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-The Project Gutenberg EBook of Le livre de Monelle, by Marcel Schwob
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: Le livre de Monelle
-
-Author: Marcel Schwob
-
-Release Date: October 27, 2016 [EBook #53374]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE LIVRE DE MONELLE ***
-
-
-
-
-Produced by Giovanni Fini, Clarity and the Online
-Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
-file was produced from images generously made available
-by The Internet Archive/Canadian Libraries)
-
-
-
-
-
-
-
- NOTES SUR LA TRANSCRIPTION:
-
-—Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
-
-—On a conservé l’orthographie de l’original, incluant ses variantes.
-
-
-
-
- LE LIVRE
-
- DE MONELLE
-
-
-
-
- DU MÊME AUTEUR:
-
-
- CŒUR DOUBLE, 1 vol 3.50
- LE ROI AU MASQUE D’OR, 1 vol 3.50
- MIMES, 1 vol 3.50
-
-
-_Tous droits de traduction et de reproduction réservés pour tous pays,
- y compris la Suède et la Norvège._
-
-
-
-
- MARCEL SCHWOB
-
- _Le Livre
- de Monelle_
-
-
- PARIS
-
- LÉON CHAILLEY, ÉDITEUR
-
- 8, RUE SAINT-JOSEPH, 8
-
- 1894
-
-
-
-
- Table des matières
-
-
- I. PAROLES DE MONELLE 1
-
- II. LES SŒURS DE MONELLE 36
-
- Les crabes 38
-
- La petite femme de Barbe-Bleue 55
-
- La fille du Moulin 67
-
- Bargette 83
-
- Bûchette 101
-
- Jeanie 115
-
- Ilsée 127
-
- Marjolaine 139
-
- Cice 154
-
- Morgane 167
-
- Mandosiane 183
-
-
- III. MONELLE 199
-
- Rencontre de Monelle 200
-
- Monelle 213
-
- Fuite de Monelle 227
-
- Patience de Monelle 243
-
- Le Royaume de Monelle 257
-
- Résurrection de Monelle 271
-
-
-
-
- I
-
- _Paroles de Monelle_
-
-
-Monelle me trouva dans la plaine où j’errais et me prit par la main.
-
- * * * * *
-
-—N’aie point de surprise, dit-elle, c’est moi et ce n’est pas moi;
-
-Tu me retrouveras encore et tu me perdras;
-
-Encore une fois je viendrai parmi vous; car peu d’hommes m’ont vue et
-aucun ne m’a comprise;
-
-Et tu m’oublieras et tu me reconnaîtras et tu m’oublieras.
-
-Et Monelle dit encore: Je te parlerai des petites prostituées, et tu
-sauras le commencement.
-
-Bonaparte le tueur, à dix-huit ans, rencontra sous les portes de fer du
-Palais-Royal une petite prostituée. Elle avait le teint pâle et elle
-grelottait de froid. Mais «il fallait vivre», lui dit-elle. Ni toi, ni
-moi, nous ne savons le nom de cette petite que Bonaparte emmena, par
-une nuit de novembre, dans sa chambre, à l’hôtel de Cherbourg. Elle
-était de Nantes, en Bretagne. Elle était faible et lasse, et son amant
-venait de l’abandonner. Elle était simple et bonne; sa voix avait un
-son très doux. Bonaparte se souvint de tout cela. Et je pense qu’après,
-le souvenir du son de sa voix l’émut jusqu’aux larmes et qu’il la
-chercha longtemps, sans jamais plus la revoir, dans les soirées d’hiver.
-
-Car, vois-tu, les petites prostituées ne sortent qu’une fois de la
-foule nocturne pour une tâche de bonté. La pauvre Anne accourut vers
-Thomas de Quincey, le mangeur d’opium, défaillant dans la large rue
-d’Oxford sous les grosses lampes allumées. Les yeux humides, elle
-lui porta aux lèvres un verre de vin doux, l’embrassa et le câlina.
-Puis elle rentra dans la nuit. Peut-être qu’elle mourut bientôt. Elle
-toussait, dit de Quincey, le dernier soir que je l’ai vue. Peut-être
-qu’elle errait encore dans les rues; mais, malgré la passion de sa
-recherche, quoiqu’il bravât les rires des gens auxquels il s’adressait,
-Anne fut perdue pour toujours. Quand il eut plus tard une maison
-chaude, il songea souvent avec des larmes que la pauvre Anne aurait
-pu vivre là près de lui; au lieu qu’il se la représentait malade, ou
-mourante, ou désolée, dans la noirceur centrale d’un b ... de Londres,
-et elle avait emporté tout l’amour pitoyable de son cœur.
-
-Vois-tu, elles poussent un cri de compassion vers vous, et vous
-caressent la main avec leur main décharnée. Elles ne vous comprennent
-que si vous êtes très malheureux; elles pleurent avec vous et vous
-consolent. La petite Nelly est venue vers le forçat Dostoïevsky hors de
-sa maison infâme, et, mourante de fièvre, l’a regardé longtemps avec
-ses grands yeux noirs tremblants. La petite Sonia (elle a existé comme
-les autres) a embrassé l’assassin Rodion après l’aveu de son crime.
-«Vous vous êtes perdu!» a-t-elle dit avec un accent désespéré. Et, se
-relevant soudain, elle s’est jetée à son cou, et l’a embrassé ... «Non,
-il n’y a pas maintenant sur la terre un homme plus malheureux que toi!»
-s’est-elle écriée dans un élan de pitié, et tout à coup elle a éclaté
-en sanglots.
-
-Comme Anne et celle qui n’a pas de nom et qui vint vers le jeune et
-triste Bonaparte, la petite Nelly s’est enfoncée dans le brouillard.
-Dostoïevsky n’a pas dit ce qu’était devenue la petite Sonia, pâle et
-décharnée. Ni toi ni moi nous ne savons si elle put aider jusqu’au bout
-Raskolnikoff dans son expiation. Je ne le crois pas. Elle s’en alla
-très doucement dans ses bras, ayant trop souffert et trop aimé.
-
-Aucune d’elles, vois-tu, ne peut rester avec vous. Elles seraient trop
-tristes et elles ont honte de rester. Quand vous ne pleurez plus, elles
-n’osent pas vous regarder. Elles vous apprennent la leçon qu’elles ont
-à vous apprendre, et elles s’en vont. Elles viennent à travers le froid
-et la pluie vous baiser au front et essuyer vos yeux et les affreuses
-ténèbres les reprennent. Car elles doivent peut-être aller ailleurs.
-
-Vous ne les connaissez que pendant qu’elles sont compatissantes. Il
-ne faut pas penser à autre chose. Il ne faut pas penser à ce qu’elles
-ont pu faire dans les ténèbres. Nelly dans l’horrible maison, Sonia
-ivre sur le banc du boulevard, Anne rapportant le verre vide chez le
-marchand de vin d’une ruelle obscure, étaient peut-être cruelles et
-obscènes. Ce sont des créatures de chair. Elles sont sorties d’une
-impasse sombre pour donner un baiser de pitié sous la lampe allumée de
-la grande rue. En ce moment, elles étaient divines.
-
-Il faut oublier tout le reste.
-
- * * * * *
-
-Monelle se tut et me regarda:
-
-Je suis sortie de la nuit, dit-elle, et je rentrerai dans la nuit. Car,
-moi aussi, je suis une petite prostituée.
-
- * * * * *
-
-Et Monelle dit encore:
-
-J’ai pitié de toi, j’ai pitié de toi, mon aimé.
-
-Cependant je rentrerai dans la nuit; car il est nécessaire que tu me
-perdes, avant de me retrouver. Et si tu me retrouves, je t’échapperai
-encore.
-
-Car je suis celle qui est seule.
-
- * * * * *
-
-Et Monelle dit encore:
-
-Parce que je suis seule, tu me donneras le nom de Monelle. Mais tu
-songeras que j’ai tous les autres noms.
-
-Et je suis celle-ci et celle-là, et celle qui n’a pas de nom.
-
-Et je te conduirai parmi mes sœurs, qui sont moi-même, et semblables à
-des prostituées sans intelligence;
-
-Et tu les verras tourmentées d’égoïsme et de volupté et de cruauté et
-d’orgueil et de patience et de pitié, ne s’étant point encore trouvées;
-
-Et tu les verras aller se chercher au loin;
-
-Et tu me trouveras toi-même et je me trouverai moi-même; et tu me
-perdras et je me perdrai.
-
-Car je suis celle qui est perdue sitôt trouvée.
-
- * * * * *
-
-Et Monelle dit encore:
-
-En ce jour une petite femme te touchera de la main et s’enfuira;
-
-Parce que toutes choses sont fugitives; mais Monelle est la plus
-fugitive.
-
-Et, avant que tu me retrouves, je t’enseignerai dans cette plaine, et
-tu écriras le livre de Monelle.
-
- * * * * *
-
-Et Monelle me tendit une férule creusée où brûlait un filament rose.
-
-—Prends cette torche, dit-elle, et brûle. Brûle tout sur la terre et
-au ciel. Et brise la férule et éteins-la quand tu auras brûlé, car rien
-ne doit être transmis;
-
-Afin que tu sois le second narthécophore et que tu détruises par le feu
-ce qui a été créé par le feu et que le feu descendu du ciel remonte au
-ciel.
-
- * * * * *
-
-Et Monelle dit encore: Je te parlerai de la destruction.
-
- * * * * *
-
-Voici la parole: Détruis, détruis, détruis. Détruis en toi-même,
-détruis autour de toi. Fais de la place pour ton âme et pour les autres
-âmes.
-
-Détruis tout bien et tout mal. Les décombres sont semblables.
-
-Détruis les anciennes habitations d’hommes et les anciennes habitations
-d’âmes; les choses mortes sont des miroirs qui déforment.
-
-Détruis, car toute création vient de la destruction.
-
-Et pour la bonté supérieure il faut anéantir la bonté inférieure. Et
-ainsi le nouveau bien paraît saturé de mal.
-
-Et pour imaginer un nouvel art, il faut briser l’art ancien. Et ainsi
-l’art nouveau semble une sorte d’iconoclastie.
-
-Car toute construction est faite de débris, et rien n’est nouveau en
-ce monde que les formes.
-
-Mais il faut détruire les formes.
-
- * * * * *
-
-Et Monelle dit encore: Je te parlerai de la formation.
-
- * * * * *
-
-Le désir même du nouveau n’est que l’appétence de l’âme qui souhaite se
-former.
-
-Et les âmes rejettent les formes anciennes ainsi que les serpents leurs
-anciennes peaux.
-
-Et les patients collecteurs d’anciennes peaux de serpent attristent les
-jeunes serpents parce qu’ils ont un pouvoir magique sur eux.
-
-Car celui qui possède les anciennes peaux de serpent empêche les jeunes
-serpents de se transformer.
-
-Voilà pourquoi les serpents dépouillent leur corps dans le conduit
-vert d’un fourré profond; et une fois l’an les jeunes se réunissent en
-cercle pour brûler les anciennes peaux.
-
-Sois donc semblable aux saisons destructrices et formatrices.
-
-Bâtis ta maison toi-même et brûle-la toi-même.
-
-Ne jette pas de décombres derrière toi; que chacun se serve de ses
-propres ruines.
-
-Ne construis point dans la nuit passée. Laisse tes bâtisses s’enfuir à
-la dérive.
-
-Contemple de nouvelles bâtisses aux moindres élans de ton âme.
-
-Pour tout désir nouveau fais des dieux nouveaux.
-
- * * * * *
-
-Et Monelle dit encore: Je te parlerai des dieux.
-
- * * * * *
-
-Laisse mourir les anciens dieux; ne reste pas assis, semblable à une
-pleureuse auprès de leurs tombes;
-
-Car les anciens dieux s’envolent de leurs sépulcres;
-
-Et ne protège point les jeunes dieux en les enroulant de bandelettes;
-
-Que tout dieu s’envole, sitôt créé;
-
-Que toute création périsse, sitôt créée;
-
-Que l’ancien dieu offre sa création au jeune dieu afin qu’elle soit
-broyée par lui;
-
-Que tout dieu soit dieu du moment.
-
- * * * * *
-
-Et Monelle dit encore: Je te parlerai des moments.
-
- * * * * *
-
-Regarde toutes choses sous l’aspect du moment.
-
-Laisse aller ton moi au gré du moment.
-
-Pense dans le moment. Toute pensée qui dure est contradiction.
-
-Aime le moment. Tout amour qui dure est haine.
-
-Sois sincère avec le moment. Toute sincérité qui dure est mensonge.
-
-Sois juste envers le moment. Toute justice qui dure est injustice.
-
-Agis envers le moment. Toute action qui dure est un règne défunt.
-
-Sois heureux avec le moment. Tout bonheur qui dure est malheur.
-
-Aie du respect pour tous les moments, et ne fais point de liaisons
-entre les choses.
-
-N’attarde pas le moment: tu lasserais une agonie.
-
-Vois: tout moment est un berceau et un cercueil: que toute vie et
-toute mort te semblent étranges et nouvelles.
-
- * * * * *
-
-Et Monelle dit encore: Je te parlerai de la vie et de la mort.
-
- * * * * *
-
-Les moments sont semblables à des bâtons mi-partie blancs et noirs;
-
-N’arrange point ta vie au moyen de dessins faits avec les moitiés
-blanches. Car tu trouveras ensuite les dessins faits avec les moitiés
-noires;
-
-Que chaque noirceur soit traversée par l’attente de la blancheur
-future.
-
-Ne dis pas: je vis maintenant, je mourrai demain. Ne divise pas la
-réalité entre la vie et la mort. Dis: maintenant je vis et je meurs.
-
-Épuise à chaque moment la totalité positive et négative des choses.
-
-La rose d’automne dure une saison; chaque matin, elle s’ouvre; tous les
-soirs elle se ferme.
-
-Sois semblable aux roses: offre tes feuilles à l’arrachement des
-voluptés, aux piétinements des douleurs.
-
-Que toute extase soit mourante en toi, que toute volupté désire mourir.
-
-Que toute douleur soit en toi le passage d’un insecte qui va
-s’envoler. Ne te referme pas sur l’insecte rongeur. Ne deviens pas
-amoureux de ces carabes noirs.
-
-Que toute joie soit en toi le passage d’un insecte qui va s’envoler.
-Ne te referme pas sur l’insecte suceur. Ne deviens pas amoureux de ces
-cétoines dorées.
-
-Que toute intelligence luise et s’éteigne en toi l’espace d’un éclair.
-
-Que ton bonheur soit divisé en fulgurations. Ainsi ta part de joie sera
-égale à celle des autres.
-
-Aie la contemplation atomistique de l’univers.
-
-Ne résiste pas à la nature. N’appuie pas contre les choses les pieds
-de ton âme. Que ton âme ne détourne point son visage comme le mauvais
-enfant.
-
-Va en paix avec la lumière rouge du matin et la lueur grise du soir.
-Sois l’aube mêlée au crépuscule.
-
-Mêle la mort avec la vie et divise-les en moments.
-
-N’attends pas la mort: elle est en toi. Sois son camarade et tiens-la
-contre toi; elle est comme toi-même.
-
-Meurs de ta mort; n’envie pas les morts anciennes. Varie les genres de
-mort avec les genres de vie.
-
-Tiens toute chose incertaine pour vivante, toute chose certaine pour
-morte.
-
- * * * * *
-
-Et Monelle dit encore: Je te parlerai des choses mortes.
-
- * * * * *
-
-Brûle soigneusement les morts, et répands leurs cendres aux quatre
-vents du ciel.
-
-Brûle soigneusement les actions passées, et écrase les cendres; car le
-phénix qui en renaîtrait serait le même.
-
-Ne joue pas avec les morts et ne caresse point leurs visages. Ne ris
-pas d’eux et ne pleure pas sur eux: oublie-les.
-
-Ne te fie pas aux choses passées. Ne t’occupe point à construire de
-beaux cercueils pour les moments passés: songe à tuer les moments qui
-viendront.
-
-Aie de la méfiance pour tous les cadavres.
-
-N’embrasse pas les morts: car ils étouffent les vivants.
-
-Aie pour les choses mortes le respect qu’on doit aux pierres à bâtir.
-
-Ne souille pas tes mains le long des lignes usées. Purifie tes doigts
-dans des eaux nouvelles.
-
-Souffle le souffle de ta bouche et n’aspire pas les haleines mortes.
-
-Ne contemple point les vies passées plus que ta vie passée. Ne
-collectionne point d’enveloppes vides.
-
-Ne porte pas en toi de cimetière. Les morts donnent la pestilence.
-
- * * * * *
-
-Et Monelle dit encore: Je te parlerai de tes actions.
-
- * * * * *
-
-Que toute coupe d’argile transmise s’effrite entre tes mains. Brise
-toute coupe où tu auras bu.
-
-Souffle sur la lampe de vie que le coureur te tend. Car toute lampe
-ancienne est fumeuse.
-
-Ne te lègue rien à toi-même, ni plaisir, ni douleur.
-
-Ne sois l’esclave d’aucun vêtement, ni d’âme, ni de corps.
-
-Ne frappe jamais avec la même face de la main.
-
-Ne te mire pas dans la mort; laisse emporter ton image dans l’eau qui
-court.
-
-Fuis les ruines, et ne pleure pas parmi.
-
-Quand tu quittes tes vêtements le soir, déshabille-toi de ton âme de la
-journée; mets-toi à nu à tous les moments.
-
-Toute satisfaction te semblera mortelle. Fouette-la en avant.
-
-Ne digère pas les jours passés: nourris-toi des choses futures.
-
-Ne confesse point les choses passées, car elles sont mortes; confesse
-devant toi les choses futures.
-
-Ne descends pas cueillir les fleurs le long du chemin. Contente-toi de
-toute apparence. Mais quitte l’apparence, et ne te retourne pas.
-
-Ne te retourne jamais: derrière toi accourt le halètement des flammes
-de Sodome, et tu serais changé en statue de larmes pétrifiées.
-
- * * * * *
-
-Ne regarde pas derrière toi. Ne regarde pas trop devant toi. Si tu
-regardes en toi, que tout soit blanc.
-
-Ne t’étonne de rien par la comparaison du souvenir; étonne-toi de tout
-par la nouveauté de l’ignorance.
-
-Etonne-toi de toute chose; car toute chose est différente dans la vie
-et semblable dans la mort.
-
-Bâtis dans les différences; détruis dans les similitudes.
-
- * * * * *
-
-Ne te dirige pas vers des permanences; elles ne sont ni sur terre ni au
-ciel.
-
-La raison étant permanente, tu la détruiras, et tu laisseras changer ta
-sensibilité.
-
-Ne crains pas de te contredire: il n’y a point de contradiction dans le
-moment.
-
-N’aime pas ta douleur; car elle ne durera point.
-
-Considère tes ongles qui poussent, et les petites écailles de ta peau
-qui tombent.
-
- * * * * *
-
-Sois oublieux de toutes choses.
-
-Avec un poinçon acéré tu t’occuperas à tuer patiemment tes souvenirs
-comme l’ancien empereur tuait les mouches.
-
-Ne fais pas durer ton bonheur du souvenir jusqu’à l’avenir.
-
-Ne te souviens pas et ne prévois pas.
-
-Ne dis pas: je travaille pour acquérir; je travaille pour oublier. Sois
-oublieux de l’acquisition et du travail.
-
-Lève-toi contre tout travail; contre toute activité qui excède le
-moment, lève-toi.
-
-Que ta marche n’aille pas d’un bout à un autre; car il n’y a rien de
-tel; mais que chacun de tes pas soit une projection redressée.
-
-Tu effaceras avec ton pied gauche la trace de ton pied droit.
-
-La main gauche doit ignorer ce que vient de faire la main droite.
-
-Ne te connais pas toi-même.
-
-Ne te préoccupe point de ta liberté: oublie-toi toi-même.
-
- * * * * *
-
-Et Monelle dit encore: Je te parlerai de mes paroles.
-
-Les paroles sont des paroles tandis qu’elles sont parlées.
-
-Les paroles conservées sont mortes et engendrent la pestilence.
-
-Écoute mes paroles parlées et n’agis pas selon mes paroles écrites.
-
- * * * * *
-
-Ayant ainsi parlé dans la plaine, Monelle se tut et devint triste; car
-elle devait rentrer dans la nuit.
-
- * * * * *
-
-Et elle me dit de loin:
-
-Oublie-moi et je te serai rendue.
-
- * * * * *
-
-Et je regardai par la plaine et je vis se lever les sœurs de Monelle.
-
-
-
-
-II
-
-_Les sœurs de Monelle_
-
-
-
-
-_Les Crabes_
-
-
-
-
-LES CRABES
-
-
-Par la petite haie qui entourait la maison grise d’éducation au sommet
-de la falaise, un bras d’enfant se tendit avec un paquet noué d’une
-faveur rose.
-
-—Prends ça d’abord, dit une voix de fillette. Fais attention: ça se
-casse. Tu m’aideras après.
-
-Une fine pluie tombait également sur les creux du rocher, la crique
-profonde, et criblait le remous des vagues au pied de la falaise. Le
-mousse qui épiait à la clôture s’avança et dit tout bas:
-
-—Passe donc avant, dépêche-toi.
-
-La fillette cria:
-
-—Non, non, non! Je ne peux pas. Il faut cacher mon papier; je veux
-emporter les affaires qui sont à moi. Egoïste! égoïste! va! Tu vois
-bien que tu me fais mouiller!
-
-Le mousse tourna la bouche et empoigna le petit paquet. Le papier
-trempé creva et dans la boue roulèrent des triangles de soie jaune
-et violette frappés de fleurs, des bandelettes de velours, un petit
-pantalon de poupée en batiste, un cœur d’or creux avec une charnière,
-et une bobine neuve de fil rouge. La fillette passa sur la haie; elle
-se piqua les mains aux brindillons durs, et ses lèvres tremblèrent.
-
-—Là, tu vois, dit-elle. Tu as été très entêté. Toutes mes choses sont
-gâtées.
-
-Son nez remonta, ses sourcils se rapprochèrent, sa bouche se distendit,
-et elle se mit à pleurer:
-
-—Laisse-moi, laisse-moi. Je ne veux plus de toi. Va-t’en. Tu me fais
-pleurer. Je vais retourner avec Mademoiselle.
-
-Puis elle ramassa tristement ses étoffes.
-
-—Ma jolie bobine est perdue, dit-elle. Moi qui voulais broder la robe
-de Lili!
-
- * * * * *
-
-Par la poche horriblement ouverte de sa courte jupe on voyait une
-petite tête régulière de porcelaine avec une extraordinaire tignasse de
-cheveux blonds.
-
-—Viens, lui souffla le mousse. Je suis sûr que ta Mademoiselle te
-cherche déjà.
-
-Elle se laissa emmener en s’essuyant les yeux avec le revers d’une
-menotte tachée d’encre.
-
-—Et quoi donc encore ce matin? demanda le mousse. Hier tu ne voulais
-plus.
-
-—Elle m’a battue avec son manche à balai, dit la fillette en serrant
-les lèvres. Battue et enfermée dans l’armoire à charbon, avec les
-araignées et les bêtes. Quand je reviendrai, je mettrai le balai dans
-son lit, je brûlerai sa maison avec le charbon et je la tuerai avec ses
-ciseaux. Oui. (Elle mit sa bouche en pointe.) Oh! emmène-moi loin, que
-je ne la revoie plus. J’ai peur de son nez pincé et de ses lunettes.
-Je me suis bien vengée avant de m’en aller. Figure-toi qu’elle avait
-le portrait de son papa et de sa maman, dans des choses de velours,
-sur la cheminée. Des vieux; pas comme ma maman, à moi. Toi, tu ne peux
-pas savoir. Je les ai barbouillés avec du sel d’oseille. Ils seront
-affreux. C’est bien fait. Tu pourrais me répondre, au moins.
-
-Le mousse levait les yeux sur la mer. Elle était sombre et brumeuse. Un
-rideau de pluie voilait toute la baie. On ne voyait plus les écueils
-ni les balises. Par moments le linceul humide tissé de gouttelettes
-filantes se trouait sur des paquets d’algues noires.
-
-—On ne pourra pas marcher cette nuit, dit le mousse. Il faudra aller
-dans la cahute de la douane où il y a du foin.
-
-—Je ne veux pas, c’est sale! cria la fillette.
-
-—Tout de même, dit le mousse, As-tu envie de revoir ta Mademoiselle?
-
-—Égoïste! dit la fillette qui éclata en sanglots. Je ne savais pas que
-tu étais comme ça. Si j’avais su, mon Dieu! moi qui ne te connaissais
-pas!
-
-—Tu n’avais qu’à ne pas partir. Qui est-ce qui m’a appelé, l’autre
-matin, quand je passais sur la route?
-
-—Moi? Oh! le menteur! Je ne serais pas partie si tu ne me l’avais pas
-dit. J’avais peur de toi. Je veux m’en aller. Je ne veux pas coucher
-dans du foin. Je veux mon lit.
-
-—Tu es libre, dit le mousse.
-
-Elle continua de marcher, en haussant les épaules. Après quelques
-instants:
-
-—Si je veux bien, dit-elle, c’est parce que je suis mouillée, au moins.
-
- * * * * *
-
-La cahute s’étalait sur le versant de la mer, et les brins de chaume
-dressés dans la terre du toit ruisselaient silencieusement. Ils
-poussèrent la planche à l’entrée. Au fond était une sorte d’alcôve,
-faite avec des couvercles de caisses et remplie de foin.
-
-La fillette s’assit. Le mousse lui enveloppa les pieds et les jambes
-d’herbe sèche.
-
-—Ça pique, dit-elle.
-
-—Ça réchauffe, dit le mousse.
-
-Il s’assit près de la porte et guetta le temps. L’humidité le faisait
-grelotter faiblement.
-
-—Tu n’as pas froid, au moins! dit la fillette. Après, tu seras malade,
-et qu’est-ce que je ferai, moi!
-
-Le mousse secoua la tête. Ils restèrent sans parler. Malgré le ciel
-couvert, on éprouvait le crépuscule.
-
-—J’ai faim, dit la fillette. Ce soir il y a de l’oie rôtie avec des
-marrons chez Mademoiselle. Oh! Tu n’as pensé à rien, toi. J’avais
-emporté des croûtes. Elles sont en bouillie. Tiens!
-
-Elle tendit la main. Ses doigts étaient collés dans une panade froide.
-
-—Je vais chercher des crabes, dit le mousse. Il y en a au bout des
-Pierres-Noires. Je prendrai la barque de la douane, en bas.
-
-—J’aurai peur, toute seule.
-
-—Tu ne veux pas manger?
-
-Elle ne répondit rien.
-
-Le mousse secoua les brindilles collées à sa vareuse et se glissa
-dehors. La pluie grise l’enveloppa. Elle entendit ses pas sucés dans la
-boue.
-
- * * * * *
-
-Puis il y eut des rafales, et le grand silence rythmé de l’averse.
-L’ombre vint, plus forte et plus triste. L’heure du dìner chez
-Mademoiselle était passée. L’heure du coucher était passée. Là-bas,
-sous les lampes d’huile suspendues, tout le monde dormait dans les
-lits blancs bordés. Quelques mouettes crièrent la tempête. Le vent
-tourbillonna et les lames canonnèrent dans les grands trous de la
-falaise. Dans l’attente de son dîner la fillette s’endormit, puis se
-réveilla. Le mousse devait jouer avec les crabes. Quel égoïste! Elle
-savait bien que les bateaux flottent toujours sur l’eau. Les gens se
-noient quand ils n’ont pas de bateau.
-
-—Il sera bien attrapé, quand il verra que je dors, se dit-elle. Je ne
-lui répondrai pas un mot, je ferai semblant. Ce sera bien fait.
-
- * * * * *
-
-Vers le milieu de la nuit elle se trouva sous le feu d’une lanterne. Un
-homme à caban pointu venait de la découvrir, blottie comme une souris.
-Sa figure était luisante d’eau et de lumière ...
-
-—Où est la barque? dit-il.
-
-Et elle s’écria, dépitée:
-
-—Oh! j’étais sûre! il ne m’a pas trouvé de crabes et il a perdu le
-bateau!
-
-
-
-
-_La petite femme de Barbe-Bleue_
-
-
-
-
-LA PETITE FEMME DE BARBE-BLEUE
-
-
-—Terrible, ça, dit la fillette, parce que ça saigne du sang blanc.
-
-Elle incisait avec ses ongles des têtes vertes de pavots. Son petit
-camarade la regardait paisiblement. Ils avaient joué aux brigands
-parmi les marronniers, bombardé les roses avec des marrons frais,
-décapuchonné des glands nouveaux, posé le jeune chat qui miaulait sur
-les planches de la palissade. Le fond du jardin obscur, où montait un
-arbre fourchu, avait été l’île de Robinson. Une pomme d’arrosoir avait
-servi de conque guerrière pour l’attaque des sauvages. Des herbes à
-tête longue et noire, faites prisonnières, avaient été décapitées.
-Quelques cétoines bleues et vertes, capturées à la chasse, soulevaient
-lourdement leurs élytres dans le seau du puits. Ils avaient raviné le
-sable des allées, à force d’y faire passer des armées, avec des bâtons
-de parade. Maintenant, ils venaient de donner l’assaut à un tertre
-herbu de la prairie. Le soleil couchant les enveloppait d’une glorieuse
-lumière.
-
-Ils s’établirent sur les positions conquises, un peu las, et admirèrent
-les lointaines brumes cramoisies de l’automne.
-
-—Si j’étais Robinson, dit-il, et toi Vendredi, et s’il y avait une
-grande plage en bas, nous irions chercher des pieds de cannibales dans
-le sable.
-
-Elle réfléchit et demanda:
-
-—Est-ce que Robinson battait Vendredi pour se faire obéir?
-
-—Je ne me rappelle plus, dit-il; mais ils ont battu les vilains vieux
-Espagnols, et les sauvages du pays de Vendredi.
-
-—Je n’aime pas ces histoires, dit-elle: ce sont des jeux de garçon. Il
-va faire nuit. Si nous jouions à des contes: nous aurions peur pour de
-vrai.
-
-—Pour de vrai?
-
-—Tiens, crois-tu donc que la maison de l’Ogre, avec ses longues dents,
-ne vient pas tous les soirs au fond du bois?
-
-Il la considéra et fit claquer ses mâchoires:
-
-—Et quand il a mangé les sept petites princesses, ça a fait _gnam,
-gnam, gnam_.
-
-—Non, pas ça, dit-elle; on ne peut être que l’Ogre ou le Petit Poucet.
-Personne ne sait le nom des petites princesses. Si tu veux, je vais
-faire la Belle qui dort dans son château, et tu viendras me réveiller.
-Il faudra m’embrasser très fort. Les princes embrassent terriblement,
-tu sais.
-
-Il se sentit timide, et répondit:
-
-—Je crois qu’il est trop tard pour dormir dans l’herbe. La Belle était
-sur son lit, dans un château entouré d’épines et de fleurs.
-
-—Alors jouons à Barbe-Bleue, dit-elle. Je vais être ta femme et tu me
-défendras d’entrer dans la petite chambre. Commence: tu viens pour
-m’épouser. «Monsieur, je ne sais ... Vos six femmes ont disparu d’une
-façon mystérieuse. Il est vrai que vous avez une belle et grande barbe
-bleue, et que vous demeurez dans un splendide château. Vous ne me ferez
-pas de mal, jamais, jamais?»
-
-Elle l’implora du regard.
-
-—Là, maintenant, tu m’as demandée en mariage, et mes parents ont bien
-voulu. Nous sommes mariés. Donne-moi toutes les clefs. «Et qu’est-ce
-que c’est que cette jolie toute petite-là?» Tu vas faire la grosse voix
-pour me défendre d’ouvrir.
-
-Là, maintenant, tu t’en vas et je désobéis tout de suite. «Oh!
-l’horreur! six femmes assassinées!» Je m’évanouis, et tu arrives pour
-me soutenir. Voilà. Tu reviens en Barbe-Bleue. Fais la grosse voix.
-«Monseigneur, voici toutes les clefs que vous m’aviez confiées.» Tu me
-demandes où est la petite clef. «Monseigneur, je ne sais: je n’y ai pas
-touché.» Crie. «Monseigneur, pardonnez-moi, la voici: elle était tout
-au fond de ma poche.»
-
-Alors tu vas regarder la clef. Il y avait du sang sur la clef?
-
-—Oui, dit-il, une tache de sang.
-
-—Je me rappelle, dit-elle. Je l’ai frottée, frottée, mais je n’ai pas
-pu l’ôter. C’était le sang des six femmes?
-
-—Des six femmes.
-
-—Il les avait toutes tuées, hein, parce qu’elles entraient dans la
-petite chambre? Comment les tuait-il? Il leur coupait la gorge, et il
-les suspendait dans le cabinet noir? Et le sang coulait par leurs pieds
-jusque sur le plancher? C’était du sang très rouge, rouge noir, pas
-comme le sang des pavots quand je les griffe. On vous fait mettre à
-genoux, pour vous couper la gorge, pas?
-
-—Je crois qu’il faut se mettre à genoux, dit-il.
-
-—Ça va être très amusant, dit-elle. Mais tu me couperas la gorge comme
-pour de vrai?
-
-—Oui, mais, dit-il, Barbe-Bleue n’a pas pu la tuer.
-
-—Ça ne fait rien, dit-elle. Pourquoi Barbe-Bleue n’a-t-il pas coupé la
-tête de sa femme?
-
-—Parce que ses frères sont venus.
-
-—Elle avait peur, pas?
-
-—Très peur.
-
-—Elle criait?
-
-—Elle appelait sœur Anne.
-
-—Moi, je n’aurais pas crié.
-
-—Oui mais, dit-il, Barbe-Bleue aurait eu le temps de te tuer. Sœur
-Anne était sur la tour, pour regarder l’herbe qui verdoie. Ses frères,
-qui étaient des mousquetaires très forts, sont arrivés au grand galop
-de leurs chevaux.
-
-—Je ne veux pas jouer comme ça, dit la fillette. Ça m’ennuie. Puisque
-je n’ai pas de sœur Anne, voyons.
-
-Elle se tourna gentiment vers lui:
-
-—Puisque mes frères ne viendront pas, dit-elle, il faut me tuer, mon
-petit Barbe-Bleue, me tuer bien fort, bien fort!
-
-Elle se mit à genoux. Il saisit ses cheveux, les ramena en avant, et
-leva la main.
-
-Lente, les yeux clos et les cils frémissants, le coin des lèvres agité
-par un sourire nerveux, elle tendait le duvet de sa nuque, son cou, et
-ses épaules voluptueusement rentrées au tranchant cruel du sabre de
-Barbe-Bleue ...
-
-—Ou ... ouh! cria-t-elle, ça va me faire mal!
-
-
-
-
-_La fille du Moulin_
-
-
-
-
-LA FILLE DU MOULIN
-
-
-—Madge!
-
-La voix monta par l’ouverture carrée du plancher. Une énorme vis de
-chêne poli traversait le toit rond et tournait avec un son rauque. La
-grande aile de toile grise clouée sur son squelette de bois s’envolait
-devant la lucarne parmi la poussière de soleil. Au-dessous, deux bêtes
-de pierre semblaient lutter régulièrement, tandis que le moulin ahanait
-et tremblait sur sa base. Toutes les cinq secondes, une ombre longue et
-droite coupait la petite chambre. L’échelle qui montait jusqu’au faîte
-intérieur était poudrée de farine.
-
-—Madge, viens-tu? reprit la voix.
-
-Madge avait appuyé sa main contre la vis de chêne. Un frottement
-continu lui chatouillait la peau, tandis qu’elle regardait, un peu
-penchée, la campagne plate. Le tertre du moulin s’y arrondissait comme
-une tête rasée. Les ailes tournantes frôlaient presque l’herbe courte
-où leurs images noires se poursuivaient sans jamais s’atteindre. Tant
-d’ânes semblaient avoir gratté leurs dos au ventre du mur faiblement
-cimenté que le crépi laissait voir les taches grises des pierres. Au
-bas du monticule un sentier, creusé d’ornières desséchées, s’inclinait
-jusque vers le large étang où se trempaient des feuilles rouges.
-
-—Madge, on s’en va! cria encore la voix.
-
-—Eh bien, allez-vous-en, dit Madge tout bas.
-
-La petite porte du moulin grinça. Elle vit trembler les deux oreilles
-de l’âne qui tâtait l’herbe du sabot, avec précaution. Un gros sac
-était affaissé sur son bât. Le vieux meunier et son garçon piquaient le
-derrière de l’animal. Ils descendirent tous par le chemin creux. Madge
-resta seule, sa tête passée dans la lucarne.
-
- * * * * *
-
-Comme ses parents l’avaient trouvée un soir, étendue dans son lit à
-plat ventre, la bouche pleine de sable et de charbon, ils avaient
-consulté des médecins. Leur avis fut d’envoyer Madge à la campagne, et
-de lui fatiguer les jambes, le dos et les bras. Mais depuis qu’elle
-était au moulin, elle s’enfuyait dès l’aurore sous le petit toit, d’où
-elle considérait l’ombre tournoyante des ailes.
-
- * * * * *
-
-Tout à coup elle frémit de la pointe des cheveux aux talons. Quelqu’un
-avait soulevé le loquet de la porte.
-
-—Qui est là? demanda Madge par l’ouverture carrée.
-
-Et elle entendit une faible voix:
-
-—Si l’on pouvait avoir un peu à boire: j’ai bien soif.
-
-Madge regarda à travers les échelons. C’était un vieux mendiant de
-campagne. Il avait un pain dans son bissac.
-
-—Il a du pain, se dit Madge; c’est dommage qu’il n’ait pas faim.
-
-Elle aimait les mendiants, comme les crapauds, les limaces, et les
-cimetières, avec une certaine horreur.
-
-Elle cria:
-
-—Attendez un peu!
-
-Puis descendit l’échelle, la face en avant. Quand elle fut en bas:
-
-—Vous êtes bien vieux, dit-elle—et vous avez si soif?
-
-—Oh! oui, ma bonne petite demoiselle, dit le vieil homme.
-
-—Les mendiants ont faim, reprit Madge avec résolution. Moi j’aime le
-plâtre. Tenez.
-
-Elle arracha une croûte blanche de la muraille et la mâcha. Puis elle
-dit:
-
-—Tout le monde est sorti. Je n’ai pas de verre. Il y a la pompe.
-
-Elle lui montra le manche recourbé. Le vieux mendiant se pencha. Tandis
-qu’il aspirait le jet, la bouche au tuyau, Madge tira subtilement le
-pain de son bissac et l’enfonça dans un tas de farine.
-
-Quand il se retourna, les yeux de Madge dansaient.
-
-—Par là, dit-elle, il y a le grand étang. Les pauvres peuvent y boire.
-
-—Nous ne sommes pas des bêtes, dit le vieil homme.
-
-—Non, reprit Madge, mais vous êtes malheureux. Si vous avez faim,
-je vais voler un peu de farine et je vous en donnerai. Avec l’eau de
-l’étang, ce soir, vous pourrez faire de la pâte.
-
-—De la pâte crue! dit le mendiant. On m’a donné un pain, merci bien,
-mademoiselle.
-
-—Et que feriez-vous, si vous n’aviez pas de pain? Moi, si j’étais
-aussi vieille, je me noierais. Les noyés doivent être très heureux. Ils
-doivent être beaux. Je vous plains beaucoup, mon pauvre homme.
-
-—Dieu soit avec vous, bonne demoiselle, dit le vieil homme. Je suis
-bien las.
-
-—Et vous aurez faim ce soir, lui cria Madge, pendant qu’il descendait
-la pente du tertre. N’est-ce pas, brave homme, vous aurez faim? Il
-faudra manger votre pain. Il faudra le tremper dans l’eau de l’étang,
-si vos dents sont mauvaises. L’étang est très profond.
-
-Madge écouta jusqu’à ne plus entendre le bruit de ses pas. Elle tira
-doucement le pain de la farine, et le regarda. C’était une miche noire
-de village, maintenant tachée de blanc.
-
-—Pouah! dit-elle. Si j’étais pauvre, je volerais du pain blond dans
-les belles boulangeries.
