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-The Project Gutenberg EBook of Le cycle mythologique irlandais et la
-mythologie celtique, by Henri d'Arbois de Jubainville
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
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-
-
-
-Title: Le cycle mythologique irlandais et la mythologie celtique
- Cours de littérature celtique, tome II
-
-Author: Henri d'Arbois de Jubainville
-
-Release Date: December 19, 2015 [EBook #50718]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE CYCLE MYTHOLOGIQUE ***
-
-
-
-
-Produced by Madeleine Fournier. Images provided by The Internet Archive.
-
-
-
-
-COURS
-
-DE
-
-LITTÉRATURE CELTIQUE
-
-II
-
-
-
-LE CYCLE
-
-MYTHOLOGIQUE
-
-IRLANDAIS
-
-ET LA MYTHOLOGIE CELTIQUE
-
-
-PAR
-
-H. D'ARBOIS DE JUBAINVILLE
-
-PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE
-
-PARIS
-
-ERNEST THORIN, ÉDITEUR
-
-LIBRAIRE DU COLLÈGE DE FRANCE, DE L'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE DES ÉCOLES
-FRANÇAISES D'ATHÈNES ET DE ROME
-
-7, RUE DE MÉDICIS, 7
-
-1884
-
-
-
-[Pg v]PRÉFACE
-
-Un des documents le plus souvent cités sur la religion celtique est
-un passage de César, _De bello gallico_, où le conquérant de la Gaule
-raconte quels sont, suivant lui, les principaux dieux des peuples qu'il
-a vaincus dans cette contrée:
-
-«Le dieu qu'ils révèrent surtout est Mercure; ses statues sont
-nombreuses. Les Gaulois le considèrent comme l'inventeur de tous les
-arts, le guide dans les chemins et les voyages; ils lui attribuent
-une très grande influence sur les gains d'argent et sur le commerce.
-Après lui viennent Apollon, Mars, Jupiter et Minerve. De ceux-ci ils
-ont presque la même opinion que les autres nations: Apollon chasse les
-maladies; Minerve instruit les débutants dans les arts et les métiers;
-Jupiter a l'empire du ciel; Mars a celui de la guerre. Quant ils ont
-résolu de livrer bataille, ils lui consacrent d'avance par un vœu le
-butin qu'ils comptent faire[1]...»
-
-Si nous prenons ce texte au pied de la lettre, il paraît
-[Pg vi]que les Gaulois auraient eu cinq dieux presque identiques à
-autant de grands dieux romains: Mercure, Apollon, Mars, Jupiter et
-Minerve; la différence n'aurait guère consisté que dans les noms.
-Cette doctrine semble confirmée par des inscriptions romaines, où
-des noms gaulois sont juxtaposés comme épithètes ou par apposition
-aux noms de ces dieux romains. On pourrait donner de nombreux
-exemples. Nous citerons: 1° pour Mercure, les dédicaces _Mercurio
-Atusmerio_[2], _Genio Mercurii Alauni_[3], _Mercurio Touren[o]_[4],
-_Visucio Mercuri[o]_[5], _Mercurio Mocco_[6]; 2° pour Apollon, les
-dédicaces _Apollini Granno_[7], _[A]pollini Mapon[o]_[8], _Apollini
-Beleno_[9]; 3° pour Mars les dédicaces _Marti Toutati_[10], _Marti
-Belatucadro_[11], _Marti Camulo_[12], _Marti Caturigi_[13]; 4° pour
-Jupiter, les dédicaces _Jovi Taranuco_[14], _Jovi Tarano_[15]; et 5°
-pour
-[Pg vii]Minerve les dédicaces _Deæ Suli Minervæ_[16], _Minervæ
-Belisamæ_[17]. Ce sont les cinq dieux dont parle César.
-
-Avant de tirer du passage précité de César, des inscriptions que
-nous venons de mentionner et des documents analogues, une conclusion
-quelconque, il est indispensable d'en déterminer exactement le sens.
