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-The Project Gutenberg EBook of Chronique du crime et de l'innocence, t. 4/8, by
-Jean-Baptiste Joseph Champagnac
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-
-
-Title: Chronique du crime et de l'innocence, t. 4/8
- Recueil des événements les plus tragiques;..
-
-Author: Jean-Baptiste Joseph Champagnac
-
-Release Date: June 30, 2016 [EBook #52443]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CHRONIQUE DU CRIME ***
-
-
-
-
-Produced by Clarity, Isabelle Kozsuch and the Online
-Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
-file was produced from images generously made available
-by The Internet Archive/American Libraries.)
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-Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le
-typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été
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-courante: vo (verso), ro (recto), Fo (Folio) , fo (folio), Fos
-(Folios).
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-
-
- CHRONIQUES
-
- DE
-
- J. FROISSART
-
-
-
-
- IMPRIMERIE GÉNÉRALE.--LAHURE
- Rue de Fleurus, 9, à Paris
-
-
-
-
- CHRONIQUES
-
- DE
-
- J. FROISSART
-
- PUBLIÉES POUR LA SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DE FRANCE
-
- PAR SIMÉON LUCE
-
- TOME DEUXIÈME
-
- 1340-1342
-
- (DEPUIS LES PRÉLIMINAIRES DU SIÉGE DE TOURNAY JUSQU'AU VOYAGE
- DE LA COMTESSE DE MONTFORT EN ANGLETERRE)
-
- LOGO
-
- A PARIS
- CHEZ MME VE JULES RENOUARD
- LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DE FRANCE
- RUE DE TOURNON, No 6
-
- M DCCC LXX
-
-
-
-
-EXTRAIT DU RÈGLEMENT.
-
-ART. 14. Le Conseil désigne les ouvrages à publier, et choisit les
-personnes les plus capables d'en préparer et d'en suivre la
-publication.
-
-Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commissaire responsable
-chargé d'en surveiller l'exécution.
-
-Le nom de l'Éditeur sera placé en tête de chaque volume.
-
-Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société sans
-l'autorisation du Conseil, et s'il n'est accompagné d'une déclaration
-du Commissaire responsable, portant que le travail lui a paru mériter
-d'être publié.
-
-
-_Le Commissaire responsable soussigné déclare que le tome II de
-l'Édition des_ CHRONIQUES DE J. FROISSART, _préparée par_ M. SIMÉON
-LUCE, _lui a paru digne d'être publié par la_ SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DE
-FRANCE.
-
- _Fait à Paris, le_ 1er _mai_ 1870.
-
- _Signé_ L. DELISLE.
-
- _Certifié_,
-
- Le Secrétaire de la Société de l'Histoire de France,
-
- J. DESNOYERS.
-
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-
-SOMMAIRE.
-
-
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-
-SOMMAIRE.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXXIV.
-
- 1340. OUVERTURE DES HOSTILITÉS ENTRE LES ROIS DE FRANCE ET
- D'ANGLETERRE (§§ 99 à 101).
-
-
-Irrité de la destruction d'Aubenton et du ravage de la Thiérache,
-Philippe de Valois charge Jean son fils, duc de Normandie, d'envahir le
-Hainaut à la tête d'une puissante armée. P. 1, 185, 187.
-
-En Gascogne, le comte de l'Isle reçoit l'ordre d'envahir le Bordelais
-et en général toutes les terres et seigneuries des Anglais et de leurs
-adhérents.--Noms des principaux seigneurs qui prennent part à cette
-campagne.--Les Français ravagent les terres d'Albret[1] et de
-Pommiers[2], et en général les possessions des seigneurs de Lesparre,
-de _Cars_[3] et de Mussidan[4]. P. 1, 2, 187 et 188.
-
- [1] Labrit, Landes, arr. Mont-de-Marsan. La forme la plus
- ordinaire de ce nom dans les mss. des Chroniques de Froissart est
- _Labreth_. Albret est devenu le nom historique de l'illustre
- famille à qui appartenait cette seigneurie.
-
- [2] Pommiers, Gironde, comm. Saint-Félix de Foncaude, arr. la
- Réole, c. Sauveterre.
-
- [3] On peut lire dans le ms. d'Amiens _Tarse_ ou _Carse_. Après
- avoir adopté la leçon Tarse, nous donnons la préférence à Carse,
- parce qu'il s'agit peut-être de Cars, Gironde, arr. et c. Blaye.
-
- [4] Dordogne, arr. Ribérac.
-
-En même temps, le roi de France renforce la grosse flotte des écumeurs,
-commandée par Hue Quieret et Barbavara qui se tient en face des côtes
-de Flandre pour empêcher Édouard III de repasser sur le continent. P. 2
-et 188.
-
-Louis de Nevers, comte de Flandre, et la comtesse Marguerite sa femme,
-vivent à Paris à la charge du roi de France, car ils ne reçoivent rien
-des rentes et revenus de leur comté. Les collecteurs de ces revenus
-n'en rendent compte qu'à Jacques d'Arteveld et à certains bourgeois de
-Gand, de Bruges, d'Ypres et de Courtrai, à ce députés; on les met en
-réserve afin que le pays y puisse recourir en cas de besoin et aussi en
-prévision d'une réconciliation avec le comte de Flandre. Les dépenses
-de Jacques d'Arteveld sont imputées sur des tailles spéciales levées
-toutes les semaines. Louis de Flandre engage le roi de France à
-contraindre les Flamands à l'obéissance en les menaçant de les faire
-excommunier par le pape. P. 185.
-
-Philippe de Valois, qui voit les Flamands disposés à entrer dans la
-ligue formée contre lui par les Allemands, les Brabançons, les
-Hainuyers et les Anglais, essaye de les gagner par la persuasion avant
-d'en venir aux mesures de rigueur. Le comte Raoul d'Eu et de Guines,
-connétable de France, les seigneurs de Montmorency et de Saint-Venant,
-les évêques de Paris et de Chartres, sont envoyés à Tournay et
-reçoivent mission de s'aboucher et de traiter avec les députés des
-villes de Flandre. Ceux-ci déclarent qu'ils n'entendront à rien tant
-que le roi de France n'aura pas rendu Lille, Douai, Béthune et les
-dépendances de ces villes. Les commissaires de Philippe de Valois
-jugent qu'une entente est impossible dans ces conditions, et l'on se
-sépare sans avoir rien fait. P. 185 et 186.
-
-A l'instigation du roi de France, le pape (Benoit XII) lance une bulle
-d'excommunication contre les Flamands et l'envoie aux évêques de
-Cambrai, de Tournay et de Thérouanne. Il est défendu aux prêtres de
-chanter la messe sous peine d'encourir l'excommunication et de perdre
-leurs bénéfices. Informé de cette situation, Édouard III promet aux
-Flamands de leur amener, à son prochain retour sur le continent, des
-prêtres de son pays pour chanter la messe, que le pape le veuille on
-non, car comme roi d'Angleterre il a parfaitement le droit de le faire.
-Grand mécontentement des prêtres de Flandre privés de leur casuel par
-la défense du pape. P. 2, 3, 186 et 187.
-
-Philippe de Valois donne l'ordre aux gens d'armes de ses garnisons de
-Tournay, de Lille, de Douai et des châteaux voisins de faire la guerre
-aux Flamands et de porter le ravage dans leur pays. Chevauchée des
-Français jusqu'aux portes de Courtrai, incendie des faubourgs de cette
-ville et de tout le pays environnant, notamment de Dottignies[5];
-retour par la rivière du Lis et par Warnêton[6]; capture de plus de dix
-mille blanches bêtes, de trois mille porcs, de deux mille grosses
-bêtes, sans compter cinq cents personnes, hommes, femmes et enfants,
-emmenés pour être mis à rançon. P. 3 et 4, 188 et 189.
-
- [5] Belgique, Fl. occ., arr. et c. Courtrai.
-
- [6] Belgique, Fl. occ., arr. Ypres, c. Messines.
-
-Expédition de Jacques d'Arteveld contre Tournay à la tête d'une
-puissante armée de Flamands. Arrivé au Pont de Fer[7], entre Audenarde
-et Tournay, le chef des Flamands attend que les comtes de Salisbury et
-de Suffolk, qui se tiennent en garnison à Ypres, et le contingent du
-Franc de Bruges, viennent le rejoindre. P. 4, 5, 189.
-
- [7] Pont de Fer paraît être une forme francisée du flamand
- _Verbruk_. Verbruk est aujourd'hui un hameau d'Amougies, sur le
- Rhosne, Belgique, Fl. or., arr. Audenarde, c. Renaix. Cette
- localité est située à peu près à égale distance d'Audenarde et de
- Tournay (note communiquée par mon jeune et savant collègue M. A.
- Longnon).
-
-Les Flamands occupent Poperinghe, Messines[8], Bergues[9], Cassel[10],
-Bourbourg[11], Furnes, Nieuport[12], Dunkerque, Gravelines[13]. Les
-Français ont mis garnison à Saint-Omer, à Thérouanne, à Aire[14] et à
-Saint-Venant[15]. Le roi de France envoie deux cents lances de Savoie
-et de Bourgogne à Lille sous les ordres d'Amé de Genève[16], de [Hue]
-de Châlon[17], des seigneurs de Villars[18] et de Groslée[19]. P. 5 et
-191.
-
- [8] Poperinghe et Messines sont situés en Belgique, Fl. occ. arr.
- Ypres.
-
- [9] Nord, arr. Dunkerque.
-
- [10] Nord, arr. Hazebrouck.
-
- [11] Nord, arr. Dunkerque.
-
- [12] Belgique, Fl. occ., arr. Furnes, à 38 kil. de Bruges.
-
- [13] Nord, arr. Dunkerque.
-
- [14] Thérouanne et Aire sont situés dans le Pas-de-Calais, arr.
- Saint-Omer.
-
- [15] Pas-de-Calais, arr. Béthune, c. Lillers.
-
- [16] Amé, comte de Genève, figure sur les montres de l'host de
- Bouvines, dans la bataille du comte de Savoie: «Amé, comte de
- Genève, 6 chev. bann., 3 bach., 3 esc. bann. comptez comme bach.,
- 252 esc.» Bibl. imp., De Camps, portef. 83, fo 344 vo.
-
- [17] «Hue, vidame de Chalon, 4(bach.), 20 esc.» De Camps, portef.
- 83, fo 225.
-
- [18] «Humbert, seigneur de Villars, bann., 3 bann., 6 bach., 82
- esc.; venu de Montroyal en Montagne.» De Camps, portef. 83, fo
- 334 vo.
-
- [19] «Agot des Baus et Guy de Groullée, chev. bann., venus en la
- guerre du roy pour M. le dauphin de Vienne avec 7 autres bann., 4
- bach., 3 esc. bann., 179 esc.» De Camps, 83, fo 345.
-
-Pendant le trajet d'Ypres au Pont de Fer, les comtes de Salisbury et de
-Suffolk tombent, malgré les avis de Waflard de la Croix, dans une
-embuscade dressée contre eux près de Lille et sont faits prisonniers
-par les habitants de cette ville qui les livrent à Philippe de Valois.
-Jacques d'Arteveld, découragé, congédie ses gens d'armes et retourne à
-Gand. P. 5 à 8, 189 à 193.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXXV.
-
- 1340. INCURSIONS DES FRANÇAIS EN HAINAUT, NOTAMMENT AUX ENVIRONS
- DE VALENCIENNES (§§ 102 à 107).
-
-
-Jean, duc de Normandie, réunit à Saint-Quentin une puissante armée pour
-envahir le Hainaut.--Noms des principaux seigneurs qui font partie de
-l'expédition.--De Saint-Quentin, l'armée du duc de Normandie se dirige
-en passant par Bohain[20] vers le Cateau-Cambrésis[21] et vient loger
-près de cette ville en un lieu appelé Montay[22], à l'entrée du
-Hainaut, sur la Selle[23]. P. 8 et 9, 193 à 195.
-
- [20] Aujourd'hui Bohain-en-Vermandois, Aisne, arr. Saint-Quentin.
-
- [21] Le Cateau, Nord, arr. Cambrai.
-
- [22] Nord, arr. Cambrai, c. le Cateau.
-
- [23] La Selle, affluent de la rive droite de l'Escaut, prend sa
- source au sud du Cateau dans une vallée appelée Fons-Selle, et se
- jette dans l'Escaut à Denain.
-
-Gérard de Verchin, sénéchal de Hainaut, se met à la tête de soixante
-lances, passe à Forest[24] sur la frontière du Hainaut, et va réveiller
-au milieu de la nuit les Français qui se tiennent à Montay, à une
-petite lieue de Forest. Deux puissants chevaliers de Normandie, les
-seigneurs de Bailleul et de Bréauté[25], sont assaillis les premiers:
-le seigneur de Bailleul est tué et les seigneurs de Bréauté et de
-Brimeux sont emmenés prisonniers à Valenciennes. P. 9 à 11, 195 à 197.
-
- [24] Nord, arr. Avesnes, c. Landrecies.
-
- [25] Les noms de ces deux chevaliers figurent précisément à la
- suite l'un de l'autre sur les montres de la bataille de Raoul,
- comte d'Eu, lieutenant ès frontières de Flandre, du 9 mars au 1er
- octobre 1340: «Pierre, seign. de Bailleul en Caux, bann., 2
- bach., 4 esc.--Guillaume de Briauté bach. et 3 esc.» De Camps,
- portef. 83, fo 317.
-
-Le lendemain matin, le duc de Normandie, furieux de cette attaque
-nocturne, donne l'ordre d'entrer en Hainaut et d'y porter partout
-l'incendie et le ravage. Les Français, divisés en plusieurs corps
-d'armée et courant dans toutes les directions, dévastent et
-brûlent Forest, Vertain[26], Vertigneul[27], Escarmain[28],
-Vendegies-au-Bois[29], Vendegies-sur-Écaillon[30], Bermerain[31],
-_Calaumes_[32], Salesches[33], Orsinval[34], Villers-en-Cauchie[35],
-Gommegnies[36], Maresches[37], Villers-Pol[38], Poix[39],
-Préseau[40], Amfroipret[41], Preux[42], Frasnoy[43], Obies[44],
-Wargnies-le-Grand[45], Wargnies-le-Petit[46], Saint-Vaast[47] en
-Bavaisis, Louvignies[48], Mecquignies[49]; ils brûlent les moulins et
-rompent les écluses du vivier de Quélipont[50]. Tous les villages
-compris entre les rivières de Selle et de Honneau[51] deviennent la
-proie des flammes[52]. Les habitants du pays se sont réfugiés,
-emportant ce qu'ils ont de plus précieux, à Bouchain[53], à
-Valenciennes, à Bavai, au Quesnoy, à Landrecies[54], à Maubeuge[55] et
-dans les autres forteresses des environs qui sont tenables. Les
-Français mettent le feu aux faubourgs du Quesnoy et de Bavai. Le
-sénéchal de Hainaut, craignant pour son château de Verchin[56], est
-allé s'y enfermer avec trente lances, laissant Valenciennes sous la
-garde du seigneur d'Antoing. La nuit d'après cette première journée
-d'invasion, le duc de Normandie vient camper dans les belles prairies
-de Haussy[57] et de Saulzoir[58], sur les bords de la rivière de Selle,
-depuis Haspres[59] jusqu'à Solesmes[60]. P. 11 et 12, 197 à 199.
-
- [26] Nord, arr. Cambrai, c. Solesmes.
-
- [27] Aujourd'hui hameau de la comm. de Romeries, Nord, arr.
- Cambrai, c. Solesmes.
-
- [28] Nord, arr. Cambrai, c. Solesmes.
-
- [29] Nord, arr. Avesnes, c. le Quesnoy.
-
- [30] Nord, arr. Cambrai, c. Solesmes.
-
- [31] Ibid.
-
- [32] Calaumes désigne sans doute la Chapelle Callome, dépendance
- de Bermerain, qui figure encore sur la carte de Cassini.
-
- [33] Nord, arr. Avesnes, c. le Quesnoy.
-
- [34] Ibid.
-
- [35] Nord, arr. Cambrai, c. Carnières.
-
- [36] Nord, arr. Avesnes, c. le Quesnoy.
-
- [37] Ibid.
-
- [38] Ibid.
-
- [39] Ibid.
-
- [40] Nord, arr. et c. Valenciennes.
-
- [41] Nord, arr. Avesnes, c. Bavai.
-
- [42] Aujourd'hui Preux-au-Sart, Nord, arr. Avesnes, c. le
- Quesnoy.
-
- [43] Ibid.
-
- [44] Nord, arr. Avesnes, c. Bavai.
-
- [45] Nord, arr. Avesnes, c. le Quesnoy.
-
- [46] Ibid.
-
- [47] Aujourd'hui Saint-Vaast-la-Valleé, Nord, arr. Avesnes, c.
- Bavai.
-
- [48] Aujourd'hui Louvignies-lès-Bavai, sur un affluent du Honneau
- ou Hongneau.
-
- [49] Nord, arr. Avesnes, c. Bavai.
-
- [50] Aujourd'hui lieu-dit de la comm. du Preux-au-Sart.
-
- [51] Le Honneau ou Hongneau est un petit cours d'eau sorti de la
- forêt de Mormal, qui se jette dans la Haine, affluent de la rive
- droite de l'Escaut.
-
- [52] Froissart dit que cette incursion poussée jusque dans le
- Bavaisis fut faite par l'avant-garde de l'armée du duc de
- Normandie, et que l'un des chefs de cette avant-garde était
- Thibaud de Moreuil. Les montres conservées par De Camps
- confirment sur ce point le témoignage du chroniqueur; mais tandis
- que Froissart semble mettre la chevauchée dont il s'agit avant
- l'attaque contre Valenciennes, c'est-à-dire en juin 1340, les
- montres la placent après cette attaque, puisqu'elles la reportent
- au mois de juillet. «Gens d'armes qui servirent Thibaut de
- Moreuil en la chevauchée de Bavai en Hainaut _ou mois de juillet_
- 1340: Enguerran, sire de Coucy, bann., 1 bann., 11 bach., 59
- esc.; Raoul Flamenc, seigneur de Canny, chev. bann., 2 bach., 19
- esc.; Mathieu d'Espineuses bach. 3 esc.» De Camps, portef. 83, fo
- 346.
-
- [53] Nord, arr. Valenciennes, sur l'Escaut.
-
- [54] Nord, arr. Avesnes, sur la Sambre.
-
- [55] Ibid.
-
- [56] Nord, arr. et c. Valenciennes, sur l'Écaillon.
-
- [57] Nord, arr. Cambrai, c. Solesmes, sur la Selle.
-
- [58] Ibid.
-
- [59] Nord, arr. Valenciennes, c. Bouchain, dans une île formée
- par la Selle.
-
- [60] Nord, arr. Cambrai, sur la Selle.
-
-Valerand, seigneur de Fauquemont (Valkenburg), capitaine de Maubeuge,
-laisse cette ville sous la garde des seigneurs de Beaurieu et de
-Montegny, et après avoir chevauché tout un jour en longeant la forêt de
-Mormal[61], passe à gué la Selle et vient vers minuit réveiller le duc
-de Normandie et son armée. Du côté des Français, le seigneur de
-Picquigny[62] est tué, le vicomte des Quesnes[63] et le Borgne de
-Rivery[64] sont faits prisonniers dans cette alerte. Puis le seigneur
-de Fauquemont court se réfugier sous Thierry de Valcourt, maréchal de
-Hainaut, au Quesnoy[65], qui n'était point alors aussi bien fortifié
-qu'il fut soixante ans plus tard. P. 12, 13, 199, 200, 204.
-
- [61] Au quatorzième siècle, la forêt de Mormal, située sur la
- rive gauche de la Sambre, s'étendait depuis Landrecies au sud
- jusque près de Bavai au nord; elle avait pour limite à l'ouest la
- voie romaine, dite Chaussée Brunehaut, du Cateau à Bavai.
-
- [62] A l'host des frontières de Flandre, du 9 mars 1339 au 1er
- octobre 1340, dans la bataille des maréchaux de France figurent:
- «Robert de Pinquigny, chev. bann., 2 chev. bach. et 12 esc.; venu
- de Fluy lès Pinquigny (Fluy, Somme, arr. Amiens, c.
- Molliens-Vidame); Regnaut et Jean de Pinquigny et 8 esc.» De
- Camps, portef. 83. fo 320 vo.
-
- [63] Le personnage désigné ici par le titre de vicomte des
- Quesnes est Guillaume des Quesnes, vicomte de Poix, qui figure
- aussi avec son fils Renaud des Quesnes à l'host de Flandre de
- 1339 à 1340: «Guillaume des Quesnes, vicomte de Pois, chev.
- bann., 2 bach., 11 esc.; venu de Quesnes (auj. le Quesne, Somme,
- arr. Amiens, c. Hornoy). De Camps, 83, fo 337 vo.--«Regnaut des
- Quesnes, bach., 27 esc.» fo 323.
-
- [64] A l'host des frontières de Flandre de 1339 à 1340, parmi les
- écuyers de la bataille des maréchaux de France, figure: «le
- Borgne de Rivery, 1 esc.; venu de Rivery près d'Amiens.» De
- Camps, 83, fo 327.
-
- [65] «Pons Cornillon de la Balme fut fait chevalier _devant le
- Quesnoy le 7 juin_.» Ibid., fo 334.
-
-Les Français brûlent Felaines,[66] Famars[67], Sepmeries[68],
-Baudignies[69], Artres[70], _Artriel_[71], Saultain[72], Curgies[73],
-Estreux[74], Aulnoy[75], Jenlain[76], Beauvoir[77], Rombies[78] et
-viennent camper sur la rivière d'Uintiel[79] (la Rhonelle), aux
-alentours de Querenaing[80]. Quarante hommes d'armes hainuyers des
-garnisons de Condé[81], de Montroeul-sur-Haine[82], de Quiévrain[83] et
-de Quiévrechain[84] se mettent en embuscade dans les bois de
-Roisin[85], mais ils n'osent attaquer les coureurs français qui
-chevauchent au nombre de plus de quatre cents lances. P. 13, 14 et 201.
-
- [66] Aujourd'hui Pont-à-Felaines, lieu-dit de la commune de
- Famars.
-
- [67] Nord, arr. et c. Valenciennes.
-
- [68] Nord, arr. Avesnes, c. le Quesnoy.
-
- [69] Ibid.
-
- [70] Nord, arr. et c. Valenciennes.
-
- [71] _Artriel_ était sans doute une dépendance d'Artre, comme
- Angriel est une dépendance d'Angre et Sebourquiel une dépendance
- de Sebourg; mais ce hameau a disparu. Un terrain vague, situé
- près d'Artre, s'appelle encore aujourd'hui _le Triez_; peut-être
- conserve-t-il le souvenir de l'Artriel de Froissart (note
- communiquée par M. Caffiaux).
-
- [72] Nord, arr. et c. Valenciennes.
-
- [73] Ibid.
-
- [74] Ibid.
-
- [75] Ibid.
-
- [76] Nord, arr. Avesnes, c. le Quesnoy.
-
- [77] Aujourd'hui hameau de la commune de Havay, Belgique, prov.
- Hainaut, arr. Mons, c. Pâturages.
-
- [78] Rombies-et-Marchipont, Nord, arr. et c. Valenciennes.
-
- [79] Uintiel, Untiel, Ontiel, Ointiel est l'ancien nom de la
- rivière qui s'appelle maintenant la Rhonelle, affluent de la rive
- droite de l'Escaut, qui se jette dans ce fleuve à Valenciennes.
-
- [80] Nord. arr. et c. Valenciennes, entre la Rhonelle et
- l'Écaillon.
-
- [81] Nord, arr. Valenciennes, au confluent de l'Escaut et de la
- Hayne.
-
- [82] Belgique, prov. Hainaut, arr. Mons, c. Boussu.
-
- [83] Belgique, prov. Hainaut, arr. Mons, c. Dour.
-
- [84] Nord, arr. et c. Valenciennes, sur la petite Honnelle.
-
- [85] Belgique, prov. Hainaut, arr. Mons, c. Dour.
-
-Le lendemain, par une belle matinée du mois de mai[86], le duc de
-Normandie vient camper à Famars sur une colline appelée le Mont de
-Castres[87]. Quelques-uns de ses gens d'armes descendent du Mont de
-Castres, mettent le feu à Marly[88] et aux faubourgs de la porte de
-Cambrai. Grand émoi à Valenciennes; on sonne les cloches et le beffroi
-à toute volée. La rue de Cambrai se remplit de bourgeois en armes qui
-veulent marcher contre l'ennemi. Henri d'Antoing, qui garde les clefs
-de la porte de Cambrai, et Jean de Baissi, prévôt de la ville,
-s'efforcent de contenir les impatients. P. 202.
-
- [86] Les Français se mirent en marche pour attaquer Valenciennes
- dans les premiers jours de mai 1340. Par acte daté du 2 mai 1340,
- Raoul, comte d'Eu, connétable de France, mande aux bourgeois de
- Valenciennes qu'ils n'aient point à soutenir les Anglais ni leurs
- alliés contre le roi de France (Orig. parch., Archives du Nord).
- La principale attaque dirigée contre cette ville dut avoir lieu
- le 22 mai, jour où il y eut du côté des Français une promotion de
- chevaliers: «Loys de Tournon fait chevalier nouvel _devant
- Valenciennes_, le 22 mai.» De Camps, portef. 83, fo 334.
-
- [87] Le Mont de Castres (_mons castrorum_) est le nom de la
- colline sur laquelle est bâti Famars. Au quatrième siècle, après
- la ruine de Bavai, les Romains y avaient construit une enceinte
- fortifiée dont quelques débris subsistent encore.
-
- [88] Nord, arr. et c. Valenciennes.
-
-Une troupe de coureurs français livre un assaut infructueux à la tour
-carrée de Maing[89], qui était alors à Jean Bernier de Valenciennes et
-qui fut depuis à Jean de Neuville. Ces coureurs, n'ayant pu traverser
-l'Escaut à Trith[90] parce que le pont a été coupé par les habitants,
-passent le fleuve aux Planches à Prouvy[91], mettent le feu aux maisons
-et aux moulins de Prouvy et de Rouvignies[92], et, après avoir refait
-le pont[93] de Trith, brûlent _Wercinniel_, Bourlain[94] et Infier[95],
-d'où les flammèches volent jusqu'à Valenciennes. P. 15, 204 et 205.
-
- [89] Ibid.
-
- [90] Aujourd'hui Trith-Saint-Léger, Nord, arr. et c.
- Valenciennes.
-
- [91] Ibid.
-
- [92] Ibid.
-
- [93] Le pont jeté en cet endroit sur l'Escaut, pour relier Famars
- à la rive gauche du fleuve, avait donné son nom à un village
- aujourd'hui détruit; la tradition faisait remonter aux Romains la
- construction de ce pont.
-
- [94] On appelle encore _marais de Bourlain_ un lieu-dit de la
- banlieue de Valenciennes, près de l'Escaut, du côté de la porte
- de Cambrai.
-
- [95] Le _marais d'Infier_ figure aussi comme lieu-dit sur les
- relevés du cadastre; mais il est plus rapproché de Trith que
- Bourlain (Note de M. Caffiaux).
-
-D'autres coureurs, ayant à leur tête trois chevaliers poitevins,
-Boucicaut[96], Guillaume Blondel[97] et le seigneur de Surgères[98],
-passent l'Escaut assez près de Valenciennes, au pont qu'on dit à la
-Tourelle à Goguel, brûlent Heurtebise[99], et s'avancent vers
-Bellaing[100] et Hérin[101]. Un certain nombre de gens d'armes de
-Valenciennes[102] sortent de la ville par les deux portes d'Anzin[103],
-la grande et la petite, et marchent à la rencontre de ces pillards. Un
-combat s'engage au-dessus d'une église qu'on dit de Saint-Vaast[104].
-Déroute des Français. [Gui] de Surgères se sauve du côté du village de
-Hérin et court se jeter dans les bois d'Aubry[105], d'où, le soir venu,
-par le pont de Heurtebise et le pont de Trith, il regagne le camp du
-Mont de Castres. Boucicaut veut résister; il est fait prisonnier et
-amené à Valenciennes. P. 15, 16, 202 et 203, 205 et 206.
-
- [96] Boucicaut figure sur les montres de l'host de Bouvines dans
- la bataille du roi parmi les bacheliers: «Pour M. Boucicaut et 3
- escuiers; venu de Poitou.» De Camps, 83, fo 404 vo.
-
- [97] Au lieu de Guillaume Blondel, le ms. de Rome mentionne Gui
- Poteron.
-
- [98] Gui (et non Jacques) de Surgères figure à l'host de Bouvines
- dans la bataille du roi de Navarre: «Guy de Surgières, bann., 6
- bach., 37 esc.» De Camps, 83, fo 335 vo.
-
- [99] Heurtebise est indiqué sur la carte de Cassini comme un
- écart de Trith-Saint-Léger, près de la chaussée de Bouchain à
- Valenciennes.
-
- [100] Nord, arr. et c. Valenciennes.
-
- [101] Ibid.
-
- [102] D'après la première et la troisième rédaction, les
- Valenciennois vainqueurs à Saint-Vaast étaient commandés par
- Gérard de Verchin, sénéchal de Hainaut.
-
- [103] Anzin est à 2 kil. N. O. de Valenciennes, sur la route de
- cette ville à Lille.
-
- [104] Aujourd'hui Saint-Vaast-là-Haut, lieu-dit de la banlieue de
- Valenciennes. Saint-Vaast, Beaurepaire et la Tasnerie étaient
- trois seigneuries dépendantes de cette ville.
-
- [105] A la place du bois d'Aubry s'élève aujourd'hui le village
- appelé Petite-Forêt-de-Raismes, érigé en commune en 1801.
-
-Le duc de Normandie, voyant que les habitants de Valenciennes ne sont
-pas disposés à accepter la bataille et n'espérant pas prendre leur
-ville d'assaut, se décide à revenir vers Cambrai. Au retour, ses gens
-d'armes incendient Maing, l'abbaye de Fontenelle[106], Trith, Prouvy,
-Rouvignies, Douchy[107], Thiant[108], Monchaux[109], et en général tout
-le pays qui s'étend entre Valenciennes et Cambrai. P. 17, 18, 208 et
-209.
-
- [106] Abbaye de femmes de l'ordre de Cîteaux située sur le
- territoire de la paroisse de Maing, près de l'ancienne route de
- Valenciennes à Cambrai.
-
- [107] Nord, arr. Valenciennes, c. Bouchain sur la Selle.
-
- [108] Nord, arr. et c. Valenciennes.
-
- [109] Ibid., sur l'Écaillon.
-
-Après le départ des Français, les Valenciennois viennent mettre le feu
-au camp du Mont de Castres; ils y trouvent quelques brigands et Génois
-qui, plongés dans un sommeil alourdi par l'ivresse, ne sont pas partis
-avec le gros de l'armée; ils les brûlent tout vivants. P. 19.
-
-Le duc de Normandie met le siége devant le château d'Escaudœuvres[110].
-Gérard de Sassegnies, capitaine de ce château pour le comte de Hainaut,
-le livre par trahison aux assiégeants. Les habitants de Cambrai
-abattent les remparts d'Escaudœuvres; ils emploient les matériaux
-provenant de cette démolition à fortifier la porte Robert qui regarde
-le Hainaut. Gérard de Sassegnies devait expier bientôt sa trahison en
-subissant à Mons la peine capitale[111]. P. 19, 20, 209 à 211.
-
- [110] Nord, arr. et c. Cambrai, sur l'Escaut, à 3 kil. N. E. de
- Cambrai.
-
- [111] Le château d'Escaudœuvres fut pris avant le 3 juin 1340.
- Par une charte datée du 3 juin 1340, le duc de Normandie mande,
- du château d'Escaudoeuvres, aux bourgeois de Valenciennes, de ne
- point servir le comte de Hainaut ni son oncle le seigneur de
- Beaumont, qui s'étaient joints aux Anglais pour nuire au royaume
- de France (Orig. parch., aux Archives du Nord).
-
-Les garnisons françaises de Douai et de Lille ravagent l'Ostrevant;
-elles pillent et brûlent Aniche[112], la moitié d'Abscon[113],
-Escaudain[114], Erre[115], Fenain[116], Denain[117], Montigny[118],
-Warlaing[119], Masny[120], Auberchicourt[121], Lourches[122],
-Saulx[123], Roeulx[124], Neuville[125], Lieu-Saint-Amand[126],
-Bugnicourt[127], Monchecourt[128]. En revanche, les gens d'armes
-hainuyers en garnison à Bouchain mettent le feu à la moitié d'Abscon
-qui se tient française et dévastent tous les villages et hameaux
-jusqu'aux portes de Douai, notamment les villages d'Esquerchin[129] et
-de Lambres[130].
-
- [112] Nord, arr. et c. Douai.
-
- [113] Nord, arr. Valenciennes, c. Bouchain. Une moitié de ce
- village tenait, comme on le verra plus bas, pour les Hainuyers,
- l'autre moitié pour les Français.
-
- [114] Nord, arr. Valenciennes, c. Bouchain.
-
- [115] Nord, arr. Douai, c. Marchiennes.
-
- [116] Ibid.
-
- [117] Nord, arr. Valenciennes, c. Bouchain.
-
- [118] Nord, arr. et c. Douai.
-
- [119] Hameau de la commune d'Alnes, Nord, arr. Douai, c.
- Marchiennes.
-
- [120] Nord, arr. et c. Douai. Le nom de cette seigneurie
- s'écrivait autrefois Mauny; elle appartenait à l'illustre famille
- de ce nom.
-
- [121] Nord, arr. et c. Douai.
-
- [122] Nord, arr. Valenciennes, c. Bouchain.
-
- [123] Hameau de la commune de Lourches.
-
- [124] Nord, arr. Valenciennes, c. Bouchain.
-
- [125] Aujourd'hui Neuville-sur-l'Escaut, Nord, arr. Valenciennes,
- c. Bouchain.
-
- [126] Nord, arr. Valenciennes, c. Bouchain.
-
- [127] Nord, arr. Douai, c. Arleux.
-
- [128] Ibid.
-
- [129] Nord, arr. et c. Douai.
-
- [130] Ibid.
-
-Escarmouche entre la garnison française de la Malmaison, composée
-d'Allemands dont Albrecht de Cologne est le chef pour l'évêque de
-Cambrai[131] et la garnison de Landrecies dont le seigneur de Potelles
-est capitaine pour le comte de Hainaut. Le seigneur de Potelles est tué
-par Albrecht de Cologne, mais les compagnons de celui-ci sont mis en
-déroute, tués ou faits prisonniers par les Hainuyers. P. 21 à 23, 211
-et 212.
-
- [131] La forteresse de la Malmaison située dans la commune d'Ors
- (Nord, arr. Cambrai, c. le Cateau), sur la rive gauche de la
- Sambre, appartenait en effet aux évêques de Cambrai; mais en 1340
- Sohier de Gand en était capitaine et il avait sous ses ordres 20
- écuyers pour le roi de France. (De Camps, 83, fo 458 vo.)
-
-Le seigneur de Floyon succède au seigneur de Potelles comme gardien de
-Landrecies et chevauche souvent contre les garnisons françaises de
-Bohain, de la Malmaison, du Cateau-Cambrésis[132], de Beauvois[133] et
-de Serain[134]. Pendant ce temps, le comte de Hainaut, de retour
-d'Angleterre, s'est rendu en Allemagne auprès de l'empereur Louis de
-Bavière; et Jean de Hainaut est allé en Brabant et en Flandre implorer
-le secours du duc de Brabant, de Jacques d'Arteveld et des Flamands. P.
-23, 24, 212, 213.
-
- [132] Au Cateau, Jean de Honnecourt était châtelain pour le roi
- de France. De Camps, 83, fo 458.
-
- [133] Nord, arr. Cambrai, c. Carnières.
-
- [134] Aisne, arr. Saint-Quentin, c. Bohain.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXXVI.
-
- 1340. SIÉGE ET PRISE DE THUN-L'ÉVÊQUE PAR LES FRANÇAIS.--OFFRES
- DE COMBAT FAITES PAR LE COMTE DE HAINAUT; REFUS DU DUC DE
- NORMANDIE[135] (§§ 108 à 112).
-
- [135] Cf. Jean le Bel, chap. xxxv, t. I, p. 171 à 173.
-
-
-Le duc de Normandie vient, sur les instances des Cambrésiens, mettre le
-siége devant la forteresse de Thun-l'Évêque[136] dont les Hainuyers se
-sont emparés et d'où ils portent le ravage aux environs de la cité de
-Cambrai. La garnison a pour chefs un chevalier du parti anglais nommé
-Richard de Limozin et deux écuyers du Hainaut, frères de Gautier de
-Mauny, Jean et Thierry de Mauny. Craignant d'être empestés par les
-bêtes mortes et puantes que jettent les engins des assiégeants, les
-assiégés demandent et obtiennent une trêve de quinze jours; ils
-promettent de se rendre au duc de Normandie s'ils ne sont pas secourus
-par Jean de Hainaut dans cet intervalle. Catherine de Wargnies,
-chanoinesse de l'abbaye de Denain, qui s'est enfermée dans Thun par
-amour pour Jean de Mauny dont elle est la maîtresse, et que le fracas
-du siége incommode beaucoup à cause de son état de grossesse avancée,
-profite de la trêve pour se retirer à Bouchain. P. 24 à 26, 212 à 214.
-
- [136] La prise de Thun-l'Evêque eut lieu dans le courant du mois
- de juin 1340. Des lettres d'amortissement de 20 livres de rente
- sans justice et forteresse, délivrées pour la fondation d'une
- chapelle à «Gieffroy de Gienville», clerc et conseiller du roi,
- sont datées de _noz tentes, après la prise du chastel de Thun,
- l'an 1340 au mois de juing_. Arch. de l'Empire, sect. hist.,
- JJ73, fo 117, p. 137.
-
-Sur ces entrefaites, le comte de Hainaut revient dans son pays. Il
-réunit en toute hâte une puissante armée pour marcher au secours de la
-garnison de Thun-l'Évêque et vient camper à Naves et à Iwuy sur la rive
-droite de l'Escaut; il est bientôt rejoint par le comte de Namur, le
-duc de Brabant et les grands seigneurs des marches d'Allemagne alliés
-du roi d'Angleterre. P. 27 et 28, 215 et 216.
-
-L'armée du duc de Normandie est campée de l'autre côté de la rivière,
-sur la rive gauche de l'Escaut. A la nouvelle de l'arrivée du comte de
-Hainaut, Philippe de Valois, qui se tenait depuis six semaines à
-Péronne, accourt rejoindre Jean son fils à la tête de douze cents
-lances; mais comme le roi de France a fait serment de ne pas pénétrer à
-main armée sur le territoire de l'Empire, le duc de Normandie conserve
-le commandement nominal, tout en n'agissant que d'après le conseil de
-son père. P. 28, 216.
-
-Quatre jours après son arrivée devant Thun-l'Évêque, l'armée du comte
-de Hainaut se renforce d'une troupe de Valenciennois que commande Jean
-de Baissi, prévôt de la ville. Richard de Limozin et les autres gens
-d'armes de la garnison de Thun-l'Évêque profitent d'une escarmouche
-entre Français et Valenciennois pour se sauver dans une barque et aller
-rejoindre le comte de Hainaut qui les remercie et les félicite de leur
-belle défense. P. 29, 216 et 217.
-
-Les Français ravagent l'Ostrevant et les Hainuyers le Cambrésis. Le
-comte de Hainaut reçoit un renfort de soixante mille Flamands amenés
-par Jacques d'Arteveld; il offre la bataille au duc de Normandie qui la
-refuse. Le comte de Hainaut réunit alors les plus grands barons de
-l'armée pour leur communiquer la réponse du duc de Normandie et leur
-demander conseil; il veut faire un pont sur l'Escaut afin d'aller
-livrer bataille aux Français. Le duc de Brabant combat ce projet; il
-est d'avis qu'on se sépare sans avoir rien fait et qu'on attende
-l'arrivée prochaine du roi d'Angleterre qui doit se joindre à ses
-alliés pour mettre le siége devant Tournay. Malgré l'opposition du duc
-de Brabant dont les gens d'armes, surtout ceux de Bruxelles et de
-Louvain, sont impatients de retourner dans leurs foyers, le comte de
-Hainaut n'en persiste pas moins dans son projet de livrer bataille aux
-Français. P. 29 à 31, 217, 218.
-
-Le comte de Hainaut charge Jean de Hainaut, seigneur de Beaumont, son
-oncle, de demander trois jours de répit aux Français, le temps de
-construire un pont sur l'Escaut afin que les deux armées puissent se
-joindre et en venir aux mains. Au moment où Jean de Hainaut chevauche
-sur la rive droite de l'Escaut et se dispose à accomplir son message,
-il aperçoit sur la rive opposée un chevalier de Normandie de sa
-connaissance, le seigneur de Maubuisson[137]; il prie ce chevalier de
-transmettre au roi de France ou au duc de Normandie la proposition du
-comte de Hainaut. Le conseil du roi de France répond au seigneur de
-Maubuisson que l'on est résolu à ne pas changer de tactique vis-à-vis
-du comte de Hainaut, qu'on veut d'abord le ruiner en traînant la guerre
-en longueur, que cela fait, on envahira son pays pour y porter le
-ravage. Jean de Hainaut, à qui le seigneur de Maubuisson vient
-rapporter cette réponse, la transmet au comte de Hainaut, son neveu,
-qui la reçoit avec un profond déplaisir. P. 32 à 34, 218.
-
- [137] Jean de Maubuisson figure à l'host de Bouvines, parmi les
- _bacheliers sous les maréchaux_: «Jean de Maubuisson et 1 escuier
- venu de Montigny lez Gisors.» De Camps, portef. 83, fo 366.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXXVII.
-
- 1340. DÉFAITE DE LA FLOTTE FRANÇAISE PAR LA FLOTTE ANGLAISE
- DEVANT L'ÉCLUSE; ARRIVÉE D'ÉDOUARD III ET DE SON ARMÉE EN
- FLANDRE[138] (§§ 113 à 117).
-
- [138] Cf. Jean le Bel, chap. XXXVI, t. I, p. 171 à 173.
-
-
-La veille de la fête de saint Jean-Baptiste (23 juin), Édouard III
-s'embarque sur la Tamise et cingle vers l'Écluse[139] (Sluis), en
-Flandre. La flotte anglaise, composée de plus de cent vaisseaux, porte
-quatre mille hommes d'armes et douze mille archers. La flotte française
-est encore supérieure en nombre à la flotte anglaise. Montée par des
-marins normands, picards et génois, sous les ordres du Normand
-[Nicolas] Behuchet, du Picard Hue Quieret et du Génois Barbavara, cette
-flotte stationne près de Blankenberghe[140], entre Kadzand[141] et
-l'Écluse, pour arrêter au passage le roi d'Angleterre. La bataille
-s'engage devant l'Écluse le 24 juin[142] entre les deux flottes
-ennemies et dure tout un jour. Les Anglais ont soin de prendre des
-dispositions plus habiles que leurs adversaires. Le grand vaisseau _le
-Christophe_, conquis peu de temps auparavant par les Normands et monté
-par les Génois, est repris dès le commencement de l'action, grâce aux
-archers à main d'Angleterre, auxquels un tir plus rapide assure
-l'avantage sur les arbalétriers génois. P. 34 à 37, 218 à 221.
-
- [139] L'Écluse, en flamand Sluis, ville et port de mer des
- Pays-Bas, dans la Flandre hollandaise, prov. Zeeland, arr.
- Middelburg.
-
- [140] Belgique, prov. Flandre occidentale, arr. et c. Bruges.
-
- [141] L'île de Kadzand fait aujourd'hui partie des Pays-Bas,
- prov. Zeeland, arr. Middelburg, c. l'Écluse (Sluis).
-
- [142] Édouard III s'embarqua à Orwell le 23 juin, veille de la
- fête de la Nativité de Saint-Jean-Baptiste; et la bataille navale
- de l'Écluse se livra le jour même de la fête, le 24 juin:
- «....sub spe cœlestis auxilii, écrit Édouard III à l'archevêque
- de Canterbury, et justitiæ nostræ fiducia, dictum portum navigio
- venientes, invenimus dictam classem, et hostes nostros ibidem
- paratissimos ad prælium, in multitudine copiosa quibus _in festo
- Nativitatis Sancti Johannis Baptistæ proxime præterito_, ipse,
- spes nostra, Christus Deus, per conflictum fortem et validum, nos
- prævalere concessit, facta strage non modica dictorum hostium,
- capta etiam quodammodo tota classe, cum læsione gentis nostræ non
- modica respective.» Rymer, _Fœdera_, vol. II, p. 1129.
-
-Édouard III monte un grand vaisseau construit à Sandwich[143], sur
-lequel flotte une bannière mi-partie aux armes de France et
-d'Angleterre. Le roi anglais, alors en la fleur de sa jeunesse, fait
-des prodiges de valeur; les marins normands et picards déploient, de
-leur côté, un grand courage. Dans l'après-midi, un gros renfort de
-navires montés par des hommes frais et nouveaux, amené par les Flamands
-de l'Écluse, de Blankenberghe, d'Aardenburg[144], d'Oostburg[145], de
-Bruges, du Damme[146], de Nieuport[147] et des villes voisines, décide
-la victoire en faveur des Anglais. Cette affaire coûte la vie à Hue
-Quieret et à (Nicolas) Behuchet; Pietro Barbavara se sauve à grand
-peine[148]. P. 37 et 38, 221 à 225.
-
- [143] Sandwich, dans le comté de Kent, un des cinq ports.
-
- [144] Pays-Bas, prov. Zeeland, arr. Middelburg, c. l'Écluse
- (Sluis).
-
- [145] Pays-Bas, prov. Zeeland, arr. Middelburg, chef-lieu de
- canton.
-
- [146] Belgique, prov. Flandre occidentale, arr. et c. Bruges.
-
- [147] Belgique, prov. Flandre occidentale, arr. Furnes, chef-lieu
- de canton.
-
- [148] Hue Quieret, seigneur de Tours en Vimeu, mourut des
- blessures reçues dans le combat. Nicolas Behuchet fut, dit-on,
- pendu au mât de son vaisseau par l'ordre d'Édouard III. Philippe
- de Valois amortit en avril 1344 quinze livres tournois de rente à
- Gonfreville-l'Orcher, à la requête de frère Pierre le Marchant,
- du tiers ordre de Saint-François, «clerc de nostre amé et feal
- conseiller _Nicolas Beuchet_ JADIS _chevalier_, en recompense des
- bons et agreables services que nous fist le dit Pierre en noz
- guerres de la mer en la compaignie du dit chevalier.» Arch. de
- l'Empire, sect. hist., JJ74, p. 154, fo 93.
-
- La marine normande fut longtemps à se relever de ce désastre. En
- février 1342, Philippe de Valois amortit cent livres de terre pour
- la fondation d'un hôpital: «comme les bourgois et les habitanz de
- la ville de Leure en Normandie (Seine-Inférieure, comm. le Havre),
- _pour compassion de plusieurs du dit pais, qui onc de nostre armée
- de la mer avoient esté navrez et mehaigniez_ si griement qu'il ne
- povoient ne ne pourront jamais gaigner leurs vivres....» JJ74, p.
- 694, fo 418.
-
-Après la victoire de l'Écluse, le roi d'Angleterre fait un pèlerinage à
-Notre-Dame[149] d'Aardenburg, puis il se rend à Gand. A la nouvelle de
-l'arrivée et de la victoire d'Édouard III, les allies campés devant
-Thun-l'Évêque lèvent le siége de cette forteresse et viennent à Gand
-auprès du roi anglais; là ils prennent l'engagement de se réunir un
-certain jour en parlement à Vilvorde. P. 38 à 40, 225 à 229.
-
- [149] La belle église d'Aardenburg, dédiée sous l'invocation de
- Notre-Dame, était célèbre dans toute la Flandre au moyen âge
- comme but de pèlerinage.
-
-Le roi de France retourne à Arras et le duc de Normandie à Cambrai.
-Les Français prennent aisément leur parti de la déconfiture des
-Normands à l'Écluse et disent: «On n'a rien perdu en perdant ces
-écumeurs de mer. Ils étaient tous des brigands; ils ne laissaient point
-venir de poisson sur le continent, et ils étaient cause qu'on n'en
-pouvait avoir. Le roi de France d'ailleurs a gagné deux cent mille
-florins à leur mort, car on leur devait leurs gages de quatre mois.»
-Toutefois, Philippe de Valois et son fils donnent l'ordre de renforcer
-les garnisons de Tournay, de Lille[150], de Douai[151], de Mortagne, de
-Saint-Amand, de Saint-Omer, d'Aire[152] et de Saint-Venant[153].
-Informé qu'Édouard III et ses alliés doivent venir assiéger Tournay, le
-duc de Normandie envoie dans cette place Godemar du Fay[154]. Le
-seigneur de Beaujeu est mis dans Mortagne[155], et Pierre de
-Carcassonne est chargé de défendre Saint-Amand[156] en Puelle. P. 40 et
-41, 227.
-
- [150] Louis d'Espagne, comte de Talmont, fut capitaine souverain
- à Lille du 16 avril au 27 septembre 1340. De Camps, portef. 83,
- fo 310 vo.
-
- [151] Hue Quieret, chevalier et conseiller du roi, son amiral en
- la mer, fut capitaine de Douai du 28 octobre au 6 décembre 1339.
- De Camps, 83, fo 311. Nicole de Wasiers paraît avoir succédé à
- Hue Quieret comme capitaine de Douai sous le gouvernement de
- Godemar du Fay, du 28 octobre 1339 au 27 septembre 1340. De
- Camps, 83, fo 312.
-
- [152] Jean de Traynel, _chevalier le roi_, fut établi du 2
- février au 12 juillet 1340, capitaine à Aire et ès frontières
- d'Artois avec 2 bacheliers et 28 écuyers sous sa bannière, et
- sous ses ordres 25 chevaliers bacheliers. De Camps, 83, fos 315
- et 316.
-
- [153] Robert de Wavrin, sire de Saint-Venant, fut établi, du 30
- octobre 1339 au 27 septembre 1340, capitaine de Saint-Venant,
- avec 5 chevaliers et 40 écuyers sous sa bannière, et sous ses
- ordres 7 chevaliers bacheliers. De Camps, 83, fos 314 et 315.
-
- [154] Godemar du Fay, sire de Bouchon (Somme, arr. Amiens, c.
- Picquigny), gouverneur de Tournésis, fut capitaine général ès
- villes de Lille et de Tournay et sur les frontières de Flandre et
- de Hainaut, du 18 octobre 1339 au 1er octobre 1340. De Camps, 83,
- fo 308 vo.
-
- [155] Jean de Vienne, chevalier banneret, fut commis à la garde
- de Mortagne, du 29 octobre 1339 au 1er octobre 1340, avec 6
- chevaliers bacheliers et 44 écuyers. De Camps, 83, fo 313.
-
- [156] Jean, sire de Wastines, chevalier bachelier, fut préposé à
- la défense de Saint-Amand en 1339 et 1340 avec Jean de
- Verdebourc, Baudouin de Loc, Baudouin de Hasebrouck et 23
- écuyers. Ibid.
-
-Robert, roi de Sicile, très-versé dans l'astrologie, prédit les succès
-d'Édouard III: «Le sanglier de Windsor viendra, dit-il, enfoncer ses
-défenses jusque dans les portes de Paris.» Inspiré par son dévouement à
-la couronne de France, le roi Robert vient à Avignon prier le pape
-(Benoît XII)[157] d'user de son intervention pour faire la paix entre
-les rois de France et d'Angleterre. P. 41, 226.
-
- [157] Froissart se trompe en rapportant ce fait au pontificat de
- Clément VI qui ne succéda à Benoît XII qu'en 1342.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXXVIII.
-
- 1340. ASSEMBLÉE DE VILVORDE SUIVIE DU SIÉGE DE TOURNAY PAR
- ÉDOUARD III ET SES ALLIÉS[158] (§§ 118 à 122).
-
- [158] Cf. Jean le Bel, chap. XXXVII, t. I, p. 175 à 177.
-
-
-Assemblée de Vilvorde. Les principaux personnages qui assistent à cette
-assemblée, sont Édouard III roi d'Angleterre, Jean III duc de Brabant,
-Guillaume II comte de Hainaut, Jean de Hainaut, oncle du comte, Renaud
-II duc de Gueldre, Guillaume V marquis de Juliers, Louis Ier de
-Bavière, marquis de Brandebourg, Frédéric II, marquis de Meissen et
-d'Osterland, Adolphe VIII, comte de Berg, Robert d'Artois, Thierry III,
-seigneur de Fauquemont (Valkenburg), Guillaume de Duvenvoorde,
-Guillaume Ier, marquis de Namur. A ces princes sont venus se joindre
-Jacques d'Arteveld et les députés de Flandre, de Brabant et de Hainaut,
-au nombre de trois ou quatre pour chaque bonne ville. Une alliance
-offensive et défensive est conclue entre Flandre, Hainaut et Brabant;
-en cas de différend, c'est le roi d'Angleterre qui jouera le rôle
-d'arbitre entre ces trois pays. En signe de cette alliance, il sera
-frappé une monnaie dont les pièces s'appelleront _compagnons_ ou
-_alliés_. Les alliés conviennent d'aller mettre le siége devant Tournay
-aux environs de la Madeleine (22 juillet), puis ils se séparent et
-chacun retourne chez soi pour faire ses préparatifs. P. 41 à 43, 229 et
-230.
-
-Philippe de Valois envoie tenir garnison à Tournay l'élite de sa
-chevalerie, notamment Raoul, comte d'Eu, connétable de France[159], le
-jeune comte de Guines son fils[160], le comte de Foix[161] et ses
-frères, Aymeri VIII (vicomte) de Narbonne, Amé de Poitiers[162],
-Geoffroy de Charny[163], Girard de Montfaucon[164], Robert Bertran et
-Mathieu de Trie, maréchaux de France[165], Jean de Landas[166], le
-sénéchal de Poitou[167], les seigneurs de Cayeux[168], de
-Châtillon[169], de Renneval, de Mello[170], d'Offémont[171], de
-Saint-Venant[172] et de Creseques[173]. Les fortifications de la cité
-sont réparées, les engins, canons et espingalles sont mis en état, et
-l'on se pourvoit d'approvisionnements de toute sorte. P. 43, 44, 230.
-
- [159] «Gens d'armes qui furent _à Tournay sous le gouvernement de
- Raoul, comte d'Eu_, connestable de France, estably lieutenant du
- roy sur toutes les frontières de Flandres et de Hainaut, du 23
- octobre 1339 jusques au 2 décembre qu'il donna congé à ses dites
- gens d'armes.» De Camps, 83, fo 396 vo.
-
- [160] «Raoul, comte de Guines, chev. bann. et 14 esc.» De Camps,
- 83, fo 307.
-
- [161] Gaston de Foix n'est pas mentionné dans les montres comme
- ayant tenu garnison à Tournay, mais il commandait une des
- batailles de l'host de Bouvines: «La bataille Gaston, comte de
- Foix. Le dit comte de Foix, 32 chev. bann., 31 bach., 23 esc.
- bann., 671 esc., 7 sergens d'armes, 12 menestrels et 4 mareschaux
- pour chascun menestrel.» De Camps, 83, fos 343 vo et 344.
-
- [162] Host de Bouvines en 1340. Bataille du roi: «Amé de
- Poitiers, banneret, 3 bach., 62 esc.» De Camps, 83, fo 346.
-
- [163] A l'host des frontières de Flandre, du 9 mars 1339 au 1er
- octobre 1340, dans la bataille de Raoul, comte d'Eu, figure:
- «Gieffroy de Charny, bach. et 6 esc.; venu de Pierrepont sous
- Vezelay.» De Camps, 83, fo 317.
-
- [164] Parmi les gens d'armes qui ont servi à Douai sous Godemar
- du Fay, du 18 octobre 1339 au 1er octobre 1340, figure: «Girart
- de Montfaucon, chev. bach., avec 9 esc.» De Camps, 83, fo 309 vo.
-
- [165] Mathieu de Trie et Robert Bertran avaient à l'host de
- Flandre du 2 mars 1339 le commandement d'une bataille dite
- _bataille des maréchaux de France_: «Mathieu de Trie, mareschal
- de France, bann., 17 chev. bach. et 180 esc.; Robert Bertran,
- sire de Briquebec, mareschal de France, bann. et 16 esc.» De
- Camps, 83, fo 320 vo.
-
- [166] Du 27 octobre 1339 au 27 septembre 1340 «jusques au
- departement de l'ost de Bovines, Jean de Mortaigne, seigneur de
- Landas, chev. bach., fut establi capitaine de Marchaines
- (Marchiennes) avec 12 esc.» De Camps, 83, fo 346.
-
- [167] A l'host de Bouvines, dans la bataille du comte d'Alençon,
- figure «Jourdain de Loubert, seneschal de Poitou, chev. bann., 14
- bach., 65 esc.» De Camps, 83, fo 337 vo.
-
- [168] Jean de Cayeu, chev. bann., 12 esc.; venu de Senarpont
- (Somme, arr. Amiens, c. Oisemont). Ibid., fos 307 et 317.
-
- [169] A l'host de Bouvines, dans la bataille du duc de Normandie,
- figure «Jean, sire de Chastillon, chev. bann., 9 bach. et 56
- esc.; venu de Marigny lès Chasteau Thierry.» Ibid., fo 396.
-
- [170] Parmi les gens d'armes qui servirent à Tournay sous Raoul,
- comte d'Eu, du 28 octobre au 2 décembre 1339, figure «Guillaume
- de Mello et 8 esc.» Ibid., fo 306 vo.
-
- [171] A l'host de Bouvines, dans la bataille du comte d'Alençon,
- figure «Jean de Neelle, seigneur d'Auffemont, chev. bann., 5
- bach., 32 esc.» Ibid., fo 338.
-
- [172] Robert de Wavrin, sire de Saint-Venant.
-
- [173] On lit _Breseques_ dans le ms. B 6; mais il s'agit sans
- doute ici d'Eustache, seigneur de Creseques, chevalier banneret
- d'Artois, qui servit à l'host de Bouvines, dans la bataille
- d'Eude, duc de Bourgogne et comte d'Artois. De Camps, 83, fo 330 vo.
-
-Siége de Tournay par Édouard III et ses alliés. Le roi d'Angleterre
-prend position à la porte dite de Saint-Martin[174] sur le chemin de
-Lille et de Douai, le duc entre le Pont-à-Rieux[175], le long de
-l'Escaut, le Pire[176] et la porte de Valenciennes[177], le comte de
-Hainaut entre le roi d'Angleterre et le duc de Brabant[178]. Jacques
-d'Arteveld, à la tête de soixante mille Flamands, vient se loger à la
-porte de Sainte-Fontaine[179], sur les deux rives de l'Escaut. Les
-princes allemands, campés près des Marvis[180] du côté du Hainaut, ont
-fait un pont sur l'Escaut en amont de Tournay pour aller et venir d'une
-rive à l'autre. La cité de Tournay est ainsi investie de tous les côtés
-à la fois, et les habitants, pour mieux assurer la défense, ont enterré
-sept de leurs portes. P. 44 et 45, 230 à 232.
-
- [174] La porte de Saint-Martin était au midi de Tournay, non loin
- du chemin de Lille et de Douai, situé un peu plus à l'ouest.
-
- [175] Le Pont-à-Rieux est aujourd'hui un hameau de la commune de
- Saint-Maur, Belgique, prov. Hainaut, arr. Tournay, c. Antoing, à
- 5 kil. de Tournay.
-
- [176] Le Pire est aujourd'hui un hameau de Montroeul-au-Bois,
- Belgique, prov. Hainaut, arr. Tournay, c. Leuze, à 12 kil. de
- Tournay.
-
- [177] La porte de Valenciennes était située à l'est de Tournay,
- sur la rive gauche de l'Escaut, à l'endroit où ce fleuve entre
- dans la ville.
-
- [178] Entre Édouard III au midi et le duc de Brabant à l'est, le
- comte de Hainaut était campé par conséquent au sud-est.
-
- [179] La porte de Sainte-Fontaine était à l'ouest de Tournay, du
- côté de Courtrai, sur la rive gauche de l'Escaut.
-
- [180] La porte des Marvis était située au nord-est de Tournay,
- sur la rive droite de l'Escaut.
-
-Le siége durant devant Tournay, le comte de Hainaut ravage et brûle
-Orchies[181] et plus de quarante villages ou hameaux des environs,
-Landas[182], Lecelles[183], Haubourdin[184], Seclin[185], Ronchin[186],
-la ville et l'abbaye de Cysoing[187], Bachy[188], Marchiennes[189],
-les bords de la rivière de Scarp jusqu'au château de Rieulay[190], en
-Hainaut; il pousse ses incursions jusqu'au Pont-à-Raches[191] à une
-lieue de Douai et jusqu'aux faubourgs de Lens[192] en Artois. P. 46,
-232 et 233.
-
- [181] Nord, arr. Douai.
-
- [182] Nord, arr. Douai, c. Orchies.
-
- [183] Nord, arr. Valenciennes, c. Saint-Amand-les-Eaux.
-
- [184] Nord, arr. Lille.
-
- [185] Nord, arr. Lille. Par acte daté du Moncel lez
- Pont-Sainte-Maxence en octobre 1340, Philippe de Valois donne aux
- religieux, frères et sœurs de l'hôpital de Notre-Dame _emprès
- Seclin «tant pour leurs maisons qui ont esté arses et leurs biens
- gastez par noz anemis_, comme pour certaines autres causes, trois
- muis de blé, deux muis d'aveine et douze solz parisis ou environ
- de rente annuelle, en quoy le dit hospital estoit tenuz à nous
- par an.» Arch. de l'Empire, sect. hist., JJ73, p. 39, fo 32 vo.
-
- [186] Nord, arr. et c. Lille.
-
- [187] Nord, arr. de Lille, sur la Marcq. Abbaye d'hommes de
- l'ordre de Saint-Augustin, au diocèse de Tournay.
-
- [188] Nord, arr. Lille, c. Cysoing.
-
- [189] Nord, arr. Douai.
-
- [190] Nord, arr. Douai, c. Marchiennes.
-
- [191] Raches ou Pont-à-Raches, Nord, arr. et c. Douai.
-
- [192] Pas-de-Calais, arr. Béthune.
-
-Combat sur l'Escaut entre les Flamands et les Français montés les uns
-et les autres sur des barques; les Flamands sont repoussés par les
-assiégés. P. 46, 47, 233, 234.
-
-Durant ce même siége de Tournay, les Français de la garnison de
-Saint-Amand pillent et brûlent le village et l'abbaye d'Hasnon[193];
-ils traversent les bois de Raismes, mettent le feu à l'hôtel du
-Pourcelet et attaquent l'abbaye de Vicoigne[194], dont l'abbé nommé
-Godefroi[195] parvient à repousser les agresseurs. Pour remercier les
-arbalétriers de Valenciennes qui sont accourus à son secours sous les
-ordres de Jean de Baissi, prévôt de la ville, l'abbé de Vicoigne leur
-fait boire un tonneau de vin; et dans la crainte d'une nouvelle
-surprise, il fait couper les bois qui entourent son abbaye et creuser
-de profonds et larges fossés. P. 47, 48, 234, 235.
-
- [193] Nord, arr. Valenciennes, c. Saint-Amand. Abbaye de
- Bénédictins au diocèse d'Arras.
-
- [194] Vicoigne, aujourd'hui hameau de la commune de Raismes,
- Nord, arr. Valenciennes. Abbaye de l'ordre de Prémontré au
- diocèse d'Arras.
-
- [195] L'abbé Godefroi, dont il est ici question, est Godefroi II
- de Bavai, né à Cambrai, promu abbé en 1312, mort en 1344. Une
- épitaphe rapportée dans le _Gallia christiana_ célèbre le courage
- de l'abbé Godefroi.
-
-«Pendant le siége de Tournay, dit Froissart, il survint plusieurs
-grands faits d'armes, non-seulement en France, mais encore en Gascogne
-et en Écosse, qui ne doivent pas être mis en oubli, car selon la
-promesse que j'ai faite à mon seigneur et maître en commençant cet
-ouvrage, je consignerai toutes les belles actions qui viendront à ma
-connaissance, quoique Jean le Bel ne les ait pas mentionnées dans ses
-Chroniques. Mais un homme ne peut tout savoir, et ces guerres étaient
-si grandes, si dures et si enracinées de tous côtés, qu'il est facile
-d'en oublier quelque chose si l'on n'y prend bien garde.» P. 235, 236.
-
-Le comte de l'Isle[196] est en Gascogne comme un petit roi de France et
-fait une guerre acharnée aux Gascons du parti anglais. Les principaux
-chevaliers du parti français sont avec le comte de l'Isle, les comtes
-de Comminges[197] et de Périgord[198], les vicomtes de Villemur[199],
-de Tallard[200], de Bruniquel, de Caraman[201] et de _Murendon_[202];
-l'effectif de leurs forces s'élève à six mille chevaux et dix
-mille fantassins. Les Français prennent Bergerac, Condom,
-Sainte-Bazeille[203], Penne[204], Langon[205], _Prudaire_, Civrac[206];
-ils assiégent la Réole. Après une belle défense, Jean le Bouteiller,
-capitaine de la ville pour le roi d'Angleterre, rend la Réole[207] au
-comte de l'Isle qui confie la garde de cette place à un chevalier
-gascon nommé _Raymond Segui_. Une fois maîtres de la Réole, les
-Français mettent le siége devant Auberoche[208], dont la garnison a
-pour chef Hélie de Pommiers. P. 48, 236 et 237.
-
- [196] Bernard Jourdain, sire de Lille (auj.
- l'Isle-en-Jourdain-Gers, Gers, arr. Lombez.)
-
- [197] Pierre Raymond Ier, comte de Comminges.
-
- [198] Roger Bernard, comte de Périgord.
-
- [199] Arnaud de la Vie, sire de Villemur.
-
- [200] Jean de la Baume, vicomte de Tallard.
-
- [201] Arnaud d'Euze, vicomte de Caraman.
-
- [202] Peut-être Amauri, vicomte de Lautrec, seigneur de
- Montredon.
-
- [203] Lot-et-Garonne, arr. et c. Marmande.
-
- [204] Lot-et-Garonne, arr. Villeneuve-sur-Lot.
-
- [205] Gironde, arr. Bazas.
-
- [206] Civrac-de-Dordogne, Gironde, arr. Libourne, c. Pujols.
-
- [207] La Réole était au pouvoir du roi de France dès 1339. Le 6
- janvier de cette année, Jean, roi de Bohême, lieutenant du roi en
- langue d'oc, accorde aux consuls et habitants de la Réole,
- contrairement à la coutume de Bazas, en récompense de leur
- fidélité, le privilége de pouvoir disposer par testament de leurs
- biens immeubles. Arch. de l'Empire, sect. hist., JJ73, p. 227, fo
- 179.--En 1341, Thibaud de Barbazan, écuyer banneret, était
- capitaine, et Guillaume de la Baume, chevalier banneret,
- châtelain de la Réole avec 10 écuyers. De Camps, 83, fo 288 vo.
-
- [208] Aujourd'hui hameau de la commune du Change, Dordogne, arr.
- Périgueux, c. Savignac-les-Églises.
-
-
-
-
-CHAPITRE XXXIX.
-
-1340. GUERRE EN ÉCOSSE (§ 123).
-
-
-Les Écossais prennent les armes sous les ordres de Guillaume de
-Douglas, des comtes de Murray, Patrick et de Sutherland, de Robert de
-Vescy, de Simon Fraser et d'Alexandre de Ramsay.--Pendant que le roi
-d'Angleterre assiége Tournay, et à l'instigation du roi de France, les
-Écossais portent le ravage dans le Northumberland et l'évêché de
-Durham; ils reconquièrent toutes les forteresses occupées par les
-Anglais, à l'exception de Bervick, de Stirling, de Roxburgh et
-d'Édimbourg. P. 49, 50, 237 à 239.
-
-Guillaume de Douglas s'empare du château d'Edimbourg par surprise. P.
-51 à 54.
-
-Reddition aux Écossais de Dalkeith, de Dumbar, de Dundee, de
-Dumfermline; siége de Stirling. P. 54, 239 à 241.
-
-
-
-
-CHAPITRE XL.
-
-1340. ARRIVÉE DU ROI DE FRANCE ET DE SON ARMÉE AU PONT DE BOUVINES
-CONTRE ÉDOUARD III ET SES ALLIÉS[209] (§§ 124 à 126).
-
- [209] Cf. Jean le Bel, chap. XXXVIII, t. I, p. 181 à 186.
-
-
-Le roi d'Angleterre assiége toujours Tournay avec une armée de plus de
-cent mille hommes, y compris les Flamands. Les assiégés, menacés de
-famine, font sortir les plus pauvres habitants de la ville, hommes et
-femmes. P. 54 et 241.
-
-Philippe de Valois convoque à Arras une grande armée pour marcher au
-secours des habitants de Tournay.--Noms des principaux princes et
-seigneurs, tant français qu'étrangers[210], qui se rendent à l'appel du
-roi de France. P. 55, 241 et 242.
-
- [210] Voici, d'après les montres, la liste des batailles dont se
- composa l'host de Bouvines du 9 mars au 1er octobre 1340:
- bataille de Raoul, comte d'Eu, connétable de France;--bataille de
- Robert Bertran et de Mathieu de Trie, maréchaux de
- France;--bataille de Louis, comte de Flandre, de Nevers et de
- Réthel;--bataille d'Eude, duc de Bourgogne, comte d'Artois et
- comte palatin de Bourgogne, sire de Salins;--bataille du duc de
- Normandie, lieutenant du roi de France;--bataille du roi de
- Navarre;--bataille du comte d'Alençon;--bataille de Jean, comte
- d'Armagnac;--bataille de Gaston, comte de Foix;--bataille d'Amé,
- comte de Savoie;--bataille d'Adolphe, évêque de Liége;--bataille
- du roi de France. De Camps, portef. 83, fos 316 à 406.
-
-Arrivée du roi de France[211] et de son armée sur les bords d'une
-petite rivière (la Marcq)[212], située à peu de distance de Tournay,
-entre les ponts de Bouvines[213] et de Tressin[214]. P. 56 et 242.
-
- [211] Philippe de Valois convoqua ses gens d'armes à Arras en
- juillet 1340 (De Camps, 83, fo 296), et les congédia le 27
- septembre de la même année (Ibid., fo 346); il était près du
- prieuré de Saint-André (auj. Saint-André, Nord, arr. et c. Lille)
- le 30 juillet, date de sa réponse à une provocation qui lui avait
- été adressée le 26 juillet par Édouard III de Chin-lez-Tournay
- (auj. hameau de Romegnies-Chin, Belgique, à 6 kil. de Tournay).
- Voyez Rymer, _Fœdera_, t. II, pars ii, p. 1131 et 1132. Le roi de
- France paraît avoir passé partie du mois d'août à Douai (Actum et
- datum _in exercitu nostro prope Duacum_ anno Domini 1340, mense
- _augusti_. JJ73, p. 48, fo 40). Plusieurs chartes datées du Pont
- de Bouvines sont du mois de septembre (Actum et datum _in
- tentoriis nostris prope pontem de Bovinis_, anno Domini 1340,
- mense _septembris_. JJ73, p. 247, fo 193 vo.)
-
- [212] La Marcq, issue des bois de Phalempin à 15 kil. de Lille,
- traverse des marais auxquels elle sert de décharge, et, après un
- cours d'environ 5 myriamètres, se jette dans la Deule à
- Marquette.
-
- [213] Nord, arr. Lille, c. Cysoing.
-
- [214] Nord, arr. Lille, c. Lannoy.
-
-Rencontre près de Notre-Dame-aux-Bois[215] entre des gens d'armes de la
-garnison de Bouchain, commandés par trois chevaliers allemands au
-service du comte de Hainaut et un détachement de la garnison française
-de Mortagne, qui a pour chef un chevalier bourguignon de la suite du
-seigneur de Beaujeu, nommé Jean de Frolois[216]. Les Français sont mis
-en déroute, et Jean de Frolois est fait prisonnier. P. 56 à 58, 242 à
-244.
-
- [215] Nord, arr. Valenciennes, c. Bruille-Saint-Amand. _Le
- Crousage_ du texte est peut-être la Croisette, hameau de
- Saint-Amand-les-Eaux.
-
- [216] A l'host de Bouvines, dans la bataille d'Eude, duc de
- Bourgogne figure: «Jean de Froulois, bann., 2 bach., 11 esc.» De
- Camps, portef. 83, fo 330.
-
-Un jour, un détachement de Hainuyers, dont Guillaume de Baileu est le
-chef, passe le Pont-à-Tressin[217], et va, sous la conduite de Waflard
-de la Croix, réveiller les Français. Ce même jour, une troupe de
-Liégeois venus avec leur évêque servir le roi de France, sous les
-ordres de Robert de Baileu[218], frère de Guillaume, passe aussi en
-sens inverse le Pont-à-Tressin, pour aller fourrager dans les belles
-plaines qui s'étendent entre Tressin et Baisieux[219]. Les Hainuyers de
-Guillaume de Baileu sont repoussés et mis en fuite. Au moment où ils
-repassent le pont, ils vont se jeter dans les rangs des Liégeois de
-Robert de Baileu, qui reviennent de leur excursion, et dont ils
-prennent la bannière, portée par Jacques de Forvie[220], pour la leur
-propre, à cause de la ressemblance extrême des armes de Robert et de
-Guillaume de Baileu. La plupart des Hainuyers sont tués ou faits
-prisonniers. Guillaume de Baileu se sauve à grand peine. Waflard de la
-Croix, pris dans cette rencontre et livré au roi de France, fut donné
-bientôt après, en échange du comte de Salisbury, aux habitants de
-Lille, qui le firent mettre à mort. P. 58 à 62, 244 à 246.
-
- [217] Pont-à-Tressin est encore aujourd'hui le nom d'un hameau de
- la commune de Tressin.
-
- [218] «Host de Bouvines en 1340. La bataille Adolf evesque du
- Liége: le dit evesque, 7 chev. bann., 73 bach., 420 esc.» De
- Camps, portef. 83, fo 344 vo. Il faut prendre garde de confondre
- les seigneurs de Baileu (les mss. de Froissart écrivent Bailleul)
- avec les seigneurs de Baillœul en Hainaut ou de Bailleul en
- Normandie. La seigneurie de Baileu est aujourd'hui un hameau de
- la commune de Walcourt, Belgique, prov. Namur, arr.
- Philippeville. Morialmé, dont Robert de Baileu était seigneur,
- fait aussi partie du canton de Walcourt.
-
- [219] Nord, arr. Lille, c. Lannoy.
-
- [220] Jacques de Forvie, écuyer, était le second fils de Stockar
- de Forvie le Vieux; il se maria à Isabeau, fille de Pierre de
- Surice, bourgeois de Namur. Hemricourt, _Miroir des Nobles_, éd.
- de Jalheau, p. 143.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLI.
-
- 1340. SIÉGE DE MORTAGNE ET PRISE DE SAINT-AMAND ET DE MARCHIENNES
- PAR LE COMTE DE HAINAUT.--DÉFAITE D'UNE TROUPE DE FRANÇAIS ET DU
- SEIGNEUR DE MONTMORENCY AU PONT-A-TRESSIN (§§ 127 à 132).
-
-
-Le comte de Hainaut, pour se venger de la mésaventure de Guillaume de
-Baileu et de ses gens d'armes, quitte le siége de Tournay et vient avec
-six ou sept cents lances assiéger Mortagne par la rive droite de
-l'Escaut. En même temps, les habitants de Valenciennes ayant reçu
-l'ordre d'assaillir cette place en s'avançant entre la Scarpe et
-l'Escaut, douze cents hommes, commandés par Jean de Baissi, prévôt de
-la ville, et Gille le Ramonnier, passent les deux rivières de Haine et
-d'Escaut à Condé, et arrivent sous les murs de Mortagne. P. 62, 246 et
-247.
-
-Édouard de Beaujeu, capitaine de Mortagne[221], en prévision d'un
-siége, a fait enfoncer dans le lit de l'Escaut une quantité innombrable
-de pieux pour rendre la navigation impossible. Ce que voyant les
-arbalétriers de Valenciennes, qui ne peuvent approcher assez près des
-barrières à cause de la largeur des fossés, prennent le parti de passer
-la Scarpe au-dessous de Château-l'Abbaye[222] afin d'attaquer Mortagne
-du côté de Saint-Amand[223] et de donner l'assaut à la porte devers
-Maulde[224]. Cette porte, qui donne sur la Scarpe, est défendue par
-Édouard de Beaujeu en personne, tandis que le seigneur de
-Saint-Georges[225], son cousin, se tient à la porte d'Escaut par où
-l'on va à Antoing[226], faisant face au comte de Hainaut, campé le long
-de l'Escaut du côté de Briffœuil[227]. Le seigneur de Beaujeu est armé
-d'une longue lance, et, au moyen d'un croc de fer attaché à l'extrémité
-de cette lance qui s'enfonce dans les plates et le hauberjon, il
-parvient à harponner une douzaine d'assaillants, les attirant à lui ou
-les précipitant au fond des fossés pleins d'eau. P. 63 et 247.
-
- [221] D'après les montres conservées par De Camps, Jean de
- Vienne, et non Édouard de Beaujeu, fut capitaine de Mortagne, du
- 29 octobre 1339 au 1er octobre 1340, avec 6 chevaliers bacheliers
- et 44 écuyers. De Camps, portef. 83, fo 313.
-
- Le château de Mortagne, bâti au confluent de l'Escaut et de la
- Scarpe, résidence habituelle des châtelains de Tournay, fut cédé
- en 1313 avec la châtellenie de Tournay à Philippe le Bel.
-
- [222] Nord, arr. Valenciennes, c. Saint-Amand-les-Eaux.
-
- [223] Aujourd'hui Saint-Amand-les-Eaux, sur la rive gauche de la
- Scarpe, affluent de la rive gauche de l'Escaut.
-
- [224] Nord, arr. Valenciennes, c. Saint-Amand-les-Eaux, sur la
- rive gauche de la Scarpe.
-
- [225] Il s'agit ici sans doute du seigneur de
- Saint-Georges-de-Reneins, Rhône, arr. Villefranche-sur-Saône, c.
- Belleville-sur-Saône.
-
- [226] Belgique, prov. Hainaut, arr. Tournay, à 7 kil. de Tournay.
-
- [227] Aujourd'hui hameau de Wasmes-Audemez, Belgique, prov.
- Hainaut, arr. Tournay, c. Péruwelz.
-
-Les assiégeants donnent l'ordre d'installer sur un bateau un appareil
-destiné à arracher les pieux qui barrent le passage de l'Escaut. Quant
-on vient à essayer cet appareil, il fonctionne si mal qu'on doit
-renoncer à s'en servir. Les Valenciennois ont pendant ce temps dressé
-une très-belle machine qui lance des pierres énormes contre le château
-et la ville de Mortagne; mais un maître ingénieur de la garnison
-construit une machine plus petite et l'ajuste si bien qu'à la troisième
-pierre qu'elle lance, elle brise par le milieu le pierrier des
-assiégeants. Après deux nuits et trois jours d'assaut, le comte de
-Hainaut et Jean de Hainaut, son oncle, se décident à retourner au siége
-de Tournay, et les Valenciennois reprennent le chemin de leur ville
-après avoir ravagé l'abbaye du Château. P. 64, 65, 248.
-
-Informé que la garnison française de Saint-Amand a brûlé l'abbaye
-d'Hasnon et essayé de brûler celle de Vicoigne, le comte de Hainaut
-part de Tournay et vient avec trois mille combattants assiéger
-Saint-Amand, qui n'était alors entouré que d'une enceinte de
-palissades. Le capitaine de la garnison[228] est un bon chevalier de la
-langue d'oc, nommé le sénéchal de Carcassonne[229]; prévoyant l'attaque
-du comte de Hainaut et sachant que la place n'est pas tenable, il a
-fait transporter les plus riches joyaux de l'abbaye à Mortagne, P. 65,
-66, 248.
-
- [228] Comme nous l'avons dit plus haut, Jean, sire de Wastines,
- fut établi gardien de Saint-Amand, du 23 octobre 1339 au 1er
- octobre 1340.
-
- [229] Le sénéchal de Carcassonne, dont il est ici question,
- s'appelait Jean de la Roche; il figure sur les montres de l'host
- de Bouvines en 1340 avec cette mention: «Jean de la Roche,
- chevalier, seneschal de Carcassonne, banneret, 2 chevaliers
- bacheliers, 102 escuiers.» De Camps, portef. 83, fo 352. Jean de
- la Roche, seigneur de Castanet (Haute-Garonne), était marié à
- Guillemine de Roussillon.
-
-Douze mille Valenciennois attaquent Saint-Amand par le pont jeté sur la
-Scarpe. Les bidauds et les Génois de la garnison, pour se moquer des
-arbalétriers de Valenciennes, essuient avec leurs chaperons sur les
-murs la place des traits et crient aux assiégeants: «Allez boire votre
-goudale, allez!» Découragés et ne recevant aucunes nouvelles du comte
-leur seigneur, les Valenciennois regagnent leur ville le soir même. P.
-66, 67, 248, 249.
-
-Le lendemain, le comte de Hainaut arrive devant Saint-Amand et donne
-l'assaut à la porte du côté de Mortagne. Une brèche est ouverte dans le
-mur de l'abbaye que l'on enfonce au moyen d'énormes pieux en chêne; le
-comte s'élance par cette brèche et pénètre sur la place du marché
-devant l'église. Il y trouve le sénéchal de Carcassonne qui l'attend de
-pied ferme avec une poignée de compagnons de son pays serrés autour de
-sa bannière. Un moine nommé Froissart défend l'entrée de l'abbaye et
-tue plus de dix-huit assaillants. Le comte fait passer la garnison au
-fil de l'épée et mettre le feu à la ville, à l'église et aux bâtiments
-de l'abbaye. Le sénéchal de Carcassonne est tué sous sa bannière. P. 67
-à 69, 249.
-
-Après la destruction de Saint-Amand, le comte de Hainaut incendie
-Orchies, Landas, Lecelles, passe la Scarpe au-dessous d'Hasnon et,
-entrant en France, s'empare de la grosse et riche abbaye de
-Marchiennes[230] défendue par Amé de Warnant[231]. Incendie et pillage
-de la ville et de l'abbaye. P. 69, 70, 249, 250.
-
- [230] Nord, arr. Douai, sur la rive gauche de la Scarpe et de la
- Rache et sur la route de Bouchain à Orchies. Abbaye de
- Bénédictins au diocèse d'Arras. Depuis la dispersion de l'host de
- Buironfosse, le 28 octobre 1339 jusqu'à la dispersion de l'host
- de Bouvines, le 27 septembre 1340, «Jean de Mortagne, seigneur de
- Landas, chevalier bachelier, fut establi capitaine de Marchiennes
- avec 12 escuiers.» De Camps, 83, fo 346 vo.
-
- [231] A l'host de Bouvines en 1340, parmi les bacheliers sous les
- maréchaux de France, figure: «Amé de Warnans, chev. bach. et 25
- esc.; venu de Warnans entre Aix et le Liége.» Aujourd'hui
- Warnant-Dreye, Belgique, prov. Liége.
-
-Le roi d'Angleterre se tient toujours devant Tournay qu'il espère
-réduire bientôt par la famine; mais le duc de Brabant laisse plus d'une
-fois passer à travers son armée des vivres destinés aux assiégés, et
-les gens d'armes de ses bonnes villes de Bruxelles, de Louvain, de
-Malines, d'Anvers, de Nivelles, de Jodoigne[232], de Lierre[233],
-commencent à s'impatienter de la longueur du siége. P. 70, 71, 250,
-251.
-
- [232] Belgique, prov. Brabant, arr. Nivelles.
-
- [233] Belgique, prov. Anvers, arr. Malines.
-
-Un certain nombre de gens d'armes allemands des duchés de Gueldre et de
-Juliers s'entendent avec plusieurs chevaliers du Hainaut pour prendre
-une revanche de la victoire remportée à Pont-à-Tressin par Robert de
-Baileu et les Liégeois sur les Hainuyers: ils se divisent en deux
-détachements, dont l'un reste à Pont-à-Tressin pour garder le passage,
-tandis que l'autre court réveiller les Français. Deux grands barons de
-France, les seigneurs de Montmorency[234] et de Saint-Sauflieu[235],
-qui font le guet la nuit où se passe cette escarmouche, repoussent ces
-agresseurs et se mettent à leur poursuite jusqu'à Pont-à-Tressin.
-Voyant que les ennemis sont là en force pour défendre le passage, le
-seigneur de Saint-Sauflieu prend le parti de se retirer avec les siens.
-Le seigneur de Montmorency, qui veut continuer la lutte, est fait
-prisonnier ainsi que toute son escorte par Renaud de Sconnevort; et les
-Allemands ou Hainuyers restent maîtres du pont. P. 71 à 76, 251 à 253.
-
- [234] A l'host de Bouvines en 1340, dans la bataille de Raoul,
- comte d'Eu, figure «Charles, seigneur de Montmorency, banneret, 1
- bachelier, 11 escuiers.» De Camps, 83, fo 335.
-
- [235] Somme, arr. Amiens, c. Sains. Aucun chevalier banneret,
- seigneur de Saint-Sauflieu, n'est mentionné sur les montres de
- l'host de Bouvines en 1340; on n'y voit figurer que Gaucher de
- Saint-Sauflieu, écuyer, et Raoul, dit Herpin, de Saint-Sauflieu,
- aussi écuyer, fait chevalier le 23 mai. Comme Gaucher et Raoul
- dit Herpin de Saint-Sauflieu servaient sous la bannière de Rogue,
- sire de Hangest, ce dernier est sans doute «le grand baron» dont
- parle Froissart; et il n'est pas étonnant qu'on le trouve à côté
- de Charles, seigneur de Montmorency, dont il était l'oncle par
- son mariage avec Isabeau de Montmorency, fille de Mathieu IV.
- «Rogue, sire de Hangest, chev. bann., 4 bach. et 29 esc.; venu de
- Maigneville en la comté de Bar. De sa compagnie.... Gaucher de
- Saint-Sauflieu.... Harpin de Saint-Sauflieu et Martel du Hamel
- faits chevaliers nouvels le 23 jour de may.» De Camps, 83, fo 396
- vo.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLII.
-
- 1340. DÉFAITE PRÈS DE SAINT-OMER, PANIQUE ET RETRAITE DES
- FLAMANDS DANS LEUR PAYS.--LEVÉE DU SIÉGE DE TOURNAY; TRÊVE ENTRE
- LA FRANCE ET L'ANGLETERRE[236] (§§ 133 à 137).
-
- [236] Cf. Jean le Bel, chap. xxxix, t. I, p. 187 à 194.
-
-
-Après l'arrivée du roi de France et de son armée à Bouvines, le bruit
-se répand que les garnisons françaises de Saint-Omer, d'Aire et de
-Thérouanne doivent pénétrer dans la vallée de Cassel et ravager le
-pays, notamment les villes de Bergues[237], Bourbourg[238],
-Messines[239], Wervicq[240], Poperinghe[241]. Pour conjurer ce danger,
-Robert d'Artois et Henri de Flandre vont se poster avec vingt mille
-Flamands à l'entrée de la vallée de Cassel. P. 76, 77, 253.
-
- [237] Nord, arr. Dunkerque.
-
- [238] Ibid.
-
- [239] Belgique, prov. Flandre occidentale, arr. Ypres.
-
- [240] Ibid.
-
- [241] Ibid.
-
-Environ trois mille de ces Flamands quittent un jour leur campement
-pour aller ravager et piller, à l'insu de leurs chefs, le pays situé
-entre Aire, Thérouanne et Saint-Omer, ils mettent le feu aux faubourgs
-et abattent les moulins de Saint-Omer; à une demi-lieue de cette ville,
-ils pillent et brûlent aussi le gros village d'Arques[242] où ils font
-un riche butin; mais au moment où ils se reposent dans un village
-appelé _la Cauchie_[243], un certain nombre de gens d'armes français
-des garnisons de Saint-Omer et de Thérouanne viennent, sous les ordres
-de (Jean), comte dauphin d'Auvergne[244], fondre à l'improviste sur ces
-pillards, en tuent dix-huit cents et en font quatre cents
-prisonniers[245]. P. 76 à 78, 253 à 255.
-
- [242] Pas-de-Calais, arr. et c. Saint-Omer.
-
- [243] Aujourd'hui Cauchy, hameau de la commune d'Ecques,
- Pas-de-Calais, arr. Saint-Omer, c. Aire-sur-la-Lys.
-
- [244] C'est par erreur que Froissart appelle _Béraud_ le comte
- dauphin d'Auvergne, qui prit part à l'expédition de Bouvines;
- Béraud Ier ne succéda à Jean, dit Dauphinet, son père, qu'en
- 1351. «Jean, comte de Clermont, dalphin d'Auvergne, pour li
- escuier banneret, 7 bach., 1 esc. bann., 56 esc.--Pour
- l'accroissement des gages du dit comte qui le 11 jour de juillet
- fut fait chevalier, de Beraut de Marqueil (Mercœur), esc. bann.
- fait chevalier le 27 d'aoust.» De Camps, 83, fo 351.
-
- [245] 6 écuyers bannerets de langue d'oc furent faits chevaliers,
- 32 écuyers aussi de langue d'oc furent faits chevaliers nouveaux
- «devant Saint-Omer _le 25 juillet_.» De Camps, 83, fo 343. Nous
- aurions ainsi une date précise si nous étions certains que
- l'engagement devant Saint-Omer qui donna lieu à cette promotion
- de chevaliers est le même que celui dont parle Froissart.
-
- Au milieu de la nuit qui suit ce désastre, tous les Flamands
- campés dans la vallée de Cassel se réveillent comme pris de
- panique, se lèvent en toute hâte et après avoir plié bagages,
- reprennent le chemin de leur pays, malgré les représentations de
- Henri de Flandre et de Robert d'Artois, qui vont rejoindre Édouard
- III et l'armée anglo-allemande devant Tournay. P. 78, 79, 255,
- 256.
-
- Dans une dépêche d'Édouard III datée de Bruges le 9 juillet et
- adressée au prochain Parlement qui doit se réunir à Westminster,
- le roi d'Angleterre annonce qu'il se dispose à aller bientôt (aux
- environs de la Madeleine, le 22 juillet) assiéger Tournay avec la
- plus grande partie de ses forces «où il y auera cent mill homes de
- Flaundres armez; _et mounseur Robert d'Artoys vers Seint Omer od
- cynquante mill_, outre touz nos alliez et lour poair.» Dès le 26
- juillet, Édouard III était campé «à Chyn (auj. hameau de
- Ramegnies-Chin, Belgique, à 6 kil. de Tournay), sur les champs de
- lez Tournay.» Rymer, _Fœdera_, vol. II, p. 1130 et 1131. Les
- Flamands de Robert d'Artois durent arriver à peu près en même
- temps devant Saint-Omer; la date de leur défaite le 25 juillet est
- donc très-probable.
-
-Une trêve d'un an est conclue à Esplechin[246] entre les rois de France
-et d'Angleterre par l'entremise de Jeanne de Valois, soœur de Philippe
-de Valois, mère du comte Guillaume de Hainaut, aidée de Louis
-d'Agimont[247]. P. 79 à 82, 256 à 262.
-
- [246] Belgique, prov. Hainaut, arr. et c. Tournay, à 7 kil. de
- cette ville.
-
- [247] Parmi les chevaliers bacheliers qui servirent ès parties de
- Thiérache sous Gautier duc d'Athènes en vertu de lettres du 6
- septembre 1339 figure: «Loys d'Aigimont, 1 bachelier, 8
- escuiers.» De Camps, 83, fo 305 vo.
-
- La trêve fut en effet signée dans l'église d'Esplechin le lundi 25
- septembre 1340. Les négociateurs furent de la part du roi de
- France: Jean roi de Bohême et comte de Luxembourg, Adolphe évêque
- de Liége, Raoul duc de Lorraine, Amé comte de Savoie, Jean comte
- d'Armagnac;--de la part du roi d'Angleterre: le duc de Brabant, le
- duc de Gueldre, le marquis de Juliers, le comte de Hainaut et Jean
- de Hainaut sire de Beaumont. Rymer, _Fœdera_, vol. II, p. 1135.
-
-Édouard III lève le siége de Tournay, qui dure depuis onze semaines
-trois jours moins, et retourne en Angleterre; Philippe de Valois, de
-son côté, licencie son armée campée à Bouvines[248].--Les conférences
-tenues à Arras entre les envoyés des deux rois en vue de la conclusion
-d'un traité de paix, restent sans résultat. P. 82 à 86, 262 à 265.
-
- [248] Le 27 septembre 1340, congé général fut donné aux gens
- d'armes de l'host de Bouvines «excepté à aucuns qui en garnison
- demeurèrent à Tournay, le siége des ennemis estant devant la
- ville, lesquels ont pris gages jusques au 1er octobre 1340 par
- grace du roi.» De Camps, 83, fo 350.
-
- Le 13 octobre 1340, Philippe de Valois était à l'abbaye de Moncel
- (auj. hameau de Pont-Point, Oise, arr. Senlis, c.
- Pont-Sainte-Maxence), ainsi que l'atteste une charte où il accorde
- aux religieuses, abbesse et couvent du dit lieu «le droit de
- prendre annuellement vint milliers de fagos en la vente ou ès
- ventes d'aucun ou d'aucuns marcheans de la forest de Halate.»
- Arch. de l'Empire, Sect. hist., JJ73, p. 157, fo 129 vo.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLIII.
-
- 1341. GUERRE DE LA SUCCESSION DE BRETAGNE: SUCCÈS DU COMTE DE
- MONTFORT[249] (§§ 138 à 143).
-
- [249] Cf. Jean le Bel, chap. XLVI, t. I, p. 225 à 236.
-
-
-«Plusieurs jongleurs et chanteurs sur les places, dit Froissart, en
-prenant les guerres de Bretagne pour sujet de chansons de geste
-fabuleuses et de poëmes mensongers, ont altéré la vérité historique au
-grand déplaisir de Jean le Bel, qui a raconté le premier ces guerres
-dans ses Chroniques et à mon grand déplaisir aussi à moi Froissart qui
-ai loyalement, impartialement continué et complété l'œuvre de mon
-prédécesseur. Ces poëmes et ces chansons ne donnent nullement les faits
-réels: ces faits, on ne les trouvera qu'ici, grâce au soin extrême que
-nous y avons mis, car on n'a rien sans frais et sans peine. Moi, Jean
-Froissart, venu le dernier depuis Jean le Bel pour traiter ce sujet,
-j'ai visité et parcouru la plus grande partie de la Bretagne, j'ai fait
-une enquête auprès des seigneurs et des hérauts sur les guerres, les
-prises, les assauts, les incursions, les batailles, les rescousses et
-tous les beaux faits d'armes arrivés depuis 1340 jusqu'à la fin de ce
-livre; je me suis imposé cette tâche tant à la requête de mon seigneur
-et maître et à ses frais que pour me satisfaire moi-même, pour donner
-de l'authenticité et des bases solides à mon travail: en quoi mes
-efforts ont été grandement récompensés.» P. 265 et 266.
-
-Mort de Jean III, dit le Bon, duc de Bretagne (30 avril 1341). Jean,
-comte de Montfort, frère de père de Jean III, est reçu comme duc à
-Nantes au mépris des prétentions de Jeanne, nièce du roi de France par
-son mariage avec Charles de Blois et dont le père Gui, comte de
-Penthièvre, était frère de Jean III de père et de mère. P. 86 à 88, 265
-à 269.
-
-Jean de Montfort, après s'être emparé de Limoges et des trésors de Jean
-III, revient à Nantes où il convoque à une grande fête les nobles et
-prélats de Bretagne. Les bourgeois et conseillers des bonnes villes se
-rendent à cet appel, mais non les grands barons qui, sauf Hervé de
-Léon[250], sont à peu près tous partisans de Charles de Blois. Jean de
-Montfort distribue à ses fidèles le trésor trouvé à Limoges. P. 89 et
-90, 269 à 271.
-
- [250] Les chefs du parti de Montfort étaient, outre Hervé de
- Léon, le seigneur de Pont-l'Abbé (Finistère, arr. Quimper),
- Geffroi de Malestroit (Morbihan, arr. Ploërmel), Tanneguy du
- Châtel (la terre et seigneurie du Châtel était située dans
- l'ancien diocèse de Saint-Pol-de-Léon), Henri de Kaër (fief situé
- sur le territoire de Vannes), Yvon de Trésiguidy (Finistère, arr.
- Châteaulin, hameau de la commune de Pleuben), Hervé seigneur de
- Névez (Finistère, arr. Quimperlé, c. Pont-Aven), Alain de
- Kerlévénan (Morbihan, arr. Vannes, hameau de la commune de
- Sarzeau); on voit que les principaux partisans de Montfort
- appartenaient à la Bretagne bretonnante.
-
-Prise du fort château de Brest par Jean de Montfort après une héroïque
-défense de (Gautier[251]) de Clisson. P. 90 à 93, 271 à 275.
-
- [251] Jean le Bel et Froissart donnent à ce chevalier le prénom
- de _Garnier_; les historiens de Bretagne l'appellent Gautier.
-
-Siége de Rennes par Jean de Montfort. Henri de Spinefort[252],
-capitaine de la ville, est fait prisonnier dans une sortie. Le comte de
-Montfort menace de faire pendre ce chevalier si Rennes ne lui ouvre ses
-portes. Lutte entre les grands bourgeois qui sont d'avis de résister et
-les gens du commun qui veulent faire leur soumission. La ville finit
-par se rendre, et Henri de Spinefort se range parmi les partisans de
-Jean de Montfort. P. 93 à 96, 275 à 280.
-
- [252] La maison de Spinefort était une «noble et ancienne maison
- de Bretagne, au diocèse de Vannes, en la paroisse de Languidic
- (Morbihan, arr. Lorient, c. Hennebont), à peu de distance de
- Hennebont.» Voy. _Les vies des saints de la Bretagne_, par Albert
- le Grand, éd. de M. Miorcec de Kerdannet, p. 38 et 39.
-
-Prise d'Hennebont[253], fort château et bon port de mer, due à une
-surprise faite à Olivier de Spinefort, capitaine de cette place, par
-son frère Henri de Spinefort.--Reddition de Vannes.--Levée du siége mis
-pendant dix jours devant la Roche-Piriou[254].--Reddition de
-Suscinio[255].--Reddition du château d'Auray[256] par Geffroi de
-Malestroit et Yvon de Trésiguidy qui prêtent serment de fidélité au
-comte de Montfort.--Reddition de la Forest[257] dont le capitaine est
-un ancien compagnon d'armes d'Hervé de Léon en Grenade et en
-Prusse.--Reddition de Carhaix[258] où s'était enfermé un évêque qui en
-était seigneur[259]. Cet évêque, oncle d'Hervé de Léon, se décide, sur
-les instances de son neveu, à faire sa soumission au comte de Montfort.
-P. 97 à 100, 280 à 285.
-
- [253] Morbihan, arr. Lorient.
-
- [254] Aujourd'hui hameau de la commune de Priziac, Morbihan, arr.
- Napoléonville, c. le Faouët.
-
- [255] Aujourd'hui hameau de la commune de Sarzeau, Morbihan, arr.
- Vannes.
-
- [256] Morbihan, arr. Lorient.
-
- [257] Jean le Bel, dont Froissart reproduit ici le texte à peu
- près mot à mot, appelle cette localité _la Forest_ (t. I, p.
- 236). Ogée et Albert le Grand identifient le _la Forest_ de Jean
- le Bel et le _Goy-la-Forêt_ de Froissart avec la Forest,
- Finistère, arr. Brest, c. Landerneau. «Le château de la Forêt,
- dit Ogée, fut assiégé en 1341 par le comte de Montfort. C'était
- une place forte qui appartenait au vicomte de Rohan, partisan de
- Charles de Blois.» _Dictionnaire historique et géographique de la
- Bretagne_, t. II, p. 305, au mot _La Forêt_. Le nom breton est
- _Gouëlet-Forest_; il figure dans le passage suivant d'une vie de
- saint Ténenan:
-
- Poulzet ouënt gant eun avel gré,
- Ractal, é rivier Landerné,
- Quen e errusont, gant o lestr,
- Dindan Castel-_Gouëlet-Forest_.
-
- V. Albert le Grand, éd. de M. Miorcec de Kerdannet, p. 403, en
- note. Du breton _Gouëlet-Forest_ Froissart a fait Goy-la-Forêt.
-
- [258] Finistère, arr. Châteaulin.
-
- [259] Gui de Léon.
-
-Siége de Jugon[260] par le comte de Montfort. Amauri de Clisson,
-capitaine de la garnison, et plus de cent vingt bourgeois de la ville,
-sont faits prisonniers dans une sortie par Olivier et Henri de
-Spinefort accourus au secours d'Yvon de Trésiguidy. La ville de
-Jugon, contre laquelle le comte de Montfort a fait dresser quatre
-engins amenés de Rennes, est obligée de se rendre; Amauri de Clisson
-prête serment de fidélité au comte de Montfort, qui assigne à ce
-chevalier cinq cents livres de terre et le retient de son conseil.
-Le vainqueur laisse comme châtelain à Jugon Garnier de Trésiguidy,
-cousin d'Yvon.--Reddition de Dinan.--Siége infructueux de
-Josselin[261].--Reddition du château de Ploërmel.--Reddition sous
-condition de Mauron[262] après douze jours de siége. P. 285 à 291.
-
- [260] Côtes-du-Nord, arr. Dinan.
-
- [261] Morbihan, arr. Ploërmel.
-
- [262] Morbihan, arr. Ploërmel.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLIV.
-
- 1341. VOYAGES DU COMTE DE MONTFORT EN ANGLETERRE, PUIS A
- PARIS[263] (§§ 144 à 146).
-
- [263] Cf. Jean le Bel, chap. XLVI et XLVII, t. I, p. 236 à 242.
-
-
-Le comte de Montfort se fait partout reconnaître comme duc de Bretagne.
-Cependant les seigneurs de Clisson[264], de Tournemine, de
-Quintin[265], de Beaumanoir[266], de Laval, de _Gargoule_, de
-Lohéac[267], d'Ancenis, de Retz, de Rieux[268], d'Avaugour[269],
-refusent d'obéir au nouveau duc; quelques-uns de ces seigneurs
-quittent la Bretagne, soit pour guerroyer à Grenade et en Prusse, soit
-pour entreprendre le pèlerinage d'outre-mer. P. 291.
-
- [264] Loire-Inférieure, arr. Nantes.
-
- [265] Côtes-du-Nord, arr. Saint-Brieuc.
-
- [266] Aujourd'hui hameau de la commune d'Evran, Côtes-du-Nord,
- arr. Dinan.
-
- [267] Ille-et-Vilaine, arr. Redon, c. Pipriac.
-
- [268] Morbihan, arr. Vannes, c. Allaire.
-
- [269] Jeanne, femme de Charles de Blois, avait pour mère Jeanne
- d'Avaugour, mariée à Gui, comte de Penthièvre, fille et héritière
- de Henri seigneur d'Avaugour. Un petit hameau de la commune de
- Saint-Péver, Côtes-du-Nord, arr. Guingamp, c. Plouagat, porte
- encore aujourd'hui le nom illustré par cette famille qui
- descendait d'Eude comte de Bretagne.
-
-Jean de Montfort comprend la nécessité de se faire un allié puissant
-qu'il puisse opposer au roi de France, oncle et allié naturel de
-Charles de Blois. C'est pourquoi il s'embarque à _Gredo_[270] (Redon)
-en basse Bretagne pour l'Angleterre, arrive en Cornouaille et débarque
-au port de _Cepsée_; de là, il se rend à Windsor auprès d'Édouard III.
-Le comte de Montfort fait hommage lige pour le duché de Bretagne au roi
-d'Angleterre qui promet en retour d'aider et de défendre son vassal
-contre tous, spécialement contre le roi de France; puis il retourne à
-Nantes, comblé des présents et des faveurs d'Édouard III[271]. P. 100 à
-102, 291 à 298.
-
- [270] Dom Morice conjecture (_Hist. de Bretagne_, t. I, p. 248)
- que Froissart a voulu désigner ici Roscoff; mais, comme l'a fait
- remarquer Dacier, il y a bien peu d'analogie entre _Gredo_ et
- _Roscoff_. Dacier propose de lire _Coredou_, village sur le bord
- d'une petite anse à l'ouest de Saint-Pol-de-Léon, et
- l'identification de _Gredo_ avec _Coredou_ a été adoptée par
- Buchon (t. I, éd. du Panthéon, p. LIV). Il nous a été impossible
- de retrouver exactement, soit dans les dictionnaires, soit sur
- les cartes, le _Coredou_ de Dacier. Le nom de ce port est écrit
- _Grendo_ dans Jean le Bel (v. t. I, p. 236). D'après la deuxième
- rédaction ou ms. d'Amiens (v. p. 291) Jean de Montfort se serait
- embarqué à Guérande, et d'après la troisième rédaction ou ms. de
- Rome (v. p. 295) à Vannes. En proposant d'identifier _Gredo_ avec
- _Redon_, nous nous fondons principalement sur le passage suivant
- de la troisième rédaction ou ms. de Rome: «....et vinrent ariver
- à _Grède, au plus proçain port de Vennes et de Rennes_.» P. 391.
- D'ailleurs, même en ce qui concerne la première rédaction, 10
- mss. sur 33, les mss. 23 à 33 donnent la variante _Redon_ pour
- _Gredo_ (voy. p. 397). L'addition d'un g parasite dans _Gredo_
- s'est faite comme dans _grenouille_, de _ranuncula_. Redon a un
- port sur la Vilaine accessible aux navires de médiocre grandeur.
-
- [271] Par acte daté de Westminster le 24 septembre 1341, Édouard
- III donne le comté de Richmond avec toutes ses dépendances à son
- très-cher cousin Jean duc de Bretagne et comte de Montfort, en
- témoignage de l'alliance conclue entre lui et le dit Jean et
- aussi en dédommagement du comté de Montfort confisqué par
- Philippe de Valois (Rymer, _Foedera_, vol. II, p. 1176). On ne
- trouve du reste aucune trace dans les pièces publiées par Rymer
- de l'hommage du duché de Bretagne qui aurait été fait dans cette
- circonstance par Jean de Montfort à Édouard III.
-
-Le vicomte de Rohan, les seigneurs de Clisson, d'Avaugour et de
-Beaumanoir se rendent en France et informent Charles de Blois des
-succès de Jean de Montfort. Charles de Blois implore contre son
-compétiteur l'appui du roi de France son oncle. Philippe de Valois, de
-l'avis des pairs et grands barons de son royaume, prend le parti de
-mander à Paris l'adversaire de son neveu; les seigneurs de Mathefelon,
-de Gaussan et Grimouton de Chambly[272], vont à Nantes notifier au
-comte de Montfort la volonté du roi de France. Jeanne de Montfort
-conseille à son mari de ne pas répondre à l'appel de Philippe de
-Valois. Cependant, le comte de Montfort, après avoir hésité quelque
-temps, vient à Paris où il fait son entrée en somptueux équipage et
-avec une suite de plus de trois cents chevaux. P. 102, 103, 298 à 300,
-302, 303.
-
- [272] D'après le ms. de Rome (v. p. 302), les messagers furent
- les seigneurs de Montmorency et de Saint-Venant.
-
-L'entrevue du comte avec le roi de France a lieu dans une grande
-chambre du palais décorée de magnifiques tapisseries. Aux côtés du roi
-siégent le comte d'Alençon son frère, le duc de Normandie son fils,
-Eude, duc de Bourgogne et Philippe de Bourgogne, fils du duc, le duc de
-Bourbon, Jacques de Bourbon alors comte de Ponthieu, les comtes de
-Blois, de Forez, de Vendôme et de Guines, les seigneurs de Coucy, de
-Sully, de Craon, de Roye, de Saint-Venant, de Renneval et de Fiennes.
-Philippe de Valois reproche à Jean de Montfort d'avoir fait hommage du
-duché de Bretagne à Édouard III. Le comte répond que ce reproche n'est
-nullement fondé, mais en même temps il maintient la légitimité de ses
-prétentions à l'héritage de Bretagne. Le roi enjoint à Jean de Montfort
-de ne pas quitter Paris avant quinze jours et d'attendre que les pairs,
-chargés d'examiner la question pendante entre lui et Charles de Blois,
-aient décidé de quel côté est le bon droit. Découragé par un accueil
-aussi défavorable, le comte de Montfort estime prudent de ne pas
-attendre le jugement des pairs. Un soir, il prend l'habit d'un de ses
-ménestrels, monte à cheval sans autre suite qu'un valet de ménestrel,
-et à la faveur de ce déguisement, s'échappe à la dérobée de Paris dont
-on ne fermait point alors les portes; pendant que ses chambellants font
-courir le bruit que leur maître est couché malade dans son lit, il
-regagne en toute hâte la Bretagne et va rejoindre à Nantes la comtesse
-sa femme. P. 103 à 105, 300 à 302, 303 à 306.
-
-Le roi de France et Charles de Blois sont furieux quand ils apprennent
-que le comte de Montfort vient de s'échapper de leurs mains. Les pairs
-et grands barons, réunis en conseil pour statuer sur les prétentions
-respectives de Charles de Blois et de Jean de Montfort à l'héritage de
-Bretagne, se prononcent tout d'une voix en faveur de Charles de Blois;
-ils fondent leur jugement sur deux considérants principaux. 1º Jeanne,
-femme de Charles de Blois, à titre de fille unique de Gui, comte de
-Penthièvre, frère de père et de mère de Jean III, duc de Bretagne,
-dernièrement mort, a plus de parenté avec le dit duc que Jean de
-Montfort, qui est seulement frère de père de Jean III[273]; 2º
-d'ailleurs le comte de Montfort, même en supposant qu'il y ait quelque
-chose de fondé dans ses prétentions, est atteint de forfaiture, d'abord
-pour avoir relevé le duché d'un seigneur autre que le roi de France de
-qui on le doit tenir en fief, ensuite pour avoir transgressé les ordres
-et cassé l'arrêt de son suzerain en quittant Paris sans congé[274]. P.
-105 et 106.
-
- [273] Nous avons corrigé ici Froissart qui dit, sans doute par
- inadvertance, que Jean de Montfort n'était pas issu du même père
- que le feu duc de Bretagne et son frère le comte de Penthièvre.
- La vérité est, comme l'indique notre chroniqueur dans un des
- chapitres précédents, que Jean III, duc de Bretagne, et Gui comte
- de Penthièvre étaient sortis d'un premier mariage d'Arthur II duc
- de Bretagne avec Marie vicomtesse de Limoges, tandis que Jean de
- Montfort devait le jour à un second mariage d'Arthur II avec
- Iolande de Dreux.
-
- [274] L'arrêt rendu en faveur de Charles de Blois «in curia
- nostra, in magno consilio nostro Parium Franciæ, prælatorum,
- baronum aliorumque...» est daté de Conflans le 7 septembre 1341.
- V. _Mémoires pour servir de preuves à l'histoire de Bretagne_,
- par dom Morice, t. I, col. 1421 à 1424. Froissart se trompe sur
- les considérants de cet arrêt. Il n'y est fait mention que des
- raisons et des exemples allégués par Charles de Blois, d'une
- part, pour prouver qu'en Bretagne les représentants du frère
- aîné, lorsqu'il s'agissait d'une succession noble, la
- recueillaient au préjudice du frère cadet; et par le comte de
- Montfort, d'autre part, pour établir le contraire.
-
-Charles de Blois, confiant en son droit après le jugement prononcé en
-sa faveur, assuré en outre de l'appui du roi de France, entreprend de
-reconquérir à main armée son duché de Bretagne. Le duc de Normandie est
-adjoint à son cousin comme chef de l'expédition projetée. Les
-principaux barons qui s'engagent à faire partie de cette expédition,
-sont le comte d'Alençon, oncle de Charles de Blois, le duc de
-Bourgogne, le comte de Blois, frère de Charles, le duc de Bourbon,
-Louis d'Espagne, Jacques de Bourbon, le comte d'Eu, connétable de
-France et le comte de Guines, son fils, le vicomte de Rohan, les comtes
-de Forez, de Vendôme et de Dammartin, les seigneurs de Coucy, de Craon,
-de Beaujeu, de Sully et de Châtillon. On fixe à Angers le rassemblement
-général. P. 106 et 107, 306 et 307.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLV.
-
- 1341. EXPÉDITION DU DUC DE NORMANDIE ET DE CHARLES DE BLOIS EN
- BRETAGNE[275] (§§ 147 à 150).
-
- [275] Cf. Jean le Bel, chap. XLVII, t. I, p. 243 à 249.
-
-
-Le duc de Normandie, le comte d'Alençon, les ducs de Bourgogne, de
-Bourbon et les autres barons et chevaliers dont Charles de Blois s'est
-assuré le concours, se rendent à Angers, où rendez-vous général a été
-donné à tous les gens d'armes qui doivent faire partie de l'expédition
-de Bretagne. Toutes ces forces réunies s'élèvent à cinq mille armures
-de fer, sans compter trois mille Génois sous les ordres d'Ayton Doria
-et de Charles Grimaldi. Le Galois de la Baume commande aussi une
-nombreuse troupe de bidaus et d'arbalétriers. Cette armée chevauche en
-trois batailles. La première, composée de cinq cents lances, marche
-sous les bannières de Louis d'Espagne, du vicomte de Rohan, des
-seigneurs d'Avaugour, de Clisson et de Beaumanoir. La plus forte
-bataille est celle du duc de Normandie[276], où se trouvent les plus
-puissants seigneurs de l'armée, notamment les comtes d'Alençon et de
-Blois, Charles de Blois lui-même qui prend le titre et les armes de duc
-de Bretagne, et a fait hommage et féauté pour ce duché au roi de
-France. Raoul, comte d'Eu, connétable de France, est à la tête de la
-troisième bataille ou arrière-garde avec le comte de Guines[277], son
-fils, les seigneurs de Coucy, de Montmorency, de Quintin et de
-Tournemine. P. 107, 108, 307, 308.
-
- [276] «Le voyage de Bretagne et l'ost devant Nantes fait par le
- duc de Normandie et les establies après ensuivant le dit voyage,
- commençant 26 septembre 1341, finant 6 mai 1342: Eude duc de
- Bourgoigne, Gaucher duc d'Athènes, le comte de Joigny, Jean de
- Chalon, André de Chauvigny, Gile sire de Soocourt, Bernart sire
- de Morueil, Rogue sire de Hangest, Jean de Chastillon, Charles
- sire de Montmorency.... Arnaut de la Vie sire de Villemur, Hue de
- Bouville, G. de Craon, Hue sire de Faignoles, Robert Bertran
- mareschal de France, Payen de Mailly, Jean de Vienne, Regnaut
- sire de Honcourt, Godefroy de Nast, etc....» V. De Camps, portef.
- 83, fos 452 à 453 vo.
-
- [277] «La retenue des gens d'armes de l'hostel de nous Raoul,
- comte de Eu, connestable de France, qui avecques nous ont esté en
- Bretaingne en la compaignie mgr le duc de Normandie _ès mois
- d'octobre et de novembre_ 1341. Nous connestable, 1 bann., 4 chv.
- bach. et 53 esc.; venus du comté d'Eu _à Angers_.. Pour nostre
- bannière, Tassart de Basinguehan--Raoul comte de Guisnes nostre
- fil, chev. bann.; pour sa bannière, Bertaut d'Outreleaue.» De
- Camps, 83, fo 416.
-
- Les principaux chevaliers de la bataille du comte d'Eu sont: Jean,
- seigneur de Walencourt, chev. bann., 2 chev. bach. et 15 esc.,
- venus de Wallaincourt en Cambraisis;--Drieu de Mello, chev., 3
- esc., venus de Saint Brice en Aucerrois;--Guillaume de Merlo,
- chev., 3 esc., venus de Poisse en Aussay;--Gieffroy de Charny,
- chev., 3 esc., venus de Pierrepertuis sous Vezelay;--Ferry de
- Chardoingne, chev., 6 esc., venus d'Oupie en l'évesché de
- Verdun;--Loys de Corbon, chev., 8 esc., venus de Guion en
- Barrois;--Jean Mauvoisin, chev., 2 esc., venus d'auprès Vernon en
- Normandie;--Philippe de Pont, chev., 3 esc., venus d'Aencourt prez
- d'Arche en Normandie;--Guillaume de Villers, 2 esc., venus de
- Villers en Vimeu;--Philippe de Buissy, chev., 2 esc., venus de
- Savoye;--Jean de Landas, Baudoin de Bavelinguen, Jean de Dargny,
- Jean Maquerel, Gieffroy du Forestel;--Robert le Thyoys, chev., 3
- esc., venus de Gisors.» De Camps, 83, fos 416 à 419.
-
-Les Français passent par Ancenis et viennent mettre le siége devant
-Champtoceaux, qui est de ce côté la clef et l'entrée de Bretagne. Cette
-forteresse, assise sur un monticule au pied duquel coule une grosse
-rivière (la Loire), a pour capitaines et gardiens deux chevaliers de
-Lorraine, nommés Mile et Valerand[278]. Le duc de Normandie fait
-combler les fossés par les paysans des environs, tandis qu'on construit
-un château de bois monté sur douze roues qui peut bien contenir deux
-cents hommes d'armes et cent arbalétriers. Ce château de bois, tout
-pourvu d'assaillants, est amené à force de bras jusque contre les
-remparts de Champtoceaux. L'énorme machine se compose de trois étages:
-à l'étage le plus élevé se tiennent les gens d'armes, au second les
-arbalétriers, et tout en bas les sapeurs qui démolissent les murs par
-la base. Les assiégeants livrent, avec l'aide de cet engin, un assaut
-terrible qui coûte beaucoup de monde aux assiégés et leur fait dépenser
-toute leur artillerie. Les gens d'armes de la garnison, découragés,
-rendent Champtoceaux, sauve leur vie et leurs biens[279]. P. 108, 100,
-309 à 310.
-
- [278] Champtoceaux, Maine-et-Loire, arr. Cholet, sur la rive
- gauche de la Loire. Les ruines du château de Champtoceaux
- couvrent encore aujourd'hui les flancs d'un monticule situé à
- moins de cent mètres du lit de la Loire.
-
- [279] Le siége de Champtoceaux dura au moins depuis le 10 octobre
- jusqu'au 26 du même mois: «Robert de Marigny esc. fait chev.
- nouviaus _à Chantociaus le 10 octobre_, 5 esc., venus de
- Triestrieux lez Beauvais.» De Camps, 83, fo 419--«Jean de
- Honnecourt escuier fait chevalier nouveau _à Cantociaus le 26
- octobre_.» _Ibid._, fo 417.
-
-Le duc de Normandie, chef suprême de l'expédition, livre Champtoceaux à
-Charles de Blois, son cousin, qui laisse dans cette forteresse comme
-châtelain un chevalier nommé Rasse de Guingamp. Puis les Français
-prennent le chemin de Nantes, où le comte de Montfort s'est enfermé.
-Sur la route, ils s'emparent de Carquefou[280], place située près de
-Nantes, entourée de fossés et de palissades, mais dont la garnison, qui
-ne se compose que de vilains, ne peut tenir tête aux arbalétriers
-génois; la ville est prise et pillée; beaucoup des gens qu'on y trouve
-sont passés au fil de l'épée; on met le feu aux maisons, dont la moitié
-est la proie des flammes. P. 110, 310, 311, 313.
-
- [280] Loire-Inférieure, arr. Nantes. Carquefou n'est qu'à 10
- kilomètres de Nantes.
-
-L'armée du duc de Normandie vient camper devant Nantes et investit
-cette grande cité que traverse la Loire, très large en cet endroit.
-Jean de Montfort a laissé à Rennes la comtesse sa femme et s'est
-enfermé dans Nantes avec Hervé de Léon, Henri et Olivier de Spinefort,
-Yvon de Trésiguidy et plusieurs autres chevaliers et écuyers qui l'ont
-reconnu comme duc de Bretagne. La cité est forte, bien fermée,
-abondamment pourvue de vivres et d'artillerie; en outre, le comte est
-très-aimé des bourgeois de Nantes. Pleinement rassuré sur l'issue d'un
-siége soutenu dans ces conditions, Jean de Montfort invite les
-habitants à se tenir sur la défensive: la saison est trop avancée pour
-que le siége puisse durer longtemps. Malgré cette injonction, Hervé de
-Léon, à la tête d'une troupe de deux cents armures de fer, la plupart
-jeunes bourgeois de Nantes, fait un jour, de grand matin, une sortie
-par la poterne de Richebourg[281], pour surprendre un convoi de vivres
-destiné aux assiégeants; il s'empare d'environ trente sommiers, mulets
-et roncins, et de quinze charrettes remplies de vin et de farine. Une
-troupe de cinq cents gens d'armes français commandés par Louis
-d'Espagne accourt pour reprendre ce butin; et Hervé de Léon ne parvient
-à garder sa proie qu'en fermant précipitamment les portes en dehors
-desquelles il laisse deux cents de ses compagnons qui sont tués ou
-faits prisonniers. Les parents de ces malheureux sont transportés de
-fureur, et Hervé de Léon encourt pour ce fait la disgrâce du comte de
-Montfort. P. 110 à 112, 311 à 315.
-
- [281] La poterne de Richebourg, qui donnait accès dans le
- faubourg de ce nom, était située au nord-est de Nantes, sur la
- rive droite de la Loire, entre l'Erdre et ce fleuve.
-
-Un certain nombre de bourgeois de Nantes, parents et amis des gens
-d'armes faits prisonniers par Louis d'Espagne, entrent en pourparlers
-avec les assiégeants à l'insu de Jean de Montfort, et conviennent de
-laisser la poterne de Sauve[282] ouverte aux Français qui pénètrent
-ainsi dans la ville un matin sans coup férir. Ils vont droit au château
-de Nantes où ils trouvent le comte de Montfort encore endormi et le
-font prisonnier. Henri et Olivier de Spinefort, Yvon de Trésiguidy
-parviennent à s'échapper. La rumeur publique voit dans la trahison dont
-le comte de Montfort est victime en cette circonstance la main de Hervé
-de Léon qui se serait vengé ainsi du blâme sévère que le comte lui
-avait infligé quelques jours auparavant. Ce qui est certain, c'est que
-Hervé est épargné lui et les siens par Charles de Blois, auquel il fait
-féauté et hommage comme à son seigneur, et qu'il reconnut depuis lors
-comme duc de Bretagne. P. 112, 113, 315 à 319.
-
- [282] La poterne de Sauve, anciennement appelée de Sauve Tour,
- qui donnait accès dans le Bourgneuf, était située sur la rive
- droite de la Loire comme la poterne de Richebourg, un peu à
- l'ouest de cette dernière, près de la rivière d'Erdre. Une
- indication de détail sur la topographie de Nantes aussi précise
- que celle des deux poternes de Richebourg et de Sauve semble due
- à des souvenirs personnels. Quoi qu'il en soit, il est à
- remarquer que cette indication ne se trouve que dans la troisième
- et dernière rédaction du premier livre des _Chroniques_
- représentée par le ms. de Rome.
-
-Les Français se rendent ainsi maîtres de Nantes aux environs de la
-Toussaint[283] l'an 1341. A l'occasion de cette solennité, le duc de
-Normandie et Charles de Blois tiennent cour plénière au château de
-Nantes, où ils donnent des fêtes qui durent quatre jours. Là, le
-vicomte de Rohan, les seigneurs de Clisson, d'Ancenis, de Beaumanoir,
-de Malestroit, d'Avaugour, de _Gargoule_, de Quintin, de Léon, de
-Dinan, de Retz, de Rieux et bien quarante chevaliers bretons des
-environs de Nantes font féauté et hommage au mari de Jeanne de
-Penthièvre et le reconnaissent comme leur duc. Charles de Blois reste à
-Nantes pour y passer l'hiver avec plusieurs vaillants chevaliers de son
-lignage. Le reste de l'armée se disperse après avoir promis au nouveau
-duc de revenir en Bretagne l'été prochain, si besoin est. Le duc de
-Normandie retourne à Paris, emmenant avec lui[284] le comte de Montfort
-qu'il remet entre les mains du roi de France. Philippe de Valois fait
-enfermer son prisonnier au château du Louvre; on dit même qu'il
-l'aurait fait mourir, si Louis de Nevers, comte de Flandre, n'avait
-intercédé pour son beau-frère. P. 114, 318, 320 à 322.
-
- [283] Froissart a varié dans ses diverses rédactions sur la date
- de la reddition de Nantes: dans la première rédaction (v. p.
- 113), cette date est fixée aux environs de la Toussaint, dans la
- troisième (v. p. 319) à la nuit de la Toussaint, dans la deuxième
- (v. p. 318) au 20 octobre. Ce qui est certain, c'est que les
- Français occupaient Nantes dès le 21 novembre. En vertu d'une
- charte datée du 21 novembre 1341, une imposition de 4 deniers
- pour livre sur l'achat et la vente des denrées fut établie à
- Nantes par Robert Bertran, sire de Bricquebec, maréchal de
- France, capitaine pour le roi ès parties de Bretagne, et par
- Olivier, évêque de Nantes. _Mémoires pour servir de preuves à
- l'histoire de Bretagne_, par Morice, t. I, col. 1429.
-
- [284] D'après la deuxième rédaction (v. p. 317), l'arrivée du
- comte de Montfort à Paris aurait précédé le retour du duc de
- Normandie. D'après les première (v. p. 114) et troisième (v. p.
- 321) rédactions, au contraire, c'est le duc de Normandie lui-même
- qui, au retour de son expédition en Bretagne, aurait amené à
- Paris le compétiteur de Charles de Blois et l'aurait livré au roi
- de France. Cette dernière version est d'autant plus vraisemblable
- que, selon Froissart, le duc de Normandie et les seigneurs
- français quittèrent Nantes pour retourner dans leurs foyers _peu
- après la Toussaint_; or il est certain que le comte de Montfort
- était encore à Nantes le 18 décembre, date d'une lettre qu'il
- écrivit à «ses petits bacheliers» Tanneguy du Châtel, Geffroi de
- Malestroit et Henri de Kaër. _Preuves de l'hist. de Bretagne_,
- par Morice, t. I, col. 1428.
-
-Charles de Blois écrit aux habitants de Rennes, de Vannes, de
-Quimperlé, de Quimper-Corentin, d'Hennebont, de Lamballe[285], de
-Guingamp, de Dinan, de Dol[286], de Saint-Mathieu[287], de Saint-Malo,
-de venir à Nantes lui prêter serment de fidélité comme à leur duc; mais
-la plupart de ces villes prennent parti pour la comtesse de Montfort
-qui apprend à Rennes[288] que son mari est tombé aux mains de ses
-ennemis. A cette nouvelle, la comtesse, femme au cœur d'homme et de
-lion, rassemble ses partisans, leur présente son jeune fils Jean âgé
-de sept ans, et se met à chevaucher de forteresse en forteresse à la
-tête de cinq cents lances, renforçant partout les garnisons, payant
-très-largement les gages de ses gens d'armes et réchauffant par tous
-les moyens le zèle des Bretons restés fidèles à sa cause. Elle renforce
-surtout la garnison de Rennes, car elle prévoit que ce sera la première
-ville que viendra assiéger Charles de Blois; et elle met dans cette
-place comme capitaine un vaillant chevalier et de bon conseil,
-très-attaché à elle et à son mari, nommé Guillaume de Cadoudal, Breton
-bretonnant. Puis elle va, en compagnie de son fidèle Amauri de Clisson,
-qui ne la quitte pas, s'enfermer dans Hennebont, fort château et bon
-port de mer, afin d'assurer en cas de besoin ses communications avec
-l'Angleterre. P. 114, 115, 320 à 324.
-
- [285] Côtes-du-Nord, arr. Saint-Brieuc.
-
- [286] Ille-et-Vilaine, arr. Saint-Malo.
-
- [287] Aujourd'hui hameau de la commune de Plougonvelin,
- Finistère, arr. Brest, c. Saint-Renan.
-
- [288] D'après le ms. de Rome (v. p. 320), c'est à Vannes, au
- château de La Motte, non à Rennes, que la comtesse de Montfort
- aurait appris que son mari était tombé aux mains des Français.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLVI.
-
-1341 et 1342. GUERRE EN ÉCOSSE[289] (§§ 151 à 161).
-
- [289] Cf. Jean le Bel, chap. XLVIII à LI, t. I, p. 251 à 275.
-
-1341. Continuation des hostilités entre l'Angleterre et l'Écosse: prise
-de Stirling par les Écossais.--Trêve entre l'Angleterre et
-l'Écosse.--Retour de David Bruce dans son royaume[290]. P. 116 à 120,
-324 à 329.
-
- [290] David II, accompagné de Jeanne d'Angleterre sa femme,
- débarqua à Inverbervic dans le comté de Kincardine, le 4 mai
- 1341.
-
-Incursions de David Bruce et des Écossais dans le Northumberland et
-l'évêché de Durham: siége de Newcastle.--Prise de Durham. P. 120 à 124,
-329 à 335.
-
-Édouard III fait ses préparatifs[291] pour marcher contre les Écossais
-qui, tout en effectuant leur retraite le long de la Tyne dans la
-direction de Carlisle, mettent le siége devant un château où la
-comtesse de Salisbury se tient enfermée[292].--Les Écossais livrent un
-assaut infructueux, mais la garnison du château est bientôt réduite à
-la dernière extrémité.--Le capitaine de cette garnison, Guillaume de
-Montagu, réussit à traverser pendant la nuit les lignes ennemies pour
-aller à York demander du secours à Édouard III.--Aussitôt qu'ils
-apprennent que le roi d'Angleterre marche contre eux à la tête d'une
-puissante armée, les Écossais lèvent le siége du château de la comtesse
-de Salisbury et se retirent dans les forêts de Jedburgh. P. 124 à 131,
-335 à 338.
-
- [291] Le mandement du roi d'Angleterre pour faire assembler à
- Newcastle-upon-Tyne le 24 janvier 1342 les troupes qui doivent
- marcher contre les Ecossais, est daté de Newcastle-upon-Tyne le 4
- décembre 1341. V. Rymer, _Fœdera_, vol II, p. 1183 et 1184.
-
- [292] Froissart veut sans doute désigner ici le château de Wark,
- situé entre Newcastle et Carlisle, sur la rive gauche de la Tyne,
- qui appartenait au comte de Salisbury.
-
-1342. Édouard III au château de la comtesse de Salisbury.--Passion du
-roi d'Angleterre pour la belle comtesse. P. 131 à 135, 339 à 340.
-
-Récit d'une partie d'échecs entre le roi et la comtesse. P. 340 à 342.
-
-Édouard III poursuit les Écossais jusque au delà de Berwick.--Nouvelle
-trêve entre les Anglais et les Écossais[293].--Le roi d'Angleterre
-renvoie le comte de Murray son prisonnier au roi d'Écosse en échange du
-comte de Salisbury mis en liberté par le roi de France[294]. P. 135 à
-137, 342 à 347.
-
- [293] Les pouvoirs donnés par Édouard III pour traiter avec les
- ambassadeurs de David Bruce, soit de la paix, soit seulement
- d'une trêve, sont datés des 20 mars et 3 avril 1342. V. Rymer,
- _Fœdera_, vol. II, p. 1189, 1190 et 1191. Édouard III était de
- retour à Londres le 20 février 1342 (Rymer, _ibid._, p. 1187),
- après avoir demeuré sur les frontières de l'Ecosse depuis le
- commencement de novembre 1341.
-
- [294] Philippe de Valois ne consentit à remettre en liberté le
- comte de Salisbury qu'à la condition qu'il jurerait de ne porter
- jamais les armes contre la France. Le comte sollicita la
- permission de faire ce serment, et Édouard la lui accorda par
- lettres datées du 20 mai 1342. Par conséquent, le comte de
- Salisbury ne put être de retour en Angleterre que vers le
- commencement du mois de juin au plus tôt. V. Rymer, _Fœdera_,
- vol. II, p. 1195.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLVII.
-
- 1342. SIÉGE ET PRISE DE RENNES PAR CHARLES DE BLOIS.--SIÉGE
- D'HENNEBONT: DÉFENSE HÉROÏQUE DE JEANNE DE MONTFORT; LEVÉE DU
- SIÉGE PAR LES FRANÇAIS A LA SUITE DE L'ARRIVÉE DE GAUTIER DE
- MAUNY ET DES ANGLAIS[295] (§§ 162 à 169).
-
- [295] Cf. Jean le Bel, chap. LII à LVII, t. I, p. 277 à 295.
-
-
-Au printemps de 1342, les seigneurs français qui ont fait partie de
-l'expédition de Bretagne l'année précédente, reviennent à Nantes où
-Charles de Blois a passé l'hiver. La lutte est plus vive que jamais
-entre les deux partis qui se disputent la Bretagne. La comtesse de
-Montfort tient, comme on l'a dit plus haut, garnison dans Hennebont,
-mais elle a eu soin d'établir Guillaume de Cadoudal comme capitaine à
-Rennes et de pourvoir cette place d'artillerie et d'approvisionnements
-de toute sorte. L'armée de Charles de Blois, forte de six mille hommes
-d'armes et de douze mille soudoyers à lances et à pavois, met le siége
-devant Rennes. Ayton Doria et Charles Grimaldi commandent les
-arbalétriers génois. Rennes avait alors de grands faubourgs auxquels le
-capitaine de la ville est obligé de faire mettre le feu pour pourvoir
-aux nécessités de la défense. Les efforts des assiégeants, surtout des
-Génois et des Espagnols, très-nombreux dans l'armée de Charles de
-Blois, réduisent bientôt la garnison de Rennes à la situation la plus
-critique. P. 137 à 139, 347 à 349, 351, 352.
-
-La comtesse de Montfort, qui se tient enfermée dans Hennebont, envoie
-son fidèle Amauri de Clisson[296] demander du secours à Édouard III. Le
-roi anglais fait bon accueil au messager de Jeanne de Montfort et
-charge Gautier de Mauny de se rendre en Bretagne à la tête de trois
-cents lances et de deux mille archers d'élite pour porter secours à la
-comtesse. Amauri de Clisson, Gautier de Mauny et le corps d'auxiliaires
-anglais se mettent en mer et cinglent vers Hennebont; mais la flotte
-qui les porte, assaillie par les vents contraires, erre au gré des
-vents pendant plus de soixante jours avant de pouvoir aborder en
-Bretagne, et ce retard plonge Jeanne de Montfort dans une angoisse
-mortelle. P. 139 à 141, 350 à 354.
-
- [296] Le voyage d'Amauri de Clisson en Angleterre doit être peu
- antérieur au 10 mars 1342. Le 10 mars 1342, Édouard III ordonne
- une levée de cent hommes d'armes et de neuf cents _hobbiliers_
- (hommes d'armes de cavalerie légère, de _hobby_) en Irlande et
- charge Gautier de Mauny de prendre possession en son nom de
- toutes les forteresses de Bretagne qu'Amauri de Clisson, tuteur
- de l'héritier du duché, s'est engagé à lui remettre. Le roi
- d'Angleterre reconnaît par deux autres actes, datés aussi du 10
- mars 1342, que Gautier de Mauny a reçu d'Amauri de Clisson un
- subside de mille livres sterling et envoie en Bretagne, comme il
- a été convenu avec les messagers bretons, _de assensu nunciorum
- Britaniæ, ad nos in Angliam destinatorum_, des monnayeurs chargés
- de convertir la monnaie anglaise en monnaie bretonne. V. Rymer,
- _Fœdera_, vol. II, p. 1188 et 1189.
-
-Les bourgeois de Rennes, réduits au dernier degré de dénûment,
-manifestent l'intention de traiter avec les assiégeants; et comme
-Guillaume de Cadoudal, capitaine de la garnison, ne veut entendre
-parler d'aucun arrangement, ils le font mettre en prison. Ils traitent
-ensuite avec Charles de Blois et conviennent de lui rendre la ville à
-la condition que les partisans de Montfort auront la vie sauve et
-pourront aller où ils voudront. Cette reddition de Rennes a lieu au
-commencement de mai 1342. Guillaume de Cadoudal, à peine mis en
-liberté, accourt à Hennebont auprès de la comtesse de Montfort. P. 141,
-142, 355, 356.
-
-Une fois maître de Rennes, Charles de Blois assiége Hennebont[297] où
-Jeanne de Montfort s'est enfermée avec ses principaux partisans, Gui,
-évêque de Léon, oncle de Hervé de Léon, Yvon de Trésiguidy, le seigneur
-de Landerneau, le châtelain de Guingamp, Henri et Olivier de Spinefort.
-Jeanne de Montfort, armée de pied en cap, chevauche de rue en rue et
-exhorte ses gens à se bien défendre; à la voix de la comtesse, les
-dames de la ville elles-mêmes travaillent à défaire les chaussées et du
-haut des créneaux font pleuvoir des pierres ou versent des pots pleins
-de chaux vive sur les assiégeants. P. 142 à 144, 356 à 359.
-
- [297] Morbihan, arr. Lorient, sur le Blavet navigable en aval
- d'Hennebont pour les navires de moyenne grandeur. _Le 13 juin
- 1342_, «en noz tentes devant la ville de _Hambont_» Charles de
- Blois donne à Ayton Doire (Doria), damoiseau, en récompense de
- ses services dans la guerre de Bretagne, les châteaux de
- Châteaulin et de Brélidy et toute la terre confisquée sur Yvon de
- Trésiguidy pour crime de forfaiture. Arch. de l'Empire, JJ. 74,
- p. 685.
-
-Pendant un assaut, Jeanne de Montfort, qui observe l'action du haut
-d'une tour, s'aperçoit que l'ennemi est sorti en masse de ses
-campements et que presque tous les Français sont occupés à attaquer la
-ville. Aussitôt elle monte à cheval, se met à la tête de trois cents
-cavaliers, sort d'Hennebont par une fausse poterne et court mettre le
-feu aux tentes et logis des Français. Ceux-ci, à la vue de leur camp en
-flammes, quittent précipitamment l'assaut et tombent sur Jeanne de
-Montfort après avoir eu soin de lui couper la retraite. Se voyant
-poursuivie par Louis d'Espagne et ne pouvant rentrer dans Hennebont, la
-comtesse va se jeter à trois ou quatre lieues de là dans le château de
-Brech[298], mais les plus mal montés de ses hommes sont faits
-prisonniers par les Français. Cinq jours après cette affaire, Jeanne
-de Montfort part vers minuit de Brech avec cinq cents compagnons et
-rentre au lever du soleil dans sa bonne ville d'Hennebont, dont les
-habitants l'accueillent à son de trompe et avec des transports de joie.
-Les assiégeants livrent alors un nouvel assaut qui n'est pas plus
-heureux que les précédents. Ce que voyant, les Français prennent le
-parti de se diviser en deux corps d'armée. Charles de Blois, le comte
-Louis de Blois, son frère, le duc de Bourbon, Jacques de Bourbon,
-Robert Bertran, maréchal de France, les comtes d'Eu, de Guines et
-d'Auxerre, Charles de Montmorency, Gui de Chantemerle, Hervé de Léon,
-le seigneur d'Avaugour et partie des Génois et des Espagnols vont
-assiéger le château d'Auray, tandis que Louis d'Espagne, Ayton Doria,
-Charles Grimaldi et le restant des Espagnols et des Génois, le vicomte
-de Rohan, le comte de Joigny, les seigneurs d'Ancenis, de Tournemine,
-de Retz, de Rieux, de _Gargoule_ et le Galois de la Baume maintiennent
-le siége devant Hennebont avec l'aide de douze grands engins que l'on
-fait venir de Rennes. P. 144 à 147, 359 à 365.
-
- [298] Jean le Bel, dont Froissart reproduit ici le texte, appelle
- ce château _Brayt_ qu'on peut lire _Brayc_ à cause de la
- ressemblance du t et du c dans l'écriture du XIVe siècle: «elle
- s'en rala par une aultre voye droit au chastel de _Brayc qui
- estoit_ A QUATRE LIEUES _de là_.» (_Chronique de Jean le Bel_,
- éd. Polain, t. I, p. 284). Jean le Bel ajoute quelques lignes
- plus bas et Froissart répète que Jeanne de Montfort, partie à
- minuit de Brayc, rentra au point du jour à Hennebont. Aucune de
- ces circonstances ne convient à Brest qu'une distance de plus de
- trente lieues sépare d'Hennebont. Les anciens compagnons d'armes
- de Charles de Blois, de Jeanne de Montfort, de qui Jean le Bel et
- Froissart tenaient le récit de cette affaire, ont sans doute
- voulu désigner BRECH (Morbihan, arr. Lorient, c. Pluvigner),
- situé en effet à environ quatre lieues anciennes d'Hennebont, sur
- la voie romaine d'Hennebont à Vannes. Il appartient aux érudits
- qui ont fait une étude spéciale de la géographie féodale de la
- Bretagne, de nous dire, pour confirmer notre conjecture, s'il y
- avait à Brech un château fort au XIVe siècle.
-
-La garnison du château d'Auray[299] compte deux cents hommes en état de
-porter les armes sous les ordres de Henri et d'Olivier de Spinefort. A
-quatre lieues d'Auray, Vannes, qui tient aussi pour la comtesse de
-Montfort, a pour capitaine Geffroi de Malestroit. Dinan, situé d'un
-autre côté et fermé seulement de fossés et de palissades, en l'absence
-du châtelain de Guingamp, enfermé dans Hennebont avec Jeanne de
-Montfort, est confié à la garde de son fils Renaud de Guingamp. Le
-château de la Roche-Piriou[300] entre Vannes et Dinan est au comte de
-Blois, et la garnison qui se compose de Bourguignons a pour chefs
-Gérard de Mâlain[301] et Pierre Portebœuf. Cette garnison ravage et
-pille tout le pays des environs et fait des incursions tantôt du côté
-de Vannes, tantôt du côté de Dinan. Un jour que Gérard de Mâlain et
-vingt-cinq de ses compagnons ont fait main basse sur quatorze ou quinze
-marchands et se sont emparés de leurs marchandises, ils tombent à leur
-tour entre les mains de Renaud de Guingamp qui les fait prisonniers et
-les amène à Dinan. Cependant Louis d'Espagne redouble ses efforts pour
-emporter d'assaut Hennebont, et la détresse des assiégés, qui attendent
-en vain le retour d'Amauri de Clisson et l'arrivée des Anglais, est à
-son comble. A l'instigation de Gui, évêque de Léon, les défenseurs
-d'Hennebont consentent à traiter de la reddition de cette place
-moyennant certaines conditions stipulées entre l'évêque Gui[302] de
-Léon et son neveu Hervé de Léon rallié à Charles de Blois. Au moment
-où Hervé de Léon s'approche de la ville pour entrer en pourparlers avec
-les assiégés, la comtesse de Montfort regarde du côté de la mer par une
-petite lucarne du château; tout à coup elle voit flamboyer des voiles à
-l'horizon. Elle s'écrie alors à deux reprises avec des transports de
-joie: «Voici venir, Beau Dieu! le secours que j'ai tant désiré!» A ce
-cri, chacun se précipite aux fenêtres et aux créneaux; toute une flotte
-apparaît qui cingle à pleines voiles vers Hennebont: c'est Amauri de
-Clisson qui arrive enfin avec Gautier de Mauny et les Anglais au
-secours de la ville assiégée. P. 147 à 150, 365 à 372.
-
- [299] Morbihan, arr. Lorient.
-
- [300] Aujourd'hui hameau de la commune de Priziac, Morbihan, arr.
- Napoléonville, c. le Faouët. On lit dans le _Dictionnaire
- topographique du Morbihan_, par M. Rosenzweig, p. 236:
- «ROCHE-PIRIOU, vill. et moulin à eau sur le Pont-Rouge, comm. de
- Priziac; pont sur l'Ellée, reliant Priziac et
- Meslan.--Seigneurie.» L'identification du Rocheperiot de
- Froissart avec Roche-Piriou peut être faite avec certitude
- puisque le chroniqueur dit lui-même un peu plus loin (v. p. 164)
- que Rocheperiot ou Roceperiot est situé à moins d'une lieue du
- Faouët. Roche-Piriou était le chef-lieu d'une châtellenie qui
- dépendait de la grande seigneurie de Guémené, érigée en
- principauté en 1570. Le dernier jour de mai 1377, le vicomte de
- Rohan acquit de Jean de Longueval «les châteaux, châtellainies et
- terroers de Guemenetguinguant et de _la Rocheperriou_.» D.
- Morice, _Preuves de l'histoire de Bretagne_, t. II, p. 178. Un
- acte d'hommage de 1575 rendu par Louis de Rohan mentionne encore
- «l'aplacement de l'ancienne forteresse de son chasteau de la
- Roche-Periou.» (_Archives de Nantes_; note communiquée à M.
- Kervyn par M. Arthur de La Borderie.)
-
- [301] Mâlain, Côte-d'Or, arr. Dijon, c. Sombernon.
-
- [302] Entre Guillaume III, évêque en 1335 et Guillaume IV, évêque
- en 1349, l'éditeur du XIVe volume du _Gallia Christiana_ place
- Yvon III de Trésiguidy auquel il consacre l'article suivant: «Yvo
- sæculari militiæ primo nomen dederat et sub Joannis
- Montifortensis vexillis contra Carolum Blesensem pugnaverat.
- Dein, deposito gladio, sacris initiatus est creatusque Leonensis
- episcopus. Carolo Blesensi, susceptis infulis, amicus fuit anno
- 1342 apud Suaresium.» _Gallia Christiana_, t. XIV, ed. Hauréau,
- col. 978. Admis par M. Hauréau d'après Suarez, Yvon III de
- Trésiguidy est rejeté par Ogée qui ne propose d'ailleurs personne
- à sa place: «Quelques-uns donnent pour successeur à Pierre
- Bernard un Yves de Trésiguidy qui ne paraît pas admissible.»
- _Dict. hist. de Bretagne_, par Ogée, t. IV, p. 371. Enfin,
- d'après M. Kervyn (t. IV de son édition des Chroniques de
- Froissart, p. 436, en note), Gui de Léon aurait succédé comme
- évêque de Léon à Pierre de Guémené.
-
-Rassurés par ce renfort, les défenseurs d'Hennebont s'empressent de
-désavouer les démarches faites par Gui de Léon. Cet évêque, qui se sent
-compromis vis-à-vis de la comtesse, quitte la ville pour se rendre au
-camp de Louis d'Espagne et se rallier comme son neveu Hervé au parti de
-Charles de Blois. Le jour même de son arrivée à Hennebont, Gautier de
-Mauny fait une sortie contre les Français et parvient à détruire une
-machine qui faisait beaucoup de mal aux assiégés. Louis d'Espagne,
-voyant la ville d'Hennebont ainsi secourue et ravitaillée par les
-Anglais, désespère de prendre cette place et va rejoindre Charles de
-Blois devant Auray. P. 150 à 154, 372 à 378.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLVIII.
-
- 1342. SIÉGE ET PRISE DE CONQUEST, DE DINAN, DE GUÉRANDE PAR LOUIS
- D'ESPAGNE, D'AURAY ET DE VANNES PAR CHARLES DE BLOIS[303] (§§ 170
- et 171).
-
- [303] Cf. Jean le Bel, chap. LVII, t. I, p. 295 à 299.
-
-
-Après la levée du siége d'Hennebont, Charles de Blois envoie Louis
-d'Espagne et ses gens assiéger la bonne ville de Dinan[304] qui
-n'avait alors pour enceinte que de l'eau et des palissades. Sur la
-route, Louis d'Espagne met le siége devant un petit et vieux château
-nommé _Conquest_[305] qui tient pour la comtesse de Montfort. Le
-capitaine est un chevalier de Lombardie[306] et la garnison se compose
-de Lombards et de Génois. Le château est emporté d'assaut et la
-garnison est massacrée excepté le capitaine qui est pris à rançon.
-Louis d'Espagne laisse _Conquest_ sous la garde d'un châtelain et de
-soixante hommes d'armes et continue sa route vers Dinan. P. 154, 155,
-378 à 381.
-
- [304] Cette mention d'un Dinan, voisin du Conquet, entouré
- seulement d'eau et de palissades, rapprochée d'un passage
- précédent où Froissart dit que la Roche-Piriou est à moitié
- chemin de Vannes et de Dinan, cette mention, dis-je, nous avait
- fait penser au premier abord que le Dinan dont il s'agit ici
- pouvait être identifié avec le petit port de Dinan situé sur
- l'anse du même nom au sud de la grande rade de Brest (aujourd'hui
- hameau de la commune de Crozon, Finistère, arr. Châteaulin). Mais
- à moins qu'on ne prouve que le Dinan du Finistère avait une
- certaine importance au XIVe siècle, il est plus naturel de
- supposer que Jean le Bel et Froissart ignoraient la véritable
- position du Dinan des Côtes-du-Nord.
-
- [305] Les circonstances du récit de Froissart ne permettent guère
- d'identifier _Conquest_ avec _le Conquet_, Finistère, arr. Brest,
- c. Saint-Renan. D'un autre côté, tous les historiens de la
- Bretagne racontent que le Conquet fut pris par les Français en
- 1341 et repris au commencement de 1342 par Gautier de Mauny. V.
- notamment le _Dictionnaire historique de Bretagne_, par Ogée, au
- mot _Conquet_. «Il n'est guère possible, dit Dacier à propos de
- ce passage, que Louis d'Espagne ait rencontré sur sa route, en
- allant d'Auray à Dinan qui est à l'orient, à une assez grande
- distance, le château du Conquet situé à la pointe occidentale de
- la Bretagne. Il n'est guère plus possible que Gautier de Mauny se
- soit transporté avec une troupe nombreuse en une matinée de
- Hennebont au Conquet près de Brest, c'est-à-dire, à plus de
- trente lieues, comme Froissart va le raconter. L'historien
- ignorait donc la position des lieux dont il a parlé, à moins
- qu'on ne suppose, ce qui n'est pas très-vraisemblable, qu'il
- existe un autre château du Conquet que celui que nous
- connaissons.» _Chroniques de Froissart_, éd. Dacier, p. 198. M.
- Kervyn de Lettenhove (t. IV, p. 438 de son édition) identifie
- _Conquest_ avec _Concoret_, Morbihan, arr. Ploërmel, c. Mauron.
- «Froissart, dit l'éditeur belge, a pu faire de Conquest
- Concoret.» Au point de vue phonétique, cette identification nous
- semble inadmissible.
-
- [306] Jean le Bel, d'après la lecture de M. Polain, appelle ce
- chevalier _Martin_ (v. t. I, p. 296); Froissart, dans ses
- rédactions 1re (v. p. 155) et 3e (v. p. 381) le nomme _Mansion_,
- et dans la 2e (v. p. 379) _Garsion_.
-
-Informée que Louis d'Espagne s'est arrêté devant _Conquest_, la
-comtesse de Montfort charge Gautier de Mauny de délivrer ce château et
-d'en faire lever le siége aux Français. Partis d'Hennebont le matin,
-Gautier de Mauny et les siens arrivent vers le soir[307] devant
-_Conquest_; ils reprennent le château pris la veille par les Français,
-le laissent vide et sans garde, car il n'est pas tenable, et retournent
-à Hennebont. P. 155, 156, 379 à 383.
-
- [307] Jean le Bel auquel Froissart a emprunté ce récit dit que
- Gautier de Mauny et ses compagnons arrivèrent au château de
- _Conquest_ «entre midi et nonne» _Chronique de Jean le Bel_, éd.
- Polain, t. I, p. 296.
-
-Louis d'Espagne investit Dinan et fait faire bateaux et nacelles pour
-assaillir cette place de toutes parts, par terre et par eau. Les
-bourgeois de Dinan prennent peur, car la place n'est pas forte et n'est
-fermée que de palissades; leur capitaine, Renaud de Guingamp, fils du
-châtelain de Guingamp, s'efforce en vain de les rassurer. Après quatre
-jours de siége, les assiégés se rendent aux Français et mettent à mort
-sur la place du marché Renaud de Guingamp qui s'oppose à cette
-reddition; Louis d'Espagne leur donne pour capitaines Gérard de Mâlain
-et Pierre Portebœuf trouvés prisonniers à Dinan. P. 156 et 157, 383 et
-384, 386 et 387.
-
-Louis d'Espagne, une fois maître de Dinan, se dirige vers une
-très-grosse ville située sur le flux de la mer qu'on appelle
-Guérande[308] et l'assiége par terre. Il trouve assez près de là, dans
-un havre[309] qui est un des plus fréquentés de Bretagne, un certain
-nombre de navires chargés de vins que des marchands de Poitou, de
-Saintonge et de la Rochelle, ont amenés pour les vendre. Louis
-d'Espagne fait main basse sur les cargaisons; il embarque sur les
-navires ses gens d'armes et partie des Espagnols et des Génois.
-Assaillie par terre et par mer, la ville de Guérande est emportée
-d'assaut, les habitants sont passés au fil de l'épée; cinq églises sont
-brûlées, mais Louis d'Espagne fait pendre vingt-quatre de ceux qui y
-ont mis le feu. Tout est livré au pillage, et l'on recueille un butin
-considérable, car Guérande est une ville grande, riche et marchande. P.
-156 et 157, 384, 387 et 388.
-
- [308] Guérande est à 5 kilomètres de l'Océan, mais cette ville
- n'étant séparée de la mer que par d'immenses marais salants, Jean
- le Bel et Froissart ont pu dire qu'elle est «sur mer» ou «sur le
- flun de le mer.»
-
- [309] Froissart veut sans doute désigner le golfe ou havre au sud
- duquel se trouve l'excellent port du Croisic.
-
-Tandis que Louis d'Espagne et Ayton Doria s'embarquent avec les
-Espagnols et les Génois sur les navires pris à Guérande, le vicomte de
-Rohan, l'évêque de Léon, Hervé de Léon son neveu vont rejoindre Charles
-de Blois devant Auray. A la nouvelle de l'arrivée de Gautier de Mauny
-et des Anglais, le roi de France a envoyé une foule de seigneurs
-grossir les rangs de l'armée de Bretagne, notamment Louis de Poitiers,
-comte de Valentinois, les comtes d'Auxerre, de Joigny, de Porcien, de
-Boulogne, les seigneurs de Beaujeu, de Châteauvillain, de Noyers,
-d'Anglure, de Catillon, d'Offémont, de Roye, d'Aubigny et Moreau de
-Fiennes. Malgré ce renfort, le château d'Auray n'est pas encore pris,
-mais ceux de dedans souffrent tellement de la famine, qu'à défaut
-d'autre nourriture, ils mangent en huit jours tous leurs chevaux. La
-plupart des gens d'armes de la garnison sont tués une nuit qu'ils
-tentent de se sauver à la dérobée en traversant les lignes des
-assiégeants. Toutefois, Henri et Olivier de Spinefort parviennent à
-s'échapper et vont droit à Hennebont. C'est ainsi que le château
-d'Auray est pris après dix semaines de siége. P. 158, 385, 388.
-
-Charles de Blois va assiéger la cité de Vannes dont Geffroi de
-Malestroit est capitaine pour la comtesse de Montfort. Le second jour
-du siége, des Bretons et autres soudoyers du parti de Montfort qui
-tiennent garnison au fort de Ploërmel viennent réveiller les Français.
-Deux chevaliers de Picardie qui font le guet cette nuit là, les
-seigneurs de Catillon et d'Aubigny, donnent l'éveil; les agresseurs
-sont enveloppés et tués ou mis en fuite. Ce même jour, les assiégeants
-s'emparent du bourg[310] situé au pied de la cité et du fort jusqu'aux
-barrières. Les bourgeois de Vannes prennent le parti de se rendre
-malgré les efforts de Geffroi de Malestroit qui s'enfuit Hennebont sous
-un déguisement. Charles de Blois passe cinq jours à Vannes, y laisse
-comme capitaines Hervé de Léon, Olivier de Clisson, et va assiéger
-Carhaix. P. 159, 160, 385 et 386.
-
- [310] Ce bourg situé au pied de la cité est ce qu'on appelle à
- Vannes la _ville basse_; la cité est la _ville haute_. Les
- lecteurs de Froissart remarqueront que dans la langue de ce
- chroniqueur le terme de _cité_ ne s'applique guère qu'aux villes
- _épiscopales_.
-
-
-
-
-CHAPITRE XLIX.
-
- 1342. DÉFAITE DE LOUIS D'ESPAGNE PRÈS DE QUIMPERLÉ; SIÉGE DE LA
- ROCHE-PIRIOU, DU FAOUËT, ET PRISE DE LA FOREST PAR GAUTIER DE
- MAUNY[311] (§§ 172 à 174).
-
- [311] Cf. Jean le Bel, chap. LVIII, t. I, p. 301 à 307.
-
-Louis d'Espagne et Ayton Doria s'embarquent avec un certain nombre de
-gens d'armes sur les navires pris à Guérande et vont ravager la
-Bretagne bretonnante, notamment les environs de Quimperlé, de
-Quimper-Corentin et de Saint-Mathieu[312]; ils font des descentes sur
-les côtes et courent tout ce pays dont ils entassent les dépouilles sur
-leurs navires. A cette nouvelle, Gautier de Mauny, qui se tient à
-Hennebont auprès de la comtesse de Montfort, prend la mer avec une
-flotte montée par cinq cents hommes d'armes et deux mille archers.
-Cette flotte parvient à joindre celle de Louis d'Espagne et d'Ayton
-Doria dans le havre de Quimperlé. Gautier de Mauny saisit l'instant où
-les Français sont descendus à terre pour piller le littoral, il fond à
-l'improviste sur leurs navires sans défense et les capture; puis il
-laisse sa flotte sous la garde de cent hommes d'armes et de trois cents
-archers, met pied à terre et marche à la rencontre de Louis d'Espagne.
-P. 160, 161, 392, 393, 388, 389.
-
- [312] Aujourd'hui hameau de la commune de Plougonvelin,
- Finistère, arr. Brest, c. Saint-Renan. La pointe de Saint-Mathieu
- où l'on voit les ruines de l'abbaye du même nom est l'un des
- trois promontoires les plus occidentaux de France: d'où le
- département où se trouvent ces promontoires a reçu le nom de
- Finistère. Saint-Mathieu-de-_Fine-Poterne_ est sans doute une
- corruption bizarre de l'ancien nom du hameau dont il s'agit:
- Saint-Mathieu-_Fin-de-Terre_.
-
-Gautier de Mauny et Louis d'Espagne se livrant un combat acharné aux
-environs de Quimperlé[313]. Gautier de Mauny a réparti ses gens en
-trois batailles. Louis d'Espagne met en déroute la première bataille
-dans un engagement où il fait chevalier son neveu Alphonse d'Espagne,
-mais il ne peut tenir tête malgré son courage aux deux autres batailles
-accourues au secours de la première et auxquelles les paysans des
-environs viennent prêter main forte; il est forcé de prendre la fuite
-après avoir perdu presque tous les siens, entre autres Alphonse son
-cher neveu: il se jette dans une grosse barque et se sauve à force de
-voiles avec quelques-uns de ses compagnons. Gautier de Mauny fait
-appareiller sa flotte en toute hâte et se met à la poursuite des
-fugitifs. Louis d'Espagne aborde à Redon au moment où ses ennemis sont
-sur le point de le ratteindre; il réussit à leur échapper en montant
-sur de petits chevaux qu'il emprunte et à l'aide desquels il gagne
-précipitamment la cité de Rennes voisine de Redon. Gautier de Mauny et
-les siens font voile de Redon pour revenir par mer à Hennebont, mais
-les vents contraires les forcent à prendre terre à trois lieues de
-Dinan[314] d'où ils vont assiéger la Roche-Piriou. Gérard de Mâlain,
-autrefois capitaine de ce château, est revenu depuis six jours y tenir
-garnison par l'ordre de Charles de Blois. Gautier de Mauny commande
-l'assaut, mais ceux de dedans repoussent les assaillants par le jet de
-pierres et de poutres, par le tir de leurs canons et de leurs arcs à
-tour. Deux chevaliers, Jean le Bouteiller et Hubert de Frenay, sont
-blessés en montant à l'assaut; on les porte dans un pré situé au pied
-du château et où sont déjà gisants un certain nombre d'autres blessés.
-P. 161 à 164, 393 à 396, 389 à 391.
-
- [313] La 2e rédaction dit: «en l'_ille de Camperli_.» Il n'y a
- pas, que nous sachions, d'île de Quimperlé. Froissart désigne
- peut-être ainsi la presqu'île formée par le confluent de l'Ellé
- et de l'Isole.
-
- [314] Ce passage emprunté par le chroniqueur de Valenciennes dans
- ses deux premières rédactions à Jean le Bel, fournit une nouvelle
- preuve que le chanoine de Liége ignorait complétement la
- véritable position de Dinan. Froissart a pris soin de faire
- disparaître cette erreur grossière dans sa troisième rédaction.
- D'après cette rédaction, Gautier de Mauny ne se mit point à la
- poursuite de Louis d'Espagne et revint tout droit à Hennebont
- d'où il alla assiéger la Roche-Piriou (v. p. 391 et 396), tandis
- que Louis d'Espagne, après une nuit de navigation, venait aborder
- «à _Grède_, au plus proçain port de Vennes et de Rennes.» Nous
- avons eu l'occasion de faire ressortir plus haut (p. XXXVI, note
- 1) l'importance de ces dernières lignes qui semblent indiquer que
- Froissart identifie _Grède_ ou _Gredo_ avec _Redon_.
-
-Renier de Mâlain, frère de Gérard, châtelain d'un autre petit fort
-appelé le Faouët[315] situé à moins d'une lieue de la Roche-Piriou,
-accourt avec quarante de ses compagnons pour porter secours à son
-frère; il trouve au pied du château assiégé Jean le Bouteiller, Hubert
-de Frenay et les autres hommes d'armes blessés du côté des assaillants
-étendus au milieu d'un pré; il n'a pas de peine à les faire prisonniers
-et revient les mettre sous bonne garde dans sa forteresse du Faouët.
-Indignés d'une si lâche surprise, Gautier de Mauny et Amauri de Clisson
-abandonnent la Roche-Piriou et viennent assiéger le Faouët pour
-délivrer leurs compagnons. Gérard de Mâlain veut alors rendre à son
-frère Renier service pour service; il monte à cheval, part une nuit de
-la Roche-Piriou et arrive un peu devant le jour à Dinan[316] où il
-implore le secours de Pierre Portebœuf, son bon compagnon, en faveur
-de son frère Renier. Il réussit à faire accueillir favorablement sa
-demande et ne tarde pas à revenir vers le Faouët avec un corps de six
-mille auxiliaires fournis par les bourgeois de Dinan. Gautier de Mauny,
-craignant de se trouver pris entre les gens d'armes amenés par Gérard
-de Mâlain, d'une part, et l'armée de Charles de Blois, de l'autre, lève
-le siége du Faouët. P. 164 à 166, 397 à 399, 401.
-
- [315] Morbihan, arr. Napoléonville, sur l'Ellé.
-
- [316] La distance entre la Roche-Piriou, à l'est du Morbihan, et
- Dinan, à l'ouest des Côtes-du-Nord, est beaucoup trop
- considérable pour que, même à cheval, on puisse faire le trajet
- en une nuit; mais, nous le répétons, Jean le Bel auquel ces
- détails sont empruntés, ne se faisait pas la moindre idée de la
- position exacte de Dinan.
-
-Avant de rentrer dans Hennebont, Gautier de Mauny met le siége devant
-le château de _Ghoy le Forest_[317]. Charles de Blois, à qui ce château
-s'est rendu quinze jours auparavant, y a maintenu comme capitaine Gui
-de _Ghoy_, auquel il a adjoint Hervé de Léon; mais ces deux chevaliers
-sont absents au moment où Gautier de Mauny se présente devant la
-forteresse confiée à leur garde: ils sont allés se joindre au gros de
-l'armée française qui assiége Carhaix. Gautier de Mauny profite de leur
-absence pour emporter d'assaut _Ghoy le Forest_, qui est un château
-merveilleusement fort; il passe la garnison au fil de l'épée, et
-revient après ce beau fait d'armes à Hennebont. P. 167, 168, 400 à 402.
-
- [317] On lit _Glay la Forest_ dans Jean le Bel (v. t. I, p. 306,
- éd. Polain). Ici encore Froissart a corrigé dans sa troisième
- rédaction une erreur géographique commise d'après Jean le Bel
- dans les deux rédactions précédentes. Dans celles-ci, en effet,
- notre chroniqueur disait que Gautier de Mauny avait trouvé Ghoy
- le Forest sur son chemin en revenant du Faouët à Hennebont, comme
- si Ghoy le Forest était placé entre ces deux localités (v. p.
- 166, 167 et 400). Froissart mieux informé a soin de faire
- remarquer dans la troisième rédaction que Gautier de Mauny se
- détourna du chemin d'Hennebont pour mettre le siége devant Ghoy
- le Forest: «Quant mesires Gautiers de Mauni et sa route se furent
- departi de Fauet, _il n'alèrent pas le droit cemin pour retourner
- à Hainbon, mais s'adrechièrent vers Goi le Forest_.» P. 401. Il
- est vrai que le chroniqueur retombe dans une autre erreur
- lorsqu'il ajoute que Gautier de Mauny, après avoir pris Goy la
- Forest, rentra ce jour même à Hennebont, à moins que _Goy_ ne
- soit une corruption du breton _Coët_ qu'on aura joint, par une
- sorte de tautologie assez fréquente dans les noms de lieu, à sa
- traduction française _la Forest_. Dans cette hypothèse,
- Goy-la-Forest pourrait désigner le château de Coët situé à 10
- kilomètres nord-est d'Hennebont dans la commune de Languidic,
- qui, d'après M. de La Borderie, si versé dans la géographie
- féodale de la Bretagne, était au moyen âge le chef-lieu d'une
- seigneurie investie du droit de haute justice.
-
-
-
-
-CHAPITRE L.
-
- 1342. SIÉGE ET OCCUPATION DE CARHAIX PAR CHARLES DE
- BLOIS.--SECOND SIÉGE D'HENNEBONT PAR LES FRANÇAIS, SIGNALÉ PAR UN
- MERVEILLEUX EXPLOIT DE GAUTIER DE MAUNY ET LEVÉE DE CE
- SIÉGE.--REDDITION DE JUGON A CHARLES DE BLOIS.--TRÊVE ENTRE LES
- BELLIGÉRANTS SUIVIE DU DÉPART DE JEANNE DE MONTFORT POUR
- L'ANGLETERRE[318] (§§ 175 à 180).
-
- [318] Cf. Jean le Bel, chap. LVIII à LX, t. I, p. 307 à 317.
-
-La comtesse de Montfort donne un grand dîner pour fêter le retour de
-Gautier de Mauny et de ses compagnons; elle prend plaisir à leur faire
-conter leurs exploits et leurs aventures.--Gérard de Mâlain, informé
-que les Anglais ont pris _Ghoy le Forest_ et l'ont laissé sans garde,
-fait réparer ce château par les paysans des environs, a soin de le
-pourvoir de vivres ainsi que d'artillerie et y met bonne garnison. P.
-168, 169, 402.
-
-Pendant ce temps, Charles de Blois maintient toujours le siége devant
-Carhaix[319]. Les assiégés appellent en vain à deux ou trois reprises
-Jeanne de Montfort à leur aide. Désespérée de son impuissance, la
-comtesse envoie des messagers en Angleterre et les charge d'informer
-Édouard III, son allié, de la détresse où elle se trouve réduite après
-la prise de Rennes, de Vannes et de plusieurs autres places par Charles
-de Blois; elle conjure le roi d'Angleterre d'expédier en Bretagne de
-nouveaux secours, sans quoi elle ne répond pas de l'avenir.--Sur ces
-entrefaites, les habitants de Carhaix, pressés par la famine et se
-voyant abandonnés à leurs seules forces par la comtesse de Montfort,
-prennent le parti de se rendre et font leur soumission à Charles de
-Blois. P. 169, 170, 402, 403.
-
- [319] Finistère, arr. Châteaulin.
-
-Après la reddition de Carhaix, Charles de Blois va mettre une seconde
-fois le siége devant Hennebont, il investit la ville et le château
-défendu par l'élite de la chevalerie bretonne et anglaise. Le quatrième
-jour du siége, Louis d'Espagne vient se joindre aux assiégeants après
-être resté six semaines à Rennes pour la guérison de ses blessures. Du
-reste, ce n'est pas le seul renfort que reçoit Charles de Blois. Tous
-les jours il voit arriver à son camp des chevaliers de France qui,
-revenant de guerroyer avec le roi Alphonse d'Espagne contre les
-Sarrasins de Grenade et apprenant à leur passage en Poitou qu'il y a
-guerre en Bretagne, accourent y prendre part. Charles de Blois fait
-dresser seize grandes machines qui lancent d'énormes pierres contre les
-murailles d'Hennebont et dans l'intérieur de la ville. Les assiégés
-n'en ont cure; du haut des remparts ils essuient par bravade la face
-extérieure des créneaux avec leurs chaperons. «Allez donc, crient-ils
-aux assiégeants, allez donc chercher vos compagnons qui se reposent au
-camp de Quimperlé!» P. 170, 171, 403, 404.
-
-Louis d'Espagne, qui veut tirer vengeance de la mort de son neveu
-Alphonse tué à Quimperlé, se fait délivrer par Charles de Blois, Jean
-le Bouteiller et Hubert de Frenay, deux des compagnons de Gautier de
-Mauny, qui au retour de l'expédition de Quimperlé ont été faits
-prisonniers devant la Roche-Piriou par Renier de Mâlain et enfermés au
-Faouët; puis, malgré les instances de Charles et des autres seigneurs
-français, il déclare, une fois que les deux prisonniers sont entre ses
-mains, qu'il les va mettre à mort. Gautier de Mauny, informé par ses
-espions du sort cruel réservé à ses deux compagnons d'armes, entreprend
-de les arracher au péril qui les menace. Tandis qu'Amauri de Clisson,
-en s'avançant vers l'heure du dîner jusque sur le bord des fossés avec
-trois cents armures de fer et mille archers, fait sortir les
-assiégeants en masse de leurs campements et les occupe à des
-escarmouches, Gautier de Mauny sort d'Hennebont par une poterne avec
-cent ou deux cents compagnons d'élite et cinq cents archers à cheval,
-gagne par un chemin détourné le camp français où il n'est resté que des
-valets, se fait conduire par ses espions droit à la tente où l'on garde
-les deux prisonniers, les délivre et rentre avec eux dans Hennebont. En
-revanche, deux chevaliers de la garnison, le seigneur de Landerneau et
-le châtelain de Guingamp sont pris dans une sortie par les assiégeants
-et se soumettent le soir même à Charles de Blois. P. 171 à 177, 404 à
-409, 411.
-
-Cependant le siége d'Hennebont ne fait aucun progrès. Le château est
-très-fort, et la garnison, aussi nombreuse qu'aguerrie, peut se
-ravitailler tous les jours par mer. D'un autre côté, l'hiver approche:
-on est entre la Saint-Remy (1er octobre) et la Toussaint (1er
-novembre); et le pays des environs a été tellement ravagé que les
-assiégeants ne savent plus où trouver vivres ni fourrages. Toutes ces
-raisons déterminent Charles de Blois à donner congé au gros de son
-armée, et le siége d'Hennebont est levé vers la Saint-Luc (18 octobre).
-La plupart des seigneurs de France retournent chez eux, et Charles de
-Blois avec les gens d'armes qui lui restent prend ses quartiers[320]
-d'hiver à Carhaix. P. 176 à 178, 409 à 412.
-
- [320] Froissart, en supposant ici l'année 1342 près de finir,
- semble placer en 1343 les faits dont le récit va suivre, par
- exemple, l'arrivée de Robert d'Artois, puis celle d'Édouard III
- en Bretagne, tandis qu'en réalité ces événements appartiennent à
- l'année 1342.
-
-Sur ces entrefaites, un riche bourgeois et un grand marchand de
-Jugon[321], qui fait tous les approvisionnements de la comtesse de
-Montfort, tombe entre les mains de Robert de Beaumanoir, maréchal de
-l'armée de Charles de Blois. Ce bourgeois, pour sauver sa vie et
-recouvrer sa liberté, s'engage à livrer Jugon aux Français. Charles de
-Blois laisse une partie de ses gens à Carhaix sous les ordres de Louis
-d'Espagne, et vient en personne avec cinq cents lances à Jugon, dont le
-bourgeois qui est de sa connivence lui ouvre à minuit les portes. La
-ville une fois prise, le château lui-même finit, après quelque
-résistance, par se rendre au vainqueur. Gérard de Rochefort est
-maintenu comme capitaine de la garnison par Charles de Blois qui
-retourne à Carhaix. Bientôt, par les soins d'Yvon de Trésiguidy, au nom
-de la comtesse de Montfort, et de Robert de Beaumanoir, au nom de
-Charles de Blois, une trêve est conclue entre les belligérants qui doit
-durer jusqu'à la mi-mai[322] 1343. Aussitôt après la conclusion de
-cette trêve, la comtesse de Montfort s'embarque à Hennebont et se rend
-en Angleterre auprès d'Édouard III, tandis que Charles de Blois vient à
-Paris faire visite au roi Philippe de Valois, son oncle. P. 178 à 181,
-412 à 417.
-
- [321] Côtes-du-Nord, arr. Dinan. Il ne reste rien aujourd'hui de
- la redoutable forteresse qui avait donné lieu au proverbe:
-
- Qui a Bretagne sans Jugon
- A chape sans chaperon.
-
- [322] On ne trouve ni dans le recueil de Rymer ni ailleurs aucune
- mention d'une trêve qui aurait été conclue à cette date entre
- Charles de Blois et la comtesse de Montfort. Froissart veut
- peut-être parler, ainsi que Dacier l'a supposé, de l'armistice
- arrêté entre les deux parties au commencement de cette année 1342
- pour durer jusqu'au retour de la belle saison. V. _Hist. de
- Bretagne_, par dom Morice, t. I, p. 254.
-
-
-
-
-CHRONIQUES
-
-DE J. FROISSART.
-
-
-
-
-LIVRE PREMIER
-
- § 99. Quant li rois de France eut oy recorder comment
- li Haynuier avoient ars ens ou pays de Tierasse,
- pris et occis ses chevaliers, et destruit le bonne ville
- de Aubenton, saciés que il ne prist mies ceste cose
- en gré, mais commanda à son fil le duch de Normendie 5
- que il mesist une grosse chevaucie sus, et
- s'en venist en Haynau, et sans deport atournast tel
- le pays que jamais ne fust recouvret. Et li dus respondi
- qu'il le feroit volentiers. Encores ordonna li
- rois de France le conte de [Lille[323]], gascon qui se tenoit 10
- adonc à Paris dalés lui et que moult amoit, que il
- mesist sus une grosse chevaucie de gens d'armes, et
- s'en alast en Gascongne et y chevauçast, comme lieutenans
- dou roy de France, et guerriast durement et
- radement Bourdiaus et Bourdelois et toutes les forterèces
- qui là se tenoient pour le roi d'Engleterre. Li
- contes dessus dis obey au commandement dou roy
- et se parti de Paris, et fist son mandement à Thoulouse
- à estre à closes Paskes, li quelz mandemens fu 5
- tenus, ensi que vous orés chà en apriès, quant tamps
- et lieus sera. Encores renforça grandement li rois de
- France l'armée qu'il tenoit sus mer et le grosse armée
- des escumeurs. Et manda à monsigneur Hue
- Kieret et à Barbevaires, et as aultres chapitainnes, 10
- qu'il fuissent songneus de yaus tenir sus les mètes
- de Flandres, et que nullement il ne laiassent le roy
- d'Engleterre rapasser ne prendre port en Flandres;
- et se par leur coupe en demoroit, il les feroit morir
- de male mort. 15
-
- [323] Ms. A8, fo 49.--Mss. B1, 3, 4, fo 71 vo: «Laille».
-
- Avoech tout ce, vous avés bien oy recorder comment
- de nouviel li Flamench s'estoient alloiiet, par
- saiellet, avoecques le roi d'Engleterre, et li avoient
- juret à lui aidier à poursievir sa guerre, et li avoient
- fait encargier les armes de France, et li avoient fait 20
- hommage de tout ce dont tenu estoient au roy de
- France, et li fisent encores prendre title et nom de
- roy de France; et cils rois les avoit absols et quittés
- de une grande somme de florins dont obligiet il estoient
- de jadis et loiiet au roy de France. Dont il 25
- avint que, quant li rois Phelippes oy ces nouvelles,
- se ne li pleurent mies bien, tant pour ce qu'il avoient
- fait hommage à son adversaire, que pour ce que li
- rois englès, comme rois de France, les avoit quittés
- de le somme et de l'obligation, ce que nullement il 30
- ne pooit faire. De quoi encores, pour yaus retraire,
- il leur manda par un prelat, sus l'ombre dou pape,
- qu'il tenissent ferme et estable leur sierement; autrement,
- il jetteroit une sentense entre yaus; non obstant
- ce et le petite et foible information qu'il avoient
- eu, se il se voloient recognoistre et retourner à lui et à
- le couronne de France, et relenquir le roi d'Engleterre 5
- qui enchanté les avoit, il leur pardonroit son
- mautalent et leur quitteroit la ditte somme, et leur
- donroit et saieleroit pluiseurs belles francises en son
- royaume. Li Flamench n'eurent mies adonc conseil
- ne acord de ce faire, et respondirent qu'il se tenoient 10
- bien pour absols et pour quittes de tout ce où obligiet
- estoient, tant c'au roi de France. Et quant li rois
- de France vei qu'il n'en aroit aultre cose, si s'en
- complaindi au pape Clement VIe qui regnoit pour le
- temps, li quelz papes jetta une sentense et un escumeniement 15
- en Flandres si horrible et si grant que il
- n'estoit nulz prestres qui y volsist celebrer ne faire
- le divin offisce. De quoi li Flamench furent moult
- courouchiet; et en envoiièrent complaintes grandes
- et grosses au roi englès, li quelz, pour yaus apaisier, 20
- leur manda que de ce il ne fuissent noient effraet.
- Car, la première fois qu'il rapasseroit, il lor menroit
- des prestres de son pays qui chanteroient messe en
- Flandres, volsist li papes ou non, car il est bien privilegiiés
- de ce faire. Parmi tant s'apaisièrent li Flamench. 25
-
-
- § 100. Quant li rois de France vei que, par nulle
- voie ne pourkas qu'il [sceust[324]] faire ne moustrer, il
- ne poroit ratraire les Flamens ne oster de leur oppinion,
- si commanda à chiaus qu'il tenoit en garnison,
- de Tournay, de Lille, de Douay et des chastiaus voisins,
- que il fesissent guerre as Flamens, et courussent
- en leur pays et sans deport. Dont il avint que
- messires Mahieus de Roie, qui pour le temps se tenoit 5
- dedens Tournay, et messires Mahieus de Trie,
- mareschaus de France, avoech monsigneur Godemar
- dou Fay et pluiseur aultre, misent une chevaucie sus
- de mille armeures de fier, tous bien montés, et trois
- cens arbalestriers, tant de Tournay, de Lille que de 10
- Douay, et se partirent de le cité de Tournay un soir
- apriès souper, et chevaucièrent tant que sus le point
- dou jour il vinrent devant Courtrai, et accueillièrent,
- devant soleil levant, toute le proie de là environ.
- Et coururent li coureur jusques as portes, et occirent 15
- et mehagnièrent aucuns hommes qu'il trouvèrent
- ens ès fourbours, et puis s'en retournèrent arrière
- sans damage. Et prisent ces gens d'armes leur tour
- deviers le rivière dou Lis et devers le Warneston, en
- accueillant et en menant devant yaus toute le proie 20
- qu'il trouvèrent et encontrèrent; et ramenèrent ce
- jour en le cité de Tournay plus de dix mille blanches
- bestes, et bien otant que pors, que bues, que
- vaches, dont il eurent grant pourfit et grant butin.
- Et en fu la ditte cités bien pourveue et rafreschie un 25
- grant temps et largement avitaillie.
-
- [324] Mss. B3, 4, fo 47.--Ms. B1, fo 72 vo: «sceuissent.»
-
- Ces nouvelles, qui ne furent mies trop plaisans
- pour les Flamens, s'espandirent parmi Flandres. Si
- en fu durement li pays esmeus et tourblés. Et en 30
- vinrent les complaintes à Jakemon d'Artevelle qui se
- tenoit à Gand. Pour quoi li dis d'Artevelles fu durement
- courouciés, et dist et jura que ceste fourfaiture
- seroit amendée ou pays de Tournesis. Si fist son
- mandement par tout, et commanda parmi les bonnes
- villes de Flandres que tout vuidassent et fuissent,
- à un certain jour qu'il y assigna, avoecques lui, devant
- le cité de Tournay; et escrisi au conte de Sallebrin 5
- et au conte de Sufforch, qui se tenoient en
- garnison en le ville de Ippre, qu'il se traissent de
- celle part. Et encores pour mieus moustrer que la
- besongne estoit sienne et qu'elle li touchoit, il se
- parti de Gand moult estoffeement, et s'en vint entre 10
- le ville d'Audenarde et de Tournay, sus un certain
- pas que on dist au Pont de Fier; et se loga là, attendans
- les dessus dis contes d'Engleterre et ossi
- chiaus dou Franch de Bruges.
-
-
- § 101. Quant li doi conte d'Engleterre dessus 15
- nommet entendirent ces nouvelles, si ne veurent
- mies pour leur honneur delaiier; ains renvoiièrent
- tantost devers d'Artevelle, en disant que il seroient
- là au jour qui assignés y estoit. Sur ce il se partirent
- assés briefment de le ville d'Ippre, environ cinquante 20
- lances et quarante arbalestriers, et se misent au chemin
- pour venir là où d'Artevelles les attendoit. Ensi
- qu'il chevauçoient et qu'il leur couvenoit passer au
- dehors de le ville de Lille, leur venue fu seue en la
- ditte ville. Dont s'armèrent secretement cil de le ville 25
- de Lille, et se partirent de lor ville bien quinze cens,
- à piet, à cheval, et se misent et establirent en trois
- agais, afin que cil ne les peuissent mies escaper. Et
- vinrent li pluiseur et li plus certain sus un pas, entre
- haies et buissons, et là s'embuschièrent. 30
-
- Or chevauçoient adonc cil doi conte englès et
- leur route, sus le guiement monsigneur Wafflart de
- le Crois, qui un grant temps avoit guerriiet chiaus
- de Lille, et encores guerrioit, quant il pooit; et s'estoit
- tenus celle saison à Ippre, pour yaulz mieus
- guerriier, et se faisoit fors que d'yaus mener sans peril, 5
- car il savoit toutes les adrèces et les torses voies.
- Et encores en fust il bien venus à chief, se cil de
- Lille n'euissent fait au dehors de leur ville un grant
- trencheis nouvellement, qui n'estoit mies acoustumés
- d'estre. Et quant cilz messires Wafflars les eut 10
- amenés jusques à là, et il vei que on leur avoit
- copet le voie, si fu tous esbahis et dist as contes
- d'Engleterre: «Mi signeur, nous ne poons nullement
- passer le chemin que nous alons, sans nous
- mettre en grant dangier et ou peril de chiaus de Lille. 15
- Pour quoi, je conseille que nous retournons et prendons
- ailleurs nostre chemin.» Adonc respondirent
- li baron d'Engleterre: «Messire Wafflart, jà n'avenra
- que nous issons de nostre chemin pour chiaus
- de Lille. Chevauciés toutdis avant, car nous avons 20
- acertefiiet d'Artevelle que nous serons ce jour, à
- quèle heure que soit, là où il est.» Lors chevaucièrent
- li Englès sans nul esmay. Et quant messires Wafflars
- vei que c'estoit acertes, et que il ne pooit estre creus
- ne oys, si fist son marchiet tout avant et dist: «Biau 25
- signeur, voirs est que pour gide et conduiseur en ce
- voiage vous m'avés pris, et que tout cel yvier je me
- sui tenus avoecques vous en Ippre, et me loe de
- vostre compagnie et de vous grandement. Mais toutes
- fois, se il avient que cil de Lille sallent ne issent 30
- hors contre nous ne sur nous, n'aiiés nulle fiance
- que je les doie attendre, mès me sauverai au plus
- tost que je porai. Car se j'estoie pris ne arrestés par
- aucun kas de fortune, ce seroit sus ma tieste que j'ai
- plus chier que vostre compagnie.»
-
- Adonc commenchièrent li chevalier à rire, et disent
- à monsigneur Wafflart qu'il le tenoient bien 5
- pour escuset. Tout ensi qu'il l'imagina en avint, car
- il ne se donnèrent de garde; si se boutèrent en l'embusce,
- qui estoit grande et forte, et bien pourveue
- de gens d'armes et d'arbalestriers, qui les escriièrent
- tantost: «Avant, avant, par chi ne poés vous passer 10
- sans no congiet.» Lors commencièrent il à traire
- et à lancier sus les Englès et leur route. Et si tretost
- que messires Waufflars en vei la manière, il n'eut
- cure de chevaucier plus avant, mès retourna au plus
- tost qu'il peut, et se bouta hors de le presse et se 15
- sauva, et ne fu mies pris à celle fois. Et li doi signeur
- d'Engleterre, messires Guillaumes de Montagut,
- contes de Sallebrin, et li contes de Sufforch escheirent
- en le main de leurs ennemis, et furent
- mieulz pris c'à le roit, car il furent embuschiet en 20
- un chemin estroit, entre haies et espines et fossés à
- tous lés, si fort et par tel manière qu'il ne se pooient
- ravoir ne retourner, ne monter, ne prendre les camps.
- Toutes fois, quant il veirent le mesaventure, il descendirent
- tout à piet et se deffendirent ce qu'il peurent, 25
- et en navrèrent et mehagnièrent assés de chiaus
- de le ville. Mais finablement leur deffense ne vali
- noient, car gens d'armes frès et nouviaus croissoient
- toutdis sus yaus. Là furent il pris et rançonné de
- force, et uns escuiers jones, de Limozin, neveus dou 30
- pape Clement, qui s'appelloit Raymons; mais depuis
- qu'il fu creantés prisons, fu il occis pour le couvoitise
- de ses belles armeures, dont moult de bonnes
- gens en furent courouciet.
-
- Ensi furent pris et retenu li doi conte d'Engleterre
- et mis en la halle de Lille en prison, et depuis
- envoiiet en France par devers le roy Phelippe, qui 5
- en eut grant joie et en seut grant gret à chiaus de
- Lille. Et dist adonc li dis rois et prommist à chiaus
- de le ville de Lille qu'il leur seroit guerredonné
- grandement, car il li avoient fait un biau service. Et
- quant Jakemars d'Artevelle, qui se tenoit au Pont de 10
- Fier, en seut nouvelles, si en fu durement courouciés,
- et brisa pour ceste avenue son pourpos et sen
- emprise, et donna ses Flamens congiet, et s'en retourna
- en le ville de Gand.
-
-
- § 102. Nous retourrons, car la matère le requiert, 15
- as guerres de Haynau et à le contrevengance que li
- rois de France y fist prendre par le duch Jehan
- de Normendie, son ainsnet fil. Li dus, au commandement
- et ordenance dou roy son père, fist son especial
- mandement à estre à Saint Quentin et là environ, 20
- et se parti de Paris environ Paskes, l'an mil
- trois cens et quarante, et vint à Saint Quentin. Là
- estoient avoech lui li dus d'Athènes, li contes de
- Flandres, li contes d'Auçoirre, li contes de Sansoirre,
- li contes Raoulz d'Eu connestables de France, 25
- li contes de Porsiien, li contes de Roussi, li contes
- de Brainne, li contes de Grantpret, li sires de Couci
- et grant fuison de noble chevalerie de Normendie et
- des basses marces. Quant il furent tout assamblé à
- Saint Quentin ou là environ, si fu regardé par le 30
- connestable, le conte de Ghines et les mareschaus
- de France, monsigneur Robert Bertran et monsigneur
- Mahieu de Trie, quel nombre de gens d'armes
- il pooient estre; si trouvèrent qu'i(l) estoient bien
- six mille armeures de fier, chevaliers et escuiers, et
- bien huit mille, que brigans, que bidaus, que aultres 5
- gens poursievant l'ost. C'estoit assés, si com il
- disoient entre yaus, pour combatre le conte de Haynau
- et toute se poissance. Si se misent as camps par
- l'ordenance des mareschaus, et se partirent tout de
- Saint Quentin, et s'arroutèrent devers le Chastiel en 10
- Chambresis, et passèrent dehors Bohain, et chevaucièrent
- tant qu'il passèrent le Chastiel en Chambresis.
- Et s'en vinrent logier li dus de Normendie et
- toute son host en le ville de Montais sus le rivière
- de Selles. Or vous dirai une grant apertise d'armes 15
- que messires Gerars de Werchin, seneschaus de Haynau
- pour le temps, fist et entreprist, laquèle doit
- bien estre recordée et tenue à grant proèce.
-
-
- § 103. Li seneschaus de Haynau dessus nommés
- sceut bien par ses espies que li dus de Normendie 20
- estoit logiés à Saint Quentin, et que ses gens manechoient
- durement le pays de Haynau. Avoech tout
- ce, il sceut l'eure et le venue dou dit duch, qui estoit
- arrestés à Montais, dehors le forterèce dou Chastiel
- en Chambresis. Si s'avisa en soi meismes, comme 25
- preus chevaliers et entreprendans, qu'il iroit le duch
- escarmuchier et resvillier. Si pria aucuns chevaliers
- et escuiers, ce qu'il en peut trouver dalés lui, que il
- volsissent aler où il les menroit, et il li eurent en
- couvent. Si se parti de son chastiel de Wercin, environ 30
- soixante lances en se compagnie tant seulement.
- Et chevaucièrent depuis soleil esconsant, et fisent
- tant que il vinrent à Forès, à l'issue de Haynau,
- et à une petite liewe de Montais; et pooit estre environ
- jour falli. Si tretost qu'il eurent chevauciet
- oultre le ville de Forès, il fist toutes ses gens arrester 5
- en mi uns camps, et leur fist restraindre leurs armeures
- et recengler leurs chevaus, et puis leur dist
- se pensée et che qu'il voloit faire. Et il en furent
- tout joiant, et li disent qu'il s'enventuroient volentiers
- avoecques lui, et ne le faurroient jusques au 10
- morir, et il leur dist grant mercis. Avoecques lui estoient:
- des chevaliers, messires Jakemes dou Sart,
- messires Henris de Husphalize, messires Oliphars de
- Ghistelles, messires Jehan dou Chastelet, li sires de
- Vertain, li sires de Fontenoit et li sires de Wargni; 15
- et des escuiers, Gilles et Thieris de Sommaing, Bauduins
- de Biaufort, Colebiers de Braille, Moriaus de
- Lestines, Sandrars d'Esquarmain, Jehans de Robersart,
- Bridoulz de Thians et pluiseur aultre. Puis chevaucièrent
- tout quoiement, et vinrent à Montais et 20
- se boutèrent en le ville. Et ne faisoient li François
- point de gait.
-
- Et descendirent premierement li seneschaus et tout
- li compagnon devant un grant hostel où il cuidoient
- certainnement que li dus de Normendie fust, mais il 25
- estoit un aultre hostel avant. Et laiens estoient logiet
- doi grant signeur de Normendie, li sires de Bailluel
- et li sires de [Briauté[325]]. Si furent assalli vistement,
- et li porte de leur hostel boutée oultre. Quant li doi
- chevalier se veirent ensi souspris et oïrent crier: 30
- «Haynau au senescal!», si furent moult esbahi.
- Nompourquant il se misent à deffense, ce qu'il peurent;
- mès li sires de Bailluel fu là occis, dont ce fu
- damages, et li sires de [Briauté] fianciés prisons dou
- dit seneschal, et eut couvent sus se loyauté de venir 5
- dedens trois jours tenir prison en Valenchiènes. Dont
- se commenchièrent François à estourmir et à widier
- leurs hostels, et à alumer grans feus et tortis, et à
- resvillier l'un l'autre. Meismement on resvilla le dit
- duch de Normendie, et le fist on armer en grant 10
- haste, et aporter sa banière devant son hostel et desveloper.
- Là se traioient toutes gens d'armes de leur
- costé. Quant li Haynuier perchurent les François ensi
- estourmis, si ne veurent plus demorer, mais se retrairent
- bellement et sagement devers leurs chevaus; 15
- et montèrent sus et se partirent, quant il se furent
- remis ensamble; et en menèrent jusques à dix ou
- douze bons prisonniers; et retournèrent sans damage,
- car point ne furent poursievi, pour tant qu'il faisoit
- brun et tart; et vinrent, environ l'aube crevant, 20
- au Kesnoi. Là se reposèrent il et rafreschirent, et
- puis vinrent à Valenchiennes.
-
- [325] Ms. B4, fo 50.--Ms. B1, fo 74 vo: «Brianté.»
-
- Or parlerons dou duch de Normendie, qui moult
- courouchiés estoit dou despit que li Haynuier li
- avoient fait. Si commanda au matin à deslogier et à 25
- entrer en Haynau, pour tout ardoir sans deport.
- Dont s'arroutèrent li charoi, et chevaucièrent li signeur,
- li coureur premiers qui estoient bien deux
- cens lances. Et en estoient chapitainne messires Thiebaus
- de Moruel, li Gallois de le Baume, li sires de
- Mirepois, li sires de Rainneval, li sires de Saint Pi,
- messires Jehans de Landas, li sires d'Astices, li sires 30
- de Hangès et li sires de Cramelles. Apriès chevauçoient
- li doi mareschal de France en grant route,
- messires Robers Bertrans et messires Mahieus de
- Trie; et estoient bien cinq cens lances; et puis li
- dus de Normendie avoech grant fuison de contes, de 5
- barons et de tous aultres chevaliers. Si entrèrent li
- dit coureur en Haynau et ardirent Forest, Vertain,
- Vertigneul, Esquarmain, Vendegies ou Bos, Vendegies
- sus Escallon, Bermerain, Calaumes, Senlèces et
- les fourbours dou Kesnoi, et se logièrent sus le rivière 10
- d'Uintiel. A l'endemain, il passèrent oultre et
- ardirent Oursineval, Villers en le Cauchie, Gommegnies,
- Marech, Pois, Presiel, Anfroipret, Preus, Le
- Frasnoit, Obies et le bonne ville de Bavai et tout le
- pays jusques à le rivière de Honniel. Et eut ce second 15
- jour grant assaut et escarmuce au chastiel de
- Werchin de le bataille des mareschaus, mès noient n'i
- fisent, car il fu bien gardés et bien deffendus. Et s'en
- vint li dus de Normendie logier sus le rivière de
- Selles entre Haussi et Sausoir. Or vous parlerons dou 20
- signeur de Faukemont, qui fu uns moult rades chevaliers,
- d'une grant apertise d'armes qu'il fist.
-
-
- § 104. Messires Walerans, sires de Fauquemont,
- estoit chapitainne et gardiiens de le ville de Maubuege,
- et bien cent lances d'Alemans et de Haynuiers 25
- avoecques lui. Quant il sceut que li François chevauçoient,
- qui ardoient le pays, et ooit les povres
- gens criier et plorer et plaindre le leur, si en eut
- grant pité, si s'arma et fist ses gens armer, et recommanda
- le ville de Maubuege au signeur de Biaurieu 30
- et au signeur de Montegni, et dist à ses gens qu'il
- avoit très grant desir de trouver les François. Si chevauça
- ce jour, toutdis costiant les bois et le forest de
- Mourmail. Quant ce vint sus le soir, il aprist et entendi
- que li dus de Normendie et toute sen host estoient
- logiet sus le rivière de Selles, assés priès de 5
- Haussi. De che fu il tous joians et dist briefment qu'il
- les iroit resvillier. Si chevauça ceste vesprée tout sagement,
- et environ mienuit il passa le ditte rivière à
- gués, et toute se route. Quant il furent oultre, ilz rechenglèrent
- leurs chevaus et se remisent à point, et 10
- puis chevaucièrent tout souef jusques adonc qu'il
- vinrent au logeis dou duch. Quant il deurent approcier,
- ilz ferirent chevaus des esporons tout d'un randon,
- et se plantèrent en l'ost le duch en escriant:
- «Faukemont! Faukemont!», et commencièrent à 15
- coper cordes, et à ruer jus et à abatre tentes et pavillons
- par terre, et à occire et à decoper gens, et
- d'yaus mettre en grant meschief. Li hos se commença
- à estourmir, et toutes gens à armer et à traire
- celle part là où la noise et li hustins estoit. Quant li 20
- sires de Faukemont vei que poins fu, il se retray arrière.
- Et en retraiant ses gens tout sagement fu mors,
- de(s) François, li sires de Pikegni pikart, et fianciés
- prisons li viscontes de Kesnes et li Borgnes de Rouvroi,
- et durement blechiés messires Antones de 25
- Kodun. Quant li sires de Faukemont eut fait sen emprise,
- et il vei que temps fu, et que li hos s'estourmissoit,
- il se parti et toutes ses gens; et rapassèrent
- le rivière de Selles sans damage, car point ne furent
- poursievi. Et chevaucièrent depuis tout bellement, 30
- et vinrent d'environ soleil levant au Kesnoi où li
- mareschaus de Haynau se tenoit, messires Thieris de
- Walecourt, qui leur ouvri le porte et les rechut liement.
-
- Et li dus de Normendie fu moult courouciés de
- ses gens que on avoit occis et blechiés et fianchiés
- prisons et dist: «Agar comment cil Haynuier nous 5
- resveillent!» A l'endemain, au point dou jour, fist
- on sonner les trompètes en l'ost le duc de Normendie.
- Si se armèrent et ordonnèrent toutes manières
- de gens, et misent à cheval, et arroutèrent le charoi,
- et passèrent le ditte rivière de Selles, et entrèrent de 10
- rechief en Haynau, car li dus voloit venir vers Valenchiènes
- et aviser comment il le poroit assegier.
- Chil qui chevauçoient devant, li mareschaus de Mirepois,
- li sires de Noiiers, li Gallois de le Baume et
- messires Thiebaus de Moruel, à bien quatre cens lances 15
- sans les bidaus, s'en vinrent devant le Kesnoy
- et approchièrent le ville jusques as barrières, et fisent
- samblant qu'il le vorroient assallir; mès elle estoit
- si bien pourveue de bonnes gens d'armes et de
- grant artillerie qu'il y euissent perdu leur painne. 20
- Nompourquant il escarmucièrent un petit devant les
- bailles, mais on les fist tantost retraire, car cil dou
- Kesnoi descliquièrent canons et bombardes qui jettoient
- grans quariaus. Si se doubtoient li François de
- leurs chevaus, et se retraisent par devers Wargni et 25
- ardirent Wargni le Grant et Wargni le Petit, Fielainnes,
- Faumars, Semeries, Artre, Artriel, Sautain, Curgies,
- Estruen, Ausnoy et Villers monsigneur Polle.
- Et en voloient les flamesces et li fascon en le ville
- de Valenchiènes. Et vinrent cil coureur courir par 30
- devant Valenchiènes. Et entrues ordonnoient li François
- leurs batailles sus le mont de Chastres priès de
- Valenchiènes, et se tenoient là en grant estoffe et
- moult richement. Dont il avint que environ deux
- cens lances des leurs, dont li sires de Craon et li sires
- de Maulevrier et li sires de Matefelon et li sires
- d'Avoir estoient conduiseur, s'avalèrent devers Maing, 5
- et vinrent assallir une forte tour quarée, qui pour le
- temps estoit Jehan Bernir de Valenchiènes. Depuis
- fu elle à Jehan de Nuefville. Là eut grant assaut, dur
- et fort, et dura priès que tout le jour, ne on n'en
- pooit les François partir; si en y eut il mors ne sai 10
- cinq ou six. Et si bien se tinrent et deffendirent cil
- qui le gardoient qu'il n'i prisent point de damage.
- Si s'en vinrent li plus de ces François à Trit, et cuidièrent
- de premières venues là passer l'Escaut; mais
- cil de le ville avoient deffait le pont et deffendoient 15
- le passage roidement et fierement. Et jamais à cel
- endroit ne l'euissent li François conquis, mais il en
- y eut entre yaus de chiaus qui cognissoient le passage
- et le rivière et le pays; si en menèrent bien
- deux cens de piet passer as plankes à Prouvi. Quant 20
- cil furent oultre, il vinrent tantos baudement sus
- chiaus de Trit qui n'estoient c'un petit ens ou regard
- d'yaus, et ne peurent durer; si tournèrent en fuite.
- Si en y eut des mors et des navrés et des noiiés pluiseur.
- 25
- Ce meismes jour, estoit partis de Valenchiènes li
- seneschaus de Haynau à cent armeures de fier, et issus
- de le ville par le porte d'Anzaing; et pensoit bien
- que cil de Trit aroient à faire; si les voloit secourir.
- Dont il avint que, deseure Saint Vaast, il trouva de 30
- rencontre environ vint cinq coureurs françois que
- troi chevalier de Poito menoient, messires Bouchicaus
- li uns, li sires de Surgières li aultres, et messires
- Guillaumes Blondiaus li tiers; et avoient passet
- l'Escaut assés priès de Valenchiènes, au pont c'on
- dist à le Tourielle; et avoient courut par droite bachelerie
- deseure Saint Vaast. Si tretost que li senescaus 5
- de Haynau les perchut, si fu moult liés, car
- bien perchut et vit que c'estoient si ennemit, et feri
- apriès yaus et toute se route ossi. Là eut bonne
- jouste des uns as aultres. Et me samble que li seneschaus
- de Haynau porta jus de cop de lance monsigneur 10
- Bouchicau, qui estoit adonc moult apers chevaliers,
- et fu plus encores depuis et marescaus de
- France, si com vous orés avant en l'ystore; et le fist
- fiancier prison et l'envoia en Valenchiènes; mais je
- ne sçai comment ce poet estre, car li sires de Surgières 15
- escapa et se sauva, et ne fu point pris. Mès il fu
- pris messires Guillaumes Blondiel et fiança prison à
- monsigneur Henri de Husphalise, et furent priès tout
- li aultre mort et pris. Cilz rencontres detria grandement
- le senescal de Haynau qu'il ne peut venir à 20
- temps au pont à Trit; mais l'avoient jà conquis li
- François, quant il y vint; et mettoient grant painne
- à abatre les moulins et un petit chastelet qui là estoit.
- Mès si tretost que li senescaus vint en le ville,
- il n'eurent point de loisir, car il furent reboutet et 25
- reculet villainnement, occis, decopé et mis en cache.
- Et les fist on sallir en le rivière d'Escaut, dont il en
- y eut aucuns noiiés, et en fu li ville de Trit adonc
- toute delivrée. Et vint li senescaus de Haynau passer
- l'Escaut à Denaing, et puis chevauça et toute se route 30
- vers son chastiel de Werchin, et se bouta dedens
- pour le garder et deffendre, se mestier faisoit. Et encores
- se tenoit li dus de Normendie et ses batailles
- sus le mont de Castres, et se tint en bonne ordenance
- le plus grant partie dou jour, car il cuidoit
- que cil de Valenciènes deuissent widier et lui venir
- combatre. Ossi fuissent il très volentiers. Mès messires 5
- Henris d'Antoing, qui avoit la ville en garde, leur
- deveoit et deffendoit, et estoit à le porte [cambresienne]
- moult ensonniiés et en grant painne de yaus
- destourner de non vuidier, et li prevos de le ville
- pour le temps, (avoecques lui,) Jehans de Baissi, qui 10
- les affrenoit ce qu'il pooit, et leur moustra adonc
- tant de belles raisons qu'il s'en souffrirent.
-
-
- § 105. Quant li dus de Normendie et ses batailles,
- qui très belles estoient à regarder, ensi que ci dessus
- est deviset, se furent tenu un grant temps sus le 15
- mont de Castres, et il veirent que nulz ne venroit
- ne isteroit hors de Valenchiènes pour yaus combatre,
- adonc furent envoiiet li dus d'Athènes et li sires de
- Chastellon, et bien trois cens lances de fortes gens
- et bien montés, pour courir jusques à Valenciènes. 20
- Chil chevaucièrent en très bonne ordenance, et vinrent
- au lés devers le Tourielle à Goguel, et chevaucièrent
- moult arreement jusques as bailles de le ville;
- mais il n'i demorèrent point plenté, car il ressongnièrent
- le tret pour leurs chevaus. Et toutes fois li 25
- sires de Chastillon chevauça si avant que ses coursiers
- fu trais et chei desous lui, et le couvint monter
- sus un aultre. Ceste chevaucie prist son tour devers
- les Marlis et les ardirent, et abatirent tous les moulins
- qui là estoient sus le rivière de Wintiel, et puis 30
- prisent leur tour par derrière les Chartrois et revinrent
- à leur bataille. Or vous di qu'il estoient demoret
- aucun compagnon françois derrière en le ville
- des Marlis, pour mieus fourer à leur aise. Dont il
- avint que cil qui gardoient une tour, qui là est as
- hoirs de Haynau, et fu jadis à monsigneur Robert de 5
- Namur de par ma dame Yzabiel de Haynau sa femme,
- perchurent ces François qui là estoient, et si veirent
- bien que li grosse chevaucie estoit retraite: si issirent
- baudement hors, et les assallirent de grant corage:
- et les menèrent telz qu'il en tuèrent bien la 10
- moitiet, et leur tollirent tout leur pillage, et puis retournèrent
- en leur tour.
-
- Encores se tenoient les batailles sus le mont de
- Castres, et tinrent tout le jour jusques apriès nonne,
- que li coureur revinrent de tous costés. Dont eurent 15
- conseil là entre yaus moult grant et disoient li signeur
- que, tout consideret, il n'estoient mies gens
- assés pour assegier une si grande ville que Valenchiènes
- est. Si eurent finablement conseil de departir
- d'illuech, et de yaus retraire deviers Cambray. Si 20
- s'en vinrent ce soir logier à Maing et à Fontenielles,
- et furent là toute la nuit, et fisent bon gait et grant.
- A l'endemain, il s'en partirent, mais il ardirent Maing
- et Fontenielles et toute l'abbeye, qui estoit à ma
- dame Jehane de Valois, ante dou dit duch et soer 25
- germainne au roy son père. De quoi li dus fu moult
- courouciés, et fist pendre chiaus qui le feu y avoient
- mis et bouté. A ce departement, fu pararse li ville de
- Trit, et li chastiaus et li moulin abatu, et Prouvi,
- Rouvegni, Thians, Monciaus, et tous li plas pays 30
- entre Cambrai et Valenciènes.
-
- Ce jour, au matin, issirent de Valenchiènes aucun
- compagnon legier, quant il seurent le departement
- des François, et s'en vinrent sus les camps, entour
- le mont de Castres, ù li François avoient esté logiet,
- et y trouvèrent encores des vivres et des pourveances
- que li François y avoient laissies, et pluiseur logeis 5
- où il avoit encores aucuns brigans et Geneuois
- qui tant avoient beu dou soir qu'il s'estoient enivré
- et dormoient encores. Si boutèrent cil dit compagnon
- de Valenciènes le feu en ces logis, et ardirent
- là dedens le(s) dis brigans. Car quant il sentoient le 10
- feu, il s'esvilloient et cuidoient sallir hors; mais il estoient
- decaciet ens de leurs ennemis à plançons et à
- goudendars. Toutes fois, il en y eut un qui salli hors,
- mais il fu pris par piés et par gambes et par bras,
- et jettés en un grant feu qui estoit fais devant le dit 15
- logis, et là fu tous ars. Si est grans meschiés de ce
- que chrestiien destruisent ensi li uns l'autre sans
- pité.
-
- Che jour chevauça tant li dus de Normendie qu'il
- vint devant Escauduevre, un bon chastiel et fort dou 20
- conte de Haynau, seant sus le rivière d'Escaut, et
- qui moult grevoit chiaus de Cambrai, avoecques
- chiaus de le garnison de Thun l'Evesque. Dou chastiel
- d'Escauduevre estoit chapitainne et souverains
- messires Gerars de Sassegnies, qui devant ce n'avoit 25
- eu nulle reproce de diffame. Or ne sçai je que ce fu
- ne qui l'enchanta, mès li dus n'ot pas sis devant le
- forterèce six jours quant elle li fu rendue sainne et
- entière, dont tous li pays fu esmerveilliés. Et en furent
- souspeçonnet de trahison messires Gerars de 30
- Sassegnies, et uns siens escuiers, qui s'appelloit Robers
- Mariniaus. Chil doi en furent pris et encoupet,
- et en morurent villainnement à Mons en Haynau. Et
- chil de Cambrai abatirent le chastiel d'Escauduevre,
- et en portèrent le pière à Cambray, et en fisent remparer
- et refortefiier leur ville.
-
-
- § 106. Apriès le prise et le destruction d'Escauduevre, 5
- se retray li dus Jehans de Normendie en le
- cité de Cambray, et donna une grant partie de ses
- gens d'armes congiet, et les aultres envoia ens ès
- garnisons de Lille et de Douay et des forterèces voisines.
- Et avint en celle meismes sepmainne que Escauduevre 10
- fu pris, que li François qui en Douay estoient
- issirent hors, et chil de Lille avoech yaus, et
- pooient estre environ trois cens lances. Et les conduisoient
- messires Loeis de Savoie et messires Aymars
- de Poitiers, li contes de Genève, li sires de Villars, 15
- et li Gallois de le Bausme avoecques le signeur de
- Wavrain et le signeur de Wasiers, et vinrent en celle
- chevaucie ardoir en Haynau ce biau plain pays d'Ostrevan.
- Et ne demora riens dehors (les fortrèches[326]),
- dont cil de Bouçain furent moult courouciet, car il 20
- veoient les feus et les fumières au tour d'yaus, et se
- n'i pooient mettre remède. Si envoiièrent il en Valenchiènes
- en disant que, (se) de nuit il (vouloient[327]) issir
- hors environ cinq cens ou six cens armeures de fier, il
- porteroient grant damage as François qui estoient 25
- encores tout quoi et logiet ou plain pays; mais cil de
- Valenciènes n'en eurent point conseil de partir, ne de
- vuidier leur ville. Par ensi n'eurent li François point
- d'encontre; si ardirent il Anich et le moitiet d'Ascons,
- Escaudain, Here, Fenain, Denain, Montegni, Warlain,
- Mauni, Aubrecicourt, l'Ourch, Sauch, Ruet, (Nuefville[328]),
- le Lieu Saint Amant et tous les villages qui en ce
- pays estoient, et en remenèrent grant pillage et grant 5
- proie en leurs garnisons. Et quant cil de Douay furent
- retrait, li saudoiier de Bouçain issirent hors et
- chevaucièrent et ardirent l'autre partie de le ville 10
- d'Ascons, qui se tenoit françoise, et tous les villiaus
- françois jusques ens ès portes de Douay, et le ville
- d'Eskierchin.