-
-Quand le maître meunier rentra, Madge était couchée sur le dos, la tête
-dans la mouture. Elle serrait la miche sur sa taille, avec les deux
-mains; et, les yeux proéminents, les joues gonflées, un bout de langue
-violette entre les dents serrées, elle tâchait d’imiter l’image qu’elle
-se faisait d’une personne noyée.
-
-Après qu’on eut mangé la soupe:
-
-—Maître, dit Madge, n’est-ce pas qu’autrefois, il y a longtemps,
-longtemps, vivait dans ce moulin un géant énorme, qui faisait son pain
-avec des os d’hommes morts?
-
-Le meunier dit:
-
-—C’est des contes. Mais sous la colline, il y a des chambres de
-pierre qu’une société a voulu m’acheter, pour fouiller. Plus souvent je
-démolirais mon moulin. Ils n’ont qu’à ouvrir les vieilles tombes, dans
-leurs villes. Elles pourrissent assez.
-
-—Ça devait craquer, hein, des os de morts, dit Madge. Plus que votre
-blé, maître! Et le géant faisait du très bon pain avec, très bon; et il
-le mangeait—oui, il le mangeait.
-
-Le garçon Jean haussa les épaules. L’ahan du moulin s’était tu. Le vent
-n’enflait plus les ailes. Les deux bêtes circulaires de pierre avaient
-cessé de lutter. L’une pesait sur l’autre, silencieusement.
-
-—Jean m’a dit dans le temps, maître, reprit encore Madge, qu’on peut
-retrouver les noyés avec un pain où on a mis du vif-argent. On fait un
-petit trou dans la croûte et on verse. On jette le pain à l’eau, et il
-s’arrête juste sur le noyé.
-
-—Est-ce que je sais, dit le meunier. C’est pas des occupations de
-jeunes demoiselles. En voilà des histoires, Jean!
-
-—C’est mademoiselle Madge qui m’a demandé, répondit le garçon.
-
-—Moi je mettrais du plomb de chasse, dit Madge. Il n’y a pas de
-vif-argent ici. Peut-être qu’on trouverait des noyés dans l’étang.
-
- * * * * *
-
-Devant la porte, elle attendit le crépuscule, son pain sous son
-tablier, du petit plomb serré dans le poing. Le mendiant devait avoir
-eu faim. Il s’était noyé dans l’étang. Elle ferait revenir son corps,
-et, comme le géant, elle pourrait moudre de la farine et pétrir de la
-pâte avec des os d’homme mort.
-
-
-
-
-_Bargette_
-
-
-
-
-BARGETTE
-
-
-A la jonction de ces deux canaux, il y avait une écluse haute et noire;
-l’eau dormante était verte jusqu’à l’ombre des murailles; contre la
-cabane de l’éclusier, en planches goudronnées, sans une fleur, les
-volets battaient sous le vent; parla porte mi-ouverte, on voyait la
-mince figure pâle d’une petite fille, les cheveux éparpillés, la robe
-ramenée entre les jambes. Des orties s’abaissaient et se levaient
-sur la marge du canal; il y avait une volée de graines ailées du
-bas automne, et de petites bouffées de poussière blanche. La cabane
-semblait vide; la campagne était morne; une bande d’herbe jaunâtre se
-perdait à l’horizon.
-
-Comme la courte lumière du jour défaillait, on entendit le souffle du
-petit remorqueur. Il parut au delà de l’écluse, avec le visage taché
-de charbon du chauffeur qui regardait indolemment par sa porte de
-tôle; et à l’arrière une chaîne se déroulait dans l’eau. Puis venait,
-flottante et paisible, une barge brune, large et aplatie; elle portait
-au milieu une maisonnette blanchement tenue, dont les petites vitres
-était rondes et rissolées; des volubilis rouges et jaunes rampaient
-autour des fenêtres, et sur les deux côtés du seuil il y avait des
-auges de bois pleines de terre avec des muguets, du réséda et des
-géraniums.
-
-Un homme, qui faisait claquer une blouse trempée sur le bord de la
-barge, dit à celui qui tenait la gaffe:
-
-—Mahot, veux-tu casser la croûte en attendant l’écluse?
-
-—Ça va, répondit Mahot.
-
-Il rangea la gaffe, enjamba une pile creuse de corde roulée, et s’assit
-entre les deux auges de fleurs. Son compagnon lui frappa sur l’épaule,
-entra dans la maisonnette blanche, et rapporta un paquet de papier
-gras, une miche longue et un cruchon de terre. Le vent fit sauter
-l’enveloppe huileuse sur les touffes de muguet. Mahot la reprit et la
-jeta vers l’écluse. Elle vola entre les pieds de la petite fille.
-
-—Bon appétit, là-haut, cria l’homme; nous autres, on dîne.
-
-Il ajouta:
-
-—L’Indien, pour vous servir, ma payse. Tu pourras dire aux copains que
-nous avons passé par là.
-
-—Es-tu blagueur, Indien, dit Mahot. Laisse donc cette jeunesse. C’est
-parce qu’il a la peau brune, mademoiselle; nous l’appelons comme ça sur
-les chalands.
-
-Et une petite voix fluette leur répondit:
-
-—Où allez-vous, la barge?
-
-—On mène du charbon dans le Midi, cria l’Indien.
-
-—Où il y a du soleil? dit la petite voix.
-
-—Tant que ça a tanné le cuir au vieux, répondit Mahot.
-
-Et la petite voix reprit, après un silence:
-
-—Voulez-vous me prendre avec vous, la barge?
-
-Mahot s’arrêta de mâcher sa liche. L’Indien posa le cruchon pour rire.
-
-—Voyez donc—_la barge_! dit Mahot. Mademoiselle Bargette! Et ton
-écluse? On verra ça demain matin. Le papa ne serait pas content.
-
-—On se fait donc vieux dans le patelin? demanda l’Indien.
-
-La petite voix ne dit plus rien, et la mince figure pâle rentra dans la
-cabane.
-
-La nuit ferma les murailles du canal. L’eau verte monta le long
-des portes d’écluse. On ne voyait plus que la lueur d’une chandelle
-derrière les rideaux rouges et blancs, dans la maisonnette. Il y eut
-des clapotis réguliers contre la quille, et la barge se balançait en
-s’élevant. Un peu avant l’aube, les gonds grincèrent avec un roulement
-de chaîne et l’écluse s’ouvrant, le bateau flotta plus loin, traîné
-par le petit remorqueur au souffle épuisé. Comme les vitres rondes
-reflétaient les premières nuées rouges, la barge avait quitté cette
-campagne morne, où le vent froid souffle sur les orties.
-
-L’Indien et Mahot furent réveillés par le gazouillis tendre d’une
-flûte qui parlerait et de petits coups piqués aux vitres.
-
-—Les moineaux ont eu froid, cette nuit, vieux, dit Mahot.
-
-—Non, dit l’Indien, c’est une moinette; la gosse de l’écluse. Elle est
-là, parole d’honneur. Mince!
-
-Ils ne se tinrent pas de sourire. La petite fille était rouge d’aurore,
-et elle dit de sa voix menue:
-
-—Vous m’aviez permis de venir demain matin. Nous sommes demain matin.
-Je vais avec vous dans le soleil.
-
-—Dans le soleil? dit Mahot.
-
-—Oui, reprit la petite. Je sais. Où il y a des mouches vertes et des
-mouches bleues, qui éclairent la nuit; où il y a des oiseaux grands
-comme l’ongle qui vivent sur les fleurs; où les raisins montent après
-les arbres; où il y a du pain dans les branches et du lait dans les
-noix, et des grenouilles qui aboient comme les gros chiens et des ...
-choses ... qui vont dans l’eau, des ... citrouilles—non—des bêtes
-qui rentrent leurs têtes dans une coquille. On les met sur le dos. On
-fait de la soupe avec. Des ... citrouilles. Non ... je ne sais plus ...
-aidez-moi.
-
-—Le diable m’emporte, dit Mahot. Des tortues peut-être?
-
-—Oui, dit la petite fille. Des ... tortues.
-
-—Pas tout ça, dit Mahot. Et ton papa?
-
-—C’est papa qui m’a appris.
-
-—Trop fort, dit l’Indien. Appris quoi?
-
-—Tout ce que je dis, les mouches qui éclairent, les oiseaux et les
-... citrouilles. Allez, papa était marin avant d’ouvrir l’écluse. Mais
-papa est vieux. Il pleut toujours chez nous. Il n’y a que des mauvaises
-plantes. Vous ne savez pas? J’avais voulu faire un jardin, un beau
-jardin dans notre maison. Dehors, il y a trop de vent. J’aurais enlevé
-les planches du parquet, au milieu; j’aurais mis de la bonne terre,
-et puis de l’herbe, et puis des roses, et puis des fleurs rouges qui
-se ferment la nuit, avec de beaux petits oiseaux, des rossignols, des
-bruants, et des linots pour causer. Papa m’a défendu. Il m’a dit que ça
-abîmerait la maison et que ça donnerait de l’humidité. Alors je n’ai
-pas voulu d’humidité. Alors je viens avec vous pour aller là-bas.
-
-La barque flottait doucement. Sur les rives du canal, les arbres
-fuyaient à la file. L’écluse était loin. On ne pouvait virer de bord.
-Le remorqueur sifflait en avant.
-
-—Mais tu ne verras rien, dit Mahot. Nous n’allons pas en mer. Jamais
-nous ne trouverons tes mouches, ni tes oiseaux, ni tes grenouilles. Il
-y aura un peu plus de soleil—voilà tout.—Pas vrai, l’Indien?
-
-—Pour sûr, dit-il.
-
-—Pour sûr? répéta la petite fille. Menteurs! Je sais bien, allez.
-
-L’Indien haussa les épaules.
-
-—Faut pas mourir de faim, dit-il, tout de même. Viens manger ta soupe,
-Bargette.
-
- * * * * *
-
-Et elle garda ce nom. Par les canaux gris et verts, froids et tièdes,
-elle leur tint compagnie sur la barge, attendant le pays des miracles.
-La barge longea les champs bruns, avec leurs pousses délicates: et
-les arbrisseaux maigres commencèrent à remuer leurs feuilles; et
-les moissons jaunirent, et les coquelicots se tendirent comme des
-coupelles rouges vers les nuages. Mais Bargette ne devint pas gaie
-avec l’été. Assise entre les auges de fleurs, tandis que l’Indien ou
-Mahot menaient la gaffe, elle pensait qu’on l’avait trompée. Car bien
-que le soleil jetât ses ronds joyeux sur le plancher par les petites
-vitres rissolées, malgré les martins-pêcheurs qui croisaient sur l’eau,
-et les hirondelles qui secouaient leur bec mouillé, elle n’avait pas
-vu ses oiseaux qui vivent sur les fleurs, ni le raisin qui montait
-aux arbres, ni les grosses noix pleines de lait, ni les grenouilles
-pareilles à des chiens.
-
-La barge était arrivée dans le Midi. Les maisons sur les bords du canal
-étaient feuillues et fleuries. Les portes étaient couronnées de tomates
-rouges, et il y avait des rideaux de piments enfilés aux fenêtres.
-
-—C’est tout, dit un jour Mahot. On va bientôt débarquer le charbon et
-revenir. Le papa sera content, hein?
-
-Bargette secoua la tête.
-
-Et le matin, le bateau étant à l’amarre, ils entendirent encore des
-coups menus piqués aux vitres rondes:
-
-—Menteurs! cria une voix fluette.
-
-L’Indien et Mahot sortirent de la petite maison. Une mince figure pale
-se tourna vers eux, sur la rive du canal; et Bargette leur cria de
-nouveau, s’enfuyant derrière la côte:
-
-—Menteurs! Vous êtes tous des menteurs!
-
-
-
-
-_Bûchette_
-
-
-
-
-BUCHETTE
-
-
-Le père de Bûchette la menait au bois dès le point du jour, et elle
-restait assise près de lui, tandis qu’il abattait les arbres. Bûchette
-voyait la hache s’enfoncer et faire voler d’abord de maigres copeaux
-d’écorce; souvent les mousses grises venaient ramper sur sa figure.
-«Gare!» criait le père de Bûchette, quand l’arbre s’inclinait avec un
-craquement qui semblait souterrain. Elle était un peu triste devant
-le monstre allongé dans la clairière, avec ses branches meurtries et
-ses rameaux blessés. Le soir, un cercle rougeâtre de meules de charbon
-s’allumait dans l’ombre. Bûchette savait l’heure où il fallait ouvrir
-le panier de jonc pour tendre à son père la cruche de grès et le
-morceau de pain brun. Il s’étendait parmi les branchilles éclatées pour
-mâcher lentement. Bûchette mangeait la soupe au retour. Elle courait
-autour des arbres marqués, et si son père ne la regardait pas, elle se
-cachait pour faire: «Hou!»
-
-Il y avait là une caverne noire qu’on appelait
-Sainte-Marie-Gueule-de-Loup, pleine de ronces et sonore d’échos.
-Haussée sur la pointe des pieds, Bûchette la considérait de loin.
-
-Un matin d’automne, les cimes fanées de la forêt encore brûlantes
-d’aurore, Bûchette vit tressaillir une chose verte devant la
-Gueule-de-Loup. Cette chose avait des bras et des jambes, et la tête
-semblait d’une petite fille âgée autant que Bûchette elle-même.
-
-D’abord Bûchette eut peur d’approcher. Elle n’osait même pas appeler
-son père. Elle pensait que c’était là une des personnes qui répondaient
-dans la Gueule-de-Loup, lorsqu’on y parlait fort. Elle ferma les
-yeux, craignant de remuer et d’attirer quelque attaque sinistre. Et,
-penchant la tête, elle entendit un sanglot qui venait de par là. Cette
-étrange petite fille verte pleurait. Alors Bûchette rouvrit les yeux,
-et elle eut de la peine. Car elle voyait la figure verte, douce et
-triste, mouillée de larmes, et deux petites mains vertes nerveuses se
-pressaient sur la gorge de la fillette extraordinaire.
-
-—Elle est peut-être tombée dans de mauvaises feuilles, qui déteignent,
-se dit Bûchette.
-
-Et, courageuse, elle traversa des fougères hérissées de crochets et de
-vrilles, jusqu’à toucher presque la singulière figure. Des petits bras
-verdoyants s allongèrent vers Bûchette parmi les ronces flétries.
-
-—Elle est pareille à moi, se dit Bûchette, mais elle a une drôle de
-couleur.
-
-La créature verte pleurante était demi-vêtue par une sorte de tunique
-faite de feuilles cousues. C’était vraiment une petite fille, qui avait
-la teinte d une plante sauvage. Bûchette imaginait que ses pieds
-étaient enracinés en terre. Mais elle les remuait très lestement.
-
-Bûchette lui caressa les cheveux et lui prit la main. Elle se laissa
-emmener, toujours pleurante. Elle semblait ne pas savoir parler.
-
-—Hélas, mon Dieu! Une diablesse verte! cria le père de Bûchette, quand
-il la vit venir.—D’où arrives-tu, petite, pourquoi es-tu verte? Tu ne
-sais pas répondre?
-
-On ne pouvait savoir si la fille verte avait entendu. «Peut-être
-qu’elle a faim,» dit-il. Et il lui offrit le pain et la cruche. Elle
-tourna le pain dans ses mains et le jeta par terre; elle secoua la
-cruche pour écouter le bruit du vin.
-
-Bûchette pria son père de ne pas laisser cette pauvre créature dans la
-forêt, pendant la nuit. Les meules de charbon brillèrent une à une, au
-crépuscule, et la fille verte regardait les feux en tremblant. Quand
-elle entra dans la petite maison, elle s’enfuit devant la lumière. Elle
-ne put s’accoutumer aux flammes, et poussait un cri, chaque fois qu’on
-allumait la chandelle.
-
-En la voyant, la mère de Bûchette fit le signe de croix. «Dieu m’aide,
-dit-elle, si c’est un démon; mais ce n’est point une chrétienne.»
-
-Cette fille verte ne voulut toucher ni le pain, ni le sel, ni le vin,
-d’où il paraissait clairement qu’elle ne pouvait avoir été baptisée, ni
-présentée à la communion. Le curé fut averti, et il passait le seuil
-dans le moment où Bûchette offrait à la créature des fèves en gousse.
-
-Elle parut très joyeuse, et se mit à fendre aussitôt la tige avec ses
-ongles, pensant trouver les fèves à l’intérieur. Et, déçue, elle se
-remit à pleurer, jusqu’à ce que Bûchette lui eût ouvert une gousse.
-Alors elle grignota les fèves en regardant le prêtre.
-
-Quoiqu’on fit venir le maître d’école, on ne put lui faire entendre
-une parole humaine, ni prononcer un son articulé. Elle pleurait, riait,
-ou poussait des cris.
-
-Le curé l’examina fort soigneusement, mais ne put découvrir sur son
-corps aucune marque du démon. Le dimanche suivant, on la conduisit à
-l’église, où elle ne manifesta point de signes d’inquiétude, sinon
-qu’elle gémit quand elle fut mouillée d’eau bénite. Mais elle ne recula
-pas devant l’image de la croix, et, passant ses mains sur les saintes
-plaies et les déchirures d’épines, elle parut affligée.
-
-Les gens du village en eurent grande curiosité; quelques-uns de
-la crainte; et, malgré l’avis du curé, on parla d’elle comme de la
-«diablesse verte».
-
-Elle ne se nourrissait que de graines et de fruits; et toutes les fois
-qu’on lui présentait les épis ou les rameaux, elle fendait la tige ou
-le bois, et pleurait de désappointement. Bûchette ne parvint point à
-lui apprendre en quel endroit il fallait chercher les grains de blé ou
-les cerises, et sa déception était toujours semblable.
-
-Par imitation elle put bientôt porter du bois, de l’eau, balayer,
-essuyer et même coudre, bien qu’elle maniât la toile avec une certaine
-répulsion. Mais elle ne se résigna jamais à faire le feu, ou même à
-s’approcher de l’âtre.
-
- * * * * *
-
-Cependant Bûchette grandissait, et ses parents voulurent la mettre
-en service. Elle prit du chagrin, et le soir, sous les draps, elle
-sanglotait doucement. La fille verte regardait piteusement sa petite
-amie. Elle fixait les prunelles de Bûchette, le matin, et ses propres
-yeux se remplissaient de larmes. Puis la nuit, quand Bûchette pleura,
-elle sentit une main douce qui lui caressait les cheveux, une bouche
-fraîche sur sa joue.
-
-Le terme s’approchait où Bûchette devait entrer en servitude. Elle
-sanglotait maintenant, presque aussi lamentable que la créature verte,
-le jour où on l’avait trouvée abandonnée devant la Gueule-de-Loup.
-
-Et le dernier soir, quand le père et la mère de Bûchette furent
-endormis, la fille verte caressa les cheveux de la pleureuse et lui
-prit la main. Elle ouvrit la porte, et allongea le bras dans la nuit.
-De même que Bûchette l’avait conduite autrefois vers les maisons des
-hommes, elle l’emmena par la main vers la liberté inconnue.
-
-
-
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-_Jeanie_
-
-
-
-
-JEANIE
-
-
-L’amoureux de Jeanie était devenu matelot, et elle était seule, toute
-seule. Elle écrivit une lettre et la scella de son petit doigt, et
-la jeta dans la rivière, parmi les longues herbes rouges. Ainsi elle
-irait jusqu’à l’Océan. Jeanie ne savait pas vraiment écrire; mais son
-amoureux devait comprendre, puisque la lettre était d’amour. Et elle
-attendit longtemps la réponse, venue de la mer; et la réponse ne vint
-pas. Il n’y avait pas de rivière pour couler de lui jusqu’à Jeanie.
-
-Et un jour Jeanie partit à la recherche de son amoureux. Elle regardait
-les fleurs d’eau et leurs tiges penchées; et toutes les fleurs
-s’inclinaient vers lui. Et Jeanie disait en marchant: «Sur la mer il
-y a un bateau—dans le bateau il y a une chambre—dans la chambre il
-y a une cage—dans la cage il y a un oiseau—dans l’oiseau il y a un
-cœur—dans le cœur il y a une lettre—dans la lettre il y a écrit:
-J’AIME JEANIE.—J’aime Jeanie est dans la lettre, la lettre est dans le
-cœur, le cœur est dans l’oiseau, l’oiseau est dans la cage, la cage est
-dans la chambre, la chambre est dans le bateau, le bateau est très loin
-sur la grande mer.»
-
-Et comme Jeanie ne craignait pas les hommes, les meuniers poussiéreux,
-la voyant simple et douce, l’anneau d’or au doigt, lui offraient du
-pain et lui permettaient de coucher parmi les sacs de farine, avec un
-baiser blanc.
-
-Ainsi, elle traversa son pays de rochers fauves, et la contrée des
-basses forêts, et les prairies plates qui entourent le fleuve près
-des cités. Beaucoup de ceux qui hébergeaient Jeanie lui donnaient des
-baisers; mais elle ne les rendait jamais—car les baisers infidèles que
-rendent les amantes sont marqués sur leurs joues avec des traces de
-sang.
-
- * * * * *
-
-Elle parvint dans la ville maritime où son amoureux s’était embarqué.
-Sur le port, elle chercha le nom de son navire, mais elle ne put le
-trouver: car le navire avait été envoyé dans la mer d Amérique, pensa
-Jeanie.
-
-Des rues noires obliques descendaient aux quais des hauteurs de la
-ville. Certaines étaient pavées, avec un ruisseau dans le milieu;
-d’autres n’étaient que d’étroits escaliers faits de dalles anciennes.
-
-Jeanie aperçut des maisons peintes en jaune et en bleu, avec des têtes
-de négresse et des images d’oiseaux à bec rouge. Le soir de grosses
-lanternes se balancèrent devant les portes. On y voyait entrer des
-hommes qui paraissaient ivres.
-
-Jeanie pensa que c’étaient les hôtelleries des matelots revenant du
-pays des femmes noires et des oiseaux de couleur. Et elle eut un grand
-désir d’attendre son amoureux dans une telle hôtellerie, qui avait
-peut-être l’odeur du lointain Océan.
-
-Levant la tête, elle vit des figures blanches de femmes, appuyées aux
-fenêtres grillées, où elles prenaient un peu de fraîcheur. Jeanie
-poussa une double porte, et se trouva dans une salle carrelée, parmi
-des femmes demi-nues, avec des robes roses. Au fond de l’ombre chaude
-un perroquet faisait mouvoir lentement ses paupières. Il y avait encore
-un peu de mousse dans trois gros verres étranglés, sur la table.
-
-Quatre femmes entourèrent Jeanie en riant, et elle en aperçut une
-autre velue d’étoffe sombre, qui cousait dans une petite loge.
-
-—Elle est de la campagne, dit une des femmes.
-
-—Chut! dit une autre, faut rien dire.
-
-Et toutes ensemble lui crièrent:
-
-—Veux-tu boire, mignonne?
-
-Jeanie se laissa embrasser, et but dans un des verres étranglés. Une
-grosse femme vit l’anneau.
-
-—Vous parlez, et c’est marié!
-
-Toutes ensemble reprirent:
-
-—T’es mariée, mignonne?
-
-Jeanie rougit, car elle ne savait si elle était vraiment mariée, ni
-comment on devait répondre.
-
-—Je les connais, ces mariées, dit une femme. Moi aussi, quand j’étais
-petite, quand j’avais sept ans, je n’avais pas de jupon. Je suis
-allée toute nue au bois pour bâtir mon église—et tous les petits
-oiseaux m’aidaient à travailler! Il y avait le vautour, pour arracher
-la pierre, et le pigeon, avec son gros bec pour la tailler, et le
-bouvreuil pour jouer de l’orgue. Voilà mon église de noces et ma messe.
-
-—Mais cette mignonne a son alliance, pas? dit la grosse femme.
-
-Et toutes ensemble crièrent:
-
-—Vrai, une alliance?
-
-Alors elles embrassèrent Jeanie l’une après l’autre, et la
-caressèrent, et la firent boire, et on parvint à faire sourire la dame
-qui cousait dans la petite loge.
-
-Cependant un violon jouait devant la porte et Jeanie s’était endormie.
-Deux femmes la portèrent doucement sur un lit, dans une chambrette, par
-un petit escalier.
-
-Puis toutes ensemble dirent:
-
-—Faut lui donner quelque chose. Mais quoi?
-
-Le perroquet se réveilla et jabota.
-
-—Je vas vous dire, expliqua la grosse.
-
-Et elle parla longuement à voix basse. Une des femmes s’essuya les
-yeux.
-
-—C’est vrai, dit-elle, nous n’en avons pas eu; ça nous portera bonheur.
-
-—Pas? elle pour nous quatre, dit une autre.
-
-—On va demander à Madame de nous permettre, dit la grosse.
-
- * * * * *
-
-Et le lendemain, quand Jeanie s’en alla, elle avait à chaque doigt de
-sa main gauche un anneau d’alliance. Son amoureux était bien loin; mais
-elle frapperait à son cœur, pour y rentrer, avec ses cinq anneaux d’or.
-
-
-
-
-_Ilsée_
-
-
-
-
-ILSÉE
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-
-Sitôt qu’elle fut assez haute, Ilsée eut coutume d’aller tous les
-matins devant sa glace et de dire: «Bonjour, ma petite Ilsée.» Puis
-elle baisait le verre froid et fronçait les lèvres. L’image semblait
-venir seulement. Elle était très loin, en réalité. L’autre Ilsée, plus
-pâle, qui se levait des profondeurs du miroir, était une prisonnière
-à la bouche gelée. Ilsée la plaignait, car elle paraissait triste et
-cruelle. Son sourire matinal était comme une aube blême encore teinte
-de l’horreur nocturne.
-
-Cependant Ilsée l’aimait et lui parlait: «Personne ne te dit bonjour,
-pauvre petite Ilsée. Embrasse-moi, tiens. Nous irons nous promener
-aujourd’hui, Ilsée. Mon amoureux viendra nous chercher. Viens-t’en.»
-Ilsée se détournait, et l’autre Ilsée, mélancolique, s’enfuyait vers
-l’ombre lumineuse.
-
-Ilsée lui montrait ses poupées et ses robes. «Joue avec moi.
-Habille-toi avec moi.» L’autre Ilsée, jalouse, élevait aussi vers
-Ilsée des poupées plus blanches et des robes décolorées. Elle ne
-parlait pas, et ne faisait que remuer les lèvres en même temps qu’Ilsée.
-
-Quelquefois Ilsée s’irritait, comme une enfant, contre la dame muette,
-qui s’irritait à son tour. «Méchante, méchante Ilsée! criait-elle.
-Veux-tu me répondre, veux-tu m’embrasser!» Elle frappait le miroir de
-la main. Une étrange main, qui ne tenait à aucun corps, apparaissait
-devant la sienne. Jamais Ilsée ne put atteindre l’autre Ilsée.
-
-Elle lui pardonnait durant la nuit; et heureuse de la retrouver, elle
-sautait de son lit pour l’embrasser, en lui murmurant: «Bonjour, ma
-petite Ilsée.»
-
- * * * * *
-
-Quand Ilsée eut un vrai fiancé, elle le mena devant sa glace et dit à
-l’autre Ilsée: «Regarde mon amoureux, et ne le regarde pas trop. Il
-est à moi, mais je veux bien te le faire voir. Après que nous serons
-mariés, je lui permettrai de t’embrasser avec moi, tous les matins.»
-Le fiancé se mit à rire. Ilsée dans le miroir sourit aussi. «N’est-ce
-pas qu’il est beau et que je l’aime?» dit Ilsée. «Oui, oui,» répondit
-l’autre Ilsée. «Si tu le regardes trop, je ne t’embrasserai plus, dit
-Ilsée. Je suis aussi jalouse que toi, va. Au revoir, ma petite Ilsée.»
-
- * * * * *
-
-A mesure qu’Ilsée apprit l’amour, Ilsée dans le miroir devint plus
-triste. Car son amie ne venait plus la baiser le matin. Elle la tenait
-en grand oubli. Plutôt l’image de son fiancé courait, après la nuit
-vers le réveil d’Ilsée. Pendant la journée, Ilsée ne voyait plus la
-dame du miroir, tandis que son fiancé la regardait. «Oh! disait Ilsée,
-tu ne penses plus à moi, vilain. C’est l’autre que tu regardes. Elle
-est prisonnière; elle ne viendra jamais. Elle est jalouse de toi; mais
-je suis plus jalouse qu’elle. Ne la regarde pas, mon aimé; regarde-moi.
-Méchante Ilsée du miroir, je te défends de répondre à mon fiancé. Tu
-ne peux pas venir; tu ne pourras jamais venir. Ne me le prends pas,
-méchante Ilsée. Après que nous serons mariés, je lui permettrai de
-t’embrasser avec moi. Ris, Ilsée. Tu seras avec nous.»
-
- * * * * *
-
-Ilsée devint jalouse de l’autre Ilsée. Si la journée baissait sans que
-l’aimé fût venu: «Tu le chasses, tu le chasses, criait Ilsée, avec ta
-mauvaise figure. Méchante, va-t’en, laisse-nous.»
-
-Et Ilsée cacha sa glace sous un linge blanc et fin. Elle souleva un
-pan avant d’enfoncer le dernier petit clou. «Adieu, Ilsée,» dit-elle.
-
-Pourtant son fiancé continuait à sembler las. «Il ne m’aime plus, pensa
-Ilsée; il ne vient plus, je reste seule, seule. Où est l’autre Ilsée?
-Est-elle partie avec lui?» De ses petits ciseaux d’or, elle fendit
-un peu la toile, pour regarder. Le miroir était couvert d’une ombre
-blanche. «Elle est partie,» pensa Ilsée.
-
- * * * * *
-
-—Il faut, se dit Ilsée, être très patiente. L’autre Ilsée sera jalouse
-et triste. Mon aimé reviendra. Je saurai l’attendre.
-
-Tous les matins, sur l’oreiller, près de son visage, il lui semblait le
-voir, dans son demi-sommeil: «Oh! mon aimé, murmurait-elle, es-tu donc
-revenu? Bonjour, bonjour, mon petit aimé.» Elle avançait la main et
-touchait le drap frais.
-
-—Il faut, se dit encore Ilsée, être très patiente.
-
- * * * * *
-
-Ilsée attendit longtemps son fiancé. Sa patience se fondit en larmes.
-Un brouillard humide enveloppait ses yeux. Des lignes mouillées
-parcouraient ses joues. Toute sa figure se creusait. Chaque jour,
-chaque mois, chaque année la flétrissait d’un doigt plus pesant.
-
-—Oh! mon aimé, dit Ilsée, je doute de toi.
-
-Elle coupa le linge blanc à l’intérieur du miroir, et, dans le cadre
-pâle, apparut la glace, pleine de taches obscures. Le miroir était
-sillonné de rides claires et, là où le tain s’était séparé du verre, on
-voyait des lacs d’ombre.
-
-L’autre Ilsée vint au fond de la glace, vêtue de noir, comme Ilsée, le
-visage amaigri, marqué par les signaux étranges du verre qui ne reflète
-plus parmi le verre qui reflète. Et le miroir semblait avoir pleuré.
-
-—Tu es triste, comme moi, dit Ilsée.
-
-La dame du miroir pleura. Ilsée la baisa et dit: «Bonsoir, ma pauvre
-Ilsée.»
-
-Et, entrant dans sa chambre, avec sa lampe à la main, Ilsée fut
-surprise: car l’autre Ilsée, une lampe à la main, s’avançait vers elle,
-le regard triste. Ilsée leva sa lampe au-dessus de sa tête et s’assit
-sur son lit. Et l’autre Ilsée leva sa lampe au-dessus de sa tête et
-s’assit près d’elle.
-
-—Je comprends bien, pensa Ilsée. La dame du miroir s’est délivrée.
-Elle est venue me chercher. Je vais mourir.
-
-
-
-
-_Marjolaine_
-
-
-
-
-MARJOLAINE
-
-
-Après la mort de ses parents, Marjolaine resta dans leur petite maison
-avec sa vieille nourrice. Ils lui avaient laissé un toit de chaume
-bruni et le manteau de la grande cheminée. Car le père de Marjolaine
-avait été conteur et bâtisseur de rêves. Quelque ami de ses belles
-idées lui avait prêté sa terre pour construire, un peu d’argent pour
-songer. Il avait longtemps mélangé diverses espèces d’argile avec des
-poussières de métaux, afin de cuire un sublime émail. Il avait essayé
-de fondre et de dorer d’étranges verreries. Il avait pétri des noyaux
-de pâte dure percés de «lanternes», et le bronze refroidi s’irisait
-comme la surface des mares. Mais il ne restait de lui que deux ou trois
-creusets noircis, des plaques frustes d’airain bossuées de scories, et
-sept grandes cruches décolorées au-dessus du foyer. Et de la mère de
-Marjolaine, une fille pieuse de la campagne, il ne restait rien: car
-elle avait vendu pour «l’argilier» même son chapelet d’argent.
-
- * * * * *
-
-Marjolaine grandit près de son père, qui portait un tablier vert,
-dont les mains étaient toujours terreuses et les prunelles injectées
-de feu. Elle admirait les sept cruches de la cheminée, enduites de
-fumée, pleines de mystère, semblables à un arc-en-ciel creux et
-ondulé. Morgiane eût fait sortir de la cruche sanglante un brigand
-frotté d’huile, avec un sabre couvert par des fleurs de Damas. Dans
-la cruche orangée, on pouvait, comme Aladdin, trouver des fruits de
-rubis, des prunes d’améthyste, des cerises de grenat, des coings de
-topaze, des grappes d’opale, et des baies de diamant. La cruche jaune
-était remplie de poudre d’or que Camaralzaman avait cachée sous des
-olives. On voyait un peu une des olives sous le couvercle, et le bord
-du vase était luisant. La cruche verte devait être fermée par un grand
-sceau de cuivre, marqué par le roi Salomon. L’âge y avait peint une
-couche de vert-de-gris; car cette cruche habitait autrefois l’Océan, et
-depuis plusieurs milliers d’années elle contenait un génie, qui était
-prince. Une très jeune fille sage saurait briser l’enchantement à la
-pleine lune, avec la permission du roi Salomon, qui a donné la voix aux
-mandragores. Dans la cruche bleu clair, Giauharé avait enclos toutes
-ses robes marines, tissées d’algues, gemmées d’aigues, et tachées de
-la pourpre des coquillages. Tout le ciel du Paradis terrestre, et
-les fruits riches de l’arbre, et les écailles enflammées du serpent,
-et le glaive ardent de l’ange, étaient enfermés par la cruche bleu
-sombre, pareille à l’énorme cupule azurée d’une fleur australe. Et la
-mystérieuse Lilith avait versé tout le ciel du Paradis céleste dans
-la dernière cruche: car elle se dressait, violette et rigide comme le
-camail de l’évêque.
-
-Ceux qui ignoraient ces choses ne voyaient que sept vieilles cruches
-décolorées, sur le manteau renflé de l’âtre. Mais Marjolaine savait
-la vérité, par les contes de son père. Au feu d’hiver, parmi l’ombre
-changeante des flammes du bois et de la chandelle, elle suivait des
-yeux, jusqu’à l’heure où elle allait dormir, le grouillement des
-merveilles.
-
-Cependant la huche à pain étant vide, avec la boîte à sel, la nourrice
-implorait Marjolaine. «Marie-toi, disait elle, ma fleurette aimée:
-votre mère pensait à Jean; veux-tu pas épouser Jean? Ma Jolaine, ma
-Jolaine, quelle jolie mariée tu feras!»
-
-—La mariée de la Marjolaine a eu des chevaliers, dit la rêveuse;
-j’aurai un prince.
-
-—Princesse Marjolaine, dit la nourrice, épousez Jean, tu le feras
-prince.
-
-—Nenni, nourrice, dit la rêveuse; j’aime mieux filer. J’attends mes
-diamants et mes robes pour un plus beau génie. Achète du chanvre et des
-quenouilles et un fuseau poli. Nous aurons notre palais bientôt. Il est
-pour le moment dans un désert noir d’Afrique. Un magicien l’habite,
-couvert de sang et de poisons. Il verse dans le vin des voyageurs une
-poudre brune qui les change en bêtes velues. Le palais est éclairé de
-torches vives, et les nègres qui servent aux repas ont des couronnes
-d’or. Mon prince tuera le magicien, et le palais viendra dans notre
-campagne, et tu berceras mon enfant.
-
-—O Marjolaine, épouse Jean! dit la vieille nourrice.
-
-Marjolaine s’assit et fila. Patiemment elle tourna le fuseau, tordit
-le chanvre, et le détordit. Les quenouilles s’amincissaient et se
-regonflaient. Près d’elle Jean vint s’asseoir et l’admira. Mais elle
-n’y prenait point garde. Car les sept cruches de la grande cheminée
-étaient pleines de rêves. Pendant le jour elle croyait les entendre
-gémir ou chanter. Quand elle s’arrêtait de filer, la quenouille ne
-frémissait plus pour les cruches, et le fuseau cessait de leur prêter
-ses bruissements.
-
-—O Marjolaine, épouse Jean, lui disait la vieille nourrice tous les
-soirs.
-
-Mais au milieu de la nuit la rêveuse se levait. Comme Morgiane, elle
-jetait contre les cruches des grains de sable, pour éveiller les
-mystères. Et cependant le brigand continuait à dormir; les fruits
-précieux ne cliquetaient pas, elle n’entendait pas couler la poudre
-d’or, ni se froisser l’étoffe des robes, et le sceau de Salomon pesait
-lourdement sur le prince enfermé.
-
-Marjolaine jetait un à un les grains de sable. Sept fois ils tintaient
-contre la terre dure des cruches; sept fois le silence recommençait.
-
-—O Marjolaine, épouse Jean, lui disait la vieille nourrice tous les
-matins.
-
- * * * * *
-
-Alors Marjolaine fronça le sourcil lorsqu’elle voyait Jean, et Jean ne
-vint plus. Et la vieille nourrice fut trouvée morte, une aube, assez
-souriante. Et Marjolaine mit une robe noire, une cornette sombre, et
-continua de filer.
-
-Toutes les nuits elle se levait, et, comme Morgiane, elle jetait contre
-les cruches des grains de sable pour éveiller les mystères. Et les
-rêves dormaient toujours.
-
- * * * * *
-
-Marjolaine devint vieille en sa patience. Mais le prince emprisonné
-sous le sceau du roi Salomon était toujours jeune, sans doute, ayant
-vécu des milliers d’années. Une nuit de pleine lune, la rêveuse se
-leva comme une assassine, et prit un marteau. Elle brisa furieusement
-six cruches, et la sueur d’angoisse coulait de son front. Les vases
-claquèrent et s’ouvrirent: ils étaient vides. Elle hésita devant la
-cruche où Lilith avait versé le Paradis violet; puis elle l’assassina
-comme les autres. Parmi les débris roula une rose sèche et grise de
-Jéricho. Quand Marjolaine voulut la faire fleurir, elle s’éparpilla en
-poussière.
-
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-
-_Cice_
-
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-CICE
-
-
-Cice replia ses jambes dans son petit lit et tendit l’oreille contre
-le mur. La fenêtre était pâle. Le mur vibrait et semblait dormir avec
-une respiration étouffée. Le petit jupon blanc s’était gonflé sur la
-chaise, d’où deux bas pendaient ainsi que des jambes noires molles et
-vides. Une robe marquait mystérieusement le mur comme si elle avait
-voulu grimper jusqu’au plafond. Les planches du parquet criaient
-faiblement dans la nuit. Le pot à eau était pareil à un crapaud blanc,
-accroupi dans la cuvette et humant l’ombre.
-
-—Je suis trop malheureuse, dit Cice. Et elle se mit à pleurer dans son
-drap. Le mur soupira plus fort; mais les deux jambes noires restèrent
-inertes, et la robe ne continua pas de grimper, et le crapaud blanc
-accroupi ne ferma pas sa gueule humide.
-
-Cice dit encore:
-
-—Puisque tout le monde m’en veut, puisqu’on n’aime que mes sœurs ici,
-puisqu’on m’a laissé aller me coucher pendant le dîner, je m’en irai,
-oui, je m’en irai très loin. Je suis une Cendrillon, voilà ce que je
-suis. Je leur montrerai bien, moi. J’aurai un prince, moi; et elles
-n’auront personne, absolument personne. Et je viendrai dans ma belle
-voiture, avec mon prince; voilà ce que je ferai. Si elles sont bonnes,
-dans ce temps-là, je leur pardonnerai. Pauvre Cendrillon, vous verrez
-qu’elle est meilleure que vous, allez.