-Le texte de César commence par le mot «dieu»: _Deum maxime Mercurium
-colunt_. Que signifie le mot «dieu» dans la langue que parlait César
-quand il dictait ses _Commentaires_? Cicéron, dans son traité _De
-inventione rhetorica_, distingue entre ce qui est nécessaire ou certain
-et ce qui est probable; comme exemple de propositions probables, il
-cite celle-ci: «Ceux qui s'occupent de philosophie ne croient pas
-qu'il y ait des dieux[18].» Pour Lucrèce, les dieux sont une création
-de l'esprit humain, développée par les hallucinations du rêve[19].
-Le mot «dieu,» aux yeux de la plupart des membres de l'aristocratie
-romaine contemporains de César, désignait une conception sans valeur
-objective[20].
-
-Nous pensons pourtant être en droit d'affirmer que la langue employée
-par César dans les _Commentaires_ est celle d'un croyant; peu nous
-importe ce qu'il pouvait penser au fond de sa conscience. César est un
-homme
-[Pg viii]politique dont le but, quand il parle, est de préparer
-ses auditeurs à lui obéir quand il commandera. Il est, parmi ses
-compatriotes, un de ceux qui ont le mieux su mettre en pratique les
-vers fameux de Virgile:
-
- Tu regere imperio populos, Romane memento;
- Hæ tibi erunt artes, pacique imponere morem
- Parcere subjectis, et debellare superbos[21].
-
-Placée en face de populations qui croient à leurs dieux, l'aristocratie
-romaine, sceptique ou non, admet officiellement l'existence des dieux
-et s'en fait un moyen de gouvernement. Pour comprendre César, il faut
-admettre que, dans la langue dont il se sert, le mot «dieu» désigne
-des êtres dont l'existence réelle est considérée comme indiscutable,
-et qu'on ne peut sans erreur manifeste se figurer comme de simples
-conceptions de l'esprit humain, comme des fictions plus ou moins
-fantaisistes, plus ou moins logiques. La langue de César fut, après
-lui, celle des inscriptions romaines de la Gaule.
-
-Notre manière d'envisager les doctrines mythologiques est toute
-différente de celle qu'avaient adoptée les hommes politiques de Rome et
-les croyants qui ont dicté les inscriptions romaines de la Gaule. Nous
-ne sommes ni, comme les premiers, appelés à gouverner une population
-que des habitudes séculaires attachaient au culte de ses dieux, ni,
-comme les seconds, des païens. Les dieux des Gaulois, comme ceux des
-Romains, sont, à nos yeux, une création de l'esprit humain, inspirée à
-une population ignorante par le besoin d'expliquer le monde. Il est,
-par conséquent, très difficile de nous satisfaire,
-[Pg ix]quand on prétend démontrer que deux divinités, l'une romaine,
-née de la combinaison de la mythologie romaine et de la mythologie
-grecque, l'autre gauloise et issue du génie propre à la race celtique,
-sont identiques l'une à l'autre. Il ne suffit pas que les deux figures
-divines se superposent à peu près l'une à l'autre par quelque côté; il
-faut, sinon concordance complète, au moins accord sur tous les points
-fondamentaux.
-
-Lorsqu'il s'agit d'affirmer l'identité d'un personnage réel, on est
-beaucoup moins difficile. J'ai connu tel professeur illustre; à son
-cours j'ai admiré sa science profonde des textes, la justesse et la
-nouveauté des conclusions qu'il en tirait, l'élégante netteté de son
-langage, le charme de sa diction, l'éclat de son regard, l'animation
-de ses traits. Dans son cabinet il a achevé de me séduire par la
-bienveillance de son accueil, par la finesse de son sourire, par la
-spirituelle simplicité de sa conversation savante d'où tout pédantisme
-était absent. Ensuite, je le rencontre dans la rue. Je ne lui parle
-pas; il ne me dit rien; ses yeux, si vifs il y a un instant, sont
-mornes et ternes; rien, dans sa physionomie, ne révèle l'homme
-éminent qui se manifestait avec tant de supériorité dans la chaire du
-professeur devant un nombreux auditoire, ou au coin de la cheminée sans
-témoins pendant un entretien familier. Maintenant il semble ne penser à
-rien: que dis-je? La pensée qui l'occupe et que j'ignore est peut-être
-la plus triviale et la plus vulgaire. Mais les traits de son visage,
-tout à l'heure inspirés, en ce moment insignifiants et presque sans
-vie, offrent à mon regard un ensemble de lignes que je reconnais. Je
-m'écrie: C'est lui! et je ne me suis pas trompé.