-
- [326] Mss. B4, 3, fo 52.--Ms. B1, fo 78 (lacune).
-
- [327] Mss. B3, 4.--Ms. B1: «voloit.»
-
- [328] Mss. B4, 3, fo 52.--Ms. B1, fo 78 (lacune).
-
- Ensi que je vous ay dit, les garnisons sus les frontières
- estoient pourveues et garnies de gens d'armes,
- et souvent y avoit des chevaucies et des rencontres
- et des fais d'armes des uns as aultres, ensi que en 15
- telz besongnes appertient. Si avint, en celle meisme
- saison, que saudoiier alemant se tenoient[329] de par
- l'evesque de Cambray en le Malemaison, à deux
- liewes dou Chastiel Cambrisien, et marchissant d'autre
- part plus priès de Landrecies, dont li sires de Potelles, 20
- uns appers chevaliers haynuiers, estoit chapitainne
- et gardiiens, car li contes Loeis de Blois, quoi
- qu'il en fust sires, avoit rendu son hommage au
- conte de Haynau, pour tant qu'il estoit françois, et
- li contes le tenoit en se main et le faisoit garder pour 25
- les François. Si avoient souvent le hustin cil de le
- Malemaison et cil de Landrecies ensamble. Dont un
- jour sallirent hors de le Malemaison li dessus dit
- Alemant bien armé et bien monté, et vinrent courir
- devant le ville de Landrechies, et acueillièrent le
- proie, et l'en menoient devant yaus, quant la nouvelle
- et li haros en vint en Landrechies entre les Haynuiers
- qui là se tenoient. Donc s'arma li sires de
- Potielles et fist armer les compagnons, et montèrent 5
- à cheval et se partirent pour rescourre as Alemans
- le proie qu'il en menoient. Si estoit adonc li sires de
- Potielles tout devant, et le sievoient ses gens, cescuns
- qui mieus mieus. Ils, qui estoit de grant volenté
- et plains de hardement, abaissa son glave et escria as 10
- François qu'il retournaissent, car c'estoit hontes de
- fuir.
-
- [329] Dans le ms. B1, fo 78, comme dans tous les mss. de
- Froissart, _se tenoient_ est précédé de _qui_, que nous avons
- supprimé.
-
- Là avoit un escuier alemant que on appelloit Albrest
- de Coulongne, apert homme d'armes durement,
- qui fu tous honteus quant il vey que on le cachoit 15
- ensi; si retourna franchement et abaissa son glave,
- et feri cheval des esporons, et s'adreça sus le signeur
- de Potielles, et li chevaliers sur lui, telement qu'il le
- feri sus sa targe un si grant horion que la glave vola
- en tronchons. Et li Alemans le consievi par tel manière, 20
- de son glave roide et enfumée, que onques ne
- brisa ne ne ploia, mès percha la targe, les plates et
- l'auqueton, et li entra dedens le corps, et le poindi
- droit au coer, et l'abati jus dou cheval navré à mort.
- Donc vinrent li compagnon haynuier, li sires de 25
- Bousies, Gerars de Mastain et Jehans de Mastain et
- li aultre qui de priès le sievoient, qui s'arrestèrent
- sur lui, quant en ce parti le veirent, et le regretèrent
- durement; et puis requisent les François fierement
- et asprement, en contrevengant le signeur de Potielles 30
- qui là gisoit navrés à mort. Et combatirent et
- assalirent si dur Albrest et se route qu'il furent desconfi,
- mort et pris. Peu en escapèrent, et la proie
- (fu) rescousse et ramenée, et li prisonnier ossi en
- Landrecies, et li sires de Potièles mors, dont tout
- li compagnon furent cou(rou)ciet[330].
-
- [330] Mss. B3, 4, fo 52.--Ms. B1, fos 78 vo et 79: «couciet.»
-
-
- § 107. Apriès le signeur de Potielles, li sires de 5
- Floion fu un grant temps gardiiens de le ville et dou
- chastiel de Landrechies, et couroit souvent sus chiaus
- de Bohain, de le Malemaison et dou Chastiel en Cambresis
- et des forterèces voisines, qui ennemies leur
- estoient. Ensi couroient un jour li Haynuier et l'autre 10
- li François. Si y avoit souvent des rencontres et
- des escarmuces et des rués jus des uns et des aultres,
- car au voir dire telz besongnes le requièrent. Si estoit
- li pays de Haynau en grant tribulacion et en grant
- esmay, car une partie de leur pays estoit ars et essilliés; 15
- et si sentoient encores le duch de Normendie
- sus les frontières, et ne savoient qu'il avoit empenset,
- et si n'ooient nulles (nouvelles[331]) de leur signeur
- le conte. Bien est voirs qu'il avoit estet en Engleterre
- où li rois et li baron dou pays l'avoient grandement 20
- honnouré et festiiet; et avoit fait et juret
- grans alliances au roy englès, et s'en estoit partis et
- alés en Alemaigne devers l'empereour Loeis de Baivière:
- c'estoit la cause pour quoi il sejournoit tant.
- D'autre part, messires Jehans de Haynau, ses oncles, 25
- estoit alés en Braibant et en Flandres, et avoit remoustré
- au dit duch de Braibant et à Jakemon d'Arteveille
- le desolation dou pays de Haynau, et comment
- li Haynuier leur prioient qu'il y volsissent entendre
- et pourveir de conseil. Li dessus dit l'en
- avoient respondut que li contes ne pooit longement
- demorer; et, lui revenu, il estoient tout appareilliet
- d'aler à tout leur pooir là où il les vorroit mener. 5
- Or revenrons nous au duch de Normendie, et recorderons
- comment il assega chiaus de Thun l'Evesque.
-
- [331] Mss. B3, 4, fo 52.--Ms. B1, fo 79 (lacune).
-
-
- § 108. Entrues que li dus de Normendie se tenoit
- en le cité de Cambray, li dis evesques et li bourgois
- dou lieu li remoustroient comment li Haynuier 10
- avoient pris et emblet le fort chastiel de Thun, et
- que, par amours et pour se honneur et le pourfit del
- commun pays, il vosist mettre conseil et entente au
- ravoir, car chil de le garnison constraindoient durement
- le pays de là environ. Li dis dus y entendi 15
- volentiers, et fist de recief semonre ses hos, et mist
- ensamble grant fuison de signeurs et de gens d'armes,
- qui se tenoient en Artois et en Vermendois, les
- quelz il avoit eus en se première chevaucie; et se
- parti de Cambray et s'en vint à toutes ses gens logier 20
- devant Thun, sus le rivière d'Escaut, en ces biaus
- plains au lés deviers Ostrevant. Et fist li dus là amener
- et achariier six grans engiens de Cambray et de
- Douay, et les fist drecier et asseoir fortement devant
- le forterèce. Chil engien y gettoient nuit et jour pières 25
- et mangonniaus à grant fuison, qui effondroient
- et abatoient les combles et les tois des tours, des
- cambres et des salles, et constraindirent par ce dit
- assaut durement chiaus dou chastiel. Et n'osoient li
- compagnon qui le gardoient demorer en cambre ne 30
- en salle qu'il euissent, fors en caves et en celiers.
- Onques gens d'armes ne souffrirent, pour lor honneur,
- en forterèce, tant de painne ne de meschief
- que cil fisent. Des quelz estoit souverains et chapitains
- uns chevaliers englès qui s'appelloit messires
- Richars de Limozin, et ossi doi escuier de Haynau, 5
- frères au signeur de Mauni, Jehans et Thieris. Chil
- troi dessus tous les aultres en avoient toute le carge,
- le painne et le fais, et tenoient les aultres compagnons
- en vertu et en force, et leur disoient: «Biau
- signeur, nos sires li gentilz contes de Haynau venra 10
- un de ces jours à si grant ost contre les François,
- qu'il nous delivera à toute honneur de ce peril, et
- nous sara grant gré de ce que si francement nous
- serons tenu.»
-
- Ensi reconfortoient li troi dessus dit les compagnons 15
- qui n'estoient mies à leur aise, car pour yaus
- plus grever et plus tost amener à merci, cil de l'host
- leur jettoient et envoioient par leurs engiens chevaus
- mors et bestes mortes et puans, pour yaulz empunaisier,
- dont il estoient là dedens en grant destrèce. 20
- Car li airs estoit fors et chaus ensi qu'en plain esté,
- et furent plus adit et constraint par cel estat que par
- aultre cose. Finablement, il regardèrent et considerèrent
- entre yaus que celle mesaise il ne pooient longement
- souffrir ne porter, tant leur estoit la punaisie 25
- abhominable. Si eurent conseil et avis de trettier
- unes triewes à durer quinze jours, et là en dedens
- segnefiier leur povreté à monsigneur Jehan de Haynau,
- qui est regars et gardiiens de tout le pays, à fin
- qu'il en fuissent conforté; et se il ne l'estoient, il 30
- renderoient le forterèce au dit duch de Normendie.
- Chilz trettiés fu entamés et mis avant. Li dus leur
- acorda et mist en souffrance tous assaus et leur donna
- triewes quinze jours, qui fisent moult de biens as
- compagnons dou dit fort, car aultrement il euissent
- esté tout mort et empunaisiet sans merci, tant leur
- envoioit (on[332]) de charongnes pouries et d'aultres ordures 5
- par les engiens. Si fisent tantost partir Ostelart
- de Sommaing par le trettiet devisant, qui s'en vint
- à Mons en Haynau, et trouva là le signeur de Byaumont
- qui avoit oy nouvelles de son neveu le conte
- de Haynau qui revenoit en son pays, et avoit estet 10
- devers l'Empereur et fait grans alliances à lui et as
- signeurs de l'Empire, le duch de Gerles, le conte de
- Jullers, le markis de Blankebourch et tous les aultres.
- Si en enfourma li sires de Byaumont le dit escuier
- Ostelart de Sommaing, et li dist bien que chil 15
- de Thun l'Evesque seroient temprement conforté,
- mès que ses cousins fust revenus ou pays.
-
- [332] Mss. B3, 4, fo 53.--Ms. B1, fo 80 (lacune).
-
-
- § 109. Le triewe durant, qui fu prise entre le duch
- de Normendie et les saudoiiers de Thun, si com vous
- avés oy, revint li contes de Haynau en son pays, 20
- dont toutes manières de gens furent resjoy, car moult
- l'avoient desiret. Se li recorda li sires de Byaumont,
- ses oncles, comment les coses avoient alet depuis
- son departement, et à quel poissance li dus de Normendie
- avoit entré ne sejourné en son pays, et ars 25
- et destruit tout par delà Valenciènes, excepté les forterèces.
- S'en respondi li contes qu'il seroit bien amendet,
- et que li royaumes de France estoit grans assés
- pour avoir ent satisfation de toutes ces fourfaitures;
- mès briefment il voloit aler devant Thun l'Evesque
- et conforter ses bonnes gens qui gisoient là si honnourablement,
- et qui si loyaument s'i estoient tenu
- et deffendu. Si fist li contes ses mandemens et ses
- priières en Braibant, en Guerles, en Jullers et en Alemaigne 5
- et ossi en Flandres devers son bon ami d'Artevelle.
- Et s'en vint li dis contes à Valenciènes, à
- grant fuison de gens d'armes, chevaliers et escuiers
- de son pays et des pays dessus nommés, et toutdis
- li croissoient gens. Et se parti de Valenciènes en 10
- grant arroy de gens d'armes, de charoi, de tentes,
- de trés, de pavillons et de toutes aultres pourveances,
- et s'en vint logier à Nave sur ces biaus plains et
- ces grans prés, tout contreval le rivière d'Eschaut.
-
- Là estoient des signeurs de Haynau avoec le dit 15
- conte et en bon arroy: premierement messires Jehans
- de Haynau, ses oncles, li sires d'Enghien, li sires
- de Wercin, seneschaus de Haynau, li sires d'Antoing,
- li sires de Ligne, li sires de Barbençon, li
- sires de Lens, messires Guillaumes de Bailluel, li sires 20
- de Haverech, chastellains de Mons, li sires de Montegni,
- li sires de Marbais, messires Thieris de Wallecourt,
- mareschaus de Haynau, li sires de le Hamède,
- li sires de Gommegnies, li sires de Roisin, li sires de
- Trasegnies, li sires de Briffuel, li sires de Lalain, li 25
- sires de Mastain, li sires de Sars, li sires de Wargni,
- li sires de Biauriu et pluiseur aultre chevalier et escuier,
- qui tout se logoient dalés leur signeur. Assés
- tost apriès, y revint li jones contes Guillaumes de
- Namur moult estoffeement à deux cens lances, et se 30
- loga ossi sus le rivière d'Escaut en l'ost le conte.
- Apriès revinrent li dus de Braibant à bien sis cens
- lances, li dus de Guerles, li contes de Jullers, li markis
- de Misse et d'Eurient, li markis de Blankebourch,
- li contes des Mons, li sires de Faukemont, messires
- Ernoulz de Bakehen, et grant fuison d'autres signeurs
- et gens d'armes d'Alemagne et de Witephale. Si se 5
- logièrent tout li un apriès l'autre, sus le rivière d'Escaut,
- à l'encontre de l'ost françoise; et estoient plentiveusement
- (pourveu[333]) de tous vivres, qui leur venoient
- tous les jours de Valenchiènes et dou pays de
- Haynau voisin à yaus. 10
-
- [333] Mss. B3, 4, fo 53 vo.--Ms. B1, fo 80 vo: «et pourveuement.»
-
-
- § 110. Quant cil signeur se furent logiet, ensi que
- vous avés entendu, sus le rivière d'Escaut, et mis
- entre Nave et Yvuis, li dus Jehans de Normendie,
- qui estoit d'autre part le rivière avoecques lui moult
- belle gent, vey que li hos son cousin le conte de 15
- Haynau croissoit durement; si segnefia tout l'estat au
- roy de France, son père, qui se tenoit à Peronne en
- Vermendois, et estoit tenus plus de six sepmainnes
- à grant gent. Lors fist li rois de recief une semonse
- très especial, et envoia jusques à douze cens lances de 20
- bonnes gens d'armes en l'ost son fil. Et assés tos
- apriès, il y vint comme saudoiiers au duch son fil,
- car il ne pooit nullement venir à main armée sus
- l'Empire, se il voloit tenir son sierement, ensi qu'il
- fist. Et fu tout dis li dis dus chiés et souverains de 25
- ceste armée, mais il s'ordonnoit par le conseil dou
- roy son père.
-
- Quant cil de Thun l'Evesque veirent lor signeur
- le conte de Haynau venu si poissamment, si en furent
- moult joiant, che fu bien raisons, car moult
- l'avoient desiret, et bien en pensoient à estre delivret.
- Le quatrime jour apriès qu'il furent là venu et
- (hostilliet[334]) à host, vinrent cil de Valenciènes en grant
- arroy, des quelz Jehans de Baissi, qui prevos estoit 5
- pour le temps, se faisoit mestres et gouvrenères. Si
- tretost que cil de Valenciènes furent venu, on les
- envoia escarmucier as François sus le rivage de l'Escaut,
- pour ensonniier chiaus de l'host, et pour faire
- chiaus de le garnison de Thun l'Evesque voie. Là 10
- eut grant escarmuce des uns as aultres, et pluiseur
- quariel tret et lanciet, et tamaint homme navret et
- bleciet. Entrues qu'il entendoient au paleter, li compagnon
- de Thun l'Evesque, messires Richars de Limozin
- et li aultre se partirent dou chastiel et se misent 15
- en l'Escaut. On leur ot appareilliet batiaus et
- nacelles, en quoi on les ala querir d'autre part le
- rivage; si furent amenet en l'ost et devers le conte
- de Haynau, qui liement et doucement les rechut et
- les honnoura moult dou bon service qu'il li avoient 20
- fait, quant si longement et à tel meschief il s'estoient
- tenu en Thun l'Evesque.
-
- [334] Ms. B4, fo 54.--Ms. B1: «exilliet.» Mauvaise leçon.
-
-
- § 111. En dementrues que ces deux hos estoient
- ensi assamblées pour le fait de Thun l'Evesque et logies
- sus le rivière d'Escaut, li François devers France 25
- et li Haynuier sus leur pays, couroient li fourier fourer
- là où par tout trouver il le pooient de l'un lés et
- de l'autre, mès point ne se trouvoient ne encontroient,
- car la rivière d'Escaut estoit entre deus. Mais
- li François parardirent et coururent tout le pays
- d'Ostrevant, che qui demoret y estoit, et li Haynuier
- tout le pays de Cambresis. Et là vint en l'ayde dou
- conte de Haynau et à se priière, Jakemes d'Artevelle
- à plus de soixante mille Flamens tous bien armés, et 5
- se logièrent poissamment à l'encontre des François.
- Quant il furent venu, moult en fu li contes de Haynau
- liés, car son host en fu grandement renforcie; si
- manda par ses hiraus au duch de Normendie, son
- cousin, que bataille se peust faire entre yaus, et que 10
- ce seroit blasmes pour toutes les parties, se si grant
- gent d'armes qui là estoient se departoient sans bataille.
- Li dus de Normendie respondi, à ceste fois,
- qu'il en aroit avis. Chil avis et consaulz fu si lons
- que li hiraut s'en partirent adonc sans avoir certainnes 15
- responses. Dont il avint que, le tierch jour
- apriès, li contes de rechief y renvoia, pour mieus
- savoir l'intension dou dit duch et des François. Li
- dus en respondi qu'il n'estoit mies encores bien consilliés
- de combatre ne de mettre y journée, et dist encores 20
- ensi que li contes de Haynau estoit trop hastieus.
-
- Quant li contes oy ces parolles, se li sambla uns
- detriemens; si manda tous les plus grans barons de
- l'host et premierement le duch de Braibant, son
- grant signeur, et tous les aultres ensiewant, et puis 25
- leur remoustra sen intention et le response dou duc
- de Normendie; si en demanda à avoir conseil. Adonc
- regardèrent il cescuns l'un l'autre, et ne veult nulz
- respondre premiers. Toutes fois li dus de Braibant
- parla, pour tant que c'estoit li plus grans de toute 30
- l'ost et tenus li plus sages; si dist que de faire un
- pont ne de combatre as François il n'estoit mies d'acort,
- car il savoient de certain que li rois englès devoit
- proçainnement passer le mer et venir assegier le
- cité de Tournay: «Se li avons, ce dist li dus, prommis
- et juret foy, amour et ayde de nous et des nostres;
- dont se nous nos combatons maintenant, et li 5
- fortune fust contre nous, il perderoit son voiage, ne
- nul confort il n'aroit de nous. Et se li journée estoit
- pour nous, il ne nous en saroit gré, car c'est se intention
- que jà sans lui, qui chiés est de ceste guerre,
- nous ne nos combatons au pooir de France. Mais 10
- quant nous serons devant Tournay, il avoecques
- nous et nous avoecques lui, et li rois de France sera
- d'autre part, à envis se departiroient si grans gens
- sans bataille. Si vous conseille, biaus filz, que vous
- vos partés de chi, car vous y sejournés à grant frait, 15
- et donnés congiet toutes manières de gens d'armes;
- si s'en revoist cescuns en son lieu, car dedens dix
- jours vous orés nouvelles dou roy d'Engleterre.» A
- ce conseil se tinrent li plus grant partie des signeurs
- qui là estoient; mais il ne pleut mies encores trop 20
- bien au conte de Haynau, et pria as signeurs et as
- barons tous en general qui là estoient qu'il ne se
- volsissent mies encores partir, car ce seroit trop grandement,
- ce li sambloit, contre se honneur, se li
- François n'estoient combatu; et il li eurent tout en 25
- couvent. A ces parolles issirent il hors de parlement,
- et se retrest cescuns à son logeis. Trop volentiers se
- fuissent departi chil de Brousselles et de Louvaing,
- car il estoient si tané que plus ne pooient. Et en parlèrent
- pluiseurs fois au duch, leur signeur, et li remoustrèrent 30
- qu'il gisoient là à grant frait, et riens
- n'i faisoient.
-
-
- § 112. Quant li contes de Haynau vey son conseil
- variier, et qu'il n'estoient mies bien d'acort de passer
- le rivière d'Escaut, et de combatre les François,
- si en fu durement courouciés. Si appella un jour son
- oncle, monsigneur Jehan de Haynau, et li dist: 5
- «Biaus oncles, montés à cheval, et chevaucherés selonch
- ceste rivière, et appellerés qui que soit homme
- d'onneur en l'ost françoise, et dirés de par moy que
- je leur liverai pont pour passer, mès que nous aions
- trois jours de respit ensamble tant seulement pour le 10
- faire, et que je les voel combatre, comment que soit.»
- Li sires de Byaumont, qui veoit son neveut en grant
- desir de combatre ses ennemis, li acorda volentiers,
- et dist qu'il iroit et feroit le message. Si vint à son
- logeis et s'apparilla bien et frichement, lui troisime 15
- de chevaliers tant seulement, li sires de Fagnuelles
- et messires Florens de Biaurieu, et son pennon devant
- lui, montés sus bons coursiers, et chevaucièrent
- ensi sus le rivage d'Escaut.
-
- Et avint que, de l'autre part, li sires de Byaumont 20
- aperçut un chevalier de Normendie, le quel il recogneut
- par ses parures; si l'appella et dist: «Sire de
- Maubuisson, sire de Maubuisson, parlés à moy!» Li
- chevaliers qui se oy nommer, et qui ossi recogneut
- monsigneur Jehan de Haynau, par le pennon de ses 25
- armes qui estoit devant lui, s'arresta et dist: «Sire,
- que plaist vous?»--«Je vous pri, dist li sires de
- Byaumont, que vous voelliés aler devers le roy de
- France et son conseil, et leur dittes que li contes de
- Haynau m'envoie chi pour prendre une triewe tant 30
- seulement qu'uns pons soit fais sus ceste rivière, par
- quoi vos gens ou li nostre le puissent passer. Et ce
- que li rois ou li dus de Normendie en responderont,
- si le me venés dire, car je vous attenderai tant que
- vous serés revenus.»--«Par ma foy, dist li chevaliers,
- monsigneur, volentiers.»
-
- Atant se depa(r)ti li sires de Maubuisson, et feri 5
- cheval des esporons, et vint jusques en la tente dou
- roy de France, où li dus de Normendie estoit adonc
- personelment, et grant fuison d'autres signeurs. Li
- sires de Maubuisson salua le roy, le duch et tous les
- signeurs, et relata son message bien et deuement, 10
- ensi qu'il apertenoit, et que cargiés en estoit. Quant
- il fu oys et entendus, on l'en respondi moult briefment
- et li dist on: «Sire de Maubuisson, vous dirés
- de par nous à celui qui chi vous envoie, que en
- tel estat où nous avons tenu le conte de Haynau 15
- jusques à ores, nous le tenrons en avant, et li ferons
- despendre et engagier sa terre: ensi sera il guerriiés
- de deux costés. Et quant bon nous samblera, nous
- enterons en sa terre si à point que nous li pararderons
- tout son pays.» 20
-
- Ces parolles ne plus ne mains raporta li sires de
- Maubuisson à monsigneur Jehan de Haynau, qui là
- l'attendoit sus le rivage. Et quant la relation l'en fu
- faite, si dist au chevalier: «Grant mercis!» Lors s'en
- parti et s'en revint arrière à leur logeis, et trouva le 25
- conte de Haynau, son (neveu), qui jeuoit as eschés
- au conte de Namur. Li contes se leva si tost qu'il
- vey son oncle, et li demanda nouvelles. «Sire, dist
- messires Jehans de Haynau, à ce que je puis veoir et
- considerer, li rois de France et ses consaulz prendent 30
- grant plaisance en ce que vous sejournés chi à grant
- frait, et dient ensi qu'il vous feront despendre et engagier
- toute vo terre. Et quant bon leur samblera, il
- vous combateront, non à vostre volenté ne aise,
- mais à le leur.» De ces responses fu li contes de Haynau
- tous grigneus, et dist qu'il n'iroit mies ensi.
-
-
- § 113. Nous nos tairons un petit à parler dou 5
- duch de Normendie et dou conte de Haynau, et parlerons
- dou roy Edouwart d'Engleterre, qui estoit
- mis sus mer pour venir et arriver, selonch se intention,
- en Flandres, et puis venir en Haynau aidier à
- guerriier le conte, son serourge, contre les François. 10
- Ce fu le jour devant le vegille Saint Jehan Baptiste,
- l'an mil trois cens et quarante, qu'il nagoit par mer
- à belle carge de naves et de vaissiaus. Et estoit toute
- sa navie partie dou havene de Tamise, et s'en venoit
- droitement pour arriver à l'Escluse. 15
-
- Et adonc se tenoient entre Blankeberghe et l'Escluse
- et sus le mer messires Hues Kierés, messires
- Pières Bahucés et Barbevaire, à plus de sept vint
- gros vaissiaus sans les hokebos. Et estoient bien Normans,
- Bidaus, Geneuois et Pikars quarante mille. Et 20
- estoient là ancré et arresté, au commandement dou
- roy de France, pour attendre le revenue dou roy
- d'Engleterre, car bien savoient qu'il devoit rapasser;
- se li voloient veer et deffendre le passage, ensi qu'il
- fisent bien et hardiement, tant qu'il peurent, si com 25
- vous orés recorder. Li rois d'Engleterre et li sien,
- qui s'en venoient tout singlant, regardent et voient
- devers l'Escluse si grant quantité de vaissiaus que des
- mas ce sambloient droitement uns bos; si en fu forment
- esmervilliés, et demanda au patron de se navie 30
- quelz gens ce pooient estre. Il respondi qu'il cuidoit
- bien que ce fust li armée des Normans que li rois de
- France tenoit sus mer, et qui pluiseurs fois li avoient
- fait grant damage, et tant que ars et robet le bonne
- ville de Hantonne, et conquis _Christofle_, son grant
- vaissiel, et occis chiaus qui le gardoient et conduisoient. 5
- Dont respondi li rois englès: «J'ay de lonch
- temps desiré que je les peuisse combatre; si les combaterons,
- s'il plaist à Dieu et à saint Jorge, car voirement
- m'ont il fais tant de contraires que j'en voel
- prendre le vengance, se g'i puis avenir.» 10
-
- Lors fist li rois ordonner tous ses vaissiaus et mettre
- les plus fors devant, et fist frontière à tous costés
- de ses archiers; et entre deux nefs d'arciers, en y
- avoit une de gens d'armes. Et encores fist il une bataille
- sus costière, toute purainne d'arciers, pour reconforter, 15
- se mestier faisoit, les plus lassés. Là y
- avoit grant fuison de dames d'Engleterre, contesses,
- baronnesses, chevalereuses et bourgoises de Londres,
- qui venoient veoir le royne d'Engleterre à Gand, que
- veue n'avoient un grant temps. Et ces dames fist li 20
- rois englès bien garder et songneusement de trois cens
- armeures de fier et de cinq cens arciers. Et puis pria
- li rois à tous que il volsissent penser dou bien faire
- et garder sen honneur; et cescuns li eut en couvent.
-
-
- § 114. Quant li rois d'Engleterre et si mareschal 25
- eurent ordené leurs batailles et leurs navies bellement
- et sagement, il fisent tendre et traire les voiles
- contremont, et vinrent au vent, de quartier, sus destre,
- pour avoir l'avantage dou soleil, qui en venant
- lor estoit ou visage. Si s'avisèrent et regardèrent que 30
- ce les pooit trop nuire, et detriièrent un petit, et
- tourniièrent tant qu'i(l) l'eurent à leur volenté. Li
- Normant, qui les veoient tourniier, s'esmervilloient
- trop pour quoi il le faisoient et disoient: «Il ressongnent
- et reculent, car il ne sont pas gens pour
- combatre à nous.» Bien veoient entre yaus li Normant, 5
- par les banières, que li rois d'Engleterre y estoit
- personelment; si en estoient moult joiant, car
- trop le desiroient à combatre. Si misent leurs vaissiaus
- en bon estat, car il estoient sage de mer et bon
- combatant. Et ordonnèrent _Christofle_, le grant vaissiel 10
- que conquis avoient sus les Englès en celle meisme
- anée, tout devant, et grant fuison d'arbalestriers
- geneuois dedens, pour le garder et traire et escarmucier
- as Englès. Et puis s'arroutèrent, à grant fuison
- de trompes et de trompètes et de pluiseurs aultres 15
- instrumens, et s'en vinrent requerre leurs ennemis.
-
- Là se commença bataille dure et forte, de tous
- costés. Et arcier et arbalestrier commencièrent à
- traire l'un contre l'autre diversement et roidement,
- et gens d'armes à approcier et à combatre main à 20
- main asprement et hardiement. Et par quoi il peuissent
- mieus avenir li un à l'autre, il avoient grans cros
- et havés de fier tenans à chainnes; si les jettoient
- ens ès nefs li un de l'autre, et les atachoient ensamble,
- à fin qu'il se peuissent mieulz aherdre et plus 25
- fierement combatre. Là eut une très dure et forte
- bataille, et mainte apertise d'armes faite, mainte
- luite, mainte prise et mainte rescousse. Là fu _Christofles_,
- cilz grans vaissiaus, auques de commencement
- reconquis des Englès, et tout chil mort et peri 30
- qui le gardoient et deffendoient. Et adonc y eut grant
- huée et grant noise; et approcièrent durement li Englès
- et pourveirent incontinent _Christofle_, ce biel et
- grant vaissiel, de purs arciers qu'il fisent passer tout
- devant et combatre as Geneuois.
-
-
- § 115. Ceste bataille dont je vous parolle fu moult
- felenesse et très horrible, car batailles et assaus sus 5
- mer sont plus dur et plus fort que sus terre; car là
- ne poet on reculer ne fuir, mais se fault vendre et
- combatre, et attendre l'aventure, et cescun endroit
- de lui moustrer son hardement et se proèce. Bien
- est verités que messires Hues Kierés estoit bons chevaliers 10
- et hardis, et ossi messires Pières Bahucés et
- Barbevaires, qui dou temps passet avoient fait maint
- meschief sus mer, et mis à fin tamaint Englès. Si
- dura la bataille et la pestilense, de l'eure de prime
- jusques à haute nonne. Si poés bien croire que, ce 15
- terme durant, il y eut mainte apertise d'armes faite.
- Et couvint là les Englès souffrir et endurer grant
- painne, car leur ennemit estoient quatre contre un,
- et toute gent de fait et de mer. De quoi li Englès,
- pour tant qu'il besongnoit, se prendoient moult 20
- priès de bien faire.
-
- Là fu li rois d'Engleterre, de sa main très bons
- chevaliers, car il estoit adonc en le fleur de se jonèce.
- Et ossi furent li contes Derbi, li contes de Pennebruch,
- li contes de Herfort, li contes de Hostidonne, 25
- (ly contes de Kent, ly contes de Norhantonne[335])
- et de Clocestre, messires Renaulz de Gobehen, messires
- Richars de Stanfort, li sires de Persi, messires
- Gautiers de Mauni, messires Henris de Flandres,
- messires Jehans de Biaucamp, li sires de Felleton, li
- sires de Brasseton, messires Jehans Chandos, li sires
- de le Ware, li sires de Muleton et messires Robers
- d'Artois, qui s'appelloit contes de Ricemont, et estoit
- dalés le roy en grant arroi et en bonne estoffe, et 5
- pluiseur aultre baron et chevalier, plain d'onneur et
- de proèce, des quelz je ne puis mie de tous parler,
- ne leurs bien fais ramentevoir. Mais il s'i esprouvèrent
- si bien et si vassaument, par mi un secours de
- Bruges et dou pays voisin qui leur vint, qu'il obtinrent 10
- le place et l'yawe. Et furent li Normant et tout
- cil qui là estoient encontre yaus mort et desconfi, peri
- et noiiet, ne onques piés n'en escapa que tout ne
- fuissent mis à (mort[336]). Ceste avenue fu moult tost
- sceue par mi Flandres et puis en Haynau. Et en vinrent 15
- les certainnes nouvelles ens ès deux hos, à
- heure de mienuit, devant Thun l'Evesque. Si en furent
- Haynuier, Flamench, Alemant et Braibençon
- moult resjoy, et li François très courouciet. Or vous
- conterons dou roy englès comment il persevera 20
- apriès la bataille faite.
-
- [335] Mss. B4, 3, fo 56.--Ms. B1, fo 84 (lacune).
-
- [336] Ms. B3, fo 56.--Mss. B1, 4, fo 84: «bort.» Mauvaise leçon.
-
-
- § 116. Quant ceste victore, ensi que dessus est
- dit, fu avenue au roy englès, il demora toute celle
- nuit, qui fu la vigile Saint Jehan Baptiste, sus mer
- en ses naves devant l'Escluse, en grant bruit et en 25
- grant noise de trompes et de nakaires et de toutes
- manières de menestraudies. Et là le vinrent veoir
- chil de Flandres, qui estoient enfourmé de se venue.
- Si demanda li dis rois nouvelles as bourgois de Bruges,
- de Jakemon d'Artevelle; et cil respondirent qu'il
- estoit à une semonse dou conte de Haynau contre le
- duch de Normendie, à plus de soixante mille Flamens.
- Ces parolles furent assés plaisans au roy englès.
- Quant ce vint à l'endemain, le jour Saint Jehan, 5
- li rois et toutes ses gens prisent port et terre. Et se
- mist li rois tout à piet, et grant fuison de se chevalerie;
- et s'en vinrent en cel estat en pelerinage à
- Nostre Dame d'Ardenbourch. Là oy messe li rois et
- disna, et puis monta; et vint celi jour, sus le soir, à 10
- Gand, où ma dame la royne sa femme estoit, qui le
- rechut à grant joie. Et toutes les gens le roy et tous
- leurs harnois vinrent celle part depuis petit à petit.
-
- Li rois d'Engleterre avoit escript et segnefiiet sa
- venue as signeurs qui encores estoient à Thun l'Evesque, 15
- devant les François: si ques, si tretost qu'il
- sceurent qu'il estoit arrivés, et qu'il avoit desconfis
- les Normans, il se deslogièrent. Et donna li dis contes
- de Haynau, à quel priière et mandement il estoient
- là venu, toutes manières de gens congiet, exceptet 20
- les corps des grans signeurs. Mais chiaus là
- amena il en Valenchiènes, et les festia et honnoura
- grandement, par especial le duch de Braibant et Jakemon
- d'Artevelle. Et là preeça li dis d'Artevelle, en
- mi le marchiet, present tous les signeurs et chiaus 25
- qui le peurent oïr. Et remoustra quelz drois li rois
- d'Engleterre avoit à le calenge de France, et ossi quel
- poissance li troi pays avoient, Flandres, Haynau et
- Braibant, quant il estoient d'un accord et d'une alliance
- ensamble. Et fist tant adonc, par ses paroles 30
- et par son grant sens, que toutes manières de gens
- qui l'oïrent et entendirent, disent qu'il avoit durement
- bien parlet et par grant experiense, et en fu de
- tous moult loés et prisiés; et disent qu'il estoit bien
- dignes de gouvrener et excerser le conté de Flandres.
-
- Apriès ces coses faites et devisées, li signeur se
- partirent li un de l'autre, et prisent un brief jour de 5
- estre ensamble à Gand dalés le roy d'Engleterre. Si
- y furent le sizime jour apriès, et vinrent veoir le roy,
- qui les rechut à grant chière, et les conjoy et festia
- moult liement. Et ossi fist la royne d'Engleterre,
- Phelippe de Haynau, qui assés nouvellement estoit 10
- relevée d'un fil qui s'appelloit Jehans, et fu depuis
- dus de Lancastre de par ma dame, sa femme, fille
- au duch Henri de Lancastre, si com vous orés recorder
- avant en l'ystore. Adonc fu pris et assignés
- uns certains jours de parlement, à estre à Villevort 15
- tous les signeurs et leurs consaulz, et li consaulz des
- bonnes villes de leurs pays. Si se partirent dou roy
- d'Engleterre, et s'en rala cescuns en son lieu, attendans
- que li termes devoit venir pour estre à Vilvort,
- si com dessus est dit. Or vous compterons un petit 20
- dou roy de France, et de aucunes de ses ordenances,
- (qu'il fist depuis[337]) qu'il sceut que li rois englès fu
- arivés en Flandres.
-
- [337] Mss. B3, 4, fo 56 vo.--Ms. B1, fo 84 vo (lacune).
-
-
- § 117. Quant li rois Phelippes de France sceut le
- verité de sen armée sus mer, comment il avoient 25
- esté desconfi, et que li rois englès, ses adversaires,
- estoit arrivés paisievlement en Flandres, si en fu durement
- courouciés, mès amender ne le peut; si se
- desloga et se retray viers Arras, et donna une partie
- de ses gens d'armes congiet, jusques à tant qu'il oroit 30
- aultres nouvelles. Mais il envoia monsigneur Godemar
- dou Fay en Tournay, pour là aviser des besongnes,
- et penser que la cité fust bien pourveue, car il
- se doubtoit plus des Flamens que d'autrui. Et mist
- le signeur de Biaugeu en Mortagne, pour faire frontière 5
- contre les Haynuiers; et envoia grant fuison de
- gens d'armes à Saint Omer, à Aire et à Saint Venant;
- et pourvei souffissamment tout le pays, sus les frontières
- de Flandres.
-
- En ce temps, regnoit uns rois en Sesille, qui s'appelloit 10
- Robers, qui avoit le fame et le renommée de
- estre très grans astro(no)miens, et deffendoit, ce qu'il
- pooit, au roy de France et à son conseil que point
- ne se combatesist au roy englès, car li dis rois englès
- devoit estre trop fortunés en toutes ses besongnes. 15
- Et euist volentiers veu li dis rois Robers que on euist
- les dessus dis rois mis à acord et à fin de leur guerre,
- car il amoit tant la couronne de France que à envis
- veist se desolation. Si estoit li dessus dis rois en ce
- temps venus en Avignon devers le pape Clement et 20
- le Collège, et leur avoit remoustré les perilz qui
- pooient estre en France, par le fait des guerres des
- deux rois, et encores avoech ce priiet et requis qu'il
- se volsissent ensonniier d'yaus apaisenter, pour tant
- qu'il les veoit si esmeus en grant guerre où nulz 25
- n'aloit au devant. De quoi li papes Clemens VIe et
- li cardinal l'en avoient respondu tout à point et dit
- qu'il y entenderoient volentiers, mès que li doi roy
- en volsissent oïr.
-
-
- § 118[338]. Or retourrons nous au parlement qui fu à 30
- Vilvort, si com dessus est dit. A ce parlement qui
- fu à Vilvort, furent tout cil signeur après denommet:
- premierement li rois d'Engleterre, li dus Jehans de
- Braibant, li contes de Haynau, messires Jehans de
- Haynau, ses oncles, li dus de Guerles, li contes de 5
- Jullers, li markis de Blankebourch, li markis de Misse
- et d'Eurient, li contes des Mons, messires Robers
- d'Artois, li sires de Faukemont, messires Guillaumes
- de Duvort, li contes de Namur, Jakemes d'Artevelle,
- et grant fuison d'aultres signeurs; et de toutes les 10
- bonnes villes de Flandres, de Braibant et de Haynau,
- deux ou quatre hommes, par manière de conseil. Là
- furent parlementé et consilliet pluiseur avis et estatut
- entre les signeurs et leurs pays. Et acordèrent et
- seelèrent li troy pays, loist assavoir Flandres, Haynau 15
- et Braibant, qu'il seroient, de ce jour en avant,
- aidant et confortant l'un l'autre, en tous cas et en
- tous afaires. Et se alloiièrent par certainnes couvenences
- que, se li uns des trois pays avoit à faire contre
- qui que ce fust, li doi autre le devoient aidier. Et 20
- se il avenoit qu'il fuissent en discort dou temps à venir
- li doi ensamble, li tiers y devoit mettre bon acord.
- Et se il n'estoit fors pour ce faire, il s'en devoit traire
- au roy d'Engleterre, en qui main ces couvenences et
- alliances estoient dittes et jurées à tenir fermes et 25
- estables, qui comme ressors les devoit apaisenter.
-
- [338] Dans le ms. B1, fo 85, il n'y a aucune coupure après ces
- mots: «volsissent oïr»; nous avons suivi quelques bons mss.,
- notamment celui de Besançon, fo 61, qui commencent ici un
- paragraphe distinct.
-
- Et furent pluiseur estatut là juret, escript et seelet,
- qui depuis se tinrent trop mal. Mais toutes fois,
- par confirmation d'amour et d'unité, il ordonnèrent
- à faire forgier une monnoie coursable ens ès trois 30
- pays, que on appelleroit _compagnons_ ou _alloiiés_. Sus
- le fin des parlemens, il fu dit et arresté et regardé
- pour le milleur que, environ le Magdelainne, li rois
- englès s'esmouveroit et venroit efforciement mettre
- le siège devant le bonne cité de Tournay. Et là y 5
- devoient estre avoecques lui tout li signeur dessus
- nommet, avoech leur mandement de chevaliers et
- d'escuiers, et li pooirs des bonnes villes. Si se partirent
- sus tel estat que pour yaus retraire en leurs
- pays, et appareillier souffisanment, cescun selonch 10
- che qu'il apertenoit, pour estre mieus pourveu, quant
- li jours et li termes venroit qu'il devoi(en)t estre devant
- le cité de Tournay, et cescuns selonch son estat.
-
-
- § 119. Or sceut li rois Phelippes, assés tost apriès
- le departement de ces signeurs qui à Vilvort avoient 15
- esté, le plus grant partie de l'ordenance de ce parlement
- et tout l'estat, et comment li rois englès devoit
- venir assegier le cité de Tournay; si s'avisa qu'il le
- conforteroit telement et y envoieroit si bonne chevalerie,
- que la cité seroit toute seure et bien consillie. 20
- Si y envoia droitement fleur de chevalerie, le conte
- Raoul d'Eu, connestable de France, et le jone conte
- de Ghines, son fil, le conte de Fois et ses frères, le
- conte Aimeri de Nerbonne, monsigneur Aymart de
- Poitiers, monsigneur Joffroi de Chargni, monsigneur 25
- Gerart de Montfaucon, ses deux mareschaus monsigneur
- Robert Bertran et monsigneur Mahieu de Trie,
- le signeur de Kaieus, le senescal de Poito, le signeur
- de Chastillon et monsigneur Jehan de Landas. Chil
- avoient avoech yaus chevaliers et escuiers, preus as 30
- armes, et très bonnes gens. Si leur pria li dis rois
- chierement qu'il vosissent si bien penser et songnier
- de Tournay que nulz damages ne s'en presist; et il
- li eurent en couvent. Adonc se partirent il d'Arras,
- et chevaucièrent tant par leurs journées qu'il vinrent
- à Tournay. Si y trouvèrent monsigneur Godemar 5
- dou Fay, qui en devant y avoit esté envoiiés, qui
- les rechut liement; et ossi fisent tout li homme de le
- ville. Assés tost apriès che qu'il furent venu, il regardèrent
- et fisent regarder as pourveances de le
- cité, tant en vivres comme en artillerie, et ordonnèrent 10
- bien et à point, selonch che qu'il besongnoit;
- et y fisent amener et achariier, dou pays voisin,
- grant fuison de blés et d'avainnes et de toutes aultres
- pourveances, tant que la chité fu en bon point,
- pour lui tenir un grant temps. 15
-
-
- § 120[339]. Or retourrons au roy d'Engleterre, qui se
- tenoit à Gand, dalés la royne sa femme, et entendoit
- à ordener ses besongnes. Quant li termes deubt
- approcier que li signeur dessus nommet se devoient
- trouver devant Tournay, et que li bled commençoient 20
- à meurir, li rois englès se parti de Gand à
- moult belle gent d'armes de son pays, sept contes,
- deux prelas, vingt huit banerès et bien deux cens
- chevaliers. Et estoient Englès quatre mille hommes
- d'armes et neuf mille archiers, sans le pietaille. Si 30
- s'en vint et passa et toute sen host parmi le ville de
- Audenarde; et puis passa le rivière d'Escaut, et s'en
- vint logier devant Tournay, à le porte c'on dist
- Saint Martin, ou chemin de Lille et de Douay. Assés
- tost après, vint ses cousins li dus de Braibant, à plus
- de vingt mille hommes, chevaliers et escuiers, et les
- communautés de ses bonnes villes. Et se loga li dis
- dus devant Tournay; et comprendoit sen host grant
- quantité de terre. Et estoient Braibençon logiet au 5
- Pont à Riès, contreval l'Escaut, mouvant de l'abbeye
- Saint Nicolay, revenans vers le Pire et le porte Vale(n)cenoise.
- Apriès estoit li contes Guillaumes de
- Haynau avoech belle bachelerie de son pays; et avoit
- grant fuison de Hollandois et de Zellandois, qui le 10
- gardoient de priès, et le servoient ensi que leur signeur.
- Et estoit li contes de Haynau logiés entre le
- duch de Braibant et le roi d'Engleterre. Apriès estoit
- Jakemes d'Artevelle à plus (de) soixante mil Flamens
- sans chiaus de Ippre, de Popringhe et de Cassiel et 15
- de le chastelerie de Berghes, qui estoient envoiiet
- d'autre part, ensi que vous orés chi après. Et estoit
- Jakemes d'Artevelle logiés à le porte Sainte Fontainne,
- d'une part de l'Escaut et d'aultre. Et avoient
- li Flamench fait un pont de nefs sus l'Escaut, pour 20
- aler et venir à lor aise. Li dus de Guerles, li contes
- de Jullers, li markis de Blankebourch, li markis de
- Misse et d'Eurient, li contes des Mons, li contes de
- Saumes, li sires de Faukemont, li sires de Bakehen
- et tout li Alemant estoient logiet d'autre part devers 25
- Haynau, et avoient fait ossi un pont sus l'Escaut, au
- dessus de Tournay, et pooient aler et chevaucier de
- l'une host en l'autre. Ensi estoit la cité de Tournay
- assise et environnée de tous lés et de tous costés, ne
- nulz n'en pooit partir, entrer ne aler, que ce ne fust
- par congiet, et qu'il ne fust veus et aperceus de 30
- chiaus de l'ost, sus le quel costet que che fust.
-
- [339] Ms. A8, fo 59, et ms. A1, fo 61 vo. Il n'y a pas ici de
- coupure dans les mss. B1, 3 et 4.
-
-
- § 121. Chilz sièges fais et arrestés devant le cité de
- Tournay, si com vous avés oy, dura longement. Et
- estoit li hos de chiaus de dehors bien pourveue et
- avitaillie de tous vivres, et à bon marchiet, car il
- lor venoit de tous lés, par terre et par yawe. Si 5
- y eut, le siège durant, là environ pluiseurs belles
- apertises d'armes faites et pluiseurs chevaucies, des
- quèles nous ferons en sievant mention. Car li
- jones contes de Haynau, qui estoit hardis et entreprendans,
- avoit si pris en coer ceste guerre, comment 10
- que de premiers il en fu moult frois, que c'estoit
- cilz par qui toutes se mettoient sus les envaies
- et les chevaucies. Et se parti de l'host à une matinée,
- à bien cinq cens lances, et s'en vint passer desous
- Lille, et ardi le bonne ville de Seclin et grant fuison 15
- de villiaus là environ. Et coururent si coureur jusques
- ens ès fourbours de Lens en Artois. Tout ce fu
- recordé au roy Phelippe, son oncle, qui se tenoit en
- Arras; si en fu moult courouciés, mès amender ne
- le peut tant c'à ceste fois. Encores apriès ceste chevaucie, 20
- en remist li contes une sus, et chevauça
- adonc devers le bonne ville d'Orcies; si fu prise et
- arse, car elle n'estoit point fremée, et Landas et li
- Celle, et pluiseur bon village qui sont là en ce contour.
- Et coururent tout le pays où il eurent très grant 25
- pillage, et puis s'en revinrent au siège de Tournay.
-
- D'autre part, li Flamench assalloient souvent chiaus
- de Tournay, et avoient fait en nefs sus l'Escaut bierfrois
- et atournemens d'assaus; et venoient hurter et
- escarmucier, priés que tous les jours, à chiaus de 30
- Tournay. S'en y avoit souvent des navrés, des uns
- et des aultres. Et se mettoient en grant painne li
- Flamench de conquerre et de damagier Tournay,
- tant avoient pris le guerre en coer. Et on dist et
- voirs est qu'il n'est si felle guerre que de voisins et
- d'amis. Et entre les assaus que li Flamench fisent, il en
- y eut un qui dura un jour tout entier. Là eut tamainte 5
- grant apertise d'armes faite, car tout li signeur et li
- chevalier qui en Tournay estoient furent à cel assaut.
- Et estoit li dis assaus fais en nefs et en vaissiaus, à
- ce appareilliés de lonch temps, pour ouvrir et pour
- rompre les barrières à le posterne de l'arce; mais 10
- elles furent si bien deffendues que li Flamench n'i
- conquisent riens; ançois perdirent une nef toute cargie
- de gens, dont il en y eut plus de six vingt noiiés;
- et retournèrent au soir tout lasset et tout travilliet.
-
-
- § 122. Le siège durant et tenant devant Tournay, 15
- issirent hors une matinée li saudoiier de Saint Amand,
- dont il en y avoit grant fuison, et vinrent à Hanon
- qui se tient de Haynau, et ardirent le ville et violèrent
- l'abbeye et destruisirent le moustier; et en menèrent
- et en portèrent devant yaus tout che que mener 20
- et emporter en peurent, et puis retournèrent en
- Saint Amand. Assés tost après, se partirent li saudoiier
- dessus dit, et passèrent le bos de Saint Amand,
- et vinrent jusques à l'abbeye de Vicogne, pour le
- ardoir et essillier; et en fuissent venu à leur entente, 25
- car il avoient fait un grant feu contre le porte, pour
- le ardoir et abatre à force; mais uns gentilz abbes,
- qui laiens estoit pour le temps, y pourvei de grant
- remède. Car, quant il eut consideré le peril, il monta
- à cheval et parti par derrière, et chevauça tous les 30
- bos, à le couverte, et fist tant que moult quoiteusement
- il vint à Valenchiènes. Si requist au prevost de
- le ville et as jurés que on li volsist prester les arbalestriers
- de le ville, pour aidier à deffendre sa maison;
- et cil li acordèrent volentiers. Si les en mena
- dans abbes avoech lui; et passèrent derrière Raimes, 5
- et les mist en ce bois, qui regarde vers le Pourcelet,
- et sus le caucie. Là commencièrent il à traire et à
- berser sur ces bidaus et Geneuois, qui estoient devant
- le porte de Vicongne. Si tretost qu'il sentirent
- ces saiettes qui leur venoient de dedens le bos, si furent 10
- tout effraé, et se misent au retour, cescuns qui
- mieulz mieulz. Ensi fu li abbeye de Vicongne sauvée.
-
- En ce temps, estoit li contes de (Lille), en Gascongne,
- de par le roy de France, qui y faisoit la guerre,
- et avoit priès repris et conquis tout le pays d'Acquitainne; 15
- et y tenoit les champs, à plus de six mille
- chevaus; et avoit assis Bourdiaus, par terre et par
- aigue. Si estoient avoecques le dit conte toute li fleur
- de chevalerie des marches de Gascongne, li contes
- de Pieregorth, li contes de Commignes, (ly vicontes 20
- de Carmaing[340]), li viscontes de Villemur, li viscontes
- de Brunikiel, li sires de la Barde et pluiseur aultre
- baron et chevalier. Et n'estoit nulz, de par le roy
- englès, qui leur veast leurs chevaucies, fors tant que
- les forterèces englesces se tenoient et gardoient à leur 25
- pooir. Et là en ce pays avinrent moult de biaus fais
- d'armes, des quelz nous vous parlerons chà en apriès,
- quant temps et lieus sera. Mès nous retourrons encores
- un petit as besongnes qui avinrent en Escoce,
- le siège durant et tenant devant le cité de Tournay. 30
-
- [340] Mss. B4, 3, fo 58.--Ms. B1 (lacune).
-
-
- § 123. Vous devés savoir que messires Guillaumes
- de Douglas, filz dou frère à monsigneur Guillaume
- de Douglas qui demora en Espagne, si com chi dessus
- est contenu, li jones contes de Mouret, li contes
- Patris, li contes de Surlant, messires Robers de Versi, 5
- messires Symons Fresel, Alixandres de Ramesay estoient
- demoret chapitainne del remanant d'Escoce,
- et se tenoient et tinrent longement en celle forest de
- Gedours, par yvier temps et par esté, par l'espasse
- de sept ans et plus, comme très vaillans gens; et guerrioient 10
- toutdis les villes et les forterèces, là où li rois
- Edowars avoit mis ses gens et ses garnisons; et souvent
- leur avenoit des belles aventures et perilleuses,
- des quèles il se partoient à grant honneur, par quoi
- on les doit conter entre les preus, ossi fait on. 15
-
- Si avint ens ou temps que li rois englès estoit par
- deçà, et guerrioit le royaume de France, et seoit
- devant Tournay, que li rois Phelippes envoia en Escoce
- gens, qui arrivèrent en le ville de Saint Jehan.
- Et prioit adonc li rois de France à ces dessus nommés 20
- signeurs d'Escoce qu'il volsissent esmouvoir et
- faire si grant guerre sus le royaume d'Engleterre,
- qu'il couvenist que li rois englès s'en ralast oultre,
- et deffesist son siège de devant Tournay, et leur promist
- à aidier et conforter de poissance, de gens et 25
- d'avoir: si ques, en ce temps que li sièges fu devant
- Tournay, cil signeur d'Escoce se pourveirent, à
- le requeste dou roy de France, pour faire une grande
- chevaucie sus les Englès. Quant ilz furent bien pourveu
- de grans gens, ensi qu'il leur besongnoit, il se 30
- partirent de le forest de Gedours, et alèrent par toute
- Escoce reconquerre des forterèces celles qu'il peurent
- ravoir; et passèrent oultre le bonne cité de Bervich
- et le rivière de Thin, et entrèrent ens ou pays de
- Northombreland, qui jadis fu royaumes. Là trouvèrent
- ilz bestes grasses à grant fuison. Si gastèrent
- tout le pays et ardirent jusques à le cité de Duremme 5
- et assés oultre; puis s'en retournèrent arrière par
- un aultre chemin, gastant et ardant le pays, si qu'il
- destruisirent bien en celle chevaucie trois journées
- long del pays le roy englès; et puis rentrèrent ens
- ou pays d'Escoce, et reconquisent toutes les forterèces 10
- que li Englès tenoient, hors mis le bonne cité de
- Bervich, et trois aultres fors chastiaus qui leur faisoient
- trop grant anoy et souvent, pour le(s) vaillans
- gens qui les gardoient, et le pays d'entours ossi. Et
- estoient et sont encores chil troi chastiel si fort que 15
- à painnes poroit on trouver si fors en nul pays. Si
- appell' on l'un Struvelin, l'autre Rosebourch, et le
- tierch et le souverain de tout le royaume d'Escoce
- Haindebourch. Li chastians de Haindebourch siet
- sus une haute roce, par quoi on voit tout le pays 20
- d'environ. Et est la montagne si roste et si malaisie
- que à grant painne y poet uns homs monter, sans
- reposer deux fois ou trois, et ensi uns chevaus à demie
- charge. Et estoit cilz adonc qui faisoit plus de
- contraires à ces signeurs d'Escoce et à leurs gens. Et 25
- en estoit chastellains et gardiiens, pour le temps de
- lors, uns vaillans chevaliers englès, qui s'appelloit
- messires Gautiers de Limoges, frères germains à monsigneur
- Richart de Limosin, qui si vaillamment se
- tint et deffendi à Thun l'Evesque contre les François. 30
-
- Or avint, en ce temps que li sièges se tenoit devant
- Tournay, et que cil signeur d'Escoce, si com
- dessus est dit, chevauçoient parmi le pays d'Escoce,
- reconquerant les forterèces à leur loyal pooir, messires
- Guillaumes Douglas s'avisa d'un grant fait et
- perilleus et d'une grant subtileté, et le descouvri à
- aucuns de ses compagnons, au conte Patris, à monsigneur 5
- Symon Fresiel, qui avoit estet mestres et
- gardiiens dou roy David d'Escoce, et à Alixandre de
- Ramesai, qui tout s'i accordèrent et se misent en
- celle perilleuse aventure avoecques le bon chevalier
- dessus dit; et prisent bien jusques à deux cens compagnons 10
- de ces (Escos[341]) sauvages, pour faire une
- embusche, ensi com vous orés. Chil quatre signeur
- et gouvreneur de tous les Escos, qui savoient le pensée
- li uns de l'autre, entrèrent en mer à toute leur
- compagnie, et fisent pourveance d'avainne, de blanche 15
- farine, et de carbon de fèvres; puis arrivèrent
- paisievlement à un port qui estoit à trois liewes
- priès de ce fort chastiel de Haindebourch, qui lor
- destraindoit plus que tout li aultre. Quant il furent
- arrivet, il issirent hors par nuit, et prisent dix ou 20
- douze des compagnons ens ès quelz ilz se confioient
- le plus, et se vestirent de povres cotes deschirées et
- de povres capiaus, à guise de povres marcheans, et
- chargièrent douze petis chevalés de douze sas, les uns
- emplis d'avainne, les aultres de farine, et le(s) aultres 25
- de charbon de fèvres. Et envoiièrent les aultres compagnons
- embuschier en une deschirée abbeye et gastée
- là où nulz ne demoroit; et estoit assés priès dou
- piet de le montagne sour quoi li chastiaus seoit.
- Quant jours fu, cil marchant, qui estoient couvertement 30
- armet, s'esmurent et se misent au chemin viers
- le chastiel à tout les chevaus chargiés, ensi que vous
- avés oy. Quant il vinrent au piet de le montagne,
- qui estoit si roste et si malaisie à monter, il menèrent
- les chevalés chargiés amont, ensi qu'il peurent.
- Quant il vinrent en le moiiené de le montagne, li 5
- dis messires Guillaumes Douglas et messires Symons
- Fresiel alèrent devant (et firent les autres venir[342]
- tout bellement), et fisent tant qu'il vinrent au
- portier, et li disent qu'il avoient amenet, en grant
- paour, bled, farine et avainne; s'il leur besongnoit, 10
- il leur venderoient volentiers, et à bon marchié. Li
- portiers respondi que voirement besongneroient il bien
- en le forterèce, mais il estoit si matin qu'il n'oseroit
- esvillier le signeur de le forterèce ne le mestre d'ostel;
- mais il fesissent venir avant le pourveance, et il 15
- leur ouveroit le première porte des bailles. Cil le
- oïrent volentiers, et fisent passer avant tout bellement
- les aultres avoech leur charge, et entrèrent tout
- en le porte des bailles, qui leur fu ouverte. Messires
- Guillaumes Douglas avoit bien veu que li portiers 20
- avoit toutes les clés de le grant porte dou chastiel,
- et avoit couvertement demandet au portier le quèle
- deffremoit le porte, et la quèle le guicet. Quant la
- porte des bailles fu ouverte, si com vous avés oy, il
- misent ens les chevalés, et en deschargièrent deux, 25
- qui portoient les sas plains de charbon, droitement
- sus le suel de le porte, à fin que on ne le peuist reclore;
- puis prisent le portier et le tuèrent si paisievlement
- que onques ne dist mot; et prisent les clés,
- et deffremèrent le porte dou chastiel. Puis corna li 30
- dis messires Guillaumes Douglas un cor, et jettèrent
- il et si treize compagnon les cotes deschirées tantost
- jus, et reversèrent les aultres sas plains de charbon
- au travers de le porte, par quoi on ne le peuist clore.
-
- [341] Mss. B3, fo 59.--Ms. B1, fo 88 (lacune).
-
- [342] Mss. B4, 3, fo 59.--Ms B1, fo 88 (lacune).
-
- Quant li aultre compagnon, qui estoient embuschiet
- assés priès dou chastiel, ensi que vous avés oy, 5
- oïrent le cor sonner, il sallirent hors de l'embuschement
- et coururent contremont le voie del chastiel,
- tant qu'il peurent. Li gaitte, qui dormoit adonc, se
- esvilla au son del cor, et vey gens monter hasteement
- contremont le chastiel, tous armés. Si commença 10
- à corner et à criier tant qu'il peut: «Trahi!
- Trahi!» Adonc se esvilla li chastelains, et tout chil
- de laiens ossi s'armèrent, si tost qu'il peurent, et
- vinrent tout acourant à le porte, qui plus tost peurent,
- pour le refremer, mais on leur devea, car messires 15
- Guillaumes et si douze compagnon leur deffendirent.
- Adonc monteplia grans hustins entre yaus,
- car chil dou chastiel ewissent volentiers le porte refremée
- pour leurs vies sauver, car il perchevoient
- bien qu'il estoient trahi. Et cil qui bien avoient 20
- acompli leur emprise et leur desirier se penoient
- tant qu'il pooient del detenir; et tant fisent par leur
- proèce qu'il detinrent l'entrée, tant que cil de l'embuschement
- furent parvenu à yaus. Lors se commencièrent
- à esbahir cil dou chastiel, car il veirent 25
- bien qu'il estoient souspris. Si s'efforcièrent de deffendre
- le chastiel, et de leurs ennemis remettre hors,
- se ilz peuissent, et fisent tant d'armes que merveilles
- estoit à regarder, et par especial messires Gautiers
- de Limozin, car il besongnoit. Mais darrain lor deffense 30
- ne les peut sauver, comment qu'il en tuèrent
- et navrèrent aucuns de chiaus dehors, que li dis
- messires Guillaumes Douglas et si compagnon ne gaegnassent
- le fort chastiel par force, et occirent le plus
- grant partie de chiaus qui le gardoient, excepté le
- chastellain et six escuiers qu'il prisent à merci. Si
- demorèrent laiens tout le jour; puis y establirent 5
- chastellain (ung[343]) gentilhomme dou pays, un escuier
- qui s'appelloit Symons de Weseby, et avoech lui grant
- fuison de bons compagnons et hommes de fief d'Escoce.
- Ensi fu repris li fors chastiaus de Haindebourch
- en Escoce. Et en vinrent les certainnes nouvelles au 10
- roy englès, entrues qu'il seoit devant Tournay, au
- quel siège nous retourrons à parler, car il est heure.
-
- [343] Ms. B3, fo 59 vo.--Mss. B1, 4, fo 89:«d'un.»
-
-
- § 124. Vous avés bien chi dessus oy recorder comment
- li rois englès avoit assegiet le bonne cité de
- Tournay, et moult le constraindoit, car il avoit en 15
- son host plus de six vingt mille hommes as armes,
- parmi les Flamens, li quel s'acquittoient bien de l'assallir.
- Et l'avoient li assegeur telement environné de
- tous costés, que riens ne leur pooit venir, entrer
- ne issir, qu'il ne fust tantost hapés et perceus. Et 20
- pour tant que les pourveances de le cité commencièrent
- à amenrir, li signeur de France, qui là estoient,
- fisent widier toutes manières de povres gens, qui
- pourveu n'estoient pour attendre l'aventure, et les
- misent hors à plain jour, hommes et femmes; et 25
- passèrent parmi l'ost dou duch de Braibant qui leur
- fist grasce, car il les fist conduire sauvement tout
- oultre l'ost. Li rois englès entendi bien par chiaus et
- par aultres que la cité estoit durement astrainte; si en
- fu plus joieus, et pensa que bien il le conquerroit,
- com longement ne quel fret que il y mesist.
-
- D'autre part, li rois de France, qui se tenoit à Arras,
- et estoit tenus toute le saison, entendi que cil de
- Tournay estoient moult constraint, et qu'il avoient 5
- grant mestier d'estre conforté. Si s'ordena à ce qu'il
- les conforteroit, à quel mescief que ce fust, car il
- ne voloit mies perdre une tèle cité que Tournay estoit.
- Si fist un très grant mandement par tout son
- royaume, et ossi une grant priière en l'Empire, tant 10
- qu'il eut le roy Charlon de Behagne, le duch de
- Loeraingne, le conte de Bar, (l'evesque de Liège, l'evesque
- de Miés[344]), l'evesque de Vredun, le conte de
- Montbliar, messire Jehan de Chalon, le conte de Genève,
- et ossi le conte de Savoie et monsigneur Loeis 15
- de Savoie son frère. Tout cil signeur vinrent servir
- le roy de France, à ce qu'il peurent avoir de gens.
- D'autre part, revinrent li dus de Bretagne, li dus de
- Bourgongne, li dus de Bourbon, li contes d'Alençon,
- li contes de Forès, li contes d'Ermignach, li contes 20
- de Flandres, li contes de Blois, messires Charles de
- Blois, li contes de Harcourt, li contes de Dammartin,
- li sires de Couci, et si grant fuison de barons et
- de signeurs, que le nommer par nom et par sournom
- seroit uns grans detriemens. Après revint li rois de 25
- Navare, à tout grant fuison de gens d'armes de Navare
- et de le terre qu'il tenoit en France, dont il
- estoit homs au roy. Et si y estoit li rois David d'Escoce,
- à le delivrance dou roy de France, à belle
- route de gens d'armes. 30
-
- [344] Mss. B4, 3, fo 59 vo.--Ms. B1, fo 89 (lacune).
-
-
- § 125. Quant tout cil signeur dessus nommet et
- plus encores furent venus à Arras devers le roy, il
- eut conseil de chevaucier et de traire par devers ses
- ennemis; si s'esmeut, et cescuns le sievi, ensi que
- ordonné estoit. Et fisent tant par leurs petites journées 5
- qu'il vinrent jusques à une petite rivière, qui
- est à trois liewes priès de Tournay, la quèle est moult
- parfonde et environnée de si grans c(r)olières et marès,
- que nulz ne le pooit passer fors parmi un petit
- pont si estroit que uns seulz homs à cheval seroit 10
- assés ensonniiés dou passer oultre; doi homme ne s'i
- poroient combiner. Et loga trestous li hos sus les
- camps sans passer le rivière, car il ne peuissent.
- L'endemain, li hos demora tous quois. Li signeur,
- qui estoient dalés le roy, eurent conseil comment il 15
- peuissent faire pons, pour passer le rivière dessus
- ditte et les crolières plus aise et plus seurement. Si
- furent envoiiet aucun chevalier et ouvrier, pour regarder
- le passage; mais quant il eurent tout consideré
- et avisé, il regardèrent qu'il perdoient le temps; 20
- si raportèrent au roy qu'il n'i avoit point de passage,
- fors par le pont à Tressin tant seulement. Si demora
- la cose en cel estat, et se logièrent li signeur, cescuns
- sires par lui et entre ses gens. Les nouvelles
- s'espardirent par tout que li rois de France estoit 25
- logiés au pont à Tressin, et entre le pont de Bouvines,
- en entente de combatre ses ennemis: si ques
- toutes manières de gens d'onneur, qui desiroient à
- acquerre grasce par fait d'armes, se traioient celle
- part, tant d'un lés comme de l'autre. 30
-
- Or avint que troi chevalier alemant, qui se tenoient
- en le garnison de Bouchain, furent informet que li
- doi roy s'approçoient durement, et que on supposoit
- bien qu'il se combateroient. De quoi, li doi
- priièrent tant à leur compagnon qu'il s'acorda à ce
- qu'il demorroit, et li aultre iroient devant Tournay
- querre les aventures; et garderoit le forterèce bien et 5
- songneusement jusques à leur retour. Si se partirent
- li doi chevalier, dont on clamoit l'un monsigneur
- Conrart de Leusennich, et l'autre monsigneur Conrart
- d'Asko; et chevaucièrent tant qu'il vinrent vers
- Escaupons, deseure Valenciènes, car il voloient passer 10
- l'Escaut à Condet. Si oïrent, entre Frasne et Escaupons,
- grant effroi de gens, et en veirent pluiseurs
- fuians. Dont brocièrent il celle part et leur route, et
- pooient estre environ vingt cinq lances; si encontrèrent
- les premiers qui fuioient, et leur demandèrent 15
- qu'il leur falloit ne estoit avenu. «En non Dieu, signeur,
- ce respondirent li fuiant, li saudoiier de Mortagne
- sont issu et ont accueilliet grant proie chi entours,
- et l'enmainnent et cacent devers leur forterèce,
- et avoech çou pluiseurs prisonniers de che pays.» 20
- Donc respondirent li chevalier alemant: «Et nous
- sariés vous mener celle part où il vont?»--«En
- nom Dieu, signeur, oil.» Adonc se sont li Alemant
- mis en cace apriès les François de Mortagne, et ont
- sievis les bonhommes dou pays qui les avoiièrent 25
- parmi le bois; et adevancièrent les dessus dis assés
- priès de Nostre Dame ou Bois et dou Crousage.
- Et estoient bien li François six vingt saudoiiers;
- et enmenoient devant yaus bien deux cens grosses
- bestes et aucuns prisonniers paysans dou pays. Et 30
- estoit adonc leur chapitainne, de par le signeur de
- Biaugeu, uns chevaliers de Bourgongne qui s'appelloit
- messires Jehans de Frelais. Sitost que li Alemant
- les veirent, il les escriièrent fierement et se boutèrent
- de grant randon en yaus. Et là eut bon hustin et
- dur, car li chevaliers bourghignons se mist à deffense
- bien et hardiement, et li aucun de se route, et 5
- non pas tout, car il y eut pluiseurs bidaus qui fuirent;
- mais il furent de si priès encauciet des Alemans
- et des villains dou pays, qui les sievoient, as plançons
- et as bourlés, que petit en escapèrent qu'il ne
- fuissent mort et atieret. Et y fu messires Jehans de 10
- Frelais pris, et toute la proie (rescousse[345]) et rendue
- as hommes dou pays, qui grant gret en sceurent as
- Alemans. Depuis ceste avenue, s'en vinrent li chevalier
- devant Tournay, où il furent li bien venu.
-
- [345] Mss. B3, 4, fo 60 vo.--Ms. B1, fo 90 (lacune).
-
-
- § 126. Assés tost apriès chou que li rois de France 15
- s'en fu venus logier à host au pont à Tressin, se mist
- une compagnie de Haynuiers sus, par l'enhort monsigneur
- Wauflart de le Crois, qui leur dist qu'il cognissoit
- tout le pays, et qu'il les menroit bien en tel
- lieu sus l'ost de France où il gaegneroient. Si se partirent 20
- à son enhort, et pour faire aucun biau fait
- d'armes, une ajournée, environ six vingt compagnons,
- chevaliers et escuiers, tout pour l'amour li
- uns de l'autre, et chevaucièrent devers le pont à
- Tressin, et fisent de monsigneur Guillaume de Bailluel 25
- leur chief, et à se banière se devoient tout ralloiier.
- Ceste meisme matinée, chevauçoient li Liegois,
- dont messires Robers de Bailluel, frères germains au
- dessus dit monsigneur Guillaume, estoit chiés, de
- par les Liegois; car adonc il estoit, et faire le devoit,
- avoecques l'evesque de Liège. Si avoient li Liegois
- passet le pont à Tressin, et estoient espars en ces
- biaus plains, entre Tressin et Baisieu, et estoient en
- fourage pour leurs chevaus, et ossi pour veoir se il 5
- trouveroient nulle aventure où il peuissent pourfiter.
- Li Haynuier chevaucièrent celle matinée, qui d'encontre
- nul n'en trouvèrent, car il faisoit si grant
- bruine que on ne pooit veoir un demi bonnier de
- terre loing; et passèrent le pont baudement et sans 10
- encontre, et messires Wauflars de le Crois (devant[346])
- qui les menoit. Quant il furent tout oultre, il ordonnèrent
- que messires Guillaumes de Bailluel et se
- banière demorroient au pont, et messires Wauflars
- de le Crois, et messires Rasses de Monciaus, et messires 15
- Jehans de Sorres, et messires Jehans de Wargni
- courroient devant.
-
- [346] Ms. B4, fo 60 vo.--Ms. B1, fo 90 (lacune).
-
- Si se departirent li coureur et chevaucièrent si
- avant que il s'embatirent en l'ost le roy de Behagne
- et de l'evesque de Liège, qui assés priès dou pont 20
- estoient logiet. Et avoit la nuit fait le gait en l'ost le
- roy de Behagne li sires de Rodemach; et jà estoit
- sus son departement, quant li coureur haynuier vinrent;
- si leur sallirent au devant hardiement, quant il
- les veirent venir. Et ossi Liegois s'estourmirent; si 25
- reboutèrent ces coureurs moult asprement. Et y eut
- là adonc moult bon puigneis, car Haynuier vassaument
- s'i esprouvèrent. Toutes fois, pour revenir à
- leur banière, il se misent devers le pont. E vous Liegois
- et Lussemboursins apriès venus au pont à leur 30
- banière. Là y eut grant bataille. Et fu consilliet à monsigneur
- Guillaume de Bailluel qu'il rapassast le pont,
- et se banière, car il avoient encores de leurs compagnons
- oultre. Si rapassèrent Haynuier au mieus qu'il
- peurent. Et y eut au passer mainte belle apertise d'armes 5
- faite, mainte prise et mainte rescousse. Et avint
- que messires Waufflars de le Crois fu si quoitiés que
- il ne peut rapasser le pont; si doubta le peril et qu'il
- ne fust pris; si s'avisa qu'il se sauveroit. Si issi hors
- de le presse, au mieulz qu'il peut, et prist un chemin 10
- qu'il cognissoit assés, et se vint bouter en uns marès,
- entre rosiaus et crolières, et se tint là un grant temps.
- Et li aultre toutdis se combatoient. Les quelz Liegois
- et Lussemboursins avoient jà rués jus et abatu le
- banière monsigneur Guillaume de Bailluel. 15
-
- A ces cops vinrent cil de le route monsigneur Robert
- de Bailluel, qui venoient de courir, et entendirent
- le hustin; si chevaucièrent celle part. Et fist passer
- messires Robers de Bailluel sa banière devant,
- que uns siens escuiers portoit, qui s'appelloit Jakemes 20
- de Forsvie, en escriant: «Moriaumés!» Li Haynuier,
- qui jà estoient tout escauffé, perchurent le
- banière de Moriaumés qui estoit toute droite; si cuidièrent
- que ce fust li leurs où il se devoient radrecier;
- car moult petit de differense y avoit de l'un à 25
- l'autre, car les armes de Moriaumés sont vairiet contre
- vairiet, à deux kievirons de geules; et sus le kieviron
- messires Robers portoit une petite croisète d'or:
- si ne l'avisèrent mies bien, pour tant en furent il
- deceu; et se vinrent de fait bouter desous le banière 30
- monsigneur Robert. Là y eut dur hustin. Et furent
- li Haynuier fierement rebouté et tout desconfi. Et y
- furent mort troy bon chevalier de leur costé, messires
- Jehans de Wargni, messires Gontiers de Pontelarce,
- messires Guillaumes de Pipempois, et pluiseur
- aultre bon escuier et homme d'armes, dont ce fu
- damages, et pris messires Jehans de Sorre, messires 5
- Daniaus Bleze, messires Rasses de Monchiaus, messires
- Loeis de Jupeleu et pluiseur aultre. Et retourna
- au mieus qu'il peut messires Guillaumes de Bailluel,
- qui se sauva, quoi qu'il y perdesist assés des siens.
-
- D'autre part, messires Wauflars de le Crois, qui 10
- s'estoit boutés et repus entre marès et rosiaus, et se
- cuidoit là tenir jusques à le nuit, fu perceus d'aucuns
- compagnons qui chevauçoient sus ces marès et
- voloient de leurs oisiaus, et estoient au signeur de
- Saint Venant; si fisent si grant noise et si grant bruit 15
- que messires Wauflars issi hors, tous desconfis, et se
- vint rendre à yaus. Il le prisent et le ramenèrent en
- l'ost, et le delivrèrent à leur mestre, qui le tint un
- jour tout entier en son logeis, et l'euist volentiers
- sauvé, se il peuist, par cause de pité, car bien sçavoit 20
- qu'il estoit pris sus le teste. Mès il fu accusés,
- car les nouvelles vinrent au roy de France de le besongne,
- comment elle avoit alé, et de monsigneur
- Robert de Bailluel, qui avoit ruet jus son frère et les
- Haynuiers, et ossi de monsigneur Waufflart de le 25
- Crois, qui avoit esté pris, où et comment. Pour quoi
- li rois en volt avoir le cognissance. Se li fu rendus
- li dis messires Wauflars, qui eut moult mal finet;
- car li dis rois, (pour complaire à ceulx de Lille[347]),
- pour tant qu'il li avoient delivret le conte de Sallebrin 30
- et le conte de Sufforch, leur rendi monsigneur
- Waufflart, qui grant temps les avoit guerriiés. Dont
- cil de Lille furent moult joiant, pour tant qu'il leur
- avoit esté grans ennemis; et le fisent depuis morir en
- leur ville; onques n'en veurent prendre nulle raençon. 5
-
- [347] Mss. B4, 3, fo 61.--Ms. B1, fo 90 (lacune).
-
-
- § 127. De l'avenue monsigneur Robert de Bailluel
- et des Liegois qui avoient ruet jus les Haynuiers,
- fu li rois Phelippes tous joians, et en loa grandement
- tous chiaus qui y avoient estet. D'autre part, li contes
- de Haynau et chil qui leurs amis avoient perdus, 10
- en furent tout courouciet, et ce fu bien raisons. Or
- avint, assés tost apriès que ceste chevaucie dessus
- ditte fu avenue, li contes de Haynau, messires Jehans
- de Haynau, ses oncles, messires Gerars de Wercin,
- seneschaus de Haynau, et bien six cens lances de 15
- Haynuiers et d'Alemans se departirent dou siège de
- Tournay, et s'en vinrent devant Mortagne. Et manda
- li dis contes à chiaus de Valenchiènes qu'il venissent
- d'aultre part, et se mesissent entre le Scarp et l'Escaut,
- pour assallir le ville; li quel y vinrent en grant 20
- estoffe, et fisent achariier et amener grans engiens,
- pour jetter à le ville.
-
- Or vous di que li sires de Biauge(u), qui estoit dedens
- et chapitainne de Mortagne, et uns moult sages
- guerroiières, s'estoit bien doubtés de ces assaus, pour 25
- tant que Mortagne siet si priès de l'Escaut et de Haynau,
- et de tous costés. Et avoit fait piloter le ditte
- rivière d'Escaut, à fin que on n'i peuist naviier; et y
- pooit avoir, par droit compte, plus de douze cens
- pilos. Pour ce ne demora mies que li contes de Haynau 30
- et li Haynuier n'i venissent de l'un des costés,
- et cil de Valenciènes de l'autre. Si se ordonnèrent
- et appareillièrent et sans delay pour assallir. Et fisent
- li Valenciennois tous leurs arbalestriers traire avant
- et approcier les barrières; mais il y avoit si grant
- trenceis de fossés qu'il n'i pooient avenir. Lors s'avisèrent 5
- li aucun qu'il passeroient oultre le Scarp,
- comment qu'il fust, au desous de Chastiaus l'Abbeye,
- et venroient au lés devers Saint Amand, et feroient
- assaut à le porte qui oevre devers Maude. Si
- passèrent aucun compagnon volentrieu et armerés, et 10
- fisent tant qu'il furent oultre le rivière, ensi que proposet
- avoient; et furent bien quatre cens tout able
- et legier et en grant volenté de bien faire le besongne.
-
- Ensi fu Mortagne environnée, à trois portes, des
- Haynuiers, et tous prês de l'assallir. Mais au plus 15
- foible des costés, c'estoit devers Maude, si y faisoit
- il fort assés. Toutes fois, li sires de Biaugeu vint celle
- part, trop bien pourveus dou deffendre, car bien savoit
- que d'autre part il n'avoit que faire; et tenoit
- un glave roit et fort à un lonch fer bien aceret, et 20
- desous ce fier avoit un havet agut et prendant: si
- ques, quant il avoit lanciet et il pooit sachier, en fichant
- le havet en plates ou en haubregon dont on
- estoit armet, il couvenoit c'on en venist ou c'on fust
- reversé en l'aigue. Par ceste manière, en atrapa il et 25
- noia ce jour plus de une dousainne. Et fu à celle
- porte li assaus plus grans que nulle part. Et riens
- n'en savoit li contes de Haynau, qui estoit au lés devers
- Brifuel, tout rengiet sus le rivage de l'Escaut.
-
- Et avisèrent là li signeur entre yaus voie et engien 30
- comment on poroit tous les pilos, dont on avoit piloté
- l'Escaut, oster et traire hors par force ou par
- soubtilité, par quoi on peuist nagier jusques as murs.
- Si avisèrent et ordonnèrent à faire en une grosse nef
- un engien, qui tous les attrairoit hors l'un apriès
- l'autre. Dont furent carpentier mandet et mis en oeuvre,
- et li dis engiens fais en une nef. Ossi ce meisme 5
- jour, levèrent cil de Valenciènes à leur costet un
- très biel engien et bien gettant, qui portoit grosses
- pières jusques dedens le ville et au chastiel, et travilloit
- durement chiaus de Mortagne. Ensi passèrent
- ce premier jour et le nuit ensiewant, en assallant, 10
- avisant et devisant comment il poroient grever Mortagne;
- et l'endemain se traisent à l'assaut de tous
- costés. Encores n'estoit point le second jour fais li
- engiens qui devoit traire les pillos hors. Mais li engiens
- de chiaus de Valenciènes jettoit (uniement[348]) à 15
- chiaus de Mortagne.
-
- [348] Ms. B3, fo 62.--Ms. B1, fo 92 vo: «onniement.»
-
-
- § 128. Le tierch jour apriès, fu la nef toute ordonnée
- et abillie, et li engiens dedens assis et apparilliés,
- pour traire hors les pillos. Lors commencièrent
- à aler cil qui s'en ensonnioient au dessus dou 20
- pilotis, et emprisent à ouvrer, si com commandé leur
- fu. Si s'afficièrent à oster et à traire hors les pilos,
- dont il y avoit semés en l'Escaut grant fuison; mais
- tant de painne et de labeur eurent, anchois qu'il en
- peuissent avoir un, que merveilles fu à penser. Si 25
- regardèrent et considerèrent li signeur que jamais il
- n'aroient fait; si commandèrent à cesser cest ouvrage.
-
- D'autre part, il y avoit dedens Mortagne un mestre
- engigneour qui avisa et considera l'engien de chiaus
- de Valenchiennes, et comment il grevoit leur forterèce. 30
- Si en leva un ou chastiel, qui n'estoit mies trop
- grans, et l'attempra bien et à point, et ne le fist jetter
- que trois fois, dont la première (pierre[349]) chei à
- douze apas priès de l'engien de Valenciennes, la seconde
- au piet de le huge, et la tierce pière fu si bien 5
- apointie que elle feri l'engien parmi le flèche et le
- rompi en deux moitiés. Adonc fu grande li huée des
- saudoiiers de Mortagne. Et chil de Valenchiènes furent
- tout esbahi de leur engien qui estoit rompus
- ou moilon, et le alèrent regarder à grant merveilles. 10
-
- [349] Mss. B4, 3, fo 62.--Ms. B1, fo 89 (lacune).
-
-
- § 129. Ensi furent li Haynuier devant Mortagne
- deux nuis et trois jours que riens n'i conquisent. Si
- eut li dis contes de Haynau et messires Jehans ses
- oncles avis et volenté de retraire au siège de Tournay;
- et donnèrent congiet à chiaus de Valenchiennes 15
- de retourner en leur ville. Ensi se departi ceste
- assamblée. Li Valencienois se retraisent arrière en
- Valenciènes, et li contes et li chevalier s'en revinrent
- en l'ost devant Tournay, et se tinrent là environ
- trois jours. Et puis fist li contes une priière as compagnons 20
- pour amener devant Saint Amand, car les
- plaintes estoient venues à lui que li saudoiier de
- Saint Amand avoient arse l'abbeye de Hanon, et s'estoient
- mis en painne d'ardoir Vicongne, et avoient
- fait pluiseurs despis as frontières de Haynau, pour 25
- quoi li dis contes voloit contrevengier ces fourfaitures.
- Si se parti dou dit siège de Tournay à bien trois
- mille combatans, et s'en vint à Saint Amand, qui
- adonc n'estoit fremée que de palis. Bien avoient li
- saudoiier, qui estoient dedens, entendu que li contes 30
- de Haynau les venroit veoir, mès il s'estoient si
- glorefiiet en leur orguel qu'il n'en faisoient nul
- conte. A ce donc estoit gardiiens et chapitainne de
- Saint Amand uns bons chevaliers de le langue d'och,
- nommés li seneschaus de Carcassonne, li quelz avoit 5
- bien imaginet et consideret le force de le ville. Si en
- avoit dit son avis as monnes, et à chiaus qui estoient
- demoret pour garder l'abbeye et le ville. Et disoit
- bien que ce n'estoit pas une forterèce tenable contre
- une host, non qu'il s'en volsist partir, mès demorer 10
- et garder à son loyal pooir; mais il le disoit par manière
- de conseil. Li parole dou chevalier ne fu mies
- oye ne creue bien à point, dont il leur mesvint, si
- com vous orés chi après. Toutes fois, par son enhort,
- il avoit fait de lonch temps les plus riches jeuiaus de 15
- l'abbeye et de le ville widier et porter à Mortagne à
- sauveté, et là aler l'abbet et tous les monnes, qui
- n'estoient tailliet de yaus deffendre.
-
- Cil de Valenchiènes, qui avoient estet mandé dou
- conte leur signeur qu'il fuissent à un certain jour 20
- devant le ville de Saint Amand, et il seroit à l'autre
- lés, vinrent, ensi que commandé leur fu, en très bon
- couvenant, et estoient bien douze mille combatans.
- Sitost qu'il furent venu devant Saint Amant, il s'i
- logièrent et misent en bonne ordenance, et puis eurent 25
- conseil d'aler assallir. Si fisent armer tous leurs
- arbalestriers, et puis traire vers le pont de Scarp. Là
- commença li assaus durs et fiers et perilleus durement,
- et en y eut pluiseurs bleciés et navrés, d'un
- lés et d'aultre. Et dura cilz assaulz tout le jour, que 30
- onques cil de Valenciennes n'i peurent riens fourfaire;
- mais en y eut des mors et des navrés grant
- fuison des leurs. Et leur disoient li saudoiier et li
- bidau qui laiens estoient, par manière de reproce:
- «Alés boire vostre goudale, alés!» Quant ce vint au
- soir, cil de Valenciènes se retraisent tout lasset, et
- furent moult esmervilliet de ce qu'il n'avoient oy 5
- nulle nouvelle dou conte leur signeur; si eurent avis
- qu'i(l) se deslogeroient et retourroient viers Valenciennes;
- si fisent tout tourser, et se retraiirent, che
- meisme soir, en leur ville.
-
- A l'endemain au matin que cil de Valenciènes se 10
- furent retret, li contes de Haynau se parti dou siège
- de Tournay, si com dessus est dit, à grant compagnie
- de gens d'armes, de banières et de pennons, et
- s'en vint devant Saint Amand, au lés par devers Mortagne.
- Si tost qu'il furent venu, il se traisent à l'assaut, 15
- et là eut moult fort assaut et moult dur. Et gaegnièrent
- li Haynuier, de venue, les premières bailles,
- et vinrent jusques à le porte qui oevre devers Mortagne.
- Là estoient tout premier et devant à l'assaut
- li contes de Haynau et li sires de Byaumont ses oncles, 20
- et assalloient de grant corage et sans yaus espargnier;
- de quoi il leur en fu priès mesavenu, car
- il furent tout doi si dur rencontré de deux pières
- jettées d'amont qu'il en eurent leurs bachinés effondrés
- et les tiestes toutes estonnées. 25
-
- Adonc fu là qui dist: «Sire, sire, à cel endroit chi
- ne les arions nous jamès, car la porte est forte et la
- voie estroite; si cousteroit trop des vostres au conquerre.
- Mais faites aporter des grans mairiens, ouvrés
- à manière de pillos, et hurter as murs de 30
- l'abbeye; nous vous certefions que de force on le
- pertuisera en pluiseurs lieus. Et se nous sommes en
- l'abbeye, la ville est nostre, car il n'i a nul entredeus
- entre (la ville[350]) et l'abbeye.» Dont commanda li dis
- contes que on fesist ensi que pour le mieulz on li
- consilloit, et pour le plus tost prendre. Si quist on
- grans baus de chesnes, et puis furent tantost ouvré 5
- et aguisié devant; et si s'acompagnoient à un pillot
- yaus vint ou yaus trente, et s'escueilloient et puis
- boutoient de grant randon contre le mur; et tant boutèrent
- et si vertueusement qu'il pertuisièrent le mur
- de l'abbeye et rompirent en pluiseurs lieus, et entrèrent 10
- ens abandonneement, et passèrent une petite
- rivière qui là est, et s'en vinrent sans contredit jusques
- à une place, qui est devant le moustier, où li
- marchiés est de pluiseurs coses.
-
- [350] Mss. B3, 4, fo 63.--Ms. B1, fo 93 vo (lacune).
-
- Et là estoit li dis seneschaus de Carcassonne en 15
- bon couvenant, sa banière devant lui, qui estoit de
- geules à un chief d'argent, à deux demi kievirons ou
- chief, et estoit à une bordure d'asur endentée. Là
- dalés lui s'estoient recueilliet pluiseur compagnon de
- son pays, qui assés hardiement rechurent les Haynuiers, 20
- et se combatirent vaillamment, tant qu'il peurent.
- Mès leur deffense ne leur valli noient, car Haynuier
- y sourvinrent à trop grant fuison. Et vous di
- encores, pour tout ramentevoir, à entrer de premiers
- dedens l'abbeye, il y avoit un monne que on appelloit 25
- dan Froissart. Chilz y fist merveilles, et en occist
- que mehagna, au devant d'un pertuis où il se tenoit,
- plus de dix huit; et n'osoit nulz entrer par le lieu qu'il
- gardoit. Mais finablement il le couvint partir, que
- Haynuier entroient en l'abbeye, et avoient pertuisiet 30
- le mur en pluiseurs lieus. Si se sauva li dis monnes,
- au mieus qu'il peut, et fist tant qu'il vint à Mortagne.
-
-
- § 130. Quant li contes de Haynau et messires Jehans
- de Haynau, ses oncles, et li chevalerie de Haynau
- furent entré en l'abbeye, ensi que vous avés oy, si 5
- commanda li dis contes que on mesist tout à l'espée,
- sans nullui prendre à merci, tant estoit il courouciés
- sus chiaus de Saint Amand, pour les despis qu'il
- avoient fais à son pays. Si fu la ditte ville moult tost
- emplie de gens d'armes; et bidau(s) et Geneuois, qui 10
- là estoient, encauciet et quis de rue en rue, et d'ostel
- en hostel. Peu en escapèrent qu'il ne fuissent
- mort et occis, car nuls n'estoit pris à merci. Meismes,
- li senescaus de Carcassonne y fu occis desous
- sa banière, et plus de deux cens hommes, environ 15
- lui que assés priès. Ensi fu Saint Amand destruite.
- Et retourna li contes, ce propre soir, devant Tournay.
- Et l'endemain, les gens d'armes de Valenciènes
- et la communautés vinrent à Saint Amand, et parardirent
- le ville et toute l'abbeye et le grant moustier, 20
- et brisièrent toutes les cloches, dont ce fu damages,
- car il en y avoit moult de bonnes et de melodieuses,
- et si ne lor vint à nul profit qui à compter face.
-
- Apriès le destruction de Saint Amand, li contes de
- Haynau, qui trop durement avoit pris ceste guerre 25
- à coer, et qui estoit plus aigres que nulz des aultres,
- se departi dou siège de Tournay, en se route environ
- six cens armeures de fier, et s'en vint ardoir Orchies
- et Landas et le Celle, et grant fuison de villages là
- environ; et puis passa et toute se route la rivière de 30
- Scarp au desous de Hanon, et entrèrent en France, et
- vinrent à Marchiennes, une grosse et riche abbeye,
- dont messires Amés de Warnans estoit chapitainne,
- et avoit avoecques lui une partie des arbalestriers
- de Douay. Là eut grant assaut, car li dis chevaliers
- avoit durement fortefiiet le (première[351]) porte de l'abbeye, 5
- qui estoit toute enclose et environnée de fossés
- grans et parfons. Et se deffendirent li François et li
- monne qui dedens estoient moult vassaument; mais
- finablement il ne peurent durer contre tant de gent
- d'armes, car il quisent et fissent tant qu'il eurent des 10
- batiaus et les misent en l'aigue, et entrèrent par celle
- manière en l'abbeye. Mais il y eut mort et noiiet un
- chevalier alemant, compagnon au signeur de Faukemont,
- qui s'appelloit messires Bacho de le Wière,
- dont li sires de Faukemont fu moult courouciés, 15
- mais amender ne le peut. A l'assaut de le porte où
- messires Amés de Warnans se tenoit, furent moult
- bon chevalier li contes de Haynau et messires de
- Byaumont, ses oncles, et li seneschaus de Haynau;
- et fisent tant finable(ment) que la porte fu conquise, 20
- et li chevaliers qui le gardoit pris, et mort et occis
- li plus grant partie des aultres. Et furent pris ossi
- pluiseur des monnes, qui laiens furent trouvet, et
- toute la ditte abbeye robée et pillie, et puis arse et
- destruite, et la ville ossi. Et quant il eurent fait leur 25
- emprise, li contes et toutes ces gens d'armes, qui furent
- à le destruction de Marciènes et en ceste chevaucie,
- s'en retournèrent au siège devant Tournay.
-
- [351] Mss. B4, 3, fo 63.--Ms. B1, fo 94 (lacune).
-
-
- § 131. Li sièges qui fu devant Tournay fu grans et
- lons et bien tenus; et moult y eut li rois englès grant 30
- fuison de bonnes gens d'armes. Et se s'i tenoit li dis
- rois volentiers, car bien le pensoit à conquerre, pour
- tant qu'il savoit bien qu'il y avoit dedens grant fuison
- de gens d'armes et assés escarcement de vivres;
- si les supposoit bien à afamer et avoir par force de 5
- famine. Mais li aucun dient et maintiènent qu'il
- trouvèrent moult de courtoisies en chiaus de Braibant,
- et qu'il souffrirent par pluiseurs fois à laissier
- passer parmi leur host vivre assés largement pour
- mener dedens Tournay, dont il furent bien conforté. 10
- Avoech tout ce, cil de Brousselles et cil de Louvaing,
- qui estoient tout tanet de là tant seoir et demorer,
- fisent une requeste au mareschal de l'host que il se
- peuissent partir et retraire en Braibant, car trop
- avoient là demoret à peu de fait. Li mareschaus qui 15
- vey bien que la requeste n'estoit point honnourable
- ne raisonnable, leur respondi que c'estoit bien ses
- grés, mais il leur couvenoit mettre jus leurs armeures.
- Li dessus dit furent tout honteus; si se souffrirent
- atant et n'en parlèrent onques depuis. 20
-
- Or vous recorderons d'une chevaucie des Alemans,
- qui fu faite devant Tournay, à ce meisme pont de
- Tressin où messires Robers de Bailluel et li Liegois
- avoient desconfit les Haynuiers. Li sires de Randerodène
- et messires Ernoulz de Randerodène, ses filz, 25
- adonc escuiers, et messires Jehans de Hodebourch
- ossi adonc escuiers et mestres dou fil au signeur de
- Randerodène, messires Ernoulz de Bakehen, messires
- Renauls de Sconnevort, messires Conrars de Leusennich,
- messires Conrars d'Asko, messires Bastiiens de 30
- Barsies et Caudreliers ses frères et messires Stramen
- de Venoue et pluiseur aultre de le ducé de Jullers et
- de Guerles avoient pris en grant virgongne che que
- li Haynuier avoient esté ensi rencontret; si parlementèrent
- dou soir et s'acordèrent à chevaucier le
- matin au pont à Tressin. Si se armèrent et ordonnèrent
- de le nuit bien et faiticement, et se partirent 5
- sus l'ajournée. Et ossi se misent avoech yaus en leur
- chevaucie aucun baceler de Haynau, qui point n'avoient
- esté à l'autre dessus ditte, telz que messires
- Florens de Biaurieu, messires Baras de le Haie, marescal
- de l'host, monsigneur Jehan de Haynau, messires 10
- Oulphars de Gistelles, messires Robers de Glennes
- de le conté de Los, adonc escuier et au corps
- monsigneur Jehan de Haynau, et pluiseur aultre. Si
- chevaucièrent chil chevalier et chil compagnon dessus
- nommé bellement et sagement; et estoient bien 15
- trois cens ou plus, toutes bonnes armeures de fier;
- et vinrent droit au pont à Tressin, droit au point
- dou jour, et le passèrent oultre sans damage. Et
- quant il furent par de delà, ilz se avisèrent et consillièrent
- ensamble comment il s'ordonneroient, pour 20
- le mieulz, et à leur honneur, resvillier et escarmucier
- l'ost de France. Là furent ordonné li sires de Randerodène
- et Ernouls ses filz et messires Henris de Keukeren,
- uns chevaliers miesenaires, et messires Thielemans
- de Sansi, messires Oulphars de Ghistelles, et 25
- messires li Alemans, bastars de Haynau, et messires
- Robers de Glennes, adonc escuier, et Jakelos de
- Thians, à estre coureur et chevauceur jusques as tentes
- et logeis des François. Et tout li aultre chevalier
- et escuier, qui bien estoient trois cens, devoient demorer 30
- au pont et garder le passage, pour le deffendre
- as aventures des sourvenans. Ensi et sus cel estat,
- se partirent li coureur, qui pooient estre quarante
- lances, très bien monté sus fleurs de roncins et de
- gros coursiers, et chevaucièrent de premiers tout bellement
- tant qu'il vinrent en l'ost le roy de France.
- Dont se boutèrent il ens de plains eslais, et commenchièrent 5
- à decoper cordes et paissons, et à abatre
- et reverser tentes et trés, et à faire un très grant
- desroy, et François à yaus estourmir.
-
- Celle nuit avoient fait le gait doi grant baron de
- France, li sires de Montmorensi et li sires de Saint 10
- Saufliu; et estoient, à ceste heure que li Alemant
- vinrent, encores à leur garde. Quant il oïrent le noise
- et entendirent l'effroi, si tournèrent celle part leurs
- banières et leurs gens, et chevaucièrent fort et roit
- sus les coureurs qui leur host avoient estourmi. Et 15
- quant li sires de Randerodène les vei venir, il tourna
- sus frain tout sagement, et fist chevaucier son pennon
- et ses compagnons, pour revenir au pont à leur
- grosse route, et li François apriès. En celle cace là
- eut bon coureis, car li Alemant se hastoient pour revenir 20
- au dit pont, et li François ossi pour yaus retenir.
- En celle cace fu pris et retenus des François
- messires Oulphars de Ghistelles, qui ne se sceut ne
- peut garder à point, car li chevaliers avoit court vue;
- si fu enclos de ses ennemis, par trop demorer derrière, 25
- et fianciés prisons; et ossi doi escuier, dont on
- nommoit l'un Jehan de Mondorp, et l'autre Jakelot
- de Thians. Li François et leur route chevauçoient
- d'un lés, et li coureur alemant d'autre; et estoient
- environ demi bonnier priès li un de l'autre, et tant 30
- qu'il se pooient bien recognoistre et entendre de
- leurs langages. Et disoient li François as Alemans:
- «Ha! ha! signeur, vous n'en irés pas ensi!» Si se
- hastoient pour prendre le pont, et pas ne savoient
- de le grosse embusce qui estoit au pont, de monsigneur
- Renault de Sconnevort et des aultres: si ques
- il fu dit au signeur de Randerodène: «Sire, sire, 5
- avisés vous, car il nous samble que chil François
- nous torront le pont.» Donc respondi li sires de
- Randerodène et dist: «Se il scèvent un chemin, j'en
- sçai un aultre.» Adonc se retourna sus destre et se
- route, et prisent un chemin assés froiiet qui les mena 10
- droit à celle petite rivière dessus ditte, qui est si
- noire et si parfonde et si environnée de grans marès.
- Et quant il furent là venu, se ne peurent il passer,
- mès les couvint retourner devers le pont. Et
- toutdis chevauçoient li François le(s) grans galos devers 15
- le pont, qui cuidoient ces coureurs alemans enclore
- et prendre, ensi qu'il avoient jà pris de leurs
- compagnons. Et par especial moult y metoit li sires
- de Montmorensi grant entente.
-
-
- § 132. Quant li François eurent tant chevauciet 20
- qu'il furent priès au pont, et il veirent le grosse embusche,
- qui là estoit au devant dou pont, toute armée
- et ordonnée, et qui les attendoit en très bon
- couvenant, si furent tout esmervilliet. Et disent entre
- yaus li aucun qui regardèrent le manière: «Nous 25
- caçons trop folement; de legier porons plus perdre
- que gaegnier.» Dont retournèrent li pluiseur et par
- especial li banière le signeur de Saint Saufliu et li
- sires ossi. Et messires Charles de Montmorensi et se
- banière chevauça toutdis avant et ne volt onques reculer, 30
- mès s'en vint de grant corage assambler as Alemans,
- et li Alemant à lui et à ses gens. Là y eut, de
- premières venues, durs encontres et fortes joustes,
- et tamaint homme reversé d'un lés et d'autre. Ensi
- qu'il assambloient, li coureur dessus nommet, qui
- costiiet les avoient, s'en vinrent ferir sus èle, et se 5
- boutèrent ens de plains eslais et de grant volenté. Et
- ossi li François les rechurent moult bien.
-
- Or vous dirai de une grant apertise d'armes et
- d'un grant avis, dont messires Renaulz de Sconnevort
- usa à l'assambler, et c'on doit bien tenir et recommender 10
- à sage fait d'armes. Ilz qui estoit adonc
- en le fleur de se jonèce, fors chevaliers et rades durement,
- bien armés et bien montés pour le journée,
- s'en vint assambler à le banière le signeur de Montmorensi
- qu'il recogneut assés bien; et s'avisa qu'il 15
- s'en venroit esprouver à celui qui estoit li plus proçains
- de le banière, car il pensoit bien que c'estoit
- li sires. Ensi qu'il jetta son avis il le fist, et feri son
- coursier des esporons, et passa par force le route, et
- s'en vint au signeur de Montmorensi, qui estoit desous 20
- sa banière, bien montés sus bon coursier; et le
- trouva en bon couvenant, l'espée ou poing, et combatant
- à tous lés, car il estoit ossi fors chevaliers et
- grans durement. Et li vint li sires de Sconnevort sus
- destre, et bouta son brach senestre ou fraîn de son 25
- coursier, et puis feri le sien des esporons, en lui tirant
- hors de le bataille, comme vistes et fors chevaliers.
- Li sires de Montmorensi, qui bien se donna à
- garde de ce tour, se prist à deffendre vassaument, comme
- fors et hardis chevaliers, pour lui delivrer de ce 30
- peril et des mains le signeur de Sconnevort; et feroit
- à main tas de sen espée sus le bacinet et sus le dos
- le signeur de Sconnevort. Mais li sires de Sconnevort,
- qui bien estoit (armés[352]) et montés, brisoit à le
- fois les cops, à le fois et le(s) recevoit moult vassaument;
- et tant fist par son effort, vosist ou non li sires
- de Montmorensi, que il le creanta à prisonnier, 5
- et demora ses prisons.
-
- [352] Mss. B3, 4, fo 64 vo.--Ms. B1, fo 96 vo (lacune).
-
- Et li aultre se combatoient de toutes pars. Et là
- furent bon chevalier messires Ernoulz de Randerodène,
- messires de Keukeren, messires Thielemans
- de Sansi, messires Bastiiens de Barsies et Caudreliers 10
- ses frères, messires Robers de Glennes, et prist un
- homme d'armes en bon couvenant, qui s'armoit de
- geules à trois fauls d'or. Et fisent adonc tant li Alemant
- et leur route que il obtinrent le place, et prisent
- bien quatre vingt prisonniers, tous gentilz 15
- hommes, desous le banière monsigneur Charle de
- Montmorensi; et rapassèrent le pont sans damage, et
- vinrent en l'ost devant Tournay; et rala cescuns devers
- se partie; et se desarmèrent et puis alèrent veoir
- les signeurs, dont il furent bien conjoy, le conte de 20
- Haynau et monsigneur son oncle.
-
-
- § 133. De le prise monsigneur Charle de Montmorensi
- furent li François moult courouciet, mès amender
- ne le peurent. Tant comme adonc, ceste cose
- passa, li sièges se tint; li prisonnier se ranchonnèrent 25
- et se delivrèrent au plus tost qu'il peurent. Or
- vous conterons de une aventure qu'il avint as Flamens
- que messires Robers d'Artois et messires Henris
- de Flandres gouvrenoient, dont il en y avoit plus
- de soixante mille de le ville d'Ippre, de Popringhe, 30
- de Messines, de Cassiel et de le chastelerie de Berghes.
- Et se tenoient tout cil Flamench, dont li dessus
- dit estoient chief, ou val de Cassiel, logiés as tentes
- et as trés, et à grant arroi, pour contrester contre les
- garnisons françoises que li rois Phelippes avoit envoiies 5
- à Saint Omer, à Aire, à Saint Venant, et ens
- ès villes et forterèces voisines. Et se tenoient dedens
- Saint Omer, de par le roy de France, li contes, daufins
- d'Auvergne, li sires de Merquel, li sires de Calençon,
- li sires de Montagut, li sires de Rocefort, li 10
- viscontes de Touwars, et pluiseur aultre chevalier
- d'Auvergne et de Limozin. Et dedens Aire et dedens
- Saint Venant en y avoit ossi grant fuison. Et issoient
- souvent hors et venoient escarmucier as Flamens; si
- gaegnoient à le fois, et à le fois y perdoient. 15
-
- Or avint un jour à ces Flamens que il s'en vinrent
- environ troi mille, tout legier et able compagnon, et
- s'avalèrent et issirent hors de leurs logeis pour venir
- hustiner devant Saint Omer, et se boutèrent ens ès
- fourbours et brisièrent pluiseurs maisons, et entendirent 20
- telement au pillage qu'il desrobèrent tout ce
- qu'il trouvèrent. La noise et li effrois monta en le
- ville de Saint Omer. Dont s'armèrent moult vistement
- li signeur qui laiens estoient. Et ossi fisent
- toutes leurs gens, et se partirent par une aultre porte 25
- que par celle devant qui li Flamench estoient. Et
- pooient estre entours six banières et deux cens bacinès,
- et environ cinq cens bidaus tout à piet. Et chevaucièrent
- tout au tour de le ville de Saint Omer,
- ensi qu'il avoient guides qui bien les savoient mener. 30
- Et vinrent tout à temps à ces Flamens qui s'ensonnioient
- de pillier et de rober tout ce qu'il trouvèrent
- en le ville de Arkes, qui est assés priès de le ville de
- Saint Omer; et estoient laiens espars sans chapitainne
- et sans arroi. E vous les François soudainnement
- venus sus yaus, lances abaissies, banières desploiies,
- et en bon couvenant de bataille, et en criant: 5
- «Clermont au dauffin d'Auvergne!» Lors entrèrent
- en ces Flamens qui furent tout esbahi, quant si priès
- d'yaus il les veirent, et ne tinrent ordenance ne conroy
- nul; mais fuirent cescuns qui mieus mieus, et
- jettèrent tout jus ce que pilliet et cargiet avoient, et 10
- prisent les camps; et François apriès yaus, tuant et
- abatant par monciaus et par tropiaus. Et dura ceste
- cace bien deux liewes. Et en y eut bien mors des
- trois mille dix huit cens, et retenu quatre cens qui
- furent amenet en Saint Omer en prison. 15
-
-
- § 134. Quant li demorant qui escaper peurent,
- furent revenu devers leurs compagnons, si contèrent
- leur aventure as uns et as aultres. Et vinrent les nouvelles
- à leurs chapitainnes monsigneur Robert d'Artois
- et monsigneur Henri de Flandres, qui petit les 20
- en plaindirent, mais disent que c'estoit bien emploiiet,
- car sans conseil et sans commandement il
- y estoient alet.
-
- Or avint celle meisme nuit à toute leur host generalment
- une mervilleuse aventure; on n'oy onques, 25
- je croy, à parler ne recorder de si sauvage. Car, environ
- heure de mienuit que cil Flamench gisoient en
- leurs tentes et dormoient, uns si grans effrois et telz
- paours et hideurs les prist generalment en dormant,
- que tout se levèrent en si grant haste et en tel 30
- painne qu'il ne cuidièrent jamais à temps estre deslogiet;
- et abatirent tantost tentes, trés et pavillons,
- et toursèrent tout sus leurs chars, en si grant haste
- que li uns n'attendoit point l'autre, et s'en fuioient
- tout, sans voie tenir et sans conroy. Et fu ensi dit à
- monsigneur Robert d'Artois et à monsigneur Henri 5
- de Flandres, qui dormoient en leurs logeis: «Chier
- signeur, levés vous sus bien tos et vous appareilliés, car
- vos gens s'en fuient et nulz ne les cace; et ne scèvent
- à dire quel cose leur fault, ne qui les muet à fuir.»
-
- Adonc se levèrent li doi signeur en grant haste, et 10
- fisent alumer feus et grant plenté de tortis, et montèrent
- sus leurs chevaus, et s'en vinrent au devant
- d'yaus, et leur disent: «Biau signeur, dittes nous
- quel cose il vous fault, qui ensi fuiiés? N'estes vous
- mies bien asseguret? Retournés, retournés, ou nom 15
- de Dieu! Vous avés grant tort, quant ensi fuiiés, et
- nulz ne vous cace.» Mès quoi que ensi fuissent
- priiet ne requis d'arrester et de retourner, il n'en fisent
- compte, mais toutdis fuirent; et prist çascuns le
- chemin vers sa maison, au plus droit qu'il peut. Et 20
- quant messires Robers d'Artois et messires Henris de
- Flandres veirent qu'il n'en aroient aultre cose, si
- fisent tourser tout leur harnois et mettre à voiture, et
- s'en vinrent au siège devant Tournay, et recordèrent
- as signeurs l'aventure des Flamens, dont on fu durement 25
- esmervilliet. Et disent li pluiseur qu'il avoient
- estet enfantosmet.
-
-
- § 135. Chilz sièges devant le cité de Tournay dura
- assés longement, onze sepmainnes trois jours mains.
- Si poés bien croire et savoir qu'il y eut fais pluiseurs 30
- escarmuces et paletis, tant à assallir le cité, comme
- des chevaucies des compagnons bacelereus l'un sus
- l'autre. Mais dedens le cité de Tournay avoit très
- bonne et sage chevalerie (envoiée en[353]) garnison de
- par le roy de France, si com dessus est dit, qui telement
- en songnièrent et en pensèrent que nulz damages 5
- ne s'i prist.
-
- [353] Ms. B3, fo 65 vo.--Ms. B1, fo 98 ro: «envoiiet».
-
- Or n'est riens, si com on dist, qui ne prende fin.
- On doit savoir que, ce siège pendant, ma dame
- Jehane de Valois, serour au roy de France et mère
- au conte Guillaume de Haynau, travilloit durement 10
- de l'une host en l'autre, à fin que pais ou respis fust
- entre ces parties, par quoi on se departesist sans bataille,
- car la bonne dame veoit là de deux costés
- toute le fleur et l'onneur de le chevalerie dou monde;
- se veist trop à envis, pour les grans perilz qui en 15
- pooient avenir, que nulle bataille fust adrecie entre
- yaus. Et par pluiseurs fois la bonne dame en estoit
- cheue as piés le roy de France son frère, et li priiet
- que respis ou trettiés d'acort fust pris entre lui et
- le roy englès. Et quant la ditte dame avoit travilliet 20
- entre les signeurs de France, elle s'en revenoit
- à chiaus de l'Empire, especialment au duch de Braibant,
- au duc de Jullers, son fil, qui avoit sa fille, à
- monsigneur Jehan de Haynau; et leur prioit que,
- pour Dieu et par pité, il volsissent entendre à aucun 25
- trettiet d'acort, et avoiier le roy d'Engleterre à çou
- qu'il y volsist descendre.
-
- Tant ala et tant procura la bonne dame entre ces
- signeurs, avoech l'ayde et le conseil d'un gentil et sage
- chevalier, qui estoit moult bien de toutes les parties, 30
- messires Loeis d'Augimont, que une journée de traittement
- fu acordée à l'endemain, là où çascune des
- parties devoit envoiier quatre personnes souffissans,
- pour trettier toutes bonnes voies pour acorder les dittes
- parties, se il plaisoit à Dieu, et souffrance de trois 5
- jours que li uns ne pooit ne devoit fourfaire sour
- l'autre. Et si se devoient assambler cil trettieur à une
- capelle, et la dessus ditte bonne dame avoecques.
- De le partie dou roy de France, y fu envoiiés Charles
- li roys de Behagne, Charles li contes d'Alençon, frères 10
- au dit roy, li evesques de Liège, li contes de
- Flandres et li contes d'Ermignach. De le partie le roy
- d'Engleterre, y furent envoiiet li dus de Braibant, li
- evesques de Lincolle, li dus de Guerles, li dus de
- Julers et messires Jehans de Haynau. 15
-
- Quant il furent tout venu à la ditte capelle, il se
- saluèrent moult amiablement et festiièrent grandement,
- et apriès il entrèrent en leur trettiement. Toute
- celle première journée, cil trettieur trettièrent sour
- pluiseurs voies d'acort. Et toutdis estoit la bonne 20
- dame ma dame Jehane de Valois en mi yaus, qui
- moult humlement et de grant coer leur prioit que
- çascune partie se volsist priès prendre de l'acorder.
- Toutes voies celle journée passa sans nul certain
- acord; cescuns en rala en son lieu, sour couvent de 25
- revenir. L'endemain, il revinrent tout à le capelle
- en tel point, et commencièrent à trettier com en devant,
- et cheirent sus aucunes voies assés acordables;
- mès ce fu si tart que on ne les peut escrire de jour.
- Si se parti li parlemens adonc, et creanta cescuns de 30
- revenir là endroit à l'endemain, pour parfaire et
- acorder le remanant. Au tierch jour, cil signeur revinrent
- à plus grant conseil. Là fu acordée une
- triewe à durer une anée entierement, et devoit entrer
- tantost entre ces signeurs et ces gens qui là estoient
- d'une part et d'autre; et entre chiaus qui guerrioient
- en Escoce, en Gascogne, en Poito et en Saintonge, 5
- elle ne devoit entrer jusques à quarante jours.
- Dedens lesquelz quarante jours, cescune des parties
- le devoit faire savoir as siens, sans mal engien: s'il
- les voloient tenir, se les tenissent; et se tenir ne les
- voloient, si guerriaissent li uns l'autre. Mais France, 10
- Pikardie, Bourgongne, Bretagne et Normendie le
- tenoient sans nulle exception. Et devoient li doi
- roy dessus dit, cescuns pour lui et en bon couvenant,
- envoiier quatre ou cinq nobles personnes,
- et li papes deux cardinaulz en legation en le cité 15
- d'Arras. Et ce que ces parties ordonneroient, li doi
- roi le tenroient et confremeroient sans nul moiien.
- Et fu encores celle triewe presente acordée sus tèle
- condition que cescuns devoit tenir paisieuvlement ce
- dont il estoit saisis. 20
-
- Quant celle triewe fu acordée et saielée d'une part
- et d'aultre, cescuns s'en retourna en son host. Si le
- fisent tantost criier par tout l'ost d'une part et d'autre,
- dont li Braibençon eurent grant joie, car il eurent
- là logiet et esté un grant temps moult à envis. 25
- Qui l'endemain, si tost que jours fu, peuist veoir
- tentes abatre, chars chargier, gens fourhaster, emblaver
- et toueillier, bien peuist dire: «Je voi un
- nouvel siècle.»
-
-
- § 136. Ensi com vous avés oy, se departirent ces 30
- deux grans hos, par le traveil et le pourcach de celle
- bonne dame, qui Diex face pardon, qui y rendi grant
- painne. Et demora la bonne cité de Tournay francement
- et entière, qui avoit esté en très grant peril,
- car toutes leurs pourveances falloient, et n'en avoient
- mies pour trois jours ou pour quatre à vivre. Li 5
- Braibençon se prisent au raler hasteement, car grant
- desir en avoient. Li rois englès s'en departi moult à
- envis, s'il peuist et à se volenté en fust; mais il li
- couvenoit sievir partie de le volenté les aultres signeurs
- et croire leur conseil. Li jones contes de Haynau 10
- et messires Jehans de Haynau, ses oncles, se
- fuissent ossi bien à envis acordés à celle departie,
- s'il seuissent ossi bien le couvenant de chiaus qui
- estoient dedens Tournay que li rois de France faisoit,
- et se ne fust ce que li dus de Braibant leur 15
- avoit dit en secret qu'il detenoit à grant mesaise ses
- Braibençons, et comment que fust, il ne les pooit
- tenir qu'il ne se deuissent partir le jour ou l'endemain,
- se acors ne se faisoit.
-
- Li rois de France et tous ses hos se departirent 20
- assés liement, car il ne pooient bonnement plus demorer
- là endroit, pour le puasine des biestes que on
- tuoit si priès de leurs logeis, et pour le chaut qu'il
- faisoit; et si pensoient en leur part à avoir l'onneur
- de celle partie, si com il disoient, pour le raison de 25
- ce que il avoient rescousse et gardée d'estre perdue le
- bonne cité de Tournay, et avoient fait departir celle
- grande assamblée qui assegiet l'avoit, et nient n'i
- avoient fait, comment qu'il y euissent grans frais mis
- et despendus. Li aultre signeur et cil de leur partie 30
- pensoient ossi bien à avoir l'onneur de celle partie,
- pour le raison de ce qu'il avoient si longement demoret
- ens ou royaume et assegié une des bonnes cités
- que li rois ewist, et ars et gasté son pays cescun
- jour, lui saçant et voiant; et point ne l'avoit secouru
- de temps ne d'eure, ensi qu'il deuist; et au daarrain
- il avoit acordé une triewe, ses ennemis seans devant 5
- se cité et ardant et gastant son pays.
-
- Ensi en voloit cescune des parties avoir à soy et
- attribuer l'onneur. Si en poés determiner entre vous,
- qui oy les fais avés et qui les sentés, ce qu'il vous
- en samble, car de moy je n'en pense à nullui donner 10
- l'onneur plus l'un que l'autre, ne faire ent partie,
- car je ne me cognois mie en si grans afaires
- qu'en fais et en maniemens d'armes.
-
-
- § 137. Or se departirent cil signeur dou siège de
- Tournay, et en rala cescuns en son lieu. Li rois englès 15
- s'en revint à Gand dalés ma dame sa femme, et
- assés tost apriès il rapassa le mer et toutes ses gens,
- excepté chiaus qu'il laissa pour estre au parlement à
- Arras. Li contes de Haynau s'en revint en son pays;
- et eut adonc une moult noble feste à Mons en Haynau 20
- et jouste de chevaliers, à la quèle messires Gerars
- de Wercin, seneschaus de Haynau, fu et jousta;
- et y fu telement bleciés qu'il en morut, dont ce fu
- damages. Se demora de li uns biaus filz, qui fu appellés
- Jehans, et puissedi bons chevaliers et hardis; 25
- mais petit dura et regna en santé, dont ce fu damages.
- Li rois de France donna à toutes ses gens congiet,
- et puis s'en vint jewer et rafreschir en le ville
- de Lille. Et là le vinrent veoir cil de Tournay, les
- quelz li rois reçut liement et vei très volentiers, et 30
- leur fist grasce, pour tant que si bellement et si vallamment
- il s'estoient tenu et deffendu contre leurs
- ennemis, et que riens on n'avoit pris ne conquesté
- sus yaus. Le grasce qu'il leur fist elle fu tèle qu'il
- leur rendi leur loy que perdu avoient de grant temps,
- dont il furent moult joiant, car messires Godemars 5
- don Fay et aultre pluiseur chevalier estragne, devant
- lui, en avoient esté gouvreneur; si refisent entre
- yaus prevos et jurés, selonch leurs usages anciiens.
- Quant li rois eut ordonné à son plaisir une partie
- de ses besongnes, il se departi de Lille et se mist au 10
- chemin devers France, pour revenir à Paris.
-
- Or vint li saisons que li parlement ordonnet et
- insinuet en le cité d'Arras approcièrent. Si y envoia
- li papes Clemens VIe en legation deux cardinaulz,
- cesti de Naples et cesti de Clermont, qui de premiers 15
- vinrent à Paris, où il furent moult honnouré dou
- roy et des François; et puis s'avalèrent devers Artois
- et jusques en le cité d'Arras. A ce parlement, de par
- le roy de France, furent li contes d'Alençon, li dus
- de Bourbon, li contes de Flandres et li contes de 20
- Blois, et des prelas li archevesques de Sens, li evesques
- de Biauvais et li evesques d'Auçoirre; de par le
- roy d'Engleterre, li evesques de Lincolle, li evesques
- de Duremmes, li contes de Warvich, messires Robers
- d'Artois, messires Jehans de Haynau et messires 25
- Henris de Flandres. Au quel parlement, il y eut pluiseurs
- trettiés et langages mis avant, et parlementèrent
- plus de quinze jours. Mais riens n'i fu acordé
- ne afiné, car li Englès demandoient et li François
- ne voloient riens donner, fors tant seulement rendre 30
- le conté de Pontieu, qui fu donnée à le royne Ysabiel
- en mariage avoech le roy d'Engleterre. Ceste
- cose ne veurent point li Englès accepter. Si se departirent
- cil signeur et cil parlement sans riens faire,
- fors tant seulement que la triewe fu ralongie deux
- ans; che fu tout ce que li cardinal y peurent impetrer.
- Apriès ce, cescuns s'en rala en son lieu. Et revinrent 5
- adonc li doi cardinal parmi Haynau, à le
- priière dou conte, qui grandement le(s) festia en le
- ville de Valenciènes.
-
- Or nous deporterons nous à parler des deux rois,
- tant que les triewes durront, qui furent assés bien 10
- tenues, excepté les marces lontainnes; et enterons
- en le grant matère et hystore de Bretagne, qui grandement
- renlumine ce livre, pour les biaus fais d'armes
- et grandes aventures qui y sont avenues, si com
- vous porés ensiewant oïr. Et pour ce que vous saciés 15
- veritablement le commencement et le racine de ceste
- guerre et dont elle se meut, je le vous declarrai de
- point en point. Si en dirés vostre entente, et quel
- cause et droit messires Charles de Blois eut au grant
- hiretage de Bretagne, et d'autre part li contes de 20
- Montfort qui en fist fait et partie contre lui, dont
- tant de rencontres, de batailles et d'autres grans fais
- d'armes sont avenu en la ditte ducé de Bretagne et
- ens ès marces voisines.
-
-
- § 138. A savoir est que, quant les triewes furent 25
- acordées et seellées devant le cité de Tournay, tout
- li signeur et toutes manières de gens se deslogièrent
- de une part et d'autre. Si s'en rala cescuns en sa
- contrée. Li dus de Bretagne, qui avoit esté à host
- droit là devant Tournay avoec le roy de France plus 30
- grossement et plus estoffeement que nulz des autres
- princes, s'en retourna vers son pays en l'entente
- d'y revenir, mais il ne peut, car une maladie le prist
- sus le chemin, dont il le couvint aliter et morir.
- Dont ce fu damages, car grans guerres et grans
- destructions de villes et de chastiaus en avinrent 5
- entre les gens nobles et non nobles de son pays.
- Et pour cescun mieulz infourmer pour quoi tout
- cil grant mal avinrent, jou en conterai aucune partie
- ensi que je le sçai et que jou en ay enquis ou
- pays meismement, où j'ay esté et conversé, pour 10
- mieulz savoir ent le verité, et à chiaus ossi qui ont
- là esté où je n'ai mies (este[354]) et qui en ont veu et
- sceu ce que je n'ai mies tout pout veoir et concevoir.
-
- [354] Mss. B 4, 3, fo 66, vo.--Ms. B 1, fo 100 (lacune).
-
- Cilz dus de Bretagne, quant il trespassa de ce siècle,
- n'avoit nul enfant ne n'eut onques de la duçoise sa 15
- femme ne n'avoit eu nulle esperance de l'avoir. Si
- avoit un frère, de par se mère qui avoit estet remariée,
- que on appelloit le conte de Montfort, qui vivoit
- adonc, et avoit chilz à femme le sereur le conte Loeis
- de Flandres. Cilz dus de Bretagne avoit eut un aultre 20
- frère germain de père et de mère, qui trespassés estoit;
- s'en estoit demorée une jone fillète, la quèle li
- dis dus ses oncles avoit mariée à monsigneur Charle
- de Blois (mains net fil au conte Guy de Blois[355]) de le
- sereur le roy Phelippe de France qui adonc regnoit; 25
- et li avoit prommis en mariage la ducé de Bretagne
- apriès son dechiès, pour tant qu'il se doubtoit que
- li contes de Montfort n'i vosist clamer droit par
- proismeté apriès son dechiès, comment qu'il ne fust
- mies ses frères germains. Et il sambloit au dit duch 30
- que li fille de sen frère germain devoit estre par raison
- plus proçaine de avoir le ducée apriès son deciès,
- que li contes de Montfort, ses frères, qui n'estoit point
- estrais de l'estok de Bretagne. Et par tant qu'il avoit
- toutdis doubtet que ses frères li coens de Montfort 5
- n'enforçast, apriès son deciès, le droit de sa jone nièce,
- par se poissance, le maria il au dit monsigneur Carle
- de Blois, à celle entente que li rois Phelippes, qui
- estoit ses oncles, li aidast mieus et plus volentiers à
- garder son droit encontre le dit conte de Montfort, 10
- s'il le vosist entreprendre.
-
- [355] Mss. B 4, 3, fo 66, vo.--Ms. B 1, fo 100 vo (lacune).
-
- Si avint tout ce que li dis dus avoit toutdis doubtet.
- Car, sitost que li contes de Montfort peut savoir
- que li dis dus ses frères fu trespassés sus le
- chemin de Bretagne, il se traist tantost à Nantes, 15
- qui est li chiés et li souverainne cités de Bretagne;
- et fist tant as bourgois et à chiaus dou pays entour,
- qu'il fu receus à signeur comme li plus proisme del
- duch son frère qui trespassés estoit; et li fisent tout
- feaulté et hommage comme au duch de Bretagne et 20
- au signeur. Quant il eut pris le feauté des bourgois
- de Nantes et dou pays d'entour Nantes, ils et la
- contesse sa femme, qui bien avoit coer d'omme
- et de lyon, eurent conseil ensamble qu'il tenroient
- une grant court et feste solennèle à Nantes, et manderoient 25
- tous les barons et les nobles del pays de
- Bretagne et les consaulz des bonnes villes et de
- toutes les cités, qu'il volsissent estre et venir à celle
- court, pour faire feaulté à lui comme à leur droit
- signeur. Quant cilz consaulz fu acordés, il envoiièrent
- grans messages par tous les signeurs, les cités et 30
- les bonnes villes del pays.
-
-
- § 139. Chou pendant et le feste attendant, il se
- parti de Nantes à grant fuison de gens d'armes et s'en
- ala vers la bonne cité de Limoges, car il sçavoit et
- estoit infourmés que li grans tresors, que li dus ses
- frères avoit amasset de lonch temps, estoit là enfremés. 5
- Quant il vint là, il entra en le cité à grant beubant
- et fu noblement recheus des bourgois et de
- tout le clergié et le communauté de le cité; (si ly
- firent tous feaulté, comme à leur droit seigneur. Et
- ly fu tous cils grans tresors delivrés, par le grant acord 10
- qu'il acquist as bourgois de le cité[356]), par grans dons
- et prommesses qu'il leur fist. Et quant il eut là tant
- festiiet et sejourné qu'il li pleut, il s'en parti à tout
- le grant tresor et s'en revint droit à Nantes, là où
- madame sa femme estoit, qui eut grant joie del grant 15
- tresor que ses sires avoit trouvet. Si demorèrent à
- Nantes tout quoi, grant feste demenant, jusques au
- jour que la feste devoit estre, et li grans cours tenue;
- et faisoient très grans pourveances pour celle grant
- feste parfurnir. 20
-
- [356] Mss. B 4, 3, fo 67.--Ms. B 1, fo 101 (lacune).
-
- Quant li jours de celle feste fu venus, et nulz
- n'i venoit pour mandement qui fais leur fust, fors
- uns seulz chevaliers que on clamoit monsigneur
- Hervi de Lyon, noble homme et poissant, li dis
- contes de Montfort et la contesse sa femme en furent 25
- durement courouciet et abaubit. Il fisent leur
- feste par trois jours des bourgois de Nantes et des
- bonnes gens de là au tour, au mieus qu'il peurent;
- si eurent grant despit des aultres qui n'avoient dagniet
- venir à leur mandement. Et eurent conseil 30
- entre yaus de retenir saudoiiers à cheval et à piet,
- tous ceulz qui venir vorroient, et de departir ce grant
- tresor que trouvet avoient, pour mieus venir le dit
- conte à son pourpos de la ditte ducé de Bretagne, et
- pour constraindre tous rebelles de venir à merchi. 5
- A ce conseil se tinrent tout cil qui là furent, chevalier,
- clerch et bourgois. Et furent retenu saudoiier
- venans de tous costés, et larghement paiiés, tant qu'il
- en eurent grant plenté, à cheval et à piet, nobles et
- non nobles, de pluiseurs pays. 10
-
-
- § 140. Quant li contes de Montfort perchut qu'il
- avoit gens à plentet, il eut conseil de aler conquerre,
- par force ou par amours, tout le pays, et de destruire
- tous rebelles à son pooir. Puis, issi hors de le cité
- de Nantes à grant host; si se trest par devers un 15
- moult fort chastiel qui siet d'un costet sus mer, que
- on appelle (Brait. Et en estoit gardiiens et chastellains
- uns gentilz chevaliers qu'on appelloit[357]) monsigneur
- Garnier de Cliçon, cousins au duch qui
- mors estoit, et cousins à monsigneur Olivier de 20
- Cliçon, un noble chevalier et un des plus haus barons
- de Bretagne. Ançois que li dis coens de Montfort
- parvenist à Brait, il avoit si constraint tous
- chiaus del commun pays, fors de forterèces, que cescuns
- le sievoit à cheval ou à piet, car nulz ne l'osoit 25
- laissier, si qu'il avoit si grant host que merveilles
- estoit. Quant il fu parvenus devant le chastiel de
- Brait à tout son host, il fist appeller le chevalier deseure
- dit monsigneur Garnier (de Clichon par monsigneur
- Hervy de Lyon qui là estoit venus avoech lui,
- et requist au dit monsigneur Garnier[358]) qu'il vosist
- obeir à lui et rendre le ville et le chastiel comme au
- duch de Bretagne et à signeur. Li chevaliers respondi
- qu'il n'estoit point consilliés de çou faire, ne riens 5
- n'en feroit, ne ne le tenroit à signeur, s'il n'en avoit
- mandement et ensengnes dou signeur à qui il devoit
- estre par droit. Adonc retray li dis coens arrière et
- deffia le chevalier et chiaus dou chastiel et de le
- ville. A l'endemain, quant il eut oy messe, il commanda 10
- que tout fuissent armet et fist le chastiel assallir,
- qui moult fors estoit et bien pourveus et appareilliés
- pour le deffendre. Et li chevaliers messires
- Garniers de Cliçon, qui preus estoit, sages et hardis,
- fist ossi toutes ses gens armer, qui bien estoient trois 15
- cens arme(u)res et combatans, et fist çascun aler à
- se deffense là où il les avoit ordonnés et establis, et
- en prist environ quarante des plus hardis: si s'en
- vint hors dou chastiel jusques as bailles pour deffendre,
- se il peuist, quant il vei les assallans venir tous 20
- batilliés.
-
- [357] Mss. B 4, 3, fo 67, vo.--Ms. B 1, fo 101 vo (lacune).
-
- [358] Mss. B4, 3 fo 67 vo.--Ms. B1 (lacune).
-
- A ce premierain assaut, eut grant hustin et très
- durement trait et lanciet, et fuison de mors et de
- navrés de chiaus de dehors. Et y fist li dis chevaliers
- tant de biaus fais d'armes et souffri tant de cops 25
- durs et perilleus que on le devoit bien tenir pour
- preu. Mès au daarrain il y sourvint si grant fuisson
- des assallans, et se les semonnoit li contes si asprement,
- que cescuns s'esprouvoit, efforçoit et penoit
- de l'assallir et se mettoit en aventure: si ques, au 30
- daarrain, les bailles furent gaegnies, et convint les
- daarrains retraire vers le forterèce à grant meschief,
- car li assallant se ferirent entre yaus et en tuèrent
- aucuns. Et li chevaliers, qui y faisoit merveilles d'armes,
- les rescouoit et les metoit ce qu'il pooit à sauveté 5
- dedens la mestre porte. Quant cil qui estoient
- sus le port(e) veirent le grant meschief, il eurent paour
- de perdre le chastiel; si laissièrent avaler le grant
- restiel et encloirent le chevalier dehors et aucuns de
- leurs compagnons qui se combatoient fortement à 10
- chiaus de dehors. Là fu li bons chevaliers à grant
- meschief et durement navrés en pluiseurs lius, et si
- compagnon, qui hors estoient fourclos, priès que tout
- mort; ne onques ne se volt rendre prisons pour requeste
- que on li fesist. Quant cil del chastiel veirent 15
- le grant meschief là où li chevaliers estoit et comment
- il se deffendoit, il s'efforcièrent de traire et de
- getter grosses pières à fais, tant qu'il fisent les assallans
- traire arrière, et ressachièrent sus un petit les
- restiaus; par quoi li chevaliers entra en le porte durement 20
- bleciés et navrés en pluiseurs heus, et aucuns
- de ses compagnons, qui demoret li estoient, tout navret
- ossi. Et li assallant retraiirent arrière à leurs logeis,
- durement travilliés, et li aucun blechiés et navrés,
- et li coens de Montfort durement courouciés de çou 25
- que li chevaliers li estoit escapés. A l'endemain, il fist
- faire et apparillier instrumens et engiens pour plus
- fortement assallir le chastiel, et bien dist qu'il ne s'en
- partiroit, pour bien ne pour mal, si l'aroit à se volenté.
-
- Au tierc jour apriès, il entendi par une espie 30
- que li bons chevaliers messires Garniers de Cliçon
- estoit trespassés des plaies et des bleceures qu'il
- avoit receutes en lui deffendant, si comme voirs
- estoit, dont ce fu pités et damages. Si commanda
- tantost que cescuns se alast armer pour recommencier
- l'assaut moult vighereusement. Et adonc fist li
- coens traire avant aucuns estrumens qui fais estoient, 5
- et grans mairiens pour getter oultre les fossés pour
- venir as murs dou chastiel. Chil de dedens se deffendirent
- longement, de traire et de getter pières et feu
- et pos plains de cauch, jusques environ le heure de
- miedi. Adonc les fist requerre li contes qu'il se volsissent 10
- rendre et lui tenir à signeur, et il lor pardonroit
- son mautalent. Il eurent conseil entre yaus longement,
- tant que li contes fist cesser l'assaut. Au
- daarrains, quant il se furent longuement consilliet,
- il se rendirent de plain acord au dit conte, salve 15
- leurs corps, leurs membres et leur avoir. Si entra
- adonc li dis contes ens ou chastiel de Brait à peu de
- gens, et rechut le feauté de tous les hommes de le
- chastelerie, et y establi un chevalier pour chastelain en
- qui moult se fioit, puis revint à ses tentes tous joians. 20
-
-
- § 141. Quant li contes de Montfort fu revenus
- entre ses gens, et il eut establi ses gardes ens ou chastiel
- de Brait, il eut conseil qu'il se trairoit par devers
- le cité de Rennes qui estoit assés priès de là. Si fist
- deslogier ses gens et traire le chemin devers Rennes. 25
- Et par tout là où il venoit, il faisoit toutes manières
- de gens rendre et faire feaulté à lui comme à leur
- droit signeur. Et enmenoit tous chiaus qui se pooient
- aidier, avoecques lui, pour efforcier son host; et il ne
- l'osoient refuser ne laiier, pour doubtance de leurs 30
- corps. Et en ala tant ensi qu'il vint devant le cité de
- Rennes; si fist tendre ses tentes et ses gens logier entours
- (le ville et entours[359]) les fourbours. Quant cil
- de le cité de Rennes veirent ceste host logie entours
- leur ville et entours les fourbours, il fisent grant
- samblant d'yaus deffendre. Et avoient avoecques yaus 5
- un gentil homme, chevalier preu et hardi durement,
- qui manoit assés priès de là, et l'amoient entre yaus
- trop durement pour le loyauté de lui. Si l'avoient
- esleu et pris pour leur gouvrenement et chapitainne,
- et avoit nom messires Henris de Pennefort. 10
-
- [359] Mss. B4, 3, fo 68.--Ms. B1, fo 102 (lacune).
-
- Si avint un jour que cilz eut volenté qu'il destourberoit
- les gens de l'host, s'il avoit compagnie.
- Si pourcaça tant qu'il eut compagnie de deus cens
- hommes de bonne volenté, et issi hors de le cité
- paisievlement à l'aube dou jour, et se feri à l'un 15
- des costés de l'host à toute se compagnie. Si abati
- tentes et logeis et en tua aucuns, par quoi li cris
- et li hahais mon(ta) tantost en l'ost, et cria cescuns
- as armes, et se commencièrent à deffendre. Droit
- à ce point se repairoit uns chevaliers, qui avoit fait 20
- le gait celle nuit, par devers l'ost, à toute se compagnie.
- Si oy le cri et le hahay et se trest celle part,
- au ferir des esporons, et encontra le chevalier et toute
- se compagnie qui s'en repairoit vers le cité. Si lor
- coururent sus vighereusement, et eurent bon puigneis 25
- et fort. Apriès yaus venoient courant cil de
- l'host qui estoient armet. Quant cil de le cité veirent
- le fais qui leur croissoit, il se desconfirent et s'en
- fuirent vers le cité ce qu'il peurent, mais il en domora
- grant fuison de mors et de pris. Et si y fu pris li chevaliers 30
- que tant amoient, messires Henris de Pennefort
- (et amenés devant le conte[360]) qui volentiers le vey.
-
- [360] Mss. B 4, 3, fo 68.--Ms. B 1, fo 102 vo (lacune).
-
- Quant tout furent repairiet à leur host, li contes
- eut conseil qu'il envoieroit le chevalier prison par
- devant le cité, et feroit requerre les bourgois qu'il 5
- li volsissent rendre le cité et faire feaulté à lui comme
- à leur signeur, ou il feroit pendre le chevalier devant
- le porte, par tant qu'il avoit entendu que li
- chevaliers estoit très durement amés de toute le communauté
- de Rennes. Ensi fu fait que consilliet fu. 10
- Quant cil de le cité oïrent celle requeste et veirent
- le chevalier qu'il amoient tant à tel meschief, il en
- eurent grant pité. Si se traisent en le cité pour yaus
- consillier sour celle requeste que on leur avoit faite.
- Si se consillièrent moult longuement, car grans dissentions 15
- estoit entre yaus, car li communs avoit
- grant pitié dou chevalier qu'il amoient durement,
- et si avoient petit de pourveances pour le siège longement
- soustenir. Si se acordèrent finablement tuit
- à le pais. Et li grant bourgois, qui estoient bien 20
- pourveu, ne s'i voloient acorder.
-
- Si monteplia li dissentions si durement que li
- grant bourgois, qui estoient tout d'un linage, se traisent
- d'une part et disent tout hault que tout cil qui
- estoient de leur accord se traisissent d'une part et devers 25
- yaus. Il s'en traii tant de chiaus qui estoient de
- leur linage, qu'il furent bien doi mille, tout d'un
- acord. Quant li aultre commun veirent che, il se
- commencièrent à esmouvoir et à criier durement sus
- les grans bourgois, disant sur yaus laides parolles et 30
- villainnes. Et au daarrain il les coururent sus, et en
- tuèrent grant fuison. Quant li bourgois se veirent à
- tel dangier, (il) priièrent merci, et disent qu'il s'acorderoient
- à le volenté dou commun et dou pays.
- Adonc cessa li hustins, et coururent tous li communs
- ouvrir les portes, et rendirent le ditte cité au conte 5
- de Montfort; et li fisent feaulté et hommage, grans
- et petis, et le cogneurent à signeur. Ossi fist li chevaliers,
- messires Henris de Pennefort, et fu retenus
- de son conseil. 10
-
-
- § 142. Adonc entra li contes de Montfort en le
- cité de Rennes à grant feste, et fist son host tout quoi
- logier as camps. Et fist le pais et l'acord entre les
- grans bourgois et les communs; puis establi baillieu,
- prevost, eskievins, sergans et tous aultres officiiers. 15
- Et sejourna en le cité trois jours, pour li reposer et
- son host ossi, et pour avoir avis comment il feroit de
- donc en avant. Au quart jour, il fist son hoost deslogier,
- et eut conseil de traire devers uns des plus fors
- chastiaus et forte ville sans comparison de toute Bretagne, 20
- que on claime Haimbon, et siet droitement sus
- un bon port de mer, et en va li fluns tout au tour
- par grans fossés. Quant messires Henris de Pennefort,
- qui estoit rendus (au conte[361]) et avoit juret son conseil,
- vei que li contes se trairoit par devers Haimbon, 25
- dont Oliviers de Pennefort ses frères avoit estet
- gouvrenères un grant temps et encores estoit, il eut
- paour qu'il ne mescheist à son frère par aucune
- aventure; si traist le conte d'une part à conseil et li
- dist: «Sire, je sui de vostre conseil, si vous doi
- feauté. Je voi que vous volés traire par devers Haimbon.
- Sachiés que li chastiaus et la ville sont si fort
- qu'il ne font mies à gaegnier, ensi que vous poriiés
- penser. Vous y poriés seoir et perdre le temps d'un 5
- an, ançois que vous le peuissiés avoir par force. Mais
- je vous dirai, se croire me volés, comment vous le
- porés avoir. Il fait boin ouvrer par engien, quant on
- ne poet avant aler par force. Vous me deliverés, se
- il vous plaist, jusques à six cens hommes à faire me 10
- volenté, et je les menrai devant vostre host par l'espasse
- de quatre liewes de terre, et porterai le banière
- de Bretagne devant mi. Jou ay dedens Haimbon un
- frère qui est gouvrenères dou chastiel et de le ville.
- Tantost qu'il vera le banière de Bretagne et il me cognistera, 15
- il me fera ouvrir le porte, et je enterai dedens
- à toutes gens, et me saisirai de le ville et des
- portes, et prenderai mon frère, et le vous renderai
- pris et à vostre volenté, se tantost il n'obeist à moy,
- mès que vous me prommetés que dou corps nul mal 20
- ne li ferés.»--«Par mon chief, dist li contes, nennil.
- Et vous estes bien avisés, et vous amerai mieus
- que devant à tous jours mès, se par ensi faites que je
- soie sires de Haimbon, de le ville et dou chastiel.»
-
- [361] Mss. B 3, 4, fo 70.--Ms. B 1, fo 103 vo (lacune).
-
-
- § 143. Adonc se parti messires Henris de Pennefort 25
- de le route dou conte, en se compagnie bien six
- cens armeures de fier, et chevauça le jour tout entier,
- et sus le soir il vint en Haimbon. Quant Oliviers de
- Pennefort ses frères sceut que messires Henris venoit
- là, si en eut grant joie et cuida tout certainnement 30
- que ce fust pour lui aidier à garder le ville; si le
- laissa ens et ses gens d'armes, et vint contre lui sus
- le rue. Si tost que messires Henris le vei, il s'approça
- de lui et le prist et li dist: «Olivier, vous estes mon
- prisonnier.»--«Comment ce, respondi Oliviers!
- Je me sui confiiés en vous et cuidoie que vous venissiés 5
- chi pour moy aidier à garder et à deffendre
- ceste ville et ce chastiel.»--«Biaus frères, dist
- messires Henris, il ne va point ensi. Je m'en mach
- en possession et saisine de par le conte de Montfort,
- qui presentement est dus de Bretagne, et à qui j'ay 10
- fait feauté et hommage, et tous li plus grant partie
- dou pays ossi. Si y obeirés ossi. Et encores vault
- mieulz que ce soit par amours que par force, et vous
- en sara messires grignour gré.» Tant fu Oliviers de
- Pennefort preeciés et amonnestés de monsigneur 15
- Henri son frère, qu'il s'acorda à lui et au conte de
- Montfort ossi, qui entra dedens Haimbon à grant joie;
- et fu plus liés de le prise et saisine de Haimbon que
- de telz quarante castiaus (qui[362]) sont en Bretagne, car
- il y a bonne ville et grosse et bon port de mer. Si se 20
- saisi tantost dou fort chastiel et de le ville, et y mist
- dedens ses gens et ses garnisons.
-
- [362] Ms. B 3, fo 70.--Mss. B 1, 4, fo 104 (lacune.)
-
- Et puis si se traist à toute son host par devant le
- cité de Vennes; et fist tant parler et trettier as bourgois
- et à chiaus de Vennes, qu'il se rendirent à lui 25
- et li fisent feaulté et hommage comme à leur signeur.
- Il establi en le cité toutes manières d'officiiers et y
- sejourna deus jours.
-
- Au tierc jour, il s'en parti et ala assegier un trop
- fort chastiel, seant sus un hault tertre qui s'estent 30
- droit sus le mer, que on claime le Roceperiot. Si en
- estoit chastellains uns vaillans chevaliers et moult
- gentils homs que on clamoit monsigneur Olivier de
- Cliçon, cousins germains au signeur de Cliçon. Et
- sejourna par devant, à siège fait, plus de dix jours que 5
- onques ne peut trouver voie par quoi il peuist le
- chastiel gaagnier, si fors estoit il. Et si ne pooit
- trouver accord au gentil chevalier, par quoi il peuist
- obeir à lui, par promesses ne par manaces qu'il li
- peuist faire. 10
-
- Si s'en parti atant et laissa le siège jusques à tant
- que plus grans pooirs li venroit, et ala assegier un
- aultre chastiel, à dix liewes priès de là, que on clamoit
- chastiel d'Auroy. Et en estoit chastellains uns
- gentilz chevaliers que on clamoit monsigneur Joffroi 15
- de Malatrait, et avoit à compagnon monsigneur Yvon
- de Tigri. Li dis coens fist assallir deus fois à celui
- castiel, mais il vey bien qu'il y poroit plus perdre
- que gaegnier. Si s'acorda à une triewe et à jour de
- parlement, par le pourcach monsigneur Hervi de 20
- Lyon, qui adonc estoit avoech lui. Li parlemens se
- porta si bien que au pardaarrain il furent bon ami.
- Et fisent li doi chevalier feaulté au dit conte, et demorèrent
- gardiien dou dit chastiel et de celui pays,
- de par le dit conte. 25
-
- Atant se parti li contes de là et mena son host par
- devant un aultre fort chastiel, assés priès de là, que
- on claime Goy le Foriest. Chils qui chastelains en
- estoit veoit que li contes avoit grant host et que
- tous li pays se rendoit à lui: si ques, par l'enhort et 30
- le conseil monsigneur Hervi de Lyon, avoech qui il
- avoit estet grans compains en Grenate, en Prusce et
- en aultres estragnes contrées, il s'acorda au dit conte
- et li fist feaulté, et demora gardiiens del dit chastiel
- de par le conte.
-
- Tantost apriès, li contes se parti de là et s'en ala
- par devers Craais, bonne ville et fort chastiel, et 5
- avoit dedens un evesque qui sires en estoit. Chilz
- evesques estoit oncles au dit monsigneur Hervi de
- Lyon: si ques, par le conseil et l'amour del dit
- monsigneur Hervi de Lyon, il s'acorda au dit conte
- et le recogneut à signeur jusques adonc que venroit 10
- avant, qui plus grant droit mousteroit pour avoir la
- ducée de Bretagne.
-
-
- § 144. Pourquoi vous feroi je lonc compte? En
- tel manière conquist li dis contes de Montfort tout
- cel pays que vous avés oy, et fist par tout obeir à lui 15
- et appeller duc de Bretagne. Puis s'en ala à un port
- de mer que on claime Gredo, et departi toutes ses
- gens. Si les envoia par ses cités et forterèces, pour
- elles aidier à garder, puis se mist en mer à tout
- vingt chevaliers et naga tant qu'il vint en Cornuaille 20
- et arriva à un port c'on dist Cepsée. Si enquist dou
- roy englès où il le trouveroit. Il li fu dit que le plus
- dou tamps il se tenoit à Windesore. Dont chevauça
- celle part et toute se route; et fist tant par ses journées
- qu'il vint à Windesore, où il fu receus à grant 25
- joie dou roy, de ma dame le royne et de tous les
- barons qui là estoient. Et fu grandement festiiés et
- honnourés, quant on sceut pour coi il estoit là venus.
- Premierement (il[363]) remoustra ses besongnes au roy
- englès, à monsigneur Robert d'Artois et à tout le conseil
- le roy, et dist comment il s'estoit mis en saisine
- et en possession de la ducée de Bretagne, qui escheue
- li estoit par le succession dou duc son frère daarrainnement
- trespassé de ce siècle. Or faisoit il 5
- doubte que messires Charles de Blois ne li empeeçast,
- et li rois de France ses oncles ne li volsist oster par
- poissance; pour quoi il s'estoit là trais pour relever
- la ditte ducée et tenir en foy et en hommage dou
- roy d'Engleterre à tous jours, mès qu'il l'en fesist 10
- seur contre le roy de France et contre tous aultres
- qui empeecier li vorroient.
-
- [363] Ms. B 4, 3, fo 69 vo.--Ms. B1, fo 104 vo (lacune).
-
- Quant li rois englès eut oy ces parolles, il y entendi
- volentiers, car il regarda et ymagina que se
- guerre au roy de France en seroit grandement embellie, 15
- et qu'il ne pooit avoir plus belle entrée ou
- royaume ne plus pourfitable que par Bretagne, et
- que, de tant qu'il avoit guerriiet par les Alemans et
- les Braibençons, il n'avoit riens fait, fors que frettiiet
- et despendut grandement et grossement. Et 20
- l'avoient mené et demené li signeur de l'Empire,
- qui avoient pris son or et son argent, ensi qu'il
- avoient volu, et riens fait. Si descendi à le requeste
- dou conte de Montfort liement et legierement, et
- prist le hommage de la ditte ducé de Bretagne, par 25
- la main dou conte de Montfort, qui se tenoit et appelloit
- dus de Bretagne. Et là li eut li rois englès en
- couvent, present les barons et les chevaliers qui
- d'Engleterre estoient et qu'il avoit là amenés de Bretagne,
- qu'il l'aideroit et deffenderoit et garderoit 30
- comme son homme contre tous hommes, fust rois de
- France ou aultres, selonch son loyal pooir. De ces parolles
- et de ces hommages furent escriptes et (leues[364])
- lettres et seelées, dont cescune des parties eut les
- copies. Avoec tout ce, li rois et ma dame la royne
- donnèrent au conte de Montfort et à ses gens grans
- dons et biaus jeuiaus, car bien le savoient faire; et 5
- tant qu'il en furent tout content et qu'il disent que
- c'estoit uns nobles rois et vaillans et une noble
- royne, et qu'il estoient bien tailliet de regner encores
- en grant prosperité.
-
- [364] Ms B4, fo 70.--Ms. B1, fo 105: «levées.»
-
- Apriès toutes ces coses faites et acomplies, li contes 10
- de Montfort prist congiet et se parti d'yaus, et
- passa Engleterre. Et rentra en mer à ce meisme port
- où il estoit arivés, et naga tant qu'il arriva à Gredo
- en le Basse Bretagne. Et puis s'en vint en le cité de
- Nantes, où il trouva la contesse sa femme, à qui il 15
- recorda comment il avoit esploitiet. De ce fu elle
- toute joians, et li dist qu'il avoit très bien ouvré et
- par bon conseil. Si me tairai un petit d'yaus et
- parlerai de monsigneur Charlon de Blois, qui devoit
- avoir la ducée de Bretagne de par sa femme, ensi 20
- que vous avés oy determiner par devant.
-
-
- § 145. Quant messires Charles de Blois, qui tenoit
- à avoir à femme le droit hoir de Bretagne, entendi
- que li contes de Montfort conqueroit ensi par force
- le pays et les forterèces, qui estre devoient siennes 25
- par droit, il s'en vint à Paris complaindre au roy
- Phelippe son oncle. Li rois Phelippes ot conseil à
- ses douze pers quel cose il en feroit. Si douze per li
- consillièrent qu'il apertenoit bien que li dis coens
- de Montfort fust mandés et ajournés par souffissans
- messages à estre à un certain jour à Paris, pour oïr
- ce qu'il en vorroit respondre. Ensi fu fait. Li dis
- contes fu mandés et ajournés souffissamment; et fu
- trouvés en le cité de Nantes, grant feste demenant. Il 5
- fist grant chière et grant feste as messages, mais il
- eut pluiseurs diverses pensées ançois qu'il otriast le
- voie de l'aler au mandement dou roy à Paris. Toutes
- voies au darrain, il leur respondi qu'il voloit estre
- obeyssans au roy et qu'il iroit volentiers à son mandement. 10
- Si s'ordonna et apparilla moult richement
- et grandement, et se departi de Nantes en grant arroi
- et bien acompagniés de chevaliers et d'escuiers, et
- fist tant par ses journées qu'il entra en Paris à plus
- de trois cens chevaus, et se trest as hostelz moult ordeneement,15
- et fu là tout le jour et le nuit ossi.
-
- A l'endemain, à heure de tierce, il monta à cheval,
- et chevalier et escuier grant fuison avoecques lui, et
- chevauça vers le palais et fist tant qu'il y vint. Là
- l'attendoit li rois Phelippes, et tout li douze per et 20
- grant plenté des barons de France avoecques monsigneur
- Charlon de Blois. Quant li contes de Montfort
- sceut quel part il trouveroit le roy et les barons,
- il s'est trais viers yaus en une cambre où il estoient
- tout assamblé. Si fu moult durement regardés et salués 25
- de tous les barons, puis s'en vint encliner le
- roy moult humlement et li dist: «Sire, je sui chi
- venus à vostre mandement et à vostre plaisir.» Li
- rois li respondi et li dist: «Contes de Montfort, de
- ce vous sai je bon gré. Mais je m'esmerveille durement 30
- pour quoi ne comment vous avés osé entreprendre,
- de vostre volenté, le duchée de Bretagne où
- vous n'avés nul droit, car il y a plus proisme de
- vous, cui vous volés deshireter. Et pour vous mieus
- efforcier, vous estes alés à mon adversaire le roy
- d'Engleterre, et le avés de lui relevet et à lui fait
- feaulté et hommage, ensi que on le m'a compté.» Li 5
- contes respondi et dist: «Ha! sire, ne le creés pas,
- car vraiement vous estes de chou mal infourmés, je
- le feroie moult à envis. Mais de la proismeté dont
- vous me parlés m'est avis, sire, sauve vostre grasce,
- que vous en mesprendés, car je ne sçai nul si proçain 10
- del duch de Bretagne, mon frère daarrainnement
- mort, que moy. Et se jugiet et declaret estoit
- par droit que aultres y fust plus proismes de moy,
- je ne seroie point honteus ne rebelles del deporter.»
- Quant li roys entendi chou, il respondi et dist: 15
- «Sire coens, vous en dites assés, mès je vous commande,
- sur quanques vous tenés de moy et que
- tenir en devés, que vous ne vous partés de le cité
- de Paris jusques à quinze jours que li baron et li per
- jugeront de celle proismeté. Si sarés adonc quel 20
- droit vous y avés; et se vous le faites autrement, saciés
- que vous me couroucerés.» Li coens respondi
- et dist: «Sire, à vostre volenté.»
-
- Si se parti atant dou roy et vint à son hostel:
- venus, il entra en sa cambre et se commença à aviser 25
- et penser que, s'il attendoit le jugement des barons
- et des pers de France, que li jugemens poroit
- bien tourner contre lui, car bien li sambloit que
- li rois feroit plus volentiers partie pour monsigneur
- Charlon de Blois son neveu que pour lui. 30
- Et veoit bien que, se il avoit jugement contre
- lui, que li rois le feroit arrester jusques à tant
- qu'il aroit tout rendu, cités, villes et chastiaus
- dont il tenoit ores le saisine et le possession, et
- avoech chou tout le grant tresor qu'il avoit trouvet
- et despendut. Se li fu avis pour le mains
- mauvais qu'il li valoit mieulz qu'il courouchast le 5
- roy et s'en ralast paisievlement par devers Bretagne,
- que il demorast en Paris en ce dangier et en si perilleuse
- aventure. Ensi qu'il pensa, ensi fut fait. Si
- monta si paisievlement et si couvertement, et se parti
- à si peu de compagnie qu'il fu ançois en Bretagne 10
- revenus que li rois ne aultres, fors cil de son conseil,
- sceuissent riens de son departement; ains pensoit
- cescuns qu'il fust dehetiés à son hostel. Quant il fu
- revenus dalés le contesse sa femme qui estoit à
- Nantes, il li compta toute sen aventure, puis ala par 15
- le conseil de sa femme, qui avoit bien coer d'omme
- et de lyon, par toutes les cités, les chastiaus et les
- bonnes villes qui estoient à lui rendues, et establi
- par tout bons capitainnes et si grant plenté de saudoiiers
- à piet et à cheval qu'il y couvenoit, et grans 20
- pourveances de vivres à l'avenant. Et paia si bien
- tous saudoiiers à piet et à cheval que cescuns le servoit
- volentiers. Quant il eut (tout) ordonné ensi qu'il
- appertenoit, il s'en revint à Nantes dalés ma dame sa
- femme et dalés les bourgois de le cité, qui durement 25
- l'amoient par samblant, pour les grans courtoisies
- qu'il leur faisoit. Or me tairai un petit de lui et retourneray
- au roy de France et à son neveu monsigneur
- Charlon de Blois.
-
-
- § 146. Cescuns doit sçavoir que li rois de France 30
- fu durement courouciés, ossi fu messires Charles de
- Blois, quant il sceurent que li contes de Montfort
- leur fu ensi escapés et en estoit alés, ensi que vous
- avés oy. Toutes voies, il attendirent jusques à le quinsainne
- que li per et li dit baron de France devoient
- rendre leur jugement de la ducé de Bretagne. Si le 5
- jugièrent del tout à monsigneur Charlon de Blois et
- en ostèrent le conte de Montfort, par deus raisons:
- l'une, par tant que la dame, la femme monsigneur
- Charlon de Blois, qui estoit fille dou frère germain le
- duch qui mors estoit, de par le père dont la ducée 10
- lor venoit, estoit plus proçaine que li contes de
- Montfort, qui estoit d'un aultre père qui onques n'avoit
- estet dus de Bretagne. L'autre raisons si estoit
- que, s'il fust ensi que li contes de Montfort y ewist
- aucun droit, si l'avoit il fourfait par deus raisons: 15
- l'une, par tant qu'il l'avoit relevet d'aultre signeur
- que dou roy de France, de cui on le devoit tenir en
- fief; l'autre raison, pour tant qu'il avoit fourpasset
- le commandement son signeur le roy et brisiet son
- arrest et se prison, et s'en estoit partis sans congiet. 20
-
- Quant cilz jugemens fu rendus par plainne sieute de
- tous les barons, li rois en appella monsigneur Charlon
- de Blois et li dist: «Biaus niés, vous avés jugement
- pour vous de bel hiretage et grant. Or vous
- hastés et vous penés del reconquerre sour celi qui le 25
- tient à tort, et priiés tous vos amis qu'il vous voellent
- aidier à cest besoing, et je ne vous y faurrai mies; ains
- vous presterai or et argent assés. Et dirai à mon fil
- le duch de Normendie qu'il (se[365]) face chief avoecques
- vous. Et vous pri et commande que vous vos hastés. 30
-
- [365] Ms. B3, fo 72, vo.--Mss. B1, 4, fo 105 vo (lacune).
-
- Car, se li rois englès nos adversaires, de cui li contes
- de Montfort a relevet le ducée, venoit en Bretagne, il
- nous poroit trop durement porter grant damage, et
- ne poroit avoir plus belle entrée pour venir par deçà,
- meismement quant il aroit le pays et les forterèces 5
- de Bretagne de son acord.» Adonc messires Charles
- de Blois enclina son oncle, en merciant durement
- de ce qu'il li disoit et prommetoit. Si pria tantost là
- endroit le duch de Normendie son cousin, le conte
- d'Alençon son oncle, le duch de Bourgongne, le 10
- conte de Blois son frère, le duch de Bourbon, messire
- Loeis d'Espagne, monsigneur Jakeme de Bourbon,
- le conte d'Eu connestable de France et le conte
- de Ghines son fil, le visconte de Roem, et en apriès
- tous les contes, les princes et les barons qui là estoient, 15
- qui tout li eurent en couvent que il iroient
- volentiers avoech lui et avoecques leur signeur le
- duch de Normendie, cescuns à tout tant de gens et
- de compagnie qu'il poroit avoir. Puis se departirent
- tout li prince et li baron deçà et delà. Si envoiièrent 20
- leurs messages par tout pour yaus appareillier et pour
- faire pourveances, ensi qu'il leur besongnoit pour
- aler en si lontain voiage et si diverses marces et
- pays. Et bien pensoient qu'il ne poroient avenir à
- lor entente sans avoir grant contraire. 25
-
-
- § 147. Quant tout cil signeur, li dus de Normendie,
- li contes d'Alençon, li dus de Bourgongne, li
- dus de Bourbon et li aultre signeur, baron et chevalier
- qui devoient aler avoech monsigneur Charlon
- de Blois, pour lui aidier à reconquerre la ducée de 30
- Bretagne, ensi que vous avés oy, furent prest et leurs
- gens apparilliet, il se partirent de Paris li aucun, et
- li aultre de leur lieu. Si en alèrent li uns après les
- aultres, et se assamblèrent en le cité de Angiers;
- puis s'en alèrent jusques à Ancheni, qui est li fins del
- royaume à cestui costé delà, et sejournèrent là endroit 5
- trois jours, pour mieus ordonner leur conroy et
- leur charoi. Quant il eurent chou fait, il issirent hors
- pour entrer ens ou pays de Bretagne. Quant il furent
- as camps, il considerèrent leur pooir et estimèrent
- leur host à cinq mille armeures de fer, sans les Geneuois 10
- qui estoient là trois mille, si com jou ay oy
- depuis recorder. Et les conduisoient doi chevalier
- de (Gennes[366]): si avoit nom li uns messires Othes
- Doriie, et li aultres messires Charles Grimaus. Et si
- y avoit grant plenté (de bidaus[367] et) d'arbalestriers 15
- que conduisoit messires li Galois de le Baume.
-
- [366] Mss. B 1, 3, 4, fo 107: «Genueves.»
-
- [367] Mss. B 4, 3, fo 71.--Ms. B 1 (lacune).
-
- Quant toutes ces gens furent issu de Ancheni, il se
- traisent par devant un très fort chastiel seant hault
- sus une montagne par dessus une rivière: si l'appelle
- on Chastouseal, et est li clés et li entrée de Bretagne. 20
- Et estoit bien garnis et bien furnis de gens d'armes où
- que il y avoit deus moult vaillans chevaliers, qui en estoient
- chapitain, dont li uns avoit nom messire Milles
- et li aultres messire Walerans, et estoient de Loeraingne.
- Quant li dus de Normendie et li aultre signeur 25
- que vous avés oy nommer veirent le chastiel si fort,
- il eurent conseil qu'il les assegeroient. Car, s'il passoient
- avant et laissoient une tèle garnison derrière
- yaus, ce leur poroit tourner à grant damage et à anoy.
- Si le assegièrent tout au tour et y fisent pluiseurs
- assaus, meismement li Geneuois qui s'abandonnoient
- durement et follement, pour yaus mieus moustrer à
- cest commencement, si qu'il y perdirent de leurs
- compagnons par pluiseurs fois, car cil dou chastiel 5
- se deffendirent durement et sagement: si ques li signeur
- demorèrent grant pièce devant, ançois qu'il le
- peuissent (avoir[368]). Mais au daarrain il fisent si grant
- attrait de mairiens et de velourdes, et les fisent mener
- par force de gens jusques as fossés dou chastiel, 10
- et puis fisent assallir très fortement: si ques, tout en
- assallant, il fisent emplir ces fossés de ces mairiens
- et velourdes, tant que qui estoit couvers il pooit bien
- aler jusques as murs, combien que cil dou chastiel
- se deffendesissent si bien et si vassaument que on ne 15
- poroit mieus deviser, tant que de traire, de getter
- pières, cauch et feu ardant à grant fuison. Et cil de
- dehors avoient fait chas et instrumens, par quoi on
- pikoit les murs, tous couvers. Que vous feroi je lonch
- compte? Cil del chastiel veirent bien qu'il ne se poroient 20
- longuement tenir, puis que on pertruisoit les
- murs. Et si savoient bien qu'il n'aroient point de secours
- ne point de merci, se il estoient pris par force.
- Si eurent conseil entre yaus qu'il se renderoient,
- sauves leurs vies et leurs membres, si qu'il fisent. Et 25
- les prisent li signeur à merci. Ensi fu gaagniés par
- ces signeurs de France cilz premiers chastiaus que on
- claime Chastouseaulz, dont il orent moult grant joie,
- car il lor sambla que ce fust bons commencemens
- de leur emprise. 30
-
- [368] Mss. B 4, 3, fo 71.--Ms. B 1, fo 107 vo (lacune).
-
-
- § 148. Quant li dus de Normendie et li aultre signeur
- eurent conquis Chastouseaulz, si com vous
- avés oy, li dus de Normendie, qui estoit souverains
- de tous, le livra tantost à monsigneur Charlon de
- Blois comme sien, et il mist dedens bon chastelain 5
- et grant fuison de gens d'armes, pour garder l'entrée
- dou pays, et pour conduire chiaus qui venroient
- apriès yaus. Puis se deslogièrent li signeur et se traisent
- par devers Nantes, là où il tenoient que li contes
- de Montfort leurs ennemis estoit. Si lor avint que li 10
- mareschal de l'host et li coureur trouvèrent entre
- voies une bonne ville et grosse, bien fremée de fossés
- et de palis; si l'assallirent fortement. Ichil dedens
- estoient peu de gens et petitement armé; si ne se
- peurent deffendre contre les assallans, meismement 15
- contre les arbalestriers des Geneuois. Si fu la ville
- tantost gaagnie, toute robée, et bien li moitiés arse,
- et toutes gens mis à l'espée, dont ce fu pités. Et appelle
- on le ville Quarquefoure, et siet à quatre liewes
- ou à cinq priès de Nantes. Li signeur logièrent celle 20
- nuit là entour.
-
- L'endemain, il se deslogièrent et se traisent par
- devers le cité de Nantes; si le assegièrent tout au tour.
- Et fisent tendre tentes et pavillons si bellement et si
- ordonneement que vous savés que François scèvent 25
- bien faire. Et cil qui estoient dedens le cité pour le
- garder, dont il y avoit grant fuison de gens d'armes
- avoecques les bourgois, se alèrent tout armer et se
- maintinrent celui jour moult bellement, cescuns à sa
- deffense, ensi qu'il estoit ordonnés. Celui jour entendirent 30
- cil de l'host à yaus logier et aler fourer. Et aucun
- bidau et Geneuois alèrent priès des bailles pour
- escarmucier et paleter. Et aucun des saudoiers et des
- jones bourgois issirent hors encontre yaus: si qu'il
- y ot trait et lanciet, et des mors et des navrés d'un
- costet et d'autre, si com il a souvent en si faites besongnes.
- Ensi y eut là des escarmuces par deus ou 5
- par trois fois, tant que li hos demora là.
-
- Au pardarrain, il y avint une aventure assés sauvage,
- ensi que jou oy recorder ceulz qui y furent.
- Car aucun des saudoiiers de le cité et des bourgois
- issirent hors une matinée à l'aventure, et trouvèrent 10
- jusques à quinze chars chargiés de vivres et de
- pourveances qui en aloient vers l'ost, et gens qui
- les conduisoient jusques à soissante, et cil de le
- cité estoient bien deus cens. Si les coururent sus et
- les desconfirent, et en tuèrent les aucuns, et fisent les 15
- chars chariier par devers le cité. Li cris et li hus en
- vint jusques en l'ost. Si s'ala cescuns armer au plus
- tost qu'il peut, et courut cescuns apriès les chars
- pour rescourre le proie; et les raconsievirent assés
- priès des bailles de le cité. Là monteplia très durement 20
- li hustins, car cil de l'host y vinrent à si grant
- fuison que li saudoiier en orent trop grant fais. Toutes
- voies, il fisent desteler les chevaus et les cachièrent
- dedens le porte, à fin que, s'il avenoit que cil
- de l'host obtenissent le place, que il ne peuissent 25
- remener les chars ne les pourveances si legierement.
- Quant li aultre saudoiier de le cité veirent le hustin,
- et que leur compagnon avoient trop grant fais, aucun
- issirent hors pour yaus aidier. Ossi fisent des aultres
- bourgois, pour aidier leurs parens. Ensi monteplia 30
- très durement li hustins, et y eut tout plain de mors
- et de navrés d'un costet et d'aultre, et grant fuison
- de bien deffendans et d'assallans. Et dura cils hustins
- moult longement, car toutdis croissoit li force de
- chiaus de l'host. Et sourvenoient toutdis nouvelles
- gens reposés.
-
- Tant avint que, au pardarrain, messires Hervis de 5
- Lyon, qui estoit li uns des mestres consillières le
- conte de Montfort et ossi de toute le cité, et qui
- moult bien s'estoit maintenus et moult vassaument
- à ce hustin, et moult avoit reconforté ses gens, quant
- il vei qu'il estoit poins de retraire et qu'il pooient 10
- plus perdre au demorer que gaegnier, il fist ses gens
- retraire au mieulz qu'il peut, et les deffendoit en retraiant
- et garandissoit au mieulz qu'il pooit. Si leur
- avint qu'il furent si priès sievi au retraire qu'il y eut
- grant fuison de mors, et pris bien deus cens et plus 15
- des bourgois de le cité, dont leur père, leur frère et
- leur ami furent durement dolent et courouciet. Ossi
- fu li contes de Montfort qui en blasma durement
- monsigneur Hervi de Lyon, par courouch de chou
- qu'il les avoit si tost fait retraire. Et li sambloit que 20
- par le retraite ses gens estoient perdu. De quoi messires
- Hervis fu durement merancolieus. Et ne volt
- onques, puissedi, venir au conseil le conte, se petit
- non. Si s'en esmervilloient durement les gens pour
- quoi il le faisoit. 25
-
-
- § 149. Or avint, ensi que jou ay oy recorder, que
- aucun des bourgois de le cité, qui veoient leurs biens
- destruire dedens le cité et dehors, et avoient leurs
- amis et leurs hoirs et enfans en prison et doubtoient
- encores pis à venir, se avisèrent et parlèrent ensamble 30
- tant qu'il eurent entre yaus acord de trettier à
- ces signeurs de France couvertement, par quoi il
- peuissent venir à pais et ravoir leurs enfans et amis
- quittes qui estoient en prison. Si trettièrent tant paisievlement
- et couvertement que acordé fu que il raroient
- les prisons tous quittes; et il devoient livrer 5
- l'une des portes ouvertes pour les signeurs entrer en
- le cité et pour aler prendre le conte de Montfort
- dedens le chastiel, sans riens fourfaire ailleurs en le
- cité, ne à corps, ne à biens. Ensi que acordé (et
- traictié[369] fu) fu fait. Et entrèrent li signeur et ceulz 10
- qu'il veurent avoir avoech yaus, en une matinée, en
- le cité de Nantes, par l'acord des bourgois, et alèrent
- droit au chastiel ou au palais. Si brisièrent les huis
- et prisent le conte de Montfort et l'en menèrent hors
- de le cité, à leurs tentes, si paisievlement qu'il ne 15
- fourfisent riens ne as corps ne as biens de le cité. Et
- vorrent bien aucunes gens dire que ce fu fait assés de
- l'accord et pourcach ou consentement monsigneur
- Hervi de Lyon, pour tant que li coens l'avoit rampronnet,
- si com vous avés oy. Or ne sçai je pas, quoi 20
- qu'il en fust d'aucunes gens soupeçonnés, se ce fu
- voirs ou non, car bien ap(pa)rut en ce que, apriès
- che fait, il fu toutdis de l'accord et conseil del dit
- monsigneur Charle. Ensi que vous avés oy, et que
- jou ay oy recorder, fu pris li contes de Montfort en 25
- le cité de Nantes, l'an de grasce mil trois cens et quarante
- un, entour le feste de le Toussains.
-
- [369] Mss. B 4, 3, fo 72.--Ms. B 1, fo 109 (lacune).
-
- Tantost apriès chou que li contes de Montfort fu
- pris et menés as tentes, li signeur de France entrèrent
- en le cité, tout desarmet, à moult grant feste. 30
- Et fisent li bourgois et tout cil del pays au tour
- feaulté et hommage à monsigneur Charle de Blois,
- comme à leur droit signeur. Si demorèrent li signeur
- en le cité par l'espasse de trois jours, à grant feste,
- pour yaus aaisier et pour avoir conseil entre yaus 5
- qu'il poroient faire de donc en avant. Si se acordèrent
- à çou, pour le milleur, qu'il s'en retourneroient
- par devers France et par devers le roy et li liveroient
- le conte de Montfort pour prison, car il avoient
- moult grandement bien esploitiet, ce lor sambloit, 10
- et par tant ossi qu'il ne pooient bonnement plus
- avant hostoiier ne guerriier, pour l'ivier temps qui
- entrés estoit, fors par garnisons et forterèces, ce leur
- sambloit. Si consillièrent à monsigneur Charle de
- Blois qu'il se tenist en le cité de Nantes et là entour 15
- jusques au nouviel temps d'esté, et fesist ce qu'il
- peuist par ses saudoiiers et par ses forterèces qu'il
- avoit reconquises. Puis se partirent tout li signeur
- sour ce pourpos, et fisent tant par leurs journées
- qu'il revinrent à Paris là où li rois estoit; se li livrèrent 20
- le conte de Montfort pour son prison. Li rois le
- rechut à grant joie, et le fist emprisonner en le tour
- dou Louvre dalés Paris, là où il demora longement.
- Au pardarrain, y morut il, ensi que jou ay oy recorder,
- et qu'il fu verités. 25
-
-
- § 150. Or voel jou retourner à le contesse de
- Montfort, qui bien avoit corage d'omme et coer de
- lyon. Elle estoit en le cité de Rennes, quant elle entendi
- que ses sires estoit pris, en le manière que vous
- avés oy. Se elle en fu dolente et couroucie, ce puet 30
- cescuns et doit penser et savoir, car elle pensa mieus
- que on deuist mettre son signeur à mort qu'en prison.
- Et comment que elle ewist grant doel au coer,
- si ne fist elle mies comme femme desconfortée,
- mès comme (homs[370]) fiers et hardis, en reconfortant
- vaillamment tous ses amis et ses saudoiiers. Et leur 5
- moustroit un petit fil que elle avoit, que on appelloit
- Jehan ensi que le père, et disoit: «Ha! signeur,
- ne vous desconfortés mies ne esbahissiés pour monsigneur
- que nous avons perdu: ce n'estoit que uns
- seulz homs. Veés ci mon petit enfant qui sera, s'il 10
- plaist à Dieu, ses restoriers, et qui vous fera des
- biens assés. Et vous pourcacerai tèle chapitainne et
- tel mainbour par cui vous serés tous reconfortés.»
-
- [370] Mss. B 4, 3, fo 72 vo.--Ms. B 1, fo 109 vo (lacune).
-
- Quant la dessus ditte dame et contesse eut ensi
- reconforté ses amis et ses saudoiiers qui estoient à 15
- Rennes, elle ala par toutes ses bonnes villes et ses
- forterèces, et menoit son jone fil avoecques lui; et les
- sermonnoit et reconfortoit en tèle manière que elle
- avoit fait chiaus de Rennes, et renforçoit les garnisons
- de gens et de quanques fallir leur pooit. Et 20
- paia largement par tout, et donna assés d'abondance
- là où elle pensoit que bien emploiiet estoit. Puis
- s'en vint en Hembon sus la mer, qui est forte ville
- et grosse et fors chastiaus. Là se tint elle et son fil
- avoecques lui, tout cel ivier. Souvent envoioit viseter 25
- ses garnisons et reconfortoit ses gens, et paioit moult
- largement leurs gages. Si me tairai atant de ceste
- matère et retournerai au roy Edouwart d'Engleterre,
- et conterai quelz coses li avinrent apriès le departement
- dou siège de Tournay. 30
-
-
- § 151. Vous avés bien chi dessus oy recorder
- comment, le siège durant devant Tournay, li signeur
- d'Escoce avoient repris pluiseurs villes et forterèces
- sus les Englès qu'il tenoient ou royaume d'Escoce,
- et par especial Haindebourch, qui plus les avoit 5
- heriiés et cuvriiés que nulz des aultres, par l'avis et
- le soutilleté de monsigneur Guillaume de Douglas.
- Et encores estoient Struvelin, qui sciet à vint liewes
- d'Aindebourch, la cités de Bervich et Rosebourc,
- englès; et plus n'en y avoit demoret que tout ne 10
- fuissent reconquis. Et seoient li dit Escot à siège fait,
- et aucun signeur de France avoech yaus, que li rois
- Phelippes y avoit envoiiet pour parfaire leur guerre,
- devant le chastiel de Struvelin. Et l'avoient telement
- astraint et constraint et travilliet que li Englès, qui 15
- dedens (estoient[371]) et qui le gardoient, ne le pooient
- longuement tenir.
-
- [371] Mss. B 4, 3, fo 73.--Ms. B 1, fo 110 (lacune).
-
- Dont il avint que, quant li Englès se furent parti
- de Tournay et retourné en leur pays, li rois Edowars
- leur sires fu enfourmés des Escos comment il avoient 20
- chevauciet et reconquis les villes et les chastiaus
- d'Escoce, qui de jadis li avoient tant cousté au prendre,
- et seoient encores li dit Escot devant Struvelin. Si
- eut li rois englès conseil et (volenté[372] de) chevaucier vers
- Escoce, si com il fist, et se mist au chemin entre le 25
- Saint Mikiel et le Toussains; et fist un très grant mandement
- et très fort que toutes gens d'armes et arciers
- le sievissent et venissent à lui vers Evruich, car là
- s'en aloit il et y faisoit sen assemblée. Dont s'esmurent
- toutes manières de gens parmi Engleterre, et s'en vinrent
- celle part là où il estoient semons et mandé. Et
- meismement li rois tout devant s'en vint à Evruich et
- là s'arresta, en sourattendant ses gens qui venoient à
- grant effort li uns apriès l'autre. Li signeur d'Escoce, 5
- qui furent enfourmé de le venue dou roy englès qui
- venoit sus yaus, et qui le dit chastiel de Struvelin
- avoient assegiet, se hastèrent telement et si constraindirent
- chiaus de le ditte garnison, par assaus
- d'engiens et de kanons, que par force il les couvint 10
- rendre as Escos. Et leur delivrèrent le forterèce par
- tel manière qu'il s'en partoient, salve leurs corps et
- leurs membres, mais riens dou leur n'en portoient.
- Ensi recouvrèrent li dit Escot le chastiel de Struvelin.
- 15
- [372] Mss. B4, 3, fo 73.--Ms. B1 (lacune).
-
- Ces nouvelles vinrent au roy englès qui encores
- se tenoit en Evruich: se ne li furent mies trop plaisans.
- Et se parti de le ditte cité et se trest par devers
- Duremme et passa oultre, et puis vint au Noef
- Chastiel sur Thin. Et se logièrent ses gens en le ditte 20
- ville ou ens ès villages d'environ. Et là sejournèrent
- plus d'un mois, en attendant leurs pourveances
- que on avoit mis sus mer et qui leur devoient venir,
- mais petit leur en vinrent. Car leurs vassiaus eurent
- si grant fortune sus mer, entre le Toussains et le 25
- Saint Andrieu, que pluiseurs de leurs nefs furent peries;
- et s'en alèrent arriver par vent contraire, volsissent
- ou non, en Hollandes et en Frise. Dont li Englès,
- qui se tenoient au Noef Chastiel et là entour,
- eurent moult de disètes et de chier temps. Et ne 30
- pooient aler avant, car se il fuissent passet, il ne
- sceuissent où fourer ne recouvrer de vivres, car li
- yviers estoit entrés, et si avoient li Escoçois tous
- leurs biens, bleds et avainnes, mis et bouté en leurs
- forterèces. Et si avoit li rois englès grant gent avoecques
- lui, bien six mille hommes à chevaus et quarante
- mille hommes de piet; si leur falloit fuison 5
- de pourveances.
-
- Li signeur d'Escoce, qui s'estoient retrait devers
- le forest de Gedours apriès le prise de Struvelin,
- entendirent bien que li rois d'Engleterre sejournoit
- au Noef Chastiel sur Thin à grant gent, encoragiés 10
- durement d'ardoir et exillier leur pays,
- ensi qu'il avoit fait aultre fois. Si eurent conseil
- entre yaus et avis, par grant deliberation, quel cose
- il poroient faire et comment il s'en maintenroient,
- car il estoient peu de gens, et avoient longement 15
- guerriiet par l'espasse de sept ans et plus sans signeur,
- et jut as camps et ès foriès à grant mesaise.
- Et encores n'avoient il point (le[373]) roy leur
- signeur; si en estoient tout anoieus et naisis. Si
- se acordèrent à ce que il envoieroient devers le 20
- roy englès un evesque et un abbé, pour requerre
- aucune triewe. Li quel message se partirent des
- Escos, et chevaucièrent tant qu'il vinrent en le ville
- dou Noef Chastiel sur Thin, et trouvèrent là le roy
- englès et grant fuison de baronnie dalés lui. Cil 25
- doi prelat d'Escoce, qui là avoient esté envoiiet sus
- saufconduit, se traisent devers le roy englès et son
- conseil et remoustrèrent leur besongne si bellement
- et si sagement que une triewe fu acordée à durer
- quatre mois tant seulement, par tèle condition que 30
- cil d'Escoce devoient envoiier en France après le roy
- David messages souffissans; et li segnefieroient que,
- s'il ne venoit dedens le jour de may ensiewant si
- poissamment que pour resister as Englès et deffendre
- son pays, il se renderoient au roy englès, ne jamais 5
- ne le tenroient à signeur. Ensi furent les triewes
- acordées et affremées, et retournèrent li message deviers
- leurs gens en Escoce, et recordèrent comment
- il avoient exploitié. Che pleut moult bien as Escos; et
- ordonnèrent tantost gens pour envoiier en France, 10
- monsigneur Robert de Versi et monsigneur Symon
- Fresiel et deus aultres chevaliers, qui s'en devoient
- aler en France par devers le roy leur signeur et
- conter ces nouvelles. Et li dis rois englès, qui au
- Noef Chastiel sejournoit à grant mesaise et ossi toutes 15
- ses gens par deffaute de pourveances et de vivres,
- et pour ce s'estoit il plus priès pris d'acorder à le
- triewe, se parti de là et s'en revint arrière en Engleterre
- et donna toutes ses gens congiet; si s'en rala
- cescuns en son lieu. 20
-
- [373] Mss. B4, 3, fo 73 vo.--Ms. B1, fo 110 vo: «dou.»
-
- Or avint ensi que, quant ces triewes furent acordées
- et li message d'Escoce qui furent envoiiet en
- France apriès le roy David, il passèrent à Douvres
- le mer. Et li rois David, qui par le terme de sept
- ans et plus avoit demoret en France et savoit que 25
- ses pays estoit si foulés et si gastés que vous avés
- oy et savoit ses gens en grant meschief pour les
- Englès, eut conseil qu'il prenderoit congiet au roy
- Phelippe de France et s'en revenroit en son royaume,
- pour ses gens viseter et reconforter. Si le fist et se 30
- mist à voie entre lui et ma dame sa femme, anchois
- que li message d'Escoce, qui à lui avoient estet envoiiet,
- parvenissent à lui. Et s'estoit mis en mer à
- un aultre port, en le gouvrenance d'un maronnier
- que on clamoit monsigneur Richart le Flamench, si
- qu'il ariva au port de Morois en Escoce, ançois que
- cil signeur d'Escoce qui remandé l'avoient le sceuissent. 5
- Et quant il le sceurent, il en eurent grant joie.
- Si s'esmurent tuit et vinrent à grant solennité et à
- grant feste là où il estoit. Et le amenèrent très noblement
- et solennelment à un(e) cité que on claime
- Saint Jehan (en[374]) Escoce, où on prent le bon saumon 10
- et grant fuison.
-
- [374] Mss. B4, 3, fo 73 vo.--Ms. B1, fo 111 (lacune).
-
- § 152. Quant li jones rois David d'Escoce et ma
- dame la royne Ysabiel sa femme furent venu en
- le cité dessus ditte, on le sceut tantost parmi le pays.
- Si vinrent là gens de toutes pars pour lui veoir et 15
- festiier, car on ne l'avoit veu, grant temps avoit;
- cescuns doit savoir que on li fist grant feste. Quant
- toutes ces festes et ces bien venues furent passées,
- cescuns li ala remoustrer et complaindre ses damages
- et ses mescheances, au mieulz qu'il peut, et toute 20
- le destruction que li rois Edowars et li Englès avoient
- fais en son pays. Li jones rois David eut grant doel
- et grant pitié quant il vei ensi son pays destruit et
- ses gens ossi complaindre, ossi ma dame la royne sa
- femme qui en plora assés. Quant li rois eut oy toutes 25
- les complaintes des uns et des aultres, il les reconforta
- au mieuls qu'il peut, et dist qu'il s'en vengeroit, ou il
- perderoit le remanant, ou il morroit en le painne.
- Puis eut conseil tel qu'il envoia grans messages par
- tout ses amis lonc et priès, en priant et requerant
- humlement que cescuns fust appareilliés pour lui aidier
- à cest besoing. A celui mandement vint li contes
- d'Orkenay, uns grans princes et poissans, et avoit à
- femme (la seur[375]) le signeur le roy. Chilz y vint à grant 5
- poissance de gens d'armes, et pluiseur aultre grant
- baron et chevalier de Souède, de Norvèghe et de
- Danemarce, li un par amour et li autre par saudées.
- Tant en y vint d'un costé et d'aultre qu'il furent bien,
- quant tout furent venu entour le cité de Saint Jehan 10
- en Escoce, au jour que li dis rois les avoit mandés,
- soixante mille hommes à piet et sour hagenées, et
- bien trois mille armeures de fier, chevaliers et escuiers,
- parmi les signeurs et chiaus dou pays d'Escoce.
- 15
- [375] Mss. B4, 3, fo 74.--Ms. B 1, fo 111 vo (lacune).
-
- Quant tout furent assamblet et appareilliet, il s'esmurent
- pour aler exillier chou qu'il poroient dou
- royaume, car la triewe estoit (espirée[376]) et li quatre
- mois acompli et plus où il disoient ensi qu'il se combateroient
- au roy, qui tant d'anois leur avoit fais et 20
- de damages. Si se partirent de le ville de Saint Jehan
- en Scoce moult ordeneement et vinrent ce premier
- jour jesir à Donfremelin, et puis passèrent à l'endemain
- un brac de mer entre Donfremelin et Struvelin.
- Quant il furent tout oultre, il cheminèrent à 25
- grant esploit et passèrent desous Haindebourch, et
- puis toute l'Escoce, et par dalés le fort chastiel de Rosebourch
- qui se tenoit englès, mais point n'i assallirent,
- car il ne voloient mies faire blecier leurs gens et
- aleuer leur artillerie, car il ne savoient quel besoing
- il en aroient, pour tant qu'il esperoient à faire un
- grant fait ains leur retour. Apriès passèrent il assés
- priès de le cité de Bervich dont messires Edouwars
- de Bailluel estoit chapitainne et souverains, et puis 5
- cheminèrent oultre sans point assallir, et entrèrent
- ou royaume de Northombrelant et vinrent sus le rivière
- de Thin, ardant et destruisant tout le pays; et
- fisent tant par leurs journées qu'il vinrent par devant
- le Noef Chastiel qui siet sus le rivière de Thin. Là se 10
- loga li rois David et toutes ses hos celle nuit, pour savoir
- et veoir se il y poroit de riens esploitier. Quant
- ce vint à le matinée ensi que droit au point dou jour,
- aucun compagnon gentil homme de là environ, qui
- estoient dedens le ville, se partirent par une porte 15
- paisievlement pour esmouvoir l'ost. Et estoient bien
- deus cens et plus, hardis et entreprendans. Puis se
- ferirent à l'un des costés de l'host droitement as logeis
- le conte de Moret, qui s'armoit d'argent à trois
- orilliers de geules. Si le trouvèrent en son lit; si le 20
- prisent, et tuèrent grant (plenté[377]) de ses gens, ançois
- que li host fust esvilliés ne estourmis, et gaegnièrent
- grant plenté d'avoir. Puis s'en retournèrent en le
- ville baudement et à grant joie, et livrèrent le conte
- de Mouret au chastelain monsigneur Jehan de Noefville 25
- qui en fist grant feste. Quant cil de l'host furent
- estourmi et armé et il sceurent l'aventure, il coururent
- comme tout foursené jusques as bailles de le
- ville, et fisent un grant assaut qui dura moult longement;
- mais petit lor valu, ains perdirent assés de 30
- leurs gens. Car en le ville avoit grant fuison de
- bonnes gens d'armes qui bien et sagement le deffendirent;
- par quoi il couvint les assallans retraire à
- leur grant perte.
-
- [376] Mss. B4, 3, fo 74.--Ms. B 1, fo 111 vo: «inspirée.»
-
- [377] Mss. B4, 3, fo 74.--Ms. B 1, fo 112 (lacune).
-
-
- § 153. Quant li rois David et si consilleur veirent 5
- bien que li demorers là endroit ne leur pooit porter
- pourfit ne honneur, il se partirent de là et entrèrent
- ens ou pays de l'evesquiet de Durem. Si l'ardirent et
- gastèrent tout, puis se traisent par devant le cité de
- Duremmes. Et le assegièrent et y fisent pluiseurs grans 10
- assaus comme gens foursenés, pour tant qu'il avoient
- perdu le conte de Mouret. Et il savoient bien qu'il
- avoit en le cité très grant avoir assamblet, car tous
- li pays d'entours y estoit afuiois; si se penoient d'assallir
- cescun jour plus aigrement. Et faisoit li dis 15
- rois d'Escoce faire estrumens et engiens, pour venir
- à segur jusques as murs. Quant il se furent departi
- de devant le Noef Chastiel, messires Jehans de Nuefville,
- chastelains pour le temps et souverains dou Noef
- Chastiel, se parti de nuit, montés sus fleur de coursier, 20
- et eslonga les Escos, car il savoit toutes les
- adrèces et les refuites dou pays, pour tant que il en
- estoit; et fist tant que, dedens cinq jours, il vint à
- Chartesée où li rois englès estoit adonc. Et li conta
- et remoustra comment li rois d'Escoce, à grant poissance, 25
- estoit entrés en son pays et ardoit et exilloit
- tout devant lui, et l'avoit laissiet devant le cité de
- Durem.
-
- De ces nouvelles fu li rois englès moult irés et
- courouciés. Si mist tantost messagiers en oevre et 30
- les envoia par tout et manda à toutes manières de
- gens, chevaliers et escuiers, et autres gens dont on
- se pooit aidier, deseure l'eage de quinze ans et desous
- soixante ans, que nulz ne s'escusast, mès venissent,
- ses lettres veues et ses mandemens oys, tantost
- devers lui sus les marces dou north, pour aidier à 5
- deffendre son royaume que li Escot destruisoient.
- Adonc s'avancièrent conte, baron, chevalier et escuier
- et communautés des bonnes villes, et se hastèrent
- durement pour obeir au mandement dou roy
- leur signeur, et se misent tout à voie et de grant volenté 10
- par devers Evruich. Et meismement li rois se
- parti tout premierement et n'attendi nullui, tant
- avoit grant haste; mais tout dis li croissoient et venoient
- gens de tous costés.
-
- Endementrues que cilz rois se traioit par devers le 15
- cité d'Evruich, et que cescuns le sievoit qui mieus
- pooit, li roys d'Escoce fist si fortement assallir à le
- cité de Duremme par estrumens et engiens qu'il avoit
- fais, que cil de le cité ne le peurent garandir ne deffendre
- que elle ne fust prise par force et toute robée 20
- et arse, et toutes gens mis à mort sans merci. Femmes
- et hommes, prestres, monnes, chanonnes et petis
- enfans, qui estoient fuis à le grande eglise, furent tout
- ars et peri dedens l'eglise, car li feus y fu boutés, de
- quoi ce fu horrible pités. Car en le cité de Durem ne 25
- demora adonc homs ne femme, ne petis enfans, ne
- maison ne eglise, que tout ne fuissent mis à destruction.
- Dont ce fu grans pités et cruèle foursenerie et
- est, quant on destruit ensi sainte chrestieneté et les
- eglises où Diex est servis et honnerés. 30
-
-
- § 154. Quant chou fu avenu, li rois David eut
- conseil qu'il se retrairoit arrière selonch le rivière
- de Thin, et se trairoit par devers le ville de Cardueil,
- qui est à l'entrée de Galles. Ensi qu'il aloit celle part,
- il se loga une nuit et toute sen host assés priès dou
- fort chastiel de Salebrin, qui estoit au conte de Salebrin, 5
- qui fu pris avoec le conte de Sufforch en le
- marce de Pikardie par devant Lille en Flandres et estoit
- encores en prison par dedens Chastelet à Paris.
- En ce fort chastiel sejournoit adonc la noble dame la
- contesse de Sallebrin, qui on tenoit pour la plus belle 10
- dame et le plus noble d'Engleterre. Et estoit cilz fors
- chastiaus bien garnis de gens d'armes. Si en estoit
- gardiiens et souverains uns gentilz bachelers preus et
- hardis, filz de le sereur le conte de Sallebrin. Et avoit
- cilz nom messires Guillaumes de Montagut apriès son 15
- oncle qui ensi eut nom, car li rois le maria et li donna
- le conté de Sallebrin pour se proèce et pour le bon
- service qu'il avoit toutdis en lui trouvet. Quant celle
- nuit fu passée, li hos le roy d'Escoce se desloga pour
- traire avant par devers Carduel, ensi que proposé 20
- estoit. Et passèrent li Escot par routes assés priès de
- ce fort chastiel, durement chargiet d'avoir qu'il avoient
- gaegniet à Duremmes et ou pays environ Durem.
-
- Quant li bacelers messires Guillaumes de Montagut
- vey del chastiel qu'il estoient tout passet, et qu'il ne 25
- arresteroient point pour assallir au chastiel, il issi hors,
- tous armés, à tout quarante compagnons d'armes, et
- sievi apertement après le daarrain trahin qui avoient
- chevaus si chargiés d'avoir que à grant mesaise pooient
- il aler avant. Si les raconsievirent à l'entrée d'un bois 30
- et leur coururent seure. Et en tuèrent et en blechièrent
- il et si compagnon plus de deus cens; et prisent
- bien sis vingt chevaus chargiés de jeuiaulz et d'avoir,
- et les amenèrent par devers le chastiel. Li cris et li
- hus et li fuiant s'en vinrent jusques à monsigneur
- Guillaume de Douglas qui faisoit l'arrieregarde et
- avoit jà passet le bois; et apriès en vinrent les nouvelles 5
- en l'ost. Qui donc (veist[378]) les Eskos retourner à
- cours de chevaus parmi les camps, par montagnes et
- par vallées, et monsigneur Guillaume Douglas tout devant,
- il en peuist avoir grant hide. Tant coururent
- qui mieus mieus, qu'il vinrent au piet dou chastiel 10
- et montèrent le montagne en grant haste. Mès ançois
- qu'il parvenissent as bailles, chil de dedens les avoient
- refremées, et le proie et l'avoir mis laiens à sauveté:
- de quoi li Escot eurent grant doel. Si commencièrent
- à assallir moult fortement, et cil de dedens à deffendre 15
- de lanchier et d'estechier, de traire et de jetter tant
- que on pooit, d'une part et d'aultre. Là s'efforçoient
- durement li doy Guillaume de grever li uns l'autre.
-
- [378] Mss. B4, 3, fo 75.--Ms. B 1, fo 113 (lacune).
-
- Et tant dura cilz assaulz que tous li hos des Escos y
- fu venus et li rois meismes. Quant li rois et ses consaulz 20
- eurent veu les gens mors gisans sus les camps,
- et veirent les assallans blecier et navrer à cel assaut
- sans riens conquester, il en furent durement courouciet.
- Si commanda li rois que on laissast l'assallir et
- que cescuns se alast logier, car il ne trairoit plus avant, 25
- et ne se partiroit de là si aroit veu comment il poroit
- ses gens vengier. Qui adonc veist gens fremir et appeller
- li uns l'autre et querre pièce de terre pour
- mieulz logier les assallans, retraire les navrés, raporter
- ou rapoiier, les mors ratrainer et rassambler, veoir y 30
- peuist grant triboulement. Celle nuit fu li hos des dis
- Escos logie par desous le chastel. Et la frice dame,
- contesse de Sallebrin, festia très durement et conforta
- tous les compagnons de laiens, tant que elle pot aler,
- à lie cière. 5
-
-
- § 155. A l'endemain, li rois d'Escoce, qui durement
- courouciés estoit, commanda que cescuns se
- apparillast pour assallir, car il feroit ses engiens
- et estrumens traire à mont, pour savoir se il poroient
- de riens entamer le fort chastiel. Cescuns 10
- s'apparilla; et montèrent contremont pour assallir,
- et cil de dedens pour yaus deffendre. Là eut un fort
- assaut et perilleus, et moult de bien faisans d'un lés
- et d'aultre. Là estoit la contesse de Sallebrin qui
- très durement les reconfortoit; et par le regard de 15
- une tèle dame et son douch amonnestement, uns
- homs doit bien valoir deus au besoing. Cilz assaus
- dura moult longement. Et y perdirent li Escot grant
- fuison de leurs gens, car ilz s'abandonnoient durement
- et portoient arbres et mairiens à grant fuison 20
- pour emplir les fossés et pour amener les estrumens
- jusques as murs, se il peuissent. Mais cil del chastiel
- se deffendoient si vassaument que li assallant y perdirent
- grant fuison de leurs gens; si les couvint retraire
- arrière. Li rois commanda que li estrument 25
- fuissent bien gardé pour renforcier l'assaut à l'endemain.
- Ensi se departi li assaus, et s'en rala cescuns
- en se loge, horsmis chiaus qui devoient ces estrumens
- garder. Li un plorèrent les mors, et li aultre
- confortèrent les navrés. 30
-
- Chil del chastiel qui durement estoient travilliet,
- et si y avoit grant fuison de bleciés, veirent bien que
- li fais leur estoit grans; et se li rois David maintenoit
- son pourpos, il aroient fort temps. Si eurent
- entre yaus conseil qu'il envoieroient certain message
- par devers le roy Edouwart qui estoit à Evruich 5
- là venus, ce savoient il de verité par les prisonniers
- d'Escoce qu'il avoient pris. Si regardèrent entre
- yaus qui feroit ceste besongne, mais il ne (peurent[379])
- trouver qui volsist laissier le chastiel à deffendre, ne
- la belle dame ossi pour porter cel message. Si en 10
- ot entre yaus grant estrit. Quant li gentilz bacelers
- messires Guillaumes de Montagut vei le bonne volenté
- de ses compagnons et vei d'autre part le meschief
- qui leur poroit avenir, se il n'estoient secouru,
- si lor dist: «Signeur, je voy bien vostre loyauté et 15
- vostre bonne volenté: si ques, pour l'amour de ma
- dame et de vous, je metterai mon corps en aventure
- pour faire cesti message, car jou ay tel fiance en
- vous, selonch chou que j'ai veu, que vous detenrés
- bien le chastiel jusques à me revenue. Et ay d'autre 20
- part si grant esperance el noble roy nostre signeur,
- que je vous amenrai temprement si grant secours
- que vous en arés joie, et vous seront bien meri li
- bien fait que fait arés.» De ceste parolle furent ma
- dame li contesse et li compagnon tout joiant. 25
-
- [379] Mss. B4, 3, fo 75 vo.--Ms. B1: «poroit.» Mauvaise leçon.
-
- Quant la nuis fu venue, li dis messires Guillaumes
- se apparilla dou mieulz qu'il peut, pour plus paisivlement
- issir de laiens qu'il ne fust perceus de chiaus
- de l'host. Se li avint si bien qu'il pleut toute la nuit
- si fort que nulz des Escos n'osoit issir de se loge. 30
- Si passa à mienuit tout parmi l'ost, que onques ne fu
- perceus. Quant il fu passés, il fu grans jours; si
- chevauça avant tant qu'il encontra deus hommes
- d'Escoce, à demi liewe priès de l'host, qui amenoient
- deus bues et une vache par devers l'ost. Messires 5
- Guillaumes cogneut qu'il estoient Escot; si les navra
- tous deus durement et tua leurs bestes, par quoi li
- Escot ne cil de l'host n'en euissent aise, puis dist as
- deus navrés: «Alés, dittes à vostre roy que Guillaumes
- de Montagut vous a mis en tel point en son 10
- despit. Et li dittes que je vois querre le gentil roy
- Edowart qui li fera temprement vuidier ceste place
- maugré lui.» Cil li prommisent qu'il feroient volentiers
- ce message, mais qu'il les laissast atant à
- pais. Lors se parti li dis messires Guillaumes d'yaus, 15
- et s'en ala tant qu'il peut par devers le roy son signeur
- qui estoit à Evruich à tout grant fuison de gens
- d'armes, et en attendoit encores plus. Si fist li dis
- messires Guillaumes son salu au roy de par ma dame
- sen ante, contesse de Salebrin, et li conta le meschief 20
- où elle et ses gens estoient. Li rois respondi
- apertement et liement qu'il ne laisseroit nullement
- qu'il ne secourust la dame et ses gens; et se plus
- tost euist sceu là où li Escot estoient, et le meschief
- del chastiel et de la dame, plus tost fust alés celle 25
- part. Si commanda tantost li dis rois que cescuns
- fust appareilliés à mouvoir l'endemain, et que on
- fesist toutdis les venans traire avant apriès son host
- qu'il avoit grant.
-
-
- § 156. Li rois englès se parti à l'endemain de le 30
- cité de Evruich moult liement, pour les nouvelles
- que messires Guillaumes li avoit aportées. Et avoit
- avoech lui sis mille armeures de fier, dis mille arciers
- et bien quatre vingt mille hommes de piet, qui tout
- le sievoient, et toutdis li venoient gens. Quant li
- baron d'Escoce et li mestre del conseil le roy sceurent 5
- que li dis messires Guillaumes de Montagut
- avoit ensi passet parmi leur host, et qu'il s'en aloit
- querre secours au roy englès, et savoient bien que li
- rois Edouwars estoit à Evruich à grant gent, et le tenoient
- de si grant corage et si gentil, que il ne lairoit 10
- nullement que il ne venist tantost sus yaus pour secourre
- la dame et chiaus del chastiel, il parlèrent
- ensamble, endementrues que li rois faisoit souvent et
- ardamment assallir. Et veirent bien que li rois faisoit
- ses gens navrer et martiriier sans raison. Et veoient 15
- bien que li rois englès venroit bien ançois combatre
- à yaus que leurs rois peuist avoir conquis che chastiel,
- ensi qu'il cuidoit. Si parlèrent tout ensamble au
- roy David d'un accord, et li disent que li demorers
- là n'estoit point ses pourfis ne sen honneur, car il 20
- leur estoit moult honnourablement avenu de leur
- emprise. Et avoient fait grant despit as Englès, quant
- il avoient jeut en leur pays par douze jours, et ars et
- exilliet tout au tour. Après il avoient pris par force
- le cité de Duremmes et mis toute à grant destruction: 25
- si ques, tout consideret, c'estoit bon qu'il se
- partesist et se retraisist vers son royaume; et y menassent
- à sauveté ce que conquis avoient, et que
- une aultre fois il retourroit en Engleterre quant il li
- plairoit. Li rois, qui ne volt mies issir dou conseil de 30
- ses hommes, s'i acorda, quoi que il le fesist moult à
- envis, car volentiers ewist attendu à bataille le roy
- d'Engleterre, se on ne li ewist desconsillié. Toutes
- fois il se desloga au matin et toute se host ossi. Et
- s'en alèrent li dit Escot droit par devers le grant
- forest de Gedours, où li sauvage Escot se tiennent
- tout bellement et à leur aise, car il voloient savoir 5
- que li rois englès feroit en avant, ou se il retrairoit
- arrière ou se il iroit avant et trairoit en leur pays.
-
-
- § 157. Ce jour meismes que li rois David et li
- Escot se departirent au matin de devant le chastiel
- de Salebrin, vint li rois Edouwars à toute son host, 10
- à heure de miedi, en le place là où li rois des Escos
- avoit logiet. Si fu moult courouciés quant il ne le
- trouva, car volentiers se fust combatus à lui. Il
- estoit venus en si grant haste que ses gens et ses
- chevaus estoient durement travilliet. Si commanda 15
- que cescuns se logast là endroit, car il voloit aler
- veoir le chastiel et la gentilz dame qui laiens estoit,
- car il ne l'avoit veu puis les noces dont elle fu mariée.
- Ensi fu fait que commandé fu. Cescuns s'ala
- logier, ensi qu'il peut, et reposer qui volt. Sitos que 20
- li rois Edowars fu desarmés, il prist jusques à dix
- ou douze chevaliers, et s'en ala vers le chastiel pour
- saluer la contesse de Salebrin, et pour veoir le manière
- des assaus que li Escot avoient fais, et des deffenses
- que cil dou chastiel avoient faites à l'encontre. 25
-
- Sitos que la dame de Salebrin sceut le roy venant,
- elle fist ouvrir toutes les portes, et vint hors si richement
- vestie et atournée que cescuns s'en esmervilloit.
- Et ne se pooit on cesser de li regarder et de remirer
- le grant noblèce de le dame, avoech le grant biauté 30
- et le gracieus maintien que elle avoit. Quant elle fu
- venue jusques au roy, elle s'enclina jusques à terre
- encontre lui, en regratiant de le grace et del secours
- que fait li avoit, et l'en mena ens ou chastiel pour
- lui festiier et honnourer, comme celle qui très bien
- le savoit faire. Cescuns le regardoit à merveilles, et 5
- li rois meismes ne se pooit tenir de lui regarder. Et
- bien lui estoit avis que onques n'avoit veu si noble,
- si friche, ne nulle si belle de li. Se li feri tantost une
- estincelle de fine amour ens el coer qui li dura par
- lonch temps, car bien li sambloit que ou monde n'i 10
- avoit dame qui tant fesist à amer comme celle. Si
- entrèrent ens ou chastiel main à main. Et le mena
- la dame premiers en le sale, et puis en sa cambre, qui
- estoit si noblement parée qu'il affreoit à tel dame.
- Et toutdis regardoit li rois le gentilz dame si ardamment 15
- que elle en devenoit toute honteuse et abaubie.
- Quant il l'ot grant pièce assés regardé(e), il ala à une
- fenestre pour apoiier, et commença fortement à penser.
- La dame, qui à ce point ne pensoit, ala les aultres
- signeurs et chevaliers festiier et saluer moult grandement 20
- et à point, ensi que elle savoit bien faire,
- cescun selonch son estat. Et puis commanda à appareillier
- le disner, et quant temps seroit, à mettre les
- tables et le sale parer.
-
-
- § 158. Quant la dame eut tout deviset et commandet 25
- à ses gens chou que bon li sambloit, elle
- s'en revint à chière lie par devers le roy, qui encores
- pensoit et musoit fortement, et li dist: «Chiers sires,
- pour quoi pensés vous si fort? Tant pensers n'affiert
- pas à vous, ce m'est avis, sauve vostre grace. Ains 30
- deuissiés faire feste et joie à bonne cière, quant vous
- avés encaciet vos ennemis qui ne vous ont osé attendre;
- et deuissiés les aultres laissier penser del remanant.»
- Li rois respondi et dist: «Ha! ma chière
- dame, sachiés que puis que jou entrai ceens, m'est
- une songne sourvenue, de quoi je ne me prendoie 5
- garde: se m'i couvient penser. Et se ne sçai que
- avenir en pora, mais je n'en puis mon coer oster.»--«Ha!
- chiers sires, dist la dame, vous deuissiés
- tous jours faire bonne cière, pour vos gens mieulz
- conforter, et laissier (le)[380] penser et le muser. Diex vous 10
- a si bien aidiet jusques à ores en toutes vos besongnes
- et donnet si grant grasce, que vous estes li plus
- doubtés et honnourés princes des Chrestiens. Et se
- li rois d'Escoce vous a fait despit et damage, vous
- le porés bien amender, quant vous vorrés, ensi que 15
- aultre fois avés fait. Si laissiés le muser et venés en
- le sale, se il vous plaist, dalés vos chevaliers: tantost
- sera appareilliet pour disner.»--«Ha! ma
- chière dame, dist li rois, aultre cose me touche et
- gist en mon coer que vous ne pensés. Car certainnement 20
- li doulz maintiens, li parfais sens, la grant
- noblèce et la fine biauté que jou ay veu et trouvet
- en vous m'ont si souspris et entrepris qu'il covient
- que je soie vos amans. Si vous pri que ce soit vos
- grés, et que je soie de vous amés, car nulz escondis 25
- ne m'en poroit oster.» La gentilz dame fu adonc
- durement esbahie et dist: «Très chiers sires, ne me
- voelliés mokier, ne assaiier, ne tempter. Je ne poroie
- cuidier ne penser que ce fust acertes que vous dittes,
- ne que si nobles ne si gentils princes que vous estes 30
- deuist querre tour ne penser pour deshonnerer moy
- et mon marit, qui est si vaillans chevaliers, et qui
- tant vous a servi que vous savés, et encores gist pour
- vous emprisonnés. Certes, vous seriés del cas petit
- prisiés et amendés. Certes, onques tel pensée ne me 5
- vint en coer ne jà ne venra, se Dieu plaist, pour
- homme qui soit nés; (et se je le faisoie, vous m'en
- devriez[381]), non pas blasmer seulement, mais mon corps
- justicier et desmembrer.»
-
- [380] Mss. B 4, 3, fo 76 vo.--Ms. B1, fo 115 vo: «et.»
