Noguères, âgé de six ans, fit observer, que c'était -peut-être la _poudre blanche_ que son oncle y avait jetée qui lui avait -donné cette couleur. - -Ces paroles de l'enfant furent un trait de lumière pour la malheureuse -femme qui soudain s'écria en s'adressant à son frère: _Malheureux! tu as -empoisonné ton père et mes enfans!_ - -L'empoisonneur était resté paisible spectateur de cette scène; il avait -vu son vieux père, infirme et souffrant, entrer dans la cuisine et ne lui -avait point adressé la parole; il avait assisté à son repas sans -manifester la plus légère émotion, et quand sa belle-sÅ“ur lui adressa -cette terrible interpellation, il répondit à peine, et sortit en toute -hâte de la maison. - -Cependant les symptômes de l'empoisonnement se développaient avec -violence; on administra de prompts secours au vieillard et aux enfans, -mais les enfans seuls résistèrent à la force du poison. Le vieux Mauri -succomba à ses souffrances, dans la nuit du 4 au 5 décembre suivant. - -Le crime était patent; celui qui l'avait commis ne pouvait s'envelopper -du moindre mystère. Joseph Mauri fut arrêté et conduit le 1er mars 1827, -devant la Cour d'assises de Perpignan (Pyrénées-Orientales), comme -coupable d'avoir attenté à la vie de Joseph Mauri, son père, et de -Joseph, Charles et Étienne Noguères, ses neveux, à l'aide de substances -vénéneuses. - -A l'appui de cette grave accusation, le ministère public fit entendre -plusieurs témoins dont les dépositions ne firent que confirmer les faits -ci-dessus exposés. - -Aux débats, l'accusé convint que, le 29 novembre au matin, il s'était -rendu chez sa sÅ“ur, pour parler à son père de la vente qu'il se -proposait de faire au comte de Saint-Marsal; mais il désavoua tous les -faits qu'on lui imputait, et prétendit qu'ils avaient été méchamment -inventés pour le perdre, par sa sÅ“ur et son beau-frère. - -Après les dépositions des témoins, on entendit les docteurs et -pharmaciens chargés des épreuves chimiques dans la procédure. Ils -déclarèrent que l'analyse avait constaté que la substance trouvée dans -l'estomac du vieux Mauri était de l'oxide blanc d'arsénic. On fit même -des expériences en présence de la Cour et de l'auditoire. Les épreuves -comparatives, faites simultanément sur l'oxide blanc d'arsénic que la -Cour avait fait apporter à l'audience, et sur la substance recueillie par -les médecins dans l'estomac de Mauri, présentèrent des résultats -absolument identiques et furent parfaitement concluantes. - -L'accusation fut soutenue par le ministère public avec cette énergie, -avec cette naturelle horreur, que doit inspirer un parricide avéré. La -culpabilité de l'accusé ne pouvait élever le moindre doute; elle fut -prononcée par le jury. En conséquence, Joseph Mauri fut condamné à la -peine des parricides. - -L'impassibilité de ce monstre ne se démentit point dans ce moment -terrible. Il entendit sa condamnation avec calme, et regagna sa prison -d'un pas ferme et assuré. - - - - -MEURTRE - -COMMIS DANS UNE ÉGLISE PAR UN JEUNE SÉMINARISTE. - - -Antoine Berthet, fils d'un maréchal-ferrant, établi dans le village de -Brangues (Isère), était né avec une constitution très-frêle qui le -rendait peu propre à exercer le métier de son père. D'un autre côté, la -nature l'avait amplement dédommagé; il s'était fait remarquer de bonne -heure par une intelligence supérieure et par un goût très-marqué pour -l'étude; ce qui avait inspiré en sa faveur de l'intérêt à plusieurs -personnes; leur charité, plus vive qu'éclairée, voulut tirer Berthet du -rang obscur où le sort l'avait fait naître, et le destina à l'état -ecclésiastique. Le curé de Brangues l'adopta comme un enfant chéri, lui -enseigna les premiers élémens des sciences, et le fit entrer, en 1818, au -petit-séminaire de Grenoble. En 1822, une maladie grave l'obligea de -suspendre ses études; il fut recueilli par le curé dont les soins -suppléèrent avec succès à l'indigence de ses parens. A la puissante -sollicitation de ce zélé protecteur, Berthet fut reçu chez M. M....., qui -lui confia l'éducation d'un de ses enfans; sa funeste destinée le -préparait à devenir le fléau de cette famille jusque-là si heureuse. -Madame M....., femme aimable et spirituelle, alors âgée de trente-six -ans, et d'une réputation intacte, pensa qu'elle pouvait sans danger -prodiguer des témoignages de bonté à un jeune homme de vingt ans, dont la -santé délicate exigeait des soins particuliers; et Berthet, sans doute -égaré par une immoralité précoce, se méprit sur la nature de ses soins. -Quoi qu'il en soit, avant l'expiration d'une année, madame M..... se vit -obligée de mettre un terme au séjour du jeune séminariste dans sa maison. - -Berthet entra au petit séminaire de Belley, pour y continuer ses études. -Il y resta deux ans et vint passer à Brangues les vacances de 1823. - -N'ayant pu rentrer au petit séminaire de Belley, il parvint à se faire -recevoir au grand-séminaire de Grenoble; mais, après y être resté -quelque temps, il fut jugé par ses supérieurs indigne des fonctions qu'il -ambitionnait, et bientôt après congédié sans espoir de retour. Son père, -irrité, le bannit de sa présence, et il ne put trouver d'asile que chez -sa sÅ“ur, à Brangues. - -Ces rebuts furent-ils le résultat de mauvais principes reconnus ou d'une -conduite très-répréhensible? Berthet se crut-il en butte à une -persécution secrète de la part de M. M..... qu'il avait offensé? Des -lettres qu'il écrivit alors à madame M..... contenaient des reproches -virulens et des diffamations. Malgré cela, M. M..... faisait des -démarches en faveur de l'ancien instituteur de ses enfans. - -Berthet parvint encore à se placer chez M. de C...., en qualité de -précepteur. Il avait renoncé alors à l'église; mais, après un an, M. de -C.... le congédia pour des raisons imparfaitement connues, et qui -paraissaient se rattacher à une nouvelle intrigue. - -Il songea de nouveau à la carrière qui avait été le but de tous ses -efforts, l'état ecclésiastique. Mais il fit et fit faire de vaines -sollicitations auprès des supérieurs des séminaires de Belley, de Lyon -et de Grenoble. Alors le désespoir s'empara de lui. - -Voyant toutes ses démarches inutiles, il attribuait son peu de succès aux -époux M..... Les prières et les reproches qu'il continuait d'adresser à -madame M..... se changèrent en menaces terribles. On recueillit des -propos sinistres. _Je veux la tuer_, disait-il, dans ses accès de -mélancolie farouche. Il écrivait au curé de Brangues, le successeur de -son premier bienfaiteur: _Quand je reparaîtrai sous le clocher de la -paroisse, on saura pourquoi_. Ces étranges moyens produisaient une partie -de leur effet. M. M..... s'occupait sincèrement à lui rouvrir l'entrée de -quelque séminaire; mais il échoua à Grenoble, il échoua de même à Belley, -où il fit exprès un voyage avec le curé de Brangues. Tout ce qu'il put -obtenir fut de placer Berthet chez M. Trolliet, notaire à Morestel, allié -de sa famille, en lui dissimulant toutefois ses sujets de mécontentement. -Mais Berthet, dans son ambition déçue, était las, selon sa dédaigneuse -expression, _de n'être toujours qu'un magister à 200 francs de gages_. Il -n'interrompit point le cours de ses lettres menaçantes. Il annonça à -plusieurs personnes qu'il était déterminé à tuer madame M..... et à -s'ôter la vie à lui-même. Malheureusement un projet aussi atroce sembla -improbable par son atrocité même; il était pourtant sur le point de -s'accomplir. - -C'était au mois de juin 1827 que Berthet était entré dans la maison du -notaire de Morestel. Vers le 15 juillet, il se rendit à Lyon pour acheter -des pistolets; il écrivit de là à madame M..... une lettre pleine de -nouvelles menaces. Cette lettre finissait par ces mots: _Votre triomphe -sera comme celui d'Aman, de peu de durée_. De retour à Morestel, on le -vit s'exercer au tir; l'une de ses deux armes manquait feu; après avoir -songé à la faire réparer, il la remplaça par un autre pistolet qu'il prit -dans la chambre de M. Trolliet, alors absent. - -Le dimanche 22 juillet, de grand matin, Berthet charge ses deux armes à -doubles balles, les place sous son habit, et part pour Brangues. Il -arrive chez sa sÅ“ur qui lui fait manger une soupe légère. A l'heure de -la messe de la paroisse, il se rend à l'église et se place à trois pas du -banc de madame M... Bientôt il la voit venir, accompagnée de ses enfans -dont l'un avait été son élève. Là , il attend immobile jusqu'au moment où -le prêtre distribue la communion. «Ni l'aspect de sa bienfaitrice, dit M. -le procureur-général dans son réquisitoire, ni la sainteté du lieu, ni la -solennité du plus sublime des mystères d'une religion, au service de -laquelle Berthet devait se consacrer; rien ne peut émouvoir cette âme -dévouée au génie de la destruction. L'Å“il attaché sur sa victime, -étranger aux sentimens religieux qui se manifestent autour de lui, il -attend avec une infernale patience l'instant où le recueillement de tous -les fidèles va lui donner le moyen de porter des coups assurés. Ce moment -arrive, et lorsque tous les cÅ“urs s'élèvent vers le Dieu présent sur -l'autel, lorsque madame M....., prosternée, mêlait peut-être à ses -ferventes prières le nom de l'ingrat qui s'est fait son ennemi le plus -cruel, deux coups de feu successifs et à un court intervalle, se font -entendre. Les assistans épouvantés voient tomber presqu'en même temps et -Berthet et madame M..... dont le premier mouvement, dans sa prévoyance -d'un nouveau crime, est de protéger de son corps ses jeunes enfans -effrayés. Le sang de l'assassin et celui de la victime jaillissent -confondus jusque sur les marches du sanctuaire. - -«Un amour adultère méprisé, la conviction que madame M..... n'était point -étrangère à ses humiliations et aux obstacles qui lui fermaient la -carrière à laquelle il avait osé aspirer, la soif de la vengeance, telles -furent, dans le système de l'accusation, la cause de cette haine -furieuse, de ce désespoir forcené, manifestés par l'assassinat, le -sacrilége et le suicide. - -«L'horreur tout entière du crime, disait le procureur-général en -terminant son réquisitoire, suffirait pour captiver votre attention; mais -votre sollicitude, messieurs les jurés, sera plus puissamment excitée par -le besoin de ne prononcer une sentence de mort qu'autant que vous aurez -la conviction irrésistible que le crime fut volontaire et le résultat -d'une longue préméditation.» - -Berthet comparut, le 15 décembre 1829, devant la Cour d'assises de -l'Isère. On s'écrasait aux portes de la salle d'audience dont l'accès -n'était permis qu'aux personnes munies de billets d'entrée. L'accusé -était un jeune homme d'une taille au-dessous de la moyenne, mince et -d'une complexion délicate; un mouchoir blanc, passé en bandeau sous le -menton et noué au-dessus de la tête, rappelait le coup de pistolet qu'il -s'était tiré après avoir assassiné madame de M..... Deux balles lui -avaient percé la mâchoire inférieure et le cou, et une seule de ces deux -balles avait pu être extraite. Du reste, sa mise et ses cheveux étaient -soignés: il avait une physionomie très-expressive; sa pâleur contrastait -avec ses grands yeux noirs qui portaient l'empreinte de la fatigue et de -la maladie. - -Pendant la lecture de l'acte d'accusation et de l'exposé de la cause, par -M. de Guernon-Ranville, procureur-général, Berthet conserva une attitude -immobile. Il reconnut les pistolets qu'on lui présenta et, sans aucune -émotion, désigna le plus gros comme étant celui dont il s'était servi -contre madame M..... - -«--Quel motif a pu vous porter à ce crime? lui demanda le président. - -«--Deux passions qui m'ont tourmenté pendant quatre ans, l'amour et la -jalousie, répondit Berthet.» - -Dans tout le cours de son interrogatoire, Berthet voulut répandre des -soupçons sur la vertu de sa victime, et faire croire qu'il avait eu des -relations adultères avec elle. Il se complut à étaler devant la Cour une -foule de détails diffamatoires qui tendaient à noircir la réputation de -cette dame, et à la faire passer pour une femme extrêmement corrompue. Il -ne se contenta pas de calomnier les mÅ“urs de madame M....., son système -de diffamation essaya de flétrir aussi mademoiselle de C..... afin de -motiver sa sortie de la maison des parens de cette demoiselle. - -«Je revins à Brangues, dit-il, je m'aperçus bientôt que les sentimens de -madame M..... étaient changés à mon égard. Avant que j'eusse quitté sa -maison, elle m'avait fait des protestations multipliées d'une éternelle -constance. Il y avait dans sa chambre une image du Christ; souvent en la -contemplant, elle m'avait dit avec passion: «_En présence de cette image -sacrée, je jure d'être toujours à vous, de n'en pas aimer d'autre, je -vous promets de ne jamais vous oublier de vous rendre heureux, de -m'occuper toujours de votre sort..._» Ces sermens m'avaient fait croire à -sa sincérité; mais il ne me fut plus possible de douter, à ma sortie du -château de C.... de la froideur de madame M..... Jacquin était devenu -l'instituteur de ses enfans, et je m'aperçus que j'avais été remplacé de -deux manières.» - -Madame Marigny, amie d'enfance de madame M...., entendue comme témoin, -déposa, entre autres choses, que Berthet étant venu la voir quelques -jours avant son départ pour Lyon, elle lui avait demandé s'il avait -l'espoir de trouver une place dans cette ville, et que celui-ci avait -répondu: «Non, j'y vais acheter des pistolets pour tuer madame M.... et -me tuer moi-même après elle. J'avais eu déjà l'intention de la tuer -dimanche dernier, jour de la Fête-Dieu, avec un fer que j'avais aiguisé; -mais maintenant je suis résolu.» - -Berthet convint de tous ces faits, et ajouta, que s'il n'avait pas -exécuté le dessein qu'il avait formé le jour de la Fête-Dieu, c'est que -dans l'intervalle, il avait appris que l'on s'était occupé de lui. - -«Cette explication devient, contre vous, une charge accablante, reprit le -procureur-général. Ainsi donc, c'est une place qui était l'objet de -toutes vos menées; c'est une place que vous demandiez avec le pistolet -et le poignard! Vous n'avez consenti à laisser vivre madame M.... après -la Fête-Dieu, que parce qu'on vous donna des espérances de vous en -procurer une! Cette conduite est d'une lâche atrocité!» - -Après l'audition de tous les témoins, le ministère public soutint -l'accusation au fond. Berthet demanda ensuite la parole, et lut un long -récit d'un style naturel et élégant, où entrant dans de minutieux détails -et s'excusant, sur le péril de sa position, il s'efforçait de dépeindre -madame M.... comme la corruptrice de sa jeunesse. Il raconta par quelle -suite de causes et d'insinuations elle aurait perdu son innocence et trop -instruit son ignorante simplicité. - -De ce récit pénible pour ceux qui s'intéressaient à Berthet, et lu avec -une extrême froideur, résulta la preuve que s'il fallait admettre la -jalousie de l'amour comme une des causes impulsives du crime, il -existait, dans l'âme de l'accusé, un second mobile et non moins puissant, -un orgueil ambitieux et égoïste, déçu dans ses espérances. - -Le défenseur de l'accusé, Me Massonnet, s'attacha à montrer Berthet, -dominé par sa fatale passion, et soutint que son crime avait été commis -sans une véritable volonté. Le ministère public improvisa une vigoureuse -réplique, dans laquelle il parcourut de nouveau toutes les parties de la -cause. «Berthet, dit-il, vient de nous dévoiler lui-même toute la -turpitude de son âme. Non, il n'éprouvait pas d'amour, quand il frappa -madame M.... d'un coup meurtrier: ne profanons pas le nom d'une passion -qui peut être honnête. Sent-il l'amour, celui qui diffame l'objet qu'il -prétend aimer? celui qui, bassement méchant, va porter la discorde dans -un ménage bien uni, exciter le désespoir dans l'âme de l'époux qu'il a -indignement outragé, et goûter un infernal plaisir à retourner le -poignard dans sa plaie; celui qui, dans son maladroit système de défense, -ose dérouler publiquement un tissu des plus odieuses infamies contre sa -bienfaitrice? - -«Berthet, au moment suprême, lorsqu'il se trouve exposé à être traduit -devant le souverain juge, qu'il avait invoqué naguère, se défend par les -plus noires calomnies, que tout dément. Votre raison, MM. les jurés, -vous a dit que madame M.... est demeurée pure; elle s'est refusée -surtout à croire qu'il fût possible que le délire d'une passion adultère -aveuglât au point de prendre Dieu à témoin de sermens criminels, -d'attester l'image du Dieu qui consacra la sainteté du mariage. Mais -Berthet voudrait entraîner dans sa ruine l'honneur d'une femme qu'il -aimait, et dont il dit avoir été aimé. Il voudrait léguer la honte et le -désespoir à deux époux, dont la seule faute fut de mal placer leurs -bienfaits: mais l'infamie dont il cherche à couvrir une famille -respectable retombe tout entière sur sa tête pour l'accabler. - -«Allons plus avant, messieurs les jurés; sondons les derniers replis de -cette âme perverse: qu'y découvrons-nous? L'ambition déçue, -l'amour-propre d'un homme envieux, qui s'irritait de voir madame M.... -favoriser Jacquin plus que lui. Pourquoi donc, s'il était tourmenté par -la jalousie de l'amour, pourquoi ne choisissait-il pas son rival pour lui -faire porter le poids de sa vengeance? Mais non; c'est à madame M.... -seule qu'il s'adresse; il lui demande la vie ou une place! C'est le -couteau sur la poitrine qu'il exige des services! Berthet, détrompé de -ses rêves ambitieux, convaincu trop tard qu'il ne peut atteindre le but -que son orgueil s'était proposé, Berthet désespéré veut périr: mais en -mourant, sa rage veut entraîner une victime dans la tombe qu'il creuse -pour lui-même!...» - -Berthet fut déclaré coupable de meurtre volontaire avec préméditation. -L'accusé entendit le fatal arrêt, sans montrer la plus légère marque -d'émotion. Le lendemain, ce malheureux fit appeler le président de la -Cour, et rétracta tout le système de diffamation où le soin de sa défense -l'avait entraîné. Il rendit hommage à l'honneur de sa victime, et déclara -que la jalousie qui le dévorait avait pu seule le porter à supposer -qu'elle fût coupable. - -La sentence de Berthet fut exécutée le 23 février 1828, à onze heures du -matin sur la place d'armes de Grenoble; son pourvoi avait été rejeté par -la Cour suprême. Comme on voyait dans le condamné, moins un assassin -ordinaire, qu'un jeune homme victime de ses passions, entraîné à sa ruine -par un funeste concours de circonstances, on avait cru que le recours en -grâce formé en faveur de Berthet, aurait été suivi d'une commutation de -peine. Mais les démarches faites à ce sujet avaient été infructueuses. -Aussi Berthet disait-il, la veille de sa mort, à l'une des dames de -prison qui l'assistaient: _J'ai le pressentiment que demain sera mon -dernier jour._ On ne put lui répondre que par le silence; on savait que -le recours en grâce venait d'être rejeté. Berthet reçut avec piété toutes -les consolations de la religion; arrivé au pied de l'échafaud, il -envisagea sans crainte le terrible appareil, fléchit un moment le genou -pour prier et livra sa tête à l'exécuteur. - -Au moment même où la Cour d'assises de l'Isère prononçait la condamnation -du séminariste Berthet, celle des Pyrénées-Orientales (Perpignan) -condamnait aux travaux forcés à perpétuité un autre séminariste nommé -Baptiste Marty, prévenu d'avoir, de complicité avec son père, son frère -et un quatrième individu, commis un homicide volontaire sur la personne -d'un créancier de sa famille. - - -FIN DU SEPTIÈME VOLUME. - - - - -TABLE - -DU SEPTIÈME VOLUME. - -/* Page - Le curé Étienne Pacot, injustement condamné à mort. - 1 - Complication de scélératesses. 32 - - Jean Heinrich, parricide. 39 - - L'épicier Duteil et Delphine Carnet. 45 - - Louvel, assassin du duc de Berry. 50 - - Assassinat de Neyrat. 75 - - Catherine Caman et ses complices. 83 - - Les deux fils parricides. 86 - - Lelièvre, dit Chevallier. 89 - - Peyrache, faux témoin; Rispal et Galland, ses victimes. 123 - - Trait de férocité d'un forçat. 142 - - Jeune fille assassiné par son corrupteur. 145 - - Le curé Mingrat. 148 - - Castaing. 182 - - Assassinat de la mère Jérôme. 229 - - Henri Feldtmann, ou père incestueux et assassin de sa fille. 234 - - Assassinat de madame veuve Aillet et de la fille Goussard, - sa domestique, à Chartres. 242 - - Antoine Léger, ou l'anthropophage des environs de - Versailles. 268 - - Veillère, ou la passion du jeu. 283 - - Effrayante série d'atrocités. 286 - - Papavoine, ou le meurtre du bois de Vincennes. 292 - - La veuve Boursier. 323 - - Le forçat Sureau. 345 - - Pierre Barrié, parricide. 349 - - André Blum, accusé de faux et d'empoisonnement. 359 - - Assassins de grand chemin. 369 - - Bancelin, meurtrier de son épouse. 377 - - Le couple assassin. 387 - - Henriette Cornier. 396 - - Horrible assassinat et suicide. 403 - - Derniers momens d'un scélérat condamné à mort. 409 - - Asselineau, ou les suites funestes de la passion du jeu. 414 - - Famille de parricides. 434 - - Compte, meurtrier de sa femme et de son enfant. 440 - - Castanier, ou les résultats criminels de l'exaltation - religieuse. 444 - - Accusation d'assassinat résultant d'un suicide. 452 - - Joseph Mauri. 459 - - Meurtre commis dans une église par un jeune séminariste. 464 - - -FIN DE LA TABLE DU SEPTIÈME VOLUME. - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Chronique du crime et de l'innocence, -t. 7 of 8, by Robert Estienne - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CHRONIQUE DU CRIME, T. 7 *** - -***** This file should be named 55265-0.txt or 55265-0.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/5/2/6/55265/ - -Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/American Libraries.) - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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You may copy it, give it away or re-use it under the terms of -the Project Gutenberg License included with this eBook or online at -www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have -to check the laws of the country where you are located before using this ebook. - -Title: Chronique du crime et de l'innocence, t. 7 of 8 - -Author: Robert Estienne - -Release Date: August 4, 2017 [EBook #55265] - -Language: French - -Character set encoding: ISO-8859-1 - -*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CHRONIQUE DU CRIME, T. 7 *** - - - - -Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/American Libraries.) - - - - - - -</pre> - - -<div class="tnote"> -<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. -L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. -Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.</p></div> -<p><span class="pagenumh"><a id="Page_I"> I</a></span></p> - -<h1><span class="large">CHRONIQUE</span><br /> -<span class="xxlarge">DU CRIME</span><br /> -<span class="xs">ET</span><br /> -<span class="medium">DE L'INNOCENCE.</span></h1> - -<div class="figcenter"> -<img src="images/cover.jpg" width="600" height="800" alt="" /> -</div> - -<p><span class="pagenumh"><a id="Page_II"> II</a></span></p> - -<p><span class="pagenumh"><a id="Page_III"> III</a></span></p> - -<div class="topspace titlepage"> -<p><span class="xlarge">CHRONIQUE</span><br /> -<span class="xxlarge">DU CRIME</span><br /> -<span class="small">ET</span><br /> -<span class="large">DE L'INNOCENCE;</span></p> -</div> - -<p class="hanging indent"> -<span class="xs">Recueil des Événemens les plus tragiques; Empoisonnemens, Assassinats, -Massacres, Parricides, et autres Forfaits, commis en France, depuis le -commencement de la monarchie jusqu'à nos jours, disposés dans l'ordre -chronologique, et extraits des anciennes Chroniques, de l'Histoire générale -de France, de l'Histoire particulière de chaque province, des différentes -Collections des Causes célèbres, de la Gazette des Tribunaux, et autres -feuilles judiciaires.</span></p> - -<div class="titlepage"> -<p><span class="i2 medium">PAR J.-B. J. CHAMPAGNAC.</span></p> - -<p class="xs dedicace">Tout ce qui me fait peur m'amuse au dernier point.<br /> -<span class="cap">C. D</span><span class="smallc">ELAVIGNE.</span> <i>École des Vieillards.</i></p> - -<p><span class="small">Tome Septième.</span></p> - -<p><span class="large">Paris.</span><br /> -<span class="small">CHEZ MÉNARD, LIBRAIRE,</span><br /> -<span class="xs">PLACE SORBONNE, N. 3.</span><br /> -<span class="medium">1834</span></p> -</div> - -<p><span class="pagenumh"><a id="Page_IV"> IV</a></span></p> - -<p class="space extra"><span class="large">CHRONIQUE</span><br /> -<span class="xxlarge">DU CRIME</span><br /> -<span class="small">ET</span><br /> -<span class="large">DE L'INNOCENCE.</span></p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_1"> 1</a></span></p> -<h2 class="normal">LE CURÉ ÉTIENNE PACOT,<br /> -<span class="medium">INJUSTEMENT CONDAMNÉ A MORT.</span></h2> -</div> - -<p>«Serait-il vrai que nos lois, qui veillent assidûment -à la punition du crime, auraient laissé -l'innocence sans défense et sans secours contre -les erreurs judiciaires? En armant les magistrats -d'un pouvoir terrible, mais nécessaire, -aurait-on oublié qu'ils participent à la fragilité -et aux passions humaines, et que les plus -belles institutions deviennent menaçantes, -<span class="pagenum"><a id="Page_2"> 2</a></span> -au lieu d'être protectrices, si l'on ne fait rien -pour en prévenir les erreurs?»</p> - -<p>Tel est le début d'un mémoire publié vers -1819; et ces paroles sont le cri de douleur -d'un vieillard presque octogénaire, d'un vénérable -ecclésiastique, d'Étienne Pacot, dont les -malheurs ont fini par égarer la raison, et qui -aujourd'hui attend, dans une maison de santé, -la fin de sa longue et malheureuse carrière.</p> - -<p>Le sieur Pacot, échappé comme par miracle -aux brigandages de la révolution, qui -toutefois l'avaient contraint de quitter la paroisse -qu'il administrait, s'était retiré dans ses -propriétés, situées en grande partie à Bourberain, -département de la Côte-d'Or. Un -homme, nommé Prétot, vint s'établir dans -le même endroit. L'abbé Pacot le reçut sans -défiance; mais il fut bientôt cruellement puni -de cet excès de sécurité. Prétot commit chez -lui un vol considérable, et attenta à sa vie -à deux reprises différentes. D'abord il lui tira -un coup de fusil par sa fenêtre; ce fait fut -attesté par le nommé Nicolas Miel, qui accompagnait -alors Prétot; cet homme en fit -la révélation à la justice, qui, un peu plus -tard, le condamna aux fers pour vol dans -<span class="pagenum"><a id="Page_3"> 3</a></span> -une habitation d'une autre commune. La seconde -tentative de Prétot sur la personne de -l'abbé Pacot, eut lieu le 7 nivôse an VII. Il -tira un coup de pistolet à ce propriétaire sur -la route de Bèze. L'intimité qui unissait cet -homme au juge-de-paix du canton lui assura -l'impunité; néanmoins on n'osa l'absoudre -entièrement, et sur la déclaration du jury, -portant que Prétot n'avait pas eu l'intention -de tuer le sieur Pacot, cet attentat ne fut -puni que d'un mois d'emprisonnement, et de -vingt-cinq francs d'amende.</p> - -<p>Cependant Prétot avait fait trop de mal au -sieur Pacot, pour n'être pas devenu son ennemi -juré. La présence de ce dernier à Bourberain -était un reproche continuel pour lui, -comme pour ses protecteurs. Il résolut de -s'affranchir, par un crime encore plus noir, -de la vue importune d'une victime que la -Providence avait dérobée à ses premières -tentatives de meurtre.</p> - -<p>Tout-à-coup le bruit se répandit dans la -commune de Bourberain que Prétot et sa -femme venaient d'être empoisonnés <i>par le -plus subtil des poisons</i>. Le 7 germinal an <span class="smallc">IX</span>, -Prétot le dit lui-même aux deux fermiers du -<span class="pagenum"><a id="Page_4"> 4</a></span> -sieur Pacot, qui étaient entrés dans son cabaret. -Il leur montra une demi-bouteille à -moitié pleine, leur disant que sa femme et -lui avaient bu l'autre moitié qui manquait. Il -raconta que cette demi-bouteille lui avait été -apportée, deux jours auparavant, avec une -lettre dans laquelle il était dit qu'on la lui -adressait comme un échantillon de vin.</p> - -<p>Le même jour, Prétot arrêta deux officiers -de santé qui traversaient la commune. Le -premier trouva la <i>liqueur douce</i>, et déclara -plus tard que <i>ce ne fut qu'une heure après en -avoir mis sur sa langue, qu'il sentit une légère -chaleur</i>. Le second, au contraire, affirma -que cette liqueur <i>était tellement corrosive, -que l'eau-forte ne serait pas plus mordante</i>.</p> - -<p>Cependant la santé de Prétot n'avait pas -subi la moindre altération; son visage coloré -n'offrait aucun des symptômes de l'empoisonnement -dont il se plaignait. Aussi, dans les -premiers instans, se garda-t-il bien d'aller se -montrer à l'autorité. Sa maison n'était séparée -de celle du maire de la commune que par un -mur, et pourtant il ne l'instruisit pas du crime -qui, selon lui, avait failli lui coûter la vie. Il -ne requit même pas l'assistance du juge-de-paix, -<span class="pagenum"><a id="Page_5"> 5</a></span> -son ami, qui ne demeurait qu'à une -demi-lieue de Bourberain.</p> - -<p>La calomnie ne saurait procéder par des -voies aussi directes, sans compromettre souvent -le succès de ses manœuvres. Il fallait que -Prétot s'assurât d'abord des moyens d'accréditer -l'odieuse fable qu'il avait inventée. Il lui -fallait quelques témoins. Il gagna une femme -simple et crédule, et lui recommanda, ainsi -qu'elle le déclara elle-même plus tard, de -dire, lorsqu'elle serait interrogée à ce sujet, -qu'elle avait vu Prétot en proie à des vomissemens, -et qu'elle lui avait donné du lait.</p> - -<p>Le 10 germinal, il fit six lieues à pied pour -se rendre à Dijon, mais il ne porta pas encore -sa plainte à la justice, et revint le jour -même à Bourberain. Le lendemain, il eut encore -la force de recommencer ce pénible -voyage, et, cette fois, il rendit plainte devant -le directeur du jury, mais en déclarant toutefois -qu'il ignorait jusqu'alors l'auteur du crime.</p> - -<p>Cette première démarche suffisait pour le -moment à Prétot; il était satisfait d'avoir -éveillé l'attention de la justice; il se désista -dans les vingt-quatre heures. Cette marche -était de la plus perfide habileté; elle lui facilitait -<span class="pagenum"><a id="Page_6"> 6</a></span> -les moyens de porter à la victime qu'il s'était -choisie les coups qu'il lui préparait. Bientôt -en effet, il fit circuler de sourdes rumeurs -qui désignaient l'abbé Pacot comme auteur -de l'empoisonnement, et lui-même déposa que, -dans le premier moment, il avait accusé ce -prêtre, n'ayant pas d'autre ennemi sur la terre.</p> - -<p>Sur cette dénonciation, on arrête le sieur -Pacot; le dénonciateur lui-même vient avec -un fusil, afin, dit-il, de prêter main-forte à -la gendarmerie. Le lendemain, deux simples -gendarmes font une perquisition dans le domicile -de l'abbé Pacot. Deux jours après, le -juge-de-paix en fait une nouvelle, tendant à -s'assurer si l'on trouverait de l'arsenic dans -la maison: il prend pour témoin le beau-frère -de l'accusateur. Ce témoin était prévenu de -la visite du juge de paix; il quitta son troupeau -qu'il gardait, pour aller à la rencontre -de ce magistrat. Il n'est pas nécessaire de faire -sentir à nos lecteurs combien il était irrégulier, -même scandaleux, de choisir le beau-frère -du délateur pour témoin de l'un des -actes les plus importans de la procédure. Mais -ce choix n'avait été fait ni au hasard, ni sans -de fortes raisons. Le témoin lui-même en révéla -<span class="pagenum"><a id="Page_7"> 7</a></span> -le motif dans un moment de véracité. Il -convint que Prétot lui avait donné un cornet -de poudre blanche, avec mission de le glisser -furtivement dans la maison de l'abbé Pacot, -lors de la visite.</p> - -<p>Il se trouvait chez le prévenu un reste de -limonade médicinale faite avec du sel d'oseille, -La décomposition qui en fut faite ne laissa -pas le moindre doute sur la nature de cette -liqueur. Mais le juge de paix, ami de Prétot, -avant d'appeler un homme de l'art, comme -son devoir le lui prescrivait, s'empressa de -faire avaler de cette limonade à un poussin; -puis il l'emprisonna dans une soupière qu'il ferma -bien hermétiquement de son couvercle. -Privé d'air, le pauvre animal allait périr asphyxié, -si la domestique de l'abbé n'avait soulevé le couvercle. -Le poussin mort, quelle conséquence -n'aurait-on pas tirée de ce fait contre l'accusé? -On n'aurait pas manqué de moyens pour travestir -l'asphyxie en empoisonnement.</p> - -<p>Cependant le sieur Pacot fut conduit dans -les prisons; l'une de ses domestiques, Louise -Poinsot, qui devait jouer un rôle nécessaire -dans l'affreuse tragédie qu'on avait imaginée, -partagea le sort de son maître. L'abbé Pacot -<span class="pagenum"><a id="Page_8"> 8</a></span> -fut tenu au secret le plus rigoureux pendant -quatre-vingt-dix jours.</p> - -<p>Mais tous les maux qu'on faisait peser sur -lui ne rendaient pas l'accusation plus vraisemblable. -On avait beau l'abreuver d'outrages, -son innocence n'en éclatait que plus visiblement. -Un jour, on le fit sortir de sa prison; -on le traîna en spectacle dans les rues, et on -le conduisit chez un marchand droguiste, sous -prétexte que la femme de ce marchand avait -déclaré qu'un homme de la campagne était -venu lui demander à acheter de l'arsenic.</p> - -<p>Nous arrivons à la plus odieuse des manœuvres -qui furent dirigées contre l'abbé Pacot. -Louise Poinsot, sa domestique, avait été, -comme on vient de le voir, arrêtée en même -temps que lui. On l'accusa d'avoir remis la -bouteille <i>empoisonnée</i> à un commissionnaire -pour la porter à Prétot. On avait fait entendre -plusieurs enfans qui avaient dit avoir vu une -fille portant cette bouteille, et lui avoir offert -de la porter. Les questions les plus minutieuses -avaient été faites à ces enfans touchant -la figure et les vêtemens de cette fille. Tout -ce qu'on en avait pu tirer, c'est qu'ils avaient -reconnu quelques-uns des vêtemens de Louise -<span class="pagenum"><a id="Page_9"> 9</a></span> -Poinsot: quant à la figure, l'un d'eux avait -dit qu'il <i>croyait</i> la reconnaître; les autres répondaient -qu'ils n'y avaient pas fait assez d'attention. -On pensa que c'en était assez pour -effrayer une fille simple, et la rendre l'instrument -de la perte de son maître. Des magistrats -n'eurent pas honte d'employer auprès d'elle -les plus vives instances pour la déterminer à -accuser l'abbé Pacot. Ils épuisèrent dans ses -longs interrogatoires, l'art des insinuations, -des questions captieuses; art funeste, dont -l'usage devrait être interdit contre le crime -même, dans la crainte que l'on pût jamais en -abuser contre l'innocence.</p> - -<p>Un jour, elle comparaît devant le directeur -du jury. «La vérité est découverte, lui dit-il; -votre maître est convaincu; vous n'avez pas -voulu vous sauver seule, vous périrez avec -lui.» Au même instant, quatre hommes entrent -dans le cabinet; un d'eux lui annonce -qu'on veut l'arracher à la mort; que les portes -de la prison vont s'ouvrir pour elle; mais -qu'il faut qu'elle confirme de sa bouche la vérité, -bien qu'elle soit déjà connue.</p> - -<p>Mais cette pauvre fille, malgré son extrême -<span class="pagenum"><a id="Page_10"> 10</a></span> -simplicité, trompa les espérances de ces juges -prévaricateurs, et rendit tous leurs efforts -inutiles. On ne put parvenir à lui arracher une -parole accusatrice, ni l'engager à trahir la vérité. -L'aspect de la mort qu'on lui mettait sous -les yeux ne put ébranler sa constance. Ce courage -héroïque ne fut pas la seule preuve de -son dévouement; la Providence, comme on le -verra bientôt, l'avait désignée pour sauver la -vie à son maître.</p> - -<p>L'information traînait en longueur; on ne -trouvait pas de charges, et on en cherchait -toujours. Les fonctions du directeur du jury -expiraient; un autre lui succède: une nouvelle -information commence, et le prévenu -continue à gémir au milieu des horreurs du -secret.</p> - -<p>Il fallait cependant terminer l'instruction. -L'acte d'accusation est dressé contre l'abbé -Pacot et sa servante. Le jury d'accusation, -appelé à prononcer sur le sort du maître, déclare -à l'unanimité qu'il n'y avait pas lieu à -suivre. Mais la malheureuse domestique, au -milieu des tortures morales qu'elle avait subies, -était tombée dans quelques contradictions; -<span class="pagenum"><a id="Page_11"> 11</a></span> -le jury crut qu'il n'en fallait pas davantage -pour décider qu'il y avait lieu à accusation -contre elle.</p> - -<p>La rage des ennemis de l'abbé Pacot avait -été impuissante dans cette première tentative; -ils n'avaient pu rassembler contre lui, non -seulement des preuves de nature à entraîner -une condamnation, mais même de simples présomptions -suffisantes pour motiver la mise en -accusation. Vainement sa domestique était accusée; -quelques contradictions arrachées par -la cruelle adresse des interrogateurs ne sont -pas des preuves de culpabilité. Devant le jury -de jugement, son acquittement était infaillible; -alors leur proie leur échappait tout entière.</p> - -<p>La procédure se continuant contre Louise -Poinsot, la marche de l'instruction l'amena -devant le tribunal criminel. On découvrit alors -qu'un des membres du jury d'accusation, qui -avait prononcé la mise en liberté de l'abbé -Pacot, n'avait pas trente ans. Le commissaire -du gouvernement requit l'annulation de tout -ce qui s'était fait, non seulement à l'égard de -la domestique, mais encore au sujet du maître -qui avait été mis hors de l'accusation.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_12"> 12</a></span> -En bonne jurisprudence, la déclaration du -jury d'accusation, concernant l'abbé Pacot, -rendue depuis cinq mois, et contre laquelle -le commissaire du gouvernement ne s'était -pas pourvu en cassation, était devenue irrévocable. -Et cependant les trois juges du tribunal -criminel de Dijon cassèrent la déclaration -qui l'avait fait mettre en liberté, aussi -bien que celle qui mettait en accusation Louise -Poinsot. Par un inconcevable oubli de toutes -les formes et des règles les plus élémentaires -du droit et de la justice, l'instruction recommença -contre l'abbé Pacot.</p> - -<p>Ce jugement inique fut rendu le 1<sup>er</sup> nivose -an <span class="smallc">X</span>. Trois heures après, à neuf heures du -soir, les gendarmes arrêtèrent le sieur Pacot, -et saisirent tous ses papiers, dont il ne put jamais -obtenir la restitution. L'abbé Pacot subit -de nouveau la torture du secret pendant -cent trois jours.</p> - -<p>Une troisième instruction se poursuivit alors -contre le maître et sa fidèle domestique. On -leur adjoignit une autre servante, contre laquelle -on n'avait pas informé jusque alors. Un -simulacre de jury d'accusation, composé selon -le caprice des juges, déclara qu'il y avait -<span class="pagenum"><a id="Page_13"> 13</a></span> -lieu à accusation contre les trois prévenus. -On ne prétend point accuser ces jurés de perversité; -mais on peut les taxer de faiblesse: -ils étaient les aveugles instrumens de ceux qui -les dirigeaient. «Je n'ai été appelé, disait l'un -d'eux depuis ce jugement, que pour remplacer -un juré absent: mais tout était fini, -et je n'ai eu qu'à donner ma signature.» Un -autre juré disait sur le même sujet: «Le directeur -du jury, ainsi que son substitut, nous -ont dit que nous n'avions aucune part à prendre -dans cette affaire; qu'il fallait signer, et -renvoyer les trois prévenus pour être jugés -au chef-lieu du département.»</p> - -<p>Les prévenus furent donc soumis au jury -de jugement. Après trois informations successives, -pas un mot, pas une syllabe accusatrice ne -s'élevait contre eux. Cependant l'abbé Pacot -fut condamné, après avoir été privé de toutes -les garanties que la loi accorde aux accusés.</p> - -<p>Douze jurés spéciaux devaient prononcer -sur son sort. Cinq se trouvaient absens; on -les remplaça, non pas en les tirant au sort, -comme la loi l'exige formellement, mais -en les désignant arbitrairement à l'instant -même. Un de ces jurés s'était acquis le surnom -<span class="pagenum"><a id="Page_14"> 14</a></span> -de <i>Coupe-Tête</i> dans les massacres dont la -ville de Dijon avait été le théâtre pendant la -tourmente révolutionnaire. Ce fut à cette -violation manifeste de la loi que l'abbé Pacot -dut son salut; ainsi le crime finit par se prendre -dans ses propres piéges. On n'eut pas -honte d'appeler en témoignage un commis-greffier -qui avait rédigé tous les actes de la -première procédure. Cet homme osa déclarer -qu'il avait entendu Louise Poinsot dire qu'elle -avait porté la bouteille, sans savoir ce qu'elle -pouvait contenir. «Eh! malheureux! lui répondit -cette fille indignée, dites donc que -c'est vous qui m'avez dit plusieurs fois qu'il -ne fallait que cette déclaration pour me faire -mettre en liberté.» La force de cette réponse -accabla le témoin qui fut réduit au silence.</p> - -<p>Mais vainement l'évidence terrassait les accusateurs -de l'abbé Pacot; on ne le jugeait -que pour la forme; sa perte était résolue. Il -entendit prononcer son arrêt de mort; les -deux domestiques furent acquittées.</p> - -<p>L'abbé Pacot fut reconduit en prison, après -avoir protesté contre cet assassinat juridique. -Il lui restait un refuge à la Cour de cassation, -pour prévenir ou du moins retarder l'affreux -<span class="pagenum"><a id="Page_15"> 15</a></span> -triomphe de ses ennemis. Mais plongé dans un -cachot, livré à des porte-clefs qui refusaient -d'écouter sa prière, il n'avait pas la liberté -de faire entendre ses plaintes, et le fatal -délai de trois jours allait expirer. Heureusement -la Providence lui envoya un frère aîné -qui revenait de l'émigration et qui, à force -de soins et de peines, parvint à pénétrer jusque -dans son cachot, et à lui procurer les -moyens de recourir à la justice de la Cour -suprême.</p> - -<p>Là, les choses devaient changer de face; -la procédure était monstrueuse: la haine avait -aveuglé les ennemis du sieur Pacot au point -de négliger toutes les formes.</p> - -<p>On tenta un dernier effort pour rendre ce -recours illusoire. Quarante jours s'étaient -écoulés depuis le jugement, et les pièces du -procès n'avaient pas encore été envoyées à -la Cour de cassation; on espérait qu'à force -de retards, la victime succomberait à la rigueur -de son sort. Plongé dans le cachot le -plus infect, l'abbé Pacot réunissait aux plus -pénibles des souffrances morales les souffrances -physiques les plus horribles; elles devinrent -telles, que, malgré la force de son tempérament, -<span class="pagenum"><a id="Page_16"> 16</a></span> -il tomba dangereusement malade. -Sa mort paraissait inévitable. Il fallut -tout le dévouement de la fidèle Louise Poinsot -pour l'arrêter au bord de la tombe prête à -l'engloutir.</p> - -<p>Cette simple villageoise, mue par un sentiment -de la plus noble générosité, vendit à -son frère le peu qu'elle possédait, et sans -prendre conseil de personne, se rendit à Paris, -à pied, pour sauver les jours de son malheureux -maître. Elle alla solliciter seule une audience -du comte Abrial, ministre de la justice. -Cet homme respectable, digne de la haute -mission qui lui était confiée, accorda l'audience -sollicitée, écouta Louise Poinsot avec -bonté, et lui promit de donner des ordres -pour accélérer l'envoi des pièces. Elle parvint -à instruire son maître de la démarche qu'elle -venait de faire; et celui-ci trouva encore la -force d'écrire au commissaire du gouvernement, -et de lui exprimer son étonnement de -ce que les pièces n'avaient pas été envoyées. -La lettre du sieur Pacot était du 1<sup>er</sup> thermidor -an <span class="smallc">X</span>; on la lui renvoya le jour même -avec une note portant que les pièces étaient parties -depuis dix jours; et cependant le comte -<span class="pagenum"><a id="Page_17"> 17</a></span> -Abrial ne les reçut que le 3 thermidor. Quand -on avait vu qu'il était impossible de les retenir, -on avait cherché, par un mensonge, à -déguiser l'horreur d'une persécution qu'on -poursuivait avec tant de persévérance et d'animosité.</p> - -<p>Enfin, l'heure de la justice sonna pour -l'abbé Pacot. L'arrêt de mort fut cassé, parce -que les jurés n'avaient pas été tirés au sort. -Le commissaire du gouvernement attendit -dix-sept jours pour notifier cet arrêt au prévenu, -et trente jours s'écoulèrent encore -jusqu'à sa translation à Lons-le-Saulnier. Là, -malgré les nouveaux efforts de l'intrigue et -de la perversité, le nouveau jury déclara <i>à -l'unanimité</i>, non seulement que l'accusé n'était -pas coupable, mais qu'<i>il n'était pas constant -qu'il y eût eu même d'empoisonnement</i>. -Cette nouvelle procédure avait présenté plusieurs -circonstances curieuses. Comme on le -sait déjà, l'accusateur prétendait avoir bu la -moitié du poison contenu dans la bouteille -qui lui avait été remise, et assurait que ce -breuvage lui avait causé des coliques et des -vomissemens. Or, la bouteille qu'avait représentée -Prétot contenait de l'arsenic dont la -<span class="pagenum"><a id="Page_18"> 18</a></span> -plus petite quantité devait donner infailliblement -la mort; tandis que Prétot venait soutenir -qu'il en avait bu une forte dose presque -impunément. Aussi l'avocat de l'abbé Pacot, -indigné de tant d'effronterie, fut heureusement -inspiré par cette indignation même. -«Vous prétendez, dit-il à Prétot, vous prétendez -que vous avez pris, sans autre accident -que de simples vomissemens, une dose de -poison égale à celle que vous reproduisez ici? -L'imposture ne saurait être ni plus impudente, -ni plus grossière. Mais admettons pour un -moment que vous ayez été fidèle à la vérité. -C'est ici le cas de faire une juste application -de cet adage: <i>Qui peut le plus, peut le moins</i>. -Puisque vous êtes si fort contre les poisons, -qu'une quantité capable de donner la mort à -plusieurs personnes vous a causé à peine -quelques nausées, prenez seulement le quart -de ce qui reste dans la bouteille, et je passe -condamnation.» Cet argument était invincible; -il n'y avait pas de milieu: il fallait ou -soutenir l'accusation en avalant la dose indiquée, -ou s'avouer calomniateur en s'y refusant. -Prétot, confondu, garda le silence, et dès-lors -les juges furent convaincus de l'innocence -<span class="pagenum"><a id="Page_19"> 19</a></span> -de l'accusé et l'acquittèrent. Pourtant -quelque amertume se mêla, pour l'abbé Pacot, -au souvenir de cet acte de justice. On prononça -son absolution hors de sa présence, contre -le vœu de la loi, et pour le priver du droit de -conclure contre son délateur. On voulait -étouffer le souvenir de ce procès si déshonorant -pour ceux qui y avaient figuré comme -accusateurs et comme juges; et l'on ne pensait -pas que c'est encore une injustice d'enlever -à l'innocent persécuté le droit d'obtenir -la réparation qui lui est due.</p> - -<p>L'abbé Pacot avait cruellement souffert -dans sa personne, dans son honneur et dans -ses biens. Pendant l'intervalle du temps qui -s'était écoulé entre les deux procédures, pour -acquitter les frais de la première, la justice -avait mis la main sur les propriétés de l'abbé -Pacot et en avait fait consommer la vente. -Une nouvelle monstruosité se rencontra à -côté de cette expropriation irrégulière. On -rapporte qu'un des juges de l'accusé devint -acquéreur d'une de ses propriétés.</p> - -<p>On pense qu'après avoir souffert de tant de -manières différentes, l'abbé Pacot ne pouvait -se contenter de l'arrêt de Lons-le-Saulnier; il -<span class="pagenum"><a id="Page_20"> 20</a></span> -était loin de vouloir la vengeance; mais, selon -lui, la vérité devait briller dans tout son jour; -son innocence devait être reconnue autrement -que par un arrêt d'acquittement. En conséquence, -il éleva des réclamations à l'effet -d'obtenir une réparation plus réelle; on écouta -ses raisons, on les trouva de toute justice, on -le plaignit, mais on lui objecta, comme un -obstacle insurmontable, des raisons de jurisprudence, -des principes d'ordre social.</p> - -<p>Néanmoins, tout rempli de la bonté de sa -cause, l'abbé Pacot ne se rebuta pas. La Restauration -semblait devoir lui aplanir toutes -les difficultés; point du tout: il ne fut pas -plus heureux. En 1817, lorsqu'il porta ses -plaintes au pied du trône, des magistrats le -condamnèrent comme calomniateur, comme -s'il n'eût pas légitimement acquis le droit de -se plaindre!</p> - -<p>Ce dernier fait se trouve consigné dans un -mémoire qu'il publia plus tard avec la signature -du célèbre avocat Dupin, et avec cette -épigraphe tirée d'un ouvrage de ce jurisconsulte: -«S'il eût été trouvé coupable, il aurait -dû à la société une réparation dans sa personne -et dans ses biens. Il est innocent; la -<span class="pagenum"><a id="Page_21"> 21</a></span> -proposition est renversée: c'est à lui que l'indemnité -est due.»</p> - -<p>Au reste, que l'on ne croie pas que ce fût -pour lui-même que l'abbé Pacot réclamât une -indemnité de ses souffrances, de ses malheurs -et de ses pertes. Non! ce vénérable ecclésiastique -comptait au nombre de ses vertus, -le désintéressement le plus évangélique. Comme -il le disait lui-même, parvenu à plus de quatre-vingts -ans, qu'avait-il besoin des biens de ce -monde? C'était uniquement dans les intérêts -de sa famille qu'il militait avec tant de persévérance -contre la jurisprudence établie.</p> - -<p>Le plus doux et le plus tolérant des hommes -dans toutes ses relations sociales, il semblait -subir une soudaine métamorphose, dès -qu'il était question de ses infortunes et de l'iniquité -de ses juges. Alors ses yeux devenaient -étincelans, ses cheveux se hérissaient, sa parole -s'animait; alors il ne souffrait pas la -moindre contradiction, et fermait la bouche -à ceux qui lui adressaient quelque objection, -en leur disant que lui seul pouvait sentir tout -ce qu'il avait souffert injustement, et qu'on ne -parviendrait jamais à lui persuader qu'il était -juste de ne pas l'indemniser. Il était facile de -<span class="pagenum"><a id="Page_22"> 22</a></span> -voir que cette catastrophe, œuvre de la plus -perverse calomnie, qui avait bouleversé une -portion de son existence, ravageait insensiblement -ses facultés intellectuelles, en y établissant -une idée fixe qui dominait tout, et venait -se mêler à tout, pour tout embrouiller et -tout confondre.</p> - -<p>Nous vîmes ce bon prêtre, il y a quelques -années, chez un homme d'un grand mérite, -enlevé trop prématurément à ses nombreux -amis et aux lettres, qu'il cultivait obscurément -et pour elles-mêmes, mais non pas sans utilité -et sans distinction; nous voulons parler de -M. L. Hubert, auteur du <i>Conteur</i>, recueil -très-remarquable, quoiqu'il fût très-peu remarqué, -n'ayant été prôné par aucun journal. -Dans cet ouvrage, où sont traitées, sous une -forme piquante et dramatique, les questions -les plus importantes de la législation, le but -de l'auteur était d'éclairer l'homme sur la nature -de ses devoirs et de lui faire sentir les -avantages dont la pratique du bien est la -source. Une des nouvelles racontées par -M. Hubert, l'<i>Accusé absout</i>, traitait à fond le -point si délicat qui intéressait personnellement -l'abbé Pacot. La question y était examinée -<span class="pagenum"><a id="Page_23"> 23</a></span> -sous ses divers aspects; la cause de -l'humanité y était plaidée avec une chaleureuse -éloquence, celle de la société avec une -puissante dialectique; tous les intérêts étaient -pesés avec bonne foi; rien de sophistique, -rien de captieux: jamais controverse ne fut -plus consciencieuse.</p> - -<p>L'abbé Pacot, alors attaché à Saint-Sulpice, -s'était lié avec M. Hubert, par suite de la publication -de cette nouvelle, qui néanmoins ne -le satisfaisait pas complètement. Il venait quelquefois -discuter avec lui sur cette question -qui, hors des devoirs de son ministère, l'occupait -tout entier. Le hasard nous fit assister à -une de ces discussions. Placés pour ainsi dire -en présence d'une passion intéressée, toute -légitime, et digne d'excuse dans ses exigences, -et de la raison parlant au nom de l'ordre -et de la société, notre rôle se bornait à écouter.</p> - -<p>«Je n'ai pas la présomption de créer des règles -légales, disait l'abbé Pacot d'un ton animé; -je me borne à soumettre les idées que me suggère -l'indifférence avec laquelle est vu l'état -de l'homme qu'atteint le soupçon. Lorsqu'un -individu est poursuivi à la requête d'une partie -civile, il est à la discrétion du juge de lui allouer -<span class="pagenum"><a id="Page_24"> 24</a></span> -des dommages, si la plainte semble mal -fondée. Or, pourquoi, dans les poursuites -<i>d'office</i>, l'État ne serait-il partie que pour la -portion favorable des chances de l'accusation? -Pourquoi, à titre égal de plaignant, la société -ne serait-elle passible d'aucun dédommagement, -à raison des faux griefs exposés en son -nom, tandis que tout particulier a des risques -à courir, en amenant son meurtrier ou son -spoliateur devant un tribunal?</p> - -<p>«—Parce que, interrompit M. Hubert, il -est sagement présumé que, de la part de la -société, aucun motif coupable n'a dirigé les -poursuites. On ne pourrait rendre la société -partie, sans assimiler l'officier de la loi à un -adversaire de l'accusé; sans laisser arguer envers -lui de passions haineuses; sans donner à -un ministère de protection l'odieux aspect de -l'agression. Non, la partie publique ne doit -jamais être vue comme menaçante pour l'individu -paisible; comme portée, dans aucun cas, -à commettre sciemment le tort; comme pouvant -nuire autrement que par de fausses notions, -autrement que par le louable dessein -de débarrasser la société de l'ennemi des lois -nécessaires à son existence. De même qu'aucune -<span class="pagenum"><a id="Page_25"> 25</a></span> -flétrissure ne doit être attachée à un -arrêt cassé en appel, l'élargissement d'un prévenu, -même après une détention prolongée, -ne doit accuser que la fatalité de certaines circonstances, -que l'absence de cette vue pénétrante -attribuée à Dieu seul. La foi qu'il convient -d'avoir dans l'intégrité de l'examinateur -d'un soupçon de délit, n'existerait pas, s'il était -déclaré qu'un accusé est indemne, parce -que ce serait reconnaître tacitement que les -poursuites n'avaient pour fondement aucune -de ces causes qui justifient aux yeux du juge -les attaques d'une partie civile.</p> - -<p>«—Je veux m'isoler un instant pour vous -répondre, reprit l'abbé tout ému: d'après vos -principes, l'esprit de la loi est d'opposer, toujours -et absolument, la société à l'individu: -votre premier point de dogme est la réunion -de tous contre les écarts de chacun. Dans le -zèle à punir l'infraction, on s'occupe plutôt -d'appliquer les peines que de réparer l'atteinte -faite aux intérêts particuliers; on oublie que -l'objet d'une justice substantielle est de rendre -à chacun ce qui lui appartient, avant de songer -au châtiment et à ses influences. Enfin, en sévissant -contre une méchante action, on a en -<span class="pagenum"><a id="Page_26"> 26</a></span> -vue moins le tort intrinsèque, que la manifestation -du mépris pour les règles prescrites -par l'autorité. Et cela, parce que le pouvoir -voit en soi l'État, toute la société; parce que -l'homme investi du pouvoir veut régner par -son titre; parce qu'un faux orgueil place la -dignité dans de vains attributs. De sorte que -c'est la vanité du magistrat, de l'administrateur, -qui trouve de l'avantage dans l'esprit de -la loi; c'est elle qui recueille le tribut d'abnégation -imposé au nom du principe, au nom -de tout ce qu'il convient d'appeler intérêt -social.</p> - -<p>«—Doucement, doucement, répondit M. Hubert. -Vous savez combien je déplore vos malheurs; -je comprends très-bien votre indignation; -je la partage même en compatissant à -vos souffrances. Mais il faut toujours respecter -la base de l'ordre: rejetez-vous sur la fragilité -humaine, et ne perdez jamais de vue que -les inconvéniens de l'état de société sont compensés -par de grands avantages.</p> - -<p>«—Vous en parlez bien à votre aise.... Vous -n'avez jamais eu à gémir sous le poids d'une -condamnation capitale.... Mais, monsieur, ma -position est bien différente; elle doit peut-être -<span class="pagenum"><a id="Page_27"> 27</a></span> -être mise à part, entre toutes les erreurs de -la justice. L'arrêt qui me condamna fut plus -monstrueux, mille fois, que celui qui fit tomber -la tête de l'infortuné Lesurques, dont l'innocence -ne saurait être contestée. Dans la malheureuse -affaire qui perdit cet honnête homme, -il y avait un crime bien avéré; le corps -de la victime était là; une fatale ressemblance -fit arrêter Lesurques comme l'un des meurtriers: -il périt!..... Mais moi, non seulement -j'étais innocent, mais encore le crime que l'on -m'imputait n'était qu'une invention de la calomnie; -il n'y avait pas de corps de délit. Vous -savez aussi que plusieurs de mes ennemis siégeaient -parmi mes juges. Si je ne péris pas comme -Lesurques, ce fut une faveur éclatante de la Providence; -mais je fus emprisonné, spolié, -abreuvé d'amertumes de toute espèce.....</p> - -<p>«—Oui, oui, votre position est bien cruelle, -bien poignante, répliqua M. Hubert. Je voudrais, -pour tout au monde, pouvoir la soulager; -vous avez été victime de l'esprit de désordre -qui s'était introduit dans l'exercice de la justice, -comme dans toutes choses. Mais songez -que, pour réparer les maux qui en sont résultés, -il faudrait changer l'ordre établi, déroger -<span class="pagenum"><a id="Page_28"> 28</a></span> -à des principes de droit généralement -consacrés. C'est une arche sainte à laquelle il -ne faut porter la main qu'avec précaution et -respect.</p> - -<p>«—J'ai donc tort de réclamer une indemnité? -s'écria l'abbé Pacot avec chaleur.</p> - -<p>«—Non, vous n'avez pas tort. Comme simple -particulier, je vous l'accorderais de grand -cœur; je la regarderais même comme l'acquittement -toujours insuffisant, quel qu'il -fût d'ailleurs, d'une dette éminemment sacrée. -Mais l'instabilité des choses, dans les temps -où nous vivons, me fait comprendre que le -gouvernement ne puisse travailler à faire cesser, -à réparer le mal dont vous vous plaignez -si justement. Il n'en serait pas de même dans -un ordre politique permanent et bien réglé; -car je me plais à croire qu'il serait impossible -que l'on eût de semblables erreurs à réparer.»</p> - -<p>Ces mots calmèrent un peu l'abbé Pacot; -il n'était pas convaincu; il se trouvait presque -dans la même situation d'esprit que le -célèbre Galilée devant les inquisiteurs. Mais -les paroles de M. Hubert l'avaient amené peu -à peu à une sorte de pente vers la résignation. -<span class="pagenum"><a id="Page_29"> 29</a></span> -Le sage, le profond interlocuteur termina -l'entretien à peu près en ces termes, qui sont -textuellement ceux de la conclusion de l'<i>Accusé -absout</i>: «Oui, on doit renoncer à découvrir -un moyen d'indemniser l'accusé, reconnu -innocent, des misères qui accompagnent et -suivent l'état de détention. Jamais, assurément, -le législateur ne consentira à augmenter -les difficultés qui gênent la marche du pouvoir -judiciaire, même en Angleterre où il a le -moins d'entraves; et voulût-il ajouter à l'inextricable -chaos où se perd déjà notre jurisprudence, -je le défierais de satisfaire les moins -exigeans par une opinion quelconque, seulement -sur ces deux questions qui deviendraient -bientôt la source de mille autres: les journées -de détention auront-elles un prix commun, -ou relatif aux situations? la suspension des -affaires, la perte du crédit, les affections domestiques, -l'état de santé, seront-ils pris en -considération?—Il faut en convenir; rien ne -peut être imaginé pour rendre la réparation -satisfaisante: la distribution de l'indemnité -ferait plus de mécontens que le refus d'en allouer -aucune. Mais pourquoi s'évertuer à chercher -un remède impossible, quand il est si -<span class="pagenum"><a id="Page_30"> 30</a></span> -facile d'en prévenir le besoin? Demandez, -sollicitez sans cesse un mode de poursuites où -la liberté de l'individu ait pour garantie l'inamovibilité -des magistrats; obtenez que le ministère -public soit une magistrature à laquelle -il ne puisse être enjoint d'accuser et de retarder -la mise en jugement; tâchez qu'il faille -au moins un plaignant, ou des charges substantielles -pour retenir un homme sous les -verroux après vingt-quatre heures d'enquête; -faites décider que le jugement sera prononcé -dans un délai déterminé, si le prévenu ne s'y -oppose..... Cela, toutefois, ne pourrait avoir -lieu que s'il n'existait pas de troubles politiques; -car, dans les temps d'effervescence, on -ne peut affirmer que l'action du pouvoir doit -être renfermée dans de semblables limites. Et -je conçois si bien la réserve avec laquelle doit -se traiter la question d'opportunité, qu'afin -d'éviter de mettre en avant aucune proposition -intempestive, je m'abstiendrai désormais -d'aborder ces matières.»</p> - -<p>Tous ces argumens étaient sans doute excellens, -et puisés dans une raison supérieure -et dans une parfaite connaissance des difficultés -qui hérissaient la question. Mais ils ne -<span class="pagenum"><a id="Page_31"> 31</a></span> -pouvaient être à l'usage de l'abbé Pacot. Comment -lui démontrer que sa position si cruelle -était cependant une nécessité? Il n'en continua -donc pas moins activement, mais toujours sans -succès, ses poursuites en indemnité. Et encore -aujourd'hui, que cet infortuné joint à -tous ses autres malheurs celui de la perte de -la raison, c'est toujours cette idée qui occupe -et empoisonne ses rêves du jour et de la nuit.</p> - -<div class="chapter"> -<span class="pagenum"><a id="Page_32"> 32</a></span> -<h2 class="normal">COMPLICATION DE SCÉLÉRATESSES.</h2> -</div> - -<p>Voici encore une effrayante série de forfaits, -où le libertinage et la cupidité jouent -tour-à-tour le principal rôle. On ne saurait -trop le répéter, tout s'enchaîne dans le mal, -encore plus généralement que dans le bien: -un premier crime, s'il reste impuni, en entraîne -presque toujours plusieurs autres après -lui; c'est un torrent qui, la digue une fois -rompue, dévaste et renverse tout sur son passage. -Cette vérité n'est que trop bien prouvée; -et, il est douloureux de le dire, chaque jour -semble se charger d'apporter des exemples à -l'appui.</p> - -<p>Le 17 mai 1817, Etienne Rouvelle, vieillard -âgé de 72 ans, demeurant dans une maison -isolée, à Bennecourt (Seine-et-Oise), fut -trouvé mort, près de sa cheminée. Cet homme -passait pour avoir cinq mille francs d'économies. -Après des soupçons portés sur plusieurs -individus, un des gendres du défunt, Guillaume -<span class="pagenum"><a id="Page_33"> 33</a></span> -Normand, fut arrêté, mis en cause -et déclaré coupable par le jury, à la simple -majorité de sept voix contre cinq. Les magistrats -de la cour d'assises de Versailles délibérant -à leur tour, trois opinèrent pour l'acquittement, -deux pour la condamnation, et -aux termes de la loi, Guillaume Normand fut -condamné au supplice des assassins, et subit -sa peine peu de temps après.</p> - -<p>Il y avait dix-huit mois que le meurtre de -Rouvelle avait été commis, lorsque le même -canton fut le theâtre de plusieurs autres événemens -non moins tragiques.</p> - -<p>Le meunier Planche, habitant de Villez -près Bennecourt, vivait fort mal avec sa -femme, qui, au rapport de la chronique scandaleuse, -avait eu plusieurs amans, et en dernier -lieu, un boulanger nommé Barnabé Pernelle, -âgé de vingt-cinq ans. Celui-ci, de son -côté, s'attirait le blâme et le mépris de tous -les honnêtes gens, par les mauvais traitemens -qu'il faisait subir à sa femme, qui jouissait de -l'estime générale dans le pays.</p> - -<p>Le 23 novembre 1817, le meunier Planche -fut trouvé noyé dans la petite rivière d'Epte, -qui faisait tourner son moulin. Comme cet -<span class="pagenum"><a id="Page_34"> 34</a></span> -homme était presque habituellement ivre, sa -mort fut regardée comme un accident. Cependant -plusieurs rumeurs circulaient dans le -village contre Barnabé Pernelle et contre la -femme Planche elle-même. Un des habitans -disait que Planche étant mort, le tour de la -femme Pernelle ne tarderait pas, et qu'il ne -lui donnait pas un an à vivre.</p> - -<p>Cette prédiction sinistre fut bientôt réalisée. -Le 14 mai 1818, pendant l'absence de Barnabé -Pernelle, sa femme, restée seule à la maison, -fut trouvée assassinée, la tête dans l'âtre de la -cheminée, et ses vêtemens à demi consumés. -Il fut constaté que cette femme avait péri -d'une mort violente; mais ce meurtre ne paraissait -accompagné d'aucune soustraction: -une croix d'or restait au cou de la victime. -Son mari, présent aux perquisitions de la justice, -retrouva dans une armoire deux louis -qu'il disait être toute la fortune actuelle de la -maison; mais ensuite il se rétracta et prétendit -qu'on lui avait volé 150 francs.</p> - -<p>Après bien des conjectures, les soupçons -s'arrêtèrent sur un vigneron, âgé de trente-quatre -ans, nommé Crespin Normand. On avait -aperçu des traces de sang sur ses vêtemens; au -<span class="pagenum"><a id="Page_35"> 35</a></span> -moment où l'on se présenta pour l'arrêter, sa -femme venait de laver sa veste, son gilet et sa -chemise, et en avait fait disparaître des traces -sanglantes. A son premier interrogatoire, -vaincu par l'évidence des preuves, et peut-être -aussi par la violence de ses remords, -Crespin Normand n'hésita pas à faire l'aveu de -son crime.</p> - -<p>Suivant lui, Barnabé Pernelle lui ayant -prêté 500 francs, à raison de 40 francs d'intérêt -par an, et lui ayant fait souscrire une -obligation de 800 francs, qu'il était hors -d'état de payer, cette obligation l'avait -mis, lui Crespin, sous l'entière dépendance -de son créancier. Pernelle alors lui -promit quittance totale, s'il voulait consentir -à étouffer sa femme <i>de manière à ne point lui -faire de marques de violence</i>. Crespin résista -d'abord à ces propositions plusieurs fois réitérées; -mais, pressé par les exigences de son -créancier, il se décida enfin dans la soirée du -13 mai. Rempli de son exécrable mission, il -se rendit chez la femme Pernelle, conversa -tranquillement avec elle pendant deux heures, -et tandis qu'elle faisait les apprêts du souper -de son mari, il l'étendit morte d'un seul -<span class="pagenum"><a id="Page_36"> 36</a></span> -coup, à l'aide d'un gros maillet de bois.</p> - -<p>Quelques jours avant sa mort, la malheureuse -femme Pernelle avait fait à un de ses -voisins une confidence qui formait une présomption -grave en faveur des révélations de -Crespin. Tiraillé par ses irrésolutions, ou peut-être -poussé par le désir d'inspirer plus de sécurité -à sa victime, Crespin avait confié à la -femme Pernelle elle-même la commission -cruelle que son mari lui avait donnée, en lui -promettant bien de ne pas l'exécuter.</p> - -<p>Crespin dénonça aussi Barnabé Pernelle et -son cousin, Valentin Pernelle, comme complices -de l'assassinat du meunier Planche. Suivant -sa déclaration, Pernelle, qui entretenait -un commerce adultère avec la femme Planche, -l'avait engagé à le débarrasser du mari. Plusieurs -tentatives échouèrent. Enfin, une nuit, -pendant que la femme Planche couchait dans -le moulin, les trois assassins pénétrèrent dans -le corps de logis où le mari était couché; ils -le trouvèrent pris de vin, suivant sa coutume, -et étendu sur son lit presque sans sentiment. -Ils le saisirent, le transportèrent à la rivière, -et l'y plongèrent tout habillé. Planche ne reprit -ses sens qu'au moment où on allait le -<span class="pagenum"><a id="Page_37"> 37</a></span> -précipiter dans l'eau. Il mordit un des Pernelle -à la cuisse, et déchira son pantalon avec -ses dents.</p> - -<p>Grièvement inculpée par cette déclaration -de Crespin, la femme Planche fut arrêtée; -mais on la remit en liberté, faute de preuves -suffisantes. Peu de temps après, elle s'empoisonna -avec de l'arsenic. Elle avait dit à un témoin -que, quinze jours après la mort de son -mari, Crespin avait osé lui révéler le secret du -fatal complot, et que, depuis ce temps, sa -conscience ne lui laissait plus un seul instant -de repos.</p> - -<p>Enfin, dans des aveux postérieurs, Crespin, -non content de s'accuser lui-même, avait essayé -de laver la mémoire de Guillaume Normand, -au sujet du meurtre du vieillard Rouvelle. -Il voulut même décharger Barnabé et -Valentin Pernelle des crimes qu'il leur avait -d'abord imputés.</p> - -<p>L'acte d'accusation était rédigé le 14 mai -1819; il fut signifié, peu de jours après, aux -accusés. Le public attendait l'ouverture des -débats. On était curieux de voir quelle attitude -y prendrait Crespin Normand. Mais celui-ci, -cédant à ses remords, et voulant sans -<span class="pagenum"><a id="Page_38"> 38</a></span> -doute prévenir la mort ignominieuse qui lui -était réservée, s'étrangla dans sa prison.</p> - -<p>Dans cet état de choses, il ne restait plus -à juger que les deux cousins Pernelle; le premier, -boulanger, accusé de complicité dans -l'assassinat de sa femme et du meunier Planche; -le second, comme complice du meurtre -de ce dernier. Les débats furent longs. Enfin, -les prévenus furent déclarés coupables, à la -majorité de onze voix contre une, sur les divers -chefs d'accusation portés contre eux. En -conséquence, ils furent condamnés à la peine -de mort.</p> - -<p>Peu de temps après la décision du jury, on -apprit un événement des plus étranges, qui -venait servir, en quelque sorte, de corollaire à -cet horrible procès. Le sieur Lemoyne, père -de la veuve Planche, que le désespoir d'être -inculpée dans l'assassinat de son mari, avait -portée à se donner la mort, était assigné en -témoignage. Voyageant à pied, pour se rendre -de Mantes à Versailles, il avait été assailli par -des inconnus, qui le précipitèrent et le noyèrent -dans la Seine.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_39"> 39</a></span></p> -<h2 class="normal">JEAN HEINRICH,<br /> -<span class="medium">PARRICIDE.</span></h2> -</div> - -<p>Un crime épouvantable, accompagné de -circonstances non moins atroces qu'extraordinaires, -vint affliger l'Alsace, en 1818. Depuis -long-temps les discours et les menaces de -Jean Heinrich annonçaient qu'il méditait la -mort de son père. Un voisin, nommé Stœr, -déclarait que, sans son secours, Heinrich -père aurait été tué par son fils à coups de -hache; que ce dernier apostrophait l'auteur -de ses jours en ces termes: «Vieux coquin! -tu ne mourras jamais que de ma main.» D'autres -témoins rapportaient de semblables menaces, -faites par Jean Heinrich à son père, en plusieurs -circonstances. Ce malheureux vieillard -s'étant vu contraint, en 1817, de quitter sa -maison, répondit au sieur Martin Ruhland, -maire de Stoswyr, qui l'engageait à retourner -auprès de sa famille: «Ils ont voulu me tuer: -<span class="pagenum"><a id="Page_40"> 40</a></span> -je suis trop sûr que mon fils Jean en veut à -ma vie; ma femme, qui s'entend avec lui, -vaut encore moins que lui.»</p> - -<p>Effectivement, la mère et le fils, créatures -infernales, s'étaient ligués ensemble contre -le malheureux vieillard, et les menaces parricides -de Jean ne tardèrent pas à recevoir -leur horrible accomplissement. Heinrich père -était malade depuis quelque temps. Le 28 janvier -1818, son indisposition le força de garder -le lit. Cependant sa maladie, loin de prendre -un caractère grave, laissait entrevoir une -prochaine guérison. Mais cette heureuse -chance contrariait les vœux criminels de Jean -Heinrich et de sa mère. Ces deux monstres résolurent -de concert de mettre un terme à -leur incertitude. Ils prennent d'abord toutes -les précautions qu'ils crurent propres à cacher -le forfait qu'ils préméditaient, et dans la -nuit du 28 au 29 janvier, ils s'approchent du -lit où l'infortuné vieillard reposait. Le spectacle -d'un père, d'un époux souffrant, ne peut -arrêter leur férocité. Jean Heinrich se jette -sur son père, le saisit à la gorge et l'étrangle, -tandis qu'avec ses genoux, il lui meurtrit à -coups redoublés et lui enfonce la poitrine. -<span class="pagenum"><a id="Page_41"> 41</a></span> -Les cris étouffés de la victime, ses regards -mourans, au lieu d'inspirer aux assassins un -sentiment de pitié, ne font qu'augmenter -leur rage, en raison de la crainte qu'ils éprouvent -d'être surpris. Tremblant que son père -n'échappe à la mort, Heinrich, le barbare -Heinrich, saisit la tête du vieillard expirant, -la renverse avec effort, et rompt une vertèbre -du cou!..... C'en est fait; le forfait est consommé: -les vœux des deux monstres sont -accomplis.</p> - -<p>Mais la vengeance ne devait pas long-temps -se faire attendre. Vainement les assassins s'entourent -de précautions; ces précautions elles-mêmes -doivent fournir le complément des -preuves de leur attentat inouï. Un enfant -dont ils croyaient n'avoir rien à redouter, -avait tout vu, tout entendu: il fut leur premier -accusateur.</p> - -<p>Le lendemain matin, Jean Heinrich sort -de bonne heure; il annonce aux voisins que -son père est mort dans la nuit; il dit avoir -arrangé les mains du défunt telles qu'elles -doivent rester; il défend expressément d'y -toucher avant son retour. Il se rend à Wyr -chez le nommé Baldenberger, pour l'engager -à venir ensevelir son père, et il lui recommande -<span class="pagenum"><a id="Page_42"> 42</a></span> -aussi <i>de lui laisser les mains croisées -sur la poitrine, comme il les avait placées -avant son départ</i>. Heinrich se rend ensuite -chez un charpentier pour lui commander un -cercueil, et <i>il lui en remet lui-même la mesure</i>. -Il s'éloigne, et ne rentre chez lui que le soir -fort tard.