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-The Project Gutenberg EBook of Le nez d'un notaire, by Edmond About
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: Le nez d'un notaire
-
-Author: Edmond About
-
-Release Date: April 9, 2016 [EBook #51709]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE NEZ D'UN NOTAIRE ***
-
-
-
-
-Produced by Giovanni Fini, Clarity and the Online
-Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
-file was produced from images generously made available
-by The Internet Archive/Canadian Libraries)
-
-
-
-
-
-
-
- NOTES SUR LA TRANSCRIPTION:
-
-—Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
-
-—On a conservé l’orthographie de l’original, incluant ses variantes.
-
-—Les lettres écrites au-dessus ont étées representées ainsi: a^b et
- a^{bc}.
-
-
-
-
- _Le Nez d’un
- Notaire_
-
-[Illustration]
-
-
-
-
- _Le Nez d’un
- Notaire_
-
-
- _Par
- Edmond About
- de l’Académie française_
-
-[Illustration]
-
-
- _Nelson │ _Calmann-Lévy
- Éditeurs │ Éditeurs
- 189, rue Saint-Jacques │ 3, rue Auber
- Paris_ │ Paris_
-
-
-
-
- _A M. ALEXANDRE BIXIO_
-
-
-_Permettez-moi, monsieur, d’inscrire en tête de ce petit livre le
-nom cher et honoré d’un homme qui a consacré toute sa vie à la cause
-du progrès, d’un père qui a offert ses deux fils à la délivrance de
-l’Italie, d’un ami qui est venu entre les premiers me donner une preuve
-de sympathie le lendemain de «Gaëtana»._
-
- _E. A._
-
-
-
-
- TABLE
-
-[Illustration]
-
-
- _Pages_
-
- _A M. Alexandre Bixio_ 5
-
- _I._ _L’Orient et l’Occident sont aux prises: le sang coule_ 9
-
- _II._ _La chasse au chat_ 43
-
- _III._ _Où le notaire défend sa peau avec plus de succès_ 93
-
- _IV._ _Chébachtien Romagné_ 131
-
- _V._ _Grandeur et décadence_ 155
-
- _VI._ _Histoire d’une paire de lunettes et conséquences
- d’un rhume de cerveau_ 197
-
-
-
-
- LE NEZ D’UN NOTAIRE
-
-
-
-
-I
-
-L’ORIENT ET L’OCCIDENT SONT AUX PRISES: LE SANG COULE
-
-
-MAÎTRE ALFRED L’AMBERT, avant le coup fatal qui le contraignit à
-changer de nez, était assurément le plus brillant notaire de France. En
-ce temps-là, il avait trente-deux ans; sa taille était noble, ses yeux
-grands et bien fendus; son front olympien, sa barbe et ses cheveux
-du blond le plus aimable. Son nez (premier du nom) se recourbait en
-bec d’aigle. Me croira qui voudra, mais la cravate blanche lui allait
-dans la perfection. Est-ce parce qu’il la portait depuis l’âge le
-plus tendre, ou parce qu’il se fournissait chez la bonne faiseuse? Je
-suppose que c’était pour ces deux raisons à la fois.
-
-Autre chose est de se nouer autour du cou un mouchoir de poche roulé
-en corde; autre chose de former avec art un beau nœud de batiste
-blanche dont les deux bouts égaux, empesés sans excès, se dirigent
-symétriquement vers la droite et la gauche. Une cravate blanche bien
-choisie et bien nouée n’est pas un ornement sans grâce; toutes les
-dames vous le diront. Mais il ne suffit point de la mettre; il faut
-encore la bien porter: c’est une affaire d’expérience. Pourquoi les
-ouvriers paraissent-ils si gauches et si empruntés le jour de leurs
-noces? Parce qu’ils se sont affublés d’une cravate blanche sans aucune
-étude préparatoire.
-
-On s’accoutume en un rien de temps à porter les coiffures les plus
-exorbitantes; une couronne, par exemple. Le soldat Bonaparte en ramassa
-une que le roi de France avait laissé tomber sur la place Louis XV. Il
-s’en coiffa lui-même, sans avoir pris leçon de personne, et l’Europe
-déclara qu’un tel bonnet ne lui allait pas mal. Bientôt même il mit la
-couronne à la mode dans le cercle de sa famille et de ses amis intimes.
-Tout le monde autour de lui la portait ou la voulait porter. Mais cet
-homme extraordinaire ne fut jamais qu’un porte-cravate assez médiocre.
-M. le vicomte de C***, auteur de plusieurs poèmes en prose, avait
-étudié la diplomatie, ou l’art de se cravater avec fruit.
-
-Il assista, en 1815, à la revue de notre dernière armée, quelques jours
-avant la campagne de Waterloo. Savez-vous ce qui frappa son esprit dans
-cette fête héroïque où éclatait l’enthousiasme désespéré d’un grand
-peuple? C’est que la cravate de Bonaparte n’allait pas bien.
-
-Peu d’hommes, sur ce terrain pacifique, auraient pu se mesurer avec
-maître Alfred L’Ambert. Je dis L’Ambert, et non Lambert: il y a
-décision du conseil d’État. Maître L’Ambert, successeur de son père,
-exerçait le notariat par droit de naissance. Depuis deux siècles
-et plus, cette glorieuse famille se transmettait de mâle en mâle
-l’étude de la rue de Verneuil avec la plus haute clientèle du faubourg
-Saint-Germain.
-
-La charge n’était pas cotée, n’étant jamais sortie de la famille; mais,
-d’après le produit des cinq dernières années, on ne pouvait l’estimer
-moins de trois cent mille écus. C’est dire qu’elle rapportait, bon an,
-mal an, quatre-vingt-dix mille livres. Depuis deux siècles et plus,
-tous les aînés de la famille avaient porté la cravate blanche aussi
-naturellement que les corbeaux portent la plume noire, les ivrognes
-le nez rouge, ou les poètes l’habit râpé. Légitime héritier d’un nom
-et d’une fortune considérables, le jeune Alfred avait sucé les bons
-principes avec le lait. Il méprisait dûment toutes les nouveautés
-politiques qui se sont introduites en France depuis la catastrophe de
-1789. A ses yeux, la nation française se composait de trois classes: le
-clergé, la noblesse et le tiers état. Opinion respectable et partagée
-encore aujourd’hui par un petit nombre de sénateurs. Il se rangeait
-modestement parmi les premiers du tiers état, non sans quelques
-prétentions secrètes à la noblesse de robe. Il tenait en profond mépris
-le gros de la nation française, ce ramassis de paysans et de manœuvres
-qu’on appelle le peuple, ou la vile multitude. Il les approchait le
-moins possible, par égard pour son aimable personne, qu’il aimait et
-soignait passionnément. Svelte, sain et vigoureux comme un brochet de
-rivière, il était convaincu que ces gens-là sont du fretin de poisson
-blanc, créé tout exprès par la Providence pour nourrir MM. les
-brochets.
-
-Charmant homme au demeurant, comme presque tous les égoïstes; estimé
-au Palais, au cercle, à la chambre des notaires, à la conférence de
-Saint-Vincent de Paul et à la salle d’armes, beau tireur de pointe et
-de contre-pointe; beau buveur, amant généreux, tant qu’il avait le
-cœur pris; ami sûr avec les hommes de son rang; créancier des plus
-gracieux, tant qu’il touchait les intérêts de son capital; délicat
-dans ses goûts, recherché dans sa toilette, propre comme un louis
-neuf, assidu le dimanche aux offices de Saint-Thomas d’Aquin, les
-lundis, mercredis et vendredis au foyer de l’Opéra, il eût été le
-plus parfait _gentleman_ de son temps au physique comme au moral, sans
-une déplorable myopie qui le condamnait à porter des lunettes. Est-il
-besoin d’ajouter que ses lunettes étaient d’or, et les plus fines, les
-plus légères, les plus élégantes qu’on eût fabriquées chez le célèbre
-Mathieu Luna, quai des Orfèvres?
-
-Il ne les portait pas toujours, mais seulement à l’étude ou chez le
-client, lorsqu’il avait des actes à lire. Croyez que les lundis,
-mercredis et vendredis, lorsqu’il entrait au foyer de la danse, il
-avait soin de démasquer ses beaux yeux. Aucun verre biconcave ne
-voilait alors l’éclat de son regard. Il n’y voyait goutte, j’en
-conviens, et saluait quelquefois une _marcheuse_ pour une _étoile_;
-mais il avait l’air résolu d’un Alexandre entrant à Babylone. Aussi
-les petites filles du corps de ballet, qui donnent volontiers des
-sobriquets aux personnes, l’avaient-elles surnommé _Vainqueur_. Un bon
-gros Turc, secrétaire à l’ambassade, avait reçu le nom de _Tranquille_,
-un conseiller d’État s’appelait _Mélancolique_; un secrétaire général
-du ministère de***, vif et brouillon dans ses allures, se nommait _M.
-Turlu_. C’est pourquoi la petite Élise Champagne, dite aussi Champagne
-II^e, reçut le nom de _Turlurette_ lorsqu’elle sortit des coryphées
-pour s’élever au rang de sujet.
-
-Mes lecteurs de province (si tant est que ce récit dépasse jamais
-les fortifications de Paris) vont méditer une minute ou deux sur le
-paragraphe qui précède. J’entends d’ici les mille et une questions
-qu’ils adressent mentalement à l’auteur. «Qu’est-ce que le foyer
-de la danse? Et le corps de ballet? Et les étoiles de l’Opéra? Et
-les coryphées? Et les sujets? Et les marcheuses? Et les secrétaires
-généraux qui s’égarent dans un tel monde, au risque d’y attraper des
-sobriquets! Enfin par quel hasard un homme posé, un homme rangé, un
-homme de principes, comme maître Alfred L’Ambert, se trouvait-il trois
-fois par semaine au foyer de la danse?»
-
-Eh! chers amis, c’est précisément parce qu’il était un homme posé, un
-homme rangé et un homme de principes. Le foyer de la danse était alors
-un vaste salon carré, entouré de vieilles banquettes de velours rouge
-et peuplé de tous les hommes les plus considérables de Paris. On y
-rencontrait non seulement des financiers, des conseillers d’État, des
-secrétaires généraux, mais encore des ducs et des princes, des députés,
-des préfets, et les sénateurs les plus dévoués au pouvoir temporel
-du pape; il n’y manquait que des prélats. On y voyait des ministres
-mariés, et même les plus complètement mariés entre tous nos ministres.
-Quand je dis _on y voyait_, ce n’est pas que je les aie vus moi-même;
-vous pensez bien que les pauvres diables de journalistes n’entraient
-pas là comme au moulin. Un ministre tenait en main les clefs de ce
-salon des Hespérides; nul n’y pénétrait sans l’aveu de Son Excellence.
-Aussi fallait-il voir les rivalités, les jalousies et les intrigues!
-Combien de cabinets on a culbutés sous les prétextes les plus divers,
-mais au fond parce que tous les hommes d’État veulent régner sur le
-foyer de la danse! N’allez pas croire au moins que ces personnages
-y fussent attirés par l’appât des plaisirs défendus! Ils brûlaient
-d’encourager un art éminemment aristocratique et politique.
-
-La marche des années a peut-être changé tout cela, car les aventures de
-maître L’Ambert ne datent point de cette semaine. Elles ne remontent
-pourtant pas à l’antiquité la plus reculée. Mais des raisons de haute
-convenance me défendent de préciser l’année exacte où cet officier
-ministériel échangea son nez aquilin contre un nez droit. C’est
-pourquoi j’ai dit vaguement _en ce temps-là_, comme les fabulistes.
-Contentez-vous de savoir que l’action se place, dans les annales du
-monde, entre l’incendie de Troie par les Grecs et l’incendie du palais
-d’Été à Pékin par l’armée anglaise, deux mémorables étapes de la
-civilisation européenne.
-
-Un contemporain et un client de maître L’Ambert, M. le marquis
-d’Ombremule, disait un soir au café Anglais:
-
---Ce qui nous distingue du commun des hommes, c’est notre fanatisme
-pour la danse. La canaille raffole de musique. Elle bat des mains aux
-opéras de Rossini, de Donizetti et d’Auber: il paraît qu’un million de
-petites notes mises en salade a quelque chose qui flatte l’oreille de
-ces gens-là. Ils poussent le ridicule jusqu’à chanter eux-mêmes de
-leur grosse voix éraillée, et la police leur permet de se réunir dans
-certains amphithéâtres pour écorcher quelques ariettes. Grand bien leur
-fasse! Quant à moi, je n’écoute point un opéra, je le regarde: j’arrive
-pour le divertissement, et je me sauve après. Ma respectable aïeule m’a
-conté que toutes les grandes dames de son temps n’allaient à l’Opéra
-que pour le ballet. Elles ne refusaient aucun encouragement à MM. les
-danseurs. Notre tour est venu; c’est nous qui protégeons les danseuses:
-honni soit qui mal y pense!
-
-La petite duchesse de Biétry, jeune, jolie et délaissée, eut la
-faiblesse de reprocher à son mari les habitudes d’Opéra qu’il avait
-prises.
-
---N’êtes-vous pas honteux, lui disait-elle, de m’abandonner dans ma
-loge avec tous vos amis pour courir je ne sais où?
-
---Madame, répondit-il, lorsqu’on espère une ambassade, ne doit-on pas
-étudier la politique?
-
---Soit; mais il y a, je pense, de meilleures écoles dans Paris.
-
---Aucune. Apprenez, ma chère enfant, que la danse et la politique sont
-jumelles. Chercher à plaire, courtiser le public, avoir l’œil sur le
-chef d’orchestre, composer son visage, changer à chaque instant de
-couleur et d’habit, sauter de gauche à droite et de droite à gauche,
-se retourner lestement, retomber sur ses pieds, sourire avec des larmes
-plein les yeux, n’est-ce pas en quelques mots le programme de la danse
-et de la politique?
-
-La duchesse sourit, pardonna, et prit un amant.
-
-Les grands seigneurs comme le duc de Biétry, les hommes d’État comme
-le baron de F ..., les gros millionnaires comme le petit M. St ...,
-et les simples notaires comme le héros de cette histoire se coudoient
-pêle-mêle au foyer de la danse et dans les coulisses du théâtre. Ils
-sont tous égaux devant l’ignorance et la naïveté de ces quatre-vingts
-petites ingénues qui composent le corps de ballet. On les appelle
-MM. les abonnés, on leur sourit gratis, on bavarde avec eux dans les
-petits coins, on accepte leurs bonbons et même leurs diamants comme
-des politesses sans conséquence et qui n’engagent à rien celle qui les
-reçoit. Le monde s’imagine bien à tort que l’Opéra est un marché de
-plaisir facile et une école de libertinage. On y trouve des vertus en
-plus grand nombre que dans aucun autre théâtre de Paris: et pourquoi?
-parce que la vertu y est plus chère que partout ailleurs.
-
-N’est-il pas intéressant d’étudier de près ce petit peuple de jeunes
-filles, presque toutes parties de fort bas et que le talent ou la
-beauté peut en un rien de temps élever assez haut? Fillettes de
-quatorze à seize ans pour la plupart, nourries de pain sec et de pommes
-vertes dans une mansarde d’ouvrière ou dans une loge de concierge,
-elles viennent au théâtre en tartan et en savates et courent s’habiller
-furtivement. Un quart d’heure après, elles descendent au foyer
-radieuses, étincelantes, couvertes de soie, de gaze et de fleurs, le
-tout aux frais de l’État, et plus brillantes que les fées, les anges
-et les houris de nos rêves. Les ministres et les princes leur baisent
-les mains et blanchissent leur habit noir à la céruse de leurs bras
-nus. On leur débite à l’oreille des madrigaux vieux et neufs qu’elles
-comprennent quelquefois. Quelques-unes ont de l’esprit naturel et
-causent bien; celles-là, on se les arrache.
-
-Un coup de sonnette appelle les fées au théâtre; la foule des abonnés
-les poursuit jusqu’à l’entrée de la scène, les retient et les accapare
-derrière les portants de coulisses. Vertueux abonné qui brave la chute
-des décors, les taches d’huile des quinquets et les miasmes les plus
-divers pour le plaisir d’entendre une petite voix légèrement enrouée
-murmurer ces mots charmants:
-
---Cré nom! j’ai-t-il mal aux pieds!
-
-La toile se lève, et les quatre-vingts reines d’une heure s’ébattent
-joyeusement sous les lorgnettes d’un public enflammé. Il n’y en a pas
-une qui ne voie ou ne devine dans la salle deux, trois, dix adorateurs
-connus ou inconnus. Quelle fête pour elles jusqu’à la chute du rideau!
-Elles sont jolies, parées, lorgnées, admirées, et elles n’ont rien à
-craindre de la critique ni des sifflets.
-
-Minuit sonne: tout change comme dans les féeries. Cendrillon remonte
-avec sa mère ou sa sœur aînée vers les sommets économiques de
-Batignolles ou de Montmartre. Elle boite un tantinet, pauvre petite!
-et elle éclabousse ses bas gris. La bonne et sage mère de famille, qui
-a placé toutes ses espérances sur la tête de cette enfant, rabâche,
-chemin faisant, quelques leçons de sagesse:
-
---Marchez droit dans la vie, ô ma fille, et ne vous laissez jamais
-choir! ou, si le destin veut absolument qu’un tel malheur vous arrive,
-ayez soin de tomber sur un lit en bois de rose!
-
-Ces conseils de l’expérience ne sont pas toujours suivis. Le cœur
-parle quelquefois. On a vu des danseuses épouser des danseurs. On a vu
-des petites filles, jolies comme la Vénus Anadyomène, économiser cent
-mille francs de bijoux pour conduire à l’autel un employé à deux mille
-francs. D’autres abandonnent au hasard le soin de leur avenir, et font
-le désespoir de leur famille. Celle-ci attend le 10 avril pour disposer
-de son cœur, parce qu’elle s’est juré à elle-même de rester sage
-jusqu’à dix-sept ans. Celle-là trouve un protecteur à son goût et n’ose
-le dire: elle craint la vengeance d’un conseiller référendaire qui a
-promis de la tuer et de se suicider ensuite si elle aimait un autre que
-lui. Il plaisantait, comme vous pensez bien, mais on prend les paroles
-au sérieux dans ce petit monde. Qu’elles sont naïves et ignorantes de
-tout! on a entendu deux grandes filles de seize ans se disputer sur la
-noblesse de leur origine et le rang de leurs familles:
-
---Voyez un peu cette demoiselle! disait la plus grande. Les boucles
-d’oreilles de sa mère sont en argent, et celles de mon père sont en or!
-
-Maître Alfred L’Ambert, après avoir longtemps voltigé de la brune à la
-blonde, avait fini par s’éprendre d’une jolie brunette aux yeux bleus.
-Mademoiselle Victorine Tompain était sage, comme on l’est généralement
-à l’Opéra, jusqu’à ce qu’on ne le soit plus. Bien élevée d’ailleurs,
-et incapable de prendre une résolution extrême sans consulter ses
-parents. Depuis tantôt six mois, elle se voyait serrée d’assez près par
-le beau notaire et par Ayvaz-Bey, ce gros Turc de vingt-cinq ans que
-l’on désignait par le sobriquet de _Tranquille_. L’un et l’autre lui
-avaient tenu des discours sérieux, où il était question de son avenir.
-La respectable madame Tompain maintenait sa fille dans un sage milieu,
-en attendant qu’un des deux rivaux se décidât à lui parler affaires. Le
-Turc était un bon garçon, honnête, posé et timide. Il parla cependant
-et fut écouté.
-
-Tout le monde apprit bientôt ce petit événement, excepté maître
-L’Ambert, qui enterrait un oncle dans le Poitou. Lorsqu’il revint à
-l’Opéra, mademoiselle Victorine Tompain avait un bracelet de brillants,
-des dormeuses de brillants et un cœur de brillants pendu au cou comme
-un lustre. Le notaire était myope; je crois vous l’avoir dit dès le
-début. Il ne vit rien de ce qu’il aurait dû voir, pas même les sourires
-malins qui le saluèrent à sa rentrée. Il tournoya, babilla et brilla
-comme à son ordinaire, attendant avec impatience la fin du ballet et la
-sortie des enfants. Ses calculs étaient faits: l’avenir de mademoiselle
-Victorine se trouvait assuré, grâce à cet excellent oncle de Poitiers
-qui était mort juste à point.
-
-Ce qu’on appelle à Paris le passage de l’Opéra est un réseau de
-galeries larges ou étroites, éclairées ou obscures, de niveaux forts
-divers qui relient le boulevard, la rue Lepeletier, la rue Drouot et la
-rue Rossini. Un long couloir, découvert dans sa plus grande partie,
-s’étend de la rue Drouot à la rue Lepeletier, perpendiculairement aux
-galeries du Baromètre et de l’Horloge. C’est dans sa partie la plus
-basse, à deux pas de la rue Drouot, que s’ouvre la porte secrète du
-théâtre, l’entrée nocturne des artistes. Tous les deux jours, à minuit,
-un flot de 300 à 400 personnes s’écoule tumultueusement sous les yeux
-du digne papa Monge, concierge de ce paradis. Machinistes, comparses,
-marcheuses, choristes, danseurs et danseuses, ténors et soprani,
-auteurs, compositeurs, administrateurs, abonnés, se ruent pêle-mêle.
-Les uns descendent vers la rue Drouot, les autres remontent l’escalier
-qui conduit par une galerie découverte à la rue Lepeletier.
-
-Vers le milieu du passage découvert, au bout de la galerie du
-Baromètre, Alfred L’Ambert fumait un cigare et attendait. A dix pas
-plus loin, un petit homme rond, coiffé du tarbouch écarlate, aspirait
-par bouffées égales la fumée d’une cigarette de tabac turc, plus grosse
-que le petit doigt. Vingt autres flâneurs intéressés piétinaient ou
-attendaient autour d’eux, chacun pour soi, sans nul souci du voisin.
-Et les chanteurs traversaient en fredonnant, et les sylphes mâles,
-traînant un peu la savate, passaient en boitant, et, de minute en
-minute, une ombre féminine enveloppée de noir, de gris ou de marron,
-glissait entre les rares becs de gaz, méconnaissable à tous les yeux,
-excepté aux yeux de l’amour.
-
-On se rencontre, on s’aborde, on s’enfuit, sans prendre congé de la
-compagnie. Halte-là! voici un bruit étrange et un tumulte inusité.
-Deux ombres légères ont passé, deux hommes ont couru, deux flammes de
-cigare se sont rapprochées; on a entendu des éclats de voix et comme
-le bruit d’une rapide querelle. Les promeneurs se sont amassés sur un
-point; mais ils n’ont plus trouvé personne. Et maître Alfred L’Ambert
-redescend tout seul vers sa voiture, qui l’attendait au boulevard.
-Il hausse les épaules et regarde machinalement cette carte de visite
-tachée d’une large goutte de sang:
-
- AYVAZ-BEY
-
- Secrétaire de l’ambassade ottomane,
-
- _Rue de Grenelle Saint-Germain_, 100.
-
-Écoutez ce qu’il dit entre ses dents, le beau notaire de la rue de
-Verneuil:
-
---La sotte affaire! Du diable si je savais qu’elle eût donné des
-droits à cet animal de Turc!... car c’est bien lui ... Aussi pourquoi
-n’avais-je pas mis mes lunettes?... Il paraît que je lui ai donné un
-coup de poing sur le nez? Oui, sa carte est tachée et mes gants le
-sont aussi. Me voilà un Turc sur les bras par une simple maladresse;
-car je ne lui en veux pas, à ce garçon ... La petite m’est fort
-indifférente, après tout ... Il l’a, qu’il la garde! Deux honnêtes gens
-ne vont pas s’égorger pour mademoiselle Victorine Tompain ... C’est ce
-maudit coup de poing qui gâte tout ...
-
-Voilà ce qu’il disait entre ses dents, ses trente-deux dents, plus
-blanches et plus aiguës que celles d’un jeune loup. Il renvoya son
-cocher à la maison et se dirigea à pied, au petit pas, vers le cercle
-des Chemins de fer. Là, il trouva deux amis et leur conta son aventure.
-Le vieux marquis de Villemaurin, ancien capitaine de la garde royale,
-et le jeune Henri Steimbourg, agent de change, jugèrent unanimement que
-le coup de poing gâtait tout.
-
-
-
-
-II
-
-LA CHASSE AU CHAT
-
-
-UN philosophe turc a dit:
-
-«Il n’y a pas de coups de poing agréables; mais les coups de poing sur
-le nez sont les plus désagréables de tous.»
-
-Le même penseur ajoute avec raison, dans le chapitre suivant:
-
-«Frapper un ennemi devant la femme qu’il aime, c’est le frapper deux
-fois. Tu offenses le corps et l’âme.»
-
-C’est pourquoi le patient Ayvaz-Bey rugissait de colère en ramenant
-mademoiselle Tompain et sa mère à l’appartement qu’il leur avait
-meublé. Il leur donna le bonsoir à leur porte, sauta dans une voiture
-et se fit mener, toujours saignant, chez son collègue et son ami Ahmed.
-
-Ahmed dormait sous la garde d’un nègre fidèle; mais, s’il est écrit:
-«Tu n’éveilleras point ton ami qui dort», il est écrit aussi:
-«Éveille-le cependant s’il y a danger pour lui ou pour toi.» On éveilla
-le bon Ahmed. C’était un long Turc de trente-cinq ans, maigre et fluet,
-avec de grandes jambes arquées. Excellent homme, d’ailleurs, et garçon
-d’esprit. Il y a du bon, quoi qu’on dise, chez ces gens-là. Lorsqu’il
-vit la figure ensanglantée de son ami, il commença par lui faire
-apporter un grand bassin d’eau fraîche; car il est écrit: «Ne délibère
-pas avant d’avoir lavé ton sang: tes pensées seraient troubles et
-impures.»
-
-Ayvaz fut plus tôt débarbouillé que calmé. Il raconta son aventure avec
-colère. Le nègre, qui se trouvait en tiers dans la confidence, offrit
-aussitôt de prendre son kandjar et d’aller tuer M. L’Ambert. Ahmed-Bey
-le remercia de ses bonnes intentions en le poussant du pied hors de la
-chambre.
-
---Et maintenant, dit-il au bon Ayvaz, que ferons-nous?
-
---C’est bien simple, répondit l’autre: je lui couperai le nez demain
-matin. La loi du talion est écrite dans le Koran: «Œil pour œil, dent
-pour dent, nez pour nez!»
-
-Ahmed lui remontra que le Koran était sans doute un bon livre, mais
-qu’il avait un peu vieilli. Les principes du point d’honneur ont changé
-depuis Mahomet. D’ailleurs, à supposer qu’on appliquât la loi au pied
-de la lettre, Ayvaz serait réduit à rendre un coup de poing à M.
-L’Ambert.
-
---De quel droit lui couperais-tu le nez, lorsqu’il n’a pas coupé le
-tien?
-
-Mais un jeune homme qui vient d’avoir le nez écrasé en présence de sa
-maîtresse se rend-il jamais à la raison? Ayvaz voulait du sang. Ahmed
-dut lui en promettre.
-
---Soit, lui dit-il. Nous représentons notre pays à l’étranger; nous
-ne devons pas recevoir un affront sans faire preuve de courage. Mais
-comment pourras-tu te battre en duel avec M. L’Ambert suivant les
-usages de ce pays? Tu n’as jamais tiré l’épée.
-
---Qu’ai-je à faire d’une épée? Je veux lui couper le nez, te dis-je, et
-une épée ne me servirait de rien pour ce que je veux!...
-
---Si du moins tu étais d’une certaine force au pistolet?
-
---Es-tu fou? que ferais-je d’un pistolet pour couper le nez d’un
-insolent? Je ... Oui, c’est décidé! va le trouver, arrange tout pour
-demain! nous nous battrons au sabre!
-
---Mais, malheureux! que feras-tu d’un sabre? Je ne doute pas de ton
-cœur, mais je puis dire sans t’offenser que tu n’es pas de la force de
-Pons.
-
---Qu’importe! lève-toi, et va lui dire qu’il tienne son nez à ma
-disposition pour demain matin!
-
-Le sage Ahmed comprit que la logique aurait tort, et qu’il raisonnait
-en pure perte. A quoi bon prêcher un sourd qui tenait à son idée comme
-le pape au temporel? Il s’habilla donc, prit avec lui le premier
-drogman, Osman-Bey, qui rentrait du cercle Impérial, et se fit conduire
-à l’hôtel de maître L’Ambert. L’heure était parfaitement indue; mais
-Ayvaz ne voulait pas qu’on perdît un seul moment.
-
-Le dieu des batailles ne le voulait pas non plus; au moins tout me
-porte à le croire. Dans l’instant que le premier secrétaire allait
-sonner chez maître L’Ambert, il rencontra l’ennemi en personne, qui
-revenait à pied en causant avec ses deux témoins.
-
-Maître L’Ambert vit les bonnets rouges, comprit, salua et prit la
-parole avec une certaine hauteur qui n’était pas tout à fait sans grâce.
-
---Messieurs, dit-il aux arrivants, comme je suis le seul habitant de
-cet hôtel, j’ai lieu de croire que vous me faisiez l’honneur de venir
-chez moi. Je suis M. L’Ambert; permettez-moi de vous introduire.
-
-Il sonna, poussa la porte, traversa la cour avec ses quatre visiteurs
-nocturnes et les conduisit jusque dans son cabinet de travail. Là, les
-deux Turcs déclinèrent leurs noms, le notaire leur présenta ses deux
-amis et laissa les parties en présence.
-
-Un duel ne peut avoir lieu dans notre pays que par la volonté ou tout
-au moins le consentement de six personnes. Or, il y en avait cinq qui
-ne souhaitaient nullement celui-ci. Maître L’Ambert était brave; mais
-il n’ignorait pas qu’un éclat de cette sorte, à propos d’une petite
-danseuse de l’Opéra, compromettrait gravement son étude. Le marquis
-de Villemaurin, vieux raffiné des plus compétents en matière de point
-d’honneur, disait que le duel est un jeu noble, où tout, depuis le
-commencement jusqu’à la fin de la partie, doit être correct. Or, un
-coup de poing dans le nez pour une demoiselle Victorine Tompain était
-la plus ridicule entrée de jeu qu’on pût imaginer. Il affirmait,
-d’ailleurs, sous la responsabilité de son honneur, que M. Alfred
-L’Ambert n’avait pas vu Ayvaz-Bey, qu’il n’avait voulu frapper ni lui
-ni personne. M. L’Ambert avait cru reconnaître deux dames, et s’était
-approché vivement pour les saluer.
-
-En portant la main à son chapeau, il avait heurté violemment, mais sans
-aucune intention, une personne qui accourait en sens inverse. C’était
-un pur accident, une maladresse au pis aller; mais on ne rend pas
-raison d’un accident, ni même d’une maladresse. Le rang et l’éducation
-de M. L’Ambert ne permettaient à personne de supposer qu’il fût capable
-de donner un coup de poing à Ayvaz-Bey. Sa myopie bien connue et la
-demi-obscurité du passage avaient fait tout le mal. Enfin, M. L’Ambert,
-d’après le conseil de ses témoins, était tout prêt à déclarer, devant
-Ayvaz-Bey, qu’il regrettait de l’avoir heurté par accident.
-
-Ce raisonnement, assez juste en lui-même, empruntait un surcroît
-d’autorité à la personne de l’orateur. M. de Villemaurin était un de
-ces gentilshommes qui semblent avoir été oubliés par la mort pour
-rappeler les âges historiques à notre temps dégénéré. Son acte de
-naissance ne lui donnait que soixante-dix-neuf ans; mais, par les
-habitudes de l’esprit et du corps, il appartenait au XVI^e siècle.
-Il pensait, parlait et agissait en homme qui a servi dans l’armée de
-la Ligue et taillé des croupières au Béarnais. Royaliste convaincu,
-catholique austère, il apportait dans ses haines et dans ses amitiés
-une passion qui outrait tout. Son courage, sa loyauté, sa droiture
-et même un certain degré de folie chevaleresque, le donnaient en
-admiration à la jeunesse inconsistante d’aujourd’hui. Il ne riait de
-rien, comprenait mal la plaisanterie et se blessait d’un bon mot comme
-d’un manque de respect. C’était le moins tolérant, le moins aimable
-et le plus honorable des vieillards. Il avait accompagné Charles X en
-Écosse après les journées de juillet; mais il quitta Holy-Rood au bout
-de quinze jours de résidence, scandalisé de voir que la cour de France
-ne prenait pas le malheur au sérieux. Il donna alors sa démission et
-coupa pour toujours ses moustaches, qu’il conserva dans une sorte
-d’écrin avec cette inscription: _Mes moustaches de la garde royale_.
-Ses subordonnés, officiers et soldats, l’avaient en grande estime et en
-grande terreur. On se racontait à l’oreille que cet homme inflexible
-avait mis au cachot son fils unique, jeune soldat de vingt-deux ans,
-pour un acte d’insubordination. L’enfant, digne fils d’un tel père,
-refusa obstinément de céder, tomba malade au cachot, et mourut. Ce
-Brutus pleura son fils, lui éleva un tombeau convenable et le visita
-régulièrement deux fois par semaine sans oublier ce devoir en aucun
-temps ni à aucun âge; mais il ne se courba point sous le fardeau de ses
-remords. Il marchait droit, avec une certaine roideur; ni l’âge ni la
-douleur n’avaient voûté ses larges épaules.
-
-C’était un petit homme trapu, vigoureux, fidèle à tous les exercices
-de sa jeunesse; il comptait sur le jeu de paume bien plus que sur le
-médecin pour entretenir sa verte santé. A soixante et dix ans, il
-avait épousé en secondes noces une jeune fille noble et pauvre. Il en
-avait eu deux enfants, et il ne désespérait pas de se voir bientôt
-grand-père. L’amour de la vie, si puissant sur les vieillards de cet
-âge, le préoccupait médiocrement, quoiqu’il fût heureux ici-bas. Il
-avait eu sa dernière affaire à soixante et douze ans, avec un beau
-colonel de cinq pieds six pouces: histoire de politique selon les
-uns, de jalousie conjugale selon d’autres. Lorsqu’un homme de ce rang
-et de ce caractère prenait fait et cause pour M. L’Ambert, lorsqu’il
-déclarait qu’un duel entre le notaire et Ayvaz-Bey serait inutile,
-compromettant et bourgeois, la paix semblait être signée d’avance.
-
-Tel fut l’avis de M. Henri Steimbourg, qui n’était ni assez jeune, ni
-assez curieux pour vouloir à tout prix le spectacle d’une affaire; et
-les deux Turcs, hommes de sens, acceptèrent un instant la réparation
-qu’on leur offrait. Ils demandèrent toutefois à conférer avec Ayvaz, et
-l’ennemi les attendit sur pied tandis qu’ils couraient à l’ambassade.
-Il était quatre heures du matin; mais le marquis ne dormait plus guère
-que par acquit de conscience, et il avait à cœur de décider quelque
-chose avant de se mettre au lit.
-
-Mais le terrible Ayvaz, aux premiers mots de conciliation que ses amis
-lui firent entendre, se mit dans une colère turque.
-
---Suis-je un fou? s’écria-t-il en brandissant le chibouk de jasmin qui
-lui avait tenu compagnie. Prétend-on me persuader que c’est moi qui ai
-donné un coup de nez dans le poing de M. L’Ambert? Il m’a frappé, et
-la preuve, c’est qu’il offre de me faire des excuses. Mais qu’est-ce
-que les paroles, quand il y a du sang répandu? Puis-je oublier que
-Victorine et sa mère ont été témoins de ma honte?... O mes amis, il
-ne me reste plus qu’à mourir si je ne coupe aujourd’hui le nez de
-l’offenseur!
-
-Bon gré, mal gré, il fallut reprendre les négociations sur cette
-base un peu ridicule. Ahmed et le drogman avaient l’esprit assez
-raisonnable pour blâmer leur ami, mais le cœur trop chevaleresque pour
-l’abandonner en chemin. Si l’ambassadeur, Hamza-Pacha, se fût trouvé à
-Paris, il eût sans doute arrêté l’affaire par quelque coup d’autorité.
-Malheureusement, il cumulait les deux ambassades de France et
-d’Angleterre, et il était à Londres. Les témoins du bon Ayvaz firent
-la navette jusqu’à sept heures du matin entre la rue de Grenelle et la
-rue de Verneuil sans avancer notablement les choses. A sept heures, M.
-L’Ambert perdit patience et dit à ses témoins:
-
---Ce Turc m’ennuie. Il ne lui suffit pas de m’avoir soufflé la petite
-Tompain; monsieur trouve plaisant de me faire passer une nuit blanche!
-Eh bien, marchons! Il pourrait croire à la fin que j’ai peur de
-m’aligner avec lui. Mais faisons vite, s’il vous plaît, et tâchons de
-bâcler l’affaire ce matin. Je fais atteler en dix minutes, nous allons
-à deux lieues de Paris; je corrige mon Turc en un tour de main et je
-rentre à l’étude, avant que les petits journaux de scandale aient eu
-vent de notre histoire!
-
-Le marquis essaya encore une ou deux objections; mais il finit par
-avouer que M. L’Ambert avait la main forcée. L’insistance d’Ayvaz-Bey
-était du dernier mauvais goût et méritait une leçon sévère. Personne
-ne doutait que le belliqueux notaire, si avantageusement connu dans
-les salles d’armes, ne fût le professeur choisi par la destinée pour
-enseigner la politesse française à cet Osmanli.
-
---Mon cher garçon, disait le vieux Villemaurin en frappant sur
-l’épaule de son client, notre position est excellente, puisque nous
-avons mis le bon droit de notre côté. Le reste à la grâce de Dieu!
-L’événement n’est pas douteux; vous avez le cœur solide et la main
-vite. Souvenez-vous seulement qu’on ne doit jamais tirer à fond; car le
-duel est fait pour corriger les sots et non pour les détruire. Il n’y a
-que les maladroits qui tuent leur homme sous prétexte de lui apprendre
-à vivre.
-
-Le choix des armes revenait de droit au bon Ayvaz; mais le notaire et
-ses témoins firent la grimace en apprenant qu’il choisissait le sabre.
-
---C’est l’arme des soldats, disait le marquis, ou l’arme des bourgeois
-qui ne veulent pas se battre. Cependant va pour le sabre, si vous y
-tenez!
-
-Les témoins d’Ayvaz-Bey déclarèrent qu’ils y tenaient beaucoup. On fit
-chercher deux lattes ou demi-espadons à la caserne du quai d’Orsay, et
-l’on prit rendez-vous pour dix heures au petit village de Parthenay,
-vieille route de Sceaux. Il était huit heures et demie.
-
-Tous les Parisiens connaissent ce joli groupe de deux cents maisons,
-dont les habitants sont plus riches, plus propres et plus instruits
-que le commun de nos villageois. Ils cultivent la terre en jardiniers
-et non en laboureurs, et le ban de leur commune ressemble, tous les
-printemps, à un petit paradis terrestre. Un champ de fraisiers fleuris
-s’étend en nappe argentée entre un champ de groseilliers et un champ
-de framboisiers. Des arpents tout entiers exhalent le parfum âcre du
-cassis, agréable à l’odorat des concierges. Paris achète en beaux louis
-d’or la récolte de Parthenay, et les braves paysans que vous voyez
-cheminer à pas lents, un arrosoir dans chaque main, sont de petits
-capitalistes.
-
-Ils mangent de la viande deux fois par jour, méprisent la poule au
-pot et préfèrent le poulet à la broche. Ils payent le traitement
-d’un instituteur et d’un médecin communal, construisent sans emprunt
-une mairie et une église et votent pour mon spirituel ami le docteur
-Véron aux élections du corps législatif. Leurs filles sont jolies, si
-j’ai bonne mémoire. Le savant archéologue Cubaudet, archiviste de la
-sous-préfecture de Sceaux, assure que Parthenay est une colonie grecque
-et qu’il tire son nom du mot _Parthénos_, vierge ou jeune fille (c’est
-tout un chez les peuples polis). Mais cette discussion nous éloignerait
-du bon Ayvaz.
-
-Il arriva le premier au rendez-vous, toujours colère. Comme il
-arpentait fièrement la place du village, en attendant l’ennemi! Il
-cachait sous son manteau deux yatagans formidables, excellentes lames
-de Damas. Que dis-je, de Damas? Deux lames japonaises, de celles qui
-coupent une barre de fer aussi facilement qu’une asperge, pourvu
-qu’elles soient emmanchées au bout d’un bon bras. Ahmed-Bey et le
-fidèle drogman suivaient leur ami et lui donnaient les avis les plus
-sages: attaquer prudemment, se découvrir le moins possible, rompre
-en sautant, enfin tout ce qu’on peut dire à un novice qui va sur le
-terrain sans avoir rien appris.
-
---Merci de vos conseils, répondait l’obstiné; il ne faut pas tant de
-façons pour couper le nez d’un notaire!
-
-L’objet de sa vengeance lui apparut bientôt entre deux verres de
-lunettes, à la portière d’une voiture de maître. Mais M. L’Ambert ne
-descendit point; il se contenta de saluer. Le marquis mit pied à terre
-et vint dire au grand Ahmed-Bey:
-
---Je connais un excellent terrain à vingt minutes d’ici; soyez assez
-bon pour remonter en voiture avec vos amis et me suivre.
-
-Les belligérants prirent un chemin de traverse et descendirent à un
-kilomètre des habitations.
-
---Messieurs, dit le marquis, nous pouvons gagner à pied le petit bois
-que vous voyez là-bas. Les cochers nous attendront ici. Nous avons
-oublié de prendre un chirurgien avec nous; mais le valet de pied que
-j’ai laissé à Parthenay nous amènera le médecin du village.
-
-Le cocher du Turc était un de ces maraudeurs parisiens qui circulent
-passé minuit, sous un numéro de contrebande. Ayvaz l’avait pris à la
-porte de mademoiselle Tompain, et il l’avait gardé jusqu’à Parthenay.
-Le vieux routier sourit finement lorsqu’il vit qu’on l’arrêtait en rase
-campagne et qu’il y avait des sabres sous les manteaux.
-
---Bonne chance, monsieur! dit-il au brave Ayvaz. Oh! vous ne risquez
-rien; je porte bonheur à mes bourgeois. Encore l’an dernier, j’en ai
-ramené un qui avait couché son homme. Il m’a donné vingt-cinq francs de
-pourboire; vrai, comme je vous le dis.
-
---Tu en auras cinquante, dit Ayvaz, si Dieu permet que je me venge à
-mon idée.
-
-M. L’Ambert était d’une jolie force, mais trop connu dans les salles
-pour avoir jamais eu occasion de se battre. Au point de vue du terrain,
-il était aussi neuf qu’Ayvaz-Bey: aussi, quoiqu’il eût vaincu dans des
-assauts les maîtres et les prévôts de plusieurs régiments de cavalerie,
-il éprouvait une sourde trépidation qui n’était point de la peur, mais
-qui produisait des effets analogues. Sa conversation dans la voiture
-avait été brillante; il avait montré à ses témoins une gaieté sincère
-et pourtant un peu fébrile. Il avait brûlé trois ou quatre cigares
-en route, sous prétexte de les fumer. Lorsque tout le monde mit pied
-à terre, il marcha d’un pas ferme, trop ferme peut-être. Au fond de
-l’âme, il était en proie à une certaine appréhension, toute virile et
-toute française: il se défiait de son système nerveux et craignait de
-ne point paraître assez brave.
-
-Il semble que les facultés de l’âme se doublent dans les moments
-critiques de la vie. Ainsi, M. L’Ambert était sans doute fort occupé
-du petit drame où il allait jouer un rôle, et cependant les objets les
-plus insignifiants du monde extérieur, ceux qui l’auraient le moins
-frappé en temps ordinaire, attiraient et retenaient son attention par
-une puissance irrésistible. A ses yeux, la nature était éclairée d’une
-lumière nouvelle, plus nette, plus tranchante, plus crue que la lumière
-banale du soleil. Sa préoccupation soulignait pour ainsi dire tout ce
-qui tombait sous ses regards. Au détour du sentier, il aperçut un chat
-qui cheminait à petits pas entre deux rangs de groseilliers. C’était
-un chat comme on en voit beaucoup dans les villages: un long chat
-maigre, au poil blanc tacheté de roux, un de ces animaux demi-sauvages
-que le maître nourrit généreusement de toutes les souris qu’ils savent
-prendre. Celui-là jugeait sans doute que la maison n’était pas assez
-giboyeuse et cherchait en plein champ un supplément de pitance. Les
-yeux de maître L’Ambert, après avoir erré quelque temps à l’aventure,
-se sentirent attirés et comme fascinés par la grimace de ce chat. Il
-l’observa attentivement, admira la souplesse de ses muscles, le dessin
-vigoureux de ses mâchoires, et crut faire une découverte de naturaliste
-en remarquant que le chat est un tigre en miniature.
-
---Que diable regardez-vous là? demanda le marquis en lui frappant sur
-l’épaule.
-
-Il revint aussitôt à lui, et répondit du ton le plus dégagé:
-
---Cette sale bête m’a donné une distraction. Vous ne sauriez croire,
-monsieur le marquis, le dégât que ces coquins nous font dans une
-chasse. Ils mangent plus de couvées que nous ne tirons de perdreaux. Si
-j’avais un fusil!...
-
-Et, joignant le geste à la parole, il coucha l’animal en joue en le
-désignant du doigt. Le chat saisit l’intention, fit une chute en
-arrière et disparut.
-
-On le revit deux cents pas plus loin. Il se faisait la barbe au milieu
-d’une pièce de colza et semblait attendre les Parisiens.
-
---Est-ce que tu nous suis? demanda le notaire en répétant sa menace.
-
-La bête prudentissime s’enfuit de nouveau; mais elle reparut à
-l’entrée de la clairière où l’on devait se battre. M. L’Ambert,
-superstitieux comme un joueur qui va entamer une grosse partie,
-voulut chasser ce fétiche malfaisant. Il lui lança un caillou sans
-l’atteindre. Le chat grimpa sur un arbre et s’y tint coi.