-
- [381] Mss. B 4, 3, fo 76 vo.--Ms. B1, fo 116 (lacune).
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- § 159. Atant se parti la vaillans dame, et laissa le 10
- roy durement esbahi; et s'en revint en le sale pour
- faire haster le disner. Et puis s'en retourna au roy
- et en mena de ses chevaliers, et li dist: «Sire,
- venés en la sale. Li chevalier vous attendent pour
- laver, car il ont trop junet, ossi avés vous.» Li 15
- rois se parti de la cambre et s'en ala en la sale, à ce
- mot, et lava, et puis s'assist entre ses chevaliers au
- disner, et la dame ossi. Mais li roys y disna petit,
- car aultre cose li touçoit que boire et mengier; et
- ne fist onques à ce disner fors que penser. Et à le 20
- fois, quant il osoit la dame et son maintien regarder,
- il gettoit ses yex celle part. De quoi toutes ses
- gens avoient grant merveille, car il n'en estoient
- point acoustumés, ne onques en tel point ne l'avoient
- veu. Ains cuidoient li aucun que ce fust pour les Escos 25
- qui li estoient escapés. Mais aultre cose li touchoit,
- et li estoit si fermement entrée ou coer, que
- onques n'en peut issir en grant temps, pour escondire
- (que la dame[382]) en seuist ne peuist faire. Mais
- il en fu toutdis depuis plus liés, plus gais et plus
- jolis; et en fist pluiseurs belles festes et joustes, et
- grans assamblées de signeurs, de dames et de damoiselles,
- tout pour l'amour de la ditte contesse de
- Salbrin, si com vous orés chi après. 5
-
- [382] Mss. B 4, 3, fo 77.--Ms. B1, fo 116 (lacune).
-
-
- § 160. Toutes voies, li rois englès demora tout celi
- jour ens ou chastiel, en grans pensées et à grant mesaise
- de coer, car il ne savoit que faire. Aucune fois
- il se ravisoit, car honneurs et loyautés le reprendoit
- de mettre son coer en tèle fausseté, pour deshonnerer 10
- si vaillant dame, et si loyal chevalier comme ses
- maris estoit, qui si loyaument l'avoit toutdis servi.
- D'autre part, amours le constraindoit si fort que elle
- vaincoit et sourmontoit honneur et loyauté. Ensi se
- debatoit li rois en lui, tout le jour et toute le nuit. 15
- Au matin, il se leva et fist toute son host deslogier
- et traire apriès les Eskos, et pour yaus sievir et cachier
- hors de son royaume; puis prist congiet à la
- dame, en disant: «Ma chière dame, à Dieu vous
- commant jusques au revenir. Si vous pri que vous 20
- vos voelliés aviser, et aultrement estre consillie que
- vous ne m'aiiés dit.»--«Chiers sires, respondi la
- dame, li Pères glorieus vous voelle conduire et oster
- de villainne pensée et de deshonnourable, car je sui
- et serai toutdis consillie et apparillie de vous servir 25
- à vostre honneur et à le miène.»
-
- Atant se parti li rois trestous confus et abaubis. Si
- s'en ala à tout son host apriès les Escos, et les sievi
- jusques oultre le bonne cité de Bervich, et se loga
- à quatre liewes priès de le forest de Gedours, là où 30
- li rois David et toutes ses gens estoient entrés, pour
- les grans forterèces qu'il y a. Là endroit demora li
- dis rois englès par l'espasse de trois jours, pour
- savoir se li Escot vorroient hors issir pour combatre
- à lui. Et saciés que tous les trois jours y avoit tant
- d'escarmuces et de paletis entre les deus hos, que 5
- cescuns estoit anoieus del regarder; et y avoit souvent
- des mors et des pris, d'une part et d'aultre. Et
- sur tous les aultres y estoit souvent veus en bon
- couvenant messires Guillaumes Douglas, qui s'arme
- d'azur à comble (d'argent[383]), et dedens le comble 10
- trois estoilles de geules. Et estoit cilz qui y faisoit
- plus de biaus fais, de belles rescousses et de hautes
- emprises; et fist en l'ost des Englès moult de destourbiers.
-
- [383] Mss. B 4, 3, fo 77.--Ms. B1 (lacune).
-
-
- § 161. Tous ces trois jours, parlementèrent aucun 15
- preudomme de triewes et d'acort entre ces deus
- rois. Et tant trettièrent que une triewe fu acordée à
- durer deus ans, voires se li rois Phelippes de France
- s'i assentoit, car li rois d'Escoce estoit si fort alloiiés
- à lui qu'il ne pooit donner triewes ne faire pais sans 20
- lui. Et se li rois Phelippes ne s'i voloit acorder, si
- devoient les triewes durer entre Engleterre et Escoce
- jusques au premier jour d'aoust. Et devoit estre
- quittes li contes de Mouret de se prison, se li rois
- d'Escoce pooit tant pourcacier au roy de France que 25
- li contes de Salebrin fust quittes ossi de se prison.
- La quèle cose devoit estre pourcacie au roy de
- France dedens le Saint Jehan Baptiste. Li rois d'Engleterre
- se acorda plus legierement à celle triewe,
- pour tant que cilz fait grant sens, qui a trois guerres
- ou quatre, s'il en poet atriewer ou apaisier les deus
- ou les trois qu'il le face. Et cilz rois avoit bien à
- penser sur telz coses, car il avoit guerre en France,
- en Gascongne, en Poito, en Saintonge et en Bretagne, 5
- et par tout ses gens et ses saudoiiers.
-
- Celle triewe as Escos fu ensi affremée et acordée
- que vous avés oy. Si departi li rois d'Escoce ses gens,
- et s'en rala cescuns en se contrée; puis envoia grans
- messages au roy Phelippe de France, pour acorder 10
- chou que trettiet estoit, se il li plaisoit. Il pleut assés
- bien au roy de France pour mieus complaire au roy
- d'Escoce; (et) ne desdist de riens au trettiet, mais
- renvoia le conte de Salbrin en Engleterre. Dont, si
- tost qu'il y fu revenus, li rois englès renvoia arrière 15
- le conte de Mouret d'Escoce, ossi devers le roy David
- qui en eut grant joie. Ensi fu fais cilz escanges de
- ces deus signeurs, si com vous avés oy. Et se departirent
- ces deus grosses chevaucies, sans plus riens
- faire, et se retrest cescuns en son lieu. Or retournerons 20
- nous à parler des aventures et des guerres de
- Bretagne.
-
-
- § 162. Vous devés savoir que, quant li dus de
- Normendie, li dus de Bourgongne, li contes d'Alençon,
- li dus de Bourbon, li contes de Blois, li connestables 25
- de France, li contes de Ghines ses filz, messires
- Jakemes de Bourbon, messires Loeis d'Espagne
- et li conte et li baron de France se furent parti de
- Bretagne, qu'il eurent conquis le fort chastiel de
- Chastouseaus, et puis apriès le cité de Nantes, et pris 30
- le conte de Montfort, et livret au roy Phelippe, et il
- l'eut fait mettre en prison ou Louvre dalés Paris,
- si com vous avés oy; et comment messires Charles
- de Blois estoit demorés tous quois en le cité de
- Nantes et ou pays d'entour qui obeissoit à lui, pour
- attendre le saison d'esté en la quèle il fait milleur 5
- hostoiier qu'il ne fait en le saison d'ivier, et celle
- douce saison fu revenue, tout cil signeur de France
- dessus nommet et grant fuison d'aultres gens avoech
- yaus s'en ralèrent devers Bretagne à grant poissance,
- pour aidier monsigneur Charle à reconquerre le remanant 10
- de le ducé de Bretagne, dont il avinrent des
- grans et mervilleus fais d'armes, ensi com vous porés
- oïr. Quant il furent venu à Nantes, là où il trouvèrent
- monsigneur Charle de Blois, il eurent conseil
- qu'il assegeroient le cité de Rennes. Si issirent de 15
- Nantes et alèrent assegier Rennes tout au tour. La
- contesse de Monfort en devant l'avoit si bien garni(e)
- et pourveue de gens d'armes et de tout ce qu'il affreoit,
- que riens n'i falloit. Et y avoit establi un
- vaillant chevalier et hardi pour chapitainne, que on 20
- clamoit monsigneur Guillaume de Quadudal, gentil
- homme durement dou pays de Bretagne.
-
- Aussi avoit la ditte contesse mis grans garnisons
- par toutes les aultres cités, chastiaus et bonnes villes
- qui à lui obeissoient; et par tout bonnes chapitainnes, 25
- des gentilz hommes dou pays qui à lui obeissoient
- et se tenoient, les quels elle avoit acquis par
- biau parler, par prommettre et par donner, car elle
- n'i voloit point espargnier: des quelz li evesques de
- Lyon, messires Amauris de Cliçon, messires Yewains 30
- de Tigri, li sires de Landreniaus, li chastelains de
- Ghingant, messires Henris et messires Oliviers de
- Pennefort, messires Joffrois de Malatrait, messires
- Guillaumes de Quadudal, li doi frère de Quirich y
- estoient, et pluiseur aultre noble chevalier et escuier
- que je ne sai mies nommer. Ossi en y avoit de l'accord
- monsigneur Charle de Blois grant fuison, qui à 5
- lui se tenoient, avoecques monsigneur Hervi de Lyon,
- qui fu de premiers de l'accord le conte de Montfort
- et mestres de son conseil, jusques à tant que la cités
- de Nantes fu rendue, et li contes de Montfort fu rendus
- pris, ensi que vous avés oy. De quoi li dis messires 10
- (Hervis[384]) fu durement blasmés, car on voloit dire
- que il l'avoit pourcaciet et les bourgois enhortés.
- Chou apparoit en ce que, puis ce fait, ce fu cilz qui
- plus se penoit de grever la contesse de Montfort et
- ses aidans. 15
-
- [384] Ms. A7, fo 84.--Mss. B 1, 3, 4, fo 117, vo; «Henris.»
- Mauvaise leçon.
-
-
- § 163. Messires Charles de Blois et li signeur dessus
- nommet sisent assés longement devant le cité de
- Rennes, et y fisent grans damages et pluiseurs grans
- assaus et fors par les Espagnolz et par les Geneuois;
- et cil de dedens se deffendirent ossi fortement et vassaument, 20
- par le conseil le signeur de Quadudal, et
- si sagement que cil de dehors y perdirent plus souvent
- qu'il n'i gaegnièrent.
-
- En celui temps, si tost que la dessus ditte contesse
- sceut que cil signeur de France estoient venu en Bretagne, 25
- à si grant poissance, elle envoia monsigneur
- Amauri de Cliçon en Engleterre parler au roy Edowart,
- et pour priier et requerre secours et ayde, par tèle
- condition que li jones enfes, filz au conte de Montfort
- et de la ditte contesse, prenderoit à femme l'une
- des jones filles au roy d'Engleterre, et s'appelleroit
- duçoise de Bretagne. Li rois Edowars estoit adonc à
- Londres, et festioit tant qu'il pooit le conte de Salbrin, 5
- qui tantost estoit revenus de se prison. Si fist
- moult grant feste et honneur à monsigneur Amauri
- de Cliçon, quant il fu à lui venus, car il estoit moult
- gentilz homs; et li ottria toute sa requeste assés briefment,
- car il y veoit son avantage en deus manières. 10
- Car il li fu avis que c'estoit grant cose et noble de
- la ducé de Bretagne, se il le pooit conquerre; et si
- estoit la plus belle entrée qu'il pooit avoir pour conquerre
- le royaume de France, à quoi il tendoit. Si
- commanda à monsigneur Gautier de Mauni qu'il 15
- amoit moult, car moult l'avoit bien servi et loyaument
- en pluiseurs besongnes perilleuses, qu'il presist
- tant de gens d'armes que li dis messires Amauris li
- deviseroit et qu'il li souffiroit, et se apparillast au
- plus tost qu'il poroit pour aler aidier la contesse de 20
- Montfort, et presist avoecques lui jusques à deus
- mille ou trois mille arciers des milleurs d'Engleterre.
-
- Li dis messires Gautiers fist moult volentiers le
- commandement son signeur; si se apparilla au plus
- tost qu'il peut, et se mist en mer avoecques le dit 25
- monsigneur Amauri, à tèle compagnie de gens d'armes
- et d'arciers qu'il souffi au dit monsigneur Amauri.
- Avoec lui en alèrent li doy frère de Neynendale, messires
- Loeis et messires Jehans, li Haze de Braibant,
- messires Hubiers de Frenay, messires Alains de Sirehonde, 30
- et pluiseur aultre que je ne puis ne sai tous
- nommer, et avoech yaus sis mille arciers. Mais uns
- grans tourmens les prist sour mer et vens contraires,
- par quoi il les couvint demorer sour le mer par le
- terme de soissante jours, ançois qu'il peuissent parvenir
- à Hembon, là où li contesse de Montfort les
- attendoit de jour en jour, à grant mesaise de coer, 5
- pour le grant meschief que elle sentoit que ses gens
- soustenoient, qui estoient dedens le cité de Rennes.
-
-
- § 164. Or est à savoir que messires Charles de
- Blois et cil signeur de France sisent longuement devant
- le cité de Rennes, et tant qu'il y fisent très grant 10
- damage, par quoi li bourgois en furent durement
- anoiiés; et volentiers se fuissent souvent acordé à
- rendre le cité, se il osassent, mais messires Guillaumes
- de Quadudal ne s'i voloit acorder nullement.
- Quant li bourgois et li commun de le cité eurent assés 15
- souffert, et qu'il ne veoient nul secours de nulle part
- venir, il se vorrent rendre; mais li dis messires Guillaumes
- ne s'i volt accorder. Au daarrain, il prisent le
- dit monsigneur Guillaume et le misent en prison; et
- eurent en couvent à monsigneur Charlon de Blois 20
- qu'il se renderoient à l'endemain par tèle condition
- que tout cil de le partie le contesse de Monfort s'en
- pooient aler sauvement, quel part qu'il voloient. Li
- dis messires Charles de Blois leur acorda. Ensi fu li
- cités de Rennes rendue à monsigneur Charle de Blois, 25
- l'an de grasce mil trois cens quarante et deus, à l'entrée
- de may. Et messires Guillaumes de Quadudal
- ne volt point demorer de l'acord monsigneur Charle
- de Blois, ains s'en ala tantost par devers Hembon, là
- où la contesse de Monfort estoit, qui fu moult dolente 30
- quant elle seut que la cité de Rennes estoit rendue;
- et si n'ooit nulles nouvelles de monsigneur Amauri de
- Cliçon ne de se compagnie.
-
-
- § 165. Quant la cité de Rennes se fu rendue, ensi
- que vous avés oy, et li bourgois eurent fait feauté
- à monsigneur Charles de Blois, messires Charle eut 5
- conseil quèle part il se poroit traire à toute son host,
- pour mieulz avant esploitier de reconquerre le remanant.
- Li consaulz se tourna à çou que il se traisist
- par devers Hembon, là où la contesse de Montfort
- estoit; car, puis que li sires estoit en prison, s'il pooit 10
- prendre le ville, le chastiel et le contesse, il aroit tost
- sa guerre afinée. Ensi fu fait. Si se traisent tuit vers
- Hembon et assegièrent le ville et le chastiel tout au
- tour, tant qu'il peurent, par terre. La contesse estoit
- si bien pourveue de bons chevaliers et d'autres souffissans 15
- gens d'armes qu'il couvenait pour deffendre le
- ville et le chastiel, et tout dis estoit en grant soupeçon
- del secours d'Engleterre que elle attendoit, et se n'en
- ooit nulles nouvelles. Ains avoit doubtance que grans
- meschiés ne leur fust avenus, ou par fortune de le mer, 20
- ou par rencontre d'ennemis. Avoecques li estoit en
- Hembon li evesques de Lyon en Bretagne, dont messires
- Hervis de Lyon estoit (neveus[385]), qui estoit de le
- partie monsigneur Charles. Et si y estoient messires
- Yves de Tigri, li sires de Landreniaus, li chastelains 25
- de Ginghant, li doi frère de Quirich, messires Henris
- et messires Oliviers de Pennefort et pluiseur aultre.
- Quant la contesse et cil chevalier entendirent que cil
- signeur de France venoient pour yaus assegier, et qu'il
- estoient assés priès de là, il fisent commander que on
- sonnast le ban cloche, et que çascuns s'alast armer et
- alast à sa deffense, ensi qu'il estoit ordonnés. Ensi
- fu fait sans contredit.
-
- [385] Mss. B1, 3, 4: «oncles.» Mauvaise leçon.
-
- Quant messires Charles de Blois et li signeur françois 5
- furent approciet de le ville de Hembon et il
- le veirent forte, il fisent leurs gens logier, ensi que
- pour faire siège. Aucun jone compagnon geneuois,
- espagnol et françois alèrent jusques as bailles pour
- paleter et escarmucier; et aucun de chiaus de dedens 10
- issirent encontre yaus, ensi que on fait souvent
- en telz besongnes. Là eut pluiseurs hustins.
- Et perdirent plus li Geneuois qu'il n'i gaegnassent,
- ensi qu'il avient souvent par trop folement abandonner.
- Quant li vespres approça, cescuns se retraii 15
- à se loge. L'endemain, li signeur eurent conseil
- qu'il feroient à l'endemain assallir les bailles
- fortement, pour veoir le contenance de chiaus
- de dedens, et pour veoir se il y poroient riens
- conquester, ensi qu'il fisent. Car au tierc jour il 20
- assallirent au matin, entours heure de prime, as
- bailles très fortement. Et chil de dedens issirent hors
- li aucun des plus souffissans, et se deffendirent si vassaument
- qu'il fisent l'assaut durer jusques à heure de
- nonne que li assallant se retraisent un petit arrière. 25
- Et y laissièrent fuison de mors, et en remenèrent
- plenté de bleciés. Quant li signeur veirent leurs gens
- retraire, il en furent durement courouciés. Si fisent
- recommencier l'assaut plus fort que devant. Et cil de
- Hembon s'efforcièrent ossi d'yaus très bien deffendre. 30
- Et la contesse, qui estoit armée de corps et estoit
- montée sus un bon coursier, chevauçoit de rue en
- rue par le ville, et semonnoit ses gens de bien deffendre.
- Et faisoit les femmes de le ville, dames et
- aultres, deffaire les caucies et porter les pières as
- crestiaus pour getter as ennemis. Et faisoit aporter
- bombardes et pos plains de cauch vive, pour getter 5
- sus les assallans.
-
-
- § 166. Encores fist ceste ditte contesse de Montfort
- une très hardie emprise qui ne fait mies (à[386]) oubliier,
- et c'on doit bien recorder à hardit et outrageus fait
- d'armes. La contesse montoit en une tour, pour 10
- mieulz veoir comment ses gens se maintenoient. Si
- regarda et vei que tout cil de l'host, signeur et aultre,
- avoient laissiet leurs logeis, et estoient priès que tout
- alé veoir l'assaut. Elle s'avisa d'un grant fait et remonta
- sus son coursier, ensi armée comme elle estoit. 15
- Et fist monter environ trois cens hommes à cheval
- avoecques lui, qui gardoient une aultre porte là où on
- n'assalloit point. Si issi de celle porte o toute se compagnie,
- et se feri très vassaument en ces tentes et en ces
- logeis des signeurs de France, qui tantos furent toutes 20
- arses, tentes et toutes loges, qui n'estoient gardées fors
- de garçons et de varlès qui s'en fuirent, si tos comme
- il y veirent le feu bouter et la contesse et ses gens entrer.
- Quant li signeur de France veirent leurs logeis
- ardoir et oïrent le hu et le cri qui en venoit, il furent 25
- tout esbahi et coururent tout vers lor logeis,
- criant: «Trahi! Trahi!», et ne demora adonc nulz
- à l'assaut.
-
- [386] Mss. B 4, 3, fo 79.--Ms. B 1, fo 119 (lacune).
-
- Quant la contesse vei l'ost estourmir et de toutes
- pars acourir, elle rassambla ses gens et vei bien que
- elle ne poroit rentrer en le ville sans trop grant perte;
- si s'en ala le droit chemin par devers le chastiel de
- Brait qui siet à trois liewes priès de là. Quant messires
- Loeis d'Espagne, qui estoit mareschaus de toute 5
- l'ost, fu venus as logeis qui ardoient, et vei la contesse
- et ses gens qui s'en aloient tant qu'il pooient, il se
- mist à aler après pour raconsievir se il peuist, et grant
- fuison de gens d'armes avoecques lui. Si les encauça
- et caça tant qu'il en tua et mehagna aucuns qui estoient 10
- mal montet, et qui ne pooient sievir les bien
- montés. Toutes fois, la ditte contesse chevauça tant
- et si bien que elle et li plus grant partie de ses gens
- vinrent assés à point au bon chastiel de Brait, là où
- elle fu receute et festiie à grant joie de chiaus de le 15
- ville et dou chastiel. Quant messires Loeis d'Espagne
- sceut, par les prisons que pris avoit, que c'estoit la
- contesse qui tel fait avoit fait et qui escapée li estoit,
- il s'en retourna en l'ost et conta sen aventure as signeurs
- et as aultres qui grant merveille en eurent. 20
- Ossi eurent cil qui estoient dedens Haimbon, et ne
- pooient apenser ne trop imaginer comment leur dame
- avoit che aviset ne oset entreprendre. Mais il furent
- toute le nuit en grant quisençon de çou que la
- dame ne nulz de ses compagnons ne revenoit; si n'en 25
- savoient que penser ne que aviser, et ce n'estoit point
- trop grant merveille.
-
-
- § 167. A l'endemain, li signeur de France, qui
- avoient perdu leurs tentes et leurs pourveances,
- orent conseil qu'il se logeroient d'arbres et de foellies 30
- plus priès de le ville, et qu'il se maintenroient plus
- sagement. Si se alèrent logier à grant painne plus
- priès de le ville, et disoient souvent ensi à chiaus de
- le ville: «Alés, signeur, alés requerre vostre contesse.
- Certes elle est perdue, vous ne le trouverés en
- pièce.» Quant cil de le ville, gens d'armes et aultres, 5
- oïrent telz parolles, il furent esbahi et eurent grant
- paour que grans meschiés ne fust avenus à leur dame.
- Si n'en savoient que croire, par tant que elle point
- ne revenoit, ne n'en ooient nulles nouvelles. Si demorèrent
- en tel paour par l'espasse de cinq jours. 10
- Et la contesse, qui bien pensoit que ses gens estoient
- à grant mesaise pour lui et en grant doubtance, se
- pourcaça tant que elle eut bien cinq cens compagnons
- (armés[387]) et bien montés. Puis se parti de Brait
- entour le mienuit et se vint, droit au point que li solaus 15
- se liève, à chevauçant à l'un des costés de l'host, et
- fist ouvrir le porte et entra ens à grant joie et à grant
- son de trompes et de nakaires: de quoi li hos des
- François fu durement estourmie. Si se fissent tout
- armer et coururent par devers le ville pour assallir, 20
- et cil de dedens as fenestres pour le deffendre. Là
- commença grans assaus et fors, qui dura jusques à
- haute nonne. Et plus y perdirent li assallant que li
- deffendant.
-
- [387] Mss. B4, 3, fo 79 vo.--Ms. B1, fo 119 vo (lacune).
-
- Environ heure de nonne, fisent li signeur cesser 25
- d'assallir, car leurs gens se faisoient tuer et navrer
- sans raison, et retraisent à leurs logeis. Si eurent
- conseil et acord que messires Charles de Blois iroit
- assegier (le) chastiel d'Auroy que li rois Artus fist
- faire et fremer. Et iroient avoecques lui li dus de 30
- Bourbon, li contes de Blois ses frères, et li mareschaus
- de France messires Robers Bertrans, et messires
- Hervis de Lyon et partie des Geneuois. Et messires
- Loeis d'Espagne, li viscontes de Rohen et tous
- li remanans des Geneuois et Espagnolz demorroient 5
- devant Hembon. Et mandèrent douze grans engiens
- qu'il avoient laissiés à Rennes, pour getter à le ville
- et au chastiel de Hembon, car il veoient bien qu'il
- ne le pooient gaegnier ne riens pourfiter à l'assallir;
- si qu'il fisent deus hos: s'en demora li uns devant 10
- Hembon, et li aultres en ala assegier chastiel d'Auroy
- qui estoit assés priès de là; des quels nous parlerons
- et nous soufferons un petit des aultres.
-
-
- § 168. Messires Charles de Blois se trest par devant
- le chastiel d'Auroy, qui estoit assés priès de là, à tout 15
- se compagnie, et se loga et toute son host environ.
- Et y fist assallir et escarmucier, car chil del chastiel
- estoient bien pourveu et bien garni de bonnes gens
- d'armes, pour tel siège soustenir. Si ne se vorrent rendre,
- ne laissier le service de la contesse, qui grans 20
- biens leur avoit fais, pour obeir au dit monsigneur
- Charle, pour ses prommesses. Dedens le forterèce avoit
- deus cens compagnons aidables, uns et aultres, des
- quelz estoient mestres et chapitainnes doi chevalier
- dou pays, vaillant homme et hardi durement, messires 25
- Henris de Pennefort et Oliviers de Pennefort
- ses frères. A quatre liewes priès de ce chastiel siet la
- bonne cité de Vennes, qui fermement se tenoit à le
- contesse. Et en estoit messires Joffrois de Malatrait
- chapitainne, gentilz homs et vaillans durement. D'autre 30
- part sciet la bonne ville de Dignant en Bretagne,
- qui adonc n'estoit fremée, fors de fossés et de palis.
- Si en estoit chapitains de par le contesse uns durement
- vaillans homs que on clamoit le chastellain de
- Gingant, mais il estoit adonc assis dedens Hembon
- avoech la contesse. Mais il avoit laissiet à Dignant 5
- son hostel, ma dame sa femme et ses filles, et avoit
- laissiet à chapitainne, en lieu de li, monsigneur Renault
- son fil, vaillant baceler et hardi durement.
-
- Entre ces deus bonnes villes siet uns très fors chastiaus
- qui se tenoit adonc à monsigneur Charle de 10
- Blois, et l'avoit fait garnir de gens d'armes et de saudoiiers,
- qui tout estoient Bourgignon. Si en estoit
- souverains et mestres uns bons escuiers assés jones
- que on clamoit Gerart de Malain; et avoit avoecques
- lui un hardi chevalier que on clamoit monsigneur 15
- Pière Portebuef. Cil doi avoecques leurs compagnons
- honnissoient et gastoient tout le pays de là entour,
- et destraindoient si ouniement le cité de Vennes et
- le bonne ville de Dinant, que nulles pourveances ne
- marchandises ne pooient entrer ne venir, fors en 20
- grant peril et sous grant aventure, car il chevauçoient
- l'un jour par devers Vennes, et l'autre jour
- par devers Dinant. Tant chevaucièrent ensi li dessus
- dit Bourgegnon et leurs routes, que li jones bacelers
- messires Renaulz de Gingant prist, par un embuscement 25
- qu'il avoit establi, le dit Gerart de Malain à
- toute se compagnie, qui estoient yaus vingt et cinq
- compagnon, et rescoui jusques à quinze marcheans à
- tout leur avoir qu'il avoient pris, et les emmenoient
- par devers leur garnison que on claime Rocheperiot.
- Mais li jones bacelers messires Renaulz de Gingant les 30
- conquist tous, par son sens et par sa proèce, et les
- en mena tous (en Dynant[388]) en prison, dont tous li
- pays d'entour eut grant joie. Et en fu durement li
- dis messires Renaulz loés et prisiés.
-
- [388] Mss. B4, 3, fo 80.--Ms. B1, fo 120 vo (lacune).
-
- Si me tairai un petit à parler de ces gens de Vennes,
- de Dinant et de Roceperiot, et revenrai à la 5
- contesse de Montfort, qui estoit assise dedens Haimbon,
- et à monsigneur Loeis d'Espagne qui tenoit
- le siège par devant et avoit si debrisié et defroissié
- le ville et le fremeté, par les engiens, que cil de
- dedens se commencièrent à esmaiier et avoir volenté 10
- de faire acord, car il ne veoient nul secours venir,
- ne n'en entendoient nouvelles. Dont il avint que
- li evesques messires Guis de Lyon, qui estoit (oncles[389])
- monsigneur Hervi de Lyon, par qui pourcach et conseil
- li contes de Montfort avoit estet pris, si com 15
- on disoit, dedens le cité de Nantes, parla un jour au
- dit monsigneur Hervi son (neveu,) sus assegurance, et
- par lonch temps ensamble, d'unes coses et d'aultres;
- et tant que li dis evesques devoit pourcacier acord à
- ses compagnons, par quoi li ville de Hembon seroit 20
- rendue à monsigneur Charle de Blois. Et li dis messires
- Hervis, d'autre part, devoit pourcacier que cil
- de dedens seroient apaisiés envers monsigneur Charle,
- quittes et lieges, et ne perderoient riens dou
- leur. Ensi se departi cilz parlemens. Li dis evesques 25
- rentra en le ville pour parler as aultres signeurs. La
- contesse se doubta tantost de mauvais pourcach; si
- pria à ces signeurs de Bretagne, pour l'amour de
- Dieu, qu'il ne fesissent nulle defaute, car elle avoit
- esperance en Nostre Signeur que elle aroit grant secours
- dedens trois jours. Mais li dis evesques parla
- tant et moustra tant de raisons à ces signeurs de
- Bretagne qu'i(l) les mist en grant effroi celle nuit. A
- l'endemain, il recommença et dist tant de raisons, 5
- d'unes et d'autres, qu'il estoient tout de son acord
- ou assés priès. Et jà estoit li dis messires Hervis venus
- assés priès de le ville pour (la) prendre et par
- leur acord, quant la contesse qui regardoit aval le mer,
- par une fenestre del chastiel, commença à criier et à 10
- faire grant joie; et disoit tant comme elle pooit: «Je
- voi venir le secours que j'ai tant desiré!» deus fois
- le dist. Cescuns de le ville courut tantost, qui mieulz
- pot, as fenestres et as crestiaus des murs pour veoir
- que c'estoit. Et veirent clerement grant fuison de 15
- naves, petites et grandes, bien batillies, venir par
- devers Hembon. Dont cescuns fu durement reconfortés,
- car bien tenoient que c'estoit messires Amauris
- de Cliçon qui amenoit ce secours d'Engleterre,
- dont vous avés par chà devant oy parler, qui par 20
- soixante jours avoient eu vent contraire sur le
- mer.
-
- [389] Mss. B4, 3, fo 80.--Ms. B1: «niés.» Mauvaise leçon.
-
-
- § 169. Quant li chastellains de Gingant messires
- Yves de Tigueri, messires Gallerans de Landreniaulz
- et li aultre chevalier veirent ce secours venir, 25
- il disent à l'evesque qu'il pooit bien contremender
- son parlement, car point consilliet n'estoient de
- faire ce qu'il leur exhortoit. Li dis evesques messires
- Guis de Lyon en fu durement courouciés et
- dist: «Signeur, dont se departira nostre compagnie, 30
- car vous demorrés deça par devers ma dame, et je
- m'en irai par delà par devers celui qui plus grant
- droit y a, ce me samble.» Lors se parti li dis evesques
- de Hembon, et deffia la dame et tous ses aidans,
- et s'en ala renoncier au dit monsigneur Hervi et dist
- la besongne ensi comme elle se portoit. Li dis messires 5
- Hervis fu durement courouciés. Si fist tantost
- drecier les plus grans engiens qu'il avoient, au plus
- priès del chastiel que on peut, et commanda que
- on ne cessast de getter par jours ne par nuis;
- puis se parti de là. Si en mena son (oncle[390]) le dit 10
- evesque à monsigneur Loeis d'Espagne qui le rechut
- à bon gré et liement. Ossi fist messires Charles de
- Blois, quant il fu à lui venus. La comtesse fist à lie
- chière apparillier salles, cambres et hostelz, pour herbergier
- aisiement ces signeurs d'Engleterre qui là venoient, 15
- et envoia encontre yaus moult noblement.
- Quant il furent venus et descendus, elle meismes
- vint contre yaus à grant reverense. Et se elle les
- festia et regratia grandement, che ne fait point à
- esmervillier, car elle avoit bien mestier de leur 20
- venue, si com vous avés oy. Si en fist adonc et de
- puis ossi tout quanque elle en peut faire. Et les en
- mena tous, chevaliers et escuiers, ens ou chastiel
- herbergier, jusques adonc qu'il seroient herbegiet en
- le ville à leur aise; et leur donna l'endemain à disner 25
- moult grandement. Toute la nuit ne cessèrent li
- engien de getter, ne l'endemain ossi.
-
- [390] Mss. B4, 3, fo 80 vo.--Ms. B1: «neveu.»
-
- Quant ce vint après disner que la dame eut festiiet
- ces signeurs, messires Gautiers de Mauni, qui estoit
- mestres et souverains des Englès venus avoec lui, appella 30
- d'une part monsigneur Yvon de Tigueri et li
- demanda de l'estat de chiaus de le ville et de leurs
- couvenans et de chiaus de l'host ossi. Puis regarda
- et dist qu'il avoit grant volenté d'aler abatre ce grant
- engien, qui si priès leur estoit assis et qui si grant anoi 5
- leur faisoit, mès que on le volsist sievir. Messires Yves
- de Tigueri dist que il ne l'en faurroit mies à ce(ste)
- première envaye. Ensi dist li sires de Landreniaus.
- Adonc s'ala tantost armer li gentilz sires de Mauni.
- Ossi fisent tout si compagnon quant il le sceurent, et 10
- ossi tout li chevalier breton et li escuier qui laiens
- estoient. Puis issirent hors paisievlement par le porte,
- et fisent aler avoech yaus trois cens archiers. Tant
- alèrent traiant li arcier qu'il fisent fuir en voies ceulz
- qui gardoient ce grant engien. Et les gens d'armes qui 15
- venoient après ces arciers en occisent aucuns, et abatirent
- ce grant engien, et le detaillièrent tout par
- pièces. Puis coururent de randon jusques as tentes
- et as logeis, et boutèrent le feu dedens. Si tuèrent et
- navrèrent pluiseurs de leurs ennemis, ançois que li 20
- host fust estourmis; et puis se retraisent bellement
- arrière. Quant li hos fu estourmis et armés, il vinrent
- acourant apriès yaus, comme gens tous foursenés.
- Et quant messires Gautiers de Mauni vey ces
- gens acourir et estourmir en demenant grans hus et 25
- grant cris, il dist tout haut: «Jamais ne soie jou
- salués de ma chière amie, se je rentre en chastiel ne
- en forterèce, jusques adonc que jou arai l'un de ces
- venans versé à terre, ou jou y serai versés!» Lors se
- retourna il, le glave ou poing, par devers les ennemis. 30
- Ossi fisent li doi frère de Leindehale, li Haze de
- Braibant, messires Yves de Tigueri, messires Galerans
- de Landreniaus et pluiseur aultre compagnon,
- et brocièrent à premiers venans. Si en fisent pluiseurs
- verser, les gambes contremont. Ossi en y eut
- des leurs versés.
-
- Là commença uns très fors hustins, car tout dis 5
- venoient avant cil de l'host. Si monteplioit leurs
- effors, par quoi il convenoit les Englès et les Bretons
- retraire tout bellement par devers leur forterèce.
- Là peuist on veoir d'une part et d'autre belles
- envayes, belles rescousses, biaus fais d'armes et des 10
- belles proèces grant fuison. Sour tous les aultres
- le faisoit bien et en avoit le los et le huée li gentilz
- chevaliers, messires Gautiers de Mauni. Et ossi
- moult vassaument s'i maintinrent tout si compagnon,
- et s'i combatirent très bien. Quant il veirent 15
- que tamps fu de retraire, si se retraisent bellement et
- sagement jusques à leurs fossés, et là rendirent il estal
- jusques à tant que leurs gens furent entret à sauveté.
- Mais saciés que li aultre arcier, qui point n'avoient
- esté à abatre les engiens, estoient issu de le ville et 20
- rengiés sus les fossés, et traioient si fortement qu'il
- fisent tous chiaus de l'host reculer, qui eurent grant
- fuison d'ommes et de chevaus mors et navrés. Quant
- cil de l'host veirent que leurs gens estoient au bersail
- et qu'il perdoient sans riens conquester, il fisent 25
- leur gens retraire à leurs logeis. Et quant il furent tout
- retrait, cil de le ville se retraisent ossi, cescuns à son
- hostel. Qui adonc veist la contesse descendre dou
- chastiel à grant chière, et baisier monsigneur Gautier
- de Mauni et ses compagnons, les uns apriès les aultres, 30
- deus fois ou trois, bien peuist dire que c'estoit
- une vaillans dame.
-
-
- § 170. A l'endemain, messires Loeis d'Espagne appella
- le visconte de Rohem, l'evesque de Lyon, monsigneur
- Hervi de Lyon et le mestre des Geneuois, pour
- avoir avis et conseil qu'il feroient et comment il se
- maintenroient, car il veoient le ville de Hembon si 5
- forte et le secours qui venus y estoit, meismement
- les arciés qui tous les desconfisoient. Par quoi, il
- perdoient le tamps pour noient, et aleuoient à
- demorer là, et ne veoient tour ne voie par quoi il
- y peuissent riens conquester. Si se accordèrent tout à 10
- çou que il se deslogeroient à l'endemain et se trairoient
- par devers le chastiel d'Auroy, là où messires
- Charles de Blois estoit à siège fait, et li aultre signeur
- de France. L'endemain, bien matin, il deffisent leurs
- logeis et se traisent celle part, si com ordonné l'avoient. 15
- Chil de le ville fisent grans hus apriès yaus,
- quant il les veirent deslogiet. Et aucun issirent après
- yaus pour aventurer, mais il furent racaciet arrière,
- et perdirent de leurs compagnons, ançois qu'il peuissent
- estre retrait à le ville. 20
-
- Quant messires Loeis d'Espagne et toute sa carge
- de gens d'armes furent venu en l'ost monsigneur
- Charles de Blois, il li conta le raison pour quoi il
- avoit laissiet le siège de devant Hembon. Adonc ordonnèrent
- il entre yaus, par grant deliberation, que 25
- li dis messires Loeis et cil qui estoient venu avoech
- li iroient assegier le bonne ville de Dinant qui n'estoit
- fremée fors que d'yawe et de palis. Ensi demora
- la ville de Hembon en pais une grant pièce,
- et fu reforcie et rafrescie moult durement. Li dis 30
- messires Loeis s'en ala adonc à tout son host assegier
- Dinant. Ensi qu'il s'en aloit, il passa assés
- priès d'un viés chastiel que on clamoit Conquest. Et
- en estoit chastellains, de par le contesse, uns chevaliers
- de Lombardie, bons guerriières et hardis, qui
- s'appeloit messires Mansion, et avoit pluiseurs saudoiiers
- avoech li. Quant li dis messires Loeis entendi 5
- que li chastiaus estoit de l'accord le contesse, il fist
- traire son host celle part et assallir le chastiel fortement.
- Chil dedens se deffendirent si bien que li assaus
- dura jusques à le nuit, et se loga li hos là endroit.
- L'endemain, il fist l'assaut recommencier. Li assallant 10
- approcièrent si priès des murs qu'il y fissent un
- grant trau, car li fosset n'estoient mies moult parfont.
- Si entrèrent ens par force et misent à mort tous
- chiaus dou chastiel, exceptet le chevalier qu'il prisent
- à prisonnier; et y establirent un aultre chastelain 15
- bon et seur et soixante compagnons avoec li, pour
- garder le chastiel. Puis s'en parti li dis messires Loeis
- et s'en ala assegier le bonne ville de Dinant.
-
- La contesse de Monfort et messires Gautiers de
- Mauni entendirent ces nouvelles que messires Loeis 20
- d'Espagne et toute son host estoit arrestés par devant
- le chastiel de Conquest. Si appella messires
- Gautiers tous les compagnons saudoiiers, et leur dist
- que ce seroit trop noble aventure pour yaus tous,
- se il pooient deslogier le dit chastiel et desconfire le 25
- dit monsigneur Loeis et toute son host, et que onques
- si grant honneur n'avint à gens d'armes qu'il
- leur avenroient. Tout li compagnon s'i acordèrent et
- se partirent l'endemain au matin de Haimbon, et s'en
- alèrent celle part de si grant volenté que petit en demora 30
- en le ville. Tant chevaucièrent qu'il vinrent environ
- nonne au chastiel de Conquest, et trouvèrent
- qu'il avoit esté conquis par force le jour devant, et
- cil de dedens tout occis, excepté le chevalier monsigneur
- Mansion qui le gardoit. Et l'avoient li François
- repourveu et rafresci de nouvelle gent. Quant messires
- Gautiers entendi çou, et que messires Loeis estoit 5
- alés assegier le ville de Dinant, il en eut grant
- doel, pour tant qu'il ne se pooit combatre à lui. Si
- dist à ses compagnons qu'il ne se partiroit de là, si
- saroit quelz gens il avoit ou chastiel, et comment il
- avoit estet perdus. Si se apparillièrent il et si compagnon, 10
- pour assallir le chastiel, et montèrent tout
- targiet contremont. Quant li Espagnol qui dedens estoient
- les veirent en tel manière venir, il se deffendirent
- tant qu'il peurent. Et cil de dehors les assallirent
- si fortement et les tinrent si priès de traire qu'il 15
- approcièrent les murs, maugré chiaus dou chastiel,
- et trouvèrent le trau del mur, par quoi il avoient le
- jour devant gaegniet le chastiel. Si entrèrent ens par
- ce trau meismes, et tuèrent tous les Espagnolz, excepté
- dix que aucun chevalier prisent à merci. Puis 20
- se retraisent li Englès et li Breton par devers Hembon,
- car il ne l'osoient durement eslongier; et laissièrent le
- chastiel de Conquest tout seul et sans garde, car il
- veirent bien que il ne faisoit mies à tenir.
-
-
- § 171. Or revenrai à monsigneur Loeis d'Espagne 25
- qui fist logier son host tout au tour de la ville de
- Dinant en Bretagne, et fist tantost faire petits batiaus
- et nacelles, pour assallir le ville de toutes pars, par
- terre et par yawe. Quant li bourgois de le ville veirent
- chou, et bien savoient que lor ville n'estoit fremée 30
- fors que de palis, il eurent paour, grans et petis,
- de perdre corps et avoir. Si se accordèrent communement
- qu'il se renderoient, salves leurs corps et leur
- avoir, si qu'il fisent au quart jour que li hos fu venus
- là, maugré leur chapitainne monsigneur Renault de
- Ginghant et le tuèrent (tout en my le marchiet[391]), pour 5
- tant qu'il ne s'i voloit acorder. Quant messires Loeis
- d'Espagne eut esté en le ville de Dignant par deux
- jours, et ot pris le feaulté des bourgois, il leur donna
- pour chapitainne celui Gerard de Malain, escuier, que
- il trouva laiens prisonnier, et monsigneur Pière Portebuef 10
- avoech lui. Puis s'en ala à tout son host par devers
- une grosse ville seans sus le flun de le mer, que
- on claime Garlande, et le assega par terre. Et trouva
- assés priès grant fuison de naves et de vaissiaus plainnes
- de vins que marcheant avoient là amenet de 15
- Poito et de Le Rocelle pour vendre. Si euren tantost
- vendut li marchant leurs vins, et furent mal paiiet.
- Et puis fist li dis messires Loeis prendre toutes ces
- naves, et ens monter gens d'armes et partie des Espagnols
- et des Geneuois. Puis fist l'endemain assallir le 20
- ville par terre et par mer, qui ne se pot longement
- deffendre; ains fu assés tost gaegnie par force, et
- tantost toute robée, et tout mis à l'espée, femmes et
- hommes et enfans, et cinq eglises arses et violées:
- dont messires Loeis fu durement courouciés. Si fist 25
- tantost pour chou pendre vingt et quatre de chiaus
- qui chou avoient fait. Là eut gaegniet très grant tresor,
- si ques cescuns en eut tant qu'il en peut porter, car
- la ville estoit durement grande et rice et marceande.
-
- [391] Mss. B4, 3, fo 82.--Ms. B 1, fo 123 vo (lacune).
-
- Quant celle grosse ville, qui Garlande estoit appellée, 30
- fu ensi gaegnie et robée et essillie, il ne sceurent
- où aler plus avant pour gaegnier. Si se mist li dis
- messires Loeis en ces vaissiaus qu'il avait trouvés, sus
- mer, en le compagnie de monsigneur Othon Doriie
- et de Toudou et de aucuns Geneuois et Espagnolz, 5
- pour aler aucune part, pour aventurer sus le marine.
- Et li viscontes de Roem, li evesques de Lyon, messires
- Hervis, ses niés, et tout li aultre s'en revinrent
- en l'ost monsigneur Charle de Blois, qui encores seoit
- devant le chastiel d'Auroy. Et trouvèrent grant fuison 10
- de signeurs et de chevaliers de France, qui nouvellement
- estoient là venus, telz que monsigneur Loeis
- de Poitiers conte de Valence, le conte d'Auçoirre,
- le conte de Portiien, le conte de Joni, le conte de
- Boulongne et pluiseurs aultres, dont li rois Phelippes 15
- les y avoit envoiiés pour reconforter son neveu; et
- aucun y estoient venu de leur volenté, pour venir
- veoir et servir monsigneur Charle de Blois. Et encores
- n'estoit li fors chastiaus d'Auroy gaegniés. Mais
- chil de dedens estoient si près menet et apresset de 20
- famine qu'il avoient mengiet par huit jours tous
- leurs chevaus; et ne les voloit on prendre à merci,
- s'il ne se rendoient simplement. Quant il veirent
- que morir les couvenoit, il issirent hors couvertement
- par nuit, et se misent en le volenté de Dieu, 25
- et passèrent tout parmi l'ost, à l'un des costés. Aucun
- en furent perceu et tuet. Mais messires Henris de
- Pennefort et messires Oliviers ses frères et pluiseur
- aultre se sauvèrent par un bosket qui là estoit, et en
- alèrent droit à Hembon devers le contesse et les 30
- compagnons, chevaliers englès et bretons, qui les
- rechurent liement.
-
- Ensi reconquist messires Charles de Blois le fort
- chastiel d'Auroi, et par affamer ceulx qui le gardoient,
- là où il avoit sis par l'espasse de dix sepmainnes
- et plus. Si le fist reffaire et rappareillier
- et bien garnir de gens d'armes et de toutes pourveances; 5
- et puis s'en ala à tout son ost assegier
- le cité de Vennes, dont messires Joffrois de Malatrait
- estoit chapitains, et se loga tout au tour. A
- l'endemain, aucun compagnon breton et saudoiier,
- qui gisoient en une ville que on claime Plaremiel, 10
- issirent hors et se misent en aventure de gaegnier.
- Si vinrent estourmir l'ost monsigneur Charle, et se
- ferirent à l'un des corons secretement; mais il furent
- enclos quant li hos fu estourmis, et perdirent de
- leurs gens grossement. Li aultre s'en fuirent et furent 15
- sievi jusques assés priès de Plaremiel, qui estoit
- assés priès de Vennes. Quant cil de l'host qui estoient
- armet furent revenu de le cace, il alèrent de ce
- retour meismes assallir le ville de Vennes fortement
- et radement, et gaegnièrent par force les bailles jusques 20
- à le porte de le cité. Là eut très fort assaut, et
- pluiseurs mors et navrés d'une part et d'autre, et
- dura jusques à le nuit. Adonc fu acordé uns respis
- qui devoit durer l'endemain tout le jour, pour les
- bourgois consillier, s'il se vorroient rendre ou non. 25
- A lendemain, il furent si consilliet qu'il se rendirent,
- maugret monsigneur Joffroi de Malatret leur chapitainne.
- Et quant il vei chou, il se mist hors de le
- cité desconnuement, endementrues que on parlementoit,
- et s'en ala par devers Hembon. Et li parlemens 30
- se fist ensi, que messires Charles de Blois et
- tout li signeur entrèrent en le cité, et prisent le
- feaulté des bourgois, et se reposèrent en le cité par
- cinq jours. Puis s'en partirent et alèrent assegier une
- aultre forterèce et bonne cité que on claime Craais.
- Or lairai à parler un petit d'yaus, et retourrai à
- monsigneur Loeis d'Espagne qui s'estoit mis en mer, 5
- ensi que vous avés oy ci dessus.
-
-
- § 172. Saciés que, quant messires Loeis d'Espagne
- fu montés, au port de Garlande, sus mer, il et se
- compagnie alèrent tant nagant par mer qu'il arrivèrent
- en le Bretagne bretonnant, au port de Camperli 10
- et assés priès de Camper Corentin et de Saint Mahieu
- de Fine Poterne; et issirent des naves, et alèrent ardoir
- et rober tout le pays. Et trouvèrent si grant
- avoir que merveilles seroit dou raconter; si le raportoient
- tout en leurs naves, et puis aloient d'autre 15
- part rober, et ne trouvoient qui leur deffendesist.
-
- Quant messires Gautiers de Mauni et messires Amauris
- de Cliçon sceurent les nouvelles de monsigneur
- Loeis d'Espagne et de ses compagnons, il eurent conseil
- qu'il iroient celle part. Puis le descouvrirent à 20
- monsigneur Yvon de Trigri, au chastelain de Gingant,
- au signeur de Landreniaus, à monsigneur Guillaume
- de Quadudal, as deus frères de Pennefort, et à tous
- les chevaliers qui là estoient dedens Hembon, qui
- tout s'i acordèrent de bonne volenté. Lors se misent 25
- tout en leurs vaissiaus, et prisent trois mille arciers
- avoecques yaus, et ne cessèrent de nagier jusques à
- tant qu'il vinrent droit au port, là où les naves monsigneur
- Loeis estoient ancrées. Si entrèrent dedans,
- et tuèrent tous chiaus qui les naves gardoient. Et 30
- trouvèrent ens si grant avoir qu'il s'en esmervillièrent
- durement, que li Geneuois et li Espagnol avoient
- là dedens aportet. Puis se misent à terre, et veirent
- en pluiseurs lieus villes et maisons ardoir. Si se partirent
- en trois batailles, par grant sens, pour plus tost
- trouver leurs ennemis, et laissièrent trois cens arciers 5
- pour garder leur navie et l'avoir qu'il avoient gaegniet;
- puis se misent à le voie par devers les fumières
- par pluiseurs chemins.
-
- Ces nouvelles vinrent à monsigneur Loeis d'Espagne
- que li Englès estoient arrivet efforciement et le queroient. 10
- Si rassambla toutes ses gens, et se mist au retour
- par devers ses naves, pour entrer dedens. Ensi
- qu'il s'en revenoit, tout cil dou pays le poursievoient,
- hommes et femmes qui avoient perdu lor avoir; et il
- se hastoit tant qu'il pooit. Si encontra l'une des trois 15
- batailles, et vey bien que combatre le couvenoit. Se
- se mist tantost en bon couvenant, car il estoit hardis
- chevaliers et confortés durement. Et fist là aucuns
- chevaliers nouviaus, et especialment un sien neveut
- que on appelloit Aufons. Si se ferirent li dis messires 20
- Loeis d'Espagne et ses gens en ceste première bataille
- si radement qu'il en ruèrent tamaint par terre;
- et euist esté tantost toute nettement desconfite et
- sans remède, se n'euissent esté les aultres deus batailles
- qui y sourvinrent, par le cri et le hu qu'il 25
- avoient oy des gens dou pays. Lors commença li
- hustins à renforcer, et li arcier si fort à traire que
- Geneuois et Espagnol furent desconfit et priès que
- tout mort et tuet à grant meschief, car cil dou
- pays qui les sievoient à bourlès et à pikes y sourvinrent, 30
- qui les partuèrent tous, et rescouoient ce qu'il
- pooient de leur perte: si ques à grant meschief li
- dis messires Loeis se parti de le bataille, durement
- navrés en pluiseurs lius, et s'en afui par devers ses
- naves, tous desconfis. Et ne ramena de bien sis mille
- hommes qu'il avoit avoech lui plus hault de trois
- cens; et y laissa mort son neveu que moult amoit, 5
- monsigneur Aufons d'Espagne, dont il estoit en coer
- et fu puissedi moult destrois, mais amender ne le peut.
-
- Quant il fu venus à ses naves, il cuida ens entrer,
- mais il les trouva si bien gardées qu'il ne
- peut ens entrer. Si se mist en un vaissiel que on 10
- claime lique, à grant meschief et à grant haste, à tout
- ce de gens qu'il avoit d'escapés, et se mist à nagier
- fortement en voies. Quant cil chevalier d'Engleterre
- et de Bretagne dessus nommet eurent desconfis leurs
- ennemis, et il perçurent que li dis messires Loeis 15
- s'en estoit partis et alés par devers les vaissiaus, il se
- misent tout à aler après lui tant qu'il purent, et
- laissièrent les gens del pays couvenir del remanant
- et yaus vengier, et reprendre partie de chou que on
- leur avoit robet. Quant il furent venu à leurs vaissiaus, 20
- il trouvèrent que li dis messires Loeis estoit
- entrés en une lique qu'il avoit trouvet, et s'en aloit
- fuiant tant qu'il pooit. Il entrèrent tantost ens ès
- plus appareilliés vaissiaus qu'il trouvèrent là, et nagièrent
- tant qu'il purent apriès le dit monsigneur 25
- Loeis, car il leur estoit avis qu'il n'avoient riens fait,
- se li dis messires Loeis leur escapoit. Il eurent bon
- vent si com à souhet, et le veoient toutdis nagier
- devant yaus si fortement qu'il ne le pooient raconsievir.
- Tant nagièrent à force de bras li maronnier 30
- monsigneur Loys qu'il parvinrent à un port que on
- claime le port de Gredo. Là descendi li dis messires
- Loeis et cil qui escapet estoient avoecques lui, et entrèrent
- en le ville de Gredo. Il ne furent mies gramment
- arresté en le ditte ville, quant il oïrent dire que li
- Englès estoient arrivé, et qu'il descendoient pour yaus
- combatre. Adonc se hasta li dis messires Loeis, qui 5
- ne se vei meis à pareçon contre yaus; et monta sour
- petis chevaus qu'il emprunta en le ville, et s'en ala
- droit par devers le cité de Rennes qui estoit assés
- priès de là. Et montèrent ossi ses gens, qui peurent
- recouvrer de chevaus; et qui ne peurent, il se partirent 10
- tout à pied, sievans leurs mestres. Si en y eut
- pluiseurs des lassés et des mal montés ratains et raconsievis,
- qui eurent mal finet quant il cheirent ens
- ès mains de leurs ennemis. Toutes fois, li dis messires
- Loeis d'Espagne se sauva, et ne le peurent li 15
- Englès raconsievir, et s'en vint à petite compagnie
- en le cité de Rennes.
-
- Et li Englès et li Breton s'en retournèrent et vinrent
- à Gredo, et là se reposèrent celle nuit. L'endemain,
- il se remisent en chemin par mer, pour revenir 20
- à Hembon par devers le contesse leur dame,
- mais il eurent vent contraire. Si leur couvint prendre
- terre à trois liewes priès de le ville de Dinant;
- puis se misent au chemin par terre, ensi qu'il peurent,
- et gastèrent le pays entours Dinant. Et prendoient 25
- chevaus telz que cescuns pooit trouver, li
- uns à selle, li aultres sans selle, et alèrent tant
- qu'il vinrent une nuit assés priès de Roceperiot.
- Quant il furent là venu, messires Gautiers de Mauni
- dist certainement à ses compagnons: «Signeur, jou 30
- iroie volentiers assallir à ce fort chastiel, se jou
- avoie compagnie, com travilliés que je soie, pour
- assaiier se nous y porions riens conquester.» Li
- aultre chevalier respondirent tuit: «Sire, alés y
- hardiement, nous vous sievrons jusques à le mort.»
- Adonc se misent tout à monter contremont le montagne,
- tous apparilliés d'assallir. A ce point estoit laiens 5
- ycilz escuiers que on clamoit Gerard de Malain, com
- chastelains, qui avoit esté prisonniers à Dignant, si
- com vous avés oy, li quelz fist armer apertement toutes
- ses gens et traire as garites et as deffenses; et ne se
- mist point derrière, mais vint o toutes ses gens pour 10
- deffendre le chastiel. Là ot un fort assaut, dur et perilleus,
- et y eut pluiseurs chevaliers et escuiers navrés,
- entre les quelz messires Jehans li Boutilliers et
- messires Mahieus de Frenai furent durement bleciet;
- et tant qu'il les couvint raporter aval et mettre 15
- gesir en un pré avoecques les autres navrés.
-
-
- § 173. Cilz Gerars de Malain avoit un frère, hardi
- escuier et conforté durement, que on clamoit Renier
- de Malain, et estoit chastelains d'un aultre petit fort
- que on appelloit Fauet, qui siet à mains d'une liewe 20
- priès de Roceperiot. Quant cilz Reniers entendi que
- Breton et Englès assalloient son frère, il fist armer
- de ses compagnons jusques à quarante. Si issi hors
- et chevauça devers Roceperiot, pour aventurer et
- pour veoir se il poroit en aucune manière son frère 25
- valoir ne aidier. Se li avint si bien qu'il sourvint
- sour ces chevaliers et escuiers navrés et sour leur
- mesnie, qui gisoient desous le chastiel en un pré. Si
- leur courut seure et prist les deux chevaliers et les
- escuiers navrés, et les en fist porter et emmener par 30
- devers Fauet sa garnison en prison, ensi bleciet qu'il
- estoient. Aucun de leur mesnie s'en afuirent à monsigneur
- Gautier de Mauni, à monsigneur Amauri de
- Cliçon et as autres chevaliers qui estoient durement
- ententieu d'assallir, et leur disent l'aventure comment
- on emmenoit ces chevaliers et escuiers par devers 5
- Fauet en prison, et comment il avoient estet pris.
-
- Quant li chevalier entendirent ces nouvelles, il furent
- trop durement courouciet, et fisent cesser l'assaut,
- et se misent à l'aler, tant qu'il peurent, qui
- mieulz mieulz, par devers Fauet, pour raconsievir, se 10
- ilz peuissent, chiaus qui emmenoient ces prisons. Mais
- il ne se peurent tant haster que li dis Reniers de Malain
- ne fust ançois rentrés en son chastiel à tout ses
- prisons, qu'il peuissent venir là. Quant il furent là
- venu, li uns devant, li aultres après, il commencièrent 15
- à assallir, si travilliet qu'il estoient; mais petit y fisent
- adonc, car li dis Reniers et si compagnon se deffendoient
- vassaument. Et jà estoit tart, et tuit estoient
- travilliet durement. Si eurent conseil qu'il se logeroient
- et se reposeroient celle nuit, pour mieus assallir 20
- à l'endemain.
-
-
- § 174. Gerars de Malain sceut, tantost que cil signeur
- se furent parti de là, le biau fet d'armes que
- ses frères Reniers avoit fait pour lui secourre; si en
- eut grant joie. Et sceut que cil signeur estoient pour 25
- çou trais par devant Fauet et le conquerroient, s'il
- pooient. Si se apensa que il feroit ossi biel service à
- son frère, se il pooit, que ses frères li avoit fait. Si
- monta tout par nuit sour son cheval et vint, un petit
- devant le jour, à Dinant, et fist tant qu'il parla tantost 30
- à monsigneur Pière Portebuef, son bon compagnon,
- qui estoit chapitainne et souverains de Dinant avoech
- lui, si com vous avés oy, et li conta l'aventure et
- pour quoi il estoit là venus. Si eurent conseil que,
- sitos que jours seroit, il assambleroit tous les bourgois
- de le ville, et leur demoustreroit le besongne, et 5
- les feroit armer, s'il pooit, pour aler dessegier le
- chastiel de Fauet. Quant grans jours fu, et tout li
- bourgois furent assamblé en le halle de le ville, Gerars
- de Malain leur remoustra le besongne si bellement
- que li bourgois et li saudoiier furent d'acord 10
- d'yaus armer, et de partir tantost, et d'aler là où on
- les vorroit mener; et fisent sonner la bancloke, et
- s'armèrent toutes gens. Puis issirent hors et se misent
- à le voie, tant qu'il peurent, par devers Fauet,
- et estoient bien sis mille hommes, uns et autres. 15
- Messires Gautiers de Mauni et li aultre signeur le
- sceurent tantos par une espie. Si eurent conseil ensamble
- pour regarder et aviser quel cose leur seroit
- bon à faire: si ques, tout consideret le bien et le
- mal, il se acordèrent à che que il se partiroient de 20
- là et s'en retrairoient, ensi qu'il poroient, par devers
- Hembon, car grans meschiés leur poroit avenir, s'il
- demoroient longement là. Car, se cil de Dinant leur
- venoient d'une part, et li hos monsigneur Charle et
- des signeurs de France d'autre, il seroient enclos. Si 25
- seroient tout pris ou mors, à le volenté de leurs ennemis.
- Si se acordèrent à che que leurs milleurs poins
- estoit de laissier leurs compagnons en prison, que
- tout perdre, jusques adonc qu'il le poroient amender.
- Lors se partirent de là, et se misent à le voie pour 30
- revenir à Hembon.
-
- Ensi qu'il revenoient vers Hembon, il vinrent passant
- par devant un chastiel que on claime Ghoy le
- Forest, qui quinze jours devant estoit rendus à monsigneur
- Charle de Blois. Et l'avoit li dis monsigneur
- Charle livret pour garder à monsigneur Hervi
- de Lyon et à monsigneur Gui de Ghoy, qui en devant 5
- le tenoit. Li quel doy chevalier n'estoient point
- laiens, quant cil signeur englès et breton vinrent
- là passant; ains estoient en l'ost monsigneur Charle,
- avoecques les signeurs de France, par devant le
- ville de Craais qu'il avoient assegiet. Quant messires 10
- Gautiers de Mauni vei le chastiel de Ghoy le
- Forest qui estoit merveilleusement fors, il dist à ces
- signeurs et chevaliers de Bretagne, qui estoient avoecques
- lui, qu'il n'iroit plus avant ne se partiroit de là,
- com travilliés qu'il fust, se aroit assallit à ce fort 15
- chastiel, et aroit veu le couvenant de chiaus qui estoient
- dedens. Si commanda tantost as arciers que
- cescuns le sievist, et à ses compagnons ossi. Puis
- prist se targe à son col et monta contremont jusques
- as bailles et as fossés dou chastiel, et tout li aultre 20
- Breton et Englès le sievirent. Lors commencièrent
- fortement à assallir, et cil de dedens fortement à
- yaus deffendre, comment qu'il n'euissent point leur
- chapitainne. Là eut très fort assaut et grant fuison
- de bien faisans dedens et dehors, et dura longement 25
- jusques à basses vespres. Et cilz bons chevaliers messires
- Gautiers de Mauni semonnoit fortement les assallans,
- et se mettoit toutdis au devant des aultres
- ou plus grant peril. Et li arcier traioient si (ouniement[392])
- que cil dou chastiel ne s'osoient moustrer se 30
- petit non. Si fisent li dis messires Gautiers et si compagnon,
- que li fosset furent rempli, à l'un des costés,
- d'estrain et de bois, par quoi il parvinrent jusques
- as murs, et pikièrent tant de grans maulz de fer, de
- pik et de martiaus, que li murs fu trawés une toise 5
- de large. Si entrèrent li dit Englès et Breton dedens
- che chastiel par force, et tuèrent tous chiaus qu'il y
- trouvèrent, et se logièrent là endroit. L'endemain, il
- se misent au chemin, et alèrent tant en tel manière
- qu'il vinrent à Hembon. Et d'autre part Gerars de 10
- Malain, qui estoit à Dinant venus querre le secours,
- et qui l'en menoit par devers Fauet, esploita tant
- avoecques chiaus qu'il en menoit, qu'il parvinrent à
- Fauet, et trouvèrent que li Englès et li Breton s'en
- estoient parti. Si issi Reniers de Malain contre yaus 15
- et les rechut liement; et se logièrent là ens ès prés
- tant qu'il eurent disnet, et puis s'en retournèrent à
- Dinant.
-
- [392] Mss. B4, 3, fo 84.--Ms. B1, fo 127: «onniement.»
-
- § 175. Quant la contesse de Montfort sceut nouvelles
- de le revenue des dessus dis Englès et Bretons, 20
- si en fu grandement resjoie. Si ala contre yaus et les
- festia liement, et baisa et acola cescun de grant coer.
- Et avoit fait apparillier ens ou chastiel pour yaus
- mieulz festiier, et donna à disner moult noblement à
- tous les chevaliers et escuiers de renom; et leur demanda 25
- moult ententievement de leurs aventures,
- comment que elle en seuist jà grant partie. Cescuns
- compta che qu'il en savoit, et des bienfaisans che
- que cescuns en avoit veu. Là endroit furent ramenteues
- maintes proèces, pluiseurs travaus, maint grant
- fait d'armes et perilleus, et maintes hardies emprises 30
- faites par chiaus qui là furent; (ce pèvent et doivent
- savoir ceulx qui ont[393]) esté souvent en armes, et les
- doit on tenir et reputer pour preus. Mais sus tous
- en portoit le huée et le chapelet messires Gautiers
- de Mauni. 5
-
- [393] Ms. B3, fo 86 vo.--Mss. B1, 4, fo 127 vo: «poent et
- doient.»
-
- A ce point que cil signeur englès et breton furent
- revenu à Hembon y messires Charles de Blois avoit
- reconquis le bonne cité de Vennes, et avoit assegiet
- le bonne (ville[394]) que on claime Craais. Et
- l'avoit durement astrainte, par quoi elle ne se pooit 10
- longement tenir sans avoir secours. Par coi la contesse
- de Montfort et messires Gautiers de Mauni envoiièrent
- tantost au roy Edowart pour segnefiier à
- lui comment messires Charles de Blois et li aultre
- signeur de France et leurs aidans avoient reconquis 15
- les cités, Rennes, Vennes et les aultres bonnes villes
- et chastiaus de Bretagne, et qu'il conquerroient tout
- le remanant, s'il ne les venoit secourir temprement.
- Chil message se departirent de Hembon, et s'en alèrent
- en Engleterre, tant qu'il peurent. Et arivèrent en 20
- Cornuaille, et enquisent et demandèrent là dou roy
- où il le trouveroient. Il leur fu dit qu'il estoit à Windesore.
- Si chevaucièrent celle part à grant esploit.
-
- [394] Mss. B4, 3, fo 84 vo.--Ms. B1 (lacune).
-
- Or nous soufferons nous un petit à parler de ces
- messagiers, et retournerons à monsigneur Charle de 25
- Blois et à chiaus de son costé qui avoient assegiet le
- ville de Craais; et tant le constraindirent, par assaus
- et par engiens, qu'il ne se peurent plus tenir et se
- rendirent à monsigneur Charle, salve leurs biens et
- leur avoir, li quelz dis messires Charles les prist à
- merci. Et cil de Craais li jurèrent feaulté et hommage,
- et le recogneurent à signeur. Si y mist li dis
- messires Charles nouviaus officiers qui li jurèrent
- loyaulté à tenir, et leur delivra un bon chevalier à 5
- chapitainne en qui moult il se confioit. Et sejournèrent
- là li dit signeur pour yaus et leurs gens rafreschir,
- bien quinze jours. Là en dedens eurent il
- conseil et avis qu'il se trairoient par devant le ville
- de Hembon. 10
-
-
- § 176. Adonc se departirent li dessus dit signeur,
- baron et chevalier de France, de Craais, et se traisent
- moult arreement devant le forte ville de Hembon,
- qui durement estoit renforcie et bien ravitaillie et
- pourveue de toute artillerie. Et si le assegièrent tout 15
- au tour, si avant comme assegier le peurent.
-
- Le quatrime jour apriès que cil signeur s'i furent
- mis et trait à siège, y vint messires Loeis d'Espagne qui
- s'estoit tenus en le cité de Rennes bien six sepmainnes,
- et là fait curer et medeciner de ses plaies. Si le 20
- veirent tout li signeur moult volentiers et le reçurent
- à grant joie, car il estoit moult honnerés et amés
- entre yaus, et tenus pour très bon homme d'armes
- et vaillant chevalier. Et telz estoit il vraiement. Et
- ossi il y avoit bien cause qu'il le festiaissent, car il 25
- ne l'avoient veu puis la bataille dessus ditte. La
- compagnie des signeurs de France estoit grandement
- montepliie, et acroissoit tous les jours. Car grant
- fuison de signeurs de France et de chevaliers revenoient
- de jour en jour dou roy d'Espagne, qui guerrioit 30
- adonc au roy de Grenate et as Sarrasins: si
- ques, quant il passoient par Poito et il ooient nouvelles
- des guerres qui estoient en Bretagne, il s'en
- aloient celle part.
-
- Li dis messires Charles avoit fait drecier quinze
- ou seize grans engiens qui gettoient grandes pières 5
- as murs de Hembon et à le ville. Mais cil de dedens
- n'i acontoient nient gramment, car il estoient fort
- paveschiet et garitet à l'encontre. Et venoient à chiés
- de fois as murs et as crestiaus, et les frotoient et
- passoient de leurs caperons par despit. Et puis 10
- crioient, quanqu'il pooient, en disant: «Alés, alés
- requerre et raporter vos compagnons qui se reposent
- au camp de Camperli!» De quoi, pour ces
- parolles, messires Loeis d'Espagne et li Geneuois
- avoient grant ireur et grant despit. 15
-
-
- § 177. Un jour vint li dis messires Loeis d'Espagne
- en l'entente monsigneur Charle de Blois et li
- demanda un don, present fuison de grans signeurs
- de France qui là estoient, en guerredon de tous les
- services que fais li avoit. Li dis messires Charles ne 20
- savoit mies quel don il voloit demander, car, se il
- le seuist, jamais ne li euist acordé; se li ottria legierement,
- pour tant que il se sentoit moult tenus à
- lui. Quant li dons fu ottriiés, messires Loeis dist:
- «Monsigneur, grant mercis. Je vous pri donc et requier 25
- que vous faites ci venir tantost les deus chevaliers
- qui sont en vostre prison en Fauet, monsigneur
- Jehan le Boutillier et monsigneur Mahieu de Frenai,
- et le(s) me donnés pour faire me volentet: c'est li
- dons que je vous demande. Il m'ont cachiet, desconfit 30
- et navret et ont tuet monsigneur Aufons, mon
- neveut, que je tant amoie. Si ne m'en sçai aultrement
- vengier que je leur ferai les testes coper, par devant
- leurs compagnons qui laiens sont enfremet.» Li dis
- messires Charles fu tous esbahis, quant il oy monsigneur
- Loeis ensi parler. Si li dist courtoisement: 5
- «Certes, sire, les prisons vous deliverai je moult volentiers,
- puisque demandés les avés. Mais ce seroit
- cruautés et peu d'onneur pour vous et grans blasmes
- pour nous tous, se vous faisiés de deus si vaillans
- hommes que cil sont, che que dit avés, et nous seroit 10
- à tous jours reprouvet. Et aroient nostre ennemi
- bien cause des nostres faire ensi, quant tenir les poront,
- et nous ne savons que à venir nous est de jour
- en jour. Pour quoi, chiers sires et biaus cousins, si
- vous voelliés mieulz aviser.» Messires Loeis d'Espagne 15
- respondi et dist briefment qu'il n'en feroit
- aultrement, se tout li signeur del monde en prioient:
- «Et se vous ne me tenés couvent, saciés que je me
- partirai de ci, et ne vous servirai ne amerai tant que
- je vive.» 20
-
- Messires Charles vei bien et perçut que c'estoit
- acertes: si n'osa couroucier plus avant le dit monsigneur
- Loeis; ains envoia tantos certains messages
- au chastellain de Fauet, pour les dessus dis
- chevaliers amener en son host. Ensi que commandé 25
- fu, ensi fu fait. Li doi chevalier furent amenet un
- jour assés matin en le tente monsigneur Charle de
- Blois. Quant messires Loeis d'Espagne les sceut
- venus, il les ala tantost ve(o)ir. Ossi fisent pluiseur des
- signeurs et des chevaliers qui les seurent venus. 30
- Quant li dis messires Loeis les vit, il leur dist:
- «Ha! signeur chevalier, vous m'avés bleciet del
- corps et ostet de vie mon chier neveu que je tant
- amoie. Si convient que vostre vie vous soit ossi
- (ostée[395]). De chou ne vous poet nuls garandir. Si
- vous poés confesser, s'il vous plest, et priier merci à
- Nostre Signeur, car vos daarrains jours est venus.» Li 5
- doi chevalier furent durement abaubit de ces parolles,
- ce fu bien raisons, et disent qu'il ne pooient
- croire que vaillans hommes ne gens d'armes deuissent
- faire ne consentir tèle cruaulté que de mettre à
- mort chevaliers (pris[396]) en fais d'armes, pour guerres 10
- de signeurs; et se fait estoit par oultrage, aultre gent
- pluiseur, chevalier et escuier, le poront bien comparer
- en semblable cas. Li aultre signeur, qui là estoient
- et ooient ces parolles, en avoient grant pité.
- Mais, pour priière ne pour pluiseurs bonnes raisons 15
- que il peuissent faire ne moustrer au dit monsigneur
- Loeis, il ne le peurent oster de son pourpos qu'il ne
- convenist que li doi dessus dit chevalier ne fuissent
- decolet apriès disner, tant estoit li dis messires Loeis
- courouciés et aïrés sur yaus. 20
-
- [395] Mss. B4, 3, fo 85 vo.--Ms. B1, fo 129 (lacune).
-
- [396] Mss. B4, 3, fo 85, vo.--Ms. B1 (lacune).
-
-
- § 178. Toutes les parolles, demandes et responses,
- qui premiers furent dittes entre monsigneur Charle
- et le dit monsigneur Loeis à l'ocquison de ces deus
- chevaliers, furent tantost sceues à monsigneur Gautier
- de Mauni et à monsigneur Amauri de Cliçon, par 25
- espies qui toutdis aloient couvertement de l'une
- host en l'autre. Ossi furent toutes ces parolles daarrainnement
- dittes, quant li doi chevalier furent amenet
- en le tente monsigneur Charle. Et quant messires
- Gautiers de Mauni et messires Amauris de
- Cliçon oïrent ces nouvelles et entendirent que c'estoit
- acertes, il en eurent grant pité. Si appellèrent
- aucuns de leurs compagnons et leur remoustrèrent 5
- le meschief des deux chevaliers leurs compagnons,
- pour avoir conseil qu'il en poroient faire. Puis commencièrent
- à penser, li uns (chà[397]) et li aultres là, et n'en
- savoient qu'aviser. Au daarrain, commença à parler li
- preus chevaliers messires Gautiers de Mauni et dist: 10
- «Signeur compagnon, ce seroit grans honneurs pour
- nous, se nous poyons ces deus chevaliers sauver.
- Et, se nous nos metons en aventure dou faire, et se
- falissiens, si nous en saroit li rois Edowars, nos sires,
- grant gré. Ossi feroient tout preudomme qui en 15
- oroient parler, quant nous en arions fait nostre
- pooir. Si vous en dirai mon avis, se vous avés talent
- de l'entreprendre. Car il me samble que on doit
- bien le corps aventurer, pour les vies de deus vaillans
- chevaliers sauver. Jou ay visé, se il vous plaist, 20
- que nous nos irons armer, et nous partirons en deus
- pars, dont li une des pars istera maintenant, ensi
- que on disnera, par ceste porte; et si en iront li
- compagnon rengier et moustrer sus ces fossés, pour
- estourmir l'ost et pour escarmucier. Bien croi que 25
- tout cil de l'host acourront tantost celle part. Vous,
- messires Amauris, en serés chapitainne, s'il vous
- plest, et arés avoecques vous mille bons arciers,
- pour les sourvenans detriier et faire reculer. Et je
- prenderai cent de nos campagnons et cinq cens arciers, 30
- et isterons par celle posterne d'autre part couvertement,
- et venrons par derrière ferir en lors logeis
- que nous trouverons vuides. Jou ay moult bien
- avoecques mi tèle gent, qui scèvent bien le voie as
- tentes monsigneur Charle, là où li doi chevalier sont. 5
- Si me trairai celle part, et je vous creanch que jou
- et mi compagnon ferons nostre pooir dou delivrer,
- et les ramenrons à sauveté, s'il plest à Dieu.»
-
- [397] Mss. B4, 3 fo 85 vo.--Ms. B1 (lacune).
-
-Cilz consaulz et avis plaisi à tous; et se alèrent armer et apparillier
-incontinent. Et se parti droit sus 10 l'eure dou disner messires
-Amauris de Cliçon à trois cens armeures de fier et mille arciers, (et
-fist ouvrir[398]) le souverainne porte de le ville de Hembon, dont li
-chemins aloit droit en l'ost. Si coururent li Englès et li Breton, qui
-à cheval estoient, jusques en l'ost, 15 en demenant grans cris et grans
-hus. Et commencièrent à reverser et à abatre tentes et trés, et à tuer
-et decoper gens où il les trouvoient. Li hos qui fu toute effraée se
-commença à estourmir. Et se armèrent toutes manières de gens au plus
-tost qu'il peurent, 20 et se traisent devers les Englès et Bretons qui
-les recueilloient vistement. Là eut dure escarmuce et forte, et maint
-homme reversé d'un lés et d'autre. Quant messires Amauris de Cliçon vei
-que li hos s'estourmissoit, et que priès estoient tout armé et 25 trait
-sus les camps, il retraist ses gens tout bellement, et tout en
-combatant, jusques devant les bailles de le ville. Adonc s'arrestèrent
-il là tout quoi. Et li arcier estoient tout rengié sus le chemin, d'un
-lés et d'autre, qui traioient saiettes à pooir; et Geneuois retraioient
-30 ossi efforciement contre yaus. Là commença li hustins grans et
-fors; et y acoururent cil de l'host que onques nulz n'i demora, fors li
-varlet.
-
- [398] Mss. B4, 3, fo 86.--Ms. B1, fo 129 vo (lacune).
-
- Endementrues, messires Gautiers de Mauni et se
- route issirent par une posterne couvertement, et vinrent 5
- par derrière l'ost ens ès tentez et ens ès logeis des
- signeurs de France. Onques ne trouvèrent homme qui
- leur veast, car tout estoient à l'escarmuce devant les
- fossés. Et s'en vint li dis messires Gautiers de Mauni
- tout droit, car bien avoit qui le menoit en le tente 10
- monsigneur Charle de Blois. Et trouva les deus chevaliers,
- monsigneur Hubert de Frenai et monsigneur
- Jehan le Boutillier, qui n'estoient mies à leur aise;
- mais il le furent si tost qu'il veirent monsigneur
- Gautier et se route, ce fu bien raisons. Si furent 15
- tantost montés sus bons coursiers que on leur avoit
- amenés. Si se partirent et furent ensi rescous, et
- rentrèrent dedens Hembon par le posterne meismes
- par où il estoient issu. Et vint la contesse de Montfort
- contre yaus, qui les rechut à grant joie. 20
-
-
- § 179. Encores se combatoient li Englès et li Breton
- qui estoient devant les barrières et ensonnioient,
- de fait avisé, chiaus de l'host tant que li doy chevalier
- fuissent rescous, qui jà l'estoient. Et en vinrent
- les nouvelles as signeurs de France qui se tenoient à 25
- l'escarmuce. Et leur fu dit: «Signeur, signeur, vous
- gardés mal vos prisonniers; jà les ont rescous cil de
- Hembon et remis dedens leur forterèce.» Quant
- messires Loeis d'Espagne, qui là estoit à l'assaut, entendi
- chou, si fu durement courouciés, et se tint 30
- ensi que pour tous deceus. Et demanda quel part li
- Englès et li Breton estoient, qui rescous les avoient.
- On li respondi qu'il estoient jà ou priès retrait en
- leur garnison. Dont se retrest messires Loeis d'Espagne
- vers les logeis tous mautalentis, et laissa la
- bataille, si com par anoy. Ossi se commencièrent 5
- à retraire toutes aultres manières de gens. En che
- retret furent pris doi chevalier breton de le partie le
- contesse, qui trop s'avancièrent: che furent li sires
- de Landreniaus et li chastellains de Ginghant, dont
- messires Charles de Blois eut grant joie. Depuis que 10
- cil de Hembon furent retrait, et cil de l'host ossi,
- menèrent li Englès grant joie et grant reviel de leurs
- deux chevaliers qu'il ravoient, et en loèrent grandement
- monseigneur Gautier de Mauni; et disent bien
- que par son sens et se hardie entrepresure il avoient 20
- été rescous. Ensi se portèrent il d'une part et d'autre.
- Celle meisme nuit, furent en le tente monsigneur
- Charle de Blois tant preeciet et si bien li chevalier
- breton dessus nommet, qu'il se tournèrent de le partie
- monsigneur Charle, et li fisent feaulté et hommage,
- et relenquirent la contesse qui maint bien lor
- avoit fait et pluiseurs dons donnés. De quoi on parla
- moult et murmura sus leur afaire dedens le ville de
- Hembon.
-
- Trois jours apriès ceste avenue, tout cil signeur de 25
- France, qui là estoient au siège par devant Hembon,
- se assemblèrent en le tente monsigneur Charle de
- Blois, pour avoir conseil qu'il feroient, et comment il
- se maintenroient de ce jour en avant. Et bien lor
- besongnoit d'avoir bon conseil, car il veoient bien que 30
- li ville et li chastiaus de Hembon estoient si fort
- qu'il n'estoient mies pour gaegnier, tant avoit dedens
- de bonnes gens d'armes qui moult petit les doubtoient,
- ensi qu'il estoit apparut; et leur venoient tous
- les jours pourveances et vitailles par le mer. D'autre
- part, li pays d'entour estoient si gastet qu'il ne savoient
- mies où aler fourer. Et si leur estoit li yvier 5
- proçains, par quoi il ne pooient là longement demorer:
- si ques, tous ces poins considerés, il s'acordèrent
- tout communalment qu'il se partiroient de là.
- Et consillièrent en bonne foy à monseigneur Charle
- de Blois qu'il mesist par toutes les cités, les bonnes 10
- villes et les forterèces qu'il avoit conquises, bonnes
- garnisons et fortes, et si vaillans chapitains qu'il se
- peuist affiier en leur garde; par quoi li ennemi ne les
- peuissent reconquerre; et se ossi aucuns vaillans homs
- se voloit entremettre de prendre et de donner une 15
- triewe jusques à la Pentecouste, il s'i acordast legierement.
-
-
- § 180. A ce conseil se tinrent tout cil qui là estoient,
- car c'estoit entre le Saint Remi et le Toussains,
- l'an de grasce mil trois cens quarante deux, que li 20
- yviers approçoit. Si se partirent tout cil de l'host,
- signeur et aultre; si s'en rala cescuns en se contrée.
- Et li dis messires Charle de Blois s'en ala droit par
- devers le ville de Craais à tout ces barons et nobles
- signeurs de Bretagne, qu'il avoit là endroit de se 25
- partie; si retint avoech li pluiseurs signeurs et chevaliers
- de France pour lui aidier à consillier. Quant
- il fu venus à Craais, entrues qu'il entendoit à ordener
- de ses besongnes et de ses garnisons, il avint que
- uns riches bourgois et grans marcheans, qui estoit 30
- de le ville que on claime Jugon, fu encontrés de son
- mareschal monseigneur Robert de Biaumanoir, et fu
- pris et amenés à Craais par devant monsigneur
- Charle de Blois. Chilz bourgois faisoit toutes les
- pourveances madame la contesse de Montfort à Jugon
- et aultre part, et estoit moult amés et creus en le 5
- ville de Jugon qui est moult fortement fremée et sciet
- très noblement. Ossi fait li chastiaus, qui est biaus et
- fors, et de le partie le contesse dessus ditte. Et en
- estoit chastelains adonc, de par la dame, uns chevaliers
- moult gentilz homs que on clamoit monseigneur 10
- Gerard de Rocefort.
-
- Chilz bourgois, qui ensi fut pris, eult moult grant
- paour de morir; si pria que on le laissast passer par
- raençon. Messires Charles, briefment à parler, le fist
- tant examiner et enquerre de unes causes et d'autres, 15
- qu'il encouvenença de rendre et trahir le forte ville
- de Jugon. Et se fist fors de livrer l'une des portes par
- nuit à certainne heure, car il estoit tant creus en le
- ville qu'il en gardoit les clés; et pour chou mieulz
- assegurer, il en mist son fil en hostage. Et li dis messires 20
- Charles l'en devoit et avoit prommis à donner
- cinq cens livrées de terre hiretablement. Cilz jours
- vint; les portes furent ouvertes à mienuit. Messires
- Charles et ses gens entrèrent en le ville de Jugon à
- celle heure, à grant poissance. Li gette dou chastiel 25
- s'en perchut; si commença à criier: «As armes, (as)
- armes! Trahi! Trahi!» Li bourgois, qui de ce ne se
- donnoient garde, se commencièrent à estourmir. Et
- quant il veirent leur ville perdue, il se mirent au
- fuir par devers le chastiel par tropiaus. Et li bourgois, 30
- qui trahis les avoit, se mist à fui(r), par couvreture,
- avoecques yaus. Quant li jours fu venus, messires
- Charles et ses gens entrèrent ens ès maisons des
- bourgois pour herbergier, et prisent ce qu'il trouvèrent.
- Et quant messires Charles de Blois vei le chastiel
- si fort et si emplit de bourgois, il dist qu'il ne s'en
- partiroit de là jusques adonc qu'il aroit le chastiel à 5
- se volenté. Li chastelains et li bourgois de le ville
- perçurent bien tantost que cilz bourgois les avoit
- trahis; si le prisent et le pendirent tantost as crestiaus
- et as murs dou chastiel.
-
- Et pour ce ne s'en partirent mies messires Charles 10
- et ses gens, mais s'ordonnèrent et appareillièrent pour
- assallir fortement et durement. Quant cil qui dedens
- le chastiel se tenoient, veirent que messires Charles
- ne se partiroit point ensi jusques adonc qu'il aroit le
- chastiel, ensi qu'il avoit dit, et sentoient qu'il n'avoient 15
- mies pourveances assés pour yaus tenir plus
- hault de dix jours, il s'acordèrent à ce qu'il se renderoient.
- Si en commencièrent à trettier; et se porta
- trettiés entre yaus et monsigneur Charle qu'il se rendirent
- quittement et purement, salve leurs corps et 20
- leurs biens qui demoret leur estoient. Et fisent feauté
- et hommage à monsigneur Charle de Blois, et le recogneurent
- à signeur, et devinrent tout si homme.
- Ensi eut messires Charles le bonne ville et le fort
- chastiel de Jugon, et en fist une bonne garnison, et 25
- y laissa monsigneur Gerard de Rocefort à chapitainne,
- et le rafreschi d'autres gens d'armes et de
- pourveances. De ces nouvelles furent la contesse de
- Montfort et cil de sa partie tout courouciet, mais
- amender ne le porent; se leur couvint porter leur 30
- anoi.
-
- Endementrues que ces coses avinrent, s'ensonniièrent
- aucun preudomme de Bretagne de parlementer
- une triewe entre le dit monsigneur Charle et
- la contesse, la quèle s'i acorda legierement. Et ossi
- fisent tout si aidant, car li rois d'Engleterre leur
- avoit ensi mandet par les messages que la ditte contesse 5
- et messires Gautiers de Mauni y avoient envoiiés.
- Et tantost que ces triewes furent affremées, la
- contesse se mist en mer en instance de ce que pour
- arriver en Engleterre, ensi que elle fist, et pour parler
- au roy englès et li remoustrer toutes ses besongnes. 10
- Or me tairai atant de le contesse de Montfort,
- si parleray dou roy Edowart.
-
-
-FIN DU SECOND VOLUME.
-
-
-
-
-VARIANTES.
-
-
-
-
-VARIANTES.
-
-
-=§ 99.= P. 1, l. 1: Quant li rois.--_Ms. de Rome_: Vous devés sçavoir
-que li rois Phelippes de France fu enfourmés moult dur et très
-fellement et estragnement de son cousin le conte de Hainnau et des
-Hainnuiers de la cavauchie que il fissent à Aubenton et en la Tierasse.
-Et l'en fu repris assés plus que il n'en avoit esté, et tant que li
-rois dist que il i pourveroit, et s'enfellonnia trez grandement et bien
-à certes sus son cousin le conte de Hainnau.
-
-Li contes Loeis de Flandres et la contesse Margerite sa fenme se
-tenoient pour lors à Paris dalés le roi; et couvenoit de pure necessité
-que li rois les aidast à soustenir lor estat, car des rentes et
-revenues de Flandres il n'avoient nulles. Toutes estoient tournées à la
-volenté Jaquemon d'Artevelle, poursievoites et recheues par recheveurs
-qui en rendoient compte au dit d'Artevelle et as aultres honmes deputés
-à ce oïr et ordonner, bourgois de Gant, de Bruges, d'Ippre et de
-Courtrai. Et toutes ces revenues recheutes estoient misses et tournées
-en seqestre, afin, se li pais avoit à faire, que on trouvast cel argent
-apparilliet, ou que li contes lors sires vosist retourner avoecques
-euls, et estre bons et loiaus Flamens sans nulle dissimulation, car ce
-que Jaques d'Artevelle aleuoit et despendoit et tenoit son estat,
-estoit pris par asignation sus certainnes tailles, les quelles estoient
-faites et ordonnées à paiier toutes les sepmainnes. Li contes de
-Flandres poursievoit le roi de France et son consel trop fort que il
-vosist rendre painne à ce que li Flamenc fuissent obeisant à lui; et là
-où il ne le vodroient estre, que la painne où il s'estoient obligiet
-par sentense de pape, fust donnée sus euls.
-
-Li rois de France, qui consideroit toutes ces coses, et qui veoit que
-li Flamenc estoient trop fort rebelle à lui, et qui queroient aliances
-estragnes as Alemans, as Braibençons, as Hainnuiers et as Englois, et
-tout estoit en euls fortefiant et à l'encontre de li, les euist
-volentiers ratrais par douces et amiables paroles, se ils peuist, non
-par rigeur ne par manaces. Si envoia son connestable le conte Raoul
-d'Eu et de Ghines, le signeur de Montmorensi et le signeur de Saint
-Venant, et de prelas l'evesque de Paris et l'evesque de Chartres, en la
-chité de Tournai pour tretiier as Flamens. Et fissent tant chil
-signeur, conmissaire de par le roi de France, que les consauls des
-bonnes villes de Flandres vinrent parler à euls à Tournai. Là ot grans
-tretiés et lons et pluisseurs paroles proposées et remoustrées; mais li
-Flamenc, qui à Tournai estoient, avoient lor carge tèle que d'Artevelle
-lor avoit bailliet, et metoient en termes que, qant li rois Phelippes
-lor renderoit Lille, Douai et Bietune et les apendances, et li pais de
-Flandres en seroit remis en posession, il entenderoient à ses tretiés
-et non aultrement. Chil conmissaire n'avoient pas lor carge si avant
-que de respondre au ferme de ceste matère. Et pour ce fallirent li
-tretié, et retournèrent li signeur en France.
-
-Qant li rois vei que il n'en aueroit aultre cose, il envoia deviers le
-pape Clement VIme, qui pour ce temps resgnoit, unes lettres moult
-fortes ens ès quelles tous li pais de Flandres estoit loiiés et
-obligiés et sus sentens de pape; et prioit li rois que il vosist
-proceder sus. Li papes Clemens vei que li rois de France le requeroit
-de raison. Si jeta sentense generale et publ(iqu)e sus les Flamens et
-sus toute Flandres, et envoia ses bulles d'esqumenication as
-diocesains, tels que l'evesque de Cambrai, l'evesque de Tournai et
-l'evesque de Tieruane. Et n'osa uns lonch temps nuls prestres par tout
-le pais de Flandres chanter messe, sus privation de benefice et estre
-encourus en sentense de esqumenication. Qant Jaquemes d'Artevelle et li
-pais de Flandres veirent ce, il escrisirent deviers le roi d'Engleterre
-le dangier où tous li pais de Flandres estoit; et li priièrent que,
-qant il retourneroit deçà la mer, que il vosist amener en sa compagnie
-des prestres d'Engleterre, par quoi Diex fust servis en Flandres,
-maugré le pape d'Avignon et le roi Phelippe. Li rois d'Engleterre
-entendi à ceste priière trop volentiers, pour complaire as Flamens; et
-ne vosist point que les coses se portaissent aultrement en Flandres; et
-lor remanda, par ceuls meismes qui ces lettres avoient aporté, que il
-ne fuissent en nul soussi, il lor en menroit assés. Ensi s'apaisièrent
-li Flamenc; et se passèrent au mieuls que il porent d'aler au moustier,
-tant que li rois d'Engleterre fu retournés en Flandres. Et estoient li
-prestre moult courouchiet en Flandres de ce que point ne chantoient,
-car il perdoient les offrandes. Fo 55.
-
-P. 1, l. 5 et 6: Normendie.--_Ms. B 6_: «Jehan beau filz, prendés de
-mes gens tant que vous vorés avoir, et cheminés devers Haynau et
-contrevengiés sur mon nepveu les despis que il nous a fait. Et ne
-deportés ville ne hamel; mettés tout en feu et en flame. Et se nulle
-assamblée se fait contre vous de gens d'armes, sy m'en escripsiés: je y
-envoyeray tantost tant de gens que pour combatre tous venans.» A ches
-parolles obey le duc de Normendie moult vollentiers, car ossy il
-desiroit grandement à venir en Haynau et visseter le pais, car point
-n'amoit son cousin le conte de Haynau. Fos 135 et 136.
-
-P. 1, l. 10: le conte.--_Ms. d'Amiens_: Or vous parlerons dou comte de
-Laille qui estoit partis de Paris comme liutenant dou roy de Franche
-ens ès marches de Gascoingne, et fist tant par ses journées qu'il vint
-à Thoulouse où il avoit fait son mandement. Quant li gentil homme dou
-pays seurent se venue, si en furent tout joyant, car au voir dire il
-estoit moult vaillans chevaliers et preudoms et améz de touttes gens
-d'armes. Si se hastèrent encorres plus que devant et s'en vinrent tout
-deviers lui, car c'estoit sen entente que de faire une forte gherre en
-Bourdelois et en le terre qui se tenoit dou roy englès. Et se parti de
-Toulouse et vint à Montalban[399] à plus de trois mille lances et dix
-mille[400] bidaus et Thoulousains à gavrelos et à pavais. Et avoit li
-comtes de Laille adonc de se delivranche et de se carge mout de bonne
-gens, telz que le comte de Villemur, le comte de Commignes, le comte de
-Pierregort, le visconte de Bruniqiel, le visconte de Talar, le visconte
-de Murendon, le visconte de Quarmaing et le visconte de Lautrec et
-pluisseurs bons chevaliers et hardis. Et se partirent de Montalben et
-entrèrent en le ducé d'Aquitainne et coummenchièrent à gueriier le pays
-et à assegier fortrèches et à prendre prisonniers et à faire mout de
-desrois en le terre de Labreth et de Pummier et sus le terre le
-seigneur de Lespar et le seigneur de Tarse et le seigneur de Muchident,
-liquel n'estoient mies adonc fort pour resister contre yaus.
-Nonpourquant il fisent ossi tamainte chevauchie sur yaus. Une heure
-perdoient, l'autre gaegnoient, ensi que fait de guerre se poursuioit;
-mès touttes fois li comtes de Laille et ses routtes tenoient les camps.
-Fo 40.
-
- [399] _Ms. de Valenciennes_: au mont Saint Albain, Fo 91 vo.
-
- [400] _Ms. de Valenciennes_: trois mille sergans à lances et à
- pavais. Fo 91 vo.
-
-P. 1, l. 10: de (Lille).--_Mss. A 8 à 10, 15 à 17_: de Lille. Fo
-49.--_Mss. A 7, 23 à 33_: de Laille. Fo 49.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18
-à 22, 34 à 36_: de Laigle. Fo 53 vo[401].
-
- [401] A partir du présent volume, toutes les fois qu'une variante
- est fournie par les mss. _A 1 à 6_, le fo indiqué à la fin de la
- variante sera toujours le fo du ms. _A 2_ (2649 de notre
- Bibliothèque impériale).
-
-P. 2, l. 10: Kieret.--_Ms. d'Amiens_: A monsigneur Pière Bahucet. Fo
-39.
-
-P. 2, l. 10: Barbevaires.--_Mss. A 1 à 6, 8 à 17, 20 à 22_: Barbenoire.
-Fo 54.--_Mss. A 7, 18, 19, 34 à 37_: Barbenaire. Fo 49.
-
-P. 3, l. 14: Clement VI.--_Ms. d'Amiens_: qui nouvellement estoit
-creés. Fo 39 vo.
-
-P. 3, l. 16: en Flandres.--_Ms. d'Amiens_: car il estoit pappes en son
-pays et en touttes les terres qui de lui se tiennent, et de ce est il
-bien previlegiiés. Fo 39 vo.
-
-
-=§ 100.= P. 4, l. 2: de Douay.--_Les mss. A 11 à 14 ajoutent_: de
-Bethume. Fo 52 vo.
-
-P. 4, l. 8: dou Fay.--_Le ms. de Rome ajoute_: li sires de Chastellon,
-mesires Lois de Chalon. Fo 55.
-
-P. 4, l. 9 et 10: trois cens.--_Ms. d'Amiens_: deux cens. Fo 39
-vo.--_Mss. A 1 à 6_: quatre cens. Fo 54.--_Ms. de Rome_: et furent bien
-cinq cens lances, parmi le signeur de Wauvrin, capitaine de Douai, et
-le chapitainne de Lille, et quatre cens arbalestriers et bien siis
-mille honmes de piet. Fo 55 vo.
-
-P. 4, l. 14: devant soleil levant.--_Ms. d'Amiens_: environ heure de
-prime. Fo 39 vo.--_Ms. de Rome_: et se quatirent tant que les bonnes
-gens de la ville orent mis hors lor bestail, vaces, pors, buefs et
-brebis. Fo 55 vo.
-
-P. 4, l. 15: as portes.--_Ms. d'Amiens_: Mès jà avoient il estet de
-venue jusquez as portes de Courtrai et ochis hommes et femmes, et ars
-tous les fourbours au lez deviers Tournay, et pluisseurs maisons et
-cours environ Courtray. Fo 39 vo.--_Ms. de Rome_: et fuissent bien
-entré dedens la porte qui sciet ou cemin de Tournai, se il vosissent.
-Fo 55 vo.
-
-P. 4, l. 19: le Warneston.--_Ms. d'Amiens_: aqueillans et menans tout
-devant yaux jusquez au Warneston. Fo 39 vo.--_Ms. de Rome_: et prissent
-honmes, fenmes et enfans, et cachièrent tout devant euls, et fissent
-par lors varlès bouter le feu ens ès fourbours; et furent tout ars et
-la proie aquellie. Et se missent li François tout souef au retour, et
-tout caçoient devant euls, et vinrent à Dotegnies, et fu la ville toute
-arse. Fo 55 vo.
-
-P. 4, l. 21 et 22: ce jour.--_Ms. de Rome_: au soir. Fo 55 vo.
-
-P. 4, l. 22: dix mille.--_Mss. A 11 à 14_: douze mille. Fo 52 vo.
-
-P. 4, l. 23: que pors.--_Ms. d'Amiens_: trois mille pors et deus mille
-grosses bestes. Fo 39 vo.--_Ms. de Rome_: et bien cinq cens honmes, que
-fenmes, que enfans, qui depuis furent rançonné; et auquns on laissa
-aler pour l'amour de Dieu. Fo 55 vo.
-
-P. 4, l. 27: Ces nouvelles.--_Ms. d'Amiens_: ces nouvelles et les
-complaintes de chiaux de Tournay et dou pays environ. Fo 39 vo.
-
-P. 4, l. 30: d'Artevelle.--_Ms. B 6_: En che temps s'en vint Jaques de
-Hartevelle et se party de Gand à tout grant foyson de Flamens, et avoit
-intension de venir mettre le siège devant Tournay. Sy senefia son
-emprise au conte de Sallebrin, qui pour le tamps se tenoit en garnison
-en la ville d'Ypre, et que il i vaulsist estre. Fos 142 et 143.
-
-P. 4, l. 31: à Gand.--_Ms. d'Amiens_: et li fu remonstré quel dammaige
-et quel despit chil de Tournay et (li) chevalier franchois avoient fet
-ou pays de Flandres. Fo 39 vo.
-
-P. 5, l. 1: de Tournesis.--_Ms. d'Amiens_: et que briefment il venroit
-asiegier Tournay et tout le communalté de Flandres, et que jà n'y
-atenderoit ne roy d'Engleterre ne autre, et fist se semonsce et son
-mandement très grant et très especial, et mist adonc enssamble plus de
-soissante[402] mille Flamens. Fo 39 vo.
-
- [402] _Ms. de Valenciennes_: cinquante mille. Fo 91.
-
-
-=§ 101.= P. 5, l. 15: Quant li doi conte--_Ms. B 6_: Le conte de
-Sallebrin ne volt mie desobeyr, mais s'apresta du plus tost que il
-peult; et cueilla tout ses compaignons où il povoit avoir soixante
-lanches et se mist au chemin et en mena les arbalestriés de la ville
-d'Ypre avec luy; et chevauchèrent devers Warneston. Or les convenoit il
-passer asés près de la ville de Lille qui estoit françoise. Se(u) fu
-leur aller par espies en la ville de Lille. Adonc se mirent en esbuque
-cheux de Lille et firent trois agais; et en cescune (route) avoit cinq
-cens compaignons. De che ne se doubtoient les Flamens et chevauchoient
-sur la conduite de monsseigneur Vafflart de le Crois, qui moult
-longement avoit guerriiet ceulx de Lille et porté pluiseurs domaiges.
-Et sy savoit toutes les torses et les chemins de antour de Lille: sy
-avoit empris de mener les Englès et Flamens sauvement et sans peril au
-dehors de Lille; mais il faly à son pourpost. Car quant il vint à che
-pas où il cuidoit passer, il retourna, car il y trouva tel empechement
-et tel tranquis que c'estoit chose impousible de y passer. Sy fu tous
-esbahis et dist ensy au conte de Sallebrin: «Monseigneur, on nous a
-deffendu le voie par chy depuis que je n'y passay, et se n'y a pas
-quinze jours. Je vous consaille, puisque par chy passer ne povons, que
-nous retournons arière et prendons ung autre chemin où je vous menray:
-(il) sera plus loing de chestuy environ trois lieues, mais nous y
-serons sauvement et sans dangier de cheulx de Lille.» Adonc s'avisa et
-aresta le conte de Salbrin et dist: «Il nous fault au vespre estre au
-Pont de Fier, où Jacques de Hartevelle nous atent, car ensy je luy ay
-mandé. Allons au bout de che fos(s)et, nous trouverons voie: cheus de
-Lille ne nous quer(r)oient jamais chy.»
-
-Quelle chose que messire Wafflars desist ne quelle cose que il leur
-remonstrast, oncques le conte de Sallebrin ne le volt croire que il ne
-alast au debout du fosset; et puis les entra en ung vert chemin qui
-tout droit les mena là où cheulx de Lille avoient fait leur embusque.
-Et ne s'en donnèrent garde; sy furent droit sur eulx et ne peurent
-reculler. Messire Wafflart de le Croix, qui toudis se doutoit, alla
-derière: sy que osy trestost que il perchut cheux de Lille, il retourna
-son coursier et se fery parmi ung grans marès et se bouta en ung vivier
-et entre rossiauls et glaivons; là fu tout le jour jusques au vespre
-qu'il ysy hors à la nuit au mieulx qu'il pot et se sauva bien. Et le
-virent cheux de Lille partir, mais point ne le poursieuwirent, car il
-ne savoient pas que che fust messires Wafflars. Et entendirent à envayr
-et assalir le conte de Sallebrin et sa route, qui furent tantost
-avyronnet de plus de mille; lors virent bien que deffense ne leur
-valloit riens: sy se rendirent sauves leur vies.
-
-Ensy les perirent cheux de Lille et les menèrent dedens la ville à
-grant joie. Et là avoit ung jone escuiier, nepveu au pape Benedit qui
-lors regnoit pour le temps, qui s'apelloit Raimmons, qui là estoit
-venus pour son corps avanchier. Sy estoit chis très richement armés. Sy
-s'esmeut entre les commun(s) qui pris l'avoient dissencion pour sa
-prise: sy que, par envie et mauvaiseté il fut ochis, coyque le conte de
-Sallebrin et les riches hommez de la ville en furent durement
-courouchiés, mais amender ne le peurent.
-
-Ensy de cheulx de Lille fu pris messires Gillame de Montagut conte de
-Sallebrin, et depuis fu menés en prison à Paris devers le roy Phelippe,
-qui le veult avoir et veoir, et qui de surprise sceult trop grant gret
-à cheulx de Lille. Ches nouvelles seut Jaques de Hartevelle, quy se
-tenoit au Pont de Fier entre Audenarde et Tournay; sy en fu sy
-courouchiés, quant il le sceut, qu'il en rompy son voiage et son
-emprise et se retrait à Gand et donna congiet à tous les Flammens pour
-celle fois. Fos 143 à 146.
-
-P. 5, l. 20: cinquante.--_Mss. A 1 à 6, 15 à 17, 20 à 22_: quarante. Fo
-54 vo.
-
-P. 5, l. 21: arbalestriers.--_Ms. d'Amiens_: et s'en venoient deviers
-le Pont de Fier qui siet en Tournesis, où Jaqueme d'Artevelle estoit jà
-venus à plus de soissante mille Flammens, et atendoit les deux comtes
-dessus dis pour venir devant Tournay. Fo 39 vo--_Ms. de Rome_: car il
-avoient envoiiet de lors gens à Popringhe, à Miessines, à Berghes, à
-Cassiel, à Bourbourc, à Vorne, au Noef Port, à Dunqerque et à
-Gravelines, pour faire frontière contre les François qui se tenoient à
-Saint Omer, à Tieruane, à Aire, à Saint Venant. Et tout faisoient
-frontière et euissent fait des grands damages et contraires au dit pais
-de Flandres, se il ne sentesissent les Englois ens ès garnisons desus
-nonmées. Fo 56.
-
-P. 5, l. 22: pour venir.--_Ms. de Rome_: viers Audenarde. Fo 56.
-
-P. 5, l. 24: de Lille.--_Ms. de Rome_: en laquelle il i avoit de par le
-roi de France bien deus cens lances, Savoiiens et Bourgignons. Et là
-estoient mesire Amé de Genève, mesire Huge de Chalon, li Galois de la
-Baume, li sires de Villars et li sires de Groulé. Fo 56.
-
-P. 5, l. 25: s'armèrent.--_Ms. de Rome_: et montèrent à chevaus et
-fissent armer tous les arbalestriers de Lille et bien mille honmes
-avoecques euls. Et qant il furent tout issu, chil chevalier françois
-demandèrent se li Englois pooient faire plus d'un cemin. Chil qui
-congnissoient le pais, respondirent: «Oil, il i a deus voies: li une
-trait à la bonne main, et li autre à la senestre.» Qant il oïrent ces
-paroles, il partirent lors gens en deus, et fissent deus enbusques. Fo
-56.
-
-P. 5, l. 26: quinze cens.--_Mss. A 8, 9, 15 à 17_: cinq cens.--Fo
-50.--_Mss. A 11 à 14_: quatorze cens. Fo 53.--_Mss. A 20 à 22_: seize
-cens. Fo 83 vo.
-
-P. 6, l. 2: de le Crois.--_Ms. de Rome_: uns chevaliers françois et
-hainnuiers. Fo 56.
-
-P. 6, l. 11: jusques à là.--_Ms. d'Amiens_: et nous convient passer si
-aupriès de leur ville que à le tretie de deux ars. Fo 39 vo.--_Ms. de
-Rome_: si priès de euls (de Lille) que à une lieue ou là environ. Fo
-56.
-
-P. 6, l. 20: avant.--_Ms. de Rome_: Retournés à Ippre, se vous vos
-doubtés. Fo 56.
-
-P. 7, l. 1: se j'estoie pris.--_Ms. d'Amiens_: tous li avoirs de Bruges
-ne me respiteroit point que je ne fuisse mors à honte. Et je le vous
-remonstre, pour tant que hui que demain on ne me puist reprochier de
-men honneur. Fo 40.--_Ms. de Rome_: ma raençon est paiie: c'est sus la
-vie que je chevauce; mais vous, vous seriés mis à courtoise finance,
-vous n'aueriés nul mal de vostre corps. Fo 56.
-
-P. 7, l. 3: compagnie.--_Les mss. A 11 à 14 ajoutent_: car qui n'a
-point de teste, il ne lui fault point de bacinet ne de chaperon. Fo 53.
-
-P. 7, l. 4 et 5: et disent.--_Ms. d'Amiens_: Alons, alons, Waflart;
-nous n'avons garde, che ne sont que villain en Lille. Il n'oseront
-jammès yssir hors de leurs portes. Fo 40.
-
-P. 7, l. 7: se boutèrent.--_Ms. de Rome_: au tournant de une longe
-haie. Fo 56.
-
-P. 7, l. 7 et 8: l'embusce.--_Ms. d'Amiens_: de cinq cens compaignons
-qui se tenoient entre hayes et buissons au traviers dou chemin, et
-arbalestriers avoecq yaux qui leurs ars avoient tout tendus. Si
-coummenchièrent à escriier d'une vois: «Tous morés entre vous, Englès!»
-Fo 40.
-
-P. 7, l. 11: commencièrent il.--_Ms. de Rome_: li Savoiien et li
-Bourgignon. Fo 56.
-
-P. 7, l. 14: plus avant.--_Ms. de Rome_: et fist son cheval sallir
-oultre un fossé de douze piés de large. Fo 56.
-
-P. 7, l. 30: neveus.--_Ms. d'Amiens_: cousins. Fo 40.
-
-P. 7, l. 32: pour.--_Ms. de Rome_: envie ou pour ses belles armeures.
-Fo 56.
-
-P. 8, l. 2: courouciet.--_Ms. de Rome_: et euist paiiet quarante mille
-florins de raençon, se on le peuist avoir tenu en vie. Fo 56.
-
-P. 8, l. 3: pris et retenu.--_Ms. d'Amiens_: car on en volloit faire
-ung present au roy de Franche, enssi qu'il fissent dedens troix jours
-apriès. Et lez amenèrent à Paris douze bourgois de Lille et cent
-armures de fier à grant joie. Quant li rois de Franche seut ces
-nouvelles et comment li bourgois de Lille avoient esploité, si en fu
-mout joyans et les conjoi de grant coer et dist que c'estoient bonne
-gent et de hardie emprise, et que ce qu'il avoient fait leur seroit
-remuneret. Enssi se porta ceste besoingne. Li doi comte furent
-emprisonnet en Castelet, où il furent depuis ung grant temps, ensi que
-vous orez. Fo 40.
-
-_Ms. de Rome_: Si furent li contes de Sasleberi et li contes de Sufforc
-pris et amenés en la ville de Lille et bien gardé, tant que la
-connissance en vint au roi Phelippe. Qant il le sceut, il fu grandement
-resjois de lor prise, et les desira à veoir et les manda. On li envoia.
-Si furent amené à Paris et recreu sus lors fois: il n'orent nulle
-vilainne prison. Fo 56 vo.
-
-P. 8, l. 10 et 11: Pont de Fier.--_Ms. d'Amiens_: à bien soixante mille
-Flammens, pour venir assegier le chité de Tournay et ardoir tout le
-Tournesis. Fo 40.--_Ms. de Rome_: sus la rivière dou Lis. Fo 56 vo.
-
-
-=§ 102.= P. 8, l. 16: contrevengance.--_Ms. de Rome_: Li François ne
-pooient oubliier la cevauchie que li contes de Hainnau et mesires
-Jehans de Hainnau son oncle avoient fait en la Tierasse, pris et ars la
-ville d'Aubenton, Maubert Fontainnes, Vimi et bien quarante villes là
-ens ou pais. Et disoient li François que ce ne faisoit point à souffrir
-ne à consentir que il ne fust amendé. Tant fu parlé et remoustré au roi
-et à son consel que ordonné fu que li dus de Normendie, li ainnés fils
-dou roi Phelippe, à une qantité de gens d'armes, s'avaleroit et venroit
-en la conté de Hainnau, pour ardoir et bruir tout le pais et
-contrevengier les arsins que li contes de Hainnau et ses oncles et li
-Hainnuier avoient fait en la Tierasse et en Cambresis. Si tretos que li
-dus de Normendie fu esleus à estre chiés de ceste cevaucie, tout
-chevalier et esquier de Vermendois, d'Artois et de Piqardie en furent
-resjoi, car euls se desiroient à armer, et à porter contraire et damage
-les Hainnuiers. Fo 56 vo.
-
-P. 8, l. 21: environ Paskes.--_Ms. d'Amiens_: à le close Pasques. Fo
-40.
-
-P. 8, l. 22 et 23: Là estoient.--_Le ms. d'Amiens ajoute_: Si doi
-cousin de Blois, Loeys et Carles, car li comtes de Blois avoit renvoiet
-son hoummage au comte de Haynnau de tout ce qu'il tenoit de par lui,...
-li ducs de Bourbon,... messires Loeis de Savoie, messires Loeys de
-Chalon,... li sires de Grantsi, li sires de Montmorensi, li sires de
-Saint Venant, li sires de Saint Digier, li sires de Roye, messires
-Ustasses de Ribeumont, messires Jehans de Landas, li sires de Cran, li
-sires de Montsault, li sires de Cramelles, li sires de Fiennes, li
-sires d'Estourmelles, li sires de Bleville, messires Bouchiguaus. Fo 40
-vo.
-
-_Le ms. de Rome ajoute_: le duch Pière de Bourbon, mesire Jaqueme de
-Bourbon, son frère,... le conte de Videmont et de Genville,... le conte
-de Dreus,... le signeur de Castellon, le signeur de Conflans, marescal
-de Campagne, le conte de Harcourt, le conte d'Aumale, le signeur
-d'Estouteville, le signeur de Graville. Fo 56 vo.
-
-P. 8, l. 26: de Porsiien.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18, 19, 20 à 22, 34
-à 36_: de Pontieu. Fo 55 vo.
-
-P. 8, l. 27: de Couci.--_Les mss. A et B 3, 4 ajoutent_: le sire de
-Craon. Fo 53 vo.
-
-P. 9, l. 4: six mille.--_Mss. A 11 à 14_: dix mille. Fo 53 vo.--_Mss. A
-15 à 17_: huit mille. Fo 55 vo.--_Ms. d'Amiens_: Et estoient bien six
-mille hommes d'armes et six mille bidaus et Geneuois sans l'autre
-ribaudaille. Et avoit empris li dis ducs de Normendie que de venir
-assegier Vallenchiennes. Fo 40 vo.--_Ms. de Rome_: et tant que il
-estoient bien quatre mille esporons dorés et douse mille armeures de
-fier, sans les Geneuois arbalestriers. Et ne fissent pas celle asamblée
-si grande pour la cause des Hainnuiers que pour ce qu'il savoient bien
-que li Alemant, li Braibençon et li Hollandois, Zellandois et li
-Flamenc estoient tout aloiiet avoecques les Hainnuiers, et de rechief
-que li contes de Hainnau estoit alés en Engleterre au secours. Se
-voloient li François moustrer poissance à l'encontre de tous ceuls qui
-poroient venir. Fo 56 vo.
-
-P. 9, l. 9: se partirent.--_Ms. B 6_: Il partirent de Saint Quentin; il
-s'en vièrent devers Boucain pour venir vers le Chastel en Cambresy,
-car par ce costé voloient il entrer en Haynau. Et estoient bien dix
-mille combatans; sy vinrent si avant qu'il passèrent le Chastel en
-Cambresis et se logèrent à Montais, à l'entrée de Haynau. Fo 136.
-
-P. 9, l. 10: Saint Quentin.--_Ms. de Rome_: Et cevauchièrent devant li
-connestables et li marescal de France, et puis li dus de Normendie et
-sa route, et derrière li avant garde; et s'en vinrent logier sus la
-rivière de Selles autour dou Chastiel en Cambresis. Fo 56 vo.
-
-P. 9, l. 14: toute son host.--_Ms. de Rome_: et son hostel. Fo 56 vo.
-
-P. 9, l. 14: Montais.--_Ms. d'Amiens_: dallez le Castiel en Cambresis,
-à l'entrée de Haynnau. Fo 40 vo.--_Ms. de Rome_: dehors le chastiel. Fo
-56 vo.
-
-P. 9, l. 15: d'armes.--_Ms. d'Amiens_: de quoy il (li François) furent
-resvilliet celle première nuit. Fo 40 vo.
-
-
-=§ 103.= P. 9, l. 24: Montais.--_Mss. A 11 à 14_: Mortais. Fo 54.
-
-P. 9, l. 30: se parti.--_Ms. de Rome_: et s'en vint au Kesnoi et quella
-sus heure ce que il pot avoir de chevaliers et esquiers.... Sus le
-tart, il se departi dou Kesnoi.... Dou Kesnoi à Montais a quatre
-petites lieues; si furent tantos là. Fos 56 et 57 vo.
-
-P. 9, l. 30: de Wercin.--_Ms. B 6_: du Quennoy, à tout cent hommes
-d'armes. Fo 137.
-
-P. 9, l. 31: soixante.--_Ms. d'Amiens_: cinquante. Fo 40 vo.--_Ms. de
-Rome_: siis vins. Fo 57.
-
-P. 10, l. 4: jour falli.--_Ms. B 6_: Et pour che que en ce temps il
-faisoit brun et qu'il peuissent mieulx congnoistre l'un l'autre,
-vestirent chacun sur leur harnast ung blanc vestement. Fo 137.
-
-P. 10, l. 7: leurs chevaus.--_Ms. d'Amiens_: et eurent ordonnance, pour
-ce qu'il faisoit mout brun, que chacun ewist une chemise dessus ses
-armures; et qui n'avoit chemises, si y mesist quoy que fuist de blancq
-pour recongnoistre l'un l'autre. Fo 40 vo.
-
-P. 10, l. 7: leur dist.--_Ms. de Rome_: Li dus de Normendie est logiés
-en celle ville des Montais, et je vous ai amené jusques à chi pour
-faire auqune emprise d'armes. Si soiies tous avisés. Et quant nous
-enterons en la ville, criiés: Hainnau au senescal et Werchin à la
-retraite! Et ne vous faindés pas de euls porter contraire et damage, se
-vous poés, car qant il enteront en nostre pais, il ne nous espargneront
-point. Fo 57.
-
-P. 10, l. 12: des chevaliers.--_Le ms. d'Amiens ajoute_: le signeur de
-Gommegnies,... le seigneur de Boussi, le seigneur d'Espinoit, Jehan de
-Gommegnies, Ostelart de Soumaing. Fo 40 vo.--_Le ms. de Rome ajoute_:
-Gerars de Vendegies, li sires de Montchiaus. Fo 57.
-
-P. 10, l. 13: messires Henris.--_Ms. de Rome_: mestres Henris. Fo 57.
-
-P. 10, l. 14: dou Chastelet.--_Mss. A 8 à 10_: de Chasteler. Fo
-51.--_Mss. A 15 à 17_: du Chastelier. Fo 55 vo.
-
-P. 10, l. 14 et 15: li sires de Vertain.--_Ms. d'Amiens_: messires
-Ustasse de Vertaing. Fo 40 vo.--_Mss. A 23 à 29_: de Werchain. Fo 64.
-
-P. 10, l. 15: de Fontenoit.--_Ce chevalier n'est mentionné que dans le
-ms. B 1._
-
-P. 10, l. 16: des escuiers.--_Ms. de Rome_: Là fu li pennons au
-senescal desvolepés, et le porta uns esquiers qui se nonmoit Robers de
-Wargni. Fo 57.
-
-P. 10, l. 21: se boutèrent.--_Ms. d'Amiens_: et estoit environ mie
-nuit. Fo 40 vo.
-
-P. 10, l. 26: avant.--_Ms. de Rome_: dont bien l'en chei. En cel ostel
-estoit logiés li sires de Brimeu, et des compagnons françois biau cop
-avoecques lui. Fo 57.
-
-P. 10, l. 28: (Briauté).--_Mss. A 1 à 7, 9 à 17, 20 à 22_: Briauté. Fo
-56.--_Mss. A 30 à 36_: Breauté, Breaulté. Fo 129.--_Mss. A 18, 19, 23 à
-29_: Brience, Briance. Fo 56 vo.--_Ms. A 8_: Briancon. Fo 51.
-
-P. 10, l. 29 et 30: Quant li doi chevalier.--_Ms. de Rome_: Celle nuit
-faisoit le gait uns chevaliers de Normendie qui se nonmoit Guillaumes,
-sires de Gauville, et avoecques li mesires Pières de Praiaus. Et
-estoient establi en lor ordenance environ cent armeures de fier. Et
-trop bien chei à point au duch de Normendie et as signeurs qui là
-estoient logiés; car, se li gais ne fust tantos trait avant, li
-Hainnuier euissent porté grant damage as François. Mais li chevalier
-dou gait se traissent tantos avant, et vinrent devant l'ostel le duch
-de Normendie, et se missent en bonne ordenance. Fo 57.
-
-P. 11, l. 8: tortis--_Ms. B 6_: torses. Fo 137.
-
-P. 11, l. 14: estourmis.--_Ms. de Rome_: voires chil qui estoient
-logiés à Montais, car partout tant que avoecques le duch n'avoit que
-huit banerès et lors gens, vint et siis chevaliers en tout. Donc se
-requellièrent li Hainnuier moult sagement et criièrent: «Werchin à le
-retraite!» Chil qui entrèrent dedens l'ostel le signeur de Brimeu, en
-furent mestre et l'esforchièrent; et fu pris et fianciés prisons li
-sires de Brimeu et auquns de ses honmes. Fo 57.
-
-P. 11, l. 17 et 18: dix ou douze.--_Ms. B 6_: jusques à huit. Fo 138.
-
-P. 11, l. 21: au Kesnoi.--_Ms. d'Amiens_: Et li senescaux de Haynnau
-s'en vint au point du jour au Kesnoy. Si trouva monseigneur Thiery,
-seigneur de Fauquemont, à qui il recorda sen aventure, liquelx fu trop
-fort courouchiés de ce qu'il n'y avoit estet. De là en droit vint li
-senescaux à Vallenchiennes et enfourma chiaux de le ville de le venue
-des Franchoix; et leur dist que il avoit entendu, par prisonniers
-franchoix qu'il avoit pris, que c'estoit li entente dou duch que de
-assegier Vallenchiennes. Adonc chil de Vallenchiennes fissent
-songneusement prendre garde à toutte leur artillerie, as enghiens, as
-espringalles, as ars à tour et à touttes autres coses appertenans as
-deffensces. Et fissent le rivière d'Escault floer entour le ville, et
-renforchièrent leurs gais as portes, as tours et as garittes, tant de
-jour comme de nuit. Fo 40 vo.
-
-P. 11, l. 24: courouchiés.--_Ms. de Rome_: Li dus de Normendie ne sceut
-riens de ceste avenue jusques au matin. Si fu moult courouchiés qant on
-li ot dit, et que li sires de Brimeu et li sires de Bailluel en
-Normendie et li sires de Briauté estoient pris. Donc dist li dus: «On
-ne le puet amender. Li Hainnuier ont volé et pris, et puis se sont
-retrait quant il ont fait lor emprise. Aussi nous fault il voler et
-prendre: si sera prise contre prise.» Fo 57.
-
-P. 11, l. 28 et 29: deux cens.--_Ms. d'Amiens_: trois cens. Fo 40
-vo.--_Mss. A 15 à 17_: trois cens. Fo 56.
-
-P. 11, l. 30 et 31: li sires de Mirepois.--_Ms. d'Amiens_: li marescaus
-de Mirepois. Fo 41.--_Les mss. A 11 à 14 ne nomment que les trois
-premiers chevaliers et ajoutent_: le sire de Hambuye. Fo 54 vo.--_Le
-ms. de Rome ajoute_: li sires de Noiiers,... messires Anthones de
-Qodun, li sires de Loques, messires Tristrans de Magnelers. Fo 57 vo.
-
-P. 11, l. 32: li sires d'Astices.--_Ce chevalier n'est mentionné que
-dans le ms. B 1._
-
-P. 12, l. 1: li sires de Cramelles.--_Mss. A 15 à 17_: Raoul de
-Cramelles. Fo 56.
-
-P. 12, l, 1 et 2: chevauçoient.--_Ms. de Rome_: Et cevauchoient chil
-tout devant, et avoient lors honmes qui les sievoient et qui boutoient
-le feu. Fo 57 vo.
-
-P. 12, l. 2: mareschal.--_Ms. de Rome_: Apriès cevauçoit li avant
-garde, où li connestables de France et li marescal estoient. Fo 57 vo.
-
-P. 12, l. 4: cinq cens lances.--_Ms. de Rome_: deus mille armeures de
-fier. Fo 57 vo.
-
-P. 12, l. 5: de Normendie.--_Ms. de Rome_: li dus d'Athènes et la grose
-route des gens d'armes. Apriès venoit li arrière garde, que li sires de
-Couchi, li sires de Castellon, li sires de Montmorensi, li sires
-d'Estouteville et pluisseur aultre menoient, où bien avoit deus mille
-armeures de fier. Au voir dire, il estoient gens assés pour combatre
-tous cheuls de Hainnau, grans et petis. Et ensi que chil coureur
-chevauçoient devant, il ardoient le pais, sans ce que les batailles dou
-duch s'en ensonniassent ne desroiassent en riens. Fo 57 vo.
-
-P. 12, l. 11: d'Uintiel.--_Ms. B 6_: Che fu environ l'Ascension l'an
-mil trois cens quarante. Fo 140.
-
-P. 12, l. 11: oultre.--_Ms. d'Amiens_: Et ardirent che premier jour li
-Franchois Bavay, une bonne ville qui adonc estoit sans fremure; puis se
-retrairent et ne veurent adonc chevauchier plus avant pour lez bos et
-l'aventure des encontres. Si ardirent à leur retour Louvegni,
-Anfroipret, Saint Vast en Bavesis, Goummegnies, Preus, Fresnoit, Wargni
-le Grant et Wargni le Petit, Obies, Orsinneval; et abatirent les
-moullins de Quellinpont, et rompirent lez escluzes dou vivier, et
-donnèrent le pisson congiet d'aller jeuuer où il peult; et passèrent à
-Orsinneval et desoubz le Kesnoy, et ardirent Villers monsigneur Polle
-et Calames. Fo 41.
-
-_Ms. de Rome_: Et vinrent ardoir Bavai, Mieqegnies, Obies, Goumegries,
-Frasnoit, Wargni, Villers, et vinrent courir devant le Quesnoi, mais
-point n'i arestèrent. Et fust volentiers li seneschaus de Hainnau issus
-hors, se il euist eu gens assés. Et s'en vinrent ces coureurs à
-Bermerain et l'ardirent, et Vertain et Vertegnuel et tous les villages
-de là environ. Et en avoloient les flamesches jusques dedens la ville
-de Valenchiennes. Fo 57 vo.
-
-P. 12, l. 12: Oursineval.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22_: Esmenal.
-Fo 56 vo.
-
-P. 12, l. 19: de Normendie.--_Ms. d'Amiens_: ceste première nuit et
-toutte sen host sus le rivierre de Selles, entre Sollemmes et Haussi.
-Tout li plas pays fuioit devant yaux à sauveté; et se boutoient ens ès
-forterèches et amenoient, aportoient et acharioient le leur au Kesnoy,
-à Landrechies, à Bouchain et à Valenchiennes et as autres fors environ
-qui estoient tenable. Li senescaux de Haynau se doubta de son castel de
-Werchin. Si se parti de Valenchiennes tout de nuit, avoecq lui environ
-trente lanches, et fist tant que sans peril il s'i bouta. Et dist au
-seigneur d'Anthoing, qui estoit en Vallenchiennes, qu'il fuist songneus
-de le ville et dez hommes, affin que il n'y ewissent dammaige, ne il
-point de blasme. Fo 41.
-
-_Ms. de Rome_: ce second jour logier à Haussi, à Sausoit, à Solèmes et
-tout au lonc de la rivière de Selles jusques à Haspre; et menoient
-moult grant charoi. Honmes et fenmes et enfans avoient esté de lonc
-temps avisé de la venue des François; si ques il s'estoient tout
-pourveu à l'encontre de ce; et avoient amenet et achariiet lors
-millours meubles à Valenchiennes, à Maubuege, au Quesnoi et à Bouchain.
-Li François trouvoient fourages assés pour lors cevaus et nulles
-aultres pourveances. Fo 57 vo.
-
-
-=§ 104.= P. 12, l. 23: Fauquemont.--_Ms. d'Amiens_: qui estoit en
-garnison au Kesnoy. Fo 41.
-
-P. 12, l. 29 et 30: et recommanda.--_Ms. d'Amiens_: Adonc fist il
-commander estroitement que nuls ne wuidaist hors des portes du Kesnoy,
-homs ne femme, et sus le teste. Fo 41.
-
-P. 12, l. 30: Maubuege.--_Ms. de Rome_: et issi de Maubuege et vint à
-Pons sus Sambre. Et trouva les hommes moult esfraés, car li François
-avoient esté à Miequegnies et là priès, et avoient ars tout le pais de
-là environ. Encores en veoit on les fumières. Fo 57 vo.
-
-P. 12, l. 30: Biaurieu.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22, 34 à 36_:
-Beaugeu. Fo 56 vo.
-
-P. 12, l. 31: de Montegni.--_Ms. d'Amiens_: et establi à demourer, pour
-garder le ville, le seigneur de Roysin, le seigneur de Wargny. Fo 41.
-
-P. 13, l. 1 et 2: chevauça.--_Ms. de Rome_: et passa à Robertsart, et
-n'atendoit aultre cose que le logeis des François dou vespre. Fo 57 vo.
-
-P. 13, l. 3: Mourmail.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22, 34 à 36_:
-Moruel, Morueil. Fo 56 vo. _Mauvaise leçon._
-
-P. 13, l. 5 et 6: de Haussi.--_Ms. d'Amiens_: à Sollemmes, vers Haussi
-et Sausoit, en ces biaux prés. Fo 41.--_Ms. de Rome_: à Haussi et à
-Sausoit, et tout jusqu'à Haspre. Fo 57 vo.
-
-P. 13, l. 18: meschief.--_Ms. B 6_: Che soir faisoit le gait le sire de
-Craon à cinq cens hommes. Fo 138.
-
-P. 13, l. 23: Pikegni.--_Ms. d'Amiens_: et doi de ses escuiers, et
-navrez li sires de Cramelles mout durement et li sires de Sains. Fo
-41.--_Ms. de Rome_: Celle nuit faisoient le gait li contes d'Auçoirre,
-li sires de Noiiers et li sires d'Auchi, artissiens, et avoient bien
-trois cens combatans sus lor gait. Li Hainnuier et li Alemant
-n'entrèrent point de ce lés où li gais estoit, mais bien en sus, et
-cheirent sus le logeis le signeur de Piquegni, liquels salli tantos sus
-que il oy la friente, et s'arma et se mist à desfense moult
-vaillanment; mais il ot si grante qoite de li armer que point il
-n'estoit armés de plate fors de une cote de fier, laquelle fu perchie
-tout oultre de une roide espée et li corps dou chevalier, et morut de
-celle plaie.... Li sires de Piquegni, liquels estoit navrés tout parmi
-le corps, fu mis en une litière et portés à Cambrai pour saner et
-mediciner; mès onques de la navreure ils ne pot avoir garison et morut.
-Si retourna la terre de Piquegni à un sien fil, jone enfant, que on
-nonmoit Jehan, et qui depuis fist moult de mauls en France, voires à
-Amiens et là environ, ensi que vous orés recorder avant en l'istore.
-Fos 57 vo et 58.
-
-P. 13, l. 30: poursievi.--_Ms. de Rome_: Et là fist li sires de
-Fauquemont bonne compagnie as deus chevaliers françois, lesquels il
-enmenoit prisonniers, le visconte de Qesnes et le Borgne de Rouveroi,
-car il les recrut sus lors fois à venir à Mons en Hainnau tenir lors
-corps prisons, qant il en seroient requis, quinse jours apriès la
-semonse. Si retournèrent li chevalier en l'ost et comptèrent lor
-aventure. Fo 58.
-
-P. 13, l. 31: au Kesnoi.--_Ms. de Rome_: Si entrèrent dedens la ville
-et s'i rafresqirent, euls et lors cevaus, et puis retournèrent sus le
-soir à Maubuege. Fo 58.
-
-P. 14, l. 3: Et li dus.--_Ms. de Rome_: Ensi fu, la seconde nuit que li
-dus de Normendie se loga en Hainnau, li hoos des François resvillie
-des Hainnuiers, liquel avoient tout ce fait, sans porter point de
-damage à euls et à lor compagnie. De quoi li dus de Normendie en dist
-au matin, qant il en fu enfourmés: «Ces Hainnuiers sont de grant corage
-et de bonne emprise. Nous n'avons que deux nuis dormi en Hainnau; mès
-tout dis nous ont il resvillié: chi apriès, il seront resvilliet
-aussi.» Fo 58.
-
-P. 14, l. 15: quatre cens.--_Mss. A 15 à 17_: trois cens. Fo 57.
-
-P. 14, l. 16: bidaus.--_Mss. A 15 à 17_: sanz les bidaus, tuffes et
-petaux. Fo 57.
-
-P. 14, l. 16: s'en vinrent.--_Ms. d'Amiens_: à Verchin, où li senescaux
-estoit dedens le castel. Et regardèrent li Franchois le mannière dou
-fort et de le deffensce. Si moustrèrent de premiers que de trop grant
-couraige il le assaudroient, et fissent traire et lanchier leurs bidaus
-et Geneuois; mès riens n'y fisent, car li castiaux estoit bien pourveu
-d'artillerie, de kanons et d'ars à tour et de tous instrumens pour le
-deffendre. Si y pooient plus perdre que gaegnier, et il ne volloient
-pas trop travillier leurs gens, car il ne savoient quel besoing il en
-aroient. Si se partirent d'illuecques, mès il ardirent toutte le ville
-et abatirent une partie des murs dou gart de Werchin. Et passa toute li
-os là et environ. Et montèrent au lés deviers Fanmars, pour mieux veoir
-et adviser Vallenchiennes dou tierne. Et toudis aloient li coureur
-devant à destre et à senestre, ardans et exillans che biau plain pays
-de Haynnau. Si ardirent Presel, Marech, Biauvoir, Curgies, Sautain,
-Rombies et tout le plain pays jusquez à le rivierre de Honniel. Et se
-loga li dus ce jour sus le rivière d'Uintiel au lés deviers Kierenaing,
-et toute sen ost ossi, et se fist le nuit gettier bien et grossement à
-plus de cinq cens lanches et de deux mille bidaus et Geneuois, car il
-ne volloit mies que li Haynuier le resvillaissent ainssi qu'il avoient
-fait. Bien est voir que de Condet et dou castiel de Moustroel sus
-Haynne et dou castiel de Kievraing et de Kievrechin estoient assamblet
-et acompaigniet environ quarante lanches, et s'estoient boutet ès bois
-de Roisin; et volentiers ewissent fait quelque fait d'armes, se il
-ewissent veu leur plus bel. Li sires de Gommignies et li sires de
-Wargni ossi lez costiièrent tout le jour, mès point ne virent de jeu
-parti pour yaux aventurer, car li coureur franchois se tenoient tout
-enssamble, et estoient bien monté et plus de quatre cens lanches: se
-n'y faisoit nul pour les Haynuiers.
-
-Ce jour au matin qu'il fist moult bel et moult joli, car c'estoit ou
-mois de may, se deslogièrent li Franchois et se misent en arroy, et
-ordonnèrent le charoy et le fissent passer tout devant. Et puis
-chevauchièrent bannierres et seigneurs et vinrent, environ heure de
-primme, deseure Fanmars, sus ung terne que on appelle le mont de
-Castres; et là s'ordonnèrent il bien et faitichement en troix bonnes
-batailles. Le première avoit li dus de Bourbon, la seconde li comtes de
-Flandres, et la tierce li dus de Normendie. Là veoit on bannierres et
-pignons et armoirie en très grant parement. Là estoient muses,
-calemelles, naquaires, trompes et trompettes, qui menoient grant bruit
-et grant tintin. Et bien les veoient et ooient chil de Valenchiennes
-des tours et des clochiers, car il estoient à demy lieuwe d'iaux. Là
-sonnoit on les cloches ou biefroy de Vallenchiennes à volée, et
-estoient armet touttes mannierres de gens, et li rue Cambrisienne
-toutte plainne. Et volloient à force yssir et yaux aventurer; mès
-messires Henris d'Antoing, qui gardoit les clefs de celle porte, leur
-deveoit et leur disoit qu'il se voloient aller tout perdre. Nientmains
-il volloient yssir, coumment qu'il fuist, et y eut là pluiseurs grosses
-parolles entre le chevalier et yaux. Finablement il leur dist que
-messires de Biaumont, qui baux estoit dou pays et à qui on avoit juret
-et proummis de obeir, li avoit deffendu et coummandet sus sen onneur
-que nullement il ne les lessast wuidier. Et coummanda au prouvost qui
-là estoit, Jehan de Baisi, de par monseigneur Jehan de Haynnau, que il
-lez fesist retourner et aler à leur gès, as tours et as garittes, pour
-deffendre et garder le ville, s'il besongnoit. Et li prouvos vot obeir;
-si leur commanda à retraire, et il le fissent.
-
-A che donc estoient dedens Vallenchiennes aucun chevalier d'Engleterre,
-et par especial li comtes de Warvich, que li roys d'Engleterre avoit
-laissiet en Flandres. Et avoit estet chilz en le chevauchie de
-Aubenton, et demorés en Vallenchiennes, à le priière dou comte. Et
-estoient avoecques lui messires Hues de Hastinges, messires Rogiers de
-Biaucamp, messires Jehans Cambdos, messires Jehans de Graail, messires
-Oliviers de Baucestre, messires Rogiers de Cliffort. Si requisent chil
-chevalier à monseigneur Henry d'Antoing que on lez lessaist wuidier le
-ville sus leur peril et chevaucier deviers le rivierre d'Escault, pour
-veoir se il poroient nient trouver à faire aucune bacelerie, ne biau
-fait d'armes sus lez Franchois. Tant priièrent et parlèrent que il en
-eurent congiet, et estoient environ trente lanches et quarante
-archiers, et tout à ceval. Si wuidièrent par le porte d'Anzain, et
-cevaucièrent deseure Saint Vast. A ce donc couroit environ le Tourielle
-sus l'Escault ungs bons chevaliers franchois poitevins, messires
-Bouchichaus, et estoit avallés des batailles qui se tenoient au mont de
-Castres. Et estoient environ douze lanches; si avoient passet l'Escaut
-au pont de le Tourielle et estoient montet hault deviers Saint Vast
-pour descouvrir à cesti lés; mès il furent trouvet et rencontret des
-Englès dessus noummés. Et ne daigna oncques messires Bouchichaus fuir,
-et jousta franchement à messire Hue de Hastinges, et le porta par
-terre. Depuis fu il jus portéz par terre par deux chevaliers et tenus
-si cours qu'il le couvint rendre. Et fu fianchiés prisons et amenés à
-Vallenchiennes, et doy escuier de son pays avoecq lui. Et li autre se
-sauvèrent au mieux qu'il porent et retournèrent à leurs batailles, et
-recordèrent le prise de monseigneur Bouchicaus, dont li dus de
-Normendie fu mout courouchiéz. Fo 41 vo.
-
-_Ms. de Rome_: Qant ce vint au matin, on se desloga, et sonnèrent les
-tronpètes parmi l'oost. Tout s'armèrent et montèrent à chevaus, et se
-traissent sus les camps. Ce jour fist il moult biel, moult cler et
-moult joli, ensi que il fait ou mois de mai, et fu la nuit de une
-Asention. Li dus de Normendie ordonna à traire viers Valenchiennes.
-Donc cevauchièrent les batailles moult ordonneement, et n'aloient que
-le pas et costiièrent Werchin, mais point n'asallirent au chastiel,
-mais la vile fu arse. Et s'en vinrent tout li François arester et faire
-lor moustre sus le mont de Castres; et veoient Valenchiennes tout au
-plain devant euls, et là ordonnèrent trois batailles, tout armé au
-cler. Ce estoit une grande biauté que de euls veoir, les armes, hiaumes
-de quoi on s'armoit adonc, banières et pennons resplendir au solel. Et
-se tenoient li signeur tout quoi, atendans que on les venist combatre.
-
-Li jone chevalier de France et li esqier, qui desiroient les armes, ne
-se pooient tenir que il ne cevauçassent. Et s'en vinrent li marescaus
-de Mirepois, li sires de Noiiers, li Galois de la Baume, messires
-Tiebaus de Moruel, li viscontes d'Aunai, li sires d'Englure, li sires
-de Trainiel, messires Tristrans de Magnelers, li sires d'Aubegni, li
-sires de Fransures, li chastelains de Biauvais et pluisseur aultre,
-tout de grant volenté. Et estoient quatre cens d'emprise et de fait et
-bien montés, et vinrent courir devant le Kesnoi; et s'arestèrent sus
-les camps, et moustroient que on les venist combatre. Li marescaus de
-Hainnau et bien cinquante lances de bons Hainnuiers estoient là dedens.
-Pour ces jours li Qesnois n'estoit point si bien fremée conme elle
-estoit soisante ans apriès, et tous les jours elle amendoit en fremeté.
-
-Li compagnon consideroient trop bien l'ordenance des François conment
-il freteloient sus lors cevaus et faisoient courner lors menestrels, et
-moustroient que on les alast veoir et escarmuchier, mais il n'estoient
-pas gens assés. Si se tinrent tout quoi et pourveu de euls deffendre,
-se on les euist assallis. Qant il veirent ce que nuls ne saudroit, il
-s'en departirent et cevauchièrent viers Villers. Et menoient ces gens
-d'armes, boutefeus, avoecques euls, qui couroient de ville en ville, et
-boutoient le feu dedens et ne s'en departoient; si estoit la ville
-toute embrasée. Si ardirent de celle empainte Genlain, Curgies,
-Sautain, Presiel, Marec, Aunoit, Biauvoir, Fielainnes, Escaillon et
-Faumars. Et voloient les flamesques et les fascons en la ville de
-Valenchiennes, et li rai dou soleil en estoient tout encombré. Et
-s'avalèrent auqun François dou mont de Castres et vinrent ardoir les
-Marlis, et boutèrent le feu ens ès fourbours de la porte Cambrisienne.
-
-Pour ces jours estoit chapitainne et gardiiens de la ville de
-Valenchiennes institués et ordonnés de par mesire Jehan de Hainnau,
-mesires Henris d'Antoing, quoi que li senescaus de Hainnau et aultres
-chevaliers fuissent en la ville; mais il en avoit la souverainne
-aministration et se tenoit à la porte Cambrisienne, et là estoit trop
-fort heriiés et pressés d'auquns fos, outrageus et outrequidiés, qui
-voloient issir et euls aler perdre. Et bien leur disoit et remoustroit
-li chevaliers que point n'estoit heure de issir: «Souffrés vous, bonnes
-gens: la poissance des François est trop grande maintenant. Atendés que
-vous aiiés vostre signeur dalés vous; si en serés plus fort et mieuls
-consilliés. Il m'est deffendu que nuls ne isse, car se vous receviés
-blame ne damage, je n'en poroie estre escusés.» Ensi à grant mescief
-les amoderoit et refroidoit de lors folies li sires d'Antoing.
-
-Encores, en ce meisme jour, par le consentement dou connestable de
-France et des marescaus, se departirent dou mont de Castres auqun jone
-chevalier et esquier françois et cevauchièrent as aventures. Et tout
-estoit fait pour atraire les Valenchiennois hors de lor ville, et
-furent de une sorte environ deux cens lances. Et les menoient li sires
-de Craan, li sires de Maulevrier, li sires de Partenai, li sires de
-Tors et li sires de Matefelon, et s'avalèrent dou mont de Castres à
-Fontenelles, et vinrent à Main. Et là avoit une tour belle et bonne et
-encores a, laquelle pour ce temps estoit à un bourgois de Valenchiennes
-qui s'apelloit Jehan Bernier, et puis fu elle transmuée à autres hoirs.
-Chil chevalier de France et lor route vinrent là et l'environnèrent et
-le fissent asallir. La tour estoit forte assés, environnée de fossés et
-pourveue d'artellerie; car on i avoit envoiiet des arbalestriers de
-Valenchiennes, pour le deffendre et garder. Là ot grant asaut, mais li
-François n'i peurent riens faire. Avant en i ot des blechiés dou tret.
-Si passèrent oultre et vinrent à Trit. Li honme de la ville avoient le
-pont deffait. Si ne peurent (passer) oultre par ce pas là, mais il
-trouvèrent (un) des hommes dou pais meismes qui les mena autour as
-plances à Povri. Si passèrent là l'Eschaut et retournèrent à Trit. Et
-fu la ville toute arse et li moulin abatu, et ensi à Povri et à
-Rouvegni. Et refissent li François le pont à Trit, et ardirent
-Wercinniel, Bourlain et Infier, et tant que les fascons en avoloient à
-grant volées à Valenchiennes. Et retournèrent chil François et s'en
-ralèrent en lor hoost, c'est à entendre sus le mont de Castres,
-avoecques les aultres.
-
-Ce jour s'estoient aussi parti de lors arrois, troi jone chevalier de
-Poito: li uns fu nonmés messires Bouchicaus, li autres messires Jaques
-de Surgières, et li tiers messires Guis Poteron; et avoient passet
-l'Escaut au pont à Trit, car il estoit refais des plances meismes que
-chil de Trit en avoient osté. Et les avoient les François rasisses,
-pour passer et rapaser à lor volenté. Chil troi chevalier et lor route
-pooient estre jusques à vint cinq lances, et passèrent le pont à Trit,
-et vinrent courir viers Hurtebisse; et fissent bouter le feu dedens,
-tant que on le veoit tout clerement de Valenchiennes, car il n'i a que
-une petite lieue. Li seneschaus de Hainnau, qui se tenoit adonc à
-Valenchiennes, entendi que auquns François estoient avalé et passé
-oultre l'Eschaut au pont à Trit, et couroient sus ces biaus plains
-desus un moustier que on nonme Saint Vast, et ne lor aloit nuls au
-devant. Si parla au signeur de Berlainmont, à messire Henri d'Uffalise,
-à messire Oulefart de Ghistelle, au signeur de Biellain et à auquns
-chevaliers qui en Valenchiennes estoient enclos avoecques lui: «Je vous
-pri que nous montons sus nos chevaus et alons veoir viers Saint Vast
-quel sont chil qui i chevaucent. Espoir, poront estre tel que il
-paieront nostre escot.» Tout s'acordèrent à la volenté dou senescal, et
-montèrent environ cent compagnons tout bien armés, et prist casquns son
-glave; et fissent ouvrir les deus portes d'Anzain, la grande et la
-petite. Et se missent sur les camps et si à point que, droit au desus
-d'un moustier que on dist de Saint Vast, il vont trouver ces chevaliers
-poitevins qui avoient pris lor tour viers Bellain et Ierin et avoient
-fait bouter le feu dedens, et s'en retournoient pour passer à Trit, et
-avoient gides propement dou pais qui les menoient. Qant li seneschaus
-de Hainnau les vei et sa route aussi, qui estoient monté sus bons
-coursiers et bien alans, si lor vinrent au devant et escriièrent:
-«Hainnau!» et abaissièrent les glaves. Li seneschaus de Hainnau fu li
-premiers qui asambla à messire Bouchicau, qui estoit pour lor jones
-chevaliers, et fu depuis un moult vaillans homs. Il le feri à plainne
-targe un si grant cop, avoecques ce que il estoit fors chevaliers et
-bien montés, que il le bouta jus et passa oultre. Li sires de
-Berlainmont consievi parellement mesire Gui Poteron et le reversa jus à
-terre. Chil Hainnuier se frapèrent en ces François et en abatirent
-jusques à sept. Entrues que il entendirent à euls fianchier et faire
-rendre, mesires Jaquemes de Surgières et bien douse des leurs
-retournèrent sus frain, et prissent le cemin viers un village que on
-appelle Ierin; mais avant que il i parvenissent, pour euls sauver, il
-se boutèrent ens ès bois d'Aubri, et ne savoient où il aloient, car
-point ne connisoient le pais. Qant li seneschaus de Hainnau vei que
-chil François prendoient le cemin dou bois, si fist doubte que li
-François n'euissent là jetté une enbusqe, et que chil qui pris estoient
-et qui fuioient, n'euissent esté là envoiiet tout de fait pour
-descouvrir et pour faire sallir hors de Valenchiennes auquns gentils
-honmes qui s'i tenoient. Si fist cesser ses gens de non aler plus avant
-et non cachier. Et se retraissent tout le pas viers Valenchiennes, et
-enmenèrent les deus chevaliers prisonniers, messire Bouchicau et mesire
-Gui Poteron, poitevins, et jusques à diis de lors compagnons. Dont li
-senescaus acquist grant grasce des Valenchiennois. Et messires Jaquemes
-de Surgières et li autre, qui se boutèrent ens ès bos d'Aubri, se
-tinrent là et quatirent tout bellement jusques à tant que li viespres
-fu venus, et puis issirent hors et vinrent tout droit à Hurtebise, et
-de là au pont à Trit, et rapassèrent l'Escaut. Et qant ilz furent venu
-en l'oost, il comptèrent lor aventure, et conment messire Bouchicau et
-mesire Gui Poteron estoient demoré et pris dou senescal de Hainnau. Fos
-58 et 59.
-
-P. 14, l. 28: Villers.--_Les mss. A et B 3, 4, omettent_: Villers _et
-mentionnent deux fois_: Fanmars.
-
-P. 14, l. 32 et p. 15, l. 1: pries de Valenchiènes.--_Ms. B 6_: à demy
-lieue de Valenchiènes. Fo 140.
-
-P. 15, l. 28: d'Anzaing.--_Mss. A 1 à 6, 20 à 22_: du Rain. Fo 57.
-_Mauvaise leçon._
-
-P. 15, l. 32: Poito.--_Mss. A 1 à 6, 20 à 22_: Pontieu. _Mauvaise
-leçon._
-
-P. 17, l. 3: dou jour.--_Ms. B 6_: car on luy dit que cheulx de
-Vallenchiènes le venroient combatre, car tant orguilleus et
-presumptueux estoient. Fo 140.
-
-
-=§ 105.= P. 17, l. 15: un grant temps.--_Ms. de Rome_: tout ce jour de
-l'Asention. Fo 59.--_Ms. B 6_: l'espace de cinq heures. Fo 141.
-
-P. 17, l. 16: de Castres.--_Ms. de Rome_: à demi lieue de
-Valenchiennes. F. 59.
-
-P. 17, l. 18: li dus d'Athènes.--_Ms. d'Amiens_: et li doy marescal de
-France, li contes d'Auchoire. Fo 41 vo.
-
-P. 17, l. 19: trois cens.--_Mss. A 11 à 17_: quatre cens. Fo 56.--_Ms.
-B 6_: cinq cens. Fo 141.
-
-P. 17, l. 22: le tourielle à Goguel.--_Ms. d'Amiens_: le Tourielle et
-Goirel. Fo 41 vo.
-
-P. 17, l. 23: de le ville.--_Ms. B 6_: A che jour estoient en la ville
-de Vallenchiène le conte de Warvich et le conte de Kenfort que le roy
-d'Engleterre avoit laissiet à Gand delés madamme sa femme. Si estoient
-venu à Vallenchiènes pour la cause de ce que on avoit entendu que le
-duc de Normendie se venoit tenir celle part. Ches deux chevaliers
-avecque la communaleté de la ville euyssent trop vollentiers veu que
-(on) fust vidiet contre eulx et que on euist recueilliet cheux qui
-estoient venut jusques a(s) bailles. Mais messire Henri d'Anthoing, qui
-pour le temps estoit gardiens de Valenchiène de par monseigneur Jehan
-de Haynau, ne le veult oncques consentir, et dist et jura que jà
-personne n'en ysceroit; et fist faire le ban, de par le prouvost de la
-ville, que sur la teste nulz ne vidast hors de la ville sans
-commandement. Sy gardèrent le porte Cambrisiène, où celle estourmye
-estoit, le sire de Mastaing et le sire de Floyon. Fo 141.
-
-P. 17, l. 29: les ardirent.--_Ms. B 6_: et puis la ville d'Asnoy. Fo
-142.
-
-P. 17, l. 30: de Wintiel.--_Ms. d'Amiens_: et puis chevauchièrent
-toutte le rivierre contre mont vers Aunoit pour revenir à leur grosse
-bataille; mès en leur chemin il ardirent Aunoit, Felainne, Artre,
-Astriel, Kierenaing, Biaudegnies, et Pois et pluisseurs autres villes.
-Fo 41 vo.
-
-P. 17, l. 31: par derrière les Chartrois.--_Mss. A 1 à 6_: par devers
-les charroys. Fo 58.--_Mss. A 20 à 22_: par derrière les chariots. Fo
-88.--_Mss. A 11 à 14, 18, 19_: par devers les chartois. Fo 56.
-
-P. 18, l. 10 et 11: bien la moitiet.--_Ms. d'Amiens_: que il en tuèrent
-dix et fissent saillir en le rivière, et en y eut ossi des noiiéz, et
-furent chil euwireux qui escapper peurent. Fo 42.
-
-P. 18, l. 21: ce soir.--_Ms. de Rome_: Qant ce vint sus la remontière,
-et que li signeur estoient tout hodé et lassé de tant estre sus lors
-cevaus, car ce jour il avoient bien petit beu et mengié fors sus lors
-cevaus. Fo 59.
-
-P. 18, l. 21: à Maing et à Fontenielles.--_Le ms. d'Amiens ajoute_: et
-à Trit. Fo 42.--_Ms. de Rome_: à Fontenelles et à Main, en ces biaus
-prés. Fo 59.
-
-P. 18, l. 23: Maing.--_Ms. B 6_: A son departement de la ville de Maing
-où il estoit logiés, ardirent les Franchois Denaing et l'abeie de
-Fontenelles où madamme sa tante estoit logie, mais elle se tenoit à
-Valenchiènes. Fo 142.
-
-P. 18, l. 25: de Valois.--_Ms. d'Amiens_: où medamme Jehanne de
-Vallois, ante dou dit duc, se tenoit par devotion; mès elle n'y estoit
-mies adonc, ainchois se tenoit en Vallenchiennes. Fo 42.--_Ms. de
-Rome_: Madame de Valois, ante dou duch de Normendie, n'estoit point
-pour ces jours à Fontenelles, mais se tenoit à l'ostel de Hollandes à
-Valenchiennes, et toutes les dames dou dit monastère; et là avoient
-amené toutes lors coses, car en gerre et en hainne n'a nulle segurté.
-Fo 59.
-
-P. 18, l. 28: A ce departement.--_Ms. d'Amiens_: Le jour que li dus de
-Normendie se parti de Fontenelles et de Maing, i eut une grant
-escarmuche au pont à Trith sus l'Escaut; car là estoient requeilliet li
-Haynuyer, hommes des villages de là entours, et deffendirent le pont
-mout vassaument contre lez Franchois che qu'il peurent; et l'ewissent
-bien tenu et deffendu, mès li aucun Franchois allèrent autour passer
-l'Escault as planches à Prouvi, et vinrent à Trit, et trouvèrent chiaux
-qui se combatoient as Franchois. Lors y eut grant fouleis, et couvint
-les Haynuier partir et leissier le pont et le deffensce. Et passèrent
-touttes mannières de gens qui passer veurent, et abatirent ung petit
-castelet qui là estoit et les moullins, et ardirent toutte le ville et
-Wercinnel ossi; mès depuis furent il reboutet et reculet dou comte de
-Warwich et de se routte, et en y eut bien mors que noiiés soissante. Fo
-42.
-
---_Ms. de Rome_: A lor departement, la ville de Maing fu toute arse, et
-la mention de l'abeie de Fontenielles aussi. Chil qui cevauçoient
-devant et sus les costés, ardoient villes et hamiaus, et ardirent en
-lor venant Monchiaus, Thians, Douci. Et partout il abatirent les
-moulins, car ces villes sont seans sus rivière. Et cevauchièrent tant
-ce jour li François que il aprochièrent Nave et Iwis. Et vint li dus de
-Normendie mettre son siège devant le chastiel d'Escauduevre, seant sus
-la rivière d'Escaut. Fo 59.
-
-P. 18, l. 30: Thians.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22, 34 à 36_:
-Thiois. Fo 58.
-
-P. 18, l. 32 et p. 19, l. 1 à 18: Ce jour .... sans pité.--_Cet alinéa
-manque dans tous les mss. A sans exception._
-
-P. 19, l. 20: Escauduevre.--_Ms. de Rome_: Chil de la garnison
-d'Escauduevre avoient, tout l'ivier et le temps, cuvriiet et herriiet
-ceuls de Cambrai. Fo 59.
-
-P. 19, l. 20: et fort.--_Ms. d'Amiens_: à une lieuwe de Cambray. Fo 42.
-
-P. 19, l. 25: de Sassegnies.--_Ms. de Rome_: uns chevaliers de Hainnau.
-Fo 59.
-
---_Ms. B 6_: En che temps estoit cappitaine du chastel d'Escauduevre
-sur l'Escault, à une bonne lieue de Cambray, messire Gerart de
-Saingnies par l'ordonnance de monseigneur Jehan de Haynau qui avoit le
-gouvernement de la conté de Haynau, entreulx que sen nepvreu le conte
-estoit en Engleterre, sy comme chy dessus est dit. Je ne say comment il
-avint ne par quelle procuration che fu fait, mais il vendy le dit
-chastel et le livra as Franchois. Et fu pris le dit chevalier de ceux
-de Thun, à l'issir hors de Cambray, où il avoit l'argent avoecq luy. Se
-fu amenés à Mons en Haynau et là fut justichiés, et ung sien escuier
-avoecq luy, qui avoit consenti le mal à faire. De le prise du chastel
-d'Escauduevre furent les Haynuierz moult courouchiés, car cheulx de
-Cambray l'abatirent rés à rés de terre, et en menèrent le pière à leur
-ville, et en firent faire deux de leur portes, le porte Robert et une
-aultre. Fos 146 et 147.
-
-P. 19, l. 27: mès li dus.--_Ms. d'Amiens_: en traita et parla à yaux
-tant et si bellement messires Godemars (dou[403] Fay), qui jadis les
-connissoit, que.... Fo 42.
-
- [403] Le nom est laissé en blanc dans le ms. d'Amiens.
-
-P. 19, l. 28: six jours.--_Ms. de Rome_: sept jours, Fo 59 vo.
-
-P. 19, l. 32: Mariniaus.--_Ms. de Rome_: Et qant il furent venu en
-Hainnau, li saudoiier meismes, qui en Escauduevre s'estoient tenu
-avoecques euls, les prisent au conmandement messire Jehan de Hainnau
-qui se tenoit en la ville de Mons, et furent amené devant lui et acusé
-de traison. Onques il ne s'en porent escuser de la mise ne delivrer. Fo
-59 vo.
-
-P. 19, l. 32: pris.--_Ms. d'Amiens_: Vous avés bien chy dessus oy
-recorder le prise d'Escaudoeuvre et coumment messires Gerars de
-Sassegnies et Robers Mariniaux le rendirent. Si n'en furent il mies
-mescreus de premiers, fors tant que li saudoiier de dedens furent trop
-esmervilliet de ceste aventure. Et vinrent au jour qu'il fu rendus ou
-castiel de Thun l'Evesque, qui siet assés priès, et recordèrent as deux
-frères de Mauni, Jehan et Thieri, ceste mesavenue, et coumment Gerars
-de Sassegnies lez avoit preechiéz que il ne se pooient tenir longement
-contre si grant ost que li dus de Normendie. Nient moins et sus cez
-parolles li Franchois y estoient l'endemain entret. Lors demandèrent li
-enfant de Mauni qu'il pooit y estre devenus, et il disent qu'il ne
-savoient, mès bien cuidoient qu'il fuist en Cambray. Sus ceste parolle
-chil doy frère de Mauny envoièrent espies à Cambray, qui raportèrent
-que messires Gerars et chilz Robiers y estoient. Si furent si bien
-poursieuwi des deux enfans de Mauny qui misent enbuces et agaix sus
-yaux, que ung jour qu'il estoient parti de Cambray, il furent pris de
-Jehan et de Thieri de Mauni et amenet à Bouchain et là mis en prison.
-Tantost apriès, Jehan de Ma(u)ni s'en vint à Mons en Haynnau parler à
-monseigneur de Biaumont, et li recorda tout le fait et coumment il lez
-avoit pris. Si lez renvoya querre messires Jehans de Haynnau et ramener
-en Mons en Haynnau. Depuis n'en fist il nient trop longe garde, car il
-lez fist morir honteusement et trayner comme trayteurs contre leur
-seigneur. Che paiement eurent il de leur fourfaiture. Et encorres
-estoit li comtes Guillaummes de Haynnau hors de ses pays, dont trop
-desplaisoit à monseigneur de Biaumont son oncle. Fo 42 vo.
-
-P. 20, l. 2: de Cambrai.--_Ms. d'Amiens_: machon et carpentier. Fo 42.
-
-P. 20, l. 4: leur ville.--_Ms. d'Amiens_: et en fu faite li porte
-Robert, qui siet sus Haynnau. Fo 42.
-
-
-=§ 106.= P. 20, l. 9 et 10: voisines.--_Ms. d'Amiens_: .... de
-Mortaigne et de Tournay. Fo 42.
-
-P. 20, l. 13: trois cens.--_Mss. A 11 à 14_: quatre cens. Fo 56 vo.
-
-P. 20, l. 15: Villars.--_Mss. A 1 à 7, 23 à 33_: Villars. Fo 58
-vo.--_Mss. A 8 à 10, 18, 19_: Villers. Fo 53 vo.--_Mss. A 11 à 17, 20 à
-22, 34 à 36_: Villiers. Fo 56 vo.
-
-P. 20, l. 16: avoecques.--_Ms. d'Amiens_: messires Gerars de Monfaucon,
-messire Thiebaux de Maruel. Fo 42.
-
-P. 20, l. 17: Wavrain.--_Mss. A 11 à 14_: Wertain. Fo 56 vo.
-
-P. 20, l. 19: riens dehors.--_Ms. de Rome_: reservé le chastiel de
-Bouchain, qui ne fust tout ars et mis à seqution, ne nuls ne lor ala au
-devant. Les bonnes gens du pais d'Ostrevant estoient retrait en
-Valenchiennes, et là avoient amené une partie de lors biens, et les
-bestes cachies ens ès bois, ou fait venir ens ès praieries de
-Valenchiennes et de Condet, et là les tenoient pour eslongier lors
-ennemis. Fo 59 vo.
-
-P. 20, l. 20: Bouçain.--_Mss. A 8 à 17, 34 à 36_: Bouhaing. Fo 53 vo.
-
-P. 20, l. 24: cinq cens ou six cens.--_Ms. d'Amiens_: trois cens ou
-quatre cens. Fo 42.
-
-P. 21, l. 2: Here.--_Mss. A 8 à 10, 15 à 17_: Hette. Fo 58 vo.
-
-P. 21, l. 2: Fenain.--_Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18 à 36_: Sonnain,
-Sonnent, Senaing, Senain. Fo 58 vo.--_Mss. A 8 à 10, 15 à 17_: Fenain,
-Fenaing. Fo 53 vo.
-
-P. 21, l. 3: Mauni.--_Mss. A_: Wargni.
-
-P. 21, l. 3: Aubrecicourt.--_Ms. d'Amiens_: .... Buignicourt,
-Maucicourt,... Rouvegny,... Noefville. Fo 42.
-
-P. 21, l. 7: Bouçain.--_Mss. A 8 à 17, 34 à 36_: Bouhaing. Fo 53 vo.
-
-P. 21, l. 20: plus priès.--_Ms. de Rome_: une lieue en sus de là. Fo 59
-vo.
-
-P. 21, l. 23: sires.--_Ms. de Rome_: quoique la ville (de Landrecies)
-et Avesnes fuissent au conte de Blois. Fo 59 vo.
-
-P. 22, l. 14: Coulongne.--_Ms. de Rome_: et en estoit capitainne uns
-esquiers qui se nonmoit Albrest Qose, de Coulongne. Fo 59 vo.
-
-P. 22, l. 25 et 26: li sires de Bousies, Gerars de Mastain et Jehans de
-Mastain.--_Ces Chevaliers ne sont dénommés que dans les mss. B et A 7 à
-10, 15 à 17._
-
-P. 22, l. 32: si dur.--_Ms. de Rome_: que la proie fu rescouse, et
-Albrest pris et auquns des aultres, et chil qui se sauvèrent furent
-cachiet jusques ens ès portes de la Malemaison. Si raportèrent li
-compagnon le signeur de Potelles tout mort à Landrechies. Depuis fu il
-envoiiés à Valenchiennes sus un char et en un linsiel, et ensepvelis en
-l'eglise des Cordeliers de Valenchiennes. Ensi se portent les aventures
-d'armes. Tels se lieuve au matin, qui ne scet qu'i(l) li avenra. Fo 59
-vo.
-
-
-=§ 107.= P. 23, l. 8: Bohain.--_Mss. A 23 à 29_: Bouchain. Fo 68.
-
-P. 23, l. 8 et 9: Chastiel en Cambresis.--_Ms. d'Amiens_: de Biauvoir
-et de Sierain, et tint bien et francement le fortrèche contre lez
-Franchois. Or parlerons dou duc de Normendie coument il vint asegier
-Thun l'Evesque seant sus Escaut. Fo 42 vo.
-
-P. 23, l. 10: li Haynuier.--_Ms. de Rome_: Et cevauçoient moult souvent
-li Hainnuier sus ceuls de Bohain et de la Malemaison; une fois
-gaegnoient et l'aultre perdoient: ensi estoit tous li pais entouelliés.
-Fo 59 vo.
-
-
-=§ 108.= P. 24, l. 10: remoustroient.--_Ms. B 6_: que le conte de
-Haynau et ses gens avoient fait plus de damaige au pais de Cambresis et
-à le cité de Cambray que ne fist le roy d'Engleterre. Fo 147 et 148.
-
-P. 24, l. 13 et 14: au ravoir.--_Ms. d'Amiens_: et il aroit fait ung
-biau voiaige, car il avoit villainnement ars et escaudet le contet de
-Haynnau. Fo 42 vo.
-
-P. 24, l. 18: Vermendois.--_Ms. de Rome_: en Amiennois, en Bar et en
-Lorrainne. Fo 60.
-
-P. 25, l. 3: des quelz.--_Ms. d'Amiens_: Jehans de Mastaing, Bridouls
-de Thians, Thieris et Hostelars de Soumaing, Gilles Moriaux de
-Lestinnes, Hues d'Aunoit, Sandrais d'Esquarmaing. Fo 43.
-
-P. 25, l. 6: et Thieris.--_Ms. de Rome_: Jehans de Mauni et Tieris son
-frère, qui chapitainne en estoient, se reconfortoient en ce que il
-estoient bien pourveu, et aussi que lors sires li contes de Hainnau
-queroit aide et aliances partout, et que de poissance li sièges seroit
-levés. Si ne se esbahirent point li Hainnuiers, quoi que li enghien
-jetaissent continuelment, qui lor rompirent tous les tois dou dit
-manage.
-
-Ce siège estant devant Thun l'Evesque, chil de la garnison de Bouchain
-issirent une fois hors, et vinrent au matin cevauchier jusques à
-Esqerchin, et trouvèrent les honmes en lors lis, et prissent desquels
-que il vodrent. Et puis se missent au retour et boutèrent le feu en
-Esqerchin et ardirent Lambres et les fourbours de Douai et tout ce qui
-de France se tenoit, et rentrèrent dedens la garnison de Bouchain, sans
-prendre nul damage. Ensi couroient les garnisons, l'un sus l'autre, et
-faisoient les armes.
-
-Chil de la conté de Hainnau s'esmervilloient trop fort que lors sires
-estoit devenus, car il n'en ooient nulles nouvelles. Et en parloient li
-chevalier et li esquier et li consaus des bonnes villes à messire Jehan
-de Hainnau, et li disoient: «Sire, c'est trop mal fait que vous
-n'envoiiés plus especiaulment deviers nostre signeur le conte, par quoi
-il soit bien acertes segnefiiés de l'estat de son pais. Il i a jà plus
-de siis sepmainnes qu'il se parti, et si n'en ot on nulles nouvelles.
-Se vous les avés, si n'en avons nous nulle congnissance.» Mesires
-Jehans de Hainnau respondoit à ces paroles et disoit: «Il n'a pas tenu
-en ma negligense que je ne m'en soie bien acquités. Monsigneur de
-Hainnau a esté en Engleterre, et li a li rois d'Engleterre fait très
-bonne chière et li a proumis, selonch che que il m'a escript et
-segnefiiet par ses lettres, que il sera dedens le jour Saint Jehan, à
-poissance de gens d'armes et d'archiers, en la ville de l'Escluse. Et
-sur ce monsigneur mon cousin est departis d'Engleterre, et monta en mer
-à Orvelle là où il ariva qant il vint ou pais, et a pris terre à
-Dourdresc en Hollandes. Et tous enfourmés de l'estat de son pais, et
-pour resister à l'encontre de la poissance dou duch de Normendie et des
-François, il est alés deviers le roi d'Alemagne au seqours, et semonre
-tous les aloiiés. Et temprement vous le verés revenu en ce pais, et
-gens d'armes à pooir avoecques li.» Fo 60.
-
-P. 25, l. 30: ne l'estoient.--_Ms. d'Amiens_: il devoient rendre le
-fortrèche et yaux partir simplement sans riens porter dou leur. Et de
-ce livrèrent il deus escuiers gentil hommes hostages, pour mieux le
-duch acouvenenchier. Fo 43.
-
-P. 26, l. 1: acorda.--_Ms. de Rome_: Li auqun, qui consideroient le
-dangier où li Hainnuier estoient, opposoient au tretié et disoient:
-«Pourquoi lor donroit on jour? Il ne se pueent plus tenir. Le chastiel
-est nostre, se monsigneur le voelt avoir et nous aussi.» Nequedent
-toutes ces paroles remoustrées, li dus de Normendie s'inclina à
-douçour, non à rigeur, et entendi à lor trettié. Et i furent recheu, et
-livrèrent plèges Gillion de Soumain et Tieri de Soumain son frère,
-Robert de Villers et Hueon d'Aunoit. Et cessèrent li enghien, et se
-rafresqirent li compagnon, pour lors deniers, de vivres et de vins, et
-vinrent en l'oost veoir le duch qui les vei volentiers, et lor fist
-donner de son vin bien et largement. Et là avoit dedens la forterèce
-une damoiselle gentil fenme, qui enclose s'i estoit pour l'amour de son
-ami Jehan de Mauni, et se nonmoit Kateline de Wargni, et estoit des
-damoiselles de l'abeie de Denain. Et estoit si enchainte que sus ses
-jours, et moult avoit esté destourbée et travillie dou ject des pières
-des enghiens, tant que tout li compagnon en avoient eu grant pité. Si
-fu menée à sauveté à Bouchain, et en fu grant nouvelle en l'oost des
-François, car par lor dangier et congiet, le couvint passer et aler en
-la garnison de Bouçain. Fo 60.
-
-P. 26, l. 7: par le trettiet devisant.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à
-22_: pour le traittiet devisier. Fo 59 vo.
-
-P. 26, l. 9: son neveu.--_Ms. d'Amiens_: qui moult s'esmervilla dou
-conte son nepveult qui tant demouroit. Et l'avoit jà remandet par
-pluiseurs messaiges, et li avoit escript et contenut veritablement
-l'arsin et le doummaige que ses pays avoit recheus, dont li comtes
-n'estoit mies plus liéz, et metoit paynne à son retour à revenir
-hasteement, et aqueroit amis de tous costéz. Fo 43.
-
-
-=§ 109.= P. 26, l. 22: de Byaumont.--_Ms. de Rome_: et de Chimai. Fo 60
-vo.
-
-P. 26, l. 27 et 28: amendet.--_Ms. de Rome_: et avoit esploitié et
-avanchié ses besongnes que toutes gens d'armes d'Alemagne, liqel
-estoient aloiiet et ahers en la gerre avoecques le roi d'Engleterre, le
-sievoient et par l'ordenance et conmandement de Lois le Baivier, roi
-d'Alemagne et empereour de Ronme. Fo 60 vo.
-
-P. 27, l. 11: arroy.--_Ms. d'Amiens_: à touttes ses os de Haynnau, de
-Hollande, de Zellande. Fo 43.--_Ms. B 6_: Sy avoit en l'ost du dit
-conte plus de cent milles testes armées. Fo 149.
-
-P. 27, l. 13: à Nave.--_Ms. de Rome_: et s'en vint passer à Haspre, et
-vint à Nave et à Iwis. Fo 60 vo.
-
-P. 27, l. 19: Ligne.--_Mss. A 15 à 17_: Ligny. Fo 60.
-
-P. 27, l. 19: Barbençon.--_Mss. A 15 à 17_: Barbentoing. Fo 60.
-
-P. 27, l. 20: Lens.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22_: Leul, Lueul,
-Lueil. Fo 60.
-
-P. 27, l. 20: Bailleul.--_Ms. et Amiens_: li sires de Moriaumés. Fo 43.
-
-P. 27, l. 21: de Mons.--_Ms. d'Amiens_: li sires de Faignuelles,... li
-sires de Jeumont, li sires de Solre, li sires de Boussut,... li sires
-de Vendegies,... li sires d'Aubrecicourt, li sires de Berlaimont,... li
-sires de Pottes,... li sires de Ranpemont, li sires de Buillemont, li
-sires de Ville. Fo 43.
-
-P. 27, l. 21 et 22: li sires de Montegni.--_Ms. d'Amiens_: li sires de
-Montegni en Ostrevant,... li sires de Montegny Saint Chrestofle. Fo 43.
-
-P. 27, l. 22: Marbais.--_Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 18 à 33_: Barbais. Fo
-60.
-
-P. 27, l. 27: Biauriu.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14_: Beaugeu. Fo 60.
-
-P. 27, l. 29 et 30: Guillaumes de Namur.--_Ms. de Rome_: Jehans de
-Namur. Fo 60 vo.
-
-P. 27, l. 32: de Braibant.--_Ms. de Rome_: Li dus de Braibant fu li
-darrain venans et amena bien siis cens lances. Fo 60 vo.
-
-P. 27, l. 32: six cens.--_Mss. A 11 à 14_: sept cens. Fo 58.
-
-P. 28, l. 1: Guerles.--_Ms. d'Amiens_: à quatre cens lanches. Fo
-43.--_Ms. de Rome_: à bien trois cens lances de Guerlois. Fo 60 vo.
-
-P. 28, l. 1: de Jullers.--_Ms. d'Amiens_: à trois cens lanches. Fo
-43.--_Ms. de Rome_: et li contes des Mons à bien cinq cens lances. Fo
-60 vo.--_Les marquis de Julliers, de Meissen et de Brandebourg ne sont
-dénommés que dans les mss. B._
-
-P. 28, l. 2: et d'Eurient.--_Ms. de Rome_: à deus cens lances. Fo 60
-vo.
-
-P. 28, l. 2: de Blankebourch.--_Ms. d'Amiens_: à deus cens lanches. Fo
-43.
-
-P. 28, l. 3: des Mons.--_Ms. d'Amiens_: li comtes des Mons et li comtes
-de Clèves à cent lanches. Fo 43.--_Ms. de Rome_: li contes de Jullers
-et li contes des Mons à bien cinq cens lances. Fo 60 vo.
-
-P. 28, l. 3: de Faukemont.--_Ms. d'Amiens_: à cinquante lanches. Fo
-43.--_Ms. de Rome_: à bien cent lances. Fo 60 vo.
-
-P. 28, l. 4: de Bakehen.--_Ms. de Rome_: à bien cent lances. Fo 60 vo.
-
-P. 28, l. 6 et 7: d'Escaut.--_Ms. de Rome_: entre Cambrai et Nave. Fo
-60 vo.
-
-
-=§ 110.= P. 28, l. 13: Nave et Yvuis.--_Ms. de Rome_: deus villages les
-plus proçains de Thun l'Evesque. Fo 61.
-
-P. 28, l. 20: douze.--_Ms. d'Amiens_: trois mille. Fo 43.
-
-P. 28, l. 29: si poissamment.--_Ms. de Rome_: En l'oost le conte de
-Hainnau avoit vingt chinq cens hiaumes. Et vinrent les communautés de
-Brousselles, de Louvain et de Malignes. Et vint Jaquemes d'Artevelle et
-amena de Flandres bien soissante mille honmes, et passèrent par
-Audenarde et par Renais et par Leuse et par Condet et par
-Valenchiennes. Et tout se logièrent devant l'oost le duc de Normendie.
-Et estoient en l'oost le conte de Hainnau plus de cent mille honmes. Fo
-61.
-
-P. 29, l. 2 et 3: delivret.--_Ms. d'Amiens_: Et encorres duroient lez
-trieuwes entre yaux et chiaux de l'ost de Franche. Si envoiièrent un
-hirault deviers le duc de Normendie, en lui priant que leurs hostaiges
-il pewissent ravoir, Jehan de Nordvich, un englès et Gillion de
-Biaurieu. Li dus, qui fu bien consilliéz, les renvoya, car il n'avoit
-nul cause dou tenir. Fo 43.
-
---_Ms. de Rome_: Or i ot manière à ravoir les quatre esquiers ostagiers
-que chil de Thun l'Evesque avoient delivré au duch de Normendie. Li
-contes de Hainnau, qui chiés estoit de toute cel hoost, qant il fu bien
-consilliés, envoia un hiraut deviers le duc de Normendie, qui li
-remoustra conment chil dou chastiel de Thun avoient bien tenu leur
-couvenance, et que dedens les quinse jours que mis i avoient, secours
-lor estoit venus, pour quoi ils voloient ravoir lors ostages. Et en
-oultre mandoit li contes de Hainnau, se li dus de Normendie et li
-François voloient avoir la bataille, il estoient tout apparilliet que
-pour le livrer et le faire. Li consauls dou duch de Normendie respondi
-à ce et dist que, des ostages renvoiier, il estoient consilliet que il
-les renvoieroient volentiers, car voirement il n'avoient nulle cause
-dou retenir; mais tant que d'acorder la bataille, il n'avoit pas mis
-encore son consel ensamble, et que il en aueroit avis de respondre. Li
-hiraus retourna sus ce et fist sa response. Li ostage furent renvoiiet,
-et demora li chastiaus de Thun l'Evesque ensi tous deschirés. Li
-Hainnuier n'en fissent compte, mais il tinrent à grant vaillance ce que
-Richars de Limosin et li enfant de Mauni l'avoient si bien tenu contre
-les François. Fo 61.
-
-P. 29, l. 3: le quatrime jour.--_Mss. A 11 à 14_: le sixième jour. Fo
-58 vo.
-
-P. 29, l. 15: dou chastiel.--_Ms. d'Amiens_: et au partir il boutèrent
-le feu en le tour dou castiel de Thun où si longhement il s'estoient
-tenut. Si vinrent messires Richiers de Limozin et li enfant de Mauny et
-li autre compaignon en le tente dou comte de Haynnau. Fo 43.
-
-
-=§ 111.= P. 30, l. 20: combatre.--_Ms. de Rome_: Et le faisoient li
-François tout volentiers pour faire le conte de Hainnau aleuer son
-argent, et li bouter en une grande debte encontre les Alemans qui ne
-sont pas trop legier à rapaisier. Fo 61.
-
-P. 30, l. 21: hastieux.--_Ms. d'Amiens_: mès s'il passoit l'Escault, il
-fust tous seurs qu'il seroit combatus. Fo 43 vo.
-
-P. 30, l. 31: sages.--_Ms. d'Amiens_: et si avoit li comtes sa fille.
-Fo 43 vo.
-
-P. 31, l. 32: faisoient.--_Ms. d'Amiens_: Et tout enssi comme en l'ost
-haynuier, on se demenoit par conssaux sus l'entente de combattre ou de
-non, ossi en l'ost de France on se consilloit et avisoit coumment et
-par honneur on se maintenroit. Bien disoient li pluiseur grant signeur
-de Franche que li dus gisoit là à se honneur, car il avoit chevauchiet
-en Haynnau, ars et essilliet le pays et courut devant lez fortrèches,
-et demouret ung jour tout entier devant le milleur ville de Haynnau et
-courut et ars jusquez as bailles, et puis assegiéz deux castiaux
-propisses à Haynnau et trop ennemis au royaume et à Cambresis, et ces
-deux castiaux pris et abatus. «Et encorres sont il devant leurs
-ennemis, qui pas ne leur veeroient à faire ung pont, se faire le
-volloient, fors tant que li Haynuier et li aloiiet sont maintenant trop
-plus fort et plus grant nombre de gens que li Franchoix. Si lez fet bon
-tenir en cel estat, car li comtes de Haynnau gist là à grant fret, et
-tellement s'endebtera deviers ces Allemans que jammès ne s'en vera
-quittes ne delivrés, à quoy qu'il mande ne qu'il se demainne. Se ne li
-acordéz nulle journée.» Enssi ou auques priès estoient li parlement de
-France, si comme j'oy recorder depuis deux grans barons de Franche qui
-y furent, monseigneur de Montmorensi et monseigneur de Saint Venant. Fo
-43 vo.
-
-
-=§ 112.= P. 32, l. 1: Haynau.--_Ms. d'Amiens_: liquelx li looit bien à
-combattre et venir passer l'Escault à Bouchain et une autre petitte
-rivierre qui descent d'amont, que on ne poet passer à gué, qui vient de
-Oizi en Cambresis et de Alues en Pailluel. Là falloit leur pourpos, car
-se il avoient passet l'Escaut à Bouchain, se leur couvenroit faire un
-pont sus ceste autre rivière. Fo 43 vo.
-
-P. 32, l. 10: trois jours.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14_: jour de respit. Fo
-61.
-
-P. 32, l. 15: troisime.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 17_: quatrième. Fo 61 vo.
-
-P. 32, l. 16: chevaliers.--_Ms. d'Amiens_: et fist armer deux
-chevaliers avoecq lui et trois escuiers. Et montèrent li chevalier sus
-courssiers, et li escuier sus bons ronchins. Fo 44.
-
-P. 32, l. 17 et 18: devant.--_Mss. A 11 à 14_: et un aultre chevalier
-qui portoit son pennon devant lui, montez sur bons coursiers. Fo 59.
-
-P. 32, l. 25: Haynau.--_Ms. d'Amiens_: par son tourniquiel et ung
-pignon qu'il faisoit porter de ses armes devant lui. Fo 44.
-
-
-=§ 113.= P. 34, l. 7: Edouwart.--_Ms. de Rome_: Li rois Edouwars
-d'Engleterre avoit, tout l'ivier et le temps, entendu à ses besongnes
-et priiet chevaliers et esquiers en son pais et quelliet, par priière
-et par ordenance de don que son peuple li avoit fait bon une aide moult
-grose, grant argent, car il esperoit que sus l'esté il feroit un grant
-fait; et sus cel estat, il estoit departis des Alemans. Et avoit li dis
-rois d'Engleterre fait ses pourveances moult grandes et moult groses
-sus la rivière de la Tamise en la chité de Londres; et là avoit fait
-son mandement et assamblé grant fuisson de nobles, chevaliers et
-esquiers et archiers.
-
-Qant tout fu prest, et la navie cargie, li rois d'Engleterre entra en
-son vassiel. Toutes ses gens entrèrent et montèrent, ensi que ordonné
-estoit, et se desancrèrent dou qai de Londres, et singlèrent aval la
-Tamise et vinrent de celle marée devant Gravesaindes; de la seconde
-marée, devant Mergate, et puis entrèrent en mer; et pooient estre
-environ siis vingt vassiaus, nefs, balengiers et passagiers, quatre
-mille honmes d'armes, chevaliers et esquiers et douse mille archiers.
-Et avoient li rois et ses gens la mer et le vent pour euls, et
-nagièrent à pooir viers la ville de l'Escluse en Flandres. Et ne
-savoient riens les Englois des Normans qui se tenoient devant l'Escluse
-bien quarante mille, et atendoient le retour et venue dou roi
-d'Engleterre. Bien sçavoient les Englois que les Normans esqumeurs
-estoient sus la mer, mès il ne les quidoient pas trouver à l'Escluse.
-Et tout che lor faisoit faire li rois de France qui lor voloit brisier
-lor voiage.
-
-Et estoient li Normant, parmi les Geneuois et Piqars, bien quarante
-mille honmes, desquels mesires Hues Qierès d'Amiennois, Barbevaire et
-Bahucès estoient chiés. Et avoient bien deux cens vassiaus parmi ceuls
-des pourveances, et avoient ensi que assis la ville de l'Escluse; et
-n'i pooit nuls entrer ne issir, fors par lor congiet. Or avint que, la
-vegille de la Saint Jehan Baptiste que on compta pour lors en l'an de
-grasce Nostre Signeur mille trois cens et quarante, li rois
-d'Engleterre et sa navie vinrent devant l'Escluse, c'est à entendre
-pour prendre port et terre priès de Blanqueberghe, à deus lieues de
-l'Escluse, et trouvèrent la navie des Normans. Des mas qui drecoient
-contre mont, ce sambloit uns grans bois. Qant li rois d'Engleterre et
-les Englois orent congnissance que li Normant estoient devant
-l'Escluse, et ne pooient prendre terre fors par lor dangier, si
-jettèrent lors ancres, et se tinrent tout quoi pour entendre à lors
-besongnes et ordonner lors batailles. Lors fist li rois d'Engleterre
-pluisseurs chevaliers nouviaus, car bien veirent generaument que
-combatre les couvenoit. Qant la mer fu revenue, il desancrèrent et
-ordonnèrent tous lors vassiaus; et missent les plus fors devant, et les
-armèrent et pourveirent d'archiers. Entre deus nefs d'archiers avoit
-une nef de gens d'armes. Fo 61.
-
-P. 34, l. 12: par mer.--_Ms. d'Amiens_: à bien quatre mille hommes
-d'armes et douze mille archiers. Fo 44.
-
-P. 34, l. 13: vaissiaus.--_Ms. B 6_: à tout quatre mille hommes d'armes
-et huit mille archiés. Fo 151.
-
-P. 34, l. 16: se tenoient.--_Ms. B 6_: devant l'Escluse, entre
-Blancqueberge et Quaisant. Fo 151.
-
-P. 34, l. 18: sept vingt.--_Ms. d'Amiens_: cent. Fo 44.--_Mss. A 1 à
-6_: six vingt. Fo 59.
-
-P. 34, l. 20: quarante mille.--_Ms. B 6_: Et estoient plus de quarante
-mille hommes, Gheneuois, Normans et Picars, tout escumeurs de mer. Fo
-151.
-
-P. 35, l. 5: vassiel.--_Ms. d'Amiens_: qui tant li avoit coustet au
-faire. Fo 44.
-
-P. 35, l. 20: temps.--_Ms. d'Amiens_: jà par le tierme de deus ans et
-plus. Fo 44.
-
-P. 35, l. 21: trois cens.--_Mss. A 11 à 14_: à quatre cens hommes
-d'armes et à huit cens archiers. Fo 60.
-
-
-=§ 114.= P. 35, l. 25: Quant.--_Ms. de Rome_: Qant tout furent ordonné,
-li vassiel le roi d'Engleterre aprochièrent. Che estoit biautés et
-grant plaisance au veoir ces banières et ces estramières armoiies des
-armes des signeurs. Et à ce que li Normant moustrèrent, il desiroient
-avoir la bataille as Englois. Car, si tretos que il les veirent
-aprochier, il avoient croisiet tous lors vassiaus, il traisent les
-ancres à mont, et laissièrent les voilles aler, et s'en vinrent tout de
-grant volenté sus la navie des Englois. Et ordonnèrent à aler tout
-devant _Cristofle_, le grant vassiel, lequel en celle meisme anée il
-avoient conquis sus les Englois. Qant Englois et Normans
-s'encontrèrent, il i ot grant hustin; et à l'entrer l'un dedens
-l'autre, il abaisièrent tous lors voilles.
-
-Ou grant vassiel de _Cristofle_ qui se remoustroit desus tous les
-aultres, avoit bien quatre cens geneuois arbalestriers, liquel
-conmenchièrent à traire moult roit et moult dur à l'aprocier. Li
-Englois recongneurent bien que c'estoit _Cristofle_, le vassiel qui
-avoit esté conquis sus euls. Si furent plus desirant dou reconquerre,
-et l'environnèrent de tous lés. Et conmenchièrent archier à traire de
-grant randon, et à aprochier ce vassiel _Cristofle_ et les Geneuois qui
-dedens estoient. Vous savés que archier de l'arc à main sont trop plus
-isniel que ne soient arbalestrier. Chil archier d'Engleterre, par
-ouniement traire fort et roit, ensonniièrent tellement ces Geneuois que
-il furent mestre et signeur de euls, et entrèrent dedens _Cristofle_ et
-le conquissent, et missent à mort et à bort tous les Geneuois que il i
-trouvèrent. En ce vassiel pooient bien mille honmes. Tantos il fu
-pourveus d'archiers et de gens d'armes, liquel portèrent grant
-contraire as aultres.
-
-Li rois d'Engleterre, li contes de Pennebruq, li contes de Houstidonne
-et leur bataille bien ordonnée et acompagnie de gens d'armes et
-d'archiers, avoient asamblé là où mesires Hues Quierès et Bahucès
-estoient, bien acompagniés aussi de Normans et de Geneuois. Et là fu la
-bataille très grande et très perilleuse; car chil Normant et chil
-Geneuois estoient tout esqumeur et coustumier de la mer, et trop bien
-en pooient la painne, car en tout lor vivant il n'avoient fait aultre
-cose que poursievir les aventures d'armes sus la mer. Aussi au voir
-dire, Englois sont bonnes gens de mer, car il en sont fait et nourri,
-et trop bien en pueent la painne. C'est trop dure bataille sus mer, et
-trop perilleuse, car il fault atendre l'aventure, ne on ne poet fuir.
-
-Ceste bataille dont je vous parole, fu durement bien combatue et
-longement dura; et conmença la nuit de la Saint Jehan Baptiste au
-matin, ensi que à huit heures; mais elle dura jusques à cinq heures
-apriès nonne, et que la mer fu ralée et revenue. Considerés se là, en
-ce terme et espasce, il n'i peurent pas avenir des grans fais d'armes:
-oil, car il estoient tout resvillié et ordonné à ce faire, tant li
-Englois conme li Normant. Fo 61 vo.
-
-P. 36, l. 12: devant.--_Ms. d'Amiens_: bien pourveu d'artillerie et
-d'arbalestriers. Fo 44 vo.
-
-P. 36, l. 13: dedens.--_Ms. d'Amiens_: ou plus parfont pour mieux
-combattre. Fo 44 vo.
-
-P. 36, l. 16: ennemis.--_Ms. d'Amiens_: mout fierement et moult
-asprement là traioient li arbalestrier normant et jeneuois très roit et
-très vigereusement, et li archier d'Engleterre ossi mout songneusement.
-Fo 44 vo.
-
-P. 36, l. 21: hardiement.--_Ms. d'Amiens_: et bien le couvenoit, car li
-Normant avoecques leurs ayewes estoient bien cinq contre ung, et tout
-dur et gent de mer. Fo 44 vo.
-
-P. 36, l. 26: combatre.--_Ms. d'Amiens_: Et entroient d'un vaissiel en
-aultre li plus legier et vigereux, et li plus batillèrent là. Se
-combatoient li aucun, main à main, as espies et as haches, as espois et
-as daghes, et luttoient et fesoient merveilles de belles appertises
-d'armes. Là crioient li Englès: «Saint Jorge! Giane!» et trop bien
-assalloient et deffendoient. Et li Normant crioient: «Franche!» et ossi
-trop bien se combatoient. Fo 44 vo.
-
-
-=§ 115.= P. 37, l. 5: horrible.--_Ms. de Rome_: Et ce qui donna très
-grant avantage as Englois, ce fu que ens ou conmencement de la
-bataille, il conquisent _Cristofle_ le grant vassiel; et qant il
-l'orent conquis, il le pourveirent d'archiers, et i en i entra plus de
-mille. Et chil archier avoient très grant avantage de traire au lonc
-et de ensonniier Normans, liquel n'estoient pas de si grant valleur as
-armes, ne de deffense conme estoient les gens d'armes d'Engleterre.
-
-Pour lors li rois d'Engleterre estoit en la flour de sa jonèce, et
-point ne s'espargnoit, mais s'aventuroit en la bataile aussi
-aventureusement conme nuls de ses chevaliers, et moustroit bien en
-faisant armes que la besongne estoit sienne. Li rois estoit en un
-vassiel moult fort et moult biel qui avoit esté fais, ouvrés et
-carpentés à Zandvich, et estoit armés et parés de banières et
-d'estramières très rices, ouvrées et armoiies des armes de France et
-d'Engleterre esquartelées; et sus le mast amont avoit une grande
-couronne d'argent dorée d'or, qui resplendisoit et flambioit contre le
-solel. D'encoste le roi estoient li contes Henri Derbi, son cousin
-germain, li contes de Norhantonne et li contes de Herfort, et avoit
-quatre chevaliers ses cambrelens, mesires Jehans Candos, mesire Richars
-La Vace, messire Richars de Pennebruge et mesire Richars Sturi, tout
-quatre honmes de grant vaillance. Les nefs estoient acroqies et
-atachies les unes as aultres, et ne se pooient departir. Et là avoit
-dure bataille, et dedens les nefs fait tamainte apertise d'armes.
-Finablement li Englois obtinrent la mer et la place. Et furent chil
-esqumeur normant, piqart, geneuois, bidau et prouvenciel desconfi; et
-trop petit s'en sauvèrent, car à la desconfiture il ne porent. Cause
-pourquoi, je le vous dirai.
-
-Les Englois en venant les avoient enclos entre euls et l'Escluse. Se ne
-pooient requler, fors sus lors ennemis, ne aler avant, ne rompre la
-navie d'Engleterre qui avoient propris tout le pasage de la mer. Chil
-et auqun, qui se quidièrent sauver pour venir à l'Escluse, furent mort
-davantage; car li Flamenc, qui avoient grant haine à euls, pour tant
-que toute la saison il avoient cuvriiet et heriiet le pasage à
-l'Escluse, et robé et pilliet sus la mer, et n'avoient eu cure à qui,
-les tuoient otant bien sus la terre que en la mer, et n'en avoient
-nulle pité. Et vinrent là, que de Bruges, que de Ardenbourc, que de
-Otebourch, de Blanqueberghe et dou Dam, à l'Escluse, plus de huit mille
-honmes qui rafresqirent grandement les Englois et parfissent la
-desconfiture des Normans. Barbevaire fu mors et jetés de son vassiel en
-la mer. Aussi mesires Hues Qirès ot la teste copée sus le bort de une
-nef et (fu) reversés en la mer. Bahucès fu pris en vie; et pour tant
-que il avoit esté tous jours fors lerres et robères sus la mer, li
-amirauls de la mer d'Engleterre le fist sachier amont à une polie et
-pendre à un mas et estrangler.
-
-P. 37, l. 15: nonne.--_Ms. d'Amiens_: Et dura la bataille de l'heure de
-primme jusquez à relevée. Et adonc vinrent grant gent de Flandres, car
-très le matin li bailliux de l'Escluze l'avoit fet segnefiier à Bruges
-et ès villes voisinnes. Si estoient les villes touttes esmutes et
-acourutes à piet et à cheval et par le Roe, cheminans qui mieux mieux
-pour aidier les Englès. Et s'asamblèrent à l'Escluse grant cantité de
-Flammens, et entrèrent en nefs et en barges et en grans vaissiaux
-espagnols, et s'en vinrent jusquez à le bataille tout fresk et tout
-nouviel, et grandement reconfortèrent les Englès. Fo 44 vo.
-
-P. 37, l. 24: Derbi.--_Ms. d'Amiens_: .... li evesques de Lincolle,...
-li comtes de Norhantonne,... li sires de le Ware, messires Loeys de
-Biaucamp, messires Guillaume Filz Warine, li sires de Basset,... li
-sires de Luzi, messires Guillaume de Windesore, messires Thummas de
-Hollandes, messires Richars de Pennebruge,... li sires de Ponchardon,
-messires Niel Lornich, messires Olivier de Clifort, messires Henris de
-Biaumont, messires Francques de le Halle, li sires de Ferières, li
-sires Despenssier.... Fo 44 vo.
-
-P. 38, l. 2: Brasseton.--_Mss. A 8 à 10_: Buisseton. Fo 58.--_Mss. A 23
-à 29_: Barsseton. Fo 72 vo.
-
-P. 38, l. 9: vassaument.--_Ms. d'Amiens_: avoecq l'ayde de leurs
-archiers. Fo 44 vo.
-
-P. 38, l. 9: secours.--_Ms. B 6_: A ceste desconfiture parfaire vinrent
-les Flamens du Francq de Bruges, de Noefport et du pays environ, qui
-grandement aydèrent le roy d'Engleterre et le rafresqirent en sa
-bataille: laquelle bataille fu l'an de grace Nostre Seigneur mil trois
-cens et quarante, le nuit Saint Jehan Baptiste. Fo 149.
-
-P. 38, l. 11: Et furent.--_Ms. B 6_: Et furent tout ces Normans et leur
-sexte desconfis, mors ou noiiés, et messires Hues Kierès et Bahucès
-leur patron mors et mis à bort. Sy se sauva Barbenaire, Marans et
-Mestriel; et entrèrent en une barge quant il virent le desconfiture.
-Che fu une moult belle journée pour le roy d'Engleterre, car il mist là
-à fin plus de quarante mille hommes qui tant avoient fait de mal sur la
-mer que sans nombre; ne il n'estoit nul marchans qui devant ceste
-bataille osast aler sur mer. Fo 149.
-
-P. 38, l. 13: noiiet.--_Ms. d'Amiens_: excepté Barbevaire et Maraut qui
-se sauvèrent. Car, quant il virent le desconfiture, il entrèrent en une
-barge et fissent tant par rivier qu'il yssirent de le bataille et
-eslongièrent les perilx qui moult grant y estoient entre leurs gens,
-car on n'en prendoit nul à merchit, mès les mettoit on tous à bort. Là
-furent mort messires Hues Kierès et messires Pierres Bahucès et bien
-quarante mille saudoiiers, normans, pikars, geneuois, bretons, bidaus
-et gens de touttes queilloites. Ceste bataille fu en l'an de grace
-Nostre Seigneur mil trois cens quarante, le jour devant le vegille
-Saint Jehan Baptiste. Fo 44 vo.
-
-P. 38, l. 14: mis à (mort).--_Mss. A 7 à 10, 15 à 17, 23 à 33_: mis à
-bort. Fo 58.--_Mss. A 1 à 6, 18 à 22_: perilz et noyés. Fo 63.--_Mss. A
-11 à 14_: mors et noyez et mis au bort. Fo 60 vo.
-
-P. 38, l. 19: resjoy.--_Ms. d'Amiens_: Adonc dist li dus de Braibant
-que ses pourpos estoit averis et que une autre foix il fuist mieux
-creux et que ses cousins li rois englès, puisqu'il estoit dechà le mer,
-lez ensonnieroit temprement, et que bon seroit de l'aller vers lui,
-ensi que on li avoit juret et proummis. Là eurent li seigneur qui
-avoecq le comte de Haynnau estoient, conseil et advis que d'iaux
-deslogier le matin et de donner touttes mannierres de gens congiet
-jusques adonc qu'il seroient semons et mandet de par yaux ou nom dou
-roy englès, et que tout li cief des grans seigneurs qui là estoient, se
-retraissent deviers le roy d'Engleterre qui s'en venoit à Gand. Donc fu
-criiet et nonchiet en l'ost que chacuns devant soleil levant se
-deslogast. Ossi fu il enssi en l'ost le roy de France, car environ
-mienuit li roys oy lez nouvelles que sen armée sour mer estoit toutte
-perdue et desconfite, et que nuls de vaille n'en estoit escappés, et
-estoit li roys englès à grant effort venus par dechà le mer. De ces
-nouvelles fu li roys de Franche moult courouchiés, car il avoit eu
-grant fianche en ces Geneuois et Normans que par yaus fuist li rois
-englès desconfis sus mer et ses voiaiges rompus. De quoy pour le
-mautalent il ordonna le matin à deslogier et à retraire vers Arras et
-illoecq environ. Enssi furent departies ces deux os que vous m'oés
-recorder, de devant Thun, et requeillèrent tentes et pavillons et
-misent à charoy. Et revint li comtes de Haynnau à Vallenchiennes et là
-amena le duc de Braibant, le duc de Gerlles, le comte de Jullers, son
-serourge, le comte de Namur, le marquis de Blancquebourch, monseigneur
-Jehan de Haynnau son oncle, le marquis de Misse, le seigneur de
-Fauquemont, Jaquemon d'Artevelle, et lez festia et honnoura au mieux
-qu'il peult. Et cil dessus dit fissent leurs gens tout bellement
-retraire et raller en leurs lieux. Et ossi li roys de Franche se
-desloga ceste meysme matinée et s'en vint à Arras, et ducs et comtes
-avoecq lui, et ne donna nullui congiet, car il penssoit bien qu'il en
-aroit temprement affaire. Or revenrons au roy d'Engleterre et coumment
-il se ordonna apriès le bataille qu'il eult entre Blancqueberghe et
-l'Escluze. Fos 44 vo et 45.
-
-
-=§ 116.= P. 38, l. 26: nakaires.--_Mss. A 11 à 14_: tabours, cornez et
-de toutes manières d'instrumens, telement que on n'i ouist pas Dieu
-tonnant. Fo 61.
-
-P. 38, l. 27: menestrandies.--_Ms. de Rome_: Et amenoit li rois
-d'Engleterre en sa compagnie bien trois cens prestres, les quels il
-avoit mis hors d'Engleterre, pour celebrer et faire l'office de Dieu en
-Flandres. Car papes Clemens V[I], resgnans pour ce temps, à la requeste
-et ordenance dou roi de France, avoit jetté une sentense
-d'esqumenication par toutes les parties de Flandres. Et n'estoit nuls
-prestres flamens, sus estre encourus en sentense esqumenicative, qui
-osast canter ne faire le divin office, ou estre privés de son
-benefisce, se il le tenoit. Et pour che, à la requeste et priière dou
-pais, avoit li rois d'Engleterre amené tant de prestres, et pour faire
-canter en Flandres. Fo 62.
-
-P. 39, l. 5: à l'endemain.--_Ms. B 6_: Au tierch jour. Fo 150.
-
-P. 39, l. 10: sus le soir.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22_: la nuit.
-Fo 63.
-
-P. 39, l. 13: part.--_Ms. d'Amiens_: et lez dammes ossi qui estoient
-venues veoir et apassées le mer pour l'amour de le roynne d'Engleterre
-qui estoit moult enchainte, et assés tost apriès ajut d'un biau fil,
-qui eut à nom Jehans contre le duc Jehan de Braibant qui le tint as
-fons. Et fu puis duc de Lancastre de par sa femme ma damme Blanche,
-fille au duch Henri de Lancastre. Fo 45.
-
-P. 40, l. 4: li signeur.--_Ms. d'Amiens_: li dus de Braibant, li comtes
-de Haynnau, li dus de Guerlles, li comtes de Jullers, Jaquemes
-d'Artevelle, qui estoit tous sires et souverains des Flammens. Fo 45.
-
-P. 40, l. 7: le sizime jour.--_Mss. A 1 à 7_: le huitième jour. Fo 63.
-
-P. 40, l. 18: lieu.--_Ms. d'Amiens_: Et li comtes de Haynnau et
-messires de Biaumont, ses oncles, demeurèrent dalés le roy et le roynne
-à Gand. Fo 45.
-
-
-=§ 117.= P. 40, l. 24: Quant.--_Ms. de Rome_: Le jour Saint Jehan au
-matin, furent ces nouvelles sceues et publiies devant Thun l'Evesque,
-tant en l'oost dou conte de Hainnau conme dou duch de Normendie. Par
-aparant li François ne fissent point trop grant compte de ces Normans,
-et dissent li auqun: «On n'a riens perdu, se chil esqumeur de mer sont
-mort et peri. Il n'estoient que larron: il ne laisoient point de
-poisson venir par de deçà, nous n'en poions point avoir pour euls. Li
-rois de France a à lor mort gaegniet deux cens mille florins. On lor
-devoit lors gages de quatre mois, et si en est la mer delivrée.» Ensi,
-ne aultrement ne les plaindoient moult d'onmes en l'oost le roi de
-France et le duch de Normendie. Et li auqun disoient: «Puisque li rois
-d'Engleterre a eu celle première aventure de desconfire les Normans et
-les Geneuois, et que les victores le conmencent à agratiier, il en
-auera encores des aultres.» Et bien le dist li rois Robers de Cecille,
-de Naples et de Jherusalem, que li senglers de Windesore ficeroit
-encores ses dens moult parfont ens ès portes de Paris; et chils
-Edouwars est li senglers de Windesore, ensi que dient les prophesies de
-Merlin selonch le livre de Bructus.
-
-Le jour Saint Jehan Baptiste, en l'an de grasce desus dit, et sus le
-point de neuf heures, issi li rois d'Engleterre de la navie qui estoit
-à l'ancre devant l'Escluse, et li signeur d'Engleterre aussi; et
-vinrent en la ville de l'Escluse, et là furent recheu à grant joie. Et
-but et manga li rois un petit, et puis tout de piet il vint à
-Ardenbourc veoir le ymage de Nostre Dame, en cause de devotion, et là
-fu tout le jour. Et là le vinrent veoir li bourgois de Bruges qui lui
-recordèrent des besongnes de Flandres, et conment Jaquemes d'Artevelle,
-ses grans amis, estoit avoecques le conte de Hainnau et le duch de
-Braibant et les Alemans, à bien soisante mille Flamens, à l'encontre
-dou duch de Normendie logiés, et couroit renonmée que il i aueroit
-bataille. Ces paroles entendi li rois d'Engleterre volentiers, pour
-tant que d'Artevelle estoit si bien en la grasce des Flamens que il les
-menoit où il voloit. Si mist tantos li dis rois clers en oeuvre et
-messagiers, et escripsi au conte de Hainnau et à ces signeurs le duch
-de Braibant, le duch de Guerles, le conte de Jullers et tous les
-aultres, son estat et la manière de l'estat et victore que il avoit eu
-sus mer à l'encontre des Normans. Et qant il ot fait ce pour quoi il
-estoit venus à Nostre Dame d'Ardenbourch, ils et auquns signeurs
-montèrent sus chevaus que on lor amena de Bruges, et cevauchièrent et
-vinrent à Gant, et trouvèrent madame la roine Phelippe, qui
-nouvellement estoit relevée d'un biau fil, liquels avait à non Jehans,
-contre le duch Jehan de Braibant, et puis fu dus de Lancastre.
-
-Li rois et la roine qui estoit logie l'abeie de Saint Pière se
-conjoirent, ce fu raisons, ensi que gens qui s'entramoient grandement.
-Si se tint là li rois et s'i rafresqi. Et aussi fissent li signeur
-d'Engleterre et lors gens, et s'espardirent petit à petit parmi le pais
-de Flandres, ens ès bonnes villes et aillours, et estoient par tout
-conjoi et requelliet liement, car il paioient bien tout ce que il
-prendoient.
-
-Qant li signeur d'Alemagne, qui gisoient devant Thun l'Evesque, furent
-segnefiiet dou roi d'Engleterre que il estoit à Gant, et que là les
-atendoit, si en furent grandement resjoy, et orent là consel l'un par
-l'autre que il se deslogeroient et iroient veoir le roi à Gant. Si se
-deslogièrent et se departirent premierement tantos les communautés de
-Flandres, de Hainnau et de Braibant, et retournèrent en lors villes.
-Ensi se desrompi ceste grande assamblée. Et li dus de Normendie se
-retraist en Cambrai, et donna grant fuisson de ses gens d'armes
-congiet, et les envoia par garnisons, et par especial en Lille, en
-Douai et en Tournai, sus les frontières de Flandres. Et pour ce que
-renonmée couroit que li rois d'Engleterre et li aloiiet venroient
-mettre le siège devant la chité de Tournai, on i envoia le conte de
-Fois et le conte de Conminges, le visconte de Bruninqiel, le visconte
-de Talar, le visconte de Villemur et le visconte de Nerbonne, à bien
-cinq cens armeures de fier, de Bidaus et de Foisois. Et encores furent
-envoiiet en Mortagne, seans sus l'Escaut, li sires de Biaujeu à tout
-grant fuisson de Bourgignons et de Biaujolois. En la ville de Saint
-Amant en Peule furent envoiiet biaucop de Bidaus à dardes et à pavais,
-des quels mesires Pières de Carchasonne, uns moult jentils cevaliers,
-estoit capitaine. Toutes les garnisons françoises de là environ furent
-pourveues de ce que il lor besongnoit, pour atendre l'aventure et
-passer la saison. Et se tint li dus de Normandie à Cambrai un lonch
-temps, et li rois de France se tenoit à Pieronne en Vermendois, et
-donnoient saudées à tous geneuois et prouvenchiaus arbalestriers; et
-qant il estoient paiiet pour trois mois, on les envoioit oultre sus les
-pas(s)ages et frontières, là où on supposoit que il besongnoient.
-
-Qant li contes de Hainnau et li baron d'Alemagne et li dus de Braibant
-se departirent de l'oost de devant Thun l'Evesque, il se traissent à ce
-retour à Valenchiennes, et tout dis Jaquemart d'Artevelle en lor
-compagnie, ne on ne faisoit riens sans lui, pour tant que toute
-Flandres estoit en son obeissance, et tenoit un estat aussi estofé
-conme li dus de Gerles, et plus grant. Et par especial li contes de
-Hainnau et li dus de Braibant le tenoient grandement à amour, pour tant
-que lor pais marcissent à Flandres: si en pooient estre aidié dou jour
-à l'endemain. Li contes de Hainnau et la contesse sa fenme requelli ces
-signeurs en Valenchiennes moult grandement, et lor fist des biaus
-disners et soupers, cinq jours que il i furent. Et là preeca li dis
-d'Artevelle enmi le marchiet, et estoit montés en la hale des signeurs,
-là où ou anonce les bans, et fu volentiers oïs, car il avoit grant sens
-et bielle parleure. Et remoustra quel droit li rois d'Engleterre avoit
-au calenge de la couronne de France, et ausi quèle poissance li troi
-pais avoient, Flandres, Hainnaus et Braibant, qant il estoient conjoint
-ensamble et d'un acord et aliance. Chils Jaquemes d'Artevelle parla si
-proprement à la plaisance dou peuple, qui là estoit asamblés pour oïr
-ce que il voloit dire, que, qant il conclut son sermon, une vois
-generaus et murmurations se eslevèrent en disant: «d'Artevelle a bien
-parlé et par grande experiense, et est dignes de gouvrener et excerser
-le pais de Flandres.»
