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+Project Gutenberg (https://www.gutenberg.org) public repository for
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-The Project Gutenberg EBook of Chronique du crime et de l'innocence, t. 7
-of 8, by Robert Estienne
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: Chronique du crime et de l'innocence, t. 7 of 8
-
-Author: Robert Estienne
-
-Release Date: August 4, 2017 [EBook #55265]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CHRONIQUE DU CRIME, T. 7 ***
-
-
-
-
-Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online
-Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
-file was produced from images generously made available
-by The Internet Archive/American Libraries.)
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-Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le
-typographe ont été corrigées.
-
-L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
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-
-
- CHRONIQUE
-
- DU CRIME
-
- ET
-
- DE L'INNOCENCE.
-
-
-
-
- IMPRIMERIE DE MOQUET ET Cie,
- rue de la Harpe, n. 90.
-
-
-
-
- CHRONIQUE
-
- DU CRIME
-
- ET
-
- DE L'INNOCENCE;
-
-
- Recueil des Événemens les plus tragiques; Empoisonnemens, Assassinats,
- Massacres, Parricides, et autres Forfaits, commis en France, depuis le
- commencement de la monarchie jusqu'à nos jours, disposés dans l'ordre
- chronologique, et extraits des anciennes Chroniques, de l'Histoire
- générale de France, de l'Histoire particulière de chaque province, des
- différentes Collections des Causes célèbres, de la Gazette des
- Tribunaux, et autres feuilles judiciaires.
-
- PAR J.-B. J. CHAMPAGNAC.
-
- Tout ce qui me fait peur m'amuse au dernier point.
-
- C. DELAVIGNE. _École des Vieillards._
-
- Tome Septième.
-
- Paris.
-
- CHEZ MÉNARD, LIBRAIRE,
- PLACE SORBONNE, N. 3.
-
- 1834
-
-
-
-
-CHRONIQUE
-
-DU CRIME
-
-ET
-
-DE L'INNOCENCE.
-
-
-
-
-LE CURÉ ÉTIENNE PACOT,
-
-INJUSTEMENT CONDAMNÉ A MORT.
-
-
-«Serait-il vrai que nos lois, qui veillent assidûment à la punition du
-crime, auraient laissé l'innocence sans défense et sans secours contre
-les erreurs judiciaires? En armant les magistrats d'un pouvoir terrible,
-mais nécessaire, aurait-on oublié qu'ils participent à la fragilité et
-aux passions humaines, et que les plus belles institutions deviennent
-menaçantes, au lieu d'être protectrices, si l'on ne fait rien pour en
-prévenir les erreurs?»
-
-Tel est le début d'un mémoire publié vers 1819; et ces paroles sont le
-cri de douleur d'un vieillard presque octogénaire, d'un vénérable
-ecclésiastique, d'Étienne Pacot, dont les malheurs ont fini par égarer la
-raison, et qui aujourd'hui attend, dans une maison de santé, la fin de sa
-longue et malheureuse carrière.
-
-Le sieur Pacot, échappé comme par miracle aux brigandages de la
-révolution, qui toutefois l'avaient contraint de quitter la paroisse
-qu'il administrait, s'était retiré dans ses propriétés, situées en grande
-partie à Bourberain, département de la Côte-d'Or. Un homme, nommé Prétot,
-vint s'établir dans le même endroit. L'abbé Pacot le reçut sans défiance;
-mais il fut bientôt cruellement puni de cet excès de sécurité. Prétot
-commit chez lui un vol considérable, et attenta à sa vie à deux reprises
-différentes. D'abord il lui tira un coup de fusil par sa fenêtre; ce fait
-fut attesté par le nommé Nicolas Miel, qui accompagnait alors Prétot; cet
-homme en fit la révélation à la justice, qui, un peu plus tard, le
-condamna aux fers pour vol dans une habitation d'une autre commune. La
-seconde tentative de Prétot sur la personne de l'abbé Pacot, eut lieu le
-7 nivôse an VII. Il tira un coup de pistolet à ce propriétaire sur la
-route de Bèze. L'intimité qui unissait cet homme au juge-de-paix du
-canton lui assura l'impunité; néanmoins on n'osa l'absoudre entièrement,
-et sur la déclaration du jury, portant que Prétot n'avait pas eu
-l'intention de tuer le sieur Pacot, cet attentat ne fut puni que d'un
-mois d'emprisonnement, et de vingt-cinq francs d'amende.
-
-Cependant Prétot avait fait trop de mal au sieur Pacot, pour n'être pas
-devenu son ennemi juré. La présence de ce dernier à Bourberain était un
-reproche continuel pour lui, comme pour ses protecteurs. Il résolut de
-s'affranchir, par un crime encore plus noir, de la vue importune d'une
-victime que la Providence avait dérobée à ses premières tentatives de
-meurtre.
-
-Tout-à-coup le bruit se répandit dans la commune de Bourberain que Prétot
-et sa femme venaient d'être empoisonnés _par le plus subtil des poisons_.
-Le 7 germinal an IX, Prétot le dit lui-même aux deux fermiers du sieur
-Pacot, qui étaient entrés dans son cabaret. Il leur montra une
-demi-bouteille à moitié pleine, leur disant que sa femme et lui avaient
-bu l'autre moitié qui manquait. Il raconta que cette demi-bouteille lui
-avait été apportée, deux jours auparavant, avec une lettre dans laquelle
-il était dit qu'on la lui adressait comme un échantillon de vin.
-
-Le même jour, Prétot arrêta deux officiers de santé qui traversaient la
-commune. Le premier trouva la _liqueur douce_, et déclara plus tard que
-_ce ne fut qu'une heure après en avoir mis sur sa langue, qu'il sentit
-une légère chaleur_. Le second, au contraire, affirma que cette liqueur
-_était tellement corrosive, que l'eau-forte ne serait pas plus mordante_.
-
-Cependant la santé de Prétot n'avait pas subi la moindre altération; son
-visage coloré n'offrait aucun des symptômes de l'empoisonnement dont il
-se plaignait. Aussi, dans les premiers instans, se garda-t-il bien
-d'aller se montrer à l'autorité. Sa maison n'était séparée de celle du
-maire de la commune que par un mur, et pourtant il ne l'instruisit pas du
-crime qui, selon lui, avait failli lui coûter la vie. Il ne requit même
-pas l'assistance du juge-de-paix, son ami, qui ne demeurait qu'à une
-demi-lieue de Bourberain.
-
-La calomnie ne saurait procéder par des voies aussi directes, sans
-compromettre souvent le succès de ses manœuvres. Il fallait que Prétot
-s'assurât d'abord des moyens d'accréditer l'odieuse fable qu'il avait
-inventée. Il lui fallait quelques témoins. Il gagna une femme simple et
-crédule, et lui recommanda, ainsi qu'elle le déclara elle-même plus tard,
-de dire, lorsqu'elle serait interrogée à ce sujet, qu'elle avait vu
-Prétot en proie à des vomissemens, et qu'elle lui avait donné du lait.
-
-Le 10 germinal, il fit six lieues à pied pour se rendre à Dijon, mais il
-ne porta pas encore sa plainte à la justice, et revint le jour même à
-Bourberain. Le lendemain, il eut encore la force de recommencer ce
-pénible voyage, et, cette fois, il rendit plainte devant le directeur du
-jury, mais en déclarant toutefois qu'il ignorait jusqu'alors l'auteur du
-crime.
-
-Cette première démarche suffisait pour le moment à Prétot; il était
-satisfait d'avoir éveillé l'attention de la justice; il se désista dans
-les vingt-quatre heures. Cette marche était de la plus perfide habileté;
-elle lui facilitait les moyens de porter à la victime qu'il s'était
-choisie les coups qu'il lui préparait. Bientôt en effet, il fit circuler
-de sourdes rumeurs qui désignaient l'abbé Pacot comme auteur de
-l'empoisonnement, et lui-même déposa que, dans le premier moment, il
-avait accusé ce prêtre, n'ayant pas d'autre ennemi sur la terre.
-
-Sur cette dénonciation, on arrête le sieur Pacot; le dénonciateur
-lui-même vient avec un fusil, afin, dit-il, de prêter main-forte à la
-gendarmerie. Le lendemain, deux simples gendarmes font une perquisition
-dans le domicile de l'abbé Pacot. Deux jours après, le juge-de-paix en
-fait une nouvelle, tendant à s'assurer si l'on trouverait de l'arsenic
-dans la maison: il prend pour témoin le beau-frère de l'accusateur. Ce
-témoin était prévenu de la visite du juge de paix; il quitta son troupeau
-qu'il gardait, pour aller à la rencontre de ce magistrat. Il n'est pas
-nécessaire de faire sentir à nos lecteurs combien il était irrégulier,
-même scandaleux, de choisir le beau-frère du délateur pour témoin de l'un
-des actes les plus importans de la procédure. Mais ce choix n'avait été
-fait ni au hasard, ni sans de fortes raisons. Le témoin lui-même en
-révéla le motif dans un moment de véracité. Il convint que Prétot lui
-avait donné un cornet de poudre blanche, avec mission de le glisser
-furtivement dans la maison de l'abbé Pacot, lors de la visite.
-
-Il se trouvait chez le prévenu un reste de limonade médicinale faite avec
-du sel d'oseille, La décomposition qui en fut faite ne laissa pas le
-moindre doute sur la nature de cette liqueur. Mais le juge de paix, ami
-de Prétot, avant d'appeler un homme de l'art, comme son devoir le lui
-prescrivait, s'empressa de faire avaler de cette limonade à un poussin;
-puis il l'emprisonna dans une soupière qu'il ferma bien hermétiquement de
-son couvercle. Privé d'air, le pauvre animal allait périr asphyxié, si la
-domestique de l'abbé n'avait soulevé le couvercle. Le poussin mort,
-quelle conséquence n'aurait-on pas tirée de ce fait contre l'accusé? On
-n'aurait pas manqué de moyens pour travestir l'asphyxie en
-empoisonnement.
-
-Cependant le sieur Pacot fut conduit dans les prisons; l'une de ses
-domestiques, Louise Poinsot, qui devait jouer un rôle nécessaire dans
-l'affreuse tragédie qu'on avait imaginée, partagea le sort de son maître.
-L'abbé Pacot fut tenu au secret le plus rigoureux pendant
-quatre-vingt-dix jours.
-
-Mais tous les maux qu'on faisait peser sur lui ne rendaient pas
-l'accusation plus vraisemblable. On avait beau l'abreuver d'outrages, son
-innocence n'en éclatait que plus visiblement. Un jour, on le fit sortir
-de sa prison; on le traîna en spectacle dans les rues, et on le conduisit
-chez un marchand droguiste, sous prétexte que la femme de ce marchand
-avait déclaré qu'un homme de la campagne était venu lui demander à
-acheter de l'arsenic.
-
-Nous arrivons à la plus odieuse des manœuvres qui furent dirigées contre
-l'abbé Pacot. Louise Poinsot, sa domestique, avait été, comme on vient de
-le voir, arrêtée en même temps que lui. On l'accusa d'avoir remis la
-bouteille _empoisonnée_ à un commissionnaire pour la porter à Prétot. On
-avait fait entendre plusieurs enfans qui avaient dit avoir vu une fille
-portant cette bouteille, et lui avoir offert de la porter. Les questions
-les plus minutieuses avaient été faites à ces enfans touchant la figure
-et les vêtemens de cette fille. Tout ce qu'on en avait pu tirer, c'est
-qu'ils avaient reconnu quelques-uns des vêtemens de Louise Poinsot:
-quant à la figure, l'un d'eux avait dit qu'il _croyait_ la reconnaître;
-les autres répondaient qu'ils n'y avaient pas fait assez d'attention. On
-pensa que c'en était assez pour effrayer une fille simple, et la rendre
-l'instrument de la perte de son maître. Des magistrats n'eurent pas honte
-d'employer auprès d'elle les plus vives instances pour la déterminer à
-accuser l'abbé Pacot. Ils épuisèrent dans ses longs interrogatoires,
-l'art des insinuations, des questions captieuses; art funeste, dont
-l'usage devrait être interdit contre le crime même, dans la crainte que
-l'on pût jamais en abuser contre l'innocence.
-
-Un jour, elle comparaît devant le directeur du jury. «La vérité est
-découverte, lui dit-il; votre maître est convaincu; vous n'avez pas voulu
-vous sauver seule, vous périrez avec lui.» Au même instant, quatre hommes
-entrent dans le cabinet; un d'eux lui annonce qu'on veut l'arracher à la
-mort; que les portes de la prison vont s'ouvrir pour elle; mais qu'il
-faut qu'elle confirme de sa bouche la vérité, bien qu'elle soit déjà
-connue.
-
-Mais cette pauvre fille, malgré son extrême simplicité, trompa les
-espérances de ces juges prévaricateurs, et rendit tous leurs efforts
-inutiles. On ne put parvenir à lui arracher une parole accusatrice, ni
-l'engager à trahir la vérité. L'aspect de la mort qu'on lui mettait sous
-les yeux ne put ébranler sa constance. Ce courage héroïque ne fut pas la
-seule preuve de son dévouement; la Providence, comme on le verra bientôt,
-l'avait désignée pour sauver la vie à son maître.
-
-L'information traînait en longueur; on ne trouvait pas de charges, et on
-en cherchait toujours. Les fonctions du directeur du jury expiraient; un
-autre lui succède: une nouvelle information commence, et le prévenu
-continue à gémir au milieu des horreurs du secret.
-
-Il fallait cependant terminer l'instruction. L'acte d'accusation est
-dressé contre l'abbé Pacot et sa servante. Le jury d'accusation, appelé à
-prononcer sur le sort du maître, déclare à l'unanimité qu'il n'y avait
-pas lieu à suivre. Mais la malheureuse domestique, au milieu des tortures
-morales qu'elle avait subies, était tombée dans quelques contradictions;
-le jury crut qu'il n'en fallait pas davantage pour décider qu'il y avait
-lieu à accusation contre elle.
-
-La rage des ennemis de l'abbé Pacot avait été impuissante dans cette
-première tentative; ils n'avaient pu rassembler contre lui, non seulement
-des preuves de nature à entraîner une condamnation, mais même de simples
-présomptions suffisantes pour motiver la mise en accusation. Vainement sa
-domestique était accusée; quelques contradictions arrachées par la
-cruelle adresse des interrogateurs ne sont pas des preuves de
-culpabilité. Devant le jury de jugement, son acquittement était
-infaillible; alors leur proie leur échappait tout entière.
-
-La procédure se continuant contre Louise Poinsot, la marche de
-l'instruction l'amena devant le tribunal criminel. On découvrit alors
-qu'un des membres du jury d'accusation, qui avait prononcé la mise en
-liberté de l'abbé Pacot, n'avait pas trente ans. Le commissaire du
-gouvernement requit l'annulation de tout ce qui s'était fait, non
-seulement à l'égard de la domestique, mais encore au sujet du maître qui
-avait été mis hors de l'accusation.
-
-En bonne jurisprudence, la déclaration du jury d'accusation, concernant
-l'abbé Pacot, rendue depuis cinq mois, et contre laquelle le commissaire
-du gouvernement ne s'était pas pourvu en cassation, était devenue
-irrévocable. Et cependant les trois juges du tribunal criminel de Dijon
-cassèrent la déclaration qui l'avait fait mettre en liberté, aussi bien
-que celle qui mettait en accusation Louise Poinsot. Par un inconcevable
-oubli de toutes les formes et des règles les plus élémentaires du droit
-et de la justice, l'instruction recommença contre l'abbé Pacot.
-
-Ce jugement inique fut rendu le 1er nivose an X. Trois heures après, à
-neuf heures du soir, les gendarmes arrêtèrent le sieur Pacot, et
-saisirent tous ses papiers, dont il ne put jamais obtenir la restitution.
-L'abbé Pacot subit de nouveau la torture du secret pendant cent trois
-jours.
-
-Une troisième instruction se poursuivit alors contre le maître et sa
-fidèle domestique. On leur adjoignit une autre servante, contre laquelle
-on n'avait pas informé jusque alors. Un simulacre de jury d'accusation,
-composé selon le caprice des juges, déclara qu'il y avait lieu à
-accusation contre les trois prévenus. On ne prétend point accuser ces
-jurés de perversité; mais on peut les taxer de faiblesse: ils étaient les
-aveugles instrumens de ceux qui les dirigeaient. «Je n'ai été appelé,
-disait l'un d'eux depuis ce jugement, que pour remplacer un juré absent:
-mais tout était fini, et je n'ai eu qu'à donner ma signature.» Un autre
-juré disait sur le même sujet: «Le directeur du jury, ainsi que son
-substitut, nous ont dit que nous n'avions aucune part à prendre dans
-cette affaire; qu'il fallait signer, et renvoyer les trois prévenus pour
-être jugés au chef-lieu du département.»
-
-Les prévenus furent donc soumis au jury de jugement. Après trois
-informations successives, pas un mot, pas une syllabe accusatrice ne
-s'élevait contre eux. Cependant l'abbé Pacot fut condamné, après avoir
-été privé de toutes les garanties que la loi accorde aux accusés.
-
-Douze jurés spéciaux devaient prononcer sur son sort. Cinq se trouvaient
-absens; on les remplaça, non pas en les tirant au sort, comme la loi
-l'exige formellement, mais en les désignant arbitrairement à l'instant
-même. Un de ces jurés s'était acquis le surnom de _Coupe-Tête_ dans les
-massacres dont la ville de Dijon avait été le théâtre pendant la
-tourmente révolutionnaire. Ce fut à cette violation manifeste de la loi
-que l'abbé Pacot dut son salut; ainsi le crime finit par se prendre dans
-ses propres piéges. On n'eut pas honte d'appeler en témoignage un
-commis-greffier qui avait rédigé tous les actes de la première procédure.
-Cet homme osa déclarer qu'il avait entendu Louise Poinsot dire qu'elle
-avait porté la bouteille, sans savoir ce qu'elle pouvait contenir. «Eh!
-malheureux! lui répondit cette fille indignée, dites donc que c'est vous
-qui m'avez dit plusieurs fois qu'il ne fallait que cette déclaration pour
-me faire mettre en liberté.» La force de cette réponse accabla le témoin
-qui fut réduit au silence.
-
-Mais vainement l'évidence terrassait les accusateurs de l'abbé Pacot; on
-ne le jugeait que pour la forme; sa perte était résolue. Il entendit
-prononcer son arrêt de mort; les deux domestiques furent acquittées.
-
-L'abbé Pacot fut reconduit en prison, après avoir protesté contre cet
-assassinat juridique. Il lui restait un refuge à la Cour de cassation,
-pour prévenir ou du moins retarder l'affreux triomphe de ses ennemis.
-Mais plongé dans un cachot, livré à des porte-clefs qui refusaient
-d'écouter sa prière, il n'avait pas la liberté de faire entendre ses
-plaintes, et le fatal délai de trois jours allait expirer. Heureusement
-la Providence lui envoya un frère aîné qui revenait de l'émigration et
-qui, à force de soins et de peines, parvint à pénétrer jusque dans son
-cachot, et à lui procurer les moyens de recourir à la justice de la Cour
-suprême.
-
-Là, les choses devaient changer de face; la procédure était monstrueuse:
-la haine avait aveuglé les ennemis du sieur Pacot au point de négliger
-toutes les formes.
-
-On tenta un dernier effort pour rendre ce recours illusoire. Quarante
-jours s'étaient écoulés depuis le jugement, et les pièces du procès
-n'avaient pas encore été envoyées à la Cour de cassation; on espérait
-qu'à force de retards, la victime succomberait à la rigueur de son sort.
-Plongé dans le cachot le plus infect, l'abbé Pacot réunissait aux plus
-pénibles des souffrances morales les souffrances physiques les plus
-horribles; elles devinrent telles, que, malgré la force de son
-tempérament, il tomba dangereusement malade. Sa mort paraissait
-inévitable. Il fallut tout le dévouement de la fidèle Louise Poinsot pour
-l'arrêter au bord de la tombe prête à l'engloutir.
-
-Cette simple villageoise, mue par un sentiment de la plus noble
-générosité, vendit à son frère le peu qu'elle possédait, et sans prendre
-conseil de personne, se rendit à Paris, à pied, pour sauver les jours de
-son malheureux maître. Elle alla solliciter seule une audience du comte
-Abrial, ministre de la justice. Cet homme respectable, digne de la haute
-mission qui lui était confiée, accorda l'audience sollicitée, écouta
-Louise Poinsot avec bonté, et lui promit de donner des ordres pour
-accélérer l'envoi des pièces. Elle parvint à instruire son maître de la
-démarche qu'elle venait de faire; et celui-ci trouva encore la force
-d'écrire au commissaire du gouvernement, et de lui exprimer son
-étonnement de ce que les pièces n'avaient pas été envoyées. La lettre du
-sieur Pacot était du 1er thermidor an X; on la lui renvoya le jour même
-avec une note portant que les pièces étaient parties depuis dix jours; et
-cependant le comte Abrial ne les reçut que le 3 thermidor. Quand on
-avait vu qu'il était impossible de les retenir, on avait cherché, par un
-mensonge, à déguiser l'horreur d'une persécution qu'on poursuivait avec
-tant de persévérance et d'animosité.
-
-Enfin, l'heure de la justice sonna pour l'abbé Pacot. L'arrêt de mort fut
-cassé, parce que les jurés n'avaient pas été tirés au sort. Le
-commissaire du gouvernement attendit dix-sept jours pour notifier cet
-arrêt au prévenu, et trente jours s'écoulèrent encore jusqu'à sa
-translation à Lons-le-Saulnier. Là, malgré les nouveaux efforts de
-l'intrigue et de la perversité, le nouveau jury déclara _à l'unanimité_,
-non seulement que l'accusé n'était pas coupable, mais qu'_il n'était pas
-constant qu'il y eût eu même d'empoisonnement_. Cette nouvelle procédure
-avait présenté plusieurs circonstances curieuses. Comme on le sait déjà,
-l'accusateur prétendait avoir bu la moitié du poison contenu dans la
-bouteille qui lui avait été remise, et assurait que ce breuvage lui avait
-causé des coliques et des vomissemens. Or, la bouteille qu'avait
-représentée Prétot contenait de l'arsenic dont la plus petite quantité
-devait donner infailliblement la mort; tandis que Prétot venait soutenir
-qu'il en avait bu une forte dose presque impunément. Aussi l'avocat de
-l'abbé Pacot, indigné de tant d'effronterie, fut heureusement inspiré par
-cette indignation même. «Vous prétendez, dit-il à Prétot, vous prétendez
-que vous avez pris, sans autre accident que de simples vomissemens, une
-dose de poison égale à celle que vous reproduisez ici? L'imposture ne
-saurait être ni plus impudente, ni plus grossière. Mais admettons pour un
-moment que vous ayez été fidèle à la vérité. C'est ici le cas de faire
-une juste application de cet adage: _Qui peut le plus, peut le moins_.
-Puisque vous êtes si fort contre les poisons, qu'une quantité capable de
-donner la mort à plusieurs personnes vous a causé à peine quelques
-nausées, prenez seulement le quart de ce qui reste dans la bouteille, et
-je passe condamnation.» Cet argument était invincible; il n'y avait pas
-de milieu: il fallait ou soutenir l'accusation en avalant la dose
-indiquée, ou s'avouer calomniateur en s'y refusant. Prétot, confondu,
-garda le silence, et dès-lors les juges furent convaincus de l'innocence
-de l'accusé et l'acquittèrent. Pourtant quelque amertume se mêla, pour
-l'abbé Pacot, au souvenir de cet acte de justice. On prononça son
-absolution hors de sa présence, contre le vœu de la loi, et pour le
-priver du droit de conclure contre son délateur. On voulait étouffer le
-souvenir de ce procès si déshonorant pour ceux qui y avaient figuré comme
-accusateurs et comme juges; et l'on ne pensait pas que c'est encore une
-injustice d'enlever à l'innocent persécuté le droit d'obtenir la
-réparation qui lui est due.
-
-L'abbé Pacot avait cruellement souffert dans sa personne, dans son
-honneur et dans ses biens. Pendant l'intervalle du temps qui s'était
-écoulé entre les deux procédures, pour acquitter les frais de la
-première, la justice avait mis la main sur les propriétés de l'abbé Pacot
-et en avait fait consommer la vente. Une nouvelle monstruosité se
-rencontra à côté de cette expropriation irrégulière. On rapporte qu'un
-des juges de l'accusé devint acquéreur d'une de ses propriétés.
-
-On pense qu'après avoir souffert de tant de manières différentes, l'abbé
-Pacot ne pouvait se contenter de l'arrêt de Lons-le-Saulnier; il était
-loin de vouloir la vengeance; mais, selon lui, la vérité devait briller
-dans tout son jour; son innocence devait être reconnue autrement que par
-un arrêt d'acquittement. En conséquence, il éleva des réclamations à
-l'effet d'obtenir une réparation plus réelle; on écouta ses raisons, on
-les trouva de toute justice, on le plaignit, mais on lui objecta, comme
-un obstacle insurmontable, des raisons de jurisprudence, des principes
-d'ordre social.
-
-Néanmoins, tout rempli de la bonté de sa cause, l'abbé Pacot ne se rebuta
-pas. La Restauration semblait devoir lui aplanir toutes les difficultés;
-point du tout: il ne fut pas plus heureux. En 1817, lorsqu'il porta ses
-plaintes au pied du trône, des magistrats le condamnèrent comme
-calomniateur, comme s'il n'eût pas légitimement acquis le droit de se
-plaindre!
-
-Ce dernier fait se trouve consigné dans un mémoire qu'il publia plus tard
-avec la signature du célèbre avocat Dupin, et avec cette épigraphe tirée
-d'un ouvrage de ce jurisconsulte: «S'il eût été trouvé coupable, il
-aurait dû à la société une réparation dans sa personne et dans ses biens.
-Il est innocent; la proposition est renversée: c'est à lui que
-l'indemnité est due.»
-
-Au reste, que l'on ne croie pas que ce fût pour lui-même que l'abbé Pacot
-réclamât une indemnité de ses souffrances, de ses malheurs et de ses
-pertes. Non! ce vénérable ecclésiastique comptait au nombre de ses
-vertus, le désintéressement le plus évangélique. Comme il le disait
-lui-même, parvenu à plus de quatre-vingts ans, qu'avait-il besoin des
-biens de ce monde? C'était uniquement dans les intérêts de sa famille
-qu'il militait avec tant de persévérance contre la jurisprudence établie.
-
-Le plus doux et le plus tolérant des hommes dans toutes ses relations
-sociales, il semblait subir une soudaine métamorphose, dès qu'il était
-question de ses infortunes et de l'iniquité de ses juges. Alors ses yeux
-devenaient étincelans, ses cheveux se hérissaient, sa parole s'animait;
-alors il ne souffrait pas la moindre contradiction, et fermait la bouche
-à ceux qui lui adressaient quelque objection, en leur disant que lui seul
-pouvait sentir tout ce qu'il avait souffert injustement, et qu'on ne
-parviendrait jamais à lui persuader qu'il était juste de ne pas
-l'indemniser. Il était facile de voir que cette catastrophe, œuvre de
-la plus perverse calomnie, qui avait bouleversé une portion de son
-existence, ravageait insensiblement ses facultés intellectuelles, en y
-établissant une idée fixe qui dominait tout, et venait se mêler à tout,
-pour tout embrouiller et tout confondre.
-
-Nous vîmes ce bon prêtre, il y a quelques années, chez un homme d'un
-grand mérite, enlevé trop prématurément à ses nombreux amis et aux
-lettres, qu'il cultivait obscurément et pour elles-mêmes, mais non pas
-sans utilité et sans distinction; nous voulons parler de M. L. Hubert,
-auteur du _Conteur_, recueil très-remarquable, quoiqu'il fût très-peu
-remarqué, n'ayant été prôné par aucun journal. Dans cet ouvrage, où sont
-traitées, sous une forme piquante et dramatique, les questions les plus
-importantes de la législation, le but de l'auteur était d'éclairer
-l'homme sur la nature de ses devoirs et de lui faire sentir les avantages
-dont la pratique du bien est la source. Une des nouvelles racontées par
-M. Hubert, l'_Accusé absout_, traitait à fond le point si délicat qui
-intéressait personnellement l'abbé Pacot. La question y était examinée
-sous ses divers aspects; la cause de l'humanité y était plaidée avec une
-chaleureuse éloquence, celle de la société avec une puissante
-dialectique; tous les intérêts étaient pesés avec bonne foi; rien de
-sophistique, rien de captieux: jamais controverse ne fut plus
-consciencieuse.
-
-L'abbé Pacot, alors attaché à Saint-Sulpice, s'était lié avec M. Hubert,
-par suite de la publication de cette nouvelle, qui néanmoins ne le
-satisfaisait pas complètement. Il venait quelquefois discuter avec lui
-sur cette question qui, hors des devoirs de son ministère, l'occupait
-tout entier. Le hasard nous fit assister à une de ces discussions. Placés
-pour ainsi dire en présence d'une passion intéressée, toute légitime, et
-digne d'excuse dans ses exigences, et de la raison parlant au nom de
-l'ordre et de la société, notre rôle se bornait à écouter.
-
-«Je n'ai pas la présomption de créer des règles légales, disait l'abbé
-Pacot d'un ton animé; je me borne à soumettre les idées que me suggère
-l'indifférence avec laquelle est vu l'état de l'homme qu'atteint le
-soupçon. Lorsqu'un individu est poursuivi à la requête d'une partie
-civile, il est à la discrétion du juge de lui allouer des dommages, si
-la plainte semble mal fondée. Or, pourquoi, dans les poursuites
-_d'office_, l'État ne serait-il partie que pour la portion favorable des
-chances de l'accusation? Pourquoi, à titre égal de plaignant, la société
-ne serait-elle passible d'aucun dédommagement, à raison des faux griefs
-exposés en son nom, tandis que tout particulier a des risques à courir,
-en amenant son meurtrier ou son spoliateur devant un tribunal?
-
-«--Parce que, interrompit M. Hubert, il est sagement présumé que, de la
-part de la société, aucun motif coupable n'a dirigé les poursuites. On ne
-pourrait rendre la société partie, sans assimiler l'officier de la loi à
-un adversaire de l'accusé; sans laisser arguer envers lui de passions
-haineuses; sans donner à un ministère de protection l'odieux aspect de
-l'agression. Non, la partie publique ne doit jamais être vue comme
-menaçante pour l'individu paisible; comme portée, dans aucun cas, à
-commettre sciemment le tort; comme pouvant nuire autrement que par de
-fausses notions, autrement que par le louable dessein de débarrasser la
-société de l'ennemi des lois nécessaires à son existence. De même
-qu'aucune flétrissure ne doit être attachée à un arrêt cassé en appel,
-l'élargissement d'un prévenu, même après une détention prolongée, ne doit
-accuser que la fatalité de certaines circonstances, que l'absence de
-cette vue pénétrante attribuée à Dieu seul. La foi qu'il convient d'avoir
-dans l'intégrité de l'examinateur d'un soupçon de délit, n'existerait
-pas, s'il était déclaré qu'un accusé est indemne, parce que ce serait
-reconnaître tacitement que les poursuites n'avaient pour fondement aucune
-de ces causes qui justifient aux yeux du juge les attaques d'une partie
-civile.
-
-«--Je veux m'isoler un instant pour vous répondre, reprit l'abbé tout
-ému: d'après vos principes, l'esprit de la loi est d'opposer, toujours et
-absolument, la société à l'individu: votre premier point de dogme est la
-réunion de tous contre les écarts de chacun. Dans le zèle à punir
-l'infraction, on s'occupe plutôt d'appliquer les peines que de réparer
-l'atteinte faite aux intérêts particuliers; on oublie que l'objet d'une
-justice substantielle est de rendre à chacun ce qui lui appartient, avant
-de songer au châtiment et à ses influences. Enfin, en sévissant contre
-une méchante action, on a en vue moins le tort intrinsèque, que la
-manifestation du mépris pour les règles prescrites par l'autorité. Et
-cela, parce que le pouvoir voit en soi l'État, toute la société; parce
-que l'homme investi du pouvoir veut régner par son titre; parce qu'un
-faux orgueil place la dignité dans de vains attributs. De sorte que c'est
-la vanité du magistrat, de l'administrateur, qui trouve de l'avantage
-dans l'esprit de la loi; c'est elle qui recueille le tribut d'abnégation
-imposé au nom du principe, au nom de tout ce qu'il convient d'appeler
-intérêt social.
-
-«--Doucement, doucement, répondit M. Hubert. Vous savez combien je
-déplore vos malheurs; je comprends très-bien votre indignation; je la
-partage même en compatissant à vos souffrances. Mais il faut toujours
-respecter la base de l'ordre: rejetez-vous sur la fragilité humaine, et
-ne perdez jamais de vue que les inconvéniens de l'état de société sont
-compensés par de grands avantages.
-
-«--Vous en parlez bien à votre aise.... Vous n'avez jamais eu à gémir
-sous le poids d'une condamnation capitale.... Mais, monsieur, ma position
-est bien différente; elle doit peut-être être mise à part, entre toutes
-les erreurs de la justice. L'arrêt qui me condamna fut plus monstrueux,
-mille fois, que celui qui fit tomber la tête de l'infortuné Lesurques,
-dont l'innocence ne saurait être contestée. Dans la malheureuse affaire
-qui perdit cet honnête homme, il y avait un crime bien avéré; le corps de
-la victime était là; une fatale ressemblance fit arrêter Lesurques comme
-l'un des meurtriers: il périt!..... Mais moi, non seulement j'étais
-innocent, mais encore le crime que l'on m'imputait n'était qu'une
-invention de la calomnie; il n'y avait pas de corps de délit. Vous savez
-aussi que plusieurs de mes ennemis siégeaient parmi mes juges. Si je ne
-péris pas comme Lesurques, ce fut une faveur éclatante de la Providence;
-mais je fus emprisonné, spolié, abreuvé d'amertumes de toute espèce.....
-
-«--Oui, oui, votre position est bien cruelle, bien poignante, répliqua M.
-Hubert. Je voudrais, pour tout au monde, pouvoir la soulager; vous avez
-été victime de l'esprit de désordre qui s'était introduit dans l'exercice
-de la justice, comme dans toutes choses. Mais songez que, pour réparer
-les maux qui en sont résultés, il faudrait changer l'ordre établi,
-déroger à des principes de droit généralement consacrés. C'est une arche
-sainte à laquelle il ne faut porter la main qu'avec précaution et
-respect.
-
-«--J'ai donc tort de réclamer une indemnité? s'écria l'abbé Pacot avec
-chaleur.
-
-«--Non, vous n'avez pas tort. Comme simple particulier, je vous
-l'accorderais de grand cœur; je la regarderais même comme l'acquittement
-toujours insuffisant, quel qu'il fût d'ailleurs, d'une dette éminemment
-sacrée. Mais l'instabilité des choses, dans les temps où nous vivons, me
-fait comprendre que le gouvernement ne puisse travailler à faire cesser,
-à réparer le mal dont vous vous plaignez si justement. Il n'en serait pas
-de même dans un ordre politique permanent et bien réglé; car je me plais
-à croire qu'il serait impossible que l'on eût de semblables erreurs à
-réparer.»
-
-Ces mots calmèrent un peu l'abbé Pacot; il n'était pas convaincu; il se
-trouvait presque dans la même situation d'esprit que le célèbre Galilée
-devant les inquisiteurs. Mais les paroles de M. Hubert l'avaient amené
-peu à peu à une sorte de pente vers la résignation. Le sage, le profond
-interlocuteur termina l'entretien à peu près en ces termes, qui sont
-textuellement ceux de la conclusion de l'_Accusé absout_: «Oui, on doit
-renoncer à découvrir un moyen d'indemniser l'accusé, reconnu innocent,
-des misères qui accompagnent et suivent l'état de détention. Jamais,
-assurément, le législateur ne consentira à augmenter les difficultés qui
-gênent la marche du pouvoir judiciaire, même en Angleterre où il a le
-moins d'entraves; et voulût-il ajouter à l'inextricable chaos où se perd
-déjà notre jurisprudence, je le défierais de satisfaire les moins
-exigeans par une opinion quelconque, seulement sur ces deux questions qui
-deviendraient bientôt la source de mille autres: les journées de
-détention auront-elles un prix commun, ou relatif aux situations? la
-suspension des affaires, la perte du crédit, les affections domestiques,
-l'état de santé, seront-ils pris en considération?--Il faut en convenir;
-rien ne peut être imaginé pour rendre la réparation satisfaisante: la
-distribution de l'indemnité ferait plus de mécontens que le refus d'en
-allouer aucune. Mais pourquoi s'évertuer à chercher un remède impossible,
-quand il est si facile d'en prévenir le besoin? Demandez, sollicitez
-sans cesse un mode de poursuites où la liberté de l'individu ait pour
-garantie l'inamovibilité des magistrats; obtenez que le ministère public
-soit une magistrature à laquelle il ne puisse être enjoint d'accuser et
-de retarder la mise en jugement; tâchez qu'il faille au moins un
-plaignant, ou des charges substantielles pour retenir un homme sous les
-verroux après vingt-quatre heures d'enquête; faites décider que le
-jugement sera prononcé dans un délai déterminé, si le prévenu ne s'y
-oppose..... Cela, toutefois, ne pourrait avoir lieu que s'il n'existait
-pas de troubles politiques; car, dans les temps d'effervescence, on ne
-peut affirmer que l'action du pouvoir doit être renfermée dans de
-semblables limites. Et je conçois si bien la réserve avec laquelle doit
-se traiter la question d'opportunité, qu'afin d'éviter de mettre en avant
-aucune proposition intempestive, je m'abstiendrai désormais d'aborder ces
-matières.»
-
-Tous ces argumens étaient sans doute excellens, et puisés dans une raison
-supérieure et dans une parfaite connaissance des difficultés qui
-hérissaient la question. Mais ils ne pouvaient être à l'usage de l'abbé
-Pacot. Comment lui démontrer que sa position si cruelle était cependant
-une nécessité? Il n'en continua donc pas moins activement, mais toujours
-sans succès, ses poursuites en indemnité. Et encore aujourd'hui, que cet
-infortuné joint à tous ses autres malheurs celui de la perte de la
-raison, c'est toujours cette idée qui occupe et empoisonne ses rêves du
-jour et de la nuit.
-
-
-
-
-COMPLICATION DE SCÉLÉRATESSES.
-
-
-Voici encore une effrayante série de forfaits, où le libertinage et la
-cupidité jouent tour-à-tour le principal rôle. On ne saurait trop le
-répéter, tout s'enchaîne dans le mal, encore plus généralement que dans
-le bien: un premier crime, s'il reste impuni, en entraîne presque
-toujours plusieurs autres après lui; c'est un torrent qui, la digue une
-fois rompue, dévaste et renverse tout sur son passage. Cette vérité n'est
-que trop bien prouvée; et, il est douloureux de le dire, chaque jour
-semble se charger d'apporter des exemples à l'appui.
-
-Le 17 mai 1817, Etienne Rouvelle, vieillard âgé de 72 ans, demeurant dans
-une maison isolée, à Bennecourt (Seine-et-Oise), fut trouvé mort, près de
-sa cheminée. Cet homme passait pour avoir cinq mille francs d'économies.
-Après des soupçons portés sur plusieurs individus, un des gendres du
-défunt, Guillaume Normand, fut arrêté, mis en cause et déclaré coupable
-par le jury, à la simple majorité de sept voix contre cinq. Les
-magistrats de la cour d'assises de Versailles délibérant à leur tour,
-trois opinèrent pour l'acquittement, deux pour la condamnation, et aux
-termes de la loi, Guillaume Normand fut condamné au supplice des
-assassins, et subit sa peine peu de temps après.
-
-Il y avait dix-huit mois que le meurtre de Rouvelle avait été commis,
-lorsque le même canton fut le theâtre de plusieurs autres événemens non
-moins tragiques.
-
-Le meunier Planche, habitant de Villez près Bennecourt, vivait fort mal
-avec sa femme, qui, au rapport de la chronique scandaleuse, avait eu
-plusieurs amans, et en dernier lieu, un boulanger nommé Barnabé Pernelle,
-âgé de vingt-cinq ans. Celui-ci, de son côté, s'attirait le blâme et le
-mépris de tous les honnêtes gens, par les mauvais traitemens qu'il
-faisait subir à sa femme, qui jouissait de l'estime générale dans le
-pays.
-
-Le 23 novembre 1817, le meunier Planche fut trouvé noyé dans la petite
-rivière d'Epte, qui faisait tourner son moulin. Comme cet homme était
-presque habituellement ivre, sa mort fut regardée comme un accident.
-Cependant plusieurs rumeurs circulaient dans le village contre Barnabé
-Pernelle et contre la femme Planche elle-même. Un des habitans disait que
-Planche étant mort, le tour de la femme Pernelle ne tarderait pas, et
-qu'il ne lui donnait pas un an à vivre.
-
-Cette prédiction sinistre fut bientôt réalisée. Le 14 mai 1818, pendant
-l'absence de Barnabé Pernelle, sa femme, restée seule à la maison, fut
-trouvée assassinée, la tête dans l'âtre de la cheminée, et ses vêtemens à
-demi consumés. Il fut constaté que cette femme avait péri d'une mort
-violente; mais ce meurtre ne paraissait accompagné d'aucune soustraction:
-une croix d'or restait au cou de la victime. Son mari, présent aux
-perquisitions de la justice, retrouva dans une armoire deux louis qu'il
-disait être toute la fortune actuelle de la maison; mais ensuite il se
-rétracta et prétendit qu'on lui avait volé 150 francs.
-
-Après bien des conjectures, les soupçons s'arrêtèrent sur un vigneron,
-âgé de trente-quatre ans, nommé Crespin Normand. On avait aperçu des
-traces de sang sur ses vêtemens; au moment où l'on se présenta pour
-l'arrêter, sa femme venait de laver sa veste, son gilet et sa chemise, et
-en avait fait disparaître des traces sanglantes. A son premier
-interrogatoire, vaincu par l'évidence des preuves, et peut-être aussi par
-la violence de ses remords, Crespin Normand n'hésita pas à faire l'aveu
-de son crime.
-
-Suivant lui, Barnabé Pernelle lui ayant prêté 500 francs, à raison de 40
-francs d'intérêt par an, et lui ayant fait souscrire une obligation de
-800 francs, qu'il était hors d'état de payer, cette obligation l'avait
-mis, lui Crespin, sous l'entière dépendance de son créancier. Pernelle
-alors lui promit quittance totale, s'il voulait consentir à étouffer sa
-femme _de manière à ne point lui faire de marques de violence_. Crespin
-résista d'abord à ces propositions plusieurs fois réitérées; mais, pressé
-par les exigences de son créancier, il se décida enfin dans la soirée du
-13 mai. Rempli de son exécrable mission, il se rendit chez la femme
-Pernelle, conversa tranquillement avec elle pendant deux heures, et
-tandis qu'elle faisait les apprêts du souper de son mari, il l'étendit
-morte d'un seul coup, à l'aide d'un gros maillet de bois.
-
-Quelques jours avant sa mort, la malheureuse femme Pernelle avait fait à
-un de ses voisins une confidence qui formait une présomption grave en
-faveur des révélations de Crespin. Tiraillé par ses irrésolutions, ou
-peut-être poussé par le désir d'inspirer plus de sécurité à sa victime,
-Crespin avait confié à la femme Pernelle elle-même la commission cruelle
-que son mari lui avait donnée, en lui promettant bien de ne pas
-l'exécuter.
-
-Crespin dénonça aussi Barnabé Pernelle et son cousin, Valentin Pernelle,
-comme complices de l'assassinat du meunier Planche. Suivant sa
-déclaration, Pernelle, qui entretenait un commerce adultère avec la femme
-Planche, l'avait engagé à le débarrasser du mari. Plusieurs tentatives
-échouèrent. Enfin, une nuit, pendant que la femme Planche couchait dans
-le moulin, les trois assassins pénétrèrent dans le corps de logis où le
-mari était couché; ils le trouvèrent pris de vin, suivant sa coutume, et
-étendu sur son lit presque sans sentiment. Ils le saisirent, le
-transportèrent à la rivière, et l'y plongèrent tout habillé. Planche ne
-reprit ses sens qu'au moment où on allait le précipiter dans l'eau. Il
-mordit un des Pernelle à la cuisse, et déchira son pantalon avec ses
-dents.
-
-Grièvement inculpée par cette déclaration de Crespin, la femme Planche
-fut arrêtée; mais on la remit en liberté, faute de preuves suffisantes.
-Peu de temps après, elle s'empoisonna avec de l'arsenic. Elle avait dit à
-un témoin que, quinze jours après la mort de son mari, Crespin avait osé
-lui révéler le secret du fatal complot, et que, depuis ce temps, sa
-conscience ne lui laissait plus un seul instant de repos.
-
-Enfin, dans des aveux postérieurs, Crespin, non content de s'accuser
-lui-même, avait essayé de laver la mémoire de Guillaume Normand, au sujet
-du meurtre du vieillard Rouvelle. Il voulut même décharger Barnabé et
-Valentin Pernelle des crimes qu'il leur avait d'abord imputés.
-
-L'acte d'accusation était rédigé le 14 mai 1819; il fut signifié, peu de
-jours après, aux accusés. Le public attendait l'ouverture des débats. On
-était curieux de voir quelle attitude y prendrait Crespin Normand. Mais
-celui-ci, cédant à ses remords, et voulant sans doute prévenir la mort
-ignominieuse qui lui était réservée, s'étrangla dans sa prison.
-
-Dans cet état de choses, il ne restait plus à juger que les deux cousins
-Pernelle; le premier, boulanger, accusé de complicité dans l'assassinat
-de sa femme et du meunier Planche; le second, comme complice du meurtre
-de ce dernier. Les débats furent longs. Enfin, les prévenus furent
-déclarés coupables, à la majorité de onze voix contre une, sur les divers
-chefs d'accusation portés contre eux. En conséquence, ils furent
-condamnés à la peine de mort.
-
-Peu de temps après la décision du jury, on apprit un événement des plus
-étranges, qui venait servir, en quelque sorte, de corollaire à cet
-horrible procès. Le sieur Lemoyne, père de la veuve Planche, que le
-désespoir d'être inculpée dans l'assassinat de son mari, avait portée à
-se donner la mort, était assigné en témoignage. Voyageant à pied, pour se
-rendre de Mantes à Versailles, il avait été assailli par des inconnus,
-qui le précipitèrent et le noyèrent dans la Seine.
-
-
-
-
-JEAN HEINRICH,
-
-PARRICIDE.
-
-
-Un crime épouvantable, accompagné de circonstances non moins atroces
-qu'extraordinaires, vint affliger l'Alsace, en 1818. Depuis long-temps
-les discours et les menaces de Jean Heinrich annonçaient qu'il méditait
-la mort de son père. Un voisin, nommé Stœr, déclarait que, sans son
-secours, Heinrich père aurait été tué par son fils à coups de hache; que
-ce dernier apostrophait l'auteur de ses jours en ces termes: «Vieux
-coquin! tu ne mourras jamais que de ma main.» D'autres témoins
-rapportaient de semblables menaces, faites par Jean Heinrich à son père,
-en plusieurs circonstances. Ce malheureux vieillard s'étant vu contraint,
-en 1817, de quitter sa maison, répondit au sieur Martin Ruhland, maire de
-Stoswyr, qui l'engageait à retourner auprès de sa famille: «Ils ont voulu
-me tuer: je suis trop sûr que mon fils Jean en veut à ma vie; ma femme,
-qui s'entend avec lui, vaut encore moins que lui.»
-
-Effectivement, la mère et le fils, créatures infernales, s'étaient ligués
-ensemble contre le malheureux vieillard, et les menaces parricides de
-Jean ne tardèrent pas à recevoir leur horrible accomplissement. Heinrich
-père était malade depuis quelque temps. Le 28 janvier 1818, son
-indisposition le força de garder le lit. Cependant sa maladie, loin de
-prendre un caractère grave, laissait entrevoir une prochaine guérison.
-Mais cette heureuse chance contrariait les vœux criminels de Jean
-Heinrich et de sa mère. Ces deux monstres résolurent de concert de mettre
-un terme à leur incertitude. Ils prennent d'abord toutes les précautions
-qu'ils crurent propres à cacher le forfait qu'ils préméditaient, et dans
-la nuit du 28 au 29 janvier, ils s'approchent du lit où l'infortuné
-vieillard reposait. Le spectacle d'un père, d'un époux souffrant, ne peut
-arrêter leur férocité. Jean Heinrich se jette sur son père, le saisit à
-la gorge et l'étrangle, tandis qu'avec ses genoux, il lui meurtrit à
-coups redoublés et lui enfonce la poitrine. Les cris étouffés de la
-victime, ses regards mourans, au lieu d'inspirer aux assassins un
-sentiment de pitié, ne font qu'augmenter leur rage, en raison de la
-crainte qu'ils éprouvent d'être surpris. Tremblant que son père n'échappe
-à la mort, Heinrich, le barbare Heinrich, saisit la tête du vieillard
-expirant, la renverse avec effort, et rompt une vertèbre du cou!.....
-C'en est fait; le forfait est consommé: les vœux des deux monstres sont
-accomplis.
-
-Mais la vengeance ne devait pas long-temps se faire attendre. Vainement
-les assassins s'entourent de précautions; ces précautions elles-mêmes
-doivent fournir le complément des preuves de leur attentat inouï. Un
-enfant dont ils croyaient n'avoir rien à redouter, avait tout vu, tout
-entendu: il fut leur premier accusateur.
-
-Le lendemain matin, Jean Heinrich sort de bonne heure; il annonce aux
-voisins que son père est mort dans la nuit; il dit avoir arrangé les
-mains du défunt telles qu'elles doivent rester; il défend expressément
-d'y toucher avant son retour. Il se rend à Wyr chez le nommé
-Baldenberger, pour l'engager à venir ensevelir son père, et il lui
-recommande aussi _de lui laisser les mains croisées sur la poitrine,
-comme il les avait placées avant son départ_. Heinrich se rend ensuite
-chez un charpentier pour lui commander un cercueil, et _il lui en remet
-lui-même la mesure_. Il s'éloigne, et ne rentre chez lui que le soir fort
-tard.
-
-Cependant Baldenberger arrive à la ferme de Gigersbourg, domicile de Jean
-Heinrich. Il trouve la veuve et ses deux filles encore couchées, dans la
-seconde chambre, où gisait sur un lit de paille le corps de la victime,
-entièrement couvert d'un grand drap. La veuve lui défend expressément de
-remuer le corps. Baldenberger lui faisant observer qu'il faut lui mettre
-une chemise blanche, elle s'empresse de lui répondre qu'elle n'en a pas,
-et que d'ailleurs on ne le verra pas, lorsque le tout sera enveloppé d'un
-linceul. Vers midi, elle envoie Baldenberger chez le charpentier pour
-hâter la confection du cercueil qui ne fut apporté qu'à cinq heures du
-soir.
-
-Le cadavre, enveloppé du linceul qu'on avait cousu dans toute sa
-longueur, sur l'ordre de la femme Heinrich, et contrairement à l'usage du
-pays, fut déposé dans le cercueil, à l'entrée de la nuit. Mais le
-charpentier s'aperçut, en soulevant le corps, que la tête tombait en
-arrière d'une manière remarquable. Il faut observer aussi que l'on évita
-avec grand soin qu'aucun voisin, qu'aucun parent ne vît la dépouille
-mortelle du défunt, et qu'aucun d'eux n'avait été appelé pour aider à
-l'ensevelir.
-
-Depuis ce moment jusqu'au jour de l'arrestation des coupables, Jean
-Heinrich passa plusieurs nuits hors de la ferme. Le 2 février, ayant
-couché à Breitenbach, dans un cabaret, et étant informé par la fille de
-la maison que deux gendarmes venaient d'arriver pour se rafraîchir, il la
-pria, dans le cas où on le demanderait, de l'avertir en frappant au
-plafond. Sa crainte était telle alors, qu'il fit un mouvement pour sauter
-par la fenêtre.
-
-Peu après, le parricide fut arrêté. On connaissait déjà toute l'horreur
-de son forfait; la justice avait mis aussi la main sur son infâme
-complice. Les révélations de l'enfant, qui avait tout vu et tout entendu,
-l'exhumation et l'examen du cadavre, les dépositions d'une foule de
-témoins relativement aux menaces atroces que Jean Heinrich avait souvent
-adressées à son père, levèrent entièrement le voile qui avait
-momentanément caché ce mystère de scélératesse.
-
-Le parricide et sa mère furent amenés devant la cour d'assises de Colmar.
-Tous les faits furent attestés aux débats par des témoignages
-authentiques. Un témoin déclara aussi avoir entendu dire à Jean Heinrich,
-parlant de son père: «Le voilà mort! c'est une grande peine de moins:
-nous ne pouvions pas vivre ensemble.» Un autre déposa que la mère avait
-dit: «C'est un grand bien qu'il soit parti: Jean et lui ne pouvaient pas
-s'accorder. Nous avons le projet de commencer une distillerie, et le
-vieux buveur n'aurait fait que boire notre eau-de-vie.»
-
-Le 11 mai, sur la déclaration du jury, la cour condamna à la peine
-capitale Jean Heinrich, âgé de vingt-six ans, et Salomé Schwarts, sa
-mère, âgée de quarante-neuf ans.
-
-Aux termes de la sentence, ils furent conduits à l'échafaud, pieds nus,
-revêtus d'un voile noir; ils demeurèrent exposés sur l'échafaud pendant
-que lecture fut faite au peuple de l'arrêt de condamnation, puis le
-bourreau leur coupa le poing droit, avant de leur donner la mort.
-
-
-
-
-L'ÉPICIER DUTEIL
-
-ET
-
-DELPHINE CARNET.
-
-
-Le nommé Duteil, épicier et cultivateur à Orvilliers (Seine-et-Oise),
-après de longues importunités, avait séduit Delphine Carnet, sa servante,
-âgée de dix-huit ans. Le commerce adultère qu'elle entretenait avec son
-maître, l'empire qu'elle avait acquis sur son esprit, inspirèrent bientôt
-à cette jeune fille l'idée d'un crime. Jalouse d'être seule maîtresse
-dans la maison, elle forma le projet de se débarrasser de la femme
-Duteil. Soit qu'elle eût déjà le cœur assez pervers pour avoir conçu
-seule cette pensée criminelle, soit qu'elle y eût été poussée par le
-mari, elle ne tarda pas à tenter de mettre son dessein à exécution.
-
-Le 1er septembre 1819 fut le jour choisi par sa jalouse cupidité. Duteil
-s'était rendu au marché de Houdan; sa femme était seule à la maison.
-Delphine avait eu le soin d'en écarter les enfans. Bientôt elle appelle
-sa maîtresse, pour lui montrer une petite _bête jaune_ qu'elle prétend
-apercevoir au fond du puits du jardin. La femme Duteil, trop crédule,
-s'approche, se penche et ne voit rien; Delphine l'invite à baisser la
-tête davantage, et en même temps la précipite au fond du puits.
-
-Heureusement il n'y avait que deux pieds d'eau dans ce puits qui, en tout
-n'avait que douze pieds de profondeur. Le forfait ne put être consommé.
-La femme Duteil jeta de grands cris et appela à son secours sa fille Zoé.
-Au même instant, un seau rempli d'eau tomba sur elle avec sa chaîne de
-fer, et lui fit une blessure grave. Il est permis de croire que cette
-chute ne fut pas accidentelle; du moins, la manière dont la servante
-porta les premiers secours à sa maîtresse, permettent d'en douter. En lui
-présentant une échelle, elle s'y prenait avec tant de maladresse, que la
-femme Duteil en fut toute froissée et ne put s'empêcher de croire que
-l'échelle était dirigée contre elle dans des intentions hostiles. Dans
-son interrogatoire, cette femme se servit, pour peindre ce qui s'était
-passé, d'une expression aussi naturelle qu'énergique: saisissant
-fortement le bas de l'échelle que Delphine paraissait vouloir retirer,
-elles faisaient, dans cette lutte singulière, tous les mouvemens de deux
-scieurs de long.
-
-Soit que Delphine reconnût l'impossibilité d'achever son attentat, soit
-qu'elle fût frappée de repentir, elle fixa enfin l'échelle, aida sa
-maîtresse à sortir du puits, l'emporta dans ses bras, la mit au lit, lui
-prodigua les soins les plus tendres, et implora son pardon en la
-conjurant de ne rien dire à personne de l'action coupable qu'elle venait
-de faire. Touchée par ses prières et par sa protestation, la malheureuse
-femme Duteil poussa la bonté jusqu'à lui faire cette promesse avec
-l'intention de la lui tenir. Mais la nature des plaies et des contusions
-dont son corps était couvert, l'ayant forcée d'appeler un médecin, la
-vérité fut reconnue, et Delphine arrêtée. D'abord Delphine, non seulement
-avoua tout, mais encore elle compromit fortement Duteil, en le signalant
-comme instigateur de son crime. Plus tard, elle chercha à se rétracter,
-en annonçant qu'elle seule était coupable du forfait auquel l'avaient
-portée sa cupidité et sa jalousie à l'égard de la femme Duteil. Cependant
-le mari coupable avait été arrêté. Mis en accusation avec Delphine
-Carnet, il repoussa avec beaucoup de présence d'esprit toutes les charges
-qu'on lui opposait. Il fit valoir une circonstance qui fut constatée dans
-l'instruction; c'est que le matin de l'événement, il ne voulait pas aller
-au marché, et s'était décidé à y envoyer sa femme; qu'il n'y était allé
-que parce que celle-ci avait préféré rester à la maison. Il prétendait
-prouver, par cette allégation, qu'il ignorait, qu'il ne soupçonnait même
-pas les projets de sa servante.
-
-Les deux accusés furent traduits devant la cour d'assises de Versailles.
-A l'audience, Delphine Carnet changea encore une fois de langage, et
-soutint que Duteil était l'instigateur du meurtre. Toutefois ces aveux
-d'une fille de dix-huit ans qu'une première erreur avait poussée si loin
-dans la carrière du crime, ne furent pas aussi foudroyans pour Duteil que
-la modération exemplaire qui dicta la déposition de sa femme, entendue
-comme témoin, en vertu du pouvoir discrétionnaire du président de la
-cour. Cette malheureuse femme déclara, les larmes aux yeux, qu'elle ne
-pouvait croire son mari coupable: «Le père de mes enfans, ajouta-t-elle,
-n'a pu vouloir tuer leur mère.»
-
-Après une très-courte délibération, le jury déclara les deux accusés
-coupables d'une tentative d'homicide, laquelle n'avait été interrompue
-que par des circonstances fortuites et indépendantes de leur volonté. En
-conséquence, Duteil et Delphine Carnet furent condamnés à la peine de
-mort, par arrêt du 16 novembre 1819.
-
-
-
-
-LOUVEL,
-
-ASSASSIN DU DUC DE BERRY.
-
-
-L'attentat de Louvel, attentat qui couvrit la France entière de deuil et
-de consternation, est, par les conséquences qu'il entraîna à sa suite,
-l'un des événemens les plus considérables de notre époque. Louvel, _l'un
-de ces envoyés secrets de la mort qui mettent la main sur les rois_,
-avait choisi pour victime le duc de Berry, parce qu'il voyait en lui seul
-l'espoir de la famille des Bourbons. Le résultat de son crime ne fut pas
-tel que sa rage l'avait espéré: le prince assassiné avait pourvu à la
-continuation de sa race; sous ce rapport, furent donc déçus les criminels
-calculs de Louvel. Mais par une de ces combinaisons qu'il n'est pas donné
-à l'homme d'expliquer, le poignard de Louvel devint l'instrument de
-l'ambition d'un parti antipathique à la nation; dès ce moment, ce parti,
-ennemi déclaré du progrès des lumières, fit invasion dans toutes les
-branches du gouvernement, s'appliqua à faire prospérer partout ses plans
-rétrogrades, mutila peu à peu toutes les libertés publiques, attisa de
-nouveau, et sans s'en douter, le feu du volcan des révolutions, et vit
-disparaître dans une éruption soudaine cette vieille dynastie des
-Bourbons, qui, malgré les avis réitérés de ses amis sincères, lui avait
-imprudemment confié sa couronne et ses destinées.
-
-Ce parti ambitieux, avide et rancunier, dès que la première nouvelle de
-l'assassinat du duc de Berry était venu attrister la capitale, n'avait
-pas manqué d'ameuter ses journaux contre les hommes à idées libérales,
-désignant Louvel comme un Séide à leurs gages. La procédure prouva le
-contraire, mais la tactique n'avait que trop bien réussi: le parti
-anti-national tenait le pouvoir, objet de ses vœux les plus ardens, et
-l'on sait quels furent les résultats de son administration.
-
-Louvel, enfonçant le fer assassin dans le cœur du prince, n'avait
-d'autre instigateur que sa haine sombre et fanatique pour la race royale.
-Depuis long-temps, il méditait son exécrable dessein, mais sans
-confident, sans auxiliaire; sa trame ne se rattachait qu'à lui seul; seul
-il voulait la mettre à fin. C'était un de ces êtres à part qui semblent
-voués par leur destinée à trancher le fil des jours des princes, et mille
-fois plus à craindre pour eux que les plus hardis conspirateurs. «Ces
-hommes, dit M. de Châteaubriand, surgissent soudainement et s'abîment
-aussitôt dans les supplices: rien ne les précède, rien ne les suit.
-Isolés de tout, ils ne sont suspendus dans ce monde que par leur
-poignard; ils ont l'existence même et la propriété d'un glaive; on ne les
-entrevoit qu'un moment, à la lueur du coup qu'ils frappent. Ravaillac
-était bien près de Jacques Clément. C'est un fait unique dans l'histoire,
-que le dernier roi d'une race et le premier roi d'une autre aient été
-assassinés de la même façon, chacun d'eux par un seul homme, au milieu de
-leurs gardes et de leur cour, dans l'espace de moins de vingt-un ans. Le
-même fanatisme anima les deux assassins; mais l'un immola un prince
-catholique, l'autre un prince qu'il croyait protestant. Clément fut
-l'instrument d'une ambition personnelle; Ravaillac, comme Louvel,
-l'aveugle mandataire d'une opinion.»
-
-Les détails de cet événement et de la procédure extraordinaire à laquelle
-il donna lieu viendront parfaitement à l'appui de ces réflexions.
-
-Le 13 février 1820, le duc et la duchesse de Berry s'étaient rendus à
-l'Opéra; la princesse manifesta le désir de ne pas rester au théâtre
-jusqu'à la fin du spectacle; le prince, vers onze heures du soir, la
-reconduisit à sa voiture qui stationnait rue Rameau, et, ayant pris congé
-d'elle en l'assurant qu'il la rejoindrait dans quelques instans, il se
-retourna pour rentrer à l'Opéra.
-
-A l'instant même, un homme s'élance, passe près du duc de Berry comme un
-éclair, et quelques personnes le voient heurter le prince violemment.
-
-La première idée qui vint au duc et à toute sa suite fut que cet homme
-était tout simplement un curieux indiscret. L'aide-de-camp du prince, M.
-le comte de Choiseul, fut tellement dominé par cette idée, qu'il prit
-l'importun par l'habit, et le repoussa en lui disant: _Prenez donc
-garde!_... L'homme prit la fuite; mais il n'avait pas fait quelques pas,
-que le prince s'écria: _Je suis assassiné!_ et en même temps il tenait la
-main sur un poignard abandonné dans la plaie par l'assassin. A l'instant
-même, MM. de Choiseul et de Clermont volèrent sur les traces du
-meurtrier, qu'eux et tous les assistans voyaient courir vers la rue de
-Richelieu. Le garde-royal Desbiez, qui était de faction auprès de la
-voiture à l'instant où le crime venait d'être commis, un adjudant de
-ville, d'autres gardes-royaux et des gendarmes se mirent également à sa
-poursuite.
-
-L'assassin fut arrêté non loin de là, à l'arcade Colbert, par un garçon
-limonadier appelé Paulmier, qui le remit aussitôt à l'adjudant de ville
-et à tous les militaires par lesquels il était poursuivi.
-
-Conduit au corps-de-garde, l'homme arrêté fut fouillé en présence de tous
-les témoins qui avaient présidé à son arrestation. On trouva sur lui,
-dans une des poches de son pantalon, une gaîne vide; c'était celle du
-poignard avec lequel il avait frappé le prince. Dans l'autre poche se
-trouva une alêne de sellier, affilée aussi en poignard et munie
-également de sa gaîne. Ces instrumens homicides et une clef qu'il avait
-sur lui, furent saisis et livrés sur-le-champ, ainsi que sa personne, à
-la justice.
-
-Cependant on avait conduit le prince, d'abord dans un corridor du
-théâtre, puis dans le salon de la loge du roi. Le duc de Berry avait
-lui-même tiré d'une plaie profonde le fer qu'y avait laissé l'assassin.
-L'arme était grossièrement façonnée en poignard tranchant et aigu, et
-avait un demi-pied de longueur.
-
-Le prince eut encore assez de force pour le remettre à M. le comte de
-Ménars, son premier écuyer. Bientôt des médecins furent appelés; mais
-vainement les secours les plus dévoués, les plus empressés, furent
-prodigués au malheureux prince: la blessure était mortelle. Le duc ne put
-même être transporté dans le palais de ses pères, et le 14 février, à six
-heures et demie du matin, il expira, après avoir demandé à plusieurs
-reprises la _grâce de l'homme_ qui l'avait assassiné.
-
-Dès le matin, cette funèbre nouvelle répandit avec elle la stupeur et
-l'alarme dans tous les esprits. Outre l'horreur profonde qu'inspirait
-généralement le forfait qui venait d'être commis, chacun semblait
-pressentir les calamités politiques auxquelles cette mort fatale allait
-donner naissance.
-
-Immédiatement après son arrestation, le coupable avait été conduit devant
-le commissaire de police, Ferré, qui, ce jour-là, était de service au
-théâtre. Ce magistrat avait déjà commencé à procéder à son
-interrogatoire, lorsque M. le comte Anglès, alors préfet de police, le
-procureur du roi et le procureur-général arrivèrent successivement,
-s'emparèrent du criminel, et lui firent subir un interrogatoire.
-
-Cet homme déclara s'appeler Louis-Pierre Louvel, être natif de
-Versailles, âgé de trente-six ans, garçon sellier, employé pour le compte
-du sieur Labouzelle, sellier du roi, et demeurer aux Écuries, place du
-Carrousel. Il reconnut que c'était lui qui avait commis le meurtre du
-prince, et se vanta même de mûrir cet horrible projet depuis 1814. On lui
-présenta le poignard trouvé dans la plaie de la victime; il le reconnut
-sans hésiter, ainsi que le petit poignard, la clef et les deux gaînes
-saisis sur lui. Confronté avec les sieurs Paulmier, Desbiez et les
-autres témoins de son arrestation, tous le reconnurent, les uns pour
-l'assassin du prince, les autres pour l'homme qui fuyait au moment du
-crime. Mais un bien plus triste devoir restait à remplir: il fallait
-constater, contradictoirement avec l'assassin, le corps du délit. Le
-bourreau fut mis en présence de la victime qui avait expiré sous ses
-coups. Il la regarda d'un œil fixe et féroce, ne témoigna ni
-sensibilité, ni remords, et confessa de nouveau que c'était là son
-ouvrage.
-
-Du reste, le rapport unanime des médecins qui avaient vu et soigné le
-prince, attestait que le coup, porté par Louvel, était la seule cause de
-la mort du duc de Berry.
-
-Alors on s'occupa de rechercher les motifs qui avaient pu le porter à
-commettre cet assassinat. Aucun indice du dehors ne pouvant le faire
-soupçonner, Louvel fut soigneusement interrogé, et, sans varier jamais,
-il déclara hautement qu'il n'avait eu à se plaindre en aucun temps du duc
-de Berry ni d'aucune autre personne de sa famille; qu'il n'avait ni motif
-ni prétexte de leur porter aucun sentiment de haine personnelle; qu'il
-n'avait été poussé au crime qu'il avait commis que par la considération
-de l'intérêt public; qu'il regardait tous les Bourbons comme les ennemis
-de la France; qu'aussitôt qu'à leur retour, il avait vu flotter le
-drapeau blanc, il avait conçu le projet de les assassiner tous; que ce
-projet ne l'avait pas quitté un seul instant depuis 1814; que depuis
-lors, il avait cherché toutes les occasions de l'exécuter, suivi les
-princes dans leurs chasses, rôdé autour des spectacles qu'ils
-fréquentaient, pénétré dans les lieux saints où ils allaient remplir
-leurs devoirs religieux; et qu'il les aurait égorgés, si son courage ne
-lui avait pas manqué, et si quelquefois, il ne s'était pas demandé:
-_Ai-je tort? ai-je raison?_
-
-Louvel ajoutait qu'à Metz, en 1814, il avait eu un moment l'intention de
-tuer le maréchal-duc de Valmy, parce qu'il servait les Bourbons; mais que
-bientôt il avait pensé que c'était un simple particulier; qu'il fallait
-porter ses coups plus haut; qu'il aurait tué Monsieur à Lyon, s'il l'y
-eût encore trouvé, lorsque lui, Louvel, se rendit dans cette ville au
-débarquement de Bonaparte; que, depuis, il s'était attaché à la personne
-du duc de Berry comme celui sur lequel était fondé le principal espoir
-de la race; qu'après le duc de Berry, il aurait tué le duc d'Angoulême;
-après lui, MONSIEUR; après MONSIEUR, le roi; qu'il se serait peut-être
-arrêté là, car il paraît qu'à cet égard son infâme résolution n'était pas
-prise, et qu'il n'avait pas bien arrêté s'il continuerait dans les autres
-branches de la famille royale le cours de ses assassinats; qu'il n'avait
-ressenti de son arrestation qu'un seul chagrin, celui de ne pouvoir
-ajouter d'autres victimes à celle qui venait de tomber sous ses coups;
-qu'il était loin de se repentir de son action, qu'il regardait comme
-belle et vertueuse; et qu'enfin il persisterait toujours dans ses
-théories, dans ses opinions et dans ses projets, sans s'embarrasser des
-jugemens des hommes, et moins encore des jugemens de la religion à
-laquelle il ne croyait pas et qu'il n'avait jamais pratiquée.
-
-Quels avaient été les antécédens de Louvel? ceux d'un homme obscur qui,
-d'abord ouvrier sellier, avait figuré plus tard dans les rangs de l'armée
-française, mais sans aucune espèce de distinction. Depuis long-temps, le
-gouvernement monarchique contrariait ses vœux. Dès l'année 1814, il
-avait entrepris, à ses frais, le voyage de l'île d'Elbe, moins sans doute
-pour grossir les rangs des fidèles compagnons de l'ex-empereur, que dans
-l'intention d'y entretenir les funestes desseins qui fermentaient dans
-son cœur. Pendant les Cent-Jours, il resta en dehors des mouvemens
-militaires dont le retour de Napoléon avait donné le terrible signal; ou
-s'il suivit l'armée, ce ne fut que pour y exercer sa profession; car, au
-retour de Napoléon, il était parvenu, par le crédit d'un de ses parens,
-chef de la sellerie de l'ex-empereur, à y être employé comme ouvrier.
-Qu'était-il donc allé faire à l'île d'Elbe, si ce n'est aiguiser son
-poignard? Mais lorsque l'anéantissement du trône impérial fut consommé,
-la haine fanatique de Louvel prit un caractère plus prononcé. Il ne rêva
-plus que l'extermination de la race royale. Afin peut-être de mieux
-arriver à ce résultat, il sollicita un emploi aux Écuries du roi, comme
-pour se rapprocher le plus possible des victimes que sa fureur avait déjà
-marquées, et s'attacha principalement à la personne du duc de Berry.
-
-Le jugement d'un semblable criminel devait avoir une solennité toute
-nationale. Dès le 14 février, une ordonnance du roi, communiquée par M.
-Decazes, ministre de l'intérieur, à la chambre des pairs, institua ce
-grand corps politique en haute cour de justice, conformément à l'article
-33 de la charte; et l'on commença immédiatement l'instruction de ce
-procès, d'où nous avons tiré les détails que l'on vient de lire.
-
-Indépendamment des recherches que l'autorité avait faites chez toutes les
-personnes avec lesquelles Louvel avait eu les relations les plus
-indifférentes, elle avait également ordonné des perquisitions chez tous
-ses proches parens; mais elles ne produisirent rien à leur charge. L'acte
-d'accusation déclara donc que nul complice n'avait été découvert, et que
-Louvel était le seul qui dût être mis en jugement devant la cour des
-pairs.
-
-L'ouverture des débats eut lieu le 5 juin 1820. MM. Archambault et
-Bonnet, anciens bâtonniers de l'ordre des avocats, avaient été nommés
-d'office pour la défense de l'accusé. L'apparition de Louvel devant le
-public excita un mouvement d'effroi qu'il serait difficile de dépeindre.
-Son front était chauve et sa figure dépourvue d'expression; ses yeux
-étaient ternes et enfoncés.
-
-L'interrogatoire du prévenu fournit de nouvelles preuves à l'appui de ce
-qui a été dit précédemment sur les projets régicides de Louvel. «Par quel
-motif, lui dit le président, avez-vous poignardé S. A. R. monseigneur le
-duc de Berry?--Je lui ai ôté la vie, répondit Louvel, dans l'intention de
-détruire la race des Bourbons qui, suivant moi, faisait le malheur de la
-nation.--Aviez-vous quelques motifs d'inimitié personnelle?--Aucun, mais
-j'ai choisi de préférence ce prince, parce que c'était la _souche_ de la
-famille royale.»
-
-Interrogé sur sa funeste résolution, il répondit froidement: «Mon parti
-était pris; aucun sentiment d'honneur ni de religion ne pouvait me faire
-changer de dessein. D'ailleurs je suis catholique, je le crois toujours,
-mais j'ai changé suivant les événemens, tantôt théophilanthrope, tantôt
-catholique.--Mais si vous avez le malheur de ne pas croire à la justice
-divine, vous deviez croire à la justice des hommes. Vous ne saviez donc
-pas que vous exposiez votre vie?--Au contraire, il faut voir en moi un
-Français qui s'_est sacrifié_... Si j'ai tenté de me sauver, je ne le
-faisais pas pour long-temps; j'en voulais à tous les hommes français qui
-ont pris les armes contre ma patrie, et cette haine m'aurait fait
-persister dans mes projets.»
-
-Cependant Louvel avoua qu'il avait été attendri par le spectacle des
-derniers momens du prince, et que c'était alors seulement que ses yeux
-s'étaient ouverts sur l'énormité de son forfait: «Mais, dit-il en
-terminant, la religion ne peut remédier au crime que j'ai commis.»
-
-Il résulte aussi des réponses de Louvel aux questions de plusieurs
-membres de la haute cour, que ses lectures habituelles pendant sa
-jeunesse étaient les _Droits de l'homme_ et la _Constitution_, mais qu'il
-ne lisait aucuns journaux.
-
-Plusieurs fois, à la demande de M. de Lally-Tollendal, le président
-adjura l'accusé, devant Dieu, de déclarer s'il avait eu des complices.
-Louvel, tout en convenant que son crime était horrible, affirma n'avoir
-communiqué son projet à qui que ce fût. «Était-ce pour vous défendre, lui
-dit le président, que vous aviez sur vous un second poignard?--Non,
-Monsieur.--Pourquoi en aviez-vous deux?--C'était pour mieux réussir.»
-
-Dans l'instruction, l'accusé avait dit qu'il savait toutes les démarches
-du prince par ses gens mêmes, à qui il le demandait. Louvel confirma
-ainsi cette déclaration: «Le jour de l'événement, je n'avais pas besoin
-de prendre des renseignemens, puisque c'était dans Paris; mais quand les
-princes étaient à la chasse, je savais par le premier venu l'heure à
-laquelle ils devaient rentrer.»
-
-Lors de sa confrontation avec la victime, quelqu'un lui ayant dit: _Ne
-craignez-vous pas la justice divine?_ il avait répondu: _Dieu n'est qu'un
-mot_. Ce propos était attesté par plusieurs témoins; Louvel, interpellé
-par le président, crut se rappeler l'avoir tenu.
-
-M. le duc de Maillé ayant fait observer que, dans l'instruction, l'accusé
-avait dit qu'il s'était rendu à Calais, en 1824, pour assassiner le roi,
-et qu'il avait ensuite déclaré que telle ne pouvait être son intention,
-puisqu'il savait que le roi était à Paris, interpella Louvel sur cette
-circonstance. «Il est probable, répondit le prévenu, que j'étais parti de
-Metz avec cette intention; mais je savais bien, en partant de Metz, que
-le roi était à Paris. Je voyageais pour tâcher de réfléchir avec maintes
-et maintes personnes que j'aurais entendu parler; voilà pourquoi j'ai
-_rallongé_ ma route. J'ai passé par Calais pour savoir ce qu'on disait du
-roi dans les endroits où il avait passé, et ensuite voir si je devais
-exécuter ma _commission_.»
-
-Louvel, adjuré de nouveau de déclarer s'il avait des complices, répondit
-avec impatience: «Non, je n'en ai jamais eu.» M. Lecoulteux de Canteleu
-releva le mot de _commission_ qu'avait prononcé Louvel. «Serait-ce,
-dit-il, une commission qui lui aurait été donnée par quelqu'un?--C'était
-une commission intérieure que je m'étais imposée à moi-même.»
-
-Obligé de s'expliquer sur la qualification que méritait son crime, il
-répondit: «C'est une action horrible, c'est vrai! Quand on tue un autre
-homme, cela ne peut pas passer pour vertu; c'est un crime: Je n'y aurais
-jamais été entraîné sans l'intérêt que je prenais à ma nation, suivant
-moi; je croyais bien faire, suivant mon idée.»
-
-Après l'audition de tous les témoins et le réquisitoire du
-procureur-général Bellart, la parole fut donnée à maître Bonnet, l'un
-des conseils de l'accusé. Ce célèbre avocat, pénétré de la mission
-difficile qu'il avait à remplir, sut concilier les devoirs que lui
-imposait sa noble profession avec le respect qu'il devait à l'auguste
-tribunal devant lequel il allait parler, et avec la position d'un accusé
-qui s'était fait gloire de son crime pendant la durée des débats. Il
-invoqua en faveur de son client la _monomanie_ ou _fixité d'idées_. «Oui,
-messieurs, dit-il, l'individu qui a pu se dire: Ai-je tort, ai-je raison
-d'assassiner un prince dont je n'ai point à me plaindre? est un insensé,
-et ne peut pas être autre.»
-
-Nous allons transcrire la péroraison du plaidoyer de l'éloquent avocat,
-parce qu'on y retrouve quelques particularités touchantes relativement
-aux derniers momens du prince: «Déjà peut-être nous accuserait-on d'avoir
-omis, ou même de ne nous être pas borné à faire valoir pour l'accusé la
-plus sublime, la plus puissante de toutes les recommandations. Vous allez
-au-devant de nos paroles, messieurs, et vous croyez entendre ce dernier
-cri du prince-martyr... «_C'est un insensé!..._ Grâce! grâce pour
-l'_homme_!» Le monarque, le père adoptif de la victime, le père de tous
-ses sujets, n'arrive pas assez tôt, et le prince ne pense qu'à assurer la
-vie de son meurtrier. Une chrétienne impatience s'empare de lui, et au
-milieu de ses affreuses douleurs, le sort de celui qui les cause l'occupe
-presque tout entier. C'est ici que, sans aggraver le sort de l'accusé, et
-même pour le servir, pour le couvrir d'une égide tutélaire, nous pouvons
-proclamer toute notre admiration pour la victime. Douloureusement soulagé
-par les pleurs de sa courageuse épouse qui commande à son désespoir, par
-la présence de sa jeune et innocente fille, il partage en quelque sorte
-sa sollicitude entre ces illustres objets de sa tendresse et le
-malheureux _insensé_ qui l'a frappé. Alliance inouïe de pensées si
-diversement admirables! contraste que peut seule engendrer ou expliquer
-une grande âme! Les derniers momens que peut donner ce prince chéri aux
-plus tendres sentimens de la nature, il en dérobe une partie pour devenir
-le protecteur, l'auguste avocat de celui qui lui arrache la vie! Grâce
-pour l'homme! Quel choix bienfaisant d'expressions dans ce mot d'un usage
-si vulgaire: Grâce pour l'_homme_! Eh bien! messieurs, l'homme est devant
-vous! Les dernières paroles de sa victime ne seront-elles pour lui qu'un
-héroïsme stérile? Et si ce cri de grâce sorti de la bouche d'un illustre
-mourant est impuissant sur des juges, joignez-y ce jugement porté par la
-victime: _C'est un insensé!_ Que ces deux mots réunis, plus forts que mes
-vains raisonnemens, se fortifient l'un par l'autre en faveur de
-l'_homme_; (pourquoi serions-nous plus sévères que celui que nous
-pleurons?) en faveur de l'homme que vous allez juger; qu'ils soient son
-unique défense: c'est là principalement que nous voulons placer son
-refuge. Oui, c'est un insensé celui qui conçut, qui nourrit, pendant six
-ans, l'infernal projet de détruire la plus illustre, la plus clémente, la
-plus paternelle race de souverains, la plus digne de gouverner une nation
-dévouée, libre et généreuse.»
-
-Le président demanda à Louvel s'il avait quelque chose à ajouter au
-plaidoyer de son défenseur. L'accusé, sans répondre à cette
-interpellation, se leva, tira de sa poche des feuilles de papier
-détachées, écrites de sa main; et du ton de la plus froide insensibilité,
-lut les phrases suivantes:
-
-«J'ai rougi aujourd'hui d'un crime que j'ai commis seul. J'ai la
-consolation de croire, en mourant, que je n'ai point déshonoré la nation
-ni ma famille. Il ne faut voir en moi qu'un Français dévoué à se
-sacrifier pour détruire, suivant mon système, une partie des hommes qui
-ont pris les armes contre ma patrie. Je suis accusé d'avoir ôté la vie à
-un prince. Je suis seul coupable; mais parmi les hommes qui occupent le
-gouvernement, il y en a d'aussi coupables que moi. Ils ont, suivant moi,
-reconnu des crimes pour des vertus. Les plus mauvais gouvernemens que la
-France a eus ont toujours puni les hommes qui l'ont trahie, ou qui ont
-porté les armes contre la nation.
-
-«Suivant mon système, lorsque des armées étrangères menacent, les partis
-doivent cesser et se rallier pour combattre, pour faire cause commune
-contre les ennemis de tous les Français. Les Français qui ne se rallient
-pas sont coupables. Suivant moi, le Français qui est obligé de sortir de
-France par l'injustice du gouvernement, si ce même Français se met à
-porter les armes pour les armées étrangères contre la France, alors il
-est coupable. Il ne peut rentrer dans la qualité de citoyen français.
-
-«Selon moi, je ne peux pas m'empêcher de croire que si la bataille de
-Waterloo a été si fatale à la France, c'est qu'il y avait à Gand et à
-Bruxelles des Français qui ont porté dans les armées la trahison, et qui
-ont donné des secours aux ennemis.
-
-«Suivant moi et selon mon système, la mort de Louis XVI était nécessaire,
-parce que la nation y a consenti.... Si c'était une poignée d'intrigans
-qui se fût portée aux Tuileries, et qui lui eût ôté la vie sur le moment,
-oui, je le croirais; mais comme Louis XVI est resté long-temps en
-arrestation, on ne peut pas croire que ce ne soit pas de l'aveu de la
-nation. De sorte que s'il n'y avait eu que quelques hommes, il n'aurait
-pas péri; la nation entière s'y serait opposée. Aujourd'hui, ils
-prétendent être les maîtres de la nation; mais suivant moi, les Bourbons
-sont coupables, et la nation serait déshonorée si elle se laissait
-gouverner par eux.»
-
-Telle fut la défense de Louvel prononcée par lui-même. Vainement on avait
-tenté de le détourner de lire cette défense étrange, ce tissu
-d'absurdités, qui, du reste, semblait venir à l'appui du système adopté
-par le défenseur. Ces paroles délirantes avaient répandu sur tous les
-visages l'indignation et l'horreur; Louvel seul conservait son
-immobilité. Le procureur-général repoussa la question de monomanie et
-réclama, avec une noble fermeté, la juste punition du coupable.
-
-Le 6 juin, la cour des pairs rendit son arrêt qui condamnait Louvel à la
-peine de mort. Cet arrêt, étant sans appel, il ne restait plus au
-coupable qu'à songer à mourir. Mais avant de le conduire au pied de
-l'échafaud, racontons quelques faits particuliers aux derniers jours de
-sa vie.
-
-Le premier jour qu'il comparut devant ses juges, il témoigna le désir de
-faire un peu de toilette. Arrivé dans la salle qui précède la chambre des
-pairs, il fut frappé de la mollesse du tapis. «Quel bon tapis! dit-il, si
-j'en avais eu un semblable dans ma prison, je n'aurais pas été éveillé si
-souvent par le bruit des gendarmes.»
-
-«J'ai été fort content de la chambre des pairs, dit-il encore: je ne suis
-fâché que d'une seule chose, c'est qu'elle ait fait durer le procès
-pendant deux jours.--Mais c'est un jour de gagné, lui reprit-on.--Dites
-donc plutôt un jour de perdu! répondit le fanatique.»
-
-Logé dans une chambre voisine de l'appartement de M. de Sémonville, il
-eut un petit mouvement de sensualité, et dit au grand-référendaire:
-«Depuis que je suis en prison, j'ai toujours couché dans de gros draps;
-je voudrais bien, pour la dernière nuit, en avoir de fins.» On obtempéra
-à sa demande. Il s'endormit paisiblement, et ne se réveilla qu'à six
-heures. Il demanda alors un verre de vin, qui lui fut donné. Il était à
-dîner quand M. Cauchy fils, greffier, arriva à la Conciergerie. Louvel
-fut amené au greffe. Il entendit lecture de l'arrêt qui le condamnait à
-avoir la tête tranchée. Ce misérable ne donna pas le moindre signe
-d'émotion ni de trouble. Après cette lecture, le jeune greffier,
-magistrat plein de piété, lui fit une courte exhortation: «Vous n'avez
-plus, lui dit-il, rien à espérer des hommes; votre seule ressource est
-dans la miséricorde de Dieu. Il pardonne, ce Dieu miséricordieux, au plus
-grand coupable, quand il témoigne du repentir et des regrets sincères
-sur son crime.--Des regrets! interrompit Louvel, je n'en ai pas.....--La
-porte de l'éternité va s'ouvrir devant vous, malheureux! occupez-vous de
-votre salut.--Bah! un prêtre, je n'en ai pas besoin; et puisque je dois
-mourir, pourquoi demain? pourquoi pas aujourd'hui? je suis tout prêt.»
-Après cet entretien, on le reconduisit à sa prison, où il acheva de dîner
-tranquillement. Son repas terminé, il s'occupa d'écrire à ses parens pour
-leur faire ses adieux, et leur témoigner ses regrets de leur avoir causé
-tant de chagrins.
-
-Le mercredi, 7 juin, dès le matin, M. le procureur-général Bellart se
-rendit en personne à la Conciergerie, afin de tenter, pour la dernière
-fois, d'arracher des aveux au condamné. On persistait à croire que ce
-n'était point un crime isolé, et que Louvel, emportant le secret de ses
-complices, allait, par sa mort, leur rendre la liberté. Les efforts de M.
-Bellart demeurèrent sans résultat. Le condamné paraissait en outre décidé
-à repousser les secours de la religion; il avait refusé d'entendre un
-ecclésiastique de Notre-Dame. Cependant, à force de persévérance, il
-avait été vaincu, et s'était confessé à M. l'abbé Montès, aumônier de la
-Conciergerie.
-
-L'exécution avait été fixée à six heures. Un quart-d'heure avant, Louvel
-monta dans la charrette; il était accompagné de l'abbé Montès qui lui
-prodigua constamment, et d'abord inutilement, les secours de la religion.
-Sa figure était extrêmement pâle. Pendant le trajet, il regardait à
-droite et à gauche, et paraissait abattu. Arrivé au pied de l'échafaud,
-Louvel s'entretint avec son confesseur l'espace de quatre minutes.
-L'altération de ses traits et son accablement étaient visibles. Deux
-aides de l'exécuteur furent obligés de le soutenir pour lui aider à
-monter à l'échafaud. Pendant qu'on l'attachait à la fatale planche, il
-promenait de tous côtés un œil hagard. Enfin, à six heures, il avait
-subi sa peine.
-
-
-
-
-ASSASSINAT DE NEYRET.
-
-
-Ce procès criminel qui, pendant près de deux années, fixa l'attention des
-habitans de la Drôme, rappelle, par sa bizarrerie et l'atrocité des
-circonstances dont le crime fut accompagné, le trop fameux procès de
-Rhodez.
-
-Un ancien militaire, nommé Neyret, retiré à Valence, y avait épousé la
-fille de la veuve Dupont. Dans une fête établie à Valence, à l'instar de
-celle de la rosière de Salency, la fille Dupont, proclamée la plus sage
-de toutes ses compagnes, avait reçu, pour prix de sa sagesse, avec la
-couronne de roses, une dot de six cents francs et la main de Neyret. A
-l'aide de cette dot, les deux époux levèrent un petit fonds de commerce;
-mais des chances malheureuses trahirent leur espoir; Neyret manqua à ses
-engagemens. Ses malheurs lui aliénèrent l'affection d'une femme qui ne
-lui était unie que par l'intérêt. Elle abandonna Neyret, après s'être,
-dit-on, emparée de tous les débris de son commerce. Son inconduite devint
-notoire: elle recevait publiquement des hommes mariés, et fréquentait des
-mauvais lieux.
-
-Dans les premiers jours du mois d'août 1818, Neyret disparut. Vers le
-milieu du même mois, à quatre heures du matin, une veste et un chapeau,
-découverts dans une barque, près du pont de Valence, furent reconnus pour
-lui avoir appartenus. On crut d'abord que le malheureux Neyret s'était
-donné la mort. Cependant, dès le lendemain de sa disparition, le bruit
-avait circulé dans la ville que Neyret était mort victime d'un
-assassinat, et que son cadavre, percé de neuf coups de couteau, avait été
-jeté dans le Rhône.
-
-Ce bruit ayant pris de la consistance, les soupçons se portèrent sur la
-femme de Neyret, ainsi que sur sa belle-mère. L'une et l'autre furent
-arrêtées; et bientôt après un jeune homme, nommé Chaléat, qui, à l'époque
-du crime, avait eu des liaisons avec la Neyret, fut prévenu de complicité
-avec elle et partagea sa détention.
-
-Trois autres individus, Mélanie Durand, le nommé Vigne et sa femme, qui
-semblaient avoir parlé de l'assassinat de Neyret avec connaissance de
-cause, appelés d'abord comme témoins dans l'instruction dirigée contre
-les trois premiers accusés, et compromis par des dénégations contraires à
-l'évidence, par des réticences plus que suspectes, furent mis en
-jugement, et les débats publics, relatifs à ces six prévenus,
-commencèrent le 20 mars 1819.
-
-Une circonstance où les accusés trouvèrent moyen d'alléguer un _alibi_,
-embrouilla tellement la cause, que le jury ayant déclaré, après quatre
-heures de délibération, les accusés non coupables, ils furent tous mis en
-liberté.
-
-Mais de nouvelles révélations étant parvenues à la justice sur d'autres
-individus compromis dans cette horrible affaire, on instruisit une
-seconde procédure où les premiers accusés ne pouvaient figurer que comme
-témoins, puisqu'ils avaient été acquittés.
-
-La veuve Neyret qui, depuis deux ans, n'opposait à la justice qu'un
-silence obstiné, avait enfin cédé au cri de sa conscience. Ses aveux
-accusaient sa propre mère, son oncle Blanc qui s'était pendu en prison,
-Chaléat, Sabot, Palandre, Lamotte, Vigne et sa femme. _Une étrangère_
-avait tout vu, et son témoignage pouvait confirmer le sien. Mais quelle
-était cette étrangère? Sur les signalemens donnés par la veuve Neyret,
-une fille publique, nommée Adélaïde Houdard, fut arrêtée à Paris, dans un
-lieu de débauche; elle fut forcée d'avouer qu'elle se trouvait à Valence
-à l'époque du crime; elle fut renvoyée dans cette ville, et après de
-longues hésitations, elle donna les détails suivans:
-
-«J'étais à Valence depuis quelque temps, lorsque la femme Neyret, que je
-connaissais fort peu, m'invita à un souper qu'elle donnait le soir à
-d'autres filles et à quatre ou cinq hommes. Il était trois heures
-après-midi. Je passai le reste de la journée chez elle. A l'entrée de la
-nuit, je vis arriver sa mère, puis la Vigne, qui fut suivie à un long
-intervalle du malheureux Neyret. Celui-ci jugeant, par les préparatifs
-qui s'offraient à ses regards, des projets libertins de sa femme,
-s'emporta contre elle en violens reproches, et lui lança même un
-soufflet. Aux cris de la Neyret, un grand et beau jeune homme, qui entra
-dans ce moment, se précipita sur le mari, et l'accula contre la muraille.
-Alors entrèrent ensemble trois ou quatre individus qui, après avoir
-renversé Neyret d'un coup de bouteille dont il eut la tête fracassée, le
-traînèrent dans une chambre contiguë, où je les suivis machinalement, une
-chandelle à la main. Là, un de ces monstres enfonça lentement un couteau
-dans la partie supérieure du cou de la victime que les autres
-comprimaient de toutes leurs forces. A ce spectacle, éperdue, hors de
-moi-même, tremblante pour mes propres jours, je me réfugiai dans la pièce
-où était restée la Neyret, que je trouvai sur un lit évanouie. Les forces
-m'abandonnèrent aussitôt; je tombai sur une chaise, privée de sentiment;
-et quand je revins à moi, les meurtriers me firent prêter le serment de
-garder un silence éternel sur les événemens de cette nuit fatale.»
-
-D'après ces renseignemens, quatre individus furent traduits, le 30 août
-1820, devant la cour d'assises de la Drôme, comme prévenus de meurtre
-avec complicité sur la personne de Neyret; savoir, les nommés Sabot,
-Jean-Baptiste François dit Lamotte, Palandre et Adélaïde Houdard, dite
-_la Parisienne_.
-
-L'affaire occupa cinq séances, du 30 août au 3 septembre; sur les
-soixante-quatorze témoins entendus, la déposition la plus forte fut
-celle d'un nommé Ferrier; il déclara qu'ayant accompagné Chaléat, son
-maître, à la maison de la Neyret, il s'approcha, en se retirant, du
-contrevent d'un appartement où il y avait de la lumière, et qu'il vit
-quatre hommes qui portaient un corps inanimé qui fut placé sur un
-matelas; qu'il vit une vieille femme s'en approcher et plonger un couteau
-dans le corps de cet homme; qu'il s'enfuit épouvanté. Il déclara qu'il ne
-reconnut aucun des assassins, mais que Chaléat était sur le seuil de la
-porte, et que deux femmes avaient un flambeau à la main.
-
-La déposition de la femme Neyret qui semblait avoir tout le secret de
-l'assassinat, était encore plus vivement attendue. «Chaléat, dit-elle,
-m'avait fait prévenir, par la femme Vigne, de préparer un souper pour le
-10 août. Il devait y avoir cinq personnes. Chaléat désirait que Mélanie
-Durand se trouvât parmi les convives; mais la Vigne qui fut chargée de
-l'inviter oublia la commission. Il ne se trouvait chez moi que la femme
-Vigne, Adélaïde Houdard et ma mère, lorsque mon mari entra et me donna un
-soufflet. Chaléat qui arriva dans ce moment s'élança sur mon mari.
-Palandre, Lamotte, Sabot et Vigne qui suivirent de près Chaléat,
-lancèrent une bouteille à la tête de Neyret, et on l'entraîna dans le
-troisième appartement où on l'égorgea.» Étant demeurée dans la seconde
-pièce, elle déclara ignorer les détails de l'assassinat. Blanc arriva le
-dernier. Ce fut lui qui porta le cadavre au Rhône, accompagné de Lamotte.
-On fit prêter aux quatre femmes le serment de ne jamais rien révéler.
-
-La fille Houdard, interrogée comme accusée, changea quelque chose à ses
-déclarations. Enfin, après cinq jours de vifs débats entre les témoins et
-les accusés, après des plaidoyers où les avocats firent surtout valoir en
-faveur des prévenus les contradictions entre les divers témoignages et
-les précédens relatifs aux principaux témoins, la fille Houdard qui
-siégeait sur le banc des accusés, fut acquittée à l'unanimité par le
-jury; Palandre, à la majorité de sept voix contre cinq, fut déclaré
-coupable, et la cour s'étant réunie à la minorité qui lui était
-favorable, il fut acquitté. A l'égard de Sabot et Lamotte, déclarés
-également coupables à la majorité de sept voix contre cinq, la cour
-adopta l'avis de la majorité des jurés; en conséquence, ces deux
-individus, convaincus de complicité dans le meurtre de Neyret, mais sans
-préméditation, circonstance qui, résolue affirmativement, aurait appelé
-sur eux la peine capitale, furent l'un et l'autre condamnés aux travaux
-forcés à perpétuité, à l'exposition et à la marque.
-
-Ce jugement, comparé à celui qui avait acquitté la veuve Neyret, Chaléat,
-etc., offre une sérieuse matière à réflexions. Sabot et Lamotte
-persistèrent à soutenir leur innocence, traitant de calomniateurs tous
-les témoins qui avaient déposé contre eux.
-
-
-
-
-CATHERINE CAMAN
-
-ET SES COMPLICES.
-
-
-Le lecteur a pu facilement se convaincre, par l'épouvantable série
-d'exemples que nous avons déjà fait passer sous ses yeux, que la débauche
-et l'adultère sont une des causes les plus ordinaires des crimes qui
-désolent la société. Cette vérité n'est malheureusement que trop prouvée;
-des forfaits nombreux sont là pour l'attester. Aussi, bravant, dans
-l'intérêt des mœurs, le reproche de monotonie qui pourrait nous être
-adressé, nous ne nous lasserons pas d'insister sur ce point, toutes les
-fois que de tristes occasions s'en présenteront. Une leçon fréquemment
-répétée, et accompagnée d'exemples frappans et toujours nouveaux, doit à
-la longue s'introduire et fructifier dans les cœurs qui sont encore
-quelque peu sensibles à la vertu.
-
-Catherine Caman, femme Latreyle, habitait avec son mari une commune
-située dans les environs de Pau en Béarn. Depuis long-temps, des liaisons
-criminelles existaient entre cette femme et le nommé Quidel dit Barros.
-Catherine Caman avait fait inutilement bien des démarches pour obtenir sa
-séparation. La plus grande mésintelligence régnait dans ce ménage, et
-Catherine Caman ne dissimulait ni sa passion pour Barros, ni sa haine
-pour son mari.
-
-Le 2 juillet 1820, Latreyle disparut tout-à-coup; et sa femme, pour
-détourner les soupçons qui s'élevaient contre elle, fit faire des
-recherches très-actives et très-empressées dans les communes voisines.
-Cependant cette ruse ne put endormir ni tromper la vigilance de la
-justice. Barros fut arrêté au moment où il cherchait à vendre des
-vêtemens qui avaient appartenu à Latreyle. Pressé par le juge
-d'instruction, il se troubla, laissa échapper une partie de la vérité, et
-nomma ses complices.
-
-Par suite de ses révélations, les nommés Manauté, Chelles, et la femme
-Latreyle furent arrêtés. Saisis d'effroi, croyant que tout était connu,
-ils n'hésitèrent point à révéler tous les secrets de l'horrible mystère
-qui avait présidé à la mort de Latreyle.
-
-Ce malheureux époux avait été assassiné dans son lit; sa femme, Barros,
-Manauté et Chelles, avaient tous trempé leurs mains dans son sang, et ils
-avaient préludé à ce meurtre par une sorte d'orgie. On avait transporté
-son cadavre, sur une jument, dans un champ de Barros, où d'avance on
-avait creusé une fosse pour le recevoir, et les funérailles de la victime
-avaient été célébrées par une nouvelle orgie.
-
-Les accusés Barros, Manauté, Chelles et la femme Latreyle, furent
-déclarés coupables du meurtre avec les circonstances atroces que l'on
-vient de lire, et la Cour d'assises des Basses-Pyrénées les condamna à
-mort.
-
-
-
-
-LES DEUX FILS PARRICIDES.
-
-
-Pierre Godefroy, jardinier aux Mesnils, près de Montfort-l'Amaury,
-arrondissement de Rambouillet, était parvenu à l'âge de soixante-huit
-ans, et pourtant, sous le rapport des mœurs, sa conduite était fort
-irrégulière. Il fréquentait des femmes de mauvaise vie et découchait
-souvent. Il s'élevait à ce sujet entre lui, sa femme et ses enfans, des
-querelles très-vives, et l'instruction rapporte des propos qui font
-frémir.
-
-Le samedi 24 septembre 1814, dans la soirée, par un beau clair de lune,
-Pierre Godefroy fut rencontré sur le chemin du bois de l'Épine; le
-lendemain, son cadavre fut trouvé dans le même bois. Une trace de sang,
-qui commençait sur la route et se prolongeait dans le bois, prouvait
-qu'il y avait été traîné après l'assassinat. Le malheureux vieillard
-avait été tué d'un coup de fusil, chargé de deux balles, qui lui avaient
-fracturé la poitrine; les meurtriers, craignant que leur victime
-n'échappât, avaient eu l'horrible précaution de l'achever en lui faisant
-au cou, au-dessous du menton, une très-large plaie. En déposant le
-cadavre sous les arbres, on avait cherché à couvrir la plaie avec le
-bâton de chêne qui servait, quelques instans auparavant, à assurer la
-marche chancelante du vieillard.
-
-La voix publique ne tarda pas à désigner les deux fils Godefroy, comme
-auteurs du crime. Un des indices auxquels on attacha le plus d'importance
-fut la découverte, au domicile de la veuve Godefroy, d'un fusil de chasse
-non chargé, nouvellement tiré, pouvant recevoir des balles de calibre. La
-veuve déclara que son fils Julien s'en était servi, le vendredi, pour
-tuer un oiseau; elle montra en effet un oiseau mort qui était dans sa
-huche.
-
-Ces charges et plusieurs autres ne parurent pas suffisantes à la chambre
-d'accusation de la Cour d'assises; par arrêt du mois de février 1815,
-elle ordonna la mise en liberté des deux fils Godefroy qui avaient été
-arrêtés. Cinq années s'écoulèrent sans qu'aucune lumière nouvelles vint
-dissiper les ténèbres qui couvraient cet exécrable attentat; mais en
-février 1820, diverses indiscrétions des personnes de la famille ou de
-quelques témoins, excitèrent la vigilance de la justice, et les fils de
-Godefroy furent remis en prison et en cause.
-
-Cinquante-neuf témoins furent assignés, et confirmèrent toutes les
-charges. Les deux accusés, l'un Pierre-Martin, âgé de trente-trois ans,
-ancien militaire et père de six enfans; l'autre Julien, âgé de trente
-ans, se renfermèrent dans une dénégation complète. Leur défenseur
-repoussa surtout l'invraisemblance d'une accusation où il faudrait
-supposer que d'autres femmes de la famille, la mère, une sœur et une
-belle-sœur des accusés, auraient été, sinon complices, au moins
-confidentes. «On ne peut croire, ajoutait-t-il, que le crime de parricide
-ait été en quelque sorte traité en conseil de famille.»
-
-Néanmoins, après une délibération d'une demi-heure, les jurés déclarèrent
-coupables de parricide les deux frères Godefroy, qui furent condamnés à
-avoir le poing coupé et la tête tranchée.
-
-
-
-
-LELIÈVRE,
-
-DIT CHEVALLIER.
-
-
-Si dans l'ordre moral, il est à peu près possible de déterminer les
-limites du bien, parce qu'il existe des règles fixes qui peuvent guider
-dans cette délimitation, il n'en est malheureusement pas de même du mal;
-tout ce qui en dépend n'étant que monstruosité, et par conséquent
-en-dehors de toutes les lois connues, comment pourrait-on lui assigner
-des bornes?
-
-Une action héroïque, un dévouement sublime, un grand acte de vertu, tout
-en captant notre admiration, tout en nous électrisant d'enthousiasme, ne
-nous sembleront jamais au-dessus des forces humaines, parce que tout
-homme dont la poitrine s'élève aux battemens d'un cœur noble et
-généreux, doit naturellement se croire capable des choses belles, grandes
-et sublimes. Qu'on nous présente au contraire l'épouvantable tableau des
-forfaits de la Brinvilliers et de Desrues, il n'est pas d'individu qui,
-terrifié par cette horrible peinture, ne la considère comme le _nec plus
-ultra_ de la perversité humaine, et ne soit même tenté de croire que le
-narrateur ou le peintre s'est plu à forcer les couleurs. Il n'en est
-pourtant rien; les crimes de ces deux grands coupables sont attestés de
-manière à ne pas causer le moindre doute; ils sont affreux, certainement;
-on les croirait le résultat des suggestions diaboliques d'un autre
-Méphistophélès. Pourtant ils ont été surpassés par les attentats de
-Lelièvre, que nous allons mettre sous les yeux du lecteur.
-
-Depuis neuf ans environ, un jeune homme prenant le nom de Chevallier, et
-se disant natif de Lyon, occupait un emploi dans les bureaux de la
-préfecture du Rhône. Il était doué de quelques talens, montrait des
-manières aisées; sa figure était distinguée, sa politesse exquise. Ces
-diverses qualités lui avaient mérité la bienveillance de ses chefs et
-celle des habitans de Lyon. Du reste, son exactitude à remplir ses
-devoirs, sa conduite en apparence régulière, lui avaient fait obtenir la
-place de sous-chef au bureau des finances de la préfecture.
-
-Cependant, poursuivi par une sorte de fatalité, cet homme avait éprouvé
-les plus cruelles infortunes. La mort lui avait ravi trois femmes qu'il
-avait successivement épousées, et avec chacune desquelles il avait vécu
-dans l'union la plus pure. Il venait de convoler en quatrièmes noces, et
-ce nouveau mariage lui promettait enfin le sort dont il paraissait digne,
-quand tout-à-coup une circonstance inexplicable attira sur lui les yeux
-de la justice, et procura les plus étranges découvertes.
-
-Le 17 juin 1820, vers cinq heures du soir, le sieur Berthier, chapelier à
-Saint-Rambert, village situé sur les bords de la Saône près de Lyon, fut
-averti qu'un _monsieur_ bien vêtu venait d'emporter son enfant, et que
-déjà sa femme était à la poursuite de cet individu. Berthier, sans veste
-et sans souliers, part aussitôt. Bientôt il rejoint sa femme; plusieurs
-ouvriers de manufactures voisines apprennent aux deux époux que le
-ravisseur suivait la rive droite de la Saône. Ils arrivent au port de la
-_Glaire_ au moment où l'inconnu venait de s'embarquer; ils traversent la
-rivière, accompagnés de trois ouvriers qui leur avaient donné ce
-renseignement. Arrivés au port de la _Feuillée_, ils aperçoivent le
-bateau qui avait traversé l'homme à la douane. Ils traversent tous à leur
-tour; mais le ravisseur fuyait rapidement devant eux; ils courent
-jusqu'au pont de bois. Là, Berthier tout haletant, épuisé par la fatigue,
-perd subitement ce qui lui reste de force; il ne peut aller plus loin.
-Mais bientôt s'entendant appeler vivement du côté du pont Tilsitt, ces
-cris raniment son courage, il court, il arrive à la porte d'un café; on
-lui dit: Il est là! Berthier, hors de lui, entre furieux, et balance son
-bâton sur la tête de l'inconnu, prêt à lui en asséner un coup, lorsque
-plusieurs personnes lui retiennent le bras. Le voleur profite du moment
-d'agitation et prend la fuite; on le poursuit, et on l'arrête enfin dans
-l'allée d'une maison. Conduit devant le commissaire de police, et
-interrogé sur le motif qui lui avait fait enlever cet enfant, il répond
-qu'_on lui en avait volé un, et qu'il en avait pris un autre_.
-
-Au moment de l'arrestation, l'enfant de Berthier avait aux jambes des bas
-bleus que son ravisseur lui avait mis; plusieurs autres effets
-d'habillement, trouvés dans la poche de cet homme, prouvèrent que son
-intention était de changer le costume de l'enfant. On apprit presque
-aussitôt qu'à Saint-Rambert, quelques heures avant l'enlèvement,
-l'inconnu n'avait cessé de se promener dans l'avenue principale, attirant
-à lui les enfans, soit en leur faisant des caresses, soit en leur donnant
-des bonbons. Le petit Berthier, s'étant plusieurs fois laissé prendre par
-la main, était resté bientôt au pouvoir du ravisseur qui l'avait chargé
-sur ses épaules et emporté en courant. On remarqua avec étonnement que,
-loin de résister, de se débattre et de crier entre les mains de
-l'étranger, l'enfant s'était endormi presque aussitôt; que, dans le
-trajet de Saint-Rambert à Lyon, il fut vu dans le même état de sommeil,
-ce qui donnait lieu de croire que pour empêcher ses cris ou sa
-résistance, l'étranger lui avait donné quelque substance soporifique,
-mêlée peut-être aux bonbons qui avaient servi à l'attirer.
-
-La nouvelle de cet événement, répandue bientôt dans toute la ville de
-Lyon, fut un sujet de conjectures et de perplexité, surtout quand on
-apprit que l'individu arrêté se nommait Pierre-Claude Chevallier, et
-était le même qui occupait une place de sous-chef à la préfecture du
-Rhône.
-
-La rumeur publique ne tarda pas à s'exercer sur cette tentative
-d'enlèvement et sur son auteur; on fouilla toute la vie de Chevallier
-depuis le moment de son arrivée à Lyon; mille bruits défavorables
-circulèrent sur son compte; des faits furent rappelés, des témoins se
-présentèrent, des demi-plaintes furent portées à l'oreille de l'autorité.
-On ne parlait plus seulement du vol d'un enfant; on murmurait les mots
-d'_empoisonnement_, d'_infanticide_. Suivant les premiers bruits qui
-furent recueillis, Chevallier n'avait cessé de commettre des crimes
-depuis qu'il était à Lyon. On disait qu'une de ses maîtresses était morte
-dans la fleur de l'âge, empoisonnée par lui; que sa première, sa seconde
-et sa troisième femme, avaient éprouvé le même sort; et que, pour comble
-d'atrocité, l'enfant de Chevallier qui avait disparu tout-à-coup, n'était
-mort que de la main de son père.
-
-De nouvelles informations viennent confirmer à la justice les faits déjà
-parvenus à sa connaissance; chaque instant révèle une circonstance
-importante. Enfin, suivant les paroles de l'acte d'accusation, «si les
-morts ne sortent pas de leurs tombeaux, une multitude de documens épars
-se réunissent pour prouver qu'une main homicide les y a fait descendre.
-L'enfant volé n'est plus que l'instrument dont la Providence semble
-s'être servi pour mettre les hommes sur la voie de découvrir un grand
-coupable.»
-
-Cependant Chevallier, rassuré par la bienveillance que ses chefs lui
-avait témoignée, et par les anciennes apparences de bonne conduite qu'il
-pouvait invoquer en sa faveur, entreprit de se justifier de l'enlèvement
-du jeune Berthier, et fit parvenir, à cet effet, du fond de sa prison, au
-lieutenant-général de police, un long mémoire qui, loin de répondre à son
-attente, ne fit au contraire que fournir des armes plus sûres à
-l'accusation dirigée contre lui.
-
-Voici le récit, plein de contradictions et d'invraisemblances, qu'il
-faisait de la disparition de son enfant. Suivant son mémoire
-justificatif, cet enfant qu'il avait eu de son mariage avec Marguerite
-Pizard, avait deux ans quand il fut placé en nourrice à Villeurbanne.
-Lui, Chevallier, ayant appris qu'il manquait de soins, alla le retirer,
-et, le 2 août 1819, à sept heures du soir, il traversa le pont de la
-Guillotière, en revenant de Villeurbanne, dans l'intention de le placer
-chez une nouvelle nourrice dont il lui a été impossible d'indiquer le
-nom. Au lieu de coucher à Lyon, il préféra, le soir même, aller coucher à
-la demi-lune, sur la route de Tassin, d'où il partit le lendemain jeudi 3
-août, se dirigeant sur Pollionnay, qui n'en est éloigné que de deux
-lieues. La chaleur et la fatigue de la route lui ôtèrent presque toutes
-ses forces; les vapeurs du vin qu'il avait bu lui montèrent au cerveau.
-
-Il était dans cet état, continuait-il dans son mémoire, lorsqu'il s'égara
-dans un chemin de traverse, près d'une colline, au milieu d'épaisses
-broussailles. Alors une branche qu'il n'avait pu éviter vint frapper son
-enfant, le réveilla et le fit chanceler; il voulut retenir le mouvement
-de sa tête, qui entraînait le reste du corps, mais il ne vit pas une
-cavité remplie d'herbes glissantes qui était sous ses pieds. Il tomba
-brusquement; l'enfant lui échappa, roula beaucoup plus bas que lui, et
-ne fit entendre aucun cri, parce que, selon toute apparence, _sa tête
-avait frappé contre un rocher_. Étourdi de sa chute, égaré par le
-désespoir, Chevallier perdit la tête et la raison. Dans cet état, la nuit
-vint le surprendre. Il appela à son secours, et sa voix ne fut pas
-entendue; il fit des recherches, au milieu de l'obscurité, pour trouver
-son fils, mais elles furent vaines. Navré de douleur, il revint à Lyon,
-dissimula son chagrin, fit la faute de ne pas faire la déclaration de son
-malheur, et enfin, le dimanche suivant, essaya de nouvelles recherches
-qui furent sans résultat. Il terminait en disant qu'il avait sans doute
-fait une _faute répréhensible_, en enlevant l'enfant des époux Berthier,
-mais qu'il y avait été poussé par l'idée de réparer la perte douloureuse
-qu'il avait faite du sien.
-
-Tel fut le tissu de circonstances mensongères et invraisemblables que
-Chevallier produisit pour sa justification. Les renseignemens recueillis
-par la police vinrent détruire tout cet échafaudage de mensonges, et
-prouver jusqu'à l'évidence que Chevallier n'avait commis un nouveau crime
-que pour en cacher un précédent. Il fut facile de confondre l'accusé par
-des faits et par des argumens sans réplique.
-
-Mais les investigations de la justice ne devaient pas s'arrêter là: on
-disait que l'accusé avait usurpé le nom qu'il portait; ce point était
-important à éclaircir, et ce fut dans ce but qu'on lui fit subir un
-interrogatoire, le 21 juin. Chevallier soutint qu'il était de Lyon, et né
-dans la paroisse de Saint-Pierre. D'après lui, son père et sa mère
-n'existaient plus; l'un était mort en 1792, l'autre en 1793. Son père,
-ouvrier en soie, demeurait rue de l'Arbre-Sec. Il n'avait plus de parens
-à Lyon et n'en avait conservé que dans le département de l'Isère, lieu de
-naissance de son père. Ayant quitté Lyon à l'âge de huit ans, avec un de
-ses oncles qui le conduisit à Saint-Domingue, ses frères et ses sœurs
-moururent pendant son absence qui se prolongea jusqu'en l'année 1801,
-époque à laquelle il s'embarqua pour revenir en France. Dans la
-traversée, son oncle et lui eurent le malheur d'être pris par les
-Anglais. Alors son oncle vint à périr, il ne sait comment; pour lui, il
-resta à Portsmouth et obtint ensuite la liberté, par le moyen d'un
-échange. De retour en France, où il débarqua à Morlaix, il prit du
-service comme tambour dans la quatre-vingt-cinquième demi-brigade, et fit
-la guerre en _Hollande_, en _Espagne_, à _Saint-Domingue_. Enfin, en
-1811, et pour cause de douleurs rhumatismales, il obtint son congé à
-Napoléon-Ville.
-
-On verra par la suite jusqu'à quel point cette sorte de biographie de
-Chevallier, tracée par lui-même, coïncidait avec la vérité. Cet accusé
-persista dans son système; il fournit même des preuves à l'appui, et la
-justice, privée des moyens nécessaires pour reconnaître la fausseté de
-son roman, tourna son attention d'un autre côté. Il lui importait de
-recueillir avec exactitude les documens, les circonstances, les moindres
-indices relatifs aux empoisonnemens imputés à Chevallier. L'information,
-conduite avec une sage lenteur, ne tarda pas à produire des résultats
-satisfaisans.
-
-Chevallier, dont la vie, avant son arrivée à Lyon, demeura encore
-long-temps un mystère, y avait été rejoint au mois de mai 1812, avant son
-premier mariage, par une jeune hollandaise restée veuve, à vingt-deux
-ans, d'un officier nommé Debira. Chevallier l'avait connue à Anvers.
-C'était une fort jolie femme, d'une santé superbe; on l'avait surnommée
-_la belle Hollandaise_, à cause de ses grâces et de sa beauté. Chevallier
-et la veuve Debira vécurent ensemble. Le premier semblait partager
-sincèrement l'amour qu'il avait inspiré à sa maîtresse, quand tout-à-coup
-celle-ci fut atteinte d'une violente inflammation de bas-ventre,
-accompagnée des douleurs les plus aiguës.
-
-Le docteur Dittmar ayant été appelé, ordonna des remèdes qui devaient
-infailliblement calmer cette inflammation; mais, après quelques visites,
-s'apercevant au contraire que le mal empirait, il ne put s'empêcher d'en
-témoigner son étonnement à Chevallier. «Il faut, lui dit-il, que cette
-femme boive ou mange quelque chose qui irrite son mal?--Elle boit en
-effet de l'eau-de-vie, répondit Chevallier sans se déconcerter.--Eh!
-comment! vous ne pouvez donc pas l'en empêcher?--Non, monsieur, elle en
-envoie chercher quand je suis dehors.» Le docteur ajouta que si la malade
-continuait l'usage de cette boisson, elle finirait par succomber; puis
-s'approchant en particulier de la veuve Debira, il lui adressa des
-reproches sur son imprudence; et la jeune Hollandaise lui protesta que,
-_depuis long-temps, elle n'avait point bu d'eau-de-vie_.
-
-Cette réponse était de nature à éveiller les plus graves soupçons; de
-plus, la dame Jouvenne, hôtesse de Chevallier et de sa maîtresse, avait
-remarqué que, lorsqu'elle montait dans leur chambre, il évitait toujours
-de se montrer, et se cachait derrière un placard. Néanmoins ces
-circonstances étaient insuffisantes pour motiver une accusation capitale.
-
-Le docteur Dittmar cessa ses visites, et peu de jours après, la malade
-avait cessé de vivre. Il est essentiel de remarquer qu'à cette époque,
-Chevallier ne prévoyant pas l'avenir, ne parla point du système qu'il mit
-en œuvre après son arrestation, lorsqu'on lui reprocha ce premier
-empoisonnement. Il ne parla pas d'un bain froid pris par sa maîtresse au
-moment de ses évacuations menstruelles; il n'en dit pas un seul mot au
-médecin à qui pourtant il aurait importé d'indiquer la première cause des
-souffrances; et cependant depuis, Chevallier parla de ce bain comme de la
-cause de la mort de la veuve Debira.
-
-On ne pouvait trouver le motif de ce premier attentat que dans une nature
-perverse. L'intérêt que Chevallier pouvait avoir eu à le commettre, est
-demeuré absolument problématique.
-
-Après la mort violente de la belle Hollandaise et dans l'espace de deux
-années, Chevallier contracta quatre mariages successifs. Il épousa
-d'abord Etiennette-Marie Desgranges, fille d'un propriétaire de
-Saint-Didier-sous-Riverie. La seconde femme fut Marguerite Pizard. La
-troisième se nommait Marie Riquet. Enfin il avait épousé en quatrièmes
-noces Benoîte Besson.
-
-Plusieurs des contrats de mariage étaient dans la même forme: ils
-portaient une _donation mutuelle au dernier vivant des deux époux_. La
-justice en tira bientôt la conséquence que Chevallier n'avait d'autre
-but, en hâtant la mort de ses femmes, que de se mettre en possession des
-avantages matrimoniaux qu'il s'était assurés.
-
-Etiennette Desgranges, la première femme de Chevallier, était à l'époque
-de son mariage, d'une constitution forte et d'une santé brillante.
-Quelques mois s'étaient à peine écoulés au sein de l'union la plus
-paisible, lorsque cette jeune femme éprouva des coliques toujours
-renaissantes; à cet état de souffrance succéda un affaiblissement
-général. Une petite fille, née de ce mariage, tomba dans une débilité
-semblable à celle de sa mère. Peu alarmée des symptômes d'un mal qu'elle
-ne croyait pas dangereux, elle n'eut aucun soupçon sur son mari; la mort
-de son enfant, qui survint peu après, n'éveilla pas des craintes qui
-n'auraient été pourtant que trop fondées; et victime de sa confiance,
-elle ne tarda pas à suivre sa fille au tombeau; elle mourut en 1814. Une
-circonstance, qui ne fut relevée qu'après l'arrestation de Chevallier,
-marqua le dernier jour d'Etiennette Desgranges. Les cousines de cette
-infortunée avaient appris, par la portière de la maison qu'elle habitait,
-que, la veille à onze heures du soir, elle avait eu une crise qui avait
-failli la faire périr. Elles furent aussitôt la voir, et la trouvèrent
-levée et moins souffrante. Pendant leur visite, en l'absence de son mari,
-elle prit quelques alimens et demanda à boire en désignant une bouteille:
-_Donnez-moi de ce vin_, dit-elle en montrant le vase du doigt; _l'autre
-est celui_ _de mon mari_. La malade but, et cinq minutes après elle
-éprouva une crise subite: tous ses membres se contractèrent et se
-raidirent. Chevallier arriva; les tortures de sa femme ne l'effrayèrent
-point; il suivit sans émotion les terribles effets du breuvage.
-Etiennette attacha sur lui ses yeux mourans; vaincue par la douleur, elle
-tomba sur le plancher, faisant des efforts convulsifs pour rejeter la
-liqueur empoisonnée: bientôt après, elle expira au milieu de tourmens
-inexprimables. Chevallier, d'autant plus calme qu'il était préparé dès
-long-temps à la mort de sa femme, n'attendit pas que le cadavre fût
-refroidi, pour faire disparaître les traces accusatrices de ses
-machinations. Il saisit vivement le verre dans lequel sa femme avait bu
-et contenant encore la moitié du liquide qui y avait été versé, et alla
-le vider sous la pierre de l'évier; puis, avec le plus grand sang-froid,
-il ôta l'alliance et les boucles d'oreilles de la défunte. Il se hâtait
-aussi de la dépouiller du jupon qui la couvrait, lorsqu'on lui fit
-remarquer qu'il était inconvenant à lui de s'occuper de ces détails.
-Chevallier se retira, et à l'instar de Desrues, feignit de chercher des
-consolations à sa douleur dans la lecture de l'_Imitation de
-Jésus-Christ_.
-
-Chevallier, après son arrestation, crut pouvoir se justifier de ce
-forfait. Mais il fut prouvé qu'Etiennette Desgranges n'avait point eu de
-maladie, dans l'acception médicale de ce mot; que ses souffrances, son
-agonie et sa mort avaient eu lieu presqu'à la même heure. La veille du
-décès, le docteur Para avait été appelé pour voir madame Chevallier; il
-lui avait trouvé les nerfs un peu agités, et s'était borné à prescrire
-une potion calmante. Le lendemain, ce médecin y étant retourné, avait
-appris avec surprise qu'elle n'existait plus. On ne peut se dissimuler
-que les présomptions, soulevées par une mort aussi imprévue, devaient se
-convertir en preuves, en les rapprochant des événemens postérieurs.
-
-Facile à se consoler, Chevallier épousa en secondes noces Marguerite
-Pizard. Toutefois lorsqu'il fit la demande de la main de cette
-demoiselle, celle-ci témoigna d'abord quelque répugnance. Le bruit
-circulait déjà sourdement que Chevallier avait tué sa maîtresse et sa
-première femme. Enfin Marguerite Pizard s'étant persuadée que l'on
-calomniait Chevallier, elle consentit à unir son sort au sien; leur
-mariage fut célébré le 28 août 1816. Rien ne semblait devoir faire
-repentir Marguerite Pizard de l'union qu'elle venait de contracter. Elle
-recevait chaque jour de son mari de nouvelles marques d'attachement: il
-lui prodiguait les soins les plus affectueux. Marguerite Pizard devint
-enceinte, et cet événement accrut la tendresse de Chevallier,
-c'est-à-dire le rendit encore plus prodigue de ses fallacieuses
-démonstrations. Cependant ce fut alors qu'il commença à administrera sa
-malheureuse épouse les premières doses du poison qui devait la conduire
-au tombeau.
-
-Ce n'est qu'en frémissant que nous allons signaler la marche constamment
-suivie par ce scélérat dans le cours de ses crimes. Il résulte de
-l'instruction du procès, que c'était précisément à l'époque, où l'espoir
-d'être père devait ouvrir son cœur aux plus douces impressions, que
-Chevallier, souriant aux tortures prochaines de ses victimes, apprêtait
-la coupe empoisonnée. Un funeste calcul lui avait appris que le moment où
-la fragile existence d'une femme est le plus exposée aux influences
-morbides, est celui où elle souffre les douleurs et éprouve les joies de
-la maternité. Il savait qu'il faut peu de chose alors pour porter le
-trouble dans les sources de la vie. Ce n'était point une mort prompte,
-instantanée qu'il voulait donner à deux êtres à la fois; le soin de sa
-propre conservation lui faisait pressentir tout ce qu'il y aurait eu de
-périlleux pour lui dans un crime aussi précipité. Il préférait, par un
-raffinement de cruauté, verser le poison goutte à goutte, et se repaître,
-pour ainsi dire, des souffrances graduelles qu'il faisait éprouver.
-
-La grossesse de Marguerite Pizard avait été pénible; des vomissemens
-continuels et plus abondans que ne le sont habituellement ceux des femmes
-enceintes, des douleurs aiguës dans le bas-ventre en avaient signalé la
-durée. Enfin, le 18 mai 1817, madame Chevallier donna le jour à un enfant
-mâle qui reçut le nom d'Eugène. Cet enfant, placé en nourrice, fut
-momentanément soustrait aux fureurs de son père. C'est le même qui,
-vingt-sept mois plus tard, fut l'objet d'un nouveau crime. Cependant
-Marguerite Pizard se remit difficilement de ses couches; le poison avait
-étendu ses ravages. Trop lent au gré de Chevallier, celui-ci fit prendre
-à sa femme les dernières doses. Alors de nouvelles douleurs se
-manifestèrent; à chaque instant, survenaient des coliques, des attaques
-de nerfs, de violentes convulsions. La malade se plaignit de n'être pas
-soignée; elle accusa son médecin de ne point lui faire prendre de
-remèdes, sous le faux prétexte qu'elle était de nouveau enceinte. Les
-parens, alarmés, s'étonnèrent qu'on n'eût point placé de garde auprès de
-Marguerite Pizard; ils offrirent de passer les nuits auprès d'elle. Mais
-Chevallier, selon lui, suffisait à tout; il voulait _seul_ donner les
-soins que l'état de sa femme réclamait; chaque nuit, il restait _seul_ à
-son chevet. Le mal augmenta, les convulsions se succédèrent rapidement;
-la mort arriva le 13 septembre 1817: tel fut le résultat de l'assistance
-de Chevallier.
-
-Jusqu'ici notre récit n'est fondé que sur des présomptions graves qui ne
-font que concourir à éclairer la culpabilité de Chevallier. Nous allons
-parler d'un nouveau crime, constaté par les témoignages les moins
-irrécusables et par une foule de faits qui sont prouvés.
-
-Au mois de juin 1818, Chevallier épousa Marie Riquet; cette troisième
-épouse, comme ses deux devancières, vécut avec son mari dans une
-sécurité parfaite. Toujours plus audacieux au crime, non moins habile à
-se couvrir du masque des vertus qu'il n'avait pas, Chevallier avait gagné
-l'amour de Marie Riquet. Elle devint grosse; c'était, pour ainsi dire, le
-commencement de son agonie. Sa santé, jusque-là florissante, commença à
-s'altérer. Les phénomènes qui avaient eu lieu, pendant la grossesse des
-premières femmes de Chevallier, se reproduisirent chez Marie Riquet. Les
-couches furent précédées de violentes douleurs et de convulsions
-singulières. Il tint alors à peu de chose que Chevallier ne fût enfin
-démasqué.
-
-La femme Pontannier, garde-malade, connue depuis long-temps de Marie
-Riquet, s'était proposée pour la soigner durant ses couches; mais
-Chevallier n'avait eu garde d'accepter ses offres. Cette femme en conçut
-des soupçons. Chevallier l'ayant rencontrée peu de jours après, lui
-annonça l'accouchement de sa femme: il convint qu'elle avait eu des
-convulsions terribles, et qu'on avait été obligé d'avoir recours au
-_forceps_. Tout dans ce récit dénonçait à la femme Pontannier des trames
-criminelles. Elle crut reconnaître des symptômes de poison; et ne
-pouvant contenir son indignation, elle se répandit en reproches contre
-Chevallier. Celui-ci, confondu, se déconcerta, balbutia quelques mots
-entrecoupés, et se hâta de quitter la femme Pontannier. Quelques jours se
-passèrent, et Marie Riquet n'existait plus. Chevallier essaya de profiter
-de cet événement pour dérouter les soupçons de la femme Pontannier; il
-composa son visage, et vint lui annoncer la mort presque subite de son
-épouse. Mais la femme Pontannier, loin d'être la dupe de son hypocrisie,
-s'emporta, dit à Chevallier que la famille Riquet allait faire ouvrir le
-cadavre de la défunte, et que, si elle ne le faisait pas, elle s'en
-chargerait elle-même. Chevallier, attérré par cette menace, pâlit; il ne
-chercha point à repousser l'accusation qui l'accablait.
-
-Mais le moment n'était pas encore arrivé où ce misérable devait être
-convaincu de ses crimes. La famille Riquet hésita sur ce qu'elle devait
-faire. Elle recula devant les conséquences de l'accusation qu'elle
-pouvait porter; elle songea avec horreur qu'une pareille démarche pouvait
-conduire Chevallier à l'échafaud, et déshonorer les enfans, sans rendre
-la vie à leur mère; elle se détermina en conséquence à se taire.
-
-La garde qui avait pris soin de Marie Riquet avait remarqué que
-Chevallier donnait à sa femme des breuvages qui n'étaient pas prescrits
-par le médecin; que c'était une _liqueur forte_ dont elle n'avait pu
-reconnaître la nature; et sur la représentation qu'elle fit à ce sujet à
-Chevallier, elle en reçut pour réponse ces paroles atroces: _Soyez
-tranquille: ce que je lui donne est pour lui débarrasser l'estomac; cela
-lui donnera une crise qui la sauvera ou l'emmènera._ Les effets du
-breuvage étaient bien connus à ce monstre; sa sombre prédiction ne tarda
-pas à s'accomplir. Peu de minutes après, la crise annoncée se déclara
-d'une manière si effrayante, que deux personnes s'enfuirent épouvantées.
-Les bras et les jambes de la victime se tordirent, et les convulsions qui
-l'agitèrent furent tellement horribles, que la moribonde tomba du lit.
-Pendant cette scène déchirante, Chevallier suivait de l'œil les progrès
-de son remède. Il se baissa sans émotion, ramassa l'infortunée gisante
-sur le plancher, la replaça sur le lit, et, peu d'instans après, la vit
-expirer, sans qu'une larme eût mouillé sa paupière.
-
-C'est avec une terreur que le lecteur partagera sans doute que nous
-mettons sous ses yeux ces détails douloureux; la nudité du crime est
-effrayante, cependant il est de notre devoir de ne pas la voiler; plus
-elle blesse les regards, plus elle fait aimer la vertu.
-
-D'après tous les renseignemens recueillis par la justice, il n'était plus
-permis de mettre en doute la profonde scélératesse du prévenu. Cependant
-il avait été jusque-là impossible de soulever le voile qui couvrait les
-premières années de la vie de Chevallier. Tout-à-coup un événement
-imprévu vint aider à trouver le mot de l'énigme et répandre un nouvel
-intérêt sur toute cette affaire.
-
-Déjà on savait que l'accusé avait usurpé le nom de Chevallier qu'il
-portait. Il était de notoriété publique qu'un jeune homme de Lyon, nommé
-Chevallier, de la même taille, du même âge que l'accusé, avait été au
-service; mais on était encore incertain si ce n'était pas le prévenu.
-Soudain on apprend que le véritable Chevallier vit encore; qu'il est
-officier dans nos armées; il a perdu, il y a quelques années, son
-portefeuille et ses papiers. Il se trouve en ce moment en garnison à deux
-cents lieues de Lyon: on lui écrit, il arrive, on le confronte aussitôt
-avec l'accusé; ils ne se connaissent ni l'un ni l'autre. L'imposteur est
-confondu.
-
-Cependant il se rassure, et soutient qu'il se nomme Pierre-Claude
-Chevallier; qu'il n'a jamais connu d'autre nom, et que si ce n'est pas le
-sien, il a été induit en erreur par ceux qui l'ont élevé.
-
-Cette obstination annonçait que le faux Chevallier avait de graves motifs
-pour ne pas faire connaître son véritable nom. On l'accable de questions,
-on emploie tous les moyens pour lui arracher la vérité. Enfin le faux
-Chevallier se décide à parler. Il demande qu'il lui soit permis de voir
-sa femme. C'était Benoîte Besson, qu'il avait épousée en quatrièmes
-noces.
-
-Plongée dans la douleur, cette femme arrive à la prison et s'assied près
-de son mari: celui-ci lui tient ce discours: «Je vous ai trompée, j'ai
-voulu vous voir pour vous l'apprendre. Je ne suis point Pierre-Claude
-Chevallier; je viens de voir celui dont j'ai pris le nom. Je ne sais
-jusqu'à quel point notre union est valable; vous prendrez des mesures
-pour la faire rompre. J'appartiens à une famille respectable: elle avait
-de la fortune, et tenait un rang dans la société: j'ai mon père et ma
-mère; mes frères et sœurs existent encore. Je ne me nommerai pas, parce
-que je ne veux pas les déshonorer. Ce sont eux qui m'ont forcé à prendre
-du service. Par suite d'une erreur de jeunesse, j'étais sur le point
-d'être condamné à une peine infamante: de puissantes protections me
-sauvèrent; je n'ai subi aucune condamnation. Depuis mon entrée au
-service, je n'ai pas revu mes respectables parens. Je sais que je suis
-perdu; je n'ai d'autre ressource que la mort, que je désire. Je crois
-qu'il est de mon devoir de ne pas faire rejaillir sur ma famille la honte
-qui m'attend.»
-
-Après ces premiers aveux, le prévenu pressé de plus en plus par
-l'aiguillon de sa conscience, déclara se nommer Pierre-Étienne-Gabriel
-Lelièvre; dit qu'il était né à Madrid, d'origine française; que son père,
-propriétaire et rentier, habitait à Paris, rue de la Muette, no 6. Il
-borna là ses révélations, ajoutant qu'il allait se recueillir, et
-consigner dans un mémoire tous les événemens de sa vie.
-
-On fit prendre, en attendant, des renseignemens à la police de Paris, et
-l'on sut que Lelièvre appartenant à une famille distinguée, s'était
-adonné de bonne heure aux vices les plus déshonorans.
-
-Lelièvre, montrant de la netteté dans les idées, des dispositions pour le
-calcul, tous les germes d'un esprit froid et réfléchi, ayant d'ailleurs
-reçu une éducation soignée, son père l'avait fait entrer à la Banque de
-France avec un emploi de cent louis de traitement et l'espoir de places
-plus lucratives et plus importantes. Cependant ses émolumens et les
-libéralités de son père ne pouvaient suffire aux dépenses du jeune
-Lelièvre. A peine sorti de l'adolescence, il toucha à la Banque de
-France, sur de faux bons, une somme de soixante mille francs. Le vol
-ayant été découvert, il fut arrêté le 7 janvier 1809. Dès ce moment, il
-avait mérité d'être voué à une infamie perpétuelle; son père paya la
-somme entière et obtint du ministre, à force de larmes et de prières,
-qu'on ne fît aucune poursuite. Mais il fallait infliger une punition au
-jeune Lelièvre; il fut enrôlé dans un bataillon colonial. Lelièvre
-déserta, arriva à Flessingue et y trouva les papiers d'un nommé
-Pierre-Claude Chevallier, qui appartenait, ou qui avait appartenu au même
-bataillon. Il conçut alors l'idée de s'emparer du nom de ce militaire, et
-joignant de nouveaux crimes aux premiers, de voleur et de déserteur, il
-devint faussaire et fabriqua un faux congé et une fausse feuille de
-route. Muni de tous ces papiers, Lelièvre vint à Lyon, ville natale du
-véritable Chevallier; il se présenta hardiment comme Lyonnais au préfet
-du département, et ce fut à ce titre qu'il obtint dans les bureaux une
-place d'où, comme on la vu, sa conduite extérieure n'avait pas tardé à le
-faire arriver à celle de sous-chef.
-
-Après des renseignemens aussi positifs, il ne restait plus à la justice
-qu'à sévir contre l'auteur de tant de crimes accumulés. Une ordonnance de
-la chambre des mises en accusation le renvoya devant la Cour d'assises du
-Rhône, et toute la ville de Lyon, indignée d'avoir si long-temps recelé
-dans son sein un scélérat aussi infâme, attendit avec une véritable
-sollicitude, l'époque de son jugement fixé au 11 décembre 1820.
-
-Lelièvre comparut devant la Cour, en présence d'une affluence
-considérable de spectacle de tous les rangs de la société. Tous les
-regards étaient fixés sur l'accusé. Sa taille était au-dessus de la
-moyenne; ses yeux bleus respiraient la douceur; sa figure pâle n'offrait
-que des traits réguliers; sa chevelure blonde et bouclée était
-magnifique; seulement on remarquait dans ses lèvres un mouvement de
-contraction, qui donnait parfois à sa physionomie un air effrayant et
-sinistre.
-
-Les débats du procès n'ajoutèrent rien aux faits déjà connus. Lelièvre,
-fidèle à son caractère, combattit l'accusation avec une tranquillité,
-avec un calme apparent, qui sembleraient ne devoir appartenir qu'à
-l'innocence, avec des formes que l'on croirait incompatibles avec le
-crime. La fourbe et l'hypocrisie présidèrent à tous ses gestes, dictèrent
-toutes ses réponses.
-
-Le ministère public soutint l'accusation avec une énergie mêlée
-d'indignation. Après avoir présenté d'une manière pathétique le tableau
-des crimes reprochés à Lelièvre, il termina en s'écriant: «Je le demande,
-existe-t-il dans les annales du crime, je ne dis pas rien de semblable,
-mais rien qui puisse, même de loin, approcher de tant d'horreurs? Et
-n'avais-je pas le droit de m'écrier tout-à-l'heure, qu'il eût bien mieux
-valu pour l'accusé et pour sa famille, pour ses amis et pour ses
-protecteurs, pour nous-mêmes, qu'il eût porté sur l'échafaud la peine de
-son premier crime?»
-
-Il était impossible de définir les sentimens qui se retracèrent sur la
-figure de Lelièvre pendant toute la durée de ce discours. Quelquefois il
-semblait déconcerté; il baissait les yeux, changeait de couleur: il
-paraissait surpris et accablé quelquefois; et alors que l'on écoutait
-avec émotion le détail des souffrances des victimes de Lelièvre, un
-sourire infernal errait sur les lèvres de l'accusé, et semblait venir à
-l'appui de la conjecture faite par l'avocat-général, relativement aux
-causes qui avaient poussé le prévenu au crime; causes qu'il attribuait à
-des penchans secrets ou à des goûts dépravés.
-
-Quatre séries de questions furent proposées au jury; la première se
-composant de dix-neuf accusations de faux en écritures publiques; la
-seconde concernant l'empoisonnement des trois femmes de Lelièvre; la
-troisième relative à l'infanticide commis sur la personne de Denis-Eugène
-Chevallier, son fils; et la quatrième se rapportant à l'enlèvement de
-l'enfant Berthier. Le jury répondit affirmativement et à l'unanimité sur
-toutes les questions, excepté sur celles qui portaient sur
-l'empoisonnement des deux premières femmes, ces deux forfaits n'étant pas
-suffisamment prouvés.
-
-Sur ces réponses, le ministère public requit l'application des peines
-portées par la loi, et le président de la Cour prononça l'arrêt qui
-condamnait Pierre-Étienne-Gabriel Lelièvre à la peine de mort, et
-ordonnait qu'il aurait la tête tranchée sur l'une des places publiques de
-la ville de Lyon. Cet arrêt ne parut faire aucune impression sur le
-coupable. Reconduit à sa prison, il s'empressa d'adresser son pourvoi à
-la Cour suprême. Son hypocrisie systématique ne l'abandonna pas après sa
-condamnation. «Tout mon espoir, disait-il, est dans l'Être suprême dont
-les volontés sont invisibles sur la terre; s'il éclaire mes juges, et que
-mon arrêt soit cassé, mon innocence triomphera devant d'autres juges.
-J'ai la ferme croyance que mon arrêt sera cassé; cette confiance est
-fondée sur mon innocence. Mais d'ailleurs je suis résigné à mon sort;
-l'échafaud n'a jamais fait pâlir un innocent.» Puis il montrait aux
-personnes qui allaient le visiter un Évangile qu'il tenait à la main, et
-s'écriait: «Voilà pour moi une source de consolations! J'en ai fait toute
-ma vie la règle de ma conduite.»
-
-Il souffrait, disait-il, sans être coupable, _de même que Jésus-Christ
-qui avait été sacrifié_; il était victime des préventions qu'on avait
-élevées contre lui. Il disait qu'il dormait _comme un ange_, et qu'il y
-avait des gens plus malheureux que lui. Enfin, quelques personnes,
-presque convaincues de son innocence, le pressant de publier un mémoire
-justificatif: _C'est un soin dont je m'occuperai_, répondit-il, _lorsque
-je serai sorti de ma prison_.--Mais s'il arrivait que votre captivité
-n'eût d'autre terme que la mort?--_Alors_, répliquait-il, en souriant:
-_les anges se chargeront de ce soin_.
-
-Et cependant au moment où Lelièvre protestait de son innocence, on venait
-d'apprendre le genre de mort qu'il avait fait souffrir à son enfant.
-
-On apprit que cet enfant avait été trouvé noyé sur les bords du Rhône, en
-face de Thernay, petite commune située à trois lieues de Lyon. Les
-habillemens trouvés sur le cadavre furent remis à l'autorité, qui
-constata qu'ils étaient bien les mêmes que ceux que portait l'enfant
-Chevallier. Lorsqu'on apprit à Lelièvre l'importante découverte que
-venait de faire la justice, sa contenance fut un instant ébranlée: «_Ah!
-si j'avais su cela!_» s'écria-t-il d'abord; puis il garda le silence.
-Mais sa pensée perçait tout entière dans ces seuls mots.
-
-La Cour de cassation rejeta le pourvoi de Lelièvre, le 11 janvier 1821.
-Quand on lui annonça cette nouvelle, le condamné entra dans une fureur
-extrême, accusant et maudissant ses juges, et persistant toujours dans
-ses protestations d'innocence. Le 29 janvier, jour fixé pour l'exécution,
-il écrivit encore au procureur-général pour détailler de prétendues
-nullités qu'il voyait dans son arrêt; la veille, il s'était adressé au
-préfet pour obtenir un sursis.
-
-Mais l'heure de la vindicte publique allait sonner; il n'y avait que trop
-long-temps que ce misérable, chargé de crimes, pesait sur la terre.
-Lelièvre, sans force et sans audace, fut conduit au lieu du supplice, au
-milieu d'une foule immense à laquelle il s'efforçait de cacher ses
-traits. Parvenu auprès de l'échafaud, l'exécuteur fut obligé de soutenir
-sa marche chancelante. Un instant après, il avait subi son arrêt.
-
-
-
-
-PEYRACHE,
-
-FAUX TÉMOIN;
-
-RISPAL ET GALLAND,
-
-SES VICTIMES.
-
-
-«En élevant la main au ciel, dit un écrivain moderne, le témoin invoque
-sur sa tête la vengeance du Tout-Puissant; il porte contre soi
-l'imprécation la plus terrible; s'il conserve dans son cœur
-l'arrière-pensée de trahir la vérité promise, il engage son honneur, sa
-réputation, la paix de son âme, pour l'assurance de sa parole.
-
-«Le faux témoignage est le plus grand des attentats; ses conséquences
-sont effrayantes. Il annonce une démoralisation absolue; il tend à
-détruire toute confiance parmi les hommes; il sape les fondemens de la
-sûreté publique; il anéantit la tranquillité des familles; il introduit
-le désordre le plus affreux, la confusion la plus universelle; il conduit
-à la dissolution de la société, et peut causer la perte et la ruine de
-tous ses membres.
-
-«Le plus sage des rois de l'antiquité comparait le faux témoin et le
-parjure aux instrumens les plus meurtriers, aux animaux les plus perfides
-et les plus dangereux, aux fléaux les plus épouvantables dont le ciel,
-dans sa colère, puisse accabler les hommes. Le faux témoin et le parjure,
-disait-il, sont une massue, une épée, une flèche aiguë, un poignard
-caché, un poison plus dangereux que celui de l'aspic et des serpens les
-plus redoutés, contre lesquels il n'est point de remède.»
-
-Le fait que nous allons rapporter va fournir les preuves de cette
-définition, et nous dispensera de toute autre réflexion.
-
-Le sieur Jean Courbon, de Mazet près Yssengeaux (Haute-Loire), jouissait
-d'une honnête aisance et de la considération de tous ses voisins; on ne
-lui connaissait pas d'ennemis. Ses bonnes qualités n'étaient un peu
-tachées que par le défaut qu'il avait de s'adonner au au vin et d'en
-faire un fréquent abus.
-
-Le 9 septembre 1817, il passa la journée et une partie de la soirée à
-boire dans divers cabarets du bourg de Dunière, canton de Montfaucon,
-avec les nommés Galland, Rispal et Tavernier, tous trois beaux-frères. Le
-lendemain, à cinq heures du matin, le cadavre de ce malheureux fut trouvé
-dans une fosse de deux pieds de profondeur, derrière une auberge un peu
-éloignée de celle où il avait laissé ses trois compagnons. La position du
-cadavre ressemblait assez à celle d'un homme qui ferait une culbute sur
-la tête; le poids du corps portait sur la nuque, la tête étant repliée
-sur la poitrine, ce que la nature du terrain semblait expliquer. Il
-offrait dans toutes ses parties une raideur extraordinaire, et conservait
-encore quelque chaleur. L'état de ses habits, de sa cravatte, l'absence
-de toute contusion, éloignaient l'idée d'une lutte ou d'un crime. Son
-argent, ses effets et les morceaux d'un billet qu'il avait payé la veille
-à Tavernier, furent trouvés dans ses poches.