-
-Déjà les témoins avaient choisi le terrain et tiré les places au sort.
-La meilleure échu à M. L’Ambert. Le sort voulut aussi qu’on se servît
-de ses armes et non des yatagans japonais, qui l’auraient peut-être
-embarrassé.
-
-Ayvaz ne s’embarrassait de rien. Tout sabre lui était bon. Il
-regardait le nez de son ennemi comme un pêcheur regarde une belle
-truite suspendue au bout de sa ligne. Il se dépouilla prestement de
-tous les habits qui n’étaient pas indispensables, jeta sur l’herbe
-sa calotte rouge et sa redingote verte et retroussa les manches de
-sa chemise jusqu’au coude. Il faut croire que les Turcs les plus
-endormis se réveillent au cliquetis des armes. Ce gros garçon, dont la
-physionomie n’avait rien que de paterne, apparut comme transfiguré.
-Sa figure s’éclaira, ses yeux lancèrent la flamme. Il prit un sabre
-des mains du marquis, recula de deux pas et entonna en langue turque
-une improvisation poétique que son ami Osman-Bey a bien voulu nous
-conserver et nous traduire:
-
---Je me suis armé pour le combat; malheur au giaour qui m’offense! Le
-sang se paye avec du sang. Tu m’as frappé de la main; moi, Ayvaz, fils
-de Ruchdi, je te frapperai du sabre. Ton visage mutilé fera rire les
-belles femmes: Schlosser et Mercier, Thibert et Savile se détourneront
-avec mépris. Le parfum des roses d’Izmir sera perdu pour toi. Que
-Mahomet me donne la force, je ne demande le courage à personne. Hourra!
-je me suis armé pour le combat.
-
-Il dit, et se précipita sur son adversaire. L’attaqua-t-il en tierce ou
-en quarte, je n’en sais rien, ni lui non plus, ni les témoins, ni M.
-L’Ambert. Mais un flot de sang jaillit au bout du sabre, une paire de
-lunettes glissa sur le sol, et le notaire sentit sa tête allégée par
-devant de tout le poids de son nez. Il en restait bien quelque chose,
-mais si peu, qu’en vérité je n’en parle que pour mémoire.
-
-M. L’Ambert se jeta à la renverse et se releva presque aussitôt pour
-courir tête baissée, comme un aveugle ou comme un fou. Au même instant,
-un corps opaque tomba du haut d’un chêne. Une minute plus tard, on
-vit apparaître un petit homme fluet, le chapeau à la main, suivi d’un
-grand domestique en livrée. C’était M. Triquet, officier de santé de la
-commune de Parthenay.
-
-Soyez le bienvenu, digne monsieur Triquet! Un brillant notaire de
-Paris a grand besoin de vos services. Remettez votre vieux chapeau sur
-votre crâne dépouillé, essuyez les gouttes de sueur qui brillent sur
-vos pommettes rouges comme la rosée sur deux pivoines en fleur, et
-relevez au plus tôt les manches luisantes de votre respectable habit
-noir!
-
-Mais le bonhomme était trop ému pour se mettre d’abord à l’ouvrage. Il
-parlait, parlait, parlait, d’une petite voix haletante et chevrotante.
-
---Bonté divine!... disait-il. Honneur à vous, messieurs; votre
-serviteur très humble. Est-il Jésus permis de se mettre dans des états
-pareils? C’est une mutilation; je vois ce que c’est! Décidément, il
-est trop tard pour apporter ici des paroles conciliantes; le mal est
-accompli. Ah! messieurs, messieurs, la jeunesse sera toujours jeune.
-Moi aussi, j’ai failli me laisser emporter à détruire ou à mutiler mon
-semblable. C’était en 1820. Qu’ai-je fait, messieurs? J’ai fait des
-excuses. Oui, des excuses, et je m’en honore; d’autant plus que le bon
-droit était de mon côté. Vous n’avez donc jamais lu les belles pages
-de Rousseau contre le duel? C’est irréfutable en vérité; un morceau de
-chrestomathie littéraire et morale. Et notez bien que Rousseau n’a pas
-encore tout dit. S’il avait étudié le corps humain, ce chef-d’œuvre de
-la création, cette admirable image de Dieu sur la terre, il vous aurait
-montré qu’on est bien coupable de détruire un ensemble si parfait. Je
-ne dis pas cela pour la personne qui a porté le coup. A Dieu ne plaise!
-Elle avait sans doute ses raisons, que je respecte. Mais si l’on savait
-quel mal nous nous donnons, pauvres médecins que nous sommes, pour
-guérir la moindre blessure! Il est vrai que nous en vivons, ainsi que
-des maladies; mais n’importe! j’aimerais mieux me priver de bien des
-choses et vivre d’un morceau de lard sur du pain bis que d’assister aux
-souffrances de mon semblable.
-
-Le marquis interrompit cette doléance.
-
---Ah çà! docteur, s’écria-t-il, nous ne sommes pas ici pour
-philosopher. Voilà un homme qui saigne comme un bœuf. Il s’agit
-d’arrêter l’hémorrhagie.
-
---Oui, monsieur, reprit-il vivement, l’hémorrhagie! c’est le mot
-propre. Heureusement, j’ai tout prévu. Voici un flacon d’eau
-hémostatique. C’est la préparation de Brocchieri; je la préfère à la
-recette de Léchelle.
-
-Il se dirigea, le flacon à la main, vers M. L’Ambert, qui s’était assis
-au pied d’un arbre et saignait mélancoliquement.
-
---Monsieur, lui dit-il avec une grande révérence, croyez que je
-regrette sincèrement de n’avoir pas eu l’honneur de vous connaître à
-l’occasion d’un événement moins regrettable.
-
-Maître L’Ambert releva la tête et lui dit d’une voix dolente:
-
---Docteur, est-ce que je perdrai le nez?
-
---Non, monsieur, vous ne le perdrez pas. Hélas! vous n’avez plus à le
-perdre, très honoré monsieur: vous l’avez perdu.
-
-Tout en parlant, il versait l’eau de Brocchieri sur une compresse.
-
---Ciel! cria-t-il, monsieur, il me vient une idée. Je puis vous rendre
-l’organe si utile et si agréable que vous avez perdu.
-
---Parlez, que diable! ma fortune est à vous! Ah! docteur! plutôt que de
-vivre défiguré, j’aimerais mieux mourir.
-
---On dit cela ... Mais, voyons! où est le morceau qu’on vous a coupé?
-Je ne suis pas un champion de la force de M. Velpeau ou de M. Huguier;
-mais j’essayerai de raccommoder les choses par première intention.
-
-Maître L’Ambert se leva précipitamment et courut au champ de bataille.
-Le marquis et M. Steimbourg le suivirent; les Turcs, qui se promenaient
-ensemble assez tristement (car le feu d’Ayvaz-Bey s’était éteint en une
-seconde), se rapprochèrent de leurs anciens ennemis. On retrouva sans
-peine la place où les combattants avaient foulé l’herbe nouvelle; on
-retrouva les lunettes d’or; mais le nez du notaire n’y était plus. En
-revanche, on vit un chat, l’horrible chat blanc et jaune, qui léchait
-avec sensualité ses lèvres sanglantes.
-
---Jour de Dieu! s’écria le marquis en désignant la bête.
-
-Tout le monde comprit le geste et l’exclamation.
-
---Serait-il encore temps? demanda le notaire.
-
---Peut-être, dit le médecin.
-
-Et de courir. Mais le chat n’était pas d’humeur à se laisser prendre.
-Il courut aussi.
-
-Jamais le petit bois de Parthenay n’avait vu, jamais sans doute il
-ne reverra chasse pareille. Un marquis, un agent de change, trois
-diplomates, un médecin de village, un valet de pied en grande livrée
-et un notaire saignant dans son mouchoir se lancèrent éperdument à
-la poursuite d’un maigre chat. Courant, criant, lançant des pierres,
-des branches mortes et tout ce qui leur tombait sous la main, ils
-traversaient les chemins et les clairières et s’enfonçaient tête
-baissée dans les fourrés les plus épais. Tantôt groupés ensemble
-et tantôt dispersés, quelquefois échelonnés sur une ligne droite,
-quelquefois rangés en rond autour de l’ennemi; battant les buissons,
-secouant les arbustes, grimpant aux arbres, déchirant leurs brodequins
-à toutes les souches et leurs habits à tous les buissons, ils allaient
-comme une tempête; mais le chat infernal était plus rapide que le
-vent. Deux fois on sut l’enfermer dans un cercle; deux fois il força
-l’enceinte et prit du champ. Un instant il parut dompté par la fatigue
-ou la douleur. Il était tombé sur le flanc, en voulant sauter d’un
-arbre à l’autre et suivre le chemin des écureuils. Le valet de M.
-L’Ambert courut sur lui à fond de train, l’atteignit en quelques bonds
-et le saisit par la queue. Mais le tigre en miniature conquit sa
-liberté d’un coup de griffe et s’élança hors du bois.
-
-On le poursuivit en plaine. Longue, longue était déjà la route
-parcourue; immense était la plaine, qui se découpait en échiquier
-devant les chasseurs et leur proie.
-
-La chaleur du jour était pesante; de gros nuages noirs s’amoncelaient
-à l’occident; la sueur ruisselait sur tous les visages; mais rien
-n’arrêta l’emportement de ces huit hommes.
-
-M. L’Ambert, tout sanglant, animait ses compagnons de la voix et du
-geste. Ceux qui n’ont jamais vu un notaire à la poursuite de son nez
-ne pourront se faire une juste idée de son ardeur. Adieu fraises et
-framboises! adieu groseilles et cassis! Partout où l’avalanche avait
-passé, l’espoir de la récolte était foulé, détruit, mis à néant; ce
-n’était plus que fleurs écrasées, bourgeons arrachés, branches cassées,
-tiges foulées aux pieds. Les villageois, surpris par l’invasion de
-ce fléau inconnu, jetaient les arrosoirs, appelaient leurs voisins,
-criaient au garde champêtre, réclamaient le prix du dégât et donnaient
-la chasse aux chasseurs.
-
-Victoire! le chat est prisonnier. Il s’est jeté dans un puits. Des
-seaux! des cordes! des échelles! On est sûr que le nez de maître
-Lambert se retrouvera intact, ou à peu près. Mais, hélas! ce puits
-n’est pas un puits comme les autres. C’est l’ouverture d’une carrière
-abandonnée, dont les galeries forment en tout sens un réseau de plus de
-dix lieues et se relient aux catacombes de Paris!
-
-On paye les soins de M. Triquet; on paye aux villageois toutes les
-indemnités qu’ils réclament, et l’on reprend, sous une grosse pluie
-d’orage, le chemin de Parthenay.
-
-Avant de monter en voiture, Ayvaz-Bey, mouillé comme un canard et tout
-à fait calmé, vint tendre la main à M. L’Ambert.
-
---Monsieur, lui dit-il, je regrette sincèrement que mon obstination
-ait poussé les choses si loin. La petite Tompain ne vaut pas une
-seule goutte du sang qui a coulé pour elle, et je lui enverrai son
-congé dès aujourd’hui; car je ne saurais plus la voir sans penser
-au malheur qu’elle a causé. Vous êtes témoin que j’ai fait tous mes
-efforts, avec ces messieurs, pour vous rendre ce que vous aviez perdu.
-Maintenant, permettez-moi d’espérer encore que cet accident ne sera pas
-irréparable. Le médecin du village nous a rappelé qu’il y avait à Paris
-des praticiens plus habiles que lui; je crois avoir entendu dire que
-la chirurgie moderne avait des secrets infaillibles pour restaurer les
-parties mutilées ou détruites.
-
-M. L’Ambert accepta d’assez mauvaise grâce la main loyale qu’on lui
-tendait, et se fit ramener au faubourg Saint-Germain avec ses deux
-amis.
-
-
-
-
-III
-
-OÙ LE NOTAIRE DÉFEND SA PEAU AVEC PLUS DE SUCCÈS
-
-
-UN homme heureux sans restriction, c’était le cocher d’Ayvaz-Bey. Ce
-vieux gamin de Paris fut peut-être moins sensible au pourboire de
-cinquante francs qu’au plaisir d’avoir conduit son bourgeois à la
-victoire.
-
---Excusez! dit-il au bon Ayvaz, voilà comme vous arrangez les
-personnes? C’est bon à savoir. Si jamais je vous marche sur le pied,
-je me dépêcherai de vous demander pardon. Ce pauvre monsieur serait
-bien embarrassé de prendre une prise. Allons, allons! si on soutient
-encore devant moi que les Turcs sont des _empotés_, j’aurai de quoi
-répondre. Quand je vous le disais, que je vous porterais bonheur! Eh
-bien, mon prince, je connais un vieux de chez Brion que c’est tout le
-contraire. Il porte la guigne à ses voyageurs. Autant il en mène sur le
-terrain, autant de flambés ... Hue, cocotte! en route pour la gloire!
-les chevaux du Carrousel ne sont pas tes cousins aujourd’hui!
-
-Ces lazzi tant soit peu cruels ne parvinrent pas à dérider les trois
-Turcs, et le cocher n’amusa que lui-même.
-
-Dans une voiture infiniment plus brillante et mieux attelée, le notaire
-se lamentait en présence de ses deux amis.
-
---C’en est fait, disait-il, je suis l’équivalent d’un homme mort; il ne
-me reste plus qu’à me brûler la cervelle. Je ne saurais plus aller dans
-le monde, ni à l’Opéra, ni dans aucun théâtre. Voulez-vous que j’étale
-aux yeux de l’univers une figure grotesque et lamentable, qui excitera
-le rire chez les uns et la pitié chez les autres?
-
---Bah! répondit le marquis, le monde se fait à tout. Et, d’ailleurs,
-au pis aller, si l’on a peur du monde, on reste chez soi.
-
---Rester chez moi, le bel avenir! Pensez-vous donc que les femmes
-viendront me relancer à domicile, dans le bel état où je suis?
-
---Vous vous marierez! J’ai connu un lieutenant de cuirassiers qui avait
-perdu un bras, une jambe et un œil. Il n’était pas la coqueluche des
-femmes, d’accord; mais il épousa une brave fille, ni laide ni jolie,
-qui l’aima de tout son cœur et le rendit parfaitement heureux.
-
-M. L’Ambert trouva sans doute que cette perspective n’était pas des
-plus consolantes, car il s’écria d’un ton de désespoir:
-
---O les femmes! les femmes! les femmes!
-
---Jour de Dieu! reprit le marquis, comme vous avez la girouette tournée
-au féminin! Mais les femmes ne sont pas tout; il y a autre chose en ce
-monde. On fait son salut, que diable! On amende son âme, on cultive
-son esprit, on rend service au prochain, on remplit les devoirs de son
-état. Il n’est pas nécessaire d’avoir un si long nez pour être bon
-chrétien, bon citoyen et bon notaire!
-
---Notaire! reprit-il avec une amertume peu déguisée, notaire! En effet,
-je suis encore cela. Hier, j’étais un homme, un homme du monde, un
-gentleman, et même, je puis le dire sans fausse modestie, un cavalier
-assez apprécié dans la meilleure compagnie. Aujourd’hui, je ne suis
-plus qu’un notaire. Et qui sait si je le serai demain? Il ne faut
-qu’une indiscrétion de valet pour ébruiter cette sotte affaire. Qu’un
-journal en dise deux mots, le parquet est forcé de poursuivre mon
-adversaire, et ses témoins, et vous-mêmes, messieurs. Nous voyez-vous
-en police correctionnelle, racontant au tribunal où et pourquoi j’ai
-poursuivi mademoiselle Victorine Tompain! Supposez un tel scandale et
-dites si le notaire y survivrait.
-
---Mon cher garçon, répondit le marquis, vous vous effrayez de dangers
-imaginaires. Les gens de notre monde, et vous en êtes un peu, ont le
-droit de se couper la gorge impunément. Le ministère public ferme les
-yeux sur nos querelles, et c’est justice. Je comprends qu’on inquiète
-un peu les journalistes, les artistes et autres individus de condition
-inférieure lorsqu’ils se permettent de toucher une épée: il convient
-de rappeler à ces gens-là qu’ils ont des poings pour se battre, et
-que cette arme suffit parfaitement à venger l’espèce d’honneur qu’ils
-ont. Mais qu’un gentilhomme se conduise en gentilhomme, le parquet n’a
-rien à dire et ne dit rien. J’ai eu quinze ou vingt affaires depuis
-que j’ai quitté le service, et quelques-unes assez malheureuses pour
-mes adversaires. Avez-vous jamais lu mon nom dans la _Gazette des
-Tribunaux_?
-
-M. Steimbourg était moins lié avec M. L’Ambert que le marquis de
-Villemaurin; il n’avait pas, comme lui, tous ses titres de propriété
-dans l’étude de la rue de Verneuil depuis quatre ou cinq générations.
-Il ne connaissait guère ces deux messieurs que par le cercle et la
-partie de whist; peut-être aussi par quelques courtages que le notaire
-lui avait fait gagner. Mais il était bon garçon et homme de sens;
-il fit donc à son tour quelque dépense de paroles pour raisonner et
-consoler ce malheureux. A son gré, M. de Villemaurin mettait les choses
-au pis; il y avait plus de ressource. Dire que M. L’Ambert resterait
-défiguré toute sa vie, c’était désespérer trop tôt de la science.
-
---A quoi nous servirait-il d’être nés au XIX^e siècle, si le moindre
-accident devait être, comme autrefois, un malheur irréparable? Quelle
-supériorité aurions-nous sur les hommes de l’âge d’or? Ne blasphémons
-pas le saint nom du progrès. La chirurgie opératoire est, grâce à Dieu,
-plus florissante que jamais dans la patrie d’Ambroise Paré. Le bonhomme
-de Parthenay nous a cité quelques-uns des maîtres qui raccommodent
-victorieusement le corps humain. Nous voici aux portes de Paris, nous
-enverrons à la plus prochaine pharmacie, on nous y donnera l’adresse
-de Velpeau ou d’Huguier; votre valet de pied courra chez le grand
-homme et l’amènera chez vous. Je suis sûr d’avoir entendu dire que les
-chirurgiens refaisaient une lèvre, une paupière, un bout d’oreille:
-est-il donc plus difficile de restaurer un bout de nez?
-
-Cette espérance était bien vague; elle ranima pourtant le pauvre
-notaire, qui, depuis une demi-heure, ne saignait plus. L’idée de
-redevenir ce qu’il était et de reprendre le cours de sa vie, le jetait
-dans une sorte de délire. Tant il est vrai qu’on n’apprécie le bonheur
-d’être complet que lorsqu’on l’a perdu.
-
---Ah! mes amis, s’écriait-il en tordant ses mains l’une dans l’autre,
-ma fortune appartient à l’homme qui me guérira! Quels que soient les
-tourments qu’il me faudra endurer, j’y souscris de grand cœur si l’on
-m’assure du succès; je ne regarderai pas plus à la souffrance qu’à la
-dépense!
-
-C’est dans ces sentiments qu’il regagna la rue de Verneuil, tandis
-que son valet de pied cherchait l’adresse des chirurgiens célèbres.
-Le marquis et M. Steimbourg le ramenèrent jusque dans sa chambre et
-prirent congé de lui, l’un pour aller rassurer sa femme et ses filles,
-qu’il n’avait pas vues depuis la veille au soir, l’autre pour courir à
-la Bourse.
-
-Seul avec lui-même, en face d’un grand miroir de Venise qui lui
-renvoyait sans pitié sa nouvelle image, Alfred L’Ambert tomba dans un
-accablement profond. Cet homme fort, qui ne pleurait jamais au théâtre
-parce que c’est _peuple_, ce gentleman au front d’airain qui avait
-enterré son père et sa mère avec la plus sereine impassibilité, pleura
-sur la mutilation de sa jolie personne et se baigna de larmes égoïstes.
-
-Son valet de pied fit diversion à cette douleur amère en lui promettant
-la visite de M. Bernier, chirurgien de l’Hôtel-Dieu, membre de la
-Société de chirurgie et de l’Académie de médecine, professeur de
-clinique, etc., etc. Le domestique avait couru au plus près, rue du
-Bac, et il n’était pas mal tombé: M. Bernier, s’il ne va point de
-pair avec les Velpeau, les Manec et les Huguier, occupe immédiatement
-au-dessous d’eux un rang très honorable.
-
---Qu’il vienne! s’écria M. L’Ambert. Pourquoi n’est-il pas encore ici?
-Croit-il donc que je sois fait pour attendre?
-
-Il se reprit à pleurer de plus belle. Pleurer devant ses gens! Se
-peut-il qu’un simple coup de sabre modifie à tel point les mœurs d’un
-homme? Assurément, il fallait que l’arme du bon Ayvaz, en tranchant le
-canal nasal, eût ébranlé le sac lacrymal et les tubercules eux-mêmes.
-
-Le notaire sécha ses yeux pour regarder un fort volume in-12, qu’on
-apportait en grande hâte de la part de M. Steimbourg. C’était la
-_Chirurgie opératoire_ de Ringuet, manuel excellent et enrichi
-d’environ trois cents gravures. M. Steimbourg avait acheté le livre en
-allant à la Bourse, et il l’envoyait à son client, pour le rassurer
-sans doute. Mais l’effet de cette lecture fut tout autre qu’on ne
-l’espérait. Quand le notaire eut feuilleté deux cents pages, quand il
-eut vu défiler sous ses yeux la série lamentable des ligatures, des
-amputations, des résections et des cautérisations, il laissa tomber
-le livre et se jeta dans un fauteuil en fermant les yeux. Il fermait
-les yeux et pourtant il voyait des peaux incisées, des muscles écartés
-par des érignes, des membres disséqués à grands coups de couteau, des
-os sciés par les mains d’opérateurs invisibles. La figure des patients
-lui apparaissait, telle qu’on la voit dans les dessins d’anatomie,
-calme, stoïque, indifférente à la douleur, et il se demandait si une
-telle dose de courage avait jamais pu entrer dans des âmes humaines.
-Il revoyait surtout le petit chirurgien de la page 89, tout de noir
-habillé, avec un collet de velours à son habit. Cet être fantastique
-a la tête ronde, un peu forte, le front dégarni: sa physionomie est
-sérieuse; il scie attentivement les deux os d’une jambe vivante.
-
---Monstre! s’écria M. L’Ambert.
-
-Au même instant, il vit entrer le monstre en personne et l’on annonça
-M. Bernier.
-
-Le notaire s’enfuit à reculons jusque dans l’angle le plus obscur de sa
-chambre, ouvrant des yeux hagards et tendant les mains en avant comme
-pour écarter un ennemi. Ses dents claquaient; il murmurait d’une voix
-étouffée, comme dans les romans de M. Xavier de Montépin, le mot:
-
---Lui! lui! lui!
-
---Monsieur, dit le docteur, je regrette de vous avoir fait attendre,
-et je vous supplie de vous calmer. Je sais l’accident qui vous est
-arrivé, et je ne crois pas que le mal soit sans remède. Mais nous ne
-ferons rien de bon si vous avez peur de moi.
-
-Peur est un mot qui sonne désagréablement aux oreilles françaises. M.
-L’Ambert frappa du pied, marcha droit au docteur et lui dit avec un
-petit rire trop nerveux pour être naturel:
-
---Parbleu! docteur, vous me la baillez belle. Est-ce que j’ai l’air
-d’un homme qui a peur? Si j’étais un poltron, je ne me serais pas
-fait décompléter ce matin d’une si étrange manière. Mais, en vous
-attendant, je feuilletais un livre de chirurgie. Je viens tout
-justement d’y voir une figure qui vous ressemble, et vous m’êtes un peu
-apparu comme un revenant. Ajoutez à cette surprise les émotions de la
-matinée, peut-être même un léger mouvement de fièvre, et vous excuserez
-ce qu’il y a d’étrange dans mon accueil.
-
---A la bonne heure! dit M. Bernier en ramassant le livre. Ah! vous
-lisiez Ringuet! C’est un de mes amis. Je me rappelle, en effet,
-qu’il m’a fait graver tout vif, d’après un croquis de Léveillé. Mais
-asseyez-vous, je vous en prie.
-
-Le notaire se remit un peu et raconta les événements de la journée,
-sans oublier l’épisode du chat qui lui avait, pour ainsi dire, fait
-perdre le nez une seconde fois.
-
---C’est un malheur, dit le chirurgien; mais on peut le réparer en un
-mois. Puisque vous avez le petit livre de Ringuet, vous n’êtes pas sans
-quelque notion de la chirurgie?
-
-M. L’Ambert avoua qu’il n’était point allé jusqu’à ce chapitre-là.
-
---Eh bien, reprit M. Bernier, je vais vous le résumer en quatre mots.
-La rhinoplastie est l’art de refaire un nez aux imprudents qui l’ont
-perdu.
-
---Il est donc vrai, docteur!... le miracle est possible?... La
-chirurgie a trouvé une méthode pour ...?
-
---Elle en a trouvé trois. Mais j’écarte la méthode française, qui
-n’est point applicable au cas présent. Si la perte de substance était
-moins considérable, je pourrais décoller les bords de la plaie, les
-aviver, les mettre en contact et les réunir par première intention. Il
-n’y faut pas songer.
-
---Et j’en suis bien aise, reprit le blessé. Vous ne sauriez croire,
-docteur, à quel point ces mots de plaie décollée, avivée, me donnaient
-sur les nerfs. Passons à des moyens plus doux, je vous en prie!
-
---Les chirurgiens procèdent rarement par la douceur. Mais, enfin, vous
-avez le choix entre la méthode indienne et la méthode italienne. La
-première consiste à découper dans la peau de votre front une sorte de
-triangle, la pointe en bas, la base en haut. C’est l’étoffe du nouveau
-nez. On décolle ce lambeau dans toute son étendue, sauf le pédicule
-inférieur qui doit rester adhérent. On le tord sur lui-même de façon à
-laisser l’épiderme en dehors, et on le coud par ses bords aux limites
-correspondantes de la plaie. En autres termes, je puis vous refaire
-un nez assez présentable aux dépens de votre front. Le succès de
-l’opération est presque sûr; mais le front gardera toujours une large
-cicatrice.
-
---Je ne veux point de cicatrice, docteur. Je n’en veux à aucun prix.
-J’ajoute même (passez-moi cette faiblesse) que je ne voudrais point
-d’opération. J’en ai déjà subi une aujourd’hui, par les mains de ce
-maudit Turc; je n’en souhaite pas d’autre. Au simple souvenir de cette
-sensation, mon sang se glace. J’ai pourtant du courage autant qu’homme
-du monde; mais j’ai des nerfs aussi. Je ne crains pas la mort; j’ai
-horreur de la souffrance. Tuez-moi si vous voulez; mais, pour Dieu! ne
-m’entaillez plus!
-
---Monsieur, reprit le docteur avec un peu d’ironie, si vous avez un
-tel parti pris contre les opérations, il fallait appeler non pas un
-chirurgien, mais un homœopathe.
-
---Ne vous moquez pas de moi. Je n’ai pas su me maîtriser à l’idée de
-cette opération indienne. Les Indiens sont des sauvages; leur chirurgie
-est digne d’eux. Ne m’avez-vous point parlé d’une méthode italienne? Je
-n’aime pas les Italiens, en politique. C’est un peuple ingrat, qui a
-tenu la conduite la plus noire envers ses maîtres légitimes; mais, en
-matière de science, je n’ai pas trop mauvaise idée de ces coquins-là.
-
---Soit. Optez donc pour la méthode italienne. Elle réussit quelquefois;
-mais elle exige une patience et une immobilité dont vous ne serez
-peut-être point capable.
-
---S’il ne faut que de la patience et de l’immobilité, je vous réponds
-de moi.
-
---Êtes-vous homme à rester trente jours dans une position extrêmement
-gênante?
-
---Oui.
-
---Le nez cousu au bras gauche?
-
---Oui.
-
---Eh bien, je vous taillerai sur le bras un lambeau triangulaire de
-quinze à seize centimètres de longueur sur dix ou onze de largeur, je
-...
-
---Vous me taillerez cela, à moi?
-
---Sans doute.
-
---Mais c’est horrible, docteur! m’écorcher vif! tailler des lanières
-dans la peau d’un homme vivant! c’est barbare, c’est moyen âge, c’est
-digne de Shylock, le juif de Venise!
-
---La plaie du bras n’est rien. Le difficile est de rester cousu à
-vous-même pendant une trentaine de jours.
-
---Et moi, je ne redoute absolument que le coup de scalpel. Lorsqu’on a
-senti le froid du fer entrant dans la chair vivante, on en a pour le
-reste de ses jours, mon cher docteur; on n’y revient plus.
-
---Cela étant, monsieur, je n’ai rien à faire ici, et vous resterez sans
-nez toute la vie.
-
-Cette espèce de condamnation plongea le pauvre notaire dans une
-consternation profonde. Il arrachait ses beaux cheveux blonds et se
-démenait comme un fou par la chambre.
-
---Mutilé! disait-il en pleurant; mutilé pour toujours! Et rien ne peut
-remédier à mon sort! S’il y avait quelque drogue, quelque topique
-mystérieux dont la vertu rendît le nez à ceux qui l’ont perdu, je
-l’achèterais au poids de l’or! Je l’enverrais chercher jusqu’au bout du
-monde! Oui, j’armerais un vaisseau, s’il le fallait absolument. Mais
-rien! A quoi me sert-il d’être riche? à quoi vous sert-il d’être un
-praticien illustre, puisque toute votre habileté et tous mes sacrifices
-aboutissent à ce stupide néant? Richesse, science, vains mots!
-
-M. Bernier lui répondait de temps à autre, avec un calme imperturbable:
-
---Laissez-moi vous tailler un lambeau sur le bras, et je vous refais le
-nez.
-
-Un instant M. L’Ambert parut décidé. Il mit habit bas et releva la
-manche de sa chemise. Mais, quand il vit la trousse ouverte, quand
-l’acier poli de trente instruments de supplice étincela sous ses yeux,
-il pâlit, faiblit et tomba comme pâmé sur une chaise. Quelques gouttes
-d’eau vinaigrée lui rendirent le sentiment, mais non la résolution.
-
---Il n’y faut plus penser, dit-il en se rajustant. Notre génération a
-toutes les espèces de courage, mais elle est faible devant la douleur.
-C’est la faute de nos parents, qui nous ont élevés dans le coton.
-
-Quelques minutes plus tard, ce jeune homme, imbu des principes les plus
-religieux, se prit à blasphémer la Providence.
-
---En vérité, s’écria-t-il, le monde est une belle pétaudière, et j’en
-fais compliment au Créateur! J’ai deux cent mille francs de rente, et
-je resterai aussi camus qu’une tête de mort, tandis que mon portier,
-qui n’a pas dix écus devant lui, aura le nez de l’Apollon du Belvédère!
-La Sagesse qui a prévu tant de choses, n’a pas prévu que j’aurais le
-nez coupé par un Turc pour avoir salué mademoiselle Victorine Tompain!
-Il y a en France trois millions de gueux dont toute la personne ne
-vaut pas dix sous, et je ne peux pas acheter à prix d’or le nez d’un de
-ces misérables!... Mais, au fait, pourquoi pas?
-
-Sa figure s’illumina d’un rayon d’espérance, et il poursuivit d’un ton
-plus doux:
-
---Mon vieil oncle de Poitiers, dans sa dernière maladie, s’est fait
-injecter cent grammes de sang breton dans la veine médiane céphalique!
-un fidèle serviteur avait fait les frais de l’expérience. Ma belle
-tante de Giromagny, du temps qu’elle était encore belle, fit arracher
-une incisive à sa plus jolie chambrière pour remplacer une dent qu’elle
-venait de perdre. Cette bouture prit fort bien, et ne coûta pas plus
-de trois louis. Docteur, vous m’avez dit que, sans la scélératesse de
-ce maudit chat, vous auriez pu recoudre mon nez tout chaud à la figure.
-Me l’avez-vous dit, oui ou non?
-
---Sans doute, et je le dis encore.
-
---Eh bien, si j’achetais le nez de quelque pauvre diable, vous pourriez
-tout aussi bien le greffer au milieu de mon visage?
-
---Je le pourrais ...
-
---Bravo!
-
---Mais je ne le ferai point, et aucun de mes confrères ne le fera non
-plus que moi.
-
---Et pourquoi donc, s’il vous plaît?
-
---Parce que mutiler un homme sain est un crime, le patient fût-il assez
-stupide ou assez affamé pour y consentir.
-
---En vérité, docteur, vous confondez toutes mes notions du juste et de
-l’injuste. Je me suis fait remplacer moyennant une centaine de louis
-par une espèce d’Alsacien, sous poil alezan brûlé. Mon homme (il était
-bien à moi) a eu la tête emportée par un boulet le 30 avril 1849. Comme
-le boulet en question m’était incontestablement destiné par le sort, je
-puis dire que l’Alsacien m’a vendu sa tête et toute sa personne pour
-cent louis, peut-être cent quarante. L’État a non seulement toléré,
-mais approuvé cette combinaison; vous n’y trouvez rien à redire;
-peut-être avez-vous acheté vous-même, au même prix, un homme entier,
-qui se sera fait tuer pour vous. Et quand j’offre de donner le double
-au premier coquin venu, pour un simple bout de nez, vous criez au
-scandale!
-
-Le docteur s’arrêta un instant à chercher une réponse logique. Mais,
-n’ayant point trouvé ce qu’il voulait, il dit à maître L’Ambert:
-
---Si ma conscience ne me permet pas de défigurer un homme à votre
-profit, il me semble que je pourrais, sans crime, prélever sur le
-bras d’un malheureux les quelques centimètres carrés de peau qui vous
-manquent.
-
---Eh! cher docteur, prenez-les où bon vous semblera, pourvu que vous
-répariez cet accident stupide! Trouvons bien vite un homme de bonne
-volonté, et vive la méthode italienne!
-
---Je vous préviens encore une fois que vous serez tout un mois à la
-gêne.
-
---Eh! que m’importe la gêne! Je serai, dans un mois, au foyer de
-l’Opéra!
-
---Soit. Avez-vous un homme en vue? Ce concierge dont vous parliez tout
-à l’heure?...
-
---Très bien! on l’achèterait avec sa femme et ses enfants pour cent
-écus. Lorsque Barbereau, mon ancien, s’est retiré je ne sais où pour
-vivre de ses rentes, un client m’a recommandé celui-là, qui mourait
-littéralement de faim.
-
-M. L’Ambert sonna un valet de chambre et ordonna qu’on fît monter
-Singuet, le nouveau concierge.
-
-L’homme accourut; il poussa un cri d’effroi en voyant la figure de son
-maître.
-
-C’était un vrai type du pauvre diable parisien, le plus pauvre de tous
-les diables: un petit homme de trente-cinq ans, à qui vous en auriez
-donné soixante, tant il était sec, jaune et rabougri.
-
-M. Bernier l’examina sur toutes les coutures et le renvoya bientôt à sa
-loge.
-
---La peau de cet homme-là n’est bonne à rien, dit le docteur.
-Rappelez-vous que les jardiniers prennent leurs greffes sur les arbres
-les plus sains et les plus vigoureux. Choisissez-moi un gaillard solide
-parmi les gens de votre maison; il y en a.
-
---Oui; mais vous en parlez bien à votre aise. Les gens de ma maison
-sont tous des messieurs. Ils ont des capitaux, des valeurs en
-portefeuille; ils spéculent sur la hausse et la baisse, comme tous les
-domestiques de bonne maison. Je n’en connais pas un qui voulût acheter,
-au prix de son sang, un métal qui se gagne si couramment à la Bourse.
-
---Mais peut-être en trouveriez-vous un qui, par dévouement ...
-
---Du dévouement chez ces gens-là? Vous vous moquez, docteur! Nos pères
-avaient des serviteurs dévoués: nous n’avons plus que de méchants
-valets; et, dans le fond, nous y gagnons peut-être. Nos pères, étant
-aimés de leurs gens, se croyaient obligés de les payer d’un tendre
-retour. Ils supportaient leurs défauts, les soignaient dans leurs
-maladies, les nourrissaient dans leur vieillesse; c’était le diable.
-Moi, je paye mes gens pour faire leur service, et, quand le service
-ne se fait pas bien, je n’ai pas besoin d’examiner si c’est mauvais
-vouloir, vieillesse ou maladie, je les chasse.
-
---Alors, nous ne trouverons pas chez vous l’homme qu’il nous faut.
-Avez-vous quelqu’un en vue?
-
---Moi? Personne. Mais tout est bon; le premier venu, le commissionnaire
-du coin, le porteur d’eau que j’entends crier dans la rue!
-
-Il tira ses lunettes de sa poche, écarta légèrement le rideau, lorgna
-dans la rue de Beaune, et dit au docteur:
-
---Voici un garçon qui n’a pas mauvaise mine. Ayez donc la bonté de lui
-faire un signe, car je n’ose pas montrer ma figure aux passants.
-
-M. Bernier ouvrit la fenêtre au moment où la victime désignée criait à
-pleins poumons:
-
---Eau!... eau!... eau!...
-
---Mon garçon, lui dit le docteur, laissez-là votre tonneau et montez
-ici par la rue de Verneuil! Il y a de l’argent à gagner.
-
-
-
-
-IV
-
-CHÉBACHTIEN ROMAGNÉ
-
-
-IL s’appelait Romagné, du nom de son père. Son parrain et sa
-marraine l’avaient baptisé Sébastien; mais, comme il était natif de
-Frognac-lès-Mauriac, département du Cantal, il invoquait son patron
-sous le nom de _chaint Chébachtien_. Tout porte à croire qu’il
-aurait écrit son prénom par un _Ch_; mais heureusement il ne savait
-pas écrire. Cet enfant de l’Auvergne était âgé de vingt-trois ou
-vingt-quatre ans, et bâti comme un hercule: grand, gros, trapu, ossu,
-corsu, haut en couleur; fort comme un bœuf de labour, doux et facile
-à mener comme un petit agneau blanc. Imaginez la plus solide pâte
-d’homme, la plus grossière et la meilleure.
-
-Il était l’aîné de dix enfants, garçons et filles, tous vivants, bien
-portants et grouillants sous le toit paternel. Son père avait une
-cabane, un bout de champ, quelques châtaigniers dans la montagne, une
-demi-douzaine de cochons, bon an mal an, et deux bras pour piocher la
-terre. La mère filait du chanvre, les petits garçons aidaient au père,
-les petites avaient soin du ménage et s’élevaient les unes les autres,
-l’aînée servant de bonne à la cadette et ainsi de suite jusqu’au bas de
-l’échelle.
-
-Le jeune Sébastien ne brilla jamais par l’intelligence, ni par la
-mémoire, ni par aucun don de l’esprit; mais il avait du cœur à
-revendre. On lui apprit quelques chapitres du catéchisme, comme on
-enseigne aux merles à siffler _J’ai du bon tabac_; mais il eut et
-conserva toujours les sentiments les plus chrétiens. Jamais il n’abusa
-de sa force contre les gens ni contre les bêtes; il évitait les
-querelles et recevait bien souvent des taloches sans les rendre. Si M.
-le sous-préfet de Mauriac avait voulu lui faire donner une médaille
-d’argent, il n’aurait eu qu’à écrire à Paris; car Sébastien sauva
-plusieurs personnes au péril de sa vie, et notamment deux gendarmes qui
-se noyaient avec leurs chevaux dans le torrent de la Saumaise. Mais on
-trouvait ces choses-là toutes naturelles, attendu qu’il les faisait
-d’instinct, et l’on ne songeait pas plus à le récompenser que s’il eût
-été un chien de Terre-Neuve.
-
-A l’âge de vingt ans, il satisfit à la loi et tira un bon numéro, grâce
-à une neuvaine qu’il avait faite en famille. Après quoi, il résolut
-de s’en aller à Paris, suivant les us et coutumes de l’Auvergne, pour
-gagner un peu d’argent blanc et venir en aide à ses père et mère. On
-lui donna un costume de velours et vingt francs, qui sont encore une
-somme dans l’arrondissement de Mauriac, et il profita de l’occasion
-d’un camarade qui savait le chemin de Paris. Il fit la route à pied, en
-dix jours, et arriva frais et dispos avec douze francs cinquante dans
-la poche et ses souliers neufs à la main.
-
-Deux jours après, il roulait un tonneau dans le faubourg Saint-Germain
-en compagnie d’un autre camarade qui ne pouvait plus monter les
-escaliers parce qu’il s’était donné un _effort_. Il fut, pour prix de
-ses peines, logé, couché, nourri et blanchi à raison d’une chemise par
-mois, sans compter qu’on lui donnait trente sous par semaine pour
-faire le garçon. Sur ses économies, il acheta, au bout de l’année, un
-tonneau d’occasion et s’établit à son compte.
-
-Il réussit au delà de toute espérance. Sa politesse naïve, sa
-complaisance infatigable et sa probité bien connue lui concilièrent les
-bonnes grâces de tout le quartier. De deux mille marches d’escalier
-qu’il montait et descendait tous les jours, il s’éleva graduellement
-à sept mille. Aussi envoyait-il jusqu’à soixante francs par mois aux
-bonnes gens de Frognac. La famille bénissait son nom et le recommandait
-à Dieu soir et matin dans ses prières; les petits garçons avaient des
-culottes neuves, et il ne s’agissait de rien moins que d’envoyer les
-deux derniers à l’école!
-
-L’auteur de tous ces biens n’avait rien changé à sa manière de vivre;
-il couchait à côté de son tonneau sous une remise, et renouvelait
-quatre fois par an la paille de son lit. Le costume de velours était
-plus rapiécé qu’un habit d’arlequin. En vérité, sa toilette eût coûté
-bien peu de chose sans les maudits souliers, qui usaient tous les mois
-un kilogramme de clous. Ses dépenses de table étaient les seules sur
-lesquelles il ne lésinât point. Il s’octroyait sans marchander quatre
-livres de pain par jour. Quelquefois même il régalait son estomac
-d’un morceau de fromage ou d’un oignon, ou d’une demi-douzaine de
-pommes achetées au tas sur le pont Neuf. Les dimanches et fêtes, il
-affrontait la soupe et le bœuf, et s’en léchait les doigts toute la
-semaine. Mais il était trop bon fils et trop bon frère pour s’aventurer
-jusqu’au verre de vin. «Le vin, l’amour et le tabac» étaient pour lui
-des denrées fabuleuses; il ne les connaissait que de réputation. A plus
-forte raison ignorait-il les plaisirs du théâtre, si chers aux ouvriers
-de Paris. Mon gaillard aimait mieux se coucher gratis à sept heures que
-d’applaudir M. Dumaine pour dix sous.
-
-Tel était au physique et au moral l’homme que M. Bernier héla dans la
-rue de Beaune pour qu’il vînt prêter de sa peau à M. L’Ambert.
-
-Les gens de la maison, avertis, l’introduisirent en hâte.
-
-Il s’avança timidement, le chapeau à la main, levant les pieds aussi
-haut qu’il pouvait, et n’osant les reposer sur le tapis. L’orage du
-matin l’avait crotté jusqu’aux aisselles.
-
---Chi ch’est pour de l’eau, dit-il en saluant le docteur, je ...
-
-M. Bernier lui coupa la parole.
-
---Non, mon garçon: il ne s’agit pas de votre commerce.
-
---Alors, mouchu, ch’est donc pour auchtre choge?
-
---Pour une tout autre chose. Monsieur que voici a eu le nez coupé ce
-matin.
-
---Ah! chaprichti, le pauvre homme! Et qui est-che qui lui a fait cha?
-
---Un Turc; mais il n’importe.
-
---Un chauvage! On m’avait bien dit que les Turcs étaient des chauvages;
-mais je ne chavais pas qu’on les laichait venir à Paris. Attendez
-cheulement un peu; je vas charcher le chargent de ville!
-
-M. Bernier arrêta cet élan de zèle du digne Auvergnat et lui expliqua
-en peu de mots le service qu’on attendait de lui. Il crut d’abord qu’on
-se moquait, car on peut être un excellent porteur d’eau et n’avoir
-aucune notion de rhinoplastie. Le docteur lui fit comprendre qu’on
-voulait lui acheter un mois de son temps et environ cent cinquante
-centimètres carrés de sa peau.
-
---L’opération n’est rien, lui dit-il, et vous n’avez que fort peu
-à souffrir; mais je vous préviens qu’il vous faudra énormément de
-patience pour rester immobile un mois durant, le bras cousu au nez de
-monsieur.
-
---De la pachienche, répondit-il, j’en ai de rechte; ch’est pas pour
-rien qu’on est Oubergnat. Mais chi je pâche un mois chez vous pour
-rendre cherviche à che pauvre homme, il faudra me payer mon temps che
-qu’il vaut.
-
---Bien entendu. Combien voulez-vous?
-
-Il médita un instant et dit:
-
---La main chur la conschienche, cha vaut une pièce de quatre francs par
-jour.
-
---Non, mon ami, reprit le notaire: cela vaut mille francs pour le mois,
-ou trente-trois francs par journée.
-
---Non, répliqua le docteur avec autorité, cela vaut deux mille francs.
-
-M. L’Ambert inclina la tête et ne fit point d’objection.
-
-Romagné demanda la permission de finir sa journée, de ramener son
-tonneau sous la remise et de chercher un remplaçant pour un mois.
-
---Du rechte, disait-il, che n’est pas la peine de commencher
-aujourd’hui, pour une demi-journée.
-
-On lui prouva que la chose était urgente, et il prit ses mesures en
-conséquence. Un de ses amis fut mandé et promit de le suppléer durant
-un mois.
-
---Tu m’apporteras mon pain tous les choirs, dit Romagné.
-
-On lui dit que la précaution était inutile, et qu’il serait nourri dans
-la maison.
-
---Cha dépend de che que cha coûtera.
-
---M. L’Ambert vous nourrira gratis.
-
---Gratiche! ch’est dans mes prix. Voichi ma peau. Coupez tout de
-chuite!
-
-Il supporta l’opération comme un brave, sans sourciller.