-
-Apriès toutes ces coses faites et dittes, li signeur, liquel estoient à
-Valenchiennes, prissent congiet l'un à l'aultre, et eurent ordenance de
-estre dedens siis jours apriès à Gant deviers le roi d'Engleterre, et i
-furent. Et les rechut li rois d'Engleterre et la roine liement et
-doucement, et là parlementèrent ensamble. Et fu là acordé que li rois
-d'Engleterre venroit à Villevort, où autrefois avoit esté, et là
-seroient li signeur tout chil qui presentement estoient à Gant, et
-pluisseur aultre qui point n'estoient là. Donc se departirent dou roi
-d'Engleterre et s'en retournèrent li dus de Braibant en son pais, et li
-contes de Hainnau à Valenchiennes où la contesse sa fenme se tenoit.
-Mais li signeur d'Alemagne demorèrent à Brouselles et à Malignes et à
-Louvaing, pour estre plus apparilliet au jour de ce parlement; et li
-dis Renauls de Gerles, serouges au roi d'Engleterre, demora à Gant, et
-vint à Villevort avoecques le dit roi. Fos 62 vo et 63.
-
-P. 41, l. 3: car.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 20 à 22_: il s'en doubtoit
-plus que d'autres (_Mss. A 11 à 14_: d'autre ville qu'il eust) pour
-cause des Flamens. Fo 63 vo.
-
-P. 41, l. 5: Biaugeu.--_Mss. A 11 à 14_: le sires de la Baume. Fo 61
-vo.--_Mss. A 2 à 6_: le sire de Wauvrins. Fo 63 vo.--_Mss. A 1, 18 à
-23_: Beaurieu.
-
-P. 41, l. 17: guerre.--_Mss. A 11 à 14_: pour obvier à l'effusion de
-sang et à la grant destruction du peuple et de l'Eglise qui s'en
-povoient ensuir. Fo 61 vo.
-
-
-=§ 118.= P. 42, l. 5: oncles.--_Ms. d'Amiens_: et leurs conssaux, li
-ducs.... Fo 45.
-
-P. 42, l. 7: des Mons.--_Mss. A 11 à 14_: de Vaudemont. Fo 62.
-
-P. 42, l. 8: Faukemont.--_Ms. d Amiens_: .... li comtes de Los. Fo 45.
-
-P. 42, l. 9: d'Artevelle.--_Ms. de Rome_: conme souverains de Flandres.
-Fo 63 vo.
-
-P. 42, l. 12: deus ou quatre.--_Mss. A 8 à 10_: trois ou quatre. Fo 58
-vo.--_Mss. A 11 à 14_: deus ou trois vaillans bourgois. Fo 62.
-
-P. 42, l. 27: seelet.--_Ms. de Rome_: sus painne de encourir en
-contredit de Ronme et sentense d'Empereur. Fo 63 vo.
-
-P. 42, l. 30: monnoie.--_Ms. d'Amiens_: une monnoie sannable d'un
-quind, d'un poix et d'une forge. Fo 45.
-
-P. 43, l. 5: Tournay.--_Ms. d'Amiens_: car s'il avoient Tournai à leur
-volloir, il iroient par toutte Franche jusquez à Compiègne et jusques à
-Coisi à leur vollenté. Et li Flammencq assiegeroient legierement Lille
-et Douay et prenderoient toudis leurs pourveanches à Tournay, que nulz
-ne leur poroit destourner. Fo 45.
-
-P. 43, l. 13: estat.--_Ms. de Rome_: Et li rois d'Engleterre et
-Jaquemes d'Artevelle retournèrent à Gant. Trois jours apriès la revenue
-dou roi d'Engleterre à Gant, s'acouça la fenme de ce d'Artevelle d'un
-fil, et ot nom Phelippes contre la (roine) d'Engleterre, et le tinrent
-à fons li rois d'Engleterre et la roine. Chils enfes, nonmés
-Phelippes, fu depuis moult sages et bacelereus, et obtint tout le pais
-de Flandres à l'encontre dou conte et des signeurs et dou roi de
-France, ensi que vous orés recorder avant en l'istore. Fo 63 vo.
-
-
-=§ 119.= P. 43, l. 14: Phelippes.--_Ms. de Rome_: qui se tenoit à
-Pieronne en Vermendois et estoit tenus ou là environ, depuis que son
-fil le duc de Normendie avoit fait sa cevauchie ens ou pais de Hainnau.
-Fo 63 vo.
-
-P. 43, l. 25: de Poitiers.--_Mss. A 11 à 14_: Aimemon de Pommiers. Fo
-62 vo.
-
-P. 43, l. 28: de Kaieus.--_Ms. d'Amiens_: .... monseigneur Godemar dou
-Fay, le seigneur de Rainneval,... le seigneur de Merlo, monseigneur
-d'Aufemont, monseigneur de Saint Venant, tout grant baron. Fo 45
-vo.--_Le ms. B 6 ajoute_: le seigneur de Bresekes. Fo 154.
-
-P. 43, l. 28: senescal.--_Mss. A 11 à 14_: mareschal. Fo 62 vo.
-
-P. 43, l. 28: Poito.--_Ms. A 1_: Pontieu. Fo 61 vo.
-
-P. 44, l. 9: regardèrent.--_Ms. B 6_: .... as portes, as murs, as
-barbakennes, as bailles et à tout che que necessité leur estoit en la
-ville. Fo 154.
-
-P. 44, l. 10: artillerie.--_Ms. d'Amiens_: et as enghiens, as kanons et
-as espringalles, et les missent bien à point. Et regardèrent as
-pourveanches de le ville, comment elle estoit avitaillie. Si fissent
-wuidier grant fuisson de menues gens qui n'estoient mies bien pourveu,
-et y fissent venir vins, bléz, avoines et grant fuisson de char, tant
-que la chité fu en point et en estat pour li tenir ung grant temps. Fo
-45 vo.
-
-P. 44, l. 11: besongnoit.--_Ms. B 6_: Et cheux qui bien n'estoient
-pourveu pour atendre le siège, il les firent partir. Fo 155.
-
-
-=§ 120.= P. 44, l. 18: li termes.--_Ms. B 6_: Quant le jour de la
-Madelaine fut venus et que les blés estoient par les camps assés bons
-pour les chevaulx et les avainnes. Fo 155.
-
-P. 44, l. 21: meurir.--_Ms. de Rome_: Li bleds et les avainnes as camps
-commençoient à meurer, et li fain estoient fené et les auquns à fener,
-et c'est li temps que les gens d'armes demandent pour euls et pour lors
-cevaus. Fo 63 vo.
-
-P. 44, l. 21: englès.--_Ms. de Rome_: volt moustrer meute pour
-esmouvoir tous les aultres, et avoit requelliet tous les Englois qui
-espars estoient en Flandres, en Hainnau et en Braibant, et se departi
-de Gant. Fo 63 vo.
-
-P. 44, l. 22: sept.--_Ms. de Rome_: huit. Fo 63 vo.
-
-P. 44, l. 23: deus.--_Édit. de Verard et de D. Sauvage_: huit. _Edit.
-de Lyon_, 1559, p. 69.
-
-P. 44, l. 23: deus cens.--_Ms. de Rome_: quatre cens. Fo 63 vo.
-
-P. 44, l. 24: chevaliers.--_Ms. de Rome_: En ces quatre cens chevaliers
-estoient vint et wit banerès, tous grans signeurs, et les contes
-doubles banerès, et menoient casquns de ces signeurs grant arroi. Et
-estoit mesires Robers d'Artois ou nombre de ces contes, car on le
-nonmoit le conte de Ricemont; et pooit celle terre de Ricemont valoir
-en revenue par an environ siis mille florins. Et li avoit li rois
-donnée pour tenir son estat, car conment que messires Robers d'Artois
-fust banis et escachiés de France, ensi que ichi desus est dit, il
-estoit li uns des plus nobles de sanc et des gentils honmes des
-Crestiiens, et issus de la droite generation dou roi saint Lois. Fo 63
-vo.
-
-P. 44, l. 24: quatre mille.--_Ms. B 6_: six mille. Fo 155.
-
-P. 44, l. 25: neuf mille.--_Ms. de Rome_: douse mille. Fo 63 vo.--_Ms.
-B 6_: dix mille archiés et otant de Galois. Fo 155.
-
-P. 44, l. 25: pietaille.--_Mss. A 11 à 14_: sanz les petaulx, tuffes et
-guieliers. Fo 62 vo.
-
-P. 45, l. 2: vingt mille.--_Ms. A 3_: dix mille.--_Ms. de Rome_: sans
-chevaliers et esquiers, dont il ot plus de quatre cens. Fo 63 vo--_Ms.
-B 6_: à tout quatre mille hommes, que chevaliers, que escuiiers, et
-trente mille communiers. Fo 156.
-
-P. 45, l. 5: terre.--_Ms. d'Amiens_: car là estoient de son pays tout
-li gentils hommes et chil dez bonnes villes de Brouxelles, de Louvaing,
-de Malines, d'Anwiers et de touttes les aultres. Fo 45 vo.
-
-P. 45, l. 6: pont à Ries.--_Mss. A 11 à 14_: pont de mer. Fo 62 vo.
-
-P. 45, l. 7: le Pire.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14_: les prés de la porte
-Valenciennoise. Fos 64 vo et 65.--_Mss. A 7, 18 à 33_: les prés et la
-porte Valenciennoise. Fo 59 vo.--_Mss. A 8 à 10, 15 à 17, B 3_:
-l'Empire et la porte Valenciennoise. Fo 59.
-
-P. 45, l. 9: Haynau.--_Ms. B 6_: En après vint le conte de Haynau, le
-conte de Namur en sa compaignie, monseigneur Jehan de Haynau son
-oncle, le seigneur d'Engien, le seigneur de Havrech, le seigneur de
-Lingne, de Lens, le seigneur de Brabenchon, le senescal de Haynau, le
-seigneur d'Antoing. Et avoit bien le dit conte deux mil lanches, tant
-de Haynau comme de Hollande, et vingt mil Hollandois. Sy se loga le dit
-conte au lés devers Explechin. Fo 155.
-
-P. 45, l. 11 et 12: signeur.--_Ms. d'Amiens_: Et li roys d'Engleterre
-et toutte sa gent estoient deviers le porte Saint Martin, sus le chemin
-de Lille. Fo 45 vo.
-
-P. 45, l. 14: soissante mille.--_Edit. de D. Sauvage_: quarante mille.
-Lyon, 1559, p. 69.
-
-P. 45, l. 21: aise.--_Ms. de Rome_: et chariier sans peril; et aussi li
-Braibençon, liquel estoient logiet sus le Piré, ensi que li Escaus
-entre en la chité de Tournai, avoient parellement fait un tel pont. Fo
-64.
-
-P. 45, l. 23: des Mons.--_Mss. A 11 à 14_: de Vaudemont. Fo 63.
-
-P. 45, l. 24: Bakehen.--_Mss. d'Amiens et de Rome_: ... messires
-Guillaumes de Duvort. Fo 45 vo.
-
-P. 45, l. 25: devers.--_Ms. de Rome_: les Marvis, au lés deviers
-Hainnau; et comprendoient lors logeis jusques à la porte de Sainte
-Fontainne. Fo 64.
-
-P. 45, l. 28: Tournay.--_Ms. de Rome_: qui est de grant cirquité. Fo
-64.
-
-P. 45, l. 30: fust.--_Ms. de Rome_: Li contes de Namur s'estoit esqusés
-deviers le conte de Hainnau, de qui il relieuve sa terre et l'en doit
-service, pour tant que il n'estoit pas chiés de la besongne, mais li
-rois d'Engleterre; et ne se voloit pas armer li dis contes contre le
-roiaulme de France. Fo 64.
-
-P. 45, l. 32: fust.--_Ms. B 6_: Et les nombra on, et estoient bien deux
-cens milles hommes. Et estoient logiet par telle manière que nul n'en
-povoit entrer ne yssir en la ville qu'il ne fust veus. Et avoient ceulx
-de Tournay, pour eulx mieulx forteffier, enterret sept de leur portes.
-Fo 156.
-
-
-=§ 121.= P. 46, l. 5: yawe.--_Ms. d'Amiens_: par le rivierre d'Escault.
-Fo 45 vo.--_Ms. de Rome_: car il lor venoient de Flandres, de Hainnau
-et de Braibant. Fo 64.
-
-P. 46, l. 8: mention.--_Ms. de Rome_: Et plus en fissent li Hainnuiier
-que nuls des aultres. Fo 64.
-
-P. 46, l. 9: Haynau.--_Ms. B 6_: Le conte de Haynau.... ardy en poudre
-la ville d'Orchies et plus de quarante villaiges ens ou pais. Et assaly
-Saint Amant et de forche le prist; et furent tous mors cheulx qui
-dedens estoient, et le senescal de Carcasone ossy qui cappitaine en
-estoit, et ly abeie ars(e) et destruite. Et depuis revint le dit conte
-devant le castiel de Mortaigne et le fist assaillir de deux costés par
-trois jours. Mais le sire de Beaugeu, qui dedens estoit avoecques
-foison de bonne gens d'armes, le garda et deffendy sy bien que point de
-damaige il n'y eult ne cheulx de le fortrèche. Fo 157.
-
-P. 46, l. 9 et 10: entreprendans.--_Ms. de Rome_: et messires Jehans de
-Hainnau, son oncle, avoient si fort encargiet ceste guerre, et pris en
-si grant desplaisance et despit la cevauchie que li dus de Normendie
-avoit fait en Hainnau, que il ne le pooient ne voloient oubliier. Fo
-64.
-
-P. 46, l. 13: se parti.--_Ms. de Rome_: li dis contes et ses oncles. Fo
-64.
-
-P. 46, l. 15: Lille.--_Ms. de Rome_: et vinrent ardoir Habourdins et
-Seclin, Ronchins et tous les villages de là environ, et la ville et
-abbeie de Chisoing et Baissi et tous le pais jusques au pont à Raisse à
-une lieue de Douai, et puis s'en retournèrent viers Landas et viers
-Orchies et les ardirent. Fo 64.
-
-P. 46, l. 24 et 25: contour.--_Ms. d'Amiens_: en le Peule, et le ville
-de Marchiennes ossi et tout le pays costiant le rivière de Scarp
-jusquez au castiau de Rieulay qui se tient de Haynnau. Et coururent si
-coureur bien priès de Douay. Fo 45 vo.
-
-P. 46, l. 27: Flamench.--_Ms. de Rome_: qui estoient logiet à la porte
-Sainte Fontainne. Fo 64.
-
-P. 47, l. 7: chevalier.--_Ms. d'Amiens_: Et vous di que li bon
-chevalier que li roys de Franche y avoit envoiiéz, leur fisent grant
-confort, et tint Tournay en honneur. Et fissent li Flammencq, entre les
-autres assaux, un assaut très fort et très mervilleus et par especial
-sour le rivierre d'Escault, et avoient nefs armées et grant fuisson de
-bonnes gens dedens. Et aprochièrent ces nefs jusques à le barbakanne de
-le porte couleiche de l'arche sus l'Escault, et volloient par là entrer
-en le ville et hantoient Flamencq de haces, de pils et d'autres
-instrummens ordonnés et aprestés pour rompre. Là estoient as gharittes
-d'amont li comtes de Foix et si frère, messires Robiers Bertrans,
-marescaux de France, messires Joffroys de Carni, li sires de Kaieus, et
-servoient chiaux d'aval tellement qu'il n'y avoit si hardit qui ne
-resongnaist. Encorres estoient dez barons de Franche en nefs sur
-l'Eskault par dedens le ville, li senescaux de Poitau, messires Gerars
-de Montfaucon, messires Mahieux de Trie, messires Godemars dou Fay, et
-estoient à l'encontre des assallans et se deffendoient vaillamment. Fo
-46.
-
-P. 47, l. 9: appareilliés.--_Ms. de Rome_: et avoient en ces nefs
-arbalestriers qui traioient à ceuls de dedens, les quels il convenoit
-estre bien pavesciés, ou il euissent trop grandement perdu. Fo 64.
-
-P. 47, l. 13: six vingt.--_Mss. A 11 à 14_: huit vingt. Fo 63 vo.
-
-
-=§ 122.= P. 47, l. 15: Le siège.--_Ms. de Rome_: Le siège estant devant
-Tournai, issirent hors de Saint Amant li saudoiier qui là estoient, et
-vinrent à Hanon à une petite lieue de là, et passèrent les bos. Si
-ardirent la ville et violèrent l'abeie, et le destruisirent et le
-moustier aussi, et enportèrent et menèrent tout ce que de bon il i
-trouvèrent; mais en devant ce, li abbes de Hanon et li monne avoient
-amené lor fiètre et lors jeuiauls et les reliques à sauveté en la ville
-de Valenchiennes.
-
-Qant li saudoiier de Saint Amant orent ce fait, il s'avalèrent parmi
-les bois que on dist de Rainmes, et vinrent à l'abeie de Vicongue, et
-ardirent l'ostel dou Pourcelet, et abatirent le conduit de une
-fontainne qui là estoit, et vinrent à la porte de l'abeie de Vicongne,
-et le conmenchièrent à asallir. Pour ces jours, il i avoit un abbet,
-mout vaillant honme, qui se nonmoit Godefroi. Qant il considera le
-peril de ces bidaus, il fist monter un varlet à ceval, et se parti de
-l'abeie par derrière, et vint au ferir des esporons à Valenchiennes et
-au sequours.
-
-Pour ces jours, estoit prevos de Valenchiennes uns moult vaillans homs
-qui se nonmoit Jehans de Baisci, qui entendi as requestes que dans
-abbes de Vicongne faisoit, car moult l'amoit et l'abeie aussi. Si
-ordonna tantos arbalestriers et honmes bien cinq cens à partir et à
-aler à Vicongne, pour aidier à l'abeie. Chil qui furent esleu se
-departirent tantos, et prissent le cemin de Rainmes. Et bien lor
-besongna que il se delivrassent dou venir au seqours pour l'abeie, car
-li saudoiier de Saint Amant avoient fait un gran feu devant la porte de
-l'abeie, pour le ardoir et entrer dedens; mais li abbes desus nonmés,
-qui bien se doubtoit de tout ce, avoit fait armer et vestir la porte
-de quirs de vaces à tout le poil, par quoi li feus ne se peuist
-legierement prendre, ne atachier à la porte.
-
-De ces bidaus qui là estoient venu, en i avoit auquns qui en estoient
-alé et parti de lor compagnons pour pillier à Rainmes. Chil de la ville
-de Rainmes avoient relevé les fossés à deus costés deviers le bois, et
-fait à deffense unes grandes bailles; et là ot grande escarmuce, et
-tant que li arbalestrier de Valenchiennes aprocièrent. Chil bidau les
-veirent venir sus la caucie et lor banière tout devant; et avoec ce il
-oïrent dire ces gens de Rainmes qui là se deffendoient et
-escarmuçoient: «Veci seqours qui nous vient; vechi les Valenciennois.»
-Ces paroles oïes et les arbalestriers veus, chil bidau se missent
-tantos au retour, et entrèrent ens ès bos de Saint Amant, et se
-sauvèrent, et retournèrent en la ville.
-
-Et li Valenchiennois vinrent jusques à Vicongne, et estindirent le feu
-qui estoit devant la porte. Li abbes Godefrois les remercia grandement
-de ce seqours, et fist tourner un tonniel de vin sus le fons et lor
-fist boire, et puis retournèrent à Vallenchiennes. Et li abbes de
-Vicongne fist tantos coper les bos tout autour de son abbeie et devant
-aussi, par quoi on ne peuist chevauchier ne venir aisiement jusques à
-là. Fo 64.
-
-P. 48, l. 5: lui.--_Ms. d'Amiens_: environ quarante arbalestriers et
-otant d'archiers à main. Fo 46.
-
-P. 48, l. 5: Raimes.--_Ms. d'Amiens_: en ce petit bos qui regarde sus
-le voie de le cauchie dou Pourcelet, liquelle chauchée estoit adonc
-toutte semée de Franchois qui Vicongne volloient destruire. Fo 46.
-
-P. 48, l. 10: bos.--_Ms. d'Amiens_: et à chiaux qui les traioient ne
-pooient avenir, car il y avoit grandes rouillies et fort bos entr'iaux.
-Fo 46.
-
-P. 48, l. 11: retour.--_Ms. d'Amiens_: car il se doubtèrent qu'il n'y
-ewist plus de gens qu'il n'y avoit. Fo 46.
-
-P. 48, l. 12: mieulz.--_Ms. d'Amiens_: Et li arbalestriers de
-Vallenchiennes, tout costiant lez bos, les reboutèrent si avant qu'il
-en delivrèrent le chauchie. Et fu li abbeie deffendue, et li feulx
-estains, qui devant le porte estoit. Et fist chils abbes copper grant
-fuisson de bos par derierre, affin que on ne les pewist approchier; et
-par devant, où point de bos n'avoit, il fist faire grans fossés et
-parfons et larges. Fo 46.
-
-P. 48, l. 13 et 14: Gascongne.--_Ms. d'Amiens_: Si comme je vous
-recorde, che siège durant devant Tournay, avinrent pluisseurs avenues
-et grans fès d'armes, tant en France comme en Gascoingne et en Escoche,
-qui ne font mies à oubliier, car ainssi l'ai je proummis à messires et
-mestres ou coummenchement de mon livre, que tous les biaux fès d'armes
-dont j'ay le memore et le juste infourmation, je les remeteray avant,
-jà soit ce que messires Jehans li Biaux en ses cronikes n'en fait mies
-de tous mention. Mès ungs homs ne puet mies tout savoir, car ces
-guerres estoient si grandes et si dures et si enrachinées de tous
-costés que on y a tantost oubliiet quelque cose, qui n'y prent
-songneusement garde.
-
-Et pour ce voeil revenir ung petit au comte de Laille qui, comme roys
-de Franche, se tenoit en Gascoingne, et faisoit de celle saison grant
-guerre contre les Gascons qui pour le roy d'Engleterre se tenoient. Et
-estoit avoecq lui li comtes de Comminges, li comtes de Pieregorth, li
-viscomtes de Villemur, le viscontes de Talar, li comtes de Bruniqiel,
-li viscontes de Carmaing, li viscontes de Murendon, et pluisseur autre
-baron et chevalier. Et estoient bien six mille à cheval et dix mil à
-piet, et avoient jà reconcquis pluisseurs bonnes villes et castiaux,
-tant que Bregerach, Condon, Sainte Basille, Penne, Lango, Prudaire,
-Zebillach. Et avoient partout mis gens et garnisons pour deffendre et
-tenir ces castiaux, et seoient devant le Riole, une bonne ville et fort
-castiel. Si en estoit adonc capitaine ungs chevaliers englès qui
-s'appielloit messires Jehans li Boutilliers, qui longement et
-vassaument le tint contre les François. Mès finablement il fu si menés
-et si appressés par assaulx d'enghiens et d'autres besoingnes, et si
-veoit ossi que nuls comfors ne li appairoit, car il n'avoit homme en
-Gascoingne adonc, seigneur de Labreth ne autre, qui se meuist ne
-resistast as Franchois de riens, mès gardoient chacuns leurs fortrèches
-au mieux qu'il pooient. Si traita li cappittainne de le Riole, par le
-consseil et acord de chiaux de le ville, à le rendre au comte de Laille
-parmy tant qu'il s'en devoit partir, et chil qui partir s'en volloient,
-sans dammaige; mès il, ne chil qui avoecq lui se partiroient, ne se
-pooient armer toutte l'année contre yaus ens ès marches et frontierres
-de Gascoingne. Chilz marchiés fu tenus, et li ville et li castiaux de
-le Riolle rendus. Et y entrèrent li Franchois baudement, et prisent le
-feaulté et le serment de chiaux de le ville, et y misent ung chevalier
-gascon que on appelloit messire Raimmon Segni.
-
-Apriès le prise de le Riole et le chevalier dessus noummet ens
-laissiet, et le ville pourvue et rafreschie de touttes coses qui
-appertenans y estoient, li comtes de Laille eut consseil qu'il yroit
-devant Auberoche et l'asegeroit et ne s'en partiroit jusques à tant
-qu'il l'aroit. Si se parti appertement de le Riolle et fist arouter
-tout son charoy et ses pourveances, et esploita tant qu'il vint devant
-le bonne ville de Auberoche et le assiega de tous poins environneement,
-et y fist faire et livrer pluisseurs assaux grans et mervilleux, mès
-chil de dedens se deffendoient bien et vaillamment. Et en estoit adonc
-souverains et gardiiens de par le roy d'Engleterre messires Helies de
-Pummiers, frères au seigneur de Pummiers, liquelx avoit avoecq lui
-bonne bachelerie et apperte, qui moult songneux estoient de garder le
-ville et de enhorter les bourgois de le ville qu'il fuissent loyal et
-preudomme enviers leur seigneur le roy Edouwart d'Engleterre. Enssi se
-portoit li affaire; on gerrioit de tous lés. Li roys englès seoit
-devant Tournai et ardoit et exilloit le pays d'environ. Et li comtes de
-Laille et li autre comte et baron li ardoient et assegoient son pays en
-Gascoingne. Ossi li Escot li faisoient une très forte gerre par de delà
-au costet deviers Escoche, si comme vous orés chy apriès. Fo 46 vo.
-
-P. 48, l. 16: six mille.--_Mss. A 11 à 14_: huit mille. Fo 63 vo.
-
-P. 48, l. 22: la Barde.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22_: la Bourde,
-la Borde. Fo 65 vo.
-
-
-=§ 123.= P. 49, l. 1: Vous devés.--_Ms. d'Amiens_: Endementroes que li
-sièges estoit devant Tournay, qui y fu grans et lons, et bien dura par
-l'espasse de onze sepmainnes, li ennemic au roy d'Engleterre se
-pourveoient de tous lés à lui porter contraire et damage au
-coummandement et à l'ordonnanche dou roy de Franche, et par especial li
-baron et chevalier du royaumme d'Escoce. Vous avés bien oy chy devant
-recorder coumment li rois englès chevaucha en Escoche et conquist
-Bervic, Rossebourch, Haindebourch, Struvelin, Dalquest et pluisseurs
-fortrèces, et ardi et essilla toutte le plainne Escoche jusques en
-Abredane et jusquez à le ville Saint Jehan. Et tout ce fist ainschoix
-qu'il entrepresist le gherre au roy Phelippe de Franche, par tant que
-li roys David d'Escoce ne volloit point relever le royaume d'Escoce dou
-roy englès, car ses gens ne li souffroient. Et dient et maintiennent
-que li Englèz n'ont nul droit à ce demander, et li Englèz moustrent le
-contraire. Par enssi y est la gherre et a estet longement et sera
-encorres ainchois que la cose soit declairie, car li Escot aimment
-otant le gherre que le pès as Englès, especialement li bachelerie
-d'Escoce; ne de feus, ne de arssins que li Englès fachent en leur pays,
-il ne font nul compte, car il ne edefient pas maisson de grant
-coustaige: il en ont une faite et parfaite, pour demourer à leur usaige
-assés aisiement, en mains de cinq jours. Et quant il sentent que li
-Englès doient venir en leur pays, il requeillent leurs bestes et le
-leur, dont il ne sont gaires ensonniiet, car il ne font compte de grant
-meuble, et se mètent ens ès foriès, boutent le feu en leurs maisons,
-affin que li Englès n'en aient point d'aise. Et quant li Englès sont
-retret en leurs pays, il se requeillent et cevauchent hardiement sour
-yaux, et entrent en le contrée de Northonbrelant, qui fu jadis
-royaummes dou tamps le roy Artus, et en l'evesquet de Durem, et se
-contrevengent bien de leur dammaige. Ensi courent une fois li Escot sus
-lez Englès et puis li Englès sus les Escos, et maintiennent toudis le
-gherre que leur predicesseur ont maintenu.
-
-Or seurent li seigneur d'Escoce, qui le pays adonc gouvernoient de par
-le roy David leur seigneur, qui estoit en Franche, ensi com vous avés
-oy, que li roys englès seoit devant Tournay et en avoit menet toutte le
-fleur de se chevalerie, et que li royaummes d'Engleterre estoit ensi
-que tous wis, et que li comtes de Sallebrin, messires Guillaumes de
-Montagut, qui tant de dammaiges leur avoit fès et portés, estoit pris
-dez Franchoix et emprisonnés en Castelet en Paris, et li comtes de
-Sufforch avoecq lui, ossi messires Gautier de Mauni estoit avoecq le
-roy devant Tournay. Si s'avisèrent li ung par l'autre, c'est assavoir
-messires Guillaumes de Douglas, neveus à monseigneur Guillaumme de
-Douglas qui demoura en Espaigne, ensi comme vous avés oy, li comtes de
-Moret, filz au comte de Moret qui demoura avoecq le dessus dit,
-messires Robers de Versi, messires Simons Fresiel, Alixandres de
-Ramesay, qui en Dubretan se tenoient, que il metteroient une chevauchie
-sus et enteroient en Engleterre, ardant et exillant le pays et par
-especial le comté de Sallebrin, pour ce que li comtes leur avoit fès
-pluisseurs dammaiges. Si se queillièrent secretement et rassamblèrent
-de plusieurs lieux, et misent et ordonnèrent ung certain jour qu'il
-seroient en le forest de Gedours au jour qu'il noummèrent et
-devisèrent. Chil qui mandet y furent, vinrent sans defallir.
-
-Quant chil seigneur d'Escoce se virent tout enssamble, si eurent
-consseil et consideration là où il se trairoient premierement pour
-porter plus grant dammaige as Englès: si i eut là pluiseurs parolles
-retournées et devisées entre yaux. Li aucun volloient que leur
-chevaucie fuist emploiiée en Engleterre, et li autre disoient qu'il
-vauroit trop mieux, et plus honnerable et pourfitable leur seroit que
-il mesissent painne et dilligence à raquerre les castiaux et les
-fortrèces que pardus avoient, que de cevauchier plus avant; car espoir
-chil qui les castiaux tenoient en Escoce, leur poroient parardoir et
-destruire tout le remannant de leur pays, quant parti s'en seroient.
-Chilz conssaux et advis fu tenus. Et s'avisa messires Guillaummes de
-Douglas d'une grande et haulte emprise et le dist au comte de Moret,
-sen cousin, à messire Simon Fresel et à Alixandre de Ramesai, tant
-seullement, liquel s'accordèrent moult bien à lui et disent qu'il li
-aideroient à parfurnir, à quel coron que venir en deuissent. Or vous
-diray de l'emprise dou dessus dist chevalier, quelle elle fu, car elle
-ne fet mies à oubliier, tant fu perilleuse et hautainne. Fos 46 vo et
-47.
-
-P. 51, l. 10: deus cens.--_Ms. d'Amiens_: trois cens. Fo 47.
-
-P. 51, l. 20 et 21: dis ou douze.--_Ms. d'Amiens_: jusques à douze. Fo
-47.
-
-P. 51, l. 23: capiaus.--_Ms. d'Amiens_: de rude fautre. Fo 47.
-
-P. 52, l. 10: paour.--_Ms. d'Amiens_: de le cité de Bervic. Fo 47.
-
-P. 53, l. 1: si treize.--_Ms. d'Amiens_: si douze. Fo 47.
-
-P. 54, l. 5: jour.--_Ms. d'Amiens_: et segnefiièrent leur aventure à
-chiaux de leur pays qui à Dubretan les atendoient, qui de cez nouvelles
-furent moult joyant. Fo 47 vo.
-
-P. 54, l. 8 et 9: d'Escoce.--_Mss. A 11 à 14_: tous hommes de fief du
-roy d'Escoce. Fo 65.
-
-P. 54, l. 9: Ensi.--_Ms. d'Amiens_: Quant messires Robers de Versi et
-li autre chevalier d'Escoce sceurent que Haindebourch estoit repris par
-le subtilité et hardement de monseigneur Guillaumme de Douglas, si se
-partirent de Dubretan: à ce de gens estoient bien deux mille hommes
-d'armes et quatre mille à piet; et esploitièrent tant qu'il vinrent à
-Haindebourch. Et là s'asamblèrent et dissent entr'iaux, puis qu'il
-avoient ung si bon commencement que repris le plus fort castiel que li
-Englès leur avoient tollut, il se metteroient en paine de reconcquerre
-tous lez autres, et puis après chevaucheroient sus Engleterre. Si se
-partirent de Haindebourch, quant il l'eurent bien pourveu de tout ce
-qui y besongnoit et mis dedens cappittainne et compaignons pour le
-garder, et s'en vinrent devant Dalquest à cinq lieuwes de Haindebourch,
-ung très bel fort de l'hiretaige le comte de Douglas, et l'avoient li
-Englès concquis. Quant messires Guillaummes de Douglas et tout sen ost
-fu là venus, il fist environner le castiel et drechier enghiens par
-devant le mestre tour qui est grosse et quarrie, et le fist assaillir
-mout fierement. Chil dedens se deffendirent comme bonne gent, et
-estoient assés bien pourveus d'artillerie. Si traioient à chiaux dehors
-et se fuissent bien tenut ung grant temps, se il esperaissent confort
-ne secours de nul costet; mès il sentoient le roy englès oultre le mer,
-le comte de Sallebrin en prison, le castiel de Haindebourch repris. Si
-en estoient en plus grant esmay, car messires Guillaumme de Douglas
-leur avoit bien baptisiet que, se par forche il estoient pris, de leurs
-vies ne seroit riens; et se partir bellement s'en volloient, il les
-lairoit aller sans peril jusques à Bervich. Dont finablement, tout
-consideret, li Englèz qui en Dalquest estoient, rendirent le chastiel,
-sauve leur vies et leurs armures, et s'en partirent sans dammaige. Par
-enssi reut messires Guillaume de Douglas son castiel, dont il eut grant
-joie, et lequel oncques depuis il ne perdi.
-
-Apriès le reconcquès dou castiel de Dalquest, et que li Escot l'eurent
-bien pourveu et messire Guillaume de Douglas mis ens cappitainne et
-compaignons à son plaisir, il chevauchièrent et vinrent à Dombare seant
-sur le mer, et là avoit une grosse tour et saudoiiers englès qui
-durement herioient le pays. Li Escot l'environnèrent et le fissent
-assaillir d'enghiens et le prissent de forche le cinquième jour qu'il y
-furent venut, et ochirent tous chiaux qui dedens estoient, et
-abandonnèrent le tour à abattre as villains dou pays, laquelle fu
-tantost abatue rés à réz de terre. Et quant il eurent ce fait, il
-eurent avis qu'il s'en yroient devant Dondieu. Donc se deslogièrent il
-de Dombare et esploitièrent tant qu'il vinrent à Dondieu et
-l'asegièrent de tous costés. Dedens estoit ungs chevaliers englès,
-cousins au comte de Sallebrin, et l'apielloit on messires Thummas
-Brike, bon bacheler et sceur as armes, et dist que le castiel il ne
-renderoit pour morir. Chil de le ville tinrent un grant temps sen
-opinion, maugret yaulx, car il estoient Escos: si se fuissent
-vollentiers retourné plus tempre qu'il ne fesissent. Touttes fois
-messires Guillaumme de Douglas et li Escot sirent tant devant que cil
-de le ville se rendirent, et prissent de force messire Thumas et le
-livrèrent as barons d'Escoce qui le retinrent pour prisonnier et
-l'envoiièrent en Haindebourch prisonnier, puis se partirent de Dondieu
-et s'en vinrent à Donfremelin, une bonne ville et bien fremée: si
-l'asegièrent et n'y furent que trois jours quant il se rendirent.
-
-Que vous feroie je loncq compte? En ceste meysme saison, entroes que li
-roys englès estoit par dechà le mer, messires Guillaume de Douglas, li
-comtes de Mouret, li contes Patris, messires Robers de Versi, messires
-Simons Fresel, Alixandres de Ramesay et pluiseurs autres chevaliers
-d'Escoce avoecq les bachelers et les escuyers reconquisent moult dou
-pays d'Escoce perdu, et s'en vinrent finalment devant Struvelin, ung
-très fort castel et très bel, seant sus ung bras de mer à l'un dez léz
-et d'autre part sus une roche, et l'asegièrent communaument de grant
-vollenté. Et leur sanbloit que, se il ravoient ce castiel, il seroient
-ensi que tout au dessus de leur pays où li Englèz avoient jà demouret
-plus de troix ans; pour ce y mettoient il grant painne et grant cure à
-le ravoir. Or lairons à parler des Escos. Quant tamps et lieux sera,
-nous y retourons. Si parlerons dou siège de Tournay et coumment il fu
-perseverés. Fo 47 vo.
-
-
-=§ 124=, P. 54, l. 16: six vingt mille.--_Ms. d'Amiens_: plus de cent
-mille. Fo 48.
-
-P. 55, l. 10: royaume.--_Ms. d'Amiens_: que tout fuissent assamblet à
-Arras, à Lille et à Douay, au jour qui ordonnés y estoit. Fo 48.
-
-P. 55, l. 12: Bar.--_Ms. d'Amiens_: ... l'evesque de Liège, l'evesque
-de Miès.... Fo 48.
-
-P. 55, l. 17: gens.--_Ms. d'Amiens_: qui le vinrent servir à bien
-quinze cens lanches. Fo 48.
-
-P. 55, l. 18: revinrent.--_Ms. d'Amiens_: li dus de Normendie, aisnés
-fils au roy de Franche. Fo 48.
-
-P. 55, l. 18: Bretagne.--_Ms. d'Amiens_: à plus de mil lanches,
-chevaliers et escuiers, de son pays. Fo 48.
-
-P. 55, l. 19: Bourgongne.--_Ms. d'Amiens_: ses filz. Fo 48.
-
-P. 55, l. 19: d'Alençon.--_Ms. d'Amiens_: frères au roy de Franche. Fo
-48.
-
-P. 55, 21: Blois.--_Ms. d'Amiens_: messires Charles de Blois,... li
-comtes d'Auçoire, li comtes de Ventadour, li comtes de Bouloingne, li
-comtes de Sansoire, li comtes de Tancarville, li comtes de Saint Pol,
-li comtes d'Aumale,... li sires de Sulli, li sires de Pons, messires
-Goffrois de Harcourt, li viscomtes de Rohan, li sires de Partenay, li
-sires de Montmorensi. Fo 48.
-
-P. 55, l. 25: detriemens.--_Ms. d'Amiens_: Et s'asamblèrent à Arras et
-là environ, à Lille, à Douay, à Bietunne, à Lens et là environ. Fo 48.
-
-
-=§ 125.= P. 56, l. 2: venus.--_Ms. d'Amiens_: li aucun par priière, li
-aultre par feaulté et par hommage. Fo 48.
-
-P. 56, l. 7: Tournay.--_Ms. d'Amiens_: et s'en vinrent logier au Pont à
-Bouvines et jusques au Pont à Tresin, et point ne passèrent non par
-mannierre de logeis. Fo 48.
-
-P. 56, l. 10: estroit.--_Ms. d'Amiens_: car trois hommes de front à
-grant mesaise le pewissent cevauchier. Fo 48.
-
-P. 56, l. 12: combiner.--_Ms. d'Amiens_: Et se logièrent li roys de
-Behaingne et li evesques Aoulz de Liège et touttes leurs gens assés
-priès de ce pont. Quant toutte li os fu amanagie et logie, il fu
-ordonnet de par le roy de Franche que li comtes de Flandre, li dus
-d'Athènes, li viscoens de Touars, li comtes de Sallesebruges, li sires
-de Cram regardaissent et advisaissent sus celle rivière. Fo 48.
-
-P. 56, l. 26: au pont à Tressin.--_Mss. A 1 à 6_: au pont à Crecy et
-entre le pont et Bovines. Fo 68.--_Mss. A 7 à 10, 15 à 17_: au pont à
-Tressin et entre le pont de Bouvines. Fo 62.--_Mss. A 11 à 14_: à
-Crecy, entre le pont et Bovines. Fo 66.--_Mss. A 18, 19, 30 à 33_: au
-pont de Tressin et entre le pont de Bouvines. Fo 68.--_Mss. A 20 à 22_:
-entre le pont à Tressin et le pont à Bouvines. Fo 102.--_Mss. A 23 à
-29_: au pont de Tressin et emprès le pont de Bouvines. Fo 78.
-
-P. 56, l. 27: ennemis.--_Ms. d'Amiens_: pour comforter chiaux de
-Tournay qui vaillamment et bellement se tiennent contre les Englès,
-car, pour escarmuche ne pour assaut que on y face, en riens ne
-s'effréent ne se desroient ossi. Il y a dedens bonne chevalerie, sage
-et avisée, qui sèvent de guerre assés pour yaux tenir et deffendre. Fo
-48.
-
-P. 56, l. 31: alemant.--_Ms. d'Amiens_: preux et hardis et qui tout
-troi avoient à nom Conrart, par lesquelx ens ou pays de Ostrevant
-avoient estet fait pluiseurs biaux fès d'armes sus les frontières de
-Douay, de Marchiennes, de Alues en Pailloel, de Cambresis et d'Artois.
-Fo 48 vo.
-
-P. 56, l. 32: Bouchain.--_Mss. A 1 à 7, 18 à 33_: Bouchain.--_Mss. A 8
-à 17_: Bohaing, Bouhaing.
-
-P. 57, l. 8: Leusennich.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 23 à 33_: Lansemich,
-Lensemiich.--_Mss. A 18, 19_: Lansennich.
-
-P. 57, l. 11: l'Escaut.--_Ms. d'Amiens_: et le Haynne. Fo 48 vo.
-
-P. 57, l. 11: Condet.--_Ms. de Rome_: Ensi que il cevauçoient, euls
-vintime tant seulement, et estoient entre Frane et Escaupons, deus
-villages qui sont entre Valenchiennes et Condet, il regardèrent sur les
-camps et veirent gens fuians, et moustroient que il estoient en grant
-effroi. Si cevauchièrent au devant et leur demandèrent pourquoi il
-fuioient. Il respondirent: «Nous fuions à sauveté, car chi en ce
-village sont entré auqun compagnon françois, et creons bien que il sont
-issu de Mortagne, et requellent la proie et l'asamblent, et avoecques
-tout ce il ont jà pris honmes et fenmes que il en voellent mener.» Qant
-chil chevalier entendirent ces paroles: «Retournés, bonnes gens, nous
-irons veoir que c'est. Et sont il grant fuisson?»--«En non Dieu,
-signeur, respondirent il, i(l) sont plus de cent.» Donc demandèrent li
-chevalier: «Et conment appelle on celle ville à ce grant clochier?» Il
-respondirent: «Frane.»--«Or alés celle part, dissent li chevalier, et
-esmouvés les honmes de Frane, et faites recoper les cloces, par quoi
-tout s'esmuevent fenmes et honmes de la ville, et les faites tous issir
-hors, car nous les poursieverons et meterons en enbusque au lonc de
-celle haie, et verons quels gens ils sont, et lors calengerons lor
-proie.» Il le fissent tout ensi et vinrent à Frane, et trouvèrent les
-honmes de la ville qui gardoient lor moustier. Se lor dissent ces
-nouvelles.
-
-En celle prope heure vint là li sires de Frane qui venoit de
-Valenchiennes, et estoit là establis pour aidier à garder la ville, et
-jà savoit que il i avoit pillars venus à Bruel et à Escaupons, et
-avoient aquelliet la proie des praieries. Si voloit, selonc sa
-poissance, deffendre et garder ses gens et sa ville, et estoient diis
-lances et vint arbalestriers. Qant il oï ces nouvelles de ceuls de la
-garnison de Bouçain, si en fu tous resjois, car il les sentoit moult
-vaillans honmes, et requella tous les honmes aidables de sa ville, et
-fist ensi que li premier li avoient dit. Ces saudoiiers de Mortagne,
-qant il orent fait lor quelloite, il missent ensamble bien deus cens
-bestes, et prissent lor retour, et les fissent cachier devant euls. Et
-tout ce veirent chil qui estoient en enbusque, et les laisièrent passer
-et aler tout oultre, et jà estoient ou bois, qant chil de Frane
-vinrent. Qant il furent tout ensamble, il se missent au cemin le bon
-pas, et poursievirent ceuls qui enmenoient la proie et biaucop de
-prisonniers, et ne pooient tos aler pour la cause dou bestail.
-
-Ensi que assés priès de Nostre Dame ou Bos il raconsievirent ces
-pillars, voires li honme de ceval premierement, et conmenchièrent à
-escriier «Hainnau!» et abaisièrent les glaves, et se boutèrent entre
-euls, et en ruèrent jus de lors cevaus de premières venues sept. Li
-aultre se missent à deffense, car il i avoit des gentilshonmes qui là
-estoient venu pour gaegnier, ensi que auqun baceler s'avancent. Là ot
-bon hustin et dur, et moustrèrent li François deffense; mais chil
-Alemant estoient droite gens d'armes, et bien usé et coustumé de tels
-besongnes. Et avint que avoecques le confort des gens de piet,
-arbalestriers et aultres qui les sievoient, la proie fu rescouse, et
-tout chil et celles qui pris estoient, delivret; et en i ot des
-François mors jusques à quinze et pris plus de vint cinq, et li autre
-se boutèrent en bos et se sauvèrent.
-
-Ce service fissent li doi chevalier alemant qui issu estoient de
-Bouçain, à ceuls de Bruel et d'Escaupons; et furent li prisonnier menet
-à Valenchiennes, à Condet et à Mons en Hainnau. Si furent li varlet
-pendu et noiiet, et li gentilhonme rançonnet. Et li doi chevalier
-alemant et li sires de Frane en lor compagnie vinrent au siège devant
-Tournai, et trouvèrent le conte de Hainnau qui lor fist bonne chière.
-Fos 65 vo et 66.
-
-
-=§ 126.= P. 58, l. 24 et 25: au pont à Tressin.--_Ms. d'Amiens_: au
-pont à Bouvines. Fo 48 vo.--_Ms. de Rome_: viers le pont à Tresin, ou
-cemin de Lille et de Tournai, et moult i a biaus pais et plain. Et
-passèrent Froiane et Basieu, et cevauçoient as aventures, ensi que
-compagnon font qui se desirent à avanchier et avoir bonne renonmée. Fo
-66.
-
-P. 59, l. 2: l'evesque.--_Ms. de Rome_: Aoul de Liège, qui là estoit
-avoecques le roi de France. Fo 66.
-
-P. 59, l. 2: de Liège.--_Ms. B 6_: qui estoit ses sires. Fo 159.
-
-P. 59, l. 2: Liegois.--_Ms. de Rome_: et li Hasbegnon, qui s'estoient
-levet bien matin. Fo 66.
-
-P. 59, l. 4: plains.--_Ms. de Rome_: en ce plain pais de Tournesis. Fo
-66.
-
-P. 59, l. 10: pont.--_Ms. de Rome_: pour aler viers Lille. Fo 66.
-
-P. 59, l. 12 et 13: ordonnèrent.--_Ms. de Rome_: messire Wauflars de le
-Crois ordonna. Fo 66.
-
-P. 59, l. 16: Sorres.--_Mss. A 8 à 10_: Sorce. Fo 62 vo.--_Mss. A 15 à
-17_: Sorée. Fo 68 vo.--_Le nom de ce chevalier manque dans les autres
-mss. A._
-
-P. 59, l. 19: avant.--_Ms. de Rome_: car il estoient bien monté et
-furent decheu par la bruine, car il ne veoient point lonch ne autour de
-euls, et ne se donnèrent de garde. Fo 66.
-
-P. 59, l. 22: li sires.--_Ms. B 6_: de Montmorensy. Fo 160.
-
-P. 59, l. 22: Rodemach.--_Ms. d'Amiens_: de le ducé de Luxembourcq. Fo
-48 vo.
-
-P. 59, l. 28: esprouvèrent.--_Ms. de Rome_: mais la force des
-Lucembrins et des Liegois les sourmonta. Fo 66 vo.
-
-P. 60, l. 11: bouter.--_Ms. B 6_: en ung vert chemin entre sauchois et
-marès, et se bouta entre rosiauls et fontaines et autres petis
-buissons, et dist que là il se tenroit jusques à la nuit. Fo 160.
-
-P. 60, l. 12: temps.--_Ms. d'Amiens_: Et s'avisa qu'il s'i tenroit bien
-jusques à le nuit que il cevauceroit plus avant, ou il rapasseroit le
-pont. Mès il n'en vint pas à sen entente, car il y fu ce meysme jour
-trouvés et pris et rendus au roy de Franche, dont il eult grant joie,
-car il li avoit fait pluisseurs contraires. Fos 48 vo et 49.--_Ms. de
-Rome_: et jà avoit il laissiet aler son ceval. Il ne voloit sauver que
-son corps, car trop resongnoit à estre pris pour les haines que chil de
-Lille avoient sur lui. Fo 66 vo.
-
-P. 60, l. 15: banière.--_Ms. de Rome_: Et fu la banière à mesire
-Guillaume de Bailluel conquise. Donc fu consilliés li dis messires
-Guillaumes que il rapas(s)ast le pont: si ques, tout en combatant et
-faisant armes, il le rapas(s)a et ses gens aussi, et avoient biau cop
-de painne. Qant il fu oultre le pont, il fu qui li dist: «Sire, sauvés
-vous, car la journée est contre nous.» Il tint ce consel et se ala et
-pas(s)a tant de l'un à l'autre que il s'embla et feri ceval des
-esporons, et deus de ses honmes tant seullement: chil se sauvèrent. Fo
-66 vo.
-
-P. 60, l. 16: A ces cops.--_Ms. de Rome_: tantos apriès ce que messires
-Guillaumes de Bailluel fu departis. Fo 66 vo.
-
-P. 60, l. 17: Bailluel.--_Ms. d'Amiens_: frères mainnéz à monseigneur
-Guillaumme de Bailloel. Fo 49.
-
-P. 60, l. 26: armes.--_Ms. de Rome_: car la brisure des deus frères
-estoit moult petite, et crioient tout doi: «Moriaumés!» Fo 66 vo.
-
-P. 60, l. 26 et 27: vairiet contre vairiet.--_Mss. A 8 à 10, 20 à 22_:
-barrées contre barrées, à deux chevrons de gueules. Fo 63.
-
-P. 61, l. 2: Gontiers.--_Mss. A 11 à 14, 20 à 33_: Gaultier, Gautier.
-Fo 69.
-
-P. 61, l. 2 et 3: Pontelarce.--_Mss. A 15 à 33_: Pont de l'Arche. Fo 68
-vo.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14_: Poncharche, Pontarche, Poucharche. Fo 69.
-
-P. 61, l. 6: Daniaus.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14_: Damas. Fo 69.
-
-P. 61, l. 7: aultre.--_Ms. de Rome_: Des siis vint qui parti au matin
-estoient de l'oost le conte de Hainnau, il n'en retournèrent que douse,
-que tout ne fuissent mort ou pris. Fo 66 vo.
-
-P. 61, l. 8: Bailluel.--_Ms. d'Amiens_: Et messires Robers ses frères
-obtint le place, et eurent li Liegois le journée pour yaux, de quoy li
-roys de Franche leur sceut grant gret. Fo 49.
-
-P. 61, l. 12: nuit.--_Ms. de Rome_: mais il ne peut, car li sires de
-Saint Venant et ses gens le trouvèrent en la rosière où il reclamoient
-un faucon que il avoient perdu. Fo 66 vo.
-
-P. 61, l. 15: Saint Venant.--_Mss. A 11 à 14_: Montmorency. Fo 67.
-
-P. 62, l. 4: ennemis.--_Ms. de Rome_: il l'enmenèrent en lor ville, et
-le tinrent en prison tant que il vesqi. Fo 67.
-
-P. 62, l. 4: morir.--_Ms. B 6_: de moult cruelle mort et à grant
-martire. Fo 162.
-
-P. 62, l. 5: raençon.--_Mss. A 15 à 17_: Ainsi fina honteusement
-monseigneur Wafflart de la Croix. Fo 69.
-
-
-=§ 127.= P. 62, l. 10: Haynau.--_Ms. de Rome_: Nouvelles vinrent en
-l'oost devant Tournai au conte de Hainnau, que li saudoiier de Saint
-Amant estoient issu et avoient ars la ville de Hanon et l'abeie. Et
-encores avoecques tout ce il estoient retourné par Vicongne et avoient
-ars la maison dou Pourcelet et abatu le moulin et la fontainne, et
-s'estoient mis en grant painne de destruire et ardoir la belle abbeie
-de Vicongne; mais li Valenchiennois l'en avoient sauvé et respité par
-le secours de cinq cens compagnons que il i avoient envoiet. Donc crola
-li contes de Hainnau la teste et dist: «Chil de Saint Amant sont trop
-reveleus: il les nous fault aler veoir, et ceuls de Mortagne aussi,
-mais ce sera plus proçainnement que il ne quident.» Fo 64 vo.
-
-P. 62, l. 15: sis cens.--_Ms. de Rome_: sept cens. Fo 64 vo.
-
-P. 62, l. 23: Biaugeu.--_Ms. de Rome_: liquels se nonmoit Edouwars,...
-et avoit avoecques lui des Bourgignons et des Savoiiens biaucop et
-toute flour de gens d'armes. Fo 64 vo.
-
-P. 62, l. 29: douse cens.--_Mss. A 11 à 14_: quatorze cens. Fo 67.
-
-P. 62, l. 30: pilos.--_Ms. d'Amiens_: Et duroit chilz pilotis tout au
-loncq de le rivierre. Fo 49.
-
-P. 62, l. 31: costés.--_Ms. de Rome_: avoecques ses Hainnuiers et
-Hollandois. Fo 65.
-
-P. 63, l. 1: l'autre.--_Ms. de Rome_: Et se departirent de
-Valenchiennes bien douse mille honmes. Et les conduisoient li doi
-prevost de la ville, Jehans de Baisi et mesire Gilles li Ramonniers. Et
-vinrent passer à Condet les deus rivières de Hainne et l'Eschaut, et
-ceminèrent à piet et à ceval tant que il furent devant Mortagne. Fo 64
-vo.
-
-P. 63, l. 6: le Scarp.--_Mss. A 1 à 7, 11 à 14, 23 à 29_: l'Escaut. Fo
-69 vo.
-
-P. 63, l. 9: Mande.--_Mss. A 1 à 6, 18 à 33_: Mante. Fo 69 vo.--_Mss. A
-7 à 10_: Mande. Fo 64 vo.--_Mss. A 11 à 14_: Manre. Fo 67 vo.--_Mss. A
-15 à 17_: Saint Mande. Fo 69 vo.--_Ms. d'Amiens_: et Saint Amand. Fo
-49.
-
-P. 63, l. 12: quatre cens.--_Ms. d'Amiens_: trois cens. Fo 49.
-
-P. 63, l. 18: part.--_Ms. de Rome_: au lés deviers Mande, à la porte
-qui oeuvre sus le Scarp; et ses cousins li sires de Saint Gorge estoit
-à la porte d'Escaut, par où on va à Antoing et en Hainnau. Fo 65.
-
-P. 63, l. 25: en l'aigue.--_Ms. d'Amiens_: à terre et en le rivière de
-Scarpe qui noiiet fuissent, se il n'ewissent evut bon secours. Fo 49.
-
-P. 64, l. 3: engien.--_Ms. de Rome_: et deus espringalles: li enghiens
-jettoit pières de fais dedens la ville; et les espringalles, groses
-plonmées. Là estoient li arbalestrier de Valenchiennes arouté, et
-traioient à pooir sus les deffendans, dou quel trait il en blechièrent
-pluisseurs. Fo 65.
-
-
-=§ 128.= P. 64, l. 23: l'Escaut.--_Ms. d'Amiens_: plus de douze cens.
-Fo 49.
-
-P. 64, l. 27: fait.--_Ms. d'Amiens_: que tout au mieux venir, on n'en
-aroit meut hors de l'aighe une douzaine le jour. Fo 49.
-
-P. 65, l. 9: esbahi.--_Ms. d'Amiens_: dou sens de l'enghigneour de
-Mortaigne, et dissent bien que uns telx mestres estoit dignes de vivre.
-Fo 49 vo.
-
-
-=§ 129.= P. 65, l. 12: deus nuis et trois jours.--_Mss. A 11 à 14 et A
-1_: deux jours et trois nuiz. Fo 67 vo.
-
-P. 65, l. 12: conquisent.--_Ms. de Rome_: Avant i ot plus de lors gens
-navrés et bleciés que des François, car, à parler par raison et à
-considerer toutes coses, Mortagne dalés Tournai est trop forte place;
-et pour ces jours elle estoit pourveue de bonnes gens d'armes, sage et
-conforté, et ne fust à garder plus perilleuse forterèce assés de
-deffense que ceste ne soit. Fo 65.
-
-P. 65, l. 16: ville.--_Ms. d'Amiens_: et dedens trois jours apriès
-fuissent devant Saint Amand, car il y seroit ossi. Ces nouvelles oïes
-en l'ost de Vallenchiennes, il se partirent et deslogièrent et
-tourssèrent tout et missent à voie; mès au partir il violèrent et
-desrompirent trop diviersement l'abbeie de Castiaux, dont ce fu pitéz.
-Fo 49 vo.
-
-P. 65, l. 27 et 28: trois mille.--_Mss. A 15 à 17_: quatre mille. Fo
-70.
-
-P. 66, l. 1: veoir.--_Ms. d'Amiens_: car moult les hayoit pour le cause
-de l'abbeie de Hanon qu'il avoient ars. Fo 49 vo.
-
-P. 66, l. 4: d'och.--_Ms. d'Amiens_: cousins à l'evesque de Cambrai,
-Guillaumme d'Ausoire. Et estoit chils de chiaux de Mirepois et
-senescaus de Carkasonne, et là envoiiéz en garnison de par le roy de
-France. Fo 49 vo.--_Ms. de Rome_: mesire Pière de Charcasonne. Fo 65.
-
-P. 66, l. 16: l'abbeye.--_Ms. d'Amiens_: reliques et aournemens de
-moustier, Fo 49 vo.
-
-P. 67, l. 2: bidau.--_Ms. d'Amiens_: bidau et Geneuois ne s'en
-faisoient que truffer, et torquoient de leurs capperons lez murs de le
-ville, quant li arbalestrier avoient trait. Fo 49 vo.--_Ms. de Rome_:
-et ne faisoient compte des Hainnuiers et par especial des
-Valenchiennois. Fo 65.
-
-P. 67, l. 13: d'armes.--_Ms. d'Amiens_: à plus de douze cens lances. Fo
-50.
-
-P. 67, l. 14: au lés.--_Ms. d'Amiens_: derière l'abbeie. Fo 50.
-
-P. 68, l. 23: fuison.--_Ms. de Rome_: car chil qui entré estoient,
-entrues que li premier se conbatoient, alèrent ouvrir les portes de la
-ville. Si entrèrent ens li Valenchiennois, et tout chil qui entrer i
-vodrent, par le pont de Scarp, et li aultre par la porte de Tournai. Fo
-95 vo.
-
-
-=§ 130.= P. 69, l. 13: occis.--_Ms. de Rome_: dont il en desplaisi
-grandement au conte de Hainnau, et euist volentiers veu que on l'euist
-pris sus et retenu en vie. Fo 65 vo.
-
-P. 69, l. 16: destruite.--_Ms. de Rome_: et se s'en sauvèrent
-pluisseurs qui se boutèrent par derrière en le Scarp en nefs et en
-batiaus, et lors fenmes et lors enfans, et s'en vinrent à sauveté à
-Mortagne. Fo 65 vo.
-
-P. 69, l. 19 et 20: parardirent.--_Ms. de Rome_: fustèrent toute la
-ville et le parardirent, et abatirent et destruisirent biaucop des
-offecines et mancions de l'abeie, et descouvrirent le moustier qui tout
-estoit couvers de plonc, et rompirent le clochier et abatirent et
-brisièrent les cloces qui estoient excellentement bonnes, et tout
-cargièrent sus chars et sus charètes. Fo 65 vo.
-
-P. 69, l. 28: sis cens.--_Ms. de Rome_: cinq cens. Fo 67.
-
-P. 69, l. 31: Scarp au dessous de Hanon.--_Mss. A 7 à 10, 23 à 33_:
-Scarp au dessus de Hannon. Fo 66.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22_:
-l'Escaut au dessus de Hanon. Fo 71 vo.
-
-P. 70, l. 7: parfons.--_Ms. de Rome_: liquel estoient impossible à
-passer sans batiaus. Fo 67.
-
-P. 70, l. 11: l'aigue.--_Ms. de Rome_: Si entrèrent dedens et avoient
-amené des arbalestriers et des hollandois piquenaires, liquel sont et
-vaillent moult à un assaut. Chil qui estoient ens ès batiaus sus l'aige
-qui venoit de la rivière de Scarp, qui vient de Douai et qui là qourt,
-se missent sus la cauchie qui va de la porte à l'abeie; et petit à
-petit tant passèrent que il furent plus de cent parmi les
-arbalestriers. Fo 67.
-
-P. 70, l. 14: Bacho de le Wière.--_Mss. A 11 à 14_: Bachon de la
-Bruière. Fo 69.
-
-P. 70, l. 21: pris.--_Ms. de Rome_: Et se rendi messires Amés de
-Warwaus prisonniers au dit conte, et auqun gentilhomme qui là estoient,
-et li monne aussi; mais le demorant il furent ochis ou jetté en la
-rivière. Fo 67.
-
-P. 70, l. 22: ossi.--_Ms. de Rome_: Dont ce fu damages; mais en gerre
-il n'i a nulle pité ne merchi; et li varlet qui poursievent les gens
-d'armes, font plus à la fois, qant il se voient au desus de lor
-emprise, que on ne lor conmande. Fo 67.
-
-
-=§ 131.= P. 71, l. 6: famine.--_Mss. A 11 à 14_: pour quoy il les
-pensoit plus tost avoir par affamer que par assaulx. Fo 69.
-
-P. 71, l. 11: Avoech.--_Ms. d Amiens_: .... il y avoit un grant
-parlement entre le duc de Braibant, le duc de Guerlles, le comte de
-Jullers, le marquis de Blancquebourch et aucuns seigneurs d'Engleterre,
-sus l'estat que je vous diray. Li communauté des bonnes villes de
-Braibant, especialement Brouxelles, Louvain, Malinnes, Anwers, Nivelle,
-Jourdongne et Liere, se volloient partir comment qu'il fust, et
-estoient enssi que tout tannet. Et s'estoient complaint au duc leur
-seigneur en disant que ce n'estoit mies vie d'estre si longement à ost
-devant une ville sans autre cose faire, et que là il sejournoient à
-trop grant fret, et que briefment il s'en partiroient par congiet ou
-sans congiet. De quoy li dus, qui fu moult sages homs, leur avoit
-respondu que vollentiers il en parleroit as autres seigneurs et au
-consseil le roy d'Engleterre, pour qui il estoient là assamblet. Si
-leur avoit remoustré, ensi que dessus est dit, li dus, quant li comtes
-de Haynnau entra ou parlement. Si sambla as seigneurs, especialement au
-consseil le roy englèz, que li Braibenchon ne se volloient mies
-acquitter trop souffissamment, qui jà parloient dou retour. Et fu chilx
-conssaux jettéz sus le comte de Haynnau et priiés que il en volsist
-dire sen entente. Et il en respondi tout pourveeuement «que on leur
-donne ce congiet de partir, se partir voellent, mès on leur face
-commandement que nuls n'enporte ses armures, mès les mettent jus et les
-raportent deviers lez marescaus.» Chils parlers fu tenus, et leur fist
-li dus de Braibant ceste responsce de par le roy d'Engleterre et tous
-les plus grans seigneurs de l'ost. Et quant il oïrent che, si se turent
-et furent tous virgongneus, et leur sambla que on se truffoit d'iaux.
-Si n'en parlèrent oncques puisedi si descouvertement. Fo 49 vo.
-
-P. 71, l. 26: Hodebourch.--_Mss. A 1 à 7, 18 à 29_: Rodebourch,
-Radebourch, Rodebourg. Fo 72.--_Mss. A 8 à 10_: Rendebourch. Fo 65
-vo.--_Mss. A 11 à 14_: Rodembourch. Fo 69 vo.--_Mss. A 15 à 17, 30 à
-33_: Randebourch. Fo 71 vo.
-
-P. 71, l. 28: Ernoul.--_Mss. A 23 à 29_: Noel. Fo 83.
-
-P. 71, l. 28: Bakehen.--_Mss. A 11 à 17_: Kakehan. Fo 69 vo.--_Ms. de
-Rome_: et Jehans ses frères. Fo 67.
-
-P. 71, l. 29: Renauls.--_Ms. B 3_: Arnault. Fo 63 vo.
-
-P. 71, l. 29: Conrars.--_Ms. B 3_: Colas.
-
-P. 71, l. 30: d'Asko.--_Ms. de Rome_: Ce furent li doi chevalier qui
-estoient parti de Bouçain, ensi que chi desus est dit, et qui ruèrent
-jus entre Frane et Nostre Dame ou Bos, les saudoiiers de Mortagne. Fo
-67.
-
-P. 71, l. 30: Bastiens.--_Mss. A 11 à 14_: Jahan. Fo 69 vo.
-
-P. 71, l. 31: Barsies.--_Mss. A 1 à 6, 18 à 22_: Warsie. Fo 72.--_Mss.
-A 11 à 14_: Warwasie.--_Mss. A 23 à 33_: Bastres. Fo 83.
-
-P. 71, l. 31 et 32: Stramen de Venoue.--_Ms. B 3_: Stranjen de
-Veemone.--_Mss. A 23 à 29_: Stranjen de Beurne. Fo 83.
-
-P. 72, l. 7: de Haynau.--_Ms. de Rome_: Et là furent li sires de
-Goumegnies, li sires de Mastain, li sires de Vertain, messires Henris
-de Huffalise, et Gilles et Tieris et Ostelars de Soumain. Fo 67.--_Ms.
-B 6_: Des Haynuiers y estoient messires Florens de Biaurieu, messires
-Olyfars de Ghistelle, le sire de Gommegnies, le sire de Semeries, le
-sire de Floyon, le sire de Sars et pluisseurs aultres. Fo 160.
-
-P. 72, l. 9: Biaurieu.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22_: Beaugeu. Fo
-72.
-
-P. 72, l. 9: Baras.--_Mss. A 11 à 14_: Bertran. Fo 69 vo.
-
-P. 72, l. 16: trois cens.--_Mss. A 11 à 14_: Si estoient environ quatre
-cens hommes d'armes, tous bien montez et armez. Fo 69 vo.
-
-P. 72, l. 24 et 25: Keukeren.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14_: Kakeren,
-Kakeranth.--_Mss. A 20 à 22_: Baquehem. Fo 108.--_Ms. B 3_: Kerqueren.
-Fo 64.
-
-P. 72, l. 24 et 25: Thielemans.--_Ms. de Rome_:... messire Henri
-d'Uffalise. Fo 67.
-
-P. 72, l. 25: Sansi.--_Mss. A 1 à 10, 15 à 33_: Saussi. Saussy, Sausy,
-Saucy.--_Mss. A 11 à 14_: Thiebault du Saussoy.
-
-P. 73, l. 1: se partirent.--_Ms. B 6_: sans che que le conte de Haynau
-ne messire Jehan de Haynau ses oncles en sceust riens. Fo 160.
-
-P. 73, l. 10: Montmorensi.--_Ms. de Rome_: mesires Carles. Fo 67
-vo.--_Mss. A 11 à 14_: monseigneur Mahieu de Montmorancy et monseigneur
-Jehan de Saint Saulieu; mais en ces entrefaittes qu'ilz se departoient
-de leur guait, un pou devant soleil levant, vindrent ces Allemans en
-leurs gardes. Fo 69 vo.
-
-P. 73, l. 24: car.--_Ms. de Rome_: ses chevaus li falli. Fo 67 vo.
-
-P. 73, l. 27 et 28: Jakelot de Thians.--_Mss. A 1 à 6_: Jaquelés de
-Chans. Fo 72 vo.--_Mss. A 11 à 14_: Jaquemes des Champs. Fo 70.--_Mss.
-A 20 à 22_: Jacques de Thibaux. Fo 108 vo.
-
-
-=§ 132.= P. 74, l. 29: ossi.--_Ms. de Rome_: dont il fu depuis moult
-blamés, quant il laissa son compagnon, messire Carle de Montmorensi. Fo
-67 vo.
-
-P. 75, l. 4: coureur.--_Ms. d'Amiens_: li sires de Randerodene et
-messires Ernoulz ses filz et messires Henris de Kenkeren ung
-missenairez et messires Thielemant de Sanssi, messires Oliffars de
-Gistelles et messires li Allemans, bastars de Haynnau et messires
-Robers Glummes adonc escuier. Fo 50.
-
-P. 76, l. 6: prisons.--_Ms. de Rome_: De celle aventure furent li
-François si esbahi que il perdirent lor arroi, et n'avoient pas gens
-parellement as Alemans et Hainnuiers, car la grignour partie sievirent
-la banière le signeur de Saint Sauflieu. Et furent les gens le signeur
-de Montmorensi tout espars; petit en i ot de mors. Fo 67 vo.
-
-P. 76, l. 9: Kenkeren.--_Ms. d'Amiens_: Henris de Kenkeren. Fo 50.
-
-P. 76, l. 10: Sausi.--_Ms. d'Amiens_: ... messires Ernaux de
-Bakehen,... messires Florens de Biaurieu, messires Baras de le Haye. Fo
-50.
-
-P. 76, l. 12: homme d'armes.--_Ms. d'Amiens_: escuier. Fo 50 vo.
-
-P. 76, l. 15: prisonniers.--_Ms. de Rome_: Et furent rescous messires
-Oulfars de Ghistelle et li doi esquier qui pris estoient; et
-retournèrent en l'oost devant la chité de Tournai. Fo 67 vo.
-
-
-=§ 133.= P. 76, l. 26 et 27: Or vous.--_Ms. de Rome_: Ensi se portoient
-les cevauchies et les enbusqes et rencontres entre ces deus hoos, le
-siège estant devant Tournai. Et pour ce que Jaques d'Artevelle, à
-poissance de Flamens, se tenoit devant Tournai avoecques les aultres
-signeurs, nouvelles vinrent en l'ost, qant li rois de Franche fu venus
-à Bouvines, que les gens d'armes qui estoient establi ens ès garnisons
-de Saint Orner, d'Aire, de Tieruane et des forterèces françoises
-marcissans sus les frontières de Flandres, enteroient en la vallée de
-Cassiel, et destruiroient le pais, Berghes, Bourbourc, Miessines,
-Werevi, Popringhe et tout le plat pais de là environ, se il n'estoit
-que on lor fust au devant. Pour ce furent ordonné messires Robers
-d'Artois et mesires Henris de Flandres à partir de l'oost, et à prendre
-vint mille Flamens, et aler ou val de Cassiel, et requellier encores
-tous honmes portans armes dou tieroit dou Franc et de Flandres, car
-tout n'estoient pas au siège de Tournai. Si en seroit li pais plus fors
-et plus doubtés.
-
-Sus cel estat, li dis mesires Robers d'Artois et mesires Henris de
-Flandres s'en vinrent en la valée de Cassiel, et là se logièrent; et
-fissent un arrière mandement qui s'estendi par tout le pais de
-Flandres, et pour garder les entrées de Flandres. Si vinrent de tous
-lés là Flamens et se logièrent, et se trouvèrent bien quarante mille et
-plus. Avint ensi que compagnon, en une hoost qui sejourne, sont de
-grant volenté; il se quellièrent et missent ensamble bien trois mille
-Flamens, et sus l'entente que pour gaegnier et aler fuster le pais
-environ Aire, Tieruane et Saint Omer; et se departirent de l'oost et
-des aultres une vesprée, sans point parler à lors chapitainnes, et
-vinrent sus un ajournement ens ès fourbours de Saint Omer et les
-ardirent, et abatirent les moulins qui estoient au dehors. Chil qui
-estoient dedens Saint Omer s'estourmirent, et là se tenoient bonne
-chevalerie d'Auvergne et de Limosin, premierement li conte Beraut
-daufin d'Auvergne, et (li) conte de Clermont son frère, le signeur de
-Merquel, le signeur de la Tour, le signeur de Montgascon, le signeur
-d'Achier, le signeur d'Açon, le signeur d'Alaigre, le signeur de Saint
-Aupisse, le signeur de Pière Bufière, et se trouvoient bien trois cens
-lances, chevaliers et esquiers. Si s'avisèrent que il se meteroient sus
-les camps et poursieveroient ces Flamens, et manderoient ceuls qui
-estoient en garnison en Tieruane que il leur venissent au devant, entre
-Aire et Arques, et ausi à ceuls de la garnison d'Aire et de Saint
-Venant que il isissent et se mesissent sus le camps, et qant il
-seroient tout ensamble, il courroient sus à lor avantage ces Flamens.
-
-Tout ensi conme il le proposèrent, il le fissent, et s'asanblèrent
-dedens Saint Omer, et s'armèrent et montèrent as cevaus, et enmenèrent
-les arbalestriers et bien mille aultres honmes avoecques euls, et
-issirent hors de Saint Omer, et prissent à la couverte le cemin dou
-mont de Herfaut. Qant li chevalier et li esquier qui en Tieruane se
-tenoient furent segnefiiet de ceuls de Saint Omer, li sires de Brimeu,
-li sires de Boubert, li sires de Saint Pi, li sires de Reli, li sires
-de Sanci et pluisseur aultre qui là se tenoient, il s'armèrent et
-montèrent as chevaus, et issirent de Tieruane, et se missent sus les
-camps. Li Flamenc, qui ne voloient aultre cose que pillier le pais, et
-puis retourner et estre au soir en l'oost de lors gens, vinrent à
-Arques, une grose ville à demi lieue de Saint Omer, et le pillièrent et
-robèrent toute, et se cargièrent de ce que il i trouvèrent de dras et
-de jeuiaus; et puis à lor departement, il boutèrent le feu dedens, et
-en ardirent plus de la moitié, et abatirent les moulins. Et tout ce
-veoient li François qui estoient sus les camps, et avoient jà trouvé
-l'un l'autre chil de Saint Omer et chil de Tieruane, et se trouvoient
-quatre cens lances et douse cens honmes de piet. Chil Flamenc, qui
-avoient ceminet toute la nuit et à l'endemain jusques à haute tierce,
-estoient tout lasset, et vinrent sus un village que on appelle la
-Cauchie et là s'arestèrent; et dissent que il mengeroient et se
-reposeroient, et puis il se retrairoient viers Cassiel, car il ne se
-sentoient de nului poursievi. Qant il furent là venu ou dit village, li
-pluisseur se desarmèrent et se traissent par ostels, et se boutèrent en
-gragnes, en maisons et en jardins, et n'estoient en doubte de nului.
-Evous venus ces François en deus batailles, et avoient vint banières,
-et ordonnèrent lors arbalestriers tout devant, et s'en vinrent en cel
-vilage que on dist la Cauchie à frapant à l'esporon, et trouvèrent ces
-Flamens, les auquns sus la rue, les aultres tous desarmés, et les
-pluisseurs qui buvoient et mengoient.
-
-Qant chil chevalier et esquier furent là venu, et casquns escria son
-cri, chil Flamenc furent si esbahi que onques il ne tinrent conroi ne
-ordenance, mais tournèrent tous les dos, et se sauvèrent qui sauver se
-peurent; et en i ot bien ocis ou village que en cace sus les camps dix
-huit cens, et li demorans retournèrent à grant mescief tout desbareté.
-Fo 68.
-
-P. 77, l. 3: Cassiel.--_Ms. d'Amiens_: de le castelerie de Cassiel. Fo
-51.
-
-P. 77, l. 6: à Saint Omer.--_Ms. d'Amiens_: de Saint Omer. Fo 51.
-
-P. 77, l. 10: Montagut.--_Ms. d'Amiens_: d'Auviergne. Fo 51.
-
-P. 77, l. 10: Rocefort.--_Ms. d'Amiens_: .... li sires d'Achier et tout
-grant baron d'Auvergne. Fo 51.
-
-P. 77, l. 12: Aire.--_Ms. d'Amiens_: se tenoient Artisien, li sires
-d'Aubegny, li sires de Sanci, li sires d'Avelui, li sires de Creki, li
-sires de Kikenpoi, li sires d'Avesquierke, li sires d'Ennekins, li
-sires de Reli et li sires de Bassentin. Fo 51.
-
-P. 77, l. 14: Flamens.--_Ms. d'Amiens_: et li Flammencq ossi sus yaux.
-Fo 51.
-
-P. 77, l. 17: trois mille.--_Mss. A 1 à 10, 18 à 33_: quatre mille. Fo
-73 vo.
-
-P. 77, l. 27: six.--_Mss. A 11 à 14_: sept. Fo 71.
-
-P. 77, l. 27: deus cens.--_Mss. A 11 à 14_: trois cens. Fo 71.
-
-P. 77, l. 27 et 28: bacinés.--_Ms. d'Amiens_: lanches. Fo 51.
-
-P. 77, l. 28: cinq cens.--_Ms. d'Amiens_: sis cens. Fo 51.--_Mss. A 11
-à 14_: et environ huit cens bidaux, taffes et petaulx. Fo 71.
-
-P. 78, l. 1: Arkes.--_Mss. A 1 à 6, 20 à 22_: Ardres. Fo 73 vo.
-
-P. 78, l. 14: dis huit cens.--_Ms. d'Amiens_: de trois mille à dis huit
-cens. Fo 51.
-
-
-=§ 134.= P. 79, l. 19: compte.--_Ms. d'Amiens_: Et ne furent à nul
-seur, ne pour parolle ne pour priière que messires Robers d'Artois ne
-messires Henry de Flandres leur pewissent dire ne faire, jusquez à tant
-qu'il se trouvèrent à Ippre, à Popringe et ens leur pays bien avant. Fo
-51.--_Ms. de Rome_: Nient mains, tous jours il tenoient leur rieule sus
-la fourme que dit vous ai; et n'i demora, avant que il fust jours,
-ville ne hamiel à deslogier. Et se trouvèrent li doi chevalier, un
-petit apriès solel levant, ensi que tout seuls, sus les camps. Fo 68
-vo.
-
-P. 79, l. 24: recordèrent.--_Ms. de Rome_: au roi d'Engleterre, au duch
-de Braibant, au duch de Gerlles, au conte de Hainnau et as signeurs. Fo
-68 vo.
-
-P. 79, l. 26: esmervilliet.--_Ms. d'Amiens_: Et quant chil de Saint
-Omer, d'Aire et de Saint Venant entendirent le deslogement des
-Flammens, et coumment en grant haste il s'en aloient, si se partirent
-des villes voisinnes et vinrent en ceste meisme plache, et trouvèrent
-encorres grans remannans de tentes, de très, de pavillons, de harnois
-et de carois. Si prisent et toursèrent tout et en menèrent en leurs
-villes, et y eurent grant prouffit. Fo 51 vo.
-
-
-=§ 135.= P. 79, l. 28: Chils sièges.--_Ms. de Rome_: Li sièges devant
-la chité de Tournai dura assés longement onse sepmainnes, trois jours
-mains, et tous les jours i avoit fais d'armes ou escarmuce, auquel lés
-que ce fust. Par dedens avoit avoecques messire Godemar dou Fai, qui un
-lonch temps en avoit eu le gouvrenement, bonne chevalerie et sage, tels
-que le conte de Fois, le conte de Conmingnes, le conte d'Ermignach, le
-seigneur de Labret, le conte de Qarmain, le signeur de Copane, le
-signeur de Qorasse, le signeur de Qoo, le signeur de Barrage, le
-signeur de Taride, le signeur de Pincornet et maint aultre, Gascons,
-Foisois, Bernès et Labrisiens. Et chil signeur avoient la souverainne
-ordenance de la chité; et n'en songnoient les prevos et les jurés et
-les honmes de la ville ensi que noient, car la amministration de toutes
-coses estoit reservée à ceuls desus dis.
-
-Li rois d'Engleterre, à grant poissance et grant coustage, tenoit là
-son siège, car li Alemant n'en faisoient riens, fors que pour l'argent,
-et voloient estre paiiet de quinzainne en quinzainne; et estoient là
-contournées et enbutes toutes les rentes et revenues d'Engleterre, tant
-en l'estat dou roi tenir, que en paiant les Alemans. Li contes de
-Hainnau, li dus de Braibant et li dus de Gerles servoient le roi
-d'Engleterre à leurs coustages, et messires Jehans de Hainnau aussi;
-mais tout li aultre, reservé les Flamens, voloient bien sçavoir
-pourquoi et conment il estoient là venu. Et couvint le roi
-d'Engleterre, ensi que je fui enfourmés, enprunter à Jaquemon
-d'Artevelle, son compère, et à tout le pais de Flandres chienqante
-mille mars, monnoie d'Engleterre, avaluée au paiement de Flandres et
-d'Engleterre: ce furent deus cens mille florins; et tout fu contourné
-en son estat et au paiier ses saudoyers. Et de l'enprunt que li rois
-d'Engleterre fist et dou prest aussi, il bailla lettres autentiques,
-seelées dou seel le roi et de pluisseurs barons d'Engleterre qui là
-estoient, en tesmongnant et en aprouvant les lettres à veritables; mais
-Jaquemes d'Artevelle, qui avoit toute la poissance de Flandres en sa
-main, i estoit tous pour le roi d'Engleterre; et ne li prioit en secré
-et en especialité d'aultre cose que il se vosist tenir tous quois, sans
-partir, en Flandres, et vivre des rentes et revenues dou pais et des
-aides que on li feroit, et espargnier les revenues d'Engleterre pour
-poursievir sa gerre. Et qant li rois d'Engleterre remoustroit ces
-proumesses à son consel que Jaques d'Artevelle et li pais de Flandres
-de bonne volenté li offroient, li plus de son consel s'enclinoient à ce
-que il le presist, et que sa gerre en seroit plus forte et plus belle.
-Et qant, sus cel estat, li rois d'Engleterre en parloit au duch de
-Gerlles, son serourge, au duch de Braibant, son cousin germain, et au
-conte de Hainnau, son frère, il li consilloient tout le contraire et li
-remoustroient par pluisseurs raisons que il se meteroit en grant
-aventure et peril; car qant il quideroit estre le mieuls d'euls, uns
-rumours et uns debas s'esmouveroit à Bruges ou à Gant ou à Ippre de ses
-gens as Flamens, selonc ce que Flamenc sont chaut et merancolieus: «il
-ociroient tout soudainnement et vous aussi, et puis remanderoient lor
-signeur. Il vous soufisse à avoir ce que vous en avés. Tenés les à
-amour et ce Jaque d'Artevelle, entrues que il est en sa poissance. Vous
-les auerés millours à estre en sus de vous que si proçains, et si serés
-hors dou peril, car nuls sires ne se doit trop comfiier en commun
-estragne. De trop petit on piert lor grasce et lor amour. Encores vit
-lors sires et a un fil. Par ce fil, mais que li rois de France lor
-voelle renvoiier, se poront il un de ces jours retourner et ocire ce
-d'Artevelle, et trop de soutilleté il a en France. Mais qui poroit
-faire une cose, vous avés une fille, Isabiel: se li Flamenc pooient
-tant faire par sens et par pratique que il reuissent lor fil; et puis
-uns mariages se fist de vostre fille à ce fil, les aliances dou mariage
-poroient estre bonnes et moult vous deveroient valoir ou temps à
-venir.» Li rois d'Engleterre s'inclina à ce consel et ne prist nul
-autre.
-
-Or vous voel je nonmer les contes et les barons qui furent au siège de
-Tournai avoecques le roi d'Engleterre, et liquel passèrent la mer
-avoecques li: premierement les prelas, l'evesque de Lincole et
-l'evesque de Durem; le conte Derbi, le conte d'Arondiel, le conte de
-Norhantonne, le conte de Herfort, le conte de Warvich, le conte de
-Douvesière, le conte d'Ormont et le conte de Wincestre; barons: le
-signeur de Persi, le signeur de Lusi, le signeur de Noefville, le
-signeur de Helinton, le signeur de Felleton, le signeur de Braseton, le
-signeur Espensier, mesire Renault de Gobehen, mesire Richart de
-Stanfort, mesire Thomas de Hollandes, le signeur de Basset, le signeur
-de Bercler, le signeur Fil Warin, le signeur Fil Watier, le signeur de
-Biaucamp, mesire Jehan de Biaucamp, mesire Rogier de Biaucamp, le
-signeur de Hastinges, le signeur de Ferrières, le signeur de Moutbrai,
-le signeur de Multon, le signeur de Ware, le signeur de Lanton, le
-signeur de Graa, messire Richart la Vace, le signeur de Courtenai, le
-signeur de Illecombe, cornillois, le signeur de Talebot, et tant que il
-estoient vint et huit barons et diis contes. Je n'ai pas nonmé le conte
-de Pennebruq et le conte de Heustidonne qui ausi i estoient. Encores
-avoecques tout ce, se la bataille euist esté devant Tournai des deus
-rois et de lors aliiés, ensi que on esperoit que elle deuist estre, il
-estoient issu hors d'Engleterre avoecques le roi pluissours chevaliers
-et signours qui euissent bouté lors banières hors, et avoient lor estat
-tout pourveu grant et estofé, et ne desiroient aultre cose. Aussi tout
-li signeur, qui là au dit roi d'Engleterre compagnie faisoient, au plus
-estofeement conme il pooient, il i estoient, tant de banières, de
-pennons, de monteures, de trefs, de tentes, de carroi et de toutes
-coses qui à une hoost apertient et est necessaire as gens d'armes.
-
-Encores sans comparison estoit trop plus grans li estas dou roi
-Phelippe de France, car là estoient quatre rois qui tout li faisoient
-compagnie et service: li rois de Boesme, li rois de Navare, li rois
-d'Escoce et li rois de Maiogres; et comprendoient les logeis des
-François trois lieues tout à l'environ. Et fu raporté par les
-hiraus(que) avoecques le duc de Normendie, le duch de Bretagne, le duc
-de Bourgogne et le duch de Lorrainne, il i avoit en son hoost dix sept
-contes, deus cens et soisante neuf banerès, et estoient bien tout honme
-de deffense cent et chienqante mille. Considerés le peuple qui là
-estoit assamblés, tant pour l'un roi que pour l'autre, car li rois
-d'Engleterre, parmi les Flamens, avoit plus de cent mille honmes. Grant
-ocision et grande mortalité de peuple i euist esté, se par bataille il
-fuissent venu ensamble. On en fu sus le point, mais li dus de Braibant,
-qui cousins germains estoit dou roi d'Engleterre, et qui là estoit
-moult poissanment venus, acompagniés de barons et de chevaliers de son
-pais et des conmunautés, des honmes de Brousselles, de Malignes et de
-Louvaing, brisoit et brisa tout dis couvertement la bataille, avoecques
-un grant moiien qui là estoit pour tretiier paix, trieuwes ou respit,
-madame Jehane de Valois qui contesse avoit esté de Hainnau, et qui
-serour germainne estoit dou roi Phelippe et dou conte Carle d'Alençon,
-et qui avoit là son fil le conte de Hainnau. Avoecques la bonne dame
-s'ensonnioit de traitiier et d'aler de l'un à l'autre uns moult sages
-chevaliers qui se nonmoit mesires Lois d'Augimont; et avoit si belle
-parleure et si aournée et de si grande prudense que il estoit très
-volentiers oïs entre toutes les parties, tant de France conme de
-l'Empire. Et quoi que pour le roi d'Engleterre tout chil signeur de son
-lés fuissent là asamblé, il n'en estoit pas en li dou dire et dou
-faire, mais couvenoit que le plus il s'ordonnast et gouvrenast par
-ceuls de l'Empire et especiaulment par le duc Jehan de Braibant, son
-cousin germain, car desus tous il avoit la grignour vois et audiense.
-Et moustra par couvreture que à la priière madame Jehane de Valois il
-s'inclinoit à ce que bon seroit que on entendesist à auquns trettiés de
-paix et de trieuves, car on devoit là moult faire pour faire pour la
-bonne dame qui là avoit ses frères et ses enfans. Et fu donné à
-entendre au roi d'Engleterre que li iviers aproçoit, et les longes nuis
-et froides, que toutes gens resongnent de jesir as camps, et que pour
-celle saison on en avoit assés fait.
-
-Li rois d'Engleterre, pour ce temps, estoit jones, et pas ne
-congnissoit encores le malisce et pratique dou monde et des grans
-signeurs de l'Empire qui despendoient son argent et vosissent que la
-gerre durast tout dis, car il estoient bien paiiet. Li contes de
-Hainnau et messires Jehans de Hainnau, ses oncles, avoient cler enghien
-assés pour considerer toutes ces coses, et veoient bien les
-dissimulations qui estoient entre ces signeurs de l'Empire et le plus
-deviers le duch de Braibant, mais il n'en osoient parler et se
-souffroient, et ne se vodrent onques ensonniier de nul trettié, mais en
-laissièrent couvenir le duch de Braibant, le duch de Gerles et le conte
-de Jullers, de la partie le roi d'Engleterre. Madame Jehane de Valois
-et messires Lois d'Augimont procurèrent tant deviers le roi de France
-que li rois de Boesme, li contes d'Alençon et li contes de Flandres
-furent esleu pour estre à ces parlemens et tretiés à l'encontre de ces
-signeurs desus nonmés. Et fu ordonné que chil signeur, qant on ot pris
-asegurances que il pooient aler et venir et lors gens sans nul peril
-et retourner casqun en son hoost, tenroient lors parlemens et lors
-trettiés en une chapelle que on dist à Esplecin, et est asisse enmi les
-camps, ensi que en un chemin. Et venoient là chil signeur tantos apriès
-messe et boire, et se metoient dedens la chapelle, et la desus ditte
-dame, madame Jehane de Valois, avoecques euls; et i furent trois ou
-quatre fois que riens n'i faisoient. Donc i revinrent dou costé le roi
-d'Engleterre li evesques de Lincolle et messires Jehans de Hainnau; et
-de la partie le roi de France, li evesques de Liège et li contes
-d'Ermignach. Par le moiien de ceuls qui adrechièrent as besongnes,
-avoecques les paroles et priières de celle bonne dame, madame Jehane de
-Valois, se ouvrirent et avancièrent li trettié. Et regardèrent li
-signeur, qui moult honnouroient l'un l'autre, qant il entroient dedens
-la capelle, que unes trieuwes seroient bonnes prises à durer tant
-seullement un an entre toutes les parties par mer et par terre, et
-dedens cel an li rois d'Engleterre envoieroit nobles honmes et prelas
-de par lui en la chité d'Arras en Piqardie, qui aueroient plainne
-poissance de faire paix et acord à l'entente des deus rois; et aussi li
-rois de France parellement renvoieroit de par li nobles honmes et
-prelas qui aueroient plainne poissance d'acorder tout ce que dit et
-parlementé seroit pour le millour. Avoecques tout che, li doi roi
-supplieroient benignement à nostre Saint Père le pape que il i vosist
-envoiier deus cardinauls en legation, pour aidier à adrecier à ces
-besongnes. Sus cel estat et ordenance se conclut li parlemens, et donna
-on à entendre au roi d'Engleterre que par ce parlement qui seroit
-asignés à Arras, il aueroit en pareçon grant part dou roiaulme de
-France; dou mains toute la ducée de Normendie, qui jadis avoit esté as
-rois d'Engleterre, li seroit rendue, et la conté de Pontieu et celle de
-Monstruel, et tous coustages et frès que fais avoit, li et ses gens,
-depuis que il passa la mer en la cause dou calenge. Ces proumesses ou
-là environ et encores plus grandes que li dus de Braibant remoustroit à
-son cousin le roi d'Engleterre, l'apaisoient grandement et li brisoient
-ses abusions, et aussi à ceuls d'Engleterre, et s'acorda assés
-doucement à la trieuve. Si furent lettres escriptes, seelées et
-données, et en prist cascuns des rois ou de lors honmes à ce conmis dou
-recevoir, les copies. Et estoient données les trieuwes, et ensi furent
-elles causées et conditionnées et publiies ens ès deus hoos et dedens
-la chité de Tournai, pour resjoïr la conmunauté de la ville, à durer
-jusques au premier jour dou mois de marc, lequel on atendoit, que on
-compteroit l'an mil trois cens quarante et un, jusques au marc
-ensievant l'an mil trois cens quarante et deux. Et avoient li pluisseur
-là en dedens esperance de paix. A toutes ces coses rendi especiaulment
-grant painne madame de Valois. Fos 68 vo à 70.
-
-P. 79, l. 29: trois jours mains.--_Mss. A 11 à 14_: et quatre jours. Fo
-71 vo.
-
-P. 80, l. 4: France.--_Ms. d'Amiens_: premierement le comte de Foix et
-sen frère le comte Raoul d'Eu, connestable de Franche, le comte de
-Ghines son fil, le conte Aimery de Nerbonne, messire Aymars de
-Poitiers, messire Joffroy de Cargny, messire Gerart de Montfaucon,
-messire Godemar dou Fay et le seigneur de Kayeux, et ossi le marescal
-de Franche, monseigneur Robert Bertran. Chil seigneur estoient vaillant
-homme, et de grant affaire et de bon sens. Si penssèrent si bellement
-et si sagement de le ditte ville que leur honneur y fu bien et
-grandement gardée et la chité ossi. Car oncques pour assault ne pour
-hustin, ne pour escarmuce qui y fuist, chil seigneur ne s'en partirent;
-mès songneusement de nuit et de jour le pourveirent de deffense et de
-consseil. Fo 51 vo.
-
-P. 80, l. 24: Haynau.--_Ms. d'Amiens_: car son fil le comte Haynnau
-trouvoit elle si dur et si rebelle à sen entention, que elle ne l'en
-volloit plus parler. Fo 51 vo.
-
-P. 81, l. 8: capelle.--_Ms. B. 6_: vers Esplechin. Fo 165.
-
-P. 81, l. 9: De le partie.--_Ms. B 6_: De la partie de Franche fu pris
-pour faire le traitiet le roy de Behaigne, l'evesque de Liège, le duc
-de Bourbon et le comte d'Alenchon; et de la partie du roy d'Engleterre,
-le duc de Brabant, le conte Derbi, le conte de Norhantonne et
-l'evesques de Londres. Fo 165.
-
-P. 81, l. 12: d'Ermignach.--_Ms. d'Amiens_: et li comtes de Blois. Fo
-51 vo.
-
-P. 81, l. 14 et 15: li dus de Julers.--_Ms. d'Amiens_: li comtes de
-Jullers. Fo 51 vo.
-
-P. 81, l. 15: Haynau.--_Ms. d'Amiens_: et li comtes de Warvich. Fo 51
-vo.
-
-P. 81, l. 16: capelle.--_Ms. d'Amiens_: Ceste journée au matin que li
-seigneur durent venir enssamble, il oïrent au point dou jour messe. Et
-assés tost apriès le messe, il burent ung cop, et puis cevauchièrent
-chacuns li ungs deviers l'autre, li Franchois enssamble et li Englèz
-enssi, et entrèrent environ à l'eure de tierche en le ditte capèle. Fo
-51 vo.
-
-P. 82, l. 2: entrer.--_Ms. d'Amiens_: avoecques le somme de l'année. Fo
-51 vo.
-
-P. 82, l. 8: engien.--_Ms. d'Amiens_: Et avoient cilz des lontainnes
-marches, les quarante jours, advis de tenir le trieuwe, s'il volloient,
-ou de renonchier et guerriier, s'il leur plaisoit. Fo 52.
-
-P. 82, l. 25: à envis.--_Ms. d'Amiens_: especialment chil de
-Brouxelles. Fo 52.
-
-
-=§ 136.= P. 82, l. 30: Ensi.--_Ms. d'Amiens_: Enssi se departirent ces
-deus grans os, et donna ly rois d'Engleterre congiet à touttes
-mannierres de gens et de seigneurs, et les remerchia grandement et
-chacun par lui, dou service que fait li avoient. Si s'en revint li roys
-à Gand, dallés le roynne se femme, et ne demoura mies puis loingtans
-qu'il s'en partirent et retournèrent en Engleterre. Fo 52.
-
-P. 83, l. 9 et 10: signeurs.--_Ms. de Rome_: De rechief, il se
-offrirent à lui et se representèrent pour aler partout où il les
-manderoit, car il les avoit bien paiiés. Fo 70.
-
-
-=§ 137.= P. 84, l. 14: Or se.--_Ms. de Rome_: Ensi se departirent tout
-chil signeur d'Allemagne et tournèrent casquns en lors lieus. Li dus de
-Braibant retourna dedens son pais, li contes de Hainnau et messires
-Jehans de Hainnau fissent compagnie au roi d'Engleterre jusques en la
-ville de Gant, et là prissent il congiet à lui et à la roine, et puis
-retournèrent en Hainnau par Brousselles, car là ot une grande feste de
-joustes que li dus de Braibant et li chevalier de Braibant fissent à
-lor retour. Et là joustèrent li contes de Hainnau et ses oncles, et en
-ot le pris de ceuls de dehors li contes de Hainnau, et de ceuls de
-dedens li sires de Destre; et des esquiers de dehors, Willaumes de
-Mastain, et de ceuls de dedens Pières de Pietresen. Et là furent à ces
-joustes de Brousselles noncies et criies unes joustes de trente
-chevaliers et de trente esquiers à estre à Mons en Hainnau. Et se tint
-la feste grande et belle, et enporta le pris des chevaliers de dehors
-li contes de Namur, et de ceuls de dedens mesires Gerars de Werchin,
-senescal de Hainnau, mais il i fu si travilliés que depuis il ne vesqi
-point longement, et morut jones, dont ce fu damages, et des esquiers
-de dehors, Thieris de Brederode, et de ceuls de dedens Ansiaus de Sars.
-Et se continuèrent ces festes en bien, en joie et en reviel.
-
-Et les povres gens dou pais de Hainnau, liquel avoient perdu le lor à
-ce conmencement par la gerre et ars lors hostels et lors maisons,
-s'aherdirent au labourer et au gaegnier dou nouviel. Aussi fissent chil
-de France des marces et frontières de Tournesis, de Lille et de Douai.
-
-Et li rois d'Engleterre et la roine sa fenme ordonnèrent lors
-besongnes, et prissent congiet à lor compère Jaquemon d'Artevelle, mais
-il les amena et aconvoia jusques à Bruges et de là à Dunquerque. Et là
-estoient lor vassiel tout prest, et entrèrent dedens, et traversèrent
-la mer et vinrent à Zandvich; et jà estoient departi grant fuisson de
-lors gens par l'Escluse et par Anwiers et retourné en Engleterre.
-
-Et li rois Phelippes aussi avoit donné congiet à toutes gens d'armes et
-remerciiet les lontains, et estoit venus jeuer et esbatre en la ville
-de Lille, et là le vinrent veoir les bonnes gens de Tournai; il les vei
-volentiers. Et les representèrent mesires Godemars dou Fai et li
-signeur qui dedens avoient esté le siège durant, et se loèrent
-grandement de euls. Li rois oy volentiers ces loenges, et rendi à ceuls
-de Tournai lor loi, laquelle il avoient perdu un grant temps; et
-estoient menet, jugiet et ordonné par un gouvreneur.
-
-Apriès toutes ces coses faites et acomplies, li rois s'en retourna en
-France, et ot une très grande feste à Compiengne; et fu uns tournois,
-liquels fu criiés et publiiés en moult de pais, et en fu chiés li bons
-rois de Boesme, et ot à ce tournoi plus de sept cens hiaumes. Fo 70.
-
-P. 84, l. 21: jouste.--_Ms. B 6_: de quarante chevaliers et escuiers
-contre tous venans. Et y eut moult belle jouste. Et y fu le roy
-d'Engleterre, le duc de Brabant, Jaques de Hartevelle et grant foison
-d'autres seigneurs. Et furent les joustes moult belles; et après la
-feste faite, chacun se party et alla là où il leur plaisoit. Fo 166.
-
-P. 84, l. 29: Lille.--_Ms. d'Amiens_: et s'i tint environ quinze jours.
-Fo 52.
-
-P. 84, l. 29: cil de Tournay.--_Ms. d'Amiens_: li plus grant bourgois
-de Tournay. Fo 52.
-
-P. 85, l. 8: anciiens.--_Ms. d'Amiens_: Ossi li bourgeois de Lille
-requisent au roy que il leur volsist donner messire Wafflart de le
-Croix, qu'il tenoit en prison, liquelx les avoit gueriiés ung moult
-loing tamps et fès plusieurs despis. Li rois leur donna, car bien y
-estoit tenus pour le cause d'un biau service que cil de Lille li
-avoient fet, que pris le comte de Sallebrin et le comte de Sufforch et
-rendus à lui pour ses prisonniers. Et quant chil de Lille eurent le dit
-monseigneur Wafflart en leur vollenté, il ne le gardèrent pas trop
-longement, mès le fisent morir à honte. Apriès touttes ces coses, li
-roys de Franche se parti de Lille et s'en revint à petites journées en
-grans esbas à Paris, et là ou au bos de Vincènes se tint ung grant
-temps. Fo 52.
-
-P. 85, l. 18: A ce parlement.--_Ms. B 6_: Et s'en revint le roy
-d'Engleterre à Gand où madame sa femme estoit. Sy ordonna toutes ses
-besoignes et s'en rala en son pais, et laissa par dechà le conte Derbi
-son cousin et le conte de Norhantonne et l'evesque de Linchelle pour
-estre à che parlement et traitiet qui se devoit faire en la ville de
-Aras, mais riens de pais ne s'y pot trouver ne esploitier. Sy y furent
-deus cardinaulx, le cardinal de Naples et le cardinal de Panestres,
-envoiiet en legation de par le pappe Benedick. Et osy de par le roy de
-France y fut le conte de Flandres, le conte de Bar, le sire de Saint
-Venant, l'evesque de Ausoire. Ches traitteurs et ces cardinaulx se
-tinrent là emsamble plus de trois mois, maiz il n'y peurent trouver
-nulle fin de pais. Fos 166 et 167.
-
-P. 85, l. 20: Bourbon.--_Ms. d'Amiens_: .... li comtes de Salebruges,
-li comtes de Saint Pol et li sires de Couchy. Fo 52.
-
-P. 85, l. 25: d'Artois.--_Ms. de Rome_: contes de Ricemont. Fo 70 vo.
-
-P. 85, l. 26: Flandres.--_Ms. de Rome_: Et en furent priiet li contes
-de Hainnau et messires Jehans de Hainnau et messires Henris de
-Flandres. Li contes de Hainnau s'escusa, mais son oncle et messire
-Henris i furent. Fo 70 vo.
-
-P. 86, l. 3 et 4: deux ans.--_Ms. de Rome_: par mer et par terre. Fo 70
-vo.
-
-P. 86, l. 5 et 6: revinrent.--_Ms. d'Amiens_: li cardinal en Avignon,
-li Franchois en Franche et li Englès en Engleterre. Et se pourveirent
-li doy roy sus ceste entente pour gueriier, le trieuwe acomplie, plus
-fort et plus radement qu'en devant n'avoient fait. Fo 52.--_Ms. de
-Rome_: Mais li contes de Hainnau avoit fait priier par son oncle le
-cardinal de Naples, son cousin, que il vosist venir et descendre en son
-pais en Hainnau. Li cardinauls, à la priière dou conte et de son oncle,
-obei et descendi et vint en Hainnau, et entra en Valenchiennes par la
-porte d'Anzain. Et ala li contes sus les camps à l'encontre de li à
-plus de cinq cens chevaus, et l'amena moult honnourablement en
-Valenchiennes, et de là en son hostel que on nonme la Salle, et fu
-trois jours à Valenchiennes et deus jours au Kesnoi. Et puis retourna
-li dis cardinaus à Cambrai, et de là à Amiens, où il trouva le cardinal
-de Clermont qui là l'atendoit; et puis s'en alèrent tout doi ensamble à
-Paris deviers le roi et les signeurs. Fo 70 vo.
-
-P. 86, l. 11: lontainnes.--_Ms. d'Amiens_: de Saintongle, de Gascoingne
-et de Thoulousain, car toudis gueriièrent il et heriièrent l'un l'autre
-les garnisons englesses et franchoises. Et tenoient li Gascon franchois
-à ce donc les camps en le lange d'ok, et concquisent pluiseurs villes
-et fortrèches sus les Englèz. Ossi li Escot dis(o)ient bien que jà,
-tant que il pewissent gueriier, il ne tenroient trieuwes ne respit as
-Englès, car pas n'y estoient tenu, mès de porter tous les dammaiges
-qu'il poroient, ensi qu'il fissent et si comme vous orés chy
-enssiewant. Fo 52.
-
-P. 86, l. 14: avenues.--_Ms. d'Amiens_: plus qu'en nul autre pays. Fo
-52.
-
-
-=§ 138.= P. 86, l. 25: A savoir.--_Ms. d'Amiens_: Pluiseur gongleour et
-enchanteour en place ont chanté et rimet lez guerres de Bretagne et
-corromput, par leurs chançons et rimes controuvées, le juste et vraie
-histoire, dont trop en desplaist à monseigneur Jehan le Biel, qui le
-coummencha à mettre en prose et en cronique, et à moy, sire Jehan
-Froissart, qui loyaument et justement l'ay poursuiwi à mon pooir; car
-leurs rimmez et leurs canchons controuvées n'ataindent en riens le
-vraie matère, mès velle ci si comme nous l'avons faite et achievée par
-le grande dilligensce que nous y avons rendut, car on n'a riens sans
-fret et sans penne. Jou, sire Jehans Froissars, darrains venus depuis
-monseigneur Jehan le Bel en cel ouvraige, ai ge allé et cherchiet le
-plus grant partie de Bretaigne, et enquis et demandé as seigneurs et as
-hiraux les gerrez, les prises, les assaux, les envaïes, les bataillez,
-les rescousses et tous les biaux fès d'armes qui y sont avenut mouvant
-sus l'an de grasce mil trois cens quarante, poursieuwans jusquez à le
-darrainne datte de ce livre, tant à le requeste de mes diz seigneurs et
-à ses fraix que pour me plaisance acomplir et moy fonder sus title de
-verité, et dont j'ay estet grandement recompenssé. Et pour chou que
-vous sachiés le coumencement et le rachinne de ceste guerre et dont
-elle se moet, je le vous declarray de point en point. Si en diréz
-vostre entente, et quel cause et droit messires Carles de Blois eut à
-l'hiretaige de Bretaingne, et d'autre part, li comtez de Monfort, qui
-en fist fet et partie contre lui. Pluisseurs gens en ont parlet ou
-parolent, qui ne sèvent mies ou n'ont sceu par quel affaire li
-oppinions de le challenge des seigneurs dessus diz est venus, ne
-premierement esmeus; mès chy s'enssuilt. Si l'oréz, s'il vous plest, et
-je le vous declarray.
-
-Apriès le departement dou siège dou Tournai, si comme vous avés chy
-dessus oy, et que li roys de Franche donna congiet à tous sez os et
-remerchia lez ducs, lez comtez et lez barons de ce que si bien et si
-honnerablement cescun seloncq son pooir l'avoient servi, ly seigneur
-prisent congiet dou roy li ung après l'autre, et se retrairent chacun
-vers sen lieu. En ce departement, li dus de Bretaingne, qui servi avoit
-le roy à bien dix mil lanches devant Tournai, tous de chevaliers et
-d'escuiers de son pays, donna à toutez ses gens congiet de raller
-chacun sus son lieu, et ne retint fors chiaux de son hostel, et chemina
-à petittez journées et à grans frais. Bien le pooit faire, car il
-tenoit grant estat et noble, car il estoit sires d'un grant pays et
-rendable. En son chemin, chilx dus s'acouça au lit d'une maladie, de
-laquelle il morut. Chils dus n'avoit eu nul enfant de la ducoise sa
-femme. Si avoit il une sienne nièce, fille de son frère germain de père
-et de mère, laquelle jone fille il avoit mariée à monseigneur Charle de
-Blois, frère maisnet à monseigneur Loeys, comte de Blois. Chils dus de
-Bretagne si avoit ung frère de par se mère qui avoit estet remariée, et
-appelloit on cesti le comte de Montfort. Et estoit chilx comtez de
-Monfort mariés à le sereur le comte Loeys de Flandrez, et avoit de
-ceste damme fil et fille. Chils dus de Bretaigne, qui de son vivant
-avoit mariée se nièche, fille de son frère germain, mort devant lui, se
-doubtoit bien que li comtes de Montfort, ses frères de remariaige, ne
-volsist de forche, apriès sa mort, entrer en la possession de
-Bretaingne et deshireter sa nièche, qui drois hoirs en estoit. Et pour
-mieux tenir et garder ses drois et deffendre sen hiretaige, il l'avoit
-dounnet, enssi que j'ay jà dit, à monseigneur Charlon de Blois,
-nepveut au roy de Franche, et qui le mieux et le plus grandement estoit
-enlinagiéz en Franche, et qui le plus y avoit de prochains de tous
-costéz et de bons amis. Et à celle entente avoit li dus fet le mariaige
-de sa nièche et de monseigneur Charlon de Blois, que li roys Phelipez,
-qui estoit ses oncles, li aidast mieux et plus volentiers à garder son
-droit encontre le dit comte de Monfort, s'il le volsist entreprendre,
-liquelx ne venoit mies dou droit estock de Bretaingne. Fo 52 vo.
-
-_Ms. de Rome_: Vous sçavés, si com ichi desus est dit, que li rois
-Phelippes de France, qant il vint au Pont à Bouvines à l'encontre dou
-roi d'Engleterre, liquels avoit assis et environné la chité de Tournai,
-et i fist son mandement parmi le roiaulme de France, il n'oublia pas à
-mander le duch de Bretagne, liquels le vint servir plus poissanment que
-nuls des aultres prinches de France; car il ot en sa compagnie et
-delivrance trente trois banerès dou pais de Bretagne, et bien sept cens
-chevaliers et esquiers, tous gentilshonmes.
-
-Qant tout li signeur se departirent dou roi et l'un de l'aultre, et que
-casquns s'en retourna viers son pais, et il orent donné tous lors
-honmes congiet, car en grant temps ils n'en pensoient à avoir à faire
-pour tel cas, chils dus de Bretagne, qui pooit estre de l'eage de
-soissante ans ou environ, s'en retournoit viers son pais à tout son
-estat tant seullement. Maladie le prist et aherdi sus son cemin, de
-laquelle il s'acouça au lit en la chité de Chartres, et en morut. Ce
-duch mort, de li ne demora fils ne fille, car nul enfant il n'ot onques
-eu de sa fenme. Chils dus avoit eu un frère germain de père et de mère,
-lequel on avoit nonmé mesire Jehan de Bretagne. De ce frère au duc
-estoit demorée une belle jone fille, nonmée Jehane, et contesse de
-Pentèvre de par sa dame de mère. Chil doi duc, c'est à entendre le duc
-qui fu devant Tournai, et mesires Jehans de Bretagne, son frère et
-conte de Pentèvre, avoient un frère de par lor dame de mère, non de par
-lor père, car lor mère estoit remariée au conte de Montfort. Chils
-contes avoit eu ce fil, qui se nonmoit contes de Montfort, de la dame
-qui duçoise avoit esté de Bretagne, vivant le duch de Bretagne son mari
-tant seullement. Li dus de Bretagne qui fu devant Tournai et ses frères
-avoient tenu ce conte de Montfort à frère, pour tant que il estoit fils
-de lor mère et non de lor père, ensi que vous le devés entendre. Chils
-contes de Montfort avoit à fenme la soer au conte Lois de Flandres. Li
-dus de Bretagne qui fu devant Tournai, avoit la fille de son frère
-germain mariet à messire Carle de Blois, fil au conte Gui de Blois et
-frère au conte Lois de Blois et neveut dou roi Phelippe de France, fil
-de sa serour; car vous savés, ensi que il est dit et escript ichi
-desus, que li contes de Hainnau, li contes Guis de Blois et mesires
-Robers d'Artois eurent les trois serours dou roi Phelippe. Chils dus de
-Bretagne qui fu devant Tournai, avoit tous jours fait doubte que li
-contes de Montfort, son frère de remariage, ne vosist, apriès son
-dechiès, efforchier sa cousine la droite hiretière de Bretagne, et
-bouter hors de son hiretage; et pour ce l'avoit il mariet et donnet à
-mesire Carle de Blois, (affin) que li rois Phelippes de France et li
-contes d'Alençon, si oncle, et li dus de Normendie, ses cousins
-germains, li aidaissent à soustenir et deffendre son hiretage de
-Bretagne, se li contes de Montfort, qui riens n'estoit issus de
-Bretagne, le voloit efforchier et oster son droit, par queconques
-cautelle(s) que ce fust.
-
-Et ce en avint que li dus de Bretagne pensa et imagina en son temps.
-Car sitos que li contes de Montfort peut sçavoir que li dus de
-Bretagne, ses frères, fu mors, il s'en vint à Nantes, qui est la
-souverainne chité de Bretagne. Et fist tant as bourgois et à ceuls dou
-pais entours que il le rechurent à signeur et li fissent feaulté et
-honmage, et toutes les solempnités autèles conme elles apertiennent à
-faire as dus de Bretagne, sans nulles excepsions ne reservations; et
-tantos ala à Rennes, qui est la grignour chité apriès. Chil de Rennes
-le rechurent parellement. Aussi fissent chil de Vennes, de Camperlé, de
-Camper Correntin, de Dol, de Saint Bru de Vaus, de Hainbon, de Lanbale
-et de toutes les chités et villes de Bretagne, reservé Braist et auquns
-fors chastiaus et les signeurs qui ne vodrent pas sitos obeir; car il
-sentoient que mesires Carles de Blois avoit à fenme la droite hiretière
-de Bretagne, et s'enmervilloient conment les bonnes villes et les
-chités de Bretagne estoient sitos rendues à lui; mais mesires Hervis de
-Lion, un grant baron de Bretagne, i avoit fort aidié. Et là par tout où
-li contes de Montfort aloit et cevauçoit, et à toutes ces receptions il
-menoit la contesse sa fenme, laquelle avoit coer d'onme et le lion. Et
-s'avisèrent li contes et sa fenme, qant il orent chevauciet par toutes
-les chités et bonnes villes de Bretagne, que il ordonneroient une feste
-à tenir très grande en la chité de Nantes. Si fu la feste prononchie
-et publiie par tout, et li jours asignés que la feste se tenroit. Si
-furent les pourveances faites très grandes et groses de toutes coses
-que à la feste pooit ou devoit apartenir. Fo 71.
-
-P. 86, l. 29: à host.--_Ms. B 6_: à plus de quinze cens lanches. Fo
-167.
-
-P. 87, l. 3: morir.--_Ms. B 6_: à Roen. Fo 167.
-
-P. 87, l. 17: se mère.--_Mss. A 1 à 7, 11 à 22, 30 à 33_: son
-père.--_Mss. A 8, 9, 23 à 29_: sa mère. Fo 69 vo.
-
-P. 88, l. 23: sa femme.--_Ms. B 6_: que seur germaine estoit du conte
-Loys de Flandres. Fo 169.
-
-
-=§ 139.= P. 89, l. 1: Chou pendant.--_Ms. de Rome_: Li contes de
-Montfort, qui soubtieus et imaginatis estoit, se departi de Nantes et
-laissa là la contesse sa fenme, pour ordonner de celle feste, et
-cevauça à poissance de gens d'armes viers la chité de Limoges, dont li
-dus, son frère, avoit esté sires et contes; et bien savoit que son
-grant tresor estoit là, et de lonch temps l'avoit assamblé. Qant il fu
-venus jusques à Limoges, on ne mist nul contredit à lui recevoir, car
-renonmée couroit jà, et bien le remoustroit, que chil de Nantes, de
-Rennes et de Vennes et des chités et bonnes villes de Bretagne
-l'avoient receu à duch et à signeur, et ce coulouroit grandement son
-fait. Et li fissent toutes les solempnités les eglises et les bourgois
-de Limoges que on doit faire à son signeur; et prist et saisi le grant
-tresor: en or et argent avoit grans sonme que li dus son frère avoit
-assamblé, car ce fu uns sires de bon gouvrenement et de grant espargne.
-Chils contes de Montfort prist tout ce tresor et le carga et toursa et
-en ordonna ensi conme sien, et s'apensa que il li venroit bien à point
-pour renforcier son estat, acquerre des bons amis et destruire ses
-ennemis.
-
-Qant il ot pris la possession de Limoges et de Limosin de ce que à son
-hiretage apertenoit, il ordonna partout gens et officiiers de par lui
-et se mist au retour, et vint à Nantes. Et trouva que les pourveances
-pour la feste que il voloit tenir, estoient toutes prestes, dont il fu
-moult resjois, car il atendoit les nobles et les prelas de son pais,
-c'est à entendre selonch le droit que il se disoit à avoir. A cele
-feste qui fu tenue à Nantes, vinrent des chités et des bonnes villes de
-Bretagne les consauls et les honmes que il avoit creés et pourveus en
-office; mais des barons nuls n'i vinrent, fors mesires Hervis de Lion,
-dont il fu moult pensieus et esmervilliés. Bien est verité que auquns
-chevaliers et esquiers, le plus Bretons bretonnans, i vinrent, liquel
-n'estoient pas encores bien enfourmé de la matère. Et à tous ceuls qui
-furent à sa feste, il donna et departi de ses biens si largement que
-tout s'en contentèrent, et acquist la grasce et l'amour d'euls, car il
-n'est riens que dons ne qassent.
-
-Qant li contes de Montfort vei que pluisseur baron et chevalier de
-Bretagne refusoient à ses mandemens, et que point n'estoient venu à sa
-feste, si en fu tous merancolieus. Et pour ce ne laissa il pas à fester
-et à faire bonne chière à tous ceuls qui venu estoient. Et avant que la
-feste fust esparse, il demanda comment il se ceviroit de ceuls qui le
-voloient adoser. Il fu consilliés que il semonsist tous ses hommes, et
-priast ses amis et presist saudoiiers de toutes pars, car il avoit bien
-de quoi faire, et cevauçast à poissance de gens d'armes en Bretagne, et
-conquesist de fait les rebelles et fesist venir à obeissance, et tout
-premierement il alast devant Brait et fesist tant que il en fust sires,
-car pas n'est dus de Bretagne qui n'est sires de Brait. Li contes de
-Montfort crei ce consel et semonst tous ceuls qui feaulté li avoient
-fait, et desquels il pensoit à estre aidiés, et retint saudoiiers à
-tous lés, et les paia bien et largement, tant que casquns le vint
-volentiers servir. Fo 71 vo.
-
-P. 89, l. 9: seigneur.--_Ms. d'Amiens_: car il n'avoient encorrez oy
-parler de nului qui li debatesist ne mesist callenge. Fo 52 vo.
-
-P. 89, l. 20: parfurnir.--_Ms. d'Amiens_: Si avoit li dus escript
-especialement et envoiiés certains messaiges deviers le visconte de
-Rohem, monseigneur Charle de Dignant, monseigneur Hervy de Lion,
-monseigneur l'evesque, son frère, ossi à l'evesque de Rennes et à
-l'evesque de Vanes, au seigneur de Cliçon, au seigneur de Biaumanoir,
-au seigneur de Kintin, au seigneur de d'Avaugore, au seigneur de
-Lohiach, au castelain de Ghinghant, au seigneur de Rais, au seigneur de
-Rieus, au seigneur de Malatrait, au seigneur de Garghoule, au seigneur
-de Tournemine, au seigneur d'Ansenis, et generaulement à tous lez
-barons, chevaliers et prelas de Bretaingne, et engoint en especialité
-que tout venissent à se feste en le cité de Nantez. Fo 53.
-
-P. 89, l. 24: Hervi.--_Mss. A 8, 9, 11 à 17, 20 à 22_: Henri. Fo 70.
-_Mauvaise leçon._
-
-P. 90, l. 1: entre yaus.--_Ms. d'Amiens_: par le enort de monseigneur
-Hervy de Lion et de aucuns bourgois de Nantez. Fo 53.
-
-
-=§ 140.= P. 90, l. 17: Brait.--_Mss. A 8, 9, B 3_: Braist. Fo
-70.--_Mss. A 1 à 7, 11 à 33_: Brest. Fo 76 vo.
-
-P. 90, l. 20: et cousins.--_Ms. B 6_: à le femme monseigneur Charle de
-Blois. Fo 170.
-
-P. 91, l. 4: à signeur.--_Ms. d'Amiens_: .... car il y avoit plus
-prochain à l'hiretaige qu'il ne fust. De ceste responsce eult li comtes
-de Monfort grant matalant et se retrai arrierre; et deffia le chevalier
-et dist qu'il li remousteroit, ainschois que de là se departesist,
-quèle proimeté il avoit à le duché de Bretaingne. Si coumanda à logier
-touttez mannierrez de gens et à environner le ville de Brait, au costet
-deviers le terre. Fo 53.
-
-P. 91, l. 6: à signeur.--_Ms. B 6_: .... mais garderoit la ville et le
-chastel pour l'iretière, le femme de monseigneur Charle de Blois. Fo
-170.
-
-P. 91, l. 7: à qui.--_Mss. A 11 à 14_: auquel la duchié appartenoit par
-droit. Fo 74.
-
-P. 91, l. 9: deffia.--_Ms. B 6_: Sy furent là ly barons et les
-sauldoiers du conte huit jours que riens n'i firent. Fos 170 et 171.
-
-P. 91, l. 11 et 12: assallir.--_Ms. B 6_: à toute son host où bien
-avoit douze mille hommes, que uns que aultres. Fo 170.
-
-P. 91, l. 21: assaut.--_Ms. d Amiens_: A cel assault eult grant hustin
-et très durement fort combatut, car messires Garniers de Clichon estoit
-très bon chevalier et plains de grant emprise, si se combatoit de grant
-couraige, car il li sambloit que il le faissoit sus son droit: s'en
-estoit de tant plus vigereux et tenoit ung glaive en ses mains à ung
-fer bien aceret, et en faisoit merveillez d'armez. Et ne pooit nulx
-venir jusqu'à lui, que il ne ruast par terre. Ossi li sien le faisoient
-bien et bel, si comme bonnes gens d'armes le doient faire. Si dura
-chilx assaulx du matin jusques à nonne ou environ, toudis assallant et
-deffendant, et tant que chil de d'ens furent durement lasset. Ce
-n'estoit mies de merveillez, car d'estre armés et de combattre ung tel
-terme, je ne say coumment on le poelt souffrir ne endurer; mais il le
-faisoient tout de grant vollenté et pour ce que il veoient si bien
-combattre leur cappittainne. Et ossi il le besongnoit, car leurs
-ennemis croissoient toudis, et venoient là à grant force, fresk et
-nouviel, et se contourna tous li plus durs et grans assaux à cel
-endroit. Finablement messires Garniers de Clichon et li sien furent si
-efforciet et si apresset, que les gens le comte de Monfort gaignièrent,
-par fort continuer leur assault, les bailles, et se boutèrent en le
-ville entre les gens monseigneur Garnier et le fortrèce. Là en y eut
-pluiseurs des mors et des navrés, et fète tamaintez bellez appertisez
-d'armez et mainte belle rescousse. Et tout combatant et deffendant,
-chil de dedens se retrayrent vers le fort, mès il n'y peurent tout
-parvenir, que il n'en y ewist grant plentet de mors et de pris. Et là
-estoit li dis messires Garniers, l'espée ou poing, derière ses gens,
-devant sez ennemis, qui merveillez y faisoit d'armez, et qui tamaint
-compaignon dez siens rescouvi de mort et de prison, et fist voie pour
-entrer en le fortrèce. Fo 53 vo.
-
-P. 92, l. 8 et 9: le grant restiel.--_Ms. B 6_: le traille. Fo 171.
-
-P. 92, l. 21: navrés.--_Ms. B 6_: et eult plus de quatorze plaies.
-
-P. 92, l. 30: au tierc jour.--_Ms. B 6_: au septième jour. Fo 172.
-
-P. 93, l. 20: joians.--_Ms. de Rome_: Qant li contes de Montfort vei
-que il avoit gens assés pour cevauchier avant en Bretagne, et pour
-aprendre à congnoistre liquel et lesquels vodroient faire partie à
-l'encontre de li, et dire que il ne fust de son droit dus et hiretiers
-de Bretagne, li intension de li et de son consel estoit telle que il
-les radreceroit, vosissent ou non, à raison. Si se departi de Nantes en
-grant arroi, et se mist au chemin pour venir et aler devant Brest. Vous
-devés sçavoir, avant que il venist à Brest, il avoit jà le plat pais de
-Bretagne et moult de grosses villes si constrains à lui et mis en son
-obeisance que toutes gens le sievoient à cheval et à piet, les uns par
-renonmée que on disoit: «Vechi nostre signeur le duch,» les aultres par
-cremeur, que il n'en osoient faire le contraire. Et tant esploitièrent
-li contes de Montfort et toutes ses routes, que il vinrent devant
-Brest. Dou chastiel de Brest, pour ces jours, estoit gardiiens et
-chapitainne uns vaillans et sages chevaliers, qui se nonmoit messires
-Garniers de Cliçon, cousins germains au signeur de Cliçon. Li contes de
-Montfort le manda que il venist parler à lui sus asegurances; il vint.
-Qant il fu venus, il li demanda pourquoi il clooit les forterèces de
-Bretagne à l'encontre de li, qant bien il savoit que il en estoit dus
-et sires, et que les chités et bonnes villes de Bretagne l'avoient
-recheu à signeur. Il respondi à ce et dist: «Sire, je tieng clos et
-tenrai le chastiel de Brest, tant que il me sera aparant que il i auera
-un duch en Bretagne, qui recheus i sera de tous les barons et les
-fievés, ensi conme il apertient à estre recheus, et que chils dus auera
-fait son devoir deviers son naturel et souverain signeur, le roi de
-France, et que li rois l'auera recheu à honme liege, de foi et de
-bouce. Et qant ce me sera apparant clerement, je obeirai: ce sera
-raisons.» Donc dist li contes de Montfort: «Garnier, vous veés mesire
-Hervi de Lion qui est uns des grans barons de Bretagne, qui est venus à
-obeisance à moi, et aussi sont pluisseur noble prelat et gentilhonme,
-et toutes les chités et bonnes villes de Bretagne. Si ne me devés pas
-estre rebelles, ne aleghier dou contraire, que je ne soie dus de
-Bretagne, car la succesion m'en vient de par monsigneur mon frère, le
-daarain mort.»--«Sire, respondi li chevaliers, je ai esté moult de
-jours et de nuis dalés monsigneur vostre frère, de qui vous parlés, et
-se li ai oy dire et affremer que à la ducée de Bretagne vous n'avés nul
-droit, mais l'a mesires Carles de Blois en l'oqison de madame sa fenme
-qui fille fu à mesire Jehan de Bretagne, conte de Pentèvre, et frère
-germain au bon duc darrainnement mort. Et qant les raisons seront
-esclarcies et determinées, là ou lieu où elles le doient estre, c'est à
-Paris devant le roi de France et les douse pers, puis que vous en volés
-faire question, je ouverai le chastiel de Brest, et jusques adonc,
-non.»--«Garnier, Garnier, respondi li contes de Montfort, nous ne
-volons pas tant atendre. Or vous en retournés, vous avés assés parlé,
-et sachiés que nous i enterons qant nous porons.» Atant rentra mesires
-Garniers de Cliçon ens ou chastiel, et li contes de Montfort fist
-ordonner et apparillier enghiens et bricoles pour assallir, et dist:
-«Brest est la clef de Bretagne, mais par celle clef je voel entrer en
-Bretagne.»
-
-Li contes de Montfort prist en grant desplaisance ce que messires
-Garniers de Cliçon li avoit dit et respondu, et dist que jamès il
-n'entenderoit à aultre cose, si aueroit pris le chastiel de Brest. Le
-second jour apriès, il fu consilliés de faire ce que je vous dirai, de
-mettre une enbusqe sus au plus priès dou chastiel conme il poroit par
-raison et puis deslogier de là mal ordonneement, ensi que gens font qui
-ne sèvent que c'est de gerre, pour traire hors dou chastiel messire
-Garnier et les siens; et qant il seroient hors, li enbusqe saudroit
-avant et les encloroit entre le chastiel et l'oost. Aultrement ne les
-pooit on avoir. Ensi conme il fu consilliet, il fu fait, et li enbusqe
-asisse et mise couvertement desous le chastiel. Qant ce vint au matin,
-chil de l'oost se conmencièrent à deslogier, et à euls departir par
-fouqiaus, et à tourser tentes et trefs et à metre sus chars et à
-voiture. Messires Garniers de Cliçon et li compagnon qui ens ou
-chastiel de Brest estoient, perchurent ce convenant; si dissent:
-«Sallons hors et nous frapons en la qeue de ces alans. Nous lor
-porterons damage et ramenrons des prisonniers.» Il le fissent, et
-issirent hors et n'eslongièrent point de trop lonch le castiel, car les
-gens de Montfort estoient logiet moult priès ens ès courtils, devant
-les fossés. Qant il furent issu, les lances ens ès poins, et tous
-apparilliés pour faire armes et ferir en la qeue des Montfortois, et jà
-il escarmuçoient, evous l'enbusque venant tout le pas autour dou
-chastiel, et trouvèrent ceuls qui gardoient la porte. Qant il
-perchurent lors ennemis, il furent tout esbahi, et toutes fois il se
-missent à la deffense moult vaillanment. Mesires Garniers et li sien
-oïrent le hustin. Si laissièrent lor emprise et retournèrent viers le
-chastiel, et envaïrent moult vaillanment lors ennemis. A grant mescief
-porent il rompre la presse des assalans, car li pons estoit avalés, et
-la porte ouverte; si se efforçoient de entrer dedens. Là ot fort hustin
-et dur, et moult d'armes et d'apertises i fissent chil dou chastiel, et
-par especial messires Garniers de Cliçon, car il se tenoit derrière
-tous les siens et les remetoit par apertisses d'armes dedens la porte.
-Chil qui estoient amont traoient et jettoient as assallans et les
-faisoient requler. Et toutes fois li pons et la porte euissent esté
-efforchié, con grande vaillance que il i euist ou chevalier et en ses
-gens, se chil qui estoient amont ne se fuissent delivré de lever le
-pont et d'abatre la porte couleice.
-
-Qant il orent ce fait, il laissièrent une petite plance aler, sus
-laquelle lors gens montoient un à un et rentroient ens ou chastiel. Là
-estoit mesires Garniers de Cliçon tout devant, et faisoit voie à ses
-gens et les remetoit dedens à son pooir, et fist ce jour d'armes ce que
-uns vaillans homs doit faire; mais il fu navrés moult durement, et à
-grant painne fu il remis dedens la garnison. Et là ot ce jour à celle
-escarmuce grant fuisson de bleciés des uns et des aultres. Li contes de
-Montfort et ses gens se retournèrent tous en lors logeis conme en
-devant. Et qant chil dou chastiel de Brest veirent ceste ordenance, il
-perchurent bien que il estoient decheu, et encores furent il plus
-courouchié, car mesires Garniers de Cliçon ne pot avoir dedens la
-forterèce ce que il li besongnoit, pour entendre as plaies que il avoit
-ou chief et ou corps, et morut dedens trois jours, dont furent tout li
-compagnon desbareté et esbahi, qant il veirent mort lor chapitainne. De
-la mort mesire Garnier fu enfourmés li contes de Montfort. Si en fu
-tous resjois, car bien veoit que point n'aueroit la forterèce, tant que
-messires Garniers fust en vie. Il fist trettiier par mesire Hervi de
-Lion as compagnons de Brest, et leur fist dire que il lor pardonroit
-tous mautalens, se il li voloient rendre la forterèce. Chil qui dedens
-estoient, qui veoient mort lor chapitainne, et ne lor apparoit seqours
-de nul costé, se doubtèrent de lors corps et de lors biens à perdre; si
-rendirent Brest au conte de Montfort, salve lors corps et lors biens.
-Ensi eut li contes de Montfort le chastiel de Brest, et le rafresci de
-nouvelles gens et de pourveances, et le bailla en garde et sus son
-honnour à un gentilhonme des siens, auquel il avoit bonne fiance. Fos
-72 et 73.
-
-
-=§ 141.= P. 93, l. 24: Rennes.--_Mss. A 1 à 6, 20 à 22_: Vennes. Fo 77
-vo.
-
-P. 93, l. 30: doubtance.--_Ms. d'Amiens_: Si y aloient li pluiseur plus
-par force que par amours, car qui en fuist rebellez, li comtez le
-fesist decoller sans merchy. Fo 53 vo.
-
-P. 94, l. 2: fourbours.--_Ms. d'Amiens_: qui adonc estoient moult
-grans. Fo 53 vo.
-
-P. 94, l. 3: Et avoient.--_Ms. d'Amiens_: Et avoient avoecq yaux à
-cappittaine de par le duc dairain mort, ung gentil homme, chevalier
-preu et hardi à merveillez, et avoit son mannoir et son hiretaige assés
-priès de là; et le amoient communement trèz durement. Et avoit chilx à
-nom messires Henris de Penefort, et disoit bien que jà ne relenquiroit
-sa droite damme la femme à monseigneur Charlon de Blois, et le tenoit
-et avoit tenu toudis à hiretierre de Bretaingne. Ossi tout chil de la
-chité de Rennez estoient de son accord.
-
-Enssi fu assigie la chité et la ville de Rennes dou comte de Monfort et
-de tous ses comfortans. Peu y fist traire ne lanchier, car il ne
-volloit mies grever ne blechier ses gens. Or avint que il prist
-vollenté à monseigneur Henry de Pennefort de faire une yssue sour ses
-ennemis et de resvillier ciaux de l'ost. Si s'en descouvri à aucuns
-jouennes bourgois et compaignons de le ville de Rennes, liquel s'i
-accordèrent et priièrent tout l'un l'autre. Et se queillirent et
-armèrent une ajournée, et yssirent de le chité; et pooient y estre
-environ cinq cens, tous arméz et bien montéz. Et s'en vinrent
-couvertement par voies non sceuez, et se boutèrent en l'ost le comte de
-Monfort à l'un des corons; et abatirent tentez et tréz et pauvillons,
-et coummenchièrent à gens navrer et ocire et mehaignier, et à faire un
-mout grant desroy. Li hos s'estourmy, et coururent vistement as armez;
-et messires Henris de Pennefort, quant il vit que point fu, il se
-retraist tout bellement vers le cité de Rennes.
-
-En celle propre nuit avoit fet le get li sirez de Gadugal et bien sept
-cens armurez de fer, sans les brigans à targes et à pavais. Si
-entendirent coumment chil de le chité estoient yssus hors et avoient
-porté moult grant dammaige à leur ost. Adonc s'en vint li sirez de
-Gadugal, à qoite d'esperons, entre le chité et messire Henry de
-Pennefort, et lez encloi avoecq se routte, parmy tant que chil de
-l'ost, qui estourmit estoient, leur revinrent par derière. La eut grant
-bataile et fort combatue d'une part et d'autre. Et y fissent chil de
-Rennes grant plentet d'armez, et fortement se combatirent; mès gens
-croissoient toudis à chiaux de l'ost. Se ne les peurent à le longhe
-souffrir ne porter, et fu(i)rent comme desconfit chil de Rennez deviers
-leur ville. Et en i demoura grant fuisson des leurs, car li enchauce et
-li poursuioite dura jusquez as barrières. Et remest messires Henris de
-Pennefort en bon convenant sus le place, et trop bien se combati
-desoubz son pignon, mès finablement il ne peut durer. Rendre le
-couvint, et fu prisonnier à ung escuier de l'hostel le comte de
-Montfort, que on apelle Joffroy dou Bruel, liquelx le rendi au dit
-comte qui en eut grant joie, pour tant qu'il li estoit contraire et
-avoit estet moult grans ennemis.
-
-Quant chil de Rennez se virent ensi desconfit et pris leur bonne
-cappittainne, si furent tout ce jour durement esbahy; et durement leur
-anoya, et ce fu bien raisons. Nonpourquant il se recomfortèrent entre
-yaus; et disent li plus saige que, se il avoient perdu celle fois, un
-autre fois il se recouvreroient. Si passèrent ensi leur anoy et
-entendirent as deffenscez de leurs chitéz. Or vous diray de quoy li
-comtez de Montfort s'avisa affin que pour mieux constraindre et atraire
-lez bourgois de Rennes à sa volenté, car bien savoit que toute la
-coumunalté de le ville amoient durement monseigneur Henry de
-Pennefort, et que jammais il ne li lairoient prendre quel meschief dou
-cors, là où bonnement il le pewissent amender. Pour ce, fist il amener
-le chevalier et li dist: «Messires Henris, messires Henris, vous m'avés
-estet grandement contraires et rebelles en touttes mes besoingnes, et
-advés enhortet et amenés les bourgois et le communauté de Rennes à che
-qu'il se sont clos contre moy, qui sui leurs drois sirez naturelz; et
-estez venus avoecq eulx à main armée sour my, et m'avés porté grant
-dammaige de mes hommes: pour quoy il faut que vous morés, car briefment
-je vous feray pendre, voiant tous chiaux de le chité, par quoy il y
-prenderont exemple.» Et quant li chevaliers entendi le comte de
-Montfort ensi parler, s'il fu esbahis, ce ne fu pas merveillez.
-Nonpourquant il respondi et dist: «Chiers sirez, vous povés faire de
-moy vostre bon plaisir, car vous me tenés en votre prison. Mès, s'il
-plest à Dieu, vous arés bon advis, car ce seroit grant cruaulté, se
-moy, qui sui pris en fès d'armes, moroie villainnement et sans deserte,
-et à trop grant blamme vous seroit reprochiet. Et se j'ay tenu ceste
-opinion contre vous, je ne sui pas seus, car il y a encorres mil
-chevaliers et escuiers en le ducé de Bretaingne, ou si grans ou plus
-grans que je ne sui, qui le tiennent et tenront, che dient. Car ensi
-l'avons nous juret fealment à monseigneur le duc vostre frère, dairain
-trespasset; et proummis à tenir sa nièce, femme à monsigneur Charlon de
-Blois, à damme et hiretière. Si me poés tenir en prison, s'il vous
-plest, et quant la declaration sera faitte de vous et d'elle, faittes
-de moy vostre bonne vollenté et che que vos conssaux et bonne
-conscienche aporteront qu'il en appertenra adonc à faire.»
-
-Quoyque messires Henris de Pennefort parlast assés raisonnablement au
-comte de Monfort, seloncq l'avis de pluiseurs, li comtez ne se refroida
-mies de tenir sen oppinion, et dist: «Messire Henri, vostre arguement
-ne vallent noient, ne de vostre dame, femme à messire Charle de Blois,
-car il est tout cler que je sui dus de Bretaingne, et demoray dus à
-tousjours; et, comme dus, je vous juge et condamne à mort par le cause
-de vostre rebellion. Si vous povés confesser, se vous voulléz, car
-jammais ne buveray ne mengeray, si vous aray fet pendre, ou vous me
-feréz rendre le chité de Rennes en foy et en hoummaige, et vous ossi me
-juréz feaulté, ensi qu'à vo droit seigneur.» Et quant li chevaliers
-entendi le comte ensi parler et si acertez, si fu touz esbahis; car de
-relenquir sa droite damme, che li estoit moult dur. Si dist tous
-confortéz: «Sire, vous povés faire de moy vostre bon plaisir, mès pour
-morir, je ne le relenquiray jà mon droit seigneur, ne le serment que
-j'ay fet, et Dieux ait l'ame de moy! S'il li plest que je muire, je le
-receveray en gré, car il n'est nulle mort honteuse, puis que on le
-prent pour bien faire et sus title de loyaulté maintenir.»
-
-Adonc fu coummandé de par le comte de Monfort que li chevaliers fust
-amenés vers Rennes, et que on levast unes fourques mout tost près de le
-cité. Tout chou fu fait qu'il coummanda, les fourques levées, et
-messires Henris de Penefort par le marescal de l'ost amenés jusques à
-Rennes, et bien gardés de plus de deux mille bachinès, affin que chil
-de le ville ne le rescouvissent. Et quant li coummunaulté de le chité
-de Rennes entendi que li gibet que on carpentoit et levoit si priès
-d'iaux, estoit ordonnés pour faire morir monseigneur Henry, leur bonne
-cappitainne, si eut en le ville grant cririe et grant plorie. Et en
-avoient touttez mannierres de gens grant pitet, et fissent assavoir au
-comte de Montfort se pour raenchon on le poroit ravoir; et il leur
-respondi que nenil, fors pour avoir le chité de Rennes en se
-obbeyssance. Dont respondirent il qu'il aroient consseil et advis de
-chela faire, et que on le volsist detriier tant que on fust
-conssilliet; et li comtes leur acorda vollentiers.
-
-Endementires que chil de le chité de Rennes se conssilloient entre yaux
-dou rendre ou dou laiier, il y avoit là aucuns chevaliers de l'amisté
-monseigneur Henry de Pennefort, qui li enhortoient et conssilloient que
-il se volsissent retraire au comte de Monfort, et que il faisoit trop
-grant follie de tenir l'oppinion que il tenoit: «car pour quoy?
-disoient il. Monseigneur Henry, otant bien avions nous nostre loyauté
-et honneur que vous faittez la vostre; mès nous ne veonz nul apparant
-de monseigneur Charlon de Blois, ne de sa femme, qu'il se retraient
-avant à l'hiretaige. Et prendés enssi que messires Carlez reviegne à le
-ducé de Bretaingne et que ce soit ses drois, se couvenra il que li
-comtez de Montfort en ait aucune parchon. Dont espoir vous escherés en
-ceste, ou autrement vous avés orez belle escusation, car par
-constrainte vous serés devenus homs au comte de Monfort. Jà pour ce,
-messires Carlez de Blois ne vous en vaura pis.»
-
-Ensi et de pluiseurs parollez fu tant menés et enforméz li chevaliers
-que il se laissa à dire, car au destroit chacuns fuit le mort
-vollentiers; mès encorres disoit il que, se il quidast estre venus à
-tel coron, il ne se fust jà rendus prisonniers, mès fès occire sus lez
-camps, et que messire Garniers de Clichon avoit estet loyaux et
-vaillans chevaliers, quant en se loyaulté il estoit mors. Ensi se
-debatoient de parollez li chevalier et li escuier de Bretaingne, qui
-adonc avoec le comte de Montfort estoient, à monseigneur Henry de
-Pennefort; car trop envis le ewissent veut pendre, ne recepvoir nul
-dammaige dou corps. Et chil de Rennes parlementoient, li petis contre
-les grans, et estoient en grant estri ens le place où il estoient tout
-assamblet. Car la coumunauté volloit que la cité fust rendue et
-messires Henris de Pennefort delivréz; et li rice homme et grant
-bourgois y estoient tout contraire, et disoient que jà n'avenroit que
-il fesissent fraude, ne se desloyautaissent enviers leur droite damme
-naturelle, pour ung chevalier, et que à trop grant meschief leur poroit
-retourner. Nient mains touttez raisons remoustréez des grans as petis,
-il n'y vorent point entendre, mès sonnèrent la cloche et se coururent
-armer. Et s'esleva grans tumultes et dissentions entre les coummuns et
-lez plus gros de le ville qui contraire estoient à leur vollenté; et
-les coururent sus, et il se deffendirent. Là en y eult pluiseurs mors
-et blechiéz, mès finablement li communauté obtinrent le place et furent
-mestre et souverain à ce donc des grans. Et envoiièrent deviers le
-comte de Montfort, en disant que il venist sceurement en le cité de
-Rennes, on li recepveroit à signeur, mès que il reuissent monseigneur
-Henry de Pennefort. Li comtez dist: «oil,» et fu de ces nouvelles mout
-joiant, et vint en le cité de Rennes, et y entra en grant reverense de
-trompez et de trompettez et de touttez mannierres de menestrandie. Et
-vinrent li clergiet à grant pourcession contre lui et le amenèrent à
-cel solempnité à le cathredal eglise; et là li jurèrent tout feaulté et
-li fisent hoummaige comme à leur droit seigneur. Et ossi fist messires
-Henris de Pennefort, qui devint ses homs et ses chevaliers: dont li
-comtez eut grant joie, car il le sentoit preudomme et vaillant; et
-puisqu'il en avoit le foy, il ne le frauderoit à nul jour. Se le retint
-li comtez de son consseil, et li donna tantost cinq cens livrez de
-revenue, et li assigna bien où il lez devoit prendre.
-
-Ensi comme je vous recorde eut li comtez de Montfort la bonne cité de
-Rennes, le foy et le feaulté des bourgois de la ville; et s'i tint par
-cinq jours, pour lui rafreschir et reposer, et pour mieux entendre à
-le fortrèce de le ville et atraire touttez mannierrez de gens à sen
-amour. Et de tant comme il y fu, il y tint toudis court ouverte et
-donna grans dons as bourgois et à touttez mannierres de gens dont il
-entendoit le mieux à valloir; et tant fist qu'il y acquist grant grace.
-Quant il s'en dubt partir, il y laissa ung chevalier de par lui à
-cappitainne, breton bretonnant, en qui il avoit grant fianche; et
-appielloit on cesti monseigneur Guillaumme de Quadudal, gentil homme et
-preudomme durement. Au sixime jour, il s'en parti et coummanda à
-deslogier touttez mannierres de gens et prendre le chemin deviers le
-castiel et le forte ville de Hainbon; et emmena avoec lui monseigneur
-Henry de Pennefort, car il en penssoit bien à avoir mestier en son
-voiaige. Fo 54 vo.
-
-P. 94, l. 13: deus cens.--_Ms. B 6_: trois cens. Fo 172.
-
-P. 94, l. 21: le gait.--_Ms. B 6_: Sy fu au retour entre l'ost et le
-chité enclos de mesire Hervi de Lion qui avoit fait le gait. Fo 172.
-
-P. 95, l. 8: le porte.--_Ms. B 6_: et fist lever unes fourques droit
-devant les fossés. Fo 173.
-
-
-=§ 142.= P. 96, l. 11: Adonc.--_Ms. d'Amiens_: Li comtez Jehans de
-Montfort se departi de Rennez et fist arouter ses os et son charoy pour
-venir à Hainbon, ung très fort chastiel seans sus mer. Bien avoit oy
-recorder que messires Oliviers de Pennefort, frèrez au dit monsseigneur
-Henry, l'avoit en garde et en estoit castellains, et ossi que li
-castiaux avoecq la ville estoient si fort que il ne faisoit mie à
-prendre ne à gaagnier, sans trop loing siège. Et pour ce, en cheminant
-celle part, il moustroit tous les signes d'amours qu'il pooit, à
-monseigneur Henry de Pennefort, et li disoit: «Henri, Henri, vous estez
-devenus mes homs et mes chevaliers. Si me devés toutte obeissanche et
-tout service, et m'avés juret feaulté et à aidier à concquerre mon
-hiretaige de Bretaingne et à destruire tous rebellez.»--«Sire, che li
-dist messires Henris, il est verités. Et pourquoy le dittes vous? S'il
-plest à Dieu, vous n'y veurés jà le contraire, puisque à ce me sui
-adounnés et assentis.»--«Je le vous diray, ce dist li contes, nous
-chevauchons deviers Hainbon, dont Oliviers, vos frères, est gardiiens
-et cappittainne. Si ne voroie pas, pour l'amour de vous, qu'il ewist
-nul dammaige dou corps; et se vous volliéz bien, adcertez nous
-l'arions à nostre acord, et plus l'a(r)oie à avoir bellement que
-fellement.»--«Sire, che respont messires Henris, or me monstréz voie,
-s'il vous plest, comment ce se pourroit faire.»--«En nom Dieu, dist li
-comtez, je le vous diray. Quant nous deverons demain aprocier le ville
-de Hainbon à quatre ou à cinq lieuwes, vous prenderés quatre cens ou
-cinq cens armures de fer des nostrez, et chevaucerés devant à tout les
-bannières de Bretaingne, et li feréz assavoir que vous venés vers lui.
-Je croy assés bien que il vous ouvera les portes, et quant vous seréz
-ens et enssi que saisis de la ville, vous li mousterés sus quel estat
-vous serés là entrés, et que c'est bon qu'il me reçoive comme son droit
-seigneur.»--«Sire, che respont messires Henris, puisque à ce vous
-m'esmouvés, et que de vostre ordonnanche vient, je le feray, mès je
-deceveray mon frère.»--«Henri, Henri, ce dist li comtez, en fès d'armes
-convient ung seigneur qui voet venir à ses ententes, soutillier
-pluiseurs voies d'avantaige pour lui. Autrement il n'a que faire de
-gueriier, et ceste est la plus proçainne que g'y puis ymaginer pour mon
-prouffit, car Hainbon n'est mies ungs castiaux à concquerre par siège
-ne par assault, sans grant coustage.» Fo 55.
-
-P. 96, l. 11: li contes.--_Mss. A 11 à 14_: et la contesse. Fo 75.
-
-P. 97, l. 10: six cens.--_Mss. A 11 à 14_: cinq cens. Fo 75 vo.
-
-
-=§ 143.= P. 97, l. 25: Adonc.--_Ms. d'Amiens_: Sus les parolles dou
-comte de Montfort s'ordonna messires Henris de Pennefort. L'endemain,
-chevaucha li hos deviers Hanbon. Et si comme il pooient y estre à cinq
-lieuwez priès, li dis messires Henris se parti dou comte et enmena
-avoecq lui jusquez à cinq cens armures de fer, et chemina tous les
-grans ghalos deviers le ditte fortrèche. Et quant il fu ensi que à une
-petitte lieuwe priès, il envoya ung hiraut devant mander à son frère
-qu'il venoit, et que il li vosist ouvrir les portes. Li hiraux fist
-tout ce dont il fu chargiés. De la veuue monseigneur Henry de Pennefort
-eut messires Oliviers, sez frèrez, si grant joie, qu'il ne demanda
-oncquez s'il estoit amis ou ennemis, mès dist au hiraut: «Aléz contre
-lui, et li dittez qu'il est li bien venus.» Ensi le raporta li hiraux à
-monseigneur Henry, liquelz entra en le ville à touttes ses gens, et se
-saisi de son frère et dou castiel. Et recorda à son frère comment li
-affairez alloit en Bretaingne, et que li comtes de Monfort avoit jà à
-lui et en son accord le plus grant partie dou pays, et bien estoit
-tailliéz d'avoir le remanant, car nuls ne li alloit au devant. Et li
-avoient grant plentet des seigneurs fet feaulté, et especialment cil de
-Nantez et de Rennes, qui sont les souveraines chitéz dou pays et sour
-qui tous li demorans se doit aviser.
-
-Quant messires Oliviers de Pennefort eut oy son frère, et il se vit
-pris et au desoubz de sa fortrèce, si fu durement courouchiéz, mès
-amender ne le pot. Et dist bien que se il ewist senti ne seu que ses
-frèrez dewist là venir en tel mannière, il n'y fuist mies entréz, car
-vilainement l'avoit dechupt: «Certes, biau frère, ce respont messires
-Henris, il est veritéz. Mès li comtez de Montfort, qui s'apelle et
-escript dus de Bretaingne, en est cause, et li ai fet feaulté et
-hoummaige, et vous li feréz ossi et devenrés ses homs: je le vous
-consseille.» Respont messires Oliviers: «Voeille ou non, il convient
-que je le soie, mès jou ewisse plus cher autrement, s'il pewist y
-estre.» Que vous feroie je loing compte? Tant parla et precha messires
-Henris de Pennefort que amiablement il le fist monter à privée mesnie
-et sans armure, et chevauchier contre le comte de Montfort, qui le
-rechupt liement et à grant joie, et li dist que de ce jour en avant il
-seroit de son hostel et de son plus privet consseil; et li donna
-tantost cinq cens livrez de revenues et li assigna bien où il les
-prenderoit. Si entra li dis comtes en le forte ville de Hainbon, qui
-est ungs grans et bons pors sus mer, et prist le foiauté et hoummaige
-de tous lez hommez de le ville et dou chevalier ossi monseigneur
-Olivier de Penefort, et y demoura trois jours et toutte se ost ossi; se
-s'i rafreschirent. Et y ordonna li comtez castelain et gouvreneur pour
-le garder et deffendre contre tous venans, s'il besongnoit, ung très
-bon chevalier et de grant affaire, que on clamoit monseigneur Yvon de
-Tigri, en qui li dis comtez se confioit moult, et trois cens
-saudoiiers, touttes bonnes armurez de fer, et paiiés de leurs gaiges
-pour ung an.
-
-Quant li comtez de Montfort se fu mis en saisinne et en possession de
-le forte ville et dou biau castiel de Hainbon, et ordonné garnison
-telle qu'il li pleut, il eult consseil et advis qu'il se trairoit
-deviers le cité de Vennes. Si fist arouter son ost, cargier son caroy
-et cheminer celle part. Ainchois qu'il y parvenist, il fist traitier à
-chiaux de Vennes que il le volsissent recepvoir à signeur, et il leur
-seroit très bons sirez; et lez tenroit as us et as coustummes que li
-dus de Bretaigne, ses frèrez, dairains trespasséz, les avoit tenus, ou
-à milleurs. Quant cez nouvellez vinrent en le chité de Vennes, il
-sonnèrent leur cloche et s'asamblèrent. Et quant il furent tout
-assamblet, les offres, les ordonnanchez, les proummesses et lez
-requestez, que li comtes de Montfort leur faisoit, furent là
-remoustrées et recordées. Li aucun s'acordoient à lui recepvoir à
-seigneur, et li aucun, non. Toutteffois, une souffranche fu prise à
-durer troix jours, et là en dedens estre devoient tout conssilliet dou
-faire ou dou laiier. Ceste souffranche durant, li comtez ne laissa miez
-pour ce que il ne se logast bien et puissamment devant Vennes et ne le
-asegast de tous poins, mès nul contraire ne fist à le chité; ainsçois
-leur offroit toutte amour et grans bienfès, là où il le volroient
-recepvoir à seigneur. Cil de Vennes se consseillièrent li ung par
-l'autre, et regardèrent que il estoient sus l'un des corons de
-Bretaingne, et que Nantes, Rennes, Hainbon et pluiseur autre castiel
-estoient tournet à l'acord le comte de Montfort, et que nulz ne li
-contrestoit. Si se doubtèrent que grans maux ne leur en venist, car
-leur cité n'estoit mies forte pour yaux tenir contre ung host, ne le
-pais; et si n'ooient nullez nouvellez de monseigneur Charlon de Blois:
-si ques, tout consideret, le bien contre le mal, et le fort contre le
-foible, il s'acordèrent au comte de Montfort et le rechuprent à
-seigneur, et li fissent hoummaige et li jurèrent feaulté et l'amenèrent
-à grant procession au castiel. Et là tint il sa feste, par deux jours,
-dez chevaliers qui avoecq lui estoient et des bourgois de le ville; et
-deffist tous offisciers et remist nouviaux offisciiers en le ville et
-en le baillie de Vennes.
-
-Au tierch jour, il (li contes) s'en parti (de Vennes) et alla assegier
-ung très fort castiel seant sus ung hault terne sus la mer, que on
-claimme Rocheperiot. Si en estoit castelains uns vaillans chevaliers et
-mout gentils homs, que on clammoit monseigneur Olivier de Clichon,
-cousins germains à celui monseigneur Olivier de Clichon qui fu depuis
-decolléz à Paris, ensi comme vous orés recorder chy apriès. Et sejourna
-li dis comtez devant Rocheperiot bien, à siège fet, huit jours entirs.
-Oncquez ne peult trouver voie par quoy il pewist le castiel gaegnier,
-si fors estoit il et en lieu si inhabitable; et si ne peut trouver
-accord au gentil cevallier, par quoy il volsist obeir à lui par
-proumesses, ne par manachez, qu'il li pewist faire. Si s'en parti atant
-et laissa le siège et le castiel ester jusques à tant que plus grant
-prouffit li venroit d'aucuns aultrez tretiéz, et puissance li
-croisseroit. Si s'en vint devant ung autre castiel que on appelle au
-Suseniot, où par usaige li duc de Bretaigne se tiennent pour le cause
-des biaux esbas qui sont là environ, tant des bois comme dez rivièrez.
-Li castelains le rendi à lui; et li laissa li contes, quant il en eut
-pris le possession. Depuis chevauça et s'en vint devant castiel
-d'Auroy, qui est une belle fortrèche et de grant nom; et le fist li
-roys Artus jadis faire et fonder, quant il concquist Bretaigne. Si en
-estoit castelains ungs moult gentilz chevaliers, que on clammoit
-monseigneur Joffroy de Malatrait, qui moustra bonne chière et grant
-couraige de lui deffendre. Adonc fist li comtez de Monfort logier ses
-gens environ le castiel, et dist qu'il ne s'en partiroit si l'aroit à
-sa vollenté.
-
-Quant messires Joffroy de Malatrait se vit assegiet dou comte de
-Montfort et oy lez manachez qu'il li faisoit, si demanda une trieuwe de
-deus jours tant seullement, et là en dedens il se conssillieroit. Li
-comtez li accorda liement et envoya parler à lui monseigneur Yvon de
-Tigri, grandement compaignon et amic au dit monseigneur Joffroy,
-liquelz esploita si bien deviers lui, et tant li dist d'une cose et
-d'autre, que messires Joffroy de Malatrait rechupt le comte de Monfort
-à seigneur, et le mist en le possession dou castiel et de le castelerie
-d'Auroy, qui est moult belle et moult grande. Et li comtez li rendi et
-li laissa par le consseil qu'il eult, et avoecq lui monseigneur Ivon de
-Tigri; et les fist gardiiens de tous le pays là environ, et prist de
-tous les gentils hommes le foy et hoummaige.
-
-Puis s'en parti li dis comtez et mena son ost par devant ung autre fort
-castiel asséz priès de là, que on claime Gou le Forest. Chils qui
-castelains en estoit, veoit que li coens de Monfort avoit grant ost, et
-que tous li pays se rendoit à lui, si que par le enort et consseil
-monseigneur Hervy de Lion, que mout amoit et congnissoit, car il
-avoient estet grant amy et compaignon enssemble en Grenate et ailleurs
-en estraingez contrées, il s'acorda au dit comte et li fist feauté, et
-demoura gardien dou dit castiel de par le comte.
-
-Tantost apriès, li dis coens de Montfort se parti de là, et s'en alla
-deviers Craais, bonne ville et bon castiel et fort durement. Dedens
-Craais avoit ung evesque qui sirez en estoit, onclez à monseigneur
-Hervi de Lion, si ques, par le consseil et tretiet monseigneur Hervi,
-chilx evesquez s'acorda au dit comte et le recongnut à seigneur jusques
-adonc que venroit avant qui plus grant droit mousteroit pour avoir la
-duché de Bretaingne. Et sus cel estat en prist li comtes de Montfort le
-feaulté.
-
-Apriès ce que la ville et li castiaux de Craais se furent rendut au
-comte de Monfort par le pourcach de monseigneur Hervi de Lion, cui
-oncles estoit (li[404] dis) evesque, li comtez fist ses gens deslogier
-et arouter vers Ju(g)on, qui est très bonne ville et forte, et y apent
-ungs biaux castiaux. Dedens le ville de Ju(g)on se tenoit messires
-Amauris de Clichon, frèrez mainnéz au droit seigneur de Clichon. Et
-l'avoient cil de le ville pris à cappittainne pour yaux conssillier et
-conforter en tous cas; et ainssi leur avoit il juret, car grandement il
-estoit amés et creus, et tenoit son hiretaige assés priès de là. Se se
-cloy li dis messires Ama(u)ris au devant dou comte, et dist que, se il
-plaisoit à Dieu, il n'aroit jà le ville de Ju(g)on si legierement qu'il
-cuidoit. Li comtez de Monfort vint par devant, et fist toutte son ost
-là traire et logier; et avoit bien à ce donc parmy le communauté dou
-pays quarante mille hommes, tous aidablez. Si fist ses arbalestriers
-aller traire et escamucier à le ville, et d'autre part Espagnos et
-Bidaus, dont il avoit grant fuison à saudées, traire, paleter et
-assaillir as murés; mès peu y gaegnièrent, ainchois en y eult des
-blechiéz grant foison. Quant li comtez de Monfort vit que par assault
-il ne poroit avoir le ville de Jugon, il envoya querir en le chité de
-Rennes quatre moult biaux enghiens qui là estoient, pour faire drechier
-devant le fortrèche et chiaux de d'ens assaillir par cel estat. Che
-pendant que on les estoit alés querre, messires Amauris de Clichon
-parla as jones compaignons de le ville et as aucuns escuiers dou pays
-de là environ, qui s'i estoient retret, tant pour l'amour de
-monseigneur Amauri que pour yaux garder; et les amena à ce que, une
-ajournée, il wuidièrent et se ferirent en l'ost, et y fisent mout grant
-damage. Et esceirent sus le logeis monseigneur Ivon de Tigri, qui ce
-meysme soir estoit là venus dou castiel d'Auroi, où li comtez de
-Montfort l'avoit laissiet, et avoit amenet en l'ost bien cent lanches
-de bonne gent. Si estoit logiés à l'un dez corons assés priès de le
-ville de Jugon, et fu durement resvilliés, car il fu pris et navrés, et
-moult en y eut des siens mehaigniés. Celle nuit avoient fet le get li
-doy frère de Pennefort, messires Henris et messires Oliviers, et
-entendirent le huée et le cri, et que chil de le ville estoient yssus.
-Adonc ferirent il chevaux des esperons et ne prisent mies le voie pour
-venir droit sur yaux, mès le chemin de le ville, et se boutèrent entre
-le ville de Jugon et l'ost. Dont, ensi que messires Amauris de Clichon
-et li sien s'en retournèrent vers leur ville et en menoient monseigneur
-Yvon de Tigri et pluiseurs autrez prisonniers, et moult se hastoient,
-car li os estoit jà durement estourmie, li doy frère de Pennefort,
-messires Henris et monseigneur Olivier, bien montés et bien ordonnés et
-adonc acompaigniés bien à deus cens lanches frèz et nouviaus, leur
-vinrent d'encontre; et là eut grant pugneis, et de chiaux de Jugon
-moult rués par terre. Quant il se virent enssi enclos entre le ville et
-l'ost, et que nulle remède n'y avoit pour yaux sauver, si furent mout
-esbahy et ne tinrent point de conroy, mès entendirent chacun à yaux
-sauver; et laissa chacun aller son prisonnier, qui prisonnier avoit, ou
-il se rendoit prison à lui pour sauver sa vie. Par celle mannière fu
-delivrés messires Ives, et pris messires Amauris de Clichon, et tout
-chil qui avoecq lui estoient, mort ou pris, que oncques homs ne rentra
-en le ville de Jugon, dont li bourgois de le ville furent moult
-desconforté.
-
- [404] On lit dans le ms. d'Amiens: «au dit,» qui doit être une
- mauvaise leçon.
-
-Quant li comtez de Montfort seut comment messires Amauris de Clichon
-estoit pris et plus de six vingt jones bourgois de la ville avoecq lui,
-et messires Yves de Tigri rescous et tout li aultre, si en fu durement
-liéz, et ce ne fu pas merveille. Et en loa et recoummanda grandement
-les deux frèrez de Pennefort; et dist que il avoient fet une belle
-bachelerie et à lui ung grant service, et que encor lor seroit il
-remuneret. Si fist li dis comtez tous lez prisonniers mettre d'un léz,
-et lez navrés appareillier et songneusement garder, et puis monta sus
-ung cheval, acompaigniés d'aucuns des siens, et s'en vint devant Jugon,
-et fist signe que il volloit parler à chiaux de dedens. Li bourgois
-vinrent à lui à le barrière et l'enclinèrent, car il leur fu dit que
-c'estoit li comtez de Montfort, et li fissent reverence, tant qu'en
-contenanche, comme chil qui doubtoient perdre leurs amis, leurs frèrez
-et leurs enffans. Là parla li comtez de Montfort et leur dist: «Entre
-vous, homme de le ville, vous estez grandement fourfait enviers moy,
-quant vous savés que je sui vos drois sirez naturelz par le sucession
-de monseigneur le duc, mon frère, dairain trespasset. Et jà m'ont
-rechut à seigneur et fet hoummaige chil de Nantez, de Rennes, de
-Vennes, de Hainbon, de Craais, d'Auroi, de Gou la Forest, dou Suseniot
-et des autrez forterèchez; et vous, vous estez clos contre mi et mis en
-paynne de moy porter dammaige. Or est enssi avenu que chilz dammaigez
-est retournéz sus vous et sus vos proismez, car je tieng vostre
-cappitainne en prison et bien sis vingt dez vostrez et de le nation de
-ceste ville. Si devéz savoir que je lez feray tous pendre, voyant vos
-yeux, sans nul prendre à merchy, se vous ne me rendéz le ville et le
-castiel de Jugon et ne me jurés feauté et hommaige. Si me respondéz
-moult tost lequel vous voulléz faire des deux, ou veoir vos proismez
-morir honteusement, ou moy recevoir à seigneur.» Et quant li bourgois
-et li communalté de Jugon entendirent cez nouvelles, si furent tout
-esbahit, ce ne fu pas merveillez. Si requisent à avoir souffrance et
-consseil tout ce jour, et l'endemain, à heure de prime, il venist ou il
-envoiast vers yaux, et il en responderoient ce qu'il en volroient fère.
-Li comtez leur acorda, par samblant aszéz à envis, et retourna en ses
-tentez. Jà estoient venut li enghiens que on avoit akariiet de Rennez,
-dont li comtez eut grant joie, car il lez fist mener devant le ville et
-drechier tous quatre, affin que chil de le ville de Jugon les veissent
-et que il en fuissent plus effraet.
-
-Sitost comme li comtez de Montfort se fu partis des bourgois de la
-ville de Jugon, ensi que vous avés oy, il sonnèrent leur cloce et
-s'asamblèrent en le place, et là parlementèrent enssamble ung grant
-temps. Et remoustrèrent li plus sages et li mieux enlangagiés et chil à
-qui il en touchoit le plus, le peril et l'aventure où il estoient. Ad
-ce donc il ne furent nient bien d'accord; si s'ajournèrent à relevée et
-alèrent chacuns disner en leurs maisons. Dedens nonne furent li quatre
-enghien levet environ la ville, si que touttez mannierrez de gens
-dedens et dehors les pooient veoir, qui veoir les volloient, et che
-esmaya durement chiaux de la ville. Quant ce vint à relevée, il
-sonnèrent de requief leur cloche et se assamblèrent, enssi que il
-devoient faire. Là y eult pluiseurs parollez retournées, mès
-finablement il s'acordèrent à che que, se messires Amauris de Clichons,
-qui prisonniers estoit, volloit faire feauté au comte de Montfort, il
-li feroient, ne jà sans lui riens n'en ordonneroient, car ensi li
-avoient il juret solempnement et sus quarante mille escus de painne; si
-n'en pooient riens fère sans son accord, se il ne se volloient
-desloiauter et escheir en le mise. Ensi, sus cel estat, de leur
-consseil il se partirent. L'endemain à l'eure qui ordonnée y estoit, li
-comtez de Montfort y envoya deviers yaux le signeur de L(an)dreniaus,
-son marescal de l'host. Si parlementa à yaux et il à lui, et li
-cargièrent tout che que vous avés oy. Chil retourna arrière deviers le
-dit comte, et li recorda le responsce et l'entention de chiaux de
-Jugon. Li comtez assés s'en contenta et fist venir devant lui
-monseigneur Amaury de Clichon et li dist: «Amauri, Amauri, vous avés
-tort, quant contre vostre seigneur que je sui, et de ce n'est il nulle
-question, volléz estriver: très grans maux vous en poroit bien prendre,
-et jà estes pris, car je vous tieng en ma prison, et puis faire de vous
-ma vollenté.»--«Sire, che respont li chevaliers, il est verités. Si
-arés, se il vous plest, si bon avis que vous ferés de moy tout et à
-point.» Che li dist li dis contes: «J'en sui tous avisés, et vous le
-soiiés ossi. Ou vous me renderéz le ville de Jugon, car à vous en
-tient, si comme j'en sui enformés, ou je vous feray morir à honte
-avoecq tous lez autres prisonniers.» Dont se trairent avant aucun
-chevalier, qui là estoient et de son linage, et li disent: «Monseigneur
-Amauri, otant bien nous vorions acquitter de nostre loyaulté que vous
-feriés, mès nous veons tout le pays qui se retrait deviers monseigneur
-qui chy est; et sus celle entente li avons nous fait hommage, car nous
-ne veons ne n'avons veut dou contraire jusqu'à orez, ne que messires
-Carle de Blois y ait mis point de contredit. Si vous prions que vous
-voeilliés estre des nostrez et obeir à monseigneur qui chy est; et là
-où vous le ferés enssi, messires vous en sera gret, et vous pardonra
-tous sez mautalens et à tous les prisonniers ossi qu'il tient, pour
-l'amour de vous.» Adonc eult messires Amauris de Clichons pluiseurs
-ymaginations, car il se tournoit à envis, et se li couvenoit faire ou
-pis finer, ensi que li comtez li proummetoit. Tant fu enhortéz et
-priiéz que il devint homs au comte de Montfort, et li fist hoummaige et
-feauté. Depuis monta il à cheval, et en mena le marescal de l'host à le
-ville de Jugon, et parla as bourgois, et les fist rendre et delivrer le
-ville et le castiel au dit marescal, qui en prist le possession et le
-saisinne ou nom dou comte. Et parmy tant, tout li prisonnier furent
-quitte et delivre.
-
-Ensi eut li comtes de Montfort le bonne ville de Jugon et le feauté de
-monsigneur Amaurit de Clichon, qui depuis le servi toudis loyaument. Et
-le retint li comtes de son conseil et li donna cinq cens livres de
-terre bien assignées.
-
-Apriès ce que li comtes de Monfort eult estet en le ville de Jugon
-trois jours et y eult mis ung castelain en qui il avoit grant fianche,
-ung bon escuier que on apelloit Garnier de Tigri, cousins au seigneur
-de Tigri, il se parti et toute se host, et chevaucièrent viers le bonne
-ville de Dinant, liquel se rendirent à mout petit parlement, car leur
-vile n'estoit adonc fremée que de palis. Se ne s'osèrent clore ne tenir
-contre le dit comte, que plus grans meschief ne leur en venist. Quant
-li comtes en eut pris le possession et le feaulté des hommes de le
-ville et dou seigneur de Dinant meysmez, ung très grant baron, il s'en
-parti et chevaucha deviers Castiau Josselin, mès il estoit si fors
-qu'il ne le peult prendre, et s'en passa oultre et vint à Plaremiel. Si
-se rendi li castiaux, et le renouvella li comtez de garnison. Apriès il
-vint devant Mauron et y sist douze jours. Au tresime il y entra par
-tretiet que, se ungs autrez appairoit en Bretaingne qui y moustrast
-plus grant droit de lui, il estoient quite de leur hoummaige. Fos 55 et
-56.
-
-_Ms. de Rome_: Et puis (le comte de Montfort) se desloga de là (de
-Brest) et s'en ala devant Auroi, lequel chastiel Julles Cesars fist
-fonder. Li contes esploita si bien que li chastiaus li fu rendus, car
-c'est dou demainne des dus de Bretagne. Et puis cemina oultre et vint
-devant Goy le Forest; il i fu requelliés, et puis au Suseniot, à trois
-lieues de Vennes, qui est uns biaus chastiaus et cambre des dus de
-Bretagne. On le rechut dedens tout debonnairement, et fu là ne sçai
-qans jours, et puis ala à Vennes et là se tint, et tousjours mesires
-Hervis de Lion dalés lui et grant fuisson d'aultres chevaliers et
-esquiers de Bretagne. Et les tenoit, par les dons que il lor donnoit,
-en amour, et les bonnes villes aussi, et tenoit grant estat et estofet.
-Et faisoit partout paiier bien et largement sans riens acroire, tant
-que toutes gens se contentoient de li et des siens et disoient: «Nous
-avons bon signeur à ce que il moustre: il ne voelt que tout bien, mais
-que Dieus consente que il nous demeure pasieuvlement.» Fo 73.
-
-P. 97, l. 26 et 27: six cens.--_Ms. B 6_: à trois cens lanches. Fo 174.
-
-P. 98, l. 3: le prist.--_Ms. B 6_: par le main, tout en riant. Fo 174.
-
-P. 98, l. 12: ossi.--_Ms. B 6_: car c'est ung gentil chevalier; et, sy
-se rent tout le pais à lui, nous ne povons mie seul faire partie pour
-monseigneur Charle qui point n'apert en che pais. Fo 175.
-
-P. 99, l. 1: le Roceperiot.--_Mss. A 8 à 10, 15 à 17_: la Roche Periot.
-Fo 72.--_Mss. A 1 à 6, 20 à 22_: la Roche Perion, la Roche Pierron. Fo
-78 vo.--_Mss. A 7, 18, 19, 23 à 33_: la Roche Periou. Fo 74.
-
-P. 99, l. 5: dix.--_Mss. A 15 à 17, 23 à 29_ et _B 6_: quinze. Fo 79.
-
-P. 99, l. 14: d'Auroy.--_Ms. B 6_: que le roy Artus fist jadis fonder
-et faire. Fo 175.
-
-P. 99, l. 16: Malatrait.--_Mss. A 11 à 17, 23 à 29_: Maletroit,
-Malestroit. Fo 76.--_Mss. A 1 à 10, 18 à 22, 30 à 33_: Malastrait,
-Malatrait, Malestret. Fo 78 vo.
-
-P. 99, l. 17: Tigri.--_Ms. B 3_: Trangrilidis. Fo 70 vo.--_Mss. A 1 à
-10, 23 à 33_: Triviguidi, Treviguidi. Fo 78 vo.--_Mss. A 11 à 14, 18,
-19_: Treseguidi, Trezeguindi. Fo 76.--_Mss. A 20 à 22_: Tornigidy. Fo
-118 vo.--_Mss. A 15 à 17_: Tigri. Fo 79.
-
-P. 99, l. 17: deus fois.--_Ms. B 6_: de cinq ou six assaulx. Fo 176.
-
-P. 99, l. 20: Hervi.--_Mss. A 8 à 29_: Henry. Fo 72.
-
-P. 100, l. 5: Craais.--_Mss. A 8, 9_: Craais. Fo 72.--_Mss. A 11 à 17_:
-Carahais. Fo 76.--_Mss. A 1 à 7, 18, 19, 23 à 33_: Carahès. Fo
-79.--_Mss. A 20 à 22_: Charlès. Fo 119.
-
-P. 100, l. 12: Bretagne.--_Mss. A 11 à 14_: car tousjours le dit
-evesque faisoit protestacion que toute la manière du traittié et de
-l'accort fait entre lui et monseigneur Henrri de Lion son nepveu
-seroient nulz ou cas qu'il venrroit aulcun hoir plus prouchain du conte
-de Montfort et qui pourroit monstrer avoir meilleur droit en la duchié
-de Bretaingne, et que à cestui ci il feroit feaulté et hommaige et se
-rendroit à lui avecques toutes ses forteresces et tout son pais. Et
-toutes ces choses fist il envix; ne jamais ne s'i feust acordé
-bonnement, se n'eust esté par l'admonnestement et sermon du dit
-monseigneur Henrri de Lion son nepveu, qui sur ce lui monstra tant de
-belles raisons que au derrenier il s'accorda au dit monseigneur le
-conte de Montfort et lui fist feaulté et hommaige, ainsi que vous avez
-ci devant oui recorder.
-
-Après ces choses ainsi acordées et faictes, le dit evesque de Carahais
-fist tantost ouvrir les portes de la bonne ville et du chastel de
-Carahais avecques qui siet sur la mer. Et puis entra dedens le conte de
-Montfort, monseigneur Henrri de Leon, monseigneur Henrri de Pennefort
-et plusieurs aultres bons chevaliers et escuiers. Et tout l'ost demoura
-entour la ville, et se logea chascun au mieulx qu'il pot. Et
-fourragièrent sur le plat pais; ne riens ne demouroit devant eulx, se
-il n'estoit trop chault ou trop pesant. Le conte et ses plus privez,
-monseigneur Henrri de Leon et les aultres seigneurs estoient en la
-ville où ilz furent moult grandement festoiez du dit evesque, car bien
-y avoit de quoi. Et l'endemain s'en partit le dit conte et tout son
-host. Fo 76.
-
-
-=§ 144.= P. 100, l. 13: Pourquoi.--_Ms. d'Amiens_: Que vous feroi je
-plus loing compte? En telle mannière concquist et acquist li comtez de
-Montfort tout ce pays que vous avés oy, et se fist partout obeir et
-appieller dus de Bretaingne, et encarga les p(l)ainnez armes de
-Bretaingne. Si y avoit il aucuns barons qui pas ne voloient obeir à
-lui, et se faindoient de son hommage, telz que le droit seigneur de
-Clichon, le seigneur de Tournemine, le seigneur de Kintin, le signeur
-de Biaumanoir, le seigneur de Laval, le seigneur de Gargoule, le
-seigneur de Loriach, le seigneur d'Ansenis, le seigneur de Rais, le
-seigneur de Rieus, le seigneur d'Avaugor et pluiseurs autres. Et se
-partirent li plus de ces seigneurs adonc de Bretaingne, et fissent bien
-garnir leurs castiaux. Et s'en allèrent li aucun en Grenate, li autre
-oultre mer ou en Prusse, et prisent excusance de partir de Bretaingne,
-tant que les coses seroient en autre estat.
-
-Quant li comtes de Montfort se vit ensi que au dessus de la ducé de
-Bretaingne, et par especial touttes les bonnes villez li avoient fait
-feaulté et hoummaige, il demanda consseil à ses plus especials amis
-coumment il poroit perseverer et tenir le pays contre tous; car bien
-penssoit que messires Carles de Blois, qui avoit sa nièche, y volroit
-contredire, et que li roys de Franche, oncles au dit monseigneur
-Carlon, l'en aideroit. Se li fu dit et conssilliet que il s'en allast
-en Engleterre deviers le roy englès, et relevast la duchié de
-Bretaingne de lui et l'en fesist hommaige, parmy tant que li rois
-englès li jurast et proummesist à tousjours mès resort et comfort de
-lui et des siens contre tous hommes qui gueriier ou empeschier li
-vorroient. Li comtes de Montfort crut ce consseil, et s'appareilla
-moult tost et s'en vint à Garlande. Et monta là en mer, et enmena
-avoecq lui jusqu'à vingt chevaliers, tous de Bretaigne; et naga tant
-par mer qu'il ariva en Cornuaille, et enquist dou roy englès où il
-estoit, et on li dist qu'il se tenoit à Windesore. Lors envoya li
-comtes de Montfort ses messaiges devant comme dus de Bretaingne, car
-ensi s'apelloit il, segnefiier au dit roy qu'il venoit.
-
-Li roys englès de le venue au dit conte fu mout resjoys, et envoiia
-tantost contre lui de ses chevaliers jusqu'à siis, dont messires
-Gautiers de Mauni fu li uns, messires Guillaume Filz Warine, li sirez
-de Biaucamp, li sires de Ferièrez, messires Francq de Halle et li sirez
-de Baudresen, de Braibant, qui adonc estoit dalléz lui. Chil chevalier
-amenèrent le comte de Montfort deviers le roy d'Engleterre ou castiel
-de Windesore, qui le rechupt liement comme duc de Bretaigne. Et ossi
-fisent tout li seigneur qui adonc estoient dallés le roy, messires
-Robiers d'Artois et li autre. Et seurent, assés tost apriès,
-l'intention du dit comte de Montfort, et sus quel estat il estoit venus
-en Engleterre. Si furent tout joiant, et li roys especialment, quant il
-congnurent qu'il volloit relever et tenir le duchet de Bretaingne en
-foy et hoummaige dou dit roy englèz.
-
-Environ quinze jours fu li comtez de Montfort en Engleterre avoecq le
-roy Edouwart, qui li fist toutte le feste, l'amour et compaignie que
-faire li pot, et ossi à ses chevaliers qui avoecq lui estoient allet en
-ce voiaige. Car li rois englès regardoit et consideroit que ceste
-aliance et la terre de Bretaingne en son accord li pooit plus valloir
-de comfort, de resort et de toutte pourveance pour gheriier le royaumme
-de Franche que nulle aultre terre; car sus trois jours ou quatre il
-pooit y estre en Bretaingne ou envoiier de par lui gens d'armes pour
-gheriier ses ennemis. Pour ce rechupt il liement le ducé de Bretaigne
-en foy et en hoummaige dou comte de Monfort. Et eut là adonc entre lui
-et le dit comte pluiseurs devises, ordonnanches et aliances escriptes,
-grossées et saiellées, dont chascuns eult les parties deviers soy. Et
-ne devoit li comtes de Montfort, qui s'apelloit dus de Bretaingne,
-relever, tenir, ne recongnoistre jamais la ducé de Bretaingne d'autre
-seigneur que dou roy englès, sans son congiet ou consseil. Ossi li dis
-roys englès le devoit garder, aydier, deffendre et maintenir contre
-tous hommes qui contredire ou gueriier le voroient. Et ensi le
-proumissent et jurèrent solempnelment enssemble.
-
-Apriès touttes ces coses faittez et acomplies, li comtes de Montfort et
-si chevalier se partirent dou roy, qui leur donna grans dons et biaux
-jeuuiaux à grant plentet, et ossi fist la roine. Si revint li comtes de
-Montfort en Bretaigne demourer le plus à Nantes, et sa femme avoecq
-lui, par quel consseil il usoit le plus, car elle estoit damme de grant
-emprise et de grant coraige, et avoit droit coer d'omme et de lion,
-enssi comme vous orés recorder avant en l'istoire. Si se faisoit li
-comtes escripre et appeller dus de Bretaingne, et elle duçoise, et
-guerioient toudis les rebellez à yaux; et estoient à che coummenchement
-si fort ou pais, que qui ne volloit y estre de leur accord, il n'y
-avoit que faire de demorer. Et estoient pluiseur grant seigneur parti
-et venut en France, ou pris autres voiaiges de Prusse, de Jherusalem ou
-de Grenate, tant qu'il ewissent veut comment ceste besoingne
-s'achieveroit; car bien savoient li pluiseur que li roys Phelippes ne
-lairoit point son nepveult, monseigneur Carlon de Blois, enssi que
-planer, ne bouter hors de son hiretaige; mès moult s'esmervilloient li
-aucun pourquoy il ne se traioit, ne estoit trais plus tost avant. Fo
-57.
-
-_Ms. de Rome_: On se puet esmervillier, selonch le intitulure et le
-introduction de ceste matère qui represente les fais de Bretagne, à
-quoi mesires Carles de Blois pensoit, qui tenoit à avoir à fenme et à
-espouse la droite hiretière de Bretagne, et qui estoit si grans de
-linage en France que neveus au roi Phelippe et au conte d'Alençon et
-frères au conte de Blois, que il ne se traioit avant, mais laisoit
-couvenir le conte de Montfort et prendre les chités et bonnes villes et
-les chastiaus de Bretagne, et point ils n'aloit au devant, ne n'i
-envoioit. Et (li contes de Montfort) prendoit partout la sasine et
-posession, et i ordonnoit et establissoit honmes favourables et
-agreables à lui, et acqueroit l'amour des cevaliers et esquiers de
-Bretagne, car bien avoit de quoi faire grans largèces, car il avoit
-saisi deviers li le grant tresor qui avoit esté à son frère et lequel
-il avoit trouvé en le chité de Limoges, ensi que chi desus est dit.
-Aussi s'en esmervelloient moult pluisseurs chevaliers et esquiers de
-Bretagne qui savoient bien que c'estoit son droit à estre dus de
-Bretagne en l'oqison de sa fenme; mais puis que il le souffroit et
-voloit, ensi que il disoient l'un à l'aultre qant il s'en devisoient,
-il ne pooient pas, de lor poissance singulère, faire fait ne partie
-pour lui. Et tant demora à venir en Bretagne et à demander son droit
-que trop, car li contes de Montfort se fortefia tant en toutes manières
-et acquist tant d'amis que trop forte cose euist esté à bouter hors de
-sa posession, car trop vault la condition dou premier posessant.
-
-Il ne puet estre que messires Carles de Blois, qui se tenoit à Paris,
-ne fust enfourmés de toutes ces accedenses, et que ils n'en parlast à
-ses oncles le roi de France et le conte d'Alençon et à son cousin
-germain le duch de Normendie qui moult l'amoit; mais il estoit servis
-et respondus de douces paroles et de belles, en disant: «Biaus cousins,
-ne vous sousiiés de riens: laissiés ce conte de Montfort aler et venir
-et espardre cel argent que il a trouvé dou duch son frère. Il couvient,
-quoi qu'il face ne ait fait jusques à chi, que il viengne deviers nous
-pour relever la ducée de Bretagne; et les barons et chevaliers et
-fievés de Bretagne ne sont pas si fol ne si ignorant que il le doient
-recevoir à signeur, sans nostre sceu. Il seroient très mal consilliet
-et le compareroient chierement; pour quoi, biaus cousins, ne vous
-sousiiés de riens. Il fault que tout retourne par deviers nous. Vous
-estes dus de Bretagne, et jà l'avés vous relevé de nous, et vous en
-tenons à duch et à hirestier, et qui vodra dire dou contraire, nous le
-verons, et le vous aiderons à deffendre et à garder contre tout honme;
-car nous i sonmes tenu, et le mousterons de fait.»
-
-Ensi estoit mesires Carles de Blois rapaisiés de paroles, et se
-confioit sur ce que on li disoit et proumetoit; et entendoit à
-augmenter son estat, et avoit mis jus l'armoierie de Chastellon et pris
-et encargié celle de Bretagne. Et estoient ouvrier trop grandement
-ensonniiet parmi Paris de faire banières, pennons, cambres, courdines
-et toutes coses qui apertiennent d'armoierie, en l'ordenance d'un
-signeur et de une dame, et jà se escripsoit: «Carles de Chastellon, dus
-de Bretagne et sires de Guise.» Et li contes de Montfort entendoit
-d'aultre part à acquerre amis de toutes pars, tant que en Bretagne et
-ens ès marces voisines, dont il pensoit le mieuls à valoir, et avoit
-encargiet plainnement le nom et les armes de Bretagne et s'escripsoit:
-«Jehans, dus de Bretagne, contes de Montfort et de Limoges.» Ensi et
-par tèle incidense se conmencièrent à entouellier li different en
-Bretagne, qui i furent si grant et si orible que les gerres et les
-malefisces qui s'en eslevèrent et engendrèrent, i furent si grant que à
-painnes i peut on onques trouver moiien ne conclusion pour les
-apaisier.
-
-Li contes de Montfort, qui se veoit en posession dou tout ou en partie
-de la ducée de Bretagne et n'i sentoit nuls rebelles ne contraires dont
-il fesist trop grant compte, car petit à petit tout venoient à
-obeisance, entendi et senti de costé, par ses amis les quels il avoit
-en France, et par especial le conte de Flandres, son serouge, que
-mesires Carles de Blois se nonmoit et escripsoit dus de Bretagne, et
-en avoit avoecques le title encargiet l'armoierie, et l'avoit relevé en
-foi et en honmage dou roi de France auquel li reliés en doit apertenir,
-et s'ordonnoit li dis mesires Carles pour venir en Bretagne et
-calengier l'iretage conme sien et de son droit, et li rois de France
-conme son signeur naturel souverain l'en devoit aidier, et que sus ce
-il euist bon avis et bon consel, (il) pensa et imagina sus, et vei et
-congneut bien que point n'en joiroit pasieuvlement; si se consilla à
-ceuls où il avoit la grigneur fiance. Consilliet et dit li fu: «Sire,
-de vostre singulère poissance, vous ne poés contrester contre la
-poissance dou roi de France, car elle est trop grande. Et si auera
-vostres adversaires Carles de Blois trop d'amis et de confort, car li
-rois de France et li contes d'Alençon sont si oncle. Mais vous ferés
-une cose: vous vos ordonnerés à l'encontre de ce et conforterés
-grandement, se vous alés en Engleterre et relevés la ducée de Bretagne
-en foi et en honmage dou roi d'Engleterre et en devenés son honme, par
-condition telle que contre tout honme, soit roi de France ou aultre, il
-le vous aidera à deffendre et à tenir. Et ce marchiet il fera trop
-volentiers, car d'Engleterre, il auera trop belle entrée de venir en
-Bretagne et de Bretagne en France, et pora laisier ses honmes en
-garnison en Bretagne et rafresqir; et tous jours, conment que la
-querelle se porte, i auerés vous des bons amis. Et se vostre cousine la
-fenme à Carle de Blois moroit, ensi que les aventures aviennent, vous
-demorriés pasieuvlement dus de Bretagne, ne nuls ne nulle ne le vous
-debateroit jamais.»
-
-Li contes de Montfort ouvri ses orelles à ce consel et s'en resjoi
-grandement, car il li sambla bons et pourfitables. Et ordonna ses
-besongnes à ce que pour aler en Engleterre, et monta en mer à Vennes,
-assés bien acompagniés de chevaliers et d'esquiers. Et enporta
-avoecques lui grant fuisson de biaus jeuiauls qui tous venoient dou
-tresor de Limoges (de) son frère le duc de Bretagne, pour donner et
-departir là où il les veroit bien à emploiier et pour acquerre amis; et
-prist terre en Engleterre à Plumude, et avoient cargiet des chevaus.
-Qant il furent trait hors des nefs, il montèrent sus li contes et ses
-gens et chevauchièrent viers Londres, et tant fissent que il parvinrent
-et demandèrent dou roi. On lor dist que il estoit à Windesore, et que
-là conmunement il s'i tenoit plus que ailleurs, et la roine ausi. Qant
-li contes de Montfort, qui se nonmoit dus de Bretagne, se fu rafresqis
-un jour à Londres, ils et ses gens montèrent et chevauchièrent viers
-Windesore, et vinrent disner à Bramforde, et puis vinrent à Windesore
-et trouvèrent le roi et la roine qui jà estoient enfourmé de lor venue.
-Si furent requelliet des chevaliers dou roi moult grandement, et puis
-mené deviers le roi. Tant que des aquintances dou roi et dou conte, je
-n'ai que faire de plenté parler, fors que de venir au fait pour quoi li
-contes de Montfort estoit là venus. Il remoustra ses besongnes bien et
-sagement, et li rois les oy et i entendi volentiers, et li respondi par
-le consel que il ot de monsigneur Robert d'Artois, qui tous jours se
-tenoit avoecques le roi, et li dist: «Biaus cousins, vous vos retrairés
-deviers Londres; et dedens quatre jours, je serai là et auerai de mon
-consel, tant que vous serés respondus de tout ce que de vostres
-requestes je vodrai faire.» Li contes de Montfort se contenta de ceste
-response. Et qant il ot là esté le jour et la nuit à Windesore, et
-soupé avoecques le roi et la roine, à l'endemain il s'en departi et
-vint à Londres; et se tint là avoecques ses gens tant que il fu mandés,
-de par le roi et son consel, ens ou palais de Wesmoutier et là dedens
-la cambre dou consel. Qant li prelat et li baron qui là estoient,
-l'orent honnouré et fait seoir jus, il fu moult sagement examinés pour
-quoi il estoit là venus, et requis que il le vosist dire, quoi que tout
-en savoient jà assés, car li rois et messires Robers d'Artois qui
-enfourmé estoient de la matère, avoient prononciet le fait. Il parla et
-dist que, conme drois hoirs et dus de Bretagne par la mort et
-succession de la mort dou duch de Bretagne darrainnement mort, il
-s'estoit trais à l'iretaige de Bretagne et mis en posession, et nuls ne
-li avoit encores debatu; mais il faisoit doubte que on ne li deuist
-debatre, car Carles de Blois avoit à fenme et à espouse une sienne
-nièce, fille dou conte de Pentèvre, qui disoit à avoir droit de par sa
-fenme à l'iretage de Bretagne, et jà l'avoit il relevé de Phelippe de
-Valois qui se disoit rois de France: «Et pour ce que le roi mon
-signeur, qui chi est, calenge la couronne de France et s'en escript et
-nonme rois, et pour ce aussi que j'en soie soustenus, portés et
-deffendus en toutes actions, je m'adrèce à lui et voel devenir son
-honme de foi et de bouce, et relever et tenir la ducée de Bretagne de
-li; et qant ce je auerois fait et il m'auera recheu à honme, je
-parlerai encores avant.»
-
-Sus ceste parole, li signeur, prelas et barons qui là estoient,
-regardèrent tout l'un l'autre, sans riens respondre. Adonc parla
-mesires Robers d'Artois et dist: «Biaus cousins, vous iscerés un petit
-hors de la cambre, et tantos serés rapellés.» Il le fist. Li contes de
-Montfort issi hors, et li signeur demorèrent avoecques le roi qui lor
-requist que, sus ces paroles dites et offertes, il le vosissent
-consillier. Li consauls ne fu pas lons, la matère estoit toute clère à
-savoir que li rois en feroit; ce n'estoit pas cose ne requeste à
-refuser. Car ensi que jà il avoient imaginé et consideré l'estat et
-l'afaire dou roi et l'ordenance de sa guerre, et conment li dus de
-Braibant, ses cousins germains, li dus de Gerlles, son serourge, et les
-Alemans l'avoient mené et pourmené jà par deus saisons, et fait
-despendre son argent si grandement que encores il s'en trouvoit
-derrière et veroit un lonch temps; et si n'avoit riens fait fors que
-travilliet son corps et ses gens, et courut une petite estrée dou
-roiaume de France, et tenu sièges devant Cambrai et Tournai; et que par
-ensi faire et croire les Alemans, qui sont convoiteus, il ne venroit à
-son entente, mais par le pais de Bretagne qui li estoit une belle
-entrée et requelloite pour cevauchier en France, i pooit il bien venir,
-et si en seroit gerre plus forte et plus belle avoecques aultres
-accedens qui legierement poroient avenir.
-
-Adonc fu li contes de Montfort appellés; il vint. Li venu en la cambre,
-il li fu dit que li rois estoit consilliés à ce que il le receveroit
-conme son honme liege as mains et à la bouce, et il li jurroit à estre
-son honme liege à tous jours mais, et à tenir la ducée de Bretagne dou
-roi presens et des rois d'Engleterre qui apriès li descenderoient. Li
-contes de Montfort mist ses mains entre les mains le roi d'Engleterre,
-et puis fu introduis de l'evesque de Londres à parler, et parla mot à
-mot tout ce que li evesques li faisoit dire, et fist honmage de foi, de
-mains et de bouce. Et furent toutes les paroles, que il dist là et
-rechita, mis (es) en l'entente des prelas et signours d'Engleterre, qui
-là estoient; et en furent lettres levées et instrumens publiques
-escrips et grossés. Et aussi li contes de Montfort, qui se nonmoit dus
-de Bretagne, qant il ot fait honmage au roi, et il fu recheus à toutes
-les solempnités qui i apertenoient à estre et à faire, et il se fu en
-ce loiiés et obligiés, il requist au roi conme à son signeur liege que,
-se li rois Phelippes qui se disoit rois de France ou aultres voloient
-entrer à poissance en Bretagne et calengier l'iretage ou nom de mesire
-Carle de Blois et sa fenme, qui s'en disoit hiretière, et que il i
-venissent si fort que de poissance singulère il ne peuist resister à
-l'encontre, que il fust aidiés et secourus en la fourme et manière que
-uns sires doit aidier son honme. Li rois li ot en couvenant; et de tout
-ce fissent les lettres et instrument mention. Et furent les lettres
-apertenans au conte de Montfort, les quelles il enporta avoecques li,
-seelées dou seel dou roi d'Engleterre et des seauls des barons
-d'Engleterre qui à toutes ces paroles, devises et ordenances furent
-presens.
-
-Tout ce fait et accompli et dou plus hasteement c'om pot, car li contes
-voloit sus brief terme retourner en Bretagne dont il se nonmoit dus, il
-prist congiet au roi et as signeurs et fist partout compter et paiier.
-Et se departi de Londres et chevauça viers Plumude où sa navie estoit
-qui l'atendoit, et le trouva toute preste et vent bon assés pour
-retourner en Bretagne. Si entrèrent li contes et ses gens en lors
-vassiaus, et singlèrent tant que il retournèrent à Vennes dont il
-estoient parti et là ancrèrent; et si se rafresqirent en la chité, car
-elle et tous li plas pais estoit pour li. Et puis au second jour
-montèrent as chevaus et vinrent à Nantes, et là trouvèrent la contesse
-qui se nonmoit duçoise, qui requelli son mari et toute la compagnie
-moult liement, et li demanda des nouvelles. Et li contes l'en dist
-assés et toute l'ordenance des trettiés conment il se portoient, et se
-looit dou roi d'Engleterre et des prelas et barons d'Engleterre, les
-quels il avoit veus. Fos 73 à 75.
-
-P. 100, l. 20: vingt chevaliers.--_Les mss. A 11 à 14 ajoutent_: et
-soixante escuiers. Fo 76 vo.
-
-P. 100, l. 21: Cepsée.--_Mss. A 18, 19_: Capsée. Fo 79.
-
-
-=§ 145.= P. 102, l. 22: Quant.--_Ms. d'Amiens_: Or avint que li
-viscomtez de Rohem, li sirez de Clichon, li sirez d'Avaugor et li sirez
-de Biaumanoir s'en vinrent en France deviers monseigneur Carlon de
-Blois, qui adonc se tenoit dallés le roy, son oncle; et bien avoit oy
-recorder et ooit encorres tous les jours comment li comtez de Montfort
-s'estoit mis et enclos en le saisinne et possession de Bretaingne; mès
-chil seigneur l'en enfourmèrent plus plainnement et li disent:
-«Monseigneur, vous avés bien mestier d'avoir grant ayeuwe à venir en
-Bretaigne, car il n'y a bonne ville en toutte la duché, qui n'obeisse à
-lui, et ossi grant fuison dez signeurs, chevaliers et escuiers, et
-tient grant plentet de gens d'armes as saus et as gaiges. Car il a eult
-deviers lui tout le grant tresor qui estoit à Limoges, que nos sires
-li ducs, dairains trespassés, et messirez ses frères, pèrez à madamme
-vostre femme, avoient là assamblet de loing tamps, dont il fait tous
-les jours et a fait ses dons et sez larguèces si grandes, que il samble
-que ors ne argens ne li couste riens; et retient touttes mannières de
-saudoiiers qui viennent deviers lui. Avoecq tout chou, il a estet en
-Engleterre et a relevet la duché de Bretaingne en foy et en hoummaige
-dou roy englèz et ont certainnez convenenchez enssamble, lesquelles
-nous ne savons mies tout clerement, car nous n'y avons mies estet, fors
-tant que on dist, et bien fait à croire pour le cause de ceste
-hoummaige, que li roys englès le doit aidier contre tous hommes qui de
-forche le voroient bouter hors de Bretaingne.»
-
-Quant messires Carles de Blois eut oy les dessus dis seigneurs enssi
-parler et recorder l'affaire et l'estat dou comte de Montfort et de la
-duché de Bretaingne, dont il se tenoit hoirs de par sa femme, si fu
-tous penssieux; et quant il eut une espasse pensset, si regarda les
-chevaliers et dist: «Biau seigneur, grant mercis de ce que vous estes
-venus devers moy et m'avés comptet de ceste besoingne, dont je desiroie
-à savoir le verité. Nous yrons deviers le roy mon seigneur; si l'en
-enfourmerons plainnement, et sour ce il en aura bon avis.» Lors les
-mena messires Charles de Blois tous quatre deviers le roy sen oncle, et
-parlèrent à lui à grant loisir. Et quant li roys seut comment la
-besoingne se portoit, si dist que il y meroit remède telle et si bonne,
-que ses biaus niés, que il tenoit hiretier de Bretaingne, s'en
-parceveroit. Adonc eut li roys advis de mander les douze pers de
-Franche, pour avoir consseil de plus grant deliberation. Si vinrent à
-Paris dedens le jour qui mis y fu. Là fu proposé et parlementé li
-affairez de Bretaigne, et aviset comment pour le mieux on s'en poroit
-chevir. Se disent li douze pers de France qu'il appertenoit bien que li
-comtez de Montfort fust mandés par souffissans mesages, afin que il
-venist à Paris, par quoy on veist et sewist comment il voroit aleghier
-contre cez oppinions. Chilz conssaux fu tenus, et message priiet et
-regardet qui yroient. Che furent li sirez de Matefelon, li sirez de
-Gousant et messires Grimoutons de Cambli. Et se partirent chil messaige
-et chevaucièrent tant par leurs petittez journées qu'il vinrent en le
-cité de Nantez. Là trouvèrent le comte de Montfort et la comtesse, sa
-femme, grant joie demenant. Si fissent li seigneur dessus dit leur
-messaige, ensi que chargiet leur estoit; et quant li contes les eut
-oys, quoiqu'il leur feist bonne chière et lie, il eut pluisseurs
-ymaginations de l'acorder che voiaige. Touttesfois finablement il
-respondi as dis messaiges que il volloit y estre obeissans au roy et
-yroit vollentiers à son mandement. Ceste responsce pleut bien as
-messaiges, et le raportèrent ainssi au roy Phelippe, que li comtez de
-Montfort seroit à Paris au jour qui mis y estoit. Dont fist li roys
-demourer daléz lui tous les douze pers, et manda encorrez pluiseurs
-grans barons et saiges de son royaumme, pour avoir milleur consseil
-quant li dis comtes de Montfort seroit venus.
-
-Li comtez de Montfort se parti de Nantez en grant arroy, et estoient
-bien de se compaignie trente chevaliers, tous noblez et gentilz hommez,
-et estoient bien de se routte et à se delivranche en ce voiaige trois
-cens chevaux sans lez sommiers, et chevaucièrent tant par leurs
-journées qu'il vinrent en le chité de Paris. Adonc se tenoit li rois au
-palais. Quant li per, li comte et li baron de Franche sceurent la venue
-au dit comte de Montfort, si se trayrent au palais deviers le roy, car
-bien savoient que li comtez de Montfort y venroit, enssi qu'il fist.
-L'endemain dou jour qu'il fu venus et descendus à sen hostel, il vint à
-heure de tierche mout noblement et bien acompaigniés de sez chevaliers
-au palais. Si fu moult durement regardés de tous lez barons, et des
-aucuns salués, et puis amenés deviers le roy. Le roy, qui estoit tous
-pourveus et adviséz de savoir coumment il le devoit recepvoir, se
-tenoit en sez cambres de parement. Et estoient adonc dalléz lui li
-comtez d'Alençon, ses frèrez, li dus de Normendie, ses filz, li dus
-Oedes de Bourgoingne et messires Phelippez de Bourgoingne, ses filz, li
-dus de Bourbon, messires Jaquemes de Bourbon, adonc comtez de Pontieu,
-li comtez Loeis de Blois, li comtez de Foriès, li comtes de Vendomme et
-li comtez de Ghinez, et pluiseurs aultrez barons telx que le seigneur
-de Couchi, le seigneur de Sulli, le seigneur de Craon, le seigneur de
-Roie, le seigneur de Saint Venant, le seigneur de Rainneval et le
-seigneur de Fiènes. Quant li comtez de Montfort fu parvenus jusqu'au
-roy, si l'enclina mout humblement et li dist: «Monseigneur, je sui chy
-venus à vostre mandement et à vostre plaisir.» Li dis rois respondi:
-«Comtez de Montfort, de ce vous sai jou bon gret, mès je me esmerveille
-durement pourquoi ne comment vous avés oset emprendre de vostre
-vollenté la duché de Bretaingne, où vous n'avés nul droit; car il y a
-plus prochain de vous, cui vous voulléz deshireter. Et pour vous mieux
-efforchier, vous estez alléz à mon adversaire le roy d'Engleterre, et
-advés la duché de Bretaingne de lui relevet et à lui fet feauté et
-hoummaige, ensi que on le m'a comptet.» Li comtez respondi et dist:
-«Ha! sire, ne le creés pas, car vraiement vous estes de chou mal
-enfourmés. Je le feroie moult à envis. Mès de le proimetet dont vous me
-parlastez, m'est advis, sire, sauve vostre grace, que vous en
-mesprendés, car je ne say nul si prochain del duc de Bretaigne, qui
-dairainement morut, que moy, qui sui ses frèrez. Et se jugiet et
-declaret estoit par droit que aultre en fuist plus proisme de moy, je
-ne seroie point hontous ne rebellez del deporter.»
-
-Quant li roys entendi le comte ensi parler, si respondi et dist:
-«Comtez, comtez de Montfort, vous (en dittez[405]) ores asséz. Mès je
-vous coummande, sur tout quanque vous tenés de moy et que tenir en
-devés, que vous ne vous partéz de le chité de Paris jusques à quinze
-jours, que li baron et li per jugeront et ordonneront de celle
-proismetet, et si sarés adonc quel droit vous y aréz ou avés. Et se
-vous le faittez autrement, sachiéz que vous me couroucherés.» Li comtes
-respondi et dist: «Monseigneur, à vostre vollenté.» Adonc se departi li
-dis comtes dou roy, et s'en revint à son hostel pour disner. Quant il
-fu à son hostel venus, il entra en sa canbre et le fist clore et
-refremmer apriès lui, et coummanda à ses cambriés que, se nuls le
-demandoit, que on desist qu'il fuist dehetiés. Lors se coummença à
-aviser et pensser que, se il atendoit le jugement dez barons et dez
-pers de Franche, que li jugement poroit bien tourner contre lui; car
-bien li sambloit que li roys feroit plus vollentiers partie pour
-monseigneur Carlon de Blois sen nepveut que pour lui; et veoit bien que
-se il avoit jugement contre lui, que li roys le feroit arester jusques
-à tant qu'il aroit tout rendut, cités, villez et castiaus, dont à
-present il tenoit le saisinne et le possession, que il avoit concquis,
-et avoecq ce, tout le grant tresor qu'il avoit trouvet à Limogez et
-ossi ailleurs, et tout aleuet et despendut. Se li fu advis que le
-mieudre pour lui et le mains mauvais estoit qu'il se partesist sans
-congiet, que il atendesist l'aventure et s'en ralast secretement et
-paisivlement en Bretaingne, et se renforchast encorrez contre tous
-venans, qui contraire li volroient porter.
-
- [405] On lit dans le ms. d'Amiens: «entendittez.»
-
-Si tint li dis comtez ceste ymagination, et fist apeler deux de ses
-chevaliers où le plus se confioit, et leur descouvri sen entente, et
-chil furent bien de son acord. Quant ce vint sus le soir, lui troisime,
-tous desconneus, il parti de son hostel et wuida Paris, qui adonc
-n'estoit point fremmée. Et chevaucha tant de jour et de nuit qu'il fu
-en Bretaingne revenus, ainschois que li roys en sewist riens; mès
-penssoit chacuns qu'il fuist dehetiéz à son hostel. Et tous lez jours
-le sieuwoient ses gens petit à petit. Quant il fu revenus daléz le
-comtesse sa femme, qui estoit à Nantez, il li compta toute sen
-aventure, puis alla, par le consseil de la comtesse qui bien avoit coer
-d'omme et de lion, par touttez les cités, les castiaux et les fortrèces
-qui estoient à lui rendues, et establi partout bonnes cappittainnez et
-si grant plentet de saudoiiers à piet et à cheval qu'il y couvenoit,
-grans pourveances de vivres à l'avenant, et paiia si bien tous
-saudoiiers, que chacuns le servoit vollentiers. Quant il ot tout
-ordonné ensi qu'il appertenoit, il s'en revint à Nantez dallés la
-comtesse sa femme, et dalléz lez bourgois de le chité, qui durement
-l'amoient par samblant pour les grans courtoisies qu'il leur faisoit.
-Or me teray ung petit de lui, et me retrairay au roy de Franche et à
-monseigneur Carlon de Blois et as barons et douze pers dou royaumme
-dessus dit. Fos 57 vo et 58.
-
-_Ms. de Rome_: A painnes est riens fait qui ne soit sceu: nouvelles
-vinrent à Paris deviers messire Carle de Blois et les signeurs que li
-conte de Montfort avoit priès conquis, tant par force que par tretiés,
-toute la ducée de Bretagne, et avoit esté en Engleterre et relevé la
-ducée de Bretagne dou roi d'Engleterre, et en estoit devenus son honme.
-Tantos ces nouvelles vinrent au roi. Qant li rois les oï, se ne li
-furent pas plaisans, et manda les douse pers de France, ceuls que pour
-lors il pot avoir. Qant il les vei en sa presence, si lor demanda quel
-cose estoit bonne à faire de tel cose. On li dist et consilla que chils
-contes de Montfort fust mandés, et que trop on avoit atendu. Si furent
-ordonné pour le aler querre li sires de Montmorensi et li sires de
-Saint Venant. Chil doi baron se departirent de Paris à plus de
-soissante chevaus, et chevaucièrent tant que il vinrent à Nantes, et
-trouvèrent le conte de Montfort et la contesse qui faisoient une grande
-feste des chevaliers et esquiers, des dames et damoiselles dou pais de
-Bretagne. Il requella grandement et liement ces signeurs, car il se
-tenoit de lor linage. Chil doi baron, qui sage et pourveu estoient, se
-couvrirent moult bien deviers li de dire. Pluisseurs paroles disoit on
-de li en France et à Paris, mais s'en dissimulèrent, et li priièrent
-que il vosist descendre celle première fois à la plaisance dou roi, et
-venir à Paris. Il dist que il s'en conselleroit. Il s'en consella à
-auquns de son consel et à la contesse, sa fenme, laquelle li
-desconsilloit que point n'i vosist aler, et que il n'i avoit que faire;
-et li aultre li consilloient et disoient que si avoit, et que nullement
-il ne se pooit esquser, ne passer que il n'alast en Franche, et que il
-ne relevast la ducée de Bretagne dou roi. Lors respondi il à ces
-paroles et dist: «Je l'ai relevé dou roi d'Engleterre: il doit
-souffire. Je ne doi ne puis faire que un seul honmage.» Lors li fu dit:
-«Et se vous trouvés le roi de France si amiable que il reçoive vostre
-honmage, vous venrés legierement jus deviers le roi d'Engleterre. Il a
-assés à faire à entendre aillours. Il ne vous boutera pas hors de
-Bretagne, et espoir es(t) çou pour aultre cose que li rois vous mande.»