-
-Le sieur Thomas, médecin, qui fut appelé sur-le-champ, n'hésita pas à
-attribuer la mort de Courbon à une attaque d'apoplexie, résultat des
-excès de boisson auxquels il s'était livré la veille. La constitution
-physique de Courbon venait encore corroborer cette opinion: il avait les
-épaules larges, le cou court et la tête grosse; son embonpoint était
-extraordinaire; il pesait au moins deux cents livres; aussi, à chaque
-instant, pouvait-on craindre qu'une mort subite ne vînt l'enlever à sa
-famille et à ses nombreux amis. L'ouverture du cadavre ne fit également
-que confirmer l'idée qu'avait fait naître sa forte constitution, et
-fournir les preuves de son intempérance.
-
-Cependant, malgré les procès-verbaux et rapports qui repoussaient tout
-soupçon de crime, vingt-quatre heures s'étaient à peine écoulées depuis
-l'inhumation de Courbon, qu'une clameur, d'abord sourde et timide, puis
-pleine d'assurance, articula hautement le mot d'assassinat, et désigna
-comme meurtriers Galland, Rispal et Tavernier. A défaut de faits
-positifs, de preuves _de visu_, on eut recours, suivant l'usage, aux
-conjectures, aux présomptions. Quoique le cadavre, d'après le
-procès-verbal du juge-de-paix, n'eût présenté aucune lésion, pas la
-moindre égratignure, quelques individus prétendirent qu'il y avait
-rupture des vertèbres cervicales, et qu'il existait des ecchymoses au cou
-et à la poitrine. Sans pouvoir en alléguer le motif, on répandit que les
-trois beaux-frères ci-dessus désignés avaient de la haine, de l'animosité
-contre Courbon. Galland était connu pour avoir une humeur querelleuse,
-emportée; mais il était constant aussi que Rispal était doux, honnête et
-de mœurs paisibles. Mais l'esprit de prévention ne tint aucun compte de
-toutes ces considérations, et bientôt la clameur publique éclata si
-violente, si exaspérée, que le juge-de-paix, qui d'abord avait rédigé son
-procès-verbal dans le même sens que le rapport du médecin, finit par
-ajouter quelque foi à la possibilité d'un assassinat.
-
-Le procureur d'Yssengeaux fut prévenu des faits d'une manière officielle.
-Tavernier et Rispal furent arrêtés, le 3 octobre 1817; et Galland, leur
-beau-frère, ayant appris leur arrestation, et sachant que la gendarmerie
-s'était présentée chez lui, vint se constituer lui-même prisonnier, le
-lendemain 4 octobre. Cette démarche pouvait, ce semble, être considérée
-comme une présomption d'innocence. Bientôt après, les trois beaux-frères
-furent élargis par ordonnance du tribunal, sur le rapport du juge
-d'instruction. Mais leur mise en liberté, qui eut lieu le 8 octobre, loin
-de calmer les rumeurs, ne fit qu'aigrir certains esprits et envenimer les
-soupçons.
-
-Alors le juge-de-paix redoubla d'activité et de vigilance pour parvenir à
-la découverte de la vérité. C'était à l'époque où l'horrible meurtre de
-Fualdès était le sujet de toutes les conversations dans les villes comme
-dans les campagnes. On crut trouver dans la mort de Courbon quelque
-ressemblance avec l'épouvantable catastrophe de Rodez. On cherchait à
-accumuler les conjectures pour en former un corps de preuves. Le bruit
-courut qu'une femme, nommée Anne Colombette, demeurant à Guignebaude,
-situé à environ une heure de chemin de Dunière, avait dit que Galland, en
-passant près de chez elle, lui avait annoncé la mort de Courbon, le 8
-septembre 1817, au moment où l'on découvrait le cadavre derrière
-l'auberge. Deux tailleurs d'habits, Aulanier et Celsette dirent aussi
-qu'un nommé Lardon avait entendu cette conversation; et ce Lardon finit
-par en déposer. Mais ce qui semblait positif et entraînant était une
-autre conversation que le nommé Claude Peyrache prétendait avoir entendu
-tenir par les trois beaux-frères, le 8 octobre, jour de leur mise en
-liberté. Ce témoin rapportait avoir couché dans une auberge d'Yssengeaux,
-où il n'était séparé d'eux que par une simple cloison qui lui avait
-permis, disait-il, de les entendre causer confidentiellement. Voici cet
-entretien qui fut le fondement du procès et de la condamnation.
-
-Suivant lui, l'un d'eux disait: «Nous avons tort,» et il le répétait
-souvent. Galland répliquait: «Tais-toi, baveux; tu nous feras mettre en
-prison.» Alors, parlant plus bas, un autre avait ajouté: «Si vous m'aviez
-cru, nous ne serions pas dans l'embarras où nous sommes; vous ne l'auriez
-pas tué: j'en suis fâché.--Point de regret, dit Galland, qui est mort est
-mort.--Nous avons été trop vite, observait un troisième: nous avons trop
-enfoncé le mouchoir; ce qui a fait enfler le cou, et ce qui a éveillé les
-soupçons.»
-
-Il est à remarquer que ce Claude Peyrache, appelé devant le juge
-d'instruction le 26 août 1818, n'avait point parlé de ce fait, et que ce
-ne fut que le lendemain 27, qu'il alla le révéler au juge-de-paix de
-Montfaucon. Il fut depuis appelé, par délégation du président des
-assises, devant le juge d'instruction d'Yssengeaux, auquel il répéta la
-même déclaration qu'il avait faite au juge-de-paix. La chambre
-d'accusation, sur de tels élémens, mit en état de prévention Galland,
-Rispal et Tavernier, qui bientôt furent traduits aux assises de la
-Haute-Loire.
-
-Peyrache rapporta cette conversation avec de nouveaux détails devant la
-cour, quoique les personnes de l'auberge assurassent ne l'avoir pas vu le
-jour indiqué, et qu'un témoin prétendît avoir couché dans le lit que
-Peyrache désignait comme celui d'où il avait entendu la conversation des
-trois beaux-frères. Pour prouver qu'il était venu ce jour-là à
-Yssengeaux, il produisit une quittance portant la date du 8 octobre,
-signée par un avoué d'Yssengeaux et reconnue par ce dernier. Nous prions
-nos lecteurs de ne pas perdre de vue cette circonstance qui deviendra
-très-importante dans la suite de ce récit.
-
-Dans le cours des débats qui eurent lieu devant la cour d'assises, les
-défenseurs des accusés demandèrent l'arrestation de Peyrache et de
-Lardon, comme faux témoins, et qu'il fût procédé à la vérification des
-lieux. Mais la cour passa outre, refusant de statuer sur ces demandes. A
-la suite d'une discussion qui dura six jours, Galland et Rispal furent
-condamnés, le 9 mars 1819, aux travaux forcés à perpétuité, comme
-coupables de meurtre, et Tavernier à un an de prison, comme complice
-involontaire de l'homicide. L'arrêt fut exécuté; Galland et Rispal,
-flétris, furent transférés au bagne de Toulon.
-
-Cependant les femmes de ces deux condamnés n'avaient pas renoncé à la
-plainte en faux témoignage; et sur la décision du garde-des-sceaux (M. de
-Serre), le tribunal d'Yssengeaux ordonna, le 20 décembre 1819, qu'il
-serait fait des expériences pour constater si la conversation d'Anne
-Colombette avec Galland avait pu être entendue par Lardon, et si Peyrache
-avait également bien pu entendre celle qu'il rapportait.
-
-Ces vérifications furent faites avec beaucoup de soin et d'exactitude. De
-nouveaux témoins furent appelés; et le résultat fut la mise en prévention
-d'abord de Peyrache pour le fait qui le concernait seul, et ensuite de
-Lardon, avec Anne Colombette, Aulanier et Cellette, comme complices de
-l'autre fait de faux témoignage. Ces cinq témoins avaient été entendus
-aux assises du Puy-en-Velay.
-
-La chambre d'accusation ne trouva pas de preuves suffisantes contre
-Lardon et ses adhérens; en conséquence ils furent renvoyés.
-
-Mais il n'en fut pas de même de Peyrache. Comme les expériences
-établissaient qu'au lieu d'une légère cloison, ainsi que ce misérable
-l'avait avancé, il existait au contraire entre les deux chambres de
-l'auberge, une muraille de l'épaisseur de deux pieds; comme dès-lors il
-n'avait pu, de celle qu'il disait avoir occupée, entendre ce qui aurait
-été dit dans la chambre voisine; qu'en outre, il n'avait point reconnu ou
-avait mal désigné les lieux qu'il disait avoir parcourus pour sortir, la
-nuit, de sa chambre et de la cuisine de l'auberge; que d'ailleurs, et ce
-qui devenait le plus important pour justifier ou détruire les assertions
-de Peyrache, il paraissait certain qu'il n'était pas venu à Yssengeaux,
-le jour que les trois beaux-frères avaient couché à l'auberge, où il
-prétendait avoir aussi passé la nuit: la chambre de la cour royale
-prononça la mise en accusation de Claude Peyrache.
-
-Sur la requête du procureur général en règlement de juges, la cour de
-cassation attribua la connaissance de cette affaire à la cour d'assises
-de Riom, et le prévenu comparut devant ce tribunal le 23 mai 1821.
-
-Peyrache, qui deux ans auparavant, s'était trouvé sur le banc des
-témoins, attirait actuellement tous les regards sur le banc des accusés.
-Non loin de lui, mais sous le poids terrible d'une condamnation
-flétrissante, se trouvaient Galland et Rispal que l'on avait extraits du
-bagne pour assister à cette procédure qui les intéressait si vivement. A
-côté de ces deux condamnés étaient placées leurs épouses, modèles de
-patience et de sollicitude conjugale.
-
-Auprès de MM. Tailhand père et Bayle aîné, avocats des plaignantes
-devenues parties civiles, on voyait Me Montellier, avoué au Puy, qui,
-lors de la mise en jugement de Galland et de Rispal, défenseur intrépide
-autant que généreux, fut leur soutien et leur consolation dans leur
-infortune, et qui, par sa persévérance dévouée et désintéressée, parvint
-à assurer le triomphe de l'innocence.
-
-L'accusation de faux témoignage fut soutenue par M. Voysin de Gartempe,
-avocat-général, avec un talent très-remarquable. «S'il arrive, plus tard,
-dit ce magistrat, que l'innocence de ces deux infortunés soit reconnue,
-il sera temps alors que la voix du ministère public éclate et retentisse
-pour leur offrir des réparations tardives, mais nécessaires. Il faudra,
-comme le disait un grand magistrat (Servan), que la justice ait le
-courage qui convient le mieux à l'homme sujet à tant d'erreurs, celui de
-les reconnaître et de les réparer.»
-
-Après l'exposé du ministère public, on procéda à l'audition des témoins;
-ceux dont les dépositions paraissaient devoir être d'une grande
-importance, étaient sans doute les personnes qui se trouvaient dans
-l'auberge où Peyrache disait avoir couché, la nuit du 8 octobre 1817 et
-où il prétendait avoir entendu la conversation par lui atribuée aux trois
-beaux-frères. Le sieur Perrot, propriétaire de l'auberge, et Rose Vidal,
-domestique de la même auberge, déclarèrent ne pas avoir vu l'accusé.
-Plusieurs faits avancés par Peyrache furent niés formellement par les
-témoins.
-
-Peyrache, lors de l'instruction, avait désigné le lit dans lequel il
-disait avait couché; cependant le nommé Deschomet, témoin, déclara avoir
-occupé, dans la nuit indiquée, le lit désigné par l'accusé.
-
-Celui-ci avait rapporté devant le juge d'instruction que la chambre dans
-laquelle il avait couché n'était séparée de celle où étaient les trois
-beaux-frères que par une cloison en planches; et il fut constaté et
-répété à l'audience qu'un mur de deux pieds les divisait et que ce mur
-était crépi des deux côtés. Dans son premier récit, Peyrache avait dit
-que c'était de son lit qu'il avait entendu la conversation des trois
-beaux-frères. Plus tard, il avait rétracté cette assertion et, avait dit
-s'être blotti à la porte de la chambre de Galland, Rispal et Tavernier,
-et que de là il avait entendu les propos révélés par lui. Cependant les
-deux experts, chargés de faire la vérification des lieux, rapportèrent à
-l'audience que, du lit désigné par Peyrache, il y avait impossibilité
-d'entendre ce qui se disait dans la chambre voisine; que de sa porte l'on
-pouvait bien entendre quelques mots détachés, mais qu'il était impossible
-de saisir une phrase entière.
-
-Nous passons sur quelques particularités peu importantes, pour arriver à
-des faits décisifs. Peyrache, sommé de rapporter quelques circonstances
-de son séjour à Yssengeaux, le 8 octobre 1817, prétendit qu'il avait fait
-ce voyage pour traiter d'affaires avec M. Labatie, avoué au tribunal de
-cette ville; qu'il était arrivé à Yssengeaux, à l'approche de la nuit;
-qu'il s'était rendu chez M. Labatie, et était sorti avec cet avoué pour
-aller ailleurs; qu'après avoir terminé ses affaires, il s'était retiré,
-accompagné de M. Labatie, à l'auberge de Perrot. M. Labatie ne se rappela
-pas précisément plusieurs des particularités alléguées par Peyrache; mais
-il assura bien positivement qu'il avait vu cet accusé le jour même auquel
-il lui avait fourni une quittance par suite d'un compte qu'ils venaient
-de faire.
-
-Cette quittance, produite jusqu'alors comme une preuve irréfragable de la
-présence de Peyrache à Yssengeaux, le 8 octobre 1817, fut reconnue par M.
-Labatie pour être la même qui avait été mise sous les yeux de la Cour
-d'assises du Puy, au mois de mars 1819.
-
-Au même instant, Me Tailhand père, en parcourant le contexte de
-cette quittance, s'aperçut qu'elle était datée du 8 octobre
-mil-huit-cent-_dix-huit_, et non du 8 octobre mil-huit-cent-_dix-sept_.
-Cette circonstance, relative au millésime, et qui jusque-là avait échappé
-à tous les regards, fit une si vive sensation sur l'auditoire, que
-personne ne fut maître de l'émotion qu'elle devait nécessairement
-produire. Quelle preuve plus forte pouvait-on acquérir du faux témoignage
-de Peyrache et de l'innocence de Galland et de Rispal?
-
-Cette impression profonde fut encore entretenue par les éloquentes
-plaidoieries des défenseurs et du ministère public, en faveur de
-l'innocence calomniée et opprimée. La vérité venait d'éclairer tous les
-esprits; la réponse du jury n'était plus incertaine. Après quelques
-minutes de délibération, les jurés déclarèrent à l'unanimité Peyrache
-coupable de faux témoignage, avec toutes les circonstances comprises dans
-l'acte d'accusation. En conséquence, le prévenu, sur les conclusions du
-ministère public, fut condamné aux travaux forcés à perpétuité.
-
-Ce procès, dont les débats durèrent quatre jours, excita dans la ville de
-Riom le plus vif intérêt en faveur de Galland et de Rispal. Tous les
-assistans auraient voulu pouvoir sur-le-champ briser leurs fers.
-
-Peyrache se pourvut en cassation contre l'arrêt qui le condamnait; mais
-la Cour suprême rejeta son pourvoi par arrêt du 18 juin. Cette décision
-donna lieu à la Cour de cassation de faire usage, pour la première fois
-peut-être, du pouvoir que lui attribue l'article 445 du Code
-d'instruction criminelle. En conséquence, et par nouvel arrêt du 9 août
-suivant, elle annula le premier arrêt rendu au Puy contre Rispal et
-Galland, et ordonna qu'il serait procédé contre ces derniers sur l'acte
-d'accusation subsistant, devant la Cour d'assises du département de la
-Loire, séant à Montbrison.
-
-Le jugement qui devait résulter de cette nouvelle procédure fut prononcé
-le 5 décembre 1821. Sur la déclaration du jury de jugement de la Loire,
-portant que Rispal et Galland n'étaient pas coupables de l'homicide qui
-leur était imputé, M. Reyre, conseiller à la Cour royale de Lyon,
-président des assises, prononça, après huit jours de débats, la mise en
-liberté de ces deux intéressantes victimes d'un faux témoignage. Ce
-magistrat leur adressa les paroles suivantes:
-
-«Vous fûtes victimes d'une erreur judiciaire dont la justice a à gémir
-profondément, et c'est par la justice elle-même qu'elle vient d'être
-réparée, autant qu'elle pouvait l'être.
-
-«La société à qui vous fûtes si cruellement arrachés, va vous recueillir
-avec tout l'intérêt que peut être digne d'inspirer l'innocence trop
-long-temps méconnue. En rentrant dans son sein, abjurez, étouffez s'il se
-peut, par intérêt pour votre repos, les ressentimens que d'amers
-souvenirs pourraient nourrir ou éveiller dans votre cœur. Ne songez qu'à
-bénir le ciel de ce qu'il a appelé à votre secours des défenseurs si
-nobles, si généreux, et de ce qu'il a éclairé la justice des hommes.
-Bénissez-le aussi sans cesse de ce que votre sort rigoureux s'est trouvé
-uni à celui de deux femmes, vrais modèles de leur sexe, qui par leur
-tendresse pour vous, par leur courage, leur constance tout-à-fait
-héroïque, vous ont aidé si puissamment à sortir purs et sans tache du
-tombeau où vous étiez comme ensevelis..... Dans ce jour, va commencer
-pour vous, en quelque sorte, une nouvelle vie, et l'horrible épreuve que
-vous avez subie s'est trop prolongée pour que votre ruine n'en ait pas
-été la suite inévitable. Mais il vous est permis d'élever vos vœux, vos
-espérances vers d'augustes mains, qui ne laissent presque pas passer un
-seul jour sans sécher quelques larmes, sans répandre quelques bienfaits
-sur le malheur.
-
-«Après tant de maux que vous avez soufferts, vous ne pouvez que mériter
-d'une manière toute spéciale, la protection du gouvernement, et ce ne
-sera pas en vain qu'il attirera sur vous, sur vos enfans, les regards
-paternels du meilleur des rois».
-
-On ne pourrait qu'exprimer faiblement la vive sympathie, l'intérêt
-universel que l'infortune de Galland et de Rispal avait excités. Les
-juges, les jurés, le public s'empressèrent de le témoigner, en envoyant
-leur offrande au notaire qui avait ouvert une souscription à Montbrison
-pour ces malheureux. La femme de Galland était morte le 14 décembre à
-Montbrison, après dix-sept jours de maladie. Elle n'avait pu assister aux
-débats que le premier jour.
-
-Le roi (Louis XVIII) voulant réparer, autant que possible, le tort que
-Rispal avait éprouvé par suite de cette erreur judiciaire, accorda à
-madame Rispal une pension de trois cents francs.
-
-Nous nous faisons un vrai plaisir de signaler ici le zèle et le
-désintéressement des avocats qui embrassèrent la défense des deux
-infortunés beaux-frères. Me Montellier, leur infatigable défenseur,
-mérite surtout le tribut de nos éloges et la reconnaissance de
-l'humanité. Il ne négligea rien pour faire éclater l'innocence de ses
-cliens; démarches actives, conseils éclairés, consultations de médecins
-et avocats célèbres, tout fut mis en usage par lui pour parvenir à son
-noble but, et rien ne put rebuter sa persévérance généreuse. Aussi
-reçut-il la récompense de sa belle conduite; la libération de Rispal et
-de Galland était en grande partie son œuvre: il en a partagé l'honneur,
-et il y a joint cette intime et douce satisfaction, qui est le prix le
-plus précieux de toute bonne action.
-
-
-
-
-TRAIT DE FÉROCITÉ D'UN FORÇAT.
-
-
-En octobre 1822, un forçat à vie fut condamné à la peine de mort, pour
-avoir porté un coup de couteau à un agent de surveillance du bagne. Ce
-misérable subit son jugement avec une sorte de plaisir, s'il est permis
-de s'exprimer ainsi; et loin de manifester aucun repentir de son crime,
-il exprima le regret de n'avoir pu atteindre le sous-commissaire,
-directeur du bagne.
-
-Il avoua cependant que son compagnon de chaîne, surnommé _Casquette_,
-aussi condamné à vie, avait, comme lui, conçu le dessein de se venger de
-prétendues vexations qu'il disait avoir essuyées de la part de son
-gardien.
-
-Sur cet avis, on fit passer Casquette dans une autre salle où il devint
-l'objet d'une surveillance plus active; malgré toutes ces précautions, le
-nommé Ricoux, sous-adjudant de surveillance, et père de famille, eut le
-malheur de tomber sous les coups de ce scélérat. Ce Ricoux assistait le
-soir à la distribution; au moment où il entrait, une chaîne de forçats
-revenait des travaux. Casquette profita de la confusion pour se couler
-auprès de lui, et feignant de s'incliner pour marchander un quart de vin,
-il sortit de sa poche, en se relevant, un couteau à deux tranchans qu'il
-lui plongea dans le ventre. Alors Ricoux, dont une partie des entrailles
-sortait avec des flots de sang, tomba à la renverse, privé de sentiment.
-
-Un chaloupier (c'est ainsi qu'on désigne ceux qui rament dans les
-embarcations), également condamné, pour épargner à Ricoux de nouvelles
-blessures, vint s'interposer entre lui et le meurtrier; mais sept à huit
-coups de couteau furent le prix de son dévouement. M. le sous-commissaire
-Rignoux étant arrivé au moment où on se saisissait de ce furieux,
-celui-ci n'exprima qu'un regret atroce, celui de le voir arriver deux
-minutes trop tard: «Mais n'importe, lui dit-il, vous ne perdrez rien pour
-attendre; car j'en connais vingt autres qui ont formé le même dessein que
-moi.»
-
-Ce monstre, condamné à mort par le tribunal maritime, témoigna
-constamment le regret qu'il avait exprimé, jusqu'au moment où il reçut la
-peine due à ses crimes.
-
-
-
-
-JEUNE FILLE
-
-ASSASSINÉE PAR SON CORRUPTEUR.
-
-
-Le crime dont nous allons rapporter les principales circonstances fut
-surtout inspiré par une vaniteuse ambition qui ne se trouve que trop
-communément dans toutes les classes de la société.
-
-Le jeune Maurice Salgue éprouvait depuis trois ans une passion violente
-pour Catherine Fondegoire, qui demeurait dans la même paroisse que lui;
-en vain il avait cherché souvent à assouvir sa passion, et fait plusieurs
-fois des tentatives que la résistance de la jeune fille avait rendues
-inutiles. Mais enfin, et pour son malheur, elle céda aux poursuites de
-Maurice Salgue, et devint enceinte. Jean-Baptiste Salgue père était
-riche, et n'aurait jamais consenti au mariage de son fils avec Catherine,
-qui était pauvre; sa famille même se sentait humiliée d'une pareille
-liaison. Maurice avait promis de lui donner des secours pour ses
-couches.
-
-Catherine avait fait confidence de sa grossesse et des dispositions de
-Maurice au curé de sa paroisse, chez qui les deux amans devaient se
-rendre conjointement pour prendre des arrangemens.
-
-Au jour indiqué, Catherine fut aperçue, le soir, près de la maison des
-Salgue; depuis cette époque, elle disparut. On soupçonna qu'elle avait
-été la victime d'un horrible attentat. Des perquisitions furent faites
-dans la maison des Salgue et dans leur jardin. On trouva dans la maison
-un couteau en forme de stylet, encore tout ensanglanté, et dans le
-jardin, qu'on fit bêcher en totalité, on découvrit le cadavre de la
-malheureuse Catherine.
-
-L'examen que l'on fit de ce cadavre fit reconnaître que des coups de
-couteau lui avaient été portés à la gorge; que, pour étouffer les cris de
-la victime, on lui avait mis un bâillon de paille, enfoncé si fortement
-dans la bouche, sans doute avec un bâton, qu'on eut peine à le retirer;
-qu'on l'avait de plus étranglée à plusieurs reprises, d'abord avec les
-mains, puis avec un mouchoir noué et serré avec force.
-
-Un grand nombre de témoins furent entendus dans cette affaire, dont les
-débats durèrent quatre jours. Le père Salgue mourut dans sa prison, trois
-jours avant le jugement; ses deux fils, Pierre et Antoine furent
-acquittés. Quant à Maurice, une foule de circonstances donnaient la
-conviction la plus intime de sa culpabilité. Il fut condamné à la peine
-de mort, par la cour d'assises de Riom, le 4 janvier 1822.
-
-
-
-
-LE CURÉ MINGRAT.
-
-
-Lors de la publication de nos deux premiers volumes, un journal, se
-fondant sur ce que plusieurs articles ont traité de crimes commis par des
-princes, des seigneurs ou des prêtres, montra la plus grande répugnance à
-insérer l'annonce relative à cet ouvrage, et ne le fit qu'avec une
-insigne mauvaise volonté. Nous respectons les scrupules des rédacteurs de
-cette feuille; mais qu'il nous soit permis de ne pas les partager. Nous
-sommes loin d'aimer le scandale. A nos yeux, le scandale n'est, le plus
-souvent, qu'une œuvre de méchanceté qui se recommande aux
-applaudissemens des passions ou de la sottise. Tout-à-fait en dehors de
-la politique des partis, ne caressant aucune opinion aux dépens d'une
-opinion contraire, n'ayant qu'un poids et qu'une mesure, nous n'avons
-qu'une seule ambition, celle de faire tourner notre travail au profit de
-la raison et de la morale.
-
-Nous ne concevons pas qu'il puisse y avoir scandale à parler d'un crime,
-quand le coupable se trouve placé haut dans la hiérarchie sociale, ou
-bien quand il fait partie de quelque corps puissant. Le crime ne doit-il
-pas être réprimé et puni partout où il se trouve? Et si quelque classe
-pouvait réclamer le privilége de l'indulgence, ne serait-ce pas plutôt
-celle qui se trouve privée des lumières de l'éducation? Vainement
-l'esprit de parti, si exclusif dans ses jugemens, vainement l'esprit de
-corporation, qui ne se montre pas moins injuste dans son égoïsme, jettent
-les hauts cris quand la justice met sa main de fer sur quelqu'un de leurs
-affiliés dont le crime est flagrant. Cet homme est un prêtre, un ministre
-de la religion. Faudra-t-il donc pour cela qu'il puisse être assassin
-impunément? Ou plutôt le vrai scandale ne viendra-t-il pas de la part de
-ceux qui, par un esprit de corps mal entendu, chercheront à soustraire le
-criminel à la vindicte des lois? Comment expliquer cette susceptibilité
-maladroite, manifestée par le clergé dans plusieurs circonstances
-déplorables? Les fautes, les crimes même de quelques-uns de ses membres,
-peuvent-ils altérer en rien la réputation de vertu et de sainteté dont
-jouit à juste titre l'auguste ministère du sacerdoce? N'est-ce pas au
-contraire assumer sur soi la honteuse solidarité d'actes répréhensibles
-ou criminels, que protéger ceux qui s'en sont rendus coupables? Une armée
-ne se croit pas déshonorée par la désertion de quelques lâches; elle les
-voue au mépris et les repousse à jamais de son sein. La justice déplore
-toute espèce de prévarication commise par l'un de ses agens; mais loin de
-chercher à étouffer son crime, elle lui inflige une punition exemplaire
-et le bannit à toujours de son sanctuaire.
-
-Il serait bien temps, ce semble, que le bon sens public fît enfin justice
-de ce préjugé barbare qui fait encore peser sur toute une famille, sur
-tout un corps, la faute d'un seul individu. Les fautes sont personnelles,
-et il ne doit rien en rejaillir sur ceux qui en sont innocens. Pour que
-cette importante vérité pût s'infiltrer dans les masses, il faudrait
-nécessairement, il serait à désirer qu'elle descendît de plus haut, et
-surtout qu'elle fût professée publiquement par les prêtres, eux que leurs
-fonctions rapprochent à toute heure des classes pauvres et ignorantes. Ce
-serait un moyen d'inspirer de la confiance à tous, de raffermir la foi
-dans les cœurs chancelans, et de l'entretenir dans les âmes pieuses et
-candides des vrais croyans.
-
-Quel tort pouvait éprouver la religion de l'attentat commis par Mingrat?
-Que pouvait-on, à cette occasion, reprocher au clergé, sinon sa trop
-grande facilité à admettre, presque sans examen, parmi les lévites du
-Seigneur, une foule de jeunes gens sans vocation, et qui n'embrassent cet
-état que _pour faire leur chemin_? Certes, les crimes isolés des Mingrat
-et des Contrafatto ne peuvent porter atteinte à cette glorieuse religion
-qui a produit un Las-Casas, un Vincent de Paul, un François de Sales, un
-Belzunce, un Cheverrus, et tant d'autres hommes de sagesse et de vertu; à
-cette religion bienfaisante dont tous les pas sont marqués par une rosée
-inépuisable de dons et de bénédictions; à cette religion prévoyante, qui
-fait qu'il se trouve «un homme dans chaque paroisse qui n'a point de
-famille, mais qui est de la famille de tout le monde, qu'on appelle comme
-témoin, comme conseil ou comme agent, dans tous les actes solennels de la
-vie civile; sans lequel on ne peut naître ni mourir, qui prend l'homme au
-sein de sa mère, et ne le quitte qu'à la tombe; qui bénit ou consacre le
-berceau, la couche conjugale, le lit de mort et le cercueil; un homme que
-les petits enfans s'accoutument à aimer, à vénérer et à craindre; que les
-inconnus mêmes appellent mon père; aux pieds duquel les chrétiens vont
-répandre leurs aveux les plus intimes, leurs larmes les plus secrètes; un
-homme qui est le consolateur, par état, de toutes les misères de l'âme et
-du corps, l'intermédiaire obligé de la richesse et de l'indigence, qui
-voit le pauvre et le riche frapper tour-à-tour à sa porte: le riche, pour
-y verser l'aumône secrète, le pauvre pour la recevoir sans rougir; qui,
-n'étant d'aucun rang social, tient également à toutes les classes; aux
-classes inférieures, par la vie pauvre, et souvent par l'humilité de la
-naissance; aux classes élevées, par l'éducation, la science et
-l'élévation de sentimens qu'une religion philanthropique inspire et
-commande; un homme enfin qui sait tout, qui a le droit de tout dire, et
-dont la parole tombe de haut sur les intelligences et sur les cœurs,
-avec l'autorité d'une mission divine et l'empire d'une foi toute faite.»
-
-Cette belle et touchante définition du bon curé, dans laquelle M. de
-Lamartine n'a fait que peindre d'après nature un grand nombre de pasteurs
-de nos villes et de nos campagnes, contrastera sans doute horriblement
-avec les faits que nous allons rapporter. Mais du moins cette citation,
-ainsi que les réflexions qui la précèdent feront voir que nous ne
-confondons nullement la religion et ses ministres fidèles avec quelques
-misérables, qui, sous le masque d'une pieuse hypocrisie, se rendent
-coupables des plus noirs forfaits.
-
-Antoine Mingrat était né à Grand-Lamps, petit village du Dauphiné, à
-quelques lieues de Saint-Quentin. Sa mère, dont le caractère était un
-mélange d'ambition et de fanatisme religieux, lui inspira de bonne heure
-le goût des choses matérielles du culte. Comme Mingrat aimait à primer
-sur tous ceux qui l'entouraient, et qu'il avait entendu sa mère parler
-avec déférence des gens d'église, il résolut de se vouer à l'état
-ecclésiastique; et son imagination, d'ailleurs active, ne s'occupa plus
-que du soin de s'en assurer les moyens.
-
-Voici ce qu'on raconte à ce sujet. Un jour que son enthousiasme était
-porté au comble, il fit part de son projet à de jeunes filles, chez la
-mère desquelles madame Mingrat prenait des leçons d'accouchement, à
-Grenoble. Celles-ci s'offrirent de le tonsurer; il courba son front, et
-bientôt ses cheveux tombèrent sous les ciseaux. L'opération terminée, il
-vole chez sa mère; elle était absente. Il emploie cet instant à se
-composer un maintien doctoral, prend un livre et s'étudie à déclamer
-comme les prédicateurs qu'il entendait chaque jour. Il était dans cette
-attitude grotesque, lorsque sa mère rentra; il courut au-devant d'elle,
-et d'un air triomphant, lui montra sa tonsure. Madame Mingrat, étonnée,
-demanda la cause de ce qu'elle attribuait à un accident. «Ah! ma mère,
-répondit Antoine avec émotion, on m'a fait prêtre! Telle est la volonté
-du ciel.» A ces mots, sa mère, enflammée d'un saint courroux, vola chez
-les joyeuses tonsurières, qui s'étaient fait un jeu du désir du jeune
-Mingrat, les accabla d'invectives, cria au sacrilége, et sortit en disant
-que son fils n'était pas digne de recevoir les ordres. Revenue chez elle,
-vainement voulut-elle faire entendre à son fils que l'on n'avait fait
-qu'abuser de sa crédulité; Antoine s'obstina et lui jura que sa
-résolution était prise irrévocablement, que le ciel l'appelait à la
-prêtrise, et qu'il suivrait sa vocation en dépit de tous.
-
-Néanmoins, Mingrat fut mis en apprentissage chez un peigneur de chanvre,
-d'où il fut bientôt honteusement chassé pour son indocilité et sa
-paresse. Une de ses tantes qui l'aimait tendrement, le fit venir auprès
-d'elle. On intéressa en sa faveur une dame influente et riche. La
-protectrice voulut voir Antoine; il lui fut présenté. Elle l'interrogea
-sur ses goûts, son éducation, ses habitudes: on parla de religion.
-Mingrat venait d'atteindre sa seizième année: il brûlait d'entrer dans
-l'état ecclésiastique; il répondit à toutes les questions avec assez de
-justesse; et telle était sa prévoyante adulation, qu'il ne parla devant
-cette dame que de Dieu, de son divin Rédempteur; et pour mieux encore
-édifier ses auditeurs, il accompagnait chacune de ses paroles d'un signe
-de croix.
-
-Dupe de ses pieuses grimaces, cette dame le fit entrer au séminaire de
-Grenoble, croyant ce jeune homme appelé à donner un nouveau lustre à la
-carrière qu'il voulait embrasser.
-
-Toutefois, malgré sa prétendue vocation, Mingrat, une fois installé, ne
-se distingua ni par son application ni par sa conduite; mais il possédait
-un art qui lui tenait lieu de tout le reste, celui de s'emparer par de
-basses adulations de la confiance de ses supérieurs. Il était même devenu
-l'agent secret des délations auxquelles ont recours presque
-indistinctement tous ceux qui ont à gouverner ou à diriger un grand
-nombre d'individus. Par ce moyen honteux, il obtenait des priviléges
-exclusifs, dont il profitait pour se soustraire aux rigueurs de la vie
-claustrale, et passer dans des lieux de débauche des momens qu'il eût pu
-donner à d'honnêtes amusemens.
-
-Enfin Mingrat fut ordonné prêtre; c'était le but de son ambition.
-_Oserait-on_, disait-il souvent, _attaquer la réputation d'un prêtre_? Le
-caractère sacré dont il venait d'être revêtu semblait être à ses yeux une
-autorisation de tout faire avec impunité. Nommé à la cure de Saint-Aupe,
-il ne tarda pas à commencer sa vie scandaleuse, et ne contraignit plus
-ses inclinations ni son caractère. Son presbytère devint un lieu de
-scandale; et quoiqu'il ne négligeât rien pour cacher sa conduite, on
-connut bientôt ses intrigues clandestines. La désunion de plusieurs
-ménages, le déshonneur de plusieurs filles, attestèrent son séjour dans
-cette paroisse.
-
-Plus d'une fois, abusant de la force extraordinaire dont la nature
-l'avait doué, il l'employait contre les femmes qu'il ne pouvait gagner
-par ses discours; plus d'une fois aussi, il dut à sa brutalité ce qui
-n'était réservé qu'à l'amour. Les habitans de Saint-Aupe lui témoignèrent
-souvent leur indignation, et le menacèrent d'avoir recours aux autorités
-pour l'éloigner d'une paroisse dont il était le fléau, au lieu d'en être
-le père. Mais Mingrat se riait de leurs impuissantes menaces. Cependant,
-et malgré son inconcevable audace, l'indigne curé commençait à
-s'apercevoir que ses désordres étaient connus de ses supérieurs. Une
-nouvelle liaison avec la fille d'un de ses paroissiens ameutant contre
-lui tous les habitans, ceux-ci allèrent en foule se plaindre aux
-autorités, et peu après, Mingrat reçut l'ordre d'abandonner son
-presbytère. Le curé de Mirebel lui écrivit à cette occasion une lettre de
-reproches dans laquelle il lui disait textuellement: «Mettez une montagne
-entre vous et les hommes.» Mingrat ne pouvait suivre un semblable
-conseil. Chassé de Saint-Aupe, il fut envoyé à Saint-Quentin, pour le
-malheur de cette commune.
-
-A son arrivée dans sa nouvelle paroisse, Mingrat, pour détruire
-l'impression des bruits qui l'y avaient précédé, et pour faire croire
-qu'il avait été victime de la calomnie, afficha une grande austérité de
-principes. Son caractère dominateur se faisait surtout remarquer dans ses
-sermons. Il exerçait le despotisme le plus révoltant, au nom d'un Dieu de
-paix et de miséricorde. Dès son apparition à Saint-Quentin, les danses,
-les jeux, les plus innocens plaisirs furent défendus. Le jour de la fête
-patronale, la jeunesse s'étant réunie, animée par la gaîté, crut pouvoir
-se permettre d'enfreindre un moment les ordres du curé; on dansa. Mingrat
-les épiait. Il monta dans le haut du clocher, et regardant par un trou,
-il fut le spectateur des plaisirs qu'il avait anathématisés dans ses
-sermons. Les jeunes gens s'apercevant des menées du pasteur, ne firent
-qu'en rire. Mingrat se promit bien de prendre sa revanche. Le dimanche
-suivant, réunissant tous les foudres de son éloquence, il laissa tomber
-de la chaire sainte ces mots foudroyans: «Vous avez foulé aux pieds les
-cendres de vos ancêtres, qui sont là-bas au diable!...» La place où l'on
-avait dansé avait été un cimetière; c'est ce qui expliquait l'étrange
-mouvement oratoire du pasteur irrité; et l'on peut juger de l'effet que
-dut produire un sermon de ce genre.
-
-A cette époque, Mingrat avait à peine atteint sa vingt-huitième année.
-Par ce rigorisme extérieur, par cette autorité despotique, il semblait
-préluder en silence et dans l'ombre au forfait qui bientôt devait frapper
-d'épouvante et de douleur les paisibles habitans de Saint-Quentin. Du
-reste, son hypocrisie ne pouvait en imposer qu'à des âmes crédules et
-timorées, car son extérieur était un indice assez fidèle de ce qui se
-passait au-dedans de lui. Des cheveux noirs et plats, un front
-très-étroit, des sourcils très-épais ombrageant un œil brun, sombre et
-faux; un regard farouche, des lèvres épaisses, n'exprimant que la colère
-ou le dédain; une taille élevée, massive, et presque gigantesque: tel
-était au physique l'homme que l'on avait envoyé à Saint-Quentin comme
-l'apôtre et le vicaire d'un Dieu de miséricorde, de consolation, de
-mansuétude et de paix, d'un Dieu qui sur la croix bénissait ses
-bourreaux, d'un Dieu que l'on représente sous la forme symbolique du plus
-doux, du plus inoffensif des animaux.
-
-Mais, malgré l'imposture la plus habilement calculée, un cœur corrompu
-par les passions les plus honteuses et par les goûts les plus dépravés,
-ne peut, quelque gêne qu'il veuille s'imposer, tenir long-temps cachée la
-plaie honteuse qui le ronge. Il ne faut qu'une occasion pour lui arracher
-son masque frauduleux, et mettre à nu toute sa laideur. Cette
-circonstance se présenta bientôt pour Mingrat.
-
-Maintenant que nous avons tracé le portrait de l'assassin, nous allons
-essayer de faire connaître sa victime.
-
-A un quart de lieue de Saint-Quentin, au hameau du Gît, paroisse
-desservie par Mingrat, vivait en paix un couple heureux, Étienne
-Charnalet et Marie Gérin. Retiré du service en 1817, Étienne avait
-rapporté dans ses foyers des marques distinctives de sa bravoure et une
-médiocre aisance. Il avait épousé Marie, en qui la beauté ne semblait
-qu'être le complément des plus rares qualités.
-
-Les deux époux vivaient dans la plus parfaite union depuis six ans,
-lorsque la mère de Marie mourut. Religieuse par besoin, pieuse par
-sentiment, Marie redoubla encore de ferveur, par suite de cet événement.
-Cette piété la portait, en toute occasion, à concourir avec zèle à tous
-les soins qu'exigeaient l'entretien et l'arrangement de l'église. Ce
-louable empressement, qui lui conciliait tous les éloges, la fit surtout
-remarquer par le nouveau pasteur. Celui-ci conçut pour elle une passion
-coupable, et ne songea plus qu'aux moyens de la faire partager, ou du
-moins de la satisfaire, à quelque prix que ce fût. Plusieurs fois il se
-rendit chez Marie pour l'entretenir de l'amour criminel qu'elle lui avait
-inspiré; mais celle-ci lui faisait accepter les épargnes qu'elle
-destinait aux pauvres, et Mingrat, réduit au silence, trouvait dans la
-vertu de celle qu'il convoitait un obstacle à ses desseins libidineux.
-Déjà trois mois s'étaient écoulés depuis qu'il desservait la cure de
-Saint-Quentin, et il n'était point encore parvenu à faire comprendre à
-Marie le véritable but de ses fréquentes visites, lorsqu'il apprit par
-elle, le 7 mai 1822, que l'on devait célébrer le 9, à Veurey, village
-situé à deux lieues de Saint-Quentin, une première communion. Aussitôt
-son imagination s'enflamme; il entrevoit la possibilité de réaliser ses
-coupables projets. Le lendemain, il se rend chez un sieur Bourdes, l'un
-des voisins de Marie, afin de donner le change sur ses intentions; il dit
-à cet homme, qu'ayant appris que madame Charnalet se rendait le lendemain
-à Veurey, il vient la charger d'une lettre pour le curé de cette
-paroisse. Le fils de Bourdes s'offre d'accompagner Mingrat jusque chez
-Marie; et celui-ci, n'osant pas refuser, ils sortent ensemble. Marie
-était seule; elle les reçut avec sa franchise accoutumée. Mingrat, que la
-présence du jeune Bourdes contrariait, attendit, pour parler du véritable
-objet de sa visite, que l'importun témoin eût pris congé. Bourdes partit
-en effet quelques instans après, et le curé s'applaudissait déjà du
-tête-à-tête qu'il avait su se ménager, quand une nouvelle visite vint le
-troubler; néanmoins il demeura intrépidement jusqu'à ce que ce dernier
-venu se fût aussi retiré. Resté seul, pour la seconde fois, avec celle
-dont il méditait le déshonneur ou la perte, il aurait bien voulu hasarder
-un aveu non équivoque, mais le lieu ne lui parut pas favorable à
-l'exécution de ses vues criminelles; aussi n'entretient-il Marie que du
-voyage de Veurey et de la lettre dont il voulait la charger. Mais pour
-attirer plus sûrement sa faible proie dans le piége que lui avait tendu
-sa scélératesse, il dit qu'il n'avait pas cette lettre sur lui, et qu'il
-ne pourrait la lui remettre que dans la soirée, lorsqu'elle viendrait se
-confesser à Saint-Quentin. La chose étant ainsi arrangée, Mingrat était
-au comble de ses vœux. Cependant, avant de se retirer, il aurait désiré
-informer Marie de son amour. Il lui fit lecture d'un livre qui traitait
-de l'amour du créateur; l'infâme n'y voyait que celui de la créature. Il
-espérait faire naître dans le cœur de Marie la pensée adultère qui
-préoccupait vivement son imagination en délire. Mais la candide Marie,
-édifiée et non séduite, ne voyait dans les expressions du curé qu'une
-ferveur évangélique qu'elle interprétait dans le sens de ses sentimens
-religieux. Il en était de même des gestes significatifs dont le curé
-accompagnait sa lecture.
-
-Après cette lecture, Mingrat recommande à sa pénitente de ne pas manquer
-de venir le trouver le soir même. Celle-ci n'eut garde d'y manquer; mais
-avant de se rendre à l'église, elle prévint ses voisines qu'elle allait à
-confesse. L'infortunée était loin de soupçonner qu'elle allait à la mort.
-
-Marie arriva, à cinq heures, à la porte de l'église; lorsqu'elle y fut
-entrée, elle n'aperçut qu'une seule personne, une dame de Saint-Michel,
-ancienne religieuse qui terminait sa prière. Marie, en attendant le
-prêtre, alla se prosterner aux pieds de la statue de la Vierge. Madame de
-Saint-Michel allait quitter l'église, lorsqu'elle vit à la porte du
-clocher voisin de l'autel, un grand fantôme noir, ne présentant ni bras
-ni jambes, et paraissant surmonté d'un chapeau de forme triangulaire; le
-fantôme approche ou plutôt il s'élance vers Marie, mais s'arrêtant
-tout-à-coup, il recula et disparut par la porte du clocher. Madame de
-Saint-Michel, tremblante, se hâte de quitter son banc, mais en passant
-devant Marie, elle s'arrête un instant afin de pouvoir l'avertir par un
-signe de fuir ce lieu redoutable. Marie, occupée de sa prière, ne tint
-aucun compte de ce salutaire avertissement. Le fantôme n'était autre que
-Mingrat, qui, caché dans un large manteau, était venu épier Marie, et
-s'était retiré précipitamment aussitôt qu'il avait aperçu madame de
-Saint-Michel.
-
-Sûr alors d'être seul, Mingrat dépouille son lugubre accoutrement et
-s'approche de Marie. Il lui dit qu'il ne la trouve pas mise assez
-décemment pour être confessée dans l'église; il l'invite à l'accompagner
-au presbytère, où il l'entendra, dit-il, plus paisiblement, et pourra lui
-remettre la lettre en question. Marie, soumise et confiante, ne fait
-aucune difficulté d'accompagner le prêtre. Arrivée avec lui dans un
-arrière-cabinet dont la porte est aussitôt fermée avec soin, la
-malheureuse commence à connaître l'homme qu'elle considérait comme un
-respectable protecteur. Mingrat ne perd pas le temps, il saisit d'un bras
-vigoureux la tremblante Marie; il la bâillonne pour s'assurer de son
-silence; il l'entraîne sur un lit qui devait être le lit de mort de sa
-victime.
-
-Il n'y eut aucun témoin de cette scène horrible; mais, comme tout fut
-éclairé par les débats, et que des faits racontés par la servante de
-Mingrat, et des inductions tirées de l'état du cadavre, il résulta des
-preuves irrésistibles, nous allons essayer de retracer les principales
-particularités de cette lutte abominable.
-
-Le monstre, fatigué par ses vains efforts, effrayé des cris prolongés et
-sourds de la victime, ne voit plus que l'impérieuse nécessité d'accélérer
-son dernier moment. D'un bras vigoureux, il lui serre la gorge, et son
-genou, appuyé sur sa poitrine, il appelle et attend son dernier soupir
-qu'il surprend inhumainement sur les lèvres de la mourante Marie, dont la
-vertu et le courage semblent survivre à ses forces éteintes. La servante
-du curé, attirée par le bruit extraordinaire qu'elle vient d'entendre,
-était montée jusqu'à la porte, et avait, par ses cris, contraint Mingrat
-d'abandonner sa victime. «Ah! monsieur! dit-elle en apercevant son maître
-l'œil hagard et en désordre, que vous m'avez fait peur! J'ai cru que
-vous alliez mourir. «Taisez-vous, taisez-vous! répond le curé en délire,
-vous êtes une imbécille.» Puis il retourne vers le lit où Marie expire,
-mêler les frissons de son atroce passion au râle effrayant de la
-mort.... A sept heures et demie le crime était consommé, l'infortunée
-avait cessé de vivre.
-
-Cependant le besoin de veiller à sa sûreté, rappelle bientôt Mingrat à
-lui-même; il se résout à éloigner sa domestique indiscrète, et à cet
-effet, il lui ordonne de porter un journal à un sieur Heuraud, qui
-demeurait environ à quinze minutes du bourg. Cette fille, n'osant
-insister, prit le journal, feignit d'obéir, et comme tout ce qu'elle
-venait de voir lui semblait extraordinaire, elle se borna à rôder autour
-du presbytère. Suivant les dépositions de cette fille, le curé ne l'eut
-pas plus tôt éloignée, qu'il courut au fatal cabinet; celle-ci, étonnée
-de l'y voir paraître, grimpa sur un portail qui le dominait, et fut
-surprise par son maître; de sorte que son indiscrétion faillit lui être
-funeste.
-
-Mingrat lui commanda de nouveau, d'un ton menaçant, de faire sa
-commission; et profitant de la courte absence de la servante, pour
-préparer les moyens de faire disparaître le cadavre, il se munit d'un
-couteau, de plusieurs ficelles et dépouilla entièrement Marie de ses
-vêtemens.
-
-Il cache ensuite soigneusement les hardes de cette infortunée, à
-l'exception de son mouchoir de cou; il attache les deux pieds ensemble
-avec la plus longue des cordes; les deux bras sont également attachés,
-croisant sur la poitrine. Sur ces entrefaites, revient la servante; le
-curé est encore forcé d'interrompre son affreux travail. Il interroge
-cette fille sur ce qu'elle a vu. Celle-ci déclare tout ignorer; il lui
-recommande le silence sur tout ce qu'elle avait pu entendre. Contre son
-ordinaire, le curé n'avait pas encore soupé. La domestique, n'osant
-toucher à la table, prend un livre de prières. Des cris redoublés se font
-entendre à la porte du presbytère; Mingrat se présente, en s'écriant
-brusquement: Qui est là?..... C'était Charnalet, l'époux de Marie, qui,
-accompagné de plusieurs parens, venait demander au curé s'il n'avait pas
-vu sa femme. Mingrat répond que non. Charnalet insiste; on lui avait
-affirmé que Marie était entrée dans l'église à six heures du soir; le
-curé embarrassé répond en balbutiant: «En effet, je l'ai vue dans
-l'église, où elle priait dévotement. Elle m'a demandé à être confessée;
-ce que j'ai refusé, à cause qu'elle n'était pas mise avec assez de
-décence, et depuis ce moment je ne l'ai pas revue.» Puis il quitta
-brusquement Charnalet, dans la crainte qu'une plus longue conversation ne
-le trahît, ou que le malheureux époux ne fût tenté d'entrer au
-presbytère. Charnalet retourne chez lui, espérant encore y retrouver sa
-femme. Vaine espérance! elle n'avait pas encore reparu. Il revient à
-l'église, en parcourt tous les détours, appelle Marie.... Les échos seuls
-répondent à ces touchans appels.
-
-Cependant Mingrat, après avoir congédié Charnalet, se débarrassa de sa
-servante qui ne couchait pas au presbytère, et immédiatement après son
-départ, il courut auprès du cadavre de Marie et le soulevant avec force,
-il le descendit par une fenêtre, au moyen de cordes, au pied du mur de la
-maison. Puis, cachant la lumière, il vint aussitôt dans la basse-cour,
-s'empara de la corde, et se mit en devoir de traîner le corps inanimé de
-la malheureuse Marie sur les ronces et sur les cailloux, jusque vers
-l'Isère, à un quart de lieue de Saint-Quentin. Le temps était orageux;
-la nuit, sombre, semblait protéger le scélérat de son obscurité. Il
-arrive sur le lieu que l'on appelait la Roche, où deux marches pratiquées
-dans le roc présentent un obstacle à surmonter; il s'élance au-delà des
-escaliers, tirant après lui le corps meurtri, qui, en rebondissant,
-laisse sur les marches rocailleuses des lambeaux de chair et des cheveux,
-vestiges délateurs qui devaient bientôt servir à convaincre Mingrat de
-son crime.
-
-De la Roche aux bords de l'Isère, il y avait un assez long espace à
-parcourir. Mingrat, épuisé par les efforts qu'il avait déjà été obligé de
-faire, cherche un moyen d'alléger sa charge; il tire un couteau de sa
-poche; il porte un premier coup obliquement depuis l'épaule droite
-jusqu'au-dessous du côté gauche, et partage tout le sein droit; mais les
-membres du cadavre offrant de la résistance à ses barbares efforts, il
-attache le corps sanglant par une jambe à l'arbre le plus prochain, se
-saisit de l'autre jambe, et par de nombreuses et violentes secousses,
-s'efforce inutilement de séparer les jambes du tronc. Dans sa rage, il
-imagine un autre moyen; il court au presbytère, y prend un couteau à
-hacher, à l'usage de la cuisine, qui, d'après la déclaration de la
-servante, était tout couvert de rouille, et revient à la Roche achever
-son ouvrage de cannibale. Cette fois, il réussit au gré de ses désirs;
-les jambes sont séparées du tronc; il les lance dans un ruisseau voisin
-qui se jetait dans l'Isère. Il revient de nouveau sur le théâtre de son
-affreux charnier, se charge du tronc et le précipite bientôt dans le
-fleuve, en laissant, par un calcul horrible, sur la rive, le mouchoir de
-cou de Marie, afin de faire naître le soupçon que cette malheureuse
-s'était noyée.
-
-Après cette effroyable boucherie, Mingrat, retourné dans son repaire,
-songe à faire disparaître tous les indices qui pourraient déposer contre
-lui; il dépouille sa soutane, et la joignant aux vêtemens de Marie, il y
-met le feu et en jette les cendres dans une fosse d'aisances qu'il
-recouvre de terre fraîche; puis, il nettoie soigneusement le couteau à
-hacher, se rhabille proprement et attend le jour, en s'efforçant de
-rendre à son visage le calme de l'innocence.
-
-Mais, malgré toutes ses minutieuses précautions, son crime allait
-bientôt être découvert. Quelques instans avant le jour, Joseph Michon,
-laboureur à Saint-Quentin, passant sous la Roche, à l'endroit même où
-Mingrat avait dépecé le cadavre, aperçut une place à terre de la largeur
-de deux pieds, couverte de sang fraîchement répandu, et près de là, une
-corde ensanglantée. Effrayé, il approche, regarde autour de lui, et
-trouve, à quelques pas plus loin, au pied d'un noyer, une place semblable
-à la première; il regarde avec plus d'attention, et rencontre bientôt un
-couteau à manche, souillé de sang, enfoncé dans la terre. Un mouvement
-d'horreur lui fait d'abord jeter ce couteau dans un buisson; mais
-réfléchissant que cet indice pouvait mettre sur la trace des auteurs d'un
-crime, il le ramasse, le lave avec soin, et retourne chez lui pour le
-renfermer.
-
-Le féroce Mingrat, vivement préoccupé de toutes les précautions à prendre
-pour cacher ses horreurs, se rappelle qu'il s'est d'abord servi d'un
-couteau; il le cherche avec anxiété, et s'aperçoit qu'il l'a oublié sur
-le théâtre de son forfait. Saisi d'effroi, il court en toute hâte à la
-Roche où il l'avait laissé. Mais, inutiles recherches! l'instrument
-accusateur avait disparu. Deux bouchers du pays, qui passaient en ce
-moment près de la Roche, furent étonnés de rencontrer le curé, à cette
-heure, en un semblable endroit; ils remarquèrent son air inquiet et son
-agitation; et leur étonnement fut à son comble quand, après son départ,
-ils virent des flots de sang répandu dans les lieux qu'il venait de
-quitter.
-
-De retour chez lui, Mingrat appelle sa servante et d'une voix menaçante,
-il l'interpelle ainsi: «Qu'avez-vous vu?.... répondez!» La malheureuse ne
-sait que répondre. «Je n'ai rien vu, dit-elle en tremblant; j'ai entendu
-des gémissemens; j'ai cru que vous alliez mourir.» Quelques instans
-après, en faisant le ménage, elle trouve le chapelet de la malheureuse
-Charnalet à moitié brûlé, et un pressentiment sinistre, dont elle ne peut
-se rendre compte, la pousse à le déposer dans un trou du mur sous le
-hangar. Chaque pas qu'elle fait dans le presbytère lui fait faire une
-nouvelle découverte. Là, ce sont des cendres et quelques morceaux de
-linges à demi brûlés; ailleurs, de la paille encore ensanglantée; plus
-loin, un lambeau de chair; enfin le couteau à hacher qu'elle savait être
-rouillé, est brillant; elle ne peut douter qu'il n'ait été tout récemment
-nettoyé. Malgré la faiblesse de son esprit, elle conçoit d'horribles
-soupçons. Elle prend la résolution de quitter le service d'un maître dont
-la conduite lui semble si étrangement mystérieuse.
-
-Pendant ce temps, le malheureux Charnalet, en proie aux plus vives
-alarmes, avait cherché sa pauvre Marie partout où il avait eu quelque
-espoir de la trouver. Il revint à la ferme du Gît, le désespoir dans le
-cœur. Déjà le bruit de la mort de sa femme s'était répandu; son
-mouchoir, trouvé sur les bords de l'Isère, avait fait croire au
-stratagème de Mingrat. Cet événement donnait lieu à mille conjectures.
-Une cousine de Marie, accompagnée de quelques voisines, alla trouver
-Mingrat qui se promenait gravement, son bréviaire à la main. «Ah!
-monsieur le curé, lui dit la crédule cousine, si vous l'aviez confessée
-comme elle le désirait, peut-être l'eussiez-vous détournée de son fatal
-projet!--Je la vis en effet dans l'église, répondit l'hypocrite; elle
-priait dévotement. Elle vint à moi, me témoignant le désir d'être
-confessée; mais la voyant mise peu décemment, lui trouvant d'ailleurs
-l'œil hagard, je la renvoyai à un autre jour. Je suis bien aise, au
-contraire, d'avoir refusé de l'entendre; car si je l'eusse confessée, et
-qu'elle eût péri tout de même, l'on m'aurait donné tort et l'on m'aurait
-dit que j'étais cause de sa mort, ayant exalté son imagination.....
-Pourtant voyons! descendons vers la Roche.» Ils se rendirent en effet
-dans cet endroit; une foule de personnes en exploraient les alentours.
-Mingrat ne craignit pas de paraître au milieu de cette multitude
-rassemblée. Son front calme, quoique sévère, ne laissait rien paraître
-des sentimens qui devaient l'agiter.
-
-Après cette démarche audacieuse, Mingrat revint au presbytère, où sa
-servante l'attendait pour lui demander à quitter son service... «Montez!
-Votre ouvrage n'est point ici, s'écria le curé en l'apercevant.--Oh!
-monsieur, répliqua-t-elle avec effroi; je n'y saurais tenir: laissez-moi
-m'en aller!» Ces mots firent comprendre à Mingrat que cette fille avait
-deviné ou découvert son crime. Il la saisit d'un bras vigoureux,
-l'entraîne au pied du sanctuaire, et d'une main, retirant du tabernacle
-le Saint-Sacrement, et de l'autre lui tenant avec force le bras tendu
-vers l'autel, il la contraignit de jurer qu'elle garderait le plus
-profond silence sur tout ce qu'elle avait vu. La tremblante domestique
-obéit et répéta le serment que Mingrat dicta lui-même. Ce serment,
-prononcé dans de telles circonstances, fit une si forte impression sur
-l'esprit faible de cette pauvre fille, qu'elle ne consentit à révéler à
-la justice les affreux mystères de la nuit du 9 mai, qu'après y avoir été
-autorisée par son confesseur, qui lui dit qu'elle était obligée de
-raconter tout ce qu'elle savait.
-
-Cependant un événement aussi extraordinaire ne devait pas rester
-long-temps sans appeler l'attention de l'autorité locale. Elle prit les
-informations les plus minutieuses sur tout ce qui pouvait avoir rapport à
-la disparition subite de l'épouse de Charnalet. M. Bossan, l'adjoint du
-maire de Saint-Quentin, déploya surtout beaucoup de zèle dans la
-poursuite de cette déplorable affaire. Ce fut par ses soins que l'on
-acquit la conviction que le couteau trouvé par le cultivateur Michon,
-appartenait à Mingrat.
-
-Quelques jours s'étaient passés sans que l'on eût acquis de nouveaux
-éclaircissemens sur la catastrophe du 9 mai; on remarquait seulement que
-Mingrat évitait autant que possible de se montrer en public; lorsque, le
-16 mai, jour de l'Ascension, à sept heures du matin, de jeunes bergers,
-s'amusant à pêcher dans un fossé qui communique à l'Isère, amenèrent au
-bout de leur ligne une cuisse humaine. Saisis d'épouvante, ils rejettent
-dans le ruisseau cet affreux objet, et s'enfuient vers le bourg, en
-répétant partout la cause de leur effroi. L'adjoint, prévenu de cette
-circonstance, se transporte sur les lieux indiqués par les jeunes pâtres;
-on retrouve la cuisse sanglante. Il résulte de l'examen des médecins, que
-le membre mutilé est une cuisse de femme, et tout semble s'éclaircir.
-Déjà l'on murmurait tout bas le nom de Mingrat.
-
-On alla déposer dans le cimetière la cuisse retrouvée; mais à peine les
-autorités, qui avaient accompagné ce douloureux convoi, se furent
-retirées, que le fourbe et audacieux curé, sans doute pour faire taire
-les rumeurs sourdes dont il était l'objet, courut au cimetière et ordonna
-que cette cuisse fût jetée dans un coin, loin des âmes justes qui
-reposaient dans ces lieux. «Marie, disait-il, ne méritait aucune
-sépulture puisqu'elle s'était noyée et avait perdu son salut. Je l'ai
-vue, ajoutait-il, possédée par le diable, oui, par Satan qui la tenait
-dans ses bras pour l'entraîner dans l'abîme!» Quand il sut que les
-soupçons à son égard prenaient de plus en plus de la consistance, il fit
-dire à M. Bossan: «Qu'il était prêt à donner ses réponses, si on voulait
-l'interroger.» Mais cette proposition, qui n'avait pour objet que d'en
-imposer à des gens peu éclairés, ne fut qu'un indice de plus de sa
-culpabilité.
-
-Jusque-là l'autorité avait été forcée à de grands ménagemens à cause du
-caractère sacré dont Mingrat était revêtu; mais les élémens sur lesquels
-se fondait la présomption ne permettaient plus de rester inactif. On se
-décida à prendre contre le coupable des mesures de sûreté. L'indigne
-curé, prévenu, par un confrère officieux, du projet qu'on avait de
-l'arrêter, jugea à propos de se soustraire à la justice. Les gendarmes,
-envoyés à sa poursuite, ne purent le joindre; il les avait devancés de
-quelques heures, et arrivés aux frontières, ils furent contraints de
-remettre à l'autorité sarde les ordres qu'ils avaient reçus. Mingrat
-s'était réfugié dans la grotte dite des Échelles. Les carabiniers
-piémontais le découvrirent et l'arrêtèrent, quoiqu'il protestât de son
-innocence et qu'il s'écriât _qu'on ne pouvait saisir un homme de sa
-robe_.
-
-Malgré ses récriminations, il fut entraîné et conduit dans les prisons de
-Chambéry. Il dut à son habit d'y jouir d'une liberté peu commune, et il
-en profita pour commettre à demi un nouveau crime. La nièce du concierge
-de la prison, qu'il avait déjà remarquée, se trouvant un soir dans un
-passage obscur où le scélérat l'attendait, il tenta de lui faire
-violence. La jeune fille poussant des cris affreux, Mingrat, dans la
-crainte d'être découvert, l'avait déjà saisie à la gorge comme pour
-l'étrangler, quand plusieurs personnes étant accourues, l'arrachèrent de
-ses mains forcenées; et sur les plaintes des parens de la jeune fille, on
-obtint la translation de Mingrat à Fénestrelle, forteresse de la Savoie,
-à dix lieues de Besançon.
-
-Il paraît que pendant son séjour à Chambéry, ce maître tartufe avait eu
-tellement l'art de se couvrir du masque de la vertu, que toutes les
-dévotes, qui le visitaient par humanité, ne doutaient pas qu'il n'eût été
-victime de fausses accusations, et le regardaient comme un martyr de la
-méchanceté humaine.
-
-Cependant les forfaits de ce monstre étaient patens. Trois jours après sa
-fuite, on avait retrouvé dans les parages de Fory, à cinq lieues de
-Saint-Quentin, le tronc mutilé de Marie. L'examen judiciaire de ce
-cadavre eut lieu, en présence des médecins; on reconnut facilement les
-traces sanglantes du couteau et les meurtrissures que les mains du curé
-avaient faites sur la victime. Après de longues hésitations, la servante
-de Mingrat se décida à raconter tout ce qui était à sa connaissance; elle
-reconnut aussi le couteau de son maître; et ses révélations achevèrent de
-compléter les preuves du crime commis au presbytère de Saint-Quentin dans
-la nuit du 9 mai.
-
-Enfin la procédure fut portée devant la Cour d'assises de l'Isère, qui,
-par arrêt du 9 décembre 1822, condamna par contumace le curé Mingrat à la
-peine de mort, comme coupable du crime de viol et d'assassinat.
-
-Vainement Charnalet et Gérin, époux et frère de la victime, firent les
-démarches les plus actives pour obtenir l'extradition de l'assassin: une
-protection mystérieuse lui servit constamment d'égide contre le glaive de
-la loi. Pour prix de sa tendresse fraternelle, le sieur Gérin fut
-présenté par d'ignobles calomniateurs comme le fauteur de l'assassinat,
-bien que depuis long-temps il habitât une contrée fort éloignée du séjour
-de sa sœur; et l'on ne saurait nombrer les brutales persécutions
-auxquelles il fut en butte, lorsque, pour faire connaître dans toute sa
-hideuse vérité le curé Mingrat, il alla distribuer dans nos provinces
-l'histoire des malheurs de sa famille.
-
-Depuis son arrestation, l'assassin de Marie jouit, dans la forteresse de
-Fénestrelle, de l'impunité qu'on lui a ménagée. Puissent au moins ses
-protecteurs le faire garder étroitement, et ne jamais lâcher sur la
-société cette bête féroce, dont la présence serait un fléau partout où le
-monstre porterait ses pas!
-
-
-
-
-CASTAING.
-
-
-Le nom de Castaing fit, il y a dix ans, une assez profonde impression sur
-tous les esprits, pour qu'il soit permis de croire que le souvenir de cet
-homme, jugé coupable de grands forfaits, n'est point effacé, malgré les
-événemens de tout genre et de la plus haute importance, malgré les
-scélératesses inouies qui depuis lors ont pris place en foule dans notre
-histoire contemporaine.
-
-Castaing, il faut le dire, fut un second Desrues: au lieu du masque de la
-religion, il eut recours à celui de l'amitié, et tous deux se montrèrent
-également hypocrites; tous deux furent également inspirés par une avide
-cupidité; tous deux voulurent veiller seuls auprès de leurs victimes,
-comme pour mieux jouir de leur crime, comme pour mieux en assurer
-l'effet. Ce qui établit entre eux une différence qui ne tourne pas à
-l'avantage de Castaing, c'est que Desrues avait manifesté ses
-inclinations vicieuses dès ses plus jeunes ans, et que son éducation fut
-très-négligée, au lieu que Castaing trouva des exemples de toutes les
-vertus dans sa propre famille, tint lui-même une conduite long-temps
-exemplaire, se distingua par sa douceur et l'aménité de ses mœurs, et
-cultiva, avec non moins de succès que de zèle, des sciences dont il
-devait faire plus tard un usage si criminel. Ajoutons que Castaing était
-médecin! Ainsi l'art qui a pour but de guérir les maux qui nous
-assiégent, Castaing s'en servit pour assassiner savamment deux amis, dont
-préalablement il s'était assuré la fortune par des testamens!
-
-Et, à propos de testamens, qu'il nous soit permis de hasarder quelques
-réflexions qui peuvent être de quelque utilité. Les testamens tels que la
-loi les tolère aujourd'hui dans notre état de société, servent, dans une
-foule de cas, à frustrer des héritiers légitimes, au profit d'habiles
-intrigans, qui n'ont capté le testateur que dans un but unique, celui de
-se faire donner sa fortune. Par héritiers légitimes, nous n'entendons pas
-les collatéraux dont les droits seraient souvent très-contestables, sous
-certains rapports; il s'agit ici d'enfans, de frères, de sœurs, qui, au
-moyen de testamens extorqués par adresse ou arrachés à l'imbécillité de
-l'âge, se sont vus dépouillés par d'avides étrangers. Nous ne prétendons
-nullement enchaîner la volonté des testateurs; mais nous pensons qu'il
-serait désirable que l'on revît d'un œil sévère et prévoyant toute la
-législation relative aux testamens. Que de spoliations, que d'iniquités,
-que de crimes secrets ont été la suite de dispositions testamentaires!
-
-Combien de fois s'est renouvelée l'histoire tragique de ce vieux prélat
-dont parle le _Diable boiteux_ de notre Lesage! Cet homme sortit de ce
-monde assez brusquement, pour avoir fait son testament en pleine santé,
-et l'avoir lu à ses domestiques, à qui, comme un bon maître, il léguait
-quelque chose. Son cuisinier fut impatient d'avoir son legs!
-
-J.-J. Rousseau a protesté quelquefois, par ses écrits et par ses
-exemples, contre la manie des testamens. Milord Maréchal voulait le
-mettre dans le sien: Rousseau s'y opposa de toute sa force, disant qu'il
-ne voudrait pour rien au monde se savoir dans le testament de qui que ce
-fût. Milord Maréchal, vaincu par les motifs du philosophe, voulut au
-moins lui faire une pension viagère; Rousseau ne s'y opposa point. «On
-dira, écrivait-il à ce sujet, que je gagne à ce changement: cela se peut.
-Mais, ô mon bienfaiteur et mon père! si j'ai le malheur de vous survivre,
-je sais qu'en vous perdant, j'ai tout à perdre, et que je n'ai rien à
-gagner.» Plus tard, le même Rousseau manifesta la même opinion, à
-l'occasion de la mort de M. le maréchal de Luxembourg. Comme ce seigneur
-avait une véritable amitié pour le grand écrivain, on écrivait à celui-ci
-qu'il était sur le testament. Rousseau se trouva fort embarrassé pour la
-détermination à prendre sur ce legs. Tout bien pesé, il résolut de
-l'accepter. «J'ai été, dit-il, dispensé de ce devoir, n'ayant plus
-entendu parler de ce legs vrai ou faux; et en vérité, j'aurais été peiné
-de blesser une des grandes maximes de la morale, en profitant de quelque
-chose à la mort de quelqu'un qui m'avait été cher.» Que de gens ne se
-font pas de semblables scrupules dans des circonstances de ce genre! Ceux
-qui héritent par testament ne se font guère ces objections de
-délicatesse, et ne vont pas s'amuser à chercher une question de morale
-au fond de leur legs. On hérite en vertu de la loi: peu importe le reste.
-
-Revenons à Castaing, triste et nouvel exemple du désordre que peut
-enfanter la cupidité, l'une des plus viles passions humaines. Edme-Samuel
-Castaing, né en 1796 à Alençon, d'une famille justement considérée,
-montra, dès ses jeunes années, un caractère ardent et une fermeté qui
-allait jusqu'à la ténacité. Il fit ses études au collége d'Angers, et s'y
-fit remarquer de ses professeurs par son application et par ses progrès.
-Ses études terminées, il se destina à la profession de médecin et
-travailla avec ardeur à se procurer les connaissances nécessaires pour
-parcourir cette carrière avec distinction. Il suivit, pendant deux ans,
-avec la plus grande exactitude, les cours de la Faculté; mais vers la fin
-de 1819, on put s'apercevoir qu'il était captivé par un sentiment d'une
-autre nature. Castaing avait eu l'occasion de donner, dans une légère
-maladie, quelques soins à une dame, veuve depuis peu de temps d'un ancien
-magistrat, et n'avait pu la voir sans en être violemment épris.
-
-Cette passion nuisit à celle de l'étude qui jusque alors avait
-constamment dominé Castaing; ce jeune homme ne fut plus occupé que des
-moyens de plaire à celle qu'il aimait et de lui faire partager ses
-sentimens. Après avoir éprouvé d'abord quelques résistances, il fut
-ensuite plus heureux; la liaison la plus intime s'établit entre les deux
-amans, et le 17 juillet 1821, Castaing devint père.
-
-Cédant aux remontrances de ses parens, il reprit le cours de ses études
-et se fit recevoir médecin. Dès ce moment, il se sépara presque
-tout-à-fait de sa famille, et se rapprocha davantage de sa maîtresse.
-Cette coupable liaison était un secret pour le monde, excepté pour deux
-jeunes frères, Hippolyte et Auguste Ballet, avec lesquels il était lié
-depuis quelque temps, surtout avec le premier qui, valétudinaire et
-craignant continuellement de perdre le peu de santé dont il jouissait,
-s'estimait heureux de trouver son médecin dans son ami.
-
-Les deux frères Ballet étaient tous les deux possesseurs d'une fortune
-considérable que leur avaient laissée leurs parens, morts tout récemment.
-Ils s'attachèrent à Castaing qui n'avait rien négligé pour les capter, et
-lui accordèrent la plus aveugle confiance, en retour de ses
-complaisances et de son dévouement apparent.
-
-Dans cet état de choses, Hippolyte Ballet mourut le 22 octobre 1822;
-l'état de malaise continuel dans lequel on était habitué à le voir fit
-regarder sa mort comme naturelle, quoiqu'elle fût prématurée; et Castaing
-n'en continua pas moins à vivre avec le frère survivant dans une intimité
-rendue encore plus étroite par l'isolement d'Auguste après la mort de son
-frère. Les faits que nous allons présenter apprendront avec quelle
-inconcevable barbarie, avec quelle froide cruauté, l'homme, que ces deux
-frères caressaient ainsi, devint leur bourreau commun.
-
-Le 29 mai 1823, Auguste Ballet, accompagné seulement de Castaing, arrive
-en bonne santé à Saint-Cloud. Le lendemain au soir, il se plaint
-tout-à-coup de douleurs très-vives qui vont toujours en augmentant. Il
-meurt le 1er juin. Une mort aussi subite paraît extraordinaire; des
-soupçons s'éveillent; la justice ne tarde pas à être informée; une
-enquête scrupuleuse a lieu, et les résultats de cette enquête provoquent
-une ordonnance de la Cour royale qui, le 26 août, renvoie Castaing
-devant la Cour d'assises de la Seine, comme prévenu d'attentat à la vie
-des deux frères Ballet, et de destruction du testament d'Hippolyte.
-
-Voici quelques détails qui nous sont fournis par l'acte d'accusation: «La
-maladie qui emporta le jeune Ballet avait commencé subitement le soir du
-vendredi 30 mai, lendemain de son arrivée à Saint-Cloud, après avoir bu
-du vin chaud. Elle redoubla le samedi matin, après avoir pris une tasse
-de lait froid. Elle devint une agonie le même jour, quelques minutes
-après qu'il eut avalé une cuillerée de potion calmante; dès ce moment il
-perdit connaissance. Il expira le dimanche, à une heure après-midi, après
-l'avoir recouvrée. La maladie parut extraordinaire, sa marche bien
-brusque, la catastrophe effrayante. Le défunt avait exhalé son dernier
-soupir loin de tous les siens, dans les bras de son compagnon de voyage.
-Le vin chaud, le lait froid, la cuillerée de potion calmante, lui avaient
-été administrés par ce dernier.
-
-«Avant qu'on sût rien de plus, et durant cette courte maladie, en en
-observant les symptômes, et après son issue, en en appréciant les
-circonstances, aubergistes, médecins, voisins, tout le monde fut frappé
-de stupeur; tout le monde s'était demandé ce que cela signifiait, et ce
-qu'étaient ces deux étrangers. Des soupçons affreux, quoique vagues
-encore, s'élevèrent sur celui qui survivait. Une circonstance vint
-tout-à-coup leur donner plus de gravité, on apprit avec une sorte de
-terreur que le jeune homme survivant était légataire universel du
-prédécédé, et que celui-ci était riche.
-
-«Même avant cette découverte, les médecins auxquels, selon leurs propres
-expressions, les circonstances du décès paraissaient _extraordinaires et
-contre l'ordre naturel des choses_, avaient cru que la justice devait
-prendre connaissance de cette affaire. Le nouvel incident rendit ce
-devoir plus impérieux.»
-
-Il résulta de l'enquête qui eut lieu que la correspondance de Castaing
-prouve qu'il était d'un naturel ardent, ambitieux; qu'il avait toujours
-été dévoré d'un violent désir de faire fortune: on lut dans une lettre
-saisie chez lui, que sa propre mère, quelques années auparavant, disait
-de lui des _horreurs_. Pour avoir l'explication de ce mot, il eût fallu
-interroger sa mère; la nature le défendait. On aurait pu interroger
-l'auteur de la lettre; on ne le fit pas par ménagement pour une grande
-passion. On ne put donc savoir quels étaient au juste les griefs qui
-arrachèrent à sa mère une aussi sévère expression. Le père était aussi
-très-mécontent de la conduite de son fils: c'est encore dans les papiers
-de ce dernier qu'on en a trouvé des preuves.
-
-Castaing, dans ses études aussi opiniâtres qu'étendues, avait cherché à
-approfondir la physiologie, l'anatomie, la botanique, la chimie. Ses
-travaux sur ces diverses sciences étaient attestés par de nombreux
-cahiers, tout couverts de ses observations et de ses extraits, et qui
-furent trouvés dans ses papiers. Mais après le déplorable événement qui
-donnait lieu à cette instruction, on ne put s'empêcher de frémir en
-remarquant que les studieuses investigations du jeune adepte embrassaient
-aussi les différentes espèces de poisons; qu'il recherchait avec grand
-soin quels sont ceux qui laissent après eux des traces dénonciatrices, et
-ceux qui, bien plus perfides, ne laissent après eux aucuns vestiges
-perceptibles aux yeux mêmes de l'anatomiste le plus exercé. On vit qu'il
-était enfin arrivé à la funeste connaissance que tels poisons n'agissent
-qu'à l'égard de certaines maladies, et en ne signalant leur passage que
-par des symptômes identiques avec ceux qu'auraient offerts après la mort
-ces mêmes maladies. «Tout cela, suivant l'acte d'accusation, résulte
-clairement des pièces trouvées chez Castaing. Ainsi un point bien
-certain, c'est qu'il savait très-bien, et peut-être trop bien, que
-certains poisons ne laissent aucune trace.»
-
-Ajoutons à ces indices que Castaing, quoique peu riche, pouvait se
-suffire à lui-même, en attendant que les bénéfices de son art lui
-procurassent une situation plus aisée. Mais Castaing avait une maîtresse
-très-pauvre elle-même, et si pauvre, qu'il avait à sa charge, outre ses
-besoins personnels, ceux de cette femme et de trois enfans d'un mari qui
-n'existait plus. En ajoutant l'entretien de deux autres enfans nés du
-commerce illégitime qui s'était établi entr'eux, on verra qu'il ne
-pouvait naturellement suffire à une pareille dépense. Il était d'autant
-plus tourmenté par cette idée, que sa passion n'était pas une passion
-vulgaire. La débauche n'avait point formé les nœuds de cette union.
-Castaing idolâtrait ses deux enfans, il adorait leur mère qu'il appelait
-sa femme; ces trois êtres paraissaient être les seuls objets de ses
-pensées; il ne rêvait qu'aux moyens de leur assurer une existence.
-
-L'accusation rappela ensuite que Castaing se trouvait dans un tel état de
-gêne, en juin 1822, qu'il ne savait alors comment opérer le remboursement
-d'une somme de 600 francs; et que, quatre mois après, c'est-à-dire au
-mois d'octobre de la même année, il se trouvait tout-à-coup avoir à sa
-disposition des capitaux considérables, prêtait 30,000 francs à sa mère,
-et en plaçait 70,000 dans les fonds publics sous des noms supposés, sans
-qu'on pût expliquer naturellement un pareil changement de fortune.
-
-A l'époque dont nous parlons, Castaing était déjà lié avec les deux
-frères Ballet, et s'était ménagé un puissant ascendant sur l'esprit de
-chacun d'eux. Jusque-là les frères Ballet s'étaient montrés très-attachés
-l'un à l'autre; mais vers ce temps-là même, cet attachement s'était
-beaucoup refroidi, sans que l'on sût quelle était la véritable cause de
-ce changement.
-
-Ce qui n'est point douteux, c'est qu'Hippolyte, dans les temps voisins de
-sa mort, confia à plusieurs de ses amis, aux uns d'abord, qu'il voulait
-faire un testament, aux autres ensuite, qu'il avait fait un testament, et
-que, par ce testament, il portait une grande atteinte aux droits légaux
-de son frère Auguste. L'existence de ce testament, attestée par plusieurs
-personnes notables en position de connaître les faits, pouvait d'autant
-moins être révoquée en doute, que Castaing lui-même avait déclaré à
-plusieurs personnes qu'Hippolyte avait testé, et qu'il avait déshérité
-son frère. Auguste Ballet avait confessé, en présence de témoins, qu'il
-avait vu et tenu ce testament après la mort de son frère. Quoi qu'il en
-soit, ce testament ne se retrouva pas dans la succession d'Hippolyte.
-
-Voici à peu près de quelle manière l'accusation expliquait la disparition
-de cet acte important. Hippolyte avait rendu le dernier soupir entre les
-bras de Castaing, comme Auguste; Castaing était resté seul dans
-l'appartement du moribond. Personne n'avait donc vu ni pu voir ce que fit
-Castaing dans cette maison dont il était resté le maître. On pouvait
-donc présumer que Castaing s'était emparé du testament d'Hippolyte, et
-l'avait livré à Auguste pour une somme de 100,000 francs.
-
-«Castaing, suivant l'accusation, était en beau train de fortune; déjà
-dans les 100,000 francs il avait recueilli une partie des dépouilles
-d'Hippolyte. Mais là ne s'arrêtait pas sa cupidité, et il est bien
-apparent qu'il avait le vif désir de recueillir tout ce qui en était
-passé dans la fortune d'Auguste, et avec cette seconde proie, toute la
-fortune même de celui-ci, puisqu'il s'était fait faire par lui un
-testament qui lui donnait tout ce qu'il possédait. Toutefois Castaing
-n'ignorait pas qu'un testament est un acte bien fragile, et toujours
-destructible au premier caprice du testateur. Et Auguste se
-refroidissait! et Auguste voulait aller demeurer loin de lui! et Auguste,
-impatient de son joug, de ses assiduités, de sa surveillance, paraissait
-vouloir reprendre sa liberté! Qu'en ferait-il? Que deviendrait le
-testament? Chaque jour, chaque heure, chaque minute pouvaient renverser
-de fond en comble les espérances de Castaing. Mais Castaing savait trop
-ce qu'en pareil cas il était possible de faire, et quels étaient les
-moyens puissans de fixer à jamais les choses dans l'état où elles étaient
-encore.
-
-«Il n'y avait même pas, par d'autres raisons, beaucoup de temps à perdre.
-Auguste venait de réaliser un capital de 100,000 francs; cela n'est pas
-douteux, car, peu de jours avant le voyage de Saint-Cloud, il les avait
-montrés à son ami Raisson, qui en a déposé. Castaing ne l'ignorait pas;
-sa conduite ultérieure prouvera qu'il savait non seulement qu'Auguste
-était en possession de cette somme, mais encore quel était précisément
-celui de ses meubles dans lequel il l'avait renfermée.
-
-«C'est sur ces entrefaites mêmes, et vers la fin du mois de mai, que se
-lie entre Auguste et Castaing une partie de campagne, sans que personne
-puisse dire ou savoir comment elle s'arrangea, lequel des deux la
-proposa, pourquoi ils la firent seuls, et enfin quel en fut le but.»
-
-Ce fut à la suite de cette partie de campagne qu'eut lieu la catastrophe
-subite d'Auguste Ballet. Certaines circonstances révélées, soit pendant
-l'instruction, soit pendant les débats, répandirent quelque lumière sur
-le crime et sur quelques-unes des démarches de son auteur. Voici ce que
-l'acte d'accusation offrait de plus important à ce sujet:
-
-Le 29 mai, de six à sept heures du matin, Auguste Ballet et Castaing
-allèrent ensemble, par les petites voitures, faire une course à
-Saint-Germain-en-Laye, et de retour de cette promenade, ils repartirent
-vers sept heures du soir, sans indiquer le lieu où ils allaient, après
-qu'Auguste eut dit seulement qu'ils seraient absens pendant deux ou trois
-jours. Ils se rendirent à Saint-Cloud, aussi par les petites voitures, et
-s'y rendirent seuls. Cette circonstance paraîtra, sinon étonnante, du
-moins un peu bizarre; car Auguste avait trois chevaux, plusieurs
-voitures, plusieurs domestiques: tous restèrent à Paris, sans qu'aucun
-d'eux connût le lieu où se rendaient les deux maîtres. On ne le sut que
-deux jours après, c'est-à-dire le 31 mai. Ce jour-là, arriva dans
-l'après-midi, à l'adresse du domestique d'Auguste, un billet de Castaing
-ainsi conçu: «M. Ballet se trouvant indisposé à Saint-Cloud, Jean viendra
-de suite le rejoindre avec le cheval gris et le cabriolet; lui et la mère
-Buret (femme de charge d'Auguste), ne parleront à personne de tout cela.
-On dira à ceux qui le demanderont qu'il est à la campagne, et cela, par
-ordre très-exprès de M. Ballet.--Adresse de M. Ballet: _Tête-Noire_, à
-Saint-Cloud.»
-
-Le domestique Jean partit sur-le-champ avec le cabriolet, arriva à
-Saint-Cloud et trouva son maître au lit. Celui-ci se plaignit d'avoir été
-tourmenté par des coliques et des vomissemens.
-
-Que s'était-il donc passé dans ce malheureux voyage? Le voici: Castaing
-et Auguste étaient arrivés à la Tête-Noire à Saint-Cloud, le 29 mai, vers
-neuf heures du soir. On avait donné aux voyageurs une chambre à deux
-lits, qu'ils occupèrent ensemble. Les deux amis se promenèrent, toujours
-ensemble, toute la journée du vendredi 30, sauf le temps du dîner, qu'ils
-vinrent prendre à l'auberge, et après lequel ils rentrèrent à neuf heures
-du soir, et Castaing demanda alors une demi-bouteille de vin chaud sans
-sucre, attendu qu'ils avaient le leur avec eux. On monta le vin, et les
-voyageurs y mirent de leur sucre et des citrons que Castaing avait
-achetés. Les choses en étaient là, lorsque Castaing, sans nulle
-provocation, quitta la chambre et se trouva, quelques instans après,
-devant le lit d'un jeune domestique de la maison qui était malade et à
-qui il tâta le pouls, sans toutefois rien lui prescrire.
-
-Pendant ce temps, Auguste avait goûté le vin chaud, qui lui sembla si
-mauvais qu'il ne but pas ce qui lui avait été versé. La servante de la
-maison étant survenue, Auguste lui dit: «J'ai trop mis de citron dans ce
-vin; il est si amer que je ne puis le boire.» La servante en goûta et le
-trouva effectivement bien sûr; puis elle se retira. Les deux amis se
-mirent au lit; cette nuit n'eut pas d'autre témoin que Castaing. Quelque
-suspect que puisse être son récit, il est cependant certains détails
-auxquels on est forcé d'ajouter foi. Auguste, suivant lui, fut agité
-toute la nuit; il ne dormit pas, il se plaignit plusieurs fois à Castaing
-de ne pouvoir rester en place. Il eut des coliques; le matin enfin, il
-déclara qu'il ne pouvait sortir du lit, qu'il avait les jambes enflées et
-ne pouvait mettre ses bottes. Quant à Castaing, il sortit, suivant son
-récit, pour faire un tour de parc. Ce n'était pas seulement une fantaisie
-assez déplacée, c'était encore une fantaisie bien pressée, à ce qu'il
-paraît, car il n'était encore que quatre heures du matin, et un des
-domestiques de la maison fut obligé de se lever pour lui ouvrir la porte.
-Cette prétendue promenade dans le parc n'était qu'une allégation, mise en
-avant pour cacher une bien affreuse vérité.
-
-Castaing ne rentra que sur les huit heures; son premier soin fut de
-demander pour Auguste du lait froid; dans l'instruction, il prétendit
-qu'il avait demandé du lait chaud: tous les témoins déposèrent du
-contraire.
-
-Auguste prit le lait qui lui fut présenté par Castaing, et fort peu de
-temps après, les vomissemens se succédèrent rapidement, et furent
-accompagnés de coliques. On se débarrassa sur-le-champ de toutes les
-déjections. Cependant l'état du malade empirait visiblement. Il demanda
-un médecin; Castaing lui proposa d'en faire venir un de Paris, mais
-Auguste voulut qu'on en prît un sur les lieux mêmes.
-
-On alla chercher M. Pigache, médecin à Saint-Cloud, lequel ne put arriver
-qu'à onze heures du matin. Il demanda à Castaing ce qu'il pensait de la
-maladie; celui-ci répondit qu'il la regardait comme un _cholera-morbus_.
-M. Pigache ordonna des émolliens et se retira. Il revint vers trois
-heures, et trouva le malade encore plus mal. Castaing était sorti, pour
-la troisième fois de la journée. M. Pigache se plaignit de ce que ses
-prescriptions n'avaient pas été ponctuellement suivies. On lui promit
-plus d'exactitude, et il quitta le malade jusqu'à cinq heures. A son
-retour, il ordonna une potion calmante, et ne fut pas d'avis qu'on
-obtempérât au désir qu'avait manifesté le malade d'être transporté à
-Paris. Ayant annoncé, en se retirant, l'intention de revenir encore dans
-la soirée, Castaing lui dit que cela n'était pas nécessaire. Celui-ci, au
-reste, avait écrit la lettre qu'on a vue plus haut, et qui motiva
-l'arrivée du nègre Jean.
-
-Les soins de ce fidèle domestique furent à peu près inutiles. Les
-symptômes alarmans augmentèrent; la respiration du malade était gênée; il
-ne pouvait plus avaler sa salive. Castaing, sur ces entrefaites, lui
-administra une cuillerée de potion; l'effet en fut prompt et malheureux:
-cinq minutes après, il eut une espèce d'attaque de nerfs; à partir de ce
-moment, il demeura constamment sans connaissance. Castaing le laissa dans
-cet état jusqu'à onze heures et demie du soir. Alors M. Pigache, averti
-par un domestique de la maison, à qui Castaing avait dit que son ami ne
-passerait pas la nuit, vint encore une fois.
-
-Le corps du malade était couvert d'une sueur froide et parsemé de taches
-bleuâtres. Cependant une saignée ayant produit un peu de mieux, M.
-Pigache dit à Castaing qu'il regardait l'état de son ami comme à peu près
-désespéré, mais que pourtant une seconde saignée pourrait être salutaire;
-Castaing objecta que si elle n'était pas suivie du succès, on pourrait
-s'attirer des reproches. M. Pigache alors demanda un médecin de Paris;
-mais comme il était une heure du matin, Castaing fit observer que l'heure
-était trop avancée. On attendit donc, et, à trois heures, Jean partit
-avec deux lettres de M. Pigache, adressées à deux médecins de Paris, avec
-ordre de ramener l'un ou l'autre.
-
-Pendant ce temps, Castaing, sur l'avis de M. Pigache, alla chercher le
-curé de Saint-Cloud, à qui il dit que le malade avait une fièvre
-cérébrale. Tandis que l'on administrait l'extrême-onction au moribond,
-Castaing resta à genoux dans un recueillement et dans une ferveur qui
-frappèrent le sacristain, émerveillé de tant de piété. Après la
-cérémonie, Castaing sortit de nouveau et resta dehors une ou deux heures.
-Il rentra vers six heures. Peu après, arriva le docteur Pelletan fils,
-qui, ainsi que le sieur Pigache, pensa que le malade était sans
-ressource. On tenta cependant quelques derniers remèdes qui ne
-produisirent aucun effet. Enfin Auguste expira, entre midi et une heure,
-au milieu des pleurs et des gémissemens de Castaing, qui paraissait
-accablé de douleur.
-
-Quant aux médecins, ils furent frappés de surprise, et ils requirent la
-justice d'intervenir.
-
-Le mystère qui paraissait envelopper cette mort aussi prompte
-qu'inopinée, demeurait jusque-là impénétrable et n'éveillait que des
-soupçons vagues. Afin de faire tomber le voile qui cachait le crime de
-Castaing, et pour mieux faire connaître aux lecteurs les moyens employés
-par lui pour le consommer, nous allons, empruntant le langage du
-procureur-général, dévoiler les parties de sa conduite, que, dans ces
-trois tristes journées, le criminel avait espéré tenir toujours cachées.
-Pour cela, il devient nécessaire de se reporter à la première de ces
-trois journées, celle du vendredi 30 mai.
-
-On se rappelle qu'Auguste, après avoir pris la veille, vers son coucher,
-ce vin si suspect, avait passé une très-mauvaise nuit, si mauvaise que,
-de l'aveu même de Castaing, il n'avait pu se lever le matin.
-
-On se rappelle également que ce même matin, dès quatre heures, Castaing
-était sur pied, et quittait son ami malade pour aller se promener,
-disait-il, dans le parc.
-
-Castaing mentait quand il disait qu'il allait se promener; il allait à
-Paris. Il prenait une voiture pour s'y rendre plus vite, et pour revenir
-aussitôt, de manière qu'on n'attribuât en effet son absence qu'à une
-promenade. Et qu'allait-il chercher si vite et si mystérieusement à
-Paris? du poison. Quel poison? Le même que celui acheté déjà par lui,
-dix-sept jours avant la mort d'Hippolyte, du poison végétal, du poison
-qui ne laisse aucune trace de son passage dans l'organisation humaine; du
-poison dont les effets, au dire des médecins, étant identiques avec ceux
-que produisent certaines maladies, permettent toujours en présence des
-symptômes, de douter s'ils sont produits par l'empoisonnement ou par la
-maladie; de l'acétate de morphine enfin. Castaing arriva à Paris comme on
-ouvrait les boutiques. Il entra dans celle de M. Robin, pharmacien, rue
-de la Feuillade, no 5; il n'y trouva que l'élève, auquel, se donnant
-lui-même pour un commissionnaire, il présenta une ordonnance au crayon,
-signé, _Castaing, docteur-médecin_, pour se faire délivrer douze grains
-d'émétique. L'élève, effrayé de la quantité, qui est en effet plus que
-suffisante, administrée en masse, pour donner la mort, parut hésiter. Le
-prétendu commissionnaire lui dit que c'était pour le faire prendre en
-lavage, selon la méthode du docteur Castaing. Étourdi par ce grand mot,
-l'élève livra les douze grains.
-
-Muni de ce premier moyen de destruction, Castaing se transporta sans
-perdre de temps à la place du pont Saint-Michel, chez M. Chevalier, autre
-pharmacien, et lui acheta un demi-gros d'acétate de morphine. Dans la
-conversation, contraint de s'expliquer sur l'usage auquel il le
-destinait, il déclara que c'était pour faire des essais sur des animaux.
-
-Il remonta en cabriolet et revint en toute hâte à Saint-Cloud. En
-rentrant dans l'auberge, il demanda du lait froid pour son ami; Auguste
-but le lait; les vomissemens et les coliques le travaillèrent
-sur-le-champ, et désormais, pour quiconque n'est pas privé de bon sens,
-tout n'est que trop expliqué. En effet, il devient évident qu'en partant
-pour Saint-Cloud, Castaing s'était muni d'une dose de poison quelconque,
-qu'il avait crue suffisante pour l'effet qu'il s'en promettait; et cette
-dose, il avait eu toutes les facilités du monde pour l'emporter. On avait
-fait une perquisition chez lui; on avait trouvé de l'acétate de morphine
-en grande quantité, et d'autres poisons, tant minéraux que végétaux; d'où
-il résulte que Castaing, en partant, avait pu puiser à son gré dans ses
-provisions de poison.
-
-Une autre circonstance est bien remarquable encore; le jour où les deux
-amis étaient partis le soir pour Saint-Cloud, ils avaient fait le matin
-une course à Saint-Germain-en-Laye. Il n'était pas probable que Castaing
-se fût nanti, avant cette course, de la dose de poison dont il méditait
-de se servir à Saint-Cloud; aussi, entre les deux voyages de
-Saint-Germain et de Saint-Cloud, retourna-t-il chez lui, quoique sans
-grand besoin apparent.
-
-Ce fait connu, tout s'explique dans les bizarreries de la conduite
-extérieure de Castaing à Saint-Cloud. Auguste et lui arrivent le 29; ils
-se promènent, et, dans cette promenade, Castaing achète du citron et du
-sucre pour sa préparation du soir. Il fallait acheter soi-même du sucre
-et du citron, afin que l'aubergiste ne montât pas le vin tout préparé,
-que Castaing eût un prétexte pour mettre la main à sa confection, et
-qu'il pût y glisser les funestes ingrédiens. Il fallait du citron
-surtout; l'acétate est très-amer: l'amertume dans le vin pouvait, et
-trahir sa présence, et empêcher Auguste d'en boire. La saveur du citron a
-une grande énergie; Castaing espérait qu'elle masquerait et vaincrait la
-saveur de l'acétate de morphine.
-
-A présent, on voit pourquoi Auguste et Castaing sont partis seuls;
-Castaing, pour le projet qu'il méditait, ne voulait avoir auprès
-d'Auguste que lui-même; il n'avait pas besoin de témoin. On voit pourquoi
-Auguste a trouvé de l'amertume dans un mélange de vin, de sucre et de
-jus de citron, qui ne devait en renfermer aucune.
-
-On voit pourquoi, n'en ayant bu que fort peu, le premier empoisonnement
-manqua son effet, ou n'en produisit d'autres que celui de donner de
-grandes agitations, des coliques, des enflures, et de faire passer à
-Auguste une très-mauvaise nuit. On voit encore comment Castaing fut
-contrarié de voir son projet arrêté; comment démuni qu'il était de
-poison, soit parce qu'il avait mis dans le vin tout ce qu'il en avait
-apporté, soit parce que, après y avoir mis la dose par lui jugée
-suffisante, il s'était hâté, dans le trajet de la chambre d'Auguste à
-celle du domestique, près du lit duquel il fut vu quelques instans après
-qu'on eut monté le vin, de se défaire de tout ce qu'il avait pu en
-conserver sur lui, et comment, persistant toutefois dans son affreux
-projet, il fut obligé d'aller à Paris, si matin et avec tant de mystère,
-en faire une nouvelle provision. On voit comment, de retour à
-Saint-Cloud, il demanda aussitôt du lait, du lait froid, que cette
-qualité rend plus propre à resserrer les saveurs; comment il le fit boire
-à Auguste, après y avoir certainement mis les douze grains d'émétique;
-comment le lait produisit sur-le-champ les vomissemens, les coliques et
-les tranchées. On voit comment, aussitôt après avoir administré ce lait,
-Castaing faisait une course sans but apparent, mais dont le but caché
-était d'ôter de sa possession, et de déposer quelque part l'acétate qu'il
-voulait réserver pour le besoin. On voit comment, rentré à l'auberge, et
-s'apercevant que l'effet du lait ne marchait ni assez vite, ni assez
-violemment, craignant peut-être que la bonté du tempérament d'Auguste ne
-triomphât de ce lait homicide, il ressortit pour aller reprendre
-l'acétate; comment il donna à son retour la cuillerée de potion, et
-comment, après cette cuillerée de potion préparée par lui et subitement,
-Auguste entra en agonie.
-
-Tels étaient les faits et les conjectures plus ou moins fondés, fournis
-par l'instruction et énoncés dans l'acte d'accusation. Quant au genre
-d'intérêt que Castaing avait eu à commettre le crime, il était mis à
-découvert d'une manière incontestable. Dès la matinée du 31, Castaing
-s'était emparé des clefs de meubles qui étaient dans l'appartement
-d'Auguste à Paris, et dans l'un desquels se trouvait alors une somme de
-soixante-dix mille francs en billets de banque; une fois maître de ces
-clefs, aussitôt que Jean fut arrivé, il les lui donna, en lui disant que
-son maître les lui avait confiées pour les remettre à quelqu'un; mais que
-ne pouvant le quitter, c'était lui, Jean, qu'il chargeait de les porter à
-la personne désignée. Cette personne était un sieur Malassis, clerc de Me
-Collin de Saint-Menge, notaire à Paris, et dépositaire du testament
-d'Auguste Ballet, objet de la convoitise et du dernier crime de Castaing.
-
-Dès les premiers momens qui avaient suivi la mort d'Auguste, Castaing
-avait été arrêté. A peine arrivé dans la prison de Versailles, il chercha
-un prisonnier qui pût recevoir ses confidences, et l'aider à combattre
-les difficultés de sa position en devenant un intermédiaire entre lui et
-les personnes qu'il était intéressé à engager au silence. Il crut
-rencontrer cet intermédiaire dans un sieur Goupil, prisonnier comme lui
-en apparence, mais qui, en réalité avait été placé à dessein près de
-Castaing, pour provoquer ses confidences. Ce fut à ce Goupil que Castaing
-fit, sauf l'aveu de ses crimes, des révélations très-circonstanciées sur
-sa triste position, sur la résolution qu'il avait prise de se suicider
-par un moyen très-subtil et très-doux, si l'autopsie du corps était à
-charge contre lui; sur son commerce avec une femme dont il avait eu des
-enfans; sur l'amitié qui l'avait lié avec les frères Ballet; sur les
-soupçons qui se rattachaient à lui, et par rapport au testament de
-l'aîné, et par rapport à la mort presque subite du second; sur les cent
-mille francs qu'il possédait et qui lui venaient, disait-il, d'un oncle;
-sur les placemens qu'il avait faits et qu'il lui détailla; sur les
-poisons qu'il avait en sa possession; sur ceux qu'il avait achetés
-dernièrement; sur le grand danger qu'il y avait pour lui que ces faits
-fussent connus, etc. Il proposa à ce même Goupil de se charger du soin
-d'écrire à sa mère, pour qu'elle fît, auprès de plusieurs personnes qui
-connaissaient les faits relatés ci-dessus, les démarches nécessaires pour
-les déterminer à garder le silence. Goupil consentit à tout; il écrivit à
-la mère de Castaing, mais en même temps il transmit à la justice les
-singulières confidences qu'il avait reçues.
-
-Transféré dans les prisons de Paris, Castaing s'efforça de nouveau de
-nouer des intrigues du même genre avec les prisonniers, pour qu'ils
-écrivissent au pharmacien Chevalier de ne pas dire que c'était de
-l'acétate de morphine qu'il avait acheté chez lui. Puis, ne sachant plus
-comment sortir du chaos inextricable de contradictions et de mensonges
-accumulés dans ses divers interrogatoires, il prit le parti de faire le
-fou. Le genre de folie qu'il avait adopté consistait à boire son urine et
-à s'abstenir d'alimens. Mais cette aliénation simulée fut de courte
-durée. Au bout de trois jours, il s'en lassa, et revint ou parut revenir
-à la raison.
-
-Castaing comparut, le 10 novembre 1823, devant la Cour d'assises de la
-Seine; la gravité, la célébrité de cette cause avaient attiré une
-affluence nombreuse de spectateurs.
-
-L'interrogatoire de l'accusé qui fut très-long et très-détaillé, ainsi
-que l'audition des témoins, vinrent corroborer la plupart des charges
-énoncées dans l'accusation. Interrogé sur sa sortie de l'auberge à cinq
-heures du matin, il répondit qu'il était allé à Paris acheter des
-substances vénéneuses destinées à des expériences qu'il devait faire
-avec Auguste Ballet sur des animaux de l'auberge. Il avait d'abord parlé
-des rats; il soutint ensuite qu'il n'avait été question que des chiens et
-des chats de l'auberge, dont le bruit avait incommodé Auguste pendant la
-nuit.
-
-Plusieurs pharmaciens déposèrent que Castaing avait acheté chez eux de
-fortes quantités d'acétate de morphine, chez l'un vingt grains, chez
-l'autre dix: ce dernier achat avait eu lieu le 18 septembre. Des
-dépositions accablantes furent faites par des parens des frères Ballet,
-tant au sujet du testament que du soin que Castaing prenait d'isoler ces
-deux jeunes gens de leur famille. Le président ayant demandé à l'accusé
-pourquoi il n'avait pas cru devoir, lors de la maladie subite de son ami,
-faire prévenir la sœur et le beau-frère de Ballet: _J'étais troublé_,
-répondit Castaing.
-
-M. Vatrey, agent de change, déclara que, le 10 octobre, l'accusé lui
-avait remis 70,000 francs pour les placer en rentes. Les hommes de l'art
-furent ensuite entendus à l'occasion de l'autopsie du cadavre d'Auguste
-Ballet. Le docteur Chaussier fonda sa déposition à décharge sur cet
-axiome de jurisprudence: _Que là où il n'y a pas de corps de délit, il
-n'y a point de délit_; et il soutint son opinion avec une véhémence qui
-ne trouvait d'excuse que dans son grand âge et dans son autorité
-médicale. Une discussion assez longue et sans résultat positif s'engagea
-sur l'absorption des poisons. M. Chaussier déclara qu'il était d'avis que
-l'acétate de morphine devait laisser des traces de son passage dans
-l'estomac. M. Magendie exposa que le cas contraire lui paraissait
-possible, et qu'il penchait à croire que les accidens remarqués dans
-l'autopsie de Ballet, opération, selon lui, très-incomplète, auraient pu
-être produits par l'administration d'un poison.
-
-Enfin on procéda à l'audition des plaidoieries. Me Persil, avocat de la
-partie civile, dénonça, au nom de M. Martignon, beau-frère d'Hippolyte et
-d'Auguste Ballet, l'empoisonnement des deux frères et la soustraction du
-testament de l'un d'eux. «Je pouvais, dit en terminant l'avocat, je
-pouvais intéresser votre cœur, en vous présentant l'infortuné Ballet
-luttant contre la mort, la société alarmée redoutant les suites de cette
-funeste découverte des poisons à l'aide desquels on peut donner la mort
-avec impunité: j'ai préféré ne parler qu'à votre raison. C'est ma raison
-qui m'a convaincu; c'est votre raison qui doit vous convaincre. Si cette
-raison vous dit qu'Hippolyte Ballet a été empoisonné; qu'il y a eu
-soustraction de testament, moyennant 100,000 fr. donnés; qu'Auguste a eu
-le sort de son infortuné frère, vous prononcerez la culpabilité de
-l'accusé: si elle vous dit qu'il n'est pas coupable, vous rejetterez
-Castaing dans la société».
-
-Le ministère public prit ensuite la parole. Il reprit la discussion des
-faits dans leur ensemble, et s'attacha principalement à prouver qu'il ne
-fallait pas confondre le corps du délit avec les preuves du délit. «Que
-doit-on entendre, dit-il, par le corps du délit? L'illustre d'Aguesseau
-le définit par un mot aussi juste que profond. Ce n'est, selon lui, autre
-chose que le délit lui-même; quant aux preuves, elles forment l'ensemble
-qui amène la conviction. Il y a des cas où, par la force des choses, les
-preuves accessoires du crime sont les seules possibles, et où le corps du
-délit n'existe pas. C'est la doctrine des d'Aguesseau, des Séguier, de
-tous les criminalistes: quant aux preuves, elles peuvent varier à
-l'infini. Sommes-nous dans l'application de ce principe? Oui, parce que
-les poisons végétaux ne laissent point de traces, ou qu'elles se
-confondent avec les accidens des maladies naturelles.
-
-«Si vous admettez qu'il faille obtenir dans le cas d'empoisonnement par
-les poisons végétaux, ce qu'on appelle la preuve matérielle,
-c'est-à-dire, la présence du poison dans le corps de l'empoisonné, il
-faut ajouter au Code pénal un article supplémentaire ainsi conçu:
-«Attendu que les poisons végétaux ne laissent point de traces, on peut
-empoisonner impunément: libre à tous de le faire.» On vous demanderait,
-en d'autres termes, d'adresser aux empoisonneurs ces paroles: Maladroits!
-n'allez pas chercher pour poison de l'arsenic; il laisse des traces: on
-vous dénoncerait. Prenez des poisons végétaux, empoisonnez votre père,
-empoisonnez votre mère, toute votre famille; vous hériterez d'eux. Et ne
-craignez rien, on ne vous découvrira pas: vous jouirez de l'impunité.
-Vous aurez empoisonné, oui; mais le corps du délit n'existera pas, parce
-qu'il ne peut pas exister.
-
-«Ah! messieurs, si des hommes raisonnables pouvaient admettre une
-pareille législation; si telles pouvaient être les lois d'un pays
-civilisé, il faudrait fuir une pareille société, où il n'y aurait plus ni
-sûreté, ni garantie. Vous n'y seriez plus en sûreté vous-mêmes, si un
-effroyable exemple d'empoisonnement restait impuni. Les conséquences
-qu'aurait une aussi funeste impunité sont incalculables. Nous craindrions
-les conséquences, non pas de votre arrêt, il sera toujours juste, mais de
-la fatale publicité de cette procédure, qui a initié le public dans la
-connaissance des poisons végétaux et de leurs sinistres effets.»
-
-L'avocat-général, passant à l'examen des faits relatifs à
-l'empoisonnement, prouva la ridicule absurdité du moyen de défense
-employé par l'accusé, et ayant pour objet de faire croire qu'Auguste
-Ballet, qui n'était pas médecin, eût voulu faire des expériences avec des
-poisons végétaux, sur des animaux, dans une maison étrangère, et dans un
-espace de temps qui n'était pas suffisant pour juger du résultat de
-l'expérience, puisqu'il devait le jour même repartir pour Paris.
-
-«Songez, messieurs, s'écriait ce magistrat, à la présence du poison à
-côté du cadavre, à la nature de la maladie, à celle du poison choisi, et
-vous n'hésiterez pas. Voilà tout le procès, je le répète; et tout effort
-pour en détourner votre attention serait superflu.
-
-«Le poison, qu'est-il devenu? C'est à l'accusé à en justifier l'emploi.
-Nous prouvons sa présence; nous montrons le cadavre. Nous demandons à
-l'accusé: Qu'avez-vous fait du poison? Il l'a jeté dans les latrines,
-dit-il. On ne l'a pas trouvé. Et pourquoi l'a-t-il jeté? parce qu'il a
-été effrayé, dit-il encore, du concours des circonstances. Raison de plus
-pour le garder; il aurait prouvé, en le montrant, qu'il ne l'avait pas
-employé. D'ailleurs, cette crainte des soupçons serait-elle naturelle
-dans une âme honnête, de la part d'un ami, qui assiste son ami dans ses
-derniers momens?
-
-«Mais voici une circonstance bien grave et bien remarquable. Une seconde
-ordonnance a été envoyée au pharmacien de Boulogne; nous en avons acquis
-la preuve. Ainsi il y a eu deux ordonnances portées chez ce pharmacien,
-et deux potions livrées par lui. Était-ce celle-là ou l'autre qui avait
-été empoisonnée? Voilà un trait de lumière qui fera qu'on ne s'étonnera
-plus, lorsque le domestique Léon dira qu'il n'y avait rien dans la
-cuillère avant d'y verser la potion. Il y avait deux potions: l'une fut
-empoisonnée, et ce fut celle qui fut administrée sous les yeux du nègre;
-l'autre était innocente; elle fut abandonnée pour tromper la justice. On
-n'avertit pas la famille de l'agonie d'Auguste; l'infortuné n'était pas
-encore dépouillé. Castaing voulait les deux clefs d'Auguste; ce n'est que
-lorsqu'il les possède qu'il avertit la famille. Il remet les clefs au
-nègre pour les porter à Malassis; mais ce serviteur fidèle conçoit des
-soupçons. _Il y a du louche dans tout cela_, vous a-t-il dit dans son
-gros bon sens: il avait raison.»
-
-L'avocat-général rappela aussi la piété feinte de Castaing pendant les
-prières du curé de Saint-Cloud, les mensonges et les sermens de cet
-accusé, lors des divers interrogatoires. «Il nous a suffi, dit-il en
-achevant de dérouler devant vous ce désolant tableau: vous avez senti
-jusqu'à quel point il intéresse l'ordre social. Vous ne donnerez pas à
-l'empoisonneur les riches dépouilles qu'il vient réclamer de vous, tenant
-de chaque main la tête d'un ami. Vous ne donnerez pas à l'empoisonnement
-un brevet d'encouragement et d'impunité. La société consternée a jeté le
-cri d'alarme; la société sera vengée.»
-
-On remarqua que l'accusé eut sans cesse les yeux fixés sur
-l'avocat-général pendant toute la durée de son réquisitoire; son teint
-était vivement animé, et principalement sur la fin, il se livra plusieurs
-fois à des mouvemens d'impatience.
-
-La cause de Castaing fut défendue avec talent par Mes Roussel et Berryer.
-Mais que peuvent le zèle le plus vrai, l'éloquence la plus puissante,
-contre des circonstances aussi avérées, contre des faits si peu douteux,
-tranchons le mot, contre des preuves si irrécusables?
-
-Les jurés eurent à délibérer sur les trois questions suivantes:
-
-Edme-Samuel Castaing est-il coupable d'avoir, dans le courant d'octobre
-1822, à l'aide de substances vénéneuses, causé la mort d'Hippolyte
-Ballet?
-
-Est-il coupable d'avoir, de complicité avec Auguste Ballet, détruit le
-testament d'Hippolyte Ballet?
-
-Est-il coupable d'avoir, les 30 mai et 1er juin, à l'aide de substances
-vénéneuses, causé la mort d'Auguste Ballet?
-
-La délibération du jury dura près de deux heures. La déclaration fut
-négative sur la première question, et affirmative sur les deux autres.
-Pour la dernière question, il n'y eut qu'une majorité de sept voix contre
-cinq; mais la Cour se réunit, à l'unanimité, à la majorité du jury.
-
-Alors on fit rentrer Castaing dans la salle d'audience. Sa démarche était
-ferme et assurée; il entendit, sans changer de couleur, la lecture de la
-déclaration du jury et les conclusions du ministère public tendantes à
-l'application des peines portées par la loi. Sur la demande du président
-s'il avait quelque chose à dire sur cette application, il répondit d'une
-voix forte:
-
-«Non, M. le président; je saurai mourir, quoique je sois bien malheureux,
-et quoique des circonstances fatales m'entraînent dans la tombe! J'irai
-retrouver mes deux amis. On m'accuse de les avoir assassinés
-lâchement..... mais il y a une Providence! S'il y a quelque chose de
-divin dans l'être qui vit, ce quelque chose ira vous retrouver, ô mes
-amis, Auguste, Hippolyte! Ce ne sont point de vaines déclamations, je
-n'implore point votre miséricorde; je n'implore rien de ce qui est humain
-(élevant ses mains vers le ciel); mon espérance est maintenant dans la
-Divinité. Je marcherai avec délices à l'échafaud..... parce que ma
-conscience ne me reproche rien, parce que ma conscience ne m'accusera
-pas, lors même que je sentirai..... (Il porta les mains à son cou.)
-Hélas! il est des choses qu'on éprouve et qu'on ne peut exprimer.» Il
-ajouta d'une voix affaiblie: «Vous avez voulu ma mort; la voilà...»
-
-L'avocat de la partie civile prit, d'une voix altérée, des conclusions
-tendantes à la nullité du testament d'Auguste Ballet; et la Cour se
-retira de nouveau pour délibérer sur l'application de la peine.
-
-Pendant ce temps, les jurés étaient restés appuyés sur leurs bancs dans
-un morne silence. La nuit était fort avancée; les bougies qui
-commençaient à pâlir, la sombre lueur des lampes épuisées, tout
-concourait à donner à cette scène un aspect lugubre et déchirant. Me
-Roussel, l'un des avocats du prévenu, fondait en larmes. Castaing se
-pencha vers lui; son accent et ses gestes étaient pleins d'énergie.
-«Allons, lui dit-il, rassurez-vous, Roussel; regardez-moi: je ne pleure
-pas. Je vous remercie des efforts que vous avez faits pour ma défense;
-vous avez cru à mon innocence, je suis innocent en effet... Embrassez mon
-père, ma mère, mes frères... (Avec un accent douloureux.) ma fille...
-Vous me le promettez, n'est-ce pas?»
-
-Puis, s'adressant aux jeunes avocats placés dans le parquet:
-
-«Et vous, jeunes gens, qui avez assisté à mon jugement, vous, mes
-contemporains, assistez aussi à mon exécution. Ma fermeté ne se démentira
-pas; une prompte mort est la seule grâce que je demande... Je rougirais
-d'implorer la clémence...»
-
-La Cour alors rentra en séance, et le président lut, d'une voix très
-basse, l'arrêt qui condamnait Castaing à la peine de mort. Cet arrêt le
-condamnait en outre à payer la somme de cent mille francs, à titre de
-dommages et intérêts à la partie civile, en raison du préjudice qu'il
-devait réparer.
-
-Cette effrayante et mémorable procédure avait duré huit jours entiers,
-tant elle demandait d'efforts de la part des magistrats pour les amener à
-découvrir la vérité!
-
-Castaing se pourvut en cassation contre l'arrêt de la Cour d'assises, et
-la Cour suprême s'occupa de cette affaire, le 4 décembre suivant. Les
-trois moyens de nullité sur lesquels se fondait le pourvoi de Castaing,
-malgré l'appui que leur prêta Me Odilon-Barrot, ne furent pas jugés
-admissibles par la Cour, qui, en conséquence, rejeta le pourvoi.
-
-Le 6 décembre, deux jours après le rejet de son pourvoi, Castaing fut
-transféré des prisons de Bicêtre, où il avait été conduit le lendemain de
-sa condamnation, à la Conciergerie. Pendant tout le temps qu'il avait
-passé à Bicêtre, il avait été l'objet de la surveillance la plus active,
-parce que l'on craignait qu'il n'attentât à ses jours. Cette crainte
-n'était pas sans fondement, s'il est vrai, comme on l'a dit, que la
-boîte d'une montre qu'on chercha à lui faire passer du dehors, et qui fut
-saisie, contenait du poison. Quoi qu'il en soit, lorsqu'on vint lui
-annoncer sa translation à Paris, il fallut le réveiller d'un sommeil
-profond. Il paraît qu'il ne s'abusa pas sur le motif de cette visite, car
-il dit aussitôt: «Je vois ce que c'est.»
-
-Arrivé à la Conciergerie, il écrivit à son ancienne maîtresse une longue
-lettre, remarquable par un mélange confus d'idées religieuses et
-philosophiques. Il se fit ensuite conduire à la chapelle, et s'entretint
-avec le prêtre qui devait l'exhorter à la mort. Comme il avait témoigné
-le désir de voir encore une fois son père et sa fille, l'autorité
-s'empressa de donner la permission nécessaire pour cette entrevue; mais,
-par des motifs demeurés inconnus, elle n'eut pas lieu. Castaing demanda
-par écrit la bénédiction de son père, qui lui fut envoyée. L'heure de
-l'exécution avait été avancée. A cette époque, c'était ordinairement à
-quatre heures que l'on exécutait les condamnés. On vint, un peu avant
-deux heures, annoncer à Castaing que l'heure fatale était arrivée. A
-cette nouvelle, ses forces l'abandonnèrent un instant, et il parut
-vivement regretter les deux heures dont, selon lui, sa vie se trouvait
-abrégée. A sa sortie du dernier guichet de la Conciergerie, il parut
-entendre sans beaucoup d'émotion les murmures de la foule qui de toutes
-parts se précipitait dans la cour du Palais-de-Justice. Il s'élança alors
-sur le crucifix, l'embrassa avec force et à plusieurs reprises. On fut
-obligé de le monter à bras sur la fatale charrette. Pendant qu'on le
-liait, il promenait ses regards autour de lui avec un air assez
-tranquille; mais, pendant le trajet du Palais à la place de Grève, son
-maintien fut loin de conserver la même assurance: il sembla que son
-courage l'eût tout-à-coup abandonné. Son visage, jusque-là fortement
-coloré, se couvrit d'une pâleur mortelle; sa tête, cédant aux secousses
-de la charrette, tombait sur l'épaule du confesseur, avec qui néanmoins
-il conversait de temps en temps, et dont il paraissait écouter
-attentivement les exhortations.
-
-Arrivé au pied de l'échafaud, il tomba plutôt qu'il ne se mit à genoux,
-et demeura dans cette attitude pieuse près de quatre minutes. Il n'eut
-pas la force de se relever, et deux aides de l'exécuteur furent obligés
-de le soutenir pour monter sur l'échafaud.
-
-Cette condamnation de Castaing, comme empoisonneur, donna lieu, dans le
-temps, à des opinions diverses. Les uns, et ce fut le plus grand nombre,
-n'hésitaient pas, tout en plaignant une famille si digne d'intérêt et de
-compassion, à regarder Castaing comme coupable; les autres, à la tête
-desquels se trouvait un grand nombre de médecins, déclarèrent hautement
-qu'il mourait innocent. D'après toutes les particularités du procès que
-nous avons rapportées, et jugeant sous la seule influence de notre
-conscience, nous penchons à croire que cette opinion procédait uniquement
-d'un esprit de corps mal entendu. On a vu à peu près la même chose, lors
-des crimes du curé Mingrat: comme si une corporation quelconque ne se
-nuisait pas plutôt qu'elle ne sert ses vrais intérêts, en protégeant
-celui de ses membres qui s'est rendu digne de la vindicte des lois!
-
-Quant à nous, notre opinion sur cette déplorable affaire est exprimée
-tout entière par ces paroles de M. Persil, avocat de la partie civile:
-
-«C'était, dit l'accusé, pour faire des expériences qu'il a acheté de
-l'acétate de morphine et de l'émétique, qu'il a opéré le mélange de ces
-substances. Mais en admettant cela, les expériences n'ont pas été faites;
-et si Castaing ne nous montre pas, ne nous indique pas ce qu'est devenu
-le poison qu'il a acheté en grande quantité, et qu'on n'a pas trouvé où
-il prétend l'avoir jeté, il faudra bien en conclure que c'est ce poison
-qui a donné la mort à Auguste Ballet.»
-
-
-
-
-ASSASSINAT
-
-DE LA MÈRE JÉROME.
-
-
-La procédure à laquelle donna lieu le crime dont nous allons parler, se
-fit surtout remarquer par la bizarrerie des faits et par les étranges
-révélations, au moyen desquelles la justice, après avoir fait long-temps
-d'infructueuses recherches, arriva enfin sur la trace des coupables.
-
-Un assassinat avait été commis, le 20 mai 1823, entre sept et huit heures
-du soir, rue du Faubourg du Roule, n. 45, sur la personne d'une femme de
-quatre-vingts ans, dite la mère Jérôme. A la suite de cet assassinat, on
-avait enlevé toute l'argenterie de la victime; mais on avait oublié une
-somme de douze cents francs environ, qui fut retrouvée dans un de ses
-tiroirs.
-
-Dans les premiers momens, la connaissance des auteurs de ce forfait
-échappa aux investigations judiciaires; mais enfin les soupçons
-atteignirent Louis-Marie Lecouffe, âgé de vingt-quatre ans, tailleur
-d'habits, et sa mère, la veuve Lecouffe, qui tous deux demeuraient dans
-la même maison que la mère Jérôme. La mère et le fils furent arrêtés et
-mis en accusation. Le fils était prévenu d'avoir commis le crime, et la
-mère d'y avoir excité son fils par menaces et abus d'autorité, le
-menaçant, s'il refusait de s'emparer du trésor de la mère Jérôme, de
-s'opposer au mariage qu'il projetait, et qui en effet fut célébré trois
-jours après l'assassinat.
-
-Lecouffe, du moment qu'il fut détenu, ne cessa de donner des marques de
-folie vraie ou simulée. A l'en croire, il n'avait fait ses révélations
-que par ordre exprès de l'ombre de son père, mort depuis quatre ans, et
-qui s'était présentée à lui dans sa prison, accompagnée de l'ange
-Gabriel. Tous ses interrogatoires furent remplis de ses prétendues
-conversations avec le spectre, qui lui avait commandé, comme à un autre
-Hamlet, de dévoiler et de punir le forfait de sa mère. Lecouffe poussa
-même la démence ou la fourberie jusqu'à supplier les geôliers de son
-cachot de boucher le trou par lequel il prétendait voir arriver ces
-apparitions importunes.
-
-Les accusés furent traduits devant la cour d'assises de la Seine, le 11
-décembre 1823. Les dépositions des témoins qui furent entendus établirent
-la vérité des faits dans le sens de l'accusation; mais l'accusé Lecouffe
-rejeta constamment tout l'odieux du crime sur sa mère.
-
-Ce spectacle d'un fils et d'une mère qui se renvoyaient mutuellement le
-poids d'un horrible forfait, et qui, suivant l'expression énergique du
-ministère public, se poussaient l'un l'autre vers l'échafaud, avait plus
-d'une fois fait frémir l'auditoire.
-
-Enfin, après trois audiences consécutives, le jury prononça la
-culpabilité de Lecouffe sur toutes les questions qui lui furent posées;
-la mère, acquittée sur la question de complicité d'assassinat, fut
-déclarée coupable de recel d'objets volés, avec connaissance que le vol
-avait été accompagné d'homicide volontaire, mais sans savoir que
-l'homicide avait été commis avec préméditation et guet-à-pens. Tous les
-deux furent condamnés à la peine de mort.
-
-La mère et le fils se pourvurent en cassation contre le jugement qui les
-condamnait; mais leur pourvoi fut rejeté. Le 24 janvier 1824 fut le jour
-fixé pour leur exécution. La mère fut amenée, dès le matin, de sa prison
-de Saint-Lazare à la Conciergerie, et le fils arriva de Bicêtre quelques
-instans après. Ils furent mis tous deux dans une prison séparée; et après
-qu'ils eurent entendu lecture de l'arrêt portant rejet de leur pourvoi,
-deux ecclésiastiques vinrent leur apporter les secours de la religion.
-Lecouffe, qui s'était préparé à ce fatal dénouement, les reçut avec
-reconnaissance et contrition; sa mère montra d'abord moins de résignation
-et de fermeté, mais les exhortations du vertueux ecclésiastique
-ramenèrent peu à peu l'espoir de la clémence divine dans son âme
-coupable. Les deux condamnés passèrent en prières tout le temps qui
-précéda l'exécution. A quatre heures précises, ils montèrent dans la
-charrette. Arrivée au pied de l'échafaud, la femme Lecouffe descendit la
-première, monta les degrés d'un pas mal assuré, et se livra aux
-exécuteurs sans avoir jeté un seul regard en arrière pour voir son fils.
-Lecouffe embrassa deux fois son confesseur, et se dirigea vers
-l'échafaud d'une marche assez ferme. Si quelque chose peut diminuer
-l'horreur qu'inspire tout criminel aux âmes honnêtes, c'est le repentir
-qu'ils manifestent à leur dernier moment; celui que témoignèrent la mère
-Lecouffe et son fils fut un éloquent commentaire du spectacle de leur
-exécution, qui avait attiré une foule immense.
-
-
-
-
-HENRI FELDTMANN,
-
-OU
-
-PÈRE INCESTUEUX ET ASSASSIN DE SA FILLE.
-
-
-Henri Feldtmann, ouvrier tailleur, avait une fille nommée Victoire, qui
-était encore en nourrice à l'époque de la mort de sa mère, arrivée en
-1801.
-
-Peu de temps après le décès de sa femme, Henri Feldtmann forma une
-liaison illégitime avec Madeleine Léger. Il en eut une fille naturelle
-nommée Élisabeth-Constance. Au vice près qui avait présidé à cette
-nouvelle union, le ménage de Feldtmann avait toutes les apparences de la
-régularité: Madeleine Léger remplissait les devoirs de mère, non
-seulement à l'égard de sa fille, mais à l'égard de la jeune Victoire.
-
-Feldtmann donna pendant plusieurs années des leçons et des exemples de
-vertu à ses deux filles. Professant la religion réformée, il confia ses
-deux filles aux soins de M. le pasteur Gœpp. Cet homme respectable fut
-frappé des excellentes qualités qui distinguaient Victoire. La modestie
-de cette jeune personne, sa candeur, son sincère désir de pratiquer la
-vertu, étaient en effet bien dignes de remarque et d'admiration. A
-l'époque de la première communion, M. Gœpp promit solennellement à
-Victoire de l'entourer de sa bienveillance et de sa protection.
-
-Mais cette intéressante fille, étant parvenue à l'adolescence, eut le
-malheur d'inspirer à son père les premiers sentimens d'une passion
-incestueuse. Cette horrible passion se développa prodigieusement dans le
-cœur de Feldtmann. Nous ne retracerons point les efforts de Victoire
-pour cacher à tous les yeux la coupable faiblesse et la turpitude de son
-père, sa résistance à toutes ses tentatives criminelles, enfin sa
-retraite de la maison paternelle, accompagnée de sa sœur et de Madeleine
-Léger, lorsqu'elle eut acquis l'affreuse conviction que la fuite pouvait
-seule la soustraire à la brutalité de Feldtmann.
-
-Mais celui-ci, après beaucoup de recherches, parvint à découvrir la
-maison où ses filles et Madeleine Léger s'étaient réfugiées. Il se
-présenta plusieurs fois à leur nouveau domicile pour les engager à
-rentrer avec lui. Elles s'y refusèrent constamment, et principalement
-Victoire. Enfin il se rendit chez elles une dernière fois, le lundi 24
-mars 1823, et voici en quels termes l'acte d'accusation retrace la
-catastrophe qui termina cette fatale entrevue.
-
-Après avoir acheté un couteau de cuisine sur le quai dit de la
-_Ferraille_, Feldtmann se rendit chez ses filles. Celles-ci étaient
-levées; la fille Léger était encore couchée: elle se leva aussitôt. On
-offrit à Feldtmann à déjeûner; il accepta, et prit, comme ses convives,
-une tasse de café. Après ce repas, il entama le sujet ordinaire de ses
-conversations; il pressa, supplia ses enfans et la fille Léger de rentrer
-avec lui. Même refus de la part de chacune d'elles; même opposition
-calme, respectueuse, mais invariable de Victoire.
-
-La famille était réunie autour de la cheminée; Victoire était assise d'un
-côté, la fille Léger était au coin vis-à-vis, et la jeune Élisabeth se
-trouvait au milieu. Feldtmann était debout, le dos appuyé contre la
-cheminée. Tous ses regards étaient concentrés sur sa fille aînée.
-
-Après environ deux heures de débats, Victoire déclara avec fermeté à son
-père qu'elle aimerait mieux mourir que de retourner avec lui. _Tu seras
-cause que je mourrai sur l'échafaud!_ répliqua Feldtmann avec une fureur
-concentrée. Cette menace positive d'un assassinat prochain n'ayant point
-ébranlé cette jeune et vertueuse fille, Feldtmann reprit: _Tu es
-obstinée... tu seras cause de ma perte._ Et aussitôt il tira de sa poche
-de côté le couteau de cuisine qu'il y tenait caché, et le plongea tout
-entier dans la poitrine de Victoire.
-
-A ce spectacle, Élisabeth reste immobile de stupeur. Feldtmann retire du
-sein de sa fille aînée son couteau tout fumant, et se prépare à frapper
-sa fille cadette. A cette vue, la mère se jette sur le bras de
-l'assassin, dérange la direction du coup et en affaiblit la violence.
-Élisabeth est frappée, mais moins dangereusement. Une lutte horrible
-s'établit entre Élisabeth et la fille Léger d'une part, et Feldtmann de
-l'autre. La fille Léger est frappée à son tour, mais sa blessure est
-légère. Des voisins accourent au bruit; on arrête le meurtrier. Celui-ci
-laisse échapper son couteau ensanglanté, et proteste qu'il n'a pas envie
-de prendre la fuite.
-
-Cependant la malheureuse Victoire, qui perdait son sang à flots, avait eu
-encore la force d'ouvrir la porte et de se traîner jusqu'au palier du
-premier étage, où elle était tombée à la renverse et sans connaissance.
-Peu d'instans après, elle avait cessé d'exister.
-
-En conséquence de ces déplorables faits, Feldtmann fut traduit devant la
-cour d'assises de la Seine, et comparut devant ce tribunal, le 23 avril
-1823.
-
-Pendant la lecture de l'acte d'accusation, Madeleine Léger, appelée comme
-témoin, s'évanouit, vaincue par les émotions qu'elle éprouvait. Quant à
-Feldtmann, il conserva un calme imperturbable, et son interrogatoire se
-fit remarquer par l'incohérence des explications qu'il donna, et par le
-scandale de plusieurs imputations qu'il présenta comme moyens de défense.
-Il nia opiniâtrément qu'il eût éprouvé un sentiment coupable pour sa
-fille Victoire; il ne craignit pas de lui imputer de graves désordres
-dans sa conduite, sous le rapport des mœurs et de la probité; il
-accumula également les imputations les plus graves contre Madeleine
-Léger.
-
-Entre toutes les dépositions, celle du pasteur Gœpp excita un intérêt
-particulier. Il rendit compte de ses rapports avec la famille Feldtmann
-dont il avait été le bienfaiteur; il parla des terribles confidences qui
-lui avaient été faites, soit par la mère de Feldtmann, soit par Victoire
-elle-même, au sujet des tentatives criminelles dont cette dernière avait
-été l'objet; il énonça les démarches qu'il avait cru devoir faire à la
-préfecture de police pour prévenir les excès que l'on pouvait redouter de
-la part de l'accusé. M. Gœpp ajouta qu'à diverses époques, et surtout
-lors de la dernière entrevue qu'il avait eue avec Feldtmann (la veille du
-crime), cet homme ne lui avait pas semblé jouir de la plénitude de ses
-facultés lorsqu'il s'agissait de ses relations avec sa fille; qu'il
-l'avait considéré comme un de ces hommes dominés par une idée fixe, et
-qui ne sont plus maîtres de leur imagination, lorsqu'elle vient à
-s'arrêter sur cette idée.
-
-Après quelques autres dépositions moins importantes, M. l'avocat-général
-soutint l'accusation, discutant d'avance le moyen unique qui pouvait être
-présenté au nom de l'accusé. Il prouva qu'une passion, une passion
-infâme, à quelque degré qu'elle fût portée, ne pouvait servir d'excuse à
-un crime. Vainement le défenseur, nommé d'office, fit-il tous ses efforts
-pour soustraire Feldtmann à la peine capitale, en écartant les
-circonstances de la préméditation, et en cherchant à établir qu'il avait
-été entraîné à ce crime par un ascendant irrésistible plutôt que par
-l'effet de sa volonté; le jury, après une longue délibération, déclara
-Feldtmann coupable sur toutes les questions, tant d'assassinat prémédité,
-consommé sur la personne de sa fille Victoire, que de tentatives
-d'homicide contre son autre fille, Élisabeth, et Madeleine Léger. Le
-résultat de cette réponse fut la condamnation à mort de Feldtmann.
-
-L'inconcevable sang-froid que ce malheureux avait montré dans le cours
-des débats ne se démentit point en cet instant fatal.
-
-Feldtmann se pourvut en cassation; mais son pourvoi ayant été rejeté, il
-subit son supplice le 21 mai, en place de Grève. Dans cet horrible
-moment, toute son impassibilité l'avait abandonné; il fallut que les
-exécuteurs l'aidassent à monter les degrés de l'échafaud, et l'on peut
-même dire qu'il était mort avant d'être décapité.
-
-
-
-
-ASSASSINAT
-
-DE
-
-MADAME VEUVE AILLET,
-
-ET DE
-
-LA FILLE GOUSSARD, SA DOMESTIQUE,
-
-A CHARTRES.
-
-
-En 1823, la ville de Chartres fut le théâtre d'un double meurtre, qui
-frappa de terreur tous les esprits. La mauvaise conduite, la débauche et
-la cupidité, sources ordinaires de tant de désordres, avaient armé les
-principaux assassins. Tout portait à croire que plusieurs de leurs
-complices n'étaient point sous la main de la justice. Il est donc facile
-de s'expliquer l'effroi général, en présence des dangers auxquels chacun
-pouvait être exposé. Voici les faits qui ont été révélés par
-l'instruction de ce procès.
-
-La dame Aillet, propriétaire à Chartres, âgée de plus de quatre-vingts
-ans, et la fille Louise Goussard, sa domestique, âgée de cinquante-huit
-ans environ, habitaient seules une maison, rue des Grenets, dans le
-voisinage du cloître Saint-Aignan, au centre de la ville. Cette maison
-est située entre cour et jardin; les murs de la cour s'élèvent sur la rue
-à environ treize pieds de hauteur; de la cour on entre dans un petit
-corridor fermant sur la rue par une porte vitrée, et dans lequel donne la
-porte de la chambre où couchaient la dame Aillet et sa domestique. Le
-dimanche 22 juin 1823, un peu avant sept heures du matin, la fille
-Chifflet, laitière, étant venue, suivant son usage, apporter du lait,
-sonna vainement à plusieurs reprises; personne ne lui répondit. Elle
-conçut des inquiétudes qu'elle communiqua dans le voisinage. On prit des
-renseignemens; on passa dans le jardin, on trouva les portes et les
-contrevents exactement fermés de ce côté, on n'entendit aucun bruit dans
-l'intérieur de la maison, et l'on appela plusieurs fois, mais sans
-succès. Les inquiétudes croissant, l'autorité fut avertie; alors on monta
-à l'aide d'une échelle au haut du mur donnant sur la rue, et l'on
-aperçut une autre échelle dressée le long de ce mur, dans l'intérieur de
-la cour. Dès ce moment, on ne douta plus que la dame Aillet et sa
-domestique n'eussent été assassinées. La porte de la rue fut ouverte, et
-l'on entra; aucune des portes de l'intérieur n'était fermée. On trouva
-dans une chambre les corps de la dame Aillet et de sa domestique étendus
-sans vie au pied des deux lits, nus pieds, en chemise et baignant dans
-leur sang. La dame Aillet avait à la tête deux longues et profondes
-blessures, faites avec un instrument tranchant; la domestique était
-percée de dix blessures, paraissant faites avec un couteau long et fort
-aigu, dont huit à la partie gauche de la poitrine et deux à la main
-gauche. La disposition des lits montrait que les deux victimes s'étaient
-levées spontanément et avaient été frappées dans la chambre; une
-veilleuse brûlait encore; un seul fauteuil était taché de sang, un autre
-était brisé en partie: une commode placée dans la chambre, avait été
-forcée et un tiroir ôté. Les assassins étaient entrés dans deux cabinets
-voisins, dans l'un desquels fut trouvé un couperet teint de sang: on y
-avait ouvert une armoire à linge, mais rien ne parut y avoir été dérangé;
-l'armoire à l'argenterie parut également intacte; on n'avait touché, ni à
-un coffre-fort fermé, dans lequel se trouvèrent douze mille quatre cent
-vingt-cinq francs, ni à une somme de deux cents francs, placée dans le
-tiroir d'une petite table, non fermée à clef, ni même à celle de
-trente-six francs, exposée en évidence sur une tablette. Enfin, tout
-indiquait que les meurtriers avaient fait des recherches, et qu'un
-événement fortuit les avait forcés de les abandonner pour fuir
-précipitamment. On ne put s'assurer s'ils avaient pris de l'argent, mais
-on ne tarda pas à reconnaître qu'ils avaient emporté deux montres d'or
-accrochées à la cheminée; une chaîne d'acier, attachée à l'une de ces
-montres, en avait été arrachée et lancée à terre. Ces deux montres
-étaient de forme ancienne; l'une des deux était à répétition et portait
-une chaîne d'or ainsi qu'une petite clef et un cachet en or: le couperet,
-l'un des instrumens du crime appartenait à la dame Aillet; l'instrument
-aigu, dont la domestique avait été frappée, ne fut point retrouvé.
-L'échelle avait été apportée d'une maison peu éloignée, qui était alors
-en réparation. La position de cette échelle dressée contre le mur de la
-cour, et des dégradations récentes faites à une corniche qui est
-au-dessus de la porte de la rue en dehors, indiquaient que les assassins
-s'étaient retirés par ce chemin, et l'on fut confirmé dans cette opinion
-en reconnaissant que toutes les ouvertures sur le jardin étaient
-exactement fermées dans l'intérieur. Le crime était donc évident; il
-avait été commis par deux personnes au moins: la différence des
-instrumens avec lesquels avaient été frappées les deux victimes le
-démontrait. Il était probable, en outre, qu'un complice veillait dans la
-rue, pour prévenir toute surprise et donner avis du moindre danger.
-
-Ce soupçon fut confirmé par la déposition de plusieurs témoins, dont l'un
-déclara que, la nuit où le crime fut commis, vers une heure du matin, il
-avait entendu un grand cri, puis le bruit de la sonnette de madame
-Aillet, tirée avec force, ensuite deux autres cris. Cette sonnette était
-sans doute tirée par le complice pour avertir que les cris étaient
-entendus au dehors. Le même témoin ajouta que, vers une heure et demie,
-plusieurs personnes, marchant très-vite, avaient passé sous ses
-fenêtres, venant de la rue des Grenets. Un autre témoin avait vu, à cette
-même heure, dans la rue Saint-Michel, voisine de celle des Grenets,
-quatre hommes, portant des blouses bleues et des souliers ferrés, courir
-très-vite vers la porte Saint-Michel.
-
-Pendant quelque temps, on n'eut aucune idée fixe sur ceux qui pouvaient
-être les auteurs de ce crime; mais par suite de quelques renseignemens,
-des soupçons s'élevèrent sur Bouin dit Lapalette: on arrêta une fille
-Curot avec laquelle il vivait depuis trois ans. Cette fille avait d'abord
-déclaré que Lapalette était sorti de chez lui le samedi soir, qu'il
-n'était rentré que le lendemain, à six heures du matin. Ensuite, pressée
-par les questions qui lui furent faites, elle ajouta que le vendredi
-matin, dès trois heures, un nommé Fréon était venu trouver Lapalette;
-qu'ils avaient passé ensemble la journée, la nuit suivante, toute la
-journée du samedi, et qu'ils étaient sortis tous deux le samedi soir. Sur
-cette déclaration, Fréon et Lapalette furent également arrêtés. Il est
-utile de faire connaître ici plus particulièrement ces deux individus.
-
-Lapalette avait toujours été un mauvais sujet, redouté de ses camarades à
-cause de sa force et de sa brutalité. Il avait été condamné
-correctionnellement pour vol, et suspendu plusieurs fois de sa place de
-portefaix à Chartres, à cause de sa mauvaise conduite; il venait d'être
-supprimé définitivement, pour abus de confiance, et était réduit, les
-jours de marché, à suivre les voitures de blé, pour avoir la paille.
-
-Fréon n'avait pas une réputation meilleure. A l'âge de quinze ans
-environ, il avait volé une montre et de l'argent; étant ensuite entré au
-service militaire, en 1807, il fut condamné à trois ans de travaux
-publics, pour vol d'argent commis à son corps. Revenu à Chartres,
-il s'était marié avantageusement et avait pris l'état de
-perruquier-parfumeur; mais il avait mal vécu avec sa femme et dissipé
-tout son avoir. Il se livrait au braconnage des rivières, et fut
-poursuivi plusieurs fois pour ce délit. Il fit aussi de faux billets,
-mais son père les remboursa, et l'affaire fut assoupie. Il connaissait
-parfaitement la maison de la dame Aillet, son père y ayant été employé
-comme perruquier. Dix jours avant le crime, il avait abandonné son
-domicile et mené une vie errante, se cachant sans cesse aux yeux de sa
-famille: en outre, plusieurs propos qu'il avait tenus à différentes
-reprises montrent qu'il roulait souvent dans son esprit des projets
-funestes, et qu'il se complaisait dans les idées les plus sombres et les
-plus sinistres. Ainsi, vers 1817 ou 1818, il disait au sieur Levassor en
-le rasant: «Quand vous serez dans votre nouveau domicile, rue du
-Puits-Berchot, je pourrai, en l'absence de votre femme, vous couper le
-cou en vous rasant. Je vous mettrais un rasoir dans la main, alors je
-deviendrais le maître dans la maison; j'y prendrais tout ce qui me
-conviendrait; j'y resterais enfermé jusqu'à la nuit; je sortirais
-ensuite. Puis le lendemain, on fait ouvrir vos portes, et l'on dit: M.
-Levassor s'est suicidé!» Mais une chose plus directe à l'assassinat
-actuel, et qui prouve que Fréon le méditait depuis long-temps, c'est
-qu'en 1813, il fit au sieur Basin, lequel le déclara dans l'instruction,
-la proposition formelle d'assassiner de concert avec lui, les sieur et
-dame Aillet et leur domestique, et de les voler, ajoutant qu'ils avaient
-beaucoup d'argent, qu'il connaissait les êtres de la maison, et que rien
-ne serait plus facile; puis il fit un détail circonstancié des moyens
-qu'ils emploieraient. Sur le refus d'indignation que fit le témoin, il
-insista et lui dit: «Viens à la pêche avec moi lundi prochain; nous
-raisonnerons de tout cela et nous prendrons jour.» Enfin, dans le courant
-de mai 1823, Fréon dit à un témoin qui se plaignait de n'avoir pas
-d'argent: «_Si vous aviez du courage!... Mais il n'est pas héréditaire
-dans votre famille._»
-
-C'est avec de pareils antécédens que le 11 juin, à la suite, selon lui,
-d'une scène de jalousie qu'il aurait eue avec sa femme, Fréon quitta son
-domicile et se rendit à Paris. Il était sans argent; dès son arrivée il
-va chez un sieur Cornut, ancienne connaissance; il lui dit qu'il n'a que
-deux francs, le charge de mettre des habits en gage et en retire vingt
-francs; plus tard, il fait vendre encore pour sept francs d'effets, et le
-mercredi 18 juin, prêt à retourner à Chartres, comme il n'avait plus
-d'argent, il laisse au même témoin d'autres effets et reçoit de lui cinq
-francs; il lui annonce en même temps qu'il part pour Chartres, qu'il
-sera revenu le dimanche ou le lundi suivant, ou qu'il sera mort; qu'il
-apportera de l'argent et une montre d'or, et il lui déclara depuis qu'il
-emportait alors un couteau très-pointu qu'il avait acheté six sous sur le
-quai de la Ferraille, et que ce couteau lui servirait à se percer le
-cœur, en présence de son père, s'il ne réussissait pas à se procurer de
-l'argent. Le 19 juin, à huit heures du matin, il arrive à Saint-Piat, à
-trois lieues de Chartres, y passe la journée, y fait quelques dépenses
-qu'il ne peut payer qu'en partie, avouant qu'il n'a que deux francs, et
-il demeure débiteur d'un litre de vin. Il attend exprès six heures du
-soir pour se rendre à Chartres, disant qu'il ne veut y entrer que de
-nuit, pour n'être pas reconnu. Arrivé dans cette ville à dix heures du
-soir, il ne va pas chez lui: il va frapper à la porte de Lapalette. Mais,
-effrayé par la voix d'un locataire de la maison, il se sauve, rôde une
-partie de la nuit, et dès trois heures du matin, il entre chez Lapalette.