-
---Ch’est un plaigir, disait-il. On m’a parlé d’un Oubergnat de mon
-pays qui che faigeait pétrifier dans une chourche à vingt chous
-l’heure. J’aime mieux me faire couper par morcheaux. Ch’est moins
-achujettichant, et cha rapporte pluche.
-
-M. Bernier lui cousit le bras gauche au visage du notaire, et ces deux
-hommes restèrent, un mois durant, enchaînés l’un à l’autre. Les deux
-frères siamois qui amusèrent jadis la curiosité de l’Europe n’étaient
-pas plus indissolubles. Mais ils étaient frères, accoutumés à se
-supporter dès l’enfance, et ils avaient reçu la même éducation. Si
-l’un avait été porteur d’eau et l’autre notaire, peut-être auraient-ils
-donné le spectacle d’une amitié moins fraternelle.
-
-Romagné ne se plaignit jamais de rien, quoique la situation lui parût
-tout à fait nouvelle. Il obéit en esclave, ou mieux, en chrétien, à
-toutes les volontés de l’homme qui avait acheté sa peau. Il se levait,
-s’asseyait, se couchait, se tournait à droite et à gauche, selon le
-caprice de son seigneur. L’aiguille aimantée n’est pas plus soumise au
-pôle nord que Romagné n’était soumis à M. L’Ambert.
-
-Cette héroïque mansuétude toucha le cœur du notaire, qui pourtant
-n’était pas tendre. Pendant trois jours, il eut une sorte de
-reconnaissance pour les bons soins de sa victime; mais il ne tarda
-guère à le prendre en dégoût, puis en horreur.
-
-Un homme jeune, actif et bien portant ne s’accoutume jamais sans effort
-à l’immobilité absolue. Qu’est-ce donc lorsqu’il doit rester immobile
-dans le voisinage d’un être inférieur, malpropre et sans éducation?
-Mais le sort en était jeté. Il fallait ou vivre sans nez ou supporter
-l’Auvergnat avec toutes ses conséquences, manger avec lui, dormir avec
-lui, accomplir auprès de lui, et dans la situation la plus incommode,
-toutes les fonctions de la vie.
-
-Romagné était un digne et excellent jeune homme; mais il ronflait comme
-un orgue. Il adorait sa famille, il aimait son prochain; mais il ne
-s’était jamais baigné de sa vie, de peur d’user en vain la marchandise.
-Il avait les sentiments les plus délicats du monde; mais il ne savait
-pas s’imposer les contraintes les plus élémentaires que la civilisation
-nous recommande. Pauvre M. L’Ambert! et pauvre Romagné! quelles nuits
-et quelles journées! quels coups de pied donnés et reçus! Inutile de
-dire que Romagné les reçut sans se plaindre: il craignait qu’un faux
-mouvement ne fît manquer l’expérience de M. Bernier.
-
-Le notaire recevait bon nombre de visites. Il lui vint des compagnons
-de plaisir qui s’amusèrent de l’Auvergnat. On lui apprit à fumer
-des cigares, à boire du vin et de l’eau-de-vie. Le pauvre diable
-s’abandonnait à ces plaisirs nouveaux avec la naïveté d’un Peau-Rouge.
-On le grisa, on le soûla, on lui fit descendre tous les échelons qui
-séparent l’homme de la brute. C’était une éducation à refaire; les
-beaux messieurs y prirent un plaisir cruel. N’était-il pas agréable et
-nouveau de démoraliser un Auvergnat?
-
-Certain jour, on lui demanda comment il pensait employer les cent louis
-de M. L’Ambert lorsqu’il aurait fini de les gagner:
-
---Je les placherai à chinq pour chent, répondit-il, et j’aurai chent
-francs de rente.
-
---Et après? lui dit un joli millionnaire de vingt-cinq ans. En seras-tu
-plus riche? en seras-tu plus heureux? Tu auras six sous de rente par
-jour! Si tu te maries, et c’est inévitable, car tu es du bois dont on
-fait les imbéciles, tu auras douze enfants, pour le moins.
-
---Cha, ch’est possible!
-
---Et, en vertu du Code civil, qui est une jolie invention de l’Empire,
-tu leur laisseras à chacun deux liards à manger par jour. Tandis
-qu’avec deux mille francs tu peux vivre un mois comme un riche,
-connaître les plaisirs de la vie et t’élever au-dessus de tes pareils!
-
-Il se défendait comme un beau diable contre ces tentatives de
-corruption; mais on frappa tant de petits coups répétés sur son crâne
-épais, qu’on ouvrit un passage aux idées fausses, et le cerveau fut
-entamé.
-
-Les dames vinrent aussi. M. L’Ambert en connaissait beaucoup, et de
-tous les mondes. Romagné assista aux scènes les plus diverses; il
-entendit des protestations d’amour et de fidélité qui manquaient de
-vraisemblance. Non seulement M. L’Ambert ne se privait pas de mentir
-richement devant lui, mais il s’amusait quelquefois à lui montrer
-dans le tête-à-tête toutes les faussetés qui sont, pour ainsi dire, le
-canevas de la vie élégante.
-
-Et le monde des affaires! Romagné crut le découvrir comme Christophe
-Colomb, car il n’en avait aucune idée. Les clients de l’étude ne se
-gênaient pas plus devant lui qu’on ne se prive de parler en présence
-d’une douzaine d’huîtres. Il vit des pères de famille qui cherchaient
-les moyens de dépouiller légalement leurs fils au profit d’une
-maîtresse ou d’une bonne œuvre; des jeunes gens à marier qui étudiaient
-l’art de voler par contrat la dot de leur femme; des prêteurs qui
-voulaient dix pour cent sur première hypothèque, des emprunteurs qui
-donnaient hypothèque sur le néant!
-
-Il n’avait point d’esprit, et son intelligence n’était pas de beaucoup
-supérieure à celle des caniches; mais sa conscience se révolta
-quelquefois. Il crut bien faire, un jour, en disant à M. L’Ambert:
-
---Vous n’avez pas mon echtime.
-
-Et la répugnance que le notaire avait pour lui se changea en haine
-déclarée.
-
-Les huit derniers jours de leur intimité forcée furent remplis par une
-série de tempêtes. Mais enfin M. Bernier constata que le lambeau avait
-pris racine, malgré des tiraillements sans nombre. On détacha les deux
-ennemis; on modela le nez du notaire dans la peau qui n’appartenait
-plus à Romagné. Et le beau millionnaire de la rue de Verneuil jeta deux
-billets de mille francs à la figure de son esclave en disant:
-
---Tiens, scélérat! L’argent n’est rien; tu m’as fait dépenser pour cent
-mille écus de patience. Va-t’en, sors d’ici pour toujours, et fais en
-sorte que je n’entende jamais parler de toi!
-
-Romagné remercia fièrement, but une bouteille à l’office, deux petits
-verres avec Singuet et s’en alla titubant vers son ancien domicile.
-
-
-
-
-V
-
-GRANDEUR ET DÉCADENCE
-
-
-M. L’AMBERT rentra dans le monde avec succès; on pourrait dire avec
-gloire. Ses témoins lui rendaient très ample justice en disant qu’il
-s’était battu comme un lion. Les vieux notaires se trouvaient rajeunis
-par son courage.
-
---Eh! eh! voilà comme nous sommes quand on nous pousse aux extrémités;
-pour être notaire, on n’en est pas moins homme! Maître L’Ambert a été
-trahi par la fortune des armes; mais il est beau de tomber ainsi;
-c’est un Waterloo. Nous sommes encore des lurons, quoi qu’on dise!
-
-Ainsi parlaient le respectable maître Clopineau, et le digne maître
-Labrique, et l’onctueux maître Bontoux, et tous les nestors du
-notariat. Les jeunes maîtres tenaient à peu près le même langage, avec
-certaines variantes inspirées par la jalousie:
-
---Nous ne voulons pas renier maître L’Ambert: il nous honore,
-assurément, quoiqu’il nous compromette un peu;--chacun de nous
-montrerait autant de cœur, et peut-être moins de maladresse.--Un
-officier ministériel ne doit pas se laisser marcher sur le pied:
-reste à savoir s’il doit se donner les premiers torts. On ne devrait
-aller sur le terrain que pour des motifs avouables. Si j’étais père de
-famille, j’aimerais mieux confier mes affaires à un sage qu’à un héros
-d’aventures, etc., etc.
-
-Mais l’opinion des femmes, qui fait loi, s’était prononcée pour le
-héros de Parthenay. Peut-être eût-elle été moins unanime si l’on avait
-connu l’épisode du chat; peut-être même le sexe injuste et charmant
-aurait-il donné tort à M. L’Ambert s’il s’était permis de reparaître
-sans nez sur la scène du monde. Mais tous les témoins avaient été
-discrets sur le ridicule incident; mais M. L’Ambert, loin d’être
-défiguré, paraissait avoir gagné au change. Une baronne remarqua que
-sa physionomie était beaucoup plus douce depuis qu’il portait un nez
-droit. Une vieille chanoinesse, confite en malices, demanda au prince
-de B ... s’il n’irait pas bientôt chercher querelle au Turc? L’aquilin
-du prince de B ... jouissait d’une réputation hyperbolique.
-
-On se demandera comment les femmes du vrai monde pouvaient s’intéresser
-à des dangers qu’on n’avait point courus pour elles? Les habitudes de
-maître L’Ambert étaient connues et l’on savait quelle part de son temps
-et de son cœur se dépensait à l’Opéra. Mais le monde pardonne aisément
-ces distractions aux hommes qui ne s’y livrent point tout entiers. Il
-fait la part du feu, et se contente du peu qu’on lui donne. On savait
-gré à M. L’Ambert de n’être qu’à moitié perdu, lorsque tant d’hommes
-de son âge le sont tout à fait. Il ne négligeait point les maisons
-honorables, il causait avec les douairières, il dansait avec les jeunes
-filles et faisait, à l’occasion, de la musique passable; il ne parlait
-point des chevaux à la mode. Ces mérites, assez rares chez les jeunes
-millionnaires du faubourg, lui conciliaient la bienveillance des dames.
-On dit même que plus d’une avait cru faire œuvre pie en le disputant
-au foyer de la danse. Une jolie dévote, madame de L ..., lui avait
-prouvé, trois mois durant, que les plaisirs les plus vifs ne sont pas
-dans le scandale et la dissipation.
-
-Toutefois, il n’avait jamais rompu avec le corps de ballet; la sévère
-leçon qu’il avait reçue ne lui inspira aucune horreur pour cette hydre
-à cent jolies têtes. Une de ses premières visites fut pour le foyer où
-brillait mademoiselle Victorine Tompain. C’est là qu’on lui fit une
-belle entrée! Avec quelle curiosité amicale on courut à lui! Comme on
-l’appela _très cher_ et _bien bon_! Quelles poignées de main cordiales!
-Quels jolis petits becs se tendirent vers lui pour recevoir un
-baiser d’ami, sans conséquence! Il rayonnait. Tous ses amis des jours
-pairs, tous les dignitaires de la franc-maçonnerie du plaisir, lui
-firent compliment de sa guérison miraculeuse. Il régna durant tout un
-entr’acte dans cet agréable royaume. On écouta le récit de son affaire;
-on lui fit raconter le traitement du docteur Bernier; on admira la
-finesse des points de suture qui ne se voyaient presque plus!
-
---Figurez-vous, disait-il, que cet excellent M. Bernier m’a complété
-avec la peau d’un Auvergnat. Et de quel Auvergnat, bon Dieu! Le plus
-stupide, le plus épais, le plus sale de l’Auvergne! On ne s’en
-douterait pas à voir le lambeau qu’il m’a vendu. Ah! l’animal m’a fait
-passer bien des quarts d’heure désagréables!... Les commissionnaires du
-coin des rues sont des dandies auprès de lui. Mais j’en suis quitte,
-grâce au ciel! Le jour où je l’ai payé et jeté à la porte, je me suis
-soulagé d’un grand poids. Il s’appelait Romagné, un joli nom! Ne le
-prononcez jamais devant moi. Qu’on ne me parle pas de Romagné, si l’on
-veut que je vive! Romagné!!!
-
-Mademoiselle Victorine Tompain ne fut pas la dernière à complimenter le
-héros. Ayvaz-Bey l’avait indignement abandonnée en lui laissant quatre
-fois plus d’argent qu’elle ne valait. Le beau notaire se montra doux et
-clément envers elle.
-
---Je ne vous en veux pas, lui dit-il; je n’ai pas même de rancune
-contre ce brave Turc. Je n’ai qu’un ennemi au monde, c’est un Auvergnat
-du nom de Romagné.
-
-Il disait Romagné avec une intonation comique qui fit fortune. Et je
-crois que, même aujourd’hui, la plupart de ces demoiselles disent: «Mon
-Romagné», en parlant de leur porteur d’eau.
-
-Trois mois se passèrent; trois mois d’été. La saison fut belle; il
-resta peu de monde à Paris. L’Opéra fut envahi par les étrangers et les
-gens de province; M. L’Ambert y parut moins souvent.
-
-Presque tous les jours, à six heures, il dépouillait la gravité du
-notaire et s’enfuyait à Maisons-Laffitte, où il avait loué un chalet.
-Ses amis l’y venaient voir, et même ses petites amies. On jouait, dans
-le jardin, à toute sorte de jeux champêtres, et je vous prie de croire
-que la balançoire ne chômait pas.
-
-Un des hôtes les plus assidus et les plus gais était M. Steimbourg,
-agent de change. L’affaire de Parthenay l’avait lié plus étroitement
-avec M. L’Ambert. M. Steimbourg appartenait à une bonne famille
-d’israélites convertis; sa charge valait deux millions, et il en
-possédait un quart à lui tout seul: on pouvait donc contracter amitié
-avec lui. Les maîtresses des deux amis s’accordaient assez bien
-ensemble, c’est-à-dire qu’elles se querellaient au plus une fois par
-semaine. Que c’est beau, quatre cœurs qui battent à l’unisson! Les
-hommes montaient à cheval, lisaient le _Figaro_, ou racontaient les
-cancans de la ville; les dames se tiraient les cartes à tour de rôle
-avec infiniment d’esprit: l’âge d’or en miniature!
-
-M. Steimbourg se fit un devoir de présenter son ami dans sa famille. Il
-le conduisit à Biéville, où le père Steimbourg s’était fait construire
-un château. M. L’Ambert y fut reçu cordialement par un vieillard très
-vert, une dame de cinquante-deux ans qui n’avait pas encore abdiqué,
-et deux jeunes filles tout à fait coquettes. Il reconnut au premier
-coup d’œil qu’il n’entrait pas chez des fossiles. Non; c’était bien
-la famille moderne et perfectionnée. Le père et le fils étaient deux
-camarades qui se plaisantaient réciproquement sur leurs fredaines. Les
-jeunes filles avaient vu tout ce qui se joue sur le théâtre et lu tout
-ce qui s’écrit. Peu de gens connaissaient mieux qu’elles la chronique
-élégante de Paris; on leur avait montré, au spectacle et au bois de
-Boulogne, les beautés les plus célèbres de tous les mondes; on les
-avait conduites aux ventes des riches mobiliers, et elles dissertaient
-fort agréablement sur les émeraudes de mademoiselle X ... et les perles
-de mademoiselle Z ... L’aînée, mademoiselle Irma Steimbourg, copiait
-avec passion les toilettes de mademoiselle Fargueil; la cadette avait
-envoyé un de ses amis chez mademoiselle Figeac pour demander l’adresse
-de sa modiste. L’une et l’autre étaient riches et bien dotées. Irma
-plut à M. L’Ambert. Le beau notaire se disait de temps en temps qu’un
-demi-million de dot et une femme qui sait porter la toilette ne sont
-pas choses à dédaigner. On se vit assez souvent, presque une fois par
-semaine, jusqu’aux premières gelées de novembre.
-
-Après un automne doux et brillant, l’hiver tomba comme une tuile. C’est
-un fait assez commun dans nos climats; mais le nez de M. L’Ambert fit
-preuve en cette occasion d’une sensibilité peu commune. Il rougit un
-peu, puis beaucoup; il s’enfla par degrés, au point de devenir presque
-difforme. Après une partie de chasse égayée par le vent du nord, le
-notaire éprouva des démangeaisons intolérables. Il se regarda dans un
-miroir d’auberge et la couleur de son nez lui déplut. Vous auriez dit
-une engelure mal placée.
-
-Il se consolait en pensant qu’un bon feu de fagots lui rendrait sa
-figure naturelle, et, de fait, la chaleur le soulagea et le déteignit
-en peu d’instants. Mais la démangeaison se réveilla le lendemain, et
-les tissus se gonflèrent de plus belle, et la couleur rouge reparut
-avec une légère addition de violet. Huit jours passés au logis, devant
-la cheminée, effacèrent la teinte fatale. Elle reparut à la première
-sortie, en dépit des fourrures de renard bleu.
-
-Pour le coup, M. L’Ambert prit peur; il manda M. Bernier en toute hâte.
-Le docteur accourut, constata une légère inflammation et prescrivit des
-compresses d’eau glacée. On rafraîchit le nez, mais on ne le guérit
-point. M. Bernier fut étonné de la persistance du mal.
-
---Après tout, dit-il, Dieffenbach a peut-être raison. Il prétend que
-le lambeau peut mourir par excès de sang et qu’on y doit appliquer des
-sangsues. Essayons!
-
-Le notaire se suspendit une sangsue au bout du nez. Lorsqu’elle tomba,
-gorgée de sang, on la remplaça par une autre et ainsi de suite, durant
-deux jours et deux nuits. L’enflure et la coloration disparurent pour
-un temps; mais ce mieux ne fut pas de longue durée. Il fallut chercher
-autre chose. M. Bernier demanda vingt-quatre heures de réflexion, et en
-prit quarante-huit.
-
-Lorsqu’il revint à l’hôtel de Monsieur L’Ambert il était soucieux et
-même timide. Il dut faire un effort sur lui-même avant de dire à M.
-L’Ambert:
-
---La médecine ne rend pas compte de tous les phénomènes naturels, et je
-viens vous soumettre une théorie qui n’a aucun caractère scientifique.
-Mes confrères se moqueraient peut-être de moi si je leur disais qu’un
-lambeau détaché du corps d’un homme peut rester sous l’influence de
-son ancien possesseur. C’est votre sang, lancé par votre cœur, sous
-l’action de votre cerveau, qui afflue si malheureusement à votre nez.
-Et pourtant je suis tenté de croire que cet imbécile d’Auvergnat n’est
-pas étranger à l’événement.
-
-M. L’Ambert se récria bien haut. Dire qu’un vil mercenaire que l’on
-avait payé, à qui l’on ne devait rien, pouvait exercer une influence
-occulte sur le nez d’un officier ministériel, c’était presque de
-l’impertinence!
-
---C’est bien pis, répondit le docteur, c’est de l’absurdité. Et
-pourtant je vous demande la permission de chercher le Romagné. J’ai
-besoin de le voir aujourd’hui, ne fût-ce que pour me convaincre de mon
-erreur. Avez-vous gardé son adresse?
-
---A Dieu ne plaise!
-
---Eh bien, je vais me mettre en quête. Prenez patience, gardez la
-chambre, et ne vous traitez plus.
-
-Il chercha quinze jours. La police lui vint en aide et l’égara durant
-trois semaines. On mit la main sur une demi-douzaine de Romagné. Un
-agent subtil et plein d’expérience découvrit tous les Romagné de Paris,
-excepté celui qu’on demandait. On trouva un invalide, un marchand
-de peaux de lapin, un avocat, un voleur, un commis de mercerie, un
-gendarme et un millionnaire. M. L’Ambert grillait d’impatience au coin
-du feu, et contemplait avec désespoir son nez écarlate. Enfin, l’on
-découvrit le domicile du porteur d’eau, mais il n’y demeurait plus. Les
-voisins racontèrent qu’il avait fait fortune et vendu son tonneau pour
-jouir de la vie.
-
-M. Bernier battit les cabarets et autres lieux de plaisir, tandis que
-son malade restait plongé dans la mélancolie.
-
-Le 2 février, à dix heures du matin, le beau notaire se chauffait
-tristement les pieds et contemplait en louchant cette pivoine fleurie
-au milieu de son visage, lorsqu’un tumulte joyeux ébranla toute la
-maison. Les portes s’ouvrirent avec fracas, les valets crièrent de
-surprise, et l’on vit paraître le docteur, traînant Romagné par la main.
-
-C’était le vrai Romagné, mais bien différent de lui-même! Sale,
-abruti, hideux, l’œil éteint, l’haleine fétide, puant le vin et le
-tabac, rouge de la tête aux pieds comme un homard cuit: c’était moins
-un homme qu’un érysipèle vivant.
-
---Monstre! lui dit M. Bernier, tu devrais mourir de honte. Tu t’es
-ravalé au-dessous de la brute. Si tu as encore le visage d’un homme, tu
-n’en as déjà plus la couleur. A quoi as-tu employé la petite fortune
-que nous t’avions faite? Tu t’es roulé dans les bas-fonds de la
-débauche, et je t’ai trouvé au delà des fortifications de Paris, vautré
-comme un porc au seuil du plus immonde des cabarets!
-
-L’Auvergnat leva ses gros yeux sur le docteur et lui dit avec son
-aimable accent, embelli d’une intonation faubourienne:
-
---Eh bien, quoi! J’ai fait la noche! Ch’est pas une raigeon pour me
-dire des chottiges.
-
---Qui est-ce qui te dit des sottises? On te reproche tes turpitudes,
-voilà tout. Pourquoi n’as-tu pas placé ton argent au lieu de le boire?
-
---Ch’est lui qui m’a dit de m’amuger.
-
---Drôle! s’écria le notaire, est-ce moi qui t’ai conseillé de te soûler
-à la barrière avec de l’eau-de-vie et du vin bleu?
-
---On ch’amuse comme on peut ... Je chuis été avec les camarades.
-
-Le médecin bondit de colère.
-
---Ils sont jolis, tes camarades! Comment! je fais une cure merveilleuse
-qui répand ma gloire dans Paris, qui m’ouvrira un jour ou l’autre les
-portes de l’institut, et tu vas, avec quelques ivrognes de ton espèce,
-gâter mon plus divin ouvrage! S’il ne s’agissait que de toi, parbleu!
-nous te laisserions faire. C’est un suicide physique et moral; mais un
-Auvergnat de plus ou de moins n’importe guère à la société. Il s’agit
-d’un homme du monde, d’un riche, de ton bienfaiteur, de mon malade! Tu
-l’as compromis, défiguré, assassiné par ton inconduite. Regarde dans
-quel état lamentable tu as mis la figure de monsieur!
-
-Le pauvre diable contempla le nez qu’il avait fourni, et se mit à
-fondre en larmes.
-
---Ch’est bien malheureux, mouchu Bernier; mais j’attechte le bon Dieu
-que ch’est pas ma faute. Le nez ch’est gâté tout cheul. Chaprichti! je
-chuis un honnête homme, et je vous jure que je n’y ai pas cheulement
-touché!
-
---Imbécile! dit M. L’Ambert, tu ne comprendras jamais ... et,
-d’ailleurs, tu n’as pas besoin de comprendre! Il s’agit de nous dire
-sans détour si tu veux changer de conduite et renoncer à cette vie de
-débauche, qui me tue par contre-coup? Je te préviens que j’ai le bras
-long et que, si tu t’obstinais dans tes vices, je saurais te faire
-mettre en lieu sûr.
-
---En prigeon?
-
---En prison.
-
---En prigeon avec les schélérats? Grâche, mouchu L’Ambert! Cha cherait
-le déjonneur de la famille!
-
---Boiras-tu encore, oui ou non?
-
---Eh! bon Diou! comment boire quand on n’a plus le chou? J’ai tout
-dépenché, mouchu L’Ambert. J’ai bu les deux mille francs, j’ai bu mon
-tonneau et tout le fonds de boutique, et personne ne veut plus me faire
-crédit chur la churfache de la terre!
-
---Tant mieux, drôle! c’est bien fait.
-
---Il faudra bien que je devienne chage! voichi la migère qui vient,
-mouchu L’Ambert!
-
---A la bonne heure!
-
---Mouchu L’Ambert!
-
---Quoi?
-
---Chi ch’était un effet de votre bonté de me racheter un tonneau pour
-gagner ma pauvre vie, je vous jure que je redeviendrais un bon chujet!
-
---Allons donc! tu le vendrais pour boire.
-
---Non, mouchu L’Ambert, foi d’honnête garchon!
-
---Serment d’ivrogne!
-
---Mais vous voulez donc que je meure de faim et de choif! Une chentaine
-de francs, mon bon mouchu L’Ambert!
-
---Pas un centime! C’est la Providence qui t’a mis sur la paille pour
-me rendre ma figure naturelle. Bois de l’eau, mange du pain sec,
-prive-toi du nécessaire, meurs de faim si tu peux: c’est à ce prix que
-je recouvrerai mes avantages et que je redeviendrai moi-même!
-
-Romagné courba la tête et se retira, traînant le pied et saluant la
-compagnie.
-
-Le notaire était dans la joie et le médecin dans la gloire.
-
---Je ne veux pas faire mon éloge, disait modestement M. Bernier, mais
-Leverrier trouvant une planète par la force du calcul n’a pas fait un
-plus grand miracle que moi. Deviner, à l’aspect de votre nez, qu’un
-Auvergnat absent et perdu dans Paris se livre à la débauche, c’est
-remonter de l’effet à la cause par des chemins que l’audace humaine
-n’avait pas encore tentés. Quant au traitement de votre mal, il est
-indiqué par la circonstance. La diète appliquée à Romagné est le seul
-remède qui vous puisse guérir. Le hasard nous sert à merveille, puisque
-cet animal a mangé son dernier sou. Vous avez bien fait de lui refuser
-le secours qu’il demandait: tous les efforts de l’art seront vains tant
-que cet homme aura de quoi boire.
-
---Mais, docteur, interrompit M. L’Ambert, si mon mal ne venait point de
-là? si vous étiez le jouet d’une coïncidence fortuite? Ne m’avez-vous
-pas dit vous-même que la théorie ...?
-
---J’ai dit et je maintiens que, dans l’état actuel de nos
-connaissances, votre cas n’admet aucune explication logique. C’est
-un fait dont la loi reste à trouver. Le rapport que nous observons
-aujourd’hui entre la santé de votre nez et la conduite de cet
-Auvergnat nous ouvre une perspective peut-être trompeuse, mais à
-coup sûr immense. Attendons quelques jours: si votre nez guérit à
-mesure que Romagné se range, ma théorie recevra le renfort d’une
-nouvelle probabilité. Je ne réponds de rien; mais je pressens une
-loi physiologique, inconnue jusqu’à nous, et que je serais heureux
-de formuler. Le monde de la science est plein de phénomènes visibles
-produits par des causes inconnues. Pourquoi madame de L ..., que vous
-connaissez comme moi, porte-t-elle une cerise admirablement peinte sur
-l’épaule gauche? Est-ce, comme on le dit, parce que sa mère, étant
-grosse, a convoité violemment un panier de cerises à l’étalage de
-Chevet? Quel artiste invisible a dessiné ce fruit sur le corps d’un
-fœtus de six semaines, gros comme une crevette de moyenne taille?
-Comment expliquer cette action spéciale du moral sur le physique?
-Et pourquoi la cerise de madame de L ... devient-elle sensible et
-douloureuse au mois d’avril de chaque année, lorsque les cerisiers
-sont en fleur? Voilà des faits certains, évidents, palpables, et tout
-aussi inexpliqués que l’enflure et la rougeur de votre nez. Mais
-patience!
-
-Deux jours après, le nez de M. L’Ambert désenfla d’une façon visible,
-mais la couleur rouge tenait bon. Vers la fin de la semaine, son
-volume était réduit d’un bon tiers. Au bout de quinze jours, il
-pela horriblement, fit peau neuve et reprit sa forme et sa couleur
-primitives.
-
-Le docteur triomphait.
-
---Mon seul regret, disait-il, c’est que nous n’ayons point gardé le
-Romagné dans une cage pour observer sur lui comme sur vous les effets
-du traitement. Je suis sûr que, durant sept ou huit jours, il a été
-couvert d’écailles comme une couleuvre.
-
---Qu’il aille au diable! ajouta chrétiennement M. L’Ambert.
-
-Dès ce jour, il reprit ses habitudes: sortit en voiture, à cheval,
-à pied; dansa dans les bals du faubourg et embellit de sa présence
-le foyer de l’Opéra. Toutes les femmes lui firent bon accueil dans
-le monde et hors du monde. Une de celles qui le félicitèrent le plus
-tendrement de sa guérison fut la sœur aînée de l’ami Steimbourg.
-
-Cette aimable personne avait coutume de regarder les hommes dans le
-blanc des yeux. Elle remarqua très judicieusement que M. L’Ambert était
-sorti plus beau de cette dernière crise. Oui, vraiment, il semblait que
-deux ou trois mois de souffrances eussent donné à son visage je ne sais
-quoi d’achevé. Le nez surtout, ce nez droit, qui venait de rentrer dans
-ses limites après une dilatation cuisante, paraissait plus fin, plus
-blanc et plus aristocratique que jamais.
-
-Telle était aussi l’opinion du joli notaire, et il se contemplait
-dans toutes les glaces avec une admiration toujours nouvelle. C’était
-plaisir de le voir, face à face avec lui-même, et souriant à son propre
-nez.
-
-Mais, au retour du printemps, dans la seconde quinzaine de mars,
-tandis que la sève généreuse enflait les bourgeons des lilas, M.
-L’Ambert eut lieu de croire que son nez seul était privé des bienfaits
-de la saison et des bontés de la nature. Au milieu du rajeunissement
-de toutes choses il pâlissait comme une feuille d’automne. Les ailes
-amincies et comme desséchées par le souffle d’un sirocco invisible,
-s’aplatissaient contre la cloison.
-
---Mort de ma vie! disait le notaire en faisant la grimace au miroir,
-la distinction est une belle chose, comme la vertu; mais pas trop n’en
-faut. Mon nez devient d’une élégance inquiétante, et bientôt il ne
-sera plus qu’une ombre si je ne lui rends la force et la couleur!
-
-Il y mit un peu de rouge. Mais le fard ne servait qu’à faire ressortir
-la finesse incroyable de cette ligne droite et sans épaisseur qui lui
-séparait la figure en deux. Telle on voit une lame de fer battu se
-dresser mince et coupante au milieu d’un cadran solaire; tel était le
-nez fantastique du notaire désespéré.
-
-En vain le riche indigène de la rue de Verneuil se mit au régime le
-plus substantiel. Considérant que la bonne nourriture, digérée par un
-estomac solide, profite à peu près également à toutes les parties du
-corps, il s’imposa la douce loi de prendre force consommés, force
-coulis, et quantité de viandes saignantes arrosées des vins les plus
-généreux. Dire que ces aliments choisis ne lui profitèrent en rien
-serait nier l’évidence et blasphémer la bonne chère. M. L’Ambert se
-fit, en peu de temps, de belles joues rouges, un beau cou de taureau
-apoplectique et un joli petit ventre rondelet. Mais le nez était comme
-un associé négligent ou désintéressé, qui ne vient pas toucher ses
-dividendes.
-
-Lorsqu’un malade ne peut manger ni boire, on le soutient quelquefois
-par des bains nourrissants qui pénètrent à travers la peau jusqu’aux
-sources de la vie. M. L’Ambert traita son nez comme un malade qu’il
-faut nourrir à part et coûte que coûte. Il commanda pour lui seul une
-petite baignoire de vermeil. Six fois par jour il le plongea et le
-maintint patiemment dans des bains de lait, de vin de Bourgogne, de
-bouillon gras et même de sauce aux tomates. Peine perdue! le malade
-sortait du bain aussi pâle, aussi maigre, aussi déplorable qu’il y
-était entré.
-
-Toute espérance semblait perdue, lorsqu’un jour M. Bernier se frappa le
-front et s’écria:
-
---Nous avons fait une énorme faute! une véritable bévue d’écoliers! et
-c’est moi!... lorsque ce fait apportait à ma théorie une si éclatante
-confirmation!... N’en doutez pas, monsieur: l’Auvergnat est malade, et
-c’est lui qu’il nous faut traiter pour que vous soyez guéri.
-
-Le pauvre L’Ambert s’arracha les cheveux. C’est pour le coup qu’il
-regretta d’avoir mis Romagné à la porte et de lui avoir refusé le
-secours qu’il demandait, et d’avoir oublié de prendre son adresse! Il
-se représentait le pauvre diable languissant sur un grabat, sans pain,
-sans rosbif et sans vin de Château-Margaux. A cette idée, son cœur se
-brisait. Il s’associait aux douleurs du pauvre mercenaire. Pour la
-première fois de sa vie, il fut ému du malheur d’autrui:
-
---Docteur, cher docteur, s’écria-t-il en serrant la main de M. Bernier,
-je donnerais tout mon bien pour sauver ce brave jeune homme!
-
-Cinq jours après, le mal avait encore empiré. Le nez n’était plus
-qu’une pellicule flexible, pliant sous le poids des lunettes, lorsque
-M. Bernier vint dire qu’il avait trouvé l’Auvergnat.
-
---Victoire! s’écria M. L’Ambert.
-
-Le chirurgien haussa les épaules et répondit que la victoire lui
-paraissait au moins douteuse.
-
---Ma théorie, dit-il, est pleinement confirmée, et, comme
-physiologiste, j’ai tout lieu de me déclarer satisfait; mais,
-comme médecin, je voudrais vous guérir, et l’état où j’ai trouvé ce
-malheureux me laisse peu d’espérance.
-
---Vous le sauverez, cher docteur!
-
---D’abord, il ne m’appartient pas. Il est dans le service d’un de mes
-confrères, qui l’étudie avec une certaine curiosité.
-
---On vous le cédera! nous l’achèterons, s’il le faut.
-
---Y songez-vous! Un médecin ne vend pas ses malades. Il les tue
-quelquefois, dans l’intérêt de la science, pour voir ce qu’ils ont dans
-le corps. Mais en faire un objet de commerce, jamais! Mon ami Fogatier
-me donnera peut-être votre Auvergnat; mais le drôle est bien malade,
-et, pour comble de disgrâce, il a pris la vie en tel dégoût qu’il ne
-veut pas guérir. Il jette tous les médicaments. Quant à la nourriture,
-tantôt il se plaint de n’en pas avoir assez, et réclame à grands cris
-la portion entière, tantôt il refuse ce qu’on lui donne et demande à
-mourir de faim.
-
---Mais c’est un crime! Je lui parlerai! je lui ferai entendre le
-langage de la morale et de la religion! Où est-il?
-
---A l’Hôtel-Dieu, salle Saint-Paul, n^o 10.
-
---Vous avez votre voiture en bas?
-
---Oui.
-
---Eh bien, partons. Ah! le scélérat qui veut mourir! Il ne sait donc
-pas que tous les hommes sont frères!
-
-
-
-
-VI
-
- HISTOIRE D’UNE PAIRE DE LUNETTES ET CONSÉQUENCES D’UN RHUME DE CERVEAU
-
-
-JAMAIS aucun prédicateur, jamais Bossuet ou Fénelon, jamais Massillon
-ou Fléchier, jamais M. Mermilliod lui-même ne dépensa dans sa chaire
-une éloquence plus forte et plus onctueuse à la fois que M. Alfred
-L’Ambert au chevet de Romagné. Il s’adressa d’abord à la raison, puis
-à la conscience, et finalement au cœur de son malade. Il mit en œuvre
-le profane et le sacré, cita les textes saints et les philosophes. Il
-fut puissant et doux, sévère et paternel, logique, caressant et même
-plaisant. Il lui prouva que le suicide est le plus honteux de tous les
-crimes, et qu’il faut être bien lâche pour affronter volontairement
-la mort. Il risqua même une métaphore aussi nouvelle que hardie en
-comparant le suicidé au déserteur qui abandonne son poste sans la
-permission du caporal.
-
-L’Auvergnat, qui n’avait rien pris depuis vingt-quatre heures,
-paraissait buté à son idée. Il se tenait immobile et têtu devant la
-mort comme un âne devant un pont. Aux arguments les plus serrés, il
-répondait avec une douceur impassible:
-
---Ch’est pas la peine, mouchu L’Ambert; y a trop de migère en che monde.
-
---Eh! mon ami, mon pauvre ami! la misère est d’institution divine. Elle
-est créée tout exprès pour exciter la charité chez les riches et la
-résignation chez les pauvres.
-
---Les riches? J’ai demandé de l’ouvrage, et tout le monde m’en a
-refugé. J’ai demandé la charité, on m’a menaché du chargent de ville!
-
---Que ne vous adressiez-vous à vos amis? A moi, par exemple! à moi qui
-vous veux du bien! à moi qui ai de votre sang dans les veines!
-
---Ch’est cha! pour que vous me fachiez encore flanquer à la porte!
-
---Ma porte vous sera toujours ouverte, comme ma bourse, comme mon cœur!
-
---Chi vous m’aviez cheulement donné chinquante francs pour racheter un
-tonneau d’occagion!
-
---Mais, animal!... cher animal, veux-je dire ... permets-moi de te
-rudoyer un peu, comme dans les temps où tu partageais mon lit et ma
-table! ce n’est pas cinquante francs que je te donnerai, c’est mille,
-deux mille, dix mille! c’est ma fortune entière que je veux partager
-avec toi ... au prorata de nos besoins respectifs. Il faut que tu
-vives! il faut que tu sois heureux! Voici le printemps qui revient,
-avec son cortège de fleurs et la douce musique des oiseaux dans les
-branches. Aurais-tu bien le cœur d’abandonner tout cela? Songe à la
-douleur de tes braves parents, de ton vieux père, qui t’attend au pays;
-de tes frères et de tes sœurs! Songe à ta mère, mon ami! Celle-là ne
-te survivrait pas. Tu les reverras tous! Ou plutôt non: tu dois rester
-à Paris, sous mes yeux, dans mon intimité la plus étroite. Je veux te
-voir heureux, marié à une bonne petite femme, père de deux ou trois
-jolis enfants. Tu souris! Prends ce potage.
-
---Merchi bien, mouchu L’Ambert. Gardez la choupe; il n’en faut plus. Y
-a trop de migère en che monde!
-
---Mais quand je te jure que tes mauvais jours sont finis! quand je me
-charge de ton avenir, foi de notaire! Si tu consens à vivre, tu ne
-souffriras plus, tu ne travailleras plus, tes années se composeront de
-trois cent soixante-cinq dimanches!
-
---Et pas de lundis?
-
---De lundis, si tu le préfères. Tu mangeras, tu boiras, tu fumeras des
-cabañas à trente sous pièce! Tu seras mon commensal, mon inséparable,
-un autre moi-même. Veux-tu vivre, Romagné, pour être un autre moi-même?
-
---Non! tant pis. Pichque j’ai commenché à mourir, autant finir tout de
-chuite.
-
---Ah! c’est ainsi! Eh bien, je te dirai, triple brute! à quel destin
-tu te condamnes! Il ne s’agit pas seulement des peines éternelles que
-chaque minute de ton obstination rapproche de toi. Mais, en ce monde,
-ici même, demain, aujourd’hui peut-être, avant d’aller pourrir dans
-la fosse commune, tu seras porté à l’amphithéâtre. On te jettera sur
-une table de pierre, on découpera ton corps en morceaux. Un carabin
-fendra à coups de hache ta grosse tête de mulet; un autre fouillera ta
-poitrine à grands coups de scalpel pour vérifier s’il y a un cœur dans
-cette stupide enveloppe; un autre ...
-
---Grâche, grâche, mouchu L’Ambert! je ne veux pas être coupé en
-morcheaux! j’aime mieux manger la choupe!
-
-Trois jours de soupe et la force de sa constitution le tirèrent de ce
-mauvais pas. On put le transporter en voiture jusqu’à l’hôtel de la rue
-de Verneuil. M. L’Ambert l’y installa lui-même, avec des attentions
-maternelles. Il lui donna le logement de son propre valet de chambre,
-pour l’avoir plus près de lui. Durant un mois, il remplit les fonctions
-de garde-malade et passa même plusieurs nuits.
-
-Ces fatigues, au lieu d’altérer sa santé, rendirent la fraîcheur et
-l’éclat à son visage. Plus il s’exténuait à soigner le pauvre diable,
-plus son nez reprenait de couleur et de force. Sa vie se partageait
-entre l’étude, l’Auvergnat et le miroir. C’est dans cette période qu’il
-écrivit un jour par distraction sur le brouillon d’un acte de vente:
-«Il est doux de faire le bien!» Maxime un peu vieille en elle-même,
-mais tout à fait nouvelle pour lui.
-
-Lorsque Romagné fut décidément en convalescence, son hôte et son
-sauveur, qui lui avait taillé tant de mouillettes et découpé tant de
-biftecks, lui dit:
-
---A partir d’aujourd’hui, nous dînerons tous les jours ensemble. Si
-pourtant tu préférais manger à l’office, tu y serais aussi bien nourri,
-et tu t’amuserais davantage.
-
-Romagné, en homme de bon sens, opta pour l’office.
-
-Il y prit ses habitudes et s’y conduisit de façon à gagner tous les
-cœurs. Au lieu de se prévaloir de l’amitié du maître, il fut plus
-modeste et plus doux que le petit marmiton. C’était un domestique
-que M. L’Ambert avait donné à ses gens. Tout le monde usait de lui,
-raillait son accent, et lui allongeait des tapes amicales: personne
-ne songeait à lui payer des gages. M. L’Ambert le surprit quelquefois
-tirant de l’eau, déplaçant de gros meubles ou frottant les parquets.
-Dans ces occasions, ce bon maître lui tirait l’oreille et lui disait:
-
---Amuse-toi, j’y consens; mais ne te fatigue pas trop!
-
-Le pauvre garçon était confus de tant de bontés et se retirait dans sa
-chambre pour pleurer de tendresse.
-
-Il ne put la garder longtemps, cette chambrette propre et commode
-qui touchait à l’appartement du maître. M. L’Ambert fit entendre
-délicatement que son valet de chambre lui manquait beaucoup, et Romagné
-demanda lui-même la permission de loger sous les combles. On s’empressa
-de faire droit à sa requête; il obtint un chenil dont les filles de
-cuisine n’avaient jamais voulu.
-
-Un sage a dit: «Heureux les peuples qui n’ont pas d’histoire!»
-Sébastien Romagné fut heureux trois mois. C’est au commencement de juin
-qu’il eut une histoire. Son cœur, longtemps invulnérable, fut entamé
-par les flèches de l’Amour. L’ancien porteur d’eau se livra pieds et
-poings liés au dieu qui perdit Troie. Il s’aperçut, en épluchant des
-légumes, que la cuisinière avait de beaux petits yeux gris avec de
-belles grosses joues écarlates. Un soupir à renverser les tables fut
-le premier symptôme de son mal. Il voulut s’expliquer; la parole lui
-mourut dans la gorge. A peine s’il osa prendre sa Dulcinée par la
-taille et l’embrasser sur les lèvres, tant sa timidité était excessive.
-
-On le comprit à demi-mot. La cuisinière était une personne capable,
-plus âgée que lui de sept à huit ans, et moins dépaysée sur la carte du
-Tendre.
-
---Je vois ce que c’est, lui dit-elle: vous avez envie de vous marier
-avec moi. Eh bien, mon garçon, nous pouvons nous entendre, si vous avez
-quelque chose devant vous.
-
-Il répondit naïvement qu’il avait devant lui tout ce qu’on peut
-demander à un homme, c’est-à-dire deux bras robustes et accoutumés au
-travail. Demoiselle Jeannette lui rit au nez et parla plus clairement;
-il éclata de rire à son tour et dit avec la plus aimable confiance:
-
---Ch’est de l’argent qu’il faut pour cha? Vous auriez dû le dire tout
-de chuite. J’en ai gros comme moi, de l’argent! Combien ch’est-il que
-vous en voulez? Dites la chomme. Par eggemple, la moitié de la fortune
-de mouchu L’Ambert, cha cherait-il chuffigeant?
-
---Moitié de la fortune de monsieur?
-
---Chertainement. Il me l’a dit plus de chent fois. J’ai la moitié de
-cha fortune, mais nous n’avons pas encore partagé l’argent: il me le
-garde.
-
---Des bêtises!
-
---Des bétiges? Tenez, le voichi qui rentre. Je vas lui demander mon
-compte, et je vous apporte les gros chous à la cuigine.
-
-Pauvre innocent! il obtint de son maître une bonne leçon de haute
-grammaire sociale. M. L’Ambert lui enseigna que promettre et tenir ne
-sont point synonymes; il daigna lui expliquer (car il était en belle
-humeur) les mérites et les dangers de la figure appelée hyperbole.
-Finalement, il lui dit avec une douceur ferme et qui n’admettait point
-de réplique:
-
---Romagné, j’ai beaucoup fait pour vous; je veux faire davantage encore
-en vous éloignant de cet hôtel. Le simple bon sens vous dit que vous
-n’y êtes pas en qualité de maître; j’ai trop de bonté pour admettre
-que vous y restiez comme valet; enfin, je croirais vous rendre un
-mauvais service en vous maintenant dans une situation mal définie qui
-pervertirait vos habitudes et fausserait votre esprit. Encore une année
-de cette vie oisive et parasite, et vous perdrez le goût du travail.
-Vous deviendrez un déclassé. Or, je dois vous dire que les déclassés
-sont le fléau de notre époque. Mettez la main sur votre conscience,
-et dites-moi si vous consentiriez à devenir le fléau de votre époque?
-Pauvre malheureux! N’avez-vous pas regretté plus d’une fois le titre
-d’ouvrier, votre noblesse à vous? Car vous êtes de ceux que Dieu
-a créés pour s’ennoblir par les sueurs utiles; vous appartenez à
-l’aristocratie du travail. Travaillez donc; non plus comme autrefois,
-dans les privations et le doute, mais dans une sécurité que je garantis
-et dans une abondance proportionnée à vos modestes besoins. C’est moi
-qui fournirai aux dépenses du premier établissement, c’est moi qui vous
-procurerai de l’ouvrage. Si, par impossible, les moyens d’existence
-venaient à vous manquer, vous trouveriez des ressources chez moi. Mais
-renoncez à l’absurde projet d’épouser ma cuisinière, car vous ne devez
-pas lier votre sort au sort d’une servante, et je ne veux pas d’enfants
-dans la maison!