-
-Son petit cœur grossit encore, pendant qu’elle enfilait ses bas et
-qu’elle nouait son jupon. La chaise vide resta au milieu de la chambre,
-abandonnée.
-
-Cice descendit doucement à la cuisine, et pleura de nouveau,
-agenouillée devant l’âtre, les mains plongées dans les cendres.
-
-Le bruit régulier d’un rouet la fît retourner. Un corps tiède et velu
-frôla ses jambes.
-
-—Je n’ai pas de marraine, dit Cice, mais j’ai mon chat. Pas?
-
-Elle tendit ses doigts, et il les lécha lentement, comme avec une
-petite râpe chaude.
-
-—Viens, dit Cice.
-
-Elle poussa la porte du jardin, et il y eut un grand souffle de
-fraîcheur. Une tache sombrement verdâtre marquait la pelouse; le grand
-sycomore frémissait, et des étoiles paraissaient suspendues entre les
-branches. Le potager était clair, au delà des arbres, et des cloches à
-melons luisaient.
-
-Cice rasa deux bouquets d’herbes longues, qui la chatouillèrent
-finement. Elle courut parmi les cloches où voltigeaient de courtes
-lueurs.
-
-—Je n’ai pas de marraine: sais-tu faire une voiture, chat? dit-elle.
-
-La petite bête bâilla vers le ciel où des nuages gris chassaient.
-
-—Je n’ai pas encore de prince, dit Cice. Quand viendra-t-il?
-
-Assise près d’un gros chardon violacé, elle regarda la haie du potager.
-Puis elle ôta une de ses pantoufles, et la jeta de toutes ses forces,
-par-dessus les groseillers La pantoufle tomba sur la grand’route.
-
-Cice caressa le chat et dit:
-
-—Écoute, chat. Si le prince ne me rapporte pas ma pantoufle, je
-t’achèterai des bottes et nous voyagerons pour le trouver. C’est un
-très beau jeune homme. Il est habillé de vert, avec des diamants. Il
-m’aime beaucoup, mais il ne m’a jamais vue. Tu ne seras pas jaloux.
-Nous demeurerons ensemble, tous les trois. Je serai plus heureuse que
-Cendrillon, parce que j’ai été plus malheureuse. Cendrillon allait au
-bal tous les soirs, et on lui donnait des robes très riches. Moi, je
-n’ai que toi, mon petit chat chéri.
-
-Elle embrassa son museau de maroquin mouillé. Le chat jeta un faible
-miaulement et passa une patte sur son oreille. Puis il se lécha et
-ronronna.
-
-Cice cueillit des groseilles vertes.
-
-—Une pour moi, une pour mon prince, une pour toi. Une pour mon prince,
-une pour toi, une pour moi. Une pour loi, une pour moi, une pour mon
-prince. Voilà comme nous vivrons. Nous partagerons tout pour nous
-trois, et nous n’aurons pas de sœurs méchantes.
-
- * * * * *
-
-Les nuages gris s’étaient amassés dans le ciel. Une bande blême
-s’élevait vers l’Orient. Les arbres se baignaient dans une pénombre
-livide. Tout à coup une bouffée de vent glacé secoua le jupon de Cice.
-Les choses frissonnèrent. Le chardon violet s’inclina deux ou trois
-fois. Le chat fit le gros dos et hérissa tous ses poils.
-
-Cice entendit au loin sur la route une rumeur grinçante de roues.
-
-Un feu terne courut aux cimes balancées des arbres et le long du toit
-de la petite maison.
-
-Puis le roulement s’approcha. Il y eut des hennissements de chevaux, et
-un murmure confus de voix d’hommes.
-
-—Écoute, chat, dit Cice. Écoute. Voilà une grande voiture qui arrive.
-C’est la voiture de mon prince. Vite, vite: il va m’appeler.
-
-Une pantoufle de cuir mordoré vola par-dessus les groseilliers, et
-tomba au milieu des cloches.
-
-Cice courut vers la barrière d’osier, et l’ouvrit.
-
-Une voiture longue et obscure avançait pesamment. Le bicorne du
-cocher était éclairé par un rayon rouge. Deux hommes noirs marchaient
-de chaque côté des chevaux. L’arrière-train de la voiture était bas
-et oblong comme un cercueil. Une odeur fade flottait dans la brise
-d’aurore.
-
-Mais Cice ne comprit rien de tout cela. Elle ne voyait qu’une chose: la
-voiture merveilleuse était là. Le cocher du prince était coiffé d’or.
-Le coffre lourd était plein des joyaux de noces. Ce parfum terrible et
-souverain l’enveloppait de royauté.
-
-Et Cice tendit les bras en criant:
-
-—Prince, emmenez-moi, emmenez-moi!
-
-
-
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-_Morgane_
-
-
-
-
-MORGANE
-
-
-La princesse Morgane n’aimait personne. Elle avait une candeur
-froide, et vivait parmi les fleurs et les miroirs. Elle piquait dans
-ses cheveux des roses rouges et se regardait. Elle ne voyait aucune
-jeune fille ni aucun jeune homme parce qu’elle se mirait dans leurs
-regards. Et la cruauté ou la volupté lui étaient inconnues. Ses
-cheveux noirs descendaient autour de son visage comme des vagues
-lentes. Elle désirait s’aimer elle-même: mais l’image des miroirs avait
-une frigidité calme et lointaine, et l’image des étangs était morne et
-pâle, et l’image des rivières fuyait en tremblant.
-
-La princesse Morgane avait lu dans les livres l’histoire du miroir de
-Blanche-Neige qui savait parler et lui annonça son égorgement, et le
-conte du miroir d’Ilsée, d’où sortit une autre Ilsée qui tua Ilsée,
-et l’aventure du miroir nocturne de la ville de Milet qui faisait
-s’étrangler les Milésiennes à la nuit levante. Elle avait vu la
-peinture mystérieuse où le fiancé a étendu un glaive devant sa fiancée,
-parce qu’ils se sont rencontrés eux-mêmes dans la brume du soir: car
-les doubles menacent la mort. Mais elle ne craignait pas son image,
-puisque jamais elle ne s’était rencontrée, sinon candide et voilée, non
-cruelle et voluptueuse, elle-même pour elle-même. Et les lames polies
-d’or vert, les lourdes nappes de vif-argent ne montraient point Morgane
-à Morgane.
-
-Les prêtres de son pays étaient géomanciens et adorateurs du feu.
-Ils disposèrent le sable dans la boîte carrée, et y tracèrent les
-lignes; ils calculèrent au moyen de leurs talismans de parchemin, ils
-firent le miroir noir avec de l’eau mélangée de fumée. Et le soir
-Morgane se rendit vers eux, et elle jeta dans le feu trois gâteaux
-d’offrande. «Voici», dit le géomancien; et il montra le miroir noir
-liquide. Morgane regarda: et d’abord une vapeur claire traîna par la
-surface, puis un cercle coloré bouillonna, puis une image s’éleva et
-courut légèrement. C’était une maison blanche cubique avec de longues
-fenêtres; et sous la troisième fenêtre pendait un grand anneau de
-bronze. Et tout autour de la maison régnait le sable gris. «Ceci est
-l’endroit, dit le géomancien, où se trouve le véritable miroir; mais
-notre science ne peut le fixer ni l’expliquer.»
-
-Morgane s’inclina et jeta dans le feu trois nouveaux gâteaux
-d’offrande. Mais l’image vacilla, et s’obscurcit; la maison blanche
-s’enfonça, et Morgane regarda vainement le miroir noir.
-
-Et, au jour suivant, Morgane désira faire un voyage. Car il lui
-semblait avoir reconnu la couleur morne du sable, et elle se dirigea
-vers l’Occident. Son père lui donna une caravane choisie, avec des
-mules à clochettes d’argent, et on la portait dans une litière dont les
-parois étaient des miroirs précieux.
-
-Ainsi elle traversa la Perse, et elle examinait les hôtelleries
-isolées, tant celles qui sont bâties près des puits et où passent les
-troupes de voyageurs, que les maisons décriées où les femmes chantent
-la nuit et battent des pièces de métal.
-
-Et près des confins du royaume de Perse elle vit beaucoup de maisons
-blanches, cubiques, aux fenêtres longues; mais l’anneau de bronze n’y
-était point pendu. Et on lui dit que l’anneau se trouverait au pays
-chrétien de Syrie, à l’Occident.
-
-Morgane passa les rives plates du fleuve qui environne la contrée des
-plaines humides, où croissent des forêts de réglisse. Il y avait des
-châteaux creusés dans une seule pierre étroite, qui était posée sur
-la pointe extrême; et les femmes assises au soleil sur le passage de
-la caravane avaient des torsades de crin roux autour du front. Et là
-vivent ceux qui mènent des troupeaux de chevaux, et portent des lances
-à pointe d’argent.
-
-Et plus loin est une montagne sauvage habitée par des bandits qui
-boivent l’eau-de-vie de blé en l’honneur de leurs divinités. Ils
-adorent des pierres vertes de forme étrange, et se prostituent les uns
-aux autres parmi des cercles de buissons enflammés. Morgane eut horreur
-d’eux.
-
-Et plus loin est une cité souterraine d’hommes noirs qui ne sont
-visités par leurs dieux que pendant leur sommeil. Ils mangent les
-fibres du chanvre, et se couvrent le visage avec de la poudre de craie.
-Et ceux qui s’enivrent avec le chanvre pendant la nuit fendent le cou
-de ceux qui dorment, afin de les envoyer vers les divinités nocturnes.
-Morgane eut horreur d’eux.
-
-Et plus loin s’étend le désert de sable gris, où les plantes et les
-pierres sont pareilles au sable. Et à l’entrée de ce désert Morgane
-trouva l’hôtellerie de l’anneau.
-
-Elle fît arrêter sa litière, et les muletiers déchargèrent les mules.
-C’était une maison ancienne, bâtie sans l’aide du ciment; et les
-blocs de pierre étaient blanchis par le soleil. Mais le maître de
-l’hôtellerie ne put lui parler du miroir: car il ne le connaissait
-point.
-
-Et le soir, après qu’on eut mangé les galettes minces, le maître dit à
-Morgane que cette maison de l’anneau avait été dans les temps anciens
-la demeure d’une reine cruelle. Et elle fut punie de sa cruauté. Car
-elle avait ordonné de couper la tête à un homme religieux qui vivait
-solitaire au milieu de l’étendue de sable et faisait baigner les
-voyageurs avec de bonnes paroles dans l’eau du fleuve. Et aussitôt
-après cette reine périt, avec toute sa race. Et la chambre de la reine
-fut murée dans sa maison. Le maître de l’hôtellerie montra à Morgane la
-porte bouchée par des pierres.
-
-Puis les voyageurs de l’hôtellerie se couchèrent dans les salles
-carrées et sous l’auvent. Mais vers le milieu de la nuit, Morgane
-éveilla ses muletiers, et fit enfoncer la porte murée. Et elle entra
-par la brèche poussiéreuse, avec un flambeau de fer.
-
-Et les gens de Morgane entendirent un cri, et suivirent la princesse.
-Elle était agenouillée au milieu de la chambre murée, devant un plat
-de cuivre battu rempli de sang, et elle le regardait ardemment. Et le
-maître de l’hôtellerie leva les bras: car le sang du bassin n’était pas
-tari dans la chambre close depuis que la reine cruelle y avait fait
-placer une tête coupée.
-
- * * * * *
-
-Personne ne sait ce que la princesse Morgane vit dans le miroir
-de sang. Mais sur la route du retour ses muletiers furent trouvés
-assassinés, un à un, chaque nuit, leur face grise tournée vers le
-ciel, après qu’ils avaient pénétré dans sa litière. Et on nomma cette
-princesse Morgane la Rouge, et elle fut une fameuse prostituée et une
-terrible égorgeuse d’hommes.
-
-
-
-
-_Mandosiane_
-
-
-
-
-MANDOSIANE
-
-
-Lilly et Nan étaient servantes de ferme. Elles portaient l’eau du
-puits, l’été, par le sentier à peine frayé dans les blés mûrs;
-et l’hiver, qu’il fait froid, et que les glacillons pendillent
-aux fenêtres, Lilly venait coucher avec Nan. Pelotonnées sous les
-couvertures, elles écoutaient le vent huer. Elles avaient toujours des
-pièces blanches dans leurs poches, et guimpes fines à rubans cerise;
-blondes pareillement, et ricassières. Tous les soirs elles mettaient
-au coin de l’âtre un baquet de belle eau fraîche; où aussi elles
-trouvaient, disait-on, au saut du lit, les pièces d’argent qu’elles
-faisaient sonner dans leurs doigts. Car les «pixies» en jetaient au
-baquet après s’y être baignées. Mais Nan, ni Lilly, ni personne,
-n’avait vu de «pixies», sinon que, dans les contes et ballades,
-ce sont quelques méchantes petites choses noires avec des queues
-tourbillonnantes.
-
-Une nuit, Nan oublia de tirer de l’eau; d’autant qu’on était en
-décembre, et que la chaîne rouillée du puits était enduite de glace.
-Comme elle dormait, les mains sur les épaules de Lilly, soudain elle
-fut pincée aux bras et aux mollets, et les cheveux de sa nuque furent
-cruellement tirés. Elle s’éveilla en pleurant: «Demain je serai noire
-et bleue!» Et elle dit à Lilly: «Serre-moi, serre-moi: je n’ai pas mis
-le baquet de belle eau fraîche; mais je ne sortirai pas de mon lit,
-malgré tous les «pixies» du Devonshire.» Alors la bonne petite Lilly
-l’embrassa, se leva, tira de l’eau, et plaça le baquet au coin de
-l’âtre. Quand elle se recoucha, Nan était endormie.
-
- * * * * *
-
-Et dans son sommeil la petite Lilly eut un rêve. Il lui sembla qu’une
-reine, vêtue de feuilles vertes, avec une couronne d’or sur la tête,
-s’approchait de son lit, la touchait et lui parlait. Elle disait: «Je
-suis la reine Mandosiane; Lilly, viens me chercher.» Et elle disait
-encore: «Je suis assise dans une prairie d’émeraudes, et le chemin qui
-mène vers moi est de trois couleurs, jaune, bleu et vert.» Et elle
-disait: «Je suis la reine Mandosiane; Lilly, viens me chercher.»
-
-Puis Lilly enfonça sa tête dans l’oreiller noir de la nuit et elle ne
-vit plus rien. Or, le matin, comme le coq chantait, il fut impossible
-à Nan de se lever et elle poussait des plaintes aiguës, car ses deux
-jambes étaient insensibles et elle ne savait les remuer. Dans la
-journée, les médecins la virent et par grande consultation décidèrent
-qu’elle resterait sans doute étendue ainsi sans jamais plus marcher. Et
-la pauvre Nan sanglotait: car elle ne trouverait jamais de mari.
-
-Lilly eut grand’pitié. Épluchant les pommes d’hiver, rangeant les
-nèfles, barattant le beurre, essuyant le petit-lait à ses mains
-rougies, elle imaginait sans cesse qu’on pourrait guérir la pauvre Nan.
-Et elle avait oublié le rêve, lorsqu’un soir où la neige tombait dru et
-qu’on buvait de la bière chaude avec des rôties, un vieux vendeur de
-ballades frappa à la porte. Toutes les filles de ferme sautèrent autour
-de lui, car il avait des gants, des chansons d’amour, des rubans, des
-toiles de Hollande, des jarretières, des épingles et des coiffes d’or.
-
-—Voyez la triste histoire, dit-il, de la femme de l’usurier, pendant
-douze mois grosse de vingt sacs d’écus, aussi prise de l’envie bien
-singulière de manger des têtes de vipère à la fricassée et des crapauds
-en carbonade.
-
-«Voyez la ballade du grand poisson qui vint sur la côte le quatorzième
-jour d’avril, sortit de l’eau plus de quarante brasses, et vomit cinq
-boisseaux d’anneaux de mariée tout verdis par la mer.
-
-«Voyez la chanson des trois méchantes filles du roi et de celle qui
-versa un verre de sang sur la barbe de son père.
-
-«Et j’avais aussi les aventures de la reine Mandosiane; mais une
-coquine de bourrasque m’a tiré la dernière feuille des mains au
-tournant de la route.»
-
-Aussitôt Lilly reconnut son rêve, et elle sut que la reine Mandosiane
-lui ordonnait de venir.
-
-Et la même nuit Lilly embrassa doucement Nan, mit ses souliers neufs et
-s’en alla seule par les routes. Or le vieux vendeur de ballades avait
-disparu, et sa feuille s’était envolée si loin que Lilly ne put la
-trouver; de sorte qu’elle ne savait ni ce qu’était la reine Mandosiane,
-ni où elle devait la chercher.
-
-Et personne ne put lui répondre, bien qu’elle demandât sur son chemin
-aux vieux laboureurs, qui la regardaient encore de loin, en s’abritant
-les yeux avec la main, et aux jeunes femmes enceintes qui causaient
-indolemment devant leurs portes, et aux enfants qui viennent justement
-de parler, auxquels elle baissait les branches des mûriers par les
-haies. Les uns disaient: «Il n’y a plus de reines»; les autres: «Nous
-n’avons pas ça par ici; c’est dans les vieux temps»; les autres:
-«Est-ce le nom d’un joli garçon?» Et d’autres mauvais conduisirent
-Lilly devant une de ces maisons des villes qui sont fermées le jour,
-et qui, la nuit, s’ouvrent et s’éclairent, disant et affirmant que la
-reine Mandosiane y séjournait, vêtue d’une chemise rouge et servie par
-des femmes nues.
-
-Mais Lilly savait bien que la vraie reine Mandosiane était vêtue de
-vert, non de rouge, et qu’il lui faudrait passer sur un chemin de trois
-couleurs. Ainsi elle connut le mensonge des méchants. Cependant elle
-marcha bien longtemps. Certes, elle passa l’été de sa vie, trottant
-par la poussière blanche, pataugeant par l’épaisse boue des ornières,
-accompagnée par les chariots des rouliers, et, parfois, le soir,
-quand le ciel avait une splendide nuance rouge, suivie par les grands
-chars où s’entassaient des gerbes et où quelques faux luisantes se
-balançaient. Mais personne ne put lui parler de la reine Mandosiane.
-
-Afin de ne pas oublier un nom si difficile, elle avait fait trois nœuds
-à sa jarretière. Par un midi, étant allée loin vers le soleil qui se
-lève, elle entra dans une route jaune sinueuse, qui bordait un canal
-bleu. Et le canal fléchissait avec la route, et entre les deux un talus
-vert suivait leurs contours. Des bouquets d’arbrisseaux croissaient
-de part et d’autre; et aussi loin que l’œil pouvait atteindre, on ne
-voyait que des marécages et l’ombre verdoyante. Parmi les taches
-des marais s’élevaient de petites huttes coniques et la longue route
-s’enfonçait directement dans les nuages sanglants du ciel.
-
-Là elle rencontra un petit garçon, dont les yeux étaient drôlement
-fendus, et qui halait le long du canal une lourde barque. Elle voulut
-lui demander s’il avait vu la reine; mais s’aperçut avec terreur
-qu’elle avait oublié le nom. Lors elle s’écria, et pleura, et tâta sa
-jarretière, en vain. Et elle s’écria plus fort, voyant qu’elle marchait
-sur la route de trois couleurs, faite de poussière jaune, d’un canal
-bleu, et d’un talus vert. De nouveau elle toucha les trois nœuds
-qu’elle avait noués, et sanglota. Et le petit garçon, pensant qu’elle
-souffrait et ne comprenant point sa douleur, cueillit au bord de la
-route jaune une pauvre herbe, qu’il lui mit dans la main.
-
-—La mandosiane guérit, dit-il.
-
- * * * * *
-
-Voilà comment Lilly trouva sa reine vêtue de feuilles vertes.
-
-Elle la serra précieusement, et retourna aussitôt sur la longue route.
-Et le voyage de retour fut plus lent que l’autre, car Lilly était
-lasse. Il lui parut qu’elle marchait depuis des années. Mais elle
-était joyeuse, sachant qu’elle guérirait la pauvre Nan.
-
-Elle traversa la mer, où les vagues étaient monstrueuses. Enfin elle
-arriva dans le Devon, tenant l’herbe entre sa cotte et sa chemise. Et
-d’abord elle ne reconnut pas les arbres; et il lui parut que tous les
-bestiaux étaient changés. Et dans la grand’salle de la ferme, elle vit
-une vieille femme entourée d’enfants. Courant, elle demanda Nan. La
-vieille, surprise, considéra Lilly et dit:
-
-—Mais Nan est partie depuis longtemps, et mariée.
-
-—Et guérie? demanda joyeusement Lilly.
-
-—Guérie, oui, certes, dit la vieille.—Et toi, pauvre, n’es-tu pas
-Lilly?
-
-—Oui, dit Lilly; mais quel âge puis-je donc avoir?
-
-—Cinquante ans, n’est-ce pas, grand’mère, crièrent les enfants: elle
-n’est pas tout à fait si vieille que toi.
-
-Et comme Lilly, lasse, souriait, le parfum très fort de la mandosiane
-la fit pâmer, et elle mourut sous le soleil. Ainsi Lilly alla chercher
-la reine Mandosiane et fut emportée par elle.
-
-
-
-
-III
-
-_Monelle_
-
-
-
-
-_Rencontre de Monelle_
-
-
-
-
-RENCONTRE DE MONELLE
-
-
-Je ne sais comment je parvins à travers une pluie obscure jusqu’à
-l’étrange étal qui m’apparut dans la nuit. J’ignore la ville et
-j’ignore l’année; je me souviens que la saison était pluvieuse, très
-pluvieuse.
-
-Il est certain que dans ce même temps des hommes trouvèrent par
-les routes de petits enfants vagabonds qui refusaient de grandir.
-Des fillettes de sept ans implorèrent à genoux pour que leur âge
-restât immobile, et la puberté semblait déjà mortelle. Il y eut des
-processions blanchâtres sous le ciel livide, et de petites ombres à
-peine parlantes exhortèrent le peuple puéril. Rien n’était désiré par
-elles qu’une ignorance perpétuée. Elles souhaitaient se vouer à des
-jeux éternels. Elles désespéraient du travail de la vie. Tout n’était
-que passé pour elles.
-
-En ces jours mornes, sous cette saison pluvieuse, très pluvieuse,
-j’aperçus les minces lumières filantes de la petite vendeuse de lampes.
-
-Je m’approchai sous l’auvent, et la pluie me courut sur la nuque tandis
-que je penchais la tête. Et je lui dis:
-
-—Que vendez-vous donc là, petite vendeuse, par cette triste saison de
-pluie?
-
-—Des lampes, me répondit-elle, seulement des lampes allumées.
-
-—Et en vérité, lui dis-je, que sont donc ces lampes allumées, hautes
-comme le petit doigt et qui brûlent d’une lumière menue comme une tête
-d’épingle?
-
-—Ce sont, dit-elle, les lampes de cette saison ténébreuse. Et
-autrefois ce furent des lampes de poupée. Mais les enfants ne veulent
-plus grandir. Voilà pourquoi je leur vends ces petites lampes qui
-éclairent à peine la pluie obscure.
-
-—Et vivez-vous donc ainsi, lui dis-je, petite vendeuse vêtue de noir,
-et mangez-vous par l’argent que vous payent les enfants pour vos lampes?
-
-—Oui, dit-elle simplement. Mais je gagne bien peu. Car la pluie
-sinistre éteint souvent mes petites lampes, au moment où je les tends
-pour les donner. Et quand elles sont éteintes, les enfants n’en veulent
-plus. Personne ne peut les rallumer. Il ne me reste que celles-ci. Je
-sais bien que je ne pourrai en trouver d’autres. Et quand elles seront
-vendues, nous demeurerons dans l’obscurité de la pluie.
-
-—Est-ce donc la seule lumière, dis-je encore, de cette morne saison;
-et comment éclairerait-on, avec une si petite lampe, les ténèbres
-mouillées?
-
-—La pluie les éteint souvent, dit-elle, et dans les champs ou par
-les rues elles ne peuvent plus servir. Mais il faut s’enfermer. Les
-enfants abritent mes petites lampes avec leurs mains et s’enferment.
-Ils s’enferment chacun avec sa lampe et un miroir. Et elle suffit pour
-leur montrer leur image dans le miroir.
-
-Je regardai quelques instants les pauvres flammes vacillantes.
-
-—Hélas, dis-je, petite vendeuse, c’est une triste lumière, et les
-images des miroirs doivent être de tristes images.
-
-—Elles ne sont point si tristes, dit l’enfant vêtue de noir en
-secouant la tête, tant qu’elles ne grandissent pas. Mais les petites
-lampes que je vends ne sont pas éternelles. Leur flamme décroît, comme
-si elle s’affligeait de la pluie obscure. Et quand mes petites lampes
-s’éteignent, les enfants ne voient plus la lueur du miroir, et se
-désespèrent. Car ils craignent de ne pas savoir l’instant où ils vont
-grandir. Voilà pourquoi ils s enfuient en gémissant dans la nuit. Mais
-il ne m’est permis de vendre à chaque enfant qu’une seule lampe. S’ils
-essaient d’en acheter une seconde, elle s’éteint dans leurs mains.
-
-Et je me penchai un peu plus vers la petite vendeuse, et je voulus
-prendre une de ses lampes.
-
-—Oh! il n’y faut pas toucher, dit-elle. Vous avez passé l’âge où
-mes lampes brûlent. Elles ne sont faites que pour les poupées ou les
-enfants. N’avez-vous point chez vous une lampe de grande personne?
-
-—Hélas! dis-je, par cette saison pluvieuse de pluie obscure, dans ce
-morne temps ignoré, il n’est plus que vos lampes d’enfant qui brûlent.
-Et je désirais, moi aussi, regarder encore une fois la lueur du miroir.
-
-—Venez, dit-elle, nous regarderons ensemble.
-
-Par un petit escalier vermoulu, elle me conduisit dans une chambre de
-bois simple où il y avait un éclat de miroir au mur.
-
-—Chut, dit-elle, et je vous montrerai. Car ma propre lampe est plus
-claire et plus puissante que les autres; et je ne suis pas trop pauvre
-parmi ces pluvieuses ténèbres. Et elle leva sa petite lampe vers le
-miroir.
-
-Alors il y eut un pâle reflet où je vis circuler des histoires connues.
-Mais la petite lampe mentait, mentait, mentait. Je vis la plume se
-soulever sur les lèvres de Cordelia; et elle souriait, et guérissait;
-et avec son vieux père elle vivait dans une grande cage comme un
-oiseau, et elle baisait sa barbe blanche. Je vis Ophélie jouer sur
-l’eau vitrée de l’étang, et attacher au cou d’Hamlet ses bras humides
-enguirlandés de violettes. Je vis Desdémone réveillée errer sous les
-saules. Je vis la princesse Maleine ôter ses deux mains des yeux du
-vieux roi, et rire, et danser. Je vis Mélisande, délivrée, se mirer
-dans la fontaine.
-
-Et je m’écriai: Petite lampe menteuse ...
-
-—Chut! dit la petite vendeuse de lampes, et me mit la main sur les
-lèvres. Il ne faut rien dire. La pluie n’est-elle pas assez obscure?
-
- * * * * *
-
-Alors je baissai la tête et je m’en allai vers la nuit pluvieuse dans
-la ville inconnue.
-
-
-
-
-_Monelle_
-
-
-
-
-MONELLE
-
-
-Je ne sais pas où Monelle me prit par la main. Mais je pense que ce fut
-dans une soirée d’automne, quand la pluie est déjà froide.
-
-—Viens jouer avec nous, dit-elle.
-
-Monelle portait dans son tablier des vieilles poupées et des volants
-dont les plumes étaient fripées et les galons ternis.
-
-Sa figure était pâle et ses yeux riaient.
-
-—Viens jouer, dit-elle. Nous ne travaillons plus, nous jouons.
-
-Il y avait du vent et de la boue. Les pavés luisaient. Tout le long
-des auvents de boutique l’eau tombait, goutte à goutte. Des filles
-frissonnaient sur le seuil des épiceries. Les chandelles allumées
-semblaient rouges.
-
-Mais Monelle tira de sa poche un dé de plomb, un petit sabre d’étain,
-une balle de caoutchouc.
-
-—Tout cela est pour eux, dit-elle. C’est moi qui sors pour acheter
-les provisions.
-
-—Et quelle maison avez-vous donc, et quel travail, et quel argent,
-petite ...
-
-—Monelle, dit la fillette en me serrant la main. Ils m’appellent
-Monelle. Notre maison est une maison où on joue: nous avons chassé le
-travail, et les sous que nous avons encore nous avaient été donnés pour
-acheter des gâteaux. Tous les jours je vais chercher des enfants dans
-la rue, et je leur parle de notre maison, et je les amène. Et nous nous
-cachons bien pour qu’on ne nous trouve pas. Les grandes personnes nous
-forceraient à rentrer et nous prendraient tout ce que nous avons. Et
-nous, nous voulons rester ensemble et jouer.
-
-—Et à quoi jouez-vous, petite Monelle?
-
-—Nous jouons à tout. Ceux qui sont grands se font des fusils et des
-pistolets; et les autres jouent à la raquette, sautent à la corde,
-se jettent la balle; ou les autres dansent des rondes et se prennent
-les mains; ou les autres dessinent sur les vitres les belles images
-qu’on ne voit jamais et soufflent des bulles de savon; ou les autres
-habillent leurs poupées et les mènent promener, et nous comptons sur
-les doigts des tout petits pour les faire rire.
-
- * * * * *
-
-La maison où Monelle me conduisit paraissait avoir des fenêtres murées.
-Elle s’était détournée de la rue, et toute sa lumière venait d’un
-profond jardin. Et déjà là j’entendis des voix heureuses.
-
-Trois enfants vinrent sauter autour de nous.
-
-—Monelle, Monelle! criaient-ils, Monelle est revenue!
-
-Ils me regardèrent et murmurèrent:
-
-—Comme il est grand! Est-ce qu’il jouera, Monelle?
-
-Et la fillette leur dit:
-
-—Bientôt les grandes personnes viendront avec nous. Elles iront vers
-les petits enfants. Elles apprendront à jouer. Nous leur ferons la
-classe, et dans notre classe on ne travaillera jamais. Avez-vous faim?
-
-Des voix crièrent:
-
-—Oui, oui, oui il faut faire la dînette.
-
-Alors furent apportées des petites tables rondes, et des serviettes
-grandes comme des feuilles de lilas, et des verres profonds comme des
-dés à coudre, et des assiettes creuses comme des coquilles de noix. Le
-repas fut de chocolat et de sucre en miettes; et le vin ne pouvait pas
-couler dans les verres, car les petites fioles blanches, longues comme
-le petit doigt, avaient le cou trop mince.
-
-La salle était vieille et haute. Partout brûlaient des petites
-chandelles vertes et roses dans les chandeliers d’étain minuscules.
-Contre les murs, les petites glaces rondes paraissaient des pièces de
-monnaie changées en miroirs. On ne reconnaissait les poupées d’entre
-les enfants que par leur immobilité. Car elles restaient assises dans
-leurs fauteuils, ou se coiffaient, les bras levés, devant de petites
-toilettes, ou elles étaient déjà couchées, le drap ramené jusqu’au
-menton, dans leurs petits lits de cuivre. Et le sol était jonché de la
-fine mousse verte qu’on met dans les bergeries de bois.
-
-Il semblait que cette maison fût une prison ou un hôpital. Mais une
-prison où on enfermait des innocents pour les empêcher de souffrir,
-un hôpital où on guérissait du travail de la vie. Et Monelle était la
-geôlière et l’infirmière.
-
- * * * * *
-
-La petite Monelle regardait jouer les enfants. Mais elle était très
-pâle. Peut-être avait-elle faim.
-
-—De quoi vivez-vous, Monelle, lui dis-je tout à coup.
-
-Et elle me répondit simplement:
-
-—Nous ne vivons de rien. Nous ne savons pas.
-
-Aussitôt elle se prit à rire. Mais elle était très faible.
-
-Et elle s’assit au pied du lit d’un enfant qui était malade. Elle lui
-tendit une des petites bouteilles blanches, et resta longtemps penchée,
-les lèvres entr’ouvertes.
-
- * * * * *
-
-Il y avait des enfants qui dansaient une ronde et qui chantaient à voix
-claire. Monelle leva un peu la main, et dit:
-
-—Chut!
-
-Puis elle parla doucement, avec ses petites paroles. Elle dit:
-
-—Je crois que je suis malade. Ne vous en allez pas. Jouez autour de
-moi. Demain, une autre ira chercher de beaux jouets. Je resterai avec
-vous. Nous nous amuserons sans faire de bruit. Chut! Plus tard nous
-jouerons dans les rues et dans les champs, et on nous donnera à manger
-dans toutes les boutiques. Maintenant on nous forcerait à vivre comme
-les autres. Il faut attendre. Nous aurons beaucoup joué.
-
-Monelle dit encore:
-
-—Aimez-moi bien. Je vous aime tous.
-
-Puis elle parut s’endormir près de l’enfant malade.
-
-Tous les autres enfants la regardaient, la tête avancée.
-
-Il y eut une petite voix tremblante qui dit faiblement: «Monelle est
-morte.» Et il se fit un grand silence.
-
- * * * * *
-
-Les enfants apportèrent autour du lit les petites chandelles allumées.
-Et, pensant qu’elle dormait peut-être, ils rangèrent devant elle, comme
-pour une poupée, de petits arbres vert-clair taillés en pointe et les
-placèrent parmi les moutons de bois blanc pour la regarder. Ensuite ils
-s’assirent et la guettèrent. Un peu de temps après, l’enfant malade,
-sentant que la joue de Monelle devenait froide, se mit à pleurer.
-
-
-
-
-_Fuite de Monelle_
-
-
-
-
-FUITE DE MONELLE
-
-
-Il y avait un enfant qui avait eu coutume de jouer avec Monelle.
-C’était au temps ancien, quand Monelle n’était pas encore partie.
-Toutes les heures du jour, il les passait auprès d’elle, regardant
-trembler ses yeux. Elle riait sans cause et il riait sans cause. Quand
-elle dormait, ses lèvres entr’ouvertes étaient en travail de bonnes
-paroles. Quand elle s’éveillait, elle se souriait, sachant qu’il allait
-venir.
-
-Ce n’était pas un véritable jeu qu’on jouait: car Monelle était obligée
-de travailler. Si petite, elle restait assise tout le jour derrière une
-vieille vitre pleine de poussière. La muraille d’en face était aveuglée
-de ciment, sous la triste lumière du nord. Mais les petits doigts de
-Monelle couraient dans le linge, comme s’ils trottaient sur une route
-de toile blanche et les épingles piquées sur ses genoux marquaient
-les relais. La main droite était ramassée comme un petit chariot de
-chair, et elle avançait, laissant derrière elle un sillon ourlé; et
-crissant, crissant, l’aiguille dardait sa langue d’acier, plongeait et
-émergeait, tirant le long fil par son œil d’or. Et la main gauche était
-bonne à voir, parce qu’elle caressait doucement la toile neuve, et la
-soulageait de tous ses plis, comme si elle avait bordé en silence les
-draps frais d’un malade.
-
-Ainsi l’enfant regardait Monelle et se réjouissait sans parler, car
-son travail semblait un jeu, et elle lui disait des choses simples qui
-n’avaient point beaucoup de sens. Elle riait au soleil, elle riait à
-la pluie, elle riait à la neige. Elle aimait être chauffée, mouillée,
-gelée. Si elle avait de l’argent, elle riait, pensant qu’elle irait
-danser avec une robe nouvelle. Si elle était misérable, elle riait,
-pensant qu’elle mangerait des haricots, une grosse provision pour une
-semaine. Et elle songeait, ayant des sous, à d’autres enfants qu’elle
-ferait rire; et elle attendait, sa petite main vide, de pouvoir se
-pelotonner et se nicher dans sa faim et sa pauvreté.
-
-Elle était toujours entourée d’enfants qui la considéraient avec des
-yeux élargis. Mais elle préférait peut-être l’enfant qui venait passer
-près d’elle les heures du jour. Cependant elle partit et le laissa
-seul. Elle ne lui parla jamais de son départ, sinon qu’elle devint plus
-grave, et le regarda plus longtemps. Et il se souvint aussi qu’elle
-cessa d’aimer tout ce qui l’entourait: son petit fauteuil, les bêtes
-peintes qu’on lui apportait, et tous ses jouets, et tous ses chiffons.
-Et elle rêvait, le doigt sur la bouche, à d’autres choses.
-
-Elle partit dans un soir de décembre, quand l’enfant n’était pas là.
-Portant à la main sa petite lampe haletante, elle entra, sans se
-retourner, dans les ténèbres. Comme l’enfant arrivait, il aperçut
-encore à l’extrémité noire de la rue étroite une courte flamme qui
-soupirait. Ce fut tout. Il ne revit jamais Monelle.
-
- * * * * *
-
-Longtemps il se demanda pourquoi elle était partie sans rien dire. Il
-pensa qu’elle n’avait pas voulu être triste de sa tristesse. Il se
-persuada qu’elle était allée vers d’autres enfants, qui avaient besoin
-d’elle. Avec sa petite lampe agonisante, elle était allée leur porter
-secours, le secours d’une flammèche rieuse dans la nuit. Peut-être
-avait-elle songé qu’il ne fallait pas l’aimer trop lui seul, afin de
-pouvoir aimer aussi d’autres petits inconnus. Peut-être l’aiguille
-avec son œil d’or ayant tiré le petit chariot de chair jusqu’au bout,
-jusqu’à l’extrême bout du sillon ourlé, Monelle était-elle devenue
-lasse de la route écrue de toile où trottaient ses mains. Sans doute
-elle avait voulu jouer éternellement. Et l’enfant n’avait point su le
-moyen du jeu éternel. Peut-être avait-elle désiré enfin voir ce qu’il y
-avait derrière la vieille muraille aveugle, dont tous les yeux étaient
-fermés, depuis les années, avec du ciment. Peut-être qu’elle allait
-revenir. Au lieu de dire «au revoir,—attends-moi,—sois sage!» pour
-qu’il épiât le bruit de petits pas dans le corridor et le cliquètement
-de toutes les clés dans les serrures, elle s’était tue, et viendrait,
-par surprise, dans son dos, mettre deux menottes tièdes sur ses
-yeux—ah oui!—et crierait: «coucou!» avec la voix de l’oisillon revenu
-près du feu.
-
- * * * * *
-
-Il se rappela le premier jour qu’il la vit, sautillant comme une frêle
-blancheur flamboyante toute secouée de rire. Et ses yeux étaient des
-yeux d’eau où les pensées se mouvaient comme des ombres de plantes. Là,
-au détour de la rue, elle était venue, bonnement. Elle avait ri, avec
-des éclats lents et plus lents, semblables à la vibration cessante
-d’une coupe de cristal. C’était au crépuscule d’hiver, et il y avait
-du brouillard; cette boutique était ouverte—ainsi. Le même soir, les
-mêmes choses autour, le même bourdon aux oreilles: l’année différente
-et l’attente. Il avançait avec précaution; toutes les choses étaient
-pareilles, comme la première fois; mais il l’attendait: n’était-ce pas
-une raison pour qu’elle vînt? Et il tendait sa pauvre main ouverte à
-travers le brouillard.
-
- * * * * *
-
-Cette fois, Monelle ne sortit pas de l’inconnu. Aucun petit rire
-n’agita la brume. Monelle était loin, et ne se souvenait plus du soir
-ni de l’année. Qui sait? Elle s’était glissée peut-être à la nuit dans
-la chambrette inhabitée, et le guettait derrière la porte avec un
-tressaillement doux. L’enfant marcha sans bruit, pour la surprendre.
-Mais elle n’était plus là. Elle allait revenir,—oh! oui,—elle allait
-revenir. Les autres enfants avaient eu assez de bonheur d’elle. C’était
-à son tour, maintenant. L’enfant entendit sa voix malicieuse murmurant:
-«Je suis sage aujourd’hui!» Petite parole disparue, lointaine, effacée
-comme une ancienne teinte, usée déjà par les échos du souvenir.