</p> - -<p>Cependant Baldenberger arrive à la ferme -de Gigersbourg, domicile de Jean Heinrich. Il -trouve la veuve et ses deux filles encore couchées, -dans la seconde chambre, où gisait sur -un lit de paille le corps de la victime, entièrement -couvert d'un grand drap. La veuve lui -défend expressément de remuer le corps. -Baldenberger lui faisant observer qu'il faut lui -mettre une chemise blanche, elle s'empresse -de lui répondre qu'elle n'en a pas, et que -d'ailleurs on ne le verra pas, lorsque le tout -sera enveloppé d'un linceul. Vers midi, elle -envoie Baldenberger chez le charpentier pour -hâter la confection du cercueil qui ne fut apporté -qu'à cinq heures du soir.</p> - -<p>Le cadavre, enveloppé du linceul qu'on -avait cousu dans toute sa longueur, sur l'ordre -de la femme Heinrich, et contrairement à -l'usage du pays, fut déposé dans le cercueil, -à l'entrée de la nuit. Mais le charpentier s'aperçut, -<span class="pagenum"><a id="Page_43"> 43</a></span> -en soulevant le corps, que la tête tombait -en arrière d'une manière remarquable. -Il faut observer aussi que l'on évita avec -grand soin qu'aucun voisin, qu'aucun parent -ne vît la dépouille mortelle du défunt, et -qu'aucun d'eux n'avait été appelé pour aider -à l'ensevelir.</p> - -<p>Depuis ce moment jusqu'au jour de l'arrestation -des coupables, Jean Heinrich passa -plusieurs nuits hors de la ferme. Le 2 février, -ayant couché à Breitenbach, dans un cabaret, -et étant informé par la fille de la maison -que deux gendarmes venaient d'arriver -pour se rafraîchir, il la pria, dans le cas où -on le demanderait, de l'avertir en frappant -au plafond. Sa crainte était telle alors, qu'il fit -un mouvement pour sauter par la fenêtre.</p> - -<p>Peu après, le parricide fut arrêté. On connaissait -déjà toute l'horreur de son forfait; la -justice avait mis aussi la main sur son infâme -complice. Les révélations de l'enfant, qui avait -tout vu et tout entendu, l'exhumation et -l'examen du cadavre, les dépositions d'une -foule de témoins relativement aux menaces -atroces que Jean Heinrich avait souvent adressées -à son père, levèrent entièrement le voile -<span class="pagenum"><a id="Page_44"> 44</a></span> -qui avait momentanément caché ce mystère -de scélératesse.</p> - -<p>Le parricide et sa mère furent amenés devant -la cour d'assises de Colmar. Tous les -faits furent attestés aux débats par des témoignages -authentiques. Un témoin déclara aussi -avoir entendu dire à Jean Heinrich, parlant -de son père: «Le voilà mort! c'est une grande -peine de moins: nous ne pouvions pas vivre -ensemble.» Un autre déposa que la mère avait -dit: «C'est un grand bien qu'il soit parti: -Jean et lui ne pouvaient pas s'accorder. Nous -avons le projet de commencer une distillerie, -et le vieux buveur n'aurait fait que boire -notre eau-de-vie.»</p> - -<p>Le 11 mai, sur la déclaration du jury, la -cour condamna à la peine capitale Jean Heinrich, -âgé de vingt-six ans, et Salomé Schwarts, -sa mère, âgée de quarante-neuf ans.</p> - -<p>Aux termes de la sentence, ils furent conduits -à l'échafaud, pieds nus, revêtus d'un -voile noir; ils demeurèrent exposés sur l'échafaud -pendant que lecture fut faite au -peuple de l'arrêt de condamnation, puis le -bourreau leur coupa le poing droit, avant -de leur donner la mort.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_45"> 45</a></span></p> -<h2 class="normal">L'ÉPICIER DUTEIL<br /> -<span class="xs">ET</span><br /> -<span class="medium">DELPHINE CARNET.</span></h2> -</div> - -<p>Le nommé Duteil, épicier et cultivateur à -Orvilliers (Seine-et-Oise), après de longues -importunités, avait séduit Delphine Carnet, -sa servante, âgée de dix-huit ans. Le commerce -adultère qu'elle entretenait avec son -maître, l'empire qu'elle avait acquis sur son -esprit, inspirèrent bientôt à cette jeune fille -l'idée d'un crime. Jalouse d'être seule maîtresse -dans la maison, elle forma le projet -de se débarrasser de la femme Duteil. Soit -qu'elle eût déjà le cœur assez pervers pour -avoir conçu seule cette pensée criminelle, soit -qu'elle y eût été poussée par le mari, elle ne -tarda pas à tenter de mettre son dessein à -exécution.</p> - -<p>Le 1<sup>er</sup> septembre 1819 fut le jour choisi -par sa jalouse cupidité. Duteil s'était rendu -<span class="pagenum"><a id="Page_46"> 46</a></span> -au marché de Houdan; sa femme était seule -à la maison. Delphine avait eu le soin d'en -écarter les enfans. Bientôt elle appelle sa maîtresse, -pour lui montrer une petite <i>bête jaune</i> -qu'elle prétend apercevoir au fond du puits du -jardin. La femme Duteil, trop crédule, s'approche, -se penche et ne voit rien; Delphine l'invite -à baisser la tête davantage, et en même temps -la précipite au fond du puits.</p> - -<p>Heureusement il n'y avait que deux pieds -d'eau dans ce puits qui, en tout n'avait que -douze pieds de profondeur. Le forfait ne put -être consommé. La femme Duteil jeta de -grands cris et appela à son secours sa fille -Zoé. Au même instant, un seau rempli d'eau -tomba sur elle avec sa chaîne de fer, et lui fit -une blessure grave. Il est permis de croire -que cette chute ne fut pas accidentelle; du -moins, la manière dont la servante porta les -premiers secours à sa maîtresse, permettent -d'en douter. En lui présentant une échelle, -elle s'y prenait avec tant de maladresse, que -la femme Duteil en fut toute froissée et ne -put s'empêcher de croire que l'échelle était -dirigée contre elle dans des intentions hostiles. -Dans son interrogatoire, cette femme se -<span class="pagenum"><a id="Page_47"> 47</a></span> -servit, pour peindre ce qui s'était passé, d'une -expression aussi naturelle qu'énergique: saisissant -fortement le bas de l'échelle que Delphine -paraissait vouloir retirer, elles faisaient, -dans cette lutte singulière, tous les mouvemens -de deux scieurs de long.</p> - -<p>Soit que Delphine reconnût l'impossibilité -d'achever son attentat, soit qu'elle fût frappée -de repentir, elle fixa enfin l'échelle, aida sa -maîtresse à sortir du puits, l'emporta dans ses -bras, la mit au lit, lui prodigua les soins les -plus tendres, et implora son pardon en la -conjurant de ne rien dire à personne de l'action -coupable qu'elle venait de faire. Touchée par -ses prières et par sa protestation, la malheureuse -femme Duteil poussa la bonté jusqu'à -lui faire cette promesse avec l'intention de la -lui tenir. Mais la nature des plaies et des contusions -dont son corps était couvert, l'ayant -forcée d'appeler un médecin, la vérité fut -reconnue, et Delphine arrêtée. D'abord Delphine, -non seulement avoua tout, mais encore -elle compromit fortement Duteil, en le signalant -comme instigateur de son crime. Plus -tard, elle chercha à se rétracter, en annonçant -qu'elle seule était coupable du forfait -<span class="pagenum"><a id="Page_48"> 48</a></span> -auquel l'avaient portée sa cupidité et sa jalousie -à l'égard de la femme Duteil. Cependant le -mari coupable avait été arrêté. Mis en accusation -avec Delphine Carnet, il repoussa avec -beaucoup de présence d'esprit toutes les charges -qu'on lui opposait. Il fit valoir une circonstance -qui fut constatée dans l'instruction; -c'est que le matin de l'événement, il ne voulait -pas aller au marché, et s'était décidé à y -envoyer sa femme; qu'il n'y était allé que -parce que celle-ci avait préféré rester à la maison. -Il prétendait prouver, par cette allégation, -qu'il ignorait, qu'il ne soupçonnait même -pas les projets de sa servante.</p> - -<p>Les deux accusés furent traduits devant la -cour d'assises de Versailles. A l'audience, Delphine -Carnet changea encore une fois de langage, -et soutint que Duteil était l'instigateur du -meurtre. Toutefois ces aveux d'une fille de dix-huit -ans qu'une première erreur avait poussée -si loin dans la carrière du crime, ne furent pas -aussi foudroyans pour Duteil que la modération -exemplaire qui dicta la déposition de sa -femme, entendue comme témoin, en vertu -du pouvoir discrétionnaire du président de la -cour. Cette malheureuse femme déclara, les -<span class="pagenum"><a id="Page_49"> 49</a></span> -larmes aux yeux, qu'elle ne pouvait croire -son mari coupable: «Le père de mes enfans, -ajouta-t-elle, n'a pu vouloir tuer leur mère.»</p> - -<p>Après une très-courte délibération, le jury -déclara les deux accusés coupables d'une tentative -d'homicide, laquelle n'avait été interrompue -que par des circonstances fortuites -et indépendantes de leur volonté. En conséquence, -Duteil et Delphine Carnet furent condamnés -à la peine de mort, par arrêt du 16 -novembre 1819.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_50"> 50</a></span></p> -<h2 class="normal">LOUVEL,<br /> -<span class="medium">ASSASSIN DU DUC DE BERRY.</span></h2> -</div> - -<p>L'attentat de Louvel, attentat qui couvrit -la France entière de deuil et de consternation, -est, par les conséquences qu'il entraîna -à sa suite, l'un des événemens les plus considérables -de notre époque. Louvel, <i>l'un de -ces envoyés secrets de la mort qui mettent la -main sur les rois</i>, avait choisi pour victime le -duc de Berry, parce qu'il voyait en lui seul -l'espoir de la famille des Bourbons. Le résultat -de son crime ne fut pas tel que sa rage -l'avait espéré: le prince assassiné avait pourvu -à la continuation de sa race; sous ce rapport, -furent donc déçus les criminels calculs de -Louvel. Mais par une de ces combinaisons -qu'il n'est pas donné à l'homme d'expliquer, -le poignard de Louvel devint l'instrument de -l'ambition d'un parti antipathique à la nation; -dès ce moment, ce parti, ennemi déclaré du -<span class="pagenum"><a id="Page_51"> 51</a></span> -progrès des lumières, fit invasion dans toutes -les branches du gouvernement, s'appliqua à -faire prospérer partout ses plans rétrogrades, -mutila peu à peu toutes les libertés publiques, -attisa de nouveau, et sans s'en douter, -le feu du volcan des révolutions, et vit disparaître -dans une éruption soudaine cette -vieille dynastie des Bourbons, qui, malgré -les avis réitérés de ses amis sincères, lui -avait imprudemment confié sa couronne et -ses destinées.</p> - -<p>Ce parti ambitieux, avide et rancunier, dès -que la première nouvelle de l'assassinat du -duc de Berry était venu attrister la capitale, -n'avait pas manqué d'ameuter ses journaux -contre les hommes à idées libérales, désignant -Louvel comme un Séide à leurs gages. La -procédure prouva le contraire, mais la tactique -n'avait que trop bien réussi: le parti -anti-national tenait le pouvoir, objet de ses -vœux les plus ardens, et l'on sait quels furent -les résultats de son administration.</p> - -<p>Louvel, enfonçant le fer assassin dans le -cœur du prince, n'avait d'autre instigateur -que sa haine sombre et fanatique pour la race -royale. Depuis long-temps, il méditait son -<span class="pagenum"><a id="Page_52"> 52</a></span> -exécrable dessein, mais sans confident, sans -auxiliaire; sa trame ne se rattachait qu'à lui -seul; seul il voulait la mettre à fin. C'était un -de ces êtres à part qui semblent voués par -leur destinée à trancher le fil des jours des -princes, et mille fois plus à craindre pour -eux que les plus hardis conspirateurs. «Ces -hommes, dit M. de Châteaubriand, surgissent -soudainement et s'abîment aussitôt dans -les supplices: rien ne les précède, rien ne les -suit. Isolés de tout, ils ne sont suspendus -dans ce monde que par leur poignard; ils ont -l'existence même et la propriété d'un glaive; -on ne les entrevoit qu'un moment, à la lueur -du coup qu'ils frappent. Ravaillac était bien -près de Jacques Clément. C'est un fait unique -dans l'histoire, que le dernier roi d'une -race et le premier roi d'une autre aient été -assassinés de la même façon, chacun d'eux -par un seul homme, au milieu de leurs gardes -et de leur cour, dans l'espace de moins de -vingt-un ans. Le même fanatisme anima les -deux assassins; mais l'un immola un prince -catholique, l'autre un prince qu'il croyait -protestant. Clément fut l'instrument d'une -ambition personnelle; Ravaillac, comme -<span class="pagenum"><a id="Page_53"> 53</a></span> -Louvel, l'aveugle mandataire d'une opinion.»</p> - -<p>Les détails de cet événement et de la procédure -extraordinaire à laquelle il donna lieu -viendront parfaitement à l'appui de ces réflexions.</p> - -<p>Le 13 février 1820, le duc et la duchesse -de Berry s'étaient rendus à l'Opéra; la princesse -manifesta le désir de ne pas rester au -théâtre jusqu'à la fin du spectacle; le prince, -vers onze heures du soir, la reconduisit à sa -voiture qui stationnait rue Rameau, et, -ayant pris congé d'elle en l'assurant qu'il la -rejoindrait dans quelques instans, il se retourna -pour rentrer à l'Opéra.</p> - -<p>A l'instant même, un homme s'élance, passe -près du duc de Berry comme un éclair, et -quelques personnes le voient heurter le prince -violemment.</p> - -<p>La première idée qui vint au duc et à toute -sa suite fut que cet homme était tout simplement -un curieux indiscret. L'aide-de-camp -du prince, M. le comte de Choiseul, fut -tellement dominé par cette idée, qu'il prit -l'importun par l'habit, et le repoussa en lui -disant: <i>Prenez donc garde!</i>... L'homme prit la -<span class="pagenum"><a id="Page_54"> 54</a></span> -fuite; mais il n'avait pas fait quelques pas, -que le prince s'écria: <i>Je suis assassiné!</i> et en -même temps il tenait la main sur un poignard -abandonné dans la plaie par l'assassin. A l'instant -même, MM. de Choiseul et de Clermont -volèrent sur les traces du meurtrier, qu'eux -et tous les assistans voyaient courir vers la -rue de Richelieu. Le garde-royal Desbiez, -qui était de faction auprès de la voiture à l'instant -où le crime venait d'être commis, un -adjudant de ville, d'autres gardes-royaux et -des gendarmes se mirent également à sa -poursuite.</p> - -<p>L'assassin fut arrêté non loin de là, à l'arcade -Colbert, par un garçon limonadier appelé -Paulmier, qui le remit aussitôt à l'adjudant -de ville et à tous les militaires par -lesquels il était poursuivi.</p> - -<p>Conduit au corps-de-garde, l'homme arrêté -fut fouillé en présence de tous les témoins -qui avaient présidé à son arrestation. -On trouva sur lui, dans une des poches de -son pantalon, une gaîne vide; c'était celle -du poignard avec lequel il avait frappé le -prince. Dans l'autre poche se trouva une -alêne de sellier, affilée aussi en poignard et -<span class="pagenum"><a id="Page_55"> 55</a></span> -munie également de sa gaîne. Ces instrumens -homicides et une clef qu'il avait sur lui, furent -saisis et livrés sur-le-champ, ainsi que sa -personne, à la justice.</p> - -<p>Cependant on avait conduit le prince, d'abord -dans un corridor du théâtre, puis dans -le salon de la loge du roi. Le duc de Berry -avait lui-même tiré d'une plaie profonde le -fer qu'y avait laissé l'assassin. L'arme était -grossièrement façonnée en poignard tranchant -et aigu, et avait un demi-pied de longueur.</p> - -<p>Le prince eut encore assez de force pour -le remettre à M. le comte de Ménars, son -premier écuyer. Bientôt des médecins furent -appelés; mais vainement les secours les plus -dévoués, les plus empressés, furent prodigués -au malheureux prince: la blessure était mortelle. -Le duc ne put même être transporté -dans le palais de ses pères, et le 14 février, à -six heures et demie du matin, il expira, -après avoir demandé à plusieurs reprises la -<i>grâce de l'homme</i> qui l'avait assassiné.</p> - -<p>Dès le matin, cette funèbre nouvelle répandit -avec elle la stupeur et l'alarme dans tous -les esprits. Outre l'horreur profonde qu'inspirait -<span class="pagenum"><a id="Page_56"> 56</a></span> -généralement le forfait qui venait d'être -commis, chacun semblait pressentir les -calamités politiques auxquelles cette mort fatale -allait donner naissance.</p> - -<p>Immédiatement après son arrestation, le -coupable avait été conduit devant le commissaire -de police, Ferré, qui, ce jour-là, était -de service au théâtre. Ce magistrat avait déjà -commencé à procéder à son interrogatoire, -lorsque M. le comte Anglès, alors préfet de -police, le procureur du roi et le procureur-général -arrivèrent successivement, s'emparèrent -du criminel, et lui firent subir un interrogatoire.</p> - -<p>Cet homme déclara s'appeler Louis-Pierre -Louvel, être natif de Versailles, âgé de trente-six -ans, garçon sellier, employé pour le -compte du sieur Labouzelle, sellier du roi, -et demeurer aux Écuries, place du Carrousel. -Il reconnut que c'était lui qui avait commis -le meurtre du prince, et se vanta même de -mûrir cet horrible projet depuis 1814. On lui -présenta le poignard trouvé dans la plaie de -la victime; il le reconnut sans hésiter, ainsi -que le petit poignard, la clef et les deux gaînes -saisis sur lui. Confronté avec les sieurs -<span class="pagenum"><a id="Page_57"> 57</a></span> -Paulmier, Desbiez et les autres témoins de -son arrestation, tous le reconnurent, les uns -pour l'assassin du prince, les autres pour -l'homme qui fuyait au moment du crime. -Mais un bien plus triste devoir restait à remplir: -il fallait constater, contradictoirement -avec l'assassin, le corps du délit. Le bourreau -fut mis en présence de la victime qui -avait expiré sous ses coups. Il la regarda d'un -œil fixe et féroce, ne témoigna ni sensibilité, -ni remords, et confessa de nouveau que c'était -là son ouvrage.</p> - -<p>Du reste, le rapport unanime des médecins -qui avaient vu et soigné le prince, attestait -que le coup, porté par Louvel, était la -seule cause de la mort du duc de Berry.</p> - -<p>Alors on s'occupa de rechercher les motifs -qui avaient pu le porter à commettre cet assassinat. -Aucun indice du dehors ne pouvant -le faire soupçonner, Louvel fut soigneusement -interrogé, et, sans varier jamais, il déclara -hautement qu'il n'avait eu à se plaindre -en aucun temps du duc de Berry ni d'aucune -autre personne de sa famille; qu'il n'avait ni -motif ni prétexte de leur porter aucun sentiment -de haine personnelle; qu'il n'avait été -<span class="pagenum"><a id="Page_58"> 58</a></span> -poussé au crime qu'il avait commis que par -la considération de l'intérêt public; qu'il regardait -tous les Bourbons comme les ennemis -de la France; qu'aussitôt qu'à leur retour, il -avait vu flotter le drapeau blanc, il avait -conçu le projet de les assassiner tous; que ce -projet ne l'avait pas quitté un seul instant depuis -1814; que depuis lors, il avait cherché -toutes les occasions de l'exécuter, suivi les -princes dans leurs chasses, rôdé autour -des spectacles qu'ils fréquentaient, pénétré -dans les lieux saints où ils allaient remplir -leurs devoirs religieux; et qu'il les aurait -égorgés, si son courage ne lui avait pas manqué, -et si quelquefois, il ne s'était pas demandé: -<i>Ai-je tort? ai-je raison?</i></p> - -<p>Louvel ajoutait qu'à Metz, en 1814, il -avait eu un moment l'intention de tuer le -maréchal-duc de Valmy, parce qu'il servait -les Bourbons; mais que bientôt il avait pensé -que c'était un simple particulier; qu'il fallait -porter ses coups plus haut; qu'il aurait tué -Monsieur à Lyon, s'il l'y eût encore trouvé, -lorsque lui, Louvel, se rendit dans cette -ville au débarquement de Bonaparte; que, -depuis, il s'était attaché à la personne du duc -<span class="pagenum"><a id="Page_59"> 59</a></span> -de Berry comme celui sur lequel était fondé -le principal espoir de la race; qu'après le duc -de Berry, il aurait tué le duc d'Angoulême; -après lui, <span class="cap">M</span><span class="smallc">ONSIEUR</span>>; après -<span class="cap">M</span> -<span class="smallc">ONSIEUR</span>, le roi; -qu'il se serait peut-être arrêté là, car il paraît -qu'à cet égard son infâme résolution n'était -pas prise, et qu'il n'avait pas bien arrêté s'il -continuerait dans les autres branches de la -famille royale le cours de ses assassinats; -qu'il n'avait ressenti de son arrestation qu'un -seul chagrin, celui de ne pouvoir ajouter -d'autres victimes à celle qui venait de tomber -sous ses coups; qu'il était loin de se repentir -de son action, qu'il regardait comme belle et -vertueuse; et qu'enfin il persisterait toujours -dans ses théories, dans ses opinions et dans -ses projets, sans s'embarrasser des jugemens -des hommes, et moins encore des jugemens -de la religion à laquelle il ne croyait pas et -qu'il n'avait jamais pratiquée.</p> - -<p>Quels avaient été les antécédens de Louvel? -ceux d'un homme obscur qui, d'abord ouvrier -sellier, avait figuré plus tard dans les -rangs de l'armée française, mais sans aucune -espèce de distinction. Depuis long-temps, le -gouvernement monarchique contrariait ses -<span class="pagenum"><a id="Page_60"> 60</a></span> -vœux. Dès l'année 1814, il avait entrepris, à -ses frais, le voyage de l'île d'Elbe, moins sans -doute pour grossir les rangs des fidèles compagnons -de l'ex-empereur, que dans l'intention -d'y entretenir les funestes desseins qui -fermentaient dans son cœur. Pendant les -Cent-Jours, il resta en dehors des mouvemens -militaires dont le retour de Napoléon -avait donné le terrible signal; ou s'il suivit -l'armée, ce ne fut que pour y exercer sa profession; -car, au retour de Napoléon, il était -parvenu, par le crédit d'un de ses parens, chef -de la sellerie de l'ex-empereur, à y être employé -comme ouvrier. Qu'était-il donc allé -faire à l'île d'Elbe, si ce n'est aiguiser son poignard? -Mais lorsque l'anéantissement du trône -impérial fut consommé, la haine fanatique de -Louvel prit un caractère plus prononcé. Il ne -rêva plus que l'extermination de la race -royale. Afin peut-être de mieux arriver à ce -résultat, il sollicita un emploi aux Écuries du -roi, comme pour se rapprocher le plus possible -des victimes que sa fureur avait déjà -marquées, et s'attacha principalement à la -personne du duc de Berry.</p> - -<p>Le jugement d'un semblable criminel devait -<span class="pagenum"><a id="Page_61"> 61</a></span> -avoir une solennité toute nationale. Dès -le 14 février, une ordonnance du roi, communiquée -par M. Decazes, ministre de l'intérieur, -à la chambre des pairs, institua ce -grand corps politique en haute cour de justice, -conformément à l'article 33 de la charte; et -l'on commença immédiatement l'instruction -de ce procès, d'où nous avons tiré les détails -que l'on vient de lire.</p> - -<p>Indépendamment des recherches que l'autorité -avait faites chez toutes les personnes -avec lesquelles Louvel avait eu les relations -les plus indifférentes, elle avait également ordonné -des perquisitions chez tous ses proches -parens; mais elles ne produisirent rien à leur -charge. L'acte d'accusation déclara donc que -nul complice n'avait été découvert, et que Louvel -était le seul qui dût être mis en jugement -devant la cour des pairs.</p> - -<p>L'ouverture des débats eut lieu le 5 juin 1820. -MM. Archambault et Bonnet, anciens bâtonniers -de l'ordre des avocats, avaient été nommés -d'office pour la défense de l'accusé. L'apparition -de Louvel devant le public excita un -mouvement d'effroi qu'il serait difficile de dépeindre. -<span class="pagenum"><a id="Page_62"> 62</a></span> -Son front était chauve et sa figure dépourvue -d'expression; ses yeux étaient ternes -et enfoncés.</p> - -<p>L'interrogatoire du prévenu fournit de nouvelles -preuves à l'appui de ce qui a été dit précédemment -sur les projets régicides de Louvel. -«Par quel motif, lui dit le président, -avez-vous poignardé S. A. R. monseigneur le -duc de Berry?—Je lui ai ôté la vie, répondit -Louvel, dans l'intention de détruire la race -des Bourbons qui, suivant moi, faisait le malheur -de la nation.—Aviez-vous quelques motifs -d'inimitié personnelle?—Aucun, mais j'ai -choisi de préférence ce prince, parce que c'était -la <i>souche</i> de la famille royale.»</p> - -<p>Interrogé sur sa funeste résolution, il répondit -froidement: «Mon parti était pris; -aucun sentiment d'honneur ni de religion ne -pouvait me faire changer de dessein. D'ailleurs -je suis catholique, je le crois toujours, mais -j'ai changé suivant les événemens, tantôt théophilanthrope, -tantôt catholique.—Mais si -vous avez le malheur de ne pas croire à la -justice divine, vous deviez croire à la justice -des hommes. Vous ne saviez donc pas que -<span class="pagenum"><a id="Page_63"> 63</a></span> -vous exposiez votre vie?—Au contraire, il -faut voir en moi un Français qui s'<i>est sacrifié</i>... -Si j'ai tenté de me sauver, je ne le faisais pas -pour long-temps; j'en voulais à tous les hommes -français qui ont pris les armes contre ma patrie, -et cette haine m'aurait fait persister dans -mes projets.»</p> - -<p>Cependant Louvel avoua qu'il avait été attendri -par le spectacle des derniers momens -du prince, et que c'était alors seulement que -ses yeux s'étaient ouverts sur l'énormité de son -forfait: «Mais, dit-il en terminant, la religion -ne peut remédier au crime que j'ai commis.»</p> - -<p>Il résulte aussi des réponses de Louvel aux -questions de plusieurs membres de la haute -cour, que ses lectures habituelles pendant sa -jeunesse étaient les <i>Droits de l'homme</i> et la -<i>Constitution</i>, mais qu'il ne lisait aucuns journaux.</p> - -<p>Plusieurs fois, à la demande de M. de Lally-Tollendal, -le président adjura l'accusé, devant -Dieu, de déclarer s'il avait eu des complices. -Louvel, tout en convenant que son crime était -horrible, affirma n'avoir communiqué son projet -à qui que ce fût. «Était-ce pour vous défendre, -lui dit le président, que vous aviez -<span class="pagenum"><a id="Page_64"> 64</a></span> -sur vous un second poignard?—Non, Monsieur.—Pourquoi -en aviez-vous deux?—C'était -pour mieux réussir.»</p> - -<p>Dans l'instruction, l'accusé avait dit qu'il -savait toutes les démarches du prince par ses -gens mêmes, à qui il le demandait. Louvel confirma -ainsi cette déclaration: «Le jour de l'événement, -je n'avais pas besoin de prendre des -renseignemens, puisque c'était dans Paris; -mais quand les princes étaient à la chasse, je -savais par le premier venu l'heure à laquelle -ils devaient rentrer.»</p> - -<p>Lors de sa confrontation avec la victime, -quelqu'un lui ayant dit: <i>Ne craignez-vous -pas la justice divine?</i> il avait répondu: <i>Dieu -n'est qu'un mot</i>. Ce propos était attesté par -plusieurs témoins; Louvel, interpellé par le -président, crut se rappeler l'avoir tenu.</p> - -<p>M. le duc de Maillé ayant fait observer que, -dans l'instruction, l'accusé avait dit qu'il s'était -rendu à Calais, en 1824, pour assassiner le roi, -et qu'il avait ensuite déclaré que telle ne pouvait -être son intention, puisqu'il savait que le -roi était à Paris, interpella Louvel sur cette -circonstance. «Il est probable, répondit le -prévenu, que j'étais parti de Metz avec cette -<span class="pagenum"><a id="Page_65"> 65</a></span> -intention; mais je savais bien, en partant de -Metz, que le roi était à Paris. Je voyageais -pour tâcher de réfléchir avec maintes et maintes -personnes que j'aurais entendu parler; -voilà pourquoi j'ai <i>rallongé</i> ma route. J'ai passé -par Calais pour savoir ce qu'on disait du roi -dans les endroits où il avait passé, et ensuite -voir si je devais exécuter ma <i>commission</i>.»</p> - -<p>Louvel, adjuré de nouveau de déclarer s'il -avait des complices, répondit avec impatience: -«Non, je n'en ai jamais eu.» M. Lecoulteux de -Canteleu releva le mot de <i>commission</i> qu'avait -prononcé Louvel. «Serait-ce, dit-il, une commission -qui lui aurait été donnée par quelqu'un?—C'était -une commission intérieure -que je m'étais imposée à moi-même.»</p> - -<p>Obligé de s'expliquer sur la qualification -que méritait son crime, il répondit: «C'est -une action horrible, c'est vrai! Quand on tue -un autre homme, cela ne peut pas passer pour -vertu; c'est un crime: Je n'y aurais jamais été -entraîné sans l'intérêt que je prenais à ma -nation, suivant moi; je croyais bien faire, suivant -mon idée.»</p> - -<p>Après l'audition de tous les témoins et le -réquisitoire du procureur-général Bellart, la -<span class="pagenum"><a id="Page_66"> 66</a></span> -parole fut donnée à maître Bonnet, l'un des -conseils de l'accusé. Ce célèbre avocat, pénétré -de la mission difficile qu'il avait à remplir, -sut concilier les devoirs que lui imposait sa noble -profession avec le respect qu'il devait à l'auguste -tribunal devant lequel il allait parler, et -avec la position d'un accusé qui s'était fait gloire -de son crime pendant la durée des débats. Il -invoqua en faveur de son client la <i>monomanie</i> -ou <i>fixité d'idées</i>. «Oui, messieurs, dit-il, l'individu -qui a pu se dire: Ai-je tort, ai-je raison -d'assassiner un prince dont je n'ai point à me -plaindre? est un insensé, et ne peut pas être -autre.»</p> - -<p>Nous allons transcrire la péroraison du plaidoyer -de l'éloquent avocat, parce qu'on y retrouve -quelques particularités touchantes relativement -aux derniers momens du prince: -«Déjà peut-être nous accuserait-on d'avoir -omis, ou même de ne nous être pas borné à -faire valoir pour l'accusé la plus sublime, la -plus puissante de toutes les recommandations. -Vous allez au-devant de nos paroles, messieurs, -et vous croyez entendre ce dernier cri du prince-martyr... -«<i>C'est un insensé!...</i> Grâce! grâce pour -l'<i>homme</i>!» Le monarque, le père adoptif de la -<span class="pagenum"><a id="Page_67"> 67</a></span> -victime, le père de tous ses sujets, n'arrive pas -assez tôt, et le prince ne pense qu'à assurer -la vie de son meurtrier. Une chrétienne impatience -s'empare de lui, et au milieu de ses affreuses -douleurs, le sort de celui qui les cause -l'occupe presque tout entier. C'est ici que, -sans aggraver le sort de l'accusé, et même pour -le servir, pour le couvrir d'une égide tutélaire, -nous pouvons proclamer toute notre admiration -pour la victime. Douloureusement soulagé -par les pleurs de sa courageuse épouse -qui commande à son désespoir, par la présence -de sa jeune et innocente fille, il partage en -quelque sorte sa sollicitude entre ces illustres -objets de sa tendresse et le malheureux <i>insensé</i> -qui l'a frappé. Alliance inouïe de pensées si -diversement admirables! contraste que peut -seule engendrer ou expliquer une grande âme! -Les derniers momens que peut donner ce -prince chéri aux plus tendres sentimens de -la nature, il en dérobe une partie pour devenir -le protecteur, l'auguste avocat de celui -qui lui arrache la vie! Grâce pour l'homme! -Quel choix bienfaisant d'expressions dans ce -mot d'un usage si vulgaire: Grâce pour l'<i>homme</i>! -Eh bien! messieurs, l'homme est devant vous! -<span class="pagenum"><a id="Page_68"> 68</a></span> -Les dernières paroles de sa victime ne seront-elles -pour lui qu'un héroïsme stérile? Et si ce -cri de grâce sorti de la bouche d'un illustre -mourant est impuissant sur des juges, joignez-y -ce jugement porté par la victime: <i>C'est un -insensé!</i> Que ces deux mots réunis, plus forts -que mes vains raisonnemens, se fortifient l'un -par l'autre en faveur de l'<i>homme</i>; (pourquoi -serions-nous plus sévères que celui que nous -pleurons?) en faveur de l'homme que vous -allez juger; qu'ils soient son unique défense: -c'est là principalement que nous voulons placer -son refuge. Oui, c'est un insensé celui qui -conçut, qui nourrit, pendant six ans, l'infernal -projet de détruire la plus illustre, la plus -clémente, la plus paternelle race de souverains, -la plus digne de gouverner une nation -dévouée, libre et généreuse.»</p> - -<p>Le président demanda à Louvel s'il avait -quelque chose à ajouter au plaidoyer de son -défenseur. L'accusé, sans répondre à cette -interpellation, se leva, tira de sa poche des -feuilles de papier détachées, écrites de sa main; -et du ton de la plus froide insensibilité, lut -les phrases suivantes:</p> - -<p>«J'ai rougi aujourd'hui d'un crime que j'ai -<span class="pagenum"><a id="Page_69"> 69</a></span> -commis seul. J'ai la consolation de croire, en -mourant, que je n'ai point déshonoré la nation -ni ma famille. Il ne faut voir en moi -qu'un Français dévoué à se sacrifier pour détruire, -suivant mon système, une partie des -hommes qui ont pris les armes contre ma -patrie. Je suis accusé d'avoir ôté la vie à un -prince. Je suis seul coupable; mais parmi les -hommes qui occupent le gouvernement, il y -en a d'aussi coupables que moi. Ils ont, suivant -moi, reconnu des crimes pour des vertus. -Les plus mauvais gouvernemens que la -France a eus ont toujours puni les hommes -qui l'ont trahie, ou qui ont porté les armes -contre la nation.</p> - -<p>«Suivant mon système, lorsque des armées -étrangères menacent, les partis doivent cesser -et se rallier pour combattre, pour faire -cause commune contre les ennemis de tous -les Français. Les Français qui ne se rallient -pas sont coupables. Suivant moi, le Français -qui est obligé de sortir de France par l'injustice -du gouvernement, si ce même Français -se met à porter les armes pour les armées -étrangères contre la France, alors il est coupable. -<span class="pagenum"><a id="Page_70"> 70</a></span> -Il ne peut rentrer dans la qualité de -citoyen français.</p> - -<p>«Selon moi, je ne peux pas m'empêcher -de croire que si la bataille de Waterloo a été -si fatale à la France, c'est qu'il y avait à Gand -et à Bruxelles des Français qui ont porté dans -les armées la trahison, et qui ont donné des -secours aux ennemis.</p> - -<p>«Suivant moi et selon mon système, la -mort de Louis XVI était nécessaire, parce -que la nation y a consenti.... Si c'était une -poignée d'intrigans qui se fût portée aux Tuileries, -et qui lui eût ôté la vie sur le moment, -oui, je le croirais; mais comme Louis XVI est -resté long-temps en arrestation, on ne peut -pas croire que ce ne soit pas de l'aveu de la -nation. De sorte que s'il n'y avait eu que quelques -hommes, il n'aurait pas péri; la nation -entière s'y serait opposée. Aujourd'hui, ils prétendent -être les maîtres de la nation; mais -suivant moi, les Bourbons sont coupables, et -la nation serait déshonorée si elle se laissait -gouverner par eux.»</p> - -<p>Telle fut la défense de Louvel prononcée -par lui-même. Vainement on avait tenté de -<span class="pagenum"><a id="Page_71"> 71</a></span> -le détourner de lire cette défense étrange, ce -tissu d'absurdités, qui, du reste, semblait venir -à l'appui du système adopté par le défenseur. -Ces paroles délirantes avaient répandu sur -tous les visages l'indignation et l'horreur; -Louvel seul conservait son immobilité. Le -procureur-général repoussa la question de -monomanie et réclama, avec une noble fermeté, -la juste punition du coupable.</p> - -<p>Le 6 juin, la cour des pairs rendit son arrêt -qui condamnait Louvel à la peine de mort. -Cet arrêt, étant sans appel, il ne restait plus -au coupable qu'à songer à mourir. Mais avant -de le conduire au pied de l'échafaud, racontons -quelques faits particuliers aux derniers -jours de sa vie.</p> - -<p>Le premier jour qu'il comparut devant ses -juges, il témoigna le désir de faire un peu de -toilette. Arrivé dans la salle qui précède la -chambre des pairs, il fut frappé de la mollesse -du tapis. «Quel bon tapis! dit-il, si j'en avais -eu un semblable dans ma prison, je n'aurais -pas été éveillé si souvent par le bruit des gendarmes.»</p> - -<p>«J'ai été fort content de la chambre des -pairs, dit-il encore: je ne suis fâché que d'une -<span class="pagenum"><a id="Page_72"> 72</a></span> -seule chose, c'est qu'elle ait fait durer le procès -pendant deux jours.—Mais c'est un jour de -gagné, lui reprit-on.—Dites donc plutôt un -jour de perdu! répondit le fanatique.»</p> - -<p>Logé dans une chambre voisine de l'appartement -de M. de Sémonville, il eut un petit -mouvement de sensualité, et dit au grand-référendaire: -«Depuis que je suis en prison, -j'ai toujours couché dans de gros draps; je voudrais -bien, pour la dernière nuit, en avoir de -fins.» On obtempéra à sa demande. Il s'endormit -paisiblement, et ne se réveilla qu'à -six heures. Il demanda alors un verre de vin, -qui lui fut donné. Il était à dîner quand -M. Cauchy fils, greffier, arriva à la Conciergerie. -Louvel fut amené au greffe. Il entendit -lecture de l'arrêt qui le condamnait à avoir la -tête tranchée. Ce misérable ne donna pas le -moindre signe d'émotion ni de trouble. Après -cette lecture, le jeune greffier, magistrat plein -de piété, lui fit une courte exhortation: «Vous -n'avez plus, lui dit-il, rien à espérer des hommes; -votre seule ressource est dans la miséricorde -de Dieu. Il pardonne, ce Dieu miséricordieux, -au plus grand coupable, quand il -témoigne du repentir et des regrets sincères -<span class="pagenum"><a id="Page_73"> 73</a></span> -sur son crime.—Des regrets! interrompit -Louvel, je n'en ai pas.....—La porte de l'éternité -va s'ouvrir devant vous, malheureux! -occupez-vous de votre salut.—Bah! un prêtre, -je n'en ai pas besoin; et puisque je dois -mourir, pourquoi demain? pourquoi pas aujourd'hui? -je suis tout prêt.» Après cet entretien, -on le reconduisit à sa prison, où il acheva -de dîner tranquillement. Son repas terminé, -il s'occupa d'écrire à ses parens pour leur faire -ses adieux, et leur témoigner ses regrets de -leur avoir causé tant de chagrins.</p> - -<p>Le mercredi, 7 juin, dès le matin, M. le -procureur-général Bellart se rendit en personne -à la Conciergerie, afin de tenter, pour -la dernière fois, d'arracher des aveux au condamné. -On persistait à croire que ce n'était -point un crime isolé, et que Louvel, emportant -le secret de ses complices, allait, par sa -mort, leur rendre la liberté. Les efforts de -M. Bellart demeurèrent sans résultat. Le condamné -paraissait en outre décidé à repousser -les secours de la religion; il avait refusé d'entendre -un ecclésiastique de Notre-Dame. Cependant, -à force de persévérance, il avait été -<span class="pagenum"><a id="Page_74"> 74</a></span> -vaincu, et s'était confessé à M. l'abbé Montès, -aumônier de la Conciergerie.</p> - -<p>L'exécution avait été fixée à six heures. Un -quart-d'heure avant, Louvel monta dans la -charrette; il était accompagné de l'abbé Montès -qui lui prodigua constamment, et d'abord -inutilement, les secours de la religion. Sa figure -était extrêmement pâle. Pendant le trajet, -il regardait à droite et à gauche, et paraissait -abattu. Arrivé au pied de l'échafaud, Louvel -s'entretint avec son confesseur l'espace de -quatre minutes. L'altération de ses traits et -son accablement étaient visibles. Deux aides -de l'exécuteur furent obligés de le soutenir -pour lui aider à monter à l'échafaud. Pendant -qu'on l'attachait à la fatale planche, il promenait -de tous côtés un œil hagard. Enfin, à six -heures, il avait subi sa peine.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_75"> 75</a></span></p> -<h2 class="normal">ASSASSINAT DE NEYRET.</h2> -</div> - -<p>Ce procès criminel qui, pendant près de -deux années, fixa l'attention des habitans de -la Drôme, rappelle, par sa bizarrerie et l'atrocité -des circonstances dont le crime fut accompagné, -le trop fameux procès de Rhodez.</p> - -<p>Un ancien militaire, nommé Neyret, retiré -à Valence, y avait épousé la fille de la veuve -Dupont. Dans une fête établie à Valence, à -l'instar de celle de la rosière de Salency, la -fille Dupont, proclamée la plus sage de toutes -ses compagnes, avait reçu, pour prix de sa sagesse, -avec la couronne de roses, une dot de -six cents francs et la main de Neyret. A l'aide -de cette dot, les deux époux levèrent un petit -fonds de commerce; mais des chances malheureuses -trahirent leur espoir; Neyret manqua -à ses engagemens. Ses malheurs lui aliénèrent -l'affection d'une femme qui ne lui était -unie que par l'intérêt. Elle abandonna Neyret, -<span class="pagenum"><a id="Page_76"> 76</a></span> -après s'être, dit-on, emparée de tous les débris -de son commerce. Son inconduite devint -notoire: elle recevait publiquement des hommes -mariés, et fréquentait des mauvais lieux.</p> - -<p>Dans les premiers jours du mois d'août 1818, -Neyret disparut. Vers le milieu du même mois, -à quatre heures du matin, une veste et un -chapeau, découverts dans une barque, près -du pont de Valence, furent reconnus pour lui -avoir appartenus. On crut d'abord que le malheureux -Neyret s'était donné la mort. Cependant, -dès le lendemain de sa disparition, le -bruit avait circulé dans la ville que Neyret -était mort victime d'un assassinat, et que son -cadavre, percé de neuf coups de couteau, -avait été jeté dans le Rhône.</p> - -<p>Ce bruit ayant pris de la consistance, les -soupçons se portèrent sur la femme de Neyret, -ainsi que sur sa belle-mère. L'une et l'autre -furent arrêtées; et bientôt après un jeune -homme, nommé Chaléat, qui, à l'époque du -crime, avait eu des liaisons avec la Neyret, -fut prévenu de complicité avec elle et partagea -sa détention.</p> - -<p>Trois autres individus, Mélanie Durand, le -nommé Vigne et sa femme, qui semblaient -<span class="pagenum"><a id="Page_77"> 77</a></span> -avoir parlé de l'assassinat de Neyret avec connaissance -de cause, appelés d'abord comme -témoins dans l'instruction dirigée contre les -trois premiers accusés, et compromis par des -dénégations contraires à l'évidence, par des -réticences plus que suspectes, furent mis en -jugement, et les débats publics, relatifs à ces -six prévenus, commencèrent le 20 mars 1819.</p> - -<p>Une circonstance où les accusés trouvèrent -moyen d'alléguer un <i>alibi</i>, embrouilla tellement -la cause, que le jury ayant déclaré, après -quatre heures de délibération, les accusés non -coupables, ils furent tous mis en liberté.</p> - -<p>Mais de nouvelles révélations étant parvenues -à la justice sur d'autres individus compromis -dans cette horrible affaire, on instruisit -une seconde procédure où les premiers -accusés ne pouvaient figurer que comme témoins, -puisqu'ils avaient été acquittés.</p> - -<p>La veuve Neyret qui, depuis deux ans, -n'opposait à la justice qu'un silence obstiné, -avait enfin cédé au cri de sa conscience. Ses -aveux accusaient sa propre mère, son oncle -Blanc qui s'était pendu en prison, Chaléat, -Sabot, Palandre, Lamotte, Vigne et sa femme. -<i>Une étrangère</i> avait tout vu, et son témoignage -<span class="pagenum"><a id="Page_78"> 78</a></span> -pouvait confirmer le sien. Mais quelle -était cette étrangère? Sur les signalemens donnés -par la veuve Neyret, une fille publique, -nommée Adélaïde Houdard, fut arrêtée à Paris, -dans un lieu de débauche; elle fut forcée d'avouer -qu'elle se trouvait à Valence à l'époque -du crime; elle fut renvoyée dans cette ville, -et après de longues hésitations, elle donna les -détails suivans:</p> - -<p>«J'étais à Valence depuis quelque temps, -lorsque la femme Neyret, que je connaissais -fort peu, m'invita à un souper qu'elle donnait -le soir à d'autres filles et à quatre ou cinq hommes. -Il était trois heures après-midi. Je passai -le reste de la journée chez elle. A l'entrée de -la nuit, je vis arriver sa mère, puis la Vigne, -qui fut suivie à un long intervalle du malheureux -Neyret. Celui-ci jugeant, par les préparatifs -qui s'offraient à ses regards, des projets -libertins de sa femme, s'emporta contre elle -en violens reproches, et lui lança même un -soufflet. Aux cris de la Neyret, un grand et -beau jeune homme, qui entra dans ce moment, -se précipita sur le mari, et l'accula contre la -muraille. Alors entrèrent ensemble trois ou -quatre individus qui, après avoir renversé -<span class="pagenum"><a id="Page_79"> 79</a></span> -Neyret d'un coup de bouteille dont il eut la -tête fracassée, le traînèrent dans une chambre -contiguë, où je les suivis machinalement, une -chandelle à la main. Là, un de ces monstres -enfonça lentement un couteau dans la partie -supérieure du cou de la victime que les autres -comprimaient de toutes leurs forces. A ce -spectacle, éperdue, hors de moi-même, tremblante -pour mes propres jours, je me réfugiai -dans la pièce où était restée la Neyret, que je -trouvai sur un lit évanouie. Les forces m'abandonnèrent -aussitôt; je tombai sur une -chaise, privée de sentiment; et quand je revins -à moi, les meurtriers me firent prêter le -serment de garder un silence éternel sur les -événemens de cette nuit fatale.»</p> - -<p>D'après ces renseignemens, quatre individus -furent traduits, le 30 août 1820, devant la -cour d'assises de la Drôme, comme prévenus -de meurtre avec complicité sur la personne -de Neyret; savoir, les nommés Sabot, Jean-Baptiste -François dit Lamotte, Palandre et -Adélaïde Houdard, dite <i>la Parisienne</i>.</p> - -<p>L'affaire occupa cinq séances, du 30 août -au 3 septembre; sur les soixante-quatorze -témoins entendus, la déposition la plus forte -<span class="pagenum"><a id="Page_80"> 80</a></span> -fut celle d'un nommé Ferrier; il déclara -qu'ayant accompagné Chaléat, son maître, à la -maison de la Neyret, il s'approcha, en se retirant, -du contrevent d'un appartement où il -y avait de la lumière, et qu'il vit quatre hommes -qui portaient un corps inanimé qui fut -placé sur un matelas; qu'il vit une vieille -femme s'en approcher et plonger un couteau -dans le corps de cet homme; qu'il s'enfuit -épouvanté. Il déclara qu'il ne reconnut aucun -des assassins, mais que Chaléat était sur le -seuil de la porte, et que deux femmes avaient -un flambeau à la main.</p> - -<p>La déposition de la femme Neyret qui semblait -avoir tout le secret de l'assassinat, était -encore plus vivement attendue. «Chaléat, dit-elle, -m'avait fait prévenir, par la femme Vigne, -de préparer un souper pour le 10 août. -Il devait y avoir cinq personnes. Chaléat désirait -que Mélanie Durand se trouvât parmi -les convives; mais la Vigne qui fut chargée -de l'inviter oublia la commission. Il ne se trouvait -chez moi que la femme Vigne, Adélaïde -Houdard et ma mère, lorsque mon mari entra -et me donna un soufflet. Chaléat qui arriva -dans ce moment s'élança sur mon mari. Palandre, -<span class="pagenum"><a id="Page_81"> 81</a></span> -Lamotte, Sabot et Vigne qui suivirent -de près Chaléat, lancèrent une bouteille à la -tête de Neyret, et on l'entraîna dans le troisième -appartement où on l'égorgea.» Étant -demeurée dans la seconde pièce, elle déclara -ignorer les détails de l'assassinat. Blanc arriva -le dernier. Ce fut lui qui porta le cadavre au -Rhône, accompagné de Lamotte. On fit prêter -aux quatre femmes le serment de ne jamais -rien révéler.</p> - -<p>La fille Houdard, interrogée comme accusée, -changea quelque chose à ses déclarations. -Enfin, après cinq jours de vifs débats entre -les témoins et les accusés, après des plaidoyers -où les avocats firent surtout valoir en -faveur des prévenus les contradictions entre -les divers témoignages et les précédens relatifs -aux principaux témoins, la fille Houdard qui -siégeait sur le banc des accusés, fut acquittée -à l'unanimité par le jury; Palandre, à la majorité -de sept voix contre cinq, fut déclaré coupable, -et la cour s'étant réunie à la minorité -qui lui était favorable, il fut acquitté. A l'égard -de Sabot et Lamotte, déclarés également -coupables à la majorité de sept voix contre -cinq, la cour adopta l'avis de la majorité des -<span class="pagenum"><a id="Page_82"> 82</a></span> -jurés; en conséquence, ces deux individus, -convaincus de complicité dans le meurtre de -Neyret, mais sans préméditation, circonstance -qui, résolue affirmativement, aurait appelé -sur eux la peine capitale, furent l'un et -l'autre condamnés aux travaux forcés à perpétuité, -à l'exposition et à la marque.</p> - -<p>Ce jugement, comparé à celui qui avait acquitté -la veuve Neyret, Chaléat, etc., offre -une sérieuse matière à réflexions. Sabot et -Lamotte persistèrent à soutenir leur innocence, -traitant de calomniateurs tous les témoins -qui avaient déposé contre eux.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_83"> 83</a></span></p> -<h2 class="normal">CATHERINE CAMAN<br /> -<span class="medium">ET SES COMPLICES.</span></h2> -</div> - -<p>Le lecteur a pu facilement se convaincre, -par l'épouvantable série d'exemples que nous -avons déjà fait passer sous ses yeux, que la -débauche et l'adultère sont une des causes les -plus ordinaires des crimes qui désolent la société. -Cette vérité n'est malheureusement que -trop prouvée; des forfaits nombreux sont là -pour l'attester. Aussi, bravant, dans l'intérêt -des mœurs, le reproche de monotonie qui -pourrait nous être adressé, nous ne nous lasserons -pas d'insister sur ce point, toutes les -fois que de tristes occasions s'en présenteront. -Une leçon fréquemment répétée, et accompagnée -d'exemples frappans et toujours nouveaux, -doit à la longue s'introduire et fructifier -dans les cœurs qui sont encore quelque -peu sensibles à la vertu.</p> - -<p>Catherine Caman, femme Latreyle, habitait -<span class="pagenum"><a id="Page_84"> 84</a></span> - avec son mari une commune située dans -les environs de Pau en Béarn. Depuis long-temps, -des liaisons criminelles existaient entre -cette femme et le nommé Quidel dit Barros. -Catherine Caman avait fait inutilement bien -des démarches pour obtenir sa séparation. La -plus grande mésintelligence régnait dans ce -ménage, et Catherine Caman ne dissimulait -ni sa passion pour Barros, ni sa haine pour -son mari.</p> - -<p>Le 2 juillet 1820, Latreyle disparut tout-à-coup; -et sa femme, pour détourner les -soupçons qui s'élevaient contre elle, fit faire -des recherches très-actives et très-empressées -dans les communes voisines. Cependant cette -ruse ne put endormir ni tromper la vigilance -de la justice. Barros fut arrêté au moment où il -cherchait à vendre des vêtemens qui avaient -appartenu à Latreyle. Pressé par le juge d'instruction, -il se troubla, laissa échapper une -partie de la vérité, et nomma ses complices.</p> - -<p>Par suite de ses révélations, les nommés -Manauté, Chelles, et la femme Latreyle furent -arrêtés. Saisis d'effroi, croyant que tout -était connu, ils n'hésitèrent point à révéler -<span class="pagenum"><a id="Page_85"> 85</a></span> -tous les secrets de l'horrible mystère qui avait -présidé à la mort de Latreyle.</p> - -<p>Ce malheureux époux avait été assassiné -dans son lit; sa femme, Barros, Manauté et -Chelles, avaient tous trempé leurs mains dans -son sang, et ils avaient préludé à ce meurtre -par une sorte d'orgie. On avait transporté son -cadavre, sur une jument, dans un champ de -Barros, où d'avance on avait creusé une fosse -pour le recevoir, et les funérailles de la victime -avaient été célébrées par une nouvelle -orgie.</p> - -<p>Les accusés Barros, Manauté, Chelles et -la femme Latreyle, furent déclarés coupables -du meurtre avec les circonstances atroces -que l'on vient de lire, et la Cour d'assises -des Basses-Pyrénées les condamna à mort.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_86"> 86</a></span></p> -<h2 class="normal">LES DEUX FILS PARRICIDES.</h2> -</div> - -<p>Pierre Godefroy, jardinier aux Mesnils, près -de Montfort-l'Amaury, arrondissement de -Rambouillet, était parvenu à l'âge de soixante-huit -ans, et pourtant, sous le rapport des -mœurs, sa conduite était fort irrégulière. Il -fréquentait des femmes de mauvaise vie et -découchait souvent. Il s'élevait à ce sujet entre -lui, sa femme et ses enfans, des querelles très-vives, -et l'instruction rapporte des propos -qui font frémir.</p> - -<p>Le samedi 24 septembre 1814, dans la -soirée, par un beau clair de lune, Pierre Godefroy -fut rencontré sur le chemin du bois -de l'Épine; le lendemain, son cadavre fut -trouvé dans le même bois. Une trace de sang, -qui commençait sur la route et se prolongeait -dans le bois, prouvait qu'il y avait été traîné -après l'assassinat. Le malheureux vieillard -avait été tué d'un coup de fusil, chargé de -<span class="pagenum"><a id="Page_87"> 87</a></span> -deux balles, qui lui avaient fracturé la poitrine; -les meurtriers, craignant que leur victime -n'échappât, avaient eu l'horrible précaution -de l'achever en lui faisant au cou, -au-dessous du menton, une très-large plaie. -En déposant le cadavre sous les arbres, on -avait cherché à couvrir la plaie avec le bâton -de chêne qui servait, quelques instans auparavant, -à assurer la marche chancelante du -vieillard.</p> - -<p>La voix publique ne tarda pas à désigner -les deux fils Godefroy, comme auteurs du -crime. Un des indices auxquels on attacha -le plus d'importance fut la découverte, au -domicile de la veuve Godefroy, d'un fusil de -chasse non chargé, nouvellement tiré, pouvant -recevoir des balles de calibre. La veuve -déclara que son fils Julien s'en était servi, le -vendredi, pour tuer un oiseau; elle montra -en effet un oiseau mort qui était dans sa huche.</p> - -<p>Ces charges et plusieurs autres ne parurent -pas suffisantes à la chambre d'accusation de -la Cour d'assises; par arrêt du mois de février -1815, elle ordonna la mise en liberté -des deux fils Godefroy qui avaient été arrêtés. -Cinq années s'écoulèrent sans qu'aucune -<span class="pagenum"><a id="Page_88"> 88</a></span> -lumière nouvelles vint dissiper les ténèbres -qui couvraient cet exécrable attentat; -mais en février 1820, diverses indiscrétions -des personnes de la famille ou de quelques -témoins, excitèrent la vigilance de la -justice, et les fils de Godefroy furent remis -en prison et en cause.</p> - -<p>Cinquante-neuf témoins furent assignés, -et confirmèrent toutes les charges. Les deux -accusés, l'un Pierre-Martin, âgé de trente-trois -ans, ancien militaire et père de six enfans; -l'autre Julien, âgé de trente ans, se -renfermèrent dans une dénégation complète. -Leur défenseur repoussa surtout l'invraisemblance -d'une accusation où il faudrait supposer -que d'autres femmes de la famille, la -mère, une sœur et une belle-sœur des accusés, -auraient été, sinon complices, au moins -confidentes. «On ne peut croire, ajoutait-t-il, -que le crime de parricide ait été en quelque -sorte traité en conseil de famille.»</p> - -<p>Néanmoins, après une délibération d'une -demi-heure, les jurés déclarèrent coupables -de parricide les deux frères Godefroy, qui -furent condamnés à avoir le poing coupé et -la tête tranchée.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_89"> 89</a></span></p> -<h2 class="normal">LELIÈVRE,<br /> -<span class="medium">DIT CHEVALLIER.</span></h2> -</div> - -<p>Si dans l'ordre moral, il est à peu près possible -de déterminer les limites du bien, parce -qu'il existe des règles fixes qui peuvent guider -dans cette délimitation, il n'en est malheureusement -pas de même du mal; tout ce qui -en dépend n'étant que monstruosité, et par -conséquent en-dehors de toutes les lois connues, -comment pourrait-on lui assigner des -bornes?</p> - -<p>Une action héroïque, un dévouement sublime, -un grand acte de vertu, tout en captant -notre admiration, tout en nous électrisant -d'enthousiasme, ne nous sembleront jamais -au-dessus des forces humaines, parce que tout -homme dont la poitrine s'élève aux battemens -d'un cœur noble et généreux, doit naturellement -se croire capable des choses belles, grandes -et sublimes. Qu'on nous présente au contraire -<span class="pagenum"><a id="Page_90"> 90</a></span> -l'épouvantable tableau des forfaits de -la Brinvilliers et de Desrues, il n'est pas d'individu -qui, terrifié par cette horrible peinture, -ne la considère comme le <i>nec plus ultra</i> -de la perversité humaine, et ne soit même -tenté de croire que le narrateur ou le peintre -s'est plu à forcer les couleurs. Il n'en est pourtant -rien; les crimes de ces deux grands coupables -sont attestés de manière à ne pas causer -le moindre doute; ils sont affreux, certainement; -on les croirait le résultat des suggestions -diaboliques d'un autre Méphistophélès. -Pourtant ils ont été surpassés par les attentats -de Lelièvre, que nous allons mettre sous les -yeux du lecteur.</p> - -<p>Depuis neuf ans environ, un jeune homme -prenant le nom de Chevallier, et se disant natif -de Lyon, occupait un emploi dans les bureaux -de la préfecture du Rhône. Il était doué -de quelques talens, montrait des manières aisées; -sa figure était distinguée, sa politesse -exquise. Ces diverses qualités lui avaient mérité -la bienveillance de ses chefs et celle des -habitans de Lyon. Du reste, son exactitude à -remplir ses devoirs, sa conduite en apparence -régulière, lui avaient fait obtenir la place de -<span class="pagenum"><a id="Page_91"> 91</a></span> -sous-chef au bureau des finances de la préfecture.</p> - -<p>Cependant, poursuivi par une sorte de fatalité, -cet homme avait éprouvé les plus cruelles -infortunes. La mort lui avait ravi trois femmes -qu'il avait successivement épousées, et -avec chacune desquelles il avait vécu dans -l'union la plus pure. Il venait de convoler en -quatrièmes noces, et ce nouveau mariage lui -promettait enfin le sort dont il paraissait digne, -quand tout-à-coup une circonstance -inexplicable attira sur lui les yeux de la justice, -et procura les plus étranges découvertes.</p> - -<p>Le 17 juin 1820, vers cinq heures du soir, -le sieur Berthier, chapelier à Saint-Rambert, -village situé sur les bords de la Saône près de -Lyon, fut averti qu'un <i>monsieur</i> bien vêtu venait -d'emporter son enfant, et que déjà sa -femme était à la poursuite de cet individu. -Berthier, sans veste et sans souliers, part aussitôt. -Bientôt il rejoint sa femme; plusieurs -ouvriers de manufactures voisines apprennent -aux deux époux que le ravisseur suivait la rive -droite de la Saône. Ils arrivent au port de la -<i>Glaire</i> au moment où l'inconnu venait de -s'embarquer; ils traversent la rivière, accompagnés -<span class="pagenum"><a id="Page_92"> 92</a></span> -de trois ouvriers qui leur avaient donné -ce renseignement. Arrivés au port de la <i>Feuillée</i>, -ils aperçoivent le bateau qui avait traversé -l'homme à la douane. Ils traversent tous à leur -tour; mais le ravisseur fuyait rapidement devant -eux; ils courent jusqu'au pont de bois. -Là, Berthier tout haletant, épuisé par la fatigue, -perd subitement ce qui lui reste de -force; il ne peut aller plus loin. Mais bientôt -s'entendant appeler vivement du côté du pont -Tilsitt, ces cris raniment son courage, il court, -il arrive à la porte d'un café; on lui dit: Il -est là! Berthier, hors de lui, entre furieux, et -balance son bâton sur la tête de l'inconnu, -prêt à lui en asséner un coup, lorsque plusieurs -personnes lui retiennent le bras. Le voleur -profite du moment d'agitation et prend -la fuite; on le poursuit, et on l'arrête enfin -dans l'allée d'une maison. Conduit devant le -commissaire de police, et interrogé sur le -motif qui lui avait fait enlever cet enfant, il -répond qu'<i>on lui en avait volé un, et qu'il en -avait pris un autre</i>.</p> - -<p>Au moment de l'arrestation, l'enfant de Berthier -avait aux jambes des bas bleus que son -ravisseur lui avait mis; plusieurs autres effets -<span class="pagenum"><a id="Page_93"> 93</a></span> -d'habillement, trouvés dans la poche de cet -homme, prouvèrent que son intention était -de changer le costume de l'enfant. On apprit -presque aussitôt qu'à Saint-Rambert, quelques -heures avant l'enlèvement, l'inconnu n'avait -cessé de se promener dans l'avenue principale, -attirant à lui les enfans, soit en leur faisant -des caresses, soit en leur donnant des bonbons. -Le petit Berthier, s'étant plusieurs fois -laissé prendre par la main, était resté bientôt -au pouvoir du ravisseur qui l'avait chargé sur -ses épaules et emporté en courant. On remarqua -avec étonnement que, loin de résister, de -se débattre et de crier entre les mains de l'étranger, -l'enfant s'était endormi presque aussitôt; -que, dans le trajet de Saint-Rambert à -Lyon, il fut vu dans le même état de sommeil, -ce qui donnait lieu de croire que pour empêcher -ses cris ou sa résistance, l'étranger lui -avait donné quelque substance soporifique, -mêlée peut-être aux bonbons qui avaient servi -à l'attirer.</p> - -<p>La nouvelle de cet événement, répandue -bientôt dans toute la ville de Lyon, fut un -sujet de conjectures et de perplexité, surtout -quand on apprit que l'individu arrêté se nommait -<span class="pagenum"><a id="Page_94"> 94</a></span> -Pierre-Claude Chevallier, et était le même -qui occupait une place de sous-chef à la préfecture -du Rhône.</p> - -<p>La rumeur publique ne tarda pas à s'exercer -sur cette tentative d'enlèvement et sur son -auteur; on fouilla toute la vie de Chevallier -depuis le moment de son arrivée à Lyon; mille -bruits défavorables circulèrent sur son compte; -des faits furent rappelés, des témoins se présentèrent, -des demi-plaintes furent portées à -l'oreille de l'autorité. On ne parlait plus seulement -du vol d'un enfant; on murmurait les -mots d'<i>empoisonnement</i>, d'<i>infanticide</i>. Suivant -les premiers bruits qui furent recueillis, -Chevallier n'avait cessé de commettre des crimes -depuis qu'il était à Lyon. On disait qu'une -de ses maîtresses était morte dans la fleur de -l'âge, empoisonnée par lui; que sa première, -sa seconde et sa troisième femme, avaient -éprouvé le même sort; et que, pour comble -d'atrocité, l'enfant de Chevallier qui avait disparu -tout-à-coup, n'était mort que de la main -de son père.</p> - -<p>De nouvelles informations viennent confirmer -à la justice les faits déjà parvenus à sa -connaissance; chaque instant révèle une circonstance -<span class="pagenum"><a id="Page_95"> 95</a></span> -importante. Enfin, suivant les paroles -de l'acte d'accusation, «si les morts ne -sortent pas de leurs tombeaux, une multitude -de documens épars se réunissent pour prouver -qu'une main homicide les y a fait descendre. -L'enfant volé n'est plus que l'instrument -dont la Providence semble s'être servi pour -mettre les hommes sur la voie de découvrir -un grand coupable.»</p> - -<p>Cependant Chevallier, rassuré par la bienveillance -que ses chefs lui avait témoignée, et -par les anciennes apparences de bonne conduite -qu'il pouvait invoquer en sa faveur, entreprit -de se justifier de l'enlèvement du jeune -Berthier, et fit parvenir, à cet effet, du fond -de sa prison, au lieutenant-général de police, -un long mémoire qui, loin de répondre à son -attente, ne fit au contraire que fournir des -armes plus sûres à l'accusation dirigée contre -lui.</p> - -<p>Voici le récit, plein de contradictions et -d'invraisemblances, qu'il faisait de la disparition -de son enfant. Suivant son mémoire -justificatif, cet enfant qu'il avait eu de son -mariage avec Marguerite Pizard, avait deux -ans quand il fut placé en nourrice à Villeurbanne. -<span class="pagenum"><a id="Page_96"> 96</a></span> -Lui, Chevallier, ayant appris qu'il manquait -de soins, alla le retirer, et, le 2 août -1819, à sept heures du soir, il traversa le pont -de la Guillotière, en revenant de Villeurbanne, -dans l'intention de le placer chez une nouvelle -nourrice dont il lui a été impossible d'indiquer -le nom. Au lieu de coucher à Lyon, -il préféra, le soir même, aller coucher à la -demi-lune, sur la route de Tassin, d'où il partit -le lendemain jeudi 3 août, se dirigeant sur -Pollionnay, qui n'en est éloigné que de deux -lieues. La chaleur et la fatigue de la route lui -ôtèrent presque toutes ses forces; les vapeurs -du vin qu'il avait bu lui montèrent au cerveau.</p> - -<p>Il était dans cet état, continuait-il dans son -mémoire, lorsqu'il s'égara dans un chemin -de traverse, près d'une colline, au milieu -d'épaisses broussailles. Alors une branche qu'il -n'avait pu éviter vint frapper son enfant, le -réveilla et le fit chanceler; il voulut retenir -le mouvement de sa tête, qui entraînait le -reste du corps, mais il ne vit pas une cavité -remplie d'herbes glissantes qui était sous ses -pieds. Il tomba brusquement; l'enfant lui -échappa, roula beaucoup plus bas que lui, -<span class="pagenum"><a id="Page_97"> 97</a></span> -et ne fit entendre aucun cri, parce que, selon -toute apparence, <i>sa tête avait frappé contre -un rocher</i>. Étourdi de sa chute, égaré par le -désespoir, Chevallier perdit la tête et la raison. -Dans cet état, la nuit vint le surprendre. Il -appela à son secours, et sa voix ne fut pas entendue; -il fit des recherches, au milieu de -l'obscurité, pour trouver son fils, mais elles -furent vaines. Navré de douleur, il revint à -Lyon, dissimula son chagrin, fit la faute de -ne pas faire la déclaration de son malheur, et -enfin, le dimanche suivant, essaya de nouvelles -recherches qui furent sans résultat. Il -terminait en disant qu'il avait sans doute fait -une <i>faute répréhensible</i>, en enlevant l'enfant -des époux Berthier, mais qu'il y avait été -poussé par l'idée de réparer la perte douloureuse -qu'il avait faite du sien.</p> - -<p>Tel fut le tissu de circonstances mensongères -et invraisemblables que Chevallier produisit -pour sa justification. Les renseignemens -recueillis par la police vinrent détruire tout -cet échafaudage de mensonges, et prouver jusqu'à -l'évidence que Chevallier n'avait commis -un nouveau crime que pour en cacher un -précédent. Il fut facile de confondre l'accusé -<span class="pagenum"><a id="Page_98"> 98</a></span> -par des faits et par des argumens sans réplique.</p> - -<p>Mais les investigations de la justice ne devaient -pas s'arrêter là: on disait que l'accusé -avait usurpé le nom qu'il portait; ce point -était important à éclaircir, et ce fut dans ce -but qu'on lui fit subir un interrogatoire, le -21 juin. Chevallier soutint qu'il était de Lyon, -et né dans la paroisse de Saint-Pierre. D'après -lui, son père et sa mère n'existaient plus; -l'un était mort en 1792, l'autre en 1793. Son -père, ouvrier en soie, demeurait rue de l'Arbre-Sec. -Il n'avait plus de parens à Lyon et -n'en avait conservé que dans le département -de l'Isère, lieu de naissance de son père. Ayant -quitté Lyon à l'âge de huit ans, avec un de -ses oncles qui le conduisit à Saint-Domingue, -ses frères et ses sœurs moururent pendant -son absence qui se prolongea jusqu'en l'année -1801, époque à laquelle il s'embarqua -pour revenir en France. Dans la traversée, -son oncle et lui eurent le malheur d'être pris par -les Anglais. Alors son oncle vint à périr, il ne sait -comment; pour lui, il resta à Portsmouth et -obtint ensuite la liberté, par le moyen d'un -échange. De retour en France, où il débarqua -<span class="pagenum"><a id="Page_99"> 99</a></span> -à Morlaix, il prit du service comme tambour -dans la quatre-vingt-cinquième demi-brigade, -et fit la guerre en <i>Hollande</i>, en <i>Espagne</i>, -à <i>Saint-Domingue</i>. Enfin, en 1811, et -pour cause de douleurs rhumatismales, il obtint -son congé à Napoléon-Ville.</p> - -<p>On verra par la suite jusqu'à quel point -cette sorte de biographie de Chevallier, tracée -par lui-même, coïncidait avec la vérité. Cet -accusé persista dans son système; il fournit -même des preuves à l'appui, et la justice, privée -des moyens nécessaires pour reconnaître -la fausseté de son roman, tourna son attention -d'un autre côté. Il lui importait de recueillir -avec exactitude les documens, les circonstances, -les moindres indices relatifs aux -empoisonnemens imputés à Chevallier. L'information, -conduite avec une sage lenteur, -ne tarda pas à produire des résultats satisfaisans.</p> - -<p>Chevallier, dont la vie, avant son arrivée à -Lyon, demeura encore long-temps un mystère, -y avait été rejoint au mois de mai 1812, avant -son premier mariage, par une jeune hollandaise -restée veuve, à vingt-deux ans, d'un -officier nommé Debira. Chevallier l'avait connue -<span class="pagenum"><a id="Page_100"> 100</a></span> -à Anvers. C'était une fort jolie femme, -d'une santé superbe; on l'avait surnommée -<i>la belle Hollandaise</i>, à cause de ses grâces et -de sa beauté. Chevallier et la veuve Debira -vécurent ensemble. Le premier semblait partager -sincèrement l'amour qu'il avait inspiré -à sa maîtresse, quand tout-à-coup celle-ci fut -atteinte d'une violente inflammation de bas-ventre, -accompagnée des douleurs les plus -aiguës.</p> - -<p>Le docteur Dittmar ayant été appelé, ordonna -des remèdes qui devaient infailliblement -calmer cette inflammation; mais, après -quelques visites, s'apercevant au contraire -que le mal empirait, il ne put s'empêcher d'en -témoigner son étonnement à Chevallier. -«Il faut, lui dit-il, que cette femme boive ou -mange quelque chose qui irrite son mal?—Elle -boit en effet de l'eau-de-vie, répondit -Chevallier sans se déconcerter.—Eh! comment! -vous ne pouvez donc pas l'en empêcher?—Non, -monsieur, elle en envoie chercher -quand je suis dehors.» Le docteur -ajouta que si la malade continuait l'usage de -cette boisson, elle finirait par succomber; -puis s'approchant en particulier de la veuve -<span class="pagenum"><a id="Page_101"> 101</a></span> -Debira, il lui adressa des reproches sur son -imprudence; et la jeune Hollandaise lui protesta -que, <i>depuis long-temps, elle n'avait -point bu d'eau-de-vie</i>.</p> - -<p>Cette réponse était de nature à éveiller les -plus graves soupçons; de plus, la dame Jouvenne, -hôtesse de Chevallier et de sa maîtresse, -avait remarqué que, lorsqu'elle montait -dans leur chambre, il évitait toujours de -se montrer, et se cachait derrière un placard. -Néanmoins ces circonstances étaient insuffisantes -pour motiver une accusation capitale.</p> - -<p>Le docteur Dittmar cessa ses visites, et peu -de jours après, la malade avait cessé de vivre. -Il est essentiel de remarquer qu'à cette époque, -Chevallier ne prévoyant pas l'avenir, ne -parla point du système qu'il mit en œuvre -après son arrestation, lorsqu'on lui reprocha -ce premier empoisonnement. Il ne parla pas -d'un bain froid pris par sa maîtresse au moment -de ses évacuations menstruelles; il n'en -dit pas un seul mot au médecin à qui pourtant -il aurait importé d'indiquer la première -cause des souffrances; et cependant depuis, -Chevallier parla de ce bain comme de la cause -de la mort de la veuve Debira.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_102"> 102</a></span> -On ne pouvait trouver le motif de ce premier -attentat que dans une nature perverse. -L'intérêt que Chevallier pouvait avoir eu à -le commettre, est demeuré absolument problématique.</p> - -<p>Après la mort violente de la belle Hollandaise -et dans l'espace de deux années, Chevallier -contracta quatre mariages successifs. -Il épousa d'abord Etiennette-Marie Desgranges, -fille d'un propriétaire de Saint-Didier-sous-Riverie. -La seconde femme fut Marguerite -Pizard. La troisième se nommait Marie -Riquet. Enfin il avait épousé en quatrièmes -noces Benoîte Besson.</p> - -<p>Plusieurs des contrats de mariage étaient -dans la même forme: ils portaient une <i>donation -mutuelle au dernier vivant des deux -époux</i>. La justice en tira bientôt la conséquence -que Chevallier n'avait d'autre but, en -hâtant la mort de ses femmes, que de se mettre -en possession des avantages matrimoniaux -qu'il s'était assurés.</p> - -<p>Etiennette Desgranges, la première femme -de Chevallier, était à l'époque de son mariage, -d'une constitution forte et d'une santé brillante. -Quelques mois s'étaient à peine écoulés -<span class="pagenum"><a id="Page_103"> 103</a></span> -au sein de l'union la plus paisible, lorsque -cette jeune femme éprouva des coliques toujours -renaissantes; à cet état de souffrance -succéda un affaiblissement général. Une petite -fille, née de ce mariage, tomba dans une débilité -semblable à celle de sa mère. Peu alarmée -des symptômes d'un mal qu'elle ne -croyait pas dangereux, elle n'eut aucun -soupçon sur son mari; la mort de son enfant, -qui survint peu après, n'éveilla pas des craintes -qui n'auraient été pourtant que trop fondées; -et victime de sa confiance, elle ne tarda -pas à suivre sa fille au tombeau; elle mourut en -1814. Une circonstance, qui ne fut relevée -qu'après l'arrestation de Chevallier, marqua -le dernier jour d'Etiennette Desgranges. Les -cousines de cette infortunée avaient appris, -par la portière de la maison qu'elle habitait, -que, la veille à onze heures du soir, elle avait -eu une crise qui avait failli la faire périr. Elles -furent aussitôt la voir, et la trouvèrent levée -et moins souffrante. Pendant leur visite, en -l'absence de son mari, elle prit quelques alimens -et demanda à boire en désignant une -bouteille: <i>Donnez-moi de ce vin</i>, dit-elle en -montrant le vase du doigt; <i>l'autre est celui</i> -<span class="pagenum"><a id="Page_104"> 104</a></span> -<i>de mon mari</i>. La malade but, et cinq minutes -après elle éprouva une crise subite: tous ses -membres se contractèrent et se raidirent. -Chevallier arriva; les tortures de sa femme ne -l'effrayèrent point; il suivit sans émotion les -terribles effets du breuvage. Etiennette attacha -sur lui ses yeux mourans; vaincue par la -douleur, elle tomba sur le plancher, faisant -des efforts convulsifs pour rejeter la liqueur -empoisonnée: bientôt après, elle expira au milieu -de tourmens inexprimables. Chevallier, -d'autant plus calme qu'il était préparé dès -long-temps à la mort de sa femme, n'attendit -pas que le cadavre fût refroidi, pour faire disparaître -les traces accusatrices de ses machinations. -Il saisit vivement le verre dans lequel -sa femme avait bu et contenant encore la moitié -du liquide qui y avait été versé, et alla le -vider sous la pierre de l'évier; puis, avec le -plus grand sang-froid, il ôta l'alliance et les -boucles d'oreilles de la défunte. Il se hâtait -aussi de la dépouiller du jupon qui la couvrait, -lorsqu'on lui fit remarquer qu'il -était inconvenant à lui de s'occuper de ces -détails. Chevallier se retira, et à l'instar de -Desrues, feignit de chercher des consolations -<span class="pagenum"><a id="Page_105"> 105</a></span> -à sa douleur dans la lecture de l'<i>Imitation de -Jésus-Christ</i>.