-
-L’infortuné pleura de tous ses yeux et se répandit en actions de
-grâces. Je dois dire, à la décharge de M. L’Ambert, qu’il fit les
-choses assez proprement. Il habilla Romagné tout à neuf, meubla pour
-lui une chambre au cinquième, dans une vieille maison de la rue du
-Cherche-Midi, et lui donna cinq cents francs pour vivre en attendant
-l’ouvrage. Et huit jours ne s’étaient pas écoulés, qu’il le fit entrer
-comme manœuvre chez un fort miroitier de la rue de Sèvres.
-
-Il se passa longtemps, six mois peut-être, sans que le nez du
-notaire donnât aucune nouvelle de son fournisseur. Mais, un jour que
-l’officier ministériel, en compagnie de son maître clerc, déchiffrait
-les parchemins d’une noble et riche famille, ses lunettes d’or se
-brisèrent par le milieu et tombèrent sur la table.
-
-Ce petit accident le dérangea fort peu. Il prit un pince-nez à ressort
-d’acier et fit changer les lunettes sur le quai des Orfèvres. Son
-opticien ordinaire, M. Luna, s’empressa d’envoyer mille excuses, avec
-une paire de lunettes neuves qui se brisèrent au même endroit, dans les
-vingt-quatre heures.
-
-Une troisième paire eut le même sort; une quatrième vint ensuite et se
-brisa pareillement. L’opticien ne savait plus quelle formule d’excuse
-il devait prendre. Dans le fond de son âme, il était persuadé que M.
-L’Ambert avait tort. Il disait à sa femme, en lui montrant le dégât
-des quatre journées:
-
---Ce jeune homme n’est pas raisonnable; il porte des verres n^o 4,
-qui sont forcément très lourds; il veut, par coquetterie, une monture
-mince comme un fil, et je suis sûr qu’il brutalise ses lunettes comme
-si elles étaient de fer battu. Si je lui fais une observation, il se
-fâchera; mais je vais lui envoyer quelque chose de plus fort en monture.
-
-Madame Luna trouva l’idée excellente; mais la cinquième paire de
-lunettes eut le sort des quatre premières. Cette fois, M. L’Ambert se
-fâcha tout rouge, quoiqu’on ne lui eût fait aucune observation, et
-transporta sa clientèle à une maison rivale.
-
-Mais on aurait dit que tous les opticiens de Paris s’étaient donné le
-mot pour casser leurs lunettes sur le nez du pauvre millionnaire. Une
-douzaine de paires y passa. Et le plus merveilleux de l’affaire, c’est
-que le pince-nez à ressort d’acier qui remplissait les interrègnes se
-maintint ferme et vigoureux.
-
-Vous savez que la patience n’était pas la vertu favorite de M. Alfred
-L’Ambert. Il trépignait un jour sur une paire de lunettes, qu’il
-écrasait à coups de talon, quand le docteur Bernier se fit annoncer
-chez lui.
-
---Parbleu! s’écria le notaire, vous arrivez à point. Je suis
-ensorcelé, le diable m’emporte!
-
-Les regards du docteur se portèrent naturellement sur le nez de son
-malade. L’objet lui parut sain, de bonne mine, et frais comme une rose.
-
---Il me semble, dit-il, que nous allons tout à fait bien.
-
---Moi? Sans doute; mais ces maudites lunettes ne veulent pas aller!
-
-Il conta son histoire, et M. Bernier devint rêveur.
-
---Il y a de l’Auvergnat dans votre affaire. Avez-vous ici une monture
-brisée?
-
---En voici une sous mes pieds.
-
-M. Bernier la ramassa, l’examina à la loupe et crut voir que l’or était
-comme argenté aux environs de la cassure.
-
---Diable! dit-il. Est-ce que Romagné aurait fait des sottises?
-
---Quelles sottises voulez-vous qu’il fasse?
-
---Il est toujours chez vous?
-
---Non; le drôle m’a quitté. Il travaille en ville.
-
---J’espère que, cette fois, vous avez pris son adresse.
-
---Sans doute. Voulez-vous le voir?
-
---Le plus tôt sera le mieux.
-
---Il y a donc péril en la demeure? Cependant je me porte bien!
-
---Allons d’abord chez Romagné.
-
-Un quart d’heure après, ces messieurs descendirent à la porte de MM.
-Taillade et C^{ie}, rue de Sèvres. Une grande enseigne découpée dans
-des morceaux de glace indiquait le genre d’industrie pratiqué dans la
-maison.
-
---Nous y voici, dit le notaire.
-
---Quoi! votre homme est-il donc employé là dedans?
-
---Sans doute. C’est moi qui l’y ai fait entrer.
-
---Allons, il y a moins de mal que je ne pensais. Mais, c’est égal, vous
-avez commis une fière imprudence!
-
---Que voulez-vous dire?
-
---Entrons d’abord.
-
-Le premier individu qu’ils rencontrèrent dans l’atelier fut l’Auvergnat
-en bras de chemise, manches retroussées, étamant une glace.
-
---Là! dit le docteur, je l’avais bien prévu.
-
---Mais quoi donc?
-
---On étame les glaces avec une couche de mercure emprisonnée sous une
-feuille d’étain. Comprenez-vous?
-
---Pas encore.
-
---Votre animal est fourré là dedans jusqu’aux coudes. Que dis-je! il en
-a bien jusqu’aux aisselles.
-
---Je ne vois pas la liaison ...
-
---Vous ne voyez pas que votre nez étant une fraction de son bras, et
-l’or ayant une tendance déplorable à s’amalgamer avec le mercure, il
-vous sera toujours impossible de garder vos lunettes?
-
---Sapristi!
-
---Mais vous avez la ressource de porter des lunettes d’acier.
-
---Je n’y tiens pas.
-
---A ce prix, vous ne risquez rien, sauf peut-être quelques accidents
-mercuriels.
-
---Ah! mais non! J’aime mieux que Romagné fasse autre chose. Ici,
-Romagné! Laisse-moi ta besogne et viens-t’en vite avec nous! Mais
-veux-tu bien finir, animal! Tu ne sais pas à quoi tu m’exposes!
-
-Le patron de l’atelier était accouru au bruit. M. L’Ambert se nomma
-d’un ton d’importance et rappela qu’il avait recommandé cet homme par
-l’entremise de son tapissier. M. Taillade répondit qu’il s’en souvenait
-parfaitement. C’était même pour se rendre agréable à M. L’Ambert et
-mériter sa bienveillance, qu’il avait promu son manœuvre au grade
-d’étameur.
-
---Depuis quinze jours? s’écria M. L’Ambert.
-
---Oui, monsieur. Vous le saviez donc?
-
---Je ne le sais que trop! Ah! monsieur, comment peut-on jouer avec des
-choses si sacrées?
-
---J’ai ...?
-
---Non, rien. Mais, dans mon intérêt, dans le vôtre, dans l’intérêt
-de la société tout entière, remettez-le où il était! ou plutôt, non;
-rendez-le-moi, que je l’emmène. Je payerai ce qu’il faudra, mais le
-temps presse. Ordonnance du médecin!... Romagné, mon ami, il faut me
-suivre. Votre fortune est faite; tout ce que j’ai vous appartient!...
-Non! Mais venez quand même; je vous jure que vous serez content de moi!
-
-Il lui laissa à peine le temps de se vêtir et l’entraîna comme une
-proie. M. Taillade et ses ouvriers le prirent pour un fou. Le bon
-Romagné levait les yeux au ciel et se demandait, tout en marchant, ce
-qu’on voulait encore de lui.
-
-Son destin fut débattu dans la voiture, tandis qu’il gobait les mouches
-auprès du cocher.
-
---Mon cher malade, disait le docteur au millionnaire, il faut garder à
-vue ce garçon-là. Je comprends que vous l’ayez renvoyé de chez vous,
-car il n’est pas d’un commerce très agréable; mais il ne fallait pas
-le placer si loin, ni rester si longtemps sans faire prendre de ses
-nouvelles. Logez-le rue de Beaune ou rue de l’Université, à proximité
-de votre hôtel. Donnez-lui un état moins dangereux pour vous, ou
-plutôt, si vous voulez bien faire, servez-lui une petite pension sans
-lui donner aucun état: s’il travaille, il se fatigue, il s’expose; je
-ne connais pas de métier où l’homme ne risque sa peau; un accident est
-si vite arrivé! Donnez-lui de quoi vivre sans rien faire. Toutefois,
-gardez-vous bien de le mettre trop à l’aise! Il boirait encore, et vous
-savez ce qui vous en revient. Une centaine de francs par mois, le loyer
-payé, voilà ce qu’il lui faut.
-
---C’est peut-être beaucoup ...: non pour la somme; mais je voudrais lui
-donner de quoi manger sans lui donner de quoi boire.
-
---Va donc pour quatre louis, payables en quatre fois, le mardi de
-chaque semaine.
-
-On offrit à Romagné une pension de quatre-vingts francs par mois;
-mais, pour le coup, il se fit tirer l’oreille.
-
---Tout cha? dit-il avec mépris. Ch’était pas la peine de m’ôter de la
-rue de Chèvres; j’avais trois francs dix chous par jour et j’envoyais
-de l’argent à ma famille. Laichez-moi travailler dans les glaches, ou
-donnez-moi trois francs dix chous!
-
-Il fallut bien en passer par là, puisqu’il était le maître de la
-situation.
-
-M. L’Ambert s’aperçut bientôt qu’il avait pris le bon parti. L’année
-s’écoula sans accident d’aucune sorte. On payait Romagné toutes les
-semaines et on le surveillait tous les jours. Il vivait honnêtement,
-doucement, sans autre passion que le jeu de quilles. Et les beaux yeux
-de mademoiselle Irma Steimbourg se reposaient avec une complaisance
-visible sur le nez rose et blanc de l’heureux millionnaire.
-
-Ces deux jeunes gens dansèrent ensemble tous les cotillons de l’hiver.
-Aussi le monde les mariait. Un soir, à la sortie du Théâtre-Italien, le
-vieux marquis de Villemaurin arrêta M. L’Ambert sous le péristyle:
-
---Eh bien, lui dit-il, à quand la noce?
-
---Mais, monsieur le marquis, je n’ai encore ouï parler de rien.
-
---Attendez-vous donc qu’on vous demande en mariage? C’est à l’homme
-à parler, morbleu! Le petit duc de Lignant, un vrai gentilhomme et
-un _bon_, n’a pas attendu que je lui offrisse ma fille, lui! Il est
-venu, il a plu, c’est conclu. D’aujourd’hui en huit, nous signons le
-contrat. Vous savez, mon cher garçon, que cette affaire vous regarde.
-Laissez-moi mettre ces dames en voiture et nous irons jusqu’au cercle
-en causant. Mais couvrez-vous donc, que diable! Je ne voyais pas que
-vous teniez votre chapeau à la main. Il y a de quoi s’enrhumer vingt
-fois pour une!
-
-Le vieillard et le jeune homme cheminèrent côte à côte jusqu’au
-boulevard, l’un parlant, l’autre écoutant. Et M. L’Ambert rentra
-chez lui pour rédiger de mémoire le contrat de mademoiselle
-Charlotte-Auguste de Villemaurin. Mais il s’était bel et bien enrhumé;
-il n’y avait plus à s’en dédire. L’acte fut minuté par le maître
-clerc, revu par les hommes d’affaires des deux fiancés et transcrit
-définitivement sur un beau cahier de papier timbré où il ne manquait
-plus que les signatures.
-
-Au jour dit, M. L’Ambert, esclave du devoir, se transporta en personne
-à l’hôtel de Villemaurin, malgré un coryza persistant qui lui faisait
-sortir les yeux de la tête. Il se moucha une dernière fois dans
-l’antichambre, et les laquais tressaillirent sur leurs banquettes,
-comme s’ils avaient entendu la trompette du jugement dernier.
-
-On annonça M. L’Ambert. Il avait ses lunettes d’or et souriait
-gravement, comme il sied en pareille occurrence.
-
-Bien cravaté, ganté juste, chaussé d’escarpins comme un danseur, le
-chapeau sous le bras gauche, le contrat dans la main droite, il vint
-rendre ses devoirs à la marquise, fendit modestement le cercle dont
-elle était environnée, s’inclina devant elle et lui dit:
-
---Madame la marquige, j’apporte le contrat de vochtre damigelle.
-
-Madame de Villemaurin leva sur lui deux grands yeux ébahis. Un léger
-murmure circula dans l’auditoire. M. L’Ambert salua de nouveau et
-reprit:
-
---Chaprichti! madame la marquige, ch’est cha qui va-t-être un beau jour
-pour la june perchonne!
-
-Une main vigoureuse le saisit par le bras gauche et le fit pirouetter
-sur lui-même. A cette pantomime, il reconnut la vigueur du marquis.
-
---Mon cher notaire, lui dit le vieillard en le traînant dans un coin,
-le carnaval permet sans doute bien des choses; mais rappelez-vous chez
-qui vous êtes et changez de ton, s’il vous plaît.
-
---Mais, mouchu le marquis ...
-
---Encore!... Vous voyez que je suis patient; n’abusez pas. Allez faire
-vos excuses à la marquise, lisez-nous votre contrat, et bonsoir.
-
---Pourquoi des échecuges, et pourquoi le bonchoir? On dirait que j’ai
-fait des bêtiges, fouchtra!
-
-Le marquis ne répondit rien, mais il fit un signe aux valets qui
-circulaient dans le salon. La porte d’entrée s’ouvrit, et l’on entendit
-une voix qui criait dans l’antichambre.
-
---Les gens de M. L’Ambert!
-
-Étourdi, confus, hors de lui, le pauvre millionnaire sortit en faisant
-des révérences et se trouva bientôt dans sa voiture, sans savoir
-pourquoi ni comment. Il se frappait le front, s’arrachait les cheveux
-et se pinçait les bras pour s’éveiller lui-même, dans le cas assez
-probable où il aurait été le jouet d’un mauvais rêve. Mais non! il
-ne dormait pas; il voyait l’heure à sa montre, il lisait le nom des
-rues à la clarté du gaz, il reconnaissait l’enseigne des boutiques.
-Qu’avait-il dit? qu’avait-il fait? quelles convenances avait-il
-violées? quelle maladresse ou quelle sottise avait pu lui attirer ce
-traitement? Car enfin le doute n’était pas possible: on l’avait bien
-mis à la porte de chez M. de Villemaurin. Et le contrat de mariage
-était là, dans sa main! ce contrat, rédigé avec tant de soin, en si bon
-style, et dont on n’avait pas entendu la lecture!
-
-Il était dans sa cour avant d’avoir trouvé la solution de ce problème.
-La figure de son concierge lui inspira une idée lumineuse:
-
---Chinguet! cria-t-il.
-
-Le petit Singuet maigre accourut.
-
---Chinguet, chent francs pour toi chi tu me dit chinchèrement la
-vérité; chent coups de pied au derrière chi tu me caches quelque choge!
-
-Singuet le regarda avec surprise et sourit timidement.
-
---Tu chouris, chans cœur! pourquoi chouris-tu? Réponds-moi tout de
-chuite!
-
---Mon Dieu! monsieur, dit le pauvre diable! je me suis permis ...
-Monsieur m’excusera ... mais monsieur imite si bien l’accent de Romagné!
-
---L’acchent de Romagné! moi, je parle comme Romagné, comme un Oubergnat?
-
---Monsieur le sait bien. Voilà huit jours que cela dure.
-
---Mais non, fouchtra! je ne le chais pas.
-
-Singuet leva les yeux au ciel. Il pensa que son maître était devenu
-fou. Mais M. L’Ambert, à part ce maudit accent, jouissait de la
-plénitude de ses facultés. Il questionna ses gens les uns après les
-autres, et se persuada de son malheur.
-
---Ah! schélérat de porteur d’eau! s’écria-t-il, je chuis chûr qu’il
-aura fait quelque chottise! Qu’on le trouve! Ou plutôt non, ch’est moi
-qui vais le checouer moi-même!
-
-Il courut à pied jusque chez son pensionnaire, grimpa les cinq étages,
-frappa sans l’éveiller, fit rage, et, en désespoir de cause, jeta la
-porte en dedans.
-
---Mouchu L’Ambert! s’écria Romagné.
-
---Chacripant d’Oubergnat! répondit le notaire.
-
---Fouchtra!
-
---Fouchtra!
-
-Ils étaient à deux de jeu pour écorcher la langue française. Leur
-discussion se prolongea un bon quart d’heure, dans le plus pur
-charabia, sans éclaircir le mystère. L’un se plaignait amèrement comme
-une victime; l’autre se défendait avec éloquence comme un innocent.
-
---Attends-moi ichi, dit M. L’Ambert pour conclure. Mouchu Bernier, le
-médechin, me dira, che choir même, che que tu as fait.
-
-Il éveilla M. Bernier et lui conta, dans le style que vous savez,
-l’emploi de sa soirée. Le docteur se mit à rire et lui dit:
-
---Voilà bien du bruit pour une bagatelle. Romagné est innocent; ne vous
-en prenez qu’à vous-même. Vous êtes resté nu-tête à la sortie des
-Italiens; tout le mal vient de là. Vous êtes enrhumé du cerveau; donc,
-vous parlez du nez; donc, vous parlez auvergnat. C’est logique. Rentrez
-chez vous, aspirez de l’aconit, tenez-vous les pieds chauds et la tête
-couverte, et prenez vos précautions contre le coryza; car vous savez
-désormais ce qui vous pend au nez.
-
-Le malheureux revint à son hôtel en maugréant comme un beau diable.
-
---Ainchi donc, disait-il tout haut, mes précauchions chont inutiles!
-J’ai beau loger, nourrir et churveiller che chavoyard de porteur d’eau,
-il me fera toujours des farches et je cherai cha victime chans pouvoir
-l’accuger de rien; alors pourquoi tant de dépenches? Ma foi, tant pis!
-J’économige cha penchion!
-
-Aussitôt dit, aussitôt fait. Le lendemain, quand le pauvre Romagné,
-encore tout ahuri, vint pour toucher l’argent de sa semaine, Singuet
-le mit à la porte et lui annonça qu’on ne voulait plus rien faire pour
-lui. Il leva philosophiquement les épaules, en homme qui, sans avoir lu
-les épîtres d’Horace, pratique par instinct le _Nil admirari_. Singuet,
-qui lui voulait du bien, lui demanda ce qu’il comptait faire. Il
-répondit qu’il allait chercher de l’ouvrage. Aussi bien, cette oisiveté
-forcée lui pesait depuis longtemps.
-
-M. L’Ambert guérit de son coryza et s’applaudit d’avoir effacé au
-budget l’article Romagné. Aucun accident ne vint plus interrompre le
-cours de son bonheur. Il fit la paix avec le marquis de Villemaurin et
-avec toute sa clientèle du faubourg, qu’il avait un peu scandalisée.
-Libre de tout souci, il put se livrer sans contrainte au doux penchant
-qui l’attirait vers la dot de mademoiselle Steimbourg. Heureux
-L’Ambert! il ouvrit son cœur à deux battants et montra les sentiments
-chastes et légitimes dont il était rempli. La belle et savante jeune
-fille lui tendit la main à l’anglaise, et lui dit:
-
---C’est une affaire faite. Mes parents sont d’accord avec moi; je vous
-donnerai mes instructions pour la corbeille. Tâchons d’abréger les
-formalités pour aller en Italie avant la fin de l’hiver.
-
-L’amour lui prêta des ailes. Il acheta la corbeille sans marchander,
-livra aux tapissiers l’appartement de _madame_, commanda une voiture
-neuve, choisit deux chevaux alezans de la plus rare beauté, et hâta
-la publication des bans. Le dîner d’adieu qu’il offrit à ses amis est
-inscrit dans les fastes du café Anglais. Ses maîtresses reçurent ses
-adieux et ses bracelets avec une émotion contenue.
-
-Les lettres de part annonçaient que la bénédiction nuptiale serait
-donnée à Saint-Thomas-d’Aquin, le 3 mars, à une heure précise. Inutile
-de dire qu’on avait le maître-autel et toute la mise en scène des
-mariages de première classe.
-
-Le 3 mars, à huit heures du matin, M. L’Ambert s’éveilla de lui-même,
-sourit aux premiers rayons d’un beau jour, prit un mouchoir sous son
-oreiller et le porta à son nez, afin de s’éclaircir les idées. Mais son
-nez n’était plus là, et le mouchoir de batiste ne rencontra que le vide.
-
-En un bond, le notaire fut devant une glace. Horreur et malédiction!
-(comme on dit dans les romans de la vieille école). Il se vit aussi
-défiguré que s’il revenait encore de Parthenay. Courir à son lit,
-fouiller les draps et les couvertures, explorer la ruelle, sonder les
-matelas et le sommier, secouer les meubles voisins et mettre toute la
-chambre en l’air, fut pour lui une affaire de deux minutes.
-
-Rien! rien! rien!
-
-Il se pendit aux cordons de sonnette, appela ses gens à la rescousse et
-jura de les chasser tous comme des chiens si ce nez ne se retrouvait
-pas. Inutile menace! Le nez était plus introuvable que la Chambre de
-1816.
-
-Deux heures se passèrent dans l’agitation, le désordre et le bruit.
-Cependant, le père Steimbourg endossait son habit bleu à boutons d’or;
-madame Steimbourg, en toilette de gala, surveillait deux femmes de
-chambre et trois couturières allant, venant, tournant autour de la
-belle Irma. La blanche fiancée, barbouillée de poudre de riz comme
-un goujon avant la friture, piétinait d’impatience et malmenait tout
-le monde avec une admirable impartialité. Et le maire du dixième
-arrondissement, sanglé de son écharpe, se promenait dans une grande
-salle nue en préparant une petite improvisation. Et les mendiants
-privilégiés de Saint-Thomas-d’Aquin donnaient la chasse à deux ou trois
-intrigants venus on ne sait d’où pour leur disputer la bonne aubaine.
-Et M. Henri Steimbourg, qui mâchait un cigare depuis une demi-heure
-dans le fumoir de son père, s’étonnait que le cher Alfred ne fût pas
-encore au rendez-vous.
-
-Il perdit patience à la fin, courut à la rue de Verneuil et trouva son
-beau-frère futur dans le désespoir et dans les larmes. Que pouvait-il
-lui dire pour le consoler d’un tel malheur? Il se promena longtemps
-autour de lui en répétant le mot sacrebleu! Il se fit conter deux fois
-le fatal événement, et sema la conversation de quelques sentences
-philosophiques.
-
-Et ce maudit chirurgien qui ne venait pas! On l’avait mandé d’urgence;
-on avait envoyé chez lui, à son hôpital et partout. Il arriva pourtant,
-et comprit à première vue que Romagné était mort.
-
---Je m’en doutais, dit le notaire avec un redoublement de larmes.
-Animal, coquin de Romagné!
-
-Ce fut l’oraison funèbre du malheureux Auvergnat.
-
---Et maintenant, docteur, qu’allons-nous faire?
-
---On peut trouver un nouveau Romagné et recommencer l’expérience; mais
-vous avez éprouvé les inconvénients de ce système, et, si vous m’en
-croyez, nous reviendrons à la méthode indienne.
-
---La peau du front? Jamais! Mieux vaut encore un nez d’argent.
-
---On en fait aujourd’hui de bien élégants, dit le docteur.
-
---Reste à savoir si mademoiselle Irma Steimbourg consentirait à épouser
-un invalide au nez d’argent? Henri, mon bien bon! que vous en semble?
-
-Henri Steimbourg hochait la tête et ne répondait point. Il alla porter
-la nouvelle à sa famille et prendre les ordres de mademoiselle Irma.
-Cette aimable personne eut un mouvement héroïque lorsqu’elle apprit le
-malheur de son fiancé.
-
---Croyez-vous donc, s’écria-t-elle, que je l’épouse pour sa figure? A
-ce compte, j’aurais pris mon cousin Rodrigue, le maître des requêtes:
-Rodrigue était moins riche, mais beaucoup mieux que lui! J’ai donné ma
-main à M. L’Ambert parce qu’il est un galant homme, admirablement posé
-dans le monde, parce que son caractère, son hôtel, ses chevaux, son
-esprit, son tailleur, tout en lui me plaît et m’enchante. D’ailleurs,
-ma toilette est faite, et ce mariage manqué me perdrait de réputation.
-Courons chez lui, ma mère; je le prends tel qu’il est!
-
-Mais, lorsqu’elle fut en présence du mutilé, ce bel enthousiasme ne
-tint pas. Elle s’évanouit; on la força de revenir à elle, mais ce fut
-pour fondre en larmes. Au milieu de ses sanglots, on entendit un cri
-qui semblait partir de l’âme:
-
---O Rodrigue! disait-elle; j’ai été bien injuste envers vous!
-
-M. L’Ambert resta garçon. Il se fit faire un nez d’argent émaillé, et
-céda son étude au maître clerc. Une petite maison de modeste apparence
-était à vendre auprès des Invalides; il l’acheta. Quelques amis, bons
-vivants, égayèrent sa retraite. Il se fit une cave de choix et se
-consola comme il put. Les plus fines bouteilles du Château-Yquem, les
-meilleures années du clos Vougeot sont pour lui. Il dit quelquefois en
-plaisantant:
-
---J’ai un privilège sur les autres hommes: je puis boire à discrétion
-sans me rougir le nez!
-
-Il est resté fidèle à sa foi politique, il lit les bons journaux et
-fait des vœux pour le succès de Chiavone; mais il ne lui envoie pas
-d’argent. Le plaisir d’entasser des écus lui procure une ivresse assez
-douce. Il vit entre deux vins et entre deux millions.
-
-Un soir de la semaine dernière, comme il cheminait doucement, la
-canne à la main, sur le trottoir de la rue Éblé, il poussa un cri de
-surprise. L’ombre de Romagné en costume de velours bleu s’était dressée
-devant lui!
-
-Était-ce bien réellement une ombre? Les ombres ne portent rien, et
-celle-là portait une malle sur des crochets.
-
---Romagné! s’écria le notaire.
-
-L’autre leva les yeux et répondit de sa voix lourde et tranquille:
-
---Bonchoir, mouchu L’Ambert.
-
---Tu parles! donc, tu vis!
-
---Chertainement que je vis!
-
---Misérable!... Mais alors qu’as-tu fait de mon nez?
-
-Tout en parlant ainsi, il l’avait saisi au collet et le secouait
-d’importance. L’Auvergnat se dégagea non sans peine, et lui dit:
-
---Laichez-moi donc tranquille! Est-che que je peux me défendre,
-fouchtra! Vous voyez bien que je chuis manchot? Quand vous m’avez
-chupprimé ma penchion, je chuis entré chez un mécanichien, et j’ai eu
-le bras pinché dans un engrenage!
-
-
- FIN
-
-
- IMPRIMERIE NELSON, ÉDIMBOURG, ÉCOSSE.
-
-[Illustration]
-
-
-
-
- COLLECTION
- NELSON.
-
-
- _Chefs-d’œuvre de la littérature._
-
-
- Chaque volume contient de
- 250 à 550 pages.
-
-
- Format commode.
-
- Impression en caractères très lisibles
- sur papier de luxe.
-
- Illustrations hors texte.
-
- Reliure aussi solide qu’élégante.
-
-
- Deux volumes par mois.
-
-
-
-
- _Nelson │ _Calmann-Lévy
- Éditeurs │ Éditeurs
- 189, rue Saint-Jacques │ 3, rue Auber
- Paris_ │ Paris_
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Le nez d'un notaire, by Edmond About
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE NEZ D'UN NOTAIRE ***
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- The Project Gutenberg eBook of le Nez D’un Notaire, by Edmond About.
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-<pre>
-
-The Project Gutenberg EBook of Le nez d'un notaire, by Edmond About
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
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-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
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-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-Title: Le nez d'un notaire
-
-Author: Edmond About
-
-Release Date: April 9, 2016 [EBook #51709]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE NEZ D'UN NOTAIRE ***
-
-
-
-
-Produced by Giovanni Fini, Clarity and the Online
-Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This
-file was produced from images generously made available
-by The Internet Archive/Canadian Libraries)
-
-
-
-
-
-
-</pre>
-
-<div class="limit">
-
-<div class="chapter">
-<div class="transnote p4">
-<p class="pc large">NOTES SUR LA TRANSCRIPTION:</p>
-<p class="ptn">&mdash;Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.</p>
-<p class="ptn">&mdash;On a conservé l’orthographie de l’original, incluant ses variantes.</p>
-</div>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<div class="chapter">
-
-<div class="figcenter">
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-</div>
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-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_1" id="Page_1">[1]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<p class="p4 pi6 xlarge"><b><i>Le Nez d’un<br />
-Notaire</i></b></p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_2" id="Page_2">[2]</a></span></p>
-
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-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_3" id="Page_3">[3]</a></span></p>
-
-<h1 class="p4"><span class="large"><i>Le Nez d’un<br />
-Notaire</i></span></h1>
-
-<p class="mid pc4"><i>Par<br />
-<span class="elarge">Edmond About</span><br />
-<span class="reduct">de l’Académie française</span></i></p>
-
-<div class="figcenter">
- <img src="images/ill-005.jpg" width="70" height="95"
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- title="" />
-</div>
-
-<table cellspacing="0" id="t01" summary="t01">
-
- <tr>
- <td class="tdc1"><i><span class="large">Nelson</span><br />Éditeurs<br />
-189, rue Saint-Jacques<br />
-<span class="lmid">Paris</span></i></td>
- <td class="tdc2"><i><span class="large">Calmann-Lévy</span><br />Éditeurs<br />
-3, rue Auber<br />
-<span class="lmid">Paris</span></i></td>
- </tr>
-
-</table>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_4" id="Page_4">[4]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_5" id="Page_5">[5]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4"><i>A M. ALEXANDRE BIXIO</i></h2>
-
-<p class="p2"><i>Permettez-moi, monsieur, d’inscrire en tête de
-ce petit livre le nom cher et honoré d’un homme
-qui a consacré toute sa vie à la cause du progrès,
-d’un père qui a offert ses deux fils à la délivrance
-de l’Italie, d’un ami qui est venu entre les
-premiers me donner une preuve de sympathie le
-lendemain de «Gaëtana».</i></p>
-
-<p class="pr4"><i>E. A.</i><br /></p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_6" id="Page_6">[6]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">[7]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4 font1"><span class="xlarge">TABLE</span></h2>
-
-<div class="figc1">
- <img src="images/ill-007.jpg" width="500" height="185"
- alt=""
- title="" />
-</div>
-
-<table id="toc" summary="cont">
-
- <tr>
- <td colspan="2"> </td>
- <td class="tdr2"><span class="small"><i>Pages</i></span></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td colspan="2" class="tdl1"><i>A M. Alexandre Bixio</i></td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_5">5</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdr1"><i>I.</i></td>
- <td class="tdl1"><i>L’Orient et l’Occident sont aux prises: le sang coule</i></td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_9">9</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdr1"><i>II.</i></td>
- <td class="tdl1"><i>La chasse au chat</i></td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_43">43</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdr1"><i>III.</i></td>
- <td class="tdl1"><i>Où le notaire défend sa peau avec plus de succès</i></td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_93">93</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdr1"><i>IV.</i></td>
- <td class="tdl1"><i>Chébachtien Romagné</i></td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_131">131</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdr1"><i>V.</i></td>
- <td class="tdl1"><i>Grandeur et décadence</i></td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_155">155</a></td>
- </tr>
-
- <tr>
- <td class="tdr1"><i>VI.</i></td>
- <td class="tdl1"><i>Histoire d’une paire de lunettes et conséquences
-d’un rhume de cerveau</i></td>
- <td class="tdr2"><a href="#Page_197">197</a></td>
- </tr>
-
-</table>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_8" id="Page_8">[8]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">[9]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<p class="pc4 elarge">LE NEZ D’UN NOTAIRE</p>
-
-<div class="figcenter">
- <img src="images/d1.jpg" width="200" height="30"
- alt=""
- title="" />
-</div>
-
-<hr class="chap" />
-
-<h2 class="p2">I<br /><br />
-
-<span class="pch">L’ORIENT ET L’OCCIDENT SONT
-AUX PRISES: LE SANG COULE</span></h2>
-
-<p class="drop-cap06">MAÎTRE ALFRED L’AMBERT,
-avant le coup fatal
-qui le contraignit à changer de
-nez, était assurément le plus brillant
-notaire de France. En ce temps-là,
-il avait trente-deux ans; sa taille
-était noble, ses yeux grands et bien
-fendus; son front olympien, sa barbe<span class="pagenum"><a name="Page_10" id="Page_10">[10]</a></span>
-et ses cheveux du blond le plus aimable.
-Son nez (premier du nom) se
-recourbait en bec d’aigle. Me croira
-qui voudra, mais la cravate blanche lui
-allait dans la perfection. Est-ce parce
-qu’il la portait depuis l’âge le plus
-tendre, ou parce qu’il se fournissait
-chez la bonne faiseuse? Je suppose
-que c’était pour ces deux raisons à
-la fois.</p>
-
-<p>Autre chose est de se nouer autour
-du cou un mouchoir de poche roulé
-en corde; autre chose de former avec
-art un beau nœud de batiste blanche
-dont les deux bouts égaux, empesés
-sans excès, se dirigent symétriquement
-vers la droite et la gauche. Une
-cravate blanche bien choisie et bien<span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">[11]</a></span>
-nouée n’est pas un ornement sans
-grâce; toutes les dames vous le
-diront. Mais il ne suffit point de
-la mettre; il faut encore la bien
-porter: c’est une affaire d’expérience.
-Pourquoi les ouvriers paraissent-ils
-si gauches et si empruntés le jour de
-leurs noces? Parce qu’ils se sont affublés
-d’une cravate blanche sans aucune
-étude préparatoire.</p>
-
-<p>On s’accoutume en un rien de
-temps à porter les coiffures les plus
-exorbitantes; une couronne, par
-exemple. Le soldat Bonaparte en ramassa
-une que le roi de France avait
-laissé tomber sur la place Louis XV.
-Il s’en coiffa lui-même, sans avoir
-pris leçon de personne, et l’Europe<span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">[12]</a></span>
-déclara qu’un tel bonnet ne lui allait
-pas mal. Bientôt même il mit la couronne
-à la mode dans le cercle de sa
-famille et de ses amis intimes. Tout
-le monde autour de lui la portait ou
-la voulait porter. Mais cet homme
-extraordinaire ne fut jamais qu’un
-porte-cravate assez médiocre. M. le
-vicomte de C***, auteur de plusieurs
-poèmes en prose, avait étudié la
-diplomatie, ou l’art de se cravater
-avec fruit.</p>
-
-<p>Il assista, en 1815, à la revue de
-notre dernière armée, quelques jours
-avant la campagne de Waterloo.
-Savez-vous ce qui frappa son esprit
-dans cette fête héroïque où éclatait
-l’enthousiasme désespéré d’un grand<span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">[13]</a></span>
-peuple? C’est que la cravate de Bonaparte
-n’allait pas bien.</p>
-
-<p>Peu d’hommes, sur ce terrain pacifique,
-auraient pu se mesurer avec
-maître Alfred L’Ambert. Je dis
-L’Ambert, et non Lambert: il y a
-décision du conseil d’État. Maître
-L’Ambert, successeur de son père,
-exerçait le notariat par droit de naissance.
-Depuis deux siècles et plus,
-cette glorieuse famille se transmettait
-de mâle en mâle l’étude de la rue de
-Verneuil avec la plus haute clientèle
-du faubourg Saint-Germain.</p>
-
-<p>La charge n’était pas cotée, n’étant
-jamais sortie de la famille; mais,
-d’après le produit des cinq dernières
-années, on ne pouvait l’estimer moins<span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">[14]</a></span>
-de trois cent mille écus. C’est dire
-qu’elle rapportait, bon an, mal an,
-quatre-vingt-dix mille livres. Depuis
-deux siècles et plus, tous les aînés
-de la famille avaient porté la cravate
-blanche aussi naturellement que
-les corbeaux portent la plume noire,
-les ivrognes le nez rouge, ou les
-poètes l’habit râpé. Légitime héritier
-d’un nom et d’une fortune considérables,
-le jeune Alfred avait sucé
-les bons principes avec le lait. Il
-méprisait dûment toutes les nouveautés
-politiques qui se sont introduites
-en France depuis la catastrophe
-de 1789. A ses yeux, la nation
-française se composait de trois classes:
-le clergé, la noblesse et le tiers état.<span class="pagenum"><a name="Page_15" id="Page_15">[15]</a></span>
-Opinion respectable et partagée encore
-aujourd’hui par un petit nombre
-de sénateurs. Il se rangeait modestement
-parmi les premiers du tiers
-état, non sans quelques prétentions
-secrètes à la noblesse de robe. Il
-tenait en profond mépris le gros de
-la nation française, ce ramassis de
-paysans et de manœuvres qu’on
-appelle le peuple, ou la vile multitude.
-Il les approchait le moins
-possible, par égard pour son aimable
-personne, qu’il aimait et soignait
-passionnément. Svelte, sain et vigoureux
-comme un brochet de
-rivière, il était convaincu que ces
-gens-là sont du fretin de poisson
-blanc, créé tout exprès par la<span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">[16]</a></span>
-Providence pour nourrir MM. les
-brochets.</p>
-
-<p>Charmant homme au demeurant,
-comme presque tous les égoïstes;
-estimé au Palais, au cercle, à la
-chambre des notaires, à la conférence
-de Saint-Vincent de Paul et à la salle
-d’armes, beau tireur de pointe et de
-contre-pointe; beau buveur, amant
-généreux, tant qu’il avait le cœur
-pris; ami sûr avec les hommes de
-son rang; créancier des plus gracieux,
-tant qu’il touchait les intérêts de
-son capital; délicat dans ses goûts,
-recherché dans sa toilette, propre
-comme un louis neuf, assidu le
-dimanche aux offices de Saint-Thomas
-d’Aquin, les lundis, mercredis<span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">[17]</a></span>
-et vendredis au foyer de
-l’Opéra, il eût été le plus parfait
-<i>gentleman</i> de son temps au physique
-comme au moral, sans une déplorable
-myopie qui le condamnait à
-porter des lunettes. Est-il besoin
-d’ajouter que ses lunettes étaient
-d’or, et les plus fines, les plus légères,
-les plus élégantes qu’on eût fabriquées
-chez le célèbre Mathieu Luna, quai
-des Orfèvres?</p>
-
-<p>Il ne les portait pas toujours, mais
-seulement à l’étude ou chez le client,
-lorsqu’il avait des actes à lire. Croyez
-que les lundis, mercredis et vendredis,
-lorsqu’il entrait au foyer de la danse,
-il avait soin de démasquer ses beaux
-yeux. Aucun verre biconcave ne<span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">[18]</a></span>
-voilait alors l’éclat de son regard.
-Il n’y voyait goutte, j’en conviens,
-et saluait quelquefois une <i>marcheuse</i>
-pour une <i>étoile</i>; mais il avait l’air
-résolu d’un Alexandre entrant à
-Babylone. Aussi les petites filles du
-corps de ballet, qui donnent volontiers
-des sobriquets aux personnes,
-l’avaient-elles surnommé <i>Vainqueur</i>.
-Un bon gros Turc, secrétaire à
-l’ambassade, avait reçu le nom de
-<i>Tranquille</i>, un conseiller d’État s’appelait
-<i>Mélancolique</i>; un secrétaire
-général du ministère de***, vif et
-brouillon dans ses allures, se nommait
-<i>M. Turlu</i>. C’est pourquoi la petite
-Élise Champagne, dite aussi Champagne
-<span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">[19]</a></span>II<sup>e</sup>, reçut le nom de <i>Turlurette</i>
-lorsqu’elle sortit des coryphées pour
-s’élever au rang de sujet.</p>
-
-<p>Mes lecteurs de province (si tant
-est que ce récit dépasse jamais les
-fortifications de Paris) vont méditer
-une minute ou deux sur le paragraphe
-qui précède. J’entends d’ici
-les mille et une questions qu’ils
-adressent mentalement à l’auteur.
-«Qu’est-ce que le foyer de la
-danse? Et le corps de ballet? Et
-les étoiles de l’Opéra? Et les
-coryphées? Et les sujets? Et les
-marcheuses? Et les secrétaires généraux
-qui s’égarent dans un tel monde,
-au risque d’y attraper des sobriquets!
-Enfin par quel hasard un homme
-posé, un homme rangé, un homme<span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">[20]</a></span>
-de principes, comme maître Alfred
-L’Ambert, se trouvait-il trois fois
-par semaine au foyer de la danse?»</p>
-
-<p>Eh! chers amis, c’est précisément
-parce qu’il était un homme posé, un
-homme rangé et un homme de
-principes. Le foyer de la danse
-était alors un vaste salon carré,
-entouré de vieilles banquettes de
-velours rouge et peuplé de tous
-les hommes les plus considérables de
-Paris. On y rencontrait non seulement
-des financiers, des conseillers d’État,
-des secrétaires généraux, mais encore
-des ducs et des princes, des députés,
-des préfets, et les sénateurs les
-plus dévoués au pouvoir temporel du
-pape; il n’y manquait que des<span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">[21]</a></span>
-prélats. On y voyait des ministres
-mariés, et même les plus complètement
-mariés entre tous nos ministres.
-Quand je dis <i>on y voyait</i>, ce n’est pas
-que je les aie vus moi-même; vous
-pensez bien que les pauvres diables
-de journalistes n’entraient pas là
-comme au moulin. Un ministre
-tenait en main les clefs de ce salon
-des Hespérides; nul n’y pénétrait
-sans l’aveu de Son Excellence. Aussi
-fallait-il voir les rivalités, les jalousies
-et les intrigues! Combien de cabinets
-on a culbutés sous les prétextes les
-plus divers, mais au fond parce que
-tous les hommes d’État veulent
-régner sur le foyer de la danse!
-N’allez pas croire au moins que<span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">[22]</a></span>
-ces personnages y fussent attirés
-par l’appât des plaisirs défendus!
-Ils brûlaient d’encourager un art
-éminemment aristocratique et politique.</p>
-
-<p>La marche des années a peut-être
-changé tout cela, car les aventures de
-maître L’Ambert ne datent point de
-cette semaine. Elles ne remontent
-pourtant pas à l’antiquité la plus
-reculée. Mais des raisons de haute
-convenance me défendent de préciser
-l’année exacte où cet officier ministériel
-échangea son nez aquilin contre
-un nez droit. C’est pourquoi j’ai dit
-vaguement <i>en ce temps-là</i>, comme les
-fabulistes. Contentez-vous de savoir
-que l’action se place, dans les annales<span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">[23]</a></span>
-du monde, entre l’incendie de Troie
-par les Grecs et l’incendie du palais
-d’Été à Pékin par l’armée anglaise,
-deux mémorables étapes de la civilisation
-européenne.</p>
-
-<p>Un contemporain et un client de
-maître L’Ambert, M. le marquis
-d’Ombremule, disait un soir au café
-Anglais:</p>
-
-<p>&mdash;Ce qui nous distingue du
-commun des hommes, c’est notre
-fanatisme pour la danse. La canaille
-raffole de musique. Elle bat des
-mains aux opéras de Rossini, de
-Donizetti et d’Auber: il paraît qu’un
-million de petites notes mises en
-salade a quelque chose qui flatte
-l’oreille de ces gens-là. Ils poussent<span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">[24]</a></span>
-le ridicule jusqu’à chanter eux-mêmes
-de leur grosse voix éraillée, et la
-police leur permet de se réunir dans
-certains amphithéâtres pour écorcher
-quelques ariettes. Grand bien leur
-fasse! Quant à moi, je n’écoute point
-un opéra, je le regarde: j’arrive pour
-le divertissement, et je me sauve après.
-Ma respectable aïeule m’a conté que
-toutes les grandes dames de son temps
-n’allaient à l’Opéra que pour le ballet.
-Elles ne refusaient aucun encouragement
-à MM. les danseurs. Notre
-tour est venu; c’est nous qui protégeons
-les danseuses: honni soit qui
-mal y pense!</p>
-
-<p>La petite duchesse de Biétry, jeune,
-jolie et délaissée, eut la faiblesse de<span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">[25]</a></span>
-reprocher à son mari les habitudes
-d’Opéra qu’il avait prises.</p>
-
-<p>&mdash;N’êtes-vous pas honteux, lui
-disait-elle, de m’abandonner dans ma
-loge avec tous vos amis pour courir
-je ne sais où?</p>
-
-<p>&mdash;Madame, répondit-il, lorsqu’on
-espère une ambassade, ne doit-on pas
-étudier la politique?</p>
-
-<p>&mdash;Soit; mais il y a, je pense, de
-meilleures écoles dans Paris.</p>
-
-<p>&mdash;Aucune. Apprenez, ma chère
-enfant, que la danse et la politique
-sont jumelles. Chercher à plaire, courtiser
-le public, avoir l’œil sur le chef
-d’orchestre, composer son visage,
-changer à chaque instant de couleur
-et d’habit, sauter de gauche à droite<span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">[26]</a></span>
-et de droite à gauche, se retourner
-lestement, retomber sur ses pieds, sourire
-avec des larmes plein les yeux,
-n’est-ce pas en quelques mots le programme
-de la danse et de la politique?</p>
-
-<p>La duchesse sourit, pardonna, et
-prit un amant.</p>
-
-<p>Les grands seigneurs comme le duc
-de Biétry, les hommes d’État comme
-le baron de F ..., les gros millionnaires
-comme le petit M. St ..., et les simples
-notaires comme le héros de cette
-histoire se coudoient pêle-mêle au
-foyer de la danse et dans les coulisses
-du théâtre. Ils sont tous égaux devant
-l’ignorance et la naïveté de ces quatre-vingts
-petites ingénues qui composent
-le corps de ballet. On les appelle MM.<span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">[27]</a></span>
-les abonnés, on leur sourit gratis,
-on bavarde avec eux dans les petits
-coins, on accepte leurs bonbons et
-même leurs diamants comme des
-politesses sans conséquence et qui
-n’engagent à rien celle qui les reçoit.