-
- * * * * *
-
-L’enfant s’assit patiemment. Là était le petit fauteuil d’osier, marqué
-de son corps, et le tabouret qu’elle aimait, et la petite glace plus
-chérie parce qu’elle était cassée, et la dernière chemisette qu’elle
-avait cousue, la chemisette «qui s’appelait Monelle», dressée, un peu
-gonflée, attendant sa maîtresse.
-
-Toutes les petites choses de la chambre l’attendaient. La table à
-ouvrage était restée ouverte. Le petit mètre dans sa boîte ronde
-allongeait sa langue verte, percée d’un anneau. La toile dépliée des
-mouchoirs se soulevait en petites collines blanches. Les pointes des
-aiguilles se dressaient derrière, semblables à des lances embusquées.
-Le petit dé de fer ouvragé était un chapeau d’armes abandonné. Les
-ciseaux ouvraient indolemment la gueule comme un dragon d’acier.
-Ainsi tout dormait dans l’attente. Le petit chariot de chair, souple
-et agile, ne circulait plus, versant sur ce monde enchanté sa tiède
-chaleur. Tout l’étrange petit château de travail sommeillait. L’enfant
-espérait. La porte allait s’ouvrir, doucement; la flammèche rieuse
-volèterait; les collines blanches s’étaleraient; les fines lances se
-choqueraient; le chapeau d’armes retrouverait sa tête rose; le dragon
-d’acier claquerait rapidement de la gueule, et le petit chariot de
-chair trottinerait partout, et la voix effacée dirait encore: «Je suis
-sage aujourd’hui!»—Est-ce que les miracles n’arrivent pas deux fois?
-
-
-
-
-_Patience de Monelle_
-
-
-
-
-PATIENCE DE MONELLE
-
-
-J’arrivai dans un lieu très étroit et obscur, mais parfumé d’une odeur
-triste de violettes étouffées. Et il n’y avait nul moyen d’éviter
-cet endroit, qui est comme un long passage. Et, tâtonnant autour de
-moi, je touchai un petit corps ramassé comme jadis dans le sommeil,
-et je frôlai des cheveux, et je passai la main sur une figure que je
-connaissais, et il me parut que la petite figure se fronçait sous mes
-doigts, et je reconnus que j’avais trouvé Monelle qui dormait seule en
-ce lieu obscur.
-
-Je m’écriai de surprise, et je lui dis, car elle ne pleurait ni ne
-riait:
-
-—O Monelle! es-tu donc venue dormir ici, loin de nous, comme une
-patiente gerboise dans le creux du sillon?
-
-Et elle élargit ses yeux et entr’ouvrit ses lèvres, comme autrefois,
-lorsqu’elle ne comprenait point, et qu’elle implorait l’intelligence
-de celui qu’elle aimait.
-
-—O Monelle, dis-je encore, tous les enfants pleurent dans la maison
-vide; et les jouets se couvrent de poussière, et la petite lampe s’est
-éteinte, et tous les rires qui étaient dans tous les coins se sont
-enfuis, et le monde est retourné au travail. Mais nous te pensions
-ailleurs. Nous pensions que tu jouais loin de nous, en un lieu où nous
-ne pouvons parvenir. Et voici que tu dors, nichée comme un petit animal
-sauvage, au-dessous de la neige que tu aimais pour sa blancheur.
-
-Alors elle parla, et sa voix était la même, chose étrange, en ce lieu
-obscur, et je ne pus m’empêcher de pleurer, et elle essuya mes larmes
-avec ses cheveux, car elle était très dénuée.
-
-—O mon chéri, dit-elle, il ne faut point pleurer; car tu as besoin de
-tes yeux pour travailler, tant qu’on vivra en travaillant, et les temps
-ne sont pas venus. Et il ne faut pas rester en ce lieu froid et obscur.
-
-Et je sanglotai alors et lui dis:
-
-—O Monelle, mais tu craignais les ténèbres?
-
-—Je ne les crains plus, dit-elle.
-
-—O Monelle, mais tu avais peur du froid comme de la main d’un mort?
-
-—Je n’ai plus peur du froid, dit-elle.
-
-—Et tu es toute seule ici, toute seule, étant enfant, et tu pleurais
-quand tu étais seule.
-
-—Je ne suis plus seule, dit-elle; car j’attends.
-
-—O Monelle, qui attends-tu, dormant roulée en ce lieu obscur?
-
-—Je ne sais pas, dit-elle; mais j’attends. Et je suis avec mon attente.
-
-Et je m’aperçus alors que tout son petit visage était tendu vers une
-grande espérance.
-
-—Il ne faut pas rester ici, dit-elle encore, en ce lieu froid et
-obscur, mon aimé; retourne vers tes amis.
-
-—Ne veux-tu point me guider et m’enseigner, Monelle, pour que j’aie
-aussi la patience de ton attente? Je suis si seul!
-
-—O mon aimé, dit-elle, je serais malhabile à t’enseigner comme
-autrefois, quand j’étais, disais-tu, une petite bête; ce sont des
-choses que tu trouveras sûrement par longue et laborieuse réflexion,
-ainsi que je les ai vues tout d’un coup pendant que je dors.
-
-—Es-tu nichée ainsi, Monelle, sans le souvenir de ta vie passée, ou
-te souviens-tu encore de nous?
-
-—Comment pourrais-je, mon aimé, t’oublier? Car vous êtes dans mon
-attente, contre laquelle je dors; mais je ne puis expliquer. Tu te
-rappelles, j’aimais beaucoup la terre, et je déracinais les fleurs pour
-les replanter; tu te rappelles, je disais souvent: «si j’étais un petit
-oiseau, tu me mettrais dans ta poche, quand tu partirais.» O mon aimé,
-je suis ici dans la bonne terre, comme une graine noire, et j’attends
-d’être petit oiseau.
-
-—O Monelle, tu dors avant de t’envoler très loin de nous.
-
-—Non, mon aimé, je ne sais si je m’envolerai; car je ne sais rien.
-Mais je suis roulée en ce que j’aimais, et je dors contre mon attente.
-Et avant de m’endormir, j’étais une petite bête, comme tu disais, car
-j’étais pareille à un vermisseau nu. Un jour nous avons trouvé ensemble
-un cocon tout blanc, tout soyeux, et qui n’était percé d’aucun trou.
-Méchant, tu l’as ouvert, et il était vide. Penses-tu que la petite bête
-ailée n’en était pas sortie? Mais personne ne peut savoir comment. Et
-elle avait dormi longtemps. Et avant de dormir elle avait été un petit
-ver nu; et les petits vers sont aveugles. Figure-toi, mon aimé (ce
-n’est pas vrai, mais voilà comme je pense souvent) que j’ai tissé mon
-petit cocon avec ce que j’aimais, la terre, les jouets, les fleurs,
-les enfants, les petites paroles, et le souvenir de toi, mon aimé;
-c’est une niche blanche et soyeuse, et elle ne me paraît pas froide ni
-obscure. Mais elle n’est peut-être pas ainsi pour les autres. Et je
-sais bien qu’elle ne s’ouvrira point, et qu’elle restera fermée comme
-le cocon d’autrefois. Mais je n’y serai plus, mon aimé. Car mon attente
-est de m’en aller, ainsi que la petite bête ailée; personne ne peut
-savoir comment. Et où je veux aller, je n’en sais rien; mais c’est
-mon attente. Et les enfants aussi, et toi, mon aimé, et le jour où on
-ne travaillera plus sur terre sont mon attente. Je suis toujours une
-petite bête, mon aimé; je ne sais pas mieux expliquer.
-
-—Il faut, il faut, dis-je, que tu sortes avec moi de ce lieu obscur,
-Monelle; car je sais que tu ne penses pas ces choses; et tu t’es cachée
-pour pleurer; et puisque je t’ai trouvée enfin toute seule, dormant
-ici, toute seule, attendant ici, viens avec moi, viens avec moi, hors
-de ce lieu obscur et étroit.
-
-—Ne reste pas, ô mon aimé, dit Monelle, car tu souffrirais beaucoup;
-et moi, je ne peux venir, car la maison que je me suis tissée est toute
-fermée, et ce n’est point ainsi que j’en sortirai.
-
-Alors Monelle mit ses bras autour de mon cou, et son baiser fut pareil,
-chose étrange, à ceux d’autrefois, et voilà pourquoi je pleurai encore,
-et elle essuya mes larmes avec ses cheveux.
-
-—Il ne faut pas pleurer, dit-elle, si tu ne veux m’affliger dans mon
-attente; et peut-être n’attendrai-je pas si longtemps. Ne sois donc
-plus désolé. Car je te bénis de m’avoir aidée à dormir dans ma petite
-niche soyeuse dont la meilleure soie blanche est faite de toi, et où
-je dors maintenant, roulée sur moi-même.
-
-Et comme autrefois, dans son sommeil, Monelle se pelotonna contre
-l’invisible et me dit: «Je dors, mon aimé.»
-
-Ainsi, je la trouvai; mais comment serai-je sûr de la retrouver dans ce
-lieu très étroit et obscur?
-
-
-
-
-_Le royaume de Monelle_
-
-
-
-
-LE ROYAUME DE MONELLE
-
-
-Je lisais cette nuit-là et mon doigt suivait les lignes et les mots;
-mes pensées étaient ailleurs. Et autour de moi tombait une pluie
-noire, oblique et acérée. Et le feu de ma lampe éclairait les cendres
-froides de l’âtre. Et ma bouche était pleine d’un goût de souillure et
-de scandale; car le monde me semblait obscur et mes lumières étaient
-éteintes. Et trois fois je m’écriai:
-
-«—Je voudrais tant d’eau bourbeuse pour étancher ma soif d’infamie.
-
-O je suis avec le scandaleux: tendez vos doigts vers moi!
-
-Il faut les frapper de boue, car ils ne me méprisent point.
-
-Et les sept verres pleins de sang m’attendront sur la table et la lueur
-d’une couronne d’or étincellera parmi.»
-
-Mais une voix retentit, qui ne m’était point étrangère, et le visage de
-celle qui parut ne m’était point inconnu. Et elle criait ces paroles:
-
-—Un royaume blanc! un royaume blanc! je connais un royaume blanc!
-
-Et je détournai la tête, et lui dis, sans surprise:
-
-—Petite tête menteuse, petite bouche qui ment, il n’est plus de rois
-ni de royaumes. Je désire vainement un royaume rouge: car le temps est
-passé. Et ce royaume-ci est noir, mais ce n’est point un royaume; car
-un peuple de rois ténébreux y agitent leurs bras. Et il n’y a nulle
-part dans le monde un royaume blanc, ni un roi blanc.
-
-Mais elle cria de nouveau ces paroles:
-
-—Un royaume blanc! un royaume blanc! je connais un royaume blanc!
-
-Et je voulus lui saisir la main; mais elle m’éluda.
-
-—Ni par la tristesse, dit-elle, ni par la violence. Cependant il y a
-un royaume blanc. Viens avec mes paroles; écoute.
-
-Et elle demeura silencieuse; et je me souvins.
-
-—Ni par le souvenir, dit-elle. Viens avec mes paroles; écoute.
-
-Et elle demeura silencieuse; et je m’entendis penser.
-
-—Ni par la pensée, dit-elle. Viens avec mes paroles; écoute.
-
-Et elle demeura silencieuse.
-
-Alors je détruisis en moi la tristesse de mon souvenir, et le désir
-de ma violence, et toute mon intelligence disparut. Et je restai dans
-l’attente.
-
-—Voici, dit-elle, et tu verras le royaume, mais je ne sais si tu y
-entreras. Car je suis difficile à comprendre, sauf pour ceux qui ne
-comprennent pas; et je suis difficile à saisir, sauf pour ceux qui ne
-saisissent plus; et je suis difficile à reconnaître, sauf pour ceux qui
-n’ont point de souvenir. En vérité, voici que tu m’as, et tu ne m’as
-plus. Écoute.
-
-Alors j’écoutai dans mon attente.
-
-Mais je n’entendis rien. Et elle secoua la tête et me dit:
-
-—Tu regrettes ta violence et ton souvenir, et la destruction n’en
-est point achevée. Il faut détruire pour obtenir le royaume blanc.
-Confesse-toi et tu seras délivré; remets entre mes mains ta violence
-et ton souvenir, et je les détruirai; car toute confession est une
-destruction.
-
-Et je m’écriai:
-
-—Je te donnerai tout, oui, je te donnerai tout. Et tu le porteras et
-tu l’anéantiras, car je ne suis plus assez fort.
-
-J’ai désiré un royaume rouge. Il y avait des rois sanglants qui
-affilaient leurs lames. Des femmes aux yeux noircis pleuraient sur des
-jonques chargées d’opium. Plusieurs pirates enterraient dans le sable
-des îles des coffres lourds de lingots. Toutes les prostituées étaient
-libres. Les voleurs croisaient les routes sous le blême de l’aube.
-Beaucoup de filles jeunes se gavaient de gourmandise et de luxure.
-Une troupe d’embaumeuses dorait des cadavres dans la nuit bleue. Les
-enfants désiraient des amours lointaines et des meurtres ignorés.
-Des corps nus jonchaient les dalles des étuves chaudes. Toutes choses
-étaient frottées d’épices ardentes et éclairées de cierges rouges. Mais
-ce royaume s’est enfoncé sous la terre, et je me suis éveillé au milieu
-des ténèbres.
-
-Et alors j’ai eu un royaume noir qui n’est pas un royaume: car il est
-plein de rois qui se croient des rois et qui l’obscurcissent de leurs
-œuvres et de leurs commandements. Et une sombre pluie le trempe nuit
-et jour. Et j’ai erré longtemps par les chemins, jusqu’à la petite
-lueur d’une lampe tremblante qui m’apparut au centre de la nuit. La
-pluie mouillait ma tête; mais j’ai vécu sous la petite lampe. Celle
-qui la tenait se nommait Monelle, et nous avons joué tous deux dans ce
-royaume noir. Mais un soir la petite lampe s’est éteinte, et Monelle
-s’est enfuie. Et je l’ai cherchée longtemps parmi ces ténèbres: mais je
-ne puis la retrouver. Et ce soir je la cherchais dans les livres; mais
-je la cherche en vain. Et je suis perdu dans le royaume noir; et je ne
-puis oublier la petite lueur de Monelle. Et j’ai dans la bouche un goût
-d’infamie.
-
- * * * * *
-
-Et sitôt que j’eus parlé, je sentis que la destruction s’était faite
-en moi, et mon attente s’éclaira d’un tremblement et j’entendis les
-ténèbres et sa voix disait:
-
-—Oublie toutes choses et toutes choses te seront rendues. Oublie
-Monelle et elle te sera rendue. Telle est la nouvelle parole. Imite le
-tout petit chien, dont les yeux ne sont pas ouverts et qui cherche à
-tâtons une niche pour son museau froid.
-
-Et celle qui me parlait cria:
-
-—Un royaume blanc! un royaume blanc! Je connais un royaume blanc!
-
-Et je fus accablé d’oubli, et mes yeux s’irradièrent de candeur.
-
-Et celle qui me parlait cria:
-
-—Un royaume blanc! un royaume blanc! Je connais un royaume blanc!
-
-Et l’oubli pénétra en moi et la place de mon intelligence devint
-profondément candide.
-
-Et celle qui me parlait cria encore:
-
-—Un royaume blanc! un royaume blanc! Je connais un royaume blanc!
-Voici la clef du royaume: dans le royaume rouge est un royaume noir;
-dans le royaume noir est un royaume blanc; dans le royaume blanc ...
-
-—Monelle, criai-je, Monelle! Dans le royaume blanc est Monelle!
-
-Et le royaume parut; mais il était muré de blancheur.
-
-Alors je demandai:
-
-—Et où est la clef du royaume?
-
-Mais celle qui me parlait demeura taciturne.
-
-
-
-
-_Résurrection de Monelle_
-
-
-
-
-RÉSURRECTION DE MONELLE
-
-
-Louvette me conduisit par un sillon vert jusqu’à la lisière du champ.
-La terre s’élevait plus loin, et à l’horizon une ligne brune coupait le
-ciel. Déjà les nuages enflammés penchaient vers le couchant. A la lueur
-incertaine du soir, je distinguai de petites ombres errantes.
-
-—Tout à l’heure, dit-elle, nous verrons s’allumer le feu. Et demain,
-ce sera plus loin. Et le jour suivant, plus loin. Car ils ne demeurent
-nulle part. Et ils n’allument qu’un feu en chaque endroit.
-
-—Qui sont-ils? demandai-je à Louvette?
-
-—On ne sait pas. Ce sont des enfants vêtus de blanc. Il y en a qui
-sont venus de nos villages. Et d’autres marchent depuis longtemps.
-
- * * * * *
-
-Nous vîmes briller une petite flamme qui dansait sur la hauteur.
-
-—Voilà leur feu, dit Louvette. Maintenant nous pourrons les trouver.
-Car ils séjournent la nuit où ils ont fait leur foyer, et le jour
-suivant ils quittent la contrée.
-
- * * * * *
-
-Et quand nous arrivâmes à la rête où brûlait la flamme, nous aperçûmes
-beaucoup d’enfants blancs autour du feu.
-
-Et parmi eux, semblant leur parler et les guider, je reconnus la petite
-vendeuse de lampes que j’avais rencontrée autrefois dans la cité noire
-et pluvieuse.
-
- * * * * *
-
-Elle se leva d’entre les enfants, et me dit:
-
-—Je ne vends plus les petites lampes menteuses qui s’éteignaient sous
-la pluie morne.
-
-Car les temps sont venus où le mensonge a pris la place de la vérité,
-où le travail misérable a péri.
-
-Nous avons joué dans la maison de Monelle; mais les lampes étaient des
-jouets et la maison un asile.
-
-Monelle est morte; je suis la même Monelle, et je me suis levée dans
-la nuit, et les petits sont venus avec moi, et nous irons à travers le
-monde.
-
-Elle se tourna vers Louvette:
-
-—Viens avec nous, dit-elle, et sois heureuse dans le mensonge.
-
-Et Louvette courut parmi les enfants et fut vêtue pareillement de blanc.
-
- * * * * *
-
-—Nous allons, reprit celle qui nous guidait, et nous mentons à tout
-venant afin de donner de la joie.
-
-Nos jouets étaient des mensonges, et maintenant les choses sont nos
-jouets.
-
-Parmi nous, personne ne souffre et personne ne meurt: nous disons
-que ceux-là s’efforcent de connaître la triste vérité, qui n’existe
-nullement. Ceux qui veulent connaître la vérité s’écartent et nous
-abandonnent.
-
-Au contraire, nous n’avons aucune foi dans les vérités du monde; car
-elles conduisent à la tristesse.
-
-Et nous voulons mener nos enfants vers la joie.
-
-Maintenant les grandes personnes pourront venir vers nous, et nous leur
-enseignerons l’ignorance et l’illusion.
-
-Nous leur montrerons les petites fleurs des champs, telles qu’ils ne
-les ont point vues; car chacune est nouvelle.
-
-Et nous nous étonnerons de tout pays que nous verrons; car tout pays
-est nouveau.
-
-Il n’y a point de ressemblances en ce monde, et il n’y a point de
-souvenirs pour nous.
-
-Tout change sans cesse, et nous nous sommes accoutumés au changement.
-
-Voilà pourquoi nous allumons un feu chaque soir dans un endroit
-différent; et autour du feu nous inventons pour le plaisir de l’instant
-les histoires des pygmées et des poupées vivantes.
-
-Et quand la flamme s’est éteinte, un autre mensonge nous saisit; et
-nous sommes joyeux de nous en étonner.
-
-Et le matin nous ne connaissons plus nos visages: car peut-être que les
-uns ont désiré apprendre la vérité et les autres ne se souviennent plus
-que du mensonge de la veille.
-
-Ainsi nous passons à travers les contrées, et on vient vers nous en
-foule et ceux qui nous suivent deviennent heureux.
-
-Alors que nous vivions dans la ville, on nous contraignait au même
-travail, et nous aimions les mêmes personnes; et le même travail nous
-lassait, et nous nous désolions de voir les personnes que nous aimions
-souffrir et mourir.
-
-Et notre erreur était de nous arrêter ainsi dans la vie, et, restant
-immobiles, de regarder couler toutes choses, ou d’essayer d’arrêter
-la vie et de nous construire une demeure éternelle parmi les ruines
-flottantes.
-
-Mais les petites lampes menteuses nous ont éclairé le chemin du bonheur.
-
-Les hommes cherchent leur joie dans le souvenir, et résistent à
-l’existence, et s’enorgueillissent de la vérité du monde, qui n’est
-plus vraie, étant devenue vérité.
-
-Ils s’affligent de la mort, qui n’est pourtant que l’image de leur
-science et de leurs lois immuables; ils se désolent d’avoir mal choisi
-dans l’avenir qu’ils ont calculé suivant des vérités passées, où ils
-choisissent avec des désirs passés.
-
-Pour nous, tout désir est nouveau et nous ne désirons que le moment
-menteur; tout souvenir est vrai, et nous avons renoncé à connaître la
-vérité.
-
-Et nous regardons le travail comme funeste, puisqu’il arrête notre vie
-et la rend semblable à elle-même.
-
-Et toute habitude nous est pernicieuse; car elle nous empêche de nous
-offrir entièrement aux mensonges nouveaux.
-
- * * * * *
-
-Telles furent les paroles de celle qui nous guidait.
-
-Et je suppliai Louvette de revenir avec moi chez ses parents; mais je
-vis bien dans ses yeux qu’elle ne me reconnaissait plus.
-
- * * * * *
-
-Toute la nuit je vécus dans un univers de songes et de mensonges et
-j’essayai d’apprendre l’ignorance et l’illusion et l’étonnement de
-l’enfant nouveau-né.
-
-Puis les petites flammes dansantes s’affaissèrent.
-
-Alors, dans la triste nuit, j’aperçus des enfants candides qui
-pleuraient, n’ayant pas encore perdu la mémoire.
-
-Et d’autres furent pris soudainement par la frénésie du travail, et ils
-coupaient des épis et les liaient en gerbes dans l’ombre.
-
-Et d’autres, ayant voulu connaître la vérité, tournèrent leurs petites
-figures pâles vers les cendres froides, et moururent frissonnants dans
-leurs robes blanches.
-
- * * * * *
-
-Mais quand le ciel rose palpita, celle qui nous guidait se leva et
-ne se souvint pas de nous, ni de ceux qui avaient voulu connaître la
-vérité, et elle se mit en marche, et beaucoup d’enfants blancs la
-suivirent.
-
-Et leur bande était joyeuse et ils riaient doucement de toutes choses.
-
-Et lorsque le soir arriva, ils bâtirent de nouveau leur feu de paille.
-
-Et de nouveau les flammes s’abaissèrent, et vers le milieu de la nuit
-les cendres devinrent froides.
-
- * * * * *
-
-Alors Louvette se souvint, et elle préféra aimer et souffrir, et elle
-vint près de moi avec sa robe blanche, et nous nous enfuîmes tous deux
-à travers la campagne.
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Le livre de Monelle, by Marcel Schwob
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE LIVRE DE MONELLE ***
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- </head>
-<body>
-
-
-<pre>
-
-The Project Gutenberg EBook of Le livre de Monelle, by Marcel Schwob
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
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-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: Le livre de Monelle
-
-Author: Marcel Schwob
-
-Release Date: October 27, 2016 [EBook #53374]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE LIVRE DE MONELLE ***
-
-
-
-
-Produced by Giovanni Fini, Clarity and the Online
-Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
-file was produced from images generously made available
-by The Internet Archive/Canadian Libraries)
-
-
-
-
-
-
-</pre>
-
-<div class="limit">
-
-<div class="chapter">
-<div class="transnote p4">
-<p class="pc large">NOTES SUR LA TRANSCRIPTION:</p>
-<p class="ptn">&mdash;Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.</p>
-<p class="ptn">&mdash;On a conservé l’orthographie de l’original, incluant ses variantes.</p>
-<p class="ptn">&mdash;La couverture de ce livre électronique a été crée par le transcripteur;
-l’image a été placée dans le domaine public.</p>
-</div>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_i" id="Page_i">[i]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<p class="pc4 elarge">LE LIVRE</p>
-
-<p class="pc1 xlarge">DE MONELLE</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_ii" id="Page_ii">[ii]</a></span></p>
-
-<p class="pc4 large">DU MÊME AUTEUR:</p>
-
-<table id="ta1" summary="ta1">
-
- <tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Cœur double</span>, 1 vol</td>
- <td class="tdr">3.50</td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Le Roi au masque d’or</span>, 1 vol</td>
- <td class="tdr">3.50</td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl"><span class="smcap">Mimes</span>, 1 vol</td>
- <td class="tdr">3.50</td>
- </tr>
-
-</table>
-
-<p class="pc4 reduct"><i>Tous droits de traduction et de reproduction réservés pour<br />
-tous pays, y compris la Suède et la Norvège.</i></p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_iii" id="Page_iii">[iii]</a></span></p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p class="pc4 xlarge">MARCEL SCHWOB</p>
-
-<h1 class="p2 xxlarge"><i>Le Livre<span class="vh">&mdash;&mdash;&mdash;</span><br />
-<span class="vh">&mdash;&mdash;&mdash;</span>de Monelle</i></h1>
-
-<p class="pc4 large">PARIS<br />
-<span class="reduct">LÉON CHAILLEY, ÉDITEUR</span><br />
-<span class="small">8, RUE SAINT-JOSEPH, 8</span><br />
-<span class="little">1894</span></p>
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_iv" id="Page_iv">[iv]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_v" id="Page_v">[v]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4"><b>Table des matières</b></h2>
-
-<table id="toc" summary="cont">
-
- <tr>
- <td class="tdr">I.</td>
- <td class="tdl1"><span class="smcap">Paroles de Monelle</span></td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_1">1</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdr">II.</td>
- <td class="tdl1"><span class="smcap">Les sœurs de Monelle</span></td>
- <td class="tdr1"><a href="#Page_36">36</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td rowspan="11"> </td>
- <td class="tdl2">Les crabes</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_38">38</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl2">La petite femme de Barbe-Bleue</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_55">55</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl2">La fille du Moulin</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_67">67</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl2">Bargette</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_83">83</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl2">Bûchette</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_101">101</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl2">Jeanie</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_115">115</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl2">Ilsée</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_127">127</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl2">Marjolaine</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_139">139</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl2">Cice</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_154">154</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl2">Morgane</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_167">167</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl2">Mandosiane</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_183">183</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdr">III.<span class="pagenum"><a name="Page_vi" id="Page_vi">[vi]</a></span></td>
- <td class="tdl1"><span class="smcap">Monelle</span></td>
- <td class="tdr1"><a href="#Page_199">199</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td rowspan="6"> </td>
- <td class="tdl2">Rencontre de Monelle</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_200">200</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl2">Monelle</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_213">213</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl2">Fuite de Monelle</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_227">227</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl2">Patience de Monelle</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_243">243</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl2">Le Royaume de Monelle</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_257">257</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl2">Résurrection de Monelle</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_271">271</a></td>
- </tr>
-
-</table>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_1" id="Page_1">[1]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<p class="pc4 elarge">I</p>
-<p class="pc4 xlarge"><i>Paroles de Monelle</i></p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_2" id="Page_2">[2]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_3" id="Page_3">[3]</a></span></p>
-
-<p class="p4">Monelle me trouva dans la plaine
-où j’errais et me prit par la main.</p>
-
-<p class="p2">&mdash;N’aie point de surprise, dit-elle,
-c’est moi et ce n’est pas moi;</p>
-
-<p>Tu me retrouveras encore et tu
-me perdras;</p>
-
-<p>Encore une fois je viendrai parmi
-vous; car peu d’hommes m’ont
-vue et aucun ne m’a comprise;</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_4" id="Page_4">[4]</a></span></p>
-
-<p>Et tu m’oublieras et tu me reconnaîtras
-et tu m’oublieras.</p>
-
-<p>Et Monelle dit encore: Je te parlerai
-des petites prostituées, et tu
-sauras le commencement.</p>
-
-<p>Bonaparte le tueur, à dix-huit ans,
-rencontra sous les portes de fer du
-Palais-Royal une petite prostituée.
-Elle avait le teint pâle et elle grelottait
-de froid. Mais «il fallait vivre»,
-lui dit-elle. Ni toi, ni moi, nous ne
-savons le nom de cette petite que
-Bonaparte emmena, par une nuit
-de novembre, dans sa chambre, à
-l’hôtel de Cherbourg. Elle était de
-Nantes, en Bretagne. Elle était<span class="pagenum"><a name="Page_5" id="Page_5">[5]</a></span>
-faible et lasse, et son amant venait
-de l’abandonner. Elle était simple
-et bonne; sa voix avait un son très
-doux. Bonaparte se souvint de tout
-cela. Et je pense qu’après, le souvenir
-du son de sa voix l’émut
-jusqu’aux larmes et qu’il la chercha
-longtemps, sans jamais plus la
-revoir, dans les soirées d’hiver.</p>
-
-<p>Car, vois-tu, les petites prostituées
-ne sortent qu’une fois de la
-foule nocturne pour une tâche de
-bonté. La pauvre Anne accourut
-vers Thomas de Quincey, le mangeur
-d’opium, défaillant dans la
-large rue d’Oxford sous les grosses
-lampes allumées. Les yeux humides,<span class="pagenum"><a name="Page_6" id="Page_6">[6]</a></span>
-elle lui porta aux lèvres un verre de
-vin doux, l’embrassa et le câlina.
-Puis elle rentra dans la nuit. Peut-être
-qu’elle mourut bientôt. Elle
-toussait, dit de Quincey, le dernier
-soir que je l’ai vue. Peut-être qu’elle
-errait encore dans les rues; mais,
-malgré la passion de sa recherche,
-quoiqu’il bravât les rires des gens
-auxquels il s’adressait, Anne fut
-perdue pour toujours. Quand il eut
-plus tard une maison chaude, il
-songea souvent avec des larmes que
-la pauvre Anne aurait pu vivre là
-près de lui; au lieu qu’il se la
-représentait malade, ou mourante,
-ou désolée, dans la noirceur centrale<span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">[7]</a></span>
-d’un b ... de Londres, et elle
-avait emporté tout l’amour pitoyable
-de son cœur.</p>
-
-<p>Vois-tu, elles poussent un cri de
-compassion vers vous, et vous
-caressent la main avec leur main
-décharnée. Elles ne vous comprennent
-que si vous êtes très
-malheureux; elles pleurent avec
-vous et vous consolent. La petite
-Nelly est venue vers le forçat Dostoïevsky
-hors de sa maison infâme,
-et, mourante de fièvre, l’a regardé
-longtemps avec ses grands yeux
-noirs tremblants. La petite Sonia
-(elle a existé comme les autres) a
-embrassé l’assassin Rodion après<span class="pagenum"><a name="Page_8" id="Page_8">[8]</a></span>
-l’aveu de son crime. «Vous vous
-êtes perdu!» a-t-elle dit avec un
-accent désespéré. Et, se relevant
-soudain, elle s’est jetée à son cou,
-et l’a embrassé ... «Non, il n’y a pas
-maintenant sur la terre un homme
-plus malheureux que toi!» s’est-elle
-écriée dans un élan de pitié, et tout
-à coup elle a éclaté en sanglots.</p>
-
-<p>Comme Anne et celle qui n’a pas
-de nom et qui vint vers le jeune et
-triste Bonaparte, la petite Nelly s’est
-enfoncée dans le brouillard. Dostoïevsky
-n’a pas dit ce qu’était devenue
-la petite Sonia, pâle et décharnée.
-Ni toi ni moi nous ne savons si elle
-put aider jusqu’au bout Raskolnikoff<span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">[9]</a></span>
-dans son expiation. Je ne le crois
-pas. Elle s’en alla très doucement
-dans ses bras, ayant trop souffert et
-trop aimé.</p>
-
-<p>Aucune d’elles, vois-tu, ne peut
-rester avec vous. Elles seraient trop
-tristes et elles ont honte de rester.
-Quand vous ne pleurez plus, elles
-n’osent pas vous regarder. Elles
-vous apprennent la leçon qu’elles
-ont à vous apprendre, et elles s’en
-vont. Elles viennent à travers le
-froid et la pluie vous baiser au front
-et essuyer vos yeux et les affreuses
-ténèbres les reprennent. Car elles
-doivent peut-être aller ailleurs.</p>
-
-<p>Vous ne les connaissez que pendant<span class="pagenum"><a name="Page_10" id="Page_10">[10]</a></span>
-qu’elles sont compatissantes.
-Il ne faut pas penser à autre chose.
-Il ne faut pas penser à ce qu’elles
-ont pu faire dans les ténèbres. Nelly
-dans l’horrible maison, Sonia ivre
-sur le banc du boulevard, Anne
-rapportant le verre vide chez le marchand
-de vin d’une ruelle obscure,
-étaient peut-être cruelles et obscènes.
-Ce sont des créatures de chair. Elles
-sont sorties d’une impasse sombre
-pour donner un baiser de pitié sous
-la lampe allumée de la grande rue.
-En ce moment, elles étaient divines.</p>
-
-<p>Il faut oublier tout le reste.</p>
-
-<p class="p2">Monelle se tut et me regarda:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">[11]</a></span></p>
-
-<p>Je suis sortie de la nuit, dit-elle,
-et je rentrerai dans la nuit. Car, moi
-aussi, je suis une petite prostituée.</p>
-
-<p class="p2">Et Monelle dit encore:</p>
-
-<p>J’ai pitié de toi, j’ai pitié de toi,
-mon aimé.</p>
-
-<p>Cependant je rentrerai dans la
-nuit; car il est nécessaire que tu
-me perdes, avant de me retrouver.
-Et si tu me retrouves, je t’échapperai
-encore.</p>
-
-<p>Car je suis celle qui est seule.</p>
-
-<p class="p2">Et Monelle dit encore:</p>
-
-<p>Parce que je suis seule, tu me
-donneras le nom de Monelle. Mais<span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">[12]</a></span>
-tu songeras que j’ai tous les autres
-noms.</p>
-
-<p>Et je suis celle-ci et celle-là, et
-celle qui n’a pas de nom.</p>
-
-<p>Et je te conduirai parmi mes sœurs,
-qui sont moi-même, et semblables
-à des prostituées sans intelligence;</p>
-
-<p>Et tu les verras tourmentées
-d’égoïsme et de volupté et de
-cruauté et d’orgueil et de patience
-et de pitié, ne s’étant point encore
-trouvées;</p>
-
-<p>Et tu les verras aller se chercher
-au loin;</p>
-
-<p>Et tu me trouveras toi-même et
-je me trouverai moi-même; et tu
-me perdras et je me perdrai.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">[13]</a></span></p>
-
-<p>Car je suis celle qui est perdue
-sitôt trouvée.</p>
-
-<p class="p2">Et Monelle dit encore:</p>
-
-<p>En ce jour une petite femme te
-touchera de la main et s’enfuira;</p>
-
-<p>Parce que toutes choses sont fugitives;
-mais Monelle est la plus
-fugitive.</p>
-
-<p>Et, avant que tu me retrouves, je
-t’enseignerai dans cette plaine, et tu
-écriras le livre de Monelle.</p>
-
-<p class="p2">Et Monelle me tendit une férule
-creusée où brûlait un filament
-rose.</p>
-
-<p>&mdash;Prends cette torche, dit-elle,<span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">[14]</a></span>
-et brûle. Brûle tout sur la terre et
-au ciel. Et brise la férule et éteins-la
-quand tu auras brûlé, car rien ne
-doit être transmis;</p>
-
-<p>Afin que tu sois le second narthécophore
-et que tu détruises par le
-feu ce qui a été créé par le feu et
-que le feu descendu du ciel remonte
-au ciel.</p>
-
-<p class="p2">Et Monelle dit encore: Je te parlerai
-de la destruction.</p>
-
-<p class="p2">Voici la parole: Détruis, détruis,
-détruis. Détruis en toi-même, détruis
-autour de toi. Fais de la place
-pour ton âme et pour les autres
-âmes.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_15" id="Page_15">[15]</a></span></p>
-
-<p>Détruis tout bien et tout mal. Les
-décombres sont semblables.</p>
-
-<p>Détruis les anciennes habitations
-d’hommes et les anciennes habitations
-d’âmes; les choses mortes
-sont des miroirs qui déforment.</p>
-
-<p>Détruis, car toute création vient
-de la destruction.</p>
-
-<p>Et pour la bonté supérieure il
-faut anéantir la bonté inférieure. Et
-ainsi le nouveau bien paraît saturé
-de mal.</p>
-
-<p>Et pour imaginer un nouvel art,
-il faut briser l’art ancien. Et ainsi
-l’art nouveau semble une sorte
-d’iconoclastie.</p>
-
-<p>Car toute construction est faite de<span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">[16]</a></span>
-débris, et rien n’est nouveau en ce
-monde que les formes.</p>
-
-<p>Mais il faut détruire les formes.</p>
-
-<p class="p2">Et Monelle dit encore: Je te parlerai
-de la formation.</p>
-
-<p class="p2">Le désir même du nouveau n’est
-que l’appétence de l’âme qui souhaite
-se former.</p>
-
-<p>Et les âmes rejettent les formes
-anciennes ainsi que les serpents leurs
-anciennes peaux.</p>
-
-<p>Et les patients collecteurs d’anciennes
-peaux de serpent attristent
-les jeunes serpents parce qu’ils ont
-un pouvoir magique sur eux.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">[17]</a></span></p>
-
-<p>Car celui qui possède les anciennes
-peaux de serpent empêche les jeunes
-serpents de se transformer.</p>
-
-<p>Voilà pourquoi les serpents dépouillent
-leur corps dans le conduit
-vert d’un fourré profond; et une
-fois l’an les jeunes se réunissent en
-cercle pour brûler les anciennes
-peaux.</p>
-
-<p>Sois donc semblable aux saisons
-destructrices et formatrices.</p>
-
-<p>Bâtis ta maison toi-même et brûle-la
-toi-même.</p>
-
-<p>Ne jette pas de décombres derrière
-toi; que chacun se serve de
-ses propres ruines.</p>
-
-<p>Ne construis point dans la nuit<span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">[18]</a></span>
-passée. Laisse tes bâtisses s’enfuir à
-la dérive.</p>
-
-<p>Contemple de nouvelles bâtisses
-aux moindres élans de ton âme.</p>
-
-<p>Pour tout désir nouveau fais des
-dieux nouveaux.</p>
-
-<p class="p2">Et Monelle dit encore: Je te parlerai
-des dieux.</p>
-
-<p class="p2">Laisse mourir les anciens dieux;
-ne reste pas assis, semblable à une
-pleureuse auprès de leurs tombes;</p>
-
-<p>Car les anciens dieux s’envolent
-de leurs sépulcres;</p>
-
-<p>Et ne protège point les jeunes
-dieux en les enroulant de bandelettes;</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">[19]</a></span></p>
-
-<p>Que tout dieu s’envole, sitôt créé;</p>
-
-<p>Que toute création périsse, sitôt
-créée;</p>
-
-<p>Que l’ancien dieu offre sa création
-au jeune dieu afin qu’elle soit broyée
-par lui;</p>
-
-<p>Que tout dieu soit dieu du moment.</p>
-
-<p class="p2">Et Monelle dit encore: Je te parlerai
-des moments.</p>
-
-<p class="p2">Regarde toutes choses sous l’aspect
-du moment.</p>
-
-<p>Laisse aller ton moi au gré du
-moment.</p>
-
-<p>Pense dans le moment. Toute
-pensée qui dure est contradiction.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">[20]</a></span></p>
-
-<p>Aime le moment. Tout amour
-qui dure est haine.</p>
-
-<p>Sois sincère avec le moment.
-Toute sincérité qui dure est mensonge.</p>
-
-<p>Sois juste envers le moment.
-Toute justice qui dure est injustice.</p>
-
-<p>Agis envers le moment. Toute
-action qui dure est un règne défunt.</p>
-
-<p>Sois heureux avec le moment.