-
-Les Romains procédaient d'une manière analogue
-[Pg x]quand il était question de leurs dieux. Leur Jupiter, par
-exemple, portait comme insigne caractéristique la foudre dans la main
-droite; les Gaulois avaient aussi un dieu qui maniait la foudre.
-Sur ce simple indice, les Romains crurent reconnaître dans le dieu
-gaulois leur Jupiter. De ce que les deux dieux, l'un national, l'autre
-étranger, avaient un attribut identique, les Romains conclurent que ces
-deux dieux n'en faisaient qu'un; ils le conclurent sans se préoccuper
-des différences que, sur d'autres points beaucoup plus importants,
-pouvaient offrir ces deux figures mythiques.
-
-Du reste, quand il s'agissait de grands dieux, qui dans le monde
-exerçaient, croyait-on, un pouvoir général, il ne pouvait pas en être
-autrement. Il était inadmissible que la foudre obéît à deux maîtres,
-l'un en Gaule, l'autre en Italie. Si l'explication qu'on donnait du
-phénomène de la foudre au sud des Alpes était bonne, il fallait bien
-qu'elle restât bonne au nord-ouest des Alpes.
-
-Le Mars romain décidait du sort des batailles. De deux choses l'une:
-ou le dieu gaulois de la guerre était identique au Mars romain, et
-dès lors son culte pouvait être maintenu dans la Gaule conquise; ou
-il était inférieur, en ce cas c'était un dieu vaincu, dont le culte
-devenait inutile.
-
-Le résultat de la conquête devait être nécessairement ou la suppression
-du culte des grands dieux gaulois, ou la confusion de ce culte avec
-le culte des grands dieux romains; et la seconde alternative était
-celle dont la réalisation était le plus facile à obtenir, puisqu'elle
-n'infligeait aux vaincus aucune humiliation. Elle avait l'avantage
-d'empêcher toute lutte religieuse entre les vaincus et les vainqueurs
-qui voulaient se les assimiler; elle
-[Pg xi]rapprochait par là l'époque de cette assimilation. La confusion
-des deux cultes était par conséquent la solution qu'un homme politique
-devait préférer.
-
-César a donc affirmé l'identité de cinq grands dieux de Rome avec les
-grands dieux de la Gaule, et cette identité a été admise après César.
-Elle l'a été d'autant plus facilement que les Romains croyant à la
-réalité de leurs dieux se contentaient pour les reconnaître d'attributs
-tout à fait secondaires; alors, avant de prononcer que deux divinités
-sont identiques, on ne se livrait point à l'enquête minutieuse
-qu'entreprend de nos jours tout savant qui applique à l'étude de la
-mythologie les procédés de l'érudition moderne.
-
-Notre conclusion sera par conséquent celle-ci:
-
-Nous ne pouvons accepter sans vérification les assertions de César
-d'où l'on semblerait en droit de conclure que la religion des Gaulois
-et celle des Romains étaient à peu près les mêmes. Il faut consulter
-d'autres textes que celui par la citation duquel nous avons commencé,
-et que les inscriptions qui semblent être la confirmation de ce
-document. Telle est la raison qui nous a fait entreprendre le travail
-contenu dans ce volume. Sans prétendre y résoudre les innombrables
-questions que soulève l'étude de la mythologie celtique, nous y
-proposons une solution à quelques-unes des principales difficultés qui
-peuvent être agitées à propos d'un sujet si digne d'attirer l'attention
-de l'historien.
-
-Ce n'est pas une mythologie celtique que nous livrons au public, c'est
-un essai sur les principes fondamentaux de cette mythologie. Nous avons
-pris pour base de notre étude le traité que les Irlandais connaissent
-sous le nom de _Lebar Gabala_, «Livre des conquêtes» ou «des invasions.»