-A peine sont-ils réunis, qu'ils sortent ensemble; ils vont d'abord du
-côté des Filles-Dieu. Vers cinq heures, Lapalette rentre chez lui, il
-s'emporte contre la fille Curot, l'injurie, et cependant lui dit à voix
-basse: _Tais-toi! tu es une mauvaise langue_; puis encore: _Veux-tu bien
-te taire! veux-tu bien te taire!_ Il retourne de là joindre Fréon, et ils
-se rendent ensemble à Morancez dans le cabaret de Laigneau, à qui ils
-disent qu'ils viennent de se rencontrer par hasard en pêchant. Ils y
-passent la journée à manger et à boire, et projettent ensemble un voyage
-à Paris. C'est là que Lapalette, causant avec un témoin, sort avec lui du
-cabaret, cherche d'abord à lui représenter son état comme misérable et
-sans ressources, et ajoute: _Laisse faire: dans peu de temps, je ne
-manquerai de rien; nous nous soutenons, Fréon et moi. Si tu étais un bon
-enfant, je te confierais quelque chose._ Ils font dans ce cabaret une
-dépense de huit francs. Fréon ne la paie pas, engage Laigneau à venir
-chercher son argent chez lui, et se retire avec Lapalette à huit heures
-du soir, en disant: «Nous nous en allons, parce que nous avons affaire
-ensemble.» Il retourne chez Lapalette, et Fréon, qui n'était revenu à
-Chartres, à ce qu'il prétend, que pour voir une maîtresse qu'il avait, et
-qui ne voulait y aller que la nuit, de peur d'être reconnu, n'y va
-cependant pas; il ne se rend point non plus chez lui, mais il passe la
-nuit chez Lapalette.
-
-Le lendemain samedi 21, ils restent toute la journée sans sortir: la
-fille Curot est avec eux; Lapalette s'occupe à raccommoder ses guêtres;
-Fréon ne fait rien, et paraît plongé dans de profondes rêveries. La
-misère est telle parmi eux, que la fille Curot est obligée d'aller vendre
-deux chaises pour subsister pendant la journée, et cependant Fréon dit,
-dans la conversation, qu'il va acheter un fonds de boutique, moyennant
-huit cents francs. Il promet trente francs à Lapalette, qui se plaint de
-n'avoir pas de quoi payer son loyer, et la fille Curot s'étonnant d'une
-pareille promesse, il lui répond: _Qu'est-ce que cela vous fait?_ Il lui
-dit encore qu'il était venu à Chartres pour faire de l'argent en vendant
-des effets; que la personne chargée de cette vente avait demandé toute la
-journée du samedi, et qu'il ne pourrait toucher des fonds que vers neuf
-heures et demie du soir. Du reste, il n'indique ni les effets qu'il peut
-vendre, ni le mandataire qu'il en avait chargé.
-
-Le soir étant venu, Fréon, sans s'embarrasser d'aller chercher le
-produit de sa prétendue vente, sort avec Lapalette à dix heures. Tous
-deux avaient des souliers ferrés; Fréon avait un chapeau rond, une veste
-brune, un pantalon marron. Lapalette portait un bonnet de police bleu, un
-gilet rond en nankin blanchâtre, un pantalon d'été bleu; la fille Curot
-prend toutes les précautions nécessaires pour qu'ils ne soient pas
-aperçus, au point même d'aller faire, de neuf à dix heures et demie du
-soir, le guet deux à trois fois sur le pas de la porte, pour voir s'ils
-peuvent sortir sans être vus, et Fréon se couvre de la blouse de
-Lapalette: celui-ci prend en sortant la précaution bien singulière de
-faire coucher la fille Curot et de l'enfermer à clef dans sa chambre. Où
-vont-ils ensuite? Fréon prétendait qu'il était allé seul au grand
-faubourg pour tâcher de voir sa maîtresse, disant à Lapalette de venir
-l'y rejoindre; que n'ayant pas rencontré sa maîtresse, il était revenu
-chez Lapalette qui était sorti; qu'il avait été le rejoindre dans le
-tertre Saint-François; qu'ils sont aussitôt sortis ensemble de la ville,
-et se sont dirigés vers l'ancienne route de Paris.
-
-De son côté, Lapalette soutint que Fréon ne lui avait pas dit de venir le
-rejoindre dans le grand faubourg, mais simplement de l'attendre dans le
-tertre Saint-François; que, ne le voyant pas venir, il était prêt à s'en
-retourner lorsqu'il le vit enfin arriver; qu'ils allèrent ensemble à
-Lucé, village voisin pour voir la filleule de la femme Fréon; qu'ils y
-rôdèrent quelque temps et revinrent par les promenades à la route de
-Paris, qu'ils suivirent jusqu'au bois d'Oisême, où ils se séparèrent. Ils
-dirent tous deux qu'ils avaient quitté Chartres vers onze heures et
-qu'ils n'avaient point été ce soir-là dans les environs du cloître
-Saint-Aignan. Ces deux versions ne s'accordaient pas, elles se
-contredisaient même formellement; car Fréon soutenait qu'ils n'étaient
-point allé à Lucé, mais qu'ils étaient sortis de la ville pour gagner la
-route de Paris. Elles furent de plus démenties par l'instruction. En
-effet, le samedi soir, vers dix heures et demie, des témoins virent dans
-le cloître de Saint-Aignan, près duquel est située la maison de la dame
-Aillet, deux hommes dont le signalement se rapportait entièrement à celui
-des accusés. Trois autres témoins reconnurent positivement Lapalette en
-ce même endroit. On le vit, à onze heures, passer du cloître Saint-Aignan
-dans la rue des Grenets, et c'est vers une heure que le crime fut commis.
-Dans cette nuit fatale du 21 au 22 juin, Fréon qui, depuis deux jours,
-était avec Lapalette et ne l'avait pas quitté depuis son retour, se
-sépare tout-à-coup de lui et part à pied pour Paris; il va jusqu'à Ablis.
-Là, il quitte la route et gagne Rambouillet, où il dit être arrivé à dix
-heures, mais il est constant qu'il n'y arriva qu'à trois ou quatre heures
-après-midi; il entre aussitôt dans une auberge, y reste trois heures,
-faisant voir la plus grande fatigue, et prend le soir même la diligence
-de Paris, où il arrive le 23 au matin. A peine arrivé, il se rend chez
-Cornut, dont il a été question ci-dessus, et lui fait voir une montre
-d'or de forme ancienne à répétition, garnie d'une chaîne d'or. Il annonce
-vouloir la changer; il dit qu'il a apporté trois cents francs de chez
-lui; qu'y étant arrivé vers neuf heures et demie du soir, son père était
-venu lui ouvrir la porte, et qu'en l'absence de sa femme, il avait fait
-ouvrir la porte d'une armoire par un serrurier, pour prendre ces trois
-cents francs, et cependant il est constant que, depuis long-temps, il
-n'avait pas mis le pied chez lui. Il montre ensuite cent cinquante francs
-qu'il a dans sa poche et donne vingt-cinq francs à Cornut pour retirer
-les effets engagés à son dernier voyage.
-
-Le 24, il va chez le sieur Lejeune, horloger, rue Saint-Martin; il y
-échange deux montres anciennes contre une nouvelle, et reçoit
-quatre-vingts francs de retour. Le signalement de ces deux montres est le
-même que celui des deux montres volées. Ce qu'on en put retrouver,
-savoir, le mouvement, la chaîne d'or, la clef et le cachet d'or, tout fut
-reconnu par les témoins et par l'horloger qui entretenait les montres de
-la dame Aillet. Cet échange consommé, Fréon se fait conduire par Lejeune
-chez un bijoutier dans la même rue, où il achète une chaîne d'or, et chez
-un autre, rue Michel-Lecomte, où il se procure des breloques. Dans
-l'instruction, il nia tous ces faits; mais il fut formellement reconnu
-par l'horloger Lejeune et par les deux bijoutiers. Trois témoins et
-Lapalette lui-même qui, de son côté, arriva à Paris le 25, déclarèrent
-lui avoir vu, les jours suivans, une montre d'or à la mode avec chaîne et
-breloques en or. Fréon la présenta lui-même à un sieur Muller, son ami,
-en lui disant: _Tiens, vois donc cette montre: je l'ai changée contre
-deux autres montres d'or, et je crains d'avoir été trompé._ Il donnait en
-même temps une fausse adresse du marchand chez lequel il avait fait cet
-échange. Il ajouta qu'ayant des affaires à Paris, il avait apporté ces
-deux montres pour les changer, attendu qu'elles étaient anciennes et
-n'étaient plus de mode. Le 27, il remit cette nouvelle montre à Vigneau
-pour l'engager au Mont-de-Piété; il en retira cent vingt francs. Fréon
-nia encore tous ces faits; seulement il convint que, le 23, il avait
-acheté dans les rues de Paris, moyennant dix-huit francs, une montre en
-chrysocale, avec chaîne et breloques, et qu'il l'avait revendue le 27.
-
-Le 28 au matin, Fréon se trouvant à boire avec un sieur Rondeau, chez un
-marchand de vin, rue des Saints-Pères, deux individus assez mal vêtus
-entrèrent dans le même cabaret, Fréon parut très-effrayé; il leur parla
-quelque temps, et dit ensuite à Rondeau qui était sorti dans
-l'intervalle: _J'ai acheté leur silence._ Le soir même, il reprit la
-diligence de Chartres; son intention était sans doute de découvrir dans
-le pays ce que l'on pouvait dire sur son compte, car il ne prit sa place
-que jusqu'à Maintenon. Son seul but, à l'entendre, était de voir un nommé
-Frot, dont il voulait affermer la pêche sur la rivière d'Eure. Il alla
-chez ce Frot le 29, et il ne fut nullement question de ce marché.
-
-Dès son arrivée à Maintenon, le 29, à quatre heures du matin, il dit
-qu'il vient de Chartres pour affaire; plus tard, il dit à d'autres qu'il
-arrive de Paris; il passe la journée dans différens cabarets et cafés, va
-à Saint-Piat, y boit avec trois jeunes gens de sa connaissance, à qui il
-dit qu'il est venu à Maintenon pour des affaires qui devaient durer deux
-jours, mais qu'on lui a compté des pièces de cinq francs et qu'il va
-repartir: et cependant il fut établi qu'il n'avait fait aucune affaire à
-Maintenon, et que personne ne lui avait compté d'argent. Il retourne le
-soir, avec ces jeunes gens à Maintenon, joue avec eux au billard, et
-tout-à-coup au milieu de la partie où, suivant les témoins, son jeu était
-d'abord brillant, dès qu'il aperçoit le brigadier de gendarmerie, il ne
-peut plus jouer, il devient inquiet et tremblant; ses jambes et ses mains
-sont dans une agitation continuelle. Il affecte des politesses tant
-envers les gendarmes qu'envers ceux de qui il croit pouvoir se réclamer.
-Enfin, prêt à monter en diligence, ses papiers ne sont pas en règle; il
-est arrêté et conduit au quartier de gendarmerie, où il passe une nuit
-très-agitée. Lapalette, de son côté, après avoir quitté Fréon pendant la
-nuit du 21 au 22, était revenu à Chartres. Il ne rentra chez lui qu'à six
-heures du matin. La fille Curot lui demande ce qu'il a fait; il la
-maltraite, il lui dit: _Veux-tu te taire! Je ne veux pas que les voisins
-sachent que j'ai passé la nuit dehors._ Il lui dit, un instant après,
-qu'il vient de reconduire Fréon, et lui montre quarante francs que
-celui-ci lui a donnés.
-
-Au moment où l'assassinat venait d'être commis, et où la foule se portait
-à la maison de la dame Aillet, Lapalette s'y trouva avec un nommé
-Lailler. Ils aidèrent tous deux à ouvrir la porte, mais au moment où
-Lailler se disposait à franchir le mur, Lapalette prétexta une affaire,
-se retira, et environ une heure après, passant dans une rue voisine d'où
-l'on voyait la foule, il s'adressa à la femme Fauquereau et lui demanda
-ce qu'il y avait, comme s'il eût été possible qu'il l'ignorât; puis se
-retrouvant avec Lailler, au moment où celui-ci était encore tout ému de
-la vue des cadavres, il le railla sur son émotion.
-
-Le soir même, Lapalette prend la diligence de Paris; le 25 au matin, il
-dit à un témoin en présence de Fréon, qu'il vient s'amuser à Paris, qu'il
-a touché de l'argent à Chartres, qu'il l'a gagné à conduire des chevaux à
-la foire en Picardie; et Fréon le dément au même instant. Il dit à un
-autre qu'il a de l'argent, et qu'il ne quittera Paris qu'après avoir tout
-mangé; en effet, il passe trois jours dans la débauche la plus complète
-et fait une dépense considérable. Il paie le prix d'un déjeûner fait avec
-Fréon et Muller, et frappant sur sa poche, il dit: _Je ne veux pas que tu
-paies, Henry: nous avons de l'argent._ Il est arrêté le 29; on trouve sur
-lui cent quatre-vingt-dix francs. On l'interroge sur deux masques de
-parchemin, trouvés dans la paillasse de son lit, à Chartres; il prétend
-que ces masques sont anciens, qu'il s'en est servi autrefois pendant le
-carnaval, et que depuis long-temps la fille Curot les lui a cachés.
-Celle-ci, au contraire, soutient qu'elle ne les a jamais vus et qu'elle
-ignorait jusqu'à leur existence. Il est probable que ces masques avaient
-servi à Lapalette et à son complice pour se déguiser lors de l'exécution
-de leur forfait. On demande compte à Lapalette des cent quatre-vingt-dix
-francs trouvés sur lui, il dit qu'en quittant Chartres, il avait près de
-trois cents francs; qu'il les avait depuis quelque temps, quoiqu'il
-vendît ses meubles et ses effets; qu'il ne faisait ces ventes que pour
-laisser ignorer à la fille Curot qu'il eût cet argent; que ces trois
-cents francs provenaient tant de la vente de son mobilier et de ses
-effets, que d'un don de quarante francs fait par Fréon, et le reste
-résultant de ses économies. Il ajouta que ce trésor était caché dans son
-grenier, comme si l'on pouvait croire aux économies d'un homme réduit à
-vendre ses habits, ne gagnant plus que douze sous par semaine, et qui, la
-veille même de l'assassinat, faisait vendre deux chaises pour subsister.
-Il en imposait évidemment; d'où pouvait donc lui provenir cet argent?
-
-Les preuves les plus fortes désignant Fréon comme l'un des auteurs de
-l'assassinat commis dans la nuit du 21 au 22, des preuves pareilles
-atteignaient Lapalette comme son complice. De son propre aveu, il ne
-l'avait pas quitté, depuis le samedi soir à neuf heures, jusqu'à deux
-heures du lendemain matin; il avait donc assisté à tout; il avait puisé à
-la même source. Tous deux avaient partagé le même crime, et quand on
-rapproche de ces circonstances le changement subit de leur situation
-pécuniaire et la dépense qu'on leur a vu faire ensuite; quand on remarque
-leurs variations dans leurs réponses, au point de se contredire
-formellement sur un point essentiel, et de rendre chacun un compte
-contradictoire de ce qu'ils firent dans la nuit du samedi au dimanche;
-lorsqu'on rapproche tous ces faits des propos extraordinaires que
-plusieurs témoins ont recueillis, on demeure convaincu, que tous deux
-faisaient partie des assassins, et que cet argent qu'on leur avait vu
-répandre à pleines mains, dès le lendemain du crime, ne pouvait en être
-que le fruit. L'intimité dans laquelle la fille Curot vivait avec le
-nommé Bouin, avait fait d'abord présumer qu'elle n'était pas étrangère au
-crime dont celui-ci était accusé; on avait tout lieu de croire que les
-assassins avaient eu pour complice une personne affidée, qui était restée
-en dehors de la maison de la veuve Aillet pour faire le guet, tandis que
-les auteurs principaux du crime s'étaient introduits dans l'intérieur.
-Dans cette hypothèse, la fille Curot semblait avoir dû être chargée, dans
-l'exécution du crime, de la coopération qui s'accordait le plus avec les
-idées que son sexe et sa force pouvaient faire naître; mais les charges
-qui s'élevaient contre elle ayant paru insuffisantes pour la mettre en
-accusation, la Cour, par son arrêt du 1er août, la renvoya de la
-poursuite, et ne maintint l'ordonnance de prise de corps que contre
-Lapalette et Fréon.
-
-En conséquence de ces faits, Charles-Philippe-Toussaint Fréon et
-André-François Bouin dit Lapalette, furent renvoyés devant la Cour
-d'assises d'Eure-et-Loir, séant à Chartres, sous l'accusation 1º d'avoir,
-dans la nuit du 21 au 22 juin 1823, commis de complicité, volontairement
-et avec préméditation, un homicide sur la personne de la dame veuve
-Aillet; 2º d'avoir, dans la même nuit, commis de complicité,
-volontairement et avec préméditation, un homicide sur la personne de la
-fille Goussard; 3º d'avoir dans la même nuit, et au moment ou lesdits
-homicides avaient eu lieu, soustrait frauduleusement, de complicité, à
-l'aide d'escalade et d'effraction dans une maison habitée, de l'argent
-monnayé, deux montres en or et d'autres effets appartenans à la dame
-Aillet.
-
-Les débats de cette grave affaire s'ouvrirent, le 19 août, sous la
-présidence de M. Chevalier-Lemore, au milieu d'un concours immense de
-spectateurs.
-
-Les défenseurs des accusés leur avaient été nommés d'office. Me Doublet,
-avocat stagiaire, aujourd'hui attaché au barreau de Chartres, plaidait
-pour Fréon. La tâche des défenseurs était pénible. Ils firent tous leurs
-efforts pour concilier ce qu'ils devaient à leur mission, et ce que leur
-imposait leur conscience; aussi, lorsque après une discussion approfondie
-de l'accusation, l'avocat de Fréon, s'écria d'une voix émue:
-«Puissions-nous ne plus avoir à remplir ce douloureux ministère!
-Puissions-nous avoir concilié nos devoirs comme citoyens, nos obligations
-comme hommes de la loi! Puissions-nous trouver le prix de nos efforts et
-un adoucissement à notre tâche dans le sentiment de l'intérêt public!» Un
-murmure d'approbation se fit entendre, et fut ratifié par tous ceux qui
-avaient suivi ces débats. La preuve la plus accablante contre Fréon, fut
-la reconnaissance formelle de l'horloger à qui il avait vendu la montre
-de la dame Aillet.
-
-Cette procédure dura trois jours, et le résultat fut la condamnation à
-mort des accusés. Ils se pourvurent en cassation; dans cet intervalle,
-Fréon fut pris de violens vomissemens, et tout annonça qu'il cherchait à
-s'empoisonner à l'instar de Bancal dans l'affaire Fualdès, en buvant de
-l'urine dans laquelle il avait laissé de la monnaie de cuivre. Fréon
-répétait à son défenseur, qu'il ne serait jamais exécuté.
-
-Lorsque le pourvoi eut été rejeté par la Cour de cassation, et le jour de
-l'exécution arrêté, les condamnés se barricadèrent dans leur cachot, et
-l'on ne put s'y introduire. L'exécution fut ajournée; depuis, Lapalette
-chercha à retarder sa mort par des révélations qu'il fit, révélations qui
-semblaient annoncer que les condamnés avaient des complices, (et c'était
-l'opinion générale à Chartres). Cependant, les investigations nouvelles,
-auxquelles la justice se livra, prouvèrent que ces révélations étaient
-mensongères, et bientôt Fréon et Lapalette portèrent leur tête sur
-l'échafaud!...
-
-Ce crime avait jeté l'effroi dans la ville de Chartres; la population ne
-fut rassurée, que lorsque les assassins eurent cessé de vivre. On parla
-long-temps de cet assassinat; on se rappelait encore le jour de
-l'inhumation de madame Aillet et de sa domestique; on parlait de cette
-fille Goussard qui, pour sauver sa maîtresse, avait dû soutenir une lutte
-si longue avec l'un des assassins. C'est d'elle que le ministère public
-disait dans son réquisitoire: _La palme des martyrs vous était
-réservée!_...
-
-
-
-
-ANTOINE LÉGER,
-
-OU
-
-L'ANTHROPOPHAGE DES ENVIRONS DE VERSAILLES.
-
-
-Un crime affreux, dont les circonstances présentent un caractère de
-férocité sans exemple dans les annales criminelles, jeta, en 1824,
-l'épouvante et l'horreur dans plusieurs communes du département de
-Seine-et-Oise.
-
-Le 10 août, Aimée-Constance Debully, jeune fille de la commune
-d'Esteville, arrondissement d'Étampes, âgée de douze ans et demi, sortit
-de chez ses parens, vers quatre heures du soir, pour aller débourgeonner
-une pièce de vigne qu'ils possédaient à un quart de lieue du village, et
-près du bois de Sardion. Le soir, sa famille ne la voyant pas revenir, en
-conçut quelque inquiétude, et se mit à sa recherche. On se rendit à la
-vigne; on y trouva ses souliers, son chapeau et sa serpette, rangés avec
-assez d'ordre. Mais ce fut vainement que son père et ses frères la
-cherchèrent en l'appelant, une partie de la nuit, dans les bois des
-environs.
-
-Les autorités locales, instruites de cette disparition, ordonnèrent
-aussitôt des battues générales dans tout le pays. Durant les cinq
-premiers jours, elles ne produisirent d'autre résultat que la découverte
-d'un mouchoir rayé bleu et blanc, qui n'avait pas appartenu à la jeune
-Debully, et qui fut trouvé à peu de distance de la pièce de vigne.
-
-Enfin le 16 août, dans une battue faite au milieu d'une roche située
-au-dessus de Montmiraux, dite la roche _de la Charbonnière_, on remarqua
-dans l'une des crevasses du roc des branchages de fougère fanée, qui
-paraissaient avoir été tout récemment foulés; on les déplaça, et l'on
-découvrit, par ce moyen, l'entrée d'une espèce de caverne dans laquelle
-on descendit.
-
-Des débris d'artichaux, d'ognons, de cosses de pois et d'épis de blé, et
-un lit de foin et de mousse que l'on y trouva, annoncèrent que cette
-tanière avait servi d'habitation. Une odeur fortement cadavéreuse qui
-s'en exhalait excita de nouvelles recherches; et, à l'aide de lumières
-que l'on fit apporter, on trouva caché sous deux pieds de sable environ,
-dans un enfoncement pratiqué au fond de la grotte, un paquet volumineux
-que l'on en retira aussitôt.
-
-Ce paquet renfermait un cadavre déjà en putréfaction; les jambes et les
-cuisses étaient repliées sur le ventre; le tronc étaient horriblement
-mutilé: le tout avait été enveloppé dans une chemise, un jupon et un
-mouchoir fortement entortillés par un lien de chêne. Les malheureux époux
-Debully reconnurent dans ce cadavre celui de leur fille.
-
-Informé de cette découverte, qui ne laissait plus aucun doute sur
-l'existence d'un crime, le juge d'instruction du tribunal d'Étampes se
-transporta aussitôt sur les lieux, accompagné d'un chirurgien qui examina
-le cadavre avec soin. On reconnut que le corps avait été ouvert dans
-toute son étendue, à l'aide d'un instrument fort tranchant; que des
-plaies nombreuses et profondes avaient été faites sur plusieurs parties
-du corps avec la pointe du même instrument. La tête et le cou étaient
-gorgés de sang, tandis que le cœur et les vaisseaux sanguins qui
-l'environnent, étaient absolument desséchés.
-
-Cependant, depuis la disparition de la jeune Debully, l'inquiétude
-régnait dans les campagnes voisines, et on épiait avec soin tous les
-étrangers qui paraissaient dans le pays.
-
-Le 12 août, le garde particulier du canton aperçut dans un bois, et près
-d'une fontaine, un homme qui lui était inconnu, et dont la figure et
-l'extérieur lui parurent étranges. Il voulut s'en approcher, et cet homme
-disparut. Le lendemain, le garde le guetta presque toute la journée à la
-fontaine, et le voyant revenir le soir, il l'arrêta.
-
-C'était Antoine Léger. Long-temps cet homme se renferma dans un système
-de dénégation absolue; mais enfin dans un interrogatoire où il avait été
-vivement pressé, il déroula lui-même la série de crimes dont il s'était
-rendu coupable; il en révéla jusqu'aux moindres circonstances; il en
-produisit les preuves; il indiqua à la justice et le théâtre du forfait
-et la manière dont il avait été consommé.
-
-Léger, d'après son propre récit, avait toujours paru, dès sa jeunesse,
-d'un caractère sombre et farouche; il recherchait habituellement la
-solitude, et fuyait la société des femmes et des jeunes garçons de son
-âge. Impatient de s'éloigner de sa famille, de vivre dans un isolement
-complet, il quitta la maison paternelle, le 24 juin 1824, jour de la
-Saint-Jean, sous prétexte d'aller se placer à Dourdan comme domestique,
-n'emportant avec lui qu'une somme de cinquante francs et les habits qui
-le couvraient au moment de son arrestation. Au lieu de se rendre à
-Dourdan, comme il en avait manifesté l'intention, il vint directement à
-Étampes, y passa la nuit dans une auberge, se dirigea sur la Ferté-Aleps,
-s'arrêta dans les bois qui dominent le hameau de Montmiraux près de cette
-ville, et y resta jusqu'au 11 août. Il parcourut d'abord ces bois pour y
-chercher une retraite où il pût se mettre à l'abri des injures de l'air,
-et ce ne fut qu'au bout de huit jours qu'il découvrit les rochers de la
-Charbonnière, qui dès-lors lui servirent de repaire. Il s'y prépara
-aussitôt un lit composé de regain sec, qu'il descendit chercher dans la
-vallée.
-
-Léger prétendit qu'il avait vécu pendant les quinze premiers jours de
-racines, de pois, d'épis de blé, de groseilles, et de fruits qu'il allait
-cueillir sur la lisière des bois; que, notamment au mois d'août, il alla
-la nuit voler des artichauts dans le jardin d'une filature voisine. Ayant
-un jour pris un lapin sur une roche, il le tua, et le mangea cru
-sur-le-champ; mais bientôt, sentant plus vivement les atteintes de la
-faim, pressé par le besoin, il se rendit un jour, vers neuf heures, à la
-Ferté-Aleps pour y acheter quelques livres de pain et du fromage de
-Gruyère. Il y retourna trois ou quatre fois encore à la même heure, en
-suivant le même chemin, et pour le même objet. Cependant, au milieu de la
-solitude, de violentes passions l'agitaient. Il éprouvait en même temps
-l'horrible besoin de manger de la chair humaine, de s'abreuver de sang;
-il ne tarda pas à en trouver l'occasion.
-
-Le 10 août, comme il se promenait dans les bois, se trouvant vers les
-quatre heures de l'après-midi, sur les hauteurs qui dominent le vallon
-d'Esteville, il aperçut dans une vigne, près de la lisière du bois, une
-jeune fille (c'était Aimée-Constance Debully), et conçut l'infernal
-projet de l'enlever. L'endroit était solitaire; quelques bergers,
-quelques cultivateurs étaient épars dans la plaine; mais une grande
-distance les séparait de lui: les cris de sa victime ne pouvaient être
-entendus. Aussitôt il descend rapidement la côte, et à travers le bois,
-fond comme une bête féroce sur sa timide proie. La jeune Debully, qui
-était assise près de sa vigne, ne le vit pas s'approcher; elle n'eut même
-pas le temps de se retourner, que déjà Léger avait passé son mouchoir
-autour d'elle, l'avait chargée sur son dos, et emportée à pas précipités
-au milieu de l'épaisseur du bois.
-
-Fatigué de sa course, et voyant que la jeune fille était sans mouvement,
-il la jeta sur l'herbe. L'horrible projet que ce cannibale avait conçu,
-le forfait qu'il avait médité, furent exécutés; la jeune fille était sans
-vie; le tigre eut soif de son sang.....
-
-Ici nous écartons des faits épouvantables qui, par respect pour la morale
-publique, ne furent mentionnés qu'à huis-clos, lors de la procédure. «Ici
-notre silence s'arrête, dit un historien de ce crime monstrueux;
-l'imagination s'épouvante devant une série de forfaits que, pour la
-première fois, la barbarie, et la férocité ont enfantés. Le soleil
-n'avait pas encore éclairé un pareil forfait: c'est le festin d'Atrée!»
-
-La rage de Léger étant assouvie, le monstre sentit la nécessité d'effacer
-jusqu'aux moindres traces de son crime. Il saisit ce corps inanimé,
-l'enveloppa dans les vêtemens qui le couvraient, le lia avec une forte
-branche de chêne qu'il coupa sur le lieu même, l'emporta dans sa grotte
-et l'y ensevelit.
-
-Léger, après avoir fait lui-même le récit très-détaillé des faits qu'on
-vient de lire, fournit, à l'appui de ses aveux, des preuves matérielles
-de leur véracité. Conduit sur les lieux, il montra l'endroit où il
-s'était arrêté pour commettre son crime. Il indiqua le pied du chêne sur
-lequel il avait coupé la branche pour lier le cadavre, et cette branche,
-rapprochée de sa tige, s'y rapportait parfaitement; enfin, il désigna le
-rocher sous lequel il avait caché le col et les manches de sa chemise: en
-effet, on les y trouva.
-
-Depuis le jour où il avait tout avoué, Léger conserva un sang-froid
-épouvantable. Quand on lui rappelait toutes les circonstances de son
-crime, un _oui_, prononcé avec indifférence, était la seule réponse à
-toutes les questions qu'on lui adressait.
-
-Léger comparut devant la Cour d'assises de Seine-et-Oise, le 23 novembre.
-Bien que l'on sût d'avance que la nature de sa cause ne permettait pas
-que l'audience fût publique, un concours de spectateurs avait envahi
-toutes les avenues du tribunal. On était curieux de voir la physionomie
-de cet anthropophage. Mais la figure de Léger trompa l'attente de tout le
-monde. Ses traits présentaient l'apparence du calme et de la douceur;
-seulement ses regards étaient hébétés. Ses yeux fixes, sa contenance
-immobile, son air silencieux et méditatif, son teint blême et décoloré,
-glaçaient presque d'effroi les spectateurs. Son costume était celui de sa
-profession de vigneron, une veste et un pantalon bleu.
-
-Interpellé par le président sur ses nom et prénoms, il répondit avec la
-même tranquillité que s'il se fût agi de l'affaire la plus ordinaire: «Je
-me nomme Antoine Léger: je suis journalier, âgé d'environ vingt-neuf ans,
-né et demeurant dans la commune de Saint-Martin-Betencourt
-(Seine-et-Oise).»
-
-Nous allons donner quelques parties de son interrogatoire public, qui
-présentent aussi des détails révoltans:
-
-_D._ A quelle heure êtes-vous sorti, le 10 août, de votre caverne?
-
-_R._ Je n'étais pas réglé pour sortir; je suis sorti vers trois heures et
-demie.
-
-_D._ Répétez de vous-même, comme vous l'avez fait dans l'instruction, ce
-que vous avez fait le même jour, à quatre heures du soir.
-
-_R._ J'étais allé pour cueillir des pommes: j'ai aperçu, au bout du bois,
-une petite fille qui était assise. Il m'a pris idée de l'enlever; je lui
-ai passé mon mouchoir autour du cou et l'ai chargée sur mon dos. La
-petite fille n'a jeté qu'un petit cri. J'ai marché à travers le bois, et
-me suis trouvé mal de faim, de soif et de chaleur. Je suis resté
-peut-être une demi-heure comme ça sans connaissance. La soif et la faim
-m'ayant pris trop fort, je me suis mis à la dévorer.....
-
-_D._ Dans quel état se trouvait alors la jeune fille?
-
-_R._ Sans mouvement: elle était morte. Je n'ai essayé que d'en manger, et
-voilà tout.
-
-_D._ Dites toute la vérité, comme vous l'avez fait dans l'instruction; ce
-qui vous a soulagé, ainsi que vous l'avez observé vous-même.
-
-L'accusé se renferma dans une dénégation absolue sur tout ce qui avait
-rapport au viol. Le président de la Cour donna lecture des réponses
-précédentes de Léger; elles firent frémir. L'accusé était convenu
-qu'ayant ouvert le corps de l'infortunée créature, et voyant sortir le
-sang en abondance, il y désaltéra sa soif exécrable, «et poussé, dit-il,
-par le malin esprit qui me dominait, j'allai jusqu'à lui sucer le
-cœur...»
-
-_L'Accusé_: Je n'ai rien dit de tout cela à messieurs les juges, qui ont
-écrit ce qu'ils ont voulu.
-
-A d'autres questions, Léger répondit avec un inconcevable sang-froid: Je
-n'y ai pas fait attention..... D'ailleurs, je suis tombé en faiblesse, et
-me suis trouvé mal..... Je n'ai fait tout cela, dit-il plus loin, que
-pour avoir du sang..... Je voulais boire du sang..... J'étais tourmenté
-de la soif; je n'étais plus maître de moi.
-
-_D._ N'avez-vous pas détaché avec votre couteau le cœur de votre
-victime?
-
-_R._ Je l'ai _tâté_ un peu avec mon couteau, et je l'ai percé.....
-
-_D._ Qu'avez-vous fait des débris du cadavre?
-
-_R._ Je les ai cachés hors de la grotte, sous de la fougère et toutes
-sortes de choses. Il y avait des oiseaux qui croassaient après moi.
-
-_D._ Quels oiseaux?
-
-_R._ Des pies, que je croyais être là pour me faire prendre..... parce
-qu'elles croassaient contre moi.
-
-_D._ Vous étiez donc agité par la crainte? vous sentiez donc que vous
-aviez mal fait?
-
-_R._ Oui; quand j'ai repris connaissance, je suis allé me cacher dans des
-roches, plus bas: j'y ai passé une partie de la nuit sans pouvoir dormir.
-Le lendemain, je me suis en allé à travers les champs, par-dessus les
-montagnes; je me suis lavé la figure sur les roches où il y avait de
-l'eau, et j'ai lavé aussi ma chemise; j'ai coupé le col et le bout des
-manches où il y avait encore du sang _à même_. J'ai rencontré un garde et
-j'ai pris la fuite. Quand je voyais quelqu'un d'un côté, je m'en allais
-de l'autre. Le garde m'a dit: _Halte-là, de par le roi!_ Je me suis
-arrêté tout court.
-
-_D._ Vous avez dit: Ce n'est pas vous qui m'emmèneriez. Le garde a
-répondu: Je t'emmènerai mort ou vif. Il a donné un coup de sifflet, des
-passans sont accourus et vous ont arrêté comme vagabond, car on ne
-soupçonnait pas alors l'assassinat de la jeune Debully. Vous avez
-prétendu que vous aviez été condamné à vingt années de fer, et que vous
-vous étiez évadé?
-
-_R._ C'est possible.
-
-_D._ Vous êtes-vous coupé les cheveux, à la roche de la Charbonnière?
-
-_R._ Oui, j'ai coupé les cheveux que vous me montrez avec un de mes
-couteaux, celui à manche de corne, qui est tranchant comme un rasoir. Je
-mettais un rouleau de bois sous mes cheveux qui ne tenaient pas; ils
-tombaient d'eux-mêmes.
-
-Léger reconnut le mouchoir avec lequel, après l'avoir tordu, il entraîna
-la jeune Debully.
-
-_D._ Que vouliez-vous faire de cette enfant?
-
-_R._ Je n'avais pas de connaissance; j'étais poussé par le _malin
-esprit_.
-
-La chemise saisie sur l'accusé, toute sale, toute ensanglantée et
-couverte de déchirures, lui fut présentée. Cette vue ne le fit pas un
-seul instant sourciller.
-
-Après l'audition des témoins, parmi lesquels on voyait le père et la mère
-de l'enfant égorgée, et dont les dépositions ne firent que confirmer le
-monstrueux attentat de Léger et redoubler l'intérêt et la pitié pour sa
-victime, on entendit les médecins qui déclarèrent, relativement au genre
-de mort de la petite Debully, qu'il y avait eu asphyxie, soit par
-strangulation, soit par étouffement. Leur opinion fut aussi, et elle
-était fondée sur des signes non équivoques, que l'attentat à la pudeur
-avait été commencé pendant la vie de l'enfant, et consommé après sa mort,
-seule circonstance que Léger ait persisté à nier.
-
-Dans cet état de choses, le défenseur, nommé d'office, présenta Léger
-comme un être privé de la raison, et se fonda sur les habitudes vicieuses
-qu'il avait contractées, sur sa fuite de chez ses parens et sur le genre
-de vie qu'il menait.
-
-Le président, après avoir résumé d'une manière extrêmement lumineuse,
-toutes les circonstances qui se rattachaient au crime atroce de Léger,
-posa au jury les questions de viol et d'homicide volontaire, résultant de
-l'acte d'accusation, en y ajoutant, sur la demande expresse du défenseur,
-la question de démence. Le jury, après une demi-heure de délibération,
-résolut affirmativement les questions de viol, d'attentat à la pudeur et
-d'homicide avec préméditation et guet-à-pens, et négativement celle
-relative à la démence: en conséquence, Léger fut condamné à la peine de
-mort. Il entendit son arrêt avec une stupidité bien différente de la
-froide impassibilité qu'il avait montrée aux débats.
-
-
-
-
-VEILLÈRE,
-
-OU LA PASSION DU JEU.
-
-
-Chez la plupart des joueurs, la passion qui les domine n'est autre que
-l'ambition; sans l'espoir du gain, le jeu serait sans attraits pour eux.
-C'est pourquoi, lorsque viennent les chances malheureuses, la raison,
-l'honneur, le devoir, tout est oublié; une rage sombre, une sorte de
-démence les obsède; alors tous les moyens leur sont bons pour se procurer
-les ressources qu'ils croient propres à réparer leurs pertes. De là tant
-de calamités domestiques! de là tant de crimes qui, si fréquemment,
-portent l'épouvante au sein de la société!
-
-Toutefois, le criminel dont nous allons parler semble faire une exception
-à cette règle générale. La passion du jeu était devenue chez lui une
-monomanie qui n'avait d'autre objet que le jeu lui-même. Cette passion,
-qui lui fit commettre un crime atroce, ne procédait point d'un rapace et
-sordide intérêt. Il voulait toujours jouer, mais uniquement pour jouer;
-et certes, ce n'était pas l'appât du gain qui, le jour même de son
-exécution, alors qu'il savait très-bien qu'il n'y avait plus pour lui
-d'espoir en ce monde, lui mettait encore les cartes à la main.
-
-Veillère, perruquier dans la ville de Rouen, marié depuis 1821, se
-livrait à la funeste passion dont nous venons de parler, de manière à
-compromettre les intérêts de sa maison. Il en résultait des scènes
-violentes dans son ménage; il ne cessait d'accabler sa jeune et vertueuse
-épouse de traitemens atroces: enfin, un jour, il en vint au point de se
-précipiter sur elle et de lui porter, en présence de quelques autres
-femmes qui voulurent vainement l'arrêter, plusieurs coups de couteau à la
-gorge. Le malheureux voulait aussi se détruire et mourir avec elle, mais
-les blessures qu'il se fit, quoique graves, ne furent pas mortelles.
-
-Il fut mis en accusation et traduit devant la Cour d'assises de la
-Seine-Inférieure, le 14 août 1824; il parut devant ses juges avec une
-contenance assurée. Condamné à mort sur la déclaration unanime du jury,
-il entendit son arrêt sans dire un seul mot, sans donner aucun signe
-d'émotion. Résigné à mourir, il refusa opiniâtrément de se pourvoir.
-
-Dès ce moment, il attendit la mort avec une impassibilité étonnante,
-continuant de jouer, suppliant quelques prisonniers de ne pas lui refuser
-de faire sa partie pour les derniers momens de sa vie, et les menaçant
-plaisamment de venir les tourmenter après sa mort, s'ils ne se rendaient
-pas à son désir.
-
-Le 18 août, veille de son exécution, il ne quitta le jeu que pour se
-coucher, et presque aussitôt s'endormit d'un sommeil paisible. Le
-lendemain matin, le matin de son dernier jour, à son lever, il déjeûna
-avec appétit et se remit au jeu jusqu'au moment de passer dans la
-chapelle, où le prêtre l'attendait. Il demanda avec beaucoup d'instance
-que le détenu qui jouait avec lui l'accompagnât jusque dans cet endroit;
-puis il se confessa avec le plus grand calme, écouta avec beaucoup
-d'attention les consolations et les prières de l'ecclésiastique qui
-l'assistait, et marcha à l'échafaud, avec la même impassibilité qu'il
-avait toujours montrée.
-
-
-
-
-EFFRAYANTE SÉRIE D'ATROCITÉS.
-
-
-François Turrel, propriétaire et cultivateur à Merlieux, arrondissement
-de Belley, offrit, en 1824, à la Cour d'assises de l'Ain devant laquelle
-il fut traduit, un criminel capable de disputer le prix de la
-scélératesse au trop fameux Lelièvre, condamné et exécuté à Lyon quelques
-années auparavant.
-
-Ce monstre était accusé non seulement d'avoir assassiné Anthelmette Genet
-sa femme, mais encore d'avoir causé la mort de trois autres femmes,
-auxquelles il s'était uni par le mariage, sans que toutefois la réalité
-de ces derniers crimes fût démontrée. Nous allons rapporter les faits de
-cette cause tels qu'ils furent présentés dans le système de l'accusation.
-
-Turrel, âgé de soixante ans, à l'époque de son jugement, avait épousé en
-premières noces, trente années auparavant, une femme originaire de
-Savoie. Pendant quelque temps, il vécut avec elle en assez bonne
-intelligence; mais bientôt entraîné par la passion du libertinage, il se
-livra à un commerce illégitime avec la fille Gouge, sa servante, et
-conçut dès-lors le projet d'attenter à la vie de sa femme, pour épouser
-sa concubine. Un jour, embusqué derrière un rocher, il assaillit sa femme
-à coups de pierres et la blessa à l'épaule. Une autre fois, l'ayant
-dirigée sur une ouverture pratiquée dans son fenil, il la précipita du
-haut en bas sur des chariots et des pièces de bois qu'il avait placées
-au-dessous; et la malheureuse femme, brisée par cette chute, mourut au
-bout de quelques jours.
-
-Turrel épousa alors la fille Gouge; mais cette seconde femme ne fut pas
-plus heureuse que celle qu'elle avait si cruellement supplantée. Abreuvée
-de chagrins de toute espèce, elle finit par y succomber, et le bruit
-courut qu'elle était morte des suites d'un coup de pied que son mari lui
-avait donné dans le bas-ventre.
-
-Pendant la durée de son second mariage, Turrel avait pris à son service
-sa propre nièce qui périt peu de temps après, si l'on s'en tient au cri
-public, du fait de Turrel.
-
-Resté veuf, Turrel convola à de troisièmes noces; il épousa la fille
-Goddet, mais alors même, il avait une inclination très-vive pour
-Anthelmette Genet, sa servante. La fille Goddet avait quelques
-propriétés; ce qui donna lieu de croire que le mariage de Turrel avec
-elle n'avait été qu'une spéculation d'intérêt. En effet, pressé du désir
-de vivre en toute liberté avec sa concubine, il conçut bientôt le dessein
-de se défaire de sa nouvelle femme, et Anthelmette Genet consentit à
-devenir sa complice. Ainsi, au bout d'une année de mariage, un nouveau
-crime fut commis; Turrel fit empoisonner sa femme par les mains de celle
-qui était depuis long-temps sa servante et sa concubine, et la
-malheureuse épouse périt en proie à des convulsions qui ne permirent pas
-de douter de la cause de sa mort.
-
-Ce fut alors qu'il prit pour femme Anthelmette Genet, et les premières
-années de cette union furent assez paisibles; mais, à la longue, Turrel
-conçut pour la Genet du dégoût et de l'aversion, et dans ses désirs
-effrénés, il rechercha d'autres femmes pour satisfaire ses passions. La
-femme Turrel, égarée par la jalousie, se livra aux plus violens
-emportemens. Des scènes terribles eurent lieu entre les deux époux, et,
-après dix-huit ans de mariage, Turrel médita de nouveaux projets
-d'homicide; il résolut d'être encore le meurtrier de sa quatrième femme.
-
-Ses premières tentatives échouèrent; mais elles furent toutes marquées
-d'un caractère de noirceur et d'atrocité. Un jour qu'il poursuivait sa
-femme, celle-ci voulut traverser une rivière pour se soustraire à sa
-fureur; il lui plongea la tête dans l'eau pour la noyer; et ne la laissa
-s'échapper que lorsqu'on accourut pour la secourir. Une autre fois, cette
-malheureuse s'aperçut qu'il avait caché de gros cailloux dans la
-paillasse de son lit: elle s'en étonne; il lui dit que ce sont ses
-défenseurs, mais elle ne doute point qu'il ne veuille s'en servir pour
-attenter à ses jours. Dès-lors, elle se renferme, la nuit, dans une
-chambre séparée de celle de son mari, pour reposer du moins sans avoir la
-crainte d'une mort prochaine. Turrel trouve un moyen de l'en faire
-sortir: il feint d'être malade, il l'appelle, la fait monter au grenier;
-il veut qu'elle y cherche du bois pour allumer du feu; puis quand elle
-redescend, il retire l'échelle, et la malheureuse femme, exposée au
-danger d'une chute cruelle, reste suspendue jusqu'au moment où l'on vient
-la secourir.
-
-Enfin arrive le 12 décembre 1823; c'était le jour où Turrel devait mettre
-le comble à ses forfaits. Entre onze heures et midi, des cris sont
-entendus: _Pardon! au secours!_ ces cris partaient de sa maison. Une
-fille du voisinage regarde au travers d'une ouverture pratiquée dans la
-muraille; elle voit Turrel sur la porte de son écurie, ayant l'air
-inquiet et cherchant à s'assurer s'il n'est vu de personne. Il rentre, il
-sort, et après quelques instans, il revient avec un de ses neveux qu'il a
-rencontré. Le neveu, en entrant dans l'écurie, aperçoit un cadavre étendu
-par terre, et couvert de contusions et de blessures, _O mon Dieu!_
-s'écrie-t-il, _ma pauvre tante est morte!_ Turrel dit que c'est son
-cheval qui l'a tuée; qu'il l'a trouvée sous ses pieds dans l'état le plus
-déplorable: et il frappe ce pauvre animal, comme pour se venger, comme
-pour le punir!
-
-Bientôt des voisins arrivent. Le corps de la femme Turrel est emporté.
-Un chirurgien est appelé; il fait l'examen du cadavre, et reconnaît que
-les blessures qui ont causé la mort n'ont pu être faites qu'avec un
-instrument contondant. Alors Turrel devient l'objet des soupçons les plus
-véhémens, et après qu'on a trouvé dans l'écurie un trident et un _racle_
-en fer, tout ensanglantés, quand on découvre un pantalon de Turrel taché
-de sang, et auquel étaient collés des cheveux de la victime, on ne doute
-plus qu'il ne soit l'assassin; la justice est avertie, et sur-le-champ
-fait arrêter Turrel.
-
-La Cour d'assises de l'Ain, séant à Bourg, fut saisie de cette horrible
-cause. Turrel comparut devant elle, en mai 1824. L'instruction, les
-dépositions des témoins et les débats confirmèrent la vérité des faits
-épouvantables que l'on vient de lire, et le scélérat Turrel fut condamné
-à la peine de mort.
-
-
-
-
-PAPAVOINE,
-
-OU LE MEURTRE DU BOIS DE VINCENNES.
-
-
-Voici un de ces épouvantables forfaits devant lesquels la science demeure
-confondue, qui déconcertent la raison humaine, dont les motifs, s'il en
-existe, échappent à toutes les investigations, et qui feraient presque
-croire que cette fameuse fatalité des anciens, si fertile en crimes, si
-énergiquement peinte par les tragiques grecs, n'était autre que cette
-nouvelle et déplorable faiblesse à laquelle l'humanité semble être
-assujétie depuis quelques années, et que le barreau a déjà tant de fois
-invoquée sous le nom de _monomanie du sang_.
-
-Dans le procès de Papavoine, comme dans plusieurs autres dont les
-tribunaux ont retenti, on ne voit figurer ni l'ambition, ni la jalousie,
-ni la cupidité, ni la vengeance. Cet homme ne connaissait même pas les
-enfans qu'il frappa si cruellement. L'horrible meurtre dont il se souilla
-n'était donc inspiré par aucun des motifs qui arment ordinairement le
-bras de l'assassin.
-
-Il est présumable que Papavoine cherchait dans une vengeance, dont
-l'objet lui était indifférent, un allégement à de vagues inquiétudes, à
-une mélancolie profonde; peut-être aussi tout autre individu qu'une
-créature humaine aurait-il pu l'assouvir; il eût même été possible qu'il
-tombât lui-même victime de ses propres coups, s'il eût été seul lorsque
-cette fièvre homicide s'empara de lui.
-
-Mais, comme l'a fort judicieusement observé un savant légiste: «La
-justice n'a pas besoin de plonger dans les abîmes du cœur humain,
-lorsque le crime est constant, et que la société en demande la
-répression.» Lorsqu'un crime a été commis, le coupable, s'il est prouvé
-qu'il n'est pas en démence, est nécessairement justiciable des lois
-applicables à ce crime. Vainement alléguera-t-on en sa faveur qu'il est
-sujet à des accès de frénésie sanguinaire, qu'il a un penchant
-irrésistible au meurtre, qu'il est monomane enfin; la société justement
-alarmée, doit, dans l'intérêt de sa conservation, frapper ce furieux qui
-a soif de sang, et s'affranchir des craintes et des périls continuels
-auxquels donnerait lieu l'existence de cette espèce de monstre féroce.
-
-Passons maintenant aux singularités qui caractérisent le tragique
-attentat de Papavoine. Elles serviront à fixer les idées du lecteur sur
-la nature de cet assassinat.
-
-Dans la soirée du 10 octobre 1824, la nouvelle se répandit dans Paris que
-deux enfans venaient d'être assassinés dans le bois de Vincennes. Les
-contes les plus étranges, longuement et diversement commentés, donnèrent
-lieu à plusieurs versions plus absurdes les unes que les autres; la
-distance qui sépare la capitale du bois de Vincennes favorisait aussi
-toutes ces amplifications de commères, naturellement avides de tout ce
-qui paraît merveilleux. Toutefois, il était un point malheureusement trop
-vrai; le fait matériel était exact: deux enfans avaient été assassinés.
-
-La demoiselle Hérin, poussée par une malheureuse destinée, s'était rendue
-ce jour-là à Vincennes. Cette demoiselle, fille du portier de
-l'Intendance militaire, avait fait, depuis 1815, la connaissance du
-sieur Gerbod fils; une liaison intime, à laquelle il ne manquait que la
-consécration légale, s'était établie entre eux, et il en était résulté
-deux enfans mâles, âgés, l'un de cinq ans, l'autre de six. Gerbod fils,
-qui avait reconnu ces deux enfans, manifestait depuis long-temps
-l'intention d'épouser la demoiselle Hérin; mais son père s'était
-constamment opposé à cette union. Gerbod père, possesseur d'un
-établissement considérable de charronnage, était parvenu, à l'aide de ses
-travaux et d'une honnête industrie, à acquérir une sorte d'opulence; ce
-qui explique son refus de marier son fils avec une fille sans fortune, et
-déjà devenue mère de deux enfans, sous les yeux de ses parens qui
-souffraient son commerce avec Gerbod fils. Ce père avait d'ailleurs
-d'autres projets, qui, à la vérité, ne purent être réalisés, soit à cause
-du refus du jeune homme, soit par suite de la reconnaissance que celui-ci
-avait faite de ses deux enfans naturels. Cependant, et malgré un acte
-respectueux signifié, et une scène assez vive entre la demoiselle Hérin
-et la famille Gerbod, la bonne intelligence ne fut pas sérieusement
-troublée entre le père et le fils. Les enfans de la demoiselle Hérin
-avaient été mis en pension à Vincennes; et le 10 octobre, leur mère
-s'était rendue auprès d'eux.
-
-Le même jour, une demoiselle Malservait, marchande de modes, ayant donné
-rendez-vous, dans le bois de Vincennes, à une personne de sa connaissance
-qui était allée à Alfort, entra dans la boutique de la dame Jean; elle se
-fit servir un verre de liqueur. Dans le même moment, on aperçut
-Papavoine; il s'arrêta auprès de cette boutique et suivit la demoiselle
-Malservait dans le bois. Il était vêtu d'un pantalon noir et d'une
-redingotte bleue, boutonnée depuis le haut jusqu'en bas.
-
-De son côté, la demoiselle Hérin, accompagnée de ses enfans, se promenait
-dans le bois de Vincennes. La demoiselle Malservait ayant rencontré
-mademoiselle Hérin, lui demanda la permission de faire quelques caresses
-à ses enfans. Papavoine passa auprès d'elles, ôta son chapeau et les
-salua; il continua sa route. La demoiselle Malservait, qui se dirigeait
-de l'autre côté, l'atteignit, et Papavoine lui adressant la parole, lui
-dit: «Connaissez-vous ces enfans que vous venez d'embrasser?» A quoi
-elle répondit: «On peut faire des caresses à des enfans qu'on ne connaît
-pas.» Papavoine s'éloigna; c'est alors, à ce qu'il paraît, qu'il conçut
-l'épouvantable pensée qu'il exécuta peu d'instans après. Il se transporta
-dans la boutique de la dame Jean, et y demanda un couteau. La dame Jean
-n'avait que des couteaux assortis par douzaine. Papavoine refusa de
-prendre la douzaine entière; il obtint qu'on en détachât un, qui était en
-tout semblable de forme, de mesure et de proportion aux autres, en
-offrant de le payer un peu plus cher qu'on ne l'aurait vendu avec les
-onze autres; la marchande consentit à le lui livrer à ce prix.
-
-Alors Papavoine, muni de cet instrument qu'il destinait au plus odieux
-usage, retourna dans les allées du bois où les enfans se promenaient
-encore. La demoiselle Malservait avait quitté les allées; elle était
-partie pour se rendre au café où devait la rejoindre la personne qu'elle
-attendait; il était alors onze heures et demie. Papavoine, dont la figure
-était pâle, l'œil hagard, et qui se trouvait dans une sorte de frénésie,
-aborda la demoiselle Hérin: «Votre promenade a été bientôt faite,»
-dit-il à la mère; et se baissant, comme pour embrasser l'un des enfans,
-il lui plongea son couteau dans le cœur. Aux cris de la victime
-expirante, la demoiselle Hérin, quoique ignorant encore l'étendue de son
-malheur, frappa l'assassin avec un parapluie qu'elle tenait à la main. Le
-parapluie atteignit le chapeau de cet homme, et y laissa un trou qui fut
-remarqué après l'événement.
-
-Pendant que la mère éplorée s'occupait des soins à prodiguer à cette
-première victime, Papavoine plongea son couteau dans le cœur de l'autre
-enfant, s'enfuit à pas précipités, et s'enfonça dans le taillis.
-
-La malheureuse mère, s'abandonnant à un désespoir difficile à décrire,
-courait au hasard, appelant du secours; plusieurs personnes accoururent.
-Elle leur donna le signalement de l'assassin, leur désignant sa figure,
-ses vêtemens; et comme si les douleurs que lui faisait ressentir la
-terrible scène qui venait de se passer sous ses yeux, avaient eu pour un
-moment le pouvoir de lui interdire d'autres sentimens que celui de la
-vengeance, elle indiquait, par des signes non équivoques, à quels traits
-et de quelle manière on pouvait reconnaître le scélérat qui venait de
-lui enlever les plus chers objets de sa tendresse. Au signalement qu'elle
-donna du coupable, quelques personnes se souvinrent de l'avoir aperçu
-quelque temps auparavant.
-
-On fit de vains efforts pour rappeler à la vie les deux malheureux
-enfans; le meurtrier les avait frappés d'une main si assurée qu'ils
-étaient morts sur le coup. Alors on s'empressa de courir à la recherche
-de l'auteur du crime. Les portes du bois de Vincennes furent fermées, et
-la gendarmerie, aidée par les militaires de la garnison, se mit en devoir
-de fouiller le bois.
-
-La demoiselle Malservait, qui avait embrassé les deux enfans quelques
-minutes avant leur assassinat, et qui avait parlé à l'homme qui se
-préparait à leur plonger son couteau dans le sein, fut arrêtée, sous la
-prévention de complicité.
-
-L'autorité locale, poursuivant ses recherches avec activité, découvrit
-bientôt l'acquisition du couteau chez la dame Jean. Le signalement que
-cette femme donna de l'individu qui l'avait acheté, fut conforme à ce
-qu'avait déjà déclaré, à cet égard, la demoiselle Hérin.
-
-Enfin, vers midi, un gendarme rencontra dans une allée parallèle à celle
-où le crime avait été commis, un individu qui causait avec un militaire,
-et à qui s'appliquait parfaitement le signalement donné par la demoiselle
-Hérin. Le gendarme le somma de le suivre; il ne fit aucune résistance;
-seulement il objecta, avec un calme apparent, qu'il n'avait rien à se
-reprocher, et que peut-être son arrestation ferait perdre la trace du
-coupable. Cependant le militaire avec lequel cet homme avait causé ayant
-déclaré qu'il venait de traverser le taillis, et lui avait demandé les
-moyens de sortir du bois; qu'il l'avait aperçu examinant ses habits avec
-une grande attention, comme pour s'assurer s'il n'y trouverait pas
-quelques taches; et qu'il l'avait même questionné pour savoir si sa
-figure n'était pas barbouillée, l'ensemble de ces circonstances détermina
-le gendarme à arrêter cet homme, et il le conduisit dans la maison où la
-demoiselle Hérin s'était retirée. A l'aspect du prisonnier que l'on
-venait confronter avec elle, cette mère au désespoir s'écria: _C'est le
-monstre qui a tué mes enfans_!
-
-La dame Jean le reconnut aussi pour être l'individu qui lui avait acheté
-le couteau, et plusieurs personnes affirmèrent l'avoir aperçu dans les
-allées du bois, peu d'instans avant la consommation du forfait.
-Toutefois, cet homme ne paraissait pas moins repousser avec autant de
-force que d'adresse ces accusations foudroyantes. Interrogé sur son nom,
-il répondit qu'il se nommait Papavoine.
-
-L'autopsie des cadavres des deux jeunes victimes prouva que leur mort
-avait été le résultat instantané de coups d'un instrument dont la forme
-ressemblait à celle d'un couteau. Un des onze couteaux restans de la
-douzaine, dans laquelle avait été pris celui vendu à Papavoine, ayant été
-appliqué aux plaies, s'y adapta parfaitement.
-
-Tant de preuves réunies ne laissaient pas la moindre place au doute.
-Cependant, en présence du juge d'instruction, le prévenu chercha, dans
-ses réponses, à repousser l'accusation dirigée contre lui, et sa défense
-prouva non seulement la rectitude et la clarté de ses idées, mais encore
-une habileté véritable et peu commune. Depuis le 10 octobre, jour de son
-arrestation, jusqu'au 15 novembre, il persévéra dans le même système de
-dénégation; mais, à cette dernière époque, accablé par l'évidence des
-preuves, il adopta tout-à-coup un nouveau système. Il commença par
-déclarer qu'il avait de grandes révélations à faire; mais qu'il ne les
-ferait qu'à condition qu'il serait entendu par deux augustes princesses:
-on sent bien qu'il était impossible d'acquiescer à une demande aussi
-bizarre. Il la restreignit ensuite à la faveur de paraître devant une
-seule des deux princesses: nouveau refus. Il se détermina à parler, et se
-reconnut enfin coupable du meurtre des deux enfans. Mais comme si ce
-crime ne suffisait pas pour motiver l'application de la peine capitale,
-il annonça qu'il s'était trompé en donnant la mort aux deux enfans de la
-demoiselle Hérin, et que son intention avait été d'égorger les deux
-jeunes enfans de France, Mademoiselle et le duc de Bordeaux.
-
-Cette monstrueuse explication, démentie par la vraisemblance, par les
-faits et même par les opinions politiques de l'auteur du crime, n'en
-imposa à personne. Les magistrats ne virent en elle que la base d'un
-système de défense adopté par l'accusé. Son but était de persuader qu'il
-était atteint d'une démence furieuse. Il développa bientôt son plan par
-de nouveaux faits, qui, s'ils n'étaient pas le résultat d'une véritable
-folie, attestaient une atroce habileté.
-
-Mais avant de passer outre, il ne sera pas hors de propos de jeter un
-coup-d'œil sur la vie de Papavoine. Diverses circonstances dans
-lesquelles son caractère viendra se refléter, aideront peut-être à
-expliquer son crime, ou du moins à le rendre un peu moins
-incompréhensible.
-
-Louis-Auguste Papavoine était né à Mouy (Eure), en 1784. Son père,
-fabricant de draps dans cette ville, jouissait d'une aisance qui lui
-avait permis de donner à son fils une éducation solide, qui pût le mettre
-à même d'occuper un rang honorable dans la société. Le commerce
-paraissant incompatible avec le caractère taciturne du jeune Papavoine,
-on le destina à la bureaucratie. Admis dans l'administration de la
-marine, il y fut placé, en 1804, en qualité de commis extraordinaire, et
-s'embarqua successivement à bord de plusieurs vaisseaux de l'état, sur
-lesquels il fit diverses courses maritimes. Nommé ensuite commis de
-seconde classe, il fut promu, quelques années après, au grade de
-quartier-maître, puis devint commis de première classe au port de Brest.
-Ces divers emplois dont les fonctions ne sont ni sans importance, ni sans
-responsabilité, Papavoine les remplit non seulement avec zèle, mais
-encore avec une constante exactitude et une intelligence remarquable.
-
-Toutefois, on remarquait, et cette observation doit trouver place ici,
-que Papavoine était d'une humeur peu sociable; qu'il fuyait ses
-camarades, et ne prenait jamais la moindre part aux distractions
-habituelles de son âge. Il paraissait sombre et mélancolique, se
-promenait souvent seul, et toujours dans des lieux solitaires. Jamais on
-ne lui avait connu de liaisons intimes, ni même aucun de ces attachemens
-qu'excuse la fragilité humaine; dans les diverses relations qui lui
-étaient imposées par ses emplois, on avait toujours trouvé ses idées
-pleines de justesse et de convenance. Ce caractère se rencontre assez
-souvent dans le monde. Papavoine appartenait à cette classe d'esprits
-chagrins et misanthropes qui, sans éprouver de haine pour la société, la
-fuient continuellement, moins par antipathie que par ennui. Du reste,
-naturellement obligeant, s'il lui eût été possible de former d'intimes
-liaisons, nul doute que son commerce n'eût été fort agréable; il ne lui
-manquait à cet égard que la volonté.
-
-Papavoine perdit son père en décembre 1823. Celui-ci avait conservé son
-établissement de Mouy, et laissait à sa veuve et à son fils, des affaires
-dans le plus grand désordre; Papavoine, à cette époque, était encore au
-service. La mort de son père lui fit solliciter un congé qu'il obtint. Il
-alla aussitôt rejoindre sa mère, et jugeant qu'elle serait hors d'état de
-continuer seule l'exploitation de sa fabrique, il se détermina à demander
-sa retraite, et à s'établir à Mouy. Jusque alors, la manufacture laissée
-par son père avait joui du privilége de faire des fournitures pour
-l'habillement des troupes; mais peu de temps après, l'administration de
-la guerre refusa de renouveler ses marchés; et par ce refus, les affaires
-de la famille Papavoine se trouvèrent dans une situation fort critique.
-
-Papavoine alors exprima quelque regret d'avoir volontairement abandonné
-son emploi; il fit même des démarches pour le recouvrer, mais elles
-demeurèrent infructueuses. Les contrariétés qu'il éprouva dans cette
-circonstance influèrent sur son caractère, à tel point que sa mère, avec
-laquelle il avait constamment vécu en bonne intelligence, profita d'un
-prétexte pour ne plus prendre ses repas avec lui, quoiqu'ils
-continuassent de vivre sous le même toit et au même foyer. Aigri par une
-suite de désagrémens qu'il n'avait pu ni prévoir ni éviter, il était
-devenu de jour en jour plus morose et plus chagrin; sa physionomie
-portait quelque chose de sinistre et de repoussant, qui faisait fuir son
-approche.
-
-Vers la fin de septembre 1824, il prétendit qu'il était malade. Le
-médecin consulté déclara reconnaître quelques symptômes de fièvre, et
-ordonna un vomitif. Il prescrivit en outre au malade un exercice modéré;
-un voyage surtout lui parut devoir être très-efficace. Papavoine usa du
-remède qui lui avait été indiqué; il en éprouva du soulagement, et afin
-de suivre en tout point l'ordonnance de son médecin, il partit pour
-Beauvais, où il arriva le 2 octobre. Il devait trouver dans cette ville
-des parens et un sieur Branche, avec lequel il était en relation
-d'affaires. L'accueil qu'il reçut des personnes qu'il visita ne changea
-rien à son humeur. Fidèle à sa misanthropie, on remarqua constamment en
-lui sa taciturnité, ses regards sombres. Toutefois, rien n'annonçait
-extérieurement qu'il mûrît aucune idée fixe de la nature de celles que
-l'on attribue aux monomanes. Il était triste, rêveur, il est vrai; mais
-du reste, sa conversation, loin de se sentir du désordre d'un esprit
-exalté, était sensée et même spirituelle. Seulement on se souvint plus
-tard d'une question bizarre qu'il avait faite, relativement à la mort de
-son frère et d'un de ses oncles, décédés depuis long-temps. «Mon frère et
-mon oncle sont-ils bien morts? dit-il à M. Branche.--Votre frère? mais
-vous avez dans vos papiers son acte mortuaire! Votre oncle? mais vous
-savez qu'il est mort à mes côtés, à table, d'un coup d'apoplexie: vous
-avez concouru à régler sa succession!--Ah! c'est qu'il y a tant de genres
-de mort! et souvent on enterre des gens qui vivent encore, et on dresse
-des actes pour constater qu'ils ne vivent plus!...« Du reste, nous ne
-rappelons ce fait de peu d'importance que par rapport au crime dont
-Papavoine se rendit coupable.
-
-Le lendemain de son arrivée à Beauvais, (3 octobre 1824), Papavoine, qui
-était toujours en réclamation auprès de l'administration de la guerre
-pour le renouvellement de ses marchés, reçut inopinément de sa mère deux
-de ces marchés, qui venaient d'être agréés par le ministre; mais les
-soumissions avaient besoin d'être régularisées, et il partit aussitôt
-pour Paris, à l'effet de remplir cette formalité. Il y arriva le 5, après
-avoir emprunté quelque argent pour faire son voyage. Il emportait avec
-lui ceux de ses effets qu'il avait pris à Mouy pour son voyage de
-Beauvais; et comme ils étaient insuffisans, il écrivit à sa mère pour lui
-en demander d'autres. Il est bon de faire remarquer, à l'occasion de
-cette nouvelle demande, qu'il avait compris parmi les premiers effets
-deux _couteaux de table, aiguisés et non fermant_. Qu'en voulait-il
-faire? Méditait-il déjà quelque crime? ce n'est pas présumable, puisqu'il
-acheta un autre couteau à Vincennes. Cependant un motif quelconque les
-lui avait fait demander. Quel était-il? ce motif est resté un mystère.
-Il est dans le cœur de l'homme tant de secrets impénétrables, que le
-plus judicieux observateur se voit presqu'à chaque instant contraint de
-ne pas s'y arrêter, ou de borner leur application à des conjectures plus
-ou moins vraisemblables.
-
-Arrivé à Paris, Papavoine descendit à l'hôtel de la Providence, situé rue
-Saint-Pierre-Montmartre, et se rendit chez d'honorables négocians, ses
-correspondans, auxquels il remit ses marchés, pour qu'ils fussent soumis
-à la formalité du timbre.
-
-Depuis ce moment jusqu'au 10 octobre, jour de l'affreuse catastrophe,
-Papavoine vécut fort retiré; du moins l'instruction ne fait rien
-connaître de sa conduite pendant cet intervalle. Ce qui est constant,
-c'est que, ce même jour, 10 octobre, il sortit après avoir fait un léger
-repas, et se dirigea vers Vincennes.
-
-Tel est sommairement l'ensemble des circonstances de la vie de Papavoine;
-on a vu les détails de son crime, son arrestation, ses dénégations dans
-le premier moment, enfin ses aveux et son système de défense fondé sur
-l'aliénation mentale.
-
-Peu de temps après ces révélations, et voyant qu'il tenterait inutilement
-de se faire passer pour un second Louvel, il demanda souvent à deux
-prisonniers de lui prêter un couteau bien pointu; d'autres fois, il se
-levait la nuit, et feignait d'en chercher un; il alla même jusqu'à tenter
-de mettre le feu à la paillasse de son lit.
-
-Cependant, il avait obtenu d'être dans une chambre particulière, où il
-n'y avait aucune espèce d'armes, et provisoirement on l'avait débarrassé
-de la camisole. Le 17 novembre, le gardien ayant ouvert la porte, pour
-donner de l'air à cette chambre, Papavoine s'introduisit dans une pièce
-voisine où déjeûnaient plusieurs jeunes détenus, et s'élançant sur l'un
-d'eux, le nommé Labiey, âgé de douze ans, qui tenait un couteau, il se
-saisit de cette arme et l'en frappa à plusieurs reprises. Les personnes
-présentes l'empêchèrent heureusement de consommer ce nouveau crime; et le
-malheureux enfant, qui n'avait donné à Papavoine aucun sujet de plainte,
-qui peut-être ne l'avait jamais vu, en fut quitte pour trois blessures
-qui, bien que très-graves, n'étaient cependant pas mortelles. Ainsi,
-suivant la judicieuse remarque du ministère public, cet homme fournissait
-l'exemple, heureusement fort rare, d'un accusé qui cherche dans de
-nouveaux crimes la justification d'un premier attentat.
-
-A la première nouvelle du meurtre des deux enfans de la demoiselle Hérin,
-une pensée avait préoccupé tous les esprits. Le public, si facile à se
-prévenir, si disposé à se passionner, si prompt à porter des jugemens
-même sur les notions les plus vagues, s'était représenté Papavoine comme
-ayant des complices et comme un instrument mis en œuvre. La demoiselle
-Malservait, arrêtée peu d'instans après l'assassinat, était regardée
-comme la complice avérée du meurtrier: on supposait qu'elle avait indiqué
-à Papavoine les deux victimes qu'il fallait frapper, puisqu'elle avait
-embrassé les deux enfans, quelques minutes avant que le bourreau ne levât
-le couteau sur eux. La justice ne put s'empêcher de partager cette
-prévention. La demoiselle Malservait, que la fatalité seule avait
-conduite à Vincennes ce jour-là, resta plus de deux mois en prison, sous
-le poids de cette affreuse présomption; mais l'instruction prouva jusqu'à
-l'évidence qu'elle ne connaissait nullement Papavoine, et qu'elle n'avait
-jamais eu le moindre rapport avec lui.
-
-D'après la rumeur universelle, Papavoine n'avait été que l'instrument de
-la famille Gerbod, qui aurait commandé la mort des deux enfans, pour
-mettre obstacle à un mariage qu'elle désapprouvait, qu'elle repoussait de
-toutes ses forces. Cette supposition était dénuée de vraisemblance.
-D'ailleurs, la justice ordonna à cet égard des enquêtes trop scrupuleuses
-pour qu'il soit possible de penser un seul instant à chercher dans cette
-famille les complices ou les instigateurs de Papavoine. En outre, si le
-sieur Gerbod père, vieillard d'une vie sans tache, avait eu la coupable
-pensée de ramener son fils à ses projets, en frappant la famille que
-celui-ci s'était créée, on conçoit qu'il aurait choisi pour victime la
-personne qui contrariait le plus directement son ambition de père, et non
-d'innocentes créatures, qu'il avait au contraire souvent promis de
-protéger lui-même. D'ailleurs, les investigations les plus sévères
-concoururent à la justification de ce père de famille; il n'avait jamais
-eu de relations avec la demoiselle Malservait, ni avec Papavoine; tous
-ces individus étaient ignorés les uns des autres, avant le triste
-événement du 10 octobre. Pourrait-on s'expliquer d'ailleurs comment le
-sieur Gerbod, s'il eût eu l'odieux projet dont on le soupçonnait, se
-serait adressé, pour le réaliser, à un homme tel que Papavoine?
-
-Enfin il fut constaté que cet homme n'avait eu ni suggesteurs, ni
-complices; qu'il n'avait été entraîné ni par la cupidité, ni par la
-vengeance, ni par l'ambition, mais par une haine, heureusement bien rare,
-pour l'humanité toute entière; haine qui avait eu d'abord pour principe
-un humeur misanthropique et atrabilaire, et que des mécontentemens, des
-chagrins, avaient pu ensuite fomenter et exalter jusqu'à la frénésie.
-Suivant les expressions du ministère public, Papavoine avait tué,
-uniquement pour répandre le sang humain et pour satisfaire une passion
-féroce.
-
-En examinant avec attention le caractère et les habitudes de Papavoine,
-on a pu se convaincre qu'il nourrissait depuis long-temps de monstrueuses
-pensées, et qu'il se préparait à une catastrophe telle que celle du bois
-de Vincennes; on a vu qu'en venant à Paris, il s'était muni de deux
-couteaux dont l'usage n'est pas nécessaire aux besoins de notre genre de
-vie; que, depuis un grand nombre d'années, il fuyait, d'une manière
-bizarre, toute société, toute communication; il semblait avoir de la
-répugnance pour ses semblables. Peu à peu, sans doute, cet éloignement
-extraordinaire avait germé dans son âme, s'y était développé; une haine
-générale et prononcée en avait été le résultat, et son imagination,
-livrée à la solitude, lui avait fait concevoir l'idée du crime et l'y
-avait entraîné. Telles étaient les données que produisait l'analyse du
-caractère et des habitudes du prévenu, et ces données servirent de base à
-l'accusation.
-
-Papavoine comparut devant la Cour d'assises de la Seine, le 28 février
-1825, en présence de spectateurs nombreux, attirés par la curiosité.
-L'accusé, quoique calme, portait sur ses traits l'empreinte profonde de
-la tristesse et de la mélancolie.
-
-Interrogé par le président, Papavoine avoua qu'il avait assassiné les
-deux enfans Gerbod, mais que c'était dans un moment où il n'avait pas la
-tête à lui, ajoutant qu'il voudrait, au prix de son sang, rappeler à la
-vie ces deux malheureuses victimes. Il repoussa la préméditation, en
-disant que s'il eût projeté le crime, il aurait pris un des deux couteaux
-qu'il avait apportés dans sa valise, et n'en aurait pas acheté un à
-Vincennes même, non loin du lieu de l'assassinat; il ajouta que l'intérêt
-est le mobile des actions humaines, et qu'il n'en avait eu aucun à tuer
-ces enfans, qu'il ne connaissait pas. Il ne put rendre compte du motif
-qui l'avait fait agir; il s'était trouvé, dit-il, entraîné à commettre
-cette action par une sorte de mouvement machinal, contre sa saine
-volonté; mais qu'après avoir frappé ces enfans, il s'était opéré dans son
-esprit une sorte de révolution subite qui l'avait rappelé à la raison; et
-que s'apercevant alors des conséquences de son action, il avait voulu en
-soustraire les traces aux recherches de la justice, et avait enfoncé son
-couteau dans la terre; que c'était aussi ce motif qui lui avait fait
-examiner s'il n'avait pas sur lui quelques taches de sang, et demander au
-canonnier qu'il avait rencontré si sa figure n'était pas _Barbouillée_.
-Il repoussa avec autant de force que d'indignation la déclaration, qu'il
-avait faite devant le juge d'instruction, d'avoir voulu frapper les
-enfans de France. Il dit à ce sujet que, fatigué de sa position pénible,
-et ne pouvant mettre fin à son existence, parce qu'on lui en avait ôté
-les moyens, il s'était accusé de cet horrible projet.
-
-Interpellé sur ses premières dénégations, il répondit qu'il était
-tellement épouvanté par la pensée de ce crime, qu'il cherchait à se
-persuader à lui-même qu'il ne l'avait pas commis; qu'il avait craint
-d'ailleurs de compromettre la réputation de sa famille. Toutes ses autres
-réponses furent dans le même sens, et tendaient à établir qu'il n'avait
-commis son crime que dans un accès de démence.
-
-De nombreux témoins furent ensuite entendus, tant sur la vie antérieure
-de Papavoine que sur les circonstances de l'assassinat. Leurs dépositions
-ne firent que confirmer ce que nous avons déjà mis sous les yeux du
-lecteur.
-
-L'introduction de la mère des deux enfans dans la salle d'audience
-produisit sur tous les cœurs une impression pénible et donna lieu à une
-scène déchirante. Les genoux de cette jeune dame paraissaient fléchir;
-elle pouvait à peine se soutenir. Au moment où, après les questions
-d'usage, le président lui demanda si elle reconnaissait l'accusé, elle
-tourna à peine les regards, et répondit en frémissant: _Oui, monsieur._
-Invitée à dire quels étaient les faits à sa connaissance: Je me
-promenais, dit-elle, avec mes enfans.... A ces mots qui lui rappelaient
-tout son malheur, elle s'interrompit, se troubla, et fit un nouvel effort
-pour reprendre son récit; mais, à peine eut-elle prononcé quelques mots,
-qu'elle jeta un cri et s'évanouit. Ses yeux se fermèrent; on s'empressa
-de lui prodiguer des secours, mais sans succès; on fut obligé de
-l'emporter privée de connaissance. Cette scène produisit sur l'auditoire
-un effet difficile à décrire. La plupart des spectateurs versaient des
-larmes; Papavoine lui-même, la tête baissée, portait sa main à ses yeux,
-comme pour essuyer quelques pleurs.
-
-Quelques instans après, la demoiselle Hérin, introduite de nouveau,
-recommença son récit. Mais la faiblesse de son organe obligeait le
-président de répéter les réponses qu'elle faisait à ses questions. Elle
-déclara que, le 10 octobre, après avoir habillé ses enfans, elle les
-conduisit dans l'allée des Minimes; qu'elle y aperçut la demoiselle
-Malservait, qui lui demanda s'ils étaient jumeaux, et qui les caressa;
-qu'en se retournant, elle vit un homme dont la figure la frappa, mais que
-toutefois elle n'eut aucun pressentiment sinistre. «Après avoir quitté
-cette dame, dit la demoiselle Hérin d'une voix qu'altéraient de pénibles
-sanglots, l'homme habillé de bleu, accosta la femme au chapeau rose: elle
-rentrait à cause de la pluie. L'homme lui adressa la parole d'une voix
-horrible et lui dit: _Votre promenade a été bientôt finie._ Cet homme
-était très-pâle. Alors il se pencha vers l'un de mes enfans et le frappa
-d'un coup de couteau, puis il s'élança sur le second; alors je me
-précipitai sur lui et le frappai à la tête d'un coup de parapluie. Il
-prit la fuite et s'enfonça dans la forêt.»
-
-Après l'audition de tous les témoins, le président, pour fixer le jury
-sur la présence d'esprit déployée dans l'instruction par l'accusé, donna
-lecture de l'un de ses interrogatoires, et fit remarquer que les réponses
-de Papavoine étaient un chef-d'œuvre de dialectique. Cette lecture fit
-une profonde sensation sur l'auditoire.
-
-Le lendemain, le ministère public soutint l'accusation, et repoussa la
-question de démence qui rentrait dans le système de défense adopté par
-l'accusé. «La prétendue démence de l'accusé, dit-il en terminant, est un
-prétexte invoqué en désespoir de cause. Il est certain que cette
-aliénation ne serait pas totale; il est prouvé qu'elle ne serait que
-partielle, et, dans cette dernière supposition même, elle ne pourrait
-servir d'excuse admissible.» Enfin, le ministère public demanda, au nom
-de la société, au nom de la sûreté générale, l'application de la peine de
-mort à l'accusé.
-
-La défense de Papavoine était confiée à Me Paillet, jeune avocat d'un
-talent très-distingué, qui fit des efforts d'éloquence et de zèle pour
-sauver son client. Mais malgré l'art avec lequel il sut diminuer
-l'horreur qu'inspirait l'accusé, malgré les hautes considérations qu'il y
-développa en sa faveur, malgré le soin minutieux qu'il prit de raconter
-les principales actions de la vie de Papavoine, et de leur appliquer une
-foule d'observations des médecins les plus célèbres pour les maladies
-mentales, le défenseur ne put qu'obtenir les éloges que méritait son
-plaidoyer remarquable. Après une demi-heure de délibération, le jury
-déclara l'accusé coupable sur toutes les questions. En conséquence, la
-Cour faisant l'application de la loi, condamna Louis-Auguste Papavoine à
-la peine de mort.
-
-L'accusé, en entendant ce terrible arrêt, se leva et s'écria, les yeux
-tournés vers le ciel: _J'en appelle à la justice divine!.._ L'avocat
-paraissait vivement ému, et on remarqua que Papavoine se penchait vers
-lui, comme pour le consoler.
-
-Papavoine se pourvut en cassation, et Me Paillet lui prêta encore le
-secours de son beau talent devant la Cour suprême; le pourvoi fut rejeté.
-
-Le dernier jour de Papavoine semblait donc arrivé; encore quelques
-heures, et il allait monter à l'échafaud. Mais sa famille, qui redoutait,
-pour elle comme pour lui, l'ignominie attachée à une exécution publique,
-implora la clémence royale. Cette démarche ne fit que retarder de
-quelques jours le supplice du coupable. L'arrêt de la Cour d'assises du
-28 février, confirmé par celui de la Cour de cassation du 19 mars, dut
-enfin recevoir son exécution, le 25 du même mois.
-
-Avant de sortir de la Conciergerie pour être conduit au lieu du supplice,
-Papavoine demanda à embrasser le crucifix; son confesseur s'empressa de
-le lui présenter. Il témoigna en outre l'intention d'ajouter quelques
-déclarations à celles qu'il avait faites devant la Cour d'assises, et
-l'un des conseillers de la Cour royale fut délégué pour l'entendre. Rien
-ne transpira de cette révélation dernière. Tout porte à croire qu'elle
-n'avait aucun rapport avec le procès dont l'issue venait de lui être si
-funeste; car cinq mois employés à l'enquête judiciaire ne permettaient
-pas de supposer qu'il aurait pu rien échapper à l'investigation de la
-justice. Peut-être Papavoine, en rendant le magistrat chargé de
-recueillir ses dernières paroles, témoin du désordre de son esprit,
-voulut-il prouver, par quelques traits bizarres, alors même que cette
-preuve ne pouvait rien changer à son sort, que réellement il était
-frappé d'aliénation mentale.
-
-Quoi qu'il en soit, il subit son arrêt le 25 mars 1825, sur la place de
-Grève, à quatre heures de relevée.
-
-
-
-
-LA VEUVE BOURSIER.
-
-
-Il n'est point d'individu, si vertueux, si isolé, si obscur qu'il soit,
-qui puisse, à juste titre, se dire certain d'être toujours à l'abri des
-atteintes de la méchanceté. On aura beau tenir une conduite sans
-reproche; on aura beau cacher soigneusement sa vie; presque toujours et
-par cela même, on rencontrera des envieux, des ennemis acharnés qui,
-manœuvrant dans l'ombre, s'efforceront de dénaturer aux yeux du monde ce
-qui excite leur jalousie secrète, et ne réussiront que trop souvent à
-répandre des nuages sur le mérite qui les offusque. C'est là une des
-servitudes conditionnelles de notre état social, que personne ne peut
-éluder, et à laquelle l'homme sage tâche de se résigner d'avance. Il est
-sans doute bien disgracieux, bien pénible, par fois même infiniment
-douloureux, de se voir le point de mire des attaques de la calomnie;
-mais l'expérience de chaque jour a quelque chose de rassurant à cet
-égard, en ce qu'elle prouve qu'une vie pure est un impénétrable bouclier
-contre lequel viennent s'émousser les traits empoisonnés que décochent la
-haine et l'esprit de satire.
-
-On cesse de jouir du même avantage, du moment que l'on transgresse les
-limites du devoir. Dès-lors on devient plus vulnérable; on s'est
-découvert, on montre son côté faible: l'ennemi n'est pas lent à en
-profiter. Une première infraction favorise la supposition de beaucoup
-d'autres. Procédant comme le mathématicien, du connu à l'inconnu, le
-public se laisse aller sans peine à croire que tel homme qui déjà s'est
-souillé d'un crime, a bien pu commettre un crime plus grand encore; et,
-il faut en convenir, dans ce cas, la prévention porte avec elle des
-preuves morales qui, bien qu'insuffisantes aux yeux de la justice, n'en
-sont pas moins accablantes pour l'accusé. Combien n'avons-nous pas vu de
-femmes adultères, prévenues de l'assassinat ou de l'empoisonnement de
-leurs maris! Certes, le premier crime de la plupart de ces épouses
-coupables n'est ordinairement que le point de départ de la seconde
-accusation dirigée contre elles. Rarement, on voit la malignité humaine
-assez audacieuse pour accuser une femme douce, paisible, attachée à son
-mari comme à ses devoirs, d'avoir eu, seulement une minute, l'horrible
-pensée d'abréger l'existence du père de ses enfans. Mais la femme qui a
-pu consentir à violer la foi conjugale, qui, sans pudeur comme sans
-remords, a pu former des liaisons scandaleuses, ne saurait revendiquer
-pour elle ce privilége exclusif de l'innocence. Si son époux succombe au
-milieu des déchiremens des plus horribles convulsions, déjà de ce seul
-fait surgira le soupçon le plus prononcé. Et si cette mort violente et
-subite est tenue presque secrète; si, au lieu de provoquer elle-même les
-investigations que réclame un événement de ce genre, la femme s'oppose
-vivement à tout ce qui pourrait faire découvrir la cause de la maladie et
-de la mort; si d'autres circonstances viennent corroborer ces
-circonstances déjà si graves; de quel poids seront les protestations et
-les dénégations de cette malheureuse, au tribunal de l'opinion publique?
-Son acquittement, prononcé peut-être faute de preuves suffisantes, ne
-l'absoudra pas aux yeux de la société doublement outragée; et les paroles
-de blâme, sorties de de la bouche du magistrat, forcé de suspendre le
-glaive des lois, malgré son intime conviction, équivaudront à une sorte
-de condamnation. Passons maintenant aux faits qui nous ont suggéré ces
-réflexions. Les voici tels qu'ils ressortent de l'acte d'accusation.
-
-Guillaume-Étienne Boursier, marié, depuis 1809, avec Marie-Adelaïde
-Bodin, avait eu cinq enfans de cette union. Il faisait le commerce
-d'épicerie dans une boutique qu'il occupait au coin de la rue de la Paix
-et de la rue Neuve-Saint-Augustin. Le commerce de Boursier prospéra à tel
-point que, plusieurs années après son mariage, ses bénéfices annuels
-s'élevaient à près de onze mille francs. Peu de temps avant sa mort, il
-avait manifesté l'intention de ne continuer à travailler que pendant
-quatre ans encore, attendu qu'à cette époque, il espérait réaliser 15,000
-livres de rente.
-
-Boursier était d'un naturel vif et emporté, mais très-bon et
-très-obligeant. Il avait beaucoup d'amis, et jouissait de l'estime de
-tous ceux qui le connaissaient. Les personnes qui habitaient son
-domicile étaient la veuve Flamand, sa tante, âgée de soixante-onze ans;
-la fille Joséphine Blin, cuisinière, depuis quatre mois au service de sa
-maison; les nommés Delonge et Béranger, garçons de magasin, et la
-demoiselle Reine, fille de boutique: le nommé Halbout, qui était chargé
-de la tenue des livres, ne demeurait pas chez Boursier.
-
-Le 25 mars 1822, Boursier avait acheté chez le sieur Bordot, son ami,
-droguiste, une demi-livre d'arsénic pour faire périr les souris et les
-rats qui s'étaient multipliés dans ses caves et ses magasins; il avait en
-outre acheté, vers la même époque, de la mort-aux-rats, qui était en pâte
-malléable.
-
-Boursier, avec un nommé Bailli, son commis, prépara, avec _une partie de
-l'arsenic_, des boulettes qui furent placées dans la cave. Bailli, qui
-avait coopéré à cette opération, remit à Boursier le restant de
-l'arsenic, que celui-ci rangea. Il paraît que ce qui restait de la
-mort-aux-rats fut placé dans un casier à bouteilles.
-
-Boursier et sa femme vivaient en très-bonne intelligence. Vers le milieu
-de 1821, un nommé Charles, qui connaissait la veuve Flamand, lui présenta
-le sieur Kostolo, natif de Constantinople, et d'origine grecque; ce
-Kostolo cherchait une place de valet-de-chambre. Par le récit vrai ou
-supposé des malheurs qui le poursuivaient, ainsi que sa famille, il
-parvint à intéresser la veuve Flamand, qui le recommanda à sa nièce, la
-femme Boursier.
-
-Kostolo était en France depuis quatre ou cinq ans. Doué d'un physique
-assez agréable, il était parvenu à former des liaisons intimes avec une
-dame Olivereau, qui fournissait en grande partie à ses dépenses, et chez
-qui il trouvait ses repas. Quand il eut mis le pied dans la maison
-Boursier, il y vint très-fréquemment, s'y impatronisa, et l'intérêt que
-lui portait la dame de la maison se changea bientôt en une inclination
-coupable; elle lui prêta de l'argent à l'insu de son mari; il venait
-presque tous les jours, sous prétexte de s'informer du résultat des
-démarches qu'on avait promis de faire pour le placer, en ayant soin de ne
-pas éveiller les soupçons du mari.
-
-De son côté, la dame Boursier, en femme habile, ne sortait jamais seule,
-et se faisait accompagner de la fille Reine, sa demoiselle de boutique.
-Sous prétexte de promenades nécessaires à sa santé, elle se rendait de
-très-grand matin aux Champs-Élysées, où Kostolo l'attendait; puis la
-promenade se dirigeait du côté du logement de Kostolo. La femme Boursier
-et la fille Reine montèrent chez lui une première fois; mais ensuite la
-femme Boursier montait seule chez Kostolo, et la fille Reine, confidente
-discrète, venait plus tard la reprendre. Suivant Kostolo, ces coupables
-rendez-vous commencèrent seulement quinze jours avant le décès de
-Boursier.
-
-La femme Boursier avait fait, avec plusieurs autres personnes, la partie
-d'aller passer la journée à Versailles; Kostolo fut invité, et Boursier
-ignora absolument que le Grec avait été de cette partie de campagne.
-Cependant Boursier continuait toujours à lui faire le même accueil. Une
-de ses nièces étant accouchée, il fit tenir l'enfant sur les fonts de
-baptême par Kostolo et par la femme Boursier, son épouse.
-
-Le 28 juin, jour fatal au trop crédule époux, Boursier devait faire une
-promenade avec le nommé Alberti, l'un de ses amis: le rendez-vous était
-fixé à dix heures. Boursier se leva, selon son habitude journalière, à
-six heures du matin; il était très-gai et bien portant. La femme Boursier
-ayant pris l'émétique la veille, se leva plus tard; son mari, pour lui
-faire une plaisanterie, entra doucement dans sa chambre et lui dessina
-deux moustaches avec une pommade noire dont il se servait pour les
-cheveux; il envoya ensuite la fille Blin, sa domestique, pour réveiller
-sa femme, avec ordre de lui présenter en même temps un miroir. La femme
-Boursier, en apercevant ses moustaches, se fâcha un peu. Boursier rit
-beaucoup de la surprise de sa femme, qui se leva en boudant; elle se
-rendit ensuite à son comptoir, où ils s'embrassèrent mutuellement.
-
-Boursier ne prenait jamais rien en se levant; il déjeûnait
-habituellement, entre neuf et dix heures du matin, avec un potage au riz.
-Ce jour-là, il demanda son potage à neuf heures. La fille Blin le lui
-prépara sur le fourneau de la cuisine, dans une casserolle en fer battu,
-qui servait toujours à cet usage. Quand ce potage fut prêt, elle
-l'apporta dans la casserolle même, sur un petit secrétaire qui était
-dans la salle à manger, et sur lequel Boursier déjeûnait toujours. La
-fille Blin avait l'habitude, avant de servir le potage, d'en conserver
-une partie pour elle et pour le plus jeune des enfans de son maître, qui
-était âgé de cinq ans. Cet enfant et la fille Blin mangèrent cette
-portion de potage, et n'en furent point incommodés. Quand Boursier était
-prévenu par la domestique que son déjeûner était prêt, il arrivait
-souvent qu'il ne le mangeait pas sur-le-champ, surtout quand il voulait
-terminer quelque chose dont il s'occupait. Ce potage restait quelquefois
-un quart d'heure à l'endroit où la servante le plaçait, c'est-à-dire sur
-le secrétaire qui était dans la salle à manger, à peu de distance du
-comptoir où se tenait habituellement la femme Boursier.
-
-L'instruction, quels qu'aient été ses soins, n'a pu déterminer l'espace
-de temps qui s'était écoulé entre le moment où le potage avait été
-apporté sur le secrétaire et celui où Boursier commença à déjeûner.
-Cependant la fille Blin a pensé qu'il avait pu s'écouler quatre à cinq
-minutes dans cet intervalle. Par les mêmes motifs, il serait difficile
-d'établir, par les témoignages, ce que faisaient Boursier et sa femme au
-moment où le potage fut apporté, et depuis cet instant jusqu'au déjeûner.
-
-Cependant, aussitôt que Boursier eut goûté de son potage au riz, il
-appela la fille Blin, et se plaignit du mauvais goût qu'il lui trouvait.
-Cette fille lui répondit qu'elle en était étonnée, attendu qu'elle avait
-mis dans le déjeûner trois jaunes d'œufs, au lieu de deux qu'elle y
-mettait habituellement. Il avait aussi appelé sa femme pour lui dire que
-son potage était mauvais, qu'il avait un _goût empoisonné_; et sur
-l'observation que lui avait faite la domestique, il avait dit: «Puisqu'il
-est bon, il faut en manger;» et il en prit alors quelques cuillerées. Il
-déclara alors que son potage était décidément mauvais, qu'il ne pouvait
-le manger; en même temps, il lui prit un vomissement qui lui fit rendre
-une partie du riz et des matières vertes qui ressemblaient à de la bile.
-La femme Boursier alla préparer un verre d'eau sucrée.
-
-Cependant les vomissemens continuaient, accompagnés de flux de sang.
-Boursier fut mis au lit; il se plaignait d'une extrême lassitude dans les
-reins; bientôt survinrent des évacuations d'une grande fétidité. Le sieur
-Bordeu, médecin appelé, arriva entre onze heures et midi, et traita la
-maladie comme une indigestion; il ordonna des potions calmantes. Revenu à
-six heures du soir, et jugeant que la maladie était plus grave, il fit
-appliquer des sangsues et des sinapismes. Néanmoins l'état du malade
-empirait. Le lendemain matin, un autre médecin, nommé Tartra, est appelé;
-on prescrit de nouveaux moyens. Un élève en médecine, le sieur Toupié,
-est chargé de passer la nuit près du malade; mais tous les remèdes
-étaient inutiles: Boursier expira à quatre heures du matin, après
-d'effrayantes convulsions.
-
-Toupié avait remarqué que les extrémités étaient froides, et que les
-ongles étaient bleuâtres. MM. Bordeu et Tartra arrivèrent après le décès
-de Boursier; ils examinèrent le cadavre et firent la même remarque que
-l'élève Toupié, et tous deux, ne pouvant se rendre compte d'une mort
-aussi subite, firent demander à sa veuve la permission de faire
-l'autopsie du cadavre; mais elle s'y opposa, malgré leurs pressantes
-insistances.
-
-Le même jour, la femme Boursier, sous le prétexte que son mari était
-très-replet, et que la putréfaction occasionnée par les chaleurs,
-pourrait nuire aux comestibles qui étaient dans son magasin, témoigna le
-désir que l'inhumation eût lieu le soir même. Deux amis du défunt
-reçurent mission d'en faire la demande à la mairie; mais la permission
-fut refusée. Les obsèques eurent lieu le lendemain mardi, à dix heures du
-matin. Le corps fut déposé dans une fosse particulière, au cimetière du
-Père-Lachaise.
-
-Le 28 juin, c'est-à-dire le jour même que Boursier était tombé malade,
-Kostolo était venu, selon son habitude journalière, au magasin. Étonné de
-la soudaineté de la maladie de Boursier et des symptômes alarmans qui se
-manifestaient, il se tint près du lit du malade toute la journée; le
-lendemain, il revint près de lui, et ne le quitta plus qu'à sa mort. Ce
-fut lui qui, pendant la dernière nuit, lui administra les boissons qui
-avaient été prescrites par les médecins. De même que le sieur Toupié,
-Kostolo déclara avoir remarqué les taches bleuâtres, indices presque
-certains d'un empoisonnement.
-
-Enfin tout était consommé, et la mort et l'inhumation du malheureux
-Boursier; mais des bruits sinistres éclatèrent bientôt, et le 31 juillet,
-le procureur du roi ordonna l'exhumation du corps. MM. Orfila, docteur en
-médecine, Hardy, professeur de la faculté de médecine, et Hamel, candidat
-en médecine, appelés par le juge d'instruction, procédèrent sur le lieu
-même à l'autopsie du cadavre; ils firent l'extraction de l'estomac et des
-intestins, qui furent placés aussitôt dans un vase de terre, sur lequel
-les scellés furent apposés; ils recueillirent aussi dans un vase un
-liquide jaune. Les médecins déclarèrent, dans le procès-verbal qu'ils
-dressèrent, qu'ils n'avaient trouvé aucune trace de lésion qui pût faire
-soupçonner que Boursier eût succombé à la suite d'une rupture ou d'une
-ulcération du cœur, des poumons et des gros vaisseaux qui sont contenus
-dans le thorax. Après un examen approfondi, les médecins attestèrent
-qu'il s'était trouvé, tant dans l'estomac que dans les intestins qu'ils
-avaient analysés, une quantité d'arsénic suffisante pour donner la mort.
-Dans le cours de leur première opération, ils en avaient en outre
-signalé quelques grains au juge d'instruction.
-
-Enfin cinq docteurs en médecine, parmi lesquels étaient MM. Orfila,
-Chaussier et Pelletan, consultés sur la réunion des circonstances
-rapportées ci-dessus, furent unanimement d'avis que Boursier était
-évidemment mort des effets de l'arsenic, et que l'autopsie n'avait
-nullement justifié la supposition d'une rupture de vaisseaux dans la
-poitrine.
-
-Ces explications si claires, si précises, si concordantes, ne pouvaient
-laisser subsister le plus léger doute sur les causes de la mort de
-Boursier: _il était mort empoisonné_. Il s'agissait de savoir si cet
-événement était le résultat d'un crime, d'un suicide ou d'un simple
-accident. Telles étaient les seules suppositions auxquelles pouvait
-donner lieu la mort inopinée de cet homme. Tout tendait à démontrer
-jusqu'à l'évidence que Boursier ne s'était pas empoisonné lui-même. Il
-était père de cinq enfans; son commerce était aussi prospère qu'il
-pouvait le désirer; son intérieur n'avait rien que de riant pour lui; il
-vivait en très-bonne intelligence avec sa femme dont il ignorait les
-désordres; il était d'une humeur très-gaie, et la plaisanterie qu'il fit
-à sa femme, le 28 juin, n'indique guère qu'il fût, ce jour-là, tourmenté
-par quelque souci. D'ailleurs, si Boursier eût mis lui-même de l'arsenic
-dans son potage, est-il présumable qu'il eût appelé sa femme et la
-cuisinière, pour leur dire que ce potage était mauvais?
-
-On ne pouvait pas attribuer davantage la mort de Boursier à un simple
-accident. Aussi l'accusation l'attribua-t-elle à un crime. D'après
-l'autopsie, l'empoisonnement était constant. Les liaisons criminelles qui
-existaient entre la veuve Boursier et Kostolo appelèrent sur eux les
-soupçons de la justice: tous deux furent arrêtés.
-
-Aussitôt que les vomissemens avaient commencé, la femme Boursier avait
-pris la casserolle qui contenait le riz; elle avait jeté ce riz dans une
-terrine d'eau sale qui était sous la fontaine; elle avait passé ensuite
-un peu d'eau dans la casserolle, et ordonné à la fille Blin de la
-nettoyer; ce que celle-ci avait exécuté, en la frottant avec du sable et
-de la cendre. La veuve Boursier chercha à expliquer cette circonstance
-extraordinaire: «Boursier, disait-elle, était très-susceptible sur la
-propreté. Pour lui prouver que la casserolle était propre, j'allai la
-vider; et, comme il y avait un peu de riz attaché au fond, j'y ai passé
-de l'eau pour le détacher, et ai montré ensuite la casserolle à mon
-mari.»
-
-L'accusation s'empara de cet aveu et crut y trouver une preuve du crime.
-Les réticences de la femme Boursier, ses tergiversations dans plusieurs
-réponses importantes, furent autant de probabilités contre elle. Une
-fois, elle dit que son mari ne lui avait jamais parlé d'arsénic; une
-autre fois, qu'il lui avait parlé de mort-aux-rats et d'arsénic.
-
-Interrogée sur le compte des personnes qui fréquentaient habituellement
-sa maison, la veuve Boursier cita tous les amis de son mari; mais elle ne
-nomma pas Kostolo, et soutint même qu'elle n'avait jamais eu de relations
-intimes avec cet homme. Mais Kostolo, assez impudent pour ne rien
-ménager, révéla la nature de ses liaisons avec la veuve Boursier; et
-celle-ci, forcée par l'évidence à avouer ces coupables habitudes, avoua
-d'abord qu'elle avait vu Kostolo avec intérêt et plaisir, et bientôt fut
-contrainte de confesser que, dans la chambre même du défunt, elle s'était
-abandonnée aux vœux criminels de son misérable complice. Il résulta
-aussi des interrogatoires qu'elle donnait de l'argent à Kostolo, et l'on
-en conclut que, puisqu'elle n'ignorait pas le dénuement de cet homme,
-elle stipendiait ses assiduités adultères, et lui livrait le patrimoine
-de ses enfans.
-
-Après avoir entendu tous les témoins, l'accusation posa la question
-suivante:
-
-«La veuve Boursier prétendra-t-elle, comme elle l'a fait dans ses
-interrogatoires, qu'elle n'avait aucun intérêt ni aucun motif pour
-commettre ce crime?» Puis elle y répondit: «On ne le pense pas; car sa
-conduite après la mort de son mari, les projets formés entre elle et
-Kostolo de s'unir en mariage, la promesse qu'elle lui en avait faite, la
-crainte qu'elle avait qu'il ne changeât d'avis, démontrent suffisamment
-le motif qui l'a portée à cet attentat.» Ces allégations de l'acte
-d'accusation résultaient des déclarations réitérées de Kostolo, et
-paraissaient être confirmées d'ailleurs par la franchise grossière avec
-laquelle il répondit aux questions du magistrat chargé de l'instruction
-de ce procès.
-
-Pour établir la complicité de Kostolo dans l'empoisonnement présumé du
-malheureux Boursier, l'acte d'accusation présenta cet homme attaché au
-chevet du lit du moribond, lui administrant les boissons prescrites par
-les médecins, et pouvant bien y avoir introduit de nouvelles substances
-vénéneuses. On le montrait encore comme un homme dénué de ressources,
-sans moyens d'existence, et pouvant avoir un grand intérêt à s'associer à
-une femme qui le mettrait à la tête d'un établissement florissant et
-capable d'assurer son avenir.
-
-Pendant l'instruction, le témoin Bailly, ancien commis de Boursier, avait
-dit d'abord que son patron, après avoir préparé des boulettes pour faire
-périr les rats, avait serré le restant de l'arsenic lui-même; plus tard,
-ce témoin changea de langage, et dit que c'était lui Bailly, qui avait
-serré le reste d'arsénic, et qu'il ne s'en était pas souvenu d'abord. Ces
-deux déclarations si différentes, cette attention que Bailly apportait à
-justifier l'accusée, que jusque-là il avait cherché à faire regarder
-comme coupable, donna lieu de penser que l'on avait fait des démarches
-pour le circonvenir, et lui faire rétracter sa première déclaration. En
-conséquence, l'avocat-général pris des réserves à son égard.
-
-Les débats durèrent plusieurs jours. La plupart des circonstances que
-l'on a déjà vues furent pleinement confirmées. La veuve Boursier se
-renferma dans un système de dénégation presque absolu, non seulement
-touchant l'empoisonnement de son mari, mais encore relativement à la
-nature de ses liaisons et de ses entrevues avec Kostolo. Mais, quant à
-ces derniers faits, elle fut plusieurs fois confondue par les réponses
-énergiques, précises, et grossièrement effrontées de Kostolo. A plusieurs
-reprises, l'auditoire eut peine à imposer silence à la juste indignation
-qu'il éprouvait en entendant ce misérable aventurier qui, pour mieux
-prouver son innocence, faisait parade de ses honteux trophées.
-
-Le 29 novembre 1825, sur la réponse négative du jury, le président de la
-Cour d'assises de la Seine, déclara la veuve Boursier et Kostolo
-déchargés de l'accusation intentée contre eux, et ordonna leur mise en
-liberté.
-
-L'autorité prit en même temps des mesures pour que Kostolo, étranger sans
-aveu, sans ressources et sans recommandation, qui faisait un si hideux
-trafic de ses avantages physiques, purgeât de sa présence un pays qu'il
-avait souillé des plus scandaleux désordres. Il resta sous la
-surveillance de la police jusqu'à son départ.
-
-Quant à la veuve Boursier, elle revint, le soir même de son acquittement,
-dans son domicile qui devait au moins lui rappeler de bien graves
-erreurs. Ses amis l'attendaient. Une nuit bruyante en félicitations
-succéda aux transes de la veille. La veuve Boursier reparut, presque le
-lendemain, dans son comptoir, et se vit, pendant plusieurs jours, l'objet
-de la curiosité publique. Tout le monde voulait voir l'amante de
-l'aventurier Kostolo, devenue si tristement fameuse par la formidable
-accusation dirigée contre elle.
-
-On aurait mieux aimé, dans l'intérêt même de la veuve Boursier, ne pas
-lui voir oublier si promptement les périls qu'elle venait de courir,
-pouvoir lui supposer un repentir sincère, une pudique honte des torts
-avérés qu'on avait à lui reprocher. Comment avait-elle pu si tôt oublier
-la touchante et paternelle admonition du président de la Cour? «Veuve
-Boursier, lui avait dit ce magistrat, en prononçant son acquittement,
-vous allez recouvrer la liberté que les plus graves soupçons vous avaient
-fait perdre. Le jury vous a déclarée non-coupable du crime qui vous était
-imputé: puissiez-vous trouver la même absolution dans le témoignage de
-votre conscience! Mais n'oubliez pas que la cause de vos malheurs et du
-déshonneur qui couvrira peut-être à jamais votre nom, fut le désordre de
-vos mœurs et la violation des nœuds les plus sacrés. Descendez au fond
-de votre cœur; que votre conduite à venir efface la honte de votre
-conduite passée, et que le repentir remplace l'honneur que vous avez
-perdu!»
-
-A l'époque de son procès, la veuve Boursier avait trente-sept ans. On
-était fort curieux de connaître son extérieur. Sa taille était peu
-élevée, même petite (quatre pieds cinq pouces); sa figure, sillonnée par
-la petite vérole, était peu agréable; ses traits n'avaient rien de ce qui
-rappelle la beauté. Elle contrastait avec Kostolo, dont les traits
-étaient réguliers et la taille élevée.
-
-
-
-
-LE FORÇAT SUREAU.
-
-
-Sureau, garçon tailleur, était au bagne de Brest, depuis l'année 1823 ou
-1824. Voici sommairement les circonstances qui l'avaient plongé dans ce
-cloaque de criminels. Ce jeune homme devait épouser une jeune fille, sa
-cousine. Celle-ci, au moment de s'unir à lui, se rétracta. Alors Sureau
-s'abandonna au désespoir; ses passions fermentèrent, sa tête s'exalta;
-une sorte de délire furieux s'empara de lui. Il se rendit chez celle
-qu'il aimait, armé de deux pistolets; il voulait se brûler la cervelle à
-ses yeux; peut-être aussi voulait-il l'immoler elle-même et périr sur son
-cadavre. Qui pourrait savoir quel était son projet? Le savait-il bien
-lui-même? Quoi qu'il en soit, la jeune fille seule expira sous l'arme
-meurtrière, et Sureau fut, quelques mois après, envoyé au bagne de Brest,
-et attaché côte à côte avec un galérien.
-
-Chose étrangement monstrueuse! Dans ce séjour de l'opprobre et de la
-misère, ce jeune homme retrouva encore des passions semblables à celles
-qu'il avait déjà éprouvées, mais avec cette différence qu'elles étaient
-empreintes de cette hideur et de cette dépravation que le bagne attache à
-tout. Le forçat dont l'existence était enchaînée à la sienne par des
-liens de fer, était devenu pour lui l'objet d'une affection infâme.
-Depuis deux ans environ, il traînait sa chaîne avec ce compagnon,
-lorsqu'une mésintelligence éclata entre eux. Pendant la nuit, la tête du
-galérien Sureau s'exalta comme lors de son premier crime. Tout-à-coup il
-se lève, s'arme de ciseaux qui se trouvaient à côté de lui, les plonge à
-plusieurs reprises dans les flancs de son compagnon endormi, et appelant
-à grands cris le garde-chiourme: _Qu'on me conduise à la mort!_
-s'écrie-t-il, d'une voix forcenée. _Je viens d'assassiner l'homme que
-j'aimais plus que ma vie._
-
-Sureau ne tarda pas à être traduit devant un conseil composé d'officiers
-et d'ingénieurs de la marine. Rien de plus extraordinaire que l'aspect
-d'un tel tribunal: là, les accusés sont toujours des criminels; là, les
-témoins eux-mêmes comparaissent couverts de leurs vêtemens rouges, et
-traînant leurs chaînes.
-
-Connaissez-vous, dit le président à l'un de ces témoins qui paraissait
-avoir vieilli aux galères, connaissez-vous quelque motif qui ait pu
-porter l'accusé à tuer son camarade?
-
-_Le forçat_: Oui, monsieur le président. Je crois, sauf votre respect,
-que son camarade l'avait appelé _mouton_.
-
-_Le président_: Eh bien? que signifie cela?
-
-_Le forçat_: C'est que, monsieur, quand on dit à quelqu'un qu'il est un
-_mouton_, ça veut dire, sauf votre respect, qu'il rapporte aux chefs tout
-ce qui se fait.
-
-_Le président_: Quel grand mal y a-t-il là? comment voulez-vous qu'il ait
-pu le tuer pour cette parole?
-
-_Le forçat_: C'est que, monsieur, chez nous, celui qui est _mouton_, sauf
-votre respect, ça veut dire _qu'il faut qu'on l'assassine_, et alors vous
-comprenez qu'on n'aime pas d'avoir cette réputation.
-
-Le sang-froid, le ton de naïveté avec laquelle le vieux forçat débitait
-ces maximes, indiquaient assez qu'elles constituaient un des points de
-droit de ce lieu d'infamie, et qu'elles avaient été plus d'une fois mises
-à exécution.
-
-Après la plaidoierie de son avocat, le galérien Sureau voulut se défendre
-lui-même. Son improvisation offrait un mélange singulier du langage de la
-passion et de l'argot du bagne: l'idée de la cousine et de son compagnon
-de chaîne se confondait dans son esprit, et l'image de ces deux victimes
-de sa fureur, harcelant sans cesse sa pensée, lui inspirait des paroles
-et des mouvemens d'une véritable éloquence.
-
-Le forçat Sureau fut condamné à mort le 17 octobre 1826, et fut exécuté
-dans les vingt-quatre heures.
-
-
-
-
-PIERRE BARRIÉ,
-
-PARRICIDE.
-
-
-Le 16 novembre 1826, le nommé Pierre Barrié, âgé de trente-trois ans, né
-à Cocural, canton de Saint-Amans (Aveyron), comparut devant la Cour
-d'assises de Rhodez, accusé de meurtre sur la personne de sa mère. Cette
-cause avait attiré une grande affluence de spectateurs. Nous allons en
-rapporter les principaux faits.
-
-Depuis quelque temps, Marguerite Bouges, veuve Barrié, âgée de soixante
-ans, était atteinte d'aliénation mentale. Ses enfans, qui faisaient de
-fréquens voyages à Paris, trouvèrent convenable, pour sa propre sûreté
-comme pour la sûreté commune, de la faire renfermer dans un hospice, et
-confièrent ce soin à Pierre, l'aîné de la famille. Ce projet fut conçu au
-mois de septembre 1824. A cette époque, Pierre Barrié, Jean, son frère,
-et Marie-Anne, sa sœur, étaient dans le pays; toutefois il a été établi
-que ces deux derniers ne se trouvaient pas à Cocural, et que Pierre
-habitait seul avec sa mère dans la maison de feu Barrié, son père.
-
-Dans les derniers jours de ce même mois de septembre, Pierre Barrié
-prétendit avoir rempli la commission dont il s'était chargé. Selon lui,
-il s'était adressé à cet effet au nommé Frédéric-Alexandre Cambonne,
-marchand à Espalion et propriétaire à Montpellier, lequel, moyennant la
-somme de 440 francs, devait conduire dans cette dernière ville Marguerite
-Bouges, et la placer dans un établissement de charité. Pierre Barrié
-ajoutait quelques circonstances sur le départ de sa malheureuse mère. Il
-disait qu'elle avait opposé une vive résistance... que l'on avait été
-forcé de recourir à l'assistance des gendarmes en résidence à Espalion.
-
-Dans le courant du mois d'octobre suivant, Pierre, Jean et Marie-Anne
-Barrié partirent pour Paris. Ce fut dans cette ville, au mois de janvier
-1825, que Pierre apprit aux deux autres la mort de leur mère, survenue,
-disait-il, par suite d'un accident tragique. La voiture qui la
-conduisait à Montpellier avait versé... Elle s'était fracassé le crâne...
-On l'avait transportée dans un hospice où elle avait rendu le dernier
-soupir... Le prétendu conducteur Cambonne était aussi décédé... Pierre
-Barrié écrivit même à Cocural pour faire prendre le deuil aux autres
-membres de la famille.
-
-Comme la plupart des hommes de son pays, Pierre exerçait à Paris la
-profession de porteur d'eau; il était domicilié rue du Bac.
-
-Jean revint de Paris à Cocural dans le courant de mai 1825, portant un
-reçu de 440 francs, souscrit et signé par le prétendu Cambonne. Ce reçu
-lui avait été remis par son frère Pierre.
-
-Cependant une sourde et vague rumeur s'était répandue au sujet de la
-disparition de Marguerite Bouges; on disait que cette femme n'était pas
-sortie du pays, et, chaque jour, ces conjectures acquéraient plus de
-consistance. On apprit de quelques individus qui avaient fait le voyage
-de Montpellier, que toutes recherches avaient été infructueuses pour se
-procurer des nouvelles de cette femme. On se rappela aussi que, vers la
-fin de septembre 1824, Pierre Barrié, qui était naturellement gai, avait
-paru sombre et agité, et qu'il avait supplié un de ses voisins de lui
-permettre de coucher chez lui, ne pouvant, disait-il, habiter seul dans
-sa maison, où le bruit des portes battues par le vent le glaçait
-d'épouvante. Enfin, on sut dans le public que, dans une police de bail à
-ferme consentie à son oncle, peu de jours avant son départ pour Paris,
-Pierre Barrié s'était réservé un petit réduit, qu'il avait lui-même fermé
-soigneusement avec une cloison en planches, après y avoir entassé de
-vieux meubles et du bois de chauffage, et le docteur Capoulade,
-d'Albouze, parlant un jour de la disparition de la veuve Barrié, s'écria
-que c'était dans ce petit réduit que l'on pourrait trouver le cadavre de
-cette femme.
-
-Cette circonstance paraissait trop extraordinaire pour qu'elle n'éveillât
-pas l'attention. Aussi ce fut vers le lieu indiqué que la justice dirigea
-ses premières démarches. On ne tarda pas à découvrir l'horrible mystère.
-Bientôt, sous un amas de meubles, dans une auge de pierre, hermétiquement
-fermée avec de la terre glaise, on trouva le cadavre de Marguerite
-Bouges, recouvert de quelques lambeaux de vêtemens, le tout assez bien
-conservé pour qu'on pût constater l'identité. Le frère de l'accusé et
-plusieurs habitans la reconnurent. Marie Crassels déclara l'avoir
-reconnue à un doigt de la main gauche, dont la première phalange avait
-été emportée par un panaris.
-
-Aussitôt la police fut instruite, et des ordres furent donnés pour que
-Pierre Barrié fût arrêté à Paris, et conduit sans retard à Rhodez.
-
-Devant le juge d'instruction, l'accusé se renferma dans une dénégation
-absolue, parlant toujours du prétendu Cambonne, qui n'était, suivant
-toutes les probabilités, qu'un personnage de son invention; car on ne
-trouva aucun vestige de cet individu, ni sur les registres des morts, ni
-sur ceux des vivans. A cette terrible question: «Comment s'est-il fait
-que votre mère, décédée à Montpellier, ait été trouvée dans l'auge de
-Cocural?» Pierre Barrié se borna à répondre: _C'est par miracle!_
-
-En présence de la Cour d'assises, le président lui fit subir
-l'interrogatoire suivant:
-
-_D._ Qu'était devenue votre mère, lors de votre départ pour Paris en
-1824?
-
-_R._ M'étant chargé de la placer dans un hospice, au nom de tous ses
-enfans, un cocher de fiacre que j'avais connu à Paris, mais dont j'ignore
-le nom et le domicile, me conseilla de la confier à un monsieur qui, pour
-440 francs une fois payés, prit l'engagement de la conduire et de la
-faire recevoir à Montpellier, dans la maison centrale de cette ville.
-
-_D._ Connaissiez-vous ce monsieur?
-
-_R._ Je ne le connaissais pas: il disait s'appeler Alexandre-Frédéric
-Cambonne.
-
-_D._ D'où était-il?
-
-_R._ Je l'ignore: mais il prenait les qualités de propriétaire à
-Montpellier, et de marchand à Espalion.
-
-_D._ Vous aviez déjà consulté M. Jalabert fils, avocat à Espalion. Il
-vous avait promis ses bons offices pour obtenir une place pour votre mère
-dans l'hospice de cette ville, ou dans celui de Rhodez. Lui parlâtes-vous
-du traité que vous veniez de faire avec Cambonne?
-
-_R._ Non, monsieur.
-
-_D._ Vous n'accompagnâtes pas votre mère jusqu'au moment de son départ?
-
-_R._ Cela m'aurait fait mal.
-
-_D._ Plusieurs témoins ont déposé, dans l'instruction, qu'il vous avait
-fallu des gendarmes pour la contraindre: vous-même leur avez appris cette
-circonstance.
-
-_R._ Ils se trompent.
-
-_D._ Il résulte des informations qu'on a prises qu'il n'existe, ni à
-Montpellier ni à Espalion, aucun individu portant le nom de Cambonne, et
-que votre mère n'a jamais été reçue dans la maison centrale de
-Montpellier?
-
-_R._ J'ai été trompé.
-
-_D._ Qui vous apprit la mort de votre mère?
-
-_R._ Je l'appris par une lettre qui me fut écrite de Montpellier.
-
-_D._ Par qui?
-
-_R._ J'ai oublié le nom du signataire de la lettre.
-
-_D._ Mais enfin, comment se fait-il que votre mère ait été trouvée dans
-l'auge de Cocural?
-
-_R._ Je n'en sais rien.
-
-A chaque question, l'accusé essayait, mais en vain, de lever sa tête, qui
-retombait aussitôt sur sa poitrine.
-
-Les témoins furent entendus au nombre de trente-deux. Plusieurs
-rappelèrent le propos tenu par M. Capoulade, médecin d'Albouze. Celui-ci
-avoua le fait, et l'expliqua par diverses circonstances qui avaient
-appelé ses réflexions sur ce sujet.
-
-Le ministère public soutint l'accusation avec beaucoup de force et de
-précision, et fit voir que les circonstances diverses et multipliées qui
-avaient été recueillies à l'occasion du meurtre de la veuve Barrié,
-devaient suppléer à l'absence de témoins _de visu_ et aux doutes que
-pouvait laisser la matérialité du fait.
-
-L'accusé fut défendu par Me Grandet, avec le talent et la loyauté dont il
-avait donné déjà des preuves si brillantes dans l'affaire Fualdès.
-Plusieurs parties de sa plaidoierie firent une vive impression sur
-l'auditoire.
-
-Mais la délibération du jury ne pouvait être favorable à l'accusé. Trop
-de charges, des charges trop accablantes pesaient sur lui. Chacun était
-en droit de lui adresser ces terribles paroles: _Pierre Barrié, qu'as-tu
-fait de ta mère?_ Le jury répondit affirmativement aux questions de
-culpabilité qui lui furent soumises, et le président prononça contre le
-prévenu la peine du parricide. L'abattement que ce malheureux avait
-montré pendant les débats, redoubla lorsqu'il entendit l'arrêt qui le
-condamnait à la mort; il ne put marcher jusqu'à sa prison qu'avec le
-secours des gendarmes qui le soutenaient. Ce jugement fut rendu le 17
-novembre 1826.
-
-La Cour de cassation ayant rejeté le pourvoi de Pierre Barrié, et le roi
-n'ayant pas admis son recours en grâce, ce malheureux subit sa peine le
-19 février 1827 à Rhodez. Ce spectacle, qu'un appareil extraordinaire
-rendait encore plus hideux, avait attiré une foule immense. Le condamné
-fut transporté dans une charrette au lieu du supplice; il était
-pieds-nus, en chemise, et sa tête était couverte d'un voile noir.
-L'aumônier des prisons était assis auprès de lui; Barrié, triste et
-abattu, paraissait attentif aux exhortations de ce charitable
-ecclésiastique.
-
-Depuis sa condamnation, il avait substitué une autre version au système
-absurde qu'il avait suivi dans ses interrogatoires et dans les débats. Il
-assurait que sa mère était morte à la suite d'une chute violente qu'elle
-aurait faite dans un accès de démence; que, l'ayant trouvée ensanglantée
-et couverte de contusions, il s'était abstenu d'appeler du secours, de
-peur qu'on ne l'accusât de meurtre, et qu'alors il avait caché le cadavre
-dans l'auge où il avait été découvert dix-huit mois après.
-
-
-
-
-ANDRÉ BLUM,
-
-ACCUSÉ DE FAUX ET D'EMPOISONNEMENT.
-
-
-Au mois de mars 1821, André Blum fut employé dans les ateliers de la
-maison Haussman et Jordan, au Logelbach, près Colmar.
-
-En 1825, M. Jordan remarqua du désordre dans la conduite de cet homme.
-Plusieurs fois, il lui adressa des remontrances; Blum promit de se
-corriger; mais, loin de tenir sa promesse, il contracta de nouvelles
-dettes.
-
-Ses appointemens étant insuffisans pour subvenir à ses dépenses, il
-fabriqua et mit en circulation de faux billets de commerce. Dans le
-courant de 1825, il donna au sieur Édighoffen, aubergiste à l'enseigne du
-Roi de Pologne, à Colmar, en paiement d'une somme de 130 francs, un
-billet de 750 francs, paraissant souscrit, à son ordre, par son père
-Jacob Blum. Vers la même époque, il remit au sieur Simon, en paiement
-d'une somme de 100 francs, une lettre de change de 400 francs,
-paraissant pareillement souscrite à son ordre par son père. A leur
-échéance, ces deux effets furent protestés. Le père de l'accusé ne les
-reconnut pas, déclarant qu'il ne devait rien à son fils; que ce n'était
-pas le premier tour de ce genre qu'il lui faisait, et engageant le sieur
-Édighoffen à le poursuivre très-rigoureusement. M. Jordan, ayant eu
-connaissance de cette affaire, en parla à Blum. Celui-ci nia d'abord
-qu'il eût fabriqué les effets en question; mais il finit par en faire
-l'aveu. Blum était déjà débiteur de la maison Haussman d'une somme de
-plus de 800 francs, qu'elle avait payée pour lui. Dès ce moment, M.
-Jordan résolut de faire le sacrifice de cet argent et de se débarrasser
-de Blum. En conséquence, on lui adjoignit deux ouvriers, destinés à le
-remplacer, Joseph Grimmer et Louis Vautrin.
-
-Ces mesures rendirent Blum furieux: il forma le projet d'en tirer
-vengeance, et ne dissimula pas ses intentions. Dans le mois d'avril, il
-dit à un des ouvriers de la fabrique qu'il connaissait des individus qui
-l'avaient desservi auprès de M. Jordan; qu'il leur conserverait une
-haine implacable, et qu'il s'en vengerait, ne dût-ce être que dans vingt
-ans. Vers la même époque, il tint à un autre ouvrier un propos à peu près
-semblable, ajoutant que, s'il rencontrait celui qui l'avait calomnié, il
-le tuerait, et se suiciderait ensuite. Ces menaces demeurèrent sans
-effet.
-
-Comme chef d'atelier, Blum avait sous ses ordres un enfant de seize ans,
-Joseph Goechlinger. Dans le courant de l'hiver et du printemps de 1826,
-il l'avait envoyé par trois fois à Colmar, chercher de l'émétique. Chaque
-fois, il l'avait adressé à trois pharmaciens différens, et lui avait fait
-prendre chez chacun d'eux trois grains d'émétique, ce qui lui avait
-procuré vingt-sept grains de ce vomitif.
-
-Vers le même temps, il avait amené une femme dans son atelier, et lui
-avait fait placer de la mort-aux-rats dans trois endroits différens, sur
-des petits morceaux de papier; deux ou trois jours après, il s'en était
-emparé. Ainsi muni d'arsénic et d'émétique, Blum tenait des moyens de
-vengeance entre ses mains. Il choisit Joseph Grimmer pour sa victime, et
-attendit un moment favorable pour l'exécution de son forfait.
-
-Dans la matinée du 24 avril 1826, il crut l'avoir trouvé, et tenta
-d'empoisonner cet ouvrier. Ce jour-là, entre six et sept heures du matin,
-Blum, ayant vu que Joseph Grimmer avait des œufs, lui témoigna le désir
-d'en manger, et le pria de lui en préparer au beurre noir. Grimmer y
-consentit, lui en fit cuire quelques-uns dans une casserole, et les lui
-apporta avec du pain. Blum en mangea une petite partie, les saupoudra
-avec une poudre blanchâtre, et les remua pour mêler le tout. Dès-lors, il
-cessa d'en manger, en se plaignant qu'ils étaient trop salés; puis, il
-engagea Grimmer à les manger, et sortit.
-
-Il se rendit à Turckheim, où était le domicile de Grimmer, et fit dire à
-la femme de celui-ci que son mari ne rentrerait que vers onze heures ou
-minuit, et peut-être pas du tout.
-
-Cependant Grimmer, après le départ de Blum, s'était mis à manger les
-œufs qui restaient; mais à peine en avait-il avalé la moitié, que,
-dégoûté par l'amertume qu'il y trouva, il avait cessé d'en manger et
-s'était remis à l'ouvrage. Toutefois, il ne tarda pas à en éprouver
-l'effet.
-
-Une heure s'est à peine écoulée, qu'il est torturé par de fortes
-coliques; une sueur glacée découle de son front; il ressent un malaise
-général. Bientôt les vomissemens commencent. Ses compagnons n'hésitent
-pas à soupçonner Blum d'avoir empoisonné Grimmer. Heureusement pour ce
-pauvre malheureux que ce soupçon d'empoisonnement vint les frapper
-sur-le-champ. Ils prodiguèrent sans retard à leur camarade les secours
-les plus efficaces en pareil cas; ils lui firent prendre du bouillon, de
-l'huile et du lait, et il fut sauvé.
-
-Vers cinq heures du soir, Blum rentra à l'atelier. On lui reprocha
-d'avoir mis quelque chose dans les œufs de Grimmer. Il ne s'en défendit
-pas, et se borna à répondre: _Moi aussi, j'en ai mangé: pourvu qu'il ne
-soit pas crevé, cela suffit; je m'en moque._ En prononçant ces paroles,
-il rougit, et jeta sur une table une pièce qu'il pliait. Puis, pour
-anéantir autant que possible les traces de son crime, il barbouilla avec
-le reste des œufs la figure d'une ouvrière, et cassa le vase dans lequel
-Grimmer les avait fait cuire. Cependant des poursuites ayant été
-dirigées contre lui, il essaya de s'y soustraire, en se cachant dans les
-forêts qui environnent Soultz et les communes voisines; mais il fut
-arrêté, le 14 juin, aux environs d'Ollviller. On trouva sur lui une
-petite pièce de bois, tournée en forme de cachet, et qui paraissait
-destinée à contrefaire un sceau, et un petit paquet de papier gris,
-contenant une matière graisseuse.
-
-Transféré dans la maison d'arrêt de Colmar, il fut fouillé une seconde
-fois; on trouva dans une de ses poches un petit paquet de toile ficelée,
-contenant une poudre blanche. L'analyse chimique que l'on fit de ces
-matières prouva que la première était composée de morceaux d'éponge cuits
-dans la graisse et saupoudrés d'arsénic métallique; et que la seconde
-était une substance végétale sucrée, mélangée aussi avec de l'arsenic
-métallique.
-
-En conséquence, André Blum fut traduit devant la Cour d'assises de
-Colmar, le 18 novembre 1826, comme accusé de faux en écriture de
-commerce, et d'empoisonnement. L'accusé était vêtu de noir. C'était un
-jeune homme d'une belle taille et d'une figure assez régulière, mais
-l'expression de sa physionomie était froide et dure, et sa contenance
-plus qu'assurée. Il entendit la lecture de l'acte d'accusation d'un air
-impassible et presque effronté, et garda la même contenance pendant toute
-la durée des débats. Le docteur Morel, entendu comme témoin, rapporta
-plusieurs faits de nature à faire soupçonner l'accusé de plusieurs
-empoisonnemens antérieurs à celui qui l'avait fait mettre en prévention.
-La femme même de Blum aurait été victime d'une de ces tentatives. M.
-Pélicier, chimiste attaché à la fabrique Haussman, déposa que l'accusé
-était venu, à plusieurs reprises, lui demander de l'arsenic communément
-connu sous le nom de _mort-aux-rats_, lui disant que son logement était
-infesté de rats qui rongeaient ses habits et ses alimens; mais que lui,
-Pélicier, s'y était constamment refusé; que, sur des sollicitations
-itératives, il lui avait dit que, quand il y avait des rats et des souris
-dans les ateliers, il y plaçait des harengs imprégnés d'arsénic. Alors
-Blum lui dit qu'il lui apporterait un hareng pour qu'il y mît de
-l'arsenic; mais le témoin le lui refusa, parce qu'il connaissait la
-situation de l'accusé, et que l'on pouvait craindre qu'il ne voulût
-attenter à sa propre vie, ou chercher à donner la mort à d'autres.
-
-Les pharmaciens, chargés d'analyser les matières trouvées sur Blum, lors
-de son arrestation, déclarèrent qu'ils avaient parfaitement constaté la
-présence de l'arsenic, soit dans les éponges graisseuses qui en étaient
-imprégnées, soit dans le petit paquet de toile, où l'arsenic pur était
-mélangé avec une poudre végétale sucrée.
-
-Un autre témoin, Jacques Ohl, âgé de soixante-un an, ouvrier de la
-fabrique, déposa très-formellement des menaces proférées par Blum à
-plusieurs reprises. Il rapporta surtout ces mots: «Je me vengerai de ceux
-qui m'ont desservi; j'en tuerai un; je m'en vengerai, ne fût-ce que dans
-vingt ans. Je ferai comme cet Africain;» et, en faisant cette menace,
-l'accusé montrait un petit paquet qu'il avait à la main.
-
-Le jeune homme de seize ans, que Blum chargeait de l'achat de ses
-poisons, fut aussi entendu. Il déclara être allé à Colmar neuf à dix
-fois, avec la commission d'y prendre chaque fois neuf grains d'émétique
-chez des pharmaciens différens, d'après les ordres exprès de l'accusé,
-qui recommandait aussi au témoin de ne remettre les petits paquets qu'à
-lui seul, et qui, chaque fois qu'il voyait arriver son commissionnaire,
-sortait, soit de son atelier, soit de la chambre qu'il habitait, pour le
-recevoir mystérieusement.
-
-Blum nia constamment toutes ces dépositions. Il parlait beaucoup et avec
-une véhémence inconcevable; et cependant ses réponses étaient
-incohérentes, peu vraisemblables, et quelquefois injurieuses pour les
-témoins. Quoi qu'il en soit, ceux-ci persistèrent dans toutes leurs
-déclarations.
-
-Les faits de faux furent seuls avoués et reconnus formellement par
-l'accusé.
-
-Le ministère public soutint l'accusation avec force et éloquence, mais
-avec calme, se bornant à faire ressortir la culpabilité de l'accusé des
-dépositions seules. Le défenseur de Grimmer remplit sa tâche avec zèle;
-il s'appliqua surtout à prouver que l'empoisonnement ne pouvait être que
-présumé, et invoqua la commisération des jurés en faveur de ce jeune
-homme, menacé du supplice à l'âge de vingt-sept ans, ayant un père plus
-que septuagénaire, une mère de soixante-six ans, et étant lui-même père
-de trois enfans en bas âge. L'accusé prit aussi la parole après son
-avocat, et s'efforça d'exciter la compassion des jurés.
-
-Après une demi-heure de délibération, le jury déclara Blum non coupable
-d'empoisonnement; mais il n'en fut pas de même de l'accusation de faux:
-sa culpabilité sur ce dernier chef fut prononcée à l'unanimité, et il fut
-condamné à vingt ans de travaux forcés, à l'exposition et à la
-flétrissure.
-
-Blum entendit son arrêt avec assez de calme; mais bientôt il lança sur la
-Cour des regards courroucés, et sortit en disant: _Il aurait mieux valu
-me condamner à être guillotiné!_ A peine était-il rentré dans la prison,
-qu'il saisit un couteau et s'en frappa dans le bas-ventre. Il tomba
-baigné dans son sang, et fut conduit à l'hôpital, sous la surveillance
-d'un gendarme. Mais il fut reconnu que sa blessure n'était pas
-dangereuse.
-
-
-
-
-ASSASSINS DE GRAND CHEMIN.
-
-
-Vers la fin de 1825 et pendant les premiers mois de 1826, quatre
-assassinats furent commis sur des chemins, qui traversent la forêt de
-Londe et celle de Brothonne. Ces meurtres répandirent l'effroi dans toute
-la contrée. La justice fit d'actives recherches; mais malgré tous ses
-efforts, elle ne put mettre la main sur les auteurs de ces trois crimes.
-Un seul assassinat, celui qui avait été commis le 8 février, entre sept
-heures et demie et huit heures du matin, sur la personne du sieur Voisin,
-devint l'objet d'une accusation.
-
-Armand Voisin, clerc de notaire, avait des capitaux à recevoir à Paris, à
-Bordeaux et au Hâvre. Il partit le 8 février de la Bouille, en annonçant
-qu'il allait à Boissy-le-Châtel. Les sieurs Cornu et Sillé, ainsi que
-plusieurs autres individus, le virent et le rencontrèrent sur la route. A
-cent cinquante ou deux cents pas de l'endroit où il avait été rencontré,
-le nommé Revel, allant à la Bouille, trouva sur le bord de la route le
-corps du malheureux Voisin; le cheval de la victime était à peu de
-distance, paissant dans la forêt, la bride sur le cou. Les autorités
-furent aussitôt prévenues de ce tragique événement; et il fut constaté
-que le corps était étendu sur le dos, mais penché du côté droit, la tête
-inclinée sur l'épaule droite, les pieds tournés vers la grande route, le
-bras droit étendu en supination le long du corps, les quatre premiers
-doigts fléchis, le pouce également incliné en dedans. Un pistolet de
-calibre de cavalerie était posé dans la main droite, de manière que
-l'extrémité de la crosse appuyait dans le fond de la main; tandis que la
-partie supérieure de cette même crosse appuyait sur le pouce; le bras
-gauche était légèrement fléchi, la main à moitié sur la hanche; les
-jambes étaient légèrement écartées. L'autopsie de la tête prouva que le
-pistolet avait été bourré avec des feuilles. A côté du cadavre était un
-mouchoir de poche contenant une montre de chasse à boîte en argent avec
-une chaîne en or. A trente pas du cadavre, dans la forêt, on trouva la
-ceinture en daim de Voisin; elle avait été coupée dans toute sa longueur
-et vidée; le cheval portait encore la valise. Le médecin constata que le
-cadavre avait à la tête, du côté droit, un peu au-dessous de la tempe et
-au niveau de l'oreille, une plaie d'un pouce et demi de long, faisant
-cavité, entourée d'un cercle noir et paraissant être l'effet d'un coup
-d'arme à feu; les os de la tête étaient fracturés, et la partie
-supérieure des favoris était brûlée. De l'autre côté, au-dessous de
-l'oreille, on voyait une plaie plus petite que la première, et formant
-aussi cavité avec fracture d'os. Une foule de circonstances indiquaient
-que la mort violente du sieur Voisin n'était pas le résultat d'un
-suicide, comme ses assassins avaient voulu le faire croire.
-
-Cet assassinat dont les auteurs étaient d'abord inconnus, ouvrit un champ
-vaste aux conjectures; d'injustes soupçons planèrent un moment sur
-quelques personnes innocentes. Mais on apprit enfin que le nommé
-Heurtaux, meunier, âgé de trente-deux ans, avait été vu près du lieu où
-le crime avait été commis; que, ce jour-là, il s'était fréquemment
-déplacé et qu'il avait tenu quelques propos qui décelaient une conscience
-alarmée. Heurtaux fut arrêté, et traduit devant la Cour d'assises de
-Rouen, avec le nommé Daguet, cultivateur, âgé de quarante-trois ans, et
-Françoise Hébert, femme Heurtaux, comme accusés, les deux premiers
-d'assassinats suivi de vol, la troisième de recel d'argent.
-
-Les accusés comparurent devant leurs juges, le 28 novembre 1826, en
-présence d'un nombreux auditoire. D'après l'instruction et les
-dépositions des témoins, Heurtaux avait été vu par plusieurs personnes à
-la Bouille, le 7 février; le 8, il avait quitté Savale à deux heures du
-matin et s'était rendu à une demi-lieue de là chez sa femme, où il avait
-donné rendez-vous à Daguet. Vers sept heures un quart, ils étaient
-arrivés tous deux près de la Maison-Brûlée, et ils n'avaient alors qu'une
-avance de deux cent à deux cent-vingt pas sur Voisin qui les suivait à
-cheval. Plus haut, à trois cent cinquante pas au-dessous du lieu où le
-crime avait été commis, ils furent encore rencontrés par deux témoins, et
-ces derniers trouvèrent Voisin, montant la côte à pied, à cent cinquante
-ou deux cents pas environ au-dessous de l'endroit où il avait perdu la
-vie. Quelques instans après, vers huit heures ou huit heures moins un
-quart, la fille Cabour, suivant sa déposition, les vit tous deux sortir
-du bois, saisir Voisin et l'entraîner violemment dans la partie de la
-forêt où il fut trouvé mort; suivant le même témoin, Voisin, dans cette
-lutte, n'avait pas jeté un cri: elle n'avait pas non plus entendu la
-détonation du pistolet, parce qu'elle avait perdu connaissance pendant
-cette scène.
-
-Quoique cette déposition se trouvât fortement contrariée par d'autres
-déclarations, trois bûcherons, par leur témoignage, lui prêtaient un
-puissant appui. Ils affirmaient qu'étant à travailler au bord de la
-forêt, à peu de distance de la route, et à trois cent cinquante pas
-au-dessus du lieu où les accusés avaient été rencontrés par Cornu et
-Sillé, ils ne virent Daguet et Heurtaux paraître à leur hauteur qu'un
-quart d'heure environ après avoir entendu le coup d'arme à feu qui donna
-la mort au malheureux Voisin; ils dirent, en outre, que Daguet, monté sur
-sa voiture, était tout en sueur; que la femme Heurtaux n'était pas avec
-ses coaccusés, quoiqu'elle soutînt le contraire, et que Daguet ne s'était
-pas arrêté pour faire la conversation avec eux, quoique les accusés
-eussent affirmé ce fait. Un quart de lieue plus loin, les trois accusés,
-alors réunis, trouvèrent le nommé Boucachard fort impatient de ne pas
-voir paraître Voisin qu'il attendait, et comme cet homme témoignait
-l'intention de retourner vers la Bouille, pour voir si le voyageur ne
-s'était pas égaré, Daguet chercha à le détourner de ce dessein, et
-l'engagea à continuer sa route jusqu'au Bourgtheroulde.
-
-Une autre circonstance déposait aussi violemment contre les accusés. Un
-sieur Dubourg, serrurier à la Bouille, avait déclaré, après beaucoup de
-tergiversations, qu'il reconnaissait le pistolet pour avoir appartenu à
-Heurtaux père, qui le lui avait donné naguère à raccommoder.
-
-Toutes ces dépositions furent reproduites à l'audience. Les accusés
-protestèrent de leur innocence; ils cherchèrent à expliquer leur présence
-dans le voisinage de la scène du crime, et soutinrent que la fille Cabour
-en imposait à la justice, en les signalant comme les auteurs de
-l'assassinat de Voisin. Ils nièrent également tous les propos qui leur
-étaient imputés.
-
-Cependant la fille Cabour avait désigné les moindres parties du costume
-des accusés; elle les avait reconnus, dès l'abord, entre plusieurs
-autres prisonniers. Elle déclara que la crainte que lui inspirait Daguet
-avait été la seule cause du silence qu'elle avait long-temps gardé sur
-cette malheureuse affaire. Malgré les vives apostrophes et les violentes
-interpellations des trois accusés, la fille Cabour n'en persista pas
-moins dans sa déclaration.
-
-Cette procédure, commencée le 28 novembre, se prolongea jusqu'au 4
-décembre. Sur la déclaration du jury, Heurtaux et Daguet, déclarés
-coupables d'assassinat suivi de vol, furent condamnés à la peine de mort.
-La femme Heurtaux fut acquittée de l'accusation de recélé.
-
-Quand les accusés furent introduits dans la salle, pour entendre la
-déclaration du jury, une scène déchirante émut vivement les spectateurs.
-Le président prononça d'abord l'acquittement de la femme Heurtaux; mais,
-lorsqu'il donna ordre de la faire sortir, elle se cramponna au banc, en
-s'écriant qu'elle voulait partager le sort de son mari. «Il est innocent
-comme moi, s'écriait-elle; c'est une injustice! je ne veux pas le
-quitter.» Les gendarmes furent obligés de l'enlever de vive force.
-
-Daguet, abattu, gardait un morne silence. Heurtaux s'écria qu'il était
-innocent, et qu'il en appelait aux magistrats de la décision du jury;
-Daguet se leva, et, à voix basse, protesta aussi de son innocence.
-
-Le pourvoi des deux condamnés ayant été rejeté par la Cour de cassation,
-ils furent exécutés sur la place publique de Bourgtheroulde.
-
-
-
-
-BANCELIN,
-
-MEURTRIER DE SON ÉPOUSE.
-
-
-Ici le crime ne fut point la conséquence du libertinage. La victime et le
-bourreau sont presque également dignes d'intérêt. Bancelin aimait sa
-femme; mais sa brutalité, ses emportemens, sa fureur presque habituelle,
-avaient à la fin forcé cette malheureuse épouse de fuir le domicile
-conjugal, et ce fut le désespoir que causa à Bancelin cet abandon, qui le
-rendit criminel.
-
-Jean-Baptiste-Auguste Bancelin, âgé de trente-neuf ans, propriétaire et
-marchand de bois à Saint-Menehould, appartenait à une famille très-connue
-par l'étendue de son commerce. Il avait épousé Marie-Élisabeth Salmon,
-issue d'une famille très-recommandable.
-
-Des spéculations extravagantes et malheureuses avaient aigri le caractère
-de Bancelin. Sa femme, par ses manières douces et affectueuses, tâchait
-de calmer les fureurs qui l'agitaient; elle supportait avec patience et
-résignation les injures qu'il lui prodiguait, ne laissait échapper aucune
-plainte au sujet des mauvais traitemens qu'elle en éprouvait, et dérobait
-avec soin à la connaissance du public les scènes déplorables qui se
-passaient dans l'intérieur de la maison: en un mot, suivant l'expression
-d'un témoin, madame Bancelin était un ange de vertu.
-
-Dans le mois de juillet 1826, Bancelin conçut le projet d'ouvrir une
-auberge. Sa femme lui fit, avec tous les ménagemens possibles, des
-remontrances sages sur les difficultés que présentait cet établissement.
-Bancelin, au lieu de les écouter et de les peser, devint furieux; il
-s'arma d'une bouteille et la lança à la tête de sa femme: celle-ci fut
-blessée, mais elle dissimula courageusement sa souffrance. Bancelin la
-prit aux cheveux, l'entraîna dans un cabinet voisin, la renversa sur le
-carreau et la foula aux pieds. Elle lui déclara alors qu'elle le
-quitterait, qu'elle ne pouvait vivre plus long-temps avec lui. Cette
-menace ne fut qu'un stimulant pour la fureur de Bancelin; il redoubla
-ses mauvais traitemens. Au milieu de cette scène de violence, la
-malheureuse femme s'écriait: _Laisse-moi la vie, je t'en conjure; si ce
-n'est pas pour moi, que ce soit pour mes enfans!_ Une voisine qui
-l'entendit, vola à son secours; elle arriva au moment où Bancelin, armé
-d'un canon de fusil servant de soufflet, allait en frapper sa femme.
-Cette infortunée, accablée de douleur et de chagrin, ne pouvant plus
-rester avec son mari, prit la fuite pendant la nuit. Elle conserva encore
-assez de courage pour emporter avec elle un de ses jeunes enfans, et,
-chargée de ce précieux fardeau, elle se rendit des Islettes à
-Sainte-Menehould, et se réfugia chez une de ses sœurs, établie en cette
-ville.
-
-Bancelin, ne pouvant supporter l'idée de vivre séparé de sa femme,
-tourmenté peut-être aussi par les remords de sa conscience, tenta tous
-les moyens de réconciliation, mais inutilement. Un mois s'était écoulé
-sans qu'il eût pu obtenir que sa femme revînt chez lui. Enfin, le 1er
-septembre, ayant formé un projet sinistre, il se rendit à Verdun pour y
-acheter de l'arsenic, mais il ne put s'en procurer. Il entra dans la
-boutique d'un armurier, qui lui vendit un pistolet. Il s'informa si, avec
-cette arme, on pouvait tuer un chien à quatre pas; et, sur la réponse
-affirmative, il s'en alla. Mais bientôt il revint acheter un second
-pistolet, et retourna à son domicile, où il fit lui-même l'essai de ses
-nouvelles armes.