-Tout bonheur qui dure est malheur.</p>
-
-<p>Aie du respect pour tous les moments,
-et ne fais point de liaisons
-entre les choses.</p>
-
-<p>N’attarde pas le moment: tu lasserais
-une agonie.</p>
-
-<p>Vois: tout moment est un berceau<span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">[21]</a></span>
-et un cercueil: que toute vie
-et toute mort te semblent étranges
-et nouvelles.</p>
-
-<p class="p2">Et Monelle dit encore: Je te parlerai
-de la vie et de la mort.</p>
-
-<p>Les moments sont semblables à
-des bâtons mi-partie blancs et noirs;</p>
-
-<p>N’arrange point ta vie au moyen
-de dessins faits avec les moitiés
-blanches. Car tu trouveras ensuite
-les dessins faits avec les moitiés
-noires;</p>
-
-<p>Que chaque noirceur soit traversée
-par l’attente de la blancheur future.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">[22]</a></span></p>
-
-<p>Ne dis pas: je vis maintenant, je
-mourrai demain. Ne divise pas la
-réalité entre la vie et la mort. Dis:
-maintenant je vis et je meurs.</p>
-
-<p>Épuise à chaque moment la totalité
-positive et négative des choses.</p>
-
-<p>La rose d’automne dure une saison;
-chaque matin, elle s’ouvre;
-tous les soirs elle se ferme.</p>
-
-<p>Sois semblable aux roses: offre
-tes feuilles à l’arrachement des voluptés,
-aux piétinements des douleurs.</p>
-
-<p>Que toute extase soit mourante en
-toi, que toute volupté désire mourir.</p>
-
-<p>Que toute douleur soit en toi le<span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">[23]</a></span>
-passage d’un insecte qui va s’envoler.
-Ne te referme pas sur l’insecte
-rongeur. Ne deviens pas amoureux
-de ces carabes noirs.</p>
-
-<p>Que toute joie soit en toi le passage
-d’un insecte qui va s’envoler.
-Ne te referme pas sur l’insecte suceur.
-Ne deviens pas amoureux de
-ces cétoines dorées.</p>
-
-<p>Que toute intelligence luise et
-s’éteigne en toi l’espace d’un éclair.</p>
-
-<p>Que ton bonheur soit divisé en
-fulgurations. Ainsi ta part de joie
-sera égale à celle des autres.</p>
-
-<p>Aie la contemplation atomistique
-de l’univers.</p>
-
-<p>Ne résiste pas à la nature. N’appuie<span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">[24]</a></span>
-pas contre les choses les pieds
-de ton âme. Que ton âme ne détourne
-point son visage comme le
-mauvais enfant.</p>
-
-<p>Va en paix avec la lumière rouge
-du matin et la lueur grise du soir.
-Sois l’aube mêlée au crépuscule.</p>
-
-<p>Mêle la mort avec la vie et divise-les
-en moments.</p>
-
-<p>N’attends pas la mort: elle est en
-toi. Sois son camarade et tiens-la
-contre toi; elle est comme toi-même.</p>
-
-<p>Meurs de ta mort; n’envie pas les
-morts anciennes. Varie les genres
-de mort avec les genres de vie.</p>
-
-<p>Tiens toute chose incertaine pour<span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">[25]</a></span>
-vivante, toute chose certaine pour
-morte.</p>
-
-<p class="p2">Et Monelle dit encore: Je te parlerai
-des choses mortes.</p>
-
-<p class="p2">Brûle soigneusement les morts,
-et répands leurs cendres aux quatre
-vents du ciel.</p>
-
-<p>Brûle soigneusement les actions
-passées, et écrase les cendres; car
-le phénix qui en renaîtrait serait le
-même.</p>
-
-<p>Ne joue pas avec les morts et ne
-caresse point leurs visages. Ne ris
-pas d’eux et ne pleure pas sur eux:
-oublie-les.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">[26]</a></span></p>
-
-<p>Ne te fie pas aux choses passées.
-Ne t’occupe point à construire de
-beaux cercueils pour les moments
-passés: songe à tuer les moments
-qui viendront.</p>
-
-<p>Aie de la méfiance pour tous les
-cadavres.</p>
-
-<p>N’embrasse pas les morts: car ils
-étouffent les vivants.</p>
-
-<p>Aie pour les choses mortes le respect
-qu’on doit aux pierres à bâtir.</p>
-
-<p>Ne souille pas tes mains le long
-des lignes usées. Purifie tes doigts
-dans des eaux nouvelles.</p>
-
-<p>Souffle le souffle de ta bouche et
-n’aspire pas les haleines mortes.</p>
-
-<p>Ne contemple point les vies passées<span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">[27]</a></span>
-plus que ta vie passée. Ne collectionne
-point d’enveloppes vides.</p>
-
-<p>Ne porte pas en toi de cimetière.
-Les morts donnent la pestilence.</p>
-
-<p class="p2">Et Monelle dit encore: Je te parlerai
-de tes actions.</p>
-
-<p class="p2">Que toute coupe d’argile transmise
-s’effrite entre tes mains. Brise
-toute coupe où tu auras bu.</p>
-
-<p>Souffle sur la lampe de vie que
-le coureur te tend. Car toute lampe
-ancienne est fumeuse.</p>
-
-<p>Ne te lègue rien à toi-même, ni
-plaisir, ni douleur.</p>
-
-<p>Ne sois l’esclave d’aucun vêtement,
-ni d’âme, ni de corps.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">[28]</a></span></p>
-
-<p>Ne frappe jamais avec la même
-face de la main.</p>
-
-<p>Ne te mire pas dans la mort;
-laisse emporter ton image dans l’eau
-qui court.</p>
-
-<p>Fuis les ruines, et ne pleure pas
-parmi.</p>
-
-<p>Quand tu quittes tes vêtements
-le soir, déshabille-toi de ton âme de
-la journée; mets-toi à nu à tous les
-moments.</p>
-
-<p>Toute satisfaction te semblera
-mortelle. Fouette-la en avant.</p>
-
-<p>Ne digère pas les jours passés:
-nourris-toi des choses futures.</p>
-
-<p>Ne confesse point les choses passées,
-car elles sont mortes; confesse<span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">[29]</a></span>
-devant toi les choses futures.</p>
-
-<p>Ne descends pas cueillir les fleurs
-le long du chemin. Contente-toi de
-toute apparence. Mais quitte l’apparence,
-et ne te retourne pas.</p>
-
-<p>Ne te retourne jamais: derrière
-toi accourt le halètement des flammes
-de Sodome, et tu serais changé en
-statue de larmes pétrifiées.</p>
-
-<p class="p2">Ne regarde pas derrière toi. Ne
-regarde pas trop devant toi. Si tu
-regardes en toi, que tout soit blanc.</p>
-
-<p>Ne t’étonne de rien par la comparaison
-du souvenir; étonne-toi de
-tout par la nouveauté de l’ignorance.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">[30]</a></span></p>
-
-<p>Etonne-toi de toute chose; car
-toute chose est différente dans la
-vie et semblable dans la mort.</p>
-
-<p>Bâtis dans les différences; détruis
-dans les similitudes.</p>
-
-<p class="p2">Ne te dirige pas vers des permanences;
-elles ne sont ni sur terre
-ni au ciel.</p>
-
-<p>La raison étant permanente, tu
-la détruiras, et tu laisseras changer
-ta sensibilité.</p>
-
-<p>Ne crains pas de te contredire: il
-n’y a point de contradiction dans le
-moment.</p>
-
-<p>N’aime pas ta douleur; car elle
-ne durera point.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_31" id="Page_31">[31]</a></span></p>
-
-<p>Considère tes ongles qui poussent,
-et les petites écailles de ta peau qui
-tombent.</p>
-
-<p class="p2">Sois oublieux de toutes choses.</p>
-
-<p>Avec un poinçon acéré tu t’occuperas
-à tuer patiemment tes souvenirs
-comme l’ancien empereur tuait
-les mouches.</p>
-
-<p>Ne fais pas durer ton bonheur du
-souvenir jusqu’à l’avenir.</p>
-
-<p>Ne te souviens pas et ne prévois
-pas.</p>
-
-<p>Ne dis pas: je travaille pour
-acquérir; je travaille pour oublier.
-Sois oublieux de l’acquisition et du
-travail.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">[32]</a></span></p>
-
-<p>Lève-toi contre tout travail;
-contre toute activité qui excède le
-moment, lève-toi.</p>
-
-<p>Que ta marche n’aille pas d’un
-bout à un autre; car il n’y a rien de
-tel; mais que chacun de tes pas soit
-une projection redressée.</p>
-
-<p>Tu effaceras avec ton pied gauche
-la trace de ton pied droit.</p>
-
-<p>La main gauche doit ignorer ce
-que vient de faire la main droite.</p>
-
-<p>Ne te connais pas toi-même.</p>
-
-<p>Ne te préoccupe point de ta
-liberté: oublie-toi toi-même.</p>
-
-<p class="p2">Et Monelle dit encore: Je te parlerai
-de mes paroles.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">[33]</a></span></p>
-
-<p>Les paroles sont des paroles tandis
-qu’elles sont parlées.</p>
-
-<p>Les paroles conservées sont
-mortes et engendrent la pestilence.</p>
-
-<p>Écoute mes paroles parlées et
-n’agis pas selon mes paroles écrites.</p>
-
-<p class="p2">Ayant ainsi parlé dans la plaine,
-Monelle se tut et devint triste; car
-elle devait rentrer dans la nuit.</p>
-
-<p class="p2">Et elle me dit de loin:</p>
-
-<p>Oublie-moi et je te serai rendue.</p>
-
-<p class="p2">Et je regardai par la plaine et je
-vis se lever les sœurs de Monelle.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">[34]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">[35]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">II</h2>
-
-<p class="pc2 elarge"><i>Les sœurs de Monelle</i></p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">[36]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">[37]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="elarge"><i>Les Crabes</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">[38]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">[39]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">LES CRABES</p>
-
-<p class="p2">Par la petite haie qui entourait la
-maison grise d’éducation au sommet
-de la falaise, un bras d’enfant se
-tendit avec un paquet noué d’une
-faveur rose.</p>
-
-<p>&mdash;Prends ça d’abord, dit une voix
-de fillette. Fais attention: ça se
-casse. Tu m’aideras après.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_40" id="Page_40">[40]</a></span></p>
-
-<p>Une fine pluie tombait également
-sur les creux du rocher,
-la crique profonde, et criblait le
-remous des vagues au pied de la
-falaise. Le mousse qui épiait à la
-clôture s’avança et dit tout bas:</p>
-
-<p>&mdash;Passe donc avant, dépêche-toi.</p>
-
-<p>La fillette cria:</p>
-
-<p>&mdash;Non, non, non! Je ne peux
-pas. Il faut cacher mon papier; je
-veux emporter les affaires qui sont
-à moi. Egoïste! égoïste! va! Tu
-vois bien que tu me fais mouiller!</p>
-
-<p>Le mousse tourna la bouche et
-empoigna le petit paquet. Le papier
-trempé creva et dans la boue roulèrent<span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">[41]</a></span>
-des triangles de soie jaune et
-violette frappés de fleurs, des bandelettes
-de velours, un petit pantalon
-de poupée en batiste, un cœur
-d’or creux avec une charnière, et
-une bobine neuve de fil rouge. La
-fillette passa sur la haie; elle se piqua
-les mains aux brindillons durs,
-et ses lèvres tremblèrent.</p>
-
-<p>&mdash;Là, tu vois, dit-elle. Tu as été
-très entêté. Toutes mes choses sont
-gâtées.</p>
-
-<p>Son nez remonta, ses sourcils se
-rapprochèrent, sa bouche se distendit,
-et elle se mit à pleurer:</p>
-
-<p>&mdash;Laisse-moi, laisse-moi. Je ne
-veux plus de toi. Va-t’en. Tu me fais<span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">[42]</a></span>
-pleurer. Je vais retourner avec Mademoiselle.</p>
-
-<p>Puis elle ramassa tristement ses
-étoffes.</p>
-
-<p>&mdash;Ma jolie bobine est perdue,
-dit-elle. Moi qui voulais broder la
-robe de Lili!</p>
-
-<p class="p2">Par la poche horriblement ouverte
-de sa courte jupe on voyait une
-petite tête régulière de porcelaine
-avec une extraordinaire tignasse de
-cheveux blonds.</p>
-
-<p>&mdash;Viens, lui souffla le mousse.
-Je suis sûr que ta Mademoiselle te
-cherche déjà.</p>
-
-<p>Elle se laissa emmener en s’essuyant<span class="pagenum"><a name="Page_43" id="Page_43">[43]</a></span>
-les yeux avec le revers d’une
-menotte tachée d’encre.</p>
-
-<p>&mdash;Et quoi donc encore ce matin?
-demanda le mousse. Hier tu ne voulais
-plus.</p>
-
-<p>&mdash;Elle m’a battue avec son manche
-à balai, dit la fillette en serrant les
-lèvres. Battue et enfermée dans
-l’armoire à charbon, avec les araignées
-et les bêtes. Quand je reviendrai,
-je mettrai le balai dans son
-lit, je brûlerai sa maison avec le
-charbon et je la tuerai avec ses
-ciseaux. Oui. (Elle mit sa bouche en
-pointe.) Oh! emmène-moi loin, que
-je ne la revoie plus. J’ai peur de
-son nez pincé et de ses lunettes. Je<span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">[44]</a></span>
-me suis bien vengée avant de m’en
-aller. Figure-toi qu’elle avait le portrait
-de son papa et de sa maman,
-dans des choses de velours, sur la
-cheminée. Des vieux; pas comme
-ma maman, à moi. Toi, tu ne peux
-pas savoir. Je les ai barbouillés avec
-du sel d’oseille. Ils seront affreux.
-C’est bien fait. Tu pourrais me
-répondre, au moins.</p>
-
-<p>Le mousse levait les yeux sur la mer.
-Elle était sombre et brumeuse. Un rideau
-de pluie voilait toute la baie. On
-ne voyait plus les écueils ni les balises.
-Par moments le linceul humide
-tissé de gouttelettes filantes se trouait
-sur des paquets d’algues noires.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">[45]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;On ne pourra pas marcher
-cette nuit, dit le mousse. Il faudra
-aller dans la cahute de la douane
-où il y a du foin.</p>
-
-<p>&mdash;Je ne veux pas, c’est sale! cria
-la fillette.</p>
-
-<p>&mdash;Tout de même, dit le mousse,
-As-tu envie de revoir ta Mademoiselle?</p>
-
-<p>&mdash;Égoïste! dit la fillette qui éclata
-en sanglots. Je ne savais pas que tu
-étais comme ça. Si j’avais su, mon
-Dieu! moi qui ne te connaissais
-pas!</p>
-
-<p>&mdash;Tu n’avais qu’à ne pas partir.
-Qui est-ce qui m’a appelé, l’autre
-matin, quand je passais sur la route?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">[46]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Moi? Oh! le menteur! Je ne
-serais pas partie si tu ne me l’avais
-pas dit. J’avais peur de toi. Je veux
-m’en aller. Je ne veux pas coucher
-dans du foin. Je veux mon lit.</p>
-
-<p>&mdash;Tu es libre, dit le mousse.</p>
-
-<p>Elle continua de marcher, en
-haussant les épaules. Après quelques
-instants:</p>
-
-<p>&mdash;Si je veux bien, dit-elle, c’est
-parce que je suis mouillée, au
-moins.</p>
-
-<p class="p2">La cahute s’étalait sur le versant
-de la mer, et les brins de chaume
-dressés dans la terre du toit ruisselaient
-silencieusement. Ils poussèrent<span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">[47]</a></span>
-la planche à l’entrée. Au fond
-était une sorte d’alcôve, faite avec
-des couvercles de caisses et remplie
-de foin.</p>
-
-<p>La fillette s’assit. Le mousse lui
-enveloppa les pieds et les jambes
-d’herbe sèche.</p>
-
-<p>&mdash;Ça pique, dit-elle.</p>
-
-<p>&mdash;Ça réchauffe, dit le mousse.</p>
-
-<p>Il s’assit près de la porte et guetta
-le temps. L’humidité le faisait grelotter
-faiblement.</p>
-
-<p>&mdash;Tu n’as pas froid, au moins!
-dit la fillette. Après, tu seras malade,
-et qu’est-ce que je ferai, moi!</p>
-
-<p>Le mousse secoua la tête. Ils restèrent
-sans parler. Malgré le ciel<span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">[48]</a></span>
-couvert, on éprouvait le crépuscule.</p>
-
-<p>&mdash;J’ai faim, dit la fillette. Ce soir
-il y a de l’oie rôtie avec des marrons
-chez Mademoiselle. Oh! Tu n’as
-pensé à rien, toi. J’avais emporté
-des croûtes. Elles sont en bouillie.
-Tiens!</p>
-
-<p>Elle tendit la main. Ses doigts
-étaient collés dans une panade froide.</p>
-
-<p>&mdash;Je vais chercher des crabes,
-dit le mousse. Il y en a au bout des
-Pierres-Noires. Je prendrai la barque
-de la douane, en bas.</p>
-
-<p>&mdash;J’aurai peur, toute seule.</p>
-
-<p>&mdash;Tu ne veux pas manger?</p>
-
-<p>Elle ne répondit rien.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">[49]</a></span></p>
-
-<p>Le mousse secoua les brindilles
-collées à sa vareuse et se glissa
-dehors. La pluie grise l’enveloppa.
-Elle entendit ses pas sucés dans la
-boue.</p>
-
-<p class="p2">Puis il y eut des rafales, et le
-grand silence rythmé de l’averse.
-L’ombre vint, plus forte et plus
-triste. L’heure du dìner chez Mademoiselle
-était passée. L’heure du
-coucher était passée. Là-bas, sous
-les lampes d’huile suspendues, tout
-le monde dormait dans les lits blancs
-bordés. Quelques mouettes crièrent
-la tempête. Le vent tourbillonna et
-les lames canonnèrent dans les<span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">[50]</a></span>
-grands trous de la falaise. Dans
-l’attente de son dîner la fillette s’endormit,
-puis se réveilla. Le mousse
-devait jouer avec les crabes. Quel
-égoïste! Elle savait bien que les
-bateaux flottent toujours sur l’eau.
-Les gens se noient quand ils n’ont
-pas de bateau.</p>
-
-<p>&mdash;Il sera bien attrapé, quand il
-verra que je dors, se dit-elle. Je ne
-lui répondrai pas un mot, je ferai
-semblant. Ce sera bien fait.</p>
-
-<p class="p2">Vers le milieu de la nuit elle se
-trouva sous le feu d’une lanterne.
-Un homme à caban pointu venait
-de la découvrir, blottie comme une<span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">[51]</a></span>
-souris. Sa figure était luisante d’eau
-et de lumière ...</p>
-
-<p>&mdash;Où est la barque? dit-il.</p>
-
-<p>Et elle s’écria, dépitée:</p>
-
-<p>&mdash;Oh! j’étais sûre! il ne m’a pas
-trouvé de crabes et il a perdu le
-bateau!</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">[52]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">[53]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="elarge"><i>La petite femme de Barbe-Bleue</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">[54]</a></span></p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">[55]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">LA PETITE FEMME DE BARBE-BLEUE</p>
-
-<p class="p2">&mdash;Terrible, ça, dit la fillette,
-parce que ça saigne du sang blanc.</p>
-
-<p>Elle incisait avec ses ongles des
-têtes vertes de pavots. Son petit
-camarade la regardait paisiblement.
-Ils avaient joué aux brigands parmi
-les marronniers, bombardé les roses
-avec des marrons frais, décapuchonné<span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">[56]</a></span>
-des glands nouveaux, posé
-le jeune chat qui miaulait sur les
-planches de la palissade. Le fond du
-jardin obscur, où montait un arbre
-fourchu, avait été l’île de Robinson.
-Une pomme d’arrosoir avait servi de
-conque guerrière pour l’attaque des
-sauvages. Des herbes à tête longue
-et noire, faites prisonnières, avaient
-été décapitées. Quelques cétoines
-bleues et vertes, capturées à la
-chasse, soulevaient lourdement
-leurs élytres dans le seau du puits.
-Ils avaient raviné le sable des allées,
-à force d’y faire passer des armées,
-avec des bâtons de parade. Maintenant,
-ils venaient de donner l’assaut<span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">[57]</a></span>
-à un tertre herbu de la prairie. Le
-soleil couchant les enveloppait
-d’une glorieuse lumière.</p>
-
-<p>Ils s’établirent sur les positions
-conquises, un peu las, et admirèrent
-les lointaines brumes cramoisies
-de l’automne.</p>
-
-<p>&mdash;Si j’étais Robinson, dit-il, et
-toi Vendredi, et s’il y avait une
-grande plage en bas, nous irions
-chercher des pieds de cannibales
-dans le sable.</p>
-
-<p>Elle réfléchit et demanda:</p>
-
-<p>&mdash;Est-ce que Robinson battait
-Vendredi pour se faire obéir?</p>
-
-<p>&mdash;Je ne me rappelle plus, dit-il;
-mais ils ont battu les vilains vieux<span class="pagenum"><a name="Page_58" id="Page_58">[58]</a></span>
-Espagnols, et les sauvages du pays
-de Vendredi.</p>
-
-<p>&mdash;Je n’aime pas ces histoires,
-dit-elle: ce sont des jeux de garçon.
-Il va faire nuit. Si nous jouions
-à des contes: nous aurions peur
-pour de vrai.</p>
-
-<p>&mdash;Pour de vrai?</p>
-
-<p>&mdash;Tiens, crois-tu donc que la
-maison de l’Ogre, avec ses longues
-dents, ne vient pas tous les soirs au
-fond du bois?</p>
-
-<p>Il la considéra et fit claquer ses
-mâchoires:</p>
-
-<p>&mdash;Et quand il a mangé les sept
-petites princesses, ça a fait <i>gnam,
-gnam, gnam</i>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">[59]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Non, pas ça, dit-elle; on ne
-peut être que l’Ogre ou le Petit
-Poucet. Personne ne sait le nom
-des petites princesses. Si tu veux,
-je vais faire la Belle qui dort dans
-son château, et tu viendras me réveiller.
-Il faudra m’embrasser très
-fort. Les princes embrassent terriblement,
-tu sais.</p>
-
-<p>Il se sentit timide, et répondit:</p>
-
-<p>&mdash;Je crois qu’il est trop tard
-pour dormir dans l’herbe. La Belle
-était sur son lit, dans un château
-entouré d’épines et de fleurs.</p>
-
-<p>&mdash;Alors jouons à Barbe-Bleue,
-dit-elle. Je vais être ta femme et
-tu me défendras d’entrer dans la<span class="pagenum"><a name="Page_60" id="Page_60">[60]</a></span>
-petite chambre. Commence: tu
-viens pour m’épouser. «Monsieur,
-je ne sais ... Vos six femmes ont
-disparu d’une façon mystérieuse. Il
-est vrai que vous avez une belle et
-grande barbe bleue, et que vous
-demeurez dans un splendide château.
-Vous ne me ferez pas de mal,
-jamais, jamais?»</p>
-
-<p>Elle l’implora du regard.</p>
-
-<p>&mdash;Là, maintenant, tu m’as demandée
-en mariage, et mes parents
-ont bien voulu. Nous sommes mariés.
-Donne-moi toutes les clefs. «Et
-qu’est-ce que c’est que cette jolie
-toute petite-là?» Tu vas faire la grosse
-voix pour me défendre d’ouvrir.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">[61]</a></span></p>
-
-<p>Là, maintenant, tu t’en vas et je
-désobéis tout de suite. «Oh! l’horreur!
-six femmes assassinées!» Je
-m’évanouis, et tu arrives pour me
-soutenir. Voilà. Tu reviens en
-Barbe-Bleue. Fais la grosse voix.
-«Monseigneur, voici toutes les
-clefs que vous m’aviez confiées.»
-Tu me demandes où est la petite
-clef. «Monseigneur, je ne sais: je
-n’y ai pas touché.» Crie. «Monseigneur,
-pardonnez-moi, la voici:
-elle était tout au fond de ma poche.»</p>
-
-<p>Alors tu vas regarder la clef. Il y
-avait du sang sur la clef?</p>
-
-<p>&mdash;Oui, dit-il, une tache de sang.</p>
-
-<p>&mdash;Je me rappelle, dit-elle. Je<span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">[62]</a></span>
-l’ai frottée, frottée, mais je n’ai pas
-pu l’ôter. C’était le sang des six
-femmes?</p>
-
-<p>&mdash;Des six femmes.</p>
-
-<p>&mdash;Il les avait toutes tuées, hein,
-parce qu’elles entraient dans la
-petite chambre? Comment les tuait-il?
-Il leur coupait la gorge, et il les
-suspendait dans le cabinet noir? Et
-le sang coulait par leurs pieds jusque
-sur le plancher? C’était du sang
-très rouge, rouge noir, pas comme
-le sang des pavots quand je les
-griffe. On vous fait mettre à genoux,
-pour vous couper la gorge, pas?</p>
-
-<p>&mdash;Je crois qu’il faut se mettre à
-genoux, dit-il.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">[63]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Ça va être très amusant, dit-elle.
-Mais tu me couperas la gorge
-comme pour de vrai?</p>
-
-<p>&mdash;Oui, mais, dit-il, Barbe-Bleue
-n’a pas pu la tuer.</p>
-
-<p>&mdash;Ça ne fait rien, dit-elle. Pourquoi
-Barbe-Bleue n’a-t-il pas coupé
-la tête de sa femme?</p>
-
-<p>&mdash;Parce que ses frères sont venus.</p>
-
-<p>&mdash;Elle avait peur, pas?</p>
-
-<p>&mdash;Très peur.</p>
-
-<p>&mdash;Elle criait?</p>
-
-<p>&mdash;Elle appelait sœur Anne.</p>
-
-<p>&mdash;Moi, je n’aurais pas crié.</p>
-
-<p>&mdash;Oui mais, dit-il, Barbe-Bleue
-aurait eu le temps de te tuer.<span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">[64]</a></span>
-Sœur Anne était sur la tour, pour
-regarder l’herbe qui verdoie. Ses
-frères, qui étaient des mousquetaires
-très forts, sont arrivés au grand galop
-de leurs chevaux.</p>
-
-<p>&mdash;Je ne veux pas jouer comme
-ça, dit la fillette. Ça m’ennuie. Puisque
-je n’ai pas de sœur Anne,
-voyons.</p>
-
-<p>Elle se tourna gentiment vers lui:</p>
-
-<p>&mdash;Puisque mes frères ne viendront
-pas, dit-elle, il faut me tuer,
-mon petit Barbe-Bleue, me tuer
-bien fort, bien fort!</p>
-
-<p>Elle se mit à genoux. Il saisit ses
-cheveux, les ramena en avant, et
-leva la main.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">[65]</a></span></p>
-
-<p>Lente, les yeux clos et les cils
-frémissants, le coin des lèvres agité
-par un sourire nerveux, elle tendait
-le duvet de sa nuque, son cou, et
-ses épaules voluptueusement rentrées
-au tranchant cruel du sabre
-de Barbe-Bleue ...</p>
-
-<p>&mdash;Ou ... ouh! cria-t-elle, ça va
-me faire mal!</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">[66]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">[67]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="elarge"><i>La fille du Moulin</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">[68]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">[69]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">LA FILLE DU MOULIN</p>
-
-<p class="p2">&mdash;Madge!</p>
-
-<p>La voix monta par l’ouverture
-carrée du plancher. Une énorme
-vis de chêne poli traversait le toit
-rond et tournait avec un son rauque.
-La grande aile de toile grise clouée
-sur son squelette de bois s’envolait
-devant la lucarne parmi la poussière<span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">[70]</a></span>
-de soleil. Au-dessous, deux bêtes
-de pierre semblaient lutter régulièrement,
-tandis que le moulin ahanait
-et tremblait sur sa base. Toutes
-les cinq secondes, une ombre longue
-et droite coupait la petite chambre.
-L’échelle qui montait jusqu’au faîte
-intérieur était poudrée de farine.</p>
-
-<p>&mdash;Madge, viens-tu? reprit la
-voix.</p>
-
-<p>Madge avait appuyé sa main contre
-la vis de chêne. Un frottement continu
-lui chatouillait la peau, tandis
-qu’elle regardait, un peu penchée,
-la campagne plate. Le tertre du
-moulin s’y arrondissait comme une
-tête rasée. Les ailes tournantes<span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">[71]</a></span>
-frôlaient presque l’herbe courte où
-leurs images noires se poursuivaient
-sans jamais s’atteindre. Tant d’ânes
-semblaient avoir gratté leurs dos au
-ventre du mur faiblement cimenté
-que le crépi laissait voir les taches
-grises des pierres. Au bas du monticule
-un sentier, creusé d’ornières
-desséchées, s’inclinait jusque vers le
-large étang où se trempaient des
-feuilles rouges.</p>
-
-<p>&mdash;Madge, on s’en va! cria encore
-la voix.</p>
-
-<p>&mdash;Eh bien, allez-vous-en, dit
-Madge tout bas.</p>
-
-<p>La petite porte du moulin grinça.
-Elle vit trembler les deux oreilles<span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">[72]</a></span>
-de l’âne qui tâtait l’herbe du sabot,
-avec précaution. Un gros sac était
-affaissé sur son bât. Le vieux meunier
-et son garçon piquaient le derrière
-de l’animal. Ils descendirent
-tous par le chemin creux. Madge
-resta seule, sa tête passée dans la
-lucarne.</p>
-
-<p class="p2">Comme ses parents l’avaient trouvée
-un soir, étendue dans son lit à
-plat ventre, la bouche pleine de
-sable et de charbon, ils avaient consulté
-des médecins. Leur avis fut
-d’envoyer Madge à la campagne, et
-de lui fatiguer les jambes, le dos et
-les bras. Mais depuis qu’elle était au<span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">[73]</a></span>
-moulin, elle s’enfuyait dès l’aurore
-sous le petit toit, d’où elle considérait
-l’ombre tournoyante des ailes.</p>
-
-<p class="p2">Tout à coup elle frémit de la
-pointe des cheveux aux talons. Quelqu’un
-avait soulevé le loquet de la
-porte.</p>
-
-<p>&mdash;Qui est là? demanda Madge
-par l’ouverture carrée.</p>
-
-<p>Et elle entendit une faible voix:</p>
-
-<p>&mdash;Si l’on pouvait avoir un peu à
-boire: j’ai bien soif.</p>
-
-<p>Madge regarda à travers les échelons.
-C’était un vieux mendiant de
-campagne. Il avait un pain dans son
-bissac.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_74" id="Page_74">[74]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Il a du pain, se dit Madge;
-c’est dommage qu’il n’ait pas faim.</p>
-
-<p>Elle aimait les mendiants, comme
-les crapauds, les limaces, et les cimetières,
-avec une certaine horreur.</p>
-
-<p>Elle cria:</p>
-
-<p>&mdash;Attendez un peu!</p>
-
-<p>Puis descendit l’échelle, la face
-en avant. Quand elle fut en bas:</p>
-
-<p>&mdash;Vous êtes bien vieux, dit-elle&mdash;et
-vous avez si soif?</p>
-
-<p>&mdash;Oh! oui, ma bonne petite demoiselle,
-dit le vieil homme.</p>
-
-<p>&mdash;Les mendiants ont faim, reprit
-Madge avec résolution. Moi j’aime
-le plâtre. Tenez.</p>
-
-<p>Elle arracha une croûte blanche<span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">[75]</a></span>
-de la muraille et la mâcha. Puis elle
-dit:</p>
-
-<p>&mdash;Tout le monde est sorti. Je
-n’ai pas de verre. Il y a la pompe.</p>
-
-<p>Elle lui montra le manche recourbé.
-Le vieux mendiant se pencha.
-Tandis qu’il aspirait le jet, la
-bouche au tuyau, Madge tira subtilement
-le pain de son bissac et l’enfonça
-dans un tas de farine.</p>
-
-<p>Quand il se retourna, les yeux de
-Madge dansaient.</p>
-
-<p>&mdash;Par là, dit-elle, il y a le grand
-étang. Les pauvres peuvent y boire.</p>
-
-<p>&mdash;Nous ne sommes pas des bêtes,
-dit le vieil homme.</p>
-
-<p>&mdash;Non, reprit Madge, mais vous<span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">[76]</a></span>
-êtes malheureux. Si vous avez faim,
-je vais voler un peu de farine et je
-vous en donnerai. Avec l’eau de
-l’étang, ce soir, vous pourrez faire
-de la pâte.</p>
-
-<p>&mdash;De la pâte crue! dit le mendiant.
-On m’a donné un pain, merci
-bien, mademoiselle.</p>
-
-<p>&mdash;Et que feriez-vous, si vous
-n’aviez pas de pain? Moi, si j’étais
-aussi vieille, je me noierais. Les
-noyés doivent être très heureux. Ils
-doivent être beaux. Je vous plains
-beaucoup, mon pauvre homme.</p>
-
-<p>&mdash;Dieu soit avec vous, bonne
-demoiselle, dit le vieil homme. Je
-suis bien las.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_77" id="Page_77">[77]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Et vous aurez faim ce soir, lui
-cria Madge, pendant qu’il descendait
-la pente du tertre. N’est-ce pas,
-brave homme, vous aurez faim? Il
-faudra manger votre pain. Il faudra
-le tremper dans l’eau de l’étang, si
-vos dents sont mauvaises. L’étang
-est très profond.</p>
-
-<p>Madge écouta jusqu’à ne plus entendre
-le bruit de ses pas. Elle tira
-doucement le pain de la farine, et le
-regarda. C’était une miche noire de
-village, maintenant tachée de blanc.</p>
-
-<p>&mdash;Pouah! dit-elle. Si j’étais
-pauvre, je volerais du pain blond
-dans les belles boulangeries.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">[78]</a></span></p>
-
-<p>Quand le maître meunier rentra,
-Madge était couchée sur le dos, la
-tête dans la mouture. Elle serrait la
-miche sur sa taille, avec les deux
-mains; et, les yeux proéminents,
-les joues gonflées, un bout de langue
-violette entre les dents serrées, elle
-tâchait d’imiter l’image qu’elle se
-faisait d’une personne noyée.</p>
-
-<p>Après qu’on eut mangé la soupe:</p>
-
-<p>&mdash;Maître, dit Madge, n’est-ce
-pas qu’autrefois, il y a longtemps,
-longtemps, vivait dans ce moulin
-un géant énorme, qui faisait son
-pain avec des os d’hommes morts?</p>
-
-<p>Le meunier dit:</p>
-
-<p>&mdash;C’est des contes. Mais sous<span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">[79]</a></span>
-la colline, il y a des chambres de
-pierre qu’une société a voulu m’acheter,
-pour fouiller. Plus souvent
-je démolirais mon moulin. Ils n’ont
-qu’à ouvrir les vieilles tombes,
-dans leurs villes. Elles pourrissent
-assez.</p>
-
-<p>&mdash;Ça devait craquer, hein, des
-os de morts, dit Madge. Plus que
-votre blé, maître! Et le géant faisait
-du très bon pain avec, très
-bon; et il le mangeait&mdash;oui, il le
-mangeait.</p>
-
-<p>Le garçon Jean haussa les épaules.
-L’ahan du moulin s’était tu. Le vent
-n’enflait plus les ailes. Les deux
-bêtes circulaires de pierre avaient<span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">[80]</a></span>
-cessé de lutter. L’une pesait sur
-l’autre, silencieusement.</p>
-
-<p>&mdash;Jean m’a dit dans le temps,
-maître, reprit encore Madge, qu’on
-peut retrouver les noyés avec un
-pain où on a mis du vif-argent. On
-fait un petit trou dans la croûte et
-on verse. On jette le pain à l’eau,
-et il s’arrête juste sur le noyé.</p>
-
-<p>&mdash;Est-ce que je sais, dit le meunier.
-C’est pas des occupations de
-jeunes demoiselles. En voilà des
-histoires, Jean!</p>
-
-<p>&mdash;C’est mademoiselle Madge qui
-m’a demandé, répondit le garçon.</p>
-
-<p>&mdash;Moi je mettrais du plomb de
-chasse, dit Madge. Il n’y a pas de<span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">[81]</a></span>
-vif-argent ici. Peut-être qu’on trouverait
-des noyés dans l’étang.</p>
-<p class="p2">Devant la porte, elle attendit le
-crépuscule, son pain sous son tablier,
-du petit plomb serré dans le poing.
-Le mendiant devait avoir eu faim.
-Il s’était noyé dans l’étang. Elle
-ferait revenir son corps, et, comme
-le géant, elle pourrait moudre de la
-farine et pétrir de la pâte avec des
-os d’homme mort.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">[82]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">[83]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="elarge"><i>Bargette</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">[84]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">[85]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">BARGETTE</p>
-
-<p class="p2">A la jonction de ces deux canaux,
-il y avait une écluse haute et noire;
-l’eau dormante était verte jusqu’à
-l’ombre des murailles; contre la
-cabane de l’éclusier, en planches
-goudronnées, sans une fleur, les
-volets battaient sous le vent; parla
-porte mi-ouverte, on voyait la mince<span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">[86]</a></span>
-figure pâle d’une petite fille, les
-cheveux éparpillés, la robe ramenée
-entre les jambes. Des orties s’abaissaient
-et se levaient sur la marge
-du canal; il y avait une volée de
-graines ailées du bas automne, et
-de petites bouffées de poussière
-blanche. La cabane semblait vide;
-la campagne était morne; une bande
-d’herbe jaunâtre se perdait à l’horizon.</p>
-
-<p>Comme la courte lumière du jour
-défaillait, on entendit le souffle du
-petit remorqueur. Il parut au delà
-de l’écluse, avec le visage taché de
-charbon du chauffeur qui regardait
-indolemment par sa porte de tôle;<span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">[87]</a></span>
-et à l’arrière une chaîne se déroulait
-dans l’eau. Puis venait, flottante
-et paisible, une barge brune, large
-et aplatie; elle portait au milieu
-une maisonnette blanchement tenue,
-dont les petites vitres était rondes
-et rissolées; des volubilis rouges et
-jaunes rampaient autour des fenêtres,
-et sur les deux côtés du seuil il y
-avait des auges de bois pleines de
-terre avec des muguets, du réséda
-et des géraniums.</p>
-
-<p>Un homme, qui faisait claquer une
-blouse trempée sur le bord de la
-barge, dit à celui qui tenait la gaffe:</p>
-
-<p>&mdash;Mahot, veux-tu casser la croûte
-en attendant l’écluse?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">[88]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Ça va, répondit Mahot.</p>
-
-<p>Il rangea la gaffe, enjamba une
-pile creuse de corde roulée, et s’assit
-entre les deux auges de fleurs.
-Son compagnon lui frappa sur
-l’épaule, entra dans la maisonnette
-blanche, et rapporta un paquet de
-papier gras, une miche longue et
-un cruchon de terre. Le vent fit
-sauter l’enveloppe huileuse sur les
-touffes de muguet. Mahot la reprit
-et la jeta vers l’écluse. Elle
-vola entre les pieds de la petite
-fille.</p>
-
-<p>&mdash;Bon appétit, là-haut, cria
-l’homme; nous autres, on dîne.</p>
-
-<p>Il ajouta:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">[89]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;L’Indien, pour vous servir, ma
-payse. Tu pourras dire aux copains
-que nous avons passé par là.</p>
-
-<p>&mdash;Es-tu blagueur, Indien, dit Mahot.
-Laisse donc cette jeunesse. C’est
-parce qu’il a la peau brune, mademoiselle;
-nous l’appelons comme
-ça sur les chalands.</p>
-
-<p>Et une petite voix fluette leur
-répondit:</p>
-
-<p>&mdash;Où allez-vous, la barge?</p>
-
-<p>&mdash;On mène du charbon dans le
-Midi, cria l’Indien.</p>
-
-<p>&mdash;Où il y a du soleil? dit la
-petite voix.</p>
-
-<p>&mdash;Tant que ça a tanné le cuir au
-vieux, répondit Mahot.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_90" id="Page_90">[90]</a></span></p>
-
-<p>Et la petite voix reprit, après un
-silence:</p>
-
-<p>&mdash;Voulez-vous me prendre avec
-vous, la barge?</p>
-
-<p>Mahot s’arrêta de mâcher sa liche.