-Le monde s’imagine bien à tort
-que l’Opéra est un marché de plaisir
-facile et une école de libertinage. On
-y trouve des vertus en plus grand
-nombre que dans aucun autre théâtre
-de Paris: et pourquoi? parce que la
-vertu y est plus chère que partout
-ailleurs.</p>
-
-<p>N’est-il pas intéressant d’étudier de
-près ce petit peuple de jeunes filles,
-presque toutes parties de fort bas et
-que le talent ou la beauté peut en un<span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">[28]</a></span>
-rien de temps élever assez haut?
-Fillettes de quatorze à seize ans pour
-la plupart, nourries de pain sec et de
-pommes vertes dans une mansarde
-d’ouvrière ou dans une loge de
-concierge, elles viennent au théâtre
-en tartan et en savates et courent
-s’habiller furtivement. Un quart
-d’heure après, elles descendent au
-foyer radieuses, étincelantes, couvertes
-de soie, de gaze et de fleurs, le tout
-aux frais de l’État, et plus brillantes
-que les fées, les anges et les houris de
-nos rêves. Les ministres et les princes
-leur baisent les mains et blanchissent
-leur habit noir à la céruse de leurs
-bras nus. On leur débite à l’oreille des
-madrigaux vieux et neufs qu’elles<span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">[29]</a></span>
-comprennent quelquefois. Quelques-unes
-ont de l’esprit naturel et causent
-bien; celles-là, on se les arrache.</p>
-
-<p>Un coup de sonnette appelle les
-fées au théâtre; la foule des abonnés
-les poursuit jusqu’à l’entrée de la
-scène, les retient et les accapare
-derrière les portants de coulisses.
-Vertueux abonné qui brave la chute
-des décors, les taches d’huile des
-quinquets et les miasmes les plus
-divers pour le plaisir d’entendre une
-petite voix légèrement enrouée murmurer
-ces mots charmants:</p>
-
-<p>&mdash;Cré nom! j’ai-t-il mal aux pieds!</p>
-
-<p>La toile se lève, et les quatre-vingts
-reines d’une heure s’ébattent
-joyeusement sous les lorgnettes d’un<span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">[30]</a></span>
-public enflammé. Il n’y en a pas
-une qui ne voie ou ne devine dans
-la salle deux, trois, dix adorateurs
-connus ou inconnus. Quelle fête
-pour elles jusqu’à la chute du
-rideau! Elles sont jolies, parées,
-lorgnées, admirées, et elles n’ont
-rien à craindre de la critique ni des
-sifflets.</p>
-
-<p>Minuit sonne: tout change comme
-dans les féeries. Cendrillon remonte
-avec sa mère ou sa sœur aînée vers les
-sommets économiques de Batignolles
-ou de Montmartre. Elle boite un
-tantinet, pauvre petite! et elle
-éclabousse ses bas gris. La bonne
-et sage mère de famille, qui a placé
-toutes ses espérances sur la tête de<span class="pagenum"><a name="Page_31" id="Page_31">[31]</a></span>
-cette enfant, rabâche, chemin faisant,
-quelques leçons de sagesse:</p>
-
-<p>&mdash;Marchez droit dans la vie, ô
-ma fille, et ne vous laissez jamais
-choir! ou, si le destin veut absolument
-qu’un tel malheur vous arrive, ayez
-soin de tomber sur un lit en bois de
-rose!</p>
-
-<p>Ces conseils de l’expérience ne sont
-pas toujours suivis. Le cœur parle
-quelquefois. On a vu des danseuses
-épouser des danseurs. On a vu des
-petites filles, jolies comme la Vénus
-Anadyomène, économiser cent mille
-francs de bijoux pour conduire à
-l’autel un employé à deux mille
-francs. D’autres abandonnent au
-hasard le soin de leur avenir, et font<span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">[32]</a></span>
-le désespoir de leur famille. Celle-ci
-attend le 10 avril pour disposer de
-son cœur, parce qu’elle s’est juré à
-elle-même de rester sage jusqu’à dix-sept
-ans. Celle-là trouve un protecteur
-à son goût et n’ose le dire:
-elle craint la vengeance d’un conseiller
-référendaire qui a promis de la tuer
-et de se suicider ensuite si elle aimait
-un autre que lui. Il plaisantait, comme
-vous pensez bien, mais on prend les
-paroles au sérieux dans ce petit
-monde. Qu’elles sont naïves et ignorantes
-de tout! on a entendu deux
-grandes filles de seize ans se disputer
-sur la noblesse de leur origine et le
-rang de leurs familles:</p>
-
-<p>&mdash;Voyez un peu cette demoiselle!<span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">[33]</a></span>
-disait la plus grande. Les boucles
-d’oreilles de sa mère sont en argent,
-et celles de mon père sont en or!</p>
-
-<p>Maître Alfred L’Ambert, après
-avoir longtemps voltigé de la brune
-à la blonde, avait fini par s’éprendre
-d’une jolie brunette aux yeux bleus.
-Mademoiselle Victorine Tompain
-était sage, comme on l’est généralement
-à l’Opéra, jusqu’à ce qu’on ne
-le soit plus. Bien élevée d’ailleurs, et
-incapable de prendre une résolution
-extrême sans consulter ses parents.
-Depuis tantôt six mois, elle se voyait
-serrée d’assez près par le beau notaire
-et par Ayvaz-Bey, ce gros Turc de
-vingt-cinq ans que l’on désignait par
-le sobriquet de <i>Tranquille</i>. L’un et<span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">[34]</a></span>
-l’autre lui avaient tenu des discours
-sérieux, où il était question de son
-avenir. La respectable madame
-Tompain maintenait sa fille dans un
-sage milieu, en attendant qu’un des
-deux rivaux se décidât à lui parler
-affaires. Le Turc était un bon garçon,
-honnête, posé et timide. Il parla cependant
-et fut écouté.</p>
-
-<p>Tout le monde apprit bientôt ce
-petit événement, excepté maître
-L’Ambert, qui enterrait un oncle
-dans le Poitou. Lorsqu’il revint à
-l’Opéra, mademoiselle Victorine Tompain
-avait un bracelet de brillants,
-des dormeuses de brillants et un cœur
-de brillants pendu au cou comme un
-lustre. Le notaire était myope; je<span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">[35]</a></span>
-crois vous l’avoir dit dès le début.
-Il ne vit rien de ce qu’il aurait dû
-voir, pas même les sourires malins
-qui le saluèrent à sa rentrée. Il
-tournoya, babilla et brilla comme à
-son ordinaire, attendant avec impatience
-la fin du ballet et la sortie
-des enfants. Ses calculs étaient faits:
-l’avenir de mademoiselle Victorine se
-trouvait assuré, grâce à cet excellent
-oncle de Poitiers qui était mort juste
-à point.</p>
-
-<p>Ce qu’on appelle à Paris le passage
-de l’Opéra est un réseau de galeries
-larges ou étroites, éclairées ou obscures,
-de niveaux forts divers qui
-relient le boulevard, la rue Lepeletier,
-la rue Drouot et la rue Rossini. Un<span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">[36]</a></span>
-long couloir, découvert dans sa plus
-grande partie, s’étend de la rue
-Drouot à la rue Lepeletier, perpendiculairement
-aux galeries du
-Baromètre et de l’Horloge. C’est
-dans sa partie la plus basse, à deux
-pas de la rue Drouot, que s’ouvre
-la porte secrète du théâtre, l’entrée
-nocturne des artistes. Tous les deux
-jours, à minuit, un flot de 300 à 400
-personnes s’écoule tumultueusement
-sous les yeux du digne papa Monge,
-concierge de ce paradis. Machinistes,
-comparses, marcheuses, choristes,
-danseurs et danseuses, ténors et
-soprani, auteurs, compositeurs, administrateurs,
-abonnés, se ruent pêle-mêle.
-Les uns descendent vers la rue<span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">[37]</a></span>
-Drouot, les autres remontent l’escalier
-qui conduit par une galerie découverte
-à la rue Lepeletier.</p>
-
-<p>Vers le milieu du passage découvert,
-au bout de la galerie du Baromètre,
-Alfred L’Ambert fumait un cigare et
-attendait. A dix pas plus loin, un
-petit homme rond, coiffé du tarbouch
-écarlate, aspirait par bouffées égales
-la fumée d’une cigarette de tabac
-turc, plus grosse que le petit doigt.
-Vingt autres flâneurs intéressés
-piétinaient ou attendaient autour
-d’eux, chacun pour soi, sans nul
-souci du voisin. Et les chanteurs
-traversaient en fredonnant, et les
-sylphes mâles, traînant un peu la
-savate, passaient en boitant, et, de<span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">[38]</a></span>
-minute en minute, une ombre féminine
-enveloppée de noir, de gris ou
-de marron, glissait entre les rares
-becs de gaz, méconnaissable à tous
-les yeux, excepté aux yeux de
-l’amour.</p>
-
-<p>On se rencontre, on s’aborde, on
-s’enfuit, sans prendre congé de la
-compagnie. Halte-là! voici un bruit
-étrange et un tumulte inusité. Deux
-ombres légères ont passé, deux hommes
-ont couru, deux flammes de
-cigare se sont rapprochées; on a
-entendu des éclats de voix et comme
-le bruit d’une rapide querelle. Les
-promeneurs se sont amassés sur un
-point; mais ils n’ont plus trouvé
-personne. Et maître Alfred L’Ambert<span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">[39]</a></span>
-redescend tout seul vers sa voiture,
-qui l’attendait au boulevard. Il hausse
-les épaules et regarde machinalement
-cette carte de visite tachée d’une large
-goutte de sang:</p>
-
-<p class="pc1 reduct"><span class="smcap">Ayvaz-Bey</span><br />
-Secrétaire de l’ambassade ottomane,</p>
-<p class="pr4 reduct"><i>Rue de Grenelle Saint-Germain</i>, 100.</p>
-
-<p class="p1">Écoutez ce qu’il dit entre ses dents,
-le beau notaire de la rue de Verneuil:</p>
-
-<p>&mdash;La sotte affaire! Du diable si
-je savais qu’elle eût donné des droits
-à cet animal de Turc!... car c’est
-bien lui ... Aussi pourquoi n’avais-je
-pas mis mes lunettes?... Il paraît que
-je lui ai donné un coup de poing sur<span class="pagenum"><a name="Page_40" id="Page_40">[40]</a></span>
-le nez? Oui, sa carte est tachée et
-mes gants le sont aussi. Me voilà un
-Turc sur les bras par une simple maladresse;
-car je ne lui en veux pas, à
-ce garçon ... La petite m’est fort indifférente,
-après tout ... Il l’a, qu’il
-la garde! Deux honnêtes gens ne
-vont pas s’égorger pour mademoiselle
-Victorine Tompain ... C’est ce maudit
-coup de poing qui gâte tout ...</p>
-
-<p>Voilà ce qu’il disait entre ses dents,
-ses trente-deux dents, plus blanches et
-plus aiguës que celles d’un jeune loup.
-Il renvoya son cocher à la maison et
-se dirigea à pied, au petit pas, vers
-le cercle des Chemins de fer. Là, il
-trouva deux amis et leur conta son
-aventure. Le vieux marquis de Villemaurin,<span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">[41]</a></span>
-ancien capitaine de la garde
-royale, et le jeune Henri Steimbourg,
-agent de change, jugèrent unanimement
-que le coup de poing gâtait
-tout.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">[42]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_43" id="Page_43">[43]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2>II<br /><br />
-<span class="pch">LA CHASSE AU CHAT</span></h2>
-
-<p class="drop-cap04">UN philosophe turc a dit:</p>
-
-<p>«Il n’y a pas de coups de
-poing agréables; mais les coups de
-poing sur le nez sont les plus
-désagréables de tous.»</p>
-
-<p>Le même penseur ajoute avec
-raison, dans le chapitre suivant:</p>
-
-<p>«Frapper un ennemi devant la
-femme qu’il aime, c’est le frapper
-deux fois. Tu offenses le corps et
-l’âme.»</p>
-
-<p>C’est pourquoi le patient Ayvaz-Bey<span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">[44]</a></span>
-rugissait de colère en ramenant
-mademoiselle Tompain et sa mère à
-l’appartement qu’il leur avait meublé.
-Il leur donna le bonsoir à leur porte,
-sauta dans une voiture et se fit mener,
-toujours saignant, chez son collègue et
-son ami Ahmed.</p>
-
-<p>Ahmed dormait sous la garde d’un
-nègre fidèle; mais, s’il est écrit: «Tu
-n’éveilleras point ton ami qui dort»,
-il est écrit aussi: «Éveille-le cependant
-s’il y a danger pour lui ou pour toi.»
-On éveilla le bon Ahmed. C’était un
-long Turc de trente-cinq ans, maigre
-et fluet, avec de grandes jambes arquées.
-Excellent homme, d’ailleurs,
-et garçon d’esprit. Il y a du bon,
-quoi qu’on dise, chez ces gens-là.<span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">[45]</a></span>
-Lorsqu’il vit la figure ensanglantée
-de son ami, il commença par lui
-faire apporter un grand bassin d’eau
-fraîche; car il est écrit: «Ne délibère
-pas avant d’avoir lavé ton sang: tes
-pensées seraient troubles et impures.»</p>
-
-<p>Ayvaz fut plus tôt débarbouillé que
-calmé. Il raconta son aventure avec
-colère. Le nègre, qui se trouvait en
-tiers dans la confidence, offrit aussitôt
-de prendre son kandjar et d’aller tuer
-M. L’Ambert. Ahmed-Bey le remercia
-de ses bonnes intentions en le poussant
-du pied hors de la chambre.</p>
-
-<p>&mdash;Et maintenant, dit-il au bon
-Ayvaz, que ferons-nous?</p>
-
-<p>&mdash;C’est bien simple, répondit
-l’autre: je lui couperai le nez demain<span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">[46]</a></span>
-matin. La loi du talion est écrite dans
-le Koran: «Œil pour œil, dent pour
-dent, nez pour nez!»</p>
-
-<p>Ahmed lui remontra que le Koran
-était sans doute un bon livre, mais
-qu’il avait un peu vieilli. Les principes
-du point d’honneur ont changé depuis
-Mahomet. D’ailleurs, à supposer qu’on
-appliquât la loi au pied de la lettre,
-Ayvaz serait réduit à rendre un coup
-de poing à M. L’Ambert.</p>
-
-<p>&mdash;De quel droit lui couperais-tu
-le nez, lorsqu’il n’a pas coupé le tien?</p>
-
-<p>Mais un jeune homme qui vient
-d’avoir le nez écrasé en présence de
-sa maîtresse se rend-il jamais à la
-raison? Ayvaz voulait du sang. Ahmed
-dut lui en promettre.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">[47]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Soit, lui dit-il. Nous représentons
-notre pays à l’étranger; nous ne
-devons pas recevoir un affront sans
-faire preuve de courage. Mais comment
-pourras-tu te battre en duel
-avec M. L’Ambert suivant les usages
-de ce pays? Tu n’as jamais tiré l’épée.</p>
-
-<p>&mdash;Qu’ai-je à faire d’une épée? Je
-veux lui couper le nez, te dis-je, et
-une épée ne me servirait de rien
-pour ce que je veux!...</p>
-
-<p>&mdash;Si du moins tu étais d’une certaine
-force au pistolet?</p>
-
-<p>&mdash;Es-tu fou? que ferais-je d’un
-pistolet pour couper le nez d’un insolent?
-Je ... Oui, c’est décidé! va le
-trouver, arrange tout pour demain!
-nous nous battrons au sabre!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">[48]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Mais, malheureux! que feras-tu
-d’un sabre? Je ne doute pas de
-ton cœur, mais je puis dire sans
-t’offenser que tu n’es pas de la force
-de Pons.</p>
-
-<p>&mdash;Qu’importe! lève-toi, et va lui
-dire qu’il tienne son nez à ma disposition
-pour demain matin!</p>
-
-<p>Le sage Ahmed comprit que la
-logique aurait tort, et qu’il raisonnait
-en pure perte. A quoi bon prêcher
-un sourd qui tenait à son idée comme
-le pape au temporel? Il s’habilla
-donc, prit avec lui le premier drogman,
-Osman-Bey, qui rentrait du
-cercle Impérial, et se fit conduire à
-l’hôtel de maître L’Ambert. L’heure
-était parfaitement indue; mais Ayvaz<span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">[49]</a></span>
-ne voulait pas qu’on perdît un seul
-moment.</p>
-
-<p>Le dieu des batailles ne le voulait
-pas non plus; au moins tout me porte
-à le croire. Dans l’instant que le
-premier secrétaire allait sonner chez
-maître L’Ambert, il rencontra l’ennemi
-en personne, qui revenait à
-pied en causant avec ses deux
-témoins.</p>
-
-<p>Maître L’Ambert vit les bonnets
-rouges, comprit, salua et prit la parole
-avec une certaine hauteur qui n’était
-pas tout à fait sans grâce.</p>
-
-<p>&mdash;Messieurs, dit-il aux arrivants,
-comme je suis le seul habitant de cet
-hôtel, j’ai lieu de croire que vous me
-faisiez l’honneur de venir chez moi.<span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">[50]</a></span>
-Je suis M. L’Ambert; permettez-moi
-de vous introduire.</p>
-
-<p>Il sonna, poussa la porte, traversa
-la cour avec ses quatre visiteurs nocturnes
-et les conduisit jusque dans
-son cabinet de travail. Là, les deux
-Turcs déclinèrent leurs noms, le notaire
-leur présenta ses deux amis et
-laissa les parties en présence.</p>
-
-<p>Un duel ne peut avoir lieu dans
-notre pays que par la volonté ou tout
-au moins le consentement de six
-personnes. Or, il y en avait cinq qui
-ne souhaitaient nullement celui-ci.
-Maître L’Ambert était brave; mais
-il n’ignorait pas qu’un éclat de cette
-sorte, à propos d’une petite danseuse
-de l’Opéra, compromettrait gravement<span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">[51]</a></span>
-son étude. Le marquis de
-Villemaurin, vieux raffiné des plus
-compétents en matière de point d’honneur,
-disait que le duel est un jeu
-noble, où tout, depuis le commencement
-jusqu’à la fin de la partie, doit
-être correct. Or, un coup de poing
-dans le nez pour une demoiselle
-Victorine Tompain était la plus
-ridicule entrée de jeu qu’on pût imaginer.
-Il affirmait, d’ailleurs, sous la
-responsabilité de son honneur, que
-M. Alfred L’Ambert n’avait pas vu
-Ayvaz-Bey, qu’il n’avait voulu frapper
-ni lui ni personne. M. L’Ambert
-avait cru reconnaître deux dames, et
-s’était approché vivement pour les
-saluer.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">[52]</a></span></p>
-
-<p>En portant la main à son chapeau,
-il avait heurté violemment, mais sans
-aucune intention, une personne qui
-accourait en sens inverse. C’était un
-pur accident, une maladresse au pis
-aller; mais on ne rend pas raison d’un
-accident, ni même d’une maladresse.
-Le rang et l’éducation de M. L’Ambert
-ne permettaient à personne de
-supposer qu’il fût capable de donner
-un coup de poing à Ayvaz-Bey. Sa
-myopie bien connue et la demi-obscurité
-du passage avaient fait tout
-le mal. Enfin, M. L’Ambert, d’après
-le conseil de ses témoins, était tout
-prêt à déclarer, devant Ayvaz-Bey,
-qu’il regrettait de l’avoir heurté par
-accident.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">[53]</a></span></p>
-
-<p>Ce raisonnement, assez juste en
-lui-même, empruntait un surcroît
-d’autorité à la personne de l’orateur.
-M. de Villemaurin était un de ces
-gentilshommes qui semblent avoir été
-oubliés par la mort pour rappeler les
-âges historiques à notre temps dégénéré.
-Son acte de naissance ne lui
-donnait que soixante-dix-neuf ans;
-mais, par les habitudes de l’esprit et
-du corps, il appartenait au <span class="smcap">xvi</span><sup>e</sup> siècle.
-Il pensait, parlait et agissait en
-homme qui a servi dans l’armée de la
-Ligue et taillé des croupières au Béarnais.
-Royaliste convaincu, catholique
-austère, il apportait dans ses haines
-et dans ses amitiés une passion qui
-outrait tout. Son courage, sa loyauté,<span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">[54]</a></span>
-sa droiture et même un certain degré
-de folie chevaleresque, le donnaient
-en admiration à la jeunesse inconsistante
-d’aujourd’hui. Il ne riait de
-rien, comprenait mal la plaisanterie
-et se blessait d’un bon mot comme
-d’un manque de respect. C’était le
-moins tolérant, le moins aimable et
-le plus honorable des vieillards. Il
-avait accompagné Charles X en
-Écosse après les journées de juillet;
-mais il quitta Holy-Rood au bout
-de quinze jours de résidence, scandalisé
-de voir que la cour de France
-ne prenait pas le malheur au sérieux.
-Il donna alors sa démission et coupa
-pour toujours ses moustaches, qu’il
-conserva dans une sorte d’écrin avec<span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">[55]</a></span>
-cette inscription: <i>Mes moustaches de la
-garde royale</i>. Ses subordonnés, officiers
-et soldats, l’avaient en grande estime
-et en grande terreur. On se racontait
-à l’oreille que cet homme inflexible
-avait mis au cachot son fils unique,
-jeune soldat de vingt-deux ans, pour
-un acte d’insubordination. L’enfant,
-digne fils d’un tel père, refusa obstinément
-de céder, tomba malade au
-cachot, et mourut. Ce Brutus pleura
-son fils, lui éleva un tombeau convenable
-et le visita régulièrement deux
-fois par semaine sans oublier ce devoir
-en aucun temps ni à aucun âge; mais
-il ne se courba point sous le fardeau
-de ses remords. Il marchait droit, avec
-une certaine roideur; ni l’âge ni la<span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">[56]</a></span>
-douleur n’avaient voûté ses larges
-épaules.</p>
-
-<p>C’était un petit homme trapu,
-vigoureux, fidèle à tous les exercices
-de sa jeunesse; il comptait sur le jeu
-de paume bien plus que sur le médecin
-pour entretenir sa verte santé.
-A soixante et dix ans, il avait épousé
-en secondes noces une jeune fille
-noble et pauvre. Il en avait eu deux
-enfants, et il ne désespérait pas de se
-voir bientôt grand-père. L’amour de
-la vie, si puissant sur les vieillards de
-cet âge, le préoccupait médiocrement,
-quoiqu’il fût heureux ici-bas. Il avait
-eu sa dernière affaire à soixante et
-douze ans, avec un beau colonel de
-cinq pieds six pouces: histoire de<span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">[57]</a></span>
-politique selon les uns, de jalousie
-conjugale selon d’autres. Lorsqu’un
-homme de ce rang et de ce caractère
-prenait fait et cause pour M. L’Ambert,
-lorsqu’il déclarait qu’un duel
-entre le notaire et Ayvaz-Bey serait
-inutile, compromettant et bourgeois,
-la paix semblait être signée d’avance.</p>
-
-<p>Tel fut l’avis de M. Henri Steimbourg,
-qui n’était ni assez jeune, ni
-assez curieux pour vouloir à tout
-prix le spectacle d’une affaire; et les
-deux Turcs, hommes de sens, acceptèrent
-un instant la réparation qu’on
-leur offrait. Ils demandèrent toutefois
-à conférer avec Ayvaz, et l’ennemi
-les attendit sur pied tandis
-qu’ils couraient à l’ambassade. Il<span class="pagenum"><a name="Page_58" id="Page_58">[58]</a></span>
-était quatre heures du matin; mais
-le marquis ne dormait plus guère
-que par acquit de conscience, et il
-avait à cœur de décider quelque
-chose avant de se mettre au lit.</p>
-
-<p>Mais le terrible Ayvaz, aux premiers
-mots de conciliation que ses
-amis lui firent entendre, se mit dans
-une colère turque.</p>
-
-<p>&mdash;Suis-je un fou? s’écria-t-il en
-brandissant le chibouk de jasmin qui
-lui avait tenu compagnie. Prétend-on
-me persuader que c’est moi qui ai
-donné un coup de nez dans le poing
-de M. L’Ambert? Il m’a frappé, et
-la preuve, c’est qu’il offre de me faire
-des excuses. Mais qu’est-ce que les
-paroles, quand il y a du sang répandu?<span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">[59]</a></span>
-Puis-je oublier que Victorine
-et sa mère ont été témoins de ma
-honte?... O mes amis, il ne me reste
-plus qu’à mourir si je ne coupe aujourd’hui
-le nez de l’offenseur!</p>
-
-<p>Bon gré, mal gré, il fallut reprendre
-les négociations sur cette base un
-peu ridicule. Ahmed et le drogman
-avaient l’esprit assez raisonnable pour
-blâmer leur ami, mais le cœur trop
-chevaleresque pour l’abandonner en
-chemin. Si l’ambassadeur, Hamza-Pacha,
-se fût trouvé à Paris, il eût
-sans doute arrêté l’affaire par quelque
-coup d’autorité. Malheureusement, il
-cumulait les deux ambassades de
-France et d’Angleterre, et il était à
-Londres. Les témoins du bon Ayvaz<span class="pagenum"><a name="Page_60" id="Page_60">[60]</a></span>
-firent la navette jusqu’à sept heures
-du matin entre la rue de Grenelle
-et la rue de Verneuil sans avancer
-notablement les choses. A sept heures,
-M. L’Ambert perdit patience et dit
-à ses témoins:</p>
-
-<p>&mdash;Ce Turc m’ennuie. Il ne lui
-suffit pas de m’avoir soufflé la petite
-Tompain; monsieur trouve plaisant
-de me faire passer une nuit blanche!
-Eh bien, marchons! Il pourrait croire
-à la fin que j’ai peur de m’aligner
-avec lui. Mais faisons vite, s’il vous
-plaît, et tâchons de bâcler l’affaire ce
-matin. Je fais atteler en dix minutes,
-nous allons à deux lieues de Paris;
-je corrige mon Turc en un tour de
-main et je rentre à l’étude, avant que<span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">[61]</a></span>
-les petits journaux de scandale aient
-eu vent de notre histoire!</p>
-
-<p>Le marquis essaya encore une ou
-deux objections; mais il finit par
-avouer que M. L’Ambert avait la
-main forcée. L’insistance d’Ayvaz-Bey
-était du dernier mauvais goût
-et méritait une leçon sévère. Personne
-ne doutait que le belliqueux notaire,
-si avantageusement connu dans les
-salles d’armes, ne fût le professeur
-choisi par la destinée pour enseigner
-la politesse française à cet Osmanli.</p>
-
-<p>&mdash;Mon cher garçon, disait le
-vieux Villemaurin en frappant sur
-l’épaule de son client, notre position
-est excellente, puisque nous avons mis
-le bon droit de notre côté. Le reste<span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">[62]</a></span>
-à la grâce de Dieu! L’événement
-n’est pas douteux; vous avez le cœur
-solide et la main vite. Souvenez-vous
-seulement qu’on ne doit jamais tirer
-à fond; car le duel est fait pour
-corriger les sots et non pour les
-détruire. Il n’y a que les maladroits
-qui tuent leur homme sous prétexte
-de lui apprendre à vivre.</p>
-
-<p>Le choix des armes revenait de
-droit au bon Ayvaz; mais le notaire
-et ses témoins firent la grimace en
-apprenant qu’il choisissait le sabre.</p>
-
-<p>&mdash;C’est l’arme des soldats, disait
-le marquis, ou l’arme des bourgeois
-qui ne veulent pas se battre. Cependant
-va pour le sabre, si vous y
-tenez!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">[63]</a></span></p>
-
-<p>Les témoins d’Ayvaz-Bey déclarèrent
-qu’ils y tenaient beaucoup. On
-fit chercher deux lattes ou demi-espadons
-à la caserne du quai d’Orsay,
-et l’on prit rendez-vous pour dix
-heures au petit village de Parthenay,
-vieille route de Sceaux. Il était huit
-heures et demie.</p>
-
-<p>Tous les Parisiens connaissent ce
-joli groupe de deux cents maisons,
-dont les habitants sont plus riches,
-plus propres et plus instruits que le
-commun de nos villageois. Ils cultivent
-la terre en jardiniers et non en
-laboureurs, et le ban de leur commune
-ressemble, tous les printemps,
-à un petit paradis terrestre. Un
-champ de fraisiers fleuris s’étend en<span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">[64]</a></span>
-nappe argentée entre un champ de
-groseilliers et un champ de framboisiers.
-Des arpents tout entiers
-exhalent le parfum âcre du cassis,
-agréable à l’odorat des concierges.
-Paris achète en beaux louis d’or la
-récolte de Parthenay, et les braves
-paysans que vous voyez cheminer à
-pas lents, un arrosoir dans chaque
-main, sont de petits capitalistes.</p>
-
-<p>Ils mangent de la viande deux fois
-par jour, méprisent la poule au pot
-et préfèrent le poulet à la broche.
-Ils payent le traitement d’un instituteur
-et d’un médecin communal,
-construisent sans emprunt une mairie
-et une église et votent pour mon
-spirituel ami le docteur Véron aux<span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">[65]</a></span>
-élections du corps législatif. Leurs
-filles sont jolies, si j’ai bonne mémoire.
-Le savant archéologue Cubaudet,
-archiviste de la sous-préfecture
-de Sceaux, assure que Parthenay est
-une colonie grecque et qu’il tire son
-nom du mot <i>Parthénos</i>, vierge ou
-jeune fille (c’est tout un chez les
-peuples polis). Mais cette discussion
-nous éloignerait du bon Ayvaz.</p>
-
-<p>Il arriva le premier au rendez-vous,
-toujours colère. Comme il arpentait
-fièrement la place du village, en
-attendant l’ennemi! Il cachait sous
-son manteau deux yatagans formidables,
-excellentes lames de Damas.
-Que dis-je, de Damas? Deux lames
-japonaises, de celles qui coupent une<span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">[66]</a></span>
-barre de fer aussi facilement qu’une
-asperge, pourvu qu’elles soient emmanchées
-au bout d’un bon bras.
-Ahmed-Bey et le fidèle drogman
-suivaient leur ami et lui donnaient
-les avis les plus sages: attaquer
-prudemment, se découvrir le moins
-possible, rompre en sautant, enfin
-tout ce qu’on peut dire à un novice
-qui va sur le terrain sans avoir rien
-appris.</p>
-
-<p>&mdash;Merci de vos conseils, répondait
-l’obstiné; il ne faut pas tant de façons
-pour couper le nez d’un notaire!</p>
-
-<p>L’objet de sa vengeance lui apparut
-bientôt entre deux verres de lunettes,
-à la portière d’une voiture de maître.
-Mais M. L’Ambert ne descendit<span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">[67]</a></span>
-point; il se contenta de saluer. Le
-marquis mit pied à terre et vint dire
-au grand Ahmed-Bey:</p>
-
-<p>&mdash;Je connais un excellent terrain
-à vingt minutes d’ici; soyez assez
-bon pour remonter en voiture avec
-vos amis et me suivre.</p>
-
-<p>Les belligérants prirent un chemin
-de traverse et descendirent à un kilomètre
-des habitations.</p>
-
-<p>&mdash;Messieurs, dit le marquis, nous
-pouvons gagner à pied le petit bois
-que vous voyez là-bas. Les cochers
-nous attendront ici. Nous avons oublié
-de prendre un chirurgien avec nous;
-mais le valet de pied que j’ai laissé à
-Parthenay nous amènera le médecin
-du village.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">[68]</a></span></p>
-
-<p>Le cocher du Turc était un de ces
-maraudeurs parisiens qui circulent
-passé minuit, sous un numéro de
-contrebande. Ayvaz l’avait pris à la
-porte de mademoiselle Tompain, et
-il l’avait gardé jusqu’à Parthenay. Le
-vieux routier sourit finement lorsqu’il
-vit qu’on l’arrêtait en rase campagne
-et qu’il y avait des sabres sous les
-manteaux.</p>
-
-<p>&mdash;Bonne chance, monsieur! dit-il
-au brave Ayvaz. Oh! vous ne risquez
-rien; je porte bonheur à mes bourgeois.
-Encore l’an dernier, j’en ai
-ramené un qui avait couché son
-homme. Il m’a donné vingt-cinq
-francs de pourboire; vrai, comme je
-vous le dis.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">[69]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Tu en auras cinquante, dit
-Ayvaz, si Dieu permet que je me
-venge à mon idée.</p>
-
-<p>M. L’Ambert était d’une jolie
-force, mais trop connu dans les salles
-pour avoir jamais eu occasion de se
-battre. Au point de vue du terrain,
-il était aussi neuf qu’Ayvaz-Bey:
-aussi, quoiqu’il eût vaincu dans des
-assauts les maîtres et les prévôts de
-plusieurs régiments de cavalerie, il
-éprouvait une sourde trépidation qui
-n’était point de la peur, mais qui
-produisait des effets analogues. Sa
-conversation dans la voiture avait été
-brillante; il avait montré à ses témoins
-une gaieté sincère et pourtant
-un peu fébrile. Il avait brûlé trois ou<span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">[70]</a></span>
-quatre cigares en route, sous prétexte
-de les fumer. Lorsque tout le monde
-mit pied à terre, il marcha d’un pas
-ferme, trop ferme peut-être. Au fond
-de l’âme, il était en proie à une certaine
-appréhension, toute virile et
-toute française: il se défiait de son
-système nerveux et craignait de ne
-point paraître assez brave.</p>
-
-<p>Il semble que les facultés de l’âme
-se doublent dans les moments critiques
-de la vie. Ainsi, M. L’Ambert
-était sans doute fort occupé du petit
-drame où il allait jouer un rôle, et
-cependant les objets les plus insignifiants
-du monde extérieur, ceux qui
-l’auraient le moins frappé en temps
-ordinaire, attiraient et retenaient son<span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">[71]</a></span>
-attention par une puissance irrésistible.
-A ses yeux, la nature était éclairée
-d’une lumière nouvelle, plus nette,
-plus tranchante, plus crue que la lumière
-banale du soleil. Sa préoccupation
-soulignait pour ainsi dire tout ce
-qui tombait sous ses regards. Au
-détour du sentier, il aperçut un chat
-qui cheminait à petits pas entre deux
-rangs de groseilliers. C’était un chat
-comme on en voit beaucoup dans les
-villages: un long chat maigre, au poil
-blanc tacheté de roux, un de ces
-animaux demi-sauvages que le maître
-nourrit généreusement de toutes les
-souris qu’ils savent prendre. Celui-là
-jugeait sans doute que la maison
-n’était pas assez giboyeuse et cherchait<span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">[72]</a></span>
-en plein champ un supplément de
-pitance. Les yeux de maître L’Ambert,
-après avoir erré quelque temps à
-l’aventure, se sentirent attirés et
-comme fascinés par la grimace de ce
-chat. Il l’observa attentivement, admira
-la souplesse de ses muscles, le
-dessin vigoureux de ses mâchoires, et
-crut faire une découverte de naturaliste
-en remarquant que le chat est un
-tigre en miniature.</p>
-
-<p>&mdash;Que diable regardez-vous là?
-demanda le marquis en lui frappant
-sur l’épaule.</p>
-
-<p>Il revint aussitôt à lui, et répondit
-du ton le plus dégagé:</p>
-
-<p>&mdash;Cette sale bête m’a donné une
-distraction. Vous ne sauriez croire,<span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">[73]</a></span>
-monsieur le marquis, le dégât que ces
-coquins nous font dans une chasse.
-Ils mangent plus de couvées que nous
-ne tirons de perdreaux. Si j’avais un
-fusil!...</p>
-
-<p>Et, joignant le geste à la parole, il
-coucha l’animal en joue en le désignant
-du doigt. Le chat saisit l’intention, fit
-une chute en arrière et disparut.</p>
-
-<p>On le revit deux cents pas plus loin.
-Il se faisait la barbe au milieu d’une
-pièce de colza et semblait attendre les
-Parisiens.</p>
-
-<p>&mdash;Est-ce que tu nous suis? demanda
-le notaire en répétant sa
-menace.</p>
-
-<p>La bête prudentissime s’enfuit de
-nouveau; mais elle reparut à l’entrée<span class="pagenum"><a name="Page_74" id="Page_74">[74]</a></span>
-de la clairière où l’on devait se battre.
-M. L’Ambert, superstitieux comme
-un joueur qui va entamer une grosse
-partie, voulut chasser ce fétiche
-malfaisant. Il lui lança un caillou sans
-l’atteindre. Le chat grimpa sur un
-arbre et s’y tint coi.</p>
-
-<p>Déjà les témoins avaient choisi le
-terrain et tiré les places au sort. La
-meilleure échu à M. L’Ambert. Le
-sort voulut aussi qu’on se servît de ses
-armes et non des yatagans japonais, qui
-l’auraient peut-être embarrassé.</p>
-
-<p>Ayvaz ne s’embarrassait de rien.
-Tout sabre lui était bon. Il regardait
-le nez de son ennemi comme un
-pêcheur regarde une belle truite suspendue
-au bout de sa ligne. Il se<span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">[75]</a></span>
-dépouilla prestement de tous les
-habits qui n’étaient pas indispensables,
-jeta sur l’herbe sa calotte rouge et sa
-redingote verte et retroussa les manches
-de sa chemise jusqu’au coude. Il faut
-croire que les Turcs les plus endormis
-se réveillent au cliquetis des armes.
-Ce gros garçon, dont la physionomie
-n’avait rien que de paterne, apparut
-comme transfiguré. Sa figure s’éclaira,
-ses yeux lancèrent la flamme. Il prit
-un sabre des mains du marquis, recula
-de deux pas et entonna en langue
-turque une improvisation poétique
-que son ami Osman-Bey a bien voulu
-nous conserver et nous traduire:</p>
-
-<p>&mdash;Je me suis armé pour le combat;
-malheur au giaour qui m’offense! Le<span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">[76]</a></span>
-sang se paye avec du sang. Tu m’as
-frappé de la main; moi, Ayvaz,
-fils de Ruchdi, je te frapperai du
-sabre. Ton visage mutilé fera rire les
-belles femmes: Schlosser et Mercier,
-Thibert et Savile se détourneront
-avec mépris. Le parfum des roses
-d’Izmir sera perdu pour toi. Que
-Mahomet me donne la force, je ne
-demande le courage à personne.
-Hourra! je me suis armé pour le
-combat.</p>
-
-<p>Il dit, et se précipita sur son
-adversaire. L’attaqua-t-il en tierce ou
-en quarte, je n’en sais rien, ni lui
-non plus, ni les témoins, ni M.
-L’Ambert. Mais un flot de sang
-jaillit au bout du sabre, une paire de<span class="pagenum"><a name="Page_77" id="Page_77">[77]</a></span>
-lunettes glissa sur le sol, et le notaire
-sentit sa tête allégée par devant de
-tout le poids de son nez. Il en restait
-bien quelque chose, mais si peu,
-qu’en vérité je n’en parle que pour
-mémoire.</p>
-
-<p>M. L’Ambert se jeta à la renverse
-et se releva presque aussitôt pour
-courir tête baissée, comme un aveugle
-ou comme un fou. Au même instant,
-un corps opaque tomba du haut d’un
-chêne. Une minute plus tard, on vit
-apparaître un petit homme fluet, le
-chapeau à la main, suivi d’un grand
-domestique en livrée. C’était M.
-Triquet, officier de santé de la commune
-de Parthenay.</p>
-
-<p>Soyez le bienvenu, digne monsieur<span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">[78]</a></span>
-Triquet! Un brillant notaire de Paris
-a grand besoin de vos services. Remettez
-votre vieux chapeau sur votre
-crâne dépouillé, essuyez les gouttes
-de sueur qui brillent sur vos pommettes
-rouges comme la rosée sur
-deux pivoines en fleur, et relevez au
-plus tôt les manches luisantes de
-votre respectable habit noir!</p>
-
-<p>Mais le bonhomme était trop ému
-pour se mettre d’abord à l’ouvrage.
-Il parlait, parlait, parlait, d’une petite
-voix haletante et chevrotante.</p>
-
-<p>&mdash;Bonté divine!... disait-il. Honneur
-à vous, messieurs; votre serviteur
-très humble. Est-il Jésus permis
-de se mettre dans des états pareils?
-C’est une mutilation; je vois ce que<span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">[79]</a></span>
-c’est! Décidément, il est trop tard
-pour apporter ici des paroles conciliantes;
-le mal est accompli. Ah!
-messieurs, messieurs, la jeunesse sera
-toujours jeune. Moi aussi, j’ai failli
-me laisser emporter à détruire ou à
-mutiler mon semblable. C’était en
-1820. Qu’ai-je fait, messieurs? J’ai
-fait des excuses. Oui, des excuses,
-et je m’en honore; d’autant plus
-que le bon droit était de mon côté.
-Vous n’avez donc jamais lu les belles
-pages de Rousseau contre le duel?
-C’est irréfutable en vérité; un morceau
-de chrestomathie littéraire et
-morale. Et notez bien que Rousseau
-n’a pas encore tout dit. S’il avait
-étudié le corps humain, ce chef-d’œuvre<span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">[80]</a></span>
-de la création, cette admirable
-image de Dieu sur la terre, il
-vous aurait montré qu’on est bien
-coupable de détruire un ensemble si
-parfait. Je ne dis pas cela pour la
-personne qui a porté le coup. A
-Dieu ne plaise! Elle avait sans
-doute ses raisons, que je respecte.
-Mais si l’on savait quel mal nous
-nous donnons, pauvres médecins que
-nous sommes, pour guérir la moindre
-blessure! Il est vrai que nous en
-vivons, ainsi que des maladies; mais
-n’importe! j’aimerais mieux me priver
-de bien des choses et vivre d’un
-morceau de lard sur du pain bis que
-d’assister aux souffrances de mon
-semblable.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">[81]</a></span></p>
-
-<p>Le marquis interrompit cette doléance.</p>
-
-<p>&mdash;Ah çà! docteur, s’écria-t-il,
-nous ne sommes pas ici pour philosopher.
-Voilà un homme qui saigne
-comme un bœuf. Il s’agit d’arrêter
-l’hémorrhagie.</p>
-
-<p>&mdash;Oui, monsieur, reprit-il vivement,
-l’hémorrhagie! c’est le mot
-propre. Heureusement, j’ai tout prévu.
-Voici un flacon d’eau hémostatique.
-C’est la préparation de Brocchieri;
-je la préfère à la recette de Léchelle.</p>
-
-<p>Il se dirigea, le flacon à la main,
-vers M. L’Ambert, qui s’était assis
-au pied d’un arbre et saignait mélancoliquement.</p>
-
-<p>&mdash;Monsieur, lui dit-il avec une<span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">[82]</a></span>
-grande révérence, croyez que je regrette
-sincèrement de n’avoir pas eu
-l’honneur de vous connaître à l’occasion
-d’un événement moins regrettable.</p>
-
-<p>Maître L’Ambert releva la tête et
-lui dit d’une voix dolente:</p>
-
-<p>&mdash;Docteur, est-ce que je perdrai
-le nez?</p>
-
-<p>&mdash;Non, monsieur, vous ne le
-perdrez pas. Hélas! vous n’avez plus
-à le perdre, très honoré monsieur:
-vous l’avez perdu.</p>
-
-<p>Tout en parlant, il versait l’eau de
-Brocchieri sur une compresse.</p>
-
-<p>&mdash;Ciel! cria-t-il, monsieur, il me
-vient une idée. Je puis vous rendre
-l’organe si utile et si agréable que
-vous avez perdu.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">[83]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Parlez, que diable! ma fortune
-est à vous! Ah! docteur! plutôt
-que de vivre défiguré, j’aimerais
-mieux mourir.</p>
-
-<p>&mdash;On dit cela ... Mais, voyons!
-où est le morceau qu’on vous a coupé?
-Je ne suis pas un champion de la force
-de M. Velpeau ou de M. Huguier;
-mais j’essayerai de raccommoder les
-choses par première intention.</p>
-
-<p>Maître L’Ambert se leva précipitamment
-et courut au champ de
-bataille. Le marquis et M. Steimbourg
-le suivirent; les Turcs, qui se
-promenaient ensemble assez tristement
-(car le feu d’Ayvaz-Bey s’était
-éteint en une seconde), se rapprochèrent
-de leurs anciens ennemis.<span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">[84]</a></span>
-On retrouva sans peine la place où
-les combattants avaient foulé l’herbe
-nouvelle; on retrouva les lunettes
-d’or; mais le nez du notaire n’y
-était plus. En revanche, on vit un
-chat, l’horrible chat blanc et jaune,
-qui léchait avec sensualité ses lèvres
-sanglantes.</p>
-
-<p>&mdash;Jour de Dieu! s’écria le marquis
-en désignant la bête.</p>
-
-<p>Tout le monde comprit le geste et
-l’exclamation.</p>
-
-<p>&mdash;Serait-il encore temps? demanda
-le notaire.</p>
-
-<p>&mdash;Peut-être, dit le médecin.</p>
-
-<p>Et de courir. Mais le chat n’était
-pas d’humeur à se laisser prendre. Il
-courut aussi.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">[85]</a></span></p>
-
-<p>Jamais le petit bois de Parthenay
-n’avait vu, jamais sans doute il ne
-reverra chasse pareille. Un marquis,
-un agent de change, trois diplomates,
-un médecin de village, un valet de
-pied en grande livrée et un notaire
-saignant dans son mouchoir se lancèrent
-éperdument à la poursuite
-d’un maigre chat. Courant, criant,
-lançant des pierres, des branches
-mortes et tout ce qui leur tombait
-sous la main, ils traversaient les chemins
-et les clairières et s’enfonçaient
-tête baissée dans les fourrés les plus
-épais. Tantôt groupés ensemble et
-tantôt dispersés, quelquefois échelonnés
-sur une ligne droite, quelquefois
-rangés en rond autour de<span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">[86]</a></span>
-l’ennemi; battant les buissons, secouant
-les arbustes, grimpant aux
-arbres, déchirant leurs brodequins à
-toutes les souches et leurs habits à
-tous les buissons, ils allaient comme
-une tempête; mais le chat infernal
-était plus rapide que le vent. Deux
-fois on sut l’enfermer dans un cercle;
-deux fois il força l’enceinte et prit
-du champ. Un instant il parut dompté
-par la fatigue ou la douleur. Il était
-tombé sur le flanc, en voulant sauter
-d’un arbre à l’autre et suivre le chemin
-des écureuils. Le valet de M.