-
-Le lendemain, jour du fatal événement, déterminé à partir pour
-Sainte-Menehould, il brûla ses papiers, enveloppa son violon d'un crêpe,
-et recouvrit une table ronde avec une robe noire de sa femme. A trois
-heures environ, il se rendit à Sainte-Menehould. Il avait emporté deux
-bouteilles de vin blanc; il en prit une pour sceller sans doute le
-raccommodement, et courut au logis de sa belle-sœur, où sa femme s'était
-retirée. Il demanda à la voir. On avertit madame Bancelin de la visite de
-son mari: elle se présenta. La conversation s'engagea sans humeur de part
-ni d'autre, seulement la femme refusa de venir aux Islettes, et Bancelin
-sortit. Un instant après, il reparaît, pénètre dans l'arrière-boutique,
-où sa femme s'était mise à tricoter à côté de sa sœur, qui elle-même
-travaillait à une robe et causait avec un marchand étranger, assis près
-de sa fenêtre. Bancelin réitère ses sollicitations, en se promenant à
-grands pas dans la chambre. _Veux-tu enfin revenir avec moi?_ dit-il à sa
-femme.--_Ce ne sera pas encore aujourd'hui_, répondit-elle. Au même
-moment, une détonation se fait entendre... La malheureuse femme tombe, en
-s'écriant: _Je suis tuée!_
-
-Bancelin prit aussitôt la fuite et courut se précipiter dans la rivière.
-Comme l'eau n'était pas profonde, on parvint aisément à l'en retirer, et
-on le conduisit dans une salle de l'Hôtel-de-Ville, où bientôt après il
-fut interrogé par le juge d'instruction.
-
-Le pistolet dont il s'était servi pour son crime, était chargé de deux
-chevrotines, qui avaient pénétré dans la partie postérieure et inférieure
-du cou. Les blessures, qui n'étaient pas mortelles de leur nature, le
-devinrent par la suite, d'après le rapport des médecins appelés pour en
-constater l'état, et la malheureuse femme Bancelin succomba, après six
-semaines de souffrance et d'agonie.
-
-Lors de son interrogatoire, Bancelin était calme et de sang-froid. Il
-déclara que des deux pistolets qu'il avait achetés, l'un chargé de deux
-chevrotines, était destiné à sa femme, l'autre, chargé de trois, devait
-servir pour lui-même; et qu'afin de ne pas se tromper, il avait mis le
-premier dans la poche de son habit, et le second dans le gousset de son
-pantalon; que son intention pourtant, en entrant dans la chambre où il
-avait vu sa femme, n'était pas de la tuer, mais que cela devait dépendre
-de la bonne ou mauvaise réception qu'elle lui ferait; que, désespéré de
-la fatale obstination qu'elle mettait à ne pas vouloir rentrer avec lui,
-il avait tiré sur elle; que voulant aussitôt terminer ses propres jours,
-il avait dirigé contre lui son second pistolet, que le coup avait raté,
-et que le seul parti qui lui restait à prendre étant de se jeter à l'eau,
-il l'avait fait.
-
-Bancelin changea de langage aux débats qui eurent lieu devant la Cour
-d'assises de Reims, dans la session de décembre 1826, selon son nouveau
-système de défense, il n'avait pas eu l'intention de tuer sa femme,
-puisqu'il lui apportait de l'argent, des meubles et autres objets propres
-à son usage. Il n'avait point de projet de meurtre, puisqu'il se
-proposait de goûter avec elle. Il prétendit que s'il l'avait frappée à
-mort, c'est qu'en armant le pistolet qu'il voulait diriger contre
-lui-même, le coup était parti inopinément. Il fit valoir divers
-témoignages de son affection et de son attachement pour sa femme, et ses
-larmes abondantes n'attestaient que trop, selon lui, combien il la
-regrettait.
-
-Un incident important s'éleva sur l'application de la peine. Les
-questions suivantes avaient été posées au jury: Bancelin, accusé, est-il
-coupable d'avoir, le 2 septembre dernier, commis volontairement un
-homicide sur la personne de Marie-Élisabeth Salmon, sa femme, en lui
-tirant à bout portant un coup de pistolet? Avant cette action, Bancelin
-avait-il formé le dessein d'attenter à la personne de sa femme?
-
-Le ministère public déclara qu'il ne lui semblait pas que la
-préméditation fût suffisamment établie, et requit que la question fût
-posée dans les termes résultant de l'accusation, c'est-à-dire de la
-manière suivante: Est-il coupable d'avoir, le 2 septembre, commis
-volontairement et avec préméditation un homicide sur la personne de
-Marie-Élisabeth Salmon, son épouse?
-
-La cour, après en avoir délibéré, décida qu'il ne serait rien changé aux
-questions posées primitivement, et qui furent toutes deux résolues
-affirmativement par le jury.
-
-Le procureur du roi s'étant fait remettre la déclaration des jurés,
-requit, après une lecture attentive, l'application de plusieurs articles
-du code pénal portant la peine de mort. Le président demanda à l'accusé
-s'il n'avait pas quelques observations à faire sur ce réquisitoire. Alors
-le procureur du roi se leva de nouveau, et s'exprima en ces termes:
-«Messieurs, nous avons un devoir, un devoir de conscience à remplir; nous
-demandons qu'il plaise à la cour nous donner acte de ce que, rectifiant
-nos conclusions, et attendu que de la déclaration du jury, il résulte que
-Bancelin est coupable d'homicide volontaire, mais qu'il ne résulte pas
-que cet homicide ait été commis avec préméditation; qu'en effet, il n'est
-déclaré coupable que d'avoir, à l'avance, formé le dessein d'un attentat
-à la personne de sa femme, mais que cet attentat n'est spécifié ni dans
-la question, ni dans la réponse; qu'il peut y avoir diverses sortes
-d'attentats contre la personne d'un individu, et que les termes de la
-réponse du jury n'apprennent pas si l'attentat médité par Bancelin contre
-la personne de sa femme était de nature à lui donner la mort; qu'à la
-vérité on pourrait, jusqu'à un certain point, l'induire de la corrélation
-des deux questions, mais qu'une simple induction ne peut suffire pour
-établir d'une circonstance de fait en matière criminelle, surtout
-lorsqu'elle entraîne la peine capitale; nous requérons contre Bancelin
-l'application des articles 95 et 104 du code pénal, et sa condamnation
-aux travaux forcés à perpétuité.»
-
-Après une heure de délibération, le président prononça un arrêt dont les
-considérans établissaient qu'il n'y avait aucune incertitude dans les
-réponses du jury, et qu'il condamnait en conséquence Bancelin à la peine
-de mort.
-
-«Bancelin, ajouta le président d'une voix qui trahissait sa vive émotion,
-vous avez trois jours francs pour déclarer si vous entendez vous pourvoir
-en cassation contre l'arrêt que la Cour s'est vue dans la nécessité de
-prononcer contre vous.»
-
-Bancelin, d'un organe altéré, s'écria pour toute réponse: _Adieu, mes
-pauvres enfans!_
-
-Néanmoins il se pourvut en cassation et en grâce, et les jurés le
-recommandèrent à la clémence du roi.
-
-
-
-
-LE COUPLE ASSASSIN.
-
-
-Le 14 juillet 1826, Marguerite Durand, veuve Corpedanne, et Françoise
-Bourgine, sa belle-fille, furent assassinées dans leur maison, à
-Villeflon. Le mari de cette dernière étant rentré chez lui, et ayant vu
-sa femme étendue par terre, la tête appuyée sur une table, et nageant
-dans son sang, fut saisi d'un tel effroi qu'il s'enfuit par la baie de la
-croisée en poussant des cris de désespoir qui attirèrent plusieurs
-voisins. Sur sa déclaration, on pénétra dans la maison, et l'on trouva la
-veuve Corpedanne étendue sans vie dans son lit. Elle avait au visage six
-blessures différentes, faites avec un instrument contondant.
-
-Sa belle-fille avait aussi plusieurs plaies profondes sur la tête et sur
-la figure; elle était sans connaissance. On crut d'abord qu'elle
-n'existait plus: ce fut en la mettant dans son lit qu'on s'aperçut
-qu'elle respirait encore. On trouva par terre, dans la maison, un
-morceau de chevron de trois pieds deux pouces de longueur et de trois
-pouces de largeur; ce morceau de chevron était teint de sang à l'une de
-ses extrémités; on y reconnaissait des empreintes de doigts ensanglantés,
-et il fut constaté que ces empreintes provenaient de la main d'un homme
-qui était gaucher. Un fusil qui était pendu dans la chambre avait été
-volé; il avait servi à frapper la veuve Corpedanne. On le reconnut aux
-trous profonds que le chien de la batterie avait faits sur la figure de
-la victime; on trouva en outre sur le lit et sur une chaise deux éclats
-de bois ensanglantés, paraissant provenir de la crosse d'un fusil. Une
-timballe d'argent portait aussi des empreintes de doigts et des traces de
-sueur indiquant la main d'un gaucher. Au milieu de la chambre, et dans
-une mare de sang, était la clef de la porte de la maison donnant sur la
-rue, ce qui semblait prouver qu'avant d'être terrassée, la belle-fille de
-la veuve avait cherché à sortir pour appeler du secours. Deux commodes,
-dans lesquelles les époux Corpedanne mettaient leur argent et leurs
-effets, avaient été fracturées avec la pelle à feu, et l'on en avait
-soustrait un sac de toile contenant 30 francs en pièces de 5 francs; on
-avait pris aussi quelques sous en monnaie de cuivre, ainsi que du linge
-et des effets.
-
-Une vile cupidité avait fait commettre ce double assassinat; mais quels
-en étaient les auteurs? La jeune femme Corpedanne, dans les premiers
-instans, était hors d'état de donner les moindres indices. Elle resta
-plusieurs jours dans la maison de Villeflon, mais toujours plongée dans
-un assoupissement complet, ne pouvant prononcer aucune parole, ni même
-faire le moindre signe. Le 20 juillet, on la transféra à l'hospice de
-Provins; le 23, son mari et le nommé Bourgine, son cousin, qui étaient
-auprès de son lit, lui demandèrent si elle connaissait ses assassins.
-Elle ne put d'abord leur répondre que ces mots: _Oui, je le sais bien,
-c'est un voisin_. Son mari et son cousin lui nommèrent alors tous les
-habitans de Villeflon, et elle répondait toujours: _Non._ Mais quand ils
-prononcèrent le nom de Ninonet, elle répondit: _Oui, c'est Ninonet_.
-
-Le juge d'instruction et le procureur du roi furent à peine instruits de
-cette circonstance, qu'ils se rendirent à l'Hôtel-Dieu, et la femme
-Corpedanne qui était encore dans un état alarmant, et dont les idées
-n'étaient pas encore bien nettes, puisqu'elle commençait seulement à
-recouvrer la mémoire, fit avec beaucoup de peine la déclaration suivante:
-«C'est Pierre Ninonet; il était habillé en drap bleu; il est entré par la
-croisée; je me suis lancée sur lui; je l'ai nommé; il ne répondait pas.
-Je lui ai dit: Pierre, laissez-moi donc tranquille. Il me disait:
-Va-t'en, grande gueuse; donne-moi ta bourse ou ta vie. Il m'a donné un
-coup entre les épaules; il a allumé la chandelle avec l'amadou; il m'a
-donné des coups; il a pris le fusil et il s'est enfui avec. Je ne l'ai vu
-que tout seul: je l'ai vu comme je vous vois. C'est un habit de drap
-bleu, ce n'est point une veste. Avant, il me disait: Tu restes seule dans
-cette maison, toi; ton parrain a envie de faire ton affaire. Ce n'est pas
-mon parrain, mais c'est bien lui qui voulait faire mon affaire. Je suis
-fatiguée... Je n'en puis plus...»
-
-Le lendemain, à onze heures du matin, Corpedanne se trouvant encore
-auprès du lit de sa femme, celle-ci lui dit que la femme Ninonet était
-avec son mari, que tous deux l'avaient battue; que Ninonet lui disait:
-«Garce, tu as de l'argent; il faut que tu me le donnes ou que tu perdes
-la vie;» que la femme Ninonet fouillait dans les meubles; qu'elle
-cherchait partout; qu'elle était bien sûre de ce qu'elle disait, et
-qu'elle ne dirait pas autrement, parce que c'était lui.
-
-Le même jour, le juge d'instruction et le procureur du roi se rendirent
-de nouveau à l'Hôtel-Dieu de Provins, et la femme Corpedanne leur fit
-cette nouvelle déclaration: «La femme Ninonet; c'est elle qui m'a
-consommée: elle est venue avec son mari; je l'ai bien vue. Tous les deux
-m'ont frappée; elle m'a bien fait souffrir. Elle me tenait par les
-cheveux; elle a fouillé dans tous les meubles; elle croyait que nous
-avions de l'argent; elle me disait: Tu as de l'argent, tu ne le montres
-pas. Nous n'avions qu'une dixaine d'écus; si mon mari avait reçu son
-gage, nous aurions eu 250 francs qui n'auraient pas encore été employés.
-Nous avions 300 francs chacun quand nous nous sommes mariés; nous les
-avons employés dans la maison. C'était comme un lion; elle a cherché
-partout. Elle m'a dit: _La bourse ou la vie!_ Je l'ai vue fouiller dans
-la commode. Son homme m'a frappée dans mon lit; je me suis traînée par
-terre; c'est le mari qui a frappé le premier coup de la mort. Elle
-regardait partout; elle faisait le diable; parce que nous avons donné un
-loyer plus fort, ils nous croyaient bien riches. La femme Ninonet avait
-un cotillon de laine à raies, un fichu d'indienne fond bleu à fleur; ils
-ont apporté une chandelle. Ninonet venait chez nous tous les huit jours;
-il me disait quelquefois: «Je la connais mieux que toi, la maison.»
-
-Le même jour, à cinq heures du soir, Corpedanne était encore près de sa
-femme. «Ma bonne amie, lui dit-il, il faut déclarer la vérité; si ce
-n'est pas Ninonet, il ne faut pas le dire.--Je te dis que c'est lui; sa
-femme était avec lui; je ne dirai jamais autrement.»
-
-Le 22 août, Ninonet et sa femme, qui avaient été arrêtés, furent
-confrontés avec la femme Corpedanne. Celle-ci, en apercevant Ninonet,
-s'écria: _Je vois mon bourreau! tu croyais bien m'avoir tuée?_ Elle
-rappela ensuite en sa présence tous les faits dont elle avait parlé
-précédemment.
-
-Confrontée ensuite avec la femme Ninonet, elle lui dit que, sans doute,
-elle avait bien prié le bon Dieu pour qu'elle mourût de ses blessures,
-mais qu'elle était encore en vie. «Si j'avais su ce que vous projetiez,
-ajouta-t-elle, je ne vous aurais pas reçus chez nous tous les jours.»
-Puis elle exprima le déplaisir et la peine qu'elle éprouvait, lorsque
-étant dans son lit, à Villeflon, sans pouvoir articuler une parole, elle
-voyait dans la chambre et autour d'elle la femme Ninonet qui voulait lui
-porter des soins, lui donner à boire et se rendre utile dans la maison.
-La malheureuse Corpedanne, apostrophant cette femme, lui dit: «Si j'avais
-pu parler le lendemain, vous ne seriez pas entrée dans la maison; j'avais
-peur que vous ne m'acheviez, ou que vous m'empoisonniez en me donnant à
-boire; vous aviez l'air de vous intéresser à moi; au fond, vous désiriez
-bien que je n'en revienne pas.»
-
-Ninonet et sa femme se renfermèrent dans un système absolu de dénégation.
-L'un était âgé de trente-six ans, et l'autre de vingt-sept. Les débats de
-cette cause, qui furent portés devant la cour d'assises de Melun,
-durèrent deux jours. La déposition de la femme Corpedanne était
-accablante pour les deux accusés; elle fut recueillie avec tout
-l'intérêt qu'inspiraient ses malheurs et la vérité frappante dont elle
-semblait être l'organe. Elle répondit à toutes les questions qui lui
-furent adressées, avec une candeur, une clarté, une précision
-remarquable.
-
-L'accusation fut soutenue par le ministère public avec cette force que
-donne une conviction profonde. Les deux prévenus furent condamnés à la
-peine de mort. Ninonet versa des larmes abondantes en entendant sa
-condamnation, mais sa femme demeura impassible.
-
-Le pourvoi de ces deux misérables ayant été rejeté par la Cour de
-cassation, l'arrêt fut exécuté le 21 avril 1827, sur la place Saint-Ayou,
-à Provins. Les condamnés avaient été extraits, la veille, de la maison de
-justice de Melun, et furent transférés dans celle de Provins. Le
-procureur du roi et le juge d'instruction se rendirent auprès d'eux et
-les engagèrent vainement à faire l'aveu de leur crime; tous deux
-persistèrent à protester de leur innocence. La femme Ninonet s'emporta
-même au point de dire au juge d'instruction: _Si_ _Dieu me donnait sa
-puissance, vous n'en jugeriez pas d'autres._ Ils tinrent constamment le
-même langage jusqu'au moment de leur exécution, qui eut lieu en présence
-d'un grand concours d'habitans des campagnes voisines.
-
-
-
-
-HENRIETTE CORNIER.
-
-
-Le nom de cette malheureuse femme rappelle un de ces crimes étranges,
-commis sans intérêt, sans passion, sans esprit de vengeance, qui
-demeurent des énigmes pour la raison comme pour la science de l'homme.
-
-Henriette Cornier était entrée comme domestique chez le sieur Fournier, à
-Paris. Le 4 novembre 1825, elle vit et caressa chez un fruitier du
-voisinage l'enfant de la femme Belon. Cette petite fille, nommée Fanny,
-n'était âgée que de dix-neuf mois. La fille Cornier la fit monter dans sa
-chambre en la comblant de caresses; puis, elle l'étendit sur son lit, lui
-coupa la tête et la jeta dans la rue, où elle alla rouler aux pieds du
-père de cette innocente créature!
-
-Cette action horrible, à laquelle on supposa d'abord des motifs que l'on
-ne connaissait point encore, mais qui devaient exister, répandit en un
-instant la douleur et l'effroi dans tout Paris. Celle qui s'en était
-rendue coupable fut arrêtée et interrogée par les magistrats.
-
-Traduite devant la Cour d'assises de la Seine, à raison du forfait
-qu'elle avait commis, elle dut d'abord comparaître devant ce tribunal le
-27 février 1826; mais on sursit aux débats pour donner aux hommes de
-l'art le temps d'apprécier l'état moral de l'accusée. Après deux mois
-d'examen, les trois médecins, chargés de cette importante mission,
-déclarèrent n'avoir aperçu en elle aucune trace matérielle de démence;
-cependant ils ajoutèrent que cette opinion pourrait être modifiée par les
-circonstances existantes ou éventuelles du procès.
-
-En conséquence, Henriette Cornier fut ramenée devant la Cour d'assises le
-24 juin suivant, comme accusée du crime de meurtre, commis avec
-préméditation. Elle déclara se nommer Henriette Cornier, née à la
-Charité, et être âgée de vingt-sept ans. Sa figure pâle portait
-l'empreinte de la douceur. Elle répondit d'une voix éteinte aux questions
-qu'on lui adressa; un tremblement convulsif l'agitait continuellement et
-semblait redoubler encore quand elle ouvrit la bouche pour faire entendre
-quelques accens entrecoupés.
-
-Il résultait en substance de l'acte d'accusation qu'Henriette Cornier,
-qui avait eu, pendant toute sa jeunesse, un caractère gai, léger et même
-folâtre, avait tout-à-coup changé depuis dix-huit mois, et semblait,
-depuis cette époque, dominée par une sombre mélancolie qui l'avait
-conduite un jour à se précipiter dans la Seine. Ce fut quelque temps
-après qu'elle exécuta l'horrible meurtre qui l'avait mise sous la main de
-la justice.
-
-C'est surtout dans une cause de ce genre qu'il est important de
-reproduire textuellement l'interrogatoire de la personne accusée. Celui
-d'Henriette Cornier, s'il n'apprend rien de nouveau, quant au triste fait
-accompli, servira du moins à faire apprécier la situation mentale de
-cette fille, au moment de son épouvantable attentat.
-
-_M. le Président._ Femme Cornier, a quelle époque êtes-vous entrée chez
-Fournier? n'est-ce pas à la fin d'octobre?
-
-_R._ Oui, monsieur.
-
-_D._ Comment vous trouviez-vous dans cette condition? vous y
-trouviez-vous bien?
-
-_R._ Oui, monsieur.
-
-_D._ Le 4 novembre, vous avez vu et caressé chez le fruitier l'enfant de
-la femme Belon?
-
-_R._ Oui, monsieur.
-
-_D._ Vous êtes montée avec elle dans votre chambre, et l'avez embrassée?
-
-_R._ Oui, monsieur.
-
-_D._ Vous avez pris un couteau; quelle était votre pensée?
-
-_R._ Je ne voulais pas le faire.
-
-_D._ En prenant ce couteau, vous aviez donc l'intention de la tuer?
-
-_R._ Je n'y ai pas pensé.
-
-_D._ Vous l'avez placée sur votre lit et lui avez donné la mort?
-
-_R._ Oui, monsieur.
-
-_D._ Quand la mère est venue vous demander son enfant, vous lui avez
-répondu qu'elle était morte?
-
-_R._ Oui, monsieur.
-
-_D._ Quel était votre dessein en jetant la tête de cette enfant par la
-fenêtre?
-
-_R._ La voix de l'accusée ne se fait plus entendre.
-
-_Un juré._ On n'entend pas.
-
-_M. le Président._ Faites venir l'accusée près la Cour, (à l'accusée)
-Quel était votre dessein en jetant la tête de cette enfant?
-
-_R._ Pour prouver que j'étais seule.
-
-_D._ Vous vouliez faire connaître que vous étiez l'auteur du crime?
-
-_R._ Je n'en sais rien. Ça s'est passé comme un éclair.
-
-_D._ Vous n'avez donc pas été arrêtée par la crainte de Dieu?
-
-_R._ J'ai abandonné Dieu ce jour-là.
-
-_D._ Quand vous avez tué l'enfant, aviez-vous la crainte d'être punie?
-
-_R._ Je ne pensais à rien dans cet instant là.
-
-_D._ Aviez-vous éprouvé des malheurs avant cette époque?
-
-_R._ Non, Monsieur.
-
-_D._ Cependant on vous a vue pleurer antérieurement?
-
-_R._ J'étais triste; je ne sais pas pourquoi.
-
-_D._ Comment la crainte de Dieu ne vous a-t-elle pas arrêtée?
-
-_R._ J'étais triste ce jour-là.
-
-_D._ Qui vous a arrêtée au moment de vous jeter à la rivière?
-
-_R._ La crainte de Dieu.
-
-_D._ Vous aviez dit que c'étaient les passans qui vous en avaient
-détournée.
-
-_Un juré_: A cette époque, l'accusée avait-elle déjà la pensée de tuer un
-enfant?
-
-_L'accusée_: Non, jamais.
-
-_D._ Vous aviez pourtant cette idée en prenant un couteau dans la
-cuisine?
-
-_R._ Non, monsieur.
-
-_D._ Mais vous l'aviez quand vous avez emporté l'enfant dans votre
-chambre?
-
-_R._ Non, monsieur.
-
-Après cet interrogatoire, on appela comme témoins le père et la mère de
-l'enfant, qui déposèrent des faits tels qu'on les connaît déjà, sans rien
-ajouter qui pût donner au crime de la fille Cornier d'autre motif que la
-domination tyrannique d'une affreuse idée.
-
-Quelques témoins à décharge déposèrent qu'ils avaient connu la fille
-Cornier fort gaie, mais que son caractère avait totalement changé depuis
-dix-huit mois.
-
-Les trois médecins chargés d'observer l'état mental d'Henriette Cornier,
-(MM. Esquirol, Adelon et Léveillé), répétèrent ce qu'ils avaient dit dans
-leur premier rapport: que cette femme, livrée à une mélancolie profonde,
-n'était pas dans un état de folie proprement dite. Mais M. Esquirol y
-ajouta ces mots: «Notre jugement cesserait d'être absolu, s'il était
-prouvé, comme on l'a énoncé dans l'acte d'accusation, que cette femme,
-plusieurs mois avant l'événement, était devenue sombre et rêveuse, et si
-elle avait commis, quelque temps auparavant, des tentatives de suicide.»
-
-Tout l'intérêt de la question se réduisait, comme on le voit, à savoir si
-le crime de la fille Cornier pouvait être regardé comme un acte de
-démence; c'est ce que ses défenseurs s'efforcèrent d'établir, mais ce que
-le ministère public repoussa avec la plus grande énergie, comme un
-système désorganisateur, à l'aide duquel les plus grands criminels
-échapperaient au châtiment.
-
-En définitive, sur la seule question posée, celle d'homicide volontaire,
-le jury fit une réponse affirmative, mais en écartant la circonstance de
-la préméditation.
-
-En conséquence, Henriette Cornier fut condamnée aux travaux forcés à
-perpétuité et à la marque des lettres T. P. Elle entendit son arrêt sans
-manifester la moindre émotion.
-
-
-
-
-HORRIBLE ASSASSINAT
-
-ET
-
-SUICIDE.
-
-
-M. Bruant, conseiller de préfecture à Besançon, avait épousé une femme
-d'une grande beauté. Il en eut trois enfans: une fille, qui épousa un
-colonel au service de Russie, et deux fils. La jalousie s'empara de son
-cœur, les soupçons la suivirent. Il s'imagina que les deux fils étaient
-les fruits d'amours adultères. Dès ce moment, il ne put plus les
-souffrir; il maltraitait sa femme; les enfans prenaient la défense de
-leur mère, ce qui augmenta encore la haine qu'il avait conçue contre eux.
-Il forma l'affreux projet de s'en défaire, et le malheureux Charles, son
-fils aîné, fut sa première victime.
-
-Le jour du crime, étant à déjeûner avec sa femme et ses enfans, sous
-prétexte de réclamer une somme de soixante-dix francs qu'on lui avait
-envoyée, et que Charles avait remise à sa mère, il fit une scène violente
-à ses fils, en disant que c'était à lui, qui était chef de la famille,
-qu'on devait remettre l'argent qui entrait dans la maison. La scène prit
-un tel caractère, que la mère, effrayée, se retira dans sa chambre,
-accompagnée de son plus jeune fils. Charles, craignant que sa mère ne se
-trouvât indisposée, se leva pour la suivre. Le père le rappelle et lui
-dit qu'il veut lui parler. Charles obéit, revient près de son père qui
-aussitôt tire un poignard de sa poche et le lui plonge dans le cœur.
-Charles, se sentant frappé, crie au secours. La mère, en entendant les
-cris de son fils, ouvre la porte de sa chambre donnant dans la salle à
-manger, et voit Charles couvert de sang. Le mari, tranquille, lui montre
-son enfant, et lui dit avec un horrible sang-froid: «Tenez, madame, voici
-votre bon sujet de Charles qui vient de se suicider.» Alors le malheureux
-jeune homme, recueillant le peu de forces qui lui restaient, put dire
-d'une voix presque éteinte: «Monsieur, n'ajoutez pas le mensonge au
-crime; ma mère, prenez garde à vous!» et il expira. La mère se sauva dans
-son appartement où elle s'évanouit.
-
-Pendant que madame Bruant, en proie au plus affreux désespoir, était
-renfermée avec son fils cadet, le coupable s'occupait des moyens de faire
-disparaître les traces de son crime. Il porte le cadavre de sa victime
-sur un lit et le couvre d'un drap. Il envoie chercher un ecclésiastique,
-prend, à son arrivée, un air patelin et hypocrite, lui dit que son fils
-vient d'avoir un coup de sang; qu'il craint qu'il ne soit trop tard pour
-lui administrer les derniers sacremens. Le prêtre l'engage à ne point se
-désespérer, et l'assure que, pour peu qu'il y ait encore le moindre
-souffle de vie, il pourra remplir son ministère. Il s'approche du lit
-pour poser sa main sur le cœur du jeune homme, et recule d'horreur. Il
-se retire en disant que son ministère n'est plus nécessaire.
-
-Cependant, l'assassin voulant se débarrasser du cadavre accusateur,
-envoie chercher un médecin, et lui demande un certificat constatant que
-le corps de son fils est en putréfaction, et qu'il faut l'enterrer sans
-retard. Le médecin s'y refuse en disant que la mort est trop récente;
-que ce serait une lâche complaisance de sa part, et il se retire. Au
-refus du médecin, il envoie chercher un pharmacien auquel il fait la même
-demande; même refus.
-
-Pendant ce temps, le bruit de la mort de Charles s'était déjà répandu
-dans Besançon. Craignant alors que son crime ne fût découvert, M. Bruant
-se décide à inhumer son fils de ses propres mains. Il fait venir six
-planches, fabrique lui-même une bière, enveloppe le corps dans une
-mauvaise toile à emballage; dans la crainte que les coups de marteau ne
-le trahissent, il renonce à clouer la bière; il a l'horrible patience de
-la fermer avec des clous à vis. Il porte le corps dans la campagne, et
-l'enterre dans un cimetière.
-
-Le lendemain matin, il voulait se rendre au conseil pour remplir ses
-fonctions; mais le crime était connu de toute la ville; quelques
-personnes le désignaient comme le coupable: il reçut l'avis de ne pas se
-montrer en public.
-
-Cependant la multitude se portait autour de sa maison; une clameur
-générale l'accusait; des poursuites commencèrent. On découvrit le
-cimetière où le malheureux Charles avait été enterré; l'exhumation eut
-lieu, et l'attentat fut constaté.
-
-D'après le procès-verbal des médecins, le coup de poignard avait été
-porté avec une telle violence, que la blessure avait six pouces de
-profondeur. Un mandat d'arrêt fut lancé contre M. Bruant.
-
-Averti qu'il ne pouvait plus cacher son crime, ni soustraire sa tête à
-l'échafaud, ce père dénaturé se décida à mettre fin à ses jours. Il se
-barricada dans sa chambre, s'étendit sur un matelas et se brûla la
-cervelle avec un pistolet. Il avait placé dans sa chambre du charbon
-allumé pour s'asphyxier, dans le cas où il se serait manqué avec le
-pistolet.
-
-La haine de ce monstre (car on ne saurait lui donner un autre nom), la
-haine de ce monstre pour ses enfans n'avait point été assouvie par la
-mort de Charles. Avant de se tuer, il avait fait un testament par lequel
-il déshéritait son second fils. Par une autre disposition testamentaire,
-il laissait à la ville de Besançon son cabinet d'antiquités; mais la
-ville rejeta le legs avec horreur.
-
-La malheureuse mère ne survécut que quelques semaines à cet affreux
-événement, qui effraya Besançon au commencement de 1826.
-
-
-
-
-DERNIERS MOMENS
-
-D'UN SCÉLÉRAT CONDAMNÉ A MORT.
-
-
-Il est, chez la plupart des êtres qui se lancent dans la carrière du
-crime, un degré de dépravation qui exclut toute idée de repentir, qui
-enlève tout espoir de guérison. Ce sont des membres gangrenés qu'il est
-urgent de retrancher pour le salut et la sécurité du corps social. Tant
-qu'il existera des scélérats comme celui dont nous allons parler, la
-nécessité de la peine de mort se fera sentir, sinon comme moyen
-d'améliorer les mœurs, mais comme mesure de sûreté. Ce n'est pas que
-nous ne fassions, à l'instar d'une foule de généreux philanthropes, des
-vœux sincères pour l'abolition de cette peine de sang, qui n'est pas
-toujours d'un salutaire exemple. Mais nous pensons que, dans l'état
-actuel des choses, un acte législatif de cette nature serait peut-être
-funestement prématuré. Ce grand œuvre ne pourra être consommé, aux
-applaudissemens de toutes les classes de la société, que lorsqu'on aura
-donné à cette société des garanties sûres et suffisantes; et ces
-garanties ne peuvent se trouver que dans la propagation des bonnes mœurs
-et surtout dans leur heureuse implantation dans les rangs inférieurs.
-Alors, mais seulement alors, les vœux que forment tant d'âmes
-généreuses, vœux que nous aimons à partager, pourront être réalisés sans
-danger.
-
-Les détails succincts que nous allons donner sur les derniers instans de
-Guillaume, forçat libéré, exécuté à Meaux, le 16 février 1826, peuvent
-servir de corollaire à ces réflexions.
-
-Ce Guillaume, convaincu d'avoir tué six personnes, avait été condamné à
-mort. Après sa condamnation, il n'avait pas été mis au cachot; il fut
-gardé à vue, nuit et jour, dans une chambre où il y avait du feu. Ses
-gardes, autant pour le distraire que pour se distraire eux-mêmes,
-jouèrent au piquet avec lui. Guillaume, à plusieurs reprises, leur
-disait: «Allons, 10,000 francs; allons, cette fois, 100,000 francs, à
-payer dimanche matin.» Il leur raconta, tout en jouant, diverses
-anecdotes de sa vie, et notamment celle-ci, qu'il citait comme sa plus
-belle action: «A l'époque de la terreur, disait-il, l'argenterie et les
-bijoux de M. l'abbé de Flay, mon parrain, furent confisqués. Ayant
-découvert le lieu où ils étaient déposés, je parvins à les voler; je les
-vendis à un juif, et en remis fidèlement le prix à mon parrain.»
-
-L'aumônier des prisons, qui avait fait auprès de lui plusieurs tentatives
-infructueuses pour le ramener à des sentimens religieux, le visita le
-matin du jour de l'exécution. Il lui demanda comment il allait?--Mal,
-répondit Guillaume; je sens les angoisses de la mort; je suis à
-l'agonie.--Mais vous vouliez mourir avec tant de courage! lui dit le
-respectable ecclésiastique.--Oh! je le retrouverai, répliqua Guillaume.
-Puis il remercia l'aumônier de l'offre qu'il lui faisait de l'accompagner
-à l'échafaud.
-
-La veille de l'exécution, il avait écrit au procureur du roi qu'il
-désirait avoir pour son déjeûner un poulet et trois bouteilles de vin,
-afin de finir sa vie comme il l'avait passée.
-
-Quelques heures avant l'instant fatal, il but un litre de vin chaud avec
-du sucre, et au moment de monter sur la charrette, il envoya chercher
-pour huit sous d'absinthe, qu'il avala tout d'un trait. Pendant le
-trajet, on lui entendit dire plusieurs fois, en jetant les yeux sur la
-foule immense des spectateurs: «Les imbécilles de Français, de venir voir
-un tel spectacle!... Ne courez pas si vite... On ne fera rien sans moi.»
-Du plus loin qu'il aperçut l'échafaud, il s'écria: _Ah! la voilà, cette
-fois-ci; je ne l'échapperai pas!_ Au moment de descendre de la voiture,
-il prononça ces mots d'une voix assurée: _Adieu, mes amis, je suis
-innocent; j'ai toujours le même courage pour mourir._
-
-Il avait enfin consenti à laisser monter avec lui, sur la charrette, le
-curé de Notre-Dame, ancien aumônier de la maison de justice. Mais,
-pendant les exhortations de ce vénérable ecclésiastique, il tournait la
-tête de tous côtés et ne paraissait y faire aucune attention. Jusqu'au
-dernier moment, il ne quitta pas son ton de plaisanterie. En arrivant sur
-l'échafaud, il frappa le plancher avec son pied en disant à l'exécuteur:
-Est-ce solide ici?--Oui, ne craignez rien, répondit le bourreau. Quelques
-secondes après, Guillaume avait cessé d'exister.
-
-
-
-
-ASSELINEAU,
-
-OU
-
-LES SUITES FUNESTES DE LA PASSION DU JEU.
-
-
-Qui pourrait compter les victimes de la passion du jeu? Que de familles
-affligées, ruinées, déshonorées par cette lèpre de notre société! Poètes,
-moralistes, auteurs dramatiques, une foule d'écrivains en tous genres ont
-déploré les excès de cette malheureuse passion, et se sont efforcés d'y
-apporter remède. Le mal a triomphé de leurs généreux efforts. En vain
-madame Deshoulières a dit:
-
- Le désir de gagner qui nuit et jour occupe,
- Est un dangereux aiguillon.
- Souvent, quoique l'esprit, quoique le cœur soit bon,
- On commence par être dupe,
- On finit par être fripon.
-En vain les tragiques fureurs de _Béverley_ ont fait frissonner au
-théâtre des milliers de spectateurs; en vain _Trente ans de la vie d'un
-Joueur_ ont excité, de nos jours, les plus lugubres et les plus
-déchirantes émotions; on n'en continue pas moins à jouer, à jouer avec
-fureur, et il n'est pas de jour où le jeu ne fasse quelques nouvelles
-victimes, tant cette passion est commune! tant elle semble fortement
-enracinée dans le cœur de l'homme! On s'est beaucoup récrié, et non sans
-raison, contre les maisons publiques ouvertes aux joueurs. Cette
-tolérance est un grand malheur sans doute; mais ce qui en est un bien
-plus grand, c'est qu'il y ait par le monde tant de maisons particulières,
-qui, sous ce rapport, sont de véritables maisons publiques. Ah! il faut
-bien le dire, les seules leçons à donner à cet égard, si les leçons sur
-ce point peuvent être bonnes à quelque chose, ce sont les tristes récits
-des effrayantes catastrophes qui terminent quelquefois les désordres des
-joueurs passionnés.
-
-Voici un extrait de l'acte d'accusation d'Asselineau, prévenu
-d'assassinat sur la personne de Brouet, garçon marchand de vin, qui est
-de nature à provoquer au moins quelques réflexions salutaires.
-
-Asselineau, arrivé de son village à l'âge de quatorze ans, mérita d'abord
-la confiance des marchands de vin qui l'employèrent en qualité de garçon.
-Chacun vantait son intelligence et sa probité. Mais bientôt on s'aperçut
-qu'il se dérangeait; sa conduite devint suspecte, et le sieur Haro, chez
-qui il servait alors, crut devoir le congédier. Il est probable qu'à
-cette époque, vers la fin de 1825, Asselineau avait déjà fréquenté les
-maisons de jeu, et peut-être faut-il attribuer à cette funeste source une
-somme de 2,000 francs dont il était possesseur, et qu'il avait déposée
-chez un sieur Barthélemy.
-
-Une faute en entraîne bientôt une autre. Le sieur Barthélemy, en recevant
-d'Asselineau cette somme de 2,000 francs, lui en avait souscrit la
-reconnaissance. Asselineau, qui ne pouvait suffire avec son travail seul
-à sa dévorante passion, fabriqua de faux billets, et y apposa la
-signature Barthélemy qu'il avait appris à contrefaire. Les billets faux
-se succédèrent rapidement; plus de dix furent produits à la justice, et
-plusieurs étaient des effets de commerce. C'est par ce moyen
-qu'Asselineau parvint à se soutenir depuis la fin de 1825 jusqu'au
-commencement de 1827. Sa famille paya quelques-uns de ces effets; les
-plaintes de ceux qui avaient été trompés furent étouffées, mais le moment
-était venu où le crime ne pouvait plus échapper à la rigueur des lois.
-
-Asselineau le pressentait bien. Plusieurs de ses faux billets étaient
-échus; d'autres touchaient à leur échéance; il était le débiteur des
-derniers maîtres qui l'avaient employé, à raison des déficits assez
-considérables trouvés dans ses comptes. En un mot, au commencement de
-février 1827, il restait totalement privé de ressources et chargé de 7 à
-8,000 fr. de dettes. Une nouvelle escroquerie lui procura, pour quelques
-jours encore, les moyens d'exister. Il se présenta dans la soirée du 2
-février, chez un sieur Lefèvre, marchand de bijoux, rue du Ponceau,
-auquel il avait fait précédemment divers achats, et ne trouvant au
-comptoir que la mère du sieur Lefèvre, il demanda à emporter plusieurs
-cachets en or, montés en topazes et en améthystes, qu'un de ses amis,
-disait-il, l'avait chargé d'acheter. Asselineau promit de rapporter
-très-prochainement ou les cachets ou leur valeur. On eut trop de
-confiance en ses paroles. Il mit la main sur les cachets et les porta au
-Mont-de-Piété, où il en reçut quatre-vingt-quinze francs. A quelques pas
-de là, Asselineau vendit la reconnaissance moyennant quinze francs. Mais
-cette escroquerie n'était qu'un danger de plus ajouté à tant d'autres. Le
-sieur Lefèvre porta plainte dans les vingt-quatre heures, et les agens de
-police se mirent à la recherche d'Asselineau.
-
-Ici commence le dernier acte de ce drame terrible. Une irrésistible
-fatalité, ou plutôt une passion sans frein entraînait Asselineau de crime
-en crime, et déjà les plus atroces ne l'effrayaient plus. Il connaissait
-d'ancienne date un sieur Moreau, arquebusier, rue Joquelet. Au mois
-d'août précédent, il lui avait acheté des pistolets et des balles. Il
-vint lui acheter une nouvelle paire de pistolets et désormais ne sortit
-plus qu'armé. Il prétendit depuis que c'était pour se donner la mort.
-Mais comment accueillir cette assertion? Le 19 février, Asselineau se
-livrait encore à une folle gaîté; on le vit danser et sauter sur les
-tables d'un cabaret.
-
-Asselineau était lié avec un sieur Brouet, garçon marchand de vin comme
-lui, mais dont la conduite contrastait singulièrement avec celle de son
-ami. Brouet était doux, honnête et d'une vie irréprochable. Il tenait une
-cave, rue Saint-Honoré, no 346, pour le compte du sieur Raimbault. Le
-mercredi, 22 février, à neuf heures du matin, les voisins s'aperçoivent
-que la boutique de Brouet est encore fermée; ils s'en inquiètent; bientôt
-le commissaire de police arrive, accompagné de l'un des substituts du
-procureur du roi. Il fallut briser un carreau et pénétrer dans la
-boutique par la fenêtre du premier étage. Spectacle horrible! Brouet
-était étendu baigné dans son sang, la tête vers le comptoir, et les pieds
-du côté du fourneau. Il était couvert de ses vêtemens; près de lui, on
-voyait les débris d'une bouteille. Mais ce n'était pas à des coups de
-bouteille qu'il avait succombé. Un coup de pistolet, tiré dans l'oreille
-gauche à bout portant, lui avait seul ôté la vie. Brouet n'était pas
-coupable d'un suicide; car il n'était pas gaucher, et c'était à gauche
-qu'il avait été frappé. Une balle avait traversé la tête; une autre fut
-trouvée dans la bouche, où elle avait fracturé plusieurs dents, et ouvert
-une artère par où le sang s'était épanché. Le coup avait été entendu vers
-onze heures par des vidangeurs qui travaillaient dans le voisinage, et
-qui avaient cru que l'on frappait à une porte avec violence. L'assassin
-avait pris la fuite en fermant la porte sur lui et en emportant la clef.
-
-On avait volé la victime. Une montre d'or avec des breloques de même
-métal, des boucles d'argent, une somme de cent dix francs, une
-inscription de rente de cinquante francs, un billet à ordre de neuf cent
-cinquante fr., signé Forquignon, d'autres billets et des registres
-renfermés dans une cassette, enfin du linge et des vêtemens, tout avait
-disparu, mais on ne connaissait pas encore le coupable.
-
-Asselineau avait été vu dans la boutique de Brouet, le 21 février, dès
-trois heures et demie. Il y avait passé toute la soirée; tantôt écartant
-sous un faux prétexte un témoin qui l'importunait, tantôt regardant
-fixement et avec affectation les pratiques de Brouet, ôtant et remettant
-ses habits, demeurant les bras nus, et quelquefois paraissant occupé à
-lire. A onze heures, Brouet fermait sa boutique; Asselineau seul y était
-encore. A onze heures et quelques minutes, Brouet avait cessé d'exister.
-Asselineau était donc l'assassin.
-
-Le 19 février, Asselineau s'était occupé de l'achat d'une feuillette de
-vin pour un sieur Daudé, employé aux jeux du Palais-Royal, n. 9, lequel
-destinait cette feuillette à une dame Rose Massyr, femme de
-charge. Asselineau s'adressa à un marchand de vin, rue des
-Boucheries-Saint-Honoré; il paya un à-compte de 80 francs en or, parla
-d'une inscription de rente de 50 francs qu'il devait aller vendre à la
-Bourse, et le soir du même jour, revint pour payer la feuillette, muni
-d'un billet de 500 francs qu'on ne put lui changer. Ses démarches
-éveillèrent des soupçons; l'autorité fut avertie, et, le 24 février,
-Asselineau, revenant chez ce marchand de vin pour achever de payer la
-feuillette, fut arrêté par des agens de police placés en embuscade. Il
-voulait d'abord faire résistance et portait fréquemment les mains à ses
-poches. On le fouilla, et on trouva sur lui un pistolet. Les agens de
-police se firent prêter main-forte, et conduisirent Asselineau en lieu de
-sûreté.
-
-Chose étrange! le 23 février même, Asselineau, se trouvant dans le
-cabaret du sieur Niquet, rue de la Sourdière, s'entretenait froidement de
-l'assassinat de Brouet, l'ami qu'il avait tué. «Eh bien! dit-il à Niquet,
-vous avez donc un de vos camarades qui a été assassiné?--C'est vrai,
-répondit Niquet.--Que dit-on là-dessus?--On dit que c'est un de ses amis
-qui l'a assassiné: c'était un bien brave homme, bien estimé que
-Baptiste!--Dit-on si on l'a volé?--C'est bien présumable.»
-
-Asselineau, arrêté, ne pouvait nier son forfait: on avait saisi sur lui
-la montre et les boucles d'oreilles de Brouet. Il était encore vêtu d'un
-habit noir et d'un pantalon arrachés à sa victime. On retrouva dans son
-domicile les registres de Brouet. Asselineau, confondu par ces preuves
-accablantes, se confessa coupable et du vol et de l'assassinat. Il
-chercha seulement, dans les interrogatoires postérieurs, à écarter la
-préméditation, en soutenant que la pensée de son crime lui était venue en
-un instant.
-
-«Dans la maison de jeu du Palais-Royal, n. 9, que fréquentait Asselineau,
-il y avait, suivant l'acte d'accusation, un étranger soi-disant
-commissionnaire en marchandises, nommé Georges Sunboef, qui prêtait de
-l'argent aux joueurs, sur nantissement de billets et d'effets publics; ou
-bien il escomptait les uns et achetait les autres. C'était cet homme qui
-avait acheté d'Asselineau l'inscription de rente de 50 francs; c'était
-lui qui lui avait escompté le billet de 950 francs signé _Forquignon_, et
-qui n'avait pas eu honte de lui donner de l'un et de l'autre une somme de
-960 francs. Asselineau avait endossé le billet du nom de sa victime à la
-date du 25 janvier 1827; il avait signé du même nom une cession de la
-rente.» Ainsi, pour cette somme de 960 francs, il s'était rendu coupable
-d'un assassinat, d'un vol et de deux faux.
-
-Asselineau fut traduit devant la Cour d'assises de la Seine, le 26 mars.
-Cinquante-sept témoins avaient été assignés pour déposer dans cette
-affaire. L'accusé paraissait calme et s'efforçait de se soustraire à la
-curiosité publique, en se tournant du côté de la Cour. Il était âgé de
-vingt-un ans, et natif du département de la Nièvre.
-
-Dans l'interrogatoire qui eut lieu devant la Cour, Asselineau convint de
-l'assassinat et du vol, reconnut les faux billets qui lui furent
-représentés, avoua que c'était lui qui les avait fabriqués, et borna tout
-son système de défense à écarter la préméditation. On entendit plusieurs
-témoins dont les dépositions ne firent que confirmer les faits déjà
-connus et avoués par l'accusé lui-même. On attendit avec impatience la
-comparution de Sunboef, le commissionnaire du Palais-Royal que l'acte
-d'accusation avait gravement inculpé. Mais ce témoin expliqua sa conduite
-d'une manière qui parut satisfaire la Cour. Il n'avait fait, dit-il,
-qu'avancer à l'accusé le prix de la rente de 50 francs qui devait être
-vendue plus tard; et, quant au billet signé _Forquignon_, Asselineau ne
-l'avait point passé à son ordre; il le lui avait seulement confié pour
-l'escompter. Tous ces faits furent confirmés par le prévenu. «J'étais
-hardi au jeu, dit Asselineau, puisqu'en moins de dix mois, j'ai perdu
-plus de dix mille francs. On me prenait pour un gros marchand de vins,
-et j'inspirais de la confiance. C'est un de mes amis qui m'a perdu. Il
-vint me débaucher chez le sieur Haro, où je ne songeais qu'à travailler,
-et me conduisit dans les maisons de jeux que j'ai toujours fréquentées
-depuis.»
-
-Il n'est peut-être pas inutile de faire remarquer qu'Asselineau commença
-par _jouer au billard_. Il y gagna même à la poule une _queue d'honneur_,
-et son malheureux père ne prévoyait que trop dès-lors les funestes
-conséquences d'une passion, qui alors pouvait paraître encore innocente.
-Disons néanmoins que tout sentiment d'honneur n'était pas éteint dans le
-cœur de l'accusé. Une lettre de lui atteste le désir qu'il avait de
-payer ses dettes, et de dédommager ceux qu'il avait trompés. «L'heure est
-sonnée, écrivait-il; c'en est fait! il faut vous avouer mes erreurs et
-mettre au jour toutes mes bassesses. Si, en mourant, je ne laissais pas
-de dupes, je serais content.»
-
-Le ministère public soutint l'accusation avec force. «Sans doute, dit-il,
-il faudrait plaindre un malheureux jeune homme, qui, entraîné par un ami
-perfide dans ces maisons où l'on perd à la fois et sa fortune et
-l'honneur, demanderait grâce pour sa faiblesse et son inexpérience. Mais
-en est-il ainsi d'Asselineau? Non, sans doute; c'est dans un café qu'on
-l'a d'abord entraîné, et depuis il s'est livré successivement, et pendant
-deux années, à tous les excès du jeu!»
-
-Me Gechter, défenseur de l'accusé, présenta le tableau hideux des maisons
-de jeu, de ces maisons où, suivant son expression, _la démoralisation,
-l'usure et le vol sont affermés_. Il appela l'indulgence des juges sur
-l'extrême jeunesse d'Asselineau, et tout en le regardant comme un grand
-coupable, il les excita vivement à prendre en pitié le sort de ce jeune
-homme qu'un entraînement funeste et irrésistible avait conduit à sa
-perte.
-
-Asselineau prit lui-même la parole après son défenseur; il retraça avec
-précision et clarté l'histoire déplorable de sa vie et de sa passion.
-Arrivé à la catastrophe du 21 février, il ne put achever et retomba sur
-son banc.
-
-La réponse du jury ayant été affirmative sur tous les chefs, excepté
-celui de la préméditation, aux termes de l'article 304 du Code pénal, la
-Cour condamna Asselineau à la peine de mort.
-
-Le coupable entendit avec calme ce terrible arrêt. Quand il fut prononcé,
-il voulut parler. «J'ai dit la vérité, toute la vérité, répétait-il à
-voix basse.--Du courage! lui dit son avocat.--Du courage! s'écria
-Asselineau, j'en ai plus que vous. Vous trembliez en me défendant!»
-
-Asselineau avait lui-même rédigé dans le plus grand détail un précis de
-sa vie entière. Cette relation curieuse fut publiée à l'époque de la
-procédure. En lisant la vie de cet infortuné, on ne peut se défendre des
-sentimens les plus pénibles, et des réflexions les plus douloureuses. On
-gémit sur la cause qui put, en quelques mois, d'un jeune homme honnête et
-laborieux faire un assassin.
-
-Asselineau, dans sa prison, manifesta constamment un repentir sincère,
-sans faiblesse et sans abattement: il ne témoignait pas la plus légère
-inquiétude; la veille même de l'exécution, il joua très-gaîment aux
-barres et il étonnait les autres prisonniers par ses tours de force et
-d'adresse. C'était toujours avec beaucoup d'émotion qu'il parlait de son
-crime, et en le racontant, il maudissait le no 9 du Palais-Royal. Il
-affirmait qu'en entrant dans la chambre de Brouet, il n'avait pas eu
-l'idée de l'assassiner. «Je me rappelle bien, ajouta-t-il, que trois fois
-je tirai le pistolet de ma poche et trois fois je le remis.» Après le
-crime, tel était son trouble, qu'il chercha long-temps, pour ouvrir le
-tiroir, les clés qu'il tenait dans sa main.
-
-Le calme d'Asselineau ne venait point d'une stupide indifférence, mais
-d'une résignation réfléchie. Il avait pour compagnon d'infortune à
-Bicêtre, le nommé Buisson, condamné aussi, et tout nouvellement, à la
-peine de mort, pour avoir assassiné son ami. Asselineau ne cessait de le
-consoler, de l'encourager et de l'exhorter à avouer son crime, en faisant
-valoir auprès de lui des considérations morales et religieuses. «Tes
-dénégations te rendent plus criminel encore, lui disait-il, imite-moi;
-avoue-toi coupable; c'est la plus grande preuve de repentir.... Songe que
-nous devons paraître devant Dieu: cet aveu ne nous servira de rien auprès
-des hommes; mais Dieu nous en tiendra compte.» Cédant à ses conseils et à
-ses exhortations, Buisson fit en effet l'aveu de son crime, qu'il avait
-nié jusque-là avec force.
-
-Enfin, Asselineau était parvenu à intéresser vivement à son sort toutes
-les personnes qui l'entouraient. Les gardiens faisaient des vœux pour
-qu'il obtînt sa grâce. Pendant les derniers jours de sa vie, il
-s'occupait beaucoup à écrire. Il avait composé un petit discours qu'il
-apprenait par cœur, et qu'il avait l'intention de prononcer sur
-l'échafaud. Mais de sages conseils le firent sans doute renoncer à ce
-dessein.
-
-Quand, le 8 mai 1827, l'huissier chargé de l'extraire de Bicêtre, vint
-lui annoncer le rejet de son pourvoi, cette nouvelle ne lui causa pas la
-moindre émotion. Il fit, avec tranquillité, ses adieux aux vétérans de
-garde à la porte et remercia cordialement les gardiens de tous les soins
-qu'ils lui avaient prodigués.
-
-La voiture était à peine arrivée dans la cour du palais de Justice
-qu'elle fut entourée par une multitude avidement curieuse. Pour se
-soustraire à tant de regards, Asselineau, malgré les liens qui le
-privaient de l'usage de ses deux mains, se précipita de la voiture avec
-une vigueur et une agilité qui surprirent et effrayèrent les personnes
-placées autour de lui. Le public put à peine l'apercevoir.
-
-Dès-lors Asselineau passa la plus grande partie de ses instans avec son
-confesseur. On lui offrit quelque nourriture: «Non, je vous remercie,
-répondit-il; elle ne passerait pas.» Il s'empressa d'envoyer à
-l'exécuteur un billet ainsi conçu: «Je prie tous ces messieurs de vouloir
-bien remettre à M. Morel, tailleur, rue Montorgueil, no 31, mon habit et
-mon pantalon que je lui ai achetés quelques jours avant mon arrestation,
-et que je ne lui ai point payés. Je pense qu'il ne peut pas avoir les
-moyens de les perdre. En le faisant, vous obligerez un malheureux.
-
- B. ASSELINEAU.»
-
-A quatre heures moins un quart, le patient fut amené, suivant l'usage
-dans l'avant-greffe de la prison où l'on prépare la victime pour le
-supplice. C'est ce qu'on appelle la _toilette_ des condamnés. Asselineau
-s'avança d'un pas ferme vers les exécuteurs qui l'attendaient. Sa figure
-était rayonnante de jeunesse et de santé; on n'apercevait aucune trace
-d'altération sur ses traits, aucune hésitation dans ses mouvemens. A
-peine délivré de la camisole de force, il ôta lui-même son habit, et
-s'assit sans proférer un seul mot sur une sellette de bois placée
-vis-à-vis le guichet, à travers lequel on entrevoyait la fatale
-charrette. L'un lui lie les mains derrière le dos; un autre attache une
-longue ficelle à ses deux jambes; un troisième coupe le col de sa chemise
-avec des ciseaux et taille ensuite le bas des cheveux pour disposer la
-place. Asselineau, en sentant l'acier glisser sur son cou, ne put se
-défendre d'un mouvement de frisson, et il pâlit pour la première fois.
-L'obscurité de la salle, le morne silence qui régnait autour de la
-victime, les rumeurs du dehors qui pénétraient sourdement jusqu'à elle,
-tout ajoutait à l'horreur de cette lugubre scène.
-
-Enfin la porte s'ouvrit, et Asselineau s'avança à pas lents, entouré des
-exécuteurs, et précédé du vénérable aumônier des prisons.
-
-On voulut l'aider à monter dans la charrette. «Laissez, dit-il, je
-monterai bien tout seul.» A peine fut-il assis, que le confesseur placé à
-ses côtés, lui présenta le crucifix, et il le baisa avec une pieuse
-résignation.
-
-Arrivé à la place de Grève, Asselineau, sur l'invitation de l'aumônier,
-se mit à genoux et fit un acte de contrition; puis, il monta avec fermeté
-sur l'échafaud, et quelques secondes après, il n'existait plus.
-
-Arrivé à l'échafaud, il s'était tourné vers le peuple, en disant: _Que
-ceci vous serve d'exemple!_ Pendant qu'on le plaçait sur la planche
-fatale, il répéta à plusieurs reprises: _Que Dieu aie pitié de moi!_
-
-La recommandation d'Asselineau fut fidèlement exécutée. Son habit bleu et
-son pantalon furent remis à M. Morel, tailleur. Dans la poche de cet
-habit, on avait trouvé une lettre du père d'Asselineau, écrite d'Antrain
-(Nièvre) le 7 avril, et adressée au directeur de Bicêtre. Elle était
-ainsi conçue:
-
- «Mon fils,
-
- «En réponse à ta lettre en date du 31 mars, que j'ai reçue le 6
- avril, par laquelle tu nous fais tes adieux, et tu nous demandes
- des pardons...... Que Dieu te pardonne! A l'égard de nous, nous
- te pardonnons tous, père et mère, frère et sœur. Nous t'avons
- toujours élevé en la crainte de Dieu, et dit les dangers qu'il y
- avait de fréquenter les mauvaises compagnies.
-
- «Tu n'as pas pu t'en défendre...... Que Dieu te pardonne, comme
- nous te pardonnons! Tu seras heureux, et nous, le restant de nos
- jours, nous serons malheureux...
-
- «Tu attends sur la clémence du roi...... que Dieu soit béni!
-
- «Nous te faisons tous nos adieux pour toujours: recommande-toi à
- Dieu.
-
- «_Ton père_ F. ASSELINEAU.»
-
-Nous ne commenterons pas cette lettre: il faudrait revenir aux réflexions
-qu'on a lues au commencement de cet article. A travers le laconisme de
-cet homme illettré, à travers ses pieuses répétitions, on y reconnaît
-trop bien le cœur brisé d'un malheureux père.
-
-
-
-
-FAMILLE DE PARRICIDES.
-
-
-Nos lecteurs ont pu voir dans le second volume de cette collection
-l'épouvantable histoire d'un malheureux père assassiné par deux de ses
-fils, aidés de leur mère. Les fastes criminels de notre temps présentent
-un forfait du même genre et non moins horrible.
-
-Le 16 mai 1826, à quatre heures du matin, le garde du moulin de Croûtes
-(Aisne) aperçut quelque chose qui passait sous la volée ou le tournant du
-moulin; c'était un cadavre qui s'accrocha à des saules. Un instant après,
-arrivèrent deux pêcheurs; Jaquin, l'un d'eux, courut avertir le maire et
-le juge-de-paix. Des magistrats se rendirent sur-le-champ au lieu où
-gisait le cadavre; on le retira de la rivière en leur présence: on
-reconnut que c'était celui de Dupré. Il avait autour du cou une petite
-corde un peu plus grosse que la ficelle ordinaire; à cette corde était un
-nœud coulant que l'on avait ensuite fixé et arrêté par un autre nœud.
-
-Le cadavre était complètement vêtu; il avait des bas, des chaussons et
-des sabots couverts. On trouva dans une poche de son gilet une clef qui
-était celle du secrétaire ou de l'armoire qui contenait l'argent de
-Dupré. Le procès-verbal du médecin, appelé pour examiner le corps,
-portait qu'il y avait sur le cadavre un signe de pression occasionée par
-la corde, une ecchymose au pariétal droit, une autre plus légère à la
-pommette gauche. Il fut établi par l'accusation que les contusions et les
-ecchymoses n'avaient pu être produites par une submersion volontaire, ni
-même par le passage du corps sous la roue du moulin: elles étaient
-nécessairement le résultat des violences exercées sur Dupré avant la
-submersion. Ce qui en donnait une preuve irrécusable, c'était une plaie
-qui existait au bas du ventre, ayant quatre à cinq pouces de diamètre.
-Cette plaie semblait expliquer le propos de la veuve Dupré, qui avait
-dit: _Je sais bien comment il faut le prendre pour le dompter; un coup de
-pied le rend blanc comme neige._
-
-L'enquête, qui eut lieu, fit naître de véhémens soupçons contre quatre
-individus qui furent aussitôt arrêtés. C'étaient la veuve du malheureux
-Dupré, Rose-Victoire Dupré, sa fille légitime, Jean-Étienne Duchesne, dit
-_Bancroche_, fils naturel de cette dernière, et le nommé Vaillant, père
-de Pierre-François Vaillant, gendre de Dupré.
-
-Ces quatre prévenus comparurent devant la Cour d'assises de Laon le 5
-mars 1827. Tous les regards étaient fixés sur cette famille qui
-n'inspirait que l'horreur et le mépris. Vaillant avait dit à un témoin:
-_Prends-garde à toi, si tu parles trop!_ On avait remarqué sur le bord de
-la rivière, où le corps de Dupré devait avoir été jeté, l'empreinte de
-traces faites avec des bas ou des chaussons, et le cadavre repêché le 16
-avait des sabots couverts. On trouva dans la rivière une pierre de
-quatre-vingt-huit livres dans une fosse placée vis-à-vis l'empreinte des
-traces remarquées. N'était-il pas présumable et même certain que cette
-pierre avait été employée par les auteurs du crime, au moyen du nœud
-coulant de la ficelle, pour tenir le corps au fond de l'eau et y
-ensevelir le secret de la plus noire scélératesse?
-
-Voici quelques circonstances antérieures à l'assassinat. La femme Dupré
-vivait très-mal avec son mari; chaque jour voyait éclater de nouvelles
-querelles. La fille se joignait à la mère pour maltraiter son père. Cette
-fille dénaturée était, au reste, connue pour avoir la conduite la plus
-déréglée. Elle avait eu deux enfans naturels, fruits honteux de sa
-débauche: l'un de ces enfans, Duchesne, dit _Bancroche_, se montrait en
-tout digne de sa mère. Il se vantait publiquement des mauvais traitemens
-exercés contre son grand-père Dupré, et n'était pas le dernier à y
-prendre part.
-
-Au milieu des chagrins dont il était continuellement abreuvé, il était
-arrivé à Dupré de dire un jour à quelqu'un qu'il voudrait bien qu'on lui
-tirât un coup de fusil, pour le délivrer de sa pénible existence. Ses
-meurtriers profitèrent de ce propos pour lui supposer l'intention d'un
-suicide. De là le projet et l'exécution du crime sur lequel les accusés
-voulaient faire prendre le change, en prêtant à Dupré la volonté de se
-détruire et la résolution de se noyer.
-
-Dupré gardait soigneusement la clé du meuble où était son argent. Six
-semaines avant sa mort, il avait répondu à une personne qui lui faisait
-une question relativement aux plaintes de ses enfans: «Pourquoi les
-doter? Ils boivent et mangent tout; ils se coalisent pour me ruiner.»
-
-La mère et les enfans avaient répété souvent ce propos infâme: _Si ce
-gueux, si ce cochon-là était mort, nous jouirions......_
-
-Ces faits et ces propos furent attestés par plusieurs témoins. Que
-fallait-il de plus pour donner de la vraisemblance à la consommation du
-crime?
-
-Mais deux femmes et un jeune homme infirme ne suffisaient pas à l'entière
-exécution du projet. Il fallait quelqu'un d'assez fort pour les aider, et
-ce fut, suivant l'accusation, Vaillant père, que l'on choisit pour cet
-exécrable ministère. La réputation de cet homme était loin d'être
-intacte: il passait pour avoir des liaisons intimes avec sa belle-fille;
-ce fut lui, suivant quelques dépositions, que Rose Dupré alla chercher
-pendant la nuit, et qui aida à porter le cadavre à la rivière. On
-remarqua que Vaillant fils lui-même avait dit dans sa déposition: _Ce
-n'est pas mon père qui a tué Dupré; il n'a fait que le porter à la
-rivière._
-
-Après les plaidoieries, le président fit le résumé des débats avec la
-plus exacte impartialité, et posa aux jurés les cinq questions résultant
-de l'acte d'accusation.
-
-Le jury répondit affirmativement sur les deux premières questions
-relatives à la veuve Dupré et à sa fille, en écartant seulement la
-préméditation; semblable réponse fut faite relativement à Duchesne dit
-_Bancroche_, mais à la majorité de sept voix contre cinq. Les deux
-questions relatives à Vaillant père furent résolues négativement. La
-Cour, sur la question qui concernait _Bancroche_, se réunit à la minorité
-du jury; en conséquence Duchesne dit _Bancroche_ et Vaillant furent
-acquittés.
-
-Sur les conclusions du ministère public, la veuve Dupré et Rose-Victoire
-Dupré, sa fille, furent condamnées à la peine des parricides.
-
-
-
-
-COMPTE,
-
-MEURTRIER DE SA FEMME ET DE SON ENFANT.
-
-
-Depuis plusieurs années, on a vu se multiplier d'une manière effrayante
-des crimes dont la justice ne s'explique que très-difficilement la cause.
-Les fureurs sanguinaires de Papavoine et de la fille Cornier n'ont eu que
-trop d'imitateurs. Les médecins, appelés au secours des magistrats, pour
-trouver l'explication de ces phénomènes criminels, ont invoqué une sorte
-de démence d'un genre particulier, à laquelle on a donné le nom de
-_monomanie_; et malgré cette assertion de la science, pour un grand
-nombre d'esprits prévenus ou incrédules, beaucoup de crimes sont demeurés
-presque inexplicables. De ce nombre est celui dont nous allons rapporter
-les principales circonstances.
-
-Le nommé Compte, charron, s'était constamment fait remarquer par la
-douceur de son caractère et par son attachement pour sa femme et ses
-enfans. Cet homme, tout-à-coup, devint triste et rêveur; il recherchait
-les lieux solitaires; tantôt il prodiguait des marques de tendresse à son
-épouse, tantôt il repoussait ses caresses.
-
-Le 15 mars 1827, Compte se trouvait seul à son atelier, lorsque sa femme
-vint l'y voir dans l'intention de lui tenir compagnie et de chercher à
-dissiper les idées sombres qui le tourmentaient. Soudain Compte
-l'interrompit en lui disant: _Je voudrais bien mourir, et tu devrais
-mourir avec moi!_ Anne Constant, sa femme, pour calmer l'agitation de son
-mari, s'approcha de lui et l'embrassa; mais cette prévenance, loin de
-tranquilliser Compte, le met hors de lui-même; il agite un couteau qu'il
-tenait dans sa main, et bientôt il en porte un coup à la gorge de sa
-femme. Celle-ci s'échappe en jetant de grands cris; Compte la poursuit
-avec acharnement, il l'atteint dans la cour et lui porte à la gorge un
-second coup de couteau.
-
-Les pères et mères des époux accourent; ils prennent dans leurs bras Anne
-Constant et l'arrachent à la fureur de son mari. Compte alors veut
-rentrer dans son atelier; mais, trouvant sur son passage son enfant âgé
-de deux ans, il s'en saisit, l'emporte sous un hangar, et là, lui enfonce
-dans la poitrine le couteau qui dégouttait encore du sang de sa
-malheureuse femme. L'enfant expire sous ses yeux, et ce malheureux, pour
-terminer cette horrible tragédie, retourne contre lui le fatal couteau;
-il s'en frappe à la tête et se blesse grièvement.
-
-Les poursuites judiciaires étaient faciles à exécuter: c'était un mari
-qui avait voulu égorger sa femme; c'était un père qui avait donné la mort
-à son enfant. Compte fut arrêté, et traduit devant la Cour d'assises de
-la Charente, le 8 mai 1827.
-
-Cette cour avait paru hésiter à mettre Compte en accusation. On lit en
-effet, dans l'arrêt de renvoi, le considérant suivant:
-
-«Considérant qu'on serait tenté de croire à _la démence_ du prévenu; que
-l'esprit est ramené souvent à cette idée par les détails que renferme la
-procédure, mais qu'on se trouve arrêté par certains aveux de Jean Compte,
-desquels il résulte que sa femme lui paraissait depuis quelque temps
-légère, coquette, et peu disposée à payer sa tendresse de retour;
-
-«Qu'il est donc _possible_ d'attribuer à un violent accès de jalousie le
-double attentat dont le prévenu s'est rendu coupable, et qu'il convient
-de laisser aux débats de l'audience le soin de faire connaître la
-véritable situation _mentale_ du prévenu, lorsqu'il enfonça le couteau
-dans la gorge de sa femme et dans le sein de son fils.»
-
-Après les débats, qui furent de peu de durée, le président de la Cour
-posa deux questions aux jurés sur la culpabilité du prévenu. Sur la
-première question, les jurés répondirent: Non, Compte n'est pas coupable
-d'avoir _volontairement_ donné la mort à son fils; sur la seconde: Oui, à
-la majorité de sept voix contre cinq, l'accusé est coupable d'une
-tentative d'homicide, manifestée par des actes extérieurs, suivie d'un
-commencement d'exécution, et qui n'aurait manqué son effet que par des
-circonstances indépendantes de sa _volonté_.
-
-La Cour s'étant réunie à la majorité du jury, Compte fut en conséquence
-condamné aux travaux forcés à perpétuité.
-
-
-
-
-CASTANIER,
-
-OU LES RÉSULTATS CRIMINELS DE L'EXALTATION RELIGIEUSE.
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-L'exaltation religieuse, comme l'exaltation politique, peut tourner au
-crime les individus les plus inoffensifs de leur nature et leur faire
-regarder comme des actes vraiment méritoires les forfaits les plus
-atroces. Sans doute, si leurs attentats procèdent d'une faiblesse, d'une
-affection ou d'une lésion des organes du cerveau; s'il est prouvé qu'ils
-soient les résultats de cette sombre monomanie qui se plaît à verser le
-sang, et parfois celui des êtres les plus innocens et les plus chéris de
-celui même qui les égorge, il faut plaindre le sort de ces criminels
-d'une classe particulière; on doit des égards à la position de malheureux
-qui, dans des accès de folie, sont capables d'immoler ceux qu'ils aiment
-le plus au monde. Mais si la loi doit épargner des coupables
-involontaires, chez qui l'intention n'a pas été complice du bras,
-l'intérêt de la société exige impérieusement qu'on la mette à l'abri des
-atteintes meurtrières de ces furieux; il veut aussi qu'on n'accorde pas
-une créance trop aveugle à un système de défense dont il serait facile
-d'abuser et derrière lequel les plus grands scélérats, assurés de
-l'impunité, finiraient par venir se retrancher comme dans un asile
-inviolable.
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-Le nommé Castanier dont le procès nous a suggéré les réflexions que l'on
-vient de lire, avait subitement passé d'une vie désordonnée à une vie
-bigotte. Pendant sa jeunesse à Camaret Vaucluse, il était libertin,
-joueur, débauché; il passait presque tout son temps au cabaret. Étant
-venu demeurer à Orange, il fut entouré de personnes pieuses qui
-entreprirent sa conversion; dès-lors, son train de vie fut tout-à-fait
-changé: il restait des journées entières à l'église; bientôt il eût passé
-pour un saint homme. Depuis, cet homme s'était fixé à Carpentras.
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-Le 16 janvier 1827, la petite fille de Castanier, charmante enfant, aimée
-de tout le voisinage, chérie de son père et de sa mère, disparut
-tout-à-coup. On crut d'abord qu'elle s'était égarée dans la ville. La
-veuve Bouche avait vu, à midi, Castanier et sa fille qui allait après lui
-en pleurant. Elle avait dit au père: «Attendez donc votre enfant!» sur
-quoi il avait pris sa petite par la main. Dans la soirée, la veuve Bouche
-retourna chez Castanier pour demander si l'enfant était retrouvée. Le
-mari était d'un côté du poêle; sa femme, désolée, de l'autre côté; le
-témoin s'assit entr'eux deux. La femme dit à son mari: «A midi, tu as
-rencontré ton enfant sur le Pont-Neuf?--Oui.--Tu l'as pris par la
-main?--Oui.--Tu l'as amenée à la maison?--Oui.--Tu lui as donné du
-pain?--Oui.--Et puis, qu'est-elle devenue?» A cette question, Castanier
-resta sans voix! «Va la chercher: lui dit la femme.--Et où veux-tu que
-j'aille? répondit-il.»
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-Cependant on trouva le cadavre de la jeune Castanier dans le puits du
-Cirque, avec une pierre au cou, et percé de deux coups de couteau.
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-Aussitôt la justice instruisit. Le commissaire de police se transporta
-chez Castanier avec le juge d'instruction. Castanier était couché tout
-habillé sur son lit, et en se levant, il s'écria: _Je n'ai plus
-d'enfant!_ Et pourtant, il ignorait encore que l'on eût retrouvé le
-cadavre dans le puits. Un couteau avait été enfoncé jusqu'au manche dans
-les côtes de la victime; la femme Castanier reconnut ce couteau pour être
-celui de son mari; elle reconnut aussi la pierre trouvée au cou de
-l'enfant pour avoir été enlevée du bas de l'escalier de sa chambre. Cette
-pierre fut présentée à la place qu'elle devait occuper; elle s'y adaptait
-parfaitement: on ne pouvait s'y tromper, cette place vide ayant gardé
-l'empreinte des rugosités de la pierre.
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-Ces indices, joints aux témoignages de plusieurs personnes, déterminèrent
-l'arrestation de Castanier; et il fut traduit le 8 mai devant la Cour
-d'assises de Vaucluse. Quand il comparut devant le tribunal, tous les
-regards cherchèrent sur la figure de Castanier les signes de cette
-démence à laquelle, en l'absence de tout autre motif, on attribuait
-généralement son attentat. On vit un homme maigre et d'un teint cuivré.
-Ses cheveux étaient noirs et plats, ses lèvres enflées et blafardes; ses
-yeux, d'une forme ronde, étaient caves et brillans; il semblait étranger
-à tout ce qui se passait autour de lui. Au mouvement de ses lèvres, on
-aurait pu croire qu'il récitait des prières.
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-Nous allons donner un extrait de son interrogatoire, qui pourra faire
-connaître aux lecteurs la situation mentale de l'accusé. Assez long-temps
-avant le meurtre de sa fille, Castanier était toujours entouré chez lui
-de livres de dévotion; il ne travaillait plus, et quand sa femme lui
-représentait le besoin qu'ils avaient du travail, il lui répondait par
-des exclamations religieuses. Il avait fréquemment des rêves d'enfer et
-de démon, et se levait la nuit pour prier Dieu. On va voir quelles
-étranges réponses il fit à la plupart des questions qui lui furent
-adressées.
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-_Le Président_: Comment vous appelez-vous?
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-L'accusé, regarde sans répondre, comme s'il n'avait pas entendu. Un
-gendarme le pousse; et interrogé une seconde fois, il déclare se nommer
-Castanier.
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-_D._ Où demeurez-vous?
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-_R._ Ici.
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-_D._ Comment ici! vous ne demeurez pas à Orange?
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-_R._ Oui, à Orange.
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-_D._ Quel âge avez-vous?
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-_R._ Je ne m'en souviens pas.
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-Alors Me Bourdon, nommé d'office pour assister Castanier, exposa à la
-Cour que la seule chose explicite qu'il eût pu obtenir du prévenu,
-c'était qu'il ne voulait pas de défenseur; que Dieu saurait bien le
-défendre.
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-Non! s'écria Castanier avec force, je ne veux point de défenseur; je n'en
-ai pas besoin.
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-_D._ Castanier, voulez-vous être jugé?
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-_R._ A la volonté de Dieu.
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-_D._ On dit que vous êtes fou?
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-_R._ Je n'en sais rien.
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-_D._ Avez-vous tué votre enfant?
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-_R._ Je n'ai jamais fait de mal à mon sang.
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-Pendant les dépositions des témoins, l'accusé s'était endormi;
-tout-à-coup il se réveilla en riant à la manière d'un hébété.
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-_D._ Que fîtes-vous le 16 janvier, de dix heures à deux heures?
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-_R._ Je fus à l'église; je ne puis pas vous le dire.
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-_D._ Aimiez-vous votre fille?
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-_R._ Pauvre petite!
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-_D._ Est-ce vous qui l'avez tuée?
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-_R._ Castanier sanglote en détournant la tête, et finit par dire: C'est
-un grand malheur!
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-_Un juré._ Avez-vous tué votre fille?
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-_R._ Tu n'as point de sens.
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-_D._ Ne craignez pas de l'avouer: peut-être n'avez-vous pas cru mal
-faire. L'avez-vous tuée?
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-_R._ Si vous me le dites encore, je m'en vais.
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-_Le procureur du roi._ N'avez-vous pas de regret d'avoir tué votre
-enfant?
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-_R._ Je ne veux pas vous écouter: (après quelques momens de silence, et
-en mettant sa tête dans ses mains), c'est depuis la mort de mon enfant
-que la tête me fait mal; avant aussi, elle me faisait mal.
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-François Bouche, assigné comme témoin, commençait sa déposition;
-Castanier l'interrompit, et lui dit, comme en se réveillant: «Ah!
-bonjour, Bouche!»
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-Un témoin ayant dit que le prévenu restait habituellement des heures
-entières prosterné à l'église sans remuer, Castanier s'écria: «J'y suis
-resté une fois neuf heures; j'ai bien du plaisir à y être; je voudrais
-bien y aller.»
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-_D._ N'avez-vous pas cru, en tuant votre enfant, l'envoyer au ciel?
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-_R._ Je ne vous écoute pas.
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-Le procureur du roi, après avoir démontré la culpabilité de l'accusé,
-déclara qu'il ne pensait point que l'accusé eût agi avec discernement, et
-que son état moral lui semblait devoir faire écarter les circonstances de
-la préméditation.
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-De son côté, le défenseur s'attacha à faire ressortir la preuve de la
-démence, des circonstances de la cause et de la conduite de l'accusé dans
-tout le cours des débats.
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-Après une courte délibération, le jury déclara l'accusé coupable, mais
-sans préméditation; et par suite de cette déclaration, Castanier fut
-condamné aux travaux forcés à perpétuité.
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-ACCUSATION D'ASSASSINAT
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-RÉSULTANT D'UN SUICIDE.
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-Les sieur et dame Coutelas vivaient à Reuil, village situé sur la rive
-droite de la Marne. Ils jouissaient d'une certaine aisance. Le sieur
-Coutelas, ancien militaire, fils d'un honnête vigneron, avait épousé, en
-1815, une personne dont la condition était au-dessus de la sienne. Les
-deux époux n'ayant pas d'enfans, avaient, en 1819, par deux testamens
-déposés chez un notaire, disposé mutuellement de l'usufruit de leurs
-biens en faveur du survivant.
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-Le sieur Coutelas, âgé de cinquante-un ans, était d'un caractère froid et
-apathique. La dame Coutelas, petite et replète, était, depuis quelques
-mois, affectée d'un commencement d'hypocondrie. Elle était tourmentée par
-des insomnies; le sang l'incommodait; son médecin lui avait conseillé
-une saignée qui avait été ajournée. Elle souffrait et se plaignait
-beaucoup.
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-Dans la journée du 30 mars 1826, ses plaintes redoublèrent et furent
-continuelles. Le matin, un neveu de son mari, informé de son état de
-maladie, était venu la voir. Elle avait annoncé l'intention de prendre
-l'émétique. Le mari et le neveu s'y opposèrent, en lui faisant observer
-qu'elle devait auparavant prendre l'avis du médecin; mais elle ne voulut
-point le consulter, et dit même qu'elle ne ferait rien de ce qu'il lui
-prescrirait.
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-Son neveu la quitta: elle lui avait pris plusieurs fois la main avec
-attendrissement. Son mari se rendit aux champs. La nommée Sophie Placial,
-sa domestique, alla travailler dans une vigne située près de la maison.
-Une voisine de la dame Coutelas, la femme Pierrot, passa l'après-midi
-avec elle, dans la cuisine, et remarqua qu'elle était très-agitée,
-qu'elle ne parlait pas comme à l'ordinaire.
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-Sophie rentra à deux heures pour savoir des nouvelles de sa maîtresse; à
-quatre heures, elle revint encore pour goûter. Cette dernière fois, la
-dame Coutelas lui prit la main en lui disant: _Ma Sophie! ma pauvre
-Sophie!_ Elle ajouta même, suivant la déposition de cette fille: _Je suis
-une femme perdue!_ Puis elle dit à la femme Pierrot qu'elle était lasse
-de la vie.
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-Vers le soir, Sophie quitta son travail et rentra à la maison. Trouvant
-ouverte la porte de la chambre à coucher de ses maîtres, elle regarda si
-sa maîtresse y était, et ne l'y voyant pas, ni dans une chambre voisine
-dont la porte était également ouverte, elle entra dans la cuisine où le
-sieur Coutelas était assis auprès du feu. Elle lui demanda où était sa
-maîtresse: il répondit qu'elle venait de passer dans sa chambre, et sur
-l'observation que lui fit la domestique qu'elle n'y était pas, il dit
-qu'elle était sans doute chez quelqu'une de ses voisines.
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-Sophie alla s'informer dans le voisinage, et n'y ayant pas trouvé la dame
-Coutelas, rentra fort inquiète à la maison. Son maître lui donna l'ordre
-de prendre une lanterne, et d'aller chercher sa femme du côté de la
-rivière, attendu que plusieurs fois elle avait dit que, pour rien, elle
-se jetterait à l'eau. Cette fille, éplorée, parcourut les bords de la
-Marne, en cherchant sa maîtresse.
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-De retour à la maison, après avoir fait des recherches infructueuses, la
-femme Pierrot et une autre voisine vinrent bientôt l'y rejoindre. Alors
-toutes les trois et le sieur Coutelas lui-même, qui commençait à
-s'émouvoir, s'entretinrent ensemble, dans la cour de la maison, des
-recherches qui restaient encore à faire. Sophie descendit seule dans la
-cave; sa maîtresse n'y était pas. Il y avait dans la maison une autre
-cave pour ainsi dire abandonnée, qui se composait de plusieurs berceaux
-qui se croisaient. Au fond et sur la gauche de l'un de ces berceaux qui
-se prolongeait au-delà des bâtimens, sous une vigne, était un petit
-caveau où le jour ne pénétrait jamais. La dame Coutelas n'était presque
-jamais entrée dans cette cave. Une des voisines proposa néanmoins de voir
-si elle n'y serait pas; Coutelas observa qu'elle n'aurait pas osé y aller
-seule: néanmoins on y descendit.
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-Sophie marchait la première; elle était suivie des deux autres femmes.
-Toutes les trois portaient des lanternes; Coutelas marchait le dernier.
-Tout-à-coup Sophie jette un cri d'effroi; elle a vu sa maîtresse étendue
-par terre: _La voilà ici_, s'écrie-t-elle, _la chère_ _dame Coutelas!_
-et elle recule épouvantée. La femme Pierrot s'enfuit. L'autre femme, plus
-courageuse, s'approche avec Coutelas. Tous deux voient la malheureuse
-femme étendue sur le dos, la tête contre le mur, ayant du sang au cou.
-Ils aperçoivent un rasoir ouvert, placé sur le bras gauche. Coutelas
-s'écrie: _Ah! pauvre femme! qu'as-tu fait?..._ Puis ayant reconnu son
-rasoir, il ajoute: _La malheureuse s'est coupé le cou avec mon rasoir...
-Que vais-je faire?... Il faut prévenir les autorités._ On remarqua qu'il
-n'y avait aucun dérangement ni dans les vêtemens ni dans la chevelure de
-la dame Coutelas.
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-Bientôt, on procéda à l'information judiciaire la plus scrupuleuse.
-Plusieurs médecins et chirurgiens de Reims et des environs jugèrent que
-la mort de la dame Coutelas était l'effet d'un suicide. Mais trois
-médecins de Paris, MM. Dubois, Boyer et Adelon déclarèrent, au contraire,
-qu'il leur paraissait extrêmement probable, que la dame Coutelas ne se
-fût pas fait elle-même les blessures qui lui avaient ôté la vie.
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-Cette déclaration, jointe à diverses circonstances commentées par la
-clameur publique, fit planer des soupçons d'assassinat sur le sieur
-Coutelas. On parla de sa froide indifférence pour sa femme, des paroles
-qui lui étaient échappées, à la vue de son rasoir, qui avait servi à
-commettre le crime; la malignité n'eut garde d'oublier la circonstance
-des deux testamens. Enfin, le sieur Coutelas fut arrêté, prévenu d'avoir
-assassiné sa femme, et traduit, en conséquence, le 9 mai 1827, devant la
-Cour d'assises de la Marne.
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-Les débats de cette affaire durèrent trois jours. Cinquante-quatre
-témoins furent entendus. Les docteurs Boyer et Dubois ne purent s'y
-trouver, l'état de leur santé ne leur ayant pas permis de faire le voyage
-de Reims. Le procureur du roi, M. Gasbon, dans une plaidoierie qui dura
-plus de deux heures, se livra au consciencieux examen de cette grande et
-difficile affaire. Ce magistrat, après avoir discuté la question
-médico-légale, déclara qu'il ne croyait pas qu'il y eût eu homicide;
-qu'aucune charge sérieuse ne résultait d'ailleurs des témoignages, et il
-termina en ces termes: «Non, Messieurs, l'accusé n'est pas coupable.»
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-Le défenseur du sieur Coutelas se borna dès-lors à rétablir des faits de
-moralité qui avaient été présentés dans l'instruction d'une manière
-défavorable à son client; et le jury, après une courte délibération,
-déclara à l'unanimité que l'accusé n'était pas coupable.
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-Cette déclaration fut accueillie avec une satisfaction générale. On
-entendit avec plaisir prononcer l'acquittement d'un homme accablé d'abord
-par une perte douloureuse, et atteint ensuite par un malheur plus grand
-encore, d'un homme dont l'innocence était reconnue et proclamée par la
-justice, et qui, pendant huit mois, avait été privé de sa liberté, et
-avait eu à gémir sous le poids du plus affreux soupçon.
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-JOSEPH MAURI.
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-Le 28 novembre 1826, Joseph Mauri, qui servait en qualité de domestique
-dans la métairie du sieur Codine, apprit que son père se proposait de
-vendre une de ses propriétés au comte de Saint-Marsal, pour en remettre
-le prix à son beau-fils, Charles Noguères, dans la maison duquel il
-s'était retiré depuis quelque temps.
-
-Aussitôt Joseph Mauri, mû par la jalousie et la cupidité, quitta la
-métairie de Codine, se fit remplacer dans les travaux des champs par un
-ouvrier dont il paya lui-même le salaire, et arriva vers neuf heures du
-matin dans la commune de Pin, où résidait son père. Il se rendit aussitôt
-dans la maison de son beau-frère. Mauri père, infirme depuis long-temps,
-paralysé de la moitié du corps, était encore couché dans une chambre
-attenante à la cuisine, où s'arrêta son fils. Ce dernier s'approcha de
-sa sœur Élisabeth qui était devant le foyer avec ses trois enfans;
-auprès du feu, se trouvait un plat contenant _une soupe à l'ail et une
-côtelette placée sur le gril_. Mauri fils demanda pour qui étaient ces
-alimens. Sa sœur lui répondit qu'ils avaient été préparés pour le
-déjeûner de la famille; en même temps, elle quitta la cuisine et passa
-dans la chambre de son vieux père pour l'habiller et le conduire auprès
-du feu.
-
-Joseph Mauri, se trouvant seul alors avec les enfans de sa sœur,
-témoigna le désir de faire cuire des châtaignes, et fit sortir sa nièce
-Élisabeth, âgée d'environ quinze ans, pour s'informer dans le village si
-l'on n'en trouverait pas à acheter. Élisabeth sortit et rentra quelques
-instans après, en annonçant qu'elle avait trouvé des châtaignes: son
-oncle ne parut point faire attention à ses paroles, et ne lui répondit
-rien.
-
-Dans ce moment, Mauri père fut amené par sa fille dans la cuisine; elle
-l'installa auprès du feu et lui servit un peu de soupe; elle en donna
-aussi à ses enfans, à l'exception d'Élisabeth, et en garda une portion
-pour elle-même. Mauri père mangea sa part de soupe et un morceau de la
-côtelette; mais bientôt les enfans éprouvèrent des picotemens, des
-angoisses; et des vomissemens ne tardèrent pas à se déclarer. Le
-grand-père ressentit les mêmes accidens. La femme Noguères examina la
-soupe avec attention, et ne lui trouva point sa couleur naturelle; son
-jeune fils, Joseph Noguères, âgé de six ans, fit observer, que c'était
-peut-être la _poudre blanche_ que son oncle y avait jetée qui lui avait
-donné cette couleur.
-
-Ces paroles de l'enfant furent un trait de lumière pour la malheureuse
-femme qui soudain s'écria en s'adressant à son frère: _Malheureux! tu as
-empoisonné ton père et mes enfans!_
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-L'empoisonneur était resté paisible spectateur de cette scène; il avait
-vu son vieux père, infirme et souffrant, entrer dans la cuisine et ne lui
-avait point adressé la parole; il avait assisté à son repas sans
-manifester la plus légère émotion, et quand sa belle-sœur lui adressa
-cette terrible interpellation, il répondit à peine, et sortit en toute
-hâte de la maison.
-
-Cependant les symptômes de l'empoisonnement se développaient avec
-violence; on administra de prompts secours au vieillard et aux enfans,
-mais les enfans seuls résistèrent à la force du poison. Le vieux Mauri
-succomba à ses souffrances, dans la nuit du 4 au 5 décembre suivant.
-
-Le crime était patent; celui qui l'avait commis ne pouvait s'envelopper
-du moindre mystère. Joseph Mauri fut arrêté et conduit le 1er mars 1827,
-devant la Cour d'assises de Perpignan (Pyrénées-Orientales), comme
-coupable d'avoir attenté à la vie de Joseph Mauri, son père, et de
-Joseph, Charles et Étienne Noguères, ses neveux, à l'aide de substances
-vénéneuses.
-
-A l'appui de cette grave accusation, le ministère public fit entendre
-plusieurs témoins dont les dépositions ne firent que confirmer les faits
-ci-dessus exposés.
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-Aux débats, l'accusé convint que, le 29 novembre au matin, il s'était
-rendu chez sa sœur, pour parler à son père de la vente qu'il se
-proposait de faire au comte de Saint-Marsal; mais il désavoua tous les
-faits qu'on lui imputait, et prétendit qu'ils avaient été méchamment
-inventés pour le perdre, par sa sœur et son beau-frère.
-
-Après les dépositions des témoins, on entendit les docteurs et
-pharmaciens chargés des épreuves chimiques dans la procédure. Ils
-déclarèrent que l'analyse avait constaté que la substance trouvée dans
-l'estomac du vieux Mauri était de l'oxide blanc d'arsénic. On fit même
-des expériences en présence de la Cour et de l'auditoire. Les épreuves
-comparatives, faites simultanément sur l'oxide blanc d'arsénic que la
-Cour avait fait apporter à l'audience, et sur la substance recueillie par
-les médecins dans l'estomac de Mauri, présentèrent des résultats
-absolument identiques et furent parfaitement concluantes.
-
-L'accusation fut soutenue par le ministère public avec cette énergie,
-avec cette naturelle horreur, que doit inspirer un parricide avéré. La
-culpabilité de l'accusé ne pouvait élever le moindre doute; elle fut
-prononcée par le jury. En conséquence, Joseph Mauri fut condamné à la
-peine des parricides.
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-L'impassibilité de ce monstre ne se démentit point dans ce moment
-terrible. Il entendit sa condamnation avec calme, et regagna sa prison
-d'un pas ferme et assuré.
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-MEURTRE
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-COMMIS DANS UNE ÉGLISE PAR UN JEUNE SÉMINARISTE.
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-Antoine Berthet, fils d'un maréchal-ferrant, établi dans le village de
-Brangues (Isère), était né avec une constitution très-frêle qui le
-rendait peu propre à exercer le métier de son père. D'un autre côté, la
-nature l'avait amplement dédommagé; il s'était fait remarquer de bonne
-heure par une intelligence supérieure et par un goût très-marqué pour
-l'étude; ce qui avait inspiré en sa faveur de l'intérêt à plusieurs
-personnes; leur charité, plus vive qu'éclairée, voulut tirer Berthet du
-rang obscur où le sort l'avait fait naître, et le destina à l'état
-ecclésiastique. Le curé de Brangues l'adopta comme un enfant chéri, lui
-enseigna les premiers élémens des sciences, et le fit entrer, en 1818, au
-petit-séminaire de Grenoble. En 1822, une maladie grave l'obligea de
-suspendre ses études; il fut recueilli par le curé dont les soins
-suppléèrent avec succès à l'indigence de ses parens. A la puissante
-sollicitation de ce zélé protecteur, Berthet fut reçu chez M. M....., qui
-lui confia l'éducation d'un de ses enfans; sa funeste destinée le
-préparait à devenir le fléau de cette famille jusque-là si heureuse.
-Madame M....., femme aimable et spirituelle, alors âgée de trente-six
-ans, et d'une réputation intacte, pensa qu'elle pouvait sans danger
-prodiguer des témoignages de bonté à un jeune homme de vingt ans, dont la
-santé délicate exigeait des soins particuliers; et Berthet, sans doute
-égaré par une immoralité précoce, se méprit sur la nature de ses soins.
-Quoi qu'il en soit, avant l'expiration d'une année, madame M..... se vit
-obligée de mettre un terme au séjour du jeune séminariste dans sa maison.
-
-Berthet entra au petit séminaire de Belley, pour y continuer ses études.
-Il y resta deux ans et vint passer à Brangues les vacances de 1823.
-
-N'ayant pu rentrer au petit séminaire de Belley, il parvint à se faire
-recevoir au grand-séminaire de Grenoble; mais, après y être resté
-quelque temps, il fut jugé par ses supérieurs indigne des fonctions qu'il
-ambitionnait, et bientôt après congédié sans espoir de retour. Son père,
-irrité, le bannit de sa présence, et il ne put trouver d'asile que chez
-sa sœur, à Brangues.
-
-Ces rebuts furent-ils le résultat de mauvais principes reconnus ou d'une
-conduite très-répréhensible? Berthet se crut-il en butte à une
-persécution secrète de la part de M. M..... qu'il avait offensé? Des
-lettres qu'il écrivit alors à madame M..... contenaient des reproches
-virulens et des diffamations. Malgré cela, M. M..... faisait des
-démarches en faveur de l'ancien instituteur de ses enfans.
-
-Berthet parvint encore à se placer chez M. de C...., en qualité de
-précepteur. Il avait renoncé alors à l'église; mais, après un an, M. de
-C.... le congédia pour des raisons imparfaitement connues, et qui
-paraissaient se rattacher à une nouvelle intrigue.
-
-Il songea de nouveau à la carrière qui avait été le but de tous ses
-efforts, l'état ecclésiastique. Mais il fit et fit faire de vaines
-sollicitations auprès des supérieurs des séminaires de Belley, de Lyon
-et de Grenoble. Alors le désespoir s'empara de lui.
-
-Voyant toutes ses démarches inutiles, il attribuait son peu de succès aux
-époux M..... Les prières et les reproches qu'il continuait d'adresser à
-madame M..... se changèrent en menaces terribles. On recueillit des
-propos sinistres. _Je veux la tuer_, disait-il, dans ses accès de
-mélancolie farouche. Il écrivait au curé de Brangues, le successeur de
-son premier bienfaiteur: _Quand je reparaîtrai sous le clocher de la
-paroisse, on saura pourquoi_. Ces étranges moyens produisaient une partie
-de leur effet. M. M..... s'occupait sincèrement à lui rouvrir l'entrée de
-quelque séminaire; mais il échoua à Grenoble, il échoua de même à Belley,
-où il fit exprès un voyage avec le curé de Brangues. Tout ce qu'il put
-obtenir fut de placer Berthet chez M. Trolliet, notaire à Morestel, allié
-de sa famille, en lui dissimulant toutefois ses sujets de mécontentement.
-Mais Berthet, dans son ambition déçue, était las, selon sa dédaigneuse
-expression, _de n'être toujours qu'un magister à 200 francs de gages_. Il
-n'interrompit point le cours de ses lettres menaçantes. Il annonça à
-plusieurs personnes qu'il était déterminé à tuer madame M..... et à
-s'ôter la vie à lui-même. Malheureusement un projet aussi atroce sembla
-improbable par son atrocité même; il était pourtant sur le point de
-s'accomplir.
-
-C'était au mois de juin 1827 que Berthet était entré dans la maison du
-notaire de Morestel. Vers le 15 juillet, il se rendit à Lyon pour acheter
-des pistolets; il écrivit de là à madame M..... une lettre pleine de
-nouvelles menaces. Cette lettre finissait par ces mots: _Votre triomphe
-sera comme celui d'Aman, de peu de durée_. De retour à Morestel, on le
-vit s'exercer au tir; l'une de ses deux armes manquait feu; après avoir
-songé à la faire réparer, il la remplaça par un autre pistolet qu'il prit
-dans la chambre de M. Trolliet, alors absent.
-
-Le dimanche 22 juillet, de grand matin, Berthet charge ses deux armes à
-doubles balles, les place sous son habit, et part pour Brangues. Il
-arrive chez sa sœur qui lui fait manger une soupe légère. A l'heure de
-la messe de la paroisse, il se rend à l'église et se place à trois pas du
-banc de madame M... Bientôt il la voit venir, accompagnée de ses enfans
-dont l'un avait été son élève. Là, il attend immobile jusqu'au moment où
-le prêtre distribue la communion. «Ni l'aspect de sa bienfaitrice, dit M.
-le procureur-général dans son réquisitoire, ni la sainteté du lieu, ni la
-solennité du plus sublime des mystères d'une religion, au service de
-laquelle Berthet devait se consacrer; rien ne peut émouvoir cette âme
-dévouée au génie de la destruction. L'œil attaché sur sa victime,
-étranger aux sentimens religieux qui se manifestent autour de lui, il
-attend avec une infernale patience l'instant où le recueillement de tous
-les fidèles va lui donner le moyen de porter des coups assurés. Ce moment
-arrive, et lorsque tous les cœurs s'élèvent vers le Dieu présent sur
-l'autel, lorsque madame M....., prosternée, mêlait peut-être à ses
-ferventes prières le nom de l'ingrat qui s'est fait son ennemi le plus
-cruel, deux coups de feu successifs et à un court intervalle, se font
-entendre. Les assistans épouvantés voient tomber presqu'en même temps et
-Berthet et madame M..... dont le premier mouvement, dans sa prévoyance
-d'un nouveau crime, est de protéger de son corps ses jeunes enfans
-effrayés. Le sang de l'assassin et celui de la victime jaillissent
-confondus jusque sur les marches du sanctuaire.
-
-«Un amour adultère méprisé, la conviction que madame M..... n'était point
-étrangère à ses humiliations et aux obstacles qui lui fermaient la
-carrière à laquelle il avait osé aspirer, la soif de la vengeance, telles
-furent, dans le système de l'accusation, la cause de cette haine
-furieuse, de ce désespoir forcené, manifestés par l'assassinat, le
-sacrilége et le suicide.
-
-«L'horreur tout entière du crime, disait le procureur-général en
-terminant son réquisitoire, suffirait pour captiver votre attention; mais
-votre sollicitude, messieurs les jurés, sera plus puissamment excitée par
-le besoin de ne prononcer une sentence de mort qu'autant que vous aurez
-la conviction irrésistible que le crime fut volontaire et le résultat
-d'une longue préméditation.»
-
-Berthet comparut, le 15 décembre 1829, devant la Cour d'assises de
-l'Isère. On s'écrasait aux portes de la salle d'audience dont l'accès
-n'était permis qu'aux personnes munies de billets d'entrée. L'accusé
-était un jeune homme d'une taille au-dessous de la moyenne, mince et
-d'une complexion délicate; un mouchoir blanc, passé en bandeau sous le
-menton et noué au-dessus de la tête, rappelait le coup de pistolet qu'il
-s'était tiré après avoir assassiné madame de M..... Deux balles lui
-avaient percé la mâchoire inférieure et le cou, et une seule de ces deux
-balles avait pu être extraite. Du reste, sa mise et ses cheveux étaient
-soignés: il avait une physionomie très-expressive; sa pâleur contrastait
-avec ses grands yeux noirs qui portaient l'empreinte de la fatigue et de
-la maladie.
-
-Pendant la lecture de l'acte d'accusation et de l'exposé de la cause, par
-M. de Guernon-Ranville, procureur-général, Berthet conserva une attitude
-immobile. Il reconnut les pistolets qu'on lui présenta et, sans aucune
-émotion, désigna le plus gros comme étant celui dont il s'était servi
-contre madame M.....
-
-«--Quel motif a pu vous porter à ce crime? lui demanda le président.
-
-«--Deux passions qui m'ont tourmenté pendant quatre ans, l'amour et la
-jalousie, répondit Berthet.»
-
-Dans tout le cours de son interrogatoire, Berthet voulut répandre des
-soupçons sur la vertu de sa victime, et faire croire qu'il avait eu des
-relations adultères avec elle. Il se complut à étaler devant la Cour une
-foule de détails diffamatoires qui tendaient à noircir la réputation de
-cette dame, et à la faire passer pour une femme extrêmement corrompue. Il
-ne se contenta pas de calomnier les mœurs de madame M....., son système
-de diffamation essaya de flétrir aussi mademoiselle de C..... afin de
-motiver sa sortie de la maison des parens de cette demoiselle.
-
-«Je revins à Brangues, dit-il, je m'aperçus bientôt que les sentimens de
-madame M..... étaient changés à mon égard. Avant que j'eusse quitté sa
-maison, elle m'avait fait des protestations multipliées d'une éternelle
-constance. Il y avait dans sa chambre une image du Christ; souvent en la
-contemplant, elle m'avait dit avec passion: «_En présence de cette image
-sacrée, je jure d'être toujours à vous, de n'en pas aimer d'autre, je
-vous promets de ne jamais vous oublier de vous rendre heureux, de
-m'occuper toujours de votre sort..._» Ces sermens m'avaient fait croire à
-sa sincérité; mais il ne me fut plus possible de douter, à ma sortie du
-château de C.... de la froideur de madame M..... Jacquin était devenu
-l'instituteur de ses enfans, et je m'aperçus que j'avais été remplacé de
-deux manières.»
-
-Madame Marigny, amie d'enfance de madame M...., entendue comme témoin,
-déposa, entre autres choses, que Berthet étant venu la voir quelques
-jours avant son départ pour Lyon, elle lui avait demandé s'il avait
-l'espoir de trouver une place dans cette ville, et que celui-ci avait
-répondu: «Non, j'y vais acheter des pistolets pour tuer madame M.... et
-me tuer moi-même après elle. J'avais eu déjà l'intention de la tuer
-dimanche dernier, jour de la Fête-Dieu, avec un fer que j'avais aiguisé;
-mais maintenant je suis résolu.»
-
-Berthet convint de tous ces faits, et ajouta, que s'il n'avait pas
-exécuté le dessein qu'il avait formé le jour de la Fête-Dieu, c'est que
-dans l'intervalle, il avait appris que l'on s'était occupé de lui.
-
-«Cette explication devient, contre vous, une charge accablante, reprit le
-procureur-général. Ainsi donc, c'est une place qui était l'objet de
-toutes vos menées; c'est une place que vous demandiez avec le pistolet
-et le poignard! Vous n'avez consenti à laisser vivre madame M.... après
-la Fête-Dieu, que parce qu'on vous donna des espérances de vous en
-procurer une! Cette conduite est d'une lâche atrocité!»
-
-Après l'audition de tous les témoins, le ministère public soutint
-l'accusation au fond. Berthet demanda ensuite la parole, et lut un long
-récit d'un style naturel et élégant, où entrant dans de minutieux détails
-et s'excusant, sur le péril de sa position, il s'efforçait de dépeindre
-madame M.... comme la corruptrice de sa jeunesse. Il raconta par quelle
-suite de causes et d'insinuations elle aurait perdu son innocence et trop
-instruit son ignorante simplicité.
-
-De ce récit pénible pour ceux qui s'intéressaient à Berthet, et lu avec
-une extrême froideur, résulta la preuve que s'il fallait admettre la
-jalousie de l'amour comme une des causes impulsives du crime, il
-existait, dans l'âme de l'accusé, un second mobile et non moins puissant,
-un orgueil ambitieux et égoïste, déçu dans ses espérances.
-
-Le défenseur de l'accusé, Me Massonnet, s'attacha à montrer Berthet,
-dominé par sa fatale passion, et soutint que son crime avait été commis
-sans une véritable volonté. Le ministère public improvisa une vigoureuse
-réplique, dans laquelle il parcourut de nouveau toutes les parties de la
-cause. «Berthet, dit-il, vient de nous dévoiler lui-même toute la
-turpitude de son âme. Non, il n'éprouvait pas d'amour, quand il frappa
-madame M.... d'un coup meurtrier: ne profanons pas le nom d'une passion
-qui peut être honnête. Sent-il l'amour, celui qui diffame l'objet qu'il
-prétend aimer? celui qui, bassement méchant, va porter la discorde dans
-un ménage bien uni, exciter le désespoir dans l'âme de l'époux qu'il a
-indignement outragé, et goûter un infernal plaisir à retourner le
-poignard dans sa plaie; celui qui, dans son maladroit système de défense,
-ose dérouler publiquement un tissu des plus odieuses infamies contre sa
-bienfaitrice?
-
-«Berthet, au moment suprême, lorsqu'il se trouve exposé à être traduit
-devant le souverain juge, qu'il avait invoqué naguère, se défend par les
-plus noires calomnies, que tout dément. Votre raison, MM. les jurés,
-vous a dit que madame M.... est demeurée pure; elle s'est refusée
-surtout à croire qu'il fût possible que le délire d'une passion adultère
-aveuglât au point de prendre Dieu à témoin de sermens criminels,
-d'attester l'image du Dieu qui consacra la sainteté du mariage. Mais
-Berthet voudrait entraîner dans sa ruine l'honneur d'une femme qu'il
-aimait, et dont il dit avoir été aimé. Il voudrait léguer la honte et le
-désespoir à deux époux, dont la seule faute fut de mal placer leurs
-bienfaits: mais l'infamie dont il cherche à couvrir une famille
-respectable retombe tout entière sur sa tête pour l'accabler.
-
-«Allons plus avant, messieurs les jurés; sondons les derniers replis de
-cette âme perverse: qu'y découvrons-nous? L'ambition déçue,
-l'amour-propre d'un homme envieux, qui s'irritait de voir madame M....
-favoriser Jacquin plus que lui. Pourquoi donc, s'il était tourmenté par
-la jalousie de l'amour, pourquoi ne choisissait-il pas son rival pour lui
-faire porter le poids de sa vengeance? Mais non; c'est à madame M....
-seule qu'il s'adresse; il lui demande la vie ou une place! C'est le
-couteau sur la poitrine qu'il exige des services! Berthet, détrompé de
-ses rêves ambitieux, convaincu trop tard qu'il ne peut atteindre le but
-que son orgueil s'était proposé, Berthet désespéré veut périr: mais en
-mourant, sa rage veut entraîner une victime dans la tombe qu'il creuse
-pour lui-même!...»
-
-Berthet fut déclaré coupable de meurtre volontaire avec préméditation.
-L'accusé entendit le fatal arrêt, sans montrer la plus légère marque
-d'émotion. Le lendemain, ce malheureux fit appeler le président de la
-Cour, et rétracta tout le système de diffamation où le soin de sa défense
-l'avait entraîné. Il rendit hommage à l'honneur de sa victime, et déclara
-que la jalousie qui le dévorait avait pu seule le porter à supposer
-qu'elle fût coupable.
-
-La sentence de Berthet fut exécutée le 23 février 1828, à onze heures du
-matin sur la place d'armes de Grenoble; son pourvoi avait été rejeté par
-la Cour suprême. Comme on voyait dans le condamné, moins un assassin
-ordinaire, qu'un jeune homme victime de ses passions, entraîné à sa ruine
-par un funeste concours de circonstances, on avait cru que le recours en
-grâce formé en faveur de Berthet, aurait été suivi d'une commutation de
-peine. Mais les démarches faites à ce sujet avaient été infructueuses.
-Aussi Berthet disait-il, la veille de sa mort, à l'une des dames de
-prison qui l'assistaient: _J'ai le pressentiment que demain sera mon
-dernier jour._ On ne put lui répondre que par le silence; on savait que
-le recours en grâce venait d'être rejeté. Berthet reçut avec piété toutes
-les consolations de la religion; arrivé au pied de l'échafaud, il
-envisagea sans crainte le terrible appareil, fléchit un moment le genou
-pour prier et livra sa tête à l'exécuteur.
-
-Au moment même où la Cour d'assises de l'Isère prononçait la condamnation
-du séminariste Berthet, celle des Pyrénées-Orientales (Perpignan)
-condamnait aux travaux forcés à perpétuité un autre séminariste nommé
-Baptiste Marty, prévenu d'avoir, de complicité avec son père, son frère
-et un quatrième individu, commis un homicide volontaire sur la personne
-d'un créancier de sa famille.
-
-
-FIN DU SEPTIÈME VOLUME.
-
-
-
-
-TABLE
-
-DU SEPTIÈME VOLUME.
-
-/* Page
- Le curé Étienne Pacot, injustement condamné à mort.
- 1
- Complication de scélératesses. 32
-
- Jean Heinrich, parricide. 39
-
- L'épicier Duteil et Delphine Carnet. 45
-
- Louvel, assassin du duc de Berry. 50
-
- Assassinat de Neyrat. 75
-
- Catherine Caman et ses complices. 83
-
- Les deux fils parricides. 86
-
- Lelièvre, dit Chevallier. 89
-
- Peyrache, faux témoin; Rispal et Galland, ses victimes. 123
-
- Trait de férocité d'un forçat. 142
-
- Jeune fille assassiné par son corrupteur. 145
-
- Le curé Mingrat. 148
-
- Castaing. 182
-
- Assassinat de la mère Jérôme. 229
-
- Henri Feldtmann, ou père incestueux et assassin de sa fille. 234
-
- Assassinat de madame veuve Aillet et de la fille Goussard,
- sa domestique, à Chartres. 242
-
- Antoine Léger, ou l'anthropophage des environs de
- Versailles. 268
-
- Veillère, ou la passion du jeu. 283
-
- Effrayante série d'atrocités. 286
-
- Papavoine, ou le meurtre du bois de Vincennes. 292
-
- La veuve Boursier. 323
-
- Le forçat Sureau. 345
-
- Pierre Barrié, parricide. 349
-
- André Blum, accusé de faux et d'empoisonnement. 359
-
- Assassins de grand chemin. 369
-
- Bancelin, meurtrier de son épouse. 377
-
- Le couple assassin. 387
-
- Henriette Cornier. 396
-
- Horrible assassinat et suicide. 403
-
- Derniers momens d'un scélérat condamné à mort. 409
-
- Asselineau, ou les suites funestes de la passion du jeu. 414
-
- Famille de parricides. 434
-
- Compte, meurtrier de sa femme et de son enfant. 440
-
- Castanier, ou les résultats criminels de l'exaltation
- religieuse. 444
-
- Accusation d'assassinat résultant d'un suicide. 452
-
- Joseph Mauri. 459
-
- Meurtre commis dans une église par un jeune séminariste. 464
-
-
-FIN DE LA TABLE DU SEPTIÈME VOLUME.
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Chronique du crime et de l'innocence,
-t. 7 of 8, by Robert Estienne
-
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- The Project Gutenberg's eBook of Chronique du crime et de l'innocence. T. 7/8., by de Champagnac, Jean Baptiste Joseph</title>
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-<pre>
-
-The Project Gutenberg EBook of Chronique du crime et de l'innocence, t. 7
-of 8, by Robert Estienne
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: Chronique du crime et de l'innocence, t. 7 of 8
-
-Author: Robert Estienne
-
-Release Date: August 4, 2017 [EBook #55265]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CHRONIQUE DU CRIME, T. 7 ***
-
-
-
-
-Produced by Clarity, Hélène de Mink, and the Online
-Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
-file was produced from images generously made available
-by The Internet Archive/American Libraries.)
-
-
-
-
-
-
-</pre>
-
-
-<div class="tnote">
-<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
-L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
-Les numéros des pages blanches n'ont pas été repris.</p></div>
-<p><span class="pagenumh"><a id="Page_I"> I</a></span></p>
-
-<h1><span class="large">CHRONIQUE</span><br />
-<span class="xxlarge">DU CRIME</span><br />
-<span class="xs">ET</span><br />
-<span class="medium">DE L'INNOCENCE.</span></h1>
-
-<div class="figcenter">
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-</div>
-
-<p><span class="pagenumh"><a id="Page_II"> II</a></span></p>
-
-<p><span class="pagenumh"><a id="Page_III"> III</a></span></p>
-
-<div class="topspace titlepage">
-<p><span class="xlarge">CHRONIQUE</span><br />
-<span class="xxlarge">DU CRIME</span><br />
-<span class="small">ET</span><br />
-<span class="large">DE L'INNOCENCE;</span></p>
-</div>
-
-<p class="hanging indent">
-<span class="xs">Recueil des Événemens les plus tragiques; Empoisonnemens, Assassinats,
-Massacres, Parricides, et autres Forfaits, commis en France, depuis le
-commencement de la monarchie jusqu'à nos jours, disposés dans l'ordre
-chronologique, et extraits des anciennes Chroniques, de l'Histoire générale
-de France, de l'Histoire particulière de chaque province, des différentes
-Collections des Causes célèbres, de la Gazette des Tribunaux, et autres
-feuilles judiciaires.</span></p>
-
-<div class="titlepage">
-<p><span class="i2 medium">PAR J.-B. J. CHAMPAGNAC.</span></p>
-
-<p class="xs dedicace">Tout ce qui me fait peur m'amuse au dernier point.<br />
-<span class="cap">C. D</span><span class="smallc">ELAVIGNE.</span> <i>École des Vieillards.</i></p>
-
-<p><span class="small">Tome Septième.</span></p>
-
-<p><span class="large">Paris.</span><br />
-<span class="small">CHEZ MÉNARD, LIBRAIRE,</span><br />
-<span class="xs">PLACE SORBONNE, N. 3.</span><br />
-<span class="medium">1834</span></p>
-</div>
-
-<p><span class="pagenumh"><a id="Page_IV"> IV</a></span></p>
-
-<p class="space extra"><span class="large">CHRONIQUE</span><br />
-<span class="xxlarge">DU CRIME</span><br />
-<span class="small">ET</span><br />
-<span class="large">DE L'INNOCENCE.</span></p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_1"> 1</a></span></p>
-<h2 class="normal">LE CURÉ ÉTIENNE PACOT,<br />
-<span class="medium">INJUSTEMENT CONDAMNÉ A MORT.</span></h2>
-</div>
-
-<p>«Serait-il vrai que nos lois, qui veillent assidûment
-à la punition du crime, auraient laissé
-l'innocence sans défense et sans secours contre
-les erreurs judiciaires? En armant les magistrats
-d'un pouvoir terrible, mais nécessaire,
-aurait-on oublié qu'ils participent à la fragilité
-et aux passions humaines, et que les plus
-belles institutions deviennent menaçantes,
-<span class="pagenum"><a id="Page_2"> 2</a></span>
-au lieu d'être protectrices, si l'on ne fait rien
-pour en prévenir les erreurs?»</p>
-
-<p>Tel est le début d'un mémoire publié vers
-1819; et ces paroles sont le cri de douleur
-d'un vieillard presque octogénaire, d'un vénérable
-ecclésiastique, d'Étienne Pacot, dont les
-malheurs ont fini par égarer la raison, et qui
-aujourd'hui attend, dans une maison de santé,
-la fin de sa longue et malheureuse carrière.</p>
-
-<p>Le sieur Pacot, échappé comme par miracle
-aux brigandages de la révolution, qui
-toutefois l'avaient contraint de quitter la paroisse
-qu'il administrait, s'était retiré dans ses
-propriétés, situées en grande partie à Bourberain,
-département de la Côte-d'Or. Un
-homme, nommé Prétot, vint s'établir dans
-le même endroit. L'abbé Pacot le reçut sans
-défiance; mais il fut bientôt cruellement puni
-de cet excès de sécurité. Prétot commit chez
-lui un vol considérable, et attenta à sa vie
-à deux reprises différentes. D'abord il lui tira
-un coup de fusil par sa fenêtre; ce fait fut
-attesté par le nommé Nicolas Miel, qui accompagnait
-alors Prétot; cet homme en fit
-la révélation à la justice, qui, un peu plus
-tard, le condamna aux fers pour vol dans
-<span class="pagenum"><a id="Page_3"> 3</a></span>
-une habitation d'une autre commune. La seconde
-tentative de Prétot sur la personne de
-l'abbé Pacot, eut lieu le 7 nivôse an VII. Il
-tira un coup de pistolet à ce propriétaire sur
-la route de Bèze. L'intimité qui unissait cet
-homme au juge-de-paix du canton lui assura
-l'impunité; néanmoins on n'osa l'absoudre
-entièrement, et sur la déclaration du jury,
-portant que Prétot n'avait pas eu l'intention
-de tuer le sieur Pacot, cet attentat ne fut
-puni que d'un mois d'emprisonnement, et de
-vingt-cinq francs d'amende.</p>
-
-<p>Cependant Prétot avait fait trop de mal au
-sieur Pacot, pour n'être pas devenu son ennemi
-juré. La présence de ce dernier à Bourberain
-était un reproche continuel pour lui,
-comme pour ses protecteurs. Il résolut de
-s'affranchir, par un crime encore plus noir,
-de la vue importune d'une victime que la
-Providence avait dérobée à ses premières
-tentatives de meurtre.</p>
-
-<p>Tout-à-coup le bruit se répandit dans la
-commune de Bourberain que Prétot et sa
-femme venaient d'être empoisonnés <i>par le
-plus subtil des poisons</i>. Le 7 germinal an <span class="smallc">IX</span>,
-Prétot le dit lui-même aux deux fermiers du
-<span class="pagenum"><a id="Page_4"> 4</a></span>
-sieur Pacot, qui étaient entrés dans son cabaret.
-Il leur montra une demi-bouteille à
-moitié pleine, leur disant que sa femme et
-lui avaient bu l'autre moitié qui manquait. Il
-raconta que cette demi-bouteille lui avait été
-apportée, deux jours auparavant, avec une
-lettre dans laquelle il était dit qu'on la lui
-adressait comme un échantillon de vin.</p>
-
-<p>Le même jour, Prétot arrêta deux officiers
-de santé qui traversaient la commune. Le
-premier trouva la <i>liqueur douce</i>, et déclara
-plus tard que <i>ce ne fut qu'une heure après en
-avoir mis sur sa langue, qu'il sentit une légère
-chaleur</i>. Le second, au contraire, affirma
-que cette liqueur <i>était tellement corrosive,
-que l'eau-forte ne serait pas plus mordante</i>.</p>
-
-<p>Cependant la santé de Prétot n'avait pas
-subi la moindre altération; son visage coloré
-n'offrait aucun des symptômes de l'empoisonnement
-dont il se plaignait. Aussi, dans les
-premiers instans, se garda-t-il bien d'aller se
-montrer à l'autorité. Sa maison n'était séparée
-de celle du maire de la commune que par un
-mur, et pourtant il ne l'instruisit pas du crime
-qui, selon lui, avait failli lui coûter la vie. Il
-ne requit même pas l'assistance du juge-de-paix,
-<span class="pagenum"><a id="Page_5"> 5</a></span>
-son ami, qui ne demeurait qu'à une
-demi-lieue de Bourberain.</p>
-
-<p>La calomnie ne saurait procéder par des
-voies aussi directes, sans compromettre souvent
-le succès de ses man&oelig;uvres. Il fallait que
-Prétot s'assurât d'abord des moyens d'accréditer
-l'odieuse fable qu'il avait inventée. Il lui
-fallait quelques témoins. Il gagna une femme
-simple et crédule, et lui recommanda, ainsi
-qu'elle le déclara elle-même plus tard, de
-dire, lorsqu'elle serait interrogée à ce sujet,
-qu'elle avait vu Prétot en proie à des vomissemens,
-et qu'elle lui avait donné du lait.</p>
-
-<p>Le 10 germinal, il fit six lieues à pied pour
-se rendre à Dijon, mais il ne porta pas encore
-sa plainte à la justice, et revint le jour
-même à Bourberain. Le lendemain, il eut encore
-la force de recommencer ce pénible
-voyage, et, cette fois, il rendit plainte devant
-le directeur du jury, mais en déclarant toutefois
-qu'il ignorait jusqu'alors l'auteur du crime.</p>
-
-<p>Cette première démarche suffisait pour le
-moment à Prétot; il était satisfait d'avoir
-éveillé l'attention de la justice; il se désista
-dans les vingt-quatre heures. Cette marche
-était de la plus perfide habileté; elle lui facilitait
-<span class="pagenum"><a id="Page_6"> 6</a></span>
-les moyens de porter à la victime qu'il s'était
-choisie les coups qu'il lui préparait. Bientôt
-en effet, il fit circuler de sourdes rumeurs
-qui désignaient l'abbé Pacot comme auteur
-de l'empoisonnement, et lui-même déposa que,
-dans le premier moment, il avait accusé ce
-prêtre, n'ayant pas d'autre ennemi sur la terre.</p>
-
-<p>Sur cette dénonciation, on arrête le sieur
-Pacot; le dénonciateur lui-même vient avec
-un fusil, afin, dit-il, de prêter main-forte à
-la gendarmerie. Le lendemain, deux simples
-gendarmes font une perquisition dans le domicile
-de l'abbé Pacot. Deux jours après, le
-juge-de-paix en fait une nouvelle, tendant à
-s'assurer si l'on trouverait de l'arsenic dans
-la maison: il prend pour témoin le beau-frère
-de l'accusateur. Ce témoin était prévenu de
-la visite du juge de paix; il quitta son troupeau
-qu'il gardait, pour aller à la rencontre
-de ce magistrat. Il n'est pas nécessaire de faire
-sentir à nos lecteurs combien il était irrégulier,
-même scandaleux, de choisir le beau-frère
-du délateur pour témoin de l'un des
-actes les plus importans de la procédure. Mais
-ce choix n'avait été fait ni au hasard, ni sans
-de fortes raisons. Le témoin lui-même en révéla
-<span class="pagenum"><a id="Page_7"> 7</a></span>
-le motif dans un moment de véracité. Il
-convint que Prétot lui avait donné un cornet
-de poudre blanche, avec mission de le glisser
-furtivement dans la maison de l'abbé Pacot,
-lors de la visite.</p>
-
-<p>Il se trouvait chez le prévenu un reste de
-limonade médicinale faite avec du sel d'oseille,
-La décomposition qui en fut faite ne laissa
-pas le moindre doute sur la nature de cette
-liqueur. Mais le juge de paix, ami de Prétot,
-avant d'appeler un homme de l'art, comme
-son devoir le lui prescrivait, s'empressa de
-faire avaler de cette limonade à un poussin;
-puis il l'emprisonna dans une soupière qu'il ferma
-bien hermétiquement de son couvercle.
-Privé d'air, le pauvre animal allait périr asphyxié,
-si la domestique de l'abbé n'avait soulevé le couvercle.
-Le poussin mort, quelle conséquence
-n'aurait-on pas tirée de ce fait contre l'accusé?
-On n'aurait pas manqué de moyens pour travestir
-l'asphyxie en empoisonnement.</p>
-
-<p>Cependant le sieur Pacot fut conduit dans
-les prisons; l'une de ses domestiques, Louise
-Poinsot, qui devait jouer un rôle nécessaire
-dans l'affreuse tragédie qu'on avait imaginée,
-partagea le sort de son maître. L'abbé Pacot
-<span class="pagenum"><a id="Page_8"> 8</a></span>
-fut tenu au secret le plus rigoureux pendant
-quatre-vingt-dix jours.</p>
-
-<p>Mais tous les maux qu'on faisait peser sur
-lui ne rendaient pas l'accusation plus vraisemblable.
-On avait beau l'abreuver d'outrages,
-son innocence n'en éclatait que plus visiblement.
-Un jour, on le fit sortir de sa prison;
-on le traîna en spectacle dans les rues, et on
-le conduisit chez un marchand droguiste, sous
-prétexte que la femme de ce marchand avait
-déclaré qu'un homme de la campagne était
-venu lui demander à acheter de l'arsenic.</p>
-
-<p>Nous arrivons à la plus odieuse des man&oelig;uvres
-qui furent dirigées contre l'abbé Pacot.
-Louise Poinsot, sa domestique, avait été,
-comme on vient de le voir, arrêtée en même
-temps que lui. On l'accusa d'avoir remis la
-bouteille <i>empoisonnée</i> à un commissionnaire
-pour la porter à Prétot. On avait fait entendre
-plusieurs enfans qui avaient dit avoir vu une
-fille portant cette bouteille, et lui avoir offert
-de la porter. Les questions les plus minutieuses
-avaient été faites à ces enfans touchant
-la figure et les vêtemens de cette fille. Tout
-ce qu'on en avait pu tirer, c'est qu'ils avaient
-reconnu quelques-uns des vêtemens de Louise
-<span class="pagenum"><a id="Page_9"> 9</a></span>
-Poinsot: quant à la figure, l'un d'eux avait
-dit qu'il <i>croyait</i> la reconnaître; les autres répondaient
-qu'ils n'y avaient pas fait assez d'attention.
-On pensa que c'en était assez pour
-effrayer une fille simple, et la rendre l'instrument
-de la perte de son maître. Des magistrats
-n'eurent pas honte d'employer auprès d'elle
-les plus vives instances pour la déterminer à
-accuser l'abbé Pacot. Ils épuisèrent dans ses
-longs interrogatoires, l'art des insinuations,
-des questions captieuses; art funeste, dont
-l'usage devrait être interdit contre le crime
-même, dans la crainte que l'on pût jamais en
-abuser contre l'innocence.</p>
-
-<p>Un jour, elle comparaît devant le directeur
-du jury. «La vérité est découverte, lui dit-il;
-votre maître est convaincu; vous n'avez pas
-voulu vous sauver seule, vous périrez avec
-lui.» Au même instant, quatre hommes entrent
-dans le cabinet; un d'eux lui annonce
-qu'on veut l'arracher à la mort; que les portes
-de la prison vont s'ouvrir pour elle; mais
-qu'il faut qu'elle confirme de sa bouche la vérité,
-bien qu'elle soit déjà connue.</p>
-
-<p>Mais cette pauvre fille, malgré son extrême
-<span class="pagenum"><a id="Page_10"> 10</a></span>
-simplicité, trompa les espérances de ces juges
-prévaricateurs, et rendit tous leurs efforts
-inutiles. On ne put parvenir à lui arracher une
-parole accusatrice, ni l'engager à trahir la vérité.
-L'aspect de la mort qu'on lui mettait sous
-les yeux ne put ébranler sa constance. Ce courage
-héroïque ne fut pas la seule preuve de
-son dévouement; la Providence, comme on le
-verra bientôt, l'avait désignée pour sauver la
-vie à son maître.</p>
-
-<p>L'information traînait en longueur; on ne
-trouvait pas de charges, et on en cherchait
-toujours. Les fonctions du directeur du jury
-expiraient; un autre lui succède: une nouvelle
-information commence, et le prévenu
-continue à gémir au milieu des horreurs du
-secret.</p>
-
-<p>Il fallait cependant terminer l'instruction.
-L'acte d'accusation est dressé contre l'abbé
-Pacot et sa servante. Le jury d'accusation,
-appelé à prononcer sur le sort du maître, déclare
-à l'unanimité qu'il n'y avait pas lieu à
-suivre. Mais la malheureuse domestique, au
-milieu des tortures morales qu'elle avait subies,
-était tombée dans quelques contradictions;
-<span class="pagenum"><a id="Page_11"> 11</a></span>
-le jury crut qu'il n'en fallait pas davantage
-pour décider qu'il y avait lieu à accusation
-contre elle.</p>
-
-<p>La rage des ennemis de l'abbé Pacot avait
-été impuissante dans cette première tentative;
-ils n'avaient pu rassembler contre lui, non
-seulement des preuves de nature à entraîner
-une condamnation, mais même de simples présomptions
-suffisantes pour motiver la mise en
-accusation. Vainement sa domestique était accusée;
-quelques contradictions arrachées par
-la cruelle adresse des interrogateurs ne sont
-pas des preuves de culpabilité. Devant le jury
-de jugement, son acquittement était infaillible;
-alors leur proie leur échappait tout entière.</p>
-
-<p>La procédure se continuant contre Louise
-Poinsot, la marche de l'instruction l'amena
-devant le tribunal criminel. On découvrit alors
-qu'un des membres du jury d'accusation, qui
-avait prononcé la mise en liberté de l'abbé
-Pacot, n'avait pas trente ans. Le commissaire
-du gouvernement requit l'annulation de tout
-ce qui s'était fait, non seulement à l'égard de
-la domestique, mais encore au sujet du maître
-qui avait été mis hors de l'accusation.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_12"> 12</a></span>
-En bonne jurisprudence, la déclaration du
-jury d'accusation, concernant l'abbé Pacot,
-rendue depuis cinq mois, et contre laquelle
-le commissaire du gouvernement ne s'était
-pas pourvu en cassation, était devenue irrévocable.
-Et cependant les trois juges du tribunal
-criminel de Dijon cassèrent la déclaration
-qui l'avait fait mettre en liberté, aussi
-bien que celle qui mettait en accusation Louise
-Poinsot. Par un inconcevable oubli de toutes
-les formes et des règles les plus élémentaires
-du droit et de la justice, l'instruction recommença
-contre l'abbé Pacot.</p>
-
-<p>Ce jugement inique fut rendu le 1<sup>er</sup> nivose
-an <span class="smallc">X</span>. Trois heures après, à neuf heures du
-soir, les gendarmes arrêtèrent le sieur Pacot,
-et saisirent tous ses papiers, dont il ne put jamais
-obtenir la restitution. L'abbé Pacot subit
-de nouveau la torture du secret pendant
-cent trois jours.</p>
-
-<p>Une troisième instruction se poursuivit alors
-contre le maître et sa fidèle domestique. On
-leur adjoignit une autre servante, contre laquelle
-on n'avait pas informé jusque alors. Un
-simulacre de jury d'accusation, composé selon
-le caprice des juges, déclara qu'il y avait
-<span class="pagenum"><a id="Page_13"> 13</a></span>
-lieu à accusation contre les trois prévenus.
-On ne prétend point accuser ces jurés de perversité;
-mais on peut les taxer de faiblesse:
-ils étaient les aveugles instrumens de ceux qui
-les dirigeaient. «Je n'ai été appelé, disait l'un
-d'eux depuis ce jugement, que pour remplacer
-un juré absent: mais tout était fini,
-et je n'ai eu qu'à donner ma signature.» Un
-autre juré disait sur le même sujet: «Le directeur
-du jury, ainsi que son substitut, nous
-ont dit que nous n'avions aucune part à prendre
-dans cette affaire; qu'il fallait signer, et
-renvoyer les trois prévenus pour être jugés
-au chef-lieu du département.»</p>
-
-<p>Les prévenus furent donc soumis au jury
-de jugement. Après trois informations successives,
-pas un mot, pas une syllabe accusatrice ne
-s'élevait contre eux. Cependant l'abbé Pacot
-fut condamné, après avoir été privé de toutes
-les garanties que la loi accorde aux accusés.</p>
-
-<p>Douze jurés spéciaux devaient prononcer
-sur son sort. Cinq se trouvaient absens; on
-les remplaça, non pas en les tirant au sort,
-comme la loi l'exige formellement, mais
-en les désignant arbitrairement à l'instant
-même. Un de ces jurés s'était acquis le surnom
-<span class="pagenum"><a id="Page_14"> 14</a></span>
-de <i>Coupe-Tête</i> dans les massacres dont la
-ville de Dijon avait été le théâtre pendant la
-tourmente révolutionnaire. Ce fut à cette
-violation manifeste de la loi que l'abbé Pacot
-dut son salut; ainsi le crime finit par se prendre
-dans ses propres piéges. On n'eut pas
-honte d'appeler en témoignage un commis-greffier
-qui avait rédigé tous les actes de la
-première procédure. Cet homme osa déclarer
-qu'il avait entendu Louise Poinsot dire qu'elle
-avait porté la bouteille, sans savoir ce qu'elle
-pouvait contenir. «Eh! malheureux! lui répondit
-cette fille indignée, dites donc que
-c'est vous qui m'avez dit plusieurs fois qu'il
-ne fallait que cette déclaration pour me faire
-mettre en liberté.» La force de cette réponse
-accabla le témoin qui fut réduit au silence.</p>
-
-<p>Mais vainement l'évidence terrassait les accusateurs
-de l'abbé Pacot; on ne le jugeait
-que pour la forme; sa perte était résolue. Il
-entendit prononcer son arrêt de mort; les
-deux domestiques furent acquittées.</p>
-
-<p>L'abbé Pacot fut reconduit en prison, après
-avoir protesté contre cet assassinat juridique.
-Il lui restait un refuge à la Cour de cassation,
-pour prévenir ou du moins retarder l'affreux
-<span class="pagenum"><a id="Page_15"> 15</a></span>
-triomphe de ses ennemis. Mais plongé dans un
-cachot, livré à des porte-clefs qui refusaient
-d'écouter sa prière, il n'avait pas la liberté
-de faire entendre ses plaintes, et le fatal
-délai de trois jours allait expirer. Heureusement
-la Providence lui envoya un frère aîné
-qui revenait de l'émigration et qui, à force
-de soins et de peines, parvint à pénétrer jusque
-dans son cachot, et à lui procurer les
-moyens de recourir à la justice de la Cour
-suprême.</p>
-
-<p>Là, les choses devaient changer de face;
-la procédure était monstrueuse: la haine avait
-aveuglé les ennemis du sieur Pacot au point
-de négliger toutes les formes.</p>
-
-<p>On tenta un dernier effort pour rendre ce
-recours illusoire. Quarante jours s'étaient
-écoulés depuis le jugement, et les pièces du
-procès n'avaient pas encore été envoyées à
-la Cour de cassation; on espérait qu'à force
-de retards, la victime succomberait à la rigueur
-de son sort. Plongé dans le cachot le
-plus infect, l'abbé Pacot réunissait aux plus
-pénibles des souffrances morales les souffrances
-physiques les plus horribles; elles devinrent
-telles, que, malgré la force de son tempérament,
-<span class="pagenum"><a id="Page_16"> 16</a></span>
-il tomba dangereusement malade.
-Sa mort paraissait inévitable. Il fallut
-tout le dévouement de la fidèle Louise Poinsot
-pour l'arrêter au bord de la tombe prête à
-l'engloutir.</p>
-
-<p>Cette simple villageoise, mue par un sentiment
-de la plus noble générosité, vendit à
-son frère le peu qu'elle possédait, et sans
-prendre conseil de personne, se rendit à Paris,
-à pied, pour sauver les jours de son malheureux
-maître. Elle alla solliciter seule une audience
-du comte Abrial, ministre de la justice.
-Cet homme respectable, digne de la haute
-mission qui lui était confiée, accorda l'audience
-sollicitée, écouta Louise Poinsot avec
-bonté, et lui promit de donner des ordres
-pour accélérer l'envoi des pièces. Elle parvint
-à instruire son maître de la démarche qu'elle
-venait de faire; et celui-ci trouva encore la
-force d'écrire au commissaire du gouvernement,
-et de lui exprimer son étonnement de
-ce que les pièces n'avaient pas été envoyées.
-La lettre du sieur Pacot était du 1<sup>er</sup> thermidor
-an <span class="smallc">X</span>; on la lui renvoya le jour même
-avec une note portant que les pièces étaient parties
-depuis dix jours; et cependant le comte
-<span class="pagenum"><a id="Page_17"> 17</a></span>
-Abrial ne les reçut que le 3 thermidor. Quand
-on avait vu qu'il était impossible de les retenir,
-on avait cherché, par un mensonge, à
-déguiser l'horreur d'une persécution qu'on
-poursuivait avec tant de persévérance et d'animosité.</p>
-
-<p>Enfin, l'heure de la justice sonna pour
-l'abbé Pacot. L'arrêt de mort fut cassé, parce
-que les jurés n'avaient pas été tirés au sort.
-Le commissaire du gouvernement attendit
-dix-sept jours pour notifier cet arrêt au prévenu,
-et trente jours s'écoulèrent encore
-jusqu'à sa translation à Lons-le-Saulnier. Là,
-malgré les nouveaux efforts de l'intrigue et
-de la perversité, le nouveau jury déclara <i>à
-l'unanimité</i>, non seulement que l'accusé n'était
-pas coupable, mais qu'<i>il n'était pas constant
-qu'il y eût eu même d'empoisonnement</i>.
-Cette nouvelle procédure avait présenté plusieurs
-circonstances curieuses. Comme on le
-sait déjà, l'accusateur prétendait avoir bu la
-moitié du poison contenu dans la bouteille
-qui lui avait été remise, et assurait que ce
-breuvage lui avait causé des coliques et des
-vomissemens. Or, la bouteille qu'avait représentée
-Prétot contenait de l'arsenic dont la
-<span class="pagenum"><a id="Page_18"> 18</a></span>
-plus petite quantité devait donner infailliblement
-la mort; tandis que Prétot venait soutenir
-qu'il en avait bu une forte dose presque
-impunément. Aussi l'avocat de l'abbé Pacot,
-indigné de tant d'effronterie, fut heureusement
-inspiré par cette indignation même.
-«Vous prétendez, dit-il à Prétot, vous prétendez
-que vous avez pris, sans autre accident
-que de simples vomissemens, une dose de
-poison égale à celle que vous reproduisez ici?
-L'imposture ne saurait être ni plus impudente,
-ni plus grossière. Mais admettons pour un
-moment que vous ayez été fidèle à la vérité.
-C'est ici le cas de faire une juste application
-de cet adage: <i>Qui peut le plus, peut le moins</i>.
-Puisque vous êtes si fort contre les poisons,
-qu'une quantité capable de donner la mort à
-plusieurs personnes vous a causé à peine
-quelques nausées, prenez seulement le quart
-de ce qui reste dans la bouteille, et je passe
-condamnation.» Cet argument était invincible;
-il n'y avait pas de milieu: il fallait ou
-soutenir l'accusation en avalant la dose indiquée,
-ou s'avouer calomniateur en s'y refusant.
-Prétot, confondu, garda le silence, et dès-lors
-les juges furent convaincus de l'innocence
-<span class="pagenum"><a id="Page_19"> 19</a></span>
-de l'accusé et l'acquittèrent. Pourtant
-quelque amertume se mêla, pour l'abbé Pacot,
-au souvenir de cet acte de justice. On prononça
-son absolution hors de sa présence, contre
-le v&oelig;u de la loi, et pour le priver du droit de
-conclure contre son délateur. On voulait
-étouffer le souvenir de ce procès si déshonorant
-pour ceux qui y avaient figuré comme
-accusateurs et comme juges; et l'on ne pensait
-pas que c'est encore une injustice d'enlever
-à l'innocent persécuté le droit d'obtenir
-la réparation qui lui est due.</p>
-
-<p>L'abbé Pacot avait cruellement souffert
-dans sa personne, dans son honneur et dans
-ses biens. Pendant l'intervalle du temps qui
-s'était écoulé entre les deux procédures, pour
-acquitter les frais de la première, la justice
-avait mis la main sur les propriétés de l'abbé
-Pacot et en avait fait consommer la vente.
-Une nouvelle monstruosité se rencontra à
-côté de cette expropriation irrégulière. On
-rapporte qu'un des juges de l'accusé devint
-acquéreur d'une de ses propriétés.</p>
-
-<p>On pense qu'après avoir souffert de tant de
-manières différentes, l'abbé Pacot ne pouvait
-se contenter de l'arrêt de Lons-le-Saulnier; il
-<span class="pagenum"><a id="Page_20"> 20</a></span>
-était loin de vouloir la vengeance; mais, selon
-lui, la vérité devait briller dans tout son jour;
-son innocence devait être reconnue autrement
-que par un arrêt d'acquittement. En conséquence,
-il éleva des réclamations à l'effet
-d'obtenir une réparation plus réelle; on écouta
-ses raisons, on les trouva de toute justice, on
-le plaignit, mais on lui objecta, comme un
-obstacle insurmontable, des raisons de jurisprudence,
-des principes d'ordre social.</p>
-
-<p>Néanmoins, tout rempli de la bonté de sa
-cause, l'abbé Pacot ne se rebuta pas. La Restauration
-semblait devoir lui aplanir toutes
-les difficultés; point du tout: il ne fut pas
-plus heureux. En 1817, lorsqu'il porta ses
-plaintes au pied du trône, des magistrats le
-condamnèrent comme calomniateur, comme
-s'il n'eût pas légitimement acquis le droit de
-se plaindre!</p>
-
-<p>Ce dernier fait se trouve consigné dans un
-mémoire qu'il publia plus tard avec la signature
-du célèbre avocat Dupin, et avec cette
-épigraphe tirée d'un ouvrage de ce jurisconsulte:
-«S'il eût été trouvé coupable, il aurait
-dû à la société une réparation dans sa personne
-et dans ses biens. Il est innocent; la
-<span class="pagenum"><a id="Page_21"> 21</a></span>
-proposition est renversée: c'est à lui que l'indemnité
-est due.»</p>
-
-<p>Au reste, que l'on ne croie pas que ce fût
-pour lui-même que l'abbé Pacot réclamât une
-indemnité de ses souffrances, de ses malheurs
-et de ses pertes. Non! ce vénérable ecclésiastique
-comptait au nombre de ses vertus,
-le désintéressement le plus évangélique. Comme
-il le disait lui-même, parvenu à plus de quatre-vingts
-ans, qu'avait-il besoin des biens de ce
-monde? C'était uniquement dans les intérêts
-de sa famille qu'il militait avec tant de persévérance
-contre la jurisprudence établie.</p>
-
-<p>Le plus doux et le plus tolérant des hommes
-dans toutes ses relations sociales, il semblait
-subir une soudaine métamorphose, dès
-qu'il était question de ses infortunes et de l'iniquité
-de ses juges. Alors ses yeux devenaient
-étincelans, ses cheveux se hérissaient, sa parole
-s'animait; alors il ne souffrait pas la
-moindre contradiction, et fermait la bouche
-à ceux qui lui adressaient quelque objection,
-en leur disant que lui seul pouvait sentir tout
-ce qu'il avait souffert injustement, et qu'on ne
-parviendrait jamais à lui persuader qu'il était
-juste de ne pas l'indemniser. Il était facile de
-<span class="pagenum"><a id="Page_22"> 22</a></span>
-voir que cette catastrophe, &oelig;uvre de la plus
-perverse calomnie, qui avait bouleversé une
-portion de son existence, ravageait insensiblement
-ses facultés intellectuelles, en y établissant
-une idée fixe qui dominait tout, et venait
-se mêler à tout, pour tout embrouiller et
-tout confondre.</p>
-
-<p>Nous vîmes ce bon prêtre, il y a quelques
-années, chez un homme d'un grand mérite,
-enlevé trop prématurément à ses nombreux
-amis et aux lettres, qu'il cultivait obscurément
-et pour elles-mêmes, mais non pas sans utilité
-et sans distinction; nous voulons parler de
-M. L. Hubert, auteur du <i>Conteur</i>, recueil
-très-remarquable, quoiqu'il fût très-peu remarqué,
-n'ayant été prôné par aucun journal.
-Dans cet ouvrage, où sont traitées, sous une
-forme piquante et dramatique, les questions
-les plus importantes de la législation, le but
-de l'auteur était d'éclairer l'homme sur la nature
-de ses devoirs et de lui faire sentir les
-avantages dont la pratique du bien est la
-source. Une des nouvelles racontées par
-M. Hubert, l'<i>Accusé absout</i>, traitait à fond le
-point si délicat qui intéressait personnellement
-l'abbé Pacot. La question y était examinée
-<span class="pagenum"><a id="Page_23"> 23</a></span>
-sous ses divers aspects; la cause de
-l'humanité y était plaidée avec une chaleureuse
-éloquence, celle de la société avec une
-puissante dialectique; tous les intérêts étaient
-pesés avec bonne foi; rien de sophistique,
-rien de captieux: jamais controverse ne fut
-plus consciencieuse.</p>
-
-<p>L'abbé Pacot, alors attaché à Saint-Sulpice,
-s'était lié avec M. Hubert, par suite de la publication
-de cette nouvelle, qui néanmoins ne
-le satisfaisait pas complètement. Il venait quelquefois
-discuter avec lui sur cette question
-qui, hors des devoirs de son ministère, l'occupait
-tout entier. Le hasard nous fit assister à
-une de ces discussions. Placés pour ainsi dire
-en présence d'une passion intéressée, toute
-légitime, et digne d'excuse dans ses exigences,
-et de la raison parlant au nom de l'ordre
-et de la société, notre rôle se bornait à écouter.</p>
-
-<p>«Je n'ai pas la présomption de créer des règles
-légales, disait l'abbé Pacot d'un ton animé;
-je me borne à soumettre les idées que me suggère
-l'indifférence avec laquelle est vu l'état
-de l'homme qu'atteint le soupçon. Lorsqu'un
-individu est poursuivi à la requête d'une partie
-civile, il est à la discrétion du juge de lui allouer
-<span class="pagenum"><a id="Page_24"> 24</a></span>
-des dommages, si la plainte semble mal
-fondée. Or, pourquoi, dans les poursuites
-<i>d'office</i>, l'État ne serait-il partie que pour la
-portion favorable des chances de l'accusation?