</p> - -<p>Chevallier, après son arrestation, crut pouvoir -se justifier de ce forfait. Mais il fut prouvé -qu'Etiennette Desgranges n'avait point eu de -maladie, dans l'acception médicale de ce mot; -que ses souffrances, son agonie et sa mort -avaient eu lieu presqu'à la même heure. La -veille du décès, le docteur Para avait été appelé -pour voir madame Chevallier; il lui avait -trouvé les nerfs un peu agités, et s'était borné -à prescrire une potion calmante. Le lendemain, -ce médecin y étant retourné, avait -appris avec surprise qu'elle n'existait plus. -On ne peut se dissimuler que les présomptions, -soulevées par une mort aussi imprévue, -devaient se convertir en preuves, en les -rapprochant des événemens postérieurs.</p> - -<p>Facile à se consoler, Chevallier épousa en -secondes noces Marguerite Pizard. Toutefois -lorsqu'il fit la demande de la main de cette -demoiselle, celle-ci témoigna d'abord quelque -répugnance. Le bruit circulait déjà sourdement -que Chevallier avait tué sa maîtresse et -sa première femme. Enfin Marguerite Pizard -s'étant persuadée que l'on calomniait Chevallier, -<span class="pagenum"><a id="Page_106"> 106</a></span> -elle consentit à unir son sort au sien; -leur mariage fut célébré le 28 août 1816. Rien -ne semblait devoir faire repentir Marguerite -Pizard de l'union qu'elle venait de contracter. -Elle recevait chaque jour de son mari de nouvelles -marques d'attachement: il lui prodiguait -les soins les plus affectueux. Marguerite -Pizard devint enceinte, et cet événement accrut -la tendresse de Chevallier, c'est-à-dire -le rendit encore plus prodigue de ses fallacieuses -démonstrations. Cependant ce fut -alors qu'il commença à administrera sa malheureuse -épouse les premières doses du poison -qui devait la conduire au tombeau.</p> - -<p>Ce n'est qu'en frémissant que nous allons -signaler la marche constamment suivie par ce -scélérat dans le cours de ses crimes. Il résulte -de l'instruction du procès, que c'était précisément -à l'époque, où l'espoir d'être père devait -ouvrir son cœur aux plus douces impressions, -que Chevallier, souriant aux tortures -prochaines de ses victimes, apprêtait la coupe -empoisonnée. Un funeste calcul lui avait appris -que le moment où la fragile existence -d'une femme est le plus exposée aux influences -morbides, est celui où elle souffre les douleurs -<span class="pagenum"><a id="Page_107"> 107</a></span> -et éprouve les joies de la maternité. Il -savait qu'il faut peu de chose alors pour porter -le trouble dans les sources de la vie. Ce -n'était point une mort prompte, instantanée -qu'il voulait donner à deux êtres à la fois; le -soin de sa propre conservation lui faisait pressentir -tout ce qu'il y aurait eu de périlleux -pour lui dans un crime aussi précipité. Il préférait, -par un raffinement de cruauté, verser -le poison goutte à goutte, et se repaître, pour -ainsi dire, des souffrances graduelles qu'il -faisait éprouver.</p> - -<p>La grossesse de Marguerite Pizard avait été -pénible; des vomissemens continuels et plus -abondans que ne le sont habituellement ceux -des femmes enceintes, des douleurs aiguës -dans le bas-ventre en avaient signalé la durée. -Enfin, le 18 mai 1817, madame Chevallier -donna le jour à un enfant mâle qui reçut le -nom d'Eugène. Cet enfant, placé en nourrice, -fut momentanément soustrait aux fureurs de -son père. C'est le même qui, vingt-sept mois -plus tard, fut l'objet d'un nouveau crime. Cependant -Marguerite Pizard se remit difficilement -de ses couches; le poison avait étendu -ses ravages. Trop lent au gré de Chevallier, -<span class="pagenum"><a id="Page_108"> 108</a></span> -celui-ci fit prendre à sa femme les dernières -doses. Alors de nouvelles douleurs se manifestèrent; -à chaque instant, survenaient des -coliques, des attaques de nerfs, de violentes -convulsions. La malade se plaignit de n'être -pas soignée; elle accusa son médecin de ne -point lui faire prendre de remèdes, sous le -faux prétexte qu'elle était de nouveau enceinte. -Les parens, alarmés, s'étonnèrent qu'on n'eût -point placé de garde auprès de Marguerite -Pizard; ils offrirent de passer les nuits auprès -d'elle. Mais Chevallier, selon lui, suffisait à -tout; il voulait <i>seul</i> donner les soins que -l'état de sa femme réclamait; chaque nuit, il -restait <i>seul</i> à son chevet. Le mal augmenta, -les convulsions se succédèrent rapidement; -la mort arriva le 13 septembre 1817: tel fut -le résultat de l'assistance de Chevallier.</p> - -<p>Jusqu'ici notre récit n'est fondé que sur des -présomptions graves qui ne font que concourir -à éclairer la culpabilité de Chevallier. Nous -allons parler d'un nouveau crime, constaté -par les témoignages les moins irrécusables et -par une foule de faits qui sont prouvés.</p> - -<p>Au mois de juin 1818, Chevallier épousa -Marie Riquet; cette troisième épouse, comme -<span class="pagenum"><a id="Page_109"> 109</a></span> -ses deux devancières, vécut avec son mari dans -une sécurité parfaite. Toujours plus audacieux -au crime, non moins habile à se couvrir du -masque des vertus qu'il n'avait pas, Chevallier -avait gagné l'amour de Marie Riquet. Elle -devint grosse; c'était, pour ainsi dire, le commencement -de son agonie. Sa santé, jusque-là -florissante, commença à s'altérer. Les phénomènes -qui avaient eu lieu, pendant la grossesse -des premières femmes de Chevallier, se reproduisirent -chez Marie Riquet. Les couches furent -précédées de violentes douleurs et de -convulsions singulières. Il tint alors à peu de -chose que Chevallier ne fût enfin démasqué.</p> - -<p>La femme Pontannier, garde-malade, connue -depuis long-temps de Marie Riquet, s'était -proposée pour la soigner durant ses couches; -mais Chevallier n'avait eu garde d'accepter -ses offres. Cette femme en conçut des soupçons. -Chevallier l'ayant rencontrée peu de -jours après, lui annonça l'accouchement de -sa femme: il convint qu'elle avait eu des -convulsions terribles, et qu'on avait été obligé -d'avoir recours au <i>forceps</i>. Tout dans ce récit -dénonçait à la femme Pontannier des trames -criminelles. Elle crut reconnaître des symptômes -<span class="pagenum"><a id="Page_110"> 110</a></span> -de poison; et ne pouvant contenir son -indignation, elle se répandit en reproches -contre Chevallier. Celui-ci, confondu, se déconcerta, -balbutia quelques mots entrecoupés, -et se hâta de quitter la femme Pontannier. -Quelques jours se passèrent, et Marie Riquet -n'existait plus. Chevallier essaya de profiter -de cet événement pour dérouter les soupçons -de la femme Pontannier; il composa son visage, -et vint lui annoncer la mort presque subite -de son épouse. Mais la femme Pontannier, -loin d'être la dupe de son hypocrisie, s'emporta, -dit à Chevallier que la famille Riquet -allait faire ouvrir le cadavre de la défunte, et -que, si elle ne le faisait pas, elle s'en chargerait -elle-même. Chevallier, attérré par cette menace, -pâlit; il ne chercha point à repousser l'accusation -qui l'accablait.</p> - -<p>Mais le moment n'était pas encore arrivé -où ce misérable devait être convaincu de ses -crimes. La famille Riquet hésita sur ce -qu'elle devait faire. Elle recula devant les -conséquences de l'accusation qu'elle pouvait -porter; elle songea avec horreur qu'une pareille -démarche pouvait conduire Chevallier -à l'échafaud, et déshonorer les enfans, sans -<span class="pagenum"><a id="Page_111"> 111</a></span> -rendre la vie à leur mère; elle se détermina en -conséquence à se taire.</p> - -<p>La garde qui avait pris soin de Marie Riquet -avait remarqué que Chevallier donnait à sa -femme des breuvages qui n'étaient pas prescrits -par le médecin; que c'était une <i>liqueur forte</i> -dont elle n'avait pu reconnaître la nature; et -sur la représentation qu'elle fit à ce sujet à -Chevallier, elle en reçut pour réponse ces -paroles atroces: <i>Soyez tranquille: ce que je -lui donne est pour lui débarrasser l'estomac; -cela lui donnera une crise qui la sauvera ou -l'emmènera.</i> Les effets du breuvage étaient -bien connus à ce monstre; sa sombre prédiction -ne tarda pas à s'accomplir. Peu de minutes -après, la crise annoncée se déclara d'une -manière si effrayante, que deux personnes -s'enfuirent épouvantées. Les bras et les jambes -de la victime se tordirent, et les convulsions -qui l'agitèrent furent tellement horribles, que -la moribonde tomba du lit. Pendant cette -scène déchirante, Chevallier suivait de l'œil -les progrès de son remède. Il se baissa sans -émotion, ramassa l'infortunée gisante sur le -plancher, la replaça sur le lit, et, peu d'instans -<span class="pagenum"><a id="Page_112"> 112</a></span> -après, la vit expirer, sans qu'une larme eût -mouillé sa paupière.</p> - -<p>C'est avec une terreur que le lecteur partagera -sans doute que nous mettons sous ses -yeux ces détails douloureux; la nudité du -crime est effrayante, cependant il est de notre -devoir de ne pas la voiler; plus elle blesse les -regards, plus elle fait aimer la vertu.</p> - -<p>D'après tous les renseignemens recueillis -par la justice, il n'était plus permis de mettre -en doute la profonde scélératesse du prévenu. -Cependant il avait été jusque-là impossible -de soulever le voile qui couvrait les -premières années de la vie de Chevallier. Tout-à-coup -un événement imprévu vint aider à -trouver le mot de l'énigme et répandre un -nouvel intérêt sur toute cette affaire.</p> - -<p>Déjà on savait que l'accusé avait usurpé le -nom de Chevallier qu'il portait. Il était de -notoriété publique qu'un jeune homme de -Lyon, nommé Chevallier, de la même taille, -du même âge que l'accusé, avait été au service; -mais on était encore incertain si ce n'était pas le -prévenu. Soudain on apprend que le véritable -Chevallier vit encore; qu'il est officier dans nos -<span class="pagenum"><a id="Page_113"> 113</a></span> -armées; il a perdu, il y a quelques années, son -portefeuille et ses papiers. Il se trouve en ce -moment en garnison à deux cents lieues de -Lyon: on lui écrit, il arrive, on le confronte -aussitôt avec l'accusé; ils ne se connaissent -ni l'un ni l'autre. L'imposteur est confondu.</p> - -<p>Cependant il se rassure, et soutient qu'il se -nomme Pierre-Claude Chevallier; qu'il n'a jamais -connu d'autre nom, et que si ce n'est pas -le sien, il a été induit en erreur par ceux qui -l'ont élevé.</p> - -<p>Cette obstination annonçait que le faux -Chevallier avait de graves motifs pour ne pas -faire connaître son véritable nom. On l'accable -de questions, on emploie tous les moyens -pour lui arracher la vérité. Enfin le faux Chevallier -se décide à parler. Il demande qu'il lui soit -permis de voir sa femme. C'était Benoîte Besson, -qu'il avait épousée en quatrièmes noces.</p> - -<p>Plongée dans la douleur, cette femme arrive -à la prison et s'assied près de son mari: -celui-ci lui tient ce discours: «Je vous ai -trompée, j'ai voulu vous voir pour vous l'apprendre. -Je ne suis point Pierre-Claude Chevallier; -je viens de voir celui dont j'ai pris -le nom. Je ne sais jusqu'à quel point notre -<span class="pagenum"><a id="Page_114"> 114</a></span> -union est valable; vous prendrez des mesures -pour la faire rompre. J'appartiens à une famille -respectable: elle avait de la fortune, et -tenait un rang dans la société: j'ai mon père -et ma mère; mes frères et sœurs existent encore. -Je ne me nommerai pas, parce que je ne -veux pas les déshonorer. Ce sont eux qui -m'ont forcé à prendre du service. Par suite -d'une erreur de jeunesse, j'étais sur le point -d'être condamné à une peine infamante: de -puissantes protections me sauvèrent; je n'ai -subi aucune condamnation. Depuis mon entrée -au service, je n'ai pas revu mes respectables -parens. Je sais que je suis perdu; je n'ai -d'autre ressource que la mort, que je désire. Je -crois qu'il est de mon devoir de ne pas faire -rejaillir sur ma famille la honte qui m'attend.»</p> - -<p>Après ces premiers aveux, le prévenu pressé -de plus en plus par l'aiguillon de sa conscience, -déclara se nommer Pierre-Étienne-Gabriel -Lelièvre; dit qu'il était né à Madrid, d'origine -française; que son père, propriétaire et rentier, -habitait à Paris, rue de la Muette, n<sup>o</sup> 6. Il -borna là ses révélations, ajoutant qu'il allait -se recueillir, et consigner dans un mémoire -tous les événemens de sa vie.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_115"> 115</a></span> -On fit prendre, en attendant, des renseignemens -à la police de Paris, et l'on sut que -Lelièvre appartenant à une famille distinguée, -s'était adonné de bonne heure aux vices les -plus déshonorans.</p> - -<p>Lelièvre, montrant de la netteté dans les -idées, des dispositions pour le calcul, tous -les germes d'un esprit froid et réfléchi, ayant -d'ailleurs reçu une éducation soignée, son -père l'avait fait entrer à la Banque de France -avec un emploi de cent louis de traitement et -l'espoir de places plus lucratives et plus importantes. -Cependant ses émolumens et les libéralités -de son père ne pouvaient suffire aux -dépenses du jeune Lelièvre. A peine sorti de -l'adolescence, il toucha à la Banque de France, -sur de faux bons, une somme de soixante -mille francs. Le vol ayant été découvert, il -fut arrêté le 7 janvier 1809. Dès ce moment, -il avait mérité d'être voué à une infamie perpétuelle; -son père paya la somme entière et -obtint du ministre, à force de larmes et de -prières, qu'on ne fît aucune poursuite. Mais il -fallait infliger une punition au jeune Lelièvre; -il fut enrôlé dans un bataillon colonial. Lelièvre -déserta, arriva à Flessingue et y trouva -<span class="pagenum"><a id="Page_116"> 116</a></span> -les papiers d'un nommé Pierre-Claude Chevallier, -qui appartenait, ou qui avait appartenu -au même bataillon. Il conçut alors l'idée de -s'emparer du nom de ce militaire, et joignant -de nouveaux crimes aux premiers, de voleur -et de déserteur, il devint faussaire et fabriqua -un faux congé et une fausse feuille de route. -Muni de tous ces papiers, Lelièvre vint à -Lyon, ville natale du véritable Chevallier; il -se présenta hardiment comme Lyonnais au -préfet du département, et ce fut à ce titre qu'il -obtint dans les bureaux une place d'où, comme -on la vu, sa conduite extérieure n'avait pas -tardé à le faire arriver à celle de sous-chef.</p> - -<p>Après des renseignemens aussi positifs, il -ne restait plus à la justice qu'à sévir contre -l'auteur de tant de crimes accumulés. Une ordonnance -de la chambre des mises en accusation -le renvoya devant la Cour d'assises du -Rhône, et toute la ville de Lyon, indignée -d'avoir si long-temps recelé dans son sein un -scélérat aussi infâme, attendit avec une véritable -sollicitude, l'époque de son jugement -fixé au 11 décembre 1820.</p> - -<p>Lelièvre comparut devant la Cour, en présence -d'une affluence considérable de spectacle -<span class="pagenum"><a id="Page_117"> 117</a></span> -de tous les rangs de la société. Tous les -regards étaient fixés sur l'accusé. Sa taille était -au-dessus de la moyenne; ses yeux bleus respiraient -la douceur; sa figure pâle n'offrait -que des traits réguliers; sa chevelure blonde -et bouclée était magnifique; seulement on -remarquait dans ses lèvres un mouvement -de contraction, qui donnait parfois à sa physionomie -un air effrayant et sinistre.</p> - -<p>Les débats du procès n'ajoutèrent rien aux -faits déjà connus. Lelièvre, fidèle à son caractère, -combattit l'accusation avec une tranquillité, -avec un calme apparent, qui sembleraient -ne devoir appartenir qu'à l'innocence, -avec des formes que l'on croirait incompatibles -avec le crime. La fourbe et l'hypocrisie -présidèrent à tous ses gestes, dictèrent toutes -ses réponses.</p> - -<p>Le ministère public soutint l'accusation -avec une énergie mêlée d'indignation. Après -avoir présenté d'une manière pathétique le -tableau des crimes reprochés à Lelièvre, il -termina en s'écriant: «Je le demande, existe-t-il -dans les annales du crime, je ne dis pas rien -de semblable, mais rien qui puisse, même de -loin, approcher de tant d'horreurs? Et n'avais-je -<span class="pagenum"><a id="Page_118"> 118</a></span> -pas le droit de m'écrier tout-à-l'heure, -qu'il eût bien mieux valu pour l'accusé et pour -sa famille, pour ses amis et pour ses protecteurs, -pour nous-mêmes, qu'il eût porté -sur l'échafaud la peine de son premier crime?»</p> - -<p>Il était impossible de définir les sentimens -qui se retracèrent sur la figure de Lelièvre -pendant toute la durée de ce discours. Quelquefois -il semblait déconcerté; il baissait -les yeux, changeait de couleur: il paraissait -surpris et accablé quelquefois; et alors que l'on -écoutait avec émotion le détail des souffrances -des victimes de Lelièvre, un sourire infernal -errait sur les lèvres de l'accusé, et semblait -venir à l'appui de la conjecture faite par l'avocat-général, -relativement aux causes qui -avaient poussé le prévenu au crime; causes -qu'il attribuait à des penchans secrets ou à -des goûts dépravés.</p> - -<p>Quatre séries de questions furent proposées -au jury; la première se composant de dix-neuf -accusations de faux en écritures publiques; -la seconde concernant l'empoisonnement des -trois femmes de Lelièvre; la troisième relative -à l'infanticide commis sur la personne de -Denis-Eugène Chevallier, son fils; et la quatrième -<span class="pagenum"><a id="Page_119"> 119</a></span> -se rapportant à l'enlèvement de l'enfant -Berthier. Le jury répondit affirmativement -et à l'unanimité sur toutes les questions, -excepté sur celles qui portaient sur l'empoisonnement -des deux premières femmes, ces -deux forfaits n'étant pas suffisamment prouvés.</p> - -<p>Sur ces réponses, le ministère public requit -l'application des peines portées par la loi, et le -président de la Cour prononça l'arrêt qui -condamnait Pierre-Étienne-Gabriel Lelièvre -à la peine de mort, et ordonnait qu'il aurait -la tête tranchée sur l'une des places publiques -de la ville de Lyon. Cet arrêt ne parut faire -aucune impression sur le coupable. Reconduit -à sa prison, il s'empressa d'adresser -son pourvoi à la Cour suprême. Son hypocrisie -systématique ne l'abandonna pas après -sa condamnation. «Tout mon espoir, disait-il, -est dans l'Être suprême dont les volontés sont -invisibles sur la terre; s'il éclaire mes juges, -et que mon arrêt soit cassé, mon innocence -triomphera devant d'autres juges. J'ai la ferme -croyance que mon arrêt sera cassé; cette -confiance est fondée sur mon innocence. Mais -d'ailleurs je suis résigné à mon sort; l'échafaud -n'a jamais fait pâlir un innocent.» Puis -<span class="pagenum"><a id="Page_120"> 120</a></span> -il montrait aux personnes qui allaient le visiter -un Évangile qu'il tenait à la main, et -s'écriait: «Voilà pour moi une source de -consolations! J'en ai fait toute ma vie la règle -de ma conduite.»</p> - -<p>Il souffrait, disait-il, sans être coupable, -<i>de même que Jésus-Christ qui avait été sacrifié</i>; -il était victime des préventions qu'on -avait élevées contre lui. Il disait qu'il dormait -<i>comme un ange</i>, et qu'il y avait des gens plus -malheureux que lui. Enfin, quelques personnes, -presque convaincues de son innocence, -le pressant de publier un mémoire justificatif: -<i>C'est un soin dont je m'occuperai</i>, répondit-il, -<i>lorsque je serai sorti de ma prison</i>.—Mais -s'il arrivait que votre captivité n'eût -d'autre terme que la mort?—<i>Alors</i>, répliquait-il, -en souriant: <i>les anges se chargeront -de ce soin</i>.</p> - -<p>Et cependant au moment où Lelièvre protestait -de son innocence, on venait d'apprendre -le genre de mort qu'il avait fait souffrir -à son enfant.</p> - -<p>On apprit que cet enfant avait été trouvé -noyé sur les bords du Rhône, en face de -Thernay, petite commune située à trois lieues -<span class="pagenum"><a id="Page_121"> 121</a></span> -de Lyon. Les habillemens trouvés sur le cadavre -furent remis à l'autorité, qui constata -qu'ils étaient bien les mêmes que ceux que -portait l'enfant Chevallier. Lorsqu'on apprit -à Lelièvre l'importante découverte que venait -de faire la justice, sa contenance fut un -instant ébranlée: «<i>Ah! si j'avais su cela!</i>» -s'écria-t-il d'abord; puis il garda le silence. -Mais sa pensée perçait tout entière dans ces -seuls mots.</p> - -<p>La Cour de cassation rejeta le pourvoi -de Lelièvre, le 11 janvier 1821. Quand on lui -annonça cette nouvelle, le condamné entra -dans une fureur extrême, accusant et maudissant -ses juges, et persistant toujours dans -ses protestations d'innocence. Le 29 janvier, -jour fixé pour l'exécution, il écrivit encore -au procureur-général pour détailler de prétendues -nullités qu'il voyait dans son arrêt; -la veille, il s'était adressé au préfet pour -obtenir un sursis.</p> - -<p>Mais l'heure de la vindicte publique allait -sonner; il n'y avait que trop long-temps que -ce misérable, chargé de crimes, pesait sur la -terre. Lelièvre, sans force et sans audace, fut -conduit au lieu du supplice, au milieu d'une -<span class="pagenum"><a id="Page_122"> 122</a></span> -foule immense à laquelle il s'efforçait de cacher -ses traits. Parvenu auprès de l'échafaud, -l'exécuteur fut obligé de soutenir sa marche -chancelante. Un instant après, il avait subi -son arrêt.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_123"> 123</a></span></p> -<h2 class="normal">PEYRACHE,<br /> -<span class="medium">FAUX TÉMOIN;</span><br /> -<span class="xlarge">RISPAL ET GALLAND,</span><br /> -<span class="medium">SES VICTIMES.</span></h2> -</div> - -<p>«En élevant la main au ciel, dit un écrivain -moderne, le témoin invoque sur sa tête -la vengeance du Tout-Puissant; il porte contre -soi l'imprécation la plus terrible; s'il conserve -dans son cœur l'arrière-pensée de trahir -la vérité promise, il engage son honneur, sa -réputation, la paix de son âme, pour l'assurance -de sa parole.</p> - -<p>«Le faux témoignage est le plus grand des -attentats; ses conséquences sont effrayantes. -Il annonce une démoralisation absolue; il -tend à détruire toute confiance parmi les -hommes; il sape les fondemens de la sûreté -publique; il anéantit la tranquillité des familles; -<span class="pagenum"><a id="Page_124"> 124</a></span> -il introduit le désordre le plus affreux, -la confusion la plus universelle; il conduit à -la dissolution de la société, et peut causer la -perte et la ruine de tous ses membres.</p> - -<p>«Le plus sage des rois de l'antiquité comparait -le faux témoin et le parjure aux instrumens -les plus meurtriers, aux animaux les plus -perfides et les plus dangereux, aux fléaux les -plus épouvantables dont le ciel, dans sa colère, -puisse accabler les hommes. Le faux témoin -et le parjure, disait-il, sont une massue, une -épée, une flèche aiguë, un poignard caché, -un poison plus dangereux que celui de l'aspic -et des serpens les plus redoutés, contre lesquels -il n'est point de remède.»</p> - -<p>Le fait que nous allons rapporter va fournir -les preuves de cette définition, et nous -dispensera de toute autre réflexion.</p> - -<p>Le sieur Jean Courbon, de Mazet près Yssengeaux -(Haute-Loire), jouissait d'une honnête -aisance et de la considération de tous ses -voisins; on ne lui connaissait pas d'ennemis. -Ses bonnes qualités n'étaient un peu tachées -que par le défaut qu'il avait de s'adonner au -au vin et d'en faire un fréquent abus.</p> - -<p>Le 9 septembre 1817, il passa la journée et -<span class="pagenum"><a id="Page_125"> 125</a></span> -une partie de la soirée à boire dans divers cabarets -du bourg de Dunière, canton de Montfaucon, -avec les nommés Galland, Rispal et -Tavernier, tous trois beaux-frères. Le lendemain, -à cinq heures du matin, le cadavre de -ce malheureux fut trouvé dans une fosse de -deux pieds de profondeur, derrière une auberge -un peu éloignée de celle où il avait -laissé ses trois compagnons. La position du -cadavre ressemblait assez à celle d'un homme -qui ferait une culbute sur la tête; le poids du -corps portait sur la nuque, la tête étant repliée -sur la poitrine, ce que la nature du terrain -semblait expliquer. Il offrait dans toutes -ses parties une raideur extraordinaire, et -conservait encore quelque chaleur. L'état de -ses habits, de sa cravatte, l'absence de toute -contusion, éloignaient l'idée d'une lutte ou -d'un crime. Son argent, ses effets et les morceaux -d'un billet qu'il avait payé la veille à -Tavernier, furent trouvés dans ses poches.</p> - -<p>Le sieur Thomas, médecin, qui fut appelé -sur-le-champ, n'hésita pas à attribuer la mort de -Courbon à une attaque d'apoplexie, résultat -des excès de boisson auxquels il s'était livré la -veille. La constitution physique de Courbon venait -<span class="pagenum"><a id="Page_126"> 126</a></span> -encore corroborer cette opinion: il avait -les épaules larges, le cou court et la tête -grosse; son embonpoint était extraordinaire; -il pesait au moins deux cents livres; aussi, à -chaque instant, pouvait-on craindre qu'une -mort subite ne vînt l'enlever à sa famille et à -ses nombreux amis. L'ouverture du cadavre -ne fit également que confirmer l'idée qu'avait -fait naître sa forte constitution, et fournir -les preuves de son intempérance.</p> - -<p>Cependant, malgré les procès-verbaux et -rapports qui repoussaient tout soupçon de -crime, vingt-quatre heures s'étaient à peine -écoulées depuis l'inhumation de Courbon, -qu'une clameur, d'abord sourde et timide, -puis pleine d'assurance, articula hautement -le mot d'assassinat, et désigna comme meurtriers -Galland, Rispal et Tavernier. A défaut -de faits positifs, de preuves <i>de visu</i>, on eut -recours, suivant l'usage, aux conjectures, aux -présomptions. Quoique le cadavre, d'après -le procès-verbal du juge-de-paix, n'eût présenté -aucune lésion, pas la moindre égratignure, -quelques individus prétendirent qu'il -y avait rupture des vertèbres cervicales, et -qu'il existait des ecchymoses au cou et à la -<span class="pagenum"><a id="Page_127"> 127</a></span> -poitrine. Sans pouvoir en alléguer le motif, -on répandit que les trois beaux-frères ci-dessus -désignés avaient de la haine, de l'animosité -contre Courbon. Galland était connu pour -avoir une humeur querelleuse, emportée; -mais il était constant aussi que Rispal était -doux, honnête et de mœurs paisibles. Mais -l'esprit de prévention ne tint aucun compte -de toutes ces considérations, et bientôt la clameur -publique éclata si violente, si exaspérée, -que le juge-de-paix, qui d'abord avait -rédigé son procès-verbal dans le même -sens que le rapport du médecin, finit par -ajouter quelque foi à la possibilité d'un assassinat.</p> - -<p>Le procureur d'Yssengeaux fut prévenu des -faits d'une manière officielle. Tavernier et Rispal -furent arrêtés, le 3 octobre 1817; et Galland, -leur beau-frère, ayant appris leur arrestation, -et sachant que la gendarmerie s'était -présentée chez lui, vint se constituer -lui-même prisonnier, le lendemain 4 octobre. -Cette démarche pouvait, ce semble, être considérée -comme une présomption d'innocence. -Bientôt après, les trois beaux-frères furent -élargis par ordonnance du tribunal, sur le -<span class="pagenum"><a id="Page_128"> 128</a></span> -rapport du juge d'instruction. Mais leur mise -en liberté, qui eut lieu le 8 octobre, loin de -calmer les rumeurs, ne fit qu'aigrir certains -esprits et envenimer les soupçons.</p> - -<p>Alors le juge-de-paix redoubla d'activité et -de vigilance pour parvenir à la découverte de -la vérité. C'était à l'époque où l'horrible meurtre -de Fualdès était le sujet de toutes les conversations -dans les villes comme dans les campagnes. -On crut trouver dans la mort de -Courbon quelque ressemblance avec l'épouvantable -catastrophe de Rodez. On cherchait -à accumuler les conjectures pour en former -un corps de preuves. Le bruit courut qu'une -femme, nommée Anne Colombette, demeurant -à Guignebaude, situé à environ une heure -de chemin de Dunière, avait dit que Galland, -en passant près de chez elle, lui avait annoncé -la mort de Courbon, le 8 septembre 1817, au -moment où l'on découvrait le cadavre derrière -l'auberge. Deux tailleurs d'habits, Aulanier et -Celsette dirent aussi qu'un nommé Lardon -avait entendu cette conversation; et ce Lardon -finit par en déposer. Mais ce qui semblait -positif et entraînant était une autre conversation -que le nommé Claude Peyrache -<span class="pagenum"><a id="Page_129"> 129</a></span> -prétendait avoir entendu tenir par les trois -beaux-frères, le 8 octobre, jour de leur mise -en liberté. Ce témoin rapportait avoir couché -dans une auberge d'Yssengeaux, où il n'était -séparé d'eux que par une simple cloison qui -lui avait permis, disait-il, de les entendre causer -confidentiellement. Voici cet entretien qui -fut le fondement du procès et de la condamnation.</p> - -<p>Suivant lui, l'un d'eux disait: «Nous avons -tort,» et il le répétait souvent. Galland répliquait: -«Tais-toi, baveux; tu nous feras mettre -en prison.» Alors, parlant plus bas, un autre -avait ajouté: «Si vous m'aviez cru, nous ne -serions pas dans l'embarras où nous sommes; -vous ne l'auriez pas tué: j'en suis fâché.—Point -de regret, dit Galland, qui est mort est mort.—Nous -avons été trop vite, observait un troisième: -nous avons trop enfoncé le mouchoir; -ce qui a fait enfler le cou, et ce qui a éveillé -les soupçons.»</p> - -<p>Il est à remarquer que ce Claude Peyrache, -appelé devant le juge d'instruction le -26 août 1818, n'avait point parlé de ce fait, -et que ce ne fut que le lendemain 27, qu'il alla -le révéler au juge-de-paix de Montfaucon. Il -<span class="pagenum"><a id="Page_130"> 130</a></span> -fut depuis appelé, par délégation du président -des assises, devant le juge d'instruction d'Yssengeaux, -auquel il répéta la même déclaration -qu'il avait faite au juge-de-paix. La chambre -d'accusation, sur de tels élémens, mit en -état de prévention Galland, Rispal et Tavernier, -qui bientôt furent traduits aux assises de -la Haute-Loire.</p> - -<p>Peyrache rapporta cette conversation avec -de nouveaux détails devant la cour, quoique -les personnes de l'auberge assurassent ne l'avoir -pas vu le jour indiqué, et qu'un témoin -prétendît avoir couché dans le lit que Peyrache -désignait comme celui d'où il avait entendu -la conversation des trois beaux-frères. -Pour prouver qu'il était venu ce jour-là à -Yssengeaux, il produisit une quittance portant -la date du 8 octobre, signée par un avoué -d'Yssengeaux et reconnue par ce dernier. Nous -prions nos lecteurs de ne pas perdre de vue -cette circonstance qui deviendra très-importante -dans la suite de ce récit.</p> - -<p>Dans le cours des débats qui eurent lieu devant -la cour d'assises, les défenseurs des accusés -demandèrent l'arrestation de Peyrache -et de Lardon, comme faux témoins, et qu'il -<span class="pagenum"><a id="Page_131"> 131</a></span> -fût procédé à la vérification des lieux. Mais la -cour passa outre, refusant de statuer sur ces -demandes. A la suite d'une discussion qui dura -six jours, Galland et Rispal furent condamnés, -le 9 mars 1819, aux travaux forcés à perpétuité, -comme coupables de meurtre, et Tavernier -à un an de prison, comme complice -involontaire de l'homicide. L'arrêt fut exécuté; -Galland et Rispal, flétris, furent transférés -au bagne de Toulon.</p> - -<p>Cependant les femmes de ces deux condamnés -n'avaient pas renoncé à la plainte en -faux témoignage; et sur la décision du garde-des-sceaux -(M. de Serre), le tribunal d'Yssengeaux -ordonna, le 20 décembre 1819, qu'il -serait fait des expériences pour constater si la -conversation d'Anne Colombette avec Galland -avait pu être entendue par Lardon, et si -Peyrache avait également bien pu entendre -celle qu'il rapportait.</p> - -<p>Ces vérifications furent faites avec beaucoup -de soin et d'exactitude. De nouveaux témoins -furent appelés; et le résultat fut la mise -en prévention d'abord de Peyrache pour le -fait qui le concernait seul, et ensuite de Lardon, -avec Anne Colombette, Aulanier et -<span class="pagenum"><a id="Page_132"> 132</a></span> -Cellette, comme complices de l'autre fait de -faux témoignage. Ces cinq témoins avaient été -entendus aux assises du Puy-en-Velay.</p> - -<p>La chambre d'accusation ne trouva pas de -preuves suffisantes contre Lardon et ses adhérens; -en conséquence ils furent renvoyés.</p> - -<p>Mais il n'en fut pas de même de Peyrache. -Comme les expériences établissaient qu'au lieu -d'une légère cloison, ainsi que ce misérable -l'avait avancé, il existait au contraire entre -les deux chambres de l'auberge, une muraille -de l'épaisseur de deux pieds; comme dès-lors -il n'avait pu, de celle qu'il disait avoir occupée, -entendre ce qui aurait été dit dans la -chambre voisine; qu'en outre, il n'avait point -reconnu ou avait mal désigné les lieux qu'il -disait avoir parcourus pour sortir, la nuit, de -sa chambre et de la cuisine de l'auberge; que -d'ailleurs, et ce qui devenait le plus important -pour justifier ou détruire les assertions -de Peyrache, il paraissait certain qu'il n'était -pas venu à Yssengeaux, le jour que les trois -beaux-frères avaient couché à l'auberge, où -il prétendait avoir aussi passé la nuit: la chambre -de la cour royale prononça la mise en -accusation de Claude Peyrache.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_133"> 133</a></span> -Sur la requête du procureur général en règlement -de juges, la cour de cassation attribua -la connaissance de cette affaire à la cour -d'assises de Riom, et le prévenu comparut -devant ce tribunal le 23 mai 1821.</p> - -<p>Peyrache, qui deux ans auparavant, s'était -trouvé sur le banc des témoins, attirait actuellement -tous les regards sur le banc des accusés. -Non loin de lui, mais sous le poids -terrible d'une condamnation flétrissante, se -trouvaient Galland et Rispal que l'on avait -extraits du bagne pour assister à cette procédure -qui les intéressait si vivement. A côté -de ces deux condamnés étaient placées leurs -épouses, modèles de patience et de sollicitude -conjugale.</p> - -<p>Auprès de MM. Tailhand père et Bayle aîné, -avocats des plaignantes devenues parties civiles, -on voyait M<sup>e</sup> Montellier, avoué au Puy, -qui, lors de la mise en jugement de Galland -et de Rispal, défenseur intrépide autant que -généreux, fut leur soutien et leur consolation -dans leur infortune, et qui, par sa persévérance -dévouée et désintéressée, parvint à assurer -le triomphe de l'innocence.</p> - -<p>L'accusation de faux témoignage fut soutenue -<span class="pagenum"><a id="Page_134"> 134</a></span> -par M. Voysin de Gartempe, avocat-général, -avec un talent très-remarquable. «S'il -arrive, plus tard, dit ce magistrat, que l'innocence -de ces deux infortunés soit reconnue, il -sera temps alors que la voix du ministère public -éclate et retentisse pour leur offrir des réparations -tardives, mais nécessaires. Il faudra, -comme le disait un grand magistrat (Servan), -que la justice ait le courage qui convient le -mieux à l'homme sujet à tant d'erreurs, celui -de les reconnaître et de les réparer.»</p> - -<p>Après l'exposé du ministère public, on procéda -à l'audition des témoins; ceux dont les -dépositions paraissaient devoir être d'une -grande importance, étaient sans doute les -personnes qui se trouvaient dans l'auberge -où Peyrache disait avoir couché, la nuit du -8 octobre 1817 et où il prétendait avoir entendu -la conversation par lui atribuée aux -trois beaux-frères. Le sieur Perrot, propriétaire -de l'auberge, et Rose Vidal, domestique -de la même auberge, déclarèrent ne pas avoir -vu l'accusé. Plusieurs faits avancés par Peyrache -furent niés formellement par les témoins.</p> - -<p>Peyrache, lors de l'instruction, avait désigné -le lit dans lequel il disait avait couché; -<span class="pagenum"><a id="Page_135"> 135</a></span> -cependant le nommé Deschomet, témoin, -déclara avoir occupé, dans la nuit indiquée, -le lit désigné par l'accusé.</p> - -<p>Celui-ci avait rapporté devant le juge d'instruction -que la chambre dans laquelle il -avait couché n'était séparée de celle où étaient -les trois beaux-frères que par une cloison en -planches; et il fut constaté et répété à l'audience -qu'un mur de deux pieds les divisait -et que ce mur était crépi des deux côtés. -Dans son premier récit, Peyrache avait dit -que c'était de son lit qu'il avait entendu la -conversation des trois beaux-frères. Plus -tard, il avait rétracté cette assertion et, avait -dit s'être blotti à la porte de la chambre de -Galland, Rispal et Tavernier, et que de là il -avait entendu les propos révélés par lui. Cependant -les deux experts, chargés de faire la -vérification des lieux, rapportèrent à l'audience -que, du lit désigné par Peyrache, il -y avait impossibilité d'entendre ce qui se disait -dans la chambre voisine; que de sa porte -l'on pouvait bien entendre quelques mots détachés, -mais qu'il était impossible de saisir -une phrase entière.</p> - -<p>Nous passons sur quelques particularités -<span class="pagenum"><a id="Page_136"> 136</a></span> -peu importantes, pour arriver à des faits décisifs. -Peyrache, sommé de rapporter quelques -circonstances de son séjour à Yssengeaux, -le 8 octobre 1817, prétendit qu'il avait -fait ce voyage pour traiter d'affaires avec -M. Labatie, avoué au tribunal de cette ville; -qu'il était arrivé à Yssengeaux, à l'approche -de la nuit; qu'il s'était rendu chez M. Labatie, -et était sorti avec cet avoué pour aller -ailleurs; qu'après avoir terminé ses affaires, -il s'était retiré, accompagné de M. Labatie, à -l'auberge de Perrot. M. Labatie ne se rappela -pas précisément plusieurs des particularités -alléguées par Peyrache; mais il assura bien -positivement qu'il avait vu cet accusé le jour -même auquel il lui avait fourni une quittance -par suite d'un compte qu'ils venaient de faire.</p> - -<p>Cette quittance, produite jusqu'alors comme -une preuve irréfragable de la présence de -Peyrache à Yssengeaux, le 8 octobre 1817, -fut reconnue par M. Labatie pour être la -même qui avait été mise sous les yeux de la -Cour d'assises du Puy, au mois de mars 1819.</p> - -<p>Au même instant, M<sup>e</sup> Tailhand père, en -parcourant le contexte de cette quittance, -s'aperçut qu'elle était datée du 8 octobre mil-huit-cent-<i>dix-huit</i>, -<span class="pagenum"><a id="Page_137"> 137</a></span> -et non du 8 octobre mil-huit-cent-<i>dix-sept</i>. -Cette circonstance, relative -au millésime, et qui jusque-là avait échappé -à tous les regards, fit une si vive sensation -sur l'auditoire, que personne ne fut maître -de l'émotion qu'elle devait nécessairement -produire. Quelle preuve plus forte pouvait-on -acquérir du faux témoignage de Peyrache -et de l'innocence de Galland et de Rispal?</p> - -<p>Cette impression profonde fut encore entretenue -par les éloquentes plaidoieries des -défenseurs et du ministère public, en faveur -de l'innocence calomniée et opprimée. La -vérité venait d'éclairer tous les esprits; la -réponse du jury n'était plus incertaine. Après -quelques minutes de délibération, les jurés -déclarèrent à l'unanimité Peyrache coupable -de faux témoignage, avec toutes les circonstances -comprises dans l'acte d'accusation. En -conséquence, le prévenu, sur les conclusions -du ministère public, fut condamné aux travaux -forcés à perpétuité.</p> - -<p>Ce procès, dont les débats durèrent quatre -jours, excita dans la ville de Riom le plus vif -intérêt en faveur de Galland et de Rispal. Tous -<span class="pagenum"><a id="Page_138"> 138</a></span> -les assistans auraient voulu pouvoir sur-le-champ -briser leurs fers.</p> - -<p>Peyrache se pourvut en cassation contre -l'arrêt qui le condamnait; mais la Cour suprême -rejeta son pourvoi par arrêt du 18 -juin. Cette décision donna lieu à la Cour de -cassation de faire usage, pour la première -fois peut-être, du pouvoir que lui attribue -l'article 445 du Code d'instruction criminelle. -En conséquence, et par nouvel arrêt du 9 -août suivant, elle annula le premier arrêt -rendu au Puy contre Rispal et Galland, et -ordonna qu'il serait procédé contre ces derniers -sur l'acte d'accusation subsistant, devant -la Cour d'assises du département de la -Loire, séant à Montbrison.</p> - -<p>Le jugement qui devait résulter de cette -nouvelle procédure fut prononcé le 5 décembre -1821. Sur la déclaration du jury de jugement -de la Loire, portant que Rispal et Galland -n'étaient pas coupables de l'homicide qui -leur était imputé, M. Reyre, conseiller à la -Cour royale de Lyon, président des assises, -prononça, après huit jours de débats, la mise -en liberté de ces deux intéressantes victimes -<span class="pagenum"><a id="Page_139"> 139</a></span> -d'un faux témoignage. Ce magistrat leur -adressa les paroles suivantes:</p> - -<p>«Vous fûtes victimes d'une erreur judiciaire -dont la justice a à gémir profondément, -et c'est par la justice elle-même qu'elle vient -d'être réparée, autant qu'elle pouvait l'être.</p> - -<p>«La société à qui vous fûtes si cruellement -arrachés, va vous recueillir avec tout l'intérêt -que peut être digne d'inspirer l'innocence -trop long-temps méconnue. En rentrant dans -son sein, abjurez, étouffez s'il se peut, par -intérêt pour votre repos, les ressentimens -que d'amers souvenirs pourraient nourrir ou -éveiller dans votre cœur. Ne songez qu'à bénir -le ciel de ce qu'il a appelé à votre secours des -défenseurs si nobles, si généreux, et de ce -qu'il a éclairé la justice des hommes. Bénissez-le -aussi sans cesse de ce que votre sort rigoureux -s'est trouvé uni à celui de deux femmes, -vrais modèles de leur sexe, qui par leur tendresse -pour vous, par leur courage, leur -constance tout-à-fait héroïque, vous ont -aidé si puissamment à sortir purs et sans tache -du tombeau où vous étiez comme ensevelis..... -Dans ce jour, va commencer pour -vous, en quelque sorte, une nouvelle vie, et -<span class="pagenum"><a id="Page_140"> 140</a></span> -l'horrible épreuve que vous avez subie s'est -trop prolongée pour que votre ruine n'en ait -pas été la suite inévitable. Mais il vous est -permis d'élever vos vœux, vos espérances -vers d'augustes mains, qui ne laissent presque -pas passer un seul jour sans sécher quelques -larmes, sans répandre quelques bienfaits sur -le malheur.</p> - -<p>«Après tant de maux que vous avez soufferts, -vous ne pouvez que mériter d'une manière -toute spéciale, la protection du gouvernement, -et ce ne sera pas en vain qu'il -attirera sur vous, sur vos enfans, les regards -paternels du meilleur des rois».</p> - -<p>On ne pourrait qu'exprimer faiblement la -vive sympathie, l'intérêt universel que l'infortune -de Galland et de Rispal avait excités. -Les juges, les jurés, le public s'empressèrent -de le témoigner, en envoyant leur offrande -au notaire qui avait ouvert une souscription -à Montbrison pour ces malheureux. La femme -de Galland était morte le 14 décembre à Montbrison, -après dix-sept jours de maladie. Elle -n'avait pu assister aux débats que le premier -jour.</p> - -<p>Le roi (Louis XVIII) voulant réparer, autant -<span class="pagenum"><a id="Page_141"> 141</a></span> -que possible, le tort que Rispal avait éprouvé -par suite de cette erreur judiciaire, accorda -à madame Rispal une pension de trois cents -francs.</p> - -<p>Nous nous faisons un vrai plaisir de signaler -ici le zèle et le désintéressement des avocats -qui embrassèrent la défense des deux infortunés -beaux-frères. M<sup>e</sup> Montellier, leur infatigable -défenseur, mérite surtout le tribut de -nos éloges et la reconnaissance de l'humanité. -Il ne négligea rien pour faire éclater l'innocence -de ses cliens; démarches actives, conseils -éclairés, consultations de médecins et -avocats célèbres, tout fut mis en usage par -lui pour parvenir à son noble but, et rien ne -put rebuter sa persévérance généreuse. Aussi -reçut-il la récompense de sa belle conduite; -la libération de Rispal et de Galland était en -grande partie son œuvre: il en a partagé -l'honneur, et il y a joint cette intime et douce -satisfaction, qui est le prix le plus précieux -de toute bonne action.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_142"> 142</a></span></p> -<h2 class="normal">TRAIT DE FÉROCITÉ D'UN FORÇAT.</h2> -</div> - -<p>En octobre 1822, un forçat à vie fut condamné -à la peine de mort, pour avoir porté un -coup de couteau à un agent de surveillance -du bagne. Ce misérable subit son jugement -avec une sorte de plaisir, s'il est permis de -s'exprimer ainsi; et loin de manifester aucun -repentir de son crime, il exprima le regret -de n'avoir pu atteindre le sous-commissaire, -directeur du bagne.</p> - -<p>Il avoua cependant que son compagnon de -chaîne, surnommé <i>Casquette</i>, aussi condamné -à vie, avait, comme lui, conçu le dessein -de se venger de prétendues vexations qu'il -disait avoir essuyées de la part de son gardien.</p> - -<p>Sur cet avis, on fit passer Casquette dans -une autre salle où il devint l'objet d'une surveillance -plus active; malgré toutes ces précautions, -le nommé Ricoux, sous-adjudant -<span class="pagenum"><a id="Page_143"> 143</a></span> -de surveillance, et père de famille, eut le -malheur de tomber sous les coups de ce scélérat. -Ce Ricoux assistait le soir à la distribution; -au moment où il entrait, une chaîne de -forçats revenait des travaux. Casquette profita -de la confusion pour se couler auprès de -lui, et feignant de s'incliner pour marchander -un quart de vin, il sortit de sa poche, en se -relevant, un couteau à deux tranchans qu'il -lui plongea dans le ventre. Alors Ricoux, dont -une partie des entrailles sortait avec des flots -de sang, tomba à la renverse, privé de sentiment.</p> - -<p>Un chaloupier (c'est ainsi qu'on désigne -ceux qui rament dans les embarcations), également -condamné, pour épargner à Ricoux -de nouvelles blessures, vint s'interposer entre -lui et le meurtrier; mais sept à huit coups -de couteau furent le prix de son dévouement. -M. le sous-commissaire Rignoux étant arrivé -au moment où on se saisissait de ce furieux, -celui-ci n'exprima qu'un regret atroce, celui -de le voir arriver deux minutes trop tard: -«Mais n'importe, lui dit-il, vous ne perdrez -rien pour attendre; car j'en connais vingt autres -qui ont formé le même dessein que moi.»</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_144"> 144</a></span> -Ce monstre, condamné à mort par le tribunal -maritime, témoigna constamment le -regret qu'il avait exprimé, jusqu'au moment -où il reçut la peine due à ses crimes.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_145"> 145</a></span></p> -<h2 class="normal">JEUNE FILLE<br /> -<span class="medium">ASSASSINÉE PAR SON CORRUPTEUR.</span></h2> -</div> - -<p>Le crime dont nous allons rapporter les -principales circonstances fut surtout inspiré -par une vaniteuse ambition qui ne se trouve -que trop communément dans toutes les classes -de la société.</p> - -<p>Le jeune Maurice Salgue éprouvait depuis -trois ans une passion violente pour Catherine -Fondegoire, qui demeurait dans la même paroisse -que lui; en vain il avait cherché souvent -à assouvir sa passion, et fait plusieurs fois des -tentatives que la résistance de la jeune fille -avait rendues inutiles. Mais enfin, et pour son -malheur, elle céda aux poursuites de Maurice -Salgue, et devint enceinte. Jean-Baptiste -Salgue père était riche, et n'aurait jamais consenti -au mariage de son fils avec Catherine, -qui était pauvre; sa famille même se sentait -humiliée d'une pareille liaison. Maurice avait -<span class="pagenum"><a id="Page_146"> 146</a></span> -promis de lui donner des secours pour ses -couches.</p> - -<p>Catherine avait fait confidence de sa grossesse -et des dispositions de Maurice au curé -de sa paroisse, chez qui les deux amans devaient -se rendre conjointement pour prendre -des arrangemens.</p> - -<p>Au jour indiqué, Catherine fut aperçue, le -soir, près de la maison des Salgue; depuis -cette époque, elle disparut. On soupçonna -qu'elle avait été la victime d'un horrible attentat. -Des perquisitions furent faites dans la -maison des Salgue et dans leur jardin. On -trouva dans la maison un couteau en forme -de stylet, encore tout ensanglanté, et dans le -jardin, qu'on fit bêcher en totalité, on découvrit -le cadavre de la malheureuse Catherine.</p> - -<p>L'examen que l'on fit de ce cadavre fit -reconnaître que des coups de couteau lui -avaient été portés à la gorge; que, pour étouffer -les cris de la victime, on lui avait mis un -bâillon de paille, enfoncé si fortement dans -la bouche, sans doute avec un bâton, qu'on -eut peine à le retirer; qu'on l'avait de plus -étranglée à plusieurs reprises, d'abord avec -<span class="pagenum"><a id="Page_147"> 147</a></span> -les mains, puis avec un mouchoir noué et -serré avec force.</p> - -<p>Un grand nombre de témoins furent entendus -dans cette affaire, dont les débats durèrent -quatre jours. Le père Salgue mourut -dans sa prison, trois jours avant le jugement; -ses deux fils, Pierre et Antoine furent acquittés. -Quant à Maurice, une foule de circonstances -donnaient la conviction la plus intime -de sa culpabilité. Il fut condamné à la peine -de mort, par la cour d'assises de Riom, le 4 -janvier 1822.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_148"> 148</a></span></p> -<h2 class="normal">LE CURÉ MINGRAT.</h2> -</div> - -<p>Lors de la publication de nos deux premiers -volumes, un journal, se fondant sur ce que -plusieurs articles ont traité de crimes commis -par des princes, des seigneurs ou des -prêtres, montra la plus grande répugnance à -insérer l'annonce relative à cet ouvrage, et -ne le fit qu'avec une insigne mauvaise volonté. -Nous respectons les scrupules des rédacteurs -de cette feuille; mais qu'il nous soit permis -de ne pas les partager. Nous sommes loin -d'aimer le scandale. A nos yeux, le scandale -n'est, le plus souvent, qu'une œuvre de méchanceté -qui se recommande aux applaudissemens -des passions ou de la sottise. Tout-à-fait -en dehors de la politique des partis, ne -caressant aucune opinion aux dépens d'une -opinion contraire, n'ayant qu'un poids et -qu'une mesure, nous n'avons qu'une seule -<span class="pagenum"><a id="Page_149"> 149</a></span> -ambition, celle de faire tourner notre travail -au profit de la raison et de la morale.</p> - -<p>Nous ne concevons pas qu'il puisse y avoir -scandale à parler d'un crime, quand le coupable -se trouve placé haut dans la hiérarchie -sociale, ou bien quand il fait partie de quelque -corps puissant. Le crime ne doit-il pas -être réprimé et puni partout où il se trouve? -Et si quelque classe pouvait réclamer le privilége -de l'indulgence, ne serait-ce pas plutôt -celle qui se trouve privée des lumières -de l'éducation? Vainement l'esprit de parti, -si exclusif dans ses jugemens, vainement l'esprit -de corporation, qui ne se montre pas -moins injuste dans son égoïsme, jettent les -hauts cris quand la justice met sa main de -fer sur quelqu'un de leurs affiliés dont le -crime est flagrant. Cet homme est un prêtre, -un ministre de la religion. Faudra-t-il donc -pour cela qu'il puisse être assassin impunément? -Ou plutôt le vrai scandale ne viendra-t-il -pas de la part de ceux qui, par un -esprit de corps mal entendu, chercheront à -soustraire le criminel à la vindicte des lois? -Comment expliquer cette susceptibilité maladroite, -manifestée par le clergé dans plusieurs -<span class="pagenum"><a id="Page_150"> 150</a></span> -circonstances déplorables? Les fautes, -les crimes même de quelques-uns de ses -membres, peuvent-ils altérer en rien la réputation -de vertu et de sainteté dont jouit à -juste titre l'auguste ministère du sacerdoce? -N'est-ce pas au contraire assumer sur soi la -honteuse solidarité d'actes répréhensibles ou -criminels, que protéger ceux qui s'en sont -rendus coupables? Une armée ne se croit pas -déshonorée par la désertion de quelques lâches; -elle les voue au mépris et les repousse -à jamais de son sein. La justice déplore toute -espèce de prévarication commise par l'un de -ses agens; mais loin de chercher à étouffer -son crime, elle lui inflige une punition exemplaire -et le bannit à toujours de son sanctuaire.</p> - -<p>Il serait bien temps, ce semble, que le -bon sens public fît enfin justice de ce préjugé -barbare qui fait encore peser sur toute -une famille, sur tout un corps, la faute d'un -seul individu. Les fautes sont personnelles, -et il ne doit rien en rejaillir sur ceux qui en -sont innocens. Pour que cette importante vérité -pût s'infiltrer dans les masses, il faudrait -nécessairement, il serait à désirer qu'elle descendît -<span class="pagenum"><a id="Page_151"> 151</a></span> -de plus haut, et surtout qu'elle fût -professée publiquement par les prêtres, eux -que leurs fonctions rapprochent à toute -heure des classes pauvres et ignorantes. Ce -serait un moyen d'inspirer de la confiance à -tous, de raffermir la foi dans les cœurs chancelans, -et de l'entretenir dans les âmes pieuses -et candides des vrais croyans.</p> - -<p>Quel tort pouvait éprouver la religion de -l'attentat commis par Mingrat? Que pouvait-on, -à cette occasion, reprocher au clergé, -sinon sa trop grande facilité à admettre, -presque sans examen, parmi les lévites du -Seigneur, une foule de jeunes gens sans vocation, -et qui n'embrassent cet état que <i>pour -faire leur chemin</i>? Certes, les crimes isolés -des Mingrat et des Contrafatto ne peuvent -porter atteinte à cette glorieuse religion qui -a produit un Las-Casas, un Vincent de Paul, -un François de Sales, un Belzunce, un Cheverrus, -et tant d'autres hommes de sagesse -et de vertu; à cette religion bienfaisante dont -tous les pas sont marqués par une rosée inépuisable -de dons et de bénédictions; à cette -religion prévoyante, qui fait qu'il se trouve -«un homme dans chaque paroisse qui n'a -<span class="pagenum"><a id="Page_152"> 152</a></span> -point de famille, mais qui est de la famille de -tout le monde, qu'on appelle comme témoin, -comme conseil ou comme agent, dans tous les -actes solennels de la vie civile; sans lequel -on ne peut naître ni mourir, qui prend l'homme -au sein de sa mère, et ne le quitte qu'à la -tombe; qui bénit ou consacre le berceau, la -couche conjugale, le lit de mort et le cercueil; -un homme que les petits enfans s'accoutument -à aimer, à vénérer et à craindre; que -les inconnus mêmes appellent mon père; aux -pieds duquel les chrétiens vont répandre leurs -aveux les plus intimes, leurs larmes les plus -secrètes; un homme qui est le consolateur, -par état, de toutes les misères de l'âme et du -corps, l'intermédiaire obligé de la richesse -et de l'indigence, qui voit le pauvre et le riche -frapper tour-à-tour à sa porte: le riche, -pour y verser l'aumône secrète, le pauvre -pour la recevoir sans rougir; qui, n'étant -d'aucun rang social, tient également à toutes -les classes; aux classes inférieures, par la vie -pauvre, et souvent par l'humilité de la naissance; -aux classes élevées, par l'éducation, la -science et l'élévation de sentimens qu'une religion -philanthropique inspire et commande; -<span class="pagenum"><a id="Page_153"> 153</a></span> -un homme enfin qui sait tout, qui a le droit -de tout dire, et dont la parole tombe de haut -sur les intelligences et sur les cœurs, avec -l'autorité d'une mission divine et l'empire -d'une foi toute faite.»</p> - -<p>Cette belle et touchante définition du bon -curé, dans laquelle M. de Lamartine n'a fait -que peindre d'après nature un grand nombre -de pasteurs de nos villes et de nos campagnes, -contrastera sans doute horriblement -avec les faits que nous allons rapporter. -Mais du moins cette citation, ainsi que les -réflexions qui la précèdent feront voir que -nous ne confondons nullement la religion et -ses ministres fidèles avec quelques misérables, -qui, sous le masque d'une pieuse hypocrisie, -se rendent coupables des plus noirs forfaits.</p> - -<p>Antoine Mingrat était né à Grand-Lamps, -petit village du Dauphiné, à quelques lieues -de Saint-Quentin. Sa mère, dont le caractère -était un mélange d'ambition et de fanatisme -religieux, lui inspira de bonne heure le goût -des choses matérielles du culte. Comme Mingrat -aimait à primer sur tous ceux qui l'entouraient, -et qu'il avait entendu sa mère -parler avec déférence des gens d'église, il -<span class="pagenum"><a id="Page_154"> 154</a></span> -résolut de se vouer à l'état ecclésiastique; et -son imagination, d'ailleurs active, ne s'occupa -plus que du soin de s'en assurer les -moyens.</p> - -<p>Voici ce qu'on raconte à ce sujet. Un jour -que son enthousiasme était porté au comble, -il fit part de son projet à de jeunes filles, chez -la mère desquelles madame Mingrat prenait -des leçons d'accouchement, à Grenoble. Celles-ci -s'offrirent de le tonsurer; il courba son -front, et bientôt ses cheveux tombèrent sous -les ciseaux. L'opération terminée, il vole chez -sa mère; elle était absente. Il emploie cet -instant à se composer un maintien doctoral, -prend un livre et s'étudie à déclamer comme -les prédicateurs qu'il entendait chaque jour. -Il était dans cette attitude grotesque, lorsque -sa mère rentra; il courut au-devant d'elle, et -d'un air triomphant, lui montra sa tonsure. -Madame Mingrat, étonnée, demanda la cause -de ce qu'elle attribuait à un accident. «Ah! -ma mère, répondit Antoine avec émotion, -on m'a fait prêtre! Telle est la volonté du -ciel.» A ces mots, sa mère, enflammée d'un -saint courroux, vola chez les joyeuses tonsurières, -qui s'étaient fait un jeu du désir du -<span class="pagenum"><a id="Page_155"> 155</a></span> -jeune Mingrat, les accabla d'invectives, cria -au sacrilége, et sortit en disant que son fils -n'était pas digne de recevoir les ordres. Revenue -chez elle, vainement voulut-elle faire entendre -à son fils que l'on n'avait fait qu'abuser -de sa crédulité; Antoine s'obstina et lui -jura que sa résolution était prise irrévocablement, -que le ciel l'appelait à la prêtrise, et -qu'il suivrait sa vocation en dépit de tous.</p> - -<p>Néanmoins, Mingrat fut mis en apprentissage -chez un peigneur de chanvre, d'où il fut -bientôt honteusement chassé pour son indocilité -et sa paresse. Une de ses tantes qui -l'aimait tendrement, le fit venir auprès d'elle. -On intéressa en sa faveur une dame influente -et riche. La protectrice voulut voir Antoine; -il lui fut présenté. Elle l'interrogea sur ses -goûts, son éducation, ses habitudes: on -parla de religion. Mingrat venait d'atteindre -sa seizième année: il brûlait d'entrer dans -l'état ecclésiastique; il répondit à toutes les -questions avec assez de justesse; et telle était -sa prévoyante adulation, qu'il ne parla devant -cette dame que de Dieu, de son divin -Rédempteur; et pour mieux encore édifier -<span class="pagenum"><a id="Page_156"> 156</a></span> -ses auditeurs, il accompagnait chacune de ses -paroles d'un signe de croix.</p> - -<p>Dupe de ses pieuses grimaces, cette dame -le fit entrer au séminaire de Grenoble, croyant -ce jeune homme appelé à donner un nouveau -lustre à la carrière qu'il voulait embrasser.</p> - -<p>Toutefois, malgré sa prétendue vocation, -Mingrat, une fois installé, ne se distingua ni -par son application ni par sa conduite; mais -il possédait un art qui lui tenait lieu de tout -le reste, celui de s'emparer par de basses adulations -de la confiance de ses supérieurs. Il -était même devenu l'agent secret des délations -auxquelles ont recours presque indistinctement -tous ceux qui ont à gouverner ou à diriger -un grand nombre d'individus. Par ce -moyen honteux, il obtenait des priviléges exclusifs, -dont il profitait pour se soustraire aux -rigueurs de la vie claustrale, et passer dans des -lieux de débauche des momens qu'il eût pu -donner à d'honnêtes amusemens.</p> - -<p>Enfin Mingrat fut ordonné prêtre; c'était -le but de son ambition. <i>Oserait-on</i>, disait-il -souvent, <i>attaquer la réputation d'un prêtre</i>? -Le caractère sacré dont il venait d'être revêtu -semblait être à ses yeux une autorisation de -<span class="pagenum"><a id="Page_157"> 157</a></span> -tout faire avec impunité. Nommé à la cure de -Saint-Aupe, il ne tarda pas à commencer sa -vie scandaleuse, et ne contraignit plus ses inclinations -ni son caractère. Son presbytère -devint un lieu de scandale; et quoiqu'il ne négligeât -rien pour cacher sa conduite, on connut -bientôt ses intrigues clandestines. La désunion -de plusieurs ménages, le déshonneur -de plusieurs filles, attestèrent son séjour dans -cette paroisse.</p> - -<p>Plus d'une fois, abusant de la force extraordinaire -dont la nature l'avait doué, il l'employait -contre les femmes qu'il ne pouvait gagner -par ses discours; plus d'une fois aussi, -il dut à sa brutalité ce qui n'était réservé qu'à -l'amour. Les habitans de Saint-Aupe lui témoignèrent -souvent leur indignation, et le -menacèrent d'avoir recours aux autorités pour -l'éloigner d'une paroisse dont il était le fléau, -au lieu d'en être le père. Mais Mingrat se riait -de leurs impuissantes menaces. Cependant, et -malgré son inconcevable audace, l'indigne -curé commençait à s'apercevoir que ses désordres -étaient connus de ses supérieurs. Une nouvelle -liaison avec la fille d'un de ses paroissiens -ameutant contre lui tous les habitans, ceux-ci -<span class="pagenum"><a id="Page_158"> 158</a></span> -allèrent en foule se plaindre aux autorités, et -peu après, Mingrat reçut l'ordre d'abandonner -son presbytère. Le curé de Mirebel lui écrivit -à cette occasion une lettre de reproches dans -laquelle il lui disait textuellement: «Mettez -une montagne entre vous et les hommes.» -Mingrat ne pouvait suivre un semblable conseil. -Chassé de Saint-Aupe, il fut envoyé à -Saint-Quentin, pour le malheur de cette commune.</p> - -<p>A son arrivée dans sa nouvelle paroisse, -Mingrat, pour détruire l'impression des bruits -qui l'y avaient précédé, et pour faire croire -qu'il avait été victime de la calomnie, afficha -une grande austérité de principes. Son caractère -dominateur se faisait surtout remarquer -dans ses sermons. Il exerçait le despotisme le -plus révoltant, au nom d'un Dieu de paix et -de miséricorde. Dès son apparition à Saint-Quentin, -les danses, les jeux, les plus innocens -plaisirs furent défendus. Le jour de la fête -patronale, la jeunesse s'étant réunie, animée -par la gaîté, crut pouvoir se permettre d'enfreindre -un moment les ordres du curé; on -dansa. Mingrat les épiait. Il monta dans le haut -du clocher, et regardant par un trou, il fut -<span class="pagenum"><a id="Page_159"> 159</a></span> -le spectateur des plaisirs qu'il avait anathématisés -dans ses sermons. Les jeunes gens s'apercevant -des menées du pasteur, ne firent -qu'en rire. Mingrat se promit bien de prendre -sa revanche. Le dimanche suivant, réunissant -tous les foudres de son éloquence, il laissa -tomber de la chaire sainte ces mots foudroyans: -«Vous avez foulé aux pieds les cendres de vos -ancêtres, qui sont là-bas au diable!...» La place -où l'on avait dansé avait été un cimetière; -c'est ce qui expliquait l'étrange mouvement -oratoire du pasteur irrité; et l'on peut juger -de l'effet que dut produire un sermon de ce -genre.</p> - -<p>A cette époque, Mingrat avait à peine atteint -sa vingt-huitième année. Par ce rigorisme extérieur, -par cette autorité despotique, il semblait -préluder en silence et dans l'ombre au forfait qui -bientôt devait frapper d'épouvante et de douleur -les paisibles habitans de Saint-Quentin. -Du reste, son hypocrisie ne pouvait en imposer -qu'à des âmes crédules et timorées, car -son extérieur était un indice assez fidèle de ce -qui se passait au-dedans de lui. Des cheveux -noirs et plats, un front très-étroit, des sourcils -très-épais ombrageant un œil brun, sombre -<span class="pagenum"><a id="Page_160"> 160</a></span> -et faux; un regard farouche, des lèvres -épaisses, n'exprimant que la colère ou le dédain; -une taille élevée, massive, et presque -gigantesque: tel était au physique l'homme -que l'on avait envoyé à Saint-Quentin comme -l'apôtre et le vicaire d'un Dieu de miséricorde, -de consolation, de mansuétude et de paix, -d'un Dieu qui sur la croix bénissait ses bourreaux, -d'un Dieu que l'on représente sous la -forme symbolique du plus doux, du plus -inoffensif des animaux.</p> - -<p>Mais, malgré l'imposture la plus habilement -calculée, un cœur corrompu par les passions -les plus honteuses et par les goûts les plus dépravés, -ne peut, quelque gêne qu'il veuille -s'imposer, tenir long-temps cachée la plaie -honteuse qui le ronge. Il ne faut qu'une occasion -pour lui arracher son masque frauduleux, -et mettre à nu toute sa laideur. Cette -circonstance se présenta bientôt pour Mingrat.</p> - -<p>Maintenant que nous avons tracé le portrait -de l'assassin, nous allons essayer de faire connaître -sa victime.</p> - -<p>A un quart de lieue de Saint-Quentin, au -hameau du Gît, paroisse desservie par Mingrat, -vivait en paix un couple heureux, -<span class="pagenum"><a id="Page_161"> 161</a></span> -Étienne Charnalet et Marie Gérin. Retiré du -service en 1817, Étienne avait rapporté dans -ses foyers des marques distinctives de sa bravoure -et une médiocre aisance. Il avait épousé -Marie, en qui la beauté ne semblait qu'être le -complément des plus rares qualités.</p> - -<p>Les deux époux vivaient dans la plus parfaite -union depuis six ans, lorsque la mère de -Marie mourut. Religieuse par besoin, pieuse -par sentiment, Marie redoubla encore de ferveur, -par suite de cet événement. Cette piété -la portait, en toute occasion, à concourir -avec zèle à tous les soins qu'exigeaient l'entretien -et l'arrangement de l'église. Ce louable -empressement, qui lui conciliait tous les éloges, -la fit surtout remarquer par le nouveau -pasteur. Celui-ci conçut pour elle une passion -coupable, et ne songea plus qu'aux moyens -de la faire partager, ou du moins de la satisfaire, -à quelque prix que ce fût. Plusieurs fois -il se rendit chez Marie pour l'entretenir de -l'amour criminel qu'elle lui avait inspiré; mais -celle-ci lui faisait accepter les épargnes qu'elle -destinait aux pauvres, et Mingrat, réduit au -silence, trouvait dans la vertu de celle qu'il -convoitait un obstacle à ses desseins libidineux. -<span class="pagenum"><a id="Page_162"> 162</a></span> -Déjà trois mois s'étaient écoulés depuis -qu'il desservait la cure de Saint-Quentin, et -il n'était point encore parvenu à faire comprendre -à Marie le véritable but de ses fréquentes -visites, lorsqu'il apprit par elle, le -7 mai 1822, que l'on devait célébrer le 9, à -Veurey, village situé à deux lieues de Saint-Quentin, -une première communion. Aussitôt -son imagination s'enflamme; il entrevoit la -possibilité de réaliser ses coupables projets. -Le lendemain, il se rend chez un sieur Bourdes, -l'un des voisins de Marie, afin de donner -le change sur ses intentions; il dit à cet homme, -qu'ayant appris que madame Charnalet se rendait -le lendemain à Veurey, il vient la charger -d'une lettre pour le curé de cette paroisse. Le -fils de Bourdes s'offre d'accompagner Mingrat -jusque chez Marie; et celui-ci, n'osant pas refuser, -ils sortent ensemble. Marie était seule; -elle les reçut avec sa franchise accoutumée. -Mingrat, que la présence du jeune Bourdes -contrariait, attendit, pour parler du véritable -objet de sa visite, que l'importun témoin eût -pris congé. Bourdes partit en effet quelques -instans après, et le curé s'applaudissait déjà -du tête-à-tête qu'il avait su se ménager, quand -<span class="pagenum"><a id="Page_163"> 163</a></span> -une nouvelle visite vint le troubler; néanmoins -il demeura intrépidement jusqu'à ce que ce -dernier venu se fût aussi retiré. Resté seul, -pour la seconde fois, avec celle dont il méditait -le déshonneur ou la perte, il aurait bien -voulu hasarder un aveu non équivoque, mais -le lieu ne lui parut pas favorable à l'exécution -de ses vues criminelles; aussi n'entretient-il -Marie que du voyage de Veurey et de la lettre -dont il voulait la charger. Mais pour attirer -plus sûrement sa faible proie dans le piége -que lui avait tendu sa scélératesse, il dit qu'il -n'avait pas cette lettre sur lui, et qu'il ne -pourrait la lui remettre que dans la soirée, -lorsqu'elle viendrait se confesser à Saint-Quentin. -La chose étant ainsi arrangée, Mingrat -était au comble de ses vœux. Cependant, avant -de se retirer, il aurait désiré informer Marie -de son amour. Il lui fit lecture d'un livre qui -traitait de l'amour du créateur; l'infâme n'y -voyait que celui de la créature. Il espérait faire -naître dans le cœur de Marie la pensée adultère -qui préoccupait vivement son imagination -en délire. Mais la candide Marie, édifiée et -non séduite, ne voyait dans les expressions du -curé qu'une ferveur évangélique qu'elle interprétait -<span class="pagenum"><a id="Page_164"> 164</a></span> -dans le sens de ses sentimens religieux. -Il en était de même des gestes significatifs dont -le curé accompagnait sa lecture.</p> - -<p>Après cette lecture, Mingrat recommande -à sa pénitente de ne pas manquer de venir le -trouver le soir même. Celle-ci n'eut garde d'y -manquer; mais avant de se rendre à l'église, -elle prévint ses voisines qu'elle allait à confesse. -L'infortunée était loin de soupçonner -qu'elle allait à la mort.</p> - -<p>Marie arriva, à cinq heures, à la porte de -l'église; lorsqu'elle y fut entrée, elle n'aperçut -qu'une seule personne, une dame de Saint-Michel, -ancienne religieuse qui terminait sa -prière. Marie, en attendant le prêtre, alla se -prosterner aux pieds de la statue de la Vierge. -Madame de Saint-Michel allait quitter l'église, -lorsqu'elle vit à la porte du clocher voisin de -l'autel, un grand fantôme noir, ne présentant -ni bras ni jambes, et paraissant surmonté -d'un chapeau de forme triangulaire; le fantôme -approche ou plutôt il s'élance vers -Marie, mais s'arrêtant tout-à-coup, il recula -et disparut par la porte du clocher. Madame -de Saint-Michel, tremblante, se hâte de quitter -son banc, mais en passant devant Marie, -<span class="pagenum"><a id="Page_165"> 165</a></span> -elle s'arrête un instant afin de pouvoir l'avertir -par un signe de fuir ce lieu redoutable. -Marie, occupée de sa prière, ne tint aucun -compte de ce salutaire avertissement. Le fantôme -n'était autre que Mingrat, qui, caché -dans un large manteau, était venu épier Marie, -et s'était retiré précipitamment aussitôt qu'il -avait aperçu madame de Saint-Michel.</p> - -<p>Sûr alors d'être seul, Mingrat dépouille son -lugubre accoutrement et s'approche de Marie. -Il lui dit qu'il ne la trouve pas mise assez décemment -pour être confessée dans l'église; il -l'invite à l'accompagner au presbytère, où il -l'entendra, dit-il, plus paisiblement, et pourra -lui remettre la lettre en question. Marie, soumise -et confiante, ne fait aucune difficulté -d'accompagner le prêtre. Arrivée avec lui -dans un arrière-cabinet dont la porte est aussitôt -fermée avec soin, la malheureuse commence -à connaître l'homme qu'elle considérait -comme un respectable protecteur. Mingrat -ne perd pas le temps, il saisit d'un bras vigoureux -la tremblante Marie; il la bâillonne pour -s'assurer de son silence; il l'entraîne sur un -lit qui devait être le lit de mort de sa victime.</p> - -<p>Il n'y eut aucun témoin de cette scène horrible; -<span class="pagenum"><a id="Page_166"> 166</a></span> -mais, comme tout fut éclairé par les -débats, et que des faits racontés par la servante -de Mingrat, et des inductions tirées de -l'état du cadavre, il résulta des preuves irrésistibles, -nous allons essayer de retracer les -principales particularités de cette lutte abominable.</p> - -<p>Le monstre, fatigué par ses vains efforts, -effrayé des cris prolongés et sourds de la victime, -ne voit plus que l'impérieuse nécessité -d'accélérer son dernier moment. D'un bras -vigoureux, il lui serre la gorge, et son genou, -appuyé sur sa poitrine, il appelle et attend -son dernier soupir qu'il surprend inhumainement -sur les lèvres de la mourante Marie, -dont la vertu et le courage semblent survivre -à ses forces éteintes. La servante du curé, -attirée par le bruit extraordinaire qu'elle vient -d'entendre, était montée jusqu'à la porte, et -avait, par ses cris, contraint Mingrat d'abandonner -sa victime. «Ah! monsieur! dit-elle en -apercevant son maître l'œil hagard et en désordre, -que vous m'avez fait peur! J'ai cru que -vous alliez mourir. «Taisez-vous, taisez-vous! -répond le curé en délire, vous êtes une imbécille.» -Puis il retourne vers le lit où Marie expire, -<span class="pagenum"><a id="Page_167"> 167</a></span> -mêler les frissons de son atroce passion -au râle effrayant de la mort.... A sept heures -et demie le crime était consommé, l'infortunée -avait cessé de vivre.</p> - -<p>Cependant le besoin de veiller à sa sûreté, -rappelle bientôt Mingrat à lui-même; il se résout -à éloigner sa domestique indiscrète, et à -cet effet, il lui ordonne de porter un journal -à un sieur Heuraud, qui demeurait environ à -quinze minutes du bourg. Cette fille, n'osant -insister, prit le journal, feignit d'obéir, et -comme tout ce qu'elle venait de voir lui semblait -extraordinaire, elle se borna à rôder autour -du presbytère. Suivant les dépositions de -cette fille, le curé ne l'eut pas plus tôt éloignée, -qu'il courut au fatal cabinet; celle-ci, étonnée -de l'y voir paraître, grimpa sur un portail qui -le dominait, et fut surprise par son maître; de -sorte que son indiscrétion faillit lui être funeste.