-Finablement li contes de Montfort fu à ce consilliés et enortés que il
-ordonna ses besongnes, et se departi de Nantes en la compagnie des deus
-barons desus nonmés, et ossi des chevaliers de Bretagne; et fist tant
-que il vint à Paris et se loga, et toutes ses gens ossi. Qant on sceut
-que il fu venus et mis à hostel, on fu tous resjois de sa venue. Li
-contes de Flandres, son serourge, le vint veoir, et li fist bonne
-chière, et li contes de Montfort li, liquels se tint le jour que il
-vint et la nuit ensievant tous quois à son hostel. Et à l'endemain, à
-heure de tierce, il se departi de son hostel à plus de cent chevaus en
-sa compagnie, et chevaucièrent viers le palais et descendirent là, car
-li rois de France i estoit, et à painnes tout li noble prelas et barons
-du roiaulme de France. Li contes de Montfort monta les degrés dou
-palais et ala tant devant li que il trouva le roi et les signeurs en
-une grande cambre, toute parée et couverte de tapiserie moult belle et
-moult rice, et là estoit atendus li contes de Montfort.
-
-Qant il entra en la cambre, il fu moult fort regardés de ceuls qui
-onques ne l'avoient veu, et par especial li rois de France jetta trop
-fort ses ieuls sur li. Li contes de Montfort se mist en genouls devant
-le roi et dist moult humlement: «Monsigneur, vous m'avés mandé, et je
-suis venus à vostre mandement.» Li rois respondi et dist: «Contes de
-Montfort, de che vous sai je bon gré, mais je m'esmervelle grandement
-pourquoi ne conment vous avés osé entreprendre de vostre volenté la
-ducée de Bretagne, où vous n'avés nul droit, car il i a plus proisme de
-vous que vous volés deshireter; et pour vous mieuls efforchier, vous
-estes alés à nostre adversaire le roi d'Engleterre et l'avés de lui
-relevet, et fait feaulté et honmage, ensi que on nous a dit.» Li contes
-respondi à che et dist: «Ha! monsigneur, ne le creés pas, car vraiement
-vous estes de ce mal enfourmés, je le feroie moult à envis; mais de la
-proismeté dont vous me parlés, m'est avis, monsigneur, salve soit
-vostre grace, que vous mesprendés, car je ne sçai nul si prochain dou
-duch de Bretagne, mon frère darrainnement mort, que moi; et se jugiet
-et declaret estoit par droit que aultres i fust plus proismes de moi,
-je ne seroie pas honteus ne virgongneus de moi en deporter.» A ceste
-parole respondi li rois et dist: «Contes, vous en dittes assés, mais je
-vous conmande sur qanq que vous tenés de nous, ne que tenir en poés ne
-devés, que vous ne vos departés de la chité de Paris jusques à quinse
-jours, que li baron et li per jugeront de celle proismeté. Si sauerés
-adonc quel droit vous i avés; et se vous le faites aultrement, vous
-nous couroucerés.» Li contes respondi et dist: «Monsigneur, à vostre
-volenté.» Donc se leva il et prist congiet au roi et as prelas et hauls
-barons qui là estoient, et les enclina tous autour, et euls li. Et issi
-hors de la cambre, et conmença moult fort à busiier et merancoliier, et
-à imaginer son afaire et son estat. A painnes pot il disner, tant fu
-pensieus, et ne volt que nuls entrast en sa cambre, fors si varlet.
-
-A ce que li contes de Montfort pensoit, je le vous dirai: il se
-repentoit trop fort de ce que il estoit venus à Paris et mis ens ès
-dangiers dou roi et de ses contraires, et disoit ensi en soi meismes:
-«Se je atens le jugement des douse pers, il n'est riens si certain, on
-me retenra, et serai mis en prison. Et tout au mieuls venir, se je voel
-avoir ma delivrance, il faudra que je remette arrière tout ce dont je
-sui en saisine, et que je rende compte dou tresor le duch mon frère que
-je pris et levai à Limoges, douquel je me sui aidiés. Avoecques tout
-ce, on trouvera en verité que j'ai esté en Engleterre, et que je ai
-relevé la ducée de Bretagne dou roi d'Engleterre, dont je me sui trop
-forfais, et ne sai que li douse per de France de la correction en
-vodront dire. Briefment, tout consideré, je ne puis veoir que li
-demorer chi et atendre la quinsainne me soit pourfitable.» Tout
-consideré et bien examiné ses besongnes, il dist que il se departiroit
-de Paris et retourneroit en Bretagne; et se on le voloit là venir
-querre, on le venist, car on le trouveroit pourveu, et le pais tout
-clos à l'encontre des venans; et se manderoit le roi d'Engleterre, qui
-li avoit juré toute loiauté, et li aidier fust contre le roi de France
-ou autrui.
-
-Ce pourpos et ceste imagination conclut li contes de Montfort en soi
-meismes, et se ordonna à partir. Je vous dirai conment: il prist l'abit
-à l'un de ses menestrels, et dou soir il monta à ceval, et le varlet
-dou menestrel avoecques lui, et isi de Paris. Et quidoient ses gens
-voires, fors chil qui le devoient sçavoir, que il fust encores en ses
-cambres, car si cambrelent disoient que il estoit malades et gissans au
-lit, qant il estoit en Bretagne. Et vint à Nantes de nuit et ala
-deviers sa fenme la contesse qui point de premiers ne le recongnissoit
-en cel estat; et qant elle l'ot ravisé, si pensa tantos que la besongne
-aloit mal. Li contes li compta tout l'estat et l'ordenance de son
-voiage, et pourquoi il estoit ensi revenus. «Monsigneur, dist la
-contesse, je n'en pensoie point mains, vous n'i aviés que faire. Selonc
-ce que vous avés conmenchié et entrepris, vous auerés la gerre: il
-n'est riens si vray. Si vous pourvées et ordonnés selonc che, et tenés
-en amour les bonnes villes de Bretagne et les signeurs qui sont de
-vostre partie.» Li contes respondi et dist que aussi feroit il. Fos 74
-vo et 75.
-
-P. 102, l. 22: qui tenoit.--_Mss. A 1 à 6, 18 à 33_: qui se tenoit à
-cause de sa femme estre droit hoir de Bretaigne. Fo 79 vo.
-
-P. 102, l. 28: feroit.--_Ms. B 6_: Or advint autres nouvelles au roy et
-à monseigneur Charle de Blois qui plus luy donnèrent à penser, car il
-leur fut dit que le conte de Monfort avoit esté en Engleterre devers le
-roy et relever la ducé de Bretaigne et les appertenances du roy
-d'Engleterre: que faire ne povoit ne devoit, dont trop grandement
-s'estoit meffais. Fo 178.
-
-P. 103, l. 12: de Nantes.--_Ms. B 6_: mais sachiés que che fut tout
-outre le consail de madamme sa femme. Fo 179.
-
-P. 103, l. 15: as hostelz.--_Mss. A 1 à 6, 18 à 22_: en son hostel. Fo
-79 vo.
-
-P. 103, l. 20: li douze per.--_Ms. B 6_: le duc de Bourgogne, le duc de
-Normendie et grant plenté de seigneurs. Fo 179.
-
-P. 104, l. 24: à son hostel.--_Ms. B 6_: durement pensis. Fo 180.
-
-P. 104, l. 25 et 26: à aviser.--_Ms. B 6_: à buchier. Fo 180.
-
-P. 105, l. 8 et 9: Si monta.--_Ms. B 6_: Sy fist le malade toute celle
-journée; et quant che vint à la nuit, il monta à cheval et se party de
-Paris lui troisième, que point les portes n'estoient adonc frumées. Fo
-181.
-
-
-=§ 146.= P. 106, l. 2: alés.--_Ms. de Rome_: Et en fu li contes de
-Flandres soupeçonnés que il ne li euist consilliet à faire, pour tant
-que il avoit sa serour à fenme; mais li contes se osta de la soupeçon
-et s'en escusa grandement et tant que on le tint bien pour escusé. Fo
-75 vo.
-
-P. 106, l. 7: deus.--_Mss. A 1 à 7, 18 à 22_: trois. Fo 80 vo.
-
-P. 106, l. 22: barons.--_Ms. d'Amiens_: et douze pers. Fo 58.
-
-P. 107, l. 10: d'Alençon.--_Ms. d'Amiens_: monseigneur Carle comte
-d'Alenchon son oncle, le ducq de Bourgoingne son cousin, le comte de
-Blois son frère, le duc de Bourbon, monseigneur Jakemon de Bourbon
-comte de Pontieu, monseigneur le connestable de Franche, le comte de
-Ghines son fil, le comte de Foriès, le seigneur de Couchy, le seigneur
-de Craan, le seigneur de Biaugeu, le seigneur de Suilli, et en apriès
-tous les barons et chevaliers à qui il avoit amour et linage qui là
-estoient. Et chacuns li acorda liement que il yroit avoecques lui en
-Bretaingne pour aidier à reconcquerre, à tant de gent et de compaignons
-qu'il poroient avoir. Si fissent leurs mandemens chacuns endroit de
-lui, li uns en Biausse, li autre en Berri, puis en Ango et ou Mainne.
-Et tous se devoient rassambler en le cité d'Angiers et là environ. Fo
-58 vo.
-
-_Ms. de Rome_: Mesires Carles de Blois et li contes de Blois son frère,
-liquel estoient en genouls devant le roi, le remerciièrent humlement de
-toutes ces paroles. Lors se levèrent ils en piés et alèrent autour
-priier lors amis, premierement lor oncle le conte d'Alençon, et puis
-lor cousin germain le duch de Normendie, le duch Oede de Bourgongne et
-mesire Phelippe de Bourgongne son fil, le duch Pière de Bourbon et
-messire Jaqueme de Bourbon conte de Pontieu son frère, le conte d'Eu et
-de Ghines connestable de France, le conte de Vendome, le conte de
-Danmartin, le signeur de Chastellon et grant fuisson de barons de lor
-linage. Et tout de bonne volenté se offrirent à faire service et
-plaisance à mesire Carle de Blois, et aler à lors coustages avoecques
-li en Bretagne. Si se ordonnèrent et apparillièrent dou plus briefment
-que il peurent; et fissent lor mandement à estre à Chartres, et
-atendre l'un l'autre en la chité del Mans ou d'Angiers. Fos 75 vo et
-76.
-
-P. 107, l. 14: le visconte de Roem.--_Mss. A 11 à 14_: le viconte de
-Rohan breton. Fo 78.
-
-
-=§ 147.= P. 107, l. 26: Quant tout.--_Ms. d'Amiens_: Quant tout chil
-seigneur qui priiet estoient, eurent ordonnet leur besoingnes et
-chacuns fait son mandement au plus especialment qu'il peult, il se
-partirent, de Paris li aucun, et li aucuns de leurs lieux. Si s'en
-allèrent li uns apriès les autres et se assamblèrent en le cité
-d'Angiers, puis ordonnèrent leur charoy et leurs pourveanches. Et se
-misent au chemin et passèrent Ango, et vinrent logier ung soir à une
-très belle fortrèce que on appelle Chantosé, qui se tient dou seigneur
-de Craan. Et mist li dus de Normendie gens pour aidier à conduire leurs
-pourveanchez et chiaux ossi qui lez sieuwoient. Puis cheminèrent
-deviers Ansenis, qui est li fins dou royaumme et li entrée de
-Bretaingne à che lés là. Li sirez est ungs grans banerès bretons, et se
-tenoit de le partie monseigneur Charlon de Blois, et li fist là
-hoummaige et feaulté comme au duc de Bretaingne, presens tous lez
-signeurs, et li mist se fortrèche en son coummandement. Si sejournèrent
-li seigneur là endroit trois jours, pour mieux ordonner leur conroy et
-leur charoy. Quant il eurent ce fait, il yssirent hors pour entrer ou
-pays de Bretaingne.
-
-Quant il furent as camps, il considerèrent leur pooir et estimèrent
-leur host à cinq mille armurez de fier, sans les Geneuois qui estoient
-bien troi mille, si comme jou ay oy recorder. Et lez conduisoient doi
-chevalier de Genneues; si avoient nom, li uns messires Othes Doriie, et
-li autres messires Carles Grimaus. Et si i avoit grant plantet de
-bidaus et d'arbalestriers que conduisoit messires Galois de le Baume.
-Quant touttes ces gens se furent aroutet, moult y avoit bel host; et
-chevauçoient en troix bataillez: de quoy messires Loeys d'Espaingne,
-ungs très bons chevaliers, et li viscontez de Rohem, li sires
-d'Avaugor, li sirez de Clichon et li sirez de Biaumanoir, banièrez
-desploiies, menoient les premiers; et estoient bien cinq cens lanches.
-Puis chevauchoient en le grosse routte li dus de Normendie, li comtez
-d'Allenchon, ses onclez, li comtez de Blois, messires Charles de Blois,
-qui s'appelloit et escripsoit dus de Bretaingne et en avoit fait
-feaulté et hoummage au roy de Franche, et en portoit lez plainnes
-armez sans differensce. En celle routte estoient tout li plus grant
-seigneur de l'ost. En le tierche bataile estoit li connestablez de
-Franche, li comtes Raous d'Eu et li comtez de Ghines, ses fils, li
-sires de Couci, li sires de Montmorensi, li sires de Quitin, breton, et
-li sirez de Tournemine; et faisoient l'arrieregarde bien à cinq cens
-lanchez, sans les Geneuois et les arbalestriers, dont li Gallois de le
-Baume estoit conduisièrez.
-
-Environ heure de primme, li premier cevauceour vinrent devant ung très
-fort castiel, seans à l'entrée de Bretaingne sus une montaigne et ou
-piet desous une grosse rivière. Si appelle on le dit castiel
-Chastonseal, et est li clef et li entrée de Bretaingne. Si l'avoit
-garny et pourveu très bien li contes de Montfort de bonnes gens
-d'armes, de pourveanches et de artillerie. Et en estoient cappittainne
-de par le dit comte doi bon chevalier de Bretaingne, dont li ungs avoit
-à nom messires Milles, et li autrez messires Waleranz. Fo 58 vo.
-
-_Ms. de Rome_: Qant tout chil signeur, liquel s'en devoient aler
-avocques monsigneur Carle de Blois ens ou pais de Bretagne pour li
-aidier à recouvrer son hiretage, furent prest et lors gens venus, il se
-departirent de Paris li auqun, et li aultres de lors lieus. Et en
-alèrent les uns apriès les aultres, et si se asamblèrent la grignour
-partie en la chité du Mans et là environ; puis s'avalèrent jusques en
-Anghiers, et là trouvèrent le duch de Normendie qui chiés se faisoit de
-ceste cevauchie. Et vinrent toutes ces gens d'armes en Ancheni sus la
-frontière et entrée de Bretagne, et là sejournèrent trois jours, en
-attendant encores l'un l'autre, et pour ordonner lor charoi et lors
-conrois. Qant il orent ensi fait, il se missent par ordenanche au cemin
-et chevaucièrent pour entrer en Bretagne, et considerèrent lor pooir et
-estimèrent lor hoost à cinq mille armeures de fier, sans les Geneuois
-qui estoient environ troi mille. Et les conduisoient doi chevalier de
-Genneues; si avoit nom li uns mesire Othe Doriie, et li aultres mesires
-Carles Grimauls. Et se i avoit grant fuisson de bidaus et
-d'arbalestriers que li Galois de la Baume conduisoit, uns chevaliers
-savoiiens.
-
-Qant toutes ces gens d'armes et aultres arbalestriers et bidaus as
-lances et à pavais se trouvèrent sus les camps, ils se departirent
-d'Ancheni, et prissent le cemin par deviers un très fort chastiel,
-seant sus une montagne, et desous court une rivière. Et le chastiel on
-l'apelle Chastonseal, et est la clef et li entrée de Bretagne à ce lés
-là, et estoit pourveus et garnis de bonnes gens d'armes. Et en
-estoient chapitainne et gardiien doi chevalier de Lorrainne, dont li
-uns avoit nom mesires Milles et li aultres messires Wallerans. Qant li
-dus de Normendie, qui estoit chiés de ceste cevauchie, et li aultre
-signeur de France veirent le chastiel si fort, il orent consel que il
-le assegeroient, car se il passoient oultre et il le laisoient
-derrière, il le poroit porter damage à euls ou à lors gens et as lors
-pourveances. Si le assegièrent dou plus priès que il porent, et i
-fissent pluisseurs assaus. Meismement li Geneuois, qui sont bons
-arbalestriers, s'i abandonoient à le fois assés follement et tant que i
-perdirent de lors compagnons à lors assaus, car chil dou chastiel se
-deffendoient vaillanment. Adonc imaginèrent chil signeur de France que
-il couvenoit emplir les fossés pour aprochier de plus priès. Si furent
-envoiiet querre et amené tout li honme paisant dou plat pais, et lor
-fist on coper baus et mairiens, à porter, à trainer et à chariier et
-jeter en ces fossés. Et tant fissent, par la grant diligense que il i
-rendirent, que il furent raempli là en cel endroit où il avoient mieuls
-l'avantage de l'asallir. Et entrues que on entendi à raemplir ces
-fossés, li signeur de France fissent faire et carpenter un chastiel de
-bois sus douse roes et tout couvert et garité, ouquel pooient bien deus
-cens hommes d'armes et cent arbalestriers. Si fu à force d'onmes chils
-chastiaus, pourveus de gens d'armes et d'arbalestriers, amenés assés
-priès dou mur; et avoit ou dit chastiel trois estages: ou premier hault
-estoient les gens d'armes, ou second les arbalestriers, et ou tierc
-estage tout bas, piqetour pour piqueter au mur et tout destruire et
-abatre.
-
-Le jour que li enghiens et li chastiaus fu boutés avant, ot à
-Chasto(n)seal trop orible asaut, et moult de honmes mors et bleciés de
-ceuls dedens et de ceuls de dehors. Et aleuèrent chil dedens toute lor
-artelerie au traire; et par trois fois furent rafresqi chil qui ou
-chastiel estoient. Qant messires Milles et messires Walerans veirent
-que si continuelment on les assalloit, et que moult de lors honmes
-estoient blechiet, et se ne lor apparoit confors de nul costé, il se
-doubtèrent que de force il ne fuissent pris; si entrèrent en trettiés
-deviers le duch de Normendie à qui on parloit de toutes coses. Trettiés
-se porta que il rendirent le chastiel, salve lors vies et lors biens.
-Ensi orent li François le chastiel de Chastonseals; si le remparèrent
-et rafresquirent de toutes coses. Et fu rendus li dis chastiaus dou
-duch de Normendie à mesire Carle de Blois conme hiretiers et dus de
-Bretagne. Et puis passèrent oultre et ceminèrent viers Nantes, où li
-contes de Montfort se tenoit, qui bien estoit enfourmés de la venue de
-ces signeurs de France. Si se pourveoit selonch ce, et avoit envoiiet
-sa fenme et un sien jone fil à Vennes, et moustroit bonne ordenance de
-li deffendre et garder. Fo 76.
-
-P. 108, l. 3: Angiers.--_Ms. B 6_: Et depuis ne demoura gaires de temps
-que mesire Charles se party de Paris et prist le chemin d'Angiers. Et
-vint là après le conte d'Allenchon, le duc de Normendie, le duc de
-Bourgogne, le duc de Bourbon, le conte de Tancarville, le connestable
-de France, le sire de Coucy, le sire de Carhain, le sire de Suilly et
-grant foison de barons de France. Et estoient bien, quant tous furent
-venus et asamblé, six mille hommes d'armes et vingt mille d'autres gens
-parmy les Geneuois qui estoient desoubz messire Charle Grimaulx et
-messire Oste Deoire. Et fut marescaulx de tout l'ost ung très bon et
-hardy chevalier qui s'appelloit messire Loys d'Espaigne. Fo 183.
-
-P. 108, l. 6: trois.--_Mss. A 11 à 14_: quatre. Fo 78.
-
-P. 108, l. 10: cinq mille.--_Mss. A 15 à 17_: six mille. Fo 81 vo.
-
-P. 108, l. 11: trois mille.--_Mss. A 1 à 6_: quatre mille. Fo 81.
-
-P. 108, l. 20: Chastouseal.--_Mss. B 3_: Castouseul. Fo 71 vo.--_Mss. A
-1 à 10, 20 à 33_: Chastonseaulx, Chastonseal, Chastonseaul,
-Chastonseau. Fo 81.--_Mss. A 11 à 17_: Chantouceaulx, Chantoceaux. Fo
-78 vo.--_Mss. A 18, 19_: Chastouseaulx. Fo 81.
-
-
-=§ 148.= P. 110, l. 1: Quant li dus.--_Ms. d'Amiens_: Quant li dus de
-Normendie, messires Carlez de Blois et li autre seigneur eurent conquis
-le castiel de Castonseaux, si comme vous avés oy, li dus de Normendie,
-qui estoit li souverains droit là de tous, le livra tantost à
-monseigneur Carlon de Blois, son cousin, comme sien et son hiretaige.
-Et y mist li dis messire Carles dedens bon castellain, en qui mout
-s'afioit, ung chevalier que on appelloit monseigneur Rasse de
-Quinnecamp, et avoecq lui grant fuison de bons compaignons; et là
-rafresci de tous poins, de touttez necessités pour mieux garder
-l'entrée dou pays, et pour conduire chiaux qui venroient apriès yaux.
-Puis se deslogièrent li seigneur et se traissent par deviers Nantes, là
-où il tenoient que li comtes de Montfort, lors ennemis, estoit. Si leur
-avint que li marescaus de l'ost et leur coureur trouvèrent enmy voie
-une bonne ville et grosse, bien fremée de fossés et de palis; et
-appell' on ceste ville Quarquafoure, et siet à quatre lieuwes priès de
-Nantes. Li marescaux et se routte l'asalirent fierement et durement de
-tous costés; et chil de le ville se deffendirent, mès il n'y avoit que
-villains. Si furent assés tost desconfi, la ville prise et robée, et
-moult de gens dedens mors et ochis, dont che fu pités; et boutèrent le
-feu ens, et en fu bien la moitiet arse. Et se logièrent li signeur
-ceste nuit là environ, et l'endemain il se deslogièrent et aprochièrent
-Nantez; et envoiièrent leurs coureurs devant pour aqueillir le proie,
-mès point n'en trouvèrent. Dont vinrent li seigneur li uns apriès
-l'autre, par ordonnanches et par connestabliez, devant le chité de
-Nantes; et le assiegièrent tout autour, et y tendirent tentez, très et
-pavillons et touttes autres mannières de logeis qui en telz oeuvres
-appertiennent.
-
-Or sont logiet à ost, par devant la bonne chité de Nantez, li seigneur
-de Franche. Et dedens se tient li comtez de Montfort, messires Hervieus
-de Lion, messires Henris de Pennefort, messires Oliviers de Pennefort
-et pluiseur chevalier et escuier de Bretaingne qui ont fait feauté ou
-dit comte; et la contesse sa femme est à Rennes. Quant li comtes de
-Montfort se vit assegiés, il n'en fist mies trop grant compte, car il
-se sentoit en bonne chité, forte, bien fremmée et bien pourveuwe de
-touttez pourveanches et d'artillerie, et bien amés des bourgois de le
-ville. Si ordounna et pria à tous que chacuns se volsist bellement
-deduire et acquitter enviers lui, garder le chité et leur honneur,
-aller à leur deffenscez as garrittez, enssi que ordonnet estoient, et
-point yssir sur chiaux de l'host, car il pooient bien perdre et point
-gaegnier. Et disoit ensi li comtes, pour chiaux de Nantes reconforter,
-que cilx sièges ne se pooit longement tenir, car il estoit coummenchiéz
-trop sus l'ivier.
-
-Or avint que chils de le ville ne tinrent mies trop bien ses
-coummandemens, si comme vous oréz; car il prist vollenté à aucuns
-bourgois de Nantez, jones compaignons et armerèz, que de yssir et faire
-aucune envaie sur chiaux de l'ost. Et en parlèrent enssamble et se
-queillièrent, et furent bien quatre cens d'eslite, et priièrent à
-monseigneur Hervi de Lion que il volsist y estre leur cappittainne et
-yaux mener; et se Dieux plaisoit, il feroient emprise où il aroient
-toutte honneur et prouffit. Messires Hervis, comme bons chevaliers et
-qui amoit et queroit lez armes, s'i accorda assés legierement. Et
-prissent ariest à issir une ajournée, enssi qu'il fissent, et s'en
-vinrent par voies couvertes, car bien connissoient le pays autour de
-l'ost. Dont d'aventure il trouvèrent environ trente sommiers, mulés et
-ronchins, cargiés de pourveances, qui s'en venoient en l'ost. Si se
-ferirent en chiaux qui les menoient, et en tuèrent et navrèrent les
-aucuns, et li demorans s'enfui. Si misent ces sommiers à voie pour
-amener à sauveté dedens le ville, et leur sambla que trop bien avoient
-esploitiet. Li noise et li cris s'esleva en l'ost, et criièrent: «As
-armes!» Les trompettez sonnèrent, touttes mannières de gens s'armèrent
-et montèrent as cevaux.
-
-Ceste meysme nuit, avoit fet le gait messires Loeys d'Espaingne à plus
-de cinq cens compaignons, et n'estoit point encorres retrait ne partis
-de se garde. Quant il entendi le huée, il s'en vint celle part à quoite
-d'esperons, bannière desploiiée; et tout li sien le suirent, et
-raconssuirent chiaux de Nantez assés priès de le ville. Là y eut bon
-puigneis. Quant messires Hervis de Lions et chilz de Nantes veirent
-qu'il estoient si poursui, il se misent entre les sommiers et leurs
-ennemis, et les fissent de forche cachier ens ès portes pour sauver, et
-aucuns cars ossi, qu'il en menoient cargiés de vins et de farinez,
-desteller; et les cevaux cachier en le ville, et tout adiès se
-combatoient. Là ot ung dur rencontre et très forte meslée, car chil de
-l'ost mouteplioient toudis, qui estoient fresch et nouviel. Là couvint
-monseigneur Hervi de Lion faire maintez appertises d'armez, car
-vollentiers il ewist sauvés tous les siens, s'il pewist; mès si grant
-force leur sourvint que à grant meschief rentra il en le ville et se
-sauva; et pour le doubte que cil de l'ost ne efforçaissent le porte et
-entraissent en le cité, il fist le restiel avaller. Si en y eut bien le
-moitiet et plus de leurs gens enclos par dehors, qui y souffrirent
-grant meschief, car il furent tout pris ou tout mort, et menés as
-logeis comme prisonniers devers le duch de Normendie et monsigneur
-Carlon de Blois, qui en eurent grant joie. Et chil dedens se retrairent
-au mieux qu'il peurent, qui trop plus avoient perdut que gaegniet, et
-regretoient leurs frèrez et leurs amis mors et pris.
-
-Li comtez de Montfort, qui estoit ens ou castiel de Nantes, s'arma et
-fist armer sez gens seloncq ce que on li avoit recordé que dehors le
-porte il y avoit grant hustin. Si y venoit en ceste entente que pour
-yaulx aidier, s'il pewist; mès quant il parvint là, la besoingne
-estoit jà toutte passée. Et encontra monseigneur Hervi de Lion, si ques
-tous courouciés et voiant le peuple, il l'aqueilli au tenchier et li
-dist: «Messire Hervy, messire Hervy, vous estes trop bons chevaliers de
-le moitiet. Je me fuisse bien maintenant passés à mains de vo proèce;
-et encorrez sus vo folle emprisse, se vous ne vous fuissiés si tost
-retrès, chil qui sont demouret là hors, ewissent estet bien venus à
-sauveté.» De ces parolles fu messires Hervis tous honteux et
-virgongneus, et passa oultre et parla mout peu, et ce qu'il respondi,
-il dist: «Sire, plus sages et plus preux chevalierz que je ne soie, a
-bien mespris en plus grant affaire. Dieux nous gard de plus grant
-dammaige!» Ensi se retrai chacun en son hostel, car li comtez vit bien
-que li issir ne li pooit porter nul prouffit, mès damage. Depuis ceste
-avenue, priès que tous les jours, chil de l'ost, Geneuois et
-saudoiiers, venoient escarmuchier as portez et as barrièrez, et
-faisoient sur chiaux de d'ens mainte appertise d'armes. Et lanchoient
-et traioient li ung à l'autre; et en y avoit souvent des navrés de
-chiaux de d'ens et de chiaux de hors. Fo 59.
-
-_Ms. de Rome_: Sus le cemin de Nantes trouvèrent li François une bonne
-ville et grose fremée de fossés et de palis tant seullement, et est
-nonmée Quarquefoure. Li marescal de l'oost et chil de l'avant garde,
-qant il furent venu devant, l'asallirent fortement. Ichil de dedens
-estoient gens de petite deffense et foiblement armés; si ne porent
-durer contre ces arbalestriers geneuois et ces gens d'armes. Si fu la
-ville conquise et toute robée, et plus de la moitié arse, et toutes
-gens que on pot ataindre, mis à l'espée, dont ce fu pités.
-
-Li signeur logièrent celle nuit là environ; et à l'endemain il
-s'ordonnèrent pour venir devant la chité de Nantes, car il n'i a de
-Quarquefoure que quatre lieues. Et envoiièrent premierement l'avant
-garde courir devant Nantes et ordonner où li signeur se logeroient. Si
-se logièrent chil de l'avant garde. Et puis vinrent li dus de Normendie
-et tout li signeur et le charoi. Et se logièrent tout en bonne
-ordenance, et fissent tendre tentes, trefs et pavillons.
-
-La chité de Nantes est grande, et la rivière de Loire qui court parmi,
-moult large. Se ne le porent pas li signeur de France toute environner,
-car trop i faudroit de peuple qui vodroit ce faire. Et se chil de
-dedens se fuissent tenu tous jours enclos en lor ville sans point
-issir, et entendu as escarmuces tant seullement, et à deffendre lors
-barrières, il ne lor couvenoit aultre cose; et euissent là tenu les
-signeurs de France tout le temps. Car il avoient la rivière pour euls,
-laquelle on ne lor pooit oster, et si estoient bien pourveu de toutes
-coses que il lor besongnoit; mais orgoels et outrequidance les dechut,
-ensi que je vous dirai.
-
-Messires Hervis de Lion, qui fu assés chevalereus et estoit tous li
-consauls dou conte, chevauça une matinée et issi hors de Nantes à tout
-deus cens armeures de fier, car dou soir il avoient en lor ville
-requelliet une espie qui lor avoit dit que quinse sonmiers cargiés de
-pourveances venoient en l'oost, et lor avoit ensengniet le cemin que il
-tenoient, et n'estoient conduit que de euls soissante lances. Pour quoi
-messires Hervis de Lion, pour porter à ceuls de l'oost contraire et
-damage, esmeut les compagnons saudoiiers et auquns jones honmes
-bourgois de Nantes. Et sallirent hors à une ajournée par la posterne de
-Ricebourc et se missent sus les camps, et cevauchièrent à la couverte,
-ensi que li varlès les avoit ensengniet. Et trouvèrent sus un viés
-chemin et encontrèrent ce charoi et ces sonmiers et ceuls qui les
-conduisoient, qui estoient tout pesant et sonmilleus, car il avoient la
-nuit moult petit dormit. Chil deus cens de la route et compagnie
-messire Hervi de Lion furent tantos au desus de ce charoi et de ces
-sonmiers et de ceuls qui les conduisoient. Et en i ot que mors que
-bleciés plus de la moitié; et li demorrans fui en voies deviers l'ost
-en faisant grant noise. Encores estoient chil dou gait de la nuit sur
-les camps; si s'adrechièrent celle part où la noise estoit et li debas,
-et aussi li hoos se conmença fort à estourmir.
-
-Qant mesires Hervis de Lion et ses gens veirent venir l'effort, si se
-retraissent fort viers la chité et deviers la porte, et cachièrent lor
-proie dedens. Et fuissent bien rentré dedens et à petit de damage, se
-il vosissent; mais orgoels et outrequidance les amonesta de demorer et
-faire armes. Et tant se moutepliièrent li hustin que chil de l'oost les
-sourmontèrent, et en abatirent et mehagnièrent biaucop et prissent au
-voloir rentrer en la ville. Et fu la porte sus le point de estre
-gaegnie des François, et couvint priès estre armé tous ceuls de la
-ville pour euls bouter hors. Et là fu très bons chevaliers messire
-Hervi de Lion, et moult i fist de grandes et de belles apertises
-d'armes. Toutes fois, par bien combatre et par l'effort qui i sourvint
-de la chité, li François furent requlé, et la porte reclose, et li pons
-levés, et la grignour partie de la proie conquise. Mès trop lor cousta
-et par especial des bourgois de la ville, car il en i ot grant fuisson
-de mors et de pris et de bleciés: dont li père et li frère et li
-linages de ceuls en furent durement courouchiet. Et disoient li auqun
-en derrière que ce avoit esté une issue sans raison et hors de
-ordenance, car il n'avoient en Nantes aultre cose à faire que de garder
-lor vile.
-
-Li contes de Montfort, qui estoit en son hostel, ne sçavoit au matin,
-qant il fu levés, encores riens de ceste avenue. Et qant il en fu
-enfourmés, et il oy les complaintes de ses honmes et des bourgois de la
-ville, conment il avoient perdu lors fils, lors frères et lors amis et
-par celle escarmuce, laquelle à la vois de ceuls de Nantes avoit esté
-faite sans raison, si en fu durement courouchiés. Et qant messires
-Hervis de Lion vint en sa presence, il l'en blama et reprist aigrement
-de crueuses paroles, et tant que messires Hervis s'en merancolia et
-prist les paroles en grant virgongne et desplaisance. Et pour ce que li
-contes li dist si generaulement devant tous ceuls qui le porent oïr, se
-retraist li dis mesire Hervi de Lion en son hostel en la ville, et
-laissa le conte en son chastiel, sans plus aler viers lui. Fos 76 vo et
-77.
-
-P. 110, l. 19: Quarquefoure.--_Mss. B 3, A 7 à 10, 15 à 17, 23 à 29_:
-Quarquefore, Quarquefoure, Carquefoure. Fo 72.--_Mss. A 1 à 6, 18 à
-22_: Quanquefore, Quaquefore. Fo 81 vo.--_Mss. A 11 à 14_: Carrefours.
-Fo 79.--_Mss. A 23 à 29_: Carquefo. Fo 147.
-
-P. 111, l. 9: aucun des saudoiiers.--_Ms. B 6_: Or advint que mesire
-(Hervy[406] de Lion), qui moult desiroit les armes, yssy hors une
-matinée à tout deux cens compaignons des plus soufisans. Fo 184.
-
- [406] On lit dans le ms. B 6 «Henry.» Mauvaise leçon.
-
-P. 111, l. 11: quinze.--_Mss. A 11 à 14_: dix huit. Fo 79.
-
-P. 112, l. 15: deux cens.--_Ms. B 6_: six vingt par une autre embusque
-que messire Loys d'Espaingne leur fist. Fo 185.
-
-P. 112, l. 18: blasma.--_Ms. B 6_: et luy dist que il s'en peuist bien
-estre passés d'avoir fait celle yssue, et qu'il estoit trop bon
-chevalier de par le diable. Fo 185.
-
-
-=§ 149.= P. 112, l. 26: Or avint.--_Ms. d'Amiens_: Che siège durant
-devant Nantez, qui grans et plentiveus estoit pour ciaux de hors et
-cremeteus pour ciaux de d'ens, car il n'estoient tout mies bien
-d'acord, mès à grant soussi et anoy, aucuns bourgois de le cité veoient
-leurs biens destruire et amenrir dedens et dehors, et avoient lors
-enfans et lors amis emprisonnés et doubtoient encorrez que pis ne leur
-avenist: si s'avisèrent et parlèrent enssamble tout quoiement et
-secretement. Et eurent d'accord entr'iaux ly plus sainne partie de
-traitier à ces signeurs de Franche couvertement, par quoy il peuissent
-avoir pès et ravoir leur enfans et amis quittes, qui estoient
-emprisonnés. Touttes fois il achievèrent leurs tretiés et acordèrent et
-proummisent que, sus ung jour qui ordonnéz estoit, il lairoient une
-porte ouverte qui nommée y fu; et poroient chil de l'ost paisivlement
-entrer en le cité et aller au castiel et prendre le comte de Montfort,
-affin que nulx ne nulle de le dite cité n'y devoient mettre corps, ne
-vie, ne membre, ne riens dou leur, et devoient sains et sauf et tous
-quittez ravoir leurs amis.
-
-Enssi fu il acordé et confremmé de chiaux de l'host, et à le droite
-heure ordonnée, li porte ouverte. Et entrèrent li signeur et chil qui
-veurent avoec yaux, dedens Nantes, et allèrent droit au castiel là où
-li comtez de Montfort se tenoit et dormoit encorrez, car il estoit bien
-matin; et brisièrent lez huis, et le prissent et aucuns de ses
-chevaliers. Et fu messires Hervis de Lion pris ossi; mès messires
-Henris de Pennefort et messires Oliviers, ses frèrez, et messires Ives
-de Tigri se sauvèrent, car il dormoient dedens le chité: si leur fu
-nonchiet, et montèrent tantost à cheval et se sauvèrent. Et li comtez
-de Montfort fu pris, si comme vous avés oy; et l'amenèrent li signeur
-hors de la chité en leur tentez, et en eurent grant joie. De se prisse
-fu adonc durement retés messires Hervis de Lion, et dou tretiet des
-bourgois de le ville, car il prist les parollez que li comtez li avoit
-dittes, en si grant despit que oncquez puis il ne veult y estre à nul
-consseil que li contes ewist affaire. Si ne sai je pas se ce fu à cause
-ou sans raison. Je n'en voroie mies parler trop avant, mès touttesvoies
-li famme fu adonc telx entre pluisseurs gens, si comme je vous ay
-recordet chy devant. Et che y parfist le souppechon, car toudis depuis
-il fu de l'accord monseigneur Carlon de Blois, et li fist feaulté et
-hoummaige si comme à son signeur, et le recongnut à ducq et à droit
-hiretier de Bretaingne de par madamme sa femme.
-
-Quant li dus de Normendie vit le comte de Montfort devant lui, si en ot
-grant joie; et ossi eut messires Carlez de Bloix, car vis leur fu que
-la guerre en estoit pour yaux plus belle. Si se conseillièrent
-entr'iaux comment il s'en maintenroient, et eurent advis que il
-l'envoieroient à Paris deviers le roy de France, qui vollentiers le
-verroit. Si en cargièrent monseigneur Loeis d'Espaingne et monseigneur
-de Montmorensi, le seigneur d'Estouteville, messire Grimouton de
-Camb(l)i. Et le prisent chil seigneur en leur conduit à bien deux cens
-lanches pour amener plus sceurement, et cevaucièrent tant par leurs
-journées qu'il vinrent à Paris. Si trouvèrent le roy Phelippe qui jà
-estoit enfourméz de toutte ceste aventure et de la prise dou dit comte.
-Si l'amenèrent li dessus dit chevalier au roy et li representèrent de
-par le duc de Normendie, son fil, et monseigneur Carlon de Blois, son
-nepveult. Li rois rechupt che present à joie, et dist en regardant sus
-le comte qui mout estoit honteux et abaubis: «Comtez, comtez de
-Montfort, viéz pechiéz fait nouvelle virgoingne. Et pour ce que à tort
-et à pechié vous estez entréz en le saisinne de Bretaingne, où point de
-droit vous n'avés, estez vous de droit encombréz; car, se nul droit
-vous y euissiéz, vous ewissiéz atendu le jugement des pers de Franche.
-Vous vos emblastez de my et sans congiet, et sus me deffensce vous
-partesistes, et par orgoeil contre my vous vos estez tenus et portés.
-Si en vauront vos besongnes le mains, car jammais de mes mains ne
-partirés, se pis ne recevés. Si ne vous ferai je nul tort, mès vous
-deduirai par le jugement et avis de mes hommes.» Adonc coummanda li
-roys que on le mesist au castiel du Louvre. Là fu li comtez de Montfort
-menés et emprisonnés, et très fort et songneusement gardés. Et sachiés
-que ly roys eut depuis sur lui mainte penssée pour lui faire morir; et
-l'ewist fait, si comme on dist, se n'ewist estet li comtez Loeys de
-Flandrez ses serourges, qui pluiseurs fois en pria le roy mout
-humblement, à laquelle priière li roys s'en souffri, et le tint
-emprisonné tant qu'il vesqui.
-
-Or revenrons as seigneurs de Franche qui ont bien coummenchiet à
-esploitier leur voiaige, car il ont pris le chief de leurs ennemis et
-le souverainne chité de Bretaingne, dont il se sont mis en possession.
-Et ont tout li bourgois de Nantes juret et fait feaulté et hoummaige à
-monseigneur Carlon de Blois, et l'ont recongnut à duc et à signeur; et
-entra de premiers dedens Nantez à grant pourcession, adestrés et
-acostéz de monseigneur d'Alençon, son oncle, et dou duc de Normendie,
-son cousin.
-
-Apriès ce que li dus de Normendie et li seigneur de Franche eurent
-pris le saisinne et la possession de Nantes et reconquis sus le comte
-de Montfort, en l'an de grace Nostre Seigneur mil trois cens quarante
-et un, le vingtième jour de octembre, il se tinrent en le ditte cité
-depuis une espace; et eurent avis et consseil comment il se
-parmaintenroient. Finablement il se consseillièrent li ung par l'autre,
-pour che que li yviers aprochoit et que il faisoit dur et crut et froit
-hostoiier, il se partiroient et donroient leurs gens congiet; et se
-retrairoient en France jusques à l'estet qu'il revenroient aidier à
-monseigneur Charlon de Blois à reconcquerre le remanant; et le
-lairoient cest yvier guerriier par ses fortrèches. Dont tantost apriès
-le feste de le Toussaint, il se partirent de le cité de Nantes et de
-monseigneur Carlon de Blois, sus l'estat que je vous ai dit; et s'en
-retournèrent en Franche et en leurs nations, et chacuns en son lieu. Et
-messires Carlez de Blois se tint en Nantes en grant reviel, o lui
-madamme sa femme. Si fist pourveir ses garnisons et appareillier
-enghiens et espringallez et touttes mannièrez d'estrumens, pour
-assaillir à l'estet villes et fortrèces rebellez à lui. Or me tairay de
-monseigneur Carlon de Blois et parleray de le comtesse de Montfort et
-de ses ordonnances, qui fu damme de grant emprise, et bien eut coer
-d'omme et de lion. Fos 59 vo et 60.
-
-_Ms. de Rome_: Or avint que, trois jours apriès ce que ceste avenue de
-la porte des bourgois et des saudoiiers de Nantes fust avenue, uns
-grans meschiés sourvint au conte de Montfort; et orent les honmes de la
-ville trettiés secrès et couvers au duch de Normendie et as signeurs de
-France, tels que je vous dirai. Il laissièrent une matinée la posterne
-que on dist de Sauve tout ouverte, et par là entrèrent grant fuisson de
-gens d'armes dedens la chité sans contredit; et ne fissent onques mal à
-honme ne à fenme de la ville, ne à mesire Hervi de Lion ne à sa
-famille. Et alèrent ces gens d'armes au chastiel dou conte, et
-rompirent les portes et entrèrent dedens; et trouvèrent le conte de
-Montfort en sa cambre qui se armoit. Il le prissent en cel estat. Et
-l'enmenèrent quatre chevalier de France en la tente dou duch de
-Normendie, liquels fu moult resjois (de) celle prise et li dist:
-«Contes de Montfort, vous nous avés fait painne. Il vous faudra,
-voelliés ou non, retourner à Paris, et oïr la sentense qui a esté
-rendue et donnée sur vous.»--«Monsigneur, respondi li contes, ce poise
-moi. Je me confioie en ma gent, et il m'ont trahi.» Là fu li contes
-pris et menés d'autre part, et livrés en bonnes gardes de vaillans
-honmes, chevaliers et esquiers, et moult proçains de linage à mesire
-Carle de Blois.
-
-Tout ce fait, li dus de Normendie et tout li signeur de France
-entrèrent dedens Nantes à grant solempnité et à grant fuisson de
-tronpes, de tronpètes et de claronchiaus et descendirent ensi au
-palais, et là tinrent li signeur lor estat. Et fu messires Hervis de
-Lion delivrés de prison et devint homs à mesire Carle de Blois, et li
-jura foi et loiauté à tenir de ce jour en avant; et on n'i vei onques
-depuis le contraire. Et furent delivré tout chil qui prisonnier
-estoient. Et par ces apparans doit on bien supposer que la chité de
-Nantes et li di(s) messires Hervi furent en trettié deviers le duch de
-Normendie et les signeurs de France. Ce fu la nuit de une Tousains que
-on compta l'an de grasce mille trois cens quarante et un. Et le jour de
-la Tousains tint li dus de Normendie court plenière de tous les
-signeurs ens ou chastiel de Nantes, et là rendi li dis dus à mesire
-Carle de Blois la chité de Nantes. Et le rechurent à duch et à signeur
-tout li bourgois de la ville et li fissent feaulté et honmage, et tout
-li baron et chevalier de là environ, mesires de Cliçon, li sires
-d'Ansenis, li sires de Biaumanoir, li sires de Malatrait et bien
-quarante cevaliers de Bretagne, qui tout furent à la feste ce jour de
-la Toussains. Et durèrent les festes en Nantes quatre jours. Et encores
-venoient tout dis chevaliers et esquiers fievés, dames et damoiselles
-fievées, qui relevoient lors hiretages à mesire Carle de Blois, et le
-tenoient à signeur et le nonmoient duch. Mais encores demoroient grant
-fuisson de chités, de villes et de chastiaus et de signouries qui
-tenoient le fait contraire, et le tinrent tout dis à l'encontre de
-messire Carle de Blois; car li dus de Normendie et la poissance de
-France se departirent trop tos de Nantes et dou pais. Car se il se
-fuissent là ivernet, et euissent laissiet lors gens couvenir, et
-cevauchiet sur le pais, il euissent petit à petit raquis le pais, et
-osté le coers et les opinions de ceuls et de celles qui tenoient à
-bonne la querelle au comte de Montfort. Et pour ce que riens n'en fu
-fait, s'eslevèrent les gerres en Bretagne par le confort et aide que li
-rois d'Engleterre fist à ceuls et à celles qui tenoient la partie dou
-conte de Montfort, et qui s'estoient aloiiet et acouvenenchiet à li, et
-se tenoient pour tout enfourmé et certefiiet que sa querelle estoit
-bonne, pour tant que li dis contes avoit esté frères dou duch de
-Bretagne.
-
-Qant li dus de Normendie et li signeur se furent tenu à Nantes jusques
-as octaves de la Saint Martin que li iviers venoit, si eurent consel
-que il retourneroient en France, car il n'estoit nul apparant que chil
-de Bretagne se vosissent mettre ensamble, ne faire gerre, mais se
-tenoient en lors garnisons. En ce sejour que li signeur fissent en
-Nantes, escripsi mesires Carles de Blois, conme dus de Bretagne, à
-ceuls de la chité de Rennes, de Vennes, de Camperlé, de Camper
-Correntin, de Hainbon, de Lambale, de Ghinghant, de Dignant, de Dol, de
-Saint Mahieu, de Saint Malo et de toutes les marces et limitations de
-Bretagne, que il se vosissent traire viers Nantes et venir à obeisance
-et faire ce que tenu estoient. Li auqun i venoient, et li aultre non,
-et disoient et rescripsoient à mesire Carle de Blois que point
-n'estoient consilliet de ce faire, car la comtesse de Montfort, qui
-bien avoit coer d'onme et de lion, aloit trop fort au devant et avoit
-un petit fil de l'eage de sept ans, que on nonmoit Jehan, moult biel
-enfant; et au jour que son mari fu pris par la condicion et manière que
-dit vous ai, elle estoit à Vennes et ou chastiel que on dist la Mote.
-Ceste contesse prist le frain à dens et ne fu noient esbahie, et manda
-tantos chevaliers et esquiers et ceuls dont elle pensoit à estre amée,
-aidie et servie. Et quant il furent venu, elle lor remoustra en plorant
-la fraude, la traison et mauvesté, ensi conme elle disoit, que on avoit
-fait à son mari, et puis reprendoit ses paroles sus tel fourme en
-disant: «Biau signeur et bonnes gens, je compte monsigneur pour mort,
-mais vechi son fil, son hiretier et vostre signeur, qui vous est
-demorés et qui vous fera encores biaucop de biens. Se li voelliés estre
-bon et loial, ensi que toutes bonnes gens doient estre à lor signeur,
-et je vous serai bonne dame et courtoise, et querrai à mon fil, vostre
-signeur, bon manbourc, pour aidier à soustenir, à deffendre et à garder
-nostre droit et son hiretage. Si vous pri cierement, conme une dame
-vève et orfène de mari, que vous aiiés pité de moi et de l'enfant, et
-li tenés foi et loiauté et à moi aussi, ensi que vous avés fait jusques
-à chi à son père et mon mari.»
-
-Là avoient toutes gens, barons, chevaliers et esquiers qui tenoient sa
-partie, grant pité de la dame et de l'enfant, et le reconfortoient et
-disoient: «Dame, ne vous esbahissiés en riens: nous demorrons dalés
-vous, puis que obligiet et acouvenenchiet i sonmes, tant que nous
-auerons les vies ou corps.» Et elle leur disoit: «Grans merchis.» Et
-ensi la contesse de Montfort, à plus de cinq cens lanches, chevauça de
-forterèce (en forterèce) sitos que les nouvelles li vinrent de la
-prise à son mari, et rafresqui chités, villes et chastiaus, et fist
-toutes ses besongnes bonnes.
-
-Qant chil signeur de France se deubrent departir de mesire Carle de
-Blois, il li consillièrent que il se tenist en la chité de Nantes, et
-fesist l'ivier tout bellement ses provisions, et laisast couvenir ses
-gens et guerriier des garnisons; et qant le temps d'esté retourneroit,
-se il li besongnoit, il retourneroient aussi. Et disoient que il estoit
-au desus de ses besongnes, puis que il estoit sires de Nantes et de la
-plus sainne partie de Bretagne, et que li contes de Montfort ne li
-porteroit jamès contraire. Messires Carles de Blois s'enclinoit assés à
-tout ce que il li disoient. Et demorèrent dalés lui auquns vaillans
-honmes de son linage pour li aidier à consillier. Et puis retournèrent
-li dus de Normendie et tout li signeur en France, et s'en ala casquns
-en son lieu. Mais qant li rois Phelippes vei le present que li dus de
-Normendie li fist dou conte de Montfort, il en fu trop grandement
-resjois. Et fu li contes moult fort ranprouvés de ce que il estoit
-partis de Paris sans congiet. Li contes qui se veoit pris, ne savoit
-que dire, mais s'umelioit dou plus que il pooit, et n'esperoit pas à
-jamais estre delivrés de ce dangier. Et son esperance fu veritable, car
-on l'envoia en prison ens ou chastiel dou Louvre. Et furent misses sus
-li bonnes gardes, liquel avoient gages et pension toutes les
-sepmainnes, pour lui garder de jour et de nuit, et en estoient bien
-paiiet. Ensi demora li contes de Montfort en ce dangier et en la prison
-dou Louvre, et tant i fu que il i morut. Fos 77 et 78.
-
-P. 113, l. 14: prisent.--_Ms. B 6_: en l'ostel où le conte de Montfort
-dormoit. Fo 185.
-
-P. 114, l. 20 et 21: livrèrent,--_Ms. B 6_: l'envoièrent (le comte de
-Montfort) à Paris à deux cens lances. Fo 186.
-
-P. 114, l. 22: emprisonner.--_Ms. B 6_: et n'en volsist pas avoir cent
-mille florins. Fo 186.
-
-
-=§ 150.= P. 114, l. 26: Or voel.--_Ms. B 6_: Quant messires Charles de
-Blois et les signeurs qui là estoient virent que le conte de Montfort
-estoit prins et qu'il estoit seigneur de Nantes, sy eurent consail de
-retourner en France, car il estoient là à grant frait. Sy dirent ensy
-le conte d'Alenchon et le duc de Normendie à mesire Charles de Blois:
-«Bieau cousin, vous demor(r)és en che pais, et vous lairons mesire
-Louis d'Espaigne et une autre partie de ches gens d'armes. Et nous
-retournerons en France, car nous creons assés, puisque nous tenons le
-conte de Montfort, que vostre guerre est finée. Il n'est nulz de par
-luy que il doient gherrier; et se guerre vous sourvient, fust
-d'Angleterre ou d'ailleurs, nous vous ve(n)rons secourir, car nous ne
-sommes pas loing.»
-
-De ches parolles se tint grandement content le dit mesire Charles et
-les en remerchia. Adonc prirent congié à lui et à madamme sa femme, qui
-s'apelloit ducesse de Bretaigne, et retournèrent tous en France en son
-pais. Ensy demoura le conte de Monfort en dangier. Et mesire Charles de
-Blois et sa femme se tinrent toute celle saison en la cité de Nantes.
-Sy vinrent pluiseurs chevaliers et barons de Bretaigne faire hommage au
-dit mesire Charles et le tingrent à seigneur de par madame sa femme,
-telz que le visconte de Rohem, le sire de Clichon, le sire de
-Biaumanoir, le sire d'Ansenis, le sire d'Avaugor, le sire de Malatrait,
-le sire de Gargolle, le sire de Cintin, le sire de Lion, mesire Charle
-(de) Dignant, le sire de Crais, le sire de Rieus et pluiseurs autres
-barons et chevaliers.
-
-Et aussi en demoura aulcuns du costé de la contesse de Monfort qui se
-tenoient à Hainbon: de laquelle damme je vous voel ung petit parler
-pour le grant confort dont elle fut plainne, car elle avoit cuer d'omme
-et de lion. Quant elle vey que ses sires estoit prins et en mains de
-ses ennemis, dont elle pensoit mieulx que on le feroit morir que autre
-chose, elle prinst ung jone valleton que elle avoit à fil, que on
-appelloit Jehan ensy que son père. Et chevauça de forteresse en
-forteresse en toutes celles qui se tenoient pour luy, en remoustrant as
-chevaliers et escuiers et as bourgois des chités et bonnes villes son
-jone fil. Et leur dist par très bieau langaige: «Mes amis, mes bonnes
-gens, veschy vostre droit hiretier et seigneur qui vous fera les grans
-dons. Se je ay perdu monseigneur par traison, veschy son restor, mon
-fil et le sien. Ne vous desconfortés ne esbahyssiés point pour ce, car
-encores ferons nous bonne gherre, car j'ay or et argent assés pour vous
-en tant donner que bien vous devera souffir. Et sy cueuray à mon fil
-ung tel mainbour pour vous aydier à garder contre tous vos anemis.»
-Ensy ala la dite contesse de plache en plache, et en renouvelant
-hommaige et priant à ses gens que ilz se volsissent bien acquiter en
-tous estas et tenir le serment que juret avoient, et elle leur seroit
-bonne damme. Et tous ly eurent en convent.
-
-Quant elle ot ensy fait, elle se party de Hainbon et monta en mer à
-privée maisnie et laissa son fil en la garde de monseigneur Henry de
-Pennefort et de Olivier son frère. Et fist tant que elle vint en
-Engleterre devers le roy, qui le rechut liement et qui le reconforta de
-toutes ses besoignes et qui luy dist et promist seurement que elle
-aroit temprement tel confort que pour resister à ses ennemis. Sur che
-retourna la contesse et vint en Hainbon et en fist sa souveraine
-garnison, car c'est une des forte(s) villes de Bretaigne.
-
-En che temps courut aultres nouvelles au roy d'Engleterre dont il ne se
-donnoit garde. Et pour quoy le confort de la dame fu grandement
-arrierés, et ne l'eut mie sy tost qu'elle cuida avoir: le cause pour
-coy, je le vous diray. Fos 186 vo à 189.
-
-P. 115, l. 1 et 2: prison.--_Ms. d'Amiens_: tant sentoit le roy de
-France hastieu. Fo 60.
-
-P. 115, l. 12: assés.--_Ms. d'Amiens_: Et jou ay, Dieu merchy, de
-l'avoir en partie: si vous en donray fuison et vollentiers, car, pour
-vous donner et departir l'avons nous, monseigneur et moy, dou tamps
-passet, mis arière. Fo 60.
-
-P. 115, l. 27: atant.--_Ms. d'Amiens_: Or me tairai atant de lui et des
-guerres de Bretaingne. Quant tamps et lieus venra, je m'y retrairai.
-Non pourquant il besongneroit bien que j'en parlaisse toudis, car les
-guerres y furent si fortes et si caudes que point de sejour ne
-prissent, enssi comme vous orés avant en l'istoire. Mès ossi il
-appertient bien que je fache mention dou roy englès et des Escos, dont
-je me sui ung grant temps teus, et comment il gueriièrent l'un l'autre
-en ceste meysme saison, dont j'ay chy dessus parlet et que li comtes de
-Montfort chevauça à main armée parmy Bretaingne et prist villes,
-chitéz, castiaux et autres fortrèches, si comme vous avés oy. Fo 60 vo.
-
-P. 115, l. 30: Tournay.--_Ms. de Rome_: Or vous voel je parler et
-recorder de la contesse de Montfort conment elle se ordonna et
-persevera. Elle qui ot tousjours corage de honme et de lion, ne
-s'esbahi noient, mais ordonna et entendi à ses besongnes mettre en bon
-point. Et pour ce que elle sentoit bien que le premier siège que ses
-adversaires messires Carles de Blois et li François feroient, il seroit
-devant Rennes, si fist entendre à pourveir la ditte chité de tous poins
-et à rafresqir, et i establi à chapitainne un vaillant chevalier et de
-bon consel et segur honme, et qui moult avoit amé son mari et li, que
-on nommoit messire Guillaume de Quadudal, breton bretonnant; et ensi
-pourvei toutes les aultres forterèces de gens d'armes et
-d'arbalestriers, et se consilla à mesire Amauri de Cliçon, que elle
-tenoit tousjours dalés lui, se elle envoieroit en Engleterre au
-seqours. Li chevaliers respondi à celle parole et dist que il n'estoit
-encores nulle besongne, et que elle n'avoit que faire de travillier le
-roi d'Engleterre ne les Englois, jusques à tant que elle seroit plus
-constrainte que elle n'estoit, et que tous les jours sus heure, on
-pooit aler de Bretagne en Engleterre, car encores avoit elle cel
-avantage que li pors et les havenes de Bretagne estoient pour lui. Si
-demora la cose en cel estat; et n'avinrent tout cel ivier nuls fais
-d'armes en Bretagne, qui à recorder facent. Fo 78.
-
-
-=§ 151.= P. 116, l. 1: Vous avés.--_Ms. d'Amiens_: Il vous est bien
-recordé chy devant comment li Escot, qui gardiien estoient dou roiame
-d'Escoche de par le roy David, leur seigneur, qui se tenoit en Franche
-dalléz le roy Phelipe, telz que messires Guillaumme de Douglas, neveuz
-au bon monseigneur Guillaumme de Douglas qui mourut en Espaigne, li
-jones comtez de Moret, messires Robers de Versi, messires Simons
-Fresel, Alixandres de Ramesay, le siège durant devant Tournay, fissent
-une queilloite de gens d'armes et reprissent le fort castiel de
-Haindebourch, le ville de Saint Jehan que li Englès tenoient,
-Donfremelin, Dalquest, Dondieu, le ville de Saint Andrieu, Dombare,
-Scotewest et touttes les fortrèches que li Englès avoient concquis en
-Escoce, excepté le bonne et forte chité de Bervich, le bon castel de
-Rosebourch et le fort castiel de Strumelin. Et encorrez avoient il
-chevauchiet bien avant en Norhombrelande et ars en Engleterre bien deux
-journées de pays; et à leur retour, il avoient assiegiet le fort
-castiel de Rosebourch et mout entendoient au concquester. Or avint que
-li roys englèz, apriès le siège de Tournay et les trieuwes acordées, si
-comme vous avés oy, rapassa le mer. Se li fu recordet comment li Escot
-avoient revelet en Escoche et reconcquis auques priès tout le pays sour
-yaux conquis, et se tenoient à siège devant Rosebourch et moult le
-constraindoient, et avoient ars en Norhombrelande bien deux journées de
-pays. Quant li roys englès oy ces nouvelles, se ne li pleurent mies
-trop, et eult consseil que sans tourner aultre chemin il se trairoit
-sus Escoche et yroit lever le siège de devant Rosebourch, et
-combateroit les Escos s'il l'atendoient, si ques, si trestos comme il
-fu arivés à Douvrez, il fist coummandement que touttes mannièrez de
-gens se trayssent deviers Yorch c'on dist Ewruich. Là fu ses especials
-mandemens: dont s'aroutèrent et ordonnèrent li Englès, et prisent le
-chemin qui commandé leur fu.
-
-Tant esploitièrent li Englès, comtez, barons et chevaliers et touttez
-mannierres d'autres gens, et li roys englès avoecq yaux, qu'il vinrent
-en le cité de Ewruich, et là se reposèrent et rafrescirent par trois
-jours. Au quatrime jour, li roys se parti, et tout le sieuwirent. Si
-ceminèrent deviers le Noef Castiel sour Tin et esploitièrent tant qu'il
-y parvinrent. Li roys englès se loga en le ville, et touttes ses gens
-environ, car il ne se pewissent tout dedens logier. Si ne fist li roys
-là point loing sejour, mès parti et prist le chemin deviers Escoche et
-le voie droit vers Urcol. Si est bonne ville et biaus castiaux de
-l'hiretiage le signeur de Perssi, seans à une journée priès de
-Rosebourch. Quant li seigneur d'Escoce, qui devant le castel de
-Rosebourch seoient, entendirent de verité que li roys englès venoit
-celle part et bien si fort que pour yaux lever dou siège, et que
-nullement il ne poroient resister contre li, si se conssillièrent et
-advisèrent li ung par l'autre que le milleur et le plus honnerable pour
-yaux estoit que de point attendre, tant qu'à ceste fois, la venue dou
-roy englès, et que il se retrairoient tout bellement deviers le forest
-de Gedours: se il estoient parvenut jusques à là, il seroient assés
-fortefiiet contre les Englès. Dont se deslogièrent il une matinée et
-toursèrent tout ce que mener en peurent; et puis boutèrent le feu en
-leurs logeis, afin que li Englès n'en ewissent aise. Si prisent le
-chemin deviers les forests, ensi que de jadis acoustummet avoient.
-
-Les nouvellez vinrent moult tost au roy englèz que li Escot estoient
-parti et avoient laissiet Rosebourch. Dont coummanda li roys as
-marescaux que on fesist chevauchier et haster les mieux montés, car il
-volloit sieuwir et rataindre ses ennemis. Si chevaucièrent tout devant
-en grant qoite, de gens d'eslite environ cinq cens lanches, et deux
-mille archiers, ables et appers compaignons. Toutte li grans os lez
-sieuwoit dou plus priès qu'il pooient. Tant cevaucièrent cil coureur,
-et si s'esploitièrent par esclos et par froyais qu'ilx vinrent sus une
-montagne en Escoche, que on appelle les mons de Getteles. Et li Escot
-estoient desoubs ou plain et logiet sus une belle rivierre qui nest des
-forests de Gedours et passe au piet de ceste montagne; et appelle on la
-ditte rivierre Orbe, et va ferir desoubz Dondieu en le mer. Quant li
-Englès virent les Escochois logiés ens ou plain, si n'eurent mies
-vollenté de partir de leur fort, mès se logièrent là sus le montaingne,
-et envoiièrent nonchier au roy englès toutte leur aventure. Et de ce
-eut li roys grant joie et manda à ses marescaux qu'il se tenissent là
-tant qu'il y seroit venus, ou qu'il aroient certainnes nouvelles de
-lui. Bien veirent li Escot les Englès là sus en le montaingne, mès il
-n'en fissent mies trop grant compte. Si escargaitièrent il celle nuit
-leur host, et l'endemain il montèrent tout à cheval et se partirent.
-Bien virent li Englès leur departement, mès il ne s'osoient bougier
-pour deux raisons: li une estoit pour ce que li rois leur avoit mandet
-que il l'atendesissent, et li autre estoit que il se doubtoient que li
-Escot ne se fuissent parti de leur place pour yaux jus atraire.
-
-Enssi demourèrent li Englès sus le ditte montaingne jusques à heure de
-tierce, que li roys vint et toutte li os; et montèrent au miex qu'il
-peurent, car il ne pooient bonnement passer par ailleurs, non se il se
-volloient trop fourvoiier. Et quant li roys fu tantost montés, il fist
-ses marescaux descendre et chiaux qui avoient pris en cache les Escos;
-et il disna là et toutte sen ost, horsmis lez premiers, et puis
-descendi apriès nonne et sieuwi ses gens, qui ce propre soir se
-logièrent assés priés des Escos. L'endemain li Escot chevaucièrent, et
-environ heure de nonne il vinrent sus les foriès de Gedours. Là
-s'arestèrent il seurement, car bien savoient que li Englèz ne se
-bouteroient jammais dedens pour les perilleuses aventures et encontrez
-qu'il y poroient recepvoir. Si chachièrent li Escot leurs chevaux et
-misent tout leur harnais dedens le forest; et puis s'aroutèrent et
-ordonnèrent bien et faiticement le bois au dos, et moustrèrent visaige
-à leurs ennemis. En cel estat les trouva li roys englès; si coummanda à
-logier touttez mannières de gens au devant d'iaux.
-
-Or devés savoir que entre le forest de Gedours, que li Escot avoient
-mis au dos et dont il s'estoient fortefiiet, et l'ost le roy
-d'Engleterre, n'y avoit pas deux lieuwes englèces, et estoient tout
-belle lande. Si furent li ung devant l'autre par l'espasce de cinq
-jours. Endementrues i eut mainte jouste et mainte apertise d'armes
-fait, mainte prise, mainte rescousse des uns as autres. Mès de le
-partie as Englès, sur tous emportoit le huée messires Gautiers de
-Mauni, messires Jehans Camdos, messires Guillaumme Filz Warine et
-messires Renaus de Gobehen; et de le partie as Escos, messires
-Guillaumme de Douglas, li comtez de Moret, messires Robers de Verssi,
-messires Simons Fresiel.
-
-Or avint que entre ces deux hos s'ensonniièrent aucunes bonnes
-personnes pour prendre unez trieuwes. Et les traitoient et
-pourparloient doy evesque: de par les Escos, li evesques de Albredane,
-et de par les Englès, li evesques de Licestre, quoyque li roy englès y
-descendesist envis, car c'estoit sen entention que toutte parardoir
-Escoce. Mais on li dist que pour cèle voie il en avoit assés fait que
-levet le siège de Rossebourch et rebouté ses ennemis jusquez enmy leur
-pays; et ossi il estoit sus l'entrée de l'ivier, que il faisoit mauvais
-hostoiier. Tant fu dit et pourparlet que unes trieuwez furent acordées,
-à tenir dou jour de le Toussains qui venoit, dont on estoit à neuf
-jours priès, jusquez à l'autre Toussains enssuivant, qui seroit l'an
-mil trois cens quarante et un. Et le devoient li Escot segnefiier au
-roy d'Escoce, leur seigneur, à savoir se il le tenroit ou non; et se il
-ne le volloit tenir, si estoit li trieuwe tenue entre les deux pays
-jusquez au premier jour de may, que on comteroit l'an mil trois cens
-quarante et un. Et si demoroit tousjours li castiaux de Strumelin hors
-de le trieuwe. Par enssi se departirent ces deux hos, et s'en rala
-chacun en son lieu. Li roys englès retourna en Engleterre et dounna
-touttes mannières de gens congiet; et li Escot se tinrent à pès tout
-cel ivier.
-
-Quant ce vint à l'entrée dou mois de march, que li estéz coummenchoit à
-aprochier, et que li Escot devoient souffissaument sommer les Englès de
-l'entente dou roy David, leur seigneur, assavoir se il volroit tenir le
-trieuwe ou non, si eurent consseil que il envoieroient deviers lui
-especialx messagez pour lui remoustrer l'ordennanche ensi que elle
-alloit. Si en priièrent monseigneur Robert de Verssi que il volsist
-venir en Franche, car mieux li compteroit il la besoingne que nulz
-autres. Si emprist li dis messires Robiers le voiaige; et pour ce
-qu'adonc il estoit maladieus et fievreus et qu'il resongnoit le mer, il
-se mist au chemin parmy Engleterre sus le respit qu'il avoient. Bien le
-pooit faire, car il ne trouva oncques homme qui mal li fesist ne
-desist; et chevaucha tant parmy Engleterre jusquez à Douvres, et là
-monta il en mer et vint ariver à Wisant. Depuis qu'il fu yssus hors dou
-vassiel, si homme, leur chevaux et tout leur harnas, il se partirent à
-l'endemain et vinrent à Bouloingne.
-
-Or avint enssi que, en ce meysme tamps que messires Robiers de Versi
-estoit sur son voiaige, li roys David d'Escoce, qui par le tierme de
-cinq ans et plus avoit demouret en Franche avoecq le roy Phelippe, eut
-vollenté que de retourner en son pays et de veoir son royaumme et ses
-gens, que en grant temps n'avoit veut. Li roys de France s'i acorda
-très bien et li dounna, au partir, grans dons et biaux jeuuiaux, et à
-la roynne d'Escoce, sa femme, jà fust elle serour au roy englèz, son
-ennemie; et li renouvella les couvenenches qu'il avoient entr'iaux
-deux. Ellez estoient tellez que li roys d'Escoce ne pooit faire nul(le)
-pès, ne nul acord au roy englès, sans le consentement dou roy de
-France; et li roys d'Escoce li respondi que il tenroit ceste aloyance
-et ordonnance à vraie et à bonne, et que ossi ne feroit il. Sur cel
-estat se parti li roys d'Escoce dou roy de Franche, qui li delivra gens
-d'armes et fist partout sez delivranches. Et chevauchièrent il et le
-roynne, sa femme, et leur routtez parmy France, et s'en vinrent à
-l'Escluse; et ordonnèrent vaissiaux pour yaux, et puis entrèrent ens,
-quant touttez leurs pourveances y furent mises; et nagièrent par mer au
-lés deviers Escoce en l'ordounnance de Dieu et dou vent et d'un
-chevalier maronnier mestre de sa navie, que on appelloit monseigneur
-Robert le Flammenc. Endementroes, vint messires Robiers de Verssi à
-Paris, qui y estoit envoiiés de par les seigneurs d'Escoce; et quant il
-ne trouva point le roy, si fu tous courouciéz: ce ne fu point de
-merveille. Nonpourquant il parla au roy de Franche, qui le rechupt
-assés liement; et puis assés tost apriès il se parti pour revenir
-arrière en Escoce. Et li roys David et se navie esploitièrent tant
-qu'il arrivèrent au port de Morois en Escoce. Fos 60 vo et 61.
-
-_Ms. de Rome_: En ce temps dont je parole que les trieuves duroient
-entre les deux rois, remandèrent li baron d'Escoce, le roi David lor
-signeur, qui un lonch termine s'estoit tenus en France; et li
-segnefiièrent ensi, par lettres et par deus chevaliers que il
-envoiièrent à Paris, que les besongnes d'Escoce estoient assés en bon
-point, et que tous li pais le desiroit à ravoir, et que la ville de
-Haindebourc et li chastiaus et aussi li chastiaus de Struvelin et
-pluisseur aultre estoient repris, et les Englois, qui les tenoient,
-bouté hors. Li rois d'Escoce entendi à ces nouvelles volentiers et
-prist congiet au roi de France, auquel il remoustra ses besongnes; et
-le regracia de ce que si doucement et si courtoisement il l'avoit
-recheu. Si ordonna li dis rois d'Escoce ses besongnes et vint à
-Boulongne, et la roine sa fenme en sa compagnie, et là trouva sa navie
-toute preste qui l'atendoit; si entrèrent dedens. Et avoecques le roi
-d'Escoce en alèrent en sa compagnie dou roiaulme de France li sires de
-Rambures, messire Guis Qierès, li viscontes des Qesnes, li sires de
-Chipoi, li sires de Saint Pi, li sires de Briauté et pluisseur aultre,
-plus de soissante chevaliers et esquiers. Si orent vent à volenté, et
-ne furent que trois jours sus mer, que il arivèrent ens ou havene de
-Haindebourc. Puis issirent hors, et vinrent en la ville, et de là ou
-chastiel à grant joie; et trouvèrent messire Guillaume Douglas, mesire
-Robert de Versi, messire Simon Fresiel, messire Alixandre de Ramesai et
-les barons et les chevaliers d'Escoce, qui tout les requellièrent à
-grant joie. Si viseta li rois d'Escoce son pais, et mena ces chevaliers
-et ces esquiers de France partout avoecques lui, pour euls moustrer le
-roiaulme d'Escoce. Si veoient un povre pais raempli de bois et de
-bruières; si s'en truffoient et rioient li un à l'autre, et disoient:
-«Il ne puet estre riches homs, qui est sires d'un tel pais.» Fo 88 vo.
-
-P. 116, 1. 9: Bervich.--_Mss. A 11 à 14_: Warvich. Fo 80. _Mauvaise
-leçon._
-
-P. 116, l. 26: le Saint Mikiel.--_Mss. A 1 à 6, 20 à 22_: la Saint
-Remy. Fo 83.
-
-P. 119, l. 24 et 23: sept ans.--_Ms. B 6_: plus de six ans. Fo 190.
-
-P. 120, l. 1: mis en mer.--_Ms. B 6_: Et monta en mer à Harfleur en
-Normendie; et nagèrent tant qu'ilz arivèrent à Saint Jehan en Escoche
-sur le rivière de Taye. Fo 191.
-
-
-=§ 152.= P. 120, l. 12: Quant li.--_Ms. d'Amiens_: Quant li baron et li
-seigneur d'Escoce seurent que li roys, leurs sirez, estoit venus et
-arivés de nouviel en leur pays, si en furent touttez mannierrez de gens
-mout joiant. Et allèrent contre lui, et le rechurent à grant
-pourcession, et la roynne leur damme ossi; et lez amenèrent en le ville
-de Saint Jehan, qui siet sour une belle rivière qui porte bons saumons
-et grosse navie. Là le vinrent veoir et viseter prelat, baron,
-chevalier et touttez mannières de gens, (qui li remonstrèrent ce) qu'il
-avoient perdut, et qui desolé estoient par le guerre as Englèz.
-
-Mout ot li roys d'Escoche grant compation de le desolation de ses gens
-et de le destruction de son pays, et leur dist bien que, se il plaisoit
-à Dieu, il i pourveroit temprement de remède. Assés tost apriès sa
-revenue, ungs grans parlemens se fist des prelas, evesques et abbés
-d'Escoce, de comtez, de barons et de chevaliers et des conssaux de sez
-bonnes villes, et dura par cinq jours. Si se porta ensi li parlemens
-que li roys d'Escoce renoncheroit à le trieuwe que ses gens avoient
-pris as Englèz, et que, depuis le jour de may venut, il n'en tenroit
-nulle. Si fu là ordonné qui yroit en Engleterre pour renunchier. Avoecq
-tout ce, li roys pria et coummanda à touttes gens à lui obeissans que
-chacuns se pourveist bien et souffisamment à ceval et à piet et de
-touttes armurez, et fuissent le huitime jour de may là en le ville de
-Saint Jehan et illoecq environ; car c'estoit sen intension que d'entrer
-en Engleterre et que de faire y une très grande chevauchie, et on ly
-eut enssi en couvent. Enssi se departi li parlemens sus cel estat, et
-en ralla chacun en son lieu, et se pourveirent seloncq leur puissance
-pour venir servir le roy, leur seigneur, au jour qui mis y estoit. Et
-li messaigez s'en vint en Engleterre deviers le roy englès et renoncha
-souffissamment as trieuwez qui devoient y estre prises des Escos et des
-Englès, et tant que li roys Edouwars s'en tint à bien contens, et se
-pourvey et advisa ossi seloncq che.
-
-Chependant que li saisons de may aprochoit, li roys d'Escoche viseta
-son pays, ses villes, ses citéz et ses fortrècez. Si eut grant doeil et
-grant pité quant il vit ensi son pays destruit et ses gens oyt
-complaindre. Ossi eut la roynne, sa femme, qui en ploura assés. Quant
-li roys eut partout estet et oyes les complaintez des ungs et des
-autrez il lez recomforta au mieux qu'il pot, et dist qu'il s'en
-vengeroit, ou il perderoit le remannant, ou il moroit en le painne.
-Quant ce vint sus l'entrée de may, seloncq l'ordonnance qui mise y
-estoit, li Escot s'avalèrent et assamblèrent de tous costéz à Saint
-Jehans Tonne et là environ. Encorrez envoya li roys grans messaigez en
-Norvège, en Sude et en Danemarche, pour priier ses amis et avoir grant
-fuisson de saudoiiers. A celui mandement vint li comtez d'Orkenay, ungs
-grans princes et puissans, et avoit à femme le sereur le roy. Chilx y
-vint à grant puissanche de gens d'armes, et pluiseur autre grant baron
-et chevalier de Sude, de Danemarche et de Norvège et des autrez pays
-marchissans, li ungs par amour et par priière, et li autre par saudées.
-Tant en vint d'un costet et d'autre qu'il furent bien, quant tout
-furent venut entours le chité de Saint Jehan en Escoce, au jour que li
-dis roys les avoit mandés, soixante mille hommes à piet et sus
-haghenées, et bien troi mille armures de fer, chevalier et escuier,
-parmy les seigneurs et chiaux de son pays d'Escoche. Quant tout furent
-assamblet et appareilliet, il s'esmurent pour aller destruire et
-essillier chou qu'il poroient dou royaumme d'Engleterre, ou il se
-combateroient au roy Edouwart, qui tant de maux et d'anoy leur avoit
-fais. Si passèrent premiers par devant le fort castiel de Rossebourcq,
-que li Englès avoient concquis, et le tenoient encorres et leur
-faissoient souvent grans assaux et grans destourbiers. Si fissent là li
-Escot ung grant assault; mès point n'y gaegnièrent, car li castels est
-trop fors. Et n'eut point li roys adonc consseil de l'assegier, mès de
-chevauchier avant et d'entrer ou droit royaumme d'Engleterre. Si fist
-son host passer oultre. Apriès il passèrent devant le cité de Bervich,
-mès point n'y arrestèrent et entrèrent ou royaumme de Norhombrelande.
-Si ardirent toutte le ville de Persi et livrèrent ung grant assault à
-le fortrèce, mès il ne le peurent avoir. Si passèrent oultre et vinrent
-à Urcol, et ardirent et pillièrent toutte le ville et le pays de là
-environ, et entrèrent si avant ens ou royaumme de Norhombrelande, qu'il
-vinrent sour le rivière de Tin, ardant et destruisant tout le pays, et
-fissent tant qu'il parvinrent devant le bonne ville de Noef Castiel sur
-Tin, et là se logièrent et l'environnèrent pour l'assaillir.
-
-Dedens la ville dou Noef Castiel sur Tin estoient doy grant baron de
-Norhombrelande, li sires de Luzi et li sires de Ros, et grant fuison de
-gens d'armes et d'archiers qui trop bellement et trop sagement le
-gardèrent et deffendirent à l'assaut qui fès y fu et qui dura ung jour
-tout jour sans cès, et y perdirent li Escochois de leur gens. Si se
-retrairent à leurs logeis qui grant estoient et estendut, car il y
-avoit bien soixante et dix mille hommes sans le ribaudaille. Si
-s'alèrent li Escot coucher et reposer, car moult estoient travilliet
-pour l'assault. Quant ce vint environ le mienuit, li sires de Luzi,
-ungs très bons chevaliers et qui cappitainne pour le temps estoit de le
-ville, et qui à ce donc mies ne dormoit, mès songneuzement entendoit as
-deffenscez et as gharittez de le ville, si entendi à celle heure par
-ses espiez que li Escot estoient tout endormy et ne faisoient de get:
-si quella tantost environ deux cens compaignons ablez et legiers, bien
-armés et bien montéz, et se parti sus l'ajournée dou Noef Castiel par
-une posterne, et s'en vint autour secretement et couvertement ferir en
-l'ost des Escos, et d'aventure eschei ens ès logeis le comte de Moret,
-ung grant seigneur d'Escoce. Si escriièrent li Englèz leur cri, et se
-boutèrent ens de plains eslais, et navrèrent et tuèrent pluiseurs
-Escos. Et fu li dis comtes de Mouret trouvés en son lit, et pris et
-montés sour ung ceval et amenés comme prisonniers dedens le ville, et
-encorrez se combatoient li autre, li sirez de Luzi et ses gens. Li hus
-et li cris monta; Escochois s'esvillièrent et s'armèrent et alumèrent
-grans feux, et vinrent ceste part, chacuns qui mieux mieux, où la noise
-estoit. Quant li Englès virent que poins fu, si se retrairent sagement
-et bellement deviers leur ville, et y rentrèrent sans dammaige.
-
-Moult fu li roys David d'Escoce courouciéz, et ossi furent tout li
-Escot, quant il seurent le comte de Mouret pris. Si se armèrent tout
-communaument au matin et sonnèrent leurs trompettez, et s'en vinrent
-comme gens forsenés devant le Noef Castiel et l'assaillirent très
-durement. Et dura chilz assaux tout le jour, et en y eut pluiseur
-navrés dedens et dehors. Touttes voiez, li assallant ne peurent riens
-concquerre sus les deffendans, mès des lors y eut pluiseurs blechiéz.
-Fos 61 vo et 62.
-
-P. 121, l. 2: que cescuns.--_Ms. B 6_: que tous fievés et arrières
-fievés fus(s)ent à ung certain jour en la ville de Hainbourcq. Fo 192.
-
-P. 121, l. 4: d'Orkenay.--_Mss. A 8, 9_: d'Okenay. Fo 77. _Mss. A 11 à
-14_: de Kesnay. Fo 81.
-
-P. 421, l. 4: uns grans princes.--_Ms. B 6_: ung sien serouge du
-royaume de Suède qui s'apelloit Robert, conte d'Orkenay. Là vint le
-conte de Mouret, le conte de Surllant, le conte de Mare, le conte de
-Bosquem, le conte de Saint Andrieu, l'evesque d'Abredane, le sire de
-Brasy et tous les barons et fievés d'Escoche. Et furent bien tous
-ensamble six mille hommes d'armes et quarante mille d'autres gens parmy
-ceulx de le Sauvaige Escoche que Jehan des Adtulles amena. Fo 192.
-
-P. 121, l. 16: appareilliet.--_Ms. B 6_: Et estoient toutes gens à
-cheval, et portoient par derière eulx de la ferinne tant seullement
-pour faire du pain, pour vivre à necessité pour dix huit ou vingt
-jours. Fo 192.
-
-P. 122, l. 10: le Noef Chastiel.--_Ms. B 6_: Et quant il eurent ainsy
-fait, il toursèrent tout l'avoir et se misrent au chemin et prirent
-leur retour devers Noef Chastel: et estoient sy fort chergiés que à
-paine povoient aller avant. Sy se logèrent devant le Noef Chastiel, et
-dirent que i(l) l'assairoient, se par assault il le pourroient
-conquerre. Sy l'asallirent ung jour tout entir par trois ou quatre
-fois, mais riens n'y firent, car il y avoit dedens bien trois cens
-armés de fer qui le ville aydèrent à garder, et ossy elle estoit forte.
-
-Quant che vint par nuit que les Escochois tous lassés et travilliet
-furent retrais à leur logis, le cappitaine de Noef Chastiel s'avisa que
-il resvilleroit les Escochois. Sy fist armer tous les compaignons de là
-dedens et monter à cheval; et estoient environ deus cens et otant quy
-gardèrent le porte. Sy chevauchèrent ces Englès coiement jusques à tant
-que il vinrent en l'ost, et trouvèrent les Escochois tous endormis sans
-faire gait. Sy se ferirent en l'ost et en criant leur cry, en abatant
-et ochiant les Escochois à forche. Et allèrent adonc sy avant que il
-vinrent au logis du conte de Mouret: là ot grant hustin. Et fut le dit
-conte prins, en sa tente, et pluseurs de ses gens mors. Et s'en
-retournèrent devers le Noef Chastel et rent(r)èrent dedens sans nulz
-dangiers, anchois que les Escochois furent estourmis.
-
-Quant les Escochois seurent le prise du conte de Mouret, sy furent
-comme tous foursenez, et passèrent celle nuit à grant malaise. Et quant
-che vint au matin, il s'armèrent et se mirent en ordonnanche pour
-assaillir, et assallirent le Noef Chastiel par pluiseurs assaulx. Et
-dura le dit assault par quatre jour(s), mais riens n'y firent. Fos 194
-et 195.
-
-P. 122, l. 17: deus cens.--_Mss. A 11 à 14_: quatre cens. Fo 81 vo.
-
-
-=§ 153.= P. 123, l. 5: Quant li rois David.--_Ms. d'Amiens_: Quant li
-roys d'Escosse et ses conssaulx virent que il se lassoient et
-travilloient en vain, il s'ordonnèrent au deslogier et se missent au
-chemin contremont ceste belle rivière de Thin, et passèrent à Bransepès
-ung très fort castiel au seigneur de Noefville. Si l'assaillirent et
-ardirent toutte le ville, mès le fortrèce ne peurent il avoir, et assés
-priès de là il passèrent le rivière de Thin et entrèrent en l'evesquiet
-de Durem. Si le ardirent moult et gastèrent de tous costéz, puis se
-traisent devant le chité de Durem et le assegièrent, et disent
-entr'iaux que elle estoit bien prendable et que de là ne se
-partiroient, si l'aroient. Or vous diray dou seigneur de Ros et dou
-seigneur de Luzi, qui se tenoient au Noef Castiel. Quant il eurent
-consideret le puissanche as Escos, ossi leur emprise et comment il
-ardoient et essilloient le pays et chevauchoient toudis avant, il
-eurent consseil qu'il le segnefieroient au roy englèz, leur seigneur,
-enssi qu'il fissent. Et se parti uns escuiers d'iaux, et cevauça tant
-par nuit et par jour que dedens quatre jours il vint à Windesore, où li
-roys englèz se tenoit. Adonc li bailla il lez lettrez de creanche des
-chevaliers dessus dis. Quant li roys les tint, si les fist lire et
-entendi par celles son dammaige et le confusion de ses gens et de son
-pays, dont il fu mout courouciéz; mès la prise dou conte de Mouret ung
-petit le resjoi. Si fist tantost li roys englès escripre lettres, et
-mist messagiers en oevre et envoya par tout son royaumme, que chacuns
-sour toutte amistéz et feaultéz se traissent deviers le chité de
-Ewruic, sans nul delay, à tout ce que de gens pooit avoir, et que
-chacuns s'efforçast, car li Escot estoient grant cantitet. Si rescripsi
-par le dit escuier qui les nouvelles avoit apportées, as deux banerèz
-dessus diz, qu'il fuissent songneus seloncq leur pooir de garder lez
-frontières, car il seroit temprement ou royaumme de Norhombrelande. Li
-escuiers parti et retourna arrière. Li roys se hasta pour plus tost
-mettre ses gens à voie, et prist le chemin pour venir à Iorch, où ses
-mandemens estoient assis et ordonnés.
-
-En che pendant que li roys venoit vers Ewruich et que il mandoit gens
-efforceement de touttes pars pour resister as Escos, li roys David
-d'Escoce, qui trop durement estoit courouchiés de la prise son cousin
-le comte de Moret, seoit à siège devant le chité de Durem, et durement
-le constraindoit d'assaut et d'escarmuches, et mout se pennoit de le
-prendre, car bien savoit que la cité estoit garnie et pourveuwe de
-grant avoir pour le pays d'environ, qui tous afuis y estoit.
-Finablement tant y furent li Escot et si continuellement l'asaillirent
-que de force il le prissent par force d'enghiens et d'estrumens qu'il
-eurent fès, dont il brisièrent et destruisirent tous les murs, et
-entrèrent ens à effort. Là eult grant ocision et grant pité, car il
-misent tout à l'espée et sans merchi, hommez et femmez, enffans, clers
-et prebtrez, et robèrent et pillièrent lez maisons où il trouvèrent
-avoir sans nombre. Depuis le chité prise, il s'en vinrent deviers
-l'eglise catedral qui siet haut sus ung terne; et l'avoient li chanonne
-fortefiiet, et estoient dedens retret à garant; mès li Escos, dont che
-fu grant pité et grant cruauté, boutèrent le feu ens et le ardirent et
-tous chiaux qui dedens estoient, sans nullui prendre à merchy. Ensi fu
-menée la bonne chité de Durem, des Escos, dont che fu dammaigez. Fo 62.
-
-P. 123, l. 10: Duremmes.--_Ms. B 6_: Sy entrèrent les Escochois en le
-conté de Northombrelant, et ardirent moult villainement la terre au
-signeur de Persy et du seigneur de Noefville. Fo 193.
-
-P. 123, l. 24: Chartesée.--_Mss. A 1 à 6, 20 à 29_: Carthesée,
-Cartezée. Fo 85.--_Mss. A 18, 19_: Tarcheste. Fo 85.
-
-P. 124, l. 5: dou north.--_Mss. A 1 à 6_: de Northonbrelande. Fo
-85.--_Mss. A 7 à 33_: du north. Fo 78.
-
-P. 124, l. 30: honnerés.--_Mss. A 1, 3 à 6, 18 à 22_: nuit et
-jour.--_Ms. A 2_: chacun jour. Fo 85.
-
-
-=§ 154.= P. 124, l. 31 et p. 125, l. 1 à 3: Quant... Galles.--_Mss. A
-11 à 14_: Le roy anglois s'en partit le lendemain de la bonne cité de
-Ewruich moult liement pour les nouvelles que monseigneur Guillaume du
-Bailleul lui avoit apportées. Et avoit aveques lui environ sept mille
-armeures de fer, quatorze mille archiers et bien quatre vingt mille
-hommes de pié. Mais quand les Escos sceurent sa venue, ilz
-conseillièrent au roy David leur seigneur qu'il se retrairoit arrière
-selon la rivière de Thin et se trairoit par devers la bonne cité de
-Cardueil qui est à l'entrée de Galles. Fo 82.
-
-P. 125, l. 3: Galles.--_Ms. d'Amiens_: à cel lés là. Fo 62 vo.
-
-P. 125, l. 10: Sallebrin.--_Ms. d'Amiens_: en ce tamps li plus belle et
-li plus frisce damme d'Engleterre. Fo 62 vo.
-
-P. 125, l. 27: quarante.--_Ms. d'Amiens_: soixante. Fo 62 vo.
-
-
-=§ 155.= P. 127, l. 15: reconfortoit.--_Ms. d'Amiens_:... pour qui on
-se devoit enssi travillier, tant estoit belle et douche. Et dura chilx
-assaulx tout le jour. Et au soir il se retrayrent à leurs logeis; et à
-l'endemain recommenchièrent l'assault fort et fier, tant estoient
-courouchiet sour chiaux du castiel de Sallebrin. Ensi continuoient li
-Escochois de jour en jour, et appareilloient leurs enghiens pour
-drechier et pour plus adammagier chiaux dou fort; car bien veoient que
-autrement il ne les pooient avoir. En ces meysmes jours vint li roys
-d'Engleterre en le cité d'Ewruich, et y souratendoit ses gens qui
-venoient de tous costéz à grant effort. Car bien estoit li renoummée en
-Engleterre que li roys d'Escoce ne fu oncques de trop si fort sus les
-camps qu'il estoit adonc; et pour ce venoient deviers le roy au plus
-efforchiement qu'il pooient, et pour combattre les Escos, se il les
-trouvoient ou attendoient.
-
-Entroex que li roys englèz estoit à Ewruich, eurent chil dou castiel de
-Sallebrin pluisseurs assaux et furent moult apressé de leurs ennemis;
-et se li roys englès le sewist, il se fuist plus hastéz qu'il ne fist
-pour secourre le gentil contesse de Sallebrin. Or n'est qui l'en die
-lez nouvellez, mès il les sara temprement, si comme vous poréz oïr
-recorder, se il vous plaist.
-
-Chil dou castiel de Sallebrin estoient durement travilliet et appresset
-des Escochois. Et si en y avoit entr'iaux grant fuison de blechiés, et
-veirent bien que li fais leur estoit grans; et se li rois David
-maintenoit son pourpos, il aroient fort tamps. Si eurent consseil que
-il envoieroient certain message deviers le roy englèz, que il
-esperoient à Ewruich, car bien avoient oy parler dou mandement si
-especial qu'il avoit fait et dou jour qu'il y devoit estre, liquelx
-termes estoit venus et cinq jours oultre. Si regardèrent et ymaginèrent
-entr'iaux qui seroit tailliéz de faire ce messaige. Pluiseurz en y
-avoient, mès tout s'escusoient l'un par l'autre que jà pour leur
-honneur ne lairoient la damme ne le castiel, et en y eult entre yaux
-grant estrif. Quant messires Guillaume de Montagut vit le bonne
-vollenté de ses compaignons, et v(e)oit d'autre part le meschief et le
-peril où il pooient escheir se il n'estoient secourut, si leur dist:
-«Seigneur, je vois bien vostre loyaulté et vostre bonne vollenté: si
-ques, pour l'amour de madamme et de vous, je metteray mon corps en
-aventure pour faire cesti messaige, car jou ay tel fianche en vous,
-seloncq chou que j'ay veu, que vous detenrés bien le castiel jusquez à
-ma revenue. Et ay d'autre part si grant esperance el roy nostre
-seigneur, que je vous amenray temprement si grant secours, que vous en
-arés joie; et vous seront bien meri li bienfait que fait arés.»
-
-Quant la nuis fu venue, li dis messire Guillaumme se appareilla dou
-mieux qu'il pot, pour plus paisivlement yssir de layens qu'il ne fust
-percheus de chiaux de l'ost. Se li avint si bien qu'il pleut toute le
-nuit si fort que nulx des Escos n'osoit yssir hors de sa loge. Si passa
-environ mienuit tout parmy l'ost, que oncques ne fu apercheus. Quant il
-fu passés et eslongiés environ deux lieuwes l'ost, il fu grans jours:
-si chevaucha avant et encontra, ung peu après soleil levant, deux
-hommes d'Escoce entours à trois lieuwes priès de l'ost, qui amenoient
-deus buefs et une vache par deviers l'ost. Messires Guillaummes congnut
-qu'il estoient Escos: si les navra tous deux durement et tua leur
-bestez, pour tant qu'il ne volloit mies que chil de l'ost en ewissent
-nulle aise. Puis dist as deux navrés: «Alléz, si dittes à vostre roy
-que Guillaummes de Montagut vous a mis en ce point en son despit; et li
-dittes que je voi querre le gentil roy d'Engleterre, qui li fera
-temprement wuidier ceste place maugré lui.» Chil li proummisent qu'il
-feroient vollentiers cest messaige, mès qu'il lez laissast atant à pès.
-Lors se parti li dis messires Guillaummes des Escos, et chevaucha sus
-fleur de coursier et fist tant que il vint à Ewruich, où il trouva le
-roy englès et grant fuison de comtez, de barons et chevaliers dallés
-lui. Si li compta son messaige de par le damme de Sallebrin, au mieux
-et au plus biau qu'il peult. Li roys y entendi vollentiers et respondi
-que il ne laisseroit nullement que il ne souscourist la damme et ses
-gens; et se plus tost ewist sceut là où li Escot estoient et le mescief
-et peril dou castiel et de la damme, plus tost fust allés celle part.
-Si ordonna et coummanda tantost li roys par son connestable et ses
-marescaux, que chacuns fust apareilliés à mouvoir l'endemain, et que on
-fesist toudis les venant traire avant, et chevauchier apriès son host
-qu'il avait moult grant. Fos 62 vo et 63.
-
-P. 128, l. 11: bacelers.--_Mss. A 1 à 6, 20 à 22_: chevalier. Fo 86.
-
-P. 129, l. 4: à demi liewe.--_Mss. A 11 à 14_: à deux lieues. Fo 83.
-
-P. 129, l. 17: Evruich.--_Mss. A 8 à 10_: Bervich. Fo 77.--_Mss. A 1 à
-7, 11 à 19, 30 à 33_: Evruich. Fo 86.--_Mss. B 3 et A 20 à 22_:
-Vervich, Warvich. Fo 77.--_Mss. A 23 à 29_: Enervich, Everuich. Fo 100.
-
-P. 129, l. 19: au roy.--_Ms. B 6_: et trouva le roy d'Engleterre et
-plus de quarante mille hommes qui estoient tout esmervilliés que les
-Escochois estoient devenus. Fo 197.
-
-P. 129, l. 20: sen ante.--_Mss. A 1 à 7, 18 à 22_: sa tante. Fo 86.
-
-
-=§ 156.= P. 129, l. 30: Li rois.--_Ms. d'Amiens_: Li roys Edouwars se
-parti l'endemain de le cité d'Ewruich mout liement pour lez nouvelles
-que li dis messires Guillaummes de Montagut li avoit aportées. Et avoit
-bien avoecq lui cinq mille armurez de fier, dix mille archiers et
-soixante mille hommes de piet, qui tout le sieuwoient. Et toudis li
-venoient gens.
-
-Quant li baron d'Escoce et li maistre consillière le roy David seurent
-que li dis messires Guillaummes de Montagut avoit ensi passet parmy
-leur ost et que il s'en alloit querre secours au roy englès, et
-savoient bien que li roys Edouwars estoit à Ewruich à grant gent, et le
-tenoient de si grant couraige et si gentil qu'il ne lairoit nullement
-qu'il ne venist tantost sour yaux pour souscourre la damme et chiaux
-dou castiel, il parlèrent enssamble, endementroes que li roys David
-faisoit souvent et ardamment assaillir. Et veoient bien que li roys
-David faisoit ses gens navrer et martiriier sans raison. Et veoient
-bien que li rois englès venroit bien ainchois combattre à yaux que leur
-roys pewist avoir concquis ce castiel, ensi qu'il cuidoit. Si parlèrent
-ensamble au roy David d'un accord, et li dissent qui li demorer là
-n'estoit point ses pourfis, ne sen honneur; car il leur estoit moult
-honnerablement advenu de leur emprise. Et avoient fait grant despit as
-Englès, qui avoient jeut en leur pays vingt deux jours et ars et
-essilliet tout autour, et pris par force la cité de Durem et mise toute
-à grant destruction. Et li conssillièrent que il s'en volsist raller
-deviers son royaumme, par deviers le forest de Gedours; car il savoient
-de certain que li roys englès venoit viers yaus à si grant puissanche,
-qu'il n'aroient pooir de combattre à lui, ne de contrestrer à se
-puissance. Si leur en poroit grant meschief avenir. Li roys David fuist
-vollentiers demourés pour atendre lez Englès et le bataille et le
-aventure de Dieu, se par son consseil en allast. Mais ses gens li
-moustrèrent tant de raisons que trop loingues seroient à recorder, que
-tous li os des Escos se desloga au matin, et en rallèrent droit par
-deviers le grant forest de Gedours, le chemin que autres fois il
-avoient tenut pour estre au dessus de leur affaire, et pour veoir et
-attendre que li roys englès volroit faire de donc en avant, ou se il se
-retrairoit arrière, ou se il yroit avant et trairoit en leur pays. Fo
-63.
-
-P. 129, l. 31: Evruich.--_Mss. A 1 à 7, 11 à 19, 30 à 33_: Evruich. Fo
-86 vo.--_Mss. A 8 à 10_: Bervich. Fo 79.--_Mss. B 3 et A 20 à 22_:
-Vervich, Warvich. Fo 77.--_Mss. 23 à 29_: Enervich. Fo 100.
-
-P. 130, l. 10: quatre vingt mille.--_Mss. A 1 à 6, 8 à 10, 20 à 22_:
-quatre mille. Fo 86 vo.
-
-
-=§ 157.= P. 131, l. 21 et 22: dix ou douze.--_Ms. d'Amiens_: vingt ou
-vingt deux. Fo 63 vo.
-
-P. 131, l. 30: le grant noblèce.--_Ms. d'Amiens_: le frisce et gentil
-arroi. Fo 63 vo.
-
-P. 132, l. 7: n'avoit veu.--_Ms. d'Amiens_: si bien adrechie en touttes
-mannierres de biautés, de frisce et gai maintien, de noble arroy et de
-parfaitte et atrempée contenanche. Fo 63 vo.
-
-P. 132, l. 9: fine amour.--_Les mss. A 11 à 14 ajoutent_: que ma dame
-Venus lui envoya par Cupido, le Dieu d'amours. Fo 83 vo.
-
-P. 132, l. 10: lonch temps.--_Ms. d'Amiens_: car c'est uns feus qui
-fuissonne, qui est legiers à esprendre et malaisivlez à estaindre, et
-plus en ung coer qu'en l'autre. Et sembloit au roy, par l'estincelle
-qui jà s'esprendoit et alumoit, que ens ou monde n'avoit damme qui
-fesist à amer fors celle. Fo 63 vo.
-
-P. 132, l. 15 et 16: si ardamment.--_Ms. d'Amiens_: et ne s'en pooient
-li oeil soller, et de si ardent regart. Fo 63 vo.
-
-P. 132, l. 19: ne pensoit.--_Ms. d'Amiens_: qui au penssement dou roy
-ne penssoit noient. Fo 63 vo.
-
-P. 132, l. 23: quant temps seroit.--_Mss. A 1 à 6_: quant temps fut à
-mettre les tables, elle fist la salle parer et ordonner. Fo 87.--_Mss.
-A 11 à 14_: mettre les tables en la salle moult bien parée et ordonnée
-comme pour le roy. Fo 83 vo.--_Mss. A 15 à 17_: mettre les tables en la
-sale qui jà estoit moult noblement parée aussi comme pour un roy
-recepvoir. Fo 88.--_Mss. A 20 à 22_: quant temps fu de drescier les
-tables, elle fist la salle parer et ordonner bien richement. Fo 131.
-
-P. 132, l. 24: parer.--_Ms. d'Amiens_: Ensi comme il appertenoit pour
-le roy d'Engleterre. Fo 63 vo.
-
-
-=§ 158.= P. 133, l. 12: vous estes.--_Ms. d'Amiens_: li ungs dez
-princes del monde li plus doubtéz. Fo 63 vo.
-
-P. 133, l. 24: vos amans.--_Ms. d'Amiens_: vos vraiz amans.
-
-P. 134, l. 4: emprisonnés.--_Mss. A 11 à 14_: à Paris. Fo 84.
-
-P. 134, l. 9: desmembrer.--_Ms. d'Amiens_: qui mes drois, souverains,
-naturelz sirez estez. Fo 64.--_Mss. A 11 à 14_: pour donner exemple aux
-aultres d'estre loiales à leurs maris. Fo 84.
-
-
-=§ 159.= P. 134, l. 15: avés vous.--_Ms. d'Amiens_: A ces mos et à la
-parolle de la damme, li rois se parti de la fenestre où ung grant tens
-il s'estoit apoiiés, et s'en vint en la salle et lava. Et puis se asist
-entre ses chevaliers et la damme au disner; mès petit i sist, car autre
-cose li touchoit que boire ne que mengier. Et trop durement seant à
-table penssoit, dont li chevalier meismement s'esmervilloient, car il
-avoit eult en devant usaige de rire et jeuuer, et de vollentiers oïr
-aucunnez trufferiez pour le temps oubliier, mais là il n'en avoit cure
-ne talent. Ainchois, quant il pooit ung seul regart embler et envoiier
-sus la damme, il li faissoit trop grant bien. Et furent adonc regart et
-pensser le plus grant partie dou disner le roy. Fo 64.
-
-
-=§ 160.= P. 135, l. 6: Toutes voies.--_Ms. d'Amiens_: Apriès disner on
-leva lez tablez. Si envoya li roys monseigneur Renaut de Gobehen et
-monseigneur Richart de Stanfort à l'ost et as compaignons qui desoubz
-le castiel estoient logiet, savoir comment il le faisoient, et qu'il
-fuissent appareilliet, car il volloit cevaucier encorrez oultre et
-sieuwir les Escos, et que on fesist tout le charoy et tout le harnas
-esploitier devant, et que dou soir il seroit avoecq yaus. Et ordonna le
-comte de Pennebruch à faire l'arrierre garde à tout cinq cens lanches,
-et que chil l'atendesissent sus les camps tant qu'il venroit, et tout
-li demourant chevauçaissent avant. Li doy baron fissent tout ce qu'il
-coummanda.
-
-Et il demoura encorres ens ou castiel de Sallebrin dalléz la damme, et
-esperoit bien ainschois son departement que il aroit de la damme
-responsce plus agreable qu'il n'avoit eue. Si demanda les eschès, et la
-damme li fist aporter. Adonc pria li roys à la damme que elle volsist
-jeuer à lui; et la damme li acorda liement, qui li faisoit toutte le
-bonne chière que elle pooit. Et bien estoit tenue dou faire, car li
-roys li avoit fait ung biau serviche de lever le siège des Escos de
-devant son castel, dont elle estoit en grant peril; et se li devoit le
-damme faire, pour tant que li roys estoit ses drois naturés sires de
-foi et hoummaige. A l'entrée dou jeu des escès, li roys, qui volloit
-que aucunne cose demourast dou sien à la damme, l'asailli en riant:
-«Damme, que vous plaist il à mettre au jeu?» Et la damme li respondi:
-«Sire, et vous ossi?» Adonc mist li roys avant ung très bel aniel qu'il
-portoit en son doi, à ung gros rubi sus le tablier. Lors dist la damme:
-«Sire, sire, je n'ay nul aniel si riche comme li vostre est.»--«Damme,
-dist li rois, telz que vous l'avés, metés le avant. Je n'y preng pas de
-si priès garde.»
-
-Adonc la comtesse, pour acomplir la vollenté du roy, traist hors d'un
-doy ung anelet d'or, qui n'estoit pas de grant vaille. Si jewèrent as
-escèz enssamble, la damme à son avis au mieux que elle pooit, affin que
-li roys ne le tenist pour trop simple et ygnorans; et li roys se
-faindoit, car pas ne jewoit dou mieux qu'il savoit. Et à painnes y
-avoit nulle espasse dez très, que il ne regardast si fort la damme que
-elle en estoit toutte honteuse, et s'en fourfaisoit bien en traiant. Et
-quant li roys veoit que elle s'estoit fourfaite d'un rock, d'un
-chevalier ou de quoy que fuist, il se fourfaisoit ossi pour remettre la
-damme en son jeu.
-
-Tant jeuèrent que li roys le perdi, et fu mas d'un aufin. Adonc se leva
-la damme et demanda le vin et lez espisses, car li roys par samblant
-volloit partir. Et prist la damme son aniel et le mist en son doy, et
-volsist trop bien que li roys ewist repris le sien, et li ossi offri et
-dist: «Sire, il n'appertient pas qu'en mon hostel jou aie riens del
-vostre, ainchois en deveriés porter dou mien.»--«Dame, dist li roys, si
-fait, car li jeus l'a porté ensi; et se je l'ewisse gaegniet, tenés
-veritablement que j'en ewisse porté le vostre.» La damme ne vot adonc
-plus presser le roy; mès s'en vint à une sienne dammoiselle, et li
-bailla l'aniel, et li dist: «Quant vous verrez jà que li roys sera
-partis de ceens et qu'il ara pris congiet de moy et qu'il devera monter
-à cheval, si vous avanchiés et li rendéz tout bellement son aniel, et
-li dittes que nullement je ne le voeil detenir, car point n'apertient.»
-Et la dammoiselle li respondi que elle le feroit vollentiers. A ces mos
-vinrent espisses et vins. Et n'en vot oncques prendre li roys devant la
-damme, ne la damme ossi devant lui; et y eut là grant estrit tout en
-reviel. Finablement, il fu acordé que il prisent tout doy enssamble,
-ossi tost li ungs comme l'autre, par cause de briefté. Apriès ce fait
-et que li chevalier le roy eurent tout beu, li roys prist congiet à la
-damme et li dist tout haut, affin que nulx n'y penssast: «Damme, vous
-demourés en vostre hostel, et je m'en irai sieuwir mes ennemis.» La
-damme, à cez mos, s'enclina bien bas devant le roy. Et li roys mout
-apertement le prist par le main droite, et li estraindi ung petit, et
-ce li fist trop grant bien, en signe d'amour. Et regarda li roys que
-chevaliers et dammoiselles s'ensonnioient de prendre congiet l'un à
-l'autre; si s'avança encorrez de dire deux mos tant seullement: «Ma
-cière damme, que Dieu vous coummand jusques au revenir! Si vous pri que
-vous vos voeilliéz aviser et autrement y estre consseillie que vous ne
-me aiiés dit.»--«Chiers sires, respondi la damme, li Pèrez glorieux
-vous voeille conduire et oster de villainne penssée et deshonnerable,
-car je sui et seray toudis conssillie et appareillie de vous servir à
-vostre honneur et à le mienne.»
-
-Atant se parti li roys de le cambre, et la damme ossi, qui l'aconvoya
-jusqu'en la salle où sen pallefroi estoit. Se dist li roys que il ne
-monteroit point à cheval tant que la damme fust là: si que pour cause
-de briefté la comtesse prist congiet de tous poins pour ceste fois au
-roy et à ses chevaliers, et rentra en ses cambrez avoecq ses
-dammoiselles. Ensi que li roys devoit monter, la dammoiselle qui estoit
-enfourmée de sa damme, s'en vint au roy et s'engenouilla; et quant li
-roys le vit, il le leva moult tost et quida que elle volsist parler
-d'autre matère que elle ne fist. Se li dist: «Monseigneur, vechy vostre
-aniel que madamme vous renvoie et vous prie humblement que vous ne le
-voeilliés tenir à villonnie, que point ne voet qu'il demeurèce par
-deviers elle. Vous li avés fait tant en autres mannierrez que elle est
-tenue, ce dist, à tousjours d'estre vostre serve.» Li roys qui oy la
-dammoiselle et v(e)oit son aniel qu'elle tenoit, et ooit la vollenté et
-l'escuzanche de la comtesse, fu tous estonnés. Nonpourquant, comme tost
-conssilliet à son gré, et affin que li aniaux demorast laiens, ossi que
-en soy meysmes ordonné avoit, respondi briefment, car pas n'y affreoit
-longe parolle, et dist: «Dammoiselle, puisqu'il ne plaist à vostre
-damme li gaains petis que elle a fait à moy, il vous demeure.» Apriès
-che parlet, il monta tantost et se parti et yssi hors dou castiel, et
-se mist sour les camps avoecq ses chevaliers, et trouva le comte de
-Pennebrucq qui l'atendoit à bien cinq cens lanches. Adonc se partirent
-il tout enssamble et sieuwirent l'ost. Et la damoiselle dont vous avés
-oy, revint à sa damme et ly recorda la responsce dou roy, et li vot
-rendre l'anniel d'or que li roys avoit perdu as escèz. Mais la damme ne
-le volt prendre; ains dist que elle n'y clammoit riens et que li roys
-li avoit donnet: si en fesist son pourffit. Enssi demoura li aniaux dou
-roy à a damoiselle.
-
-Or lairons nous à parler de madamme Aelis la comtesse de Sallebrin; si
-revenrons au roy englès et as Escos. Depuis que il se fu partis dou
-castiel dessus dit, il chevaucha ceste remontière jusquez au soir, que
-il trouva son grant ost logiet sour ungs plains dou loncq d'une
-rivière. Si se remist entre les contes et les barons et fist asséz
-bonne chierre, et se couvri au mieux qu'il peult de moustrer comment il
-li estoit dedentrainnement; ne à nullui, tant fust ses especials amis,
-ne s'en fust descouvers. Pour ce ne sentoit il mies mains les maulx
-d'ainmer, car si fort en estoit espris, que en son requoy il n'y
-faisoit que pensser. Et li avint sour ce voiaige pluisseurs fois que,
-quant il estoit assis à table, il mengoit mout petit et n'y faisoit que
-pensser: de quoy ses gens s'esmervilloient dont tel penssement li
-pooient venir. Et quidoient que ce fuist pour les Escos qui jà, en
-ceste année, par deux fois l'avoient travilliet de chevauchier apriès
-yaux; et point n'en avoit eue se raison, car toudis s'en refuioient il
-vers le forest de Gedours, et encorres tenoient il che chemin; si l'en
-ostoient li baron dou plus qu'il pooient. Et bien souffroit li roys,
-pour lui couvrir, que de son pensser li Escot fuissent encouppé, et il
-escuzéz en aultre mannierre.
-
-Tant chevaucha li roys poursieuwans les Escos, que il les trouva logiés
-et retrès oultre le chité de Bervich, bien trois journées à l'entrée
-des bois de Gedours que il avoient mis au dos. Et estoient li dit Escot
-là arestet sour les camps moult faiticement, mès tous les soirs il
-rentroient dedens les bois où li Englès ne se fuissent jamès enbatu: de
-ce estoient il tout aseur. Li rois coummanda à logier touttes
-mannierres de gens devant les Escos, et missent tout leur charoy entre
-les Escos et eux; et furent là cinq jours, li uns devant l'autre, que
-tout les jours li Escot yssoient hors des bois et moustroient par
-samblanche que il se volsissent combattre. Et ordonnoient li Englès
-touttes leurs batailles et esperoient à avoir de jour en jour
-besoingne; mès point ne partoient de leur arroy, fors aucuns baceler
-aventureux qui, pour aquerre pris d'armes, chevauçoient avant et
-requeroient jouste as Escos. Si sachiés qu'il estoient recheu, ne
-oncques nulx ne se parti escondi, et li Escot enssi sour yaux. Ossi de
-archers et de compaignons de piet de l'un lés et de l'autre il i eut
-pluiseurs escarmurches et paletis, des mors et des navrés de l'un lés
-et de l'autre; mès point ne se desroutoient les batailles pour jouste,
-ne pour escarmuche qui y fuist. Et emportoient dou tout le huée, des
-Escos messires Guillaume Douglas et messires Simons Fresel, et ungs
-chevaliers de France qui autrefoix avoit estet en Escoce et qui
-presentement avoit rappasset le mer avoecq le roy d'Escoche pour querre
-les armes, que on clammoit messire Ernoul d'Audrehen. Chils y fist
-maintes belles appertises d'armes. Des Englès y avoit pluiseurs bons
-chevaliers, plus que il n'y ewist des Escos, car il estoient plus grant
-fuison. Et par especial messires Gautiers de Mauni, messires Loeys de
-Biaucamp, messires Jehans Cambdos et messires Guillaummes Filz Warine y
-fissent ossi tamainte belle proèche. Fo 64.
-
-P. 135, l. 28: apriès les Escos.--_Ms. B 6_: Et (li Escochois) se
-partirent de Sallebrin, et fut environ heure de tierche, et le roy
-d'Engleterre vint là à nonne. Sy fut durement courouchiés quant il
-sceut que les Escochois estoient partis. Nienmains il les sievy à route
-et se loga ce soir à trois lieues près d'eulx. Et l'endemain il fut
-nonne ains que ly ung vinrent. Mais les Escochois estoient à l'entrée
-de leur pais et avoient les grandes forests au dos où au besoing il se
-povoient retraire, ne jamais les Englès ne les euissent là cachiés.
-Ensy furent les Englès et les Escochois trois jours devant l'un l'autre
-en une marche entre Gallez et Escoche que on dist Cambray et les bos de
-Saint Amant. Fo 199.
-
-P. 135, l. 29: Bervich.--_Mss. A 7 à 10, 18 à 22, 30 à 33_: Bervich. Fo
-81.--_Mss. B 3, A 1 à 6, 23 à 29_: Vervich. Fo 78 vo.--_Mss. A 11 à
-17_: Wruich.--Fo 84 vo.
-
-P. 135, l. 30: forest de Gedours.--_Mss. A 11 à 14_: grant fourest de
-Gedours. Fo 84 vo.--_Mss. A 15 à 17_: grant et haulte fourest de
-Gedours. Fo 89.--_Mss. A 18, 19_: cité de Gedours. Fo 88.
-
-
-=§ 161.= P. 136, l. 15: Tous ces trois jours.--_Ms. d'Amiens_: Che
-terme durant, preudomme et saige chevalier de l'un ost et de l'autre,
-avoecquez deuz evesques, cesti de Wincestre, englès, et cesti de Saint
-Andrieu, escot, traitièrent ung respit entre ces deux roys à une
-delivranche dou comte de Moret, qui estoit pris deviers les Englès, et
-ossi dou comte de Sallebrin et dou comte de Sufforc, qui estoient
-prisonnier à Paris deviers le roy de Franche. Et enclinoient chil troy
-prison les coers de ces deux roys et des plus grans de leur ost à
-tretier un respit et yaux ravoir chacun le sien, car il avoient là des
-grans amis et dou linage qui vollentiers les veissent delivréz. Ossi il
-estoient pris en armes en servant loyaumment leur seigneur, pour quoy
-chil roy et chil qui dou tretiet s'ensonnioient, y entendirent plus
-volentiers. Finablement tant fu tretiet et parlementet, que unes
-trieuwes furent acordées à durer deux ans, se li roys Phelippes de
-Franche s'y assentoit, car li roys d'Escoce estoit si fort aloiiés à
-lui, que il ne pooit donner trieuwe ne respit, ne faire pais sans lui.
-Et se li roys Phelippes ne s'i volloit acorder, si devoient les
-trieuwes durer jusquez à le Saint Christophle, par telle condition que
-li rois englès ne devoit faire nul comfort ne aydde à ces Englès qui
-avoient pris et saisi ces deux fors castiaux, Rossebourch et Strumelin.
-Et devoit y estre quittez li comtes de Moret de se prison, se li roys
-d'Escoce pooit tant pourcachier au roy de Franche que li comtes de
-Sallebrin fust quittez ossi de se prison, et li comtes de Sufforc
-receut et mis à finnanche raisonnable, enssi que on doit mettre ung
-gentil homme sans lui trop presser. Et devoit tout ce y estre
-pourcachiet dedens le feste Saint Jaque et Saint Christofle, que
-proçainement on atendoit. Celle trieuwe fu enssi acordée et affremmée
-que vous avés oy. Si departi li roys d'Escoce ses gens et dounna à
-chacun congiet de raller en son lieu jusques à tant qu'il les
-manderoit; et envoya tantost souffissans messaigez en Franche deviers
-le roy Phelippe, telz que l'evesque de Saint Andrieu et Alixandre de
-Ramesay. Et li roys englès retourna arière à Bervich et donna touttes
-ses gens congiet; et s'en ralla chacun en son lieu.
-
-Environ huit jours se tint li roys englès en le chité de Bervich et
-departi touttez ses gens, si comme vous avés oy. Et demoura là à privée
-maisnée, chiaux de son hostel tant seullement, et regarda au castiel et
-à le forterèce de le ville. Et pria et enjoindi à monseigneur Edouwart
-de Bailloeil, qui gardiiens de par lui en estoit, que il en volsist y
-estre si songneus que nuls blammes ne dammaigez ne l'en presist; car il
-seroit trop courouchiéz se li Escot li embloient ne tolloient par
-ygnoranche ne deffaulte de bonne garde. Et li dis messires Edouwars li
-respondi: «Monseigneur, nenil, se Dieux plaist. J'en songnerai dou
-tamps à venir, si comme j'ay fait jusqu'à orez.» Et li rois li dist
-qu'il s'en atendoit bien à lui.
-
-Endementroes que li roys englès sejourna à Bervich, eult il tamainte
-imagination sus le comtesse de Sallebrin, car tant fort en estoit
-enamourés, que nullement il n'en pooit partir, ne li oster. Une heure
-disoit en soy meysmes que il s'en riroit par là en Engleterre, et puis
-tantost le contredisoit, et puis afremoit que si feroit, et que au
-congiet prendre, il ne trouva pas la damme si humble enviers lui qu'il
-volsist. Pour quoy il li couvenoit remettre ses parolles en milleur
-estat, et espoir à son retour elle seroit advisée: si le trouveroit
-plus debonnaire qu'il n'avoit fait. Ensi se debatoit li roys à par
-lui. Une heure estoit merancolieux, et l'autre joieux. Une heure,
-honneurs et loiauté le reprendoient de mettre et d'arester son coer en
-tel fausseté que volloir deshonnerer si bon chevalier que le comte de
-Sallebrin, qui si loyaumment l'avoit tousjours servi. Et puis amour le
-raherdoient et li enortoient, par grant ardeur dont il estoit plains,
-que d'estre enamouré de l'amour d'une si noble, si frice, si douce et
-si belle damme, pour ung roy et encorrez en son royaumme, il n'y avoit
-point de fraude ne de desloyauté; car telz que li chevaliers estoit, il
-l'avoit fait: si s'en pooit mieux fiier que d'un autre hors de son
-royaumme. Et ossi se il estoit amoureux, c'estoit tout bon pour lui,
-pour son pays et pour tous chevaliers et escuiers, car il en seroit
-plus liés, plus gais et plus armerès; et en ordonneroit plus de
-joustez, plus de behours, de festez et de reviaux qu'il n'avoit fait en
-devant; et s'en seroit plus ablez et plus vighereux en ses guerrez,
-plus amis et plus privés à ses gens et plus durs à ses ennemis. Ensi li
-rois se devise et avise. Une heure, dist qu'il fait follie, quant il y
-pense, et que la damme pour qui il a ces assaux, est moult lonch de se
-penssée, et que elle se lairoit ainçois ocire que elle fesist cose dont
-elle recevist blamme ne deshonneur. Puis dist li rois: «Or, soit que
-elle ne me voeille ne daingne amer, si i voeil je pensser et li
-parfaitement amer, car li penssée me fait grant bien.» Ensi est li roys
-entrés en celle luite qui pas ne le laira ung grant tems, enssi comme
-vous orés recorder en avant en l'istoire. Touttesvoiez, adonc avis le
-mestria, si que, pour doubte de meffaire et de parperdre che où il
-n'avoit encorres riens, il n'osa revenir par la damme de Sallebrin; mès
-se recoummanda à lui par monseigneur Guillaumme de Montagut, sen
-nepveut. Et li dist li roys: «Guillaumme, dittes à la contesse, vostre
-ante, que elle se resjoysse, car temprement rara son marit par deviers
-li.» Et li chevalier ly respondy: «Sire, vollentiers.»
-
-Or lairons à parler dou roy englèz, qui par le Noef Castiel sour Tin,
-par Ardenton et par Dancastre, non mies par le comté de Sallebrin,
-retourna arrière vers Londres. Si parlerons des messaigiers le roy
-David d'Escoce, qui s'en vont en France, et fissent tant par leurs
-journées qu'il vinrent à Paris, où il trouvèrent le roy Phelippe et
-pluiseurs de ses barons dalléz lui; si le saluèrent bellement. Et li
-roys les rechupt en cel mannierre pour le raison de chou qu'il estoient
-estraingnier et au roy David, son bon amie. Li dit message
-remoustrèrent au roy pourquoy il estoient là venus, et des armées et
-chevauchies que li Escos et li Englèz avoient fait, li uns sour
-l'autre, et comment li Escot avoient bien ars trois journées de pays en
-Engleterre, et par especial la cité de Durem qui estoit rice et grande,
-et comment li Englèz avoient à grant effort chevauchiet contre yaux et
-nient porté de dammaige, et comment il furent cinq jours tous entiers
-logiéz li ung devant l'autre, et tous les jours y avoit joustez,
-paletis et escarmuches: «Finablement, chiers sires, unes trieuwez sont
-prises à durer deux ans, se vous l'acordéz. Endementroes croistra nos
-rois en force et en puissanche, et se repeuplera nos pays, et aquerons
-amis de tous costéz, et puis ferons une bonne gherre, forte et desperte
-as Englès, car jammais n'y aura ferme pais qui s'i tiengne: trop les
-hayons à che costé.» Li roys entendi vollentiers à leurs parolles, et
-s'acorda, pour l'amour dou roy d'Escoce et dez barons d'Escoce, à tout
-chou que ordonné avoient, ne de riens il n'y contredist. Et delivra
-quitte et delivre le comte de Sallebrin, que tenut avoit en prison plus
-de deux ans; et mist à raençon convignable le comte de Sufforch et le
-recrut sur se foy à avoir paiiet dedens l'année vingt mille escus ou
-revenir en prison. Il lez paya, si fu quittez, et li comtez de Moret
-delivréz parmy le comte de Sallebrin. Ainssi se fissent chil doy
-escange, et se tinrent lez trieuwez entre Escoce et Engleterre. Je n'ai
-nient oy parler dou contraire que elle fust de riens enfrainte. Et
-toudis guerièrent li Escot le garnison de Strumelin, qui trop leur
-cousta ainschois que il le pewissent ravoir. Si siet Strumelin droit ou
-coer de leur pays. Fo 65.
-
-P. 136, l. 18: deus ans.--_Ms. B 6_: trois ans. Fo 199.
-
-
-=§ 162.= P. 137, l. 23: Vous devés.--_Ms. d'Amiens_: Or voeil je
-retourner à l'istore de Bretaingne et parler de monseigneur Carlon de
-Blois et de la comtesse de Montfort. Vous savés bien en quel point je
-laissai le matère, le comte de Montfort pris et emprisonnet ou castiel
-de Louvre à Paris, monseigneur Carle de Blois à Nantes, et les
-seigneurs de Franche qui aidiet à coummenchier sa guerre li avoient,
-repairiet pour le cause de l'yvier, et devoient tout retourner à
-l'estet, enssi qu'il fissent. Si me seroit il bien mestier à parler des
-gherrez de Gascoingne qui trop fortez y estoient, car li comtes de
-Laille, de par le roy de France, y tenoit les camps et avoit enssi que
-tout reconcquis la grant duchié d'Acquitaine et constraindoit mout
-chiaux de Bourdiaux; car il avoit assis la forte ville de Blaves par
-terre et par aige, et n'aloit nus au devant, tant fust de grant affaire
-en Gascoingne, ne amis au roy d'Engleterre. Et n'y avoit nulle ville en
-Gascoingne, qui se tenissent pour englècez, excepté Bourdiaux, Blaves,
-Aux en Gascoingne et la forte et bonne ville de Baione. Mais telle
-estoit li intention dou comte de Laille et des seigneurs qui avoecq lui
-estoient, que l'une apriès l'autre il les concquerroit. Or revenrons à
-le gerre de Bretaingne et lairons à parler de ceste de Gascoingne:
-quant temps et lieux sera, bien y retourons.
-
-Si parlerons coumment messires Carlez de Blois estoit tous quois
-demourés en le cité de Nantes, et ens ou pays d'entours qui obeissoit à
-lui, demoura tout l'ivier, si comme vous avés oy par devant, sus
-l'estat que li dus de Normendie, ses cousins et li comtes d'Alenchon,
-ses onclez, li avoient ordonnet, et atendoit le saison d'esté, en
-laquelle fait milleur hostoiier qu'il ne face en le saison de yvier. Et
-quant celle douce saison (d'esté) fu revenue, tout chil signeur de
-France deseure noummet et grant fuison de autres gens avoecq yaux, s'en
-rallèrent par deviers Bretaingne à grant puissance, pour aidier
-monseigneur Charlon de Blois à reconquère le remannant de le duchet de
-Bretaingne: dont il advinrent moult de grant merveilles et de biaus
-fais d'armes, ensi comme vous porés oïr.
-
-Quant tout li seigneur furent venu à Nantes, là où il trouvèrent
-monseigneur Charlon de Blois, il orent consseil qu'il assiegeroient le
-cité de Rennes. Si yssirent de Nantes en grant arroy, et s'en allèrent
-par deviers Rennes et le assegièrent tout environ. La contesse de
-Montfort, qui se tenoit à Hainbon, l'avoit, au partir et tout l'ivier,
-si bien pourveue et garnie de bonne artillerie, de touttez pourveanchez
-et de bonne gent d'armes, que elle en estoit plus forte à concquerre;
-et y avoit mis et establi ung vaillant chevalier et hardi pour
-cappittainne, que on clammoit monsigneur Guillaumme de Quadudal, gentil
-homme durement del pays de Bretaingne.
-
-Encorres avoit la dite comtesse de Montfort mis grans garnisons par
-tout lez autres cités, castiauls et bonnes villes qui à lui
-obeissoient, et partout bonnez cappitainnez des gentilz hommes dou pays
-qui à lui se tenoient, desquelx le plus elle avoit acquis par biau
-parler, par proumettre et par donner; car elle n'y volloit point
-espargnier or ne argent, dons ne promesses: desquelx estoient li
-evesquez de Lion, messires Amauris de Clichon, messires Yeuwains de
-Thigueri, li sires de Landreniaus, le castelain de Ghingant, messires
-Henris et messires Oliviers de Pennefort, messire Joffroi de Malatrait,
-messires Guillaummes de Quadudal, li doy frère de Quarich et pluiseurs
-aultrez bons chevaliers et escuier, tout de Bretaingne.
-
-Ossi messires Carles de Blois (en avoit) grant fuison qui à lui se
-tenoient, et plus que n'ewist li comtesse, desquelx estoient li drois
-sires de Clichon, messires Hervis de Lion qui estoit retournés, li
-viscontez de Rohem, li sires d'Avaugor, li sires de Quitin, li sires de
-Tournemine, li sires d'Ansenis, li sires de Biaumanoir, li sires de
-Rais, li sires de Rieus, li sires de Laval, li sires de Gargoule, li
-sires de Loriach et tout banerech, et pluisseur aultre chevalier et bon
-escuier, qui nullement ne volloient estre de le partie de Montfort. Et
-li autre tenoient le opinion si bonne et si juste, que, pour amorir, il
-ne fuissent tournés Bloisois. Ensi estoit la grande terre de Bretaingne
-entoueillie en guerre, li oncles contre le nepveult, li frèrez au
-frère, li pèrez au fil tels fois fu, li germains au cousin germain, li
-voisin à sen voisin. Et dura ceste guerre trop grant tamps, ensi comme
-vous orés recorder avant en l'istoire. Or parlerons nous dou siège de
-Rennez. Fos 65 vo et 66.
-
-P. 137, l. 25: de Bourbon.--_Le ms. B 6 ajoute_: le conte de Forès, le
-conte de Boulongne. Fo 199.
-
-P. 139, l. 2: doi frère.--_Mss. A 11 à 14_: les deux frères de Quintin,
-monseigneur Geffroy de Maallechat, monseigneur Robert de Guiche,
-monseigneur Jehan de Quoyquem et pluseurs aultres. Fo 85 vo.
-
-P. 139, l. 2: Quirich.--_Mss. A 1 à 6_: Chirich. Fo 88 vo.--_Mss. A 20
-à 22_: Tirich. Fo 133 vo.
-
-P. 139, l. 11: dire.--_Mss. A 11 à 14_: qu'il avoit adonc pourchacié sa
-prinse et fait trahir par les bourgois. Fo 85 vo.
-
-
-=§ 163.= P. 139, l. 16: Messires Charles.--_Ms. d'Amiens_: Messires
-Carles de Blois et li seigneur de Franche tinrent le siège assés
-longement devant le cité de Rennes, et y fissent grans dammaigez et
-mains fors assaux par les Espagnos et par les Geneuois, dont il avoient
-grant fuison en leur ost. Et chil de d'ens se deffendirent bien et
-vassaument, par le consseil dou bon chevalier monseigneur de Quadudal,
-si sagement que cil de dehors y perdirent plus souvent qu'il n'y
-gaegnoient. Si avoient fait li signeur de France drechier grans
-enghiens devant la cité, qui y gettoient grosses pierres et qui trop
-durement le travilloient.
-
-Endementrues que chils sièges estoit si grans et si fors devant Rennes,
-la comtesse de Montfort, qui se tenoit en Hainbon o grant fuison de
-chiaux de son acord, eult consseil que elle envoieroit au secours
-deviers le roy d'Engleterre, de qui ses sires li comtez de Montfort
-avoit relevet la duché de Bretaingne: si l'en devoit aidier à deffendre
-et à gharandir contre tous hommez. La damme de Montfort eut ce consseil
-et le vollenté de là envoiier; mès à trop grant dur trouva elle qui y
-volsist aller, car nulz ne le volloit laissier ou parti où elle estoit,
-pour sen onneur. Toutesvoies, tant pria elle les ungs et les autres et
-leur remoustra tant de bellez et doucez parolles, que messires Amauris
-de Clichon s'acorda ad ce que il feroit le messaige. Si entra en ung
-vaissiel et prist bon maronnier, et se mist en mer en le vollenté de
-Dieu et dou vent, en singlant devers Engleterre, et arriva dedens cinq
-jours ou havene de Hantonne. Si demanda où li roys estoit; on li dist:
-à Londres. Adonc monta il à ceval et toutte se routte; et
-chevauchièrent tant qu'il vinrent à Londres.
-
-Quant li roys seut la venue monsigneur Amauri de Clichon, si en eut
-grant joie, car il penssoit bien avoir nouvellez de Bretaingne. Se le
-fist tantost venir avant et le rechupt liement, et li demanda que sa
-cousinne la contesse de Montfort faisoit: «En nom Dieu, monseigneur, si
-se recoummande à vous comme celle qui a grant mestier de vostre
-comffort, car messires Carlez de Blois et grant fuison de bonne
-chevalerie de Franche li font très forte guerre; et seoient devant le
-cité de Rennes, quant je me parti. Si vous prie madamme que vous le
-voeilliés secourir et envoiier par delà ung de vos petis marescaux qui
-li aye son hiretaige et de son fil à deffendre.»--«Par me foy, dist li
-roys, je le feray vollentiers.» Adonc regarda li rois sus monseigneur
-Gautier de Mauni et li dist: «Gautier, vous m'avés servi en pluiseurs
-bellez besongnes. Encorres vous prie jou que vous me servés en ceste,
-et je vous deliveray gens, or et argent assés pour furnir vostre
-voiaige.»--«Sire, respondi messires Ghautiers, Dieu me gart que jà je
-refusse cose que vous coummandés à faire. Or ordonnés dou sourplus, car
-je sui tous prês dou mouvoir quant il vous plaira.» Che dist li rois:
-«Grant merchy, messire Gautier.»
-
-Assés tost apriès, messires Gautiers de Mauny s'appareilla et ordonna;
-et fu ses mendemens fais et assis, et se carge, en le ville de
-Hantonne. Si se parti dou roy qui le fist souverain et cappittainne de
-ceste armée, et vint à Hantonne, et messires Amauris de Clichon o lui;
-et là sejournèrent il douze jours, en attendant leurs gens et en
-faisant leurs pourveanches, et ossi le vent qui leur estoit contraire.
-Au tresimme jour entrèrent il en mer. Si estoient trois cens hommez
-d'armes et douze cens archiers d'eslite. Avoecq monseigneur Gautier de
-Mauny estoient des chevaliers messires Frankes de Halle, messires
-Gerars de Baudresen, li doy frère de Loynendale, messires Loeys et
-messires Jehans, li Haze de Braibant, messires Hubers de Frenay,
-messires Alains de Sirehonde, li sires Despenssiers, li sires de
-Ferièrez, messires Thomas Kok, messires Hues de Hastinges, messires
-Alixandres Anssel, messires Jehans li Boutilliers et pluiseur aultre.
-Si nagièrent par mer et tournèrent leurs singlez par deviers
-Bretaingne. Che premier jour eurent il assés bon vent, le second les
-prist une fortune si grande que il quidièrent y estre tout peri; et les
-rebouta li vens bien parfont en Cornuaille. Si furent sur mer plus de
-soixante jours par les vens contrairez et par les fortunnez qui leur
-avinrent. Et toudis les atendoit de jour en jour la contesse de
-Montfort en grant mescief de coer; car bien savoit que chil de Rennes
-avoient moult à souffrir, et moult vollentiers les ewist conforté,
-s'elle pewist. Fo 66.
-
-_Ms. de Rome_: Qant ce vint sus le printemps, et que la douce saison fu
-retournée, messires Carles de Blois envoia ses messages en France, et
-par especial le seigneur de Biaumanoir deviers le roi son oncle, pour
-priier que il li vosist envoiier gens qui li aidassent à reconquerir le
-demorant dou pais de Bretagne. Li rois s'enclina à celle priière et
-manda au conte Raoul d'Eu, son connestable, et au conte de Ghines, son
-fil, que il fesist son mandement de gens d'armes et d'arbalestriers, et
-s'en alast en Bretagne. Li dus de Bourbon, messires Jaquemes de
-Bourbon, li contes de Blois, li contes de Vendome, mesires Loeis
-d'Espagne, li sires de Chastellon, li sires de Couchi, li sires de
-Montmorensi, li sires de Saint Venant et grant fuisson de la baronie et
-chevalerie de France se ordonnèrent et se missent au cemin. Et
-esploitièrent tant que il vinrent en la chité de Nantes, et se
-trouvèrent, sus quinse jours, bien six mille honmes d'armes et douse
-mille honmes à lances et as pavais, parmi les arbalestriers geneuois,
-des quels mesire Oste Dorie estoit chapitainne, et avoecques li
-messires Carles Grimaus. Et se departirent un jour de Nantes en grant
-arroi et poissance, et prissent le cemin de Rennes, et fissent tant que
-il i parvinrent, et bastirent là lor siège tout à l'environ. Pour ces
-jours avoit grans fourbours à Rennes, mais li chapitainne de Rennes et
-li saudoiier qui dedens estoient, qant il sentirent que on les venoit
-assegier, les ardirent, et avoient fortefiiet grandement lor ville de
-toutes pars. Par devant Rennes ot grant siège et lonch, et qui moult
-avant dura en l'esté, et fait tamainte escarmuce et maint assaut. Et
-moult bien s'i portèrent chil de dedens, voires li gentilhonme,
-messires Guillaume de Quadudal et li aultre; et avoient tous jours
-regart sus les bourgois de Rennes que il ne fesissent auqun vilain
-tretié à ceuls de l'oost.
-
-La contesse de Montfort, qui se tenoit à Vennes, n'estoit pas forte
-assés pour lever le siège, et dist à son consel: «Il me fault envoiier
-au secours en Engleterre. Je poroie bien trop atendre.» Son consel fu
-d'acort à tout ce faire, et priiés de par li messires Amauris de Cliçon
-que il i vosist aler. Li chevaliers ne l'euist jamais escondit et
-s'ordonna à partir. Et qant il ot ses lettres adreçans au roi
-d'Engleterre et à mesire Robert d'Artois et à auquns barons et
-chevaliers d'Engleterre, il entra en un vassiel ou havene de Vennes
-meismes, et se departi et singla tant par mer, à l'aide de Dieu et dou
-vent, que il vint à Pleumude. Et là s'arestèrent et ancrèrent li
-maronnier, puis issi li dis messires Amauris de son vassiel et sa
-famille; et se rafresqirent dedens la ville et pourveirent des chevaus.
-Et qant il furent tout apparilliet, il montèrent et chevaucèrent viers
-Londres, et tant fissent que il i parvinrent. Pour ces jours, li rois
-et la roine et mesires Robers d'Artois estoient en la marce de Bristo:
-si lor fu painne. Toutes fois il ceminèrent celle part, et trouvèrent
-le roi et la roine qui festioient le conte de Saslebrin et le conte de
-Sufforch, qui nouvellement estoient issu hors de la prison de France,
-et s'estoient rançonné li doi conte à vint mille nobles.
-
-Qant mesires Amauris de Cliçon fu venus deviers le roi, on li fist
-voie. Il se mist en genouls; il bailla ses lettres. Li rois les prist
-et les lissi; et portoient creance. Adonc fu trais à part dou roi
-mesires Amauris de Cliçon, et encores en ce consel li rois apella
-mesire Robert d'Artois. Et là parla li dis chevaliers et compta tout
-l'estat de Bretagne, et conment on s'i portoit, et de la chité de
-Rennes conment elle estoit assegie. Et prioit li chevaliers au roi, de
-par la contesse, que il i vosist entendre, pour aidier à deffendre et
-garder le pais, car sans son aide la poissance de la dame estoit moult
-petite, car si ennemi tenoient les camps. Li rois respondi et dist:
-«Mesire Amauri, vous nous estes li bien venus; et dedens quinse jours,
-nous serons en la marce de Londres, et auerons une partie de nostre
-consel, et là serés vous expediiés de toutes coses; mais nous sonmes
-pour le present sus nostres deduis. Si ne poons pas entendre à tels
-coses, ne faire response telle que li chas demande; car nous avons
-trieuves, ensi que vous savés, à nostre adversaire Phelippe de Valois.
-Si nous couvient bien avoir consel conment nous nos ordenerons de la
-gerre de Bretagne.» Messires Amauris de Cliçon se contenta assés de
-ceste response, et se departi (du roi) et de mesire Robert d'Artois, et
-s'en retourna à Londres.
-
-Qant ce vint au jour que li rois deubt estre à Londres, il i fu et jà
-avoit il escript et mandé son consel, celi que il voloit avoir. Et tout
-furent à Wesmoutier, et là vint messires Amauris de Cliçon. Si fu
-appellés en la cambre dou consel, et là, en la presence dou roi et dou
-consel, il remoustra ce pour quoi il estoit venus, et prioit que il
-fust briefment respondus, et la contesse de Montfort, sa dame,
-secourue. On fist issir le chevalier de la cambre, tant que li consauls
-dou roi euist parlé ensamble.
-
-Là ot en ce consel pluisseurs coses et paroles retournées, car li rois
-d'Engleterre ne voloit nullement enfraindre ne brisier les trieuves qui
-données estoient, jurées et seelées à tenir deus ans entre li et
-Phelippe de Valois. Et ossi il couvenoit que la contesse de Montfort
-fust aidie et confortée dou roi et des Englois, puis que on avoit la
-ducée de Bretagne relevé de li, et que on le tenoit et voloit tenir en
-foi et en honmage de la couronne d'Engleterre. Or fu avisé que on
-feroit une cose raisonnable, sans ce que li rois s'en ensonniast en
-riens. Puis que la contesse de Montfort mandoit secours, on l'en
-envoieroit pour ses deniers, tant conme elle en vodroit avoir et poroit
-paiier, ce point ne li pooit on oster; et qant les trieuves seroient
-fallies entre France et Engleterre, li rois aueroit aultre consel. Donc
-fu apellés messires Amauris de Cliçon, et li fu dit conment pour celle
-fois il couvenoit que il ouvrast. Qant il vei ce, il considera raison
-et se delivra dou plus tos que il pot, et quist gens d'armes et
-archiers; et li signeur d'Engleterre li aministrèrent lesquels il
-prenderoit pour bien faire sa besongne.
-
-Tout nouvellement estoit retournés dou roiaulme d'Escoce messire
-Gautiers de Mauni, un jones chevaliers de Hainnau, qui trop
-vaillanment s'i estoit portés en tous les fais d'armes où on l'avoit
-veu et trouvé, et tant que il en avoit souverainnement la grace et la
-renonmée. Si fu retenus de mesire Amauri de Cliçon, et pour estre
-saudoiiers à la contesse de Montfort et chapitainne de tous les
-aultres, et ot de sa carge trois cens lances et deus mille archiers. Et
-fu tout de fait aviset si grande la carge d'archiers pour raemplir les
-garnisons. Si ordonnèrent lors pourveances et lors navies à Pleumude,
-et qant tout fu prest, et chil venu qui devoient passer oultre en
-Bretagne, il entrèrent en lor vassiaus. Si se desancrèrent dou port de
-Plemude et entrèrent en mer. Avoecques messire Gautier de Mauni, qui
-souverains fu de ceste armée, estoient doi chevalier frère, Lois et
-Jehans de Leinendale, mesires Hubiers de Frenai, le Hazle de Braibant,
-mesire Gerart de Baudresen, mesires Alains de Sirehomde, mesires Lois
-Clambo, mesires Edouwars de Lanton, messire Guillaumes Touchet, mesires
-Hues de Ferrières, Guillaume Penniel, Thomas Paule, Jehan et Guillaume
-Clinqueton et pluisseur aultre; et singlèrent par mer et tournèrent
-viers Bretagne. Mais qant il furent en mi cemin de la mer, il orent
-fortune moult grande et vent si contraire que il furent sus le point de
-estre tout perdu; et les boutèrent chil vens et celle fortune en la mer
-d'Irlande. Et furent plus de quinse jours avant que il peuissent
-retourner sus lor cemin, et vinrent prendre terre à lor retour de la
-mer d'Irlande en l'ille de Breha, c'est des tenures de Bretagne; et là
-se rafresqirent quatre jours. Et puis rentrèrent en lors vassiaus, et
-prissent la mer pour venir à Hainbon là où la contesse de Montfort les
-atendoit, à laquelle nous retournerons un petit, et parlerons dou siège
-de Rennes. Fos 78 et 79.
-
-P. 140, l. 21 et 22: deus mille ou trois mille.--_Mss. B 3, A 11 à 14,
-18, 19, 23 à 33_: deux ou trois mille. Fo 79 vo.--_Mss. A 1 à 10, 15 à
-17, 20 à 22_: trois ou quatre mille. Fo 89.
-
-P. 140, l. 28: Neynendale.--_Mss. B 3, A 7 à 10, 15 à 17, 23 à 33_:
-Leynendale, Leynondale, Lynnodale, Leynoudale. Fo 79 vo.--_Mss. A 1 à
-6, 18 à 22_: Leynodelle. Fo 89.--_Mss. A 11 à 14_: Leindechalle. Fo 86.
-
-P. 141, l. 7: Rennes.--_Mss. A 15 à 17_: où vaillaument ilz se
-tenoient. Fo 90 vo.
-
-
-=§ 164.= P. 141, l. 8: Or est.--_Ms. d'Amiens_: En che terme que la
-damme de Montfort avoit envoiiet au secours en Engleterre, et les lons
-jours qu'il missent au venir, eut devant la chité de Rennes tamaint
-grant assault et mainte forte escarmuche. Et tant y sirent li Franchois
-que cil de dedens en estoient tout anoieus. Et vollentiers se fuissent
-rendut à monseigneur Carlon de Blois, se messires Guillaummes de
-Quadudal l'ewist conssenti; mès nullement il ne s'i volloit accorder.
-Et leur brisoit et tolloit toudis leur proupos; et leur disoit que, se
-il plaisoit à Dieu, il ne feroient jà lasqueté à leur bonne damme.
-
-Li bourgois de Rennes, qui durement estoient apresset de ce siège, et
-qui veoient leurs biens gaster de tous costéz, et sentoient le comte de
-Montfort pris, et ne perchevoient nul secours de nul costet, eurent
-entr'iaux advis et accord qu'il se renderoient; et se messires
-Guillaummes de Quadudal ne s'i volloit assentir, il le prenderoient et
-le meteroient en prison. Ensi qu'il proposèrent, il le fissent; et
-remoustrèrent leur entente et le povreté où il estoient et pooient
-encorrez esceir plus grande, et de legier: pour quoy il se volloient
-rendre et yssir de ce peril. Li chevaliers, pour amorir, ne s'i fust
-jammais acordé. Et quant li bourgois virent che, il le prissent de
-force et l'emprisonnèrent. Et puis envoiièrent tretier deviers
-monseigneur Carlon de Blois que il li renderoient la cité de Rennes,
-par condition que il li volsissent pardonner son mautalent et sauver
-les biens de le ville, et quitter le chevalier qu'il tenoient en
-prison, et laissier aller, quel part qu'il volsist, Monfortois ou
-autre, et tous chiaux ossi qui ceste oppinion volloient tenir.
-
-Messires Carles de Blois, par le consseil qu'il eut des seigneurs de
-France qui là estoient, s'i accorda et leur pardonna son mautalent; et
-entra en le chité de Rennes à grant pourcession et à grant joie, et
-prist l'ommaige et le feauté des bourgois de le cité et leur tint tout
-leur convens. Si fu mis messires Guillaummes de Quadudal hors de
-prison. Et li fu demandet de quel costet il se volloit traire: il
-respondi que il avoit son sierment à sa damme et que celle part iroit
-il, se on le laissoit aller; et on li dist: «oil.» Enssi s'en vint li
-chevaliers à Hainbon deviers la comtesse de Montfort, qui le rechupt à
-joie, mais elle fu mout couroucie quant elle seut que la cité de Rennes
-estoit rendue; et si n'ooit nulle nouvelle de monseigneur Amauri de
-Clichon, ne de sa compaignie. Fo 66.
-
-_Ms. de Rome_: Messires Carles de Blois et li signeur de France desus
-nonmet tinrent le siège assés longement devant la chité de Rennes, et i
-livrèrent pluisseurs assaus, tant que li bourgois de Rennes se tenoient
-à moult cargiet dou dit siège, et euissent volentiers entendu à auquns
-trettiés deviers messire Carle, se il euissent osé; mais il doubtoient
-lor chapitainne et les saudoiiers, et disoient entre euls: «Nous sonmes
-plus que fol, qui nous faisons guerriier et destruire pour la contesse
-de Montfort, et tenons son opinion à bonne. Si en perdons nos biens as
-camps et nos hiretages, et en sonmes tous les jours en aventure d'estre
-mort par les assaus et escarmuces que chil de l'ost nous font. Et ne
-nous est apparans nuls confors de nul costé, car celle contesse à la
-longe ne puet durer contre la poissance de France.»
-
-Tant parlèrent et murmurèrent secretement entre euls chil de Rennes que
-de un conmun acord une nuit il prissent lor chapitainne messire
-Guillaume de Quadudal et l'emprisonnèrent en une tour, et des
-saudoiiers auquns, liquel estoient à lor avis li plus poissant, par
-quoi il fuissent mieuls au desus de lor emprise. Et puis il tretiièrent
-deviers mesire Carle de Blois et les François. Et se rendirent par
-condition telle que ceuls que il avoient pris, il les deliveroient
-quites et delivrés, et les lairoient aler euls et le leur deviers la
-contesse de Montfort, se aler i voloient; et euls aussi et le lour
-demoroient en segur estat, et il devenoient bons François, et
-recongnissoient messire Carle de Blois à lor signeur et à duc de
-Bretagne.
-
-On entendi volentiers à lors trettiés, et lor furent acordé, juré et
-tenu, tout ensi conme il le vodrent avoir. Et se partirent mesires
-Guillaumes de Qadudal et tout li compagnon que la contesse i avoit
-envoiiet, car jamais ne se fuissent tourné François, de la chité de
-Rennes, et cargièrent toutes lors coses, sans riens laissier derrière,
-et s'en alèrent à Hainbon deviers la contesse, qui moult fu courouchie
-de ces nouvelles et ot pluisseurs imaginations, pour tant que elle
-n'ooit nulles nouvelles de mesire Amauri de Cliçon, et faisoit doubte
-que il ne pooit esploitier, pour tant que son mari estoit tenus des
-François, et ne savoit se il estoit mors ou vifs. Fo 79 vo.
-
-
-=§ 165.= P. 142, l. 3: Quant la.--_Ms. d'Amiens_: Quant la cité de
-Rennes se fu rendue, ensi comme vous avés oy, et li bourgois eurent
-fait le feaulté à monseigneur Carlon de Blois, et il eut pris le
-saisinne et le possession de tout et regardé as ordounnanches de le
-cité, et fait reparer che qui desparet estoit par son assault, si ot
-consseil à ses amis de Franche quelle part il poroit traire à tout son
-host, pour mieux avant esploitier de reconquère le remannant. Li
-conssaux se tourna à çou qu'il se traisist par devant le fort castiel
-de Hainbon, là où li comtesse et ses filz estoient; car puisque leurs
-sirez li comte de Montfort estoit emprissonnés, se il pooit prendre le
-ville, le castiel et le comtesse et son fil ossi, il aroit tost sa
-guerre affinnée. Enssi fu fait. Si se traisent tuit vers Hainbon, et
-assegièrent le ville et le chastiel tout autour tant qu'il porent par
-terre. La comtesse estoit si bien pourveue de bons chevaliers et
-d'autres souffissans gens d'armes qu'il couvenoit pour deffendre le
-ville et le castiel; mès toudis estoit en grant souppechon dou secours
-d'Engleterre que elle atendoit, et si n'en ooit nullez nouvelles. Ains
-avoit doubtance que grans meschiés ne leur fust avenus, ou par fortune
-de mer, ou par encontre d'ennemis. Avoecques lui estoit en Hainbon li
-evesques de Lion en Bretaingne, dont messires Hervis de Lion estoit
-onclez, qui estoit de l'autre partie. Et si y estoit messires Yewez de
-Tiegueri, li sires de Landreniaus, li doy frère de Pennefort, li
-castelains de Guigant et pluiseur autre bon chevalier et escuier de
-Bretaingne. Quant la comtesse et cil chevalier qui en Hainbon se
-tenoient, entendirent que chil seigneur de Franche venoient pour yaux
-assegier et que il estoient assés priès de là, il fissent coummander
-que il sonnaissent le blancloque, et que chacuns s'allast armer et
-allast à sa deffensce, enssi que il estoit ordonnet. Et chacuns obei
-sans contredit.
-
-Quant messires Carlez de Blois et li seigneur franchois furent
-aprochiet de le ville de Hainbon et il le virent forte et bien
-breteskie, il fissent leur gens logier et amanagier, enssi qu'il
-appartient, quant on voelt faire siège. Aucun jouene et legiers
-compaignons geneuois, espaignol et franchois allèrent jusques as
-baillez pour paleter et escarmuchier; et aucuns de chiaux de dedens
-yssirent contre yaux, enssi que on fait souvent en telx besoingnes. Là
-eult pluiseurs hustins, et pardirent plus li Geneuois et Espagnol qu'il
-n'y gaignièrent, enssi qu'il avient souvent par lui follement
-abandounner. Quant li soirs aprocha, chacun se retrai à se loge.
-L'endemain, li seigneur eurent consseil qu'il feroient au matin
-assaillir lez baillez fortement, pour veoir le contenanche de chiaux de
-dedens, et pour veoir se il y poroient riens concquester. Au tierc jour
-dou siège durant, il s'armèrent en l'ost et vinrent devant les murs,
-environ heure de prime. Si coummenchièrent ung assault très fort et
-très fier de traire et de lanchier et de faire touttes appertises
-d'armes, et chil de d'ens à yaux deffendre de grant couraige. Et dura
-chilz assaux continuelment jusques à heure de nonne, que Geneuois et
-Espagnols, qui moult s'abandonnoient, furent durement lasset et
-travilliet, et pluiseur mort et navret. Si se retraissent pour le
-foule, et pour remettre à point lez blechiés. Quant li seigneur de
-Franche virent leurs gens retraire et enssi que refroidiéz, si en
-furent durement coreciet. Si fissent touttez mannierrez de gens retrère
-avant et yaux encoragier et enhardir, et plus fort assaillir que
-devant; et chil de dedens si s'efforchièrent ossi dou bien deffendre.
-Là estoit la comtesse de Montfort toutte armée, montée sus un
-courssier, et chevauchoit de rue en rue par le ville et semonnoit ses
-gens de bien deffendre. Et faisoit les femmes de le ville, dammes et
-autrez, deffaire les chauchies et porter les pières as cretiaux pour
-jetter as ennemis; et faisoit aporter bombardes et pos plains de vive
-cauch, pour plus ensonniier chiaux de l'ost. Fos 66 vo et 67.
-
-_Ms. de Rome_: Ensi eurent messires Carles de Blois et li François la
-chité de Rennes, et entrèrent dedens à grant joie. Et rechurent li
-bourgois le dit mesire Carle à duch et à signeur et le menèrent à
-l'eglise, et là jura solempnelment sus Saintes Ewangilles que il les
-tenroit as us et as coustumes brettes; et tout devinrent si honme. Si
-se rafresqirent quatre jours en la chité des biens qui lor vinrent de
-sus le pais, et que il i trouvèrent. Et orent là li signeur consel
-ensamble où il se trairoient, ou devant Vennes, ou devant Hainbon là où
-la contesse de Montfort estoit. Consilliet fu que il iroient devant
-Hainbon, et encloroient la contesse là dedens; et, se il le pooient
-conquerir, lor guerre seroit finée. Si se departirent un jour de Rennes
-en grant conroi, et s'en vinrent à Hainbon; et l'asegièrent par terre
-et environnèrent si avant que il porent, car au lés deviers la mer il
-ne pooient bastir nul siège.
-
-La contesse estoit bien pourveue de ses amis, de chevaliers et
-d'esquiers et de bonnes gens d'armes, les quels elle tenoit à ses gages
-à Hainbon, à ville et chastiel. La contesse se tenoit ou chastiel, et
-ses gens en la ville. Avoecques la contesse de Montfort, qant li
-François vinrent là, estoient mesires Ives de Tigeri, li sires de
-Landreniaus, li chastellains de Ghingant, li doi frère de Quirich,
-messires Henris de Pennefort et messires Oliviers, son frère, et li
-evesques de Lion en Bretagne, dou quel messires Hervis de Lion, qui se
-tenoit avoecques messire Carle de Blois, estoit oncles. Entrues que li
-François se logoient, li Geneuois et li Espagnols, des quels mesires
-Loys d'Espagne, marescal de l'oost mesire Carle, estoit chapitainne,
-voires avoecques lui mesires Othes Dorie, alèrent escarmuchier as
-barrières. Et là vinrent chil de la garnison, qui vaillanment s'i
-portèrent; et dura li escarmuce jusques au soir que tout se retraissent
-as lors logeis. A l'endemain, de rechief on vint as bailles lancier et
-escarmuchier; et en i ot biaucop de bleciés de une part et d'aultre. Et
-entrues que li escarmuce estoit, on assalloit as murs priès que de
-toutes pars, et chil de la ville se deffendoient vaillanment. La
-contesse de Montfort, qui avoit coer d'onme et de lion, estoit armée et
-montée sus un coursier, et amonestoit ses honmes de bien faire. Et
-cevauçoit de rue en rue, et faisoit par les fenmes et les enfans
-deffaire les cauchies, et porter la pière et les calliaus sus les murs,
-et servir ceuls qui se deffendoient. Fo 79 vo.
-
-P. 142, l. 22: li evesques de Lyon.--_Mss. A 20 à 22_: oncle à messire
-(Hervi) de Lyon. Fo 135.--_Tous les autres mss. A et tous les mss. B
-donnent la mauvaise leçon_: dont messires Hervis de Lyon estoit neveus.
-
-P. 142, l. 26: Quirich.--_Mss. A 11 à 14_: Quintin. Fo 86 vo.
-
-
-=§ 166.= P. 144, l. 7: Encores.--_Ms. d'Amiens_: Or pourés oïr une très
-grant emprise et ung mervilleux et outrageux fait d'armes que ceste
-comtesse fist. Elle qui oncques ne cessoit d'aller de l'un à l'autre
-pour rencoragier sez gens, et ossi à le fois elle montoit en une haute
-tour dou castiel pour mieux aviser le contenance de chiaux de l'ost, si
-regarda une fois que elle estoit là montée, que tout li seigneur de
-France et touttez mannierrez d'autrez gens estoient à l'assault et
-entendoient si fort et si ententivement à l'assaillir, que tout li
-logeis estoient ensi que wuit et sans garde. Que fist elle pour
-adamager chiaux de l'ost? Elle requeilli environ trois cens compaignons
-et les fist monter à cheval, et se parti de Hainbon par une fausse
-postierne qui ouvroit sus le mer, auquel endroit il n'y avoit adonc
-point d'assault; et prist son tour tout autour de le ville par voies
-couvertez. Bien avoit qui mener le savoit, et s'en vint ens ès tentez
-et ens ès logeis de France, et se feri dedens vassaument, et fist ses
-gens espardre en pluisseurs lieux; car nulz n'y estoit, qui leur pewist
-contredire, fors aucuns garchons et vallès chetilz. Là tuèrent il, et
-boutèrent le feu à mout vent ens ès tentes et ens ès logeis lez
-seigneurs de Franche. Tantost li feux s'esprist grans et villains, car
-li une tente ardoit l'autre, tant que li punaisie et li fumière en
-descendoit sour chiaux qui à l'assaut estoient. Quant li seigneur de
-France virent leurs loges ardoir, et oïrent le hu et le cri qui de
-celle part venoit, il furent tout esbahy et coururent vers leurs
-logeis, en criant: «Trahi! Trahi!» Et ne demoura nuls à l'assault.
-
-Quant la dessus dite comtesse vit l'ost estourmir et de touttes pars
-gens acourir, elle requeilla et rassambla ses gens bellement et
-sagement, et perchut bien que elle ne poroit rentrer en le ville sans
-trop grant perte. Si s'en alla ung autre chemin droit par deviers le
-castiel de Braait, qui siet à quatre lieuwes priès de là. Quant
-messires Loeys d'Espaingne, qui estoit connestablez adonc de toutte
-l'ost et qui ceste aventure avoit pris en grant despit, quant il parfu
-venus as loges et il lez vit ardoir et flammer, et la comtesse et sa
-gent qui s'en alloient quanqu'il pooient, il se mist en cace apriès
-yaux pour yaux raconssuiwir en criant son cor, et chacuns sieuwi sa
-bannierre. Si furent durement enchauchiés la comtesse et li sien; et en
-tuèrent aucuns qui estoient mal montés. Et dura li cace jusquez à
-Braait, où la comtesse et li sien se sauvèrent et boutèrent; et lez
-requeillirent chil de laiens à grant feste.
-
-Quant messires Loeys d'Espaingne seult par les prisonniers que pris en
-cette cache avoit, que c'estoit la comtesse qui che destourbier li
-avoit portet et à toutte l'ost, si fu durement courouchiéz de ce que
-elle li estoit escappée ensi. Si s'en retourna deviers leur ost et
-compta as seigneurs que ce avoit estet la comtesse de Montfort qui
-ceste envayée leur avoit fait: si en furent durement esmervilliet li
-ung par l'autre coumment elle avoit oset entreprendre tel fait, et li
-mettre en si grant aventure et en tel parti d'armes. Se li tinrent li
-aucun à outraige et à folie, et li autre à proèce et à vaillanche. Se
-chil de dehors en estoient esmervilliet, chil de dedens, ses gens
-meymmez, l'estoient plus; et ne pooient apenser coumment la comtesse
-avoit tout ce adviset, ne oset entreprendre. Mais il furent, le parfait
-dou jour et toutte la nuit enssuiwant, en grant frichon et esmay de ce
-que la damme ne nulx de ses compaignons ne retournoit: si n'en savoient
-que pensser, ne quoy adviser; et se doubtoient que elle ne fuist prise,
-et toutte la compaignie qui avoecq lui yssi, ossi morte ou prise au
-mieux venir. Fo 67.
-
-_Ms. de Rome_: Encores s'avisa celle contesse de une très grande
-emprise que on li doit bien tourner à vaillance, car elle fist environ
-deus cens honmes des siens monter as cevaus, et puis fist ouvrir une
-porte où nuls n'asalloit. Et se partirent, elle et ses gens, et s'en
-vinrent par derrière bouter et fraper ens ès logeis des François, qui
-n'estoient pour l'eure gardé que de varlès et garçons, car tout honme
-d'armes entendoient à l'asaut ou il le regardoient. Qant la contesse fu
-là venue, elle fist bouter le feu en plus de trente lieus. Li feus et
-la fumière s'eslevèrent; la noise et li cris conmenchièrent à lever.
-Chil qui asalloient, laissièrent tout quoi ester les assaus, et
-s'esmervilloient que ce pooit estre. Et perdirent li signeur, par celle
-emprise et ce feu, grant fuisson de lors chevaus et de lors
-pourveances.
-
-Messires Lois d'Espagne, marescaus de l'oost, fu auques li uns des
-premiers qui retournèrent sus les logeis, et entendi que la contesse de
-Montfort avoit fait celle emprise. Il ne fu pas si courouciés dou
-damage que il fu resjois de ce que la contesse estoit hors de la
-garnison, et cria en hault: «Or, tos as chevaus! Celle fenme et sa
-route soient poursievoit! Jamais ne renteront en Hainbon, ne en
-forterèce qui soit en Bretagne: il sont nostre. Aultrement ne poons
-nous avoir fin de gerre.» Lors veissiés toutes gens haster et monter
-sus chevaus, et euls asambler dalés le marescal qui faisoit sonner ses
-tronpètes à grant effort pour requellier ses gens; et prendoient le pas
-de la ville pour enclore la contesse au dehors, ensi que il fissent. La
-contesse perchut bien que point ne poroient rentrer en Hainbon. Si
-prist les camps et dist à ces gens: «Chevauçons viers Brest. La
-garnison est pour nous. Là serons nous receu.» Il fissent ensi que elle
-ordonna, et prisent le cemin de Brest, et estoient jà moult eslongiet
-avant que on s'en perçuist en l'oost; car messires Lois d'Espagne et li
-François avoient clos les pas et les rentrées en Hainbon, à la fin que
-il fuissent au desus de la contesse et de ses gens. On vint dire et
-nonchier à mesire Lois: «Sire, vous arestés ichi pour noient; la
-contesse et ses gens s'en vont viers Brest.»
-
-Qant messires Lois d'Espagne oï ces nouvelles, si dist: «Apriès!
-apriès!» Lors veissiés toutes gens desrouter et ferir à l'esporon
-apriès la contesse. Ce jour furent li François bien ensonniiet, car li
-auqun entendoient au cachier, et li aultre à estaindre le feu qui se
-mouteplioit ens ès logeis, qui lor fist grant damage de lors chevaus,
-de lors harnas et de lors pourveances. Meismement li auqun François
-disoient l'un à l'autre: «Veés la vaillant contesse, et qui bien scet
-guerriier et a fait aujourd'ui une grande emprise, issu de la ville de
-Hainbon, ars nostres logeis, fait cesser l'asaut de devant Hainbon; et
-encores s'en va elle à Brest, et tout acomplira ces emprises sans son
-damage.» Il disoient verité, car onques mesires Lois d'Espagne ne sa
-route ne le peurent rataindre; mais s'en vint bouter ou chastiel de
-Brest. Il i eut bien auquns de ses honmes mal montés qui furent
-raconsievi sus le cemin, et chil là demorèrent prisonnier et en la
-volenté de lors ennemis.
-
-Trop fu mesires Lois d'Espagne courouchiés qant il vei que la contesse
-de Montfort li estoit escapée et entrée ou chastiel de Brest. Si s'en
-retourna tout le pas. Tant estoient lor ceval essouflé que jusques à la
-grose alainne. Et vinrent li François as logeis et trouvèrent que on
-estoit moult ensonniiet de remetre à point tentes et trefs, et de faire
-nouviaus logeis de fuellies, et de envoiier as pourveances à Rennes et
-sur le plat pais, car les lors estoient moult adamagies. Messires Lois
-d'Espagne, qant il fu descendus et desarmés, il se traist devant la
-tente de mesire Carle de Blois. Et là estoient li contes de Blois, li
-dus de Bourbon, li contes de Pontieu, li contes d'Eu, connestables de
-France, et li sires de Chastellon; et ne se pooient taire à parler de
-ceste contesse de Montfort, de la hardie et outrageuse emprise que elle
-avoit fait. Et qant messires Lois d'Espagne fu venus, encores li
-demandèrent il de la cace et conment elle li estoit escapée. Il
-respondi bien: «Elle s'est sauvée, et ses gens aussi, et bouté dedens
-le chastiel de Brest.»--«Or bien, respondirent il, puisque elle est là,
-elle s'i tenra; et de tant est la garnison de Hainbon afoiblie de force
-et de consel, car elle en a mené avoecques li biaucop de bonnes gens.»
-Ensi se apaisièrent il en l'oost et passèrent la nuit. Et avoient esté
-le jour lassé et travilliet, tant pour le assaut qui fu grans, que de
-la cace que il avoient fait apriès la contesse, que de ce que il
-avoient esté trop destourbé des logeis auquns que on lor avoit ars; et
-ne se doubtoient de nului, car il sentoient la contesse à Brest, si
-ques sus la fiance de ce il dormirent la nuit et la matinée plus
-longement. Fo 80.
-
-P. 144, l. 12: tout cil de l'ost.--_Ms. B 6_: excepté les garçons qui
-gardoient les chevaus. Fo 201.
-
-P. 144, l. 16: trois cens.--_Ms. B 6_: cent. Fo 144.
-
-P. 144, l. 21: arses.--_Ms. B 6_: car bien le tiers de leur trés et
-pavillons fust tout ars. Fo 201.
-
-P. 145, l. 4: à trois liewes priès de là.--_Mss. A 11 à 14_: à quatre
-lieues près de là. Fo 87.--_Mss. A 1 à 7, 18 à 33_: qui siet assez près
-de là. Fo 90.
-
-P. 145, l. 24: quisençon.--_Mss. A 1 à 6, 15 à 19_: cuisanson,
-cuisançon. Fo 90 vo.--_Mss. A 11 à 14, 20 à 33_: mesaise, malaise. Fo
-87.
-
-
-=§ 167.= P. 145, l. 28: A l'endemain.--_Ms. d'Amiens_: Quant ce vint à
-l'endemain, li seigneur de France, qui avoient perdut lors tentez et
-lors pourveanchez, eurent consseil que il se logeroient de arbres et de
-foeillies plus priès de le ville, et qu'il se maintenroient plus
-sagement. Si se allèrent logier à grant painne plus priès de le ville,
-et disoient en gabois à chiaux de le fortrèche: «Alés, seigneurs, allés
-requerre vostre comtesse. Certez, elle est perdue, vous ne le trouverés
-en pièche.» Quant chil de Hainbon, gens d'armes et autrez, oïrent tels
-parollez, il furent esbahit et eurent grant paour que grans encombriers
-ne fust avenus à la damme. Si ne savoient que croire, pour tant que
-elle point ne revenoit, ne n'en ooient nulles nouvelles. Si demourèrent
-en tel paour et en tel esmay de leur damme par l'espasse de cinq jours.
-
-Or vous diray de la comtesse de Montfort quelle cose elle fist. Se elle
-avoit fait une felle emprise, encorres, ce me samble, fist elle ossi
-perilleuse. Et sachiéz que là où elle estoit ens ou castiel de Braait,
-elle n'estoit point à se aise, pour tant que elle penssoit bien que ses
-gens de Hainbon ne savoient point que elle estoit devenue. Si s'avisa
-que elle metteroit tout pour tout et que, se elle estoit yssue d'un
-peril, encorres ysteroit elle dou second. Si se pourcacha tant que elle
-ot bien cinq cens compaignons armés et bien montés; puis se parti de
-Braait entour le mienuit, et s'en vint droit au point que li sollaux se
-liève, à chevauchant, à l'un de(s) costé(s) de l'ost. Et envoya devant
-à Hainbon et fist ouvrir le porte, et entra ens à grant joie et à grant
-son de trompes et de naquairez et de cornemuses: de quoy li hos des
-Franchois fu durement estourmis. Si se fissent tout armer et coururent
-par deviers le ville pour assaillir, et chil de dedens as fenestres
-pour le deffendre. Là commencha grans assaux et fors, qui dura jusques
-à haulte nonne; mès toudis y mettoient plus chil de dehors que cil de
-dedens.
-
-Environ l'eure de nonne, li seigneur fissent cesser d'assaillir, car
-leurs gens se faisoient tuer et navrer sans raison; si se retraisent à
-lors logez. Et eurent, quant tout furent retret, li seigneur consseil
-que messires Carlez de Blois, li dus de Bourbon, messires Jaquemes de
-Bourbon, li comtez Loeis de Blois, li comtez d'Auçoire, li comtes
-Raoulz d'Eu, li comtes de Ghines, sez filz, li marescaus de France,
-messires Robers Bertrans, messires Carlez de Montmorensi, messires
-Ghuis de Cantemarle, li sires d'Avaugor et grant fuison d'autres
-seigneurs et leurs gens yroient devant (le) chastiel d'Auroy, que li
-roys Artus fist fonder. Et messires Loeis d'Espaingne, li viscomtez de
-Rohem, li sires d'Ansenis, li sires de Tournemine, li comtes de Joni,
-li sires de Rais, li sires de Rieus, li sires de Gargoule, messires li
-Ghalois de le Baume, messires Othes Doriie, messires Carlez Grimaus et
-tous li remannans dez Geneuois et d'Espagnols demorroient devant
-Hainbon; et manderoient douze grans enghiens qu'il avoient laissiet à
-Rennez, pour jetter à le ville et au castiel de Hainbon; car il veoient
-bien qu'il ne le poroient gaegnier, ne pourfiter à l'assaillir. Si ques
-il fissent deux hos: s'en en demora li une devant Hainbon, et li autre
-en alla assegier le castiel d'Auroy qui est moult fors; et bien
-pourveus estoit adonc de gens d'armes et de touttez pourveanchez. Et
-l'avoit la sepmainne (devant) la comtesse de Montfort rafreschi de gens
-d'armez et envoiiet deux vaillans chevaliers, en qui mout se fioit,
-pour gardiien et cappittainne dou dit fort: c'estoit messires Henris de
-Pennefort et messires Oliviers, ses frèrez. Fo 67.
-
-_Ms. de Rome_: Se la contesse de Montfort avoit fait, ce jour que elle
-issi hors de Hainbon, une hardie emprise, et que elle vint en Brest,
-encores fist elle parellement une aultre moult aventureuse. Et li
-signeur de France ne furent pas bien consellié qant il sentoient que
-elle estoit hors, et il ne missent enbusques sur li, dont depuis il
-s'en repentirent. Je vous dirai cause pourquoi. Qant la contesse fu
-venue en Brest, elle et ses gens mengièrent et burent moult
-legierement, et dormirent environ trois heures. Et qant il se furent
-rafresqi euls et lors chevaus, la contesse les fist resvillier et
-apparillier et armer, et prist encores jusques à cent compagnons de
-ceuls de Brest, et fist là laissier tous les foibles cevaus et
-renouveller d'aultres. Et partirent de Brest, la contesse tout devant,
-sus le point de mienuit; et chevauchièrent les bons galos le cemin de
-Hainbon. Et disoit ensi la contesse en cevauchant: «Ma bonne gent de
-Hainbon sont, je le sçai bien, à grant malaise de moi. Il fault que je
-les reconforte et que nous rentrons en la ville, et je vous aprenderai
-conment. Quant nous deverons aprochier la ville et l'oost, li une part
-des nostres iront estourmir et resvillier l'oost, et li aultre
-s'adrecera droit à Hainbon et fera ouvrir les bailles, avaler le pont
-et ouvrir la porte. Et sitos que li hoos se conmencera à estourmir, il
-se retrairont tout bellement, et nous les atenderons devant les
-barrières; et ensi petit à petit il renteront, et nous aussi, dedens
-Hainbon.»
-
-Ensi que la contesse de Montfort ordonna, il fu fait. Qant il orent
-cevauchiet depuis que il se furent departi de Brest, il vinrent droit
-sus le point dou jour assés priès de l'oost et de Hainbon. Il
-ordonnèrent messire Guillaume de Qadudal et mesire Ivon de Tigri, à
-deus cens honmes, aler escarmuchier et resvillier l'oost; et la
-contesse et le demorant venroient, entrues que on ensonnieroit les
-François, as bailles, et les feroient ouvrir. Lors s'en vinrent li doi
-chevalier et lor route sus l'oost; et entrues la contesse et li aultre
-prissent un viés chemin herbu, qui s'adreçoit droit sus les fossés. Ces
-deus coses furent faites tout à une fois. Li hoos resvillie à l'un des
-corons, et entrues que li estourmie se conmença à eslever, chil de
-d'ens orent congnisance que lor dame estoit à la porte, car celle nuit
-tout chil de Hainbon velloient et estoient trop esbahi et desconforté
-de lor dame la contesse. Qant il entendirent que elle estoit si priès
-de euls, si furent resjoi grandement, et avalèrent le pont et ouvrirent
-la porte et puis les barrières. Tout descendirent et missent lors
-chevaus dedens la ville, et puis s'ordonnèrent en atendant lors gens
-qui revenoient et qui avoient estourmi l'oost; et ne furent adonc de
-nului poursievi, et rentrèrent tout dedens la ville et le chastiel de
-Hainbon. Qant ce vint au matin, li François orent bien congnissance que
-la contesse de Montfort estoit retournée; si tinrent son fait et son
-emprise à très grant vaillance. Et dissent li signeur entre euls que li
-diables portoient celle contesse. Fo 80 vo.
-
-P. 146, l. 14: se parti.--_Ms. B 6_: au tierch jour. Fo 202.
-
-P. 146, l. 17: entra.--_Ms. B 6_: à plainne nonne. Fo 202.
-
-P. 147, l. 11: ala.--_Ms. B 6_: Sy se departirent à tout deux mille
-homes à cheval et quatre mille à piet, geneuois et autres; et s'en
-vinrent devant le chastiel d'Auroy et le assegèrent. Fo 202.
-
-
-=§ 168.= P. 147, l. 15: le chastiel d'Auroy.--_Ms. d'Amiens_: Quant
-messires Carlez de Blois parfu venus à toutte se host, il le assiega
-(le chastiel d'Auroy) tout environ, et fist envoiier dire à chiaux de
-dedens que il se voisissent rendre, et il leur pardonroit son
-mautalent; et feroit à chiaux de Pennefort otel pourfit, tous les ans,
-qu'il avoient de par la comtesse, ou plus grant, et lez retenroit de
-son consseil. Il n'eurent mies accord ne volenté dou faire; et
-respondirent qu'il estoient trop fort loiiet et acouvenenchiet à leur
-seigneur que on tenoit en prison, ossi à leur damme, et que il se
-travilloient en vain, qui de nul traitiet leur parloi(en)t. Dont dist
-messires Carlez de Blois que jammais de là ne partiroit si lez aroit à
-sa vollenté, et fist le castiel fortement assaillir par pluiseurs fois.
-Mès peu y gaegnièrent li assallant, car cil dou castiel estoient bien
-trois cens compaignons tous armés, et si avoient bonne cappittainne
-dont il valloient le mieux; et quoyque cil d'Auroy se deffendesissent
-si bien, si estoient il souvent assaillit et escarmuchiet.
-
-A quattre lieuwes priès d'Auroy, siet la bonne cité de Vennez qui se
-tenoit fortement à le comtesse; et en estoit messires Joffroy de
-Malatrait cappittainne, gentil homme et vaillant durement. D'autre part
-siet la bonne ville de Dinant en Bretaingne, qui n'estoit fremée fors
-de fossés et de palis. Si en estoit cappitainne de par le comtesse de
-Montfort uns durement vaillant homs, que on clammoit le castelain de
-Ghinghant; mès il estoit assis adonc dedens Hainbon avoecq la dessus
-ditte comtesse. Si avoit laissiet à Dinant, son hostel, medamme sa
-femme et ses fillez, et avoit laissiet cappittainne en lieu de lui
-monseigneur Renault, son fil, vaillant baceler et hardi homme durement.
-
-Entre ces deux bonnes villez de Vennes et (de) Dinant, seoit uns très
-fors castiaux qui se tenoit à monseigneur Carle de Blois. Et nomme hom
-le dit castiau le Rocheperiot, très fort lieu durement; ne oncques li
-comtez de Montfort ne le peut prendre par assault, ne par traitiet. Et
-l'avoit li dis messires Carlez (de Blois) fait bien garnir de gens
-d'armes et de saudoiiers, qui tout estoient bourghignon. Si en estoit
-souverains d'iaux ungs vaillans escuiers et assés jonez, que on
-clammoit Gerart de Malain; et avoit avoecq lui ung hardi et bon
-chevalier, que on clammoit messire Pière Portebuef. Chil doi
-cappittainne de Rocheperiot avoecq leurs compaignons honnissoient et
-gastoient tout le pays de là entours; et destraindoient si ouniement la
-chité de Vennes et la bonne ville de Dynant, que nulle pourveance ne
-marchandise ne pooit entrer ne venir, fors que en grant peril sus grant
-aventure. Car il chevauchoient ung jour par deviers Vennes, l'autre
-jour par deviers Dinant; et estoient si cremut et si redoubtet ou pays,
-que là environ on ne parloit d'autre garnison fors que de Rocheperiot.
-Tant allèrent et tant chevaucièrent de l'un à l'autre, que li jones
-bachelers messire Renaux de Ghinghant fist ung soir embusche sur yaux.
-Et par une matinée, enssi que il avoient chevauchiet deviers Dinant, et
-avoient rués jus bien vingt quatre marcheans et les enmenoient
-prisonniers en leur fortrèce, messires Renaulz leur vint sus elle à
-toutte sen enbusche et se feri en yaux vassaument; et se porta si bien
-et chil qui avoecq lui estoient à ce donc, que il desconfissent messire
-Pière Portebuef et Gerart de Malain et tous les Bourghignons qui avoecq
-lui estoient, et rescouissent lez marcheans et enmenèrent les deus
-cappittainnes prisonniers et bien vingt cinq des leurs en le ville de
-Dinant en Bretaingne, où il furent recheu à grant feste. Ceste nouvelle
-resjoy moult chiaux de Vennez et dou pais environ, et en fu li
-dammoisiaux messires Renaus durement prisiéz. Or lairay à parler de
-ciaus de Dinant, de Vennez et de Rocheperiot. Si parleray dou siège de
-Hainbon et de monseigneur Loeis d'Espaingne, ossi de la comtesse de
-Montfort.
-
-Vous devés savoir que messires Loeys d'Espaingne, qui souverains estoit
-de l'host qui se tenoit devant le ville et le castiel de Hainbon,
-mettoit grant advis et parfaite entente à conquère la garnison dessus
-ditte; et de soy meysmes il estoit bons chevaliers, hardis, seurs et
-entreprendans; et pour ce l'avoit monseigneur Carle de Blois fait
-connestable de toutte sen host, et y ajoustoit grant foy, et y tenoit
-bon linage. Si avoit li dis messires Loeys d'Espaigne fait amener et
-acariier douze grans enghiens de le cité de Rennez et fais drechier
-devant Hainbon, liquel jettoient si ouniement as murs de le ville que
-tous lez debrisoient et deffroissoient et moult empiroient la fremmeté:
-si que cil de dedens s'en coummenchoient à esbahir et à doubter le
-peril où il sejournoient. Si avoient vollenté de faire acord, car il ne
-veoient nul secours venir, ne de monseigneur Amauri de Clichon
-n'entendoient nullez nouvellez. Dont il avint que li evesquez messires
-Guis de Lion, qui estoit onclez à monseigneur Hervi de Lion, parla ung
-jour au dit monseigneur Hervy, son nepveult, par asseuration; et moult
-longement parlementèrent enssamble d'une raison et d'autrez. Et se
-porta leurs parlemens que li dis evesquez devoit pourcachier à ses
-compaignons que le ville de Hainbon seroit rendue par accord à
-monseigneur Loeis d'Espaingne el nom de monseigneur Carlon de Blois; et
-li dis messires Hervis devoit pourcachier, d'autre part, que tout chil
-de dedens seroient appaisiés quittez et lieges au dit monseigneur
-Carlon, et ne perderoient riens de leur avoir. Enssi se parti chilz
-parlemens. Depuis, li evesques Guis de Lion rentra en le ville de
-Hainbon pour parler as autres chevaliers et compaignons.
-
-La comtesse se doubta tantost de mauvais pourcach; si pria à ces
-seigneurs de Bretaingne que pour Dieu il ne fesissent nulle deffaulte,
-car elle avoit esperance en Nostre Seigneur que elle aroit grans
-secours dedens troix jours. Li chevalier, qui là estoient, avoient pité
-de la damme. A envis le falloient, et dur ossi leur estoit de perdre
-cors et avoir. Nonpourquant il disent adonc ensi à la comtesse pour
-elle reconforter, que elle ne se doubtast de riens, car jà ne feroient
-nul tretiet que elle ne sewist bien; et se au fort il se rendoient, se
-le metteroient il hors et son fil, en quelle fortrèche de Bretaigne que
-elle vorroit, qui pour lui se tenoit, ou il l'acorderoient de tous
-poins à monseigneur Carlon de Blois. Enssi se rappaisa ung peu la
-comtesse. Mès depuis li evesques, en le absence de lui, parla as
-compaignons et as seigneurs, et leur moustra tant de raisons que il lez
-mist en grant effroy celle nuit. A l'endemain encorrez recoummencha il
-son sermon as chevaliers de Bretaingne; et les avoit jà telz menés que
-il estoient auques prièz de son accord. Et regardoient coumment entre
-yaux et par honneur il se pooient acquitter de la comtesse, à qui il
-avoient juret feaulté; car se elle n'ewist là estet adonc avoecq yaus,
-sans faulte il ewissent rendut le ville.
-
-Entroex, comme il estoient en ce traitiet et en ce pourcach, et jà
-estoit messires Hervis de Lion, sus asseuranche que il avoient li ung à
-l'autre, venus assés priès de le ville pour parlementer à yaux, la
-comtesse, qui estoit en grant soussi de coer, estoit montée ou plus
-hault d'une tour dou castiel et regardoit en le mer par une petite
-fenestre. Si commença à criier et à faire grant joie, et disoit tant
-qu'elle pooit: «Je voy venir secours, biaux Dieux! que j'ay tant
-desiret.» Par deus fois le dist elle enssi. La vois de la damme fu
-entendue: si courut chacuns dou castiel as fenestres, qui mieux pot,
-savoir que c'estoit, et chil de le ville as creniaux des murs, pour
-veoir de quel part ces nouvellez venoient; et virent tout clerement
-grant fuison de naves, petitez et grandez, bien batilliez, venir par
-deviers Hainbon, dont chacuns fu durement reconfortéz. Car bien
-tenoient que c'estoit messires Amauris de Clichon qui amenoit che
-secours d'Engleterre, dont vous avés chy dessus oy parler, qui par
-soixante jours avoit eu vent contraire et fortune très perilleuse. Fos
-67 vo et 68.
-
-_Ms. de Rome_: Qant messires Carles de Blois vei que riens il ne
-conqueroient à asallir Hainbon, si en fu tous merancolieus. Et furent
-li signeur ensamble en consel conment il se maintenroient. Consilliet
-fu que il departiroient lor hoost en deus parties: li une des pars
-demor(r)oit devant Hainbon; et li aultre, en la compagnie de mesire
-Carle, iroient metre le siège devant Auroi. Si se departirent en la
-route et compagnie de mesire Carle tout chil qui nonmet i furent, et
-vinrent devant Auroi et l'asegièrent. Mais li chastiaus est fors, et ne
-fait pas à prendre par assaut; et pour lors il estoit bien pourveus de
-chapitainne et de bons compagnons que la contesse i avoit envoiiés,
-liquel n'avoient nulle volenté de rendre par trettié ne aultrement.
-
-A quatre lieues de là sciet la chité de Vennes, qui est forte assés, et
-toute en l'obeissance de la contesse. Et en estoit pour lors
-chapitainne, messires Jeffrois de Malatrait; et li sires de Malatrait,
-ses cousins, estoit en la route de mesire Carle de Blois.
-
-D'autre part sciet la vile de Dignant en Bretagne, qui pour lors
-n'estoit fremée que de fossés et de palis; et en estoit chapitainne li
-chastelains de Ghinghant, mais pour lors il n'i estoit point. Avant se
-tenoit en la garnison de Hainbon avoecques la contesse de Montfort,
-mais il avoit sa fenme et ses filles en son hostel laissiet en la ville
-de Dignant; et avoit un fil à chevalier que on nonmoit mesire Renault,
-et estoit de sa jonèce moult vaillans homs. Entre ces deus villes de
-Vennes et de Dignant a un fort chastiel, lequel on nonme Roceperiot; et
-se tenoit pour lors à mesire Carles de Blois, liquels l'avoit pourveu
-de bons compagnons bourgignons. Et en estoit chapitains uns esquiers de
-Bourgongne que on clamoit Gerart de Malain, et avoit avoecques lui un
-chevalier que on nonmoit messire Pière Portebuef. Chils Gerars de
-Malain et li chevaliers avoecques lors compagnons honnisoient tous le
-pais, et chevauçoient priesque tous les jours une heure à destre,
-l'autre à senestre. Et ne pooient pour euls pourveances nulles entrer
-ne venir à Vennes ne à Dignant, que chil qui les menoient ne fuissent
-rués jus, et les pourveances conquises. Dont moult en anoioit au jone
-chevalier mesire Renault de Ghingant; et li tournoit, ce li estoit vis,
-à grant blame, pour tant que il avoit la carge de la garde de la ville
-de Dignant. Et tant pensa sus que il i pourvei et prist un jour, par
-une enbusque que il pourjeta sus les camps, le dit Gerart de Malain et
-vingt cincq Bourghignons, et les enmena prisonniers en la ville de
-Dignant, et rescoui quinze marceans que li Bourgignon enmenoient
-prisonniers en la Roceperiot. Et de ce fait fu li dis messire Renauls
-moult loés et moult prisiés.
-
-Je me tairai un petit de ces Bourgignons et de mesire Carle de Blois
-qui avoit assegiet le chastiel d'Auroi, et parlerai de mesire Lois
-d'Espagne et de ses gens, liquel avoient assis, ensi que vous savés, la
-contesse de Montfort dedens Hainbon. Et avoient li François fait
-carpenter et ouvrer grans enghiens, et fait venir aultres enghiens de
-Rennes et de Nantes et drechiet devant la ville de Hainbon, liquel
-continuelment jettoient contre les murs, les tours et les portes,
-pières de faix, et travilloient durement ceuls de Hainbon. De quoi chil
-qui dedens estoient, li auqun se conmenchièrent à esmaiier, car seqours
-ne lor aparoit de nul costé. Dont la contesse de Montfort estoit en
-grande angousse de coer, et menoit ses gens de douces paroles, et lor
-prioit pour Dieu que il ne fesissent nul trettié senestre, car disoit
-la contesse: «Bonnes gens et mi bon ami, li corages me dist que nous
-auerons proçainnement bonnes nouvelles d'Engleterre; et retourne
-messires Amauris de Cliçon, qui amainne le secours que nous desirons
-tant à avoir et à veoir.»
-
-Nonobstant toutes ces douces paroles et amiables que la contesse lor
-disoit et remoustroit, li evesques de Lion en Bretagne, qui se nonmoit
-messires Guis, et qui estoit oncles à mesire Hervi de Lion liquels
-estoit au siège là devant Hainbon, parla un jour sus asegurances à son
-neveu. Et se portèrent lors tretiés que ils et auquns chevaliers et
-esquiers qui là dedens estoient enclos, se departiroient de la
-contesse, et se venroient rendre à mesire Lois d'Espagne qui
-representoit pour lors le corps à mesire Carle de Blois.
-
-La contesse, qui vivoit en grant angousse de coer et double anoi, qant
-elle senti que ses gens qui loiaument l'avoient servi jusques à chi,
-voloient faire auquns mauvais trettiés à ses ennemis[407].... et issi
-hors de son chastiel, et vint en la ville parler à euls, et lor pria en
-plorant que il ne vosissent avoir nul pactis as François. Li auqun en
-orent pité et dissent: «Dame, ce que nous l'avons, c'est pour ce que
-nous faisons doubte que vous n'aiiés nul seqours d'Engleterre, ou que
-il ne soit mesceu à mesire Amauri de Cliçon, par quoi il n'a point fait
-vostre mesage, car il sourviennent sus la mer trop de perils et de
-fortunes. Et quel traittié que nous faisons ne ferons, nous vous jurons
-que vous serés gardée de vostre corps, et demorrés chi en ce chastiel
-ou ailleurs en plus forte place, là où il vous plaira, et au sourplus
-nous vous donnons pourveance chienq jours. Là en dedens pueent avenir
-moult de coses.»--«Vous dites verité, respondi la contesse, et grant
-merchis.» Donc retourna elle amont ens ou chastiel, moult angousouse de
-coer, et bien i avoit raison.
-
- [407] Lacune.
-
-Avint que, au tierch jour apriès que ces paroles orent esté, la
-contesse estoit levée moult matin. Si regarda en la mer un petit apriès
-solel levant, et vei flamboiier grant fuisson de voilles en nefs, et
-c'estoit la navie d'Engleterre qui venoit. Et plus atendoit la contese,
-et plus aproçoient ces nefs et ces balenghiers; et qant elle vei ce et
-ces banières et ces estramières flamboiier et venteler, de joie elle se
-laissa ceoir. Ses gens qui estoient dalés li, le relevèrent. Et qant
-elle parla, elle dist: «Or tos descendés en la ville; nonchiés ces
-nouvelles à ces chevaliers. Vechi le secours d'Engleterre qui nous
-vient.» Tantos on fist le conmandement de la contesse. Fos 79 vo à 81.
-
-P. 147, l. 30 et 31: D'autre part.--_Mss. A 30 à 33_: D'autre part siet
-la bonne ville de Guignant en Bretaigne, dont le chastelain de Dignant
-estoit gardien. Fo 153 vo.--_Mss. A 23 à 29_: D'aultre part siet la
-bonne ville de Dignant en Bretaigne, dont le sire de Dignant estoit
-chastelain et gardien. Fo 106.
-
-P. 148, l. 9 et 10: chastiaus.--_Ms. B 6_: que on apelle la
-Rochepierot. Fo 203.
-
-P. 148, l. 14: de Malain.--_Ms. B 6_: et avoit en sa compaignie
-soixante compaignons. Fo 203.
-
-P. 148, l. 15: chevalier.--_Ms. B. 6_: de Prouvenche. Fo 203.
-
-P. 148, l. 18: Vennes.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 20 à 22_: Rennes. Fo
-91.
-
-P. 148, l. 25: Renaulz de Gingant.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22_:
-les prist à un embuschement et les conquist tous par son sens et par sa
-prouesse, lui vingt cinquième de coureurs compaignons, et rescouy
-quinze marchans à tout leur avoir qu'ilz avoient pris et les emmenoient
-tous à Dignant et par devers leurs garnisons qui se tenoient à
-Rocheperion. Fo 91.
-
-P. 149, l. 2: grant joie.--_Ms. B. 6_: Sy demoura messire Pierre
-Portebuef castelain de Rocheperoit. Fo 204.
-
-P. 150, l. 12: secours.--_Ms. B 6_: Le roy (d'Engleterre) qui ne veult
-pas oublier la contesse (de Montfort), y envoia mesire Gautier à tout
-trois cens lanches et six cens archiés. Mais il eurent sur mer trop
-grant fortune, par quoy il y furent plus de quarante jours. Cils
-secours vint trop grandement à point à la contesse, car ses gens
-estoient en vollenté de eulx rendre aux Franchois, et en avoit porté le
-traitiet messire Hervy de Lion, et se fussent rendus dedens trois
-jours. Ensy estoit yl acordés quant mesire Gautie(r) de Maury vint et
-en sa compaignie mille combatans, entrer à plaine voille ou havre de
-Hainbon. Fo 204.
-
-
-=§ 169.= P. 150, l. 23: Quant li chastellains.--_Ms. d'Amiens_: Quant
-li castelains de Ghinghant, messire Yves de Tigueri, messires Gallerans
-de Landreniaux, li doy frère de Quirich et li autre chevalier et
-compaignon perchurent che secours venir, il disent à l'evesque qu'il
-pooit bien contremander son parlement; car point n'estoient conssilliet
-de faire chou qu'il leur enhortoit. Li evesques de ceste responsce fu
-durement courouchiés et dist: «Seigneur, dont se partira nostre
-compaignie, car vous demourés dechà par deviers madamme; et je m'en
-yrai par delà deviers celui qui plus grant droit i a, ce me samble,
-qu'elle n'ait.» Adonc se parti li evesques Guis, de Hainbon, et deffia
-le damme et tous ses aidans; et s'en alla renonchier au dit monseigneur
-Hervi et dist la besoingne, enssi comme elle alloit. Li dis messires
-Hervis fu durement courouchiéz de ce qu'il avoit fallit à son propos.
-Si fist tantost drechier le plus grant enghien qu'il avoit, au plus
-priès dou castiel qu'il pot; et coummanda que on ne cessast de getter
-par jour, ne par nuit, puis se parti de là. Si enmena son oncle le dit
-evesque de Lion par deviers monseigneur Loeis d'Espaigne, qui le
-rechupt à bon gret et liement. Ossi fist messires Carlez de Blois,
-quant il fu là venus.
-
-La comtesse de Montfort fist à lie chière appareillier salles, cambres
-et hostelz pour herbregier aisiement ces seigneurs d'Engleterre qui là
-venoient, et envoya contre yaux moult noblement. Quant il furent venut
-et descendut, elle meysmez vint contre yaux à grant reverence. Et se
-elle lez festia et requeilla liement et grandement, ce ne fait point à
-demander, car leur venue li estoit moult belle, pour tant que li
-chevalier de Bretaingne, qui avoecq lui se tenoient, se fuissent
-tournet d'autre part. Et ossi ewist fait la ville: il estoit jà tout
-ordonnet, si ques je di que ce fu pour elle une belle aventure, et qui
-li vint bien à point. La comtesse de Montfort, pour mieux festiier et
-plus aisiement les chevaliers d'Engleterre qui là estoient venut,
-monseigneur Ghautier de Mauni et les aultrez, les enmena ou castiel et
-leur delivra cambres et officines, tant que leur hostel en le ville
-furent tout bien ordounnet, et leur donna à disner grandement et
-bellement.
-
-Or avint que moult tost apriès disner, messires Gautier de Mauny dist
-que il avoit grant vollenté d'aller veoir ce grant enghien, qui si
-priès estoit assis dou castiel; et demanda as chevaliers bretons qui là
-estoient aucuns couvenans de chiaux de l'ost, et il en respondirent ce
-qu'il en savoient. Adonc leur demanda messires Gautiers de Mauni se il
-le sieuroient, car il le volloit aller abattre; et il li dissent: «Oil,
-vollentiers,» et que on ne le devoit mies fallir à ceste premierre
-envaie. Si s'armèrent li chevalier et li escuier sans point d'arrest,
-messires Gautiers de Mauni, messire Franck de Halle, messires Gerars de
-Baudresen, li doy frère de Lindehalle, li Haze de Braibant, li sires
-Despensiers, messires Jehans li Boutilliers, messires Hues de
-Hastinghes, messires Jehans de Lille, li sirez de Ferrièrez, messires
-Olivier de Cliffort, messire Thummas Kok, messires Pièrez de Baucestre,
-messires Alains de Sirehonde et li chevalier et li escuier
-d'Engleterre. Et ossi fissent li chevalier de Bretaingne, messires
-Amauris de Clichon, messires Yeves de Tigueri, li castellains de
-Ginghant, li sirez de Landreniaus et tout li autre. Nuls ne demoura
-derière, fors que pour le ville garder et yaux attendre. Et fissent
-tant seullement aller avoecq yaux trois cens archers, puis yssirent
-hors ordonneement par le porte, et fissent passer devant les archers
-tout en trayant. Tant trayèrent li archer qu'i(l) missent en voiez
-chiaux qui l'enghien gardoient. Et les gens d'armes qui venoient apriès
-ces archers en ocissent aucuns, et vinrent jusquez à che grant enghien,
-et coppèrent la flèce et l'abatirent par terre, et puis le
-detaillièrent tout par pièches; puis coururent de randon jusquez as
-tentes et loges, et boutèrent le feu dedens. Si y fissent ung grant
-escart, et tuèrent pluiseurs de leurs ennemis, ainschois que li hos
-fuist estourmis; et puis se retraissent bellement arrière. Et leur
-sambla qu'il en avoient assés fait pour ce jour: si s'en revinrent
-deviers le ville.
-
-Quant li hos fu estourmis et chacuns arméz et montéz à cheval, messires
-Loeys d'Espaigne, li viscomtez de Rohem, messires Hervis de Lion, li
-sirez de Biaumanoir, li sirez de Tournemine, li sirez d'Ansenis, li
-sirez de Rays, li sires de Rieus, li Gallois de le Baume (vinrent
-accourant) et chacuns qui mieux mieux apprès et en criant: «Enssi n'en
-irés vous mie.» Quant messires Gautiers de Mauni se vit si fort
-poursuiwis et encachiés de ses ennemis, si en ot grant virgoingne et
-dist tout en hault: «Jammais ne soie jou salluéz de ma chière amie, se
-jammais rentre en forterèche jusqu'à donc que j'aray l'un de ces venans
-versset à terre, ou j'y seray versséz.» Adonc se retourna li
-chevaliers, le glaive ou poing, par deviers les ennemis. Ossi fissent
-li doy frère de Linedale, messires Francq de Halle, li Haze de
-Braibant, messires Yves de Tigueri, li sires de Landreniaus et
-pluiseurs autres, qui ne vorent mies fallir leur cappitainne. Là eult
-ung très dur encontre, car chacun de ces chevaliers franchois et englèz
-de leurs glaivez assisent li ungs sur l'autre. Si en y eut des
-pluisseurs reverset par terre, de l'un costet et de l'autre. Apriès les
-glaives falliez, il sachièrent les espées et se combatirent vaillamment
-et radement, et en y eut pluisseurs mors et navréz. Touttez foix, chil
-de l'host estoient plus grant fuisson que chil de d'ens ne fuissent. Si
-retournèrent li Englèz sagement deviers le fortrèche. Devant lez
-baillez y eut bonne escarmuche, mainte belle appertise d'armes faite,
-mainte prise et mainte rescousse. Si rentrèrent chil de d'ens en leur
-fort à petit de dammaige. Et li Franchois retournèrent à leurs logeis,
-tout courouchiet de leur enghien qui estoit abatus, et si ne le pooient
-amender. Ensi se porta ceste premierre besoingne. Fo 68.
-
-_Ms. de Rome_: Qant li chevalier furent enfourmé de ces nouvelles, il
-montèrent amont et veirent tout clerement que c'estoit verité, et que
-bien avoit siis vint voilles en la compagnie. La gette dou chastiel
-d'amont conmença de la trompète à mener noise et grant solas, et tant
-que chil de l'oost s'en perchurent. Li chevalier et li esquier, qui en
-tretié estoient deviers les François, dissent à l'evesque Gui de Lion:
-«Sire, vous avés mené les trettiés et les paroles à ceuls qui nous ont
-asegiés. Confors nous vient d'Engleterre, et nous avons nos fois et nos
-sieremens enviers madame; se li tenrons. Regardés quel cose vous volés
-faire, car il est heure que vous i renonchiés, ou que vous i faites
-renoncier.» Li evesques s'estoit si fort loiiés par les paroles de son
-cousin, mesire Hervi de Lion, enviers les François que il ne pooit
-requler, ne ne voloit aussi; si dist: «Signeur, je ne irai point parler
-à euls sans vous, car ce que j'en ai fait, vous estes tous participant;
-et de vous viennent otant bien li trettié que il font de moi.»--«Mesire
-Gui, respondirent li chevalier, vous dites verité. Mais quoi que fait
-en a esté, encores i poons nous bien renonchier. Et de chi endroit nous
-i renonçons, et nous volons tenir dalés madame qui tant de biens nous a
-fais et fera encores. Et sa querelle est grandement embellie, puis que
-li seqours d'Engleterre li sera venus.»
-
-Qant li evesques de Lion les vei en celle volenté, il ne dist pas tout
-ce que il pensoit, quoi que ce fust li plus grans de euls tous et li
-mieuls enlinagiés; car il se doubtoit, puis que li secours d'Engleterre
-venoit à la dame, que de fait elle ne le fesist detenir et metre en
-prison. Si parla au plus courtoisement conme il pot, tant que il fu
-hors de la ville. Et qant il fu venus as logeis des François et il ot
-parlé à mesire Lois d'Espagne et à son cousin, et il se fu rendus, et
-il ot dit que il voloit estre de lor opinion, et que trop longement
-avoit esté rebelles et maconsilliés, et que plus ne le voloit estre, il
-prist un hiraut et l'endica et enfourma; et l'envoia dedens Hainbon
-parler à la contesse de Montfort, et li renvoia son honmage, et le
-deffia de ce jour en avant. A l'eure que li hiraus vint, la contesse
-estoit avallée jus dou chastiel en la ville, pour ordonner les logeis
-de ces signeurs chevaliers d'Engleterre, qui jà estoient entré ou
-havene de Hainbon. Si estoit si resjoie que elle ne fist compte des
-deffiances messire Gui, et dist que elle avoit gens assés sans li. Or
-retourna li hiraus en l'oost, qant il ot fait son mesage. Et la
-contesse et si chevalier demorèrent, et furent tant sus le havene que
-les nefs prisent terre. Et issi hors tout premierement messires Amauris
-de Cliçon. La dame qui le connisoit, le ala enbrachier et baisier moult
-doucement, et li dist: «Ha! Amauri, que vous avés tout demoret, et que
-je vous ai tout desiré!»--«Madame, respondi li chevaliers, je ne l'ai
-peut amender. Ç'a esté en partie par les fortunes de la mer, car nous
-deuissions chi avoir esté, passet sont trois sepmainnes. Li rois
-d'Engleterre vous salue et vous envoie à ce premier trois cens honmes
-d'armes et deus mille archiers.»--«Donc, dist la dame, il soient li
-bien venu, et nous en avons grant joie.» Donc issirent li chevalier,
-messires Gautiers de Mauni tous premiers, qui pooit estre en l'eage de
-trente sis ans, biaus chevaliers et vremauls et douls et plaisans à
-regarder, de tous menbres bien façonnés. Messire Amauris de Cliçon li
-dist: «Dame, vechi le capitainne, et est nonmés ensi, et uns chevaliers
-où li rois d'Engleterre et li signeur de son consel ont grant fiance.»
-Adonc se traist la dame à mesire Gautier et l'enbraça moult doucement
-et le baisa, et puis apriès tous les aultres. Et qant elle ot alé tout
-autour et fait celle requelloite, elle les enmena amont ou chastiel,
-pour euls aisier et rafresqir, tant que lors gens fuissent tout issu et
-apparilliet lors besongnes; et fist casqun chevalier logier assés
-aisiement et restraindre ses honmes. Et dignèrent tout li chevalier
-avoecques la dame.
-
-Messires Lois d'Espagne et li viscontes de Rohem et messires Hervis de
-Lion sceurent tantos que secours d'Engleterre estoit venus à la
-contesse, car li evesques de Lion lor dist; et aussi fissent aultres
-honmes bretons, qui estoient alé sus le havene et veu la navie entrer.
-Si en furent tout pensieu; nequedent il ne vorent pas brisier lor siège
-pour cela, mais fissent les enghiens cargier qui avoient sejourné trois
-jours, et jetter pières de faix en la ville, tant que li Englois, qui
-point n'avoient encores apris tels coses, en furent ensi que tout
-effreé. Messires Gautiers de Mauni, qant ce vint apriès disner, et ils
-et si compagnon furent rafresqi, il traist à part mesire Ivon de Tigri
-et mesire Guillaume de Qadudal et le chastellain de Ghinghant; et lor
-demanda de l'estat de la ville et de la poissance de ceuls de l'oost,
-et se mesires Carles de Blois estoit en personne au siège. A toutes ces
-coses respondirent li chevalier, et dissent que messires Carles de
-Blois n'estoit point presens, mais tenoit son siège devant Auroi. Tant
-que de l'estat de la ville, estans là le siège qui moult les avoit
-constrains, elle estoit bien pourveue, car li vivre qui lor venoient
-par mer les confortoi(en)t grandement; et estoient là dedens bien cinq
-cens combatans. «Donc, dist messires Gautiers de Mauni, je voel, jà sus
-l'eure dou souper, aler veoir ce grant enghien. Faites apparillier vos
-gens, et je auerai tous prês les nostres, et nous meterons en painne de
-l'abatre et dou decoper, car il ne nous laisseroit dormir. Il demainne
-trop grant hustin, et se nous est trop proçains.» Li chevalier breton
-respondirent et dissent: «Sire, à vostre ordenance il sera fait.» Sus
-cel estat, il s'ordonnèrent et reposèrent; et se rafresqirent les
-Englois un petit, car il avoient esté travilliet de la mer.
-
-Qant ce vint sus l'eure de vespres, Breton et Englois s'armèrent et
-furent environ cinq cens, et otant ou plus d'archiers. Et fissent
-ouvrir la porte qui estoit la plus proçainne de cel grant enghien et
-avaler le pont; et puis issirent tout souef desous le pennon à messire
-Gautier de Mauni, et fissent passer tous lors archiers devant. Et s'en
-vinrent tous le pas jusques à l'enghien; et là avoit environ cent
-armeures de fier et cent arbalestriers geneuois qui le gardoient.
-
-Qant il veirent ces gens d'armes et ces archiers venir, tous ordonnés
-et apparilliés pour combatre, il furent tout esbahi, et tournèrent en
-fuies deviers l'oost. Droit à la flèce de ce grant enghien s'arestèrent
-les Englois et les Bretons; et avoient amené ouvriers et carpentiers,
-qui tantos entendirent à decoper cel enghien, et le missent tout par
-pièces à terre. Les nouvelles vinrent en l'oost par les fuians qui
-n'avoient osé demorer dalés lor enghien, car il n'estoient pas fort
-assés pour resister as gens la contesse, que li grans enghiens estoit
-conquis, abatus et deffaçonnés. Donc fissent li signeur sonner les
-tronpètes, et armer toutes gens et traire sus les camps, et casqun
-desous la banière de son signeur. Se ne fu pas sitos fait, mais fu
-tantos tart. Et entrues que il s'ordonnoient en l'oost et mettoient
-ensamble, messires Gautiers de Mauni et ses gens passèrent encores plus
-avant autour de la ville, et abatirent deus enghiens, et missent tous
-en pièces li carpentier qui là estoient. La contesse de Montfort estoit
-en son chastiel et veoit tout cel esbatement; si en avoit grant joie.
-Adonc se missent au retour les Englois et les Bretons et les archiers
-sus costière. Et les François, qui estoient ordonné en une belle
-bataille où plus avoit de deus mille honmes sans les Geneuois, les
-poursievirent jusques as barrières; mais point n'i eut d'escarmuce, car
-la vesprée vint. Si rentrèrent en Hainbon li Englois et li Breton, sans
-nul damage. La contesse de Montfort lor vint au devant et les remerchia
-grandement de lor emprise, et de ce que il l'avoient apaisie de ces
-enghiens. Fos 81 vo et 82.
-
-P. 151, l. 24: herbergier.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 33_: et en la ville à
-leur aise. Fo 92.
-
-P. 152, l. 10: compagnon.--_Ms. B 6_: et estoient bien cinq cens à
-cheval. Fo 206.
-
-P. 152, l. 13: trois cens.--_Ms. B 6_: cinq cens. Fo 206.
-
-P. 152, l. 14 et 15: ceulz qui gardoient.--_Ms. B 6_: soixante
-compaignons qui le gardoient. Fo 206.
-
-P. 153, l. 17: estal.--_Mss. A 20 à 22_: Et là rendirent estal les
-chevaliers à tous venans jusques à tant, etc. Fo 138 vo.