-Pourquoi, à titre égal de plaignant, la société
-ne serait-elle passible d'aucun dédommagement,
-à raison des faux griefs exposés en son
-nom, tandis que tout particulier a des risques
-à courir, en amenant son meurtrier ou son
-spoliateur devant un tribunal?</p>
-
-<p>«&mdash;Parce que, interrompit M. Hubert, il
-est sagement présumé que, de la part de la
-société, aucun motif coupable n'a dirigé les
-poursuites. On ne pourrait rendre la société
-partie, sans assimiler l'officier de la loi à un
-adversaire de l'accusé; sans laisser arguer envers
-lui de passions haineuses; sans donner à
-un ministère de protection l'odieux aspect de
-l'agression. Non, la partie publique ne doit
-jamais être vue comme menaçante pour l'individu
-paisible; comme portée, dans aucun cas,
-à commettre sciemment le tort; comme pouvant
-nuire autrement que par de fausses notions,
-autrement que par le louable dessein
-de débarrasser la société de l'ennemi des lois
-nécessaires à son existence. De même qu'aucune
-<span class="pagenum"><a id="Page_25"> 25</a></span>
-flétrissure ne doit être attachée à un
-arrêt cassé en appel, l'élargissement d'un prévenu,
-même après une détention prolongée,
-ne doit accuser que la fatalité de certaines circonstances,
-que l'absence de cette vue pénétrante
-attribuée à Dieu seul. La foi qu'il convient
-d'avoir dans l'intégrité de l'examinateur
-d'un soupçon de délit, n'existerait pas, s'il était
-déclaré qu'un accusé est indemne, parce
-que ce serait reconnaître tacitement que les
-poursuites n'avaient pour fondement aucune
-de ces causes qui justifient aux yeux du juge
-les attaques d'une partie civile.</p>
-
-<p>«&mdash;Je veux m'isoler un instant pour vous
-répondre, reprit l'abbé tout ému: d'après vos
-principes, l'esprit de la loi est d'opposer, toujours
-et absolument, la société à l'individu:
-votre premier point de dogme est la réunion
-de tous contre les écarts de chacun. Dans le
-zèle à punir l'infraction, on s'occupe plutôt
-d'appliquer les peines que de réparer l'atteinte
-faite aux intérêts particuliers; on oublie que
-l'objet d'une justice substantielle est de rendre
-à chacun ce qui lui appartient, avant de songer
-au châtiment et à ses influences. Enfin, en sévissant
-contre une méchante action, on a en
-<span class="pagenum"><a id="Page_26"> 26</a></span>
-vue moins le tort intrinsèque, que la manifestation
-du mépris pour les règles prescrites
-par l'autorité. Et cela, parce que le pouvoir
-voit en soi l'État, toute la société; parce que
-l'homme investi du pouvoir veut régner par
-son titre; parce qu'un faux orgueil place la
-dignité dans de vains attributs. De sorte que
-c'est la vanité du magistrat, de l'administrateur,
-qui trouve de l'avantage dans l'esprit de
-la loi; c'est elle qui recueille le tribut d'abnégation
-imposé au nom du principe, au nom
-de tout ce qu'il convient d'appeler intérêt
-social.</p>
-
-<p>«&mdash;Doucement, doucement, répondit M. Hubert.
-Vous savez combien je déplore vos malheurs;
-je comprends très-bien votre indignation;
-je la partage même en compatissant à
-vos souffrances. Mais il faut toujours respecter
-la base de l'ordre: rejetez-vous sur la fragilité
-humaine, et ne perdez jamais de vue que
-les inconvéniens de l'état de société sont compensés
-par de grands avantages.</p>
-
-<p>«&mdash;Vous en parlez bien à votre aise.... Vous
-n'avez jamais eu à gémir sous le poids d'une
-condamnation capitale.... Mais, monsieur, ma
-position est bien différente; elle doit peut-être
-<span class="pagenum"><a id="Page_27"> 27</a></span>
-être mise à part, entre toutes les erreurs de
-la justice. L'arrêt qui me condamna fut plus
-monstrueux, mille fois, que celui qui fit tomber
-la tête de l'infortuné Lesurques, dont l'innocence
-ne saurait être contestée. Dans la malheureuse
-affaire qui perdit cet honnête homme,
-il y avait un crime bien avéré; le corps
-de la victime était là; une fatale ressemblance
-fit arrêter Lesurques comme l'un des meurtriers:
-il périt!..... Mais moi, non seulement
-j'étais innocent, mais encore le crime que l'on
-m'imputait n'était qu'une invention de la calomnie;
-il n'y avait pas de corps de délit. Vous
-savez aussi que plusieurs de mes ennemis siégeaient
-parmi mes juges. Si je ne péris pas comme
-Lesurques, ce fut une faveur éclatante de la Providence;
-mais je fus emprisonné, spolié,
-abreuvé d'amertumes de toute espèce.....</p>
-
-<p>«&mdash;Oui, oui, votre position est bien cruelle,
-bien poignante, répliqua M. Hubert. Je voudrais,
-pour tout au monde, pouvoir la soulager;
-vous avez été victime de l'esprit de désordre
-qui s'était introduit dans l'exercice de la justice,
-comme dans toutes choses. Mais songez
-que, pour réparer les maux qui en sont résultés,
-il faudrait changer l'ordre établi, déroger
-<span class="pagenum"><a id="Page_28"> 28</a></span>
-à des principes de droit généralement
-consacrés. C'est une arche sainte à laquelle il
-ne faut porter la main qu'avec précaution et
-respect.</p>
-
-<p>«&mdash;J'ai donc tort de réclamer une indemnité?
-s'écria l'abbé Pacot avec chaleur.</p>
-
-<p>«&mdash;Non, vous n'avez pas tort. Comme simple
-particulier, je vous l'accorderais de grand
-c&oelig;ur; je la regarderais même comme l'acquittement
-toujours insuffisant, quel qu'il
-fût d'ailleurs, d'une dette éminemment sacrée.
-Mais l'instabilité des choses, dans les temps
-où nous vivons, me fait comprendre que le
-gouvernement ne puisse travailler à faire cesser,
-à réparer le mal dont vous vous plaignez
-si justement. Il n'en serait pas de même dans
-un ordre politique permanent et bien réglé;
-car je me plais à croire qu'il serait impossible
-que l'on eût de semblables erreurs à réparer.»</p>
-
-<p>Ces mots calmèrent un peu l'abbé Pacot;
-il n'était pas convaincu; il se trouvait presque
-dans la même situation d'esprit que le
-célèbre Galilée devant les inquisiteurs. Mais
-les paroles de M. Hubert l'avaient amené peu
-à peu à une sorte de pente vers la résignation.
-<span class="pagenum"><a id="Page_29"> 29</a></span>
-Le sage, le profond interlocuteur termina
-l'entretien à peu près en ces termes, qui sont
-textuellement ceux de la conclusion de l'<i>Accusé
-absout</i>: «Oui, on doit renoncer à découvrir
-un moyen d'indemniser l'accusé, reconnu
-innocent, des misères qui accompagnent et
-suivent l'état de détention. Jamais, assurément,
-le législateur ne consentira à augmenter
-les difficultés qui gênent la marche du pouvoir
-judiciaire, même en Angleterre où il a le
-moins d'entraves; et voulût-il ajouter à l'inextricable
-chaos où se perd déjà notre jurisprudence,
-je le défierais de satisfaire les moins
-exigeans par une opinion quelconque, seulement
-sur ces deux questions qui deviendraient
-bientôt la source de mille autres: les journées
-de détention auront-elles un prix commun,
-ou relatif aux situations? la suspension des
-affaires, la perte du crédit, les affections domestiques,
-l'état de santé, seront-ils pris en
-considération?&mdash;Il faut en convenir; rien ne
-peut être imaginé pour rendre la réparation
-satisfaisante: la distribution de l'indemnité
-ferait plus de mécontens que le refus d'en allouer
-aucune. Mais pourquoi s'évertuer à chercher
-un remède impossible, quand il est si
-<span class="pagenum"><a id="Page_30"> 30</a></span>
-facile d'en prévenir le besoin? Demandez,
-sollicitez sans cesse un mode de poursuites où
-la liberté de l'individu ait pour garantie l'inamovibilité
-des magistrats; obtenez que le ministère
-public soit une magistrature à laquelle
-il ne puisse être enjoint d'accuser et de retarder
-la mise en jugement; tâchez qu'il faille
-au moins un plaignant, ou des charges substantielles
-pour retenir un homme sous les
-verroux après vingt-quatre heures d'enquête;
-faites décider que le jugement sera prononcé
-dans un délai déterminé, si le prévenu ne s'y
-oppose..... Cela, toutefois, ne pourrait avoir
-lieu que s'il n'existait pas de troubles politiques;
-car, dans les temps d'effervescence, on
-ne peut affirmer que l'action du pouvoir doit
-être renfermée dans de semblables limites. Et
-je conçois si bien la réserve avec laquelle doit
-se traiter la question d'opportunité, qu'afin
-d'éviter de mettre en avant aucune proposition
-intempestive, je m'abstiendrai désormais
-d'aborder ces matières.»</p>
-
-<p>Tous ces argumens étaient sans doute excellens,
-et puisés dans une raison supérieure
-et dans une parfaite connaissance des difficultés
-qui hérissaient la question. Mais ils ne
-<span class="pagenum"><a id="Page_31"> 31</a></span>
-pouvaient être à l'usage de l'abbé Pacot. Comment
-lui démontrer que sa position si cruelle
-était cependant une nécessité? Il n'en continua
-donc pas moins activement, mais toujours sans
-succès, ses poursuites en indemnité. Et encore
-aujourd'hui, que cet infortuné joint à
-tous ses autres malheurs celui de la perte de
-la raison, c'est toujours cette idée qui occupe
-et empoisonne ses rêves du jour et de la nuit.</p>
-
-<div class="chapter">
-<span class="pagenum"><a id="Page_32"> 32</a></span>
-<h2 class="normal">COMPLICATION DE SCÉLÉRATESSES.</h2>
-</div>
-
-<p>Voici encore une effrayante série de forfaits,
-où le libertinage et la cupidité jouent
-tour-à-tour le principal rôle. On ne saurait
-trop le répéter, tout s'enchaîne dans le mal,
-encore plus généralement que dans le bien:
-un premier crime, s'il reste impuni, en entraîne
-presque toujours plusieurs autres après
-lui; c'est un torrent qui, la digue une fois
-rompue, dévaste et renverse tout sur son passage.
-Cette vérité n'est que trop bien prouvée;
-et, il est douloureux de le dire, chaque jour
-semble se charger d'apporter des exemples à
-l'appui.</p>
-
-<p>Le 17 mai 1817, Etienne Rouvelle, vieillard
-âgé de 72 ans, demeurant dans une maison
-isolée, à Bennecourt (Seine-et-Oise), fut
-trouvé mort, près de sa cheminée. Cet homme
-passait pour avoir cinq mille francs d'économies.
-Après des soupçons portés sur plusieurs
-individus, un des gendres du défunt, Guillaume
-<span class="pagenum"><a id="Page_33"> 33</a></span>
-Normand, fut arrêté, mis en cause
-et déclaré coupable par le jury, à la simple
-majorité de sept voix contre cinq. Les magistrats
-de la cour d'assises de Versailles délibérant
-à leur tour, trois opinèrent pour l'acquittement,
-deux pour la condamnation, et
-aux termes de la loi, Guillaume Normand fut
-condamné au supplice des assassins, et subit
-sa peine peu de temps après.</p>
-
-<p>Il y avait dix-huit mois que le meurtre de
-Rouvelle avait été commis, lorsque le même
-canton fut le theâtre de plusieurs autres événemens
-non moins tragiques.</p>
-
-<p>Le meunier Planche, habitant de Villez
-près Bennecourt, vivait fort mal avec sa
-femme, qui, au rapport de la chronique scandaleuse,
-avait eu plusieurs amans, et en dernier
-lieu, un boulanger nommé Barnabé Pernelle,
-âgé de vingt-cinq ans. Celui-ci, de son
-côté, s'attirait le blâme et le mépris de tous
-les honnêtes gens, par les mauvais traitemens
-qu'il faisait subir à sa femme, qui jouissait de
-l'estime générale dans le pays.</p>
-
-<p>Le 23 novembre 1817, le meunier Planche
-fut trouvé noyé dans la petite rivière d'Epte,
-qui faisait tourner son moulin. Comme cet
-<span class="pagenum"><a id="Page_34"> 34</a></span>
-homme était presque habituellement ivre, sa
-mort fut regardée comme un accident. Cependant
-plusieurs rumeurs circulaient dans le
-village contre Barnabé Pernelle et contre la
-femme Planche elle-même. Un des habitans
-disait que Planche étant mort, le tour de la
-femme Pernelle ne tarderait pas, et qu'il ne
-lui donnait pas un an à vivre.</p>
-
-<p>Cette prédiction sinistre fut bientôt réalisée.
-Le 14 mai 1818, pendant l'absence de Barnabé
-Pernelle, sa femme, restée seule à la maison,
-fut trouvée assassinée, la tête dans l'âtre de la
-cheminée, et ses vêtemens à demi consumés.
-Il fut constaté que cette femme avait péri
-d'une mort violente; mais ce meurtre ne paraissait
-accompagné d'aucune soustraction:
-une croix d'or restait au cou de la victime.
-Son mari, présent aux perquisitions de la justice,
-retrouva dans une armoire deux louis
-qu'il disait être toute la fortune actuelle de la
-maison; mais ensuite il se rétracta et prétendit
-qu'on lui avait volé 150 francs.</p>
-
-<p>Après bien des conjectures, les soupçons
-s'arrêtèrent sur un vigneron, âgé de trente-quatre
-ans, nommé Crespin Normand. On avait
-aperçu des traces de sang sur ses vêtemens; au
-<span class="pagenum"><a id="Page_35"> 35</a></span>
-moment où l'on se présenta pour l'arrêter, sa
-femme venait de laver sa veste, son gilet et sa
-chemise, et en avait fait disparaître des traces
-sanglantes. A son premier interrogatoire,
-vaincu par l'évidence des preuves, et peut-être
-aussi par la violence de ses remords,
-Crespin Normand n'hésita pas à faire l'aveu de
-son crime.</p>
-
-<p>Suivant lui, Barnabé Pernelle lui ayant
-prêté 500 francs, à raison de 40 francs d'intérêt
-par an, et lui ayant fait souscrire une
-obligation de 800 francs, qu'il était hors
-d'état de payer, cette obligation l'avait
-mis, lui Crespin, sous l'entière dépendance
-de son créancier. Pernelle alors lui
-promit quittance totale, s'il voulait consentir
-à étouffer sa femme <i>de manière à ne point lui
-faire de marques de violence</i>. Crespin résista
-d'abord à ces propositions plusieurs fois réitérées;
-mais, pressé par les exigences de son
-créancier, il se décida enfin dans la soirée du
-13 mai. Rempli de son exécrable mission, il
-se rendit chez la femme Pernelle, conversa
-tranquillement avec elle pendant deux heures,
-et tandis qu'elle faisait les apprêts du souper
-de son mari, il l'étendit morte d'un seul
-<span class="pagenum"><a id="Page_36"> 36</a></span>
-coup, à l'aide d'un gros maillet de bois.</p>
-
-<p>Quelques jours avant sa mort, la malheureuse
-femme Pernelle avait fait à un de ses
-voisins une confidence qui formait une présomption
-grave en faveur des révélations de
-Crespin. Tiraillé par ses irrésolutions, ou peut-être
-poussé par le désir d'inspirer plus de sécurité
-à sa victime, Crespin avait confié à la
-femme Pernelle elle-même la commission
-cruelle que son mari lui avait donnée, en lui
-promettant bien de ne pas l'exécuter.</p>
-
-<p>Crespin dénonça aussi Barnabé Pernelle et
-son cousin, Valentin Pernelle, comme complices
-de l'assassinat du meunier Planche. Suivant
-sa déclaration, Pernelle, qui entretenait
-un commerce adultère avec la femme Planche,
-l'avait engagé à le débarrasser du mari. Plusieurs
-tentatives échouèrent. Enfin, une nuit,
-pendant que la femme Planche couchait dans
-le moulin, les trois assassins pénétrèrent dans
-le corps de logis où le mari était couché; ils
-le trouvèrent pris de vin, suivant sa coutume,
-et étendu sur son lit presque sans sentiment.
-Ils le saisirent, le transportèrent à la rivière,
-et l'y plongèrent tout habillé. Planche ne reprit
-ses sens qu'au moment où on allait le
-<span class="pagenum"><a id="Page_37"> 37</a></span>
-précipiter dans l'eau. Il mordit un des Pernelle
-à la cuisse, et déchira son pantalon avec
-ses dents.</p>
-
-<p>Grièvement inculpée par cette déclaration
-de Crespin, la femme Planche fut arrêtée;
-mais on la remit en liberté, faute de preuves
-suffisantes. Peu de temps après, elle s'empoisonna
-avec de l'arsenic. Elle avait dit à un témoin
-que, quinze jours après la mort de son
-mari, Crespin avait osé lui révéler le secret du
-fatal complot, et que, depuis ce temps, sa
-conscience ne lui laissait plus un seul instant
-de repos.</p>
-
-<p>Enfin, dans des aveux postérieurs, Crespin,
-non content de s'accuser lui-même, avait essayé
-de laver la mémoire de Guillaume Normand,
-au sujet du meurtre du vieillard Rouvelle.
-Il voulut même décharger Barnabé et
-Valentin Pernelle des crimes qu'il leur avait
-d'abord imputés.</p>
-
-<p>L'acte d'accusation était rédigé le 14 mai
-1819; il fut signifié, peu de jours après, aux
-accusés. Le public attendait l'ouverture des
-débats. On était curieux de voir quelle attitude
-y prendrait Crespin Normand. Mais celui-ci,
-cédant à ses remords, et voulant sans
-<span class="pagenum"><a id="Page_38"> 38</a></span>
-doute prévenir la mort ignominieuse qui lui
-était réservée, s'étrangla dans sa prison.</p>
-
-<p>Dans cet état de choses, il ne restait plus
-à juger que les deux cousins Pernelle; le premier,
-boulanger, accusé de complicité dans
-l'assassinat de sa femme et du meunier Planche;
-le second, comme complice du meurtre
-de ce dernier. Les débats furent longs. Enfin,
-les prévenus furent déclarés coupables, à la
-majorité de onze voix contre une, sur les divers
-chefs d'accusation portés contre eux. En
-conséquence, ils furent condamnés à la peine
-de mort.</p>
-
-<p>Peu de temps après la décision du jury, on
-apprit un événement des plus étranges, qui
-venait servir, en quelque sorte, de corollaire à
-cet horrible procès. Le sieur Lemoyne, père
-de la veuve Planche, que le désespoir d'être
-inculpée dans l'assassinat de son mari, avait
-portée à se donner la mort, était assigné en
-témoignage. Voyageant à pied, pour se rendre
-de Mantes à Versailles, il avait été assailli par
-des inconnus, qui le précipitèrent et le noyèrent
-dans la Seine.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_39"> 39</a></span></p>
-<h2 class="normal">JEAN HEINRICH,<br />
-<span class="medium">PARRICIDE.</span></h2>
-</div>
-
-<p>Un crime épouvantable, accompagné de
-circonstances non moins atroces qu'extraordinaires,
-vint affliger l'Alsace, en 1818. Depuis
-long-temps les discours et les menaces de
-Jean Heinrich annonçaient qu'il méditait la
-mort de son père. Un voisin, nommé St&oelig;r,
-déclarait que, sans son secours, Heinrich
-père aurait été tué par son fils à coups de
-hache; que ce dernier apostrophait l'auteur
-de ses jours en ces termes: «Vieux coquin!
-tu ne mourras jamais que de ma main.» D'autres
-témoins rapportaient de semblables menaces,
-faites par Jean Heinrich à son père, en plusieurs
-circonstances. Ce malheureux vieillard
-s'étant vu contraint, en 1817, de quitter sa
-maison, répondit au sieur Martin Ruhland,
-maire de Stoswyr, qui l'engageait à retourner
-auprès de sa famille: «Ils ont voulu me tuer:
-<span class="pagenum"><a id="Page_40"> 40</a></span>
-je suis trop sûr que mon fils Jean en veut à
-ma vie; ma femme, qui s'entend avec lui,
-vaut encore moins que lui.»</p>
-
-<p>Effectivement, la mère et le fils, créatures
-infernales, s'étaient ligués ensemble contre
-le malheureux vieillard, et les menaces parricides
-de Jean ne tardèrent pas à recevoir
-leur horrible accomplissement. Heinrich père
-était malade depuis quelque temps. Le 28 janvier
-1818, son indisposition le força de garder
-le lit. Cependant sa maladie, loin de prendre
-un caractère grave, laissait entrevoir une
-prochaine guérison. Mais cette heureuse
-chance contrariait les v&oelig;ux criminels de Jean
-Heinrich et de sa mère. Ces deux monstres résolurent
-de concert de mettre un terme à
-leur incertitude. Ils prennent d'abord toutes
-les précautions qu'ils crurent propres à cacher
-le forfait qu'ils préméditaient, et dans la
-nuit du 28 au 29 janvier, ils s'approchent du
-lit où l'infortuné vieillard reposait. Le spectacle
-d'un père, d'un époux souffrant, ne peut
-arrêter leur férocité. Jean Heinrich se jette
-sur son père, le saisit à la gorge et l'étrangle,
-tandis qu'avec ses genoux, il lui meurtrit à
-coups redoublés et lui enfonce la poitrine.
-<span class="pagenum"><a id="Page_41"> 41</a></span>
-Les cris étouffés de la victime, ses regards
-mourans, au lieu d'inspirer aux assassins un
-sentiment de pitié, ne font qu'augmenter
-leur rage, en raison de la crainte qu'ils éprouvent
-d'être surpris. Tremblant que son père
-n'échappe à la mort, Heinrich, le barbare
-Heinrich, saisit la tête du vieillard expirant,
-la renverse avec effort, et rompt une vertèbre
-du cou!..... C'en est fait; le forfait est consommé:
-les v&oelig;ux des deux monstres sont
-accomplis.</p>
-
-<p>Mais la vengeance ne devait pas long-temps
-se faire attendre. Vainement les assassins s'entourent
-de précautions; ces précautions elles-mêmes
-doivent fournir le complément des
-preuves de leur attentat inouï. Un enfant
-dont ils croyaient n'avoir rien à redouter,
-avait tout vu, tout entendu: il fut leur premier
-accusateur.</p>
-
-<p>Le lendemain matin, Jean Heinrich sort
-de bonne heure; il annonce aux voisins que
-son père est mort dans la nuit; il dit avoir
-arrangé les mains du défunt telles qu'elles
-doivent rester; il défend expressément d'y
-toucher avant son retour. Il se rend à Wyr
-chez le nommé Baldenberger, pour l'engager
-à venir ensevelir son père, et il lui recommande
-<span class="pagenum"><a id="Page_42"> 42</a></span>
-aussi <i>de lui laisser les mains croisées
-sur la poitrine, comme il les avait placées
-avant son départ</i>. Heinrich se rend ensuite
-chez un charpentier pour lui commander un
-cercueil, et <i>il lui en remet lui-même la mesure</i>.
-Il s'éloigne, et ne rentre chez lui que le soir
-fort tard.</p>
-
-<p>Cependant Baldenberger arrive à la ferme
-de Gigersbourg, domicile de Jean Heinrich. Il
-trouve la veuve et ses deux filles encore couchées,
-dans la seconde chambre, où gisait sur
-un lit de paille le corps de la victime, entièrement
-couvert d'un grand drap. La veuve lui
-défend expressément de remuer le corps.
-Baldenberger lui faisant observer qu'il faut lui
-mettre une chemise blanche, elle s'empresse
-de lui répondre qu'elle n'en a pas, et que
-d'ailleurs on ne le verra pas, lorsque le tout
-sera enveloppé d'un linceul. Vers midi, elle
-envoie Baldenberger chez le charpentier pour
-hâter la confection du cercueil qui ne fut apporté
-qu'à cinq heures du soir.</p>
-
-<p>Le cadavre, enveloppé du linceul qu'on
-avait cousu dans toute sa longueur, sur l'ordre
-de la femme Heinrich, et contrairement à
-l'usage du pays, fut déposé dans le cercueil,
-à l'entrée de la nuit. Mais le charpentier s'aperçut,
-<span class="pagenum"><a id="Page_43"> 43</a></span>
-en soulevant le corps, que la tête tombait
-en arrière d'une manière remarquable.
-Il faut observer aussi que l'on évita avec
-grand soin qu'aucun voisin, qu'aucun parent
-ne vît la dépouille mortelle du défunt, et
-qu'aucun d'eux n'avait été appelé pour aider
-à l'ensevelir.</p>
-
-<p>Depuis ce moment jusqu'au jour de l'arrestation
-des coupables, Jean Heinrich passa
-plusieurs nuits hors de la ferme. Le 2 février,
-ayant couché à Breitenbach, dans un cabaret,
-et étant informé par la fille de la maison
-que deux gendarmes venaient d'arriver
-pour se rafraîchir, il la pria, dans le cas où
-on le demanderait, de l'avertir en frappant
-au plafond. Sa crainte était telle alors, qu'il fit
-un mouvement pour sauter par la fenêtre.</p>
-
-<p>Peu après, le parricide fut arrêté. On connaissait
-déjà toute l'horreur de son forfait; la
-justice avait mis aussi la main sur son infâme
-complice. Les révélations de l'enfant, qui avait
-tout vu et tout entendu, l'exhumation et
-l'examen du cadavre, les dépositions d'une
-foule de témoins relativement aux menaces
-atroces que Jean Heinrich avait souvent adressées
-à son père, levèrent entièrement le voile
-<span class="pagenum"><a id="Page_44"> 44</a></span>
-qui avait momentanément caché ce mystère
-de scélératesse.</p>
-
-<p>Le parricide et sa mère furent amenés devant
-la cour d'assises de Colmar. Tous les
-faits furent attestés aux débats par des témoignages
-authentiques. Un témoin déclara aussi
-avoir entendu dire à Jean Heinrich, parlant
-de son père: «Le voilà mort! c'est une grande
-peine de moins: nous ne pouvions pas vivre
-ensemble.» Un autre déposa que la mère avait
-dit: «C'est un grand bien qu'il soit parti:
-Jean et lui ne pouvaient pas s'accorder. Nous
-avons le projet de commencer une distillerie,
-et le vieux buveur n'aurait fait que boire
-notre eau-de-vie.»</p>
-
-<p>Le 11 mai, sur la déclaration du jury, la
-cour condamna à la peine capitale Jean Heinrich,
-âgé de vingt-six ans, et Salomé Schwarts,
-sa mère, âgée de quarante-neuf ans.</p>
-
-<p>Aux termes de la sentence, ils furent conduits
-à l'échafaud, pieds nus, revêtus d'un
-voile noir; ils demeurèrent exposés sur l'échafaud
-pendant que lecture fut faite au
-peuple de l'arrêt de condamnation, puis le
-bourreau leur coupa le poing droit, avant
-de leur donner la mort.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_45"> 45</a></span></p>
-<h2 class="normal">L'ÉPICIER DUTEIL<br />
-<span class="xs">ET</span><br />
-<span class="medium">DELPHINE CARNET.</span></h2>
-</div>
-
-<p>Le nommé Duteil, épicier et cultivateur à
-Orvilliers (Seine-et-Oise), après de longues
-importunités, avait séduit Delphine Carnet,
-sa servante, âgée de dix-huit ans. Le commerce
-adultère qu'elle entretenait avec son
-maître, l'empire qu'elle avait acquis sur son
-esprit, inspirèrent bientôt à cette jeune fille
-l'idée d'un crime. Jalouse d'être seule maîtresse
-dans la maison, elle forma le projet
-de se débarrasser de la femme Duteil. Soit
-qu'elle eût déjà le c&oelig;ur assez pervers pour
-avoir conçu seule cette pensée criminelle, soit
-qu'elle y eût été poussée par le mari, elle ne
-tarda pas à tenter de mettre son dessein à
-exécution.</p>
-
-<p>Le 1<sup>er</sup> septembre 1819 fut le jour choisi
-par sa jalouse cupidité. Duteil s'était rendu
-<span class="pagenum"><a id="Page_46"> 46</a></span>
-au marché de Houdan; sa femme était seule
-à la maison. Delphine avait eu le soin d'en
-écarter les enfans. Bientôt elle appelle sa maîtresse,
-pour lui montrer une petite <i>bête jaune</i>
-qu'elle prétend apercevoir au fond du puits du
-jardin. La femme Duteil, trop crédule, s'approche,
-se penche et ne voit rien; Delphine l'invite
-à baisser la tête davantage, et en même temps
-la précipite au fond du puits.</p>
-
-<p>Heureusement il n'y avait que deux pieds
-d'eau dans ce puits qui, en tout n'avait que
-douze pieds de profondeur. Le forfait ne put
-être consommé. La femme Duteil jeta de
-grands cris et appela à son secours sa fille
-Zoé. Au même instant, un seau rempli d'eau
-tomba sur elle avec sa chaîne de fer, et lui fit
-une blessure grave. Il est permis de croire
-que cette chute ne fut pas accidentelle; du
-moins, la manière dont la servante porta les
-premiers secours à sa maîtresse, permettent
-d'en douter. En lui présentant une échelle,
-elle s'y prenait avec tant de maladresse, que
-la femme Duteil en fut toute froissée et ne
-put s'empêcher de croire que l'échelle était
-dirigée contre elle dans des intentions hostiles.
-Dans son interrogatoire, cette femme se
-<span class="pagenum"><a id="Page_47"> 47</a></span>
-servit, pour peindre ce qui s'était passé, d'une
-expression aussi naturelle qu'énergique: saisissant
-fortement le bas de l'échelle que Delphine
-paraissait vouloir retirer, elles faisaient,
-dans cette lutte singulière, tous les mouvemens
-de deux scieurs de long.</p>
-
-<p>Soit que Delphine reconnût l'impossibilité
-d'achever son attentat, soit qu'elle fût frappée
-de repentir, elle fixa enfin l'échelle, aida sa
-maîtresse à sortir du puits, l'emporta dans ses
-bras, la mit au lit, lui prodigua les soins les
-plus tendres, et implora son pardon en la
-conjurant de ne rien dire à personne de l'action
-coupable qu'elle venait de faire. Touchée par
-ses prières et par sa protestation, la malheureuse
-femme Duteil poussa la bonté jusqu'à
-lui faire cette promesse avec l'intention de la
-lui tenir. Mais la nature des plaies et des contusions
-dont son corps était couvert, l'ayant
-forcée d'appeler un médecin, la vérité fut
-reconnue, et Delphine arrêtée. D'abord Delphine,
-non seulement avoua tout, mais encore
-elle compromit fortement Duteil, en le signalant
-comme instigateur de son crime. Plus
-tard, elle chercha à se rétracter, en annonçant
-qu'elle seule était coupable du forfait
-<span class="pagenum"><a id="Page_48"> 48</a></span>
-auquel l'avaient portée sa cupidité et sa jalousie
-à l'égard de la femme Duteil. Cependant le
-mari coupable avait été arrêté. Mis en accusation
-avec Delphine Carnet, il repoussa avec
-beaucoup de présence d'esprit toutes les charges
-qu'on lui opposait. Il fit valoir une circonstance
-qui fut constatée dans l'instruction;
-c'est que le matin de l'événement, il ne voulait
-pas aller au marché, et s'était décidé à y
-envoyer sa femme; qu'il n'y était allé que
-parce que celle-ci avait préféré rester à la maison.
-Il prétendait prouver, par cette allégation,
-qu'il ignorait, qu'il ne soupçonnait même
-pas les projets de sa servante.</p>
-
-<p>Les deux accusés furent traduits devant la
-cour d'assises de Versailles. A l'audience, Delphine
-Carnet changea encore une fois de langage,
-et soutint que Duteil était l'instigateur du
-meurtre. Toutefois ces aveux d'une fille de dix-huit
-ans qu'une première erreur avait poussée
-si loin dans la carrière du crime, ne furent pas
-aussi foudroyans pour Duteil que la modération
-exemplaire qui dicta la déposition de sa
-femme, entendue comme témoin, en vertu
-du pouvoir discrétionnaire du président de la
-cour. Cette malheureuse femme déclara, les
-<span class="pagenum"><a id="Page_49"> 49</a></span>
-larmes aux yeux, qu'elle ne pouvait croire
-son mari coupable: «Le père de mes enfans,
-ajouta-t-elle, n'a pu vouloir tuer leur mère.»</p>
-
-<p>Après une très-courte délibération, le jury
-déclara les deux accusés coupables d'une tentative
-d'homicide, laquelle n'avait été interrompue
-que par des circonstances fortuites
-et indépendantes de leur volonté. En conséquence,
-Duteil et Delphine Carnet furent condamnés
-à la peine de mort, par arrêt du 16
-novembre 1819.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_50"> 50</a></span></p>
-<h2 class="normal">LOUVEL,<br />
-<span class="medium">ASSASSIN DU DUC DE BERRY.</span></h2>
-</div>
-
-<p>L'attentat de Louvel, attentat qui couvrit
-la France entière de deuil et de consternation,
-est, par les conséquences qu'il entraîna
-à sa suite, l'un des événemens les plus considérables
-de notre époque. Louvel, <i>l'un de
-ces envoyés secrets de la mort qui mettent la
-main sur les rois</i>, avait choisi pour victime le
-duc de Berry, parce qu'il voyait en lui seul
-l'espoir de la famille des Bourbons. Le résultat
-de son crime ne fut pas tel que sa rage
-l'avait espéré: le prince assassiné avait pourvu
-à la continuation de sa race; sous ce rapport,
-furent donc déçus les criminels calculs de
-Louvel. Mais par une de ces combinaisons
-qu'il n'est pas donné à l'homme d'expliquer,
-le poignard de Louvel devint l'instrument de
-l'ambition d'un parti antipathique à la nation;
-dès ce moment, ce parti, ennemi déclaré du
-<span class="pagenum"><a id="Page_51"> 51</a></span>
-progrès des lumières, fit invasion dans toutes
-les branches du gouvernement, s'appliqua à
-faire prospérer partout ses plans rétrogrades,
-mutila peu à peu toutes les libertés publiques,
-attisa de nouveau, et sans s'en douter,
-le feu du volcan des révolutions, et vit disparaître
-dans une éruption soudaine cette
-vieille dynastie des Bourbons, qui, malgré
-les avis réitérés de ses amis sincères, lui
-avait imprudemment confié sa couronne et
-ses destinées.</p>
-
-<p>Ce parti ambitieux, avide et rancunier, dès
-que la première nouvelle de l'assassinat du
-duc de Berry était venu attrister la capitale,
-n'avait pas manqué d'ameuter ses journaux
-contre les hommes à idées libérales, désignant
-Louvel comme un Séide à leurs gages. La
-procédure prouva le contraire, mais la tactique
-n'avait que trop bien réussi: le parti
-anti-national tenait le pouvoir, objet de ses
-v&oelig;ux les plus ardens, et l'on sait quels furent
-les résultats de son administration.</p>
-
-<p>Louvel, enfonçant le fer assassin dans le
-c&oelig;ur du prince, n'avait d'autre instigateur
-que sa haine sombre et fanatique pour la race
-royale. Depuis long-temps, il méditait son
-<span class="pagenum"><a id="Page_52"> 52</a></span>
-exécrable dessein, mais sans confident, sans
-auxiliaire; sa trame ne se rattachait qu'à lui
-seul; seul il voulait la mettre à fin. C'était un
-de ces êtres à part qui semblent voués par
-leur destinée à trancher le fil des jours des
-princes, et mille fois plus à craindre pour
-eux que les plus hardis conspirateurs. «Ces
-hommes, dit M. de Châteaubriand, surgissent
-soudainement et s'abîment aussitôt dans
-les supplices: rien ne les précède, rien ne les
-suit. Isolés de tout, ils ne sont suspendus
-dans ce monde que par leur poignard; ils ont
-l'existence même et la propriété d'un glaive;
-on ne les entrevoit qu'un moment, à la lueur
-du coup qu'ils frappent. Ravaillac était bien
-près de Jacques Clément. C'est un fait unique
-dans l'histoire, que le dernier roi d'une
-race et le premier roi d'une autre aient été
-assassinés de la même façon, chacun d'eux
-par un seul homme, au milieu de leurs gardes
-et de leur cour, dans l'espace de moins de
-vingt-un ans. Le même fanatisme anima les
-deux assassins; mais l'un immola un prince
-catholique, l'autre un prince qu'il croyait
-protestant. Clément fut l'instrument d'une
-ambition personnelle; Ravaillac, comme
-<span class="pagenum"><a id="Page_53"> 53</a></span>
-Louvel, l'aveugle mandataire d'une opinion.»</p>
-
-<p>Les détails de cet événement et de la procédure
-extraordinaire à laquelle il donna lieu
-viendront parfaitement à l'appui de ces réflexions.</p>
-
-<p>Le 13 février 1820, le duc et la duchesse
-de Berry s'étaient rendus à l'Opéra; la princesse
-manifesta le désir de ne pas rester au
-théâtre jusqu'à la fin du spectacle; le prince,
-vers onze heures du soir, la reconduisit à sa
-voiture qui stationnait rue Rameau, et,
-ayant pris congé d'elle en l'assurant qu'il la
-rejoindrait dans quelques instans, il se retourna
-pour rentrer à l'Opéra.</p>
-
-<p>A l'instant même, un homme s'élance, passe
-près du duc de Berry comme un éclair, et
-quelques personnes le voient heurter le prince
-violemment.</p>
-
-<p>La première idée qui vint au duc et à toute
-sa suite fut que cet homme était tout simplement
-un curieux indiscret. L'aide-de-camp
-du prince, M. le comte de Choiseul, fut
-tellement dominé par cette idée, qu'il prit
-l'importun par l'habit, et le repoussa en lui
-disant: <i>Prenez donc garde!</i>... L'homme prit la
-<span class="pagenum"><a id="Page_54"> 54</a></span>
-fuite; mais il n'avait pas fait quelques pas,
-que le prince s'écria: <i>Je suis assassiné!</i> et en
-même temps il tenait la main sur un poignard
-abandonné dans la plaie par l'assassin. A l'instant
-même, MM. de Choiseul et de Clermont
-volèrent sur les traces du meurtrier, qu'eux
-et tous les assistans voyaient courir vers la
-rue de Richelieu. Le garde-royal Desbiez,
-qui était de faction auprès de la voiture à l'instant
-où le crime venait d'être commis, un
-adjudant de ville, d'autres gardes-royaux et
-des gendarmes se mirent également à sa
-poursuite.</p>
-
-<p>L'assassin fut arrêté non loin de là, à l'arcade
-Colbert, par un garçon limonadier appelé
-Paulmier, qui le remit aussitôt à l'adjudant
-de ville et à tous les militaires par
-lesquels il était poursuivi.</p>
-
-<p>Conduit au corps-de-garde, l'homme arrêté
-fut fouillé en présence de tous les témoins
-qui avaient présidé à son arrestation.
-On trouva sur lui, dans une des poches de
-son pantalon, une gaîne vide; c'était celle
-du poignard avec lequel il avait frappé le
-prince. Dans l'autre poche se trouva une
-alêne de sellier, affilée aussi en poignard et
-<span class="pagenum"><a id="Page_55"> 55</a></span>
-munie également de sa gaîne. Ces instrumens
-homicides et une clef qu'il avait sur lui, furent
-saisis et livrés sur-le-champ, ainsi que sa
-personne, à la justice.</p>
-
-<p>Cependant on avait conduit le prince, d'abord
-dans un corridor du théâtre, puis dans
-le salon de la loge du roi. Le duc de Berry
-avait lui-même tiré d'une plaie profonde le
-fer qu'y avait laissé l'assassin. L'arme était
-grossièrement façonnée en poignard tranchant
-et aigu, et avait un demi-pied de longueur.</p>
-
-<p>Le prince eut encore assez de force pour
-le remettre à M. le comte de Ménars, son
-premier écuyer. Bientôt des médecins furent
-appelés; mais vainement les secours les plus
-dévoués, les plus empressés, furent prodigués
-au malheureux prince: la blessure était mortelle.
-Le duc ne put même être transporté
-dans le palais de ses pères, et le 14 février, à
-six heures et demie du matin, il expira,
-après avoir demandé à plusieurs reprises la
-<i>grâce de l'homme</i> qui l'avait assassiné.</p>
-
-<p>Dès le matin, cette funèbre nouvelle répandit
-avec elle la stupeur et l'alarme dans tous
-les esprits. Outre l'horreur profonde qu'inspirait
-<span class="pagenum"><a id="Page_56"> 56</a></span>
-généralement le forfait qui venait d'être
-commis, chacun semblait pressentir les
-calamités politiques auxquelles cette mort fatale
-allait donner naissance.</p>
-
-<p>Immédiatement après son arrestation, le
-coupable avait été conduit devant le commissaire
-de police, Ferré, qui, ce jour-là, était
-de service au théâtre. Ce magistrat avait déjà
-commencé à procéder à son interrogatoire,
-lorsque M. le comte Anglès, alors préfet de
-police, le procureur du roi et le procureur-général
-arrivèrent successivement, s'emparèrent
-du criminel, et lui firent subir un interrogatoire.</p>
-
-<p>Cet homme déclara s'appeler Louis-Pierre
-Louvel, être natif de Versailles, âgé de trente-six
-ans, garçon sellier, employé pour le
-compte du sieur Labouzelle, sellier du roi,
-et demeurer aux Écuries, place du Carrousel.
-Il reconnut que c'était lui qui avait commis
-le meurtre du prince, et se vanta même de
-mûrir cet horrible projet depuis 1814. On lui
-présenta le poignard trouvé dans la plaie de
-la victime; il le reconnut sans hésiter, ainsi
-que le petit poignard, la clef et les deux gaînes
-saisis sur lui. Confronté avec les sieurs
-<span class="pagenum"><a id="Page_57"> 57</a></span>
-Paulmier, Desbiez et les autres témoins de
-son arrestation, tous le reconnurent, les uns
-pour l'assassin du prince, les autres pour
-l'homme qui fuyait au moment du crime.
-Mais un bien plus triste devoir restait à remplir:
-il fallait constater, contradictoirement
-avec l'assassin, le corps du délit. Le bourreau
-fut mis en présence de la victime qui
-avait expiré sous ses coups. Il la regarda d'un
-&oelig;il fixe et féroce, ne témoigna ni sensibilité,
-ni remords, et confessa de nouveau que c'était
-là son ouvrage.</p>
-
-<p>Du reste, le rapport unanime des médecins
-qui avaient vu et soigné le prince, attestait
-que le coup, porté par Louvel, était la
-seule cause de la mort du duc de Berry.</p>
-
-<p>Alors on s'occupa de rechercher les motifs
-qui avaient pu le porter à commettre cet assassinat.
-Aucun indice du dehors ne pouvant
-le faire soupçonner, Louvel fut soigneusement
-interrogé, et, sans varier jamais, il déclara
-hautement qu'il n'avait eu à se plaindre
-en aucun temps du duc de Berry ni d'aucune
-autre personne de sa famille; qu'il n'avait ni
-motif ni prétexte de leur porter aucun sentiment
-de haine personnelle; qu'il n'avait été
-<span class="pagenum"><a id="Page_58"> 58</a></span>
-poussé au crime qu'il avait commis que par
-la considération de l'intérêt public; qu'il regardait
-tous les Bourbons comme les ennemis
-de la France; qu'aussitôt qu'à leur retour, il
-avait vu flotter le drapeau blanc, il avait
-conçu le projet de les assassiner tous; que ce
-projet ne l'avait pas quitté un seul instant depuis
-1814; que depuis lors, il avait cherché
-toutes les occasions de l'exécuter, suivi les
-princes dans leurs chasses, rôdé autour
-des spectacles qu'ils fréquentaient, pénétré
-dans les lieux saints où ils allaient remplir
-leurs devoirs religieux; et qu'il les aurait
-égorgés, si son courage ne lui avait pas manqué,
-et si quelquefois, il ne s'était pas demandé:
-<i>Ai-je tort? ai-je raison?</i></p>
-
-<p>Louvel ajoutait qu'à Metz, en 1814, il
-avait eu un moment l'intention de tuer le
-maréchal-duc de Valmy, parce qu'il servait
-les Bourbons; mais que bientôt il avait pensé
-que c'était un simple particulier; qu'il fallait
-porter ses coups plus haut; qu'il aurait tué
-Monsieur à Lyon, s'il l'y eût encore trouvé,
-lorsque lui, Louvel, se rendit dans cette
-ville au débarquement de Bonaparte; que,
-depuis, il s'était attaché à la personne du duc
-<span class="pagenum"><a id="Page_59"> 59</a></span>
-de Berry comme celui sur lequel était fondé
-le principal espoir de la race; qu'après le duc
-de Berry, il aurait tué le duc d'Angoulême;
-après lui, <span class="cap">M</span><span class="smallc">ONSIEUR</span>>; après
-<span class="cap">M</span>
-<span class="smallc">ONSIEUR</span>, le roi;
-qu'il se serait peut-être arrêté là, car il paraît
-qu'à cet égard son infâme résolution n'était
-pas prise, et qu'il n'avait pas bien arrêté s'il
-continuerait dans les autres branches de la
-famille royale le cours de ses assassinats;
-qu'il n'avait ressenti de son arrestation qu'un
-seul chagrin, celui de ne pouvoir ajouter
-d'autres victimes à celle qui venait de tomber
-sous ses coups; qu'il était loin de se repentir
-de son action, qu'il regardait comme belle et
-vertueuse; et qu'enfin il persisterait toujours
-dans ses théories, dans ses opinions et dans
-ses projets, sans s'embarrasser des jugemens
-des hommes, et moins encore des jugemens
-de la religion à laquelle il ne croyait pas et
-qu'il n'avait jamais pratiquée.</p>
-
-<p>Quels avaient été les antécédens de Louvel?
-ceux d'un homme obscur qui, d'abord ouvrier
-sellier, avait figuré plus tard dans les
-rangs de l'armée française, mais sans aucune
-espèce de distinction. Depuis long-temps, le
-gouvernement monarchique contrariait ses
-<span class="pagenum"><a id="Page_60"> 60</a></span>
-v&oelig;ux. Dès l'année 1814, il avait entrepris, à
-ses frais, le voyage de l'île d'Elbe, moins sans
-doute pour grossir les rangs des fidèles compagnons
-de l'ex-empereur, que dans l'intention
-d'y entretenir les funestes desseins qui
-fermentaient dans son c&oelig;ur. Pendant les
-Cent-Jours, il resta en dehors des mouvemens
-militaires dont le retour de Napoléon
-avait donné le terrible signal; ou s'il suivit
-l'armée, ce ne fut que pour y exercer sa profession;
-car, au retour de Napoléon, il était
-parvenu, par le crédit d'un de ses parens, chef
-de la sellerie de l'ex-empereur, à y être employé
-comme ouvrier. Qu'était-il donc allé
-faire à l'île d'Elbe, si ce n'est aiguiser son poignard?
-Mais lorsque l'anéantissement du trône
-impérial fut consommé, la haine fanatique de
-Louvel prit un caractère plus prononcé. Il ne
-rêva plus que l'extermination de la race
-royale. Afin peut-être de mieux arriver à ce
-résultat, il sollicita un emploi aux Écuries du
-roi, comme pour se rapprocher le plus possible
-des victimes que sa fureur avait déjà
-marquées, et s'attacha principalement à la
-personne du duc de Berry.</p>
-
-<p>Le jugement d'un semblable criminel devait
-<span class="pagenum"><a id="Page_61"> 61</a></span>
-avoir une solennité toute nationale. Dès
-le 14 février, une ordonnance du roi, communiquée
-par M. Decazes, ministre de l'intérieur,
-à la chambre des pairs, institua ce
-grand corps politique en haute cour de justice,
-conformément à l'article 33 de la charte; et
-l'on commença immédiatement l'instruction
-de ce procès, d'où nous avons tiré les détails
-que l'on vient de lire.</p>
-
-<p>Indépendamment des recherches que l'autorité
-avait faites chez toutes les personnes
-avec lesquelles Louvel avait eu les relations
-les plus indifférentes, elle avait également ordonné
-des perquisitions chez tous ses proches
-parens; mais elles ne produisirent rien à leur
-charge. L'acte d'accusation déclara donc que
-nul complice n'avait été découvert, et que Louvel
-était le seul qui dût être mis en jugement
-devant la cour des pairs.</p>
-
-<p>L'ouverture des débats eut lieu le 5 juin 1820.
-MM. Archambault et Bonnet, anciens bâtonniers
-de l'ordre des avocats, avaient été nommés
-d'office pour la défense de l'accusé. L'apparition
-de Louvel devant le public excita un
-mouvement d'effroi qu'il serait difficile de dépeindre.
-<span class="pagenum"><a id="Page_62"> 62</a></span>
-Son front était chauve et sa figure dépourvue
-d'expression; ses yeux étaient ternes
-et enfoncés.</p>
-
-<p>L'interrogatoire du prévenu fournit de nouvelles
-preuves à l'appui de ce qui a été dit précédemment
-sur les projets régicides de Louvel.
-«Par quel motif, lui dit le président,
-avez-vous poignardé S. A. R. monseigneur le
-duc de Berry?&mdash;Je lui ai ôté la vie, répondit
-Louvel, dans l'intention de détruire la race
-des Bourbons qui, suivant moi, faisait le malheur
-de la nation.&mdash;Aviez-vous quelques motifs
-d'inimitié personnelle?&mdash;Aucun, mais j'ai
-choisi de préférence ce prince, parce que c'était
-la <i>souche</i> de la famille royale.»</p>
-
-<p>Interrogé sur sa funeste résolution, il répondit
-froidement: «Mon parti était pris;
-aucun sentiment d'honneur ni de religion ne
-pouvait me faire changer de dessein. D'ailleurs
-je suis catholique, je le crois toujours, mais
-j'ai changé suivant les événemens, tantôt théophilanthrope,
-tantôt catholique.&mdash;Mais si
-vous avez le malheur de ne pas croire à la
-justice divine, vous deviez croire à la justice
-des hommes. Vous ne saviez donc pas que
-<span class="pagenum"><a id="Page_63"> 63</a></span>
-vous exposiez votre vie?&mdash;Au contraire, il
-faut voir en moi un Français qui s'<i>est sacrifié</i>...
-Si j'ai tenté de me sauver, je ne le faisais pas
-pour long-temps; j'en voulais à tous les hommes
-français qui ont pris les armes contre ma patrie,
-et cette haine m'aurait fait persister dans
-mes projets.»</p>
-
-<p>Cependant Louvel avoua qu'il avait été attendri
-par le spectacle des derniers momens
-du prince, et que c'était alors seulement que
-ses yeux s'étaient ouverts sur l'énormité de son
-forfait: «Mais, dit-il en terminant, la religion
-ne peut remédier au crime que j'ai commis.»</p>
-
-<p>Il résulte aussi des réponses de Louvel aux
-questions de plusieurs membres de la haute
-cour, que ses lectures habituelles pendant sa
-jeunesse étaient les <i>Droits de l'homme</i> et la
-<i>Constitution</i>, mais qu'il ne lisait aucuns journaux.</p>
-
-<p>Plusieurs fois, à la demande de M. de Lally-Tollendal,
-le président adjura l'accusé, devant
-Dieu, de déclarer s'il avait eu des complices.
-Louvel, tout en convenant que son crime était
-horrible, affirma n'avoir communiqué son projet
-à qui que ce fût. «Était-ce pour vous défendre,
-lui dit le président, que vous aviez
-<span class="pagenum"><a id="Page_64"> 64</a></span>
-sur vous un second poignard?&mdash;Non, Monsieur.&mdash;Pourquoi
-en aviez-vous deux?&mdash;C'était
-pour mieux réussir.»</p>
-
-<p>Dans l'instruction, l'accusé avait dit qu'il
-savait toutes les démarches du prince par ses
-gens mêmes, à qui il le demandait. Louvel confirma
-ainsi cette déclaration: «Le jour de l'événement,
-je n'avais pas besoin de prendre des
-renseignemens, puisque c'était dans Paris;
-mais quand les princes étaient à la chasse, je
-savais par le premier venu l'heure à laquelle
-ils devaient rentrer.»</p>
-
-<p>Lors de sa confrontation avec la victime,
-quelqu'un lui ayant dit: <i>Ne craignez-vous
-pas la justice divine?</i> il avait répondu: <i>Dieu
-n'est qu'un mot</i>. Ce propos était attesté par
-plusieurs témoins; Louvel, interpellé par le
-président, crut se rappeler l'avoir tenu.</p>
-
-<p>M. le duc de Maillé ayant fait observer que,
-dans l'instruction, l'accusé avait dit qu'il s'était
-rendu à Calais, en 1824, pour assassiner le roi,
-et qu'il avait ensuite déclaré que telle ne pouvait
-être son intention, puisqu'il savait que le
-roi était à Paris, interpella Louvel sur cette
-circonstance. «Il est probable, répondit le
-prévenu, que j'étais parti de Metz avec cette
-<span class="pagenum"><a id="Page_65"> 65</a></span>
-intention; mais je savais bien, en partant de
-Metz, que le roi était à Paris. Je voyageais
-pour tâcher de réfléchir avec maintes et maintes
-personnes que j'aurais entendu parler;
-voilà pourquoi j'ai <i>rallongé</i> ma route. J'ai passé
-par Calais pour savoir ce qu'on disait du roi
-dans les endroits où il avait passé, et ensuite
-voir si je devais exécuter ma <i>commission</i>.»</p>
-
-<p>Louvel, adjuré de nouveau de déclarer s'il
-avait des complices, répondit avec impatience:
-«Non, je n'en ai jamais eu.» M. Lecoulteux de
-Canteleu releva le mot de <i>commission</i> qu'avait
-prononcé Louvel. «Serait-ce, dit-il, une commission
-qui lui aurait été donnée par quelqu'un?&mdash;C'était
-une commission intérieure
-que je m'étais imposée à moi-même.»</p>
-
-<p>Obligé de s'expliquer sur la qualification
-que méritait son crime, il répondit: «C'est
-une action horrible, c'est vrai! Quand on tue
-un autre homme, cela ne peut pas passer pour
-vertu; c'est un crime: Je n'y aurais jamais été
-entraîné sans l'intérêt que je prenais à ma
-nation, suivant moi; je croyais bien faire, suivant
-mon idée.»</p>
-
-<p>Après l'audition de tous les témoins et le
-réquisitoire du procureur-général Bellart, la
-<span class="pagenum"><a id="Page_66"> 66</a></span>
-parole fut donnée à maître Bonnet, l'un des
-conseils de l'accusé. Ce célèbre avocat, pénétré
-de la mission difficile qu'il avait à remplir,
-sut concilier les devoirs que lui imposait sa noble
-profession avec le respect qu'il devait à l'auguste
-tribunal devant lequel il allait parler, et
-avec la position d'un accusé qui s'était fait gloire
-de son crime pendant la durée des débats. Il
-invoqua en faveur de son client la <i>monomanie</i>
-ou <i>fixité d'idées</i>. «Oui, messieurs, dit-il, l'individu
-qui a pu se dire: Ai-je tort, ai-je raison
-d'assassiner un prince dont je n'ai point à me
-plaindre? est un insensé, et ne peut pas être
-autre.»</p>
-
-<p>Nous allons transcrire la péroraison du plaidoyer
-de l'éloquent avocat, parce qu'on y retrouve
-quelques particularités touchantes relativement
-aux derniers momens du prince:
-«Déjà peut-être nous accuserait-on d'avoir
-omis, ou même de ne nous être pas borné à
-faire valoir pour l'accusé la plus sublime, la
-plus puissante de toutes les recommandations.
-Vous allez au-devant de nos paroles, messieurs,
-et vous croyez entendre ce dernier cri du prince-martyr...
-«<i>C'est un insensé!...</i> Grâce! grâce pour
-l'<i>homme</i>!» Le monarque, le père adoptif de la
-<span class="pagenum"><a id="Page_67"> 67</a></span>
-victime, le père de tous ses sujets, n'arrive pas
-assez tôt, et le prince ne pense qu'à assurer
-la vie de son meurtrier. Une chrétienne impatience
-s'empare de lui, et au milieu de ses affreuses
-douleurs, le sort de celui qui les cause
-l'occupe presque tout entier. C'est ici que,
-sans aggraver le sort de l'accusé, et même pour
-le servir, pour le couvrir d'une égide tutélaire,
-nous pouvons proclamer toute notre admiration
-pour la victime. Douloureusement soulagé
-par les pleurs de sa courageuse épouse
-qui commande à son désespoir, par la présence
-de sa jeune et innocente fille, il partage en
-quelque sorte sa sollicitude entre ces illustres
-objets de sa tendresse et le malheureux <i>insensé</i>
-qui l'a frappé. Alliance inouïe de pensées si
-diversement admirables! contraste que peut
-seule engendrer ou expliquer une grande âme!
-Les derniers momens que peut donner ce
-prince chéri aux plus tendres sentimens de
-la nature, il en dérobe une partie pour devenir
-le protecteur, l'auguste avocat de celui
-qui lui arrache la vie! Grâce pour l'homme!
-Quel choix bienfaisant d'expressions dans ce
-mot d'un usage si vulgaire: Grâce pour l'<i>homme</i>!
-Eh bien! messieurs, l'homme est devant vous!
-<span class="pagenum"><a id="Page_68"> 68</a></span>
-Les dernières paroles de sa victime ne seront-elles
-pour lui qu'un héroïsme stérile? Et si ce
-cri de grâce sorti de la bouche d'un illustre
-mourant est impuissant sur des juges, joignez-y
-ce jugement porté par la victime: <i>C'est un
-insensé!</i> Que ces deux mots réunis, plus forts
-que mes vains raisonnemens, se fortifient l'un
-par l'autre en faveur de l'<i>homme</i>; (pourquoi
-serions-nous plus sévères que celui que nous
-pleurons?) en faveur de l'homme que vous
-allez juger; qu'ils soient son unique défense:
-c'est là principalement que nous voulons placer
-son refuge. Oui, c'est un insensé celui qui
-conçut, qui nourrit, pendant six ans, l'infernal
-projet de détruire la plus illustre, la plus
-clémente, la plus paternelle race de souverains,
-la plus digne de gouverner une nation
-dévouée, libre et généreuse.»</p>
-
-<p>Le président demanda à Louvel s'il avait
-quelque chose à ajouter au plaidoyer de son
-défenseur. L'accusé, sans répondre à cette
-interpellation, se leva, tira de sa poche des
-feuilles de papier détachées, écrites de sa main;
-et du ton de la plus froide insensibilité, lut
-les phrases suivantes:</p>
-
-<p>«J'ai rougi aujourd'hui d'un crime que j'ai
-<span class="pagenum"><a id="Page_69"> 69</a></span>
-commis seul. J'ai la consolation de croire, en
-mourant, que je n'ai point déshonoré la nation
-ni ma famille. Il ne faut voir en moi
-qu'un Français dévoué à se sacrifier pour détruire,
-suivant mon système, une partie des
-hommes qui ont pris les armes contre ma
-patrie. Je suis accusé d'avoir ôté la vie à un
-prince. Je suis seul coupable; mais parmi les
-hommes qui occupent le gouvernement, il y
-en a d'aussi coupables que moi. Ils ont, suivant
-moi, reconnu des crimes pour des vertus.
-Les plus mauvais gouvernemens que la
-France a eus ont toujours puni les hommes
-qui l'ont trahie, ou qui ont porté les armes
-contre la nation.</p>
-
-<p>«Suivant mon système, lorsque des armées
-étrangères menacent, les partis doivent cesser
-et se rallier pour combattre, pour faire
-cause commune contre les ennemis de tous
-les Français. Les Français qui ne se rallient
-pas sont coupables. Suivant moi, le Français
-qui est obligé de sortir de France par l'injustice
-du gouvernement, si ce même Français
-se met à porter les armes pour les armées
-étrangères contre la France, alors il est coupable.
-<span class="pagenum"><a id="Page_70"> 70</a></span>
-Il ne peut rentrer dans la qualité de
-citoyen français.</p>
-
-<p>«Selon moi, je ne peux pas m'empêcher
-de croire que si la bataille de Waterloo a été
-si fatale à la France, c'est qu'il y avait à Gand
-et à Bruxelles des Français qui ont porté dans
-les armées la trahison, et qui ont donné des
-secours aux ennemis.</p>
-
-<p>«Suivant moi et selon mon système, la
-mort de Louis XVI était nécessaire, parce
-que la nation y a consenti.... Si c'était une
-poignée d'intrigans qui se fût portée aux Tuileries,
-et qui lui eût ôté la vie sur le moment,
-oui, je le croirais; mais comme Louis XVI est
-resté long-temps en arrestation, on ne peut
-pas croire que ce ne soit pas de l'aveu de la
-nation. De sorte que s'il n'y avait eu que quelques
-hommes, il n'aurait pas péri; la nation
-entière s'y serait opposée. Aujourd'hui, ils prétendent
-être les maîtres de la nation; mais
-suivant moi, les Bourbons sont coupables, et
-la nation serait déshonorée si elle se laissait
-gouverner par eux.»</p>
-
-<p>Telle fut la défense de Louvel prononcée
-par lui-même. Vainement on avait tenté de
-<span class="pagenum"><a id="Page_71"> 71</a></span>
-le détourner de lire cette défense étrange, ce
-tissu d'absurdités, qui, du reste, semblait venir
-à l'appui du système adopté par le défenseur.
-Ces paroles délirantes avaient répandu sur
-tous les visages l'indignation et l'horreur;
-Louvel seul conservait son immobilité. Le
-procureur-général repoussa la question de
-monomanie et réclama, avec une noble fermeté,
-la juste punition du coupable.</p>
-
-<p>Le 6 juin, la cour des pairs rendit son arrêt
-qui condamnait Louvel à la peine de mort.
-Cet arrêt, étant sans appel, il ne restait plus
-au coupable qu'à songer à mourir. Mais avant
-de le conduire au pied de l'échafaud, racontons
-quelques faits particuliers aux derniers
-jours de sa vie.</p>
-
-<p>Le premier jour qu'il comparut devant ses
-juges, il témoigna le désir de faire un peu de
-toilette. Arrivé dans la salle qui précède la
-chambre des pairs, il fut frappé de la mollesse
-du tapis. «Quel bon tapis! dit-il, si j'en avais
-eu un semblable dans ma prison, je n'aurais
-pas été éveillé si souvent par le bruit des gendarmes.»</p>
-
-<p>«J'ai été fort content de la chambre des
-pairs, dit-il encore: je ne suis fâché que d'une
-<span class="pagenum"><a id="Page_72"> 72</a></span>
-seule chose, c'est qu'elle ait fait durer le procès
-pendant deux jours.&mdash;Mais c'est un jour de
-gagné, lui reprit-on.&mdash;Dites donc plutôt un
-jour de perdu! répondit le fanatique.»</p>
-
-<p>Logé dans une chambre voisine de l'appartement
-de M. de Sémonville, il eut un petit
-mouvement de sensualité, et dit au grand-référendaire:
-«Depuis que je suis en prison,
-j'ai toujours couché dans de gros draps; je voudrais
-bien, pour la dernière nuit, en avoir de
-fins.» On obtempéra à sa demande. Il s'endormit
-paisiblement, et ne se réveilla qu'à
-six heures. Il demanda alors un verre de vin,
-qui lui fut donné. Il était à dîner quand
-M. Cauchy fils, greffier, arriva à la Conciergerie.
-Louvel fut amené au greffe. Il entendit
-lecture de l'arrêt qui le condamnait à avoir la
-tête tranchée. Ce misérable ne donna pas le
-moindre signe d'émotion ni de trouble. Après
-cette lecture, le jeune greffier, magistrat plein
-de piété, lui fit une courte exhortation: «Vous
-n'avez plus, lui dit-il, rien à espérer des hommes;
-votre seule ressource est dans la miséricorde
-de Dieu. Il pardonne, ce Dieu miséricordieux,
-au plus grand coupable, quand il
-témoigne du repentir et des regrets sincères
-<span class="pagenum"><a id="Page_73"> 73</a></span>
-sur son crime.&mdash;Des regrets! interrompit
-Louvel, je n'en ai pas.....&mdash;La porte de l'éternité
-va s'ouvrir devant vous, malheureux!
-occupez-vous de votre salut.&mdash;Bah! un prêtre,
-je n'en ai pas besoin; et puisque je dois
-mourir, pourquoi demain? pourquoi pas aujourd'hui?
-je suis tout prêt.» Après cet entretien,
-on le reconduisit à sa prison, où il acheva
-de dîner tranquillement. Son repas terminé,
-il s'occupa d'écrire à ses parens pour leur faire
-ses adieux, et leur témoigner ses regrets de
-leur avoir causé tant de chagrins.</p>
-
-<p>Le mercredi, 7 juin, dès le matin, M. le
-procureur-général Bellart se rendit en personne
-à la Conciergerie, afin de tenter, pour
-la dernière fois, d'arracher des aveux au condamné.
-On persistait à croire que ce n'était
-point un crime isolé, et que Louvel, emportant
-le secret de ses complices, allait, par sa
-mort, leur rendre la liberté. Les efforts de
-M. Bellart demeurèrent sans résultat. Le condamné
-paraissait en outre décidé à repousser
-les secours de la religion; il avait refusé d'entendre
-un ecclésiastique de Notre-Dame. Cependant,
-à force de persévérance, il avait été
-<span class="pagenum"><a id="Page_74"> 74</a></span>
-vaincu, et s'était confessé à M. l'abbé Montès,
-aumônier de la Conciergerie.</p>
-
-<p>L'exécution avait été fixée à six heures. Un
-quart-d'heure avant, Louvel monta dans la
-charrette; il était accompagné de l'abbé Montès
-qui lui prodigua constamment, et d'abord
-inutilement, les secours de la religion. Sa figure
-était extrêmement pâle. Pendant le trajet,
-il regardait à droite et à gauche, et paraissait
-abattu. Arrivé au pied de l'échafaud, Louvel
-s'entretint avec son confesseur l'espace de
-quatre minutes. L'altération de ses traits et
-son accablement étaient visibles. Deux aides
-de l'exécuteur furent obligés de le soutenir
-pour lui aider à monter à l'échafaud. Pendant
-qu'on l'attachait à la fatale planche, il promenait
-de tous côtés un &oelig;il hagard. Enfin, à six
-heures, il avait subi sa peine.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_75"> 75</a></span></p>
-<h2 class="normal">ASSASSINAT DE NEYRET.</h2>
-</div>
-
-<p>Ce procès criminel qui, pendant près de
-deux années, fixa l'attention des habitans de
-la Drôme, rappelle, par sa bizarrerie et l'atrocité
-des circonstances dont le crime fut accompagné,
-le trop fameux procès de Rhodez.</p>
-
-<p>Un ancien militaire, nommé Neyret, retiré
-à Valence, y avait épousé la fille de la veuve
-Dupont. Dans une fête établie à Valence, à
-l'instar de celle de la rosière de Salency, la
-fille Dupont, proclamée la plus sage de toutes
-ses compagnes, avait reçu, pour prix de sa sagesse,
-avec la couronne de roses, une dot de
-six cents francs et la main de Neyret. A l'aide
-de cette dot, les deux époux levèrent un petit
-fonds de commerce; mais des chances malheureuses
-trahirent leur espoir; Neyret manqua
-à ses engagemens. Ses malheurs lui aliénèrent
-l'affection d'une femme qui ne lui était
-unie que par l'intérêt. Elle abandonna Neyret,
-<span class="pagenum"><a id="Page_76"> 76</a></span>
-après s'être, dit-on, emparée de tous les débris
-de son commerce. Son inconduite devint
-notoire: elle recevait publiquement des hommes
-mariés, et fréquentait des mauvais lieux.</p>
-
-<p>Dans les premiers jours du mois d'août 1818,
-Neyret disparut. Vers le milieu du même mois,
-à quatre heures du matin, une veste et un
-chapeau, découverts dans une barque, près
-du pont de Valence, furent reconnus pour lui
-avoir appartenus. On crut d'abord que le malheureux
-Neyret s'était donné la mort. Cependant,
-dès le lendemain de sa disparition, le
-bruit avait circulé dans la ville que Neyret
-était mort victime d'un assassinat, et que son
-cadavre, percé de neuf coups de couteau,
-avait été jeté dans le Rhône.</p>
-
-<p>Ce bruit ayant pris de la consistance, les
-soupçons se portèrent sur la femme de Neyret,
-ainsi que sur sa belle-mère. L'une et l'autre
-furent arrêtées; et bientôt après un jeune
-homme, nommé Chaléat, qui, à l'époque du
-crime, avait eu des liaisons avec la Neyret,
-fut prévenu de complicité avec elle et partagea
-sa détention.</p>
-
-<p>Trois autres individus, Mélanie Durand, le
-nommé Vigne et sa femme, qui semblaient
-<span class="pagenum"><a id="Page_77"> 77</a></span>
-avoir parlé de l'assassinat de Neyret avec connaissance
-de cause, appelés d'abord comme
-témoins dans l'instruction dirigée contre les
-trois premiers accusés, et compromis par des
-dénégations contraires à l'évidence, par des
-réticences plus que suspectes, furent mis en
-jugement, et les débats publics, relatifs à ces
-six prévenus, commencèrent le 20 mars 1819.</p>
-
-<p>Une circonstance où les accusés trouvèrent
-moyen d'alléguer un <i>alibi</i>, embrouilla tellement
-la cause, que le jury ayant déclaré, après
-quatre heures de délibération, les accusés non
-coupables, ils furent tous mis en liberté.</p>
-
-<p>Mais de nouvelles révélations étant parvenues
-à la justice sur d'autres individus compromis
-dans cette horrible affaire, on instruisit
-une seconde procédure où les premiers
-accusés ne pouvaient figurer que comme témoins,
-puisqu'ils avaient été acquittés.</p>
-
-<p>La veuve Neyret qui, depuis deux ans,
-n'opposait à la justice qu'un silence obstiné,
-avait enfin cédé au cri de sa conscience. Ses
-aveux accusaient sa propre mère, son oncle
-Blanc qui s'était pendu en prison, Chaléat,
-Sabot, Palandre, Lamotte, Vigne et sa femme.
-<i>Une étrangère</i> avait tout vu, et son témoignage
-<span class="pagenum"><a id="Page_78"> 78</a></span>
-pouvait confirmer le sien. Mais quelle
-était cette étrangère? Sur les signalemens donnés
-par la veuve Neyret, une fille publique,
-nommée Adélaïde Houdard, fut arrêtée à Paris,
-dans un lieu de débauche; elle fut forcée d'avouer
-qu'elle se trouvait à Valence à l'époque
-du crime; elle fut renvoyée dans cette ville,
-et après de longues hésitations, elle donna les
-détails suivans:</p>
-
-<p>«J'étais à Valence depuis quelque temps,
-lorsque la femme Neyret, que je connaissais
-fort peu, m'invita à un souper qu'elle donnait
-le soir à d'autres filles et à quatre ou cinq hommes.
-Il était trois heures après-midi. Je passai
-le reste de la journée chez elle. A l'entrée de
-la nuit, je vis arriver sa mère, puis la Vigne,
-qui fut suivie à un long intervalle du malheureux
-Neyret. Celui-ci jugeant, par les préparatifs
-qui s'offraient à ses regards, des projets
-libertins de sa femme, s'emporta contre elle
-en violens reproches, et lui lança même un
-soufflet. Aux cris de la Neyret, un grand et
-beau jeune homme, qui entra dans ce moment,
-se précipita sur le mari, et l'accula contre la
-muraille. Alors entrèrent ensemble trois ou
-quatre individus qui, après avoir renversé
-<span class="pagenum"><a id="Page_79"> 79</a></span>
-Neyret d'un coup de bouteille dont il eut la
-tête fracassée, le traînèrent dans une chambre
-contiguë, où je les suivis machinalement, une
-chandelle à la main. Là, un de ces monstres
-enfonça lentement un couteau dans la partie
-supérieure du cou de la victime que les autres
-comprimaient de toutes leurs forces. A ce
-spectacle, éperdue, hors de moi-même, tremblante
-pour mes propres jours, je me réfugiai
-dans la pièce où était restée la Neyret, que je
-trouvai sur un lit évanouie. Les forces m'abandonnèrent
-aussitôt; je tombai sur une
-chaise, privée de sentiment; et quand je revins
-à moi, les meurtriers me firent prêter le
-serment de garder un silence éternel sur les
-événemens de cette nuit fatale.»</p>
-
-<p>D'après ces renseignemens, quatre individus
-furent traduits, le 30 août 1820, devant la
-cour d'assises de la Drôme, comme prévenus
-de meurtre avec complicité sur la personne
-de Neyret; savoir, les nommés Sabot, Jean-Baptiste
-François dit Lamotte, Palandre et
-Adélaïde Houdard, dite <i>la Parisienne</i>.</p>
-
-<p>L'affaire occupa cinq séances, du 30 août
-au 3 septembre; sur les soixante-quatorze
-témoins entendus, la déposition la plus forte
-<span class="pagenum"><a id="Page_80"> 80</a></span>
-fut celle d'un nommé Ferrier; il déclara
-qu'ayant accompagné Chaléat, son maître, à la
-maison de la Neyret, il s'approcha, en se retirant,
-du contrevent d'un appartement où il
-y avait de la lumière, et qu'il vit quatre hommes
-qui portaient un corps inanimé qui fut
-placé sur un matelas; qu'il vit une vieille
-femme s'en approcher et plonger un couteau
-dans le corps de cet homme; qu'il s'enfuit
-épouvanté. Il déclara qu'il ne reconnut aucun
-des assassins, mais que Chaléat était sur le
-seuil de la porte, et que deux femmes avaient
-un flambeau à la main.</p>
-
-<p>La déposition de la femme Neyret qui semblait
-avoir tout le secret de l'assassinat, était
-encore plus vivement attendue. «Chaléat, dit-elle,
-m'avait fait prévenir, par la femme Vigne,
-de préparer un souper pour le 10 août.
-Il devait y avoir cinq personnes. Chaléat désirait
-que Mélanie Durand se trouvât parmi
-les convives; mais la Vigne qui fut chargée
-de l'inviter oublia la commission. Il ne se trouvait
-chez moi que la femme Vigne, Adélaïde
-Houdard et ma mère, lorsque mon mari entra
-et me donna un soufflet. Chaléat qui arriva
-dans ce moment s'élança sur mon mari. Palandre,
-<span class="pagenum"><a id="Page_81"> 81</a></span>
-Lamotte, Sabot et Vigne qui suivirent
-de près Chaléat, lancèrent une bouteille à la
-tête de Neyret, et on l'entraîna dans le troisième
-appartement où on l'égorgea.» Étant
-demeurée dans la seconde pièce, elle déclara
-ignorer les détails de l'assassinat. Blanc arriva
-le dernier. Ce fut lui qui porta le cadavre au
-Rhône, accompagné de Lamotte. On fit prêter
-aux quatre femmes le serment de ne jamais
-rien révéler.</p>
-
-<p>La fille Houdard, interrogée comme accusée,
-changea quelque chose à ses déclarations.
-Enfin, après cinq jours de vifs débats entre
-les témoins et les accusés, après des plaidoyers
-où les avocats firent surtout valoir en
-faveur des prévenus les contradictions entre
-les divers témoignages et les précédens relatifs
-aux principaux témoins, la fille Houdard qui
-siégeait sur le banc des accusés, fut acquittée
-à l'unanimité par le jury; Palandre, à la majorité
-de sept voix contre cinq, fut déclaré coupable,
-et la cour s'étant réunie à la minorité
-qui lui était favorable, il fut acquitté. A l'égard
-de Sabot et Lamotte, déclarés également
-coupables à la majorité de sept voix contre
-cinq, la cour adopta l'avis de la majorité des
-<span class="pagenum"><a id="Page_82"> 82</a></span>
-jurés; en conséquence, ces deux individus,
-convaincus de complicité dans le meurtre de
-Neyret, mais sans préméditation, circonstance
-qui, résolue affirmativement, aurait appelé
-sur eux la peine capitale, furent l'un et
-l'autre condamnés aux travaux forcés à perpétuité,
-à l'exposition et à la marque.</p>
-
-<p>Ce jugement, comparé à celui qui avait acquitté
-la veuve Neyret, Chaléat, etc., offre
-une sérieuse matière à réflexions. Sabot et
-Lamotte persistèrent à soutenir leur innocence,
-traitant de calomniateurs tous les témoins
-qui avaient déposé contre eux.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_83"> 83</a></span></p>
-<h2 class="normal">CATHERINE CAMAN<br />
-<span class="medium">ET SES COMPLICES.</span></h2>
-</div>
-
-<p>Le lecteur a pu facilement se convaincre,
-par l'épouvantable série d'exemples que nous
-avons déjà fait passer sous ses yeux, que la
-débauche et l'adultère sont une des causes les
-plus ordinaires des crimes qui désolent la société.
-Cette vérité n'est malheureusement que
-trop prouvée; des forfaits nombreux sont là
-pour l'attester. Aussi, bravant, dans l'intérêt
-des m&oelig;urs, le reproche de monotonie qui
-pourrait nous être adressé, nous ne nous lasserons
-pas d'insister sur ce point, toutes les
-fois que de tristes occasions s'en présenteront.
-Une leçon fréquemment répétée, et accompagnée
-d'exemples frappans et toujours nouveaux,
-doit à la longue s'introduire et fructifier
-dans les c&oelig;urs qui sont encore quelque
-peu sensibles à la vertu.</p>
-
-<p>Catherine Caman, femme Latreyle, habitait
-<span class="pagenum"><a id="Page_84"> 84</a></span>
- avec son mari une commune située dans
-les environs de Pau en Béarn. Depuis long-temps,
-des liaisons criminelles existaient entre
-cette femme et le nommé Quidel dit Barros.
-Catherine Caman avait fait inutilement bien
-des démarches pour obtenir sa séparation. La
-plus grande mésintelligence régnait dans ce
-ménage, et Catherine Caman ne dissimulait
-ni sa passion pour Barros, ni sa haine pour
-son mari.</p>
-
-<p>Le 2 juillet 1820, Latreyle disparut tout-à-coup;
-et sa femme, pour détourner les
-soupçons qui s'élevaient contre elle, fit faire
-des recherches très-actives et très-empressées
-dans les communes voisines. Cependant cette
-ruse ne put endormir ni tromper la vigilance
-de la justice. Barros fut arrêté au moment où il
-cherchait à vendre des vêtemens qui avaient
-appartenu à Latreyle. Pressé par le juge d'instruction,
-il se troubla, laissa échapper une
-partie de la vérité, et nomma ses complices.</p>
-
-<p>Par suite de ses révélations, les nommés
-Manauté, Chelles, et la femme Latreyle furent
-arrêtés. Saisis d'effroi, croyant que tout
-était connu, ils n'hésitèrent point à révéler
-<span class="pagenum"><a id="Page_85"> 85</a></span>
-tous les secrets de l'horrible mystère qui avait
-présidé à la mort de Latreyle.</p>
-
-<p>Ce malheureux époux avait été assassiné
-dans son lit; sa femme, Barros, Manauté et
-Chelles, avaient tous trempé leurs mains dans
-son sang, et ils avaient préludé à ce meurtre
-par une sorte d'orgie. On avait transporté son
-cadavre, sur une jument, dans un champ de
-Barros, où d'avance on avait creusé une fosse
-pour le recevoir, et les funérailles de la victime
-avaient été célébrées par une nouvelle
-orgie.</p>
-
-<p>Les accusés Barros, Manauté, Chelles et
-la femme Latreyle, furent déclarés coupables
-du meurtre avec les circonstances atroces
-que l'on vient de lire, et la Cour d'assises
-des Basses-Pyrénées les condamna à mort.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_86"> 86</a></span></p>
-<h2 class="normal">LES DEUX FILS PARRICIDES.</h2>
-</div>
-
-<p>Pierre Godefroy, jardinier aux Mesnils, près
-de Montfort-l'Amaury, arrondissement de
-Rambouillet, était parvenu à l'âge de soixante-huit
-ans, et pourtant, sous le rapport des
-m&oelig;urs, sa conduite était fort irrégulière. Il
-fréquentait des femmes de mauvaise vie et
-découchait souvent. Il s'élevait à ce sujet entre
-lui, sa femme et ses enfans, des querelles très-vives,
-et l'instruction rapporte des propos
-qui font frémir.</p>
-
-<p>Le samedi 24 septembre 1814, dans la
-soirée, par un beau clair de lune, Pierre Godefroy
-fut rencontré sur le chemin du bois
-de l'Épine; le lendemain, son cadavre fut
-trouvé dans le même bois. Une trace de sang,
-qui commençait sur la route et se prolongeait
-dans le bois, prouvait qu'il y avait été traîné
-après l'assassinat. Le malheureux vieillard
-avait été tué d'un coup de fusil, chargé de
-<span class="pagenum"><a id="Page_87"> 87</a></span>
-deux balles, qui lui avaient fracturé la poitrine;
-les meurtriers, craignant que leur victime
-n'échappât, avaient eu l'horrible précaution
-de l'achever en lui faisant au cou,
-au-dessous du menton, une très-large plaie.
-En déposant le cadavre sous les arbres, on
-avait cherché à couvrir la plaie avec le bâton
-de chêne qui servait, quelques instans auparavant,
-à assurer la marche chancelante du
-vieillard.</p>
-
-<p>La voix publique ne tarda pas à désigner
-les deux fils Godefroy, comme auteurs du
-crime. Un des indices auxquels on attacha
-le plus d'importance fut la découverte, au
-domicile de la veuve Godefroy, d'un fusil de
-chasse non chargé, nouvellement tiré, pouvant
-recevoir des balles de calibre. La veuve
-déclara que son fils Julien s'en était servi, le
-vendredi, pour tuer un oiseau; elle montra
-en effet un oiseau mort qui était dans sa huche.</p>
-
-<p>Ces charges et plusieurs autres ne parurent
-pas suffisantes à la chambre d'accusation de
-la Cour d'assises; par arrêt du mois de février
-1815, elle ordonna la mise en liberté
-des deux fils Godefroy qui avaient été arrêtés.
-Cinq années s'écoulèrent sans qu'aucune
-<span class="pagenum"><a id="Page_88"> 88</a></span>
-lumière nouvelles vint dissiper les ténèbres
-qui couvraient cet exécrable attentat;
-mais en février 1820, diverses indiscrétions
-des personnes de la famille ou de quelques
-témoins, excitèrent la vigilance de la
-justice, et les fils de Godefroy furent remis
-en prison et en cause.</p>
-
-<p>Cinquante-neuf témoins furent assignés,
-et confirmèrent toutes les charges. Les deux
-accusés, l'un Pierre-Martin, âgé de trente-trois
-ans, ancien militaire et père de six enfans;
-l'autre Julien, âgé de trente ans, se
-renfermèrent dans une dénégation complète.
-Leur défenseur repoussa surtout l'invraisemblance
-d'une accusation où il faudrait supposer
-que d'autres femmes de la famille, la
-mère, une s&oelig;ur et une belle-s&oelig;ur des accusés,
-auraient été, sinon complices, au moins
-confidentes. «On ne peut croire, ajoutait-t-il,
-que le crime de parricide ait été en quelque
-sorte traité en conseil de famille.»</p>
-
-<p>Néanmoins, après une délibération d'une
-demi-heure, les jurés déclarèrent coupables
-de parricide les deux frères Godefroy, qui
-furent condamnés à avoir le poing coupé et
-la tête tranchée.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_89"> 89</a></span></p>
-<h2 class="normal">LELIÈVRE,<br />
-<span class="medium">DIT CHEVALLIER.</span></h2>
-</div>
-
-<p>Si dans l'ordre moral, il est à peu près possible
-de déterminer les limites du bien, parce
-qu'il existe des règles fixes qui peuvent guider
-dans cette délimitation, il n'en est malheureusement
-pas de même du mal; tout ce qui
-en dépend n'étant que monstruosité, et par
-conséquent en-dehors de toutes les lois connues,
-comment pourrait-on lui assigner des
-bornes?</p>
-
-<p>Une action héroïque, un dévouement sublime,
-un grand acte de vertu, tout en captant
-notre admiration, tout en nous électrisant
-d'enthousiasme, ne nous sembleront jamais
-au-dessus des forces humaines, parce que tout
-homme dont la poitrine s'élève aux battemens
-d'un c&oelig;ur noble et généreux, doit naturellement
-se croire capable des choses belles, grandes
-et sublimes. Qu'on nous présente au contraire
-<span class="pagenum"><a id="Page_90"> 90</a></span>
-l'épouvantable tableau des forfaits de
-la Brinvilliers et de Desrues, il n'est pas d'individu
-qui, terrifié par cette horrible peinture,
-ne la considère comme le <i>nec plus ultra</i>
-de la perversité humaine, et ne soit même
-tenté de croire que le narrateur ou le peintre
-s'est plu à forcer les couleurs. Il n'en est pourtant
-rien; les crimes de ces deux grands coupables
-sont attestés de manière à ne pas causer
-le moindre doute; ils sont affreux, certainement;
-on les croirait le résultat des suggestions
-diaboliques d'un autre Méphistophélès.
-Pourtant ils ont été surpassés par les attentats
-de Lelièvre, que nous allons mettre sous les
-yeux du lecteur.</p>
-
-<p>Depuis neuf ans environ, un jeune homme
-prenant le nom de Chevallier, et se disant natif
-de Lyon, occupait un emploi dans les bureaux
-de la préfecture du Rhône. Il était doué
-de quelques talens, montrait des manières aisées;
-sa figure était distinguée, sa politesse
-exquise. Ces diverses qualités lui avaient mérité
-la bienveillance de ses chefs et celle des
-habitans de Lyon. Du reste, son exactitude à
-remplir ses devoirs, sa conduite en apparence
-régulière, lui avaient fait obtenir la place de
-<span class="pagenum"><a id="Page_91"> 91</a></span>
-sous-chef au bureau des finances de la préfecture.</p>
-
-<p>Cependant, poursuivi par une sorte de fatalité,
-cet homme avait éprouvé les plus cruelles
-infortunes. La mort lui avait ravi trois femmes
-qu'il avait successivement épousées, et
-avec chacune desquelles il avait vécu dans
-l'union la plus pure. Il venait de convoler en
-quatrièmes noces, et ce nouveau mariage lui
-promettait enfin le sort dont il paraissait digne,
-quand tout-à-coup une circonstance
-inexplicable attira sur lui les yeux de la justice,
-et procura les plus étranges découvertes.</p>
-
-<p>Le 17 juin 1820, vers cinq heures du soir,
-le sieur Berthier, chapelier à Saint-Rambert,
-village situé sur les bords de la Saône près de
-Lyon, fut averti qu'un <i>monsieur</i> bien vêtu venait
-d'emporter son enfant, et que déjà sa
-femme était à la poursuite de cet individu.
-Berthier, sans veste et sans souliers, part aussitôt.
-Bientôt il rejoint sa femme; plusieurs
-ouvriers de manufactures voisines apprennent
-aux deux époux que le ravisseur suivait la rive
-droite de la Saône. Ils arrivent au port de la
-<i>Glaire</i> au moment où l'inconnu venait de
-s'embarquer; ils traversent la rivière, accompagnés
-<span class="pagenum"><a id="Page_92"> 92</a></span>
-de trois ouvriers qui leur avaient donné
-ce renseignement. Arrivés au port de la <i>Feuillée</i>,
-ils aperçoivent le bateau qui avait traversé
-l'homme à la douane. Ils traversent tous à leur
-tour; mais le ravisseur fuyait rapidement devant
-eux; ils courent jusqu'au pont de bois.
-Là, Berthier tout haletant, épuisé par la fatigue,
-perd subitement ce qui lui reste de
-force; il ne peut aller plus loin. Mais bientôt
-s'entendant appeler vivement du côté du pont
-Tilsitt, ces cris raniment son courage, il court,
-il arrive à la porte d'un café; on lui dit: Il
-est là! Berthier, hors de lui, entre furieux, et
-balance son bâton sur la tête de l'inconnu,
-prêt à lui en asséner un coup, lorsque plusieurs
-personnes lui retiennent le bras. Le voleur
-profite du moment d'agitation et prend
-la fuite; on le poursuit, et on l'arrête enfin
-dans l'allée d'une maison. Conduit devant le
-commissaire de police, et interrogé sur le
-motif qui lui avait fait enlever cet enfant, il
-répond qu'<i>on lui en avait volé un, et qu'il en
-avait pris un autre</i>.</p>
-
-<p>Au moment de l'arrestation, l'enfant de Berthier
-avait aux jambes des bas bleus que son
-ravisseur lui avait mis; plusieurs autres effets
-<span class="pagenum"><a id="Page_93"> 93</a></span>
-d'habillement, trouvés dans la poche de cet
-homme, prouvèrent que son intention était
-de changer le costume de l'enfant. On apprit
-presque aussitôt qu'à Saint-Rambert, quelques
-heures avant l'enlèvement, l'inconnu n'avait
-cessé de se promener dans l'avenue principale,
-attirant à lui les enfans, soit en leur faisant
-des caresses, soit en leur donnant des bonbons.
-Le petit Berthier, s'étant plusieurs fois
-laissé prendre par la main, était resté bientôt
-au pouvoir du ravisseur qui l'avait chargé sur
-ses épaules et emporté en courant. On remarqua
-avec étonnement que, loin de résister, de
-se débattre et de crier entre les mains de l'étranger,
-l'enfant s'était endormi presque aussitôt;
-que, dans le trajet de Saint-Rambert à
-Lyon, il fut vu dans le même état de sommeil,
-ce qui donnait lieu de croire que pour empêcher
-ses cris ou sa résistance, l'étranger lui
-avait donné quelque substance soporifique,
-mêlée peut-être aux bonbons qui avaient servi
-à l'attirer.</p>
-
-<p>La nouvelle de cet événement, répandue
-bientôt dans toute la ville de Lyon, fut un
-sujet de conjectures et de perplexité, surtout
-quand on apprit que l'individu arrêté se nommait
-<span class="pagenum"><a id="Page_94"> 94</a></span>
-Pierre-Claude Chevallier, et était le même
-qui occupait une place de sous-chef à la préfecture
-du Rhône.</p>
-
-<p>La rumeur publique ne tarda pas à s'exercer
-sur cette tentative d'enlèvement et sur son
-auteur; on fouilla toute la vie de Chevallier
-depuis le moment de son arrivée à Lyon; mille
-bruits défavorables circulèrent sur son compte;
-des faits furent rappelés, des témoins se présentèrent,
-des demi-plaintes furent portées à
-l'oreille de l'autorité. On ne parlait plus seulement
-du vol d'un enfant; on murmurait les
-mots d'<i>empoisonnement</i>, d'<i>infanticide</i>. Suivant
-les premiers bruits qui furent recueillis,
-Chevallier n'avait cessé de commettre des crimes
-depuis qu'il était à Lyon. On disait qu'une
-de ses maîtresses était morte dans la fleur de
-l'âge, empoisonnée par lui; que sa première,
-sa seconde et sa troisième femme, avaient
-éprouvé le même sort; et que, pour comble
-d'atrocité, l'enfant de Chevallier qui avait disparu
-tout-à-coup, n'était mort que de la main
-de son père.</p>
-
-<p>De nouvelles informations viennent confirmer
-à la justice les faits déjà parvenus à sa
-connaissance; chaque instant révèle une circonstance
-<span class="pagenum"><a id="Page_95"> 95</a></span>
-importante. Enfin, suivant les paroles
-de l'acte d'accusation, «si les morts ne
-sortent pas de leurs tombeaux, une multitude
-de documens épars se réunissent pour prouver
-qu'une main homicide les y a fait descendre.
-L'enfant volé n'est plus que l'instrument
-dont la Providence semble s'être servi pour
-mettre les hommes sur la voie de découvrir
-un grand coupable.»</p>
-
-<p>Cependant Chevallier, rassuré par la bienveillance
-que ses chefs lui avait témoignée, et
-par les anciennes apparences de bonne conduite
-qu'il pouvait invoquer en sa faveur, entreprit
-de se justifier de l'enlèvement du jeune
-Berthier, et fit parvenir, à cet effet, du fond
-de sa prison, au lieutenant-général de police,
-un long mémoire qui, loin de répondre à son
-attente, ne fit au contraire que fournir des
-armes plus sûres à l'accusation dirigée contre
-lui.</p>
-
-<p>Voici le récit, plein de contradictions et
-d'invraisemblances, qu'il faisait de la disparition
-de son enfant. Suivant son mémoire
-justificatif, cet enfant qu'il avait eu de son
-mariage avec Marguerite Pizard, avait deux
-ans quand il fut placé en nourrice à Villeurbanne.
-<span class="pagenum"><a id="Page_96"> 96</a></span>
-Lui, Chevallier, ayant appris qu'il manquait
-de soins, alla le retirer, et, le 2 août
-1819, à sept heures du soir, il traversa le pont
-de la Guillotière, en revenant de Villeurbanne,
-dans l'intention de le placer chez une nouvelle
-nourrice dont il lui a été impossible d'indiquer
-le nom. Au lieu de coucher à Lyon,
-il préféra, le soir même, aller coucher à la
-demi-lune, sur la route de Tassin, d'où il partit
-le lendemain jeudi 3 août, se dirigeant sur
-Pollionnay, qui n'en est éloigné que de deux
-lieues. La chaleur et la fatigue de la route lui
-ôtèrent presque toutes ses forces; les vapeurs
-du vin qu'il avait bu lui montèrent au cerveau.</p>
-
-<p>Il était dans cet état, continuait-il dans son
-mémoire, lorsqu'il s'égara dans un chemin
-de traverse, près d'une colline, au milieu
-d'épaisses broussailles. Alors une branche qu'il
-n'avait pu éviter vint frapper son enfant, le
-réveilla et le fit chanceler; il voulut retenir
-le mouvement de sa tête, qui entraînait le
-reste du corps, mais il ne vit pas une cavité
-remplie d'herbes glissantes qui était sous ses
-pieds. Il tomba brusquement; l'enfant lui
-échappa, roula beaucoup plus bas que lui,
-<span class="pagenum"><a id="Page_97"> 97</a></span>
-et ne fit entendre aucun cri, parce que, selon
-toute apparence, <i>sa tête avait frappé contre
-un rocher</i>. Étourdi de sa chute, égaré par le
-désespoir, Chevallier perdit la tête et la raison.
-Dans cet état, la nuit vint le surprendre. Il
-appela à son secours, et sa voix ne fut pas entendue;
-il fit des recherches, au milieu de
-l'obscurité, pour trouver son fils, mais elles
-furent vaines. Navré de douleur, il revint à
-Lyon, dissimula son chagrin, fit la faute de
-ne pas faire la déclaration de son malheur, et
-enfin, le dimanche suivant, essaya de nouvelles
-recherches qui furent sans résultat. Il
-terminait en disant qu'il avait sans doute fait
-une <i>faute répréhensible</i>, en enlevant l'enfant
-des époux Berthier, mais qu'il y avait été
-poussé par l'idée de réparer la perte douloureuse
-qu'il avait faite du sien.</p>
-
-<p>Tel fut le tissu de circonstances mensongères
-et invraisemblables que Chevallier produisit
-pour sa justification. Les renseignemens
-recueillis par la police vinrent détruire tout
-cet échafaudage de mensonges, et prouver jusqu'à
-l'évidence que Chevallier n'avait commis
-un nouveau crime que pour en cacher un
-précédent. Il fut facile de confondre l'accusé
-<span class="pagenum"><a id="Page_98"> 98</a></span>
-par des faits et par des argumens sans réplique.</p>
-
-<p>Mais les investigations de la justice ne devaient
-pas s'arrêter là: on disait que l'accusé
-avait usurpé le nom qu'il portait; ce point
-était important à éclaircir, et ce fut dans ce
-but qu'on lui fit subir un interrogatoire, le
-21 juin. Chevallier soutint qu'il était de Lyon,
-et né dans la paroisse de Saint-Pierre. D'après
-lui, son père et sa mère n'existaient plus;
-l'un était mort en 1792, l'autre en 1793. Son
-père, ouvrier en soie, demeurait rue de l'Arbre-Sec.
-Il n'avait plus de parens à Lyon et
-n'en avait conservé que dans le département
-de l'Isère, lieu de naissance de son père. Ayant
-quitté Lyon à l'âge de huit ans, avec un de
-ses oncles qui le conduisit à Saint-Domingue,
-ses frères et ses s&oelig;urs moururent pendant
-son absence qui se prolongea jusqu'en l'année
-1801, époque à laquelle il s'embarqua
-pour revenir en France. Dans la traversée,
-son oncle et lui eurent le malheur d'être pris par
-les Anglais. Alors son oncle vint à périr, il ne sait
-comment; pour lui, il resta à Portsmouth et
-obtint ensuite la liberté, par le moyen d'un
-échange. De retour en France, où il débarqua
-<span class="pagenum"><a id="Page_99"> 99</a></span>
-à Morlaix, il prit du service comme tambour
-dans la quatre-vingt-cinquième demi-brigade,
-et fit la guerre en <i>Hollande</i>, en <i>Espagne</i>,
-à <i>Saint-Domingue</i>. Enfin, en 1811, et
-pour cause de douleurs rhumatismales, il obtint
-son congé à Napoléon-Ville.</p>
-
-<p>On verra par la suite jusqu'à quel point
-cette sorte de biographie de Chevallier, tracée
-par lui-même, coïncidait avec la vérité. Cet
-accusé persista dans son système; il fournit
-même des preuves à l'appui, et la justice, privée
-des moyens nécessaires pour reconnaître
-la fausseté de son roman, tourna son attention
-d'un autre côté. Il lui importait de recueillir
-avec exactitude les documens, les circonstances,
-les moindres indices relatifs aux
-empoisonnemens imputés à Chevallier. L'information,
-conduite avec une sage lenteur,
-ne tarda pas à produire des résultats satisfaisans.</p>
-
-<p>Chevallier, dont la vie, avant son arrivée à
-Lyon, demeura encore long-temps un mystère,
-y avait été rejoint au mois de mai 1812, avant
-son premier mariage, par une jeune hollandaise
-restée veuve, à vingt-deux ans, d'un
-officier nommé Debira. Chevallier l'avait connue
-<span class="pagenum"><a id="Page_100"> 100</a></span>
-à Anvers. C'était une fort jolie femme,
-d'une santé superbe; on l'avait surnommée
-<i>la belle Hollandaise</i>, à cause de ses grâces et
-de sa beauté. Chevallier et la veuve Debira
-vécurent ensemble. Le premier semblait partager
-sincèrement l'amour qu'il avait inspiré
-à sa maîtresse, quand tout-à-coup celle-ci fut
-atteinte d'une violente inflammation de bas-ventre,
-accompagnée des douleurs les plus
-aiguës.</p>
-
-<p>Le docteur Dittmar ayant été appelé, ordonna
-des remèdes qui devaient infailliblement
-calmer cette inflammation; mais, après
-quelques visites, s'apercevant au contraire
-que le mal empirait, il ne put s'empêcher d'en
-témoigner son étonnement à Chevallier.
-«Il faut, lui dit-il, que cette femme boive ou
-mange quelque chose qui irrite son mal?&mdash;Elle
-boit en effet de l'eau-de-vie, répondit
-Chevallier sans se déconcerter.&mdash;Eh! comment!
-vous ne pouvez donc pas l'en empêcher?&mdash;Non,
-monsieur, elle en envoie chercher
-quand je suis dehors.» Le docteur
-ajouta que si la malade continuait l'usage de
-cette boisson, elle finirait par succomber;
-puis s'approchant en particulier de la veuve
-<span class="pagenum"><a id="Page_101"> 101</a></span>
-Debira, il lui adressa des reproches sur son
-imprudence; et la jeune Hollandaise lui protesta
-que, <i>depuis long-temps, elle n'avait
-point bu d'eau-de-vie</i>.</p>
-
-<p>Cette réponse était de nature à éveiller les
-plus graves soupçons; de plus, la dame Jouvenne,
-hôtesse de Chevallier et de sa maîtresse,
-avait remarqué que, lorsqu'elle montait
-dans leur chambre, il évitait toujours de
-se montrer, et se cachait derrière un placard.
-Néanmoins ces circonstances étaient insuffisantes
-pour motiver une accusation capitale.</p>
-
-<p>Le docteur Dittmar cessa ses visites, et peu
-de jours après, la malade avait cessé de vivre.
-Il est essentiel de remarquer qu'à cette époque,
-Chevallier ne prévoyant pas l'avenir, ne
-parla point du système qu'il mit en &oelig;uvre
-après son arrestation, lorsqu'on lui reprocha
-ce premier empoisonnement. Il ne parla pas
-d'un bain froid pris par sa maîtresse au moment
-de ses évacuations menstruelles; il n'en
-dit pas un seul mot au médecin à qui pourtant
-il aurait importé d'indiquer la première
-cause des souffrances; et cependant depuis,
-Chevallier parla de ce bain comme de la cause
-de la mort de la veuve Debira.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_102"> 102</a></span>
-On ne pouvait trouver le motif de ce premier
-attentat que dans une nature perverse.
-L'intérêt que Chevallier pouvait avoir eu à
-le commettre, est demeuré absolument problématique.</p>
-
-<p>Après la mort violente de la belle Hollandaise
-et dans l'espace de deux années, Chevallier
-contracta quatre mariages successifs.
-Il épousa d'abord Etiennette-Marie Desgranges,
-fille d'un propriétaire de Saint-Didier-sous-Riverie.
-La seconde femme fut Marguerite
-Pizard. La troisième se nommait Marie
-Riquet. Enfin il avait épousé en quatrièmes
-noces Benoîte Besson.</p>
-
-<p>Plusieurs des contrats de mariage étaient
-dans la même forme: ils portaient une <i>donation
-mutuelle au dernier vivant des deux
-époux</i>. La justice en tira bientôt la conséquence
-que Chevallier n'avait d'autre but, en
-hâtant la mort de ses femmes, que de se mettre
-en possession des avantages matrimoniaux
-qu'il s'était assurés.</p>
-
-<p>Etiennette Desgranges, la première femme
-de Chevallier, était à l'époque de son mariage,
-d'une constitution forte et d'une santé brillante.
-Quelques mois s'étaient à peine écoulés
-<span class="pagenum"><a id="Page_103"> 103</a></span>
-au sein de l'union la plus paisible, lorsque
-cette jeune femme éprouva des coliques toujours
-renaissantes; à cet état de souffrance
-succéda un affaiblissement général. Une petite
-fille, née de ce mariage, tomba dans une débilité
-semblable à celle de sa mère. Peu alarmée
-des symptômes d'un mal qu'elle ne
-croyait pas dangereux, elle n'eut aucun
-soupçon sur son mari; la mort de son enfant,
-qui survint peu après, n'éveilla pas des craintes
-qui n'auraient été pourtant que trop fondées;
-et victime de sa confiance, elle ne tarda
-pas à suivre sa fille au tombeau; elle mourut en
-1814. Une circonstance, qui ne fut relevée
-qu'après l'arrestation de Chevallier, marqua
-le dernier jour d'Etiennette Desgranges. Les
-cousines de cette infortunée avaient appris,
-par la portière de la maison qu'elle habitait,
-que, la veille à onze heures du soir, elle avait
-eu une crise qui avait failli la faire périr. Elles
-furent aussitôt la voir, et la trouvèrent levée
-et moins souffrante. Pendant leur visite, en
-l'absence de son mari, elle prit quelques alimens
-et demanda à boire en désignant une
-bouteille: <i>Donnez-moi de ce vin</i>, dit-elle en
-montrant le vase du doigt; <i>l'autre est celui</i>
-<span class="pagenum"><a id="Page_104"> 104</a></span>
-<i>de mon mari</i>. La malade but, et cinq minutes
-après elle éprouva une crise subite: tous ses
-membres se contractèrent et se raidirent.
-Chevallier arriva; les tortures de sa femme ne
-l'effrayèrent point; il suivit sans émotion les
-terribles effets du breuvage. Etiennette attacha
-sur lui ses yeux mourans; vaincue par la
-douleur, elle tomba sur le plancher, faisant
-des efforts convulsifs pour rejeter la liqueur
-empoisonnée: bientôt après, elle expira au milieu
-de tourmens inexprimables. Chevallier,
-d'autant plus calme qu'il était préparé dès
-long-temps à la mort de sa femme, n'attendit
-pas que le cadavre fût refroidi, pour faire disparaître
-les traces accusatrices de ses machinations.
-Il saisit vivement le verre dans lequel
-sa femme avait bu et contenant encore la moitié
-du liquide qui y avait été versé, et alla le
-vider sous la pierre de l'évier; puis, avec le
-plus grand sang-froid, il ôta l'alliance et les
-boucles d'oreilles de la défunte. Il se hâtait
-aussi de la dépouiller du jupon qui la couvrait,
-lorsqu'on lui fit remarquer qu'il
-était inconvenant à lui de s'occuper de ces
-détails. Chevallier se retira, et à l'instar de
-Desrues, feignit de chercher des consolations
-<span class="pagenum"><a id="Page_105"> 105</a></span>
-à sa douleur dans la lecture de l'<i>Imitation de
-Jésus-Christ</i>.</p>
-
-<p>Chevallier, après son arrestation, crut pouvoir
-se justifier de ce forfait. Mais il fut prouvé
-qu'Etiennette Desgranges n'avait point eu de
-maladie, dans l'acception médicale de ce mot;
-que ses souffrances, son agonie et sa mort
-avaient eu lieu presqu'à la même heure. La
-veille du décès, le docteur Para avait été appelé
-pour voir madame Chevallier; il lui avait
-trouvé les nerfs un peu agités, et s'était borné
-à prescrire une potion calmante. Le lendemain,
-ce médecin y étant retourné, avait
-appris avec surprise qu'elle n'existait plus.
-On ne peut se dissimuler que les présomptions,
-soulevées par une mort aussi imprévue,
-devaient se convertir en preuves, en les
-rapprochant des événemens postérieurs.</p>
-
-<p>Facile à se consoler, Chevallier épousa en
-secondes noces Marguerite Pizard. Toutefois
-lorsqu'il fit la demande de la main de cette
-demoiselle, celle-ci témoigna d'abord quelque
-répugnance. Le bruit circulait déjà sourdement
-que Chevallier avait tué sa maîtresse et
-sa première femme. Enfin Marguerite Pizard
-s'étant persuadée que l'on calomniait Chevallier,
-<span class="pagenum"><a id="Page_106"> 106</a></span>
-elle consentit à unir son sort au sien;
-leur mariage fut célébré le 28 août 1816. Rien
-ne semblait devoir faire repentir Marguerite
-Pizard de l'union qu'elle venait de contracter.
-Elle recevait chaque jour de son mari de nouvelles
-marques d'attachement: il lui prodiguait
-les soins les plus affectueux. Marguerite
-Pizard devint enceinte, et cet événement accrut
-la tendresse de Chevallier, c'est-à-dire
-le rendit encore plus prodigue de ses fallacieuses
-démonstrations. Cependant ce fut
-alors qu'il commença à administrera sa malheureuse
-épouse les premières doses du poison
-qui devait la conduire au tombeau.</p>
-
-<p>Ce n'est qu'en frémissant que nous allons
-signaler la marche constamment suivie par ce
-scélérat dans le cours de ses crimes. Il résulte
-de l'instruction du procès, que c'était précisément
-à l'époque, où l'espoir d'être père devait
-ouvrir son c&oelig;ur aux plus douces impressions,
-que Chevallier, souriant aux tortures
-prochaines de ses victimes, apprêtait la coupe
-empoisonnée. Un funeste calcul lui avait appris
-que le moment où la fragile existence
-d'une femme est le plus exposée aux influences
-morbides, est celui où elle souffre les douleurs
-<span class="pagenum"><a id="Page_107"> 107</a></span>
-et éprouve les joies de la maternité. Il
-savait qu'il faut peu de chose alors pour porter
-le trouble dans les sources de la vie. Ce
-n'était point une mort prompte, instantanée
-qu'il voulait donner à deux êtres à la fois; le
-soin de sa propre conservation lui faisait pressentir
-tout ce qu'il y aurait eu de périlleux
-pour lui dans un crime aussi précipité. Il préférait,
-par un raffinement de cruauté, verser
-le poison goutte à goutte, et se repaître, pour
-ainsi dire, des souffrances graduelles qu'il
-faisait éprouver.</p>
-
-<p>La grossesse de Marguerite Pizard avait été
-pénible; des vomissemens continuels et plus
-abondans que ne le sont habituellement ceux
-des femmes enceintes, des douleurs aiguës
-dans le bas-ventre en avaient signalé la durée.
-Enfin, le 18 mai 1817, madame Chevallier
-donna le jour à un enfant mâle qui reçut le
-nom d'Eugène. Cet enfant, placé en nourrice,
-fut momentanément soustrait aux fureurs de
-son père. C'est le même qui, vingt-sept mois
-plus tard, fut l'objet d'un nouveau crime. Cependant
-Marguerite Pizard se remit difficilement
-de ses couches; le poison avait étendu
-ses ravages. Trop lent au gré de Chevallier,
-<span class="pagenum"><a id="Page_108"> 108</a></span>
-celui-ci fit prendre à sa femme les dernières
-doses. Alors de nouvelles douleurs se manifestèrent;
-à chaque instant, survenaient des
-coliques, des attaques de nerfs, de violentes
-convulsions. La malade se plaignit de n'être
-pas soignée; elle accusa son médecin de ne
-point lui faire prendre de remèdes, sous le
-faux prétexte qu'elle était de nouveau enceinte.
-Les parens, alarmés, s'étonnèrent qu'on n'eût
-point placé de garde auprès de Marguerite
-Pizard; ils offrirent de passer les nuits auprès
-d'elle. Mais Chevallier, selon lui, suffisait à
-tout; il voulait <i>seul</i> donner les soins que
-l'état de sa femme réclamait; chaque nuit, il
-restait <i>seul</i> à son chevet. Le mal augmenta,
-les convulsions se succédèrent rapidement;
-la mort arriva le 13 septembre 1817: tel fut
-le résultat de l'assistance de Chevallier.</p>
-
-<p>Jusqu'ici notre récit n'est fondé que sur des
-présomptions graves qui ne font que concourir
-à éclairer la culpabilité de Chevallier. Nous
-allons parler d'un nouveau crime, constaté
-par les témoignages les moins irrécusables et
-par une foule de faits qui sont prouvés.</p>
-
-<p>Au mois de juin 1818, Chevallier épousa
-Marie Riquet; cette troisième épouse, comme
-<span class="pagenum"><a id="Page_109"> 109</a></span>
-ses deux devancières, vécut avec son mari dans
-une sécurité parfaite. Toujours plus audacieux
-au crime, non moins habile à se couvrir du
-masque des vertus qu'il n'avait pas, Chevallier
-avait gagné l'amour de Marie Riquet. Elle
-devint grosse; c'était, pour ainsi dire, le commencement
-de son agonie. Sa santé, jusque-là
-florissante, commença à s'altérer. Les phénomènes
-qui avaient eu lieu, pendant la grossesse
-des premières femmes de Chevallier, se reproduisirent
-chez Marie Riquet. Les couches furent
-précédées de violentes douleurs et de
-convulsions singulières. Il tint alors à peu de
-chose que Chevallier ne fût enfin démasqué.</p>
-
-<p>La femme Pontannier, garde-malade, connue
-depuis long-temps de Marie Riquet, s'était
-proposée pour la soigner durant ses couches;
-mais Chevallier n'avait eu garde d'accepter
-ses offres. Cette femme en conçut des soupçons.
-Chevallier l'ayant rencontrée peu de
-jours après, lui annonça l'accouchement de
-sa femme: il convint qu'elle avait eu des
-convulsions terribles, et qu'on avait été obligé
-d'avoir recours au <i>forceps</i>. Tout dans ce récit
-dénonçait à la femme Pontannier des trames
-criminelles. Elle crut reconnaître des symptômes
-<span class="pagenum"><a id="Page_110"> 110</a></span>
-de poison; et ne pouvant contenir son
-indignation, elle se répandit en reproches
-contre Chevallier. Celui-ci, confondu, se déconcerta,
-balbutia quelques mots entrecoupés,
-et se hâta de quitter la femme Pontannier.
-Quelques jours se passèrent, et Marie Riquet
-n'existait plus. Chevallier essaya de profiter
-de cet événement pour dérouter les soupçons
-de la femme Pontannier; il composa son visage,
-et vint lui annoncer la mort presque subite
-de son épouse. Mais la femme Pontannier,
-loin d'être la dupe de son hypocrisie, s'emporta,
-dit à Chevallier que la famille Riquet
-allait faire ouvrir le cadavre de la défunte, et
-que, si elle ne le faisait pas, elle s'en chargerait
-elle-même. Chevallier, attérré par cette menace,
-pâlit; il ne chercha point à repousser l'accusation
-qui l'accablait.</p>
-
-<p>Mais le moment n'était pas encore arrivé
-où ce misérable devait être convaincu de ses
-crimes. La famille Riquet hésita sur ce
-qu'elle devait faire. Elle recula devant les
-conséquences de l'accusation qu'elle pouvait
-porter; elle songea avec horreur qu'une pareille
-démarche pouvait conduire Chevallier
-à l'échafaud, et déshonorer les enfans, sans
-<span class="pagenum"><a id="Page_111"> 111</a></span>
-rendre la vie à leur mère; elle se détermina en
-conséquence à se taire.</p>
-
-<p>La garde qui avait pris soin de Marie Riquet
-avait remarqué que Chevallier donnait à sa
-femme des breuvages qui n'étaient pas prescrits
-par le médecin; que c'était une <i>liqueur forte</i>
-dont elle n'avait pu reconnaître la nature; et
-sur la représentation qu'elle fit à ce sujet à
-Chevallier, elle en reçut pour réponse ces
-paroles atroces: <i>Soyez tranquille: ce que je
-lui donne est pour lui débarrasser l'estomac;
-cela lui donnera une crise qui la sauvera ou
-l'emmènera.</i> Les effets du breuvage étaient
-bien connus à ce monstre; sa sombre prédiction
-ne tarda pas à s'accomplir. Peu de minutes
-après, la crise annoncée se déclara d'une
-manière si effrayante, que deux personnes
-s'enfuirent épouvantées. Les bras et les jambes
-de la victime se tordirent, et les convulsions
-qui l'agitèrent furent tellement horribles, que
-la moribonde tomba du lit. Pendant cette
-scène déchirante, Chevallier suivait de l'&oelig;il
-les progrès de son remède. Il se baissa sans
-émotion, ramassa l'infortunée gisante sur le
-plancher, la replaça sur le lit, et, peu d'instans
-<span class="pagenum"><a id="Page_112"> 112</a></span>
-après, la vit expirer, sans qu'une larme eût
-mouillé sa paupière.</p>
-
-<p>C'est avec une terreur que le lecteur partagera
-sans doute que nous mettons sous ses
-yeux ces détails douloureux; la nudité du
-crime est effrayante, cependant il est de notre
-devoir de ne pas la voiler; plus elle blesse les
-regards, plus elle fait aimer la vertu.</p>
-
-<p>D'après tous les renseignemens recueillis
-par la justice, il n'était plus permis de mettre
-en doute la profonde scélératesse du prévenu.
-Cependant il avait été jusque-là impossible
-de soulever le voile qui couvrait les
-premières années de la vie de Chevallier. Tout-à-coup
-un événement imprévu vint aider à
-trouver le mot de l'énigme et répandre un
-nouvel intérêt sur toute cette affaire.</p>
-
-<p>Déjà on savait que l'accusé avait usurpé le
-nom de Chevallier qu'il portait. Il était de
-notoriété publique qu'un jeune homme de
-Lyon, nommé Chevallier, de la même taille,
-du même âge que l'accusé, avait été au service;
-mais on était encore incertain si ce n'était pas le
-prévenu. Soudain on apprend que le véritable
-Chevallier vit encore; qu'il est officier dans nos
-<span class="pagenum"><a id="Page_113"> 113</a></span>
-armées; il a perdu, il y a quelques années, son
-portefeuille et ses papiers. Il se trouve en ce
-moment en garnison à deux cents lieues de
-Lyon: on lui écrit, il arrive, on le confronte
-aussitôt avec l'accusé; ils ne se connaissent
-ni l'un ni l'autre. L'imposteur est confondu.</p>
-
-<p>Cependant il se rassure, et soutient qu'il se
-nomme Pierre-Claude Chevallier; qu'il n'a jamais
-connu d'autre nom, et que si ce n'est pas
-le sien, il a été induit en erreur par ceux qui
-l'ont élevé.</p>
-
-<p>Cette obstination annonçait que le faux
-Chevallier avait de graves motifs pour ne pas
-faire connaître son véritable nom. On l'accable
-de questions, on emploie tous les moyens
-pour lui arracher la vérité. Enfin le faux Chevallier
-se décide à parler. Il demande qu'il lui soit
-permis de voir sa femme. C'était Benoîte Besson,
-qu'il avait épousée en quatrièmes noces.</p>
-
-<p>Plongée dans la douleur, cette femme arrive
-à la prison et s'assied près de son mari:
-celui-ci lui tient ce discours: «Je vous ai
-trompée, j'ai voulu vous voir pour vous l'apprendre.
-Je ne suis point Pierre-Claude Chevallier;
-je viens de voir celui dont j'ai pris
-le nom. Je ne sais jusqu'à quel point notre
-<span class="pagenum"><a id="Page_114"> 114</a></span>
-union est valable; vous prendrez des mesures
-pour la faire rompre. J'appartiens à une famille
-respectable: elle avait de la fortune, et
-tenait un rang dans la société: j'ai mon père
-et ma mère; mes frères et s&oelig;urs existent encore.
-Je ne me nommerai pas, parce que je ne
-veux pas les déshonorer. Ce sont eux qui
-m'ont forcé à prendre du service. Par suite
-d'une erreur de jeunesse, j'étais sur le point
-d'être condamné à une peine infamante: de
-puissantes protections me sauvèrent; je n'ai
-subi aucune condamnation. Depuis mon entrée
-au service, je n'ai pas revu mes respectables
-parens. Je sais que je suis perdu; je n'ai
-d'autre ressource que la mort, que je désire. Je
-crois qu'il est de mon devoir de ne pas faire
-rejaillir sur ma famille la honte qui m'attend.»</p>
-
-<p>Après ces premiers aveux, le prévenu pressé
-de plus en plus par l'aiguillon de sa conscience,
-déclara se nommer Pierre-Étienne-Gabriel
-Lelièvre; dit qu'il était né à Madrid, d'origine
-française; que son père, propriétaire et rentier,
-habitait à Paris, rue de la Muette, n<sup>o</sup> 6. Il
-borna là ses révélations, ajoutant qu'il allait
-se recueillir, et consigner dans un mémoire
-tous les événemens de sa vie.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_115"> 115</a></span>
-On fit prendre, en attendant, des renseignemens
-à la police de Paris, et l'on sut que
-Lelièvre appartenant à une famille distinguée,
-s'était adonné de bonne heure aux vices les
-plus déshonorans.</p>
-
-<p>Lelièvre, montrant de la netteté dans les
-idées, des dispositions pour le calcul, tous
-les germes d'un esprit froid et réfléchi, ayant
-d'ailleurs reçu une éducation soignée, son
-père l'avait fait entrer à la Banque de France
-avec un emploi de cent louis de traitement et
-l'espoir de places plus lucratives et plus importantes.
-Cependant ses émolumens et les libéralités
-de son père ne pouvaient suffire aux
-dépenses du jeune Lelièvre. A peine sorti de
-l'adolescence, il toucha à la Banque de France,
-sur de faux bons, une somme de soixante
-mille francs. Le vol ayant été découvert, il
-fut arrêté le 7 janvier 1809. Dès ce moment,
-il avait mérité d'être voué à une infamie perpétuelle;
-son père paya la somme entière et
-obtint du ministre, à force de larmes et de
-prières, qu'on ne fît aucune poursuite. Mais il
-fallait infliger une punition au jeune Lelièvre;
-il fut enrôlé dans un bataillon colonial. Lelièvre
-déserta, arriva à Flessingue et y trouva
-<span class="pagenum"><a id="Page_116"> 116</a></span>
-les papiers d'un nommé Pierre-Claude Chevallier,
-qui appartenait, ou qui avait appartenu
-au même bataillon. Il conçut alors l'idée de
-s'emparer du nom de ce militaire, et joignant
-de nouveaux crimes aux premiers, de voleur
-et de déserteur, il devint faussaire et fabriqua
-un faux congé et une fausse feuille de route.
-Muni de tous ces papiers, Lelièvre vint à
-Lyon, ville natale du véritable Chevallier; il
-se présenta hardiment comme Lyonnais au
-préfet du département, et ce fut à ce titre qu'il
-obtint dans les bureaux une place d'où, comme
-on la vu, sa conduite extérieure n'avait pas
-tardé à le faire arriver à celle de sous-chef.</p>
-
-<p>Après des renseignemens aussi positifs, il
-ne restait plus à la justice qu'à sévir contre
-l'auteur de tant de crimes accumulés. Une ordonnance
-de la chambre des mises en accusation
-le renvoya devant la Cour d'assises du
-Rhône, et toute la ville de Lyon, indignée
-d'avoir si long-temps recelé dans son sein un
-scélérat aussi infâme, attendit avec une véritable
-sollicitude, l'époque de son jugement
-fixé au 11 décembre 1820.</p>
-
-<p>Lelièvre comparut devant la Cour, en présence
-d'une affluence considérable de spectacle
-<span class="pagenum"><a id="Page_117"> 117</a></span>
-de tous les rangs de la société. Tous les
-regards étaient fixés sur l'accusé. Sa taille était
-au-dessus de la moyenne; ses yeux bleus respiraient
-la douceur; sa figure pâle n'offrait
-que des traits réguliers; sa chevelure blonde
-et bouclée était magnifique; seulement on
-remarquait dans ses lèvres un mouvement
-de contraction, qui donnait parfois à sa physionomie
-un air effrayant et sinistre.</p>
-
-<p>Les débats du procès n'ajoutèrent rien aux
-faits déjà connus. Lelièvre, fidèle à son caractère,
-combattit l'accusation avec une tranquillité,
-avec un calme apparent, qui sembleraient
-ne devoir appartenir qu'à l'innocence,
-avec des formes que l'on croirait incompatibles
-avec le crime. La fourbe et l'hypocrisie
-présidèrent à tous ses gestes, dictèrent toutes
-ses réponses.</p>
-
-<p>Le ministère public soutint l'accusation
-avec une énergie mêlée d'indignation. Après
-avoir présenté d'une manière pathétique le
-tableau des crimes reprochés à Lelièvre, il
-termina en s'écriant: «Je le demande, existe-t-il
-dans les annales du crime, je ne dis pas rien
-de semblable, mais rien qui puisse, même de
-loin, approcher de tant d'horreurs? Et n'avais-je
-<span class="pagenum"><a id="Page_118"> 118</a></span>
-pas le droit de m'écrier tout-à-l'heure,
-qu'il eût bien mieux valu pour l'accusé et pour
-sa famille, pour ses amis et pour ses protecteurs,
-pour nous-mêmes, qu'il eût porté
-sur l'échafaud la peine de son premier crime?»</p>
-
-<p>Il était impossible de définir les sentimens
-qui se retracèrent sur la figure de Lelièvre
-pendant toute la durée de ce discours. Quelquefois
-il semblait déconcerté; il baissait
-les yeux, changeait de couleur: il paraissait
-surpris et accablé quelquefois; et alors que l'on
-écoutait avec émotion le détail des souffrances
-des victimes de Lelièvre, un sourire infernal
-errait sur les lèvres de l'accusé, et semblait
-venir à l'appui de la conjecture faite par l'avocat-général,
-relativement aux causes qui
-avaient poussé le prévenu au crime; causes
-qu'il attribuait à des penchans secrets ou à
-des goûts dépravés.</p>
-
-<p>Quatre séries de questions furent proposées
-au jury; la première se composant de dix-neuf
-accusations de faux en écritures publiques;
-la seconde concernant l'empoisonnement des
-trois femmes de Lelièvre; la troisième relative
-à l'infanticide commis sur la personne de
-Denis-Eugène Chevallier, son fils; et la quatrième
-<span class="pagenum"><a id="Page_119"> 119</a></span>
-se rapportant à l'enlèvement de l'enfant
-Berthier. Le jury répondit affirmativement
-et à l'unanimité sur toutes les questions,
-excepté sur celles qui portaient sur l'empoisonnement
-des deux premières femmes, ces
-deux forfaits n'étant pas suffisamment prouvés.</p>
-
-<p>Sur ces réponses, le ministère public requit
-l'application des peines portées par la loi, et le
-président de la Cour prononça l'arrêt qui
-condamnait Pierre-Étienne-Gabriel Lelièvre
-à la peine de mort, et ordonnait qu'il aurait
-la tête tranchée sur l'une des places publiques
-de la ville de Lyon. Cet arrêt ne parut faire
-aucune impression sur le coupable. Reconduit
-à sa prison, il s'empressa d'adresser
-son pourvoi à la Cour suprême. Son hypocrisie
-systématique ne l'abandonna pas après
-sa condamnation. «Tout mon espoir, disait-il,
-est dans l'Être suprême dont les volontés sont
-invisibles sur la terre; s'il éclaire mes juges,
-et que mon arrêt soit cassé, mon innocence
-triomphera devant d'autres juges. J'ai la ferme
-croyance que mon arrêt sera cassé; cette
-confiance est fondée sur mon innocence. Mais
-d'ailleurs je suis résigné à mon sort; l'échafaud
-n'a jamais fait pâlir un innocent.» Puis
-<span class="pagenum"><a id="Page_120"> 120</a></span>
-il montrait aux personnes qui allaient le visiter
-un Évangile qu'il tenait à la main, et
-s'écriait: «Voilà pour moi une source de
-consolations! J'en ai fait toute ma vie la règle
-de ma conduite.»</p>
-
-<p>Il souffrait, disait-il, sans être coupable,
-<i>de même que Jésus-Christ qui avait été sacrifié</i>;
-il était victime des préventions qu'on
-avait élevées contre lui. Il disait qu'il dormait
-<i>comme un ange</i>, et qu'il y avait des gens plus
-malheureux que lui. Enfin, quelques personnes,
-presque convaincues de son innocence,
-le pressant de publier un mémoire justificatif:
-<i>C'est un soin dont je m'occuperai</i>, répondit-il,
-<i>lorsque je serai sorti de ma prison</i>.&mdash;Mais
-s'il arrivait que votre captivité n'eût
-d'autre terme que la mort?&mdash;<i>Alors</i>, répliquait-il,
-en souriant: <i>les anges se chargeront
-de ce soin</i>.</p>
-
-<p>Et cependant au moment où Lelièvre protestait
-de son innocence, on venait d'apprendre
-le genre de mort qu'il avait fait souffrir
-à son enfant.</p>
-
-<p>On apprit que cet enfant avait été trouvé
-noyé sur les bords du Rhône, en face de
-Thernay, petite commune située à trois lieues
-<span class="pagenum"><a id="Page_121"> 121</a></span>
-de Lyon. Les habillemens trouvés sur le cadavre
-furent remis à l'autorité, qui constata
-qu'ils étaient bien les mêmes que ceux que
-portait l'enfant Chevallier. Lorsqu'on apprit
-à Lelièvre l'importante découverte que venait
-de faire la justice, sa contenance fut un
-instant ébranlée: «<i>Ah! si j'avais su cela!</i>»
-s'écria-t-il d'abord; puis il garda le silence.
-Mais sa pensée perçait tout entière dans ces
-seuls mots.</p>
-
-<p>La Cour de cassation rejeta le pourvoi
-de Lelièvre, le 11 janvier 1821. Quand on lui
-annonça cette nouvelle, le condamné entra
-dans une fureur extrême, accusant et maudissant
-ses juges, et persistant toujours dans
-ses protestations d'innocence. Le 29 janvier,
-jour fixé pour l'exécution, il écrivit encore
-au procureur-général pour détailler de prétendues
-nullités qu'il voyait dans son arrêt;
-la veille, il s'était adressé au préfet pour
-obtenir un sursis.</p>
-
-<p>Mais l'heure de la vindicte publique allait
-sonner; il n'y avait que trop long-temps que
-ce misérable, chargé de crimes, pesait sur la
-terre. Lelièvre, sans force et sans audace, fut
-conduit au lieu du supplice, au milieu d'une
-<span class="pagenum"><a id="Page_122"> 122</a></span>
-foule immense à laquelle il s'efforçait de cacher
-ses traits. Parvenu auprès de l'échafaud,
-l'exécuteur fut obligé de soutenir sa marche
-chancelante. Un instant après, il avait subi
-son arrêt.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_123"> 123</a></span></p>
-<h2 class="normal">PEYRACHE,<br />
-<span class="medium">FAUX TÉMOIN;</span><br />
-<span class="xlarge">RISPAL ET GALLAND,</span><br />
-<span class="medium">SES VICTIMES.</span></h2>
-</div>
-
-<p>«En élevant la main au ciel, dit un écrivain
-moderne, le témoin invoque sur sa tête
-la vengeance du Tout-Puissant; il porte contre
-soi l'imprécation la plus terrible; s'il conserve
-dans son c&oelig;ur l'arrière-pensée de trahir
-la vérité promise, il engage son honneur, sa
-réputation, la paix de son âme, pour l'assurance
-de sa parole.</p>
-
-<p>«Le faux témoignage est le plus grand des
-attentats; ses conséquences sont effrayantes.
-Il annonce une démoralisation absolue; il
-tend à détruire toute confiance parmi les
-hommes; il sape les fondemens de la sûreté
-publique; il anéantit la tranquillité des familles;
-<span class="pagenum"><a id="Page_124"> 124</a></span>
-il introduit le désordre le plus affreux,
-la confusion la plus universelle; il conduit à
-la dissolution de la société, et peut causer la
-perte et la ruine de tous ses membres.</p>
-
-<p>«Le plus sage des rois de l'antiquité comparait
-le faux témoin et le parjure aux instrumens
-les plus meurtriers, aux animaux les plus
-perfides et les plus dangereux, aux fléaux les
-plus épouvantables dont le ciel, dans sa colère,
-puisse accabler les hommes. Le faux témoin
-et le parjure, disait-il, sont une massue, une
-épée, une flèche aiguë, un poignard caché,
-un poison plus dangereux que celui de l'aspic
-et des serpens les plus redoutés, contre lesquels
-il n'est point de remède.»</p>
-
-<p>Le fait que nous allons rapporter va fournir
-les preuves de cette définition, et nous
-dispensera de toute autre réflexion.</p>
-
-<p>Le sieur Jean Courbon, de Mazet près Yssengeaux
-(Haute-Loire), jouissait d'une honnête
-aisance et de la considération de tous ses
-voisins; on ne lui connaissait pas d'ennemis.
-Ses bonnes qualités n'étaient un peu tachées
-que par le défaut qu'il avait de s'adonner au
-au vin et d'en faire un fréquent abus.</p>
-
-<p>Le 9 septembre 1817, il passa la journée et
-<span class="pagenum"><a id="Page_125"> 125</a></span>
-une partie de la soirée à boire dans divers cabarets
-du bourg de Dunière, canton de Montfaucon,
-avec les nommés Galland, Rispal et
-Tavernier, tous trois beaux-frères. Le lendemain,
-à cinq heures du matin, le cadavre de
-ce malheureux fut trouvé dans une fosse de
-deux pieds de profondeur, derrière une auberge
-un peu éloignée de celle où il avait
-laissé ses trois compagnons. La position du
-cadavre ressemblait assez à celle d'un homme
-qui ferait une culbute sur la tête; le poids du
-corps portait sur la nuque, la tête étant repliée
-sur la poitrine, ce que la nature du terrain
-semblait expliquer. Il offrait dans toutes
-ses parties une raideur extraordinaire, et
-conservait encore quelque chaleur. L'état de
-ses habits, de sa cravatte, l'absence de toute
-contusion, éloignaient l'idée d'une lutte ou
-d'un crime. Son argent, ses effets et les morceaux
-d'un billet qu'il avait payé la veille à
-Tavernier, furent trouvés dans ses poches.</p>
-
-<p>Le sieur Thomas, médecin, qui fut appelé
-sur-le-champ, n'hésita pas à attribuer la mort de
-Courbon à une attaque d'apoplexie, résultat
-des excès de boisson auxquels il s'était livré la
-veille. La constitution physique de Courbon venait
-<span class="pagenum"><a id="Page_126"> 126</a></span>
-encore corroborer cette opinion: il avait
-les épaules larges, le cou court et la tête
-grosse; son embonpoint était extraordinaire;
-il pesait au moins deux cents livres; aussi, à
-chaque instant, pouvait-on craindre qu'une
-mort subite ne vînt l'enlever à sa famille et à
-ses nombreux amis. L'ouverture du cadavre
-ne fit également que confirmer l'idée qu'avait
-fait naître sa forte constitution, et fournir
-les preuves de son intempérance.</p>
-
-<p>Cependant, malgré les procès-verbaux et
-rapports qui repoussaient tout soupçon de
-crime, vingt-quatre heures s'étaient à peine
-écoulées depuis l'inhumation de Courbon,
-qu'une clameur, d'abord sourde et timide,
-puis pleine d'assurance, articula hautement
-le mot d'assassinat, et désigna comme meurtriers
-Galland, Rispal et Tavernier. A défaut
-de faits positifs, de preuves <i>de visu</i>, on eut
-recours, suivant l'usage, aux conjectures, aux
-présomptions. Quoique le cadavre, d'après
-le procès-verbal du juge-de-paix, n'eût présenté
-aucune lésion, pas la moindre égratignure,
-quelques individus prétendirent qu'il
-y avait rupture des vertèbres cervicales, et
-qu'il existait des ecchymoses au cou et à la
-<span class="pagenum"><a id="Page_127"> 127</a></span>
-poitrine. Sans pouvoir en alléguer le motif,
-on répandit que les trois beaux-frères ci-dessus
-désignés avaient de la haine, de l'animosité
-contre Courbon. Galland était connu pour
-avoir une humeur querelleuse, emportée;
-mais il était constant aussi que Rispal était
-doux, honnête et de m&oelig;urs paisibles. Mais
-l'esprit de prévention ne tint aucun compte
-de toutes ces considérations, et bientôt la clameur
-publique éclata si violente, si exaspérée,
-que le juge-de-paix, qui d'abord avait
-rédigé son procès-verbal dans le même
-sens que le rapport du médecin, finit par
-ajouter quelque foi à la possibilité d'un assassinat.</p>
-
-<p>Le procureur d'Yssengeaux fut prévenu des
-faits d'une manière officielle. Tavernier et Rispal
-furent arrêtés, le 3 octobre 1817; et Galland,
-leur beau-frère, ayant appris leur arrestation,
-et sachant que la gendarmerie s'était
-présentée chez lui, vint se constituer
-lui-même prisonnier, le lendemain 4 octobre.
-Cette démarche pouvait, ce semble, être considérée
-comme une présomption d'innocence.
-Bientôt après, les trois beaux-frères furent
-élargis par ordonnance du tribunal, sur le
-<span class="pagenum"><a id="Page_128"> 128</a></span>
-rapport du juge d'instruction. Mais leur mise
-en liberté, qui eut lieu le 8 octobre, loin de
-calmer les rumeurs, ne fit qu'aigrir certains
-esprits et envenimer les soupçons.</p>
-
-<p>Alors le juge-de-paix redoubla d'activité et
-de vigilance pour parvenir à la découverte de
-la vérité. C'était à l'époque où l'horrible meurtre
-de Fualdès était le sujet de toutes les conversations
-dans les villes comme dans les campagnes.
-On crut trouver dans la mort de
-Courbon quelque ressemblance avec l'épouvantable
-catastrophe de Rodez. On cherchait
-à accumuler les conjectures pour en former
-un corps de preuves. Le bruit courut qu'une
-femme, nommée Anne Colombette, demeurant
-à Guignebaude, situé à environ une heure
-de chemin de Dunière, avait dit que Galland,
-en passant près de chez elle, lui avait annoncé
-la mort de Courbon, le 8 septembre 1817, au
-moment où l'on découvrait le cadavre derrière
-l'auberge. Deux tailleurs d'habits, Aulanier et
-Celsette dirent aussi qu'un nommé Lardon
-avait entendu cette conversation; et ce Lardon
-finit par en déposer. Mais ce qui semblait
-positif et entraînant était une autre conversation
-que le nommé Claude Peyrache
-<span class="pagenum"><a id="Page_129"> 129</a></span>
-prétendait avoir entendu tenir par les trois
-beaux-frères, le 8 octobre, jour de leur mise
-en liberté. Ce témoin rapportait avoir couché
-dans une auberge d'Yssengeaux, où il n'était
-séparé d'eux que par une simple cloison qui
-lui avait permis, disait-il, de les entendre causer
-confidentiellement. Voici cet entretien qui
-fut le fondement du procès et de la condamnation.</p>
-
-<p>Suivant lui, l'un d'eux disait: «Nous avons
-tort,» et il le répétait souvent. Galland répliquait:
-«Tais-toi, baveux; tu nous feras mettre
-en prison.» Alors, parlant plus bas, un autre
-avait ajouté: «Si vous m'aviez cru, nous ne
-serions pas dans l'embarras où nous sommes;
-vous ne l'auriez pas tué: j'en suis fâché.&mdash;Point
-de regret, dit Galland, qui est mort est mort.&mdash;Nous
-avons été trop vite, observait un troisième:
-nous avons trop enfoncé le mouchoir;
-ce qui a fait enfler le cou, et ce qui a éveillé
-les soupçons.»</p>
-
-<p>Il est à remarquer que ce Claude Peyrache,
-appelé devant le juge d'instruction le
-26 août 1818, n'avait point parlé de ce fait,
-et que ce ne fut que le lendemain 27, qu'il alla
-le révéler au juge-de-paix de Montfaucon. Il
-<span class="pagenum"><a id="Page_130"> 130</a></span>
-fut depuis appelé, par délégation du président
-des assises, devant le juge d'instruction d'Yssengeaux,
-auquel il répéta la même déclaration
-qu'il avait faite au juge-de-paix. La chambre
-d'accusation, sur de tels élémens, mit en
-état de prévention Galland, Rispal et Tavernier,
-qui bientôt furent traduits aux assises de
-la Haute-Loire.</p>
-
-<p>Peyrache rapporta cette conversation avec
-de nouveaux détails devant la cour, quoique
-les personnes de l'auberge assurassent ne l'avoir
-pas vu le jour indiqué, et qu'un témoin
-prétendît avoir couché dans le lit que Peyrache
-désignait comme celui d'où il avait entendu
-la conversation des trois beaux-frères.
-Pour prouver qu'il était venu ce jour-là à
-Yssengeaux, il produisit une quittance portant
-la date du 8 octobre, signée par un avoué
-d'Yssengeaux et reconnue par ce dernier. Nous
-prions nos lecteurs de ne pas perdre de vue
-cette circonstance qui deviendra très-importante
-dans la suite de ce récit.</p>
-
-<p>Dans le cours des débats qui eurent lieu devant
-la cour d'assises, les défenseurs des accusés
-demandèrent l'arrestation de Peyrache
-et de Lardon, comme faux témoins, et qu'il
-<span class="pagenum"><a id="Page_131"> 131</a></span>
-fût procédé à la vérification des lieux. Mais la
-cour passa outre, refusant de statuer sur ces
-demandes. A la suite d'une discussion qui dura
-six jours, Galland et Rispal furent condamnés,
-le 9 mars 1819, aux travaux forcés à perpétuité,
-comme coupables de meurtre, et Tavernier
-à un an de prison, comme complice
-involontaire de l'homicide. L'arrêt fut exécuté;
-Galland et Rispal, flétris, furent transférés
-au bagne de Toulon.</p>
-
-<p>Cependant les femmes de ces deux condamnés
-n'avaient pas renoncé à la plainte en
-faux témoignage; et sur la décision du garde-des-sceaux
-(M. de Serre), le tribunal d'Yssengeaux
-ordonna, le 20 décembre 1819, qu'il
-serait fait des expériences pour constater si la
-conversation d'Anne Colombette avec Galland
-avait pu être entendue par Lardon, et si
-Peyrache avait également bien pu entendre
-celle qu'il rapportait.</p>
-
-<p>Ces vérifications furent faites avec beaucoup
-de soin et d'exactitude. De nouveaux témoins
-furent appelés; et le résultat fut la mise
-en prévention d'abord de Peyrache pour le
-fait qui le concernait seul, et ensuite de Lardon,
-avec Anne Colombette, Aulanier et
-<span class="pagenum"><a id="Page_132"> 132</a></span>
-Cellette, comme complices de l'autre fait de
-faux témoignage. Ces cinq témoins avaient été
-entendus aux assises du Puy-en-Velay.</p>
-
-<p>La chambre d'accusation ne trouva pas de
-preuves suffisantes contre Lardon et ses adhérens;
-en conséquence ils furent renvoyés.</p>
-
-<p>Mais il n'en fut pas de même de Peyrache.
-Comme les expériences établissaient qu'au lieu
-d'une légère cloison, ainsi que ce misérable
-l'avait avancé, il existait au contraire entre
-les deux chambres de l'auberge, une muraille
-de l'épaisseur de deux pieds; comme dès-lors
-il n'avait pu, de celle qu'il disait avoir occupée,
-entendre ce qui aurait été dit dans la
-chambre voisine; qu'en outre, il n'avait point
-reconnu ou avait mal désigné les lieux qu'il
-disait avoir parcourus pour sortir, la nuit, de
-sa chambre et de la cuisine de l'auberge; que
-d'ailleurs, et ce qui devenait le plus important
-pour justifier ou détruire les assertions
-de Peyrache, il paraissait certain qu'il n'était
-pas venu à Yssengeaux, le jour que les trois
-beaux-frères avaient couché à l'auberge, où
-il prétendait avoir aussi passé la nuit: la chambre
-de la cour royale prononça la mise en
-accusation de Claude Peyrache.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_133"> 133</a></span>
-Sur la requête du procureur général en règlement
-de juges, la cour de cassation attribua
-la connaissance de cette affaire à la cour
-d'assises de Riom, et le prévenu comparut
-devant ce tribunal le 23 mai 1821.</p>
-
-<p>Peyrache, qui deux ans auparavant, s'était
-trouvé sur le banc des témoins, attirait actuellement
-tous les regards sur le banc des accusés.
-Non loin de lui, mais sous le poids
-terrible d'une condamnation flétrissante, se
-trouvaient Galland et Rispal que l'on avait
-extraits du bagne pour assister à cette procédure
-qui les intéressait si vivement. A côté
-de ces deux condamnés étaient placées leurs
-épouses, modèles de patience et de sollicitude
-conjugale.</p>
-
-<p>Auprès de MM. Tailhand père et Bayle aîné,
-avocats des plaignantes devenues parties civiles,
-on voyait M<sup>e</sup> Montellier, avoué au Puy,
-qui, lors de la mise en jugement de Galland
-et de Rispal, défenseur intrépide autant que
-généreux, fut leur soutien et leur consolation
-dans leur infortune, et qui, par sa persévérance
-dévouée et désintéressée, parvint à assurer
-le triomphe de l'innocence.</p>
-
-<p>L'accusation de faux témoignage fut soutenue
-<span class="pagenum"><a id="Page_134"> 134</a></span>
-par M. Voysin de Gartempe, avocat-général,
-avec un talent très-remarquable. «S'il
-arrive, plus tard, dit ce magistrat, que l'innocence
-de ces deux infortunés soit reconnue, il
-sera temps alors que la voix du ministère public
-éclate et retentisse pour leur offrir des réparations
-tardives, mais nécessaires. Il faudra,
-comme le disait un grand magistrat (Servan),
-que la justice ait le courage qui convient le
-mieux à l'homme sujet à tant d'erreurs, celui
-de les reconnaître et de les réparer.»</p>
-
-<p>Après l'exposé du ministère public, on procéda
-à l'audition des témoins; ceux dont les
-dépositions paraissaient devoir être d'une
-grande importance, étaient sans doute les
-personnes qui se trouvaient dans l'auberge
-où Peyrache disait avoir couché, la nuit du
-8 octobre 1817 et où il prétendait avoir entendu
-la conversation par lui atribuée aux
-trois beaux-frères. Le sieur Perrot, propriétaire
-de l'auberge, et Rose Vidal, domestique
-de la même auberge, déclarèrent ne pas avoir
-vu l'accusé. Plusieurs faits avancés par Peyrache
-furent niés formellement par les témoins.</p>
-
-<p>Peyrache, lors de l'instruction, avait désigné
-le lit dans lequel il disait avait couché;
-<span class="pagenum"><a id="Page_135"> 135</a></span>
-cependant le nommé Deschomet, témoin,
-déclara avoir occupé, dans la nuit indiquée,
-le lit désigné par l'accusé.</p>
-
-<p>Celui-ci avait rapporté devant le juge d'instruction
-que la chambre dans laquelle il
-avait couché n'était séparée de celle où étaient
-les trois beaux-frères que par une cloison en
-planches; et il fut constaté et répété à l'audience
-qu'un mur de deux pieds les divisait
-et que ce mur était crépi des deux côtés.
-Dans son premier récit, Peyrache avait dit
-que c'était de son lit qu'il avait entendu la
-conversation des trois beaux-frères. Plus
-tard, il avait rétracté cette assertion et, avait
-dit s'être blotti à la porte de la chambre de
-Galland, Rispal et Tavernier, et que de là il
-avait entendu les propos révélés par lui. Cependant
-les deux experts, chargés de faire la
-vérification des lieux, rapportèrent à l'audience
-que, du lit désigné par Peyrache, il
-y avait impossibilité d'entendre ce qui se disait
-dans la chambre voisine; que de sa porte
-l'on pouvait bien entendre quelques mots détachés,
-mais qu'il était impossible de saisir
-une phrase entière.</p>
-
-<p>Nous passons sur quelques particularités
-<span class="pagenum"><a id="Page_136"> 136</a></span>
-peu importantes, pour arriver à des faits décisifs.
-Peyrache, sommé de rapporter quelques
-circonstances de son séjour à Yssengeaux,
-le 8 octobre 1817, prétendit qu'il avait
-fait ce voyage pour traiter d'affaires avec
-M. Labatie, avoué au tribunal de cette ville;
-qu'il était arrivé à Yssengeaux, à l'approche
-de la nuit; qu'il s'était rendu chez M. Labatie,
-et était sorti avec cet avoué pour aller
-ailleurs; qu'après avoir terminé ses affaires,
-il s'était retiré, accompagné de M. Labatie, à
-l'auberge de Perrot. M. Labatie ne se rappela
-pas précisément plusieurs des particularités
-alléguées par Peyrache; mais il assura bien
-positivement qu'il avait vu cet accusé le jour
-même auquel il lui avait fourni une quittance
-par suite d'un compte qu'ils venaient de faire.</p>
-
-<p>Cette quittance, produite jusqu'alors comme
-une preuve irréfragable de la présence de
-Peyrache à Yssengeaux, le 8 octobre 1817,
-fut reconnue par M. Labatie pour être la
-même qui avait été mise sous les yeux de la
-Cour d'assises du Puy, au mois de mars 1819.</p>
-
-<p>Au même instant, M<sup>e</sup> Tailhand père, en
-parcourant le contexte de cette quittance,
-s'aperçut qu'elle était datée du 8 octobre mil-huit-cent-<i>dix-huit</i>,
-<span class="pagenum"><a id="Page_137"> 137</a></span>
-et non du 8 octobre mil-huit-cent-<i>dix-sept</i>.