</p> - -<p>Mingrat lui commanda de nouveau, d'un -ton menaçant, de faire sa commission; et profitant -de la courte absence de la servante, -pour préparer les moyens de faire disparaître -le cadavre, il se munit d'un couteau, de plusieurs -<span class="pagenum"><a id="Page_168"> 168</a></span> -ficelles et dépouilla entièrement Marie -de ses vêtemens.</p> - -<p>Il cache ensuite soigneusement les hardes -de cette infortunée, à l'exception de son mouchoir -de cou; il attache les deux pieds ensemble -avec la plus longue des cordes; les -deux bras sont également attachés, croisant -sur la poitrine. Sur ces entrefaites, revient la -servante; le curé est encore forcé d'interrompre -son affreux travail. Il interroge cette fille -sur ce qu'elle a vu. Celle-ci déclare tout ignorer; -il lui recommande le silence sur tout ce -qu'elle avait pu entendre. Contre son ordinaire, -le curé n'avait pas encore soupé. La -domestique, n'osant toucher à la table, prend -un livre de prières. Des cris redoublés se font -entendre à la porte du presbytère; Mingrat se -présente, en s'écriant brusquement: Qui est -là?..... C'était Charnalet, l'époux de Marie, -qui, accompagné de plusieurs parens, venait -demander au curé s'il n'avait pas vu sa femme. -Mingrat répond que non. Charnalet insiste; -on lui avait affirmé que Marie était entrée dans -l'église à six heures du soir; le curé embarrassé -répond en balbutiant: «En effet, je l'ai vue -<span class="pagenum"><a id="Page_169"> 169</a></span> -dans l'église, où elle priait dévotement. Elle -m'a demandé à être confessée; ce que j'ai refusé, -à cause qu'elle n'était pas mise avec assez -de décence, et depuis ce moment je ne -l'ai pas revue.» Puis il quitta brusquement -Charnalet, dans la crainte qu'une plus longue -conversation ne le trahît, ou que le malheureux -époux ne fût tenté d'entrer au presbytère. -Charnalet retourne chez lui, espérant encore -y retrouver sa femme. Vaine espérance! elle -n'avait pas encore reparu. Il revient à l'église, -en parcourt tous les détours, appelle Marie.... -Les échos seuls répondent à ces touchans appels.</p> - -<p>Cependant Mingrat, après avoir congédié -Charnalet, se débarrassa de sa servante qui -ne couchait pas au presbytère, et immédiatement -après son départ, il courut auprès -du cadavre de Marie et le soulevant avec -force, il le descendit par une fenêtre, au -moyen de cordes, au pied du mur de la maison. -Puis, cachant la lumière, il vint aussitôt -dans la basse-cour, s'empara de la corde, et -se mit en devoir de traîner le corps inanimé -de la malheureuse Marie sur les ronces et sur -les cailloux, jusque vers l'Isère, à un quart -<span class="pagenum"><a id="Page_170"> 170</a></span> -de lieue de Saint-Quentin. Le temps était orageux; -la nuit, sombre, semblait protéger le -scélérat de son obscurité. Il arrive sur le lieu -que l'on appelait la Roche, où deux marches -pratiquées dans le roc présentent un obstacle -à surmonter; il s'élance au-delà des escaliers, -tirant après lui le corps meurtri, qui, en -rebondissant, laisse sur les marches rocailleuses -des lambeaux de chair et des cheveux, -vestiges délateurs qui devaient bientôt servir -à convaincre Mingrat de son crime.</p> - -<p>De la Roche aux bords de l'Isère, il y avait -un assez long espace à parcourir. Mingrat, -épuisé par les efforts qu'il avait déjà été obligé -de faire, cherche un moyen d'alléger sa -charge; il tire un couteau de sa poche; il -porte un premier coup obliquement depuis -l'épaule droite jusqu'au-dessous du côté gauche, -et partage tout le sein droit; mais les -membres du cadavre offrant de la résistance -à ses barbares efforts, il attache le corps sanglant -par une jambe à l'arbre le plus prochain, -se saisit de l'autre jambe, et par de -nombreuses et violentes secousses, s'efforce -inutilement de séparer les jambes du tronc. -Dans sa rage, il imagine un autre moyen; il -<span class="pagenum"><a id="Page_171"> 171</a></span> -court au presbytère, y prend un couteau à hacher, -à l'usage de la cuisine, qui, d'après la -déclaration de la servante, était tout couvert -de rouille, et revient à la Roche achever son -ouvrage de cannibale. Cette fois, il réussit au -gré de ses désirs; les jambes sont séparées du -tronc; il les lance dans un ruisseau voisin qui -se jetait dans l'Isère. Il revient de nouveau sur -le théâtre de son affreux charnier, se charge -du tronc et le précipite bientôt dans le fleuve, -en laissant, par un calcul horrible, sur la -rive, le mouchoir de cou de Marie, afin de -faire naître le soupçon que cette malheureuse -s'était noyée.</p> - -<p>Après cette effroyable boucherie, Mingrat, -retourné dans son repaire, songe à faire disparaître -tous les indices qui pourraient déposer -contre lui; il dépouille sa soutane, et la -joignant aux vêtemens de Marie, il y met le -feu et en jette les cendres dans une fosse d'aisances -qu'il recouvre de terre fraîche; puis, -il nettoie soigneusement le couteau à hacher, -se rhabille proprement et attend le jour, en -s'efforçant de rendre à son visage le calme de -l'innocence.</p> - -<p>Mais, malgré toutes ses minutieuses précautions, -<span class="pagenum"><a id="Page_172"> 172</a></span> -son crime allait bientôt être découvert. -Quelques instans avant le jour, Joseph -Michon, laboureur à Saint-Quentin, passant -sous la Roche, à l'endroit même où Mingrat -avait dépecé le cadavre, aperçut une place à -terre de la largeur de deux pieds, couverte de -sang fraîchement répandu, et près de là, une -corde ensanglantée. Effrayé, il approche, regarde -autour de lui, et trouve, à quelques -pas plus loin, au pied d'un noyer, une place -semblable à la première; il regarde avec plus -d'attention, et rencontre bientôt un couteau à -manche, souillé de sang, enfoncé dans la -terre. Un mouvement d'horreur lui fait d'abord -jeter ce couteau dans un buisson; mais -réfléchissant que cet indice pouvait mettre -sur la trace des auteurs d'un crime, il le ramasse, -le lave avec soin, et retourne chez lui -pour le renfermer.</p> - -<p>Le féroce Mingrat, vivement préoccupé de -toutes les précautions à prendre pour cacher -ses horreurs, se rappelle qu'il s'est d'abord -servi d'un couteau; il le cherche avec anxiété, -et s'aperçoit qu'il l'a oublié sur le théâtre de -son forfait. Saisi d'effroi, il court en toute -hâte à la Roche où il l'avait laissé. Mais, inutiles -<span class="pagenum"><a id="Page_173"> 173</a></span> -recherches! l'instrument accusateur avait -disparu. Deux bouchers du pays, qui passaient -en ce moment près de la Roche, furent étonnés -de rencontrer le curé, à cette heure, en un -semblable endroit; ils remarquèrent son air -inquiet et son agitation; et leur étonnement -fut à son comble quand, après son départ, ils -virent des flots de sang répandu dans les lieux -qu'il venait de quitter.</p> - -<p>De retour chez lui, Mingrat appelle sa servante -et d'une voix menaçante, il l'interpelle -ainsi: «Qu'avez-vous vu?.... répondez!» La -malheureuse ne sait que répondre. «Je n'ai -rien vu, dit-elle en tremblant; j'ai entendu -des gémissemens; j'ai cru que vous alliez mourir.» -Quelques instans après, en faisant le ménage, -elle trouve le chapelet de la malheureuse -Charnalet à moitié brûlé, et un pressentiment -sinistre, dont elle ne peut se rendre -compte, la pousse à le déposer dans un trou -du mur sous le hangar. Chaque pas qu'elle -fait dans le presbytère lui fait faire une nouvelle -découverte. Là, ce sont des cendres et -quelques morceaux de linges à demi brûlés; -ailleurs, de la paille encore ensanglantée; plus -loin, un lambeau de chair; enfin le couteau à -<span class="pagenum"><a id="Page_174"> 174</a></span> -hacher qu'elle savait être rouillé, est brillant; -elle ne peut douter qu'il n'ait été tout récemment -nettoyé. Malgré la faiblesse de son esprit, -elle conçoit d'horribles soupçons. Elle -prend la résolution de quitter le service d'un -maître dont la conduite lui semble si étrangement -mystérieuse.</p> - -<p>Pendant ce temps, le malheureux Charnalet, -en proie aux plus vives alarmes, avait -cherché sa pauvre Marie partout où il avait -eu quelque espoir de la trouver. Il revint à la -ferme du Gît, le désespoir dans le cœur. Déjà -le bruit de la mort de sa femme s'était répandu; -son mouchoir, trouvé sur les bords de -l'Isère, avait fait croire au stratagème de -Mingrat. Cet événement donnait lieu à -mille conjectures. Une cousine de Marie, accompagnée -de quelques voisines, alla trouver -Mingrat qui se promenait gravement, son -bréviaire à la main. «Ah! monsieur le curé, -lui dit la crédule cousine, si vous l'aviez confessée -comme elle le désirait, peut-être l'eussiez-vous -détournée de son fatal projet!—Je -la vis en effet dans l'église, répondit l'hypocrite; -elle priait dévotement. Elle vint à moi, -me témoignant le désir d'être confessée; mais -<span class="pagenum"><a id="Page_175"> 175</a></span> -la voyant mise peu décemment, lui trouvant -d'ailleurs l'œil hagard, je la renvoyai à un -autre jour. Je suis bien aise, au contraire, -d'avoir refusé de l'entendre; car si je l'eusse -confessée, et qu'elle eût péri tout de même, -l'on m'aurait donné tort et l'on m'aurait dit -que j'étais cause de sa mort, ayant exalté son -imagination..... Pourtant voyons! descendons -vers la Roche.» Ils se rendirent en effet dans -cet endroit; une foule de personnes en exploraient -les alentours. Mingrat ne craignit -pas de paraître au milieu de cette multitude -rassemblée. Son front calme, quoique sévère, -ne laissait rien paraître des sentimens -qui devaient l'agiter.</p> - -<p>Après cette démarche audacieuse, Mingrat -revint au presbytère, où sa servante l'attendait -pour lui demander à quitter son service... -«Montez! Votre ouvrage n'est point -ici, s'écria le curé en l'apercevant.—Oh! -monsieur, répliqua-t-elle avec effroi; je n'y -saurais tenir: laissez-moi m'en aller!» Ces -mots firent comprendre à Mingrat que cette -fille avait deviné ou découvert son crime. Il -la saisit d'un bras vigoureux, l'entraîne au -pied du sanctuaire, et d'une main, retirant du -<span class="pagenum"><a id="Page_176"> 176</a></span> -tabernacle le Saint-Sacrement, et de l'autre -lui tenant avec force le bras tendu vers l'autel, -il la contraignit de jurer qu'elle garderait -le plus profond silence sur tout ce qu'elle -avait vu. La tremblante domestique obéit et -répéta le serment que Mingrat dicta lui-même. -Ce serment, prononcé dans de telles circonstances, -fit une si forte impression sur l'esprit -faible de cette pauvre fille, qu'elle ne -consentit à révéler à la justice les affreux -mystères de la nuit du 9 mai, qu'après y avoir -été autorisée par son confesseur, qui lui dit -qu'elle était obligée de raconter tout ce qu'elle -savait.</p> - -<p>Cependant un événement aussi extraordinaire -ne devait pas rester long-temps sans -appeler l'attention de l'autorité locale. Elle -prit les informations les plus minutieuses sur -tout ce qui pouvait avoir rapport à la disparition -subite de l'épouse de Charnalet. M. Bossan, -l'adjoint du maire de Saint-Quentin, déploya -surtout beaucoup de zèle dans la poursuite -de cette déplorable affaire. Ce fut par -ses soins que l'on acquit la conviction que le -couteau trouvé par le cultivateur Michon, appartenait -à Mingrat.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_177"> 177</a></span> -Quelques jours s'étaient passés sans que -l'on eût acquis de nouveaux éclaircissemens -sur la catastrophe du 9 mai; on remarquait -seulement que Mingrat évitait autant que -possible de se montrer en public; lorsque, le -16 mai, jour de l'Ascension, à sept heures du -matin, de jeunes bergers, s'amusant à pêcher -dans un fossé qui communique à l'Isère, amenèrent -au bout de leur ligne une cuisse humaine. -Saisis d'épouvante, ils rejettent dans -le ruisseau cet affreux objet, et s'enfuient vers -le bourg, en répétant partout la cause de leur -effroi. L'adjoint, prévenu de cette circonstance, -se transporte sur les lieux indiqués -par les jeunes pâtres; on retrouve la cuisse -sanglante. Il résulte de l'examen des médecins, -que le membre mutilé est une cuisse -de femme, et tout semble s'éclaircir. Déjà l'on -murmurait tout bas le nom de Mingrat.</p> - -<p>On alla déposer dans le cimetière la cuisse -retrouvée; mais à peine les autorités, qui -avaient accompagné ce douloureux convoi, se -furent retirées, que le fourbe et audacieux -curé, sans doute pour faire taire les rumeurs -sourdes dont il était l'objet, courut au cimetière -et ordonna que cette cuisse fût jetée dans -<span class="pagenum"><a id="Page_178"> 178</a></span> -un coin, loin des âmes justes qui reposaient -dans ces lieux. «Marie, disait-il, ne méritait -aucune sépulture puisqu'elle s'était noyée et -avait perdu son salut. Je l'ai vue, ajoutait-il, -possédée par le diable, oui, par Satan qui la -tenait dans ses bras pour l'entraîner dans l'abîme!» -Quand il sut que les soupçons à son -égard prenaient de plus en plus de la consistance, -il fit dire à M. Bossan: «Qu'il était -prêt à donner ses réponses, si on voulait l'interroger.» -Mais cette proposition, qui n'avait -pour objet que d'en imposer à des gens -peu éclairés, ne fut qu'un indice de plus de -sa culpabilité.</p> - -<p>Jusque-là l'autorité avait été forcée à de -grands ménagemens à cause du caractère sacré -dont Mingrat était revêtu; mais les élémens -sur lesquels se fondait la présomption -ne permettaient plus de rester inactif. On se -décida à prendre contre le coupable des mesures -de sûreté. L'indigne curé, prévenu, par -un confrère officieux, du projet qu'on avait -de l'arrêter, jugea à propos de se soustraire -à la justice. Les gendarmes, envoyés à sa poursuite, -ne purent le joindre; il les avait devancés -de quelques heures, et arrivés aux frontières, -<span class="pagenum"><a id="Page_179"> 179</a></span> -ils furent contraints de remettre à l'autorité -sarde les ordres qu'ils avaient reçus. Mingrat -s'était réfugié dans la grotte dite des Échelles. -Les carabiniers piémontais le découvrirent et -l'arrêtèrent, quoiqu'il protestât de son innocence -et qu'il s'écriât <i>qu'on ne pouvait saisir -un homme de sa robe</i>.</p> - -<p>Malgré ses récriminations, il fut entraîné -et conduit dans les prisons de Chambéry. Il -dut à son habit d'y jouir d'une liberté peu -commune, et il en profita pour commettre à -demi un nouveau crime. La nièce du concierge -de la prison, qu'il avait déjà remarquée, se -trouvant un soir dans un passage obscur où -le scélérat l'attendait, il tenta de lui faire -violence. La jeune fille poussant des cris affreux, -Mingrat, dans la crainte d'être découvert, -l'avait déjà saisie à la gorge comme pour -l'étrangler, quand plusieurs personnes étant -accourues, l'arrachèrent de ses mains forcenées; -et sur les plaintes des parens de la jeune -fille, on obtint la translation de Mingrat -à Fénestrelle, forteresse de la Savoie, à dix -lieues de Besançon.</p> - -<p>Il paraît que pendant son séjour à Chambéry, -ce maître tartufe avait eu tellement -<span class="pagenum"><a id="Page_180"> 180</a></span> -l'art de se couvrir du masque de la vertu, que -toutes les dévotes, qui le visitaient par humanité, -ne doutaient pas qu'il n'eût été victime de -fausses accusations, et le regardaient comme -un martyr de la méchanceté humaine.</p> - -<p>Cependant les forfaits de ce monstre étaient -patens. Trois jours après sa fuite, on avait -retrouvé dans les parages de Fory, à cinq -lieues de Saint-Quentin, le tronc mutilé de -Marie. L'examen judiciaire de ce cadavre eut -lieu, en présence des médecins; on reconnut -facilement les traces sanglantes du couteau -et les meurtrissures que les mains du curé -avaient faites sur la victime. Après de longues -hésitations, la servante de Mingrat se décida -à raconter tout ce qui était à sa connaissance; -elle reconnut aussi le couteau de son maître; -et ses révélations achevèrent de compléter les -preuves du crime commis au presbytère de -Saint-Quentin dans la nuit du 9 mai.</p> - -<p>Enfin la procédure fut portée devant la -Cour d'assises de l'Isère, qui, par arrêt du -9 décembre 1822, condamna par contumace -le curé Mingrat à la peine de mort, comme -coupable du crime de viol et d'assassinat.</p> - -<p>Vainement Charnalet et Gérin, époux et -<span class="pagenum"><a id="Page_181"> 181</a></span> -frère de la victime, firent les démarches les -plus actives pour obtenir l'extradition de l'assassin: -une protection mystérieuse lui servit -constamment d'égide contre le glaive de la loi. -Pour prix de sa tendresse fraternelle, le sieur -Gérin fut présenté par d'ignobles calomniateurs -comme le fauteur de l'assassinat, bien -que depuis long-temps il habitât une contrée -fort éloignée du séjour de sa sœur; et l'on -ne saurait nombrer les brutales persécutions -auxquelles il fut en butte, lorsque, pour -faire connaître dans toute sa hideuse vérité le -curé Mingrat, il alla distribuer dans nos provinces -l'histoire des malheurs de sa famille.</p> - -<p>Depuis son arrestation, l'assassin de Marie -jouit, dans la forteresse de Fénestrelle, de -l'impunité qu'on lui a ménagée. Puissent au -moins ses protecteurs le faire garder étroitement, -et ne jamais lâcher sur la société cette -bête féroce, dont la présence serait un fléau -partout où le monstre porterait ses pas!</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_182"> 182</a></span></p> -<h2 class="normal">CASTAING.</h2> -</div> - -<p>Le nom de Castaing fit, il y a dix ans, une -assez profonde impression sur tous les esprits, -pour qu'il soit permis de croire que le souvenir -de cet homme, jugé coupable de grands -forfaits, n'est point effacé, malgré les événemens -de tout genre et de la plus haute importance, -malgré les scélératesses inouies -qui depuis lors ont pris place en foule dans -notre histoire contemporaine.</p> - -<p>Castaing, il faut le dire, fut un second -Desrues: au lieu du masque de la religion, il -eut recours à celui de l'amitié, et tous deux -se montrèrent également hypocrites; tous -deux furent également inspirés par une avide -cupidité; tous deux voulurent veiller seuls -auprès de leurs victimes, comme pour mieux -jouir de leur crime, comme pour mieux en -assurer l'effet. Ce qui établit entre eux une -différence qui ne tourne pas à l'avantage de -Castaing, c'est que Desrues avait manifesté ses -<span class="pagenum"><a id="Page_183"> 183</a></span> -inclinations vicieuses dès ses plus jeunes ans, -et que son éducation fut très-négligée, au lieu -que Castaing trouva des exemples de toutes -les vertus dans sa propre famille, tint lui-même -une conduite long-temps exemplaire, -se distingua par sa douceur et l'aménité de -ses mœurs, et cultiva, avec non moins de -succès que de zèle, des sciences dont il devait -faire plus tard un usage si criminel. Ajoutons -que Castaing était médecin! Ainsi l'art qui a -pour but de guérir les maux qui nous assiégent, -Castaing s'en servit pour assassiner savamment -deux amis, dont préalablement il -s'était assuré la fortune par des testamens!</p> - -<p>Et, à propos de testamens, qu'il nous soit -permis de hasarder quelques réflexions qui -peuvent être de quelque utilité. Les testamens -tels que la loi les tolère aujourd'hui dans notre -état de société, servent, dans une foule de -cas, à frustrer des héritiers légitimes, au profit -d'habiles intrigans, qui n'ont capté le testateur -que dans un but unique, celui de se -faire donner sa fortune. Par héritiers légitimes, -nous n'entendons pas les collatéraux -dont les droits seraient souvent très-contestables, -sous certains rapports; il s'agit ici d'enfans, -<span class="pagenum"><a id="Page_184"> 184</a></span> -de frères, de sœurs, qui, au moyen -de testamens extorqués par adresse ou arrachés -à l'imbécillité de l'âge, se sont vus dépouillés -par d'avides étrangers. Nous ne prétendons -nullement enchaîner la volonté des -testateurs; mais nous pensons qu'il serait désirable -que l'on revît d'un œil sévère et prévoyant -toute la législation relative aux testamens. -Que de spoliations, que d'iniquités, -que de crimes secrets ont été la suite de dispositions -testamentaires!</p> - -<p>Combien de fois s'est renouvelée l'histoire -tragique de ce vieux prélat dont parle le -<i>Diable boiteux</i> de notre Lesage! Cet homme -sortit de ce monde assez brusquement, pour -avoir fait son testament en pleine santé, et -l'avoir lu à ses domestiques, à qui, comme un -bon maître, il léguait quelque chose. Son -cuisinier fut impatient d'avoir son legs!</p> - -<p>J.-J. Rousseau a protesté quelquefois, par -ses écrits et par ses exemples, contre la manie -des testamens. Milord Maréchal voulait -le mettre dans le sien: Rousseau s'y opposa -de toute sa force, disant qu'il ne voudrait -pour rien au monde se savoir dans le testament -de qui que ce fût. Milord Maréchal, -<span class="pagenum"><a id="Page_185"> 185</a></span> -vaincu par les motifs du philosophe, voulut -au moins lui faire une pension viagère; Rousseau -ne s'y opposa point. «On dira, écrivait-il -à ce sujet, que je gagne à ce changement: -cela se peut. Mais, ô mon bienfaiteur et mon -père! si j'ai le malheur de vous survivre, je -sais qu'en vous perdant, j'ai tout à perdre, -et que je n'ai rien à gagner.» Plus tard, le -même Rousseau manifesta la même opinion, -à l'occasion de la mort de M. le maréchal de -Luxembourg. Comme ce seigneur avait une -véritable amitié pour le grand écrivain, on -écrivait à celui-ci qu'il était sur le testament. -Rousseau se trouva fort embarrassé pour la -détermination à prendre sur ce legs. Tout -bien pesé, il résolut de l'accepter. «J'ai été, -dit-il, dispensé de ce devoir, n'ayant plus entendu -parler de ce legs vrai ou faux; et en -vérité, j'aurais été peiné de blesser une des -grandes maximes de la morale, en profitant -de quelque chose à la mort de quelqu'un qui -m'avait été cher.» Que de gens ne se font pas -de semblables scrupules dans des circonstances -de ce genre! Ceux qui héritent par testament -ne se font guère ces objections de délicatesse, -et ne vont pas s'amuser à chercher -<span class="pagenum"><a id="Page_186"> 186</a></span> -une question de morale au fond de leur legs. -On hérite en vertu de la loi: peu importe le -reste.</p> - -<p>Revenons à Castaing, triste et nouvel exemple -du désordre que peut enfanter la cupidité, -l'une des plus viles passions humaines. Edme-Samuel -Castaing, né en 1796 à Alençon, d'une -famille justement considérée, montra, dès ses -jeunes années, un caractère ardent et une -fermeté qui allait jusqu'à la ténacité. Il fit ses -études au collége d'Angers, et s'y fit remarquer -de ses professeurs par son application -et par ses progrès. Ses études terminées, il se -destina à la profession de médecin et travailla -avec ardeur à se procurer les connaissances -nécessaires pour parcourir cette carrière avec -distinction. Il suivit, pendant deux ans, avec -la plus grande exactitude, les cours de la Faculté; -mais vers la fin de 1819, on put s'apercevoir -qu'il était captivé par un sentiment -d'une autre nature. Castaing avait eu l'occasion -de donner, dans une légère maladie, -quelques soins à une dame, veuve depuis peu -de temps d'un ancien magistrat, et n'avait -pu la voir sans en être violemment épris.</p> - -<p>Cette passion nuisit à celle de l'étude qui -<span class="pagenum"><a id="Page_187"> 187</a></span> -jusque alors avait constamment dominé Castaing; -ce jeune homme ne fut plus occupé -que des moyens de plaire à celle qu'il aimait -et de lui faire partager ses sentimens. Après -avoir éprouvé d'abord quelques résistances, -il fut ensuite plus heureux; la liaison la -plus intime s'établit entre les deux amans, -et le 17 juillet 1821, Castaing devint père.</p> - -<p>Cédant aux remontrances de ses parens, -il reprit le cours de ses études et se fit recevoir -médecin. Dès ce moment, il se sépara -presque tout-à-fait de sa famille, et se rapprocha -davantage de sa maîtresse. Cette coupable -liaison était un secret pour le monde, excepté -pour deux jeunes frères, Hippolyte et -Auguste Ballet, avec lesquels il était lié depuis -quelque temps, surtout avec le premier -qui, valétudinaire et craignant continuellement -de perdre le peu de santé dont il jouissait, -s'estimait heureux de trouver son médecin -dans son ami.</p> - -<p>Les deux frères Ballet étaient tous les deux -possesseurs d'une fortune considérable que -leur avaient laissée leurs parens, morts tout -récemment. Ils s'attachèrent à Castaing qui -n'avait rien négligé pour les capter, et lui -<span class="pagenum"><a id="Page_188"> 188</a></span> -accordèrent la plus aveugle confiance, en retour -de ses complaisances et de son dévouement -apparent.</p> - -<p>Dans cet état de choses, Hippolyte Ballet -mourut le 22 octobre 1822; l'état de malaise -continuel dans lequel on était habitué à le -voir fit regarder sa mort comme naturelle, quoiqu'elle -fût prématurée; et Castaing n'en continua -pas moins à vivre avec le frère survivant -dans une intimité rendue encore plus étroite -par l'isolement d'Auguste après la mort de -son frère. Les faits que nous allons présenter -apprendront avec quelle inconcevable barbarie, -avec quelle froide cruauté, l'homme, que -ces deux frères caressaient ainsi, devint leur -bourreau commun.</p> - -<p>Le 29 mai 1823, Auguste Ballet, accompagné -seulement de Castaing, arrive en bonne -santé à Saint-Cloud. Le lendemain au soir, il -se plaint tout-à-coup de douleurs très-vives qui -vont toujours en augmentant. Il meurt le 1<sup>er</sup> -juin. Une mort aussi subite paraît extraordinaire; -des soupçons s'éveillent; la justice ne -tarde pas à être informée; une enquête scrupuleuse -a lieu, et les résultats de cette enquête -provoquent une ordonnance de la Cour -<span class="pagenum"><a id="Page_189"> 189</a></span> -royale qui, le 26 août, renvoie Castaing devant -la Cour d'assises de la Seine, comme -prévenu d'attentat à la vie des deux frères -Ballet, et de destruction du testament d'Hippolyte.</p> - -<p>Voici quelques détails qui nous sont fournis -par l'acte d'accusation: «La maladie qui -emporta le jeune Ballet avait commencé subitement -le soir du vendredi 30 mai, lendemain -de son arrivée à Saint-Cloud, après -avoir bu du vin chaud. Elle redoubla le samedi -matin, après avoir pris une tasse de lait -froid. Elle devint une agonie le même jour, -quelques minutes après qu'il eut avalé une -cuillerée de potion calmante; dès ce moment -il perdit connaissance. Il expira le dimanche, -à une heure après-midi, après l'avoir recouvrée. -La maladie parut extraordinaire, sa marche -bien brusque, la catastrophe effrayante. -Le défunt avait exhalé son dernier soupir loin -de tous les siens, dans les bras de son compagnon -de voyage. Le vin chaud, le lait froid, -la cuillerée de potion calmante, lui avaient été -administrés par ce dernier.</p> - -<p>«Avant qu'on sût rien de plus, et durant -cette courte maladie, en en observant les -<span class="pagenum"><a id="Page_190"> 190</a></span> -symptômes, et après son issue, en en appréciant -les circonstances, aubergistes, médecins, -voisins, tout le monde fut frappé de stupeur; -tout le monde s'était demandé ce que cela -signifiait, et ce qu'étaient ces deux étrangers. -Des soupçons affreux, quoique vagues encore, -s'élevèrent sur celui qui survivait. Une circonstance -vint tout-à-coup leur donner plus -de gravité, on apprit avec une sorte de terreur -que le jeune homme survivant était légataire -universel du prédécédé, et que celui-ci -était riche.</p> - -<p>«Même avant cette découverte, les médecins -auxquels, selon leurs propres expressions, -les circonstances du décès paraissaient <i>extraordinaires -et contre l'ordre naturel des -choses</i>, avaient cru que la justice devait prendre -connaissance de cette affaire. Le nouvel -incident rendit ce devoir plus impérieux.»</p> - -<p>Il résulta de l'enquête qui eut lieu que la -correspondance de Castaing prouve qu'il était -d'un naturel ardent, ambitieux; qu'il avait -toujours été dévoré d'un violent désir de -faire fortune: on lut dans une lettre saisie -chez lui, que sa propre mère, quelques années -auparavant, disait de lui des <i>horreurs</i>. -<span class="pagenum"><a id="Page_191"> 191</a></span> -Pour avoir l'explication de ce mot, il eût fallu -interroger sa mère; la nature le défendait. On -aurait pu interroger l'auteur de la lettre; on -ne le fit pas par ménagement pour une grande -passion. On ne put donc savoir quels étaient -au juste les griefs qui arrachèrent à sa mère -une aussi sévère expression. Le père était -aussi très-mécontent de la conduite de son -fils: c'est encore dans les papiers de ce dernier -qu'on en a trouvé des preuves.</p> - -<p>Castaing, dans ses études aussi opiniâtres -qu'étendues, avait cherché à approfondir la -physiologie, l'anatomie, la botanique, la chimie. -Ses travaux sur ces diverses sciences -étaient attestés par de nombreux cahiers, tout -couverts de ses observations et de ses extraits, -et qui furent trouvés dans ses papiers. Mais -après le déplorable événement qui donnait -lieu à cette instruction, on ne put s'empêcher -de frémir en remarquant que les studieuses -investigations du jeune adepte embrassaient -aussi les différentes espèces de poisons; qu'il -recherchait avec grand soin quels sont ceux -qui laissent après eux des traces dénonciatrices, -et ceux qui, bien plus perfides, ne laissent -après eux aucuns vestiges perceptibles -<span class="pagenum"><a id="Page_192"> 192</a></span> -aux yeux mêmes de l'anatomiste le plus exercé. -On vit qu'il était enfin arrivé à la funeste connaissance -que tels poisons n'agissent qu'à l'égard -de certaines maladies, et en ne signalant -leur passage que par des symptômes identiques -avec ceux qu'auraient offerts après la -mort ces mêmes maladies. «Tout cela, suivant -l'acte d'accusation, résulte clairement des -pièces trouvées chez Castaing. Ainsi un point -bien certain, c'est qu'il savait très-bien, et -peut-être trop bien, que certains poisons ne -laissent aucune trace.»</p> - -<p>Ajoutons à ces indices que Castaing, quoique -peu riche, pouvait se suffire à lui-même, -en attendant que les bénéfices de son art lui -procurassent une situation plus aisée. Mais -Castaing avait une maîtresse très-pauvre elle-même, -et si pauvre, qu'il avait à sa charge, -outre ses besoins personnels, ceux de cette -femme et de trois enfans d'un mari qui n'existait -plus. En ajoutant l'entretien de deux autres -enfans nés du commerce illégitime qui -s'était établi entr'eux, on verra qu'il ne pouvait -naturellement suffire à une pareille dépense. -Il était d'autant plus tourmenté par -cette idée, que sa passion n'était pas une passion -<span class="pagenum"><a id="Page_193"> 193</a></span> -vulgaire. La débauche n'avait point formé -les nœuds de cette union. Castaing idolâtrait -ses deux enfans, il adorait leur mère qu'il appelait -sa femme; ces trois êtres paraissaient -être les seuls objets de ses pensées; il ne rêvait -qu'aux moyens de leur assurer une existence.</p> - -<p>L'accusation rappela ensuite que Castaing -se trouvait dans un tel état de gêne, en juin 1822, -qu'il ne savait alors comment opérer le remboursement -d'une somme de 600 francs; et -que, quatre mois après, c'est-à-dire au mois -d'octobre de la même année, il se trouvait -tout-à-coup avoir à sa disposition des capitaux -considérables, prêtait 30,000 francs à sa mère, -et en plaçait 70,000 dans les fonds publics -sous des noms supposés, sans qu'on pût expliquer -naturellement un pareil changement -de fortune.</p> - -<p>A l'époque dont nous parlons, Castaing -était déjà lié avec les deux frères Ballet, et s'était -ménagé un puissant ascendant sur l'esprit -de chacun d'eux. Jusque-là les frères Ballet s'étaient -montrés très-attachés l'un à l'autre; mais -vers ce temps-là même, cet attachement s'était -beaucoup refroidi, sans que l'on sût quelle -<span class="pagenum"><a id="Page_194"> 194</a></span> -était la véritable cause de ce changement.</p> - -<p>Ce qui n'est point douteux, c'est qu'Hippolyte, -dans les temps voisins de sa mort, -confia à plusieurs de ses amis, aux uns d'abord, -qu'il voulait faire un testament, aux -autres ensuite, qu'il avait fait un testament, -et que, par ce testament, il portait une grande -atteinte aux droits légaux de son frère Auguste. -L'existence de ce testament, attestée -par plusieurs personnes notables en position -de connaître les faits, pouvait d'autant moins -être révoquée en doute, que Castaing lui-même -avait déclaré à plusieurs personnes -qu'Hippolyte avait testé, et qu'il avait déshérité -son frère. Auguste Ballet avait confessé, -en présence de témoins, qu'il avait vu et tenu -ce testament après la mort de son frère. Quoi -qu'il en soit, ce testament ne se retrouva pas -dans la succession d'Hippolyte.</p> - -<p>Voici à peu près de quelle manière l'accusation -expliquait la disparition de cet acte important. -Hippolyte avait rendu le dernier soupir -entre les bras de Castaing, comme Auguste; -Castaing était resté seul dans l'appartement -du moribond. Personne n'avait donc vu ni pu -voir ce que fit Castaing dans cette maison -<span class="pagenum"><a id="Page_195"> 195</a></span> -dont il était resté le maître. On pouvait donc -présumer que Castaing s'était emparé du testament -d'Hippolyte, et l'avait livré à Auguste -pour une somme de 100,000 francs.</p> - -<p>«Castaing, suivant l'accusation, était en beau -train de fortune; déjà dans les 100,000 francs -il avait recueilli une partie des dépouilles d'Hippolyte. -Mais là ne s'arrêtait pas sa cupidité, et -il est bien apparent qu'il avait le vif désir de -recueillir tout ce qui en était passé dans la fortune -d'Auguste, et avec cette seconde proie, -toute la fortune même de celui-ci, puisqu'il -s'était fait faire par lui un testament qui lui -donnait tout ce qu'il possédait. Toutefois Castaing -n'ignorait pas qu'un testament est un -acte bien fragile, et toujours destructible au -premier caprice du testateur. Et Auguste se -refroidissait! et Auguste voulait aller demeurer -loin de lui! et Auguste, impatient de son -joug, de ses assiduités, de sa surveillance, paraissait -vouloir reprendre sa liberté! Qu'en ferait-il? -Que deviendrait le testament? Chaque -jour, chaque heure, chaque minute pouvaient -renverser de fond en comble les espérances de -Castaing. Mais Castaing savait trop ce qu'en -pareil cas il était possible de faire, et quels -<span class="pagenum"><a id="Page_196"> 196</a></span> -étaient les moyens puissans de fixer à jamais -les choses dans l'état où elles étaient encore.</p> - -<p>«Il n'y avait même pas, par d'autres raisons, -beaucoup de temps à perdre. Auguste -venait de réaliser un capital de 100,000 francs; -cela n'est pas douteux, car, peu de jours avant -le voyage de Saint-Cloud, il les avait montrés -à son ami Raisson, qui en a déposé. Castaing -ne l'ignorait pas; sa conduite ultérieure prouvera -qu'il savait non seulement qu'Auguste -était en possession de cette somme, mais encore -quel était précisément celui de ses meubles -dans lequel il l'avait renfermée.</p> - -<p>«C'est sur ces entrefaites mêmes, et vers la -fin du mois de mai, que se lie entre Auguste -et Castaing une partie de campagne, sans que -personne puisse dire ou savoir comment elle -s'arrangea, lequel des deux la proposa, pourquoi -ils la firent seuls, et enfin quel en fut le -but.»</p> - -<p>Ce fut à la suite de cette partie de campagne -qu'eut lieu la catastrophe subite d'Auguste -Ballet. Certaines circonstances révélées, soit -pendant l'instruction, soit pendant les débats, -répandirent quelque lumière sur le crime et sur -quelques-unes des démarches de son auteur. -<span class="pagenum"><a id="Page_197"> 197</a></span> -Voici ce que l'acte d'accusation offrait de plus -important à ce sujet:</p> - -<p>Le 29 mai, de six à sept heures du matin, -Auguste Ballet et Castaing allèrent ensemble, -par les petites voitures, faire une course -à Saint-Germain-en-Laye, et de retour -de cette promenade, ils repartirent vers sept -heures du soir, sans indiquer le lieu où ils -allaient, après qu'Auguste eut dit seulement -qu'ils seraient absens pendant deux ou trois -jours. Ils se rendirent à Saint-Cloud, aussi -par les petites voitures, et s'y rendirent seuls. -Cette circonstance paraîtra, sinon étonnante, -du moins un peu bizarre; car Auguste avait -trois chevaux, plusieurs voitures, plusieurs -domestiques: tous restèrent à Paris, sans -qu'aucun d'eux connût le lieu où se rendaient -les deux maîtres. On ne le sut que deux -jours après, c'est-à-dire le 31 mai. Ce jour-là, -arriva dans l'après-midi, à l'adresse du domestique -d'Auguste, un billet de Castaing -ainsi conçu: «M. Ballet se trouvant indisposé -à Saint-Cloud, Jean viendra de suite le rejoindre -avec le cheval gris et le cabriolet; lui et -la mère Buret (femme de charge d'Auguste), -ne parleront à personne de tout cela. On dira -<span class="pagenum"><a id="Page_198"> 198</a></span> -à ceux qui le demanderont qu'il est à la campagne, -et cela, par ordre très-exprès de M. Ballet.—Adresse -de M. Ballet: <i>Tête-Noire</i>, à -Saint-Cloud.»</p> - -<p>Le domestique Jean partit sur-le-champ -avec le cabriolet, arriva à Saint-Cloud et -trouva son maître au lit. Celui-ci se plaignit -d'avoir été tourmenté par des coliques et des -vomissemens.</p> - -<p>Que s'était-il donc passé dans ce malheureux -voyage? Le voici: Castaing et Auguste -étaient arrivés à la Tête-Noire à Saint-Cloud, -le 29 mai, vers neuf heures du soir. On avait -donné aux voyageurs une chambre à deux -lits, qu'ils occupèrent ensemble. Les deux -amis se promenèrent, toujours ensemble, -toute la journée du vendredi 30, sauf le temps -du dîner, qu'ils vinrent prendre à l'auberge, -et après lequel ils rentrèrent à neuf heures -du soir, et Castaing demanda alors une demi-bouteille -de vin chaud sans sucre, attendu -qu'ils avaient le leur avec eux. On monta le -vin, et les voyageurs y mirent de leur sucre -et des citrons que Castaing avait achetés. Les -choses en étaient là, lorsque Castaing, sans -nulle provocation, quitta la chambre et se -<span class="pagenum"><a id="Page_199"> 199</a></span> -trouva, quelques instans après, devant le lit -d'un jeune domestique de la maison qui était -malade et à qui il tâta le pouls, sans toutefois -rien lui prescrire.</p> - -<p>Pendant ce temps, Auguste avait goûté le -vin chaud, qui lui sembla si mauvais qu'il ne -but pas ce qui lui avait été versé. La servante -de la maison étant survenue, Auguste lui -dit: «J'ai trop mis de citron dans ce vin; -il est si amer que je ne puis le boire.» La -servante en goûta et le trouva effectivement -bien sûr; puis elle se retira. Les deux amis -se mirent au lit; cette nuit n'eut pas d'autre -témoin que Castaing. Quelque suspect que -puisse être son récit, il est cependant certains -détails auxquels on est forcé d'ajouter foi. -Auguste, suivant lui, fut agité toute la -nuit; il ne dormit pas, il se plaignit plusieurs -fois à Castaing de ne pouvoir rester en place. -Il eut des coliques; le matin enfin, il déclara -qu'il ne pouvait sortir du lit, qu'il avait les -jambes enflées et ne pouvait mettre ses bottes. -Quant à Castaing, il sortit, suivant son récit, -pour faire un tour de parc. Ce n'était pas -seulement une fantaisie assez déplacée, c'était -encore une fantaisie bien pressée, à ce qu'il -<span class="pagenum"><a id="Page_200"> 200</a></span> -paraît, car il n'était encore que quatre heures -du matin, et un des domestiques de la maison -fut obligé de se lever pour lui ouvrir la porte. -Cette prétendue promenade dans le parc n'était -qu'une allégation, mise en avant pour cacher -une bien affreuse vérité.</p> - -<p>Castaing ne rentra que sur les huit heures; -son premier soin fut de demander pour Auguste -du lait froid; dans l'instruction, il -prétendit qu'il avait demandé du lait chaud: -tous les témoins déposèrent du contraire.</p> - -<p>Auguste prit le lait qui lui fut présenté par -Castaing, et fort peu de temps après, les -vomissemens se succédèrent rapidement, et -furent accompagnés de coliques. On se débarrassa -sur-le-champ de toutes les déjections. -Cependant l'état du malade empirait visiblement. -Il demanda un médecin; Castaing lui -proposa d'en faire venir un de Paris, mais -Auguste voulut qu'on en prît un sur les lieux -mêmes.</p> - -<p>On alla chercher M. Pigache, médecin à -Saint-Cloud, lequel ne put arriver qu'à onze -heures du matin. Il demanda à Castaing ce -qu'il pensait de la maladie; celui-ci répondit -qu'il la regardait comme un <i>cholera-morbus</i>. -<span class="pagenum"><a id="Page_201"> 201</a></span> -M. Pigache ordonna des émolliens et se retira. -Il revint vers trois heures, et trouva le malade -encore plus mal. Castaing était sorti, pour -la troisième fois de la journée. M. Pigache -se plaignit de ce que ses prescriptions n'avaient -pas été ponctuellement suivies. On lui -promit plus d'exactitude, et il quitta le malade -jusqu'à cinq heures. A son retour, il -ordonna une potion calmante, et ne fut pas -d'avis qu'on obtempérât au désir qu'avait manifesté -le malade d'être transporté à Paris. -Ayant annoncé, en se retirant, l'intention de -revenir encore dans la soirée, Castaing lui -dit que cela n'était pas nécessaire. Celui-ci, -au reste, avait écrit la lettre qu'on a vue plus -haut, et qui motiva l'arrivée du nègre Jean.</p> - -<p>Les soins de ce fidèle domestique furent -à peu près inutiles. Les symptômes alarmans -augmentèrent; la respiration du malade était -gênée; il ne pouvait plus avaler sa salive. -Castaing, sur ces entrefaites, lui administra -une cuillerée de potion; l'effet en fut prompt -et malheureux: cinq minutes après, il eut -une espèce d'attaque de nerfs; à partir de ce -moment, il demeura constamment sans connaissance. -Castaing le laissa dans cet état jusqu'à -<span class="pagenum"><a id="Page_202"> 202</a></span> -onze heures et demie du soir. Alors M. Pigache, -averti par un domestique de la maison, -à qui Castaing avait dit que son ami ne passerait -pas la nuit, vint encore une fois.</p> - -<p>Le corps du malade était couvert d'une -sueur froide et parsemé de taches bleuâtres. -Cependant une saignée ayant produit un peu -de mieux, M. Pigache dit à Castaing qu'il regardait -l'état de son ami comme à peu près -désespéré, mais que pourtant une seconde -saignée pourrait être salutaire; Castaing objecta -que si elle n'était pas suivie du succès, -on pourrait s'attirer des reproches. M. Pigache -alors demanda un médecin de Paris; -mais comme il était une heure du matin, -Castaing fit observer que l'heure était trop -avancée. On attendit donc, et, à trois heures, -Jean partit avec deux lettres de M. Pigache, -adressées à deux médecins de Paris, avec -ordre de ramener l'un ou l'autre.</p> - -<p>Pendant ce temps, Castaing, sur l'avis de -M. Pigache, alla chercher le curé de Saint-Cloud, -à qui il dit que le malade avait une -fièvre cérébrale. Tandis que l'on administrait -l'extrême-onction au moribond, Castaing -resta à genoux dans un recueillement et dans -<span class="pagenum"><a id="Page_203"> 203</a></span> -une ferveur qui frappèrent le sacristain, émerveillé -de tant de piété. Après la cérémonie, -Castaing sortit de nouveau et resta dehors -une ou deux heures. Il rentra vers six heures. -Peu après, arriva le docteur Pelletan fils, -qui, ainsi que le sieur Pigache, pensa que le -malade était sans ressource. On tenta cependant -quelques derniers remèdes qui ne produisirent -aucun effet. Enfin Auguste expira, -entre midi et une heure, au milieu des pleurs -et des gémissemens de Castaing, qui paraissait -accablé de douleur.</p> - -<p>Quant aux médecins, ils furent frappés de -surprise, et ils requirent la justice d'intervenir.</p> - -<p>Le mystère qui paraissait envelopper cette -mort aussi prompte qu'inopinée, demeurait -jusque-là impénétrable et n'éveillait que des -soupçons vagues. Afin de faire tomber le voile -qui cachait le crime de Castaing, et pour -mieux faire connaître aux lecteurs les moyens -employés par lui pour le consommer, nous -allons, empruntant le langage du procureur-général, -dévoiler les parties de sa conduite, -que, dans ces trois tristes journées, le criminel -avait espéré tenir toujours cachées. Pour -<span class="pagenum"><a id="Page_204"> 204</a></span> -cela, il devient nécessaire de se reporter à la -première de ces trois journées, celle du vendredi -30 mai.</p> - -<p>On se rappelle qu'Auguste, après avoir -pris la veille, vers son coucher, ce vin si suspect, -avait passé une très-mauvaise nuit, si -mauvaise que, de l'aveu même de Castaing, -il n'avait pu se lever le matin.</p> - -<p>On se rappelle également que ce même -matin, dès quatre heures, Castaing était sur -pied, et quittait son ami malade pour aller se -promener, disait-il, dans le parc.</p> - -<p>Castaing mentait quand il disait qu'il allait -se promener; il allait à Paris. Il prenait une -voiture pour s'y rendre plus vite, et pour revenir -aussitôt, de manière qu'on n'attribuât -en effet son absence qu'à une promenade. -Et qu'allait-il chercher si vite et si mystérieusement -à Paris? du poison. Quel poison? Le -même que celui acheté déjà par lui, dix-sept -jours avant la mort d'Hippolyte, du poison -végétal, du poison qui ne laisse aucune trace -de son passage dans l'organisation humaine; -du poison dont les effets, au dire des médecins, -étant identiques avec ceux que produisent -certaines maladies, permettent toujours -<span class="pagenum"><a id="Page_205"> 205</a></span> -en présence des symptômes, de douter s'ils -sont produits par l'empoisonnement ou par -la maladie; de l'acétate de morphine enfin. -Castaing arriva à Paris comme on ouvrait les -boutiques. Il entra dans celle de M. Robin, -pharmacien, rue de la Feuillade, n<sup>o</sup> 5; il n'y -trouva que l'élève, auquel, se donnant lui-même -pour un commissionnaire, il présenta -une ordonnance au crayon, signé, <i>Castaing, -docteur-médecin</i>, pour se faire délivrer douze -grains d'émétique. L'élève, effrayé de la quantité, -qui est en effet plus que suffisante, administrée -en masse, pour donner la mort, -parut hésiter. Le prétendu commissionnaire -lui dit que c'était pour le faire prendre en -lavage, selon la méthode du docteur Castaing. -Étourdi par ce grand mot, l'élève livra les -douze grains.</p> - -<p>Muni de ce premier moyen de destruction, -Castaing se transporta sans perdre de temps -à la place du pont Saint-Michel, chez M. Chevalier, -autre pharmacien, et lui acheta un -demi-gros d'acétate de morphine. Dans la -conversation, contraint de s'expliquer sur -l'usage auquel il le destinait, il déclara que -c'était pour faire des essais sur des animaux.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_206"> 206</a></span> -Il remonta en cabriolet et revint en toute -hâte à Saint-Cloud. En rentrant dans l'auberge, -il demanda du lait froid pour son ami; -Auguste but le lait; les vomissemens et les -coliques le travaillèrent sur-le-champ, et -désormais, pour quiconque n'est pas privé de -bon sens, tout n'est que trop expliqué. En -effet, il devient évident qu'en partant pour -Saint-Cloud, Castaing s'était muni d'une dose -de poison quelconque, qu'il avait crue suffisante -pour l'effet qu'il s'en promettait; et -cette dose, il avait eu toutes les facilités du -monde pour l'emporter. On avait fait une -perquisition chez lui; on avait trouvé de l'acétate -de morphine en grande quantité, et -d'autres poisons, tant minéraux que végétaux; -d'où il résulte que Castaing, en partant, avait -pu puiser à son gré dans ses provisions de -poison.</p> - -<p>Une autre circonstance est bien remarquable -encore; le jour où les deux amis -étaient partis le soir pour Saint-Cloud, ils -avaient fait le matin une course à Saint-Germain-en-Laye. -Il n'était pas probable que -Castaing se fût nanti, avant cette course, de -la dose de poison dont il méditait de se servir -<span class="pagenum"><a id="Page_207"> 207</a></span> -à Saint-Cloud; aussi, entre les deux voyages -de Saint-Germain et de Saint-Cloud, retourna-t-il -chez lui, quoique sans grand besoin -apparent.</p> - -<p>Ce fait connu, tout s'explique dans les bizarreries -de la conduite extérieure de Castaing -à Saint-Cloud. Auguste et lui arrivent le -29; ils se promènent, et, dans cette promenade, -Castaing achète du citron et du sucre -pour sa préparation du soir. Il fallait acheter -soi-même du sucre et du citron, afin que -l'aubergiste ne montât pas le vin tout préparé, -que Castaing eût un prétexte pour mettre la -main à sa confection, et qu'il pût y glisser les -funestes ingrédiens. Il fallait du citron surtout; -l'acétate est très-amer: l'amertume dans -le vin pouvait, et trahir sa présence, et empêcher -Auguste d'en boire. La saveur du citron -a une grande énergie; Castaing espérait qu'elle -masquerait et vaincrait la saveur de l'acétate -de morphine.</p> - -<p>A présent, on voit pourquoi Auguste et -Castaing sont partis seuls; Castaing, pour le -projet qu'il méditait, ne voulait avoir auprès -d'Auguste que lui-même; il n'avait pas besoin -de témoin. On voit pourquoi Auguste a -<span class="pagenum"><a id="Page_208"> 208</a></span> -trouvé de l'amertume dans un mélange de -vin, de sucre et de jus de citron, qui ne devait -en renfermer aucune.</p> - -<p>On voit pourquoi, n'en ayant bu que fort -peu, le premier empoisonnement manqua -son effet, ou n'en produisit d'autres que celui -de donner de grandes agitations, des coliques, -des enflures, et de faire passer à Auguste une -très-mauvaise nuit. On voit encore comment -Castaing fut contrarié de voir son projet arrêté; -comment démuni qu'il était de poison, -soit parce qu'il avait mis dans le vin tout ce -qu'il en avait apporté, soit parce que, après -y avoir mis la dose par lui jugée suffisante, il -s'était hâté, dans le trajet de la chambre -d'Auguste à celle du domestique, près du lit -duquel il fut vu quelques instans après qu'on -eut monté le vin, de se défaire de tout ce qu'il -avait pu en conserver sur lui, et comment, -persistant toutefois dans son affreux projet, -il fut obligé d'aller à Paris, si matin et avec -tant de mystère, en faire une nouvelle provision. -On voit comment, de retour à Saint-Cloud, -il demanda aussitôt du lait, du lait -froid, que cette qualité rend plus propre à -resserrer les saveurs; comment il le fit boire -<span class="pagenum"><a id="Page_209"> 209</a></span> -à Auguste, après y avoir certainement mis les -douze grains d'émétique; comment le lait -produisit sur-le-champ les vomissemens, les -coliques et les tranchées. On voit comment, -aussitôt après avoir administré ce lait, Castaing -faisait une course sans but apparent, -mais dont le but caché était d'ôter de sa possession, -et de déposer quelque part l'acétate -qu'il voulait réserver pour le besoin. On voit -comment, rentré à l'auberge, et s'apercevant -que l'effet du lait ne marchait ni assez vite, -ni assez violemment, craignant peut-être que -la bonté du tempérament d'Auguste ne triomphât -de ce lait homicide, il ressortit pour aller -reprendre l'acétate; comment il donna à -son retour la cuillerée de potion, et comment, -après cette cuillerée de potion préparée -par lui et subitement, Auguste entra en agonie.</p> - -<p>Tels étaient les faits et les conjectures plus -ou moins fondés, fournis par l'instruction -et énoncés dans l'acte d'accusation. Quant au -genre d'intérêt que Castaing avait eu à commettre -le crime, il était mis à découvert d'une -manière incontestable. Dès la matinée du -31, Castaing s'était emparé des clefs de -meubles qui étaient dans l'appartement -<span class="pagenum"><a id="Page_210"> 210</a></span> -d'Auguste à Paris, et dans l'un desquels se -trouvait alors une somme de soixante-dix -mille francs en billets de banque; une fois -maître de ces clefs, aussitôt que Jean fut arrivé, -il les lui donna, en lui disant que son maître -les lui avait confiées pour les remettre à quelqu'un; -mais que ne pouvant le quitter, c'était -lui, Jean, qu'il chargeait de les porter à la -personne désignée. Cette personne était un -sieur Malassis, clerc de M<sup>e</sup> Collin de Saint-Menge, -notaire à Paris, et dépositaire du -testament d'Auguste Ballet, objet de la convoitise -et du dernier crime de Castaing.</p> - -<p>Dès les premiers momens qui avaient suivi -la mort d'Auguste, Castaing avait été arrêté. -A peine arrivé dans la prison de Versailles, -il chercha un prisonnier qui pût recevoir -ses confidences, et l'aider à combattre les -difficultés de sa position en devenant un -intermédiaire entre lui et les personnes qu'il -était intéressé à engager au silence. Il crut -rencontrer cet intermédiaire dans un sieur -Goupil, prisonnier comme lui en apparence, -mais qui, en réalité avait été placé à dessein -près de Castaing, pour provoquer ses confidences. -Ce fut à ce Goupil que Castaing fit, -<span class="pagenum"><a id="Page_211"> 211</a></span> -sauf l'aveu de ses crimes, des révélations -très-circonstanciées sur sa triste position, sur -la résolution qu'il avait prise de se suicider -par un moyen très-subtil et très-doux, si -l'autopsie du corps était à charge contre lui; -sur son commerce avec une femme dont il -avait eu des enfans; sur l'amitié qui l'avait -lié avec les frères Ballet; sur les soupçons qui -se rattachaient à lui, et par rapport au testament -de l'aîné, et par rapport à la mort -presque subite du second; sur les cent mille -francs qu'il possédait et qui lui venaient, disait-il, -d'un oncle; sur les placemens qu'il avait -faits et qu'il lui détailla; sur les poisons qu'il -avait en sa possession; sur ceux qu'il avait -achetés dernièrement; sur le grand danger -qu'il y avait pour lui que ces faits fussent -connus, etc. Il proposa à ce même Goupil -de se charger du soin d'écrire à sa mère, pour -qu'elle fît, auprès de plusieurs personnes qui -connaissaient les faits relatés ci-dessus, les -démarches nécessaires pour les déterminer à -garder le silence. Goupil consentit à tout; il -écrivit à la mère de Castaing, mais en même -temps il transmit à la justice les singulières -confidences qu'il avait reçues.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_212"> 212</a></span> -Transféré dans les prisons de Paris, Castaing -s'efforça de nouveau de nouer des intrigues -du même genre avec les prisonniers, pour -qu'ils écrivissent au pharmacien Chevalier -de ne pas dire que c'était de l'acétate de morphine -qu'il avait acheté chez lui. Puis, ne sachant -plus comment sortir du chaos inextricable -de contradictions et de mensonges accumulés -dans ses divers interrogatoires, il -prit le parti de faire le fou. Le genre de folie -qu'il avait adopté consistait à boire son urine -et à s'abstenir d'alimens. Mais cette aliénation -simulée fut de courte durée. Au bout de trois -jours, il s'en lassa, et revint ou parut revenir -à la raison.</p> - -<p>Castaing comparut, le 10 novembre 1823, -devant la Cour d'assises de la Seine; la gravité, -la célébrité de cette cause avaient attiré une -affluence nombreuse de spectateurs.</p> - -<p>L'interrogatoire de l'accusé qui fut très-long -et très-détaillé, ainsi que l'audition des -témoins, vinrent corroborer la plupart des -charges énoncées dans l'accusation. Interrogé -sur sa sortie de l'auberge à cinq heures du -matin, il répondit qu'il était allé à Paris acheter -des substances vénéneuses destinées à des expériences -<span class="pagenum"><a id="Page_213"> 213</a></span> -qu'il devait faire avec Auguste Ballet -sur des animaux de l'auberge. Il avait d'abord -parlé des rats; il soutint ensuite qu'il -n'avait été question que des chiens et des chats -de l'auberge, dont le bruit avait incommodé -Auguste pendant la nuit.</p> - -<p>Plusieurs pharmaciens déposèrent que Castaing -avait acheté chez eux de fortes quantités -d'acétate de morphine, chez l'un vingt grains, -chez l'autre dix: ce dernier achat avait eu lieu -le 18 septembre. Des dépositions accablantes -furent faites par des parens des frères Ballet, -tant au sujet du testament que du soin que -Castaing prenait d'isoler ces deux jeunes -gens de leur famille. Le président ayant demandé -à l'accusé pourquoi il n'avait pas cru -devoir, lors de la maladie subite de son ami, -faire prévenir la sœur et le beau-frère de -Ballet: <i>J'étais troublé</i>, répondit Castaing.</p> - -<p>M. Vatrey, agent de change, déclara que, le -10 octobre, l'accusé lui avait remis 70,000 -francs pour les placer en rentes. Les hommes -de l'art furent ensuite entendus à l'occasion -de l'autopsie du cadavre d'Auguste -Ballet. Le docteur Chaussier fonda sa déposition -à décharge sur cet axiome de jurisprudence: -<span class="pagenum"><a id="Page_214"> 214</a></span> -<i>Que là où il n'y a pas de corps de -délit, il n'y a point de délit</i>; et il soutint son -opinion avec une véhémence qui ne trouvait -d'excuse que dans son grand âge et dans son -autorité médicale. Une discussion assez longue -et sans résultat positif s'engagea sur l'absorption -des poisons. M. Chaussier déclara -qu'il était d'avis que l'acétate de morphine -devait laisser des traces de son passage dans -l'estomac. M. Magendie exposa que le cas contraire -lui paraissait possible, et qu'il penchait -à croire que les accidens remarqués dans l'autopsie -de Ballet, opération, selon lui, très-incomplète, -auraient pu être produits par -l'administration d'un poison.</p> - -<p>Enfin on procéda à l'audition des plaidoieries. -M<sup>e</sup> Persil, avocat de la partie civile, dénonça, -au nom de M. Martignon, beau-frère d'Hippolyte -et d'Auguste Ballet, l'empoisonnement -des deux frères et la soustraction du testament -de l'un d'eux. «Je pouvais, dit en terminant -l'avocat, je pouvais intéresser votre cœur, -en vous présentant l'infortuné Ballet luttant -contre la mort, la société alarmée redoutant -les suites de cette funeste découverte des poisons -à l'aide desquels on peut donner la mort -<span class="pagenum"><a id="Page_215"> 215</a></span> -avec impunité: j'ai préféré ne parler qu'à -votre raison. C'est ma raison qui m'a convaincu; -c'est votre raison qui doit vous convaincre. -Si cette raison vous dit qu'Hippolyte -Ballet a été empoisonné; qu'il y a eu soustraction -de testament, moyennant 100,000 fr. -donnés; qu'Auguste a eu le sort de son infortuné -frère, vous prononcerez la culpabilité -de l'accusé: si elle vous dit qu'il n'est pas -coupable, vous rejetterez Castaing dans la -société».</p> - -<p>Le ministère public prit ensuite la parole. -Il reprit la discussion des faits dans leur ensemble, -et s'attacha principalement à prouver -qu'il ne fallait pas confondre le corps du -délit avec les preuves du délit. «Que doit-on -entendre, dit-il, par le corps du délit? L'illustre -d'Aguesseau le définit par un mot aussi -juste que profond. Ce n'est, selon lui, autre -chose que le délit lui-même; quant aux preuves, -elles forment l'ensemble qui amène la -conviction. Il y a des cas où, par la force -des choses, les preuves accessoires du crime -sont les seules possibles, et où le corps du -délit n'existe pas. C'est la doctrine des d'Aguesseau, -des Séguier, de tous les criminalistes: -<span class="pagenum"><a id="Page_216"> 216</a></span> -quant aux preuves, elles peuvent varier à -l'infini. Sommes-nous dans l'application de -ce principe? Oui, parce que les poisons végétaux -ne laissent point de traces, ou qu'elles -se confondent avec les accidens des maladies -naturelles.</p> - -<p>«Si vous admettez qu'il faille obtenir dans -le cas d'empoisonnement par les poisons végétaux, -ce qu'on appelle la preuve matérielle, -c'est-à-dire, la présence du poison dans le -corps de l'empoisonné, il faut ajouter au Code -pénal un article supplémentaire ainsi conçu: -«Attendu que les poisons végétaux ne laissent -point de traces, on peut empoisonner -impunément: libre à tous de le faire.» On -vous demanderait, en d'autres termes, d'adresser -aux empoisonneurs ces paroles: Maladroits! -n'allez pas chercher pour poison de -l'arsenic; il laisse des traces: on vous dénoncerait. -Prenez des poisons végétaux, empoisonnez -votre père, empoisonnez votre -mère, toute votre famille; vous hériterez -d'eux. Et ne craignez rien, on ne vous découvrira -pas: vous jouirez de l'impunité. Vous -aurez empoisonné, oui; mais le corps du délit -<span class="pagenum"><a id="Page_217"> 217</a></span> -n'existera pas, parce qu'il ne peut pas -exister.</p> - -<p>«Ah! messieurs, si des hommes raisonnables -pouvaient admettre une pareille législation; -si telles pouvaient être les lois d'un -pays civilisé, il faudrait fuir une pareille -société, où il n'y aurait plus ni sûreté, ni -garantie. Vous n'y seriez plus en sûreté vous-mêmes, -si un effroyable exemple d'empoisonnement -restait impuni. Les conséquences -qu'aurait une aussi funeste impunité sont incalculables. -Nous craindrions les conséquences, -non pas de votre arrêt, il sera toujours -juste, mais de la fatale publicité de cette -procédure, qui a initié le public dans la connaissance -des poisons végétaux et de leurs -sinistres effets.»</p> - -<p>L'avocat-général, passant à l'examen des -faits relatifs à l'empoisonnement, prouva la -ridicule absurdité du moyen de défense employé -par l'accusé, et ayant pour objet de -faire croire qu'Auguste Ballet, qui n'était pas -médecin, eût voulu faire des expériences avec -des poisons végétaux, sur des animaux, dans -une maison étrangère, et dans un espace de -temps qui n'était pas suffisant pour juger du -<span class="pagenum"><a id="Page_218"> 218</a></span> -résultat de l'expérience, puisqu'il devait le -jour même repartir pour Paris.</p> - -<p>«Songez, messieurs, s'écriait ce magistrat, -à la présence du poison à côté du cadavre, -à la nature de la maladie, à celle du poison -choisi, et vous n'hésiterez pas. Voilà tout le -procès, je le répète; et tout effort pour en -détourner votre attention serait superflu.</p> - -<p>«Le poison, qu'est-il devenu? C'est à l'accusé -à en justifier l'emploi. Nous prouvons -sa présence; nous montrons le cadavre. Nous -demandons à l'accusé: Qu'avez-vous fait du -poison? Il l'a jeté dans les latrines, dit-il. On -ne l'a pas trouvé. Et pourquoi l'a-t-il jeté? -parce qu'il a été effrayé, dit-il encore, du -concours des circonstances. Raison de plus -pour le garder; il aurait prouvé, en le montrant, -qu'il ne l'avait pas employé. D'ailleurs, -cette crainte des soupçons serait-elle naturelle -dans une âme honnête, de la part d'un ami, -qui assiste son ami dans ses derniers momens?</p> - -<p>«Mais voici une circonstance bien grave et -bien remarquable. Une seconde ordonnance -a été envoyée au pharmacien de Boulogne; -nous en avons acquis la preuve. Ainsi il y a -<span class="pagenum"><a id="Page_219"> 219</a></span> -eu deux ordonnances portées chez ce pharmacien, -et deux potions livrées par lui. Était-ce -celle-là ou l'autre qui avait été empoisonnée? -Voilà un trait de lumière qui fera qu'on ne -s'étonnera plus, lorsque le domestique Léon -dira qu'il n'y avait rien dans la cuillère avant -d'y verser la potion. Il y avait deux potions: -l'une fut empoisonnée, et ce fut celle qui fut -administrée sous les yeux du nègre; l'autre -était innocente; elle fut abandonnée pour -tromper la justice. On n'avertit pas la famille -de l'agonie d'Auguste; l'infortuné n'était -pas encore dépouillé. Castaing voulait les -deux clefs d'Auguste; ce n'est que lorsqu'il -les possède qu'il avertit la famille. Il remet -les clefs au nègre pour les porter à Malassis; -mais ce serviteur fidèle conçoit des soupçons. -<i>Il y a du louche dans tout cela</i>, vous -a-t-il dit dans son gros bon sens: il avait -raison.»</p> - -<p>L'avocat-général rappela aussi la piété -feinte de Castaing pendant les prières du -curé de Saint-Cloud, les mensonges et les -sermens de cet accusé, lors des divers interrogatoires. -«Il nous a suffi, dit-il en achevant -<span class="pagenum"><a id="Page_220"> 220</a></span> -de dérouler devant vous ce désolant -tableau: vous avez senti jusqu'à quel point -il intéresse l'ordre social. Vous ne donnerez -pas à l'empoisonneur les riches dépouilles -qu'il vient réclamer de vous, tenant de chaque -main la tête d'un ami. Vous ne donnerez -pas à l'empoisonnement un brevet d'encouragement -et d'impunité. La société consternée -a jeté le cri d'alarme; la société sera -vengée.»</p> - -<p>On remarqua que l'accusé eut sans cesse -les yeux fixés sur l'avocat-général pendant -toute la durée de son réquisitoire; son teint -était vivement animé, et principalement sur -la fin, il se livra plusieurs fois à des mouvemens -d'impatience.</p> - -<p>La cause de Castaing fut défendue avec -talent par M<sup>es</sup> Roussel et Berryer. Mais que -peuvent le zèle le plus vrai, l'éloquence la plus -puissante, contre des circonstances aussi -avérées, contre des faits si peu douteux, -tranchons le mot, contre des preuves si irrécusables?</p> - -<p>Les jurés eurent à délibérer sur les trois -questions suivantes:</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_221"> 221</a></span> -Edme-Samuel Castaing est-il coupable -d'avoir, dans le courant d'octobre 1822, à -l'aide de substances vénéneuses, causé la -mort d'Hippolyte Ballet?</p> - -<p>Est-il coupable d'avoir, de complicité -avec Auguste Ballet, détruit le testament -d'Hippolyte Ballet?</p> - -<p>Est-il coupable d'avoir, les 30 mai et -1<sup>er</sup> juin, à l'aide de substances vénéneuses, -causé la mort d'Auguste Ballet?</p> - -<p>La délibération du jury dura près de deux -heures. La déclaration fut négative sur la -première question, et affirmative sur les -deux autres. Pour la dernière question, -il n'y eut qu'une majorité de sept voix contre -cinq; mais la Cour se réunit, à l'unanimité, -à la majorité du jury.</p> - -<p>Alors on fit rentrer Castaing dans la salle -d'audience. Sa démarche était ferme et assurée; -il entendit, sans changer de couleur, la -lecture de la déclaration du jury et les conclusions -du ministère public tendantes à l'application -des peines portées par la loi. Sur la demande -du président s'il avait quelque chose -à dire sur cette application, il répondit d'une -voix forte:</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_222"> 222</a></span> -«Non, M. le président; je saurai mourir, -quoique je sois bien malheureux, et quoique -des circonstances fatales m'entraînent dans la -tombe! J'irai retrouver mes deux amis. On -m'accuse de les avoir assassinés lâchement..... -mais il y a une Providence! S'il y a quelque -chose de divin dans l'être qui vit, ce quelque -chose ira vous retrouver, ô mes amis, Auguste, -Hippolyte! Ce ne sont point de vaines -déclamations, je n'implore point votre miséricorde; -je n'implore rien de ce qui est humain -(élevant ses mains vers le ciel); mon espérance -est maintenant dans la Divinité. Je -marcherai avec délices à l'échafaud..... parce -que ma conscience ne me reproche rien, -parce que ma conscience ne m'accusera pas, -lors même que je sentirai..... (Il porta les -mains à son cou.) Hélas! il est des choses -qu'on éprouve et qu'on ne peut exprimer.» -Il ajouta d'une voix affaiblie: «Vous avez -voulu ma mort; la voilà...»</p> - -<p>L'avocat de la partie civile prit, d'une voix -altérée, des conclusions tendantes à la nullité -du testament d'Auguste Ballet; et la Cour se -retira de nouveau pour délibérer sur l'application -de la peine.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_223"> 223</a></span> -Pendant ce temps, les jurés étaient restés -appuyés sur leurs bancs dans un morne silence. -La nuit était fort avancée; les bougies -qui commençaient à pâlir, la sombre lueur des -lampes épuisées, tout concourait à donner à -cette scène un aspect lugubre et déchirant. -M<sup>e</sup> Roussel, l'un des avocats du prévenu, -fondait en larmes. Castaing se pencha vers -lui; son accent et ses gestes étaient pleins -d'énergie. «Allons, lui dit-il, rassurez-vous, -Roussel; regardez-moi: je ne pleure pas. Je -vous remercie des efforts que vous avez faits -pour ma défense; vous avez cru à mon innocence, -je suis innocent en effet... Embrassez -mon père, ma mère, mes frères... (Avec un -accent douloureux.) ma fille... Vous me le -promettez, n'est-ce pas?»</p> - -<p>Puis, s'adressant aux jeunes avocats placés -dans le parquet:</p> - -<p>«Et vous, jeunes gens, qui avez assisté à -mon jugement, vous, mes contemporains, assistez -aussi à mon exécution. Ma fermeté ne -se démentira pas; une prompte mort est la -seule grâce que je demande... Je rougirais -d'implorer la clémence...»</p> - -<p>La Cour alors rentra en séance, et le président -<span class="pagenum"><a id="Page_224"> 224</a></span> -lut, d'une voix très basse, l'arrêt qui -condamnait Castaing à la peine de mort. Cet -arrêt le condamnait en outre à payer la somme -de cent mille francs, à titre de dommages et -intérêts à la partie civile, en raison du préjudice -qu'il devait réparer.</p> - -<p>Cette effrayante et mémorable procédure -avait duré huit jours entiers, tant elle demandait -d'efforts de la part des magistrats pour les -amener à découvrir la vérité!</p> - -<p>Castaing se pourvut en cassation contre -l'arrêt de la Cour d'assises, et la Cour suprême -s'occupa de cette affaire, le 4 décembre -suivant. Les trois moyens de nullité sur -lesquels se fondait le pourvoi de Castaing, -malgré l'appui que leur prêta M<sup>e</sup> Odilon-Barrot, -ne furent pas jugés admissibles par la -Cour, qui, en conséquence, rejeta le pourvoi.</p> - -<p>Le 6 décembre, deux jours après le rejet -de son pourvoi, Castaing fut transféré des prisons -de Bicêtre, où il avait été conduit le -lendemain de sa condamnation, à la Conciergerie. -Pendant tout le temps qu'il avait passé -à Bicêtre, il avait été l'objet de la surveillance -la plus active, parce que l'on craignait qu'il -n'attentât à ses jours. Cette crainte n'était pas -<span class="pagenum"><a id="Page_225"> 225</a></span> -sans fondement, s'il est vrai, comme on l'a -dit, que la boîte d'une montre qu'on chercha -à lui faire passer du dehors, et qui fut -saisie, contenait du poison. Quoi qu'il en soit, -lorsqu'on vint lui annoncer sa translation à -Paris, il fallut le réveiller d'un sommeil profond. -Il paraît qu'il ne s'abusa pas sur le -motif de cette visite, car il dit aussitôt: «Je -vois ce que c'est.»</p> - -<p>Arrivé à la Conciergerie, il écrivit à son ancienne -maîtresse une longue lettre, remarquable -par un mélange confus d'idées religieuses -et philosophiques. Il se fit ensuite conduire à -la chapelle, et s'entretint avec le prêtre qui -devait l'exhorter à la mort. Comme il avait -témoigné le désir de voir encore une fois son -père et sa fille, l'autorité s'empressa de donner -la permission nécessaire pour cette entrevue; -mais, par des motifs demeurés inconnus, -elle n'eut pas lieu. Castaing demanda par -écrit la bénédiction de son père, qui lui fut -envoyée. L'heure de l'exécution avait été -avancée. A cette époque, c'était ordinairement -à quatre heures que l'on exécutait les -condamnés. On vint, un peu avant deux heures, -annoncer à Castaing que l'heure fatale -<span class="pagenum"><a id="Page_226"> 226</a></span> -était arrivée. A cette nouvelle, ses forces l'abandonnèrent -un instant, et il parut vivement -regretter les deux heures dont, selon -lui, sa vie se trouvait abrégée. A sa sortie du -dernier guichet de la Conciergerie, il parut -entendre sans beaucoup d'émotion les murmures -de la foule qui de toutes parts se précipitait -dans la cour du Palais-de-Justice. -Il s'élança alors sur le crucifix, l'embrassa -avec force et à plusieurs reprises. On fut -obligé de le monter à bras sur la fatale charrette. -Pendant qu'on le liait, il promenait ses -regards autour de lui avec un air assez tranquille; -mais, pendant le trajet du Palais à la -place de Grève, son maintien fut loin de conserver -la même assurance: il sembla que son courage -l'eût tout-à-coup abandonné. Son visage, -jusque-là fortement coloré, se couvrit d'une -pâleur mortelle; sa tête, cédant aux secousses -de la charrette, tombait sur l'épaule du confesseur, -avec qui néanmoins il conversait de -temps en temps, et dont il paraissait écouter -attentivement les exhortations.</p> - -<p>Arrivé au pied de l'échafaud, il tomba plutôt -qu'il ne se mit à genoux, et demeura dans -cette attitude pieuse près de quatre minutes. -<span class="pagenum"><a id="Page_227"> 227</a></span> -Il n'eut pas la force de se relever, et deux aides -de l'exécuteur furent obligés de le soutenir -pour monter sur l'échafaud.</p> - -<p>Cette condamnation de Castaing, comme -empoisonneur, donna lieu, dans le temps, à -des opinions diverses. Les uns, et ce fut le -plus grand nombre, n'hésitaient pas, tout en -plaignant une famille si digne d'intérêt et de -compassion, à regarder Castaing comme coupable; -les autres, à la tête desquels se trouvait -un grand nombre de médecins, déclarèrent -hautement qu'il mourait innocent. -D'après toutes les particularités du procès -que nous avons rapportées, et jugeant sous -la seule influence de notre conscience, nous -penchons à croire que cette opinion procédait -uniquement d'un esprit de corps mal entendu. -On a vu à peu près la même chose, lors -des crimes du curé Mingrat: comme si une -corporation quelconque ne se nuisait pas plutôt -qu'elle ne sert ses vrais intérêts, en protégeant -celui de ses membres qui s'est rendu -digne de la vindicte des lois!