-
-[Pg xii]Notre travail est un commentaire de ce document, tel qu'on
-le trouve dans le Livre de Leinster, manuscrit du milieu du douzième
-siècle, dont l'Académie royale d'Irlande a publié un fac-similé. Les
-nombreux textes que nous citons, outre celui-là, n'ont d'autre objet
-que de l'expliquer.
-
-Notre œuvre aura les inconvénients que présente la méthode exégétique;
-le principal sera celui des répétitions; les légendes, analogues à des
-légendes déjà exposées, demanderont souvent le retour d'explications
-données précédemment. Mais nous espérons qu'on nous saura gré d'avoir
-respecté l'ordre antique dans lequel l'Irlande a jadis classé les
-récits fabuleux qui constituent la forme traditionnelle de sa
-mythologie. En substituant à ce vieux plan consacré par les siècles un
-classement plus méthodique, mais nouveau et arbitraire, nous aurions
-brisé de nos mains le tableau même que nous voulions mettre sous les
-yeux du lecteur[22].
-
-
-[Footnote 1: _De bello gallico_, livre VI, chap. XVII.]
-
-[Footnote 2: _Bulletin des antiquaires de France_, 1882, p. 310.]
-
-[Footnote 3: _Brambach, Corpus inscriptionum rhenarum_, 1717.]
-
-[Footnote 4: _Ibid._, n° 1830.]
-
-[Footnote 5: _Ibid._, n° 1696.]
-
-[Footnote 6: Inscription de Langres, chez De Wal, _Mythologiæ
-septentrionalis monumenta latina_, vol. I, n° CLXVII. _Moccus_ paraît
-être le cochon ou sanglier, en vieil irlandais _mucc_, génitif _mucce_,
-thème féminin en _a_; en gallois, _moch_, et en breton, _moc'h_.]
-
-[Footnote 7: Brambach, nos 566, 1614, 1915; _Corpus inscriptionum
-latinarum_, t. III, nos 5588, 5861, 5870, 5871, 5873, 5874, 5876, 5881;
-t. VII, n° 1082.]
-
-[Footnote 8: _Corpus inscriptionum latinarum_, t. VII, n° 218.]
-
-[Footnote 9: _Ibid._, t. V, nos 737, 741, 748, 749, 753.]
-
-[Footnote 10: _Ibid._, t. III, n° 5320; t. VII, n° 84.]
-
-[Footnote 11: _Ibid._, t. VII, nos 746, 957.]
-
-[Footnote 12: _Ibid._, t. VII, n° 1103; Brambach, n° 164; Mommsen,
-_Inscriptiones confœderationis Helveticæ_, n° 70.]
-
-[Footnote 13: Brambach, n° 1588.]
-
-[Footnote 14: _Corpus inscriptionum latinarum_, t. III, n° 2804.]
-
-[Footnote 15: _Ibid._, t. VII, n° 168.]
-
-[Footnote 16: _Corpus inscriptionum latinarum_, t. VII, nos 42, 43.]
-
-[Footnote 17: De Wal, _Mythologiæ septentrionalis monumenta latina_,
-vol. 1, n° LII.]
-
-[Footnote 18: _De inventione_, livre I, chap. XXIX, § 46.]
-
-[Footnote 19:
- Quippe etenim jam tum divum mortalia sæcla
- Egregias animo facies vigilante videbant,
- Et magis in somnis mirando corporis auctu
- .... Livre V, vers 1168 et suivants.
-]
-
-[Footnote 20: Comparez Boissier, _La religion romaine d'Auguste aux
-Antonins_, t. I, p. V-VI.]
-
-[Footnote 21: Virgile, _Enéide_, livre VI, vers 851-853.]
-
-[Footnote 22: L'exception que nous avons faite pour la légende de
-Cessair n'est qu'apparente, puisque cette légende est une addition
-chrétienne au cycle mythologique irlandais.]
-
-
-
-[Pg 1]LE
-
-CYCLE MYTHOLOGIQUE IRLANDAIS
-
-ET LA
-
-MYTHOLOGIE CELTIQUE
-
-
-CHAPITRE PREMIER.
-
-NOTIONS GÉNÉRALES.