-L’Ambert courut sur lui à fond de
-train, l’atteignit en quelques bonds
-et le saisit par la queue. Mais le
-tigre en miniature conquit sa liberté<span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">[87]</a></span>
-d’un coup de griffe et s’élança hors
-du bois.</p>
-
-<p>On le poursuivit en plaine. Longue,
-longue était déjà la route parcourue;
-immense était la plaine, qui se découpait
-en échiquier devant les chasseurs
-et leur proie.</p>
-
-<p>La chaleur du jour était pesante;
-de gros nuages noirs s’amoncelaient
-à l’occident; la sueur ruisselait sur
-tous les visages; mais rien n’arrêta
-l’emportement de ces huit hommes.</p>
-
-<p>M. L’Ambert, tout sanglant, animait
-ses compagnons de la voix et
-du geste. Ceux qui n’ont jamais vu
-un notaire à la poursuite de son nez
-ne pourront se faire une juste idée de
-son ardeur. Adieu fraises et framboises!<span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">[88]</a></span>
-adieu groseilles et cassis!
-Partout où l’avalanche avait passé,
-l’espoir de la récolte était foulé,
-détruit, mis à néant; ce n’était plus
-que fleurs écrasées, bourgeons arrachés,
-branches cassées, tiges foulées
-aux pieds. Les villageois, surpris par
-l’invasion de ce fléau inconnu, jetaient
-les arrosoirs, appelaient leurs
-voisins, criaient au garde champêtre,
-réclamaient le prix du dégât et donnaient
-la chasse aux chasseurs.</p>
-
-<p>Victoire! le chat est prisonnier.
-Il s’est jeté dans un puits. Des
-seaux! des cordes! des échelles!
-On est sûr que le nez de maître
-Lambert se retrouvera intact, ou à
-peu près. Mais, hélas! ce puits<span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">[89]</a></span>
-n’est pas un puits comme les autres.
-C’est l’ouverture d’une carrière abandonnée,
-dont les galeries forment en
-tout sens un réseau de plus de dix
-lieues et se relient aux catacombes de
-Paris!</p>
-
-<p>On paye les soins de M. Triquet;
-on paye aux villageois toutes les
-indemnités qu’ils réclament, et l’on
-reprend, sous une grosse pluie d’orage,
-le chemin de Parthenay.</p>
-
-<p>Avant de monter en voiture,
-Ayvaz-Bey, mouillé comme un
-canard et tout à fait calmé, vint
-tendre la main à M. L’Ambert.</p>
-
-<p>&mdash;Monsieur, lui dit-il, je regrette
-sincèrement que mon obstination ait
-poussé les choses si loin. La petite<span class="pagenum"><a name="Page_90" id="Page_90">[90]</a></span>
-Tompain ne vaut pas une seule
-goutte du sang qui a coulé pour
-elle, et je lui enverrai son congé dès
-aujourd’hui; car je ne saurais plus la
-voir sans penser au malheur qu’elle
-a causé. Vous êtes témoin que
-j’ai fait tous mes efforts, avec ces
-messieurs, pour vous rendre ce que
-vous aviez perdu. Maintenant, permettez-moi
-d’espérer encore que cet
-accident ne sera pas irréparable. Le
-médecin du village nous a rappelé
-qu’il y avait à Paris des praticiens
-plus habiles que lui; je crois avoir
-entendu dire que la chirurgie moderne
-avait des secrets infaillibles pour
-restaurer les parties mutilées ou détruites.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">[91]</a></span></p>
-
-<p>M. L’Ambert accepta d’assez
-mauvaise grâce la main loyale qu’on
-lui tendait, et se fit ramener au
-faubourg Saint-Germain avec ses
-deux amis.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">[92]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">[93]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">III<br /><br />
-<span class="pch">OÙ LE NOTAIRE DÉFEND SA PEAU
-AVEC PLUS DE SUCCÈS</span></h2>
-
-<p class="drop-cap04">UN homme heureux sans restriction,
-c’était le cocher d’Ayvaz-Bey.
-Ce vieux gamin de Paris fut
-peut-être moins sensible au pourboire
-de cinquante francs qu’au plaisir
-d’avoir conduit son bourgeois à la
-victoire.</p>
-
-<p>&mdash;Excusez! dit-il au bon Ayvaz,
-voilà comme vous arrangez les
-personnes? C’est bon à savoir. Si
-jamais je vous marche sur le pied,<span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">[94]</a></span>
-je me dépêcherai de vous demander
-pardon. Ce pauvre monsieur serait
-bien embarrassé de prendre une prise.
-Allons, allons! si on soutient encore
-devant moi que les Turcs sont des
-<i>empotés</i>, j’aurai de quoi répondre.
-Quand je vous le disais, que je vous
-porterais bonheur! Eh bien, mon
-prince, je connais un vieux de chez
-Brion que c’est tout le contraire. Il
-porte la guigne à ses voyageurs.
-Autant il en mène sur le terrain,
-autant de flambés ... Hue, cocotte!
-en route pour la gloire! les chevaux
-du Carrousel ne sont pas tes cousins
-aujourd’hui!</p>
-
-<p>Ces lazzi tant soit peu cruels ne
-parvinrent pas à dérider les trois<span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">[95]</a></span>
-Turcs, et le cocher n’amusa que lui-même.</p>
-
-<p>Dans une voiture infiniment plus
-brillante et mieux attelée, le notaire
-se lamentait en présence de ses deux
-amis.</p>
-
-<p>&mdash;C’en est fait, disait-il, je suis
-l’équivalent d’un homme mort; il ne
-me reste plus qu’à me brûler la
-cervelle. Je ne saurais plus aller dans
-le monde, ni à l’Opéra, ni dans aucun
-théâtre. Voulez-vous que j’étale aux
-yeux de l’univers une figure grotesque
-et lamentable, qui excitera le rire
-chez les uns et la pitié chez les
-autres?</p>
-
-<p>&mdash;Bah! répondit le marquis, le
-monde se fait à tout. Et, d’ailleurs,<span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">[96]</a></span>
-au pis aller, si l’on a peur du monde,
-on reste chez soi.</p>
-
-<p>&mdash;Rester chez moi, le bel avenir!
-Pensez-vous donc que les femmes
-viendront me relancer à domicile,
-dans le bel état où je suis?</p>
-
-<p>&mdash;Vous vous marierez! J’ai connu
-un lieutenant de cuirassiers qui avait
-perdu un bras, une jambe et un œil.
-Il n’était pas la coqueluche des
-femmes, d’accord; mais il épousa
-une brave fille, ni laide ni jolie, qui
-l’aima de tout son cœur et le rendit
-parfaitement heureux.</p>
-
-<p>M. L’Ambert trouva sans doute
-que cette perspective n’était pas des
-plus consolantes, car il s’écria d’un
-ton de désespoir:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">[97]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;O les femmes! les femmes! les
-femmes!</p>
-
-<p>&mdash;Jour de Dieu! reprit le marquis,
-comme vous avez la girouette tournée
-au féminin! Mais les femmes ne sont
-pas tout; il y a autre chose en ce
-monde. On fait son salut, que diable!
-On amende son âme, on cultive son
-esprit, on rend service au prochain,
-on remplit les devoirs de son état.
-Il n’est pas nécessaire d’avoir un si
-long nez pour être bon chrétien, bon
-citoyen et bon notaire!</p>
-
-<p>&mdash;Notaire! reprit-il avec une
-amertume peu déguisée, notaire! En
-effet, je suis encore cela. Hier, j’étais
-un homme, un homme du monde,
-un gentleman, et même, je puis le<span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">[98]</a></span>
-dire sans fausse modestie, un cavalier
-assez apprécié dans la meilleure compagnie.
-Aujourd’hui, je ne suis plus
-qu’un notaire. Et qui sait si je le serai
-demain? Il ne faut qu’une indiscrétion
-de valet pour ébruiter cette sotte
-affaire. Qu’un journal en dise deux
-mots, le parquet est forcé de poursuivre
-mon adversaire, et ses témoins, et
-vous-mêmes, messieurs. Nous voyez-vous
-en police correctionnelle, racontant
-au tribunal où et pourquoi j’ai
-poursuivi mademoiselle Victorine
-Tompain! Supposez un tel scandale
-et dites si le notaire y survivrait.</p>
-
-<p>&mdash;Mon cher garçon, répondit le
-marquis, vous vous effrayez de dangers
-imaginaires. Les gens de notre monde,<span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">[99]</a></span>
-et vous en êtes un peu, ont le droit
-de se couper la gorge impunément.
-Le ministère public ferme les yeux
-sur nos querelles, et c’est justice. Je
-comprends qu’on inquiète un peu les
-journalistes, les artistes et autres individus
-de condition inférieure lorsqu’ils
-se permettent de toucher une
-épée: il convient de rappeler à ces
-gens-là qu’ils ont des poings pour se
-battre, et que cette arme suffit parfaitement
-à venger l’espèce d’honneur
-qu’ils ont. Mais qu’un gentilhomme
-se conduise en gentilhomme, le
-parquet n’a rien à dire et ne dit rien.
-J’ai eu quinze ou vingt affaires depuis
-que j’ai quitté le service, et quelques-unes
-assez malheureuses pour mes<span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">[100]</a></span>
-adversaires. Avez-vous jamais lu mon
-nom dans la <i>Gazette des Tribunaux</i>?</p>
-
-<p>M. Steimbourg était moins lié avec
-M. L’Ambert que le marquis de
-Villemaurin; il n’avait pas, comme
-lui, tous ses titres de propriété dans
-l’étude de la rue de Verneuil depuis
-quatre ou cinq générations. Il ne
-connaissait guère ces deux messieurs
-que par le cercle et la partie de whist;
-peut-être aussi par quelques courtages
-que le notaire lui avait fait gagner.
-Mais il était bon garçon et homme
-de sens; il fit donc à son tour quelque
-dépense de paroles pour raisonner et
-consoler ce malheureux. A son gré,
-M. de Villemaurin mettait les choses
-au pis; il y avait plus de ressource.<span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">[101]</a></span>
-Dire que M. L’Ambert resterait
-défiguré toute sa vie, c’était désespérer
-trop tôt de la science.</p>
-
-<p>&mdash;A quoi nous servirait-il d’être
-nés au <span class="smcap">xix</span><sup>e</sup> siècle, si le moindre accident
-devait être, comme autrefois,
-un malheur irréparable? Quelle supériorité
-aurions-nous sur les hommes
-de l’âge d’or? Ne blasphémons pas le
-saint nom du progrès. La chirurgie
-opératoire est, grâce à Dieu, plus
-florissante que jamais dans la patrie
-d’Ambroise Paré. Le bonhomme de
-Parthenay nous a cité quelques-uns des
-maîtres qui raccommodent victorieusement
-le corps humain. Nous voici
-aux portes de Paris, nous enverrons à
-la plus prochaine pharmacie, on nous<span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">[102]</a></span>
-y donnera l’adresse de Velpeau ou
-d’Huguier; votre valet de pied
-courra chez le grand homme et
-l’amènera chez vous. Je suis sûr
-d’avoir entendu dire que les chirurgiens
-refaisaient une lèvre, une paupière,
-un bout d’oreille: est-il donc plus
-difficile de restaurer un bout de nez?</p>
-
-<p>Cette espérance était bien vague;
-elle ranima pourtant le pauvre notaire,
-qui, depuis une demi-heure, ne saignait
-plus. L’idée de redevenir ce qu’il
-était et de reprendre le cours de sa
-vie, le jetait dans une sorte de délire.
-Tant il est vrai qu’on n’apprécie le
-bonheur d’être complet que lorsqu’on
-l’a perdu.</p>
-
-<p>&mdash;Ah! mes amis, s’écriait-il en<span class="pagenum"><a name="Page_103" id="Page_103">[103]</a></span>
-tordant ses mains l’une dans l’autre,
-ma fortune appartient à l’homme qui
-me guérira! Quels que soient les
-tourments qu’il me faudra endurer,
-j’y souscris de grand cœur si l’on m’assure
-du succès; je ne regarderai pas
-plus à la souffrance qu’à la dépense!</p>
-
-<p>C’est dans ces sentiments qu’il
-regagna la rue de Verneuil, tandis que
-son valet de pied cherchait l’adresse
-des chirurgiens célèbres. Le marquis
-et M. Steimbourg le ramenèrent
-jusque dans sa chambre et prirent
-congé de lui, l’un pour aller rassurer
-sa femme et ses filles, qu’il n’avait pas
-vues depuis la veille au soir, l’autre
-pour courir à la Bourse.</p>
-
-<p>Seul avec lui-même, en face d’un<span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">[104]</a></span>
-grand miroir de Venise qui lui renvoyait
-sans pitié sa nouvelle image,
-Alfred L’Ambert tomba dans un
-accablement profond. Cet homme
-fort, qui ne pleurait jamais au théâtre
-parce que c’est <i>peuple</i>, ce gentleman
-au front d’airain qui avait enterré son
-père et sa mère avec la plus sereine
-impassibilité, pleura sur la mutilation
-de sa jolie personne et se baigna de
-larmes égoïstes.</p>
-
-<p>Son valet de pied fit diversion à
-cette douleur amère en lui promettant
-la visite de M. Bernier, chirurgien de
-l’Hôtel-Dieu, membre de la Société
-de chirurgie et de l’Académie de médecine,
-professeur de clinique, etc.,
-etc. Le domestique avait couru au<span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">[105]</a></span>
-plus près, rue du Bac, et il n’était pas
-mal tombé: M. Bernier, s’il ne va
-point de pair avec les Velpeau, les
-Manec et les Huguier, occupe
-immédiatement au-dessous d’eux un
-rang très honorable.</p>
-
-<p>&mdash;Qu’il vienne! s’écria M. L’Ambert.
-Pourquoi n’est-il pas encore ici?
-Croit-il donc que je sois fait pour
-attendre?</p>
-
-<p>Il se reprit à pleurer de plus belle.
-Pleurer devant ses gens! Se peut-il
-qu’un simple coup de sabre modifie
-à tel point les mœurs d’un homme?
-Assurément, il fallait que l’arme du
-bon Ayvaz, en tranchant le canal
-nasal, eût ébranlé le sac lacrymal et
-les tubercules eux-mêmes.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">[106]</a></span></p>
-
-<p>Le notaire sécha ses yeux pour
-regarder un fort volume in-12, qu’on
-apportait en grande hâte de la part de
-M. Steimbourg. C’était la <i>Chirurgie
-opératoire</i> de Ringuet, manuel excellent
-et enrichi d’environ trois cents
-gravures. M. Steimbourg avait acheté
-le livre en allant à la Bourse, et il
-l’envoyait à son client, pour le
-rassurer sans doute. Mais l’effet de
-cette lecture fut tout autre qu’on ne
-l’espérait. Quand le notaire eut feuilleté
-deux cents pages, quand il eut
-vu défiler sous ses yeux la série lamentable
-des ligatures, des amputations,
-des résections et des cautérisations, il
-laissa tomber le livre et se jeta dans
-un fauteuil en fermant les yeux. Il<span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">[107]</a></span>
-fermait les yeux et pourtant il voyait
-des peaux incisées, des muscles écartés
-par des érignes, des membres disséqués
-à grands coups de couteau, des os
-sciés par les mains d’opérateurs
-invisibles. La figure des patients lui
-apparaissait, telle qu’on la voit dans
-les dessins d’anatomie, calme, stoïque,
-indifférente à la douleur, et il se demandait
-si une telle dose de courage
-avait jamais pu entrer dans des âmes
-humaines. Il revoyait surtout le petit
-chirurgien de la page 89, tout de
-noir habillé, avec un collet de
-velours à son habit. Cet être fantastique
-a la tête ronde, un peu
-forte, le front dégarni: sa physionomie
-est sérieuse; il scie attentivement<span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">[108]</a></span>
-les deux os d’une jambe
-vivante.</p>
-
-<p>&mdash;Monstre! s’écria M. L’Ambert.</p>
-
-<p>Au même instant, il vit entrer le
-monstre en personne et l’on annonça
-M. Bernier.</p>
-
-<p>Le notaire s’enfuit à reculons
-jusque dans l’angle le plus obscur
-de sa chambre, ouvrant des yeux
-hagards et tendant les mains en
-avant comme pour écarter un ennemi.
-Ses dents claquaient; il murmurait
-d’une voix étouffée, comme dans
-les romans de M. Xavier de Montépin,
-le mot:</p>
-
-<p>&mdash;Lui! lui! lui!</p>
-
-<p>&mdash;Monsieur, dit le docteur, je
-regrette de vous avoir fait attendre,<span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">[109]</a></span>
-et je vous supplie de vous calmer.
-Je sais l’accident qui vous est arrivé,
-et je ne crois pas que le mal
-soit sans remède. Mais nous ne
-ferons rien de bon si vous avez
-peur de moi.</p>
-
-<p>Peur est un mot qui sonne désagréablement
-aux oreilles françaises.
-M. L’Ambert frappa du pied, marcha
-droit au docteur et lui dit avec un
-petit rire trop nerveux pour être
-naturel:</p>
-
-<p>&mdash;Parbleu! docteur, vous me la
-baillez belle. Est-ce que j’ai l’air
-d’un homme qui a peur? Si j’étais
-un poltron, je ne me serais pas fait
-décompléter ce matin d’une si étrange
-manière. Mais, en vous attendant,<span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">[110]</a></span>
-je feuilletais un livre de chirurgie.
-Je viens tout justement d’y voir
-une figure qui vous ressemble, et
-vous m’êtes un peu apparu comme
-un revenant. Ajoutez à cette surprise
-les émotions de la matinée, peut-être
-même un léger mouvement de fièvre,
-et vous excuserez ce qu’il y a
-d’étrange dans mon accueil.</p>
-
-<p>&mdash;A la bonne heure! dit M.
-Bernier en ramassant le livre. Ah!
-vous lisiez Ringuet! C’est un de
-mes amis. Je me rappelle, en effet,
-qu’il m’a fait graver tout vif, d’après
-un croquis de Léveillé. Mais asseyez-vous,
-je vous en prie.</p>
-
-<p>Le notaire se remit un peu et
-raconta les événements de la journée,<span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">[111]</a></span>
-sans oublier l’épisode du chat qui
-lui avait, pour ainsi dire, fait perdre
-le nez une seconde fois.</p>
-
-<p>&mdash;C’est un malheur, dit le chirurgien;
-mais on peut le réparer en
-un mois. Puisque vous avez le petit
-livre de Ringuet, vous n’êtes pas sans
-quelque notion de la chirurgie?</p>
-
-<p>M. L’Ambert avoua qu’il n’était
-point allé jusqu’à ce chapitre-là.</p>
-
-<p>&mdash;Eh bien, reprit M. Bernier, je
-vais vous le résumer en quatre mots.
-La rhinoplastie est l’art de refaire un
-nez aux imprudents qui l’ont perdu.</p>
-
-<p>&mdash;Il est donc vrai, docteur!... le
-miracle est possible?... La chirurgie
-a trouvé une méthode pour ...?</p>
-
-<p>&mdash;Elle en a trouvé trois. Mais<span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">[112]</a></span>
-j’écarte la méthode française, qui n’est
-point applicable au cas présent. Si
-la perte de substance était moins
-considérable, je pourrais décoller les
-bords de la plaie, les aviver, les
-mettre en contact et les réunir par
-première intention. Il n’y faut pas
-songer.</p>
-
-<p>&mdash;Et j’en suis bien aise, reprit le
-blessé. Vous ne sauriez croire, docteur,
-à quel point ces mots de plaie
-décollée, avivée, me donnaient sur
-les nerfs. Passons à des moyens plus
-doux, je vous en prie!</p>
-
-<p>&mdash;Les chirurgiens procèdent rarement
-par la douceur. Mais, enfin,
-vous avez le choix entre la méthode
-indienne et la méthode italienne. La<span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">[113]</a></span>
-première consiste à découper dans la
-peau de votre front une sorte de
-triangle, la pointe en bas, la base
-en haut. C’est l’étoffe du nouveau
-nez. On décolle ce lambeau dans
-toute son étendue, sauf le pédicule
-inférieur qui doit rester adhérent.
-On le tord sur lui-même de façon à
-laisser l’épiderme en dehors, et on le
-coud par ses bords aux limites correspondantes
-de la plaie. En autres
-termes, je puis vous refaire un nez
-assez présentable aux dépens de votre
-front. Le succès de l’opération est
-presque sûr; mais le front gardera
-toujours une large cicatrice.</p>
-
-<p>&mdash;Je ne veux point de cicatrice,
-docteur. Je n’en veux à aucun prix.<span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">[114]</a></span>
-J’ajoute même (passez-moi cette faiblesse)
-que je ne voudrais point
-d’opération. J’en ai déjà subi une
-aujourd’hui, par les mains de ce
-maudit Turc; je n’en souhaite pas
-d’autre. Au simple souvenir de cette
-sensation, mon sang se glace. J’ai
-pourtant du courage autant qu’homme
-du monde; mais j’ai des nerfs aussi.
-Je ne crains pas la mort; j’ai horreur
-de la souffrance. Tuez-moi si vous
-voulez; mais, pour Dieu! ne m’entaillez
-plus!</p>
-
-<p>&mdash;Monsieur, reprit le docteur avec
-un peu d’ironie, si vous avez un tel
-parti pris contre les opérations, il
-fallait appeler non pas un chirurgien,
-mais un homœopathe.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">[115]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Ne vous moquez pas de moi.
-Je n’ai pas su me maîtriser à l’idée
-de cette opération indienne. Les
-Indiens sont des sauvages; leur chirurgie
-est digne d’eux. Ne m’avez-vous
-point parlé d’une méthode
-italienne? Je n’aime pas les Italiens,
-en politique. C’est un peuple ingrat,
-qui a tenu la conduite la plus noire
-envers ses maîtres légitimes; mais,
-en matière de science, je n’ai pas
-trop mauvaise idée de ces coquins-là.</p>
-
-<p>&mdash;Soit. Optez donc pour la méthode
-italienne. Elle réussit quelquefois;
-mais elle exige une patience
-et une immobilité dont vous ne serez
-peut-être point capable.</p>
-
-<p>&mdash;S’il ne faut que de la patience<span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">[116]</a></span>
-et de l’immobilité, je vous réponds
-de moi.</p>
-
-<p>&mdash;Êtes-vous homme à rester trente
-jours dans une position extrêmement
-gênante?</p>
-
-<p>&mdash;Oui.</p>
-
-<p>&mdash;Le nez cousu au bras gauche?</p>
-
-<p>&mdash;Oui.</p>
-
-<p>&mdash;Eh bien, je vous taillerai sur
-le bras un lambeau triangulaire de
-quinze à seize centimètres de longueur
-sur dix ou onze de largeur,
-je ...</p>
-
-<p>&mdash;Vous me taillerez cela, à moi?</p>
-
-<p>&mdash;Sans doute.</p>
-
-<p>&mdash;Mais c’est horrible, docteur!
-m’écorcher vif! tailler des lanières
-dans la peau d’un homme vivant!<span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">[117]</a></span>
-c’est barbare, c’est moyen âge, c’est
-digne de Shylock, le juif de Venise!</p>
-
-<p>&mdash;La plaie du bras n’est rien. Le
-difficile est de rester cousu à vous-même
-pendant une trentaine de jours.</p>
-
-<p>&mdash;Et moi, je ne redoute absolument
-que le coup de scalpel. Lorsqu’on
-a senti le froid du fer entrant
-dans la chair vivante, on en a pour
-le reste de ses jours, mon cher docteur;
-on n’y revient plus.</p>
-
-<p>&mdash;Cela étant, monsieur, je n’ai
-rien à faire ici, et vous resterez sans
-nez toute la vie.</p>
-
-<p>Cette espèce de condamnation
-plongea le pauvre notaire dans une
-consternation profonde. Il arrachait
-ses beaux cheveux blonds et se<span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">[118]</a></span>
-démenait comme un fou par la
-chambre.</p>
-
-<p>&mdash;Mutilé! disait-il en pleurant;
-mutilé pour toujours! Et rien ne peut
-remédier à mon sort! S’il y avait
-quelque drogue, quelque topique
-mystérieux dont la vertu rendît le nez
-à ceux qui l’ont perdu, je l’achèterais
-au poids de l’or! Je l’enverrais chercher
-jusqu’au bout du monde! Oui,
-j’armerais un vaisseau, s’il le fallait
-absolument. Mais rien! A quoi me
-sert-il d’être riche? à quoi vous sert-il
-d’être un praticien illustre, puisque
-toute votre habileté et tous mes sacrifices
-aboutissent à ce stupide néant?
-Richesse, science, vains mots!</p>
-
-<p>M. Bernier lui répondait de temps<span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">[119]</a></span>
-à autre, avec un calme imperturbable:</p>
-
-<p>&mdash;Laissez-moi vous tailler un lambeau
-sur le bras, et je vous refais le nez.</p>
-
-<p>Un instant M. L’Ambert parut
-décidé. Il mit habit bas et releva la
-manche de sa chemise. Mais, quand
-il vit la trousse ouverte, quand l’acier
-poli de trente instruments de supplice
-étincela sous ses yeux, il pâlit, faiblit
-et tomba comme pâmé sur une chaise.
-Quelques gouttes d’eau vinaigrée lui
-rendirent le sentiment, mais non la
-résolution.</p>
-
-<p>&mdash;Il n’y faut plus penser, dit-il en
-se rajustant. Notre génération a toutes
-les espèces de courage, mais elle est
-faible devant la douleur. C’est la<span class="pagenum"><a name="Page_120" id="Page_120">[120]</a></span>
-faute de nos parents, qui nous ont
-élevés dans le coton.</p>
-
-<p>Quelques minutes plus tard, ce
-jeune homme, imbu des principes
-les plus religieux, se prit à blasphémer
-la Providence.</p>
-
-<p>&mdash;En vérité, s’écria-t-il, le monde
-est une belle pétaudière, et j’en fais
-compliment au Créateur! J’ai deux
-cent mille francs de rente, et je
-resterai aussi camus qu’une tête de
-mort, tandis que mon portier, qui
-n’a pas dix écus devant lui, aura le
-nez de l’Apollon du Belvédère! La
-Sagesse qui a prévu tant de choses,
-n’a pas prévu que j’aurais le nez
-coupé par un Turc pour avoir salué
-mademoiselle Victorine Tompain! Il<span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">[121]</a></span>
-y a en France trois millions de gueux
-dont toute la personne ne vaut pas
-dix sous, et je ne peux pas acheter
-à prix d’or le nez d’un de ces misérables!...
-Mais, au fait, pourquoi pas?</p>
-
-<p>Sa figure s’illumina d’un rayon
-d’espérance, et il poursuivit d’un ton
-plus doux:</p>
-
-<p>&mdash;Mon vieil oncle de Poitiers,
-dans sa dernière maladie, s’est fait
-injecter cent grammes de sang breton
-dans la veine médiane céphalique!
-un fidèle serviteur avait fait les frais
-de l’expérience. Ma belle tante de
-Giromagny, du temps qu’elle était
-encore belle, fit arracher une incisive
-à sa plus jolie chambrière pour remplacer
-une dent qu’elle venait de<span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">[122]</a></span>
-perdre. Cette bouture prit fort bien,
-et ne coûta pas plus de trois louis.
-Docteur, vous m’avez dit que, sans
-la scélératesse de ce maudit chat,
-vous auriez pu recoudre mon nez
-tout chaud à la figure. Me l’avez-vous
-dit, oui ou non?</p>
-
-<p>&mdash;Sans doute, et je le dis encore.</p>
-
-<p>&mdash;Eh bien, si j’achetais le nez de
-quelque pauvre diable, vous pourriez
-tout aussi bien le greffer au milieu
-de mon visage?</p>
-
-<p>&mdash;Je le pourrais ...</p>
-
-<p>&mdash;Bravo!</p>
-
-<p>&mdash;Mais je ne le ferai point, et
-aucun de mes confrères ne le fera non
-plus que moi.</p>
-
-<p>&mdash;Et pourquoi donc, s’il vous plaît?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">[123]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Parce que mutiler un homme
-sain est un crime, le patient fût-il
-assez stupide ou assez affamé pour y
-consentir.</p>
-
-<p>&mdash;En vérité, docteur, vous confondez
-toutes mes notions du juste et de
-l’injuste. Je me suis fait remplacer
-moyennant une centaine de louis par
-une espèce d’Alsacien, sous poil alezan
-brûlé. Mon homme (il était bien à
-moi) a eu la tête emportée par un
-boulet le 30 avril 1849. Comme le
-boulet en question m’était incontestablement
-destiné par le sort, je puis
-dire que l’Alsacien m’a vendu sa tête
-et toute sa personne pour cent louis,
-peut-être cent quarante. L’État a
-non seulement toléré, mais approuvé<span class="pagenum"><a name="Page_124" id="Page_124">[124]</a></span>
-cette combinaison; vous n’y trouvez
-rien à redire; peut-être avez-vous
-acheté vous-même, au même prix,
-un homme entier, qui se sera fait
-tuer pour vous. Et quand j’offre de
-donner le double au premier coquin
-venu, pour un simple bout de nez,
-vous criez au scandale!</p>
-
-<p>Le docteur s’arrêta un instant à
-chercher une réponse logique. Mais,
-n’ayant point trouvé ce qu’il voulait,
-il dit à maître L’Ambert:</p>
-
-<p>&mdash;Si ma conscience ne me permet
-pas de défigurer un homme à votre
-profit, il me semble que je pourrais,
-sans crime, prélever sur le bras d’un
-malheureux les quelques centimètres
-carrés de peau qui vous manquent.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">[125]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Eh! cher docteur, prenez-les
-où bon vous semblera, pourvu que
-vous répariez cet accident stupide!
-Trouvons bien vite un homme de
-bonne volonté, et vive la méthode
-italienne!</p>
-
-<p>&mdash;Je vous préviens encore une fois
-que vous serez tout un mois à la
-gêne.</p>
-
-<p>&mdash;Eh! que m’importe la gêne! Je
-serai, dans un mois, au foyer de
-l’Opéra!</p>
-
-<p>&mdash;Soit. Avez-vous un homme en
-vue? Ce concierge dont vous parliez
-tout à l’heure?...</p>
-
-<p>&mdash;Très bien! on l’achèterait avec sa
-femme et ses enfants pour cent écus.
-Lorsque Barbereau, mon ancien, s’est<span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">[126]</a></span>
-retiré je ne sais où pour vivre de ses
-rentes, un client m’a recommandé
-celui-là, qui mourait littéralement de
-faim.</p>
-
-<p>M. L’Ambert sonna un valet de
-chambre et ordonna qu’on fît monter
-Singuet, le nouveau concierge.</p>
-
-<p>L’homme accourut; il poussa un
-cri d’effroi en voyant la figure de son
-maître.</p>
-
-<p>C’était un vrai type du pauvre
-diable parisien, le plus pauvre de
-tous les diables: un petit homme de
-trente-cinq ans, à qui vous en auriez
-donné soixante, tant il était sec, jaune
-et rabougri.</p>
-
-<p>M. Bernier l’examina sur toutes les
-coutures et le renvoya bientôt à sa loge.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">[127]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;La peau de cet homme-là n’est
-bonne à rien, dit le docteur. Rappelez-vous
-que les jardiniers prennent
-leurs greffes sur les arbres les
-plus sains et les plus vigoureux.
-Choisissez-moi un gaillard solide
-parmi les gens de votre maison; il
-y en a.</p>
-
-<p>&mdash;Oui; mais vous en parlez bien
-à votre aise. Les gens de ma maison
-sont tous des messieurs. Ils ont des
-capitaux, des valeurs en portefeuille;
-ils spéculent sur la hausse et la baisse,
-comme tous les domestiques de bonne
-maison. Je n’en connais pas un qui
-voulût acheter, au prix de son sang,
-un métal qui se gagne si couramment
-à la Bourse.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">[128]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Mais peut-être en trouveriez-vous
-un qui, par dévouement ...</p>
-
-<p>&mdash;Du dévouement chez ces gens-là?
-Vous vous moquez, docteur!
-Nos pères avaient des serviteurs dévoués:
-nous n’avons plus que de
-méchants valets; et, dans le fond,
-nous y gagnons peut-être. Nos
-pères, étant aimés de leurs gens,
-se croyaient obligés de les payer
-d’un tendre retour. Ils supportaient
-leurs défauts, les soignaient dans
-leurs maladies, les nourrissaient dans
-leur vieillesse; c’était le diable.
-Moi, je paye mes gens pour faire
-leur service, et, quand le service
-ne se fait pas bien, je n’ai pas
-besoin d’examiner si c’est mauvais<span class="pagenum"><a name="Page_129" id="Page_129">[129]</a></span>
-vouloir, vieillesse ou maladie, je les
-chasse.</p>
-
-<p>&mdash;Alors, nous ne trouverons pas
-chez vous l’homme qu’il nous faut.
-Avez-vous quelqu’un en vue?</p>
-
-<p>&mdash;Moi? Personne. Mais tout est
-bon; le premier venu, le commissionnaire
-du coin, le porteur d’eau
-que j’entends crier dans la rue!</p>
-
-<p>Il tira ses lunettes de sa poche,
-écarta légèrement le rideau, lorgna
-dans la rue de Beaune, et dit au
-docteur:</p>
-
-<p>&mdash;Voici un garçon qui n’a pas
-mauvaise mine. Ayez donc la bonté
-de lui faire un signe, car je n’ose
-pas montrer ma figure aux passants.</p>
-
-<p>M. Bernier ouvrit la fenêtre au<span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">[130]</a></span>
-moment où la victime désignée criait
-à pleins poumons:</p>
-
-<p>&mdash;Eau!... eau!... eau!...</p>
-
-<p>&mdash;Mon garçon, lui dit le docteur,
-laissez-là votre tonneau et montez ici
-par la rue de Verneuil! Il y a de
-l’argent à gagner.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">[131]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">IV<br /><br />
-<span class="pch">CHÉBACHTIEN ROMAGNÉ</span></h2>
-
-<p class="drop-cap04">IL s’appelait Romagné, du nom de
-son père. Son parrain et sa marraine
-l’avaient baptisé Sébastien;
-mais, comme il était natif de Frognac-lès-Mauriac,
-département du
-Cantal, il invoquait son patron sous
-le nom de <i>chaint Chébachtien</i>. Tout
-porte à croire qu’il aurait écrit son
-prénom par un <i>Ch</i>; mais heureusement
-il ne savait pas écrire. Cet enfant
-de l’Auvergne était âgé de
-vingt-trois ou vingt-quatre ans, et<span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">[132]</a></span>
-bâti comme un hercule: grand, gros,
-trapu, ossu, corsu, haut en couleur;
-fort comme un bœuf de labour, doux
-et facile à mener comme un petit
-agneau blanc. Imaginez la plus solide
-pâte d’homme, la plus grossière et la
-meilleure.</p>
-
-<p>Il était l’aîné de dix enfants,
-garçons et filles, tous vivants, bien
-portants et grouillants sous le toit
-paternel. Son père avait une cabane,
-un bout de champ, quelques châtaigniers
-dans la montagne, une demi-douzaine
-de cochons, bon an mal
-an, et deux bras pour piocher la
-terre. La mère filait du chanvre, les
-petits garçons aidaient au père, les
-petites avaient soin du ménage et<span class="pagenum"><a name="Page_133" id="Page_133">[133]</a></span>
-s’élevaient les unes les autres, l’aînée
-servant de bonne à la cadette et ainsi
-de suite jusqu’au bas de l’échelle.</p>
-
-<p>Le jeune Sébastien ne brilla jamais
-par l’intelligence, ni par la mémoire,
-ni par aucun don de l’esprit; mais
-il avait du cœur à revendre. On lui
-apprit quelques chapitres du catéchisme,
-comme on enseigne aux
-merles à siffler <i>J’ai du bon tabac</i>; mais
-il eut et conserva toujours les sentiments
-les plus chrétiens. Jamais il
-n’abusa de sa force contre les gens
-ni contre les bêtes; il évitait les
-querelles et recevait bien souvent
-des taloches sans les rendre. Si M. le
-sous-préfet de Mauriac avait voulu
-lui faire donner une médaille d’argent,<span class="pagenum"><a name="Page_134" id="Page_134">[134]</a></span>
-il n’aurait eu qu’à écrire à
-Paris; car Sébastien sauva plusieurs
-personnes au péril de sa vie, et
-notamment deux gendarmes qui se
-noyaient avec leurs chevaux dans le
-torrent de la Saumaise. Mais on
-trouvait ces choses-là toutes naturelles,
-attendu qu’il les faisait d’instinct,
-et l’on ne songeait pas plus à
-le récompenser que s’il eût été un
-chien de Terre-Neuve.</p>
-
-<p>A l’âge de vingt ans, il satisfit à
-la loi et tira un bon numéro, grâce
-à une neuvaine qu’il avait faite en
-famille. Après quoi, il résolut de s’en
-aller à Paris, suivant les us et coutumes
-de l’Auvergne, pour gagner
-un peu d’argent blanc et venir en<span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">[135]</a></span>
-aide à ses père et mère. On lui
-donna un costume de velours et
-vingt francs, qui sont encore une
-somme dans l’arrondissement de
-Mauriac, et il profita de l’occasion
-d’un camarade qui savait le chemin
-de Paris. Il fit la route à pied, en dix
-jours, et arriva frais et dispos avec
-douze francs cinquante dans la poche
-et ses souliers neufs à la main.</p>
-
-<p>Deux jours après, il roulait un
-tonneau dans le faubourg Saint-Germain
-en compagnie d’un autre camarade
-qui ne pouvait plus monter les
-escaliers parce qu’il s’était donné un
-<i>effort</i>. Il fut, pour prix de ses peines,
-logé, couché, nourri et blanchi à
-raison d’une chemise par mois, sans<span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">[136]</a></span>
-compter qu’on lui donnait trente
-sous par semaine pour faire le garçon.
-Sur ses économies, il acheta, au
-bout de l’année, un tonneau d’occasion
-et s’établit à son compte.</p>
-
-<p>Il réussit au delà de toute espérance.
-Sa politesse naïve, sa complaisance
-infatigable et sa probité bien connue
-lui concilièrent les bonnes grâces
-de tout le quartier. De deux mille
-marches d’escalier qu’il montait et
-descendait tous les jours, il s’éleva
-graduellement à sept mille. Aussi
-envoyait-il jusqu’à soixante francs par
-mois aux bonnes gens de Frognac.
-La famille bénissait son nom et le
-recommandait à Dieu soir et matin
-dans ses prières; les petits garçons<span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">[137]</a></span>
-avaient des culottes neuves, et il ne
-s’agissait de rien moins que d’envoyer
-les deux derniers à l’école!</p>
-
-<p>L’auteur de tous ces biens n’avait
-rien changé à sa manière de vivre; il
-couchait à côté de son tonneau sous
-une remise, et renouvelait quatre fois
-par an la paille de son lit. Le costume
-de velours était plus rapiécé qu’un
-habit d’arlequin. En vérité, sa toilette
-eût coûté bien peu de chose sans les
-maudits souliers, qui usaient tous les
-mois un kilogramme de clous. Ses
-dépenses de table étaient les seules
-sur lesquelles il ne lésinât point. Il
-s’octroyait sans marchander quatre
-livres de pain par jour. Quelquefois
-même il régalait son estomac d’un<span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">[138]</a></span>
-morceau de fromage ou d’un oignon,
-ou d’une demi-douzaine de pommes
-achetées au tas sur le pont Neuf. Les
-dimanches et fêtes, il affrontait la
-soupe et le bœuf, et s’en léchait les
-doigts toute la semaine. Mais il était
-trop bon fils et trop bon frère pour
-s’aventurer jusqu’au verre de vin. «Le
-vin, l’amour et le tabac» étaient pour
-lui des denrées fabuleuses; il ne les
-connaissait que de réputation. A plus
-forte raison ignorait-il les plaisirs du
-théâtre, si chers aux ouvriers de Paris.
-Mon gaillard aimait mieux se coucher
-gratis à sept heures que d’applaudir
-M. Dumaine pour dix sous.</p>
-
-<p>Tel était au physique et au moral
-l’homme que M. Bernier héla dans la<span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">[139]</a></span>
-rue de Beaune pour qu’il vînt prêter
-de sa peau à M. L’Ambert.</p>
-
-<p>Les gens de la maison, avertis,
-l’introduisirent en hâte.</p>
-
-<p>Il s’avança timidement, le chapeau
-à la main, levant les pieds aussi
-haut qu’il pouvait, et n’osant les
-reposer sur le tapis. L’orage du
-matin l’avait crotté jusqu’aux aisselles.</p>
-
-<p>&mdash;Chi ch’est pour de l’eau, dit-il
-en saluant le docteur, je ...</p>
-
-<p>M. Bernier lui coupa la parole.</p>
-
-<p>&mdash;Non, mon garçon: il ne s’agit
-pas de votre commerce.</p>
-
-<p>&mdash;Alors, mouchu, ch’est donc pour
-auchtre choge?</p>
-
-<p>&mdash;Pour une tout autre chose.<span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">[140]</a></span>
-Monsieur que voici a eu le nez
-coupé ce matin.</p>
-
-<p>&mdash;Ah! chaprichti, le pauvre
-homme! Et qui est-che qui lui a
-fait cha?</p>
-
-<p>&mdash;Un Turc; mais il n’importe.</p>
-
-<p>&mdash;Un chauvage! On m’avait bien
-dit que les Turcs étaient des chauvages;
-mais je ne chavais pas qu’on
-les laichait venir à Paris. Attendez
-cheulement un peu; je vas charcher
-le chargent de ville!</p>
-
-<p>M. Bernier arrêta cet élan de zèle
-du digne Auvergnat et lui expliqua
-en peu de mots le service qu’on attendait
-de lui. Il crut d’abord qu’on
-se moquait, car on peut être un
-excellent porteur d’eau et n’avoir<span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">[141]</a></span>
-aucune notion de rhinoplastie. Le
-docteur lui fit comprendre qu’on
-voulait lui acheter un mois de son
-temps et environ cent cinquante
-centimètres carrés de sa peau.</p>
-
-<p>&mdash;L’opération n’est rien, lui dit-il,
-et vous n’avez que fort peu à
-souffrir; mais je vous préviens qu’il
-vous faudra énormément de patience
-pour rester immobile un mois durant,
-le bras cousu au nez de monsieur.</p>
-
-<p>&mdash;De la pachienche, répondit-il,
-j’en ai de rechte; ch’est pas pour
-rien qu’on est Oubergnat. Mais chi
-je pâche un mois chez vous pour
-rendre cherviche à che pauvre homme,
-il faudra me payer mon temps che
-qu’il vaut.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">[142]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Bien entendu. Combien voulez-vous?</p>
-
-<p>Il médita un instant et dit:</p>
-
-<p>&mdash;La main chur la conschienche,
-cha vaut une pièce de quatre francs
-par jour.</p>
-
-<p>&mdash;Non, mon ami, reprit le notaire:
-cela vaut mille francs pour le mois,
-ou trente-trois francs par journée.</p>
-
-<p>&mdash;Non, répliqua le docteur avec
-autorité, cela vaut deux mille francs.</p>
-
-<p>M. L’Ambert inclina la tête et ne
-fit point d’objection.</p>
-
-<p>Romagné demanda la permission
-de finir sa journée, de ramener son
-tonneau sous la remise et de chercher
-un remplaçant pour un mois.</p>
-
-<p>&mdash;Du rechte, disait-il, che n’est<span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">[143]</a></span>
-pas la peine de commencher aujourd’hui,
-pour une demi-journée.</p>
-
-<p>On lui prouva que la chose était
-urgente, et il prit ses mesures en
-conséquence. Un de ses amis fut
-mandé et promit de le suppléer
-durant un mois.</p>
-
-<p>&mdash;Tu m’apporteras mon pain tous
-les choirs, dit Romagné.</p>
-
-<p>On lui dit que la précaution était
-inutile, et qu’il serait nourri dans la
-maison.</p>
-
-<p>&mdash;Cha dépend de che que cha
-coûtera.</p>
-
-<p>&mdash;M. L’Ambert vous nourrira gratis.</p>
-
-<p>&mdash;Gratiche! ch’est dans mes prix.
-Voichi ma peau. Coupez tout de
-chuite!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">[144]</a></span></p>
-
-<p>Il supporta l’opération comme un
-brave, sans sourciller.</p>
-
-<p>&mdash;Ch’est un plaigir, disait-il. On
-m’a parlé d’un Oubergnat de mon
-pays qui che faigeait pétrifier dans
-une chourche à vingt chous l’heure.
-J’aime mieux me faire couper par morcheaux.