-L’Indien posa le cruchon pour rire.</p>
-
-<p>&mdash;Voyez donc&mdash;<i>la barge</i>! dit
-Mahot. Mademoiselle Bargette! Et
-ton écluse? On verra ça demain
-matin. Le papa ne serait pas content.</p>
-
-<p>&mdash;On se fait donc vieux dans le
-patelin? demanda l’Indien.</p>
-
-<p>La petite voix ne dit plus rien,
-et la mince figure pâle rentra dans
-la cabane.</p>
-
-<p>La nuit ferma les murailles du<span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">[91]</a></span>
-canal. L’eau verte monta le long
-des portes d’écluse. On ne voyait
-plus que la lueur d’une chandelle
-derrière les rideaux rouges et blancs,
-dans la maisonnette. Il y eut des
-clapotis réguliers contre la quille, et
-la barge se balançait en s’élevant.
-Un peu avant l’aube, les gonds grincèrent
-avec un roulement de chaîne
-et l’écluse s’ouvrant, le bateau flotta
-plus loin, traîné par le petit remorqueur
-au souffle épuisé. Comme les
-vitres rondes reflétaient les premières
-nuées rouges, la barge avait quitté
-cette campagne morne, où le vent
-froid souffle sur les orties.</p>
-
-<p>L’Indien et Mahot furent réveillés<span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">[92]</a></span>
-par le gazouillis tendre d’une flûte
-qui parlerait et de petits coups
-piqués aux vitres.</p>
-
-<p>&mdash;Les moineaux ont eu froid,
-cette nuit, vieux, dit Mahot.</p>
-
-<p>&mdash;Non, dit l’Indien, c’est une
-moinette; la gosse de l’écluse. Elle
-est là, parole d’honneur. Mince!</p>
-
-<p>Ils ne se tinrent pas de sourire.
-La petite fille était rouge d’aurore,
-et elle dit de sa voix menue:</p>
-
-<p>&mdash;Vous m’aviez permis de venir
-demain matin. Nous sommes demain
-matin. Je vais avec vous dans le
-soleil.</p>
-
-<p>&mdash;Dans le soleil? dit Mahot.</p>
-
-<p>&mdash;Oui, reprit la petite. Je sais. Où<span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">[93]</a></span>
-il y a des mouches vertes et des
-mouches bleues, qui éclairent la
-nuit; où il y a des oiseaux grands
-comme l’ongle qui vivent sur les
-fleurs; où les raisins montent après
-les arbres; où il y a du pain dans
-les branches et du lait dans les noix,
-et des grenouilles qui aboient
-comme les gros chiens et des ...
-choses ... qui vont dans l’eau, des ...
-citrouilles&mdash;non&mdash;des bêtes qui
-rentrent leurs têtes dans une coquille.
-On les met sur le dos. On fait
-de la soupe avec. Des ... citrouilles.
-Non ... je ne sais plus ... aidez-moi.</p>
-
-<p>&mdash;Le diable m’emporte, dit
-Mahot. Des tortues peut-être?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">[94]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Oui, dit la petite fille. Des ...
-tortues.</p>
-
-<p>&mdash;Pas tout ça, dit Mahot. Et ton
-papa?</p>
-
-<p>&mdash;C’est papa qui m’a appris.</p>
-
-<p>&mdash;Trop fort, dit l’Indien. Appris
-quoi?</p>
-
-<p>&mdash;Tout ce que je dis, les mouches
-qui éclairent, les oiseaux et les ...
-citrouilles. Allez, papa était marin
-avant d’ouvrir l’écluse. Mais papa
-est vieux. Il pleut toujours chez nous.
-Il n’y a que des mauvaises plantes.
-Vous ne savez pas? J’avais voulu
-faire un jardin, un beau jardin dans
-notre maison. Dehors, il y a trop de
-vent. J’aurais enlevé les planches<span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">[95]</a></span>
-du parquet, au milieu; j’aurais mis
-de la bonne terre, et puis de l’herbe,
-et puis des roses, et puis des fleurs
-rouges qui se ferment la nuit, avec
-de beaux petits oiseaux, des rossignols,
-des bruants, et des linots
-pour causer. Papa m’a défendu. Il
-m’a dit que ça abîmerait la maison
-et que ça donnerait de l’humidité.
-Alors je n’ai pas voulu d’humidité.
-Alors je viens avec vous pour aller
-là-bas.</p>
-
-<p>La barque flottait doucement. Sur
-les rives du canal, les arbres
-fuyaient à la file. L’écluse était loin.
-On ne pouvait virer de bord. Le
-remorqueur sifflait en avant.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">[96]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Mais tu ne verras rien, dit
-Mahot. Nous n’allons pas en mer.
-Jamais nous ne trouverons tes
-mouches, ni tes oiseaux, ni tes grenouilles.
-Il y aura un peu plus de
-soleil&mdash;voilà tout.&mdash;Pas vrai,
-l’Indien?</p>
-
-<p>&mdash;Pour sûr, dit-il.</p>
-
-<p>&mdash;Pour sûr? répéta la petite fille.
-Menteurs! Je sais bien, allez.</p>
-
-<p>L’Indien haussa les épaules.</p>
-
-<p>&mdash;Faut pas mourir de faim, dit-il,
-tout de même. Viens manger ta
-soupe, Bargette.</p>
-
-<p class="p2">Et elle garda ce nom. Par les
-canaux gris et verts, froids et tièdes,<span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">[97]</a></span>
-elle leur tint compagnie sur la barge,
-attendant le pays des miracles. La
-barge longea les champs bruns,
-avec leurs pousses délicates: et les
-arbrisseaux maigres commencèrent
-à remuer leurs feuilles; et les moissons
-jaunirent, et les coquelicots se
-tendirent comme des coupelles rouges
-vers les nuages. Mais Bargette
-ne devint pas gaie avec l’été. Assise
-entre les auges de fleurs, tandis que
-l’Indien ou Mahot menaient la gaffe,
-elle pensait qu’on l’avait trompée.
-Car bien que le soleil jetât ses ronds
-joyeux sur le plancher par les petites
-vitres rissolées, malgré les martins-pêcheurs
-qui croisaient sur l’eau, et<span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">[98]</a></span>
-les hirondelles qui secouaient leur
-bec mouillé, elle n’avait pas vu ses
-oiseaux qui vivent sur les fleurs, ni
-le raisin qui montait aux arbres, ni
-les grosses noix pleines de lait, ni
-les grenouilles pareilles à des chiens.</p>
-
-<p>La barge était arrivée dans le
-Midi. Les maisons sur les bords du
-canal étaient feuillues et fleuries.
-Les portes étaient couronnées de
-tomates rouges, et il y avait des
-rideaux de piments enfilés aux fenêtres.</p>
-
-<p>&mdash;C’est tout, dit un jour Mahot.
-On va bientôt débarquer le charbon
-et revenir. Le papa sera content,
-hein?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">[99]</a></span></p>
-
-<p>Bargette secoua la tête.</p>
-
-<p>Et le matin, le bateau étant à
-l’amarre, ils entendirent encore des
-coups menus piqués aux vitres rondes:</p>
-
-<p>&mdash;Menteurs! cria une voix
-fluette.</p>
-
-<p>L’Indien et Mahot sortirent de la
-petite maison. Une mince figure
-pale se tourna vers eux, sur la rive
-du canal; et Bargette leur cria de
-nouveau, s’enfuyant derrière la
-côte:</p>
-
-<p>&mdash;Menteurs! Vous êtes tous des
-menteurs!</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">[100]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">[101]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="elarge"><i>Bûchette</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">[102]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_103" id="Page_103">[103]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">BUCHETTE</p>
-
-<p class="p2">Le père de Bûchette la menait au
-bois dès le point du jour, et elle
-restait assise près de lui, tandis qu’il
-abattait les arbres. Bûchette voyait
-la hache s’enfoncer et faire voler
-d’abord de maigres copeaux d’écorce;
-souvent les mousses grises venaient
-ramper sur sa figure. «Gare!»<span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">[104]</a></span>
-criait le père de Bûchette, quand
-l’arbre s’inclinait avec un craquement
-qui semblait souterrain. Elle
-était un peu triste devant le monstre
-allongé dans la clairière, avec ses
-branches meurtries et ses rameaux
-blessés. Le soir, un cercle rougeâtre
-de meules de charbon s’allumait
-dans l’ombre. Bûchette savait l’heure
-où il fallait ouvrir le panier de jonc
-pour tendre à son père la cruche de
-grès et le morceau de pain brun. Il
-s’étendait parmi les branchilles éclatées
-pour mâcher lentement. Bûchette
-mangeait la soupe au retour.
-Elle courait autour des arbres marqués,
-et si son père ne la regardait<span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">[105]</a></span>
-pas, elle se cachait pour faire:
-«Hou!»</p>
-
-<p>Il y avait là une caverne noire
-qu’on appelait Sainte-Marie-Gueule-de-Loup,
-pleine de ronces et sonore
-d’échos. Haussée sur la pointe des
-pieds, Bûchette la considérait de
-loin.</p>
-
-<p>Un matin d’automne, les cimes
-fanées de la forêt encore brûlantes
-d’aurore, Bûchette vit tressaillir une
-chose verte devant la Gueule-de-Loup.
-Cette chose avait des bras et
-des jambes, et la tête semblait d’une
-petite fille âgée autant que Bûchette
-elle-même.</p>
-
-<p>D’abord Bûchette eut peur d’approcher.<span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">[106]</a></span>
-Elle n’osait même pas appeler
-son père. Elle pensait que
-c’était là une des personnes qui répondaient
-dans la Gueule-de-Loup,
-lorsqu’on y parlait fort. Elle ferma
-les yeux, craignant de remuer et
-d’attirer quelque attaque sinistre. Et,
-penchant la tête, elle entendit un
-sanglot qui venait de par là. Cette
-étrange petite fille verte pleurait.
-Alors Bûchette rouvrit les yeux, et
-elle eut de la peine. Car elle voyait
-la figure verte, douce et triste,
-mouillée de larmes, et deux petites
-mains vertes nerveuses se pressaient
-sur la gorge de la fillette extraordinaire.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">[107]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Elle est peut-être tombée dans
-de mauvaises feuilles, qui déteignent,
-se dit Bûchette.</p>
-
-<p>Et, courageuse, elle traversa des
-fougères hérissées de crochets et de
-vrilles, jusqu’à toucher presque la
-singulière figure. Des petits bras
-verdoyants s allongèrent vers Bûchette
-parmi les ronces flétries.</p>
-
-<p>&mdash;Elle est pareille à moi, se dit
-Bûchette, mais elle a une drôle de
-couleur.</p>
-
-<p>La créature verte pleurante était
-demi-vêtue par une sorte de tunique
-faite de feuilles cousues. C’était
-vraiment une petite fille, qui avait
-la teinte d une plante sauvage. Bûchette<span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">[108]</a></span>
-imaginait que ses pieds étaient
-enracinés en terre. Mais elle les
-remuait très lestement.</p>
-
-<p>Bûchette lui caressa les cheveux
-et lui prit la main. Elle se laissa
-emmener, toujours pleurante. Elle
-semblait ne pas savoir parler.</p>
-
-<p>&mdash;Hélas, mon Dieu! Une diablesse
-verte! cria le père de Bûchette,
-quand il la vit venir.&mdash;D’où
-arrives-tu, petite, pourquoi es-tu
-verte? Tu ne sais pas répondre?</p>
-
-<p>On ne pouvait savoir si la fille
-verte avait entendu. «Peut-être
-qu’elle a faim,» dit-il. Et il lui offrit
-le pain et la cruche. Elle tourna le
-pain dans ses mains et le jeta par<span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">[109]</a></span>
-terre; elle secoua la cruche pour
-écouter le bruit du vin.</p>
-
-<p>Bûchette pria son père de ne pas
-laisser cette pauvre créature dans la
-forêt, pendant la nuit. Les meules
-de charbon brillèrent une à une, au
-crépuscule, et la fille verte regardait
-les feux en tremblant. Quand elle
-entra dans la petite maison, elle
-s’enfuit devant la lumière. Elle ne
-put s’accoutumer aux flammes, et
-poussait un cri, chaque fois qu’on
-allumait la chandelle.</p>
-
-<p>En la voyant, la mère de Bûchette
-fit le signe de croix. «Dieu m’aide,
-dit-elle, si c’est un démon; mais ce
-n’est point une chrétienne.»</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">[110]</a></span></p>
-
-<p>Cette fille verte ne voulut toucher
-ni le pain, ni le sel, ni le vin, d’où
-il paraissait clairement qu’elle ne
-pouvait avoir été baptisée, ni présentée
-à la communion. Le curé fut
-averti, et il passait le seuil dans le
-moment où Bûchette offrait à la
-créature des fèves en gousse.</p>
-
-<p>Elle parut très joyeuse, et se mit
-à fendre aussitôt la tige avec ses
-ongles, pensant trouver les fèves à
-l’intérieur. Et, déçue, elle se remit
-à pleurer, jusqu’à ce que Bûchette
-lui eût ouvert une gousse. Alors elle
-grignota les fèves en regardant le
-prêtre.</p>
-
-<p>Quoiqu’on fit venir le maître<span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">[111]</a></span>
-d’école, on ne put lui faire entendre
-une parole humaine, ni prononcer
-un son articulé. Elle pleurait, riait,
-ou poussait des cris.</p>
-
-<p>Le curé l’examina fort soigneusement,
-mais ne put découvrir sur son
-corps aucune marque du démon. Le
-dimanche suivant, on la conduisit à
-l’église, où elle ne manifesta point
-de signes d’inquiétude, sinon qu’elle
-gémit quand elle fut mouillée d’eau
-bénite. Mais elle ne recula pas devant
-l’image de la croix, et, passant ses
-mains sur les saintes plaies et les
-déchirures d’épines, elle parut affligée.</p>
-
-<p>Les gens du village en eurent<span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">[112]</a></span>
-grande curiosité; quelques-uns de la
-crainte; et, malgré l’avis du curé, on
-parla d’elle comme de la «diablesse
-verte».</p>
-
-<p>Elle ne se nourrissait que de graines
-et de fruits; et toutes les fois qu’on
-lui présentait les épis ou les rameaux,
-elle fendait la tige ou le bois, et pleurait
-de désappointement. Bûchette
-ne parvint point à lui apprendre en
-quel endroit il fallait chercher les
-grains de blé ou les cerises, et sa
-déception était toujours semblable.</p>
-
-<p>Par imitation elle put bientôt
-porter du bois, de l’eau, balayer, essuyer
-et même coudre, bien qu’elle
-maniât la toile avec une certaine répulsion.<span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">[113]</a></span>
-Mais elle ne se résigna jamais
-à faire le feu, ou même à s’approcher
-de l’âtre.</p>
-
-<p class="p2">Cependant Bûchette grandissait,
-et ses parents voulurent la mettre
-en service. Elle prit du chagrin, et
-le soir, sous les draps, elle sanglotait
-doucement. La fille verte regardait
-piteusement sa petite amie.
-Elle fixait les prunelles de Bûchette,
-le matin, et ses propres yeux se
-remplissaient de larmes. Puis la
-nuit, quand Bûchette pleura, elle
-sentit une main douce qui lui caressait
-les cheveux, une bouche fraîche
-sur sa joue.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">[114]</a></span></p>
-
-<p>Le terme s’approchait où Bûchette
-devait entrer en servitude.
-Elle sanglotait maintenant, presque
-aussi lamentable que la créature
-verte, le jour où on l’avait trouvée
-abandonnée devant la Gueule-de-Loup.</p>
-
-<p>Et le dernier soir, quand le père
-et la mère de Bûchette furent endormis,
-la fille verte caressa les cheveux
-de la pleureuse et lui prit la
-main. Elle ouvrit la porte, et allongea
-le bras dans la nuit. De même
-que Bûchette l’avait conduite autrefois
-vers les maisons des hommes,
-elle l’emmena par la main vers la
-liberté inconnue.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">[115]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="p2 elarge"><i>Jeanie</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">[116]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">[117]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">JEANIE</p>
-
-<p class="p2">L’amoureux de Jeanie était devenu
-matelot, et elle était seule,
-toute seule. Elle écrivit une lettre
-et la scella de son petit doigt, et la
-jeta dans la rivière, parmi les
-longues herbes rouges. Ainsi elle
-irait jusqu’à l’Océan. Jeanie ne savait
-pas vraiment écrire; mais son amoureux<span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">[118]</a></span>
-devait comprendre, puisque la
-lettre était d’amour. Et elle attendit
-longtemps la réponse, venue de la
-mer; et la réponse ne vint pas. Il
-n’y avait pas de rivière pour couler
-de lui jusqu’à Jeanie.</p>
-
-<p>Et un jour Jeanie partit à la recherche
-de son amoureux. Elle
-regardait les fleurs d’eau et leurs
-tiges penchées; et toutes les fleurs
-s’inclinaient vers lui. Et Jeanie disait
-en marchant: «Sur la mer il
-y a un bateau&mdash;dans le bateau il
-y a une chambre&mdash;dans la chambre
-il y a une cage&mdash;dans la cage il y
-a un oiseau&mdash;dans l’oiseau il y a
-un cœur&mdash;dans le cœur il y a<span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">[119]</a></span>
-une lettre&mdash;dans la lettre il y a
-écrit: <span class="smcap">J’aime Jeanie</span>.&mdash;J’aime
-Jeanie est dans la lettre, la lettre est
-dans le cœur, le cœur est dans l’oiseau,
-l’oiseau est dans la cage, la
-cage est dans la chambre, la chambre
-est dans le bateau, le bateau est très
-loin sur la grande mer.»</p>
-
-<p>Et comme Jeanie ne craignait pas
-les hommes, les meuniers poussiéreux,
-la voyant simple et douce,
-l’anneau d’or au doigt, lui offraient
-du pain et lui permettaient de coucher
-parmi les sacs de farine, avec
-un baiser blanc.</p>
-
-<p>Ainsi, elle traversa son pays de
-rochers fauves, et la contrée des<span class="pagenum"><a name="Page_120" id="Page_120">[120]</a></span>
-basses forêts, et les prairies plates
-qui entourent le fleuve près des
-cités. Beaucoup de ceux qui hébergeaient
-Jeanie lui donnaient des baisers;
-mais elle ne les rendait jamais&mdash;car
-les baisers infidèles que rendent
-les amantes sont marqués sur
-leurs joues avec des traces de sang.</p>
-
-<p class="p2">Elle parvint dans la ville maritime
-où son amoureux s’était embarqué.
-Sur le port, elle chercha le
-nom de son navire, mais elle ne put
-le trouver: car le navire avait été
-envoyé dans la mer d Amérique,
-pensa Jeanie.</p>
-
-<p>Des rues noires obliques descendaient<span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">[121]</a></span>
-aux quais des hauteurs de la
-ville. Certaines étaient pavées, avec
-un ruisseau dans le milieu; d’autres
-n’étaient que d’étroits escaliers faits
-de dalles anciennes.</p>
-
-<p>Jeanie aperçut des maisons peintes
-en jaune et en bleu, avec des têtes
-de négresse et des images d’oiseaux
-à bec rouge. Le soir de grosses
-lanternes se balancèrent devant les
-portes. On y voyait entrer des
-hommes qui paraissaient ivres.</p>
-
-<p>Jeanie pensa que c’étaient les hôtelleries
-des matelots revenant du
-pays des femmes noires et des oiseaux
-de couleur. Et elle eut un
-grand désir d’attendre son amoureux<span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">[122]</a></span>
-dans une telle hôtellerie, qui
-avait peut-être l’odeur du lointain
-Océan.</p>
-
-<p>Levant la tête, elle vit des figures
-blanches de femmes, appuyées aux
-fenêtres grillées, où elles prenaient
-un peu de fraîcheur. Jeanie poussa
-une double porte, et se trouva dans
-une salle carrelée, parmi des femmes
-demi-nues, avec des robes roses.
-Au fond de l’ombre chaude un perroquet
-faisait mouvoir lentement
-ses paupières. Il y avait encore
-un peu de mousse dans trois gros
-verres étranglés, sur la table.</p>
-
-<p>Quatre femmes entourèrent Jeanie
-en riant, et elle en aperçut une<span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">[123]</a></span>
-autre velue d’étoffe sombre, qui
-cousait dans une petite loge.</p>
-
-<p>&mdash;Elle est de la campagne, dit
-une des femmes.</p>
-
-<p>&mdash;Chut! dit une autre, faut rien
-dire.</p>
-
-<p>Et toutes ensemble lui crièrent:</p>
-
-<p>&mdash;Veux-tu boire, mignonne?</p>
-
-<p>Jeanie se laissa embrasser, et but
-dans un des verres étranglés. Une
-grosse femme vit l’anneau.</p>
-
-<p>&mdash;Vous parlez, et c’est marié!</p>
-
-<p>Toutes ensemble reprirent:</p>
-
-<p>&mdash;T’es mariée, mignonne?</p>
-
-<p>Jeanie rougit, car elle ne savait
-si elle était vraiment mariée, ni
-comment on devait répondre.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_124" id="Page_124">[124]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Je les connais, ces mariées,
-dit une femme. Moi aussi, quand
-j’étais petite, quand j’avais sept ans,
-je n’avais pas de jupon. Je suis
-allée toute nue au bois pour bâtir
-mon église&mdash;et tous les petits
-oiseaux m’aidaient à travailler! Il y
-avait le vautour, pour arracher la
-pierre, et le pigeon, avec son gros
-bec pour la tailler, et le bouvreuil
-pour jouer de l’orgue. Voilà mon
-église de noces et ma messe.</p>
-
-<p>&mdash;Mais cette mignonne a son
-alliance, pas? dit la grosse femme.</p>
-
-<p>Et toutes ensemble crièrent:</p>
-
-<p>&mdash;Vrai, une alliance?</p>
-
-<p>Alors elles embrassèrent Jeanie<span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">[125]</a></span>
-l’une après l’autre, et la caressèrent,
-et la firent boire, et on parvint à
-faire sourire la dame qui cousait
-dans la petite loge.</p>
-
-<p>Cependant un violon jouait devant
-la porte et Jeanie s’était endormie.
-Deux femmes la portèrent doucement
-sur un lit, dans une chambrette,
-par un petit escalier.</p>
-
-<p>Puis toutes ensemble dirent:</p>
-
-<p>&mdash;Faut lui donner quelque chose.
-Mais quoi?</p>
-
-<p>Le perroquet se réveilla et jabota.</p>
-
-<p>&mdash;Je vas vous dire, expliqua la
-grosse.</p>
-
-<p>Et elle parla longuement à voix<span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">[126]</a></span>
-basse. Une des femmes s’essuya les
-yeux.</p>
-
-<p>&mdash;C’est vrai, dit-elle, nous n’en
-avons pas eu; ça nous portera bonheur.</p>
-
-<p>&mdash;Pas? elle pour nous quatre,
-dit une autre.</p>
-
-<p>&mdash;On va demander à Madame de
-nous permettre, dit la grosse.</p>
-
-<p class="p2">Et le lendemain, quand Jeanie
-s’en alla, elle avait à chaque doigt
-de sa main gauche un anneau d’alliance.
-Son amoureux était bien
-loin; mais elle frapperait à son
-cœur, pour y rentrer, avec ses cinq
-anneaux d’or.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">[127]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="p2 elarge"><i>Ilsée</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">[128]</a><br /><a name="Page_129" id="Page_129">[129]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">ILSÉE</p>
-
-<p class="p2">Sitôt qu’elle fut assez haute, Ilsée
-eut coutume d’aller tous les matins
-devant sa glace et de dire: «Bonjour,
-ma petite Ilsée.» Puis elle
-baisait le verre froid et fronçait les
-lèvres. L’image semblait venir seulement.
-Elle était très loin, en
-réalité. L’autre Ilsée, plus pâle, qui<span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">[130]</a></span>
-se levait des profondeurs du miroir,
-était une prisonnière à la bouche
-gelée. Ilsée la plaignait, car elle paraissait
-triste et cruelle. Son sourire
-matinal était comme une aube blême
-encore teinte de l’horreur nocturne.</p>
-
-<p>Cependant Ilsée l’aimait et lui
-parlait: «Personne ne te dit bonjour,
-pauvre petite Ilsée. Embrasse-moi,
-tiens. Nous irons nous promener
-aujourd’hui, Ilsée. Mon
-amoureux viendra nous chercher.
-Viens-t’en.» Ilsée se détournait, et
-l’autre Ilsée, mélancolique, s’enfuyait
-vers l’ombre lumineuse.</p>
-
-<p>Ilsée lui montrait ses poupées et
-ses robes. «Joue avec moi. Habille-toi<span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">[131]</a></span>
-avec moi.» L’autre Ilsée, jalouse,
-élevait aussi vers Ilsée des poupées
-plus blanches et des robes décolorées.
-Elle ne parlait pas, et ne faisait
-que remuer les lèvres en même
-temps qu’Ilsée.</p>
-
-<p>Quelquefois Ilsée s’irritait, comme
-une enfant, contre la dame muette,
-qui s’irritait à son tour. «Méchante,
-méchante Ilsée! criait-elle. Veux-tu
-me répondre, veux-tu m’embrasser!»
-Elle frappait le miroir de la
-main. Une étrange main, qui ne
-tenait à aucun corps, apparaissait
-devant la sienne. Jamais Ilsée ne
-put atteindre l’autre Ilsée.</p>
-
-<p>Elle lui pardonnait durant la nuit;<span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">[132]</a></span>
-et heureuse de la retrouver, elle
-sautait de son lit pour l’embrasser,
-en lui murmurant: «Bonjour, ma
-petite Ilsée.»</p>
-
-<p class="p2">Quand Ilsée eut un vrai fiancé,
-elle le mena devant sa glace et dit à
-l’autre Ilsée: «Regarde mon amoureux,
-et ne le regarde pas trop. Il est à
-moi, mais je veux bien te le faire voir.
-Après que nous serons mariés, je lui
-permettrai de t’embrasser avec moi,
-tous les matins.» Le fiancé se mit à
-rire. Ilsée dans le miroir sourit aussi.
-«N’est-ce pas qu’il est beau et que je
-l’aime?» dit Ilsée. «Oui, oui,» répondit
-l’autre Ilsée. «Si tu le regardes<span class="pagenum"><a name="Page_133" id="Page_133">[133]</a></span>
-trop, je ne t’embrasserai plus,
-dit Ilsée. Je suis aussi jalouse que toi,
-va. Au revoir, ma petite Ilsée.»</p>
-
-<p class="p2">A mesure qu’Ilsée apprit l’amour,
-Ilsée dans le miroir devint plus
-triste. Car son amie ne venait plus
-la baiser le matin. Elle la tenait en
-grand oubli. Plutôt l’image de son
-fiancé courait, après la nuit vers le
-réveil d’Ilsée. Pendant la journée,
-Ilsée ne voyait plus la dame du miroir,
-tandis que son fiancé la regardait.
-«Oh! disait Ilsée, tu ne penses
-plus à moi, vilain. C’est l’autre que tu
-regardes. Elle est prisonnière; elle
-ne viendra jamais. Elle est jalouse<span class="pagenum"><a name="Page_134" id="Page_134">[134]</a></span>
-de toi; mais je suis plus jalouse
-qu’elle. Ne la regarde pas, mon
-aimé; regarde-moi. Méchante Ilsée
-du miroir, je te défends de répondre
-à mon fiancé. Tu ne peux pas venir;
-tu ne pourras jamais venir. Ne me
-le prends pas, méchante Ilsée. Après
-que nous serons mariés, je lui permettrai
-de t’embrasser avec moi.
-Ris, Ilsée. Tu seras avec nous.»</p>
-
-<p class="p2">Ilsée devint jalouse de l’autre Ilsée.
-Si la journée baissait sans que l’aimé
-fût venu: «Tu le chasses, tu le chasses,
-criait Ilsée, avec ta mauvaise figure.
-Méchante, va-t’en, laisse-nous.»</p>
-
-<p>Et Ilsée cacha sa glace sous un<span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">[135]</a></span>
-linge blanc et fin. Elle souleva un
-pan avant d’enfoncer le dernier
-petit clou. «Adieu, Ilsée,» dit-elle.</p>
-
-<p>Pourtant son fiancé continuait à
-sembler las. «Il ne m’aime plus,
-pensa Ilsée; il ne vient plus, je
-reste seule, seule. Où est l’autre
-Ilsée? Est-elle partie avec lui?» De
-ses petits ciseaux d’or, elle fendit un
-peu la toile, pour regarder. Le miroir
-était couvert d’une ombre blanche.
-«Elle est partie,» pensa Ilsée.</p>
-
-<p class="p2">&mdash;Il faut, se dit Ilsée, être très
-patiente. L’autre Ilsée sera jalouse
-et triste. Mon aimé reviendra. Je
-saurai l’attendre.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">[136]</a></span></p>
-
-<p>Tous les matins, sur l’oreiller,
-près de son visage, il lui semblait
-le voir, dans son demi-sommeil:
-«Oh! mon aimé, murmurait-elle,
-es-tu donc revenu? Bonjour, bonjour,
-mon petit aimé.» Elle avançait
-la main et touchait le drap
-frais.</p>
-
-<p>&mdash;Il faut, se dit encore Ilsée,
-être très patiente.</p>
-
-<p class="p2">Ilsée attendit longtemps son fiancé.
-Sa patience se fondit en larmes.
-Un brouillard humide enveloppait
-ses yeux. Des lignes mouillées parcouraient
-ses joues. Toute sa figure se
-creusait. Chaque jour, chaque mois,<span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">[137]</a></span>
-chaque année la flétrissait d’un
-doigt plus pesant.</p>
-
-<p>&mdash;Oh! mon aimé, dit Ilsée, je
-doute de toi.</p>
-
-<p>Elle coupa le linge blanc à l’intérieur
-du miroir, et, dans le cadre
-pâle, apparut la glace, pleine de
-taches obscures. Le miroir était sillonné
-de rides claires et, là où le tain
-s’était séparé du verre, on voyait
-des lacs d’ombre.</p>
-
-<p>L’autre Ilsée vint au fond de la
-glace, vêtue de noir, comme Ilsée,
-le visage amaigri, marqué par les
-signaux étranges du verre qui ne
-reflète plus parmi le verre qui reflète.
-Et le miroir semblait avoir pleuré.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">[138]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Tu es triste, comme moi, dit
-Ilsée.</p>
-
-<p>La dame du miroir pleura. Ilsée
-la baisa et dit: «Bonsoir, ma
-pauvre Ilsée.»</p>
-
-<p>Et, entrant dans sa chambre, avec
-sa lampe à la main, Ilsée fut surprise:
-car l’autre Ilsée, une lampe
-à la main, s’avançait vers elle, le regard
-triste. Ilsée leva sa lampe au-dessus
-de sa tête et s’assit sur son lit.
-Et l’autre Ilsée leva sa lampe au-dessus
-de sa tête et s’assit près d’elle.</p>
-
-<p>&mdash;Je comprends bien, pensa
-Ilsée. La dame du miroir s’est délivrée.
-Elle est venue me chercher.
-Je vais mourir.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">[139]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="p2 elarge"><i>Marjolaine</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">[140]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">[141]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">MARJOLAINE</p>
-
-<p class="p2">Après la mort de ses parents,
-Marjolaine resta dans leur petite
-maison avec sa vieille nourrice. Ils
-lui avaient laissé un toit de chaume
-bruni et le manteau de la grande
-cheminée. Car le père de Marjolaine
-avait été conteur et bâtisseur de
-rêves. Quelque ami de ses belles<span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">[142]</a></span>
-idées lui avait prêté sa terre pour
-construire, un peu d’argent pour
-songer. Il avait longtemps mélangé
-diverses espèces d’argile avec des
-poussières de métaux, afin de cuire
-un sublime émail. Il avait essayé de
-fondre et de dorer d’étranges verreries.
-Il avait pétri des noyaux de
-pâte dure percés de «lanternes»,
-et le bronze refroidi s’irisait comme
-la surface des mares. Mais il ne
-restait de lui que deux ou trois
-creusets noircis, des plaques frustes
-d’airain bossuées de scories, et sept
-grandes cruches décolorées au-dessus
-du foyer. Et de la mère de Marjolaine,
-une fille pieuse de la campagne,<span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">[143]</a></span>
-il ne restait rien: car elle
-avait vendu pour «l’argilier» même
-son chapelet d’argent.</p>
-
-<p class="p2">Marjolaine grandit près de son
-père, qui portait un tablier vert,
-dont les mains étaient toujours terreuses
-et les prunelles injectées de
-feu. Elle admirait les sept cruches
-de la cheminée, enduites de fumée,
-pleines de mystère, semblables à
-un arc-en-ciel creux et ondulé.
-Morgiane eût fait sortir de la cruche
-sanglante un brigand frotté d’huile,
-avec un sabre couvert par des fleurs
-de Damas. Dans la cruche orangée,
-on pouvait, comme Aladdin, trouver<span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">[144]</a></span>
-des fruits de rubis, des prunes
-d’améthyste, des cerises de grenat,
-des coings de topaze, des grappes
-d’opale, et des baies de diamant. La
-cruche jaune était remplie de poudre
-d’or que Camaralzaman avait cachée
-sous des olives. On voyait un peu
-une des olives sous le couvercle, et
-le bord du vase était luisant. La
-cruche verte devait être fermée par
-un grand sceau de cuivre, marqué
-par le roi Salomon. L’âge y avait
-peint une couche de vert-de-gris;
-car cette cruche habitait autrefois
-l’Océan, et depuis plusieurs milliers
-d’années elle contenait un génie,
-qui était prince. Une très jeune fille<span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">[145]</a></span>
-sage saurait briser l’enchantement
-à la pleine lune, avec la permission
-du roi Salomon, qui a donné la voix
-aux mandragores. Dans la cruche
-bleu clair, Giauharé avait enclos
-toutes ses robes marines, tissées
-d’algues, gemmées d’aigues, et
-tachées de la pourpre des coquillages.
-Tout le ciel du Paradis terrestre,
-et les fruits riches de l’arbre,
-et les écailles enflammées du serpent,
-et le glaive ardent de l’ange,
-étaient enfermés par la cruche bleu
-sombre, pareille à l’énorme cupule
-azurée d’une fleur australe. Et la
-mystérieuse Lilith avait versé tout
-le ciel du Paradis céleste dans la<span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">[146]</a></span>
-dernière cruche: car elle se dressait,
-violette et rigide comme le camail
-de l’évêque.</p>
-
-<p>Ceux qui ignoraient ces choses ne
-voyaient que sept vieilles cruches
-décolorées, sur le manteau renflé de
-l’âtre. Mais Marjolaine savait la
-vérité, par les contes de son père.
-Au feu d’hiver, parmi l’ombre changeante
-des flammes du bois et de la
-chandelle, elle suivait des yeux,
-jusqu’à l’heure où elle allait dormir,
-le grouillement des merveilles.</p>
-
-<p>Cependant la huche à pain étant
-vide, avec la boîte à sel, la nourrice
-implorait Marjolaine. «Marie-toi,
-disait elle, ma fleurette aimée:<span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">[147]</a></span>
-votre mère pensait à Jean; veux-tu
-pas épouser Jean? Ma Jolaine, ma
-Jolaine, quelle jolie mariée tu
-feras!»</p>
-
-<p>&mdash;La mariée de la Marjolaine a
-eu des chevaliers, dit la rêveuse;
-j’aurai un prince.</p>
-
-<p>&mdash;Princesse Marjolaine, dit la
-nourrice, épousez Jean, tu le feras
-prince.</p>
-
-<p>&mdash;Nenni, nourrice, dit la rêveuse;
-j’aime mieux filer. J’attends mes
-diamants et mes robes pour un plus
-beau génie. Achète du chanvre et
-des quenouilles et un fuseau poli.
-Nous aurons notre palais bientôt. Il
-est pour le moment dans un désert<span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">[148]</a></span>
-noir d’Afrique. Un magicien l’habite,
-couvert de sang et de poisons. Il
-verse dans le vin des voyageurs une
-poudre brune qui les change en
-bêtes velues. Le palais est éclairé
-de torches vives, et les nègres qui
-servent aux repas ont des couronnes
-d’or. Mon prince tuera le magicien,
-et le palais viendra dans notre campagne,
-et tu berceras mon enfant.</p>
-
-<p>&mdash;O Marjolaine, épouse Jean!
-dit la vieille nourrice.</p>
-
-<p>Marjolaine s’assit et fila. Patiemment
-elle tourna le fuseau, tordit le
-chanvre, et le détordit. Les quenouilles
-s’amincissaient et se regonflaient.
-Près d’elle Jean vint s’asseoir<span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">[149]</a></span>
-et l’admira. Mais elle n’y prenait
-point garde. Car les sept cruches de
-la grande cheminée étaient pleines
-de rêves. Pendant le jour elle croyait
-les entendre gémir ou chanter.
-Quand elle s’arrêtait de filer, la quenouille
-ne frémissait plus pour les
-cruches, et le fuseau cessait de leur
-prêter ses bruissements.</p>
-
-<p>&mdash;O Marjolaine, épouse Jean, lui
-disait la vieille nourrice tous les
-soirs.</p>
-
-<p>Mais au milieu de la nuit la
-rêveuse se levait. Comme Morgiane,
-elle jetait contre les cruches des
-grains de sable, pour éveiller les
-mystères. Et cependant le brigand<span class="pagenum"><a name="Page_150" id="Page_150">[150]</a></span>
-continuait à dormir; les fruits précieux
-ne cliquetaient pas, elle n’entendait
-pas couler la poudre d’or, ni
-se froisser l’étoffe des robes, et le
-sceau de Salomon pesait lourdement
-sur le prince enfermé.</p>
-
-<p>Marjolaine jetait un à un les grains
-de sable. Sept fois ils tintaient contre
-la terre dure des cruches; sept fois
-le silence recommençait.</p>
-
-<p>&mdash;O Marjolaine, épouse Jean, lui
-disait la vieille nourrice tous les
-matins.</p>
-
-<p class="p2">Alors Marjolaine fronça le sourcil
-lorsqu’elle voyait Jean, et Jean ne
-vint plus. Et la vieille nourrice fut<span class="pagenum"><a name="Page_151" id="Page_151">[151]</a></span>
-trouvée morte, une aube, assez souriante.
-Et Marjolaine mit une robe
-noire, une cornette sombre, et continua
-de filer.</p>
-
-<p>Toutes les nuits elle se levait, et,
-comme Morgiane, elle jetait contre
-les cruches des grains de sable pour
-éveiller les mystères. Et les rêves
-dormaient toujours.</p>
-
-<p class="p2">Marjolaine devint vieille en sa
-patience. Mais le prince emprisonné
-sous le sceau du roi Salomon était
-toujours jeune, sans doute, ayant
-vécu des milliers d’années. Une nuit
-de pleine lune, la rêveuse se leva
-comme une assassine, et prit un<span class="pagenum"><a name="Page_152" id="Page_152">[152]</a></span>
-marteau. Elle brisa furieusement
-six cruches, et la sueur d’angoisse
-coulait de son front. Les vases claquèrent
-et s’ouvrirent: ils étaient
-vides. Elle hésita devant la cruche
-où Lilith avait versé le Paradis
-violet; puis elle l’assassina comme
-les autres. Parmi les débris roula
-une rose sèche et grise de Jéricho.
-Quand Marjolaine voulut la faire
-fleurir, elle s’éparpilla en poussière.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_153" id="Page_153">[153]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="p2 elarge"><i>Cice</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_154" id="Page_154">[154]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_155" id="Page_155">[155]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">CICE</p>
-
-<p class="p2">Cice replia ses jambes dans son
-petit lit et tendit l’oreille contre le
-mur. La fenêtre était pâle. Le mur
-vibrait et semblait dormir avec une
-respiration étouffée. Le petit jupon
-blanc s’était gonflé sur la chaise,
-d’où deux bas pendaient ainsi que
-des jambes noires molles et vides.<span class="pagenum"><a name="Page_156" id="Page_156">[156]</a></span>
-Une robe marquait mystérieusement
-le mur comme si elle avait voulu
-grimper jusqu’au plafond. Les planches
-du parquet criaient faiblement
-dans la nuit. Le pot à eau était
-pareil à un crapaud blanc, accroupi
-dans la cuvette et humant l’ombre.</p>
-
-<p>&mdash;Je suis trop malheureuse, dit
-Cice. Et elle se mit à pleurer dans
-son drap. Le mur soupira plus fort;
-mais les deux jambes noires restèrent
-inertes, et la robe ne continua
-pas de grimper, et le crapaud blanc
-accroupi ne ferma pas sa gueule humide.</p>
-
-<p>Cice dit encore:</p>
-
-<p>&mdash;Puisque tout le monde m’en<span class="pagenum"><a name="Page_157" id="Page_157">[157]</a></span>
-veut, puisqu’on n’aime que mes
-sœurs ici, puisqu’on m’a laissé aller
-me coucher pendant le dîner, je
-m’en irai, oui, je m’en irai très loin.