-
-§1. Les catalogues de la littérature épique irlandaise.--§2. Les cycles
-épiques irlandais.--§3. De la place occupée par la littérature épique
-dans la vie des Irlandais aux premiers siècles du moyen âge.--§4. Le
-cycle mythologique irlandais. Les races primitives dans la mythologie
-irlandaise et dans la mythologie grecque.--§5. Le cycle mythologique
-irlandais (_suite_). Les inondations dans la mythologie irlandaise
-et dans la mythologie grecque.--§6. Le cycle mythologique irlandais
-(_suite_). Les batailles entre les dieux dans la mythologie irlandaise,
-dans celle de la Grèce, de l'Inde et de l'Iran.--§7. Le roi des
-morts et le séjour des morts dans la mythologie irlandaise, dans la
-mythologie grecque et dans celle des _Vêda_.--§8. Les sources de la
-mythologie irlandaise.
-
-
-§1.
-
-_Les catalogues de la littérature épique irlandaise._
-
-Dans le volume précédent nous avons dit qu'il existe plusieurs
-catalogues des morceaux qui composaient
-[Pg 2]la littérature épique irlandaise. Le plus ancien de ces
-catalogues paraît avoir été dressé vers l'an 700 de notre ère, sauf
-une ou deux additions qui dateraient de la première moitié du dixième
-siècle. Le deuxième appartient à la seconde moitié du même siècle. Le
-troisième nous a été conservé par un manuscrit du seizième siècle.
-
-Le premier de ces catalogues se trouve dans deux manuscrits; l'un des
-deux a été écrit vers 1150: c'est le Livre de Leinster, p. 189-190,
-d'après lequel ce catalogue a été publié par O'Curry, _Lectures on the
-ms. materials_, p. 584-593; l'autre date du quinzième ou du seizième
-siècle: c'est le ms. H. 3. 17, col. 797-800 du Collège de la Trinité de
-Dublin, d'après lequel le même catalogue a été publié par M. O'Looney
-dans les _Proceedings of the Royal irish Academy_, Second series, vol.
-I, _Polite Literature and Antiquities_, p. 215-240. Ce catalogue est
-anonyme; il contient cent quatre-vingt-sept titres dans le premier des
-deux manuscrits.
-
-Le deuxième catalogue, inédit jusqu'ici[1], se rencontre, à ma
-connaissance, dans trois manuscrits: le Rawlinson B. 512 de la
-bibliothèque bodléienne d'Oxford, f° 109-110, quatorzième siècle; le
-Harleian 5280, f° 47 recto-verso du British Museum, quinzième siècle;
-et le 23. N. 10, autrefois Betham 145, de l'Académie
-[Pg 3]royale d'Irlande, p. 29-32, seizième siècle. Il comprend cent
-cinquante-neuf titres dans le premier des trois manuscrits; il est
-attribué à Urard mac Coisi, _file_ de la seconde moitié du dixième
-siècle.
-
-Il n'y a que vingt titres dans le troisième catalogue: celui-ci, plus
-récent que les deux premiers et sans nom d'auteur, est conservé par un
-manuscrit du seizième siècle au Musée Britannique, sous le n° 432 du
-fonds Harléien, et il a été publié dans les _Ancient Laws of Ireland_,
-t. I, p. 46.
-
-Le deuxième et le troisième catalogue contiennent des titres qui ne
-sont pas compris dans le premier, mais, même en ajoutant au premier
-catalogue un supplément formé avec les titres qui lui manquent et
-que les deux autres catalogues contiennent, on n'aurait pas la liste
-complète des morceaux qui formaient le vaste ensemble de la littérature
-épique irlandaise. D'après la glose de l'introduction au _Senchus
-Môr_, le nombre des histoires que devait savoir l'_ollam_ ou chef des
-_file_ était de trois cent cinquante. Les manuscrits irlandais des Iles
-Britanniques nous ont conservé quelques-unes des histoires dont les
-titres n'ont pas été inscrits dans les catalogues dont nous venons de
-parler. Par contre, on ne retrouve plus dans ces manuscrits une partie
-des histoires dont ces catalogues nous ont transmis les titres. Ainsi
-notre connaissance de la littérature épique irlandaise offre bien des
-lacunes qu'il sera probablement toujours impossible de combler.