-Cette circonstance, relative
-au millésime, et qui jusque-là avait échappé
-à tous les regards, fit une si vive sensation
-sur l'auditoire, que personne ne fut maître
-de l'émotion qu'elle devait nécessairement
-produire. Quelle preuve plus forte pouvait-on
-acquérir du faux témoignage de Peyrache
-et de l'innocence de Galland et de Rispal?</p>
-
-<p>Cette impression profonde fut encore entretenue
-par les éloquentes plaidoieries des
-défenseurs et du ministère public, en faveur
-de l'innocence calomniée et opprimée. La
-vérité venait d'éclairer tous les esprits; la
-réponse du jury n'était plus incertaine. Après
-quelques minutes de délibération, les jurés
-déclarèrent à l'unanimité Peyrache coupable
-de faux témoignage, avec toutes les circonstances
-comprises dans l'acte d'accusation. En
-conséquence, le prévenu, sur les conclusions
-du ministère public, fut condamné aux travaux
-forcés à perpétuité.</p>
-
-<p>Ce procès, dont les débats durèrent quatre
-jours, excita dans la ville de Riom le plus vif
-intérêt en faveur de Galland et de Rispal. Tous
-<span class="pagenum"><a id="Page_138"> 138</a></span>
-les assistans auraient voulu pouvoir sur-le-champ
-briser leurs fers.</p>
-
-<p>Peyrache se pourvut en cassation contre
-l'arrêt qui le condamnait; mais la Cour suprême
-rejeta son pourvoi par arrêt du 18
-juin. Cette décision donna lieu à la Cour de
-cassation de faire usage, pour la première
-fois peut-être, du pouvoir que lui attribue
-l'article 445 du Code d'instruction criminelle.
-En conséquence, et par nouvel arrêt du 9
-août suivant, elle annula le premier arrêt
-rendu au Puy contre Rispal et Galland, et
-ordonna qu'il serait procédé contre ces derniers
-sur l'acte d'accusation subsistant, devant
-la Cour d'assises du département de la
-Loire, séant à Montbrison.</p>
-
-<p>Le jugement qui devait résulter de cette
-nouvelle procédure fut prononcé le 5 décembre
-1821. Sur la déclaration du jury de jugement
-de la Loire, portant que Rispal et Galland
-n'étaient pas coupables de l'homicide qui
-leur était imputé, M. Reyre, conseiller à la
-Cour royale de Lyon, président des assises,
-prononça, après huit jours de débats, la mise
-en liberté de ces deux intéressantes victimes
-<span class="pagenum"><a id="Page_139"> 139</a></span>
-d'un faux témoignage. Ce magistrat leur
-adressa les paroles suivantes:</p>
-
-<p>«Vous fûtes victimes d'une erreur judiciaire
-dont la justice a à gémir profondément,
-et c'est par la justice elle-même qu'elle vient
-d'être réparée, autant qu'elle pouvait l'être.</p>
-
-<p>«La société à qui vous fûtes si cruellement
-arrachés, va vous recueillir avec tout l'intérêt
-que peut être digne d'inspirer l'innocence
-trop long-temps méconnue. En rentrant dans
-son sein, abjurez, étouffez s'il se peut, par
-intérêt pour votre repos, les ressentimens
-que d'amers souvenirs pourraient nourrir ou
-éveiller dans votre c&oelig;ur. Ne songez qu'à bénir
-le ciel de ce qu'il a appelé à votre secours des
-défenseurs si nobles, si généreux, et de ce
-qu'il a éclairé la justice des hommes. Bénissez-le
-aussi sans cesse de ce que votre sort rigoureux
-s'est trouvé uni à celui de deux femmes,
-vrais modèles de leur sexe, qui par leur tendresse
-pour vous, par leur courage, leur
-constance tout-à-fait héroïque, vous ont
-aidé si puissamment à sortir purs et sans tache
-du tombeau où vous étiez comme ensevelis.....
-Dans ce jour, va commencer pour
-vous, en quelque sorte, une nouvelle vie, et
-<span class="pagenum"><a id="Page_140"> 140</a></span>
-l'horrible épreuve que vous avez subie s'est
-trop prolongée pour que votre ruine n'en ait
-pas été la suite inévitable. Mais il vous est
-permis d'élever vos v&oelig;ux, vos espérances
-vers d'augustes mains, qui ne laissent presque
-pas passer un seul jour sans sécher quelques
-larmes, sans répandre quelques bienfaits sur
-le malheur.</p>
-
-<p>«Après tant de maux que vous avez soufferts,
-vous ne pouvez que mériter d'une manière
-toute spéciale, la protection du gouvernement,
-et ce ne sera pas en vain qu'il
-attirera sur vous, sur vos enfans, les regards
-paternels du meilleur des rois».</p>
-
-<p>On ne pourrait qu'exprimer faiblement la
-vive sympathie, l'intérêt universel que l'infortune
-de Galland et de Rispal avait excités.
-Les juges, les jurés, le public s'empressèrent
-de le témoigner, en envoyant leur offrande
-au notaire qui avait ouvert une souscription
-à Montbrison pour ces malheureux. La femme
-de Galland était morte le 14 décembre à Montbrison,
-après dix-sept jours de maladie. Elle
-n'avait pu assister aux débats que le premier
-jour.</p>
-
-<p>Le roi (Louis XVIII) voulant réparer, autant
-<span class="pagenum"><a id="Page_141"> 141</a></span>
-que possible, le tort que Rispal avait éprouvé
-par suite de cette erreur judiciaire, accorda
-à madame Rispal une pension de trois cents
-francs.</p>
-
-<p>Nous nous faisons un vrai plaisir de signaler
-ici le zèle et le désintéressement des avocats
-qui embrassèrent la défense des deux infortunés
-beaux-frères. M<sup>e</sup> Montellier, leur infatigable
-défenseur, mérite surtout le tribut de
-nos éloges et la reconnaissance de l'humanité.
-Il ne négligea rien pour faire éclater l'innocence
-de ses cliens; démarches actives, conseils
-éclairés, consultations de médecins et
-avocats célèbres, tout fut mis en usage par
-lui pour parvenir à son noble but, et rien ne
-put rebuter sa persévérance généreuse. Aussi
-reçut-il la récompense de sa belle conduite;
-la libération de Rispal et de Galland était en
-grande partie son &oelig;uvre: il en a partagé
-l'honneur, et il y a joint cette intime et douce
-satisfaction, qui est le prix le plus précieux
-de toute bonne action.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_142"> 142</a></span></p>
-<h2 class="normal">TRAIT DE FÉROCITÉ D'UN FORÇAT.</h2>
-</div>
-
-<p>En octobre 1822, un forçat à vie fut condamné
-à la peine de mort, pour avoir porté un
-coup de couteau à un agent de surveillance
-du bagne. Ce misérable subit son jugement
-avec une sorte de plaisir, s'il est permis de
-s'exprimer ainsi; et loin de manifester aucun
-repentir de son crime, il exprima le regret
-de n'avoir pu atteindre le sous-commissaire,
-directeur du bagne.</p>
-
-<p>Il avoua cependant que son compagnon de
-chaîne, surnommé <i>Casquette</i>, aussi condamné
-à vie, avait, comme lui, conçu le dessein
-de se venger de prétendues vexations qu'il
-disait avoir essuyées de la part de son gardien.</p>
-
-<p>Sur cet avis, on fit passer Casquette dans
-une autre salle où il devint l'objet d'une surveillance
-plus active; malgré toutes ces précautions,
-le nommé Ricoux, sous-adjudant
-<span class="pagenum"><a id="Page_143"> 143</a></span>
-de surveillance, et père de famille, eut le
-malheur de tomber sous les coups de ce scélérat.
-Ce Ricoux assistait le soir à la distribution;
-au moment où il entrait, une chaîne de
-forçats revenait des travaux. Casquette profita
-de la confusion pour se couler auprès de
-lui, et feignant de s'incliner pour marchander
-un quart de vin, il sortit de sa poche, en se
-relevant, un couteau à deux tranchans qu'il
-lui plongea dans le ventre. Alors Ricoux, dont
-une partie des entrailles sortait avec des flots
-de sang, tomba à la renverse, privé de sentiment.</p>
-
-<p>Un chaloupier (c'est ainsi qu'on désigne
-ceux qui rament dans les embarcations), également
-condamné, pour épargner à Ricoux
-de nouvelles blessures, vint s'interposer entre
-lui et le meurtrier; mais sept à huit coups
-de couteau furent le prix de son dévouement.
-M. le sous-commissaire Rignoux étant arrivé
-au moment où on se saisissait de ce furieux,
-celui-ci n'exprima qu'un regret atroce, celui
-de le voir arriver deux minutes trop tard:
-«Mais n'importe, lui dit-il, vous ne perdrez
-rien pour attendre; car j'en connais vingt autres
-qui ont formé le même dessein que moi.»</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_144"> 144</a></span>
-Ce monstre, condamné à mort par le tribunal
-maritime, témoigna constamment le
-regret qu'il avait exprimé, jusqu'au moment
-où il reçut la peine due à ses crimes.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_145"> 145</a></span></p>
-<h2 class="normal">JEUNE FILLE<br />
-<span class="medium">ASSASSINÉE PAR SON CORRUPTEUR.</span></h2>
-</div>
-
-<p>Le crime dont nous allons rapporter les
-principales circonstances fut surtout inspiré
-par une vaniteuse ambition qui ne se trouve
-que trop communément dans toutes les classes
-de la société.</p>
-
-<p>Le jeune Maurice Salgue éprouvait depuis
-trois ans une passion violente pour Catherine
-Fondegoire, qui demeurait dans la même paroisse
-que lui; en vain il avait cherché souvent
-à assouvir sa passion, et fait plusieurs fois des
-tentatives que la résistance de la jeune fille
-avait rendues inutiles. Mais enfin, et pour son
-malheur, elle céda aux poursuites de Maurice
-Salgue, et devint enceinte. Jean-Baptiste
-Salgue père était riche, et n'aurait jamais consenti
-au mariage de son fils avec Catherine,
-qui était pauvre; sa famille même se sentait
-humiliée d'une pareille liaison. Maurice avait
-<span class="pagenum"><a id="Page_146"> 146</a></span>
-promis de lui donner des secours pour ses
-couches.</p>
-
-<p>Catherine avait fait confidence de sa grossesse
-et des dispositions de Maurice au curé
-de sa paroisse, chez qui les deux amans devaient
-se rendre conjointement pour prendre
-des arrangemens.</p>
-
-<p>Au jour indiqué, Catherine fut aperçue, le
-soir, près de la maison des Salgue; depuis
-cette époque, elle disparut. On soupçonna
-qu'elle avait été la victime d'un horrible attentat.
-Des perquisitions furent faites dans la
-maison des Salgue et dans leur jardin. On
-trouva dans la maison un couteau en forme
-de stylet, encore tout ensanglanté, et dans le
-jardin, qu'on fit bêcher en totalité, on découvrit
-le cadavre de la malheureuse Catherine.</p>
-
-<p>L'examen que l'on fit de ce cadavre fit
-reconnaître que des coups de couteau lui
-avaient été portés à la gorge; que, pour étouffer
-les cris de la victime, on lui avait mis un
-bâillon de paille, enfoncé si fortement dans
-la bouche, sans doute avec un bâton, qu'on
-eut peine à le retirer; qu'on l'avait de plus
-étranglée à plusieurs reprises, d'abord avec
-<span class="pagenum"><a id="Page_147"> 147</a></span>
-les mains, puis avec un mouchoir noué et
-serré avec force.</p>
-
-<p>Un grand nombre de témoins furent entendus
-dans cette affaire, dont les débats durèrent
-quatre jours. Le père Salgue mourut
-dans sa prison, trois jours avant le jugement;
-ses deux fils, Pierre et Antoine furent acquittés.
-Quant à Maurice, une foule de circonstances
-donnaient la conviction la plus intime
-de sa culpabilité. Il fut condamné à la peine
-de mort, par la cour d'assises de Riom, le 4
-janvier 1822.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_148"> 148</a></span></p>
-<h2 class="normal">LE CURÉ MINGRAT.</h2>
-</div>
-
-<p>Lors de la publication de nos deux premiers
-volumes, un journal, se fondant sur ce que
-plusieurs articles ont traité de crimes commis
-par des princes, des seigneurs ou des
-prêtres, montra la plus grande répugnance à
-insérer l'annonce relative à cet ouvrage, et
-ne le fit qu'avec une insigne mauvaise volonté.
-Nous respectons les scrupules des rédacteurs
-de cette feuille; mais qu'il nous soit permis
-de ne pas les partager. Nous sommes loin
-d'aimer le scandale. A nos yeux, le scandale
-n'est, le plus souvent, qu'une &oelig;uvre de méchanceté
-qui se recommande aux applaudissemens
-des passions ou de la sottise. Tout-à-fait
-en dehors de la politique des partis, ne
-caressant aucune opinion aux dépens d'une
-opinion contraire, n'ayant qu'un poids et
-qu'une mesure, nous n'avons qu'une seule
-<span class="pagenum"><a id="Page_149"> 149</a></span>
-ambition, celle de faire tourner notre travail
-au profit de la raison et de la morale.</p>
-
-<p>Nous ne concevons pas qu'il puisse y avoir
-scandale à parler d'un crime, quand le coupable
-se trouve placé haut dans la hiérarchie
-sociale, ou bien quand il fait partie de quelque
-corps puissant. Le crime ne doit-il pas
-être réprimé et puni partout où il se trouve?
-Et si quelque classe pouvait réclamer le privilége
-de l'indulgence, ne serait-ce pas plutôt
-celle qui se trouve privée des lumières
-de l'éducation? Vainement l'esprit de parti,
-si exclusif dans ses jugemens, vainement l'esprit
-de corporation, qui ne se montre pas
-moins injuste dans son égoïsme, jettent les
-hauts cris quand la justice met sa main de
-fer sur quelqu'un de leurs affiliés dont le
-crime est flagrant. Cet homme est un prêtre,
-un ministre de la religion. Faudra-t-il donc
-pour cela qu'il puisse être assassin impunément?
-Ou plutôt le vrai scandale ne viendra-t-il
-pas de la part de ceux qui, par un
-esprit de corps mal entendu, chercheront à
-soustraire le criminel à la vindicte des lois?
-Comment expliquer cette susceptibilité maladroite,
-manifestée par le clergé dans plusieurs
-<span class="pagenum"><a id="Page_150"> 150</a></span>
-circonstances déplorables? Les fautes,
-les crimes même de quelques-uns de ses
-membres, peuvent-ils altérer en rien la réputation
-de vertu et de sainteté dont jouit à
-juste titre l'auguste ministère du sacerdoce?
-N'est-ce pas au contraire assumer sur soi la
-honteuse solidarité d'actes répréhensibles ou
-criminels, que protéger ceux qui s'en sont
-rendus coupables? Une armée ne se croit pas
-déshonorée par la désertion de quelques lâches;
-elle les voue au mépris et les repousse
-à jamais de son sein. La justice déplore toute
-espèce de prévarication commise par l'un de
-ses agens; mais loin de chercher à étouffer
-son crime, elle lui inflige une punition exemplaire
-et le bannit à toujours de son sanctuaire.</p>
-
-<p>Il serait bien temps, ce semble, que le
-bon sens public fît enfin justice de ce préjugé
-barbare qui fait encore peser sur toute
-une famille, sur tout un corps, la faute d'un
-seul individu. Les fautes sont personnelles,
-et il ne doit rien en rejaillir sur ceux qui en
-sont innocens. Pour que cette importante vérité
-pût s'infiltrer dans les masses, il faudrait
-nécessairement, il serait à désirer qu'elle descendît
-<span class="pagenum"><a id="Page_151"> 151</a></span>
-de plus haut, et surtout qu'elle fût
-professée publiquement par les prêtres, eux
-que leurs fonctions rapprochent à toute
-heure des classes pauvres et ignorantes. Ce
-serait un moyen d'inspirer de la confiance à
-tous, de raffermir la foi dans les c&oelig;urs chancelans,
-et de l'entretenir dans les âmes pieuses
-et candides des vrais croyans.</p>
-
-<p>Quel tort pouvait éprouver la religion de
-l'attentat commis par Mingrat? Que pouvait-on,
-à cette occasion, reprocher au clergé,
-sinon sa trop grande facilité à admettre,
-presque sans examen, parmi les lévites du
-Seigneur, une foule de jeunes gens sans vocation,
-et qui n'embrassent cet état que <i>pour
-faire leur chemin</i>? Certes, les crimes isolés
-des Mingrat et des Contrafatto ne peuvent
-porter atteinte à cette glorieuse religion qui
-a produit un Las-Casas, un Vincent de Paul,
-un François de Sales, un Belzunce, un Cheverrus,
-et tant d'autres hommes de sagesse
-et de vertu; à cette religion bienfaisante dont
-tous les pas sont marqués par une rosée inépuisable
-de dons et de bénédictions; à cette
-religion prévoyante, qui fait qu'il se trouve
-«un homme dans chaque paroisse qui n'a
-<span class="pagenum"><a id="Page_152"> 152</a></span>
-point de famille, mais qui est de la famille de
-tout le monde, qu'on appelle comme témoin,
-comme conseil ou comme agent, dans tous les
-actes solennels de la vie civile; sans lequel
-on ne peut naître ni mourir, qui prend l'homme
-au sein de sa mère, et ne le quitte qu'à la
-tombe; qui bénit ou consacre le berceau, la
-couche conjugale, le lit de mort et le cercueil;
-un homme que les petits enfans s'accoutument
-à aimer, à vénérer et à craindre; que
-les inconnus mêmes appellent mon père; aux
-pieds duquel les chrétiens vont répandre leurs
-aveux les plus intimes, leurs larmes les plus
-secrètes; un homme qui est le consolateur,
-par état, de toutes les misères de l'âme et du
-corps, l'intermédiaire obligé de la richesse
-et de l'indigence, qui voit le pauvre et le riche
-frapper tour-à-tour à sa porte: le riche,
-pour y verser l'aumône secrète, le pauvre
-pour la recevoir sans rougir; qui, n'étant
-d'aucun rang social, tient également à toutes
-les classes; aux classes inférieures, par la vie
-pauvre, et souvent par l'humilité de la naissance;
-aux classes élevées, par l'éducation, la
-science et l'élévation de sentimens qu'une religion
-philanthropique inspire et commande;
-<span class="pagenum"><a id="Page_153"> 153</a></span>
-un homme enfin qui sait tout, qui a le droit
-de tout dire, et dont la parole tombe de haut
-sur les intelligences et sur les c&oelig;urs, avec
-l'autorité d'une mission divine et l'empire
-d'une foi toute faite.»</p>
-
-<p>Cette belle et touchante définition du bon
-curé, dans laquelle M. de Lamartine n'a fait
-que peindre d'après nature un grand nombre
-de pasteurs de nos villes et de nos campagnes,
-contrastera sans doute horriblement
-avec les faits que nous allons rapporter.
-Mais du moins cette citation, ainsi que les
-réflexions qui la précèdent feront voir que
-nous ne confondons nullement la religion et
-ses ministres fidèles avec quelques misérables,
-qui, sous le masque d'une pieuse hypocrisie,
-se rendent coupables des plus noirs forfaits.</p>
-
-<p>Antoine Mingrat était né à Grand-Lamps,
-petit village du Dauphiné, à quelques lieues
-de Saint-Quentin. Sa mère, dont le caractère
-était un mélange d'ambition et de fanatisme
-religieux, lui inspira de bonne heure le goût
-des choses matérielles du culte. Comme Mingrat
-aimait à primer sur tous ceux qui l'entouraient,
-et qu'il avait entendu sa mère
-parler avec déférence des gens d'église, il
-<span class="pagenum"><a id="Page_154"> 154</a></span>
-résolut de se vouer à l'état ecclésiastique; et
-son imagination, d'ailleurs active, ne s'occupa
-plus que du soin de s'en assurer les
-moyens.</p>
-
-<p>Voici ce qu'on raconte à ce sujet. Un jour
-que son enthousiasme était porté au comble,
-il fit part de son projet à de jeunes filles, chez
-la mère desquelles madame Mingrat prenait
-des leçons d'accouchement, à Grenoble. Celles-ci
-s'offrirent de le tonsurer; il courba son
-front, et bientôt ses cheveux tombèrent sous
-les ciseaux. L'opération terminée, il vole chez
-sa mère; elle était absente. Il emploie cet
-instant à se composer un maintien doctoral,
-prend un livre et s'étudie à déclamer comme
-les prédicateurs qu'il entendait chaque jour.
-Il était dans cette attitude grotesque, lorsque
-sa mère rentra; il courut au-devant d'elle, et
-d'un air triomphant, lui montra sa tonsure.
-Madame Mingrat, étonnée, demanda la cause
-de ce qu'elle attribuait à un accident. «Ah!
-ma mère, répondit Antoine avec émotion,
-on m'a fait prêtre! Telle est la volonté du
-ciel.» A ces mots, sa mère, enflammée d'un
-saint courroux, vola chez les joyeuses tonsurières,
-qui s'étaient fait un jeu du désir du
-<span class="pagenum"><a id="Page_155"> 155</a></span>
-jeune Mingrat, les accabla d'invectives, cria
-au sacrilége, et sortit en disant que son fils
-n'était pas digne de recevoir les ordres. Revenue
-chez elle, vainement voulut-elle faire entendre
-à son fils que l'on n'avait fait qu'abuser
-de sa crédulité; Antoine s'obstina et lui
-jura que sa résolution était prise irrévocablement,
-que le ciel l'appelait à la prêtrise, et
-qu'il suivrait sa vocation en dépit de tous.</p>
-
-<p>Néanmoins, Mingrat fut mis en apprentissage
-chez un peigneur de chanvre, d'où il fut
-bientôt honteusement chassé pour son indocilité
-et sa paresse. Une de ses tantes qui
-l'aimait tendrement, le fit venir auprès d'elle.
-On intéressa en sa faveur une dame influente
-et riche. La protectrice voulut voir Antoine;
-il lui fut présenté. Elle l'interrogea sur ses
-goûts, son éducation, ses habitudes: on
-parla de religion. Mingrat venait d'atteindre
-sa seizième année: il brûlait d'entrer dans
-l'état ecclésiastique; il répondit à toutes les
-questions avec assez de justesse; et telle était
-sa prévoyante adulation, qu'il ne parla devant
-cette dame que de Dieu, de son divin
-Rédempteur; et pour mieux encore édifier
-<span class="pagenum"><a id="Page_156"> 156</a></span>
-ses auditeurs, il accompagnait chacune de ses
-paroles d'un signe de croix.</p>
-
-<p>Dupe de ses pieuses grimaces, cette dame
-le fit entrer au séminaire de Grenoble, croyant
-ce jeune homme appelé à donner un nouveau
-lustre à la carrière qu'il voulait embrasser.</p>
-
-<p>Toutefois, malgré sa prétendue vocation,
-Mingrat, une fois installé, ne se distingua ni
-par son application ni par sa conduite; mais
-il possédait un art qui lui tenait lieu de tout
-le reste, celui de s'emparer par de basses adulations
-de la confiance de ses supérieurs. Il
-était même devenu l'agent secret des délations
-auxquelles ont recours presque indistinctement
-tous ceux qui ont à gouverner ou à diriger
-un grand nombre d'individus. Par ce
-moyen honteux, il obtenait des priviléges exclusifs,
-dont il profitait pour se soustraire aux
-rigueurs de la vie claustrale, et passer dans des
-lieux de débauche des momens qu'il eût pu
-donner à d'honnêtes amusemens.</p>
-
-<p>Enfin Mingrat fut ordonné prêtre; c'était
-le but de son ambition. <i>Oserait-on</i>, disait-il
-souvent, <i>attaquer la réputation d'un prêtre</i>?
-Le caractère sacré dont il venait d'être revêtu
-semblait être à ses yeux une autorisation de
-<span class="pagenum"><a id="Page_157"> 157</a></span>
-tout faire avec impunité. Nommé à la cure de
-Saint-Aupe, il ne tarda pas à commencer sa
-vie scandaleuse, et ne contraignit plus ses inclinations
-ni son caractère. Son presbytère
-devint un lieu de scandale; et quoiqu'il ne négligeât
-rien pour cacher sa conduite, on connut
-bientôt ses intrigues clandestines. La désunion
-de plusieurs ménages, le déshonneur
-de plusieurs filles, attestèrent son séjour dans
-cette paroisse.</p>
-
-<p>Plus d'une fois, abusant de la force extraordinaire
-dont la nature l'avait doué, il l'employait
-contre les femmes qu'il ne pouvait gagner
-par ses discours; plus d'une fois aussi,
-il dut à sa brutalité ce qui n'était réservé qu'à
-l'amour. Les habitans de Saint-Aupe lui témoignèrent
-souvent leur indignation, et le
-menacèrent d'avoir recours aux autorités pour
-l'éloigner d'une paroisse dont il était le fléau,
-au lieu d'en être le père. Mais Mingrat se riait
-de leurs impuissantes menaces. Cependant, et
-malgré son inconcevable audace, l'indigne
-curé commençait à s'apercevoir que ses désordres
-étaient connus de ses supérieurs. Une nouvelle
-liaison avec la fille d'un de ses paroissiens
-ameutant contre lui tous les habitans, ceux-ci
-<span class="pagenum"><a id="Page_158"> 158</a></span>
-allèrent en foule se plaindre aux autorités, et
-peu après, Mingrat reçut l'ordre d'abandonner
-son presbytère. Le curé de Mirebel lui écrivit
-à cette occasion une lettre de reproches dans
-laquelle il lui disait textuellement: «Mettez
-une montagne entre vous et les hommes.»
-Mingrat ne pouvait suivre un semblable conseil.
-Chassé de Saint-Aupe, il fut envoyé à
-Saint-Quentin, pour le malheur de cette commune.</p>
-
-<p>A son arrivée dans sa nouvelle paroisse,
-Mingrat, pour détruire l'impression des bruits
-qui l'y avaient précédé, et pour faire croire
-qu'il avait été victime de la calomnie, afficha
-une grande austérité de principes. Son caractère
-dominateur se faisait surtout remarquer
-dans ses sermons. Il exerçait le despotisme le
-plus révoltant, au nom d'un Dieu de paix et
-de miséricorde. Dès son apparition à Saint-Quentin,
-les danses, les jeux, les plus innocens
-plaisirs furent défendus. Le jour de la fête
-patronale, la jeunesse s'étant réunie, animée
-par la gaîté, crut pouvoir se permettre d'enfreindre
-un moment les ordres du curé; on
-dansa. Mingrat les épiait. Il monta dans le haut
-du clocher, et regardant par un trou, il fut
-<span class="pagenum"><a id="Page_159"> 159</a></span>
-le spectateur des plaisirs qu'il avait anathématisés
-dans ses sermons. Les jeunes gens s'apercevant
-des menées du pasteur, ne firent
-qu'en rire. Mingrat se promit bien de prendre
-sa revanche. Le dimanche suivant, réunissant
-tous les foudres de son éloquence, il laissa
-tomber de la chaire sainte ces mots foudroyans:
-«Vous avez foulé aux pieds les cendres de vos
-ancêtres, qui sont là-bas au diable!...» La place
-où l'on avait dansé avait été un cimetière;
-c'est ce qui expliquait l'étrange mouvement
-oratoire du pasteur irrité; et l'on peut juger
-de l'effet que dut produire un sermon de ce
-genre.</p>
-
-<p>A cette époque, Mingrat avait à peine atteint
-sa vingt-huitième année. Par ce rigorisme extérieur,
-par cette autorité despotique, il semblait
-préluder en silence et dans l'ombre au forfait qui
-bientôt devait frapper d'épouvante et de douleur
-les paisibles habitans de Saint-Quentin.
-Du reste, son hypocrisie ne pouvait en imposer
-qu'à des âmes crédules et timorées, car
-son extérieur était un indice assez fidèle de ce
-qui se passait au-dedans de lui. Des cheveux
-noirs et plats, un front très-étroit, des sourcils
-très-épais ombrageant un &oelig;il brun, sombre
-<span class="pagenum"><a id="Page_160"> 160</a></span>
-et faux; un regard farouche, des lèvres
-épaisses, n'exprimant que la colère ou le dédain;
-une taille élevée, massive, et presque
-gigantesque: tel était au physique l'homme
-que l'on avait envoyé à Saint-Quentin comme
-l'apôtre et le vicaire d'un Dieu de miséricorde,
-de consolation, de mansuétude et de paix,
-d'un Dieu qui sur la croix bénissait ses bourreaux,
-d'un Dieu que l'on représente sous la
-forme symbolique du plus doux, du plus
-inoffensif des animaux.</p>
-
-<p>Mais, malgré l'imposture la plus habilement
-calculée, un c&oelig;ur corrompu par les passions
-les plus honteuses et par les goûts les plus dépravés,
-ne peut, quelque gêne qu'il veuille
-s'imposer, tenir long-temps cachée la plaie
-honteuse qui le ronge. Il ne faut qu'une occasion
-pour lui arracher son masque frauduleux,
-et mettre à nu toute sa laideur. Cette
-circonstance se présenta bientôt pour Mingrat.</p>
-
-<p>Maintenant que nous avons tracé le portrait
-de l'assassin, nous allons essayer de faire connaître
-sa victime.</p>
-
-<p>A un quart de lieue de Saint-Quentin, au
-hameau du Gît, paroisse desservie par Mingrat,
-vivait en paix un couple heureux,
-<span class="pagenum"><a id="Page_161"> 161</a></span>
-Étienne Charnalet et Marie Gérin. Retiré du
-service en 1817, Étienne avait rapporté dans
-ses foyers des marques distinctives de sa bravoure
-et une médiocre aisance. Il avait épousé
-Marie, en qui la beauté ne semblait qu'être le
-complément des plus rares qualités.</p>
-
-<p>Les deux époux vivaient dans la plus parfaite
-union depuis six ans, lorsque la mère de
-Marie mourut. Religieuse par besoin, pieuse
-par sentiment, Marie redoubla encore de ferveur,
-par suite de cet événement. Cette piété
-la portait, en toute occasion, à concourir
-avec zèle à tous les soins qu'exigeaient l'entretien
-et l'arrangement de l'église. Ce louable
-empressement, qui lui conciliait tous les éloges,
-la fit surtout remarquer par le nouveau
-pasteur. Celui-ci conçut pour elle une passion
-coupable, et ne songea plus qu'aux moyens
-de la faire partager, ou du moins de la satisfaire,
-à quelque prix que ce fût. Plusieurs fois
-il se rendit chez Marie pour l'entretenir de
-l'amour criminel qu'elle lui avait inspiré; mais
-celle-ci lui faisait accepter les épargnes qu'elle
-destinait aux pauvres, et Mingrat, réduit au
-silence, trouvait dans la vertu de celle qu'il
-convoitait un obstacle à ses desseins libidineux.
-<span class="pagenum"><a id="Page_162"> 162</a></span>
-Déjà trois mois s'étaient écoulés depuis
-qu'il desservait la cure de Saint-Quentin, et
-il n'était point encore parvenu à faire comprendre
-à Marie le véritable but de ses fréquentes
-visites, lorsqu'il apprit par elle, le
-7 mai 1822, que l'on devait célébrer le 9, à
-Veurey, village situé à deux lieues de Saint-Quentin,
-une première communion. Aussitôt
-son imagination s'enflamme; il entrevoit la
-possibilité de réaliser ses coupables projets.
-Le lendemain, il se rend chez un sieur Bourdes,
-l'un des voisins de Marie, afin de donner
-le change sur ses intentions; il dit à cet homme,
-qu'ayant appris que madame Charnalet se rendait
-le lendemain à Veurey, il vient la charger
-d'une lettre pour le curé de cette paroisse. Le
-fils de Bourdes s'offre d'accompagner Mingrat
-jusque chez Marie; et celui-ci, n'osant pas refuser,
-ils sortent ensemble. Marie était seule;
-elle les reçut avec sa franchise accoutumée.
-Mingrat, que la présence du jeune Bourdes
-contrariait, attendit, pour parler du véritable
-objet de sa visite, que l'importun témoin eût
-pris congé. Bourdes partit en effet quelques
-instans après, et le curé s'applaudissait déjà
-du tête-à-tête qu'il avait su se ménager, quand
-<span class="pagenum"><a id="Page_163"> 163</a></span>
-une nouvelle visite vint le troubler; néanmoins
-il demeura intrépidement jusqu'à ce que ce
-dernier venu se fût aussi retiré. Resté seul,
-pour la seconde fois, avec celle dont il méditait
-le déshonneur ou la perte, il aurait bien
-voulu hasarder un aveu non équivoque, mais
-le lieu ne lui parut pas favorable à l'exécution
-de ses vues criminelles; aussi n'entretient-il
-Marie que du voyage de Veurey et de la lettre
-dont il voulait la charger. Mais pour attirer
-plus sûrement sa faible proie dans le piége
-que lui avait tendu sa scélératesse, il dit qu'il
-n'avait pas cette lettre sur lui, et qu'il ne
-pourrait la lui remettre que dans la soirée,
-lorsqu'elle viendrait se confesser à Saint-Quentin.
-La chose étant ainsi arrangée, Mingrat
-était au comble de ses v&oelig;ux. Cependant, avant
-de se retirer, il aurait désiré informer Marie
-de son amour. Il lui fit lecture d'un livre qui
-traitait de l'amour du créateur; l'infâme n'y
-voyait que celui de la créature. Il espérait faire
-naître dans le c&oelig;ur de Marie la pensée adultère
-qui préoccupait vivement son imagination
-en délire. Mais la candide Marie, édifiée et
-non séduite, ne voyait dans les expressions du
-curé qu'une ferveur évangélique qu'elle interprétait
-<span class="pagenum"><a id="Page_164"> 164</a></span>
-dans le sens de ses sentimens religieux.
-Il en était de même des gestes significatifs dont
-le curé accompagnait sa lecture.</p>
-
-<p>Après cette lecture, Mingrat recommande
-à sa pénitente de ne pas manquer de venir le
-trouver le soir même. Celle-ci n'eut garde d'y
-manquer; mais avant de se rendre à l'église,
-elle prévint ses voisines qu'elle allait à confesse.
-L'infortunée était loin de soupçonner
-qu'elle allait à la mort.</p>
-
-<p>Marie arriva, à cinq heures, à la porte de
-l'église; lorsqu'elle y fut entrée, elle n'aperçut
-qu'une seule personne, une dame de Saint-Michel,
-ancienne religieuse qui terminait sa
-prière. Marie, en attendant le prêtre, alla se
-prosterner aux pieds de la statue de la Vierge.
-Madame de Saint-Michel allait quitter l'église,
-lorsqu'elle vit à la porte du clocher voisin de
-l'autel, un grand fantôme noir, ne présentant
-ni bras ni jambes, et paraissant surmonté
-d'un chapeau de forme triangulaire; le fantôme
-approche ou plutôt il s'élance vers
-Marie, mais s'arrêtant tout-à-coup, il recula
-et disparut par la porte du clocher. Madame
-de Saint-Michel, tremblante, se hâte de quitter
-son banc, mais en passant devant Marie,
-<span class="pagenum"><a id="Page_165"> 165</a></span>
-elle s'arrête un instant afin de pouvoir l'avertir
-par un signe de fuir ce lieu redoutable.
-Marie, occupée de sa prière, ne tint aucun
-compte de ce salutaire avertissement. Le fantôme
-n'était autre que Mingrat, qui, caché
-dans un large manteau, était venu épier Marie,
-et s'était retiré précipitamment aussitôt qu'il
-avait aperçu madame de Saint-Michel.</p>
-
-<p>Sûr alors d'être seul, Mingrat dépouille son
-lugubre accoutrement et s'approche de Marie.
-Il lui dit qu'il ne la trouve pas mise assez décemment
-pour être confessée dans l'église; il
-l'invite à l'accompagner au presbytère, où il
-l'entendra, dit-il, plus paisiblement, et pourra
-lui remettre la lettre en question. Marie, soumise
-et confiante, ne fait aucune difficulté
-d'accompagner le prêtre. Arrivée avec lui
-dans un arrière-cabinet dont la porte est aussitôt
-fermée avec soin, la malheureuse commence
-à connaître l'homme qu'elle considérait
-comme un respectable protecteur. Mingrat
-ne perd pas le temps, il saisit d'un bras vigoureux
-la tremblante Marie; il la bâillonne pour
-s'assurer de son silence; il l'entraîne sur un
-lit qui devait être le lit de mort de sa victime.</p>
-
-<p>Il n'y eut aucun témoin de cette scène horrible;
-<span class="pagenum"><a id="Page_166"> 166</a></span>
-mais, comme tout fut éclairé par les
-débats, et que des faits racontés par la servante
-de Mingrat, et des inductions tirées de
-l'état du cadavre, il résulta des preuves irrésistibles,
-nous allons essayer de retracer les
-principales particularités de cette lutte abominable.</p>
-
-<p>Le monstre, fatigué par ses vains efforts,
-effrayé des cris prolongés et sourds de la victime,
-ne voit plus que l'impérieuse nécessité
-d'accélérer son dernier moment. D'un bras
-vigoureux, il lui serre la gorge, et son genou,
-appuyé sur sa poitrine, il appelle et attend
-son dernier soupir qu'il surprend inhumainement
-sur les lèvres de la mourante Marie,
-dont la vertu et le courage semblent survivre
-à ses forces éteintes. La servante du curé,
-attirée par le bruit extraordinaire qu'elle vient
-d'entendre, était montée jusqu'à la porte, et
-avait, par ses cris, contraint Mingrat d'abandonner
-sa victime. «Ah! monsieur! dit-elle en
-apercevant son maître l'&oelig;il hagard et en désordre,
-que vous m'avez fait peur! J'ai cru que
-vous alliez mourir. «Taisez-vous, taisez-vous!
-répond le curé en délire, vous êtes une imbécille.»
-Puis il retourne vers le lit où Marie expire,
-<span class="pagenum"><a id="Page_167"> 167</a></span>
-mêler les frissons de son atroce passion
-au râle effrayant de la mort.... A sept heures
-et demie le crime était consommé, l'infortunée
-avait cessé de vivre.</p>
-
-<p>Cependant le besoin de veiller à sa sûreté,
-rappelle bientôt Mingrat à lui-même; il se résout
-à éloigner sa domestique indiscrète, et à
-cet effet, il lui ordonne de porter un journal
-à un sieur Heuraud, qui demeurait environ à
-quinze minutes du bourg. Cette fille, n'osant
-insister, prit le journal, feignit d'obéir, et
-comme tout ce qu'elle venait de voir lui semblait
-extraordinaire, elle se borna à rôder autour
-du presbytère. Suivant les dépositions de
-cette fille, le curé ne l'eut pas plus tôt éloignée,
-qu'il courut au fatal cabinet; celle-ci, étonnée
-de l'y voir paraître, grimpa sur un portail qui
-le dominait, et fut surprise par son maître; de
-sorte que son indiscrétion faillit lui être funeste.</p>
-
-<p>Mingrat lui commanda de nouveau, d'un
-ton menaçant, de faire sa commission; et profitant
-de la courte absence de la servante,
-pour préparer les moyens de faire disparaître
-le cadavre, il se munit d'un couteau, de plusieurs
-<span class="pagenum"><a id="Page_168"> 168</a></span>
-ficelles et dépouilla entièrement Marie
-de ses vêtemens.</p>
-
-<p>Il cache ensuite soigneusement les hardes
-de cette infortunée, à l'exception de son mouchoir
-de cou; il attache les deux pieds ensemble
-avec la plus longue des cordes; les
-deux bras sont également attachés, croisant
-sur la poitrine. Sur ces entrefaites, revient la
-servante; le curé est encore forcé d'interrompre
-son affreux travail. Il interroge cette fille
-sur ce qu'elle a vu. Celle-ci déclare tout ignorer;
-il lui recommande le silence sur tout ce
-qu'elle avait pu entendre. Contre son ordinaire,
-le curé n'avait pas encore soupé. La
-domestique, n'osant toucher à la table, prend
-un livre de prières. Des cris redoublés se font
-entendre à la porte du presbytère; Mingrat se
-présente, en s'écriant brusquement: Qui est
-là?..... C'était Charnalet, l'époux de Marie,
-qui, accompagné de plusieurs parens, venait
-demander au curé s'il n'avait pas vu sa femme.
-Mingrat répond que non. Charnalet insiste;
-on lui avait affirmé que Marie était entrée dans
-l'église à six heures du soir; le curé embarrassé
-répond en balbutiant: «En effet, je l'ai vue
-<span class="pagenum"><a id="Page_169"> 169</a></span>
-dans l'église, où elle priait dévotement. Elle
-m'a demandé à être confessée; ce que j'ai refusé,
-à cause qu'elle n'était pas mise avec assez
-de décence, et depuis ce moment je ne
-l'ai pas revue.» Puis il quitta brusquement
-Charnalet, dans la crainte qu'une plus longue
-conversation ne le trahît, ou que le malheureux
-époux ne fût tenté d'entrer au presbytère.
-Charnalet retourne chez lui, espérant encore
-y retrouver sa femme. Vaine espérance! elle
-n'avait pas encore reparu. Il revient à l'église,
-en parcourt tous les détours, appelle Marie....
-Les échos seuls répondent à ces touchans appels.</p>
-
-<p>Cependant Mingrat, après avoir congédié
-Charnalet, se débarrassa de sa servante qui
-ne couchait pas au presbytère, et immédiatement
-après son départ, il courut auprès
-du cadavre de Marie et le soulevant avec
-force, il le descendit par une fenêtre, au
-moyen de cordes, au pied du mur de la maison.
-Puis, cachant la lumière, il vint aussitôt
-dans la basse-cour, s'empara de la corde, et
-se mit en devoir de traîner le corps inanimé
-de la malheureuse Marie sur les ronces et sur
-les cailloux, jusque vers l'Isère, à un quart
-<span class="pagenum"><a id="Page_170"> 170</a></span>
-de lieue de Saint-Quentin. Le temps était orageux;
-la nuit, sombre, semblait protéger le
-scélérat de son obscurité. Il arrive sur le lieu
-que l'on appelait la Roche, où deux marches
-pratiquées dans le roc présentent un obstacle
-à surmonter; il s'élance au-delà des escaliers,
-tirant après lui le corps meurtri, qui, en
-rebondissant, laisse sur les marches rocailleuses
-des lambeaux de chair et des cheveux,
-vestiges délateurs qui devaient bientôt servir
-à convaincre Mingrat de son crime.</p>
-
-<p>De la Roche aux bords de l'Isère, il y avait
-un assez long espace à parcourir. Mingrat,
-épuisé par les efforts qu'il avait déjà été obligé
-de faire, cherche un moyen d'alléger sa
-charge; il tire un couteau de sa poche; il
-porte un premier coup obliquement depuis
-l'épaule droite jusqu'au-dessous du côté gauche,
-et partage tout le sein droit; mais les
-membres du cadavre offrant de la résistance
-à ses barbares efforts, il attache le corps sanglant
-par une jambe à l'arbre le plus prochain,
-se saisit de l'autre jambe, et par de
-nombreuses et violentes secousses, s'efforce
-inutilement de séparer les jambes du tronc.
-Dans sa rage, il imagine un autre moyen; il
-<span class="pagenum"><a id="Page_171"> 171</a></span>
-court au presbytère, y prend un couteau à hacher,
-à l'usage de la cuisine, qui, d'après la
-déclaration de la servante, était tout couvert
-de rouille, et revient à la Roche achever son
-ouvrage de cannibale. Cette fois, il réussit au
-gré de ses désirs; les jambes sont séparées du
-tronc; il les lance dans un ruisseau voisin qui
-se jetait dans l'Isère. Il revient de nouveau sur
-le théâtre de son affreux charnier, se charge
-du tronc et le précipite bientôt dans le fleuve,
-en laissant, par un calcul horrible, sur la
-rive, le mouchoir de cou de Marie, afin de
-faire naître le soupçon que cette malheureuse
-s'était noyée.</p>
-
-<p>Après cette effroyable boucherie, Mingrat,
-retourné dans son repaire, songe à faire disparaître
-tous les indices qui pourraient déposer
-contre lui; il dépouille sa soutane, et la
-joignant aux vêtemens de Marie, il y met le
-feu et en jette les cendres dans une fosse d'aisances
-qu'il recouvre de terre fraîche; puis,
-il nettoie soigneusement le couteau à hacher,
-se rhabille proprement et attend le jour, en
-s'efforçant de rendre à son visage le calme de
-l'innocence.</p>
-
-<p>Mais, malgré toutes ses minutieuses précautions,
-<span class="pagenum"><a id="Page_172"> 172</a></span>
-son crime allait bientôt être découvert.
-Quelques instans avant le jour, Joseph
-Michon, laboureur à Saint-Quentin, passant
-sous la Roche, à l'endroit même où Mingrat
-avait dépecé le cadavre, aperçut une place à
-terre de la largeur de deux pieds, couverte de
-sang fraîchement répandu, et près de là, une
-corde ensanglantée. Effrayé, il approche, regarde
-autour de lui, et trouve, à quelques
-pas plus loin, au pied d'un noyer, une place
-semblable à la première; il regarde avec plus
-d'attention, et rencontre bientôt un couteau à
-manche, souillé de sang, enfoncé dans la
-terre. Un mouvement d'horreur lui fait d'abord
-jeter ce couteau dans un buisson; mais
-réfléchissant que cet indice pouvait mettre
-sur la trace des auteurs d'un crime, il le ramasse,
-le lave avec soin, et retourne chez lui
-pour le renfermer.</p>
-
-<p>Le féroce Mingrat, vivement préoccupé de
-toutes les précautions à prendre pour cacher
-ses horreurs, se rappelle qu'il s'est d'abord
-servi d'un couteau; il le cherche avec anxiété,
-et s'aperçoit qu'il l'a oublié sur le théâtre de
-son forfait. Saisi d'effroi, il court en toute
-hâte à la Roche où il l'avait laissé. Mais, inutiles
-<span class="pagenum"><a id="Page_173"> 173</a></span>
-recherches! l'instrument accusateur avait
-disparu. Deux bouchers du pays, qui passaient
-en ce moment près de la Roche, furent étonnés
-de rencontrer le curé, à cette heure, en un
-semblable endroit; ils remarquèrent son air
-inquiet et son agitation; et leur étonnement
-fut à son comble quand, après son départ, ils
-virent des flots de sang répandu dans les lieux
-qu'il venait de quitter.</p>
-
-<p>De retour chez lui, Mingrat appelle sa servante
-et d'une voix menaçante, il l'interpelle
-ainsi: «Qu'avez-vous vu?.... répondez!» La
-malheureuse ne sait que répondre. «Je n'ai
-rien vu, dit-elle en tremblant; j'ai entendu
-des gémissemens; j'ai cru que vous alliez mourir.»
-Quelques instans après, en faisant le ménage,
-elle trouve le chapelet de la malheureuse
-Charnalet à moitié brûlé, et un pressentiment
-sinistre, dont elle ne peut se rendre
-compte, la pousse à le déposer dans un trou
-du mur sous le hangar. Chaque pas qu'elle
-fait dans le presbytère lui fait faire une nouvelle
-découverte. Là, ce sont des cendres et
-quelques morceaux de linges à demi brûlés;
-ailleurs, de la paille encore ensanglantée; plus
-loin, un lambeau de chair; enfin le couteau à
-<span class="pagenum"><a id="Page_174"> 174</a></span>
-hacher qu'elle savait être rouillé, est brillant;
-elle ne peut douter qu'il n'ait été tout récemment
-nettoyé. Malgré la faiblesse de son esprit,
-elle conçoit d'horribles soupçons. Elle
-prend la résolution de quitter le service d'un
-maître dont la conduite lui semble si étrangement
-mystérieuse.</p>
-
-<p>Pendant ce temps, le malheureux Charnalet,
-en proie aux plus vives alarmes, avait
-cherché sa pauvre Marie partout où il avait
-eu quelque espoir de la trouver. Il revint à la
-ferme du Gît, le désespoir dans le c&oelig;ur. Déjà
-le bruit de la mort de sa femme s'était répandu;
-son mouchoir, trouvé sur les bords de
-l'Isère, avait fait croire au stratagème de
-Mingrat. Cet événement donnait lieu à
-mille conjectures. Une cousine de Marie, accompagnée
-de quelques voisines, alla trouver
-Mingrat qui se promenait gravement, son
-bréviaire à la main. «Ah! monsieur le curé,
-lui dit la crédule cousine, si vous l'aviez confessée
-comme elle le désirait, peut-être l'eussiez-vous
-détournée de son fatal projet!&mdash;Je
-la vis en effet dans l'église, répondit l'hypocrite;
-elle priait dévotement. Elle vint à moi,
-me témoignant le désir d'être confessée; mais
-<span class="pagenum"><a id="Page_175"> 175</a></span>
-la voyant mise peu décemment, lui trouvant
-d'ailleurs l'&oelig;il hagard, je la renvoyai à un
-autre jour. Je suis bien aise, au contraire,
-d'avoir refusé de l'entendre; car si je l'eusse
-confessée, et qu'elle eût péri tout de même,
-l'on m'aurait donné tort et l'on m'aurait dit
-que j'étais cause de sa mort, ayant exalté son
-imagination..... Pourtant voyons! descendons
-vers la Roche.» Ils se rendirent en effet dans
-cet endroit; une foule de personnes en exploraient
-les alentours. Mingrat ne craignit
-pas de paraître au milieu de cette multitude
-rassemblée. Son front calme, quoique sévère,
-ne laissait rien paraître des sentimens
-qui devaient l'agiter.</p>
-
-<p>Après cette démarche audacieuse, Mingrat
-revint au presbytère, où sa servante l'attendait
-pour lui demander à quitter son service...
-«Montez! Votre ouvrage n'est point
-ici, s'écria le curé en l'apercevant.&mdash;Oh!
-monsieur, répliqua-t-elle avec effroi; je n'y
-saurais tenir: laissez-moi m'en aller!» Ces
-mots firent comprendre à Mingrat que cette
-fille avait deviné ou découvert son crime. Il
-la saisit d'un bras vigoureux, l'entraîne au
-pied du sanctuaire, et d'une main, retirant du
-<span class="pagenum"><a id="Page_176"> 176</a></span>
-tabernacle le Saint-Sacrement, et de l'autre
-lui tenant avec force le bras tendu vers l'autel,
-il la contraignit de jurer qu'elle garderait
-le plus profond silence sur tout ce qu'elle
-avait vu. La tremblante domestique obéit et
-répéta le serment que Mingrat dicta lui-même.
-Ce serment, prononcé dans de telles circonstances,
-fit une si forte impression sur l'esprit
-faible de cette pauvre fille, qu'elle ne
-consentit à révéler à la justice les affreux
-mystères de la nuit du 9 mai, qu'après y avoir
-été autorisée par son confesseur, qui lui dit
-qu'elle était obligée de raconter tout ce qu'elle
-savait.</p>
-
-<p>Cependant un événement aussi extraordinaire
-ne devait pas rester long-temps sans
-appeler l'attention de l'autorité locale. Elle
-prit les informations les plus minutieuses sur
-tout ce qui pouvait avoir rapport à la disparition
-subite de l'épouse de Charnalet. M. Bossan,
-l'adjoint du maire de Saint-Quentin, déploya
-surtout beaucoup de zèle dans la poursuite
-de cette déplorable affaire. Ce fut par
-ses soins que l'on acquit la conviction que le
-couteau trouvé par le cultivateur Michon, appartenait
-à Mingrat.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_177"> 177</a></span>
-Quelques jours s'étaient passés sans que
-l'on eût acquis de nouveaux éclaircissemens
-sur la catastrophe du 9 mai; on remarquait
-seulement que Mingrat évitait autant que
-possible de se montrer en public; lorsque, le
-16 mai, jour de l'Ascension, à sept heures du
-matin, de jeunes bergers, s'amusant à pêcher
-dans un fossé qui communique à l'Isère, amenèrent
-au bout de leur ligne une cuisse humaine.
-Saisis d'épouvante, ils rejettent dans
-le ruisseau cet affreux objet, et s'enfuient vers
-le bourg, en répétant partout la cause de leur
-effroi. L'adjoint, prévenu de cette circonstance,
-se transporte sur les lieux indiqués
-par les jeunes pâtres; on retrouve la cuisse
-sanglante. Il résulte de l'examen des médecins,
-que le membre mutilé est une cuisse
-de femme, et tout semble s'éclaircir. Déjà l'on
-murmurait tout bas le nom de Mingrat.</p>
-
-<p>On alla déposer dans le cimetière la cuisse
-retrouvée; mais à peine les autorités, qui
-avaient accompagné ce douloureux convoi, se
-furent retirées, que le fourbe et audacieux
-curé, sans doute pour faire taire les rumeurs
-sourdes dont il était l'objet, courut au cimetière
-et ordonna que cette cuisse fût jetée dans
-<span class="pagenum"><a id="Page_178"> 178</a></span>
-un coin, loin des âmes justes qui reposaient
-dans ces lieux. «Marie, disait-il, ne méritait
-aucune sépulture puisqu'elle s'était noyée et
-avait perdu son salut. Je l'ai vue, ajoutait-il,
-possédée par le diable, oui, par Satan qui la
-tenait dans ses bras pour l'entraîner dans l'abîme!»
-Quand il sut que les soupçons à son
-égard prenaient de plus en plus de la consistance,
-il fit dire à M. Bossan: «Qu'il était
-prêt à donner ses réponses, si on voulait l'interroger.»
-Mais cette proposition, qui n'avait
-pour objet que d'en imposer à des gens
-peu éclairés, ne fut qu'un indice de plus de
-sa culpabilité.</p>
-
-<p>Jusque-là l'autorité avait été forcée à de
-grands ménagemens à cause du caractère sacré
-dont Mingrat était revêtu; mais les élémens
-sur lesquels se fondait la présomption
-ne permettaient plus de rester inactif. On se
-décida à prendre contre le coupable des mesures
-de sûreté. L'indigne curé, prévenu, par
-un confrère officieux, du projet qu'on avait
-de l'arrêter, jugea à propos de se soustraire
-à la justice. Les gendarmes, envoyés à sa poursuite,
-ne purent le joindre; il les avait devancés
-de quelques heures, et arrivés aux frontières,
-<span class="pagenum"><a id="Page_179"> 179</a></span>
-ils furent contraints de remettre à l'autorité
-sarde les ordres qu'ils avaient reçus. Mingrat
-s'était réfugié dans la grotte dite des Échelles.
-Les carabiniers piémontais le découvrirent et
-l'arrêtèrent, quoiqu'il protestât de son innocence
-et qu'il s'écriât <i>qu'on ne pouvait saisir
-un homme de sa robe</i>.</p>
-
-<p>Malgré ses récriminations, il fut entraîné
-et conduit dans les prisons de Chambéry. Il
-dut à son habit d'y jouir d'une liberté peu
-commune, et il en profita pour commettre à
-demi un nouveau crime. La nièce du concierge
-de la prison, qu'il avait déjà remarquée, se
-trouvant un soir dans un passage obscur où
-le scélérat l'attendait, il tenta de lui faire
-violence. La jeune fille poussant des cris affreux,
-Mingrat, dans la crainte d'être découvert,
-l'avait déjà saisie à la gorge comme pour
-l'étrangler, quand plusieurs personnes étant
-accourues, l'arrachèrent de ses mains forcenées;
-et sur les plaintes des parens de la jeune
-fille, on obtint la translation de Mingrat
-à Fénestrelle, forteresse de la Savoie, à dix
-lieues de Besançon.</p>
-
-<p>Il paraît que pendant son séjour à Chambéry,
-ce maître tartufe avait eu tellement
-<span class="pagenum"><a id="Page_180"> 180</a></span>
-l'art de se couvrir du masque de la vertu, que
-toutes les dévotes, qui le visitaient par humanité,
-ne doutaient pas qu'il n'eût été victime de
-fausses accusations, et le regardaient comme
-un martyr de la méchanceté humaine.</p>
-
-<p>Cependant les forfaits de ce monstre étaient
-patens. Trois jours après sa fuite, on avait
-retrouvé dans les parages de Fory, à cinq
-lieues de Saint-Quentin, le tronc mutilé de
-Marie. L'examen judiciaire de ce cadavre eut
-lieu, en présence des médecins; on reconnut
-facilement les traces sanglantes du couteau
-et les meurtrissures que les mains du curé
-avaient faites sur la victime. Après de longues
-hésitations, la servante de Mingrat se décida
-à raconter tout ce qui était à sa connaissance;
-elle reconnut aussi le couteau de son maître;
-et ses révélations achevèrent de compléter les
-preuves du crime commis au presbytère de
-Saint-Quentin dans la nuit du 9 mai.</p>
-
-<p>Enfin la procédure fut portée devant la
-Cour d'assises de l'Isère, qui, par arrêt du
-9 décembre 1822, condamna par contumace
-le curé Mingrat à la peine de mort, comme
-coupable du crime de viol et d'assassinat.</p>
-
-<p>Vainement Charnalet et Gérin, époux et
-<span class="pagenum"><a id="Page_181"> 181</a></span>
-frère de la victime, firent les démarches les
-plus actives pour obtenir l'extradition de l'assassin:
-une protection mystérieuse lui servit
-constamment d'égide contre le glaive de la loi.
-Pour prix de sa tendresse fraternelle, le sieur
-Gérin fut présenté par d'ignobles calomniateurs
-comme le fauteur de l'assassinat, bien
-que depuis long-temps il habitât une contrée
-fort éloignée du séjour de sa s&oelig;ur; et l'on
-ne saurait nombrer les brutales persécutions
-auxquelles il fut en butte, lorsque, pour
-faire connaître dans toute sa hideuse vérité le
-curé Mingrat, il alla distribuer dans nos provinces
-l'histoire des malheurs de sa famille.</p>
-
-<p>Depuis son arrestation, l'assassin de Marie
-jouit, dans la forteresse de Fénestrelle, de
-l'impunité qu'on lui a ménagée. Puissent au
-moins ses protecteurs le faire garder étroitement,
-et ne jamais lâcher sur la société cette
-bête féroce, dont la présence serait un fléau
-partout où le monstre porterait ses pas!</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_182"> 182</a></span></p>
-<h2 class="normal">CASTAING.</h2>
-</div>
-
-<p>Le nom de Castaing fit, il y a dix ans, une
-assez profonde impression sur tous les esprits,
-pour qu'il soit permis de croire que le souvenir
-de cet homme, jugé coupable de grands
-forfaits, n'est point effacé, malgré les événemens
-de tout genre et de la plus haute importance,
-malgré les scélératesses inouies
-qui depuis lors ont pris place en foule dans
-notre histoire contemporaine.</p>
-
-<p>Castaing, il faut le dire, fut un second
-Desrues: au lieu du masque de la religion, il
-eut recours à celui de l'amitié, et tous deux
-se montrèrent également hypocrites; tous
-deux furent également inspirés par une avide
-cupidité; tous deux voulurent veiller seuls
-auprès de leurs victimes, comme pour mieux
-jouir de leur crime, comme pour mieux en
-assurer l'effet. Ce qui établit entre eux une
-différence qui ne tourne pas à l'avantage de
-Castaing, c'est que Desrues avait manifesté ses
-<span class="pagenum"><a id="Page_183"> 183</a></span>
-inclinations vicieuses dès ses plus jeunes ans,
-et que son éducation fut très-négligée, au lieu
-que Castaing trouva des exemples de toutes
-les vertus dans sa propre famille, tint lui-même
-une conduite long-temps exemplaire,
-se distingua par sa douceur et l'aménité de
-ses m&oelig;urs, et cultiva, avec non moins de
-succès que de zèle, des sciences dont il devait
-faire plus tard un usage si criminel. Ajoutons
-que Castaing était médecin! Ainsi l'art qui a
-pour but de guérir les maux qui nous assiégent,
-Castaing s'en servit pour assassiner savamment
-deux amis, dont préalablement il
-s'était assuré la fortune par des testamens!</p>
-
-<p>Et, à propos de testamens, qu'il nous soit
-permis de hasarder quelques réflexions qui
-peuvent être de quelque utilité. Les testamens
-tels que la loi les tolère aujourd'hui dans notre
-état de société, servent, dans une foule de
-cas, à frustrer des héritiers légitimes, au profit
-d'habiles intrigans, qui n'ont capté le testateur
-que dans un but unique, celui de se
-faire donner sa fortune. Par héritiers légitimes,
-nous n'entendons pas les collatéraux
-dont les droits seraient souvent très-contestables,
-sous certains rapports; il s'agit ici d'enfans,
-<span class="pagenum"><a id="Page_184"> 184</a></span>
-de frères, de s&oelig;urs, qui, au moyen
-de testamens extorqués par adresse ou arrachés
-à l'imbécillité de l'âge, se sont vus dépouillés
-par d'avides étrangers. Nous ne prétendons
-nullement enchaîner la volonté des
-testateurs; mais nous pensons qu'il serait désirable
-que l'on revît d'un &oelig;il sévère et prévoyant
-toute la législation relative aux testamens.
-Que de spoliations, que d'iniquités,
-que de crimes secrets ont été la suite de dispositions
-testamentaires!</p>
-
-<p>Combien de fois s'est renouvelée l'histoire
-tragique de ce vieux prélat dont parle le
-<i>Diable boiteux</i> de notre Lesage! Cet homme
-sortit de ce monde assez brusquement, pour
-avoir fait son testament en pleine santé, et
-l'avoir lu à ses domestiques, à qui, comme un
-bon maître, il léguait quelque chose. Son
-cuisinier fut impatient d'avoir son legs!</p>
-
-<p>J.-J. Rousseau a protesté quelquefois, par
-ses écrits et par ses exemples, contre la manie
-des testamens. Milord Maréchal voulait
-le mettre dans le sien: Rousseau s'y opposa
-de toute sa force, disant qu'il ne voudrait
-pour rien au monde se savoir dans le testament
-de qui que ce fût. Milord Maréchal,
-<span class="pagenum"><a id="Page_185"> 185</a></span>
-vaincu par les motifs du philosophe, voulut
-au moins lui faire une pension viagère; Rousseau
-ne s'y opposa point. «On dira, écrivait-il
-à ce sujet, que je gagne à ce changement:
-cela se peut. Mais, ô mon bienfaiteur et mon
-père! si j'ai le malheur de vous survivre, je
-sais qu'en vous perdant, j'ai tout à perdre,
-et que je n'ai rien à gagner.» Plus tard, le
-même Rousseau manifesta la même opinion,
-à l'occasion de la mort de M. le maréchal de
-Luxembourg. Comme ce seigneur avait une
-véritable amitié pour le grand écrivain, on
-écrivait à celui-ci qu'il était sur le testament.
-Rousseau se trouva fort embarrassé pour la
-détermination à prendre sur ce legs. Tout
-bien pesé, il résolut de l'accepter. «J'ai été,
-dit-il, dispensé de ce devoir, n'ayant plus entendu
-parler de ce legs vrai ou faux; et en
-vérité, j'aurais été peiné de blesser une des
-grandes maximes de la morale, en profitant
-de quelque chose à la mort de quelqu'un qui
-m'avait été cher.» Que de gens ne se font pas
-de semblables scrupules dans des circonstances
-de ce genre! Ceux qui héritent par testament
-ne se font guère ces objections de délicatesse,
-et ne vont pas s'amuser à chercher
-<span class="pagenum"><a id="Page_186"> 186</a></span>
-une question de morale au fond de leur legs.
-On hérite en vertu de la loi: peu importe le
-reste.</p>
-
-<p>Revenons à Castaing, triste et nouvel exemple
-du désordre que peut enfanter la cupidité,
-l'une des plus viles passions humaines. Edme-Samuel
-Castaing, né en 1796 à Alençon, d'une
-famille justement considérée, montra, dès ses
-jeunes années, un caractère ardent et une
-fermeté qui allait jusqu'à la ténacité. Il fit ses
-études au collége d'Angers, et s'y fit remarquer
-de ses professeurs par son application
-et par ses progrès. Ses études terminées, il se
-destina à la profession de médecin et travailla
-avec ardeur à se procurer les connaissances
-nécessaires pour parcourir cette carrière avec
-distinction. Il suivit, pendant deux ans, avec
-la plus grande exactitude, les cours de la Faculté;
-mais vers la fin de 1819, on put s'apercevoir
-qu'il était captivé par un sentiment
-d'une autre nature. Castaing avait eu l'occasion
-de donner, dans une légère maladie,
-quelques soins à une dame, veuve depuis peu
-de temps d'un ancien magistrat, et n'avait
-pu la voir sans en être violemment épris.</p>
-
-<p>Cette passion nuisit à celle de l'étude qui
-<span class="pagenum"><a id="Page_187"> 187</a></span>
-jusque alors avait constamment dominé Castaing;
-ce jeune homme ne fut plus occupé
-que des moyens de plaire à celle qu'il aimait
-et de lui faire partager ses sentimens. Après
-avoir éprouvé d'abord quelques résistances,
-il fut ensuite plus heureux; la liaison la
-plus intime s'établit entre les deux amans,
-et le 17 juillet 1821, Castaing devint père.</p>
-
-<p>Cédant aux remontrances de ses parens,
-il reprit le cours de ses études et se fit recevoir
-médecin. Dès ce moment, il se sépara
-presque tout-à-fait de sa famille, et se rapprocha
-davantage de sa maîtresse. Cette coupable
-liaison était un secret pour le monde, excepté
-pour deux jeunes frères, Hippolyte et
-Auguste Ballet, avec lesquels il était lié depuis
-quelque temps, surtout avec le premier
-qui, valétudinaire et craignant continuellement
-de perdre le peu de santé dont il jouissait,
-s'estimait heureux de trouver son médecin
-dans son ami.</p>
-
-<p>Les deux frères Ballet étaient tous les deux
-possesseurs d'une fortune considérable que
-leur avaient laissée leurs parens, morts tout
-récemment. Ils s'attachèrent à Castaing qui
-n'avait rien négligé pour les capter, et lui
-<span class="pagenum"><a id="Page_188"> 188</a></span>
-accordèrent la plus aveugle confiance, en retour
-de ses complaisances et de son dévouement
-apparent.</p>
-
-<p>Dans cet état de choses, Hippolyte Ballet
-mourut le 22 octobre 1822; l'état de malaise
-continuel dans lequel on était habitué à le
-voir fit regarder sa mort comme naturelle, quoiqu'elle
-fût prématurée; et Castaing n'en continua
-pas moins à vivre avec le frère survivant
-dans une intimité rendue encore plus étroite
-par l'isolement d'Auguste après la mort de
-son frère. Les faits que nous allons présenter
-apprendront avec quelle inconcevable barbarie,
-avec quelle froide cruauté, l'homme, que
-ces deux frères caressaient ainsi, devint leur
-bourreau commun.</p>
-
-<p>Le 29 mai 1823, Auguste Ballet, accompagné
-seulement de Castaing, arrive en bonne
-santé à Saint-Cloud. Le lendemain au soir, il
-se plaint tout-à-coup de douleurs très-vives qui
-vont toujours en augmentant. Il meurt le 1<sup>er</sup>
-juin. Une mort aussi subite paraît extraordinaire;
-des soupçons s'éveillent; la justice ne
-tarde pas à être informée; une enquête scrupuleuse
-a lieu, et les résultats de cette enquête
-provoquent une ordonnance de la Cour
-<span class="pagenum"><a id="Page_189"> 189</a></span>
-royale qui, le 26 août, renvoie Castaing devant
-la Cour d'assises de la Seine, comme
-prévenu d'attentat à la vie des deux frères
-Ballet, et de destruction du testament d'Hippolyte.</p>
-
-<p>Voici quelques détails qui nous sont fournis
-par l'acte d'accusation: «La maladie qui
-emporta le jeune Ballet avait commencé subitement
-le soir du vendredi 30 mai, lendemain
-de son arrivée à Saint-Cloud, après
-avoir bu du vin chaud. Elle redoubla le samedi
-matin, après avoir pris une tasse de lait
-froid. Elle devint une agonie le même jour,
-quelques minutes après qu'il eut avalé une
-cuillerée de potion calmante; dès ce moment
-il perdit connaissance. Il expira le dimanche,
-à une heure après-midi, après l'avoir recouvrée.
-La maladie parut extraordinaire, sa marche
-bien brusque, la catastrophe effrayante.
-Le défunt avait exhalé son dernier soupir loin
-de tous les siens, dans les bras de son compagnon
-de voyage. Le vin chaud, le lait froid,
-la cuillerée de potion calmante, lui avaient été
-administrés par ce dernier.</p>
-
-<p>«Avant qu'on sût rien de plus, et durant
-cette courte maladie, en en observant les
-<span class="pagenum"><a id="Page_190"> 190</a></span>
-symptômes, et après son issue, en en appréciant
-les circonstances, aubergistes, médecins,
-voisins, tout le monde fut frappé de stupeur;
-tout le monde s'était demandé ce que cela
-signifiait, et ce qu'étaient ces deux étrangers.
-Des soupçons affreux, quoique vagues encore,
-s'élevèrent sur celui qui survivait. Une circonstance
-vint tout-à-coup leur donner plus
-de gravité, on apprit avec une sorte de terreur
-que le jeune homme survivant était légataire
-universel du prédécédé, et que celui-ci
-était riche.</p>
-
-<p>«Même avant cette découverte, les médecins
-auxquels, selon leurs propres expressions,
-les circonstances du décès paraissaient <i>extraordinaires
-et contre l'ordre naturel des
-choses</i>, avaient cru que la justice devait prendre
-connaissance de cette affaire. Le nouvel
-incident rendit ce devoir plus impérieux.»</p>
-
-<p>Il résulta de l'enquête qui eut lieu que la
-correspondance de Castaing prouve qu'il était
-d'un naturel ardent, ambitieux; qu'il avait
-toujours été dévoré d'un violent désir de
-faire fortune: on lut dans une lettre saisie
-chez lui, que sa propre mère, quelques années
-auparavant, disait de lui des <i>horreurs</i>.
-<span class="pagenum"><a id="Page_191"> 191</a></span>
-Pour avoir l'explication de ce mot, il eût fallu
-interroger sa mère; la nature le défendait. On
-aurait pu interroger l'auteur de la lettre; on
-ne le fit pas par ménagement pour une grande
-passion. On ne put donc savoir quels étaient
-au juste les griefs qui arrachèrent à sa mère
-une aussi sévère expression. Le père était
-aussi très-mécontent de la conduite de son
-fils: c'est encore dans les papiers de ce dernier
-qu'on en a trouvé des preuves.</p>
-
-<p>Castaing, dans ses études aussi opiniâtres
-qu'étendues, avait cherché à approfondir la
-physiologie, l'anatomie, la botanique, la chimie.
-Ses travaux sur ces diverses sciences
-étaient attestés par de nombreux cahiers, tout
-couverts de ses observations et de ses extraits,
-et qui furent trouvés dans ses papiers. Mais
-après le déplorable événement qui donnait
-lieu à cette instruction, on ne put s'empêcher
-de frémir en remarquant que les studieuses
-investigations du jeune adepte embrassaient
-aussi les différentes espèces de poisons; qu'il
-recherchait avec grand soin quels sont ceux
-qui laissent après eux des traces dénonciatrices,
-et ceux qui, bien plus perfides, ne laissent
-après eux aucuns vestiges perceptibles
-<span class="pagenum"><a id="Page_192"> 192</a></span>
-aux yeux mêmes de l'anatomiste le plus exercé.
-On vit qu'il était enfin arrivé à la funeste connaissance
-que tels poisons n'agissent qu'à l'égard
-de certaines maladies, et en ne signalant
-leur passage que par des symptômes identiques
-avec ceux qu'auraient offerts après la
-mort ces mêmes maladies. «Tout cela, suivant
-l'acte d'accusation, résulte clairement des
-pièces trouvées chez Castaing. Ainsi un point
-bien certain, c'est qu'il savait très-bien, et
-peut-être trop bien, que certains poisons ne
-laissent aucune trace.»</p>
-
-<p>Ajoutons à ces indices que Castaing, quoique
-peu riche, pouvait se suffire à lui-même,
-en attendant que les bénéfices de son art lui
-procurassent une situation plus aisée. Mais
-Castaing avait une maîtresse très-pauvre elle-même,
-et si pauvre, qu'il avait à sa charge,
-outre ses besoins personnels, ceux de cette
-femme et de trois enfans d'un mari qui n'existait
-plus. En ajoutant l'entretien de deux autres
-enfans nés du commerce illégitime qui
-s'était établi entr'eux, on verra qu'il ne pouvait
-naturellement suffire à une pareille dépense.
-Il était d'autant plus tourmenté par
-cette idée, que sa passion n'était pas une passion
-<span class="pagenum"><a id="Page_193"> 193</a></span>
-vulgaire. La débauche n'avait point formé
-les n&oelig;uds de cette union. Castaing idolâtrait
-ses deux enfans, il adorait leur mère qu'il appelait
-sa femme; ces trois êtres paraissaient
-être les seuls objets de ses pensées; il ne rêvait
-qu'aux moyens de leur assurer une existence.</p>
-
-<p>L'accusation rappela ensuite que Castaing
-se trouvait dans un tel état de gêne, en juin 1822,
-qu'il ne savait alors comment opérer le remboursement
-d'une somme de 600 francs; et
-que, quatre mois après, c'est-à-dire au mois
-d'octobre de la même année, il se trouvait
-tout-à-coup avoir à sa disposition des capitaux
-considérables, prêtait 30,000 francs à sa mère,
-et en plaçait 70,000 dans les fonds publics
-sous des noms supposés, sans qu'on pût expliquer
-naturellement un pareil changement
-de fortune.</p>
-
-<p>A l'époque dont nous parlons, Castaing
-était déjà lié avec les deux frères Ballet, et s'était
-ménagé un puissant ascendant sur l'esprit
-de chacun d'eux. Jusque-là les frères Ballet s'étaient
-montrés très-attachés l'un à l'autre; mais
-vers ce temps-là même, cet attachement s'était
-beaucoup refroidi, sans que l'on sût quelle
-<span class="pagenum"><a id="Page_194"> 194</a></span>
-était la véritable cause de ce changement.</p>
-
-<p>Ce qui n'est point douteux, c'est qu'Hippolyte,
-dans les temps voisins de sa mort,
-confia à plusieurs de ses amis, aux uns d'abord,
-qu'il voulait faire un testament, aux
-autres ensuite, qu'il avait fait un testament,
-et que, par ce testament, il portait une grande
-atteinte aux droits légaux de son frère Auguste.
-L'existence de ce testament, attestée
-par plusieurs personnes notables en position
-de connaître les faits, pouvait d'autant moins
-être révoquée en doute, que Castaing lui-même
-avait déclaré à plusieurs personnes
-qu'Hippolyte avait testé, et qu'il avait déshérité
-son frère. Auguste Ballet avait confessé,
-en présence de témoins, qu'il avait vu et tenu
-ce testament après la mort de son frère. Quoi
-qu'il en soit, ce testament ne se retrouva pas
-dans la succession d'Hippolyte.</p>
-
-<p>Voici à peu près de quelle manière l'accusation
-expliquait la disparition de cet acte important.
-Hippolyte avait rendu le dernier soupir
-entre les bras de Castaing, comme Auguste;
-Castaing était resté seul dans l'appartement
-du moribond. Personne n'avait donc vu ni pu
-voir ce que fit Castaing dans cette maison
-<span class="pagenum"><a id="Page_195"> 195</a></span>
-dont il était resté le maître. On pouvait donc
-présumer que Castaing s'était emparé du testament
-d'Hippolyte, et l'avait livré à Auguste
-pour une somme de 100,000 francs.</p>
-
-<p>«Castaing, suivant l'accusation, était en beau
-train de fortune; déjà dans les 100,000 francs
-il avait recueilli une partie des dépouilles d'Hippolyte.
-Mais là ne s'arrêtait pas sa cupidité, et
-il est bien apparent qu'il avait le vif désir de
-recueillir tout ce qui en était passé dans la fortune
-d'Auguste, et avec cette seconde proie,
-toute la fortune même de celui-ci, puisqu'il
-s'était fait faire par lui un testament qui lui
-donnait tout ce qu'il possédait. Toutefois Castaing
-n'ignorait pas qu'un testament est un
-acte bien fragile, et toujours destructible au
-premier caprice du testateur. Et Auguste se
-refroidissait! et Auguste voulait aller demeurer
-loin de lui! et Auguste, impatient de son
-joug, de ses assiduités, de sa surveillance, paraissait
-vouloir reprendre sa liberté! Qu'en ferait-il?
-Que deviendrait le testament? Chaque
-jour, chaque heure, chaque minute pouvaient
-renverser de fond en comble les espérances de
-Castaing. Mais Castaing savait trop ce qu'en
-pareil cas il était possible de faire, et quels
-<span class="pagenum"><a id="Page_196"> 196</a></span>
-étaient les moyens puissans de fixer à jamais
-les choses dans l'état où elles étaient encore.</p>
-
-<p>«Il n'y avait même pas, par d'autres raisons,
-beaucoup de temps à perdre. Auguste
-venait de réaliser un capital de 100,000 francs;
-cela n'est pas douteux, car, peu de jours avant
-le voyage de Saint-Cloud, il les avait montrés
-à son ami Raisson, qui en a déposé. Castaing
-ne l'ignorait pas; sa conduite ultérieure prouvera
-qu'il savait non seulement qu'Auguste
-était en possession de cette somme, mais encore
-quel était précisément celui de ses meubles
-dans lequel il l'avait renfermée.</p>
-
-<p>«C'est sur ces entrefaites mêmes, et vers la
-fin du mois de mai, que se lie entre Auguste
-et Castaing une partie de campagne, sans que
-personne puisse dire ou savoir comment elle
-s'arrangea, lequel des deux la proposa, pourquoi
-ils la firent seuls, et enfin quel en fut le
-but.»</p>
-
-<p>Ce fut à la suite de cette partie de campagne
-qu'eut lieu la catastrophe subite d'Auguste
-Ballet. Certaines circonstances révélées, soit
-pendant l'instruction, soit pendant les débats,
-répandirent quelque lumière sur le crime et sur
-quelques-unes des démarches de son auteur.
-<span class="pagenum"><a id="Page_197"> 197</a></span>
-Voici ce que l'acte d'accusation offrait de plus
-important à ce sujet:</p>
-
-<p>Le 29 mai, de six à sept heures du matin,
-Auguste Ballet et Castaing allèrent ensemble,
-par les petites voitures, faire une course
-à Saint-Germain-en-Laye, et de retour
-de cette promenade, ils repartirent vers sept
-heures du soir, sans indiquer le lieu où ils
-allaient, après qu'Auguste eut dit seulement
-qu'ils seraient absens pendant deux ou trois
-jours. Ils se rendirent à Saint-Cloud, aussi
-par les petites voitures, et s'y rendirent seuls.
-Cette circonstance paraîtra, sinon étonnante,
-du moins un peu bizarre; car Auguste avait
-trois chevaux, plusieurs voitures, plusieurs
-domestiques: tous restèrent à Paris, sans
-qu'aucun d'eux connût le lieu où se rendaient
-les deux maîtres. On ne le sut que deux
-jours après, c'est-à-dire le 31 mai. Ce jour-là,
-arriva dans l'après-midi, à l'adresse du domestique
-d'Auguste, un billet de Castaing
-ainsi conçu: «M. Ballet se trouvant indisposé
-à Saint-Cloud, Jean viendra de suite le rejoindre
-avec le cheval gris et le cabriolet; lui et
-la mère Buret (femme de charge d'Auguste),
-ne parleront à personne de tout cela. On dira
-<span class="pagenum"><a id="Page_198"> 198</a></span>
-à ceux qui le demanderont qu'il est à la campagne,
-et cela, par ordre très-exprès de M. Ballet.&mdash;Adresse
-de M. Ballet: <i>Tête-Noire</i>, à
-Saint-Cloud.»</p>
-
-<p>Le domestique Jean partit sur-le-champ
-avec le cabriolet, arriva à Saint-Cloud et
-trouva son maître au lit. Celui-ci se plaignit
-d'avoir été tourmenté par des coliques et des
-vomissemens.</p>
-
-<p>Que s'était-il donc passé dans ce malheureux
-voyage? Le voici: Castaing et Auguste
-étaient arrivés à la Tête-Noire à Saint-Cloud,
-le 29 mai, vers neuf heures du soir. On avait
-donné aux voyageurs une chambre à deux
-lits, qu'ils occupèrent ensemble. Les deux
-amis se promenèrent, toujours ensemble,
-toute la journée du vendredi 30, sauf le temps
-du dîner, qu'ils vinrent prendre à l'auberge,
-et après lequel ils rentrèrent à neuf heures
-du soir, et Castaing demanda alors une demi-bouteille
-de vin chaud sans sucre, attendu
-qu'ils avaient le leur avec eux. On monta le
-vin, et les voyageurs y mirent de leur sucre
-et des citrons que Castaing avait achetés. Les
-choses en étaient là, lorsque Castaing, sans
-nulle provocation, quitta la chambre et se
-<span class="pagenum"><a id="Page_199"> 199</a></span>
-trouva, quelques instans après, devant le lit
-d'un jeune domestique de la maison qui était
-malade et à qui il tâta le pouls, sans toutefois
-rien lui prescrire.</p>
-
-<p>Pendant ce temps, Auguste avait goûté le
-vin chaud, qui lui sembla si mauvais qu'il ne
-but pas ce qui lui avait été versé. La servante
-de la maison étant survenue, Auguste lui
-dit: «J'ai trop mis de citron dans ce vin;
-il est si amer que je ne puis le boire.» La
-servante en goûta et le trouva effectivement
-bien sûr; puis elle se retira. Les deux amis
-se mirent au lit; cette nuit n'eut pas d'autre
-témoin que Castaing. Quelque suspect que
-puisse être son récit, il est cependant certains
-détails auxquels on est forcé d'ajouter foi.
-Auguste, suivant lui, fut agité toute la
-nuit; il ne dormit pas, il se plaignit plusieurs
-fois à Castaing de ne pouvoir rester en place.
-Il eut des coliques; le matin enfin, il déclara
-qu'il ne pouvait sortir du lit, qu'il avait les
-jambes enflées et ne pouvait mettre ses bottes.
-Quant à Castaing, il sortit, suivant son récit,
-pour faire un tour de parc. Ce n'était pas
-seulement une fantaisie assez déplacée, c'était
-encore une fantaisie bien pressée, à ce qu'il
-<span class="pagenum"><a id="Page_200"> 200</a></span>
-paraît, car il n'était encore que quatre heures
-du matin, et un des domestiques de la maison
-fut obligé de se lever pour lui ouvrir la porte.
-Cette prétendue promenade dans le parc n'était
-qu'une allégation, mise en avant pour cacher
-une bien affreuse vérité.</p>
-
-<p>Castaing ne rentra que sur les huit heures;
-son premier soin fut de demander pour Auguste
-du lait froid; dans l'instruction, il
-prétendit qu'il avait demandé du lait chaud:
-tous les témoins déposèrent du contraire.</p>
-
-<p>Auguste prit le lait qui lui fut présenté par
-Castaing, et fort peu de temps après, les
-vomissemens se succédèrent rapidement, et
-furent accompagnés de coliques. On se débarrassa
-sur-le-champ de toutes les déjections.
-Cependant l'état du malade empirait visiblement.
-Il demanda un médecin; Castaing lui
-proposa d'en faire venir un de Paris, mais
-Auguste voulut qu'on en prît un sur les lieux
-mêmes.</p>
-
-<p>On alla chercher M. Pigache, médecin à
-Saint-Cloud, lequel ne put arriver qu'à onze
-heures du matin. Il demanda à Castaing ce
-qu'il pensait de la maladie; celui-ci répondit
-qu'il la regardait comme un <i>cholera-morbus</i>.
-<span class="pagenum"><a id="Page_201"> 201</a></span>
-M. Pigache ordonna des émolliens et se retira.
-Il revint vers trois heures, et trouva le malade
-encore plus mal. Castaing était sorti, pour
-la troisième fois de la journée. M. Pigache
-se plaignit de ce que ses prescriptions n'avaient
-pas été ponctuellement suivies. On lui
-promit plus d'exactitude, et il quitta le malade
-jusqu'à cinq heures. A son retour, il
-ordonna une potion calmante, et ne fut pas
-d'avis qu'on obtempérât au désir qu'avait manifesté
-le malade d'être transporté à Paris.
-Ayant annoncé, en se retirant, l'intention de
-revenir encore dans la soirée, Castaing lui
-dit que cela n'était pas nécessaire. Celui-ci,
-au reste, avait écrit la lettre qu'on a vue plus
-haut, et qui motiva l'arrivée du nègre Jean.</p>
-
-<p>Les soins de ce fidèle domestique furent
-à peu près inutiles. Les symptômes alarmans
-augmentèrent; la respiration du malade était
-gênée; il ne pouvait plus avaler sa salive.
-Castaing, sur ces entrefaites, lui administra
-une cuillerée de potion; l'effet en fut prompt
-et malheureux: cinq minutes après, il eut
-une espèce d'attaque de nerfs; à partir de ce
-moment, il demeura constamment sans connaissance.
-Castaing le laissa dans cet état jusqu'à
-<span class="pagenum"><a id="Page_202"> 202</a></span>
-onze heures et demie du soir. Alors M. Pigache,
-averti par un domestique de la maison,
-à qui Castaing avait dit que son ami ne passerait
-pas la nuit, vint encore une fois.</p>
-
-<p>Le corps du malade était couvert d'une
-sueur froide et parsemé de taches bleuâtres.
-Cependant une saignée ayant produit un peu
-de mieux, M. Pigache dit à Castaing qu'il regardait
-l'état de son ami comme à peu près
-désespéré, mais que pourtant une seconde
-saignée pourrait être salutaire; Castaing objecta
-que si elle n'était pas suivie du succès,
-on pourrait s'attirer des reproches. M. Pigache
-alors demanda un médecin de Paris;
-mais comme il était une heure du matin,
-Castaing fit observer que l'heure était trop
-avancée. On attendit donc, et, à trois heures,
-Jean partit avec deux lettres de M. Pigache,
-adressées à deux médecins de Paris, avec
-ordre de ramener l'un ou l'autre.</p>
-
-<p>Pendant ce temps, Castaing, sur l'avis de
-M. Pigache, alla chercher le curé de Saint-Cloud,
-à qui il dit que le malade avait une
-fièvre cérébrale. Tandis que l'on administrait
-l'extrême-onction au moribond, Castaing
-resta à genoux dans un recueillement et dans
-<span class="pagenum"><a id="Page_203"> 203</a></span>
-une ferveur qui frappèrent le sacristain, émerveillé
-de tant de piété. Après la cérémonie,
-Castaing sortit de nouveau et resta dehors
-une ou deux heures. Il rentra vers six heures.
-Peu après, arriva le docteur Pelletan fils,
-qui, ainsi que le sieur Pigache, pensa que le
-malade était sans ressource. On tenta cependant
-quelques derniers remèdes qui ne produisirent
-aucun effet. Enfin Auguste expira,
-entre midi et une heure, au milieu des pleurs
-et des gémissemens de Castaing, qui paraissait
-accablé de douleur.</p>
-
-<p>Quant aux médecins, ils furent frappés de
-surprise, et ils requirent la justice d'intervenir.</p>
-
-<p>Le mystère qui paraissait envelopper cette
-mort aussi prompte qu'inopinée, demeurait
-jusque-là impénétrable et n'éveillait que des
-soupçons vagues. Afin de faire tomber le voile
-qui cachait le crime de Castaing, et pour
-mieux faire connaître aux lecteurs les moyens
-employés par lui pour le consommer, nous
-allons, empruntant le langage du procureur-général,
-dévoiler les parties de sa conduite,
-que, dans ces trois tristes journées, le criminel
-avait espéré tenir toujours cachées. Pour
-<span class="pagenum"><a id="Page_204"> 204</a></span>
-cela, il devient nécessaire de se reporter à la
-première de ces trois journées, celle du vendredi
-30 mai.</p>
-
-<p>On se rappelle qu'Auguste, après avoir
-pris la veille, vers son coucher, ce vin si suspect,
-avait passé une très-mauvaise nuit, si
-mauvaise que, de l'aveu même de Castaing,
-il n'avait pu se lever le matin.</p>
-
-<p>On se rappelle également que ce même
-matin, dès quatre heures, Castaing était sur
-pied, et quittait son ami malade pour aller se
-promener, disait-il, dans le parc.</p>
-
-<p>Castaing mentait quand il disait qu'il allait
-se promener; il allait à Paris. Il prenait une
-voiture pour s'y rendre plus vite, et pour revenir
-aussitôt, de manière qu'on n'attribuât
-en effet son absence qu'à une promenade.
-Et qu'allait-il chercher si vite et si mystérieusement
-à Paris? du poison. Quel poison? Le
-même que celui acheté déjà par lui, dix-sept
-jours avant la mort d'Hippolyte, du poison
-végétal, du poison qui ne laisse aucune trace
-de son passage dans l'organisation humaine;
-du poison dont les effets, au dire des médecins,
-étant identiques avec ceux que produisent
-certaines maladies, permettent toujours
-<span class="pagenum"><a id="Page_205"> 205</a></span>
-en présence des symptômes, de douter s'ils
-sont produits par l'empoisonnement ou par
-la maladie; de l'acétate de morphine enfin.
-Castaing arriva à Paris comme on ouvrait les
-boutiques. Il entra dans celle de M. Robin,
-pharmacien, rue de la Feuillade, n<sup>o</sup> 5; il n'y
-trouva que l'élève, auquel, se donnant lui-même
-pour un commissionnaire, il présenta
-une ordonnance au crayon, signé, <i>Castaing,
-docteur-médecin</i>, pour se faire délivrer douze
-grains d'émétique. L'élève, effrayé de la quantité,
-qui est en effet plus que suffisante, administrée
-en masse, pour donner la mort,
-parut hésiter. Le prétendu commissionnaire
-lui dit que c'était pour le faire prendre en
-lavage, selon la méthode du docteur Castaing.
-Étourdi par ce grand mot, l'élève livra les
-douze grains.</p>
-
-<p>Muni de ce premier moyen de destruction,
-Castaing se transporta sans perdre de temps
-à la place du pont Saint-Michel, chez M. Chevalier,
-autre pharmacien, et lui acheta un
-demi-gros d'acétate de morphine. Dans la
-conversation, contraint de s'expliquer sur
-l'usage auquel il le destinait, il déclara que
-c'était pour faire des essais sur des animaux.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_206"> 206</a></span>
-Il remonta en cabriolet et revint en toute
-hâte à Saint-Cloud. En rentrant dans l'auberge,
-il demanda du lait froid pour son ami;
-Auguste but le lait; les vomissemens et les
-coliques le travaillèrent sur-le-champ, et
-désormais, pour quiconque n'est pas privé de
-bon sens, tout n'est que trop expliqué. En
-effet, il devient évident qu'en partant pour
-Saint-Cloud, Castaing s'était muni d'une dose
-de poison quelconque, qu'il avait crue suffisante
-pour l'effet qu'il s'en promettait; et
-cette dose, il avait eu toutes les facilités du
-monde pour l'emporter. On avait fait une
-perquisition chez lui; on avait trouvé de l'acétate
-de morphine en grande quantité, et
-d'autres poisons, tant minéraux que végétaux;
-d'où il résulte que Castaing, en partant, avait
-pu puiser à son gré dans ses provisions de
-poison.</p>
-
-<p>Une autre circonstance est bien remarquable
-encore; le jour où les deux amis
-étaient partis le soir pour Saint-Cloud, ils
-avaient fait le matin une course à Saint-Germain-en-Laye.
-Il n'était pas probable que
-Castaing se fût nanti, avant cette course, de
-la dose de poison dont il méditait de se servir
-<span class="pagenum"><a id="Page_207"> 207</a></span>
-à Saint-Cloud; aussi, entre les deux voyages
-de Saint-Germain et de Saint-Cloud, retourna-t-il
-chez lui, quoique sans grand besoin
-apparent.</p>
-
-<p>Ce fait connu, tout s'explique dans les bizarreries
-de la conduite extérieure de Castaing
-à Saint-Cloud. Auguste et lui arrivent le
-29; ils se promènent, et, dans cette promenade,
-Castaing achète du citron et du sucre
-pour sa préparation du soir. Il fallait acheter
-soi-même du sucre et du citron, afin que
-l'aubergiste ne montât pas le vin tout préparé,
-que Castaing eût un prétexte pour mettre la
-main à sa confection, et qu'il pût y glisser les
-funestes ingrédiens. Il fallait du citron surtout;
-l'acétate est très-amer: l'amertume dans
-le vin pouvait, et trahir sa présence, et empêcher
-Auguste d'en boire. La saveur du citron
-a une grande énergie; Castaing espérait qu'elle
-masquerait et vaincrait la saveur de l'acétate
-de morphine.</p>
-
-<p>A présent, on voit pourquoi Auguste et
-Castaing sont partis seuls; Castaing, pour le
-projet qu'il méditait, ne voulait avoir auprès
-d'Auguste que lui-même; il n'avait pas besoin
-de témoin. On voit pourquoi Auguste a
-<span class="pagenum"><a id="Page_208"> 208</a></span>
-trouvé de l'amertume dans un mélange de
-vin, de sucre et de jus de citron, qui ne devait
-en renfermer aucune.</p>
-
-<p>On voit pourquoi, n'en ayant bu que fort
-peu, le premier empoisonnement manqua
-son effet, ou n'en produisit d'autres que celui
-de donner de grandes agitations, des coliques,
-des enflures, et de faire passer à Auguste une
-très-mauvaise nuit. On voit encore comment
-Castaing fut contrarié de voir son projet arrêté;
-comment démuni qu'il était de poison,
-soit parce qu'il avait mis dans le vin tout ce
-qu'il en avait apporté, soit parce que, après
-y avoir mis la dose par lui jugée suffisante, il
-s'était hâté, dans le trajet de la chambre
-d'Auguste à celle du domestique, près du lit
-duquel il fut vu quelques instans après qu'on
-eut monté le vin, de se défaire de tout ce qu'il
-avait pu en conserver sur lui, et comment,
-persistant toutefois dans son affreux projet,
-il fut obligé d'aller à Paris, si matin et avec
-tant de mystère, en faire une nouvelle provision.
-On voit comment, de retour à Saint-Cloud,
-il demanda aussitôt du lait, du lait
-froid, que cette qualité rend plus propre à
-resserrer les saveurs; comment il le fit boire
-<span class="pagenum"><a id="Page_209"> 209</a></span>
-à Auguste, après y avoir certainement mis les
-douze grains d'émétique; comment le lait
-produisit sur-le-champ les vomissemens, les
-coliques et les tranchées. On voit comment,
-aussitôt après avoir administré ce lait, Castaing
-faisait une course sans but apparent,
-mais dont le but caché était d'ôter de sa possession,
-et de déposer quelque part l'acétate
-qu'il voulait réserver pour le besoin. On voit
-comment, rentré à l'auberge, et s'apercevant
-que l'effet du lait ne marchait ni assez vite,
-ni assez violemment, craignant peut-être que
-la bonté du tempérament d'Auguste ne triomphât
-de ce lait homicide, il ressortit pour aller
-reprendre l'acétate; comment il donna à
-son retour la cuillerée de potion, et comment,
-après cette cuillerée de potion préparée
-par lui et subitement, Auguste entra en agonie.</p>
-
-<p>Tels étaient les faits et les conjectures plus
-ou moins fondés, fournis par l'instruction
-et énoncés dans l'acte d'accusation. Quant au
-genre d'intérêt que Castaing avait eu à commettre
-le crime, il était mis à découvert d'une
-manière incontestable. Dès la matinée du
-31, Castaing s'était emparé des clefs de
-meubles qui étaient dans l'appartement
-<span class="pagenum"><a id="Page_210"> 210</a></span>
-d'Auguste à Paris, et dans l'un desquels se
-trouvait alors une somme de soixante-dix
-mille francs en billets de banque; une fois
-maître de ces clefs, aussitôt que Jean fut arrivé,
-il les lui donna, en lui disant que son maître
-les lui avait confiées pour les remettre à quelqu'un;
-mais que ne pouvant le quitter, c'était
-lui, Jean, qu'il chargeait de les porter à la
-personne désignée. Cette personne était un
-sieur Malassis, clerc de M<sup>e</sup> Collin de Saint-Menge,
-notaire à Paris, et dépositaire du
-testament d'Auguste Ballet, objet de la convoitise
-et du dernier crime de Castaing.</p>
-
-<p>Dès les premiers momens qui avaient suivi
-la mort d'Auguste, Castaing avait été arrêté.
-A peine arrivé dans la prison de Versailles,
-il chercha un prisonnier qui pût recevoir
-ses confidences, et l'aider à combattre les
-difficultés de sa position en devenant un
-intermédiaire entre lui et les personnes qu'il
-était intéressé à engager au silence. Il crut
-rencontrer cet intermédiaire dans un sieur
-Goupil, prisonnier comme lui en apparence,
-mais qui, en réalité avait été placé à dessein
-près de Castaing, pour provoquer ses confidences.
-Ce fut à ce Goupil que Castaing fit,
-<span class="pagenum"><a id="Page_211"> 211</a></span>
-sauf l'aveu de ses crimes, des révélations
-très-circonstanciées sur sa triste position, sur
-la résolution qu'il avait prise de se suicider
-par un moyen très-subtil et très-doux, si
-l'autopsie du corps était à charge contre lui;
-sur son commerce avec une femme dont il
-avait eu des enfans; sur l'amitié qui l'avait
-lié avec les frères Ballet; sur les soupçons qui
-se rattachaient à lui, et par rapport au testament
-de l'aîné, et par rapport à la mort
-presque subite du second; sur les cent mille
-francs qu'il possédait et qui lui venaient, disait-il,
-d'un oncle; sur les placemens qu'il avait
-faits et qu'il lui détailla; sur les poisons qu'il
-avait en sa possession; sur ceux qu'il avait
-achetés dernièrement; sur le grand danger
-qu'il y avait pour lui que ces faits fussent
-connus, etc. Il proposa à ce même Goupil
-de se charger du soin d'écrire à sa mère, pour
-qu'elle fît, auprès de plusieurs personnes qui
-connaissaient les faits relatés ci-dessus, les
-démarches nécessaires pour les déterminer à
-garder le silence. Goupil consentit à tout; il
-écrivit à la mère de Castaing, mais en même
-temps il transmit à la justice les singulières
-confidences qu'il avait reçues.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_212"> 212</a></span>
-Transféré dans les prisons de Paris, Castaing
-s'efforça de nouveau de nouer des intrigues
-du même genre avec les prisonniers, pour
-qu'ils écrivissent au pharmacien Chevalier
-de ne pas dire que c'était de l'acétate de morphine
-qu'il avait acheté chez lui. Puis, ne sachant
-plus comment sortir du chaos inextricable
-de contradictions et de mensonges accumulés
-dans ses divers interrogatoires, il
-prit le parti de faire le fou. Le genre de folie
-qu'il avait adopté consistait à boire son urine
-et à s'abstenir d'alimens. Mais cette aliénation
-simulée fut de courte durée. Au bout de trois
-jours, il s'en lassa, et revint ou parut revenir
-à la raison.</p>
-
-<p>Castaing comparut, le 10 novembre 1823,
-devant la Cour d'assises de la Seine; la gravité,
-la célébrité de cette cause avaient attiré une
-affluence nombreuse de spectateurs.</p>
-
-<p>L'interrogatoire de l'accusé qui fut très-long
-et très-détaillé, ainsi que l'audition des
-témoins, vinrent corroborer la plupart des
-charges énoncées dans l'accusation. Interrogé
-sur sa sortie de l'auberge à cinq heures du
-matin, il répondit qu'il était allé à Paris acheter
-des substances vénéneuses destinées à des expériences
-<span class="pagenum"><a id="Page_213"> 213</a></span>
-qu'il devait faire avec Auguste Ballet
-sur des animaux de l'auberge. Il avait d'abord
-parlé des rats; il soutint ensuite qu'il
-n'avait été question que des chiens et des chats
-de l'auberge, dont le bruit avait incommodé
-Auguste pendant la nuit.</p>
-
-<p>Plusieurs pharmaciens déposèrent que Castaing
-avait acheté chez eux de fortes quantités
-d'acétate de morphine, chez l'un vingt grains,
-chez l'autre dix: ce dernier achat avait eu lieu
-le 18 septembre. Des dépositions accablantes
-furent faites par des parens des frères Ballet,
-tant au sujet du testament que du soin que
-Castaing prenait d'isoler ces deux jeunes
-gens de leur famille. Le président ayant demandé
-à l'accusé pourquoi il n'avait pas cru
-devoir, lors de la maladie subite de son ami,
-faire prévenir la s&oelig;ur et le beau-frère de
-Ballet: <i>J'étais troublé</i>, répondit Castaing.</p>
-
-<p>M. Vatrey, agent de change, déclara que, le
-10 octobre, l'accusé lui avait remis 70,000
-francs pour les placer en rentes. Les hommes
-de l'art furent ensuite entendus à l'occasion
-de l'autopsie du cadavre d'Auguste
-Ballet. Le docteur Chaussier fonda sa déposition
-à décharge sur cet axiome de jurisprudence:
-<span class="pagenum"><a id="Page_214"> 214</a></span>
-<i>Que là où il n'y a pas de corps de
-délit, il n'y a point de délit</i>; et il soutint son
-opinion avec une véhémence qui ne trouvait
-d'excuse que dans son grand âge et dans son
-autorité médicale. Une discussion assez longue
-et sans résultat positif s'engagea sur l'absorption
-des poisons. M. Chaussier déclara
-qu'il était d'avis que l'acétate de morphine
-devait laisser des traces de son passage dans
-l'estomac. M. Magendie exposa que le cas contraire
-lui paraissait possible, et qu'il penchait
-à croire que les accidens remarqués dans l'autopsie
-de Ballet, opération, selon lui, très-incomplète,
-auraient pu être produits par
-l'administration d'un poison.</p>
-
-<p>Enfin on procéda à l'audition des plaidoieries.
-M<sup>e</sup> Persil, avocat de la partie civile, dénonça,
-au nom de M. Martignon, beau-frère d'Hippolyte
-et d'Auguste Ballet, l'empoisonnement
-des deux frères et la soustraction du testament
-de l'un d'eux. «Je pouvais, dit en terminant
-l'avocat, je pouvais intéresser votre c&oelig;ur,
-en vous présentant l'infortuné Ballet luttant
-contre la mort, la société alarmée redoutant
-les suites de cette funeste découverte des poisons
-à l'aide desquels on peut donner la mort
-<span class="pagenum"><a id="Page_215"> 215</a></span>
-avec impunité: j'ai préféré ne parler qu'à
-votre raison. C'est ma raison qui m'a convaincu;
-c'est votre raison qui doit vous convaincre.
-Si cette raison vous dit qu'Hippolyte
-Ballet a été empoisonné; qu'il y a eu soustraction
-de testament, moyennant 100,000 fr.
-donnés; qu'Auguste a eu le sort de son infortuné
-frère, vous prononcerez la culpabilité
-de l'accusé: si elle vous dit qu'il n'est pas
-coupable, vous rejetterez Castaing dans la
-société».</p>
-
-<p>Le ministère public prit ensuite la parole.
-Il reprit la discussion des faits dans leur ensemble,
-et s'attacha principalement à prouver
-qu'il ne fallait pas confondre le corps du
-délit avec les preuves du délit. «Que doit-on
-entendre, dit-il, par le corps du délit? L'illustre
-d'Aguesseau le définit par un mot aussi
-juste que profond. Ce n'est, selon lui, autre
-chose que le délit lui-même; quant aux preuves,
-elles forment l'ensemble qui amène la
-conviction. Il y a des cas où, par la force
-des choses, les preuves accessoires du crime
-sont les seules possibles, et où le corps du
-délit n'existe pas. C'est la doctrine des d'Aguesseau,
-des Séguier, de tous les criminalistes:
-<span class="pagenum"><a id="Page_216"> 216</a></span>
-quant aux preuves, elles peuvent varier à
-l'infini. Sommes-nous dans l'application de
-ce principe? Oui, parce que les poisons végétaux
-ne laissent point de traces, ou qu'elles
-se confondent avec les accidens des maladies
-naturelles.</p>
-
-<p>«Si vous admettez qu'il faille obtenir dans
-le cas d'empoisonnement par les poisons végétaux,
-ce qu'on appelle la preuve matérielle,
-c'est-à-dire, la présence du poison dans le
-corps de l'empoisonné, il faut ajouter au Code
-pénal un article supplémentaire ainsi conçu:
-«Attendu que les poisons végétaux ne laissent
-point de traces, on peut empoisonner
-impunément: libre à tous de le faire.» On
-vous demanderait, en d'autres termes, d'adresser
-aux empoisonneurs ces paroles: Maladroits!
-n'allez pas chercher pour poison de
-l'arsenic; il laisse des traces: on vous dénoncerait.
-Prenez des poisons végétaux, empoisonnez
-votre père, empoisonnez votre
-mère, toute votre famille; vous hériterez
-d'eux. Et ne craignez rien, on ne vous découvrira
-pas: vous jouirez de l'impunité. Vous
-aurez empoisonné, oui; mais le corps du délit
-<span class="pagenum"><a id="Page_217"> 217</a></span>
-n'existera pas, parce qu'il ne peut pas
-exister.</p>
-
-<p>«Ah! messieurs, si des hommes raisonnables
-pouvaient admettre une pareille législation;
-si telles pouvaient être les lois d'un
-pays civilisé, il faudrait fuir une pareille
-société, où il n'y aurait plus ni sûreté, ni
-garantie. Vous n'y seriez plus en sûreté vous-mêmes,
-si un effroyable exemple d'empoisonnement
-restait impuni. Les conséquences
-qu'aurait une aussi funeste impunité sont incalculables.
-Nous craindrions les conséquences,
-non pas de votre arrêt, il sera toujours
-juste, mais de la fatale publicité de cette
-procédure, qui a initié le public dans la connaissance
-des poisons végétaux et de leurs
-sinistres effets.»</p>
-
-<p>L'avocat-général, passant à l'examen des
-faits relatifs à l'empoisonnement, prouva la
-ridicule absurdité du moyen de défense employé
-par l'accusé, et ayant pour objet de
-faire croire qu'Auguste Ballet, qui n'était pas
-médecin, eût voulu faire des expériences avec
-des poisons végétaux, sur des animaux, dans
-une maison étrangère, et dans un espace de
-temps qui n'était pas suffisant pour juger du
-<span class="pagenum"><a id="Page_218"> 218</a></span>
-résultat de l'expérience, puisqu'il devait le
-jour même repartir pour Paris.</p>
-
-<p>«Songez, messieurs, s'écriait ce magistrat,
-à la présence du poison à côté du cadavre,
-à la nature de la maladie, à celle du poison
-choisi, et vous n'hésiterez pas. Voilà tout le
-procès, je le répète; et tout effort pour en
-détourner votre attention serait superflu.</p>
-
-<p>«Le poison, qu'est-il devenu? C'est à l'accusé
-à en justifier l'emploi. Nous prouvons
-sa présence; nous montrons le cadavre. Nous
-demandons à l'accusé: Qu'avez-vous fait du
-poison? Il l'a jeté dans les latrines, dit-il. On
-ne l'a pas trouvé. Et pourquoi l'a-t-il jeté?
-parce qu'il a été effrayé, dit-il encore, du
-concours des circonstances. Raison de plus
-pour le garder; il aurait prouvé, en le montrant,
-qu'il ne l'avait pas employé. D'ailleurs,
-cette crainte des soupçons serait-elle naturelle
-dans une âme honnête, de la part d'un ami,
-qui assiste son ami dans ses derniers momens?</p>
-
-<p>«Mais voici une circonstance bien grave et
-bien remarquable. Une seconde ordonnance
-a été envoyée au pharmacien de Boulogne;
-nous en avons acquis la preuve. Ainsi il y a
-<span class="pagenum"><a id="Page_219"> 219</a></span>
-eu deux ordonnances portées chez ce pharmacien,
-et deux potions livrées par lui. Était-ce
-celle-là ou l'autre qui avait été empoisonnée?
-Voilà un trait de lumière qui fera qu'on ne
-s'étonnera plus, lorsque le domestique Léon
-dira qu'il n'y avait rien dans la cuillère avant
-d'y verser la potion. Il y avait deux potions:
-l'une fut empoisonnée, et ce fut celle qui fut
-administrée sous les yeux du nègre; l'autre
-était innocente; elle fut abandonnée pour
-tromper la justice. On n'avertit pas la famille
-de l'agonie d'Auguste; l'infortuné n'était
-pas encore dépouillé. Castaing voulait les
-deux clefs d'Auguste; ce n'est que lorsqu'il
-les possède qu'il avertit la famille. Il remet
-les clefs au nègre pour les porter à Malassis;
-mais ce serviteur fidèle conçoit des soupçons.
-<i>Il y a du louche dans tout cela</i>, vous
-a-t-il dit dans son gros bon sens: il avait
-raison.»</p>
-
-<p>L'avocat-général rappela aussi la piété
-feinte de Castaing pendant les prières du
-curé de Saint-Cloud, les mensonges et les
-sermens de cet accusé, lors des divers interrogatoires.
-«Il nous a suffi, dit-il en achevant
-<span class="pagenum"><a id="Page_220"> 220</a></span>
-de dérouler devant vous ce désolant
-tableau: vous avez senti jusqu'à quel point
-il intéresse l'ordre social. Vous ne donnerez
-pas à l'empoisonneur les riches dépouilles
-qu'il vient réclamer de vous, tenant de chaque
-main la tête d'un ami. Vous ne donnerez
-pas à l'empoisonnement un brevet d'encouragement
-et d'impunité. La société consternée
-a jeté le cri d'alarme; la société sera
-vengée.»</p>
-
-<p>On remarqua que l'accusé eut sans cesse
-les yeux fixés sur l'avocat-général pendant
-toute la durée de son réquisitoire; son teint
-était vivement animé, et principalement sur
-la fin, il se livra plusieurs fois à des mouvemens
-d'impatience.</p>
-
-<p>La cause de Castaing fut défendue avec
-talent par M<sup>es</sup> Roussel et Berryer. Mais que
-peuvent le zèle le plus vrai, l'éloquence la plus
-puissante, contre des circonstances aussi
-avérées, contre des faits si peu douteux,
-tranchons le mot, contre des preuves si irrécusables?</p>
-
-<p>Les jurés eurent à délibérer sur les trois
-questions suivantes:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_221"> 221</a></span>
-Edme-Samuel Castaing est-il coupable
-d'avoir, dans le courant d'octobre 1822, à
-l'aide de substances vénéneuses, causé la
-mort d'Hippolyte Ballet?</p>
-
-<p>Est-il coupable d'avoir, de complicité
-avec Auguste Ballet, détruit le testament
-d'Hippolyte Ballet?</p>
-
-<p>Est-il coupable d'avoir, les 30 mai et
-1<sup>er</sup> juin, à l'aide de substances vénéneuses,
-causé la mort d'Auguste Ballet?</p>
-
-<p>La délibération du jury dura près de deux
-heures. La déclaration fut négative sur la
-première question, et affirmative sur les
-deux autres. Pour la dernière question,
-il n'y eut qu'une majorité de sept voix contre
-cinq; mais la Cour se réunit, à l'unanimité,
-à la majorité du jury.</p>
-
-<p>Alors on fit rentrer Castaing dans la salle
-d'audience. Sa démarche était ferme et assurée;
-il entendit, sans changer de couleur, la
-lecture de la déclaration du jury et les conclusions
-du ministère public tendantes à l'application
-des peines portées par la loi. Sur la demande
-du président s'il avait quelque chose
-à dire sur cette application, il répondit d'une
-voix forte:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_222"> 222</a></span>
-«Non, M. le président; je saurai mourir,
-quoique je sois bien malheureux, et quoique
-des circonstances fatales m'entraînent dans la
-tombe! J'irai retrouver mes deux amis. On
-m'accuse de les avoir assassinés lâchement.....
-mais il y a une Providence! S'il y a quelque
-chose de divin dans l'être qui vit, ce quelque
-chose ira vous retrouver, ô mes amis, Auguste,
-Hippolyte! Ce ne sont point de vaines
-déclamations, je n'implore point votre miséricorde;
-je n'implore rien de ce qui est humain
-(élevant ses mains vers le ciel); mon espérance
-est maintenant dans la Divinité. Je
-marcherai avec délices à l'échafaud..... parce
-que ma conscience ne me reproche rien,
-parce que ma conscience ne m'accusera pas,
-lors même que je sentirai..... (Il porta les
-mains à son cou.) Hélas! il est des choses
-qu'on éprouve et qu'on ne peut exprimer.»
-Il ajouta d'une voix affaiblie: «Vous avez
-voulu ma mort; la voilà...»</p>
-
-<p>L'avocat de la partie civile prit, d'une voix
-altérée, des conclusions tendantes à la nullité
-du testament d'Auguste Ballet; et la Cour se
-retira de nouveau pour délibérer sur l'application
-de la peine.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_223"> 223</a></span>
-Pendant ce temps, les jurés étaient restés
-appuyés sur leurs bancs dans un morne silence.
-La nuit était fort avancée; les bougies
-qui commençaient à pâlir, la sombre lueur des
-lampes épuisées, tout concourait à donner à
-cette scène un aspect lugubre et déchirant.
-M<sup>e</sup> Roussel, l'un des avocats du prévenu,
-fondait en larmes. Castaing se pencha vers
-lui; son accent et ses gestes étaient pleins
-d'énergie. «Allons, lui dit-il, rassurez-vous,
-Roussel; regardez-moi: je ne pleure pas. Je
-vous remercie des efforts que vous avez faits
-pour ma défense; vous avez cru à mon innocence,
-je suis innocent en effet... Embrassez
-mon père, ma mère, mes frères... (Avec un
-accent douloureux.) ma fille... Vous me le
-promettez, n'est-ce pas?»</p>
-
-<p>Puis, s'adressant aux jeunes avocats placés
-dans le parquet:</p>
-
-<p>«Et vous, jeunes gens, qui avez assisté à
-mon jugement, vous, mes contemporains, assistez
-aussi à mon exécution. Ma fermeté ne
-se démentira pas; une prompte mort est la
-seule grâce que je demande... Je rougirais
-d'implorer la clémence...»</p>
-
-<p>La Cour alors rentra en séance, et le président
-<span class="pagenum"><a id="Page_224"> 224</a></span>
-lut, d'une voix très basse, l'arrêt qui
-condamnait Castaing à la peine de mort. Cet
-arrêt le condamnait en outre à payer la somme
-de cent mille francs, à titre de dommages et
-intérêts à la partie civile, en raison du préjudice
-qu'il devait réparer.</p>
-
-<p>Cette effrayante et mémorable procédure
-avait duré huit jours entiers, tant elle demandait
-d'efforts de la part des magistrats pour les
-amener à découvrir la vérité!</p>
-
-<p>Castaing se pourvut en cassation contre
-l'arrêt de la Cour d'assises, et la Cour suprême
-s'occupa de cette affaire, le 4 décembre
-suivant. Les trois moyens de nullité sur
-lesquels se fondait le pourvoi de Castaing,
-malgré l'appui que leur prêta M<sup>e</sup> Odilon-Barrot,
-ne furent pas jugés admissibles par la
-Cour, qui, en conséquence, rejeta le pourvoi.</p>
-
-<p>Le 6 décembre, deux jours après le rejet
-de son pourvoi, Castaing fut transféré des prisons
-de Bicêtre, où il avait été conduit le
-lendemain de sa condamnation, à la Conciergerie.
-Pendant tout le temps qu'il avait passé
-à Bicêtre, il avait été l'objet de la surveillance
-la plus active, parce que l'on craignait qu'il
-n'attentât à ses jours. Cette crainte n'était pas
-<span class="pagenum"><a id="Page_225"> 225</a></span>
-sans fondement, s'il est vrai, comme on l'a
-dit, que la boîte d'une montre qu'on chercha
-à lui faire passer du dehors, et qui fut
-saisie, contenait du poison. Quoi qu'il en soit,
-lorsqu'on vint lui annoncer sa translation à
-Paris, il fallut le réveiller d'un sommeil profond.
-Il paraît qu'il ne s'abusa pas sur le
-motif de cette visite, car il dit aussitôt: «Je
-vois ce que c'est.»</p>
-
-<p>Arrivé à la Conciergerie, il écrivit à son ancienne
-maîtresse une longue lettre, remarquable
-par un mélange confus d'idées religieuses
-et philosophiques. Il se fit ensuite conduire à
-la chapelle, et s'entretint avec le prêtre qui
-devait l'exhorter à la mort. Comme il avait
-témoigné le désir de voir encore une fois son
-père et sa fille, l'autorité s'empressa de donner
-la permission nécessaire pour cette entrevue;
-mais, par des motifs demeurés inconnus,
-elle n'eut pas lieu. Castaing demanda par
-écrit la bénédiction de son père, qui lui fut
-envoyée. L'heure de l'exécution avait été
-avancée. A cette époque, c'était ordinairement
-à quatre heures que l'on exécutait les
-condamnés. On vint, un peu avant deux heures,
-annoncer à Castaing que l'heure fatale
-<span class="pagenum"><a id="Page_226"> 226</a></span>
-était arrivée. A cette nouvelle, ses forces l'abandonnèrent
-un instant, et il parut vivement
-regretter les deux heures dont, selon
-lui, sa vie se trouvait abrégée. A sa sortie du
-dernier guichet de la Conciergerie, il parut
-entendre sans beaucoup d'émotion les murmures
-de la foule qui de toutes parts se précipitait
-dans la cour du Palais-de-Justice.
-Il s'élança alors sur le crucifix, l'embrassa
-avec force et à plusieurs reprises. On fut
-obligé de le monter à bras sur la fatale charrette.
-Pendant qu'on le liait, il promenait ses
-regards autour de lui avec un air assez tranquille;
-mais, pendant le trajet du Palais à la
-place de Grève, son maintien fut loin de conserver
-la même assurance: il sembla que son courage
-l'eût tout-à-coup abandonné. Son visage,
-jusque-là fortement coloré, se couvrit d'une
-pâleur mortelle; sa tête, cédant aux secousses
-de la charrette, tombait sur l'épaule du confesseur,
-avec qui néanmoins il conversait de
-temps en temps, et dont il paraissait écouter
-attentivement les exhortations.</p>
-
-<p>Arrivé au pied de l'échafaud, il tomba plutôt
-qu'il ne se mit à genoux, et demeura dans
-cette attitude pieuse près de quatre minutes.
-<span class="pagenum"><a id="Page_227"> 227</a></span>
-Il n'eut pas la force de se relever, et deux aides
-de l'exécuteur furent obligés de le soutenir
-pour monter sur l'échafaud.</p>
-
-<p>Cette condamnation de Castaing, comme
-empoisonneur, donna lieu, dans le temps, à
-des opinions diverses. Les uns, et ce fut le
-plus grand nombre, n'hésitaient pas, tout en
-plaignant une famille si digne d'intérêt et de
-compassion, à regarder Castaing comme coupable;
-les autres, à la tête desquels se trouvait
-un grand nombre de médecins, déclarèrent
-hautement qu'il mourait innocent.
-D'après toutes les particularités du procès
-que nous avons rapportées, et jugeant sous
-la seule influence de notre conscience, nous
-penchons à croire que cette opinion procédait
-uniquement d'un esprit de corps mal entendu.
-On a vu à peu près la même chose, lors
-des crimes du curé Mingrat: comme si une
-corporation quelconque ne se nuisait pas plutôt
-qu'elle ne sert ses vrais intérêts, en protégeant
-celui de ses membres qui s'est rendu
-digne de la vindicte des lois!</p>
-
-<p>Quant à nous, notre opinion sur cette déplorable
-affaire est exprimée tout entière par
-<span class="pagenum"><a id="Page_228"> 228</a></span>
-ces paroles de M. Persil, avocat de la partie
-civile:</p>
-
-<p>«C'était, dit l'accusé, pour faire des expériences
-qu'il a acheté de l'acétate de morphine
-et de l'émétique, qu'il a opéré le mélange de
-ces substances. Mais en admettant cela, les
-expériences n'ont pas été faites; et si Castaing
-ne nous montre pas, ne nous indique pas ce
-qu'est devenu le poison qu'il a acheté en
-grande quantité, et qu'on n'a pas trouvé où
-il prétend l'avoir jeté, il faudra bien en conclure
-que c'est ce poison qui a donné la mort
-à Auguste Ballet.»</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_229"> 229</a></span></p>
-<h2 class="normal">ASSASSINAT<br />
-<span class="medium">DE LA MÈRE JÉROME.</span></h2>
-</div>
-
-<p>La procédure à laquelle donna lieu le crime
-dont nous allons parler, se fit surtout remarquer
-par la bizarrerie des faits et par les étranges
-révélations, au moyen desquelles la justice,
-après avoir fait long-temps d'infructueuses
-recherches, arriva enfin sur la trace des coupables.</p>
-
-<p>Un assassinat avait été commis, le 20 mai
-1823, entre sept et huit heures du soir, rue
-du Faubourg du Roule, n. 45, sur la personne
-d'une femme de quatre-vingts ans, dite la
-mère Jérôme. A la suite de cet assassinat, on
-avait enlevé toute l'argenterie de la victime;
-mais on avait oublié une somme de douze
-cents francs environ, qui fut retrouvée dans
-un de ses tiroirs.</p>
-
-<p>Dans les premiers momens, la connaissance
-des auteurs de ce forfait échappa aux
-<span class="pagenum"><a id="Page_230"> 230</a></span>
-investigations judiciaires; mais enfin les soupçons
-atteignirent Louis-Marie Lecouffe, âgé
-de vingt-quatre ans, tailleur d'habits, et sa
-mère, la veuve Lecouffe, qui tous deux demeuraient
-dans la même maison que la mère Jérôme.
-La mère et le fils furent arrêtés et mis
-en accusation. Le fils était prévenu d'avoir
-commis le crime, et la mère d'y avoir excité
-son fils par menaces et abus d'autorité, le menaçant,
-s'il refusait de s'emparer du trésor de
-la mère Jérôme, de s'opposer au mariage qu'il
-projetait, et qui en effet fut célébré trois jours
-après l'assassinat.</p>
-
-<p>Lecouffe, du moment qu'il fut détenu, ne
-cessa de donner des marques de folie vraie
-ou simulée. A l'en croire, il n'avait fait ses
-révélations que par ordre exprès de l'ombre
-de son père, mort depuis quatre ans, et qui
-s'était présentée à lui dans sa prison, accompagnée
-de l'ange Gabriel. Tous ses interrogatoires
-furent remplis de ses prétendues conversations
-avec le spectre, qui lui avait commandé,
-comme à un autre Hamlet, de dévoiler et de
-punir le forfait de sa mère. Lecouffe poussa
-même la démence ou la fourberie jusqu'à
-supplier les geôliers de son cachot de boucher
-<span class="pagenum"><a id="Page_231"> 231</a></span>
-le trou par lequel il prétendait voir arriver ces
-apparitions importunes.</p>
-
-<p>Les accusés furent traduits devant la cour
-d'assises de la Seine, le 11 décembre 1823.
-Les dépositions des témoins qui furent entendus
-établirent la vérité des faits dans le
-sens de l'accusation; mais l'accusé Lecouffe
-rejeta constamment tout l'odieux du crime
-sur sa mère.</p>
-
-<p>Ce spectacle d'un fils et d'une mère qui se
-renvoyaient mutuellement le poids d'un horrible
-forfait, et qui, suivant l'expression énergique
-du ministère public, se poussaient l'un
-l'autre vers l'échafaud, avait plus d'une fois
-fait frémir l'auditoire.</p>
-
-<p>Enfin, après trois audiences consécutives,
-le jury prononça la culpabilité de Lecouffe
-sur toutes les questions qui lui furent posées;
-la mère, acquittée sur la question de complicité
-d'assassinat, fut déclarée coupable de
-recel d'objets volés, avec connaissance que le
-vol avait été accompagné d'homicide volontaire,
-mais sans savoir que l'homicide avait
-été commis avec préméditation et guet-à-pens.
-Tous les deux furent condamnés à la peine
-de mort.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_232"> 232</a></span>
-La mère et le fils se pourvurent en cassation
-contre le jugement qui les condamnait;
-mais leur pourvoi fut rejeté. Le 24 janvier 1824
-fut le jour fixé pour leur exécution. La mère
-fut amenée, dès le matin, de sa prison de
-Saint-Lazare à la Conciergerie, et le fils arriva
-de Bicêtre quelques instans après. Ils furent
-mis tous deux dans une prison séparée; et
-après qu'ils eurent entendu lecture de l'arrêt
-portant rejet de leur pourvoi, deux ecclésiastiques
-vinrent leur apporter les secours de la
-religion. Lecouffe, qui s'était préparé à ce fatal
-dénouement, les reçut avec reconnaissance et
-contrition; sa mère montra d'abord moins de
-résignation et de fermeté, mais les exhortations
-du vertueux ecclésiastique ramenèrent
-peu à peu l'espoir de la clémence divine dans
-son âme coupable. Les deux condamnés passèrent
-en prières tout le temps qui précéda
-l'exécution. A quatre heures précises, ils montèrent
-dans la charrette. Arrivée au pied de
-l'échafaud, la femme Lecouffe descendit la
-première, monta les degrés d'un pas mal assuré,
-et se livra aux exécuteurs sans avoir jeté
-un seul regard en arrière pour voir son fils.
-Lecouffe embrassa deux fois son confesseur,
-<span class="pagenum"><a id="Page_233"> 233</a></span>
-et se dirigea vers l'échafaud d'une marche
-assez ferme. Si quelque chose peut diminuer
-l'horreur qu'inspire tout criminel aux âmes
-honnêtes, c'est le repentir qu'ils manifestent
-à leur dernier moment; celui que témoignèrent
-la mère Lecouffe et son fils fut un éloquent
-commentaire du spectacle de leur exécution,
-qui avait attiré une foule immense.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_234"> 234</a></span></p>
-<h2 class="normal">HENRI FELDTMANN,<br />
-<span class="small">OU</span><br />
-<span class="medium">PÈRE INCESTUEUX ET ASSASSIN DE SA FILLE.</span></h2>
-</div>
-
-<p>Henri Feldtmann, ouvrier tailleur, avait
-une fille nommée Victoire, qui était encore
-en nourrice à l'époque de la mort de sa mère,
-arrivée en 1801.</p>
-
-<p>Peu de temps après le décès de sa femme,
-Henri Feldtmann forma une liaison illégitime
-avec Madeleine Léger. Il en eut une fille naturelle
-nommée Élisabeth-Constance. Au vice
-près qui avait présidé à cette nouvelle union,
-le ménage de Feldtmann avait toutes les apparences
-de la régularité: Madeleine Léger
-remplissait les devoirs de mère, non seulement
-à l'égard de sa fille, mais à l'égard de la jeune
-Victoire.</p>
-
-<p>Feldtmann donna pendant plusieurs années
-des leçons et des exemples de vertu à ses deux
-<span class="pagenum"><a id="Page_235"> 235</a></span>
-filles. Professant la religion réformée, il confia
-ses deux filles aux soins de M. le pasteur
-G&oelig;pp. Cet homme respectable fut frappé
-des excellentes qualités qui distinguaient Victoire.
-La modestie de cette jeune personne,
-sa candeur, son sincère désir de pratiquer la
-vertu, étaient en effet bien dignes de remarque
-et d'admiration. A l'époque de la première
-communion, M. G&oelig;pp promit solennellement
-à Victoire de l'entourer de sa bienveillance
-et de sa protection.</p>
-
-<p>Mais cette intéressante fille, étant parvenue
-à l'adolescence, eut le malheur d'inspirer
-à son père les premiers sentimens d'une
-passion incestueuse. Cette horrible passion
-se développa prodigieusement dans le c&oelig;ur
-de Feldtmann. Nous ne retracerons point les
-efforts de Victoire pour cacher à tous les yeux
-la coupable faiblesse et la turpitude de son
-père, sa résistance à toutes ses tentatives criminelles,
-enfin sa retraite de la maison paternelle,
-accompagnée de sa s&oelig;ur et de Madeleine
-Léger, lorsqu'elle eut acquis l'affreuse
-conviction que la fuite pouvait seule la soustraire
-à la brutalité de Feldtmann.</p>
-
-<p>Mais celui-ci, après beaucoup de recherches,
-<span class="pagenum"><a id="Page_236"> 236</a></span>
-parvint à découvrir la maison où ses
-filles et Madeleine Léger s'étaient réfugiées.
-Il se présenta plusieurs fois à leur nouveau
-domicile pour les engager à rentrer avec lui.
-Elles s'y refusèrent constamment, et principalement
-Victoire. Enfin il se rendit chez elles
-une dernière fois, le lundi 24 mars 1823, et
-voici en quels termes l'acte d'accusation retrace
-la catastrophe qui termina cette fatale
-entrevue.</p>
-
-<p>Après avoir acheté un couteau de cuisine
-sur le quai dit de la <i>Ferraille</i>, Feldtmann se
-rendit chez ses filles. Celles-ci étaient levées;
-la fille Léger était encore couchée: elle se
-leva aussitôt. On offrit à Feldtmann à déjeûner;
-il accepta, et prit, comme ses convives,
-une tasse de café. Après ce repas, il entama
-le sujet ordinaire de ses conversations; il
-pressa, supplia ses enfans et la fille Léger de
-rentrer avec lui. Même refus de la part de
-chacune d'elles; même opposition calme,
-respectueuse, mais invariable de Victoire.</p>
-
-<p>La famille était réunie autour de la cheminée;
-Victoire était assise d'un côté, la fille
-Léger était au coin vis-à-vis, et la jeune Élisabeth
-se trouvait au milieu. Feldtmann était
-<span class="pagenum"><a id="Page_237"> 237</a></span>
-debout, le dos appuyé contre la cheminée.
-Tous ses regards étaient concentrés sur sa
-fille aînée.</p>
-
-<p>Après environ deux heures de débats, Victoire
-déclara avec fermeté à son père qu'elle
-aimerait mieux mourir que de retourner avec
-lui. <i>Tu seras cause que je mourrai sur l'échafaud!</i>
-répliqua Feldtmann avec une fureur
-concentrée. Cette menace positive d'un assassinat
-prochain n'ayant point ébranlé cette
-jeune et vertueuse fille, Feldtmann reprit:
-<i>Tu es obstinée... tu seras cause de ma perte.</i> Et
-aussitôt il tira de sa poche de côté le couteau
-de cuisine qu'il y tenait caché, et le plongea
-tout entier dans la poitrine de Victoire.</p>
-
-<p>A ce spectacle, Élisabeth reste immobile de
-stupeur. Feldtmann retire du sein de sa fille
-aînée son couteau tout fumant, et se prépare
-à frapper sa fille cadette. A cette vue, la mère
-se jette sur le bras de l'assassin, dérange la
-direction du coup et en affaiblit la violence.
-Élisabeth est frappée, mais moins dangereusement.
-Une lutte horrible s'établit entre Élisabeth
-et la fille Léger d'une part, et Feldtmann
-de l'autre. La fille Léger est frappée à
-son tour, mais sa blessure est légère. Des voisins
-<span class="pagenum"><a id="Page_238"> 238</a></span>
-accourent au bruit; on arrête le meurtrier.
-Celui-ci laisse échapper son couteau ensanglanté,
-et proteste qu'il n'a pas envie de
-prendre la fuite.</p>
-
-<p>Cependant la malheureuse Victoire, qui
-perdait son sang à flots, avait eu encore la
-force d'ouvrir la porte et de se traîner jusqu'au
-palier du premier étage, où elle était
-tombée à la renverse et sans connaissance.
-Peu d'instans après, elle avait cessé d'exister.</p>
-
-<p>En conséquence de ces déplorables faits,
-Feldtmann fut traduit devant la cour d'assises
-de la Seine, et comparut devant ce tribunal,
-le 23 avril 1823.</p>
-
-<p>Pendant la lecture de l'acte d'accusation,
-Madeleine Léger, appelée comme témoin,
-s'évanouit, vaincue par les émotions qu'elle
-éprouvait. Quant à Feldtmann, il conserva
-un calme imperturbable, et son interrogatoire
-se fit remarquer par l'incohérence des
-explications qu'il donna, et par le scandale
-de plusieurs imputations qu'il présenta comme
-moyens de défense. Il nia opiniâtrément qu'il
-eût éprouvé un sentiment coupable pour sa
-fille Victoire; il ne craignit pas de lui imputer
-de graves désordres dans sa conduite, sous
-<span class="pagenum"><a id="Page_239"> 239</a></span>
-le rapport des m&oelig;urs et de la probité; il accumula
-également les imputations les plus
-graves contre Madeleine Léger.</p>
-
-<p>Entre toutes les dépositions, celle du pasteur
-G&oelig;pp excita un intérêt particulier. Il
-rendit compte de ses rapports avec la famille
-Feldtmann dont il avait été le bienfaiteur; il
-parla des terribles confidences qui lui avaient
-été faites, soit par la mère de Feldtmann, soit
-par Victoire elle-même, au sujet des tentatives
-criminelles dont cette dernière avait été
-l'objet; il énonça les démarches qu'il avait cru
-devoir faire à la préfecture de police pour
-prévenir les excès que l'on pouvait redouter
-de la part de l'accusé. M. G&oelig;pp ajouta qu'à
-diverses époques, et surtout lors de la dernière
-entrevue qu'il avait eue avec Feldtmann
-(la veille du crime), cet homme ne lui avait
-pas semblé jouir de la plénitude de ses facultés
-lorsqu'il s'agissait de ses relations avec sa
-fille; qu'il l'avait considéré comme un de ces
-hommes dominés par une idée fixe, et qui ne
-sont plus maîtres de leur imagination, lorsqu'elle
-vient à s'arrêter sur cette idée.</p>
-
-<p>Après quelques autres dépositions moins
-<span class="pagenum"><a id="Page_240"> 240</a></span>
-importantes, M. l'avocat-général soutint l'accusation,
-discutant d'avance le moyen unique
-qui pouvait être présenté au nom de l'accusé.
-Il prouva qu'une passion, une passion
-infâme, à quelque degré qu'elle fût portée,
-ne pouvait servir d'excuse à un crime. Vainement
-le défenseur, nommé d'office, fit-il tous
-ses efforts pour soustraire Feldtmann à la
-peine capitale, en écartant les circonstances
-de la préméditation, et en cherchant à établir
-qu'il avait été entraîné à ce crime par un ascendant
-irrésistible plutôt que par l'effet de
-sa volonté; le jury, après une longue délibération,
-déclara Feldtmann coupable sur toutes
-les questions, tant d'assassinat prémédité,
-consommé sur la personne de sa fille Victoire,
-que de tentatives d'homicide contre
-son autre fille, Élisabeth, et Madeleine Léger.
-Le résultat de cette réponse fut la condamnation
-à mort de Feldtmann.</p>
-
-<p>L'inconcevable sang-froid que ce malheureux
-avait montré dans le cours des débats
-ne se démentit point en cet instant fatal.</p>
-
-<p>Feldtmann se pourvut en cassation; mais
-son pourvoi ayant été rejeté, il subit son supplice
-<span class="pagenum"><a id="Page_241"> 241</a></span>
-le 21 mai, en place de Grève. Dans cet
-horrible moment, toute son impassibilité l'avait
-abandonné; il fallut que les exécuteurs l'aidassent
-à monter les degrés de l'échafaud, et
-l'on peut même dire qu'il était mort avant
-d'être décapité.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_242"> 242</a></span></p>
-<h2 class="normal">ASSASSINAT<br />
-<span class="small">DE</span><br />
-<span class="medium">MADAME VEUVE AILLET</span>,<br />
-<span class="small">ET DE</span><br />
-<span class="medium">LA FILLE GOUSSARD, SA DOMESTIQUE,</span><br />
-<span class="small">A CHARTRES.</span></h2>
-</div>
-
-<p>En 1823, la ville de Chartres fut le théâtre
-d'un double meurtre, qui frappa de terreur
-tous les esprits. La mauvaise conduite, la débauche
-et la cupidité, sources ordinaires de
-tant de désordres, avaient armé les principaux
-assassins. Tout portait à croire que plusieurs de
-leurs complices n'étaient point sous la main
-de la justice. Il est donc facile de s'expliquer
-l'effroi général, en présence des dangers
-auxquels chacun pouvait être exposé. Voici les
-faits qui ont été révélés par l'instruction de
-ce procès.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_243"> 243</a></span>
-La dame Aillet, propriétaire à Chartres,
-âgée de plus de quatre-vingts ans, et la fille
-Louise Goussard, sa domestique, âgée de
-cinquante-huit ans environ, habitaient seules
-une maison, rue des Grenets, dans le voisinage
-du cloître Saint-Aignan, au centre de la
-ville. Cette maison est située entre cour et
-jardin; les murs de la cour s'élèvent sur la
-rue à environ treize pieds de hauteur; de la
-cour on entre dans un petit corridor fermant
-sur la rue par une porte vitrée, et dans lequel
-donne la porte de la chambre où couchaient
-la dame Aillet et sa domestique. Le
-dimanche 22 juin 1823, un peu avant sept
-heures du matin, la fille Chifflet, laitière,
-étant venue, suivant son usage, apporter du
-lait, sonna vainement à plusieurs reprises;
-personne ne lui répondit. Elle conçut des inquiétudes
-qu'elle communiqua dans le voisinage.
-On prit des renseignemens; on passa
-dans le jardin, on trouva les portes et les
-contrevents exactement fermés de ce côté,
-on n'entendit aucun bruit dans l'intérieur de
-la maison, et l'on appela plusieurs fois, mais
-sans succès. Les inquiétudes croissant, l'autorité
-fut avertie; alors on monta à l'aide d'une
-<span class="pagenum"><a id="Page_244"> 244</a></span>
-échelle au haut du mur donnant sur la rue,
-et l'on aperçut une autre échelle dressée le
-long de ce mur, dans l'intérieur de la cour.
-Dès ce moment, on ne douta plus que la dame
-Aillet et sa domestique n'eussent été assassinées.
-La porte de la rue fut ouverte, et l'on
-entra; aucune des portes de l'intérieur n'était
-fermée. On trouva dans une chambre les
-corps de la dame Aillet et de sa domestique
-étendus sans vie au pied des deux lits, nus
-pieds, en chemise et baignant dans leur sang.
-La dame Aillet avait à la tête deux longues
-et profondes blessures, faites avec un instrument
-tranchant; la domestique était percée
-de dix blessures, paraissant faites avec un
-couteau long et fort aigu, dont huit à la partie
-gauche de la poitrine et deux à la main gauche.
-La disposition des lits montrait que les
-deux victimes s'étaient levées spontanément
-et avaient été frappées dans la chambre; une
-veilleuse brûlait encore; un seul fauteuil était
-taché de sang, un autre était brisé en partie:
-une commode placée dans la chambre, avait
-été forcée et un tiroir ôté. Les assassins étaient
-entrés dans deux cabinets voisins, dans l'un
-desquels fut trouvé un couperet teint de
-<span class="pagenum"><a id="Page_245"> 245</a></span>
-sang: on y avait ouvert une armoire à linge,
-mais rien ne parut y avoir été dérangé; l'armoire
-à l'argenterie parut également intacte;
-on n'avait touché, ni à un coffre-fort fermé,
-dans lequel se trouvèrent douze mille quatre
-cent vingt-cinq francs, ni à une somme de
-deux cents francs, placée dans le tiroir d'une
-petite table, non fermée à clef, ni même à
-celle de trente-six francs, exposée en évidence
-sur une tablette. Enfin, tout indiquait que
-les meurtriers avaient fait des recherches, et
-qu'un événement fortuit les avait forcés de
-les abandonner pour fuir précipitamment. On
-ne put s'assurer s'ils avaient pris de l'argent,
-mais on ne tarda pas à reconnaître qu'ils avaient
-emporté deux montres d'or accrochées à la
-cheminée; une chaîne d'acier, attachée à l'une
-de ces montres, en avait été arrachée et lancée
-à terre. Ces deux montres étaient de forme
-ancienne; l'une des deux était à répétition
-et portait une chaîne d'or ainsi qu'une petite
-clef et un cachet en or: le couperet, l'un des
-instrumens du crime appartenait à la dame
-Aillet; l'instrument aigu, dont la domestique
-avait été frappée, ne fut point retrouvé. L'échelle
-avait été apportée d'une maison peu
-<span class="pagenum"><a id="Page_246"> 246</a></span>
-éloignée, qui était alors en réparation. La position
-de cette échelle dressée contre le mur
-de la cour, et des dégradations récentes faites
-à une corniche qui est au-dessus de la porte
-de la rue en dehors, indiquaient que les assassins
-s'étaient retirés par ce chemin, et l'on fut
-confirmé dans cette opinion en reconnaissant
-que toutes les ouvertures sur le jardin étaient
-exactement fermées dans l'intérieur. Le crime
-était donc évident; il avait été commis par
-deux personnes au moins: la différence des
-instrumens avec lesquels avaient été frappées
-les deux victimes le démontrait. Il était probable,
-en outre, qu'un complice veillait dans
-la rue, pour prévenir toute surprise et donner
-avis du moindre danger.</p>
-
-<p>Ce soupçon fut confirmé par la déposition
-de plusieurs témoins, dont l'un déclara que,
-la nuit où le crime fut commis, vers une
-heure du matin, il avait entendu un grand
-cri, puis le bruit de la sonnette de madame
-Aillet, tirée avec force, ensuite deux autres
-cris. Cette sonnette était sans doute tirée par
-le complice pour avertir que les cris étaient
-entendus au dehors. Le même témoin ajouta
-que, vers une heure et demie, plusieurs personnes,
-<span class="pagenum"><a id="Page_247"> 247</a></span>
-marchant très-vite, avaient passé sous
-ses fenêtres, venant de la rue des Grenets. Un
-autre témoin avait vu, à cette même heure,
-dans la rue Saint-Michel, voisine de celle des
-Grenets, quatre hommes, portant des blouses
-bleues et des souliers ferrés, courir très-vite
-vers la porte Saint-Michel.</p>
-
-<p>Pendant quelque temps, on n'eut aucune
-idée fixe sur ceux qui pouvaient être les auteurs
-de ce crime; mais par suite de quelques
-renseignemens, des soupçons s'élevèrent sur
-Bouin dit Lapalette: on arrêta une fille Curot
-avec laquelle il vivait depuis trois ans. Cette
-fille avait d'abord déclaré que Lapalette
-était sorti de chez lui le samedi soir, qu'il
-n'était rentré que le lendemain, à six
-heures du matin. Ensuite, pressée par les
-questions qui lui furent faites, elle ajouta
-que le vendredi matin, dès trois heures,
-un nommé Fréon était venu trouver Lapalette;
-qu'ils avaient passé ensemble la journée,
-la nuit suivante, toute la journée du
-samedi, et qu'ils étaient sortis tous deux
-le samedi soir. Sur cette déclaration, Fréon
-et Lapalette furent également arrêtés. Il est
-<span class="pagenum"><a id="Page_248"> 248</a></span>
-utile de faire connaître ici plus particulièrement
-ces deux individus.</p>
-
-<p>Lapalette avait toujours été un mauvais
-sujet, redouté de ses camarades à cause de
-sa force et de sa brutalité. Il avait été condamné
-correctionnellement pour vol, et suspendu
-plusieurs fois de sa place de portefaix
-à Chartres, à cause de sa mauvaise conduite;
-il venait d'être supprimé définitivement, pour
-abus de confiance, et était réduit, les jours
-de marché, à suivre les voitures de blé, pour
-avoir la paille.</p>
-
-<p>Fréon n'avait pas une réputation meilleure.
-A l'âge de quinze ans environ, il avait volé une
-montre et de l'argent; étant ensuite entré au
-service militaire, en 1807, il fut condamné à
-trois ans de travaux publics, pour vol d'argent
-commis à son corps. Revenu à Chartres, il
-s'était marié avantageusement et avait pris
-l'état de perruquier-parfumeur; mais il avait
-mal vécu avec sa femme et dissipé tout son
-avoir. Il se livrait au braconnage des rivières,
-et fut poursuivi plusieurs fois pour ce délit. Il
-fit aussi de faux billets, mais son père les remboursa,
-et l'affaire fut assoupie. Il connaissait
-<span class="pagenum"><a id="Page_249"> 249</a></span>
-parfaitement la maison de la dame Aillet, son
-père y ayant été employé comme perruquier.
-Dix jours avant le crime, il avait abandonné
-son domicile et mené une vie errante, se cachant
-sans cesse aux yeux de sa famille: en
-outre, plusieurs propos qu'il avait tenus à
-différentes reprises montrent qu'il roulait
-souvent dans son esprit des projets funestes,
-et qu'il se complaisait dans les idées les plus
-sombres et les plus sinistres. Ainsi, vers 1817
-ou 1818, il disait au sieur Levassor en le rasant:
-«Quand vous serez dans votre nouveau
-domicile, rue du Puits-Berchot, je pourrai,
-en l'absence de votre femme, vous couper
-le cou en vous rasant. Je vous mettrais un
-rasoir dans la main, alors je deviendrais le
-maître dans la maison; j'y prendrais tout
-ce qui me conviendrait; j'y resterais enfermé
-jusqu'à la nuit; je sortirais ensuite. Puis le
-lendemain, on fait ouvrir vos portes, et l'on
-dit: M. Levassor s'est suicidé!» Mais une chose
-plus directe à l'assassinat actuel, et qui prouve
-que Fréon le méditait depuis long-temps,
-c'est qu'en 1813, il fit au sieur Basin, lequel
-le déclara dans l'instruction, la proposition
-formelle d'assassiner de concert avec lui, les
-<span class="pagenum"><a id="Page_250"> 250</a></span>
-sieur et dame Aillet et leur domestique, et de
-les voler, ajoutant qu'ils avaient beaucoup
-d'argent, qu'il connaissait les êtres de la maison,
-et que rien ne serait plus facile; puis il fit
-un détail circonstancié des moyens qu'ils emploieraient.
-Sur le refus d'indignation que
-fit le témoin, il insista et lui dit: «Viens à la
-pêche avec moi lundi prochain; nous raisonnerons
-de tout cela et nous prendrons jour.»
-Enfin, dans le courant de mai 1823, Fréon
-dit à un témoin qui se plaignait de n'avoir
-pas d'argent: «<i>Si vous aviez du courage!... Mais
-il n'est pas héréditaire dans votre famille.</i>»</p>
-
-<p>C'est avec de pareils antécédens que le 11
-juin, à la suite, selon lui, d'une scène de
-jalousie qu'il aurait eue avec sa femme, Fréon
-quitta son domicile et se rendit à Paris. Il
-était sans argent; dès son arrivée il va chez
-un sieur Cornut, ancienne connaissance; il
-lui dit qu'il n'a que deux francs, le charge de
-mettre des habits en gage et en retire vingt
-francs; plus tard, il fait vendre encore pour
-sept francs d'effets, et le mercredi 18 juin,
-prêt à retourner à Chartres, comme il n'avait
-plus d'argent, il laisse au même témoin d'autres
-effets et reçoit de lui cinq francs; il lui
-<span class="pagenum"><a id="Page_251"> 251</a></span>
-annonce en même temps qu'il part pour Chartres,
-qu'il sera revenu le dimanche ou le lundi
-suivant, ou qu'il sera mort; qu'il apportera
-de l'argent et une montre d'or, et il lui déclara
-depuis qu'il emportait alors un couteau
-très-pointu qu'il avait acheté six sous sur le
-quai de la Ferraille, et que ce couteau lui
-servirait à se percer le c&oelig;ur, en présence de
-son père, s'il ne réussissait pas à se procurer
-de l'argent. Le 19 juin, à huit heures du matin,
-il arrive à Saint-Piat, à trois lieues de
-Chartres, y passe la journée, y fait quelques
-dépenses qu'il ne peut payer qu'en partie,
-avouant qu'il n'a que deux francs, et il demeure
-débiteur d'un litre de vin. Il attend
-exprès six heures du soir pour se rendre à
-Chartres, disant qu'il ne veut y entrer que
-de nuit, pour n'être pas reconnu. Arrivé dans
-cette ville à dix heures du soir, il ne va pas
-chez lui: il va frapper à la porte de Lapalette.