-Ch’est moins achujettichant,
-et cha rapporte pluche.</p>
-
-<p>M. Bernier lui cousit le bras
-gauche au visage du notaire, et ces
-deux hommes restèrent, un mois
-durant, enchaînés l’un à l’autre. Les
-deux frères siamois qui amusèrent
-jadis la curiosité de l’Europe n’étaient
-pas plus indissolubles. Mais ils étaient
-frères, accoutumés à se supporter dès
-l’enfance, et ils avaient reçu la même<span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">[145]</a></span>
-éducation. Si l’un avait été porteur
-d’eau et l’autre notaire, peut-être
-auraient-ils donné le spectacle d’une
-amitié moins fraternelle.</p>
-
-<p>Romagné ne se plaignit jamais de
-rien, quoique la situation lui parût
-tout à fait nouvelle. Il obéit en esclave,
-ou mieux, en chrétien, à toutes les
-volontés de l’homme qui avait acheté
-sa peau. Il se levait, s’asseyait, se
-couchait, se tournait à droite et à
-gauche, selon le caprice de son
-seigneur. L’aiguille aimantée n’est
-pas plus soumise au pôle nord que
-Romagné n’était soumis à M.
-L’Ambert.</p>
-
-<p>Cette héroïque mansuétude toucha
-le cœur du notaire, qui pourtant<span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">[146]</a></span>
-n’était pas tendre. Pendant trois jours,
-il eut une sorte de reconnaissance pour
-les bons soins de sa victime; mais il
-ne tarda guère à le prendre en dégoût,
-puis en horreur.</p>
-
-<p>Un homme jeune, actif et bien
-portant ne s’accoutume jamais sans
-effort à l’immobilité absolue. Qu’est-ce
-donc lorsqu’il doit rester immobile
-dans le voisinage d’un être inférieur,
-malpropre et sans éducation? Mais
-le sort en était jeté. Il fallait ou vivre
-sans nez ou supporter l’Auvergnat
-avec toutes ses conséquences, manger
-avec lui, dormir avec lui, accomplir
-auprès de lui, et dans la situation la
-plus incommode, toutes les fonctions
-de la vie.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">[147]</a></span></p>
-
-<p>Romagné était un digne et excellent
-jeune homme; mais il ronflait comme
-un orgue. Il adorait sa famille, il
-aimait son prochain; mais il ne s’était
-jamais baigné de sa vie, de peur
-d’user en vain la marchandise. Il
-avait les sentiments les plus délicats
-du monde; mais il ne savait pas
-s’imposer les contraintes les plus élémentaires
-que la civilisation nous
-recommande. Pauvre M. L’Ambert!
-et pauvre Romagné! quelles nuits et
-quelles journées! quels coups de pied
-donnés et reçus! Inutile de dire que
-Romagné les reçut sans se plaindre:
-il craignait qu’un faux mouvement
-ne fît manquer l’expérience de M.
-Bernier.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">[148]</a></span></p>
-
-<p>Le notaire recevait bon nombre de
-visites. Il lui vint des compagnons de
-plaisir qui s’amusèrent de l’Auvergnat.
-On lui apprit à fumer des cigares, à
-boire du vin et de l’eau-de-vie. Le
-pauvre diable s’abandonnait à ces
-plaisirs nouveaux avec la naïveté d’un
-Peau-Rouge. On le grisa, on le soûla,
-on lui fit descendre tous les échelons
-qui séparent l’homme de la brute.
-C’était une éducation à refaire; les
-beaux messieurs y prirent un plaisir
-cruel. N’était-il pas agréable et nouveau
-de démoraliser un Auvergnat?</p>
-
-<p>Certain jour, on lui demanda comment
-il pensait employer les cent
-louis de M. L’Ambert lorsqu’il aurait
-fini de les gagner:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">[149]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Je les placherai à chinq pour
-chent, répondit-il, et j’aurai chent
-francs de rente.</p>
-
-<p>&mdash;Et après? lui dit un joli millionnaire
-de vingt-cinq ans. En seras-tu
-plus riche? en seras-tu plus heureux?
-Tu auras six sous de rente par jour!
-Si tu te maries, et c’est inévitable,
-car tu es du bois dont on fait les imbéciles,
-tu auras douze enfants, pour
-le moins.</p>
-
-<p>&mdash;Cha, ch’est possible!</p>
-
-<p>&mdash;Et, en vertu du Code civil, qui
-est une jolie invention de l’Empire,
-tu leur laisseras à chacun deux liards
-à manger par jour. Tandis qu’avec
-deux mille francs tu peux vivre un
-mois comme un riche, connaître les<span class="pagenum"><a name="Page_150" id="Page_150">[150]</a></span>
-plaisirs de la vie et t’élever au-dessus
-de tes pareils!</p>
-
-<p>Il se défendait comme un beau
-diable contre ces tentatives de corruption;
-mais on frappa tant de
-petits coups répétés sur son crâne
-épais, qu’on ouvrit un passage
-aux idées fausses, et le cerveau fut
-entamé.</p>
-
-<p>Les dames vinrent aussi. M.
-L’Ambert en connaissait beaucoup,
-et de tous les mondes. Romagné
-assista aux scènes les plus diverses;
-il entendit des protestations d’amour
-et de fidélité qui manquaient de
-vraisemblance. Non seulement M.
-L’Ambert ne se privait pas de mentir
-richement devant lui, mais il<span class="pagenum"><a name="Page_151" id="Page_151">[151]</a></span>
-s’amusait quelquefois à lui montrer
-dans le tête-à-tête toutes les faussetés
-qui sont, pour ainsi dire, le canevas
-de la vie élégante.</p>
-
-<p>Et le monde des affaires! Romagné
-crut le découvrir comme Christophe
-Colomb, car il n’en avait aucune idée.
-Les clients de l’étude ne se gênaient
-pas plus devant lui qu’on ne se prive
-de parler en présence d’une douzaine
-d’huîtres. Il vit des pères de famille
-qui cherchaient les moyens de dépouiller
-légalement leurs fils au profit
-d’une maîtresse ou d’une bonne
-œuvre; des jeunes gens à marier qui
-étudiaient l’art de voler par contrat
-la dot de leur femme; des prêteurs
-qui voulaient dix pour cent sur première<span class="pagenum"><a name="Page_152" id="Page_152">[152]</a></span>
-hypothèque, des emprunteurs
-qui donnaient hypothèque sur le néant!</p>
-
-<p>Il n’avait point d’esprit, et son
-intelligence n’était pas de beaucoup
-supérieure à celle des caniches; mais
-sa conscience se révolta quelquefois.
-Il crut bien faire, un jour, en disant à
-M. L’Ambert:</p>
-
-<p>&mdash;Vous n’avez pas mon echtime.</p>
-
-<p>Et la répugnance que le notaire
-avait pour lui se changea en haine
-déclarée.</p>
-
-<p>Les huit derniers jours de leur
-intimité forcée furent remplis par
-une série de tempêtes. Mais enfin M.
-Bernier constata que le lambeau avait
-pris racine, malgré des tiraillements
-sans nombre. On détacha les deux<span class="pagenum"><a name="Page_153" id="Page_153">[153]</a></span>
-ennemis; on modela le nez du notaire
-dans la peau qui n’appartenait
-plus à Romagné. Et le beau millionnaire
-de la rue de Verneuil jeta deux
-billets de mille francs à la figure de
-son esclave en disant:</p>
-
-<p>&mdash;Tiens, scélérat! L’argent n’est
-rien; tu m’as fait dépenser pour cent
-mille écus de patience. Va-t’en, sors
-d’ici pour toujours, et fais en sorte
-que je n’entende jamais parler de toi!</p>
-
-<p>Romagné remercia fièrement, but
-une bouteille à l’office, deux petits
-verres avec Singuet et s’en alla
-titubant vers son ancien domicile.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_154" id="Page_154">[154]</a></span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_155" id="Page_155">[155]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">V<br /><br />
-<span class="pch">GRANDEUR ET DÉCADENCE</span></h2>
-
-<p class="drop-cap00">M. L’AMBERT rentra dans le
-monde avec succès; on
-pourrait dire avec gloire. Ses témoins
-lui rendaient très ample justice en
-disant qu’il s’était battu comme un
-lion. Les vieux notaires se trouvaient
-rajeunis par son courage.</p>
-
-<p>&mdash;Eh! eh! voilà comme nous
-sommes quand on nous pousse aux
-extrémités; pour être notaire, on
-n’en est pas moins homme! Maître
-L’Ambert a été trahi par la fortune<span class="pagenum"><a name="Page_156" id="Page_156">[156]</a></span>
-des armes; mais il est beau de tomber
-ainsi; c’est un Waterloo. Nous
-sommes encore des lurons, quoi
-qu’on dise!</p>
-
-<p>Ainsi parlaient le respectable maître
-Clopineau, et le digne maître Labrique,
-et l’onctueux maître Bontoux,
-et tous les nestors du notariat. Les
-jeunes maîtres tenaient à peu près le
-même langage, avec certaines variantes
-inspirées par la jalousie:</p>
-
-<p>&mdash;Nous ne voulons pas renier
-maître L’Ambert: il nous honore,
-assurément, quoiqu’il nous compromette
-un peu;&mdash;chacun de nous
-montrerait autant de cœur, et peut-être
-moins de maladresse.&mdash;Un
-officier ministériel ne doit pas se<span class="pagenum"><a name="Page_157" id="Page_157">[157]</a></span>
-laisser marcher sur le pied: reste à
-savoir s’il doit se donner les premiers
-torts. On ne devrait aller sur le
-terrain que pour des motifs avouables.
-Si j’étais père de famille, j’aimerais
-mieux confier mes affaires à un sage
-qu’à un héros d’aventures, etc., etc.</p>
-
-<p>Mais l’opinion des femmes, qui
-fait loi, s’était prononcée pour le
-héros de Parthenay. Peut-être eût-elle
-été moins unanime si l’on avait
-connu l’épisode du chat; peut-être
-même le sexe injuste et charmant
-aurait-il donné tort à M. L’Ambert
-s’il s’était permis de reparaître sans
-nez sur la scène du monde. Mais
-tous les témoins avaient été discrets
-sur le ridicule incident; mais M.<span class="pagenum"><a name="Page_158" id="Page_158">[158]</a></span>
-L’Ambert, loin d’être défiguré, paraissait
-avoir gagné au change. Une
-baronne remarqua que sa physionomie
-était beaucoup plus douce depuis qu’il
-portait un nez droit. Une vieille
-chanoinesse, confite en malices, demanda
-au prince de B ... s’il n’irait
-pas bientôt chercher querelle au
-Turc? L’aquilin du prince de B ...
-jouissait d’une réputation hyperbolique.</p>
-
-<p>On se demandera comment les
-femmes du vrai monde pouvaient
-s’intéresser à des dangers qu’on n’avait
-point courus pour elles? Les habitudes
-de maître L’Ambert étaient
-connues et l’on savait quelle part de
-son temps et de son cœur se dépensait<span class="pagenum"><a name="Page_159" id="Page_159">[159]</a></span>
-à l’Opéra. Mais le monde pardonne
-aisément ces distractions aux hommes
-qui ne s’y livrent point tout entiers.
-Il fait la part du feu, et se contente
-du peu qu’on lui donne. On savait
-gré à M. L’Ambert de n’être qu’à
-moitié perdu, lorsque tant d’hommes
-de son âge le sont tout à fait. Il ne
-négligeait point les maisons honorables,
-il causait avec les douairières,
-il dansait avec les jeunes filles et
-faisait, à l’occasion, de la musique
-passable; il ne parlait point des
-chevaux à la mode. Ces mérites, assez
-rares chez les jeunes millionnaires du
-faubourg, lui conciliaient la bienveillance
-des dames. On dit même que
-plus d’une avait cru faire œuvre<span class="pagenum"><a name="Page_160" id="Page_160">[160]</a></span>
-pie en le disputant au foyer de la
-danse. Une jolie dévote, madame
-de L ..., lui avait prouvé, trois mois
-durant, que les plaisirs les plus vifs
-ne sont pas dans le scandale et la
-dissipation.</p>
-
-<p>Toutefois, il n’avait jamais rompu
-avec le corps de ballet; la sévère
-leçon qu’il avait reçue ne lui inspira
-aucune horreur pour cette hydre à
-cent jolies têtes. Une de ses premières
-visites fut pour le foyer où brillait
-mademoiselle Victorine Tompain.
-C’est là qu’on lui fit une belle entrée!
-Avec quelle curiosité amicale on
-courut à lui! Comme on l’appela
-<i>très cher</i> et <i>bien bon</i>! Quelles poignées
-de main cordiales! Quels jolis petits<span class="pagenum"><a name="Page_161" id="Page_161">[161]</a></span>
-becs se tendirent vers lui pour
-recevoir un baiser d’ami, sans conséquence!
-Il rayonnait. Tous ses
-amis des jours pairs, tous les dignitaires
-de la franc-maçonnerie du
-plaisir, lui firent compliment de sa
-guérison miraculeuse. Il régna durant
-tout un entr’acte dans cet agréable
-royaume. On écouta le récit de son
-affaire; on lui fit raconter le traitement
-du docteur Bernier; on admira
-la finesse des points de suture qui ne
-se voyaient presque plus!</p>
-
-<p>&mdash;Figurez-vous, disait-il, que cet
-excellent M. Bernier m’a complété
-avec la peau d’un Auvergnat. Et
-de quel Auvergnat, bon Dieu! Le
-plus stupide, le plus épais, le plus<span class="pagenum"><a name="Page_162" id="Page_162">[162]</a></span>
-sale de l’Auvergne! On ne s’en
-douterait pas à voir le lambeau qu’il
-m’a vendu. Ah! l’animal m’a fait
-passer bien des quarts d’heure désagréables!...
-Les commissionnaires du
-coin des rues sont des dandies auprès
-de lui. Mais j’en suis quitte, grâce
-au ciel! Le jour où je l’ai payé et
-jeté à la porte, je me suis soulagé d’un
-grand poids. Il s’appelait Romagné,
-un joli nom! Ne le prononcez jamais
-devant moi. Qu’on ne me parle pas
-de Romagné, si l’on veut que je vive!
-Romagné!!!</p>
-
-<p>Mademoiselle Victorine Tompain
-ne fut pas la dernière à complimenter
-le héros. Ayvaz-Bey l’avait indignement
-abandonnée en lui laissant<span class="pagenum"><a name="Page_163" id="Page_163">[163]</a></span>
-quatre fois plus d’argent qu’elle ne
-valait. Le beau notaire se montra
-doux et clément envers elle.</p>
-
-<p>&mdash;Je ne vous en veux pas, lui dit-il;
-je n’ai pas même de rancune
-contre ce brave Turc. Je n’ai qu’un
-ennemi au monde, c’est un Auvergnat
-du nom de Romagné.</p>
-
-<p>Il disait Romagné avec une intonation
-comique qui fit fortune. Et je
-crois que, même aujourd’hui, la
-plupart de ces demoiselles disent:
-«Mon Romagné», en parlant de
-leur porteur d’eau.</p>
-
-<p>Trois mois se passèrent; trois mois
-d’été. La saison fut belle; il resta
-peu de monde à Paris. L’Opéra fut
-envahi par les étrangers et les gens<span class="pagenum"><a name="Page_164" id="Page_164">[164]</a></span>
-de province; M. L’Ambert y parut
-moins souvent.</p>
-
-<p>Presque tous les jours, à six heures,
-il dépouillait la gravité du notaire et
-s’enfuyait à Maisons-Laffitte, où il
-avait loué un chalet. Ses amis l’y
-venaient voir, et même ses petites
-amies. On jouait, dans le jardin, à
-toute sorte de jeux champêtres, et je
-vous prie de croire que la balançoire
-ne chômait pas.</p>
-
-<p>Un des hôtes les plus assidus et les
-plus gais était M. Steimbourg, agent
-de change. L’affaire de Parthenay
-l’avait lié plus étroitement avec M.
-L’Ambert. M. Steimbourg appartenait
-à une bonne famille d’israélites convertis;
-sa charge valait deux millions,<span class="pagenum"><a name="Page_165" id="Page_165">[165]</a></span>
-et il en possédait un quart à lui tout
-seul: on pouvait donc contracter
-amitié avec lui. Les maîtresses des deux
-amis s’accordaient assez bien ensemble,
-c’est-à-dire qu’elles se querellaient au
-plus une fois par semaine. Que c’est
-beau, quatre cœurs qui battent à
-l’unisson! Les hommes montaient à
-cheval, lisaient le <i>Figaro</i>, ou racontaient
-les cancans de la ville; les dames se
-tiraient les cartes à tour de rôle avec
-infiniment d’esprit: l’âge d’or en
-miniature!</p>
-
-<p>M. Steimbourg se fit un devoir de
-présenter son ami dans sa famille. Il
-le conduisit à Biéville, où le père
-Steimbourg s’était fait construire un
-château. M. L’Ambert y fut reçu<span class="pagenum"><a name="Page_166" id="Page_166">[166]</a></span>
-cordialement par un vieillard très
-vert, une dame de cinquante-deux ans
-qui n’avait pas encore abdiqué, et
-deux jeunes filles tout à fait coquettes.
-Il reconnut au premier coup d’œil
-qu’il n’entrait pas chez des fossiles.
-Non; c’était bien la famille moderne
-et perfectionnée. Le père et le fils
-étaient deux camarades qui se plaisantaient
-réciproquement sur leurs
-fredaines. Les jeunes filles avaient vu
-tout ce qui se joue sur le théâtre et
-lu tout ce qui s’écrit. Peu de gens
-connaissaient mieux qu’elles la chronique
-élégante de Paris; on leur
-avait montré, au spectacle et au bois
-de Boulogne, les beautés les plus
-célèbres de tous les mondes; on les<span class="pagenum"><a name="Page_167" id="Page_167">[167]</a></span>
-avait conduites aux ventes des riches
-mobiliers, et elles dissertaient fort
-agréablement sur les émeraudes de
-mademoiselle X ... et les perles de
-mademoiselle Z ... L’aînée, mademoiselle
-Irma Steimbourg, copiait
-avec passion les toilettes de mademoiselle
-Fargueil; la cadette avait
-envoyé un de ses amis chez mademoiselle
-Figeac pour demander
-l’adresse de sa modiste. L’une et
-l’autre étaient riches et bien dotées.
-Irma plut à M. L’Ambert. Le beau
-notaire se disait de temps en temps
-qu’un demi-million de dot et une
-femme qui sait porter la toilette ne
-sont pas choses à dédaigner. On se
-vit assez souvent, presque une fois<span class="pagenum"><a name="Page_168" id="Page_168">[168]</a></span>
-par semaine, jusqu’aux premières
-gelées de novembre.</p>
-
-<p>Après un automne doux et brillant,
-l’hiver tomba comme une tuile. C’est
-un fait assez commun dans nos climats;
-mais le nez de M. L’Ambert fit
-preuve en cette occasion d’une
-sensibilité peu commune. Il rougit un
-peu, puis beaucoup; il s’enfla par
-degrés, au point de devenir presque
-difforme. Après une partie de chasse
-égayée par le vent du nord, le notaire
-éprouva des démangeaisons intolérables.
-Il se regarda dans un miroir
-d’auberge et la couleur de son nez
-lui déplut. Vous auriez dit une
-engelure mal placée.</p>
-
-<p>Il se consolait en pensant qu’un<span class="pagenum"><a name="Page_169" id="Page_169">[169]</a></span>
-bon feu de fagots lui rendrait sa
-figure naturelle, et, de fait, la chaleur
-le soulagea et le déteignit en peu
-d’instants. Mais la démangeaison se
-réveilla le lendemain, et les tissus se
-gonflèrent de plus belle, et la couleur
-rouge reparut avec une légère addition
-de violet. Huit jours passés au logis,
-devant la cheminée, effacèrent la
-teinte fatale. Elle reparut à la
-première sortie, en dépit des fourrures
-de renard bleu.</p>
-
-<p>Pour le coup, M. L’Ambert prit
-peur; il manda M. Bernier en toute
-hâte. Le docteur accourut, constata
-une légère inflammation et prescrivit
-des compresses d’eau glacée. On
-rafraîchit le nez, mais on ne le guérit<span class="pagenum"><a name="Page_170" id="Page_170">[170]</a></span>
-point. M. Bernier fut étonné de la
-persistance du mal.</p>
-
-<p>&mdash;Après tout, dit-il, Dieffenbach
-a peut-être raison. Il prétend que le
-lambeau peut mourir par excès de
-sang et qu’on y doit appliquer des
-sangsues. Essayons!</p>
-
-<p>Le notaire se suspendit une sangsue
-au bout du nez. Lorsqu’elle tomba,
-gorgée de sang, on la remplaça par une
-autre et ainsi de suite, durant deux
-jours et deux nuits. L’enflure et la coloration
-disparurent pour un temps;
-mais ce mieux ne fut pas de longue
-durée. Il fallut chercher autre chose.
-M. Bernier demanda vingt-quatre
-heures de réflexion, et en prit
-quarante-huit.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_171" id="Page_171">[171]</a></span></p>
-
-<p>Lorsqu’il revint à l’hôtel de
-Monsieur L’Ambert il était soucieux
-et même timide. Il dut faire un effort
-sur lui-même avant de dire à M.
-L’Ambert:</p>
-
-<p>&mdash;La médecine ne rend pas compte
-de tous les phénomènes naturels, et je
-viens vous soumettre une théorie qui
-n’a aucun caractère scientifique. Mes
-confrères se moqueraient peut-être de
-moi si je leur disais qu’un lambeau
-détaché du corps d’un homme peut
-rester sous l’influence de son ancien
-possesseur. C’est votre sang, lancé par
-votre cœur, sous l’action de votre
-cerveau, qui afflue si malheureusement
-à votre nez. Et pourtant je suis tenté
-de croire que cet imbécile d’Auvergnat<span class="pagenum"><a name="Page_172" id="Page_172">[172]</a></span>
-n’est pas étranger à l’événement.</p>
-
-<p>M. L’Ambert se récria bien haut.
-Dire qu’un vil mercenaire que l’on
-avait payé, à qui l’on ne devait
-rien, pouvait exercer une influence
-occulte sur le nez d’un officier
-ministériel, c’était presque de l’impertinence!</p>
-
-<p>&mdash;C’est bien pis, répondit le docteur,
-c’est de l’absurdité. Et pourtant
-je vous demande la permission de
-chercher le Romagné. J’ai besoin de
-le voir aujourd’hui, ne fût-ce que pour
-me convaincre de mon erreur. Avez-vous
-gardé son adresse?</p>
-
-<p>&mdash;A Dieu ne plaise!</p>
-
-<p>&mdash;Eh bien, je vais me mettre en<span class="pagenum"><a name="Page_173" id="Page_173">[173]</a></span>
-quête. Prenez patience, gardez la
-chambre, et ne vous traitez plus.</p>
-
-<p>Il chercha quinze jours. La police
-lui vint en aide et l’égara durant trois
-semaines. On mit la main sur une
-demi-douzaine de Romagné. Un
-agent subtil et plein d’expérience
-découvrit tous les Romagné de Paris,
-excepté celui qu’on demandait. On
-trouva un invalide, un marchand de
-peaux de lapin, un avocat, un voleur,
-un commis de mercerie, un gendarme
-et un millionnaire. M. L’Ambert
-grillait d’impatience au coin du feu,
-et contemplait avec désespoir son nez
-écarlate. Enfin, l’on découvrit le
-domicile du porteur d’eau, mais il
-n’y demeurait plus. Les voisins<span class="pagenum"><a name="Page_174" id="Page_174">[174]</a></span>
-racontèrent qu’il avait fait fortune et
-vendu son tonneau pour jouir de la vie.</p>
-
-<p>M. Bernier battit les cabarets et
-autres lieux de plaisir, tandis que son
-malade restait plongé dans la mélancolie.</p>
-
-<p>Le 2 février, à dix heures du
-matin, le beau notaire se chauffait
-tristement les pieds et contemplait
-en louchant cette pivoine fleurie au
-milieu de son visage, lorsqu’un tumulte
-joyeux ébranla toute la maison.
-Les portes s’ouvrirent avec fracas, les
-valets crièrent de surprise, et l’on vit
-paraître le docteur, traînant Romagné
-par la main.</p>
-
-<p>C’était le vrai Romagné, mais bien
-différent de lui-même! Sale, abruti,<span class="pagenum"><a name="Page_175" id="Page_175">[175]</a></span>
-hideux, l’œil éteint, l’haleine fétide,
-puant le vin et le tabac, rouge de la
-tête aux pieds comme un homard
-cuit: c’était moins un homme qu’un
-érysipèle vivant.</p>
-
-<p>&mdash;Monstre! lui dit M. Bernier,
-tu devrais mourir de honte. Tu t’es
-ravalé au-dessous de la brute. Si tu as
-encore le visage d’un homme, tu n’en
-as déjà plus la couleur. A quoi as-tu
-employé la petite fortune que nous
-t’avions faite? Tu t’es roulé dans les
-bas-fonds de la débauche, et je t’ai
-trouvé au delà des fortifications de
-Paris, vautré comme un porc au seuil
-du plus immonde des cabarets!</p>
-
-<p>L’Auvergnat leva ses gros yeux sur
-le docteur et lui dit avec son aimable<span class="pagenum"><a name="Page_176" id="Page_176">[176]</a></span>
-accent, embelli d’une intonation faubourienne:</p>
-
-<p>&mdash;Eh bien, quoi! J’ai fait la
-noche! Ch’est pas une raigeon pour
-me dire des chottiges.</p>
-
-<p>&mdash;Qui est-ce qui te dit des sottises?
-On te reproche tes turpitudes,
-voilà tout. Pourquoi n’as-tu pas placé
-ton argent au lieu de le boire?</p>
-
-<p>&mdash;Ch’est lui qui m’a dit de
-m’amuger.</p>
-
-<p>&mdash;Drôle! s’écria le notaire, est-ce
-moi qui t’ai conseillé de te soûler à
-la barrière avec de l’eau-de-vie et du
-vin bleu?</p>
-
-<p>&mdash;On ch’amuse comme on peut ...
-Je chuis été avec les camarades.</p>
-
-<p>Le médecin bondit de colère.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_177" id="Page_177">[177]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Ils sont jolis, tes camarades!
-Comment! je fais une cure merveilleuse
-qui répand ma gloire dans
-Paris, qui m’ouvrira un jour ou l’autre
-les portes de l’institut, et tu vas, avec
-quelques ivrognes de ton espèce,
-gâter mon plus divin ouvrage! S’il
-ne s’agissait que de toi, parbleu!
-nous te laisserions faire. C’est un
-suicide physique et moral; mais un
-Auvergnat de plus ou de moins n’importe
-guère à la société. Il s’agit d’un
-homme du monde, d’un riche, de ton
-bienfaiteur, de mon malade! Tu l’as
-compromis, défiguré, assassiné par ton
-inconduite. Regarde dans quel état
-lamentable tu as mis la figure de
-monsieur!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_178" id="Page_178">[178]</a></span></p>
-
-<p>Le pauvre diable contempla le nez
-qu’il avait fourni, et se mit à fondre
-en larmes.</p>
-
-<p>&mdash;Ch’est bien malheureux, mouchu
-Bernier; mais j’attechte le bon
-Dieu que ch’est pas ma faute. Le nez
-ch’est gâté tout cheul. Chaprichti!
-je chuis un honnête homme, et je
-vous jure que je n’y ai pas cheulement
-touché!</p>
-
-<p>&mdash;Imbécile! dit M. L’Ambert, tu
-ne comprendras jamais ... et, d’ailleurs,
-tu n’as pas besoin de comprendre!
-Il s’agit de nous dire sans détour si
-tu veux changer de conduite et renoncer
-à cette vie de débauche, qui
-me tue par contre-coup? Je te préviens
-que j’ai le bras long et que, si<span class="pagenum"><a name="Page_179" id="Page_179">[179]</a></span>
-tu t’obstinais dans tes vices, je saurais
-te faire mettre en lieu sûr.</p>
-
-<p>&mdash;En prigeon?</p>
-
-<p>&mdash;En prison.</p>
-
-<p>&mdash;En prigeon avec les schélérats?
-Grâche, mouchu L’Ambert! Cha
-cherait le déjonneur de la famille!</p>
-
-<p>&mdash;Boiras-tu encore, oui ou non?</p>
-
-<p>&mdash;Eh! bon Diou! comment
-boire quand on n’a plus le chou?
-J’ai tout dépenché, mouchu L’Ambert.
-J’ai bu les deux mille francs,
-j’ai bu mon tonneau et tout le fonds
-de boutique, et personne ne veut
-plus me faire crédit chur la churfache
-de la terre!</p>
-
-<p>&mdash;Tant mieux, drôle! c’est bien fait.</p>
-
-<p>&mdash;Il faudra bien que je devienne<span class="pagenum"><a name="Page_180" id="Page_180">[180]</a></span>
-chage! voichi la migère qui vient,
-mouchu L’Ambert!</p>
-
-<p>&mdash;A la bonne heure!</p>
-
-<p>&mdash;Mouchu L’Ambert!</p>
-
-<p>&mdash;Quoi?</p>
-
-<p>&mdash;Chi ch’était un effet de votre
-bonté de me racheter un tonneau pour
-gagner ma pauvre vie, je vous jure
-que je redeviendrais un bon chujet!</p>
-
-<p>&mdash;Allons donc! tu le vendrais
-pour boire.</p>
-
-<p>&mdash;Non, mouchu L’Ambert, foi
-d’honnête garchon!</p>
-
-<p>&mdash;Serment d’ivrogne!</p>
-
-<p>&mdash;Mais vous voulez donc que je
-meure de faim et de choif! Une chentaine
-de francs, mon bon mouchu
-L’Ambert!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_181" id="Page_181">[181]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Pas un centime! C’est la Providence
-qui t’a mis sur la paille pour
-me rendre ma figure naturelle. Bois
-de l’eau, mange du pain sec, prive-toi
-du nécessaire, meurs de faim si tu
-peux: c’est à ce prix que je recouvrerai
-mes avantages et que je redeviendrai
-moi-même!</p>
-
-<p>Romagné courba la tête et se retira,
-traînant le pied et saluant la compagnie.</p>
-
-<p>Le notaire était dans la joie et le
-médecin dans la gloire.</p>
-
-<p>&mdash;Je ne veux pas faire mon éloge,
-disait modestement M. Bernier, mais
-Leverrier trouvant une planète par
-la force du calcul n’a pas fait un
-plus grand miracle que moi. Deviner,
-à l’aspect de votre nez, qu’un Auvergnat<span class="pagenum"><a name="Page_182" id="Page_182">[182]</a></span>
-absent et perdu dans Paris se
-livre à la débauche, c’est remonter
-de l’effet à la cause par des chemins
-que l’audace humaine n’avait pas
-encore tentés. Quant au traitement
-de votre mal, il est indiqué par la
-circonstance. La diète appliquée à
-Romagné est le seul remède qui vous
-puisse guérir. Le hasard nous sert à
-merveille, puisque cet animal a mangé
-son dernier sou. Vous avez bien fait
-de lui refuser le secours qu’il demandait:
-tous les efforts de l’art seront
-vains tant que cet homme aura de
-quoi boire.</p>
-
-<p>&mdash;Mais, docteur, interrompit M.
-L’Ambert, si mon mal ne venait
-point de là? si vous étiez le jouet d’une<span class="pagenum"><a name="Page_183" id="Page_183">[183]</a></span>
-coïncidence fortuite? Ne m’avez-vous
-pas dit vous-même que la théorie ...?</p>
-
-<p>&mdash;J’ai dit et je maintiens que, dans
-l’état actuel de nos connaissances,
-votre cas n’admet aucune explication
-logique. C’est un fait dont la loi reste
-à trouver. Le rapport que nous observons
-aujourd’hui entre la santé
-de votre nez et la conduite de cet
-Auvergnat nous ouvre une perspective
-peut-être trompeuse, mais à coup
-sûr immense. Attendons quelques
-jours: si votre nez guérit à mesure
-que Romagné se range, ma théorie
-recevra le renfort d’une nouvelle
-probabilité. Je ne réponds de rien;
-mais je pressens une loi physiologique,
-inconnue jusqu’à nous, et que je serais<span class="pagenum"><a name="Page_184" id="Page_184">[184]</a></span>
-heureux de formuler. Le monde de
-la science est plein de phénomènes
-visibles produits par des causes inconnues.
-Pourquoi madame de L ...,
-que vous connaissez comme moi,
-porte-t-elle une cerise admirablement
-peinte sur l’épaule gauche?
-Est-ce, comme on le dit, parce que
-sa mère, étant grosse, a convoité
-violemment un panier de cerises à
-l’étalage de Chevet? Quel artiste invisible
-a dessiné ce fruit sur le corps
-d’un fœtus de six semaines, gros comme
-une crevette de moyenne taille?
-Comment expliquer cette action spéciale
-du moral sur le physique? Et
-pourquoi la cerise de madame de L ...
-devient-elle sensible et douloureuse<span class="pagenum"><a name="Page_185" id="Page_185">[185]</a></span>
-au mois d’avril de chaque année,
-lorsque les cerisiers sont en fleur?
-Voilà des faits certains, évidents, palpables,
-et tout aussi inexpliqués que
-l’enflure et la rougeur de votre nez.
-Mais patience!</p>
-
-<p>Deux jours après, le nez de M.
-L’Ambert désenfla d’une façon visible,
-mais la couleur rouge tenait bon.
-Vers la fin de la semaine, son volume
-était réduit d’un bon tiers. Au bout
-de quinze jours, il pela horriblement,
-fit peau neuve et reprit sa forme et
-sa couleur primitives.</p>
-
-<p>Le docteur triomphait.</p>
-
-<p>&mdash;Mon seul regret, disait-il, c’est
-que nous n’ayons point gardé le Romagné
-dans une cage pour observer sur<span class="pagenum"><a name="Page_186" id="Page_186">[186]</a></span>
-lui comme sur vous les effets du traitement.
-Je suis sûr que, durant sept ou
-huit jours, il a été couvert d’écailles
-comme une couleuvre.</p>
-
-<p>&mdash;Qu’il aille au diable! ajouta
-chrétiennement M. L’Ambert.</p>
-
-<p>Dès ce jour, il reprit ses habitudes:
-sortit en voiture, à cheval, à pied;
-dansa dans les bals du faubourg et
-embellit de sa présence le foyer de
-l’Opéra. Toutes les femmes lui firent
-bon accueil dans le monde et hors
-du monde. Une de celles qui le
-félicitèrent le plus tendrement de sa
-guérison fut la sœur aînée de l’ami
-Steimbourg.</p>
-
-<p>Cette aimable personne avait coutume
-de regarder les hommes dans<span class="pagenum"><a name="Page_187" id="Page_187">[187]</a></span>
-le blanc des yeux. Elle remarqua
-très judicieusement que M. L’Ambert
-était sorti plus beau de cette dernière
-crise. Oui, vraiment, il semblait que
-deux ou trois mois de souffrances
-eussent donné à son visage je ne sais
-quoi d’achevé. Le nez surtout, ce nez
-droit, qui venait de rentrer dans ses
-limites après une dilatation cuisante,
-paraissait plus fin, plus blanc et plus
-aristocratique que jamais.</p>
-
-<p>Telle était aussi l’opinion du joli
-notaire, et il se contemplait dans
-toutes les glaces avec une admiration
-toujours nouvelle. C’était plaisir de
-le voir, face à face avec lui-même,
-et souriant à son propre nez.</p>
-
-<p>Mais, au retour du printemps, dans<span class="pagenum"><a name="Page_188" id="Page_188">[188]</a></span>
-la seconde quinzaine de mars, tandis
-que la sève généreuse enflait les bourgeons
-des lilas, M. L’Ambert eut
-lieu de croire que son nez seul était
-privé des bienfaits de la saison et des
-bontés de la nature. Au milieu du
-rajeunissement de toutes choses il
-pâlissait comme une feuille d’automne.
-Les ailes amincies et comme
-desséchées par le souffle d’un sirocco
-invisible, s’aplatissaient contre la
-cloison.</p>
-
-<p>&mdash;Mort de ma vie! disait le
-notaire en faisant la grimace au
-miroir, la distinction est une belle
-chose, comme la vertu; mais pas
-trop n’en faut. Mon nez devient
-d’une élégance inquiétante, et bientôt<span class="pagenum"><a name="Page_189" id="Page_189">[189]</a></span>
-il ne sera plus qu’une ombre si je ne
-lui rends la force et la couleur!</p>
-
-<p>Il y mit un peu de rouge. Mais
-le fard ne servait qu’à faire ressortir
-la finesse incroyable de cette ligne
-droite et sans épaisseur qui lui séparait
-la figure en deux. Telle on voit
-une lame de fer battu se dresser
-mince et coupante au milieu d’un
-cadran solaire; tel était le nez fantastique
-du notaire désespéré.</p>
-
-<p>En vain le riche indigène de la
-rue de Verneuil se mit au régime
-le plus substantiel. Considérant que
-la bonne nourriture, digérée par un
-estomac solide, profite à peu près
-également à toutes les parties du
-corps, il s’imposa la douce loi de<span class="pagenum"><a name="Page_190" id="Page_190">[190]</a></span>
-prendre force consommés, force
-coulis, et quantité de viandes saignantes
-arrosées des vins les plus
-généreux. Dire que ces aliments
-choisis ne lui profitèrent en rien
-serait nier l’évidence et blasphémer
-la bonne chère. M. L’Ambert se fit,
-en peu de temps, de belles joues
-rouges, un beau cou de taureau
-apoplectique et un joli petit ventre
-rondelet. Mais le nez était comme
-un associé négligent ou désintéressé,
-qui ne vient pas toucher ses dividendes.</p>
-
-<p>Lorsqu’un malade ne peut manger
-ni boire, on le soutient quelquefois
-par des bains nourrissants qui pénètrent
-à travers la peau jusqu’aux<span class="pagenum"><a name="Page_191" id="Page_191">[191]</a></span>
-sources de la vie. M. L’Ambert
-traita son nez comme un malade
-qu’il faut nourrir à part et coûte
-que coûte. Il commanda pour lui
-seul une petite baignoire de vermeil.
-Six fois par jour il le plongea et le
-maintint patiemment dans des bains
-de lait, de vin de Bourgogne, de
-bouillon gras et même de sauce aux
-tomates. Peine perdue! le malade
-sortait du bain aussi pâle, aussi
-maigre, aussi déplorable qu’il y était
-entré.</p>
-
-<p>Toute espérance semblait perdue,
-lorsqu’un jour M. Bernier se frappa
-le front et s’écria:</p>
-
-<p>&mdash;Nous avons fait une énorme
-faute! une véritable bévue d’écoliers!<span class="pagenum"><a name="Page_192" id="Page_192">[192]</a></span>
-et c’est moi!... lorsque ce fait apportait
-à ma théorie une si éclatante
-confirmation!... N’en doutez pas,
-monsieur: l’Auvergnat est malade,
-et c’est lui qu’il nous faut traiter
-pour que vous soyez guéri.</p>
-
-<p>Le pauvre L’Ambert s’arracha les
-cheveux. C’est pour le coup qu’il
-regretta d’avoir mis Romagné à la
-porte et de lui avoir refusé le secours
-qu’il demandait, et d’avoir oublié de
-prendre son adresse! Il se représentait
-le pauvre diable languissant sur
-un grabat, sans pain, sans rosbif et
-sans vin de Château-Margaux. A
-cette idée, son cœur se brisait. Il
-s’associait aux douleurs du pauvre
-mercenaire. Pour la première fois<span class="pagenum"><a name="Page_193" id="Page_193">[193]</a></span>
-de sa vie, il fut ému du malheur
-d’autrui:</p>
-
-<p>&mdash;Docteur, cher docteur, s’écria-t-il
-en serrant la main de M. Bernier,
-je donnerais tout mon bien pour
-sauver ce brave jeune homme!</p>
-
-<p>Cinq jours après, le mal avait
-encore empiré. Le nez n’était plus
-qu’une pellicule flexible, pliant sous
-le poids des lunettes, lorsque M.
-Bernier vint dire qu’il avait trouvé
-l’Auvergnat.</p>
-
-<p>&mdash;Victoire! s’écria M. L’Ambert.</p>
-
-<p>Le chirurgien haussa les épaules
-et répondit que la victoire lui paraissait
-au moins douteuse.</p>
-
-<p>&mdash;Ma théorie, dit-il, est pleinement
-confirmée, et, comme physiologiste,<span class="pagenum"><a name="Page_194" id="Page_194">[194]</a></span>
-j’ai tout lieu de me déclarer
-satisfait; mais, comme médecin, je
-voudrais vous guérir, et l’état où
-j’ai trouvé ce malheureux me laisse
-peu d’espérance.</p>
-
-<p>&mdash;Vous le sauverez, cher docteur!</p>
-
-<p>&mdash;D’abord, il ne m’appartient pas.
-Il est dans le service d’un de mes
-confrères, qui l’étudie avec une certaine
-curiosité.</p>
-
-<p>&mdash;On vous le cédera! nous l’achèterons,
-s’il le faut.</p>
-
-<p>&mdash;Y songez-vous! Un médecin
-ne vend pas ses malades. Il les tue
-quelquefois, dans l’intérêt de la
-science, pour voir ce qu’ils ont dans
-le corps. Mais en faire un objet de
-commerce, jamais! Mon ami Fogatier<span class="pagenum"><a name="Page_195" id="Page_195">[195]</a></span>
-me donnera peut-être votre
-Auvergnat; mais le drôle est bien
-malade, et, pour comble de disgrâce,
-il a pris la vie en tel dégoût qu’il
-ne veut pas guérir. Il jette tous les
-médicaments. Quant à la nourriture,
-tantôt il se plaint de n’en pas avoir
-assez, et réclame à grands cris la
-portion entière, tantôt il refuse ce
-qu’on lui donne et demande à mourir
-de faim.</p>
-
-<p>&mdash;Mais c’est un crime! Je lui
-parlerai! je lui ferai entendre le
-langage de la morale et de la religion!
-Où est-il?</p>
-
-<p>&mdash;A l’Hôtel-Dieu, salle Saint-Paul,
-n<sup>o</sup> 10.</p>
-
-<p>&mdash;Vous avez votre voiture en bas?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_196" id="Page_196">[196]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Oui.</p>
-
-<p>&mdash;Eh bien, partons. Ah! le scélérat
-qui veut mourir! Il ne sait
-donc pas que tous les hommes sont
-frères!</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_197" id="Page_197">[197]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<h2 class="p4">VI<br /><br />
-<span class="pch">HISTOIRE D’UNE PAIRE DE LUNETTES
-ET CONSÉQUENCES D’UN
-RHUME DE CERVEAU</span></h2>
-
-<p class="drop-cap06">JAMAIS aucun prédicateur, jamais
-Bossuet ou Fénelon, jamais Massillon
-ou Fléchier, jamais M. Mermilliod
-lui-même ne dépensa dans
-sa chaire une éloquence plus forte et
-plus onctueuse à la fois que M. Alfred
-L’Ambert au chevet de Romagné. Il
-s’adressa d’abord à la raison, puis à la
-conscience, et finalement au cœur de
-son malade. Il mit en œuvre le profane<span class="pagenum"><a name="Page_198" id="Page_198">[198]</a></span>
-et le sacré, cita les textes saints et les
-philosophes. Il fut puissant et doux,
-sévère et paternel, logique, caressant
-et même plaisant. Il lui prouva que
-le suicide est le plus honteux de tous
-les crimes, et qu’il faut être bien lâche
-pour affronter volontairement la mort.
-Il risqua même une métaphore aussi
-nouvelle que hardie en comparant le
-suicidé au déserteur qui abandonne son
-poste sans la permission du caporal.</p>
-
-<p>L’Auvergnat, qui n’avait rien pris
-depuis vingt-quatre heures, paraissait
-buté à son idée. Il se tenait immobile
-et têtu devant la mort comme un âne
-devant un pont. Aux arguments les
-plus serrés, il répondait avec une
-douceur impassible:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_199" id="Page_199">[199]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Ch’est pas la peine, mouchu
-L’Ambert; y a trop de migère en
-che monde.</p>
-
-<p>&mdash;Eh! mon ami, mon pauvre
-ami! la misère est d’institution
-divine. Elle est créée tout exprès
-pour exciter la charité chez les riches
-et la résignation chez les pauvres.</p>
-
-<p>&mdash;Les riches? J’ai demandé de
-l’ouvrage, et tout le monde m’en a
-refugé. J’ai demandé la charité, on
-m’a menaché du chargent de ville!</p>
-
-<p>&mdash;Que ne vous adressiez-vous à
-vos amis? A moi, par exemple!
-à moi qui vous veux du bien! à moi
-qui ai de votre sang dans les veines!</p>
-
-<p>&mdash;Ch’est cha! pour que vous me
-fachiez encore flanquer à la porte!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_200" id="Page_200">[200]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Ma porte vous sera toujours
-ouverte, comme ma bourse, comme
-mon cœur!</p>
-
-<p>&mdash;Chi vous m’aviez cheulement
-donné chinquante francs pour racheter
-un tonneau d’occagion!</p>
-
-<p>&mdash;Mais, animal!... cher animal,
-veux-je dire ... permets-moi de te
-rudoyer un peu, comme dans les
-temps où tu partageais mon lit et
-ma table! ce n’est pas cinquante
-francs que je te donnerai, c’est mille,
-deux mille, dix mille! c’est ma fortune
-entière que je veux partager
-avec toi ... au prorata de nos besoins
-respectifs. Il faut que tu vives! il
-faut que tu sois heureux! Voici le
-printemps qui revient, avec son<span class="pagenum"><a name="Page_201" id="Page_201">[201]</a></span>
-cortège de fleurs et la douce musique
-des oiseaux dans les branches.
-Aurais-tu bien le cœur d’abandonner
-tout cela? Songe à la douleur de tes
-braves parents, de ton vieux père,
-qui t’attend au pays; de tes frères
-et de tes sœurs! Songe à ta mère,
-mon ami! Celle-là ne te survivrait
-pas. Tu les reverras tous! Ou plutôt
-non: tu dois rester à Paris, sous
-mes yeux, dans mon intimité la
-plus étroite. Je veux te voir heureux,
-marié à une bonne petite
-femme, père de deux ou trois jolis
-enfants. Tu souris! Prends ce potage.</p>
-
-<p>&mdash;Merchi bien, mouchu L’Ambert.
-Gardez la choupe; il n’en faut plus. Y
-a trop de migère en che monde!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_202" id="Page_202">[202]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Mais quand je te jure que tes
-mauvais jours sont finis! quand je me
-charge de ton avenir, foi de notaire!