-
-
-=§ 170.= P. 154, l. 1: A l'endemain.--_Ms. d'Amiens_: A l'endemain,
-messires Loeys d'Espaigne apella le viscomte de Rohem, l'evesque de
-Lion, monseigneur Hervi de Lion, le seigneur de Tournemine, le seigneur
-de Biaumanoir, le seigneur de Loriach, le seigneur de Rais, monseigneur
-le Gallois de le Baume, le mestre dez Geneuois et tous lez seigneurs de
-son host pour avoir consseil qu'il feroient, car il veoient la ville de
-Hainbon si forte et maintenant pourveue et rafrescie de bon secours qui
-venus leur estoit, et que il perdoient là leur tamps; car il ne veoient
-tour, mannierre, ne enghien par quoy il y pewissent pourfiter, ne le
-ville prendre. Si orent consseil et accord tout li ung par l'autre
-qu'il se deslogeroient à l'endemain, et se retrairoient par deviers lez
-autrez qui seoient devant castiel d'Auroy. Tout enssi qu'il
-ordonnèrent, il fissent et se deslogièrent à l'endemain au point dou
-jour, et tourssèrent tentez et trèz et touttez mannièrez de harnois; et
-s'en revinrent deviers castiel d'Auroy, là où messires Charlez de
-Blois, li dus de Bourbon et moult grant fuison des seigneurs de Franche
-se tenoient. Si leur compta messires Loeis pourquoy il estoit partis et
-quelz confors estoit creus à la comtesse, et coumment Hainbon n'estoit
-mies une forterèche à prendre si de legier encorres, quant elle estoit
-pourveue et garnie de telx gens d'armes. Li seigneur de Franche li
-dissent bien qu'il disoit voir: «Mès pour le temps emploiier, messires
-Loeys, nous vous disons que vous voeilliéz aller devant Dinant, qui
-n'est pas si forte que Hainbon, et y menés toutte vostre host, et nous
-nos tenronz droit chy à nostre siège.» Che respondi messire Loeys:
-«Vollentiers.» Enssi demoura li fors de Hainbon en pais une grant
-pièce, et messires Loeys d'Espaigne fist aroutter son host au lés
-deviers le ville de Dinant en Bretaingne.
-
-Entre castiel d'Auroy et le ville de Dinant, siet ungs petits castiaux
-que on appelle Concquest; et se tenoit adonc de par la comtesse de
-Montfort. Et en estoit cappittainne uns très bons chevaliers de
-Lombardie, que on clammoit messire Garsion; et avoit avoecq lui grant
-fuison de Lombars et de Geneuois. Quant messires Loeys eut veu et
-conssideret le forterèce, si dist que il se volloit assaiier au
-prendre. Si fist touttez ses gens arouter par devant et approchier et
-fortement assaillir, et chil de dedens à yaux deffendre. Et dura chilz
-assaux jusques à le nuit. Si se loga li os là endroit; et dist bien
-messires Loeis qu'il ne s'en partiroit mies ensi. Quant ce vint à
-l'endemain, il le fist de rechief assaillir durement et asprement, et
-avoecq lui Geneuois et Espagnolx qui trop bien s'i esprouvoient. Si
-approchièrent li assallant si priès dou mur, que, par force d'assault
-et par ouniement traire et lanchier à chiaux d'amont, il y fissent ung
-grant trau, car li fossés n'estoient mies moult parfont. Si entrèrent
-ens par force et ocirent tous chiaux dou castiel, excepté monsigneur
-Garsion qu'i(l) prist à merchis, et cinq ou six gentils hommez. Apriès
-che, messires Loeys fist restouper le trau dou mur, et y mist ung bon
-castelain et soixante hommes d'armes pour garder le castiel, et le fist
-remparer de tous poins, puis s'en parti, et toutte sen host, et
-s'arouta vers Dinant.
-
-Les nouvellez estoient jà venues en Hainbon à le comtesse de Montfort
-et à monseigneur Ghautier de Mauny, que messires Loeys d'Espaigne
-estoit arestéz devant Concquest et l'avoit assegiet. Si dist la
-comtesse as chevaliers et as compaignons que ce seroit grans honneurs
-de lever che siège et de là combattre lez Franchois, et leur seroit
-recordé à grant proèce. Messires Gautiers de Mauny, qui moult envis
-sejournoit tant que il se sewist où emploiier, fist armer tous
-chevaliers et escuiers et archers ossi, et se parti de Hainbon et se
-mist au chemin deviers Concquest; et vinrent là environ heure de nonne,
-et trouvèrent qu'il avoit estet concquis par force le jour devant, et
-chiaux de dedens tous mis à mort. Si furent durement courouchiet de
-ceste aventure, pour tant qu'il n'avoient trouvet monsigneur Loeys et
-se routte. Se dist messires Gautiers qu'il ne se partiroit de là, si
-aroit le castiel reconcquis. Si se appareillièrent li compaignon pour
-assaillir le castiel; et entrèrent ens ès fossés où il n'avoit point
-d'aighe, et montèrent tout targiet contremont. Quant li Espagnol qui
-dedens estoient, lez virent venir en tel mannierre, il se misent de
-grant volenté au deffendre; mès li archer englès traioient si
-ouniement, que nus n'osoit aprochier as murs pour jetter pières. Et
-trouvèrent chil de dehors le trau par où li dis castiaux avoit estet
-pris, qui assés foiblement avoit estet remparés. Si boutèrent oultre
-pières et terre qui là estoit, et entrèrent en le fortrèche par ce lieu
-meysmes. Et furent tout li saudoiier qui dedens estoient, ochis,
-horsmis le cappitainne, et ne say dix ou douze, que li chevalier
-prissent à merchy; puis s'en partirent et laissièrent le castiel tout
-vuit, car il n'estoit mies tenables, et retournèrent arrière en Hainbon
-et n'eurent mies consseil adonc de chevauchier plus avant. Fos 68 vo et
-69.
-
-_Ms. de Rome_: Qant ce vint à l'endemain, messires Lois d'Espagne
-appella le visconte de Rohan, l'evesque de Lion, mesire Hervi de Lion
-et le mestre des Geneuois, pour avoir consel et avis conment il se
-deduiroient, car il veoient la ville de Hainbon très forte et
-rafresquie de bonnes gens d'armes et d'archiers, par lesquels de nuit
-il pooient estre fort travilliet, et recevoir plus de blame et de
-damage que de pourfit. Tout consideret, consilliet fu que il se
-deslogeroient et se retrairoient deviers mesire Carle de Blois et les
-aultres barons de France, et metteroient les deux hoos en une. Si se
-deslogièrent et requellièrent tentes et trefs, et misent tout à
-voiture, et boutèrent le feu en lors fuellies.
-
-Qant chil de la garnison de Hainbon veirent ce couvenant, si dissent
-entre euls: «Nostre ennemi s'en vont; il se deslogent.» Là i ot auquns
-compagnons aventureus qui sallirent dehors pour gaegnier, mais il
-furent rebouté et remis en la forterèce à lor damage. Et en i ot des
-mors et des pris, car au deslogement il s'ordonnèrent tout et missent
-en une belle bataille, et onques ne se desroutèrent; et atendirent tout
-l'un l'autre et lor charroi et lors pourveances, et vinrent ensi,
-bannières desploiies, devant Auroi.
-
-Qant messires Carles de Blois et les signeurs les veirent venus, si
-s'esmervillièrent pourquoi il avoient brisié lor siège. Messire Lois
-d'Espagne lor recorda conment grans secours estoit venus à la contesse
-d'Engleterre: «et ont à chapitainne un chevalier de Hainnau moult
-vaillant honme, à ce que il moustre, et a jà conmenchié, car le jour
-meismes que il ariva à Hainbon, ils et une partie des siens issirent
-hors de la forterèce, entrues que nous estions au souper, et vinrent
-abatre et decoper nos enghiens. Je tieng ce fait à grant apertise
-d'armes, et est li chevalier nonmés messires Gautiers de Mauni.»--«En
-non Dieu, respondi messires Carles de Blois, c'est uns vaillans homs;
-j'en ai bien oï parler. Ensi se renforce nostre gerre.» Adonc
-laissièrent ils à parler de ce et parlèrent de l'evesque Gui de Lion,
-liquels avoit laissiet la contesse de Montfort, et estoit venus servir
-mesire Carle et soi rendre à lui. Messires Carles de Blois fu tous
-resjois de sa venue et rechut l'evesque à honme, et demora depuis tous
-jours dalés messire Carle de Blois.
-
-Or fu ordonné, en ce jour meismes que mesires Lois d'Espagne fu là
-venus, que ils et tous ceuls que amené il avoit, en iroient met(t)re le
-siège devant la ville de Dignant, et se meteroient en painne de le
-prendre. Si ne reposèrent en l'oost que une nuit. A l'endemain, il se
-missent tout sus les camps, reservé l'evesque Gui de Lion, qui demora
-avoecques messire Carle de Blois. Et estoient bien deus mill cinq cens
-armeures de fier et trois cens arbalestriers geneuois. Ensi que li dis
-messire Lois d'Espagne et ses gens ceminoient deviers Dignant, il
-trouvèrent sus lor cemin un chastiel qui se tenoit de la contesse, que
-on nonmoit Conquest. Et en estoit gardiiens et chastellains uns
-chevaliers de Lombardie que on nonmoit messire Mansion, et avoit
-pluisseurs saudoiiers avoecques lui. Si se traissent messires Lois et
-toutes ces gens devant ledit chastiel, et le assallirent fortement, et
-i livrèrent li arbalestrier geneuois très grant assaut. Li compagnon
-qui dedens estoient se deffendirent moult bien, et tant que ce premier
-jour li François i conquestèrent moult petit, et se logièrent là pour
-celle nuit.
-
-A l'endemain, il retournèrent tout à l'asaut et quissent voie et
-enghien par quoi il l'adamagièrent; car à l'endroit où li arbalestrier
-traioient et ensonnioient ceuls dou fort, il rompirent le mur et i
-fissent un grant petruis, et entrèrent dedens à force, car il estoient
-grant gent. Qant li compagnon se veirent en ce parti, il se vodrent
-rendre, salve lors vies, mais nuls n'i volt entendre. Avant furent il
-pris par force et tout mort sans merchi, reservé le chevalier. A cesti
-on sauva la vie, et demora prisonniers. Qant il orent ensi conquis le
-chastiel de Conquest, il s'avisèrent que il le tenroient, et i
-establirent un autre chastellain bon et segur, et soissante compagnons
-avoecques lui, liquel prissent le chastiel en garde sus lor peril et le
-remparèrent, pour ce que il avoit esté desemparés à l'asallir. Et puis
-passèrent oultre, et s'en vinrent mettre le siège devant la ville de
-Dignant, de laquelle messires Renauls, fils au chastellain de
-Ghinghant, estoit chapitainne. Nouvelles vinrent ens ou chastiel de
-Hainbon que messires Lois d'Espagne estoit arestés devant le chastiel
-de Conquest. Si ot (messire Gautiers de Mauni) très grant desir de
-traire celle part, et le dist à messire Ivon de Tigri et as aultres:
-«Il nous fault cevauchier deviers Conquest, et conforter ceuls qui sont
-dedens. Se nous poions ruer jus messire Lois d'Espagne, nous ferions un
-bon esploit.» A ceste parole s'acordèrent tout li compagnon, et furent
-tantos apparilliet, et lors chevaus refierés à ceuls as quels il
-besongnoit. Chils jours passa. Qant ce vint à l'endemain, les tronpètes
-des chevaliers sonnèrent. Lors s'armèrent li compagnon et montèrent as
-chevaus. Et se departirent de Hainbon environ cinq cens armeures de
-fier et cinq cens archiers, et chevauchièrent viers le chastiel de
-Conquest, et ne savoient pas que il fust ens ou parti où il estoit;
-mais furent moult courouchié qant il trouvèrent que li François
-l'avoient conquis et rafresqi de nouvelles gens. Toutes fois, il
-l'avisèrent et dissent entre euls que il estoit bien prendables. Si
-s'arestèrent là tout autour et envoiièrent à Hainbon apriès lors
-pourveances. Si furent misses à voiture pour amener devant Conquest.
-Trois jours furent li Englès et li Breton devant le castiel de
-Conquest, et tous les jours i livrèrent il assaut grant et fier et
-mervilleus. Il i avoit dedens Espagnols qui trop vassaument se
-deffendoient et faisoient grans apertisses d'armes, et tant que il en
-blechièrent pluisseurs des assallans. Au daarain assaut qui fais i fu,
-il se pourveirent de cloies renforchies que li archier faisoient porter
-devant euls pour get des pières qui venoient d'amont. Et qant il furent
-cargiet, il aprochièrent dou plus priès les murs qu'il peurent, et puis
-s'efforchièrent au traire de celle ordenance contre mont que nuls ne
-s'osoit à moustrer as deffenses, se il ne voloit estre enfillés de une
-flèce tout parmi la teste ou le brac ou le corps. Et entrues que les
-archiers ensonniièrent ensi ceuls d'amont, il i avoit Bretons qui
-entendoient à petruissier le mur, et trouvèrent le petruis refait par
-où les François avoient entré dedens. Si le repetruissièrent et le
-desemparèrent à force de pils et de hauiauls, et par là meismes
-entrèrent il ou chastiel. Et fu ensi pris et conquis, et tout li
-Espagnols qui dedens estoient, mort, reservet le chapitainne, liquels
-se nonmoit Pières Ferrans de Tudesque, et auquns gentils honmes de son
-pais et de sa delivrance, pour lesquels il demora, se raençon les
-couvenoit paiier. Et desemparèrent les Englès le chastiel de Conquest,
-et dissent que point il ne faisoit à tenir ne à garder, et s'en
-retournèrent arrière à Hainbon, et enmenèrent lors prisonniers. Fos 82
-vo et 83.
-
-P. 154, l. 26: messires Loeis.--_Ms. B 6_: messire Gui de Lion, messire
-Hervy de Lion, le viés conte de Rohem, le sire de Clichon, le sire de
-Malatrait et pluiseurs barons de l'ost. Fo 208.
-
-P. 155, l. 3: Lombardie.--_Mss. A 22 à 33_: Normandie. Fo 108 vo.
-
-
-=§ 171.= P. 156, l. 25: Or revenrai.--_Ms. d'Amiens_: Or vous parlerons
-de monseigneur Loeys d'Espaigne qui fist logier son host tout autour de
-le ville de Dinant, et fist tantost faire petis batiaux et nacellez
-pour assaillir le ville de touttes pars, par yauwe et par terre. Si
-estoit dedens comme souverains et cappitainne messires Renaux de
-Ghinghant, filz au castellain de Ginghant, très bon chevalier de son
-eage, qui reconfortoit et consilloit chiaux de dedens le ville, qui
-durement estoient effraet de chou qu'il veoient faire à chiaux de l'ost
-si grant appareil; car leur ville n'estoit mies forte, ne fremmée fors
-que de palis. Et eurent consseil entr'iaux que il se renderoient
-ainschois que plus grant meschief leur avenist; mès, à ceste fois,
-messires Renaulx brisa leur vollenté, et ne se rendirent mies si très
-tost. Messires Loeis d'Espaigne ymagina bien le fortrèce de le ville,
-et vit bien que elle estoit prendable. Si se loga environ bien et
-souffisamment, et dist qu'il ne s'en partiroit si l'aroit à sa
-vollenté; et fist appertement appareillier instrummens pour assaillir,
-et fu assaillie durement et fierement. Et chil de dedens se
-deffendirent vassaumment, car messire Renaux de Gingant y rendoit grant
-painne. En tel estat se tinrent quatre jours à point de dammaige. Au
-quatrime jour, messires Loeys et li sien assaillirent le ville si
-vighereusement par nacelles et par batiaux qu'il avoient fait armer et
-breteskier, qu'il aprochoient les palis; et jà en avoient romput ung
-grant pan, dont chil de le ville estoient moult effraet, et se
-doutèrent de tout perdre, corps et chevanche. Si traitièrent à
-monseigneur Loeis ung respit tant seullement que il pewissent avoir
-parlet enssamble. A che respit donner, s'acorda li dessus dis moult à
-envis; car il veoit chiaux de Dinant en ung dur et perilleus parti.
-Touttesfois il leur acorda parmy tant que, le parlement estant, il ne
-se devoient noient fortefiier, et il li eurent en couvent. Dont se
-retraissent touttes mannières de gens sus le marchiet, et sonnèrent
-leur cloce et parlementèrent là longement enssamble. Et estoit li
-communs acors que de yaux rendre à messire Loeis d'Espaigne, salve lors
-corps et lors biens, ou nom de monseigneur Charlon de Blois; mès à
-cest accord ne s'asentoit nullement messires Renaux, leur cappittainne,
-et disoit que il garderoit et deffenderoit bien ce pas perilleus contre
-tous venans jusques au soir, et de nuit il le fortefieroit tellement
-que depuis il ne feroit point à prendre. Ses parolles ne peurent y
-estre oyes ne creuwes, et ne voloient nullement atendre ce peril et sa
-deffensce. Et tant parlèrent enssamble que aïrs sourmonta chiaux de le
-ville, et dissent que il valloit miés que li chevaliers fust ocis, qui
-contraires estoit à yaux, que tant de bonnes gens fuissent mort ne
-peri. Si fu là en le place, par le fait de le communauté, ocis li bons
-chevaliers messires Renaus de Ghinghant, filz au castellain de
-Ghingant; et fu rendue la ville de Dinant par le tretiet dessus
-noummet, sauve lors corps et lors biens. Ensi y entra messires Loeys
-d'Espaigne, et prist la feaulté des bourgois et le sierement, et s'i
-tint par deux jours pour remparer le ville de tout ce qu'il besongnoit.
-Et quant il s'en parti, il y laissa à chappitainne monseigneur Pière
-Portebuef et Gerart de Malain, escuier, lesque(l)s il avoit trouvés
-layens prisonnierz, car il avoient estet pris dou dit messire Renaut de
-Ghinghant par embusce faite, enssi comme vous avés oy chi dessus.
-
-Quant messires Loeis d'Espaingne se fu partis de le ville de Dinant, il
-se traist avoecq se routte par deviers une mout grosse ville seans sour
-le flun de le mer, que on claimme Garlande; et l'assega par terre et
-trouva assés priès grant fuison de vaissiaus et naves plainnes de vins,
-que marchans avoient là amenés de Poitau pour vendre. Si eurent tant li
-marchans vendu lors vins, et furent mal paiiet, che puet on bien
-croire. Et fist li dis messires Loeis prendre toutes ces naves et ces
-vaissiaux, et fist ens monter gens d'armes et partie des Espaignols et
-des Geneuois. Puis fist l'endemain assaillir le ville par terre et par
-mer, qui ne se pot longement deffendre; ains fu assés tost gaegnie par
-force et tantost toutte robée, et tout mis à l'espée sans point de
-merchy, hommez et femmes et enfans, et cinq eglises arsez et viollées,
-dont messires Loeys fu durement courouchiés. Si fist tantost pendre
-vingt quatre de chiaux qui ce avoient fait. Là eut gaegniet très grant
-tresor, si que chacuns en eult tant qu'il en vot ou pot porter, car la
-ville estoit durement grande, riche et marchande.
-
-Quant ceste grosse ville qui Garlande estoit appellée, fu enssi
-gaegnie, robée et essillie, il ne seurent où aller plus avant pour
-gaegnier. Si se mist li dis messires Loeys en ces vaissiaux qu'il
-avoit trouvés en mer, en le compaignie de monseigneur Othon Doriie et
-de Toudous, et de aucuns des Geneuois et Espagnolz, pour aller aucune
-part et pour aventurer seloncq le marine. Et li viscoens de Rohem, li
-evesques de Lion, messires Hervis, ses niés, et pluiseurs autres
-chevaliers et escuiers retournèrent en l'ost monseigneur Carlon de
-Blois, qui encorres seoit devant castiel d'Auroy. Et trouvèrent grant
-fuison de signeurs et de chevaliers de Franche qui nouvellement
-estoient là venus, telz que messires Loeys de Poitiers, comtez de
-Vallenche, li comtez d'Auchoire, li comtez de Joni, li comtez de
-Porsiien, li sires de Biaugeu, li sirez de Castelvillain, li sirez de
-Noiiers, li sirez d'Englure, li sirez de Castellon, li sirez
-d'Aufemont, messires Moriaux de Fiennes, li sirez de Roye, li sirez
-d'Aubegni, et pluisseurs autres que li roys de Franche y avoit envoiiéz
-pour remforchier l'ost et l'armée de monsigneur Charlon de Blois, sen
-nepveult, car bien avoit oy dire que messires Gautiers de Mauni à tout
-grant carge de gens d'armes estoit arivet en Bretaingne. Et encorrez
-n'estoit point li dis castiaux gaegniés, mès chil de dedens estoient si
-priès menet et si constraint, qu'il avoient mengiet par huit jours tous
-leurs cevaus; et ne lez voloit on prendre à merchy, s'il ne se
-rendoient simplement. Quant il veirent que morir lez couvenoit, il
-yssirent hors couvertement par nuit; et se missent en le vollenté de
-Dieu, et passèrent tout parmy l'ost à l'un des costéz. Aucun en furent
-perchus et tués. Et messires Henris de Pennefort et Oliviers, ses
-frèrez, et aucun autre se sauvèrent et escappèrent par un bosket qui là
-estoit, et s'en allèrent droit à Hainbon où il furent bien recheuv.
-
-Enssi reconquist messires Carlez de Blois le fort castiel que on
-claimme chastiel d'Auroy, où il avoit sis le tierme de dix sepmainnes.
-Si le fist refaire et rapareillier et bien garnir de gens d'armes et de
-touttez pourveances; et puis se parti et s'en alla à tout son host
-asigier la chité de Vennes, dont messire Joffroy de Malatrait estoit
-cappittainne, et se loga tout autour en bon aroy et grant couvenant. Le
-second jour apriès che que messires Carles de Blois eult assegiet le
-ville et le cité de Vennes, partirent aucun Braiton et aultre
-compaignon saudoiier qui gisoient ou fort de Plaremiel de par le
-comtesse de Montfort, et vinrent sus ung ajournement resvillier l'ost.
-Ceste nuit avoient fait le gait doi chevalier de Pikardie, li sirez de
-Castellon et li sirez d'Aubegny, et estoient encorrez à leur garde; si
-saillirent moult tost avant, qu'il sentirent l'ost estourmir. Et furent
-chil de Plaremiel enclos et villainnement reboutet et mis à cache. Et
-s'estourmy tellement li hos que tout s'armèrent communaument; et apriès
-ce qu'il eurent cachié les compaignons de Plaremiel et lez pluisseurs
-ochis et remis en leur fort, il revinrent de grant couraige, pour
-paremploiier le jour et leurs armeurez, assaillir Vennes; et là eut
-assaut grant et fier et mervilleux. Et y souffrirent chil de Montfort
-grant paine et grant traveil, car chil de le partie monseigneur Carle
-de Blois estoient grant fuisson et toutte bonne gent. Si se portèrent
-si bien que il conquisent le bourcq desous le cité et le fort jusques
-as baillez; et y eut pluisseurs bourjois et riches hommes de le ville
-pris, mors et navrés au rentrer dedens. Et là fu messire Joffrois de
-Malatrait très bons chevaliers et y fist maintes belles appertises
-d'armes; mès finaublement li Franchois assailloient de si grant
-vollenté et de si bon couvenant, que chil de Vennes se doubtèrent dou
-tout perdre. Si requissent à monseigneur Carlon de Blois un respit ce
-jour seullement, là en dedens (aroient) avis et consseil pour yaux
-rendre. Messires Carlez leur accorda assés à envis, mès li aucun baron
-de France li fissent faire par ensi que il valloit mieux que il ewist
-la cité sienne par amours que par haynne. Ensi parlementèrent tout le
-jour chil de Vennes li ung à l'autre et puis à chiaux de hors pour yaux
-rendre, salve leurs corps et leurs biens. Et quant messire Joffroi de
-Malatrait vit que il ne leur porroit brisier ne oster le oppinion, il
-se parti desconneus de Vennes, et s'embla et demucha, et s'en revint
-vers Hainbon. Et recorda à la contesse et à chiaux qui là estoient,
-coumment la besoingne alloit, liquel furent moult liet de la venue au
-chevalier et moult courouchiet de la prise de Vennez; mès amender ne le
-peurent tant c'à present. Or lairons ung petit à parler de cheux et de
-monseigneur Carlon de Blois qui estoit jà partis de Vennez, car la cité
-s'estoit rendue à lui, et l'en avoient fait li bourgois feaulté et
-sierement. Et y avoit laiiet à cappittainnez monsigneur Hervi de Lion
-et monsigneur Olivier de Clichon, et s'estoit trais à toutte sen host
-devant la cité de Craais, et l'avoit assigie de tous costéz. Si
-parlerons de monseigneur Loeis d'Espaigne et de se compagnie. Fos 69 vo
-et 70.
-
-_Ms. de Rome_: Or voel je parler de messire Lois d'Espagne, qui fist
-logier son hoost tout autour de la ville de Dignant en Bretagne, et
-fist tantos pourveir petis batiaus et nacelles, pour assallir la ville
-de toutes pars par terre et par iaue. Qant li bourgois de la ville
-veirent ce, si se doubtèrent; et jà amoient il plus assés les François
-et la partie mesire Carle de Blois que la contesse de Montfort. Si
-tretiièrent deviers messire Lois d'Espagne à euls rendre, salve lors
-biens et lors corps. Messires Lois entendi volentiers à ces tretiés.
-Messires Renauls de Ghinghant, lor chapitainne, entendi que il
-tretioient pour euls rendre. Si en fu durement courouchiés et maneça
-les plus grans mestres de la ville à faire coper les testes, et les
-appella fauls, mauvais et traittes, dont il furent moult courouchiet,
-et se doubtèrent de lui que de fait il ne vosist essequter, ensi que il
-le disoit. Paroles se moutepliièrent entre messire Renault et euls, et
-tant que de fait et en meslée il l'ocirent; et puis mandèrent à mesire
-Lois d'Espagne que il venist, on li ouveroit les portes. Messires Lois
-fu moult resjois de ces nouvelles, et entra dedens Dignant à grant
-compagnie. Et à ce jour i estoient la fenme et les enfans, deus filles
-et deus jones fils, au chastellain de Ghinghant. Auqun Breton et
-François li disoient que il les retenist à prisonniers, mais il n'en
-volt riens faire. Avant lor fist grasce, et les delivra euls et le
-leur, et les fist mettre hors de la ville et convoiier jusques à
-Hainbon, dont on tint che fait à grant courtoisie. Messires Lois
-d'Espagne prist la posession de Dignant de par mesire Carle de Blois,
-et i ordonna chapitainne et gens d'armes pour le deffendre et garder,
-et s'i tint quatre jours. Et fu delivrés Gerars de Malain et tout li
-compagnon, les quels messires Renauls de Ghinghant avoit pris, ensi
-comme il est ichi desus dit; et fist meismes chapitainne de Dignant
-Gerart de Malain et mesire Pière Portebuef avoecques lui.
-
-Puis s'en ala li dis messires Lois d'Espagne à toute son hoost deviers
-une grose ville seant sus la mer, que on clainme Garlande, et le assega
-par terre; et n'estoit pas adonc trop fort fremée, et est uns havenes
-de mer, uns des bien hantés de toute Bretagne, et ville durement. Si
-trouvèrent li François ou havene de Garlande auquns vassiaus, ens ès
-quels il i avoit des vins de Poito et de Saintongle et de la Rocelle,
-et gisoient là à l'ancre pour estre vendu; mais il furent pris et levé,
-et en traist on hors des vassiaus biaucop. Et furent cargiet sus chars
-et envoiiet en l'oost devant Auroi, et en retinrent une partie pour
-euls pour lors pourveances.
-
-La ville de la Garlande fu assallie et conquise par force, car il n'i
-avoit que les honmes de la ville, et si est une ville de grant garde;
-si fu violée et courue et toute robée, et i trouvèrent grant avoir. Et
-i ot cinq eglises arses, dont Lois d'Espagne, qui estoit conduisières
-de l'oost, fu durement courouchiés, et fist pendre ceuls qui le feu i
-avoient bouté. Là orent li François grant conquest, car la ville estoit
-durement riches, et pris des bons marceans pour euls rançonner.
-
-Là ordonna mesires Lois d'Espagne à retourner en l'oost le visconte de
-Rohem et grant fuisson des aultres, et ne retint non plus que de deus
-cens compagnons geneuois et espagnols; et dist que il se meteroit sus
-la marine, ensi que ses corages li aporta: dont il fist une grant
-folie, et l'en deubt estre priès malvenu, ensi que je vous racorderai
-assés briefment.
-
-Qant li viscontes de Rohem et li autre chevalier de France et de
-Bretagne furent retourné devant Auroi, il recordèrent à messire Carle
-de Blois tout le voiage que il avoient fait, la prise de Dignant et de
-la ville de Garlande où il avoient bien trouvet à pillier, et conment
-messires Lois d'Espagne en estoit allés sus la marine en la compagnie
-de Othon Doriie et de Toudal, grans esqumeurs de mer, et n'enmenoient
-fors que Geneuois et Espagnols. De toutes ces coses se contenta
-grandement messires Carles de Blois. A l'eure que li viscontes de Rohen
-fu là venus devant Auroi, vinrent aussi grans gens de France que li
-rois Phelippes i envoioit, car il estoit enfourmés que grans confors de
-gens d'armes et d'archiers estoit venus à la contesse desus dite et
-issu hors d'Engleterre. Se ne voloit pas que ses cousins fust si
-despourveus que il ne peuist tenir les camps à l'encontre de ses
-ennemis, puis que il li avoit couvenancé de aidier.
-
-Qant messires Lois d'Espagne fu montés en la navie à Garlande, en la
-compagnie de Toudou et de mesire Othe Doriie, mestre des Geneuois, et
-pooient estre quatre cens hommes en tout, il sievirent la bende de la
-mer, et prissent terre assés priès de Camperlé. Si fissent par lors
-sievans ardoir tout le plat pais; et tout ce que il trouvoient de bon,
-il estoit porté en la navie. Si conquissent moult grant avoir sus ce
-voiage, voires se il lor fu demoré, mais nennil. Car nouvelles vinrent
-à mesire Gautier de Mauni et as chevaliers, qui dedens Hainbon se
-tenoient, que messires Lois d'Espagne estoit alés en Garlande, et
-l'avoit ars et tout le pais de là environ, et avoit renvoiiet une
-partie de ses gens, et ne pooient estre en sa compagnie non plus de
-quatre cens honmes. Evous ces chevaliers et gens d'armes de Hainbon
-resvilliés; si s'armèrent et apparillièrent tantos, et entrèrent
-dedens nefs et barges et balengiers environ quatre cens honmes d'armes
-et mille archiers. Et se departirent dou havene et singlèrent en mer,
-costians les terres pour venir à Garlande, et avoient le vent et la
-marée pour euls, et vinrent à Garlande. Si trouvèrent encores que les
-maisons et les eglises fumoient dou feu que li François i avoient fait,
-et les povres gens dou pais qui lor vinrent au devant en criant et en
-braiant et en disant: «Ha! chier signeur, li larron nous ont ars et
-pris et desrobé le nostre, et s'en vont selonch la marine.»
-
-Qant messires Gautiers de Mauni et ses gens entendirent ces nouvelles,
-sans point issir de lors vassiaus, il se missent au chemin et en la
-route pour euls trouver; et veoient, de lors nefs et balengiers où il
-ceminoient sus la marine, les fumières que il faisoient sus le plat
-pais. Et tant alèrent que il arivèrent assés priès de Camperlé, ou
-havene meismes où la navie estoit toute cargie de ce que li François
-avoient trouvé sus le pais, et par especial en Garlande où il orent
-trop grant avoir. Sitos que il furent venu ou havene de Camperlé, ces
-nefs furent conquises, et tout mort ou jeté à bort cheuls qui les
-gardoient; et entendirent par les gens dou pais qui estoient tout
-effraé, que li François couroient, et avoient li pluisseur trouvé des
-chevaus et roboient le pais.
-
-Adonc messires Gautiers de Mauni et tout chil qui en sa route estoient,
-gens d'armes et archiers, se missent tout à terre et se ordonnèrent en
-trois batailles, et fissent les deus reponre et muchier en un bosqet
-qui là estoit, afin que mesires Lois d'Espagne et ses gens, à leur
-retour, ne se tenissent à trop cargiet, car bien savoient que par là il
-les couvenoit retourner. Tout ce fait et ordonné, casquns burent et
-mengièrent un petit, et puis s'asissent sus l'erbe et sus le sabelon,
-attendans le retour des François qui faisoient bien lor besongnes sus
-le pais, car nuls ne lor aloit au devant. Qant les gens à mesire Lois
-d'Espagne orent cargiet chars et charètes de tous meubles et pourfis
-que il ramenoient à lor navie, et tenoient à avoir fait lor voiage,
-pour euls mettre au retour viers lor navie, ainsi que il venoient et
-aproçoient la mer, il voient une bataille d'archiers sus une elle, et
-un petit en sus gens d'armes et les pennonchiaus venteler.
-
-Donc s'arestèrent li François tout quoi, et s'esmervillièrent, quels
-gens ce pooient estre, qui là se tenoient; et quidièrent de
-conmencement que ce fuissent chil de Camperlé qui les venissent
-combatre, et qui se fuissent là requelliet. Si fissent monter deus
-honmes d'armes, tout doi de Piqardie. Li uns avoit nom Tassart de
-Ghines, et li aultres Hues de Villers, et tout doi estoient esquier
-d'onnour à mesire Carle de Blois; mais pour lor avancement il estoient
-accompagniet avoecques mesire Lois d'Espagne. Et chil doi esquier
-avoient tant fait que il estoient assés bien monté. Si lor dist:
-«Mesires Lois Tassart et vous, Hues, chevauchiés avant et aprochiés ces
-gens de plus priès, par quoi nous aions la connissance, assavoir quels
-gens ce sont.» Il respondirent: «Volentiers.» Il cevauchièrent devant,
-car il avoient deus bons ronchins, et vinrent si priès des Englois et
-des Bretons que li archier euissent bien tret jusques à euls, se il
-vosissent.
-
-Chil doi esquier desus nonmé congneurent plainnement que c'estoient lor
-ennemi. Si retournèrent et dissent: «Sire, ce sont Englois et Breton,
-car nous avons veu et congneu le pennon à mesire Gautier de Mauni: il
-est de gueulles à trois noirs qievirons, et ce sont archier d'Englerre
-que vous veés là. Regardés que vous volés dire et faire.» Respondi
-messires Lois: «Il nous fault combatre. Nous ne poons fuir: il sont
-signeur de nostre navie. Nous avons trop demoré sus terre. Alons avant
-ou nom de Dieu et de saint Gorge: il nous fault prendre l'aventure.»
-Adonc fit il sa banière passer avant, et le portoit uns esquiers qui se
-nonmoit Robers de Santi. Là fist li dis mesire Lois un sien neveu
-chevalier, qui se nonmoit Aufons d'Espagne. Il ordonnèrent les Geneuois
-et les Espagnols, et les missent tout devant, et conmenchièrent la
-bataille dou tret, et puis aprochièrent les gens d'armes et se
-boutèrent l'un dedens l'autre. Et se portèrent li François à ce
-conmencement si bien que, se il n'euissent eu aultre faix, il se
-fuissent bien delivré de ces premiers, et les requlèrent sus la marine.
-
-Adonc vinrent les aultres deus batailles, qui estoient en enbusqe, et
-encloirent les François. Là ot dur hustin, et vaillanment s'i portèrent
-les gens à mesire Lois, mais les Englois et les Bretons estoient trop
-grant fuisson. Et (fu) abatue la banière à mesire Lois, et chils mors,
-qui le portoit, et mesire Aufons d'Espagne, mort. A grant painne, se
-sauvèrent mesire Lois d'Espagne et Toudou et mesire Othon Doriie. Mais
-qant il veirent que li faix estoit trop pesans pour euls, il
-entendirent à recouvrer lors cevaus que lors varlès tenoient sus les
-èles de la bataille; car se ils n'euissent eu lors cevaus tous près,
-jamès ne s'en fuissent parti, sans estre mort ou pris. Il prissent, sus
-la desconfiture, le cemin de la mer, et pooient estre environ
-soissante. Nuls ne les poursievi, car Englois et Breton n'avoient nuls
-cevaus, et aussi il entendirent au garder ce que il avoient conquis.
-
-Messires Lois d'Espagne et chil qui escapèrent de le bataille
-trouvèrent en un regot de mer une grose barge de Camperlé, que li
-maronnier avoient là bouté et repus, et n'estoient osé aler avant pour
-la doubtance des François. Qant il le veirent là arester à l'ancre, il
-se traissent de celle part et trouvèrent trois Bretons qui le
-gardoient. Il furent mestre de euls et de la barge et entrèrent dedens
-non tous, car il ne peuissent, pour tant que il enmenoient en la barge
-lors cevaus avoecques euls, Tassars de Ghines et Hues de Villers et
-auquns Bretons qui connissoient le pais, cevauchièrent tant de jour et
-de nuit que il vinrent à Rennes; et là s'arestèrent pour oïr nouvelles
-de mesire Lois d'Espagne et de lors compagnons qui nagièrent toute la
-nuit et vinrent ariver à Grède, au plus proçain port de Vennes et de
-Rennes.
-
-Et li Englois et li Breton cargièrent lors vassiaus des meubles et
-pourfis que li François amenoient, et puis rentrèrent en lor navie à
-tout ce conquest; et retournèrent à Hainbon, et recordèrent à la
-contesse et à lors compagnons conment il avoient esploitié. Si en
-furent tout resjoi, ce fu raison, car il en estoient departi à lor
-honnour et pourfit. Ensi vont les aventures d'armes et les fortunes: à
-le fois on quide avoir tout gaegnié, et on a tout perdu. Fos 83 et 84.
-
-P. 157, l. 12: sus le flun de le mer.--_Mss. B 3 et A 7 à 10_: sur la
-mer. Fo 83 vo.--_Mss. A 1 à 6, 15 à 33_: sur le fleuve de la mer. Fo 93
-vo.--_Mss. A 11 à 14_: sur la rive de la mer. Fo 90.
-
-P. 157, l. 13: Garlande.--_Mss. A 15 à 17_: Gairande. Fo 95.--_Mss. A
-23 à 33_: Guerrande, Gerrande. Fo 109.--_Mss. B 3 et A 1 à 14, 18 à
-22_: Garlande. Fo 83 vo.
-
-P. 158, l. 5: Toudou.--_Ms. B 3_: Toudouz. Fo 84.--_Mss. A 23 à 29_:
-Tondons. Fo 109 vo.--_Mss. A 1 à 22_: Condons. F. 93 vo.
-
-P. 158, l. 14: Joni.--_Mss. B 3, A 1 à 6, 11 à 33_: Joingny, Joigny. Fo
-84.--_Mss. A 7 à 10_: Jony. Fo 86.
-
-P. 159, l. 10: Plaremiel.--_Ms. B 3_: Plerenmiel. Fo 84.--_Mss. A 1 à
-6, 11 à 14, 18 à 22_: Plearmel. Fo 94.--_Mss. A 15 à 17, 23 à 29_:
-Pleremel, Plermel. Fo 95 vo.--_Mss. A 30 à 33_: Ployeremel. Fo 156.
-
-P. 159, l. 30: Hembon.--_Ms. B 6_: devers la contesse et monseigneur
-Gautier de Mauny à qui on conta ces nouvelles. Messire Gautier s'arma
-et fist armer tous les compaignons de Hambon, englès et bretons, et
-estoient bien six cens lanches et neuf cens archiés. Et se partirent en
-istance que pour venir à Vennes brisier ces trièves et traitiés et
-rafreschir la chité. Mais quant il furent à une lieue près, il
-entendirent que la cité estoit rendue, et messire Charles de Blois
-estoit dedens. Sy en furent moult courouchiés. Nonpourquant messire
-Gautier dist que, puisqu'il estoient sur les camps, que point ne
-retourneroient se aroient trouvé aventure. Et entendy que mesire Lois
-d'Espaigne chevauchoit et avoit prins la ville de Garlande et estoit
-sur mer pour aller en l'isle de Camparlé envers la cité de Grède, et
-prist tantost le chemin. Et mesire Charles de Blois prist le serment et
-homaige de ceulx de Vennes et y laissa dedens capitaines mesire Hervy
-de Lion et le sire de Clichon. Fos 210 et 211.
-
-
-=§ 172.= P. 160, l. 7: Saciés que.--_Ms. d'Amiens_: Sachiés que, quant
-messires Loeys d'Espaigne fu montés, au port de Garlande, sour mer, il
-et se compaignie allèrent tant nagant par mer, qu'il arivèrent en le
-Bretaingne bretonnant par mer au port de Camperli et assés priès de
-Camper Correntin et de Saint Mahieu de Fine Posterne; et yssirent des
-naves, et allèrent ardoir et rober tout le pays. Et trouvèrent si grant
-avoir que grant merveillez seroit de le raconter; si le raportèrent
-tout en leur naves, et puis allèrent autre part rober et courir tout le
-pays sus le marine, qui se tenoit ne rendoit de le comtesse de
-Montfort. Et y conquissent si grant avoir, que il en estoient si
-cargiet que il n'en savoient que faire.
-
-Ces nouvelles parvinrent à Hainbon à le comtesse de Monfort et as
-chevaliers qui là estoient, tant d'Engleterre que de Bretaingne,
-coumment messires Loeys d'Espaigne couroit tout le pais. Si s'avisa
-messires Gautiers de Mauny d'une grant proèce, et en parla as
-compaignons et leur dist que il perdoient leurs tamps à là sejourner,
-ou kas que il sentoient leurs ennemis si priès d'iaux. Dont
-respondirent tuit communaument que il estoient appareilliet à faire
-tout ce que il vorroit. Et li sirez de Mauni leur dist: «Grant
-merchis.» Lors appareillièrent il tout leur harnas et cargièrent les
-vaissiaux sus le havene, et y missent leurs cevaux et puis entrèrent
-ens. Bien estoient cinq cens hommes d'armez et deus mille archers, et
-telz chevaliers que messires Amauris de Clichon, messires Yves de
-Tigueri, li castellains de Ghingant, li sires de Landreniaux, messires
-Guillaummes de Quadudal, messires Joffroy de Malatrait, messires Henris
-de Penefort, li doy frère de Leynendale, messires Guis de Nulli, li
-sirez Despenssiers, messires Jehans le Boutillier, messires Hubert de
-Frenay, messires Alains de Sirehonde, mestre des archiers, et
-pluisseurs autrez chevaliers et escuyers. Si eurent bons maronniers et
-saiges, et ne cessèrent de nagier si furent venut droit au port de
-Camperli, là où les naves et les vaissiaux monseigneur Loeys
-d'Espaingne estoient et gisoient, et tous li granz avoirs que il
-avoient concquis ou pays d'environ. Si entrèrent ens Englès et Breton,
-et ochissent tous ceux qui les gardoient, et y trouvèrent tant de
-ricoisse que tout en furent esmervilliet. Et entendirent par les
-prisonniers que messires Loeis chevauçoit. Lors eurent consseil et
-advis que il se partiroient en trois bataillez et sieuroient lez
-fummierrez, et ne cesseroient si aroient trouvet le dit monseigneur
-Loeys et se routte, et yaux combatu. Si se missent as camps ainssi
-comme ordonné fu, et pourveirent et garnirent leur navie et le navie
-que trouvet avoient sus le port de Camperli, de trois cens archers et
-de cent hommez d'armes; et puis chevauchièrent à l'endroit des
-fummierrez et dez chemins là où il esperoient monseigneur Loeys
-d'Espaigne à trouver le plus tost et toutte se routte pour le
-combattre.
-
-Ces nouvellez vinrent au dessus dit monseigneur Loeys que li Englès
-chevauchoient et le queroient, et estoient sans comparison plus fors
-qu'il ne fust. Si se doubta de leur encontre, et requella tout
-bellement ses gens et remist enssamble; puis chevaucha vers l'ille de
-Camperli pour revenir à sa navie. Mais enssi qu'il cevauchoit sus le
-marine, il encontra messire Guillaume de Quadudal, messire Henry de
-Pennefort et monseigneur Joffroy de Malatrait et leur routte; et quant
-il lez perchupt, si congnut assés que combattre lez couvenoit. Si mist
-sez gens enssamble et lez recomforta et escria son cri, et fist
-chevauchier se bannierre et appella ung sien nepveult que on claimmoit
-Aufour; et le fist là chevalier et pour l'amour de lui six autrez, et
-leur pria que il penssaissent dou bien faire, et chacuns li eut en
-couvent. Adonc s'asamblèrent il li Franchois et li Breton, et y eult,
-de premières venues, fortez joustez et radez, et pluisseurs
-compaignons porté à terre de l'un léz et de l'autre; et apriès les
-lanches fallies, il sachièrent lez espées et les espois et lez hachez
-qui as archons des siellez leur pendoient, et s'en donnèrent grans
-horions et durs, et là en y eult moult de navrés et de blechiés. Et
-vous ay en couvent que messire Loeys d'Espaigne et messires li
-Auffours, sez niéz, y fissent tamainte belle appertise d'armes. Et s'i
-portèrent si bien des premiers chil de son costet, que finaublement il
-ewissent desconfit lez Bretons et mis en cache, quant messire Gautiers
-de Mauni et une grant routte d'Englèz, gens d'armes et archiers, y
-sourvinrent frèz et nouviaux. Adonc se recoummencha la bataille dure et
-felenesse; et couvint là souffrir et endurer monseigneur Loeys
-d'Espaigne et monseigneur l'Aufour son nepveult et le chevalerie de
-leur costet, grant painne.
-
-Vous devés savoir que ceste bataille, qui fu en l'ille de Camperli
-assés prièz de Camper Correntin, fu moult fellenesse et bien combatue.
-Et trop bien s'i porta messires Loeis d'Espaigne, et ossi fissent tout
-chil de son costet; mès trop leur fu li fais durs et pesans, quant
-messires Gautiers de Mauni y sourvint, car il amena toutte fresce gent
-et bien combatant qui trouvèrent lez Franchois jà lassés davantaige.
-Nonpourquant encorrez se deffendirent il et combattirent vassaument,
-mès enfin il ne peurent tenir place. Et furent desconfit et mors et
-messires li Aufors d'Espaigne, et li bannière de monseigneur Loeis, son
-oncle, portée par terre, et uns bons escuier qui le portoit, mors et
-abatus, que on claimmoit Huez de Lontin. Et se retraissent messires
-Loeys et ses gens deviers leur navie, et Englès et Bretons apriès yaulx
-en cache, et touttez mannières de gens paisans dou pays qui poursieuwi
-les avoient as bastons, as bourlés et as pikez, pour rescour ce que dou
-leur avoient perdu. Enssi à grant meschief li dis messires Loeis se
-parti de le bataille, durement navrés en pluiseurs lieux, et ne ramena
-de bien trois mille hommez qu'il avoit avoecq lui, non plus trois cens
-et y laissa son nepveult mort, dont trop durement fu courouchiéz.
-
-Avoecq tout ce, quant li dis messires Loeys fu venus à sa navie, il le
-trouva prise et garnie de sez ennemis. Si fu durement esbahis, et tant
-couri sus le sabelon que il vint jusquez à ung ligne, ung vaissiel qui
-siens estoit. Si entra dedens en grant qoite et aucuns des siens
-especiaulx qui mettre s'i peurent. Puis sachièrent li maronnier le
-single amont et eurent bon vent, et furent tantost esloingiet, car
-chils lings si est uns vaissiaux plus appers que nulx autrez, et va de
-tous vens et contre touttes marées. Quant chil chevalier d'Engleterre
-et de Bretaingne eurent desconfis leurs ennemis et il perchurent que li
-dis messires Loeys s'en estoit partis et alléz par deviers les
-vaissiaux, il se missent tout à aller apriès lui tant qu'il peurent, et
-lessièrent les gens dou pays couvenir del remannant et yaux vengier et
-reprendre partie de ce que on leur avoit robet. Quant il furent venus
-as vaissiaux, il trouvèrent que li dis messires (Loeys[408]) estoit
-entrés en ung ligne et s'en alloit nagant quanqu'il pooit. Si entrèrent
-tantost ens ès plus appareilliéz vaissiaux qu'il trouvèrent là sus le
-marinne, et drechièrent lors voillez et nagièrent tant qu'il peurent
-apriès le dit monsigneur Loeis (d'Espaigne); car il leur estoit avis
-que il n'avoient riens fait, se il leur escappoit. Il eurent bon vent
-si comme à souhet, et le veoient toudis nagier devant yaux si fortement
-qu'il ne le peurent raconssuiwir. Et tant naga li dis messires Loeys
-(d'Espaigne) à l'esploit dou vent et des maronniers, qu'il ariva à ung
-port que on claimme le port de Gredo. Là descendi li dis messires Loeys
-d'Espaigne, et chil qui escappet estoient avoecq lui, et entrèrent en
-le ville de Gredo. Il n'eurent miez plenté sejourné en le ditte ville,
-quant il oïrent dire que li Englès estoient arivet et qu'il
-descendoient pour yaux combattre. Et quant messires Loeys et se routte
-oyrent ces nouvellez, si n'eurent pas vollenté de là plus sejourner,
-mais quisent, prissent et empruntèrent cevaus en le ville et montèrent
-sus à esploit. Là en y eut de mal montéz, et se missent as camps
-deviers le chité de Rennes, messires Loeys tout devant, enssi comme
-homs desconfis, et ses gens apriès, cescuns qui mieux mieux; et qui
-cheval ne pot avoir, si se repust et mucha au mieux qu'il peult.
-
- [408] On lit dans le ms.: «Robers.» Mauvaise leçon.
-
-Quant li Englès et li Breton furent arivet à Gredo, et il sceurent que
-messires Loeis et li sien estoient parti et s'en aloient deviers
-Rennez, si fissent tantost traire lors cevaux hors de leurs vaissiaux,
-chilz qui ceval avoient, et se missent en cache encorrez apriès yaulx;
-mès il estoient jà si eslongiet que nulx n'en trouvèrent. Si
-retournèrent à Gredo, et s'i logièrent et reposèrent le nuit.
-
-L'endemain, il rentrèrent en leurs vaissiaux et singlèrent pour revenir
-vers Hainbon, mès il eurent vent contraire et waucrèrent par deus
-jours; et les couvint de force ariver à trois liewez de le ville de
-Dinant. Puis se missent au cemin par terre enssi qu'il peurent, et
-gastèrent le pays entour Dinant et prendoient cevaux telx que chacuns
-pooit trouver, li uns à selle, et li autre sans selle; et allèrent tant
-qu'il vinrent ung soir assés priès de le Roceperiot. Quant il furent là
-venu, messires Gautiers de Mauni dist: «Certainnement jou iroie
-vollentiers au matin assaillir che fort castiel de le Roceperiot, se
-jou avoie compaignie, com travilliéz que je soie.» Et tout li chevalier
-et li compaignon liement li accordèrent. Ceste nuit se reposèrent et
-aisièrent de ce qu'il eurent. A l'endemain au matin, il vinrent devant
-le dessus dit castiel; si le advisèrent et ymaginèrent coumment il
-estoit hault assis et sus une roche. Et dist messires Gautiers de
-Mauni, quant il y parfurent venu: «Il le nous couvient assaillir et
-savoir se nous y porions riens concquerre.» Or devés savoir que dedens
-le castel estoit venus, environ six jours devant, chilz bons escuiers
-Gerars de Malain, par l'ordounnanche de monseigneur Charlon de Blois,
-car autrefois en avoit il estet cappittainne. Dont, quant il vit Englès
-et Bretons devant lui et yaux appareillier pour assaillir, il se mist
-ossi en arroy pour bien deffendre. Lors commença ungs assaulx grans,
-fiers et mervilleux, car Englès et Breton montoient le roche et le
-montaigne amont, et trayoient et assalloient de grant vollenté. Et chil
-dou fort leur envoiioient d'amont pièrez et baux et autres coses pour
-yaux grever, et avoient kanons et ars à tour, dont trop bien se
-deffendoient. Chil qui assalloient montoient perilleusement; et bien
-apparut, car il y eut dez leurs pluisseurs blechiés et navrés: entre
-lesquelx messires Jehans li Boutilliers et messires Hubert de Frenay
-furent si durement blechiés, qu'il les couvint raporter aval de la Roce
-et mettre jesir en ung pret avoecquez les autrez navrés. Fos 70 et 71.
-
-_Ms. de Rome_: Assés tos apriès avint que messires Gautiers de Mauni et
-auqun Englois qui desiroient les armes se departirent de Hainbon et
-cevauchièrent as aventures viers Roceperiot. Qant il furent venu
-jusques à là, messires Gautiers de Mauni dist: «Avant que nous
-chevauçons plus avant, je voel que nous alons assallir ce chastiel, et
-veoir se nous i porions riens conquester.» Tout respondirent: «A la
-bonne heure!» Il missent tantos piet à terre et aprochièrent le
-chastiel, et conmenchièrent à monter la roce et à livrer grant asaut.
-Pour ces jours i estoit Gerars de Malain, li esquiers de Bourgongne,
-qui avoit esté pris et rescous à Dignant, et avoit avoecques lui des
-bons compagnons qui tout se missent à deffense. Li dis Gerars de Malain
-n'espargnoit point, mais se deffendoit de grant volenté et par bonne
-ordenance. Englois sont chaut et boullant, et est vis as auquns que
-tantos il doient avoir conquesté, soit bataille ou asaut, qant il i
-sont venu, et là ot des lours qui s'avancièrent follement. Auquns
-(furent) bleciés, et par especial deus bons chevaliers, dont li uns fu
-nonmés messires Jehans li Boutelliers et li aultres messires Hubiers de
-Frenai. Et furent tellement tapés sus lors bachinés dou jet de deus
-pierres que il rendoient sanch par la bouce et par les orelles; et les
-couvint porter hors et en sus de l'asaut en une prée et desarmer, et
-furent si estonnet que on quidoit bien que il deuissent morir. Fo 84
-vo.
-
-P. 160, l. 18: de Cliçon.--_Le ms. B 6 ajoute_: messire Joffroy de
-Malatrait. Fo 211.
-
-P. 161, l. 16: batailles.--_Ms. B 6_: et estoit mesire Gautier de
-Mauny. Fo 212.
-
-P. 161, l. 20: Aufons.--_Mss. B 3, et A 1 à 22_: Aufour, Auffour. Fo
-84 vo.--_Mss. A 23 à 33_: Alphons. Fo 110 vo.
-
-P. 162, l. 3: sis mille.--_Mss. A 1 à 22_: sept mille. Fo 95.--_Mss. A
-23 à 33_: six mille. Fo 105 vo.
-
-P. 162, l. 23: qu'il pooit.--_Ms. B 6_: et fist tant qu'il vint en
-Garlande et monta là à cheval et se sauva au mieulx qu'il pot, mais de
-toute(s) ses (gens) il n'en demoura que douze. Et vinrent en l'ost
-devant Crais, où messire Charles de Blois estoit. Fo 213.
-
-P. 162, l. 33: Gredo.--_Mss. A 1 à 22_: Gredo. Fo 95.--_Mss. A 23 à
-33_: Redon. Fo 106.
-
-P. 163, l. 8: Rennes.--_Mss. A 1 à 6, 11 à 14, 18 à 22_: Vennes. Fo
-95.--_Mss. A 7 à 10, 15 à 17, 23 à 33_: Rennes. Fo 87 vo.
-
-P. 164, l. 14: Mahieus de Frenai.--_Ms. B 6_: Jehan de Frenay. Fo 214.
-
-
-=§ 173.=--P. 164, l. 17: Cilz Gerars.--_Ms. de Rome_: Chils Gerars de
-Malain avoit un frère, hardit honme et conforté durement, que on
-nommoit Renier de Malain; et estoit chapitainne et chastellains de un
-aultre petit fort, seans assés priès de la Roceperiot, et le fort on
-clainme Fauet. Qant cils Reniers entendi que Englois et Breton
-livroient assaut à la Roceperiot, de laquelle garnison ses frères
-Gerars estoit chastellains et gardiiens, il fist armer de ses
-compagnons jusques à quarante, et issi hors de Fauet, et cevauça viers
-la Roceperiot, en instance de ce que pour conforter son frère, en
-auqune manière se il pooit; et sourvint à l'aventure sus ces deus
-chevaliers englois bleciés, liquel estoient en une prée en sus dou
-hustin, car la noise lor faisoit mal, et ne trouvèrent dalés euls que
-varlès qui les gardoient. Il veirent tantos que il estoient de lors
-ennemis, et que on les avoit là amenés pour euls rafresqir. Il
-environnèrent ces varlès et ces prisonniers et les prissent tous, et
-fissent les chevaliers monter sus lors chevaus et les varlès venir et
-sievir à piet, tant que il furent eslongiet une grose demi lieue en sus
-de la Roceperiot, et puis lor donnèrent congiet. Chil varlet de piet se
-tinrent pour tous resjois qant il se sentirent delivret, et vinrent à
-fuiant devant la Roceperiot, et se traissent deviers messire Gautier de
-Mauni et les aultres, et lor dissent: «Signeur, rescoués mesire Jehan
-le Boutellier et messire Hubert de Frenai, que chil de la garnison de
-Fauet enmainnent.»
-
-Sus ces paroles, tout laissièrent l'assaut, et montèrent as cevaus et
-ferirent à l'esporon, çasquns que mieuls mieuls, pour raconsievir ceuls
-de la garnison de Fauet; mais il estoient jà entré dedens, et tout mis
-à sauveté, prisonniers et euls, et relevet le pont et trait les
-barrières avant, et avoient encores eu loisir de boire un cop et de
-euls rafresqir. Evous venu messire Gautier de Mauni et les Englois et
-les Bretons à l'esporon, et missent tantos piet à terre, et
-approchièrent le chastiel et conmencièrent à asallir, con lassé que il
-fuissent, et continuèrent l'asaut jusques à la nuit; car tantos fu
-tart. Il regardèrent quel cose il feroient; car il n'avoient tentes ne
-trefs, ne nulles pourveances, fors bien petit. Mesires Gautiers de
-Mauni dist: «Nennil, il nous fault ravoir nos compagnons: aultrement
-nous receverions trop grant blame, et se sera tantos jours. Une nuit
-est tantos passée; il fait biel et chaut. Nostres chevaus se passeront
-bien meshui de ce que nostres varlès trouveront.» Chils consauls fu
-creus. Et se logièrent ces Englois et ces Bretons à l'environ de Fauet;
-et lor varlet alèrent fouragier, et se passèrent la nuit de ce que il
-trouvèrent. Fos 84 vo et 85.
-
-
-=§ 174.=--P. 164, l. 23: quarante.--_Ms. d'Amiens_: jusquez à quarante.
-Fo 71.--_Ms. B 6_: quarante lances. Fo 214.
-
-P. 165, l. 8 et 9: l'assaut.--_Ms. B 6_: Dont cheulx de Rochepierot
-furent bien eureus, car on dist que, se l'aventure ne fust venue, les
-Englès les eussent conquis. Fo 214.
-
-P. 165, l. 22: Gerars de Malain.--_Ms. d'Amiens_: Gerars de Malain
-sceut, tantost que cil signeur se furent parti de Rocheperiot, le biel
-fet d'armez que Reniers ses frèrez avoit fait pour lui secourir, si en
-eut grant joie, et sceut que chil seigneur englès et breton estoient
-pour chou tret par deviers Fauet et le concquerroient se il pooient. Si
-se appenssa que il feroit ossi biel service à son frère qu'il li avoit
-fet. Si monta en l'eure et tout de nuit sus son cheval et chevaucha
-tant que ung petit devant le jour il vint à Dinant. On li ouvri le
-porte, car bien y estoit conneus. Si parla à monseigneur Pière
-Portebuef, son compaignon et cappittainne de Dinant, et li remoustra
-quel besoing l'amenoit là. Messires Pière (Portebuef) fist tantost
-sommer la cloce dou consseil de la ville. Et s'asamblèrent tout li
-bourgois ou marchiet; et quant il furent tuit venu, li dessus dit les
-priièrent et enortèrent si bellement que tout s'acordèrent ad ce qu'il
-s'armeroient et yroient deviers Fauet pour secourir Renier de Malain,
-leur bon voisin. Dont s'armèrent ysnielment touttez mannières de gens
-en le ville de Dinant, et se rassamblèrent en le plache, et furent bien
-six mille, qu'à piet qu'à ceval, et se partirent à grant effort et
-prissent le chemin de Fauet, messires Pières Porteboef et Gerars de
-Mallain devant, qui les conduisoient. Ces nouvelles vinrent à messire
-Ghautier de Mauni et as chevaliers englès et bretons coumment chil de
-Dinant et dou pays d'environ venoient pour yaux combattre. Si eurent
-consseil entr'iaux que bon leur en seroit affaire, si ques, tout
-consideret, le bien et le mal, il s'acordèrent à ce qu'il se
-partiroient de là et s'en retourneroient tout bellement par deviers
-Hainbon, car grans meschiefz leur poroit avenir, se il demoroient
-longement là; car, se cil de Dinant leur venoient d'une part et li hos
-messire Carle de Blois et li signeur de Franche d'autre part, il
-seroient enclos, si seroient tous (pris[409]) et mors à le vollenté de
-leurs ennemis. Si se acordèrent à ce que li milleurs poins estoit de
-laissier leurs compaignons en prisson que de tout perdre, jusquez adonc
-que il le poroient amender. Lors se partirent de Fauet et s'en
-retournèrent vers Hainbon. Or lairons ung petit à parler d'iaux et
-parlerons de monseigneur Loeys d'Espaigne....
-
- [409] On lit dans le ms.: «perilz.» Mauvaise leçon.
-
-Quant messires Gautiers de Mauni se fu partis de Fauet et il eurent
-pris le chemin de Hainbon, il vinrent passant par devant le fort
-castiel que on claimme Gohy le Forest, qui, quinze jours devant, estoit
-rendus à monseigneur Carlon de Blois. Et l'avoit li dis messires Carlez
-livret pour garder à monseigneur Gui de Ghoy, qui en devant le tenoit,
-liquelx n'estoit point adonc là, mès estoit en l'ost avoecq les
-seigneurs de France par devant la ville de Craais. Quant messires
-Gautiers de Mauni vi le castiel de Ghoy le Foriest, qui durement estoit
-fors, il dist à ces chevaliers de Bretaingne qui estoient avoecq lui,
-que il n'yroit plus avant, ne de là ne se partiroit, com travilliés
-qu'il fuist, si aroit assailli che fort castiel et aroit veu le
-couvenant de ciaux qui estoient dedens. Si coummanda tantost as
-archiers que chacuns le sieuwist, et à ses compaignons ossi, puis prist
-sa targe à son col et monta amont jusques as baillez et as fossés dou
-castiel, et tout li autre Breton et Englès le sieuvirent. Lors
-coummenchièrent fortement à assaillir, et chil de dedens fortement à
-yaux deffendre, coumment qu'il n'ewissent point de leur cappitaine. Là
-eult trop fort assault et grant fuison de bien faisans dedens et
-dehors, et dura longement jusques à basses viespres. Là estoit messire
-Gautier de Mauny tout devant, qui mies ne s'espargnoit, mès se mettoit
-ou plus grant peril pour rencoragier les siens. Et li archier traioient
-si ouniement que chil de dedens ne s'osoient apparoir as cretiaus, se
-petit non. Si fissent tant li assallant que li fossés furent rempli à
-l'un des lés d'estrain et de bois et de terre gettée par dessus, par
-quoy il pooient bien parvenir jusques as murs. Adonc assaillirent il
-plus fort que devant. Et avoient pik dont il petruisièrent le mur, et y
-fissent ung si grant trau que par ce il reversèrent ung pan dou mur; et
-entrèrent ens de force et ochirent tous ceux qui dedens estoient,
-excepté quatre qu'il enmenèrent prisonnier. Et laissièrent le castiel
-en cel estat et s'en partirent à l'endemain; et s'en revinrent à
-Hainbon, où il furent recheuv à grant joie de le comtesse de Montfort
-et de tous lors compaignons.
-
-Or avons nous entroubliiet à parler dou secours de Dinant qui venoit
-devant Fauet. Voirs est qu'il y vinrent; et quant il trouvèrent les
-Englèz partis, messire Pière Porteboef ramena chiaux de Dinant. Fo 71.
-
-
-_Ms. de Rome_: Gerars de Malain, qui se tenoit en Roceperiot entendi
-que li Englois et li Breton estoient devant Fauet. Si s'apensa que il
-conforteroit son frère et li remunerroit le service que fait li avoit;
-si se departi de Roceperiot et vint à Dignant. D'aventure estoient là
-venu li sires de Chastellon, li viscontes de Rohem, li sires d'Amboise
-et autres chevaliers de France, les quels mesires Carles de Blois i
-avoit envoiiés pour conforter la ville, pour tant que il avoit entendu
-que li Englois cevauçoient; et estoient bien trois cens lances et deus
-cens Geneuois. Li esquiers bourgignons lor recorda le fait pour quoi il
-estoit là venus, et de son frère qui estoit assegiet ou chastiel de
-Fauet, et couvenoit que il fust secourus, ou il seroit pris, et li doi
-chevalier que il tenoit prisonniers, rescous. Ces gens d'armes ne
-furent onques si resjoi, à ce que il moustrèrent, qu'il furent; et
-s'ordonnèrent toute la nuit au partir au point dou jour, et s'armèrent
-et fissent armer tous les honmes aidables de Dignant. Et furent ou
-gouvrenement de messire Pierre Portebuef; et puis, à l'aube dou jour,
-il se departirent de Dignant, et ne pooient tos aler pour la cause de
-ceuls de piet qui les sievoient. Messires Gautiers de Mauni et chil qui
-estoient devant Fauet, furent segnefiiet que François venoient
-efforciement. Si n'orent pas consel de l'atendre, et s'en departirent
-et retournèrent viers Hainbon; si ques, qant li François furent jusques
-à là venu, il ne trouvèrent à qui parler. Ensi demora pour ces jours
-Fauet en paix. Et confortèrent li doi frère l'un l'autre et li doi
-chevalier prisonnier: dont moult en anoia à mesire Gautier de Mauni,
-mais amender ne le pot pour l'eure.
-
-Qant mesires Gautiers de Mauni et sa route se furent departi de Fauet,
-ensi que vous avés oï, il n'alèrent pas le droit cemin pour retourner à
-Hainbon, mais s'adrechièrent viers Goi le Forest, un chastiel assés
-fort, qui se tenoit à mesire Carle de Blois. Messires Gautiers de
-Mauni, qui estoit encores tous merancolieus des deus chevaliers,
-messire Hubert de Frenai et messire Jehan le Boutillier, qui estoient
-demoret derrière et prisonnier ou chastiel de Fauet, qant il fu venus
-devant le chastiel de Goy la Forest, il dist à ses compagnons: «Il nous
-fault assaiier à ce chastiel, se jamais nous le porions prendre.» Tout
-furent de son acord et missent tantos piet à terre, et alèrent asallir
-de si grant volenté, que li chastiaus fu pris, et tout chil mort, qui
-dedens estoient. Et puis passèrent oultre, et vinrent ce jour à Hainbon
-où la contesse estoit, qui lor fist bonne chière, mais messires
-Gautiers ne pooit oubliier la prise des deus chevaliers et doutoit
-messire Lois d'Espagne que il ne les fesist morir, en contrevengant la
-mort de son neveu, messire Aufons d'Espagne, liquels avoit esté ocis en
-l'ille de Camperlé. Fo 85.
-
-P. 166, l. 15: sis mille.--_Ms. B 6_: quatre mille. Fo 215.
-
-
-=§ 175.= P. 168, l. 19: Quant.--_Ms. d'Amiens_: Et Gerars de Malain
-retourna en le Roceperiot: si entendi que li Englès avoient pris Ghoi
-le Forest et ochis ceux de dedens et l'avoient laissiet. Si vint ung
-jour celle part et y amena grant fuison de bonhommes dou pays, et le
-fist remparer et fortefiier de rechief et pourveir d'artillerie, de
-pourveanches et de bons compaignons pour le garder; car mies ne volloit
-que li Englès y amasesissent pour gueriier chiaux d'environ.
-
-Et toudis se tenoit li sièges devant Craais. Tant fist messires Carlez
-de Blois o son effort et les seigneurs de France que li roys Phelippes,
-ses biaux oncles, li avoit envoiiés, devant la bonne et forte ville de
-Craais, et tant le fist assaillir par pluisseurs fois, que chil de
-dedens furent durement constraint en pluisseurs mannières. Et se
-tinrent et deffendirent comme bonne gent et senefiièrent leur necessité
-par deux ou par troix foix à leur damme la comtesse de Montfort, qui
-moult estoit couroucie que elle n'estoit forte assés pour lever le
-siège; mès messires Carles de Blois avoit adonc grant host et belle
-gent, et tous les jours li fuisonnoient. Si ne se trouvoit mies en
-point pour yaux combattre.
-
-Or eut la comtesse consseil par l'avis de monseigneur Ghautier de Mauny
-que elle escriproit une grande part de ses besoingnes au roy
-d'Engleterre, et li renouvelleroit les couvenenches qu'il avoient
-enssamble et li prieroit d'avoir secours: autrement, ce que elle tenoit
-de pays en Bretaingne estoit en grant aventure. Si escripsi la comtesse
-au roy englès lettrez moult affectueuses, ensi que bien le seult faire,
-et messires Gautiers de Mauny ossi pour mieux aprouver et encoulourer
-les besoingnes de le damme. Les lettres escriptez et saellées, li
-messagiers parti et entra ens une nef ou havene de Hainbon, et singla
-vers Engleterre. Endementroes qu'il ala et vint et fist son messaige,
-pluiseurs coses avinrent en Bretaingne, desquelles je vous feray des
-aucunnes mention, mès premiers je vous compteray dou siège de Craais
-coumment il fu perseveréz.
-
-Ensi comme dessus est dit, tant fist messires Carles de Blois devant la
-ville de Craais, que durement l'appressa et constraindi de famine. Et
-quant cil de Craais veirent que il ne seroient autrement comforté ne
-secourut de par la comtesse, il se doubtèrent de plus à perdre; car il
-veoient monseigneur Carlon de Blois fort durement. Si traitiièrent
-deviers lui par amiable composition que il leur volsist pardonner son
-mautallent, et il le receveroient à signeur et li feroient feaulté et
-hoummaige pour tous jours. Mès chilz tretiés fu si sagement demenéz que
-li dessus dis messires Carles les rechupt par l'ordounnanche dessus
-ditte et entra dedens la ville, et y fu rechus à grant joie et y reposa
-et toutte sen host, voirs chil qui reposer y veurent, par six jours, et
-leur fist on là dedens moult de courtoisiez. Fos 71 vo et 72.
-
-_Ms. de Rome_: Si ordonna li dis messires Carles (de Blois) chapitainne
-à Vennes et bonnes gens d'armes pour le garder. Et puis se traissent
-(li François) devant la ville de Craais, qui aussi sus quatre jours
-entra en trettiet et se rendi. Et de là il vinrent devant Hainbon, et
-se requellierent toutes les gens d'armes et les capitains françois de
-tout le pais, qui pour lors se tenoient à mesire Carle de Blois, et
-vinrent tout au siège de Hainbon. Fo 85 vo.
-
-
-=§ 176.= P. 170, l. 11: Adonc.--_Ms. d'Amiens_: Endementroes eurent li
-seigneur consseil quel part il se trairoient, ou devant Jugon, ou
-devant Hainbon. Finaublement consseil se porta qu'il se retrairoient
-devant Hainbon et l'assiegeroient de tous costéz, car leur ennemic se
-tenoient par dedens, et n'en partiroient, c'estoit leur entente, si
-l'aroient à leur vollenté. Dont se partirent au septime jour et
-aroutèrent tout leur charoy et missent les pourveanches à voiture, et
-s'en vinrent li seigneur et touttes mannières de gens devant Hainbon et
-le assiegièrent.
-
-Or ont de rechief li Franchois assegiet le ville et le castiel de
-Hainbon, et dedens la comtesse de Montfort et le seigneur de Mauni et
-moult de bonne chevalerie et escuierie d'Engleterre et de Bretaingne,
-qui souffissamment et vassaument s'i portent et deffendent le dessus
-ditte fortrèce. La compaignie de ces signeurs de France estoit durement
-moutepliiée et acroissoit tous les jours; car grant fuison des
-seigneurs de France, chevaliers et bonne gent d'armes, revenoient de
-jour en jour del roy Alphons d'Espaingne, qui adonc guerioit au roy de
-Grenade et as Sarrasins: si ques quant il passoient par Poitou et il
-ooient nouvellez dez ghuerres qui estoient en Bretaigne, il s'en
-alloient celle part, et il estoient li bien venu. Li dis messires
-Carles avoit fait drechier jusques à seize grans enghiens qui jettoient
-grandez pierres ouniement as murs de Hainbon et en le ville. Mès chil
-de dedens n'y acomptoient mies gramment; ains venoient tantost as murs
-et as cretiaux et lez passoient de leurs capperons par despit. Et puis
-crioient quanqu'il pooient, et disoient: «Alléz, allés requerre vos
-compaignons et raporter, qui se reposent ou camp de Camperli:» desquelz
-parollez et trufferiez messires Loeis d'Espaigne et li Geneuois avoient
-grant yreur et grant despit. Fo 72.
-
-_Ms. de Rome_: Chil de la garnison de Hainbon estoient durement
-fortefiiet. Et bien lor besongnoit, car toute la flour de la chevalerie
-estoit pardevant là venue et arestée de France; ne on ne savoit adonc
-où querre les armes, fors en Bretagne. Fo 85 vo.
-
-P. 170, l. 26: l'avoient veu.--_Mss. A 20 à 22_: puis qu'il fut envoié
-devant Dignant. Fo 145.
-
-P. 170, l. 28: montepliie.--_Ms. B. 6_: car le roy Phelippe y envoia
-mille combatans, pour che qu'il savoit bien que messire Gautier et les
-Englès estoient yssus d'Engleterre et retrait dedens la ville de
-Hambon. Fo 217.
-
-
-=§ 177.= P. 171, l. 16: Un jour.--_Ms. de Rome_: Un jour vint messires
-Lois d'Espagne en la tente mesire Carle de Blois, et li demanda un don,
-present fuisson de grans signeur de France qui là estoient; et fu li
-dons demandés en remunerant les services que fais li avoit. Messires
-Carles ne savoit pas quel don il li voloit demander, car se ils le
-seuist, jamais ne li euist acordé, et li otria sa demande legierement,
-car il se sentoit moult tenus à lui.
-
-Qant li dons fu otroiiés, mesires Lois dist: «Monsigneur, grant
-merchis! Je vous demande les deux chevaliers englois, qui sont
-prisonnier ens ou chastiel de Fauet, et que Reniers de Malain
-garde.»--«Volentiers, respondi mesire Carle; je les vous donne.» Et
-pensoit que il les vosist avoir pour ses prisonniers, et pour rançonner
-à finance, pour tant que il avoit moult perdu en l'ille de Camperlé. Il
-furent envoiiet querre, et amené par l'esquier meismes qui pris les
-avoit. Qant mesires Carles les vei, il dist à Renier de Malain:
-«Renier, chil doi chevalier sont vostre. Je les vous demande, et qant
-il venra à point, il vous vaudront bien aussi grant don.»--«Monsigneur,
-dist Reniers, je les vous donne.»--«Grant merchis,» dist messires
-Carles, «et je les vous donne,» dist il à mesire Lois, «qui demandé me
-les avés. Quel cose en volés vous faire?»--«Sire, dist il, vous les
-me-s-avés donnés, et ce sont mien. C'est li intension de moi, car je ai
-par euls pris et recheu si très grant damage que mes gens mors et ocis,
-et par especial Aufons, mon neveu, que je amoie otant que moi meismes,
-que il morront aussi.» Donc regarda messires Carles sus messires Lois,
-et se repenti trop fort de ce que il li avoit donné et acordé les deus
-chevaliers, et li dist: «Cousins, se vous faissiés ce que vous dittes,
-vous en seriés trop grandement blamés, et si seroit trop grant
-cruaultés. Se li chevalier servent le roi d'Engleterre et il soient
-pris par bataille, son service faisant, ils n'ont pas pour ce deservi
-mort, mais tenés les et si les rançonnés courtoisement, ensi que
-gentilhonme font l'un l'autre, car sus celle entente et pour ensi à
-faire, les vous ai je donnés.»--«Sire, respondi li dis messires Lois,
-li chevalier sont mien; si en ferai ma volenté; et se vous les
-me-s-ostés, jamais jour ne vous servirai.» Li dis mesire Carle de Blois
-vei son cousin courechiet et enflamet en aïr et ne le voloit pas
-perdre, car de tous ceuls de l'oost il estoit chils qui plus loiaument
-se acquitoit en ses armées et cevaucies; se li dist: «Cousins, nous nos
-disnerons, et apriès disner vous auerés avis quel cose vous ferés.» Li
-intension de messire Carle de Blois estoit telle que il feroit priier
-tant de signeurs à messire Lois d'Espagne, pour sauver les deus
-chevaliers, que point ne morroient. Et fist couvrir les tables en sa
-tente, et manda son frère le conte de Blois et ses cousins de Bourbon,
-le signeur de Chastellon et aultres, et lor donna ce jour à disner, et
-retint messire Lois d'Espagne dalés li et les deus chevaliers
-d'Engleterre qui avoient oy toutes ces paroles et ces manaces. Si
-n'estoient pas bien aseguré, mais grandement il se contentoient de
-monsigneur Carle de Blois, et veoient bien que en li avoient un bon
-moiien. Fos 85 vo et 86.
-
-P. 171, l. 17: en l'entente.--_Ms. d'Amiens_: ens ès tentez. Fo 72.
-
-P. 171, l. 28: Mahieu de Frenai.--_Ms. d'Amiens_: Hubert de Frenay. Fo
-72.
-
-P. 171, l. 31: Aufons, mon neveut.--_Ms. d'Amiens_: Aufour, mon chier
-nepveut. Fo 72.
-
-P. 172, l. 1: neveut.--_Ms. B 6_: fil. Fo 217.
-
-P. 172, l. 3: laiens sont.--_Ms. d'Amiens_: et qui m'en gallent
-encorres tous les jours. Fo 72.
-
-P. 172, l. 23: Loeis.--_Ms. d'Amiens_: car voirement li avoit il fait
-pluiseurs biaux servicez et estoit encorres bien tailliéz de li faire
-de jour en jour, car il estoit li ungs des bons chevaliers de toutte
-sen host. Fo 72.
-
-P. 172, l. 24: chastellain de Fauet.--_Ms. d'Amiens_: Renier de Malain.
-Fo 72.
-
-P. 172, l. 25: chevaliers.--_Ms. d'Amiens_: englès. Fo 72.
-
-P. 172, l. 25: host.--_Ms. d'Amiens_: liquelx castelains li envoya
-parmi les bonnes enseignes qu'il eult dou dessus dit monsseigneur Carle
-de Blois. Fo 72.
-
-P. 172, l. 29: pluiseur.--_Ms. d'Amiens_: baron et chevalier de France
-qui oncques mès ne les avoient veus. Fo 72.
-
-P. 172, l. 31: dist.--_Ms. d'Amiens_: par grant yrour. Fo 72.
-
-P. 173, l. 13: semblable cas.--_Ms. d'Amiens_: cas sannable. Fo 72.
-
-P. 173, l. 13: li aultre signeur.--_Ms. d'Amiens_: li signeur de
-Franche. Fo 72.
-
-
-=§ 178.= P. 173, l. 21: Toutes les parolles.--_Ms. d'Amiens_: Touttes
-les parolles, demandez et responsses qui premiers furent dittez entre
-monseigneur Carle et le dit monseigneur Loeys à l'oquison de ces deux
-chevaliers, furent tantost sceuwes à monseigneur Gautier de Mauni et à
-monseigneur Amauri de Clichon, par espies qui toudis alloient
-couvertement de l'un host en l'autre. Ossi furent touttez ces parolles
-darrainnement dittez, quant li doy chevalier furent amenet en le tente
-monseigneur Carle. Et quant li doy chevalier messires Ghautiers et
-messires Amauris oïrent ces nouvellez et entendirent que c'estoit à
-certez, il en eulrent grant pitié. Si appellèrent aucuns de leurs
-compaignons et leur remoustrèrent le mescief des deux chevaliers, lors
-amis et compaignons, pour avoir consseil qu'il en poroient faire; puis
-coummenchièrent à pensser li uns chà et li autrez là, et n'en savoient
-c'aviser. Au dairains, coummencha à parler li preux chevaliers messires
-Gautiers de Mauny, et dist: «Seigneur compaignon, che seroit grant
-honneur pour nous, se nous poions ces deux bons chevaliers sauver; et
-se nous nos en mettons en aventure et fallissions, si nous en seroit li
-roys d'Engleterre bon gré; et ossi feroient tout preudomme qui en
-oroient parler, quant nous en arions fait nostre pooir. Si vous en
-diray mon avis, se vous avés talent de l'entreprendre; car il me samble
-que on doit bien le corps aventurer pour sauver le vie de deux vaillans
-chevaliers. J'ay aviset que nous nos yrons armer et nous partirons en
-deux pars. Li une des pars ystera maintenant, ensi que on disnera, par
-ceste porte, et se iront ly compaignon rengier sus cez fossés pour
-estourmir l'ost et pour escarmuchier. Bien croy que tout chil de l'host
-acouront ceste part, et vous, messires Amauris, en serés cappittainne,
-et arés avoecq vous mil bons archiers pour lez sourvenans detriier et
-faire reculler. Et je prenderay deus cens de mes compaignons bien
-montés et cinq cens archiers, et ysterons par ceste posterne d'autre
-part couvertement, et venrons ferir par derière en leur loges que nous
-trouverons wuidez; et se il plaist à Dieu, nous ferons tant que nous
-les hosterons de ce peril.» Chilz conssaux et advis pleut à tous, si
-qu'il fu fais et ordounnés tantost en l'eure, et s'armèrent tout chil
-de Hainbon secretement.
-
-Droitement sus l'eure dou disner yssi messires Amauris de Clichon à
-cinq cens hommes d'armes et à mil archiers par le porte qui le plus
-proçainne estoit de l'ost, et se rengièrent et ordonnèrent sus les
-fossés; et quant cil de l'host lez virent, si criièrent partout: «As
-armes!» et s'armèrent vistement et partirent de leurs logeis et vinrent
-escarmuchier à yaux; et li archier coummenchièrent à traire et à
-ensonniier les Franchois. Endementroes messires Gautiers de Mauny,
-messires Frankes de Halle, messires Henris de Pennefort, messires
-Guillaummes de Cadudal, messires Joffrois de Malatrait et bien deux
-cens compaignons et tous d'eslite et cinq cens archiers montés à
-cheval, se partirent de Hainbon par une posterne qui oeuvre sus le mer,
-et chevaucièrent en sus de le ville et entours l'ost, et s'en vinrent
-ferir ens ès logeis par derière et n'y trouvèrent adonc que varlès et
-gharçons, car tout li seigneur estoient à l'escarmuche. Et avoient li
-Englèz espiez et meneurs qui menèrent tantost et de fet monseigneur
-Ghautier et se routte droitement en le tente là où li doy chevalier
-prisonnier estoient en grant soussi, liquel furent errant delivret de
-chiaux qui lez gardoient, dont li plus furent mort et navret et mis en
-cache, et furent tantost montez sour deux coursiers et rammenet en le
-ville de Hainbon par force d'armes. Che service leur fist messires
-Ghautiers de Mauny, dont il acquist grant grasce. Et moult en fu
-messires Loeys d'Espaingne courouchiéz, mès oubliier li couvint: si en
-fu il depuis moult merancolieux, par tant qu'il avoit en tel mannière
-perdu les deux chevaliers, dont il volloit faire se venganche. Fo 72
-vo.
-
-_Ms. de Rome_: Toutes ces paroles furent sceues en la garnison de
-Hainbon et dittes et comptées à messire Gautier de Mauni, qui tantos
-sus heure fu consilliés et dist à ses compagnons: «Biau signeur, il
-nous fault rescourre les deus chevaliers.»--«Et conment ferons ce?»
-respondirent li aultre. «Je le vous dirai, dist messires Gautiers, nous
-ferons armer tous ceuls de ceste garnison, et une partie demorer pour
-garder la porte et le pont. Et vous, messire Ive de Tigri, messire
-Guillaume de Qadudal, li sires de Landreniaus, li chastellains de
-Ghinghant, li doi frère de Pennefort, prenderés deus cens compagnons et
-cinq cens archiers, et saudrés hors sus le point dou disner, et irés
-escarmuchier et estourmir l'oost. Et je et mes compagnons, lesquels je
-ai mis hors d'Engleterre, à cinq cens archiers, saudrons hors par la
-posterne et cevaucerons tout droit là où li doi chevalier prisonnier
-sont, et ferons nostre pooir dou conquerre et dou ramener. Li coers me
-dist que nous les rauerons, et ce seroit grant defaute pour nous, qant
-nous les savons en tel parti, (si) nous ne faisions nostre diligense de
-euls delivrer.» Tout furent de son acort et s'armèrent et
-apparillièrent, et montèrent as cevaus ceuls qui monter i devoient. Et
-fu ouverte la porte et li pons avalés, et sallirent hors les deus cens
-armeures de fier, tous Bretons, et les cinq cens archiers, et s'en
-vinrent escarmuchier et estourmir l'oost. Et fu sus le point dou
-disner, dont oissiés tronpètes et claronciaus retentir et bondir et
-criier alarme, et toutes gens sallir sus et euls armer. Meismement
-messire Carles de Blois et tout li signeur qui en sa tente estoient,
-sallirent sus et boutèrent les tables jus et s'armèrent et ordonnèrent,
-et ne vodrent pas estre souspris à leur disner, et se departirent et se
-traissent casquns viers l'escarmuce. Et mesires Lois d'Espagne
-meismement, et ot si grant quoite de li armer et d'aler à l'escarmuce,
-que il ne li souvint de ses deus chevaliers englois prisonniers, et les
-laissa en la tente à mesire Carle de Blois, en la garde des varlès
-d'offisce qui là estoient.
-
-Qant la cose fu bien estourmie, evous messire Gautier de Mauni venu et
-issu hors de Hainbon par une posterne qui regardoit sus la mer, ferant
-à l'esporon tout autour des logeis et ses compagnons. Et estoient bien
-deus cens armeures de fier et cinq cens archiers, et bien avoient qui
-les menoit; et s'adrecièrent droit au logeis à messire Carle de Blois,
-et n'entendirent à aultre cose faire que de venir en la tente dou dit
-messire Carle. Et ne trouvèrent que varlès qui là estoient, qui tantos
-s'enfuirent, li uns chà, et li aultres là, et laissièrent les deus
-chevaliers qui furent moult resjoi qant il veirent messire Gautier et
-lor route. Tantos il furent monté sus deus chevaus, et se missent au
-retour messire Gautiers et ses gens par le cemin meismes où il estoient
-venu, et n'eurent encontre ne destourbier nul, et rentrèrent en
-Hainbon. Fo 86.
-
-P. 175, l. 21 et 22: qui les recueilloient vistement.--_Mss. A 1 à 6,
-11 à 14, 18 à 22_: qui se reculoient, en desfendant vistement. Fo 98
-vo.
-
-
-=§ 179.= P. 176, l. 21: Encores.--_Ms. d'Amiens_: Trois jours apriès
-ceste avenue, tout chil seigneur de Franche qui là estoient devant le
-ville de Heinbon, se assamblèrent en le tente monseigneur Carlon de
-Blois pour avoir consseil qu'il feroient, car il veoient bien que li
-ville et li castiaux de Hainbon estoient si fort qu'il n'estoient mies
-pour gaegnier, tant avoit dedens de bonne gens d'armes qui trop bien et
-trop sagement et vassaument le gardoient. Et si leur ve(n)oient[410]
-tous les jours pourveanches et vitailles par mer, dont il estoient bien
-servi, et se ne leur pooit on ce pas oster ne clore. D'autre part, li
-plas pays d'environ estoit si gastéz, qu'il ne savoient quel part aller
-fourer. Et si leur estoit li yviers prochains, par quoy il ne pooient
-par raison là longement demorer; si ques, tous ces poins consideréz, il
-s'acordèrent tout communaument que il se partiroient de là, et
-conssillièrent en bonne foy à monseigneur Carlon de Blois que il mesist
-par touttez lez citéz, les bonnez villez et les fortrèches qu'il avoit
-conquises, bonnes garnisons et fortes, et si vaillans cappitaines qu'il
-s'i peuist affier, par quoy li annemy ne les pewissent reconcquerre. Et
-se aucuns vaillans homz se volloit entremettre de pourcachier une
-trieuwe, il s'i accordast vollentiers, mès que elle ne durast fors
-jusques à le Pentecouste, que li saisons est revenue pour hostoiier.
-
- [410] On lit dans le ms.: «veoient.» Mauvaise leçon.
-
-A che consseil se tinrent tout chil qui là estoient, car c'estoit entre
-le Saint Remy et le Toussains l'an de grace mil trois cens et quarante
-deux, que li yviers et li froide saison aprochoient. Si se partirent
-tout chil de l'host, seigneur et aultre. Si en ralla chacuns en sa
-contrée. Et messires Carles de Blois s'en ralla droit par deviers le
-ville de Craais à tout les barons et noblez seigneurs de Bretaingne, et
-dounna congiet à touttez mannières de gens estragniers, mès encorres
-retint il aucuns des barons de Franche pour lui aidier à consseillier.
-Fos 72 vo et 73.
-
-_Ms. de Rome_: Encores se combatoient et escarmuçoient les François et
-les Englois et les Bretons sus les fossés, et lançoient et traioient li
-un à l'autre, et faisoient des grandes escarmuces d'armes; et
-pluisseurs belles apertisses i ot là faites. Nouvelles vinrent as
-signeurs de France qui là estoient à l'escarmuce, que les Englois en
-ramenoient les deus chevaliers prisonniers. Evous sonner tronpètes et
-claronchiaus de retrète, pour retourner en l'oost. Car qant il oïrent
-dire: «Les Englois sont venus et entré ens ès tentes,» il quidièrent
-rechevoir plus grant damage que il n'eurent, et que les Englois
-deuissent bouter le feu ens ès logeis et ardoir, ensi que il avoient
-fait aultre fois, mais non fissent: il n'entendirent à aultre cose que
-de ravoir lors prisonniers et de euls mettre à sauveté.
-
-Ensi se cessa li escarmuce, car chil qui estoient sus les fossés ne
-sievirent point, mais se retraissent tout bellement en la forterèce. Et
-ot en Hainbon grant joie, qant il sentirent les deus chevaliers resqous
-et delivré de dangier. Messires Lois d'Espagne fu trop durement
-courouchiés de ce que, tantos que li chevalier li furent donné et
-delivré, que il ne les avoit fait decoler, et moult de aultres signeurs
-de l'oost tout resjois de ce que on les avoit rescous. Et en disoient
-li un à l'autre: «Il est bien emploiiet, car messires Lois d'Espagne
-estoit très mal avisés et consilliés de euls faire voloir morir.» Et
-furent moult loées et reconmendées dedens et dehors les appertisses et
-vaillances à messire Gautier de Mauni, car par li et par ses emprises
-avoit esté tout fait.
-
-Trois jours apriès ceste avenue, tout chil signeur de France se
-traissent en la tente de messire Carle de Blois. Et qant il furent tout
-assamblé, ils parlementèrent ensamble pour sçavoir conment il
-s'ordonneroient, car il veoient et sentoient que li iviers aproçoit, et
-que dedens Hainbon il estoient pourveu et rafresqui de bonnes gens
-d'armes et d'archiers, et estoit la ville et li chastiaus très fort, et
-lor pooient venir tous les jours pourveances par mer, lequel pas on ne
-lor pooit clore, se force de navie ne le faisoit sus la mer. Avoecques
-tout ce, li fourageus françois ne savoient où fouragier, car li plas
-pais estoit tous gastés, et n'avoient vivres fors à grant dangier. Si
-fu dit et conselliet à messire Carle de Blois que il departesist ses
-gens, et pourveist forterèces et garnisons de gens d'armes, et mesist
-et establesist partout bons capitainnes, vaillans honmes segurs et
-sages, et les laiast couvenir cel ivier et guerriier par garnisons, se
-guerriier voloient; ou, se bonnes gens moienant ceste gerre se voloient
-ensonniier de tretier unes trieuves jusques à la Saint Jehan Baptiste
-que li pais se peuist un petit rencrassier et repourveir, on consilloit
-à messire Carle de Blois que ils s'i acordast legierement, par quoi, à
-l'esté qui retournoit, li cheval trouvaissent à fouragier sus les
-camps. Chils consauls fu creus et tenus: on se desloga. Au deslogement
-que li signeur de France fissent, il missent une grose enbusque sus,
-par quoi chil dou chastiel et de la ville de Hainbon ne lor peuissent
-porter damage. Et avint que, qant les Englois et les Bretons qui en
-Hainbon se tenoient, veirent li deslogement, li auqun, par convoitise
-de gaegnier, sallirent hors et se boutèrent sus les deslogans, mais il
-alèrent trop avant, car li enbusque, laquelle messire Lois d'Espagne
-gouvrenoit, salli avant, et là furent rebouté chil de Hainbon moult
-durement. A très grant meschief peurent il rentrer à la ville, et
-demorèrent dehors deus chevaliers par lor vaillance, qui deffendoient
-les rentrans. Ce furent li sires de Landreniaus et li chastellains de
-Ghinghant, et furent pris et environ dix honmes d'armes et menet en
-voies. Ensi ala de celle escarmuce. Trois jours apriès ceste avenue,
-vinrent nouvelles ens ou chastiel de Hainbon à la contesse de Montfort,
-et as chevaliers d'Engleterre et de Bretagne, que li doi chevalier
-dessus nonmet, mesires Carles de Blois et les signeurs sejournans à
-Rennes, estoient tournet François et devenu honme à mesire Carle de
-Blois et fait feaulté et honmage: dont on fu moult esmervilliet, car la
-contesse lor avoit fait moult de biens, et lor couvint passer, ne avoir
-n'en porent aultre cose.
-
-Ensi se deffist li sièges de Hainbon en celle saison, environ le Saint
-Luch, l'an de grasce mil trois cens quarante deux que li iviers et les
-longes nuis aproçoient. Et pourvei et rafresqi mesires Carles de Blois
-toutes les chités, les villes et les chastiaus que il tenoit en
-Bretagne, de nouvelles gens d'armes et de pourveances. Et remercia les
-signeurs qui l'estoient venu servir; et leur sambla que moult bien il
-avoient esploitiet pour une saison, et se departirent de Bretagne et
-retournèrent en lors contrées. Et messires Carles s'en vint à Nantes
-dalés sa fenme et là se tint. Fos 86 vo et 87.
-
-
-=§ 180.= P. 178, l. 18: A ce conseil.--_Ms. d'Amiens_: Entroes que il
-(messires Carles de Blois) sejournoit à Craais et que il entendoit à
-pourveir et à ordounner ses garnisons et à rafrescir de gens, de vivres
-et d'artillerie, et chevauchoit ses marescaus de l'un à l'autre, avint
-que ungs rices bourgois et grans marcheanz de le bonne ville que on
-claimme Jugon, fu une heure encontrés de son marescal, monseigneur
-Robert de Biaumanoir, et fu pris et amenés à Craais par devant
-monseigneur Charle. Chilz bourgois de Jugon faisoit touttes lez
-pourveanchez le comtesse de Montfort, et estoit à Jugon moult creus et
-moult amés. A che donc estoit cappittainne et souverains, de par le
-comtesse, de la ville de Jugon, ungs gentils chevaliers que on
-claimmoit monseigneur Gerart de Rochefort. Chils bourgois de Jugon, qui
-enssi fu pris, eu grant paour de morir: si pria que on le lessaist
-passer pour raenchon; on ne li volt mies acorder, mais fu mis en
-prison, et depuis tant enquis et examinés d'unes coses et d'autres
-qu'il eult en couvent de rendre le forte ville de Jugon, et dist que il
-estoit bien en se puissanche de livrer l'une dez portez et de mettre
-ens gens d'armes pour saisir le ville.
-
-A ces parolles entendirent li seigneur de France vollentiers, et li
-disent que, se il estoit trouvés en verité, messire Charles de Blois li
-pardonroit son mautalent et li donroit deux cens livres de revenue bien
-asignées sus le castellerie de Jugon, et il respondy: «Oyl.» Et pour ce
-mieux asegurer, il en mist son fil en hostaige et fist entendant à
-chiaux de Jugon qu'il estoit ranchounnés à mille florins, et que ses
-filx (en estoit garans[411]) et plèges. De tout ce qu'il dist, il fu
-très bien creus, ne nuls n'y penssa le contraire. Chilx jours fu venus;
-les portes de Jugon à heure de mienuit furent ouvertez. Si entra
-messires Charles de Blois à celle heure en le ville à grant puissanche.
-La ghaite du castiel s'en perchut; si coummencha à criier: «As armez!
-Trahi! trahi!» Li bourgois, qui de ce ne se donnoient garde, se
-commenchièrent à estourmir; et quant il virent leur ville perdue, il se
-missent au fuir par deviers le castiel par troppiaux. Et li bourgois
-qui trahi les avoit se mist à fuir avoec yaux par couvreture, et entra
-ens ou castiel osi bien que li autre. Quant li jours fu venus, messires
-Carles et ses gens entrèrent ens ès maisons dez bourgois pour
-herbregier, et prissent ce qu'il trouvèrent. Et quant li dis messires
-Carlez vit le castiel si fort et si emplit des bourgois, il dist qu'il
-ne se partiroit de là jusques adonc qu'il aroit le castiel à sa
-vollenté. Li castelains messires Gerars de Rocefort et li bourgois de
-le ville perchurent bien et congnurent tantost que chilx bourgois les
-avoit trahis. Si le prissent et pendirent tantost as cretiaux et as
-murs du castiel. Ensi eult il son paiement de son pechiet. Lez mallez
-oevrez amainnent les gens à povre fin.
-
- [411] On lit dans le ms.: «en estrans.» Mauvaise leçon.
-
-Quant messires Gerars de Rochefort, cappitaine et souverain de Jugon,
-vit que messires Carlez de Blois ne se partiroit point de là et
-s'amanagoit droitement en le ville pour yaux tenir à siège, et sentoit
-que li castiaux sans le ville ne se pooit longement tenir (ossi il
-estoit durement remplis de gens à petit de pourveanchez, car il y
-estoient entré soudainnement et sans advis); si se consseilla à aucuns
-bourgois qui là estoient, quel cose en estoit bon affaire. Chil qui
-veoient jà le leur perdu davantaige et leurs maissons remplies de leurs
-ennemis, et ne veoient nul comfort de leur damme et sentoient que tous
-li pays se rendoit et tournoit à monseigneur Carlon de Blois, se
-conssillièrent que il se renderoient à lui parmy tant que, se il en y
-avoit aucuns qui plus aimassent le comtesse de Montfort que monseigneur
-Carle de Blois, il se pooient partir sauvement, mais riens n'en
-devoient porter dou leur. Cilz traitiés fu mis avant et acordés de
-monsigneur Carlon de Blois. Et se parti messires Gerars de Rocefort et
-li sien, mès riens n'enportèrent ne menèrent dou leur, fors que
-seullement leurs ronchins qu'il chevauchoient; et s'en vinrent à
-Hainbon et recordèrent coumment li affaire avoit allet. Si en fu
-durement courouchie la comtesse de Montfort, et ossi furent chil qui
-avoecq lui estoient, tant d'Engleterre que de Bretaingne, car il
-avoient perdu une ville qui durement leur estoit ammie et leur avoit
-fès pluisseurs biaux servicez. Se leur couvint il passer et yaux
-recomforter au mieux qu'il peurent.
-
-Quant messires Carles de Blois se fu saisis de le ville et dou castiel
-de Jugon, il y sejourna quinze jours pour entendre et regarder as
-besoingnes et as deffensces de le ville. Et le fist bien reparer et
-fortefiier, et pourveyr d'artillerie et de touttez autres pourveanches;
-et quant il s'en parti, il y laissa monseigneur le Ghalois de le
-Baume, ung chevalier savoiien, à cappittainne et à souverain, et avoecq
-lui deus cens Geneuois parmy les hommes d'armes. Puis se retraist à
-Rennes, où madamme sa femme estoit; et envoya monseigneur Loeys
-d'Espaigne sejourner à Craais, pour là garder le frontière.
-
-Environ le Saint Martin, fu tretiés uns respit entre messire Carle de
-Blois et le dessus ditte comtesse de Montfort; et en porta les parollez
-sus bon saufconduit messires Yves de Tigueri, dou léz le comtesse, et
-messires Robiers de Biaumannoir, dou costet monseigneur Carle. Liquels
-respis fu acordés et acouvenenchiés, d'un lés et de l'autre, à durer
-jusques an my may l'an mil trois cens quarante trois. Tantost ce respit
-juret et saielet, la comtesse de Montfort se party de Hainbon et enmena
-avoecquez lui aucuns chevaliers de Bretaingne; et monta en mer en
-entention pour ariver en Engleterre, et pour parler au roy et li
-remoustrer ses besoingnes. Ossi à ce Noel enssuiwant vint messires
-Carlez de Blois à Paris deviers le roy Phelippe de Franche, son oncle,
-qui le rechupt à grant joie. Et là estoient dallés lui li comtes Loeis
-de Blois, ses frères, et li dus de Bourbon, et pluiseur autre grant
-seigneur de leur linage, pour quoy la feste fu mout remforchie; et y
-dounna grans dons et grans jeuiaux as seigneurs et as chevaliers
-estraingiers, car bien le savoit faire. Or nous tairons nous ung petit
-à parler dou roy de France, de monseigneur Carle de Blois et de chiaux
-de Bretaingne. Si parlerons dou roy englès, car la matère le requiert.
-Fo 73.
-
-_Ms. de Rome_: En cel ivier se tourna la ville de Craais à la contesse
-de Montfort, je ne sçai par quel trettiet. Qant les nouvelles en furent
-venues à mesire Carle de Blois qui se tenoit à Nantes, il en fu
-durement courouchiés, et dist et jura que jamais n'entenderoit à aultre
-cose si aueroit esté devant Craais, et l'asegeroit et point n'en
-partiroit, se trop grant poissance contre li ne l'en levoit. Ce fu
-entre le Noel et la Candelor, et manda tous ceuls qui de li tenoient en
-Bretagne. Et vint asseoir Craais par bastides, car il faisoit trop
-froit et trop lait pour tendre tentes, trefs et pavillons; et voloit
-ceuls de Craais constraindre à tollir lors pourveances, et puis, tantos
-le prin temps venu, aprochier dou plus priès conme on poroit.
-
-En ce termine avint que uns bourgois et rices marceans de la ville de
-Jugon, qui se tenoit pour la contesse de Montfort et faisoit en partie
-toutes ses pourveances, fu encontrés et trouvés sus les camps de
-messire Robert de Biaumanoir, marescal de l'oost messire Carle. Si fu
-pris et amenés devant Craais ou logeis dou dit messire Carle. Chils
-bourgois estoit moult amés et creus en la ville de Jugon, qui est moult
-fortement fremée et sciet très noblement. Aussi fait li chastiaus, qui
-est biaus et fors, et se tenoit de la partie la contesse desus ditte.
-Et en estoit chastellains, de par la contesse, uns chevaliers qui se
-nonmoit messires Gerars de Rocefort. Chils bourgois de Jugon, qui ensi
-fu pris et amenés à mesire Carle de Blois, eut grant paour de morir.
-Et, pour tant que il estoit si proçains de la contesse de Montfort, fu
-examinés et enquis des uns et des aultres si avant que il s'acorda à ce
-et se fist fors de livrer et rendre la ville de Jugon à mesire Carle de
-Blois ou à ses conmis dedens un jour qui ne fu pas trop lontains apriès
-sa delivrance. Et, pour acomplir celle couvenance, il en bailla un sien
-fil en plèges, et sus cel estat on le laissa aler et retourner à Jugon;
-et donnoit à entendre que il estoit rançonnés à cinq cens florins, et
-bien en estoit creus. On n'avoit nulle soupeçon de lui, et gardoit les
-clefs de l'une des portes de Jugon.
-
-Au jour qui mis et ordonnés i estoit, mesires Carles de Blois en
-prop(r)e personne i vint à tout cinq cens lances, et lais(s)a messire
-Lois d'Espagne devant Craais à tout le demorant de son hoost. Ensi que
-li bourgois de Jugon avoit en couvenant, il fist, et deffrema la porte
-de laquelle il gardoit les clefs. Sus un ajournement, messires Carles
-et ses gens entrèrent à poissance dedens la ville. La gette dou
-chastiel se perchut que gens d'armes entroient en la ville. Si
-s'efforça de corner: «Trahi! trahi!» Dont se resvillièrent li
-chevaliers et li saudoiier qui dedens le chastiel estoient, et
-coururent as armes et as garites d'autour dou chastiel, et
-requellierent les bonnes gens qui fuioient dedens le chastiel. Li
-bourgois meismes, qui la trahison avoit faite, fui dedens avoecques
-euls par couvreture. Messires Carles et ses gens se saisirent de la
-ville, et trouvèrent les maisons drues et raemplies, car chil dou plat
-pais s'i estoient retrait sus la fiance dou fort lieu, et i avoient
-amené lors biens. Mesires Carles et ses gens laissièrent toutes gens
-aler pasieuvlement viers le chastiel et raemplir, car bien savoient,
-plus en i aueroit, plus se tenroient chil dou chastiel à cargiet, et
-plus tos se renderoient. Messires Gerars de Rocefort, qui chastellains
-en estoit, fist enqueste par où ne conment la ville estoit prise. On li
-dist: «par la porte dont tels homs gardoit les clefs.» Li uns fu pris
-tantos, car il s'estoit là dedens enclos avoecques euls. Il fu
-questionnés et si bien examinés que il congneut toute la trahison.
-Adonc li compagnon de là dedens le prisent par le conmandement dou
-chastellain et le pendirent as crestiaus dou chastel, veant tous ceuls
-qui veoir le pooient. Ce fu le paiement que il en ot.
-
-Pour ce ne se departirent pas mesires Carles de Blois et ses gens de la
-ville, mais s'i tinrent, et environnèrent le chastiel, et n'i vodrent
-onques livrer assaut; car bien savoient que longement il ne se pooit
-tenir selonch le peuple qui estoit dedens, et furent en cel estat
-quatre jours.
-
-Li chastelains ot pité des honmes et des fenmes et des enfans de la
-ville qui là dedens s'estoient bouté à nulles pourveances, et que ce ne
-se pooit longement soustenir, et veoit bien par les apparans des
-François que point de là ne se departiroient, si aueroient tout, et il
-en estoient assés au desus, puis que il avoient la ville, et ne lor
-apparoit confors de nul costé; si eurent consel de trettiier deviers
-messire Carle. Et tretiièrent par celle manière que la ville et li
-chastiaus se renderoient à lui, parmi tant que les hostels et maisons
-qui fustées estoient, seroient restablies au plus priès conme on
-poroit, et raueroit casquns et casqunes ses coses. A ce trettié entendi
-messires Carles de Blois volentiers, et lor tint si avant conme il pot,
-et fist faire un ban et un conmandement, quiconques avoit riens pris ne
-levé en la ville de Jugon, tout fust restitué et mis arrière sus une
-painne que on i asist. Chils bans ne fu pas bien tenus, et par especial
-de ceuls qui avoient l'argent trouvé et levé: jamais ne l'euissent
-remis arrière.
-
-Ensi ot en celle saison mesires Carles de Blois la ville et le chastiel
-de Jugon, et en fist une bonne garnison, et n'i mist autre chapitainne
-que mesire Gerart de Rocefort, depuis que il se fu rendus à lui, et que
-il li ot fait feaulté et honmage, et prist aussi la feauté et honmage
-des bourgois, et puis s'en parti et retourna devant Craais.
-
-De l'avenue de Jugon furent la contesse de Montfort et tout chil de sa
-partie courouchié, mais souffrir lor couvint tant que pour celle fois,
-car amender ne le porent. Assés tos apriès se ensonniièrent bonnes gens
-entre messire Carle de Blois et la contesse de Montfort, pour donner
-unes trieuves en Bretagne tant seullement. Si furent données et jurées
-entre toutes parties, à durer jusques à la Saint Jehan Baptiste
-prochain venant, et tenoit casquns et casqune ce que il devoit tenir
-sans mal enghien. Ensi se deffist li sièges de Craais. Et retourna
-mesires Carles de Blois à Nantes, et se departirent toutes gens
-d'armes, et se retraist casquns en sa garnison.
-
-En ce terme que les trieuves durèrent, fu la contesse de Montfort
-consillie de par les Bretons et les Englois, que elle se presist priès
-d'aler en Engleterre veoir le roi et les barons et euls remoustrer ses
-necessités: elle ne pooit faire milleur esploit. Si se acorda à ce et
-prist son estat au plus courtois que elle pot, et monta en mer en
-Hainbon meismes, et enmena avoecques lui messire Amauri de Cliçon, pour
-tant que jà il i avoit esté et congnissoit le roi d'Engleterre et les
-barons, et aussi il le congnissoient. Encores enmena la contesse de
-Montfort en Engleterre deus enfans que elle avoit, fil et fille.
-
-Nous laisserons un petit à parler de la ditte contesse de Montfort et
-de son arroi, et parlerons dou roi d'Engleterre et des besongnes qui
-avinrent en ce termine. Fos 87 vo et 88.
-
-
-FIN DES VARIANTES DU TOME DEUXIÈME.
-
-
-
-
-ERRATA.
-
-
- _Au lieu de_: _Lisez_:
-
- amonet, page 29, ligne 18, amenet.
-
- 1342, p. 118 à 136, date courante en haut de la page, 1341.
-
- envoyes, p. 153, l. 10, envayes.
-
- alenoient, p. 154, l. 8, aleuoient.
-
- es, p. 171, l. 26, les.
-
- veir, p. 172, l. 29, ve(o)ir.
-
- Mande, p. 247, l. 33, Maude.
-
- adont, p. 300, l. 24, adonc.
-
- dist, p. 303, l. 10, dit.
-
- alevèrent. p. 309, l. 29, aleuèrent.
-
- st, p. 340, avant-dernière ligne, est.
-
- e, p. 340, dernière ligne, je.
-
- li, p. 404, l. 24, et li.
-
- et pont, p. 408, l. 10 et 11, et le pont.
-
-
-
-
-TABLE.
-
-
- CHAPITRE XXXIV.
-
- Ouverture des hostilités entre les rois de France et
- d'Angleterre.--_Sommaire_ p. I à VI.--_Texte_, p. 1 à
- 8.--_Variantes_, p. 185 à 193.
-
- CHAPITRE XXXV.
-
- Incursions des Français en Hainaut, notamment aux environs de
- Valenciennes.--_Sommaire_, p. VI à XIII.--_Texte_, p. 8 à
- 24.--_Variantes_, p. 193 à 212.
-
- CHAPITRE XXXVI.
-
- Siége et prise de Thun-l'Évêque par les Français.--Offres de
- combat faites par le comte de Hainaut; refus du duc de
- Normandie.--_Sommaire_, p. XIII à XV.--_Texte_, p. 24 à
- 34.--_Variantes_, p. 212 à 218.
-
- CHAPITRE XXXVII.
-
- Défaite de la flotte française par la flotte anglaise près de
- l'Écluse; arrivée d'Édouard III et de son armée en
- Flandre.--_Sommaire_, p. XV à XIX.--_Texte_, p. 34 à
- 41.--_Variantes_, p. 218 à 229.
-
- CHAPITRE XXXVIII.
-
- Assemblée de Vilvorde suivie du siége de Tournay par Édouard III
- et ses alliés.--_Sommaire_, p. XIX à XXIV.--_Texte_, p. 41 à
- 48.--_Variantes_, p. 229 à 237.
-
- CHAPITRE XXXIX.
-
- Guerre en Écosse.--_Sommaire_, p. XXIV.--_Texte_, p. 49 à
- 54.--_Variantes_, p. 237 à 241.
-
- CHAPITRE XL.
-
- Arrivée du roi de France et de son armée au pont de Bouvines contre
- Édouard III et ses alliés.--_Sommaire_, p. XXIV à XXVI.--_Texte_,
- p. 54 à 62.--_Variantes_, p. 241 à 246.
-
- CHAPITRE XLI.
-
- Siége de Mortagne et prise de Saint-Amand et de Marchiennes par le
- comte de Hainaut.--Défaite d'une troupe de Français et du seigneur
- de Montmorency au Pont-à-Tressin.--_Sommaire_, p. XXVI à
- XXX.--_Texte_, p. 62 à 74.--_Variantes_, p. 246 à 252.
-
- CHAPITRE XLII.
-
- Défaite près de Saint-Omer, panique et retraite des Flamands dans
- leur pays.--Levée du siége de Tournay; trêve entre la France et
- l'Angleterre.--_Sommaire_, p. XXX à XXXII.--_Texte_, p. 74 à
- 86.--_Variantes_, p. 252 à 265.
-
- CHAPITRE XLIII.
-
- Guerre de la succession de Bretagne: succès du comte de
- Montfort.--_Sommaire_, p. XXXII à XXXV.--_Texte_, p. 86 à
- 100.--_Variantes_, p. 265 à 291.
-
- CHAPITRE XLIV.
-
- Voyages du comte de Montfort en Angleterre, puis à
- Paris.--_Sommaire_, p. XXXV à XXXIX.--_Texte_, p. 100 à
- 107.--_Variantes_, p. 291 à 307.
-
- CHAPITRE XLV.
-
- Expédition du duc de Normandie et de Charles de Blois en
- Bretagne.--_Sommaire_, p. XXXIX à XLIV.--_Texte_, p. 107 à
- 115.--_Variantes_, p. 307 à 324.
-
- CHAPITRE XLVI.
-
- Guerre en Écosse.--Édouard III et la comtesse de
- Salisbury.--_Sommaire_, p. XLIV à XLV.--_Texte_, p. 116 à
- 137.--_Variantes_, p. 324 à 347.
-
- CHAPITRE XLVII.
-
- Siége et prise de Rennes par Charles de Blois.--Siége d'Hennebont:
- défense héroïque de Jeanne de Montfort; levée du siége par les
- Français, à la suite de l'arrivée de Gautier de Mauny et des
- Anglais.--_Sommaire_, p. XLV à L.--_Texte_, p. 137 à
- 154.--_Variantes_, p. 347 à 378.
-
- CHAPITRE XLVIII.
-
- Siége et prise de Conquest, de Dinan, de Guérande par Louis d'Espagne,
- d'Auray et de Vannes par Charles de Blois.--_Sommaire_,
- p. L à LIII.--_Texte_, p. 154 à 160.--_Variantes_, p. 378 à 392.
-
- CHAPITRE XLIX.
-
- Défaite de Louis d'Espagne près de Quimperlé; siége de la Roche-Piriou,
- du Faouët, et prise de la Forest par Gautier de Mauny.--_Sommaire_,
- p. LIII à LVI.--_Texte_, p. 160 à 168.--_Variantes_, p. 392 à 402.
-
- CHAPITRE L.
-
- Siége et occupation de Carhaix par Charles de Blois.--Second siége
- d'Hennebont par les Français, signalé par un merveilleux exploit de
- Gautier de Mauny et levée de ce siége.--Reddition de Jugon à
- Charles de Blois.--Trêve entre les belligérants, suivie du départ de
- Jeanne de Montfort pour l'Angleterre.--_Sommaire_, p. LVII à
- LIX.--_Texte_, p. 168 à 181.--_Variantes_, p. 402 à 417.
-
-
-FIN DE LA TABLE DU TOME DEUXIÈME.
-
-
-9924.--Imprimerie générale.--Lahure, rue de Fleurus, 9, à Paris.
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Chronique du crime et de l'innocence,
-t. 4/8, by Jean-Baptiste Joseph Champagnac
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- The Project Gutenberg's eBook of Chronique du crime et de l'innocence: Tome Quatrime, by Jean-Baptiste Joseph Champagnac</title>
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- </head>
-<body>
-
-
-<pre>
-
-The Project Gutenberg EBook of Chronique du crime et de l'innocence, t. 4/8, by
-Jean-Baptiste Joseph Champagnac
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-
-
-Title: Chronique du crime et de l'innocence, t. 4/8
- Recueil des vnements les plus tragiques;..
-
-Author: Jean-Baptiste Joseph Champagnac
-
-Release Date: June 30, 2016 [EBook #52443]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: ISO-8859-1
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CHRONIQUE DU CRIME ***
-
-
-
-
-Produced by Clarity, Isabelle Kozsuch and the Online
-Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
-file was produced from images generously made available
-by The Internet Archive/American Libraries.)
-
-
-
-
-
-
-</pre>
-
-
-<div class="tnote">
-<p>Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont t corriges.
-L'orthographe d'origine a t conserve et n'a pas t harmonise.
-Les numros des pages blanches n'ont pas t repris.</p>
-</div>
-
-<p><span class="pagenumh"><a id="Page_i">i</a></span></p>
-
-<h1><span class="large">CHRONIQUE</span><br />
-DU CRIME<br />
-<span class="medium">ET</span><br />
-<span class="large">DE L'INNOCENCE.</span></h1>
-
-<p><span class="pagenumh"><a id="Page_ii">ii</a></span></p>
-
-<div class="frontmatter">
-<p>IMPRIMERIE DE MARCHAND DU BREUIL,<br />
-rue de la Harpe, n. 90.</p>
-</div>
-
-<p><span class="pagenumh"><a id="Page_iii">iii</a></span></p>
-
-<div class="chapter"></div>
-<div class="titlepage">
-<p><span class="xlarge">CHRONIQUE</span><br />
-<span class="xxlarge"><b>DU CRIME</b></span><br />
-<span class="small">ET</span><br />
-<span class="large">DE L'INNOCENCE;</span></p>
-</div>
-
-<p class="hanging indent">Recueil des vnemens les plus tragiques; Empoisonnemens, Assassinats,
-Massacres, Parricides, et autres forfaits, commis en France, depuis le
-commencement de la monarchie jusqu' nos jours, disposs dans l'ordre
-chronologique, et extraits des anciennes Chroniques de l'Histoire gnrale
-de France, de l'Histoire particulire de chaque province, des diffrentes
-Collections des Causes clbres, de la Gazette des Tribunaux, et autres
-feuilles judiciaires.</p>
-
-<p class="center space"><span class="smcap large"><b>Par J.-B.&nbsp;J. CHAMPAGNAC.</b></span></p>
-
-<p class="quotet">Tout ce qui me fait peur m'amuse au dernier point.</p>
-<p class="right"><span class="smcap">C. Delavigne,</span> <i>cole des Vieillards</i>.</p>
-
-<div class="titlepage">
-<p class="large"><b>Tome Quatrime.</b></p>
-
-<hr class="deco" />
-
-<p><span class="xlarge">Paris.</span><br />
-<span class="large">CHEZ MNARD, LIBRAIRE,</span><br />
-PLACE SORBONNE, N<sup>o</sup> 3.</p>
-
-<hr class="deco" />
-
-<p>1833.</p>
-</div>
-
-<p><span class="pagenumh"><a id="Page_iv">iv</a></span></p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_1">1</a></span></p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<h2 class="normal"><span class="xlarge">CHRONIQUE</span><br />
-<span class="xxlarge"><b>DU CRIME</b></span><br />
-<span class="small">ET</span><br />
-<span class="large"><b>DE L'INNOCENCE.</b></span></h2>
-
-<hr />
-
-<p class="extra">ENFANT RCLAM PAR DEUX PRES.</p>
-
-<hr class="deco" />
-
-<p>Enlever un enfant ses parens, le porter
-dans une famille trangre qui le reoit
-comme s'il lui appartenait vritablement, et
-qui croit mme le reconnatre; troubler tellement
-les ides de cette faible crature, qu'il
-finisse par ne pas savoir quels sont ceux
-qui il doit le jour: telle est l'entreprise hardie,
-immorale et inhumaine, dont nous allons
-rendre compte.</p>
-
-<p>Dj nos lecteurs connaissent l'histoire d'un
-enfant rclam par deux mres. Ici ce sont
-<span class="pagenum"><a id="Page_2">2</a></span>
-deux pres qui se disputent le mme enfant.
-Cette diffrence n'est pas la seule qui distingue
-ces deux faits bizarres et intressans.</p>
-
-<p>Michel Richer avait eu sept enfans de Marguerite
-Lerouge, qu'il avait pouse en 1762.
-De ces sept enfans, il n'en restait plus que
-deux au mois d'avril 1773, Pierre-Franois-Alexandre
-et tiennette-Marguerite.</p>
-
-<p>Pierre-Franois-Alexandre, n le 29 septembre
-1768, tait infirme depuis sa naissance;
-il semblait ne vivre que pour souffrir:
-un sang impur circulait dans ses veines; des
-humeurs scrofuleuses le minaient insensiblement,
-et souvent se manifestaient au dehors
-par des plaies dgotantes. Tous les traitemens
-imaginables, tous les secours de l'art
-taient impuissans; la gurison de cet enfant
-avait t juge impossible.</p>
-
-<p>Comme on craignait que cette affreuse maladie
-ne se communiqut, le sieur Richer crut
-devoir sparer ses deux enfans; il mit son petit
-malade en pension Vaugirard; mais,
-tiennette-Marguerite tant morte quelque
-temps aprs, Pierre-Franois-Alexandre revint
- la maison paternelle.</p>
-
-<p>Cependant Richer ne dsesprait pas de la
-<span class="pagenum"><a id="Page_3">3</a></span>
-gurison de son enfant. On lui conseilla de le
-mettre l'Htel-Dieu, comme tant le lieu o
-il serait, disait-on, porte de recevoir des
-secours que l'on ne trouve pas ailleurs. Il y
-consentit, et conduisit son fils cet hpital le
-5 avril 1774. Comme cet enfant tait dou
-d'une physionomie douce et d'une figure
-agrable, plusieurs religieuses s'intressrent
- lui. L'hpital Saint-Louis servait de succursale
- l'Htel-Dieu, pour les maladies susceptibles
-de se communiquer. On y transporta le
-petit Richer. La s&oelig;ur Sainte-Luce, de l'Htel-Dieu,
-crivit aussitt la s&oelig;ur Sainte-Claire,
-qui tait, Saint-Louis, <i>cheftaine</i> de la salle
-Sainte-Marthe, o l'enfant devait tre dpos,
-pour le lui recommander avec instance.
-Sur cette recommandation, l'enfant fut couch
-seul dans une manne.</p>
-
-<p>Le dimanche suivant, le sieur Richer alla
-visiter l'enfant. Il le trouva toujours souffrant,
-toujours couvert de plaies. Il demeura prs de
-lui jusqu'au soir, et le pressa, en le quittant,
-contre son sein paternel, dans lequel il avait
-peine retenir ses sanglots.</p>
-
-<p>Faisons connatre maintenant l'intrigante
-<span class="pagenum"><a id="Page_4">4</a></span>
-dont les man&oelig;uvres odieuses jouent un grand
-rle dans cette intressante histoire.</p>
-
-<p>Au mois de fvrier 1773, le nomm Jacob
-Beaumann, batelier Strasbourg, demeurait
- Paris, rue des Cinq-Diamans, avec une personne
-qu'il disait tre sa femme et un enfant
-dont il croyait tre le pre. La nomme Marguerite
-d'Oppinchemitz, native de Sarbourg
-en Alsace, femme de Guillaume-Roch Lejeune,
-officier de maison, tenait une tabagie,
-rue et porte Saint-Martin; elle y recevait
-principalement des Alsaciens et des Allemands,
-et logeait des filles de ces mmes contres.
-Le mystre profond dont tait envelopp le
-mariage de Beaumann avec une de ces filles
-droba des dtails qui auraient pu jeter un
-grand jour sur la conduite de la femme Lejeune.</p>
-
-<p>Beaumann, aprs son mariage, tait all
-Strasbourg avec sa femme, qui y accoucha
-d'un garon, le 2 novembre 1770; seize mois
-aprs, c'est--dire la fin de fvrier 1772,
-il revint Paris avec sa femme et son enfant;
-puis retourna Strasbourg au mois de fvrier
-1773, laissant Paris sa femme, qui le
-<span class="pagenum"><a id="Page_5">5</a></span>
-suivit quelques jours aprs, aprs qu'elle eut
-confi en dpt son enfant la femme Lejeune.</p>
-
-<p>Cette intrigante faisait publiquement Paris
-profession de charlatanerie. En quittant
-sa tabagie, elle s'tait mise dbiter un secret
-qu'elle disait merveilleux pour la gurison des
-hmorrodes et des rhumatismes; et elle s'tait
-fait annoncer dans les <i>Petites Affiches</i> comme
-possdant seule ce prcieux spcifique.</p>
-
-<p>La Lejeune se trouva donc dpositaire de
-l'enfant Beaumann. Cet enfant tait, dit-on,
-attaqu d'humeurs froides: nous ignorons ce
-fait; toutefois, en admettant cette supposition,
-il est prsumable que la femme Beaumann avait
-confi son enfant au charlatanisme de la Lejeune
-dans l'espoir d'obtenir sa gurison. Mais
-cette misrable, ds que la mre fut partie,
-jugea plus commode et moins dispendieux
-pour elle de se dbarrasser de cet enfant. Elle
-le fit recevoir le 2 mars 1773 aux Enfans-Trouvs;
-le lendemain, il fut transport la
-Salptrire; de l, conduit malade le 22 dcembre
-de la mme anne, l'hpital Saint-Louis,
-o il mourut le 25 mars 1774.</p>
-
-<p>L'enfant Richer ne fut conduit cet hpital
-<span class="pagenum"><a id="Page_6">6</a></span>
-que le 5 avril suivant, c'est--dire onze jours
-aprs la mort de l'enfant Beaumann, et dans
-une salle autre que celle o celui-ci avait t
-plac.</p>
-
-<p>Cependant Jacob Beaumann, de retour
-Paris, la fin de mars 1774, se proposa de
-retirer son enfant de la Salptrire, o on lui
-dit qu'il avait t port. Il voulait le remmener
- Strasbourg. La Lejeune ne fut pas sans inquitude
-lorsqu'elle vit, son arrive, qu'il
-lui rclamait son enfant, dont certainement
-elle n'ignorait pas la mort. Mais, pour cacher
-l'norme abus qu'elle avait fait de la confiance
-de ce pre infortun, elle conut un coup
-audacieux, dans lequel tout autre que cette
-femme aurait peut-tre chou; il est mme
-probable que toute autre n'aurait os en concevoir
-la pense; en effet, il ne tombera dans
-l'esprit de personne d'enlever un enfant son
-pre pour le donner un tranger, sans y
-avoir un intrt quelconque. On ignore quel
-pouvait tre l'intrt de la Lejeune.</p>
-
-<p>Le 19 avril, cette femme, aprs avoir pris
-toutes ses mesures, se rend l'hpital Saint-Louis,
-entre dans la salle Sainte-Marthe, voit
-l'enfant Richer, et demande un domestique
-<span class="pagenum"><a id="Page_7">7</a></span>
- qui elle doit s'adresser pour avoir la permission
-de l'emporter. On lui indique la s&oelig;ur
-Sainte-Claire; mais, pendant que l'on va avertir
-cette religieuse, la Lejeune feint d'ter du
-bras de l'enfant le billet qui servait le faire
-connatre, et dit, aprs l'avoir lu, <i>qu'elle ne
-s'tait pas trompe, que ce billet annonait
-l'enfant qu'elle cherchait, sans dire cependant
-le nom crit sur le billet</i>, qu'elle serra dans sa
-poche.</p>
-
-<p>On dit qu'elle <i>feignit</i> d'ter ce billet, parce
-qu'en effet elle ne l'ta pas: la s&oelig;ur Sainte-Marie
-l'avait t l'enfant son arrive, et le
-conservait dans un tiroir de sa chambre, le
-petit malade ayant des plaies au bras. Cette
-coupable simulation de la Lejeune avait donc
-pour objet d'en imposer aux personnes qui
-taient auprs de la manne de l'enfant; et elle
-russit en effet compltement.</p>
-
-<p>L'enfant, pour qui cette femme tait une
-trangre, manifestait de la rpugnance s'en
-aller avec elle; il criait, se dbattait, repoussait
-ses caresses. Pour l'apaiser, elle lui donna
-un petit pain et des &oelig;ufs rouges. La s&oelig;ur
-Sainte-Claire, qui survint, lui demanda ce
-qu'elle souhaitait.&mdash;Je viens, rpondit la Lejeune
-<span class="pagenum"><a id="Page_8">8</a></span>
-sans se dconcerter, je viens retirer
-cet enfant, qui appartient un homme arriv
-de cent lieues pour le chercher.&mdash;Je ne vous
-connais point, lui rpliqua la religieuse, et je
-ne remettrai cet enfant qu'au pre.&mdash;Je vais
-le chercher le pre, dit la Lejeune en sortant.&mdash;Quelques
-instans aprs, elle revint avec un
-homme qui avait l'air d'un paysan tranger,
-et qu'elle dit tre le pre de l'enfant qu'elle
-rclamait. Ce paysan tranger n'tait autre
-que Jacob Beaumann, qu'elle avait amen avec
-elle, et qui l'attendait dans la cour de l'hpital.</p>
-
-<p>Ds que Beaumann aperoit l'enfant, il
-l'embrasse, se met pleurer. La s&oelig;ur Sainte-Claire
-veut lui parler, mais la Lejeune lui fait
-observer qu'il n'entend pas le franais. Cette
-femme tait si impatiente d'emporter l'enfant,
-qu'elle ne voulait pas mme attendre qu'on
-lui remt ses habillemens. Aussi, ds qu'elle les
-eut reus, elle sortit prcipitamment, emportant
-le jeune Richer. Il tait environ midi.</p>
-
-<p>Le 21 du mme mois d'avril, le sieur Richer
-se rend l'hpital Saint-Louis pour voir son
-fils; il lui portait une robe de chambre, quelques
-hardes et des joujoux. Il demande o est
-son enfant. Qu'on juge de sa consternation
-<span class="pagenum"><a id="Page_9">9</a></span>
-lorsqu'on lui dit que, depuis deux jours, il a
-t enlev. Pendant quelques instans, il demeure
-ptrifi de saisissement. La douleur
-profonde o il tait plong, l'agitation et la
-stupeur que lui avait causes cette nouvelle
-inattendue, frapprent la s&oelig;ur Sainte-Claire,
-qui reconnut qu'elle avait t trompe, qu'on
-avait abus du nom de l'abb Deschamps,
-prtre de service l'hpital Saint-Louis, pour
-enlever l'enfant. Elle crivit au mme instant
- cet ecclsiastique pour l'informer de cet enlvement
-et de ses circonstances. Le sieur Richer
-porta la lettre. L'abb Deschamps ne
-connaissait la Lejeune que par les annonces
-qu'elle avait fait insrer dans les <i>Petites Affiches</i>.
-Il se procura son adresse, se rendit chez
-elle et l'amena par degrs avouer que c'tait
-elle qui avait fait l'enlvement. Aprs avoir
-arrach cet aveu si prcieux, l'abb Deschamps
-appela le sieur Richer, qui l'avait accompagn
-jusqu' la porte de la maison. Richer monta;
-la Lejeune lui rpta tout ce qu'elle venait de
-dire l'abb Deschamps; mais, comme elle
-craignit que son crime n'et des suites fcheuses,
-elle fit, cette fois, tous ses efforts
-<span class="pagenum"><a id="Page_10">10</a></span>
-pour se justifier d'avoir favoris l'enlvement
-de l'enfant et d'y avoir coopr. Elle raconta
-ensuite tout ce qu'elle avait fait pour prserver
-du froid l'enfant, qui avait t conduit
-Strasbourg; qu'elle lui avait donn une robe
-de chambre de l'un de ses enfans, en remplacement
-de laquelle Beaumann lui avait laiss
-la redingote du sien. A la vue de cette redingote:
-<i>Voil l'habillement de mon enfant</i>,
-s'cria Richer; <i>on a enlev mon enfant; c'est
-un Allemand qui l'a vol!</i></p>
-
-<p>Ce cri de la nature, pouss avec vhmence,
-alarma la Lejeune. Richer ne put retenir son
-indignation, ni s'empcher de lui reprocher
-d'avoir elle-mme tremp dans l'enlvement.
-Ces reproches, le ton qui les accompagnait,
-chauffrent tellement la bile de cette femme
-criminelle, qu'elle se rpandit en injures.
-Aprs cet orage, on entra en ngociations: la
-Lejeune promit de faire revenir l'enfant; elle
-demanda mme de l'argent pour des dmarches
-qui ne furent pas faites; et l'enfant n'arrivait
-pas. Richer et sa femme taient dsesprs.
-La s&oelig;ur Sainte-Claire informa le lieutenant-gnral
-de la police du royaume du
-<span class="pagenum"><a id="Page_11">11</a></span>
-fait de l'enlvement. Ce magistrat crivit au
-prteur de Strasbourg; mais l'affaire restait
-sans solution.</p>
-
-<p>Pendant tous ces retards, la tendresse paternelle
-inspira Richer. Il se rappela qu'il avait
-connu autrefois Strasbourg, un matre tailleur
-nomm Delille. Il lui crivit aussitt
-pour le prier d'aller voir son enfant, dont il
-lui donnait le signalement le plus complet,
-indiquant, avec la plus fidle minutie, le
-nombre et la nature de ses plaies, et les endroits
-de son corps o elles taient places;
-de sorte qu' la lecture de cette lettre, il tait
-impossible de se mprendre sur la conformit
-parfaite du portrait avec l'original.</p>
-
-<p>Le sieur Delille, aprs avoir vu l'enfant,
-aprs avoir examin ses plaies, convaincu
-qu'il appartenait bien Richer, alla trouver
-le prteur de Strasbourg, lui lut la lettre de
-Richer, et le mena voir l'enfant. Le prteur
-crivit aussitt un de ses agens Paris pour
-prendre des informations sur le sieur Richer
-et sur l'enlvement de son enfant. Les renseignemens
-obtenus par cette voie furent entirement
-favorables la rclamation de Richer.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_12">12</a></span>
-Celui-ci, bien persuad, par suite de tous
-les claircissements qu'il s'tait procurs, que
-la Lejeune et Beaumann avaient enlev son
-fils, alla chez cette femme lui proposer de
-le faire revenir Paris, avec offre de payer
-mme la moiti des frais du voyage. Mais l'offre
-fut rejete; on traita Richer d'imposteur,
-et il fut conduit coups de bton.</p>
-
-<p>Cette rception ignominieuse et cruelle irrita
-la douleur de Richer. Il rendit plainte en
-vol et en enlvement d'enfant, nommment
-contre la Lejeune, le 4 juillet 1774. Sur la
-plainte, intervint une ordonnance portant
-permission d'informer. Cinq tmoins furent
-entendus, et il rsulta de leurs dpositions
-que l'enfant contest tait vritablement celui
-de Richer. Alors la Lejeune et Beaumann furent
-dcrts de prise de corps, et la Lejeune
-conduite en prison et interroge. La femme
-Lejeune demanda sa libert sous caution; mais,
-comme elle ne trouva personne pour la cautionner,
-elle se vit force de dposer quinze
-cents livres.</p>
-
-<p>Rendue elle-mme, cette intrigante voulut
-charger Beaumann pour se disculper, et
-pour recouvrer, s'il tait possible, les quinze
-<span class="pagenum"><a id="Page_13">13</a></span>
-cents livres qu'elle avait dposes. Mais on
-n'eut aucun gard sa demande, et l'on fit
-venir, ses frais, Beaumann et l'enfant
-Paris.</p>
-
-<p>On conoit aisment quelle joie dut causer
-au pre et la mre l'heureuse nouvelle de
-l'arrive de leur enfant. Ils coururent aussitt
-chez la Lejeune, o Beaumann tait descendu.
-Ils taient accompagns de plusieurs personnes
-de leur maison et de leur voisinage, qui
-toutes connaissaient leur enfant. Lorsqu'ils
-entrrent, l'enfant s'cria avec l'accent de la
-joie: <i>Ah! voil maman! voil maman!</i> A ces
-mots, la dame Richer tomba vanouie; revenue
-de cette crise, elle voulut prendre sur
-ses bras l'enfant, qui tait assis; mais il se raidit
-pour ne pas se lever. Elle lui demanda
-pourquoi il refusait de venir dans ses bras;
-l'enfant sourit, en lui disant bas l'oreille:
-<i>On ne le veut pas</i>.</p>
-
-<p>Richer fit sur-le-champ plusieurs questions
- l'enfant, qui rpondit toutes avec justesse;
-il dit qu'il reconnaissait toutes les personnes
-qui taient venues avec son pre, et les appela
-sparment, chacune par son nom.&mdash;<i>C'est
-assez</i>, dit alors Richer, <i>allons-nous-en</i>. Et ils
-<span class="pagenum"><a id="Page_14">14</a></span>
-s'en allrent. Quand ils sortirent, l'enfant leur
-dit adieu tous.</p>
-
-<p>Le mari de la Lejeune, qui tait prsent
-cette scne, n'y fut point insensible; il lui fit
-mme une vive rprimande en prsence de
-toute l'assemble. C'est mal propos, lui
-dit-il avec aigreur, que vous voulez faire
-croire que cet enfant est celui de Beaumann.
-Vous voyez bien le contraire; l'enfant ne parle
-pas allemand, mais bon franais; il reconnat
-trs-bien son pre, sa mre et leurs voisins;
-ne lui parlez donc pas autrement que franais.
-Voil comme vous faites toujours; voyez
-dans quel embarras vous vous mettez.</p>
-
-<p>Beaumann se rendit ensuite en prison avec
-l'enfant. Ds que Richer et sa femme surent
-que leur enfant avait t conduit au grand
-Chtelet, ils y coururent. L'entrevue eut lieu
-entre deux guichets, en prsence de Beaumann.</p>
-
-<p>La femme du concierge s'approcha de l'enfant
-pour le rassurer, car il parat que la
-Lejeune et Beaumann l'avaient intimid par
-des menaces: il se trouva l un autre enfant
-un peu plus g, qui savait parler allemand.
-On fit parler ces enfans ensemble; celui-ci
-<span class="pagenum"><a id="Page_15">15</a></span>
-demanda l'autre, en franais, lequel de
-Beaumann ou du sieur Richer tait son pre:
-<i>Celui-l</i>, dit-il en montrant Richer. Quelque
-temps aprs, il lui fit la mme question en
-allemand; alors l'enfant rougit, et regarda,
-en tremblant, s'il ne serait pas aperu par
-Beaumann; puis il tourna les yeux vers Richer,
-en indiquant du doigt que c'tait lui
-son pre. La femme du concierge, frappe
-de ce qu'elle venait de voir et d'entendre, spara
-de Beaumann cet enfant qui ne lui appartenait
-pas, et le fit conduire l'infirmerie.</p>
-
-<p>Quelques jours aprs, la requte de Richer,
-l'enfant fus mis en squestre l'hpital
-Saint-Louis. Mais le croirait-on? peine fut-il
-revenu dans ce pieux asile de la souffrance,
-que la Lejeune conut le dessein de l'enlever
-de nouveau. Cette fois nanmoins elle ne tenta
-pas l'entreprise en personne; mais on vit rder,
-pendant plusieurs jours, dans les cours et
-dans les salles de l'hpital, des gens aposts
-par elle pour pier le moment favorable. Heureusement
-toutes ses man&oelig;uvres furent dcouvertes,
-et l'on ne laissa plus approcher de
-l'enfant.</p>
-
-<p>Enfin le parlement fut saisi de l'affaire; elle
-<span class="pagenum"><a id="Page_16">16</a></span>
-fut porte l'audience de la Tournelle criminelle,
-qui renvoya les parties fins civiles;
-le Chtelet fut arbitre du procs. On y
-produisit l'extrait d'entre de l'enfant de Beaumann
- l'hpital Saint-Louis, ainsi que son
-acte de dcs, pices victorieuses, qui dissipaient
-tous les doutes s'il pouvait en exister
-encore. La femme Lejeune fut convaincue d'avoir
-vol l'hpital Saint-Louis Pierre-Franois-Alexandre
-Richer ses parens, qui l'y
-avaient dpos. Les preuves de ce crime taient
-compltes dans l'information. La Lejeune
-d'ailleurs tait convenue du fait dans son interrogatoire;
-elle avait prtendu seulement,
-pour toute justification, que cet enfant appartenait
- Beaumann. Quant Jacob Beaumann,
-il tait devenu coupable sans se douter
-qu'il le ft; son erreur tait tout son crime.</p>
-
-<p>Par sentence du Chtelet du mois de fvrier
-1777, l'enfant fut jug tre celui du
-sieur Richer; les demandes de dommages-intrts
-formes par le sieur Richer et par Beaumann
-furent compenses, et la femme Lejeune
-fut condamne aux dpens envers toutes
-les parties.</p>
-
-<p>On a lieu, ce semble, de s'tonner de l'indulgence
-<span class="pagenum"><a id="Page_17">17</a></span>
-des juges l'gard de cette misrable
-et vile crature. La justice ne devait-elle pas
-faire tous ses efforts pour dcouvrir les vritables
-motifs qui avaient pu la pousser l'enlvement
-de l'enfant Richer? La justice ne
-devait-elle pas galement, pour rassurer la
-socit, punir svrement une femme qui n'avait
-pas craint de porter le trouble et la dsolation
-dans une famille?</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_18">18</a></span></p>
-
-<h2>SPARATION<br />
-<span class="large">DEMANDE APRS SEPT JOURS DE MARIAGE.</span></h2>
-
-<p>S'il ne s'agissait ici que d'une de ces sparations
-vulgaires dont retentissent si souvent
-les tribunaux, et qui n'offrent que des tableaux
-odieux des torts rciproques des parties,
-nous ferions grce nos lecteurs de ces
-dtails, dont la trivialit n'a rien de piquant.
-L'histoire que nous allons raconter prsente
-un spectacle tout--fait nouveau; celui d'une
-jeune personne force, par des malheurs sans
-exemples, se sparer de son mari, presque
-en quittant l'autel, tmoin de leur union et
-dpositaire de leurs mutuels sermens.</p>
-
-<p>La demoiselle C..... vivait Verneuil chez
-sa mre, veuve d'un mdecin, lorsqu'elle fut
-recherche en mariage par le sieur Guyot,
-alors vrificateur des domaines. Le sieur Guyot
-tait estim dans sa profession, et passait
-pour irrprochable sous le rapport des m&oelig;urs.
-<span class="pagenum"><a id="Page_19">19</a></span>
-Comme son emploi tait trop mdiocre pour
-faire subsister un mnage, les amis de la famille
-de la demoiselle C..... employrent leur
-crdit pour le faire lever un poste plus
-avantageux. L'emploi sollicit ayant t obtenu,
-le sieur Guyot diffra le mariage sous
-divers prtextes dont il ne rendait pas un
-compte satisfaisant; enfin la crmonie nuptiale
-fut clbre le 4 novembre 1773.</p>
-
-<p>Mais qui aurait pu le prvoir? A peine l'irrvocable
-<i>oui</i> est-il prononc, que tout--coup
-le nouvel poux parat chang, et montre un
-caractre dur et froce. Le soir, ds neuf
-heures, il arrache sa compagne aux jeux innocens
-de cette journe et la mne dans
-la chambre conjugale. L, au lieu de ces
-soins, de ces attentions tendres et dlicates
-qui font ordinairement le charme des premiers
-jours de la lune de miel, sa nouvelle
-pouse ne trouve que des outrages! Son mari
-lui soutient qu'il reconnat, des signes certains,
-qu'elle est enceinte de sept mois. Il
-ajoute cette accusation des indignits que
-l'on pourrait peine imaginer. La jeune
-dame passa la nuit dans les larmes, et le lendemain
-elle crut devoir cacher sa mre le
-<span class="pagenum"><a id="Page_20">20</a></span>
-dtail de ce qui s'tait pass. Une de ses tantes
-qui l'aimait beaucoup fut seule instruite
-des chagrins secrets de cette malheureuse
-victime.</p>
-
-<p>La seconde nuit fut aussi triste que la premire;
-le sieur Guyot continua d'clater en
-reproches outrageans pour sa jeune pouse,
-qui n'y rpondait que par des pleurs et des
-protestations d'innocence. Du reste, le jour,
-rien ne transpirait de la conduite de son mari
- son gard; elle essuyait ses larmes, et s'efforait
-de cacher sous un visage tranquille et
-riant les soucis qui dvoraient son c&oelig;ur.</p>
-
-<p>La troisime nuit fut encore plus pnible
-que les prcdentes. Les mauvais traitemens
-s'taient joints aux injures. La jeune femme
-en portait les marques; il n'tait plus possible
-de dissimuler; l'outrage tait son comble;
-elle alla dposer sa douleur dans le sein de
-sa mre.</p>
-
-<p>La dame C..... accabla son gendre de tous
-les reproches que sa tendresse pour sa fille
-put lui inspirer. Le sieur Guyot ne lui rpondit
-que par le ton de l'insulte et du mpris.</p>
-
-<p>Les nouveaux poux firent ensemble les visites
-<span class="pagenum"><a id="Page_21">21</a></span>
-d'usage. Toutes les occasions taient bonnes
-au mari pour faire sa femme de nouveaux
-outrages. Dans le cours de ces visites
-de biensance, il ne cessait de l'insulter, en
-lui demandant, lorsqu'ils rencontraient un
-homme de leur connaissance, <i>combien de
-fois elle avait couch avec lui</i>. Tantt il lui
-disait qu'<i>elle tait trop aimable pour tre sage</i>;
-tantt qu'<i>il la conduirait Paris, et qu'il la
-vendrait fort cher un Anglais, parce qu'elle
-tait jolie</i>. Conoit-on de pareils propos de
-la part d'un homme raisonnable? Ne croirait-on
-pas qu'ils partent d'un esprit alin? Ce
-serait le seul moyen de les excuser.</p>
-
-<p>Le 9 novembre, le sixime jour depuis leur
-mariage, ils partirent avec la dame C...., pour
-rendre visite la s&oelig;ur de madame Guyot,
-religieuse la Chaise-Dieu. Guyot tait toujours
-en proie ses ides noires. Sa femme
-lui ayant fait observer qu'il devait tre enfin
-convaincu qu'il avait t tromp par les signes
-auxquels il avait cru reconnatre qu'elle tait
-criminelle, cette observation le fit entrer en
-fureur; et il porta l'audace jusqu' dire sa
-belle-mre qu'elle avait, par un breuvage,
-fait violence la nature, et qu'il allait raconter
-<span class="pagenum"><a id="Page_22">22</a></span>
-toute l'histoire la communaut de la
-Chaise-Dieu. En effet, lorsqu'il fut arriv au
-monastre, sans respect pour la saintet du
-lieu, ni pour la tendresse d'une s&oelig;ur, ni pour
-la pudeur d'une jeune vierge consacre Dieu,
-il entretint la jeune religieuse, sa belle-s&oelig;ur,
-de tous les propos infmes qu'il avait imagins.</p>
-
-<p>Une fureur si marque devait, la fin, devenir
-un scandale public. Les scnes se suivaient
-de prs. Le 10 novembre, le lendemain
-du voyage la Chaise-Dieu, le sieur Guyot
-alla, avec toute la famille de sa femme et le
-sieur D...., cur de Saint-Pierre de Verneuil,
-dner chez le cur de C..... Le sieur Guyot,
-pendant le dessert, mit en question si on
-pouvait faire rompre son mariage quand on
-avait pous une fille grosse de sept mois. On
-lui rpondit que non, et qu'il tait plus prudent
-de se taire, en se rservant de faire enfermer
-sa femme le reste de ses jours. Alors
-le sieur Guyot, reprenant la parole, dit avec
-fureur: <i>Il faut donc, en ce cas, que l'un des
-deux prisse!</i> La dame Guyot, qui vit o ce
-propos tendait, laissa chapper l'expression
-nave de sa douleur: <i>C'est de moi</i>, dit-elle,
-<i>que mon mari veut parler</i>. Le sieur Morais,
-<span class="pagenum"><a id="Page_23">23</a></span>
-son aeul, qui ignorait encore ce qui s'tait
-pass, dit au sieur Guyot, avec cette chaleur
-qu'inspirent les sentimens de la nature: <i>Est-ce
-d'elle, monsieur, que vous entendez parler?</i>&mdash;<i>Oui,
-monsieur</i>, rpondit-il avec le ton de
-l'insolence. Le vieillard lui repartit, dans le
-transport d'une juste colre: <i>Vous tes un
-monstre, et vous mritez que je vous brle la
-cervelle</i>. Guyot lui rpondit, en lui prsentant
-l'estomac: <i>Tuez-moi, vous me rendrez service</i>;
-et il accompagna ces mots de juremens
-et d'imprcations.</p>
-
-<p>Les deux curs, vnrables ecclsiastiques,
-prirent Guyot l'cart, et s'efforcrent de le
-calmer par les exhortations les plus pathtiques,
-par les conseils les plus sages. Mais,
-dans sa situation dlirante, rien ne pouvait
-faire impression sur lui.</p>
-
-<p>Lorsqu'ils taient en route pour retourner
- Verneuil, Guyot ne cessa d'adresser encore
- sa femme les discours les plus indcens et
-les plus atroces.</p>
-
-<p>Le 11 novembre, la dame C...., avec toute
-sa famille et le sieur Guyot, qui semblait ne
-l'accompagner que pour lui prparer de nouveaux
-outrages, alla la terre de Boisfrancs,
-<span class="pagenum"><a id="Page_24">24</a></span>
-chez le directeur des domaines de la gnralit
-de Tours. Cet ami avait t instruit des
-sujets de profond chagrin que le sieur Guyot
-donnait sa belle-mre et sa femme. Le
-mauvais temps qui survint ne permit pas
-la dame C..... de ramener sa famille Verneuil.
-Le directeur des domaines les retint
- coucher. Avant le souper, on dansa, mais
-les sombres ides de Guyot ne lui permettaient
-pas de prendre part ces plaisirs; tout prenait
- ses yeux la teinte de sa farouche mlancolie.
-Avant de se coucher, il tira la dame
-V..... l'cart, et lui dit: <i>Ne vous tes-vous
-point aperue, madame, que ma femme est
-grosse, et que son enfant remuait dans son ventre
-pendant qu'elle dansait? J'ai lu</i>, ajouta-t-il,
-<i>dans vos yeux et dans ceux de tout le
-monde, ma honte et mon dshonneur</i>. Lorsque
-cette dame fut revenue de l'tonnement o l'avait
-jete un propos aussi trange, elle reprsenta
-au sieur Guyot l'injustice de ses soupons
-et l'indignit de sa calomnie.</p>
-
-<p>La dame V..... fit part son mari de la
-scne dont elle venait d'tre tmoin. Le sieur
-V..... alla trouver son tour Guyot, et lui
-adressa des reproches qui lui taient dicts
-<span class="pagenum"><a id="Page_25">25</a></span>
-par le zle le plus pur et l'amiti la plus dsintresse.
-Mais Guyot, l'interrompant avec fureur,
-lui dit qu'il paraissait que tout le monde
-avait form le complot de le trahir. Puis il
-se jeta avec violence sur sa femme, comme
-pour l'entraner avec lui. Le sieur V..... s'y
-opposa. Guyot tenta de l'arracher des bras
-de son dfenseur; mais le sieur V..... continua
-de repousser ses efforts, et la dame V....., prenant
-la dame Guyot par la main, la conduisit
-dans une chambre, o elle passa, avec une de
-ses s&oelig;urs, une nuit bien cruelle sans
-doute, mais du moins exempte des horreurs
-qu'elle avait prouves les nuits prcdentes.</p>
-
-<p>Cependant le sieur V..... entreprit de gurir
-l'esprit malade de Guyot par le langage de la
-modration. Vous avez eu jusqu'ici, lui dit-il,
-monsieur, de la confiance en moi; je ne vous
-ai jamais tromp, et j'ai un conseil vous
-donner; le voici: puisque vous persistez
-croire votre femme enceinte, ayez la patience
-de vivre avec elle comme frre et s&oelig;ur jusqu'au
-terme de sa grossesse prtendue. Si elle
-se trouve grosse..... je me charge de la conduire
-moi-mme au Refuge. Guyot rpondit,
-dans un transport de rage: <i>Je ne vous en
-<span class="pagenum"><a id="Page_26">26</a></span>
-donnerai pas le temps, car je la poignarderai
-moi-mme.</i></p>
-
-<p>A ces mots, le sieur V..... vit que la
-modration et les conseils de la prudence
-taient inutiles; mais il reprsenta Guyot
-qu'il y avait des lois pour punir les crimes,
-et que, pour viter d'appeler lui-mme leur
-vengeance sur sa tte, il fallait qu'il consentt
- se sparer de l'objet de son injuste haine.</p>
-
-<p>Ces mots, prononcs avec fermet, rappelrent
-Guyot des ides plus saines; il entrevit
-les suites effrayantes de ses excs, et
-consentit signer un acte de sparation tel
-qu'on voulut le dicter, et consigner l'aveu
-de ses torts dans un crit authentique.</p>
-
-<p>Cependant on mnagea, avec prudence, les
-moyens de dissiper par degrs les soupons
-injustes de Guyot. Sa malheureuse femme se
-rsigna s'aller renfermer dans le couvent
-des Ursulines d'vreux. Cette clture, volontairement
-consentie, servit mettre dans tout
-leur jour les vertus de la dame Guyot. Elle y
-mrita, tant par sa pit que par la rgularit
-de ses m&oelig;urs, un certificat trs-honorable,
-sign des suprieures des Ursulines d'vreux,
-et lgalis par l'vque de ce diocse.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_27">27</a></span>
-On croirait sans doute que d'aussi respectables
-tmoignages auraient d amener rsipiscence
-le sieur Guyot, surtout lorsque le
-terme qu'il avait assign la prtendue grossesse
-de sa femme fut pass. Point du tout;
-loin mme de tmoigner le moindre repentir,
-il demeura inbranlable dans sa haine, et ne
-prit pas la peine de la dissimuler aux parens
-et aux amis de sa femme.</p>
-
-<p>Voici ce que le sieur V..... crivit cette
-femme infortune, le 12 mai 1774: Vous
-connaissez toute la part que je prends votre
-fatale union avec un monstre ou un fou; car
-il faut opter entre les deux. Monsieur votre
-oncle a d vous dire qu'il l'avait trouv au
-mme point o nous l'avions vu aux Boisfrancs.</p>
-
-<p>La dame Guyot ayant fait sommer son mari
-d'insinuer leur acte de sparation, le procs-verbal
-de son refus constata qu'il ne donnait
- la dame Guyot d'autre titre que celui de
-fille mineure, <i>se disant sa femme, en vertu
-d'une bndiction nuptiale obreptice</i>. Cet acte
-tait du mois de novembre 1774, un an depuis
-la clbration du mariage.</p>
-
-<p>Enfin la dame Guyot, appuye de sa famille
-<span class="pagenum"><a id="Page_28">28</a></span>
-et de ses amis, fit une demande de sparation
-en forme. Sa cause fut plaide par
-M. Duvergier; et le parlement de Paris, par arrt
-rendu le 13 aot 1776, sur les conclusions
-de l'avocat-gnral d'Aguesseau, admit
-la femme faire preuve des faits articuls par
-elle; et sur l'enqute de la dame Guyot, qui
-tait concluante, la mme cour pronona sa
-sparation par arrt du 26 mai 1777.</p>
-
-<p>Il est assez difficile de se rendre compte de
-la conduite atrocement bizarre du sieur Guyot.
-On serait tent de croire qu'il n'y a qu'un
-fou qui soit capable des paroles et des actions
-qui lui sont reproches. Ne serait-ce pas,
-disait M. Duvergier, qu'ayant voulu contracter
-les liens du mariage, il n'tait pas en son
-pouvoir d'en remplir le but, et que ses dsirs
-impuissans s'tant tourns en rage, il s'est
-veng des torts de la nature sur une victime
-innocente? Il ne parat pas possible de donner
-une autre explication d'une conduite si
-trange.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_29">29</a></span></p>
-
-<h2>LA FILLE LESCOP,<br />
-<span class="large">OU LE TRIOMPHE TARDIF DE L'INNOCENCE.</span></h2>
-
-<p>Victime d'une fatale et injuste prvention,
-la fille Lescop, aprs avoir vu mourir la
-potence sa s&oelig;ur, innocente comme elle, touchait
-au moment de subir le mme sort, lorsque
-l'excuteur, mu par ses larmes et par ses
-protestations ritres, lui suggra l'ide d'annoncer
-qu'elle tait enceinte. Grce ce stratagme,
-la fille Lescop put produire des preuves
-flagrantes de sa non-culpabilit, et fit
-anantir la condamnation barbare qui l'avait
-conduite au pied de l'chafaud.</p>
-
-<p>Tel est sommairement le fond de cette histoire
-intressante. Les circonstances dont elle
-se compose n'ont pas besoin d'tre prsentes
-avec art pour produire une vive impression.</p>
-
-<p>Un vol fut commis, le 16 janvier 1773,
-dans le moulin de Castel-Pic en Bretagne.
-<span class="pagenum"><a id="Page_30">30</a></span>
-Six hommes et une femme furent les auteurs
-de ce coup. Des six hommes, cinq s'taient
-introduits dans le moulin; le sixime gardait
-la porte extrieure, et la femme tait occupe
- mettre en paquets les effets vols. Les
-dpositions du meunier et de sa femme firent
-connatre, d'une manire fixe, le nombre
-des coupables. Cependant la justice condamna
-dix personnes la peine capitale, et
-sept furent excutes. C'est faire bien peu
-de cas de la vie des hommes, que de prononcer
-ainsi des sentences de mort, avec la
-certitude de condamner des innocens. Puisque,
-d'aprs les seuls tmoins dignes de foi, les
-voleurs n'taient qu'au nombre de sept,
-pourquoi ce luxe de victimes? pourquoi en
-dsigner dix au bourreau, qui du reste, en
-cette fatale circonstance, se montra plus humain,
-plus juste que les juges?</p>
-
-<p>Sur les dpositions de Joseph Hubedas,
-meunier du moulin de Castel-Pic, on arrta
-plusieurs individus comme coupables de ce
-vol, entre autres Yves le Cun, qui fut conduit
-dans les prisons de Lesardrieux. Cet Yves
-le Cun fut reconnu, par le meunier Joseph
-<span class="pagenum"><a id="Page_31">31</a></span>
-Hubedas, pour tre celui qui l'avait saisi au
-collet, qui avait bris les armoires et emport
-l'argent.</p>
-
-<p>La femme du meunier et ses deux servantes
-dposrent aprs lui; et tous ne parlrent
-que de cinq hommes et d'une femme. N'tant
-pas sortis du moulin pendant le vol, ils
-n'avaient pu voir ce qui s'tait pass au dehors,
-o tait post le sixime voleur. Les deux
-servantes dclarrent en particulier que c'tait
-la femme qui avait donn le signal ou le
-mot du guet, en adressant l'un de ses complices
-ces mots: <i>Dpche-toi, Jolo</i>. Elles dclarrent
-aussi, l'une aprs l'autre, qu'aussitt
-qu'elles s'taient aperues que ces gens
-taient des voleurs, elles taient sorties pour
-aller se cacher dans la maison du moulin, d'o
-elles avaient entendu donner des coups de
-hache et briser les armoires; qu'ayant voulu
-rentrer au moulin, elles en avaient t empches
-par un homme inconnu qui tait auprs
-de la porte, arm d'un fusil ou d'un
-bton.</p>
-
-<p>Parmi les accuss arrts, se trouvait le
-nomm Louis Coden, qui prsenta une requte
-dans laquelle il protestait de son innocence,
-<span class="pagenum"><a id="Page_32">32</a></span>
-offrait de la prouver, et demandait
-qu'attendu l'extrme modicit de sa fortune,
-il en ft inform la diligence du procureur-fiscal.
-Mais, par sentence du 28 juin 1773,
-Louis Coden fut dbout de sa requte. Yves
-le Cun et lui furent condamns tre fltris
-d'un fer chaud et conduits la chane, pour
-y tre attachs et y servir comme forats, sur
-les galres du roi, perptuit. Le 7 juillet,
-cette sentence fut rforme; les deux accuss
-se virent condamner la potence, et le juge
-de Guingamp fut commis pour l'excution.</p>
-
-<p>Cette svrit de la justice produisit tout
- la fois des lumires bien consolantes pour
-l'humanit et des obscurits d'un effet funeste;
-des lumires bien consolantes, en ce
-qu'elles sauvrent la vie Louis Coden, innocent;
-des obscurits d'un effet funeste, en
-ce qu'il en rsulta des dlations sans nombre,
-qu'on n'eut plus le moyen de vrifier suffisamment,
-et auxquelles il fut donn beaucoup
-trop de croyance et d'autorit. Cependant
-Yves le Cun et Louis Coden taient
-incertains de leur sort. Ils avaient t conduits,
-chargs de fers, l'interrogatoire, sur
-la sellette. Pour la seconde fois, Coden subissait
-<span class="pagenum"><a id="Page_33">33</a></span>
-cette humiliation. Accabls des inquitudes
-insparables de leur situation, ils languissaient
-dans leurs cachots. Des prisonniers
-avertirent le concierge que l'un des deux,
-nomm Coden, tait innocent, et qu'ils en
-taient assurs. Le concierge fut d'avis que
-celui des deux qui tait coupable demandt
-son rapporteur. Mais le Cun, ignorant son
-jugement, ne pouvait s'y rsoudre, dans la
-crainte d'tre condamn, si, en rvlant l'innocence
-de Coden, il rvlait son propre
-crime. Sans le tirer tout--fait d'incertitude,
-le concierge crut pouvoir augmenter ses craintes
-pour l'amener confesser la vrit; et
-il lui fit dire de la dclarer, comme s'il tait
-condamn mort.</p>
-
-<p>Alors, le 12 juillet, veille du jour fix pour
-se rendre au lieu de l'excution, Yves le Cun
-demanda son rapporteur. Le prsident, auquel
-le concierge s'adressa, en l'absence du
-rapporteur, objecta que celui que l'on voulait
-dcharger tait aussi coupable que l'autre;
-que les condamns ne cherchaient qu'
-prolonger leurs jours; que trois tmoins dposaient
-contre eux <i>de visu</i>. Cependant, aprs
-avoir insist sur la prvention, la loi et l'humanit
-<span class="pagenum"><a id="Page_34">34</a></span>
-l'emportrent: le contre-ordre fut
-donn.</p>
-
-<p>Le lendemain 13, le Cun fit sa rclamation,
-sur laquelle il ne fut point rcol. Elle portait
-que, lorsque le vol se fit chez Joseph Hubedas,
-au moulin de Castel-Pic, le nomm
-Louis Coden n'y tait pas. Le 2 aot, ayant
-dj gagn au moins quinze jours par sa premire
-dclaration, il en fit une seconde, dans
-laquelle il dchargeait de nouveau Louis Coden,
-et accusait plusieurs individus non encore
-dsigns, entre autres les deux filles le
-Scan ou Lescop.</p>
-
-<p>N'ayant plus d'autre perspective que celle
-de son supplice, Yves le Cun voulait en loigner
-le moment le plus qu'il lui serait possible.
-Familiaris avec l'art des dclarations,
-et avec celui d'y rpandre de la confusion,
-il esprait embrouiller la procdure son
-avantage. Il y eut Guingamp des confrontations
-avec ceux des accuss qui purent tre
-amens devant le juge; savoir avec Yves le
-Cam, avec un Philippe Perrot, et avec Jacques
-Maillard. On fit une nouvelle information,
- la suite de laquelle il fut prononc
-un dcret de prise de corps contre plusieurs
-<span class="pagenum"><a id="Page_35">35</a></span>
-personnes dsignes dans les prtendues rvlations
-de le Cun, entre autres les deux
-filles Lescop. L'instruction tant termine,
-intervint le 24 novembre une sentence de mort
-contre Yves le Cun, contre Jacques Maillard
-et Philippe le Piven contradictoirement, et
-par contumace contre Pierre le Cam, Philippe
-Perrot et les deux s&oelig;urs Lescop. Cette
-sentence fut confirme le 13 dcembre suivant;
-et sur les conclusions du ministre public,
-il fut ordonn que le corps d'Yves le
-Cun serait expos sur le lieu o le vol avait
-t commis; il fut sursis jusqu'aprs l'excution
- faire droit sur l'appel des deux autres
-accuss prisonniers Jacques Maillard et Philippe
-le Piven.</p>
-
-<p>Cette sursance ne pouvait avoir pour objet
-que d'attendre quelque nouvelle dclaration,
-quelque testament de mort d'Yves le Cun;
-mais il n'en fit aucun. On recourut la torture.
-Jacques Maillard y fut appliqu. A peine
-enlev aux flammes, il fut subitement confront
- Philippe le Piven, auquel il soutint
-qu'il tait un de ceux qui taient entrs dans
-le moulin pour voler. Maillard, au surplus,
-convint, la question, que lui-mme tait
-<span class="pagenum"><a id="Page_36">36</a></span>
-la porte du moulin, et qu'il y tait seul.
-Aprs ce dernier aveu, Maillard fut excut,
-et son corps expos sur le lieu du crime. Le
-lendemain la condamnation de le Piven fut
-prononce.</p>
-
-<p>Une lettre du prvt gnral, en date du
-24 novembre 1773, portait l'ordre d'arrter
-plusieurs merciers souponns d'avoir vol
-l'glise de Notre-Dame de Guingamp. Sur cet
-ordre, un brigadier et deux cavaliers de marchausse
-arrtrent, le 19 mars 1774, le
-jour d'une grande foire au Faouet, plusieurs
-individus souponns d'tre des associs de
-ces voleurs. C'taient Philippe Perrot, Jean
-le Gonidec, Marie et lisabeth Lescop.</p>
-
-<p>Le 6 juin 1774, il intervint une sentence
-qui dclara ces quatre personnes atteintes et
-convaincues d'avoir t complices du vol fait
-au moulin de Castel-Pic, le 16 janvier 1773,
-et pour rparation les condamna tre pendus.
-Cette sentence fut confirme le 30 du
-mme mois. Cependant rien ne prouvait, dans
-toute cette affaire, que les filles Lescop fussent
-complices du vol du moulin de Castel-Pic.</p>
-
-<p>Le supplice des criminels est, comme on
-<span class="pagenum"><a id="Page_37">37</a></span>
-sait, un spectacle pour la multitude. Le plus
-souvent elle ignore jusqu'au titre de l'accusation,
-et ce n'est que sur la foi des juges
-qu'elle rprouve le condamn. Une nombreuse
-affluence de paysans des environs tait
-accourue pour assister au supplice de Jean le
-Gonidec, de Philippe Perrot, de Marie et lisabeth
-Lescop. Bientt des murmures et
-des frmissemens circulent dans la foule
-l'occasion du jugement de ces quatre individus
-vous la potence; on venait d'apprendre,
-et il n'tait gure possible qu'un fait de cette
-nature demeurt cach, que les deux hommes
-avaient expressment dcharg ou l'une des
-deux filles, ou mme toutes les deux; mais
-qu'on avait impitoyablement refus de recevoir
-ces testamens de mort, et que, sans y
-avoir gard, les juges avaient ordonn que la
-condamnation ft excute.</p>
-
-<p>En effet, deux des criminels, Jean le Gonidec
-et Philippe Perrot, avaient formellement
-requis le commissaire, aprs s'tre confesss,
-de recevoir et de faire rapporter
-leur testament de mort, la dcharge des
-deux s&oelig;urs, de ces deux filles non complices
-du vol commis Castel-Pic. On savait aussi
-<span class="pagenum"><a id="Page_38">38</a></span>
-que plusieurs personnes prsentes, galement
-touches du ton de vrit qui rgnait dans les
-dclarations des deux patiens, et indignes de
-la rsistance du commissaire, avaient appuy
-ces dclarations des instances les plus pressantes,
-sans que rien et pu vaincre ou mme
-branler son inflexibilit.</p>
-
-<p>On conoit aisment quelle impression devait
-produire sur les esprits cette effrayante
-opinitret. Les assistans avaient encore prsent
- leur mmoire l'exemple de Louis Coden,
-qui, frapp d'une inique condamnation,
-avait tran prs de six mois les liens les plus
-douloureux. Une secrte indignation agitait
-tous les c&oelig;urs; tous les visages taient consterns.</p>
-
-<p>Cette consternation, qui s'tait rpandue
-dans la ville, avec toute la clrit du fluide
-lectrique, se faisait remarquer jusque sur les
-traits de l'excuteur. Il venait de supplicier
-trois des condamns, le Gonidec, Perrot et
-Marie Lescop. Rebut de tant d'horreurs, il
-recule, il ne se sent pas la force d'en achever
-le cours. lisabeth Lescop, dj demi
-morte de terreur, attendait le moment fatal.
-Le bourreau, attendri la vue de cette victime,
-<span class="pagenum"><a id="Page_39">39</a></span>
-que tout lui dit tre innocente, s'approche
-d'elle, et lui conseille tout bas de dclarer
-qu'elle est enceinte. La malheureuse tait hors
-d'tat de l'entendre, encore moins de faire valoir
-cet expdient. Alors le bourreau, par un
-stratagme que lui suggrait sa sensibilit,
-s'crie assez haut pour tre entendu de tout
-le monde: Mais ce n'est pas moi, c'est
-ces messieurs qu'il faut dire que vous tes
-grosse. Et en mme temps il montrait les
-prtres et les huissiers. Ceux-ci s'approchent:
-le bourreau leur explique le fait qui doit faire
-surseoir l'excution, et lisabeth Lescop,
-aux termes de la loi, est reconduite en prison.</p>
-
-<p>Cependant cette ressource n'et pu tre
-que de courte dure, si des mes sensibles,
-touches du sort affreux d'lisabeth Lescop,
-n'eussent fait parvenir ses plaintes au pied
-du trne. Le conseil d'tat, aprs avoir pris
-connaissance du procs, en renvoya la rvision
-au parlement de Bretagne. En consquence,
-lisabeth Lescop donna sa requte
-en rvision, le 17 aot 1776, dans laquelle
-elle rclamait l'excution du testament de
-<span class="pagenum"><a id="Page_40">40</a></span>
-mort de le Gonidec et de Perrot, et protestait
-contre la conduite du rapporteur, qui avait
-si cruellement refus de le recevoir.</p>
-
-<p>Sur un nouvel examen de ce fatal procs,
-il intervint, le 15 juillet 1777, un arrt solennel
-qui dclara lisabeth Lescop innocente,
-et anantit la condamnation porte contre
-elle.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_41">41</a></span></p>
-
-<h2>REMY BARONET,<br />
-<span class="large">VICTIME DE LA PRVENTION.</span></h2>
-
-<p>Remy Baronet, n en 1717, Saint-Hilaire-le-Petit,
-diocse de Reims, tait fils d'un
-laboureur. En 1742, n'ayant pas d'tat, et
-n'tant plus en ge d'en apprendre un, il prit
-le parti de se faire domestique, et pendant
-vingt-deux ans, il servit successivement plusieurs
-matres en diffrentes villes et diffrens
-villages.</p>
-
-<p>Enfin, en 1764, s'tant rapproch de Saint-Hilaire-le-Petit,
-il fut instruit que Franoise
-Baronet, veuve de Quentin Lamort, sa s&oelig;ur
-germaine, profitant de son absence, avait
-obtenu un jugement qui l'avait mise en possession
-des biens qui appartenaient son
-frre, dans la succession de leur mre commune.</p>
-
-<p>Un des beaux-frres de Baronet, nomm
-Remy Aubert, mari de Nicole Carnot, sa
-<span class="pagenum"><a id="Page_42">42</a></span>
-s&oelig;ur utrine, se transporta au village de
-Saint-Thibaut, o il avait appris que Baronet
-demeurait; ils traitrent ensemble de la portion
-de biens qui devait lui revenir, et Baronet
-vendit son beau-frre tous ses droits
-successifs, moyennant une somme de cinq
-cents livres.</p>
-
-<p>Aubert fit signifier ce contrat la veuve
-Lamort, qui, accoutume jouir d'un bien
-dont la longue absence de son frre semblait
-lui avoir assur la proprit, ne put voir
-avec plaisir une apparition soudaine qui lui
-enlevait la jouissance dont elle s'tait fait une
-douce habitude. Elle refusa d'excuter le contrat
-qu'Aubert lui avait fait signifier, et soutint
-que ce n'tait pas son frre qui avait
-consenti cet acte de vente, mais un imposteur
-qui avait usurp son nom.</p>
-
-<p>Aubert, pour viter les soupons que pouvait
-faire natre la fable dbite par sa belle-s&oelig;ur,
-engagea Remy Baronet se rendre sur
-les lieux, pour se faire reconnatre par sa famille.
-Celui-ci se rendit avec empressement
- Saint-Hilaire, le dimanche 17 juin 1764,
-et se prsenta dans l'glise paroissiale. Il fut
-reconnu par un grand nombre d'habitans, et
-<span class="pagenum"><a id="Page_43">43</a></span>
-six d'entre eux lui en donnrent une dclaration
-qui fut reue par le notaire du lieu.</p>
-
-<p>Sur la reprsentation de cet acte de notorit,
-le juge de Saint-Hilaire, devant lequel
-les parties taient en instance, ordonna l'excution
-du contrat de vente, et dbouta la
-veuve Lamort de ses prtentions.</p>
-
-<p>Ce jugement ne fait qu'irriter la cupidit
-de la veuve Lamort; elle veut se maintenir
-dans son usurpation par tous les moyens possibles,
-interjette appel au bailliage de Reims,
-et s'inscrit en faux contre le contrat de vente.
-Elle ne s'en tient pas l; elle mdite un projet
-qui doit la dlivrer d'un frre dont la
-prsence l'importune; projet funeste dont le
-succs a sans doute surpass son esprance, et
-dont les suites ont fait le malheur de Baronet.</p>
-
-<p>Le fils d'un vigneron de la paroisse d'Avaux-le-Chteau
-tait absent depuis un grand
-nombre d'annes, sans qu'on et eu de ses
-nouvelles. Cette circonstance parut favorable
- la veuve Lamort; elle imagina de faire passer
-son frre pour le fils de ce vigneron, nomm
-Franois Babilot. Elle concerta les moyens
-d'excuter ce projet avec un sieur Roland,
-cur de la paroisse d'Avaux-le-Chteau, alli
-<span class="pagenum"><a id="Page_44">44</a></span>
-de son mari, et avec lequel elle avait toujours
-entretenu des relations. Ce cur n'hsite pas
- se prter ses vues criminelles. On engage
-Baronet se rendre chez le sieur Roland; il
-s'y rendit, sans dfiance, accompagn de Remy
-Aubert, son beau-frre.</p>
-
-<p>A peine tait-il arriv, qu'il vit entrer un
-particulier suivi bientt de six ou sept autres
-personnes. Cet individu tait Franois Babilot
-pre. Il regarde Remy Baronet avec attention,
-et s'crie qu'il le reconnat pour son
-fils. Baronet ne connaissait pas mme l'homme
-qui lui parlait ainsi; il nia hautement qu'il
-ft son pre: <i>Ce qui prouve que vous tes
-mon fils</i>, repartit Babilot, <i>c'est que vous
-devez avoir la cuisse une tache de vinaigre
-qui provient d'une dsirance de votre mre</i>.</p>
-
-<p>Baronet montre aussitt ses cuisses; on les
-examine avec soin, et l'on n'y trouve point la
-tache de vinaigre. On devait en conclure que
-ce n'tait point le fils de Babilot. Mais la vrit
-n'tait point l'objet de ces dmarches. Les
-tmoins qui avaient t appels se rpandent
-dans le village, et vont, de maison en
-maison, publier que c'tait le fils de Babilot qui
-usurpait le nom de Baronet; ils annoncent
-<span class="pagenum"><a id="Page_45">45</a></span>
-qu'il a t reconnu par son pre; mais ils
-ont soin d'omettre la circonstance qui dmentait
-cette assertion.</p>
-
-<p>Cependant Babilot, press par la force de
-la vrit, tourment par les remords de sa
-conscience, veut se rtracter; mais sa femme
-l'en empche, et la prtendue reconnaissance
-de Babilot passant de bouche en bouche,
-cette fable s'accrdite de plus en plus,
-la satisfaction de la veuve Lamort. Elle persiste
-en consquence mconnatre son frre,
-et articule que c'est Guillaume Babilot, fils
-de Franois, qui, tant de retour aprs une
-longue absence, a pris faussement le nom
-de Remy Baronet dans l'acte du 6 mai 1764.
-La cause est porte l'audience. Baronet,
-fort de son innocence, se prsente devant ses
-juges qui nanmoins, se refusant l'vidence,
-voulurent trouver un coupable, et rendirent,
-le 18 mars 1769, une sentence qui annulait
-l'acte de vente, faisait dfense Baronet de
-prendre ce nom l'avenir, et le dcrtait de
-prise de corps.</p>
-
-<p>Baronet interjette appel de ce jugement;
-cependant il est conduit dans les prisons de
-Reims, le 16 mars. Dans le mois de novembre
-<span class="pagenum"><a id="Page_46">46</a></span>
-suivant, il s'vade des prisons de Reims,
- la faveur d'un bris commis par d'autres
-prisonniers. Quelque temps aprs, il est arrt
-chez Aubert, son beau-frre, o il s'tait
-rfugi. En 1770, il est attaqu du scorbut dans
-la prison; le juge de Reims le fait transporter
- la conciergerie. Le 5 mai de la mme
-anne, il obtient un arrt qui le reoit appelant
-de la procdure extraordinaire du bailliage
-de Reims. Il passe plus d'une anne
-dans les prisons de la conciergerie. Il est
-renvoy ensuite devant les premiers juges
-pour l'instruction de son procs; on le conduit
-de nouveau dans les prisons de Reims,
-et il en sort encore, la faveur d'un second
-bris de prison. Il se retire encore chez Aubert,
-dont la maison lui avait dj servi d'asile;
-il y est arrt de nouveau, et ramen
-dans les prisons de Reims.</p>
-
-<p>On s'occupe alors d'instruire le procs;
-mais, au lieu de procder une nouvelle
-audition de tmoins, on se contente de les
-rcoler et de les confronter. Vainement Baronet
-demanda une addition d'information
-et l'audition d'un certain nombre de tmoins
-qu'il dsignait; on lui refusa tout; et le bailliage
-<span class="pagenum"><a id="Page_47">47</a></span>
-de Reims rendit, le 29 octobre 1773,
-sa sentence dfinitive, qui condamna l'accus,
-sous le nom de Guillaume Babilot,
-faire amende honorable, nu en chemise,
-ayant la corde au cou, et une torche la
-main, et tre conduit par l'excuteur de la
-haute justice, ayant criteau devant et derrire,
-et portant ces mots: <i>Faussaire, spoliateur
-de succession sous un nom suppos</i>.
-Baronet devait tre ensuite fltri, marqu, et
-conduit aux galres pour y servir perptuit.</p>
-
-<p>Il prsenta une requte d'attnuation,
-demandant avec instance une addition d'informations.
-Mais on n'eut aucun gard
-la requte de l'accus. Un jugement du 14
-janvier 1774 confirma la sentence des premiers
-juges. Baronet fut de nouveau charg
-de fers, et conduit dans les prisons de Reims.</p>
-
-<p>Le jour marqu pour l'excution tant arriv,
-il est livr entre les mains du bourreau.
-Nu, en chemise, la corde au cou, on le trane
-au milieu du peuple, que la curiosit rassemble,
-devant le tribunal, o il est condamn
-faire amende honorable. L on le contraint
-de dclarer que, faussement et malicieusement,
-<span class="pagenum"><a id="Page_48">48</a></span>
-il a quitt son nom de Babilot pour
-prendre celui de Baronet, et d'en demander
-pardon Dieu, au roi et la justice. Son me
-indigne se rvolte contre ces derniers mots;
-il se refuse demander pardon la justice.
-Alors l'excuteur, soit qu'il et reu des ordres,
-soit de son propre mouvement, redouble
-de frocit, et lui enfonce la marque brlante
-jusque sur l'os.</p>
-
-<p>On reconduit ce malheureux dans les prisons,
-fltri par la main du bourreau, dgrad
-du rang de citoyen. Le jour du dpart pour
-la chane arrive; le sieur Prevots, capitaine
-des chanes, conduit Baronet Paris, et le dpose
- la tour Saint-Bernard, o il est crou
-sous le nom de Guillaume Babilot.</p>
-
-<p>Ce Guillaume Babilot, que l'on avait condamn
-et fltri dans la personne de Remy
-Baronet, avait une s&oelig;ur nomme Laurence,
-domestique Paris, et qui tait son ane. Cette
-fille apprend que son frre est la tour Saint-Bernard:
-elle s'y rend. Le concierge, sa
-femme et plusieurs autres personnes qui dnaient
-chez lui, furent prsens l'entrevue
-de Laurence et de Baronet. Le concierge lui
-demanda si cette femme tait de sa famille ou
-<span class="pagenum"><a id="Page_49">49</a></span>
-de celle de Babilot; il rpondit qu'il ne la connaissait
-pas. Laurence, interroge sur le mme
-point par le concierge, rpondit d'un ton
-ferme et assur: Je ne connais point cet
-homme-ci, il n'a aucune ressemblance avec
-mon frre; mon frre n'tait pas bossu, il
-tait, au contraire, bien fait. Je ne puis que
-plaindre cet homme-ci: <i>on a condamn un
-innocent</i>, et la condamnation n'a pas de sens
-commun.</p>
-
-<p>Cependant Baronet est conduit aux galres,
-et il est confondu avec les sclrats qu'on y
-tient enchans. Il partage pendant plus de
-deux ans leurs travaux, leur misre et leur
-infamie. Enfin des hommes vertueux et sensibles
-s'attendrissent sur son sort. Pntrs
-de son innocence, ils portent sa rclamation
-au pied du trne. Par suite de cette dmarche,
-la rvision du procs fut attribue au
-parlement de Paris.</p>
-
-<p>Baronet est dtach de la chane, et amen
- la Conciergerie. Des larmes de joie coulent
-de ses yeux; il bnit le ciel, qui lui permet
-enfin de faire clater son innocence.</p>
-
-<p>Par arrt du parlement de Paris, rendu le
-26 aot 1778, Remy Baronet fut dcharg
-<span class="pagenum"><a id="Page_50">50</a></span>
-des plaintes et accusations intentes contre
-lui et des condamnations portes par la sentence
-du bailliage de Reims, qu'il a subies
-sous le nom de Guillaume Babilot. Cet arrt
-lui rendit son nom et ses droits de citoyen,
-qu'une injuste condamnation lui avait ravis.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_51">51</a></span></p>
-
-<h2>PIERRE BELLEFAYE,<br />
-<span class="large">FRATRICIDE.</span></h2>
-
-<p>Aprs le parricide, le fratricide est, sans
-doute, le forfait le plus odieux. Qui de nous
-n'a frmi en lisant, ds l'enfance, l'histoire
-du premier meurtre commis sur la terre,
-l'assassinat d'Abel par le farouche Can? Comment
-peut-il se rencontrer des monstres assez
-barbares pour tremper leurs mains dans
-le sang de ceux auxquels ils sont unis par les
-plus doux liens de la nature?</p>
-
-<p>Un jeune laboureur des environs d'Angoulme,
-nomm Pierre Bellefaye, dsirait augmenter
-son bien en pousant une jeune fille
-de son village, nomme Boutelaud. Cette fille
-avait un frre qui, peu de temps aprs son
-mariage, eut des dmls d'intrt avec son
-mari. Ce dernier fit, dit-on, des menaces
-son beau-frre. Enfin ils vivaient en trs-mauvaise
-intelligence. L'animosit venait surtout
-<span class="pagenum"><a id="Page_52">52</a></span>
-de la part de Bellefaye; il avait vou
-une haine mortelle Boutelaud. Celui-ci savait
-bien qu'il n'tait pas aim de son beau-frre;
-mais il tait loin d'imaginer que cette
-haine pt aller jusqu' vouloir lui arracher
-la vie.</p>
-
-<p>Un jour, sur les trois heures aprs midi, il
-entre dans la maison de Bellefaye, qui s'y trouvait
-avec sa femme. Ds que celui-ci aperoit
-Boutelaud chez lui, il va fermer la porte au
-verrou, et dans l'instant mme se saisit d'un
-gros bton, dont il porte un coup terrible
-son beau-frre. Il parat que la s&oelig;ur de ce
-dernier voulut empcher son mari de porter
-de nouveaux coups; mais on dit que cette
-jeune femme, effraye par les horribles menaces
-de son mari, fut oblige d'tre tmoin
-de cette scne pouvantable. Bellefaye, furieux,
-terrasse son beau-frre, et redouble ses
-coups jusqu' ce qu'il lui ait donn la mort.
-A chaque coup l'infortun Boutelaud criait:
-<i>Mon frre, laissez-moi la vie! mon ami, ne
-me tuez pas! de grce, mon ami, mon frre,
-accordez-moi la vie!</i> Ces cris, ces touchantes
-prires, n'avaient fait qu'augmenter la rage de
-cet homme altr de sang, rage qui ne fut
-<span class="pagenum"><a id="Page_53">53</a></span>
-assouvie que lorsqu'il vit sa victime, sans
-mouvement, ses pieds.</p>
-
-<p>Le crime consomm, Bellefaye ordonna
-sa femme d'aller dans le village, et de dire aux
-voisins que son mari avait battu son frre, et
-que ce dernier tait all rendre plainte au
-procureur fiscal. Ce stratagme grossier servit
- faire dcouvrir plus tt le forfait de Bellefaye.</p>
-
-<p>Pendant que sa femme s'acquittait de la
-commission, Bellefaye avait transport le cadavre
-de son beau-frre dans une chambre
-voisine, dont il ferma la porte. Quand sa
-femme fut de retour, il lui dfendit de montrer
-aucun chagrin, sous peine de subir le
-mme sort que son frre, s'il lui chappait la
-moindre indiscrtion.</p>
-
-<p>Au milieu de la nuit, Bellefaye se saisit
-d'une hache, et entra dans la chambre o gisait
-le cadavre; sa femme tait couche, il
-lui fit dfense de sortir de son lit. Quelques
-minutes aprs, elle l'entendit frapper des
-coups redoubls: le monstre dpeait son
-malheureux beau-frre. Quand il eut fini cette
-abominable opration, il revint se mettre
-au lit.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_54">54</a></span>
-Le lendemain, il vaqua ses travaux ordinaires;
-au milieu de la nuit suivante, il se releva,
-et, ayant allum un grand feu, il passa
-plusieurs heures brler les morceaux du
-cadavre; trois nuits furent employes
-anantir ainsi les traces du forfait.</p>
-
-<p>Cependant les voisins de Bellefaye se plaignirent
-d'avoir t incommods, pendant ces
-trois nuits, par une odeur insupportable. Les
-cris qu'ils avaient entendus, la disparition de
-Boutelaud, le trouble mal dissimul de sa
-s&oelig;ur, donnrent lieu de vhmens soupons,
-et appelrent l'attention et les recherches
-de la justice. Des ossemens humains
-trouvs dans des pierres et dans du fumier
-ne permirent plus de douter que Bellefaye
-n'et assassin son beau-frre. Il fut arrt,
-ainsi que sa femme. Plusieurs tmoins dposrent
-qu'ils avaient reconnu la voix de Boutelaud,
-qui criait son beau-frre: <i>Mon ami,
-mon frre, laissez-moi la vie!</i></p>
-
-<p>Ces dpositions runies avec le corps du
-dlit, constat par les ossemens qu'on avait
-trouvs, taient suffisantes pour convaincre
-Bellefaye de l'assassinat de son beau-frre.
-Mais ce monstre osa nier sa culpabilit, et
-<span class="pagenum"><a id="Page_55">55</a></span>
-soutint, avec une audacieuse sclratesse, que
-les tmoins taient des imposteurs.</p>
-
-<p>Tandis qu'il dsavouait ainsi son crime, et
-qu'il prtendait n'avoir jamais eu de dml
-avec son beau-frre, sa jeune femme rendait
-hommage la vrit, dvoilait toutes les circonstances
-de l'assassinat, et dtaillait toutes
-les prcautions prises par le meurtrier pour
-cacher son crime.</p>
-
-<p>Malgr cette dclaration, qui aurait d le
-confondre, Bellefaye persista toujours nier.
-Sur la demande qu'on lui fit s'il n'avait pas
-de complices, il rpondit qu'o il n'y avait
-pas de crime il ne pouvait y avoir de complices.</p>
-
-<p>Par sentence du 17 avril 1779, que rendirent
-les premiers juges, Bellefaye fut condamn
-tre rompu vif et expirer sur la roue. Mais
-le parlement de Paris, par arrt du 26 juin,
-le condamna tre rompu vif et tre jet
-dans un bcher ardent; ce qui fut excut.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_56">56</a></span></p>
-
-<h2>QUENTIN BEAUDOUIN,<br />
-<span class="large">ASSASSIN DE SA FEMME.</span></h2>
-
-<p>Quentin Beaudouin s'tait fix, l'ge de
-quarante ans, dans une paroisse voisine de
-Clermont en Beauvoisis. Cet homme avait les
-inclinations les plus vicieuses, et surtout un
-penchant marqu pour le vol.</p>
-
-<p>Aprs avoir pass quelque temps dans sa
-nouvelle rsidence, Beaudouin s'y maria avec
-une fille du mme village, aussi pauvre que
-lui, et n'ayant d'autre ressource que le travail
-de ses mains. Il parat que cette femme tait
-ne avec un de ces caractres faibles qui prennent
-toutes les impressions qu'on veut leur
-donner. Comme elle tait attache son mari,
-il fut facile celui-ci de la faire entrer dans
-tous ses gots.</p>
-
-<p>Cette malheureuse qui, avec un poux
-honnte aurait t vertueuse, devint criminelle
-<span class="pagenum"><a id="Page_57">57</a></span>
-avec Beaudouin. Cet homme tait connu
-dans tout le canton pour tre un voleur de
-profession, et aussitt que quelqu'un se plaignait
-de quelque larcin, on accusait Beaudouin
-d'en tre l'auteur, et rarement ce jugement
-tait hasard.</p>
-
-<p>Un jour il fut accus d'avoir vol un mouton;
-on fit perquisition: la peau de cet animal
-fut trouve chez lui. Sur une telle pice
-de conviction, sa femme, interroge par les
-cavaliers de marchausse, leur avoua ingnument
-qu'elle avait mang la chair du
-mouton avec son mari. Cet aveu rendit Beaudouin
-furieux. Sa femme, pour l'apaiser,
-voulut l'embrasser; mais il la repoussa rudement,
-lui annonant, par ses regards foudroyans,
-qu'il la ferait repentir de sa navet.</p>
-
-<p>On se saisit des deux poux, et ils furent
-conduits, chargs de chanes, dans les prisons
-de la ville voisine. La femme, par bont
-d'me, demanda la permission d'habiter le
-mme cachot que son mari; elle croyait par
-sa prsence lui rendre moins pnibles les ennuis
-de sa captivit. L'infortune tait loin de
-s'imaginer qu'elle y recevrait la mort des
-mains mme de celui qu'elle voulait consoler.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_58">58</a></span>
-Beaudouin et sa femme passrent le reste
-de la journe sans que le gelier entendt le
-moindre bruit dans le cachot o ils taient
-enferms. Le soir, l'heure de la visite des
-prisonniers, le gelier demanda Beaudouin
-s'il avait besoin de quelque chose. Beaudouin
-rpondit qu'il n'avait besoin de rien. Il tait
-alors dix heures du soir. Ce sclrat, qui avait
-conu le projet abominable de punir sa malheureuse
-femme, et de l'immoler la haine
-que lui avait inspire l'aveu qu'elle avait fait
- la marchausse, trouva le moment favorable.
-Lorsqu'il eut entendu refermer les portes,
-il s'approcha de sa compagne et lui passa autour
-du cou le cordon de son tablier, qu'il
-serra avec un clat de bois qui lui servait de
-tourniquet. Il parvint ainsi trangler cette
-malheureuse, et passa le reste de la nuit auprs
-de son cadavre.</p>
-
-<p>A quatre heures du matin, il appela
-grands cris le gelier, et lui dit, en feignant
-de verser des larmes, <i>que sa pauvre femme
-tait morte pendant la nuit</i>.</p>
-
-<p>Le gelier fit avertir les cavaliers de marchausse;
-et, lorsqu'ils furent arrivs, le cachot
-fut ouvert. On y trouva la femme de
-<span class="pagenum"><a id="Page_59">59</a></span>
-Beaudouin tendue dans un coin, ayant encore
-au cou le fatal cordon qui avait servi
-lui donner la mort. Le juge et les chirurgiens
-dressrent aussitt un procs-verbal qui constatait
-le genre de mort.</p>
-
-<p>Le ministre public rendit plainte en assassinat
-contre Beaudouin. On reut la dposition
-du gelier, et l'on procda l'interrogatoire
-de l'accus.</p>
-
-<p>Quelques-unes de ses rponses doivent tre
-relates ici pour qu'on puisse juger de l'atrocit
-de cet homme sanguinaire.</p>
-
-<p>Le juge lui ayant demand s'il n'avait pas
-repouss sa femme avec fureur lorsqu'elle
-avait voulu l'embrasser avant d'tre conduits
-en prison, il rpondit qu'il n'avait pas voulu
-l'embrasser, parce qu'il la connaissait <i>trop
-tendre</i>, et qu'il craignait qu'elle ne se mt
-pleurer. Interrog s'il ne l'avait pas trangle
-dans le cachot: C'est elle-mme qui s'est
-trangle, rpondit-il. Quand on lui eut
-prouv que la chose tait impossible, il dclara
-qu'ils avaient form de concert le projet
-de s'trangler; que sa femme y avait russi,
-mais que lui, aprs une demi-heure de tentatives
-inutiles, il s'tait endormi, et que ce
-<span class="pagenum"><a id="Page_60">60</a></span>
-n'tait qu' la pointe du jour qu'il s'tait
-aperu que sa femme tait morte.</p>
-
-<p>On lui fit observer qu'il en imposait, puisqu'il
-avait dit au gelier que sa femme tait
-morte subitement. Il rpondit qu'il n'avait
-pas voulu alors confesser la vrit. Dans sa
-dfense, qui prouvait l'audace la plus rvoltante,
-il tombait dans des contradictions
-plus choquantes les unes que les autres.</p>
-
-<p>Tout offrait en lui un monstre digne du
-supplice rserv aux plus insignes sclrats.
-Aussi, par sentence du bailliage de Clermont,
-Beaudouin fut condamn tre rompu vif et
- expirer sur la roue. Sur son appel, le parlement,
-par arrt du 23 septembre 1779, le
-condamna tre rompu vif, et son corps,
-aprs avoir t expos sur la roue, tre jet
-au feu.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_61">61</a></span></p>
-
-<h2>CHARLOTTE PLAIX.</h2>
-
-<p>Le 16 aot 1779, le procureur-fiscal de la
-chtellenie de Brassac reprsenta au juge du
-lieu que le mme jour le bruit public lui avait
-appris qu'tienne Merle, vitrier, avait t assassin,
-dans sa maison, pendant la nuit du
-13 au 14 du mme mois; que cependant sa
-femme, son fils et sa servante, n'avaient pas
-quitt sa maison. Il ajouta que le mme jour,
-16 aot, le cadavre de Merle avait t trouv
-dans une valle situe dans la mme juridiction.</p>
-
-<p>Aussitt on se transporta dans la maison
-du dfunt; toutes les portes en taient ouvertes;
-on trouva des traces nombreuses de
-sang rpandu dans la chambre coucher,
-surtout autour du lit, et dans le lit mme.</p>
-
-<p>Les voisins, assembls la porte, prvinrent
-les officiers de justice que la veuve, le
-fils et la servante de Merle, avaient pass
-<span class="pagenum"><a id="Page_62">62</a></span>
-la journe du 15 dans la maison; que la mre
-et l'enfant avaient disparu; mais qu'lisabeth
-Phlut, leur servante, tait dans la maison de
-son pre. Cette dernire fut arrte, et conduite
-dans les prisons de Brassac.</p>
-
-<p>Les officiers de justice se transportrent
-sur-le-champ au lieu o l'on avait trouv le
-cadavre. Deux chirurgiens, appels pour l'examen
-du corps, dclarrent que le dfunt avait
-reu quelques coups de couteau, avait t
-frapp d'un instrument contondant, et que
-finalement il tait mort trangl.</p>
-
-<p>Aprs avoir ainsi constat le corps du dlit,
-la procdure fut envoye au juge royal de
-Riom sur le rquisitoire du procureur du
-roi, et l'on continua l'instruction dans ce tribunal.</p>
-
-<p>Il rsulta de cette instruction et des aveux
-de Charlotte Plaix, veuve d'tienne Merle,
-que cette femme ayant depuis long-temps des
-liaisons adultres avec un voiturier du canton,
-elle avait conu l'ide d'ter la vie son mari;
-mais qu'elle ne s'tait dtermine cette action
-criminelle que par suite des mauvais traitemens
-de Merle, qui l'avait mme menace
-plusieurs fois de lui donner un coup de couteau.
-<span class="pagenum"><a id="Page_63">63</a></span>
-Elle rapporta qu'aux dernires ftes de
-la Pentecte (1779), paraissant dtermin
-l'assassiner, il lui avait fait faire son acte de
-contrition; et elle ne savait, disait-elle, ce
-qui lui serait arriv, si son fils, g de neuf
-ans, n'tait survenu.</p>
-
-<p>Charlotte Plaix prit en consquence le parti
-de prvenir les desseins de son mari; elle communiqua
-sa rsolution lisabeth Phlut, sa
-servante, gardant nanmoins le silence sur les
-mauvais traitemens qu'elle prouvait de la
-part de son mari. Cette fille, confidente des
-amours de sa matresse, crut sans doute que
-celle-ci ne voulait faire prir son mari que
-pour se dbarrasser d'un argus incommode
-qui la gnait dans ses plaisirs; et il y a apparence
-que c'tait la vritable cause de l'assassinat.</p>
-
-<p>Quoi qu'il en soit, quand la femme Merle
-dit cette fille que, si elle pouvait se dfaire
-de son mari, elle le hasarderait: Ayez quelqu'un
- votre disposition, lui dit la Phlut, je
-me fais fort de l'amener hors d'ici, et vous
-pourrez le faire tuer.</p>
-
-<p>La mort de Merle ainsi rsolue entre ces
-deux misrables, il ne s'agissait que de trouver
-<span class="pagenum"><a id="Page_64">64</a></span>
-le moyen le plus sr. Elles s'arrtrent
-l'empoisonnement, et n'prouvrent, pour
-l'excution du forfait, que l'embarras du
-choix du poison.</p>
-
-<p>Le vert-de-gris fut le premier qui se prsenta
- leur pense. Elles en mirent, deux
-reprises diffrentes, dans la soupe de Merle,
-qui n'en prouva d'autre effet qu'un vomissement.
-Voyant l'inefficacit du vert-de-gris,
-Charlotte Plaix y substitua de l'mtique. La
-matresse en donna deux doses ordinaires
-sa servante pour les dlayer ensemble et les
-administrer son mari. Mais la Phlut ne dlaya
-pas tout, et le coup fut manqu. Sur les
-reproches qu'elle reut de sa matresse, elle
-offrit de recommencer; mais cette Mde s'y
-opposa, et crut devoir prendre d'autres mesures.</p>
-
-<p>Elle envoya la Phlut Brioude pour y faire
-emplette d'eau forte. Celle-ci, se trouvant
-la ville, songea l'arsenic; mais ne trouvant
-aucun marchand qui voult lui en vendre,
- cause de la rigueur des lois sur le dbit
-de cette drogue dangereuse, elle fut oblige
-de s'en tenir l'eau forte.</p>
-
-<p>De retour la maison, elle mit un peu
-<span class="pagenum"><a id="Page_65">65</a></span>
-d'arsenic dans de l'eau tide: la matresse
-flaira ce mlange, et craignant que l'odeur,
-dont elle fut frappe, ne ft un avertissement
-pour Merle, elle jeta le tout. On prpara
-un second essai dans lequel entrait moins
-d'eau-forte; mais on craignit encore que l'odeur
-ne rvlt le crime. On crut que le vin
-pourrait la corriger; mais cette odeur dominait
-toujours, et la femme n'eut pas l'audace
-de prsenter le vase son mari. On laissa seulement
-la bouteille la porte de Merle, dans
-l'espoir que la couleur du vin le tenterait, et
-qu'il s'empoisonnerait lui-mme. Il parat que
-cette tentative fut galement sans succs.</p>
-
-<p>Voyant qu'elles avaient puis vainement
-tous les moyens d'empoisonnement, ces deux
-monstres prirent le parti de recourir la violence,
-et d'trangler l'infortun Merle. Elles
-ne purent comploter cet attentat l'insu du
-jeune fils de la maison, qui tait g de neuf
-ans. D'ailleurs il tait impossible de l'excuter
-sans qu'il en ft tmoin. Il pria, il conjura sa
-mre de ne pas faire mourir son pre; il fora
-mme la Phlut de sortir de la maison; la menaant,
-si elle y restait, d'avertir son pre.
-Mais ces deux abominables femmes ne voulaient
-<span class="pagenum"><a id="Page_66">66</a></span>
-pas renoncer leur projet. Je m'en
-irai, dit la mre son fils, si tu ne veux pas me
-laisser faire, et te laisserai seul avec ton pre,
-qui ne prendra aucun soin de toi. L'enfant,
-effray par cette menace d'abandon, se rsigna
- la criminelle volont de sa mre. Alors
-on ne s'occupa plus que de l'excution du
-complot.</p>
-
-<p>La nuit du 13 au 14 aot 1779 fut choisie
-pour consommer le forfait sans retour. Les
-deux coupables, avec une tarire, firent au
-plancher de la chambre un trou qui rpondait
- la chambre du rez-de-chausse. Cette
-prcaution prise, la femme se coucha auprs
-de son mari, et quand elle fut bien assure
-qu'il tait endormi, elle lui passa au cou une
-corde dont elle s'tait munie, au bout de laquelle
-tait attach un fil d'archal, qui fut
-introduit par le trou prpar. La femme Merle
-devait tousser pour avertir la Phlut du moment
-favorable. Au signal convenu, celle-ci
-prit le fil d'archal et le bout de la corde, et
-les tira de toutes ses forces. Le malheureux
-Merle ne donna d'autre signe de vie que de
-lever deux fois les mains en disant: <i>Que voulez-vous
-me faire?</i></p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_67">67</a></span>
-Pendant cette abominable scne, la mre
-ordonna son fils de descendre, et quand il
-fut dans la chambre du rez-de-chausse, la
-Phlut, occupe tirer la corde, eut l'atrocit
-d'obliger cet enfant de la tirer aussi, de crainte
-qu'il ne lui reprocht ce crime un jour.</p>
-
-<p>Cependant la femme, reste spectatrice du
-meurtre de son mari, se sentit, d'aprs ce
-qu'elle rpondit dans ses interrogatoires,
-presque vaincue par un mouvement d'humanit,
-et aurait dsir que sa complice n'et
-pas tir la corde avec tant de constance. Mais
-rflchissant aussitt qu'elle tait perdue si
-son mari en revenait, elle descendit, tira aussi
-la corde, puis l'attacha au pilier d'un buffet.</p>
-
-<p>Quand ces deux furies furent bien assures
-que Merle tait mort, elles passrent le reste
-de la nuit dans la chambre basse avec l'enfant.
-Le cadavre resta deux jours et une nuit
-sur le lit, et sous les yeux de celles qui l'avaient
-trangl. Il parat que ces misrables
-taient embarrasses sur le choix de ceux
-qu'elles chargeraient de transporter ce corps
-dans un autre lieu. Enfin dans la nuit du 14
-au 15 aot, les nomms Benot Virat et Franois
-Perrin, dit Saint-Just, jardinier du chteau,
-<span class="pagenum"><a id="Page_68">68</a></span>
-prtrent ou plutt vendirent leur ministre.
-Ils mirent le mort sur un cheval dans
-l'intention de les prcipiter l'un et l'autre dans
-un puits de mine charbon. Les chiens, gardiens
-des maisons situes sur la route que
-suivait cet abominable cortge, excits par
-le bruit, se mirent aboyer; le cheval effray
-prit le galop; l'enfant qui tenait la bride
-fut oblig de la lcher, et le cadavre tomba.
-La Phlut prit alors la fuite. La veuve et ses
-deux aides firent des efforts inutiles pour remettre
-le cadavre sur le cheval; n'ayant pu y
-parvenir, ils prirent tous la fuite, laissant le
-dfunt dans l'endroit o il fut trouv le lendemain.</p>
-
-<p>La retraite de Charlotte Plaix fut bientt
-dcouverte, et on lui fit son procs ainsi qu'
-sa servante. Par sentence rendue en la snchausse
-de Riom, le 1<sup>er</sup> septembre 1781,
-Charlotte Plaix, veuve Merle, et lisabeth
-Phlut, furent condamnes faire amende
-honorable devant l'glise paroissiale de Saint-Amable
-de Riom; ensuite tre conduites en
-une des places publiques pour y tre pendues,
-et le corps de la veuve Merle jet au
-feu, rduit en cendres, et les cendres jetes
-<span class="pagenum"><a id="Page_69">69</a></span>
-au vent; le tout aprs avoir subi la question
-ordinaire et extraordinaire. Jean Baptiste
-Merle, ce jeune enfant de neuf ans, que sa
-mre avait forc d'tre son complice, fut
-condamn tre renferm dans une maison
-de force perptuit. Tous les biens de ces
-trois coupables furent dclars confisqus;
-quant Virat et Saint-Just, ils s'taient soustraits
-aux poursuites de la justice.</p>
-
-<p>Le procureur-gnral interjeta appel <i>a minima</i>
-de cette sentence, et par arrt du 29
-janvier 1782, Charlotte Plaix fut condamne
- l'amende honorable, avec un criteau portant:
-<i>Femme qui a empoisonn son mari et l'a
-trangl pendant son sommeil</i>, avoir le poing
-coup par l'excuteur de la haute justice, et
- tre ensuite brle vive aprs avoir t applique
- la question.</p>
-
-<p>La Phlut ne fut dfinitivement juge que
-le 20 juin suivant; elle fut condamne l'amende
-honorable, tre pendue, et son corps
-jet au feu.</p>
-
-<p>Ainsi finit ce drame abominablement atroce,
-o l'on voit une femme adultre, non
-seulement assassiner son mari, mais encore
-<span class="pagenum"><a id="Page_70">70</a></span>
-contraindre un jeune enfant, dans l'ge de
-la candeur et de l'innocence, devenir un
-des instrumens du meurtre de son pre! Nous
-avons abrg le plus possible les dtails dgotans
-de ce forfait, afin de mnager la sensibilit
-de nos lecteurs, et aussi la ntre.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_71">71</a></span></p>
-
-<h2>LE MAON CAHUZAC,<br />
-<span class="large">PENDU INJUSTEMENT.</span></h2>
-
-<p>Le magistrat appel prononcer sur la
-vie d'un citoyen ne saurait trop se tenir en
-garde contre la prvention et les indices
-trompeurs qui peuvent lui faire condamner
-un innocent. Que de malheurs arrivs par
-suite de la trop grande prcipitation des juges!
-que de sang innocent vers! que de familles
-plonges indment dans la misre,
-dans le deuil et dans l'opprobre!</p>
-
-<p>Pierre Cahuzac exerait le mtier de maon
- Toulouse. Il avait pous, le 6 fvrier
-1769, Jeanne-Raymonde Bigorre, qui l'avait
-rendu pre de deux enfans. Sa bonne conduite,
-la douceur de ses m&oelig;urs et sa probit,
-lui concilirent l'estime de tous les habitans
-du faubourg Saint-Cyprien, o il tait domicili
-depuis 1764. Une cruelle fatalit devait
-<span class="pagenum"><a id="Page_72">72</a></span>
-bientt venir l'arracher du sein du bonheur
-dont il jouissait, et le traner au gibet.</p>
-
-<p>Dans la nuit du 24 au 25 janvier 1776, le
-sieur Belloc, ancien marchand de Toulouse,
-sa femme et sa servante, furent assaillis, dans
-leur maison, situe rue Malconsinat, par un
-inconnu qui fit d'inutiles efforts pour les
-assassiner.</p>
-
-<p>Au premier cri de la servante, accourut
-le sieur Louron, commandant de la patrouille
-bourgeoise, qui s'empara de la porte d'entre,
-o il plaa quatre fusiliers. Il monta ensuite
-dans l'appartement d'o taient partis
-les cris, et ayant demand quel tait l'auteur
-des excs dont on se plaignait, la femme
-Belloc rpondit qu'elle venait d'tre maltraite,
-ainsi que son mari et sa servante, par un
-homme eux inconnu, qui, aprs avoir forc
-la porte de leur appartement, y tait entr,
-et les avait maltraits coups de bton. L'assassin
-s'tait donc vad aux premiers cris,
-et n'avait pu tre reconnu de personne.</p>
-
-<p>Mais quand la premire frayeur fut dissipe,
-les Belloc et leur servante se livrrent
-aux conjectures. Ils passrent en revue toutes
-les personnes qui frquentaient leur maison,
-<span class="pagenum"><a id="Page_73">73</a></span>
-et qui pouvaient en connatre les tres. Pierre
-Cahuzac avait travaill pour M. Belloc depuis
-quelques mois; il y avait mme eu entre eux
-quelques discussions au sujet du paiement.
-Ds que le nom de ce malheureux homme et
-t prononc, la dame Belloc et sa servante
-s'y attachrent: nul doute, selon elles, que
-Cahuzac ne ft l'assassin; et sa perte fut
-rsolue.</p>
-
-<p>Pierre Cahuzac fut dnonc ds le lendemain
-matin, et sur-le-champ, sans information,
-sans dcret pralable, il fut enlev de
-sa maison, conduit l'Htel-de-ville, et jet
-dans les fers. Le procureur du roi prsenta
-aux capitouls une requte en plainte dirige
-contre Cahuzac, dont il n'aurait pas certainement
-devin le nom, sans la dnonciation
-des Belloc. Ainsi le pauvre maon fut directement
-accus par le procureur du roi,
-sur la dposition de ces mmes Belloc qui,
-la nuit mme de l'vnement, dans un moment
-de vrit, avaient dclar qu'ils avaient
-t maltraits par un homme <i> eux inconnu</i>.</p>
-
-<p>Les capitouls ordonnrent une information
-qui fut commence le 26 janvier 1776.