-Mais, effrayé par la voix d'un locataire de la
-maison, il se sauve, rôde une partie de la nuit,
-et dès trois heures du matin, il entre chez
-Lapalette. A peine sont-ils réunis, qu'ils sortent
-ensemble; ils vont d'abord du côté des
-Filles-Dieu. Vers cinq heures, Lapalette rentre
-<span class="pagenum"><a id="Page_252"> 252</a></span>
-chez lui, il s'emporte contre la fille Curot,
-l'injurie, et cependant lui dit à voix basse:
-<i>Tais-toi! tu es une mauvaise langue</i>; puis encore:
-<i>Veux-tu bien te taire! veux-tu bien te
-taire!</i> Il retourne de là joindre Fréon, et ils
-se rendent ensemble à Morancez dans le cabaret
-de Laigneau, à qui ils disent qu'ils viennent
-de se rencontrer par hasard en pêchant.
-Ils y passent la journée à manger et à boire,
-et projettent ensemble un voyage à Paris. C'est là
-que Lapalette, causant avec un témoin, sort
-avec lui du cabaret, cherche d'abord à lui
-représenter son état comme misérable et sans
-ressources, et ajoute: <i>Laisse faire: dans peu
-de temps, je ne manquerai de rien; nous nous
-soutenons, Fréon et moi. Si tu étais un bon
-enfant, je te confierais quelque chose.</i> Ils font
-dans ce cabaret une dépense de huit francs.
-Fréon ne la paie pas, engage Laigneau à
-venir chercher son argent chez lui, et se retire
-avec Lapalette à huit heures du soir, en
-disant: «Nous nous en allons, parce que nous
-avons affaire ensemble.» Il retourne chez Lapalette,
-et Fréon, qui n'était revenu à Chartres,
-à ce qu'il prétend, que pour voir une
-maîtresse qu'il avait, et qui ne voulait y aller
-<span class="pagenum"><a id="Page_253"> 253</a></span>
-que la nuit, de peur d'être reconnu, n'y va
-cependant pas; il ne se rend point non plus
-chez lui, mais il passe la nuit chez Lapalette.</p>
-
-<p>Le lendemain samedi 21, ils restent toute
-la journée sans sortir: la fille Curot est avec
-eux; Lapalette s'occupe à raccommoder ses
-guêtres; Fréon ne fait rien, et paraît plongé
-dans de profondes rêveries. La misère est
-telle parmi eux, que la fille Curot est obligée
-d'aller vendre deux chaises pour subsister
-pendant la journée, et cependant Fréon dit,
-dans la conversation, qu'il va acheter un fonds
-de boutique, moyennant huit cents francs. Il
-promet trente francs à Lapalette, qui se plaint
-de n'avoir pas de quoi payer son loyer, et la
-fille Curot s'étonnant d'une pareille promesse,
-il lui répond: <i>Qu'est-ce que cela vous fait?</i>
-Il lui dit encore qu'il était venu à Chartres
-pour faire de l'argent en vendant des effets;
-que la personne chargée de cette vente avait
-demandé toute la journée du samedi, et qu'il
-ne pourrait toucher des fonds que vers neuf
-heures et demie du soir. Du reste, il n'indique
-ni les effets qu'il peut vendre, ni le mandataire
-qu'il en avait chargé.</p>
-
-<p>Le soir étant venu, Fréon, sans s'embarrasser
-<span class="pagenum"><a id="Page_254"> 254</a></span>
-d'aller chercher le produit de sa prétendue
-vente, sort avec Lapalette à dix heures.
-Tous deux avaient des souliers ferrés;
-Fréon avait un chapeau rond, une veste
-brune, un pantalon marron. Lapalette portait
-un bonnet de police bleu, un gilet rond en
-nankin blanchâtre, un pantalon d'été bleu;
-la fille Curot prend toutes les précautions nécessaires
-pour qu'ils ne soient pas aperçus,
-au point même d'aller faire, de neuf à dix
-heures et demie du soir, le guet deux à trois
-fois sur le pas de la porte, pour voir s'ils peuvent
-sortir sans être vus, et Fréon se couvre
-de la blouse de Lapalette: celui-ci prend en
-sortant la précaution bien singulière de faire
-coucher la fille Curot et de l'enfermer à clef
-dans sa chambre. Où vont-ils ensuite? Fréon
-prétendait qu'il était allé seul au grand faubourg
-pour tâcher de voir sa maîtresse, disant
-à Lapalette de venir l'y rejoindre; que
-n'ayant pas rencontré sa maîtresse, il était
-revenu chez Lapalette qui était sorti; qu'il
-avait été le rejoindre dans le tertre Saint-François;
-qu'ils sont aussitôt sortis ensemble
-de la ville, et se sont dirigés vers l'ancienne
-route de Paris.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_255"> 255</a></span>
-De son côté, Lapalette soutint que Fréon
-ne lui avait pas dit de venir le rejoindre dans
-le grand faubourg, mais simplement de l'attendre
-dans le tertre Saint-François; que, ne
-le voyant pas venir, il était prêt à s'en retourner
-lorsqu'il le vit enfin arriver; qu'ils allèrent
-ensemble à Lucé, village voisin pour voir la
-filleule de la femme Fréon; qu'ils y rôdèrent
-quelque temps et revinrent par les promenades
-à la route de Paris, qu'ils suivirent jusqu'au
-bois d'Oisême, où ils se séparèrent. Ils
-dirent tous deux qu'ils avaient quitté Chartres
-vers onze heures et qu'ils n'avaient point été
-ce soir-là dans les environs du cloître Saint-Aignan.
-Ces deux versions ne s'accordaient
-pas, elles se contredisaient même formellement;
-car Fréon soutenait qu'ils n'étaient
-point allé à Lucé, mais qu'ils étaient sortis
-de la ville pour gagner la route de Paris. Elles
-furent de plus démenties par l'instruction.
-En effet, le samedi soir, vers dix heures et
-demie, des témoins virent dans le cloître de
-Saint-Aignan, près duquel est située la maison
-de la dame Aillet, deux hommes dont le signalement
-se rapportait entièrement à celui des
-accusés. Trois autres témoins reconnurent
-<span class="pagenum"><a id="Page_256"> 256</a></span>
-positivement Lapalette en ce même endroit.
-On le vit, à onze heures, passer du cloître Saint-Aignan
-dans la rue des Grenets, et c'est vers
-une heure que le crime fut commis. Dans cette
-nuit fatale du 21 au 22 juin, Fréon qui, depuis
-deux jours, était avec Lapalette et ne l'avait
-pas quitté depuis son retour, se sépare tout-à-coup
-de lui et part à pied pour Paris; il va
-jusqu'à Ablis. Là, il quitte la route et gagne
-Rambouillet, où il dit être arrivé à dix heures,
-mais il est constant qu'il n'y arriva qu'à
-trois ou quatre heures après-midi; il entre
-aussitôt dans une auberge, y reste trois heures,
-faisant voir la plus grande fatigue, et prend
-le soir même la diligence de Paris, où il arrive
-le 23 au matin. A peine arrivé, il se rend chez
-Cornut, dont il a été question ci-dessus, et
-lui fait voir une montre d'or de forme ancienne
-à répétition, garnie d'une chaîne d'or. Il annonce
-vouloir la changer; il dit qu'il a apporté
-trois cents francs de chez lui; qu'y étant
-arrivé vers neuf heures et demie du soir, son
-père était venu lui ouvrir la porte, et qu'en
-l'absence de sa femme, il avait fait ouvrir la
-porte d'une armoire par un serrurier, pour
-prendre ces trois cents francs, et cependant
-<span class="pagenum"><a id="Page_257"> 257</a></span>
-il est constant que, depuis long-temps, il n'avait
-pas mis le pied chez lui. Il montre ensuite
-cent cinquante francs qu'il a dans sa poche
-et donne vingt-cinq francs à Cornut pour retirer
-les effets engagés à son dernier voyage.</p>
-
-<p>Le 24, il va chez le sieur Lejeune, horloger,
-rue Saint-Martin; il y échange deux montres
-anciennes contre une nouvelle, et reçoit quatre-vingts
-francs de retour. Le signalement de
-ces deux montres est le même que celui des
-deux montres volées. Ce qu'on en put retrouver,
-savoir, le mouvement, la chaîne d'or, la
-clef et le cachet d'or, tout fut reconnu par les
-témoins et par l'horloger qui entretenait les
-montres de la dame Aillet. Cet échange consommé,
-Fréon se fait conduire par Lejeune
-chez un bijoutier dans la même rue, où il
-achète une chaîne d'or, et chez un autre, rue
-Michel-Lecomte, où il se procure des breloques.
-Dans l'instruction, il nia tous ces faits;
-mais il fut formellement reconnu par l'horloger
-Lejeune et par les deux bijoutiers. Trois
-témoins et Lapalette lui-même qui, de son
-côté, arriva à Paris le 25, déclarèrent lui avoir
-vu, les jours suivans, une montre d'or à la mode
-avec chaîne et breloques en or. Fréon la présenta
-<span class="pagenum"><a id="Page_258"> 258</a></span>
-lui-même à un sieur Muller, son ami,
-en lui disant: <i>Tiens, vois donc cette montre:
-je l'ai changée contre deux autres montres d'or,
-et je crains d'avoir été trompé.</i> Il donnait en
-même temps une fausse adresse du marchand
-chez lequel il avait fait cet échange. Il ajouta
-qu'ayant des affaires à Paris, il avait apporté ces
-deux montres pour les changer, attendu qu'elles
-étaient anciennes et n'étaient plus de mode.
-Le 27, il remit cette nouvelle montre à Vigneau
-pour l'engager au Mont-de-Piété; il en retira
-cent vingt francs. Fréon nia encore tous ces faits;
-seulement il convint que, le 23, il avait acheté
-dans les rues de Paris, moyennant dix-huit
-francs, une montre en chrysocale, avec chaîne
-et breloques, et qu'il l'avait revendue le 27.</p>
-
-<p>Le 28 au matin, Fréon se trouvant à boire
-avec un sieur Rondeau, chez un marchand de
-vin, rue des Saints-Pères, deux individus assez
-mal vêtus entrèrent dans le même cabaret,
-Fréon parut très-effrayé; il leur parla quelque
-temps, et dit ensuite à Rondeau qui était
-sorti dans l'intervalle: <i>J'ai acheté leur silence.</i>
-Le soir même, il reprit la diligence de Chartres;
-son intention était sans doute de découvrir
-dans le pays ce que l'on pouvait dire sur
-<span class="pagenum"><a id="Page_259"> 259</a></span>
-son compte, car il ne prit sa place que jusqu'à
-Maintenon. Son seul but, à l'entendre,
-était de voir un nommé Frot, dont il voulait
-affermer la pêche sur la rivière d'Eure. Il alla
-chez ce Frot le 29, et il ne fut nullement
-question de ce marché.</p>
-
-<p>Dès son arrivée à Maintenon, le 29, à quatre
-heures du matin, il dit qu'il vient de Chartres
-pour affaire; plus tard, il dit à d'autres qu'il
-arrive de Paris; il passe la journée dans différens
-cabarets et cafés, va à Saint-Piat, y boit
-avec trois jeunes gens de sa connaissance, à
-qui il dit qu'il est venu à Maintenon pour des
-affaires qui devaient durer deux jours, mais
-qu'on lui a compté des pièces de cinq francs
-et qu'il va repartir: et cependant il fut établi
-qu'il n'avait fait aucune affaire à Maintenon, et
-que personne ne lui avait compté d'argent. Il
-retourne le soir, avec ces jeunes gens à Maintenon,
-joue avec eux au billard, et tout-à-coup
-au milieu de la partie où, suivant les témoins,
-son jeu était d'abord brillant, dès qu'il aperçoit
-le brigadier de gendarmerie, il ne peut plus
-jouer, il devient inquiet et tremblant; ses
-jambes et ses mains sont dans une agitation
-continuelle. Il affecte des politesses tant envers
-<span class="pagenum"><a id="Page_260"> 260</a></span>
-les gendarmes qu'envers ceux de qui il croit
-pouvoir se réclamer. Enfin, prêt à monter
-en diligence, ses papiers ne sont pas en règle;
-il est arrêté et conduit au quartier de gendarmerie,
-où il passe une nuit très-agitée. Lapalette,
-de son côté, après avoir quitté Fréon
-pendant la nuit du 21 au 22, était revenu à
-Chartres. Il ne rentra chez lui qu'à six heures
-du matin. La fille Curot lui demande ce qu'il
-a fait; il la maltraite, il lui dit: <i>Veux-tu te
-taire! Je ne veux pas que les voisins sachent
-que j'ai passé la nuit dehors.</i> Il lui dit, un instant
-après, qu'il vient de reconduire Fréon,
-et lui montre quarante francs que celui-ci lui
-a donnés.</p>
-
-<p>Au moment où l'assassinat venait d'être commis,
-et où la foule se portait à la maison de la
-dame Aillet, Lapalette s'y trouva avec un nommé
-Lailler. Ils aidèrent tous deux à ouvrir la
-porte, mais au moment où Lailler se disposait
-à franchir le mur, Lapalette prétexta une
-affaire, se retira, et environ une heure après,
-passant dans une rue voisine d'où l'on voyait
-la foule, il s'adressa à la femme Fauquereau
-et lui demanda ce qu'il y avait, comme s'il
-eût été possible qu'il l'ignorât; puis se retrouvant
-<span class="pagenum"><a id="Page_261"> 261</a></span>
-avec Lailler, au moment où celui-ci était
-encore tout ému de la vue des cadavres, il le
-railla sur son émotion.</p>
-
-<p>Le soir même, Lapalette prend la diligence
-de Paris; le 25 au matin, il dit à un témoin
-en présence de Fréon, qu'il vient s'amuser à
-Paris, qu'il a touché de l'argent à Chartres,
-qu'il l'a gagné à conduire des chevaux à la
-foire en Picardie; et Fréon le dément au
-même instant. Il dit à un autre qu'il a de l'argent,
-et qu'il ne quittera Paris qu'après avoir
-tout mangé; en effet, il passe trois jours dans
-la débauche la plus complète et fait une dépense
-considérable. Il paie le prix d'un déjeûner
-fait avec Fréon et Muller, et frappant sur
-sa poche, il dit: <i>Je ne veux pas que tu paies,
-Henry: nous avons de l'argent.</i> Il est arrêté le
-29; on trouve sur lui cent quatre-vingt-dix
-francs. On l'interroge sur deux masques de
-parchemin, trouvés dans la paillasse de son
-lit, à Chartres; il prétend que ces masques
-sont anciens, qu'il s'en est servi autrefois
-pendant le carnaval, et que depuis long-temps
-la fille Curot les lui a cachés. Celle-ci, au
-contraire, soutient qu'elle ne les a jamais vus
-et qu'elle ignorait jusqu'à leur existence. Il
-<span class="pagenum"><a id="Page_262"> 262</a></span>
-est probable que ces masques avaient servi à
-Lapalette et à son complice pour se déguiser
-lors de l'exécution de leur forfait. On demande
-compte à Lapalette des cent quatre-vingt-dix
-francs trouvés sur lui, il dit qu'en quittant Chartres,
-il avait près de trois cents francs; qu'il les
-avait depuis quelque temps, quoiqu'il vendît
-ses meubles et ses effets; qu'il ne faisait ces
-ventes que pour laisser ignorer à la fille Curot
-qu'il eût cet argent; que ces trois cents francs
-provenaient tant de la vente de son mobilier
-et de ses effets, que d'un don de quarante
-francs fait par Fréon, et le reste résultant
-de ses économies. Il ajouta que ce trésor était
-caché dans son grenier, comme si l'on pouvait
-croire aux économies d'un homme réduit
-à vendre ses habits, ne gagnant plus que
-douze sous par semaine, et qui, la veille même
-de l'assassinat, faisait vendre deux chaises pour
-subsister. Il en imposait évidemment; d'où
-pouvait donc lui provenir cet argent?</p>
-
-<p>Les preuves les plus fortes désignant Fréon
-comme l'un des auteurs de l'assassinat commis
-dans la nuit du 21 au 22, des preuves
-pareilles atteignaient Lapalette comme son
-complice. De son propre aveu, il ne l'avait
-<span class="pagenum"><a id="Page_263"> 263</a></span>
-pas quitté, depuis le samedi soir à neuf heures,
-jusqu'à deux heures du lendemain matin; il
-avait donc assisté à tout; il avait puisé à la même
-source. Tous deux avaient partagé le même
-crime, et quand on rapproche de ces circonstances
-le changement subit de leur situation
-pécuniaire et la dépense qu'on leur a vu faire
-ensuite; quand on remarque leurs variations
-dans leurs réponses, au point de se contredire
-formellement sur un point essentiel, et
-de rendre chacun un compte contradictoire
-de ce qu'ils firent dans la nuit du samedi au
-dimanche; lorsqu'on rapproche tous ces faits
-des propos extraordinaires que plusieurs témoins
-ont recueillis, on demeure convaincu,
-que tous deux faisaient partie des assassins,
-et que cet argent qu'on leur avait vu répandre
-à pleines mains, dès le lendemain du crime,
-ne pouvait en être que le fruit. L'intimité
-dans laquelle la fille Curot vivait avec le nommé
-Bouin, avait fait d'abord présumer qu'elle
-n'était pas étrangère au crime dont celui-ci
-était accusé; on avait tout lieu de croire que
-les assassins avaient eu pour complice une
-personne affidée, qui était restée en dehors de
-la maison de la veuve Aillet pour faire le guet,
-<span class="pagenum"><a id="Page_264"> 264</a></span>
-tandis que les auteurs principaux du crime
-s'étaient introduits dans l'intérieur. Dans cette
-hypothèse, la fille Curot semblait avoir dû
-être chargée, dans l'exécution du crime, de
-la coopération qui s'accordait le plus avec les
-idées que son sexe et sa force pouvaient faire
-naître; mais les charges qui s'élevaient contre
-elle ayant paru insuffisantes pour la mettre en
-accusation, la Cour, par son arrêt du 1<sup>er</sup> août,
-la renvoya de la poursuite, et ne maintint
-l'ordonnance de prise de corps que contre
-Lapalette et Fréon.</p>
-
-<p>En conséquence de ces faits, Charles-Philippe-Toussaint
-Fréon et André-François Bouin
-dit Lapalette, furent renvoyés devant la Cour
-d'assises d'Eure-et-Loir, séant à Chartres, sous
-l'accusation 1<sup>o</sup> d'avoir, dans la nuit du 21
-au 22 juin 1823, commis de complicité,
-volontairement et avec préméditation, un
-homicide sur la personne de la dame veuve
-Aillet; 2<sup>o</sup> d'avoir, dans la même nuit, commis
-de complicité, volontairement et avec préméditation,
-un homicide sur la personne de
-la fille Goussard; 3<sup>o</sup> d'avoir dans la même
-nuit, et au moment ou lesdits homicides
-avaient eu lieu, soustrait frauduleusement, de
-<span class="pagenum"><a id="Page_265"> 265</a></span>
-complicité, à l'aide d'escalade et d'effraction
-dans une maison habitée, de l'argent monnayé,
-deux montres en or et d'autres effets
-appartenans à la dame Aillet.</p>
-
-<p>Les débats de cette grave affaire s'ouvrirent,
-le 19 août, sous la présidence de M.
-Chevalier-Lemore, au milieu d'un concours
-immense de spectateurs.</p>
-
-<p>Les défenseurs des accusés leur avaient
-été nommés d'office. M<sup>e</sup> Doublet, avocat stagiaire,
-aujourd'hui attaché au barreau de
-Chartres, plaidait pour Fréon. La tâche des
-défenseurs était pénible. Ils firent tous leurs
-efforts pour concilier ce qu'ils devaient à leur
-mission, et ce que leur imposait leur conscience;
-aussi, lorsque après une discussion approfondie
-de l'accusation, l'avocat de Fréon,
-s'écria d'une voix émue: «Puissions-nous ne
-plus avoir à remplir ce douloureux ministère!
-Puissions-nous avoir concilié nos devoirs
-comme citoyens, nos obligations comme
-hommes de la loi! Puissions-nous trouver le
-prix de nos efforts et un adoucissement à
-notre tâche dans le sentiment de l'intérêt public!»
-Un murmure d'approbation se fit entendre,
-et fut ratifié par tous ceux qui avaient
-<span class="pagenum"><a id="Page_266"> 266</a></span>
-suivi ces débats. La preuve la plus accablante
-contre Fréon, fut la reconnaissance formelle
-de l'horloger à qui il avait vendu la montre
-de la dame Aillet.</p>
-
-<p>Cette procédure dura trois jours, et le résultat
-fut la condamnation à mort des accusés.
-Ils se pourvurent en cassation; dans cet
-intervalle, Fréon fut pris de violens vomissemens,
-et tout annonça qu'il cherchait à s'empoisonner
-à l'instar de Bancal dans l'affaire
-Fualdès, en buvant de l'urine dans laquelle
-il avait laissé de la monnaie de cuivre.
-Fréon répétait à son défenseur, qu'il ne
-serait jamais exécuté.</p>
-
-<p>Lorsque le pourvoi eut été rejeté par la
-Cour de cassation, et le jour de l'exécution
-arrêté, les condamnés se barricadèrent dans
-leur cachot, et l'on ne put s'y introduire.
-L'exécution fut ajournée; depuis, Lapalette
-chercha à retarder sa mort par des révélations
-qu'il fit, révélations qui semblaient annoncer
-que les condamnés avaient des complices,
-(et c'était l'opinion générale à Chartres).
-Cependant, les investigations nouvelles, auxquelles
-la justice se livra, prouvèrent que ces
-révélations étaient mensongères, et bientôt
-<span class="pagenum"><a id="Page_267"> 267</a></span>
-Fréon et Lapalette portèrent leur tête sur
-l'échafaud!...</p>
-
-<p>Ce crime avait jeté l'effroi dans la ville
-de Chartres; la population ne fut rassurée,
-que lorsque les assassins eurent cessé de vivre.
-On parla long-temps de cet assassinat;
-on se rappelait encore le jour de l'inhumation
-de madame Aillet et de sa domestique;
-on parlait de cette fille Goussard qui, pour
-sauver sa maîtresse, avait dû soutenir une
-lutte si longue avec l'un des assassins. C'est
-d'elle que le ministère public disait dans
-son réquisitoire: <i>La palme des martyrs vous
-était réservée!</i>...</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_268"> 268</a></span></p>
-<h2 class="normal">ANTOINE LÉGER,<br />
-<span class="small">OU</span><br />
-<span class="medium">L'ANTHROPOPHAGE DES ENVIRONS DE VERSAILLES.</span></h2>
-</div>
-
-<p>Un crime affreux, dont les circonstances présentent
-un caractère de férocité sans exemple
-dans les annales criminelles, jeta, en 1824,
-l'épouvante et l'horreur dans plusieurs communes
-du département de Seine-et-Oise.</p>
-
-<p>Le 10 août, Aimée-Constance Debully, jeune
-fille de la commune d'Esteville, arrondissement
-d'Étampes, âgée de douze ans et demi,
-sortit de chez ses parens, vers quatre heures
-du soir, pour aller débourgeonner une pièce
-de vigne qu'ils possédaient à un quart de lieue
-du village, et près du bois de Sardion. Le
-soir, sa famille ne la voyant pas revenir, en
-conçut quelque inquiétude, et se mit à sa recherche.
-On se rendit à la vigne; on y trouva
-ses souliers, son chapeau et sa serpette, rangés
-avec assez d'ordre. Mais ce fut vainement que
-<span class="pagenum"><a id="Page_269"> 269</a></span>
-son père et ses frères la cherchèrent en l'appelant,
-une partie de la nuit, dans les bois des
-environs.</p>
-
-<p>Les autorités locales, instruites de cette disparition,
-ordonnèrent aussitôt des battues
-générales dans tout le pays. Durant les cinq
-premiers jours, elles ne produisirent d'autre
-résultat que la découverte d'un mouchoir rayé
-bleu et blanc, qui n'avait pas appartenu à la
-jeune Debully, et qui fut trouvé à peu de
-distance de la pièce de vigne.</p>
-
-<p>Enfin le 16 août, dans une battue faite au
-milieu d'une roche située au-dessus de Montmiraux,
-dite la roche <i>de la Charbonnière</i>, on
-remarqua dans l'une des crevasses du roc des
-branchages de fougère fanée, qui paraissaient
-avoir été tout récemment foulés; on les déplaça,
-et l'on découvrit, par ce moyen, l'entrée
-d'une espèce de caverne dans laquelle on
-descendit.</p>
-
-<p>Des débris d'artichaux, d'ognons, de cosses
-de pois et d'épis de blé, et un lit de foin et de
-mousse que l'on y trouva, annoncèrent que
-cette tanière avait servi d'habitation. Une
-odeur fortement cadavéreuse qui s'en exhalait
-excita de nouvelles recherches; et, à l'aide de
-<span class="pagenum"><a id="Page_270"> 270</a></span>
-lumières que l'on fit apporter, on trouva caché
-sous deux pieds de sable environ, dans un
-enfoncement pratiqué au fond de la grotte, un
-paquet volumineux que l'on en retira aussitôt.</p>
-
-<p>Ce paquet renfermait un cadavre déjà en
-putréfaction; les jambes et les cuisses étaient
-repliées sur le ventre; le tronc étaient horriblement
-mutilé: le tout avait été enveloppé
-dans une chemise, un jupon et un mouchoir
-fortement entortillés par un lien de chêne. Les
-malheureux époux Debully reconnurent dans
-ce cadavre celui de leur fille.</p>
-
-<p>Informé de cette découverte, qui ne laissait
-plus aucun doute sur l'existence d'un crime,
-le juge d'instruction du tribunal d'Étampes
-se transporta aussitôt sur les lieux, accompagné
-d'un chirurgien qui examina le cadavre
-avec soin. On reconnut que le corps avait été
-ouvert dans toute son étendue, à l'aide d'un
-instrument fort tranchant; que des plaies
-nombreuses et profondes avaient été faites sur
-plusieurs parties du corps avec la pointe du
-même instrument. La tête et le cou étaient
-gorgés de sang, tandis que le c&oelig;ur et les vaisseaux
-sanguins qui l'environnent, étaient absolument
-desséchés.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_271"> 271</a></span>
-Cependant, depuis la disparition de la jeune
-Debully, l'inquiétude régnait dans les campagnes
-voisines, et on épiait avec soin tous les
-étrangers qui paraissaient dans le pays.</p>
-
-<p>Le 12 août, le garde particulier du canton
-aperçut dans un bois, et près d'une fontaine,
-un homme qui lui était inconnu, et dont la
-figure et l'extérieur lui parurent étranges. Il
-voulut s'en approcher, et cet homme disparut.
-Le lendemain, le garde le guetta presque
-toute la journée à la fontaine, et le voyant
-revenir le soir, il l'arrêta.</p>
-
-<p>C'était Antoine Léger. Long-temps cet
-homme se renferma dans un système de dénégation
-absolue; mais enfin dans un interrogatoire
-où il avait été vivement pressé, il déroula
-lui-même la série de crimes dont il s'était
-rendu coupable; il en révéla jusqu'aux
-moindres circonstances; il en produisit les
-preuves; il indiqua à la justice et le théâtre
-du forfait et la manière dont il avait été consommé.</p>
-
-<p>Léger, d'après son propre récit, avait toujours
-paru, dès sa jeunesse, d'un caractère sombre
-et farouche; il recherchait habituellement
-la solitude, et fuyait la société des femmes et des
-<span class="pagenum"><a id="Page_272"> 272</a></span>
-jeunes garçons de son âge. Impatient de s'éloigner
-de sa famille, de vivre dans un isolement
-complet, il quitta la maison paternelle,
-le 24 juin 1824, jour de la Saint-Jean, sous
-prétexte d'aller se placer à Dourdan comme domestique,
-n'emportant avec lui qu'une somme
-de cinquante francs et les habits qui le couvraient
-au moment de son arrestation. Au lieu
-de se rendre à Dourdan, comme il en avait
-manifesté l'intention, il vint directement à
-Étampes, y passa la nuit dans une auberge,
-se dirigea sur la Ferté-Aleps, s'arrêta dans les
-bois qui dominent le hameau de Montmiraux
-près de cette ville, et y resta jusqu'au 11 août.
-Il parcourut d'abord ces bois pour y chercher
-une retraite où il pût se mettre à l'abri des
-injures de l'air, et ce ne fut qu'au bout de huit
-jours qu'il découvrit les rochers de la Charbonnière,
-qui dès-lors lui servirent de repaire.
-Il s'y prépara aussitôt un lit composé de
-regain sec, qu'il descendit chercher dans la
-vallée.</p>
-
-<p>Léger prétendit qu'il avait vécu pendant les
-quinze premiers jours de racines, de pois,
-d'épis de blé, de groseilles, et de fruits qu'il
-allait cueillir sur la lisière des bois; que, notamment
-<span class="pagenum"><a id="Page_273"> 273</a></span>
-au mois d'août, il alla la nuit voler
-des artichauts dans le jardin d'une filature
-voisine. Ayant un jour pris un lapin sur une
-roche, il le tua, et le mangea cru sur-le-champ;
-mais bientôt, sentant plus vivement les atteintes
-de la faim, pressé par le besoin, il se rendit
-un jour, vers neuf heures, à la Ferté-Aleps
-pour y acheter quelques livres de pain et du
-fromage de Gruyère. Il y retourna trois ou
-quatre fois encore à la même heure, en suivant
-le même chemin, et pour le même objet.
-Cependant, au milieu de la solitude, de violentes
-passions l'agitaient. Il éprouvait en même
-temps l'horrible besoin de manger de la chair
-humaine, de s'abreuver de sang; il ne tarda
-pas à en trouver l'occasion.</p>
-
-<p>Le 10 août, comme il se promenait dans les
-bois, se trouvant vers les quatre heures de
-l'après-midi, sur les hauteurs qui dominent le
-vallon d'Esteville, il aperçut dans une vigne,
-près de la lisière du bois, une jeune fille (c'était
-Aimée-Constance Debully), et conçut l'infernal
-projet de l'enlever. L'endroit était solitaire;
-quelques bergers, quelques cultivateurs
-étaient épars dans la plaine; mais une grande
-distance les séparait de lui: les cris de sa victime
-<span class="pagenum"><a id="Page_274"> 274</a></span>
-ne pouvaient être entendus. Aussitôt il
-descend rapidement la côte, et à travers le
-bois, fond comme une bête féroce sur sa
-timide proie. La jeune Debully, qui était assise
-près de sa vigne, ne le vit pas s'approcher;
-elle n'eut même pas le temps de se retourner,
-que déjà Léger avait passé son mouchoir autour
-d'elle, l'avait chargée sur son dos, et emportée
-à pas précipités au milieu de l'épaisseur
-du bois.</p>
-
-<p>Fatigué de sa course, et voyant que la jeune
-fille était sans mouvement, il la jeta sur
-l'herbe. L'horrible projet que ce cannibale
-avait conçu, le forfait qu'il avait médité, furent
-exécutés; la jeune fille était sans vie; le
-tigre eut soif de son sang.....</p>
-
-<p>Ici nous écartons des faits épouvantables
-qui, par respect pour la morale publique,
-ne furent mentionnés qu'à huis-clos,
-lors de la procédure. «Ici notre silence
-s'arrête, dit un historien de ce crime monstrueux;
-l'imagination s'épouvante devant
-une série de forfaits que, pour la première
-fois, la barbarie, et la férocité ont enfantés.
-Le soleil n'avait pas encore éclairé un pareil
-forfait: c'est le festin d'Atrée!»</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_275"> 275</a></span>
-La rage de Léger étant assouvie, le monstre
-sentit la nécessité d'effacer jusqu'aux
-moindres traces de son crime. Il saisit ce
-corps inanimé, l'enveloppa dans les vêtemens
-qui le couvraient, le lia avec une forte
-branche de chêne qu'il coupa sur le lieu
-même, l'emporta dans sa grotte et l'y ensevelit.</p>
-
-<p>Léger, après avoir fait lui-même le récit
-très-détaillé des faits qu'on vient de lire,
-fournit, à l'appui de ses aveux, des preuves
-matérielles de leur véracité. Conduit
-sur les lieux, il montra l'endroit où il
-s'était arrêté pour commettre son crime. Il
-indiqua le pied du chêne sur lequel il avait
-coupé la branche pour lier le cadavre, et
-cette branche, rapprochée de sa tige, s'y
-rapportait parfaitement; enfin, il désigna
-le rocher sous lequel il avait caché le col
-et les manches de sa chemise: en effet, on
-les y trouva.</p>
-
-<p>Depuis le jour où il avait tout avoué, Léger
-conserva un sang-froid épouvantable.
-Quand on lui rappelait toutes les circonstances
-de son crime, un <i>oui</i>, prononcé avec
-<span class="pagenum"><a id="Page_276"> 276</a></span>
-indifférence, était la seule réponse à toutes
-les questions qu'on lui adressait.</p>
-
-<p>Léger comparut devant la Cour d'assises
-de Seine-et-Oise, le 23 novembre. Bien que
-l'on sût d'avance que la nature de sa cause
-ne permettait pas que l'audience fût publique,
-un concours de spectateurs avait envahi
-toutes les avenues du tribunal. On était
-curieux de voir la physionomie de cet anthropophage.
-Mais la figure de Léger trompa
-l'attente de tout le monde. Ses traits présentaient
-l'apparence du calme et de la douceur;
-seulement ses regards étaient hébétés. Ses
-yeux fixes, sa contenance immobile, son
-air silencieux et méditatif, son teint blême
-et décoloré, glaçaient presque d'effroi les
-spectateurs. Son costume était celui de sa
-profession de vigneron, une veste et un
-pantalon bleu.</p>
-
-<p>Interpellé par le président sur ses nom
-et prénoms, il répondit avec la même tranquillité
-que s'il se fût agi de l'affaire la plus
-ordinaire: «Je me nomme Antoine Léger:
-je suis journalier, âgé d'environ vingt-neuf
-ans, né et demeurant dans la commune de
-Saint-Martin-Betencourt (Seine-et-Oise).»</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_277"> 277</a></span>
-Nous allons donner quelques parties de
-son interrogatoire public, qui présentent
-aussi des détails révoltans:</p>
-
-<p><i>D.</i> A quelle heure êtes-vous sorti, le 10 août,
-de votre caverne?</p>
-
-<p><i>R.</i> Je n'étais pas réglé pour sortir; je suis
-sorti vers trois heures et demie.</p>
-
-<p><i>D.</i> Répétez de vous-même, comme vous
-l'avez fait dans l'instruction, ce que vous
-avez fait le même jour, à quatre heures du
-soir.</p>
-
-<p><i>R.</i> J'étais allé pour cueillir des pommes:
-j'ai aperçu, au bout du bois, une petite
-fille qui était assise. Il m'a pris idée de
-l'enlever; je lui ai passé mon mouchoir autour
-du cou et l'ai chargée sur mon dos.
-La petite fille n'a jeté qu'un petit cri. J'ai
-marché à travers le bois, et me suis trouvé
-mal de faim, de soif et de chaleur. Je suis
-resté peut-être une demi-heure comme ça
-sans connaissance. La soif et la faim m'ayant
-pris trop fort, je me suis mis à la dévorer.....</p>
-
-<p><i>D.</i> Dans quel état se trouvait alors la jeune
-fille?</p>
-
-<p><i>R.</i> Sans mouvement: elle était morte. Je
-n'ai essayé que d'en manger, et voilà tout.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_278"> 278</a></span>
-<i>D.</i> Dites toute la vérité, comme vous l'avez
-fait dans l'instruction; ce qui vous a soulagé,
-ainsi que vous l'avez observé vous-même.</p>
-
-<p>L'accusé se renferma dans une dénégation
-absolue sur tout ce qui avait rapport au viol. Le
-président de la Cour donna lecture des réponses
-précédentes de Léger; elles firent frémir. L'accusé
-était convenu qu'ayant ouvert le corps de
-l'infortunée créature, et voyant sortir le sang
-en abondance, il y désaltéra sa soif exécrable,
-«et poussé, dit-il, par le malin esprit qui me
-dominait, j'allai jusqu'à lui sucer le c&oelig;ur...»</p>
-
-<p><i>L'Accusé</i>: Je n'ai rien dit de tout cela à
-messieurs les juges, qui ont écrit ce qu'ils ont
-voulu.</p>
-
-<p>A d'autres questions, Léger répondit avec
-un inconcevable sang-froid: Je n'y ai pas fait
-attention..... D'ailleurs, je suis tombé en faiblesse,
-et me suis trouvé mal..... Je n'ai fait
-tout cela, dit-il plus loin, que pour avoir du
-sang..... Je voulais boire du sang..... J'étais
-tourmenté de la soif; je n'étais plus maître
-de moi.</p>
-
-<p><i>D.</i> N'avez-vous pas détaché avec votre
-couteau le c&oelig;ur de votre victime?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_279"> 279</a></span>
-<i>R.</i> Je l'ai <i>tâté</i> un peu avec mon couteau,
-et je l'ai percé.....</p>
-
-<p><i>D.</i> Qu'avez-vous fait des débris du cadavre?</p>
-
-<p><i>R.</i> Je les ai cachés hors de la grotte, sous
-de la fougère et toutes sortes de choses. Il y
-avait des oiseaux qui croassaient après moi.</p>
-
-<p><i>D.</i> Quels oiseaux?</p>
-
-<p><i>R.</i> Des pies, que je croyais être là pour me
-faire prendre..... parce qu'elles croassaient
-contre moi.</p>
-
-<p><i>D.</i> Vous étiez donc agité par la crainte?
-vous sentiez donc que vous aviez mal fait?</p>
-
-<p><i>R.</i> Oui; quand j'ai repris connaissance, je
-suis allé me cacher dans des roches, plus
-bas: j'y ai passé une partie de la nuit sans
-pouvoir dormir. Le lendemain, je me suis en
-allé à travers les champs, par-dessus les montagnes;
-je me suis lavé la figure sur les roches
-où il y avait de l'eau, et j'ai lavé aussi
-ma chemise; j'ai coupé le col et le bout des
-manches où il y avait encore du sang <i>à même</i>.
-J'ai rencontré un garde et j'ai pris la fuite.
-Quand je voyais quelqu'un d'un côté, je m'en
-allais de l'autre. Le garde m'a dit: <i>Halte-là,
-de par le roi!</i> Je me suis arrêté tout court.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_280"> 280</a></span>
-<i>D.</i> Vous avez dit: Ce n'est pas vous qui
-m'emmèneriez. Le garde a répondu: Je t'emmènerai
-mort ou vif. Il a donné un coup de
-sifflet, des passans sont accourus et vous ont
-arrêté comme vagabond, car on ne soupçonnait
-pas alors l'assassinat de la jeune Debully.
-Vous avez prétendu que vous aviez été condamné
-à vingt années de fer, et que vous
-vous étiez évadé?</p>
-
-<p><i>R.</i> C'est possible.</p>
-
-<p><i>D.</i> Vous êtes-vous coupé les cheveux, à la
-roche de la Charbonnière?</p>
-
-<p><i>R.</i> Oui, j'ai coupé les cheveux que vous
-me montrez avec un de mes couteaux, celui
-à manche de corne, qui est tranchant comme
-un rasoir. Je mettais un rouleau de bois sous
-mes cheveux qui ne tenaient pas; ils tombaient
-d'eux-mêmes.</p>
-
-<p>Léger reconnut le mouchoir avec lequel,
-après l'avoir tordu, il entraîna la jeune Debully.</p>
-
-<p><i>D.</i> Que vouliez-vous faire de cette enfant?</p>
-
-<p><i>R.</i> Je n'avais pas de connaissance; j'étais
-poussé par le <i>malin esprit</i>.</p>
-
-<p>La chemise saisie sur l'accusé, toute sale,
-toute ensanglantée et couverte de déchirures,
-<span class="pagenum"><a id="Page_281"> 281</a></span>
-lui fut présentée. Cette vue ne le fit pas un
-seul instant sourciller.</p>
-
-<p>Après l'audition des témoins, parmi lesquels
-on voyait le père et la mère de l'enfant
-égorgée, et dont les dépositions ne firent que
-confirmer le monstrueux attentat de Léger
-et redoubler l'intérêt et la pitié pour sa victime,
-on entendit les médecins qui déclarèrent,
-relativement au genre de mort de la
-petite Debully, qu'il y avait eu asphyxie,
-soit par strangulation, soit par étouffement.
-Leur opinion fut aussi, et elle était fondée
-sur des signes non équivoques, que l'attentat
-à la pudeur avait été commencé pendant
-la vie de l'enfant, et consommé après sa
-mort, seule circonstance que Léger ait persisté
-à nier.</p>
-
-<p>Dans cet état de choses, le défenseur,
-nommé d'office, présenta Léger comme un
-être privé de la raison, et se fonda sur les
-habitudes vicieuses qu'il avait contractées,
-sur sa fuite de chez ses parens et sur le genre
-de vie qu'il menait.</p>
-
-<p>Le président, après avoir résumé d'une
-manière extrêmement lumineuse, toutes les
-circonstances qui se rattachaient au crime
-<span class="pagenum"><a id="Page_282"> 282</a></span>
-atroce de Léger, posa au jury les questions
-de viol et d'homicide volontaire, résultant
-de l'acte d'accusation, en y ajoutant, sur la
-demande expresse du défenseur, la question
-de démence. Le jury, après une demi-heure
-de délibération, résolut affirmativement les
-questions de viol, d'attentat à la pudeur et
-d'homicide avec préméditation et guet-à-pens,
-et négativement celle relative à la démence:
-en conséquence, Léger fut condamné à la
-peine de mort. Il entendit son arrêt avec une
-stupidité bien différente de la froide impassibilité
-qu'il avait montrée aux débats.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_283"> 283</a></span></p>
-<h2 class="normal">VEILLÈRE,<br />
-<span class="medium">OU LA PASSION DU JEU.</span></h2>
-</div>
-
-<p>Chez la plupart des joueurs, la passion qui
-les domine n'est autre que l'ambition; sans
-l'espoir du gain, le jeu serait sans attraits
-pour eux. C'est pourquoi, lorsque viennent
-les chances malheureuses, la raison, l'honneur,
-le devoir, tout est oublié; une rage sombre,
-une sorte de démence les obsède; alors
-tous les moyens leur sont bons pour se procurer
-les ressources qu'ils croient propres à
-réparer leurs pertes. De là tant de calamités
-domestiques! de là tant de crimes qui, si fréquemment,
-portent l'épouvante au sein de la
-société!</p>
-
-<p>Toutefois, le criminel dont nous allons parler
-semble faire une exception à cette règle
-générale. La passion du jeu était devenue chez
-lui une monomanie qui n'avait d'autre objet
-que le jeu lui-même. Cette passion, qui lui fit
-<span class="pagenum"><a id="Page_284"> 284</a></span>
-commettre un crime atroce, ne procédait
-point d'un rapace et sordide intérêt. Il voulait
-toujours jouer, mais uniquement pour jouer;
-et certes, ce n'était pas l'appât du gain qui, le
-jour même de son exécution, alors qu'il savait
-très-bien qu'il n'y avait plus pour lui d'espoir
-en ce monde, lui mettait encore les cartes à
-la main.</p>
-
-<p>Veillère, perruquier dans la ville de Rouen,
-marié depuis 1821, se livrait à la funeste passion
-dont nous venons de parler, de manière
-à compromettre les intérêts de sa maison. Il
-en résultait des scènes violentes dans son ménage;
-il ne cessait d'accabler sa jeune et vertueuse
-épouse de traitemens atroces: enfin,
-un jour, il en vint au point de se précipiter
-sur elle et de lui porter, en présence de quelques
-autres femmes qui voulurent vainement
-l'arrêter, plusieurs coups de couteau à la
-gorge. Le malheureux voulait aussi se détruire
-et mourir avec elle, mais les blessures
-qu'il se fit, quoique graves, ne furent pas
-mortelles.</p>
-
-<p>Il fut mis en accusation et traduit devant
-la Cour d'assises de la Seine-Inférieure, le 14
-août 1824; il parut devant ses juges avec une
-<span class="pagenum"><a id="Page_285"> 285</a></span>
-contenance assurée. Condamné à mort sur la
-déclaration unanime du jury, il entendit son
-arrêt sans dire un seul mot, sans donner
-aucun signe d'émotion. Résigné à mourir, il
-refusa opiniâtrément de se pourvoir.</p>
-
-<p>Dès ce moment, il attendit la mort avec
-une impassibilité étonnante, continuant de
-jouer, suppliant quelques prisonniers de ne
-pas lui refuser de faire sa partie pour les derniers
-momens de sa vie, et les menaçant
-plaisamment de venir les tourmenter après sa
-mort, s'ils ne se rendaient pas à son désir.</p>
-
-<p>Le 18 août, veille de son exécution, il
-ne quitta le jeu que pour se coucher, et
-presque aussitôt s'endormit d'un sommeil paisible.
-Le lendemain matin, le matin de son
-dernier jour, à son lever, il déjeûna avec appétit
-et se remit au jeu jusqu'au moment de
-passer dans la chapelle, où le prêtre l'attendait.
-Il demanda avec beaucoup d'instance
-que le détenu qui jouait avec lui l'accompagnât
-jusque dans cet endroit; puis il se confessa
-avec le plus grand calme, écouta avec
-beaucoup d'attention les consolations et les
-prières de l'ecclésiastique qui l'assistait, et
-marcha à l'échafaud, avec la même impassibilité
-qu'il avait toujours montrée.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_286"> 286</a></span></p>
-<h2 class="normal">EFFRAYANTE SÉRIE D'ATROCITÉS.</h2>
-</div>
-
-<p>François Turrel, propriétaire et cultivateur
-à Merlieux, arrondissement de Belley, offrit,
-en 1824, à la Cour d'assises de l'Ain devant
-laquelle il fut traduit, un criminel capable
-de disputer le prix de la scélératesse au trop
-fameux Lelièvre, condamné et exécuté à Lyon
-quelques années auparavant.</p>
-
-<p>Ce monstre était accusé non seulement
-d'avoir assassiné Anthelmette Genet sa femme,
-mais encore d'avoir causé la mort de trois
-autres femmes, auxquelles il s'était uni par
-le mariage, sans que toutefois la réalité de
-ces derniers crimes fût démontrée. Nous allons
-rapporter les faits de cette cause tels
-qu'ils furent présentés dans le système de l'accusation.</p>
-
-<p>Turrel, âgé de soixante ans, à l'époque de son
-jugement, avait épousé en premières noces,
-trente années auparavant, une femme originaire
-<span class="pagenum"><a id="Page_287"> 287</a></span>
-de Savoie. Pendant quelque temps,
-il vécut avec elle en assez bonne intelligence;
-mais bientôt entraîné par la passion du libertinage,
-il se livra à un commerce illégitime
-avec la fille Gouge, sa servante, et
-conçut dès-lors le projet d'attenter à la vie
-de sa femme, pour épouser sa concubine. Un
-jour, embusqué derrière un rocher, il assaillit
-sa femme à coups de pierres et la
-blessa à l'épaule. Une autre fois, l'ayant dirigée
-sur une ouverture pratiquée dans son
-fenil, il la précipita du haut en bas sur des
-chariots et des pièces de bois qu'il avait placées
-au-dessous; et la malheureuse femme,
-brisée par cette chute, mourut au bout de
-quelques jours.</p>
-
-<p>Turrel épousa alors la fille Gouge; mais
-cette seconde femme ne fut pas plus heureuse
-que celle qu'elle avait si cruellement supplantée.
-Abreuvée de chagrins de toute espèce,
-elle finit par y succomber, et le bruit courut
-qu'elle était morte des suites d'un coup
-de pied que son mari lui avait donné dans le
-bas-ventre.</p>
-
-<p>Pendant la durée de son second mariage,
-Turrel avait pris à son service sa propre nièce
-<span class="pagenum"><a id="Page_288"> 288</a></span>
-qui périt peu de temps après, si l'on s'en
-tient au cri public, du fait de Turrel.</p>
-
-<p>Resté veuf, Turrel convola à de troisièmes
-noces; il épousa la fille Goddet, mais alors
-même, il avait une inclination très-vive pour
-Anthelmette Genet, sa servante. La fille Goddet
-avait quelques propriétés; ce qui donna
-lieu de croire que le mariage de Turrel avec
-elle n'avait été qu'une spéculation d'intérêt.
-En effet, pressé du désir de vivre en toute liberté
-avec sa concubine, il conçut bientôt le
-dessein de se défaire de sa nouvelle femme, et
-Anthelmette Genet consentit à devenir sa
-complice. Ainsi, au bout d'une année de mariage,
-un nouveau crime fut commis; Turrel
-fit empoisonner sa femme par les mains de
-celle qui était depuis long-temps sa servante
-et sa concubine, et la malheureuse épouse périt
-en proie à des convulsions qui ne permirent
-pas de douter de la cause de sa mort.</p>
-
-<p>Ce fut alors qu'il prit pour femme Anthelmette
-Genet, et les premières années de cette
-union furent assez paisibles; mais, à la longue,
-Turrel conçut pour la Genet du dégoût
-et de l'aversion, et dans ses désirs effrénés,
-il rechercha d'autres femmes pour satisfaire
-<span class="pagenum"><a id="Page_289"> 289</a></span>
-ses passions. La femme Turrel, égarée par la
-jalousie, se livra aux plus violens emportemens.
-Des scènes terribles eurent lieu entre
-les deux époux, et, après dix-huit ans de mariage,
-Turrel médita de nouveaux projets
-d'homicide; il résolut d'être encore le meurtrier
-de sa quatrième femme.</p>
-
-<p>Ses premières tentatives échouèrent; mais
-elles furent toutes marquées d'un caractère
-de noirceur et d'atrocité. Un jour qu'il poursuivait
-sa femme, celle-ci voulut traverser une
-rivière pour se soustraire à sa fureur; il lui
-plongea la tête dans l'eau pour la noyer; et ne
-la laissa s'échapper que lorsqu'on accourut
-pour la secourir. Une autre fois, cette malheureuse
-s'aperçut qu'il avait caché de gros
-cailloux dans la paillasse de son lit: elle s'en
-étonne; il lui dit que ce sont ses défenseurs,
-mais elle ne doute point qu'il ne veuille s'en
-servir pour attenter à ses jours. Dès-lors, elle
-se renferme, la nuit, dans une chambre séparée
-de celle de son mari, pour reposer du moins
-sans avoir la crainte d'une mort prochaine.
-Turrel trouve un moyen de l'en faire sortir:
-il feint d'être malade, il l'appelle, la fait monter
-au grenier; il veut qu'elle y cherche du
-<span class="pagenum"><a id="Page_290"> 290</a></span>
-bois pour allumer du feu; puis quand elle
-redescend, il retire l'échelle, et la malheureuse
-femme, exposée au danger d'une chute
-cruelle, reste suspendue jusqu'au moment
-où l'on vient la secourir.</p>
-
-<p>Enfin arrive le 12 décembre 1823; c'était
-le jour où Turrel devait mettre le comble à
-ses forfaits. Entre onze heures et midi, des
-cris sont entendus: <i>Pardon! au secours!</i> ces
-cris partaient de sa maison. Une fille du voisinage
-regarde au travers d'une ouverture
-pratiquée dans la muraille; elle voit Turrel
-sur la porte de son écurie, ayant l'air inquiet
-et cherchant à s'assurer s'il n'est vu
-de personne. Il rentre, il sort, et après
-quelques instans, il revient avec un de ses
-neveux qu'il a rencontré. Le neveu, en entrant
-dans l'écurie, aperçoit un cadavre
-étendu par terre, et couvert de contusions
-et de blessures, <i>O mon Dieu!</i> s'écrie-t-il, <i>ma
-pauvre tante est morte!</i> Turrel dit que c'est
-son cheval qui l'a tuée; qu'il l'a trouvée
-sous ses pieds dans l'état le plus déplorable:
-et il frappe ce pauvre animal, comme
-pour se venger, comme pour le punir!</p>
-
-<p>Bientôt des voisins arrivent. Le corps de
-<span class="pagenum"><a id="Page_291"> 291</a></span>
-la femme Turrel est emporté. Un chirurgien
-est appelé; il fait l'examen du cadavre, et
-reconnaît que les blessures qui ont causé la
-mort n'ont pu être faites qu'avec un instrument
-contondant. Alors Turrel devient l'objet
-des soupçons les plus véhémens, et après
-qu'on a trouvé dans l'écurie un trident et un
-<i>racle</i> en fer, tout ensanglantés, quand on découvre
-un pantalon de Turrel taché de sang,
-et auquel étaient collés des cheveux de la victime,
-on ne doute plus qu'il ne soit l'assassin;
-la justice est avertie, et sur-le-champ
-fait arrêter Turrel.</p>
-
-<p>La Cour d'assises de l'Ain, séant à Bourg,
-fut saisie de cette horrible cause. Turrel
-comparut devant elle, en mai 1824. L'instruction,
-les dépositions des témoins et les
-débats confirmèrent la vérité des faits épouvantables
-que l'on vient de lire, et le scélérat
-Turrel fut condamné à la peine de
-mort.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_292"> 292</a></span></p>
-<h2 class="normal">PAPAVOINE,<br />
-<span class="medium">OU LE MEURTRE DU BOIS DE VINCENNES.</span></h2>
-</div>
-
-<p>Voici un de ces épouvantables forfaits
-devant lesquels la science demeure confondue,
-qui déconcertent la raison humaine, dont
-les motifs, s'il en existe, échappent à toutes
-les investigations, et qui feraient presque
-croire que cette fameuse fatalité des anciens,
-si fertile en crimes, si énergiquement peinte par
-les tragiques grecs, n'était autre que cette nouvelle
-et déplorable faiblesse à laquelle l'humanité
-semble être assujétie depuis quelques années,
-et que le barreau a déjà tant de fois
-invoquée sous le nom de <i>monomanie du sang</i>.</p>
-
-<p>Dans le procès de Papavoine, comme
-dans plusieurs autres dont les tribunaux
-ont retenti, on ne voit figurer ni l'ambition,
-ni la jalousie, ni la cupidité, ni la
-vengeance. Cet homme ne connaissait même
-<span class="pagenum"><a id="Page_293"> 293</a></span>
-pas les enfans qu'il frappa si cruellement.
-L'horrible meurtre dont il se souilla n'était
-donc inspiré par aucun des motifs qui arment
-ordinairement le bras de l'assassin.</p>
-
-<p>Il est présumable que Papavoine cherchait
-dans une vengeance, dont l'objet lui était
-indifférent, un allégement à de vagues inquiétudes,
-à une mélancolie profonde; peut-être
-aussi tout autre individu qu'une créature
-humaine aurait-il pu l'assouvir; il eût même
-été possible qu'il tombât lui-même victime
-de ses propres coups, s'il eût été seul lorsque
-cette fièvre homicide s'empara de lui.</p>
-
-<p>Mais, comme l'a fort judicieusement observé
-un savant légiste: «La justice n'a pas besoin
-de plonger dans les abîmes du c&oelig;ur humain,
-lorsque le crime est constant, et que la société
-en demande la répression.» Lorsqu'un
-crime a été commis, le coupable, s'il est
-prouvé qu'il n'est pas en démence, est nécessairement
-justiciable des lois applicables
-à ce crime. Vainement alléguera-t-on en sa
-faveur qu'il est sujet à des accès de frénésie
-sanguinaire, qu'il a un penchant irrésistible
-au meurtre, qu'il est monomane enfin; la
-société justement alarmée, doit, dans l'intérêt
-<span class="pagenum"><a id="Page_294"> 294</a></span>
-de sa conservation, frapper ce furieux
-qui a soif de sang, et s'affranchir des craintes
-et des périls continuels auxquels donnerait
-lieu l'existence de cette espèce de monstre
-féroce.</p>
-
-<p>Passons maintenant aux singularités qui
-caractérisent le tragique attentat de Papavoine.
-Elles serviront à fixer les idées du
-lecteur sur la nature de cet assassinat.</p>
-
-<p>Dans la soirée du 10 octobre 1824, la
-nouvelle se répandit dans Paris que deux
-enfans venaient d'être assassinés dans le bois
-de Vincennes. Les contes les plus étranges,
-longuement et diversement commentés, donnèrent
-lieu à plusieurs versions plus absurdes
-les unes que les autres; la distance qui sépare
-la capitale du bois de Vincennes favorisait
-aussi toutes ces amplifications de commères,
-naturellement avides de tout ce qui paraît
-merveilleux. Toutefois, il était un point malheureusement
-trop vrai; le fait matériel était
-exact: deux enfans avaient été assassinés.</p>
-
-<p>La demoiselle Hérin, poussée par une malheureuse
-destinée, s'était rendue ce jour-là
-à Vincennes. Cette demoiselle, fille du portier
-de l'Intendance militaire, avait fait, depuis
-<span class="pagenum"><a id="Page_295"> 295</a></span>
-1815, la connaissance du sieur Gerbod
-fils; une liaison intime, à laquelle il ne manquait
-que la consécration légale, s'était établie
-entre eux, et il en était résulté deux
-enfans mâles, âgés, l'un de cinq ans, l'autre
-de six. Gerbod fils, qui avait reconnu ces deux
-enfans, manifestait depuis long-temps l'intention
-d'épouser la demoiselle Hérin; mais
-son père s'était constamment opposé à cette
-union. Gerbod père, possesseur d'un établissement
-considérable de charronnage, était
-parvenu, à l'aide de ses travaux et d'une honnête
-industrie, à acquérir une sorte d'opulence;
-ce qui explique son refus de marier
-son fils avec une fille sans fortune, et déjà
-devenue mère de deux enfans, sous les yeux
-de ses parens qui souffraient son commerce
-avec Gerbod fils. Ce père avait d'ailleurs
-d'autres projets, qui, à la vérité, ne purent
-être réalisés, soit à cause du refus du jeune
-homme, soit par suite de la reconnaissance
-que celui-ci avait faite de ses deux enfans
-naturels. Cependant, et malgré un acte respectueux
-signifié, et une scène assez vive
-entre la demoiselle Hérin et la famille Gerbod,
-la bonne intelligence ne fut pas sérieusement
-<span class="pagenum"><a id="Page_296"> 296</a></span>
-troublée entre le père et le fils. Les enfans
-de la demoiselle Hérin avaient été mis en pension
-à Vincennes; et le 10 octobre, leur mère
-s'était rendue auprès d'eux.</p>
-
-<p>Le même jour, une demoiselle Malservait,
-marchande de modes, ayant donné rendez-vous,
-dans le bois de Vincennes, à une personne
-de sa connaissance qui était allée à
-Alfort, entra dans la boutique de la dame
-Jean; elle se fit servir un verre de liqueur.
-Dans le même moment, on aperçut Papavoine;
-il s'arrêta auprès de cette boutique et suivit
-la demoiselle Malservait dans le bois. Il était
-vêtu d'un pantalon noir et d'une redingotte
-bleue, boutonnée depuis le haut jusqu'en bas.</p>
-
-<p>De son côté, la demoiselle Hérin, accompagnée
-de ses enfans, se promenait dans le
-bois de Vincennes. La demoiselle Malservait
-ayant rencontré mademoiselle Hérin, lui
-demanda la permission de faire quelques
-caresses à ses enfans. Papavoine passa auprès
-d'elles, ôta son chapeau et les salua; il continua
-sa route. La demoiselle Malservait, qui
-se dirigeait de l'autre côté, l'atteignit, et Papavoine
-lui adressant la parole, lui dit: «Connaissez-vous
-ces enfans que vous venez d'embrasser?»
-<span class="pagenum"><a id="Page_297"> 297</a></span>
-A quoi elle répondit: «On peut faire
-des caresses à des enfans qu'on ne connaît
-pas.» Papavoine s'éloigna; c'est alors, à
-ce qu'il paraît, qu'il conçut l'épouvantable
-pensée qu'il exécuta peu d'instans après. Il
-se transporta dans la boutique de la dame
-Jean, et y demanda un couteau. La dame
-Jean n'avait que des couteaux assortis par
-douzaine. Papavoine refusa de prendre la
-douzaine entière; il obtint qu'on en détachât
-un, qui était en tout semblable de forme, de
-mesure et de proportion aux autres, en offrant
-de le payer un peu plus cher qu'on ne
-l'aurait vendu avec les onze autres; la marchande
-consentit à le lui livrer à ce prix.</p>
-
-<p>Alors Papavoine, muni de cet instrument
-qu'il destinait au plus odieux usage, retourna
-dans les allées du bois où les enfans se promenaient
-encore. La demoiselle Malservait
-avait quitté les allées; elle était partie pour
-se rendre au café où devait la rejoindre la personne
-qu'elle attendait; il était alors onze
-heures et demie. Papavoine, dont la figure
-était pâle, l'&oelig;il hagard, et qui se trouvait
-dans une sorte de frénésie, aborda la demoiselle
-Hérin: «Votre promenade a été bientôt
-<span class="pagenum"><a id="Page_298"> 298</a></span>
-faite,» dit-il à la mère; et se baissant, comme
-pour embrasser l'un des enfans, il lui plongea
-son couteau dans le c&oelig;ur. Aux cris de la victime
-expirante, la demoiselle Hérin, quoique
-ignorant encore l'étendue de son malheur,
-frappa l'assassin avec un parapluie qu'elle tenait
-à la main. Le parapluie atteignit le chapeau
-de cet homme, et y laissa un trou qui
-fut remarqué après l'événement.</p>
-
-<p>Pendant que la mère éplorée s'occupait des
-soins à prodiguer à cette première victime,
-Papavoine plongea son couteau dans le c&oelig;ur
-de l'autre enfant, s'enfuit à pas précipités, et
-s'enfonça dans le taillis.</p>
-
-<p>La malheureuse mère, s'abandonnant à
-un désespoir difficile à décrire, courait au
-hasard, appelant du secours; plusieurs personnes
-accoururent. Elle leur donna le signalement
-de l'assassin, leur désignant sa figure,
-ses vêtemens; et comme si les douleurs
-que lui faisait ressentir la terrible scène qui
-venait de se passer sous ses yeux, avaient eu
-pour un moment le pouvoir de lui interdire
-d'autres sentimens que celui de la vengeance,
-elle indiquait, par des signes non
-équivoques, à quels traits et de quelle manière
-<span class="pagenum"><a id="Page_299"> 299</a></span>
-on pouvait reconnaître le scélérat qui
-venait de lui enlever les plus chers objets de
-sa tendresse. Au signalement qu'elle donna
-du coupable, quelques personnes se souvinrent
-de l'avoir aperçu quelque temps auparavant.</p>
-
-<p>On fit de vains efforts pour rappeler à la
-vie les deux malheureux enfans; le meurtrier
-les avait frappés d'une main si assurée qu'ils
-étaient morts sur le coup. Alors on s'empressa
-de courir à la recherche de l'auteur
-du crime. Les portes du bois de Vincennes
-furent fermées, et la gendarmerie, aidée par
-les militaires de la garnison, se mit en devoir
-de fouiller le bois.</p>
-
-<p>La demoiselle Malservait, qui avait embrassé
-les deux enfans quelques minutes avant
-leur assassinat, et qui avait parlé à l'homme
-qui se préparait à leur plonger son couteau
-dans le sein, fut arrêtée, sous la prévention
-de complicité.</p>
-
-<p>L'autorité locale, poursuivant ses recherches
-avec activité, découvrit bientôt l'acquisition
-du couteau chez la dame Jean. Le signalement
-que cette femme donna de l'individu
-<span class="pagenum"><a id="Page_300"> 300</a></span>
-qui l'avait acheté, fut conforme à ce
-qu'avait déjà déclaré, à cet égard, la demoiselle
-Hérin.</p>
-
-<p>Enfin, vers midi, un gendarme rencontra
-dans une allée parallèle à celle où le crime
-avait été commis, un individu qui causait
-avec un militaire, et à qui s'appliquait parfaitement
-le signalement donné par la demoiselle
-Hérin. Le gendarme le somma de le
-suivre; il ne fit aucune résistance; seulement
-il objecta, avec un calme apparent, qu'il n'avait
-rien à se reprocher, et que peut-être son arrestation
-ferait perdre la trace du coupable.
-Cependant le militaire avec lequel cet homme
-avait causé ayant déclaré qu'il venait de traverser
-le taillis, et lui avait demandé les
-moyens de sortir du bois; qu'il l'avait aperçu
-examinant ses habits avec une grande attention,
-comme pour s'assurer s'il n'y trouverait
-pas quelques taches; et qu'il l'avait même
-questionné pour savoir si sa figure n'était
-pas barbouillée, l'ensemble de ces circonstances
-détermina le gendarme à arrêter cet
-homme, et il le conduisit dans la maison où
-la demoiselle Hérin s'était retirée. A l'aspect
-<span class="pagenum"><a id="Page_301"> 301</a></span>
-du prisonnier que l'on venait confronter avec
-elle, cette mère au désespoir s'écria: <i>C'est
-le monstre qui a tué mes enfans</i>!</p>
-
-<p>La dame Jean le reconnut aussi pour être
-l'individu qui lui avait acheté le couteau, et
-plusieurs personnes affirmèrent l'avoir aperçu
-dans les allées du bois, peu d'instans avant la
-consommation du forfait. Toutefois, cet homme
-ne paraissait pas moins repousser avec autant
-de force que d'adresse ces accusations
-foudroyantes. Interrogé sur son nom, il répondit
-qu'il se nommait Papavoine.</p>
-
-<p>L'autopsie des cadavres des deux jeunes
-victimes prouva que leur mort avait été le
-résultat instantané de coups d'un instrument
-dont la forme ressemblait à celle d'un couteau.
-Un des onze couteaux restans de la douzaine,
-dans laquelle avait été pris celui vendu
-à Papavoine, ayant été appliqué aux plaies,
-s'y adapta parfaitement.</p>
-
-<p>Tant de preuves réunies ne laissaient pas la
-moindre place au doute. Cependant, en présence
-du juge d'instruction, le prévenu chercha,
-dans ses réponses, à repousser l'accusation
-dirigée contre lui, et sa défense prouva
-non seulement la rectitude et la clarté de ses
-<span class="pagenum"><a id="Page_302"> 302</a></span>
-idées, mais encore une habileté véritable et
-peu commune. Depuis le 10 octobre, jour
-de son arrestation, jusqu'au 15 novembre,
-il persévéra dans le même système de dénégation;
-mais, à cette dernière époque,
-accablé par l'évidence des preuves, il
-adopta tout-à-coup un nouveau système. Il
-commença par déclarer qu'il avait de grandes
-révélations à faire; mais qu'il ne les ferait
-qu'à condition qu'il serait entendu par deux
-augustes princesses: on sent bien qu'il était
-impossible d'acquiescer à une demande aussi
-bizarre. Il la restreignit ensuite à la faveur
-de paraître devant une seule des deux princesses:
-nouveau refus. Il se détermina à parler,
-et se reconnut enfin coupable du meurtre
-des deux enfans. Mais comme si ce crime ne
-suffisait pas pour motiver l'application de la
-peine capitale, il annonça qu'il s'était trompé
-en donnant la mort aux deux enfans de la
-demoiselle Hérin, et que son intention avait
-été d'égorger les deux jeunes enfans de France,
-Mademoiselle et le duc de Bordeaux.</p>
-
-<p>Cette monstrueuse explication, démentie
-par la vraisemblance, par les faits et même
-par les opinions politiques de l'auteur du
-<span class="pagenum"><a id="Page_303"> 303</a></span>
-crime, n'en imposa à personne. Les magistrats
-ne virent en elle que la base d'un
-système de défense adopté par l'accusé. Son
-but était de persuader qu'il était atteint d'une
-démence furieuse. Il développa bientôt son
-plan par de nouveaux faits, qui, s'ils n'étaient
-pas le résultat d'une véritable folie,
-attestaient une atroce habileté.</p>
-
-<p>Mais avant de passer outre, il ne sera pas
-hors de propos de jeter un coup-d'&oelig;il sur
-la vie de Papavoine. Diverses circonstances
-dans lesquelles son caractère viendra se refléter,
-aideront peut-être à expliquer son
-crime, ou du moins à le rendre un peu moins
-incompréhensible.</p>
-
-<p>Louis-Auguste Papavoine était né à Mouy
-(Eure), en 1784. Son père, fabricant de
-draps dans cette ville, jouissait d'une aisance
-qui lui avait permis de donner à son fils une
-éducation solide, qui pût le mettre à même
-d'occuper un rang honorable dans la société.
-Le commerce paraissant incompatible avec le
-caractère taciturne du jeune Papavoine, on le
-destina à la bureaucratie. Admis dans l'administration
-de la marine, il y fut placé, en 1804,
-en qualité de commis extraordinaire, et s'embarqua
-<span class="pagenum"><a id="Page_304"> 304</a></span>
-successivement à bord de plusieurs
-vaisseaux de l'état, sur lesquels il fit diverses
-courses maritimes. Nommé ensuite commis
-de seconde classe, il fut promu, quelques années
-après, au grade de quartier-maître, puis
-devint commis de première classe au port
-de Brest. Ces divers emplois dont les fonctions
-ne sont ni sans importance, ni sans responsabilité,
-Papavoine les remplit non seulement
-avec zèle, mais encore avec une constante
-exactitude et une intelligence remarquable.</p>
-
-<p>Toutefois, on remarquait, et cette observation
-doit trouver place ici, que Papavoine
-était d'une humeur peu sociable; qu'il fuyait ses
-camarades, et ne prenait jamais la moindre
-part aux distractions habituelles de son âge.
-Il paraissait sombre et mélancolique, se promenait
-souvent seul, et toujours dans des
-lieux solitaires. Jamais on ne lui avait connu
-de liaisons intimes, ni même aucun de ces
-attachemens qu'excuse la fragilité humaine;
-dans les diverses relations qui lui étaient imposées
-par ses emplois, on avait toujours
-trouvé ses idées pleines de justesse et de
-convenance. Ce caractère se rencontre assez
-souvent dans le monde. Papavoine appartenait
-<span class="pagenum"><a id="Page_305"> 305</a></span>
-à cette classe d'esprits chagrins et misanthropes
-qui, sans éprouver de haine pour
-la société, la fuient continuellement, moins
-par antipathie que par ennui. Du reste, naturellement
-obligeant, s'il lui eût été possible
-de former d'intimes liaisons, nul doute
-que son commerce n'eût été fort agréable;
-il ne lui manquait à cet égard que la volonté.</p>
-
-<p>Papavoine perdit son père en décembre
-1823. Celui-ci avait conservé son établissement
-de Mouy, et laissait à sa veuve et à son
-fils, des affaires dans le plus grand désordre;
-Papavoine, à cette époque, était encore au
-service. La mort de son père lui fit solliciter
-un congé qu'il obtint. Il alla aussitôt rejoindre
-sa mère, et jugeant qu'elle serait hors
-d'état de continuer seule l'exploitation de sa
-fabrique, il se détermina à demander sa retraite,
-et à s'établir à Mouy. Jusque alors, la
-manufacture laissée par son père avait joui
-du privilége de faire des fournitures pour
-l'habillement des troupes; mais peu de temps
-après, l'administration de la guerre refusa
-de renouveler ses marchés; et par ce refus,
-les affaires de la famille Papavoine se trouvèrent
-dans une situation fort critique.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_306"> 306</a></span>
-Papavoine alors exprima quelque regret
-d'avoir volontairement abandonné son emploi;
-il fit même des démarches pour le recouvrer,
-mais elles demeurèrent infructueuses. Les contrariétés
-qu'il éprouva dans cette circonstance
-influèrent sur son caractère, à tel point que sa
-mère, avec laquelle il avait constamment vécu
-en bonne intelligence, profita d'un prétexte
-pour ne plus prendre ses repas avec lui,
-quoiqu'ils continuassent de vivre sous le
-même toit et au même foyer. Aigri par une
-suite de désagrémens qu'il n'avait pu ni prévoir
-ni éviter, il était devenu de jour en jour plus
-morose et plus chagrin; sa physionomie portait
-quelque chose de sinistre et de repoussant,
-qui faisait fuir son approche.</p>
-
-<p>Vers la fin de septembre 1824, il prétendit
-qu'il était malade. Le médecin consulté déclara
-reconnaître quelques symptômes de
-fièvre, et ordonna un vomitif. Il prescrivit en
-outre au malade un exercice modéré; un
-voyage surtout lui parut devoir être très-efficace.
-Papavoine usa du remède qui lui avait
-été indiqué; il en éprouva du soulagement,
-et afin de suivre en tout point l'ordonnance
-de son médecin, il partit pour Beauvais, où
-<span class="pagenum"><a id="Page_307"> 307</a></span>
-il arriva le 2 octobre. Il devait trouver dans
-cette ville des parens et un sieur Branche,
-avec lequel il était en relation d'affaires. L'accueil
-qu'il reçut des personnes qu'il visita ne
-changea rien à son humeur. Fidèle à sa misanthropie,
-on remarqua constamment en lui
-sa taciturnité, ses regards sombres. Toutefois,
-rien n'annonçait extérieurement qu'il mûrît
-aucune idée fixe de la nature de celles que
-l'on attribue aux monomanes. Il était triste,
-rêveur, il est vrai; mais du reste, sa conversation,
-loin de se sentir du désordre d'un esprit
-exalté, était sensée et même spirituelle.
-Seulement on se souvint plus tard d'une question
-bizarre qu'il avait faite, relativement à
-la mort de son frère et d'un de ses oncles,
-décédés depuis long-temps. «Mon frère et
-mon oncle sont-ils bien morts? dit-il à
-M. Branche.&mdash;Votre frère? mais vous avez
-dans vos papiers son acte mortuaire! Votre
-oncle? mais vous savez qu'il est mort à mes
-côtés, à table, d'un coup d'apoplexie: vous
-avez concouru à régler sa succession!&mdash;Ah!
-c'est qu'il y a tant de genres de mort! et souvent
-on enterre des gens qui vivent encore,
-et on dresse des actes pour constater qu'ils
-<span class="pagenum"><a id="Page_308"> 308</a></span>
-ne vivent plus!...« Du reste, nous ne rappelons
-ce fait de peu d'importance que par
-rapport au crime dont Papavoine se rendit
-coupable.</p>
-
-<p>Le lendemain de son arrivée à Beauvais,
-(3 octobre 1824), Papavoine, qui était toujours
-en réclamation auprès de l'administration
-de la guerre pour le renouvellement de
-ses marchés, reçut inopinément de sa mère
-deux de ces marchés, qui venaient d'être agréés
-par le ministre; mais les soumissions avaient
-besoin d'être régularisées, et il partit aussitôt
-pour Paris, à l'effet de remplir cette formalité.
-Il y arriva le 5, après avoir emprunté quelque
-argent pour faire son voyage. Il emportait
-avec lui ceux de ses effets qu'il avait pris à
-Mouy pour son voyage de Beauvais; et comme
-ils étaient insuffisans, il écrivit à sa mère pour
-lui en demander d'autres. Il est bon de faire
-remarquer, à l'occasion de cette nouvelle demande,
-qu'il avait compris parmi les premiers
-effets deux <i>couteaux de table, aiguisés et non
-fermant</i>. Qu'en voulait-il faire? Méditait-il déjà
-quelque crime? ce n'est pas présumable, puisqu'il
-acheta un autre couteau à Vincennes. Cependant
-un motif quelconque les lui avait fait
-<span class="pagenum"><a id="Page_309"> 309</a></span>
-demander. Quel était-il? ce motif est resté un
-mystère. Il est dans le c&oelig;ur de l'homme tant
-de secrets impénétrables, que le plus judicieux
-observateur se voit presqu'à chaque instant
-contraint de ne pas s'y arrêter, ou de borner
-leur application à des conjectures plus ou
-moins vraisemblables.</p>
-
-<p>Arrivé à Paris, Papavoine descendit à l'hôtel
-de la Providence, situé rue Saint-Pierre-Montmartre,
-et se rendit chez d'honorables
-négocians, ses correspondans, auxquels il
-remit ses marchés, pour qu'ils fussent soumis
-à la formalité du timbre.</p>
-
-<p>Depuis ce moment jusqu'au 10 octobre,
-jour de l'affreuse catastrophe, Papavoine vécut
-fort retiré; du moins l'instruction ne fait rien
-connaître de sa conduite pendant cet intervalle.
-Ce qui est constant, c'est que, ce
-même jour, 10 octobre, il sortit après avoir
-fait un léger repas, et se dirigea vers Vincennes.</p>
-
-<p>Tel est sommairement l'ensemble des circonstances
-de la vie de Papavoine; on a vu les
-détails de son crime, son arrestation, ses dénégations
-dans le premier moment, enfin ses
-<span class="pagenum"><a id="Page_310"> 310</a></span>
-aveux et son système de défense fondé sur
-l'aliénation mentale.</p>
-
-<p>Peu de temps après ces révélations, et
-voyant qu'il tenterait inutilement de se faire
-passer pour un second Louvel, il demanda
-souvent à deux prisonniers de lui prêter un
-couteau bien pointu; d'autres fois, il se levait
-la nuit, et feignait d'en chercher un; il alla
-même jusqu'à tenter de mettre le feu à la
-paillasse de son lit.</p>
-
-<p>Cependant, il avait obtenu d'être dans une
-chambre particulière, où il n'y avait aucune
-espèce d'armes, et provisoirement on l'avait
-débarrassé de la camisole. Le 17 novembre, le
-gardien ayant ouvert la porte, pour donner de
-l'air à cette chambre, Papavoine s'introduisit
-dans une pièce voisine où déjeûnaient plusieurs
-jeunes détenus, et s'élançant sur l'un
-d'eux, le nommé Labiey, âgé de douze ans,
-qui tenait un couteau, il se saisit de cette
-arme et l'en frappa à plusieurs reprises. Les
-personnes présentes l'empêchèrent heureusement
-de consommer ce nouveau crime; et le
-malheureux enfant, qui n'avait donné à Papavoine
-aucun sujet de plainte, qui peut-être
-ne l'avait jamais vu, en fut quitte pour trois
-<span class="pagenum"><a id="Page_311"> 311</a></span>
-blessures qui, bien que très-graves, n'étaient
-cependant pas mortelles. Ainsi, suivant la judicieuse
-remarque du ministère public, cet
-homme fournissait l'exemple, heureusement
-fort rare, d'un accusé qui cherche dans de
-nouveaux crimes la justification d'un premier
-attentat.</p>
-
-<p>A la première nouvelle du meurtre des
-deux enfans de la demoiselle Hérin, une pensée
-avait préoccupé tous les esprits. Le public,
-si facile à se prévenir, si disposé à se passionner,
-si prompt à porter des jugemens
-même sur les notions les plus vagues, s'était
-représenté Papavoine comme ayant des complices
-et comme un instrument mis en &oelig;uvre.
-La demoiselle Malservait, arrêtée peu d'instans
-après l'assassinat, était regardée comme
-la complice avérée du meurtrier: on supposait
-qu'elle avait indiqué à Papavoine les deux
-victimes qu'il fallait frapper, puisqu'elle avait
-embrassé les deux enfans, quelques minutes
-avant que le bourreau ne levât le couteau sur
-eux. La justice ne put s'empêcher de partager
-cette prévention. La demoiselle Malservait,
-que la fatalité seule avait conduite à Vincennes
-ce jour-là, resta plus de deux mois en
-<span class="pagenum"><a id="Page_312"> 312</a></span>
-prison, sous le poids de cette affreuse présomption;
-mais l'instruction prouva jusqu'à
-l'évidence qu'elle ne connaissait nullement
-Papavoine, et qu'elle n'avait jamais eu le moindre
-rapport avec lui.</p>
-
-<p>D'après la rumeur universelle, Papavoine
-n'avait été que l'instrument de la famille Gerbod,
-qui aurait commandé la mort des deux
-enfans, pour mettre obstacle à un mariage
-qu'elle désapprouvait, qu'elle repoussait de
-toutes ses forces. Cette supposition était dénuée
-de vraisemblance. D'ailleurs, la justice ordonna
-à cet égard des enquêtes trop scrupuleuses pour
-qu'il soit possible de penser un seul instant à
-chercher dans cette famille les complices ou les
-instigateurs de Papavoine. En outre, si le sieur
-Gerbod père, vieillard d'une vie sans tache, avait
-eu la coupable pensée de ramener son fils à ses
-projets, en frappant la famille que celui-ci s'était
-créée, on conçoit qu'il aurait choisi pour victime
-la personne qui contrariait le plus directement
-son ambition de père, et non d'innocentes créatures,
-qu'il avait au contraire souvent promis
-de protéger lui-même. D'ailleurs, les investigations
-les plus sévères concoururent à la justification
-de ce père de famille; il n'avait jamais
-<span class="pagenum"><a id="Page_313"> 313</a></span>
-eu de relations avec la demoiselle Malservait,
-ni avec Papavoine; tous ces individus étaient
-ignorés les uns des autres, avant le triste événement
-du 10 octobre. Pourrait-on s'expliquer
-d'ailleurs comment le sieur Gerbod, s'il
-eût eu l'odieux projet dont on le soupçonnait,
-se serait adressé, pour le réaliser, à un homme
-tel que Papavoine?</p>
-
-<p>Enfin il fut constaté que cet homme n'avait
-eu ni suggesteurs, ni complices; qu'il n'avait
-été entraîné ni par la cupidité, ni par la vengeance,
-ni par l'ambition, mais par une
-haine, heureusement bien rare, pour l'humanité
-toute entière; haine qui avait eu d'abord
-pour principe un humeur misanthropique et
-atrabilaire, et que des mécontentemens, des
-chagrins, avaient pu ensuite fomenter et exalter
-jusqu'à la frénésie. Suivant les expressions
-du ministère public, Papavoine avait tué, uniquement
-pour répandre le sang humain et
-pour satisfaire une passion féroce.</p>
-
-<p>En examinant avec attention le caractère et
-les habitudes de Papavoine, on a pu se convaincre
-qu'il nourrissait depuis long-temps de
-monstrueuses pensées, et qu'il se préparait à
-une catastrophe telle que celle du bois de
-<span class="pagenum"><a id="Page_314"> 314</a></span>
-Vincennes; on a vu qu'en venant à Paris, il
-s'était muni de deux couteaux dont l'usage
-n'est pas nécessaire aux besoins de notre genre
-de vie; que, depuis un grand nombre d'années,
-il fuyait, d'une manière bizarre, toute société,
-toute communication; il semblait avoir de la
-répugnance pour ses semblables. Peu à peu,
-sans doute, cet éloignement extraordinaire
-avait germé dans son âme, s'y était développé;
-une haine générale et prononcée en avait
-été le résultat, et son imagination, livrée à la
-solitude, lui avait fait concevoir l'idée du
-crime et l'y avait entraîné. Telles étaient les
-données que produisait l'analyse du caractère
-et des habitudes du prévenu, et ces données
-servirent de base à l'accusation.</p>
-
-<p>Papavoine comparut devant la Cour d'assises
-de la Seine, le 28 février 1825, en présence
-de spectateurs nombreux, attirés par la curiosité.
-L'accusé, quoique calme, portait sur ses
-traits l'empreinte profonde de la tristesse et
-de la mélancolie.</p>
-
-<p>Interrogé par le président, Papavoine avoua
-qu'il avait assassiné les deux enfans Gerbod,
-mais que c'était dans un moment où il n'avait
-pas la tête à lui, ajoutant qu'il voudrait, au
-<span class="pagenum"><a id="Page_315"> 315</a></span>
-prix de son sang, rappeler à la vie ces deux
-malheureuses victimes. Il repoussa la préméditation,
-en disant que s'il eût projeté le crime,
-il aurait pris un des deux couteaux qu'il avait
-apportés dans sa valise, et n'en aurait pas
-acheté un à Vincennes même, non loin du lieu
-de l'assassinat; il ajouta que l'intérêt est le
-mobile des actions humaines, et qu'il n'en
-avait eu aucun à tuer ces enfans, qu'il ne connaissait
-pas. Il ne put rendre compte du motif
-qui l'avait fait agir; il s'était trouvé, dit-il,
-entraîné à commettre cette action par une
-sorte de mouvement machinal, contre sa saine
-volonté; mais qu'après avoir frappé ces enfans,
-il s'était opéré dans son esprit une sorte
-de révolution subite qui l'avait rappelé à la
-raison; et que s'apercevant alors des conséquences
-de son action, il avait voulu en soustraire
-les traces aux recherches de la justice, et
-avait enfoncé son couteau dans la terre; que
-c'était aussi ce motif qui lui avait fait examiner
-s'il n'avait pas sur lui quelques taches de
-sang, et demander au canonnier qu'il avait
-rencontré si sa figure n'était pas <i>Barbouillée</i>.
-Il repoussa avec autant de force que d'indignation
-la déclaration, qu'il avait faite devant le juge
-<span class="pagenum"><a id="Page_316"> 316</a></span>
-d'instruction, d'avoir voulu frapper les enfans
-de France. Il dit à ce sujet que, fatigué de sa
-position pénible, et ne pouvant mettre fin à
-son existence, parce qu'on lui en avait ôté les
-moyens, il s'était accusé de cet horrible
-projet.</p>
-
-<p>Interpellé sur ses premières dénégations, il
-répondit qu'il était tellement épouvanté par
-la pensée de ce crime, qu'il cherchait à se
-persuader à lui-même qu'il ne l'avait pas commis;
-qu'il avait craint d'ailleurs de compromettre
-la réputation de sa famille. Toutes ses
-autres réponses furent dans le même sens, et
-tendaient à établir qu'il n'avait commis son
-crime que dans un accès de démence.</p>
-
-<p>De nombreux témoins furent ensuite entendus,
-tant sur la vie antérieure de Papavoine
-que sur les circonstances de l'assassinat.
-Leurs dépositions ne firent que confirmer ce
-que nous avons déjà mis sous les yeux du
-lecteur.</p>
-
-<p>L'introduction de la mère des deux enfans
-dans la salle d'audience produisit sur tous les
-c&oelig;urs une impression pénible et donna lieu
-à une scène déchirante. Les genoux de cette
-jeune dame paraissaient fléchir; elle pouvait
-<span class="pagenum"><a id="Page_317"> 317</a></span>
-à peine se soutenir. Au moment où, après les
-questions d'usage, le président lui demanda
-si elle reconnaissait l'accusé, elle tourna à
-peine les regards, et répondit en frémissant:
-<i>Oui, monsieur.</i> Invitée à dire quels étaient les
-faits à sa connaissance: Je me promenais,
-dit-elle, avec mes enfans.... A ces mots qui
-lui rappelaient tout son malheur, elle s'interrompit,
-se troubla, et fit un nouvel effort
-pour reprendre son récit; mais, à peine eut-elle
-prononcé quelques mots, qu'elle jeta un cri
-et s'évanouit. Ses yeux se fermèrent; on s'empressa
-de lui prodiguer des secours, mais sans
-succès; on fut obligé de l'emporter privée de
-connaissance. Cette scène produisit sur l'auditoire
-un effet difficile à décrire. La plupart
-des spectateurs versaient des larmes; Papavoine
-lui-même, la tête baissée, portait sa main à
-ses yeux, comme pour essuyer quelques
-pleurs.</p>
-
-<p>Quelques instans après, la demoiselle Hérin,
-introduite de nouveau, recommença son
-récit. Mais la faiblesse de son organe obligeait
-le président de répéter les réponses qu'elle
-faisait à ses questions. Elle déclara que, le
-<span class="pagenum"><a id="Page_318"> 318</a></span>
-10 octobre, après avoir habillé ses enfans,
-elle les conduisit dans l'allée des Minimes;
-qu'elle y aperçut la demoiselle Malservait,
-qui lui demanda s'ils étaient jumeaux, et qui
-les caressa; qu'en se retournant, elle vit
-un homme dont la figure la frappa, mais que
-toutefois elle n'eut aucun pressentiment sinistre.
-«Après avoir quitté cette dame, dit
-la demoiselle Hérin d'une voix qu'altéraient de
-pénibles sanglots, l'homme habillé de bleu,
-accosta la femme au chapeau rose: elle rentrait
-à cause de la pluie. L'homme lui adressa
-la parole d'une voix horrible et lui dit: <i>Votre
-promenade a été bientôt finie.</i> Cet homme
-était très-pâle. Alors il se pencha vers l'un de
-mes enfans et le frappa d'un coup de couteau,
-puis il s'élança sur le second; alors je me précipitai
-sur lui et le frappai à la tête d'un coup
-de parapluie. Il prit la fuite et s'enfonça dans
-la forêt.»</p>
-
-<p>Après l'audition de tous les témoins, le
-président, pour fixer le jury sur la présence
-d'esprit déployée dans l'instruction par l'accusé,
-donna lecture de l'un de ses interrogatoires,
-et fit remarquer que les réponses de
-<span class="pagenum"><a id="Page_319"> 319</a></span>
-Papavoine étaient un chef-d'&oelig;uvre de dialectique.
-Cette lecture fit une profonde sensation
-sur l'auditoire.</p>
-
-<p>Le lendemain, le ministère public soutint
-l'accusation, et repoussa la question de démence
-qui rentrait dans le système de défense
-adopté par l'accusé. «La prétendue démence
-de l'accusé, dit-il en terminant, est un prétexte
-invoqué en désespoir de cause. Il est
-certain que cette aliénation ne serait pas totale;
-il est prouvé qu'elle ne serait que partielle,
-et, dans cette dernière supposition
-même, elle ne pourrait servir d'excuse admissible.»
-Enfin, le ministère public demanda,
-au nom de la société, au nom de la sûreté
-générale, l'application de la peine de mort
-à l'accusé.</p>
-
-<p>La défense de Papavoine était confiée à
-M<sup>e</sup> Paillet, jeune avocat d'un talent très-distingué,
-qui fit des efforts d'éloquence et de
-zèle pour sauver son client. Mais malgré
-l'art avec lequel il sut diminuer l'horreur
-qu'inspirait l'accusé, malgré les hautes considérations
-qu'il y développa en sa faveur,
-malgré le soin minutieux qu'il prit de raconter
-les principales actions de la vie de Papavoine,
-<span class="pagenum"><a id="Page_320"> 320</a></span>
-et de leur appliquer une foule d'observations
-des médecins les plus célèbres pour
-les maladies mentales, le défenseur ne put
-qu'obtenir les éloges que méritait son plaidoyer
-remarquable. Après une demi-heure
-de délibération, le jury déclara l'accusé coupable
-sur toutes les questions. En conséquence,
-la Cour faisant l'application de la
-loi, condamna Louis-Auguste Papavoine à la
-peine de mort.</p>
-
-<p>L'accusé, en entendant ce terrible arrêt, se
-leva et s'écria, les yeux tournés vers le ciel:
-<i>J'en appelle à la justice divine!..</i> L'avocat paraissait
-vivement ému, et on remarqua que Papavoine
-se penchait vers lui, comme pour le
-consoler.</p>
-
-<p>Papavoine se pourvut en cassation, et
-M<sup>e</sup> Paillet lui prêta encore le secours de son
-beau talent devant la Cour suprême; le
-pourvoi fut rejeté.</p>
-
-<p>Le dernier jour de Papavoine semblait donc
-arrivé; encore quelques heures, et il allait monter
-à l'échafaud. Mais sa famille, qui redoutait,
-pour elle comme pour lui, l'ignominie attachée
-à une exécution publique, implora la
-clémence royale. Cette démarche ne fit que
-<span class="pagenum"><a id="Page_321"> 321</a></span>
-retarder de quelques jours le supplice du
-coupable. L'arrêt de la Cour d'assises du 28 février,
-confirmé par celui de la Cour de cassation
-du 19 mars, dut enfin recevoir son
-exécution, le 25 du même mois.</p>
-
-<p>Avant de sortir de la Conciergerie pour
-être conduit au lieu du supplice, Papavoine
-demanda à embrasser le crucifix; son confesseur
-s'empressa de le lui présenter. Il témoigna
-en outre l'intention d'ajouter quelques
-déclarations à celles qu'il avait faites devant
-la Cour d'assises, et l'un des conseillers de
-la Cour royale fut délégué pour l'entendre.
-Rien ne transpira de cette révélation dernière.
-Tout porte à croire qu'elle n'avait aucun
-rapport avec le procès dont l'issue venait de
-lui être si funeste; car cinq mois employés
-à l'enquête judiciaire ne permettaient pas de
-supposer qu'il aurait pu rien échapper à
-l'investigation de la justice. Peut-être Papavoine,
-en rendant le magistrat chargé de
-recueillir ses dernières paroles, témoin du
-désordre de son esprit, voulut-il prouver,
-par quelques traits bizarres, alors même
-que cette preuve ne pouvait rien changer à
-<span class="pagenum"><a id="Page_322"> 322</a></span>
-son sort, que réellement il était frappé d'aliénation
-mentale.</p>
-
-<p>Quoi qu'il en soit, il subit son arrêt le
-25 mars 1825, sur la place de Grève, à quatre
-heures de relevée.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_323"> 323</a></span></p>
-<h2 class="normal">LA VEUVE BOURSIER.</h2>
-</div>
-
-<p>Il n'est point d'individu, si vertueux, si
-isolé, si obscur qu'il soit, qui puisse, à juste
-titre, se dire certain d'être toujours à l'abri
-des atteintes de la méchanceté. On aura beau
-tenir une conduite sans reproche; on aura
-beau cacher soigneusement sa vie; presque
-toujours et par cela même, on rencontrera
-des envieux, des ennemis acharnés qui, man&oelig;uvrant
-dans l'ombre, s'efforceront de dénaturer
-aux yeux du monde ce qui excite leur jalousie
-secrète, et ne réussiront que trop souvent à
-répandre des nuages sur le mérite qui les
-offusque. C'est là une des servitudes conditionnelles
-de notre état social, que personne
-ne peut éluder, et à laquelle l'homme sage
-tâche de se résigner d'avance. Il est sans
-doute bien disgracieux, bien pénible, par fois
-même infiniment douloureux, de se voir le
-point de mire des attaques de la calomnie;
-<span class="pagenum"><a id="Page_324"> 324</a></span>
-mais l'expérience de chaque jour a quelque
-chose de rassurant à cet égard, en ce qu'elle
-prouve qu'une vie pure est un impénétrable
-bouclier contre lequel viennent s'émousser
-les traits empoisonnés que décochent la haine
-et l'esprit de satire.</p>
-
-<p>On cesse de jouir du même avantage, du
-moment que l'on transgresse les limites du
-devoir. Dès-lors on devient plus vulnérable;
-on s'est découvert, on montre son côté faible:
-l'ennemi n'est pas lent à en profiter. Une première
-infraction favorise la supposition de
-beaucoup d'autres. Procédant comme le mathématicien,
-du connu à l'inconnu, le public se
-laisse aller sans peine à croire que tel homme
-qui déjà s'est souillé d'un crime, a bien pu
-commettre un crime plus grand encore; et, il
-faut en convenir, dans ce cas, la prévention
-porte avec elle des preuves morales qui, bien
-qu'insuffisantes aux yeux de la justice, n'en
-sont pas moins accablantes pour l'accusé. Combien
-n'avons-nous pas vu de femmes adultères,
-prévenues de l'assassinat ou de l'empoisonnement
-de leurs maris! Certes, le premier
-crime de la plupart de ces épouses coupables
-<span class="pagenum"><a id="Page_325"> 325</a></span>
-n'est ordinairement que le point de départ
-de la seconde accusation dirigée contre elles.
-Rarement, on voit la malignité humaine assez
-audacieuse pour accuser une femme douce,
-paisible, attachée à son mari comme à ses
-devoirs, d'avoir eu, seulement une minute,
-l'horrible pensée d'abréger l'existence du père
-de ses enfans. Mais la femme qui a pu consentir
-à violer la foi conjugale, qui, sans pudeur
-comme sans remords, a pu former des
-liaisons scandaleuses, ne saurait revendiquer
-pour elle ce privilége exclusif de l'innocence.
-Si son époux succombe au milieu des déchiremens
-des plus horribles convulsions, déjà
-de ce seul fait surgira le soupçon le plus prononcé.
-Et si cette mort violente et subite est
-tenue presque secrète; si, au lieu de provoquer
-elle-même les investigations que réclame
-un événement de ce genre, la femme s'oppose
-vivement à tout ce qui pourrait faire découvrir
-la cause de la maladie et de la mort; si
-d'autres circonstances viennent corroborer
-ces circonstances déjà si graves; de quel poids
-seront les protestations et les dénégations de
-cette malheureuse, au tribunal de l'opinion
-publique? Son acquittement, prononcé peut-être
-<span class="pagenum"><a id="Page_326"> 326</a></span>
-faute de preuves suffisantes, ne l'absoudra
-pas aux yeux de la société doublement
-outragée; et les paroles de blâme, sorties de
-de la bouche du magistrat, forcé de suspendre
-le glaive des lois, malgré son intime conviction,
-équivaudront à une sorte de condamnation.
-Passons maintenant aux faits qui nous
-ont suggéré ces réflexions. Les voici tels qu'ils
-ressortent de l'acte d'accusation.</p>
-
-<p>Guillaume-Étienne Boursier, marié, depuis
-1809, avec Marie-Adelaïde Bodin, avait eu
-cinq enfans de cette union. Il faisait le commerce
-d'épicerie dans une boutique qu'il
-occupait au coin de la rue de la Paix et de la
-rue Neuve-Saint-Augustin. Le commerce de
-Boursier prospéra à tel point que, plusieurs
-années après son mariage, ses bénéfices annuels
-s'élevaient à près de onze mille francs.
-Peu de temps avant sa mort, il avait manifesté
-l'intention de ne continuer à travailler que
-pendant quatre ans encore, attendu qu'à cette
-époque, il espérait réaliser 15,000 livres de
-rente.</p>
-
-<p>Boursier était d'un naturel vif et emporté,
-mais très-bon et très-obligeant. Il avait beaucoup
-d'amis, et jouissait de l'estime de tous
-<span class="pagenum"><a id="Page_327"> 327</a></span>
-ceux qui le connaissaient. Les personnes qui
-habitaient son domicile étaient la veuve Flamand,
-sa tante, âgée de soixante-onze ans;
-la fille Joséphine Blin, cuisinière, depuis
-quatre mois au service de sa maison; les
-nommés Delonge et Béranger, garçons de
-magasin, et la demoiselle Reine, fille de boutique:
-le nommé Halbout, qui était chargé de
-la tenue des livres, ne demeurait pas chez
-Boursier.</p>
-
-<p>Le 25 mars 1822, Boursier avait acheté chez
-le sieur Bordot, son ami, droguiste, une demi-livre
-d'arsénic pour faire périr les souris et
-les rats qui s'étaient multipliés dans ses caves
-et ses magasins; il avait en outre acheté, vers
-la même époque, de la mort-aux-rats, qui était
-en pâte malléable.</p>
-
-<p>Boursier, avec un nommé Bailli, son commis,
-prépara, avec <i>une partie de l'arsenic</i>, des
-boulettes qui furent placées dans la cave.
-Bailli, qui avait coopéré à cette opération, remit
-à Boursier le restant de l'arsenic, que celui-ci
-rangea. Il paraît que ce qui restait de
-la mort-aux-rats fut placé dans un casier à
-bouteilles.</p>
-
-<p>Boursier et sa femme vivaient en très-bonne
-<span class="pagenum"><a id="Page_328"> 328</a></span>
-intelligence. Vers le milieu de 1821, un nommé
-Charles, qui connaissait la veuve Flamand,
-lui présenta le sieur Kostolo, natif de Constantinople,
-et d'origine grecque; ce Kostolo
-cherchait une place de valet-de-chambre.
-Par le récit vrai ou supposé des malheurs
-qui le poursuivaient, ainsi que sa famille, il
-parvint à intéresser la veuve Flamand, qui
-le recommanda à sa nièce, la femme Boursier.</p>
-
-<p>Kostolo était en France depuis quatre ou
-cinq ans. Doué d'un physique assez agréable,
-il était parvenu à former des liaisons intimes
-avec une dame Olivereau, qui fournissait en
-grande partie à ses dépenses, et chez qui il
-trouvait ses repas. Quand il eut mis le pied
-dans la maison Boursier, il y vint très-fréquemment,
-s'y impatronisa, et l'intérêt que
-lui portait la dame de la maison se changea
-bientôt en une inclination coupable; elle lui
-prêta de l'argent à l'insu de son mari; il venait
-presque tous les jours, sous prétexte de
-s'informer du résultat des démarches qu'on
-avait promis de faire pour le placer, en ayant
-soin de ne pas éveiller les soupçons du mari.</p>
-
-<p>De son côté, la dame Boursier, en femme
-habile, ne sortait jamais seule, et se faisait
-<span class="pagenum"><a id="Page_329"> 329</a></span>
-accompagner de la fille Reine, sa demoiselle
-de boutique. Sous prétexte de promenades
-nécessaires à sa santé, elle se rendait de très-grand
-matin aux Champs-Élysées, où Kostolo
-l'attendait; puis la promenade se dirigeait du
-côté du logement de Kostolo. La femme
-Boursier et la fille Reine montèrent chez lui
-une première fois; mais ensuite la femme
-Boursier montait seule chez Kostolo, et la
-fille Reine, confidente discrète, venait plus
-tard la reprendre. Suivant Kostolo, ces coupables
-rendez-vous commencèrent seulement
-quinze jours avant le décès de Boursier.</p>
-
-<p>La femme Boursier avait fait, avec plusieurs
-autres personnes, la partie d'aller passer la
-journée à Versailles; Kostolo fut invité, et
-Boursier ignora absolument que le Grec
-avait été de cette partie de campagne. Cependant
-Boursier continuait toujours à lui
-faire le même accueil. Une de ses nièces
-étant accouchée, il fit tenir l'enfant sur les
-fonts de baptême par Kostolo et par la femme
-Boursier, son épouse.</p>
-
-<p>Le 28 juin, jour fatal au trop crédule époux,
-Boursier devait faire une promenade avec le
-<span class="pagenum"><a id="Page_330"> 330</a></span>
-nommé Alberti, l'un de ses amis: le rendez-vous
-était fixé à dix heures. Boursier se leva,
-selon son habitude journalière, à six heures
-du matin; il était très-gai et bien portant. La
-femme Boursier ayant pris l'émétique la veille,
-se leva plus tard; son mari, pour lui faire une
-plaisanterie, entra doucement dans sa chambre
-et lui dessina deux moustaches avec une
-pommade noire dont il se servait pour les
-cheveux; il envoya ensuite la fille Blin, sa
-domestique, pour réveiller sa femme, avec
-ordre de lui présenter en même temps un
-miroir. La femme Boursier, en apercevant ses
-moustaches, se fâcha un peu. Boursier rit
-beaucoup de la surprise de sa femme, qui se
-leva en boudant; elle se rendit ensuite à son
-comptoir, où ils s'embrassèrent mutuellement.</p>
-
-<p>Boursier ne prenait jamais rien en se levant;
-il déjeûnait habituellement, entre neuf
-et dix heures du matin, avec un potage au
-riz. Ce jour-là, il demanda son potage à neuf
-heures. La fille Blin le lui prépara sur le fourneau
-de la cuisine, dans une casserolle en fer
-battu, qui servait toujours à cet usage. Quand
-ce potage fut prêt, elle l'apporta dans la casserolle
-même, sur un petit secrétaire qui était
-<span class="pagenum"><a id="Page_331"> 331</a></span>
-dans la salle à manger, et sur lequel Boursier
-déjeûnait toujours. La fille Blin avait l'habitude,
-avant de servir le potage, d'en conserver
-une partie pour elle et pour le plus jeune des
-enfans de son maître, qui était âgé de cinq
-ans. Cet enfant et la fille Blin mangèrent cette
-portion de potage, et n'en furent point incommodés.
-Quand Boursier était prévenu par la
-domestique que son déjeûner était prêt, il
-arrivait souvent qu'il ne le mangeait pas sur-le-champ,
-surtout quand il voulait terminer
-quelque chose dont il s'occupait. Ce potage
-restait quelquefois un quart d'heure à l'endroit
-où la servante le plaçait, c'est-à-dire sur
-le secrétaire qui était dans la salle à manger,
-à peu de distance du comptoir où se tenait
-habituellement la femme Boursier.</p>
-
-<p>L'instruction, quels qu'aient été ses soins,
-n'a pu déterminer l'espace de temps qui s'était
-écoulé entre le moment où le potage avait été
-apporté sur le secrétaire et celui où Boursier
-commença à déjeûner. Cependant la fille Blin
-a pensé qu'il avait pu s'écouler quatre à cinq
-minutes dans cet intervalle. Par les mêmes
-motifs, il serait difficile d'établir, par les témoignages,
-ce que faisaient Boursier et sa
-<span class="pagenum"><a id="Page_332"> 332</a></span>
-femme au moment où le potage fut apporté,
-et depuis cet instant jusqu'au déjeûner.</p>
-
-<p>Cependant, aussitôt que Boursier eut goûté
-de son potage au riz, il appela la fille Blin, et
-se plaignit du mauvais goût qu'il lui trouvait.
-Cette fille lui répondit qu'elle en était étonnée,
-attendu qu'elle avait mis dans le déjeûner
-trois jaunes d'&oelig;ufs, au lieu de deux qu'elle y
-mettait habituellement. Il avait aussi appelé
-sa femme pour lui dire que son potage était
-mauvais, qu'il avait un <i>goût empoisonné</i>; et
-sur l'observation que lui avait faite la domestique,
-il avait dit: «Puisqu'il est bon, il faut
-en manger;» et il en prit alors quelques cuillerées.
-Il déclara alors que son potage était
-décidément mauvais, qu'il ne pouvait le manger;
-en même temps, il lui prit un vomissement
-qui lui fit rendre une partie du riz
-et des matières vertes qui ressemblaient à de
-la bile. La femme Boursier alla préparer un
-verre d'eau sucrée.</p>
-
-<p>Cependant les vomissemens continuaient,
-accompagnés de flux de sang. Boursier fut mis
-au lit; il se plaignait d'une extrême lassitude
-dans les reins; bientôt survinrent des évacuations
-d'une grande fétidité. Le sieur Bordeu,
-<span class="pagenum"><a id="Page_333"> 333</a></span>
-médecin appelé, arriva entre onze heures
-et midi, et traita la maladie comme une indigestion;
-il ordonna des potions calmantes. Revenu
-à six heures du soir, et jugeant que la
-maladie était plus grave, il fit appliquer des
-sangsues et des sinapismes. Néanmoins l'état
-du malade empirait. Le lendemain matin, un
-autre médecin, nommé Tartra, est appelé; on
-prescrit de nouveaux moyens. Un élève en
-médecine, le sieur Toupié, est chargé de
-passer la nuit près du malade; mais tous les
-remèdes étaient inutiles: Boursier expira à
-quatre heures du matin, après d'effrayantes
-convulsions.</p>
-
-<p>Toupié avait remarqué que les extrémités
-étaient froides, et que les ongles étaient
-bleuâtres. MM. Bordeu et Tartra arrivèrent
-après le décès de Boursier; ils examinèrent
-le cadavre et firent la même remarque que
-l'élève Toupié, et tous deux, ne pouvant se
-rendre compte d'une mort aussi subite, firent
-demander à sa veuve la permission de faire
-l'autopsie du cadavre; mais elle s'y opposa,
-malgré leurs pressantes insistances.</p>
-
-<p>Le même jour, la femme Boursier, sous
-le prétexte que son mari était très-replet, et
-<span class="pagenum"><a id="Page_334"> 334</a></span>
-que la putréfaction occasionnée par les chaleurs,
-pourrait nuire aux comestibles qui
-étaient dans son magasin, témoigna le désir
-que l'inhumation eût lieu le soir même. Deux
-amis du défunt reçurent mission d'en faire
-la demande à la mairie; mais la permission
-fut refusée. Les obsèques eurent lieu le lendemain
-mardi, à dix heures du matin. Le
-corps fut déposé dans une fosse particulière,
-au cimetière du Père-Lachaise.</p>
-
-<p>Le 28 juin, c'est-à-dire le jour même
-que Boursier était tombé malade, Kostolo
-était venu, selon son habitude journalière,
-au magasin. Étonné de la soudaineté
-de la maladie de Boursier et des symptômes
-alarmans qui se manifestaient, il se tint
-près du lit du malade toute la journée; le
-lendemain, il revint près de lui, et ne le
-quitta plus qu'à sa mort. Ce fut lui qui, pendant
-la dernière nuit, lui administra les boissons
-qui avaient été prescrites par les médecins.
-De même que le sieur Toupié, Kostolo déclara
-avoir remarqué les taches bleuâtres,
-indices presque certains d'un empoisonnement.</p>
-
-<p>Enfin tout était consommé, et la mort et
-<span class="pagenum"><a id="Page_335"> 335</a></span>
-l'inhumation du malheureux Boursier; mais
-des bruits sinistres éclatèrent bientôt, et le
-31 juillet, le procureur du roi ordonna l'exhumation
-du corps. MM. Orfila, docteur en
-médecine, Hardy, professeur de la faculté
-de médecine, et Hamel, candidat en médecine,
-appelés par le juge d'instruction, procédèrent
-sur le lieu même à l'autopsie du
-cadavre; ils firent l'extraction de l'estomac
-et des intestins, qui furent placés aussitôt
-dans un vase de terre, sur lequel les scellés
-furent apposés; ils recueillirent aussi dans
-un vase un liquide jaune. Les médecins déclarèrent,
-dans le procès-verbal qu'ils dressèrent,
-qu'ils n'avaient trouvé aucune trace de
-lésion qui pût faire soupçonner que Boursier
-eût succombé à la suite d'une rupture ou
-d'une ulcération du c&oelig;ur, des poumons et
-des gros vaisseaux qui sont contenus dans le
-thorax. Après un examen approfondi, les
-médecins attestèrent qu'il s'était trouvé, tant
-dans l'estomac que dans les intestins qu'ils
-avaient analysés, une quantité d'arsénic suffisante
-pour donner la mort. Dans le cours
-de leur première opération, ils en avaient en
-<span class="pagenum"><a id="Page_336"> 336</a></span>
-outre signalé quelques grains au juge d'instruction.</p>
-
-<p>Enfin cinq docteurs en médecine, parmi
-lesquels étaient MM. Orfila, Chaussier et
-Pelletan, consultés sur la réunion des circonstances
-rapportées ci-dessus, furent unanimement
-d'avis que Boursier était évidemment
-mort des effets de l'arsenic, et que l'autopsie
-n'avait nullement justifié la supposition
-d'une rupture de vaisseaux dans la poitrine.</p>
-
-<p>Ces explications si claires, si précises, si
-concordantes, ne pouvaient laisser subsister
-le plus léger doute sur les causes de la mort
-de Boursier: <i>il était mort empoisonné</i>. Il s'agissait
-de savoir si cet événement était le résultat
-d'un crime, d'un suicide ou d'un simple
-accident. Telles étaient les seules suppositions
-auxquelles pouvait donner lieu la mort inopinée
-de cet homme. Tout tendait à démontrer
-jusqu'à l'évidence que Boursier ne s'était
-pas empoisonné lui-même. Il était père de
-cinq enfans; son commerce était aussi prospère
-qu'il pouvait le désirer; son intérieur
-n'avait rien que de riant pour lui; il vivait
-en très-bonne intelligence avec sa femme
-<span class="pagenum"><a id="Page_337"> 337</a></span>
-dont il ignorait les désordres; il était d'une
-humeur très-gaie, et la plaisanterie qu'il fit
-à sa femme, le 28 juin, n'indique guère qu'il
-fût, ce jour-là, tourmenté par quelque souci.
-D'ailleurs, si Boursier eût mis lui-même de
-l'arsenic dans son potage, est-il présumable
-qu'il eût appelé sa femme et la cuisinière,
-pour leur dire que ce potage était mauvais?</p>
-
-<p>On ne pouvait pas attribuer davantage la
-mort de Boursier à un simple accident. Aussi
-l'accusation l'attribua-t-elle à un crime. D'après
-l'autopsie, l'empoisonnement était constant.
-Les liaisons criminelles qui existaient
-entre la veuve Boursier et Kostolo appelèrent
-sur eux les soupçons de la justice: tous deux
-furent arrêtés.</p>
-
-<p>Aussitôt que les vomissemens avaient commencé,
-la femme Boursier avait pris la casserolle
-qui contenait le riz; elle avait jeté ce
-riz dans une terrine d'eau sale qui était sous
-la fontaine; elle avait passé ensuite un peu
-d'eau dans la casserolle, et ordonné à la fille
-Blin de la nettoyer; ce que celle-ci avait exécuté,
-en la frottant avec du sable et de la
-cendre. La veuve Boursier chercha à expliquer
-<span class="pagenum"><a id="Page_338"> 338</a></span>
-cette circonstance extraordinaire: «Boursier,
-disait-elle, était très-susceptible sur la
-propreté. Pour lui prouver que la casserolle
-était propre, j'allai la vider; et, comme il y
-avait un peu de riz attaché au fond, j'y ai
-passé de l'eau pour le détacher, et ai montré
-ensuite la casserolle à mon mari.»</p>
-
-<p>L'accusation s'empara de cet aveu et crut
-y trouver une preuve du crime. Les réticences
-de la femme Boursier, ses tergiversations dans
-plusieurs réponses importantes, furent autant
-de probabilités contre elle. Une fois,
-elle dit que son mari ne lui avait jamais parlé
-d'arsénic; une autre fois, qu'il lui avait parlé
-de mort-aux-rats et d'arsénic.</p>
-
-<p>Interrogée sur le compte des personnes qui
-fréquentaient habituellement sa maison, la
-veuve Boursier cita tous les amis de son mari;
-mais elle ne nomma pas Kostolo, et soutint
-même qu'elle n'avait jamais eu de relations
-intimes avec cet homme. Mais Kostolo, assez
-impudent pour ne rien ménager, révéla la
-nature de ses liaisons avec la veuve Boursier;
-et celle-ci, forcée par l'évidence à avouer ces
-coupables habitudes, avoua d'abord qu'elle
-<span class="pagenum"><a id="Page_339"> 339</a></span>
-avait vu Kostolo avec intérêt et plaisir, et
-bientôt fut contrainte de confesser que, dans
-la chambre même du défunt, elle s'était
-abandonnée aux v&oelig;ux criminels de son misérable
-complice. Il résulta aussi des interrogatoires
-qu'elle donnait de l'argent à
-Kostolo, et l'on en conclut que, puisqu'elle
-n'ignorait pas le dénuement de cet homme,
-elle stipendiait ses assiduités adultères, et lui
-livrait le patrimoine de ses enfans.</p>
-
-<p>Après avoir entendu tous les témoins, l'accusation
-posa la question suivante:</p>
-
-<p>«La veuve Boursier prétendra-t-elle, comme
-elle l'a fait dans ses interrogatoires, qu'elle
-n'avait aucun intérêt ni aucun motif pour
-commettre ce crime?» Puis elle y répondit:
-«On ne le pense pas; car sa conduite après
-la mort de son mari, les projets formés entre
-elle et Kostolo de s'unir en mariage, la promesse
-qu'elle lui en avait faite, la crainte
-qu'elle avait qu'il ne changeât d'avis, démontrent
-suffisamment le motif qui l'a portée à
-cet attentat.» Ces allégations de l'acte d'accusation
-résultaient des déclarations réitérées
-de Kostolo, et paraissaient être confirmées
-<span class="pagenum"><a id="Page_340"> 340</a></span>
-d'ailleurs par la franchise grossière avec laquelle
-il répondit aux questions du magistrat
-chargé de l'instruction de ce procès.</p>
-
-<p>Pour établir la complicité de Kostolo dans
-l'empoisonnement présumé du malheureux
-Boursier, l'acte d'accusation présenta cet
-homme attaché au chevet du lit du moribond,
-lui administrant les boissons prescrites par
-les médecins, et pouvant bien y avoir introduit
-de nouvelles substances vénéneuses. On le
-montrait encore comme un homme dénué de
-ressources, sans moyens d'existence, et pouvant
-avoir un grand intérêt à s'associer à une
-femme qui le mettrait à la tête d'un établissement
-florissant et capable d'assurer son
-avenir.</p>
-
-<p>Pendant l'instruction, le témoin Bailly,
-ancien commis de Boursier, avait dit d'abord
-que son patron, après avoir préparé des boulettes
-pour faire périr les rats, avait serré le
-restant de l'arsenic lui-même; plus tard, ce
-témoin changea de langage, et dit que c'était
-lui Bailly, qui avait serré le reste d'arsénic,
-et qu'il ne s'en était pas souvenu d'abord.
-Ces deux déclarations si différentes, cette
-<span class="pagenum"><a id="Page_341"> 341</a></span>
-attention que Bailly apportait à justifier l'accusée,
-que jusque-là il avait cherché à faire
-regarder comme coupable, donna lieu de
-penser que l'on avait fait des démarches pour
-le circonvenir, et lui faire rétracter sa première
-déclaration. En conséquence, l'avocat-général
-pris des réserves à son égard.</p>
-
-<p>Les débats durèrent plusieurs jours. La
-plupart des circonstances que l'on a déjà vues
-furent pleinement confirmées. La veuve Boursier
-se renferma dans un système de dénégation
-presque absolu, non seulement touchant
-l'empoisonnement de son mari, mais encore
-relativement à la nature de ses liaisons et
-de ses entrevues avec Kostolo. Mais, quant à
-ces derniers faits, elle fut plusieurs fois confondue
-par les réponses énergiques, précises,
-et grossièrement effrontées de Kostolo. A
-plusieurs reprises, l'auditoire eut peine à
-imposer silence à la juste indignation qu'il
-éprouvait en entendant ce misérable aventurier
-qui, pour mieux prouver son innocence,
-faisait parade de ses honteux trophées.</p>
-
-<p>Le 29 novembre 1825, sur la réponse négative
-du jury, le président de la Cour d'assises
-<span class="pagenum"><a id="Page_342"> 342</a></span>
-de la Seine, déclara la veuve Boursier
-et Kostolo déchargés de l'accusation intentée
-contre eux, et ordonna leur mise en liberté.</p>
-
-<p>L'autorité prit en même temps des mesures
-pour que Kostolo, étranger sans aveu,
-sans ressources et sans recommandation, qui
-faisait un si hideux trafic de ses avantages
-physiques, purgeât de sa présence un pays
-qu'il avait souillé des plus scandaleux désordres.
-Il resta sous la surveillance de la police
-jusqu'à son départ.</p>
-
-<p>Quant à la veuve Boursier, elle revint, le
-soir même de son acquittement, dans son
-domicile qui devait au moins lui rappeler de
-bien graves erreurs. Ses amis l'attendaient.
-Une nuit bruyante en félicitations succéda
-aux transes de la veille. La veuve Boursier reparut,
-presque le lendemain, dans son comptoir,
-et se vit, pendant plusieurs jours, l'objet
-de la curiosité publique. Tout le monde voulait
-voir l'amante de l'aventurier Kostolo,
-devenue si tristement fameuse par la formidable
-accusation dirigée contre elle.</p>
-
-<p>On aurait mieux aimé, dans l'intérêt même
-de la veuve Boursier, ne pas lui voir oublier
-<span class="pagenum"><a id="Page_343"> 343</a></span>
-si promptement les périls qu'elle venait de
-courir, pouvoir lui supposer un repentir sincère,
-une pudique honte des torts avérés
-qu'on avait à lui reprocher. Comment avait-elle
-pu si tôt oublier la touchante et paternelle
-admonition du président de la Cour?
-«Veuve Boursier, lui avait dit ce magistrat,
-en prononçant son acquittement, vous allez
-recouvrer la liberté que les plus graves soupçons
-vous avaient fait perdre. Le jury vous
-a déclarée non-coupable du crime qui vous
-était imputé: puissiez-vous trouver la même
-absolution dans le témoignage de votre conscience!
-Mais n'oubliez pas que la cause de
-vos malheurs et du déshonneur qui couvrira
-peut-être à jamais votre nom, fut le désordre
-de vos m&oelig;urs et la violation des n&oelig;uds les
-plus sacrés. Descendez au fond de votre c&oelig;ur;
-que votre conduite à venir efface la honte
-de votre conduite passée, et que le repentir
-remplace l'honneur que vous avez perdu!»</p>
-
-<p>A l'époque de son procès, la veuve Boursier
-avait trente-sept ans. On était fort curieux
-de connaître son extérieur. Sa taille
-était peu élevée, même petite (quatre pieds
-<span class="pagenum"><a id="Page_344"> 344</a></span>
-cinq pouces); sa figure, sillonnée par la
-petite vérole, était peu agréable; ses traits
-n'avaient rien de ce qui rappelle la beauté.
-Elle contrastait avec Kostolo, dont les traits
-étaient réguliers et la taille élevée.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_345"> 345</a></span></p>
-<h2 class="normal">LE FORÇAT SUREAU.</h2>
-</div>
-
-<p>Sureau, garçon tailleur, était au bagne
-de Brest, depuis l'année 1823 ou 1824. Voici
-sommairement les circonstances qui l'avaient
-plongé dans ce cloaque de criminels. Ce jeune
-homme devait épouser une jeune fille, sa
-cousine. Celle-ci, au moment de s'unir à lui,
-se rétracta. Alors Sureau s'abandonna au désespoir;
-ses passions fermentèrent, sa tête
-s'exalta; une sorte de délire furieux s'empara
-de lui. Il se rendit chez celle qu'il aimait,
-armé de deux pistolets; il voulait se brûler la
-cervelle à ses yeux; peut-être aussi voulait-il
-l'immoler elle-même et périr sur son cadavre.
-Qui pourrait savoir quel était son projet? Le
-savait-il bien lui-même? Quoi qu'il en soit,
-la jeune fille seule expira sous l'arme meurtrière,
-et Sureau fut, quelques mois après,
-envoyé au bagne de Brest, et attaché côte à
-côte avec un galérien.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_346"> 346</a></span>
-Chose étrangement monstrueuse! Dans ce
-séjour de l'opprobre et de la misère, ce jeune
-homme retrouva encore des passions semblables
-à celles qu'il avait déjà éprouvées,
-mais avec cette différence qu'elles étaient empreintes
-de cette hideur et de cette dépravation
-que le bagne attache à tout. Le forçat
-dont l'existence était enchaînée à la sienne
-par des liens de fer, était devenu pour lui
-l'objet d'une affection infâme. Depuis deux ans
-environ, il traînait sa chaîne avec ce compagnon,
-lorsqu'une mésintelligence éclata
-entre eux. Pendant la nuit, la tête du galérien
-Sureau s'exalta comme lors de son premier
-crime. Tout-à-coup il se lève, s'arme de ciseaux
-qui se trouvaient à côté de lui, les
-plonge à plusieurs reprises dans les flancs de
-son compagnon endormi, et appelant à grands
-cris le garde-chiourme: <i>Qu'on me conduise
-à la mort!</i> s'écrie-t-il, d'une voix forcenée.
-<i>Je viens d'assassiner l'homme que j'aimais
-plus que ma vie.</i></p>
-
-<p>Sureau ne tarda pas à être traduit devant
-un conseil composé d'officiers et d'ingénieurs
-de la marine. Rien de plus extraordinaire que
-l'aspect d'un tel tribunal: là, les accusés
-<span class="pagenum"><a id="Page_347"> 347</a></span>
-sont toujours des criminels; là, les témoins
-eux-mêmes comparaissent couverts de leurs
-vêtemens rouges, et traînant leurs chaînes.</p>
-
-<p>Connaissez-vous, dit le président à l'un
-de ces témoins qui paraissait avoir vieilli aux
-galères, connaissez-vous quelque motif qui
-ait pu porter l'accusé à tuer son camarade?</p>
-
-<p><i>Le forçat</i>: Oui, monsieur le président. Je
-crois, sauf votre respect, que son camarade
-l'avait appelé <i>mouton</i>.</p>
-
-<p><i>Le président</i>: Eh bien? que signifie cela?</p>
-
-<p><i>Le forçat</i>: C'est que, monsieur, quand on
-dit à quelqu'un qu'il est un <i>mouton</i>, ça veut
-dire, sauf votre respect, qu'il rapporte aux
-chefs tout ce qui se fait.</p>
-
-<p><i>Le président</i>: Quel grand mal y a-t-il là?
-comment voulez-vous qu'il ait pu le tuer
-pour cette parole?</p>
-
-<p><i>Le forçat</i>: C'est que, monsieur, chez nous,
-celui qui est <i>mouton</i>, sauf votre respect, ça
-veut dire <i>qu'il faut qu'on l'assassine</i>, et alors
-vous comprenez qu'on n'aime pas d'avoir cette
-réputation.</p>
-
-<p>Le sang-froid, le ton de naïveté avec laquelle
-le vieux forçat débitait ces maximes,
-indiquaient assez qu'elles constituaient un
-<span class="pagenum"><a id="Page_348"> 348</a></span>
-des points de droit de ce lieu d'infamie, et
-qu'elles avaient été plus d'une fois mises à
-exécution.</p>
-
-<p>Après la plaidoierie de son avocat, le galérien
-Sureau voulut se défendre lui-même.
-Son improvisation offrait un mélange singulier
-du langage de la passion et de l'argot
-du bagne: l'idée de la cousine et de son
-compagnon de chaîne se confondait dans
-son esprit, et l'image de ces deux victimes
-de sa fureur, harcelant sans cesse sa pensée,
-lui inspirait des paroles et des mouvemens
-d'une véritable éloquence.</p>
-
-<p>Le forçat Sureau fut condamné à mort
-le 17 octobre 1826, et fut exécuté dans les
-vingt-quatre heures.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_349"> 349</a></span></p>
-<h2 class="normal">PIERRE BARRIÉ,<br />
-<span class="medium">PARRICIDE.</span></h2>
-</div>
-
-<p>Le 16 novembre 1826, le nommé Pierre
-Barrié, âgé de trente-trois ans, né à Cocural,
-canton de Saint-Amans (Aveyron), comparut
-devant la Cour d'assises de Rhodez, accusé de
-meurtre sur la personne de sa mère. Cette
-cause avait attiré une grande affluence de
-spectateurs. Nous allons en rapporter les
-principaux faits.</p>
-
-<p>Depuis quelque temps, Marguerite Bouges,
-veuve Barrié, âgée de soixante ans, était atteinte
-d'aliénation mentale. Ses enfans, qui
-faisaient de fréquens voyages à Paris, trouvèrent
-convenable, pour sa propre sûreté
-comme pour la sûreté commune, de la faire
-renfermer dans un hospice, et confièrent ce
-soin à Pierre, l'aîné de la famille. Ce projet
-fut conçu au mois de septembre 1824. A cette
-<span class="pagenum"><a id="Page_350"> 350</a></span>
-époque, Pierre Barrié, Jean, son frère, et
-Marie-Anne, sa s&oelig;ur, étaient dans le pays;
-toutefois il a été établi que ces deux derniers
-ne se trouvaient pas à Cocural, et que Pierre
-habitait seul avec sa mère dans la maison de
-feu Barrié, son père.</p>
-
-<p>Dans les derniers jours de ce même mois
-de septembre, Pierre Barrié prétendit avoir
-rempli la commission dont il s'était chargé.
-Selon lui, il s'était adressé à cet effet au
-nommé Frédéric-Alexandre Cambonne, marchand
-à Espalion et propriétaire à Montpellier,
-lequel, moyennant la somme de 440
-francs, devait conduire dans cette dernière
-ville Marguerite Bouges, et la placer dans
-un établissement de charité. Pierre Barrié
-ajoutait quelques circonstances sur le départ
-de sa malheureuse mère. Il disait qu'elle
-avait opposé une vive résistance... que l'on
-avait été forcé de recourir à l'assistance des
-gendarmes en résidence à Espalion.</p>
-
-<p>Dans le courant du mois d'octobre suivant,
-Pierre, Jean et Marie-Anne Barrié partirent
-pour Paris. Ce fut dans cette ville, au mois
-de janvier 1825, que Pierre apprit aux deux
-autres la mort de leur mère, survenue, disait-il,
-<span class="pagenum"><a id="Page_351"> 351</a></span>
-par suite d'un accident tragique. La
-voiture qui la conduisait à Montpellier avait
-versé... Elle s'était fracassé le crâne... On l'avait
-transportée dans un hospice où elle avait rendu
-le dernier soupir... Le prétendu conducteur
-Cambonne était aussi décédé... Pierre Barrié
-écrivit même à Cocural pour faire prendre
-le deuil aux autres membres de la famille.</p>
-
-<p>Comme la plupart des hommes de son
-pays, Pierre exerçait à Paris la profession
-de porteur d'eau; il était domicilié rue du
-Bac.</p>
-
-<p>Jean revint de Paris à Cocural dans le courant
-de mai 1825, portant un reçu de 440
-francs, souscrit et signé par le prétendu
-Cambonne. Ce reçu lui avait été remis par
-son frère Pierre.</p>
-
-<p>Cependant une sourde et vague rumeur
-s'était répandue au sujet de la disparition de
-Marguerite Bouges; on disait que cette femme
-n'était pas sortie du pays, et, chaque jour, ces
-conjectures acquéraient plus de consistance.
-On apprit de quelques individus qui avaient
-fait le voyage de Montpellier, que toutes
-recherches avaient été infructueuses pour se
-procurer des nouvelles de cette femme. On
-<span class="pagenum"><a id="Page_352"> 352</a></span>
-se rappela aussi que, vers la fin de septembre
-1824, Pierre Barrié, qui était naturellement
-gai, avait paru sombre et agité, et qu'il avait
-supplié un de ses voisins de lui permettre de
-coucher chez lui, ne pouvant, disait-il, habiter
-seul dans sa maison, où le bruit des portes
-battues par le vent le glaçait d'épouvante.
-Enfin, on sut dans le public que, dans une
-police de bail à ferme consentie à son oncle,
-peu de jours avant son départ pour Paris,
-Pierre Barrié s'était réservé un petit réduit,
-qu'il avait lui-même fermé soigneusement avec
-une cloison en planches, après y avoir entassé
-de vieux meubles et du bois de chauffage,
-et le docteur Capoulade, d'Albouze,
-parlant un jour de la disparition de la veuve
-Barrié, s'écria que c'était dans ce petit réduit
-que l'on pourrait trouver le cadavre de cette
-femme.</p>
-
-<p>Cette circonstance paraissait trop extraordinaire
-pour qu'elle n'éveillât pas l'attention.
-Aussi ce fut vers le lieu indiqué que la justice
-dirigea ses premières démarches. On ne tarda
-pas à découvrir l'horrible mystère. Bientôt,
-sous un amas de meubles, dans une auge de
-pierre, hermétiquement fermée avec de la terre
-<span class="pagenum"><a id="Page_353"> 353</a></span>
-glaise, on trouva le cadavre de Marguerite
-Bouges, recouvert de quelques lambeaux de
-vêtemens, le tout assez bien conservé pour
-qu'on pût constater l'identité. Le frère de l'accusé
-et plusieurs habitans la reconnurent.
-Marie Crassels déclara l'avoir reconnue à un
-doigt de la main gauche, dont la première
-phalange avait été emportée par un panaris.</p>
-
-<p>Aussitôt la police fut instruite, et des
-ordres furent donnés pour que Pierre Barrié
-fût arrêté à Paris, et conduit sans retard à
-Rhodez.</p>
-
-<p>Devant le juge d'instruction, l'accusé se
-renferma dans une dénégation absolue, parlant
-toujours du prétendu Cambonne, qui n'était,
-suivant toutes les probabilités, qu'un
-personnage de son invention; car on ne trouva
-aucun vestige de cet individu, ni sur les registres
-des morts, ni sur ceux des vivans. A
-cette terrible question: «Comment s'est-il
-fait que votre mère, décédée à Montpellier,
-ait été trouvée dans l'auge de Cocural?» Pierre
-Barrié se borna à répondre: <i>C'est par miracle!</i></p>
-
-<p>En présence de la Cour d'assises, le président
-lui fit subir l'interrogatoire suivant:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_354"> 354</a></span>
-<i>D.</i> Qu'était devenue votre mère, lors de
-votre départ pour Paris en 1824?</p>
-
-<p><i>R.</i> M'étant chargé de la placer dans un
-hospice, au nom de tous ses enfans, un cocher
-de fiacre que j'avais connu à Paris, mais
-dont j'ignore le nom et le domicile, me conseilla
-de la confier à un monsieur qui, pour
-440 francs une fois payés, prit l'engagement
-de la conduire et de la faire recevoir à Montpellier,
-dans la maison centrale de cette ville.</p>
-
-<p><i>D.</i> Connaissiez-vous ce monsieur?</p>
-
-<p><i>R.</i> Je ne le connaissais pas: il disait s'appeler
-Alexandre-Frédéric Cambonne.</p>
-
-<p><i>D.</i> D'où était-il?</p>
-
-<p><i>R.</i> Je l'ignore: mais il prenait les qualités
-de propriétaire à Montpellier, et de marchand
-à Espalion.</p>
-
-<p><i>D.</i> Vous aviez déjà consulté M. Jalabert
-fils, avocat à Espalion. Il vous avait promis
-ses bons offices pour obtenir une place
-pour votre mère dans l'hospice de cette ville,
-ou dans celui de Rhodez. Lui parlâtes-vous du
-traité que vous veniez de faire avec Cambonne?</p>
-
-<p><i>R.</i> Non, monsieur.</p>
-
-<p><i>D.</i> Vous n'accompagnâtes pas votre mère
-jusqu'au moment de son départ?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_355"> 355</a></span>
-<i>R.</i> Cela m'aurait fait mal.</p>
-
-<p><i>D.</i> Plusieurs témoins ont déposé, dans l'instruction,
-qu'il vous avait fallu des gendarmes
-pour la contraindre: vous-même leur avez
-appris cette circonstance.</p>
-
-<p><i>R.</i> Ils se trompent.</p>
-
-<p><i>D.</i> Il résulte des informations qu'on a
-prises qu'il n'existe, ni à Montpellier ni à
-Espalion, aucun individu portant le nom de
-Cambonne, et que votre mère n'a jamais été
-reçue dans la maison centrale de Montpellier?</p>
-
-<p><i>R.</i> J'ai été trompé.</p>
-
-<p><i>D.</i> Qui vous apprit la mort de votre mère?</p>
-
-<p><i>R.</i> Je l'appris par une lettre qui me fut
-écrite de Montpellier.</p>
-
-<p><i>D.</i> Par qui?</p>
-
-<p><i>R.</i> J'ai oublié le nom du signataire de la
-lettre.</p>
-
-<p><i>D.</i> Mais enfin, comment se fait-il que votre
-mère ait été trouvée dans l'auge de Cocural?</p>
-
-<p><i>R.</i> Je n'en sais rien.</p>
-
-<p>A chaque question, l'accusé essayait, mais
-en vain, de lever sa tête, qui retombait aussitôt
-sur sa poitrine.</p>
-
-<p>Les témoins furent entendus au nombre de
-<span class="pagenum"><a id="Page_356"> 356</a></span>
-trente-deux. Plusieurs rappelèrent le propos
-tenu par M. Capoulade, médecin d'Albouze.
-Celui-ci avoua le fait, et l'expliqua par diverses
-circonstances qui avaient appelé ses
-réflexions sur ce sujet.</p>
-
-<p>Le ministère public soutint l'accusation
-avec beaucoup de force et de précision, et fit
-voir que les circonstances diverses et multipliées
-qui avaient été recueillies à l'occasion
-du meurtre de la veuve Barrié, devaient suppléer
-à l'absence de témoins <i>de visu</i> et aux
-doutes que pouvait laisser la matérialité du
-fait.</p>
-
-<p>L'accusé fut défendu par M<sup>e</sup> Grandet, avec
-le talent et la loyauté dont il avait donné déjà
-des preuves si brillantes dans l'affaire Fualdès.
-Plusieurs parties de sa plaidoierie firent une
-vive impression sur l'auditoire.</p>
-
-<p>Mais la délibération du jury ne pouvait être
-favorable à l'accusé. Trop de charges, des
-charges trop accablantes pesaient sur lui.
-Chacun était en droit de lui adresser ces terribles
-paroles: <i>Pierre Barrié, qu'as-tu fait de
-ta mère?</i> Le jury répondit affirmativement
-aux questions de culpabilité qui lui furent
-soumises, et le président prononça contre le
-<span class="pagenum"><a id="Page_357"> 357</a></span>
-prévenu la peine du parricide. L'abattement
-que ce malheureux avait montré pendant les
-débats, redoubla lorsqu'il entendit l'arrêt qui
-le condamnait à la mort; il ne put marcher
-jusqu'à sa prison qu'avec le secours des gendarmes
-qui le soutenaient. Ce jugement fut
-rendu le 17 novembre 1826.</p>
-
-<p>La Cour de cassation ayant rejeté le pourvoi
-de Pierre Barrié, et le roi n'ayant pas admis
-son recours en grâce, ce malheureux
-subit sa peine le 19 février 1827 à Rhodez. Ce
-spectacle, qu'un appareil extraordinaire rendait
-encore plus hideux, avait attiré une foule
-immense. Le condamné fut transporté dans
-une charrette au lieu du supplice; il était pieds-nus,
-en chemise, et sa tête était couverte
-d'un voile noir. L'aumônier des prisons était
-assis auprès de lui; Barrié, triste et abattu,
-paraissait attentif aux exhortations de ce charitable
-ecclésiastique.</p>
-
-<p>Depuis sa condamnation, il avait substitué
-une autre version au système absurde qu'il
-avait suivi dans ses interrogatoires et dans les
-débats. Il assurait que sa mère était morte à
-la suite d'une chute violente qu'elle aurait
-faite dans un accès de démence; que, l'ayant
-<span class="pagenum"><a id="Page_358"> 358</a></span>
-trouvée ensanglantée et couverte de contusions,
-il s'était abstenu d'appeler du secours,
-de peur qu'on ne l'accusât de meurtre, et
-qu'alors il avait caché le cadavre dans l'auge
-où il avait été découvert dix-huit mois après.</p>
-<div class="chapter">
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_359"> 359</a></span></p>
-<h2 class="normal">ANDRÉ BLUM,<br />
-<span class="medium">ACCUSÉ DE FAUX ET D'EMPOISONNEMENT.</span></h2>
-</div>
-
-<p>Au mois de mars 1821, André Blum fut
-employé dans les ateliers de la maison Haussman
-et Jordan, au Logelbach, près Colmar.</p>
-
-<p>En 1825, M. Jordan remarqua du désordre
-dans la conduite de cet homme. Plusieurs
-fois, il lui adressa des remontrances; Blum
-promit de se corriger; mais, loin de tenir sa
-promesse, il contracta de nouvelles dettes.</p>
-
-<p>Ses appointemens étant insuffisans pour
-subvenir à ses dépenses, il fabriqua et mit en
-circulation de faux billets de commerce. Dans
-le courant de 1825, il donna au sieur Édighoffen,
-aubergiste à l'enseigne du Roi de Pologne,
-à Colmar, en paiement d'une somme
-de 130 francs, un billet de 750 francs, paraissant
-souscrit, à son ordre, par son père Jacob
-Blum. Vers la même époque, il remit au
-sieur Simon, en paiement d'une somme de
-<span class="pagenum"><a id="Page_360"> 360</a></span>
-100 francs, une lettre de change de 400 francs,
-paraissant pareillement souscrite à son ordre
-par son père. A leur échéance, ces deux effets
-furent protestés. Le père de l'accusé ne
-les reconnut pas, déclarant qu'il ne devait
-rien à son fils; que ce n'était pas le premier
-tour de ce genre qu'il lui faisait, et engageant
-le sieur Édighoffen à le poursuivre
-très-rigoureusement. M. Jordan, ayant eu
-connaissance de cette affaire, en parla à Blum.
-Celui-ci nia d'abord qu'il eût fabriqué les effets
-en question; mais il finit par en faire
-l'aveu. Blum était déjà débiteur de la maison
-Haussman d'une somme de plus de 800 francs,
-qu'elle avait payée pour lui. Dès ce moment,
-M. Jordan résolut de faire le sacrifice de cet
-argent et de se débarrasser de Blum. En conséquence,
-on lui adjoignit deux ouvriers, destinés
-à le remplacer, Joseph Grimmer et Louis
-Vautrin.</p>
-
-<p>Ces mesures rendirent Blum furieux: il
-forma le projet d'en tirer vengeance, et ne
-dissimula pas ses intentions. Dans le mois
-d'avril, il dit à un des ouvriers de la fabrique
-qu'il connaissait des individus qui l'avaient
-desservi auprès de M. Jordan; qu'il leur conserverait
-<span class="pagenum"><a id="Page_361"> 361</a></span>
-une haine implacable, et qu'il s'en
-vengerait, ne dût-ce être que dans vingt ans.
-Vers la même époque, il tint à un autre ouvrier
-un propos à peu près semblable, ajoutant
-que, s'il rencontrait celui qui l'avait calomnié,
-il le tuerait, et se suiciderait ensuite.
-Ces menaces demeurèrent sans effet.</p>
-
-<p>Comme chef d'atelier, Blum avait sous ses
-ordres un enfant de seize ans, Joseph Goechlinger.
-Dans le courant de l'hiver et du
-printemps de 1826, il l'avait envoyé par trois
-fois à Colmar, chercher de l'émétique. Chaque
-fois, il l'avait adressé à trois pharmaciens
-différens, et lui avait fait prendre chez
-chacun d'eux trois grains d'émétique, ce qui
-lui avait procuré vingt-sept grains de ce vomitif.</p>
-
-<p>Vers le même temps, il avait amené une
-femme dans son atelier, et lui avait fait placer
-de la mort-aux-rats dans trois endroits différens,
-sur des petits morceaux de papier; deux
-ou trois jours après, il s'en était emparé.
-Ainsi muni d'arsénic et d'émétique, Blum tenait
-des moyens de vengeance entre ses mains.
-Il choisit Joseph Grimmer pour sa victime,
-<span class="pagenum"><a id="Page_362"> 362</a></span>
-et attendit un moment favorable pour l'exécution
-de son forfait.</p>
-
-<p>Dans la matinée du 24 avril 1826, il crut
-l'avoir trouvé, et tenta d'empoisonner cet ouvrier.
-Ce jour-là, entre six et sept heures du
-matin, Blum, ayant vu que Joseph Grimmer
-avait des &oelig;ufs, lui témoigna le désir d'en
-manger, et le pria de lui en préparer au beurre
-noir. Grimmer y consentit, lui en fit cuire
-quelques-uns dans une casserole, et les lui
-apporta avec du pain. Blum en mangea une
-petite partie, les saupoudra avec une poudre
-blanchâtre, et les remua pour mêler le tout.
-Dès-lors, il cessa d'en manger, en se plaignant
-qu'ils étaient trop salés; puis, il engagea Grimmer
-à les manger, et sortit.</p>
-
-<p>Il se rendit à Turckheim, où était le domicile
-de Grimmer, et fit dire à la femme de
-celui-ci que son mari ne rentrerait que vers
-onze heures ou minuit, et peut-être pas du
-tout.</p>
-
-<p>Cependant Grimmer, après le départ de
-Blum, s'était mis à manger les &oelig;ufs qui restaient;
-mais à peine en avait-il avalé la moitié,
-que, dégoûté par l'amertume qu'il y
-<span class="pagenum"><a id="Page_363"> 363</a></span>
-trouva, il avait cessé d'en manger et s'était remis
-à l'ouvrage. Toutefois, il ne tarda pas à
-en éprouver l'effet.</p>
-
-<p>Une heure s'est à peine écoulée, qu'il est
-torturé par de fortes coliques; une sueur glacée
-découle de son front; il ressent un malaise
-général. Bientôt les vomissemens commencent.
-Ses compagnons n'hésitent pas à
-soupçonner Blum d'avoir empoisonné Grimmer.
-Heureusement pour ce pauvre malheureux
-que ce soupçon d'empoisonnement vint
-les frapper sur-le-champ. Ils prodiguèrent
-sans retard à leur camarade les secours les plus
-efficaces en pareil cas; ils lui firent prendre du
-bouillon, de l'huile et du lait, et il fut sauvé.</p>
-
-<p>Vers cinq heures du soir, Blum rentra à
-l'atelier. On lui reprocha d'avoir mis quelque
-chose dans les &oelig;ufs de Grimmer. Il ne s'en
-défendit pas, et se borna à répondre: <i>Moi
-aussi, j'en ai mangé: pourvu qu'il ne soit pas
-crevé, cela suffit; je m'en moque.</i> En prononçant
-ces paroles, il rougit, et jeta sur une table
-une pièce qu'il pliait. Puis, pour anéantir
-autant que possible les traces de son crime, il
-barbouilla avec le reste des &oelig;ufs la figure d'une
-ouvrière, et cassa le vase dans lequel Grimmer
-<span class="pagenum"><a id="Page_364"> 364</a></span>
-les avait fait cuire. Cependant des poursuites
-ayant été dirigées contre lui, il essaya de s'y
-soustraire, en se cachant dans les forêts qui
-environnent Soultz et les communes voisines;
-mais il fut arrêté, le 14 juin, aux environs
-d'Ollviller. On trouva sur lui une petite pièce
-de bois, tournée en forme de cachet, et qui
-paraissait destinée à contrefaire un sceau, et
-un petit paquet de papier gris, contenant
-une matière graisseuse.</p>
-
-<p>Transféré dans la maison d'arrêt de Colmar,
-il fut fouillé une seconde fois; on trouva
-dans une de ses poches un petit paquet de
-toile ficelée, contenant une poudre blanche.
-L'analyse chimique que l'on fit de ces matières
-prouva que la première était composée
-de morceaux d'éponge cuits dans la graisse
-et saupoudrés d'arsénic métallique; et que la
-seconde était une substance végétale sucrée,
-mélangée aussi avec de l'arsenic métallique.</p>
-
-<p>En conséquence, André Blum fut traduit
-devant la Cour d'assises de Colmar, le 18 novembre
-1826, comme accusé de faux en écriture
-de commerce, et d'empoisonnement.
-L'accusé était vêtu de noir. C'était un jeune
-homme d'une belle taille et d'une figure assez
-<span class="pagenum"><a id="Page_365"> 365</a></span>
-régulière, mais l'expression de sa physionomie
-était froide et dure, et sa contenance plus
-qu'assurée. Il entendit la lecture de l'acte
-d'accusation d'un air impassible et presque
-effronté, et garda la même contenance pendant
-toute la durée des débats. Le docteur
-Morel, entendu comme témoin, rapporta
-plusieurs faits de nature à faire soupçonner
-l'accusé de plusieurs empoisonnemens antérieurs
-à celui qui l'avait fait mettre en prévention.