</p> - -<p>Quant à nous, notre opinion sur cette déplorable -affaire est exprimée tout entière par -<span class="pagenum"><a id="Page_228"> 228</a></span> -ces paroles de M. Persil, avocat de la partie -civile:</p> - -<p>«C'était, dit l'accusé, pour faire des expériences -qu'il a acheté de l'acétate de morphine -et de l'émétique, qu'il a opéré le mélange de -ces substances. Mais en admettant cela, les -expériences n'ont pas été faites; et si Castaing -ne nous montre pas, ne nous indique pas ce -qu'est devenu le poison qu'il a acheté en -grande quantité, et qu'on n'a pas trouvé où -il prétend l'avoir jeté, il faudra bien en conclure -que c'est ce poison qui a donné la mort -à Auguste Ballet.»</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_229"> 229</a></span></p> -<h2 class="normal">ASSASSINAT<br /> -<span class="medium">DE LA MÈRE JÉROME.</span></h2> -</div> - -<p>La procédure à laquelle donna lieu le crime -dont nous allons parler, se fit surtout remarquer -par la bizarrerie des faits et par les étranges -révélations, au moyen desquelles la justice, -après avoir fait long-temps d'infructueuses -recherches, arriva enfin sur la trace des coupables.</p> - -<p>Un assassinat avait été commis, le 20 mai -1823, entre sept et huit heures du soir, rue -du Faubourg du Roule, n. 45, sur la personne -d'une femme de quatre-vingts ans, dite la -mère Jérôme. A la suite de cet assassinat, on -avait enlevé toute l'argenterie de la victime; -mais on avait oublié une somme de douze -cents francs environ, qui fut retrouvée dans -un de ses tiroirs.</p> - -<p>Dans les premiers momens, la connaissance -des auteurs de ce forfait échappa aux -<span class="pagenum"><a id="Page_230"> 230</a></span> -investigations judiciaires; mais enfin les soupçons -atteignirent Louis-Marie Lecouffe, âgé -de vingt-quatre ans, tailleur d'habits, et sa -mère, la veuve Lecouffe, qui tous deux demeuraient -dans la même maison que la mère Jérôme. -La mère et le fils furent arrêtés et mis -en accusation. Le fils était prévenu d'avoir -commis le crime, et la mère d'y avoir excité -son fils par menaces et abus d'autorité, le menaçant, -s'il refusait de s'emparer du trésor de -la mère Jérôme, de s'opposer au mariage qu'il -projetait, et qui en effet fut célébré trois jours -après l'assassinat.</p> - -<p>Lecouffe, du moment qu'il fut détenu, ne -cessa de donner des marques de folie vraie -ou simulée. A l'en croire, il n'avait fait ses -révélations que par ordre exprès de l'ombre -de son père, mort depuis quatre ans, et qui -s'était présentée à lui dans sa prison, accompagnée -de l'ange Gabriel. Tous ses interrogatoires -furent remplis de ses prétendues conversations -avec le spectre, qui lui avait commandé, -comme à un autre Hamlet, de dévoiler et de -punir le forfait de sa mère. Lecouffe poussa -même la démence ou la fourberie jusqu'à -supplier les geôliers de son cachot de boucher -<span class="pagenum"><a id="Page_231"> 231</a></span> -le trou par lequel il prétendait voir arriver ces -apparitions importunes.</p> - -<p>Les accusés furent traduits devant la cour -d'assises de la Seine, le 11 décembre 1823. -Les dépositions des témoins qui furent entendus -établirent la vérité des faits dans le -sens de l'accusation; mais l'accusé Lecouffe -rejeta constamment tout l'odieux du crime -sur sa mère.</p> - -<p>Ce spectacle d'un fils et d'une mère qui se -renvoyaient mutuellement le poids d'un horrible -forfait, et qui, suivant l'expression énergique -du ministère public, se poussaient l'un -l'autre vers l'échafaud, avait plus d'une fois -fait frémir l'auditoire.</p> - -<p>Enfin, après trois audiences consécutives, -le jury prononça la culpabilité de Lecouffe -sur toutes les questions qui lui furent posées; -la mère, acquittée sur la question de complicité -d'assassinat, fut déclarée coupable de -recel d'objets volés, avec connaissance que le -vol avait été accompagné d'homicide volontaire, -mais sans savoir que l'homicide avait -été commis avec préméditation et guet-à-pens. -Tous les deux furent condamnés à la peine -de mort.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_232"> 232</a></span> -La mère et le fils se pourvurent en cassation -contre le jugement qui les condamnait; -mais leur pourvoi fut rejeté. Le 24 janvier 1824 -fut le jour fixé pour leur exécution. La mère -fut amenée, dès le matin, de sa prison de -Saint-Lazare à la Conciergerie, et le fils arriva -de Bicêtre quelques instans après. Ils furent -mis tous deux dans une prison séparée; et -après qu'ils eurent entendu lecture de l'arrêt -portant rejet de leur pourvoi, deux ecclésiastiques -vinrent leur apporter les secours de la -religion. Lecouffe, qui s'était préparé à ce fatal -dénouement, les reçut avec reconnaissance et -contrition; sa mère montra d'abord moins de -résignation et de fermeté, mais les exhortations -du vertueux ecclésiastique ramenèrent -peu à peu l'espoir de la clémence divine dans -son âme coupable. Les deux condamnés passèrent -en prières tout le temps qui précéda -l'exécution. A quatre heures précises, ils montèrent -dans la charrette. Arrivée au pied de -l'échafaud, la femme Lecouffe descendit la -première, monta les degrés d'un pas mal assuré, -et se livra aux exécuteurs sans avoir jeté -un seul regard en arrière pour voir son fils. -Lecouffe embrassa deux fois son confesseur, -<span class="pagenum"><a id="Page_233"> 233</a></span> -et se dirigea vers l'échafaud d'une marche -assez ferme. Si quelque chose peut diminuer -l'horreur qu'inspire tout criminel aux âmes -honnêtes, c'est le repentir qu'ils manifestent -à leur dernier moment; celui que témoignèrent -la mère Lecouffe et son fils fut un éloquent -commentaire du spectacle de leur exécution, -qui avait attiré une foule immense.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_234"> 234</a></span></p> -<h2 class="normal">HENRI FELDTMANN,<br /> -<span class="small">OU</span><br /> -<span class="medium">PÈRE INCESTUEUX ET ASSASSIN DE SA FILLE.</span></h2> -</div> - -<p>Henri Feldtmann, ouvrier tailleur, avait -une fille nommée Victoire, qui était encore -en nourrice à l'époque de la mort de sa mère, -arrivée en 1801.</p> - -<p>Peu de temps après le décès de sa femme, -Henri Feldtmann forma une liaison illégitime -avec Madeleine Léger. Il en eut une fille naturelle -nommée Élisabeth-Constance. Au vice -près qui avait présidé à cette nouvelle union, -le ménage de Feldtmann avait toutes les apparences -de la régularité: Madeleine Léger -remplissait les devoirs de mère, non seulement -à l'égard de sa fille, mais à l'égard de la jeune -Victoire.</p> - -<p>Feldtmann donna pendant plusieurs années -des leçons et des exemples de vertu à ses deux -<span class="pagenum"><a id="Page_235"> 235</a></span> -filles. Professant la religion réformée, il confia -ses deux filles aux soins de M. le pasteur -Gœpp. Cet homme respectable fut frappé -des excellentes qualités qui distinguaient Victoire. -La modestie de cette jeune personne, -sa candeur, son sincère désir de pratiquer la -vertu, étaient en effet bien dignes de remarque -et d'admiration. A l'époque de la première -communion, M. Gœpp promit solennellement -à Victoire de l'entourer de sa bienveillance -et de sa protection.</p> - -<p>Mais cette intéressante fille, étant parvenue -à l'adolescence, eut le malheur d'inspirer -à son père les premiers sentimens d'une -passion incestueuse. Cette horrible passion -se développa prodigieusement dans le cœur -de Feldtmann. Nous ne retracerons point les -efforts de Victoire pour cacher à tous les yeux -la coupable faiblesse et la turpitude de son -père, sa résistance à toutes ses tentatives criminelles, -enfin sa retraite de la maison paternelle, -accompagnée de sa sœur et de Madeleine -Léger, lorsqu'elle eut acquis l'affreuse -conviction que la fuite pouvait seule la soustraire -à la brutalité de Feldtmann.</p> - -<p>Mais celui-ci, après beaucoup de recherches, -<span class="pagenum"><a id="Page_236"> 236</a></span> -parvint à découvrir la maison où ses -filles et Madeleine Léger s'étaient réfugiées. -Il se présenta plusieurs fois à leur nouveau -domicile pour les engager à rentrer avec lui. -Elles s'y refusèrent constamment, et principalement -Victoire. Enfin il se rendit chez elles -une dernière fois, le lundi 24 mars 1823, et -voici en quels termes l'acte d'accusation retrace -la catastrophe qui termina cette fatale -entrevue.</p> - -<p>Après avoir acheté un couteau de cuisine -sur le quai dit de la <i>Ferraille</i>, Feldtmann se -rendit chez ses filles. Celles-ci étaient levées; -la fille Léger était encore couchée: elle se -leva aussitôt. On offrit à Feldtmann à déjeûner; -il accepta, et prit, comme ses convives, -une tasse de café. Après ce repas, il entama -le sujet ordinaire de ses conversations; il -pressa, supplia ses enfans et la fille Léger de -rentrer avec lui. Même refus de la part de -chacune d'elles; même opposition calme, -respectueuse, mais invariable de Victoire.</p> - -<p>La famille était réunie autour de la cheminée; -Victoire était assise d'un côté, la fille -Léger était au coin vis-à-vis, et la jeune Élisabeth -se trouvait au milieu. Feldtmann était -<span class="pagenum"><a id="Page_237"> 237</a></span> -debout, le dos appuyé contre la cheminée. -Tous ses regards étaient concentrés sur sa -fille aînée.</p> - -<p>Après environ deux heures de débats, Victoire -déclara avec fermeté à son père qu'elle -aimerait mieux mourir que de retourner avec -lui. <i>Tu seras cause que je mourrai sur l'échafaud!</i> -répliqua Feldtmann avec une fureur -concentrée. Cette menace positive d'un assassinat -prochain n'ayant point ébranlé cette -jeune et vertueuse fille, Feldtmann reprit: -<i>Tu es obstinée... tu seras cause de ma perte.</i> Et -aussitôt il tira de sa poche de côté le couteau -de cuisine qu'il y tenait caché, et le plongea -tout entier dans la poitrine de Victoire.</p> - -<p>A ce spectacle, Élisabeth reste immobile de -stupeur. Feldtmann retire du sein de sa fille -aînée son couteau tout fumant, et se prépare -à frapper sa fille cadette. A cette vue, la mère -se jette sur le bras de l'assassin, dérange la -direction du coup et en affaiblit la violence. -Élisabeth est frappée, mais moins dangereusement. -Une lutte horrible s'établit entre Élisabeth -et la fille Léger d'une part, et Feldtmann -de l'autre. La fille Léger est frappée à -son tour, mais sa blessure est légère. Des voisins -<span class="pagenum"><a id="Page_238"> 238</a></span> -accourent au bruit; on arrête le meurtrier. -Celui-ci laisse échapper son couteau ensanglanté, -et proteste qu'il n'a pas envie de -prendre la fuite.</p> - -<p>Cependant la malheureuse Victoire, qui -perdait son sang à flots, avait eu encore la -force d'ouvrir la porte et de se traîner jusqu'au -palier du premier étage, où elle était -tombée à la renverse et sans connaissance. -Peu d'instans après, elle avait cessé d'exister.</p> - -<p>En conséquence de ces déplorables faits, -Feldtmann fut traduit devant la cour d'assises -de la Seine, et comparut devant ce tribunal, -le 23 avril 1823.</p> - -<p>Pendant la lecture de l'acte d'accusation, -Madeleine Léger, appelée comme témoin, -s'évanouit, vaincue par les émotions qu'elle -éprouvait. Quant à Feldtmann, il conserva -un calme imperturbable, et son interrogatoire -se fit remarquer par l'incohérence des -explications qu'il donna, et par le scandale -de plusieurs imputations qu'il présenta comme -moyens de défense. Il nia opiniâtrément qu'il -eût éprouvé un sentiment coupable pour sa -fille Victoire; il ne craignit pas de lui imputer -de graves désordres dans sa conduite, sous -<span class="pagenum"><a id="Page_239"> 239</a></span> -le rapport des mœurs et de la probité; il accumula -également les imputations les plus -graves contre Madeleine Léger.</p> - -<p>Entre toutes les dépositions, celle du pasteur -Gœpp excita un intérêt particulier. Il -rendit compte de ses rapports avec la famille -Feldtmann dont il avait été le bienfaiteur; il -parla des terribles confidences qui lui avaient -été faites, soit par la mère de Feldtmann, soit -par Victoire elle-même, au sujet des tentatives -criminelles dont cette dernière avait été -l'objet; il énonça les démarches qu'il avait cru -devoir faire à la préfecture de police pour -prévenir les excès que l'on pouvait redouter -de la part de l'accusé. M. Gœpp ajouta qu'à -diverses époques, et surtout lors de la dernière -entrevue qu'il avait eue avec Feldtmann -(la veille du crime), cet homme ne lui avait -pas semblé jouir de la plénitude de ses facultés -lorsqu'il s'agissait de ses relations avec sa -fille; qu'il l'avait considéré comme un de ces -hommes dominés par une idée fixe, et qui ne -sont plus maîtres de leur imagination, lorsqu'elle -vient à s'arrêter sur cette idée.</p> - -<p>Après quelques autres dépositions moins -<span class="pagenum"><a id="Page_240"> 240</a></span> -importantes, M. l'avocat-général soutint l'accusation, -discutant d'avance le moyen unique -qui pouvait être présenté au nom de l'accusé. -Il prouva qu'une passion, une passion -infâme, à quelque degré qu'elle fût portée, -ne pouvait servir d'excuse à un crime. Vainement -le défenseur, nommé d'office, fit-il tous -ses efforts pour soustraire Feldtmann à la -peine capitale, en écartant les circonstances -de la préméditation, et en cherchant à établir -qu'il avait été entraîné à ce crime par un ascendant -irrésistible plutôt que par l'effet de -sa volonté; le jury, après une longue délibération, -déclara Feldtmann coupable sur toutes -les questions, tant d'assassinat prémédité, -consommé sur la personne de sa fille Victoire, -que de tentatives d'homicide contre -son autre fille, Élisabeth, et Madeleine Léger. -Le résultat de cette réponse fut la condamnation -à mort de Feldtmann.</p> - -<p>L'inconcevable sang-froid que ce malheureux -avait montré dans le cours des débats -ne se démentit point en cet instant fatal.</p> - -<p>Feldtmann se pourvut en cassation; mais -son pourvoi ayant été rejeté, il subit son supplice -<span class="pagenum"><a id="Page_241"> 241</a></span> -le 21 mai, en place de Grève. Dans cet -horrible moment, toute son impassibilité l'avait -abandonné; il fallut que les exécuteurs l'aidassent -à monter les degrés de l'échafaud, et -l'on peut même dire qu'il était mort avant -d'être décapité.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_242"> 242</a></span></p> -<h2 class="normal">ASSASSINAT<br /> -<span class="small">DE</span><br /> -<span class="medium">MADAME VEUVE AILLET</span>,<br /> -<span class="small">ET DE</span><br /> -<span class="medium">LA FILLE GOUSSARD, SA DOMESTIQUE,</span><br /> -<span class="small">A CHARTRES.</span></h2> -</div> - -<p>En 1823, la ville de Chartres fut le théâtre -d'un double meurtre, qui frappa de terreur -tous les esprits. La mauvaise conduite, la débauche -et la cupidité, sources ordinaires de -tant de désordres, avaient armé les principaux -assassins. Tout portait à croire que plusieurs de -leurs complices n'étaient point sous la main -de la justice. Il est donc facile de s'expliquer -l'effroi général, en présence des dangers -auxquels chacun pouvait être exposé. Voici les -faits qui ont été révélés par l'instruction de -ce procès.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_243"> 243</a></span> -La dame Aillet, propriétaire à Chartres, -âgée de plus de quatre-vingts ans, et la fille -Louise Goussard, sa domestique, âgée de -cinquante-huit ans environ, habitaient seules -une maison, rue des Grenets, dans le voisinage -du cloître Saint-Aignan, au centre de la -ville. Cette maison est située entre cour et -jardin; les murs de la cour s'élèvent sur la -rue à environ treize pieds de hauteur; de la -cour on entre dans un petit corridor fermant -sur la rue par une porte vitrée, et dans lequel -donne la porte de la chambre où couchaient -la dame Aillet et sa domestique. Le -dimanche 22 juin 1823, un peu avant sept -heures du matin, la fille Chifflet, laitière, -étant venue, suivant son usage, apporter du -lait, sonna vainement à plusieurs reprises; -personne ne lui répondit. Elle conçut des inquiétudes -qu'elle communiqua dans le voisinage. -On prit des renseignemens; on passa -dans le jardin, on trouva les portes et les -contrevents exactement fermés de ce côté, -on n'entendit aucun bruit dans l'intérieur de -la maison, et l'on appela plusieurs fois, mais -sans succès. Les inquiétudes croissant, l'autorité -fut avertie; alors on monta à l'aide d'une -<span class="pagenum"><a id="Page_244"> 244</a></span> -échelle au haut du mur donnant sur la rue, -et l'on aperçut une autre échelle dressée le -long de ce mur, dans l'intérieur de la cour. -Dès ce moment, on ne douta plus que la dame -Aillet et sa domestique n'eussent été assassinées. -La porte de la rue fut ouverte, et l'on -entra; aucune des portes de l'intérieur n'était -fermée. On trouva dans une chambre les -corps de la dame Aillet et de sa domestique -étendus sans vie au pied des deux lits, nus -pieds, en chemise et baignant dans leur sang. -La dame Aillet avait à la tête deux longues -et profondes blessures, faites avec un instrument -tranchant; la domestique était percée -de dix blessures, paraissant faites avec un -couteau long et fort aigu, dont huit à la partie -gauche de la poitrine et deux à la main gauche. -La disposition des lits montrait que les -deux victimes s'étaient levées spontanément -et avaient été frappées dans la chambre; une -veilleuse brûlait encore; un seul fauteuil était -taché de sang, un autre était brisé en partie: -une commode placée dans la chambre, avait -été forcée et un tiroir ôté. Les assassins étaient -entrés dans deux cabinets voisins, dans l'un -desquels fut trouvé un couperet teint de -<span class="pagenum"><a id="Page_245"> 245</a></span> -sang: on y avait ouvert une armoire à linge, -mais rien ne parut y avoir été dérangé; l'armoire -à l'argenterie parut également intacte; -on n'avait touché, ni à un coffre-fort fermé, -dans lequel se trouvèrent douze mille quatre -cent vingt-cinq francs, ni à une somme de -deux cents francs, placée dans le tiroir d'une -petite table, non fermée à clef, ni même à -celle de trente-six francs, exposée en évidence -sur une tablette. Enfin, tout indiquait que -les meurtriers avaient fait des recherches, et -qu'un événement fortuit les avait forcés de -les abandonner pour fuir précipitamment. On -ne put s'assurer s'ils avaient pris de l'argent, -mais on ne tarda pas à reconnaître qu'ils avaient -emporté deux montres d'or accrochées à la -cheminée; une chaîne d'acier, attachée à l'une -de ces montres, en avait été arrachée et lancée -à terre. Ces deux montres étaient de forme -ancienne; l'une des deux était à répétition -et portait une chaîne d'or ainsi qu'une petite -clef et un cachet en or: le couperet, l'un des -instrumens du crime appartenait à la dame -Aillet; l'instrument aigu, dont la domestique -avait été frappée, ne fut point retrouvé. L'échelle -avait été apportée d'une maison peu -<span class="pagenum"><a id="Page_246"> 246</a></span> -éloignée, qui était alors en réparation. La position -de cette échelle dressée contre le mur -de la cour, et des dégradations récentes faites -à une corniche qui est au-dessus de la porte -de la rue en dehors, indiquaient que les assassins -s'étaient retirés par ce chemin, et l'on fut -confirmé dans cette opinion en reconnaissant -que toutes les ouvertures sur le jardin étaient -exactement fermées dans l'intérieur. Le crime -était donc évident; il avait été commis par -deux personnes au moins: la différence des -instrumens avec lesquels avaient été frappées -les deux victimes le démontrait. Il était probable, -en outre, qu'un complice veillait dans -la rue, pour prévenir toute surprise et donner -avis du moindre danger.</p> - -<p>Ce soupçon fut confirmé par la déposition -de plusieurs témoins, dont l'un déclara que, -la nuit où le crime fut commis, vers une -heure du matin, il avait entendu un grand -cri, puis le bruit de la sonnette de madame -Aillet, tirée avec force, ensuite deux autres -cris. Cette sonnette était sans doute tirée par -le complice pour avertir que les cris étaient -entendus au dehors. Le même témoin ajouta -que, vers une heure et demie, plusieurs personnes, -<span class="pagenum"><a id="Page_247"> 247</a></span> -marchant très-vite, avaient passé sous -ses fenêtres, venant de la rue des Grenets. Un -autre témoin avait vu, à cette même heure, -dans la rue Saint-Michel, voisine de celle des -Grenets, quatre hommes, portant des blouses -bleues et des souliers ferrés, courir très-vite -vers la porte Saint-Michel.</p> - -<p>Pendant quelque temps, on n'eut aucune -idée fixe sur ceux qui pouvaient être les auteurs -de ce crime; mais par suite de quelques -renseignemens, des soupçons s'élevèrent sur -Bouin dit Lapalette: on arrêta une fille Curot -avec laquelle il vivait depuis trois ans. Cette -fille avait d'abord déclaré que Lapalette -était sorti de chez lui le samedi soir, qu'il -n'était rentré que le lendemain, à six -heures du matin. Ensuite, pressée par les -questions qui lui furent faites, elle ajouta -que le vendredi matin, dès trois heures, -un nommé Fréon était venu trouver Lapalette; -qu'ils avaient passé ensemble la journée, -la nuit suivante, toute la journée du -samedi, et qu'ils étaient sortis tous deux -le samedi soir. Sur cette déclaration, Fréon -et Lapalette furent également arrêtés. Il est -<span class="pagenum"><a id="Page_248"> 248</a></span> -utile de faire connaître ici plus particulièrement -ces deux individus.</p> - -<p>Lapalette avait toujours été un mauvais -sujet, redouté de ses camarades à cause de -sa force et de sa brutalité. Il avait été condamné -correctionnellement pour vol, et suspendu -plusieurs fois de sa place de portefaix -à Chartres, à cause de sa mauvaise conduite; -il venait d'être supprimé définitivement, pour -abus de confiance, et était réduit, les jours -de marché, à suivre les voitures de blé, pour -avoir la paille.</p> - -<p>Fréon n'avait pas une réputation meilleure. -A l'âge de quinze ans environ, il avait volé une -montre et de l'argent; étant ensuite entré au -service militaire, en 1807, il fut condamné à -trois ans de travaux publics, pour vol d'argent -commis à son corps. Revenu à Chartres, il -s'était marié avantageusement et avait pris -l'état de perruquier-parfumeur; mais il avait -mal vécu avec sa femme et dissipé tout son -avoir. Il se livrait au braconnage des rivières, -et fut poursuivi plusieurs fois pour ce délit. Il -fit aussi de faux billets, mais son père les remboursa, -et l'affaire fut assoupie. Il connaissait -<span class="pagenum"><a id="Page_249"> 249</a></span> -parfaitement la maison de la dame Aillet, son -père y ayant été employé comme perruquier. -Dix jours avant le crime, il avait abandonné -son domicile et mené une vie errante, se cachant -sans cesse aux yeux de sa famille: en -outre, plusieurs propos qu'il avait tenus à -différentes reprises montrent qu'il roulait -souvent dans son esprit des projets funestes, -et qu'il se complaisait dans les idées les plus -sombres et les plus sinistres. Ainsi, vers 1817 -ou 1818, il disait au sieur Levassor en le rasant: -«Quand vous serez dans votre nouveau -domicile, rue du Puits-Berchot, je pourrai, -en l'absence de votre femme, vous couper -le cou en vous rasant. Je vous mettrais un -rasoir dans la main, alors je deviendrais le -maître dans la maison; j'y prendrais tout -ce qui me conviendrait; j'y resterais enfermé -jusqu'à la nuit; je sortirais ensuite. Puis le -lendemain, on fait ouvrir vos portes, et l'on -dit: M. Levassor s'est suicidé!» Mais une chose -plus directe à l'assassinat actuel, et qui prouve -que Fréon le méditait depuis long-temps, -c'est qu'en 1813, il fit au sieur Basin, lequel -le déclara dans l'instruction, la proposition -formelle d'assassiner de concert avec lui, les -<span class="pagenum"><a id="Page_250"> 250</a></span> -sieur et dame Aillet et leur domestique, et de -les voler, ajoutant qu'ils avaient beaucoup -d'argent, qu'il connaissait les êtres de la maison, -et que rien ne serait plus facile; puis il fit -un détail circonstancié des moyens qu'ils emploieraient. -Sur le refus d'indignation que -fit le témoin, il insista et lui dit: «Viens à la -pêche avec moi lundi prochain; nous raisonnerons -de tout cela et nous prendrons jour.» -Enfin, dans le courant de mai 1823, Fréon -dit à un témoin qui se plaignait de n'avoir -pas d'argent: «<i>Si vous aviez du courage!... Mais -il n'est pas héréditaire dans votre famille.</i>»</p> - -<p>C'est avec de pareils antécédens que le 11 -juin, à la suite, selon lui, d'une scène de -jalousie qu'il aurait eue avec sa femme, Fréon -quitta son domicile et se rendit à Paris. Il -était sans argent; dès son arrivée il va chez -un sieur Cornut, ancienne connaissance; il -lui dit qu'il n'a que deux francs, le charge de -mettre des habits en gage et en retire vingt -francs; plus tard, il fait vendre encore pour -sept francs d'effets, et le mercredi 18 juin, -prêt à retourner à Chartres, comme il n'avait -plus d'argent, il laisse au même témoin d'autres -effets et reçoit de lui cinq francs; il lui -<span class="pagenum"><a id="Page_251"> 251</a></span> -annonce en même temps qu'il part pour Chartres, -qu'il sera revenu le dimanche ou le lundi -suivant, ou qu'il sera mort; qu'il apportera -de l'argent et une montre d'or, et il lui déclara -depuis qu'il emportait alors un couteau -très-pointu qu'il avait acheté six sous sur le -quai de la Ferraille, et que ce couteau lui -servirait à se percer le cœur, en présence de -son père, s'il ne réussissait pas à se procurer -de l'argent. Le 19 juin, à huit heures du matin, -il arrive à Saint-Piat, à trois lieues de -Chartres, y passe la journée, y fait quelques -dépenses qu'il ne peut payer qu'en partie, -avouant qu'il n'a que deux francs, et il demeure -débiteur d'un litre de vin. Il attend -exprès six heures du soir pour se rendre à -Chartres, disant qu'il ne veut y entrer que -de nuit, pour n'être pas reconnu. Arrivé dans -cette ville à dix heures du soir, il ne va pas -chez lui: il va frapper à la porte de Lapalette. -Mais, effrayé par la voix d'un locataire de la -maison, il se sauve, rôde une partie de la nuit, -et dès trois heures du matin, il entre chez -Lapalette. A peine sont-ils réunis, qu'ils sortent -ensemble; ils vont d'abord du côté des -Filles-Dieu. Vers cinq heures, Lapalette rentre -<span class="pagenum"><a id="Page_252"> 252</a></span> -chez lui, il s'emporte contre la fille Curot, -l'injurie, et cependant lui dit à voix basse: -<i>Tais-toi! tu es une mauvaise langue</i>; puis encore: -<i>Veux-tu bien te taire! veux-tu bien te -taire!</i> Il retourne de là joindre Fréon, et ils -se rendent ensemble à Morancez dans le cabaret -de Laigneau, à qui ils disent qu'ils viennent -de se rencontrer par hasard en pêchant. -Ils y passent la journée à manger et à boire, -et projettent ensemble un voyage à Paris. C'est là -que Lapalette, causant avec un témoin, sort -avec lui du cabaret, cherche d'abord à lui -représenter son état comme misérable et sans -ressources, et ajoute: <i>Laisse faire: dans peu -de temps, je ne manquerai de rien; nous nous -soutenons, Fréon et moi. Si tu étais un bon -enfant, je te confierais quelque chose.</i> Ils font -dans ce cabaret une dépense de huit francs. -Fréon ne la paie pas, engage Laigneau à -venir chercher son argent chez lui, et se retire -avec Lapalette à huit heures du soir, en -disant: «Nous nous en allons, parce que nous -avons affaire ensemble.» Il retourne chez Lapalette, -et Fréon, qui n'était revenu à Chartres, -à ce qu'il prétend, que pour voir une -maîtresse qu'il avait, et qui ne voulait y aller -<span class="pagenum"><a id="Page_253"> 253</a></span> -que la nuit, de peur d'être reconnu, n'y va -cependant pas; il ne se rend point non plus -chez lui, mais il passe la nuit chez Lapalette.</p> - -<p>Le lendemain samedi 21, ils restent toute -la journée sans sortir: la fille Curot est avec -eux; Lapalette s'occupe à raccommoder ses -guêtres; Fréon ne fait rien, et paraît plongé -dans de profondes rêveries. La misère est -telle parmi eux, que la fille Curot est obligée -d'aller vendre deux chaises pour subsister -pendant la journée, et cependant Fréon dit, -dans la conversation, qu'il va acheter un fonds -de boutique, moyennant huit cents francs. Il -promet trente francs à Lapalette, qui se plaint -de n'avoir pas de quoi payer son loyer, et la -fille Curot s'étonnant d'une pareille promesse, -il lui répond: <i>Qu'est-ce que cela vous fait?</i> -Il lui dit encore qu'il était venu à Chartres -pour faire de l'argent en vendant des effets; -que la personne chargée de cette vente avait -demandé toute la journée du samedi, et qu'il -ne pourrait toucher des fonds que vers neuf -heures et demie du soir. Du reste, il n'indique -ni les effets qu'il peut vendre, ni le mandataire -qu'il en avait chargé.</p> - -<p>Le soir étant venu, Fréon, sans s'embarrasser -<span class="pagenum"><a id="Page_254"> 254</a></span> -d'aller chercher le produit de sa prétendue -vente, sort avec Lapalette à dix heures. -Tous deux avaient des souliers ferrés; -Fréon avait un chapeau rond, une veste -brune, un pantalon marron. Lapalette portait -un bonnet de police bleu, un gilet rond en -nankin blanchâtre, un pantalon d'été bleu; -la fille Curot prend toutes les précautions nécessaires -pour qu'ils ne soient pas aperçus, -au point même d'aller faire, de neuf à dix -heures et demie du soir, le guet deux à trois -fois sur le pas de la porte, pour voir s'ils peuvent -sortir sans être vus, et Fréon se couvre -de la blouse de Lapalette: celui-ci prend en -sortant la précaution bien singulière de faire -coucher la fille Curot et de l'enfermer à clef -dans sa chambre. Où vont-ils ensuite? Fréon -prétendait qu'il était allé seul au grand faubourg -pour tâcher de voir sa maîtresse, disant -à Lapalette de venir l'y rejoindre; que -n'ayant pas rencontré sa maîtresse, il était -revenu chez Lapalette qui était sorti; qu'il -avait été le rejoindre dans le tertre Saint-François; -qu'ils sont aussitôt sortis ensemble -de la ville, et se sont dirigés vers l'ancienne -route de Paris.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_255"> 255</a></span> -De son côté, Lapalette soutint que Fréon -ne lui avait pas dit de venir le rejoindre dans -le grand faubourg, mais simplement de l'attendre -dans le tertre Saint-François; que, ne -le voyant pas venir, il était prêt à s'en retourner -lorsqu'il le vit enfin arriver; qu'ils allèrent -ensemble à Lucé, village voisin pour voir la -filleule de la femme Fréon; qu'ils y rôdèrent -quelque temps et revinrent par les promenades -à la route de Paris, qu'ils suivirent jusqu'au -bois d'Oisême, où ils se séparèrent. Ils -dirent tous deux qu'ils avaient quitté Chartres -vers onze heures et qu'ils n'avaient point été -ce soir-là dans les environs du cloître Saint-Aignan. -Ces deux versions ne s'accordaient -pas, elles se contredisaient même formellement; -car Fréon soutenait qu'ils n'étaient -point allé à Lucé, mais qu'ils étaient sortis -de la ville pour gagner la route de Paris. Elles -furent de plus démenties par l'instruction. -En effet, le samedi soir, vers dix heures et -demie, des témoins virent dans le cloître de -Saint-Aignan, près duquel est située la maison -de la dame Aillet, deux hommes dont le signalement -se rapportait entièrement à celui des -accusés. Trois autres témoins reconnurent -<span class="pagenum"><a id="Page_256"> 256</a></span> -positivement Lapalette en ce même endroit. -On le vit, à onze heures, passer du cloître Saint-Aignan -dans la rue des Grenets, et c'est vers -une heure que le crime fut commis. Dans cette -nuit fatale du 21 au 22 juin, Fréon qui, depuis -deux jours, était avec Lapalette et ne l'avait -pas quitté depuis son retour, se sépare tout-à-coup -de lui et part à pied pour Paris; il va -jusqu'à Ablis. Là, il quitte la route et gagne -Rambouillet, où il dit être arrivé à dix heures, -mais il est constant qu'il n'y arriva qu'à -trois ou quatre heures après-midi; il entre -aussitôt dans une auberge, y reste trois heures, -faisant voir la plus grande fatigue, et prend -le soir même la diligence de Paris, où il arrive -le 23 au matin. A peine arrivé, il se rend chez -Cornut, dont il a été question ci-dessus, et -lui fait voir une montre d'or de forme ancienne -à répétition, garnie d'une chaîne d'or. Il annonce -vouloir la changer; il dit qu'il a apporté -trois cents francs de chez lui; qu'y étant -arrivé vers neuf heures et demie du soir, son -père était venu lui ouvrir la porte, et qu'en -l'absence de sa femme, il avait fait ouvrir la -porte d'une armoire par un serrurier, pour -prendre ces trois cents francs, et cependant -<span class="pagenum"><a id="Page_257"> 257</a></span> -il est constant que, depuis long-temps, il n'avait -pas mis le pied chez lui. Il montre ensuite -cent cinquante francs qu'il a dans sa poche -et donne vingt-cinq francs à Cornut pour retirer -les effets engagés à son dernier voyage.</p> - -<p>Le 24, il va chez le sieur Lejeune, horloger, -rue Saint-Martin; il y échange deux montres -anciennes contre une nouvelle, et reçoit quatre-vingts -francs de retour. Le signalement de -ces deux montres est le même que celui des -deux montres volées. Ce qu'on en put retrouver, -savoir, le mouvement, la chaîne d'or, la -clef et le cachet d'or, tout fut reconnu par les -témoins et par l'horloger qui entretenait les -montres de la dame Aillet. Cet échange consommé, -Fréon se fait conduire par Lejeune -chez un bijoutier dans la même rue, où il -achète une chaîne d'or, et chez un autre, rue -Michel-Lecomte, où il se procure des breloques. -Dans l'instruction, il nia tous ces faits; -mais il fut formellement reconnu par l'horloger -Lejeune et par les deux bijoutiers. Trois -témoins et Lapalette lui-même qui, de son -côté, arriva à Paris le 25, déclarèrent lui avoir -vu, les jours suivans, une montre d'or à la mode -avec chaîne et breloques en or. Fréon la présenta -<span class="pagenum"><a id="Page_258"> 258</a></span> -lui-même à un sieur Muller, son ami, -en lui disant: <i>Tiens, vois donc cette montre: -je l'ai changée contre deux autres montres d'or, -et je crains d'avoir été trompé.</i> Il donnait en -même temps une fausse adresse du marchand -chez lequel il avait fait cet échange. Il ajouta -qu'ayant des affaires à Paris, il avait apporté ces -deux montres pour les changer, attendu qu'elles -étaient anciennes et n'étaient plus de mode. -Le 27, il remit cette nouvelle montre à Vigneau -pour l'engager au Mont-de-Piété; il en retira -cent vingt francs. Fréon nia encore tous ces faits; -seulement il convint que, le 23, il avait acheté -dans les rues de Paris, moyennant dix-huit -francs, une montre en chrysocale, avec chaîne -et breloques, et qu'il l'avait revendue le 27.</p> - -<p>Le 28 au matin, Fréon se trouvant à boire -avec un sieur Rondeau, chez un marchand de -vin, rue des Saints-Pères, deux individus assez -mal vêtus entrèrent dans le même cabaret, -Fréon parut très-effrayé; il leur parla quelque -temps, et dit ensuite à Rondeau qui était -sorti dans l'intervalle: <i>J'ai acheté leur silence.</i> -Le soir même, il reprit la diligence de Chartres; -son intention était sans doute de découvrir -dans le pays ce que l'on pouvait dire sur -<span class="pagenum"><a id="Page_259"> 259</a></span> -son compte, car il ne prit sa place que jusqu'à -Maintenon. Son seul but, à l'entendre, -était de voir un nommé Frot, dont il voulait -affermer la pêche sur la rivière d'Eure. Il alla -chez ce Frot le 29, et il ne fut nullement -question de ce marché.</p> - -<p>Dès son arrivée à Maintenon, le 29, à quatre -heures du matin, il dit qu'il vient de Chartres -pour affaire; plus tard, il dit à d'autres qu'il -arrive de Paris; il passe la journée dans différens -cabarets et cafés, va à Saint-Piat, y boit -avec trois jeunes gens de sa connaissance, à -qui il dit qu'il est venu à Maintenon pour des -affaires qui devaient durer deux jours, mais -qu'on lui a compté des pièces de cinq francs -et qu'il va repartir: et cependant il fut établi -qu'il n'avait fait aucune affaire à Maintenon, et -que personne ne lui avait compté d'argent. Il -retourne le soir, avec ces jeunes gens à Maintenon, -joue avec eux au billard, et tout-à-coup -au milieu de la partie où, suivant les témoins, -son jeu était d'abord brillant, dès qu'il aperçoit -le brigadier de gendarmerie, il ne peut plus -jouer, il devient inquiet et tremblant; ses -jambes et ses mains sont dans une agitation -continuelle. Il affecte des politesses tant envers -<span class="pagenum"><a id="Page_260"> 260</a></span> -les gendarmes qu'envers ceux de qui il croit -pouvoir se réclamer. Enfin, prêt à monter -en diligence, ses papiers ne sont pas en règle; -il est arrêté et conduit au quartier de gendarmerie, -où il passe une nuit très-agitée. Lapalette, -de son côté, après avoir quitté Fréon -pendant la nuit du 21 au 22, était revenu à -Chartres. Il ne rentra chez lui qu'à six heures -du matin. La fille Curot lui demande ce qu'il -a fait; il la maltraite, il lui dit: <i>Veux-tu te -taire! Je ne veux pas que les voisins sachent -que j'ai passé la nuit dehors.</i> Il lui dit, un instant -après, qu'il vient de reconduire Fréon, -et lui montre quarante francs que celui-ci lui -a donnés.</p> - -<p>Au moment où l'assassinat venait d'être commis, -et où la foule se portait à la maison de la -dame Aillet, Lapalette s'y trouva avec un nommé -Lailler. Ils aidèrent tous deux à ouvrir la -porte, mais au moment où Lailler se disposait -à franchir le mur, Lapalette prétexta une -affaire, se retira, et environ une heure après, -passant dans une rue voisine d'où l'on voyait -la foule, il s'adressa à la femme Fauquereau -et lui demanda ce qu'il y avait, comme s'il -eût été possible qu'il l'ignorât; puis se retrouvant -<span class="pagenum"><a id="Page_261"> 261</a></span> -avec Lailler, au moment où celui-ci était -encore tout ému de la vue des cadavres, il le -railla sur son émotion.</p> - -<p>Le soir même, Lapalette prend la diligence -de Paris; le 25 au matin, il dit à un témoin -en présence de Fréon, qu'il vient s'amuser à -Paris, qu'il a touché de l'argent à Chartres, -qu'il l'a gagné à conduire des chevaux à la -foire en Picardie; et Fréon le dément au -même instant. Il dit à un autre qu'il a de l'argent, -et qu'il ne quittera Paris qu'après avoir -tout mangé; en effet, il passe trois jours dans -la débauche la plus complète et fait une dépense -considérable. Il paie le prix d'un déjeûner -fait avec Fréon et Muller, et frappant sur -sa poche, il dit: <i>Je ne veux pas que tu paies, -Henry: nous avons de l'argent.</i> Il est arrêté le -29; on trouve sur lui cent quatre-vingt-dix -francs. On l'interroge sur deux masques de -parchemin, trouvés dans la paillasse de son -lit, à Chartres; il prétend que ces masques -sont anciens, qu'il s'en est servi autrefois -pendant le carnaval, et que depuis long-temps -la fille Curot les lui a cachés. Celle-ci, au -contraire, soutient qu'elle ne les a jamais vus -et qu'elle ignorait jusqu'à leur existence. Il -<span class="pagenum"><a id="Page_262"> 262</a></span> -est probable que ces masques avaient servi à -Lapalette et à son complice pour se déguiser -lors de l'exécution de leur forfait. On demande -compte à Lapalette des cent quatre-vingt-dix -francs trouvés sur lui, il dit qu'en quittant Chartres, -il avait près de trois cents francs; qu'il les -avait depuis quelque temps, quoiqu'il vendît -ses meubles et ses effets; qu'il ne faisait ces -ventes que pour laisser ignorer à la fille Curot -qu'il eût cet argent; que ces trois cents francs -provenaient tant de la vente de son mobilier -et de ses effets, que d'un don de quarante -francs fait par Fréon, et le reste résultant -de ses économies. Il ajouta que ce trésor était -caché dans son grenier, comme si l'on pouvait -croire aux économies d'un homme réduit -à vendre ses habits, ne gagnant plus que -douze sous par semaine, et qui, la veille même -de l'assassinat, faisait vendre deux chaises pour -subsister. Il en imposait évidemment; d'où -pouvait donc lui provenir cet argent?</p> - -<p>Les preuves les plus fortes désignant Fréon -comme l'un des auteurs de l'assassinat commis -dans la nuit du 21 au 22, des preuves -pareilles atteignaient Lapalette comme son -complice. De son propre aveu, il ne l'avait -<span class="pagenum"><a id="Page_263"> 263</a></span> -pas quitté, depuis le samedi soir à neuf heures, -jusqu'à deux heures du lendemain matin; il -avait donc assisté à tout; il avait puisé à la même -source. Tous deux avaient partagé le même -crime, et quand on rapproche de ces circonstances -le changement subit de leur situation -pécuniaire et la dépense qu'on leur a vu faire -ensuite; quand on remarque leurs variations -dans leurs réponses, au point de se contredire -formellement sur un point essentiel, et -de rendre chacun un compte contradictoire -de ce qu'ils firent dans la nuit du samedi au -dimanche; lorsqu'on rapproche tous ces faits -des propos extraordinaires que plusieurs témoins -ont recueillis, on demeure convaincu, -que tous deux faisaient partie des assassins, -et que cet argent qu'on leur avait vu répandre -à pleines mains, dès le lendemain du crime, -ne pouvait en être que le fruit. L'intimité -dans laquelle la fille Curot vivait avec le nommé -Bouin, avait fait d'abord présumer qu'elle -n'était pas étrangère au crime dont celui-ci -était accusé; on avait tout lieu de croire que -les assassins avaient eu pour complice une -personne affidée, qui était restée en dehors de -la maison de la veuve Aillet pour faire le guet, -<span class="pagenum"><a id="Page_264"> 264</a></span> -tandis que les auteurs principaux du crime -s'étaient introduits dans l'intérieur. Dans cette -hypothèse, la fille Curot semblait avoir dû -être chargée, dans l'exécution du crime, de -la coopération qui s'accordait le plus avec les -idées que son sexe et sa force pouvaient faire -naître; mais les charges qui s'élevaient contre -elle ayant paru insuffisantes pour la mettre en -accusation, la Cour, par son arrêt du 1<sup>er</sup> août, -la renvoya de la poursuite, et ne maintint -l'ordonnance de prise de corps que contre -Lapalette et Fréon.</p> - -<p>En conséquence de ces faits, Charles-Philippe-Toussaint -Fréon et André-François Bouin -dit Lapalette, furent renvoyés devant la Cour -d'assises d'Eure-et-Loir, séant à Chartres, sous -l'accusation 1<sup>o</sup> d'avoir, dans la nuit du 21 -au 22 juin 1823, commis de complicité, -volontairement et avec préméditation, un -homicide sur la personne de la dame veuve -Aillet; 2<sup>o</sup> d'avoir, dans la même nuit, commis -de complicité, volontairement et avec préméditation, -un homicide sur la personne de -la fille Goussard; 3<sup>o</sup> d'avoir dans la même -nuit, et au moment ou lesdits homicides -avaient eu lieu, soustrait frauduleusement, de -<span class="pagenum"><a id="Page_265"> 265</a></span> -complicité, à l'aide d'escalade et d'effraction -dans une maison habitée, de l'argent monnayé, -deux montres en or et d'autres effets -appartenans à la dame Aillet.</p> - -<p>Les débats de cette grave affaire s'ouvrirent, -le 19 août, sous la présidence de M. -Chevalier-Lemore, au milieu d'un concours -immense de spectateurs.</p> - -<p>Les défenseurs des accusés leur avaient -été nommés d'office. M<sup>e</sup> Doublet, avocat stagiaire, -aujourd'hui attaché au barreau de -Chartres, plaidait pour Fréon. La tâche des -défenseurs était pénible. Ils firent tous leurs -efforts pour concilier ce qu'ils devaient à leur -mission, et ce que leur imposait leur conscience; -aussi, lorsque après une discussion approfondie -de l'accusation, l'avocat de Fréon, -s'écria d'une voix émue: «Puissions-nous ne -plus avoir à remplir ce douloureux ministère! -Puissions-nous avoir concilié nos devoirs -comme citoyens, nos obligations comme -hommes de la loi! Puissions-nous trouver le -prix de nos efforts et un adoucissement à -notre tâche dans le sentiment de l'intérêt public!» -Un murmure d'approbation se fit entendre, -et fut ratifié par tous ceux qui avaient -<span class="pagenum"><a id="Page_266"> 266</a></span> -suivi ces débats. La preuve la plus accablante -contre Fréon, fut la reconnaissance formelle -de l'horloger à qui il avait vendu la montre -de la dame Aillet.</p> - -<p>Cette procédure dura trois jours, et le résultat -fut la condamnation à mort des accusés. -Ils se pourvurent en cassation; dans cet -intervalle, Fréon fut pris de violens vomissemens, -et tout annonça qu'il cherchait à s'empoisonner -à l'instar de Bancal dans l'affaire -Fualdès, en buvant de l'urine dans laquelle -il avait laissé de la monnaie de cuivre. -Fréon répétait à son défenseur, qu'il ne -serait jamais exécuté.</p> - -<p>Lorsque le pourvoi eut été rejeté par la -Cour de cassation, et le jour de l'exécution -arrêté, les condamnés se barricadèrent dans -leur cachot, et l'on ne put s'y introduire. -L'exécution fut ajournée; depuis, Lapalette -chercha à retarder sa mort par des révélations -qu'il fit, révélations qui semblaient annoncer -que les condamnés avaient des complices, -(et c'était l'opinion générale à Chartres). -Cependant, les investigations nouvelles, auxquelles -la justice se livra, prouvèrent que ces -révélations étaient mensongères, et bientôt -<span class="pagenum"><a id="Page_267"> 267</a></span> -Fréon et Lapalette portèrent leur tête sur -l'échafaud!...</p> - -<p>Ce crime avait jeté l'effroi dans la ville -de Chartres; la population ne fut rassurée, -que lorsque les assassins eurent cessé de vivre. -On parla long-temps de cet assassinat; -on se rappelait encore le jour de l'inhumation -de madame Aillet et de sa domestique; -on parlait de cette fille Goussard qui, pour -sauver sa maîtresse, avait dû soutenir une -lutte si longue avec l'un des assassins. C'est -d'elle que le ministère public disait dans -son réquisitoire: <i>La palme des martyrs vous -était réservée!</i>...</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_268"> 268</a></span></p> -<h2 class="normal">ANTOINE LÉGER,<br /> -<span class="small">OU</span><br /> -<span class="medium">L'ANTHROPOPHAGE DES ENVIRONS DE VERSAILLES.</span></h2> -</div> - -<p>Un crime affreux, dont les circonstances présentent -un caractère de férocité sans exemple -dans les annales criminelles, jeta, en 1824, -l'épouvante et l'horreur dans plusieurs communes -du département de Seine-et-Oise.</p> - -<p>Le 10 août, Aimée-Constance Debully, jeune -fille de la commune d'Esteville, arrondissement -d'Étampes, âgée de douze ans et demi, -sortit de chez ses parens, vers quatre heures -du soir, pour aller débourgeonner une pièce -de vigne qu'ils possédaient à un quart de lieue -du village, et près du bois de Sardion. Le -soir, sa famille ne la voyant pas revenir, en -conçut quelque inquiétude, et se mit à sa recherche. -On se rendit à la vigne; on y trouva -ses souliers, son chapeau et sa serpette, rangés -avec assez d'ordre. Mais ce fut vainement que -<span class="pagenum"><a id="Page_269"> 269</a></span> -son père et ses frères la cherchèrent en l'appelant, -une partie de la nuit, dans les bois des -environs.</p> - -<p>Les autorités locales, instruites de cette disparition, -ordonnèrent aussitôt des battues -générales dans tout le pays. Durant les cinq -premiers jours, elles ne produisirent d'autre -résultat que la découverte d'un mouchoir rayé -bleu et blanc, qui n'avait pas appartenu à la -jeune Debully, et qui fut trouvé à peu de -distance de la pièce de vigne.</p> - -<p>Enfin le 16 août, dans une battue faite au -milieu d'une roche située au-dessus de Montmiraux, -dite la roche <i>de la Charbonnière</i>, on -remarqua dans l'une des crevasses du roc des -branchages de fougère fanée, qui paraissaient -avoir été tout récemment foulés; on les déplaça, -et l'on découvrit, par ce moyen, l'entrée -d'une espèce de caverne dans laquelle on -descendit.</p> - -<p>Des débris d'artichaux, d'ognons, de cosses -de pois et d'épis de blé, et un lit de foin et de -mousse que l'on y trouva, annoncèrent que -cette tanière avait servi d'habitation. Une -odeur fortement cadavéreuse qui s'en exhalait -excita de nouvelles recherches; et, à l'aide de -<span class="pagenum"><a id="Page_270"> 270</a></span> -lumières que l'on fit apporter, on trouva caché -sous deux pieds de sable environ, dans un -enfoncement pratiqué au fond de la grotte, un -paquet volumineux que l'on en retira aussitôt.</p> - -<p>Ce paquet renfermait un cadavre déjà en -putréfaction; les jambes et les cuisses étaient -repliées sur le ventre; le tronc étaient horriblement -mutilé: le tout avait été enveloppé -dans une chemise, un jupon et un mouchoir -fortement entortillés par un lien de chêne. Les -malheureux époux Debully reconnurent dans -ce cadavre celui de leur fille.</p> - -<p>Informé de cette découverte, qui ne laissait -plus aucun doute sur l'existence d'un crime, -le juge d'instruction du tribunal d'Étampes -se transporta aussitôt sur les lieux, accompagné -d'un chirurgien qui examina le cadavre -avec soin. On reconnut que le corps avait été -ouvert dans toute son étendue, à l'aide d'un -instrument fort tranchant; que des plaies -nombreuses et profondes avaient été faites sur -plusieurs parties du corps avec la pointe du -même instrument. La tête et le cou étaient -gorgés de sang, tandis que le cœur et les vaisseaux -sanguins qui l'environnent, étaient absolument -desséchés.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_271"> 271</a></span> -Cependant, depuis la disparition de la jeune -Debully, l'inquiétude régnait dans les campagnes -voisines, et on épiait avec soin tous les -étrangers qui paraissaient dans le pays.</p> - -<p>Le 12 août, le garde particulier du canton -aperçut dans un bois, et près d'une fontaine, -un homme qui lui était inconnu, et dont la -figure et l'extérieur lui parurent étranges. Il -voulut s'en approcher, et cet homme disparut. -Le lendemain, le garde le guetta presque -toute la journée à la fontaine, et le voyant -revenir le soir, il l'arrêta.</p> - -<p>C'était Antoine Léger. Long-temps cet -homme se renferma dans un système de dénégation -absolue; mais enfin dans un interrogatoire -où il avait été vivement pressé, il déroula -lui-même la série de crimes dont il s'était -rendu coupable; il en révéla jusqu'aux -moindres circonstances; il en produisit les -preuves; il indiqua à la justice et le théâtre -du forfait et la manière dont il avait été consommé.</p> - -<p>Léger, d'après son propre récit, avait toujours -paru, dès sa jeunesse, d'un caractère sombre -et farouche; il recherchait habituellement -la solitude, et fuyait la société des femmes et des -<span class="pagenum"><a id="Page_272"> 272</a></span> -jeunes garçons de son âge. Impatient de s'éloigner -de sa famille, de vivre dans un isolement -complet, il quitta la maison paternelle, -le 24 juin 1824, jour de la Saint-Jean, sous -prétexte d'aller se placer à Dourdan comme domestique, -n'emportant avec lui qu'une somme -de cinquante francs et les habits qui le couvraient -au moment de son arrestation. Au lieu -de se rendre à Dourdan, comme il en avait -manifesté l'intention, il vint directement à -Étampes, y passa la nuit dans une auberge, -se dirigea sur la Ferté-Aleps, s'arrêta dans les -bois qui dominent le hameau de Montmiraux -près de cette ville, et y resta jusqu'au 11 août. -Il parcourut d'abord ces bois pour y chercher -une retraite où il pût se mettre à l'abri des -injures de l'air, et ce ne fut qu'au bout de huit -jours qu'il découvrit les rochers de la Charbonnière, -qui dès-lors lui servirent de repaire. -Il s'y prépara aussitôt un lit composé de -regain sec, qu'il descendit chercher dans la -vallée.</p> - -<p>Léger prétendit qu'il avait vécu pendant les -quinze premiers jours de racines, de pois, -d'épis de blé, de groseilles, et de fruits qu'il -allait cueillir sur la lisière des bois; que, notamment -<span class="pagenum"><a id="Page_273"> 273</a></span> -au mois d'août, il alla la nuit voler -des artichauts dans le jardin d'une filature -voisine. Ayant un jour pris un lapin sur une -roche, il le tua, et le mangea cru sur-le-champ; -mais bientôt, sentant plus vivement les atteintes -de la faim, pressé par le besoin, il se rendit -un jour, vers neuf heures, à la Ferté-Aleps -pour y acheter quelques livres de pain et du -fromage de Gruyère. Il y retourna trois ou -quatre fois encore à la même heure, en suivant -le même chemin, et pour le même objet. -Cependant, au milieu de la solitude, de violentes -passions l'agitaient. Il éprouvait en même -temps l'horrible besoin de manger de la chair -humaine, de s'abreuver de sang; il ne tarda -pas à en trouver l'occasion.</p> - -<p>Le 10 août, comme il se promenait dans les -bois, se trouvant vers les quatre heures de -l'après-midi, sur les hauteurs qui dominent le -vallon d'Esteville, il aperçut dans une vigne, -près de la lisière du bois, une jeune fille (c'était -Aimée-Constance Debully), et conçut l'infernal -projet de l'enlever. L'endroit était solitaire; -quelques bergers, quelques cultivateurs -étaient épars dans la plaine; mais une grande -distance les séparait de lui: les cris de sa victime -<span class="pagenum"><a id="Page_274"> 274</a></span> -ne pouvaient être entendus. Aussitôt il -descend rapidement la côte, et à travers le -bois, fond comme une bête féroce sur sa -timide proie. La jeune Debully, qui était assise -près de sa vigne, ne le vit pas s'approcher; -elle n'eut même pas le temps de se retourner, -que déjà Léger avait passé son mouchoir autour -d'elle, l'avait chargée sur son dos, et emportée -à pas précipités au milieu de l'épaisseur -du bois.</p> - -<p>Fatigué de sa course, et voyant que la jeune -fille était sans mouvement, il la jeta sur -l'herbe. L'horrible projet que ce cannibale -avait conçu, le forfait qu'il avait médité, furent -exécutés; la jeune fille était sans vie; le -tigre eut soif de son sang.....</p> - -<p>Ici nous écartons des faits épouvantables -qui, par respect pour la morale publique, -ne furent mentionnés qu'à huis-clos, -lors de la procédure. «Ici notre silence -s'arrête, dit un historien de ce crime monstrueux; -l'imagination s'épouvante devant -une série de forfaits que, pour la première -fois, la barbarie, et la férocité ont enfantés. -Le soleil n'avait pas encore éclairé un pareil -forfait: c'est le festin d'Atrée!»</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_275"> 275</a></span> -La rage de Léger étant assouvie, le monstre -sentit la nécessité d'effacer jusqu'aux -moindres traces de son crime. Il saisit ce -corps inanimé, l'enveloppa dans les vêtemens -qui le couvraient, le lia avec une forte -branche de chêne qu'il coupa sur le lieu -même, l'emporta dans sa grotte et l'y ensevelit.</p> - -<p>Léger, après avoir fait lui-même le récit -très-détaillé des faits qu'on vient de lire, -fournit, à l'appui de ses aveux, des preuves -matérielles de leur véracité. Conduit -sur les lieux, il montra l'endroit où il -s'était arrêté pour commettre son crime. Il -indiqua le pied du chêne sur lequel il avait -coupé la branche pour lier le cadavre, et -cette branche, rapprochée de sa tige, s'y -rapportait parfaitement; enfin, il désigna -le rocher sous lequel il avait caché le col -et les manches de sa chemise: en effet, on -les y trouva.</p> - -<p>Depuis le jour où il avait tout avoué, Léger -conserva un sang-froid épouvantable. -Quand on lui rappelait toutes les circonstances -de son crime, un <i>oui</i>, prononcé avec -<span class="pagenum"><a id="Page_276"> 276</a></span> -indifférence, était la seule réponse à toutes -les questions qu'on lui adressait.</p> - -<p>Léger comparut devant la Cour d'assises -de Seine-et-Oise, le 23 novembre. Bien que -l'on sût d'avance que la nature de sa cause -ne permettait pas que l'audience fût publique, -un concours de spectateurs avait envahi -toutes les avenues du tribunal. On était -curieux de voir la physionomie de cet anthropophage. -Mais la figure de Léger trompa -l'attente de tout le monde. Ses traits présentaient -l'apparence du calme et de la douceur; -seulement ses regards étaient hébétés. Ses -yeux fixes, sa contenance immobile, son -air silencieux et méditatif, son teint blême -et décoloré, glaçaient presque d'effroi les -spectateurs. Son costume était celui de sa -profession de vigneron, une veste et un -pantalon bleu.</p> - -<p>Interpellé par le président sur ses nom -et prénoms, il répondit avec la même tranquillité -que s'il se fût agi de l'affaire la plus -ordinaire: «Je me nomme Antoine Léger: -je suis journalier, âgé d'environ vingt-neuf -ans, né et demeurant dans la commune de -Saint-Martin-Betencourt (Seine-et-Oise).»</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_277"> 277</a></span> -Nous allons donner quelques parties de -son interrogatoire public, qui présentent -aussi des détails révoltans:</p> - -<p><i>D.</i> A quelle heure êtes-vous sorti, le 10 août, -de votre caverne?</p> - -<p><i>R.</i> Je n'étais pas réglé pour sortir; je suis -sorti vers trois heures et demie.</p> - -<p><i>D.</i> Répétez de vous-même, comme vous -l'avez fait dans l'instruction, ce que vous -avez fait le même jour, à quatre heures du -soir.</p> - -<p><i>R.</i> J'étais allé pour cueillir des pommes: -j'ai aperçu, au bout du bois, une petite -fille qui était assise. Il m'a pris idée de -l'enlever; je lui ai passé mon mouchoir autour -du cou et l'ai chargée sur mon dos. -La petite fille n'a jeté qu'un petit cri. J'ai -marché à travers le bois, et me suis trouvé -mal de faim, de soif et de chaleur. Je suis -resté peut-être une demi-heure comme ça -sans connaissance. La soif et la faim m'ayant -pris trop fort, je me suis mis à la dévorer.....</p> - -<p><i>D.</i> Dans quel état se trouvait alors la jeune -fille?</p> - -<p><i>R.</i> Sans mouvement: elle était morte. Je -n'ai essayé que d'en manger, et voilà tout.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_278"> 278</a></span> -<i>D.</i> Dites toute la vérité, comme vous l'avez -fait dans l'instruction; ce qui vous a soulagé, -ainsi que vous l'avez observé vous-même.</p> - -<p>L'accusé se renferma dans une dénégation -absolue sur tout ce qui avait rapport au viol. Le -président de la Cour donna lecture des réponses -précédentes de Léger; elles firent frémir. L'accusé -était convenu qu'ayant ouvert le corps de -l'infortunée créature, et voyant sortir le sang -en abondance, il y désaltéra sa soif exécrable, -«et poussé, dit-il, par le malin esprit qui me -dominait, j'allai jusqu'à lui sucer le cœur...»</p> - -<p><i>L'Accusé</i>: Je n'ai rien dit de tout cela à -messieurs les juges, qui ont écrit ce qu'ils ont -voulu.</p> - -<p>A d'autres questions, Léger répondit avec -un inconcevable sang-froid: Je n'y ai pas fait -attention..... D'ailleurs, je suis tombé en faiblesse, -et me suis trouvé mal..... Je n'ai fait -tout cela, dit-il plus loin, que pour avoir du -sang..... Je voulais boire du sang..... J'étais -tourmenté de la soif; je n'étais plus maître -de moi.</p> - -<p><i>D.</i> N'avez-vous pas détaché avec votre -couteau le cœur de votre victime?</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_279"> 279</a></span> -<i>R.</i> Je l'ai <i>tâté</i> un peu avec mon couteau, -et je l'ai percé.....</p> - -<p><i>D.</i> Qu'avez-vous fait des débris du cadavre?</p> - -<p><i>R.</i> Je les ai cachés hors de la grotte, sous -de la fougère et toutes sortes de choses. Il y -avait des oiseaux qui croassaient après moi.</p> - -<p><i>D.</i> Quels oiseaux?</p> - -<p><i>R.</i> Des pies, que je croyais être là pour me -faire prendre..... parce qu'elles croassaient -contre moi.</p> - -<p><i>D.</i> Vous étiez donc agité par la crainte? -vous sentiez donc que vous aviez mal fait?</p> - -<p><i>R.</i> Oui; quand j'ai repris connaissance, je -suis allé me cacher dans des roches, plus -bas: j'y ai passé une partie de la nuit sans -pouvoir dormir. Le lendemain, je me suis en -allé à travers les champs, par-dessus les montagnes; -je me suis lavé la figure sur les roches -où il y avait de l'eau, et j'ai lavé aussi -ma chemise; j'ai coupé le col et le bout des -manches où il y avait encore du sang <i>à même</i>. -J'ai rencontré un garde et j'ai pris la fuite. -Quand je voyais quelqu'un d'un côté, je m'en -allais de l'autre. Le garde m'a dit: <i>Halte-là, -de par le roi!</i> Je me suis arrêté tout court.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_280"> 280</a></span> -<i>D.</i> Vous avez dit: Ce n'est pas vous qui -m'emmèneriez. Le garde a répondu: Je t'emmènerai -mort ou vif. Il a donné un coup de -sifflet, des passans sont accourus et vous ont -arrêté comme vagabond, car on ne soupçonnait -pas alors l'assassinat de la jeune Debully. -Vous avez prétendu que vous aviez été condamné -à vingt années de fer, et que vous -vous étiez évadé?</p> - -<p><i>R.</i> C'est possible.</p> - -<p><i>D.</i> Vous êtes-vous coupé les cheveux, à la -roche de la Charbonnière?</p> - -<p><i>R.</i> Oui, j'ai coupé les cheveux que vous -me montrez avec un de mes couteaux, celui -à manche de corne, qui est tranchant comme -un rasoir. Je mettais un rouleau de bois sous -mes cheveux qui ne tenaient pas; ils tombaient -d'eux-mêmes.</p> - -<p>Léger reconnut le mouchoir avec lequel, -après l'avoir tordu, il entraîna la jeune Debully.</p> - -<p><i>D.</i> Que vouliez-vous faire de cette enfant?</p> - -<p><i>R.</i> Je n'avais pas de connaissance; j'étais -poussé par le <i>malin esprit</i>.</p> - -<p>La chemise saisie sur l'accusé, toute sale, -toute ensanglantée et couverte de déchirures, -<span class="pagenum"><a id="Page_281"> 281</a></span> -lui fut présentée. Cette vue ne le fit pas un -seul instant sourciller.</p> - -<p>Après l'audition des témoins, parmi lesquels -on voyait le père et la mère de l'enfant -égorgée, et dont les dépositions ne firent que -confirmer le monstrueux attentat de Léger -et redoubler l'intérêt et la pitié pour sa victime, -on entendit les médecins qui déclarèrent, -relativement au genre de mort de la -petite Debully, qu'il y avait eu asphyxie, -soit par strangulation, soit par étouffement. -Leur opinion fut aussi, et elle était fondée -sur des signes non équivoques, que l'attentat -à la pudeur avait été commencé pendant -la vie de l'enfant, et consommé après sa -mort, seule circonstance que Léger ait persisté -à nier.</p> - -<p>Dans cet état de choses, le défenseur, -nommé d'office, présenta Léger comme un -être privé de la raison, et se fonda sur les -habitudes vicieuses qu'il avait contractées, -sur sa fuite de chez ses parens et sur le genre -de vie qu'il menait.</p> - -<p>Le président, après avoir résumé d'une -manière extrêmement lumineuse, toutes les -circonstances qui se rattachaient au crime -<span class="pagenum"><a id="Page_282"> 282</a></span> -atroce de Léger, posa au jury les questions -de viol et d'homicide volontaire, résultant -de l'acte d'accusation, en y ajoutant, sur la -demande expresse du défenseur, la question -de démence. Le jury, après une demi-heure -de délibération, résolut affirmativement les -questions de viol, d'attentat à la pudeur et -d'homicide avec préméditation et guet-à-pens, -et négativement celle relative à la démence: -en conséquence, Léger fut condamné à la -peine de mort. Il entendit son arrêt avec une -stupidité bien différente de la froide impassibilité -qu'il avait montrée aux débats.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_283"> 283</a></span></p> -<h2 class="normal">VEILLÈRE,<br /> -<span class="medium">OU LA PASSION DU JEU.</span></h2> -</div> - -<p>Chez la plupart des joueurs, la passion qui -les domine n'est autre que l'ambition; sans -l'espoir du gain, le jeu serait sans attraits -pour eux. C'est pourquoi, lorsque viennent -les chances malheureuses, la raison, l'honneur, -le devoir, tout est oublié; une rage sombre, -une sorte de démence les obsède; alors -tous les moyens leur sont bons pour se procurer -les ressources qu'ils croient propres à -réparer leurs pertes. De là tant de calamités -domestiques! de là tant de crimes qui, si fréquemment, -portent l'épouvante au sein de la -société!</p> - -<p>Toutefois, le criminel dont nous allons parler -semble faire une exception à cette règle -générale. La passion du jeu était devenue chez -lui une monomanie qui n'avait d'autre objet -que le jeu lui-même. Cette passion, qui lui fit -<span class="pagenum"><a id="Page_284"> 284</a></span> -commettre un crime atroce, ne procédait -point d'un rapace et sordide intérêt. Il voulait -toujours jouer, mais uniquement pour jouer; -et certes, ce n'était pas l'appât du gain qui, le -jour même de son exécution, alors qu'il savait -très-bien qu'il n'y avait plus pour lui d'espoir -en ce monde, lui mettait encore les cartes à -la main.</p> - -<p>Veillère, perruquier dans la ville de Rouen, -marié depuis 1821, se livrait à la funeste passion -dont nous venons de parler, de manière -à compromettre les intérêts de sa maison. Il -en résultait des scènes violentes dans son ménage; -il ne cessait d'accabler sa jeune et vertueuse -épouse de traitemens atroces: enfin, -un jour, il en vint au point de se précipiter -sur elle et de lui porter, en présence de quelques -autres femmes qui voulurent vainement -l'arrêter, plusieurs coups de couteau à la -gorge. Le malheureux voulait aussi se détruire -et mourir avec elle, mais les blessures -qu'il se fit, quoique graves, ne furent pas -mortelles.</p> - -<p>Il fut mis en accusation et traduit devant -la Cour d'assises de la Seine-Inférieure, le 14 -août 1824; il parut devant ses juges avec une -<span class="pagenum"><a id="Page_285"> 285</a></span> -contenance assurée. Condamné à mort sur la -déclaration unanime du jury, il entendit son -arrêt sans dire un seul mot, sans donner -aucun signe d'émotion. Résigné à mourir, il -refusa opiniâtrément de se pourvoir.</p> - -<p>Dès ce moment, il attendit la mort avec -une impassibilité étonnante, continuant de -jouer, suppliant quelques prisonniers de ne -pas lui refuser de faire sa partie pour les derniers -momens de sa vie, et les menaçant -plaisamment de venir les tourmenter après sa -mort, s'ils ne se rendaient pas à son désir.</p> - -<p>Le 18 août, veille de son exécution, il -ne quitta le jeu que pour se coucher, et -presque aussitôt s'endormit d'un sommeil paisible. -Le lendemain matin, le matin de son -dernier jour, à son lever, il déjeûna avec appétit -et se remit au jeu jusqu'au moment de -passer dans la chapelle, où le prêtre l'attendait. -Il demanda avec beaucoup d'instance -que le détenu qui jouait avec lui l'accompagnât -jusque dans cet endroit; puis il se confessa -avec le plus grand calme, écouta avec -beaucoup d'attention les consolations et les -prières de l'ecclésiastique qui l'assistait, et -marcha à l'échafaud, avec la même impassibilité -qu'il avait toujours montrée.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_286"> 286</a></span></p> -<h2 class="normal">EFFRAYANTE SÉRIE D'ATROCITÉS.</h2> -</div> - -<p>François Turrel, propriétaire et cultivateur -à Merlieux, arrondissement de Belley, offrit, -en 1824, à la Cour d'assises de l'Ain devant -laquelle il fut traduit, un criminel capable -de disputer le prix de la scélératesse au trop -fameux Lelièvre, condamné et exécuté à Lyon -quelques années auparavant.</p> - -<p>Ce monstre était accusé non seulement -d'avoir assassiné Anthelmette Genet sa femme, -mais encore d'avoir causé la mort de trois -autres femmes, auxquelles il s'était uni par -le mariage, sans que toutefois la réalité de -ces derniers crimes fût démontrée. Nous allons -rapporter les faits de cette cause tels -qu'ils furent présentés dans le système de l'accusation.</p> - -<p>Turrel, âgé de soixante ans, à l'époque de son -jugement, avait épousé en premières noces, -trente années auparavant, une femme originaire -<span class="pagenum"><a id="Page_287"> 287</a></span> -de Savoie. Pendant quelque temps, -il vécut avec elle en assez bonne intelligence; -mais bientôt entraîné par la passion du libertinage, -il se livra à un commerce illégitime -avec la fille Gouge, sa servante, et -conçut dès-lors le projet d'attenter à la vie -de sa femme, pour épouser sa concubine. Un -jour, embusqué derrière un rocher, il assaillit -sa femme à coups de pierres et la -blessa à l'épaule. Une autre fois, l'ayant dirigée -sur une ouverture pratiquée dans son -fenil, il la précipita du haut en bas sur des -chariots et des pièces de bois qu'il avait placées -au-dessous; et la malheureuse femme, -brisée par cette chute, mourut au bout de -quelques jours.</p> - -<p>Turrel épousa alors la fille Gouge; mais -cette seconde femme ne fut pas plus heureuse -que celle qu'elle avait si cruellement supplantée. -Abreuvée de chagrins de toute espèce, -elle finit par y succomber, et le bruit courut -qu'elle était morte des suites d'un coup -de pied que son mari lui avait donné dans le -bas-ventre.</p> - -<p>Pendant la durée de son second mariage, -Turrel avait pris à son service sa propre nièce -<span class="pagenum"><a id="Page_288"> 288</a></span> -qui périt peu de temps après, si l'on s'en -tient au cri public, du fait de Turrel.</p> - -<p>Resté veuf, Turrel convola à de troisièmes -noces; il épousa la fille Goddet, mais alors -même, il avait une inclination très-vive pour -Anthelmette Genet, sa servante. La fille Goddet -avait quelques propriétés; ce qui donna -lieu de croire que le mariage de Turrel avec -elle n'avait été qu'une spéculation d'intérêt. -En effet, pressé du désir de vivre en toute liberté -avec sa concubine, il conçut bientôt le -dessein de se défaire de sa nouvelle femme, et -Anthelmette Genet consentit à devenir sa -complice. Ainsi, au bout d'une année de mariage, -un nouveau crime fut commis; Turrel -fit empoisonner sa femme par les mains de -celle qui était depuis long-temps sa servante -et sa concubine, et la malheureuse épouse périt -en proie à des convulsions qui ne permirent -pas de douter de la cause de sa mort.</p> - -<p>Ce fut alors qu'il prit pour femme Anthelmette -Genet, et les premières années de cette -union furent assez paisibles; mais, à la longue, -Turrel conçut pour la Genet du dégoût -et de l'aversion, et dans ses désirs effrénés, -il rechercha d'autres femmes pour satisfaire -<span class="pagenum"><a id="Page_289"> 289</a></span> -ses passions. La femme Turrel, égarée par la -jalousie, se livra aux plus violens emportemens. -Des scènes terribles eurent lieu entre -les deux époux, et, après dix-huit ans de mariage, -Turrel médita de nouveaux projets -d'homicide; il résolut d'être encore le meurtrier -de sa quatrième femme.</p> - -<p>Ses premières tentatives échouèrent; mais -elles furent toutes marquées d'un caractère -de noirceur et d'atrocité. Un jour qu'il poursuivait -sa femme, celle-ci voulut traverser une -rivière pour se soustraire à sa fureur; il lui -plongea la tête dans l'eau pour la noyer; et ne -la laissa s'échapper que lorsqu'on accourut -pour la secourir. Une autre fois, cette malheureuse -s'aperçut qu'il avait caché de gros -cailloux dans la paillasse de son lit: elle s'en -étonne; il lui dit que ce sont ses défenseurs, -mais elle ne doute point qu'il ne veuille s'en -servir pour attenter à ses jours. Dès-lors, elle -se renferme, la nuit, dans une chambre séparée -de celle de son mari, pour reposer du moins -sans avoir la crainte d'une mort prochaine. -Turrel trouve un moyen de l'en faire sortir: -il feint d'être malade, il l'appelle, la fait monter -au grenier; il veut qu'elle y cherche du -<span class="pagenum"><a id="Page_290"> 290</a></span> -bois pour allumer du feu; puis quand elle -redescend, il retire l'échelle, et la malheureuse -femme, exposée au danger d'une chute -cruelle, reste suspendue jusqu'au moment -où l'on vient la secourir.</p> - -<p>Enfin arrive le 12 décembre 1823; c'était -le jour où Turrel devait mettre le comble à -ses forfaits. Entre onze heures et midi, des -cris sont entendus: <i>Pardon! au secours!</i> ces -cris partaient de sa maison. Une fille du voisinage -regarde au travers d'une ouverture -pratiquée dans la muraille; elle voit Turrel -sur la porte de son écurie, ayant l'air inquiet -et cherchant à s'assurer s'il n'est vu -de personne. Il rentre, il sort, et après -quelques instans, il revient avec un de ses -neveux qu'il a rencontré. Le neveu, en entrant -dans l'écurie, aperçoit un cadavre -étendu par terre, et couvert de contusions -et de blessures, <i>O mon Dieu!</i> s'écrie-t-il, <i>ma -pauvre tante est morte!</i> Turrel dit que c'est -son cheval qui l'a tuée; qu'il l'a trouvée -sous ses pieds dans l'état le plus déplorable: -et il frappe ce pauvre animal, comme -pour se venger, comme pour le punir!</p> - -<p>Bientôt des voisins arrivent. Le corps de -<span class="pagenum"><a id="Page_291"> 291</a></span> -la femme Turrel est emporté. Un chirurgien -est appelé; il fait l'examen du cadavre, et -reconnaît que les blessures qui ont causé la -mort n'ont pu être faites qu'avec un instrument -contondant. Alors Turrel devient l'objet -des soupçons les plus véhémens, et après -qu'on a trouvé dans l'écurie un trident et un -<i>racle</i> en fer, tout ensanglantés, quand on découvre -un pantalon de Turrel taché de sang, -et auquel étaient collés des cheveux de la victime, -on ne doute plus qu'il ne soit l'assassin; -la justice est avertie, et sur-le-champ -fait arrêter Turrel.