-
-
-[Footnote 1: Depuis que ces lignes sont écrites, il en a été publié
-une édition dans le volume intitulé: _Essai d'un catalogue de la
-littérature épique de l'Irlande_, p. 260-264.]
-
-
-[Pg 4]§2.
-
-_Les cycles épiques irlandais._
-
-Les monuments de la littérature épique irlandaise semblent pouvoir se
-diviser en quatre sections:
-
-1° Le cycle mythologique, qui concerne l'origine et la plus ancienne
-histoire des dieux, des hommes et du monde;
-
-2° Le cycle de Conchobar et de Cûchulainn, comprenant des récits qui
-se rapportent, soit à ces deux personnages soit à d'autres héros que
-l'on se figurait avoir été leurs contemporains, ou les avoir soit
-précédés soit suivis à peu d'années de distance. Suivant les annalistes
-irlandais, Conchobar et Cûchulainn auraient vécu vers le même temps que
-Jésus-Christ; ainsi Cûchulainn serait mort, d'après Tigernach, l'an 2
-de notre ère et Conchobar l'an 22[1];
-
-3° Le cycle ossianique, dont les principaux personnages sont Find, fils
-de Cumall, et Ossin ou Ossian, fils de Find; il paraît avoir pour base
-des événements historiques du second et du troisième siècle de notre
-ère; Tigernach met la mort de Find en 274[2];
-
-[Pg 5]4° Un certain nombre de morceaux qui, si on les plaçait bout à
-bout dans l'ordre chronologique des faits vrais ou imaginaires auxquels
-ils se rapportent, nous offriraient, en quelque sorte, les annales
-poétiques de l'Irlande, du troisième siècle de notre ère au septième.
-Les pièces relatives à des événements postérieurs au septième siècle
-sont fort peu nombreuses.
-
-
-[Footnote 1: O'Conor, _Rerum hibernicarum scriptores_, t. II, 1re
-partie, p. 14, 16. Certaines personnes en Irlande au douzième siècle
-croyaient ces personnages beaucoup plus anciens. Un des récits
-légendaires conservé par le _Livre de Leinster_ fait régner Conchobar
-trois cents ans avant J.-C. Windisch, _Irische texte_, p. 99, lignes
-16-17.]
-
-[Footnote 2: O'Conor, _Rerum hibernicarum scriptores_, t. II, 1re
-partie, p. 49.]
-
-
-§3.
-
-_De la place occupée par la littérature épique dans la vie des
-Irlandais aux premiers siècles du moyen âge._
-
-Pendant les longues soirées d'hiver, les morceaux épiques ou histoires
-compris dans ces quatre sections étaient débités par les _file_ aux
-rois entourés de leurs vassaux dans les grandes salles de leurs
-_dûn_ ou châteaux[1]. Les _file_ récitaient aussi ces histoires aux
-foules qu'attiraient les grandes assemblées périodiques du 1er mai
-ou _Beltené_, du premier août ou _Lugnasad_, et du 1er novembre ou
-_Samain_, dont une des plus célèbres est celle qui se tenait à Usnech
-le 1er mai, ou jour de _Beltené_.
-
-Usnech était considéré comme le point central de l'Irlande; un roc
-naturel servant de borne indiquait le point d'où partaient les lignes
-séparatives des
-[Pg 6]cinq grandes provinces (en irlandais _coicid_ ou «cinquièmes»),
-entre lesquelles se partageait l'Irlande. C'est là que d'ordinaire, le
-1er mai, les mariages annuels se rompaient et que des liens nouveaux
-succédaient à ceux que la coutume avait brisés. A ces assemblées, on
-rendait des jugements, on réformait les lois, les rois recrutaient
-des soldats, les négociants venaient offrir leurs marchandises à des
-populations ordinairement dispersées sur toute la surface d'un vaste
-territoire où le commerce ne pouvait les atteindre; enfin les _file_
-trouvaient, pour leurs récits épiques, de nombreux auditoires[2]. Sans
-avoir la prétention au même succès, nous allons reprendre les récits de
-ces vieux conteurs. Nous commencerons par le cycle mythologique.