-Je suis une Cendrillon, voilà ce que
-je suis. Je leur montrerai bien, moi.
-J’aurai un prince, moi; et elles n’auront
-personne, absolument personne.
-Et je viendrai dans ma belle
-voiture, avec mon prince; voilà ce
-que je ferai. Si elles sont bonnes,
-dans ce temps-là, je leur pardonnerai.
-Pauvre Cendrillon, vous verrez
-qu’elle est meilleure que vous,
-allez.</p>
-
-<p>Son petit cœur grossit encore,
-pendant qu’elle enfilait ses bas et<span class="pagenum"><a name="Page_158" id="Page_158">[158]</a></span>
-qu’elle nouait son jupon. La chaise
-vide resta au milieu de la chambre,
-abandonnée.</p>
-
-<p>Cice descendit doucement à la
-cuisine, et pleura de nouveau,
-agenouillée devant l’âtre, les mains
-plongées dans les cendres.</p>
-
-<p>Le bruit régulier d’un rouet la fît
-retourner. Un corps tiède et velu
-frôla ses jambes.</p>
-
-<p>&mdash;Je n’ai pas de marraine, dit
-Cice, mais j’ai mon chat. Pas?</p>
-
-<p>Elle tendit ses doigts, et il les
-lécha lentement, comme avec une
-petite râpe chaude.</p>
-
-<p>&mdash;Viens, dit Cice.</p>
-
-<p>Elle poussa la porte du jardin, et<span class="pagenum"><a name="Page_159" id="Page_159">[159]</a></span>
-il y eut un grand souffle de fraîcheur.
-Une tache sombrement verdâtre
-marquait la pelouse; le grand sycomore
-frémissait, et des étoiles paraissaient
-suspendues entre les branches.
-Le potager était clair, au delà
-des arbres, et des cloches à melons
-luisaient.</p>
-
-<p>Cice rasa deux bouquets d’herbes
-longues, qui la chatouillèrent finement.
-Elle courut parmi les cloches
-où voltigeaient de courtes lueurs.</p>
-
-<p>&mdash;Je n’ai pas de marraine: sais-tu
-faire une voiture, chat? dit-elle.</p>
-
-<p>La petite bête bâilla vers le ciel
-où des nuages gris chassaient.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_160" id="Page_160">[160]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Je n’ai pas encore de prince,
-dit Cice. Quand viendra-t-il?</p>
-
-<p>Assise près d’un gros chardon
-violacé, elle regarda la haie du potager.
-Puis elle ôta une de ses
-pantoufles, et la jeta de toutes ses
-forces, par-dessus les groseillers
-La pantoufle tomba sur la grand’route.</p>
-
-<p>Cice caressa le chat et dit:</p>
-
-<p>&mdash;Écoute, chat. Si le prince ne
-me rapporte pas ma pantoufle, je
-t’achèterai des bottes et nous voyagerons
-pour le trouver. C’est un
-très beau jeune homme. Il est
-habillé de vert, avec des diamants.
-Il m’aime beaucoup, mais il ne m’a<span class="pagenum"><a name="Page_161" id="Page_161">[161]</a></span>
-jamais vue. Tu ne seras pas jaloux.
-Nous demeurerons ensemble, tous
-les trois. Je serai plus heureuse que
-Cendrillon, parce que j’ai été plus
-malheureuse. Cendrillon allait au
-bal tous les soirs, et on lui donnait
-des robes très riches. Moi, je n’ai
-que toi, mon petit chat chéri.</p>
-
-<p>Elle embrassa son museau de maroquin
-mouillé. Le chat jeta un faible
-miaulement et passa une patte sur son
-oreille. Puis il se lécha et ronronna.</p>
-
-<p>Cice cueillit des groseilles vertes.</p>
-
-<p>&mdash;Une pour moi, une pour mon
-prince, une pour toi. Une pour mon
-prince, une pour toi, une pour moi.
-Une pour loi, une pour moi, une<span class="pagenum"><a name="Page_162" id="Page_162">[162]</a></span>
-pour mon prince. Voilà comme
-nous vivrons. Nous partagerons
-tout pour nous trois, et nous n’aurons
-pas de sœurs méchantes.</p>
-
-<p class="p2">Les nuages gris s’étaient amassés
-dans le ciel. Une bande blême s’élevait
-vers l’Orient. Les arbres se
-baignaient dans une pénombre livide.
-Tout à coup une bouffée de
-vent glacé secoua le jupon de
-Cice. Les choses frissonnèrent. Le
-chardon violet s’inclina deux ou
-trois fois. Le chat fit le gros dos et
-hérissa tous ses poils.</p>
-
-<p>Cice entendit au loin sur la route
-une rumeur grinçante de roues.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_163" id="Page_163">[163]</a></span></p>
-
-<p>Un feu terne courut aux cimes
-balancées des arbres et le long du
-toit de la petite maison.</p>
-
-<p>Puis le roulement s’approcha. Il
-y eut des hennissements de chevaux,
-et un murmure confus de voix
-d’hommes.</p>
-
-<p>&mdash;Écoute, chat, dit Cice. Écoute.
-Voilà une grande voiture qui arrive.
-C’est la voiture de mon
-prince. Vite, vite: il va m’appeler.</p>
-
-<p>Une pantoufle de cuir mordoré
-vola par-dessus les groseilliers, et
-tomba au milieu des cloches.</p>
-
-<p>Cice courut vers la barrière
-d’osier, et l’ouvrit.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_164" id="Page_164">[164]</a></span></p>
-
-<p>Une voiture longue et obscure
-avançait pesamment. Le bicorne du
-cocher était éclairé par un rayon
-rouge. Deux hommes noirs marchaient
-de chaque côté des chevaux.
-L’arrière-train de la voiture était
-bas et oblong comme un cercueil.
-Une odeur fade flottait dans la brise
-d’aurore.</p>
-
-<p>Mais Cice ne comprit rien de
-tout cela. Elle ne voyait qu’une
-chose: la voiture merveilleuse était
-là. Le cocher du prince était coiffé
-d’or. Le coffre lourd était plein des
-joyaux de noces. Ce parfum terrible
-et souverain l’enveloppait de
-royauté.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_165" id="Page_165">[165]</a></span></p>
-
-<p>Et Cice tendit les bras en
-criant:</p>
-
-<p>&mdash;Prince, emmenez-moi, emmenez-moi!</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_166" id="Page_166">[166]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_167" id="Page_167">[167]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="elarge"><i>Morgane</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_168" id="Page_168">[168]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_169" id="Page_169">[169]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">MORGANE</p>
-
-<p class="p2">La princesse Morgane n’aimait
-personne. Elle avait une candeur
-froide, et vivait parmi les fleurs et
-les miroirs. Elle piquait dans ses
-cheveux des roses rouges et se regardait.
-Elle ne voyait aucune jeune
-fille ni aucun jeune homme parce
-qu’elle se mirait dans leurs regards.<span class="pagenum"><a name="Page_170" id="Page_170">[170]</a></span>
-Et la cruauté ou la volupté lui
-étaient inconnues. Ses cheveux noirs
-descendaient autour de son visage
-comme des vagues lentes. Elle désirait
-s’aimer elle-même: mais
-l’image des miroirs avait une frigidité
-calme et lointaine, et l’image
-des étangs était morne et pâle, et
-l’image des rivières fuyait en tremblant.</p>
-
-<p>La princesse Morgane avait lu
-dans les livres l’histoire du miroir
-de Blanche-Neige qui savait parler
-et lui annonça son égorgement, et
-le conte du miroir d’Ilsée, d’où sortit
-une autre Ilsée qui tua Ilsée, et
-l’aventure du miroir nocturne de<span class="pagenum"><a name="Page_171" id="Page_171">[171]</a></span>
-la ville de Milet qui faisait s’étrangler
-les Milésiennes à la nuit levante.
-Elle avait vu la peinture
-mystérieuse où le fiancé a étendu
-un glaive devant sa fiancée, parce
-qu’ils se sont rencontrés eux-mêmes
-dans la brume du soir: car les
-doubles menacent la mort. Mais elle
-ne craignait pas son image, puisque
-jamais elle ne s’était rencontrée,
-sinon candide et voilée, non cruelle
-et voluptueuse, elle-même pour
-elle-même. Et les lames polies d’or
-vert, les lourdes nappes de vif-argent
-ne montraient point Morgane
-à Morgane.</p>
-
-<p>Les prêtres de son pays étaient<span class="pagenum"><a name="Page_172" id="Page_172">[172]</a></span>
-géomanciens et adorateurs du feu.
-Ils disposèrent le sable dans la boîte
-carrée, et y tracèrent les lignes;
-ils calculèrent au moyen de leurs
-talismans de parchemin, ils firent
-le miroir noir avec de l’eau mélangée
-de fumée. Et le soir Morgane
-se rendit vers eux, et elle jeta dans
-le feu trois gâteaux d’offrande.
-«Voici», dit le géomancien; et il
-montra le miroir noir liquide. Morgane
-regarda: et d’abord une vapeur
-claire traîna par la surface,
-puis un cercle coloré bouillonna,
-puis une image s’éleva et courut
-légèrement. C’était une maison
-blanche cubique avec de longues<span class="pagenum"><a name="Page_173" id="Page_173">[173]</a></span>
-fenêtres; et sous la troisième fenêtre
-pendait un grand anneau de bronze.
-Et tout autour de la maison régnait
-le sable gris. «Ceci est l’endroit,
-dit le géomancien, où se trouve le
-véritable miroir; mais notre science
-ne peut le fixer ni l’expliquer.»</p>
-
-<p>Morgane s’inclina et jeta dans le
-feu trois nouveaux gâteaux d’offrande.
-Mais l’image vacilla, et
-s’obscurcit; la maison blanche s’enfonça,
-et Morgane regarda vainement
-le miroir noir.</p>
-
-<p>Et, au jour suivant, Morgane désira
-faire un voyage. Car il lui semblait
-avoir reconnu la couleur morne
-du sable, et elle se dirigea vers l’Occident.<span class="pagenum"><a name="Page_174" id="Page_174">[174]</a></span>
-Son père lui donna une caravane
-choisie, avec des mules à
-clochettes d’argent, et on la portait
-dans une litière dont les parois
-étaient des miroirs précieux.</p>
-
-<p>Ainsi elle traversa la Perse, et
-elle examinait les hôtelleries isolées,
-tant celles qui sont bâties près des
-puits et où passent les troupes de
-voyageurs, que les maisons décriées
-où les femmes chantent la nuit et
-battent des pièces de métal.</p>
-
-<p>Et près des confins du royaume
-de Perse elle vit beaucoup de maisons
-blanches, cubiques, aux fenêtres
-longues; mais l’anneau de
-bronze n’y était point pendu. Et on<span class="pagenum"><a name="Page_175" id="Page_175">[175]</a></span>
-lui dit que l’anneau se trouverait au
-pays chrétien de Syrie, à l’Occident.</p>
-
-<p>Morgane passa les rives plates du
-fleuve qui environne la contrée des
-plaines humides, où croissent des
-forêts de réglisse. Il y avait des
-châteaux creusés dans une seule
-pierre étroite, qui était posée sur
-la pointe extrême; et les femmes
-assises au soleil sur le passage de la
-caravane avaient des torsades de
-crin roux autour du front. Et là vivent
-ceux qui mènent des troupeaux
-de chevaux, et portent des lances
-à pointe d’argent.</p>
-
-<p>Et plus loin est une montagne
-sauvage habitée par des bandits qui<span class="pagenum"><a name="Page_176" id="Page_176">[176]</a></span>
-boivent l’eau-de-vie de blé en l’honneur
-de leurs divinités. Ils adorent
-des pierres vertes de forme étrange,
-et se prostituent les uns aux autres
-parmi des cercles de buissons enflammés.
-Morgane eut horreur d’eux.</p>
-
-<p>Et plus loin est une cité souterraine
-d’hommes noirs qui ne sont
-visités par leurs dieux que pendant
-leur sommeil. Ils mangent les fibres
-du chanvre, et se couvrent le visage
-avec de la poudre de craie. Et ceux
-qui s’enivrent avec le chanvre pendant
-la nuit fendent le cou de ceux
-qui dorment, afin de les envoyer
-vers les divinités nocturnes. Morgane
-eut horreur d’eux.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_177" id="Page_177">[177]</a></span></p>
-
-<p>Et plus loin s’étend le désert de
-sable gris, où les plantes et les
-pierres sont pareilles au sable. Et à
-l’entrée de ce désert Morgane trouva
-l’hôtellerie de l’anneau.</p>
-
-<p>Elle fît arrêter sa litière, et les
-muletiers déchargèrent les mules.
-C’était une maison ancienne, bâtie
-sans l’aide du ciment; et les blocs
-de pierre étaient blanchis par le soleil.
-Mais le maître de l’hôtellerie ne
-put lui parler du miroir: car il ne
-le connaissait point.</p>
-
-<p>Et le soir, après qu’on eut mangé
-les galettes minces, le maître dit à
-Morgane que cette maison de l’anneau
-avait été dans les temps anciens<span class="pagenum"><a name="Page_178" id="Page_178">[178]</a></span>
-la demeure d’une reine cruelle.
-Et elle fut punie de sa cruauté. Car
-elle avait ordonné de couper la tête
-à un homme religieux qui vivait solitaire
-au milieu de l’étendue de
-sable et faisait baigner les voyageurs
-avec de bonnes paroles dans l’eau
-du fleuve. Et aussitôt après cette
-reine périt, avec toute sa race. Et
-la chambre de la reine fut murée
-dans sa maison. Le maître de l’hôtellerie
-montra à Morgane la porte
-bouchée par des pierres.</p>
-
-<p>Puis les voyageurs de l’hôtellerie
-se couchèrent dans les salles carrées
-et sous l’auvent. Mais vers le milieu
-de la nuit, Morgane éveilla ses<span class="pagenum"><a name="Page_179" id="Page_179">[179]</a></span>
-muletiers, et fit enfoncer la porte
-murée. Et elle entra par la brèche
-poussiéreuse, avec un flambeau de
-fer.</p>
-
-<p>Et les gens de Morgane entendirent
-un cri, et suivirent la princesse.
-Elle était agenouillée au milieu de
-la chambre murée, devant un plat
-de cuivre battu rempli de sang, et
-elle le regardait ardemment. Et le
-maître de l’hôtellerie leva les bras:
-car le sang du bassin n’était pas tari
-dans la chambre close depuis que la
-reine cruelle y avait fait placer une
-tête coupée.</p>
-
-<p class="p2">Personne ne sait ce que la princesse<span class="pagenum"><a name="Page_180" id="Page_180">[180]</a></span>
-Morgane vit dans le miroir de
-sang. Mais sur la route du retour
-ses muletiers furent trouvés assassinés,
-un à un, chaque nuit, leur
-face grise tournée vers le ciel, après
-qu’ils avaient pénétré dans sa litière.
-Et on nomma cette princesse Morgane
-la Rouge, et elle fut une fameuse
-prostituée et une terrible
-égorgeuse d’hommes.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_181" id="Page_181">[181]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="p2 elarge"><i>Mandosiane</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_182" id="Page_182">[182]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_183" id="Page_183">[183]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">MANDOSIANE</p>
-
-<p class="p2">Lilly et Nan étaient servantes de
-ferme. Elles portaient l’eau du puits,
-l’été, par le sentier à peine frayé
-dans les blés mûrs; et l’hiver, qu’il
-fait froid, et que les glacillons pendillent
-aux fenêtres, Lilly venait
-coucher avec Nan. Pelotonnées sous
-les couvertures, elles écoutaient le<span class="pagenum"><a name="Page_184" id="Page_184">[184]</a></span>
-vent huer. Elles avaient toujours des
-pièces blanches dans leurs poches,
-et guimpes fines à rubans cerise;
-blondes pareillement, et ricassières.
-Tous les soirs elles mettaient au
-coin de l’âtre un baquet de belle
-eau fraîche; où aussi elles trouvaient,
-disait-on, au saut du lit, les
-pièces d’argent qu’elles faisaient
-sonner dans leurs doigts. Car les
-«pixies» en jetaient au baquet après
-s’y être baignées. Mais Nan, ni
-Lilly, ni personne, n’avait vu de
-«pixies», sinon que, dans les contes
-et ballades, ce sont quelques méchantes
-petites choses noires avec
-des queues tourbillonnantes.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_185" id="Page_185">[185]</a></span></p>
-
-<p>Une nuit, Nan oublia de tirer de
-l’eau; d’autant qu’on était en décembre,
-et que la chaîne rouillée du
-puits était enduite de glace. Comme
-elle dormait, les mains sur les
-épaules de Lilly, soudain elle fut
-pincée aux bras et aux mollets, et
-les cheveux de sa nuque furent
-cruellement tirés. Elle s’éveilla en
-pleurant: «Demain je serai noire
-et bleue!» Et elle dit à Lilly:
-«Serre-moi, serre-moi: je n’ai pas
-mis le baquet de belle eau fraîche;
-mais je ne sortirai pas de mon lit,
-malgré tous les «pixies» du Devonshire.»
-Alors la bonne petite Lilly
-l’embrassa, se leva, tira de l’eau,<span class="pagenum"><a name="Page_186" id="Page_186">[186]</a></span>
-et plaça le baquet au coin de l’âtre.
-Quand elle se recoucha, Nan était
-endormie.</p>
-
-<p class="p2">Et dans son sommeil la petite
-Lilly eut un rêve. Il lui sembla
-qu’une reine, vêtue de feuilles
-vertes, avec une couronne d’or sur
-la tête, s’approchait de son lit, la
-touchait et lui parlait. Elle disait:
-«Je suis la reine Mandosiane; Lilly,
-viens me chercher.» Et elle disait
-encore: «Je suis assise dans une
-prairie d’émeraudes, et le chemin
-qui mène vers moi est de trois couleurs,
-jaune, bleu et vert.» Et elle
-disait: «Je suis la reine Mandosiane;<span class="pagenum"><a name="Page_187" id="Page_187">[187]</a></span>
-Lilly, viens me chercher.»</p>
-
-<p>Puis Lilly enfonça sa tête dans
-l’oreiller noir de la nuit et elle ne
-vit plus rien. Or, le matin, comme
-le coq chantait, il fut impossible à
-Nan de se lever et elle poussait des
-plaintes aiguës, car ses deux jambes
-étaient insensibles et elle ne savait
-les remuer. Dans la journée, les
-médecins la virent et par grande
-consultation décidèrent qu’elle resterait
-sans doute étendue ainsi sans
-jamais plus marcher. Et la pauvre
-Nan sanglotait: car elle ne trouverait
-jamais de mari.</p>
-
-<p>Lilly eut grand’pitié. Épluchant
-les pommes d’hiver, rangeant les<span class="pagenum"><a name="Page_188" id="Page_188">[188]</a></span>
-nèfles, barattant le beurre, essuyant
-le petit-lait à ses mains rougies, elle
-imaginait sans cesse qu’on pourrait
-guérir la pauvre Nan. Et elle avait
-oublié le rêve, lorsqu’un soir où la
-neige tombait dru et qu’on buvait
-de la bière chaude avec des rôties,
-un vieux vendeur de ballades frappa
-à la porte. Toutes les filles de ferme
-sautèrent autour de lui, car il avait
-des gants, des chansons d’amour,
-des rubans, des toiles de Hollande,
-des jarretières, des épingles et des
-coiffes d’or.</p>
-
-<p>&mdash;Voyez la triste histoire, dit-il,
-de la femme de l’usurier, pendant
-douze mois grosse de vingt<span class="pagenum"><a name="Page_189" id="Page_189">[189]</a></span>
-sacs d’écus, aussi prise de l’envie
-bien singulière de manger des têtes
-de vipère à la fricassée et des crapauds
-en carbonade.</p>
-
-<p>«Voyez la ballade du grand
-poisson qui vint sur la côte le
-quatorzième jour d’avril, sortit
-de l’eau plus de quarante brasses,
-et vomit cinq boisseaux d’anneaux
-de mariée tout verdis par la mer.</p>
-
-<p>«Voyez la chanson des trois
-méchantes filles du roi et de celle
-qui versa un verre de sang sur la
-barbe de son père.</p>
-
-<p>«Et j’avais aussi les aventures
-de la reine Mandosiane; mais une
-coquine de bourrasque m’a tiré la<span class="pagenum"><a name="Page_190" id="Page_190">[190]</a></span>
-dernière feuille des mains au tournant
-de la route.»</p>
-
-<p>Aussitôt Lilly reconnut son rêve,
-et elle sut que la reine Mandosiane
-lui ordonnait de venir.</p>
-
-<p>Et la même nuit Lilly embrassa
-doucement Nan, mit ses souliers
-neufs et s’en alla seule par les
-routes. Or le vieux vendeur de ballades
-avait disparu, et sa feuille
-s’était envolée si loin que Lilly ne
-put la trouver; de sorte qu’elle ne
-savait ni ce qu’était la reine Mandosiane,
-ni où elle devait la chercher.</p>
-
-<p>Et personne ne put lui répondre,
-bien qu’elle demandât sur son chemin
-aux vieux laboureurs, qui la<span class="pagenum"><a name="Page_191" id="Page_191">[191]</a></span>
-regardaient encore de loin, en s’abritant
-les yeux avec la main, et
-aux jeunes femmes enceintes qui
-causaient indolemment devant leurs
-portes, et aux enfants qui viennent
-justement de parler, auxquels elle
-baissait les branches des mûriers par
-les haies. Les uns disaient: «Il n’y
-a plus de reines»; les autres:
-«Nous n’avons pas ça par ici; c’est
-dans les vieux temps»; les autres:
-«Est-ce le nom d’un joli garçon?»
-Et d’autres mauvais conduisirent
-Lilly devant une de ces maisons
-des villes qui sont fermées le jour,
-et qui, la nuit, s’ouvrent et s’éclairent,
-disant et affirmant que la reine<span class="pagenum"><a name="Page_192" id="Page_192">[192]</a></span>
-Mandosiane y séjournait, vêtue d’une
-chemise rouge et servie par des
-femmes nues.</p>
-
-<p>Mais Lilly savait bien que la vraie
-reine Mandosiane était vêtue de
-vert, non de rouge, et qu’il lui faudrait
-passer sur un chemin de trois
-couleurs. Ainsi elle connut le mensonge
-des méchants. Cependant elle
-marcha bien longtemps. Certes, elle
-passa l’été de sa vie, trottant par la
-poussière blanche, pataugeant par
-l’épaisse boue des ornières, accompagnée
-par les chariots des rouliers,
-et, parfois, le soir, quand le
-ciel avait une splendide nuance
-rouge, suivie par les grands chars<span class="pagenum"><a name="Page_193" id="Page_193">[193]</a></span>
-où s’entassaient des gerbes et où
-quelques faux luisantes se balançaient.
-Mais personne ne put lui
-parler de la reine Mandosiane.</p>
-
-<p>Afin de ne pas oublier un nom si
-difficile, elle avait fait trois nœuds
-à sa jarretière. Par un midi, étant
-allée loin vers le soleil qui se lève,
-elle entra dans une route jaune
-sinueuse, qui bordait un canal bleu.
-Et le canal fléchissait avec la route,
-et entre les deux un talus vert suivait
-leurs contours. Des bouquets
-d’arbrisseaux croissaient de part et
-d’autre; et aussi loin que l’œil pouvait
-atteindre, on ne voyait que des
-marécages et l’ombre verdoyante.<span class="pagenum"><a name="Page_194" id="Page_194">[194]</a></span>
-Parmi les taches des marais s’élevaient
-de petites huttes coniques et la
-longue route s’enfonçait directement
-dans les nuages sanglants du ciel.</p>
-
-<p>Là elle rencontra un petit garçon,
-dont les yeux étaient drôlement
-fendus, et qui halait le long du
-canal une lourde barque. Elle voulut
-lui demander s’il avait vu la
-reine; mais s’aperçut avec terreur
-qu’elle avait oublié le nom. Lors
-elle s’écria, et pleura, et tâta sa
-jarretière, en vain. Et elle s’écria
-plus fort, voyant qu’elle marchait
-sur la route de trois couleurs, faite
-de poussière jaune, d’un canal bleu,
-et d’un talus vert. De nouveau elle<span class="pagenum"><a name="Page_195" id="Page_195">[195]</a></span>
-toucha les trois nœuds qu’elle avait
-noués, et sanglota. Et le petit garçon,
-pensant qu’elle souffrait et ne
-comprenant point sa douleur, cueillit
-au bord de la route jaune une
-pauvre herbe, qu’il lui mit dans la
-main.</p>
-
-<p>&mdash;La mandosiane guérit, dit-il.</p>
-
-<p class="p2">Voilà comment Lilly trouva sa
-reine vêtue de feuilles vertes.</p>
-
-<p>Elle la serra précieusement, et
-retourna aussitôt sur la longue
-route. Et le voyage de retour fut
-plus lent que l’autre, car Lilly était
-lasse. Il lui parut qu’elle marchait
-depuis des années. Mais elle était<span class="pagenum"><a name="Page_196" id="Page_196">[196]</a></span>
-joyeuse, sachant qu’elle guérirait la
-pauvre Nan.</p>
-
-<p>Elle traversa la mer, où les vagues
-étaient monstrueuses. Enfin elle arriva
-dans le Devon, tenant l’herbe
-entre sa cotte et sa chemise. Et d’abord
-elle ne reconnut pas les arbres;
-et il lui parut que tous les bestiaux
-étaient changés. Et dans la grand’salle
-de la ferme, elle vit une vieille
-femme entourée d’enfants. Courant,
-elle demanda Nan. La vieille, surprise,
-considéra Lilly et dit:</p>
-
-<p>&mdash;Mais Nan est partie depuis
-longtemps, et mariée.</p>
-
-<p>&mdash;Et guérie? demanda joyeusement
-Lilly.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_197" id="Page_197">[197]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Guérie, oui, certes, dit la
-vieille.&mdash;Et toi, pauvre, n’es-tu
-pas Lilly?</p>
-
-<p>&mdash;Oui, dit Lilly; mais quel âge
-puis-je donc avoir?</p>
-
-<p>&mdash;Cinquante ans, n’est-ce pas,
-grand’mère, crièrent les enfants:
-elle n’est pas tout à fait si vieille
-que toi.</p>
-
-<p>Et comme Lilly, lasse, souriait,
-le parfum très fort de la mandosiane
-la fit pâmer, et elle mourut sous le
-soleil. Ainsi Lilly alla chercher la
-reine Mandosiane et fut emportée
-par elle.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_198" id="Page_198">[198]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_199" id="Page_199">[199]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">III</h2>
-
-<p class="pc2 elarge"><i>Monelle</i></p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_200" id="Page_200">[200]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_201" id="Page_201">[201]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="elarge"><i>Rencontre de Monelle</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_202" id="Page_202">[202]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_203" id="Page_203">[203]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">RENCONTRE DE MONELLE</p>
-
-<p class="p2">Je ne sais comment je parvins à
-travers une pluie obscure jusqu’à
-l’étrange étal qui m’apparut dans la
-nuit. J’ignore la ville et j’ignore
-l’année; je me souviens que la saison
-était pluvieuse, très pluvieuse.</p>
-
-<p>Il est certain que dans ce même
-temps des hommes trouvèrent par<span class="pagenum"><a name="Page_204" id="Page_204">[204]</a></span>
-les routes de petits enfants vagabonds
-qui refusaient de grandir. Des
-fillettes de sept ans implorèrent à
-genoux pour que leur âge restât
-immobile, et la puberté semblait
-déjà mortelle. Il y eut des processions
-blanchâtres sous le ciel livide,
-et de petites ombres à peine parlantes
-exhortèrent le peuple puéril.
-Rien n’était désiré par elles qu’une
-ignorance perpétuée. Elles souhaitaient
-se vouer à des jeux éternels.
-Elles désespéraient du travail de la
-vie. Tout n’était que passé pour
-elles.</p>
-
-<p>En ces jours mornes, sous cette
-saison pluvieuse, très pluvieuse,<span class="pagenum"><a name="Page_205" id="Page_205">[205]</a></span>
-j’aperçus les minces lumières filantes
-de la petite vendeuse de lampes.</p>
-
-<p>Je m’approchai sous l’auvent, et la
-pluie me courut sur la nuque tandis
-que je penchais la tête. Et je lui dis:</p>
-
-<p>&mdash;Que vendez-vous donc là, petite
-vendeuse, par cette triste saison de
-pluie?</p>
-
-<p>&mdash;Des lampes, me répondit-elle,
-seulement des lampes allumées.</p>
-
-<p>&mdash;Et en vérité, lui dis-je, que
-sont donc ces lampes allumées,
-hautes comme le petit doigt et qui
-brûlent d’une lumière menue comme
-une tête d’épingle?</p>
-
-<p>&mdash;Ce sont, dit-elle, les lampes de
-cette saison ténébreuse. Et autrefois<span class="pagenum"><a name="Page_206" id="Page_206">[206]</a></span>
-ce furent des lampes de poupée. Mais
-les enfants ne veulent plus grandir.
-Voilà pourquoi je leur vends ces
-petites lampes qui éclairent à peine
-la pluie obscure.</p>
-
-<p>&mdash;Et vivez-vous donc ainsi, lui
-dis-je, petite vendeuse vêtue de noir,
-et mangez-vous par l’argent que
-vous payent les enfants pour vos
-lampes?</p>
-
-<p>&mdash;Oui, dit-elle simplement. Mais
-je gagne bien peu. Car la pluie
-sinistre éteint souvent mes petites
-lampes, au moment où je les tends
-pour les donner. Et quand elles sont
-éteintes, les enfants n’en veulent
-plus. Personne ne peut les rallumer.<span class="pagenum"><a name="Page_207" id="Page_207">[207]</a></span>
-Il ne me reste que celles-ci. Je sais
-bien que je ne pourrai en trouver
-d’autres. Et quand elles seront vendues,
-nous demeurerons dans l’obscurité
-de la pluie.</p>
-
-<p>&mdash;Est-ce donc la seule lumière,
-dis-je encore, de cette morne saison;
-et comment éclairerait-on,
-avec une si petite lampe, les ténèbres
-mouillées?</p>
-
-<p>&mdash;La pluie les éteint souvent,
-dit-elle, et dans les champs ou par
-les rues elles ne peuvent plus servir.
-Mais il faut s’enfermer. Les enfants
-abritent mes petites lampes avec
-leurs mains et s’enferment. Ils s’enferment
-chacun avec sa lampe et un<span class="pagenum"><a name="Page_208" id="Page_208">[208]</a></span>
-miroir. Et elle suffit pour leur montrer
-leur image dans le miroir.</p>
-
-<p>Je regardai quelques instants les
-pauvres flammes vacillantes.</p>
-
-<p>&mdash;Hélas, dis-je, petite vendeuse,
-c’est une triste lumière, et les
-images des miroirs doivent être de
-tristes images.</p>
-
-<p>&mdash;Elles ne sont point si tristes,
-dit l’enfant vêtue de noir en secouant
-la tête, tant qu’elles ne grandissent
-pas. Mais les petites lampes que je
-vends ne sont pas éternelles. Leur
-flamme décroît, comme si elle s’affligeait
-de la pluie obscure. Et quand
-mes petites lampes s’éteignent, les
-enfants ne voient plus la lueur du<span class="pagenum"><a name="Page_209" id="Page_209">[209]</a></span>
-miroir, et se désespèrent. Car ils
-craignent de ne pas savoir l’instant
-où ils vont grandir. Voilà pourquoi
-ils s enfuient en gémissant dans la
-nuit. Mais il ne m’est permis de
-vendre à chaque enfant qu’une seule
-lampe. S’ils essaient d’en acheter
-une seconde, elle s’éteint dans leurs
-mains.</p>
-
-<p>Et je me penchai un peu plus vers
-la petite vendeuse, et je voulus
-prendre une de ses lampes.</p>
-
-<p>&mdash;Oh! il n’y faut pas toucher,
-dit-elle. Vous avez passé l’âge où
-mes lampes brûlent. Elles ne sont
-faites que pour les poupées ou les
-enfants. N’avez-vous point chez<span class="pagenum"><a name="Page_210" id="Page_210">[210]</a></span>
-vous une lampe de grande personne?</p>
-
-<p>&mdash;Hélas! dis-je, par cette saison
-pluvieuse de pluie obscure, dans ce
-morne temps ignoré, il n’est plus
-que vos lampes d’enfant qui brûlent.
-Et je désirais, moi aussi, regarder
-encore une fois la lueur du miroir.</p>
-
-<p>&mdash;Venez, dit-elle, nous regarderons
-ensemble.</p>
-
-<p>Par un petit escalier vermoulu,
-elle me conduisit dans une chambre
-de bois simple où il y avait un éclat
-de miroir au mur.</p>
-
-<p>&mdash;Chut, dit-elle, et je vous montrerai.
-Car ma propre lampe est plus
-claire et plus puissante que les autres;<span class="pagenum"><a name="Page_211" id="Page_211">[211]</a></span>
-et je ne suis pas trop pauvre parmi
-ces pluvieuses ténèbres. Et elle leva
-sa petite lampe vers le miroir.</p>
-
-<p>Alors il y eut un pâle reflet où je
-vis circuler des histoires connues.
-Mais la petite lampe mentait, mentait,
-mentait. Je vis la plume se
-soulever sur les lèvres de Cordelia;
-et elle souriait, et guérissait; et avec
-son vieux père elle vivait dans une
-grande cage comme un oiseau, et
-elle baisait sa barbe blanche. Je vis
-Ophélie jouer sur l’eau vitrée de
-l’étang, et attacher au cou d’Hamlet
-ses bras humides enguirlandés de
-violettes. Je vis Desdémone réveillée
-errer sous les saules. Je vis la princesse<span class="pagenum"><a name="Page_212" id="Page_212">[212]</a></span>
-Maleine ôter ses deux mains
-des yeux du vieux roi, et rire, et
-danser. Je vis Mélisande, délivrée,
-se mirer dans la fontaine.</p>
-
-<p>Et je m’écriai: Petite lampe
-menteuse ...</p>
-
-<p>&mdash;Chut! dit la petite vendeuse
-de lampes, et me mit la main sur les
-lèvres. Il ne faut rien dire. La
-pluie n’est-elle pas assez obscure?</p>
-
-<p class="p2">Alors je baissai la tête et je m’en
-allai vers la nuit pluvieuse dans la
-ville inconnue.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_213" id="Page_213">[213]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="p2 elarge"><i>Monelle</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_214" id="Page_214">[214]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_215" id="Page_215">[215]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">MONELLE</p>
-
-<p class="p2">Je ne sais pas où Monelle me prit
-par la main. Mais je pense que ce
-fut dans une soirée d’automne,
-quand la pluie est déjà froide.</p>
-
-<p>&mdash;Viens jouer avec nous, dit-elle.</p>
-
-<p>Monelle portait dans son tablier
-des vieilles poupées et des volants<span class="pagenum"><a name="Page_216" id="Page_216">[216]</a></span>
-dont les plumes étaient fripées et
-les galons ternis.</p>
-
-<p>Sa figure était pâle et ses yeux
-riaient.</p>
-
-<p>&mdash;Viens jouer, dit-elle. Nous ne
-travaillons plus, nous jouons.</p>
-
-<p>Il y avait du vent et de la boue.
-Les pavés luisaient. Tout le long des
-auvents de boutique l’eau tombait,
-goutte à goutte. Des filles frissonnaient
-sur le seuil des épiceries.
-Les chandelles allumées semblaient
-rouges.</p>
-
-<p>Mais Monelle tira de sa poche un
-dé de plomb, un petit sabre d’étain,
-une balle de caoutchouc.</p>
-
-<p>&mdash;Tout cela est pour eux, dit-elle.<span class="pagenum"><a name="Page_217" id="Page_217">[217]</a></span>
-C’est moi qui sors pour acheter
-les provisions.</p>
-
-<p>&mdash;Et quelle maison avez-vous
-donc, et quel travail, et quel argent,
-petite ...</p>
-
-<p>&mdash;Monelle, dit la fillette en me
-serrant la main. Ils m’appellent Monelle.
-Notre maison est une maison
-où on joue: nous avons chassé le
-travail, et les sous que nous avons
-encore nous avaient été donnés pour
-acheter des gâteaux. Tous les jours
-je vais chercher des enfants dans la
-rue, et je leur parle de notre maison,
-et je les amène. Et nous nous
-cachons bien pour qu’on ne nous
-trouve pas. Les grandes personnes<span class="pagenum"><a name="Page_218" id="Page_218">[218]</a></span>
-nous forceraient à rentrer et nous
-prendraient tout ce que nous avons.
-Et nous, nous voulons rester ensemble
-et jouer.</p>
-
-<p>&mdash;Et à quoi jouez-vous, petite
-Monelle?</p>
-
-<p>&mdash;Nous jouons à tout. Ceux qui
-sont grands se font des fusils et des
-pistolets; et les autres jouent à la
-raquette, sautent à la corde, se jettent
-la balle; ou les autres dansent des
-rondes et se prennent les mains; ou
-les autres dessinent sur les vitres
-les belles images qu’on ne voit
-jamais et soufflent des bulles de
-savon; ou les autres habillent leurs
-poupées et les mènent promener, et<span class="pagenum"><a name="Page_219" id="Page_219">[219]</a></span>
-nous comptons sur les doigts des
-tout petits pour les faire rire.</p>
-
-<p class="p2">La maison où Monelle me conduisit
-paraissait avoir des fenêtres
-murées. Elle s’était détournée de la
-rue, et toute sa lumière venait d’un
-profond jardin. Et déjà là j’entendis
-des voix heureuses.</p>
-
-<p>Trois enfants vinrent sauter autour
-de nous.</p>
-
-<p>&mdash;Monelle, Monelle! criaient-ils,
-Monelle est revenue!</p>
-
-<p>Ils me regardèrent et murmurèrent:</p>
-
-<p>&mdash;Comme il est grand! Est-ce
-qu’il jouera, Monelle?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_220" id="Page_220">[220]</a></span></p>
-
-<p>Et la fillette leur dit:</p>
-
-<p>&mdash;Bientôt les grandes personnes
-viendront avec nous. Elles iront
-vers les petits enfants. Elles apprendront
-à jouer. Nous leur ferons la
-classe, et dans notre classe on ne
-travaillera jamais. Avez-vous faim?</p>
-
-<p>Des voix crièrent:</p>
-
-<p>&mdash;Oui, oui, oui il faut faire la
-dînette.</p>
-
-<p>Alors furent apportées des petites
-tables rondes, et des serviettes
-grandes comme des feuilles de lilas,
-et des verres profonds comme des
-dés à coudre, et des assiettes creuses
-comme des coquilles de noix. Le
-repas fut de chocolat et de sucre en<span class="pagenum"><a name="Page_221" id="Page_221">[221]</a></span>
-miettes; et le vin ne pouvait pas
-couler dans les verres, car les
-petites fioles blanches, longues
-comme le petit doigt, avaient le
-cou trop mince.</p>
-
-<p>La salle était vieille et haute. Partout
-brûlaient des petites chandelles
-vertes et roses dans les chandeliers
-d’étain minuscules. Contre les murs,
-les petites glaces rondes paraissaient
-des pièces de monnaie changées
-en miroirs. On ne reconnaissait
-les poupées d’entre les enfants
-que par leur immobilité. Car elles
-restaient assises dans leurs fauteuils,
-ou se coiffaient, les bras levés,
-devant de petites toilettes, ou elles<span class="pagenum"><a name="Page_222" id="Page_222">[222]</a></span>
-étaient déjà couchées, le drap ramené
-jusqu’au menton, dans leurs
-petits lits de cuivre. Et le sol était
-jonché de la fine mousse verte
-qu’on met dans les bergeries de
-bois.</p>
-
-<p>Il semblait que cette maison fût
-une prison ou un hôpital. Mais
-une prison où on enfermait des
-innocents pour les empêcher de
-souffrir, un hôpital où on guérissait
-du travail de la vie. Et Monelle
-était la geôlière et l’infirmière.</p>
-
-<p class="p2">La petite Monelle regardait jouer
-les enfants. Mais elle était très pâle.