-<span class="pagenum"><a id="Page_74">74</a></span>
-Ceux qui avaient fait la dnonciation furent
-encore les tmoins entendus. Pierre Cahuzac
-appela plusieurs tmoins pour faire prouver
-son <i>alibi</i>.</p>
-
-<p>Mais la destine de Cahuzac tait de mourir
-sur un chafaud. Il fut condamn au dernier
-supplice par les capitouls, le 9 fvrier
-1776. Ce jugement fut confirm par arrt
-du 15 du mme mois, et excut le mme
-jour.</p>
-
-<p>Ainsi prit Cahuzac, l'ge de vingt-huit
-ans, en protestant de son innocence jusqu'au
-dernier soupir. En effet, l'excuteur de la
-haute-justice ayant demand, suivant l'usage,
-des prires pour le patient: <i>Dites donc pour
-l'innocent</i>, dit Cahuzac, et ce furent ses dernires
-paroles.</p>
-
-<p>Cette mort infme livra la misre et la
-dsolation la famille infortune de Cahuzac,
-qui ne subsistait que de son travail. Jean
-Cahuzac suivit de prs son fils; la douleur
-le dlivra bientt de l'horreur de lui survivre.
-Sa mre, sa veuve et ses enfans s'abreuvaient
-de larmes, et se croyaient condamns n'oser
-plus prononcer le nom du pre et de l'poux
-<span class="pagenum"><a id="Page_75">75</a></span>
-qu'ils avaient perdu, lorsqu'un vnement
-providentiel vint leur donner tout--coup
-l'esprance de venger sa mmoire.</p>
-
-<p>Dans le mois d'aot 1776, parut, dans le
-lieu de Bouloc, cinq lieues de Toulouse, un
-sclrat, appel Michel Robert, btard, domestique
-de M<sup>e</sup> Costes, procureur. Il s'introduisit
-en plein jour dans la maison de la dame
-d'Aubuisson, et lui cassa la tte coups de
-bche. Ce sclrat ne fut pas plus tt arrt
-qu'il avoua son crime: il avoua, en mme
-temps, quelques vols dont il s'tait rendu
-coupable, et dclara, de son propre mouvement,
-qu'il tait l'auteur, et le seul auteur
-de l'assassinat tent la nuit du 24 au 25 janvier
-prcdent, dans la maison du sieur
-Belloc. Les consuls de Bouloc, qui faisaient la
-procdure, interrogrent Robert sur quelques
-autres vols et assassinats commis depuis dans
-le pays. Il soutint constamment qu'il n'en
-tait pas coupable; tandis que, sans tre interpell
-sur l'assassinat du 24 janvier, il raconta,
-de lui-mme, qu'il tait entr vers les
-quatre heures du soir dans l'hiver, dans la
-maison du sieur Belloc, ami du sieur Costes,
-son matre, log Toulouse prs la maison professe,
-<span class="pagenum"><a id="Page_76">76</a></span>
-dans le dessein de le voler; qu'il en fut
-empch par sa servante qui se leva, de mme
-que le sieur Belloc son matre; et pour se dgager
-de la servante, il lui donna un coup de
-bton, au bout duquel il y avait un fer; qu'il
-fut saisi par le sieur Belloc et sa femme, se
-dgagea de leurs mains, prit la fuite sans avoir
-rien vol, et abandonna un sac de toile qu'il
-portait, appartenant au sieur Costes son matre,
- la marque duquel il tait, et dans lequel
-sac il y avait encore une paire de gants
-de peau; ce qui fit qu'un garon pltrier ou
-maon fut mal propos accus d'avoir commis
-ce crime, pour rparation duquel il fut
-injustement pendu.</p>
-
-<p>Michel Robert, condamn tre rompu
-vif, persista jusqu'au moment de son supplice
- se dire l'auteur de cet assassinat tent chez
-le sieur Belloc.</p>
-
-<p>On se souvint long-temps Toulouse de la
-mort tonnante de ce Robert. Il ne lui chappa
-pas un seul soupir pendant les deux heures
-qu'il passa sur la roue. Enfin le moment arriv
-de terminer son supplice, le commissaire
-monta sur l'chafaud, et lui demanda s'il persistait
-<span class="pagenum"><a id="Page_77">77</a></span>
-dans tout ce qu'il avait dclar sur la
-sellette et dans le procs-verbal de mort; il
-rpondit qu'il persistait en ses rponses, et
-surtout pour l'assassinat du sieur Belloc.</p>
-
-<p>La veuve de Cahuzac n'avait pas besoin de
-ce tmoignage clatant de l'innocence de son
-mari pour en tre pleinement convaincue.
-Mais ces preuves relevrent son courage;
-elle osa, du fond de sa misre, lever sa voix
-vers le trne, et sa voix fut coute.</p>
-
-<p>Le conseil renvoya au parlement de Toulouse
-lui-mme la rvision de ce malheureux
-procs. Il intervint, le 9 aot 1779, un arrt
-par lequel la mmoire de Cahuzac fut rhabilite,
-et sa veuve admise faire valoir son
-recours en dommages-intrts contre les
-Belloc, auteurs de son infortune.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_78">78</a></span></p>
-
-<h2>GOMBERT,<br />
-<span class="large">ASSASSIN DU MARI DE SA MAITRESSE.</span></h2>
-
-<p>En compulsant les recueils d'arrts criminels,
-on est tonn du grand nombre de forfaits
-dont la dbauche est la source. Ces passions
-brutales, que l'on dcore si improprement
-du doux nom d'amour, portent habituellement
-dans le c&oelig;ur de l'homme une
-effervescence funeste qui le pousse au crime
-presque malgr lui, entran qu'il est dj
-par la jalousie ou le dsir de la vengeance.
-De l tant de meurtres, tant d'empoisonnemens,
-tant de morts restes mystrieuses,
-qui portent pour jamais la dsolation et le
-malheur au sein des familles. Tant il est vrai
-que ds qu'une fois on a franchi le premier
-degr du vice, on ne sait plus o l'on pourra
-s'arrter; heureux encore quand le terme de
-la carrire n'est pas l'ignominie ou l'chafaud.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_79">79</a></span>
-Jean-Jacques Gombert, tanneur Hasbrouck,
-entretenait, depuis deux ans, un
-commerce criminel avec Catherine Roucou,
-femme de Pierre-Jacques Jongkerick, qui habitait
-la mme ville, et qui y vivait de son
-bien. Gombert ayant trouv l'occasion de se
-marier, on pouvait esprer que cet vnement
-serait le terme de cette passion adultre; mais
-il n'eut d'autre effet que d'loigner momentanment
-les deux amans l'un de l'autre.</p>
-
-<p>En effet, peu de temps aprs, ils renourent
-leurs liaisons coupables. Jongkerick,
-avant le mariage de Gombert, n'avait pas remarqu
-ses assiduits auprs de sa femme. Le
-moindre soupon n'tait pas venu troubler
-son repos. Jusque l, Gombert avait eu la dlicatesse
-de garder des mnagemens; mais
-lorsqu'il fut mari, il foula aux pieds toutes
-les biensances, et ne permit plus l'infortun
-Jongkerick de croire la fidlit de sa
-femme. Ce malheureux poux n'eut mme
-que trop de facilit acqurir des preuves irrcusables
-de la dbauche de Catherine Roucou.</p>
-
-<p>Jongkerick, indign, fit des reproches sa
-femme, et la menaa de prendre des mesures
-<span class="pagenum"><a id="Page_80">80</a></span>
-pour arrter ses dsordres, s'ils continuaient.
-Mais, au lieu de rentrer en elle-mme, cette
-femme, qui hassait mortellement son mari,
-se plaignit Gombert des reproches et des
-menaces qu'elle essuyait chaque jour. Alors
-s'excitant mutuellement, les deux amans conurent
-l'horrible projet de donner la mort
-Jongkerick.</p>
-
-<p>Ils firent plusieurs tentatives pour l'excution
-de leur infernal dessein. Gombert se
-chargea d'abord de gagner prix d'argent
-quelqu'un qui voult excuter ce crime; mais
-n'ayant pu y russir, il prit la rsolution de
-commettre lui-mme cet attentat.</p>
-
-<p>Aprs avoir pass la soire du 25 au 26
-mai 1777, avec Jongkerick, dans une auberge
-o ils avaient soup ensemble, Gombert sortit
-le premier, et vint se mettre en embuscade
-dans une grange, o il avait prpar un flau,
-instrument du crime qu'il mditait. Jongkerick,
-dans une parfaite scurit, revenait
-tranquillement chez lui. Comme il entrait
-dans sa cour, Gombert sort de sa cachette,
-s'lance sur lui, l'accable de coups de flau,
-et le laisse pour mort sur la place. Cependant
-l'homme assassin recueillit assez de force
-<span class="pagenum"><a id="Page_81">81</a></span>
-pour se relever et rentrer chez lui. Il se coucha,
-sans rien dire sa femme de ce qui venait
-de lui arriver, et se contenta de se plaindre
-d'un violent mal de tte.</p>
-
-<p>Le lendemain, Gombert se rendit de bonne
-heure chez la Roucou, croyant apprendre,
-en entrant dans la maison, que Jongkerick
-tait mort; mais il fut trangement tonn
-quand il vit qu'il n'en tait rien. Il parut constant
-que ce monstre rsolut, dans le moment
-mme, de concert avec son infme complice,
-d'arracher la vie la malheureuse victime
-chappe aux coups de la veille; et la rumeur
-publique accusa la femme de s'tre charge
-de l'excution du forfait, de s'tre approche
-du lit de son mari, et de l'avoir touff.</p>
-
-<p>Quelques heures aprs, sortant de sa maison
-avec des cris et des sanglots, elle annona
- ses voisins la mort de son mari. On crut d'abord
-sa douleur sincre; mais une mort aussi
-prcipite fit natre des soupons qui veillrent
-l'attention de la justice locale. Le ministre
-public rendit plainte et fit informer; mais
-n'ayant acquis aucune preuve, la procdure
-fut suspendue.</p>
-
-<p>Sur ces entrefaites, la veuve Jongkerick,
-<span class="pagenum"><a id="Page_82">82</a></span>
-fatigue d'entendre les reproches indirects
-qu'on lui adressait au sujet de la mort de son
-mari, vendit tout son bien, sous prtexte
-qu'elle voulait se retirer dans un couvent; elle
-ne conserva qu'un chariot et un chien noir,
-avec lequel elle partit d'Hazebrouck. Gombert
-disparut quelques jours aprs, et rejoignit sa
-complice Anvers. Puis ils se fixrent dans
-un bourg hollandais situ aux environs de
-cette ville. Mais leur fuite simultane ouvrit
-les yeux aux magistrats de Cassel: le procureur
-d'office de ce sige fit des perquisitions,
-et s'informa si l'on n'avait point vu un chariot
-suivi d'un chien noir, conduit par une
-femme. Le chien noir, qui tait trs-grand,
-avait t remarqu, et les renseignemens que
-l'on obtint parvinrent faire dcouvrir la
-retraite des coupables.</p>
-
-<p>On obtint des juges du lieu la permission
-de les arrter et de les conduire dans les prisons
-de Cassel, o on leur fit leur procs. Les
-informations ne les ayant chargs que faiblement,
-les juges de Cassel, par sentence du 3
-octobre 1778, n'ordonnrent qu'un plus ample
-inform d'un an, pendant lequel les accuss
-resteraient en prison.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_83">83</a></span>
-Le procureur d'office du sige ayant interjet
-appel <i>a minima</i> de cette sentence, le
-parlement de Douai, par arrt du 16 novembre
-1778, condamna Gombert la question
-ordinaire et extraordinaire, et ordonna qu'il
-serait sursis au jugement de la Roucou jusqu'aprs
-l'excution de cet arrt. Gombert
-ayant avou son crime la torture, un second
-arrt condamna la Roucou la question ordinaire
-et extraordinaire; mais cette femme,
-rsistant aux tourmens de la question, persista
- nier sa complicit avec Gombert.</p>
-
-<p>Par arrt du 19 novembre 1778, Gombert
-fut condamn tre rompu vif, et la Roucou,
-faute de preuves suffisantes, tre renferme
- perptuit dans une maison de force.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_84">84</a></span></p>
-
-<h2>SEVREUSE<br />
-<span class="large">EMPOISONNEUSE D'ENFANS.</span></h2>
-
-<p>Ce n'est qu'en frmissant d'horreur que
-nous pourrons retracer les forfaits de ce monstre
- visage de femme, qui mettait mort la
-plupart des enfans qui lui taient confis, et
-les enterrait elle-mme dans le repaire qu'elle
-habitait. Elle en fit prir ainsi plus de trente
-dans une seule anne.</p>
-
-<p>Rene Richard, ne dans la paroisse de
-Chelun, en Bretagne, prs de la petite ville de
-la Guerche, diocse de Rennes, avait pous
-Julien Suhard, tisserand Laval. Devenue
-veuve, elle se chargea d'amener Paris les
-enfans dont on voulait cacher la naissance, et
-qu'il fallait conduire aux Enfans-Trouvs. Il
-parat que pendant quelque temps elle s'acquitta
-assez exactement des fonctions qu'on
-lui confiait. Lorsqu'elle pouvait runir plusieurs
-enfans pour les conduire dans un seul
-<span class="pagenum"><a id="Page_85">85</a></span>
-voyage, le salaire qu'elle recevait pour chacun
-d'eux lui rapportait un profit suffisant pour
-subvenir ses besoins.</p>
-
-<p>A cette ressource elle en ajouta une autre
-plus impure encore. Les filles des cantons
-voisins, vingt lieues la ronde, allaient chez
-la femme Suhard dposer le fruit de leurs
-faiblesses; elles y restaient pour se rtablir, et
-lui laissaient leurs enfans pour les conduire
-Paris, l'hospice des Enfans-Trouvs. Quelquefois
-on voyait chez elle plusieurs filles la
-fois y passer les derniers mois de leur grossesse,
-et n'en sortir qu'aprs leur parfait rtablissement;
-ce qui multipliait les bnfices de
-la Suhard.</p>
-
-<p>Cette femme demeurait avec le nomm
-Ambroise Portier, tisserand, qui, ayant peu
-d'occupation de son tat, travaillait casser
-des pierres sur les grands chemins, et remplissait
-les fonctions de fifre l'Htel-de-Ville de
-Laval. Il remettait la femme Suhard tout ce
-qu'il gagnait; tous deux vivaient en commun,
-et s'enivraient souvent ensemble. Portier avait
-t condamn par contumace au fouet, la marque
-et aux galres perptuelles, comme complice
-d'un homicide; et ayant t, par ce jugement,
-<span class="pagenum"><a id="Page_86">86</a></span>
-excut en effigie, le 9 septembre 1768,
-cet homme tait mort civilement. Cela ne l'empcha
-pas de revenir Laval quelques annes
-aprs, et personne ne songea l'inquiter. On
-croyait mme gnralement qu'au lieu d'avoir
-t complice d'un homicide, il avait fait tous
-ses efforts pour l'empcher.</p>
-
-<p>Le 18 juillet 1778, le procureur fiscal de
-Laval reprsenta au juge ordinaire de police
-de cette ville que la nomme Suhard s'tait
-vade, et avait laiss dans sa maison trois enfans
-qui lui avaient t confis pour tre
-amens Paris; que ces enfans se trouvant
-sans secours, il tait ncessaire de prendre
-des claircissemens sur leur sort, et des mesures
- l'effet de pourvoir leurs besoins. En
-consquence, il requit le transport du juge
-chez cette femme pour dresser un procs-verbal
-de l'tat des choses; ce qui fut excut
-le mme jour.</p>
-
-<p>Le propritaire de la maison qu'habitait la
-Suhard dclara qu'ayant t inform qu'elle
-avait vendu ses meubles, pris la fuite et abandonn
-trois enfans qui taient chez elle, il avait
-cru devoir faire donner des soins ces innocentes
-cratures. Le fermier du comt de Laval
-<span class="pagenum"><a id="Page_87">87</a></span>
-se chargea de ces petites victimes, sauf
-son recours contre qui il appartiendrait pour
-le remboursement des dpenses que lui occasionerait
-cette charge, et le salaire des peines
-et soins qu'elle lui imposerait. Un de ces trois
-enfans mourut peu de temps aprs, et fut inhum
-dans le cimetire.</p>
-
-<p>La Suhard, en fuyant, n'avait pas ferm la
-porte de sa maison. Le juge y entra, et fit
-l'inventaire de quelques vieux meubles sans
-valeur.</p>
-
-<p>Le lendemain, le procureur fiscal rendit
-plainte contre cette femme, l'occasion du
-crime qu'elle avait commis en abandonnant
-les enfans qu'on lui avait confis, et obtint
-l'autorisation de faire informer contre elle.</p>
-
-<p>La Suhard, outre le lieu qu'elle habitait,
-avait lou un cellier, dans lequel on arrivait
-par une petite alle. La nuit de l'vasion de
-cette femme, deux voisins furent attirs dans
-cette alle par le mouvement qu'ils y entendirent.
-Ils y trouvrent deux femmes, dont une
-portait un paquet assez gros. On leur demanda
-ce qu'elles enlevaient ainsi. Ce ne
-sont point, dirent-elles, des effets qui appartiennent
-<span class="pagenum"><a id="Page_88">88</a></span>
- la Suhard. L'odeur infecte qu'exhalait
-ce paquet fit souponner que ce pouvaient
-tre des enfans morts depuis long-temps.
-Cela ne vous regarde point, dirent
-ces deux femmes. M. Le Chauve, vicaire de
-la paroisse, nous a charges de l'enlever, et
-de le lui porter.&mdash;Vous ne l'emporterez pas,
-leur rpondit-on, que M. Le Chauve n'en soit
-averti.</p>
-
-<p>Dans le fait, les deux femmes en question
-avaient t, la veille, dclarer au sieur Le
-Chauve qu'il tait mort deux enfans chez la
-Suhard, et lui demandrent s'il voulait les
-enterrer. Il avait rpondu qu'on pouvait les
-porter chez le fossoyeur, suivant l'usage, et
-qu'il les enterrerait, pourvu qu'on lui reprsentt
-leurs extraits de baptme. Une heure
-aprs, il entendit dire, dans la rue, qu'on
-avait trouv chez la Suhard un paquet d'enfans
-morts dont les membres tombaient en
-lambeaux. Craignant qu'on ne l'induist inhumer
-des enfans morts depuis long-temps,
-et d'aprs de faux extraits baptistaires, il dclara
-qu'il ne les enterrerait qu'aprs en avoir
-inform la justice. Mais un particulier alla, la
-<span class="pagenum"><a id="Page_89">89</a></span>
-mme nuit, dans le cimetire, y fit une fosse
-dans laquelle il enfouit le paquet tel qu'il
-tait.</p>
-
-<p>Les noms des deux femmes dont il vient
-d'tre parl ayant t connus par les informations,
-elles furent toutes deux dcrtes
-de prise de corps, et constitues prisonnires.
-On les interrogea; elles dclarrent se nommer,
-l'une Rene Tellier, veuve d'tienne
-Bourdet; et l'autre, qui tait sa fille, Rene
-Bourdet, femme de Pierre Beaudouin. Elles
-dirent que la veille de la fuite de la Suhard,
-les neveux et nices de cette misrable se
-rendirent chez la veuve Bourdet, et lui apprirent
-qu'il y avait deux enfans morts chez leur
-tante, et qu'ils la priaient de les porter chez le
-sieur Le Chauve, qui, dirent-elles, en tait
-prvenu, et avait promis de les enterrer. Sur
-cette invitation, elles allrent trouver la Suhard,
-qui n'tait pas encore partie. Cette
-femme nia d'abord qu'elle et des enfans chez
-elle. Enfin, aprs bien des instances, elle ouvrit
-un petit cabinet dans lequel taient deux
-cadavres ensevelis qui paraissaient, la taille,
-avoir environ un an, et qui furent mis dans
-une serpillire. En avez-vous encore d'autres?
-<span class="pagenum"><a id="Page_90">90</a></span>
-lui dirent ces deux femmes; donnez-les
-nous, et nous les remettrons M. Le Chauve,
-qui les inhumera en mme temps.&mdash;Eh bien!
-puisqu'il faut tout vous dire, reprit la Suhard,
-venez dans le cellier, je vous donnerai le
-reste. Cette malheureuse prit alors, avec un
-bton, un paquet couvert de diffrentes enveloppes,
-qui exhalait une odeur ftide. Ce
-paquet fut mis dans la mme serpillire; elles
-emportaient le tout quand elles furent rencontres,
-et ce paquet fut mis en terre, comme
-on l'a dit plus haut.</p>
-
-<p>On leva les scells qui avaient t apposs
-sur une armoire de la Suhard, et l'on y trouva
-neuf extraits baptistaires, tous d'enfans illgitimes,
-ns, l'un en 1776, un autre en 1777,
-et tout le reste en 1778; mais rien ne put
-indiquer ce qu'taient devenus ces enfans.
-Enfin on entra dans le fameux cellier. Les
-dcouvertes que l'on y fit rvoltent la nature et
-l'humanit. En y entrant, on respirait une
-odeur infecte et cadavreuse. La terre, fouille
- quatre ou cinq pouces de profondeur, laissa
-voir des membres d'enfans pars et l;
-de sorte qu'il y a lieu de croire que ce monstre
-dchirait les malheureuses victimes qu'elle
-<span class="pagenum"><a id="Page_91">91</a></span>
-faisait mourir, afin de pouvoir cacher plus
-aisment les traces de ses crimes. Il y avait
-des membres et des os d'enfans nouvellement
-ns; il y en avait d'enfans qui paraissaient
-avoir vcu jusqu' l'ge de quatre ans. Le
-mdecin et le chirurgien firent observer au
-juge que, pour prvenir les accidens funestes
-qui pourraient rsulter des exhalaisons de
-ces cadavres, il tait ncessaire de les transporter,
-ainsi que la terre qui les avoisinait, dans
-un cimetire; ce qui fut excut sur-le-champ.
-Le mdecin et le chirurgien, d'aprs l'examen
-des os qu'ils avaient dcouverts, conclurent
-que les corps auxquels ces restes avaient appartenu
-taient au nombre de six.</p>
-
-<p>Sur ces indices pouvantables, le juge ordonna
-au propritaire de la maison de faire
-fouiller le cellier avec plus d'exactitude et
-de profondeur. Ces nouvelles recherches firent
-encore dcouvrir les restes de six autres
-petits cadavres, qui furent pareillement transfrs
-dans le cimetire. Tous ces crimes avaient
-t commis dans la maison que la Suhard
-avait habite avant sa disparition, et pourtant
-elle y avait demeur moins d'un an. Les
-perquisitions et les informations faites dans
-<span class="pagenum"><a id="Page_92">92</a></span>
-les lieux habits par elle prcdemment vinrent
-encore fournir de nouvelles preuves.</p>
-
-<p>Le procureur-fiscal, persuad que les crimes
-dont la Suhard tait atteinte n'avaient
-pu tre commis sans qu'elle et t aide par
-quelqu'un, rendit plainte ds le lendemain,
-tant contre elle que contre ses complices, de
-tous les faits qui venaient d'tre dcouverts.
-Portier fut nommment dcrt de prise de
-corps, comme vhmentement suspect de
-complicit avec l'accuse, chez laquelle il demeurait.</p>
-
-<p>Ils taient en fuite tous les deux. Mais enfin
-la marchausse, aprs bien des recherches,
-les atteignit au bourg de Chelun, lieu
-de la naissance de la Suhard: ils taient rfugis
-chez un particulier qui, sous prtexte
-qu'il tait onze heures du soir, refusa d'ouvrir
-sa porte. On la fora: la Suhard fut
-trouve dans une chambre, couche sur un
-peu de paille.</p>
-
-<p>Portier, averti, par le bruit de ce qui se
-passait, et n'ayant os se hasarder sortir
-de la maison, dont la porte tait garde par
-deux cavaliers, s'tait rfugi dans les latrines
-de la maison, et tait descendu dans le tuyau
-<span class="pagenum"><a id="Page_93">93</a></span>
-assez avant pour n'tre pas aperu. Mais les
-cavaliers ayant regard par la lunette, l'aperurent,
-et furent obligs, pour le tirer
-par force, de frayer un passage par en bas
-avec des outils. L'un et l'autre furent conduits
-dans les prisons de Laval.</p>
-
-<p>Suivant le rapport de plusieurs tmoins,
-la Suhard avait dans ses dmarches un air
-mystrieux et cach, qui donnait tout le
-voisinage beaucoup de soupons sur son
-compte. Ce qui les augmentait encore, c'est
-que, quoi qu'elle et toujours six sept enfans
-chez elle, on s'apercevait qu'elle faisait
-fort peu de provisions pour les nourrir. De
-tous ceux qu'on y voyait entrer on n'en
-voyait sortir aucun, soit pour aller Paris,
-soit pour tre enterr. Lorsqu'on lui en apportait
-ou qu'il en naissait chez elle, on les
-entendait d'abord pleurer comme pleurent les
-enfans de cet ge; mais au bout de quelques
-jours leur voix s'teignait, et peine si on
-pouvait la distinguer. Pour faire croire cependant
-qu'elle allait Paris, et qu'elle y portait
-les enfans qu'on lui avait confis, elle s'enfermait
-pendant quinze jours dans son cellier,
-o on lui portait manger; et le soir,
-<span class="pagenum"><a id="Page_94">94</a></span>
-quand elle croyait tout le monde retir, elle
-rentrait chez elle, et se couchait dans son lit.
-Ces dmarches singulires donnaient sans
-doute copieuse matire rflexions; mais on
-n'osait pas d'abord les hasarder.</p>
-
-<p>Cependant la mauvaise odeur qu'exhalait le
-cellier aurait pu mettre sur la trace des preuves;
-mais on attribuait ces exhalaisons des
-tanneries situes dans le voisinage. Jusque l
-on n'avait que des prsomptions; voici des faits
-plus circonstancis. Deux filles taient chez
-la Suhard pour y faire leurs couches. Elles
-sortirent un jour ensemble pour quelques
-affaires, et furent absentes deux heures environ.
-En sortant, elles avaient laiss plusieurs
-enfans vivans la maison: leur retour
-elles en trouvrent deux de moins; et
-quand elles demandrent ce qu'ils taient devenus,
-on leur rpondit que ceux qui les
-avaient apports taient venus les retirer pendant
-leur absence.</p>
-
-<p>Il fut prouv par d'autres dpositions que,
-pour empcher les enfans de pleurer, la Suhard
-leur donnait dans leur bouillie une infusion
-de pavot. Une autre fille dclara que pendant
-trois mois environ qu'elle avait passs
-<span class="pagenum"><a id="Page_95">95</a></span>
-chez la Suhard pour y faire ses couches, elle
-y avait vu entrer plus de trente enfans qui
-taient tous morts dans ses mains.</p>
-
-<p>Elle ne se bornait pas faire prir les enfans;
-sa frocit s'tendait sur toutes les personnes
-dont la perte pouvait lui procurer
-quelque gain. Un cur des environs de sa demeure
-lui avait confi une fille ge de dix-neuf
-ans, sujette l'pilepsie, pour la conduire
- Paris. On lui avait donn une somme suffisante,
-tant pour nourrir la malade jusqu'au
-moment de son dpart et pendant la route,
-que pour la ddommager de ses peines. La
-Suhard la maltraita tant qu'elle l'eut chez
-elle; elle lui fournissait peine la nourriture
-qui lui tait ncessaire. Enfin, lorsqu'elle se
-mit en route avec elle pour venir Paris,
-elle l'abandonna auprs d'Alenon sans lui
-laisser le plus lger secours. Par suite de cet
-abandon, cette fille, force de mendier, fut
-arrte par la marchausse, et conduite au
-dpt de Rennes.</p>
-
-<p>La Suhard avoua la plupart des faits que
-l'on vient de lire. Applique la question, qui
-fut porte jusqu' huit coins, elle soutint
-toujours fermement, comme dans tous ses
-<span class="pagenum"><a id="Page_96">96</a></span>
-interrogatoires, qu'elle n'avait eu aucun complice
-des crimes dont elle tait coupable.
-Cette misrable fut condamne, par arrt du
-29 avril 1779, tre brle vive et ses cendres
-jetes au vent; ce qui fut excut le 22
-mai suivant.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_97">97</a></span></p>
-
-<h2>JEANNE-MARIE-THRSE JUDACIER,<br />
-<span class="large">PARRICIDE.</span></h2>
-
-<p>La dbauche porte souvent les fruits les
-plus funestes. Ainsi que nous avons eu lieu
-de le faire remarquer plus d'une fois, elle
-sert frquemment de premier chelon pour
-descendre aux crimes les plus dnaturs, et
-l'entranement de la descente n'est que trop
-rapide.</p>
-
-<p>Jeanne-Marie-Thrse Judacier tait brodeuse
-de son tat. Elle habitait la ville de
-Lyon avec son pre, sa mre et sa s&oelig;ur ane.
-Son got pour les plaisirs drangea sa conduite;
-elle devint paresseuse, et se vit rduite
-aux expdiens pour satisfaire ses besoins dpravs.
-Cette situation lui inspira le dsir de
-recueillir promptement et sans partage la succession
-de ses pre et mre, et elle conut
-l'horrible dessein de les empoisonner ainsi que
-sa s&oelig;ur ane.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_98">98</a></span>
-En consquence, elle fait choix du poison
-le plus actif, et se prsente chez plusieurs
-piciers, demandant de l'arsenic. On refuse
-de lui en vendre. Ces refus auraient d la faire
-rentrer en elle-mme, s'il ft rest au fond
-de son c&oelig;ur quelque peu de cette sensibilit
-qui met l'homme au-dessus de la brute. Mais
-rien ne fut capable de l'arrter. Aprs s'tre
-adresse vainement plusieurs marchands,
-ses recherches la conduisirent chez les sieurs
-Buisson et Bellet, qui, dans les premiers jours
-d'octobre 1779, lui vendirent pour deux sous
-d'arsenic, qu'elle leur avait demand, sous
-prtexte de dtruire les rats, qui, disait-elle,
-mangeaient le linge que sa mre, blanchisseuse
-de son mtier, tait oblige d'avoir chez
-elle.</p>
-
-<p>Sa mre trouva ce paquet et lui demanda
-ce que c'tait que cette poudre empaquete
-avec tant de soin. Jeanne rpondit que c'tait
-de l'alun pour nettoyer ses boucles. La mre
-Judacier trouva mauvais que sa fille ft si
-recherche dans ses ajustemens, et qu'elle se
-mt en dpense pour une pareille frivolit;
-et dans sa mauvaise humeur, elle jeta le
-poison.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_99">99</a></span>
-Ce nouvel obstacle et la remontrance que
-Jeanne essuya cette occasion ne firent
-qu'irriter cette fille atroce. Le 9 du mme
-mois, elle retourna chez les mmes marchands,
-qui, pour le mme prix, lui livrrent
-une seconde dose d'arsenic. Elle prit ses prcautions
-pour qu'on ne lui enlevt pas ce
-nouveau paquet.</p>
-
-<p>L'occasion d'en faire l'usage auquel elle le
-destinait se prsenta peu de jours aprs. Sa
-mre lui commanda de prparer une soupe
-aux choux. Jeanne, piant le moment propice
- son infernal dessein, obit avec joie.
-Puis, quand la soupe fut prpare, elle engagea
-sa s&oelig;ur ane la servir, voulant par cette
-prcaution loigner d'elle les soupons d'empoisonnement
-que son crime allait faire natre
-avec raison. Elle s'imagina que sa s&oelig;ur ayant vu
-prparer la soupe, et ne s'tant point aperue
-qu'on y et rien mis d'tranger aux ingrdiens
-qui devaient la composer, pourrait affirmer
-que les symptmes qui ne pouvaient manquer
-de se manifester avaient une autre cause que le
-poison; ou du moins que, s'il y avait du poison,
-le hasard seul l'avait sans doute introduit soit
-dans les choux, soit dans un des assaisonnemens.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_100">100</a></span>
-Jeanne prit encore une autre prcaution;
-ce fut de se tenir loigne de la table, sous
-prtexte de vaquer divers soins du mnage.
-Le pre n'tait pas la maison, et l'on ignorait
-l'heure laquelle il devait rentrer. Il tait
-sorti pour les affaires de la famille; il tait
-juste qu' son retour il trouvt sa soupe prpare.
-Jeanne, sa fille, eut l'attention de lui
-en conserver dans un pot. Trois personnes
-se mirent table, la femme Judacier et sa
-fille ane, avec la femme Perichon. A peine
-chacune d'elles eut-elle mang sa portion,
-que les premiers effets du poison commencrent
- se manifester par des symptmes
-effrayans. La femme Judacier succomba le
-jour mme, malgr les secours qu'on lui
-administra. Les soins furent moins infructueux
- l'gard des deux autres, qui taient
-plus jeunes et plus vigoureuses; mais elles en
-furent long-temps et dangereusement malades,
-et leur sant en fut altre pour leur vie.</p>
-
-<p>Les circonstances qui avaient prcd cet
-accident ne laissrent pas lieu de douter de
-quelle main partait le crime. Jeanne fut arrte
-sur-le-champ. Son procs lui fut fait;
-et par sentence de la snchausse de Lyon,
-<span class="pagenum"><a id="Page_101">101</a></span>
-du 30 novembre 1779, elle fut dclare atteinte
-et convaincue des faits qui viennent
-d'tre exposs, et condamne faire amende
-honorable en chemise, nu-tte, la corde au
-cou, tenant en ses mains une torche de cire
-ardente du poids de deux livres, au-devant de
-la principale porte de l'glise primatiale de
-Lyon, o elle serait conduite par l'excuteur
-de la haute-justice, ayant criteau devant et
-derrire portant ces mots: <i>Empoisonneuse
-parricide</i>. Elle devait avoir ensuite le poing
-coup par le bourreau, et tre mene sur la
-place des Terreaux pour y tre brle vive
-et ses cendres jetes au vent.</p>
-
-<p>Par arrt du 12 fvrier 1780, cette sentence
-fut confirme, et l'excution en fut renvoye
-devant le lieutenant-criminel de Lyon.</p>
-
-<p>Quant l'infraction commise par les sieurs
-Buisson et Bellet aux rglemens et arrts
-concernant la vente des poisons, elle fut punie
-par une amende, avec injonction d'tre plus
-circonspects l'avenir.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_102">102</a></span></p>
-
-<h2>FEMME INJUSTEMENT ACCUSE<br />
-<span class="large">DE L'ASSASSINAT DE SON MARI.</span></h2>
-
-<p>Lors des justices seigneuriales, il n'arrivait
-que trop souvent que la prvention et l'ignorance
-prsidaient l'instruction des affaires
-criminelles. La prvention y faisait prendre
-aux juges pour moyens de conviction de
-lgres apparences, des indices quivoques.
-Acharns la recherche du crime qu'ils
-croyaient exister, ils multipliaient leurs soins
-pour le raliser en quelque sorte, s'il n'existait
-pas; ils cumulaient information sur
-information, si bien qu' la fin le hasard, la
-fermentation des propos indiscrets et des rumeurs
-populaires, ou la haine de quelque ennemi,
-amenaient des tmoins qui dposaient de
-ce qu'ils n'avaient ni vu ni entendu, et amassaient
-les soupons sur la tte de l'innocence
-attaque.</p>
-
-<p>Maizires, aubergiste Rosnay en Champagne,
-<span class="pagenum"><a id="Page_103">103</a></span>
-vivait avec sa femme dans la plus
-grande intimit, dans l'union la plus parfaite.
-Il tait trs-li avec le nomm Savetier, et
-la qualit d'aubergiste leur donnait de frquentes
-occasions de se voir. Quand Savetier
-n'en profitait pas, il y tait invit par Maizires.
-Le public, qui ne s'attache qu'aux apparences,
-et mme leur donner des couleurs
-fausses et malignes, avait imagin que cette
-liaison n'tait qu'un voile pour cacher un
-commerce illicite entre Savetier et la femme
-de Maizires.</p>
-
-<p>Le matin 8 fvrier 1777, Maizires partit
-pour aller Prcey acheter du vin et ensuite
- Chaudrey pour d'autres affaires. Son chemin
-tait de passer par la garenne de Rosnay, qui
-est trs-dangereuse par la difficult des chemins,
-par les mauvaises rencontres que l'on
-peut y faire et les assassinats qui y ont t
-commis plusieurs poques. Il y avait dans
-cette garenne un chemin pour les voitures et
-un simple sentier que prenaient quelquefois les
-gens de pied, pour abrger le chemin et arriver
-plus tt la grande route de Brienne et
-au pont de Rosnay. Ce sentier traversait une
-montagne fort escarpe, au pied de laquelle
-<span class="pagenum"><a id="Page_104">104</a></span>
-passe la rivire de Rosnay; dans certains endroits
-la pente est aussi raide que le toit d'une
-maison, et d'une hauteur considrable.</p>
-
-<p>Pendant les premiers jours, la femme de
-Maizires n'prouva aucune inquitude de
-son absence; il faisait quelquefois des voyages
-de huit jours; et comme c'tait le temps du
-carnaval, elle prsumait qu'il pouvait tre
-se divertir chez des parens ou des amis. Mais
-au bout de ce temps, ne le voyant pas revenir,
-elle fut en proie aux plus vives alarmes, et
-fit toutes les dmarches et recherches possibles
-pour dcouvrir o il pouvait tre.</p>
-
-<p>Le 24 mars 1777, elle apprit que le cadavre
-de son mari avait t trouv dans la rivire
-de Rosnay, dans cet endroit de la garenne
-o se trouve le sentier rapide dont on vient
-de parler, pratiqu dans la pente droite de
-la colline, et o le bord de la rivire est
-d'une hauteur considrable; en sorte que Maizires,
-marchant dans l'obscurit, avait pu
-tre entran par la pente de la colline, et prcipit
-dans la rivire sur des pierres et des
-troncs d'arbres, qui avaient pu lui faire les
-blessures et les contusions trouves sur son
-cadavre.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_105">105</a></span>
-C'tait le genre de mort que prsentaient
-naturellement les circonstances des lieux. Mais
-les officiers de justice de Rosnay, la vue des
-blessures et contusions, jugrent propos
-d'informer d'assassinat. On publia des monitoires;
-des femmes dposrent sur des ou-dire.
-La dposition d'une fille sourde, imbcile
-et mendiante, fut la seule qui semblait
-indiquer la veuve Maizires et Savetier comme
-les auteurs de l'assassinat. On n'en lana pas
-moins contre eux des dcrets de prise de
-corps.</p>
-
-<p>Le juge de Rosnay, sur une seule dposition,
-renvoya les accuss, la suite de l'instruction,
-devant le juge d'Aulnay. Renvoyer
-ainsi l'instruction du procs devant le juge
-d'Aulnay, c'tait livrer les accuss toute la
-fureur du prjug qui les avait rputs coupables
-avant toute espce d'instruction.</p>
-
-<p>Les ennemis des accuss (qui pourrait se
-flatter de n'en pas avoir?) furent informs
-que le nomm Drouard, homme errant, qui
-se donnait pour magicien, rptait de cabaret
-en cabaret que l'on n'avait fait assigner encore
-que des tmoins qui n'avaient rien vu
-ni entendu concernant le prtendu assassinat
-<span class="pagenum"><a id="Page_106">106</a></span>
-de Maizires, et que lui avait tout vu et tout
-entendu, puisqu'il tait couch dans un cabinet
- ct de la chambre o Maizires avait
-t assassin.</p>
-
-<p>D'aprs ces dires, Drouard fut assign. Ne
-pouvant soutenir qu'il avait couch chez Maizires,
-attendu que l'auberge avait t ce jour-l
-occupe par des voyageurs dont le tmoignage
-existait, il s'avisa de dire qu'il tait entr
-par le jardin, s'tait approch de la croise;
-et cependant ce jardin tait entour de
-haies fort paisses, et la croise ferme par un
-volet. Suivant lui, les jambes lui manqurent
-lorsqu'il vit assassiner Maizires. Il dposa
-que Savetier avait le premier frapp son ami,
-et que la femme de celui-ci prenant de sang-froid
-l'instrument des mains de Savetier, en
-porta son mari un second coup plus fort
-que le premier; que cette femme passa ensuite
-dans une autre chambre pour y prendre
-du linge, une terrine et un couteau, etc.</p>
-
-<p>Le plan figur du local de Maizires dmontrait
-la fausset de cette dposition. Les
-accuss le firent observer; mais ils ne furent
-pas couts.</p>
-
-<p>On avait fait aussi courir le bruit que le
-<span class="pagenum"><a id="Page_107">107</a></span>
-cadavre de Maizires avait d'abord t transport
-de la grange sous un toit pourceaux,
-et que c'tait par cette raison qu'il avait la
-bouche pleine de fumier et de terreau. Cette
-version ne s'accordait pas avec celle d'un cadavre
-renferm dans un sac, ou expos, la bouche
-ouverte, au courant de l'eau d'une rivire.</p>
-
-<p>Ce fut sur ces bruits, sur les dpositions
-d'une fille imbcile et d'un homme sans aveu,
-que le juge d'Aulnay rendit une sentence, le
-16 octobre 1777, qui condamnait les accuss
- un plus ample inform de trois mois.</p>
-
-<p>Les accuss appelrent au parlement de
-Paris de cette sentence, de toute la procdure
-faite contre eux, et aussi de la plainte en adultre,
-et se rendirent dans les prisons de la
-conciergerie. Drouard et Marie Virly, tmoins,
-furent dcrts et amens prisonniers; mais
-Drouard mourut avant le jugement, la fin
-de 1779. Les accuss demandrent leur dcharge
-prsente et entire, leur libert, qui
-en tait la consquence, et la rparation de
-leur honneur. On procda une nouvelle information,
-compose de cinq tmoins. Tout
-l'chafaudage d'accusations ramass par la calomnie
-tomba bientt faute de preuves, en
-<span class="pagenum"><a id="Page_108">108</a></span>
-prsence des nouveaux juges. Il fut dmontr
-que Maizires tait mort de sa chute dans la
-rivire, et non sous les coups de meurtriers.
-Il n'y avait pas crime dans la mort de Maizires;
-il ne pouvait donc y avoir des criminels.</p>
-
-<p>Le parlement rendit un arrt, le 8 janvier
-1780, qui mettait au nant la sentence de la
-prevt d'Aulnay, et dchargeait les accuss
-des plaintes et accusations intentes contre
-eux.</p>
-
-<p>Ce rcit est encore un exemple des malheurs
-que peuvent causer les prsomptions
-en matire criminelle. Le magistrat ne saurait
-trop se dfier des caquets et des rapports
-presque toujours passionns du vulgaire ignorant,
-qui se plat multiplier les crimes et les
-criminels.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_109">109</a></span></p>
-
-<h2>DOCTEUR EN MDECINE<br />
-<span class="large">PENDU POUR VOL.</span></h2>
-
-<p>Bors, originaire du Rouergue, devait le
-jour un pauvre serrurier de village. tant
-encore enfant, il inspira de l'affection au
-cur de la paroisse, qui se fit un plaisir de
-lui enseigner lire, crire, et les premiers
-lmens de la langue latine; mais ce pasteur
-bienfaisant ayant trouv le tronc de ses pauvres
-enfonc et la probit de son lve en
-dfaut, le congdia.</p>
-
-<p>Le jeune Bors avait reu de la nature une
-figure agrable, une intelligence peu commune.
-Il plut une dame qui, en haine de
-ses collatraux, accueillit cet enfant avec la
-plus grande bont, se chargea de son ducation,
-et l'envoya au collge de Rodez pour
-y faire ses tudes. Il y passa quelques annes,
-pendant lesquelles sa protectrice subvenait
- tous ses besoins. Cependant ses camarades
-<span class="pagenum"><a id="Page_110">110</a></span>
-se plaignaient souvent de la perte de leur
-bourse; chaque jour ils s'apercevaient qu'il
-leur manquait quelque chose. Plus d'une fois
-Bors fut convaincu d'tre l'auteur de ces larcins;
-pourtant on ne le chassa pas du collge,
-parce qu'il promettait, chaque fois qu'il
-tait dcouvert, de venir rsipiscence, et
-que d'ailleurs sa pension tait trs-bien paye.</p>
-
-<p>Quand il eut achev sa rhtorique, il revint
-auprs de sa bienfaitrice, qui le combla d'loges
-pour les progrs extraordinaires qu'il
-avait faits dans ses tudes. Mais son inclination
-pour le vol, qu'une trop coupable indulgence
-n'avait fait que fortifier, ne tarda
-pas le faire bannir de cette maison, qui aurait
-pu devenir son hritage. Il voulut s'adjuger
-une somme qu'un fermier venait d'apporter.
-Il fut chass, et courut cacher sa honte
-et ses remords Carcassonne, o il entra
-chez un ngociant en qualit d'instituteur de
-ses enfans. Quelque nouvelle escroquerie le
-fora de chercher Bordeaux un asile
-contre les ministres de la justice. On ignore
-quelle fut la conduite de Bors dans cette ville;
-on assure cependant que, souvent inscrit sur
-les registres de la police pour des escroqueries,
-<span class="pagenum"><a id="Page_111">111</a></span>
-il avait, au bout de quelque temps,
-trouv propos de se drober aux poursuites
-du magistrat. Aprs avoir quitt Bordeaux,
-la ville de Toulouse fut le nouveau thtre
-qu'il choisit. Ayant trouv accs dans la maison
-d'un agent de change trs-estim et trs-riche,
-il fut charg de l'ducation de ses fils.
-Mais il s'occupait plus du soin de s'enrichir
-que de celui d'instruire ses lves; il ne laissait
-chapper aucune occasion de puiser dans
-le coffre-fort de son patron. Ce mange dura
-deux ans sans que l'on pt s'en apercevoir,
-la multiplicit des affaires de cet agent de
-change empchant de dcouvrir les nombreux
-emprunts que Bors faisait clandestinement
-sa caisse.</p>
-
-<p>Celui-ci, devenu, de cette manire, possesseur
-de sommes assez considrables, et se
-trouvant l'abri du besoin, songea quitter
-l'habit ecclsiastique, qu'il n'avait pris que
-pour mieux voiler sa conduite; et pour se
-donner plus de consistance dans le monde,
-il se dcida se faire recevoir docteur en mdecine.
-En quittant la famille de l'agent de
-change qu'il avait si souvent vol, il fut assez
-adroit pour ne laisser que des regrets dans
-<span class="pagenum"><a id="Page_112">112</a></span>
-cette maison, o il aurait d tre en horreur.</p>
-
-<p>Le hasard l'avait mis en relation avec un
-professeur en mdecine, et il avait acquis
-tant d'empire sur l'esprit de cet homme, que
-celui-ci voulait lui faire pouser une de ses
-parentes. Ce mdecin tait un des amis de
-l'agent de change. Ce dernier s'tant aperu
-du vol qu'on lui avait fait, n'et jamais souponn
-le jeune docteur, sans les nouveaux
-larcins que Bors commit l'aide de sa nouvelle
-profession. A ces indices il s'en joignit
-encore d'autres. Bors conclut de nombreuses
-acquisitions, fit construire des btimens considrables,
-et afficha dans son ameublement
-un luxe impudent.</p>
-
-<p>L'agent de change, vol si souvent, avait
-enfin remarqu que l'on avait profit de son
-absence pour puiser dans sa caisse, et que le
-frre du mdecin, son ami, qui tait dans la
-finance, venait d'prouver un pareil sort,
-pendant un court sjour qu'il avait fait la
-campagne. Il imagina que le voleur reviendrait
-s'il partait pour un nouveau voyage. Il fit
-part de son projet celui qui avait t vol
-comme lui. Ce dernier ayant got son avis,
-il annona aux personnes de sa socit habituelle
-<span class="pagenum"><a id="Page_113">113</a></span>
-qu'il se disposait partir le lendemain
-pour ses mtairies, et il partit en effet,
-aprs avoir eu le soin de faire cacher dans
-son appartement son fils, le frre du mdecin,
-et quelques amis et domestiques. Le
-jour suivant, le 1<sup>er</sup> novembre 1779, sur les
-six heures du soir, pendant un incendie
-qui consumait plusieurs maisons dans le
-voisinage, Bors, revtu d'une mauvaise redingote,
-fut saisi dans l'intrieur de l'appartement
-de l'agent de change, o il s'tait
-introduit la faveur de doubles clefs qu'on
-trouva sur lui. Accus d'tre l'auteur des vols
-qui avaient t faits depuis peu, il en fit l'aveu,
-demanda la vie, et offrit de faire cette
-condition tout ce qu'on exigerait de lui.</p>
-
-<p>Interrog sur l'argent qu'il pouvait avoir
-en sa possession, il indiqua quelques sacs
-dans sa maison neuve, rue Saint-Rome, et
-vingt-huit mille livres qu'il avait caches dans
-sa maison prs les Jacobins. On trouva aux
-endroits dsigns les sommes dclares par
-Bors; et l'on fit signer celui-ci, devant un
-notaire, un contrat par lequel il vendait tous
-ses biens meubles et immeubles l'agent de
-change, moyennant un prix qu'il dclarait
-<span class="pagenum"><a id="Page_114">114</a></span>
-avoir reu. Quand l'officier public se fut retir,
-le docteur fripon fut dpouill de sa
-bourse et de ses bijoux; on ne lui laissa
-que quelques louis, un peu de linge et la
-libert, avec menace de le livrer au bras vengeur
-de la justice, s'il ne changeait de rsidence.</p>
-
-<p>Docile ces injonctions, Bors se mit en
-route pour Bordeaux. Mais, deux lieues de
-Toulouse, il s'arrta dans une auberge, ne
-voulut pas souper, et demanda une chambre
-o il se retira. Comme cette chambre tait
-au-dessus de la cuisine de l'hte, des gouttes
-de sang, filtrant travers le plancher mal joint,
-frapprent les regards de l'aubergiste:
-il se hta de monter chez le voyageur, et le
-trouva tendu sans sentiment et baign dans
-son sang. Un chirurgien fut appel, et Bors,
-par les soins qu'il en reut, ne tarda pas
-revenir la vie. Ce malheureux, dans un accs
-de dsespoir, s'tait ouvert les quatre
-veines.</p>
-
-<p>Lorsqu'il fut tout--fait rtabli, il continua
-sa route jusqu' destination. Arriv Bordeaux,
-il s'engagea, en qualit de matelot-chirurgien,
-sur une frgate qui devait faire
-<span class="pagenum"><a id="Page_115">115</a></span>
-voile prochainement pour l'Amrique septentrionale;
-mais, au moment de s'embarquer,
-il fut arrt, la requte du ministre
-public, et conduit Toulouse, o son procs
-fut instruit. Il nia constamment les vols dont
-on l'accusait, soutint avec une impudence
-incroyable qu'il tait innocent, et prit des
-lettres de rescision contre le contrat qu'il
-avait consenti au profit de l'agent de change.</p>
-
-<p>Bors rpondit avec la mme effronterie
-toutes les questions qui lui furent faites dans
-ses divers interrogatoires. Mais les preuves qui
-s'levaient contre lui taient accablantes. Il
-fut condamn tre pendu, par arrt du parlement,
-de Toulouse de juillet 1780. La sentence
-fut excute le jour mme. Bors tant
-sorti midi et demi du palais, fit appeler
-deux porteurs pour se faire conduire la
-prison de l'Htel-de-ville. En parcourant les
-rues places sur son passage, il considrait
-d'un &oelig;il serein et fier le peuple qui s'y
-portait en foule. A son arrive l'Htel-de-ville,
-il paya les porteurs, et leur dit:
-<i>Je n'ai que trente sous sur moi, les
-voil; j'espre sortir tantt, venez me prendre,
-je vous rcompenserai mieux.</i> Des jeunes
-<span class="pagenum"><a id="Page_116">116</a></span>
-gens dtenus en prison par ordonnance
-de police pour une lgre dispute, l'invitrent
- dner. S'tant mis table, il mangea peu,
-se leva avant la fin du repas, et envoya chez
-le greffier de la gele. Un instant aprs, il fut
-appel et conduit, sans le savoir, la chambre
-de la question, o son arrt lui fut prononc.
-Il ne profra pas une seule parole:
-mais, saisi tout--coup par un violent dsespoir,
-il s'lana contre le coin d'une chemine,
-la tte la premire, et s'y fit une ouverture
-auprs d'une des tempes. Son sang ayant
-ruissel aussitt, un chirurgien pansa la plaie.
-On se hta d'excuter l'arrt, dans la crainte
-de n'en avoir pas le temps. Lorsqu'on le conduisit
-au lieu du supplice, son visage tait
-altr, ses yeux hagards, son front dfigur,
-et couvert du sang qu'il perdait en abondance.
-La comparaison du sort affreux que ce malheureux
-allait prouver, avec celui dont il
-aurait d jouir, s'il et voulu respecter les
-lois de la probit, inspirait une vritable
-compassion pour lui.</p>
-
-<p>Descendu de la charrette, il marcha d'un
-pas tranquille vers la potence; avant d'y
-monter, il rpondit aux commissaires qui lui
-<span class="pagenum"><a id="Page_117">117</a></span>
-avaient demand s'il n'avait aucune dclaration
- faire, qu'il n'en avait point; mont,
-il se tourna vers l'excuteur, et le pria de
-terminer <i>la tragdie le plus promptement
-possible</i>: <i>Faites-moi le plaisir</i>, lui dit-il,
-<i>mon ami, de faire vite; il me tarde que ceci
-soit achev</i>. Il se prcipita ensuite lui-mme.....
-Son cadavre fut accord au collge de chirurgie,
-qui l'avait demand; mais les restes du
-docteur pendu n'taient plus le lendemain
- l'amphithtre de Saint-Cme; la serrure
-de la porte avait t force; et le tronc, sans
-tte, fut trouv, quelques jours aprs, dans
-le canal royal de Languedoc. On attribua cet
-enlvement aux tudians en mdecine.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_118">118</a></span></p>
-
-<h2>MARIE GLIBERT,<br />
-<span class="large">ACCUSE D'AVOIR POIGNARD SON MARI.</span></h2>
-
-<p>Une femme qui ose lever le poignard de
-l'assassin sur son mari est un monstre que
-la justice doit immoler la nature et l'humanit
-outrags. Mais plus un attentat pareil
-inspire d'horreur, plus on doit se montrer difficile
-sur les preuves d'un forfait aussi atroce.</p>
-
-<p>De simples prsomptions, de lgers indices
-ne doivent point suffire; il faut des preuves
-videntes.</p>
-
-<p>Marie Glibert, ne dans la classe ouvrire,
-eut quatre enfans d'un premier mariage qui
-avait t aussi heureux que possible, au sein
-du travail et de la mdiocrit. Reste veuve
- l'ge d'environ quarante ans, et ses enfans
-tant encore fort jeunes, elle chercha un nouvel
-appui dans un second mariage, et crut
-faire son bonheur et celui de sa famille en
-accordant sa main Eustache Allier.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_119">119</a></span>
-Cette pauvre femme fut cruellement trompe
-dans son esprance. Cet Allier tait d'un
-naturel froce et pervers. D'abord soldat, et
-puis dserteur, il s'tait rendu bientt redoutable
-dans toute la contre. Connu pour tre
-capable de tout entreprendre et de tout oser,
-on le fuyait comme un homme extrmement
-dangereux. Il tait sans cesse en querelle, et
-cette conduite lui avait attir un grand nombre
-d'ennemis.</p>
-
-<p>Marie Glibert eut beaucoup souffrir des
-emportemens de cet homme violent. Il la maltraitait
-continuellement. Mais toujours patiente
-et porte la douceur, Marie Glibert
-se contentait de reprsenter son mari, avec
-autant de mnagement qu'il tait possible,
-l'injustice de ses procds et de sa mauvaise
-conduite. Mais cette douceur ne pouvait
-dsarmer l'humeur violente d'Allier. Il brisa
-tout ce qui se trouva sous ses mains, il excda
-sa femme et ses enfans; et, aprs
-avoir enlev tout ce qu'il pouvait transporter,
-il disparut de Montbasin.</p>
-
-<p>Marie Glibert crut avoir acquis le repos,
-la sret de sa vie et celle de ses enfans qu'elle
-nourrissait du travail de ses mains. Mais elle
-<span class="pagenum"><a id="Page_120">120</a></span>
-n'tait point arrive au terme de ses maux.
-Allier l'avait quitte en lui jurant, avec les sermens
-les plus terribles, de lui arracher la vie
-ainsi qu' trois de ses enfans.</p>
-
-<p>Une nuit, Marie Glibert dormait tranquillement
-au milieu de ses enfans, lorsqu'elle
-est veill par le bruit de sa fentre, que l'on
-s'efforce d'enfoncer; elle crie, les voisins accourent,
-Allier s'enfuit.</p>
-
-<p>Cette premire tentative est bientt suivie
-d'une seconde. Le 11 octobre 1777, il se rend
- Montbasin, va droit la maison de Marie
-Glibert, entre sans tre aperu, s'lance sur
-sa femme avec fureur, la saisit au cou, et fait
-des efforts pour l'trangler. Aux cris de Marie
-Glibert, son fils an, g de quatorze ans,
-monte la chambre, voit sa mre succombant
-sous les coups de son beau-pre. Il veut la secourir;
-Allier renverse sa femme presque mourante,
-se jette sur l'enfant, le serre entre ses
-bras afin de l'touffer, et tombe avec lui. Les
-voisins accourent au bruit, arrachent l'enfant
-tendu sous Allier, et emmnent ce dernier.</p>
-
-<p>Le lendemain, Marie Glibert apprend avec
-tonnement que son mari est mort de plusieurs
-<span class="pagenum"><a id="Page_121">121</a></span>
-blessures; qu'tienne Allier, son frre,
-a rendu plainte en fait d'assassinat contre des
-personnes qu'il ne voulait pas nommer. Sre de
-son innocence, elle ne pense pas que la procdure
-puisse tre dirige contre elle. Dans
-cette trompeuse scurit, elle est enleve par
-des cavaliers de la marchausse, qui la conduisent
-dans les prisons de Montpellier.</p>
-
-<p>Marie Glibert, interroge, rpond toutes
-les questions avec cette navet et cette fermet
-qui accompagnent presque toujours l'innocence.
-On la confronte avec les tmoins.
-Tous jurent ne lui avoir pas vu donner des
-coups de couteau Allier. Quelques-uns disent
-l'avoir vue sortir ensanglante de sa maison,
-aprs l'action qui s'y tait passe, mais
-ils ne s'accordent pas sur quelques dtails.
-D'autres affirment que son mari, avant de
-mourir, l'a dsigne comme l'auteur de son
-meurtre; mais ces derniers se contredisent
-mutuellement, et sont dmentis par un seul
-tmoignage digne de foi.</p>
-
-<p>Nanmoins, aprs la consommation des procdures,
-et malgr cette absence totale de
-preuves, la malheureuse Glibert fut condamne,
-par le premier juge, tre pendue.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_122">122</a></span>
-Sur l'appel de cette sentence, l'infortune
-fut transfre dans les prisons de Toulouse;
-et aprs de nouvelles angoisses, de nouveaux
-tourmens, son innocence triompha devant le
-parlement de cette ville, qui, par arrt du 4
-septembre 1780, infirma la sentence du premier
-juge, et mit l'accuse hors de cour.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_123">123</a></span></p>
-
-<h2>BOUCHER,<br />
-<span class="large">OU L'ASSASSIN DE SEIZE ANS.</span></h2>
-
-<p>Un jeune homme g de seize ans, nomm
-Boucher, aprs avoir t domestique, voulut
-apprendre le mtier de perruquier, et se plaa,
- cet effet, comme apprenti, dans une boutique
-situe aux environs du Palais-Royal. Il parat
-que Boucher avait le malheur d'tre trs-enclin
-au libertinage. Il entretenait, par consquent,
-de frquentes relations avec les filles
-publiques.</p>
-
-<p>Le 13 novembre 1780, tant mont dans
-la chambre d'une de ces cratures qu'il avait
-rencontre dans la rue Saint-Denis, cette fille
-exigea trois livres pour prix de sa complaisance.
-On pense que cette convention faite
-au pied de l'escalier fut remplie sans humeur,
-et que le jeune libertin se retira sans contestation.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_124">124</a></span>
-Le lendemain au soir, Boucher passant encore
-dans la rue Saint-Denis, aperut sa sirne
-de la veille; il l'aborda et parla quelque
-temps avec elle. Dans ce moment, une des
-compagnes de cette fille passe auprs d'eux;
-Boucher lui propose de monter chez elle; celle-ci
-accepte la proposition. Arriv dans sa chambre,
-il offre la fille la somme qu'il avait
-offerte la veille sa camarade, condition
-qu'elle quitterait ses vtemens. Cette condition
-est accepte l'instant mme.</p>
-
-<p>Mais Boucher ayant vu cette fille accrocher
-une montre d'or sa chemine, conut, ce
-qu'il parat, le projet de la lui drober. Ds
-qu'il eut assouvi sa brutale passion, il se saisit
-d'un rasoir qu'il portait dans une des poches
-de sa culotte, et en porta plusieurs coups
- cette fille, faisant tous ses efforts pour l'atteindre
-au cou; heureusement que celle-ci
-avait une cravate trs-paisse. Ds qu'elle se
-sentit blesse, elle se dbattit, et parvint
-arracher le rasoir des mains de son assassin;
-et, quoique dj mutile, elle eut encore assez
-de force pour ouvrir sa fentre et jeter le
-rasoir ensanglant dans la rue, en criant <i>
-l'assassin</i>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_125">125</a></span>
-Alors Boucher, furieux, hors de lui-mme,
-prit son couteau et en porta plusieurs coups
- la victime de sa barbarie et de sa cupidit.
-Mais ne pouvant parvenir lui donner la
-mort, et entendant du bruit, il ouvrit la porte,
-se disposant fuir, lorsqu'il fut arrt par
-deux hommes qui taient monts aux cris de
-la fille assassine, et la vue du rasoir tomb
-dans la rue. Le sclrat, en fuyant, avait encore
- la main son couteau ensanglant. Au
-tumulte qu'excita un pareil vnement, la
-garde accourut, et trouva la fille baigne dans
-son sang et prs d'expirer. On la conduisit
-aussitt l'Htel-Dieu, pour lui administrer
-les secours qu'exigeaient ses blessures.</p>
-
-<p>Le corps du dlit tait constant, et les preuves
-de l'assassinat taient videntes. Cependant
-l'assassin eut l'audace de soutenir qu'il n'tait
-pas coupable: il nia que le couteau lui appartnt,
-et qu'on l'et rencontr son couteau
- la main. Il ajoutait que c'tait la fille qui
-avait voulu se tuer elle-mme, et que le rasoir
-trouv dans la rue tait sous le chevet de son
-lit. On le confronta avec la fille l'Htel-Dieu,
-et il persista lui soutenir qu'elle-mme s'tait
-mutile.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_126">126</a></span>
-Mais le rasoir ayant t reconnu pour appartenir
- Boucher, et les deux personnes qui
-l'avaient arrt dans l'escalier lui ayant t
-confrontes, Boucher fut convaincu de l'assassinat
-dont il tait accus.</p>
-
-<p>Aussi, par sentence rendue le 22 novembre,
-c'est--dire huit jours aprs son crime,
-Boucher fut condamn au supplice des assassins.</p>
-
-<p>Sur son appel, le parlement le condamna
- tre rompu vif en place de Grve, et expirer
-sur la roue, par arrt du premier dcembre
-1780, et le mme jour Boucher fut
-excut.</p>
-
-<p>Tous les pres de famille, en apprenant le
-supplice de ce jeune sclrat, doivent trembler
-en pensant aux suites effrayantes de
-la dbauche. tre capable de commettre,
-l'ge de seize ans, un crime aussi atroce que
-celui dont nous venons de tracer, en frmissant,
-l'horrible tableau; quelle preuve plus
-forte de la dpravation des m&oelig;urs et de la
-ncessit de veiller sur le dpt prcieux de
-la morale publique!</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_127">127</a></span></p>
-
-<h2>LA BERGRE AUVERGNATE.</h2>
-
-<p>En gnral, la frivolit des hommes leur
-fait passer lgrement sur des crimes qui introduisent
-le dsordre et la dsorganisation
-dans le corps social. Cette indulgence funeste
-qui porte rire, plaisanter sur des matires
-essentiellement srieuses, puisqu'il s'agit du
-bonheur ou du malheur d'une foule d'individus,
-ne dpose nullement en faveur de la
-moralit de ceux qui en font parade en toute
-circonstance. Que prouve cette indiffrence,
-si gnralement rpandue, en matire d'adultre,
-sinon que nous sommes parvenus un
-tel tat de corruption, que nous nous en apercevons
- peine; ou si nous y pensons quelquefois,
-comme par ressouvenir, c'est pour
-vertuer notre malignit contre le voisin, qui
-souvent se trouve en fonds pour nous rendre
-la pareille, avec intrts.</p>
-
-<p>Parmi les nombreux dlits dont le libertinage
-<span class="pagenum"><a id="Page_128">128</a></span>
-est la source, le viol est aussi le point
-de mire des sarcasmes et des quolibets de ces
-messieurs. Le viol est impossible, s'crient-ils;
-et ils proclament hautement cette opinion
-insultante pour tout le sexe, qu'une femme
-n'a jamais t viole que lorsqu'elle l'a bien
-voulu. Comme si l'on ne devait pas tenir
-compte des circonstances qui souvent prcdent
-et accompagnent ce crime!</p>
-
-<p>Heureusement le moraliste et le lgislateur,
-moins frivoles que les masses des nations,
-ont vu cette question de haut, ont reconnu
-qu'elle tait inhrente aux bases de la socit,
-qu'elle intressait singulirement la flicit
-des familles, et qu'il importait par consquent
-de l'entourer de toute la protection
-des lois. Aussi le viol, lorsqu'il est attest par
-des preuves irrcusables, conduit l'chafaud
-le forcen qui s'en est rendu coupable.</p>
-
-<p>Une jeune fille, nomme Jeanne Delaste,
-habitait avec sa famille un village de la paroisse
-d'Auzon, dans le voisinage de la ville
-de Riom en Auvergne. Jeanne tait doue
-d'une beaut remarquable, et la fracheur de
-la jeunesse ajoutait encore l'clat des charmes
-de sa figure. Quoique jeune et dans l'ge
-<span class="pagenum"><a id="Page_129">129</a></span>
-des faiblesses du c&oelig;ur, elle avait conserv sa
-vertu, et tous les villageois des environs la
-citaient comme un exemple de sagesse.</p>
-
-<p>Depuis long-temps un jeune homme, fils
-d'un laboureur de la mme paroisse, nomm
-Benot Bard, s'attachait ses pas, et l'obsdait
-de ses galantes poursuites. N'ayant pu,
-malgr tous ses soins, sduire l'objet de ses
-dsirs, ce jeune homme, n avec des passions
-vives et brutales, rsolut d'employer la violence
-pour triompher de Jeanne Delaste. Sachant
-que cette jeune fille conduisait le troupeau
-confi sa garde dans un pacage loign
-de toute habitation, il saisit un moment
-o les champs voisins taient absolument
-solitaires pour consommer son crime.</p>
-
-<p>Renonant aux manires caressantes, aux
-propos doucereux l'usage des amans, ce
-jeune dbauch aborde sa victime avec un
-air menaant. Il lui dit, en profrant les juremens
-les plus affreux, qu'il va lui donner la
-mort si elle ne consent sur l'heure couronner
-ses dsirs. La bergre n'est point effraye de
-ses menaces; elle dfend sa vertu avec courage;
-elle se dclare prte souffrir plutt la
-mort que le dshonneur. Irrit de tant de rsistance,
-<span class="pagenum"><a id="Page_130">130</a></span>
-Benot Bard saisit Jeanne Delaste,
-la terrasse, et l'accable de coups. L'infortune
-ayant alors perdu l'usage de ses sens, le villageois
-brutal assouvit sa froce passion. Aussitt
-que Jeanne fut revenue elle-mme, elle
-fit retentir l'air de ses cris. Des laboureurs
-accoururent, et trouvrent le sclrat qui insultait
-encore la victime de sa brutalit. Indigns
-d'une conduite aussi odieuse, ils accompagnrent
-la malheureuse bergre chez
-le magistrat, vengeur naturel de l'innocence
-outrage. A l'instant mme plainte fut rendue
-contre le coupable. Sur l'information, Benot
-Bard fut dcrt de prise de corps, et d'aprs
-les preuves qui en rsultrent, les juges de
-la snchausse de Riom le condamnrent
-tre pendu.</p>
-
-<p>Par arrt du 19 avril 1780, la sentence
-des premiers juges fut confirme, et Benot
-Bard fut envoy Riom pour y subir la peine
-qu'avait mrite son crime.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_131">131</a></span></p>
-
-<h2>FAMILLE D'ASSASSINS.</h2>
-
-<p>En 1779, les environs de Saint-Calais, petite
-ville du Maine, furent le thtre d'un
-forfait dont les circonstances font frmir.</p>
-
-<p>Catherine Emonnet, ne de parens qui
-vivaient du fruit de leur travail, fut marie
-trs-jeune un laboureur de la paroisse de
-Conflans, aux environs de Vendme. Cette
-union fut trs-malheureuse. La jeune femme
-manifesta, dans une foule de circonstances,
-une aversion trs-prononce pour son mari,
-et la mort subite de ce dernier fit mme natre
-des soupons sur la cause qui l'avait produite.
-Le malheureux laboureur qui avait
-pous Catherine Emonnet mourut dans des
-tortures semblables celles d'une personne
-empoisonne; mais on ne rechercha pas les
-causes de ce trpas inopin, et si le crime
-y eut part, ce forfait resta enseveli avec la
-victime.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_132">132</a></span>
-Avec les dispositions qui viennent d'tre signales,
-Catherine Emonnet fut bientt console
-de la perte de son mari. Devenue plus
-riche par cet vnement, elle fut recherche
-par plusieurs partis. Laurent Morgue, ancien
-laboureur, jouissant d'une honnte aisance
-et d'une bonne rputation, obtint, malheureusement
-pour lui, la prfrence sur ses
-comptiteurs. Cet homme tait beaucoup
-plus g que la jeune veuve. Celle-ci, en consentant
- l'pouser, n'tait guide que par
-des vues d'intrt.</p>
-
-<p>Le mariage fut peine consomm, que
-Laurent Morgue, par suite des mauvais procds
-qu'il prouvait dj de la part de Catherine
-Emonnet, eut lieu de se repentir du choix
-qu'il venait de faire. Il parat que, ds les premiers
-jours de son mariage, ce monstre avait
-conu le projet de se dfaire de ce nouvel
-poux qui lui inspirait autant d'aversion que
-son devancier. Mais elle ne confia son projet
- personne.</p>
-
-<p>Ce qui est certain, c'est que Laurent Morgue,
-aprs avoir mang une soupe que sa femme lui
-avait apprte, avant qu'il ne partt pour se
-rendre quatre lieues de chez lui, fut trouv,
-<span class="pagenum"><a id="Page_133">133</a></span>
-dans un foss, expirant des douleurs d'une colique
-horrible. Heureusement un chirurgien,
-passant cheval, s'arrta, et ayant reconnu
-tous les symptmes du poison dans la maladie
-de cet homme, vola aussitt la ville
-voisine et en rapporta du contre-poison qui
-sauva la vie ce malheureux.</p>
-
-<p>En rflchissant sur la cause de cet accident,
-Morgue ne put se dissimuler que sa femme
-avait voulu attenter ses jours. Il aurait pu
-sans doute dnoncer le crime et livrer son
-auteur la justice, mais un reste d'affection
-pour cette misrable le retint, et le dtermina
- garder le silence. Il se contenta de prendre
-toutes les prcautions possibles pour se soustraire
-au danger qu'il avait couru; et il exigea
-que sa femme manget la premire, et en
-sa prsence, de tous les alimens qu'elle apprtait.
-Quelle position que celle d'un mari
-rduit prendre de pareilles prcautions!</p>
-
-<p>Catherine Emonnet, se voyant prive des
-moyens abominables qu'elle avait employs
-pour donner la mort son mari, confia son
-pre et sa mre le nouveau projet qu'elle
-avait conu pour parvenir ses fins. Il fallait
-bien qu'elle comptt sur la sclratesse de ses
-<span class="pagenum"><a id="Page_134">134</a></span>
-parens, pour leur faire une semblable ouverture.
-Ceux-ci, au lieu d'user de leur autorit
-pour dtourner leur fille de ses excrables
-desseins, ourdirent, de concert avec elle, le
-complot de faire assassiner leur malheureux
-gendre par une main trangre.</p>
-
-<p>Il ne s'agissait que de trouver un homme
-capable d'excuter le plan qu'ils avaient conu.
-Un mauvais sujet, nomm Jusseaume, qui
-ne travaillait que pendant la moisson, et qui,
-le reste de l'anne, mendiait pour subsister,
-leur parut propre leur criminelle entreprise.
-Ils attirrent ce vagabond dans leur maison,
-le prparrent leur horrible confidence par
-des caresses et des cajoleries de toute espce.
-La misre, surtout lorsqu'elle est le rsultat
-de la paresse, est facile sduire. Cependant
- la premire proposition qu'on lui fit de tuer
-Morgue, Jusseaume recula d'horreur et rejeta
-avec indignation les promesses de rcompense
-des poux Emonnet.</p>
-
-<p>Mais Catherine Emonnet, qui tait doue
-d'une figure agrable, voyant que l'argent seul
-ne suffirait pas pour dterminer Jusseaume,
-lui proposa de lui donner sa main s'il voulait
-tre l'assassin de son mari. Cette offre sduisit
-<span class="pagenum"><a id="Page_135">135</a></span>
-Jusseaume, et dtruisit tous ses scrupules.</p>
-
-<p>Ce pacte infernal tant conclu, on n'attendait
-plus que le moment favorable pour
-commettre le crime. Emonnet et sa femme
-donnrent un fusil Jusseaume, et Catherine
-lui fournit de l'argent pour acheter des balles
-et de la poudre.</p>
-
-<p>Le 10 juin 1779, Morgue tant all Saint-Calais
-pour ses affaires, sa femme avertit Jusseaume
-de l'attendre son retour, et le conjura
-de donner la mort un poux qu'elle
-avait en horreur. Le trop faible et trop criminel
-Jusseaume obit cet ordre barbare.
-Il s'aposta sur le chemin de Morgue, l'attendit,
-lui tira un coup de fusil ds qu'il l'aperut,
-et prit la fuite.</p>
-
-<p>Morgue fut dangereusement bless au visage;
-mais sa blessure n'tait pas mortelle. Il fut
-trouv sans connaissance et baign dans son
-sang; on le transporta dans l'auberge la plus
-voisine, o l'on s'empressa de lui administrer
-les secours que rclamait son tat.</p>
-
-<p>Cependant l'assassin se hta d'aller rendre
-compte Catherine Emonnet de ce qu'il venait
-de faire; et cette femme atroce fut entendue
-lui criant de loin: <i>Est-il mort?</i></p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_136">136</a></span>
-Le bruit de cet assassinat s'tant rpandu,
-le ministre public rendit plainte et fit informer.
-Jusseaume, Catherine Emonnet, son
-pre et sa mre furent arrts peu de temps
-aprs, et, par sentence du 2 juin 1780, furent
-condamns, savoir: Jusseaume tre rompu
-vif, Catherine Emonnet, son pre et sa mre,
- assister au supplice de Jusseaume, et tre
-pendus.</p>
-
-<p>Sur l'appel de cette sentence, le parlement,
-par un premier arrt du 3 aot 1780, confirma
-la sentence l'gard de Jusseaume, et
-sursit jusqu'aprs son excution prononcer
-sur l'appel de ses complices. Un second
-arrt, du 12 octobre 1780, condamna ces derniers
- faire amende honorable, et tre ensuite
-conduits sur la place publique de Saint-Calais,
-o Catherine Emonnet fut brle vive,
-son pre rompu et sa mre pendue; leurs
-corps furent jets dans le mme bcher pour
-y tre rduits en cendres. Quant Morgue,
-il survcut sa blessure; la dot et tous les
-droits de communaut qui appartenaient
-sa femme lui furent adjugs, et il obtint une
-rente viagre de cinquante livres sur les biens
-des coupables.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_137">137</a></span></p>
-
-<h2>ACCUSATION D'ASSASSINAT<br />
-<span class="large">MAL FONDE.</span></h2>
-
-<p>Quelques prcautions que l'on prenne,
-avec quelque circonspection que l'on agisse,
-quelqu'innocent que l'on soit de toute espce
-de crime, on n'est point assur d'tre
-toujours l'abri de toute accusation. Une
-circonstance trange se prsente; un crime
-est commis; votre innocence est prouve,
-avre; il n'en faut pas moins comparatre sur
-le banc des accuss, et vous rsigner, du moins
-pour un moment, tre souponn d'un
-lche assassinat.</p>
-
-<p>Le jeune chevalier de Mercier, peine g
-de dix-huit ans, ne put prendre part aux divertissemens
-du carnaval de 1781, tant, cette
-poque, trs-souffrant d'un rhume pnible
-et opinitre. Tout ce qu'il put se permettre
-fut d'aller, le lundi gras, assister aux danses
-<span class="pagenum"><a id="Page_138">138</a></span>
-d'une troupe de jeunes gens rassembls chez
-le sieur Alibert, Aulas. Mais il se retira
-neuf heures du soir, rentra chez lui, et se
-coucha. Une servante qui tait venue bassiner
-son lit, ne sortit que quand elle l'eut vu couch,
-emporta la lumire, et ferma la porte de
-sa chambre. La servante, tant sur la premire
-marche de l'escalier, entendit tirer un
-coup de fusil et la voix d'une personne qui
-criait au secours. Elle voulait sortir par curiosit,
-mais elle en fut empche par la tante
-du chevalier, qui craignit que des gens masqus,
-qu'elle croyait les auteurs de ce coup,
-ne fissent peur cette fille.</p>
-
-<p>De son lit, le sieur Mercier entendit aussi
-le coup de fusil, mais il imagina, comme beaucoup
-d'autres personnes, que cette dtonation
-isole tait la suite de la dissipation des jours
-gras.</p>
-
-<p>Point du tout: un lche assassinat venait
-d'tre commis de guet-apens sur la personne
-du sieur Boisson; et ce qu'il y a de plus extraordinaire,
-c'est que le chevalier de Mercier
-fut accus de ce crime. Il parat que le
-sieur Boisson, dans le dlire qui tait rsult
-de sa blessure, avait dit qu'il avait reconnu
-<span class="pagenum"><a id="Page_139">139</a></span>
-le coupable, que c'tait le chevalier de Mercier,
-etc., etc. Cette dclaration du bless circula
-dans le public. Le procureur-fiscal s'en empara,
-et rendit seul plainte le 9 mars 1781.
-Le chevalier de Mercier, de son ct, forma
-une action criminelle dirige contre le sieur
-Boisson, pour cause de diffamation, et sa
-plainte fut porte au tribunal le 27 mars.
-Alors le sieur Boisson devint directement accusateur,
-et continua en son nom la procdure
-entame.</p>
-
-<p>Quel pouvait tre le motif de cette accusation
-calomnieuse? On prsuma que la conduite
-de Boisson tait le rsultat d'une rixe qui
-avait eu lieu entre le chevalier et lui.</p>
-
-<p>Le chevalier de Mercier et le sieur Boisson
-taient assis sur la banquette de la maison
-du sieur Huls. Ils se donnent, <i>en badinant</i>
-un dfi; il s'agissait d'prouver lequel des
-deux serrerait le mieux la main de l'autre;
-en consquence, ils joignirent leurs mains
-plusieurs reprises, et les serrrent, toujours
-en badinant. Je parie, dit Boisson, que je
-serai assez fort pour vous <i>fouetter</i>.&mdash;Le chevalier
-de Mercier prit ce propos en badinant.&mdash;<i>Quand
-on est si fort</i>, dit-il, <i>on ne se laisse
-<span class="pagenum"><a id="Page_140">140</a></span>
-pas menacer de coups de fouet</i>. Le sieur Boisson
-tait tout mu de colre, et proposait au
-chevalier d'entrer chez le sieur Huls, apparemment
-pour se laisser fouetter. Si vous en
-avez une si grande envie, repartit le chevalier,
-faites-le l'endroit o nous sommes, sans
-entrer chez le sieur Huls.</p>
-
-<p>Il y avait neuf mois que cette petite rixe
-s'tait passe; et rien n'avait annonc qu'elle
-dt avoir des suites fcheuses. Mais pourquoi
-Boisson dnonait-il le chevalier comme son
-assassin, tandis qu'il savait bien qu'il avait
-un assez grand nombre d'ennemis particuliers
- Aulas, parce qu'il passait pour rendre
-compte au seigneur des personnes qui allaient
- la chasse ou la pche?</p>
-
-<p>Quoiqu'il en soit, le chevalier de Mercier fut
-arrt, et le parlement de Toulouse fut saisi
-de la cause. Le procs ne fut termin qu'au
-mois de fvrier 1782; et hommage fut rendu
- l'innocence du chevalier de Mercier; il fut
-dcharg de l'accusation, et Boisson condamn
-aux dpens, titre de dommages-intrts
-et par corps.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_141">141</a></span></p>
-
-<h2>LE PAUVRE TAILLEUR<br />
-<span class="large">VICTIME DE SA BIENFAISANCE.</span></h2>
-
-<p>Un pauvre tailleur, occupant une chambre
-dans la rue de Clry Paris, eut le malheur
-de faire connaissance avec un individu qui
-cachait son vritable nom sous ceux de Nicolas
-Grard. Touch de la misre de cet
-homme, il eut la bont de lui donner l'hospitalit.
-Un tel acte d'humanit, de la part
-d'un ouvrier qui n'avait pour tout bien que
-son aiguille, devait-il tre pay par le plus
-horrible forfait?</p>
-
-<p>Le 6 janvier 1781, sur les six heures du
-soir, Grard et deux autres hommes furent
-rencontrs dans l'escalier, emportant les meubles
-de Herse (c'tait le nom du tailleur). Le
-propritaire de la maison ayant t averti, fit
-arrter Grard et ses compagnons, et les fora
-de remettre les meubles dans la chambre o
-ils les avaient pris.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_142">142</a></span>
-Des traces de sang qui furent aperues dans
-cette chambre donnrent naissance des soupons.
-On fit des recherches, et l'on trouva
-sous l'tabli du tailleur un cadavre dont la
-tte avait t coupe, et qui fut reconnu pour
-tre celui de l'infortun Herse. Grard et
-ses deux affids furent aussitt conduits en
-prison.</p>
-
-<p>Grard, pour chapper au supplice que
-mritait son crime, imagina une fable grossire
-avec laquelle il croyait en imposer aux
-juges. Il dclara que le propritaire de la
-maison ayant donn cong Herse, pour le
-terme de janvier, et ce tailleur n'ayant pas
-d'argent pour payer son loyer, mais esprant
-en recevoir d'un de ses dbiteurs qui demeurait
- Versailles, tait parti pour cette ville le
-3 janvier, ds le matin, en le chargeant, lui
-Grard, de vendre les meubles et effets pour
-payer son terme, si toutefois il n'tait pas de
-retour avant l'chance.</p>
-
-<p>Grard avoua que le tailleur lui avait laiss
-la clef de sa chambre en partant, et qu'il n'avait
-pas cess de coucher dans cette chambre.
-Malgr ces aveux, il continua nanmoins
-nier qu'il ft l'auteur de l'assassinat. Il persista
-<span class="pagenum"><a id="Page_143">143</a></span>
-galement soutenir la fable du voyage
-de Versailles, affirmant qu'il ignorait le retour
-de Herse Paris, quoique celui-ci ne pt
-rentrer dans la chambre qu'avec la clef qu'il
-lui avait remise lui Grard, attendu qu'il
-n'en avait pas d'autre. Il y en avait bien une
-double, mais elle tait entre les mains du
-propritaire. Ainsi les mensonges de Grard
-taient videns.</p>
-
-<p>L'audace de ce sclrat aurait pu rpandre
-des doutes sur la vrit, s'il n'y et pas eu
-contre lui une runion de circonstances qui
-prouvaient son imposture; mais les faits certains
-et avous qu'il avait t seul dtenteur
-de la clef de la chambre, qu'il y avait toujours
-couch, qu'il avait voulu enlever de
-nuit et furtivement les meubles; la disparition
-de Herse du 3 au 6; enfin le cadavre et
-les traces de sang trouves dans la chambre,
-qui n'avait t occupe que par Grard, ne
-laissaient rien dsirer pour convaincre cet
-assassin de son crime. On dcouvrit aussi qu'il
-avait dj figur dans plusieurs procs criminels
-sous des noms diffrens. Il portait sur
-l'paule l'empreinte des lettres G. A. L., qui
-ne permettait pas de douter de son infamie, et
-de l'habitude qu'il avait du crime. Il ne se
-<span class="pagenum"><a id="Page_144">144</a></span>
-bornait pas changer de nom; il cachait encore
-sa profession. On assure qu'il tait coiffeur;
-cependant, dans son dernier procs,
-il dclara qu'il tait man&oelig;uvre de maon.</p>
-
-<p>Le seul dsir de s'emparer des effets de
-Herse avait port ce monstre assassiner son
-bienfaiteur. On apprit aussi que Grard entretenait
-un commerce criminel avec une de
-ces viles prostitues, qui ne portent que
-trop souvent au crime ceux qui partagent
-leur dbauche, et l'on prsuma que c'tait
-pour fournir aux besoins de cette malheureuse
-que Grard avait fait prir le pauvre
-Herse.</p>
-
-<p>Le parlement, suffisamment clair et convaincu,
-par arrt du 3 fvrier 1781, condamna
-Grard tre rompu vif.</p>
-
-<p>Ce sclrat montra une audace et une
-constance incroyables pendant la question,
-qui ne lui arracha aucun aveu. Il conserva
-la mme contenance pendant son supplice.
-Mais on assure qu'il dclara extra-judiciairement
-qu'il tait coupable du crime pour
-lequel on l'avait condamn; que s'il n'en
-faisait pas l'aveu la justice, et que s'il persistait
- cacher son nom, <i>c'tait pour ne pas
-faire tort sa famille</i>.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_145">145</a></span></p>
-
-<h2>USURIER PUNI.</h2>
-
-<p>L'usure est une des plaies de la socit. Cette
-espce de crime est d'autant plus dangereuse
-qu'elle parvient le plus souvent se soustraire
- la vigilance des tribunaux; et il n'arrive
-que trop frquemment que la cupidit,
-dvore par la soif de l'or, se fasse un jeu de
-fouler aux pieds les droits les plus sacrs de
-l'humanit pour lever une fortune scandaleuse
-sur les ruines des malheureuses victimes
-de ses extorsions.</p>
-
-<p>Vainement Molire, notre pote philosophe
-par excellence, a flagell de ridicule ces vils
-prteurs; vainement les lois civiles et canoniques
-les ont menacs des peines les plus
-infamantes; vainement l'opinion publique les
-montre au doigt, et leur imprime sur le front
-le sceau de l'ignominie; rien ne peut mettre
-un frein leur rapacit; il semble que l'audace
-de leurs mfaits tnbreux prenne
-<span class="pagenum"><a id="Page_146">146</a></span>
-tche d'augmenter en raison de la svrit
-des lois portes contre eux, en raison de l'horreur
-universelle qu'ils inspirent.</p>
-
-<p>Toutes les ruses sont leur usage pour
-luder les dispositions des lois qui peuvent
-les atteindre. Il est bon de connatre leur manire
-d'oprer pour ne pas se laisser prendre
- leurs piges, et pour les dvoiler au besoin.
-Les usuriers sont de vritables Protes qui
-ont l'art de se rendre presque insaisissables,
- l'aide des nombreuses mtamorphoses qu'ils
-savent prendre volont. Tantt ils ont vendu
- crdit des marchandises ou d'autres effets
-mobiliers un prix excessif, comme on peut
-le voir dans la comdie de <i>l'Avare</i>; ils les ont
-ensuite fait racheter vil prix par des proxntes,
-par des courtiers ou par des agens
-subalternes, qui vont clandestinement la recherche
-des gens qui sont dans la gne, ou
-des jeunes gens de famille qui manquent d'argent,
-et les conduisent ensuite ces bienfaiteurs
-prtendus qui renchrissent leurs services
-en proportion de la dtresse qu'prouvent
-ceux qui les sollicitent. Tantt ils prennent,
-sous le nom d'un tiers, des gages d'une
-grande valeur, en nantissement de sommes
-<span class="pagenum"><a id="Page_147">147</a></span>
-modiques qu'ils prtent; et le plus souvent
-mme, l'poque convenue pour le remboursement,
-il arrive que le tiers a disparu; ils
-ont l'effronterie de faire rpondre que les
-effets ont t vendus, comme si le dlai du
-prt tait dj expir. D'autres fois, ils acquirent
-des immeubles vil prix, et font
-porter dans le contrat de vente le prix de la
-lgitime valeur; ou bien ils extorquent des
-obligations sans numration relle. D'autres
-fois encore, ils stipulent leur profit, pour
-une somme lgre, des rentes en espces,
-dont la valeur excde le produit lgitime du
-capital.</p>
-
-<p>On pourrait citer une foule d'autres traits
-de leur dpravation. Ceux-ci suffiront pour
-donner l'veil. D'ailleurs leur imagination est
-si inventive, qu'il serait difficile de faire connatre
-tous les hideux ressorts qu'elle peut
-faire mouvoir.</p>
-
-<p>Les plus grandes nations de l'antiquit, les
-Grecs, les Romains, avaient en horreur l'usure
-et les usuriers. On les regardait comme
-des pestes publiques; et de svres lois en faisaient
-justice quand ils taient convaincus.
-En France, la loi ne les pargne pas davantage.
-<span class="pagenum"><a id="Page_148">148</a></span>
-Plusieurs de nos rois ont rendu des ordonnances
-rpressives de l'usure. Les tribunaux
-ont eu plusieurs fois occasion d'appliquer
-les peines svres prescrites par ces lois
-et ordonnances. Mais ces exemples, on peut
-en juger par ce qui se passe tous les jours
-sous nos yeux, n'ont jamais eu l'heureux pouvoir
-de prvenir un seul de ces crimes si nombreux.</p>
-
-<p>Le parlement de Toulouse rendit, en 1781,
-un arrt infamant contre un de ces hommes
-abjects qui n'coutant qu'un dsir effrn
-d'acqurir rapidement de grandes richesses,
-se mettent peu en peine de l'honntet des
-moyens qu'ils emploient, et du nombre des
-infortuns qu'ils ruinent.</p>
-
-<p>Cet homme, nomm Franois-Fournier Rabisson,
-marchand de Font-Avines, se faisait
-un plaisir de prter de l'argent toutes les personnes
-qui avaient recours sa bourse. Il ne
-demandait pas plus de soixante pour cent d'intrts.
-Seulement il exigeait en outre que l'on
-ft un cadeau sa femme, titre d'pingles,
-en faveur de la ngociation. De plus, il demandait,
-et cela par pure forme de procd
-de courtoisie, que l'emprunteur donnt un
-<span class="pagenum"><a id="Page_149">149</a></span>
-repas, raison de trois livres par tte, dans
-la meilleure auberge du lieu de sa rsidence;
-en sorte que celui qui avait besoin d'une
-somme relle de trois cents livres, tait oblig,
-pour satisfaire aux obligations prescrites, de
-consentir une lettre de change ou un billet
-de quatre cent quatre-vingt-dix-huit livres,
-selon le calcul qui suit:</p>
-
-<table id="repas" summary="comptes">
- <tr>
- <td class="tdl">Argent compt</td>
- <td class="tdr">300</td>
- <td class="tdl">livres.</td>
- </tr>
- <tr>
- <td class="tdl">Bnfice</td>
- <td class="tdr">180</td>
- </tr>
- <tr>
- <td class="tdl">Cadeau sa femme</td>
- <td class="tdr">9</td>
- </tr>
- <tr>
- <td class="tdl">Repas de trois personnes</td>
- <td class="tdr">9</td>
- </tr>
- <tr>
- <td colspan="2" class="tdr">&mdash;&mdash;</td>
- </tr>
- <tr>
- <td class="tdl"><span class="i3 smcap">Total</span></td>
- <td class="tdr">498</td>
- <td class="tdl">livres.</td>
- </tr>
-</table>
-
-<p>Par ce calcul, fait sur une petite chelle,
-on peut facilement se faire une ide des bnfices
-que l'honnte Rabisson retirait de
-prts plus considrables. Il jouissait d'une trs-grande
-fortune que ses procds industrieux
-lui avaient rendue, comme on le pense bien,
-extrmement douce ramasser.</p>
-
-<p>Ce Rabisson fut condamn, par arrt du
-parlement de Toulouse, en date du 21 septembre
-1781, tre attach au carcan, avec
-un criteau devant et derrire, portant ces
-<span class="pagenum"><a id="Page_150">150</a></span>
-mots: <i>Usurier public</i>, pendant trois marchs
-conscutifs; douze cents livres d'amende
-envers les pauvres du lieu de Saint-Agrve;
- cinq livres d'amende envers le roi, et au
-bannissement du ressort pour dix ans; punition
-exemplaire, mais qui semble encore trop
-douce quand on songe qu'il s'agit d'un misrable
-qui s'tait engraiss de la substance et
-des larmes de tant d'infortuns, et qui ne s'tait
-enrichi qu'en exploitant la misre de ses
-concitoyens.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_151">151</a></span></p>
-
-<h2>CONDUITE INOUIE D'UNE FEMME<br />
-<span class="large">A L'GARD DE SON MARI.</span></h2>
-
-<p>Souvent une pouse malheureuse implore
-l'appui de la justice contre un mari qui l'abreuve
-de chagrins. Alors on s'intresse
-l'opprime, et le public se ligue spontanment
-contre l'oppresseur. Trop souvent aussi l'adultre,
-ce crime qui est le sujet de tant de
-stupides rises, ce crime qui ouvre la porte
-tant d'autres crimes, conduit une femme passionne
- attenter aux jours de son mari, lui
-met le poignard ou le poison ma main.
-Mais ces forfaits, par leur nature mme, demeurent
-rarement impunis; on peut d'ailleurs
-s'en rendre compte en rflchissant sur
-la violence des passions qui soumettent le
-c&oelig;ur humain leur empire. Ces forfaits causent
-plus d'horreur que d'tonnement. Mais
-qu'une femme, comble de bienfaits par un
-mari qui a cru faire son bonheur en l'pousant,
-<span class="pagenum"><a id="Page_152">152</a></span>
-mprise assez les lois de l'honntet,
-les devoirs les plus sacrs, les saintes obligations
-de la reconnaissance, pour dverser sur
-son bienfaiteur l'opprobre et l'infamie, pour
-mditer froidement de le frapper de la mort
-civile, pire cent fois que la mort physique
-pour tout homme d'honneur; voil ce qui
-tonnera, ce qui rvoltera toujours. Heureusement
-les exemples d'une pareille dpravation
-sont rares, et les fastes judiciaires n'en
-offrent qu'un petit nombre. Les circonstances
-de celui que nous allons rapporter sont aussi
-bizarres que rvoltantes.</p>
-
-<p>Un aubergiste de la ville de Niort aimait
-une jeune fille pauvre, et qu'il croyait digne
-de son amour. Il l'pousa; mais il ne tarda
-pas s'apercevoir qu'il s'tait tromp cruellement;
-au lieu du bonheur qu'il s'tait promis,
-il ne trouva ds l'abord dans cette union
-que de trop lgitimes sujets de repentir. Sa
-femme ne tarda pas le convaincre qu'elle
-avait pour lui la plus grande aversion. Cet
-homme crut qu' force d'gards, de soins, de
-complaisance, il pourrait la ramener au respect
-de ses devoirs. Tous ses efforts furent
-inutiles.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_153">153</a></span>
-Sa femme, pour s'affranchir d'un tmoin
-incommode, pour se rendre indpendante,
-conut et excuta, peu de temps aprs, le
-projet de dserter la maison conjugale. Elle
-partit l'insu de son mari, et vint Paris.
-Quelques jours aprs son arrive dans cette
-ville, elle lui crivit qu'elle avait gagn une
-somme considrable la loterie, et elle le
-pria de venir sur-le-champ la rejoindre pour
-faire un emploi avantageux de cet argent.
-Le mari part aussitt, plus touch du plaisir
-de retrouver sa femme, qu'il aimait sincrement,
-que de celui de toucher une somme
-considrable. Il tait bien loign de souponner
-le pige infme tendu sa crdulit.
-Il arrive Paris; mais peine est-il descendu
-de la diligence que des officiers de police lui
-mettent la main au collet, et le constituent prisonnier.
-Heureusement pour lui, sa captivit
-ne fut pas de longue dure. Les magistrats,
-convaincus de son innocence par suite de
-son interrogatoire et de l'exhibition de ses papiers,
-le firent largir quelques jours aprs
-son arrestation.</p>
-
-<p>Nul autre que sa femme n'avait prpar
-ce guet-apens o elle l'avait si artificieusement
-<span class="pagenum"><a id="Page_154">154</a></span>
-attir. Elle tait alle trouver les magistrats
-chargs de la police de Paris, leur avait annonc
-qu'un particulier dont elle donnait le
-signalement, condamn un bannissement
-perptuel, devait arriver Paris sous peu de
-jours. Trompe par cette fausse dnonciation,
-la police avait donn des ordres pour faire
-arrter le malheureux aubergiste.</p>
-
-<p>La femme voyant son odieux projet avort,
-se hta de quitter Paris, et de se rendre dans
-la ville o son mari tait tabli. L, elle osa
-former contre lui une demande en sparation
-de corps et de biens. Sa demande n'tait fonde
-que sur un seul fait; elle prtendait que son
-mari ayant t condamn des peines afflictives,
-elle ne pouvait continuer d'habiter avec
-un homme fltri et dshonor.</p>
-
-<p>Quelle fut la surprise du mari en apprenant
-que sa femme poursuivait contre lui sa sparation!
-Quelle fut son indignation quand on
-lui fit connatre le motif qu'elle invoquait
-pour le succs de sa demande! Soudain il va
-se prsenter aux juges, et leur dclare qu'il
-est de toute fausset qu'il ait jamais subi aucune
-condamnation fltrissante, dfiant sa
-femme d'en produire aucune preuve. Les premiers
-<span class="pagenum"><a id="Page_155">155</a></span>
-juges, voulant s'instruire de la vrit,
-ordonnent que le mari sera vu et visit par
-le chirurgien. Ce malheureux se soumet sans
-murmurer cette preuve humiliante, et
-l'on ne trouve aucune marque de fltrissure
-sur son corps.</p>
-
-<p>Les juges, indigns, dboutrent la femme
-de sa demande en sparation, et la condamnrent
-en trois mille livres de dommages-intrts
-envers son mari; et faisant droit sur
-les conclusions du ministre public, ils ordonnrent
-que la femme serait mande l'audience
-pour y tre blme.</p>
-
-<p>La femme osa interjeter appel de cette sentence;
-pourtant elle n'eut pas l'audace d'affronter
-les regards de ses nouveaux juges. Le
-mari demanda, par dfaut, la confirmation
-de la premire sentence.</p>
-
-<p>La cause fut porte l'audience de la
-grand'chambre, qui, par arrt du 25 juillet
-1781, et sur les conclusions de l'avocat gnral
-Sguier, confirma la sentence des premiers
-juges, except au chef qui avait prononc la
-peine du blme en matire civile. Comme dfenseur
-n de l'tat des citoyens et des lois
-qui ont prescrit les formes qui doivent tre
-<span class="pagenum"><a id="Page_156">156</a></span>
-observes dans la punition des dlits, l'avocat
-gnral avait fait voir que les premiers
-juges n'avaient pu, en matire civile, prononcer
-une peine afflictive.</p>
-
-<p>Aprs une sentence aussi douce pour un
-crime tel que celui dont la perverse femme
-de l'aubergiste s'tait rendue coupable, on
-est forc de dplorer, en cette circonstance,
-l'indulgence de la lgislation, qui se montre
-quelquefois si gratuitement barbare l'gard
-de crimes bien moins graves.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_157">157</a></span></p>
-
-<h2>LE MEURTRE DE SAINT-BAT.</h2>
-
-<p>Avant d'arriver la catastrophe qui fait le
-sujet de cet article, il est indispensable de
-faire connatre les lieux, les diverses personnes,
-acteurs dans ce drame, et leurs principales
-dmarches avant le moment fatal. Ces
-dtails rpandront plus de clart sur le rcit.</p>
-
-<p>Le sieur Martin, habitant de Saint-Bat,
-petite ville du diocse de Comminges, trois
-grandes lieues de Bagnres, tait pre d'une
-famille nombreuse. Il tenait une manufacture,
-et faisait faire du charbon Bagnres,
-par Bernard Martin, son second fils. Le sieur
-de Fondeville, riche ngociant, habitait le
-chteau de Marignac, situ peu de distance
-de Saint-Bat. De ce chteau l'on venait, par
-la grande route de Saint-Bat, la maison de
-Rap, de Rap Saint-Bat, et de Saint-Bat
-Fos, tous lieux o l'on va, de l'un l'autre,
-se promener pied. Cet espace qui fut le thtre
-du crime, le fut aussi des dmarches et
-<span class="pagenum"><a id="Page_158">158</a></span>
-des mouvemens de l'accus avant et aprs le
-meurtre.</p>
-
-<p>Le sieur de Fondeville avait un procs trs-important
-avec la famille Martin; et, malgr
-quelques ouvertures d'accommodement entre
-les parties, l'affaire tait loin d'tre termine.
-De part et d'autre on se donnait des marques
-de ressentiment, on laissait chapper des menaces
-plus ou moins graves. Bernard Martin
-fils avait surtout manifest plusieurs fois une
-haine violente pour la famille Fondeville.</p>
-
-<p>Le lundi 8 janvier 1781, Martin fils tait
-Bagnres, faisant voiturer Saint-Bat le
-charbon ncessaire la manufacture de son
-pre. Le voiturier arrive Saint-Bat, remet
-une lettre Martin pre. Celui-ci dit son
-fils an d'crire son frre de ne pas quitter
-Bagnres que tout le charbon ne ft voitur,
-et ritra verbalement le mme ordre au voiturier.</p>
-
-<p>Le fils an n'crit qu' midi: la lettre parvient
-le mme jour au cadet que cet ordre
-impatiente, et qui dit qu'il veut partir. Le lendemain,
-se trouvant avec les sieurs et demoiselle
-Cazat de Bagnres, le frre et la s&oelig;ur
-lui proposrent de partir le lendemain pour
-<span class="pagenum"><a id="Page_159">159</a></span>
-Saint-Bat. Je le voudrais bien, rpondit
-Bernard Martin, mais mon pre m'a donn
-l'ordre d'attendre que le charbon ft voitur.&mdash;Je
-veux que vous partiez avec moi, reprit
-la demoiselle Cazat; je me charge d'apaiser
-votre pre. Cette raison dtermina le fils
-Martin; il tait las, disait-il, de grimper les
-montagnes et d'endurer la neige. Il partit donc
-le jeudi midi, avec le sieur Cazat, et un
-sieur Laffont, qui prit en croupe la demoiselle
-Cazat. Pendant la route il fut trs-gai, quoique
-un peu inquiet de la rception que lui ferait
-son pre dont il enfreignait l'ordre formel.</p>
-
-<p>Arriv prs de Gaud, paroisse sur le chemin
-de Saint-Bat, il se spara de sa socit
-pour aller donner quelques ordres dans une
-maison qui appartenait son pre. Passons
-maintenant aux actions de ce dernier, qui tait
-accus d'avoir concert l'assassinat avec son
-fils dans cette mme maison.</p>
-
-<p>Le 10 janvier, le sieur Soul, habitant de
-Saint-Bat, avait emprunt le fusil du sieur
-Martin pre, connu pour un habile chasseur.
-L'aprs-midi du mme jour, Martin pre resta
-pendant plusieurs heures, et jusqu' sept heures
-<span class="pagenum"><a id="Page_160">160</a></span>
-du soir, avec plusieurs personnes notables
-de Saint-Bat. Le lendemain au matin, une
-de ses filles vint lui dire que la volaille manquait
-de grain depuis plusieurs jours, et l'engagea
- se rendre sa maison de Gaud pour
-en dlivrer sa servante. Elle l'en pressa, lui
-disant que cette petite promenade lui ferait
-du bien, attendu qu'une incommodit l'avait
-empch de prendre de l'exercice depuis quelque
-temps. Martin pre se rendit donc l'avis
-de sa fille, et envoya devant sa servante avec
-une nesse pour rapporter le grain.</p>
-
-<p>Mais voulant tirer quelque amusement de
-sa promenade, et ayant d'ailleurs du monde
- souper ce jour-l, il envoya son quatrime
-fils redemander son fusil chez le sieur de
-Soul. Celui-ci tant absent, le jeune homme
-en emprunta un un habitant de la ville, et le
-rapporta son pre. Ce fusil emprunt n'tait
-qu' un coup. Dans le moment survint chez
-Martin pre le sieur Fontan l'an, qui lui dit
-qu'il allait dner Marignac chez le sieur de
-Fondeville, et lui porter trois mille cent quatre-vingt-une
-livres pour le montant d'un excutoire
-obtenu par le sieur de Fondeville contre
-les sieurs Martin. Fontan demanda au sieur
-<span class="pagenum"><a id="Page_161">161</a></span>
-Martin pour porter cette somme en argent
-blanc, une valise que celui-ci lui prta, et
-il sortit ensuite.</p>
-
-<p>Le sieur Martin partit entre neuf et dix
-heures du matin, pied, portant le fusil et la
-gibecire; il aborda le sieur Boussac, l'un
-des consuls de Saint-Bat, qu'il trouva la
-porte de la ville, occup diriger ses ouvriers,
-et lui dit qu'il allait Gaud, mais qu'avant
-il irait faire un tour vers la Garonne pour
-voir s'il trouverait des canards. Il n'arriva, en
-effet, Gaud, trois quarts d'heure de chemin
-de Saint-Bat, qu'entre midi et une
-heure. Il fit faire un peu de feu, et se mit
-lire.</p>
-
-<p>Bernard Martin, son fils, fut fort surpris
-de le trouver l. Son pre lui fit des reproches
-sur sa dsobissance; Bernard s'excusa
-de son mieux.</p>
-
-<p>Aprs s'tre reposs Gaud, le pre et le
-fils se disposrent partir. Ils traversrent
-ensemble la cour qui spare la maison de l'curie,
-entrrent dans l'curie pour prendre le
-cheval, et sortirent. Le jeune homme dbarrassa
-son pre du fusil et de la gibecire. Ils
-n'taient pas encore sortis du village de Gaud,
-<span class="pagenum"><a id="Page_162">162</a></span>
-lorsqu'ils rencontrrent le meunier Bernard
-Castevan, qui revenait de la chasse. Ils lui demandrent
-s'il y avait beaucoup de canards.
-Il y en a une douzaine, leur rpondit le
-meunier, mais ils ne se laissent pas approcher.&mdash;Vas-y,
-dit le pre au fils.&mdash;Je vais
-passer par la prairie, rpondit le jeune
-homme. Et ils continurent marcher l'un
-ct de l'autre, prenant le chemin qui conduisait
- leur pr immdiatement aprs avoir
-descendu la cte de Gaud. Alors ils se sparrent.
-Le fils se dirigea vers la Garonne; le
-pre monta cheval, et poursuivit sa route
-vers Saint-Bat, o il rentra vers les trois
-heures. Aprs avoir donn ses ordres dans sa
-maison, il se rendit au billard, le rendez-vous
-ordinaire des bourgeois de la ville. Martin le
-pre y trouva le sieur Fontan, qui lui dit qu'il
-n'tait point all Marignac, parce qu'il avait
-t inform que le sieur de Fondeville n'y
-tait pas, tant parti la veille pour aller Fos.</p>
-
-<p>Quel tait le motif de ce voyage de Fondeville?
-quelles en furent les circonstances?
-Ces questions ne sont point indiffrentes pour
-connatre si l'assassin avait pu prparer son
-coup et attendre sa victime au passage. De
-<span class="pagenum"><a id="Page_163">163</a></span>
-son chteau de Marignac, le sieur de Fondeville
-se rendit le 10 janvier, vers les deux
-heures de l'aprs-midi, aprs son dner, la
-maison de Rap, chez le sieur Bessan, o il
-trouva le sieur Soul de Bezins, cur de Tusaguet.
-Comme le temps tait beau, le sieur
-Fondeville leur proposa tous deux d'aller
-en se promenant, Fos, chez le sieur Doniez
-son parent, o taient ses deux fils, le
-sieur de Labatut et le sieur de Marignac. Sa
-proposition est accepte; ils partent tous
-trois du chteau de Rap, sur le soir, arrivent
- Saint-Bat, passent dans cette
-ville sans parler personne, sans rencontrer
-personne. De l ils arrivent Fos, ils y soupent,
-y couchent, y dnent le lendemain. Ensuite
-ils repartent, repassent par Saint-Bat,
-o le fils du sieur de Fondeville, le sieur Labatut,
-s'arrte pour jouer une partie de billard
-avec le cur de Saint-Bat, son cousin. Il
-rejoint ensuite son pre, qui tait rest dans
-la ville pour quelques affaires, pendant que
-ses deux compagnons, le cur de Tusaguet et
-le sieur Bessan de Rap, marchaient peu de
-distance devant eux pour regagner le chteau
-<span class="pagenum"><a id="Page_164">164</a></span>
-o le sieur de Fondeville devait s'arrter avec
-eux.</p>
-
-<p>Cependant la demoiselle Gabrielle de Saint-Gry,
-demeurant au village de Gry, prs
-Saint-Bat, s'tant mise vers les quatre heures
-du soir sa fentre, vit un homme vtu
-de gris, couvert d'un chapeau. Elle vit en
-mme temps passer un mendiant, et aussitt
-cet homme vtu de gris, qu'elle avait dj
-aperu, se blottit dans la neige; puis cet inconnu
-s'avana vers elle, et demanda o tait
-la cte de Gry.</p>
-
-<p>Pendant le mme temps le jeune Martin,
-peu heureux dans sa chasse, et voyant la nuit
-s'approcher, s'acheminait lentement vers
-Saint-Bat. Il rencontra vers quatre heures et
-demie la fille de Buhan-Denard prs l'tang de
-l'Estagnan; puis, continuant toujours sa route,
-il rencontra presque aussitt aprs le nomm
-Pierre-la-Gaillarde. Un peu plus loin il passa
-prs du sieur Bessan de Rap et du cur de Tusaguet,
-entre des fours chaux, deux cent
-cinquante pas environ de distance de Saint-Bat.
-Le sieur de Rap le voyant un fusil sous
-le bras, et allant d'un pas ordinaire vers Saint-Bat,
-<span class="pagenum"><a id="Page_165">165</a></span>
-lui dit: Y a-t-il beaucoup de canards?
-avez-vous fait fortune?&mdash;Non, il n'y a rien,
-rpondit-il.&mdash;Avez-vous fait bonne chasse?
-lui dit aussi le cur.&mdash;Je n'ai rien pris, rpondit-il;
-et comme depuis quelque temps il avait
-perdu son chien, le sieur de Rap ajouta:&mdash;A
-prsent, vous tes comme un plerin sans
-bourdon, je vous offre mes chiens. Le jeune
-Martin le remercia de son offre, et continua
-sa marche vers Saint-Bat. Peu d'instans aprs,
-il fit rencontre des sieurs de Fondeville et de
-Labatut. Puis, tout prs de la porte de Saint-Bat,
-il rencontra la demoiselle Marie Paule
-de Rap et la nomme Jeanneton La Molle,
-rentra en ville, souhaita le bonsoir la demoiselle
-Cazat, et se rendit chez son pre.</p>
-
-<p>Aprs cinq heures, un coup de fusil, parti
-de l'angle du verger du sieur de Sacaze, peu
-de distance de la maison de Rap, frappe de
-trois balles le sieur de Fondeville, et le renverse.
-Le sieur de Labatut, son fils, a le bras
-droit froiss du mme coup. Aux cris du fils,
-le cur de Tusaguet, le sieur de Rap et plusieurs
-autres personnes accourent; le cur
-voyant la situation du sieur de Fondeville,
-lui prodigue les soins de son ministre, l'exhorte
-<span class="pagenum"><a id="Page_166">166</a></span>
- pardonner ses ennemis, et lui donne
-l'absolution. Le mourant est transport au
-chteau de Rap; mais peine y est-il arriv
-qu'il rend le dernier soupir, sans avoir nomm
-ni dsign personne; mais, ds ce moment
-mme, le sieur Labatut prtendit que ce
-meurtre avait t commis par le jeune Martin;
-il le proclama tout haut. Vainement on
-voulait le reprendre de cette imprudence; il
-persista et soutint que son pre, perc de part
-en part, s'tait cri en tombant: Ah! Martin,
-qu'as-tu fait?</p>
-
-<p>Quelque hasarde que ft cette accusation,
-elle tait sans doute excusable de la part d'un
-fils qui venait de voir tomber son pre sous les
-coups d'un assassin. Quoiqu'il en soit, un
-meurtrier tait dsign par le fils de la victime;
-c'tait la justice tcher de trouver le
-vrai coupable. Cependant la clameur populaire
-rptait avec assurance les paroles du
-fils de Fondeville, et rpandait comme des
-certitudes les simples conjectures auxquelles
-avait pu donner lieu l'inimiti qui divisait la
-famille de l'accusateur et celle de l'accus.</p>
-
-<p>Le sieur Martin fils tait loin de se douter
-des soupons qui planaient sur lui. Ce ne fut
-<span class="pagenum"><a id="Page_167">167</a></span>
-que le lendemain qu'il eut connaissance de
-l'affreuse rumeur qui circulait. Il voulait d'abord
-se remettre lui-mme entre les mains de
-la justice. On l'en empcha; on lui fit entendre
-que la vraie manire de se dfendre avec
-succs pour lui-mme et pour sa famille, tait
-d'attendre que cette premire fermentation
-et fait place la calme raison. Il cda en
-frmissant, et passa en Espagne.</p>
-
-<p>Le fils de l'homme assassin soutint dans
-un mmoire que le meurtre de son pre avait
-t concert entre Martin pre et son fils cadet.
-L'instruction juridique fut faite avec activit.
-Les informations taient termines le 8
-mai, et ds le 23 du mme mois, ce procs
-obscur et compliqu fut mis sous les yeux
-des juges, qui condamnrent le sieur Martin
-fils tre rompu vif, par sentence du 25 juin
-1781.</p>
-
-<p>La prvention et la calomnie taient venues
-distiller leur venin sur cette malheureuse
-affaire. Il est si facile de parler d'une personne
-absente. On accueillit une foule de dpositions
-ou absurdes ou contradictoires. Plus
-de cent cinquante tmoins furent entendus.
-Il ne s'en trouva pas deux pour dposer de
-<span class="pagenum"><a id="Page_168">168</a></span>
-la mme manire sur un mme fait. Parmi
-eux se trouvaient des gens sans considration
-et sans aveu. On conoit toute la confusion
-des faits, des discours, des ou-dire de
-cette nue de tmoins de toute classe, sur un
-forfait aussi affreux, qui avait rempli la petite
-ville de Saint-Bat de consternation, de soupons,
-de prventions, de rcits, de conjectures,
-de commentaires, d'opinions partages entre
-deux familles du mme canton, divises depuis
-long-temps par un procs opinitre et
-important.</p>
-
-<p>Martin pre, accus de complicit avec son
-fils, fut oblig de se soustraire aussi aux poursuites
-de la justice. On le condamna, par contumace,
-en premire instance.</p>
-
-<p>Son fils an choisit le clbre avocat lie
-de Beaumont, comme tant l'homme le plus
-capable de sauver un pre et un frre, ou du
-supplice ou de la honte aussi affreuse que le
-supplice mme. Cet loquent dfenseur battit
-en brche toute la premire procdure, releva
-les nombreuses irrgularits qu'elle prsentait,
-et fit voir que le sieur de Fondeville
-avait suscit assez de haine contre lui, soit
-dans son pays, soit en Espagne, pour que son
-<span class="pagenum"><a id="Page_169">169</a></span>
-meurtrier pt tre autre que Bernard Martin.
-Sa dfense brillante et solide fut approuve
-par les plus clbres avocats de Paris.</p>
-
-<p>Le parlement de Toulouse, par un arrt
-rendu en 1784, mit le sieur Martin fils hors
-de cour.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_170">170</a></span></p>
-
-<h2>ATROCE SANG-FROID D'UN ASSASSIN.</h2>
-
-<p>Avant de passer aux dtails de ce fait pouvantable,
-il faut dire, l'honneur de l'humanit,
-que les monstres de l'espce de celui
-dont nous allons parler sont heureusement
-fort rares. Ce qui le prouve, c'est l'horreur
-gnrale qu'inspire leur apparition. Ils produisent
-dans l'ordre moral le mme effet
-qu'une pidmie dans l'ordre physique. Grce
-aux soins de la Providence, il y a dans le c&oelig;ur
-de l'homme une conscience, qui, si elle ne
-l'empche pas toujours de se livrer au crime,
-se charge du moins d'tre son premier bourreau,
-et commence mme le torturer, du
-moment o il s'abandonne quelque pense
-coupable. Tmoin les sclrats les plus consomms
-qui, de leur propre aveu, au moment
-de commettre un forfait, hsitent, sentent
-trembler leur main mal assure, et sont domins
-par un trouble qu'ils ne peuvent dfinir,
-<span class="pagenum"><a id="Page_171">171</a></span>
-et qui souvent est leur accusateur le plus
-terrible.</p>
-
-<p>Au mois de novembre 1780, un journalier
-des environs de la ville de Mortagne, dans le
-Perche, se rendit coupable d'un assassinat
-dont les circonstances prouvent une atrocit
-de cannibale. Ce journalier, appel Pierre Tison,
-habitait une petite maison dans le bourg
-de Saint-Sulpice. Ses larcins habituels le faisaient
-regarder dans le canton comme un voleur
-de profession.</p>
-
-<p>L'habitude du vol le familiarisa par degrs
-avec la pense de crimes plus grands encore.
-Enhardi par l'impunit dont on l'avait laiss
-jouir jusqu'alors, il s'imagina sans doute
-que la justice, qui l'avait toujours mnag, lui
-continuerait la mme indulgence pour les autres
-mfaits qu'il pourrait commettre.</p>
-
-<p>Le 3 novembre, ayant rencontr, sur la
-grande route de Mortagne Alenon, un marchand
-mercier, nomm Franois Pan, qui
-ne le connaissait pas, il lia conversation avec
-lui, entra en pourparlers pour quelques achats,
-et lui proposa de venir chez lui, sous prtexte
-qu'il pourrait y examiner plus son
-aise les marchandises dont il voulait faire l'acquisition.
-<span class="pagenum"><a id="Page_172">172</a></span>
-Le malheureux marchand accepte la
-proposition, et suit le prtendu acheteur, qui
-le conduit, par des chemins dtourns, sa
-maison.</p>
-
-<p>Le jour commenait baisser lorsqu'ils y
-arrivrent. Aussitt que le marchand fut entr,
-Tison ferma soigneusement la porte et
-les fentres. Aprs avoir pris les prcautions
-ncessaires l'excution du projet criminel
-qu'il mditait, il demanda voir les marchandises.
-Pan tait dans une parfaite scurit;
-il se baisse pour dployer son ballot. Pendant
-ce temps, Tison lui assne un coup de serpe
-sur la tte. L'infortun tombe sous la violence
-du coup; mais il lui reste encore assez de
-force; il crie en se dbattant contre son meurtrier.</p>
-
-<p>Dans la crainte que ces cris ne soient entendus
-dans le voisinage, l'assassin, gardant
-son sang froid, comme s'il et fait la chose du
-monde la plus naturelle, a recours un raffinement
-de barbarie, sans exemple peut-tre
-dans les annales du crime. Il se met chanter
- tue-tte, et saisissant une corde, il parvient
- trangler, toujours <i>en chantant</i>, la
-malheureuse victime de sa cupidit!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_173">173</a></span>
-Son crime ne tarda pas tre connu. Il fut
-arrt, et son procs lui fut fait sur-le-champ.
-Il fut convaincu d'avoir chant, non seulement
-pendant le temps qu'il arrachait la vie
-au malheureux Pan, mais encore long-temps
-aprs, ayant toujours sous les yeux le cadavre,
-tmoin muet, mais pourtant solennel,
-de sa rvoltante atrocit. Si un pareil trait
-n'avait pas t attest, on le regarderait comme
-invraisemblable. On n'a vu que trop souvent
-des sclrats tuer leurs semblables; mais on
-n'avait pas encore vu de monstre assez pervers
-pour oser chanter, afin d'touffer les
-cris de ceux qu'ils gorgeaient.</p>
-
-<p>Le procs de Pierre Tison ne fut pas long.
-Les preuves l'accablaient de toutes parts. Le
-lieutenant-criminel de Mortagne le condamna
-au supplice des assassins, et par arrt du parlement
-du 24 janvier 1781, il subit la question
-ordinaire et extraordinaire, et mourut
-sur la roue.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_174">174</a></span></p>
-
-<h2>ACCUSATION<br />
-<span class="large">RCIPROQUE D'ASSASSINAT.</span></h2>
-
-<p>Qu'un homme naturellement violent soit
-accus d'avoir commis un meurtre, nul doute
-que la violence de son caractre ne devienne
-un vhment indice contre lui. Soudain l'opinion
-publique, qui le plus souvent ne se
-forme que sur des apparences ou des prsomptions,
-le dclare unanimement coupable;
-et quoique le doute le plus obscur plane
-sur toute l'affaire, quoique les preuves manquent
-absolument, les juges, entrans eux-mmes
-par les prventions du vulgaire, prononcent
-une sentence de condamnation.</p>
-
-<p>Vers le mois de janvier 1782, Hatot, garon
-perruquier, entra chez le sieur Ple, matre
-coiffeur Rouen. Le plus grand dsagrment
-de son emploi tait de coiffer N&oelig;uville, directeur
-de la comdie. Tous les garons qui
-<span class="pagenum"><a id="Page_175">175</a></span>
-avaient accommod cet homme se plaignaient
-de son humeur brutale et despotique.</p>
-
-<p>Hatot ne fut pas long-temps sans prouver
-les mmes dsagrmens, et ne pouvant s'habituer
-aux manires de N&oelig;uville, il refusa
-de retourner chez lui. Mais son matre craignant
-de perdre la pratique du thtre, le
-dtermina, au bout de quinze jours, aller
-reprendre son poste auprs du directeur.</p>
-
-<p>Le 15 mars, Hatot se rend l'htel de la
-comdie, sur les dix onze heures du matin,
-pour accommoder N&oelig;uville. Il le rase d'abord,
-le peigne ensuite, prpare la pommade
-avec un couteau, qu'il tire de sa poche, et le
-frise. N&oelig;uville se lve, consulte son miroir,
-prtend tre mal fris, et ordonne Hatot
-de le friser une seconde fois. Cela n'est pas
-possible, rpond Hatot, mes pratiques m'attendent,
-il faut que je les serve.&mdash;Que m'importent
-tes pratiques? rpond N&oelig;uville en
-fureur; il te sied bien de me contredire! tu
-es encore un plaisant drle, un plaisant polisson.
-J'entends que tu me peignes l'instant;
-je te l'ordonne, cela doit suffire.</p>
-
-<p>Hatot, choqu de cet ordre insolent, se
-dispose sortir; N&oelig;uville lui barre le passage,
-<span class="pagenum"><a id="Page_176">176</a></span>
-et lui dtache un soufflet; Hatot le lui
-rend aussitt. N&oelig;uville, tout cumant de
-rage, saisit le couteau du coiffeur rest sur
-la table, prend Hatot la gorge, le pousse
-contre le mur, et lui porte la poitrine quatre
-coups de l'arme qu'il tient dans la main.
-Hatot, qui ne sent pas d'abord qu'il est bless,
-lutte contre N&oelig;uville, saisit le couteau qui
-vient de le frapper et parvient dsarmer
-son assassin. Il parat qu'en prenant le couteau
-par la lame il se coupa les mains, et atteignit,
-en se dbattant, son adversaire au
-visage.</p>
-
-<p>Mais, peu d'instans aprs, Hatot se trouve
-dans une situation alarmante. Des flots de
-sang coulent de ses blessures; il crie vainement;
-on ne vient point son secours; il reste
-sans connaissance au pouvoir de son assassin.
-N&oelig;uville, tout couvert du sang de sa
-victime, et pour repousser d'avance l'accusation
-de meurtre, sort de sa chambre en
-criant <i>au feu! au meurtre! on m'assassine!</i>
-se jette dans les bras de la premire personne
-qu'il rencontre, et la prie de lui sauver la vie.</p>
-
-<p>Il descend l'escalier, va sur le thtre, feint
-d'tre dangereusement bless. Des chirurgiens
-<span class="pagenum"><a id="Page_177">177</a></span>
-arrivent; on le porte dans son lit et on le
-panse, quoiqu'il n'y et pas ncessit.</p>
-
-<p>Cependant des grenadiers, accourus aux
-cris de N&oelig;uville, taient monts, le sabre
-la main, pour arrter Hatot. Ils le trouvent
-tendu sur le plancher, baign dans son sang,
-priv de connaissance et de mouvement.
-Ainsi abandonn, le malheureux allait prir,
-sans un grenadier qui le prit et le soutint
-dans ses bras. Enfin on le secourt; un chirurgien
-arrive, visite ses blessures et le rappelle
- la vie. A peine reprend-t-il sa connaissance
-que, regardant autour de lui, il s'crie:
-<i>O est-il ce coquin, ce malheureux, ce sclrat
-de N&oelig;uville, qui m'a assassin?</i></p>
-
-<p>A trois heures aprs-midi, il est transport
- l'hpital, en grand danger de perdre la vie.
-Le mme jour, sur les quatre heures, le juge
-fait prter interrogatoire Hatot; on lui demande,
-entre autres choses, ce qui l'a induit
- frapper N&oelig;uville, comme il l'a fait, et s'il
-n'a pas observ que ses clefs taient toujours
- ses armoires, et qu'il y avait des effets prcieux
-sur sa chemine.</p>
-
-<p>Pour l'intelligence de cette mesure, il est
-<span class="pagenum"><a id="Page_178">178</a></span>
-bon de dire que N&oelig;uville avait fait des dclarations
-tendant faire croire que s'tant
-endormi pendant qu'on le coiffait, Hatot, son
-perruquier, avait voulu profiter de son sommeil
-pour l'assassiner et le voler.</p>
-
-<p>Mais dj la clameur publique s'levait de
-toutes parts contre N&oelig;uville. Celui-ci est saisi
-de frayeur; il se rsout prendre la fuite;
-six heures, il se travestit et il part. Cette fuite
-changea soudain la face de l'affaire. Hatot, qui
-avait t d'abord interrog comme accus, le
-fut ensuite comme tmoin, et N&oelig;uville fut dcrt
-de prise de corps. La procdure complte,
-et la contumace instruite, le juge rendit
-le 16 juillet, sur le tout, une sentence dfinitive
-qui condamnait, par contumace, le
-sieur N&oelig;uville tre banni perptuit du
-ressort de Rouen, confisquait ses biens au
-profit du roi, et lui imposait une amende de
-trois mille livres, titre de dommages-intrts
-en faveur de Hatot.</p>
-
-<p>Le parlement de Rouen rendit, le 26 octobre
-1782, sa sentence sur cette double accusation;
-et sans s'arrter l'appel du substitut
-du procureur gnral du roi au bailliage
-<span class="pagenum"><a id="Page_179">179</a></span>
-de Rouen de la sentence du 16 juillet 1782,
-ordonna que ladite sentence serait excute,
-et que le sieur de N&oelig;uville serait condamn
-en dix mille livres d'intrts envers Hatot, et
-tous les dpens.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_180">180</a></span></p>
-
-<h2>SERVANTE<br />
-<span class="large">QUI TRANGLE SA MAITRESSE.</span></h2>
-
-<p>Dans le ressort de la chtellenie de Pzenas,
-au fond d'un village nomm Alignan, vivait
-la dame Dabeillan, dj avance en ge, et
-n'ayant d'autre domestique qu'une femme
-nomme la veuve Daumas.</p>
-
-<p>Le 4 avril 1782, dans la soire, la dame
-Dabeillan fut trouve morte dans la ruelle de
-son lit. La servante courut chercher du secours.
-Cette mort fut bientt connue de tout
-le village, et la nouvelle se rpandit dans les
-environs. Le procureur-fiscal de la chtellenie
-de Pzenas, instruit de ce tragique vnement,
-requit le juge de se transporter dans
-la maison de la dame Dabeillan. Ce magistrat
-s'y rendit, le 5, sur les deux heures aprs midi,
-reut d'abord la dclaration de la servante
-sur le genre de mort subi par sa matresse, fit
-visiter le cadavre en sa prsence par un mdecin
-<span class="pagenum"><a id="Page_181">181</a></span>
-et un chirurgien, ordonna l'emprisonnement
-provisoire de la domestique, l'inhumation
-du cadavre, et une enqute sur les faits
-contenus dans le procs-verbal.</p>
-
-<p>Le 6, la servante fut interroge; le lendemain,
-il fut procd une information, dans
-laquelle onze tmoins furent entendus; et sur
-cette information, un dcret de prise de corps
-fut lanc contre la femme Daumas. Quelques
-jours aprs, le sieur Dabeillan fils se prsenta,
-et demanda tre reu partie civile, pour
-continuer la procdure en son nom. Il annona
-qu'il esprait trouver des moyens de
-conviction dans une armoire o la veuve Daumas
-serrait ses hardes. Le 24, l'ouverture de
-cette armoire eut lieu en prsence d'un commissaire;
-et parmi d'autres effets, on trouva
-un paquet de vieux galons, li avec une corde
-en ficelle. On apposa le scell sur ces divers
-objets.</p>
-
-<p>De graves soupons planaient sur la femme
-Daumas. Le caractre connu de cette servante,
-et quelques propos antrieurs qui lui taient
-chapps dans la colre, concouraient les
-fortifier. De plus, elle couchait dans la chambre
-<span class="pagenum"><a id="Page_182">182</a></span>
-de sa matresse et prs d'elle, leurs deux
-lits n'tant spars que par une chaise.</p>
-
-<p>Le 25 avril, le fils Dabeillan fit publier un
-monitoire Alignan et dans les autres villages
-voisins. Il en rsulta diverses rvlations qui
-donnrent lieu une suite d'information. Le
-28, on fit l'ouverture du paquet scell, contenant
-les effets et hardes de la veuve Daumas,
-ainsi que la corde dont ils taient lis.
-Aprs un nouvel interrogatoire, le juge rgla
-le procs l'extraordinaire. Des cordiers experts
-dclarrent que le cordon trouv parmi
-les hardes de la servante tait de la mme
-espce et qualit que les deux autres paquets
-de cordons remis par elle au juge.</p>
-
-<p>La mort de la dame Dabeillan tait-elle le
-rsultat d'un suicide ou d'un assassinat?
-Telle tait la question dlicate que la justice
-avait rsoudre; question d'autant plus pineuse
-que les tmoins oculaires manquaient
-absolument.</p>
-
-<p>La dame Dabeillan tait morte de mort violente;
-ce fait tait incontestable. Mais s'tait-elle
-dtruite elle-mme, et l'avait-elle pu dans
-l'tat o elle avait t trouve? Elle n'aurait
-<span class="pagenum"><a id="Page_183">183</a></span>
-pu s'trangler elle-mme que par suspension
-ou contre un point d'appui. Dans le premier
-cas, on aurait trouv le cadavre suspendu, car
-certainement la servante, frappe de ce spectacle
-imprvu, saisie d'horreur et d'effroi, au
-lieu de le dtacher, aurait pris la fuite et appel
-du monde. Il paraissait galement impossible
-que la dame Dabeillan se ft trangle
-elle-mme en imprimant fortement ses
-doigts contre son cou, et en faisant effort contre
-un point d'appui; car dans ce cas elle aurait
-t trouve dans la mme situation o
-elle se serait place elle-mme en trouvant ce
-point d'appui et en ragissant sur lui. On citait,
- cette occasion, l'exemple du nomm Geniez,
-du village de Magalas, qui, arrt pour
-avoir assassin son beau-frre, et emprisonn
-dans le chteau de Puimillon, fut trouv couch
-sur le dos, les deux genoux un peu levs,
-sur lesquels il avait appuy ses coudes,
-et s'tait si fortement imprim les deux pouces
-dans le cou, qu'il en fut trangl, sans
-qu'un cavalier de marchausse, qui passait la
-nuit la porte de son cachot, et entendu le
-moindre bruit. Il n'y avait rien de semblable
-dans la situation o la dame Dabeillan avait
-<span class="pagenum"><a id="Page_184">184</a></span>
-t trouve aprs sa mort. Les premires personnes
-qui taient entres dans sa chambre
-avaient aperu une corde autour de son cou,
-mais sans aucun bout ni extrmit excdant,
-et cette corde avait t coupe l'instant par
-la veuve Daumas. Le rapport du mdecin et
-du chirurgien attestait l'empreinte que cette
-corde avait laisse autour du cou. D'aprs ce
-fait, quand il serait possible de s'trangler soi-mme,
-sans suspension ni point d'appui, il
-est physiquement impossible que celui qui
-se serait trangl de cette manire et pu
-lui-mme couper l'excdant de la corde qui
-lui aurait servi ce funeste usage. Ni la veuve
-Daumas, ni personne, n'avait vu couper l'excdant
-de cette corde. Il tait donc certain,
-d'aprs toutes ces considrations, que la dame
-Dabeillan ne s'tait pas dtruite elle-mme,
-et que son assassin avait coup l'excdant de
-la corde, croyant par l soustraire la preuve
-de son crime. D'ailleurs la dame Dabeillan,
-estropie depuis plusieurs mois par suite d'une
-chute, ne pouvait que trs-difficilement se
-servir de l'un de ses bras.</p>
-
-<p>D'un autre ct, il tait prouv, par plusieurs
-dpositions, que la femme Daumas tait
-<span class="pagenum"><a id="Page_185">185</a></span>
-convenue d'avoir ferm la porte de la chambre
- coucher de sa matresse, et d'avoir plac
-une chaise au-devant de cette porte et dans
-l'intrieur de sa chambre; et que, lorsqu'elle
-se leva une demi-heure aprs pour aller chercher
-du secours, elle avait trouv la porte de
-sa chambre ferme, et la chaise la mme
-place o elle l'avait mise.</p>
-
-<p>Quelle consquence ne devait-on pas tirer
-de ce fait? N'tait-il pas impossible qu'un assassin
-se ft introduit dans la chambre sans
-dranger la chaise? ne l'tait-il pas galement
-qu'il se ft enfui aprs le crime commis, qu'il
-et ferm la porte et remis la chaise devant
-en dedans?</p>
-
-<p>L'accuse sentit, mais trop tard, tout le
-poids de cet aveu qui allait l'accabler. Elle
-voulut varier depuis, et dit qu'elle ne se rappelait
-pas bien dans quel tat elle avait trouv
-la chaise, en allant chercher du secours, tant
-elle tait trouble. Mais sa premire version
-si importante, certifie par plusieurs tmoins,
-ne permettait pas d'accueillir sa rtractation
-tardive.</p>
-
-<p>Une autre circonstance non moins grave,
-c'est que l'accuse, au moment o les voisins
-<span class="pagenum"><a id="Page_186">186</a></span>
-accoururent ses cris, avait deux gratignures,
-l'une la joue, l'autre au-dessus du nez.
-Interroge sur ce fait, elle avait rpondu que
-sa chandelle s'tant teinte le long de l'escalier,
-en allant requrir du secours, elle avait
-t au bcher, s'y tait laiss tomber sur un
-tas de bois, et s'tait blesse au visage. Plusieurs
-tmoins se rendirent au bcher, et n'y
-trouvrent pas une seule bche.</p>
-
-<p>Nul doute que ces gratignures venaient
-des efforts que son infortune matresse avait
-tents pour se dbarrasser des mains de son
-bourreau. Les variations de l'accuse et plusieurs
-impossibilits physiques se runissaient
-pour prouver que ce forfait n'appartenait qu'
-elle seule, et prsentaient des indices plus puissans,
-s'il est possible, que des tmoignages
-oculaires.</p>
-
-<p>De l'aveu mme de cette femme, il ne s'tait
-coul qu'environ un quart d'heure ou
-une petite demi-heure entre l'instant o elle
-s'tait couche avec sa matresse, et celui o
-ayant entendu la chute d'un pot de chambre,
-et qu'ayant appel par trois fois sa matresse,
-sans recevoir aucune rponse, elle se leva
-pour la secourir, alluma la chandelle, trouva
-<span class="pagenum"><a id="Page_187">187</a></span>
-la dame Dabeillan tendue dans la ruelle de
-son lit. Elle ajoutait qu'elle n'avait point
-dormi pendant ce court intervalle: comment
-n'aurait-elle donc pas entendu le bruit de l'assassin,
-celui des efforts d'une femme qui lutte
-contre une mort violente, et qui tait d'une
-constitution assez robuste pour rsister encore
-long-temps aux fureurs du crime? D'ailleurs,
-cet assassin imaginaire n'aurait-il pas ajout
-un second crime au premier, surtout lorsque
-le second lui assurait davantage l'impunit du
-premier? il est probable qu'il aurait immol
-la servante aprs la matresse.</p>
-
-<p>De plus, les menaces et les propos que la
-femme Daumas avait laiss chapper quelque
-temps avant l'vnement, venaient corroborer
-les autres charges. Quelques tmoins dposaient
-lui avoir ou dire que sa matresse la
-faisait souffrir, et que <i>quelque chose</i> lui disait
-de l'trangler. D'autres rapportaient que huit
-jours avant la mort de la dame Dabeillan,
-comme on lui demandait si sa matresse tait
-toujours mchante, la femme Daumas rpondit:
-<i>L'ase la confonde!</i> la nuit dernire, j'ai
-t tente de l'touffer; mais je me suis recommande
- mon bon ange gardien.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_188">188</a></span>
-La s&oelig;ur et la belle-fille de l'accuse avaient
-dit qu'elles la croyaient capable d'avoir trangl
-sa matresse; ainsi ses parens eux-mmes,
-d'aprs la connaissance qu'ils avaient de son
-caractre, semblaient se prononcer en faveur
-de sa culpabilit.</p>
-
-<p>Une dernire circonstance, atteste par des
-tmoins, tait que les deux lits, tant celui de la
-matresse que celui de la servante, n'taient nullement
-dfaits. Il paraissait donc que la dame
-Dabeillan avait t trangle avant de se mettre
-au lit, et dans le temps qu'elle faisait sa
-prire au pied de son lit. Quel instant pour
-le crime que celui qui devait faire souvenir
-l'assassin qu'il est un Dieu vengeur!</p>
-
-<p>Les premiers juges trouvrent que la runion
-de tous ces indices prouvait le crime et
-dsignait l'assassin. Sur le rapport du lieutenant-criminel
-du lieu, le snchal de Beziers,
-par sentence du 28 juin 1782, condamna la
-veuve Daumas avoir le poing coup, tre
-pendue, brle ensuite, et ses cendres jetes
-au vent. Sur l'appel, le parlement de Toulouse
-confirma la sentence, l'exception du poing
-coup.</p>
-
-<p>Cette misrable subit le dernier supplice
-sans faire l'aveu de son crime.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_189">189</a></span></p>
-
-<h2>HONOR JOURDAN,<br />
-<span class="large">CONDAMN COMME ASSASSIN, ET ENSUITE<br />
-JUSTIFI.</span></h2>
-
-<p>La justice peut-elle, sur de simples indices,
-dcider de l'honneur et de la vie des hommes?
-Le dplorable sort des d'Anglade, des Lebrun,
-des Hirtzel Lvi, des Calas, des Cahuzac, et
-de tant d'autres innocens condamns sans
-preuves, est la plus victorieuse rponse
-faire cette question. Qu'un juge, dit Charlemagne
-dans ses <i>Capitulaires</i>, ne condamne
-jamais qui que ce soit sans tre sr de la justice
-de son jugement; qu'il ne dcide jamais
-de la vie des hommes par des prsomptions.
-Ce n'est pas celui qui est accus qu'il faut considrer
-comme coupable, c'est celui qui est
-convaincu; il n'y a rien de si dangereux et de
-si injuste au monde que de se hasarder juger
-sur des conjectures.</p>
-
-<p>Les tmoignages eux-mmes ne doivent tre
-<span class="pagenum"><a id="Page_190">190</a></span>
-reus par le magistrat qu'avec une sage circonspection.
-Un tmoin isol ne suffit pas
-pour constituer des preuves. L'illustre Montesquieu
-disait qu'un tmoin qui affirme et
-un accus qui nie font un partage, et qu'il
-faut un tiers pour le vider. C'est pour cela
-que la loi exige deux tmoins.</p>
-
-<p>C'est beaucoup, dit Servan, de bien connatre
-les circonstances du crime et le caractre
-de l'accus; d'avoir exactement compar
-ces deux choses et dcouvert tous leurs rapports;
-mais ce n'est pas tout, et le plus important
-reste faire: l'apprciation et le jugement
-des tmoignages. Triste fatalit, que
-la vie d'un homme libre et qui ne doit dpendre
-que des lois, soit la merci des passions
-et des erreurs de ses concitoyens, et que
-le glaive de la justice soit dirig par des tmoins
-souvent imposteurs ou aveugles.</p>
-
-<p>Les malheurs d'Honor Jourdan, causs par
-une erreur juridique semblable celle dont
-nous avons parl plus haut, viendront trs-bien
- l'appui de ces rflexions.</p>
-
-<p>Jeanne-Marie Carlon avait pous Jean
-Vial, boulanger Vence. Le sieur Honor
-Jourdan, procureur-juridictionnel de cette
-<span class="pagenum"><a id="Page_191">191</a></span>
-ville, tait leur voisin, et se faisait un plaisir
-de les obliger quand l'occasion s'en prsentait.</p>
-
-<p>Dans les premiers jours de fvrier 1753,
-Vial disparut tout--coup. Sa femme supposa
-d'abord qu'il avait t rencontr quelques
-lieues de la ville de Vence, et qu'il avait dit
-qu'il ne reviendrait plus. Elle varia ensuite
-sur les motifs de son absence.</p>
-
-<p>Le 9 mars suivant, des enfans que leurs
-jeux avaient conduits auprs d'une citerne
-peu de distance de la ville, y dcouvrirent un
-cadavre. Inform de ce fait, le sieur Honor
-Jourdan, en sa qualit de procureur-juridictionnel,
-requit sur-le-champ la visite du juge,
-et l'accompagna. Le cadavre tait dans un
-tat de putrfaction qui ne permit pas d'abord
-de le reconnatre; mais aprs un examen plus
-attentif, on demeura certain que ce corps
-tait bien celui de Jean Vial. Le juge ne fit
-point la clture du procs-verbal sur les lieux;
-Honor Jourdan lui ayant demand le signer,
-il prtexta qu'il n'tait point achev, et
-qu'il attendait pour cela le greffier.</p>
-
-<p>En retournant chez lui, le mme jour, Honor
-Jourdan ayant trouv sur son chemin
-<span class="pagenum"><a id="Page_192">192</a></span>
-le procureur fond d'un des seigneurs de
-Vence pour la subrogation des officiers de
-justice, fut extrmement tonn d'apprendre
-de lui qu'il allait subroger un procureur-juridictionnel.
-Ce fonctionnaire ne lui dissimula
-pas que ses assiduits dans la maison de Jean
-Vial avaient fait natre des soupons sur son
-compte; il finit par lui dire que, quoi qu'il
-ft bien convaincu de son innocence, il lui
-conseillait de prendre prudemment la fuite, et
-d'attendre dans sa retraite l'issue de la procdure.</p>
-
-<p>Jourdan prouva de la rpugnance suivre
-cet avis; il craignait, avec raison, qu'on ne tirt
-de sa fuite quelque indice contre lui. Dans
-sa perplexit, il s'adressa un homme clair,
-qui lui dit qu'il n'y avait pas balancer, et
-qu'il l'exhortait mettre sa personne en sret;
-qu'il tait sans doute humiliant et pnible
-pour l'innocence de prendre ce parti, mais
-que les formes de notre lgislation criminelle
-le rendaient quelquefois ncessaire. Convaincu
-par ces raisons, Jourdan se retira, pour quelques
-jours, au lieu de Gatires, qui tait alors
-sous la dpendance du roi de Sardaigne. Mais
-sur l'invitation pressante de plusieurs de ses
-<span class="pagenum"><a id="Page_193">193</a></span>
-amis, qui vinrent l'y trouver, et qui l'assurrent
-que sa fuite dposait contre lui, et que
-tout le monde blmait le parti qu'il avait pris;
-il revint Vence, rassur qu'il tait d'ailleurs
-par le tmoignage de sa conscience.</p>
-
-<p>Mais ds le lendemain mme, ayant appris
-qu'un dcret de prise de corps venait d'tre
-lanc contre lui, quoiqu'il n'et encore t
-procd aucune information, et qu'il ne se
-trouvt dans aucun des cas o l'on peut dcerner
-un semblable dcret sans information
-pralable, il retourna aussitt Gatires pour
-y attendre l'vnement de la procdure qui
-s'instruisait alors.</p>
-
-<p>De tous les tmoins qui furent entendus, il
-ne s'en prsenta pas un seul charge contre
-Jourdan; on crut pourtant trouver dans leurs
-dpositions des indices qui pouvaient lui tre
-dfavorables. Cependant les juges de Vence
-n'hsitrent point le mettre unanimement
-hors de cour par leur sentence du 2 mai 1753.
-Par le mme arrt, Jeanne-Marie Carlon,
-pouse de Jean Vial, Jacques-Gervais Bazalgeste
-et Gaspard Mars, furent dclars atteints
-et convaincus de l'assassinat de Vial, et condamns
-au dernier supplice. Les deux premiers
-<span class="pagenum"><a id="Page_194">194</a></span>
-taient entre les mains de la justice, le
-troisime avait pris la fuite.</p>
-
-<p>Les deux prisonniers furent transfrs
-Aix, et le parlement, par arrt du 29 du
-mme mois, rforma la sentence des premiers
-juges l'gard de Jourdan, et le condamna
-la mort, quoique les conclusions du ministre
-public fussent en sa faveur.</p>
-
-<p>Il fallait que l'on et aggrav les prtendus
-indices que l'on pouvait articuler contre Jourdan.
-Quoiqu'il en soit, la vrit qui devait le
-justifier pleinement ne tarda pas tre connue.
-Le jour mme du jugement, sur les quatre
-heures aprs midi, les deux coupables dtenus
-dclarrent, en allant au supplice, que
-Jourdan n'avait particip, ni directement, ni
-indirectement, au meurtre de Jean Vial, et
-qu'il n'en avait rien su ni avant, ni aprs son
-excution.</p>
-
-<p>Nanmoins l'arrt fut excut en effigie pour
-ce qui concernait Jourdan; et le parlement
-ordonna, le 1<sup>er</sup> juin suivant, que les dclarations
-de la femme Vial et de Bazalgeste seraient
-jointes la procdure.</p>
-
-<p>Jourdan n'apprit que son arrt de mort. Il
-ignorait que les auteurs du crime eussent avou
-<span class="pagenum"><a id="Page_195">195</a></span>
-et attest son innocence. Il erra, pendant quelques
-annes, de contre en contre, gmissant
-sur sa fatale destine et sur celle de ses
-enfans. Il avait un fils, alors g de quinze
-ans, errant et fugitif comme lui. Ce jeune
-homme alla se fixer en Espagne, et s'y attacha
- une maison de commerce dont il devint,
-en quelques annes, par son mrite et son
-travail, l'un des principaux intresss.</p>
-
-<p>Cependant ce fils vertueux ne perdait pas
-le souvenir de son pre et de ses infortunes.
-Le dsir de secourir sa vieillesse et celui de
-revoir sa patrie lui inspirrent le projet de
-revenir en France. Mais y vivre sans son pre,
-et l'en savoir banni par une condamnation fltrissante,
-lui semblait un bonheur si amer qu'il
-ne pouvait pas mme en supporter l'ide.</p>
-
-<p>Cependant un pressentiment secret que l'innocence
-de son pre pourrait tre reconnue
-laissait quelque esprance au fond de son c&oelig;ur.
-Plein de cette pense, il crivit en France, et
-s'adressa une personne qui tait en position
-de lui donner des lumires sur l'affaire de son
-pre. Il apprend bientt que les vritables auteurs
-du crime ont dpos de l'innocence
-d'Honor Jourdan. Ds cet instant, affaires,
-<span class="pagenum"><a id="Page_196">196</a></span>
-commerce, amis, intrts, tout est oubli. Il
-part pour aller apprendre cette nouvelle son
-pre, et vient le conjurer de se reprsenter
-ses juges. Le vieillard se jette dans les bras de
-son fils et s'abandonne lui; et c'est lui qui
-soutient les pas chancelans de son pre, et qui
-l'amne aux pieds de la justice.</p>
-
-<p>Tandis qu'Honor Jourdan tait renferm
-dans le cachot o il venait de se constituer
-volontairement, son fils dploya tout le zle
-dont est capable la pit filiale, pour hter
-et faire proclamer sa justification. Des recherches
-qui furent faites en cette circonstance, et
-de la nouvelle instruction qui eut lieu, jaillirent
-de nouveaux claircissemens sur le meurtre
-de Vial.</p>
-
-<p>La nomme Jeanne-Marie Carlon, d'une
-figure agrable et d'un caractre enjou, tait
-connue par ses galanteries, et paraissait avoir
-un got excessif pour la parure et pour la
-dpense. Jean Vial, son mari, adonn toute
-sorte de dbauches, et peu occup de ses affaires,
-ne pouvait faire face aux prodigalits de sa
-femme. Le nomm Gaspard Mars, boulanger
-comme lui, s'tait introduit, de compagnie
-avec Bazalgeste, homme sans aveu et sans
-<span class="pagenum"><a id="Page_197">197</a></span>
-profession, dans la maison de son confrre;
-et tous deux taient les compagnons des dsordres
-du mari et de la femme.</p>
-
-<p>Quant aux assiduits de Jourdan dans la
-maison de Vial, elles n'avaient rien que de
-fort naturel. Jourdan prtait souvent de l'argent
-au boulanger pour des achats de farine;
-de plus, Vial tait son locataire, et lui devait
-plusieurs loyers. Au reste, celui-ci ne voyait
-en lui qu'un bienfaiteur et un ami.</p>
-
-<p>Mais il ne voyait pas du mme &oelig;il Mars et
-Bazalgeste; et plusieurs fois, dans des intervalles
-de sagesse et de bonne conduite, il leur
-avait manifest le dplaisir et la rpugnance
-qu'il prouvait les voir si souvent chez lui.
-Les liaisons de sa femme avec ces deux hommes
-taient aussi la cause de querelles frquentes
-dans le mnage.</p>
-
-<p>Il tait parfaitement constat par les procdures
-que le complot de l'assassinat de
-Jean Vial avait t ourdi chez Gaspard Mars,
-le 6 fvrier, l'issue d'un souper; que le sieur
-Jourdan n'tait point du nombre des convives,
-et ne devait point en tre. Il rsultait encore
-du procs, que Marie-Jeanne Carlon avait
-plusieurs fois sollicit Gaspard Mars et Bazalgeste
-<span class="pagenum"><a id="Page_198">198</a></span>
-d'assassiner son mari; que depuis quelque
-temps elle paraissait avoir abandonn ce
-projet; qu'aucun des complices n'en avait
-parl Jourdan, dans la crainte qu'il n'en
-avertt Jean Vial.</p>
-
-<p>Il fut prouv que immdiatement aprs le
-souper du 6 fvrier, la femme Vial tmoigna
-l'envie qu'elle avait de manger des choux du
-sieur Rippert; qu'elle engagea son mari, Bazalgeste
-et Mars en aller voler; qu'ayant pris
-ceux-ci l'cart, elle les pria d'assassiner Vial;
-que, sur le refus de Mars, elle le traita de
-<i>lche</i> et de <i>poltron</i>; que Bazalgeste prit la
-parole et dit: <i>Il faut mettre cette femme tranquille</i>;
-qu'ils allrent tous les trois du ct
-d'une chapelle de Notre-Dame de Larrat; que
-l Bazalgeste donna Vial le premier coup
-de couteau dans le bas-ventre qui le fit tomber
-raide mort; que Mars lui donna d'autres coups,
-et qu'ils portrent le cadavre dans la citerne
-situe auprs de la chapelle.</p>
-
-<p>En outre, l'innocence de Jourdan, qui ressort
-videmment de ce rcit, avait t atteste
-non seulement par la femme Vial et par Bazalgeste,
-mais encore par Gaspard Mars, rfugi
-dans les tats du roi de Sardaigne.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_199">199</a></span>
-Les magistrats du parlement de Provence,
-aprs avoir pris une connaissance parfaite des
-faits, ne balancrent pas couronner les efforts
-de Jourdan fils en faveur de son pre.
-Par arrt du 29 mai 1782, Honor Jourdan
-fut dcharg de l'accusation intente contre
-lui; et un second arrt du 31 du mme mois
-lui permit de faire imprimer et afficher le premier.</p>
-
-<p>Ainsi, aprs trente annes de fltrissure,
-d'exil et de misre, il put revenir respirer encore
-l'air natal; et du moins, avant de quitter
-la vie, il eut la consolation de rentrer en possession
-de l'estime et de la considration de
-ses concitoyens, qu'une fatale erreur lui avait
-enleves pour si long-temps.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_200">200</a></span></p>
-
-<h2>HOMICIDE<br />
-<span class="large">D'UNE ESPCE PARTICULIRE.</span></h2>
-
-<p>Les lois condamnent les violences, disait
-le clbre avocat Le Maistre; mais lorsqu'elles
-dfendent d'en faire, elles permettent de les
-repousser; elles veulent que les hommes
-coutent et respectent cette dfense dans le
-commerce paisible et tranquille qu'ils ont ensemble;
-mais elles les en dispensent lorsque
-l'on commet contre eux des actes d'hostilit;
-elles se taisent dans le bruit des armes, et elles
-ne leur commandent pas alors d'attendre leur
-protection et leur secours, et de remettre
-tre veng par elles; parce que les innocens
-souffriraient une mort injuste avant qu'elles
-fussent venues pour en faire souffrir une juste
- ceux qui seraient coupables.</p>
-
-<p>Ces considrations, inspires par un vritable
-esprit d'quit, et par une sre connaissance
-<span class="pagenum"><a id="Page_201">201</a></span>
-des bases de l'ordre social, s'appliquent
-parfaitement au fait suivant.</p>
-
-<p>Un cavalier de marchausse de Lannion,
-en Bretagne, nomm Jean Marjo, reut ordre,
-au mois de mai 1781, d'aller la foire de
-Plestin, avec un de ses camarades, sous les
-ordres d'un brigadier. Ils arrivrent ensemble
- Plestin, le 21 du mme mois. Aprs avoir
-mis leurs chevaux l'curie, ils parcoururent
-le bourg, et y ayant trouv des gens qui tenaient
-des jeux dfendus, ils les arrtrent, en
-vertu de leurs instructions, et les constiturent
-prisonniers.</p>
-
-<p>En sortant de la prison, les cavaliers entrrent
-dans la chambre de l'audience de Plestin;
-ils y trouvrent plusieurs personnes qui
-demandrent au brigadier la libert de l'un
-des prisonniers. Le brigadier refusa, et donna
-l'ordre ses cavaliers de conduire les dtenus
-dans les prisons de Lannion. Ceux-ci obirent
-sans balancer; mais peine taient-ils arrivs
-au milieu du bourg de Plestin, conduisant
-les six prisonniers attachs, que des hommes
-embusqus firent tomber sur eux une grle
-de pierres. Le brigadier tomba, baign dans
-son sang. Un des deux cavaliers, conduisant
-<span class="pagenum"><a id="Page_202">202</a></span>
-deux hommes, gagna au large; et Marjo,
-rest seul pour soutenir le choc, ne vit d'autre
-moyen de sauver ses jours qu'en se servant
-de son mousqueton. Cette arme tait
-charge gros plomb; le coup partit et tua un
-des assaillans. Aussitt toutes les portes du
-bourg sont fermes; le cavalier Marjo tait
-expos tre extermin. Heureusement pour
-lui, une femme, guide par le sentiment de
-l'humanit, lui ouvrit sa porte, et favorisa
-sa retraite ainsi que celle du brigadier bless.
-Ils passrent par une porte de derrire, et rejoignirent
-l'auberge de l'hpital o taient
-leurs chevaux. Ils y trouvrent leur camarade
-qui y avait t apport par des marchands,
-tout couvert de blessures et de sang.</p>
-
-<p>Oblig de rester l'auberge de l'hpital
-pour y soigner ses camarades, Marjo prit
-toutes les prcautions possibles pour n'y pas
-laisser pntrer la populace ameute.</p>
-
-<p>Malgr cette conduite digne d'loges, ce
-brave cavalier fut traduit devant les tribunaux,
-comme coupable d'homicide. Des
-moyens nombreux militaient en sa faveur;
-cependant les premiers juges, qui le croirait?
-condamnrent Marjo tre pendu; mais sur
-<span class="pagenum"><a id="Page_203">203</a></span>
-l'appel, le parlement, par arrt du 18 juillet
-1782, ordonna que le cavalier se retirerait
-par devers le roi, pour obtenir des lettres de
-grce. Ces lettres lui furent accordes, et le
-parlement les entrina le 5 septembre suivant.</p>
-
-<p>On conoit qu'il y ait eu enqute et jugement
- l'occasion de l'homme tu par Marjo;
-mais ce qui est inconcevable, c'est la sentence
-des premiers juges. Il nous semble qu'un arrt
-d'acquittement devait terminer l'affaire.
-Sans doute un soldat qui oserait abuser de
-ses armes, et les faire servir d'instrumens
-ses vengeances ou ses passions, mriterait la
-punition la plus svre; mais si, tant troubl
-dans ses fonctions, si des mutins s'opposant
- l'excution des ordres qu'il a reus, il
-est oblig de repousser la violence par la
-force, il n'est pas juste, il est draisonnable
-et impolitique de le soumettre aux peines ordinaires
-prononces contre ceux qui troublent
-la tranquillit publique. Si vous admettez
-une semblable jurisprudence, alors
-toute police deviendra impossible. Comment
-voulez-vous maintenir l'ordre, si vous punissez
-comme assassins ceux qui se dfendent
-<span class="pagenum"><a id="Page_204">204</a></span>
-en exposant leur vie pour le maintenir? Alors
-un homme charg de crimes, un chef de brigands,
-sera certain de l'impunit, pour peu
-que des gens aposts veuillent se donner la
-peine de l'arracher des mains de ces gardiens
-qui ne pourraient le dfendre; alors des factieux
-pourront tous les jours mettre en pril
-la chose publique, attendu que les soldats
-commands pour les rprimer craindront,
-en changeant leurs balles avec celles qui
-font tomber leurs camarades ct d'eux,
-craindront, dis-je, d'tre accuss d'homicide.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_205">205</a></span></p>
-
-<h2>BLAISE FERRAGE,<br />
-<span class="large">OU LE BRIGAND ANTHROPOPHAGE.</span></h2>
-
-<p>On ne peut donner le nom d'homme au
-sclrat dont nous allons essayer de retracer
-les crimes. Ce monstre s'tait de lui-mme
-retranch de l'espce humaine pour en faire
-sa proie. Aussi c'est l'histoire d'une bte froce
-qu'on va lire.</p>
-
-<p>Blaise Ferrage, surnomm Sey, tait maon
-de profession. Le village de Ceseau, dans
-le comt de Comminges, tait son pays natal.
-Quoique d'une trs-petite stature, il avait
-une force prodigieuse qui le rendait redoutable
-dans tout le canton qu'il habitait. Malheureusement
- cette vigueur physique se
-trouvaient jointes les inclinations les plus perverses.
-Libertin par temprament, ds sa
-premire jeunesse, il poursuivait les femmes
-et les filles avec tout l'acharnement luxurieux
-d'un satyre.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_206">206</a></span>
-Il avait vingt-deux ans lorsqu'il se bannit
-lui-mme de la socit, afin, sans doute, d'en
-enfreindre les lois plus son aise. Il alla
-tablir son repaire dans le creux d'un rocher,
-plac sur le sommet d'une des montagnes
-d'Aure, voisine du lieu de sa naissance. S'lanant
-de sa caverne, comme un nouveau
-Cacus, il allait porter, de jour comme de
-nuit, la dsolation dans les campagnes environnantes.
-Il enlevait brebis, moutons,
-veaux, volailles, en un mot tout ce qui
-pouvait servir le repatre. Mais l ne se
-bornait pas son brigandage: il n'et t alors
-qu'un larron vulgaire. Il entranait dans son
-antre les femmes et les filles qu'il pouvait
-surprendre; lorsqu'elles croyaient lui chapper
-par la fuite, il les poursuivait coups de
-fusil, et ds qu'il les avait renverses, il courait
-sur elles comme sur une proie, et assouvissait
-sa passion froce sur leurs cadavres
-encore palpitans.</p>
-
-<p>Comme chacun se tenait sur ses gardes
-dans le voisinage contre les invasions de cet
-ennemi commun, il arrivait que souvent il
-manquait de vivres; et l'on assurait qu'il tait
-devenu anthropophage. Il prfrait, dit-on,
-<span class="pagenum"><a id="Page_207">207</a></span>
-pour ses horribles repas, les femmes et les
-filles aux mles. Il pouvait commettre sur
-elles deux crimes la fois, et satisfaire en mme
-temps ses apptits brutaux. La plus tendre
-enfance n'tait pas l'abri des attentats de
-ce forcen; le fer tait son auxiliaire..... Mais
-la plume se refuse retracer ces dtails
-atroces.</p>
-
-<p>Accroupi sur la cime des montagnes, il
-attendait comme les ours et les loups, ses
-dignes compagnons, l'occasion et l'heure du
-carnage. Il menait la vie la plus dure, toujours
-au milieu des neiges, des forts et des
-rochers. Il marchait toujours arm, sa ceinture
-garnie de pistolets, un fusil deux coups
-sur l'paule, et une dague au ct. Aussi l'effroi
-qu'il inspirait tait-il universel; la marchausse
-mme n'en tait pas exempte. Sey
-avait l'audace de descendre quelquefois aux
-marchs de Montrigeau, ville voisine, pour
-acheter de la poudre et des balles, et personne
-n'osait mettre la main sur lui.</p>
-
-<p>Il n'avait t arrt qu'une seule fois, et
-avait trouv le secret d'chapper ses geliers.
-Les paysans prtendaient qu'il portait
-dans ses cheveux une herbe qui avait la proprit
-<span class="pagenum"><a id="Page_208">208</a></span>
-de ronger le fer. Quoiqu'il en soit,
-cette opinion tait si bien accrdite dans le
-pays, que la seconde fois qu'il fut pris, on
-lui sauta aux cheveux, comme un autre
-Samson, afin de lui ter la ressource de cette
-herbe merveilleuse.</p>
-
-<p>Il venait de commettre deux crimes avrs.
-Souponnant un laboureur d'avoir voulu le
-faire arrter, pour se venger de lui, il avait
-mis le feu une grange qui renfermait ses
-bestiaux; et sa haine avait contempl le spectacle
-de l'incendie d'un &oelig;il satisfait. Un malheureux
-Espagnol, marchand de mules,
-passant au pied des montagnes d'Aure, pour
-venir en France faire des achats, fit la rencontre
-de Sey, qui s'offrit le conduire o
-il voulait aller. Sous ce prtexte hospitalier,
-il l'attira dans sa caverne, o il l'assassina
-loisir. Il portait encore dans sa prison le
-manteau de sa victime.</p>
-
-<p>Cependant la terreur allait toujours croissant;
-les paysans n'osaient plus sortir seuls;
-on ne parlait que de Sey; on cherchait les
-moyens de s'affranchir de son horrible tyrannie.
-Les communauts des habitans du canton
-promirent des rcompenses celui qui aurait
-<span class="pagenum"><a id="Page_209">209</a></span>
-l'adresse de l'attirer dans les fers de la
-justice. La tche n'tait pas facile, et ne pouvait
-tre entreprise avec succs que par la
-ruse. La caverne du monstre ne pouvait tre
-escalade que par des sentiers trs-troits et
-presque pic. Le farouche habitant de cette
-forteresse tait toujours arm, toujours sur
-ses gardes.</p>
-
-<p>Enfin un particulier, qui lui-mme n'tait
-pas trs-honnte homme, et avait encouru
-la svrit des lois, entreprit de mriter sa
-grce et la rcompense promise par les communauts.
-Il partit, se retira dans les mmes
-montagnes que Sey, et feignit d'y choisir,
-comme lui, une retraite contre les poursuites
-de la justice. Sey donna dans le panneau, et
-forma liaison avec le nouveau venu, n'ayant aucun
-soupon, aucune dfiance: mais bientt,
-par l'adresse de son nouveau compagnon, il
-fut dcouvert une nuit qu'il s'tait gar dans
-les montagnes, et sa force fut oblige de cder
-au nombre de celles qu'on avait runies
-contre lui.</p>
-
-<p>La nouvelle de sa capture rpandit la joie
-dans tout le canton; on se regarda comme
-dlivr d'un flau destructeur. Le procs de
-<span class="pagenum"><a id="Page_210">210</a></span>
-Sey ne fut pas long. Le parlement de Languedoc
-le condamna, le 12 dcembre 1782,
- tre rompu vif, et il fut excut le 13,
-l'ge de vingt-cinq ans. On tripla la garde le
-jour de son supplice. Un sclrat aussi dnatur
-ne pouvait ni trouver de larmes, ni
-manifester du repentir. Il marcha au lieu de
-l'excution d'un air tranquille et le visage
-color. Les paysans dont il avait t la terreur
-tremblaient encore mme en le voyant
-sur la roue, et ils ne furent parfaitement
-rassurs que lorsqu'ils le virent mort.</p>
-
-<p>La tyrannie que ce brigand avait exerce
-sur la montagne ne dura que trois annes
-environ: mais que de crimes horribles et
-divers pendant ce laps de temps! On comptait
-dans le pays plus de quatre-vingts filles et
-femmes qui avaient t sa proie et sa pture!</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_211">211</a></span></p>
-
-<h2>FRANOISE TIERS,<br />
-<span class="large">OU L'HOMICIDE LGITIME.</span></h2>
-
-<p>Dans le cas de lgitime dfense, la mort de
-l'agresseur ne saurait tre assimile l'assassinat.
-Il en est de mme aux yeux de l'humanit
-et aux yeux de la justice, lorsqu'une femme,
-runissant toutes ses forces pour repousser les
-outrages faits sa pudeur ou les tentatives de
-violence exerces contre elle, donne la mort
-au sclrat qui la menaait de sa brutalit effrne.
-Une mre, qui avait tu un capitaine
-dans le moment o il faisait tous ses efforts
-pour dshonorer sa fille, fut dclare innocente
-par le parlement de Toulouse, qui lui
-adjugea mme une somme sur les biens du
-ravisseur.</p>
-
-<p>Jacques Sauvan de Vachres-en-Diois, tait
-d'une force si prodigieuse, que, dans le pays,
-on lui avait donn le surnom de <i>Mille-hommes</i>.
-<span class="pagenum"><a id="Page_212">212</a></span>
-Les excs de son temprament luxurieux, ses
-lubriques ardeurs de satyre, le rendaient la
-terreur des jeunes filles du canton. Quoique
-g de cinquante-cinq annes, on le voyait,
-couvert des haillons de la misre, poursuivre
-avec acharnement toutes les personnes de l'autre
-sexe, employant tour tour leur gard
-la ruse et la violence. Aucun principe, aucune
-considration ne pouvait rfrner sa brutale
-passion. On l'accusait mme de n'avoir
-pas respect sa belle-fille.</p>
-
-<p>Franoise Tiers, jeune paysanne ge de
-quinze ans, brillante de fracheur et de beaut,
-avait allum les dsirs grossiers de cette espce
-de monstre. Il la couvait des yeux; il ne cessait
-de la poursuivre partout o il la rencontrait;
-et les occasions taient frquentes, puisqu'ils
-habitaient le mme village. Il se montra d'abord
- cette jeune fille sous les dehors les
-plus doucereux, les plus patelins qu'il lui fut
-possible de prendre; il cherchait la sduire
-par le langage le plus tendre qui ft sa porte.
-Mais Franoise, indpendamment de sa
-vertu, avait pour soutien le dgot que lui
-inspirait ce suborneur en cheveux blancs, et
-le malheureux exemple de plusieurs de ses
-<span class="pagenum"><a id="Page_213">213</a></span>
-victimes. Aussi le fuyait-elle avec une sorte
-de terreur.</p>
-
-<p>Cette rsistance de prcaution ne fit que
-rendre la passion de Sauvan plus fougueuse
-encore. Il pia les momens o il pourrait la
-trouver seule, et tenta plusieurs fois d'en abuser;
-mais toujours protge par sa vertu, par
-le dgotant aspect de Sauvan, et par d'heureux
-hasards, elle triompha pendant quatre
-annes des poursuites, des instances et des
-tentatives de ce misrable. Mais comment
-chapper toujours un ennemi si acharn,
-si audacieux, et capable de marcher au vice
-par le crime?</p>
-
-<p>Le 28 avril 1782, Franoise Tiers, alors ge
-de dix-neuf ans, et dans la fleur et la force de
-la jeunesse, tait alle Boue, village loign
-d'une lieue de celui qu'elle habitait. Aprs
-avoir assist aux offices de l'glise, elle se disposait
- revenir sa maison, lorsque Sauvan
-courut aprs elle pour l'engager recevoir
-sur son ne un double panier qu'il venait d'acheter.
-Le premier mouvement de Franoise
-fut de refuser; elle craignait en chemin quelque
-nouvelle attaque. Mais la sollicitation du
-nomm Bernard, qui avait vendu les paniers,
-<span class="pagenum"><a id="Page_214">214</a></span>
-elle consentit enfin s'en charger. Sauvan alla
-boire avec Bernard, et pendant ce temps Franoise
-partit, htant de tout son pouvoir le pas
-de sa monture. Mais voyant que les paniers
-de Sauvan l'embarrassaient et retardaient sa
-marche, et que d'ailleurs la nuit approchait,
-elle les dposa aux Combes, hameau situ
-peu prs la moiti de son chemin; elle arriva
-chez elle au dclin du jour, et se mit
-vaquer aux soins domestiques dont elle tait
-charge ordinairement.</p>
-
-<p>Il tait huit heures du soir; elle venait de
-faire manger ses bestiaux. Dans l'instant o
-elle se disposait fermer la porte de l'table,
-parat l'odieux Sauvan, portant ses paniers sur
-sa tte, et les yeux tincelans de colre, de
-luxure et d'ivresse. Seule et surprise dans les
-tnbres, Franoise frmit. Sauvan prend ses
-paniers, et les pose terre devant elle, en disant:
-Les voil pourtant, quoique tu n'aies
-pas voulu les apporter jusqu'ici. Et aussitt
-saisissant une hache qu'il trouve sous sa main,
-il en dcharge un grand coup sur les paniers,
-en disant qu'il lui en ferait autant si elle lui
-rsistait davantage. En mme temps, il la saisit
-par sa jupe, et lui jetant deux cus de six
-<span class="pagenum"><a id="Page_215">215</a></span>
-livres dans le sein, il l'assure qu'il lui serait
-inutile de vouloir lui rsister, qu'il avait publi
-partout qu'il l'avait dj connue, et qu'il
-en jouirait ou que le diable l'emporterait; et,
- ce mot, il tenta d'accomplir son affreux serment....
-La jeune fille, effraye la fois et indigne
-de l'outrage, recueille ses forces, rsiste
-et lutte contre son terrible adversaire. Dans le
-trouble qui l'agite, dans le danger qui la presse,
-dans l'ardeur de sa dfense, elle s'arme d'une
-barre de fer qui servait d'arc-boutant la porte.
-L'homme froce vient elle, Franoise lui
-porte quelques coups de cette barre sur le
-derrire de la tte. Un de ces coups fut mortel.
-Sauvan bless, chancelle, tombe et expire
-au mme instant.</p>
-
-<p>Saisie d'effroi de voir un homme mort
-ses pieds, Franoise Tiers, dans le premier
-mouvement de la peur, cherche cacher son
-dlit involontaire. Avec l'aide de son jeune
-frre, enfant de 11 ans qui, la voyant tarder
-plus qu' l'ordinaire dans l'curie, tait venu
-en savoir la cause, elle fait rouler le cadavre
-par la prairie contigu son table et dont le
-penchant est rapide. Le cadavre s'arrte dans
-le trou d'un four chaux qui se trouvait au
-<span class="pagenum"><a id="Page_216">216</a></span>
-bas. Ce lieu lui inspire l'ide de dshabiller le
-corps, et de le couvrir de chaux et de terre
-pour qu'il ft plus tt consum. Elle excute
-ce projet, et va cacher les habits de Sauvan
-dans un coin de l'table.</p>
-
-<p>Cependant la disparition de Sauvan est remarque.
-Son absence donne des inquitudes
- sa famille. Ses parens et d'autres personnes
-du village vont sa recherche. Ils s'arrtent
-auprs de la maison de Tiers, parce qu'ils
-avaient appris que, la veille, on avait entendu
-du bruit et mme des cris du ct de cette maison.
-Franois Tiers, pre, leur procure lui-mme
-une lumire pour les aider dans leurs recherches.
-Bientt on trouve les habits. La jeune
-fille, entendant les conjectures que formaient
-son pre et les autres personnes prsentes, et
-voyant que les soupons semblaient menacer
-des innocens, s'avance et leur dit: Vous
-cherchez Sauvan; il n'est pas ici. Je l'ai tu
-lorsqu'il voulait me violer, et ensuite je l'ai
-enterr dans le four chaux. Ainsi ne souponnez
-personne: j'tais toute seule, et c'est
-moi seule qui lui ai donn la mort, sans le
-vouloir, d'un coup de la barre de la porte.</p>
-
-<p>Sur cet aveu, Franoise Tiers fut arrte;
-<span class="pagenum"><a id="Page_217">217</a></span>
-son pre et ses jeunes frres furent galement
-saisis, et tous furent enferms dans les curies
-du seigneur.</p>
-
-<p>La justice, informe de cet vnement, se
-transporta sur les lieux, le 1<sup>er</sup> mai, procda
-le lendemain la leve du cadavre que l'on
-trouva entier; et comme si la Providence et
-voulu, pour justifier l'innocence, laisser sur
-le coupable, mort depuis deux jours, une
-preuve toujours vivante de son crime, on le
-trouva tel encore qu'il avait d tre dans ses
-efforts libidineux pour le consommer: tmoignage
-impur, mais aussi vident qu'extraordinaire,
-que la mort l'avait surpris en flagrant
-dlit.</p>
-
-<p>On entendit le rapport du chirurgien et
-les dpositions de seize tmoins qui n'avaient
-rien vu. Franois Tiers fut dcrt d'ajournement
-personnel, et Franoise Tiers et son
-jeune frre de prise de corps. On procda ensuite
- leur interrogatoire. Le juge, convaincu
-par l'information et la connaissance qu'il avait
-des lieux, de l'alibi et de l'innocence du pre,
-lui fit rendre la libert; mais il arrta l la
-procdure, et se hta d'envoyer la jeune fille
-et son frre dans les prisons de Valence, pour
-<span class="pagenum"><a id="Page_218">218</a></span>
-y tre jugs par les officiers de la snchausse.</p>
-
-<p>Un tmoin, un seul tmoin avait arrang,
-dans sa dposition, une histoire toute diffrente
-des autres tmoignages et pleine de graves
-inconsquences. Suivant lui, sa femme, revenant
-du glandage, sur la fin du jour, avait
-entendu des cris du ct de la maison de Tiers:
-elle se rendit chez elle et s'vanouit. tant revenue
- elle, elle raconta ce qu'elle avait entendu,
-et fit part de ses rflexions et de ses
-ides son mari. Celui-ci voulut sortir pour
-aller apprendre ce qui se passait dans cet endroit,
-elle s'y tait oppose. Enfin il tait sorti,
-et, arriv sur les lieux du dlit, il avait distingu
-et reconnu dans l'ombre les bras de
-l'homme qui se dfendait, et le jeune Tiers,
-g de onze ans, qui portait des coups Sauvan
-et le faisait prir lentement. Quelle apparence
-y avait-il que le robuste Sauvan, surnomm
-<i>Mille-hommes</i>, et succomb dans une
-longue lutte, sous les coups rpts d'une
-jeune fille de dix-neuf ans et d'un enfant de
-onze ans! Quelle apparence aussi que le singulier
-personnage qui disait avoir vu ce spectacle
-en et t tranquille spectateur, sans
-prter aucun secours la victime?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_219">219</a></span>
-Toute cette procdure fut envoye au garde-des-sceaux,
-qui se hta de calmer l'incertitude
-cruelle des deux accuss et de leur famille,
-en crivant que Franoise Tiers aurait sa grce.</p>
-
-<p>En effet, le chef de la magistrature consomma
-cette &oelig;uvre de justice et d'humanit,
-et aprs un examen rflchi qui parvint le
-convaincre de la vrit des faits, il manda
-l'avocat des accuss, par une lettre du 18 septembre
-1782, que le roi avait accord ces
-infortuns des lettres de rmission.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_220">220</a></span></p>
-
-<h2>LE CONSEILLER DE VOCANCE,<br />
-<span class="large">FAUSSEMENT ACCUS D'EMPOISONNEMENT.</span></h2>
-
-<p>Voici ce que disait, au sujet de cette accusation
-calomnieuse, le clbre avocat-gnral
-Servan, qui contribua par son loquence au
-triomphe de l'innocence calomnie: Non,
-j'ai beau chercher dans les fastes du c&oelig;ur humain
-dnatur une atrocit comparable; je ne
-la trouve ni dans l'histoire, ni mme dans la
-fable. Une Mde, dans la fable, assassine ses
-deux enfans aux yeux de son poux; mais
-l'intrt de la jalousie furieuse la transporte.
-Atre, dont le nom fait frmir, Atre, dont
-nos thtres mme, dont la scne de l'illusion
-n'a pu soutenir la prsence; Atre tait vertueux
-auprs de M. de Vocance; il se venge
-du plus cruel affront et tue l'enfant d'un
-autre. Fayel, auprs de Gabrielle de Vergy, ne
-parat qu'un poux modr. La Brinvilliers,
-ce nom qui nous prsente l'image du crime
-<span class="pagenum"><a id="Page_221">221</a></span>
-mme sous les traits d'une jeune femme; la
-Brinvilliers fit un sacrifice horrible de la nature
- l'amour; elle empoisonna son frre et
-son pre, perscuteurs de son amant; mais
-son mari indulgent pour sa faiblesse, mais ses
-enfans, elle ne les empoisonna point. Desrues,
-qui prpara ses poisons le masque de la religion
-sur le visage, Desrues avait une grande
-avarice contenter; le sclrat songeait sa
-famille, et ne l'assassinait pas; mais je dfie
-qu'on me cite un homme de trente-cinq ans,
-un gentilhomme, un magistrat qui, pour son
-premier crime, son coup d'essai, empoisonne
- la fois, sous ses yeux et de sa main, son ami,
-sa femme et ses enfans, et qu'il les empoisonne
-pour rien.</p>
-
-<p>Tel est le tableau nergique que Servan
-traa de cette dplorable affaire. Passons
-maintenant aux faits.</p>
-
-<p>M. de Vocance, conseiller au parlement de
-Grenoble, s'tait retir de cette compagnie,
- l'poque de sa suppression en 1771. Il se livra
-d'abord ses affaires domestiques et
-l'ducation de ses enfans. Il avait l'habitude
-de passer la belle saison avec sa femme et sa
-famille, sa terre de Chatonay, situe dans le
-<span class="pagenum"><a id="Page_222">222</a></span>
-Bas-Dauphin, quatre lieues de Vienne.</p>
-
-<p>Dans ce sjour, il se lia de la plus intime
-amiti avec l'abb de Bouvard, parent de madame
-de Vocance, et chanoine du chapitre de
-Saint-Pierre, Vienne. Cet ecclsiastique,
-d'une fortune trs-mdiocre et d'un ge dj
-avanc, fit bientt sa maison propre de celle
-de M. de Vocance. Le voisinage et la parent
-avaient donn lieu leur liaison, la convenance
-mutuelle, l'habitude et les soins que
-l'abb donnait l'ducation des enfans de son
-ami, en resserrrent bientt les n&oelig;uds, et firent
-qu'elle devint ensuite un besoin pour
-tous. La moiti de l'anne, le chanoine de
-Vienne allait en retraite la maison de campagne
-de M. de Vocance. Pendant neuf ans,
-rien ne put altrer cette intimit. L'abb de
-Bouvard, mcontent de quelques neveux qu'il
-avait, se dtermina laisser une partie de son
-modique hritage aux enfans de son ami, en
-rcompense d'une hospitalit absolument gratuite
-et des soins persvrans que l'on avait
-eus pour lui. Mais M. de Vocance s'opposa
-formellement cette donation, et dsigna au
-testateur son hritier naturel dans le plus
-jeune de ses neveux. Ces instances produisirent
-<span class="pagenum"><a id="Page_223">223</a></span>
-leur effet; M. de Vocance ne figura
-dans les dispositions de l'abb qu'en qualit
-d'excuteur testamentaire.</p>
-
-<p>Ce procd dlicat que, dans nos m&oelig;urs,
-on appellerait gnreux, annonce un dsintressement
-non quivoque. M. de Vocance
-pouvait, sans scrupule comme sans reproche,
-accepter un tmoignage d'attachement
-qu'il n'avait pas sollicit; il le refusa. Comment
-pouvait-il se faire que, peu de temps
-aprs, il et cherch s'emparer des dbris
-de sa dpouille par trois forfaits simultans?</p>
-
-<p>Vers la fin de dcembre 1780, l'abb de
-Bouvard vint reprendre sa station Chatonay.
-M. et madame de Vocance, prts retourner
- Vienne aux approches de l'hiver,
-prolongrent de deux mois leur sjour la
-campagne, pour rpondre aux dsirs de leur
-vnrable ami. Ce terme touchait sa fin,
-lorsque, le 20 fvrier 1781, l'abb de Bouvard,
-parlant du djener du lendemain, demanda
- sa parente du caf aux jaunes d'&oelig;ufs.
-En se levant, madame de Vocance ordonne
-le caf: la femme de chambre le prpare la
-cuisine dans le vase ordinaire: la cuisinire
-casse deux &oelig;ufs, elle en extrait le jaune sur
-<span class="pagenum"><a id="Page_224">224</a></span>
-une assiette qu'elle remet la femme de
-chambre. Celle-ci passe l'office, en rapporte
-le sucrier rempli de cassonnade, en saupoudre
-les &oelig;ufs en prsence de tous les domestiques,
-et apporte le djener dans la chambre
-de sa matresse. M. de Vocance venait d'y
-entrer. Il y tait seul pour le moment, avec
-ses enfans; il bat les &oelig;ufs; sa femme rentre,
-elle consomme le mlange, le vide en deux
-tasses qu'elle achve de remplir avec du caf,
-conserve l'une pour son usage, et envoie
-l'autre l'abb de Bouvard, encore au lit,
-par la jeune de Vocance, ge de dix ans.</p>
-
-<p>Dans cet intervalle, les domestiques avaient
-aussi song leur djener. Sur le marc de
-caf ils avaient vers du lait; la cuisinire
-avait sucr le tout d'un morceau solide de
-cassonnade, de la grosseur d'une noix pris
-dans le sucrier. Cinq des domestiques en burent
-impunment; il n'en fut pas de mme du
-terrible mlange dont les matres venaient de
-faire usage.</p>
-
-<p>Madame de Vocance boit sa tasse; ses enfans,
-autour d'elle, participent son djener;
-elle leur en donne plusieurs cuilleres.
-Son mari qui ne djene jamais, et qui, de
-<span class="pagenum"><a id="Page_225">225</a></span>
-plus, ne prend jamais de caf, ne quitte
-point la chambre; il assiste aux distributions
-de la mre, au rgal des enfans, et l'empoisonnement
-de tous les trois.</p>
-
-<p>A peine ce funeste breuvage est-il dans
-leurs entrailles, que son activit se dveloppe.
-Les enfans sont atteints de vomissemens violens;
-le malheureux pre prend son fils dans
-ses bras, et tche de le secourir; sa fille,
-faisant de cruels efforts pour vomir, est
-tendue sur une chaise: bientt madame de
-Vocance elle-mme prouve les mmes effets;
-on ne doute plus que le caf ne ft empoisonn;
-les deux poux se prcipitent, en frmissant,
-dans l'appartement de l'abb. Ils
-le trouvent assis sur son lit, la tte sur ses
-mains, et vomissant avec les efforts les plus
-douloureux.</p>
-
-<p>On court au chirurgien du village, pour
-constater l'existence et la nature du poison;
-il visite la cafetire, la fourchette, l'assiette,
-et n'y trouve rien. On souponne la cassonade;
-l'imprudente femme-de-chambre ne
-pouvant lui attribuer des effets aussi terribles,
-en prend une pince dans le mme sucrier,
-et l'avale. Sur-le-champ elle vomit;
-<span class="pagenum"><a id="Page_226">226</a></span>
-plus de doute sur l'origine de l'accident. Le
-chirurgien dissout dans de l'eau tide une
-portion de cette cassonade, et dans le sdiment
-prcipit au fond du verre, il croit
-trouver une particule arsnicale.</p>
-
-<p>Le poison dcouvert, on cherche remdier
- ses ravages. Le plus efficace des spcifiques,
-le lait est essay, mais par une
-fatale mprise du chirurgien, il abandonne
-bientt cet antidote pour recourir au tartre
-mtique. Il le distribue grandes doses;
-les vomissemens et les efforts redoublent:
-l'abb, empoisonn par une tasse entire,
-tait le plus souffrant et le plus expos: l'mtique
-rpt le fit vomir jusqu'au sang; et
-pour consommer le danger du traitement, le
-chirurgien lui fit avaler de l'lixir des Chartreux
-et du vin d'Alicante; c'tait lui porter
-le dernier coup; au bout de douze heures des
-plus vives angoisses, M. de Bouvard expira. Ses
-derniers momens furent partags entre le salut
-de son me et les regrets donns son ami.</p>
-
-<p>La mort de ce respectable ecclsiastique
-n'tait peut-tre pour M. de Vocance que le
-prlude de pertes plus douloureuses encore;
-sa femme et ses enfans taient menacs du
-<span class="pagenum"><a id="Page_227">227</a></span>
-mme sort. Mais force de soins, au bout
-de quinze jours du pril le plus imminent, on
-ne craignit plus pour leur vie.</p>
-
-<p>Cependant, au milieu de cette dsolation,
-la justice vint remplir son devoir. Le chtelain
-du lieu informa sur ce dsastre: on
-entendit tous les tmoins capables d'en constater
-les circonstances; le rsultat du procs-verbal
-fut la vrit des dtails que l'on vient
-de raconter; en consquence, le juge pronona
-qu'il n'y avait lieu aucun dcret.</p>
-
-<p>Mais bientt la rumeur populaire s'empare
-de cet vnement, et s'abandonne avec intemprance,
-selon sa coutume, aux conjectures
-et aux insinuations les plus perfides.
-Ces bruits scandaleux s'enflent, se propagent.</p>
-
-<p>M. de Vocance voulant cacher sa femme
-la mort de l'abb de Bouvard, avait procd
-sans bruit aux funrailles de son vieil ami.
-On tourna cette prcaution contre lui, comme
-un poignard. Pourquoi, se disait-on, cet ensevelissement
-secret? Qui empcherait que M. de
-Vocance n'et lui-mme assaisonn la cassonade?
-Pourquoi, les domestiques en ayant
-fait usage, ont-ils t prservs? Leur matre
-n'est-il pas joueur, dissip, jaloux de sa femme
-<span class="pagenum"><a id="Page_228">228</a></span>
-qu'il nglige? Ne s'ensuit-il pas de l qu'il a
-pu empoisonner sa famille et son ami?</p>
-
-<p>Bientt ces prsomptions atroces prirent
-crdit dans le public tel point que le procureur-gnral
-au parlement de Grenoble
-crut devoir ordonner au procureur du roi
-du bailliage de Vienne de faire une nouvelle
-information. M. de Vocance, sa femme, ses
-domestiques furent entendus comme tmoins.</p>
-
-<p>On interrogea les voisins, les droguistes,
-les apothicaires, tous ceux de qui on pouvait
-esprer des claircissemens sur l'empoisonnement
-et sur le poison. Que produisit cette
-enqute? Une dcouverte importante, mais
-nullement celle d'un crime. On dcouvrit que,
-depuis plusieurs annes, M. de Vocance avait
-fait un achat d'arsenic pour les rats.</p>
-
-<p>Quoiqu'il en soit, le juge de Vienne dcrta
-de prise de corps la cuisinire, la femme
-de chambre et l'un des domestiques de M. de
-Vocance, qui lui-mme fut, deux mois aprs,
-l'objet d'un dcret d'ajournement personnel.
-M. de Vocance, justement alarm, vit clairement
-que la trame ourdie contre lui, ayant
-pu russir obtenir l'ordre de lui ravir la
-libert, pouvait galement compromettre sa
-<span class="pagenum"><a id="Page_229">229</a></span>
-vie. Il se droba aux poursuites de la justice.
-La procdure fut continue pendant son absence,
-et le juge de Vienne, aprs avoir mis
-hors de cour les trois domestiques, condamna
-M. de Vocance un plus ample inform indfini
-et aux dpens.</p>
-
-<p>Comment l'arsenic s'tait-il trouv ml
-avec la cassonade? C'est ce que l'on n'a pu
-savoir d'une manire positive. Tout ce qu'on
-sait, c'est qu'il y avait dans la maison de M. de
-Vocance de l'arsenic pour les rats; que
-peut-tre on avait mis ce poison dans l'office,
-o les rats se tiennent plus qu'ailleurs;
-que la clef restait souvent la porte et que
-des enfans peuvent avoir fait imprudemment
-cet horrible mlange. Ce qui a t dit de
-plus vraisemblable cet gard, rsulte de
-la dposition de deux tmoins. Il tait prsumer
-que quelques livres de cassonade,
-achetes quelque temps avant la catastrophe,
-avaient t jetes sans prcaution, par
-l'picier, dans un sac au fond duquel tait
-probablement un reste d'arsenic; le sac avait
-t dpos l'office, tel qu'il tait sorti des
-mains du marchand; on y puisait selon le
-besoin: tant qu'on ne toucha point au fond,
-<span class="pagenum"><a id="Page_230">230</a></span>
-la cassonade ne fut point nuisible; ce ne
-fut que lorsqu'on en vint prendre le poison
-ml que le malheur arriva.</p>
-
-<p>M. de Vocance interjeta appel du jugement
-du tribunal de Vienne devant le parlement
-de Grenoble. Cette cour ne ngligea
-rien de ce qui pouvait clairer sa religion
-dans une cause aussi dlicate, o il s'agissait
-de l'honneur et de la vie d'un citoyen distingu.
-Des monitoires furent publis et une
-nouvelle instruction ordonne. Il en rsulta,
-non des charges contre M. de Vocance, mais
-des preuves irrcusables de son innocence.
-Le clbre Servan prit en main la dfense de
-l'accus, et sa chaleureuse loquence pulvrisa
-les calomnies entasses contre son
-client.</p>
-
-<p>Enfin, par arrt du 15 juillet 1783, le premier
-jugement fut annihil; M. de Vocance
-fut dcharg de l'accusation intente contre
-lui, aussi bien que les trois domestiques qui
-y avaient t impliqus.</p>
-
-<p>Ainsi, grces aux soins d'un parlement
-clair, une innocente victime fut arrache
-la mchancet publique qui s'apprtait la
-traner l'chafaud.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_231">231</a></span></p>
-
-<h2>MOINOT,<br />
-<span class="large">EMPOISONNEUR DE SA FAMILLE.</span></h2>
-
-<p>On ne saurait trop le rpter, la dbauche
-est la source d'une infinit de crimes. Dans
-beaucoup de cas, on pourrait la considrer
-comme le premier chelon de l'chafaud. Tel
-qui finit par souiller sa vie de forfaits a souvent
-commenc par cder sans rflexion un
-penchant criminel. Le fait suivant fournit un
-exemple de plus de cette triste vrit.</p>
-
-<p>Franois Moinot, journalier de la paroisse
-de Saint-Romain, snchausse de Civray, vivait
-en trs-bonne intelligence avec sa femme.
-Son travail et celui de sa femme suffisaient
-leur subsistance et celle de leurs enfans.
-En un mot, cette famille jouissait de tout le
-bonheur que l'on peut trouver dans une condition
-honnte et laborieuse. Ce bonheur pouvait
-se prolonger jusqu'au terme de la carrire
-des deux poux, si Moinot n'et pas
-<span class="pagenum"><a id="Page_232">232</a></span>
-cd aux aveugles transports d'une passion
-criminelle qui devait l'entraner bientt au
-forfait le plus pouvantable.</p>
-
-<p>Ce journalier ayant fait connaissance de la
-fille d'un laboureur d'une paroisse voisine,
-conut pour elle une passion dsordonne.
-Cette jeune fille se nommait Catherine Segaret.
-Elle rpondit l'amour de Moinot; et
-leur liaison ne tarda pas tre criminelle. Ce
-commerce coupable les amena insensiblement
- former le projet de s'unir; mais pour en
-rendre l'excution possible, Moinot fut inspir
-par un gnie infernal. Il conut le dessein
-de se dbarrasser du mme coup, et par
-le poison, de sa femme et de ses enfans. Ce
-n'tait pas assez pour ce monstre d'une seule
-victime; il voulait pour ainsi dire ensevelir
-dans le mme tombeau tous les fruits de son
-premier amour, pour qu'ils ne fussent pas continuellement
-devant ses yeux des reproches
-vivans de son crime.</p>
-
-<p>Franois Moinot achte de l'arsenic, et
-pie avec impatience une occasion favorable
-pour consommer son forfait. Il saisit le moment
-o sa femme tait sortie avec ses enfans;
-il met le fatal poison dans la soupe destine
-<span class="pagenum"><a id="Page_233">233</a></span>
-au dner de la famille. L'heure du repas
-arrive, il feint de n'avoir pas apptit, et
-s'abstient de toucher au plat empoisonn.
-Mais sa femme et ses enfans n'eurent pas
-plus tt mang de cette soupe qu'ils prouvrent
-tous les symptmes de l'empoisonnement.
-L'an des enfans de Moinot mourut au
-bout de quelques instans dans des convulsions
-horribles. Le bruit de cet vnement se rpandit
-aussitt dans le village. La mre et les
-autres enfans ne furent pas long-temps sans
-prouver les mmes accidens; mais des secours
-administrs propos les rappelrent
- la vie et la sant. Cependant les soupons
-se runirent sur Franois Moinot. La justice
-ayant fait constater le dlit, le coupable et sa
-complice furent conduits en prison. Aprs
-une instruction trs ample, Moinot fut dclar
-convaincu d'avoir empoisonn sa femme
-et ses enfans, et pour rparation condamn
-tre rompu vif et jet au feu.</p>
-
-<p>Sur l'appel de la sentence des premiers
-juges, les accuss furent transfrs la conciergerie,
-et la fille Segaret y mourut le 21
-septembre 1783. Six jours aprs, Moinot fut
-condamn par le parlement faire amende
-<span class="pagenum"><a id="Page_234">234</a></span>
-honorable, avec criteau portant ces mots:
-<i>empoisonneur de sa femme et de ses enfans</i>,
-au devant de la principale porte de l'glise
-de Saint-Nicolas de Civray, tre ensuite
-rompu vif, mis sur la roue, puis jet dans
-un bcher ardent pour y tre rduit en cendres,
-et ses cendres jetes au vent.</p>
-
-<p>Jamais condamnation ne fut plus quitable
-que celle qui fut prononce contre l'auteur
-d'un attentat aussi monstrueux. Le crime
-dont il avait t accus tait constat de la
-manire la plus authentique, et les preuves
-les plus videntes se runissaient contre le
-coupable. Les juges, vengeurs de l'innocence
-et de la socit, n'avaient pas hsiter sur l'application
-de la peine; ils prononcrent en
-connaissance de cause.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_235">235</a></span></p>
-
-<h2>BARBE DIDIOT.</h2>
-
-<p>Le moindre dsordre dans la socit peut
-donner lieu aux plus graves accidens, entraner
-la ruine de plusieurs familles, les vouer
- la honte et au mpris public, et faire quelquefois
-monter des innocens l'chafaud.
-C'est ainsi que le plus petit drangement dans
-les ressorts d'une machine ne tarde pas y
-porter la turbation, et en paralyser toutes
-les fonctions. Quand le moraliste remonte
-la source des plus grands crimes ou des accusations
-les plus capitales, il est presque toujours
-sr de trouver qu'ils sont les effets de
-causes presque indiffrentes au premier coup
-d'&oelig;il.</p>
-
-<p>Ainsi une fille, aprs tre devenue mre,
-essuie des reproches de ses parens, et disparat
-tout--coup de son village. On ignore
-quelle route elle a prise, dans quelle ville
-elle s'est retire. A la fontaine, au moulin,
-<span class="pagenum"><a id="Page_236">236</a></span>
- la veille, partout, les commres du canton
-s'interrogent, s'interrompent, et se rpondent
-diversement sur le sort de la fugitive. Elle
-est, dit l'une, aux Loges auprs de Grand-Pr.&mdash;Non,
-reprennent les autres, on l'a vue
- Paris; on lui a parl prs de telle glise.&mdash;Point
-du tout, dit une troisime; elle tait
-enceinte des &oelig;uvres du sieur un tel; il l'a
-empoisonne avec un gobelet de vin, et l'a
-enterre tout habille dans un trou vers le
-soupirail de la cave.&mdash;Cela n'est pas vrai,
-rplique une commre qui survient, on l'a
-trouve dans la maison de son assassin, ayant
-des coups de couteau la gorge, et lie avec
-quatre liens dans une botte de paille.</p>
-
-<p>Ces affreux propos passent de bouche en
-bouche; le magistrat prend des caquets pour
-la clameur publique, et sans autre dnonciation,
-sans aucun corps de dlit, sans savoir
-si cette fille gorge, empoisonne, enterre
-mme, est morte, ou si elle vit, il rend
-plainte contre l'homme dsign par tous ces
-bavardages, le fait dcrter de prise de corps,
-ordonne qu'il soit jet dans les prisons, envoie
-dans sa maison des ouvriers qui la fouillent
-et refouillent en tous sens pendant douze
-<span class="pagenum"><a id="Page_237">237</a></span>
-jours; enfin, fait planer sur sa tte innocente
-cinq ou six accusations toutes capitales. Que
-de calamits causes par le premier garement
-d'une jeune fille!</p>
-
-<p>Nicolas Sillet, g de prs de soixante ans,
-exerant avec honneur les fonctions de notaire
-royal Montfaucon en Champagne,
-est, dans cette histoire, le personnage innocent
-aux prises avec la calomnie. Il faisait valoir,
-par les mains de Didiot, laboureur, et
-de Catherine Melinet, sa femme, quelques
-hritages dpendans de son patrimoine. Didiot
-tait un excellent cultivateur, mais pauvre;
-le sieur Sillet lui fit plusieurs avances,
-soit pour acheter des bestiaux, soit pour subvenir
- ses besoins personnels. En 1771, Grard
-Mazagot vendit Didiot un cheval,
-moyennant la somme de deux cent cinquante
-livres. Le 1<sup>er</sup> juillet, on fit un billet payable
-en trois paiemens. Didiot, sa femme et leur
-fille majeure, s'obligrent solidairement envers
-le vendeur. Ce march fut peine conclu,
-que les acheteurs recoururent au sieur
-Sillet, le priant de les acquitter envers Mazagot,
-et de se subroger ses droits. Il y consentit,
-et paya Mazagot, qui lui donna quittance,
-<span class="pagenum"><a id="Page_238">238</a></span>
-avec subrogation ses droits. Ainsi le
-sieur Sillet devint crancier de Jean Didiot,
-de sa femme et de sa fille, d'une somme de
-deux cent cinquante livres, sans parler de
-plusieurs autres dettes antrieures.</p>
-
-<p>Barbe Didiot, fille du dbiteur du sieur Sillet,
-faisait patre les bestiaux de son pre, et
-l'aidait dans les travaux du labourage. Malheureusement
-cette fille n'avait point cette
-simplicit de gots et de m&oelig;urs ncessaire
-pour apprcier le bonheur de la vie des champs.
-Recherche dans ses ajustemens, elle voulait
-aimer et plaire. Elle avait dj port les fruits
-de sa coquetterie; le 2 juillet 1766, elle avait
-fait sa dclaration qu'elle tait enceinte d'environ
-sept mois, des &oelig;uvres de Jean Sillet,
-frre du notaire; et peu de temps aprs elle
-avait donn le jour une fille.</p>
-
-<p>Depuis cette poque, Barbe tait frquemment
-en querelle avec ses parens. Il lui fallait subir,
-en outre, les brocards de tous ceux qu'elle
-rencontrait, et qui ne l'pargnaient gure sur
-l'article de sa maternit prcoce. Ces circonstances
-lui rendaient fort dsagrable le sjour
-de son pays natal. D'un autre ct, vaine, lgre,
-coquette par caractre, Barbe se dplaisait
-<span class="pagenum"><a id="Page_239">239</a></span>
-dans la mdiocrit de son tat; tous
-les jours elle parlait de quitter sa famille,
-d'aller Paris, et de n'en revenir que <i>quand
-elle serait sur le bon ton</i>.</p>
-
-<p>Enfin, dtermine excuter son projet
-dans le mois de juillet 1774, tant alors ge
-de trente-deux ans, elle pria quelques-unes
-de ses connaissances de vouloir bien lui garder
-plusieurs de ses effets qu'elle ne pouvait emporter;
-mais personne ne voulut se charger
-de ce dpt. Le sieur Sillet possdait Montfaucon,
-loin de son domicile, une masure
-compose d'une grange et d'une curie. On
-en dposait la clef dans un trou du mur, et
-Barbe Didiot ne l'ignorait pas, puisqu'elle la
-prenait tous les jours pour aller soigner les
-bestiaux. Elle fit donc diffrens ballots de ses
-effets, les porta dans cette masure, la nuit du
-21 au 22 juillet 1774, et les cacha dans diffrens
-endroits d'un tas de foin.</p>
-
-<p>Le 22, cette fille vint chez le sieur Sillet;
-elle lui fit part de sa rsolution, <i>sous l'inviolabilit
-du secret</i>. Elle lui dclara qu'elle avait
-dpos dans sa masure une partie de ses hardes,
-et qu'elle y avait pass la nuit. Le sieur
-Sillet lui fit alors toutes les observations possibles
-<span class="pagenum"><a id="Page_240">240</a></span>
-pour l'engager rester avec ses parens:
-ce fut en vain. Au moins, lui dit-il en insistant,
-vous auriez d laisser vos effets chez
-votre pre.&mdash;Non, rpliqua-t-elle; ils seront
-plus en sret chez vous que chez mon pre:
-<i>je les ai achets de mon argent, ils m'appartiennent</i>.
-D'ailleurs je vous dois ainsi que mon
-pre et ma mre; ne leur faites point de frais;
-mes effets vous serviront de nantissement.</p>
-
-<p>Barbe Didiot partit donc, et ses effets restrent
-o elle les avait placs, sans que le sieur
-Sillet s'en occupt le moins du monde. Souvent
-ils furent vus par les gens qui prenaient
-ou serraient du foin dans la grange. Lorsqu'on
-venait en parler au sieur Sillet, fidle au secret
-qu'on lui avait demand, il se contentait
-de rpondre qu'il fallait les laisser et les ranger
-de manire qu'ils ne gnassent point.</p>
-
-<p>Dans le temps de la disparition de Barbe
-Didiot, l'on vit passer Lizy prs Vouziers,
-sur la route de Paris, une fille proprement
-mise. Quelqu'un l'ayant aborde, lui fit diverses
-questions; elle rpondit qu'elle tait
-de Montfaucon, et qu'elle allait travailler en
-France ou chercher condition Paris. On lui
-tmoigna de la surprise de ce qu'une fille si
-<span class="pagenum"><a id="Page_241">241</a></span>
-bien habille chercht condition; elle rpliqua
-qu'elle s'loignait de son pays parce
-qu'elle n'avait pas lieu d'tre satisfaite de ses
-parens.</p>
-
-<p>En 1775, la masure dont on vient de parler
-tomba presque entirement en ruine: la
-vote de la cave se fendit de toutes parts. Le
-sieur Sillet ayant achet, prs de cette masure,
-une partie de maison, voulut les faire
-rparer l'une et l'autre en mme temps. Il
-traita donc avec deux ouvriers qui se chargrent
-de l'entreprise. Lors de la rception de
-l'ouvrage, il les rgala comme c'est assez l'usage
-en province; il parat mme que le vin
-ne leur fut pas pargn; ils retournrent
-grand'peine leur logis.</p>
-
-<p>Alors la chronique scandaleuse dbita qu'il
-les avait fait boire avec excs pour les engager
- taire qu'ils avaient trouv, dans la cave,
-le cadavre de Barbe Didiot, comme si l'ivresse
-avait jamais t la garantie de la discrtion.
-Avant qu'on tnt ces propos, on avait parl
-de la fille Didiot devant le sieur Sillet; et on
-lui avait demand s'il savait ce qu'elle tait
-devenue. Tantt il avait rpondu: <i>Je n'en sais
-rien</i>; tantt: <i>Elle est peut-tre fort son aise</i>.
-<span class="pagenum"><a id="Page_242">242</a></span>
-Quelquefois faisant allusion aux brillantes
-esprances que Barbe avait conues, il avait
-ajout par plaisanterie: <i>Sans doute vous la
-verrez revenir tt ou tard, et sur le bon ton</i>.</p>
-
-<p>On tira des inductions horribles de ces rponses
-si naturelles. Chacun mit son opinion,
-chacun apporta sa conjecture. Insensiblement
-les prsomptions bien ou mal fondes
-devinrent des certitudes; et quoiqu'il
-n'existt aucun corps de dlit, la populace,
-dans ses rumeurs indiscrtes, n'en dsignait
-pas moins un coupable.</p>
-
-<p>Barbe Didiot avait disparu le 22 juillet 1774;
-ce ne fut que le 28 novembre 1775 que le
-procureur-fiscal de la prvt de Montfaucon
-rendit une premire plainte entirement fonde
-sur les propos que nous venons de rapporter.
-En consquence, Nicolas Sillet, ses
-complices, fauteurs et adhrens, devinrent
-l'objet d'une information qui fut ordonne
-par le prvt. Cette premire information fut
-compose de trente-six personnes. En 1776,
-on dcerna trois dcrets d'ajournement personnels,
-l'un contre Sillet, accus d'avoir favoris
-l'vasion de Barbe Didiot, d'tre l'auteur
-de sa grossesse lors de son vasion; d'avoir
-<span class="pagenum"><a id="Page_243">243</a></span>
-en mme temps recl chez lui les effets
-qu'elle avait enlevs de chez ses parens; de celer
-l'endroit o il l'avait place, et d'empcher
-qu'elle ne revnt chez eux, malgr les pressantes
-sollicitations qui lui avaient t faites. Les deux
-autres dcrets taient lancs contre Claudette
-Sillette, femme Mazagot, pour avoir port,
-depuis l'vasion de Barbe Didiot, une coiffure
-de cette dernire; et contre Grard Mazagot,
-marchand, pour avoir souffert que sa
-femme et port cette coiffure.</p>
-
-<p>Le 7 fvrier 1776, ces trois personnes dcrtes
-furent interroges. Au mois d'octobre
-1780, le sieur Sillet fit encore travailler sa
-maison. Les ouvriers y trouvrent, sous le
-foin, les effets de Barbe Didiot qu'on n'avait
-pas dplacs; aussitt ils accoururent avec
-mystre vers Sillet, et lui firent part de leur
-dcouverte. Nous sommes, ajoutrent-ils,
-obligs d'en avertir les seigneurs et leurs officiers
-de justice; mais dites-nous une bonne
-parole, il n'en sera jamais question.&mdash;La
-bonne parole que je puis vous donner, rpliqua
-Sillet, c'est de faire mon ouvrage. Quant
- ces ballots, mettez-les de ct s'ils vous gnent;
-vous avez assez de place.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_244">244</a></span>
-Aussitt les ouvriers publirent partout
-qu'ils avaient dcouvert les effets de Barbe
-Didiot; et sur-le-champ le procureur-fiscal
-requit le transport du juge dans la maison du
-sieur Sillet, pour s'assurer de l'existence des
-effets dont il tait question et en dresser inventaire.
-La reconnaissance et l'inventaire
-ayant eu lieu, le 30 octobre, jugement fut
-rendu l'effet de chercher s'il n'y aurait pas
-quelque cadavre dans la maison du sieur Sillet.
-Celui-ci consentit volontiers l'excution
-de ce jugement. Pendant douze journes, quatre
-experts investigateurs firent creuser et
-fouiller la maison dans tous les sens, et dclarrent
-n'avoir rien trouv.</p>
-
-<p>Cela n'empcha pas le procureur-fiscal de
-rendre une nouvelle plainte le 18 novembre.
-Cependant depuis prs d'un mois, Sillet, dcrt
-de prise de corps, avait t jet dans les
-prisons de Montfaucon. Aprs diverses informations
-successives, et l'instruction tant
-acheve, l'accus fut transfr dans les prisons
-du bailliage de Reims; et sur son appel,
-un arrt fut rendu qui ordonnait l'apport des
-charges au greffe du parlement de Paris. Recl,
-sduction, assassinat, empoisonnement,
-<span class="pagenum"><a id="Page_245">245</a></span>
-subornation de tmoins: telle tait la runion
-des forfaits dont on accusait Sillet.</p>
-
-<p>Et pourtant, avec cet appareil effrayant d'accusations,
-il n'existait pas de corps de dlit.