-
-
-[Footnote 1: _Scêl as-am-berar com-bad-ê Find, mac Cumaill, Mongân_,
-dans le _Leabhar na h-Uidhre_, p. 133, col. 1, lignes 29-31.]
-
-[Footnote 2: Sur les récits épiques des _file_ dans les assemblées
-publiques d'Irlande, voyez la pièce intitulée _Aenach Carmain_, publiée
-chez O'Curry, _On the manners_, t. III, p. 526-547. Les quatrains 58-65
-concernent ces récits. Le versificateur irlandais a intercalé dans
-ses vers six mots qui, dans les catalogues, servent de titre à autant
-de sections: _togla_ ou «prises de villes,» _tâna_ ou «enlèvements de
-troupeaux,» _tochmorca_ ou «demandes en mariage,» _fessa_ ou «fêtes,»
-_aitti_ ou «morts violentes,» _airggni_ ou «massacres.» Il cite aussi
-plusieurs pièces bien connues, comme _Fianruth Fiand, Tecusca Cormaic,
-Timna Chathair_ (cf. Livre de Leinster, p. 216, col. 1, lignes 19-34).]
-
-
-§4.
-
-_Le cycle mythologique irlandais. Les races primitives dans la
-mythologie irlandaise et dans la mythologie grecque._
-
-Les morceaux qui appartiennent au cycle mythologique
-[Pg 7]sont épars dans les divers chapitres[1] dont nos catalogues se
-composent. Mais ceux de ces morceaux que l'on peut considérer comme
-fondamentaux appartiennent au chapitre intitulé _Tochomlada_ ou
-émigrations. Sur les treize pièces que ce chapitre comprend, sept sont
-mythologiques:
-
-1° _Tochomlod Partholoin dochum n-Erenn_, émigration de Partholon en
-Irlande;
-
-2° _Tochomlod Nemid co h-Erind_, émigration de Nemed en Irlande;
-
-3° _Tochomlod Fer m-Bolg_, émigration des _Fir-Bolg_;
-
-4° _Tochomlod Tûathe Dê Danann_, émigration de la nation du dieu de
-Dana ou des _Tûatha Dê Danann_;
-
-5° _Tochomlod Miled, maic Bile, co h-Espain_, émigration de Milé, fils
-de Bilé en Espagne;
-
-6° _Tochomlod mac Miled a Espain in Erinn_, émigration des fils de
-Milé, d'Espagne en Irlande;
-
-7° _Tochomlod Cruithnech a Tracia co h-Erinn ocus a tochomlod a Erinn
-co Albain_, émigration des Pictes de Thrace en Irlande et d'Irlande en
-Grande-Bretagne.
-
-Ces titres suffisent pour nous montrer qu'une des parties les plus
-importantes de la mythologie irlandaise racontait comment diverses
-races divines et humaines étaient venues successivement s'établir en
-Irlande. Ainsi la littérature irlandaise met à l'origine des choses une
-série de faits mythiques qui présentent
-[Pg 8]une grande analogie avec une des conceptions les plus connues de
-la mythologie grecque. Voici comment s'exprime Hésiode dans le poème
-dont le titre est: _Les Travaux et les Jours_.
-
-«La race d'or des hommes doués de parole fut celle que créèrent la
-première les immortels habitants des palais de l'Olympe; cette race
-exista sous Kronos, quand il régnait dans le ciel. Ces hommes vivaient
-comme des dieux, l'esprit sans inquiétude, loin des fatigues et de
-la douleur; ils n'éprouvaient aucune des misères de la vieillesse,
-leurs pieds et leurs mains avaient toujours la même vigueur; ils
-passaient leur vie dans la joie des festins, à l'abri de tous maux,
-et ils mouraient comme domptés par le sommeil. Pour eux toute chose
-tournait à bien; le champ fertile leur produisait, sans culture, des
-fruits abondants, dont il n'était jamais avare. Ceux qui récoltaient se
-faisaient un plaisir de partager paisiblement avec leurs nombreux et
-bons voisins. Et quand cette race eut été ensevelie dans les entrailles
-de la terre, elle se transforma, par la volonté du grand Zeus, en
-démons bienfaisants qui habitent la terre et y sont les gardiens des
-hommes mortels. Ils observent les bonnes et les mauvaises actions;
-invisibles dans l'air qui leur sert de vêtement, ils se promènent
-sur toute la terre, distribuant les richesses: telle fut la royale
-prérogative qu'ils obtinrent.