</p> - -<p>La Cour d'assises de l'Ain, séant à Bourg, -fut saisie de cette horrible cause. Turrel -comparut devant elle, en mai 1824. L'instruction, -les dépositions des témoins et les -débats confirmèrent la vérité des faits épouvantables -que l'on vient de lire, et le scélérat -Turrel fut condamné à la peine de -mort.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_292"> 292</a></span></p> -<h2 class="normal">PAPAVOINE,<br /> -<span class="medium">OU LE MEURTRE DU BOIS DE VINCENNES.</span></h2> -</div> - -<p>Voici un de ces épouvantables forfaits -devant lesquels la science demeure confondue, -qui déconcertent la raison humaine, dont -les motifs, s'il en existe, échappent à toutes -les investigations, et qui feraient presque -croire que cette fameuse fatalité des anciens, -si fertile en crimes, si énergiquement peinte par -les tragiques grecs, n'était autre que cette nouvelle -et déplorable faiblesse à laquelle l'humanité -semble être assujétie depuis quelques années, -et que le barreau a déjà tant de fois -invoquée sous le nom de <i>monomanie du sang</i>.</p> - -<p>Dans le procès de Papavoine, comme -dans plusieurs autres dont les tribunaux -ont retenti, on ne voit figurer ni l'ambition, -ni la jalousie, ni la cupidité, ni la -vengeance. Cet homme ne connaissait même -<span class="pagenum"><a id="Page_293"> 293</a></span> -pas les enfans qu'il frappa si cruellement. -L'horrible meurtre dont il se souilla n'était -donc inspiré par aucun des motifs qui arment -ordinairement le bras de l'assassin.</p> - -<p>Il est présumable que Papavoine cherchait -dans une vengeance, dont l'objet lui était -indifférent, un allégement à de vagues inquiétudes, -à une mélancolie profonde; peut-être -aussi tout autre individu qu'une créature -humaine aurait-il pu l'assouvir; il eût même -été possible qu'il tombât lui-même victime -de ses propres coups, s'il eût été seul lorsque -cette fièvre homicide s'empara de lui.</p> - -<p>Mais, comme l'a fort judicieusement observé -un savant légiste: «La justice n'a pas besoin -de plonger dans les abîmes du cœur humain, -lorsque le crime est constant, et que la société -en demande la répression.» Lorsqu'un -crime a été commis, le coupable, s'il est -prouvé qu'il n'est pas en démence, est nécessairement -justiciable des lois applicables -à ce crime. Vainement alléguera-t-on en sa -faveur qu'il est sujet à des accès de frénésie -sanguinaire, qu'il a un penchant irrésistible -au meurtre, qu'il est monomane enfin; la -société justement alarmée, doit, dans l'intérêt -<span class="pagenum"><a id="Page_294"> 294</a></span> -de sa conservation, frapper ce furieux -qui a soif de sang, et s'affranchir des craintes -et des périls continuels auxquels donnerait -lieu l'existence de cette espèce de monstre -féroce.</p> - -<p>Passons maintenant aux singularités qui -caractérisent le tragique attentat de Papavoine. -Elles serviront à fixer les idées du -lecteur sur la nature de cet assassinat.</p> - -<p>Dans la soirée du 10 octobre 1824, la -nouvelle se répandit dans Paris que deux -enfans venaient d'être assassinés dans le bois -de Vincennes. Les contes les plus étranges, -longuement et diversement commentés, donnèrent -lieu à plusieurs versions plus absurdes -les unes que les autres; la distance qui sépare -la capitale du bois de Vincennes favorisait -aussi toutes ces amplifications de commères, -naturellement avides de tout ce qui paraît -merveilleux. Toutefois, il était un point malheureusement -trop vrai; le fait matériel était -exact: deux enfans avaient été assassinés.</p> - -<p>La demoiselle Hérin, poussée par une malheureuse -destinée, s'était rendue ce jour-là -à Vincennes. Cette demoiselle, fille du portier -de l'Intendance militaire, avait fait, depuis -<span class="pagenum"><a id="Page_295"> 295</a></span> -1815, la connaissance du sieur Gerbod -fils; une liaison intime, à laquelle il ne manquait -que la consécration légale, s'était établie -entre eux, et il en était résulté deux -enfans mâles, âgés, l'un de cinq ans, l'autre -de six. Gerbod fils, qui avait reconnu ces deux -enfans, manifestait depuis long-temps l'intention -d'épouser la demoiselle Hérin; mais -son père s'était constamment opposé à cette -union. Gerbod père, possesseur d'un établissement -considérable de charronnage, était -parvenu, à l'aide de ses travaux et d'une honnête -industrie, à acquérir une sorte d'opulence; -ce qui explique son refus de marier -son fils avec une fille sans fortune, et déjà -devenue mère de deux enfans, sous les yeux -de ses parens qui souffraient son commerce -avec Gerbod fils. Ce père avait d'ailleurs -d'autres projets, qui, à la vérité, ne purent -être réalisés, soit à cause du refus du jeune -homme, soit par suite de la reconnaissance -que celui-ci avait faite de ses deux enfans -naturels. Cependant, et malgré un acte respectueux -signifié, et une scène assez vive -entre la demoiselle Hérin et la famille Gerbod, -la bonne intelligence ne fut pas sérieusement -<span class="pagenum"><a id="Page_296"> 296</a></span> -troublée entre le père et le fils. Les enfans -de la demoiselle Hérin avaient été mis en pension -à Vincennes; et le 10 octobre, leur mère -s'était rendue auprès d'eux.</p> - -<p>Le même jour, une demoiselle Malservait, -marchande de modes, ayant donné rendez-vous, -dans le bois de Vincennes, à une personne -de sa connaissance qui était allée à -Alfort, entra dans la boutique de la dame -Jean; elle se fit servir un verre de liqueur. -Dans le même moment, on aperçut Papavoine; -il s'arrêta auprès de cette boutique et suivit -la demoiselle Malservait dans le bois. Il était -vêtu d'un pantalon noir et d'une redingotte -bleue, boutonnée depuis le haut jusqu'en bas.</p> - -<p>De son côté, la demoiselle Hérin, accompagnée -de ses enfans, se promenait dans le -bois de Vincennes. La demoiselle Malservait -ayant rencontré mademoiselle Hérin, lui -demanda la permission de faire quelques -caresses à ses enfans. Papavoine passa auprès -d'elles, ôta son chapeau et les salua; il continua -sa route. La demoiselle Malservait, qui -se dirigeait de l'autre côté, l'atteignit, et Papavoine -lui adressant la parole, lui dit: «Connaissez-vous -ces enfans que vous venez d'embrasser?» -<span class="pagenum"><a id="Page_297"> 297</a></span> -A quoi elle répondit: «On peut faire -des caresses à des enfans qu'on ne connaît -pas.» Papavoine s'éloigna; c'est alors, à -ce qu'il paraît, qu'il conçut l'épouvantable -pensée qu'il exécuta peu d'instans après. Il -se transporta dans la boutique de la dame -Jean, et y demanda un couteau. La dame -Jean n'avait que des couteaux assortis par -douzaine. Papavoine refusa de prendre la -douzaine entière; il obtint qu'on en détachât -un, qui était en tout semblable de forme, de -mesure et de proportion aux autres, en offrant -de le payer un peu plus cher qu'on ne -l'aurait vendu avec les onze autres; la marchande -consentit à le lui livrer à ce prix.</p> - -<p>Alors Papavoine, muni de cet instrument -qu'il destinait au plus odieux usage, retourna -dans les allées du bois où les enfans se promenaient -encore. La demoiselle Malservait -avait quitté les allées; elle était partie pour -se rendre au café où devait la rejoindre la personne -qu'elle attendait; il était alors onze -heures et demie. Papavoine, dont la figure -était pâle, l'œil hagard, et qui se trouvait -dans une sorte de frénésie, aborda la demoiselle -Hérin: «Votre promenade a été bientôt -<span class="pagenum"><a id="Page_298"> 298</a></span> -faite,» dit-il à la mère; et se baissant, comme -pour embrasser l'un des enfans, il lui plongea -son couteau dans le cœur. Aux cris de la victime -expirante, la demoiselle Hérin, quoique -ignorant encore l'étendue de son malheur, -frappa l'assassin avec un parapluie qu'elle tenait -à la main. Le parapluie atteignit le chapeau -de cet homme, et y laissa un trou qui -fut remarqué après l'événement.</p> - -<p>Pendant que la mère éplorée s'occupait des -soins à prodiguer à cette première victime, -Papavoine plongea son couteau dans le cœur -de l'autre enfant, s'enfuit à pas précipités, et -s'enfonça dans le taillis.</p> - -<p>La malheureuse mère, s'abandonnant à -un désespoir difficile à décrire, courait au -hasard, appelant du secours; plusieurs personnes -accoururent. Elle leur donna le signalement -de l'assassin, leur désignant sa figure, -ses vêtemens; et comme si les douleurs -que lui faisait ressentir la terrible scène qui -venait de se passer sous ses yeux, avaient eu -pour un moment le pouvoir de lui interdire -d'autres sentimens que celui de la vengeance, -elle indiquait, par des signes non -équivoques, à quels traits et de quelle manière -<span class="pagenum"><a id="Page_299"> 299</a></span> -on pouvait reconnaître le scélérat qui -venait de lui enlever les plus chers objets de -sa tendresse. Au signalement qu'elle donna -du coupable, quelques personnes se souvinrent -de l'avoir aperçu quelque temps auparavant.</p> - -<p>On fit de vains efforts pour rappeler à la -vie les deux malheureux enfans; le meurtrier -les avait frappés d'une main si assurée qu'ils -étaient morts sur le coup. Alors on s'empressa -de courir à la recherche de l'auteur -du crime. Les portes du bois de Vincennes -furent fermées, et la gendarmerie, aidée par -les militaires de la garnison, se mit en devoir -de fouiller le bois.</p> - -<p>La demoiselle Malservait, qui avait embrassé -les deux enfans quelques minutes avant -leur assassinat, et qui avait parlé à l'homme -qui se préparait à leur plonger son couteau -dans le sein, fut arrêtée, sous la prévention -de complicité.</p> - -<p>L'autorité locale, poursuivant ses recherches -avec activité, découvrit bientôt l'acquisition -du couteau chez la dame Jean. Le signalement -que cette femme donna de l'individu -<span class="pagenum"><a id="Page_300"> 300</a></span> -qui l'avait acheté, fut conforme à ce -qu'avait déjà déclaré, à cet égard, la demoiselle -Hérin.</p> - -<p>Enfin, vers midi, un gendarme rencontra -dans une allée parallèle à celle où le crime -avait été commis, un individu qui causait -avec un militaire, et à qui s'appliquait parfaitement -le signalement donné par la demoiselle -Hérin. Le gendarme le somma de le -suivre; il ne fit aucune résistance; seulement -il objecta, avec un calme apparent, qu'il n'avait -rien à se reprocher, et que peut-être son arrestation -ferait perdre la trace du coupable. -Cependant le militaire avec lequel cet homme -avait causé ayant déclaré qu'il venait de traverser -le taillis, et lui avait demandé les -moyens de sortir du bois; qu'il l'avait aperçu -examinant ses habits avec une grande attention, -comme pour s'assurer s'il n'y trouverait -pas quelques taches; et qu'il l'avait même -questionné pour savoir si sa figure n'était -pas barbouillée, l'ensemble de ces circonstances -détermina le gendarme à arrêter cet -homme, et il le conduisit dans la maison où -la demoiselle Hérin s'était retirée. A l'aspect -<span class="pagenum"><a id="Page_301"> 301</a></span> -du prisonnier que l'on venait confronter avec -elle, cette mère au désespoir s'écria: <i>C'est -le monstre qui a tué mes enfans</i>!</p> - -<p>La dame Jean le reconnut aussi pour être -l'individu qui lui avait acheté le couteau, et -plusieurs personnes affirmèrent l'avoir aperçu -dans les allées du bois, peu d'instans avant la -consommation du forfait. Toutefois, cet homme -ne paraissait pas moins repousser avec autant -de force que d'adresse ces accusations -foudroyantes. Interrogé sur son nom, il répondit -qu'il se nommait Papavoine.</p> - -<p>L'autopsie des cadavres des deux jeunes -victimes prouva que leur mort avait été le -résultat instantané de coups d'un instrument -dont la forme ressemblait à celle d'un couteau. -Un des onze couteaux restans de la douzaine, -dans laquelle avait été pris celui vendu -à Papavoine, ayant été appliqué aux plaies, -s'y adapta parfaitement.</p> - -<p>Tant de preuves réunies ne laissaient pas la -moindre place au doute. Cependant, en présence -du juge d'instruction, le prévenu chercha, -dans ses réponses, à repousser l'accusation -dirigée contre lui, et sa défense prouva -non seulement la rectitude et la clarté de ses -<span class="pagenum"><a id="Page_302"> 302</a></span> -idées, mais encore une habileté véritable et -peu commune. Depuis le 10 octobre, jour -de son arrestation, jusqu'au 15 novembre, -il persévéra dans le même système de dénégation; -mais, à cette dernière époque, -accablé par l'évidence des preuves, il -adopta tout-à-coup un nouveau système. Il -commença par déclarer qu'il avait de grandes -révélations à faire; mais qu'il ne les ferait -qu'à condition qu'il serait entendu par deux -augustes princesses: on sent bien qu'il était -impossible d'acquiescer à une demande aussi -bizarre. Il la restreignit ensuite à la faveur -de paraître devant une seule des deux princesses: -nouveau refus. Il se détermina à parler, -et se reconnut enfin coupable du meurtre -des deux enfans. Mais comme si ce crime ne -suffisait pas pour motiver l'application de la -peine capitale, il annonça qu'il s'était trompé -en donnant la mort aux deux enfans de la -demoiselle Hérin, et que son intention avait -été d'égorger les deux jeunes enfans de France, -Mademoiselle et le duc de Bordeaux.</p> - -<p>Cette monstrueuse explication, démentie -par la vraisemblance, par les faits et même -par les opinions politiques de l'auteur du -<span class="pagenum"><a id="Page_303"> 303</a></span> -crime, n'en imposa à personne. Les magistrats -ne virent en elle que la base d'un -système de défense adopté par l'accusé. Son -but était de persuader qu'il était atteint d'une -démence furieuse. Il développa bientôt son -plan par de nouveaux faits, qui, s'ils n'étaient -pas le résultat d'une véritable folie, -attestaient une atroce habileté.</p> - -<p>Mais avant de passer outre, il ne sera pas -hors de propos de jeter un coup-d'œil sur -la vie de Papavoine. Diverses circonstances -dans lesquelles son caractère viendra se refléter, -aideront peut-être à expliquer son -crime, ou du moins à le rendre un peu moins -incompréhensible.</p> - -<p>Louis-Auguste Papavoine était né à Mouy -(Eure), en 1784. Son père, fabricant de -draps dans cette ville, jouissait d'une aisance -qui lui avait permis de donner à son fils une -éducation solide, qui pût le mettre à même -d'occuper un rang honorable dans la société. -Le commerce paraissant incompatible avec le -caractère taciturne du jeune Papavoine, on le -destina à la bureaucratie. Admis dans l'administration -de la marine, il y fut placé, en 1804, -en qualité de commis extraordinaire, et s'embarqua -<span class="pagenum"><a id="Page_304"> 304</a></span> -successivement à bord de plusieurs -vaisseaux de l'état, sur lesquels il fit diverses -courses maritimes. Nommé ensuite commis -de seconde classe, il fut promu, quelques années -après, au grade de quartier-maître, puis -devint commis de première classe au port -de Brest. Ces divers emplois dont les fonctions -ne sont ni sans importance, ni sans responsabilité, -Papavoine les remplit non seulement -avec zèle, mais encore avec une constante -exactitude et une intelligence remarquable.</p> - -<p>Toutefois, on remarquait, et cette observation -doit trouver place ici, que Papavoine -était d'une humeur peu sociable; qu'il fuyait ses -camarades, et ne prenait jamais la moindre -part aux distractions habituelles de son âge. -Il paraissait sombre et mélancolique, se promenait -souvent seul, et toujours dans des -lieux solitaires. Jamais on ne lui avait connu -de liaisons intimes, ni même aucun de ces -attachemens qu'excuse la fragilité humaine; -dans les diverses relations qui lui étaient imposées -par ses emplois, on avait toujours -trouvé ses idées pleines de justesse et de -convenance. Ce caractère se rencontre assez -souvent dans le monde. Papavoine appartenait -<span class="pagenum"><a id="Page_305"> 305</a></span> -à cette classe d'esprits chagrins et misanthropes -qui, sans éprouver de haine pour -la société, la fuient continuellement, moins -par antipathie que par ennui. Du reste, naturellement -obligeant, s'il lui eût été possible -de former d'intimes liaisons, nul doute -que son commerce n'eût été fort agréable; -il ne lui manquait à cet égard que la volonté.</p> - -<p>Papavoine perdit son père en décembre -1823. Celui-ci avait conservé son établissement -de Mouy, et laissait à sa veuve et à son -fils, des affaires dans le plus grand désordre; -Papavoine, à cette époque, était encore au -service. La mort de son père lui fit solliciter -un congé qu'il obtint. Il alla aussitôt rejoindre -sa mère, et jugeant qu'elle serait hors -d'état de continuer seule l'exploitation de sa -fabrique, il se détermina à demander sa retraite, -et à s'établir à Mouy. Jusque alors, la -manufacture laissée par son père avait joui -du privilége de faire des fournitures pour -l'habillement des troupes; mais peu de temps -après, l'administration de la guerre refusa -de renouveler ses marchés; et par ce refus, -les affaires de la famille Papavoine se trouvèrent -dans une situation fort critique.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_306"> 306</a></span> -Papavoine alors exprima quelque regret -d'avoir volontairement abandonné son emploi; -il fit même des démarches pour le recouvrer, -mais elles demeurèrent infructueuses. Les contrariétés -qu'il éprouva dans cette circonstance -influèrent sur son caractère, à tel point que sa -mère, avec laquelle il avait constamment vécu -en bonne intelligence, profita d'un prétexte -pour ne plus prendre ses repas avec lui, -quoiqu'ils continuassent de vivre sous le -même toit et au même foyer. Aigri par une -suite de désagrémens qu'il n'avait pu ni prévoir -ni éviter, il était devenu de jour en jour plus -morose et plus chagrin; sa physionomie portait -quelque chose de sinistre et de repoussant, -qui faisait fuir son approche.</p> - -<p>Vers la fin de septembre 1824, il prétendit -qu'il était malade. Le médecin consulté déclara -reconnaître quelques symptômes de -fièvre, et ordonna un vomitif. Il prescrivit en -outre au malade un exercice modéré; un -voyage surtout lui parut devoir être très-efficace. -Papavoine usa du remède qui lui avait -été indiqué; il en éprouva du soulagement, -et afin de suivre en tout point l'ordonnance -de son médecin, il partit pour Beauvais, où -<span class="pagenum"><a id="Page_307"> 307</a></span> -il arriva le 2 octobre. Il devait trouver dans -cette ville des parens et un sieur Branche, -avec lequel il était en relation d'affaires. L'accueil -qu'il reçut des personnes qu'il visita ne -changea rien à son humeur. Fidèle à sa misanthropie, -on remarqua constamment en lui -sa taciturnité, ses regards sombres. Toutefois, -rien n'annonçait extérieurement qu'il mûrît -aucune idée fixe de la nature de celles que -l'on attribue aux monomanes. Il était triste, -rêveur, il est vrai; mais du reste, sa conversation, -loin de se sentir du désordre d'un esprit -exalté, était sensée et même spirituelle. -Seulement on se souvint plus tard d'une question -bizarre qu'il avait faite, relativement à -la mort de son frère et d'un de ses oncles, -décédés depuis long-temps. «Mon frère et -mon oncle sont-ils bien morts? dit-il à -M. Branche.—Votre frère? mais vous avez -dans vos papiers son acte mortuaire! Votre -oncle? mais vous savez qu'il est mort à mes -côtés, à table, d'un coup d'apoplexie: vous -avez concouru à régler sa succession!—Ah! -c'est qu'il y a tant de genres de mort! et souvent -on enterre des gens qui vivent encore, -et on dresse des actes pour constater qu'ils -<span class="pagenum"><a id="Page_308"> 308</a></span> -ne vivent plus!...« Du reste, nous ne rappelons -ce fait de peu d'importance que par -rapport au crime dont Papavoine se rendit -coupable.</p> - -<p>Le lendemain de son arrivée à Beauvais, -(3 octobre 1824), Papavoine, qui était toujours -en réclamation auprès de l'administration -de la guerre pour le renouvellement de -ses marchés, reçut inopinément de sa mère -deux de ces marchés, qui venaient d'être agréés -par le ministre; mais les soumissions avaient -besoin d'être régularisées, et il partit aussitôt -pour Paris, à l'effet de remplir cette formalité. -Il y arriva le 5, après avoir emprunté quelque -argent pour faire son voyage. Il emportait -avec lui ceux de ses effets qu'il avait pris à -Mouy pour son voyage de Beauvais; et comme -ils étaient insuffisans, il écrivit à sa mère pour -lui en demander d'autres. Il est bon de faire -remarquer, à l'occasion de cette nouvelle demande, -qu'il avait compris parmi les premiers -effets deux <i>couteaux de table, aiguisés et non -fermant</i>. Qu'en voulait-il faire? Méditait-il déjà -quelque crime? ce n'est pas présumable, puisqu'il -acheta un autre couteau à Vincennes. Cependant -un motif quelconque les lui avait fait -<span class="pagenum"><a id="Page_309"> 309</a></span> -demander. Quel était-il? ce motif est resté un -mystère. Il est dans le cœur de l'homme tant -de secrets impénétrables, que le plus judicieux -observateur se voit presqu'à chaque instant -contraint de ne pas s'y arrêter, ou de borner -leur application à des conjectures plus ou -moins vraisemblables.</p> - -<p>Arrivé à Paris, Papavoine descendit à l'hôtel -de la Providence, situé rue Saint-Pierre-Montmartre, -et se rendit chez d'honorables -négocians, ses correspondans, auxquels il -remit ses marchés, pour qu'ils fussent soumis -à la formalité du timbre.</p> - -<p>Depuis ce moment jusqu'au 10 octobre, -jour de l'affreuse catastrophe, Papavoine vécut -fort retiré; du moins l'instruction ne fait rien -connaître de sa conduite pendant cet intervalle. -Ce qui est constant, c'est que, ce -même jour, 10 octobre, il sortit après avoir -fait un léger repas, et se dirigea vers Vincennes.</p> - -<p>Tel est sommairement l'ensemble des circonstances -de la vie de Papavoine; on a vu les -détails de son crime, son arrestation, ses dénégations -dans le premier moment, enfin ses -<span class="pagenum"><a id="Page_310"> 310</a></span> -aveux et son système de défense fondé sur -l'aliénation mentale.</p> - -<p>Peu de temps après ces révélations, et -voyant qu'il tenterait inutilement de se faire -passer pour un second Louvel, il demanda -souvent à deux prisonniers de lui prêter un -couteau bien pointu; d'autres fois, il se levait -la nuit, et feignait d'en chercher un; il alla -même jusqu'à tenter de mettre le feu à la -paillasse de son lit.</p> - -<p>Cependant, il avait obtenu d'être dans une -chambre particulière, où il n'y avait aucune -espèce d'armes, et provisoirement on l'avait -débarrassé de la camisole. Le 17 novembre, le -gardien ayant ouvert la porte, pour donner de -l'air à cette chambre, Papavoine s'introduisit -dans une pièce voisine où déjeûnaient plusieurs -jeunes détenus, et s'élançant sur l'un -d'eux, le nommé Labiey, âgé de douze ans, -qui tenait un couteau, il se saisit de cette -arme et l'en frappa à plusieurs reprises. Les -personnes présentes l'empêchèrent heureusement -de consommer ce nouveau crime; et le -malheureux enfant, qui n'avait donné à Papavoine -aucun sujet de plainte, qui peut-être -ne l'avait jamais vu, en fut quitte pour trois -<span class="pagenum"><a id="Page_311"> 311</a></span> -blessures qui, bien que très-graves, n'étaient -cependant pas mortelles. Ainsi, suivant la judicieuse -remarque du ministère public, cet -homme fournissait l'exemple, heureusement -fort rare, d'un accusé qui cherche dans de -nouveaux crimes la justification d'un premier -attentat.</p> - -<p>A la première nouvelle du meurtre des -deux enfans de la demoiselle Hérin, une pensée -avait préoccupé tous les esprits. Le public, -si facile à se prévenir, si disposé à se passionner, -si prompt à porter des jugemens -même sur les notions les plus vagues, s'était -représenté Papavoine comme ayant des complices -et comme un instrument mis en œuvre. -La demoiselle Malservait, arrêtée peu d'instans -après l'assassinat, était regardée comme -la complice avérée du meurtrier: on supposait -qu'elle avait indiqué à Papavoine les deux -victimes qu'il fallait frapper, puisqu'elle avait -embrassé les deux enfans, quelques minutes -avant que le bourreau ne levât le couteau sur -eux. La justice ne put s'empêcher de partager -cette prévention. La demoiselle Malservait, -que la fatalité seule avait conduite à Vincennes -ce jour-là, resta plus de deux mois en -<span class="pagenum"><a id="Page_312"> 312</a></span> -prison, sous le poids de cette affreuse présomption; -mais l'instruction prouva jusqu'à -l'évidence qu'elle ne connaissait nullement -Papavoine, et qu'elle n'avait jamais eu le moindre -rapport avec lui.</p> - -<p>D'après la rumeur universelle, Papavoine -n'avait été que l'instrument de la famille Gerbod, -qui aurait commandé la mort des deux -enfans, pour mettre obstacle à un mariage -qu'elle désapprouvait, qu'elle repoussait de -toutes ses forces. Cette supposition était dénuée -de vraisemblance. D'ailleurs, la justice ordonna -à cet égard des enquêtes trop scrupuleuses pour -qu'il soit possible de penser un seul instant à -chercher dans cette famille les complices ou les -instigateurs de Papavoine. En outre, si le sieur -Gerbod père, vieillard d'une vie sans tache, avait -eu la coupable pensée de ramener son fils à ses -projets, en frappant la famille que celui-ci s'était -créée, on conçoit qu'il aurait choisi pour victime -la personne qui contrariait le plus directement -son ambition de père, et non d'innocentes créatures, -qu'il avait au contraire souvent promis -de protéger lui-même. D'ailleurs, les investigations -les plus sévères concoururent à la justification -de ce père de famille; il n'avait jamais -<span class="pagenum"><a id="Page_313"> 313</a></span> -eu de relations avec la demoiselle Malservait, -ni avec Papavoine; tous ces individus étaient -ignorés les uns des autres, avant le triste événement -du 10 octobre. Pourrait-on s'expliquer -d'ailleurs comment le sieur Gerbod, s'il -eût eu l'odieux projet dont on le soupçonnait, -se serait adressé, pour le réaliser, à un homme -tel que Papavoine?</p> - -<p>Enfin il fut constaté que cet homme n'avait -eu ni suggesteurs, ni complices; qu'il n'avait -été entraîné ni par la cupidité, ni par la vengeance, -ni par l'ambition, mais par une -haine, heureusement bien rare, pour l'humanité -toute entière; haine qui avait eu d'abord -pour principe un humeur misanthropique et -atrabilaire, et que des mécontentemens, des -chagrins, avaient pu ensuite fomenter et exalter -jusqu'à la frénésie. Suivant les expressions -du ministère public, Papavoine avait tué, uniquement -pour répandre le sang humain et -pour satisfaire une passion féroce.</p> - -<p>En examinant avec attention le caractère et -les habitudes de Papavoine, on a pu se convaincre -qu'il nourrissait depuis long-temps de -monstrueuses pensées, et qu'il se préparait à -une catastrophe telle que celle du bois de -<span class="pagenum"><a id="Page_314"> 314</a></span> -Vincennes; on a vu qu'en venant à Paris, il -s'était muni de deux couteaux dont l'usage -n'est pas nécessaire aux besoins de notre genre -de vie; que, depuis un grand nombre d'années, -il fuyait, d'une manière bizarre, toute société, -toute communication; il semblait avoir de la -répugnance pour ses semblables. Peu à peu, -sans doute, cet éloignement extraordinaire -avait germé dans son âme, s'y était développé; -une haine générale et prononcée en avait -été le résultat, et son imagination, livrée à la -solitude, lui avait fait concevoir l'idée du -crime et l'y avait entraîné. Telles étaient les -données que produisait l'analyse du caractère -et des habitudes du prévenu, et ces données -servirent de base à l'accusation.</p> - -<p>Papavoine comparut devant la Cour d'assises -de la Seine, le 28 février 1825, en présence -de spectateurs nombreux, attirés par la curiosité. -L'accusé, quoique calme, portait sur ses -traits l'empreinte profonde de la tristesse et -de la mélancolie.</p> - -<p>Interrogé par le président, Papavoine avoua -qu'il avait assassiné les deux enfans Gerbod, -mais que c'était dans un moment où il n'avait -pas la tête à lui, ajoutant qu'il voudrait, au -<span class="pagenum"><a id="Page_315"> 315</a></span> -prix de son sang, rappeler à la vie ces deux -malheureuses victimes. Il repoussa la préméditation, -en disant que s'il eût projeté le crime, -il aurait pris un des deux couteaux qu'il avait -apportés dans sa valise, et n'en aurait pas -acheté un à Vincennes même, non loin du lieu -de l'assassinat; il ajouta que l'intérêt est le -mobile des actions humaines, et qu'il n'en -avait eu aucun à tuer ces enfans, qu'il ne connaissait -pas. Il ne put rendre compte du motif -qui l'avait fait agir; il s'était trouvé, dit-il, -entraîné à commettre cette action par une -sorte de mouvement machinal, contre sa saine -volonté; mais qu'après avoir frappé ces enfans, -il s'était opéré dans son esprit une sorte -de révolution subite qui l'avait rappelé à la -raison; et que s'apercevant alors des conséquences -de son action, il avait voulu en soustraire -les traces aux recherches de la justice, et -avait enfoncé son couteau dans la terre; que -c'était aussi ce motif qui lui avait fait examiner -s'il n'avait pas sur lui quelques taches de -sang, et demander au canonnier qu'il avait -rencontré si sa figure n'était pas <i>Barbouillée</i>. -Il repoussa avec autant de force que d'indignation -la déclaration, qu'il avait faite devant le juge -<span class="pagenum"><a id="Page_316"> 316</a></span> -d'instruction, d'avoir voulu frapper les enfans -de France. Il dit à ce sujet que, fatigué de sa -position pénible, et ne pouvant mettre fin à -son existence, parce qu'on lui en avait ôté les -moyens, il s'était accusé de cet horrible -projet.</p> - -<p>Interpellé sur ses premières dénégations, il -répondit qu'il était tellement épouvanté par -la pensée de ce crime, qu'il cherchait à se -persuader à lui-même qu'il ne l'avait pas commis; -qu'il avait craint d'ailleurs de compromettre -la réputation de sa famille. Toutes ses -autres réponses furent dans le même sens, et -tendaient à établir qu'il n'avait commis son -crime que dans un accès de démence.</p> - -<p>De nombreux témoins furent ensuite entendus, -tant sur la vie antérieure de Papavoine -que sur les circonstances de l'assassinat. -Leurs dépositions ne firent que confirmer ce -que nous avons déjà mis sous les yeux du -lecteur.</p> - -<p>L'introduction de la mère des deux enfans -dans la salle d'audience produisit sur tous les -cœurs une impression pénible et donna lieu -à une scène déchirante. Les genoux de cette -jeune dame paraissaient fléchir; elle pouvait -<span class="pagenum"><a id="Page_317"> 317</a></span> -à peine se soutenir. Au moment où, après les -questions d'usage, le président lui demanda -si elle reconnaissait l'accusé, elle tourna à -peine les regards, et répondit en frémissant: -<i>Oui, monsieur.</i> Invitée à dire quels étaient les -faits à sa connaissance: Je me promenais, -dit-elle, avec mes enfans.... A ces mots qui -lui rappelaient tout son malheur, elle s'interrompit, -se troubla, et fit un nouvel effort -pour reprendre son récit; mais, à peine eut-elle -prononcé quelques mots, qu'elle jeta un cri -et s'évanouit. Ses yeux se fermèrent; on s'empressa -de lui prodiguer des secours, mais sans -succès; on fut obligé de l'emporter privée de -connaissance. Cette scène produisit sur l'auditoire -un effet difficile à décrire. La plupart -des spectateurs versaient des larmes; Papavoine -lui-même, la tête baissée, portait sa main à -ses yeux, comme pour essuyer quelques -pleurs.</p> - -<p>Quelques instans après, la demoiselle Hérin, -introduite de nouveau, recommença son -récit. Mais la faiblesse de son organe obligeait -le président de répéter les réponses qu'elle -faisait à ses questions. Elle déclara que, le -<span class="pagenum"><a id="Page_318"> 318</a></span> -10 octobre, après avoir habillé ses enfans, -elle les conduisit dans l'allée des Minimes; -qu'elle y aperçut la demoiselle Malservait, -qui lui demanda s'ils étaient jumeaux, et qui -les caressa; qu'en se retournant, elle vit -un homme dont la figure la frappa, mais que -toutefois elle n'eut aucun pressentiment sinistre. -«Après avoir quitté cette dame, dit -la demoiselle Hérin d'une voix qu'altéraient de -pénibles sanglots, l'homme habillé de bleu, -accosta la femme au chapeau rose: elle rentrait -à cause de la pluie. L'homme lui adressa -la parole d'une voix horrible et lui dit: <i>Votre -promenade a été bientôt finie.</i> Cet homme -était très-pâle. Alors il se pencha vers l'un de -mes enfans et le frappa d'un coup de couteau, -puis il s'élança sur le second; alors je me précipitai -sur lui et le frappai à la tête d'un coup -de parapluie. Il prit la fuite et s'enfonça dans -la forêt.»</p> - -<p>Après l'audition de tous les témoins, le -président, pour fixer le jury sur la présence -d'esprit déployée dans l'instruction par l'accusé, -donna lecture de l'un de ses interrogatoires, -et fit remarquer que les réponses de -<span class="pagenum"><a id="Page_319"> 319</a></span> -Papavoine étaient un chef-d'œuvre de dialectique. -Cette lecture fit une profonde sensation -sur l'auditoire.</p> - -<p>Le lendemain, le ministère public soutint -l'accusation, et repoussa la question de démence -qui rentrait dans le système de défense -adopté par l'accusé. «La prétendue démence -de l'accusé, dit-il en terminant, est un prétexte -invoqué en désespoir de cause. Il est -certain que cette aliénation ne serait pas totale; -il est prouvé qu'elle ne serait que partielle, -et, dans cette dernière supposition -même, elle ne pourrait servir d'excuse admissible.» -Enfin, le ministère public demanda, -au nom de la société, au nom de la sûreté -générale, l'application de la peine de mort -à l'accusé.</p> - -<p>La défense de Papavoine était confiée à -M<sup>e</sup> Paillet, jeune avocat d'un talent très-distingué, -qui fit des efforts d'éloquence et de -zèle pour sauver son client. Mais malgré -l'art avec lequel il sut diminuer l'horreur -qu'inspirait l'accusé, malgré les hautes considérations -qu'il y développa en sa faveur, -malgré le soin minutieux qu'il prit de raconter -les principales actions de la vie de Papavoine, -<span class="pagenum"><a id="Page_320"> 320</a></span> -et de leur appliquer une foule d'observations -des médecins les plus célèbres pour -les maladies mentales, le défenseur ne put -qu'obtenir les éloges que méritait son plaidoyer -remarquable. Après une demi-heure -de délibération, le jury déclara l'accusé coupable -sur toutes les questions. En conséquence, -la Cour faisant l'application de la -loi, condamna Louis-Auguste Papavoine à la -peine de mort.</p> - -<p>L'accusé, en entendant ce terrible arrêt, se -leva et s'écria, les yeux tournés vers le ciel: -<i>J'en appelle à la justice divine!..</i> L'avocat paraissait -vivement ému, et on remarqua que Papavoine -se penchait vers lui, comme pour le -consoler.</p> - -<p>Papavoine se pourvut en cassation, et -M<sup>e</sup> Paillet lui prêta encore le secours de son -beau talent devant la Cour suprême; le -pourvoi fut rejeté.</p> - -<p>Le dernier jour de Papavoine semblait donc -arrivé; encore quelques heures, et il allait monter -à l'échafaud. Mais sa famille, qui redoutait, -pour elle comme pour lui, l'ignominie attachée -à une exécution publique, implora la -clémence royale. Cette démarche ne fit que -<span class="pagenum"><a id="Page_321"> 321</a></span> -retarder de quelques jours le supplice du -coupable. L'arrêt de la Cour d'assises du 28 février, -confirmé par celui de la Cour de cassation -du 19 mars, dut enfin recevoir son -exécution, le 25 du même mois.</p> - -<p>Avant de sortir de la Conciergerie pour -être conduit au lieu du supplice, Papavoine -demanda à embrasser le crucifix; son confesseur -s'empressa de le lui présenter. Il témoigna -en outre l'intention d'ajouter quelques -déclarations à celles qu'il avait faites devant -la Cour d'assises, et l'un des conseillers de -la Cour royale fut délégué pour l'entendre. -Rien ne transpira de cette révélation dernière. -Tout porte à croire qu'elle n'avait aucun -rapport avec le procès dont l'issue venait de -lui être si funeste; car cinq mois employés -à l'enquête judiciaire ne permettaient pas de -supposer qu'il aurait pu rien échapper à -l'investigation de la justice. Peut-être Papavoine, -en rendant le magistrat chargé de -recueillir ses dernières paroles, témoin du -désordre de son esprit, voulut-il prouver, -par quelques traits bizarres, alors même -que cette preuve ne pouvait rien changer à -<span class="pagenum"><a id="Page_322"> 322</a></span> -son sort, que réellement il était frappé d'aliénation -mentale.</p> - -<p>Quoi qu'il en soit, il subit son arrêt le -25 mars 1825, sur la place de Grève, à quatre -heures de relevée.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_323"> 323</a></span></p> -<h2 class="normal">LA VEUVE BOURSIER.</h2> -</div> - -<p>Il n'est point d'individu, si vertueux, si -isolé, si obscur qu'il soit, qui puisse, à juste -titre, se dire certain d'être toujours à l'abri -des atteintes de la méchanceté. On aura beau -tenir une conduite sans reproche; on aura -beau cacher soigneusement sa vie; presque -toujours et par cela même, on rencontrera -des envieux, des ennemis acharnés qui, manœuvrant -dans l'ombre, s'efforceront de dénaturer -aux yeux du monde ce qui excite leur jalousie -secrète, et ne réussiront que trop souvent à -répandre des nuages sur le mérite qui les -offusque. C'est là une des servitudes conditionnelles -de notre état social, que personne -ne peut éluder, et à laquelle l'homme sage -tâche de se résigner d'avance. Il est sans -doute bien disgracieux, bien pénible, par fois -même infiniment douloureux, de se voir le -point de mire des attaques de la calomnie; -<span class="pagenum"><a id="Page_324"> 324</a></span> -mais l'expérience de chaque jour a quelque -chose de rassurant à cet égard, en ce qu'elle -prouve qu'une vie pure est un impénétrable -bouclier contre lequel viennent s'émousser -les traits empoisonnés que décochent la haine -et l'esprit de satire.</p> - -<p>On cesse de jouir du même avantage, du -moment que l'on transgresse les limites du -devoir. Dès-lors on devient plus vulnérable; -on s'est découvert, on montre son côté faible: -l'ennemi n'est pas lent à en profiter. Une première -infraction favorise la supposition de -beaucoup d'autres. Procédant comme le mathématicien, -du connu à l'inconnu, le public se -laisse aller sans peine à croire que tel homme -qui déjà s'est souillé d'un crime, a bien pu -commettre un crime plus grand encore; et, il -faut en convenir, dans ce cas, la prévention -porte avec elle des preuves morales qui, bien -qu'insuffisantes aux yeux de la justice, n'en -sont pas moins accablantes pour l'accusé. Combien -n'avons-nous pas vu de femmes adultères, -prévenues de l'assassinat ou de l'empoisonnement -de leurs maris! Certes, le premier -crime de la plupart de ces épouses coupables -<span class="pagenum"><a id="Page_325"> 325</a></span> -n'est ordinairement que le point de départ -de la seconde accusation dirigée contre elles. -Rarement, on voit la malignité humaine assez -audacieuse pour accuser une femme douce, -paisible, attachée à son mari comme à ses -devoirs, d'avoir eu, seulement une minute, -l'horrible pensée d'abréger l'existence du père -de ses enfans. Mais la femme qui a pu consentir -à violer la foi conjugale, qui, sans pudeur -comme sans remords, a pu former des -liaisons scandaleuses, ne saurait revendiquer -pour elle ce privilége exclusif de l'innocence. -Si son époux succombe au milieu des déchiremens -des plus horribles convulsions, déjà -de ce seul fait surgira le soupçon le plus prononcé. -Et si cette mort violente et subite est -tenue presque secrète; si, au lieu de provoquer -elle-même les investigations que réclame -un événement de ce genre, la femme s'oppose -vivement à tout ce qui pourrait faire découvrir -la cause de la maladie et de la mort; si -d'autres circonstances viennent corroborer -ces circonstances déjà si graves; de quel poids -seront les protestations et les dénégations de -cette malheureuse, au tribunal de l'opinion -publique? Son acquittement, prononcé peut-être -<span class="pagenum"><a id="Page_326"> 326</a></span> -faute de preuves suffisantes, ne l'absoudra -pas aux yeux de la société doublement -outragée; et les paroles de blâme, sorties de -de la bouche du magistrat, forcé de suspendre -le glaive des lois, malgré son intime conviction, -équivaudront à une sorte de condamnation. -Passons maintenant aux faits qui nous -ont suggéré ces réflexions. Les voici tels qu'ils -ressortent de l'acte d'accusation.</p> - -<p>Guillaume-Étienne Boursier, marié, depuis -1809, avec Marie-Adelaïde Bodin, avait eu -cinq enfans de cette union. Il faisait le commerce -d'épicerie dans une boutique qu'il -occupait au coin de la rue de la Paix et de la -rue Neuve-Saint-Augustin. Le commerce de -Boursier prospéra à tel point que, plusieurs -années après son mariage, ses bénéfices annuels -s'élevaient à près de onze mille francs. -Peu de temps avant sa mort, il avait manifesté -l'intention de ne continuer à travailler que -pendant quatre ans encore, attendu qu'à cette -époque, il espérait réaliser 15,000 livres de -rente.</p> - -<p>Boursier était d'un naturel vif et emporté, -mais très-bon et très-obligeant. Il avait beaucoup -d'amis, et jouissait de l'estime de tous -<span class="pagenum"><a id="Page_327"> 327</a></span> -ceux qui le connaissaient. Les personnes qui -habitaient son domicile étaient la veuve Flamand, -sa tante, âgée de soixante-onze ans; -la fille Joséphine Blin, cuisinière, depuis -quatre mois au service de sa maison; les -nommés Delonge et Béranger, garçons de -magasin, et la demoiselle Reine, fille de boutique: -le nommé Halbout, qui était chargé de -la tenue des livres, ne demeurait pas chez -Boursier.</p> - -<p>Le 25 mars 1822, Boursier avait acheté chez -le sieur Bordot, son ami, droguiste, une demi-livre -d'arsénic pour faire périr les souris et -les rats qui s'étaient multipliés dans ses caves -et ses magasins; il avait en outre acheté, vers -la même époque, de la mort-aux-rats, qui était -en pâte malléable.</p> - -<p>Boursier, avec un nommé Bailli, son commis, -prépara, avec <i>une partie de l'arsenic</i>, des -boulettes qui furent placées dans la cave. -Bailli, qui avait coopéré à cette opération, remit -à Boursier le restant de l'arsenic, que celui-ci -rangea. Il paraît que ce qui restait de -la mort-aux-rats fut placé dans un casier à -bouteilles.</p> - -<p>Boursier et sa femme vivaient en très-bonne -<span class="pagenum"><a id="Page_328"> 328</a></span> -intelligence. Vers le milieu de 1821, un nommé -Charles, qui connaissait la veuve Flamand, -lui présenta le sieur Kostolo, natif de Constantinople, -et d'origine grecque; ce Kostolo -cherchait une place de valet-de-chambre. -Par le récit vrai ou supposé des malheurs -qui le poursuivaient, ainsi que sa famille, il -parvint à intéresser la veuve Flamand, qui -le recommanda à sa nièce, la femme Boursier.</p> - -<p>Kostolo était en France depuis quatre ou -cinq ans. Doué d'un physique assez agréable, -il était parvenu à former des liaisons intimes -avec une dame Olivereau, qui fournissait en -grande partie à ses dépenses, et chez qui il -trouvait ses repas. Quand il eut mis le pied -dans la maison Boursier, il y vint très-fréquemment, -s'y impatronisa, et l'intérêt que -lui portait la dame de la maison se changea -bientôt en une inclination coupable; elle lui -prêta de l'argent à l'insu de son mari; il venait -presque tous les jours, sous prétexte de -s'informer du résultat des démarches qu'on -avait promis de faire pour le placer, en ayant -soin de ne pas éveiller les soupçons du mari.</p> - -<p>De son côté, la dame Boursier, en femme -habile, ne sortait jamais seule, et se faisait -<span class="pagenum"><a id="Page_329"> 329</a></span> -accompagner de la fille Reine, sa demoiselle -de boutique. Sous prétexte de promenades -nécessaires à sa santé, elle se rendait de très-grand -matin aux Champs-Élysées, où Kostolo -l'attendait; puis la promenade se dirigeait du -côté du logement de Kostolo. La femme -Boursier et la fille Reine montèrent chez lui -une première fois; mais ensuite la femme -Boursier montait seule chez Kostolo, et la -fille Reine, confidente discrète, venait plus -tard la reprendre. Suivant Kostolo, ces coupables -rendez-vous commencèrent seulement -quinze jours avant le décès de Boursier.</p> - -<p>La femme Boursier avait fait, avec plusieurs -autres personnes, la partie d'aller passer la -journée à Versailles; Kostolo fut invité, et -Boursier ignora absolument que le Grec -avait été de cette partie de campagne. Cependant -Boursier continuait toujours à lui -faire le même accueil. Une de ses nièces -étant accouchée, il fit tenir l'enfant sur les -fonts de baptême par Kostolo et par la femme -Boursier, son épouse.</p> - -<p>Le 28 juin, jour fatal au trop crédule époux, -Boursier devait faire une promenade avec le -<span class="pagenum"><a id="Page_330"> 330</a></span> -nommé Alberti, l'un de ses amis: le rendez-vous -était fixé à dix heures. Boursier se leva, -selon son habitude journalière, à six heures -du matin; il était très-gai et bien portant. La -femme Boursier ayant pris l'émétique la veille, -se leva plus tard; son mari, pour lui faire une -plaisanterie, entra doucement dans sa chambre -et lui dessina deux moustaches avec une -pommade noire dont il se servait pour les -cheveux; il envoya ensuite la fille Blin, sa -domestique, pour réveiller sa femme, avec -ordre de lui présenter en même temps un -miroir. La femme Boursier, en apercevant ses -moustaches, se fâcha un peu. Boursier rit -beaucoup de la surprise de sa femme, qui se -leva en boudant; elle se rendit ensuite à son -comptoir, où ils s'embrassèrent mutuellement.</p> - -<p>Boursier ne prenait jamais rien en se levant; -il déjeûnait habituellement, entre neuf -et dix heures du matin, avec un potage au -riz. Ce jour-là, il demanda son potage à neuf -heures. La fille Blin le lui prépara sur le fourneau -de la cuisine, dans une casserolle en fer -battu, qui servait toujours à cet usage. Quand -ce potage fut prêt, elle l'apporta dans la casserolle -même, sur un petit secrétaire qui était -<span class="pagenum"><a id="Page_331"> 331</a></span> -dans la salle à manger, et sur lequel Boursier -déjeûnait toujours. La fille Blin avait l'habitude, -avant de servir le potage, d'en conserver -une partie pour elle et pour le plus jeune des -enfans de son maître, qui était âgé de cinq -ans. Cet enfant et la fille Blin mangèrent cette -portion de potage, et n'en furent point incommodés. -Quand Boursier était prévenu par la -domestique que son déjeûner était prêt, il -arrivait souvent qu'il ne le mangeait pas sur-le-champ, -surtout quand il voulait terminer -quelque chose dont il s'occupait. Ce potage -restait quelquefois un quart d'heure à l'endroit -où la servante le plaçait, c'est-à-dire sur -le secrétaire qui était dans la salle à manger, -à peu de distance du comptoir où se tenait -habituellement la femme Boursier.</p> - -<p>L'instruction, quels qu'aient été ses soins, -n'a pu déterminer l'espace de temps qui s'était -écoulé entre le moment où le potage avait été -apporté sur le secrétaire et celui où Boursier -commença à déjeûner. Cependant la fille Blin -a pensé qu'il avait pu s'écouler quatre à cinq -minutes dans cet intervalle. Par les mêmes -motifs, il serait difficile d'établir, par les témoignages, -ce que faisaient Boursier et sa -<span class="pagenum"><a id="Page_332"> 332</a></span> -femme au moment où le potage fut apporté, -et depuis cet instant jusqu'au déjeûner.</p> - -<p>Cependant, aussitôt que Boursier eut goûté -de son potage au riz, il appela la fille Blin, et -se plaignit du mauvais goût qu'il lui trouvait. -Cette fille lui répondit qu'elle en était étonnée, -attendu qu'elle avait mis dans le déjeûner -trois jaunes d'œufs, au lieu de deux qu'elle y -mettait habituellement. Il avait aussi appelé -sa femme pour lui dire que son potage était -mauvais, qu'il avait un <i>goût empoisonné</i>; et -sur l'observation que lui avait faite la domestique, -il avait dit: «Puisqu'il est bon, il faut -en manger;» et il en prit alors quelques cuillerées. -Il déclara alors que son potage était -décidément mauvais, qu'il ne pouvait le manger; -en même temps, il lui prit un vomissement -qui lui fit rendre une partie du riz -et des matières vertes qui ressemblaient à de -la bile. La femme Boursier alla préparer un -verre d'eau sucrée.</p> - -<p>Cependant les vomissemens continuaient, -accompagnés de flux de sang. Boursier fut mis -au lit; il se plaignait d'une extrême lassitude -dans les reins; bientôt survinrent des évacuations -d'une grande fétidité. Le sieur Bordeu, -<span class="pagenum"><a id="Page_333"> 333</a></span> -médecin appelé, arriva entre onze heures -et midi, et traita la maladie comme une indigestion; -il ordonna des potions calmantes. Revenu -à six heures du soir, et jugeant que la -maladie était plus grave, il fit appliquer des -sangsues et des sinapismes. Néanmoins l'état -du malade empirait. Le lendemain matin, un -autre médecin, nommé Tartra, est appelé; on -prescrit de nouveaux moyens. Un élève en -médecine, le sieur Toupié, est chargé de -passer la nuit près du malade; mais tous les -remèdes étaient inutiles: Boursier expira à -quatre heures du matin, après d'effrayantes -convulsions.</p> - -<p>Toupié avait remarqué que les extrémités -étaient froides, et que les ongles étaient -bleuâtres. MM. Bordeu et Tartra arrivèrent -après le décès de Boursier; ils examinèrent -le cadavre et firent la même remarque que -l'élève Toupié, et tous deux, ne pouvant se -rendre compte d'une mort aussi subite, firent -demander à sa veuve la permission de faire -l'autopsie du cadavre; mais elle s'y opposa, -malgré leurs pressantes insistances.</p> - -<p>Le même jour, la femme Boursier, sous -le prétexte que son mari était très-replet, et -<span class="pagenum"><a id="Page_334"> 334</a></span> -que la putréfaction occasionnée par les chaleurs, -pourrait nuire aux comestibles qui -étaient dans son magasin, témoigna le désir -que l'inhumation eût lieu le soir même. Deux -amis du défunt reçurent mission d'en faire -la demande à la mairie; mais la permission -fut refusée. Les obsèques eurent lieu le lendemain -mardi, à dix heures du matin. Le -corps fut déposé dans une fosse particulière, -au cimetière du Père-Lachaise.</p> - -<p>Le 28 juin, c'est-à-dire le jour même -que Boursier était tombé malade, Kostolo -était venu, selon son habitude journalière, -au magasin. Étonné de la soudaineté -de la maladie de Boursier et des symptômes -alarmans qui se manifestaient, il se tint -près du lit du malade toute la journée; le -lendemain, il revint près de lui, et ne le -quitta plus qu'à sa mort. Ce fut lui qui, pendant -la dernière nuit, lui administra les boissons -qui avaient été prescrites par les médecins. -De même que le sieur Toupié, Kostolo déclara -avoir remarqué les taches bleuâtres, -indices presque certains d'un empoisonnement.</p> - -<p>Enfin tout était consommé, et la mort et -<span class="pagenum"><a id="Page_335"> 335</a></span> -l'inhumation du malheureux Boursier; mais -des bruits sinistres éclatèrent bientôt, et le -31 juillet, le procureur du roi ordonna l'exhumation -du corps. MM. Orfila, docteur en -médecine, Hardy, professeur de la faculté -de médecine, et Hamel, candidat en médecine, -appelés par le juge d'instruction, procédèrent -sur le lieu même à l'autopsie du -cadavre; ils firent l'extraction de l'estomac -et des intestins, qui furent placés aussitôt -dans un vase de terre, sur lequel les scellés -furent apposés; ils recueillirent aussi dans -un vase un liquide jaune. Les médecins déclarèrent, -dans le procès-verbal qu'ils dressèrent, -qu'ils n'avaient trouvé aucune trace de -lésion qui pût faire soupçonner que Boursier -eût succombé à la suite d'une rupture ou -d'une ulcération du cœur, des poumons et -des gros vaisseaux qui sont contenus dans le -thorax. Après un examen approfondi, les -médecins attestèrent qu'il s'était trouvé, tant -dans l'estomac que dans les intestins qu'ils -avaient analysés, une quantité d'arsénic suffisante -pour donner la mort. Dans le cours -de leur première opération, ils en avaient en -<span class="pagenum"><a id="Page_336"> 336</a></span> -outre signalé quelques grains au juge d'instruction.</p> - -<p>Enfin cinq docteurs en médecine, parmi -lesquels étaient MM. Orfila, Chaussier et -Pelletan, consultés sur la réunion des circonstances -rapportées ci-dessus, furent unanimement -d'avis que Boursier était évidemment -mort des effets de l'arsenic, et que l'autopsie -n'avait nullement justifié la supposition -d'une rupture de vaisseaux dans la poitrine.</p> - -<p>Ces explications si claires, si précises, si -concordantes, ne pouvaient laisser subsister -le plus léger doute sur les causes de la mort -de Boursier: <i>il était mort empoisonné</i>. Il s'agissait -de savoir si cet événement était le résultat -d'un crime, d'un suicide ou d'un simple -accident. Telles étaient les seules suppositions -auxquelles pouvait donner lieu la mort inopinée -de cet homme. Tout tendait à démontrer -jusqu'à l'évidence que Boursier ne s'était -pas empoisonné lui-même. Il était père de -cinq enfans; son commerce était aussi prospère -qu'il pouvait le désirer; son intérieur -n'avait rien que de riant pour lui; il vivait -en très-bonne intelligence avec sa femme -<span class="pagenum"><a id="Page_337"> 337</a></span> -dont il ignorait les désordres; il était d'une -humeur très-gaie, et la plaisanterie qu'il fit -à sa femme, le 28 juin, n'indique guère qu'il -fût, ce jour-là, tourmenté par quelque souci. -D'ailleurs, si Boursier eût mis lui-même de -l'arsenic dans son potage, est-il présumable -qu'il eût appelé sa femme et la cuisinière, -pour leur dire que ce potage était mauvais?</p> - -<p>On ne pouvait pas attribuer davantage la -mort de Boursier à un simple accident. Aussi -l'accusation l'attribua-t-elle à un crime. D'après -l'autopsie, l'empoisonnement était constant. -Les liaisons criminelles qui existaient -entre la veuve Boursier et Kostolo appelèrent -sur eux les soupçons de la justice: tous deux -furent arrêtés.</p> - -<p>Aussitôt que les vomissemens avaient commencé, -la femme Boursier avait pris la casserolle -qui contenait le riz; elle avait jeté ce -riz dans une terrine d'eau sale qui était sous -la fontaine; elle avait passé ensuite un peu -d'eau dans la casserolle, et ordonné à la fille -Blin de la nettoyer; ce que celle-ci avait exécuté, -en la frottant avec du sable et de la -cendre. La veuve Boursier chercha à expliquer -<span class="pagenum"><a id="Page_338"> 338</a></span> -cette circonstance extraordinaire: «Boursier, -disait-elle, était très-susceptible sur la -propreté. Pour lui prouver que la casserolle -était propre, j'allai la vider; et, comme il y -avait un peu de riz attaché au fond, j'y ai -passé de l'eau pour le détacher, et ai montré -ensuite la casserolle à mon mari.»</p> - -<p>L'accusation s'empara de cet aveu et crut -y trouver une preuve du crime. Les réticences -de la femme Boursier, ses tergiversations dans -plusieurs réponses importantes, furent autant -de probabilités contre elle. Une fois, -elle dit que son mari ne lui avait jamais parlé -d'arsénic; une autre fois, qu'il lui avait parlé -de mort-aux-rats et d'arsénic.</p> - -<p>Interrogée sur le compte des personnes qui -fréquentaient habituellement sa maison, la -veuve Boursier cita tous les amis de son mari; -mais elle ne nomma pas Kostolo, et soutint -même qu'elle n'avait jamais eu de relations -intimes avec cet homme. Mais Kostolo, assez -impudent pour ne rien ménager, révéla la -nature de ses liaisons avec la veuve Boursier; -et celle-ci, forcée par l'évidence à avouer ces -coupables habitudes, avoua d'abord qu'elle -<span class="pagenum"><a id="Page_339"> 339</a></span> -avait vu Kostolo avec intérêt et plaisir, et -bientôt fut contrainte de confesser que, dans -la chambre même du défunt, elle s'était -abandonnée aux vœux criminels de son misérable -complice. Il résulta aussi des interrogatoires -qu'elle donnait de l'argent à -Kostolo, et l'on en conclut que, puisqu'elle -n'ignorait pas le dénuement de cet homme, -elle stipendiait ses assiduités adultères, et lui -livrait le patrimoine de ses enfans.</p> - -<p>Après avoir entendu tous les témoins, l'accusation -posa la question suivante:</p> - -<p>«La veuve Boursier prétendra-t-elle, comme -elle l'a fait dans ses interrogatoires, qu'elle -n'avait aucun intérêt ni aucun motif pour -commettre ce crime?» Puis elle y répondit: -«On ne le pense pas; car sa conduite après -la mort de son mari, les projets formés entre -elle et Kostolo de s'unir en mariage, la promesse -qu'elle lui en avait faite, la crainte -qu'elle avait qu'il ne changeât d'avis, démontrent -suffisamment le motif qui l'a portée à -cet attentat.» Ces allégations de l'acte d'accusation -résultaient des déclarations réitérées -de Kostolo, et paraissaient être confirmées -<span class="pagenum"><a id="Page_340"> 340</a></span> -d'ailleurs par la franchise grossière avec laquelle -il répondit aux questions du magistrat -chargé de l'instruction de ce procès.</p> - -<p>Pour établir la complicité de Kostolo dans -l'empoisonnement présumé du malheureux -Boursier, l'acte d'accusation présenta cet -homme attaché au chevet du lit du moribond, -lui administrant les boissons prescrites par -les médecins, et pouvant bien y avoir introduit -de nouvelles substances vénéneuses. On le -montrait encore comme un homme dénué de -ressources, sans moyens d'existence, et pouvant -avoir un grand intérêt à s'associer à une -femme qui le mettrait à la tête d'un établissement -florissant et capable d'assurer son -avenir.</p> - -<p>Pendant l'instruction, le témoin Bailly, -ancien commis de Boursier, avait dit d'abord -que son patron, après avoir préparé des boulettes -pour faire périr les rats, avait serré le -restant de l'arsenic lui-même; plus tard, ce -témoin changea de langage, et dit que c'était -lui Bailly, qui avait serré le reste d'arsénic, -et qu'il ne s'en était pas souvenu d'abord. -Ces deux déclarations si différentes, cette -<span class="pagenum"><a id="Page_341"> 341</a></span> -attention que Bailly apportait à justifier l'accusée, -que jusque-là il avait cherché à faire -regarder comme coupable, donna lieu de -penser que l'on avait fait des démarches pour -le circonvenir, et lui faire rétracter sa première -déclaration. En conséquence, l'avocat-général -pris des réserves à son égard.</p> - -<p>Les débats durèrent plusieurs jours. La -plupart des circonstances que l'on a déjà vues -furent pleinement confirmées. La veuve Boursier -se renferma dans un système de dénégation -presque absolu, non seulement touchant -l'empoisonnement de son mari, mais encore -relativement à la nature de ses liaisons et -de ses entrevues avec Kostolo. Mais, quant à -ces derniers faits, elle fut plusieurs fois confondue -par les réponses énergiques, précises, -et grossièrement effrontées de Kostolo. A -plusieurs reprises, l'auditoire eut peine à -imposer silence à la juste indignation qu'il -éprouvait en entendant ce misérable aventurier -qui, pour mieux prouver son innocence, -faisait parade de ses honteux trophées.</p> - -<p>Le 29 novembre 1825, sur la réponse négative -du jury, le président de la Cour d'assises -<span class="pagenum"><a id="Page_342"> 342</a></span> -de la Seine, déclara la veuve Boursier -et Kostolo déchargés de l'accusation intentée -contre eux, et ordonna leur mise en liberté.</p> - -<p>L'autorité prit en même temps des mesures -pour que Kostolo, étranger sans aveu, -sans ressources et sans recommandation, qui -faisait un si hideux trafic de ses avantages -physiques, purgeât de sa présence un pays -qu'il avait souillé des plus scandaleux désordres. -Il resta sous la surveillance de la police -jusqu'à son départ.</p> - -<p>Quant à la veuve Boursier, elle revint, le -soir même de son acquittement, dans son -domicile qui devait au moins lui rappeler de -bien graves erreurs. Ses amis l'attendaient. -Une nuit bruyante en félicitations succéda -aux transes de la veille. La veuve Boursier reparut, -presque le lendemain, dans son comptoir, -et se vit, pendant plusieurs jours, l'objet -de la curiosité publique. Tout le monde voulait -voir l'amante de l'aventurier Kostolo, -devenue si tristement fameuse par la formidable -accusation dirigée contre elle.</p> - -<p>On aurait mieux aimé, dans l'intérêt même -de la veuve Boursier, ne pas lui voir oublier -<span class="pagenum"><a id="Page_343"> 343</a></span> -si promptement les périls qu'elle venait de -courir, pouvoir lui supposer un repentir sincère, -une pudique honte des torts avérés -qu'on avait à lui reprocher. Comment avait-elle -pu si tôt oublier la touchante et paternelle -admonition du président de la Cour? -«Veuve Boursier, lui avait dit ce magistrat, -en prononçant son acquittement, vous allez -recouvrer la liberté que les plus graves soupçons -vous avaient fait perdre. Le jury vous -a déclarée non-coupable du crime qui vous -était imputé: puissiez-vous trouver la même -absolution dans le témoignage de votre conscience! -Mais n'oubliez pas que la cause de -vos malheurs et du déshonneur qui couvrira -peut-être à jamais votre nom, fut le désordre -de vos mœurs et la violation des nœuds les -plus sacrés. Descendez au fond de votre cœur; -que votre conduite à venir efface la honte -de votre conduite passée, et que le repentir -remplace l'honneur que vous avez perdu!»</p> - -<p>A l'époque de son procès, la veuve Boursier -avait trente-sept ans. On était fort curieux -de connaître son extérieur. Sa taille -était peu élevée, même petite (quatre pieds -<span class="pagenum"><a id="Page_344"> 344</a></span> -cinq pouces); sa figure, sillonnée par la -petite vérole, était peu agréable; ses traits -n'avaient rien de ce qui rappelle la beauté. -Elle contrastait avec Kostolo, dont les traits -étaient réguliers et la taille élevée.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_345"> 345</a></span></p> -<h2 class="normal">LE FORÇAT SUREAU.</h2> -</div> - -<p>Sureau, garçon tailleur, était au bagne -de Brest, depuis l'année 1823 ou 1824. Voici -sommairement les circonstances qui l'avaient -plongé dans ce cloaque de criminels. Ce jeune -homme devait épouser une jeune fille, sa -cousine. Celle-ci, au moment de s'unir à lui, -se rétracta. Alors Sureau s'abandonna au désespoir; -ses passions fermentèrent, sa tête -s'exalta; une sorte de délire furieux s'empara -de lui. Il se rendit chez celle qu'il aimait, -armé de deux pistolets; il voulait se brûler la -cervelle à ses yeux; peut-être aussi voulait-il -l'immoler elle-même et périr sur son cadavre. -Qui pourrait savoir quel était son projet? Le -savait-il bien lui-même? Quoi qu'il en soit, -la jeune fille seule expira sous l'arme meurtrière, -et Sureau fut, quelques mois après, -envoyé au bagne de Brest, et attaché côte à -côte avec un galérien.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_346"> 346</a></span> -Chose étrangement monstrueuse! Dans ce -séjour de l'opprobre et de la misère, ce jeune -homme retrouva encore des passions semblables -à celles qu'il avait déjà éprouvées, -mais avec cette différence qu'elles étaient empreintes -de cette hideur et de cette dépravation -que le bagne attache à tout. Le forçat -dont l'existence était enchaînée à la sienne -par des liens de fer, était devenu pour lui -l'objet d'une affection infâme. Depuis deux ans -environ, il traînait sa chaîne avec ce compagnon, -lorsqu'une mésintelligence éclata -entre eux. Pendant la nuit, la tête du galérien -Sureau s'exalta comme lors de son premier -crime. Tout-à-coup il se lève, s'arme de ciseaux -qui se trouvaient à côté de lui, les -plonge à plusieurs reprises dans les flancs de -son compagnon endormi, et appelant à grands -cris le garde-chiourme: <i>Qu'on me conduise -à la mort!</i> s'écrie-t-il, d'une voix forcenée. -<i>Je viens d'assassiner l'homme que j'aimais -plus que ma vie.</i></p> - -<p>Sureau ne tarda pas à être traduit devant -un conseil composé d'officiers et d'ingénieurs -de la marine. Rien de plus extraordinaire que -l'aspect d'un tel tribunal: là, les accusés -<span class="pagenum"><a id="Page_347"> 347</a></span> -sont toujours des criminels; là, les témoins -eux-mêmes comparaissent couverts de leurs -vêtemens rouges, et traînant leurs chaînes.</p> - -<p>Connaissez-vous, dit le président à l'un -de ces témoins qui paraissait avoir vieilli aux -galères, connaissez-vous quelque motif qui -ait pu porter l'accusé à tuer son camarade?</p> - -<p><i>Le forçat</i>: Oui, monsieur le président. Je -crois, sauf votre respect, que son camarade -l'avait appelé <i>mouton</i>.</p> - -<p><i>Le président</i>: Eh bien? que signifie cela?</p> - -<p><i>Le forçat</i>: C'est que, monsieur, quand on -dit à quelqu'un qu'il est un <i>mouton</i>, ça veut -dire, sauf votre respect, qu'il rapporte aux -chefs tout ce qui se fait.</p> - -<p><i>Le président</i>: Quel grand mal y a-t-il là? -comment voulez-vous qu'il ait pu le tuer -pour cette parole?</p> - -<p><i>Le forçat</i>: C'est que, monsieur, chez nous, -celui qui est <i>mouton</i>, sauf votre respect, ça -veut dire <i>qu'il faut qu'on l'assassine</i>, et alors -vous comprenez qu'on n'aime pas d'avoir cette -réputation.</p> - -<p>Le sang-froid, le ton de naïveté avec laquelle -le vieux forçat débitait ces maximes, -indiquaient assez qu'elles constituaient un -<span class="pagenum"><a id="Page_348"> 348</a></span> -des points de droit de ce lieu d'infamie, et -qu'elles avaient été plus d'une fois mises à -exécution.</p> - -<p>Après la plaidoierie de son avocat, le galérien -Sureau voulut se défendre lui-même. -Son improvisation offrait un mélange singulier -du langage de la passion et de l'argot -du bagne: l'idée de la cousine et de son -compagnon de chaîne se confondait dans -son esprit, et l'image de ces deux victimes -de sa fureur, harcelant sans cesse sa pensée, -lui inspirait des paroles et des mouvemens -d'une véritable éloquence.</p> - -<p>Le forçat Sureau fut condamné à mort -le 17 octobre 1826, et fut exécuté dans les -vingt-quatre heures.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_349"> 349</a></span></p> -<h2 class="normal">PIERRE BARRIÉ,<br /> -<span class="medium">PARRICIDE.</span></h2> -</div> - -<p>Le 16 novembre 1826, le nommé Pierre -Barrié, âgé de trente-trois ans, né à Cocural, -canton de Saint-Amans (Aveyron), comparut -devant la Cour d'assises de Rhodez, accusé de -meurtre sur la personne de sa mère. Cette -cause avait attiré une grande affluence de -spectateurs. Nous allons en rapporter les -principaux faits.</p> - -<p>Depuis quelque temps, Marguerite Bouges, -veuve Barrié, âgée de soixante ans, était atteinte -d'aliénation mentale. Ses enfans, qui -faisaient de fréquens voyages à Paris, trouvèrent -convenable, pour sa propre sûreté -comme pour la sûreté commune, de la faire -renfermer dans un hospice, et confièrent ce -soin à Pierre, l'aîné de la famille. Ce projet -fut conçu au mois de septembre 1824. A cette -<span class="pagenum"><a id="Page_350"> 350</a></span> -époque, Pierre Barrié, Jean, son frère, et -Marie-Anne, sa sœur, étaient dans le pays; -toutefois il a été établi que ces deux derniers -ne se trouvaient pas à Cocural, et que Pierre -habitait seul avec sa mère dans la maison de -feu Barrié, son père.</p> - -<p>Dans les derniers jours de ce même mois -de septembre, Pierre Barrié prétendit avoir -rempli la commission dont il s'était chargé. -Selon lui, il s'était adressé à cet effet au -nommé Frédéric-Alexandre Cambonne, marchand -à Espalion et propriétaire à Montpellier, -lequel, moyennant la somme de 440 -francs, devait conduire dans cette dernière -ville Marguerite Bouges, et la placer dans -un établissement de charité. Pierre Barrié -ajoutait quelques circonstances sur le départ -de sa malheureuse mère. Il disait qu'elle -avait opposé une vive résistance... que l'on -avait été forcé de recourir à l'assistance des -gendarmes en résidence à Espalion.</p> - -<p>Dans le courant du mois d'octobre suivant, -Pierre, Jean et Marie-Anne Barrié partirent -pour Paris. Ce fut dans cette ville, au mois -de janvier 1825, que Pierre apprit aux deux -autres la mort de leur mère, survenue, disait-il, -<span class="pagenum"><a id="Page_351"> 351</a></span> -par suite d'un accident tragique. La -voiture qui la conduisait à Montpellier avait -versé... Elle s'était fracassé le crâne... On l'avait -transportée dans un hospice où elle avait rendu -le dernier soupir... Le prétendu conducteur -Cambonne était aussi décédé... Pierre Barrié -écrivit même à Cocural pour faire prendre -le deuil aux autres membres de la famille.</p> - -<p>Comme la plupart des hommes de son -pays, Pierre exerçait à Paris la profession -de porteur d'eau; il était domicilié rue du -Bac.</p> - -<p>Jean revint de Paris à Cocural dans le courant -de mai 1825, portant un reçu de 440 -francs, souscrit et signé par le prétendu -Cambonne. Ce reçu lui avait été remis par -son frère Pierre.</p> - -<p>Cependant une sourde et vague rumeur -s'était répandue au sujet de la disparition de -Marguerite Bouges; on disait que cette femme -n'était pas sortie du pays, et, chaque jour, ces -conjectures acquéraient plus de consistance. -On apprit de quelques individus qui avaient -fait le voyage de Montpellier, que toutes -recherches avaient été infructueuses pour se -procurer des nouvelles de cette femme. On -<span class="pagenum"><a id="Page_352"> 352</a></span> -se rappela aussi que, vers la fin de septembre -1824, Pierre Barrié, qui était naturellement -gai, avait paru sombre et agité, et qu'il avait -supplié un de ses voisins de lui permettre de -coucher chez lui, ne pouvant, disait-il, habiter -seul dans sa maison, où le bruit des portes -battues par le vent le glaçait d'épouvante. -Enfin, on sut dans le public que, dans une -police de bail à ferme consentie à son oncle, -peu de jours avant son départ pour Paris, -Pierre Barrié s'était réservé un petit réduit, -qu'il avait lui-même fermé soigneusement avec -une cloison en planches, après y avoir entassé -de vieux meubles et du bois de chauffage, -et le docteur Capoulade, d'Albouze, -parlant un jour de la disparition de la veuve -Barrié, s'écria que c'était dans ce petit réduit -que l'on pourrait trouver le cadavre de cette -femme.</p> - -<p>Cette circonstance paraissait trop extraordinaire -pour qu'elle n'éveillât pas l'attention. -Aussi ce fut vers le lieu indiqué que la justice -dirigea ses premières démarches. On ne tarda -pas à découvrir l'horrible mystère. Bientôt, -sous un amas de meubles, dans une auge de -pierre, hermétiquement fermée avec de la terre -<span class="pagenum"><a id="Page_353"> 353</a></span> -glaise, on trouva le cadavre de Marguerite -Bouges, recouvert de quelques lambeaux de -vêtemens, le tout assez bien conservé pour -qu'on pût constater l'identité. Le frère de l'accusé -et plusieurs habitans la reconnurent. -Marie Crassels déclara l'avoir reconnue à un -doigt de la main gauche, dont la première -phalange avait été emportée par un panaris.</p> - -<p>Aussitôt la police fut instruite, et des -ordres furent donnés pour que Pierre Barrié -fût arrêté à Paris, et conduit sans retard à -Rhodez.</p> - -<p>Devant le juge d'instruction, l'accusé se -renferma dans une dénégation absolue, parlant -toujours du prétendu Cambonne, qui n'était, -suivant toutes les probabilités, qu'un -personnage de son invention; car on ne trouva -aucun vestige de cet individu, ni sur les registres -des morts, ni sur ceux des vivans. A -cette terrible question: «Comment s'est-il -fait que votre mère, décédée à Montpellier, -ait été trouvée dans l'auge de Cocural?» Pierre -Barrié se borna à répondre: <i>C'est par miracle!</i></p> - -<p>En présence de la Cour d'assises, le président -lui fit subir l'interrogatoire suivant:</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_354"> 354</a></span> -<i>D.</i> Qu'était devenue votre mère, lors de -votre départ pour Paris en 1824?</p> - -<p><i>R.</i> M'étant chargé de la placer dans un -hospice, au nom de tous ses enfans, un cocher -de fiacre que j'avais connu à Paris, mais -dont j'ignore le nom et le domicile, me conseilla -de la confier à un monsieur qui, pour -440 francs une fois payés, prit l'engagement -de la conduire et de la faire recevoir à Montpellier, -dans la maison centrale de cette ville.</p> - -<p><i>D.</i> Connaissiez-vous ce monsieur?</p> - -<p><i>R.</i> Je ne le connaissais pas: il disait s'appeler -Alexandre-Frédéric Cambonne.</p> - -<p><i>D.</i> D'où était-il?</p> - -<p><i>R.</i> Je l'ignore: mais il prenait les qualités -de propriétaire à Montpellier, et de marchand -à Espalion.</p> - -<p><i>D.</i> Vous aviez déjà consulté M. Jalabert -fils, avocat à Espalion. Il vous avait promis -ses bons offices pour obtenir une place -pour votre mère dans l'hospice de cette ville, -ou dans celui de Rhodez. Lui parlâtes-vous du -traité que vous veniez de faire avec Cambonne?</p> - -<p><i>R.</i> Non, monsieur.</p> - -<p><i>D.</i> Vous n'accompagnâtes pas votre mère -jusqu'au moment de son départ?</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_355"> 355</a></span> -<i>R.</i> Cela m'aurait fait mal.</p> - -<p><i>D.</i> Plusieurs témoins ont déposé, dans l'instruction, -qu'il vous avait fallu des gendarmes -pour la contraindre: vous-même leur avez -appris cette circonstance.