-Comme le disait son avocat: Dj l'on agite
-la question de savoir..... s'il faut l'tendre sur
-la croix ou le jeter dans le bcher; et cependant
-on n'a nulle preuve qu'il y ait eu ni
-empoisonnement, ni assassinat. On poursuit
-un meurtrier, et l'on ne trouve aucun meurtre;
-on s'crie: <i>Voil le coupable!</i> et l'on doute
-s'il y a eu un coupable. D'ailleurs Barbe Didiot
-n'avait t ni empoisonne, ni assassine
-par le sieur Sillet, puisque des tmoins l'avaient
-rencontre et vue Paris. Jeanne le Fvre,
-femme du nomm Honosse, cordonnier,
-appele comme tmoin, avait dclar que
-dans le courant d'aot 1775, tant Paris dans
-un endroit appel Saint-Denis-de-la-Chtre,
-elle avait rencontr Barbe Didiot, et que lui
-ayant demand quelles affaires avaient pu l'amener
- Paris, Barbe lui avait rpondu qu'elle
-n'en avait aucune; qu'elle tait venue Paris
-pour y demeurer; que jamais son pays ne la
-reverrait, et que chacun avait ses peines. Je
-<span class="pagenum"><a id="Page_246">246</a></span>
-la quittai sans pouvoir en savoir davantage,
-ajoutait le tmoin.</p>
-
-<p>Frapp des contradictions des tmoins, et
-surtout de l'absence de preuves et de corps
-de dlit, le parlement de Paris, par arrt du
-18 octobre 1783, ordonna la continuation de
-la procdure par les juges de Reims, la charge
-de le faire dans le dlai de trois mois. Cependant
-Sillet fut provisoirement largi, avec injonction
-de se reprsenter en tat d'ajournement
-personnel. Peu de temps aprs, les juges
-de Reims prononcrent son acquittement.</p>
-
-<p>Outre les motifs qui militaient en sa faveur
-et que nous avons indiqus, il y en avait un
-bien puissant, c'est que les pre et mre de
-Barbe ne figurrent au procs que comme tmoins
-seulement et point comme parties; nulle
-poursuite, nulle rclamation n'eut lieu de
-leur part contre lui; et cependant ils taient
-ses dbiteurs, et auraient bien pu profiter de
-l'occasion pour tcher de perdre leur crancier.</p>
-
-<p>Quant Barbe, il est prsumer qu'elle
-avait subi la malheureuse destine qui attend
-les pauvres filles de province que les suites de
-<span class="pagenum"><a id="Page_247">247</a></span>
-leur libertinage amnent Paris. Il parat
-qu'elle tait venue faire ses couches l'Htel-Dieu
-de cette capitale. Du reste il n'est pas
-tonnant que les informations prises dans cet
-hpital n'eussent produit aucun renseignement.
-On sait que les filles telles que Barbe
-Didiot changent de nom ds qu'elles sont
-Paris; et lorsqu'on ignore leur nom d'emprunt,
-ce n'est que par un hasard trs-rare que l'on
-peut parvenir les trouver dans cette ville
-immense. De plus, plusieurs parens de Barbe
-Didiot avaient t repris de justice; de sorte
-que l'opprobre dont son nom tait fltri contribuait
-peut-tre autant que le libertinage
-l'loigner de son pays et lui faire prendre
-un autre nom que le sien.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_248">248</a></span></p>
-
-<h2>LACQUEMANT,<br />
-<span class="large">PARRICIDE.</span></h2>
-
-<p>Qu'un homme, n avec des inclinations
-perverses, et familiaris ds l'enfance avec
-toutes les actions criminelles, en vienne jusqu'
-tremper ses mains dans le sang mme de
-son pre, nous frmirons; mais ce qui agitera
-notre me sera plutt de l'effroi que de
-l'tonnement; cet homme portait sur le front
-le sceau de la rprobation; il n'a fait qu'accomplir
-sa destine. Qu'un homme d'un caractre
-violent et irascible, aveugl d'ailleurs
-par une passion dlirante, ose, dans un accs
-de fureur, porter une main sacrilge sur
-l'auteur de ses jours; on le condamnera, mais
-non sans le plaindre; il sera bien coupable
-sans doute, mais plus malheureux encore
-peut-tre. Ce forfait qu'il aura commis, jamais
-il n'en avait conu l'horrible pense;
-chez lui aucune prmditation; son c&oelig;ur
-<span class="pagenum"><a id="Page_249">249</a></span>
-n'tait pas complice de son bras meurtrier.
-Mais qu'un fils de m&oelig;urs douces, renomm
-pour ses vertus domestiques, reconnu pour
-un honnte citoyen, pur encore de toute espce
-de dlits, franchisse en un instant tous
-les degrs du crime, et se prpare avec rflexion
- dbuter par le parricide: voil un
-phnomne moral qui dconcerte toutes les
-donnes de la sagesse humaine, et qui runit,
- lui seul, tous les genres d'horreur.</p>
-
-<p>Jean-Baptiste Lacquemant demeurait Beuvry,
-dpendance de la ville de Marchiennes.
-Au rapport de tous les habitans du canton,
-il tait l'exemple de son village. Ennemi de
-toute espce de dissipation, et surtout de ces
-plaisirs du cabaret auxquels le peuple ne se
-livre que trop souvent sans mesure, il ne
-s'occupait que de travaux rustiques, de ses
-devoirs de religion et du bonheur d'lever sa
-petite famille.</p>
-
-<p>Un sordide intrt vint dtruire sa flicit
-et causer en lui la rvolution la plus
-trange et la plus odieuse. Son pre tait
-veuf; las de son isolement, il conut le projet
-de se remarier, et jeta ses vues sur une
-veuve du canton. A cette nouvelle, Lacquemant,
-<span class="pagenum"><a id="Page_250">250</a></span>
-jusques l si doux, si modr, devint
-furieux. Le projet de son pre venait traverser
-tous ses petits plans d'agrandissement. Il
-rsolut, quelque prix que ce ft, de mettre
-obstacle au mariage projet. Travesti et arm
-d'un bton, il allait, la nuit, chercher et attendre
-son pre, dessein de le dtourner,
-par des terreurs, du dessein qu'il avait conu.
-Soit que ce moyen et russi, soit par tout
-autre motif, le pre promit de ne plus aller
-voir la veuve.</p>
-
-<p>La veille de l'piphanie, les gens de la
-campagne se runissent ordinairement en famille
-pour clbrer la fte des rois. Lacquemant,
-qui croyait avoir amen son pre renoncer
- tout penchant pour le mariage,
-l'invita souper le 5 janvier 1784. Dans la
-gat du repas, le bon vieillard laissa chapper
-quelques propos qui prouvaient qu'il n'avait
-pas oubli la veuve. Ils retentirent l'oreille
-de Lacquemant comme un horrible signal.
-Dj sa pense couvait un forfait.</p>
-
-<p>L'heure de la sparation arrive: le vieillard
-quitte ses enfans, heureux d'avoir pass
-sa soire au milieu d'eux. Lacquemant, inquiet,
-ne peut se rsoudre se coucher; il
-<span class="pagenum"><a id="Page_251">251</a></span>
-veut auparavant s'assurer si son pre est rentr
-dans sa maison; il se rend chez lui, et ne
-le trouvant pas, il souponne qu'il est all
-chez la veuve. Aussitt toutes les furies de
-l'enfer s'emparent de son c&oelig;ur. Il court
-sa maison, se dguise, s'arme d'un gros bton
-de cerisier, et va s'embusquer sur le passage
-de son pre. Ds qu'il l'aperoit, il
-s'lance sur lui, lui porte avec violence plusieurs
-coups de bton sur les jambes. Le malheureux
-vieillard chancelle, tombe; puis
-runissant toutes ses forces, il se relve sur
-les genoux, reconnat son fils, et frmit d'horreur.....
-Il implore la piti de ce monstre dnatur;
-mais ses prires sont impuissantes:
-ni ses gmissemens, ni la terreur peinte sur
-son front, ni ses cheveux blancs hrisss, ni
-ses bras tremblans tendus vers le parricide
-ne peuvent dsarmer ce fils sans entrailles. Le
-monstre lui assne sur la tte le coup de la
-mort!.....</p>
-
-<p>Le lendemain, 6 janvier, le cadavre de cet
-infortun vieillard fut trouv dans l'endroit
-o il avait t assassin. Jamais les soupons
-n'eussent atteint Lacquemant, si lui-mme
-n'avait t au devant par ses inquitudes et
-<span class="pagenum"><a id="Page_252">252</a></span>
-par ses remords. Bientt il fut dcrt de
-prise de corps et arrt; les hommes du fief
-de la cour fodale de Marchiennes instruisirent
-la procdure; Lacquemant fit l'aveu de
-son crime, et, par sentence du 23 janvier,
-il fut condamn faire amende honorable,
- avoir le poing droit coup, tre rompu
-vif, brl ensuite et ses cendres jetes au vent.</p>
-
-<p>Les mmes juges crurent trouver, sinon
-une sorte de complicit, du moins des instigations
-de la part de la femme Lacquemant,
-tendantes exciter son mari effrayer et
-mme battre son pre; et pour cette cause,
-elle fut condamne tre prsente l'excution
-de son mari, tre battue et fustige
-de verges par les carrefours et lieux accoutums
-de la ville, tre fltrie d'un fer
-chaud sur l'paule droite, et bannie pour vingt
-ans du territoire de Marchiennes.</p>
-
-<p>La procdure porte au parlement de Flandre,
-la cour, par arrt du 29 janvier, confirma
-la sentence de Lacquemant et sursit
- celle de sa femme jusqu'aprs l'excution
-de l'arrt du mari.</p>
-
-<p>Le 31 janvier, celui-ci subit son supplice
-dans toute sa rigueur, mais avec une rsignation
-<span class="pagenum"><a id="Page_253">253</a></span>
-que la religion seule peut inspirer.
-Ce malheureux, en montant l'chafaud,
-dit aux religieux qui l'assistaient, que les
-transes qui le bouleversaient n'avaient point
-pour cause l'approche du supplice, mais la
-crainte que ce supplice ne sufft pas pour
-expier son forfait devant Dieu; qu'une autre
-alarme, non moins dchirante pour lui, tait
-son incertitude sur les dispositions de l'me
-de son pre lorsqu'il expira.</p>
-
-<p>Le procs-verbal d'excution ne contenant
-aucunes charges contre la femme, elle fut
-seulement bannie pendant cinq ans par un
-second arrt du 5 fvrier 1784.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_254">254</a></span></p>
-
-<h2>LA PROSTITUE D'AY.</h2>
-
-<p>Les accusations fondes sur de simples
-prventions, sur des rumeurs populaires,
-sont trop nombreuses, et ne sont que trop
-souvent accompagnes de circonstances dplorables,
-pour que l'on puisse craindre d'y
-revenir. Il faut constamment tenir veille
-l'attention de la justice sur un point aussi
-dlicat. En voici encore un exemple; mais du
-moins cette fois n'avons-nous qu' applaudir
- la conduite des magistrats.</p>
-
-<p>Marie-Jeanne Thillois, domicilie dans la
-ville d'Ay, avait t prostitue par sa mre,
-avant mme d'avoir atteint l'ge de pubert.
-Aprs avoir, pendant quelque temps, vcu du
-produit de ses charmes, elle entretint des liaisons
-intimes avec deux sclrats qui furent
-justicis Reims; elle se maria ensuite. Ayant,
-dit-on, ht la mort de son premier mari,
-elle en pousa un second, qui, ne pouvant
-vivre avec elle, la chassa de chez lui, ainsi
-<span class="pagenum"><a id="Page_255">255</a></span>
-que l'enfant qu'elle avait eu de son premier
-mariage.</p>
-
-<p>Marie-Jeanne trouva un asyle auprs d'une
-femme charitable qui la prit en qualit de
-servante; mais ayant continu ses dbauches
-et tant devenue enceinte, elle fut chasse.
-Aprs avoir err pendant quelque temps, elle
-se retira pernay; les officiers de police
-de cette ville, instruits de la conduite scandaleuse
-qu'elle tenait, lui signifirent qu'elle
-et en sortir au plus tt.</p>
-
-<p>Marie-Jeanne Thillois eut cette poque
-un premier accs de dsespoir; le 30 aot 1780,
-elle se prcipita dans un puits: deux personnes,
-tmoins de cette action, accoururent et
-lui sauvrent la vie. Chasse d'pernay, elle
-retourna dans la ville d'Ay, o elle se lia
-avec un homme g de soixante-dix ans dont
-elle devint la concubine; elle ne laissait pas
-d'avoir d'autres amans; aussi la vit-on bientt
-enceinte de nouveau, et sans scrupule,
-elle dfra son septuagnaire les honneurs
-de la paternit.</p>
-
-<p>Mais ce dernier ayant dissip avec elle le
-peu de bien qu'il possdait, et se trouvant
-sans ressources, se retira chez un de ses
-<span class="pagenum"><a id="Page_256">256</a></span>
-parens dans la ville d'Avenay. Marie-Jeanne
-vint l'y trouver, lui demanda de l'argent; et
-sur son refus, se jeta dans la petite rivire
-d'Avenay. Le vieillard appela au secours;
-ses cris attirrent le maire, qui l'aida tirer
-cette femme du ruisseau, et la ramener
-des sentimens plus raisonnables.</p>
-
-<p>Elle se rendit l'Htel-Dieu de Reims pour
-y faire ses couches, et revint peu aprs retrouver
-le vieillard qu'elle avait subjugu.
-Mais les orgies bruyantes et scandaleuses qui
-avaient lieu dans cette maison ayant attir
-l'attention des magistrats, le maire menaa
-Marie-Jeanne Thillois de la chasser de la
-ville, si elle ne quittait la maison du vieillard.
-Pour viter l'effet de ces menaces, elle
-loua un logement ailleurs; mais la conduite
-qu'elle y tint dplut aux propritaires, qui
-crurent devoir la chasser. Elle eut alors un
-troisime accs de dsespoir; elle allait se
-prcipiter dans les fosss d'Ay, lorsque des
-femmes charitables la consolrent, la dtournrent
-de son tragique dessein, et l'une d'elles
-se chargea par piti de ses deux enfans.</p>
-
-<p>Trop connue dans la ville d'Ay, elle retourna
- pernay; mais la police ne tarda
-<span class="pagenum"><a id="Page_257">257</a></span>
-pas l'en expulser pour la seconde fois. Elle
-revint Ay, et logea chez un vigneron nomm
-Testulat Baudouin. L elle fit connaissance
-avec un matre de danse, vagabond comme
-elle; et tandis que celui-ci allait donner ses
-leons par la ville, Marie-Jeanne, sous prtexte
-de blanchissage et de raccommodage,
-recevait chez elle tous les hommes qui s'y
-prsentaient. Une nouvelle grossesse fut le
-rsultat de cette vie dissolue, et le scandale
-fut tellement port son comble, que le
-procureur-fiscal d'Ay fit assigner le vigneron
-Testulat pour le condamner mettre Marie-Jeanne
-hors de chez lui.</p>
-
-<p>Par esprit de vengeance, celle-ci mit l'enfant
-qu'elle portait sur le compte du sieur
-Genet, beau-frre du procureur-fiscal. Le
-sieur Genet, commerant Ay, avait d'ailleurs
-le tort personnel d'avoir interdit l'entre
-de sa maison cette femme, dont la conduite
-dprave pouvait faire du tort son
-commerce.</p>
-
-<p>Cependant Marie-Jeanne, abandonne par
-son matre de danse, expose aux insultes de
-la populace, manquait du ncessaire pendant
-la saison la plus rigoureuse. Une noire
-<span class="pagenum"><a id="Page_258">258</a></span>
-mlancolie s'empara d'elle; elle rsolut de se
-dtruire elle et son enfant. Le 19 dcembre
-1783, elle alla passer la veille chez une femme
-de sa trempe. Elle en sortit vers minuit en
-disant qu'elle avait un rendez-vous, et ne rentra
-pas chez elle. Huit jours s'coulent; Marie-Jeanne
-ne reparat pas. Bientt sa disparition
-subite est la grande nouvelle d'Ay. On recherche
-quelles en peuvent tre les causes;
-elle avait dsign Genet comme l'auteur de
-sa grossesse. On en conclut que c'tait chez
-lui et avec lui qu'elle avait eu ce rendez-vous
-dont elle avait parl; qu'il serait bien possible
-qu'elle et t assassine et enterre chez Genet.
-Les conjectures deviennent des soupons,
-les soupons des certitudes. On invente mille
-contes plus absurdes les uns que les autres.
-La justice intervient; on informe; on fulmine
-des monitoires. On ne saurait s'imaginer quel
-feu l'on apportait venger la mort d'une misrable
-prostitue, qui de son vivant pouvait
-peine trouver un gte.</p>
-
-<p>Pendant toutes ces rumeurs, que faisait la
-femme que l'on disait assassine? Accoutume
- dloger sans bruit, elle tait alle retrouver
-son mari quelques lieues d'Ay, pour tenter
-<span class="pagenum"><a id="Page_259">259</a></span>
-de se rconcilier avec lui. Le mari et la femme
-reviennent ensemble dans Ay, le 13 janvier
-suivant. Marie-Jeanne rend Testulat Baudouin
-la clef de la chambre qu'elle avait occupe
-dans sa maison. Son mari fait un inventaire
-des meubles qu'elle y avait, et en laisse
-une copie au propritaire. Le mme jour,
-Marie-Jeanne disparat de nouveau, et le 11
-fvrier, on la trouve noye dans la Marne,
-une demi-lieue d'Ay.</p>
-
-<p>L'apparition momentane de cette malheureuse
-femme dans la ville d'Ay n'avait ralenti
-en rien les poursuites commences la requte
-du procureur du roi au bailliage d'pernay.
-Elles prirent une nouvelle activit lorsque son
-cadavre eut t trouv dans la Marne. Un
-monitoire affich tous les carrefours menaa
-des foudres de l'glise quiconque ne
-viendrait pas dposer ce qu'il savait, ou ce
-qu'il avait ou dire sur le compte de Marie-Jeanne
-et de Genet-Dubuisson: soixante-un
-tmoins furent entendus, et l'orage clata. Le
-10 mai, trois dcrets furent lancs, deux de
-prise de corps, contre les sieurs Genet fils
-et Feutr, apprenti dans la maison, et un d'ajournement
-<span class="pagenum"><a id="Page_260">260</a></span>
-personnel contre le sieur Genet
-pre. Les trois accuss se rendirent appelans
-des diffrens dcrets dcerns contre eux. Genet
-pre, dcrt seulement d'ajournement
-personnel, resta sur les lieux, et subit son interrogatoire;
-les deux autres, vaincus par les
-conseils de leurs amis, s'absentrent dans le
-premier moment, jusqu' ce qu'on leur et
-accord des <i>dfenses</i>, la charge de se reprsenter
-en ajournement personnel. Ils retournrent
-alors dans le sein de leur famille; et
-les juges d'pernay, fchs, sans doute, d'avoir
-t si loin, ne crurent pas devoir continuer
-l'instruction qui avait t commence
-sans corps de dlit, puisque quelques jours
-aprs, Marie-Jeanne avait t vue Ay avec
-son mari.</p>
-
-<p>Le tribunal avait claircir si la mort de
-Marie-Jeanne Thillois devait tre attribue
-un suicide, ou si elle tait l'effet de la vengeance
-et de la barbarie des trois complices
-de ses dbauches, ainsi que l'avait prtendu
-la rumeur populaire. Les antcdens de cette
-femme taient un indice suffisant; ses tentatives
-rptes de suicide, son expulsion de
-<span class="pagenum"><a id="Page_261">261</a></span>
-toutes les villes, sa misre, ne devaient laisser
-aucun doute au sujet de sa fin misrable. On
-ne devait pas chercher de coupables, puisque
-personne n'avait intrt le devenir.</p>
-
-<p>Aussi, par arrt du 11 septembre 1784, les
-accuss furent renvoys absous, et il leur fut
-permis de faire imprimer et afficher l'arrt.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_262">262</a></span></p>
-
-<h2>GALIT DES CITOYENS<br />
-<span class="large">DEVANT LA LOI.</span></h2>
-
-<p>On sait qu'avant notre rvolution de 1789,
-la noblesse croyait avoir le droit d'craser
-impunment tout individu non titr. Dans
-tous les temps, il y a des gens qui, mme
-sans avoir de bien anciennes armoiries, croient
-pouvoir s'arroger le mme privilge, uniquement
-parce qu'ils ont des coffres bien garnis.
-Cette maladie tient au c&oelig;ur de l'homme. Il
-appartient la justice, sinon de la gurir radicalement,
-mais d'en calmer les accs.</p>
-
-<p>Nous rapportons le trait suivant, qui eut
-lieu en 1784, pour faire voir que le grand
-vnement qui surgit plusieurs annes aprs
-n'tait point un fait isol, l'&oelig;uvre de quelques
-factieux, mais bien plutt le rsultat
-progressif des lumires rpandues, surtout depuis
-un demi-sicle, dans toutes les classes de
-la nation.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_263">263</a></span>
-Le 9 janvier 1784, dans l'aprs-midi, on
-se disposait placer un arostat sur une place
-publique. Ce spectacle avait attir une foule
-prodigieuse de citoyens. Un marchand orfvre,
-homme trs estim dans son commerce,
-parvint pntrer dans le grand
-cercle form par les spectateurs. Un marquis
-arrive, fait grand bruit, fend la presse, carte
- droite et gauche ceux qui obstruaient son
-passage, arrive avant dans le cercle, l'endroit
-mme o s'tait arrt l'orfvre, et se
-place immdiatement devant lui: l'orfvre
-tait debout et arm d'une canne. Les mouvemens
-d'impatience et de curiosit des spectateurs
-les plus loigns avaient dj caus
-plusieurs flux et reflux. La foule croissant
-toujours, ces flux et reflux recommencent; le
-mouvement parvient jusqu' l'orfvre, qui, se
-trouvant entran par l'affluence, est pouss
-lui-mme sur le marquis. Celui-ci, se sentant
-pouss, se retourne et s'crie, du ton le plus
-imprieux et le plus colre, en tenant sa
-canne leve: <i>Qu'est-ce que ces polissons?
-Si cela arrive encore, on aura affaire moi!
-je donnerai des coups de canne.</i> Un instant
-aprs, nouveau mouvement; l'orfvre est encore
-<span class="pagenum"><a id="Page_264">264</a></span>
-entran et pouss, malgr lui, sur le
-marquis; menaces nouvelles de la part du
-marquis. Il adresse alors la parole l'orfvre:
-Tu es un polisson, lui dit-il, un drle; je
-ne te connais pas: qui es-tu?&mdash;Est-ce,
-monsieur le marquis, rpondit l'orfvre, parce
-que vous tes d'une naissance suprieure la
-mienne, que vous me parlez ainsi? Vous avez
-tort de vous en prendre moi, vous voyez
-que je suis pouss moi-mme, et qu'il m'est
-impossible de soutenir l'effort de la multitude.
-Je vous prie de prendre garde sur qui vous
-toucherez, parce que je n'ai aucune part au
-flux et reflux.&mdash;<i>Tu es un impertinent, un
-polisson, un insolent, un drle; je ne te connais
-pas; qui es-tu?</i>&mdash;Il n'est pas difficile de
-me connatre; on me connat dans la ville.
-On ne donne pas de coups de canne des
-citoyens.&mdash;<i>Tu es un polisson et un drle; je
-te connatrai; je te ferai punir; tu me le paieras;
-je ne t'en tiens pas quitte.</i>&mdash;Heureusement,
-monsieur le marquis, que jusqu' prsent
-je ne vous ai rien d; je ne vous dois
-rien; je n'ai rien vous payer.&mdash;<i>Tu es un
-polisson, un manant; il te convient bien de
-m'insulter!</i>&mdash;Monsieur, je ne vous insulte
-<span class="pagenum"><a id="Page_265">265</a></span>
-pas en vous reprsentant qu'il est impossible
-de soutenir l'effort de la multitude, et je ne
-mrite aucune punition. Je n'ai rien vous
-payer; et si je vous avais d, vous ne m'auriez
-pas attendu si long-temps.&mdash;<i>Je dis que
-tu es un drle et un polisson; je te connatrai,
-et sous quinzaine tu auras de mes nouvelles.</i>&mdash;Monsieur
-le marquis, je ne vous manque
-pas; je ne vous insulte pas; quand vous voudrez
-je vous donnerai mon nom par crit.</p>
-
-<p>Le marquis continuant ses injures, ses
-gestes, ses menaces, malgr l'excessive modration
-de l'orfvre, celui-ci quitte sa place,
-laisse le champ libre au marquis, et sort du
-cercle. <i>Ne t'en vas pas</i>, lui crie le marquis,
-en le voyant partir; <i>au reste, je te retrouverai
-bien</i>.</p>
-
-<p>Le 23 du mme mois, le marquis crit au
-substitut de M. le procureur gnral, la lettre
-suivante: J'ai l'honneur de vous prvenir,
-monsieur, que le nomm G....., orfvre, me
-menace de m'attaquer et de m'assommer dans
-les rues, lorsqu'il en trouvera l'occasion. Ce
-n'est pas, monsieur, une plainte que je vous
-porte; je vous prviens seulement afin que,
-lorsqu'on me trouvera assassin, vous sachiez
-<span class="pagenum"><a id="Page_266">266</a></span>
- qui vous en prendre. J'ai obligation de l'avis
-que j'ai reu un brave et honnte citoyen
-que je tairai toute ma vie. Il fait ensuite au
-commandant de la province un rapport au sujet
-de la scne du 9 janvier. Il surprend la religion
-du commandant, et sollicite de lui un
-ordre de faire emprisonner l'orfvre. L'ordre
-fut donn et excut. Le jour mme, l'orfvre
-fut enlev avec autant d'inhumanit que d'ignominie,
-aux yeux mme de ses concitoyens;
-on le plongea dans une prison.</p>
-
-<p>Le parlement reut une plainte de l'opprim
-qui appelait la vengeance des lois sur
-la tte du coupable. Cette cour rendit un arrt,
-en date du 4 septembre 1784, qui dfendit
-au marquis d'injurier l'orfvre l'avenir,
-condamna le marquis trois cents
-francs de dommages-intrts envers l'orfvre;
-permit ce dernier de faire imprimer et afficher
-l'arrt, et laissa tous les frais de la procdure
- la charge du marquis.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_267">267</a></span></p>
-
-<h2>DE FORGES ET DESAIGNES.</h2>
-
-<p>Tous les vices peuvent entraner au crime,
-principalement la dbauche. Ce malheureux
-penchant, cause de tant de dsordres dans la
-socit, se fortifie souvent dans le c&oelig;ur d'une
-foule de jeunes gens, en raison des funestes
-liaisons qu'ils forment dans le monde. L'attrait
-du vice, des conseils empoisonns ont
-bientt port la corruption dans une me
-sans dfiance. Aussi les parens ne sauraient-ils
-trop surveiller leurs fils l'ge de leur
-entre dans le monde, et les clairer sur les
-socits qu'ils frquentent.</p>
-
-<p>Deux jeunes gens, l'un nomm Desaignes,
-l'autre de Forges, ns de parens honntes
-qui n'avaient rien nglig pour leur ducation,
-donnrent, en 1784, un bien triste
-exemple de cette affligeante vrit.</p>
-
-<p>On assure que tous deux avaient manifest
-ds leur plus tendre jeunesse une inclination
-<span class="pagenum"><a id="Page_268">268</a></span>
-prononce pour le vice. Au lieu de profiter
-des soins que l'on prenait pour leur instruction,
-ils ne s'occupaient que de plaisirs et
-d'amusemens. Avec de semblables dispositions,
-ils ne retirrent aucun fruit de l'ducation
-que l'on voulait leur donner; et, parvenus
- l'ge o l'on choisit une carrire, ils n'eurent
-d'autre ressource que d'entrer dans celle des
-armes. Mais l, comme partout ailleurs, il
-est des devoirs remplir; devoirs mme trs-rigoureux,
-et dont la violation expose de
-svres chtimens. Desaignes et de Forges,
-avec leur got pour la dissipation et leur antipathie
-pour toute espce de travail, ne purent
-s'astreindre long-temps aux exigences
-de la discipline militaire, et bientt leurs drglemens
-leur attirrent des punitions humiliantes.</p>
-
-<p>Ils taient depuis quelque temps prisonniers
- l'Abbaye, lorsqu'ils donnrent une premire
-preuve de rbellion. Transfrs de cette
-prison dans celle de la Conciergerie, ils touchaient
-au moment o on allait prononcer
-sur leur sort. Mais voulant prvenir leur jugement,
-ils formrent le complot de forcer
-leur prison et de prendre la fuite. Pour assurer
-<span class="pagenum"><a id="Page_269">269</a></span>
-l'excution de leur projet, ils se procurrent
-des pistolets, de la poudre et des balles.
-Mais dans la crainte de n'tre pas assez forts
-pour mettre leurs gardiens dans l'impuissance
-d'empcher leur vasion, ils gagnrent un
-pauvre soldat qui tait prisonnier comme eux,
-et l'initirent dans leur complot. Cet homme,
-sduit par l'espoir d'une prochaine dlivrance,
-entra dans les vues des deux jeunes gens, et
-leur promit d'excuter aveuglment tout ce
-qu'ils lui prescriraient.</p>
-
-<p>Le 28 septembre fut le jour fix pour la
-tentative projete. A neuf heures du soir, les
-trois prisonniers se prsentrent aux guichetiers,
-les armes la main, et les sommrent
-d'ouvrir les portes de la prison. Mais au lieu
-d'obir cette trange injonction, ceux-ci se
-mirent en devoir de dsarmer les rebelles,
-et s'avanant pour les saisir, un d'eux fut tu
-d'un coup de pistolet, et l'autre dangereusement
-bless: dans la mle, le soldat essuya
-lui-mme un coup de feu de l'un de ses
-complices.</p>
-
-<p>Les rvolts voyant leur entreprise avorte,
-rentrrent dans leur chambre, avec la ferme
-rsolution de s'y dfendre; mais par le secours
-<span class="pagenum"><a id="Page_270">270</a></span>
-d'une pompe dont l'eau fut dirige
-dans la chambre o ils taient, on les eut
-bientt forcs de se rendre. Alors ils furent
-chargs de chanes, et on les mit dans l'impossibilit
-d'abuser de leurs forces ni contre
-les autres ni contre eux-mmes.</p>
-
-<p>Leur crime n'tant que trop certain, l'instruction
-de leur procs ne fut pas longue.
-Le bailliage du Palais, par sentence du 1<sup>er</sup> octobre
-1784, les dclara atteints et convaincus
-d'avoir form le complot de s'vader, main
-arme, des prisons de la Conciergerie o ils
-taient dtenus; en consquence, ils furent condamns
- tre rompus vifs en place de Grve.</p>
-
-<p>Sur l'appel, la chambre des vacations confirma
-cette sentence, par arrt du 4 du mme
-mois. Le lendemain, les trois coupables furent
-conduits au supplice. En sortant de la
-Conciergerie, on remarqua que Desaignes
-avait l'air constern, abattu et effray; que
-de Forges avait l'air calme, le visage serein
-et la contenance la plus assure; le soldat,
-qui avait t bless, tait presque mourant.
-Une affluence considrable de gens de toutes
-les classes stationnait dans les diverses rues
-o ils devaient passer. Les trois coupables
-<span class="pagenum"><a id="Page_271">271</a></span>
-conservrent pendant ce pnible trajet la
-mme contenance qu'ils avaient montre en
-montant dans la charrette. Tous les spectateurs
-furent frapps de l'indiffrence et de
-la fermet que de Forges manifestait. Il promenait
-un regard tranquille sur la foule qui
-l'entourait. Son teint anim faisait ressortir
-la beaut de ses traits, et l'on et dit que son
-me tait inaccessible la crainte. Cependant,
-en arrivant sur la place de Grve, il prouva
-un frmissement qu'il ne put matriser en
-apercevant les instrumens de son supplice;
-il reprit ses sens, et descendit de la charrette
-avec ses complices, pour aller l'Htel-de-ville.
-Il montra la mme tranquillit et la
-mme assurance en montant la chambre
-du conseil. Aprs quelques interrogatoires,
-on envoya chercher plusieurs personnes,
-la requte des condamns. Parmi elles, on
-remarqua une jeune demoiselle que de Forges
-avait demande. Lorsqu'il l'aperut, il
-se tourna vers elle, et lui dit, en la nommant
-avec le son de voix le plus touchant: <i>Je vous
-demande pardon de la peine que je vous ai
-cause; mais il m'et t affreux de perdre
-la vie sans vous revoir</i>. Ses yeux se remplirent
-de larmes, et l'on devinait les dchiremens
-<span class="pagenum"><a id="Page_272">272</a></span>
-de son c&oelig;ur aux mouvemens convulsifs
-de sa poitrine.</p>
-
-<p>Aprs quelques secondes de silence, on le
-vit soulever ses mains charges de chanes
-pour offrir la demoiselle plore une bague
-de diamant qu'il avait au doigt. <i>Acceptez,
-je vous prie</i>, dit-il cette jeune personne,
-<i>cette dernire marque de mon attachement</i>.
-Pendant cette scne dchirante, la demoiselle
-tait suffoque par des sanglots. Comme
-de Forges insistait pour faire agrer sa bague,
-on lui reprsenta que ses biens ayant t
-confisqus, il ne pouvait disposer d'aucun
-de ses effets. De Forges leva alors la voix, et
-fit les reproches les plus vifs Desaignes.
-C'est vous, lui dit-il, qui m'avez plong
-dans l'abme o je suis....; c'est vous qui m'avez
-empch, aprs avoir chou dans notre
-complot, de me soustraire l'opprobre et
-l'ignominie du supplice que je vais subir.....
-Votre lchet est la cause de mon malheur.....</p>
-
-<p>Il finissait peine ces mots qu'il reprit sa
-premire tranquillit, et demanda qu'on le
-conduist la mort. En traversant la salle
-du conseil, il fallait qu'il passt devant la
-demoiselle dont on vient de parler. Prs
-d'elle, il s'arrta; et jetant sur elle un long
-<span class="pagenum"><a id="Page_273">273</a></span>
-regard plein de tendresse, il lui dit avec un
-son de voix qui allait au c&oelig;ur: <i>Mademoiselle,
-vous connaissez mon pre, vous connaissez
-mes parens..... je les porte l.....</i> (en appuyant
-fortement ses deux mains lies sur son c&oelig;ur)...;
-<i>c'est mon plus cruel supplice</i>.</p>
-
-<p>Il s'inclina ensuite, en regardant toujours
-cette demoiselle, jusqu' ce qu'il ft arriv
-la porte de la salle. Alors il se retourna avec
-fiert, et adressant de nouveau la parole
-Desaignes, il lui dit: <i>Vous m'avez appris
-mal vivre, je vais vous apprendre mourir;
-tchez d'imiter mon exemple</i>. De Forges
-descendit d'un pas ferme de l'Htel-de-ville,
-et monta seul sur l'chafaud. Il ne voulut pas
-souffrir que l'excuteur lui tt ses habits; il
-se dshabilla lui-mme, et subit son supplice
-avec courage.</p>
-
-<p>Desaignes, dont le caractre tait aussi
-lche que froce, montra la plus grande pusillanimit.
-On fut oblig de le traner l'chafaud;
-il pleurait chaudes larmes, et faisait
-retentir l'air de ses gmissemens. Comme
-il tait plus coupable que ses deux complices,
-il fut mis vivant sur la roue o il devait
-mourir.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_274">274</a></span></p>
-
-<h2>DANGERS DE LA VIOLENCE.</h2>
-
-<p>Le chevalier de N...., gentilhomme, ancien
-officier, quitta, en 1763, le service militaire,
-o il avait donn des preuves de bravoure et
-de loyaut, et demanda la main de mademoiselle
-de Camprond, qui n'avait qu'une dot
-trs-modique. Le pre de cette demoiselle promit,
-lors de la conclusion de cette union, de
-ne point se remarier si sa femme mourait
-avant lui.</p>
-
-<p>Mais bientt le pre change de rsolution;
-il traverse sans motifs l'alliance projete par
-le chevalier de N....., et contraint sa fille de
-se retirer au couvent. En de pareilles circonstances,
-l'amour ne cde pas volontiers
-l'autorit paternelle; la demoiselle adressa
-son pre des sommations respectueuses; et
-le mariage se contracta sous la protection
-des lois. La mauvaise humeur du pre se
-calma; il ratifia le contrat par sa signature,
-<span class="pagenum"><a id="Page_275">275</a></span>
-et pour un temps la bonne intelligence ne
-fut pas trouble.</p>
-
-<p>La vente d'une terre de Sagrais, faite par
-le beau-pre, devint le sujet d'une nouvelle
-disgrce, et irrita les esprits dans la famille.
-Le beau-pre perdit sa femme; mais peine
-ses larmes taient-elles essuyes, que le dsir
-d'un nouvel hymen effaa bientt chez lui
-le sentiment de la douleur, et lui fit oublier
-sa promesse. Alors la prsence de ses enfans
-lui devint importune; il leur supposa des torts,
-et les chassa de sa maison pour excuter plus
-librement son dessein. Enfin, l'ge de
-soixante-quinze ans, cet homme pousa une
-jeune fille de vingt-sept ans. Aprs la publication
-de ce mariage, le gendre forma opposition,
-voulant du moins assurer les droits de sa
-femme. La guerre se fit de part et d'autre avec
-acharnement; il y eut plusieurs affaires juridiques,
-plusieurs dnonciations o le chevalier de
-N..... eut toujours l'avantage. Enfin une scne
-arrive entre ce gentilhomme et le frre de
-son beau-frre vint prparer le plus triste
-dnoment.</p>
-
-<p>Au moment o le sieur de N..... sortait
-d'une maison pour se rendre chez un notaire,
-<span class="pagenum"><a id="Page_276">276</a></span>
-il rencontra au bout de la rue le sieur de L....,
-second avocat du roi au bailliage, frre de
-son beau-frre. Cet homme l'aborda, et lui
-dit: <i>Comment te portes-tu?</i> Ce ton de familiarit
-lui parut singulier dans la bouche
-d'un homme qui avait sem et entretenu la
-msintelligence entre lui et son beau-pre. Le
-chevalier de N..... s'aperoit que le vin avait
-chauff les esprits du sieur L..... Il se contente
-de lui rpondre: <i>A ton service, et toi?</i>
-Puis il lui observe qu'il devrait bien dterminer
-son beau-pre une conciliation sur
-toutes leurs affaires.</p>
-
-<p>L'avocat du roi lui rpond durement: <i>Je
-t'ai assez dclar que les affaires de mon
-frre m'taient trangres, ne me mlant que
-des miennes. Fais parler M. de C..... par qui
-bon te semblera.</i> Ils continuaient de marcher
-ensemble. Le sieur de L..... tint au chevalier
-les propos les plus durs et les plus offensans.
-Arm d'un norme bton de nflier,
-avec une massue proportionne, il accompagnait
-ces propos de gestes menaans. Le
-chevalier lui reprocha doucement l'indcence
-de ses apostrophes; cette modration sembla
-l'encourager; il recommena en montrant son
-<span class="pagenum"><a id="Page_277">277</a></span>
-bton. Alors le chevalier, ne prenant plus conseil
-que de sa colre, tira son couteau de chasse,
-en prenant tmoin le public des affronts que
-lui faisait l'avocat du roi. Le sieur L..... porta
-un coup violent de son bton sur la lame du
-couteau de chasse, et la brisa en trois morceaux,
-puis il se mit crier l'assassin. Le chevalier
-tait indign; le sieur L..... redoubla ses
-cris; la foule se ramassa de toutes parts; et le
-procureur du roi, arriv sur les lieux, s'cria:
-<i>Arrtez le sieur de N..... et mettez-le en prison.</i>
-Un cavalier de marchausse se prsenta,
-tira son sabre sur lui, et lui demanda
-son arme; le chevalier de N..... la refusa, et se
-mit en dfense; mais presque aussitt il fut entour;
-une horde de cavaliers et d'huissiers
-se prcipita sur lui, le dsarma, le terrassa, et
-le trana ignominieusement en prison.</p>
-
-<p>Le chevalier, conduit dans la prison, se
-plaignit hautement des insultes de l'agresseur;
-demanda qu'il ft constitu prisonnier comme
-lui, et qu'il lui ft confront. Sa rclamation
-ne fut pas entendue; il fut conduit dans la
-cour des prisonniers.</p>
-
-<p>Cependant l'agresseur s'occupait faire
-constater ses plaintes, et le lendemain le procureur
-<span class="pagenum"><a id="Page_278">278</a></span>
-du roi donna un rquisitoire, o le
-chevalier de N..... fut prsent comme un
-lche assassin, et il demanda en outre une
-information extraordinaire, l'intrt public
-tant, selon lui, compromis.</p>
-
-<p>Le juge criminel se rendit chez l'adversaire
-du prisonnier, reut sa dclaration, dressa
-procs-verbal de l'tat de ses habits, et du
-rapport du chirurgien qui certifiait lui avoir
-vu une plaie longue de demi-pouce, sur trois
-lignes de large et d'environ trois lignes de profondeur,
-situe la partie moyenne et latrale
-du dos.</p>
-
-<p>On informa; le chevalier fut dcrt de
-prise de corps; l'information se continua; les
-charges s'augmentrent sur des faits trangers
- celui dnonc la justice. Le juge ne
-voulut interroger l'accus qu'accompagn de
-cavaliers de marchausse et d'huissiers. Le
-procs s'instruisit avec un appareil inou. La
-prvention monta et chauffa les esprits.</p>
-
-<p>Le sieur L..... se rendit partie civile, et prit
-des conclusions qui portaient l'empreinte de
-la haine la plus aveugle. Les interrogatoires
-de l'accus, les dpositions des tmoins eurent
-lieu. L'instruction se complta; enfin les
-<span class="pagenum"><a id="Page_279">279</a></span>
-juges prononcrent contre le chevalier la sentence
-de mort et la confiscation de tous ses
-biens.</p>
-
-<p>Le chevalier ne tarda pas appeler de cette
-procdure imprgne de partialit et pleine
-d'irrgularits. Le parlement de Rouen trouva
-en effet cette procdure et la sentence irrgulire,
-et les annula par son arrt du 21 janvier
-1785; mais il jugea le chevalier de N.....
-coupable envers l'avocat du roi, et il le condamna,
-non pas la mort, mais quinze annes
-d'emprisonnement.</p>
-
-<p>Telle fut la triste issue de cette malheureuse
-affaire: quelque partiale que part aux seconds
-juges la sentence des premiers, ils ne
-purent croire que toute cette affaire tait
-l'&oelig;uvre de la haine, et se laissrent aller la
-prvention. Ils arrachrent ainsi sa famille,
- ses intrts, l'honneur, ce malheureux
-gentilhomme, qui n'avait autre chose se reprocher
-qu'un moment d'une juste mais imprudente
-violence.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_280">280</a></span></p>
-
-<h2>INCENDIAIRE.</h2>
-
-<p>Un honnte homme peut-il s'improviser
-sclrat? La vertu ne dpend-elle que de l'occasion?
-Telles sont les questions qui se prsentent
-quand un homme dont la socit n'a
-jamais eu se plaindre se mtamorphose subitement
-en un brigand.</p>
-
-<p>Le nomm Franois Gaudron, domestique
-d'un banquier, jusqu'alors serviteur fidle,
-tent par l'argent, brisa le secrtaire de son
-matre un jour qu'il tait sorti, enleva une
-somme trs-considrable tant en or qu'en argent,
-loua une chambre sous un nom suppos
-le jour mme du vol, et y dposa le fruit
-de son crime. Ce premier attentat, coupable
-abus de confiance, vol avec effraction, mritait
-dj le chtiment svre de la loi. Mais
-voyez comme tout s'enchane dans le mal
-comme dans le bien: le misrable, pour se
-soustraire la vindicte des tribunaux, imagina
-<span class="pagenum"><a id="Page_281">281</a></span>
-un forfait qui le porta sur-le-champ
-aux premiers degrs de la sclratesse.</p>
-
-<p>La veille et le jour de son vol, il acheta ou
-se procura plusieurs fois jusqu' environ
-quinze livres de poudre canon. Il runit ces
-diverses quantits de poudre dans le mme
-sac, qu'il plaa loisir au pied du secrtaire de
-son matre; puis il tablit une trane de poudre
-qui communiquait au sac et s'tendait
-sur le parquet; il plaa ensuite au bout de
-cette trane une fuse d'amadou. Son espoir
-tait d'ensevelir sous un dsastre public son
-crime particulier.</p>
-
-<p>On assure que si le feu avait second son
-infernal projet, par la manire dont la poudre
-avait t dispose, l'explosion aurait dtruit
-au moins trois maisons voisines avec un
-couvent qui y tait contigu. Alors l'imagination
-effraye peut nombrer les victimes dont
-ce malheureux aurait t l'assassin, en jugeant
-du nombre d'habitans que renfermaient trois
-maisons dans la capitale, surtout l'heure du
-soir.</p>
-
-<p>Heureusement le feu ne brla point au gr
-des coupables esprances de Gaudron. Son
-matre, rentrant chez lui avant son heure ordinaire,
-<span class="pagenum"><a id="Page_282">282</a></span>
-et se promenant dans sa chambre avant
-de se mettre au lit, aperoit sur le parquet
-une trane de sable noir; il reconnat que
-c'est de la poudre canon. Il suit la trace qui
-le conduit son secrtaire, o il trouve le
-sac de quinze livres de poudre, et l'autre
-bout de la trane le morceau d'amadou. Les
-soupons de cet homme sont loin de se porter
-sur son domestique, qui l'a toujours servi fidlement.
-Il appelle le commissaire, qui, ne
-partageant pas la mme prvention, veut qu'on
-arrte le domestique. Le matre hsite encore;
-mais quand il voit son secrtaire bris, quand
-il s'aperoit qu'une somme considrable lui
-a t enleve, comme son domestique seul
-a eu la clef de son appartement, il ne rsiste
-plus des indices aussi violens. On se
-saisit de Gaudron, qui, dans son trouble, fait
-aussitt l'aveu de son forfait.</p>
-
-<p>La nouvelle de ce crime d'un nouveau genre
-retentit bientt dans la capitale. Cette affaire
-fut porte au parlement, qui, par arrt du 2
-aot 1785, condamna cet incendiaire au supplice
-du feu.</p>
-
-<p>Franois Gaudron fut brl vif, son corps
-rduit en cendres, et ses cendres furent jetes
-au vent.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_283">283</a></span></p>
-
-<h2>LE CUR DE CHAZELLES.</h2>
-
-<p>Le 7 janvier 1783, le sieur Morel de la Combe,
-juge chtelain de la vicomt de Ladvieu, dans
-le Forez, et domicili dans la paroisse de
-Saint-Jean-Soleymieux, fut assassin dans son
-lit, onze heures du soir, d'un coup de pistolet
-charg de deux balles, qui le tua sur-le-champ.</p>
-
-<p>Le sieur Morel tait alors couch dans une
-chambre de sa maison, au premier tage; son
-lit tait dans une alcove; sa femme n'en tait
-spare que par un espace d'environ deux
-pieds; un rideau commun fermait l'alcove. Le
-sieur Morel, qui, depuis quelque temps, faisait
-faire des rparations dans l'intrieur de sa
-maison, n'tait couch dans cette chambre
-que depuis la veille.</p>
-
-<p>Le meurtrier, quel qu'il ft, avait pris une
-prcaution singulire. Il avait barricad les
-portes des diffrentes chambres o couchaient
-les domestiques, avec des cordes ou des morceaux
-<span class="pagenum"><a id="Page_284">284</a></span>
-de bois, apparemment pour empcher
-ces gens de venir au secours de leur
-matre, et se donner lui-mme le temps de
-s'vader. Il avait ferm de la mme manire
-celle de la demoiselle Bouvier, nice du sieur
-Morel; il n'y avait que celle du sieur Bouvier,
-jeune ecclsiastique, son neveu, log galement
-dans la mme maison, pour laquelle il
-n'avait pas cru devoir prendre le mme soin.
-Cette prcaution suppose bien du sang-froid
-et de la scurit. Elle ferait mme souponner
-que le meurtrier avait des complices; car, s'il
-et t seul, il lui aurait fallu bien du temps
-pour attacher toutes ces cordes, et il pouvait
-craindre d'tre surpris dans cet intervalle.</p>
-
-<p>Quoi qu'il en soit, au bruit de l'arme feu,
-la dame Morel se rveille, se lve, aperoit le
-corps ensanglant de son mari, et appelle du
-secours. La chambre est bientt remplie des
-gens de la maison, la maison elle-mme des
-gens du dehors. On s'agite, on s'inquite, on
-cherche partout l'auteur du crime. Mais il
-tait dj trop tard; le coupable avait disparu
-avant qu'on et eu seulement le temps de se
-lever et d'accourir. Toute la nuit se passe dans
-l'effroi. Le lendemain, de bonne heure, on
-<span class="pagenum"><a id="Page_285">285</a></span>
-emmne la dame Morel hors de chez elle; le
-neveu et la nice s'en vont aussi; quelques-uns
-des domestiques les imitent; il ne reste dans la
-maison que deux servantes.</p>
-
-<p>Le vice-grant de la chtellenie est alors
-appel pour dresser son procs-verbal. Il se
-rend dans la maison avec le procureur-fiscal
-et un chirurgien. Il interroge d'abord les deux
-servantes qui taient restes, et qui lui racontent
-ce qu'elles savaient des circonstances de
-l'assassinat. Il monte ensuite dans la chambre
-du sieur Morel: il trouve son cadavre baign
-dans son sang; une large blessure paraissait
- la tempe gauche; une partie de la main tait
-brle; le bonnet du mort et son ruban de
-tte taient galement brls; son drap mme
-l'tait de la largeur d'une assiette. On fait l'autopsie
-du cadavre, et l'on trouve deux balles
-d'tain dans la tte.</p>
-
-<p>Le juge constate ensuite l'tat des portes
-de la chambre des domestiques, de celle de
-la demoiselle Bouvier, de celle de la dame Morel
-elle-mme, que l'assassin avait aussi ferme
-en prenant la fuite. On lui montre les
-cordes et les morceaux de bois avec lesquels
-toutes ces portes avaient t barricades; on
-<span class="pagenum"><a id="Page_286">286</a></span>
-indique, dans la cuisine, l'endroit o l'assassin
-avait d prendre ces cordes; le juge en fait
-mention, et termine l son procs-verbal, qui
-n'avait donn aucune lumire.</p>
-
-<p>L'aprs-midi du mme jour, il revient encore
-dans la maison du sieur Morel. Son but,
-disait-on, tait de rechercher par quel moyen
-l'assassin avait pu s'y introduire, ou comment
-il avait pu s'y cacher.</p>
-
-<p>Dans l'intervalle de la matine l'aprs-midi,
-on avait donn des soupons au juge
-sur un menuisier que le sieur Morel avait
-charg de diriger les rparations intrieures
-de sa maison, et on lui avait persuad qu'il
-tait possible que ce menuisier ft l'auteur
-du meurtre. C'tait donc tout exprs pour
-faire de nouvelles observations qu'il tait revenu
-dans la maison. C'est pourquoi il vrifia
-avec soin l'tat des portes de chacune des
-chambres, leur diffrence entre elles, la manire
-dont elles s'ouvraient, et la facilit plus
-ou moins grande que la construction particulire
-de la porte du sieur Morel pouvait donner
-d'entrer dans sa chambre et de l'assassiner.
-Il fallait une victime; le menuisier avait
-t dsign; le juge, proccup de l'opinion
-<span class="pagenum"><a id="Page_287">287</a></span>
-qu'on lui avait suggre, voulait toute force
-trouver des preuves de sa culpabilit. Aussi
-ne prit-il aucune des prcautions qu'une circonstance
-de cette nature lui prescrivait. Son
-premier devoir tait d'interroger toutes les
-personnes de la famille, et personne de la famille
-ne fut interrog. Il n'interrogea mme,
-parmi les domestiques, qui taient au nombre
-de cinq, que les deux servantes dont nous
-avons parl. Cependant dans ces sortes d'vnemens
-tout le monde est suspect: il fallait
-donc s'assurer de tout le monde; il ne fallait
-pas surtout leur donner le temps de se concerter:
-la prudence l'exigeait et l'usage aussi.
-Il et t dsirer que le juge et t un peu
-moins occup du menuisier contre lequel on
-lui avait donn des soupons, et qu'il l'et t
-un peu plus des vritables prcautions qu'il
-avait prendre.</p>
-
-<p>Ce menuisier se nommait Pierre Barou:
-c'tait un excellent ouvrier et un bon pre de
-famille. Il n'avait d'ailleurs aucun motif pour
-commettre le crime qu'on lui imputait. Il n'avait
-qu' se louer du sieur Morel qui le faisait
-travailler, qui le traitait mme avec bont,
-et le faisait quelquefois manger sa table.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_288">288</a></span>
-Pierre Barou ne fut pas le seul innocent
-souponn et accus du meurtre du sieur Morel;
-la calomnie imagina qu'il avait t pouss
- cet attentat par le cur de Chazelles. Or,
-quel homme tait-ce que ce cur de Chazelles,
-accus d'tre l'instigateur d'un lche assassinat?
-Toute sa paroisse attestait qu'il l'avait
-difie toute sa vie par ses vertus et par
-ses exemples; qu'elle avait toujours reconnu
-en lui toutes les qualits d'un bon pasteur;
-qu'il avait donn mille preuves de son zle
-secourir les malheureux; que, depuis vingt
-ans, il nourrissait plusieurs familles malheureuses.</p>
-
-<p>Voici par quel singulier hasard ce vnrable
-ecclsiastique se trouva impliqu dans cette
-odieuse accusation, qui contrastait encore plus
-avec son caractre qu'avec l'habit qu'il portait.</p>
-
-<p>Une fille de sa paroisse, nomme Marie
-Solle, et connue pour tre une fille mchante
-et de mauvaise vie, nourrissait depuis long-temps
-une haine violente contre lui, l'occasion
-d'un mariage qu'elle croyait que le cur
-de Chazelles lui avait fait manquer. Cette haine
-avait clat en plusieurs circonstances.</p>
-
-<p>Marie Solle avait mme port trois plaintes
-<span class="pagenum"><a id="Page_289">289</a></span>
-diffrentes contre le cur devant les officiers
-du bailliage de Montbrison; mais comme elle
-n'avait jamais pu trouver de tmoins assez
-complaisans pour attester les prtendus faits
-qu'elle croyait devoir dnoncer la justice,
-ces plaintes n'avaient jamais t dcrtes.
-L'une d'elles n'avait pas mme donn lieu
-une simple information. Fatigue enfin d'offenser
-toujours le cur sans lui nuire, et irrite
-encore par cette impuissance faire le
-mal, cette fille perverse se promit d'attendre
-la premire occasion clatante o il lui serait
-possible de le compromettre, et de ne pas la
-laisser chapper.</p>
-
-<p>Alors eut lieu l'assassinat du sieur Morel.
-C'tait pour elle cette occasion qu'elle attendait
-si impatiemment. Toutefois, elle ne jugea
-pas prudent d'accuser cet ecclsiastique d'avoir
-commis cet assassinat de ses propres
-mains; cette ide et t trop rvoltante; et
-d'ailleurs il et t trop facile au cur de prouver
-son <i>alibi</i>; mais il tait moins hasardeux
-de lui prter seulement des propos qui pussent
-le faire souponner de complicit avec
-Pierre Barou. Ce fut donc le parti auquel elle
-s'arrta. Elle se fit appeler dans la procdure,
-<span class="pagenum"><a id="Page_290">290</a></span>
-et dposa, tout son aise, d'une prtendue
-conversation tenue entre Pierre Barou et le
-cur de Chazelles deux jours avant l'assassinat
-du sieur Morel. Elle disait avoir entendu
-toute cette conversation dont l'objet, disait-elle,
-tait prcisment d'insinuer Pierre Barou
-le projet de brler la cervelle au sieur
-Morel, afin de se dlivrer mutuellement d'un
-ennemi qui les fatiguait.</p>
-
-<p>Il fallait que le vice-grant de Saint-Jean-Soleymieux
-qui reut cette dposition ft bien
-convaincu lui-mme de sa fausset; car, malgr
-toute la gravit des faits qu'elle contenait,
-il ne cita mme pas le cur de Chazelles
-comparatre devant lui. Une anne presque
-entire s'coula depuis cette dposition, sans
-qu'aucun dcret ft rendu contre cet ecclsiastique.</p>
-
-<p>Cette dposition de Marie Solle tait du
-23 janvier 1783, et ce ne fut que le 22 dcembre
-1784 que le cur de Chazelles fut dcrt
-de prise de corps, c'est--dire environ deux
-ans aprs l'assassinat. Ce dcret fut dcern par
-les officiers du bailliage de Montbrison, qui
-avaient t saisis de l'affaire.</p>
-
-<p>La nouvelle de ce dcret de prise de corps
-<span class="pagenum"><a id="Page_291">291</a></span>
-lanc contre le cur de Chazelles fit l'effet
-d'un coup de foudre dans la ville de Montbrison.
-On connaissait depuis long-temps la
-prtendue dposition de Marie Solle, et l'opinion
-publique en avait fait justice. On ne comprenait
-pas pourquoi le cur de Chazelles n'avait
-pas t dcrt plus tt, ou comment on
-avait pu s'y dterminer aprs un si long
-dlai.</p>
-
-<p>Quand le cur de Chazelles apprit qu'il
-tait dcrt de prise de corps, son premier
-mouvement fut, non pas de fuir la justice, mais
-de recourir son juge naturel, qui tait l'official.
-Il partit donc sur-le-champ pour Lyon,
- cet effet. Ce fut au milieu de la nuit qu'il se
-mit en route. On tait alors dans la saison la
-plus rigoureuse; le froid tait trs-rude, la
-terre couverte de neige et de glace. Il marcha
-ainsi au milieu des tnbres, emportant
-avec lui la scurit de l'innocence, mais forc
-de prendre dans sa fuite les mmes prcautions
-que s'il et t coupable.</p>
-
-<p>A peine eut-il fait quelques lieues qu'il fut
-arrt et conduit Montbrison. Nous n'essaierons
-pas de rendre tout ce qu'il eut souffrir
-quand il se vit traduire ainsi, pieds et
-<span class="pagenum"><a id="Page_292">292</a></span>
-poings lis, comme un malfaiteur, qu'il fut
-donn en spectacle toute la ville, et enferm
-dans les mmes cachots que les sclrats. La
-religion seule put lui adoucir un tel excs d'amertume.</p>
-
-<p>Dans la prison, le lieutenant-criminel de
-Montbrison voulut l'interroger; le cur de
-Chazelles, usant de son privilge, revendiqua
-l'official. Bientt aprs, il interjeta appel du
-dcret de prise de corps dcern contre lui, et
-obtint un arrt qui le reut appelant et ordonna
-l'apport de la procdure au greffe de
-la Tournelle. Cet arrt tait du 5 janvier 1785.</p>
-
-<p>Le cur de Chazelles sollicita son largissement
-provisoire, et l'obtint par un second
-arrt du 18 mars, sur le vu des charges.</p>
-
-<p>L'avocat de Sze, qui depuis s'est jamais
-illustr dans un procs o il dvoua courageusement
-sa tte pour sauver un innocent
-auguste, se chargea de la dfense du cur de
-Chazelles. Il fit ressortir toute la calomnie
-de la dposition de Marie Solle; dmontra
-que l'ecclsiastique accus n'avait ni motif
-ni intrt pour inspirer qui que ce ft l'ide
-d'assassiner le sieur Morel, et que d'ailleurs
-toute la procdure tait destitue de preuves.
-<span class="pagenum"><a id="Page_293">293</a></span>
-En un mot, il prouva, jusqu' l'vidence, l'innocence
-de son malheureux client, et confondit
-son accusatrice.</p>
-
-<p>Cette loquente et loyale dfense obtint le
-succs qu'elle devait avoir. Par arrt du 28
-septembre 1785, le cur de Chazelles et Pierre
-Barou furent dchargs de l'accusation; la
-radiation de leurs crous fut ordonne, et il
-leur fut permis de faire imprimer et afficher
-la sentence de leur acquittement.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_294">294</a></span></p>
-
-<h2>BRIGIDE BALLET,<br />
-<span class="large">OU LA FILLE DNATURE.</span></h2>
-
-<p>La pit filiale est un des plus purs sentimens
-dont la nature ait dot le c&oelig;ur de l'homme.
-Ce sentiment est un mlange heureux de tendresse,
-de reconnaissance, de dvouement et
-de respect, que des enfans bien ns se plaisent
- manifester en toutes occasions aux auteurs
-de leurs jours. Le vertueux Ducis en tait bien
-pntr quand il a fait dire l'un de ses personnages
-tragiques:</p>
-
-<p class="quote">
-On remplace un ami, son amante, une pouse,<br />
-Mais un vertueux pre est un don prcieux<br />
-Qu'on ne tient qu'une fois de la bont des Dieux.
-</p>
-
-<p>Par un effet de ce sentiment, presque inn,
-nos parens eussent-ils les plus grands torts
-notre gard, eussions-nous nous plaindre de
-leurs injustices, de leurs mauvais traitemens,
-<span class="pagenum"><a id="Page_295">295</a></span>
-il est une limite que rien de leur part ne doit
-nous faire franchir, c'est le respect. Il se trouve
-cependant des monstres, la honte de notre
-espce, qui ne craignent pas d'injurier ceux
-qui leur ont donn l'tre, et souvent mme
-osent lever sur eux une main impie. Mais lorsque
-les douces lois de la nature ne sont pas
-assez efficaces pour prvenir ces attentats, il
-est du devoir des magistrats de s'armer du
-glaive des lois humaines pour les punir.</p>
-
-<p>Brigide Ballet, ne avec un caractre violent,
-avait conu pour sa vieille mre une
-haine implacable. Elle piait depuis quelque
-temps l'occasion d'assouvir sa rage sur cette
-pauvre femme. Le 18 avril 1785, elle crut avoir
-trouv le moment favorable pour mettre
-excution son affreuse pense. Elle habitait
-avec son mari une maison spare de celle de
-sa mre. Elle se rendit chez cette dernire,
-et, l'ayant trouve seule, elle entra, et commena
-par l'accabler d'injures. La mre, voyant
-cette forcene avancer sur elle pour la frapper,
-lui dit, les larmes aux yeux: <i>Malheureuse!
-est-ce que tu oserais maltraiter celle
-qui t'a donn le jour?... C'est dans mes entrailles,
-monstre, que tu as reu la vie..... Ta
-<span class="pagenum"><a id="Page_296">296</a></span>
-main serait-elle assez tmraire pour frapper
-ce sein qui t'a allaite? pour meurtrir ces bras
-qui t'ont porte si long-temps dans ton enfance?</i></p>
-
-<p>Ces paroles touchantes, au lieu de faire
-rentrer en elle-mme cette fille dnature, ne
-firent qu'irriter sa rage. Elle se jette, toute
-cumante, sur sa mre, et lui passe une corde
-autour du corps pour la terrasser. La malheureuse
-mre, ne pouvant opposer une force
-capable de rsister la fureur de sa fille, se
-vit renvers par terre, accable de coups et
-foule aux pieds.</p>
-
-<p>Tremblante, perdue, la mre conjurait sa
-fille de respecter l'auteur de ses jours; mais
-ses pleurs, ses prires, ne pouvaient flchir
-cette misrable. Elle fut expose tous les
-mouvemens de la cruaut et de la fureur de
-sa fille. Celle-ci osa mme la menacer de l'trangler.
-L'effet aurait peut-tre suivi la menace.
-Heureusement des voisins accoururent
-aux cris de la mre, et mirent fin aux excs
-criminels de la fille.</p>
-
-<p>Le bruit de cette scne affreuse s'tant rpandu,
-Brigide Ballet devint l'objet de l'excration
-publique, et la justice s'empressa de
-<span class="pagenum"><a id="Page_297">297</a></span>
-venger les droits sacrs de la nature, qu'elle
-avait indignement viols. Le ministre public
-porta plainte; une information eut lieu, et,
-sur les preuves nombreuses qui en rsultrent,
-Brigide Ballet fut dcrte de prise de corps
-et mise en prison. Par sentence du 12 aot 1785,
-le bailliage d'Auxerre l'avait d'abord condamne
-au carcan pendant trois jours et dix livres
-d'amende; mais le ministre public, trouvant
-cet arrt trop indulgent, en appela <i>a
-minima</i>, et, le 10 septembre suivant, la chambre
-des vacations du parlement de Paris condamna
-Brigide Ballet tre attache au carcan,
-et tre renferme pendant neuf ans l'hpital
-de la Salptrire.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_298">298</a></span></p>
-
-<h2>L'ACCUSATEUR ACCUS.</h2>
-
-<p>Le 24 aot 1781, sur les six heures du soir,
-la marchausse de Palluau arrta un ngre
-vagabond, et le conduisit dans les prisons seigneuriales
-du lieu, par emprunt et sans l'crouer.
-Le lendemain au matin, ce ngre fut
-trouv tendu sur la paille, baign dans son
-sang, ayant une grande plaie la gorge. Les
-chirurgiens, requis par la marchausse, dclarrent
-que l'tat dans lequel se trouvait ce
-malheureux annonait une mort prochaine.
-Le cur de Palluau, qui visita le ngre plusieurs
-fois, attesta, par un certificat dat du
-28 aot 1781, que cet homme tait dans une
-trs-grande faiblesse, et n'avait pu rpondre
-ses demandes que par quelques signes presque
-inintelligibles.</p>
-
-<p>Le noir disparut pendant la nuit du 25 au
-26. S'tait-il vad de lui-mme? avait-il t
-<span class="pagenum"><a id="Page_299">299</a></span>
-enlev? comment et par qui? Tel tait le problme
- rsoudre.</p>
-
-<p>Le sieur Voyneau, procureur-fiscal depuis
-deux jours Palluau, crut devoir donner des
-preuves de vigilance et d'activit; il partit le
-27 au matin de Saint-tienne-du-Bois, son
-domicile, situ deux lieues de Palluau, et
-requit d'abord le juge de ce lieu de dresser procs-verbal
-de l'tat de la prison o le ngre
-avait t transfr. On trouva dans la prison
-les hardes du ngre; ce qui confirma dans l'ide
-que le noir ne s'tait point chapp, mais
-qu'il avait t enlev. Le carreau et les murs
-de la prison taient teints de sang en plusieurs
-endroits. On remarqua sous un tas de paille
-plusieurs taches o le sang n'tait pas sec. On
-ne trouva rien de bris aux portes ni aux fentres
-de la prison et du parquet; seulement
-le juge fit observer que la fentre du parquet,
-vitre en plomb et garnie de mauvais abats-vent,
-n'tait leve que de neuf pieds au-dessus
-du sol de la rue, et que la porte d'entre
-du parquet, quoique ferme clef, pouvait
-facilement tre ouverte en dedans par une
-seule personne.</p>
-
-<p>Le mme jour, 27 aot, le sieur Voyneau
-<span class="pagenum"><a id="Page_300">300</a></span>
-rendit plainte contre les auteurs directs ou
-indirects de l'vasion ou enlvement du ngre
-de la prison ou du parquet. L'information eut
-lieu le 28; on entendit onze tmoins, tous
-demeurant autour de la prison. Il rsulta de
-cette information que le bruit public de Palluau
-tait que le ngre s'tait coup le cou
-lui-mme avec un mauvais couteau. Ce point
-de fait tait en outre constat par le certificat
-du cur de Palluau et par le procs-verbal de
-l'officier de la marchausse.</p>
-
-<p>Un des tmoins, Pierre Seguin, garon boucher,
-dposa que le samedi 25, sur les sept
-heures ou environ du matin, il avait entendu
-le fils du gelier, qui tait dans le parquet,
-s'crier: <i>Le malheureux se tue!</i> qu'alors il
-tait mont prcipitamment, et, s'tant approch
-de la porte de la prison, il avait vu un
-ngre lui inconnu, qui se perait la gorge
-avec un couteau, malgr toutes les remontrances
-qu'on pouvait lui faire.</p>
-
-<p>Un autre tmoin, la femme Peaudeau, disait
-avoir entendu de son lit le fils du gelier
-qui disait son pre: <i>Montez, le ngre est
-se tuer!</i></p>
-
-<p>Quant l'vasion ou l'enlvement, les dpositions
-<span class="pagenum"><a id="Page_301">301</a></span>
-taient contradictoires, et ne pouvaient
-qu'augmenter l'incertitude de la justice.</p>
-
-<p>Le sieur Voyneau, procureur-fiscal, ne voulut
-rien prendre sur lui dans une affaire aussi
-dlicate. Il crivit au substitut du procureur-gnral
- Poitiers pour lui rendre compte de
-tout ce qui s'tait pass, et le prier de l'instruire
-de ce qu'il avait faire. Ce magistrat lui rpondit
-que, s'il y avait preuve au procs que le
-ngre se ft coup le cou, on ne pouvait pas
-se dispenser de le faire dcrter de prise de
-corps comme suicide. En consquence, le 20
-septembre, le sieur Voyneau requit un dcret
-de prise de corps contre le ngre, comme suicide,
-pour tre le procs fait et parfait sa
-mmoire. Le mme jour ce dcret fut lanc
-par le juge de Palluau.</p>
-
-<p>Cependant, dans l'intervalle de temps coul
-entre la lettre au substitut du procureur-gnral
- Poitiers et sa rponse, le cadavre du
-ngre avait t trouv sur le bord d'une douve
-ou mare, dans le ressort de la justice de Palluau.
-Le juge fit des perquisitions, invoqua
-tous les tmoignages, pour dcouvrir ceux qui
-avaient apport le noir en ce lieu, mais il ne
-put rien apprendre: l'tat de putrfaction dans
-<span class="pagenum"><a id="Page_302">302</a></span>
-lequel se trouvait le corps annonait qu'il tait
-mort depuis plusieurs jours. Comme il exhalait
-des miasmes infects et insalubres, le sieur
-Voyneau le fit enlever et transporter au cimetire
-d'un bourg voisin, la Chapelle-Palluau.</p>
-
-<p>Le ngre ayant t trouv mort, le sieur
-Voyneau suspendit toutes poursuites; mais,
-le 26 mars 1782, le procureur-gnral fit rendre
-en la Cour un arrt qui commit le sige
-de Fontenay pour continuer le procs criminel
-qu'il avait commenc. L'instruction se fit
- grands frais; une information, compose
-de plus de cent cinquante tmoins, eut lieu,
-mais sans procurer beaucoup de lumires, les
-tmoins tant mal choisis et leurs dpositions
-rdiges avec trop de prcipitation. Dans le
-cours de l'instruction faite Fontenay, cinq
-personnes furent dcrtes et emprisonnes.
-Bientt le procureur-fiscal Voyneau fut confondu
-dans le nombre des criminels; un dcret
-de prise de corps fut lanc contre lui,
-comme prvenu d'avoir conseill et favoris
-l'enlvement et assassinat du ngre nomm
-Franois.</p>
-
-<p>L'information de Fontenay, effrayante par
-la multitude des tmoins entendus, se rduisait
-<span class="pagenum"><a id="Page_303">303</a></span>
- peu de chose; on y reconnaissait des gens
-acharns contre le sieur Voyneau, les uns par
-jalousie, raison des places qu'il occupait, les
-autres par la haine, par suite des procs et
-querelles qu'ils avaient eus avec lui. Ceux-ci
-lui en voulaient cause des droits seigneuriaux
-qu'il tait charg d'exiger; ceux-l pour la
-rpartition des tailles, qu'il avait mission d'asseoir,
-en qualit de commissaire des marches
-communes de Poitou et de Bretagne; quelques
-autres pour des alignemens de rue, en sa qualit
-de commis-voyer. Le sieur Voyneau ayant
-eu exercer tant de fonctions diverses, il n'tait
-point tonnant qu'il et soulev contre
-lui tant de haines et d'animosits particulires.
-Au reste, pas la moindre preuve qu'il et favoris
-ou conseill l'assassinat du ngre.</p>
-
-<p>Cette dernire imputation, celle d'avoir conseill
-l'assassinat, n'avait d'autre fondement
-qu'un fait mal interprt, qu'il convient d'claircir.</p>
-
-<p>Le ngre avait t arrt par la marchausse
-comme vagabond; il tait de la comptence
-du prvt. Les cavaliers de Palluau l'avaient
-dpos, par emprunt et sans l'crouer,
-dans la prison seigneuriale de ce lieu; ils devaient,
-<span class="pagenum"><a id="Page_304">304</a></span>
-suivant l'ordonnance, le transfrer, sous
-vingt-quatre heures, dans les prisons royales de
-Montaigu, sige de leur juridiction. Le sieur
-Voyneau tait Palluau le 25 aot, vers les
-cinq heures du soir; c'tait la nuit prcdente
-que le ngre s'tait coup le cou. Le sieur
-Voyneau rencontra le sieur de Saint-tienne,
-sous-lieutenant de la marchausse Palluau,
-tout hors de lui-mme; c'tait devant la porte
-du snchal et en prsence de plusieurs personnes;
-il lui tmoigna sa surprise de ce qu'il
-n'avait pas encore fait transfrer le ngre dans
-les prisons de Montaigu, attendu qu'il s'tait
-dj coul plus de vingt-quatre heures depuis
-son arrestation. Le sieur de Saint-tienne rpondit
-que le ngre n'aurait pu tre transfr,
-ni pied ni cheval, cause de sa blessure;
-le sieur Voyneau rpliqua: <i>Vous auriez pu le
-faire transfrer dans une charrette, et-elle d
-vous coter un louis!</i></p>
-
-<p>C'est ce propos qu'un tmoin, la femme Barreteau,
-prsentait comme tendant conseiller
-l'enlvement du ngre; ce propos avait pass
-de bouche en bouche, et ce malentendu
-grossier avait servi de base au dcret de
-prise de corps lanc contre le sieur Voyneau.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_305">305</a></span>
-Que prsentait donc, en dernire analyse,
-cette malheureuse affaire? Le tableau affligeant
-de l'innocence perscute, opprime
-par la calomnie. L'accusation ne roulait que
-sur des imputations chimriques et dont il
-n'existait aucune preuve. Point de corps de
-dlit qu'un prtendu conseil donn par le sieur
-Voyneau, tandis que toutes les circonstances
-prouvaient qu'il n'avait t ni en sa volont
-ni en son pouvoir de le faire. Quant l'information,
-quelle confiance pouvait-elle inspirer,
-n'tant que le fruit des dpositions de tmoins
-passionns, ou suspects par leur indigence.</p>
-
-<p>Le tribunal sentit toute l'absurdit de
-l'accusation intente au sieur Voyneau, et,
-en consquence, par arrt du 21 mars 1785,
-infirma le dcret de prise de corps lanc
-contre le procureur fiscal de Palluau, et le
-renvoya dans ses fonctions.</p>
-
-<p>Ce fait devrait mettre en garde les juges
-contre les propos souvent irrflchis et dpourvus
-de sens commun que des tmoins
-ignorans ou prvenus viennent dposer entre
-leurs mains. On ne peut rien voir de plus
-singulier que la cause du sieur Voyneau, qui,
-<span class="pagenum"><a id="Page_306">306</a></span>
-ayant le premier dnonc le crime la justice,
-se vit tout--coup d'accusateur devenir
-accus, et fut oblig de se justifier lui-mme
-du crime dont il poursuivait la punition.</p>
-
-<p>Nous fortifierons ces faits et ces rflexions
-de quelques considrations de Montesquieu
-qui s'y rattachent trs-bien: Les discours,
-dit-il, sont sujets interprtation. Il y a
-tant de diffrence entre l'indiscrtion et la
-malice, et il y en a si peu dans les expressions
-qu'elles emploient, que la loi ne peut
-gure les soumettre une peine capitale,
- moins qu'elle ne dclare expressment
-celles qu'elle y soumet. Les paroles ne forment
-point un corps de dlit, elles ne restent
-que dans l'ide; la plupart du temps,
-elles ne signifient pas par elles-mmes,
-mais par le ton dont on les dit. Souvent, en
-redisant les mmes paroles, on ne rend pas
-le mme sens: ce sens dpend de la liaison
-qu'elles ont avec d'autres choses. Quelquefois
-le silence exprime plus que tous les discours,
-et il n'y a rien de si quivoque que
-tout cela.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_307">307</a></span></p>
-
-<h2>L'POUSE<br />
-<span class="large">ADULTRE ET EMPOISONNEUSE.</span></h2>
-
-<p>L'adultre, ce crime dont tant d'hommes
-plaisantent avec une si stupide lgret, est
-un de ceux qui portent le plus de dsordres
-dans la socit. Ds qu'une femme a fait une
-fois le sacrifice de la foi conjugale un penchant
-criminel, le repentir et le retour la
-vertu deviennent de plus en plus difficiles. Il
-n'est pas en son pouvoir de dire: Je m'arrterai
-l; je n'irai pas plus loin; une sorte
-de <i>ncessit fatale</i>, que Saint-Augustin appelle
-une <i>ncessit de fer</i>, l'entrane, comme malgr
-elle, aux derniers excs. Ainsi souvent la
-femme qui ne fut d'abord que faible et vicieuse,
-se change en sclrate dtermine et
-sanguinaire. L'histoire de la femme Rivereau
-confirme ces tristes rflexions.</p>
-
-<p>Ne et marie dans la ville de Jargeau, situe
-dans le ressort du bailliage d'Orlans,
-<span class="pagenum"><a id="Page_308">308</a></span>
-elle vcut dans son humble fortune, honnte
-et innocente, jusqu'au moment o, se laissant
-aller aux cajoleries et aux sductions du nomm
-Bouin dit Lajoie, elle prostitua sa personne et
-sa fidlit conjugale. Mais bientt ce commerce
-coupable, au lieu d'assouvir sa passion
-ne fit que l'irriter. Elle ne vit plus dans son
-mari qu'un tre importun et odieux. Elle
-aurait voulu s'affranchir de ce joug qui lui
-pesait tant. Trouvant donc que son malheureux
-poux vivait trop long-temps au gr de
-son impatience, elle en vint par degrs se
-familiariser avec l'ide d'abrger elle-mme
-son existence. Le fer et le sang laissent des
-traces trop apparentes; la femme Rivereau et
-son amant devenu son complice, eurent recours
-au poison, et crurent assurer l'impunit
-de leur crime. Mais la femme ou plutt la
-furie, pour tre plus certaine du succs,
-chargea tellement la dose, qu'elle perdit elle-mme
-le fruit odieux de ses noires prcautions,
-et dchira de sa main froce le voile
-dont elle cherchait s'envelopper.</p>
-
-<p>Le soir du 3 janvier 1785, jour fix pour
-l'excution du complot, la femme monte la
-premire, une demi-heure avant les autres.
-<span class="pagenum"><a id="Page_309">309</a></span>
-Elle apprte deux soupes, et mle une forte
-dose d'arsenic dans celle qu'elle destine son
-mari. Bientt Rivereau, sans dfiance, monte
-avec un ouvrier de son atelier dans la chambre
-haute, o se prparait ce repas homicide;
-et las du travail de la journe, il comptait
-goter le repos et le plaisir d'un souper frugal.</p>
-
-<p>Mais peine a-t-il mang quelques cuilleres
-de soupe, qu'il est atteint de vomissemens
-violens. Il abandonne le reste son compagnon,
-qui en avale une ou deux cuilleres,
-malgr la femme Rivereau qui lui arrache le
-vase des mains, ne voulant pas sans doute
-commettre un second crime gratuitement.</p>
-
-<p>Le compagnon, aprs des vomissemens
-trs-pnibles, rsista la dose lgre de poison
-qu'il avait prise, mais ds le lendemain
-matin le mari succomba, et sa mort remplit
-les v&oelig;ux de sa coupable pouse.</p>
-
-<p>L'enterrement eut lieu, et la malheureuse,
-croyant son forfait enseveli avec son mari,
-ne songea plus qu' jouir des fruits de son
-crime avec son complice. Ds le lendemain
-de l'enterrement, elle rassemble la meilleure
-partie des effets de son mnage, s'vade de la
-<span class="pagenum"><a id="Page_310">310</a></span>
-maison, dont elle laisse les portes ouvertes,
-et s'enfuit avec Bouin dit Lajoie.</p>
-
-<p>Croyant mieux cacher son forfait, et drober
-plus srement sa trace aux poursuites de
-la justice, cette femme abominable prit le
-nom de son complice, et le donna pour son
-mari dans les auberges o elle passa. Cependant
-sa fuite prcipite avait veill des soupons
-sur la mort subite de Rivereau et sur les
-accidens qui l'avaient prcde. Bientt les
-magistrats de Jargeau en furent instruits par
-la rumeur publique. On procda sur-le-champ
- l'exhumation du corps de Rivereau, et les
-hommes de l'art y reconnurent les horribles
-ravages d'un poison violent. Aussitt des
-ordres furent donns pour arrter les deux
-fugitifs vhmentement souponns de cet
-empoisonnement.</p>
-
-<p>Bouin dit Lajoie, ayant eu connaissance
-des poursuites dont il tait aussi l'objet,
-chappa la justice, en abandonnant sa complice,
-qui fut arrte et conduite dans les prisons.
-Trois autres personnes furent dcrtes
-et emprisonnes pour le mme fait, mais il
-fut sursis au jugement de leur procs jusqu'aprs
-<span class="pagenum"><a id="Page_311">311</a></span>
-l'excution de la femme Rivereau.</p>
-
-<p>Celle-ci fut condamne, par sentence du
-bailliage d'Orlans, confirme par arrt du
-parlement de Paris, du 13 septembre 1785,
- la question ordinaire et extraordinaire, et
-tre brle vive sur la place publique de
-Jargeau, aprs avoir fait amende honorable,
-ayant un criteau portant: <i>empoisonneuse de
-son mari</i>.</p>
-
-<p>L'arrt fut excut quelques jours aprs,
-et les cendres de la coupable furent jetes au
-vent.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_312">312</a></span></p>
-
-<h2>LES BRIGANDS DE NIMES.</h2>
-
-<p>Au commencement de l'anne 1784, les
-environs de Nmes taient infests par une
-troupe de brigands sanguinaires et dtermins,
-qui jetaient l'pouvante dans toute la
-contre, et allaient audacieusement exercer
-leurs ravages jusque dans les villes voisines.
-Les chteaux et les maisons riches taient
-surtout l'objet de leurs attaques; ils en brisaient
-les portes et pillaient, comme des soldats
-dans une ville prise d'assaut; en cas de
-rsistance, la mort ne leur cotait rien
-donner. Ces sclrats taient blass en fait
-de crimes.</p>
-
-<p>Le moindre voyage dans ces cantons tait
-accompagn des plus grands dangers. Ces
-brigands attaquaient mme les caravanes que
-formaient entre eux les voyageurs, afin d'tre
-moins exposs sur les routes. On ne parlait
-que de vols, que d'assassinats multiplis,
-<span class="pagenum"><a id="Page_313">313</a></span>
-que de maisons forces, que de chteaux pills.</p>
-
-<p>La plupart de ces bandits taient forms
-au crime depuis long-temps; plusieurs d'entre
-eux portaient sur l'paule leur infamant
-brevet de malfaiteur. Quatre chapps des
-galres avaient mrit par leurs forfaits d'tre
-les chefs de ces misrables. Errans et disperss,
-mais de manire pouvoir se runir
-au premier signal, ils marchaient par brigades
-de trois, de six, de huit et mme de
-douze, et s'embusquaient sur les chemins de
-Sauve, d'Uzs, de Sommires, de Lassalle, etc.,
-et laissaient presque partout des traces sanglantes
-de leur passage.</p>
-
-<p>Tant d'attentats aussi notoires, aussi rpts,
-ne pouvaient manquer d'veiller l'attention
-et d'exciter le zle des magistrats. Le procureur
-du roi du prsidial de Nmes parvint
- dcouvrir que des tuileries cartes, situes
-dans le voisinage de Saint-Gilles, servaient
-de repaires ces brigands et leurs concubines.
-Mais il tait difficile de les forcer
-ou de les surprendre dans ces espces de forteresses,
-o ils se gardaient avec une vigilance
-de tous les instans. Il aurait fallu se dcider
-<span class="pagenum"><a id="Page_314">314</a></span>
-un combat mort avec ces sclrats dtermins;
-c'et t compromettre l'existence
-d'une foule de braves soldats pour une entreprise
-hrisse de prils, mais sans gloire.</p>
-
-<p>On jugea plus sr et plus humain de recourir
- la ruse et d'endormir ces tigres pour
-les enchaner. On fit choix de trois huissiers
-intelligens qu'accompagnrent une vingtaine
-de jeunes gens pleins de c&oelig;ur et de bonne
-volont. Pour n'tre pas foudroys par ces
-brigands, ils feignirent de chasser, et prirent
-si bien leurs dimensions qu'ils s'approchrent
-des tuileries sans que leur dessein ft pntr,
-et les investirent tout--coup, avec imptuosit.
-A l'aide de ce stratagme, ils surprirent
-et arrtrent dix de ces bandits, tout
-confondus et stupfaits de leur grossire
-mprise.</p>
-
-<p>Les autres furent pris isolment en se rendant
-au gte; et cette arrestation mit un
-terme aux sclratesses dont le pays avait t
-le thtre.</p>
-
-<p>Le procs de ces brigands ne trana pas en
-longueur. Plus de deux cents tmoins furent
-entendus et compltrent les preuves de leurs
-<span class="pagenum"><a id="Page_315">315</a></span>
-mfaits, et par jugement souverain du fvrier
-1785, ils furent condamns tre rompus
-vifs.</p>
-
-<p>Le lendemain, les femmes, dignes objets
-des amours de ces monstres, furent condamnes
- tre attaches au carcan, et ensuite
-tre renfermes pour le reste de leur vie dans
-une maison de force. Un jeune garon de
-douze ans, lve de ces brigands, avait dj
-si bien profit de son apprentissage, qu'il
-les aidait dans leurs vols et dans leurs assassinats.
-Il leur servait de furet pour la plupart
-de leurs entreprises; il tait l'espion qui
-allait la dcouverte sur les grands chemins;
-il tait mme quelquefois le premier attaquer
-les voyageurs, et ne tardait pas tre
-soutenu par ses matres, placs en embuscade.
-Il fut ordonn que cet enfant serait
-renferm dans un hpital pendant six ans,
-pour y tre lev dans la religion catholique,
-dans l'esprance que l'ge, la raison et l'ducation
-changeraient son c&oelig;ur, sitt souill
-par l'exemple et les leons de ces sclrats.</p>
-
-<p>L'excution de ces bandits offrit une circonstance
-qui prouve qu'il est certaines mes
-<span class="pagenum"><a id="Page_316">316</a></span>
-sur lesquelles le spectacle des supplices les
-plus effrayans est tout--fait impuissant.</p>
-
-<p>Tandis que l'excuteur attachait aux fourches
-patibulaires les cadavres de ces supplicis,
-un malheureux volait cent cus un
-paysan de Beaucaire qui portait cette somme
-au propritaire dont il tait fermier. Mais il
-ne jouit pas long-temps de son larcin, il fut
-arrt quelques instans aprs. Le voleur tait
-un Italien, marchand d'orvitan, qui avait
-dj t fouett et marqu Dijon pour d'autres
-tours du mme genre dont sont assez
-coutumiers la plupart des charlatans en
-plein vent.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_317">317</a></span></p>
-
-<h2>CATHERINE ESTINS.</h2>
-
-<p>La calomnie, arme terrible l'usage des
-pervers, ne reconnat rien de sacr pour
-elle; elle brave toutes les considrations,
-tranche toutes les difficults, appelle son
-aide toutes les inventions les plus absurdes,
-les plus monstrueuses, et ne voit autour
-d'elle que le mal qu'elle a entrepris de faire,
-que l'innocente victime qu'elle veut percer
-de ses coups assassins; peu lui importe les
-moyens, pourvu qu'elle parvienne son but.
-Aussi ne nglige-t-elle rien pour assurer le
-succs de ses complots tnbreux.</p>
-
-<p>Nos auteurs de romans ont tort de perdre
-le temps se mettre l'esprit la torture
-pour trouver des conceptions tonnantes par
-leur hardiesse et nouvelles force de bizarrerie.
-Souvent ils feraient mieux et plus vite,
-en explorant avec attention les dtails d'une
-foule d'accusations calomnieuses dont retentissent
-<span class="pagenum"><a id="Page_318">318</a></span>
-trop souvent nos tribunaux. Ils y trouveraient
-avec surprise un trsor d'inventions
-diaboliques, de trames infernales, conues
-et ourdies avec cet art merveilleusement satanique
-dont le gnie du mal est seul capable.
-Que d'inspirations ne pourraient-ils
-pas puiser dans ce rpertoire si vaste et si
-vari! Au lieu de se lancer dans un monde
-imaginaire et fantastique, compos de vapeurs
-et de nuages qui se dissipent au moindre
-souffle, qui prennent mille formes tranges,
-impalpables, insaisissables, et qui ne
-ressemblent rien des choses de notre porte,
-nos romanciers, en s'adressant la source
-que nous venons d'indiquer, trouveraient
-toutes faites des intrigues entirement neuves,
-habilement tissues, des faits tonnans
-mais vrais, quoique voisins quelquefois de
-l'invraisemblance, des incidens que l'imagination
-seule ne saurait crer, enfin des peintures
-de caractres et de m&oelig;urs bien plus
-intressantes pour nous que des tableaux
-peints au hasard, par boutades, et qui n'ont
-pas eu la nature pour modle, la nature belle
-ou difforme, cultive ou inerte, nue ou pare,
-pleine de charmes ou dgotante, bonne
-<span class="pagenum"><a id="Page_319">319</a></span>
-ou perverse. Il est d'ailleurs si facile d'intresser
-par le spectacle de l'innocence poursuivie
-sans relche par les horribles reptiles
-de la calomnie qui s'efforcent d'introduire
-leur dard empoisonn dans les sanglantes
-morsures qu'ils ont faites leur victime infortune!
-Nous allons raconter une histoire qui,
-malgr tout ce que nous avons dj vu en ce
-genre, prsentera une variante toute neuve
-de la mchancet humaine.</p>
-
-<p>Barthelemy Estins, habitant de Cazaux,
-dans le comt de Comminges, faisait un commerce
-assez productif; il en tait mme temps
-boucher, marchand de grains et de tabac,
-et cabaretier. Son industrie lui avait procur
-une aisance qui rendait sa maison la plus considrable
-de Cazaux.</p>
-
-<p>De cinq enfans qu'il avait eus d'un premier
-mariage, deux seulement habitaient la
-maison paternelle; un garon qui tait muet
-de naissance et la plus jeune des filles, Catherine
-Estins, dont nous allons retracer les
-malheurs. La mre de ces enfans tant morte,
-Barthelemy Estins se remaria six mois aprs
-avec Dominiqute Fontan, qui tait peine
-majeure. Jusqu' cette fatale poque, Catherine
-<span class="pagenum"><a id="Page_320">320</a></span>
-avait t l'enfant chri de son pre, qu'elle
-aimait aussi bien tendrement. Mais peine
-Barthelemy Estins eut donn une martre
-Catherine que tout changea de face dans la
-maison paternelle. Dominiqute Fontan se crut
-faite pour dominer despotiquement et sans
-partage le c&oelig;ur de son poux sexagnaire;
-elle entreprit de lui inspirer par degrs de
-l'loignement, de l'aversion mme pour Catherine,
-en la calomniant sans cesse et en la
-chargeant des torts les plus graves. Gronde
-sans cesse et souvent maltraite, tant par son
-pre que par sa martre, Catherine se vit
-force de chercher du travail au dehors pour
-gagner sa vie; et quoique habitue ds long-temps
-aux douceurs d'une honnte aisance,
-elle se condamna ne manger la table de
-son pre que les jours o elle manquerait
-d'ouvrage. Mais ce n'tait point encore assez
-au gr de la martre; elle voulait rester seule
-matresse dans la maison, et son projet tait
-d'obliger Catherine aller retrouver ses frres
-qui taient tablis en Espagne. Aussi ne ngligeait-elle
-aucune circonstance pour maltraiter
-cette malheureuse fille et pour indisposer
-contre elle le crdule Estins.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_321">321</a></span>
-Le 25 juillet 1784, jour de la fte du lieu,
-Dominiqute Fontan, la belle-mre, eut une
-indigestion occasione par une espce de bouillie.
-Aussitt elle inventa une histoire digne
-de sa mchancet. Elle se plaignit son mari
-que Catherine avait jet de l'arsenic dans le
-chaudron o cette bouillie avait t prpare;
-et quoique tous les gens de la maison et mme
-quelques convives eussent mang de ce mets,
-sans en avoir prouv la plus lgre incommodit,
-Barthelemy Estins fut assez faible
-pour ajouter foi cette fable atroce. Cependant
-cette indigestion n'ayant pas eu de suites srieuses,
-on n'osa plus ouvrir la bouche au
-sujet de ce prtendu empoisonnement qui,
-d'ailleurs, n'avait peut-tre t imagin que
-pour prparer les esprits des accusations
-plus horribles encore.</p>
-
-<p>Dominiqute Fontan suivit donc son projet
-de dnigrement. Elle ne cessait de publier
-que Catherine Estins provoquait sans cesse
-la colre de son pre par des propos o la
-menace se trouvait presque toujours mle
-l'injure. Elle rpandait que cette fille allait
-mme jusqu' dire son vieux pre qu'elle
-le ferait mourir.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_322">322</a></span>
-Un malheureux vnement vint bientt
-servir faire clater l'orage qui jusque l
-avait grond sourdement sur l'infortune
-Catherine.</p>
-
-<p>Barthelemy Estins tait sujet de violentes
-douleurs d'entrailles, occasiones par
-l'usage inconsidr du vin et des liqueurs
-fortes. Ses affaires l'ayant appel Monrejeau,
-il fut surpris dans cette ville par des crises
-de la mme nature, et dit qu'il se trouvait
-si incommod, qu'il sentait un feu si dvorant
-dans ses entrailles, qu'il craignait de
-mourir avant d'arriver chez lui. En effet, il
-tait dans un tat fort alarmant lorsqu'il
-revint Cazaux, et il se mit au lit pour n'en
-plus relever. Pendant les cinq six jours que
-dura sa maladie, il fut exclusivement servi
-par sa femme, qui ne voulut jamais permettre
-que Catherine donnt ses soins au malade,
-malgr les vives instances de cette malheureuse
-fille. Rduite passer la journe hors
-de la maison, pour assurer sa subsistance
-par son travail, ce n'tait que le soir qu'elle
-pouvait, et presque la drobe, approcher
-du lit de son pre.</p>
-
-<p>Barthelemy Estins mourut le 21 janvier
-<span class="pagenum"><a id="Page_323">323</a></span>
-1785, dix heures du soir, et ce jour-l, sa
-fille ne parut dans sa chambre qu'aprs huit
-heures, c'est--dire deux heures avant sa
-mort. Malgr cette circonstance, et quoique
-le malade ft dans une situation dsespre
-long-temps avant d'avoir pris son dernier
-bouillon, la martre et ses complices, que
-nous ferons bientt connatre, rpandirent
-sourdement le bruit que ce vieillard avait
-t empoisonn, et que sa fille tait l'auteur
-de cet attentat; qu'on avait jet de l'arsenic
-dans un bouillon qui lui avait t servi trois
-ou quatre heures avant sa mort, et que Catherine
-seule pouvait avoir fait le coup. Pour
-donner plus de vraisemblance cette nouvelle
-accusation, on avait tent de persuader
-au pauvre agonisant qu'il avait t empoisonn
-par ce bouillon, dans l'espoir de lui
-arracher quelque plainte ou quelque propos
-relatif cet empoisonnement prtendu.</p>
-
-<p>Au moment mme o Barthelemy Estins
-venait de prendre son dernier bouillon, sa
-femme avait envoy chercher le barbier d'un
-village voisin, avec prire d'apporter du contre-poison.
-Ce barbier, nomm Mounic, tait
-le plus ignorant et le plus stupide de tous les
-<span class="pagenum"><a id="Page_324">324</a></span>
-gens de sa profession. A peine fut-il arriv
-que la martre s'empara de lui, et lui fit mille
-contes absurdes sur le poison qu'elle disait
-avoir trouv dans la marmite. Le crdule
-Mounic, sans autre examen, et sur la parole
-de la Fontan, fit prendre de la thriaque
-dans du lait au pauvre moribond, qui expira
-l'instant d'aprs. Ses dernires paroles furent
-caractristiques: <i>Voulez-vous boire un
-uchaud de vin?</i> dit-il au cur qui tait
-son chevet. A quoi celui-ci ayant rpondu:
-<i>Voulez-vous nous en donner?</i> le malade
-fit un signe de tte, et mourut sur-le-champ.</p>
-
-<p>Cependant les deux sieurs Laguens pre et
-fils, substituts du sige royal de Rivire, accompagns
-du greffier Pourth, arrivent
-Cazaux le 23 janvier, deux jours aprs le dcs
-de Barthelemy Estins. On verra par qui
-ils avaient t informs en secret du prtendu
-empoisonnement de cet homme. Ils trouvent
-le cadavre dans le lit, car on avait de fortes
-raisons pour ne l'avoir pas encore inhum.
-Leur premier soin est de mander le barbier
-Mounic, et un de ses confrres, peu prs
-de la mme force, appel Soudane, qu'ils
-qualifient de chirurgiens, et auxquels ils enjoignent
-<span class="pagenum"><a id="Page_325">325</a></span>
-de procder l'ouverture du cadavre.
-Pour d'aussi habiles gens, cette opration
-fut l'affaire d'un instant; puis ils se
-rendirent au jardin de la maison du dfunt,
-o ils trouvrent le greffier assis sur une
-pierre, qui crivit sur ses genoux leur rapport
-et leur dposition, ou plutt qui, profitant
-de leur ignorance, mit dans son procs-verbal
-tout ce qu'il crut propre former un
-corps de dlit. En effet, plus tard, Mounic
-et Soudane accusrent le greffier Pourth
-d'avoir crit ce qu'ils n'avaient pas dict et
-d'avoir supprim ou altr ce que rellement
-ils lui avaient dit; ils l'accusrent en outre
-de leur avoir fait signer le rapport sans leur
-en avoir donn lecture.</p>
-
-<p>Le juge Laguens ne prit pas la peine d'assister
- la rdaction de cet trange procs-verbal;
-pendant ce temps, il s'occupait faire
-main-basse sur tout ce qui tait sa convenance
-dans la maison du dfunt. Le greffier
-fit venir en qualit de tmoin le nomm
-Bertrand Lantrade, qui, entendu d'office,
-rpta les propos de la martre, et dit qu'il
-tenait de sa propre bouche que Barthelemy
-Estins avait t empoisonn par sa fille. Un
-<span class="pagenum"><a id="Page_326">326</a></span>
-autre tmoin, nomm Michel Verdot, fut
-entendu, et signa sa dposition sans aucune
-lecture pralable. Ces deux tmoins protestrent
-depuis contre l'infidlit du procs-verbal,
-et accusrent le greffier Pourth de
-leur avoir fait dire autre chose que ce qu'ils
-avaient dpos.</p>
-
-<p>Cependant, sur le rapport de deux barbiers
-ignorans, renforc par les dpositions
-falsifies de ces deux tmoins ous d'office,
-Catherine Estins fut dcrte de prise de
-corps, le 28 janvier 1785, par M<sup>e</sup> Barre,
-juge titulaire du sige royal de Rivire, sur
-les rquisitions de Laguens pre, substitut. Il
-ne fut pas difficile de mettre le dcret excution.
-Quand les cavaliers de marchausse
-vinrent pour l'arrter, Catherine tait tranquillement
-assise devant sa porte; elle ne les
-eut pas plus tt aperus qu'elle alla droit
-eux, leur disant avec la fermet de l'innocence:
-<i>Si c'est moi que vous cherchez, me
-voici</i>. Il n'avait tenu qu' elle de prendre la
-fuite, puisqu'il s'tait coul cinq jours entre
-la descente des officiers de justice et le
-dcret. Pendant ces cinq jours, on n'avait
-rien pargn pour la dterminer prendre
-<span class="pagenum"><a id="Page_327">327</a></span>
-la fuite; mais elle avait t inbranlable, et
-tait demeure dans la maison paternelle,
-jusqu'au moment o on vint la saisir pour la
-conduire dans les prisons de Saint-Gaudens.</p>
-
-<p>Depuis le 28 janvier jusqu'au 10 mars
-suivant, la justice de Rivire resta dans
-une inaction absolue; mais le substitut Laguens
-pre sut mettre ce temps profit
-pour ses intrts. On a vu que pendant qu'on
-travaillait pour lui, dans le jardin, la rdaction
-du procs-verbal, il s'occupait visiter
-la maison du dfunt, pour se saisir des effets
-les plus faciles drober. Il avait t interrompu
-pendant cette expdition par Amiel
-Paduran, beau-frre de Catherine Estins, qui
-exigea l'apposition du scell. Mais cette prcaution
-fut inutile contre la rapacit de Laguens,
-qui, bientt aprs l'excution du dcret,
-enleva, sans qualit et sans formalit
-quelconque, le scell qu'il avait mis, comme
-juge, sur les effets du dfunt. Il les fit vendre
-avec la mme lgret, mettant dans sa poche
-toutes les sommes que lui rapportait ce brigandage.</p>
-
-<p>En mme temps que l'on pillait ainsi la
-maison du pre, on s'efforait de recruter des
-<span class="pagenum"><a id="Page_328">328</a></span>
-tmoins contre la fille. Pour ce dernier point,
-on n'pargna ni l'argent, ni les promesses, ni
-les menaces. Les dpositions de quelques-uns
-d'entre eux l'attestrent videmment; l'information,
-quoique compose de vingt tmoins,
-fut commence et finie le mme jour
-10 mars 1785. Mais ce qui paratra encore plus
-incroyable, c'est que le nouveau substitut ne
-rougit point de comprendre dans la liste de
-ses tmoins, la femme Fontan, la seule accusatrice
-de sa belle-fille, et la nomme Jeanne
-Minotte, qui, de concert avec la martre,
-avait jur la perte de Catherine Estins.</p>
-
-<p>Mais il est temps de faire connatre quelques-uns
-des principaux machinateurs de
-cette trame infme. Le cur de Cazaux tait l'instigateur
-secret des perscutions exerces sur
-la malheureuse Catherine. C'tait un homme
-sans principe, sans m&oelig;urs, sans conscience.</p>
-
-<p>Le village de Venerque, situ trois lieues
-de Toulouse, avait t le premier thtre de
-ses dbordemens. Il s'en tait fait chasser,
-ainsi que du reste du diocse, pour un scandale
-accompagn de circonstances atroces.
-Mais assez adroit pour drober les motifs de
-son expulsion ses nouveaux suprieurs du
-<span class="pagenum"><a id="Page_329">329</a></span>
-diocse de Comminges, il tait parvenu obtenir
-le bnfice de Cazaux. Sa conduite, dans
-cette nouvelle paroisse, n'avait t ni plus
-exemplaire, ni plus difiante qu' Venerque.
-On citait plusieurs filles et femmes qui avaient
-t victimes de sa lubricit. Catherine Estins
-avait aussi fix les regards impudiques de ce
-pasteur indigne, qui n'avait rien pargn pour
-triompher de la vertu de cette fille. Barthelemy
-Estins envoyait quelquefois Catherine
-au presbytre, porter au cur sa provision de
-viande; et cet impudent satyre ne perdait aucune
-de ces occasions de lui exprimer ses v&oelig;ux
-criminels. Il en vint un jour des tentatives
-si alarmantes, que Catherine eut besoin de
-toute sa force pour lui chapper; et, ds ce
-moment, elle prit la rsolution de ne plus remettre
-les pieds dans la maison de ce monstre
-impur.</p>
-
-<p>Sur le refus de Catherine de retourner au
-presbytre, Dominiqute Fontan remplaa
-sa belle-fille dans cette prilleuse commission.
-Plus d'une fois son mari avait paru inquiet de
-la longueur de ses visites au cur; et il en tait
-rsult des orages domestiques qui se renouvelaient
-assez souvent. Mais l'adroite Dominiqute
-<span class="pagenum"><a id="Page_330">330</a></span>
-n'avait pas de peine calmer la jalousie
-de son vieux mari. Plus clairvoyante
-que son pre, et d'ailleurs claire par son
-exprience personnelle, Catherine Estins ne
-mnageait peut-tre pas assez sa martre sur
-cet article dlicat; mais pousse bout par
-cette femme imprieuse, elle n'tait pas toujours
-matresse de garder le silence cet gard.</p>
-
-<p>C'tait alors qu'avaient redoubl pour elle
-les perscutions et les outrages. La martre
-et le cur firent cause commune pour la perdre;
-et ne se trouvant pas encore assez forts,
-ils s'adjoignirent une autre femme de Cazaux,
-appele Jeanne Minotte, laquelle ils persuadrent
-que Joseph Soudane, son mari, tait
-l'amant de Catherine Estins. Il n'en fallut pas
-davantage pour engager cette femme jalouse
- se liguer avec le cur et la Fontan. Celle-ci
-profitait habilement des plaintes indiscrtes
-de la Minotte pour indisposer de plus en plus
-le crdule Estins contre sa malheureuse fille.</p>
-
-<p>Quelque temps avant la mort de Barthelemy
-Estins, le charitable cur n'avait pas
-t le moins ardent faire circuler les propos
-calomnieux dont on a vu le dtail; il avait
-voulu mme y mettre le sceau, par une espce
-<span class="pagenum"><a id="Page_331">331</a></span>
-d'anathme lanc publiquement contre Catherine;
-et, en consquence, il lui avait fait
-fermer les portes de l'glise de Cazaux, en
-prsence de ses paroissiens et d'un grand nombre
-d'habitans des villages des environs qui
-taient venus la messe.</p>
-
-<p>Ce mme homme avait pourtant assist aux
-derniers momens de Barthelemy; il l'avait vu
-pendant toute sa maladie; il tait mieux instruit
-que personne de la cause de sa mort;
-et cependant ds que le moribond eut ferm
-les yeux, il fut assez lche, assez barbare pour
-dpcher dans la nuit, Monrejeau, le consul
-de Cazaux avec une lettre pour Laguens le fils,
-son ami intime, afin de lui dnoncer que Barthelemy
-Estins venait de mourir empoisonn.
-C'tait donc d'aprs la dnonciation secrte
-du cur que les poursuites avaient t diriges
-contre Catherine; et ce fut lui qui excita Dominiqute
-Fontan et Jeanne Minotte, et entretint
-ces deux furies dans leurs sanguinaires
-projets de vengeance.</p>
-
-<p>On concevra facilement que Catherine ne
-fut pas mnage dans les dpositions de ces
-deux femmes. Les autres tmoins ne firent que
-rpter les propos calomnieux qu'ils avaient
-<span class="pagenum"><a id="Page_332">332</a></span>
-entendu tenir la martre et Jeanne Minotte;
-de sorte que tout ce qu'il y avait de plus
-grave dans l'accusation sortait de la bouche
-de ces deux femmes.</p>
-
-<p>Au reste, jamais procdure ne fut ni plus
-irrgulire, ni plus frauduleusement vicieuse
-que celle dont Catherine Estins fut l'objet.
-Toutes les garanties que les lois laissent aux
-accuss furent indignement violes; et le 25
-mai 1785, les juges rendirent, dans le plus
-grand mystre, leur sentence dfinitive, qui
-condamnait Catherine Estins avoir le poing
-coup, tre brle vive et ses cendres jetes
-au vent.</p>
-
-<p>Un cri gnral d'indignation s'leva contre
-cette effroyable sentence. Les officiers de Rivire,
-dconcerts par l'espce de soulvement
-qu'elle excita dans le pays, n'osaient plus paratre
-en public. Bientt les fauteurs de cette
-intrigue abominable, agits tour--tour par
-la honte et par la terreur, ne virent d'autre
-salut pour eux que dans l'vasion de leur victime.
-On entreprit d'effrayer Catherine Estins
-pour l'engager prendre la fuite. Les efforts
-de la cabale redoublrent alors que l'on
-sentit que la justice de Rivire allait tre juge
-<span class="pagenum"><a id="Page_333">333</a></span>
-par celle d'un tribunal souverain. On mit
-tout en &oelig;uvre pour dterminer la prisonnire
- s'vader; on lui en facilita tous les moyens;
-les gens qui sa garde tait confie, loin de
-la surveiller, l'invitaient eux-mmes fuir.</p>
-
-<p>Laguens se plaignit mme avec aigreur
-l'un des huissiers de la prison, de ce qu'il ne
-l'avait pas fait vader. Mais Catherine, soutenue
-par le sentiment de son innocence, repoussa
-toutes ces invitations, et s'obstina
-demeurer dans les fers. Puisque ma conscience
-ne me reproche rien, disait-elle, pourquoi
-agirais-je comme si j'tais coupable? Est-ce
- moi d'prouver les terreurs du crime,
-puisqu'il me reste encore des juges qui peuvent
-venger mon innocence de l'erreur ou de
-la prvarication du tribunal qui m'a condamne?
-La mort la plus cruelle me parat prfrable
- la honte de traner avec moi, dans ma
-fuite, le soupon d'un affreux parricide. Ah!
-si le ciel m'et fait une me assez atroce pour
-concevoir le projet d'un empoisonnement,
-aurais-je pu balancer sur le choix de ma victime?
-Pourquoi aurais-je donn la prfrence
- un pre qui m'avait toujours tendrement
-<span class="pagenum"><a id="Page_334">334</a></span>
-aime, sur une martre qui me faisait souffrir
-les plus cruelles perscutions? Telle
-tait la noble rponse que faisait Catherine
-Estins ceux qui la pressaient de prendre
-la fuite.</p>
-
-<p>Cette inbranlable fermet dconcerta d'abord
-les perscuteurs, qui dj tremblaient
-pour eux-mmes; mais le gnie du mal, si fcond
-en inventions, ne se trouve jamais au
-dpourvu. Les Laguens et consorts, pour
-chapper l'animadversion du parlement
-qu'ils n'avaient que trop mrite, usrent sans
-scrupule d'un moyen qui n'tait qu'un crime
-de plus, et qui d'ailleurs devait assurer la perte
-de leur victime. Ils tromprent les juges souverains
-par un extrait infidle de la procdure.
-Bertrand Laguens, qui avait dj usurp les
-fonctions de juge et de partie publique, ne
-craignit pas d'usurper celles de greffier, conjointement
-avec son pre et son frre pun.
-Ils prirent sur eux de fabriquer un extrait favorable
- leurs desseins, et livrrent, aprs
-cette opration, la prisonnire la marchausse,
-avec ordre de la conduire Toulouse,
-o elle arriva dans les premiers jours
-<span class="pagenum"><a id="Page_335">335</a></span>
-de juin 1785. Pendant la route, il n'avait encore
-tenu qu' elle de s'vader, car on lui en
-avait fourni toutes les facilits.</p>
-
-<p>Le courage qu'elle avait montr dans les
-prisons de Saint-Gaudens ne l'abandonna pas
-dans celles de Toulouse. Le rcit que firent
-son sujet les cavaliers qui l'avaient amene,
-intressa vivement en sa faveur. Le commissaire
-des prisons voulut s'assurer par lui-mme
-de la vrit de ce que l'on racontait sur cette
-fille extraordinaire. Il fut frapp de l'air simple
-et tranquille de Catherine, de la srnit
-de son visage, et du ton de vrit qui rgnait
-dans ses rponses et dans ses discours. Il s'entretint
-de cette infortune avec M. de Cassan-Glattens,
-qui venait d'tre charg de l'examen
-prliminaire de cette affaire. Ce magistrat fut
-vivement mu de ce qu'on lui disait de la courageuse
-fermet de Catherine. Le tmoignage
-que rendaient de l'innocence de cette infortune
-toutes les personnes de son pays qui se
-trouvaient alors Toulouse, l'intressa encore
-plus puissamment. Il sentit que cette affaire
-mritait le plus srieux examen, et qu'elle ne
-devait pas tre juge par la cour avec la mme
-<span class="pagenum"><a id="Page_336">336</a></span>
-lgret et la mme prcipitation qu'elle l'avait
-t en premire instance.</p>
-
-<p>Quelques jours aprs l'arrive de Catherine
-Estins Toulouse, il se rpandit un bruit
-sourd sur les man&oelig;uvres de la famille Laguens
-et sur certaines altrations dans l'original de
-la procdure. Ce bruit se fortifiant de jour en
-jour, Catherine Estins prsenta une requte
- l'effet d'obtenir qu'il ft procd, en prsence
-d'un magistrat envoy sur les lieux,
-l'extrait figuratif de la procdure originale,
-instruite contre elle par les officiers de justice
-de Rivire. Aprs plusieurs dbats peu favorables
- cette requte, un jeune magistrat,
-M. de Rigaud, m par un sentiment de gnrosit
-bien digne d'tre lou et surtout
-imit, offrit de se rendre sur les lieux ses
-frais, si la cour lui faisait l'honneur de le choisir.
-L'avocat-gnral de Resseguier appuya de
-tout son pouvoir l'offre du jeune magistrat,
-et requit de la cour, dans l'intrt de la justice,
-que M. de Rigaud ft autoris se transporter
-sur les lieux pour vrifier les minutes
-de la procdure. Le parlement accueillit les
-conclusions de ce rquisitoire, et par arrt du
-<span class="pagenum"><a id="Page_337">337</a></span>
-20 juin, remit M. de Rigaud la commission
-qu'il sollicitait avec un zle aussi gnreux.</p>
-
-<p>Ce jeune magistrat, accompagn d'un greffier,
-partit le lendemain 21 juin, et arriva le
-22 sept heures du matin, Monrejeau, sige
-de la justice de Rivire. Il manda sur-le-champ
-le greffier Pourth, et lui ordonna de le conduire
-au greffe de la juridiction. Mais le greffier
-lui rpondit qu'il n'y avait point de greffe,
-que depuis plus de vingt ans qu'il tait greffier,
-sa maison tait le dpt de toutes les
-procdures. Le commissaire s'y transporta
-sur-le-champ, et trouva beaucoup d'autres irrgularits
-et ngligences dans les registres
-relatifs aux procdures criminelles. Puis, il procda,
-avec le greffier de la cour, la vrification
-et comparaison de l'extrait et de l'original
-de la procdure de Catherine Estins. Cette
-opration, qui fut assez longue, dcouvrit des
-horreurs qui rvoltrent M. de Rigaud. Il remarqua
-un grand nombre de diffrences entre
-l'original et l'extrait, et mme beaucoup
-d'altrations, d'additions et de faussets sur
-l'original; ce qui le dtermina faire arrter
-et conduire le greffier dans les prisons de la
-cour.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_338">338</a></span>
-M. de Rigaud fut de retour Toulouse le
-6 juillet, et le lendemain, la cour rendit un
-nouvel arrt portant que le greffier Pourth
-serait crou dans sa prison; que les deux Laguens
-seraient dcrts de prise de corps, et
-M<sup>e</sup> Barre, juge titulaire de la justice royale
-de Rivire, dcrt d'ajournement personnel.
-Cet arrt fit prendre la fuite aux deux Laguens,
-coupables des plus horribles prvarications.
-La martre ne tarda pas les imiter, dans la
-crainte d'tre dmasque par la procdure
-qui allait tre faite par autorit de la cour.
-Le juge Barre, qui n'tait gure moins coupable,
-ne craignit pas de se prsenter. M. le
-procureur-gnral porta une plainte de faux
-capital contre les auteurs, fauteurs et complices
-des faussets qui se trouvaient, tant
-dans l'original que dans l'extrait de la procdure;
-et sur cette plainte, la cour ordonna
-que l'original de la dite procdure serait apport
- son greffe.</p>
-
-<p>Une nouvelle procdure fut entame; la
-contumace des deux Laguens fut soigneusement
-instruite, et il fut ordonn qu'il serait
-procd extraordinairement contre les accuss,
-contumaces et autres. M. de Rigaud,
-<span class="pagenum"><a id="Page_339">339</a></span>
-dont le zle tait infatigable, retourna Monrejeau,
-encore ses frais, pour une continuation
-d'information, pour le rcolement et la
-confrontation des tmoins. Mais le 18 octobre,
-le juge Barre ayant disparu, son vasion empchait
-de consommer la procdure.</p>
-
-<p>Le rle de Catherine Estins avait bien
-chang. Grce la persvrante gnrosit de
-M. de Rigaud, d'accuse qu'elle tait d'abord,
-elle tait devenue accusatrice; et demandait
-que ses ennemis fussent condamns envers
-elle, en cinquante mille livres de dommages-intrts.
-Justice complte lui fut rendue; son
-innocence fut solennellement proclame. Par
-arrt du parlement de Toulouse, les deux
-Laguens, pre et fils, contumaces, furent condamns
- dix ans de galres; et le juge Barre,
-ainsi que le greffier Pourth, dix ans de
-bannissement, et quatre mille livres de dommages-intrts
-envers l'accuse. Si la justice
-eut pu mettre la main sur les condamns
-contumaces, il est prsumer que, remontant
-alors aux premiers instigateurs de cette
-&oelig;uvre tnbreuse, elle et atteint et stigmatis
-le cur de Cazaux, et sa digne complice
-la martre de Catherine Estins.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_340">340</a></span></p>
-
-<h2>LA FILLE SALMON,<br />
-<span class="large">DCLARE INNOCENTE, APRS AVOIR T CONDAMNE<br />
-DEUX FOIS A TRE BRULE VIVE.</span></h2>
-
-<p>Ce procs intressant, et qui, par la nature
-des faits aussi bien que par son jugement dfinitif,
-fait poque dans nos annales judiciaires,
-est une nouvelle preuve des erreurs fatales dans
-lesquelles peuvent tomber des juges aveugls
-par la prvention. Ce ne sera pas sans le plus
-grand tonnement que les lecteurs verront la
-justice svir avec acharnement contre une fille
-innocente, tandis qu'il tait si facile de mettre
-la main sur les vrais coupables; ce ne sera pas
-non plus sans plaisir qu'ils verront le parlement
-de Paris, par un arrt quitable, arracher
-la victime aux flammes prtes la dvorer.
-Le simple expos des faits suffira pour
-mettre dans tout son jour l'innocence de cette
-malheureuse fille, et pour indiquer les auteurs
-du crime qu'on lui imputait.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_341">341</a></span>
-Marie-Franoise-Victoire Salmon, fille d'un
-simple journalier de la paroisse de Mautis,
-en Basse-Normandie, se mit en service l'ge
-de quinze ans dans le voisinage du lieu de sa
-naissance. En 1780, tant alors ge de vingt
-ans, elle entra comme servante chez les sieur
-et dame Dumesnil, paroisse de Formigny.
-Ce fut dans cette maison qu'elle eut occasion
-de connatre le sieur Revel de Breteville, procureur
-du roi au bailliage de Caen. La fille
-Salmon avait de la fracheur, une physionomie
-intressante; le sieur Revel lui tmoigna de la
-bienveillance, et la pressa vivement de quitter
-la campagne pour venir Caen chercher un
-service plus avantageux. On ignore quels motifs
-de plainte la fille Salmon put donner depuis
-au sieur Revel. Quoi qu'il en soit, on le
-verra bientt devenir le plus ardent perscuteur
-de son ancienne protge.</p>
-
-<p>La fille Salmon, aprs avoir essay sans
-succs de se livrer au mtier de couturire
-dans la ville de Bayeux, se vit force de redevenir
-servante. Elle songea alors se rendre
- Caen pour s'y placer avantageusement. Elle
-arriva dans cette ville le 1<sup>er</sup> aot 1781. Son
-premier soin fut de s'enqurir des maisons o
-<span class="pagenum"><a id="Page_342">342</a></span>
-elle pouvait se prsenter comme domestique.
-Le hasard, hasard bien malheureux sans doute,
-l'adressa une dame Huet Duparc, qui, sur
-le tmoignage favorable de son extrieur, l'accepta,
-pour entrer chez elle, le mme jour
-1<sup>er</sup> aot, raison de cinquante livres de gages.
-Dans l'aprs-dne, la fille Salmon apporta son
-petit paquet la maison, et, ds le soir mme,
-elle commena son service.</p>
-
-<p>Cette maison tait compose de sept matres:
-les sieur et dame Duparc; deux fils, l'un
-g de vingt-un ans et l'autre de onze; leur
-s&oelig;ur, ge de dix-sept ans; et enfin les sieur
-et dame de Beaulieu, pre et mre de la dame
-Duparc, tous deux plus qu'octognaires.</p>
-
-<p>Dans la soire, la dame Duparc mit sa nouvelle
-domestique au courant du service de sa
-maison. Elle devait tous les matins se pourvoir
-de deux liards de lait pour faire une
-bouillie au sieur de Beaulieu, et la tenir prte
-pour sept heures prcises. Aussitt aprs, il
-fallait donner le bras la vieille femme Beaulieu,
-et la conduire la messe. Puis c'taient
-les achats, commissions et approvisionnemens
-de la maison, et tous les dtails du mnage.
-Mais la dame Duparc lui fit observer que,
-<span class="pagenum"><a id="Page_343">343</a></span>
-pour la plupart de ces objets, elle et sa fille
-lui prteraient la main.</p>
-
-<p>Le lendemain, 2 aot, la dame Duparc apprit
- la fille Salmon prparer la bouillie de
-son pre, <i>dans laquelle il n'tait pas ncessaire
-de mettre du sel</i>.</p>
-
-<p>Les jours suivans, la fille Salmon remplit
-son service la satisfaction de sa matresse.
-Le dimanche 5, o il est d'usage de faire un
-peu de toilette, elle quitta la paire de poches
-qu'elle avait porte toute la semaine, fond
-bleu, ray blanc et jaune, et en prit une autre
-plus frache, raye bleu et blanc. Elle suspendit
-la paire qu'elle venait de quitter au
-dossier d'une chaise dans le petit cabinet o
-elle couchait, au rez-de-chausse, prs de la
-salle manger, et qui tait ouvert toutes
-les personnes de la maison.</p>
-
-<p>Le lundi 6, la fille Salmon ayant t chercher
-du lait, et n'ayant pas trouv le laitier,
-se disposait y retourner, lorsque la dame
-Duparc lui dit de ne pas se dranger, parce
-qu'on lui en apporterait. Effectivement, le
-lait lui fut apport, et pour cette fois, contre
-l'usage, ce ne fut pas elle qui fit la provision
-de lait.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_344">344</a></span>
-Aprs avoir nettoy le polon, elle reut
-de la main de sa matresse le pot de terre qui
-contenait la farine. Ensuite ayant jet de
-l'eau sur la farine, elle la dlaya, en prsence
-et sous les yeux de la dame Duparc, de sa
-fille et de son jeune fils, qui avaient l'habitude
-d'assister cette prparation. Une particularit
-assez trange, c'est que la fille Salmon
-tenant le polon sur le feu, la dame Duparc
-lui demanda tout--coup si elle avait mis
-du sel dans la bouillie. Non, madame, rpondit-elle,
-vous savez bien que vous m'avez
-prvenue de n'en pas mettre. Sur cette rponse,
-la dame Duparc lui prend le polon
-des mains, va au buffet, porte la main dans
-une des quatre salires qui s'y trouvaient, et
-remuant les doigts, parpille sur la bouillie
-le sel ou toute autre substance qu'elle prenait
-pour du sel. Mais ce qu'il y a de certain,
-c'est que ce fut la dame Duparc qui saupoudra
-la bouillie.</p>
-
-<p>La bouillie faite, la fille Salmon la versa
-sur une assiette que la dame Duparc tenait
-toute prte, et qu'elle plaa prs du vieillard
-assis devant la table.</p>
-
-<p>La fille Salmon alla ensuite conduire la
-<span class="pagenum"><a id="Page_345">345</a></span>
-dame Beaulieu la messe. Puis la dame Duparc
-lui donna des commissions qui devaient
-l'occuper une partie de la matine, de sorte
-qu'elle ne rentra la maison que vers onze
-heures et demie. A son retour, on lui apprit
-que le sieur Beaulieu avait t attaqu d'une
-horrible colique et de vomissemens, sur les
-neuf heures du matin. On lui ordonna de
-mettre ce vieillard au lit, ce qu'elle fit aussitt.
-La dame Duparc la chargea de veiller
-tous les besoins du malade.</p>
-
-<p>Cependant l'tat du sieur Beaulieu empirait
-visiblement. On fit venir un garon apothicaire,
-qui lui appliqua des vsicatoires,
-remde bien impuissant pour le mal qui le
-dvorait. Le vieillard expira vers cinq heures
-et demie du soir, au milieu de crises affreuses.</p>
-
-<p>On ne peut s'empcher de remarquer,
-comme une circonstance digne d'attention,
-l'indiffrence et la tranquillit de la dame
-Duparc et de ses enfans, l'aspect d'une catastrophe
-aussi effrayante. On ne fit aucune
-recherche, aucune perquisition; on sembla
-mme craindre d'appeler l'attention sur le cas
-d'empoisonnement. En prsence des dchiremens,
-des convulsions du vieillard, on n'eut
-<span class="pagenum"><a id="Page_346">346</a></span>
-pas mme l'ide du contre-poison; on n'appela
-d'autre homme de l'art qu'un garon
-apothicaire.</p>
-
-<p>Aussitt que la dame Duparc s'aperut que
-son pre touchait sa fin, elle fit monter son
-fils an cheval, et le pressa de partir sous
-prtexte d'aller avertir de l'vnement son
-mari qui tait absent. Ce qu'il y a de surprenant
-dans ce dpart subit, au milieu de semblables
-circonstances, c'est que ce jeune
-homme ne reparut pas, et que, pendant
-toute l'instruction du procs, sa destine demeura
-un mystre impntrable.</p>
-
-<p>Aprs le dcs du sieur de Beaulieu, la
-dame Duparc fit venir une garde pour ensevelir
-et veiller le corps. La fille Salmon se
-joignit cette femme pour passer la nuit.
-Tout fut tranquille dans la maison, comme
-s'il n'y tait rien arriv d'extraordinaire. Le
-lendemain, vers les sept heures du matin,
-la fille Salmon se disposait vaquer quelques
-soins du mnage. La dame Duparc lui reprocha
-avec aigreur d'tre une bien mauvaise
-mnagre, de garder depuis le dimanche de
-bonnes poches, tandis qu'elle en avait d'autres.
-Il faut avouer que sa sollicitude pour les
-<span class="pagenum"><a id="Page_347">347</a></span>
-poches de sa servante tait bien trange
-dans un pareil moment. Quoiqu'il en soit,
-la malheureuse fille, sur la reprsentation de
-sa matresse, alla dans son cabinet, quitta
-ses poches neuves, et reprit ses vieilles qui
-taient suspendues au dossier de la chaise.
-Sans soupons comme sans inquitude, elle
-avait dj commenc le service journalier;
-mais tourmente par le sommeil, elle paraissait
-avoir besoin de repos. La dame Duparc
-et sa fille, qui s'en aperurent, se chargrent
-des dtails relatifs au dner, mirent le pot-au-feu,
-le salrent, y jetrent les lgumes, tremprent
-la soupe. Sur ces entrefaites, le matre
-de la maison, le sieur Duparc, arriva de la
-campagne. Les soins que rclamait son cheval
-dtournrent totalement la fille Salmon
-des apprts du dner.</p>
-
-<p>Le couvert fut mis dans le salon pour sept
-personnes, et l'on se mit table une heure.
-Outre les personnes de la maison, il y avait la
-dame Beauguillot, s&oelig;ur de la dame Duparc,
-et son fils. La dame de la maison servit la
-soupe tous les convives. Au moment o la
-fille Salmon venait pour changer les assiettes
- soupe, le jeune Duparc prtendit avoir senti
-<span class="pagenum"><a id="Page_348">348</a></span>
-quelque chose de dur craquer sous ses dents;
-la dame Duparc en dit autant; mais ce propos
-n'eut pas de suite. On continua le dner.
-La compagnie resta table trs-tranquillement
-jusqu' deux heures et demie. La fille Salmon
-tait dans sa cuisine; elle venait d'achever
-son dner, quand tout--coup elle vit arriver
-le jeune Duparc, et successivement les six autres
-personnes de la compagnie, dont quelques-unes
-se plaignaient de maux d'estomac.
-La dame Duparc la premire, en entrant dans
-la cuisine, s'cria: Ah! nous sommes tous
-empoisonns, on sent ici l'odeur d'arsenic
-brl. Cette exclamation tait assez surprenante,
-en ce qu'elle supposait chez la
-dame Duparc des connaissances trangres
-son tat. C'tait une premire tentative pour
-appeler les soupons sur la pauvre servante;
-c'tait prparer de loin l'explication de l'arsenic
-qui devait tre trouv dans le corps du
-sieur de Beaulieu, et dans les poches de la
-fille Salmon. La dame Duparc voulait faire
-penser que la servante avait jet au feu les
-restes de la soupe empoisonne. Cette prcaution
-tait cependant peu combine, puisque
-la soupe des matres avait t compltement
-<span class="pagenum"><a id="Page_349">349</a></span>
-consomme sur leur table, et que le reste du
-bouillon avait t vid sur l'assiette du jeune
-Duparc.</p>
-
-<p>Aussitt que la dame Duparc eut fait natre
-le soupon d'empoisonnement, on courut vite
-chercher le sieur Thierri, apothicaire, pour
-porter des secours aux personnes empoisonnes,
-cependant toutes ces personnes avaient
-achev de dner, sans que l'action si prompte
-de l'arsenic leur et fait sentir la moindre
-atteinte, sans que l'on et remarqu aucun
-de ces accidens qui suivent immdiatement
-l'introduction de ce violent corrosif dans l'estomac.
-On interpelle la fille Salmon; elle rpond
-qu'elle ne connat rien tout cela.</p>
-
-<p>Cependant le bruit se rpand bientt dans
-toute la ville que sept personnes de la maison
-Duparc viennent d'tre empoisonnes par
-la domestique qui, dj, avait empoisonn la
-veille, le vieillard Beaulieu. Ainsi, comme
-on le voit, l'empoisonnement du 7 servait
-expliquer celui du 6. La dame Duparc, fidle
-au plan qu'elle s'tait trac, ameute tout le
-quartier, introduit dans sa maison une foule
-de gens de toute espce, va partout criant
-l'empoisonnement, l'arsenic. Il se forme en
-<span class="pagenum"><a id="Page_350">350</a></span>
-un instant un attroupement autour de la maison;
-une multitude de personnes attires par
-la curiosit, ou prvenues par la dame Duparc,
-assigent la fille Salmon de questions
-outrageantes.</p>
-
-<p>La servante, ainsi que nous l'avons dit,
-tait accable de sommeil par suite de la fatigue
-de la nuit; cette scne pouvantable
-acheva d'puiser ses forces. Elle alla se jeter
-sur un lit dont les draps n'taient pas encore
-mis, et s'y enveloppa dans la couverture.
-Pendant qu'elle prenait un peu de repos, la
-dame Duparc continuait son mange, montant
-toutes les ttes fminines du voisinage,
-au sujet de l'vnement dont toute sa famille,
-disait-elle, avait failli tre la victime. Aussitt
-il se fait une invasion tumultueuse de toutes
-ces femmes, dans l'endroit o la fille Salmon,
-s'tait rfugie pour reposer. On s'empare
-d'elle, on la surcharge de questions, de reproches
-et de remontrances. Arrive le sieur
-Hbert, chirurgien, ami de la maison, qui
-dclare qu'il faut que cette fille laisse visiter
-ses poches. Marie Salmon, bien loigne de
-craindre que cette visite puisse lui causer
-le moindre prjudice, dtache aussitt elle-mme
-<span class="pagenum"><a id="Page_351">351</a></span>
-les cordons de ses poches, et les livre
-pour qu'on en fasse la perquisition. Ce chirurgien,
-dans sa dposition, dclara que dans
-une des deux poches, il avait ramass avec la
-main diffrentes miettes de pain parsemes
-d'une matire blanche et luisante de diffrentes
-grosseur et grandeur. Le sieur Hbert
-emporta cette matire, et la montra diffrentes
-personnes; cette matire passa mme
-dans plusieurs mains, et n'arriva dans celles
-de la justice que sept jours aprs le prtendu
-empoisonnement.</p>
-
-<p>Un sieur Friley, se disant avocat au bailliage
-de Caen, se prsente chez la dame Duparc,
-qui lui fait un rcit trs minutieux de
-l'vnement. Le sieur Friley ne doute pas un
-moment que la servante ne soit criminelle. Il
-sort pour la dnoncer au procureur du roi
-et au lieutenant criminel.</p>
-
-<p>La justice, prvenue, apporta dans cette
-affaire la ngligence la plus condamnable;
-il ne s'agissait que d'une pauvre servante:
-qu'importait un manque total de formalits?
-Le procureur du roi Caen tait le sieur Revel,
-dont nous avons dit un mot en commenant
-cet article. Par suite d'une srie de mesures
-<span class="pagenum"><a id="Page_352">352</a></span>
-irrgulires, la fille Salmon fut mise en
-prison sans avoir t entendue par ses dnonciateurs,
-ni par l'officier qui avait donn
-des ordres pour la prcipiter dans un cachot,
-aprs l'avoir bassement trompe sur le lieu
-o on la conduisait.</p>
-
-<p>Le 8 aot, on procda l'autopsie du cadavre
-du sieur de Beaulieu, la requte du
-procureur du roi. La conclusion du rapport
-des chirurgiens fut que le sieur de Beaulieu
-avait t empoisonn, et que le poison tait
-la cause de sa mort.</p>
-
-<p>On commence incontinent l'instruction;
-on reoit complaisamment les dpositions de
-tous les membres de la famille Duparc; on
-fait jouer un grand rle la matire blanche
-et luisante, mle aux miettes de pain trouves
-dans les poches de la fille Salmon.</p>
-
-<p>Ds le dbut de l'instruction, une rclamation
-universelle s'tait leve au sujet de l'invraisemblance
-de l'accusation dirige contre
-la servante. Le dfaut d'intrt commettre
-un aussi grand crime frappait tout le monde.
-Une fille de vingt-un ans qui, ds son entre
-dans une maison, conoit l'affreux projet
-d'empoisonner ses huit matres, qui excute
-<span class="pagenum"><a id="Page_353">353</a></span>
-ce projet, le cinquime jour, sans qu'il en
-rsulte pour elle le moindre avantage, et pour
-le plaisir seulement de commettre un forfait
-abominable, serait un phnomne hors de la
-porte de la raison humaine.</p>
-
-<p>Si, absolument, l'on voulait trouver un
-coupable, pourquoi s'attacher la servante,
-qui tait de toutes les personnes de la maison
-celle que l'on devait souponner le moins;
-puisque plusieurs circonstances auraient d
-appeler d'un autre ct les regards de la justice?</p>
-
-<p>Le bruit courait qu'une personne de la famille
-Duparc avait, quelques jours auparavant,
-achet de l'arsenic. Cette rumeur mritait
-bien, ce semble, quelque attention de la
-part des magistrats. Et la disparition du fils
-an ne signifiait-elle rien dans un moment
-o cette absence devait tre l'objet de la curiosit
-publique?</p>
-
-<p>Pour faire tomber tous ces bruits favorables
- l'innocence de la fille Salmon, on rsolut
-d'avilir cette infortune aux yeux du
-public. On l'accusa donc de vol domestique.
-Nouvelles man&oelig;uvres, nouveaux mensonges,
-nouvelles calomnies pour appuyer cette accusation;
-<span class="pagenum"><a id="Page_354">354</a></span>
-nouvelle complaisance de la part du
-ministre public pour la constater. Le procureur
-du roi requiert l'autorisation de faire informer
-par addition, et parle, dans son rquisitoire,
-de l'empoisonnement et du vol comme
-de dlits bien tablis contre la fille Salmon.
-On interrogea les premiers tmoins, on en
-entendit de nouveaux; plusieurs parurent ne
-parler que sous l'influence du procureur du
-roi. Dans tous les interrogatoires, la fille Salmon
-releva vigoureusement les objections captieuses
-et frivoles de son juge: quelquefois
-elle claircissait d'un seul mot ce qui avait
-t obscurci par de misrables quivoques ou
-de grossiers sophismes. Dans les confrontations,
-elle confondit les tmoins, les mit en
-contradiction entre eux et avec eux-mmes;
-elle articula des faits positifs qui entranaient
-sa justification; et les tmoins, sans oser nier
-ces faits, se bornaient persister dans leurs
-dpositions. Mais malgr ce triomphe, la fille
-Salmon n'en tait pas moins sur le point d'tre
-condamne par ses juges.</p>
-
-<p>Le 18 avril 1782, le tribunal rendit une
-sentence dfinitive absolument conforme aux
-conclusions du procureur du roi Revel. Cette
-<span class="pagenum"><a id="Page_355">355</a></span>
-sentence condamnait l'accuse tre brle
-vive, comme empoisonneuse et voleuse domestique.
-L'infortune interjeta appel de cet
-arrt inique, et fut transfre dans les prisons
-de Rouen, pour y attendre son second jugement;
-et le 17 mai 1782, on lui annona que
-la sentence de Caen venait d'tre confirme
-par arrt du mme jour.</p>
-
-<p>Se voyant ainsi victime de la justice humaine,
-la malheureuse condamne appela
-grands cris la justice divine. Plusieurs ecclsiastiques,
-venus dans la prison pour visiter les
-prisonniers, furent touchs de ses sanglots et
-de ses gmissemens. Ceux-ci ne reconnaissaient
-pas, dans les accens de la fille Salmon,
-le langage ordinaire des coupables. Ils demeurrent
-convaincus de son innocence. Mais dans
-l'instant que cette infortune croyait trouver
-un appui salutaire dans le crdit de ces personnes
-charitables, elle fut arrache de leurs
-mains pour tre conduite au lieu de l'excution.</p>
-
-<p>La fille Salmon arriva Caen, le 26 mai.
-Dj le jour de l'excution tait fix; le lieu
-destin au supplice avait reu les funestes apprts;
-la chambre de la question allait s'ouvrir
-<span class="pagenum"><a id="Page_356">356</a></span>
-pour retentir des gmissemens et des
-cris de la malheureuse Salmon; l'excuteur
-attendait la victime..... Tout est arrt par
-une dclaration de grossesse. On pense bien
-que ce n'tait qu'une ressource extrme suggre
- l'infortune par sa dplorable situation.</p>
-
-<p>Mais ce stratagme n'avait fait que retarder
-le moment du supplice. Au 29 juillet devaient
-recommencer, sans espoir de remise,
-les mmes apprts, les mmes angoisses, les
-mmes dchiremens..... Qui pourra retarder
-alors l'heure de la mort, d'une mort sans consolation,
-de la mort des sclrats?</p>
-
-<p>La Providence, par le ministre de quelques
-personnes amies de l'innocence, fit parvenir
-jusqu'au trne la nouvelle qu'une pauvre
-servante avait t condamne, cinquante
-lieues de la capitale, aux tourmens les plus
-affreux, pour un crime invraisemblable. Aussitt
-le monarque fit expdier de Versailles
-l'ordre de surseoir l'excution.</p>
-
-<p>Cet ordre n'arriva Rouen que le 26 juillet.
-Trois jours plus tard, et la malheureuse
-condamne qui tait l'objet de cet ordre souverain,
-n'aurait plus t que de vaines cendres
-<span class="pagenum"><a id="Page_357">357</a></span>
-disperses dans les airs. Pour peu qu'il y et
-eu de lenteur dans les formalits, c'en tait
-fait de la fille Salmon. La dpche arriva le dimanche
-28 Caen, et le procureur du roi en
-cette ville, le sieur Revel, ne l'ouvrit que le
-29..... L'ordre de l'excution tait dj donn;
-dj l'on dressait le bcher fatal; l'ordre du
-roi arracha encore une fois la victime aux
-flammes de la justice.</p>
-
-<p>Le roi ordonna l'apport du procs au greffe
-de son conseil. La simple inspection des pices
-en apprit plus que tout ce qu'on avait pu
-croire. Le 18 mai 1784, aprs l'examen le
-plus approfondi, le conseil dcida, d'une voix
-unanime, qu'il y avait lieu rvision, et par
-arrt du 24 du mme mois, la rvision de ce
-procs fut renvoye au parlement de Rouen.</p>
-
-<p>Cette cour n'eut pas plus tt jet de nouveau
-les yeux sur cette affaire, qu'elle aperut
-le tissu d'infidlits, de mensonges et de prvarications
-qui avaient chapp son premier
-examen. A la vue d'une procdure aussi monstrueuse,
-le procureur-gnral ne put contenir
-son indignation: il dnona ce procs
-comme un ensemble de ngligences, de contradictions
-et d'iniquits. Ce rquisitoire porta
-<span class="pagenum"><a id="Page_358">358</a></span>
-l'alarme et la consternation au bailliage de
-Caen. Les officiers de ce sige qui avaient condamn
-la fille Salmon, adressrent une rclamation
-au parlement de Rouen, en lui reprsentant
-que l'arrt confirmatif de la sentence
-renfermait la justification de la procdure, et
-que le parlement ne pouvait porter un jugement
-diffrent sans se dshonorer aux yeux
-de la nation.</p>
-
-<p>Le parlement n'eut garde d'adopter la doctrine
-des rclamans; mais il crut devoir prendre
-un parti mitoyen, et rendit, le 12 mars
-1785, un arrt qui annulait la sentence de
-Caen, et ordonnait contre la fille Salmon un
-plus ample inform pendant lequel elle garderait
-prison.</p>
-
-<p>Cet arrt tenait toujours le glaive de la justice
-lev sur la tte de l'accuse. Innocente,
-elle voulut une rparation complte et la jouissance
-de sa libert. Elle recourut de nouveau
- la justice du monarque, et ne la sollicita pas
-en vain. Le 20 octobre 1785, le conseil attribua
-au parlement de Paris la connaissance de
-cette malheureuse affaire. L devait tre le
-terme de tous les malheurs de la fille Salmon.</p>
-
-<p>Fournel, l'un des avocats les plus distingus
-<span class="pagenum"><a id="Page_359">359</a></span>
-du parlement de Paris, se chargea de sa dfense,
-et le fit avec autant de zle que de talent.
-Il mit en relief toutes les suppositions,
-les probabilits, les absurdits qui avaient servi
-de base au procs, discuta la question de l'empoisonnement
-sous toutes ses faces, en fit ressortir
-tout le ridicule et toute l'iniquit; en
-un mot, rduisit toute l'accusation au nant.</p>
-
-<p>Le 23 mai 1786, le parlement de Paris rendit
-un arrt par lequel la fille Salmon fut dcharge
-de toute accusation et rserve poursuivre
-ses dnonciateurs en dommages-intrts.
-Mais elle fut mise hors de cour sur la demande
-de prise partie; et il y a lieu de croire qu'on
-ne lui refusa cette satisfaction que par gard
-pour la magistrature, qui, cette poque,
-avait dj prouv les attaques les plus funestes.</p>
-
-<p>Tout Paris reut cet arrt avec la joie la plus
-vive; depuis long-temps la fille Salmon tait
-absoute dans tous les c&oelig;urs. Chacun voulait
-la voir, comme pour la fliciter tacitement de
-l'heureuse issue de cette affaire tnbreuse.
-On se pressait en foule sur ses pas; lorsqu'elle
-devait aller dans quelque spectacle, sa prsence
-tait annonce par les affiches. Elle reut
-<span class="pagenum"><a id="Page_360">360</a></span>
-des secours qui lui auraient procur une
-honnte aisance, si son premier dfenseur,
-nomm Lecauchois, n'avait eu l'affreuse indlicatesse
-de lui en extorquer une partie.</p>
-
-<p>Depuis l'poque de sa rhabilitation, elle
-se maria Paris: on lui accorda un bureau
-de distribution de papier timbr, et elle remplit
-tous ses devoirs de manire justifier l'intrt
-que toute la France avait pris son sort.</p>
-
-<p>Elle avait bien mrit d'tre heureuse le
-reste de sa vie. Aprs avoir chapp deux fois
-aux flammes d'un bcher infamant, aprs
-avoir pass cinq annes entires dans les cachots,
-sous le coup d'une condamnation inique,
-en proie aux angoisses de l'incertitude,
-aux tortures de l'attente, il fallait qu'elle et,
-dans cette vie, une sorte de compensation.
-C'tait une dette sacre que la juste Providence
-se chargea d'acquitter.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_361">361</a></span></p>
-
-<h2>L'INTRIGANTE,<br />
-<span class="large">OU L'AFFAIRE DU COLLIER.</span></h2>
-
-<p>La clbrit de ce procs, le rang illustre
-des principaux personnages qui y figurrent,
-l'audace et l'habilet des man&oelig;uvres qui y
-donnrent lieu, les nuages que la calomnie
-se plut rpandre ce sujet sur la conduite
-d'une reine infortune, les injustes prjugs
-qui tiennent encore cet gard la place de
-la vrit, nous font un devoir de narrer sommairement,
-mais avec le plus de sincrit possible,
-les dtails les plus remarquables de cet
-vnement qui, bien que comique dans quelques
-scnes, ne laisse pas d'avoir produit de
-tristes consquences, et par le scandale qu'il
-causa, et par le voile mystrieux dont l'avait
-envelopp le gnie de l'intrigue.</p>
-
-<p>Au mois de septembre 1781, M. le cardinal
-de Rohan vit pour la premire fois Jeanne de
-<span class="pagenum"><a id="Page_362">362</a></span>
-Valois, de Saint-Remi de Luze, pouse du
-sieur de Lamotte. Cette femme fut prsente
-au prlat par la dame de Boulainvilliers.</p>
-
-<p>Madame de Lamotte sut inspirer de l'intrt
-au cardinal par le tableau de la misre dans
-laquelle elle tait plonge et par la confidence
-de son illustre origine. Elle en obtint des secours
- diverses poques; et mme il eut la
-gnrosit de la cautionner pour des sommes
-assez considrables. Les dpenses auxquelles
-elle se livrait n'tait point en harmonie
-avec les ressources dont elle pouvait disposer.
-On ne lui connaissait que les bienfaits
-du cardinal et une pension de huit cents livres
-qui, vers la fin de 1783, fut porte quinze
-cents livres. Mais les besoins furent si pressans
-au mois d'avril 1784, que madame de
-Lamotte sollicita et obtint, comme une grce,
-la permission d'aliner sa pension et celle de
-son frre. Elle reut six mille livres pour la
-premire qui tait de quinze cents livres, et
-trois mille pour la seconde qui tait de huit
-cents livres seulement.</p>
-
-<p>Ces faibles ressources tant puises, elle
-conut les plans les plus vastes pour amliorer
-son sort. D'abord, elle mit tout en &oelig;uvre
-<span class="pagenum"><a id="Page_363">363</a></span>
-pour faire croire dans le monde qu'elle jouissait
-du plus grand crdit la cour, et, par ce
-moyen fit une foule de dupes qui lui payaient
-ses services futurs, et qu'elle repaissait de chimriques
-esprances. Elle ne craignait pas de
-compromettre le nom de la reine dans toutes
-ses spculations d'intrigue. Elle rpandait partout,
-avec une sorte de mystre, que cette
-princesse, touche de ses infortunes, lui avait
-ouvert accs auprs de sa personne; qu'elle
-la recevait en secret, qu'elle l'honorait des
-marques de sa bont; qu'elle allait bientt lui
-faire restituer des terres du chef de sa famille,
-et qu'elle mettait sa disposition toutes les
-faveurs, toutes les grces. La consquence
-oblige de ces artificieuses vanteries tait
-d'aller partout offrant et vendant son crdit;
- l'entendre, elle ne dsirait rien tant que se
-rendre utile aux malheureux. Pour inspirer
-plus de confiance en ses paroles, elle osait
-montrer mystrieusement des lettres son
-adresse; elle en faisait remarquer, en commentait
-les expressions. Ainsi, pour accrditer
-ses impostures, elle commettait des faux.</p>
-
-<p>Le cardinal de Rohan y fut tromp comme
-tant d'autres. Madame de Lamotte savait qu'il
-<span class="pagenum"><a id="Page_364">364</a></span>
-tait en disgrce, et que cette dfaveur lui
-pesait beaucoup; elle s'engagea ngocier sa
-paix avec la souveraine; et comme le prlat
-paraissait douter qu'elle jout d'un crdit aussi
-tendu; comme il refusait d'y croire, elle
-lui prsenta de fausses lettres, dont l'effet
-tait d'autant plus certain qu'elle savait qu'il
-ne connaissait pas assez l'criture de la reine
-pour en faire la comparaison. A la vue de
-ces lettres, le cardinal fut branl; il tait
-loin de souponner l'ingratitude et l'imposture
-de madame de Lamotte. Mais enfin les
-dlais qu'elle mettait l'excution de ses
-promesses, ayant fait renatre des doutes dans
-l'esprit du cardinal, elle conut une trame
-dont les fils se croisaient d'une manire si
-complique, qu'il tait impossible de ne pas
-s'y laisser prendre.</p>
-
-<p>La reine se promenait quelquefois, pendant
-les belles soires d't, dans les jardins
-de Versailles, suivie de plusieurs personnes
-de sa maison. <i>Trouvez-vous dans les jardins</i>,
-dit la dame de Lamotte au cardinal de Rohan,
-<i>quelque jour peut-tre? Vous aurez le
-bonheur d'entendre la reine elle-mme confirmer
-de sa bouche la consolante rvolution
-<span class="pagenum"><a id="Page_365">365</a></span>
-que j'entrevois pour vous</i>. Le cardinal, m
-plutt par le dsir de rentrer en grce que
-par l'espoir de russir, gota l'avis de madame
-de Lamotte, et commena ses promenades
-nocturnes dans les jardins de la cour. Un
-soir, vers le commencement du mois d'aot
-1784, onze heures, la dame de Lamotte
-vient lui, et lui dit avec mystre: <i>La reine
-permet que vous approchiez d'elle</i>. Il l'coute
-avec ravissement; il s'avance vers une personne
-dont la tte tait enveloppe d'une
-coiffe, et que, dans sa fausse persuasion, il
-croit tre la reine. La dame mystrieuse se
-tourne vers lui, et il est enchant d'entendre
-ces paroles: <i>Vous pouvez esprer que le
-pass sera oubli</i>. A peine elles sont prononces,
-qu'une voix annonce <span class="smcap">Madame</span> et madame
-la comtesse d'Artois. Le cardinal se retire en
-exprimant sa profonde et respectueuse reconnaissance,
-rejoint la dame de Lamotte, et
-sort des jardins avec elle, pntr de satisfaction
-et aveugl sans retour. Ds ce moment,
-il est sduit, fascin, enivr; dornavant
-il croira tout, excutera tout, n'hsitera
-sur rien; il est persuad que la reine vient
-de lui parler, que madame de Lamotte est
-<span class="pagenum"><a id="Page_366">366</a></span>
-sa confidente; il est prt excuter tous les
-ordres qui lui seront transmis de la part de
-sa souveraine.</p>
-
-<p>Madame de Lamotte ne tarda pas exploiter
-la situation d'esprit o le cardinal se
-trouvait par suite de son mange. Dans le
-courant du mme mois, elle imagina de demander
-un prompt secours de soixante mille
-livres pour des infortuns qui elle savait,
-disait-elle, que la reine s'intressait; et le
-baron de Planta lui apporta cette somme de
-la part du cardinal. En novembre, elle fit
-demander cent mille livres pour une mme
-destination; et le cardinal de Rohan, qui tait
-alors Saverne, envoya de suite des ordres
-pour qu'on les lui comptt.</p>
-
-<p>Tout--coup la dame de Lamotte, qui jusque
-l avait t plonge dans la plus profonde
-dtresse, achte de l'argenterie, des
-bracelets, des brillans. D'un autre ct, son
-mari fait l'acquisition d'une voiture, de chevaux,
-prend trois nouveaux domestiques,
-les emmne Bar-sur-Aube, et y fait btir
-une maison de dix-huit vingt mille livres.</p>
-
-<p>Enhardie par le succs de ses deux premires
-demandes, madame de Lamotte entreprit
-<span class="pagenum"><a id="Page_367">367</a></span>
-une man&oelig;uvre plus importante. Elle
-tait assure que rien n'entraverait ses projets.
-Mais des vnemens imprvus pouvaient
-survenir et dessiller les yeux; il fallait donc
-profiter des instans. Elle pensa un fameux
-collier qui tait depuis quelque temps entre
-les mains des joailliers de la couronne, et
-conut le projet de le faire passer dans les
-siennes.</p>
-
-<p>Vers la fin du mois de dcembre, le sieur
-Hachette se rencontre avec les sieurs Bohmer
-et Bassange, joailliers de la couronne; il
-leur parle de leur collier. Il se trouve qu'ils
-ne l'ont pas encore vendu, et qu'ils ont inutilement
-cherch s'en dfaire; ils dsirent
-trouver des protecteurs la cour qui puissent
-leur procurer la vente de ce bijou prcieux.
-Le sieur Hachette leur dit qu'il ne
-connat personne; mais son gendre, ajoute-t-il,
-M. de Laporte, avocat, a des liaisons avec
-une dame <i>honore des bonts de la reine</i>.</p>
-
-<p>Cette dame n'tait autre que madame de
-Lamotte. Les joailliers prient le sieur Hachette
-de les recommander une personne
-d'un aussi grand crdit. Celui-ci s'y prte
-volontiers; il dpute son gendre la dame
-<span class="pagenum"><a id="Page_368">368</a></span>
-de Lamotte. D'abord celle-ci feint d'hsiter;
-elle finit par demander qu'on lui apporte le
-collier. Les joailliers lui prsentent ce merveilleux
-joyau, le 29 dcembre 1784. Sans
-la rpugnance qu'elle prouve, leur dit-elle,
- se mler de ces sortes d'affaires, elle leur
-rendrait volontiers service. Pourtant, malgr
-cette formule de refus, elle leur laissa
-entrevoir quelques esprances.</p>
-
-<p>Un mois ne s'tait pas encore coul qu'elle
-fit mander les joailliers. C'tait le 21 janvier
-1785. Elle leur fit voir des esprances plus
-prochaines, leur annona que la reine dsirait
-acheter le collier, et qu'un grand seigneur
-serait charg de traiter cette ngociation
-<i>pour sa majest</i>. Elle les invita prendre
-avec ce grand seigneur toutes les prcautions
-possibles. M. de Laporte, qui le sut le lendemain,
-souponna qu'il s'agissait du cardinal
-de Rohan, et marqua la dame de Lamotte
-son tonnement. <i>Par mon crdit</i>, rpondit-elle,
-<i>il n'est plus dans la disgrce</i>.</p>
-
-<p>Le 24 janvier, les joailliers reurent
-sept heures du matin la visite des sieur et
-dame de Lamotte, qui venaient encore leur
-recommander de prendre leurs prcautions,
-<span class="pagenum"><a id="Page_369">369</a></span>
-et leur annoncer que le collier serait achet
-pour la reine, et que le ngociateur ne tarderait
-pas paratre.</p>
-
-<p>Pour dterminer le cardinal cette dmarche,
-la dame de Lamotte lui avait dit que
-la reine dsirait acheter ce collier et entendait
-rgler les conditions; et elle lui avait
-mme montr des lettres, de sorte qu'il ne
-vit l qu'une occasion prcieuse de manifester
- sa souveraine son respect et son
-dvouement.</p>
-
-<p>Le cardinal se rendit donc chez les joailliers.
-Ceux-ci, aprs lui avoir montr plusieurs
-bijoux, ne manqurent pas de lui prsenter
-la riche parure. Il en demanda le prix; ils
-rpondirent qu'elle avait t estime un million
-six cent mille livres. Il manifesta alors
-l'intention de traiter non pour lui-mme,
-mais pour une personne qu'il ne nomma pas,
-et il se retira. Quelques jours aprs, le cardinal
-leur montra des conditions crites de
-sa main. D'aprs ces conditions, le collier
-devait tre estim; les paiemens devaient tre
-effectus en deux ans, de six mois en six
-mois; on pourrait consentir des dlgations;
-<span class="pagenum"><a id="Page_370">370</a></span>
-et il fallait, en cas d'acceptation de la
-part de l'acqureur, que le collier ft apport
-le 1<sup>er</sup> fvrier au plus tard. Les joailliers
-acceptrent et signrent les conditions;
-et le cardinal sortit, sans avoir nomm personne.
-Il remit la dame de Lamotte cet
-crit revtu de l'acceptation des joailliers
-pour le faire passer sous les yeux de la reine.
-Deux jours aprs, elle le remit au cardinal,
-portant en marge l'approbation de chaque
-article, et sign <i>Marie-Antoinette de France</i>.</p>
-
-<p>Muni de ces approbations, il avertit les
-joailliers que le trait tait conclu, et ceux-ci
-s'empressrent de lui livrer le collier le 1<sup>er</sup> fvrier,
-suivant la convention. Il leur dclara
-alors que cette acquisition tait faite pour le
-compte de la reine, et leur crivit, le mme
-jour, que l'intention de sa majest tait que
-les intrts de ce qui serait d aprs le premier
-paiement, fin d'aot, courussent et leur
-fussent pays successivement avec les capitaux
-jusqu' parfaite libration.</p>
-
-<p>Ce collier passa bientt dans les mains de
-la dame de Lamotte. Le cardinal le lui porta
- Versailles. La reine attend, lui dit-elle,
-<span class="pagenum"><a id="Page_371">371</a></span>
-cela lui sera remis ce soir. Quelques instans
-aprs, parut un homme qui s'tait fait annoncer
-de la part de la reine. Le cardinal, par
-discrtion, se retira; l'homme remit un billet
- la dame de Lamotte. C'tait un ordre de remettre
-la bote au porteur. La dame de Lamotte le
-montra au cardinal; et l'on remit la bote
-l'homme, qui disparut. Le vol tait consomm.</p>
-
-<p>Le cardinal tait dans le ravissement; il
-avait charg un de ses gens d'aller le lendemain
- Versailles pour examiner la mise de la
-reine; mais dans son rapport le messager
-n'eut point lui parler du collier. Cependant
-plusieurs mois s'tant passs sans que la
-reine et port cette parure, le cardinal commenait
- s'en tonner; mais la dame de
-Lamotte avait toujours en rserve des ruses
-et des prtextes pour expliquer ces dlais.
-Enfin un jour de la fin de juin que le cardinal
-tait plus pressant sur les motifs que la
-reine pouvait avoir de diffrer ainsi de faire
-usage de son collier, elle lui dit sans hsiter:
-Je vais vous instruire du vritable motif;
-le collier doit tre estim si le prix d'un million
-six cent mille livres parat trop fort:
-telles sont les conventions crites. La reine
-<span class="pagenum"><a id="Page_372">372</a></span>
-trouve en effet que ce prix est excessif; il faut
-donc ou le diminuer ou faire l'estimation.
-Jusque l elle ne portera pas le collier.</p>
-
-<p>Le cardinal alla sur-le-champ en parler aux
-joailliers. Ceux-ci consentirent ne recevoir que
-un million quatre cent mille livres ou le prix
-de l'estimation, au choix de la reine. La dame
-de Lamotte, qui ce consentement fut transmis,
-montra quelques jours aprs au cardinal
-une lettre portant que la reine garderait le
-collier, et que, contente de la rduction, elle
-ferait payer aux joailliers sept cent mille livres,
-au lieu de quatre cent mille livres,
-l'poque de la premire chance. Le terme
-approchait. Les six mois expiraient le 31 juillet.
-Le cardinal se hta d'instruire les joailliers
-de la dernire dcision, et se plaignit,
-comme il l'avait dj fait plusieurs fois, de
-ce qu'ils avaient nglig de prsenter leurs
-trs-humbles remercmens la reine. Sur ce
-reproche un peu pressant, les joailliers adressrent
- la reine une lettre de remercment.</p>
-
-<p>Cependant, comme on doit bien le penser,
-le prcieux collier tait demeur entre les
-mains de madame de Lamotte. Elle s'en servit
-d'abord pour payer ses nombreux cranciers,
-<span class="pagenum"><a id="Page_373">373</a></span>
-puis, elle prit un train plus en harmonie avec
-sa nouvelle fortune. Mais pour subvenir
-toutes ces dpenses, elle se mit vendre le
-collier en dtail. Il fut prouv qu'elle vendit
-au sieur Regnier, vers cette poque, pour
-vingt-sept mille cinq cent quarante livres de
-diamans, et qu'elle lui en donna monter, pour
-elle, pour la valeur de quarante cinquante
-mille livres. En juin, elle lui en porta d'autres
-d'une valeur de seize mille livres. En
-mars, le sieur Pris, joaillier, lui en avait achet
-pour trente-six mille livres. Vers le commencement
-d'avril, le sieur de Lamotte sortit de
-Paris, passa en Angleterre, arriva Londres,
-s'y montra charg de diamans, et tonna tout
-le monde par son opulence. Des mensonges
-lui servirent expliquer cette richesse. Tantt
-c'tait la succession de madame sa mre qui
-portait tous ces diamans en pice d'estomac;
-tantt c'taient des prsens dont sa femme
-tait honore par la reine; tantt c'tait le
-prix du crdit dont elle jouissait la cour; et
-il n'tait venu vendre ces diamans en Angleterre
-que dans la crainte qu'en France la
-circulation du commerce n'en reportt quelques-uns
-dans la main de ceux qui les lui
-<span class="pagenum"><a id="Page_374">374</a></span>
-avaient donns. En tous lieux et tous propos
-le nom de la reine de France tait dans
-la bouche de cet homme. Il vendit pour plus
-de deux cent quarante mille livres de diamans,
-et en laissa pour soixante mille livres monter
-chez le sieur Gray, bijoutier Londres.</p>
-
-<p>La dame de Lamotte, de son ct, prparait
-tout le monde, Paris, au retour de son
-mari, en publiant qu'il avait fait des gains
-considrables dans les paris pour les courses.
-Lamotte revint au commencement de juin.
-Le banquier Perregaux lui paya une lettre de
-change de cent vingt-deux mille livres, tire
-de Londres. Il afficha le plus grand luxe; il
-rapporta des perles, des bijoux; il ramena
-chevaux, livre, quipage, bronzes, cristaux,
-statues; et l'crin de sa femme n'tait pas estim
-moins de cent mille livres.</p>
-
-<p>Nanmoins le dnoment approchait. On
-touchait l'poque fatale du premier paiement.
-La dame de Lamotte vint annoncer au
-cardinal que la reine avait dispos des sept
-cent mille livres destines aux joailliers pour
-le 31 juillet; que le paiement ne s'en ferait
-que le 1<sup>er</sup> octobre, mais que les intrts seraient
-acquitts. Ce retard tonne, contrarie
-<span class="pagenum"><a id="Page_375">375</a></span>
-le cardinal, mais il ne souponne point encore
-la fraude. Cependant il a occasion de voir de
-l'criture de la reine; elle ne ressemble nullement
- celle que lui a montre la dame de
-Lamotte. Il fait venir cette femme, lui fait
-part de ses craintes. Celle-ci, loin d'tre mue,
-jure que le collier est parvenu la reine.
-Comment pourriez-vous en douter? lui dit-elle;
-je dois vous remettre dans deux jours,
-de sa part, trente mille livres pour le paiement
-des intrts.</p>
-
-<p>En effet, elle apporte, au jour dit, la somme
-annonce; et le cardinal, qui tait persuad
-que cette femme n'avait rien, se trouve compltement
-rassur. La somme est remise aussitt
-aux joailliers, qui en donnent quittance
-sur le principal, au nom de la reine.</p>
-
-<p>La dame de Lamotte employa toute la souplesse,
-toute la duplicit de son esprit prolonger
-l'erreur du cardinal. Mais quand elle
-vit arriver le moment o l'orage ne pouvait
-manquer d'clater, entrevoyant les dangers
-qui la menaaient, elle fit une dernire dmarche
-qui devait tellement le compromettre,
-qu'on ne pt faire autrement que de le regarder
-comme le complice de ses fourberies. Elle se
-<span class="pagenum"><a id="Page_376">376</a></span>
-prsenta chez lui, disant qu'elle avait des ennemis,
-qu'elle courait risque d'tre arrte
-d'un jour l'autre, qu'elle le priait de lui
-donner un asile dans son htel. Le cardinal
-hsita quelque temps; il souponnait quelque
-affectation de la part de madame de Lamotte;
-mais la fin ne voyant qu'une bonne
-action faire, il accorda l'asile sollicit. Elle
-entra le 4 aot, avec son mari, dans un petit
-appartement de l'htel; il ne leur en fallait
-pas davantage; ils en sortirent le lendemain,
-et partirent le 6 pour Bar-sur-Aube. Ce qu'ils
-croyaient avoir le plus redouter, c'tait la
-poursuite du cardinal; cette dmarche qu'ils
-venaient de faire les en mettait l'abri; il tait
-pris dans le pige; lorsqu'il viendrait dcouvrir
-le vol, il ne lui resterait plus que deux
-ressources, payer et se taire. C'est ainsi que
-la fourberie la plus raffine avait combin
-son plan: voil comme ce plan fut renvers.</p>
-
-<p>Les joailliers, alarms des dlais qu'on leur
-imposait, prsentrent un mmoire au roi le
-12 aot, et un autre au ministre le 23; ils y
-racontaient les faits, et dclaraient qu'ayant
-vu, le 3, la dame de Lamotte, elle leur avait
-annonc que les approbations taient fausses,
-<span class="pagenum"><a id="Page_377">377</a></span>
-et leur avait dit de s'adresser au cardinal, qui
-tait bien en tat de payer. On rapporte le fait
-diffremment pour les dtails. Le 15 aot
-1785, jour de la fte de la reine, cette princesse
-vit arriver prs d'elle les deux joailliers
-Bohmer et Bassange, qui lui rclamrent un
-million six cent mille livres pour le prix d'un
-collier de diamans. Elle dclara aussitt qu'elle
-n'avait jamais vu cette parure, ni mme song
- faire son acquisition. Les joailliers dirent
-qu'ils l'avaient remis au cardinal de Rohan,
-charg de traiter pour sa majest. Indigne
-de l'abus qu'on avait os faire de son nom,
-la reine alla se plaindre au roi et demander
-justice. Le monarque consulta le garde des
-sceaux et M. de Breteuil, qui furent d'avis qu'on
-arrtt le cardinal; mais la reine obtint qu'il
-ft entendu auparavant. Ds que le cardinal
-se prsenta: Avouez, lui dit la reine, si ce
-n'est pas la premire fois, depuis quatre ans,
-que je vous parle. Le cardinal en convint, et
-avoua qu'il avait t tromp par une intrigante
-nomme de Lamotte.</p>
-
-<p>En sortant du cabinet du roi, le cardinal
-fut arrt et conduit la Bastille. On ne tarda
-pas arrter aussi la femme de Lamotte. Le
-<span class="pagenum"><a id="Page_378">378</a></span>
-roi attribua, par des lettres-patentes, au parlement
-de Paris, la connaissance de toute cette
-affaire. A peine l'instruction tait-elle commence,
-qu'on arrta Bruxelles une femme
-nomme Leguay d'Oliva, et qu'on la conduisit
- la Bastille. Elle comparut devant les magistrats,
-toute plore, et rptant: <i>C'est moi;
-j'ai servi d'instrument la tromperie, sans en
-connatre la noirceur; c'est moi, dis-je, il m'a
-t command, il m'a t pay par la dame
-de Lamotte.</i> C'tait cette malheureuse qui,
-l'instigation des Lamotte, avait jou le personnage
-de la reine, en paraissant minuit
-dans le parc de Versailles, o, comme nous
-l'avons vu, elle avait adress quelques mots
-au cardinal.</p>
-
-<p>La femme de Lamotte qui prenait le nom
-de Valois, et qui, en effet, descendait d'un
-fils naturel de Henri II, avoua dans ses interrogatoires
-qu'elle n'avait jamais t prsente
- la reine. Il fut prouv que, depuis la
-remise du collier entre ses mains, elle tait
-passe subitement de l'indigence un luxe
-extrme; que son mari avait vendu Londres
-des diamans pour des sommes considrables;
-qu'elle-mme avait fait des ventes de ce genre
-<span class="pagenum"><a id="Page_379">379</a></span>
- Paris; qu'enfin elle et son mari, aids de
-quelques agens subalternes, avaient men
-toute cette intrigue, et taient les seuls auteurs
-des fausses lettres et critures qui avaient
-servi tromper le cardinal.</p>
-
-<p>Le parlement, par arrt du 31 mai 1786,
-dchargea le cardinal de Rohan de toute accusation,
-mit hors de cour la femme d'Oliva,
-condamna la femme de Lamotte la marque,
-et une dtention perptuelle la Salptrire.
-Le sieur de Lamotte, contumax, fut
-condamn aux galres perptuit, et le
-nomm Reteaux de Villette, l'un des complices
-de cette intrigue, au bannissement perptuel.</p>
-
-<p>La femme de Lamotte subit sa condamnation;
-mais elle parvint s'vader de la Salptrire,
-et se rfugia Londres, ou elle prit
-quelques annes aprs, en se prcipitant d'une
-croise pour chapper aux poursuites de ses
-cranciers qui menaaient sa libert; quant
-au cardinal de Rohan, au moment mme o
-la cour venait de l'absoudre, il reut une
-lettre de cachet qui l'exilait Saverne; il fut
-aussi priv de la dignit de grand-aumnier de
-France.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_380">380</a></span>
-Tel est le prcis de ce procs fameux, qu'il
-et t plus sage d'touffer, puisqu'il a donn
-lieu tant de conjectures calomnieuses et
-tellement accrdites, qu'aujourd'hui mme
-o cette affaire est claire comme la lumire
-du jour le plus pur, on ne saurait parler du
-<i>collier</i> devant une foule de personnes prvenues,
-ou mal instruites des faits, sans provoquer
-d'injustes anathmes contre la mmoire
-de la reine Marie-Antoinette. C'est pour contribuer
- redresser, autant qu'il est en nous,
-cette erreur populaire, et uniquement dans
-l'intrt de la vrit et de la justice, que nous
-avons donn cet article. L'innocence et le
-malheur doivent tre sacrs pour tous les
-partis.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_381">381</a></span></p>
-
-<h2>L'AUBERGISTE<br />
-<span class="large">DES QUATRE FILS AYMON,</span><br />
-<span class="medium">A CHARENTON.</span></h2>
-
-<p>Le sieur Bosquillon, receveur des impositions
- Auxonne, petite ville de Bourgogne,
-vint Paris au mois d'octobre 1778, pour y
-verser dans la caisse du trsorier-gnral des
-tats de Bourgogne le produit des impositions
-dont la rgie lui tait confie. Il faisait
-en mme temps ce voyage dans la vue d'tablir
- Charenton un entrept de vins dont il
-voulait livrer le commerce son fils an. Il
-partit en consquence d'Auxonne le 14 octobre.
-Au moment de son dpart, il fut oblig
-d'emballer l'argent dont il se chargeait. Il prit
-avec lui un porte-manteau de cuir jauntre,
-y enferma plusieurs sacs d'argent de douze
-cents livres, y fit entrer aussi un sac d'or
-<span class="pagenum"><a id="Page_382">382</a></span>
-presqu' moiti plein, et fit placer ensuite le
-porte-manteau dans le coffre de sa voiture.
-La dame Bosquillon, qui aidait son mari dans
-cette opration, crut devoir lui reprsenter
-qu'il n'y avait pas de prudence emporter
-avec lui une somme d'argent si considrable.
-Elle lui fit de vives instances pour qu'il emment
-au moins avec lui un nomm Foulin,
-homme dans lequel il mettait toute sa confiance.
-Bosquillon se dtermina partir seul.</p>
-
-<p>Il arriva Charenton le 18 octobre,
-quatre ou cinq heures de l'aprs-midi; descendit
- l'auberge des Quatre fils Aymon,
-tenue par le nomm Leblanc, fit remiser sa
-voiture, et donna l'ordre que l'on transportt
-dans la chambre qu'on lui avait donne le
-porte-manteau qui contenait son argent.</p>
-
-<p>Ce porte-manteau fut confi au fils du
-matre de l'auberge, et au postillon qui avait
-men la voiture de Bosquillon. Ces jeunes
-gens firent la remarque qu'il tait fort lourd.
-Bosquillon leur rpondit qu'il y avait dans
-ce porte-manteau <i>de quoi marier plusieurs
-filles</i>: mot imprudent qui peut-tre lui cota
-la vie.</p>
-
-<p>Le mme jour, le sieur Bosquillon disparut.
-<span class="pagenum"><a id="Page_383">383</a></span>
-Les gens de l'auberge prtendirent que,
-mont dans sa chambre, Bosquillon avait demand
- goter; qu'on lui avait port du
-pain et du vin; qu'il avait mang une crote
-et bu un coup; qu'il avait command ensuite
-pour son souper des pigeons et des ctelettes;
-et que lorsqu'on entra dans sa chambre pour
-y mettre le couvert, on ne l'y trouva plus;
-qu'alors on le chercha partout, mais inutilement;
-que l'on prit le parti de l'attendre jusqu'
-minuit, avec aussi peu de succs.</p>
-
-<p>Le premier devoir des Leblanc tait de dnoncer
- la justice, ds le lendemain, l'arrive
-du sieur Bosquillon, son sjour momentan
-dans leur auberge, et sa disparition subite; d'en
-faire dresser, par le juge, un procs-verbal,
-et de faire apposer le scell sur tous ses effets.
-Point du tout; ils laissent passer huit jours
-sans songer remplir une formalit aussi importante.
-Ils n'en avertissent mme pas une
-s&oelig;ur de Bosquillon qui tait religieuse aux
-Valdonnes, prieur de filles, situe prs de
-Charenton.</p>
-
-<p>Ce ne fut que le 26 octobre que ces aubergistes
-se prsentrent devant le juge, requrant
-sa prsence dans leur maison, lui dnonant
-<span class="pagenum"><a id="Page_384">384</a></span>
-les faits tels qu'ils prtendaient qu'ils
-s'taient passs. Sur leur demande, le scell
-fut appos sur les effets de Bosquillon qu'ils
-avaient chez eux, et procs-verbal fut dress.
-Puis les Leblanc firent courir le bruit que
-l'<i>inconnu</i> qui tait arriv chez eux le 18 octobre,
-y avait laiss chapper des propos qui
-intressaient la personne du roi; et donnrent
- entendre qu'il tait possible que ce particulier
-et quelque projet nuisible aux intrts
-du gouvernement. En consquence, ils conseillrent
-au juge de Charenton d'crire au
-lieutenant-gnral de police, l'engageant aussi
- prendre des informations, de poste en poste,
-sur la route de Fontainebleau pour dcouvrir
-ce qu'tait devenu le sieur Bosquillon.</p>
-
-<p>Enfin on leva le scell; mais on ne trouva
-rien qui pt justifier l'imputation des Leblanc.
-Le porte-manteau que Bosquillon avait
-fait transporter dans sa chambre, en arrivant,
-fut trouv dans le coffre de la voiture, ferm
-de son cadenas, et ne contenant qu'une
-somme de deux mille deux cent soixante-cinq
-livres qui fut remise, par le juge, avec tous
-les autres effets, la garde du nomm Masson.
-Le procs-verbal de la leve du scell tait du
-<span class="pagenum"><a id="Page_385">385</a></span>
-7 novembre, et n'avait t suivi, de la part
-du juge de Charenton, d'aucune perquisition.</p>
-
-<p>Le 16 du mme mois, un cadavre fut apport
-par le courant de la Seine jusqu'au
-Port-au-Bl Paris, dpos sur ce port par
-les eaux, retir ensuite par les compagnons
-de rivire, et port la basse-gele du Chtelet.
-En visitant ce cadavre, on trouva dans
-ses poches un cu de six livres, une tabatire
-de carton, des lunettes, trois clefs moyennes, et
-autres menus effets; mais point de boucles de
-souliers, ni montre, ni bourse. Les mdecins et
-chirurgiens du Chtelet furent appels, et
-firent leur rapport, qui constatait qu'il n'avait
-t trouv sur le cadavre aucune plaie ni contusion,
-et que la submersion dans la rivire
-avait d tre la cause de la mort.</p>
-
-<p>Le rapport des hommes de l'art se trouva
-en contradiction dans la procdure avec les
-dpositions du garon guichetier qui avait
-dpouill ce cadavre, et des deux guichetiers
-qui en avaient eu soin. Ceux-ci dclaraient
-qu'ils s'taient aperus que le cadavre avait
-une blessure au ct gauche. L'information
-d'usage fut faite par le commissaire Foucault.
-<span class="pagenum"><a id="Page_386">386</a></span>
-Deux jours aprs, le cadavre fut reconnu
-pour tre celui du sieur Bosquillon. Il
-fut inhum sous son nom dans l'glise de
-Saint-Germain-l'Auxerrois. Pendant tout
-ce temps, sa malheureuse veuve tait
-Auxonne; elle croyait son mari arriv Paris
-depuis long-temps, et n'avait se plaindre
-que de ce qu'il ne lui donnait pas de ses nouvelles,
-lorsqu'elle apprit que son cadavre
-avait t trouv noy, qu'il avait t reconnu,
-et qu'on l'avait enseveli.</p>
-
-<p>La dame Bosquillon se transporta sur-le-champ
- Paris. Elle y arriva presque mourante;
-elle y reut la confirmation de l'affreuse
-nouvelle. Elle ne sut que penser de la
-mort extraordinaire de son mari; elle ne concevait
-pas comment il avait pu se noyer; mais
-il ne lui vint pas d'abord dans l'esprit qu'il
-avait pu tre assassin et noy ensuite; elle
-tait si attre de son malheur, que toutes
-ses facults taient ananties.</p>
-
-<p>Plusieurs mois s'coulent dans cette affreuse
-perplexit. Enfin la dame Bosquillon reoit,
-dans la Bourgogne, des lettres qui lui prsentent
-l'esprance que son mari pouvait
-n'tre qu'enferm la Bastille. Elle embrasse
-<span class="pagenum"><a id="Page_387">387</a></span>
-avidement cette illusion, revient Paris, parcourt
-tous les bureaux de la police, obtient
-des ordres du ministre pour visiter toutes les
-maisons de force, donne partout le signalement
-de son mari, interroge tout le monde,
-mais ne dcouvre rien sur son sort. Cependant
-elle esprait encore; elle se livre de
-nouvelles recherches, mais tout aussi infructueuses
-que les premires.</p>
-
-<p>Enfin, force de croire la mort de son
-mari, elle s'abandonna tout entire au dsir
-de le venger. Elle vint mme s'tablir Charenton,
-o le crime avait d se commettre, y
-recueillit tous les indices qui pouvaient l'aider
- en dcouvrir les auteurs. Ces informations
-lui apprirent que, dans la mme soire
-o le sieur Bosquillon tait arriv l'auberge
-des Quatre fils Aymon, on lui avait entendu
-pousser des cris plaintifs; qu' onze
-heures, on avait aperu Leblanc fils tout
-chevel, ayant sur lui des gouttes de sang;
-que, dans la nuit, on avait vu quelques personnes
-sortir de l'auberge, charges d'un
-gros paquet envelopp, prsentant la forme
-et le volume d'un homme; que ces personnes
-marchaient du ct de la rivire, et qu'elles
-<span class="pagenum"><a id="Page_388">388</a></span>
-jetrent leur fardeau par dessus le pont; que
-le lendemain, Leblanc pre et sa femme
-avaient t surpris comptant ensemble de
-l'argent sur leur lit, et avaient chass de la
-chambre la nomme Tudon, leur servante,
-qui venait, suivant son habitude, faire le lit;
-qu' cette poque, on avait vu tout--coup
-ces aubergistes jouir d'une fortune dont la
-source tait ignore; qu'ils avaient acquis une
-maison de dix mille livres, s'taient procur
-des meubles prcieux, et avaient mari leur
-fils.</p>
-
-<p>Aprs de semblables donnes, la veuve ne
-chercha pas plus loin les assassins de son
-mari; cette runion de circonstances les lui
-indiquait assez positivement. Elle se hta de
-faire sa dnonciation chez un commissaire.
-Sur cette dnonciation, date du 4 mai 1781,
-le procureur du roi du Chtelet rendit plainte,
-et fit ordonner une information. Mais quelques
-jours aprs, l'instruction commence en
-demeura l pendant deux annes.</p>
-
-<p>Enfin, le 27 aot 1783, le ministre public en
-demanda la continuation, et la permission de
-publier un monitoire. Le 11 novembre, l'information
-se continua; le 2 dcembre, le monitoire
-<span class="pagenum"><a id="Page_389">389</a></span>
-fut publi. Les 15 et 22 mai 1784,
-l'information, qui avait t encore suspendue,
-fut reprise.</p>
-
-<p>On ignore ce qui pouvait apporter tant de
-lenteur dans la poursuite d'un crime si atroce,
-et dont la punition importait si fort la sret
-publique. Enfin, le 17 aot, on dcerna
-contre les Leblanc des dcrets d'ajournement
-personnel; et la fille Tudon, leur servante,
-dont la dposition les chargeait, fut dcrte
-de prise de corps.</p>
-
-<p>Bientt aprs, la procdure est rgle
-l'extraordinaire. Une partie des confrontations
-se fait au mois de novembre, et dans
-le mois suivant survient une information par
-addition.</p>
-
-<p>Le 17 janvier 1785, la veuve prsenta une
-requte dans laquelle elle articulait de nouveaux
-faits, et o elle dclarait se rendre
-partie civile. Elle interjeta aussi appel au
-parlement, de l'indulgence des dcrets dcerns
-contre les Leblanc, et de la sentence
-du Chtelet qui avait accord la fille Tudon
-sa libert provisoire.</p>
-
-<p>Dans le mme temps, un incident d'une
-grande importance parut jeter un instant
-<span class="pagenum"><a id="Page_390">390</a></span>
-quelque lumire sur la cause. Leblanc fils
-mourut tout--coup de la manire la plus imprvue,
-dans toute la force de la jeunesse.
-Cette mort fit natre de violens soupons.
-Des bruits horribles circulrent dans le public;
-on accusa le pre et la mre d'avoir fait
-mourir leur fils pour se dbarrasser d'un tmoin
-terrible pour eux. Cependant la cause se
-plaida le 15 juin 1785, contradictoirement
-avec le ministre public, et par arrt du
-mme jour, Leblanc pre et sa femme,
-ainsi que la fille Tudon, furent dcrts de
-prise de corps, et l'on renvoya l'instruction
-et le jugement de la procdure au bailliage
-du Palais.</p>
-
-<p>Au bailliage du Palais, il y eut nouvelle
-plainte de la part de la veuve Bosquillon,
-nouvelles informations et confrontations,
-nouveaux monitoires; et Leblanc et sa femme
-prsentrent une requte pour leur dfense.</p>
-
-<p>Cette procdure si longue, si souvent interrompue,
-si hrisse de difficults pour les
-juges, ne produisit aucune solution satisfaisante.
-Un grand nombre de faits allgus par
-la veuve Bosquillon furent contests par la
-partie adverse, qui accusa formellement de
-<span class="pagenum"><a id="Page_391">391</a></span>
-fausset plusieurs des tmoins qui avaient
-dpos contre les Leblanc; de sorte que ni
-le crime, ni l'innocence ne parurent suffisamment
-dmontrs aux magistrats.</p>
-
-<p>Le bailliage du Palais, par sentence du
-26 octobre 1785, avait ordonn un plus ample
-inform d'un an, en gardant prison. Un
-arrt du parlement, rendu le 14 mars 1786,
-confirma cette sentence.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_392">392</a></span></p>
-
-<h2>ACCUSATION<br />
-<span class="large">DE VIOL, D'INCESTE ET DE PARRICIDE.</span></h2>
-
-<p>En bonne et loyale justice, ce n'est pas tout
-d'accuser, il faut prouver. Plus l'accusation
-est grave, plus on doit se montrer difficile
-l'gard des preuves appeles tablir la culpabilit.
-Une accusation sans preuves est la
-pire de toutes les calomnies. Quand mme
-l'accus serait reconnu innocent, son existence,
-par suite des prjugs du vulgaire, est
-trouble jamais; un soupon injurieux et
-fltrissant le poursuivra toujours. Aussi n'est-ce
-qu'aprs des instructions attentives et minutieuses
-que les magistrats clairs et consciencieux
-lancent leurs actes d'accusation.</p>
-
-<p>Il s'lve aussi parfois des accusations d'une
-nature si monstrueuse, si en dsaccord avec
-les passions du c&oelig;ur humain, qu'il n'est personne
-qui ne se refuse les croire fondes.
-<span class="pagenum"><a id="Page_393">393</a></span>
-Le tmoignage mme des yeux suffirait peine
-pour y faire ajouter foi. Ainsi, dans des temps
-calmes et rguliers, le public absoudrait par
-ses applaudissemens toute mre qui, accuse,
-comme l'infortune Marie-Antoinette, d'avoir
-cherch dpraver les m&oelig;urs de son fils, rpondrait
-par ces paroles sublimes: J'en appelle
- toutes les mres qui sont ici, et je leur demande
-si cela est possible. On sait que l'effet
-de ces quelques mots de la malheureuse reine
-fut tel que Robespierre en parut un moment
-dconcert, et qu'il accusa Hbert, l'auteur
-de cette infme inculpation, d'avoir voulu,
-par ce moyen, rendre l'accuse plus intressante.</p>
-
-<p>Qu' la place d'une mre prvenue d'un
-attentat aussi peu croyable, on se reprsente
-un pre accus d'avoir viol sa fille ge de
-huit ans, d'avoir entretenu ce commerce incestueux
-pendant cinq annes, et d'avoir
-couronn ces deux crimes par le meurtre de
-l'un de ses autres enfans; quel est le pre
-qui voudra croire la possibilit d'une aussi
-odieuse srie de forfaits? Tel est pourtant le
-fond de la cause que l'on va lire, laquelle fut
-<span class="pagenum"><a id="Page_394">394</a></span>
-porte devant le parlement de Toulouse
-quelque temps avant la rvolution.</p>
-
-<p>Le sieur Reyneaud de Lafitte, ancien officier
-d'infanterie, vivait, l'Isle-Jourdain, loign
-de sa femme par suite d'une sparation
-qui avait eu lieu d'un commun accord. Ayant
-plusieurs enfans encore en bas ge, il mit
-la tte de sa maison une fille nomme Naudin,
-dans laquelle il avait cru reconnatre les
-qualits propres l'administration d'un mnage.</p>
-
-<p>Parmi les enfans du sieur Lafitte, nous signalerons
-la jeune Justine, qui est la triste
-hrone de cette histoire. Elle tait dans cet
-ge o les facults physiques et morales commencent
- peine se dvelopper, et o l'on
-est susceptible de toutes sortes d'impressions,
-sans pouvoir en distinguer l'objet ni les consquences.
-Il parat que la fille Naudin, abusant
-d'une manire horrible de la confiance
-du sieur Lafitte, insinua dans le c&oelig;ur de Justine
-les impressions les plus fcheuses contre
-son pre; qu'elle s'effora d'veiller dans son
-me les passions encore endormies; qu'elle
-lui peignit de la manire la plus sduisante
-<span class="pagenum"><a id="Page_395">395</a></span>
-les charmes d'une vie libre, indpendante;
-et qu'elle lui fit voir en perspective tous les
-plaisirs auxquels le jeune ge peut tre sensible,
-soit par got, soit par curiosit.</p>
-
-<p>Ayant ainsi capt l'esprit de Justine, la
-Naudin osa lui faire part des conditions affreuses
-qu'elle mettait la ralisation de ses
-riantes promesses. Il s'agissait tout simplement
-de se prsenter la justice comme une
-victime de la lubricit de son pre. Justine,
-rvolte, opposa une rsistance que rien ne
-put d'abord surmonter. Mais la fille Naudin
-ne se rebuta pas; elle revint tous les jours
-la charge, employant tour tour les imprcations
-et les prires, les caresses et les menaces.
-En mme temps, elle prparait l'opinion
-publique, par des bruits adroitement sems,
-relativement l'accusation qu'elle mditait.
-Bientt elle se porta un attentat qu'elle
-crut propre les accrditer. On rapporte
-qu'une nuit, pendant que le sieur Lafitte reposait
-paisiblement dans son lit, elle s'approcha
-du lit de Justine, s'empara d'elle, et d'une
-main sacrilge, travailla, par un crime rel,
-prparer les traces d'un crime imaginaire. La
-<span class="pagenum"><a id="Page_396">396</a></span>
-jeune fille chappa des mains de ce monstre
-en poussant des cris douloureux; elle courut
-se rfugier dans une chambre voisine, o couchait
-une couturire nomme Anne Verdier, et
-lui raconta l'affreux traitement qu'elle venait
-d'prouver. La Naudin, furieuse, la poursuivit
-dans cet asile, et la menaa de la poignarder
-ainsi qu'Anne Verdier, si l'une et l'autre ne
-lui gardaient pas le plus profond secret. Puis
-s'adressant Justine seule: <i>Si tu ne dclares
-pas, lui dit-elle, que c'est ton pre qui t'a
-mise dans cet tat, je te passerai le couteau
-par le ventre</i>; et tout en profrant ces mots,
-elle agitait en effet un couteau dans sa main,
-avec les gestes les plus horriblement nergiques.
-<i>Je te brlerai</i>, lui dit-elle un autre jour,
-<i>si tu ne dclares pas contre ton pre tout ce
-que je t'ai enseign</i>; et pour lui prouver
-qu'elle tait capable d'excuter sa menace,
-elle prit un fer repasser, et le lui appliqua
-tout brlant sur la joue. La Naudin ne s'en
-tint pas l; elle voulut s'assurer de l'obissance
-de Justine par un serment. Elle lui prsenta
-un livre, et lui ordonna de jurer qu'elle
-<i>soutiendrait toujours tout ce qui lui avait t
-<span class="pagenum"><a id="Page_397">397</a></span>
-enseign contre son pre.&mdash;Oui, mademoiselle,
-je dirai tout ce que vous voudrez</i>, rpondit en
-tremblant la malheureuse Justine.</p>
-
-<p>Tout tant ainsi combin, la fille Naudin
-n'attendait plus qu'une occasion favorable
-pour l'excution de son abominable projet;
-cette occasion se prsenta. Le sieur Lafitte
-partit pour Toulouse, o ses affaires devaient
-le retenir quelque temps. Mais, pour loigner
-les soupons relatifs ses man&oelig;uvres,
-la Naudin renferma Justine dans une
-volire, rpandit le bruit qu'elle s'tait enfuie
-de la maison paternelle, et affecta une vive
-inquitude au sujet de cette prtendue vasion.</p>
-
-<p>Aprs cette dtention qui dura huit jours,
-la Naudin jugea qu'il tait temps de frapper
-le dernier coup. Dans la nuit du 21 au 22
-juin 1786, elle donna de nouveau ses instructions
- Justine, et lui ordonna d'aller rciter
-son rle devant le sieur Riscle, lieutenant de
-maire. Ce magistrat tait un des plus implacables
-ennemis du sieur Lafitte.</p>
-
-<p>Justine, endoctrine, pousse par la Naudin,
-se prsenta six heures du matin chez
-le sieur Riscle. Que me voulez-vous? lui dit-il.&mdash;Je
-<span class="pagenum"><a id="Page_398">398</a></span>
-vous demande justice.&mdash;Contre qui?&mdash;Contre
-papa.&mdash;Que vous a-t-il fait?&mdash;Il
-me dshonore depuis cinq ans, rpondit-elle
-en d'autres termes, dont assurment elle ne
-connaissait ni l'atrocit ni mme le sens.&mdash;Je
-ne reois point de dnonciations dans ma maison,
-lui dit le sieur Riscle; mais faites-vous
-conduire par un valet de ville la chambre
-de l'auditoire, et je vous y rendrai justice.</p>
-
-<p>Conduite l'Htel-de-ville, Justine y fit le
-rcit que la Naudin lui avait appris dbiter;
-elle dclara qu'elle tait ge de quatorze ans,
-quoique rellement elle n'et pas treize ans
-accomplis. Elle ajouta que quand elle voulait
-rsister aux volonts incestueuses de son
-pre, il l'attachait avec des cordes, et lui fermait
-la bouche; qu'elle avait quitt la maison
-paternelle depuis huit jours; qu'elle avait
-pass pendant tout ce temps le jour et la nuit
-dans les bls, allant, dans l'obscurit de la
-nuit, chercher du pain dans les mtairies.
-Toutes ces impostures furent consignes dans
-un procs-verbal dress par M. Riscle.</p>
-
-<p>Pendant ce temps, la Naudin se tourmentait
-pour montrer de l'inquitude sur l'absence
-de Justine. Je ne sais, disait-elle, ce
-<span class="pagenum"><a id="Page_399">399</a></span>
-qu'elle est devenue depuis dix jours; je sais
-seulement qu'elle faillit se noyer hier au Pont-Perrin.&mdash;<i>Allez</i>,
-lui dit la nomme Nouguillon,
-<i>vous savez o elle est; prenez garde de
-ne pas vous faire une mauvaise affaire</i>. Ces
-paroles troublrent la Naudin; elle craignit
-que ses man&oelig;uvres ne fussent dcouvertes, et
-aurait bien voulu ds lors dtruire son ouvrage.
-<i>Courez</i>, dit-elle Marie Guion, <i>allez
-trouver le sieur Riscle: dites-lui que cette enfant
-est une imbcile, qu'il ne faut pas ajouter
-foi ce quelle a dit, et que je le prie de
-me la renvoyer</i>.</p>
-
-<p>Mais le sieur Riscle, comme ennemi jur
-du pre de Justine, tait trop satisfait de l'occasion
-qui venait s'offrir sa haine pour s'en
-dessaisir aussi facilement. Aprs avoir dress
-et sign son procs-verbal de dnonciation,
-en qualit de lieutenant de maire, il laissa
-procder le maire et le procureur-fiscal. Les
-conclusions de ce dernier portaient que Justine
-serait visite par des chirurgiens, pour
-examiner et vrifier s'il paraissait qu'elle et
-t <i>dflore et viole</i>. Aux termes de cette
-mme ordonnance, Justine devait demeurer
-squestre dans l'Htel-de-ville. La visite ordonne
-<span class="pagenum"><a id="Page_400">400</a></span>
-eut lieu immdiatement. Le rapport
-des chirurgiens fut, dit-on, empreint de prvention
-et d'ignorance; le procureur-fiscal
-ordonna une enqute sur le contenu du procs-verbal
-du sieur Riscle et du rapport des
-chirurgiens. Tout cela fut l'ouvrage d'un jour;
-tout cela, ainsi que le procs-verbal de dnonciation,
-se fit le 22 juin 1786.</p>
-
-<p>Le sieur Lafitte arriva le lendemain l'Isle-Jourdain.
-Quelle fut sa consternation en apprenant
-la scne qui venait de se passer
-l'Htel-de-ville! La Naudin avait dsert sa maison.
-Le premier soin de ce pre dsol fut d'arracher
-sa fille des mains des officiers municipaux,
-pour la placer dans un lieu o la
-subornation ne pt la poursuivre. Il la fit
-conduire par un de ses amis au couvent des
-Ursulines, Gimont; puis il attendit avec
-calme les suites d'une procdure devenue ncessaire
-pour sa justification. Mais ce n'tait
-pas seulement par des moyens judiciaires que
-ses ennemis tramaient sa perte. Bien persuads
-qu'ils ne pourraient parvenir lui prter
-les couleurs du crime qu'en se jouant des rgles
-les plus sacres, et craignant peut-tre
-que la vrit ne triompht de leurs man&oelig;uvres,
-<span class="pagenum"><a id="Page_401">401</a></span>
-ils tentrent de tromper la religion du
-monarque et de surprendre une lettre de cachet
-qui condamnt le sieur Lafitte passer
-dans un fort le reste de ses jours. C'tait mme
-l le principal objet de leur vengeance. Ils
-voulurent y associer les parens mmes du sieur
-Lafitte. Quelques-uns rejetrent avec indignation
-les offres qu'on leur faisait cet
-gard; les autres se laissrent effrayer, et promirent
-leurs signatures. Le sieur Latournelle,
-maire de la ville, minuta lui-mme un placet
-au roi, dans lequel il peignit le sieur Lafitte
-comme un dissipateur effrn, comme un
-adultre public, comme un pre incestueux
-et parricide. On fit tirer une copie de cette
-minute; plusieurs des parens de Lafitte la signrent;
-on contrefit la signature de plusieurs
-autres, et le placet fut envoy au ministre.</p>
-
-<p>Quant cette accusation de parricide, qui
-apparat ici pour la premire fois, et comme
-par forme de supplment, voici les faits
-sur lesquels elle tait tablie: le fils an du
-sieur Lafitte tait mort au mois d'avril 1780.
-On avait alors rpandu le bruit que son pre,
-voulant se dfaire de lui, l'avait enferm dans
-<span class="pagenum"><a id="Page_402">402</a></span>
-une chambre obscure et malsaine, avec les
-fers aux pieds, aux mains, au cou, et l'avait
-laiss mourir, dans cet tat, de faim, de soif,
-dnu en un mot de toute espce de secours.</p>
-
-<p>Il tait vrai que le sieur Lafitte, pour punir
-cet enfant de plusieurs fautes graves, l'avait
-tenu pendant quelque temps renferm,
-les fers aux pieds; mais cette punition, quelque
-dure qu'elle ft, n'avait t inflige qu'
-une poque antrieure de plusieurs annes
-celle de la mort de cet enfant. D'ailleurs un
-certificat du chirurgien qui l'avait soign
-pendant la maladie laquelle il avait succomb,
-attestait qu'il tait <i>mort de mort naturelle</i>.</p>
-
-<p>On avait allgu encore que le second fils,
-que le sieur Lafitte avait eu le malheur de
-perdre, tait mort de mort violente. Mais il
-n'y avait aucun tmoin qui parlt de cette
-mort, et aucun procs-verbal ne l'avait constate.</p>
-
-<p>Cependant Lafitte, ayant t secrtement
-inform des dmarches clandestines de ses
-ennemis auprs du gouvernement, et sachant
-de plus qu'un dcret de prise de corps
-venait d'tre lanc contre lui, partit immdiatement
-<span class="pagenum"><a id="Page_403">403</a></span>
-pour Paris, tant pour se soustraire
-aux perquisitions de sa personne, que
-pour rclamer contre la surprise faite au
-roi. Pendant son absence, et lors mme
-qu'elle tait encore ignore, ses perscuteurs
-continurent l'&oelig;uvre d'iniquit qu'ils avaient
-commence avec tant de succs; c'est--dire
-qu'ils se jourent des rgles les plus constantes,
-tablies pour les procdures, et allrent
-mme jusqu' employer la violence pour
-extorquer des signatures qui leur taient indispensables.</p>
-
-<p>Toutefois ce ne fut pas vainement que les
-plaintes du sieur Lafitte s'levrent jusqu'au
-trne. La fille Naudin, premier auteur de
-toute cette infernale machination, dchire
-sans doute par ses remords, se rtracta devant
-le Chtelet de Paris, o elle avait t
-appele, et cette rtractation solennelle rduisit
-au nant les rapports de tous les tmoins
-qui ne parlaient que d'aprs elle. Le
-sieur Lafitte fit voir alors l'invraisemblance
-de tous les crimes qu'on lui imputait, et les
-ordres, qui dj avaient t donns pour
-l'expdition de la lettre de cachet, furent aussitt
-rvoqus.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_404">404</a></span>
-Le sieur Lafitte revint l'Isle-Jourdain, et
-ne craignit pas de s'y montrer publiquement.
-Ses ennemis, attrs, n'osaient plus faire excuter
-le dcret de prise de corps. Un autre
-vnement vint encore les accabler. Justine,
-la malheureuse Justine, dont la raison, quoique
-encore dbile, s'tait assez fortifie pour
-lui faire apercevoir toute la profondeur du
-prcipice qu'on avait creus sous ses pas, rtracta
-publiquement ses erreurs, et rendit
-l'hommage le plus respectueux l'innocence
-de son pre, dans une dclaration faite devant
-un notaire, le 10 mai 1787.</p>
-
-<p>D'un autre ct, le sieur Lafitte avait rendu
-sa plainte au snchal, ds le commencement
-de cette scandaleuse affaire, pour fait de subornation
-envers sa fille et envers les tmoins.
-Ds qu'il fut de retour de Paris, le snchal,
-qui avait eu tout le temps d'informer,
-dcrta de prise de corps les principaux ennemis
-de Lafitte, et d'ajournement personnel
-plusieurs des tmoins dont ils s'taient
-servis. La nouvelle de ces deux dcrets fit
-sortir les accusateurs du sieur Lafitte de l'tat
-de stupeur o les avait plongs la rvocation
-de la lettre de cachet. Alors ils le firent
-<span class="pagenum"><a id="Page_405">405</a></span>
-arrter et conduire dans les prisons de Toulouse,
-afin de ralentir au moins l'activit de
-ses poursuites. Ils surprirent un arrt qui
-suspendit l'excution des dcrets dcerns
-contre eux, ainsi que l'instruction de la procdure
-en subornation. De plus, ils sollicitrent
-la publication d'un monitoire, dernire
-ressource qui leur restt. Aussitt les
-portes des diffrentes glises de Toulouse et
-de l'Isle-Jourdain furent souilles de placards
-d'une obscnit rvoltante, la honte de la
-religion et de la morale publique. Outre les
-dtails dont nous avons entretenu nos lecteurs,
-on y lisait qu'un des enfans du sieur
-Lafitte avait pri de trois coups de couteau
-qu'il avait reus de la main de son pre.</p>
-
-<p>Pour expliquer une animosit capable d'inventer
-de semblables accusations, il ne sera
-pas hors de propos d'en faire connatre les
-causes. Le sieur Pascal, principal moteur de
-l'accusation, contrleur ambulant, tabli depuis
-vingt-cinq ans l'Isle-Jourdain, s'tait acquis
-une grande influence et un immense crdit
-dans le pays, par ses relations avec le conseil
-de Monsieur, frre du roi, qui avait fait
-l'acquisition du comt de l'Isle-Jourdain. Il disposait
-<span class="pagenum"><a id="Page_406">406</a></span>
- son gr des autorits municipales, et
-il ne se faisait rien dans l'administration de la
-ville sans son assentiment. Pascal et Lafitte
-avaient d'abord t en relation d'amiti; mais
-ce dernier n'ayant pu se rsoudre la basse
-condescendance que Pascal exigeait de lui
-comme de tout le monde, la msintelligence
-et la haine ne tardrent pas clater entre
-eux. Plusieurs procs en furent les consquences,
-et le tout fut couronn par la triple
-accusation de viol, d'inceste et de parricide.
-Pascal trouva d'ardens auxiliaires dans le
-sieur Riscle, lieutenant de maire, dans le
-maire Latournelle et le procureur-fiscal Cruchent,
-qui tous trois taient ses cratures,
-et avaient tous trois des motifs personnels
-de haine contre le sieur Lafitte. De l, les
-encouragemens et la crance accorde aux
-calomnies de la Naudin; de l, la complaisance
-avec laquelle on avait accueilli la dlation
-infme d'un enfant contre son pre; de l,
-le violent acharnement des premiers juges
-contre leur victime, la violation de toutes
-les rgles de la justice l'gard de l'accus,
-la subornation de nombreux tmoins, la publication
-d'un monitoire scandaleux; de l,
-<span class="pagenum"><a id="Page_407">407</a></span>
-enfin, une accusation monstrueuse qui outrage
-la nature dans ce qu'elle a de plus
-sacr!</p>
-
-<p>Sans doute que le sieur Lafitte avait pu,
-par une conduite peu rgulire, par les dsordres
-qui avaient amen sa sparation d'avec
-la mre de ses enfans, par d'autres dsordres
-qui avaient pu suivre cette sparation,
-prter le flanc aux attaques de la mdisance
-et de la malignit. Il parat que la prsence
-des deux filles Naudin et Verdier dans sa maison
-n'tait pas pure de tout reproche. Il parat
-mme que la conduite de la Naudin, dans
-toute cette affaire, avait pu tre dtermine
-par la jalousie que lui causaient les prfrences
-dont Anne Verdier tait devenue l'objet
-de la part du sieur Lafitte. Quoi qu'il en soit,
-et quelque blmables que fussent les carts de
-cet homme, rien dans tout cela n'annonait
-une perversit du genre de celle que dversait
-sur lui l'horrible accusation qui l'avait tran
-devant les tribunaux. Il nous est doux de penser
-qu'il y a bien loin encore de la dbauche
- l'inceste et au parricide. On transige quelquefois
- l'gard des lois de la socit, parce que
-l'gosme troit des passions ne veut y voir
-<span class="pagenum"><a id="Page_408">408</a></span>
-qu'une tyrannie; mais l'homme n'est pas le
-matre d'en agir de mme avec les lois de la
-nature, parce qu'elles tiennent intimement
-ces mmes passions, et qu'elles ont de profondes
-racines dans son propre c&oelig;ur.</p>
-
-<p>Cette cause intressante, aprs plusieurs
-conflits de juridiction, avait enfin t porte
-devant le parlement de Toulouse. Elle fut
-plaide au mois de juin 1789, et sur l'loquente
-dfense prononce en faveur du sieur
-Lafitte par M. Mailhe, avocat distingu, la
-premire procdure fut annule, et il fut ordonn
-que l'on en entamerait une nouvelle.</p>
-
-<p>Mais les grands vnemens politiques survenus
-peu aprs suspendirent pour long-temps
-le cours ordinaire de la justice. Le peuple
-ayant ouvert les portes des prisons ceux
-qu'elles renfermaient, le sieur Lafitte en sortit,
-et depuis il ne s'est pas reprsent la justice
-pour solliciter l'examen de l'accusation
-leve contre lui; ce qui a lieu d'tonner,
-puisque son dfenseur en avait contract l'engagement
-en son nom. Peut-tre recula-t-il
-devant ce nouveau sacrifice qu'il se devait
-sans doute lui-mme; peut-tre craignit-il de
-livrer encore une fois son innocence aux
-<span class="pagenum"><a id="Page_409">409</a></span>
-chances si incertaines de la justice des hommes.
-Au reste, cette circonstance aurait pu
-donner quelque poids aux man&oelig;uvres de ses
-accusateurs, si la voix de la nature n'tait pas
-plus puissante que toutes les prsomptions.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p class="end">FIN DU QUATRIME VOLUME.</p>
-
-<p><span class="pagenumh"><a id="Page_410">410</a></span></p>
-
-<div class="chapter"></div>
-
-<p><span class="pagenum"><a id="Page_411">411</a></span></p>
-
-<h2>TABLE DES MATIRES<br />
-<span class="large">DU QUATRIME VOLUME.</span></h2>
-
-<table id="Toc" summary="contents">
-
- <tr>
- <td class="tdl">Enfant rclam par deux pres.<span class="i15">Page</span></td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_1">1</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Sparation demande aprs sept jours de mariage.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_18">18</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">La fille Lescop, ou le triomphe tardif de l'innocence.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_29">29</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Remy Baronet, victime de la prvention.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_41">41</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Pierre Bellefaye, fratricide.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_51">51</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Quentin Beaudouin, assassin de sa femme.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_56">56</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Charlotte Plaix.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_61">61</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Le maon Cahuzac pendu injustement.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_71">71</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Gombert, assassin du mari de sa matresse.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_78">78</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Sevreuse, empoisonneuse d'enfans.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_84">84</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Jeanne-Marie-Thrse Judacier, parricide.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_97">97</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Femme injustement accuse de l'assassinat de son mari.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_102">102</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Docteur en mdecine pendu pour vol.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_109">109</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Marie Glibert, accuse d'avoir poignard son mari.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_118">118</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Boucher, ou l'assassin de seize ans.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_123">123</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">La bergre auvergnate.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_127">127</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Famille d'assassins.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_131">131</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Accusation d'assassinat mal fonde.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_137">137</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Le pauvre tailleur victime de sa bienfaisance.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_141">141</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Usurier puni.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_145">145</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Conduite inoue d'une femme l'gard de son mari.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_151">151</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Le meurtre de Saint-Bat.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_157">157</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Atroce sang-froid d'un assassin.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_170">170</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Accusation rciproque d'assassinat.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_174">174</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Servante qui trangle sa matresse.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_180">180</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl"><span class="pagenum"><a id="Page_412">412</a></span>
- Honor Jourdan, condamn comme assassin, et
- ensuite justifi.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_189">189</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Homicide d'une espce particulire.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_200">200</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Blaise Ferrage, ou le brigand anthropophage.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_205">205</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Franoise Tiers, ou l'homicide lgitime.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_211">211</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Le conseiller de Vocance, faussement accus d'empoisonnement.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_220">220</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Moinot, empoisonneur de sa famille.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_231">231</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Barbe Didiot.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_235">235</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Lacquemant, parricide.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_248">248</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">La prostitue d'Ay.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_254">254</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">galit des citoyens devant la loi.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_262">262</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">De Forges et Desaignes.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_267">267</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Dangers de la violence.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_274">274</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Incendiaire.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_280">280</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Le cur de Chazelles.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_283">283</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Brigide Ballet, ou la fille dnature.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_294">294</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">L'accusateur accus.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_298">298</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">L'pouse adultre et empoisonneuse.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_307">307</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Les brigands de Nmes.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_312">312</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Catherine Estins.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_317">317</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">La fille Salmon, dclare innocente, aprs avoir
- t condamne deux fois tre brle vive.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_340">340</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">L'Intrigante, ou l'affaire du collier.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_361">361</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">L'Aubergiste des Quatre fils Aymon, Charenton.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_381">381</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdl">Accusation de viol, d'inceste et de parricide.</td>
- <td class="tdr"><a href="#Page_392">392</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <th colspan="2" class="tdc"><span class="small">FIN DE LA TABLE DU QUATRIME VOLUME.</span></th>
- </tr>
-
-</table>
-
-
-
-
-
-
-
-
-<pre>
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Chronique du crime et de l'innocence,
-t. 4/8, by Jean-Baptiste Joseph Champagnac
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK CHRONIQUE DU CRIME ***
-
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-remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
-and permanent future for Project Gutenberg-tm and future
-generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
-Sections 3 and 4 and the Foundation information page at
-www.gutenberg.org Section 3. Information about the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
-Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
-number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by
-U.S. federal laws and your state's laws.
-
-The Foundation's principal office is in Fairbanks, Alaska, with the
-mailing address: PO Box 750175, Fairbanks, AK 99775, but its
-volunteers and employees are scattered throughout numerous
-locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt
-Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to
-date contact information can be found at the Foundation's web site and
-official page at www.gutenberg.org/contact
-
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-
- Dr. Gregory B. Newby
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- gbnewby@pglaf.org
-
-Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
-Literary Archive Foundation
-
-Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
-spread public support and donations to carry out its mission of
-increasing the number of public domain and licensed works that can be
-freely distributed in machine readable form accessible by the widest
-array of equipment including outdated equipment. Many small donations
-($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
-status with the IRS.
-
-The Foundation is committed to complying with the laws regulating
-charities and charitable donations in all 50 states of the United
-States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
-considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
-with these requirements. We do not solicit donations in locations
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-DONATIONS or determine the status of compliance for any particular
-state visit www.gutenberg.org/donate
-
-While we cannot and do not solicit contributions from states where we
-have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
-against accepting unsolicited donations from donors in such states who
-approach us with offers to donate.
-
-International donations are gratefully accepted, but we cannot make
-any statements concerning tax treatment of donations received from
-outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
-
-Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
-methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
-ways including checks, online payments and credit card donations. To
-donate, please visit: www.gutenberg.org/donate
-
-Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works.
-
-Professor Michael S. Hart was the originator of the Project
-Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be
-freely shared with anyone. For forty years, he produced and
-distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of
-volunteer support.
-
-Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
-editions, all of which are confirmed as not protected by copyright in
-the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not
-necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper
-edition.
-
-Most people start at our Web site which has the main PG search
-facility: www.gutenberg.org
-
-This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
-including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
-Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
-subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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