-Si tu consens à vivre, tu ne souffriras
-plus, tu ne travailleras plus, tes années
-se composeront de trois cent soixante-cinq
-dimanches!</p>
-
-<p>&mdash;Et pas de lundis?</p>
-
-<p>&mdash;De lundis, si tu le préfères. Tu
-mangeras, tu boiras, tu fumeras des
-cabañas à trente sous pièce! Tu seras
-mon commensal, mon inséparable, un
-autre moi-même. Veux-tu vivre, Romagné,
-pour être un autre moi-même?</p>
-
-<p>&mdash;Non! tant pis. Pichque j’ai
-commenché à mourir, autant finir
-tout de chuite.</p>
-
-<p>&mdash;Ah! c’est ainsi! Eh bien, je te<span class="pagenum"><a name="Page_203" id="Page_203">[203]</a></span>
-dirai, triple brute! à quel destin tu
-te condamnes! Il ne s’agit pas seulement
-des peines éternelles que chaque
-minute de ton obstination rapproche
-de toi. Mais, en ce monde, ici même,
-demain, aujourd’hui peut-être, avant
-d’aller pourrir dans la fosse commune,
-tu seras porté à l’amphithéâtre. On
-te jettera sur une table de pierre, on
-découpera ton corps en morceaux. Un
-carabin fendra à coups de hache
-ta grosse tête de mulet; un autre
-fouillera ta poitrine à grands coups
-de scalpel pour vérifier s’il y a un
-cœur dans cette stupide enveloppe;
-un autre ...</p>
-
-<p>&mdash;Grâche, grâche, mouchu L’Ambert!
-je ne veux pas être coupé en<span class="pagenum"><a name="Page_204" id="Page_204">[204]</a></span>
-morcheaux! j’aime mieux manger la
-choupe!</p>
-
-<p>Trois jours de soupe et la force
-de sa constitution le tirèrent de ce
-mauvais pas. On put le transporter
-en voiture jusqu’à l’hôtel de la rue de
-Verneuil. M. L’Ambert l’y installa
-lui-même, avec des attentions maternelles.
-Il lui donna le logement de son
-propre valet de chambre, pour l’avoir
-plus près de lui. Durant un mois, il
-remplit les fonctions de garde-malade
-et passa même plusieurs nuits.</p>
-
-<p>Ces fatigues, au lieu d’altérer sa
-santé, rendirent la fraîcheur et l’éclat
-à son visage. Plus il s’exténuait à
-soigner le pauvre diable, plus son
-nez reprenait de couleur et de force.<span class="pagenum"><a name="Page_205" id="Page_205">[205]</a></span>
-Sa vie se partageait entre l’étude,
-l’Auvergnat et le miroir. C’est dans
-cette période qu’il écrivit un jour
-par distraction sur le brouillon d’un
-acte de vente: «Il est doux de faire le
-bien!» Maxime un peu vieille en
-elle-même, mais tout à fait nouvelle
-pour lui.</p>
-
-<p>Lorsque Romagné fut décidément
-en convalescence, son hôte et son
-sauveur, qui lui avait taillé tant
-de mouillettes et découpé tant de
-biftecks, lui dit:</p>
-
-<p>&mdash;A partir d’aujourd’hui, nous dînerons
-tous les jours ensemble. Si pourtant
-tu préférais manger à l’office,
-tu y serais aussi bien nourri, et tu
-t’amuserais davantage.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_206" id="Page_206">[206]</a></span></p>
-
-<p>Romagné, en homme de bon sens,
-opta pour l’office.</p>
-
-<p>Il y prit ses habitudes et s’y
-conduisit de façon à gagner tous les
-cœurs. Au lieu de se prévaloir de
-l’amitié du maître, il fut plus modeste
-et plus doux que le petit marmiton.
-C’était un domestique que M. L’Ambert
-avait donné à ses gens. Tout le
-monde usait de lui, raillait son accent,
-et lui allongeait des tapes amicales:
-personne ne songeait à lui payer des
-gages. M. L’Ambert le surprit quelquefois
-tirant de l’eau, déplaçant
-de gros meubles ou frottant les
-parquets. Dans ces occasions, ce
-bon maître lui tirait l’oreille et lui
-disait:</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_207" id="Page_207">[207]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Amuse-toi, j’y consens; mais ne
-te fatigue pas trop!</p>
-
-<p>Le pauvre garçon était confus de
-tant de bontés et se retirait dans sa
-chambre pour pleurer de tendresse.</p>
-
-<p>Il ne put la garder longtemps, cette
-chambrette propre et commode qui
-touchait à l’appartement du maître.
-M. L’Ambert fit entendre délicatement
-que son valet de chambre lui
-manquait beaucoup, et Romagné demanda
-lui-même la permission de
-loger sous les combles. On s’empressa
-de faire droit à sa requête; il obtint
-un chenil dont les filles de cuisine
-n’avaient jamais voulu.</p>
-
-<p>Un sage a dit: «Heureux les
-peuples qui n’ont pas d’histoire!»<span class="pagenum"><a name="Page_208" id="Page_208">[208]</a></span>
-Sébastien Romagné fut heureux trois
-mois. C’est au commencement de juin
-qu’il eut une histoire. Son cœur, longtemps
-invulnérable, fut entamé par
-les flèches de l’Amour. L’ancien
-porteur d’eau se livra pieds et poings
-liés au dieu qui perdit Troie. Il
-s’aperçut, en épluchant des légumes,
-que la cuisinière avait de beaux petits
-yeux gris avec de belles grosses joues
-écarlates. Un soupir à renverser les
-tables fut le premier symptôme de
-son mal. Il voulut s’expliquer; la
-parole lui mourut dans la gorge. A
-peine s’il osa prendre sa Dulcinée par
-la taille et l’embrasser sur les lèvres,
-tant sa timidité était excessive.</p>
-
-<p>On le comprit à demi-mot. La<span class="pagenum"><a name="Page_209" id="Page_209">[209]</a></span>
-cuisinière était une personne capable,
-plus âgée que lui de sept à huit ans,
-et moins dépaysée sur la carte du
-Tendre.</p>
-
-<p>&mdash;Je vois ce que c’est, lui dit-elle:
-vous avez envie de vous marier avec
-moi. Eh bien, mon garçon, nous
-pouvons nous entendre, si vous avez
-quelque chose devant vous.</p>
-
-<p>Il répondit naïvement qu’il avait
-devant lui tout ce qu’on peut demander
-à un homme, c’est-à-dire
-deux bras robustes et accoutumés au
-travail. Demoiselle Jeannette lui rit
-au nez et parla plus clairement; il
-éclata de rire à son tour et dit avec la
-plus aimable confiance:</p>
-
-<p>&mdash;Ch’est de l’argent qu’il faut<span class="pagenum"><a name="Page_210" id="Page_210">[210]</a></span>
-pour cha? Vous auriez dû le dire
-tout de chuite. J’en ai gros comme
-moi, de l’argent! Combien ch’est-il
-que vous en voulez? Dites la chomme.
-Par eggemple, la moitié de la fortune
-de mouchu L’Ambert, cha cherait-il
-chuffigeant?</p>
-
-<p>&mdash;Moitié de la fortune de monsieur?</p>
-
-<p>&mdash;Chertainement. Il me l’a dit
-plus de chent fois. J’ai la moitié de cha
-fortune, mais nous n’avons pas encore
-partagé l’argent: il me le garde.</p>
-
-<p>&mdash;Des bêtises!</p>
-
-<p>&mdash;Des bétiges? Tenez, le voichi
-qui rentre. Je vas lui demander mon
-compte, et je vous apporte les gros
-chous à la cuigine.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_211" id="Page_211">[211]</a></span></p>
-
-<p>Pauvre innocent! il obtint de
-son maître une bonne leçon de haute
-grammaire sociale. M. L’Ambert lui
-enseigna que promettre et tenir ne
-sont point synonymes; il daigna lui
-expliquer (car il était en belle
-humeur) les mérites et les dangers de
-la figure appelée hyperbole. Finalement,
-il lui dit avec une douceur
-ferme et qui n’admettait point de
-réplique:</p>
-
-<p>&mdash;Romagné, j’ai beaucoup fait
-pour vous; je veux faire davantage
-encore en vous éloignant de cet hôtel.
-Le simple bon sens vous dit que
-vous n’y êtes pas en qualité de maître;
-j’ai trop de bonté pour admettre que
-vous y restiez comme valet; enfin, je<span class="pagenum"><a name="Page_212" id="Page_212">[212]</a></span>
-croirais vous rendre un mauvais
-service en vous maintenant dans une
-situation mal définie qui pervertirait
-vos habitudes et fausserait votre esprit.
-Encore une année de cette vie
-oisive et parasite, et vous perdrez le
-goût du travail. Vous deviendrez un
-déclassé. Or, je dois vous dire que les
-déclassés sont le fléau de notre époque.
-Mettez la main sur votre conscience,
-et dites-moi si vous consentiriez à
-devenir le fléau de votre époque?
-Pauvre malheureux! N’avez-vous
-pas regretté plus d’une fois le titre
-d’ouvrier, votre noblesse à vous? Car
-vous êtes de ceux que Dieu a créés
-pour s’ennoblir par les sueurs utiles;
-vous appartenez à l’aristocratie du<span class="pagenum"><a name="Page_213" id="Page_213">[213]</a></span>
-travail. Travaillez donc; non plus
-comme autrefois, dans les privations
-et le doute, mais dans une sécurité
-que je garantis et dans une abondance
-proportionnée à vos modestes besoins.
-C’est moi qui fournirai aux dépenses
-du premier établissement, c’est moi
-qui vous procurerai de l’ouvrage. Si,
-par impossible, les moyens d’existence
-venaient à vous manquer, vous trouveriez
-des ressources chez moi. Mais
-renoncez à l’absurde projet d’épouser
-ma cuisinière, car vous ne devez pas
-lier votre sort au sort d’une servante,
-et je ne veux pas d’enfants dans la
-maison!</p>
-
-<p>L’infortuné pleura de tous ses yeux
-et se répandit en actions de grâces. Je<span class="pagenum"><a name="Page_214" id="Page_214">[214]</a></span>
-dois dire, à la décharge de M.
-L’Ambert, qu’il fit les choses assez
-proprement. Il habilla Romagné tout
-à neuf, meubla pour lui une chambre
-au cinquième, dans une vieille maison
-de la rue du Cherche-Midi, et lui
-donna cinq cents francs pour vivre en
-attendant l’ouvrage. Et huit jours ne
-s’étaient pas écoulés, qu’il le fit entrer
-comme manœuvre chez un fort miroitier
-de la rue de Sèvres.</p>
-
-<p>Il se passa longtemps, six mois
-peut-être, sans que le nez du notaire
-donnât aucune nouvelle de son fournisseur.
-Mais, un jour que l’officier
-ministériel, en compagnie de son
-maître clerc, déchiffrait les parchemins
-d’une noble et riche famille,<span class="pagenum"><a name="Page_215" id="Page_215">[215]</a></span>
-ses lunettes d’or se brisèrent par
-le milieu et tombèrent sur la table.</p>
-
-<p>Ce petit accident le dérangea fort
-peu. Il prit un pince-nez à ressort
-d’acier et fit changer les lunettes sur
-le quai des Orfèvres. Son opticien
-ordinaire, M. Luna, s’empressa d’envoyer
-mille excuses, avec une paire
-de lunettes neuves qui se brisèrent au
-même endroit, dans les vingt-quatre
-heures.</p>
-
-<p>Une troisième paire eut le même
-sort; une quatrième vint ensuite et se
-brisa pareillement. L’opticien ne savait
-plus quelle formule d’excuse il devait
-prendre. Dans le fond de son âme, il
-était persuadé que M. L’Ambert avait
-tort. Il disait à sa femme, en lui<span class="pagenum"><a name="Page_216" id="Page_216">[216]</a></span>
-montrant le dégât des quatre journées:</p>
-
-<p>&mdash;Ce jeune homme n’est pas
-raisonnable; il porte des verres n<sup>o</sup> 4,
-qui sont forcément très lourds; il
-veut, par coquetterie, une monture
-mince comme un fil, et je suis sûr
-qu’il brutalise ses lunettes comme si
-elles étaient de fer battu. Si je lui fais
-une observation, il se fâchera; mais
-je vais lui envoyer quelque chose de
-plus fort en monture.</p>
-
-<p>Madame Luna trouva l’idée excellente;
-mais la cinquième paire de
-lunettes eut le sort des quatre premières.
-Cette fois, M. L’Ambert se
-fâcha tout rouge, quoiqu’on ne lui
-eût fait aucune observation, et transporta<span class="pagenum"><a name="Page_217" id="Page_217">[217]</a></span>
-sa clientèle à une maison
-rivale.</p>
-
-<p>Mais on aurait dit que tous les
-opticiens de Paris s’étaient donné le
-mot pour casser leurs lunettes sur le
-nez du pauvre millionnaire. Une
-douzaine de paires y passa. Et le plus
-merveilleux de l’affaire, c’est que le
-pince-nez à ressort d’acier qui remplissait
-les interrègnes se maintint
-ferme et vigoureux.</p>
-
-<p>Vous savez que la patience n’était
-pas la vertu favorite de M. Alfred
-L’Ambert. Il trépignait un jour sur
-une paire de lunettes, qu’il écrasait à
-coups de talon, quand le docteur
-Bernier se fit annoncer chez lui.</p>
-
-<p>&mdash;Parbleu! s’écria le notaire, vous<span class="pagenum"><a name="Page_218" id="Page_218">[218]</a></span>
-arrivez à point. Je suis ensorcelé, le
-diable m’emporte!</p>
-
-<p>Les regards du docteur se portèrent
-naturellement sur le nez de son
-malade. L’objet lui parut sain, de
-bonne mine, et frais comme une
-rose.</p>
-
-<p>&mdash;Il me semble, dit-il, que nous
-allons tout à fait bien.</p>
-
-<p>&mdash;Moi? Sans doute; mais ces
-maudites lunettes ne veulent pas
-aller!</p>
-
-<p>Il conta son histoire, et M. Bernier
-devint rêveur.</p>
-
-<p>&mdash;Il y a de l’Auvergnat dans votre
-affaire. Avez-vous ici une monture
-brisée?</p>
-
-<p>&mdash;En voici une sous mes pieds.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_219" id="Page_219">[219]</a></span></p>
-
-<p>M. Bernier la ramassa, l’examina
-à la loupe et crut voir que l’or était
-comme argenté aux environs de la
-cassure.</p>
-
-<p>&mdash;Diable! dit-il. Est-ce que Romagné
-aurait fait des sottises?</p>
-
-<p>&mdash;Quelles sottises voulez-vous
-qu’il fasse?</p>
-
-<p>&mdash;Il est toujours chez vous?</p>
-
-<p>&mdash;Non; le drôle m’a quitté. Il
-travaille en ville.</p>
-
-<p>&mdash;J’espère que, cette fois, vous avez
-pris son adresse.</p>
-
-<p>&mdash;Sans doute. Voulez-vous le
-voir?</p>
-
-<p>&mdash;Le plus tôt sera le mieux.</p>
-
-<p>&mdash;Il y a donc péril en la demeure?
-Cependant je me porte bien!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_220" id="Page_220">[220]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Allons d’abord chez Romagné.</p>
-
-<p>Un quart d’heure après, ces messieurs
-descendirent à la porte de
-MM. Taillade et C<sup>ie</sup>, rue de Sèvres.
-Une grande enseigne découpée dans
-des morceaux de glace indiquait le
-genre d’industrie pratiqué dans la
-maison.</p>
-
-<p>&mdash;Nous y voici, dit le notaire.</p>
-
-<p>&mdash;Quoi! votre homme est-il donc
-employé là dedans?</p>
-
-<p>&mdash;Sans doute. C’est moi qui l’y
-ai fait entrer.</p>
-
-<p>&mdash;Allons, il y a moins de mal que
-je ne pensais. Mais, c’est égal, vous
-avez commis une fière imprudence!</p>
-
-<p>&mdash;Que voulez-vous dire?</p>
-
-<p>&mdash;Entrons d’abord.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_221" id="Page_221">[221]</a></span></p>
-
-<p>Le premier individu qu’ils rencontrèrent
-dans l’atelier fut l’Auvergnat
-en bras de chemise, manches retroussées,
-étamant une glace.</p>
-
-<p>&mdash;Là! dit le docteur, je l’avais
-bien prévu.</p>
-
-<p>&mdash;Mais quoi donc?</p>
-
-<p>&mdash;On étame les glaces avec une
-couche de mercure emprisonnée sous
-une feuille d’étain. Comprenez-vous?</p>
-
-<p>&mdash;Pas encore.</p>
-
-<p>&mdash;Votre animal est fourré là
-dedans jusqu’aux coudes. Que dis-je!
-il en a bien jusqu’aux aisselles.</p>
-
-<p>&mdash;Je ne vois pas la liaison ...</p>
-
-<p>&mdash;Vous ne voyez pas que votre
-nez étant une fraction de son bras, et
-l’or ayant une tendance déplorable à<span class="pagenum"><a name="Page_222" id="Page_222">[222]</a></span>
-s’amalgamer avec le mercure, il vous
-sera toujours impossible de garder vos
-lunettes?</p>
-
-<p>&mdash;Sapristi!</p>
-
-<p>&mdash;Mais vous avez la ressource de
-porter des lunettes d’acier.</p>
-
-<p>&mdash;Je n’y tiens pas.</p>
-
-<p>&mdash;A ce prix, vous ne risquez rien,
-sauf peut-être quelques accidents
-mercuriels.</p>
-
-<p>&mdash;Ah! mais non! J’aime mieux
-que Romagné fasse autre chose. Ici,
-Romagné! Laisse-moi ta besogne et
-viens-t’en vite avec nous! Mais veux-tu
-bien finir, animal! Tu ne sais pas
-à quoi tu m’exposes!</p>
-
-<p>Le patron de l’atelier était accouru
-au bruit. M. L’Ambert se nomma<span class="pagenum"><a name="Page_223" id="Page_223">[223]</a></span>
-d’un ton d’importance et rappela qu’il
-avait recommandé cet homme par
-l’entremise de son tapissier. M.
-Taillade répondit qu’il s’en souvenait
-parfaitement. C’était même pour se
-rendre agréable à M. L’Ambert et
-mériter sa bienveillance, qu’il avait
-promu son manœuvre au grade d’étameur.</p>
-
-<p>&mdash;Depuis quinze jours? s’écria
-M. L’Ambert.</p>
-
-<p>&mdash;Oui, monsieur. Vous le saviez
-donc?</p>
-
-<p>&mdash;Je ne le sais que trop! Ah!
-monsieur, comment peut-on jouer
-avec des choses si sacrées?</p>
-
-<p>&mdash;J’ai ...?</p>
-
-<p>&mdash;Non, rien. Mais, dans mon<span class="pagenum"><a name="Page_224" id="Page_224">[224]</a></span>
-intérêt, dans le vôtre, dans l’intérêt de
-la société tout entière, remettez-le où
-il était! ou plutôt, non; rendez-le-moi,
-que je l’emmène. Je payerai ce
-qu’il faudra, mais le temps presse.
-Ordonnance du médecin!... Romagné,
-mon ami, il faut me suivre.
-Votre fortune est faite; tout ce que
-j’ai vous appartient!... Non! Mais
-venez quand même; je vous jure que
-vous serez content de moi!</p>
-
-<p>Il lui laissa à peine le temps de se
-vêtir et l’entraîna comme une proie.
-M. Taillade et ses ouvriers le prirent
-pour un fou. Le bon Romagné levait
-les yeux au ciel et se demandait, tout
-en marchant, ce qu’on voulait encore
-de lui.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_225" id="Page_225">[225]</a></span></p>
-
-<p>Son destin fut débattu dans la voiture,
-tandis qu’il gobait les mouches
-auprès du cocher.</p>
-
-<p>&mdash;Mon cher malade, disait le
-docteur au millionnaire, il faut garder
-à vue ce garçon-là. Je comprends que
-vous l’ayez renvoyé de chez vous,
-car il n’est pas d’un commerce très
-agréable; mais il ne fallait pas le
-placer si loin, ni rester si longtemps
-sans faire prendre de ses nouvelles.
-Logez-le rue de Beaune ou rue de
-l’Université, à proximité de votre
-hôtel. Donnez-lui un état moins
-dangereux pour vous, ou plutôt, si
-vous voulez bien faire, servez-lui une
-petite pension sans lui donner aucun
-état: s’il travaille, il se fatigue, il<span class="pagenum"><a name="Page_226" id="Page_226">[226]</a></span>
-s’expose; je ne connais pas de métier
-où l’homme ne risque sa peau; un
-accident est si vite arrivé! Donnez-lui
-de quoi vivre sans rien faire.
-Toutefois, gardez-vous bien de le
-mettre trop à l’aise! Il boirait encore,
-et vous savez ce qui vous en
-revient. Une centaine de francs par
-mois, le loyer payé, voilà ce qu’il
-lui faut.</p>
-
-<p>&mdash;C’est peut-être beaucoup ...:
-non pour la somme; mais je voudrais
-lui donner de quoi manger sans lui
-donner de quoi boire.</p>
-
-<p>&mdash;Va donc pour quatre louis,
-payables en quatre fois, le mardi de
-chaque semaine.</p>
-
-<p>On offrit à Romagné une pension<span class="pagenum"><a name="Page_227" id="Page_227">[227]</a></span>
-de quatre-vingts francs par mois; mais,
-pour le coup, il se fit tirer l’oreille.</p>
-
-<p>&mdash;Tout cha? dit-il avec mépris.
-Ch’était pas la peine de m’ôter de la
-rue de Chèvres; j’avais trois francs
-dix chous par jour et j’envoyais de
-l’argent à ma famille. Laichez-moi
-travailler dans les glaches, ou donnez-moi
-trois francs dix chous!</p>
-
-<p>Il fallut bien en passer par là,
-puisqu’il était le maître de la situation.</p>
-
-<p>M. L’Ambert s’aperçut bientôt
-qu’il avait pris le bon parti. L’année
-s’écoula sans accident d’aucune sorte.
-On payait Romagné toutes les semaines
-et on le surveillait tous les
-jours. Il vivait honnêtement, doucement,<span class="pagenum"><a name="Page_228" id="Page_228">[228]</a></span>
-sans autre passion que le jeu
-de quilles. Et les beaux yeux de
-mademoiselle Irma Steimbourg se
-reposaient avec une complaisance
-visible sur le nez rose et blanc de
-l’heureux millionnaire.</p>
-
-<p>Ces deux jeunes gens dansèrent
-ensemble tous les cotillons de l’hiver.
-Aussi le monde les mariait. Un soir,
-à la sortie du Théâtre-Italien, le
-vieux marquis de Villemaurin arrêta
-M. L’Ambert sous le péristyle:</p>
-
-<p>&mdash;Eh bien, lui dit-il, à quand la
-noce?</p>
-
-<p>&mdash;Mais, monsieur le marquis, je
-n’ai encore ouï parler de rien.</p>
-
-<p>&mdash;Attendez-vous donc qu’on vous
-demande en mariage? C’est à<span class="pagenum"><a name="Page_229" id="Page_229">[229]</a></span>
-l’homme à parler, morbleu! Le
-petit duc de Lignant, un vrai gentilhomme
-et un <i>bon</i>, n’a pas attendu
-que je lui offrisse ma fille, lui! Il est
-venu, il a plu, c’est conclu. D’aujourd’hui
-en huit, nous signons le
-contrat. Vous savez, mon cher garçon,
-que cette affaire vous regarde.
-Laissez-moi mettre ces dames en
-voiture et nous irons jusqu’au cercle
-en causant. Mais couvrez-vous donc,
-que diable! Je ne voyais pas que
-vous teniez votre chapeau à la main.
-Il y a de quoi s’enrhumer vingt fois
-pour une!</p>
-
-<p>Le vieillard et le jeune homme
-cheminèrent côte à côte jusqu’au
-boulevard, l’un parlant, l’autre écoutant.<span class="pagenum"><a name="Page_230" id="Page_230">[230]</a></span>
-Et M. L’Ambert rentra chez lui
-pour rédiger de mémoire le contrat
-de mademoiselle Charlotte-Auguste
-de Villemaurin. Mais il s’était bel et
-bien enrhumé; il n’y avait plus à
-s’en dédire. L’acte fut minuté par le
-maître clerc, revu par les hommes
-d’affaires des deux fiancés et transcrit
-définitivement sur un beau cahier de
-papier timbré où il ne manquait plus
-que les signatures.</p>
-
-<p>Au jour dit, M. L’Ambert, esclave
-du devoir, se transporta en personne
-à l’hôtel de Villemaurin, malgré un
-coryza persistant qui lui faisait sortir
-les yeux de la tête. Il se moucha
-une dernière fois dans l’antichambre,
-et les laquais tressaillirent sur leurs<span class="pagenum"><a name="Page_231" id="Page_231">[231]</a></span>
-banquettes, comme s’ils avaient entendu
-la trompette du jugement dernier.</p>
-
-<p>On annonça M. L’Ambert. Il avait
-ses lunettes d’or et souriait gravement,
-comme il sied en pareille
-occurrence.</p>
-
-<p>Bien cravaté, ganté juste, chaussé
-d’escarpins comme un danseur, le
-chapeau sous le bras gauche, le contrat
-dans la main droite, il vint
-rendre ses devoirs à la marquise, fendit
-modestement le cercle dont elle
-était environnée, s’inclina devant elle
-et lui dit:</p>
-
-<p>&mdash;Madame la marquige, j’apporte
-le contrat de vochtre damigelle.</p>
-
-<p>Madame de Villemaurin leva sur<span class="pagenum"><a name="Page_232" id="Page_232">[232]</a></span>
-lui deux grands yeux ébahis. Un
-léger murmure circula dans l’auditoire.
-M. L’Ambert salua de nouveau
-et reprit:</p>
-
-<p>&mdash;Chaprichti! madame la marquige,
-ch’est cha qui va-t-être un
-beau jour pour la june perchonne!</p>
-
-<p>Une main vigoureuse le saisit par
-le bras gauche et le fit pirouetter
-sur lui-même. A cette pantomime,
-il reconnut la vigueur du marquis.</p>
-
-<p>&mdash;Mon cher notaire, lui dit le
-vieillard en le traînant dans un coin,
-le carnaval permet sans doute bien
-des choses; mais rappelez-vous chez
-qui vous êtes et changez de ton, s’il
-vous plaît.</p>
-
-<p>&mdash;Mais, mouchu le marquis ...</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_233" id="Page_233">[233]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Encore!... Vous voyez que je
-suis patient; n’abusez pas. Allez faire
-vos excuses à la marquise, lisez-nous
-votre contrat, et bonsoir.</p>
-
-<p>&mdash;Pourquoi des échecuges, et
-pourquoi le bonchoir? On dirait que
-j’ai fait des bêtiges, fouchtra!</p>
-
-<p>Le marquis ne répondit rien, mais
-il fit un signe aux valets qui circulaient
-dans le salon. La porte d’entrée
-s’ouvrit, et l’on entendit une
-voix qui criait dans l’antichambre.</p>
-
-<p>&mdash;Les gens de M. L’Ambert!</p>
-
-<p>Étourdi, confus, hors de lui, le
-pauvre millionnaire sortit en faisant
-des révérences et se trouva bientôt
-dans sa voiture, sans savoir pourquoi
-ni comment. Il se frappait le<span class="pagenum"><a name="Page_234" id="Page_234">[234]</a></span>
-front, s’arrachait les cheveux et se
-pinçait les bras pour s’éveiller lui-même,
-dans le cas assez probable où
-il aurait été le jouet d’un mauvais
-rêve. Mais non! il ne dormait pas;
-il voyait l’heure à sa montre, il
-lisait le nom des rues à la clarté du
-gaz, il reconnaissait l’enseigne des
-boutiques. Qu’avait-il dit? qu’avait-il
-fait? quelles convenances avait-il
-violées? quelle maladresse ou quelle
-sottise avait pu lui attirer ce traitement?
-Car enfin le doute n’était pas
-possible: on l’avait bien mis à la
-porte de chez M. de Villemaurin.
-Et le contrat de mariage était là,
-dans sa main! ce contrat, rédigé
-avec tant de soin, en si bon style,<span class="pagenum"><a name="Page_235" id="Page_235">[235]</a></span>
-et dont on n’avait pas entendu la
-lecture!</p>
-
-<p>Il était dans sa cour avant d’avoir
-trouvé la solution de ce problème.
-La figure de son concierge lui inspira
-une idée lumineuse:</p>
-
-<p>&mdash;Chinguet! cria-t-il.</p>
-
-<p>Le petit Singuet maigre accourut.</p>
-
-<p>&mdash;Chinguet, chent francs pour
-toi chi tu me dit chinchèrement la
-vérité; chent coups de pied au
-derrière chi tu me caches quelque
-choge!</p>
-
-<p>Singuet le regarda avec surprise et
-sourit timidement.</p>
-
-<p>&mdash;Tu chouris, chans cœur! pourquoi
-chouris-tu? Réponds-moi tout
-de chuite!</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_236" id="Page_236">[236]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Mon Dieu! monsieur, dit le
-pauvre diable! je me suis permis ...
-Monsieur m’excusera ... mais monsieur
-imite si bien l’accent de Romagné!</p>
-
-<p>&mdash;L’acchent de Romagné! moi, je
-parle comme Romagné, comme un
-Oubergnat?</p>
-
-<p>&mdash;Monsieur le sait bien. Voilà
-huit jours que cela dure.</p>
-
-<p>&mdash;Mais non, fouchtra! je ne le
-chais pas.</p>
-
-<p>Singuet leva les yeux au ciel. Il
-pensa que son maître était devenu
-fou. Mais M. L’Ambert, à part ce
-maudit accent, jouissait de la plénitude
-de ses facultés. Il questionna ses
-gens les uns après les autres, et se
-persuada de son malheur.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_237" id="Page_237">[237]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;Ah! schélérat de porteur d’eau!
-s’écria-t-il, je chuis chûr qu’il aura
-fait quelque chottise! Qu’on le
-trouve! Ou plutôt non, ch’est moi
-qui vais le checouer moi-même!</p>
-
-<p>Il courut à pied jusque chez son
-pensionnaire, grimpa les cinq étages,
-frappa sans l’éveiller, fit rage, et, en
-désespoir de cause, jeta la porte en
-dedans.</p>
-
-<p>&mdash;Mouchu L’Ambert! s’écria
-Romagné.</p>
-
-<p>&mdash;Chacripant d’Oubergnat! répondit
-le notaire.</p>
-
-<p>&mdash;Fouchtra!</p>
-
-<p>&mdash;Fouchtra!</p>
-
-<p>Ils étaient à deux de jeu pour
-écorcher la langue française. Leur<span class="pagenum"><a name="Page_238" id="Page_238">[238]</a></span>
-discussion se prolongea un bon quart
-d’heure, dans le plus pur charabia,
-sans éclaircir le mystère. L’un se
-plaignait amèrement comme une
-victime; l’autre se défendait avec
-éloquence comme un innocent.</p>
-
-<p>&mdash;Attends-moi ichi, dit M. L’Ambert
-pour conclure. Mouchu Bernier,
-le médechin, me dira, che choir
-même, che que tu as fait.</p>
-
-<p>Il éveilla M. Bernier et lui conta,
-dans le style que vous savez, l’emploi
-de sa soirée. Le docteur se mit à rire
-et lui dit:</p>
-
-<p>&mdash;Voilà bien du bruit pour une
-bagatelle. Romagné est innocent;
-ne vous en prenez qu’à vous-même.
-Vous êtes resté nu-tête à la sortie<span class="pagenum"><a name="Page_239" id="Page_239">[239]</a></span>
-des Italiens; tout le mal vient de
-là. Vous êtes enrhumé du cerveau;
-donc, vous parlez du nez; donc,
-vous parlez auvergnat. C’est logique.
-Rentrez chez vous, aspirez de l’aconit,
-tenez-vous les pieds chauds et la
-tête couverte, et prenez vos précautions
-contre le coryza; car vous
-savez désormais ce qui vous pend
-au nez.</p>
-
-<p>Le malheureux revint à son hôtel
-en maugréant comme un beau diable.</p>
-
-<p>&mdash;Ainchi donc, disait-il tout haut,
-mes précauchions chont inutiles! J’ai
-beau loger, nourrir et churveiller che
-chavoyard de porteur d’eau, il me
-fera toujours des farches et je cherai
-cha victime chans pouvoir l’accuger<span class="pagenum"><a name="Page_240" id="Page_240">[240]</a></span>
-de rien; alors pourquoi tant de dépenches?
-Ma foi, tant pis! J’économige
-cha penchion!</p>
-
-<p>Aussitôt dit, aussitôt fait. Le lendemain,
-quand le pauvre Romagné,
-encore tout ahuri, vint pour toucher
-l’argent de sa semaine, Singuet le
-mit à la porte et lui annonça qu’on
-ne voulait plus rien faire pour lui.
-Il leva philosophiquement les épaules,
-en homme qui, sans avoir lu les
-épîtres d’Horace, pratique par instinct
-le <i>Nil admirari</i>. Singuet, qui
-lui voulait du bien, lui demanda ce
-qu’il comptait faire. Il répondit qu’il
-allait chercher de l’ouvrage. Aussi
-bien, cette oisiveté forcée lui pesait
-depuis longtemps.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_241" id="Page_241">[241]</a></span></p>
-
-<p>M. L’Ambert guérit de son coryza
-et s’applaudit d’avoir effacé au budget
-l’article Romagné. Aucun accident
-ne vint plus interrompre le cours de
-son bonheur. Il fit la paix avec le
-marquis de Villemaurin et avec toute
-sa clientèle du faubourg, qu’il avait
-un peu scandalisée. Libre de tout
-souci, il put se livrer sans contrainte
-au doux penchant qui l’attirait vers
-la dot de mademoiselle Steimbourg.
-Heureux L’Ambert! il ouvrit son
-cœur à deux battants et montra les
-sentiments chastes et légitimes dont
-il était rempli. La belle et savante
-jeune fille lui tendit la main à l’anglaise,
-et lui dit:</p>
-
-<p>&mdash;C’est une affaire faite. Mes<span class="pagenum"><a name="Page_242" id="Page_242">[242]</a></span>
-parents sont d’accord avec moi; je
-vous donnerai mes instructions pour
-la corbeille. Tâchons d’abréger les
-formalités pour aller en Italie avant
-la fin de l’hiver.</p>
-
-<p>L’amour lui prêta des ailes. Il
-acheta la corbeille sans marchander,
-livra aux tapissiers l’appartement
-de <i>madame</i>, commanda une voiture
-neuve, choisit deux chevaux alezans
-de la plus rare beauté, et hâta la
-publication des bans. Le dîner d’adieu
-qu’il offrit à ses amis est inscrit
-dans les fastes du café Anglais. Ses
-maîtresses reçurent ses adieux et
-ses bracelets avec une émotion contenue.</p>
-
-<p>Les lettres de part annonçaient que<span class="pagenum"><a name="Page_243" id="Page_243">[243]</a></span>
-la bénédiction nuptiale serait donnée
-à Saint-Thomas-d’Aquin, le 3 mars,
-à une heure précise. Inutile de dire
-qu’on avait le maître-autel et toute
-la mise en scène des mariages de première
-classe.</p>
-
-<p>Le 3 mars, à huit heures du matin,
-M. L’Ambert s’éveilla de lui-même,
-sourit aux premiers rayons
-d’un beau jour, prit un mouchoir
-sous son oreiller et le porta à son
-nez, afin de s’éclaircir les idées. Mais
-son nez n’était plus là, et le mouchoir
-de batiste ne rencontra que le
-vide.</p>
-
-<p>En un bond, le notaire fut devant
-une glace. Horreur et malédiction!
-(comme on dit dans les romans de<span class="pagenum"><a name="Page_244" id="Page_244">[244]</a></span>
-la vieille école). Il se vit aussi défiguré
-que s’il revenait encore de
-Parthenay. Courir à son lit, fouiller
-les draps et les couvertures, explorer
-la ruelle, sonder les matelas et le
-sommier, secouer les meubles voisins
-et mettre toute la chambre en l’air,
-fut pour lui une affaire de deux
-minutes.</p>
-
-<p>Rien! rien! rien!</p>
-
-<p>Il se pendit aux cordons de sonnette,
-appela ses gens à la rescousse et jura
-de les chasser tous comme des chiens
-si ce nez ne se retrouvait pas.
-Inutile menace! Le nez était plus
-introuvable que la Chambre de 1816.</p>
-
-<p>Deux heures se passèrent dans
-l’agitation, le désordre et le bruit.<span class="pagenum"><a name="Page_245" id="Page_245">[245]</a></span>
-Cependant, le père Steimbourg
-endossait son habit bleu à boutons
-d’or; madame Steimbourg, en toilette
-de gala, surveillait deux femmes de
-chambre et trois couturières allant,
-venant, tournant autour de la belle
-Irma. La blanche fiancée, barbouillée
-de poudre de riz comme un goujon
-avant la friture, piétinait d’impatience
-et malmenait tout le monde avec une
-admirable impartialité. Et le maire
-du dixième arrondissement, sanglé de
-son écharpe, se promenait dans une
-grande salle nue en préparant une
-petite improvisation. Et les mendiants
-privilégiés de Saint-Thomas-d’Aquin
-donnaient la chasse à deux ou trois
-intrigants venus on ne sait d’où pour<span class="pagenum"><a name="Page_246" id="Page_246">[246]</a></span>
-leur disputer la bonne aubaine. Et
-M. Henri Steimbourg, qui mâchait
-un cigare depuis une demi-heure
-dans le fumoir de son père, s’étonnait
-que le cher Alfred ne fût pas encore
-au rendez-vous.</p>
-
-<p>Il perdit patience à la fin, courut
-à la rue de Verneuil et trouva son
-beau-frère futur dans le désespoir et
-dans les larmes. Que pouvait-il lui
-dire pour le consoler d’un tel malheur?
-Il se promena longtemps
-autour de lui en répétant le mot
-sacrebleu! Il se fit conter deux fois
-le fatal événement, et sema la conversation
-de quelques sentences philosophiques.</p>
-
-<p>Et ce maudit chirurgien qui ne<span class="pagenum"><a name="Page_247" id="Page_247">[247]</a></span>
-venait pas! On l’avait mandé d’urgence;
-on avait envoyé chez lui, à
-son hôpital et partout. Il arriva pourtant,
-et comprit à première vue que
-Romagné était mort.</p>
-
-<p>&mdash;Je m’en doutais, dit le notaire
-avec un redoublement de larmes.
-Animal, coquin de Romagné!</p>
-
-<p>Ce fut l’oraison funèbre du malheureux
-Auvergnat.</p>
-
-<p>&mdash;Et maintenant, docteur, qu’allons-nous
-faire?</p>
-
-<p>&mdash;On peut trouver un nouveau
-Romagné et recommencer l’expérience;
-mais vous avez éprouvé les
-inconvénients de ce système, et, si
-vous m’en croyez, nous reviendrons
-à la méthode indienne.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_248" id="Page_248">[248]</a></span></p>
-
-<p>&mdash;La peau du front? Jamais!
-Mieux vaut encore un nez d’argent.</p>
-
-<p>&mdash;On en fait aujourd’hui de bien
-élégants, dit le docteur.</p>
-
-<p>&mdash;Reste à savoir si mademoiselle
-Irma Steimbourg consentirait à
-épouser un invalide au nez d’argent?
-Henri, mon bien bon! que vous en
-semble?</p>
-
-<p>Henri Steimbourg hochait la tête
-et ne répondait point. Il alla porter la
-nouvelle à sa famille et prendre les
-ordres de mademoiselle Irma. Cette
-aimable personne eut un mouvement
-héroïque lorsqu’elle apprit le
-malheur de son fiancé.</p>
-
-<p>&mdash;Croyez-vous donc, s’écria-t-elle,
-que je l’épouse pour sa figure? A ce<span class="pagenum"><a name="Page_249" id="Page_249">[249]</a></span>
-compte, j’aurais pris mon cousin
-Rodrigue, le maître des requêtes:
-Rodrigue était moins riche, mais
-beaucoup mieux que lui! J’ai donné
-ma main à M. L’Ambert parce qu’il
-est un galant homme, admirablement
-posé dans le monde, parce que son
-caractère, son hôtel, ses chevaux, son
-esprit, son tailleur, tout en lui me
-plaît et m’enchante. D’ailleurs, ma
-toilette est faite, et ce mariage manqué
-me perdrait de réputation. Courons
-chez lui, ma mère; je le prends tel
-qu’il est!</p>
-
-<p>Mais, lorsqu’elle fut en présence du
-mutilé, ce bel enthousiasme ne tint
-pas. Elle s’évanouit; on la força de
-revenir à elle, mais ce fut pour fondre<span class="pagenum"><a name="Page_250" id="Page_250">[250]</a></span>
-en larmes. Au milieu de ses sanglots,
-on entendit un cri qui semblait partir
-de l’âme:</p>
-
-<p>&mdash;O Rodrigue! disait-elle; j’ai été
-bien injuste envers vous!</p>
-
-<p>M. L’Ambert resta garçon. Il se fit
-faire un nez d’argent émaillé, et céda
-son étude au maître clerc. Une petite
-maison de modeste apparence était à
-vendre auprès des Invalides; il l’acheta.
-Quelques amis, bons vivants, égayèrent
-sa retraite. Il se fit une cave de choix
-et se consola comme il put. Les plus
-fines bouteilles du Château-Yquem,
-les meilleures années du clos Vougeot
-sont pour lui. Il dit quelquefois en
-plaisantant:</p>
-
-<p>&mdash;J’ai un privilège sur les autres<span class="pagenum"><a name="Page_251" id="Page_251">[251]</a></span>
-hommes: je puis boire à discrétion
-sans me rougir le nez!</p>
-
-<p>Il est resté fidèle à sa foi politique,
-il lit les bons journaux et fait des
-vœux pour le succès de Chiavone;
-mais il ne lui envoie pas d’argent.
-Le plaisir d’entasser des écus lui
-procure une ivresse assez douce. Il
-vit entre deux vins et entre deux
-millions.</p>
-
-<p>Un soir de la semaine dernière,
-comme il cheminait doucement, la
-canne à la main, sur le trottoir de la
-rue Éblé, il poussa un cri de surprise.
-L’ombre de Romagné en costume de
-velours bleu s’était dressée devant
-lui!</p>
-
-<p>Était-ce bien réellement une ombre?<span class="pagenum"><a name="Page_252" id="Page_252">[252]</a></span>
-Les ombres ne portent rien, et
-celle-là portait une malle sur des
-crochets.</p>
-
-<p>&mdash;Romagné! s’écria le notaire.</p>
-
-<p>L’autre leva les yeux et répondit
-de sa voix lourde et tranquille:</p>
-
-<p>&mdash;Bonchoir, mouchu L’Ambert.</p>
-
-<p>&mdash;Tu parles! donc, tu vis!</p>
-
-<p>&mdash;Chertainement que je vis!</p>
-
-<p>&mdash;Misérable!... Mais alors qu’as-tu
-fait de mon nez?</p>
-
-<p>Tout en parlant ainsi, il l’avait
-saisi au collet et le secouait d’importance.
-L’Auvergnat se dégagea non
-sans peine, et lui dit:</p>
-
-<p>&mdash;Laichez-moi donc tranquille!
-Est-che que je peux me défendre,
-fouchtra! Vous voyez bien que je<span class="pagenum"><a name="Page_253" id="Page_253">[253]</a></span>
-chuis manchot? Quand vous m’avez
-chupprimé ma penchion, je chuis
-entré chez un mécanichien, et j’ai eu
-le bras pinché dans un engrenage!</p>
-
-<p class="pc4 mid">FIN</p>
-
-<p class="pc4 reduct">IMPRIMERIE NELSON, ÉDIMBOURG, ÉCOSSE.</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_254" id="Page_254">[254]</a></span></p>
-
-<div class="figcenter">
- <img src="images/ill-256.jpg" width="70" height="81"
- alt=""
- title="" />
-</div>
-
-<hr class="chap" />
-
-</div>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_255" id="Page_255">[255]</a></span></p>
-
-<div class="chapter">
-
-<p class="pc4 xlarge">COLLECTION<br />
-NELSON.</p>
-
-<hr class="d1" />
-
-<p class="pc lmid"><i>Chefs-d’œuvre de la littérature.</i></p>
-
-<hr class="d1" />
-
-<p class="pc lmid">Chaque volume contient de 250 à 550 pages.</p>
-
-<hr class="d1" />
-
-<p class="pc lmid">Format commode.<br />
-Impression en caractères très lisibles<br />
-sur papier de luxe.<br />
-Illustrations hors texte.<br />
-Reliure aussi solide qu’élégante.</p>
-
-<hr class="d1" />
-
-<p class="pc lmid">Deux volumes par mois.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_256" id="Page_256">[256]</a></span></p>
-
-
-<table cellspacing="0" id="t02" summary="t02">
-
- <tr>
- <td class="tdc1"><i><span class="large">Nelson</span><br />Éditeurs<br />
-189, rue Saint-Jacques<br />
-<span class="lmid">Paris</span></i></td>
- <td class="tdc2"><i><span class="large">Calmann-Lévy</span><br />Éditeurs<br />
-3, rue Auber<br />
-<span class="lmid">Paris</span></i></td>
- </tr>
-
-</table>
-</div>
-
-
-</div>
-
-
-
-
-
-
-
-<pre>
-
-
-
-
-
-End of the Project Gutenberg EBook of Le nez d'un notaire, by Edmond About
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE NEZ D'UN NOTAIRE ***
-
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-electronic works, harmless from all liability, costs and expenses,
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-Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
-
-Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
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-Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
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-Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see
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-www.gutenberg.org
-
-
-
-Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
-
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-501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
-state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
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-Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to
-date contact information can be found at the Foundation's web site and
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