</p> - -<p><i>R.</i> Ils se trompent.</p> - -<p><i>D.</i> Il résulte des informations qu'on a -prises qu'il n'existe, ni à Montpellier ni à -Espalion, aucun individu portant le nom de -Cambonne, et que votre mère n'a jamais été -reçue dans la maison centrale de Montpellier?</p> - -<p><i>R.</i> J'ai été trompé.</p> - -<p><i>D.</i> Qui vous apprit la mort de votre mère?</p> - -<p><i>R.</i> Je l'appris par une lettre qui me fut -écrite de Montpellier.</p> - -<p><i>D.</i> Par qui?</p> - -<p><i>R.</i> J'ai oublié le nom du signataire de la -lettre.</p> - -<p><i>D.</i> Mais enfin, comment se fait-il que votre -mère ait été trouvée dans l'auge de Cocural?</p> - -<p><i>R.</i> Je n'en sais rien.</p> - -<p>A chaque question, l'accusé essayait, mais -en vain, de lever sa tête, qui retombait aussitôt -sur sa poitrine.</p> - -<p>Les témoins furent entendus au nombre de -<span class="pagenum"><a id="Page_356"> 356</a></span> -trente-deux. Plusieurs rappelèrent le propos -tenu par M. Capoulade, médecin d'Albouze. -Celui-ci avoua le fait, et l'expliqua par diverses -circonstances qui avaient appelé ses -réflexions sur ce sujet.</p> - -<p>Le ministère public soutint l'accusation -avec beaucoup de force et de précision, et fit -voir que les circonstances diverses et multipliées -qui avaient été recueillies à l'occasion -du meurtre de la veuve Barrié, devaient suppléer -à l'absence de témoins <i>de visu</i> et aux -doutes que pouvait laisser la matérialité du -fait.</p> - -<p>L'accusé fut défendu par M<sup>e</sup> Grandet, avec -le talent et la loyauté dont il avait donné déjà -des preuves si brillantes dans l'affaire Fualdès. -Plusieurs parties de sa plaidoierie firent une -vive impression sur l'auditoire.</p> - -<p>Mais la délibération du jury ne pouvait être -favorable à l'accusé. Trop de charges, des -charges trop accablantes pesaient sur lui. -Chacun était en droit de lui adresser ces terribles -paroles: <i>Pierre Barrié, qu'as-tu fait de -ta mère?</i> Le jury répondit affirmativement -aux questions de culpabilité qui lui furent -soumises, et le président prononça contre le -<span class="pagenum"><a id="Page_357"> 357</a></span> -prévenu la peine du parricide. L'abattement -que ce malheureux avait montré pendant les -débats, redoubla lorsqu'il entendit l'arrêt qui -le condamnait à la mort; il ne put marcher -jusqu'à sa prison qu'avec le secours des gendarmes -qui le soutenaient. Ce jugement fut -rendu le 17 novembre 1826.</p> - -<p>La Cour de cassation ayant rejeté le pourvoi -de Pierre Barrié, et le roi n'ayant pas admis -son recours en grâce, ce malheureux -subit sa peine le 19 février 1827 à Rhodez. Ce -spectacle, qu'un appareil extraordinaire rendait -encore plus hideux, avait attiré une foule -immense. Le condamné fut transporté dans -une charrette au lieu du supplice; il était pieds-nus, -en chemise, et sa tête était couverte -d'un voile noir. L'aumônier des prisons était -assis auprès de lui; Barrié, triste et abattu, -paraissait attentif aux exhortations de ce charitable -ecclésiastique.</p> - -<p>Depuis sa condamnation, il avait substitué -une autre version au système absurde qu'il -avait suivi dans ses interrogatoires et dans les -débats. Il assurait que sa mère était morte à -la suite d'une chute violente qu'elle aurait -faite dans un accès de démence; que, l'ayant -<span class="pagenum"><a id="Page_358"> 358</a></span> -trouvée ensanglantée et couverte de contusions, -il s'était abstenu d'appeler du secours, -de peur qu'on ne l'accusât de meurtre, et -qu'alors il avait caché le cadavre dans l'auge -où il avait été découvert dix-huit mois après.</p> -<div class="chapter"> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_359"> 359</a></span></p> -<h2 class="normal">ANDRÉ BLUM,<br /> -<span class="medium">ACCUSÉ DE FAUX ET D'EMPOISONNEMENT.</span></h2> -</div> - -<p>Au mois de mars 1821, André Blum fut -employé dans les ateliers de la maison Haussman -et Jordan, au Logelbach, près Colmar.</p> - -<p>En 1825, M. Jordan remarqua du désordre -dans la conduite de cet homme. Plusieurs -fois, il lui adressa des remontrances; Blum -promit de se corriger; mais, loin de tenir sa -promesse, il contracta de nouvelles dettes.</p> - -<p>Ses appointemens étant insuffisans pour -subvenir à ses dépenses, il fabriqua et mit en -circulation de faux billets de commerce. Dans -le courant de 1825, il donna au sieur Édighoffen, -aubergiste à l'enseigne du Roi de Pologne, -à Colmar, en paiement d'une somme -de 130 francs, un billet de 750 francs, paraissant -souscrit, à son ordre, par son père Jacob -Blum. Vers la même époque, il remit au -sieur Simon, en paiement d'une somme de -<span class="pagenum"><a id="Page_360"> 360</a></span> -100 francs, une lettre de change de 400 francs, -paraissant pareillement souscrite à son ordre -par son père. A leur échéance, ces deux effets -furent protestés. Le père de l'accusé ne -les reconnut pas, déclarant qu'il ne devait -rien à son fils; que ce n'était pas le premier -tour de ce genre qu'il lui faisait, et engageant -le sieur Édighoffen à le poursuivre -très-rigoureusement. M. Jordan, ayant eu -connaissance de cette affaire, en parla à Blum. -Celui-ci nia d'abord qu'il eût fabriqué les effets -en question; mais il finit par en faire -l'aveu. Blum était déjà débiteur de la maison -Haussman d'une somme de plus de 800 francs, -qu'elle avait payée pour lui. Dès ce moment, -M. Jordan résolut de faire le sacrifice de cet -argent et de se débarrasser de Blum. En conséquence, -on lui adjoignit deux ouvriers, destinés -à le remplacer, Joseph Grimmer et Louis -Vautrin.</p> - -<p>Ces mesures rendirent Blum furieux: il -forma le projet d'en tirer vengeance, et ne -dissimula pas ses intentions. Dans le mois -d'avril, il dit à un des ouvriers de la fabrique -qu'il connaissait des individus qui l'avaient -desservi auprès de M. Jordan; qu'il leur conserverait -<span class="pagenum"><a id="Page_361"> 361</a></span> -une haine implacable, et qu'il s'en -vengerait, ne dût-ce être que dans vingt ans. -Vers la même époque, il tint à un autre ouvrier -un propos à peu près semblable, ajoutant -que, s'il rencontrait celui qui l'avait calomnié, -il le tuerait, et se suiciderait ensuite. -Ces menaces demeurèrent sans effet.</p> - -<p>Comme chef d'atelier, Blum avait sous ses -ordres un enfant de seize ans, Joseph Goechlinger. -Dans le courant de l'hiver et du -printemps de 1826, il l'avait envoyé par trois -fois à Colmar, chercher de l'émétique. Chaque -fois, il l'avait adressé à trois pharmaciens -différens, et lui avait fait prendre chez -chacun d'eux trois grains d'émétique, ce qui -lui avait procuré vingt-sept grains de ce vomitif.</p> - -<p>Vers le même temps, il avait amené une -femme dans son atelier, et lui avait fait placer -de la mort-aux-rats dans trois endroits différens, -sur des petits morceaux de papier; deux -ou trois jours après, il s'en était emparé. -Ainsi muni d'arsénic et d'émétique, Blum tenait -des moyens de vengeance entre ses mains. -Il choisit Joseph Grimmer pour sa victime, -<span class="pagenum"><a id="Page_362"> 362</a></span> -et attendit un moment favorable pour l'exécution -de son forfait.</p> - -<p>Dans la matinée du 24 avril 1826, il crut -l'avoir trouvé, et tenta d'empoisonner cet ouvrier. -Ce jour-là, entre six et sept heures du -matin, Blum, ayant vu que Joseph Grimmer -avait des œufs, lui témoigna le désir d'en -manger, et le pria de lui en préparer au beurre -noir. Grimmer y consentit, lui en fit cuire -quelques-uns dans une casserole, et les lui -apporta avec du pain. Blum en mangea une -petite partie, les saupoudra avec une poudre -blanchâtre, et les remua pour mêler le tout. -Dès-lors, il cessa d'en manger, en se plaignant -qu'ils étaient trop salés; puis, il engagea Grimmer -à les manger, et sortit.</p> - -<p>Il se rendit à Turckheim, où était le domicile -de Grimmer, et fit dire à la femme de -celui-ci que son mari ne rentrerait que vers -onze heures ou minuit, et peut-être pas du -tout.</p> - -<p>Cependant Grimmer, après le départ de -Blum, s'était mis à manger les œufs qui restaient; -mais à peine en avait-il avalé la moitié, -que, dégoûté par l'amertume qu'il y -<span class="pagenum"><a id="Page_363"> 363</a></span> -trouva, il avait cessé d'en manger et s'était remis -à l'ouvrage. Toutefois, il ne tarda pas à -en éprouver l'effet.</p> - -<p>Une heure s'est à peine écoulée, qu'il est -torturé par de fortes coliques; une sueur glacée -découle de son front; il ressent un malaise -général. Bientôt les vomissemens commencent. -Ses compagnons n'hésitent pas à -soupçonner Blum d'avoir empoisonné Grimmer. -Heureusement pour ce pauvre malheureux -que ce soupçon d'empoisonnement vint -les frapper sur-le-champ. Ils prodiguèrent -sans retard à leur camarade les secours les plus -efficaces en pareil cas; ils lui firent prendre du -bouillon, de l'huile et du lait, et il fut sauvé.</p> - -<p>Vers cinq heures du soir, Blum rentra à -l'atelier. On lui reprocha d'avoir mis quelque -chose dans les œufs de Grimmer. Il ne s'en -défendit pas, et se borna à répondre: <i>Moi -aussi, j'en ai mangé: pourvu qu'il ne soit pas -crevé, cela suffit; je m'en moque.</i> En prononçant -ces paroles, il rougit, et jeta sur une table -une pièce qu'il pliait. Puis, pour anéantir -autant que possible les traces de son crime, il -barbouilla avec le reste des œufs la figure d'une -ouvrière, et cassa le vase dans lequel Grimmer -<span class="pagenum"><a id="Page_364"> 364</a></span> -les avait fait cuire. Cependant des poursuites -ayant été dirigées contre lui, il essaya de s'y -soustraire, en se cachant dans les forêts qui -environnent Soultz et les communes voisines; -mais il fut arrêté, le 14 juin, aux environs -d'Ollviller. On trouva sur lui une petite pièce -de bois, tournée en forme de cachet, et qui -paraissait destinée à contrefaire un sceau, et -un petit paquet de papier gris, contenant -une matière graisseuse.</p> - -<p>Transféré dans la maison d'arrêt de Colmar, -il fut fouillé une seconde fois; on trouva -dans une de ses poches un petit paquet de -toile ficelée, contenant une poudre blanche. -L'analyse chimique que l'on fit de ces matières -prouva que la première était composée -de morceaux d'éponge cuits dans la graisse -et saupoudrés d'arsénic métallique; et que la -seconde était une substance végétale sucrée, -mélangée aussi avec de l'arsenic métallique.</p> - -<p>En conséquence, André Blum fut traduit -devant la Cour d'assises de Colmar, le 18 novembre -1826, comme accusé de faux en écriture -de commerce, et d'empoisonnement. -L'accusé était vêtu de noir. C'était un jeune -homme d'une belle taille et d'une figure assez -<span class="pagenum"><a id="Page_365"> 365</a></span> -régulière, mais l'expression de sa physionomie -était froide et dure, et sa contenance plus -qu'assurée. Il entendit la lecture de l'acte -d'accusation d'un air impassible et presque -effronté, et garda la même contenance pendant -toute la durée des débats. Le docteur -Morel, entendu comme témoin, rapporta -plusieurs faits de nature à faire soupçonner -l'accusé de plusieurs empoisonnemens antérieurs -à celui qui l'avait fait mettre en prévention. -La femme même de Blum aurait été -victime d'une de ces tentatives. M. Pélicier, -chimiste attaché à la fabrique Haussman, -déposa que l'accusé était venu, à plusieurs -reprises, lui demander de l'arsenic communément -connu sous le nom de <i>mort-aux-rats</i>, -lui disant que son logement était infesté de -rats qui rongeaient ses habits et ses alimens; -mais que lui, Pélicier, s'y était constamment -refusé; que, sur des sollicitations itératives, -il lui avait dit que, quand il y avait des rats -et des souris dans les ateliers, il y plaçait des -harengs imprégnés d'arsénic. Alors Blum lui -dit qu'il lui apporterait un hareng pour qu'il -y mît de l'arsenic; mais le témoin le lui refusa, -parce qu'il connaissait la situation de -<span class="pagenum"><a id="Page_366"> 366</a></span> -l'accusé, et que l'on pouvait craindre qu'il ne -voulût attenter à sa propre vie, ou chercher -à donner la mort à d'autres.</p> - -<p>Les pharmaciens, chargés d'analyser les -matières trouvées sur Blum, lors de son arrestation, -déclarèrent qu'ils avaient parfaitement -constaté la présence de l'arsenic, soit -dans les éponges graisseuses qui en étaient -imprégnées, soit dans le petit paquet de toile, -où l'arsenic pur était mélangé avec une poudre -végétale sucrée.</p> - -<p>Un autre témoin, Jacques Ohl, âgé de -soixante-un an, ouvrier de la fabrique, déposa -très-formellement des menaces proférées -par Blum à plusieurs reprises. Il rapporta -surtout ces mots: «Je me vengerai de ceux -qui m'ont desservi; j'en tuerai un; je m'en -vengerai, ne fût-ce que dans vingt ans. Je ferai -comme cet Africain;» et, en faisant cette -menace, l'accusé montrait un petit paquet -qu'il avait à la main.</p> - -<p>Le jeune homme de seize ans, que Blum -chargeait de l'achat de ses poisons, fut aussi -entendu. Il déclara être allé à Colmar neuf à -dix fois, avec la commission d'y prendre chaque -fois neuf grains d'émétique chez des -<span class="pagenum"><a id="Page_367"> 367</a></span> -pharmaciens différens, d'après les ordres exprès -de l'accusé, qui recommandait aussi au -témoin de ne remettre les petits paquets qu'à -lui seul, et qui, chaque fois qu'il voyait arriver -son commissionnaire, sortait, soit de son -atelier, soit de la chambre qu'il habitait, pour -le recevoir mystérieusement.</p> - -<p>Blum nia constamment toutes ces dépositions. -Il parlait beaucoup et avec une véhémence -inconcevable; et cependant ses réponses -étaient incohérentes, peu vraisemblables, -et quelquefois injurieuses pour les témoins. -Quoi qu'il en soit, ceux-ci persistèrent dans -toutes leurs déclarations.</p> - -<p>Les faits de faux furent seuls avoués et reconnus -formellement par l'accusé.</p> - -<p>Le ministère public soutint l'accusation -avec force et éloquence, mais avec calme, se -bornant à faire ressortir la culpabilité de -l'accusé des dépositions seules. Le défenseur -de Grimmer remplit sa tâche avec zèle; il -s'appliqua surtout à prouver que l'empoisonnement -ne pouvait être que présumé, et invoqua -la commisération des jurés en faveur -de ce jeune homme, menacé du supplice à -l'âge de vingt-sept ans, ayant un père plus -<span class="pagenum"><a id="Page_368"> 368</a></span> -que septuagénaire, une mère de soixante-six -ans, et étant lui-même père de trois enfans -en bas âge. L'accusé prit aussi la parole après -son avocat, et s'efforça d'exciter la compassion -des jurés.</p> - -<p>Après une demi-heure de délibération, le -jury déclara Blum non coupable d'empoisonnement; -mais il n'en fut pas de même de l'accusation -de faux: sa culpabilité sur ce dernier -chef fut prononcée à l'unanimité, et il -fut condamné à vingt ans de travaux forcés, -à l'exposition et à la flétrissure.</p> - -<p>Blum entendit son arrêt avec assez de calme; -mais bientôt il lança sur la Cour des regards -courroucés, et sortit en disant: <i>Il aurait -mieux valu me condamner à être guillotiné!</i> -A peine était-il rentré dans la prison, -qu'il saisit un couteau et s'en frappa dans le -bas-ventre. Il tomba baigné dans son sang, -et fut conduit à l'hôpital, sous la surveillance -d'un gendarme. Mais il fut reconnu que sa -blessure n'était pas dangereuse.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_369"> 369</a></span></p> - - - -<p>ASSASSINS DE GRAND CHEMIN.</p> - - -<p>Vers la fin de 1825 et pendant les premiers -mois de 1826, quatre assassinats furent commis -sur des chemins, qui traversent la forêt de -Londe et celle de Brothonne. Ces meurtres -répandirent l'effroi dans toute la contrée. La -justice fit d'actives recherches; mais malgré -tous ses efforts, elle ne put mettre la main sur -les auteurs de ces trois crimes. Un seul assassinat, -celui qui avait été commis le 8 février, -entre sept heures et demie et huit heures du -matin, sur la personne du sieur Voisin, devint -l'objet d'une accusation.</p> - -<p>Armand Voisin, clerc de notaire, avait des -capitaux à recevoir à Paris, à Bordeaux et au -Hâvre. Il partit le 8 février de la Bouille, en -annonçant qu'il allait à Boissy-le-Châtel. Les -sieurs Cornu et Sillé, ainsi que plusieurs autres -individus, le virent et le rencontrèrent -sur la route. A cent cinquante ou deux cents -pas de l'endroit où il avait été rencontré, le -<span class="pagenum"><a id="Page_370"> 370</a></span> -nommé Revel, allant à la Bouille, trouva sur -le bord de la route le corps du malheureux -Voisin; le cheval de la victime était à peu de -distance, paissant dans la forêt, la bride sur le -cou. Les autorités furent aussitôt prévenues de -ce tragique événement; et il fut constaté que -le corps était étendu sur le dos, mais penché -du côté droit, la tête inclinée sur l'épaule -droite, les pieds tournés vers la grande route, -le bras droit étendu en supination le long du -corps, les quatre premiers doigts fléchis, le -pouce également incliné en dedans. Un pistolet -de calibre de cavalerie était posé dans la -main droite, de manière que l'extrémité de la -crosse appuyait dans le fond de la main; tandis -que la partie supérieure de cette même -crosse appuyait sur le pouce; le bras gauche -était légèrement fléchi, la main à moitié sur -la hanche; les jambes étaient légèrement écartées. -L'autopsie de la tête prouva que le pistolet -avait été bourré avec des feuilles. A côté -du cadavre était un mouchoir de poche contenant -une montre de chasse à boîte en argent -avec une chaîne en or. A trente pas du cadavre, -dans la forêt, on trouva la ceinture en -daim de Voisin; elle avait été coupée dans toute -<span class="pagenum"><a id="Page_371"> 371</a></span> -sa longueur et vidée; le cheval portait encore -la valise. Le médecin constata que le cadavre -avait à la tête, du côté droit, un peu au-dessous -de la tempe et au niveau de l'oreille, -une plaie d'un pouce et demi de long, faisant -cavité, entourée d'un cercle noir et paraissant -être l'effet d'un coup d'arme à feu; les os de -la tête étaient fracturés, et la partie supérieure -des favoris était brûlée. De l'autre côté, au-dessous -de l'oreille, on voyait une plaie plus -petite que la première, et formant aussi cavité -avec fracture d'os. Une foule de circonstances -indiquaient que la mort violente du sieur Voisin -n'était pas le résultat d'un suicide, comme -ses assassins avaient voulu le faire croire.</p> - -<p>Cet assassinat dont les auteurs étaient d'abord -inconnus, ouvrit un champ vaste aux conjectures; -d'injustes soupçons planèrent un moment -sur quelques personnes innocentes. Mais on -apprit enfin que le nommé Heurtaux, meunier, -âgé de trente-deux ans, avait été vu près -du lieu où le crime avait été commis; que, ce -jour-là, il s'était fréquemment déplacé et qu'il -avait tenu quelques propos qui décelaient -une conscience alarmée. Heurtaux fut arrêté, -et traduit devant la Cour d'assises de Rouen, -<span class="pagenum"><a id="Page_372"> 372</a></span> -avec le nommé Daguet, cultivateur, âgé de -quarante-trois ans, et Françoise Hébert, femme -Heurtaux, comme accusés, les deux premiers -d'assassinats suivi de vol, la troisième de recel -d'argent.</p> - -<p>Les accusés comparurent devant leurs juges, -le 28 novembre 1826, en présence d'un nombreux -auditoire. D'après l'instruction et les -dépositions des témoins, Heurtaux avait été -vu par plusieurs personnes à la Bouille, le 7 -février; le 8, il avait quitté Savale à deux heures -du matin et s'était rendu à une demi-lieue de -là chez sa femme, où il avait donné rendez-vous -à Daguet. Vers sept heures un quart, ils étaient -arrivés tous deux près de la Maison-Brûlée, -et ils n'avaient alors qu'une avance de deux cent -à deux cent-vingt pas sur Voisin qui les suivait -à cheval. Plus haut, à trois cent cinquante pas -au-dessous du lieu où le crime avait été commis, -ils furent encore rencontrés par deux témoins, -et ces derniers trouvèrent Voisin, montant -la côte à pied, à cent cinquante ou deux cents -pas environ au-dessous de l'endroit où il avait -perdu la vie. Quelques instans après, vers huit -heures ou huit heures moins un quart, la -fille Cabour, suivant sa déposition, les vit tous -<span class="pagenum"><a id="Page_373"> 373</a></span> -deux sortir du bois, saisir Voisin et l'entraîner -violemment dans la partie de la forêt où il fut -trouvé mort; suivant le même témoin, Voisin, -dans cette lutte, n'avait pas jeté un cri: -elle n'avait pas non plus entendu la détonation -du pistolet, parce qu'elle avait perdu connaissance -pendant cette scène.</p> - -<p>Quoique cette déposition se trouvât fortement -contrariée par d'autres déclarations, -trois bûcherons, par leur témoignage, lui prêtaient -un puissant appui. Ils affirmaient qu'étant -à travailler au bord de la forêt, à peu -de distance de la route, et à trois cent cinquante -pas au-dessus du lieu où les accusés avaient -été rencontrés par Cornu et Sillé, ils ne virent -Daguet et Heurtaux paraître à leur hauteur -qu'un quart d'heure environ après avoir -entendu le coup d'arme à feu qui donna la -mort au malheureux Voisin; ils dirent, en outre, -que Daguet, monté sur sa voiture, était -tout en sueur; que la femme Heurtaux n'était -pas avec ses coaccusés, quoiqu'elle soutînt -le contraire, et que Daguet ne s'était pas -arrêté pour faire la conversation avec eux, -quoique les accusés eussent affirmé ce fait. -Un quart de lieue plus loin, les trois accusés, -<span class="pagenum"><a id="Page_374"> 374</a></span> -alors réunis, trouvèrent le nommé Boucachard -fort impatient de ne pas voir paraître -Voisin qu'il attendait, et comme cet homme -témoignait l'intention de retourner vers la -Bouille, pour voir si le voyageur ne s'était pas -égaré, Daguet chercha à le détourner de ce -dessein, et l'engagea à continuer sa route jusqu'au -Bourgtheroulde.</p> - -<p>Une autre circonstance déposait aussi violemment -contre les accusés. Un sieur Dubourg, -serrurier à la Bouille, avait déclaré, -après beaucoup de tergiversations, qu'il reconnaissait -le pistolet pour avoir appartenu -à Heurtaux père, qui le lui avait donné naguère -à raccommoder.</p> - -<p>Toutes ces dépositions furent reproduites -à l'audience. Les accusés protestèrent de leur -innocence; ils cherchèrent à expliquer leur -présence dans le voisinage de la scène du -crime, et soutinrent que la fille Cabour en -imposait à la justice, en les signalant comme -les auteurs de l'assassinat de Voisin. Ils nièrent -également tous les propos qui leur étaient -imputés.</p> - -<p>Cependant la fille Cabour avait désigné les -moindres parties du costume des accusés; elle -<span class="pagenum"><a id="Page_375"> 375</a></span> -les avait reconnus, dès l'abord, entre plusieurs -autres prisonniers. Elle déclara que la -crainte que lui inspirait Daguet avait été la -seule cause du silence qu'elle avait long-temps -gardé sur cette malheureuse affaire. -Malgré les vives apostrophes et les violentes -interpellations des trois accusés, la fille Cabour -n'en persista pas moins dans sa déclaration.</p> - -<p>Cette procédure, commencée le 28 novembre, -se prolongea jusqu'au 4 décembre. -Sur la déclaration du jury, Heurtaux et Daguet, -déclarés coupables d'assassinat suivi de -vol, furent condamnés à la peine de mort. La -femme Heurtaux fut acquittée de l'accusation -de recélé.</p> - -<p>Quand les accusés furent introduits dans -la salle, pour entendre la déclaration du -jury, une scène déchirante émut vivement -les spectateurs. Le président prononça d'abord -l'acquittement de la femme Heurtaux; -mais, lorsqu'il donna ordre de la faire sortir, -elle se cramponna au banc, en s'écriant -qu'elle voulait partager le sort de son mari. -«Il est innocent comme moi, s'écriait-elle; -c'est une injustice! je ne veux pas le quitter.» -<span class="pagenum"><a id="Page_376"> 376</a></span> -Les gendarmes furent obligés de l'enlever de -vive force.</p> - -<p>Daguet, abattu, gardait un morne silence. -Heurtaux s'écria qu'il était innocent, et qu'il -en appelait aux magistrats de la décision du -jury; Daguet se leva, et, à voix basse, protesta -aussi de son innocence.</p> - -<p>Le pourvoi des deux condamnés ayant -été rejeté par la Cour de cassation, ils furent -exécutés sur la place publique de Bourgtheroulde.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_377"> 377</a></span></p> -<h2 class="normal">BANCELIN,<br /> -<span class="medium">MEURTRIER DE SON ÉPOUSE.</span></h2> -</div> - -<p>Ici le crime ne fut point la conséquence du -libertinage. La victime et le bourreau sont -presque également dignes d'intérêt. Bancelin -aimait sa femme; mais sa brutalité, ses emportemens, -sa fureur presque habituelle, -avaient à la fin forcé cette malheureuse épouse -de fuir le domicile conjugal, et ce fut le désespoir -que causa à Bancelin cet abandon, qui -le rendit criminel.</p> - -<p>Jean-Baptiste-Auguste Bancelin, âgé de -trente-neuf ans, propriétaire et marchand de -bois à Saint-Menehould, appartenait à une -famille très-connue par l'étendue de son commerce. -Il avait épousé Marie-Élisabeth Salmon, -issue d'une famille très-recommandable.</p> - -<p>Des spéculations extravagantes et malheureuses -avaient aigri le caractère de Bancelin. -<span class="pagenum"><a id="Page_378"> 378</a></span> -Sa femme, par ses manières douces et affectueuses, -tâchait de calmer les fureurs qui -l'agitaient; elle supportait avec patience et -résignation les injures qu'il lui prodiguait, ne -laissait échapper aucune plainte au sujet des -mauvais traitemens qu'elle en éprouvait, et -dérobait avec soin à la connaissance du public -les scènes déplorables qui se passaient -dans l'intérieur de la maison: en un mot, -suivant l'expression d'un témoin, madame -Bancelin était un ange de vertu.</p> - -<p>Dans le mois de juillet 1826, Bancelin -conçut le projet d'ouvrir une auberge. Sa -femme lui fit, avec tous les ménagemens possibles, -des remontrances sages sur les difficultés -que présentait cet établissement. Bancelin, -au lieu de les écouter et de les peser, -devint furieux; il s'arma d'une bouteille et la -lança à la tête de sa femme: celle-ci fut blessée, -mais elle dissimula courageusement sa -souffrance. Bancelin la prit aux cheveux, -l'entraîna dans un cabinet voisin, la renversa -sur le carreau et la foula aux pieds. Elle lui -déclara alors qu'elle le quitterait, qu'elle ne -pouvait vivre plus long-temps avec lui. Cette -menace ne fut qu'un stimulant pour la fureur -<span class="pagenum"><a id="Page_379"> 379</a></span> -de Bancelin; il redoubla ses mauvais traitemens. -Au milieu de cette scène de violence, la -malheureuse femme s'écriait: <i>Laisse-moi la -vie, je t'en conjure; si ce n'est pas pour moi, -que ce soit pour mes enfans!</i> Une voisine -qui l'entendit, vola à son secours; elle arriva -au moment où Bancelin, armé d'un canon de -fusil servant de soufflet, allait en frapper sa -femme. Cette infortunée, accablée de douleur -et de chagrin, ne pouvant plus rester -avec son mari, prit la fuite pendant la nuit. -Elle conserva encore assez de courage pour -emporter avec elle un de ses jeunes enfans, -et, chargée de ce précieux fardeau, elle se -rendit des Islettes à Sainte-Menehould, et se -réfugia chez une de ses sœurs, établie en cette -ville.</p> - -<p>Bancelin, ne pouvant supporter l'idée de -vivre séparé de sa femme, tourmenté peut-être -aussi par les remords de sa conscience, -tenta tous les moyens de réconciliation, mais -inutilement. Un mois s'était écoulé sans qu'il -eût pu obtenir que sa femme revînt chez lui. -Enfin, le 1<sup>er</sup> septembre, ayant formé un projet -sinistre, il se rendit à Verdun pour y acheter -de l'arsenic, mais il ne put s'en procurer. -<span class="pagenum"><a id="Page_380"> 380</a></span> -Il entra dans la boutique d'un armurier, qui -lui vendit un pistolet. Il s'informa si, avec -cette arme, on pouvait tuer un chien à quatre -pas; et, sur la réponse affirmative, il s'en -alla. Mais bientôt il revint acheter un second -pistolet, et retourna à son domicile, où il fit -lui-même l'essai de ses nouvelles armes.</p> - -<p>Le lendemain, jour du fatal événement, -déterminé à partir pour Sainte-Menehould, -il brûla ses papiers, enveloppa son violon -d'un crêpe, et recouvrit une table ronde avec -une robe noire de sa femme. A trois heures -environ, il se rendit à Sainte-Menehould. Il -avait emporté deux bouteilles de vin blanc; -il en prit une pour sceller sans doute le raccommodement, -et courut au logis de sa belle-sœur, -où sa femme s'était retirée. Il demanda -à la voir. On avertit madame Bancelin de la -visite de son mari: elle se présenta. La conversation -s'engagea sans humeur de part ni d'autre, -seulement la femme refusa de venir aux Islettes, -et Bancelin sortit. Un instant après, il -reparaît, pénètre dans l'arrière-boutique, où -sa femme s'était mise à tricoter à côté de sa -sœur, qui elle-même travaillait à une robe et -causait avec un marchand étranger, assis près -<span class="pagenum"><a id="Page_381"> 381</a></span> -de sa fenêtre. Bancelin réitère ses sollicitations, -en se promenant à grands pas dans la -chambre. <i>Veux-tu enfin revenir avec moi?</i> -dit-il à sa femme.—<i>Ce ne sera pas encore -aujourd'hui</i>, répondit-elle. Au même moment, -une détonation se fait entendre... La -malheureuse femme tombe, en s'écriant: <i>Je -suis tuée!</i></p> - -<p>Bancelin prit aussitôt la fuite et courut se -précipiter dans la rivière. Comme l'eau n'était -pas profonde, on parvint aisément à l'en -retirer, et on le conduisit dans une salle de -l'Hôtel-de-Ville, où bientôt après il fut interrogé -par le juge d'instruction.</p> - -<p>Le pistolet dont il s'était servi pour son -crime, était chargé de deux chevrotines, qui -avaient pénétré dans la partie postérieure et -inférieure du cou. Les blessures, qui n'étaient -pas mortelles de leur nature, le devinrent -par la suite, d'après le rapport des médecins -appelés pour en constater l'état, et la -malheureuse femme Bancelin succomba, après -six semaines de souffrance et d'agonie.</p> - -<p>Lors de son interrogatoire, Bancelin était -calme et de sang-froid. Il déclara que des -deux pistolets qu'il avait achetés, l'un chargé -<span class="pagenum"><a id="Page_382"> 382</a></span> -de deux chevrotines, était destiné à sa femme, -l'autre, chargé de trois, devait servir pour -lui-même; et qu'afin de ne pas se tromper, -il avait mis le premier dans la poche de son -habit, et le second dans le gousset de son -pantalon; que son intention pourtant, en entrant -dans la chambre où il avait vu sa femme, -n'était pas de la tuer, mais que cela devait -dépendre de la bonne ou mauvaise réception -qu'elle lui ferait; que, désespéré de la fatale -obstination qu'elle mettait à ne pas vouloir -rentrer avec lui, il avait tiré sur elle; que -voulant aussitôt terminer ses propres jours, -il avait dirigé contre lui son second pistolet, -que le coup avait raté, et que le seul parti -qui lui restait à prendre étant de se jeter à -l'eau, il l'avait fait.</p> - -<p>Bancelin changea de langage aux débats -qui eurent lieu devant la Cour d'assises de -Reims, dans la session de décembre 1826, selon -son nouveau système de défense, il n'avait -pas eu l'intention de tuer sa femme, -puisqu'il lui apportait de l'argent, des meubles -et autres objets propres à son usage. Il -n'avait point de projet de meurtre, puisqu'il -se proposait de goûter avec elle. Il prétendit -<span class="pagenum"><a id="Page_383"> 383</a></span> -que s'il l'avait frappée à mort, c'est qu'en armant -le pistolet qu'il voulait diriger contre -lui-même, le coup était parti inopinément. Il -fit valoir divers témoignages de son affection -et de son attachement pour sa femme, et ses -larmes abondantes n'attestaient que trop, selon -lui, combien il la regrettait.</p> - -<p>Un incident important s'éleva sur l'application -de la peine. Les questions suivantes -avaient été posées au jury: Bancelin, accusé, -est-il coupable d'avoir, le 2 septembre dernier, -commis volontairement un homicide -sur la personne de Marie-Élisabeth Salmon, -sa femme, en lui tirant à bout portant un -coup de pistolet? Avant cette action, Bancelin -avait-il formé le dessein d'attenter à la personne -de sa femme?</p> - -<p>Le ministère public déclara qu'il ne lui -semblait pas que la préméditation fût suffisamment -établie, et requit que la question -fût posée dans les termes résultant de l'accusation, -c'est-à-dire de la manière suivante: -Est-il coupable d'avoir, le 2 septembre, commis -volontairement et avec préméditation -un homicide sur la personne de Marie-Élisabeth -Salmon, son épouse?</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_384"> 384</a></span> -La cour, après en avoir délibéré, décida -qu'il ne serait rien changé aux questions posées -primitivement, et qui furent toutes deux -résolues affirmativement par le jury.</p> - -<p>Le procureur du roi s'étant fait remettre -la déclaration des jurés, requit, après une -lecture attentive, l'application de plusieurs -articles du code pénal portant la peine de -mort. Le président demanda à l'accusé s'il -n'avait pas quelques observations à faire sur -ce réquisitoire. Alors le procureur du roi se -leva de nouveau, et s'exprima en ces termes: -«Messieurs, nous avons un devoir, un devoir -de conscience à remplir; nous demandons -qu'il plaise à la cour nous donner acte de -ce que, rectifiant nos conclusions, et attendu -que de la déclaration du jury, il résulte que -Bancelin est coupable d'homicide volontaire, -mais qu'il ne résulte pas que cet homicide ait -été commis avec préméditation; qu'en effet, -il n'est déclaré coupable que d'avoir, à l'avance, -formé le dessein d'un attentat à la personne -de sa femme, mais que cet attentat -n'est spécifié ni dans la question, ni dans la -réponse; qu'il peut y avoir diverses sortes -d'attentats contre la personne d'un individu, -<span class="pagenum"><a id="Page_385"> 385</a></span> -et que les termes de la réponse du jury n'apprennent -pas si l'attentat médité par Bancelin -contre la personne de sa femme était de nature -à lui donner la mort; qu'à la vérité on -pourrait, jusqu'à un certain point, l'induire -de la corrélation des deux questions, mais -qu'une simple induction ne peut suffire pour -établir d'une circonstance de fait en matière -criminelle, surtout lorsqu'elle entraîne -la peine capitale; nous requérons contre -Bancelin l'application des articles 95 et 104 -du code pénal, et sa condamnation aux travaux -forcés à perpétuité.»</p> - -<p>Après une heure de délibération, le président -prononça un arrêt dont les considérans -établissaient qu'il n'y avait aucune incertitude -dans les réponses du jury, et qu'il condamnait -en conséquence Bancelin à la peine -de mort.</p> - -<p>«Bancelin, ajouta le président d'une voix -qui trahissait sa vive émotion, vous avez trois -jours francs pour déclarer si vous entendez vous -pourvoir en cassation contre l'arrêt que la -Cour s'est vue dans la nécessité de prononcer -contre vous.»</p> - -<p>Bancelin, d'un organe altéré, s'écria pour -<span class="pagenum"><a id="Page_386"> 386</a></span> -toute réponse: <i>Adieu, mes pauvres enfans!</i></p> - -<p>Néanmoins il se pourvut en cassation et en -grâce, et les jurés le recommandèrent à la -clémence du roi.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_387"> 387</a></span></p> -<h2 class="normal">LE COUPLE ASSASSIN.</h2> -</div> - -<p>Le 14 juillet 1826, Marguerite Durand, -veuve Corpedanne, et Françoise Bourgine, -sa belle-fille, furent assassinées dans leur maison, -à Villeflon. Le mari de cette dernière étant -rentré chez lui, et ayant vu sa femme étendue -par terre, la tête appuyée sur une table, et -nageant dans son sang, fut saisi d'un tel -effroi qu'il s'enfuit par la baie de la croisée -en poussant des cris de désespoir qui attirèrent -plusieurs voisins. Sur sa déclaration, -on pénétra dans la maison, et l'on trouva la -veuve Corpedanne étendue sans vie dans son -lit. Elle avait au visage six blessures différentes, -faites avec un instrument contondant.</p> - -<p>Sa belle-fille avait aussi plusieurs plaies -profondes sur la tête et sur la figure; elle -était sans connaissance. On crut d'abord -qu'elle n'existait plus: ce fut en la mettant -dans son lit qu'on s'aperçut qu'elle respirait -encore. On trouva par terre, dans la maison, -<span class="pagenum"><a id="Page_388"> 388</a></span> -un morceau de chevron de trois pieds deux -pouces de longueur et de trois pouces de largeur; -ce morceau de chevron était teint de -sang à l'une de ses extrémités; on y reconnaissait -des empreintes de doigts ensanglantés, -et il fut constaté que ces empreintes provenaient -de la main d'un homme qui était -gaucher. Un fusil qui était pendu dans la -chambre avait été volé; il avait servi à frapper -la veuve Corpedanne. On le reconnut aux -trous profonds que le chien de la batterie -avait faits sur la figure de la victime; on -trouva en outre sur le lit et sur une chaise -deux éclats de bois ensanglantés, paraissant -provenir de la crosse d'un fusil. Une timballe -d'argent portait aussi des empreintes de doigts -et des traces de sueur indiquant la main d'un -gaucher. Au milieu de la chambre, et dans -une mare de sang, était la clef de la porte -de la maison donnant sur la rue, ce qui semblait -prouver qu'avant d'être terrassée, la belle-fille -de la veuve avait cherché à sortir pour -appeler du secours. Deux commodes, dans -lesquelles les époux Corpedanne mettaient -leur argent et leurs effets, avaient été fracturées -avec la pelle à feu, et l'on en avait -<span class="pagenum"><a id="Page_389"> 389</a></span> -soustrait un sac de toile contenant 30 francs -en pièces de 5 francs; on avait pris aussi quelques -sous en monnaie de cuivre, ainsi que du -linge et des effets.</p> - -<p>Une vile cupidité avait fait commettre ce -double assassinat; mais quels en étaient les -auteurs? La jeune femme Corpedanne, dans -les premiers instans, était hors d'état de donner -les moindres indices. Elle resta plusieurs -jours dans la maison de Villeflon, mais toujours -plongée dans un assoupissement complet, -ne pouvant prononcer aucune parole, -ni même faire le moindre signe. Le 20 juillet, -on la transféra à l'hospice de Provins; le -23, son mari et le nommé Bourgine, son cousin, -qui étaient auprès de son lit, lui demandèrent -si elle connaissait ses assassins. Elle ne -put d'abord leur répondre que ces mots: -<i>Oui, je le sais bien, c'est un voisin</i>. Son mari -et son cousin lui nommèrent alors tous les -habitans de Villeflon, et elle répondait toujours: -<i>Non.</i> Mais quand ils prononcèrent le -nom de Ninonet, elle répondit: <i>Oui, c'est -Ninonet</i>.</p> - -<p>Le juge d'instruction et le procureur du roi -furent à peine instruits de cette circonstance, -<span class="pagenum"><a id="Page_390"> 390</a></span> -qu'ils se rendirent à l'Hôtel-Dieu, et la femme -Corpedanne qui était encore dans un état alarmant, -et dont les idées n'étaient pas encore -bien nettes, puisqu'elle commençait seulement -à recouvrer la mémoire, fit avec beaucoup de -peine la déclaration suivante: «C'est Pierre -Ninonet; il était habillé en drap bleu; il est -entré par la croisée; je me suis lancée sur lui; -je l'ai nommé; il ne répondait pas. Je lui ai -dit: Pierre, laissez-moi donc tranquille. Il -me disait: Va-t'en, grande gueuse; donne-moi -ta bourse ou ta vie. Il m'a donné un coup -entre les épaules; il a allumé la chandelle -avec l'amadou; il m'a donné des coups; il a -pris le fusil et il s'est enfui avec. Je ne l'ai vu -que tout seul: je l'ai vu comme je vous vois. -C'est un habit de drap bleu, ce n'est point -une veste. Avant, il me disait: Tu restes seule -dans cette maison, toi; ton parrain a envie -de faire ton affaire. Ce n'est pas mon parrain, -mais c'est bien lui qui voulait faire mon affaire. -Je suis fatiguée... Je n'en puis plus...»</p> - -<p>Le lendemain, à onze heures du matin, -Corpedanne se trouvant encore auprès du lit -de sa femme, celle-ci lui dit que la femme -Ninonet était avec son mari, que tous deux -<span class="pagenum"><a id="Page_391"> 391</a></span> -l'avaient battue; que Ninonet lui disait: -«Garce, tu as de l'argent; il faut que tu me -le donnes ou que tu perdes la vie;» que la -femme Ninonet fouillait dans les meubles; -qu'elle cherchait partout; qu'elle était bien -sûre de ce qu'elle disait, et qu'elle ne dirait -pas autrement, parce que c'était lui.</p> - -<p>Le même jour, le juge d'instruction et le -procureur du roi se rendirent de nouveau à -l'Hôtel-Dieu de Provins, et la femme Corpedanne -leur fit cette nouvelle déclaration: «La -femme Ninonet; c'est elle qui m'a consommée: -elle est venue avec son mari; je l'ai bien -vue. Tous les deux m'ont frappée; elle m'a -bien fait souffrir. Elle me tenait par les cheveux; -elle a fouillé dans tous les meubles; elle -croyait que nous avions de l'argent; elle me -disait: Tu as de l'argent, tu ne le montres pas. -Nous n'avions qu'une dixaine d'écus; si mon -mari avait reçu son gage, nous aurions eu -250 francs qui n'auraient pas encore été employés. -Nous avions 300 francs chacun quand -nous nous sommes mariés; nous les avons -employés dans la maison. C'était comme -un lion; elle a cherché partout. Elle m'a -dit: <i>La bourse ou la vie!</i> Je l'ai vue fouiller -<span class="pagenum"><a id="Page_392"> 392</a></span> -dans la commode. Son homme m'a frappée -dans mon lit; je me suis traînée par terre; -c'est le mari qui a frappé le premier coup de -la mort. Elle regardait partout; elle faisait le -diable; parce que nous avons donné un loyer -plus fort, ils nous croyaient bien riches. La -femme Ninonet avait un cotillon de laine à -raies, un fichu d'indienne fond bleu à fleur; -ils ont apporté une chandelle. Ninonet venait -chez nous tous les huit jours; il me disait -quelquefois: «Je la connais mieux que toi, -la maison.»</p> - -<p>Le même jour, à cinq heures du soir, Corpedanne -était encore près de sa femme. «Ma -bonne amie, lui dit-il, il faut déclarer la vérité; -si ce n'est pas Ninonet, il ne faut pas le -dire.—Je te dis que c'est lui; sa femme était -avec lui; je ne dirai jamais autrement.»</p> - -<p>Le 22 août, Ninonet et sa femme, qui -avaient été arrêtés, furent confrontés avec la -femme Corpedanne. Celle-ci, en apercevant -Ninonet, s'écria: <i>Je vois mon bourreau! tu -croyais bien m'avoir tuée?</i> Elle rappela ensuite -en sa présence tous les faits dont elle avait -parlé précédemment.</p> - -<p>Confrontée ensuite avec la femme Ninonet, -<span class="pagenum"><a id="Page_393"> 393</a></span> -elle lui dit que, sans doute, elle avait bien prié -le bon Dieu pour qu'elle mourût de ses blessures, -mais qu'elle était encore en vie. «Si -j'avais su ce que vous projetiez, ajouta-t-elle, -je ne vous aurais pas reçus chez nous -tous les jours.» Puis elle exprima le déplaisir -et la peine qu'elle éprouvait, lorsque étant -dans son lit, à Villeflon, sans pouvoir articuler -une parole, elle voyait dans la chambre et -autour d'elle la femme Ninonet qui voulait -lui porter des soins, lui donner à boire et se -rendre utile dans la maison. La malheureuse -Corpedanne, apostrophant cette femme, lui -dit: «Si j'avais pu parler le lendemain, vous -ne seriez pas entrée dans la maison; j'avais -peur que vous ne m'acheviez, ou que vous -m'empoisonniez en me donnant à boire; vous -aviez l'air de vous intéresser à moi; au fond, -vous désiriez bien que je n'en revienne pas.»</p> - -<p>Ninonet et sa femme se renfermèrent dans -un système absolu de dénégation. L'un était -âgé de trente-six ans, et l'autre de vingt-sept. -Les débats de cette cause, qui furent -portés devant la cour d'assises de Melun, durèrent -deux jours. La déposition de la femme -Corpedanne était accablante pour les deux -<span class="pagenum"><a id="Page_394"> 394</a></span> -accusés; elle fut recueillie avec tout l'intérêt -qu'inspiraient ses malheurs et la vérité frappante -dont elle semblait être l'organe. Elle -répondit à toutes les questions qui lui furent -adressées, avec une candeur, une clarté, une -précision remarquable.</p> - -<p>L'accusation fut soutenue par le ministère -public avec cette force que donne une conviction -profonde. Les deux prévenus furent -condamnés à la peine de mort. Ninonet versa -des larmes abondantes en entendant sa condamnation, -mais sa femme demeura impassible.</p> - -<p>Le pourvoi de ces deux misérables ayant -été rejeté par la Cour de cassation, l'arrêt fut -exécuté le 21 avril 1827, sur la place Saint-Ayou, -à Provins. Les condamnés avaient été -extraits, la veille, de la maison de justice de -Melun, et furent transférés dans celle de Provins. -Le procureur du roi et le juge d'instruction -se rendirent auprès d'eux et les engagèrent -vainement à faire l'aveu de leur crime; -tous deux persistèrent à protester de leur innocence. -La femme Ninonet s'emporta même -au point de dire au juge d'instruction: <i>Si</i> -<span class="pagenum"><a id="Page_395"> 395</a></span> -<i>Dieu me donnait sa puissance, vous n'en jugeriez -pas d'autres.</i> Ils tinrent constamment -le même langage jusqu'au moment de leur -exécution, qui eut lieu en présence d'un grand -concours d'habitans des campagnes voisines.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_396"> 396</a></span></p> -<h2 class="normal">HENRIETTE CORNIER.</h2> - -<p>Le nom de cette malheureuse femme rappelle -un de ces crimes étranges, commis sans -intérêt, sans passion, sans esprit de vengeance, -qui demeurent des énigmes pour la raison -comme pour la science de l'homme.</p> - -<p>Henriette Cornier était entrée comme domestique -chez le sieur Fournier, à Paris. Le -4 novembre 1825, elle vit et caressa chez un -fruitier du voisinage l'enfant de la femme Belon. -Cette petite fille, nommée Fanny, n'était -âgée que de dix-neuf mois. La fille Cornier la -fit monter dans sa chambre en la comblant de -caresses; puis, elle l'étendit sur son lit, lui -coupa la tête et la jeta dans la rue, où elle alla -rouler aux pieds du père de cette innocente -créature!</p> - -<p>Cette action horrible, à laquelle on supposa -d'abord des motifs que l'on ne connaissait -point encore, mais qui devaient exister, répandit -en un instant la douleur et l'effroi dans -<span class="pagenum"><a id="Page_397"> 397</a></span> -tout Paris. Celle qui s'en était rendue coupable -fut arrêtée et interrogée par les magistrats.</p> - -<p>Traduite devant la Cour d'assises de la Seine, -à raison du forfait qu'elle avait commis, elle -dut d'abord comparaître devant ce tribunal -le 27 février 1826; mais on sursit aux débats -pour donner aux hommes de l'art le temps -d'apprécier l'état moral de l'accusée. Après -deux mois d'examen, les trois médecins, chargés -de cette importante mission, déclarèrent n'avoir -aperçu en elle aucune trace matérielle de -démence; cependant ils ajoutèrent que cette -opinion pourrait être modifiée par les circonstances -existantes ou éventuelles du procès.</p> - -<p>En conséquence, Henriette Cornier fut -ramenée devant la Cour d'assises le 24 juin -suivant, comme accusée du crime de meurtre, -commis avec préméditation. Elle déclara se -nommer Henriette Cornier, née à la Charité, et -être âgée de vingt-sept ans. Sa figure pâle portait -l'empreinte de la douceur. Elle répondit d'une -voix éteinte aux questions qu'on lui adressa; -un tremblement convulsif l'agitait continuellement -et semblait redoubler encore quand elle -ouvrit la bouche pour faire entendre quelques -accens entrecoupés.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_398"> 398</a></span> -Il résultait en substance de l'acte d'accusation -qu'Henriette Cornier, qui avait eu, pendant -toute sa jeunesse, un caractère gai, léger -et même folâtre, avait tout-à-coup changé -depuis dix-huit mois, et semblait, depuis cette -époque, dominée par une sombre mélancolie -qui l'avait conduite un jour à se précipiter -dans la Seine. Ce fut quelque temps après -qu'elle exécuta l'horrible meurtre qui l'avait -mise sous la main de la justice.</p> - -<p>C'est surtout dans une cause de ce genre -qu'il est important de reproduire textuellement -l'interrogatoire de la personne accusée. -Celui d'Henriette Cornier, s'il n'apprend rien -de nouveau, quant au triste fait accompli, -servira du moins à faire apprécier la situation -mentale de cette fille, au moment de son épouvantable -attentat.</p> - -<p><i>M. le Président.</i> Femme Cornier, a quelle -époque êtes-vous entrée chez Fournier? n'est-ce -pas à la fin d'octobre?</p> - -<p><i>R.</i> Oui, monsieur.</p> - -<p><i>D.</i> Comment vous trouviez-vous dans cette -condition? vous y trouviez-vous bien?</p> - -<p><i>R.</i> Oui, monsieur.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_399"> 399</a></span> -<i>D.</i> Le 4 novembre, vous avez vu et caressé -chez le fruitier l'enfant de la femme Belon?</p> - -<p><i>R.</i> Oui, monsieur.</p> - -<p><i>D.</i> Vous êtes montée avec elle dans votre -chambre, et l'avez embrassée?</p> - -<p><i>R.</i> Oui, monsieur.</p> - -<p><i>D.</i> Vous avez pris un couteau; quelle était -votre pensée?</p> - -<p><i>R.</i> Je ne voulais pas le faire.</p> - -<p><i>D.</i> En prenant ce couteau, vous aviez donc -l'intention de la tuer?</p> - -<p><i>R.</i> Je n'y ai pas pensé.</p> - -<p><i>D.</i> Vous l'avez placée sur votre lit et lui avez -donné la mort?</p> - -<p><i>R.</i> Oui, monsieur.</p> - -<p><i>D.</i> Quand la mère est venue vous demander -son enfant, vous lui avez répondu qu'elle était -morte?</p> - -<p><i>R.</i> Oui, monsieur.</p> - -<p><i>D.</i> Quel était votre dessein en jetant la tête -de cette enfant par la fenêtre?</p> - -<p><i>R.</i> La voix de l'accusée ne se fait plus entendre.</p> - -<p><i>Un juré.</i> On n'entend pas.</p> - -<p><i>M. le Président.</i> Faites venir l'accusée près -<span class="pagenum"><a id="Page_400"> 400</a></span> -la Cour, (à l'accusée) Quel était votre dessein -en jetant la tête de cette enfant?</p> - -<p><i>R.</i> Pour prouver que j'étais seule.</p> - -<p><i>D.</i> Vous vouliez faire connaître que vous -étiez l'auteur du crime?</p> - -<p><i>R.</i> Je n'en sais rien. Ça s'est passé comme -un éclair.</p> - -<p><i>D.</i> Vous n'avez donc pas été arrêtée par -la crainte de Dieu?</p> - -<p><i>R.</i> J'ai abandonné Dieu ce jour-là.</p> - -<p><i>D.</i> Quand vous avez tué l'enfant, aviez-vous -la crainte d'être punie?</p> - -<p><i>R.</i> Je ne pensais à rien dans cet instant là.</p> - -<p><i>D.</i> Aviez-vous éprouvé des malheurs avant -cette époque?</p> - -<p><i>R.</i> Non, Monsieur.</p> - -<p><i>D.</i> Cependant on vous a vue pleurer antérieurement?</p> - -<p><i>R.</i> J'étais triste; je ne sais pas pourquoi.</p> - -<p><i>D.</i> Comment la crainte de Dieu ne vous -a-t-elle pas arrêtée?</p> - -<p><i>R.</i> J'étais triste ce jour-là.</p> - -<p><i>D.</i> Qui vous a arrêtée au moment de vous -jeter à la rivière?</p> - -<p><i>R.</i> La crainte de Dieu.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_401"> 401</a></span> -<i>D.</i> Vous aviez dit que c'étaient les passans -qui vous en avaient détournée.</p> - -<p><i>Un juré</i>: A cette époque, l'accusée avait-elle -déjà la pensée de tuer un enfant?</p> - -<p><i>L'accusée</i>: Non, jamais.</p> - -<p><i>D.</i> Vous aviez pourtant cette idée en prenant -un couteau dans la cuisine?</p> - -<p><i>R.</i> Non, monsieur.</p> - -<p><i>D.</i> Mais vous l'aviez quand vous avez emporté -l'enfant dans votre chambre?</p> - -<p><i>R.</i> Non, monsieur.</p> - -<p>Après cet interrogatoire, on appela comme -témoins le père et la mère de l'enfant, qui -déposèrent des faits tels qu'on les connaît déjà, -sans rien ajouter qui pût donner au crime de -la fille Cornier d'autre motif que la domination -tyrannique d'une affreuse idée.</p> - -<p>Quelques témoins à décharge déposèrent -qu'ils avaient connu la fille Cornier fort gaie, -mais que son caractère avait totalement changé -depuis dix-huit mois.</p> - -<p>Les trois médecins chargés d'observer l'état -mental d'Henriette Cornier, (MM. Esquirol, -Adelon et Léveillé), répétèrent ce qu'ils -avaient dit dans leur premier rapport: que -cette femme, livrée à une mélancolie profonde, -<span class="pagenum"><a id="Page_402"> 402</a></span> -n'était pas dans un état de folie proprement -dite. Mais M. Esquirol y ajouta ces mots: -«Notre jugement cesserait d'être absolu, s'il -était prouvé, comme on l'a énoncé dans l'acte -d'accusation, que cette femme, plusieurs -mois avant l'événement, était devenue sombre -et rêveuse, et si elle avait commis, quelque -temps auparavant, des tentatives de suicide.»</p> - -<p>Tout l'intérêt de la question se réduisait, -comme on le voit, à savoir si le crime de la -fille Cornier pouvait être regardé comme un -acte de démence; c'est ce que ses défenseurs -s'efforcèrent d'établir, mais ce que le ministère -public repoussa avec la plus grande énergie, -comme un système désorganisateur, à -l'aide duquel les plus grands criminels échapperaient -au châtiment.</p> - -<p>En définitive, sur la seule question posée, -celle d'homicide volontaire, le jury fit une réponse -affirmative, mais en écartant la circonstance -de la préméditation.</p> - -<p>En conséquence, Henriette Cornier fut condamnée -aux travaux forcés à perpétuité et à la -marque des lettres T. P. Elle entendit son arrêt -sans manifester la moindre émotion.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_403"> 403</a></span></p> -<h2 class="normal">HORRIBLE ASSASSINAT<br /> -<span class="small">ET</span><br /> -<span class="medium">SUICIDE.</span></h2> -</div> - -<p>M. Bruant, conseiller de préfecture à Besançon, -avait épousé une femme d'une grande -beauté. Il en eut trois enfans: une fille, qui -épousa un colonel au service de Russie, et -deux fils. La jalousie s'empara de son cœur, -les soupçons la suivirent. Il s'imagina que -les deux fils étaient les fruits d'amours adultères. -Dès ce moment, il ne put plus les souffrir; -il maltraitait sa femme; les enfans prenaient -la défense de leur mère, ce qui -augmenta encore la haine qu'il avait conçue -contre eux. Il forma l'affreux projet de s'en -défaire, et le malheureux Charles, son fils -aîné, fut sa première victime.</p> - -<p>Le jour du crime, étant à déjeûner avec -<span class="pagenum"><a id="Page_404"> 404</a></span> -sa femme et ses enfans, sous prétexte de réclamer -une somme de soixante-dix francs qu'on -lui avait envoyée, et que Charles avait remise -à sa mère, il fit une scène violente à ses -fils, en disant que c'était à lui, qui était chef -de la famille, qu'on devait remettre l'argent -qui entrait dans la maison. La scène -prit un tel caractère, que la mère, effrayée, se -retira dans sa chambre, accompagnée de son -plus jeune fils. Charles, craignant que sa -mère ne se trouvât indisposée, se leva pour -la suivre. Le père le rappelle et lui dit qu'il -veut lui parler. Charles obéit, revient près -de son père qui aussitôt tire un poignard -de sa poche et le lui plonge dans le cœur. -Charles, se sentant frappé, crie au secours. -La mère, en entendant les cris de son fils, -ouvre la porte de sa chambre donnant dans -la salle à manger, et voit Charles couvert -de sang. Le mari, tranquille, lui montre son -enfant, et lui dit avec un horrible sang-froid: -«Tenez, madame, voici votre bon sujet -de Charles qui vient de se suicider.» Alors -le malheureux jeune homme, recueillant le -peu de forces qui lui restaient, put dire d'une -voix presque éteinte: «Monsieur, n'ajoutez -<span class="pagenum"><a id="Page_405"> 405</a></span> -pas le mensonge au crime; ma mère, prenez -garde à vous!» et il expira. La mère se sauva -dans son appartement où elle s'évanouit.</p> - -<p>Pendant que madame Bruant, en proie au -plus affreux désespoir, était renfermée avec -son fils cadet, le coupable s'occupait des -moyens de faire disparaître les traces de son -crime. Il porte le cadavre de sa victime sur -un lit et le couvre d'un drap. Il envoie chercher -un ecclésiastique, prend, à son arrivée, -un air patelin et hypocrite, lui dit que son -fils vient d'avoir un coup de sang; qu'il craint -qu'il ne soit trop tard pour lui administrer -les derniers sacremens. Le prêtre l'engage à -ne point se désespérer, et l'assure que, pour -peu qu'il y ait encore le moindre souffle de -vie, il pourra remplir son ministère. Il s'approche -du lit pour poser sa main sur le cœur -du jeune homme, et recule d'horreur. Il se -retire en disant que son ministère n'est plus -nécessaire.</p> - -<p>Cependant, l'assassin voulant se débarrasser -du cadavre accusateur, envoie chercher -un médecin, et lui demande un certificat constatant -que le corps de son fils est en putréfaction, -et qu'il faut l'enterrer sans retard. Le -<span class="pagenum"><a id="Page_406"> 406</a></span> -médecin s'y refuse en disant que la mort est -trop récente; que ce serait une lâche complaisance -de sa part, et il se retire. Au refus -du médecin, il envoie chercher un pharmacien -auquel il fait la même demande; même -refus.</p> - -<p>Pendant ce temps, le bruit de la mort de -Charles s'était déjà répandu dans Besançon. -Craignant alors que son crime ne fût découvert, -M. Bruant se décide à inhumer son fils -de ses propres mains. Il fait venir six planches, -fabrique lui-même une bière, enveloppe -le corps dans une mauvaise toile à emballage; -dans la crainte que les coups de marteau ne -le trahissent, il renonce à clouer la bière; il -a l'horrible patience de la fermer avec des -clous à vis. Il porte le corps dans la campagne, -et l'enterre dans un cimetière.</p> - -<p>Le lendemain matin, il voulait se rendre -au conseil pour remplir ses fonctions; mais -le crime était connu de toute la ville; quelques -personnes le désignaient comme le coupable: -il reçut l'avis de ne pas se montrer en -public.</p> - -<p>Cependant la multitude se portait autour -de sa maison; une clameur générale l'accusait; -<span class="pagenum"><a id="Page_407"> 407</a></span> -des poursuites commencèrent. On découvrit -le cimetière où le malheureux Charles -avait été enterré; l'exhumation eut lieu, et -l'attentat fut constaté.</p> - -<p>D'après le procès-verbal des médecins, le -coup de poignard avait été porté avec une -telle violence, que la blessure avait six pouces -de profondeur. Un mandat d'arrêt fut lancé -contre M. Bruant.</p> - -<p>Averti qu'il ne pouvait plus cacher son -crime, ni soustraire sa tête à l'échafaud, ce -père dénaturé se décida à mettre fin à ses -jours. Il se barricada dans sa chambre, s'étendit -sur un matelas et se brûla la cervelle -avec un pistolet. Il avait placé dans sa chambre -du charbon allumé pour s'asphyxier, -dans le cas où il se serait manqué avec le -pistolet.</p> - -<p>La haine de ce monstre (car on ne saurait -lui donner un autre nom), la haine de ce -monstre pour ses enfans n'avait point été assouvie -par la mort de Charles. Avant de se tuer, -il avait fait un testament par lequel il déshéritait -son second fils. Par une autre disposition -testamentaire, il laissait à la ville de -<span class="pagenum"><a id="Page_408"> 408</a></span> -Besançon son cabinet d'antiquités; mais la -ville rejeta le legs avec horreur.</p> - -<p>La malheureuse mère ne survécut que quelques -semaines à cet affreux événement, qui -effraya Besançon au commencement de 1826.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_409"> 409</a></span></p> -<h2 class="normal">DERNIERS MOMENS<br /> -<span class="medium">D'UN SCÉLÉRAT CONDAMNÉ A MORT.</span></h2> -</div> - -<p>Il est, chez la plupart des êtres qui se lancent -dans la carrière du crime, un degré de -dépravation qui exclut toute idée de repentir, -qui enlève tout espoir de guérison. Ce sont -des membres gangrenés qu'il est urgent de -retrancher pour le salut et la sécurité du -corps social. Tant qu'il existera des scélérats -comme celui dont nous allons parler, la nécessité -de la peine de mort se fera sentir, sinon -comme moyen d'améliorer les mœurs, -mais comme mesure de sûreté. Ce n'est pas -que nous ne fassions, à l'instar d'une foule -de généreux philanthropes, des vœux sincères -pour l'abolition de cette peine de sang, qui -n'est pas toujours d'un salutaire exemple. -Mais nous pensons que, dans l'état actuel des -choses, un acte législatif de cette nature serait -<span class="pagenum"><a id="Page_410"> 410</a></span> -peut-être funestement prématuré. Ce -grand œuvre ne pourra être consommé, aux -applaudissemens de toutes les classes de la -société, que lorsqu'on aura donné à cette société -des garanties sûres et suffisantes; et ces -garanties ne peuvent se trouver que dans la -propagation des bonnes mœurs et surtout -dans leur heureuse implantation dans les rangs -inférieurs. Alors, mais seulement alors, les -vœux que forment tant d'âmes généreuses, -vœux que nous aimons à partager, pourront -être réalisés sans danger.</p> - -<p>Les détails succincts que nous allons donner -sur les derniers instans de Guillaume, forçat -libéré, exécuté à Meaux, le 16 février 1826, -peuvent servir de corollaire à ces réflexions.</p> - -<p>Ce Guillaume, convaincu d'avoir tué six -personnes, avait été condamné à mort. Après -sa condamnation, il n'avait pas été mis au cachot; -il fut gardé à vue, nuit et jour, dans une -chambre où il y avait du feu. Ses gardes, -autant pour le distraire que pour se distraire -eux-mêmes, jouèrent au piquet avec lui. Guillaume, -à plusieurs reprises, leur disait: «Allons, -10,000 francs; allons, cette fois, 100,000 francs, -à payer dimanche matin.» Il leur raconta, -<span class="pagenum"><a id="Page_411"> 411</a></span> -tout en jouant, diverses anecdotes de sa vie, -et notamment celle-ci, qu'il citait comme sa -plus belle action: «A l'époque de la terreur, -disait-il, l'argenterie et les bijoux de M. l'abbé -de Flay, mon parrain, furent confisqués. -Ayant découvert le lieu où ils étaient déposés, -je parvins à les voler; je les vendis à un juif, -et en remis fidèlement le prix à mon parrain.»</p> - -<p>L'aumônier des prisons, qui avait fait auprès -de lui plusieurs tentatives infructueuses -pour le ramener à des sentimens religieux, le -visita le matin du jour de l'exécution. Il lui -demanda comment il allait?—Mal, répondit -Guillaume; je sens les angoisses de la mort; -je suis à l'agonie.—Mais vous vouliez mourir -avec tant de courage! lui dit le respectable -ecclésiastique.—Oh! je le retrouverai, répliqua -Guillaume. Puis il remercia l'aumônier de -l'offre qu'il lui faisait de l'accompagner à l'échafaud.</p> - -<p>La veille de l'exécution, il avait écrit au -procureur du roi qu'il désirait avoir pour -son déjeûner un poulet et trois bouteilles de -vin, afin de finir sa vie comme il l'avait -passée.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_412"> 412</a></span> -Quelques heures avant l'instant fatal, il but -un litre de vin chaud avec du sucre, et au -moment de monter sur la charrette, il envoya -chercher pour huit sous d'absinthe, qu'il -avala tout d'un trait. Pendant le trajet, on -lui entendit dire plusieurs fois, en jetant les -yeux sur la foule immense des spectateurs: -«Les imbécilles de Français, de venir voir un -tel spectacle!... Ne courez pas si vite... On ne -fera rien sans moi.» Du plus loin qu'il aperçut -l'échafaud, il s'écria: <i>Ah! la voilà, cette -fois-ci; je ne l'échapperai pas!</i> Au moment de -descendre de la voiture, il prononça ces mots -d'une voix assurée: <i>Adieu, mes amis, je suis -innocent; j'ai toujours le même courage pour -mourir.</i></p> - -<p>Il avait enfin consenti à laisser monter avec -lui, sur la charrette, le curé de Notre-Dame, -ancien aumônier de la maison de justice. Mais, -pendant les exhortations de ce vénérable ecclésiastique, -il tournait la tête de tous côtés -et ne paraissait y faire aucune attention. Jusqu'au -dernier moment, il ne quitta pas son -ton de plaisanterie. En arrivant sur l'échafaud, -il frappa le plancher avec son pied en -<span class="pagenum"><a id="Page_413"> 413</a></span> -disant à l'exécuteur: Est-ce solide ici?—Oui, -ne craignez rien, répondit le bourreau. Quelques -secondes après, Guillaume avait cessé -d'exister.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_414"> 414</a></span></p> -<h2 class="normal">ASSELINEAU,<br /> -<span class="small">OU</span><br /> -<span class="medium">LES SUITES FUNESTES DE LA PASSION DU JEU.</span></h2> -</div> - -<p>Qui pourrait compter les victimes de la -passion du jeu? Que de familles affligées, -ruinées, déshonorées par cette lèpre de notre -société! Poètes, moralistes, auteurs dramatiques, -une foule d'écrivains en tous genres -ont déploré les excès de cette malheureuse -passion, et se sont efforcés d'y apporter remède. -Le mal a triomphé de leurs généreux -efforts. En vain madame Deshoulières a dit:</p> - -<p>/* -Le désir de gagner qui nuit et jour occupe, - Est un dangereux aiguillon. -Souvent, quoique l'esprit, quoique le cœur soit bon, - On commence par être dupe, - On finit par être fripon. -*/ -<span class="pagenum"><a id="Page_415"> 415</a></span> -En vain les tragiques fureurs de <i>Béverley</i> ont -fait frissonner au théâtre des milliers de spectateurs; -en vain <i>Trente ans de la vie d'un -Joueur</i> ont excité, de nos jours, les plus lugubres -et les plus déchirantes émotions; on -n'en continue pas moins à jouer, à jouer -avec fureur, et il n'est pas de jour où le jeu -ne fasse quelques nouvelles victimes, tant -cette passion est commune! tant elle semble -fortement enracinée dans le cœur de l'homme! -On s'est beaucoup récrié, et non sans -raison, contre les maisons publiques ouvertes -aux joueurs. Cette tolérance est un grand -malheur sans doute; mais ce qui en est un -bien plus grand, c'est qu'il y ait par le monde -tant de maisons particulières, qui, sous ce -rapport, sont de véritables maisons publiques. -Ah! il faut bien le dire, les seules leçons -à donner à cet égard, si les leçons sur ce -point peuvent être bonnes à quelque chose, -ce sont les tristes récits des effrayantes catastrophes -qui terminent quelquefois les désordres -des joueurs passionnés.</p> - -<p>Voici un extrait de l'acte d'accusation d'Asselineau, -prévenu d'assassinat sur la personne -de Brouet, garçon marchand de vin, qui est -<span class="pagenum"><a id="Page_416"> 416</a></span> -de nature à provoquer au moins quelques -réflexions salutaires.</p> - -<p>Asselineau, arrivé de son village à l'âge -de quatorze ans, mérita d'abord la confiance -des marchands de vin qui l'employèrent en -qualité de garçon. Chacun vantait son intelligence -et sa probité. Mais bientôt on s'aperçut -qu'il se dérangeait; sa conduite devint suspecte, -et le sieur Haro, chez qui il servait -alors, crut devoir le congédier. Il est probable -qu'à cette époque, vers la fin de 1825, -Asselineau avait déjà fréquenté les maisons -de jeu, et peut-être faut-il attribuer à cette -funeste source une somme de 2,000 francs -dont il était possesseur, et qu'il avait déposée -chez un sieur Barthélemy.</p> - -<p>Une faute en entraîne bientôt une autre. -Le sieur Barthélemy, en recevant d'Asselineau -cette somme de 2,000 francs, lui en -avait souscrit la reconnaissance. Asselineau, -qui ne pouvait suffire avec son travail seul -à sa dévorante passion, fabriqua de faux billets, -et y apposa la signature Barthélemy -qu'il avait appris à contrefaire. Les billets -faux se succédèrent rapidement; plus de dix -furent produits à la justice, et plusieurs -<span class="pagenum"><a id="Page_417"> 417</a></span> -étaient des effets de commerce. C'est par ce -moyen qu'Asselineau parvint à se soutenir -depuis la fin de 1825 jusqu'au commencement -de 1827. Sa famille paya quelques-uns -de ces effets; les plaintes de ceux qui avaient -été trompés furent étouffées, mais le moment -était venu où le crime ne pouvait plus échapper -à la rigueur des lois.</p> - -<p>Asselineau le pressentait bien. Plusieurs de -ses faux billets étaient échus; d'autres touchaient -à leur échéance; il était le débiteur -des derniers maîtres qui l'avaient employé, à -raison des déficits assez considérables trouvés -dans ses comptes. En un mot, au commencement -de février 1827, il restait totalement -privé de ressources et chargé de 7 à 8,000 fr. -de dettes. Une nouvelle escroquerie lui procura, -pour quelques jours encore, les moyens -d'exister. Il se présenta dans la soirée du 2 février, -chez un sieur Lefèvre, marchand de -bijoux, rue du Ponceau, auquel il avait fait -précédemment divers achats, et ne trouvant -au comptoir que la mère du sieur Lefèvre, il -demanda à emporter plusieurs cachets en or, -montés en topazes et en améthystes, qu'un -de ses amis, disait-il, l'avait chargé d'acheter. -<span class="pagenum"><a id="Page_418"> 418</a></span> -Asselineau promit de rapporter très-prochainement -ou les cachets ou leur valeur. On eut -trop de confiance en ses paroles. Il mit la -main sur les cachets et les porta au Mont-de-Piété, -où il en reçut quatre-vingt-quinze francs. -A quelques pas de là, Asselineau vendit la reconnaissance -moyennant quinze francs. Mais -cette escroquerie n'était qu'un danger de plus -ajouté à tant d'autres. Le sieur Lefèvre porta -plainte dans les vingt-quatre heures, et les -agens de police se mirent à la recherche d'Asselineau.</p> - -<p>Ici commence le dernier acte de ce drame -terrible. Une irrésistible fatalité, ou plutôt -une passion sans frein entraînait Asselineau de -crime en crime, et déjà les plus atroces ne -l'effrayaient plus. Il connaissait d'ancienne -date un sieur Moreau, arquebusier, rue Joquelet. -Au mois d'août précédent, il lui avait -acheté des pistolets et des balles. Il vint lui -acheter une nouvelle paire de pistolets et désormais -ne sortit plus qu'armé. Il prétendit -depuis que c'était pour se donner la mort. -Mais comment accueillir cette assertion? Le -19 février, Asselineau se livrait encore à une -<span class="pagenum"><a id="Page_419"> 419</a></span> -folle gaîté; on le vit danser et sauter sur les -tables d'un cabaret.</p> - -<p>Asselineau était lié avec un sieur Brouet, -garçon marchand de vin comme lui, mais -dont la conduite contrastait singulièrement -avec celle de son ami. Brouet était doux, honnête -et d'une vie irréprochable. Il tenait une -cave, rue Saint-Honoré, n<sup>o</sup> 346, pour le -compte du sieur Raimbault. Le mercredi, 22 -février, à neuf heures du matin, les voisins -s'aperçoivent que la boutique de Brouet est -encore fermée; ils s'en inquiètent; bientôt le -commissaire de police arrive, accompagné de -l'un des substituts du procureur du roi. Il fallut -briser un carreau et pénétrer dans la boutique -par la fenêtre du premier étage. Spectacle -horrible! Brouet était étendu baigné -dans son sang, la tête vers le comptoir, et les -pieds du côté du fourneau. Il était couvert -de ses vêtemens; près de lui, on voyait les débris -d'une bouteille. Mais ce n'était pas à des -coups de bouteille qu'il avait succombé. Un -coup de pistolet, tiré dans l'oreille gauche à -bout portant, lui avait seul ôté la vie. Brouet -n'était pas coupable d'un suicide; car il n'était -pas gaucher, et c'était à gauche qu'il -<span class="pagenum"><a id="Page_420"> 420</a></span> -avait été frappé. Une balle avait traversé la -tête; une autre fut trouvée dans la bouche, où -elle avait fracturé plusieurs dents, et ouvert -une artère par où le sang s'était épanché. Le -coup avait été entendu vers onze heures par -des vidangeurs qui travaillaient dans le voisinage, -et qui avaient cru que l'on frappait -à une porte avec violence. L'assassin avait -pris la fuite en fermant la porte sur lui et en -emportant la clef.</p> - -<p>On avait volé la victime. Une montre d'or -avec des breloques de même métal, des boucles -d'argent, une somme de cent dix francs, -une inscription de rente de cinquante francs, -un billet à ordre de neuf cent cinquante fr., -signé Forquignon, d'autres billets et des registres -renfermés dans une cassette, enfin du -linge et des vêtemens, tout avait disparu, -mais on ne connaissait pas encore le coupable.</p> - -<p>Asselineau avait été vu dans la boutique de -Brouet, le 21 février, dès trois heures et demie. -Il y avait passé toute la soirée; tantôt écartant -sous un faux prétexte un témoin qui -l'importunait, tantôt regardant fixement et -avec affectation les pratiques de Brouet, ôtant -<span class="pagenum"><a id="Page_421"> 421</a></span> -et remettant ses habits, demeurant les bras -nus, et quelquefois paraissant occupé à lire. -A onze heures, Brouet fermait sa boutique; -Asselineau seul y était encore. A onze heures -et quelques minutes, Brouet avait cessé d'exister. -Asselineau était donc l'assassin.</p> - -<p>Le 19 février, Asselineau s'était occupé de -l'achat d'une feuillette de vin pour un sieur -Daudé, employé aux jeux du Palais-Royal, -n. 9, lequel destinait cette feuillette à une -dame Rose Massyr, femme de charge. Asselineau -s'adressa à un marchand de vin, rue des -Boucheries-Saint-Honoré; il paya un à-compte -de 80 francs en or, parla d'une inscription -de rente de 50 francs qu'il devait aller vendre -à la Bourse, et le soir du même jour, revint -pour payer la feuillette, muni d'un billet de -500 francs qu'on ne put lui changer. Ses démarches -éveillèrent des soupçons; l'autorité -fut avertie, et, le 24 février, Asselineau, revenant -chez ce marchand de vin pour achever -de payer la feuillette, fut arrêté par des -agens de police placés en embuscade. Il voulait -d'abord faire résistance et portait fréquemment -les mains à ses poches. On le -fouilla, et on trouva sur lui un pistolet. Les -<span class="pagenum"><a id="Page_422"> 422</a></span> -agens de police se firent prêter main-forte, -et conduisirent Asselineau en lieu de sûreté.