-Peut-être avait-elle faim.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_223" id="Page_223">[223]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;De quoi vivez-vous, Monelle,
-lui dis-je tout à coup.</p>
-
-<p>Et elle me répondit simplement:</p>
-
-<p>&mdash;Nous ne vivons de rien. Nous
-ne savons pas.</p>
-
-<p>Aussitôt elle se prit à rire. Mais
-elle était très faible.</p>
-
-<p>Et elle s’assit au pied du lit d’un
-enfant qui était malade. Elle lui
-tendit une des petites bouteilles
-blanches, et resta longtemps penchée,
-les lèvres entr’ouvertes.</p>
-
-<p class="p2">Il y avait des enfants qui dansaient
-une ronde et qui chantaient à voix
-claire. Monelle leva un peu la main,
-et dit:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_224" id="Page_224">[224]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Chut!</p>
-
-<p>Puis elle parla doucement, avec
-ses petites paroles. Elle dit:</p>
-
-<p>&mdash;Je crois que je suis malade.
-Ne vous en allez pas. Jouez autour
-de moi. Demain, une autre ira
-chercher de beaux jouets. Je resterai
-avec vous. Nous nous amuserons
-sans faire de bruit. Chut! Plus
-tard nous jouerons dans les rues et
-dans les champs, et on nous donnera
-à manger dans toutes les boutiques.
-Maintenant on nous forcerait
-à vivre comme les autres. Il
-faut attendre. Nous aurons beaucoup
-joué.</p>
-
-<p>Monelle dit encore:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_225" id="Page_225">[225]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Aimez-moi bien. Je vous aime
-tous.</p>
-
-<p>Puis elle parut s’endormir près
-de l’enfant malade.</p>
-
-<p>Tous les autres enfants la regardaient,
-la tête avancée.</p>
-
-<p>Il y eut une petite voix tremblante
-qui dit faiblement: «Monelle
-est morte.» Et il se fit un
-grand silence.</p>
-
-<p class="p2">Les enfants apportèrent autour du
-lit les petites chandelles allumées.
-Et, pensant qu’elle dormait peut-être,
-ils rangèrent devant elle,
-comme pour une poupée, de petits
-arbres vert-clair taillés en pointe et<span class="pagenum"><a name="Page_226" id="Page_226">[226]</a></span>
-les placèrent parmi les moutons de
-bois blanc pour la regarder. Ensuite
-ils s’assirent et la guettèrent. Un
-peu de temps après, l’enfant malade,
-sentant que la joue de Monelle
-devenait froide, se mit à pleurer.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_227" id="Page_227">[227]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="p2 elarge"><i>Fuite de Monelle</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_228" id="Page_228">[228]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_229" id="Page_229">[229]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">FUITE DE MONELLE</p>
-
-<p class="p2">Il y avait un enfant qui avait eu
-coutume de jouer avec Monelle.
-C’était au temps ancien, quand
-Monelle n’était pas encore partie.
-Toutes les heures du jour, il les passait
-auprès d’elle, regardant trembler
-ses yeux. Elle riait sans cause
-et il riait sans cause. Quand elle dormait,<span class="pagenum"><a name="Page_230" id="Page_230">[230]</a></span>
-ses lèvres entr’ouvertes étaient
-en travail de bonnes paroles. Quand
-elle s’éveillait, elle se souriait,
-sachant qu’il allait venir.</p>
-
-<p>Ce n’était pas un véritable jeu
-qu’on jouait: car Monelle était
-obligée de travailler. Si petite, elle
-restait assise tout le jour derrière
-une vieille vitre pleine de poussière.
-La muraille d’en face était aveuglée
-de ciment, sous la triste lumière du
-nord. Mais les petits doigts de Monelle
-couraient dans le linge, comme
-s’ils trottaient sur une route de toile
-blanche et les épingles piquées sur
-ses genoux marquaient les relais.
-La main droite était ramassée comme<span class="pagenum"><a name="Page_231" id="Page_231">[231]</a></span>
-un petit chariot de chair, et elle avançait,
-laissant derrière elle un sillon
-ourlé; et crissant, crissant, l’aiguille
-dardait sa langue d’acier, plongeait
-et émergeait, tirant le long fil par
-son œil d’or. Et la main gauche était
-bonne à voir, parce qu’elle caressait
-doucement la toile neuve, et la soulageait
-de tous ses plis, comme si
-elle avait bordé en silence les draps
-frais d’un malade.</p>
-
-<p>Ainsi l’enfant regardait Monelle
-et se réjouissait sans parler, car son
-travail semblait un jeu, et elle lui
-disait des choses simples qui n’avaient
-point beaucoup de sens. Elle riait
-au soleil, elle riait à la pluie, elle<span class="pagenum"><a name="Page_232" id="Page_232">[232]</a></span>
-riait à la neige. Elle aimait être
-chauffée, mouillée, gelée. Si elle
-avait de l’argent, elle riait, pensant
-qu’elle irait danser avec une robe
-nouvelle. Si elle était misérable, elle
-riait, pensant qu’elle mangerait des
-haricots, une grosse provision pour
-une semaine. Et elle songeait, ayant
-des sous, à d’autres enfants qu’elle
-ferait rire; et elle attendait, sa petite
-main vide, de pouvoir se pelotonner
-et se nicher dans sa faim et sa pauvreté.</p>
-
-<p>Elle était toujours entourée d’enfants
-qui la considéraient avec des
-yeux élargis. Mais elle préférait peut-être
-l’enfant qui venait passer près<span class="pagenum"><a name="Page_233" id="Page_233">[233]</a></span>
-d’elle les heures du jour. Cependant
-elle partit et le laissa seul. Elle ne
-lui parla jamais de son départ, sinon
-qu’elle devint plus grave, et le
-regarda plus longtemps. Et il se
-souvint aussi qu’elle cessa d’aimer
-tout ce qui l’entourait: son petit
-fauteuil, les bêtes peintes qu’on lui
-apportait, et tous ses jouets, et tous
-ses chiffons. Et elle rêvait, le doigt
-sur la bouche, à d’autres choses.</p>
-
-<p>Elle partit dans un soir de décembre,
-quand l’enfant n’était pas là.
-Portant à la main sa petite lampe
-haletante, elle entra, sans se retourner,
-dans les ténèbres. Comme l’enfant
-arrivait, il aperçut encore à<span class="pagenum"><a name="Page_234" id="Page_234">[234]</a></span>
-l’extrémité noire de la rue étroite
-une courte flamme qui soupirait. Ce
-fut tout. Il ne revit jamais Monelle.</p>
-
-<p class="p2">Longtemps il se demanda pourquoi
-elle était partie sans rien dire.
-Il pensa qu’elle n’avait pas voulu être
-triste de sa tristesse. Il se persuada
-qu’elle était allée vers d’autres
-enfants, qui avaient besoin d’elle.
-Avec sa petite lampe agonisante,
-elle était allée leur porter secours, le
-secours d’une flammèche rieuse dans
-la nuit. Peut-être avait-elle songé
-qu’il ne fallait pas l’aimer trop lui seul,
-afin de pouvoir aimer aussi d’autres
-petits inconnus. Peut-être l’aiguille<span class="pagenum"><a name="Page_235" id="Page_235">[235]</a></span>
-avec son œil d’or ayant tiré le petit
-chariot de chair jusqu’au bout, jusqu’à
-l’extrême bout du sillon ourlé,
-Monelle était-elle devenue lasse de
-la route écrue de toile où trottaient
-ses mains. Sans doute elle avait
-voulu jouer éternellement. Et l’enfant
-n’avait point su le moyen du
-jeu éternel. Peut-être avait-elle
-désiré enfin voir ce qu’il y avait
-derrière la vieille muraille aveugle,
-dont tous les yeux étaient fermés,
-depuis les années, avec du ciment.
-Peut-être qu’elle allait revenir. Au
-lieu de dire «au revoir,&mdash;attends-moi,&mdash;sois
-sage!» pour qu’il épiât
-le bruit de petits pas dans le corridor<span class="pagenum"><a name="Page_236" id="Page_236">[236]</a></span>
-et le cliquètement de toutes les clés
-dans les serrures, elle s’était tue, et
-viendrait, par surprise, dans son dos,
-mettre deux menottes tièdes sur ses
-yeux&mdash;ah oui!&mdash;et crierait: «coucou!»
-avec la voix de l’oisillon revenu
-près du feu.</p>
-
-<p class="p2">Il se rappela le premier jour qu’il
-la vit, sautillant comme une frêle
-blancheur flamboyante toute secouée
-de rire. Et ses yeux étaient des yeux
-d’eau où les pensées se mouvaient
-comme des ombres de plantes. Là,
-au détour de la rue, elle était venue,
-bonnement. Elle avait ri, avec des
-éclats lents et plus lents, semblables<span class="pagenum"><a name="Page_237" id="Page_237">[237]</a></span>
-à la vibration cessante d’une coupe
-de cristal. C’était au crépuscule
-d’hiver, et il y avait du brouillard;
-cette boutique était ouverte&mdash;ainsi.
-Le même soir, les mêmes choses
-autour, le même bourdon aux
-oreilles: l’année différente et l’attente.
-Il avançait avec précaution;
-toutes les choses étaient pareilles,
-comme la première fois; mais il
-l’attendait: n’était-ce pas une raison
-pour qu’elle vînt? Et il tendait sa
-pauvre main ouverte à travers le
-brouillard.</p>
-
-<p class="p2">Cette fois, Monelle ne sortit pas
-de l’inconnu. Aucun petit rire<span class="pagenum"><a name="Page_238" id="Page_238">[238]</a></span>
-n’agita la brume. Monelle était loin,
-et ne se souvenait plus du soir ni
-de l’année. Qui sait? Elle s’était
-glissée peut-être à la nuit dans la
-chambrette inhabitée, et le guettait
-derrière la porte avec un tressaillement
-doux. L’enfant marcha sans
-bruit, pour la surprendre. Mais elle
-n’était plus là. Elle allait revenir,&mdash;oh!
-oui,&mdash;elle allait revenir.
-Les autres enfants avaient eu assez
-de bonheur d’elle. C’était à son
-tour, maintenant. L’enfant entendit
-sa voix malicieuse murmurant:
-«Je suis sage aujourd’hui!» Petite
-parole disparue, lointaine, effacée
-comme une ancienne teinte,<span class="pagenum"><a name="Page_239" id="Page_239">[239]</a></span>
-usée déjà par les échos du souvenir.</p>
-
-<p class="p2">L’enfant s’assit patiemment. Là
-était le petit fauteuil d’osier, marqué
-de son corps, et le tabouret
-qu’elle aimait, et la petite glace plus
-chérie parce qu’elle était cassée, et
-la dernière chemisette qu’elle avait
-cousue, la chemisette «qui s’appelait
-Monelle», dressée, un peu gonflée,
-attendant sa maîtresse.</p>
-
-<p>Toutes les petites choses de la
-chambre l’attendaient. La table à
-ouvrage était restée ouverte. Le
-petit mètre dans sa boîte ronde
-allongeait sa langue verte, percée<span class="pagenum"><a name="Page_240" id="Page_240">[240]</a></span>
-d’un anneau. La toile dépliée des
-mouchoirs se soulevait en petites
-collines blanches. Les pointes des
-aiguilles se dressaient derrière, semblables
-à des lances embusquées.
-Le petit dé de fer ouvragé était un
-chapeau d’armes abandonné. Les
-ciseaux ouvraient indolemment la
-gueule comme un dragon d’acier.
-Ainsi tout dormait dans l’attente.
-Le petit chariot de chair, souple et
-agile, ne circulait plus, versant sur
-ce monde enchanté sa tiède chaleur.
-Tout l’étrange petit château de travail
-sommeillait. L’enfant espérait.
-La porte allait s’ouvrir, doucement;
-la flammèche rieuse volèterait; les<span class="pagenum"><a name="Page_241" id="Page_241">[241]</a></span>
-collines blanches s’étaleraient; les
-fines lances se choqueraient; le
-chapeau d’armes retrouverait sa
-tête rose; le dragon d’acier claquerait
-rapidement de la gueule, et le
-petit chariot de chair trottinerait
-partout, et la voix effacée dirait
-encore: «Je suis sage aujourd’hui!»&mdash;Est-ce
-que les miracles
-n’arrivent pas deux fois?</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_242" id="Page_242">[242]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_243" id="Page_243">[243]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="elarge"><i>Patience de Monelle</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_244" id="Page_244">[244]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_245" id="Page_245">[245]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">PATIENCE DE MONELLE</p>
-
-<p class="p2">J’arrivai dans un lieu très étroit
-et obscur, mais parfumé d’une odeur
-triste de violettes étouffées. Et il
-n’y avait nul moyen d’éviter cet
-endroit, qui est comme un long
-passage. Et, tâtonnant autour de
-moi, je touchai un petit corps ramassé
-comme jadis dans le sommeil,<span class="pagenum"><a name="Page_246" id="Page_246">[246]</a></span>
-et je frôlai des cheveux, et je passai
-la main sur une figure que je connaissais,
-et il me parut que la petite
-figure se fronçait sous mes doigts,
-et je reconnus que j’avais trouvé
-Monelle qui dormait seule en ce lieu
-obscur.</p>
-
-<p>Je m’écriai de surprise, et je lui
-dis, car elle ne pleurait ni ne
-riait:</p>
-
-<p>&mdash;O Monelle! es-tu donc venue
-dormir ici, loin de nous, comme une
-patiente gerboise dans le creux du
-sillon?</p>
-
-<p>Et elle élargit ses yeux et entr’ouvrit
-ses lèvres, comme autrefois,
-lorsqu’elle ne comprenait point, et<span class="pagenum"><a name="Page_247" id="Page_247">[247]</a></span>
-qu’elle implorait l’intelligence de
-celui qu’elle aimait.</p>
-
-<p>&mdash;O Monelle, dis-je encore, tous
-les enfants pleurent dans la maison
-vide; et les jouets se couvrent de
-poussière, et la petite lampe s’est
-éteinte, et tous les rires qui étaient
-dans tous les coins se sont enfuis, et
-le monde est retourné au travail.
-Mais nous te pensions ailleurs. Nous
-pensions que tu jouais loin de nous,
-en un lieu où nous ne pouvons
-parvenir. Et voici que tu dors, nichée
-comme un petit animal sauvage,
-au-dessous de la neige que tu
-aimais pour sa blancheur.</p>
-
-<p>Alors elle parla, et sa voix était<span class="pagenum"><a name="Page_248" id="Page_248">[248]</a></span>
-la même, chose étrange, en ce lieu
-obscur, et je ne pus m’empêcher de
-pleurer, et elle essuya mes larmes
-avec ses cheveux, car elle était très
-dénuée.</p>
-
-<p>&mdash;O mon chéri, dit-elle, il ne
-faut point pleurer; car tu as besoin
-de tes yeux pour travailler, tant
-qu’on vivra en travaillant, et les
-temps ne sont pas venus. Et il ne
-faut pas rester en ce lieu froid et
-obscur.</p>
-
-<p>Et je sanglotai alors et lui dis:</p>
-
-<p>&mdash;O Monelle, mais tu craignais
-les ténèbres?</p>
-
-<p>&mdash;Je ne les crains plus, dit-elle.</p>
-
-<p>&mdash;O Monelle, mais tu avais peur<span class="pagenum"><a name="Page_249" id="Page_249">[249]</a></span>
-du froid comme de la main d’un
-mort?</p>
-
-<p>&mdash;Je n’ai plus peur du froid, dit-elle.</p>
-
-<p>&mdash;Et tu es toute seule ici, toute
-seule, étant enfant, et tu pleurais
-quand tu étais seule.</p>
-
-<p>&mdash;Je ne suis plus seule, dit-elle;
-car j’attends.</p>
-
-<p>&mdash;O Monelle, qui attends-tu, dormant
-roulée en ce lieu obscur?</p>
-
-<p>&mdash;Je ne sais pas, dit-elle; mais
-j’attends. Et je suis avec mon attente.</p>
-
-<p>Et je m’aperçus alors que tout
-son petit visage était tendu vers une
-grande espérance.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_250" id="Page_250">[250]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Il ne faut pas rester ici, dit-elle
-encore, en ce lieu froid et obscur,
-mon aimé; retourne vers tes amis.</p>
-
-<p>&mdash;Ne veux-tu point me guider et
-m’enseigner, Monelle, pour que j’aie
-aussi la patience de ton attente? Je
-suis si seul!</p>
-
-<p>&mdash;O mon aimé, dit-elle, je serais
-malhabile à t’enseigner comme autrefois,
-quand j’étais, disais-tu, une
-petite bête; ce sont des choses que
-tu trouveras sûrement par longue et
-laborieuse réflexion, ainsi que je les
-ai vues tout d’un coup pendant que
-je dors.</p>
-
-<p>&mdash;Es-tu nichée ainsi, Monelle,
-sans le souvenir de ta vie passée,<span class="pagenum"><a name="Page_251" id="Page_251">[251]</a></span>
-ou te souviens-tu encore de nous?</p>
-
-<p>&mdash;Comment pourrais-je, mon
-aimé, t’oublier? Car vous êtes dans
-mon attente, contre laquelle je
-dors; mais je ne puis expliquer. Tu
-te rappelles, j’aimais beaucoup la
-terre, et je déracinais les fleurs pour
-les replanter; tu te rappelles, je
-disais souvent: «si j’étais un petit
-oiseau, tu me mettrais dans ta poche,
-quand tu partirais.» O mon aimé, je
-suis ici dans la bonne terre, comme
-une graine noire, et j’attends d’être
-petit oiseau.</p>
-
-<p>&mdash;O Monelle, tu dors avant de
-t’envoler très loin de nous.</p>
-
-<p>&mdash;Non, mon aimé, je ne sais si<span class="pagenum"><a name="Page_252" id="Page_252">[252]</a></span>
-je m’envolerai; car je ne sais rien.
-Mais je suis roulée en ce que j’aimais,
-et je dors contre mon attente.
-Et avant de m’endormir, j’étais une
-petite bête, comme tu disais, car
-j’étais pareille à un vermisseau nu.
-Un jour nous avons trouvé ensemble
-un cocon tout blanc, tout soyeux,
-et qui n’était percé d’aucun trou.
-Méchant, tu l’as ouvert, et il était
-vide. Penses-tu que la petite bête
-ailée n’en était pas sortie? Mais
-personne ne peut savoir comment.
-Et elle avait dormi longtemps. Et
-avant de dormir elle avait été un
-petit ver nu; et les petits vers sont
-aveugles. Figure-toi, mon aimé (ce<span class="pagenum"><a name="Page_253" id="Page_253">[253]</a></span>
-n’est pas vrai, mais voilà comme je
-pense souvent) que j’ai tissé mon
-petit cocon avec ce que j’aimais, la
-terre, les jouets, les fleurs, les enfants,
-les petites paroles, et le souvenir
-de toi, mon aimé; c’est une
-niche blanche et soyeuse, et elle ne
-me paraît pas froide ni obscure. Mais
-elle n’est peut-être pas ainsi pour
-les autres. Et je sais bien qu’elle ne
-s’ouvrira point, et qu’elle restera
-fermée comme le cocon d’autrefois.
-Mais je n’y serai plus, mon aimé.
-Car mon attente est de m’en aller,
-ainsi que la petite bête ailée; personne
-ne peut savoir comment. Et
-où je veux aller, je n’en sais rien;<span class="pagenum"><a name="Page_254" id="Page_254">[254]</a></span>
-mais c’est mon attente. Et les enfants
-aussi, et toi, mon aimé, et le
-jour où on ne travaillera plus sur
-terre sont mon attente. Je suis toujours
-une petite bête, mon aimé; je
-ne sais pas mieux expliquer.</p>
-
-<p>&mdash;Il faut, il faut, dis-je, que tu
-sortes avec moi de ce lieu obscur,
-Monelle; car je sais que tu ne
-penses pas ces choses; et tu t’es
-cachée pour pleurer; et puisque je
-t’ai trouvée enfin toute seule, dormant
-ici, toute seule, attendant ici,
-viens avec moi, viens avec moi, hors
-de ce lieu obscur et étroit.</p>
-
-<p>&mdash;Ne reste pas, ô mon aimé, dit
-Monelle, car tu souffrirais beaucoup;<span class="pagenum"><a name="Page_255" id="Page_255">[255]</a></span>
-et moi, je ne peux venir, car
-la maison que je me suis tissée est
-toute fermée, et ce n’est point ainsi
-que j’en sortirai.</p>
-
-<p>Alors Monelle mit ses bras autour
-de mon cou, et son baiser fut pareil,
-chose étrange, à ceux d’autrefois,
-et voilà pourquoi je pleurai encore,
-et elle essuya mes larmes avec ses
-cheveux.</p>
-
-<p>&mdash;Il ne faut pas pleurer, dit-elle,
-si tu ne veux m’affliger dans mon
-attente; et peut-être n’attendrai-je
-pas si longtemps. Ne sois donc plus
-désolé. Car je te bénis de m’avoir
-aidée à dormir dans ma petite niche
-soyeuse dont la meilleure soie blanche<span class="pagenum"><a name="Page_256" id="Page_256">[256]</a></span>
-est faite de toi, et où je dors
-maintenant, roulée sur moi-même.</p>
-
-<p>Et comme autrefois, dans son
-sommeil, Monelle se pelotonna contre
-l’invisible et me dit: «Je dors,
-mon aimé.»</p>
-
-<p>Ainsi, je la trouvai; mais comment
-serai-je sûr de la retrouver dans ce
-lieu très étroit et obscur?</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_257" id="Page_257">[257]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="p2 elarge"><i>Le royaume de Monelle</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_258" id="Page_258">[258]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_259" id="Page_259">[259]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">LE ROYAUME DE MONELLE</p>
-
-<p class="p2">Je lisais cette nuit-là et mon
-doigt suivait les lignes et les mots;
-mes pensées étaient ailleurs. Et autour
-de moi tombait une pluie noire,
-oblique et acérée. Et le feu de ma
-lampe éclairait les cendres froides
-de l’âtre. Et ma bouche était pleine
-d’un goût de souillure et de scandale;<span class="pagenum"><a name="Page_260" id="Page_260">[260]</a></span>
-car le monde me semblait
-obscur et mes lumières étaient
-éteintes. Et trois fois je m’écriai:</p>
-
-<p>«&mdash;Je voudrais tant d’eau bourbeuse
-pour étancher ma soif d’infamie.</p>
-
-<p>O je suis avec le scandaleux:
-tendez vos doigts vers moi!</p>
-
-<p>Il faut les frapper de boue, car
-ils ne me méprisent point.</p>
-
-<p>Et les sept verres pleins de sang
-m’attendront sur la table et la lueur
-d’une couronne d’or étincellera
-parmi.»</p>
-
-<p>Mais une voix retentit, qui ne
-m’était point étrangère, et le visage
-de celle qui parut ne m’était point<span class="pagenum"><a name="Page_261" id="Page_261">[261]</a></span>
-inconnu. Et elle criait ces paroles:</p>
-
-<p>&mdash;Un royaume blanc! un royaume
-blanc! je connais un royaume
-blanc!</p>
-
-<p>Et je détournai la tête, et lui dis,
-sans surprise:</p>
-
-<p>&mdash;Petite tête menteuse, petite
-bouche qui ment, il n’est plus de rois
-ni de royaumes. Je désire vainement
-un royaume rouge: car le temps
-est passé. Et ce royaume-ci est
-noir, mais ce n’est point un royaume;
-car un peuple de rois ténébreux y
-agitent leurs bras. Et il n’y a nulle
-part dans le monde un royaume
-blanc, ni un roi blanc.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_262" id="Page_262">[262]</a></span></p>
-
-<p>Mais elle cria de nouveau ces
-paroles:</p>
-
-<p>&mdash;Un royaume blanc! un royaume
-blanc! je connais un royaume
-blanc!</p>
-
-<p>Et je voulus lui saisir la main;
-mais elle m’éluda.</p>
-
-<p>&mdash;Ni par la tristesse, dit-elle, ni
-par la violence. Cependant il y a un
-royaume blanc. Viens avec mes
-paroles; écoute.</p>
-
-<p>Et elle demeura silencieuse; et
-je me souvins.</p>
-
-<p>&mdash;Ni par le souvenir, dit-elle.
-Viens avec mes paroles; écoute.</p>
-
-<p>Et elle demeura silencieuse; et
-je m’entendis penser.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_263" id="Page_263">[263]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Ni par la pensée, dit-elle.
-Viens avec mes paroles; écoute.</p>
-
-<p>Et elle demeura silencieuse.</p>
-
-<p>Alors je détruisis en moi la tristesse
-de mon souvenir, et le désir
-de ma violence, et toute mon intelligence
-disparut. Et je restai dans
-l’attente.</p>
-
-<p>&mdash;Voici, dit-elle, et tu verras le
-royaume, mais je ne sais si tu y
-entreras. Car je suis difficile à comprendre,
-sauf pour ceux qui ne
-comprennent pas; et je suis difficile
-à saisir, sauf pour ceux qui ne
-saisissent plus; et je suis difficile à
-reconnaître, sauf pour ceux qui
-n’ont point de souvenir. En vérité,<span class="pagenum"><a name="Page_264" id="Page_264">[264]</a></span>
-voici que tu m’as, et tu ne m’as
-plus. Écoute.</p>
-
-<p>Alors j’écoutai dans mon attente.</p>
-
-<p>Mais je n’entendis rien. Et elle
-secoua la tête et me dit:</p>
-
-<p>&mdash;Tu regrettes ta violence et
-ton souvenir, et la destruction n’en
-est point achevée. Il faut détruire
-pour obtenir le royaume blanc. Confesse-toi
-et tu seras délivré; remets
-entre mes mains ta violence et ton
-souvenir, et je les détruirai; car
-toute confession est une destruction.</p>
-
-<p>Et je m’écriai:</p>
-
-<p>&mdash;Je te donnerai tout, oui, je te
-donnerai tout. Et tu le porteras et tu<span class="pagenum"><a name="Page_265" id="Page_265">[265]</a></span>
-l’anéantiras, car je ne suis plus assez
-fort.</p>
-
-<p>J’ai désiré un royaume rouge.
-Il y avait des rois sanglants qui
-affilaient leurs lames. Des femmes
-aux yeux noircis pleuraient sur des
-jonques chargées d’opium. Plusieurs
-pirates enterraient dans le sable des
-îles des coffres lourds de lingots.
-Toutes les prostituées étaient libres.
-Les voleurs croisaient les routes
-sous le blême de l’aube. Beaucoup
-de filles jeunes se gavaient de gourmandise
-et de luxure. Une troupe
-d’embaumeuses dorait des cadavres
-dans la nuit bleue. Les enfants désiraient
-des amours lointaines et des<span class="pagenum"><a name="Page_266" id="Page_266">[266]</a></span>
-meurtres ignorés. Des corps nus
-jonchaient les dalles des étuves
-chaudes. Toutes choses étaient frottées
-d’épices ardentes et éclairées
-de cierges rouges. Mais ce royaume
-s’est enfoncé sous la terre, et je me
-suis éveillé au milieu des ténèbres.</p>
-
-<p>Et alors j’ai eu un royaume noir
-qui n’est pas un royaume: car il
-est plein de rois qui se croient des
-rois et qui l’obscurcissent de leurs
-œuvres et de leurs commandements.
-Et une sombre pluie le trempe nuit
-et jour. Et j’ai erré longtemps par
-les chemins, jusqu’à la petite lueur
-d’une lampe tremblante qui m’apparut
-au centre de la nuit. La pluie<span class="pagenum"><a name="Page_267" id="Page_267">[267]</a></span>
-mouillait ma tête; mais j’ai vécu
-sous la petite lampe. Celle qui la
-tenait se nommait Monelle, et nous
-avons joué tous deux dans ce
-royaume noir. Mais un soir la
-petite lampe s’est éteinte, et Monelle
-s’est enfuie. Et je l’ai cherchée longtemps
-parmi ces ténèbres: mais je
-ne puis la retrouver. Et ce soir je la
-cherchais dans les livres; mais je
-la cherche en vain. Et je suis perdu
-dans le royaume noir; et je ne
-puis oublier la petite lueur de Monelle.
-Et j’ai dans la bouche un
-goût d’infamie.</p>
-
-<p class="p2">Et sitôt que j’eus parlé, je sentis<span class="pagenum"><a name="Page_268" id="Page_268">[268]</a></span>
-que la destruction s’était faite en
-moi, et mon attente s’éclaira d’un
-tremblement et j’entendis les ténèbres
-et sa voix disait:</p>
-
-<p>&mdash;Oublie toutes choses et toutes
-choses te seront rendues. Oublie Monelle
-et elle te sera rendue. Telle
-est la nouvelle parole. Imite le tout
-petit chien, dont les yeux ne sont
-pas ouverts et qui cherche à tâtons
-une niche pour son museau froid.</p>
-
-<p>Et celle qui me parlait cria:</p>
-
-<p>&mdash;Un royaume blanc! un royaume
-blanc! Je connais un royaume
-blanc!</p>
-
-<p>Et je fus accablé d’oubli, et mes
-yeux s’irradièrent de candeur.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_269" id="Page_269">[269]</a></span></p>
-
-<p>Et celle qui me parlait cria:</p>
-
-<p>&mdash;Un royaume blanc! un royaume
-blanc! Je connais un royaume
-blanc!</p>
-
-<p>Et l’oubli pénétra en moi et la
-place de mon intelligence devint
-profondément candide.</p>
-
-<p>Et celle qui me parlait cria encore:</p>
-
-<p>&mdash;Un royaume blanc! un royaume
-blanc! Je connais un royaume
-blanc! Voici la clef du royaume:
-dans le royaume rouge est un
-royaume noir; dans le royaume
-noir est un royaume blanc; dans le
-royaume blanc ...</p>
-
-<p>&mdash;Monelle, criai-je, Monelle!<span class="pagenum"><a name="Page_270" id="Page_270">[270]</a></span>
-Dans le royaume blanc est Monelle!</p>
-
-<p>Et le royaume parut; mais il
-était muré de blancheur.</p>
-
-<p>Alors je demandai:</p>
-
-<p>&mdash;Et où est la clef du royaume?</p>
-
-<p>Mais celle qui me parlait demeura
-taciturne.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_271" id="Page_271">[271]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h3 class="p2 elarge"><i>Résurrection de Monelle</i></h3>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_272" id="Page_272">[272]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_273" id="Page_273">[273]</a></span></p>
-
-<p class="pc2 elarge">RÉSURRECTION DE MONELLE</p>
-
-<p class="p2">Louvette me conduisit par un sillon
-vert jusqu’à la lisière du champ.
-La terre s’élevait plus loin, et à l’horizon
-une ligne brune coupait le ciel.
-Déjà les nuages enflammés penchaient
-vers le couchant. A la lueur
-incertaine du soir, je distinguai de
-petites ombres errantes.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_274" id="Page_274">[274]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Tout à l’heure, dit-elle, nous
-verrons s’allumer le feu. Et demain,
-ce sera plus loin. Et le jour suivant,
-plus loin. Car ils ne demeurent nulle
-part. Et ils n’allument qu’un feu en
-chaque endroit.</p>
-
-<p>&mdash;Qui sont-ils? demandai-je à
-Louvette?</p>
-
-<p>&mdash;On ne sait pas. Ce sont des
-enfants vêtus de blanc. Il y en
-a qui sont venus de nos villages.
-Et d’autres marchent depuis longtemps.</p>
-
-<p class="p2">Nous vîmes briller une petite
-flamme qui dansait sur la hauteur.</p>
-
-<p>&mdash;Voilà leur feu, dit Louvette.<span class="pagenum"><a name="Page_275" id="Page_275">[275]</a></span>
-Maintenant nous pourrons les trouver.
-Car ils séjournent la nuit où ils
-ont fait leur foyer, et le jour suivant
-ils quittent la contrée.</p>
-
-<p class="p2">Et quand nous arrivâmes à la
-rête où brûlait la flamme, nous
-aperçûmes beaucoup d’enfants blancs
-autour du feu.</p>
-
-<p>Et parmi eux, semblant leur parler
-et les guider, je reconnus la
-petite vendeuse de lampes que j’avais
-rencontrée autrefois dans la cité
-noire et pluvieuse.</p>
-
-<p class="p2">Elle se leva d’entre les enfants,
-et me dit:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_276" id="Page_276">[276]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Je ne vends plus les petites
-lampes menteuses qui s’éteignaient
-sous la pluie morne.</p>
-
-<p>Car les temps sont venus où
-le mensonge a pris la place de la
-vérité, où le travail misérable a
-péri.</p>
-
-<p>Nous avons joué dans la maison
-de Monelle; mais les lampes
-étaient des jouets et la maison un
-asile.</p>
-
-<p>Monelle est morte; je suis la
-même Monelle, et je me suis levée
-dans la nuit, et les petits sont venus
-avec moi, et nous irons à travers le
-monde.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_277" id="Page_277">[277]</a></span></p>
-
-<p>Elle se tourna vers Louvette:</p>
-
-<p>&mdash;Viens avec nous, dit-elle,
-et sois heureuse dans le mensonge.</p>
-
-<p>Et Louvette courut parmi les enfants
-et fut vêtue pareillement de
-blanc.</p>
-
-<p class="p2">&mdash;Nous allons, reprit celle qui
-nous guidait, et nous mentons à
-tout venant afin de donner de la
-joie.</p>
-
-<p>Nos jouets étaient des mensonges,
-et maintenant les choses sont nos
-jouets.</p>
-
-<p>Parmi nous, personne ne souffre
-et personne ne meurt: nous disons<span class="pagenum"><a name="Page_278" id="Page_278">[278]</a></span>
-que ceux-là s’efforcent de connaître
-la triste vérité, qui n’existe nullement.
-Ceux qui veulent connaître la
-vérité s’écartent et nous abandonnent.</p>
-
-<p>Au contraire, nous n’avons aucune
-foi dans les vérités du monde;
-car elles conduisent à la tristesse.</p>
-
-<p>Et nous voulons mener nos enfants
-vers la joie.</p>
-
-<p>Maintenant les grandes personnes
-pourront venir vers nous, et nous
-leur enseignerons l’ignorance et
-l’illusion.</p>
-
-<p>Nous leur montrerons les petites
-fleurs des champs, telles qu’ils ne<span class="pagenum"><a name="Page_279" id="Page_279">[279]</a></span>
-les ont point vues; car chacune est
-nouvelle.</p>
-
-<p>Et nous nous étonnerons de tout
-pays que nous verrons; car tout
-pays est nouveau.</p>
-
-<p>Il n’y a point de ressemblances en
-ce monde, et il n’y a point de souvenirs
-pour nous.</p>
-
-<p>Tout change sans cesse, et nous
-nous sommes accoutumés au changement.</p>
-
-<p>Voilà pourquoi nous allumons
-un feu chaque soir dans un endroit
-différent; et autour du feu nous inventons
-pour le plaisir de l’instant
-les histoires des pygmées et des
-poupées vivantes.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_280" id="Page_280">[280]</a></span></p>
-
-<p>Et quand la flamme s’est éteinte,
-un autre mensonge nous saisit; et
-nous sommes joyeux de nous en
-étonner.</p>
-
-<p>Et le matin nous ne connaissons
-plus nos visages: car peut-être que
-les uns ont désiré apprendre la vérité
-et les autres ne se souviennent
-plus que du mensonge de la
-veille.</p>
-
-<p>Ainsi nous passons à travers les
-contrées, et on vient vers nous en
-foule et ceux qui nous suivent deviennent
-heureux.</p>
-
-<p>Alors que nous vivions dans la
-ville, on nous contraignait au même
-travail, et nous aimions les mêmes<span class="pagenum"><a name="Page_281" id="Page_281">[281]</a></span>
-personnes; et le même travail nous
-lassait, et nous nous désolions de
-voir les personnes que nous aimions
-souffrir et mourir.</p>
-
-<p>Et notre erreur était de nous arrêter
-ainsi dans la vie, et, restant
-immobiles, de regarder couler toutes
-choses, ou d’essayer d’arrêter la
-vie et de nous construire une demeure
-éternelle parmi les ruines
-flottantes.</p>
-
-<p>Mais les petites lampes menteuses
-nous ont éclairé le chemin
-du bonheur.</p>
-
-<p>Les hommes cherchent leur joie
-dans le souvenir, et résistent à l’existence,
-et s’enorgueillissent de la<span class="pagenum"><a name="Page_282" id="Page_282">[282]</a></span>
-vérité du monde, qui n’est plus vraie,
-étant devenue vérité.</p>
-
-<p>Ils s’affligent de la mort, qui n’est
-pourtant que l’image de leur science
-et de leurs lois immuables; ils se
-désolent d’avoir mal choisi dans
-l’avenir qu’ils ont calculé suivant des
-vérités passées, où ils choisissent
-avec des désirs passés.</p>
-
-<p>Pour nous, tout désir est nouveau
-et nous ne désirons que le moment
-menteur; tout souvenir est vrai, et
-nous avons renoncé à connaître la
-vérité.</p>
-
-<p>Et nous regardons le travail
-comme funeste, puisqu’il arrête notre
-vie et la rend semblable à elle-même.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_283" id="Page_283">[283]</a></span></p>
-
-<p>Et toute habitude nous est pernicieuse;
-car elle nous empêche de
-nous offrir entièrement aux mensonges
-nouveaux.</p>
-
-<p class="p2">Telles furent les paroles de celle
-qui nous guidait.</p>
-
-<p>Et je suppliai Louvette de revenir
-avec moi chez ses parents; mais
-je vis bien dans ses yeux qu’elle ne
-me reconnaissait plus.</p>
-
-<p class="p2">Toute la nuit je vécus dans
-un univers de songes et de mensonges
-et j’essayai d’apprendre l’ignorance
-et l’illusion et l’étonnement
-de l’enfant nouveau-né.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_284" id="Page_284">[284]</a></span></p>
-
-<p>Puis les petites flammes dansantes
-s’affaissèrent.</p>
-
-<p>Alors, dans la triste nuit, j’aperçus
-des enfants candides qui pleuraient,
-n’ayant pas encore perdu la
-mémoire.</p>
-
-<p>Et d’autres furent pris soudainement
-par la frénésie du travail, et ils
-coupaient des épis et les liaient en
-gerbes dans l’ombre.</p>
-
-<p>Et d’autres, ayant voulu connaître
-la vérité, tournèrent leurs petites
-figures pâles vers les cendres froides,
-et moururent frissonnants dans leurs
-robes blanches.</p>
-
-<p class="p2">Mais quand le ciel rose palpita,<span class="pagenum"><a name="Page_285" id="Page_285">[285]</a></span>
-celle qui nous guidait se leva et
-ne se souvint pas de nous, ni de
-ceux qui avaient voulu connaître
-la vérité, et elle se mit en marche,
-et beaucoup d’enfants blancs la suivirent.</p>
-
-<p>Et leur bande était joyeuse et
-ils riaient doucement de toutes
-choses.</p>
-
-<p>Et lorsque le soir arriva, ils bâtirent
-de nouveau leur feu de
-paille.</p>
-
-<p>Et de nouveau les flammes s’abaissèrent,
-et vers le milieu de la nuit
-les cendres devinrent froides.</p>
-
-<p class="p2">Alors Louvette se souvint, et elle<span class="pagenum"><a name="Page_286" id="Page_286">[286]</a></span>
-préféra aimer et souffrir, et elle vint
-près de moi avec sa robe blanche,
-et nous nous enfuîmes tous deux à
-travers la campagne.</p>
-</div>
-
-</div>
-
-
-
-
-
-
-
-<pre>
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Le livre de Monelle, by Marcel Schwob
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE LIVRE DE MONELLE ***
-
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-Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works.
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-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
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