-La femme même de Blum aurait été
-victime d'une de ces tentatives. M. Pélicier,
-chimiste attaché à la fabrique Haussman,
-déposa que l'accusé était venu, à plusieurs
-reprises, lui demander de l'arsenic communément
-connu sous le nom de <i>mort-aux-rats</i>,
-lui disant que son logement était infesté de
-rats qui rongeaient ses habits et ses alimens;
-mais que lui, Pélicier, s'y était constamment
-refusé; que, sur des sollicitations itératives,
-il lui avait dit que, quand il y avait des rats
-et des souris dans les ateliers, il y plaçait des
-harengs imprégnés d'arsénic. Alors Blum lui
-dit qu'il lui apporterait un hareng pour qu'il
-y mît de l'arsenic; mais le témoin le lui refusa,
-parce qu'il connaissait la situation de
-<span class="pagenum"><a id="Page_366"> 366</a></span>
-l'accusé, et que l'on pouvait craindre qu'il ne
-voulût attenter à sa propre vie, ou chercher
-à donner la mort à d'autres.</p>
-
-<p>Les pharmaciens, chargés d'analyser les
-matières trouvées sur Blum, lors de son arrestation,
-déclarèrent qu'ils avaient parfaitement
-constaté la présence de l'arsenic, soit
-dans les éponges graisseuses qui en étaient
-imprégnées, soit dans le petit paquet de toile,
-où l'arsenic pur était mélangé avec une poudre
-végétale sucrée.</p>
-
-<p>Un autre témoin, Jacques Ohl, âgé de
-soixante-un an, ouvrier de la fabrique, déposa
-très-formellement des menaces proférées
-par Blum à plusieurs reprises. Il rapporta
-surtout ces mots: «Je me vengerai de ceux
-qui m'ont desservi; j'en tuerai un; je m'en
-vengerai, ne fût-ce que dans vingt ans. Je ferai
-comme cet Africain;» et, en faisant cette
-menace, l'accusé montrait un petit paquet
-qu'il avait à la main.</p>
-
-<p>Le jeune homme de seize ans, que Blum
-chargeait de l'achat de ses poisons, fut aussi
-entendu. Il déclara être allé à Colmar neuf à
-dix fois, avec la commission d'y prendre chaque
-fois neuf grains d'émétique chez des
-<span class="pagenum"><a id="Page_367"> 367</a></span>
-pharmaciens différens, d'après les ordres exprès
-de l'accusé, qui recommandait aussi au
-témoin de ne remettre les petits paquets qu'à
-lui seul, et qui, chaque fois qu'il voyait arriver
-son commissionnaire, sortait, soit de son
-atelier, soit de la chambre qu'il habitait, pour
-le recevoir mystérieusement.</p>
-
-<p>Blum nia constamment toutes ces dépositions.
-Il parlait beaucoup et avec une véhémence
-inconcevable; et cependant ses réponses
-étaient incohérentes, peu vraisemblables,
-et quelquefois injurieuses pour les témoins.
-Quoi qu'il en soit, ceux-ci persistèrent dans
-toutes leurs déclarations.</p>
-
-<p>Les faits de faux furent seuls avoués et reconnus
-formellement par l'accusé.</p>
-
-<p>Le ministère public soutint l'accusation
-avec force et éloquence, mais avec calme, se
-bornant à faire ressortir la culpabilité de
-l'accusé des dépositions seules. Le défenseur
-de Grimmer remplit sa tâche avec zèle; il
-s'appliqua surtout à prouver que l'empoisonnement
-ne pouvait être que présumé, et invoqua
-la commisération des jurés en faveur
-de ce jeune homme, menacé du supplice à
-l'âge de vingt-sept ans, ayant un père plus
-<span class="pagenum"><a id="Page_368"> 368</a></span>
-que septuagénaire, une mère de soixante-six
-ans, et étant lui-même père de trois enfans
-en bas âge. L'accusé prit aussi la parole après
-son avocat, et s'efforça d'exciter la compassion
-des jurés.</p>
-
-<p>Après une demi-heure de délibération, le
-jury déclara Blum non coupable d'empoisonnement;
-mais il n'en fut pas de même de l'accusation
-de faux: sa culpabilité sur ce dernier
-chef fut prononcée à l'unanimité, et il
-fut condamné à vingt ans de travaux forcés,
-à l'exposition et à la flétrissure.</p>
-
-<p>Blum entendit son arrêt avec assez de calme;
-mais bientôt il lança sur la Cour des regards
-courroucés, et sortit en disant: <i>Il aurait
-mieux valu me condamner à être guillotiné!</i>
-A peine était-il rentré dans la prison,
-qu'il saisit un couteau et s'en frappa dans le
-bas-ventre. Il tomba baigné dans son sang,
-et fut conduit à l'hôpital, sous la surveillance
-d'un gendarme. Mais il fut reconnu que sa
-blessure n'était pas dangereuse.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_369"> 369</a></span></p>
-
-
-
-<p>ASSASSINS DE GRAND CHEMIN.</p>
-
-
-<p>Vers la fin de 1825 et pendant les premiers
-mois de 1826, quatre assassinats furent commis
-sur des chemins, qui traversent la forêt de
-Londe et celle de Brothonne. Ces meurtres
-répandirent l'effroi dans toute la contrée. La
-justice fit d'actives recherches; mais malgré
-tous ses efforts, elle ne put mettre la main sur
-les auteurs de ces trois crimes. Un seul assassinat,
-celui qui avait été commis le 8 février,
-entre sept heures et demie et huit heures du
-matin, sur la personne du sieur Voisin, devint
-l'objet d'une accusation.</p>
-
-<p>Armand Voisin, clerc de notaire, avait des
-capitaux à recevoir à Paris, à Bordeaux et au
-Hâvre. Il partit le 8 février de la Bouille, en
-annonçant qu'il allait à Boissy-le-Châtel. Les
-sieurs Cornu et Sillé, ainsi que plusieurs autres
-individus, le virent et le rencontrèrent
-sur la route. A cent cinquante ou deux cents
-pas de l'endroit où il avait été rencontré, le
-<span class="pagenum"><a id="Page_370"> 370</a></span>
-nommé Revel, allant à la Bouille, trouva sur
-le bord de la route le corps du malheureux
-Voisin; le cheval de la victime était à peu de
-distance, paissant dans la forêt, la bride sur le
-cou. Les autorités furent aussitôt prévenues de
-ce tragique événement; et il fut constaté que
-le corps était étendu sur le dos, mais penché
-du côté droit, la tête inclinée sur l'épaule
-droite, les pieds tournés vers la grande route,
-le bras droit étendu en supination le long du
-corps, les quatre premiers doigts fléchis, le
-pouce également incliné en dedans. Un pistolet
-de calibre de cavalerie était posé dans la
-main droite, de manière que l'extrémité de la
-crosse appuyait dans le fond de la main; tandis
-que la partie supérieure de cette même
-crosse appuyait sur le pouce; le bras gauche
-était légèrement fléchi, la main à moitié sur
-la hanche; les jambes étaient légèrement écartées.
-L'autopsie de la tête prouva que le pistolet
-avait été bourré avec des feuilles. A côté
-du cadavre était un mouchoir de poche contenant
-une montre de chasse à boîte en argent
-avec une chaîne en or. A trente pas du cadavre,
-dans la forêt, on trouva la ceinture en
-daim de Voisin; elle avait été coupée dans toute
-<span class="pagenum"><a id="Page_371"> 371</a></span>
-sa longueur et vidée; le cheval portait encore
-la valise. Le médecin constata que le cadavre
-avait à la tête, du côté droit, un peu au-dessous
-de la tempe et au niveau de l'oreille,
-une plaie d'un pouce et demi de long, faisant
-cavité, entourée d'un cercle noir et paraissant
-être l'effet d'un coup d'arme à feu; les os de
-la tête étaient fracturés, et la partie supérieure
-des favoris était brûlée. De l'autre côté, au-dessous
-de l'oreille, on voyait une plaie plus
-petite que la première, et formant aussi cavité
-avec fracture d'os. Une foule de circonstances
-indiquaient que la mort violente du sieur Voisin
-n'était pas le résultat d'un suicide, comme
-ses assassins avaient voulu le faire croire.</p>
-
-<p>Cet assassinat dont les auteurs étaient d'abord
-inconnus, ouvrit un champ vaste aux conjectures;
-d'injustes soupçons planèrent un moment
-sur quelques personnes innocentes. Mais on
-apprit enfin que le nommé Heurtaux, meunier,
-âgé de trente-deux ans, avait été vu près
-du lieu où le crime avait été commis; que, ce
-jour-là, il s'était fréquemment déplacé et qu'il
-avait tenu quelques propos qui décelaient
-une conscience alarmée. Heurtaux fut arrêté,
-et traduit devant la Cour d'assises de Rouen,
-<span class="pagenum"><a id="Page_372"> 372</a></span>
-avec le nommé Daguet, cultivateur, âgé de
-quarante-trois ans, et Françoise Hébert, femme
-Heurtaux, comme accusés, les deux premiers
-d'assassinats suivi de vol, la troisième de recel
-d'argent.</p>
-
-<p>Les accusés comparurent devant leurs juges,
-le 28 novembre 1826, en présence d'un nombreux
-auditoire. D'après l'instruction et les
-dépositions des témoins, Heurtaux avait été
-vu par plusieurs personnes à la Bouille, le 7
-février; le 8, il avait quitté Savale à deux heures
-du matin et s'était rendu à une demi-lieue de
-là chez sa femme, où il avait donné rendez-vous
-à Daguet. Vers sept heures un quart, ils étaient
-arrivés tous deux près de la Maison-Brûlée,
-et ils n'avaient alors qu'une avance de deux cent
-à deux cent-vingt pas sur Voisin qui les suivait
-à cheval. Plus haut, à trois cent cinquante pas
-au-dessous du lieu où le crime avait été commis,
-ils furent encore rencontrés par deux témoins,
-et ces derniers trouvèrent Voisin, montant
-la côte à pied, à cent cinquante ou deux cents
-pas environ au-dessous de l'endroit où il avait
-perdu la vie. Quelques instans après, vers huit
-heures ou huit heures moins un quart, la
-fille Cabour, suivant sa déposition, les vit tous
-<span class="pagenum"><a id="Page_373"> 373</a></span>
-deux sortir du bois, saisir Voisin et l'entraîner
-violemment dans la partie de la forêt où il fut
-trouvé mort; suivant le même témoin, Voisin,
-dans cette lutte, n'avait pas jeté un cri:
-elle n'avait pas non plus entendu la détonation
-du pistolet, parce qu'elle avait perdu connaissance
-pendant cette scène.</p>
-
-<p>Quoique cette déposition se trouvât fortement
-contrariée par d'autres déclarations,
-trois bûcherons, par leur témoignage, lui prêtaient
-un puissant appui. Ils affirmaient qu'étant
-à travailler au bord de la forêt, à peu
-de distance de la route, et à trois cent cinquante
-pas au-dessus du lieu où les accusés avaient
-été rencontrés par Cornu et Sillé, ils ne virent
-Daguet et Heurtaux paraître à leur hauteur
-qu'un quart d'heure environ après avoir
-entendu le coup d'arme à feu qui donna la
-mort au malheureux Voisin; ils dirent, en outre,
-que Daguet, monté sur sa voiture, était
-tout en sueur; que la femme Heurtaux n'était
-pas avec ses coaccusés, quoiqu'elle soutînt
-le contraire, et que Daguet ne s'était pas
-arrêté pour faire la conversation avec eux,
-quoique les accusés eussent affirmé ce fait.
-Un quart de lieue plus loin, les trois accusés,
-<span class="pagenum"><a id="Page_374"> 374</a></span>
-alors réunis, trouvèrent le nommé Boucachard
-fort impatient de ne pas voir paraître
-Voisin qu'il attendait, et comme cet homme
-témoignait l'intention de retourner vers la
-Bouille, pour voir si le voyageur ne s'était pas
-égaré, Daguet chercha à le détourner de ce
-dessein, et l'engagea à continuer sa route jusqu'au
-Bourgtheroulde.</p>
-
-<p>Une autre circonstance déposait aussi violemment
-contre les accusés. Un sieur Dubourg,
-serrurier à la Bouille, avait déclaré,
-après beaucoup de tergiversations, qu'il reconnaissait
-le pistolet pour avoir appartenu
-à Heurtaux père, qui le lui avait donné naguère
-à raccommoder.</p>
-
-<p>Toutes ces dépositions furent reproduites
-à l'audience. Les accusés protestèrent de leur
-innocence; ils cherchèrent à expliquer leur
-présence dans le voisinage de la scène du
-crime, et soutinrent que la fille Cabour en
-imposait à la justice, en les signalant comme
-les auteurs de l'assassinat de Voisin. Ils nièrent
-également tous les propos qui leur étaient
-imputés.</p>
-
-<p>Cependant la fille Cabour avait désigné les
-moindres parties du costume des accusés; elle
-<span class="pagenum"><a id="Page_375"> 375</a></span>
-les avait reconnus, dès l'abord, entre plusieurs
-autres prisonniers. Elle déclara que la
-crainte que lui inspirait Daguet avait été la
-seule cause du silence qu'elle avait long-temps
-gardé sur cette malheureuse affaire.
-Malgré les vives apostrophes et les violentes
-interpellations des trois accusés, la fille Cabour
-n'en persista pas moins dans sa déclaration.</p>
-
-<p>Cette procédure, commencée le 28 novembre,
-se prolongea jusqu'au 4 décembre.
-Sur la déclaration du jury, Heurtaux et Daguet,
-déclarés coupables d'assassinat suivi de
-vol, furent condamnés à la peine de mort. La
-femme Heurtaux fut acquittée de l'accusation
-de recélé.</p>
-
-<p>Quand les accusés furent introduits dans
-la salle, pour entendre la déclaration du
-jury, une scène déchirante émut vivement
-les spectateurs. Le président prononça d'abord
-l'acquittement de la femme Heurtaux;
-mais, lorsqu'il donna ordre de la faire sortir,
-elle se cramponna au banc, en s'écriant
-qu'elle voulait partager le sort de son mari.
-«Il est innocent comme moi, s'écriait-elle;
-c'est une injustice! je ne veux pas le quitter.»
-<span class="pagenum"><a id="Page_376"> 376</a></span>
-Les gendarmes furent obligés de l'enlever de
-vive force.</p>
-
-<p>Daguet, abattu, gardait un morne silence.
-Heurtaux s'écria qu'il était innocent, et qu'il
-en appelait aux magistrats de la décision du
-jury; Daguet se leva, et, à voix basse, protesta
-aussi de son innocence.</p>
-
-<p>Le pourvoi des deux condamnés ayant
-été rejeté par la Cour de cassation, ils furent
-exécutés sur la place publique de Bourgtheroulde.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_377"> 377</a></span></p>
-<h2 class="normal">BANCELIN,<br />
-<span class="medium">MEURTRIER DE SON ÉPOUSE.</span></h2>
-</div>
-
-<p>Ici le crime ne fut point la conséquence du
-libertinage. La victime et le bourreau sont
-presque également dignes d'intérêt. Bancelin
-aimait sa femme; mais sa brutalité, ses emportemens,
-sa fureur presque habituelle,
-avaient à la fin forcé cette malheureuse épouse
-de fuir le domicile conjugal, et ce fut le désespoir
-que causa à Bancelin cet abandon, qui
-le rendit criminel.</p>
-
-<p>Jean-Baptiste-Auguste Bancelin, âgé de
-trente-neuf ans, propriétaire et marchand de
-bois à Saint-Menehould, appartenait à une
-famille très-connue par l'étendue de son commerce.
-Il avait épousé Marie-Élisabeth Salmon,
-issue d'une famille très-recommandable.</p>
-
-<p>Des spéculations extravagantes et malheureuses
-avaient aigri le caractère de Bancelin.
-<span class="pagenum"><a id="Page_378"> 378</a></span>
-Sa femme, par ses manières douces et affectueuses,
-tâchait de calmer les fureurs qui
-l'agitaient; elle supportait avec patience et
-résignation les injures qu'il lui prodiguait, ne
-laissait échapper aucune plainte au sujet des
-mauvais traitemens qu'elle en éprouvait, et
-dérobait avec soin à la connaissance du public
-les scènes déplorables qui se passaient
-dans l'intérieur de la maison: en un mot,
-suivant l'expression d'un témoin, madame
-Bancelin était un ange de vertu.</p>
-
-<p>Dans le mois de juillet 1826, Bancelin
-conçut le projet d'ouvrir une auberge. Sa
-femme lui fit, avec tous les ménagemens possibles,
-des remontrances sages sur les difficultés
-que présentait cet établissement. Bancelin,
-au lieu de les écouter et de les peser,
-devint furieux; il s'arma d'une bouteille et la
-lança à la tête de sa femme: celle-ci fut blessée,
-mais elle dissimula courageusement sa
-souffrance. Bancelin la prit aux cheveux,
-l'entraîna dans un cabinet voisin, la renversa
-sur le carreau et la foula aux pieds. Elle lui
-déclara alors qu'elle le quitterait, qu'elle ne
-pouvait vivre plus long-temps avec lui. Cette
-menace ne fut qu'un stimulant pour la fureur
-<span class="pagenum"><a id="Page_379"> 379</a></span>
-de Bancelin; il redoubla ses mauvais traitemens.
-Au milieu de cette scène de violence, la
-malheureuse femme s'écriait: <i>Laisse-moi la
-vie, je t'en conjure; si ce n'est pas pour moi,
-que ce soit pour mes enfans!</i> Une voisine
-qui l'entendit, vola à son secours; elle arriva
-au moment où Bancelin, armé d'un canon de
-fusil servant de soufflet, allait en frapper sa
-femme. Cette infortunée, accablée de douleur
-et de chagrin, ne pouvant plus rester
-avec son mari, prit la fuite pendant la nuit.
-Elle conserva encore assez de courage pour
-emporter avec elle un de ses jeunes enfans,
-et, chargée de ce précieux fardeau, elle se
-rendit des Islettes à Sainte-Menehould, et se
-réfugia chez une de ses s&oelig;urs, établie en cette
-ville.</p>
-
-<p>Bancelin, ne pouvant supporter l'idée de
-vivre séparé de sa femme, tourmenté peut-être
-aussi par les remords de sa conscience,
-tenta tous les moyens de réconciliation, mais
-inutilement. Un mois s'était écoulé sans qu'il
-eût pu obtenir que sa femme revînt chez lui.
-Enfin, le 1<sup>er</sup> septembre, ayant formé un projet
-sinistre, il se rendit à Verdun pour y acheter
-de l'arsenic, mais il ne put s'en procurer.
-<span class="pagenum"><a id="Page_380"> 380</a></span>
-Il entra dans la boutique d'un armurier, qui
-lui vendit un pistolet. Il s'informa si, avec
-cette arme, on pouvait tuer un chien à quatre
-pas; et, sur la réponse affirmative, il s'en
-alla. Mais bientôt il revint acheter un second
-pistolet, et retourna à son domicile, où il fit
-lui-même l'essai de ses nouvelles armes.</p>
-
-<p>Le lendemain, jour du fatal événement,
-déterminé à partir pour Sainte-Menehould,
-il brûla ses papiers, enveloppa son violon
-d'un crêpe, et recouvrit une table ronde avec
-une robe noire de sa femme. A trois heures
-environ, il se rendit à Sainte-Menehould. Il
-avait emporté deux bouteilles de vin blanc;
-il en prit une pour sceller sans doute le raccommodement,
-et courut au logis de sa belle-s&oelig;ur,
-où sa femme s'était retirée. Il demanda
-à la voir. On avertit madame Bancelin de la
-visite de son mari: elle se présenta. La conversation
-s'engagea sans humeur de part ni d'autre,
-seulement la femme refusa de venir aux Islettes,
-et Bancelin sortit. Un instant après, il
-reparaît, pénètre dans l'arrière-boutique, où
-sa femme s'était mise à tricoter à côté de sa
-s&oelig;ur, qui elle-même travaillait à une robe et
-causait avec un marchand étranger, assis près
-<span class="pagenum"><a id="Page_381"> 381</a></span>
-de sa fenêtre. Bancelin réitère ses sollicitations,
-en se promenant à grands pas dans la
-chambre. <i>Veux-tu enfin revenir avec moi?</i>
-dit-il à sa femme.&mdash;<i>Ce ne sera pas encore
-aujourd'hui</i>, répondit-elle. Au même moment,
-une détonation se fait entendre... La
-malheureuse femme tombe, en s'écriant: <i>Je
-suis tuée!</i></p>
-
-<p>Bancelin prit aussitôt la fuite et courut se
-précipiter dans la rivière. Comme l'eau n'était
-pas profonde, on parvint aisément à l'en
-retirer, et on le conduisit dans une salle de
-l'Hôtel-de-Ville, où bientôt après il fut interrogé
-par le juge d'instruction.</p>
-
-<p>Le pistolet dont il s'était servi pour son
-crime, était chargé de deux chevrotines, qui
-avaient pénétré dans la partie postérieure et
-inférieure du cou. Les blessures, qui n'étaient
-pas mortelles de leur nature, le devinrent
-par la suite, d'après le rapport des médecins
-appelés pour en constater l'état, et la
-malheureuse femme Bancelin succomba, après
-six semaines de souffrance et d'agonie.</p>
-
-<p>Lors de son interrogatoire, Bancelin était
-calme et de sang-froid. Il déclara que des
-deux pistolets qu'il avait achetés, l'un chargé
-<span class="pagenum"><a id="Page_382"> 382</a></span>
-de deux chevrotines, était destiné à sa femme,
-l'autre, chargé de trois, devait servir pour
-lui-même; et qu'afin de ne pas se tromper,
-il avait mis le premier dans la poche de son
-habit, et le second dans le gousset de son
-pantalon; que son intention pourtant, en entrant
-dans la chambre où il avait vu sa femme,
-n'était pas de la tuer, mais que cela devait
-dépendre de la bonne ou mauvaise réception
-qu'elle lui ferait; que, désespéré de la fatale
-obstination qu'elle mettait à ne pas vouloir
-rentrer avec lui, il avait tiré sur elle; que
-voulant aussitôt terminer ses propres jours,
-il avait dirigé contre lui son second pistolet,
-que le coup avait raté, et que le seul parti
-qui lui restait à prendre étant de se jeter à
-l'eau, il l'avait fait.</p>
-
-<p>Bancelin changea de langage aux débats
-qui eurent lieu devant la Cour d'assises de
-Reims, dans la session de décembre 1826, selon
-son nouveau système de défense, il n'avait
-pas eu l'intention de tuer sa femme,
-puisqu'il lui apportait de l'argent, des meubles
-et autres objets propres à son usage. Il
-n'avait point de projet de meurtre, puisqu'il
-se proposait de goûter avec elle. Il prétendit
-<span class="pagenum"><a id="Page_383"> 383</a></span>
-que s'il l'avait frappée à mort, c'est qu'en armant
-le pistolet qu'il voulait diriger contre
-lui-même, le coup était parti inopinément. Il
-fit valoir divers témoignages de son affection
-et de son attachement pour sa femme, et ses
-larmes abondantes n'attestaient que trop, selon
-lui, combien il la regrettait.</p>
-
-<p>Un incident important s'éleva sur l'application
-de la peine. Les questions suivantes
-avaient été posées au jury: Bancelin, accusé,
-est-il coupable d'avoir, le 2 septembre dernier,
-commis volontairement un homicide
-sur la personne de Marie-Élisabeth Salmon,
-sa femme, en lui tirant à bout portant un
-coup de pistolet? Avant cette action, Bancelin
-avait-il formé le dessein d'attenter à la personne
-de sa femme?</p>
-
-<p>Le ministère public déclara qu'il ne lui
-semblait pas que la préméditation fût suffisamment
-établie, et requit que la question
-fût posée dans les termes résultant de l'accusation,
-c'est-à-dire de la manière suivante:
-Est-il coupable d'avoir, le 2 septembre, commis
-volontairement et avec préméditation
-un homicide sur la personne de Marie-Élisabeth
-Salmon, son épouse?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_384"> 384</a></span>
-La cour, après en avoir délibéré, décida
-qu'il ne serait rien changé aux questions posées
-primitivement, et qui furent toutes deux
-résolues affirmativement par le jury.</p>
-
-<p>Le procureur du roi s'étant fait remettre
-la déclaration des jurés, requit, après une
-lecture attentive, l'application de plusieurs
-articles du code pénal portant la peine de
-mort. Le président demanda à l'accusé s'il
-n'avait pas quelques observations à faire sur
-ce réquisitoire. Alors le procureur du roi se
-leva de nouveau, et s'exprima en ces termes:
-«Messieurs, nous avons un devoir, un devoir
-de conscience à remplir; nous demandons
-qu'il plaise à la cour nous donner acte de
-ce que, rectifiant nos conclusions, et attendu
-que de la déclaration du jury, il résulte que
-Bancelin est coupable d'homicide volontaire,
-mais qu'il ne résulte pas que cet homicide ait
-été commis avec préméditation; qu'en effet,
-il n'est déclaré coupable que d'avoir, à l'avance,
-formé le dessein d'un attentat à la personne
-de sa femme, mais que cet attentat
-n'est spécifié ni dans la question, ni dans la
-réponse; qu'il peut y avoir diverses sortes
-d'attentats contre la personne d'un individu,
-<span class="pagenum"><a id="Page_385"> 385</a></span>
-et que les termes de la réponse du jury n'apprennent
-pas si l'attentat médité par Bancelin
-contre la personne de sa femme était de nature
-à lui donner la mort; qu'à la vérité on
-pourrait, jusqu'à un certain point, l'induire
-de la corrélation des deux questions, mais
-qu'une simple induction ne peut suffire pour
-établir d'une circonstance de fait en matière
-criminelle, surtout lorsqu'elle entraîne
-la peine capitale; nous requérons contre
-Bancelin l'application des articles 95 et 104
-du code pénal, et sa condamnation aux travaux
-forcés à perpétuité.»</p>
-
-<p>Après une heure de délibération, le président
-prononça un arrêt dont les considérans
-établissaient qu'il n'y avait aucune incertitude
-dans les réponses du jury, et qu'il condamnait
-en conséquence Bancelin à la peine
-de mort.</p>
-
-<p>«Bancelin, ajouta le président d'une voix
-qui trahissait sa vive émotion, vous avez trois
-jours francs pour déclarer si vous entendez vous
-pourvoir en cassation contre l'arrêt que la
-Cour s'est vue dans la nécessité de prononcer
-contre vous.»</p>
-
-<p>Bancelin, d'un organe altéré, s'écria pour
-<span class="pagenum"><a id="Page_386"> 386</a></span>
-toute réponse: <i>Adieu, mes pauvres enfans!</i></p>
-
-<p>Néanmoins il se pourvut en cassation et en
-grâce, et les jurés le recommandèrent à la
-clémence du roi.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_387"> 387</a></span></p>
-<h2 class="normal">LE COUPLE ASSASSIN.</h2>
-</div>
-
-<p>Le 14 juillet 1826, Marguerite Durand,
-veuve Corpedanne, et Françoise Bourgine,
-sa belle-fille, furent assassinées dans leur maison,
-à Villeflon. Le mari de cette dernière étant
-rentré chez lui, et ayant vu sa femme étendue
-par terre, la tête appuyée sur une table, et
-nageant dans son sang, fut saisi d'un tel
-effroi qu'il s'enfuit par la baie de la croisée
-en poussant des cris de désespoir qui attirèrent
-plusieurs voisins. Sur sa déclaration,
-on pénétra dans la maison, et l'on trouva la
-veuve Corpedanne étendue sans vie dans son
-lit. Elle avait au visage six blessures différentes,
-faites avec un instrument contondant.</p>
-
-<p>Sa belle-fille avait aussi plusieurs plaies
-profondes sur la tête et sur la figure; elle
-était sans connaissance. On crut d'abord
-qu'elle n'existait plus: ce fut en la mettant
-dans son lit qu'on s'aperçut qu'elle respirait
-encore. On trouva par terre, dans la maison,
-<span class="pagenum"><a id="Page_388"> 388</a></span>
-un morceau de chevron de trois pieds deux
-pouces de longueur et de trois pouces de largeur;
-ce morceau de chevron était teint de
-sang à l'une de ses extrémités; on y reconnaissait
-des empreintes de doigts ensanglantés,
-et il fut constaté que ces empreintes provenaient
-de la main d'un homme qui était
-gaucher. Un fusil qui était pendu dans la
-chambre avait été volé; il avait servi à frapper
-la veuve Corpedanne. On le reconnut aux
-trous profonds que le chien de la batterie
-avait faits sur la figure de la victime; on
-trouva en outre sur le lit et sur une chaise
-deux éclats de bois ensanglantés, paraissant
-provenir de la crosse d'un fusil. Une timballe
-d'argent portait aussi des empreintes de doigts
-et des traces de sueur indiquant la main d'un
-gaucher. Au milieu de la chambre, et dans
-une mare de sang, était la clef de la porte
-de la maison donnant sur la rue, ce qui semblait
-prouver qu'avant d'être terrassée, la belle-fille
-de la veuve avait cherché à sortir pour
-appeler du secours. Deux commodes, dans
-lesquelles les époux Corpedanne mettaient
-leur argent et leurs effets, avaient été fracturées
-avec la pelle à feu, et l'on en avait
-<span class="pagenum"><a id="Page_389"> 389</a></span>
-soustrait un sac de toile contenant 30 francs
-en pièces de 5 francs; on avait pris aussi quelques
-sous en monnaie de cuivre, ainsi que du
-linge et des effets.</p>
-
-<p>Une vile cupidité avait fait commettre ce
-double assassinat; mais quels en étaient les
-auteurs? La jeune femme Corpedanne, dans
-les premiers instans, était hors d'état de donner
-les moindres indices. Elle resta plusieurs
-jours dans la maison de Villeflon, mais toujours
-plongée dans un assoupissement complet,
-ne pouvant prononcer aucune parole,
-ni même faire le moindre signe. Le 20 juillet,
-on la transféra à l'hospice de Provins; le
-23, son mari et le nommé Bourgine, son cousin,
-qui étaient auprès de son lit, lui demandèrent
-si elle connaissait ses assassins. Elle ne
-put d'abord leur répondre que ces mots:
-<i>Oui, je le sais bien, c'est un voisin</i>. Son mari
-et son cousin lui nommèrent alors tous les
-habitans de Villeflon, et elle répondait toujours:
-<i>Non.</i> Mais quand ils prononcèrent le
-nom de Ninonet, elle répondit: <i>Oui, c'est
-Ninonet</i>.</p>
-
-<p>Le juge d'instruction et le procureur du roi
-furent à peine instruits de cette circonstance,
-<span class="pagenum"><a id="Page_390"> 390</a></span>
-qu'ils se rendirent à l'Hôtel-Dieu, et la femme
-Corpedanne qui était encore dans un état alarmant,
-et dont les idées n'étaient pas encore
-bien nettes, puisqu'elle commençait seulement
-à recouvrer la mémoire, fit avec beaucoup de
-peine la déclaration suivante: «C'est Pierre
-Ninonet; il était habillé en drap bleu; il est
-entré par la croisée; je me suis lancée sur lui;
-je l'ai nommé; il ne répondait pas. Je lui ai
-dit: Pierre, laissez-moi donc tranquille. Il
-me disait: Va-t'en, grande gueuse; donne-moi
-ta bourse ou ta vie. Il m'a donné un coup
-entre les épaules; il a allumé la chandelle
-avec l'amadou; il m'a donné des coups; il a
-pris le fusil et il s'est enfui avec. Je ne l'ai vu
-que tout seul: je l'ai vu comme je vous vois.
-C'est un habit de drap bleu, ce n'est point
-une veste. Avant, il me disait: Tu restes seule
-dans cette maison, toi; ton parrain a envie
-de faire ton affaire. Ce n'est pas mon parrain,
-mais c'est bien lui qui voulait faire mon affaire.
-Je suis fatiguée... Je n'en puis plus...»</p>
-
-<p>Le lendemain, à onze heures du matin,
-Corpedanne se trouvant encore auprès du lit
-de sa femme, celle-ci lui dit que la femme
-Ninonet était avec son mari, que tous deux
-<span class="pagenum"><a id="Page_391"> 391</a></span>
-l'avaient battue; que Ninonet lui disait:
-«Garce, tu as de l'argent; il faut que tu me
-le donnes ou que tu perdes la vie;» que la
-femme Ninonet fouillait dans les meubles;
-qu'elle cherchait partout; qu'elle était bien
-sûre de ce qu'elle disait, et qu'elle ne dirait
-pas autrement, parce que c'était lui.</p>
-
-<p>Le même jour, le juge d'instruction et le
-procureur du roi se rendirent de nouveau à
-l'Hôtel-Dieu de Provins, et la femme Corpedanne
-leur fit cette nouvelle déclaration: «La
-femme Ninonet; c'est elle qui m'a consommée:
-elle est venue avec son mari; je l'ai bien
-vue. Tous les deux m'ont frappée; elle m'a
-bien fait souffrir. Elle me tenait par les cheveux;
-elle a fouillé dans tous les meubles; elle
-croyait que nous avions de l'argent; elle me
-disait: Tu as de l'argent, tu ne le montres pas.
-Nous n'avions qu'une dixaine d'écus; si mon
-mari avait reçu son gage, nous aurions eu
-250 francs qui n'auraient pas encore été employés.
-Nous avions 300 francs chacun quand
-nous nous sommes mariés; nous les avons
-employés dans la maison. C'était comme
-un lion; elle a cherché partout. Elle m'a
-dit: <i>La bourse ou la vie!</i> Je l'ai vue fouiller
-<span class="pagenum"><a id="Page_392"> 392</a></span>
-dans la commode. Son homme m'a frappée
-dans mon lit; je me suis traînée par terre;
-c'est le mari qui a frappé le premier coup de
-la mort. Elle regardait partout; elle faisait le
-diable; parce que nous avons donné un loyer
-plus fort, ils nous croyaient bien riches. La
-femme Ninonet avait un cotillon de laine à
-raies, un fichu d'indienne fond bleu à fleur;
-ils ont apporté une chandelle. Ninonet venait
-chez nous tous les huit jours; il me disait
-quelquefois: «Je la connais mieux que toi,
-la maison.»</p>
-
-<p>Le même jour, à cinq heures du soir, Corpedanne
-était encore près de sa femme. «Ma
-bonne amie, lui dit-il, il faut déclarer la vérité;
-si ce n'est pas Ninonet, il ne faut pas le
-dire.&mdash;Je te dis que c'est lui; sa femme était
-avec lui; je ne dirai jamais autrement.»</p>
-
-<p>Le 22 août, Ninonet et sa femme, qui
-avaient été arrêtés, furent confrontés avec la
-femme Corpedanne. Celle-ci, en apercevant
-Ninonet, s'écria: <i>Je vois mon bourreau! tu
-croyais bien m'avoir tuée?</i> Elle rappela ensuite
-en sa présence tous les faits dont elle avait
-parlé précédemment.</p>
-
-<p>Confrontée ensuite avec la femme Ninonet,
-<span class="pagenum"><a id="Page_393"> 393</a></span>
-elle lui dit que, sans doute, elle avait bien prié
-le bon Dieu pour qu'elle mourût de ses blessures,
-mais qu'elle était encore en vie. «Si
-j'avais su ce que vous projetiez, ajouta-t-elle,
-je ne vous aurais pas reçus chez nous
-tous les jours.» Puis elle exprima le déplaisir
-et la peine qu'elle éprouvait, lorsque étant
-dans son lit, à Villeflon, sans pouvoir articuler
-une parole, elle voyait dans la chambre et
-autour d'elle la femme Ninonet qui voulait
-lui porter des soins, lui donner à boire et se
-rendre utile dans la maison. La malheureuse
-Corpedanne, apostrophant cette femme, lui
-dit: «Si j'avais pu parler le lendemain, vous
-ne seriez pas entrée dans la maison; j'avais
-peur que vous ne m'acheviez, ou que vous
-m'empoisonniez en me donnant à boire; vous
-aviez l'air de vous intéresser à moi; au fond,
-vous désiriez bien que je n'en revienne pas.»</p>
-
-<p>Ninonet et sa femme se renfermèrent dans
-un système absolu de dénégation. L'un était
-âgé de trente-six ans, et l'autre de vingt-sept.
-Les débats de cette cause, qui furent
-portés devant la cour d'assises de Melun, durèrent
-deux jours. La déposition de la femme
-Corpedanne était accablante pour les deux
-<span class="pagenum"><a id="Page_394"> 394</a></span>
-accusés; elle fut recueillie avec tout l'intérêt
-qu'inspiraient ses malheurs et la vérité frappante
-dont elle semblait être l'organe. Elle
-répondit à toutes les questions qui lui furent
-adressées, avec une candeur, une clarté, une
-précision remarquable.</p>
-
-<p>L'accusation fut soutenue par le ministère
-public avec cette force que donne une conviction
-profonde. Les deux prévenus furent
-condamnés à la peine de mort. Ninonet versa
-des larmes abondantes en entendant sa condamnation,
-mais sa femme demeura impassible.</p>
-
-<p>Le pourvoi de ces deux misérables ayant
-été rejeté par la Cour de cassation, l'arrêt fut
-exécuté le 21 avril 1827, sur la place Saint-Ayou,
-à Provins. Les condamnés avaient été
-extraits, la veille, de la maison de justice de
-Melun, et furent transférés dans celle de Provins.
-Le procureur du roi et le juge d'instruction
-se rendirent auprès d'eux et les engagèrent
-vainement à faire l'aveu de leur crime;
-tous deux persistèrent à protester de leur innocence.
-La femme Ninonet s'emporta même
-au point de dire au juge d'instruction: <i>Si</i>
-<span class="pagenum"><a id="Page_395"> 395</a></span>
-<i>Dieu me donnait sa puissance, vous n'en jugeriez
-pas d'autres.</i> Ils tinrent constamment
-le même langage jusqu'au moment de leur
-exécution, qui eut lieu en présence d'un grand
-concours d'habitans des campagnes voisines.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_396"> 396</a></span></p>
-<h2 class="normal">HENRIETTE CORNIER.</h2>
-
-<p>Le nom de cette malheureuse femme rappelle
-un de ces crimes étranges, commis sans
-intérêt, sans passion, sans esprit de vengeance,
-qui demeurent des énigmes pour la raison
-comme pour la science de l'homme.</p>
-
-<p>Henriette Cornier était entrée comme domestique
-chez le sieur Fournier, à Paris. Le
-4 novembre 1825, elle vit et caressa chez un
-fruitier du voisinage l'enfant de la femme Belon.
-Cette petite fille, nommée Fanny, n'était
-âgée que de dix-neuf mois. La fille Cornier la
-fit monter dans sa chambre en la comblant de
-caresses; puis, elle l'étendit sur son lit, lui
-coupa la tête et la jeta dans la rue, où elle alla
-rouler aux pieds du père de cette innocente
-créature!</p>
-
-<p>Cette action horrible, à laquelle on supposa
-d'abord des motifs que l'on ne connaissait
-point encore, mais qui devaient exister, répandit
-en un instant la douleur et l'effroi dans
-<span class="pagenum"><a id="Page_397"> 397</a></span>
-tout Paris. Celle qui s'en était rendue coupable
-fut arrêtée et interrogée par les magistrats.</p>
-
-<p>Traduite devant la Cour d'assises de la Seine,
-à raison du forfait qu'elle avait commis, elle
-dut d'abord comparaître devant ce tribunal
-le 27 février 1826; mais on sursit aux débats
-pour donner aux hommes de l'art le temps
-d'apprécier l'état moral de l'accusée. Après
-deux mois d'examen, les trois médecins, chargés
-de cette importante mission, déclarèrent n'avoir
-aperçu en elle aucune trace matérielle de
-démence; cependant ils ajoutèrent que cette
-opinion pourrait être modifiée par les circonstances
-existantes ou éventuelles du procès.</p>
-
-<p>En conséquence, Henriette Cornier fut
-ramenée devant la Cour d'assises le 24 juin
-suivant, comme accusée du crime de meurtre,
-commis avec préméditation. Elle déclara se
-nommer Henriette Cornier, née à la Charité, et
-être âgée de vingt-sept ans. Sa figure pâle portait
-l'empreinte de la douceur. Elle répondit d'une
-voix éteinte aux questions qu'on lui adressa;
-un tremblement convulsif l'agitait continuellement
-et semblait redoubler encore quand elle
-ouvrit la bouche pour faire entendre quelques
-accens entrecoupés.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_398"> 398</a></span>
-Il résultait en substance de l'acte d'accusation
-qu'Henriette Cornier, qui avait eu, pendant
-toute sa jeunesse, un caractère gai, léger
-et même folâtre, avait tout-à-coup changé
-depuis dix-huit mois, et semblait, depuis cette
-époque, dominée par une sombre mélancolie
-qui l'avait conduite un jour à se précipiter
-dans la Seine. Ce fut quelque temps après
-qu'elle exécuta l'horrible meurtre qui l'avait
-mise sous la main de la justice.</p>
-
-<p>C'est surtout dans une cause de ce genre
-qu'il est important de reproduire textuellement
-l'interrogatoire de la personne accusée.
-Celui d'Henriette Cornier, s'il n'apprend rien
-de nouveau, quant au triste fait accompli,
-servira du moins à faire apprécier la situation
-mentale de cette fille, au moment de son épouvantable
-attentat.</p>
-
-<p><i>M. le Président.</i> Femme Cornier, a quelle
-époque êtes-vous entrée chez Fournier? n'est-ce
-pas à la fin d'octobre?</p>
-
-<p><i>R.</i> Oui, monsieur.</p>
-
-<p><i>D.</i> Comment vous trouviez-vous dans cette
-condition? vous y trouviez-vous bien?</p>
-
-<p><i>R.</i> Oui, monsieur.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_399"> 399</a></span>
-<i>D.</i> Le 4 novembre, vous avez vu et caressé
-chez le fruitier l'enfant de la femme Belon?</p>
-
-<p><i>R.</i> Oui, monsieur.</p>
-
-<p><i>D.</i> Vous êtes montée avec elle dans votre
-chambre, et l'avez embrassée?</p>
-
-<p><i>R.</i> Oui, monsieur.</p>
-
-<p><i>D.</i> Vous avez pris un couteau; quelle était
-votre pensée?</p>
-
-<p><i>R.</i> Je ne voulais pas le faire.</p>
-
-<p><i>D.</i> En prenant ce couteau, vous aviez donc
-l'intention de la tuer?</p>
-
-<p><i>R.</i> Je n'y ai pas pensé.</p>
-
-<p><i>D.</i> Vous l'avez placée sur votre lit et lui avez
-donné la mort?</p>
-
-<p><i>R.</i> Oui, monsieur.</p>
-
-<p><i>D.</i> Quand la mère est venue vous demander
-son enfant, vous lui avez répondu qu'elle était
-morte?</p>
-
-<p><i>R.</i> Oui, monsieur.</p>
-
-<p><i>D.</i> Quel était votre dessein en jetant la tête
-de cette enfant par la fenêtre?</p>
-
-<p><i>R.</i> La voix de l'accusée ne se fait plus entendre.</p>
-
-<p><i>Un juré.</i> On n'entend pas.</p>
-
-<p><i>M. le Président.</i> Faites venir l'accusée près
-<span class="pagenum"><a id="Page_400"> 400</a></span>
-la Cour, (à l'accusée) Quel était votre dessein
-en jetant la tête de cette enfant?</p>
-
-<p><i>R.</i> Pour prouver que j'étais seule.</p>
-
-<p><i>D.</i> Vous vouliez faire connaître que vous
-étiez l'auteur du crime?</p>
-
-<p><i>R.</i> Je n'en sais rien. Ça s'est passé comme
-un éclair.</p>
-
-<p><i>D.</i> Vous n'avez donc pas été arrêtée par
-la crainte de Dieu?</p>
-
-<p><i>R.</i> J'ai abandonné Dieu ce jour-là.</p>
-
-<p><i>D.</i> Quand vous avez tué l'enfant, aviez-vous
-la crainte d'être punie?</p>
-
-<p><i>R.</i> Je ne pensais à rien dans cet instant là.</p>
-
-<p><i>D.</i> Aviez-vous éprouvé des malheurs avant
-cette époque?</p>
-
-<p><i>R.</i> Non, Monsieur.</p>
-
-<p><i>D.</i> Cependant on vous a vue pleurer antérieurement?</p>
-
-<p><i>R.</i> J'étais triste; je ne sais pas pourquoi.</p>
-
-<p><i>D.</i> Comment la crainte de Dieu ne vous
-a-t-elle pas arrêtée?</p>
-
-<p><i>R.</i> J'étais triste ce jour-là.</p>
-
-<p><i>D.</i> Qui vous a arrêtée au moment de vous
-jeter à la rivière?</p>
-
-<p><i>R.</i> La crainte de Dieu.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_401"> 401</a></span>
-<i>D.</i> Vous aviez dit que c'étaient les passans
-qui vous en avaient détournée.</p>
-
-<p><i>Un juré</i>: A cette époque, l'accusée avait-elle
-déjà la pensée de tuer un enfant?</p>
-
-<p><i>L'accusée</i>: Non, jamais.</p>
-
-<p><i>D.</i> Vous aviez pourtant cette idée en prenant
-un couteau dans la cuisine?</p>
-
-<p><i>R.</i> Non, monsieur.</p>
-
-<p><i>D.</i> Mais vous l'aviez quand vous avez emporté
-l'enfant dans votre chambre?</p>
-
-<p><i>R.</i> Non, monsieur.</p>
-
-<p>Après cet interrogatoire, on appela comme
-témoins le père et la mère de l'enfant, qui
-déposèrent des faits tels qu'on les connaît déjà,
-sans rien ajouter qui pût donner au crime de
-la fille Cornier d'autre motif que la domination
-tyrannique d'une affreuse idée.</p>
-
-<p>Quelques témoins à décharge déposèrent
-qu'ils avaient connu la fille Cornier fort gaie,
-mais que son caractère avait totalement changé
-depuis dix-huit mois.</p>
-
-<p>Les trois médecins chargés d'observer l'état
-mental d'Henriette Cornier, (MM. Esquirol,
-Adelon et Léveillé), répétèrent ce qu'ils
-avaient dit dans leur premier rapport: que
-cette femme, livrée à une mélancolie profonde,
-<span class="pagenum"><a id="Page_402"> 402</a></span>
-n'était pas dans un état de folie proprement
-dite. Mais M. Esquirol y ajouta ces mots:
-«Notre jugement cesserait d'être absolu, s'il
-était prouvé, comme on l'a énoncé dans l'acte
-d'accusation, que cette femme, plusieurs
-mois avant l'événement, était devenue sombre
-et rêveuse, et si elle avait commis, quelque
-temps auparavant, des tentatives de suicide.»</p>
-
-<p>Tout l'intérêt de la question se réduisait,
-comme on le voit, à savoir si le crime de la
-fille Cornier pouvait être regardé comme un
-acte de démence; c'est ce que ses défenseurs
-s'efforcèrent d'établir, mais ce que le ministère
-public repoussa avec la plus grande énergie,
-comme un système désorganisateur, à
-l'aide duquel les plus grands criminels échapperaient
-au châtiment.</p>
-
-<p>En définitive, sur la seule question posée,
-celle d'homicide volontaire, le jury fit une réponse
-affirmative, mais en écartant la circonstance
-de la préméditation.</p>
-
-<p>En conséquence, Henriette Cornier fut condamnée
-aux travaux forcés à perpétuité et à la
-marque des lettres T. P. Elle entendit son arrêt
-sans manifester la moindre émotion.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_403"> 403</a></span></p>
-<h2 class="normal">HORRIBLE ASSASSINAT<br />
-<span class="small">ET</span><br />
-<span class="medium">SUICIDE.</span></h2>
-</div>
-
-<p>M. Bruant, conseiller de préfecture à Besançon,
-avait épousé une femme d'une grande
-beauté. Il en eut trois enfans: une fille, qui
-épousa un colonel au service de Russie, et
-deux fils. La jalousie s'empara de son c&oelig;ur,
-les soupçons la suivirent. Il s'imagina que
-les deux fils étaient les fruits d'amours adultères.
-Dès ce moment, il ne put plus les souffrir;
-il maltraitait sa femme; les enfans prenaient
-la défense de leur mère, ce qui
-augmenta encore la haine qu'il avait conçue
-contre eux. Il forma l'affreux projet de s'en
-défaire, et le malheureux Charles, son fils
-aîné, fut sa première victime.</p>
-
-<p>Le jour du crime, étant à déjeûner avec
-<span class="pagenum"><a id="Page_404"> 404</a></span>
-sa femme et ses enfans, sous prétexte de réclamer
-une somme de soixante-dix francs qu'on
-lui avait envoyée, et que Charles avait remise
-à sa mère, il fit une scène violente à ses
-fils, en disant que c'était à lui, qui était chef
-de la famille, qu'on devait remettre l'argent
-qui entrait dans la maison. La scène
-prit un tel caractère, que la mère, effrayée, se
-retira dans sa chambre, accompagnée de son
-plus jeune fils. Charles, craignant que sa
-mère ne se trouvât indisposée, se leva pour
-la suivre. Le père le rappelle et lui dit qu'il
-veut lui parler. Charles obéit, revient près
-de son père qui aussitôt tire un poignard
-de sa poche et le lui plonge dans le c&oelig;ur.
-Charles, se sentant frappé, crie au secours.
-La mère, en entendant les cris de son fils,
-ouvre la porte de sa chambre donnant dans
-la salle à manger, et voit Charles couvert
-de sang. Le mari, tranquille, lui montre son
-enfant, et lui dit avec un horrible sang-froid:
-«Tenez, madame, voici votre bon sujet
-de Charles qui vient de se suicider.» Alors
-le malheureux jeune homme, recueillant le
-peu de forces qui lui restaient, put dire d'une
-voix presque éteinte: «Monsieur, n'ajoutez
-<span class="pagenum"><a id="Page_405"> 405</a></span>
-pas le mensonge au crime; ma mère, prenez
-garde à vous!» et il expira. La mère se sauva
-dans son appartement où elle s'évanouit.</p>
-
-<p>Pendant que madame Bruant, en proie au
-plus affreux désespoir, était renfermée avec
-son fils cadet, le coupable s'occupait des
-moyens de faire disparaître les traces de son
-crime. Il porte le cadavre de sa victime sur
-un lit et le couvre d'un drap. Il envoie chercher
-un ecclésiastique, prend, à son arrivée,
-un air patelin et hypocrite, lui dit que son
-fils vient d'avoir un coup de sang; qu'il craint
-qu'il ne soit trop tard pour lui administrer
-les derniers sacremens. Le prêtre l'engage à
-ne point se désespérer, et l'assure que, pour
-peu qu'il y ait encore le moindre souffle de
-vie, il pourra remplir son ministère. Il s'approche
-du lit pour poser sa main sur le c&oelig;ur
-du jeune homme, et recule d'horreur. Il se
-retire en disant que son ministère n'est plus
-nécessaire.</p>
-
-<p>Cependant, l'assassin voulant se débarrasser
-du cadavre accusateur, envoie chercher
-un médecin, et lui demande un certificat constatant
-que le corps de son fils est en putréfaction,
-et qu'il faut l'enterrer sans retard. Le
-<span class="pagenum"><a id="Page_406"> 406</a></span>
-médecin s'y refuse en disant que la mort est
-trop récente; que ce serait une lâche complaisance
-de sa part, et il se retire. Au refus
-du médecin, il envoie chercher un pharmacien
-auquel il fait la même demande; même
-refus.</p>
-
-<p>Pendant ce temps, le bruit de la mort de
-Charles s'était déjà répandu dans Besançon.
-Craignant alors que son crime ne fût découvert,
-M. Bruant se décide à inhumer son fils
-de ses propres mains. Il fait venir six planches,
-fabrique lui-même une bière, enveloppe
-le corps dans une mauvaise toile à emballage;
-dans la crainte que les coups de marteau ne
-le trahissent, il renonce à clouer la bière; il
-a l'horrible patience de la fermer avec des
-clous à vis. Il porte le corps dans la campagne,
-et l'enterre dans un cimetière.</p>
-
-<p>Le lendemain matin, il voulait se rendre
-au conseil pour remplir ses fonctions; mais
-le crime était connu de toute la ville; quelques
-personnes le désignaient comme le coupable:
-il reçut l'avis de ne pas se montrer en
-public.</p>
-
-<p>Cependant la multitude se portait autour
-de sa maison; une clameur générale l'accusait;
-<span class="pagenum"><a id="Page_407"> 407</a></span>
-des poursuites commencèrent. On découvrit
-le cimetière où le malheureux Charles
-avait été enterré; l'exhumation eut lieu, et
-l'attentat fut constaté.</p>
-
-<p>D'après le procès-verbal des médecins, le
-coup de poignard avait été porté avec une
-telle violence, que la blessure avait six pouces
-de profondeur. Un mandat d'arrêt fut lancé
-contre M. Bruant.</p>
-
-<p>Averti qu'il ne pouvait plus cacher son
-crime, ni soustraire sa tête à l'échafaud, ce
-père dénaturé se décida à mettre fin à ses
-jours. Il se barricada dans sa chambre, s'étendit
-sur un matelas et se brûla la cervelle
-avec un pistolet. Il avait placé dans sa chambre
-du charbon allumé pour s'asphyxier,
-dans le cas où il se serait manqué avec le
-pistolet.</p>
-
-<p>La haine de ce monstre (car on ne saurait
-lui donner un autre nom), la haine de ce
-monstre pour ses enfans n'avait point été assouvie
-par la mort de Charles. Avant de se tuer,
-il avait fait un testament par lequel il déshéritait
-son second fils. Par une autre disposition
-testamentaire, il laissait à la ville de
-<span class="pagenum"><a id="Page_408"> 408</a></span>
-Besançon son cabinet d'antiquités; mais la
-ville rejeta le legs avec horreur.</p>
-
-<p>La malheureuse mère ne survécut que quelques
-semaines à cet affreux événement, qui
-effraya Besançon au commencement de 1826.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_409"> 409</a></span></p>
-<h2 class="normal">DERNIERS MOMENS<br />
-<span class="medium">D'UN SCÉLÉRAT CONDAMNÉ A MORT.</span></h2>
-</div>
-
-<p>Il est, chez la plupart des êtres qui se lancent
-dans la carrière du crime, un degré de
-dépravation qui exclut toute idée de repentir,
-qui enlève tout espoir de guérison. Ce sont
-des membres gangrenés qu'il est urgent de
-retrancher pour le salut et la sécurité du
-corps social. Tant qu'il existera des scélérats
-comme celui dont nous allons parler, la nécessité
-de la peine de mort se fera sentir, sinon
-comme moyen d'améliorer les m&oelig;urs,
-mais comme mesure de sûreté. Ce n'est pas
-que nous ne fassions, à l'instar d'une foule
-de généreux philanthropes, des v&oelig;ux sincères
-pour l'abolition de cette peine de sang, qui
-n'est pas toujours d'un salutaire exemple.
-Mais nous pensons que, dans l'état actuel des
-choses, un acte législatif de cette nature serait
-<span class="pagenum"><a id="Page_410"> 410</a></span>
-peut-être funestement prématuré. Ce
-grand &oelig;uvre ne pourra être consommé, aux
-applaudissemens de toutes les classes de la
-société, que lorsqu'on aura donné à cette société
-des garanties sûres et suffisantes; et ces
-garanties ne peuvent se trouver que dans la
-propagation des bonnes m&oelig;urs et surtout
-dans leur heureuse implantation dans les rangs
-inférieurs. Alors, mais seulement alors, les
-v&oelig;ux que forment tant d'âmes généreuses,
-v&oelig;ux que nous aimons à partager, pourront
-être réalisés sans danger.</p>
-
-<p>Les détails succincts que nous allons donner
-sur les derniers instans de Guillaume, forçat
-libéré, exécuté à Meaux, le 16 février 1826,
-peuvent servir de corollaire à ces réflexions.</p>
-
-<p>Ce Guillaume, convaincu d'avoir tué six
-personnes, avait été condamné à mort. Après
-sa condamnation, il n'avait pas été mis au cachot;
-il fut gardé à vue, nuit et jour, dans une
-chambre où il y avait du feu. Ses gardes,
-autant pour le distraire que pour se distraire
-eux-mêmes, jouèrent au piquet avec lui. Guillaume,
-à plusieurs reprises, leur disait: «Allons,
-10,000 francs; allons, cette fois, 100,000 francs,
-à payer dimanche matin.» Il leur raconta,
-<span class="pagenum"><a id="Page_411"> 411</a></span>
-tout en jouant, diverses anecdotes de sa vie,
-et notamment celle-ci, qu'il citait comme sa
-plus belle action: «A l'époque de la terreur,
-disait-il, l'argenterie et les bijoux de M. l'abbé
-de Flay, mon parrain, furent confisqués.
-Ayant découvert le lieu où ils étaient déposés,
-je parvins à les voler; je les vendis à un juif,
-et en remis fidèlement le prix à mon parrain.»</p>
-
-<p>L'aumônier des prisons, qui avait fait auprès
-de lui plusieurs tentatives infructueuses
-pour le ramener à des sentimens religieux, le
-visita le matin du jour de l'exécution. Il lui
-demanda comment il allait?&mdash;Mal, répondit
-Guillaume; je sens les angoisses de la mort;
-je suis à l'agonie.&mdash;Mais vous vouliez mourir
-avec tant de courage! lui dit le respectable
-ecclésiastique.&mdash;Oh! je le retrouverai, répliqua
-Guillaume. Puis il remercia l'aumônier de
-l'offre qu'il lui faisait de l'accompagner à l'échafaud.</p>
-
-<p>La veille de l'exécution, il avait écrit au
-procureur du roi qu'il désirait avoir pour
-son déjeûner un poulet et trois bouteilles de
-vin, afin de finir sa vie comme il l'avait
-passée.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_412"> 412</a></span>
-Quelques heures avant l'instant fatal, il but
-un litre de vin chaud avec du sucre, et au
-moment de monter sur la charrette, il envoya
-chercher pour huit sous d'absinthe, qu'il
-avala tout d'un trait. Pendant le trajet, on
-lui entendit dire plusieurs fois, en jetant les
-yeux sur la foule immense des spectateurs:
-«Les imbécilles de Français, de venir voir un
-tel spectacle!... Ne courez pas si vite... On ne
-fera rien sans moi.» Du plus loin qu'il aperçut
-l'échafaud, il s'écria: <i>Ah! la voilà, cette
-fois-ci; je ne l'échapperai pas!</i> Au moment de
-descendre de la voiture, il prononça ces mots
-d'une voix assurée: <i>Adieu, mes amis, je suis
-innocent; j'ai toujours le même courage pour
-mourir.</i></p>
-
-<p>Il avait enfin consenti à laisser monter avec
-lui, sur la charrette, le curé de Notre-Dame,
-ancien aumônier de la maison de justice. Mais,
-pendant les exhortations de ce vénérable ecclésiastique,
-il tournait la tête de tous côtés
-et ne paraissait y faire aucune attention. Jusqu'au
-dernier moment, il ne quitta pas son
-ton de plaisanterie. En arrivant sur l'échafaud,
-il frappa le plancher avec son pied en
-<span class="pagenum"><a id="Page_413"> 413</a></span>
-disant à l'exécuteur: Est-ce solide ici?&mdash;Oui,
-ne craignez rien, répondit le bourreau. Quelques
-secondes après, Guillaume avait cessé
-d'exister.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_414"> 414</a></span></p>
-<h2 class="normal">ASSELINEAU,<br />
-<span class="small">OU</span><br />
-<span class="medium">LES SUITES FUNESTES DE LA PASSION DU JEU.</span></h2>
-</div>
-
-<p>Qui pourrait compter les victimes de la
-passion du jeu? Que de familles affligées,
-ruinées, déshonorées par cette lèpre de notre
-société! Poètes, moralistes, auteurs dramatiques,
-une foule d'écrivains en tous genres
-ont déploré les excès de cette malheureuse
-passion, et se sont efforcés d'y apporter remède.
-Le mal a triomphé de leurs généreux
-efforts. En vain madame Deshoulières a dit:</p>
-
-<p>/*
-Le désir de gagner qui nuit et jour occupe,
- Est un dangereux aiguillon.
-Souvent, quoique l'esprit, quoique le c&oelig;ur soit bon,
- On commence par être dupe,
- On finit par être fripon.
-*/
-<span class="pagenum"><a id="Page_415"> 415</a></span>
-En vain les tragiques fureurs de <i>Béverley</i> ont
-fait frissonner au théâtre des milliers de spectateurs;
-en vain <i>Trente ans de la vie d'un
-Joueur</i> ont excité, de nos jours, les plus lugubres
-et les plus déchirantes émotions; on
-n'en continue pas moins à jouer, à jouer
-avec fureur, et il n'est pas de jour où le jeu
-ne fasse quelques nouvelles victimes, tant
-cette passion est commune! tant elle semble
-fortement enracinée dans le c&oelig;ur de l'homme!
-On s'est beaucoup récrié, et non sans
-raison, contre les maisons publiques ouvertes
-aux joueurs. Cette tolérance est un grand
-malheur sans doute; mais ce qui en est un
-bien plus grand, c'est qu'il y ait par le monde
-tant de maisons particulières, qui, sous ce
-rapport, sont de véritables maisons publiques.
-Ah! il faut bien le dire, les seules leçons
-à donner à cet égard, si les leçons sur ce
-point peuvent être bonnes à quelque chose,
-ce sont les tristes récits des effrayantes catastrophes
-qui terminent quelquefois les désordres
-des joueurs passionnés.</p>
-
-<p>Voici un extrait de l'acte d'accusation d'Asselineau,
-prévenu d'assassinat sur la personne
-de Brouet, garçon marchand de vin, qui est
-<span class="pagenum"><a id="Page_416"> 416</a></span>
-de nature à provoquer au moins quelques
-réflexions salutaires.</p>
-
-<p>Asselineau, arrivé de son village à l'âge
-de quatorze ans, mérita d'abord la confiance
-des marchands de vin qui l'employèrent en
-qualité de garçon. Chacun vantait son intelligence
-et sa probité. Mais bientôt on s'aperçut
-qu'il se dérangeait; sa conduite devint suspecte,
-et le sieur Haro, chez qui il servait
-alors, crut devoir le congédier. Il est probable
-qu'à cette époque, vers la fin de 1825,
-Asselineau avait déjà fréquenté les maisons
-de jeu, et peut-être faut-il attribuer à cette
-funeste source une somme de 2,000 francs
-dont il était possesseur, et qu'il avait déposée
-chez un sieur Barthélemy.</p>
-
-<p>Une faute en entraîne bientôt une autre.
-Le sieur Barthélemy, en recevant d'Asselineau
-cette somme de 2,000 francs, lui en
-avait souscrit la reconnaissance. Asselineau,
-qui ne pouvait suffire avec son travail seul
-à sa dévorante passion, fabriqua de faux billets,
-et y apposa la signature Barthélemy
-qu'il avait appris à contrefaire. Les billets
-faux se succédèrent rapidement; plus de dix
-furent produits à la justice, et plusieurs
-<span class="pagenum"><a id="Page_417"> 417</a></span>
-étaient des effets de commerce. C'est par ce
-moyen qu'Asselineau parvint à se soutenir
-depuis la fin de 1825 jusqu'au commencement
-de 1827. Sa famille paya quelques-uns
-de ces effets; les plaintes de ceux qui avaient
-été trompés furent étouffées, mais le moment
-était venu où le crime ne pouvait plus échapper
-à la rigueur des lois.</p>
-
-<p>Asselineau le pressentait bien. Plusieurs de
-ses faux billets étaient échus; d'autres touchaient
-à leur échéance; il était le débiteur
-des derniers maîtres qui l'avaient employé, à
-raison des déficits assez considérables trouvés
-dans ses comptes. En un mot, au commencement
-de février 1827, il restait totalement
-privé de ressources et chargé de 7 à 8,000 fr.
-de dettes. Une nouvelle escroquerie lui procura,
-pour quelques jours encore, les moyens
-d'exister. Il se présenta dans la soirée du 2 février,
-chez un sieur Lefèvre, marchand de
-bijoux, rue du Ponceau, auquel il avait fait
-précédemment divers achats, et ne trouvant
-au comptoir que la mère du sieur Lefèvre, il
-demanda à emporter plusieurs cachets en or,
-montés en topazes et en améthystes, qu'un
-de ses amis, disait-il, l'avait chargé d'acheter.
-<span class="pagenum"><a id="Page_418"> 418</a></span>
-Asselineau promit de rapporter très-prochainement
-ou les cachets ou leur valeur. On eut
-trop de confiance en ses paroles. Il mit la
-main sur les cachets et les porta au Mont-de-Piété,
-où il en reçut quatre-vingt-quinze francs.
-A quelques pas de là, Asselineau vendit la reconnaissance
-moyennant quinze francs. Mais
-cette escroquerie n'était qu'un danger de plus
-ajouté à tant d'autres. Le sieur Lefèvre porta
-plainte dans les vingt-quatre heures, et les
-agens de police se mirent à la recherche d'Asselineau.</p>
-
-<p>Ici commence le dernier acte de ce drame
-terrible. Une irrésistible fatalité, ou plutôt
-une passion sans frein entraînait Asselineau de
-crime en crime, et déjà les plus atroces ne
-l'effrayaient plus. Il connaissait d'ancienne
-date un sieur Moreau, arquebusier, rue Joquelet.
-Au mois d'août précédent, il lui avait
-acheté des pistolets et des balles. Il vint lui
-acheter une nouvelle paire de pistolets et désormais
-ne sortit plus qu'armé. Il prétendit
-depuis que c'était pour se donner la mort.
-Mais comment accueillir cette assertion? Le
-19 février, Asselineau se livrait encore à une
-<span class="pagenum"><a id="Page_419"> 419</a></span>
-folle gaîté; on le vit danser et sauter sur les
-tables d'un cabaret.</p>
-
-<p>Asselineau était lié avec un sieur Brouet,
-garçon marchand de vin comme lui, mais
-dont la conduite contrastait singulièrement
-avec celle de son ami. Brouet était doux, honnête
-et d'une vie irréprochable. Il tenait une
-cave, rue Saint-Honoré, n<sup>o</sup> 346, pour le
-compte du sieur Raimbault. Le mercredi, 22
-février, à neuf heures du matin, les voisins
-s'aperçoivent que la boutique de Brouet est
-encore fermée; ils s'en inquiètent; bientôt le
-commissaire de police arrive, accompagné de
-l'un des substituts du procureur du roi. Il fallut
-briser un carreau et pénétrer dans la boutique
-par la fenêtre du premier étage. Spectacle
-horrible! Brouet était étendu baigné
-dans son sang, la tête vers le comptoir, et les
-pieds du côté du fourneau. Il était couvert
-de ses vêtemens; près de lui, on voyait les débris
-d'une bouteille. Mais ce n'était pas à des
-coups de bouteille qu'il avait succombé. Un
-coup de pistolet, tiré dans l'oreille gauche à
-bout portant, lui avait seul ôté la vie. Brouet
-n'était pas coupable d'un suicide; car il n'était
-pas gaucher, et c'était à gauche qu'il
-<span class="pagenum"><a id="Page_420"> 420</a></span>
-avait été frappé. Une balle avait traversé la
-tête; une autre fut trouvée dans la bouche, où
-elle avait fracturé plusieurs dents, et ouvert
-une artère par où le sang s'était épanché. Le
-coup avait été entendu vers onze heures par
-des vidangeurs qui travaillaient dans le voisinage,
-et qui avaient cru que l'on frappait
-à une porte avec violence. L'assassin avait
-pris la fuite en fermant la porte sur lui et en
-emportant la clef.</p>
-
-<p>On avait volé la victime. Une montre d'or
-avec des breloques de même métal, des boucles
-d'argent, une somme de cent dix francs,
-une inscription de rente de cinquante francs,
-un billet à ordre de neuf cent cinquante fr.,
-signé Forquignon, d'autres billets et des registres
-renfermés dans une cassette, enfin du
-linge et des vêtemens, tout avait disparu,
-mais on ne connaissait pas encore le coupable.</p>
-
-<p>Asselineau avait été vu dans la boutique de
-Brouet, le 21 février, dès trois heures et demie.
-Il y avait passé toute la soirée; tantôt écartant
-sous un faux prétexte un témoin qui
-l'importunait, tantôt regardant fixement et
-avec affectation les pratiques de Brouet, ôtant
-<span class="pagenum"><a id="Page_421"> 421</a></span>
-et remettant ses habits, demeurant les bras
-nus, et quelquefois paraissant occupé à lire.
-A onze heures, Brouet fermait sa boutique;
-Asselineau seul y était encore. A onze heures
-et quelques minutes, Brouet avait cessé d'exister.
-Asselineau était donc l'assassin.</p>
-
-<p>Le 19 février, Asselineau s'était occupé de
-l'achat d'une feuillette de vin pour un sieur
-Daudé, employé aux jeux du Palais-Royal,
-n. 9, lequel destinait cette feuillette à une
-dame Rose Massyr, femme de charge. Asselineau
-s'adressa à un marchand de vin, rue des
-Boucheries-Saint-Honoré; il paya un à-compte
-de 80 francs en or, parla d'une inscription
-de rente de 50 francs qu'il devait aller vendre
-à la Bourse, et le soir du même jour, revint
-pour payer la feuillette, muni d'un billet de
-500 francs qu'on ne put lui changer. Ses démarches
-éveillèrent des soupçons; l'autorité
-fut avertie, et, le 24 février, Asselineau, revenant
-chez ce marchand de vin pour achever
-de payer la feuillette, fut arrêté par des
-agens de police placés en embuscade. Il voulait
-d'abord faire résistance et portait fréquemment
-les mains à ses poches. On le
-fouilla, et on trouva sur lui un pistolet. Les
-<span class="pagenum"><a id="Page_422"> 422</a></span>
-agens de police se firent prêter main-forte,
-et conduisirent Asselineau en lieu de sûreté.</p>
-
-<p>Chose étrange! le 23 février même, Asselineau,
-se trouvant dans le cabaret du sieur
-Niquet, rue de la Sourdière, s'entretenait froidement
-de l'assassinat de Brouet, l'ami qu'il
-avait tué. «Eh bien! dit-il à Niquet, vous
-avez donc un de vos camarades qui a été assassiné?&mdash;C'est
-vrai, répondit Niquet.&mdash;Que
-dit-on là-dessus?&mdash;On dit que c'est un
-de ses amis qui l'a assassiné: c'était un bien
-brave homme, bien estimé que Baptiste!&mdash;Dit-on
-si on l'a volé?&mdash;C'est bien présumable.»</p>
-
-<p>Asselineau, arrêté, ne pouvait nier son forfait:
-on avait saisi sur lui la montre et les
-boucles d'oreilles de Brouet. Il était encore
-vêtu d'un habit noir et d'un pantalon arrachés
-à sa victime. On retrouva dans son domicile
-les registres de Brouet. Asselineau, confondu
-par ces preuves accablantes, se confessa
-coupable et du vol et de l'assassinat. Il chercha
-seulement, dans les interrogatoires postérieurs,
-à écarter la préméditation, en soutenant
-que la pensée de son crime lui était
-venue en un instant.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_423"> 423</a></span>
-«Dans la maison de jeu du Palais-Royal,
-n. 9, que fréquentait Asselineau, il y avait,
-suivant l'acte d'accusation, un étranger soi-disant
-commissionnaire en marchandises,
-nommé Georges Sunboef, qui prêtait de l'argent
-aux joueurs, sur nantissement de billets
-et d'effets publics; ou bien il escomptait les
-uns et achetait les autres. C'était cet homme
-qui avait acheté d'Asselineau l'inscription de
-rente de 50 francs; c'était lui qui lui avait
-escompté le billet de 950 francs signé <i>Forquignon</i>,
-et qui n'avait pas eu honte de lui
-donner de l'un et de l'autre une somme de
-960 francs. Asselineau avait endossé le billet
-du nom de sa victime à la date du 25 janvier
-1827; il avait signé du même nom une cession
-de la rente.» Ainsi, pour cette somme
-de 960 francs, il s'était rendu coupable d'un
-assassinat, d'un vol et de deux faux.</p>
-
-<p>Asselineau fut traduit devant la Cour d'assises
-de la Seine, le 26 mars. Cinquante-sept
-témoins avaient été assignés pour déposer
-dans cette affaire. L'accusé paraissait calme et
-s'efforçait de se soustraire à la curiosité publique,
-en se tournant du côté de la Cour. Il
-<span class="pagenum"><a id="Page_424"> 424</a></span>
-était âgé de vingt-un ans, et natif du département
-de la Nièvre.</p>
-
-<p>Dans l'interrogatoire qui eut lieu devant la
-Cour, Asselineau convint de l'assassinat et du
-vol, reconnut les faux billets qui lui furent
-représentés, avoua que c'était lui qui les avait
-fabriqués, et borna tout son système de défense
-à écarter la préméditation. On entendit
-plusieurs témoins dont les dépositions ne firent
-que confirmer les faits déjà connus et
-avoués par l'accusé lui-même. On attendit
-avec impatience la comparution de Sunboef,
-le commissionnaire du Palais-Royal que l'acte
-d'accusation avait gravement inculpé. Mais ce
-témoin expliqua sa conduite d'une manière
-qui parut satisfaire la Cour. Il n'avait fait,
-dit-il, qu'avancer à l'accusé le prix de la rente
-de 50 francs qui devait être vendue plus tard;
-et, quant au billet signé <i>Forquignon</i>, Asselineau
-ne l'avait point passé à son ordre; il le
-lui avait seulement confié pour l'escompter.
-Tous ces faits furent confirmés par le prévenu.
-«J'étais hardi au jeu, dit Asselineau,
-puisqu'en moins de dix mois, j'ai perdu plus
-de dix mille francs. On me prenait pour un
-<span class="pagenum"><a id="Page_425"> 425</a></span>
-gros marchand de vins, et j'inspirais de la
-confiance. C'est un de mes amis qui m'a perdu.
-Il vint me débaucher chez le sieur Haro,
-où je ne songeais qu'à travailler, et me conduisit
-dans les maisons de jeux que j'ai toujours
-fréquentées depuis.»</p>
-
-<p>Il n'est peut-être pas inutile de faire remarquer
-qu'Asselineau commença par <i>jouer
-au billard</i>. Il y gagna même à la poule une
-<i>queue d'honneur</i>, et son malheureux père ne
-prévoyait que trop dès-lors les funestes conséquences
-d'une passion, qui alors pouvait
-paraître encore innocente. Disons néanmoins
-que tout sentiment d'honneur n'était pas
-éteint dans le c&oelig;ur de l'accusé. Une lettre
-de lui atteste le désir qu'il avait de payer ses
-dettes, et de dédommager ceux qu'il avait
-trompés. «L'heure est sonnée, écrivait-il;
-c'en est fait! il faut vous avouer mes erreurs
-et mettre au jour toutes mes bassesses. Si, en
-mourant, je ne laissais pas de dupes, je serais
-content.»</p>
-
-<p>Le ministère public soutint l'accusation
-avec force. «Sans doute, dit-il, il faudrait
-plaindre un malheureux jeune homme, qui,
-entraîné par un ami perfide dans ces maisons
-<span class="pagenum"><a id="Page_426"> 426</a></span>
-où l'on perd à la fois et sa fortune et l'honneur,
-demanderait grâce pour sa faiblesse et
-son inexpérience. Mais en est-il ainsi d'Asselineau?
-Non, sans doute; c'est dans un café
-qu'on l'a d'abord entraîné, et depuis il s'est
-livré successivement, et pendant deux années,
-à tous les excès du jeu!»</p>
-
-<p>M<sup>e</sup> Gechter, défenseur de l'accusé, présenta
-le tableau hideux des maisons de jeu,
-de ces maisons où, suivant son expression,
-<i>la démoralisation, l'usure et le vol sont affermés</i>.
-Il appela l'indulgence des juges sur l'extrême
-jeunesse d'Asselineau, et tout en le regardant
-comme un grand coupable, il les
-excita vivement à prendre en pitié le sort de
-ce jeune homme qu'un entraînement funeste
-et irrésistible avait conduit à sa perte.</p>
-
-<p>Asselineau prit lui-même la parole après
-son défenseur; il retraça avec précision et
-clarté l'histoire déplorable de sa vie et de sa
-passion. Arrivé à la catastrophe du 21 février,
-il ne put achever et retomba sur son banc.</p>
-
-<p>La réponse du jury ayant été affirmative
-sur tous les chefs, excepté celui de la préméditation,
-aux termes de l'article 304 du Code
-<span class="pagenum"><a id="Page_427"> 427</a></span>
-pénal, la Cour condamna Asselineau à la peine
-de mort.</p>
-
-<p>Le coupable entendit avec calme ce terrible
-arrêt. Quand il fut prononcé, il voulut
-parler. «J'ai dit la vérité, toute la vérité, répétait-il
-à voix basse.&mdash;Du courage! lui dit
-son avocat.&mdash;Du courage! s'écria Asselineau,
-j'en ai plus que vous. Vous trembliez
-en me défendant!»</p>
-
-<p>Asselineau avait lui-même rédigé dans le
-plus grand détail un précis de sa vie entière.
-Cette relation curieuse fut publiée à l'époque
-de la procédure. En lisant la vie de cet infortuné,
-on ne peut se défendre des sentimens
-les plus pénibles, et des réflexions les
-plus douloureuses. On gémit sur la cause qui
-put, en quelques mois, d'un jeune homme
-honnête et laborieux faire un assassin.</p>
-
-<p>Asselineau, dans sa prison, manifesta constamment
-un repentir sincère, sans faiblesse
-et sans abattement: il ne témoignait pas la
-plus légère inquiétude; la veille même de l'exécution,
-il joua très-gaîment aux barres et il
-étonnait les autres prisonniers par ses tours
-de force et d'adresse. C'était toujours avec
-beaucoup d'émotion qu'il parlait de son crime,
-<span class="pagenum"><a id="Page_428"> 428</a></span>
-et en le racontant, il maudissait le n<sup>o</sup> 9 du
-Palais-Royal. Il affirmait qu'en entrant dans
-la chambre de Brouet, il n'avait pas eu l'idée
-de l'assassiner. «Je me rappelle bien, ajouta-t-il,
-que trois fois je tirai le pistolet de ma
-poche et trois fois je le remis.» Après le crime,
-tel était son trouble, qu'il chercha long-temps,
-pour ouvrir le tiroir, les clés qu'il tenait dans
-sa main.</p>
-
-<p>Le calme d'Asselineau ne venait point d'une
-stupide indifférence, mais d'une résignation réfléchie.
-Il avait pour compagnon d'infortune
-à Bicêtre, le nommé Buisson, condamné aussi,
-et tout nouvellement, à la peine de mort,
-pour avoir assassiné son ami. Asselineau ne cessait
-de le consoler, de l'encourager et de
-l'exhorter à avouer son crime, en faisant valoir
-auprès de lui des considérations morales et
-religieuses. «Tes dénégations te rendent plus
-criminel encore, lui disait-il, imite-moi;
-avoue-toi coupable; c'est la plus grande
-preuve de repentir.... Songe que nous devons
-paraître devant Dieu: cet aveu ne nous servira
-de rien auprès des hommes; mais Dieu nous
-en tiendra compte.» Cédant à ses conseils et
-à ses exhortations, Buisson fit en effet l'aveu
-<span class="pagenum"><a id="Page_429"> 429</a></span>
-de son crime, qu'il avait nié jusque-là avec
-force.</p>
-
-<p>Enfin, Asselineau était parvenu à intéresser
-vivement à son sort toutes les personnes
-qui l'entouraient. Les gardiens faisaient des
-v&oelig;ux pour qu'il obtînt sa grâce. Pendant les
-derniers jours de sa vie, il s'occupait beaucoup
-à écrire. Il avait composé un petit discours
-qu'il apprenait par c&oelig;ur, et qu'il avait l'intention
-de prononcer sur l'échafaud. Mais de
-sages conseils le firent sans doute renoncer à
-ce dessein.</p>
-
-<p>Quand, le 8 mai 1827, l'huissier chargé de
-l'extraire de Bicêtre, vint lui annoncer le
-rejet de son pourvoi, cette nouvelle ne lui
-causa pas la moindre émotion. Il fit, avec tranquillité,
-ses adieux aux vétérans de garde à la
-porte et remercia cordialement les gardiens
-de tous les soins qu'ils lui avaient prodigués.</p>
-
-<p>La voiture était à peine arrivée dans la
-cour du palais de Justice qu'elle fut entourée
-par une multitude avidement curieuse. Pour
-se soustraire à tant de regards, Asselineau,
-malgré les liens qui le privaient de l'usage
-de ses deux mains, se précipita de la voiture
-avec une vigueur et une agilité qui surprirent et
-<span class="pagenum"><a id="Page_430"> 430</a></span>
-effrayèrent les personnes placées autour de lui.
-Le public put à peine l'apercevoir.</p>
-
-<p>Dès-lors Asselineau passa la plus grande
-partie de ses instans avec son confesseur.
-On lui offrit quelque nourriture: «Non,
-je vous remercie, répondit-il; elle ne passerait
-pas.» Il s'empressa d'envoyer à l'exécuteur un
-billet ainsi conçu: «Je prie tous ces messieurs
-de vouloir bien remettre à M. Morel, tailleur,
-rue Montorgueil, n<sup>o</sup> 31, mon habit et mon
-pantalon que je lui ai achetés quelques jours
-avant mon arrestation, et que je ne lui ai point
-payés. Je pense qu'il ne peut pas avoir les
-moyens de les perdre. En le faisant, vous
-obligerez un malheureux.</p>
-
-<p class="signature"><span class="cap">B. A</span><span class="smallc">SSELINEAU.»</span></p>
-
-<p>A quatre heures moins un quart, le patient
-fut amené, suivant l'usage dans l'avant-greffe
-de la prison où l'on prépare la victime pour le
-supplice. C'est ce qu'on appelle la <i>toilette</i> des
-condamnés. Asselineau s'avança d'un pas ferme
-vers les exécuteurs qui l'attendaient. Sa figure
-était rayonnante de jeunesse et de santé; on
-n'apercevait aucune trace d'altération sur
-<span class="pagenum"><a id="Page_431"> 431</a></span>
-ses traits, aucune hésitation dans ses mouvemens.
-A peine délivré de la camisole de
-force, il ôta lui-même son habit, et s'assit
-sans proférer un seul mot sur une sellette de
-bois placée vis-à-vis le guichet, à travers
-lequel on entrevoyait la fatale charrette. L'un
-lui lie les mains derrière le dos; un autre
-attache une longue ficelle à ses deux jambes;
-un troisième coupe le col de sa chemise avec
-des ciseaux et taille ensuite le bas des cheveux
-pour disposer la place. Asselineau, en sentant
-l'acier glisser sur son cou, ne put se défendre
-d'un mouvement de frisson, et il pâlit pour
-la première fois. L'obscurité de la salle, le
-morne silence qui régnait autour de la victime,
-les rumeurs du dehors qui pénétraient
-sourdement jusqu'à elle, tout ajoutait à
-l'horreur de cette lugubre scène.</p>
-
-<p>Enfin la porte s'ouvrit, et Asselineau s'avança
-à pas lents, entouré des exécuteurs, et
-précédé du vénérable aumônier des prisons.</p>
-
-<p>On voulut l'aider à monter dans la charrette.
-«Laissez, dit-il, je monterai bien tout seul.»
-A peine fut-il assis, que le confesseur placé
-à ses côtés, lui présenta le crucifix, et il le
-baisa avec une pieuse résignation.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_432"> 432</a></span>
-Arrivé à la place de Grève, Asselineau, sur
-l'invitation de l'aumônier, se mit à genoux
-et fit un acte de contrition; puis, il monta
-avec fermeté sur l'échafaud, et quelques secondes
-après, il n'existait plus.</p>
-
-<p>Arrivé à l'échafaud, il s'était tourné vers
-le peuple, en disant: <i>Que ceci vous serve
-d'exemple!</i> Pendant qu'on le plaçait sur la
-planche fatale, il répéta à plusieurs reprises:
-<i>Que Dieu aie pitié de moi!</i></p>
-
-<p>La recommandation d'Asselineau fut fidèlement
-exécutée. Son habit bleu et son pantalon
-furent remis à M. Morel, tailleur. Dans
-la poche de cet habit, on avait trouvé une
-lettre du père d'Asselineau, écrite d'Antrain
-(Nièvre) le 7 avril, et adressée au directeur
-de Bicêtre. Elle était ainsi conçue:</p>
-
-<div class="blockquote">
-<p><span class="titel">«Mon fils,</span></p>
-
-<p>«En réponse à ta lettre en date du 31 mars,
-que j'ai reçue le 6 avril, par laquelle tu nous
-fais tes adieux, et tu nous demandes des pardons......
-Que Dieu te pardonne! A l'égard de
-nous, nous te pardonnons tous, père et mère,
-frère et s&oelig;ur. Nous t'avons toujours élevé en la
-<span class="pagenum"><a id="Page_433"> 433</a></span>
-crainte de Dieu, et dit les dangers qu'il y
-avait de fréquenter les mauvaises compagnies.</p>
-
-<p>«Tu n'as pas pu t'en défendre...... Que Dieu
-te pardonne, comme nous te pardonnons! Tu
-seras heureux, et nous, le restant de nos jours,
-nous serons malheureux...</p>
-
-<p>«Tu attends sur la clémence du roi...... que
-Dieu soit béni!</p>
-
-<p>«Nous te faisons tous nos adieux pour toujours:
-recommande-toi à Dieu.</p>
-
-<p><span class="signature">«<i>Ton père</i></span> <span class="cap">B. A</span><span class="smallc">SSELINEAU</span>.»</p>
-</div>
-
-<p>Nous ne commenterons pas cette lettre: il
-faudrait revenir aux réflexions qu'on a lues
-au commencement de cet article. A travers
-le laconisme de cet homme illettré, à travers
-ses pieuses répétitions, on y reconnaît trop
-bien le c&oelig;ur brisé d'un malheureux père.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_434"> 434</a></span></p>
-
-
-
-<p>FAMILLE DE PARRICIDES.</p>
-
-
-<p>Nos lecteurs ont pu voir dans le second
-volume de cette collection l'épouvantable histoire
-d'un malheureux père assassiné par deux
-de ses fils, aidés de leur mère. Les fastes criminels
-de notre temps présentent un forfait
-du même genre et non moins horrible.</p>
-
-<p>Le 16 mai 1826, à quatre heures du matin,
-le garde du moulin de Croûtes (Aisne) aperçut
-quelque chose qui passait sous la volée ou
-le tournant du moulin; c'était un cadavre
-qui s'accrocha à des saules. Un instant après,
-arrivèrent deux pêcheurs; Jaquin, l'un d'eux,
-courut avertir le maire et le juge-de-paix.
-Des magistrats se rendirent sur-le-champ au
-lieu où gisait le cadavre; on le retira de la
-rivière en leur présence: on reconnut que
-c'était celui de Dupré. Il avait autour du cou
-une petite corde un peu plus grosse que la
-ficelle ordinaire; à cette corde était un n&oelig;ud
-<span class="pagenum"><a id="Page_435"> 435</a></span>
-coulant que l'on avait ensuite fixé et arrêté
-par un autre n&oelig;ud.</p>
-
-<p>Le cadavre était complètement vêtu; il avait
-des bas, des chaussons et des sabots couverts.
-On trouva dans une poche de son gilet une
-clef qui était celle du secrétaire ou de l'armoire
-qui contenait l'argent de Dupré. Le
-procès-verbal du médecin, appelé pour examiner
-le corps, portait qu'il y avait sur le cadavre
-un signe de pression occasionée par la corde,
-une ecchymose au pariétal droit, une autre
-plus légère à la pommette gauche. Il fut établi
-par l'accusation que les contusions et les
-ecchymoses n'avaient pu être produites par
-une submersion volontaire, ni même par le
-passage du corps sous la roue du moulin: elles
-étaient nécessairement le résultat des violences
-exercées sur Dupré avant la submersion.
-Ce qui en donnait une preuve irrécusable,
-c'était une plaie qui existait au bas du ventre,
-ayant quatre à cinq pouces de diamètre.
-Cette plaie semblait expliquer le propos de
-la veuve Dupré, qui avait dit: <i>Je sais bien comment
-il faut le prendre pour le dompter; un
-coup de pied le rend blanc comme neige.</i></p>
-
-<p>L'enquête, qui eut lieu, fit naître de véhémens
-<span class="pagenum"><a id="Page_436"> 436</a></span>
-soupçons contre quatre individus qui furent
-aussitôt arrêtés. C'étaient la veuve du malheureux
-Dupré, Rose-Victoire Dupré, sa fille
-légitime, Jean-Étienne Duchesne, dit <i>Bancroche</i>,
-fils naturel de cette dernière, et le
-nommé Vaillant, père de Pierre-François Vaillant,
-gendre de Dupré.</p>
-
-<p>Ces quatre prévenus comparurent devant
-la Cour d'assises de Laon le 5 mars 1827. Tous
-les regards étaient fixés sur cette famille qui
-n'inspirait que l'horreur et le mépris. Vaillant
-avait dit à un témoin: <i>Prends-garde à
-toi, si tu parles trop!</i> On avait remarqué sur
-le bord de la rivière, où le corps de Dupré devait
-avoir été jeté, l'empreinte de traces faites
-avec des bas ou des chaussons, et le cadavre
-repêché le 16 avait des sabots couverts. On
-trouva dans la rivière une pierre de quatre-vingt-huit
-livres dans une fosse placée vis-à-vis
-l'empreinte des traces remarquées. N'était-il
-pas présumable et même certain que cette
-pierre avait été employée par les auteurs du
-crime, au moyen du n&oelig;ud coulant de la ficelle,
-pour tenir le corps au fond de l'eau et y
-ensevelir le secret de la plus noire scélératesse?</p>
-
-<p>Voici quelques circonstances antérieures à
-<span class="pagenum"><a id="Page_437"> 437</a></span>
-l'assassinat. La femme Dupré vivait très-mal
-avec son mari; chaque jour voyait éclater de
-nouvelles querelles. La fille se joignait à la
-mère pour maltraiter son père. Cette fille
-dénaturée était, au reste, connue pour avoir
-la conduite la plus déréglée. Elle avait eu
-deux enfans naturels, fruits honteux de sa
-débauche: l'un de ces enfans, Duchesne, dit
-<i>Bancroche</i>, se montrait en tout digne de sa
-mère. Il se vantait publiquement des mauvais
-traitemens exercés contre son grand-père
-Dupré, et n'était pas le dernier à y prendre
-part.</p>
-
-<p>Au milieu des chagrins dont il était continuellement
-abreuvé, il était arrivé à Dupré de
-dire un jour à quelqu'un qu'il voudrait bien
-qu'on lui tirât un coup de fusil, pour le délivrer
-de sa pénible existence. Ses meurtriers
-profitèrent de ce propos pour lui supposer
-l'intention d'un suicide. De là le projet et l'exécution
-du crime sur lequel les accusés voulaient
-faire prendre le change, en prêtant à
-Dupré la volonté de se détruire et la résolution
-de se noyer.</p>
-
-<p>Dupré gardait soigneusement la clé du meuble
-où était son argent. Six semaines avant sa
-<span class="pagenum"><a id="Page_438"> 438</a></span>
-mort, il avait répondu à une personne qui lui
-faisait une question relativement aux plaintes
-de ses enfans: «Pourquoi les doter? Ils boivent
-et mangent tout; ils se coalisent pour
-me ruiner.»</p>
-
-<p>La mère et les enfans avaient répété souvent
-ce propos infâme: <i>Si ce gueux, si ce cochon-là
-était mort, nous jouirions......</i></p>
-
-<p>Ces faits et ces propos furent attestés par
-plusieurs témoins. Que fallait-il de plus pour
-donner de la vraisemblance à la consommation
-du crime?</p>
-
-<p>Mais deux femmes et un jeune homme infirme
-ne suffisaient pas à l'entière exécution
-du projet. Il fallait quelqu'un d'assez fort
-pour les aider, et ce fut, suivant l'accusation,
-Vaillant père, que l'on choisit pour cet exécrable
-ministère. La réputation de cet homme
-était loin d'être intacte: il passait pour avoir
-des liaisons intimes avec sa belle-fille; ce fut
-lui, suivant quelques dépositions, que Rose
-Dupré alla chercher pendant la nuit, et qui
-aida à porter le cadavre à la rivière. On remarqua
-que Vaillant fils lui-même avait dit dans
-sa déposition: <i>Ce n'est pas mon père qui a tué
-Dupré; il n'a fait que le porter à la rivière.</i></p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_439"> 439</a></span>
-Après les plaidoieries, le président fit le résumé
-des débats avec la plus exacte impartialité,
-et posa aux jurés les cinq questions résultant
-de l'acte d'accusation.</p>
-
-<p>Le jury répondit affirmativement sur les
-deux premières questions relatives à la veuve
-Dupré et à sa fille, en écartant seulement la
-préméditation; semblable réponse fut faite
-relativement à Duchesne dit <i>Bancroche</i>, mais
-à la majorité de sept voix contre cinq. Les
-deux questions relatives à Vaillant père furent
-résolues négativement. La Cour, sur la question
-qui concernait <i>Bancroche</i>, se réunit à la
-minorité du jury; en conséquence Duchesne
-dit <i>Bancroche</i> et Vaillant furent acquittés.</p>
-
-<p>Sur les conclusions du ministère public, la
-veuve Dupré et Rose-Victoire Dupré, sa fille,
-furent condamnées à la peine des parricides.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_440"> 440</a></span></p>
-<h2 class="normal">COMPTE,<br />
-<span class="medium">MEURTRIER DE SA FEMME ET DE SON</span><br />
-<span class="medium">ENFANT.</span></h2>
-</div>
-
-<p>Depuis plusieurs années, on a vu se multiplier
-d'une manière effrayante des crimes
-dont la justice ne s'explique que très-difficilement
-la cause. Les fureurs sanguinaires de
-Papavoine et de la fille Cornier n'ont eu que
-trop d'imitateurs. Les médecins, appelés au
-secours des magistrats, pour trouver l'explication
-de ces phénomènes criminels, ont invoqué
-une sorte de démence d'un genre particulier,
-à laquelle on a donné le nom de
-<i>monomanie</i>; et malgré cette assertion de la
-science, pour un grand nombre d'esprits
-prévenus ou incrédules, beaucoup de crimes
-sont demeurés presque inexplicables. De ce
-nombre est celui dont nous allons rapporter
-les principales circonstances.</p>
-
-<p>Le nommé Compte, charron, s'était constamment
-<span class="pagenum"><a id="Page_441"> 441</a></span>
-fait remarquer par la douceur de
-son caractère et par son attachement pour
-sa femme et ses enfans. Cet homme, tout-à-coup,
-devint triste et rêveur; il recherchait
-les lieux solitaires; tantôt il prodiguait des
-marques de tendresse à son épouse, tantôt
-il repoussait ses caresses.</p>
-
-<p>Le 15 mars 1827, Compte se trouvait seul
-à son atelier, lorsque sa femme vint l'y voir
-dans l'intention de lui tenir compagnie et de
-chercher à dissiper les idées sombres qui
-le tourmentaient. Soudain Compte l'interrompit
-en lui disant: <i>Je voudrais bien mourir,
-et tu devrais mourir avec moi!</i> Anne
-Constant, sa femme, pour calmer l'agitation
-de son mari, s'approcha de lui et l'embrassa;
-mais cette prévenance, loin de tranquilliser
-Compte, le met hors de lui-même; il agite
-un couteau qu'il tenait dans sa main, et bientôt
-il en porte un coup à la gorge de sa femme.
-Celle-ci s'échappe en jetant de grands
-cris; Compte la poursuit avec acharnement,
-il l'atteint dans la cour et lui porte à la gorge
-un second coup de couteau.</p>
-
-<p>Les pères et mères des époux accourent;
-ils prennent dans leurs bras Anne Constant et
-<span class="pagenum"><a id="Page_442"> 442</a></span>
-l'arrachent à la fureur de son mari. Compte
-alors veut rentrer dans son atelier; mais, trouvant
-sur son passage son enfant âgé de deux
-ans, il s'en saisit, l'emporte sous un hangar,
-et là, lui enfonce dans la poitrine le couteau
-qui dégouttait encore du sang de sa malheureuse
-femme. L'enfant expire sous ses yeux,
-et ce malheureux, pour terminer cette horrible
-tragédie, retourne contre lui le fatal
-couteau; il s'en frappe à la tête et se blesse
-grièvement.</p>
-
-<p>Les poursuites judiciaires étaient faciles à
-exécuter: c'était un mari qui avait voulu égorger
-sa femme; c'était un père qui avait donné
-la mort à son enfant. Compte fut arrêté, et
-traduit devant la Cour d'assises de la Charente,
-le 8 mai 1827.</p>
-
-<p>Cette cour avait paru hésiter à mettre
-Compte en accusation. On lit en effet, dans
-l'arrêt de renvoi, le considérant suivant:</p>
-
-<p>«Considérant qu'on serait tenté de croire
-à <i>la démence</i> du prévenu; que l'esprit est ramené
-souvent à cette idée par les détails que
-renferme la procédure, mais qu'on se trouve
-arrêté par certains aveux de Jean Compte,
-desquels il résulte que sa femme lui paraissait
-<span class="pagenum"><a id="Page_443"> 443</a></span>
-depuis quelque temps légère, coquette, et peu
-disposée à payer sa tendresse de retour;</p>
-
-<p>«Qu'il est donc <i>possible</i> d'attribuer à un
-violent accès de jalousie le double attentat
-dont le prévenu s'est rendu coupable, et qu'il
-convient de laisser aux débats de l'audience
-le soin de faire connaître la véritable situation
-<i>mentale</i> du prévenu, lorsqu'il enfonça le
-couteau dans la gorge de sa femme et dans
-le sein de son fils.»</p>
-
-<p>Après les débats, qui furent de peu de durée,
-le président de la Cour posa deux questions
-aux jurés sur la culpabilité du prévenu.
-Sur la première question, les jurés répondirent:
-Non, Compte n'est pas coupable d'avoir
-<i>volontairement</i> donné la mort à son fils;
-sur la seconde: Oui, à la majorité de sept
-voix contre cinq, l'accusé est coupable d'une
-tentative d'homicide, manifestée par des actes
-extérieurs, suivie d'un commencement d'exécution,
-et qui n'aurait manqué son effet que
-par des circonstances indépendantes de sa
-<i>volonté</i>.</p>
-
-<p>La Cour s'étant réunie à la majorité du
-jury, Compte fut en conséquence condamné
-aux travaux forcés à perpétuité.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_444"> 444</a></span></p>
-<h2 class="normal">CASTANIER,<br />
-<span class="medium">OU LES RÉSULTATS CRIMINELS DE</span><br />
-<span class="medium">L'EXALTATION RELIGIEUSE.</span></h2>
-</div>
-
-<p>L'exaltation religieuse, comme l'exaltation
-politique, peut tourner au crime les individus
-les plus inoffensifs de leur nature et leur
-faire regarder comme des actes vraiment
-méritoires les forfaits les plus atroces. Sans
-doute, si leurs attentats procèdent d'une faiblesse,
-d'une affection ou d'une lésion des
-organes du cerveau; s'il est prouvé qu'ils
-soient les résultats de cette sombre monomanie
-qui se plaît à verser le sang, et parfois celui
-des êtres les plus innocens et les plus
-chéris de celui même qui les égorge, il faut
-plaindre le sort de ces criminels d'une classe
-particulière; on doit des égards à la position
-de malheureux qui, dans des accès de folie,
-sont capables d'immoler ceux qu'ils aiment
-le plus au monde. Mais si la loi doit épargner
-<span class="pagenum"><a id="Page_445"> 445</a></span>
-des coupables involontaires, chez qui
-l'intention n'a pas été complice du bras, l'intérêt
-de la société exige impérieusement qu'on
-la mette à l'abri des atteintes meurtrières
-de ces furieux; il veut aussi qu'on n'accorde
-pas une créance trop aveugle à un système
-de défense dont il serait facile d'abuser et
-derrière lequel les plus grands scélérats, assurés
-de l'impunité, finiraient par venir se retrancher
-comme dans un asile inviolable.</p>
-
-<p>Le nommé Castanier dont le procès nous
-a suggéré les réflexions que l'on vient de lire,
-avait subitement passé d'une vie désordonnée
-à une vie bigotte. Pendant sa jeunesse à
-Camaret Vaucluse, il était libertin, joueur,
-débauché; il passait presque tout son temps
-au cabaret. Étant venu demeurer à Orange,
-il fut entouré de personnes pieuses qui entreprirent
-sa conversion; dès-lors, son train
-de vie fut tout-à-fait changé: il restait des
-journées entières à l'église; bientôt il eût
-passé pour un saint homme. Depuis, cet homme
-s'était fixé à Carpentras.</p>
-
-<p>Le 16 janvier 1827, la petite fille de Castanier,
-charmante enfant, aimée de tout le
-voisinage, chérie de son père et de sa mère,
-<span class="pagenum"><a id="Page_446"> 446</a></span>
-disparut tout-à-coup. On crut d'abord qu'elle
-s'était égarée dans la ville. La veuve Bouche
-avait vu, à midi, Castanier et sa fille qui allait
-après lui en pleurant. Elle avait dit au père:
-«Attendez donc votre enfant!» sur quoi il avait
-pris sa petite par la main. Dans la soirée, la
-veuve Bouche retourna chez Castanier pour
-demander si l'enfant était retrouvée. Le mari
-était d'un côté du poêle; sa femme, désolée,
-de l'autre côté; le témoin s'assit entr'eux deux.
-La femme dit à son mari: «A midi, tu as
-rencontré ton enfant sur le Pont-Neuf?&mdash;Oui.&mdash;Tu
-l'as pris par la main?&mdash;Oui.&mdash;Tu
-l'as amenée à la maison?&mdash;Oui.&mdash;Tu
-lui as donné du pain?&mdash;Oui.&mdash;Et puis,
-qu'est-elle devenue?» A cette question, Castanier
-resta sans voix! «Va la chercher: lui
-dit la femme.&mdash;Et où veux-tu que j'aille?
-répondit-il.»</p>
-
-<p>Cependant on trouva le cadavre de la jeune
-Castanier dans le puits du Cirque, avec une
-pierre au cou, et percé de deux coups de
-couteau.</p>
-
-<p>Aussitôt la justice instruisit. Le commissaire
-de police se transporta chez Castanier
-avec le juge d'instruction. Castanier était
-<span class="pagenum"><a id="Page_447"> 447</a></span>
-couché tout habillé sur son lit, et en se levant,
-il s'écria: <i>Je n'ai plus d'enfant!</i> Et
-pourtant, il ignorait encore que l'on eût retrouvé
-le cadavre dans le puits. Un couteau
-avait été enfoncé jusqu'au manche dans les
-côtes de la victime; la femme Castanier
-reconnut ce couteau pour être celui de son
-mari; elle reconnut aussi la pierre trouvée au
-cou de l'enfant pour avoir été enlevée du bas
-de l'escalier de sa chambre. Cette pierre fut
-présentée à la place qu'elle devait occuper;
-elle s'y adaptait parfaitement: on ne pouvait
-s'y tromper, cette place vide ayant gardé
-l'empreinte des rugosités de la pierre.</p>
-
-<p>Ces indices, joints aux témoignages de
-plusieurs personnes, déterminèrent l'arrestation
-de Castanier; et il fut traduit le 8 mai
-devant la Cour d'assises de Vaucluse. Quand
-il comparut devant le tribunal, tous les regards
-cherchèrent sur la figure de Castanier
-les signes de cette démence à laquelle, en
-l'absence de tout autre motif, on attribuait
-généralement son attentat. On vit un homme
-maigre et d'un teint cuivré. Ses cheveux
-étaient noirs et plats, ses lèvres enflées et
-blafardes; ses yeux, d'une forme ronde,
-<span class="pagenum"><a id="Page_448"> 448</a></span>
-étaient caves et brillans; il semblait étranger
-à tout ce qui se passait autour de lui. Au
-mouvement de ses lèvres, on aurait pu croire
-qu'il récitait des prières.</p>
-
-<p>Nous allons donner un extrait de son interrogatoire,
-qui pourra faire connaître aux
-lecteurs la situation mentale de l'accusé. Assez
-long-temps avant le meurtre de sa fille,
-Castanier était toujours entouré chez lui de
-livres de dévotion; il ne travaillait plus, et
-quand sa femme lui représentait le besoin
-qu'ils avaient du travail, il lui répondait par
-des exclamations religieuses. Il avait fréquemment
-des rêves d'enfer et de démon, et se
-levait la nuit pour prier Dieu. On va voir
-quelles étranges réponses il fit à la plupart
-des questions qui lui furent adressées.</p>
-
-<p><i>Le Président</i>: Comment vous appelez-vous?</p>
-
-<p>L'accusé, regarde sans répondre, comme
-s'il n'avait pas entendu. Un gendarme le
-pousse; et interrogé une seconde fois, il déclare
-se nommer Castanier.</p>
-
-<p><i>D.</i> Où demeurez-vous?</p>
-
-<p><i>R.</i> Ici.</p>
-
-<p><i>D.</i> Comment ici! vous ne demeurez pas à
-Orange?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_449"> 449</a></span>
-<i>R.</i> Oui, à Orange.</p>
-
-<p><i>D.</i> Quel âge avez-vous?</p>
-
-<p><i>R.</i> Je ne m'en souviens pas.</p>
-
-<p>Alors M<sup>e</sup> Bourdon, nommé d'office pour
-assister Castanier, exposa à la Cour que la
-seule chose explicite qu'il eût pu obtenir du
-prévenu, c'était qu'il ne voulait pas de défenseur;
-que Dieu saurait bien le défendre.</p>
-
-<p>Non! s'écria Castanier avec force, je ne
-veux point de défenseur; je n'en ai pas besoin.</p>
-
-<p><i>D.</i> Castanier, voulez-vous être jugé?</p>
-
-<p><i>R.</i> A la volonté de Dieu.</p>
-
-<p><i>D.</i> On dit que vous êtes fou?</p>
-
-<p><i>R.</i> Je n'en sais rien.</p>
-
-<p><i>D.</i> Avez-vous tué votre enfant?</p>
-
-<p><i>R.</i> Je n'ai jamais fait de mal à mon sang.</p>
-
-<p>Pendant les dépositions des témoins, l'accusé
-s'était endormi; tout-à-coup il se réveilla
-en riant à la manière d'un hébété.</p>
-
-<p><i>D.</i> Que fîtes-vous le 16 janvier, de dix heures
-à deux heures?</p>
-
-<p><i>R.</i> Je fus à l'église; je ne puis pas vous le
-dire.</p>
-
-<p><i>D.</i> Aimiez-vous votre fille?</p>
-
-<p><i>R.</i> Pauvre petite!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_450"> 450</a></span>
-<i>D.</i> Est-ce vous qui l'avez tuée?</p>
-
-<p><i>R.</i> Castanier sanglote en détournant la tête,
-et finit par dire: C'est un grand malheur!</p>
-
-<p><i>Un juré.</i> Avez-vous tué votre fille?</p>
-
-<p><i>R.</i> Tu n'as point de sens.</p>
-
-<p><i>D.</i> Ne craignez pas de l'avouer: peut-être
-n'avez-vous pas cru mal faire. L'avez-vous
-tuée?</p>
-
-<p><i>R.</i> Si vous me le dites encore, je m'en vais.</p>
-
-<p><i>Le procureur du roi.</i> N'avez-vous pas de regret
-d'avoir tué votre enfant?</p>
-
-<p><i>R.</i> Je ne veux pas vous écouter: (après quelques
-momens de silence, et en mettant sa tête
-dans ses mains), c'est depuis la mort de mon
-enfant que la tête me fait mal; avant aussi,
-elle me faisait mal.</p>
-
-<p>François Bouche, assigné comme témoin,
-commençait sa déposition; Castanier l'interrompit,
-et lui dit, comme en se réveillant:
-«Ah! bonjour, Bouche!»</p>
-
-<p>Un témoin ayant dit que le prévenu restait
-habituellement des heures entières prosterné
-à l'église sans remuer, Castanier s'écria: «J'y
-suis resté une fois neuf heures; j'ai bien du
-plaisir à y être; je voudrais bien y aller.»</p>
-
-<p><i>D.</i> N'avez-vous pas cru, en tuant votre
-enfant, l'envoyer au ciel?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_451"> 451</a></span>
-<i>R.</i> Je ne vous écoute pas.</p>
-
-<p>Le procureur du roi, après avoir démontré
-la culpabilité de l'accusé, déclara qu'il
-ne pensait point que l'accusé eût agi avec discernement,
-et que son état moral lui semblait
-devoir faire écarter les circonstances de
-la préméditation.</p>
-
-<p>De son côté, le défenseur s'attacha à faire
-ressortir la preuve de la démence, des circonstances
-de la cause et de la conduite de
-l'accusé dans tout le cours des débats.</p>
-
-<p>Après une courte délibération, le jury déclara
-l'accusé coupable, mais sans préméditation;
-et par suite de cette déclaration, Castanier
-fut condamné aux travaux forcés à perpétuité.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_452"> 452</a></span></p>
-<h2 class="normal">ACCUSATION D'ASSASSINAT<br />
-<span class="medium">RÉSULTANT D'UN SUICIDE.</span></h2>
-</div>
-
-<p>Les sieur et dame Coutelas vivaient à
-Reuil, village situé sur la rive droite de la
-Marne. Ils jouissaient d'une certaine aisance.
-Le sieur Coutelas, ancien militaire, fils d'un
-honnête vigneron, avait épousé, en 1815,
-une personne dont la condition était au-dessus
-de la sienne. Les deux époux n'ayant pas d'enfans,
-avaient, en 1819, par deux testamens
-déposés chez un notaire, disposé mutuellement
-de l'usufruit de leurs biens en faveur du
-survivant.</p>
-
-<p>Le sieur Coutelas, âgé de cinquante-un
-ans, était d'un caractère froid et apathique.
-La dame Coutelas, petite et replète, était,
-depuis quelques mois, affectée d'un commencement
-d'hypocondrie. Elle était tourmentée
-par des insomnies; le sang l'incommodait; son
-<span class="pagenum"><a id="Page_453"> 453</a></span>
-médecin lui avait conseillé une saignée qui
-avait été ajournée. Elle souffrait et se plaignait
-beaucoup.</p>
-
-<p>Dans la journée du 30 mars 1826, ses
-plaintes redoublèrent et furent continuelles.
-Le matin, un neveu de son mari, informé de
-son état de maladie, était venu la voir. Elle
-avait annoncé l'intention de prendre l'émétique.
-Le mari et le neveu s'y opposèrent, en
-lui faisant observer qu'elle devait auparavant
-prendre l'avis du médecin; mais elle ne voulut
-point le consulter, et dit même qu'elle
-ne ferait rien de ce qu'il lui prescrirait.</p>
-
-<p>Son neveu la quitta: elle lui avait pris plusieurs
-fois la main avec attendrissement. Son
-mari se rendit aux champs. La nommée Sophie
-Placial, sa domestique, alla travailler
-dans une vigne située près de la maison. Une
-voisine de la dame Coutelas, la femme Pierrot,
-passa l'après-midi avec elle, dans la
-cuisine, et remarqua qu'elle était très-agitée,
-qu'elle ne parlait pas comme à l'ordinaire.</p>
-
-<p>Sophie rentra à deux heures pour savoir
-des nouvelles de sa maîtresse; à quatre heures,
-elle revint encore pour goûter. Cette
-dernière fois, la dame Coutelas lui prit la
-<span class="pagenum"><a id="Page_454"> 454</a></span>
-main en lui disant: <i>Ma Sophie! ma pauvre
-Sophie!</i> Elle ajouta même, suivant la déposition
-de cette fille: <i>Je suis une femme perdue!</i>
-Puis elle dit à la femme Pierrot qu'elle était
-lasse de la vie.</p>
-
-<p>Vers le soir, Sophie quitta son travail et
-rentra à la maison. Trouvant ouverte la porte
-de la chambre à coucher de ses maîtres, elle
-regarda si sa maîtresse y était, et ne l'y voyant
-pas, ni dans une chambre voisine dont la
-porte était également ouverte, elle entra
-dans la cuisine où le sieur Coutelas était assis
-auprès du feu. Elle lui demanda où était sa
-maîtresse: il répondit qu'elle venait de passer
-dans sa chambre, et sur l'observation que
-lui fit la domestique qu'elle n'y était pas, il
-dit qu'elle était sans doute chez quelqu'une
-de ses voisines.</p>
-
-<p>Sophie alla s'informer dans le voisinage,
-et n'y ayant pas trouvé la dame Coutelas,
-rentra fort inquiète à la maison. Son maître
-lui donna l'ordre de prendre une lanterne,
-et d'aller chercher sa femme du côté de la
-rivière, attendu que plusieurs fois elle avait
-dit que, pour rien, elle se jetterait à l'eau.
-Cette fille, éplorée, parcourut les bords de
-la Marne, en cherchant sa maîtresse.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_455"> 455</a></span>
-De retour à la maison, après avoir fait des
-recherches infructueuses, la femme Pierrot et
-une autre voisine vinrent bientôt l'y rejoindre.
-Alors toutes les trois et le sieur Coutelas
-lui-même, qui commençait à s'émouvoir,
-s'entretinrent ensemble, dans la cour de la
-maison, des recherches qui restaient encore
-à faire. Sophie descendit seule dans la cave;
-sa maîtresse n'y était pas. Il y avait dans la
-maison une autre cave pour ainsi dire abandonnée,
-qui se composait de plusieurs berceaux
-qui se croisaient. Au fond et sur la
-gauche de l'un de ces berceaux qui se prolongeait
-au-delà des bâtimens, sous une vigne,
-était un petit caveau où le jour ne pénétrait
-jamais. La dame Coutelas n'était
-presque jamais entrée dans cette cave. Une
-des voisines proposa néanmoins de voir si
-elle n'y serait pas; Coutelas observa qu'elle
-n'aurait pas osé y aller seule: néanmoins on y
-descendit.</p>
-
-<p>Sophie marchait la première; elle était
-suivie des deux autres femmes. Toutes les
-trois portaient des lanternes; Coutelas marchait
-le dernier. Tout-à-coup Sophie jette un
-cri d'effroi; elle a vu sa maîtresse étendue par
-terre: <i>La voilà ici</i>, s'écrie-t-elle, <i>la chère</i>
-<span class="pagenum"><a id="Page_456"> 456</a></span>
-<i>dame Coutelas!</i> et elle recule épouvantée. La
-femme Pierrot s'enfuit. L'autre femme, plus
-courageuse, s'approche avec Coutelas. Tous
-deux voient la malheureuse femme étendue
-sur le dos, la tête contre le mur, ayant du
-sang au cou. Ils aperçoivent un rasoir ouvert,
-placé sur le bras gauche. Coutelas s'écrie:
-<i>Ah! pauvre femme! qu'as-tu fait?...</i>
-Puis ayant reconnu son rasoir, il ajoute: <i>La
-malheureuse s'est coupé le cou avec mon rasoir...
-Que vais-je faire?... Il faut prévenir les
-autorités.</i> On remarqua qu'il n'y avait aucun
-dérangement ni dans les vêtemens ni dans
-la chevelure de la dame Coutelas.</p>
-
-<p>Bientôt, on procéda à l'information judiciaire
-la plus scrupuleuse. Plusieurs médecins
-et chirurgiens de Reims et des environs
-jugèrent que la mort de la dame Coutelas
-était l'effet d'un suicide. Mais trois médecins
-de Paris, MM. Dubois, Boyer et Adelon déclarèrent,
-au contraire, qu'il leur paraissait
-extrêmement probable, que la dame Coutelas
-ne se fût pas fait elle-même les blessures qui
-lui avaient ôté la vie.</p>
-
-<p>Cette déclaration, jointe à diverses circonstances
-<span class="pagenum"><a id="Page_457"> 457</a></span>
-commentées par la clameur publique,
-fit planer des soupçons d'assassinat sur le
-sieur Coutelas. On parla de sa froide indifférence
-pour sa femme, des paroles qui lui
-étaient échappées, à la vue de son rasoir, qui
-avait servi à commettre le crime; la malignité
-n'eut garde d'oublier la circonstance
-des deux testamens. Enfin, le sieur Coutelas
-fut arrêté, prévenu d'avoir assassiné sa femme,
-et traduit, en conséquence, le 9 mai 1827,
-devant la Cour d'assises de la Marne.</p>
-
-<p>Les débats de cette affaire durèrent trois
-jours. Cinquante-quatre témoins furent entendus.
-Les docteurs Boyer et Dubois ne purent
-s'y trouver, l'état de leur santé ne leur
-ayant pas permis de faire le voyage de Reims.
-Le procureur du roi, M. Gasbon, dans une
-plaidoierie qui dura plus de deux heures, se
-livra au consciencieux examen de cette grande
-et difficile affaire. Ce magistrat, après avoir
-discuté la question médico-légale, déclara
-qu'il ne croyait pas qu'il y eût eu homicide;
-qu'aucune charge sérieuse ne résultait d'ailleurs
-des témoignages, et il termina en ces
-termes: «Non, Messieurs, l'accusé n'est pas
-coupable.»</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_458"> 458</a></span>
-Le défenseur du sieur Coutelas se borna
-dès-lors à rétablir des faits de moralité qui
-avaient été présentés dans l'instruction d'une
-manière défavorable à son client; et le jury,
-après une courte délibération, déclara à l'unanimité
-que l'accusé n'était pas coupable.</p>
-
-<p>Cette déclaration fut accueillie avec une
-satisfaction générale. On entendit avec plaisir
-prononcer l'acquittement d'un homme accablé
-d'abord par une perte douloureuse, et
-atteint ensuite par un malheur plus grand
-encore, d'un homme dont l'innocence était
-reconnue et proclamée par la justice, et qui,
-pendant huit mois, avait été privé de sa liberté,
-et avait eu à gémir sous le poids du
-plus affreux soupçon.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_459"> 459</a></span></p>
-<h2 class="normal">JOSEPH MAURI.</h2>
-</div>
-
-<p>Le 28 novembre 1826, Joseph Mauri, qui
-servait en qualité de domestique dans la
-métairie du sieur Codine, apprit que son père
-se proposait de vendre une de ses propriétés
-au comte de Saint-Marsal, pour en remettre
-le prix à son beau-fils, Charles Noguères, dans
-la maison duquel il s'était retiré depuis quelque
-temps.</p>
-
-<p>Aussitôt Joseph Mauri, mû par la jalousie
-et la cupidité, quitta la métairie de Codine, se
-fit remplacer dans les travaux des champs
-par un ouvrier dont il paya lui-même le salaire,
-et arriva vers neuf heures du matin
-dans la commune de Pin, où résidait son père.
-Il se rendit aussitôt dans la maison de son
-beau-frère. Mauri père, infirme depuis long-temps,
-paralysé de la moitié du corps, était
-encore couché dans une chambre attenante
-à la cuisine, où s'arrêta son fils. Ce dernier
-<span class="pagenum"><a id="Page_460"> 460</a></span>
-s'approcha de sa s&oelig;ur Élisabeth qui était devant
-le foyer avec ses trois enfans; auprès
-du feu, se trouvait un plat contenant <i>une
-soupe à l'ail et une côtelette placée sur le gril</i>.
-Mauri fils demanda pour qui étaient ces alimens.
-Sa s&oelig;ur lui répondit qu'ils avaient été
-préparés pour le déjeûner de la famille; en
-même temps, elle quitta la cuisine et passa
-dans la chambre de son vieux père pour l'habiller
-et le conduire auprès du feu.</p>
-
-<p>Joseph Mauri, se trouvant seul alors avec
-les enfans de sa s&oelig;ur, témoigna le désir de
-faire cuire des châtaignes, et fit sortir sa
-nièce Élisabeth, âgée d'environ quinze ans,
-pour s'informer dans le village si l'on n'en
-trouverait pas à acheter. Élisabeth sortit et
-rentra quelques instans après, en annonçant
-qu'elle avait trouvé des châtaignes: son oncle
-ne parut point faire attention à ses paroles,
-et ne lui répondit rien.</p>
-
-<p>Dans ce moment, Mauri père fut amené
-par sa fille dans la cuisine; elle l'installa auprès
-du feu et lui servit un peu de soupe;
-elle en donna aussi à ses enfans, à l'exception
-d'Élisabeth, et en garda une portion pour
-elle-même. Mauri père mangea sa part de
-<span class="pagenum"><a id="Page_461"> 461</a></span>
-soupe et un morceau de la côtelette; mais
-bientôt les enfans éprouvèrent des picotemens,
-des angoisses; et des vomissemens ne
-tardèrent pas à se déclarer. Le grand-père
-ressentit les mêmes accidens. La femme Noguères
-examina la soupe avec attention, et
-ne lui trouva point sa couleur naturelle; son
-jeune fils, Joseph Noguères, âgé de six ans,
-fit observer, que c'était peut-être la <i>poudre
-blanche</i> que son oncle y avait jetée qui lui
-avait donné cette couleur.</p>
-
-<p>Ces paroles de l'enfant furent un trait de
-lumière pour la malheureuse femme qui
-soudain s'écria en s'adressant à son frère:
-<i>Malheureux! tu as empoisonné ton père et
-mes enfans!</i></p>
-
-<p>L'empoisonneur était resté paisible spectateur
-de cette scène; il avait vu son vieux
-père, infirme et souffrant, entrer dans la
-cuisine et ne lui avait point adressé la parole;
-il avait assisté à son repas sans manifester la
-plus légère émotion, et quand sa belle-s&oelig;ur
-lui adressa cette terrible interpellation, il répondit
-à peine, et sortit en toute hâte de la
-maison.</p>
-
-<p>Cependant les symptômes de l'empoisonnement
-se développaient avec violence; on
-<span class="pagenum"><a id="Page_462"> 462</a></span>
-administra de prompts secours au vieillard
-et aux enfans, mais les enfans seuls résistèrent
-à la force du poison. Le vieux Mauri
-succomba à ses souffrances, dans la nuit du
-4 au 5 décembre suivant.</p>
-
-<p>Le crime était patent; celui qui l'avait commis
-ne pouvait s'envelopper du moindre mystère.
-Joseph Mauri fut arrêté et conduit le
-1<sup>er</sup> mars 1827, devant la Cour d'assises de
-Perpignan (Pyrénées-Orientales), comme
-coupable d'avoir attenté à la vie de Joseph
-Mauri, son père, et de Joseph, Charles et
-Étienne Noguères, ses neveux, à l'aide de
-substances vénéneuses.</p>
-
-<p>A l'appui de cette grave accusation, le
-ministère public fit entendre plusieurs témoins
-dont les dépositions ne firent que confirmer
-les faits ci-dessus exposés.</p>
-
-<p>Aux débats, l'accusé convint que, le 29 novembre
-au matin, il s'était rendu chez sa
-s&oelig;ur, pour parler à son père de la vente
-qu'il se proposait de faire au comte de Saint-Marsal;
-mais il désavoua tous les faits qu'on
-lui imputait, et prétendit qu'ils avaient été
-méchamment inventés pour le perdre, par sa
-s&oelig;ur et son beau-frère.</p>
-
-<p>Après les dépositions des témoins, on entendit
-<span class="pagenum"><a id="Page_463"> 463</a></span>
-les docteurs et pharmaciens chargés
-des épreuves chimiques dans la procédure. Ils
-déclarèrent que l'analyse avait constaté que
-la substance trouvée dans l'estomac du vieux
-Mauri était de l'oxide blanc d'arsénic. On fit
-même des expériences en présence de la Cour
-et de l'auditoire. Les épreuves comparatives,
-faites simultanément sur l'oxide blanc d'arsénic
-que la Cour avait fait apporter à l'audience,
-et sur la substance recueillie par les médecins
-dans l'estomac de Mauri, présentèrent des
-résultats absolument identiques et furent
-parfaitement concluantes.</p>
-
-<p>L'accusation fut soutenue par le ministère
-public avec cette énergie, avec cette naturelle
-horreur, que doit inspirer un parricide avéré.
-La culpabilité de l'accusé ne pouvait élever
-le moindre doute; elle fut prononcée par le
-jury. En conséquence, Joseph Mauri fut
-condamné à la peine des parricides.</p>
-
-<p>L'impassibilité de ce monstre ne se démentit
-point dans ce moment terrible. Il entendit
-sa condamnation avec calme, et regagna
-sa prison d'un pas ferme et assuré.</p>
-
-<div class="chapter">
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_464"> 464</a></span></p>
-<h2 class="normal">MEURTRE<br />
-<span class="medium">COMMIS DANS UNE ÉGLISE PAR UN JEUNE</span><br />
-<span class="medium">SÉMINARISTE</span>.</h2>
-</div>
-
-<p>Antoine Berthet, fils d'un maréchal-ferrant,
-établi dans le village de Brangues (Isère),
-était né avec une constitution très-frêle qui
-le rendait peu propre à exercer le métier de
-son père. D'un autre côté, la nature l'avait
-amplement dédommagé; il s'était fait remarquer
-de bonne heure par une intelligence
-supérieure et par un goût très-marqué pour
-l'étude; ce qui avait inspiré en sa faveur de
-l'intérêt à plusieurs personnes; leur charité,
-plus vive qu'éclairée, voulut tirer Berthet du
-rang obscur où le sort l'avait fait naître, et
-le destina à l'état ecclésiastique. Le curé de
-Brangues l'adopta comme un enfant chéri, lui
-enseigna les premiers élémens des sciences,
-et le fit entrer, en 1818, au petit-séminaire
-<span class="pagenum"><a id="Page_465"> 465</a></span>
-de Grenoble. En 1822, une maladie grave
-l'obligea de suspendre ses études; il fut recueilli
-par le curé dont les soins suppléèrent
-avec succès à l'indigence de ses parens. A la
-puissante sollicitation de ce zélé protecteur,
-Berthet fut reçu chez M. M....., qui lui confia
-l'éducation d'un de ses enfans; sa funeste
-destinée le préparait à devenir le fléau de cette
-famille jusque-là si heureuse. Madame M.....,
-femme aimable et spirituelle, alors âgée de
-trente-six ans, et d'une réputation intacte,
-pensa qu'elle pouvait sans danger prodiguer
-des témoignages de bonté à un jeune homme
-de vingt ans, dont la santé délicate exigeait
-des soins particuliers; et Berthet, sans doute
-égaré par une immoralité précoce, se méprit
-sur la nature de ses soins. Quoi qu'il en soit,
-avant l'expiration d'une année, madame M.....
-se vit obligée de mettre un terme au séjour
-du jeune séminariste dans sa maison.</p>
-
-<p>Berthet entra au petit séminaire de Belley,
-pour y continuer ses études. Il y resta deux
-ans et vint passer à Brangues les vacances de
-1823.</p>
-
-<p>N'ayant pu rentrer au petit séminaire de
-Belley, il parvint à se faire recevoir au grand-séminaire
-<span class="pagenum"><a id="Page_466"> 466</a></span>
-de Grenoble; mais, après y être
-resté quelque temps, il fut jugé par ses supérieurs
-indigne des fonctions qu'il ambitionnait,
-et bientôt après congédié sans espoir
-de retour. Son père, irrité, le bannit de
-sa présence, et il ne put trouver d'asile que
-chez sa s&oelig;ur, à Brangues.</p>
-
-<p>Ces rebuts furent-ils le résultat de mauvais
-principes reconnus ou d'une conduite très-répréhensible?
-Berthet se crut-il en butte à
-une persécution secrète de la part de M. M.....
-qu'il avait offensé? Des lettres qu'il écrivit
-alors à madame M..... contenaient des reproches
-virulens et des diffamations. Malgré
-cela, M. M..... faisait des démarches en faveur
-de l'ancien instituteur de ses enfans.</p>
-
-<p>Berthet parvint encore à se placer chez
-M. de C...., en qualité de précepteur. Il avait
-renoncé alors à l'église; mais, après un an,
-M. de C.... le congédia pour des raisons imparfaitement
-connues, et qui paraissaient se
-rattacher à une nouvelle intrigue.</p>
-
-<p>Il songea de nouveau à la carrière qui avait
-été le but de tous ses efforts, l'état ecclésiastique.
-Mais il fit et fit faire de vaines
-sollicitations auprès des supérieurs des séminaires
-<span class="pagenum"><a id="Page_467"> 467</a></span>
-de Belley, de Lyon et de Grenoble.
-Alors le désespoir s'empara de lui.</p>
-
-<p>Voyant toutes ses démarches inutiles, il
-attribuait son peu de succès aux époux M.....
-Les prières et les reproches qu'il continuait
-d'adresser à madame M..... se changèrent
-en menaces terribles. On recueillit des propos
-sinistres. <i>Je veux la tuer</i>, disait-il, dans
-ses accès de mélancolie farouche. Il écrivait au
-curé de Brangues, le successeur de son premier
-bienfaiteur: <i>Quand je reparaîtrai sous
-le clocher de la paroisse, on saura pourquoi</i>.
-Ces étranges moyens produisaient une partie
-de leur effet. M. M..... s'occupait sincèrement
-à lui rouvrir l'entrée de quelque séminaire;
-mais il échoua à Grenoble, il échoua
-de même à Belley, où il fit exprès un voyage
-avec le curé de Brangues. Tout ce qu'il put
-obtenir fut de placer Berthet chez M. Trolliet,
-notaire à Morestel, allié de sa famille,
-en lui dissimulant toutefois ses sujets de mécontentement.
-Mais Berthet, dans son ambition
-déçue, était las, selon sa dédaigneuse
-expression, <i>de n'être toujours qu'un magister
-à 200 francs de gages</i>. Il n'interrompit point
-le cours de ses lettres menaçantes. Il annonça
-<span class="pagenum"><a id="Page_468"> 468</a></span>
-à plusieurs personnes qu'il était déterminé
-à tuer madame M..... et à s'ôter la vie à
-lui-même. Malheureusement un projet aussi
-atroce sembla improbable par son atrocité
-même; il était pourtant sur le point de s'accomplir.</p>
-
-<p>C'était au mois de juin 1827 que Berthet
-était entré dans la maison du notaire de Morestel.
-Vers le 15 juillet, il se rendit à Lyon
-pour acheter des pistolets; il écrivit de là
-à madame M..... une lettre pleine de nouvelles
-menaces. Cette lettre finissait par ces mots:
-<i>Votre triomphe sera comme celui d'Aman,
-de peu de durée</i>. De retour à Morestel, on
-le vit s'exercer au tir; l'une de ses deux armes
-manquait feu; après avoir songé à la faire
-réparer, il la remplaça par un autre pistolet
-qu'il prit dans la chambre de M. Trolliet,
-alors absent.</p>
-
-<p>Le dimanche 22 juillet, de grand matin,
-Berthet charge ses deux armes à doubles balles,
-les place sous son habit, et part pour
-Brangues. Il arrive chez sa s&oelig;ur qui lui fait
-manger une soupe légère. A l'heure de la
-messe de la paroisse, il se rend à l'église et
-se place à trois pas du banc de madame M...
-<span class="pagenum"><a id="Page_469"> 469</a></span>
-Bientôt il la voit venir, accompagnée de ses
-enfans dont l'un avait été son élève. Là, il
-attend immobile jusqu'au moment où le
-prêtre distribue la communion. «Ni l'aspect
-de sa bienfaitrice, dit M. le procureur-général
-dans son réquisitoire, ni la sainteté du lieu,
-ni la solennité du plus sublime des mystères
-d'une religion, au service de laquelle Berthet
-devait se consacrer; rien ne peut émouvoir
-cette âme dévouée au génie de la destruction.
-L'&oelig;il attaché sur sa victime, étranger aux
-sentimens religieux qui se manifestent autour
-de lui, il attend avec une infernale patience
-l'instant où le recueillement de tous les fidèles
-va lui donner le moyen de porter des
-coups assurés. Ce moment arrive, et lorsque
-tous les c&oelig;urs s'élèvent vers le Dieu présent
-sur l'autel, lorsque madame M....., prosternée,
-mêlait peut-être à ses ferventes prières le nom
-de l'ingrat qui s'est fait son ennemi le plus
-cruel, deux coups de feu successifs et à un
-court intervalle, se font entendre. Les assistans
-épouvantés voient tomber presqu'en même
-temps et Berthet et madame M..... dont le premier
-mouvement, dans sa prévoyance d'un
-nouveau crime, est de protéger de son corps
-<span class="pagenum"><a id="Page_470"> 470</a></span>
-ses jeunes enfans effrayés. Le sang de l'assassin
-et celui de la victime jaillissent confondus
-jusque sur les marches du sanctuaire.</p>
-
-<p>«Un amour adultère méprisé, la conviction
-que madame M..... n'était point étrangère
-à ses humiliations et aux obstacles qui
-lui fermaient la carrière à laquelle il avait osé
-aspirer, la soif de la vengeance, telles furent,
-dans le système de l'accusation, la cause de
-cette haine furieuse, de ce désespoir forcené,
-manifestés par l'assassinat, le sacrilége et le
-suicide.</p>
-
-<p>«L'horreur tout entière du crime, disait
-le procureur-général en terminant son réquisitoire,
-suffirait pour captiver votre attention;
-mais votre sollicitude, messieurs les jurés,
-sera plus puissamment excitée par le besoin
-de ne prononcer une sentence de mort qu'autant
-que vous aurez la conviction irrésistible
-que le crime fut volontaire et le résultat d'une
-longue préméditation.»</p>
-
-<p>Berthet comparut, le 15 décembre 1829,
-devant la Cour d'assises de l'Isère. On s'écrasait
-aux portes de la salle d'audience dont
-l'accès n'était permis qu'aux personnes munies
-de billets d'entrée. L'accusé était un jeune
-<span class="pagenum"><a id="Page_471"> 471</a></span>
-homme d'une taille au-dessous de la moyenne,
-mince et d'une complexion délicate; un mouchoir
-blanc, passé en bandeau sous le menton
-et noué au-dessus de la tête, rappelait le
-coup de pistolet qu'il s'était tiré après avoir
-assassiné madame de M..... Deux balles lui
-avaient percé la mâchoire inférieure et le cou,
-et une seule de ces deux balles avait pu être
-extraite. Du reste, sa mise et ses cheveux étaient
-soignés: il avait une physionomie très-expressive;
-sa pâleur contrastait avec ses grands
-yeux noirs qui portaient l'empreinte de la
-fatigue et de la maladie.</p>
-
-<p>Pendant la lecture de l'acte d'accusation
-et de l'exposé de la cause, par M. de Guernon-Ranville,
-procureur-général, Berthet
-conserva une attitude immobile. Il reconnut
-les pistolets qu'on lui présenta et, sans
-aucune émotion, désigna le plus gros comme
-étant celui dont il s'était servi contre madame
-M.....</p>
-
-<p>«&mdash;Quel motif a pu vous porter à ce crime?
-lui demanda le président.</p>
-
-<p>«&mdash;Deux passions qui m'ont tourmenté
-pendant quatre ans, l'amour et la jalousie,
-répondit Berthet.»</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_472"> 472</a></span>
-Dans tout le cours de son interrogatoire,
-Berthet voulut répandre des soupçons sur la
-vertu de sa victime, et faire croire qu'il avait eu
-des relations adultères avec elle. Il se complut
-à étaler devant la Cour une foule de
-détails diffamatoires qui tendaient à noircir
-la réputation de cette dame, et à la faire
-passer pour une femme extrêmement corrompue.
-Il ne se contenta pas de calomnier
-les m&oelig;urs de madame M....., son système de
-diffamation essaya de flétrir aussi mademoiselle
-de C..... afin de motiver sa sortie de la
-maison des parens de cette demoiselle.</p>
-
-<p>«Je revins à Brangues, dit-il, je m'aperçus
-bientôt que les sentimens de madame M.....
-étaient changés à mon égard. Avant que
-j'eusse quitté sa maison, elle m'avait fait des
-protestations multipliées d'une éternelle constance.
-Il y avait dans sa chambre une image
-du Christ; souvent en la contemplant, elle
-m'avait dit avec passion: «<i>En présence de cette
-image sacrée, je jure d'être toujours à vous,
-de n'en pas aimer d'autre, je vous promets de
-ne jamais vous oublier de vous rendre heureux,
-de m'occuper toujours de votre sort...</i>»
-Ces sermens m'avaient fait croire à sa sincérité;
-<span class="pagenum"><a id="Page_473"> 473</a></span>
-mais il ne me fut plus possible de douter,
-à ma sortie du château de C.... de la froideur
-de madame M..... Jacquin était devenu l'instituteur
-de ses enfans, et je m'aperçus que j'avais
-été remplacé de deux manières.»</p>
-
-<p>Madame Marigny, amie d'enfance de madame
-M...., entendue comme témoin, déposa,
-entre autres choses, que Berthet étant venu
-la voir quelques jours avant son départ pour
-Lyon, elle lui avait demandé s'il avait l'espoir
-de trouver une place dans cette ville,
-et que celui-ci avait répondu: «Non, j'y vais
-acheter des pistolets pour tuer madame M....
-et me tuer moi-même après elle. J'avais eu
-déjà l'intention de la tuer dimanche dernier,
-jour de la Fête-Dieu, avec un fer que j'avais
-aiguisé; mais maintenant je suis résolu.»</p>
-
-<p>Berthet convint de tous ces faits, et ajouta,
-que s'il n'avait pas exécuté le dessein qu'il
-avait formé le jour de la Fête-Dieu, c'est que
-dans l'intervalle, il avait appris que l'on s'était
-occupé de lui.</p>
-
-<p>«Cette explication devient, contre vous,
-une charge accablante, reprit le procureur-général.
-Ainsi donc, c'est une place qui était
-l'objet de toutes vos menées; c'est une place
-<span class="pagenum"><a id="Page_474"> 474</a></span>
-que vous demandiez avec le pistolet et le poignard!
-Vous n'avez consenti à laisser vivre
-madame M.... après la Fête-Dieu, que parce
-qu'on vous donna des espérances de vous en
-procurer une! Cette conduite est d'une lâche
-atrocité!»</p>
-
-<p>Après l'audition de tous les témoins, le
-ministère public soutint l'accusation au fond.
-Berthet demanda ensuite la parole, et lut un
-long récit d'un style naturel et élégant, où
-entrant dans de minutieux détails et s'excusant,
-sur le péril de sa position, il s'efforçait de
-dépeindre madame M.... comme la corruptrice
-de sa jeunesse. Il raconta par quelle
-suite de causes et d'insinuations elle aurait
-perdu son innocence et trop instruit son
-ignorante simplicité.</p>
-
-<p>De ce récit pénible pour ceux qui s'intéressaient
-à Berthet, et lu avec une extrême froideur,
-résulta la preuve que s'il fallait admettre
-la jalousie de l'amour comme une
-des causes impulsives du crime, il existait,
-dans l'âme de l'accusé, un second mobile et
-non moins puissant, un orgueil ambitieux et
-égoïste, déçu dans ses espérances.</p>
-
-<p>Le défenseur de l'accusé, M<sup>e</sup> Massonnet,
-<span class="pagenum"><a id="Page_475"> 475</a></span>
-s'attacha à montrer Berthet, dominé par sa
-fatale passion, et soutint que son crime avait
-été commis sans une véritable volonté. Le
-ministère public improvisa une vigoureuse
-réplique, dans laquelle il parcourut de nouveau
-toutes les parties de la cause. «Berthet,
-dit-il, vient de nous dévoiler lui-même toute
-la turpitude de son âme. Non, il n'éprouvait
-pas d'amour, quand il frappa madame M....
-d'un coup meurtrier: ne profanons pas le
-nom d'une passion qui peut être honnête.
-Sent-il l'amour, celui qui diffame l'objet qu'il
-prétend aimer? celui qui, bassement méchant,
-va porter la discorde dans un ménage bien
-uni, exciter le désespoir dans l'âme de l'époux
-qu'il a indignement outragé, et goûter
-un infernal plaisir à retourner le poignard
-dans sa plaie; celui qui, dans son maladroit
-système de défense, ose dérouler publiquement
-un tissu des plus odieuses infamies
-contre sa bienfaitrice?</p>
-
-<p>«Berthet, au moment suprême, lorsqu'il
-se trouve exposé à être traduit devant le souverain
-juge, qu'il avait invoqué naguère, se
-défend par les plus noires calomnies, que
-tout dément. Votre raison, MM. les jurés,
-<span class="pagenum"><a id="Page_476"> 476</a></span>
-vous a dit que madame M.... est demeurée
-pure; elle s'est refusée surtout à croire qu'il
-fût possible que le délire d'une passion adultère
-aveuglât au point de prendre Dieu à témoin
-de sermens criminels, d'attester l'image
-du Dieu qui consacra la sainteté du mariage.
-Mais Berthet voudrait entraîner dans
-sa ruine l'honneur d'une femme qu'il aimait,
-et dont il dit avoir été aimé. Il voudrait léguer
-la honte et le désespoir à deux époux, dont la
-seule faute fut de mal placer leurs bienfaits:
-mais l'infamie dont il cherche à couvrir une
-famille respectable retombe tout entière sur
-sa tête pour l'accabler.</p>
-
-<p>«Allons plus avant, messieurs les jurés; sondons
-les derniers replis de cette âme perverse:
-qu'y découvrons-nous? L'ambition déçue,
-l'amour-propre d'un homme envieux,
-qui s'irritait de voir madame M.... favoriser
-Jacquin plus que lui. Pourquoi donc, s'il était
-tourmenté par la jalousie de l'amour, pourquoi
-ne choisissait-il pas son rival pour lui
-faire porter le poids de sa vengeance? Mais
-non; c'est à madame M.... seule qu'il s'adresse;
-il lui demande la vie ou une place! C'est le
-couteau sur la poitrine qu'il exige des services!
-<span class="pagenum"><a id="Page_477"> 477</a></span>
-Berthet, détrompé de ses rêves ambitieux,
-convaincu trop tard qu'il ne peut
-atteindre le but que son orgueil s'était proposé,
-Berthet désespéré veut périr: mais en
-mourant, sa rage veut entraîner une victime
-dans la tombe qu'il creuse pour lui-même!...»</p>
-
-<p>Berthet fut déclaré coupable de meurtre
-volontaire avec préméditation. L'accusé entendit
-le fatal arrêt, sans montrer la plus
-légère marque d'émotion. Le lendemain, ce
-malheureux fit appeler le président de la
-Cour, et rétracta tout le système de diffamation
-où le soin de sa défense l'avait entraîné.
-Il rendit hommage à l'honneur de sa victime,
-et déclara que la jalousie qui le dévorait avait
-pu seule le porter à supposer qu'elle fût coupable.</p>
-
-<p>La sentence de Berthet fut exécutée le 23 février
-1828, à onze heures du matin sur la
-place d'armes de Grenoble; son pourvoi avait
-été rejeté par la Cour suprême. Comme on
-voyait dans le condamné, moins un assassin
-ordinaire, qu'un jeune homme victime de ses
-passions, entraîné à sa ruine par un funeste
-concours de circonstances, on avait cru que
-le recours en grâce formé en faveur de Berthet,
-<span class="pagenum"><a id="Page_478"> 478</a></span>
-aurait été suivi d'une commutation de
-peine. Mais les démarches faites à ce sujet
-avaient été infructueuses. Aussi Berthet disait-il,
-la veille de sa mort, à l'une des dames
-de prison qui l'assistaient: <i>J'ai le pressentiment
-que demain sera mon dernier jour.</i> On
-ne put lui répondre que par le silence; on
-savait que le recours en grâce venait d'être
-rejeté. Berthet reçut avec piété toutes les
-consolations de la religion; arrivé au pied de
-l'échafaud, il envisagea sans crainte le terrible
-appareil, fléchit un moment le genou pour
-prier et livra sa tête à l'exécuteur.</p>
-
-<p>Au moment même où la Cour d'assises de
-l'Isère prononçait la condamnation du séminariste
-Berthet, celle des Pyrénées-Orientales
-(Perpignan) condamnait aux travaux
-forcés à perpétuité un autre séminariste
-nommé Baptiste Marty, prévenu d'avoir, de
-complicité avec son père, son frère et un quatrième
-individu, commis un homicide volontaire
-sur la personne d'un créancier de sa
-famille.</p>
-
-
-<p class="end">FIN DU SEPTIÈME VOLUME.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_479"> 479</a></span></p>
-<h2 class="normal">
-TABLE<br />
-<span class="medium">DU SEPTIÈME VOLUME.</span></h2>
-
-<table id="ToC" summary="contents">
-<tr>
-<td class="tdl">&nbsp;</td>
-<td class="tdr">Page</td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Le curé Étienne Pacot, injustement condamné à mort.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_1">1</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Complication de scélératesses.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_23">23</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Jean Heinrich, parricide.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_39">39</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">L'épicier Duteil et Delphine Carnet.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_45">45</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Louvel, assassin du duc de Berry.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_50">50</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Assassinat de Neyrat.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_75">75</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Catherine Caman et ses complices.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_83">83</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Les deux fils parricides.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_86">86</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Lelièvre, dit Chevallier.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_89">89</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Peyrache, faux témoin; Rispal et Galland, ses victimes.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_123">123</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Trait de férocité d'un forçat.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_142">142</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Jeune fille assassiné par son corrupteur.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_145">145</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Le curé Mingrat.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_148">148</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Castaing.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_182">182</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Assassinat de la mère Jérôme.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_229">229</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Henri Feldtmann, ou père incestueux et assassin de sa fille.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_234">234</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Assassinat de madame veuve Aillet et de la fille Goussard, sa domestique, à Chartres.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_242">242</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Antoine Léger, ou l'anthropophage des environs de Versailles.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_268">268</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Veillère, ou la passion du jeu.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_283">283</a><br />
-<span class="pagenum"><a id="Page_480"> 480</a></span></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Effrayante série d'atrocités. </td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_286">286</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Papavoine, ou le meurtre du bois de Vincennes.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_292">292</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">La veuve Boursier.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_323">323</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Le forçat Sureau.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_345">345</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Pierre Barrié, parricide.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_349">349</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">André Blum, accusé de faux et d'empoisonnement.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_359">359</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Assassins de grand chemin.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_369">369</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Bancelin, meurtrier de son épouse.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_377">377</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Le couple assassin.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_387">387</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Henriette Cornier.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_396">396</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Horrible assassinat et suicide.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_403">403</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Derniers momens d'un scélérat condamné à mort.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_409">409</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Asselineau, ou les suites funestes de la passion du jeu.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_414">414</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Famille de parricides.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_434">434</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Compte, meurtrier de sa femme et de son enfant.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_440">440</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Castanier, ou les résultats criminels de l'exaltation religieuse.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_444">444</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Accusation d'assassinat résultant d'un suicide.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_452">452</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Joseph Mauri.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_459">459</a></td>
-</tr>
-<tr>
-<td class="tdl">Meurtre commis dans une église par un jeune séminariste.</td>
-<td class="tdr"><a href="#Page_464">464</a></td>
-</tr>
-</table>
-
-
-<p class="end">FIN DE LA TABLE DU SEPTIÈME VOLUME.</p>
-
-
-
-
-
-
-
-
-<pre>
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Chronique du crime et de l'innocence,
-t. 7 of 8, by Robert Estienne
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CHRONIQUE DU CRIME, T. 7 ***
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