</p> - -<p>Chose étrange! le 23 février même, Asselineau, -se trouvant dans le cabaret du sieur -Niquet, rue de la Sourdière, s'entretenait froidement -de l'assassinat de Brouet, l'ami qu'il -avait tué. «Eh bien! dit-il à Niquet, vous -avez donc un de vos camarades qui a été assassiné?—C'est -vrai, répondit Niquet.—Que -dit-on là-dessus?—On dit que c'est un -de ses amis qui l'a assassiné: c'était un bien -brave homme, bien estimé que Baptiste!—Dit-on -si on l'a volé?—C'est bien présumable.»</p> - -<p>Asselineau, arrêté, ne pouvait nier son forfait: -on avait saisi sur lui la montre et les -boucles d'oreilles de Brouet. Il était encore -vêtu d'un habit noir et d'un pantalon arrachés -à sa victime. On retrouva dans son domicile -les registres de Brouet. Asselineau, confondu -par ces preuves accablantes, se confessa -coupable et du vol et de l'assassinat. Il chercha -seulement, dans les interrogatoires postérieurs, -à écarter la préméditation, en soutenant -que la pensée de son crime lui était -venue en un instant.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_423"> 423</a></span> -«Dans la maison de jeu du Palais-Royal, -n. 9, que fréquentait Asselineau, il y avait, -suivant l'acte d'accusation, un étranger soi-disant -commissionnaire en marchandises, -nommé Georges Sunboef, qui prêtait de l'argent -aux joueurs, sur nantissement de billets -et d'effets publics; ou bien il escomptait les -uns et achetait les autres. C'était cet homme -qui avait acheté d'Asselineau l'inscription de -rente de 50 francs; c'était lui qui lui avait -escompté le billet de 950 francs signé <i>Forquignon</i>, -et qui n'avait pas eu honte de lui -donner de l'un et de l'autre une somme de -960 francs. Asselineau avait endossé le billet -du nom de sa victime à la date du 25 janvier -1827; il avait signé du même nom une cession -de la rente.» Ainsi, pour cette somme -de 960 francs, il s'était rendu coupable d'un -assassinat, d'un vol et de deux faux.</p> - -<p>Asselineau fut traduit devant la Cour d'assises -de la Seine, le 26 mars. Cinquante-sept -témoins avaient été assignés pour déposer -dans cette affaire. L'accusé paraissait calme et -s'efforçait de se soustraire à la curiosité publique, -en se tournant du côté de la Cour. Il -<span class="pagenum"><a id="Page_424"> 424</a></span> -était âgé de vingt-un ans, et natif du département -de la Nièvre.</p> - -<p>Dans l'interrogatoire qui eut lieu devant la -Cour, Asselineau convint de l'assassinat et du -vol, reconnut les faux billets qui lui furent -représentés, avoua que c'était lui qui les avait -fabriqués, et borna tout son système de défense -à écarter la préméditation. On entendit -plusieurs témoins dont les dépositions ne firent -que confirmer les faits déjà connus et -avoués par l'accusé lui-même. On attendit -avec impatience la comparution de Sunboef, -le commissionnaire du Palais-Royal que l'acte -d'accusation avait gravement inculpé. Mais ce -témoin expliqua sa conduite d'une manière -qui parut satisfaire la Cour. Il n'avait fait, -dit-il, qu'avancer à l'accusé le prix de la rente -de 50 francs qui devait être vendue plus tard; -et, quant au billet signé <i>Forquignon</i>, Asselineau -ne l'avait point passé à son ordre; il le -lui avait seulement confié pour l'escompter. -Tous ces faits furent confirmés par le prévenu. -«J'étais hardi au jeu, dit Asselineau, -puisqu'en moins de dix mois, j'ai perdu plus -de dix mille francs. On me prenait pour un -<span class="pagenum"><a id="Page_425"> 425</a></span> -gros marchand de vins, et j'inspirais de la -confiance. C'est un de mes amis qui m'a perdu. -Il vint me débaucher chez le sieur Haro, -où je ne songeais qu'à travailler, et me conduisit -dans les maisons de jeux que j'ai toujours -fréquentées depuis.»</p> - -<p>Il n'est peut-être pas inutile de faire remarquer -qu'Asselineau commença par <i>jouer -au billard</i>. Il y gagna même à la poule une -<i>queue d'honneur</i>, et son malheureux père ne -prévoyait que trop dès-lors les funestes conséquences -d'une passion, qui alors pouvait -paraître encore innocente. Disons néanmoins -que tout sentiment d'honneur n'était pas -éteint dans le cœur de l'accusé. Une lettre -de lui atteste le désir qu'il avait de payer ses -dettes, et de dédommager ceux qu'il avait -trompés. «L'heure est sonnée, écrivait-il; -c'en est fait! il faut vous avouer mes erreurs -et mettre au jour toutes mes bassesses. Si, en -mourant, je ne laissais pas de dupes, je serais -content.»</p> - -<p>Le ministère public soutint l'accusation -avec force. «Sans doute, dit-il, il faudrait -plaindre un malheureux jeune homme, qui, -entraîné par un ami perfide dans ces maisons -<span class="pagenum"><a id="Page_426"> 426</a></span> -où l'on perd à la fois et sa fortune et l'honneur, -demanderait grâce pour sa faiblesse et -son inexpérience. Mais en est-il ainsi d'Asselineau? -Non, sans doute; c'est dans un café -qu'on l'a d'abord entraîné, et depuis il s'est -livré successivement, et pendant deux années, -à tous les excès du jeu!»</p> - -<p>M<sup>e</sup> Gechter, défenseur de l'accusé, présenta -le tableau hideux des maisons de jeu, -de ces maisons où, suivant son expression, -<i>la démoralisation, l'usure et le vol sont affermés</i>. -Il appela l'indulgence des juges sur l'extrême -jeunesse d'Asselineau, et tout en le regardant -comme un grand coupable, il les -excita vivement à prendre en pitié le sort de -ce jeune homme qu'un entraînement funeste -et irrésistible avait conduit à sa perte.</p> - -<p>Asselineau prit lui-même la parole après -son défenseur; il retraça avec précision et -clarté l'histoire déplorable de sa vie et de sa -passion. Arrivé à la catastrophe du 21 février, -il ne put achever et retomba sur son banc.</p> - -<p>La réponse du jury ayant été affirmative -sur tous les chefs, excepté celui de la préméditation, -aux termes de l'article 304 du Code -<span class="pagenum"><a id="Page_427"> 427</a></span> -pénal, la Cour condamna Asselineau à la peine -de mort.</p> - -<p>Le coupable entendit avec calme ce terrible -arrêt. Quand il fut prononcé, il voulut -parler. «J'ai dit la vérité, toute la vérité, répétait-il -à voix basse.—Du courage! lui dit -son avocat.—Du courage! s'écria Asselineau, -j'en ai plus que vous. Vous trembliez -en me défendant!»</p> - -<p>Asselineau avait lui-même rédigé dans le -plus grand détail un précis de sa vie entière. -Cette relation curieuse fut publiée à l'époque -de la procédure. En lisant la vie de cet infortuné, -on ne peut se défendre des sentimens -les plus pénibles, et des réflexions les -plus douloureuses. On gémit sur la cause qui -put, en quelques mois, d'un jeune homme -honnête et laborieux faire un assassin.</p> - -<p>Asselineau, dans sa prison, manifesta constamment -un repentir sincère, sans faiblesse -et sans abattement: il ne témoignait pas la -plus légère inquiétude; la veille même de l'exécution, -il joua très-gaîment aux barres et il -étonnait les autres prisonniers par ses tours -de force et d'adresse. C'était toujours avec -beaucoup d'émotion qu'il parlait de son crime, -<span class="pagenum"><a id="Page_428"> 428</a></span> -et en le racontant, il maudissait le n<sup>o</sup> 9 du -Palais-Royal. Il affirmait qu'en entrant dans -la chambre de Brouet, il n'avait pas eu l'idée -de l'assassiner. «Je me rappelle bien, ajouta-t-il, -que trois fois je tirai le pistolet de ma -poche et trois fois je le remis.» Après le crime, -tel était son trouble, qu'il chercha long-temps, -pour ouvrir le tiroir, les clés qu'il tenait dans -sa main.</p> - -<p>Le calme d'Asselineau ne venait point d'une -stupide indifférence, mais d'une résignation réfléchie. -Il avait pour compagnon d'infortune -à Bicêtre, le nommé Buisson, condamné aussi, -et tout nouvellement, à la peine de mort, -pour avoir assassiné son ami. Asselineau ne cessait -de le consoler, de l'encourager et de -l'exhorter à avouer son crime, en faisant valoir -auprès de lui des considérations morales et -religieuses. «Tes dénégations te rendent plus -criminel encore, lui disait-il, imite-moi; -avoue-toi coupable; c'est la plus grande -preuve de repentir.... Songe que nous devons -paraître devant Dieu: cet aveu ne nous servira -de rien auprès des hommes; mais Dieu nous -en tiendra compte.» Cédant à ses conseils et -à ses exhortations, Buisson fit en effet l'aveu -<span class="pagenum"><a id="Page_429"> 429</a></span> -de son crime, qu'il avait nié jusque-là avec -force.</p> - -<p>Enfin, Asselineau était parvenu à intéresser -vivement à son sort toutes les personnes -qui l'entouraient. Les gardiens faisaient des -vœux pour qu'il obtînt sa grâce. Pendant les -derniers jours de sa vie, il s'occupait beaucoup -à écrire. Il avait composé un petit discours -qu'il apprenait par cœur, et qu'il avait l'intention -de prononcer sur l'échafaud. Mais de -sages conseils le firent sans doute renoncer à -ce dessein.</p> - -<p>Quand, le 8 mai 1827, l'huissier chargé de -l'extraire de Bicêtre, vint lui annoncer le -rejet de son pourvoi, cette nouvelle ne lui -causa pas la moindre émotion. Il fit, avec tranquillité, -ses adieux aux vétérans de garde à la -porte et remercia cordialement les gardiens -de tous les soins qu'ils lui avaient prodigués.</p> - -<p>La voiture était à peine arrivée dans la -cour du palais de Justice qu'elle fut entourée -par une multitude avidement curieuse. Pour -se soustraire à tant de regards, Asselineau, -malgré les liens qui le privaient de l'usage -de ses deux mains, se précipita de la voiture -avec une vigueur et une agilité qui surprirent et -<span class="pagenum"><a id="Page_430"> 430</a></span> -effrayèrent les personnes placées autour de lui. -Le public put à peine l'apercevoir.</p> - -<p>Dès-lors Asselineau passa la plus grande -partie de ses instans avec son confesseur. -On lui offrit quelque nourriture: «Non, -je vous remercie, répondit-il; elle ne passerait -pas.» Il s'empressa d'envoyer à l'exécuteur un -billet ainsi conçu: «Je prie tous ces messieurs -de vouloir bien remettre à M. Morel, tailleur, -rue Montorgueil, n<sup>o</sup> 31, mon habit et mon -pantalon que je lui ai achetés quelques jours -avant mon arrestation, et que je ne lui ai point -payés. Je pense qu'il ne peut pas avoir les -moyens de les perdre. En le faisant, vous -obligerez un malheureux.</p> - -<p class="signature"><span class="cap">B. A</span><span class="smallc">SSELINEAU.»</span></p> - -<p>A quatre heures moins un quart, le patient -fut amené, suivant l'usage dans l'avant-greffe -de la prison où l'on prépare la victime pour le -supplice. C'est ce qu'on appelle la <i>toilette</i> des -condamnés. Asselineau s'avança d'un pas ferme -vers les exécuteurs qui l'attendaient. Sa figure -était rayonnante de jeunesse et de santé; on -n'apercevait aucune trace d'altération sur -<span class="pagenum"><a id="Page_431"> 431</a></span> -ses traits, aucune hésitation dans ses mouvemens. -A peine délivré de la camisole de -force, il ôta lui-même son habit, et s'assit -sans proférer un seul mot sur une sellette de -bois placée vis-à-vis le guichet, à travers -lequel on entrevoyait la fatale charrette. L'un -lui lie les mains derrière le dos; un autre -attache une longue ficelle à ses deux jambes; -un troisième coupe le col de sa chemise avec -des ciseaux et taille ensuite le bas des cheveux -pour disposer la place. Asselineau, en sentant -l'acier glisser sur son cou, ne put se défendre -d'un mouvement de frisson, et il pâlit pour -la première fois. L'obscurité de la salle, le -morne silence qui régnait autour de la victime, -les rumeurs du dehors qui pénétraient -sourdement jusqu'à elle, tout ajoutait à -l'horreur de cette lugubre scène.</p> - -<p>Enfin la porte s'ouvrit, et Asselineau s'avança -à pas lents, entouré des exécuteurs, et -précédé du vénérable aumônier des prisons.</p> - -<p>On voulut l'aider à monter dans la charrette. -«Laissez, dit-il, je monterai bien tout seul.» -A peine fut-il assis, que le confesseur placé -à ses côtés, lui présenta le crucifix, et il le -baisa avec une pieuse résignation.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_432"> 432</a></span> -Arrivé à la place de Grève, Asselineau, sur -l'invitation de l'aumônier, se mit à genoux -et fit un acte de contrition; puis, il monta -avec fermeté sur l'échafaud, et quelques secondes -après, il n'existait plus.</p> - -<p>Arrivé à l'échafaud, il s'était tourné vers -le peuple, en disant: <i>Que ceci vous serve -d'exemple!</i> Pendant qu'on le plaçait sur la -planche fatale, il répéta à plusieurs reprises: -<i>Que Dieu aie pitié de moi!</i></p> - -<p>La recommandation d'Asselineau fut fidèlement -exécutée. Son habit bleu et son pantalon -furent remis à M. Morel, tailleur. Dans -la poche de cet habit, on avait trouvé une -lettre du père d'Asselineau, écrite d'Antrain -(Nièvre) le 7 avril, et adressée au directeur -de Bicêtre. Elle était ainsi conçue:</p> - -<div class="blockquote"> -<p><span class="titel">«Mon fils,</span></p> - -<p>«En réponse à ta lettre en date du 31 mars, -que j'ai reçue le 6 avril, par laquelle tu nous -fais tes adieux, et tu nous demandes des pardons...... -Que Dieu te pardonne! A l'égard de -nous, nous te pardonnons tous, père et mère, -frère et sœur. Nous t'avons toujours élevé en la -<span class="pagenum"><a id="Page_433"> 433</a></span> -crainte de Dieu, et dit les dangers qu'il y -avait de fréquenter les mauvaises compagnies.</p> - -<p>«Tu n'as pas pu t'en défendre...... Que Dieu -te pardonne, comme nous te pardonnons! Tu -seras heureux, et nous, le restant de nos jours, -nous serons malheureux...</p> - -<p>«Tu attends sur la clémence du roi...... que -Dieu soit béni!</p> - -<p>«Nous te faisons tous nos adieux pour toujours: -recommande-toi à Dieu.</p> - -<p><span class="signature">«<i>Ton père</i></span> <span class="cap">B. A</span><span class="smallc">SSELINEAU</span>.»</p> -</div> - -<p>Nous ne commenterons pas cette lettre: il -faudrait revenir aux réflexions qu'on a lues -au commencement de cet article. A travers -le laconisme de cet homme illettré, à travers -ses pieuses répétitions, on y reconnaît trop -bien le cœur brisé d'un malheureux père.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_434"> 434</a></span></p> - - - -<p>FAMILLE DE PARRICIDES.</p> - - -<p>Nos lecteurs ont pu voir dans le second -volume de cette collection l'épouvantable histoire -d'un malheureux père assassiné par deux -de ses fils, aidés de leur mère. Les fastes criminels -de notre temps présentent un forfait -du même genre et non moins horrible.</p> - -<p>Le 16 mai 1826, à quatre heures du matin, -le garde du moulin de Croûtes (Aisne) aperçut -quelque chose qui passait sous la volée ou -le tournant du moulin; c'était un cadavre -qui s'accrocha à des saules. Un instant après, -arrivèrent deux pêcheurs; Jaquin, l'un d'eux, -courut avertir le maire et le juge-de-paix. -Des magistrats se rendirent sur-le-champ au -lieu où gisait le cadavre; on le retira de la -rivière en leur présence: on reconnut que -c'était celui de Dupré. Il avait autour du cou -une petite corde un peu plus grosse que la -ficelle ordinaire; à cette corde était un nœud -<span class="pagenum"><a id="Page_435"> 435</a></span> -coulant que l'on avait ensuite fixé et arrêté -par un autre nœud.</p> - -<p>Le cadavre était complètement vêtu; il avait -des bas, des chaussons et des sabots couverts. -On trouva dans une poche de son gilet une -clef qui était celle du secrétaire ou de l'armoire -qui contenait l'argent de Dupré. Le -procès-verbal du médecin, appelé pour examiner -le corps, portait qu'il y avait sur le cadavre -un signe de pression occasionée par la corde, -une ecchymose au pariétal droit, une autre -plus légère à la pommette gauche. Il fut établi -par l'accusation que les contusions et les -ecchymoses n'avaient pu être produites par -une submersion volontaire, ni même par le -passage du corps sous la roue du moulin: elles -étaient nécessairement le résultat des violences -exercées sur Dupré avant la submersion. -Ce qui en donnait une preuve irrécusable, -c'était une plaie qui existait au bas du ventre, -ayant quatre à cinq pouces de diamètre. -Cette plaie semblait expliquer le propos de -la veuve Dupré, qui avait dit: <i>Je sais bien comment -il faut le prendre pour le dompter; un -coup de pied le rend blanc comme neige.</i></p> - -<p>L'enquête, qui eut lieu, fit naître de véhémens -<span class="pagenum"><a id="Page_436"> 436</a></span> -soupçons contre quatre individus qui furent -aussitôt arrêtés. C'étaient la veuve du malheureux -Dupré, Rose-Victoire Dupré, sa fille -légitime, Jean-Étienne Duchesne, dit <i>Bancroche</i>, -fils naturel de cette dernière, et le -nommé Vaillant, père de Pierre-François Vaillant, -gendre de Dupré.</p> - -<p>Ces quatre prévenus comparurent devant -la Cour d'assises de Laon le 5 mars 1827. Tous -les regards étaient fixés sur cette famille qui -n'inspirait que l'horreur et le mépris. Vaillant -avait dit à un témoin: <i>Prends-garde à -toi, si tu parles trop!</i> On avait remarqué sur -le bord de la rivière, où le corps de Dupré devait -avoir été jeté, l'empreinte de traces faites -avec des bas ou des chaussons, et le cadavre -repêché le 16 avait des sabots couverts. On -trouva dans la rivière une pierre de quatre-vingt-huit -livres dans une fosse placée vis-à-vis -l'empreinte des traces remarquées. N'était-il -pas présumable et même certain que cette -pierre avait été employée par les auteurs du -crime, au moyen du nœud coulant de la ficelle, -pour tenir le corps au fond de l'eau et y -ensevelir le secret de la plus noire scélératesse?</p> - -<p>Voici quelques circonstances antérieures à -<span class="pagenum"><a id="Page_437"> 437</a></span> -l'assassinat. La femme Dupré vivait très-mal -avec son mari; chaque jour voyait éclater de -nouvelles querelles. La fille se joignait à la -mère pour maltraiter son père. Cette fille -dénaturée était, au reste, connue pour avoir -la conduite la plus déréglée. Elle avait eu -deux enfans naturels, fruits honteux de sa -débauche: l'un de ces enfans, Duchesne, dit -<i>Bancroche</i>, se montrait en tout digne de sa -mère. Il se vantait publiquement des mauvais -traitemens exercés contre son grand-père -Dupré, et n'était pas le dernier à y prendre -part.</p> - -<p>Au milieu des chagrins dont il était continuellement -abreuvé, il était arrivé à Dupré de -dire un jour à quelqu'un qu'il voudrait bien -qu'on lui tirât un coup de fusil, pour le délivrer -de sa pénible existence. Ses meurtriers -profitèrent de ce propos pour lui supposer -l'intention d'un suicide. De là le projet et l'exécution -du crime sur lequel les accusés voulaient -faire prendre le change, en prêtant à -Dupré la volonté de se détruire et la résolution -de se noyer.</p> - -<p>Dupré gardait soigneusement la clé du meuble -où était son argent. Six semaines avant sa -<span class="pagenum"><a id="Page_438"> 438</a></span> -mort, il avait répondu à une personne qui lui -faisait une question relativement aux plaintes -de ses enfans: «Pourquoi les doter? Ils boivent -et mangent tout; ils se coalisent pour -me ruiner.»</p> - -<p>La mère et les enfans avaient répété souvent -ce propos infâme: <i>Si ce gueux, si ce cochon-là -était mort, nous jouirions......</i></p> - -<p>Ces faits et ces propos furent attestés par -plusieurs témoins. Que fallait-il de plus pour -donner de la vraisemblance à la consommation -du crime?</p> - -<p>Mais deux femmes et un jeune homme infirme -ne suffisaient pas à l'entière exécution -du projet. Il fallait quelqu'un d'assez fort -pour les aider, et ce fut, suivant l'accusation, -Vaillant père, que l'on choisit pour cet exécrable -ministère. La réputation de cet homme -était loin d'être intacte: il passait pour avoir -des liaisons intimes avec sa belle-fille; ce fut -lui, suivant quelques dépositions, que Rose -Dupré alla chercher pendant la nuit, et qui -aida à porter le cadavre à la rivière. On remarqua -que Vaillant fils lui-même avait dit dans -sa déposition: <i>Ce n'est pas mon père qui a tué -Dupré; il n'a fait que le porter à la rivière.</i></p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_439"> 439</a></span> -Après les plaidoieries, le président fit le résumé -des débats avec la plus exacte impartialité, -et posa aux jurés les cinq questions résultant -de l'acte d'accusation.</p> - -<p>Le jury répondit affirmativement sur les -deux premières questions relatives à la veuve -Dupré et à sa fille, en écartant seulement la -préméditation; semblable réponse fut faite -relativement à Duchesne dit <i>Bancroche</i>, mais -à la majorité de sept voix contre cinq. Les -deux questions relatives à Vaillant père furent -résolues négativement. La Cour, sur la question -qui concernait <i>Bancroche</i>, se réunit à la -minorité du jury; en conséquence Duchesne -dit <i>Bancroche</i> et Vaillant furent acquittés.</p> - -<p>Sur les conclusions du ministère public, la -veuve Dupré et Rose-Victoire Dupré, sa fille, -furent condamnées à la peine des parricides.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_440"> 440</a></span></p> -<h2 class="normal">COMPTE,<br /> -<span class="medium">MEURTRIER DE SA FEMME ET DE SON</span><br /> -<span class="medium">ENFANT.</span></h2> -</div> - -<p>Depuis plusieurs années, on a vu se multiplier -d'une manière effrayante des crimes -dont la justice ne s'explique que très-difficilement -la cause. Les fureurs sanguinaires de -Papavoine et de la fille Cornier n'ont eu que -trop d'imitateurs. Les médecins, appelés au -secours des magistrats, pour trouver l'explication -de ces phénomènes criminels, ont invoqué -une sorte de démence d'un genre particulier, -à laquelle on a donné le nom de -<i>monomanie</i>; et malgré cette assertion de la -science, pour un grand nombre d'esprits -prévenus ou incrédules, beaucoup de crimes -sont demeurés presque inexplicables. De ce -nombre est celui dont nous allons rapporter -les principales circonstances.</p> - -<p>Le nommé Compte, charron, s'était constamment -<span class="pagenum"><a id="Page_441"> 441</a></span> -fait remarquer par la douceur de -son caractère et par son attachement pour -sa femme et ses enfans. Cet homme, tout-à-coup, -devint triste et rêveur; il recherchait -les lieux solitaires; tantôt il prodiguait des -marques de tendresse à son épouse, tantôt -il repoussait ses caresses.</p> - -<p>Le 15 mars 1827, Compte se trouvait seul -à son atelier, lorsque sa femme vint l'y voir -dans l'intention de lui tenir compagnie et de -chercher à dissiper les idées sombres qui -le tourmentaient. Soudain Compte l'interrompit -en lui disant: <i>Je voudrais bien mourir, -et tu devrais mourir avec moi!</i> Anne -Constant, sa femme, pour calmer l'agitation -de son mari, s'approcha de lui et l'embrassa; -mais cette prévenance, loin de tranquilliser -Compte, le met hors de lui-même; il agite -un couteau qu'il tenait dans sa main, et bientôt -il en porte un coup à la gorge de sa femme. -Celle-ci s'échappe en jetant de grands -cris; Compte la poursuit avec acharnement, -il l'atteint dans la cour et lui porte à la gorge -un second coup de couteau.</p> - -<p>Les pères et mères des époux accourent; -ils prennent dans leurs bras Anne Constant et -<span class="pagenum"><a id="Page_442"> 442</a></span> -l'arrachent à la fureur de son mari. Compte -alors veut rentrer dans son atelier; mais, trouvant -sur son passage son enfant âgé de deux -ans, il s'en saisit, l'emporte sous un hangar, -et là, lui enfonce dans la poitrine le couteau -qui dégouttait encore du sang de sa malheureuse -femme. L'enfant expire sous ses yeux, -et ce malheureux, pour terminer cette horrible -tragédie, retourne contre lui le fatal -couteau; il s'en frappe à la tête et se blesse -grièvement.</p> - -<p>Les poursuites judiciaires étaient faciles à -exécuter: c'était un mari qui avait voulu égorger -sa femme; c'était un père qui avait donné -la mort à son enfant. Compte fut arrêté, et -traduit devant la Cour d'assises de la Charente, -le 8 mai 1827.</p> - -<p>Cette cour avait paru hésiter à mettre -Compte en accusation. On lit en effet, dans -l'arrêt de renvoi, le considérant suivant:</p> - -<p>«Considérant qu'on serait tenté de croire -à <i>la démence</i> du prévenu; que l'esprit est ramené -souvent à cette idée par les détails que -renferme la procédure, mais qu'on se trouve -arrêté par certains aveux de Jean Compte, -desquels il résulte que sa femme lui paraissait -<span class="pagenum"><a id="Page_443"> 443</a></span> -depuis quelque temps légère, coquette, et peu -disposée à payer sa tendresse de retour;</p> - -<p>«Qu'il est donc <i>possible</i> d'attribuer à un -violent accès de jalousie le double attentat -dont le prévenu s'est rendu coupable, et qu'il -convient de laisser aux débats de l'audience -le soin de faire connaître la véritable situation -<i>mentale</i> du prévenu, lorsqu'il enfonça le -couteau dans la gorge de sa femme et dans -le sein de son fils.»</p> - -<p>Après les débats, qui furent de peu de durée, -le président de la Cour posa deux questions -aux jurés sur la culpabilité du prévenu. -Sur la première question, les jurés répondirent: -Non, Compte n'est pas coupable d'avoir -<i>volontairement</i> donné la mort à son fils; -sur la seconde: Oui, à la majorité de sept -voix contre cinq, l'accusé est coupable d'une -tentative d'homicide, manifestée par des actes -extérieurs, suivie d'un commencement d'exécution, -et qui n'aurait manqué son effet que -par des circonstances indépendantes de sa -<i>volonté</i>.</p> - -<p>La Cour s'étant réunie à la majorité du -jury, Compte fut en conséquence condamné -aux travaux forcés à perpétuité.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_444"> 444</a></span></p> -<h2 class="normal">CASTANIER,<br /> -<span class="medium">OU LES RÉSULTATS CRIMINELS DE</span><br /> -<span class="medium">L'EXALTATION RELIGIEUSE.</span></h2> -</div> - -<p>L'exaltation religieuse, comme l'exaltation -politique, peut tourner au crime les individus -les plus inoffensifs de leur nature et leur -faire regarder comme des actes vraiment -méritoires les forfaits les plus atroces. Sans -doute, si leurs attentats procèdent d'une faiblesse, -d'une affection ou d'une lésion des -organes du cerveau; s'il est prouvé qu'ils -soient les résultats de cette sombre monomanie -qui se plaît à verser le sang, et parfois celui -des êtres les plus innocens et les plus -chéris de celui même qui les égorge, il faut -plaindre le sort de ces criminels d'une classe -particulière; on doit des égards à la position -de malheureux qui, dans des accès de folie, -sont capables d'immoler ceux qu'ils aiment -le plus au monde. Mais si la loi doit épargner -<span class="pagenum"><a id="Page_445"> 445</a></span> -des coupables involontaires, chez qui -l'intention n'a pas été complice du bras, l'intérêt -de la société exige impérieusement qu'on -la mette à l'abri des atteintes meurtrières -de ces furieux; il veut aussi qu'on n'accorde -pas une créance trop aveugle à un système -de défense dont il serait facile d'abuser et -derrière lequel les plus grands scélérats, assurés -de l'impunité, finiraient par venir se retrancher -comme dans un asile inviolable.</p> - -<p>Le nommé Castanier dont le procès nous -a suggéré les réflexions que l'on vient de lire, -avait subitement passé d'une vie désordonnée -à une vie bigotte. Pendant sa jeunesse à -Camaret Vaucluse, il était libertin, joueur, -débauché; il passait presque tout son temps -au cabaret. Étant venu demeurer à Orange, -il fut entouré de personnes pieuses qui entreprirent -sa conversion; dès-lors, son train -de vie fut tout-à-fait changé: il restait des -journées entières à l'église; bientôt il eût -passé pour un saint homme. Depuis, cet homme -s'était fixé à Carpentras.</p> - -<p>Le 16 janvier 1827, la petite fille de Castanier, -charmante enfant, aimée de tout le -voisinage, chérie de son père et de sa mère, -<span class="pagenum"><a id="Page_446"> 446</a></span> -disparut tout-à-coup. On crut d'abord qu'elle -s'était égarée dans la ville. La veuve Bouche -avait vu, à midi, Castanier et sa fille qui allait -après lui en pleurant. Elle avait dit au père: -«Attendez donc votre enfant!» sur quoi il avait -pris sa petite par la main. Dans la soirée, la -veuve Bouche retourna chez Castanier pour -demander si l'enfant était retrouvée. Le mari -était d'un côté du poêle; sa femme, désolée, -de l'autre côté; le témoin s'assit entr'eux deux. -La femme dit à son mari: «A midi, tu as -rencontré ton enfant sur le Pont-Neuf?—Oui.—Tu -l'as pris par la main?—Oui.—Tu -l'as amenée à la maison?—Oui.—Tu -lui as donné du pain?—Oui.—Et puis, -qu'est-elle devenue?» A cette question, Castanier -resta sans voix! «Va la chercher: lui -dit la femme.—Et où veux-tu que j'aille? -répondit-il.»</p> - -<p>Cependant on trouva le cadavre de la jeune -Castanier dans le puits du Cirque, avec une -pierre au cou, et percé de deux coups de -couteau.</p> - -<p>Aussitôt la justice instruisit. Le commissaire -de police se transporta chez Castanier -avec le juge d'instruction. Castanier était -<span class="pagenum"><a id="Page_447"> 447</a></span> -couché tout habillé sur son lit, et en se levant, -il s'écria: <i>Je n'ai plus d'enfant!</i> Et -pourtant, il ignorait encore que l'on eût retrouvé -le cadavre dans le puits. Un couteau -avait été enfoncé jusqu'au manche dans les -côtes de la victime; la femme Castanier -reconnut ce couteau pour être celui de son -mari; elle reconnut aussi la pierre trouvée au -cou de l'enfant pour avoir été enlevée du bas -de l'escalier de sa chambre. Cette pierre fut -présentée à la place qu'elle devait occuper; -elle s'y adaptait parfaitement: on ne pouvait -s'y tromper, cette place vide ayant gardé -l'empreinte des rugosités de la pierre.</p> - -<p>Ces indices, joints aux témoignages de -plusieurs personnes, déterminèrent l'arrestation -de Castanier; et il fut traduit le 8 mai -devant la Cour d'assises de Vaucluse. Quand -il comparut devant le tribunal, tous les regards -cherchèrent sur la figure de Castanier -les signes de cette démence à laquelle, en -l'absence de tout autre motif, on attribuait -généralement son attentat. On vit un homme -maigre et d'un teint cuivré. Ses cheveux -étaient noirs et plats, ses lèvres enflées et -blafardes; ses yeux, d'une forme ronde, -<span class="pagenum"><a id="Page_448"> 448</a></span> -étaient caves et brillans; il semblait étranger -à tout ce qui se passait autour de lui. Au -mouvement de ses lèvres, on aurait pu croire -qu'il récitait des prières.</p> - -<p>Nous allons donner un extrait de son interrogatoire, -qui pourra faire connaître aux -lecteurs la situation mentale de l'accusé. Assez -long-temps avant le meurtre de sa fille, -Castanier était toujours entouré chez lui de -livres de dévotion; il ne travaillait plus, et -quand sa femme lui représentait le besoin -qu'ils avaient du travail, il lui répondait par -des exclamations religieuses. Il avait fréquemment -des rêves d'enfer et de démon, et se -levait la nuit pour prier Dieu. On va voir -quelles étranges réponses il fit à la plupart -des questions qui lui furent adressées.</p> - -<p><i>Le Président</i>: Comment vous appelez-vous?</p> - -<p>L'accusé, regarde sans répondre, comme -s'il n'avait pas entendu. Un gendarme le -pousse; et interrogé une seconde fois, il déclare -se nommer Castanier.</p> - -<p><i>D.</i> Où demeurez-vous?</p> - -<p><i>R.</i> Ici.</p> - -<p><i>D.</i> Comment ici! vous ne demeurez pas à -Orange?</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_449"> 449</a></span> -<i>R.</i> Oui, à Orange.</p> - -<p><i>D.</i> Quel âge avez-vous?</p> - -<p><i>R.</i> Je ne m'en souviens pas.</p> - -<p>Alors M<sup>e</sup> Bourdon, nommé d'office pour -assister Castanier, exposa à la Cour que la -seule chose explicite qu'il eût pu obtenir du -prévenu, c'était qu'il ne voulait pas de défenseur; -que Dieu saurait bien le défendre.</p> - -<p>Non! s'écria Castanier avec force, je ne -veux point de défenseur; je n'en ai pas besoin.</p> - -<p><i>D.</i> Castanier, voulez-vous être jugé?</p> - -<p><i>R.</i> A la volonté de Dieu.</p> - -<p><i>D.</i> On dit que vous êtes fou?</p> - -<p><i>R.</i> Je n'en sais rien.</p> - -<p><i>D.</i> Avez-vous tué votre enfant?</p> - -<p><i>R.</i> Je n'ai jamais fait de mal à mon sang.</p> - -<p>Pendant les dépositions des témoins, l'accusé -s'était endormi; tout-à-coup il se réveilla -en riant à la manière d'un hébété.</p> - -<p><i>D.</i> Que fîtes-vous le 16 janvier, de dix heures -à deux heures?</p> - -<p><i>R.</i> Je fus à l'église; je ne puis pas vous le -dire.</p> - -<p><i>D.</i> Aimiez-vous votre fille?</p> - -<p><i>R.</i> Pauvre petite!</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_450"> 450</a></span> -<i>D.</i> Est-ce vous qui l'avez tuée?</p> - -<p><i>R.</i> Castanier sanglote en détournant la tête, -et finit par dire: C'est un grand malheur!</p> - -<p><i>Un juré.</i> Avez-vous tué votre fille?</p> - -<p><i>R.</i> Tu n'as point de sens.</p> - -<p><i>D.</i> Ne craignez pas de l'avouer: peut-être -n'avez-vous pas cru mal faire. L'avez-vous -tuée?</p> - -<p><i>R.</i> Si vous me le dites encore, je m'en vais.</p> - -<p><i>Le procureur du roi.</i> N'avez-vous pas de regret -d'avoir tué votre enfant?</p> - -<p><i>R.</i> Je ne veux pas vous écouter: (après quelques -momens de silence, et en mettant sa tête -dans ses mains), c'est depuis la mort de mon -enfant que la tête me fait mal; avant aussi, -elle me faisait mal.</p> - -<p>François Bouche, assigné comme témoin, -commençait sa déposition; Castanier l'interrompit, -et lui dit, comme en se réveillant: -«Ah! bonjour, Bouche!»</p> - -<p>Un témoin ayant dit que le prévenu restait -habituellement des heures entières prosterné -à l'église sans remuer, Castanier s'écria: «J'y -suis resté une fois neuf heures; j'ai bien du -plaisir à y être; je voudrais bien y aller.»</p> - -<p><i>D.</i> N'avez-vous pas cru, en tuant votre -enfant, l'envoyer au ciel?</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_451"> 451</a></span> -<i>R.</i> Je ne vous écoute pas.</p> - -<p>Le procureur du roi, après avoir démontré -la culpabilité de l'accusé, déclara qu'il -ne pensait point que l'accusé eût agi avec discernement, -et que son état moral lui semblait -devoir faire écarter les circonstances de -la préméditation.</p> - -<p>De son côté, le défenseur s'attacha à faire -ressortir la preuve de la démence, des circonstances -de la cause et de la conduite de -l'accusé dans tout le cours des débats.</p> - -<p>Après une courte délibération, le jury déclara -l'accusé coupable, mais sans préméditation; -et par suite de cette déclaration, Castanier -fut condamné aux travaux forcés à perpétuité.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_452"> 452</a></span></p> -<h2 class="normal">ACCUSATION D'ASSASSINAT<br /> -<span class="medium">RÉSULTANT D'UN SUICIDE.</span></h2> -</div> - -<p>Les sieur et dame Coutelas vivaient à -Reuil, village situé sur la rive droite de la -Marne. Ils jouissaient d'une certaine aisance. -Le sieur Coutelas, ancien militaire, fils d'un -honnête vigneron, avait épousé, en 1815, -une personne dont la condition était au-dessus -de la sienne. Les deux époux n'ayant pas d'enfans, -avaient, en 1819, par deux testamens -déposés chez un notaire, disposé mutuellement -de l'usufruit de leurs biens en faveur du -survivant.</p> - -<p>Le sieur Coutelas, âgé de cinquante-un -ans, était d'un caractère froid et apathique. -La dame Coutelas, petite et replète, était, -depuis quelques mois, affectée d'un commencement -d'hypocondrie. Elle était tourmentée -par des insomnies; le sang l'incommodait; son -<span class="pagenum"><a id="Page_453"> 453</a></span> -médecin lui avait conseillé une saignée qui -avait été ajournée. Elle souffrait et se plaignait -beaucoup.</p> - -<p>Dans la journée du 30 mars 1826, ses -plaintes redoublèrent et furent continuelles. -Le matin, un neveu de son mari, informé de -son état de maladie, était venu la voir. Elle -avait annoncé l'intention de prendre l'émétique. -Le mari et le neveu s'y opposèrent, en -lui faisant observer qu'elle devait auparavant -prendre l'avis du médecin; mais elle ne voulut -point le consulter, et dit même qu'elle -ne ferait rien de ce qu'il lui prescrirait.</p> - -<p>Son neveu la quitta: elle lui avait pris plusieurs -fois la main avec attendrissement. Son -mari se rendit aux champs. La nommée Sophie -Placial, sa domestique, alla travailler -dans une vigne située près de la maison. Une -voisine de la dame Coutelas, la femme Pierrot, -passa l'après-midi avec elle, dans la -cuisine, et remarqua qu'elle était très-agitée, -qu'elle ne parlait pas comme à l'ordinaire.</p> - -<p>Sophie rentra à deux heures pour savoir -des nouvelles de sa maîtresse; à quatre heures, -elle revint encore pour goûter. Cette -dernière fois, la dame Coutelas lui prit la -<span class="pagenum"><a id="Page_454"> 454</a></span> -main en lui disant: <i>Ma Sophie! ma pauvre -Sophie!</i> Elle ajouta même, suivant la déposition -de cette fille: <i>Je suis une femme perdue!</i> -Puis elle dit à la femme Pierrot qu'elle était -lasse de la vie.</p> - -<p>Vers le soir, Sophie quitta son travail et -rentra à la maison. Trouvant ouverte la porte -de la chambre à coucher de ses maîtres, elle -regarda si sa maîtresse y était, et ne l'y voyant -pas, ni dans une chambre voisine dont la -porte était également ouverte, elle entra -dans la cuisine où le sieur Coutelas était assis -auprès du feu. Elle lui demanda où était sa -maîtresse: il répondit qu'elle venait de passer -dans sa chambre, et sur l'observation que -lui fit la domestique qu'elle n'y était pas, il -dit qu'elle était sans doute chez quelqu'une -de ses voisines.</p> - -<p>Sophie alla s'informer dans le voisinage, -et n'y ayant pas trouvé la dame Coutelas, -rentra fort inquiète à la maison. Son maître -lui donna l'ordre de prendre une lanterne, -et d'aller chercher sa femme du côté de la -rivière, attendu que plusieurs fois elle avait -dit que, pour rien, elle se jetterait à l'eau. -Cette fille, éplorée, parcourut les bords de -la Marne, en cherchant sa maîtresse.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_455"> 455</a></span> -De retour à la maison, après avoir fait des -recherches infructueuses, la femme Pierrot et -une autre voisine vinrent bientôt l'y rejoindre. -Alors toutes les trois et le sieur Coutelas -lui-même, qui commençait à s'émouvoir, -s'entretinrent ensemble, dans la cour de la -maison, des recherches qui restaient encore -à faire. Sophie descendit seule dans la cave; -sa maîtresse n'y était pas. Il y avait dans la -maison une autre cave pour ainsi dire abandonnée, -qui se composait de plusieurs berceaux -qui se croisaient. Au fond et sur la -gauche de l'un de ces berceaux qui se prolongeait -au-delà des bâtimens, sous une vigne, -était un petit caveau où le jour ne pénétrait -jamais. La dame Coutelas n'était -presque jamais entrée dans cette cave. Une -des voisines proposa néanmoins de voir si -elle n'y serait pas; Coutelas observa qu'elle -n'aurait pas osé y aller seule: néanmoins on y -descendit.</p> - -<p>Sophie marchait la première; elle était -suivie des deux autres femmes. Toutes les -trois portaient des lanternes; Coutelas marchait -le dernier. Tout-à-coup Sophie jette un -cri d'effroi; elle a vu sa maîtresse étendue par -terre: <i>La voilà ici</i>, s'écrie-t-elle, <i>la chère</i> -<span class="pagenum"><a id="Page_456"> 456</a></span> -<i>dame Coutelas!</i> et elle recule épouvantée. La -femme Pierrot s'enfuit. L'autre femme, plus -courageuse, s'approche avec Coutelas. Tous -deux voient la malheureuse femme étendue -sur le dos, la tête contre le mur, ayant du -sang au cou. Ils aperçoivent un rasoir ouvert, -placé sur le bras gauche. Coutelas s'écrie: -<i>Ah! pauvre femme! qu'as-tu fait?...</i> -Puis ayant reconnu son rasoir, il ajoute: <i>La -malheureuse s'est coupé le cou avec mon rasoir... -Que vais-je faire?... Il faut prévenir les -autorités.</i> On remarqua qu'il n'y avait aucun -dérangement ni dans les vêtemens ni dans -la chevelure de la dame Coutelas.</p> - -<p>Bientôt, on procéda à l'information judiciaire -la plus scrupuleuse. Plusieurs médecins -et chirurgiens de Reims et des environs -jugèrent que la mort de la dame Coutelas -était l'effet d'un suicide. Mais trois médecins -de Paris, MM. Dubois, Boyer et Adelon déclarèrent, -au contraire, qu'il leur paraissait -extrêmement probable, que la dame Coutelas -ne se fût pas fait elle-même les blessures qui -lui avaient ôté la vie.</p> - -<p>Cette déclaration, jointe à diverses circonstances -<span class="pagenum"><a id="Page_457"> 457</a></span> -commentées par la clameur publique, -fit planer des soupçons d'assassinat sur le -sieur Coutelas. On parla de sa froide indifférence -pour sa femme, des paroles qui lui -étaient échappées, à la vue de son rasoir, qui -avait servi à commettre le crime; la malignité -n'eut garde d'oublier la circonstance -des deux testamens. Enfin, le sieur Coutelas -fut arrêté, prévenu d'avoir assassiné sa femme, -et traduit, en conséquence, le 9 mai 1827, -devant la Cour d'assises de la Marne.</p> - -<p>Les débats de cette affaire durèrent trois -jours. Cinquante-quatre témoins furent entendus. -Les docteurs Boyer et Dubois ne purent -s'y trouver, l'état de leur santé ne leur -ayant pas permis de faire le voyage de Reims. -Le procureur du roi, M. Gasbon, dans une -plaidoierie qui dura plus de deux heures, se -livra au consciencieux examen de cette grande -et difficile affaire. Ce magistrat, après avoir -discuté la question médico-légale, déclara -qu'il ne croyait pas qu'il y eût eu homicide; -qu'aucune charge sérieuse ne résultait d'ailleurs -des témoignages, et il termina en ces -termes: «Non, Messieurs, l'accusé n'est pas -coupable.»</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_458"> 458</a></span> -Le défenseur du sieur Coutelas se borna -dès-lors à rétablir des faits de moralité qui -avaient été présentés dans l'instruction d'une -manière défavorable à son client; et le jury, -après une courte délibération, déclara à l'unanimité -que l'accusé n'était pas coupable.</p> - -<p>Cette déclaration fut accueillie avec une -satisfaction générale. On entendit avec plaisir -prononcer l'acquittement d'un homme accablé -d'abord par une perte douloureuse, et -atteint ensuite par un malheur plus grand -encore, d'un homme dont l'innocence était -reconnue et proclamée par la justice, et qui, -pendant huit mois, avait été privé de sa liberté, -et avait eu à gémir sous le poids du -plus affreux soupçon.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_459"> 459</a></span></p> -<h2 class="normal">JOSEPH MAURI.</h2> -</div> - -<p>Le 28 novembre 1826, Joseph Mauri, qui -servait en qualité de domestique dans la -métairie du sieur Codine, apprit que son père -se proposait de vendre une de ses propriétés -au comte de Saint-Marsal, pour en remettre -le prix à son beau-fils, Charles Noguères, dans -la maison duquel il s'était retiré depuis quelque -temps.</p> - -<p>Aussitôt Joseph Mauri, mû par la jalousie -et la cupidité, quitta la métairie de Codine, se -fit remplacer dans les travaux des champs -par un ouvrier dont il paya lui-même le salaire, -et arriva vers neuf heures du matin -dans la commune de Pin, où résidait son père. -Il se rendit aussitôt dans la maison de son -beau-frère. Mauri père, infirme depuis long-temps, -paralysé de la moitié du corps, était -encore couché dans une chambre attenante -à la cuisine, où s'arrêta son fils. Ce dernier -<span class="pagenum"><a id="Page_460"> 460</a></span> -s'approcha de sa sœur Élisabeth qui était devant -le foyer avec ses trois enfans; auprès -du feu, se trouvait un plat contenant <i>une -soupe à l'ail et une côtelette placée sur le gril</i>. -Mauri fils demanda pour qui étaient ces alimens. -Sa sœur lui répondit qu'ils avaient été -préparés pour le déjeûner de la famille; en -même temps, elle quitta la cuisine et passa -dans la chambre de son vieux père pour l'habiller -et le conduire auprès du feu.</p> - -<p>Joseph Mauri, se trouvant seul alors avec -les enfans de sa sœur, témoigna le désir de -faire cuire des châtaignes, et fit sortir sa -nièce Élisabeth, âgée d'environ quinze ans, -pour s'informer dans le village si l'on n'en -trouverait pas à acheter. Élisabeth sortit et -rentra quelques instans après, en annonçant -qu'elle avait trouvé des châtaignes: son oncle -ne parut point faire attention à ses paroles, -et ne lui répondit rien.</p> - -<p>Dans ce moment, Mauri père fut amené -par sa fille dans la cuisine; elle l'installa auprès -du feu et lui servit un peu de soupe; -elle en donna aussi à ses enfans, à l'exception -d'Élisabeth, et en garda une portion pour -elle-même. Mauri père mangea sa part de -<span class="pagenum"><a id="Page_461"> 461</a></span> -soupe et un morceau de la côtelette; mais -bientôt les enfans éprouvèrent des picotemens, -des angoisses; et des vomissemens ne -tardèrent pas à se déclarer. Le grand-père -ressentit les mêmes accidens. La femme Noguères -examina la soupe avec attention, et -ne lui trouva point sa couleur naturelle; son -jeune fils, Joseph Noguères, âgé de six ans, -fit observer, que c'était peut-être la <i>poudre -blanche</i> que son oncle y avait jetée qui lui -avait donné cette couleur.</p> - -<p>Ces paroles de l'enfant furent un trait de -lumière pour la malheureuse femme qui -soudain s'écria en s'adressant à son frère: -<i>Malheureux! tu as empoisonné ton père et -mes enfans!</i></p> - -<p>L'empoisonneur était resté paisible spectateur -de cette scène; il avait vu son vieux -père, infirme et souffrant, entrer dans la -cuisine et ne lui avait point adressé la parole; -il avait assisté à son repas sans manifester la -plus légère émotion, et quand sa belle-sœur -lui adressa cette terrible interpellation, il répondit -à peine, et sortit en toute hâte de la -maison.</p> - -<p>Cependant les symptômes de l'empoisonnement -se développaient avec violence; on -<span class="pagenum"><a id="Page_462"> 462</a></span> -administra de prompts secours au vieillard -et aux enfans, mais les enfans seuls résistèrent -à la force du poison. Le vieux Mauri -succomba à ses souffrances, dans la nuit du -4 au 5 décembre suivant.</p> - -<p>Le crime était patent; celui qui l'avait commis -ne pouvait s'envelopper du moindre mystère. -Joseph Mauri fut arrêté et conduit le -1<sup>er</sup> mars 1827, devant la Cour d'assises de -Perpignan (Pyrénées-Orientales), comme -coupable d'avoir attenté à la vie de Joseph -Mauri, son père, et de Joseph, Charles et -Étienne Noguères, ses neveux, à l'aide de -substances vénéneuses.</p> - -<p>A l'appui de cette grave accusation, le -ministère public fit entendre plusieurs témoins -dont les dépositions ne firent que confirmer -les faits ci-dessus exposés.</p> - -<p>Aux débats, l'accusé convint que, le 29 novembre -au matin, il s'était rendu chez sa -sœur, pour parler à son père de la vente -qu'il se proposait de faire au comte de Saint-Marsal; -mais il désavoua tous les faits qu'on -lui imputait, et prétendit qu'ils avaient été -méchamment inventés pour le perdre, par sa -sœur et son beau-frère.</p> - -<p>Après les dépositions des témoins, on entendit -<span class="pagenum"><a id="Page_463"> 463</a></span> -les docteurs et pharmaciens chargés -des épreuves chimiques dans la procédure. Ils -déclarèrent que l'analyse avait constaté que -la substance trouvée dans l'estomac du vieux -Mauri était de l'oxide blanc d'arsénic. On fit -même des expériences en présence de la Cour -et de l'auditoire. Les épreuves comparatives, -faites simultanément sur l'oxide blanc d'arsénic -que la Cour avait fait apporter à l'audience, -et sur la substance recueillie par les médecins -dans l'estomac de Mauri, présentèrent des -résultats absolument identiques et furent -parfaitement concluantes.</p> - -<p>L'accusation fut soutenue par le ministère -public avec cette énergie, avec cette naturelle -horreur, que doit inspirer un parricide avéré. -La culpabilité de l'accusé ne pouvait élever -le moindre doute; elle fut prononcée par le -jury. En conséquence, Joseph Mauri fut -condamné à la peine des parricides.</p> - -<p>L'impassibilité de ce monstre ne se démentit -point dans ce moment terrible. Il entendit -sa condamnation avec calme, et regagna -sa prison d'un pas ferme et assuré.</p> - -<div class="chapter"> -<p><span class="pagenum"><a id="Page_464"> 464</a></span></p> -<h2 class="normal">MEURTRE<br /> -<span class="medium">COMMIS DANS UNE ÉGLISE PAR UN JEUNE</span><br /> -<span class="medium">SÉMINARISTE</span>.</h2> -</div> - -<p>Antoine Berthet, fils d'un maréchal-ferrant, -établi dans le village de Brangues (Isère), -était né avec une constitution très-frêle qui -le rendait peu propre à exercer le métier de -son père. D'un autre côté, la nature l'avait -amplement dédommagé; il s'était fait remarquer -de bonne heure par une intelligence -supérieure et par un goût très-marqué pour -l'étude; ce qui avait inspiré en sa faveur de -l'intérêt à plusieurs personnes; leur charité, -plus vive qu'éclairée, voulut tirer Berthet du -rang obscur où le sort l'avait fait naître, et -le destina à l'état ecclésiastique. Le curé de -Brangues l'adopta comme un enfant chéri, lui -enseigna les premiers élémens des sciences, -et le fit entrer, en 1818, au petit-séminaire -<span class="pagenum"><a id="Page_465"> 465</a></span> -de Grenoble. En 1822, une maladie grave -l'obligea de suspendre ses études; il fut recueilli -par le curé dont les soins suppléèrent -avec succès à l'indigence de ses parens. A la -puissante sollicitation de ce zélé protecteur, -Berthet fut reçu chez M. M....., qui lui confia -l'éducation d'un de ses enfans; sa funeste -destinée le préparait à devenir le fléau de cette -famille jusque-là si heureuse. Madame M....., -femme aimable et spirituelle, alors âgée de -trente-six ans, et d'une réputation intacte, -pensa qu'elle pouvait sans danger prodiguer -des témoignages de bonté à un jeune homme -de vingt ans, dont la santé délicate exigeait -des soins particuliers; et Berthet, sans doute -égaré par une immoralité précoce, se méprit -sur la nature de ses soins. Quoi qu'il en soit, -avant l'expiration d'une année, madame M..... -se vit obligée de mettre un terme au séjour -du jeune séminariste dans sa maison.</p> - -<p>Berthet entra au petit séminaire de Belley, -pour y continuer ses études. Il y resta deux -ans et vint passer à Brangues les vacances de -1823.</p> - -<p>N'ayant pu rentrer au petit séminaire de -Belley, il parvint à se faire recevoir au grand-séminaire -<span class="pagenum"><a id="Page_466"> 466</a></span> -de Grenoble; mais, après y être -resté quelque temps, il fut jugé par ses supérieurs -indigne des fonctions qu'il ambitionnait, -et bientôt après congédié sans espoir -de retour. Son père, irrité, le bannit de -sa présence, et il ne put trouver d'asile que -chez sa sœur, à Brangues.</p> - -<p>Ces rebuts furent-ils le résultat de mauvais -principes reconnus ou d'une conduite très-répréhensible? -Berthet se crut-il en butte à -une persécution secrète de la part de M. M..... -qu'il avait offensé? Des lettres qu'il écrivit -alors à madame M..... contenaient des reproches -virulens et des diffamations. Malgré -cela, M. M..... faisait des démarches en faveur -de l'ancien instituteur de ses enfans.</p> - -<p>Berthet parvint encore à se placer chez -M. de C...., en qualité de précepteur. Il avait -renoncé alors à l'église; mais, après un an, -M. de C.... le congédia pour des raisons imparfaitement -connues, et qui paraissaient se -rattacher à une nouvelle intrigue.</p> - -<p>Il songea de nouveau à la carrière qui avait -été le but de tous ses efforts, l'état ecclésiastique. -Mais il fit et fit faire de vaines -sollicitations auprès des supérieurs des séminaires -<span class="pagenum"><a id="Page_467"> 467</a></span> -de Belley, de Lyon et de Grenoble. -Alors le désespoir s'empara de lui.</p> - -<p>Voyant toutes ses démarches inutiles, il -attribuait son peu de succès aux époux M..... -Les prières et les reproches qu'il continuait -d'adresser à madame M..... se changèrent -en menaces terribles. On recueillit des propos -sinistres. <i>Je veux la tuer</i>, disait-il, dans -ses accès de mélancolie farouche. Il écrivait au -curé de Brangues, le successeur de son premier -bienfaiteur: <i>Quand je reparaîtrai sous -le clocher de la paroisse, on saura pourquoi</i>. -Ces étranges moyens produisaient une partie -de leur effet. M. M..... s'occupait sincèrement -à lui rouvrir l'entrée de quelque séminaire; -mais il échoua à Grenoble, il échoua -de même à Belley, où il fit exprès un voyage -avec le curé de Brangues. Tout ce qu'il put -obtenir fut de placer Berthet chez M. Trolliet, -notaire à Morestel, allié de sa famille, -en lui dissimulant toutefois ses sujets de mécontentement. -Mais Berthet, dans son ambition -déçue, était las, selon sa dédaigneuse -expression, <i>de n'être toujours qu'un magister -à 200 francs de gages</i>. Il n'interrompit point -le cours de ses lettres menaçantes. Il annonça -<span class="pagenum"><a id="Page_468"> 468</a></span> -à plusieurs personnes qu'il était déterminé -à tuer madame M..... et à s'ôter la vie à -lui-même. Malheureusement un projet aussi -atroce sembla improbable par son atrocité -même; il était pourtant sur le point de s'accomplir.</p> - -<p>C'était au mois de juin 1827 que Berthet -était entré dans la maison du notaire de Morestel. -Vers le 15 juillet, il se rendit à Lyon -pour acheter des pistolets; il écrivit de là -à madame M..... une lettre pleine de nouvelles -menaces. Cette lettre finissait par ces mots: -<i>Votre triomphe sera comme celui d'Aman, -de peu de durée</i>. De retour à Morestel, on -le vit s'exercer au tir; l'une de ses deux armes -manquait feu; après avoir songé à la faire -réparer, il la remplaça par un autre pistolet -qu'il prit dans la chambre de M. Trolliet, -alors absent.</p> - -<p>Le dimanche 22 juillet, de grand matin, -Berthet charge ses deux armes à doubles balles, -les place sous son habit, et part pour -Brangues. Il arrive chez sa sœur qui lui fait -manger une soupe légère. A l'heure de la -messe de la paroisse, il se rend à l'église et -se place à trois pas du banc de madame M... -<span class="pagenum"><a id="Page_469"> 469</a></span> -Bientôt il la voit venir, accompagnée de ses -enfans dont l'un avait été son élève. Là, il -attend immobile jusqu'au moment où le -prêtre distribue la communion. «Ni l'aspect -de sa bienfaitrice, dit M. le procureur-général -dans son réquisitoire, ni la sainteté du lieu, -ni la solennité du plus sublime des mystères -d'une religion, au service de laquelle Berthet -devait se consacrer; rien ne peut émouvoir -cette âme dévouée au génie de la destruction. -L'œil attaché sur sa victime, étranger aux -sentimens religieux qui se manifestent autour -de lui, il attend avec une infernale patience -l'instant où le recueillement de tous les fidèles -va lui donner le moyen de porter des -coups assurés. Ce moment arrive, et lorsque -tous les cœurs s'élèvent vers le Dieu présent -sur l'autel, lorsque madame M....., prosternée, -mêlait peut-être à ses ferventes prières le nom -de l'ingrat qui s'est fait son ennemi le plus -cruel, deux coups de feu successifs et à un -court intervalle, se font entendre. Les assistans -épouvantés voient tomber presqu'en même -temps et Berthet et madame M..... dont le premier -mouvement, dans sa prévoyance d'un -nouveau crime, est de protéger de son corps -<span class="pagenum"><a id="Page_470"> 470</a></span> -ses jeunes enfans effrayés. Le sang de l'assassin -et celui de la victime jaillissent confondus -jusque sur les marches du sanctuaire.</p> - -<p>«Un amour adultère méprisé, la conviction -que madame M..... n'était point étrangère -à ses humiliations et aux obstacles qui -lui fermaient la carrière à laquelle il avait osé -aspirer, la soif de la vengeance, telles furent, -dans le système de l'accusation, la cause de -cette haine furieuse, de ce désespoir forcené, -manifestés par l'assassinat, le sacrilége et le -suicide.</p> - -<p>«L'horreur tout entière du crime, disait -le procureur-général en terminant son réquisitoire, -suffirait pour captiver votre attention; -mais votre sollicitude, messieurs les jurés, -sera plus puissamment excitée par le besoin -de ne prononcer une sentence de mort qu'autant -que vous aurez la conviction irrésistible -que le crime fut volontaire et le résultat d'une -longue préméditation.»</p> - -<p>Berthet comparut, le 15 décembre 1829, -devant la Cour d'assises de l'Isère. On s'écrasait -aux portes de la salle d'audience dont -l'accès n'était permis qu'aux personnes munies -de billets d'entrée. L'accusé était un jeune -<span class="pagenum"><a id="Page_471"> 471</a></span> -homme d'une taille au-dessous de la moyenne, -mince et d'une complexion délicate; un mouchoir -blanc, passé en bandeau sous le menton -et noué au-dessus de la tête, rappelait le -coup de pistolet qu'il s'était tiré après avoir -assassiné madame de M..... Deux balles lui -avaient percé la mâchoire inférieure et le cou, -et une seule de ces deux balles avait pu être -extraite. Du reste, sa mise et ses cheveux étaient -soignés: il avait une physionomie très-expressive; -sa pâleur contrastait avec ses grands -yeux noirs qui portaient l'empreinte de la -fatigue et de la maladie.</p> - -<p>Pendant la lecture de l'acte d'accusation -et de l'exposé de la cause, par M. de Guernon-Ranville, -procureur-général, Berthet -conserva une attitude immobile. Il reconnut -les pistolets qu'on lui présenta et, sans -aucune émotion, désigna le plus gros comme -étant celui dont il s'était servi contre madame -M.....</p> - -<p>«—Quel motif a pu vous porter à ce crime? -lui demanda le président.</p> - -<p>«—Deux passions qui m'ont tourmenté -pendant quatre ans, l'amour et la jalousie, -répondit Berthet.»</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_472"> 472</a></span> -Dans tout le cours de son interrogatoire, -Berthet voulut répandre des soupçons sur la -vertu de sa victime, et faire croire qu'il avait eu -des relations adultères avec elle. Il se complut -à étaler devant la Cour une foule de -détails diffamatoires qui tendaient à noircir -la réputation de cette dame, et à la faire -passer pour une femme extrêmement corrompue. -Il ne se contenta pas de calomnier -les mœurs de madame M....., son système de -diffamation essaya de flétrir aussi mademoiselle -de C..... afin de motiver sa sortie de la -maison des parens de cette demoiselle.</p> - -<p>«Je revins à Brangues, dit-il, je m'aperçus -bientôt que les sentimens de madame M..... -étaient changés à mon égard. Avant que -j'eusse quitté sa maison, elle m'avait fait des -protestations multipliées d'une éternelle constance. -Il y avait dans sa chambre une image -du Christ; souvent en la contemplant, elle -m'avait dit avec passion: «<i>En présence de cette -image sacrée, je jure d'être toujours à vous, -de n'en pas aimer d'autre, je vous promets de -ne jamais vous oublier de vous rendre heureux, -de m'occuper toujours de votre sort...</i>» -Ces sermens m'avaient fait croire à sa sincérité; -<span class="pagenum"><a id="Page_473"> 473</a></span> -mais il ne me fut plus possible de douter, -à ma sortie du château de C.... de la froideur -de madame M..... Jacquin était devenu l'instituteur -de ses enfans, et je m'aperçus que j'avais -été remplacé de deux manières.»</p> - -<p>Madame Marigny, amie d'enfance de madame -M...., entendue comme témoin, déposa, -entre autres choses, que Berthet étant venu -la voir quelques jours avant son départ pour -Lyon, elle lui avait demandé s'il avait l'espoir -de trouver une place dans cette ville, -et que celui-ci avait répondu: «Non, j'y vais -acheter des pistolets pour tuer madame M.... -et me tuer moi-même après elle. J'avais eu -déjà l'intention de la tuer dimanche dernier, -jour de la Fête-Dieu, avec un fer que j'avais -aiguisé; mais maintenant je suis résolu.»</p> - -<p>Berthet convint de tous ces faits, et ajouta, -que s'il n'avait pas exécuté le dessein qu'il -avait formé le jour de la Fête-Dieu, c'est que -dans l'intervalle, il avait appris que l'on s'était -occupé de lui.</p> - -<p>«Cette explication devient, contre vous, -une charge accablante, reprit le procureur-général. -Ainsi donc, c'est une place qui était -l'objet de toutes vos menées; c'est une place -<span class="pagenum"><a id="Page_474"> 474</a></span> -que vous demandiez avec le pistolet et le poignard! -Vous n'avez consenti à laisser vivre -madame M.... après la Fête-Dieu, que parce -qu'on vous donna des espérances de vous en -procurer une! Cette conduite est d'une lâche -atrocité!»</p> - -<p>Après l'audition de tous les témoins, le -ministère public soutint l'accusation au fond. -Berthet demanda ensuite la parole, et lut un -long récit d'un style naturel et élégant, où -entrant dans de minutieux détails et s'excusant, -sur le péril de sa position, il s'efforçait de -dépeindre madame M.... comme la corruptrice -de sa jeunesse. Il raconta par quelle -suite de causes et d'insinuations elle aurait -perdu son innocence et trop instruit son -ignorante simplicité.</p> - -<p>De ce récit pénible pour ceux qui s'intéressaient -à Berthet, et lu avec une extrême froideur, -résulta la preuve que s'il fallait admettre -la jalousie de l'amour comme une -des causes impulsives du crime, il existait, -dans l'âme de l'accusé, un second mobile et -non moins puissant, un orgueil ambitieux et -égoïste, déçu dans ses espérances.</p> - -<p>Le défenseur de l'accusé, M<sup>e</sup> Massonnet, -<span class="pagenum"><a id="Page_475"> 475</a></span> -s'attacha à montrer Berthet, dominé par sa -fatale passion, et soutint que son crime avait -été commis sans une véritable volonté. Le -ministère public improvisa une vigoureuse -réplique, dans laquelle il parcourut de nouveau -toutes les parties de la cause. «Berthet, -dit-il, vient de nous dévoiler lui-même toute -la turpitude de son âme. Non, il n'éprouvait -pas d'amour, quand il frappa madame M.... -d'un coup meurtrier: ne profanons pas le -nom d'une passion qui peut être honnête. -Sent-il l'amour, celui qui diffame l'objet qu'il -prétend aimer? celui qui, bassement méchant, -va porter la discorde dans un ménage bien -uni, exciter le désespoir dans l'âme de l'époux -qu'il a indignement outragé, et goûter -un infernal plaisir à retourner le poignard -dans sa plaie; celui qui, dans son maladroit -système de défense, ose dérouler publiquement -un tissu des plus odieuses infamies -contre sa bienfaitrice?</p> - -<p>«Berthet, au moment suprême, lorsqu'il -se trouve exposé à être traduit devant le souverain -juge, qu'il avait invoqué naguère, se -défend par les plus noires calomnies, que -tout dément. Votre raison, MM. les jurés, -<span class="pagenum"><a id="Page_476"> 476</a></span> -vous a dit que madame M.... est demeurée -pure; elle s'est refusée surtout à croire qu'il -fût possible que le délire d'une passion adultère -aveuglât au point de prendre Dieu à témoin -de sermens criminels, d'attester l'image -du Dieu qui consacra la sainteté du mariage. -Mais Berthet voudrait entraîner dans -sa ruine l'honneur d'une femme qu'il aimait, -et dont il dit avoir été aimé. Il voudrait léguer -la honte et le désespoir à deux époux, dont la -seule faute fut de mal placer leurs bienfaits: -mais l'infamie dont il cherche à couvrir une -famille respectable retombe tout entière sur -sa tête pour l'accabler.</p> - -<p>«Allons plus avant, messieurs les jurés; sondons -les derniers replis de cette âme perverse: -qu'y découvrons-nous? L'ambition déçue, -l'amour-propre d'un homme envieux, -qui s'irritait de voir madame M.... favoriser -Jacquin plus que lui. Pourquoi donc, s'il était -tourmenté par la jalousie de l'amour, pourquoi -ne choisissait-il pas son rival pour lui -faire porter le poids de sa vengeance? Mais -non; c'est à madame M.... seule qu'il s'adresse; -il lui demande la vie ou une place! C'est le -couteau sur la poitrine qu'il exige des services! -<span class="pagenum"><a id="Page_477"> 477</a></span> -Berthet, détrompé de ses rêves ambitieux, -convaincu trop tard qu'il ne peut -atteindre le but que son orgueil s'était proposé, -Berthet désespéré veut périr: mais en -mourant, sa rage veut entraîner une victime -dans la tombe qu'il creuse pour lui-même!...»</p> - -<p>Berthet fut déclaré coupable de meurtre -volontaire avec préméditation. L'accusé entendit -le fatal arrêt, sans montrer la plus -légère marque d'émotion. Le lendemain, ce -malheureux fit appeler le président de la -Cour, et rétracta tout le système de diffamation -où le soin de sa défense l'avait entraîné. -Il rendit hommage à l'honneur de sa victime, -et déclara que la jalousie qui le dévorait avait -pu seule le porter à supposer qu'elle fût coupable.</p> - -<p>La sentence de Berthet fut exécutée le 23 février -1828, à onze heures du matin sur la -place d'armes de Grenoble; son pourvoi avait -été rejeté par la Cour suprême. Comme on -voyait dans le condamné, moins un assassin -ordinaire, qu'un jeune homme victime de ses -passions, entraîné à sa ruine par un funeste -concours de circonstances, on avait cru que -le recours en grâce formé en faveur de Berthet, -<span class="pagenum"><a id="Page_478"> 478</a></span> -aurait été suivi d'une commutation de -peine. Mais les démarches faites à ce sujet -avaient été infructueuses. Aussi Berthet disait-il, -la veille de sa mort, à l'une des dames -de prison qui l'assistaient: <i>J'ai le pressentiment -que demain sera mon dernier jour.</i> On -ne put lui répondre que par le silence; on -savait que le recours en grâce venait d'être -rejeté. Berthet reçut avec piété toutes les -consolations de la religion; arrivé au pied de -l'échafaud, il envisagea sans crainte le terrible -appareil, fléchit un moment le genou pour -prier et livra sa tête à l'exécuteur.</p> - -<p>Au moment même où la Cour d'assises de -l'Isère prononçait la condamnation du séminariste -Berthet, celle des Pyrénées-Orientales -(Perpignan) condamnait aux travaux -forcés à perpétuité un autre séminariste -nommé Baptiste Marty, prévenu d'avoir, de -complicité avec son père, son frère et un quatrième -individu, commis un homicide volontaire -sur la personne d'un créancier de sa -famille.</p> - - -<p class="end">FIN DU SEPTIÈME VOLUME.</p> - -<p><span class="pagenum"><a id="Page_479"> 479</a></span></p> -<h2 class="normal"> -TABLE<br /> -<span class="medium">DU SEPTIÈME VOLUME.</span></h2> - -<table id="ToC" summary="contents"> -<tr> -<td class="tdl"> </td> -<td class="tdr">Page</td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Le curé Étienne Pacot, injustement condamné à mort.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_1">1</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Complication de scélératesses.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_23">23</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Jean Heinrich, parricide.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_39">39</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">L'épicier Duteil et Delphine Carnet.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_45">45</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Louvel, assassin du duc de Berry.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_50">50</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Assassinat de Neyrat.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_75">75</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Catherine Caman et ses complices.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_83">83</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Les deux fils parricides.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_86">86</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Lelièvre, dit Chevallier.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_89">89</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Peyrache, faux témoin; Rispal et Galland, ses victimes.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_123">123</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Trait de férocité d'un forçat.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_142">142</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Jeune fille assassiné par son corrupteur.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_145">145</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Le curé Mingrat.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_148">148</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Castaing.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_182">182</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Assassinat de la mère Jérôme.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_229">229</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Henri Feldtmann, ou père incestueux et assassin de sa fille.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_234">234</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Assassinat de madame veuve Aillet et de la fille Goussard, sa domestique, à Chartres.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_242">242</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Antoine Léger, ou l'anthropophage des environs de Versailles.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_268">268</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Veillère, ou la passion du jeu.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_283">283</a><br /> -<span class="pagenum"><a id="Page_480"> 480</a></span></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Effrayante série d'atrocités. </td> -<td class="tdr"><a href="#Page_286">286</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Papavoine, ou le meurtre du bois de Vincennes.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_292">292</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">La veuve Boursier.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_323">323</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Le forçat Sureau.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_345">345</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Pierre Barrié, parricide.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_349">349</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">André Blum, accusé de faux et d'empoisonnement.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_359">359</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Assassins de grand chemin.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_369">369</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Bancelin, meurtrier de son épouse.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_377">377</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Le couple assassin.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_387">387</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Henriette Cornier.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_396">396</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Horrible assassinat et suicide.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_403">403</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Derniers momens d'un scélérat condamné à mort.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_409">409</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Asselineau, ou les suites funestes de la passion du jeu.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_414">414</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Famille de parricides.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_434">434</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Compte, meurtrier de sa femme et de son enfant.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_440">440</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Castanier, ou les résultats criminels de l'exaltation religieuse.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_444">444</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Accusation d'assassinat résultant d'un suicide.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_452">452</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Joseph Mauri.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_459">459</a></td> -</tr> -<tr> -<td class="tdl">Meurtre commis dans une église par un jeune séminariste.</td> -<td class="tdr"><a href="#Page_464">464</a></td> -</tr> -</table> - - -<p class="end">FIN DE LA TABLE DU SEPTIÈME VOLUME.</p> - - - - - - - - -<pre> - - - - - -End of the Project Gutenberg EBook of Chronique du crime et de l'innocence, -t. 7 of 8, by Robert Estienne - -*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CHRONIQUE DU CRIME, T. 7 *** - -***** This file should be named 55265-h.htm or 55265-h.zip ***** -This and all associated files of various formats will be found in: - http://www.gutenberg.org/5/5/2/6/55265/ - -Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online -Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This -file was produced from images generously made available -by The Internet Archive/American Libraries.) - -Updated editions will replace the previous one--the old editions will -be renamed. - -Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright -law means that no one owns a United States copyright in these works, -so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United -States without permission and without paying copyright -royalties. 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