-
-Une seconde race, beaucoup moins bonne, celle
-[Pg 9]d'argent, fut ensuite créée par les habitants des palais de
-l'Olympe; elle n'était comparable à la race d'or ni par le corps ni
-par l'esprit. Pendant cent ans, l'enfant élevé par sa mère attentive
-grandissait inepte dans la maison; mais quand il avait atteint la
-puberté et le terme de l'adolescence, il ne vivait plus que peu de
-temps, et c'était dans la douleur, à cause de sa stupidité; car ces
-hommes ne pouvaient s'abstenir de commettre l'injustice les uns envers
-les autres. Ils refusaient le culte aux Immortels et les sacrifices
-aux Tout-Puissants sur les autels sacrés, violant ainsi le droit et la
-coutume. Alors, Zeus, fils de Kronos, leur ôta la vie, irrité contre
-eux parce qu'ils ne rendaient pas d'honneurs aux dieux bienheureux
-qui habitent l'Olympe. Mais quand la terre eut recouvert ces hommes,
-on leur donna le nom de puissants mortels souterrains; ils occupent
-le second rang: toutefois, comme les premiers, ils sont entourés
-d'honneurs.
-
-Alors Zeus créa une troisième race d'hommes doués de parole, celle
-d'airain, qui ne fut en rien semblable à celle d'argent. Issue des
-frênes, elle était forte et robuste; ce qui l'occupait c'étaient
-les œuvres douloureuses et injustes d'Arès, dieu de la guerre. Ils
-ne mangeaient pas de froment; leur vigoureux et redoutable courage
-ressemblait à l'acier. Leur force était grande; des mains invincibles
-terminaient les bras qui s'attachaient à leurs corps puissants.
-D'airain étaient leurs armes,
-[Pg 10]d'airain leurs maisons; c'était l'airain qu'ils travaillaient,
-le noir fer n'existait pas encore. Ils s'enlevèrent eux-mêmes la vie
-par leurs propres mains et allèrent dans la maison putride du froid
-Aïdès. Quelque redoutables qu'ils fussent, la noire mort se saisit
-d'eux et ils quittèrent la brillante lumière du soleil.
-
-Mais quand la terre eut aussi recouvert cette race, Zeus, fils de
-Kronos, en créa une quatrième sur la terre féconde. Celle-ci, plus
-juste et meilleure, a donné les hommes héroïques et divins de la
-génération qui nous a précédés qu'on appelle demi-dieux dans la Terre
-immense. La guerre fatale et les durs combats leur ont ôté la vie.
-Les uns sont morts près de Thèbes aux Sept-Portes, dans la terre de
-Cadmus, en livrant bataille à cause des brebis d'Œdipe; les autres,
-franchissant sur leurs navires la vaste étendue de la mer, allèrent à
-Troie à cause d'Hélène à la belle chevelure, et la mort les y enveloppa.
-
-Zeus, fils de Kronos, les séparant des hommes, leur a donné la
-nourriture et une demeure aux extrémités de la terre, loin des
-immortels. Kronos règne sur eux: ils vivent, l'esprit libre de souci,
-dans les îles des Tout-Puissants, près de l'Océan aux gouffres
-profonds, ces héros bienheureux auxquels un champ fécond, qui fleurit
-trois fois l'an, produit des fruits doux comme le miel[2].»
-
-[Pg 11]Ainsi les Grecs croyaient qu'à une époque antérieure à celle
-où vivaient ceux de leurs ancêtres qui ont fait les guerres épiques
-de Thèbes et de Troie, trois races dont ils ne descendaient point
-s'étaient succédé sur le sol de leur patrie. Nous trouvons, en Irlande,
-une doctrine à peu près identique. Les noms de ces races mythiques ne
-sont pas les mêmes en Irlande qu'en Grèce. Hésiode les appelle race
-d'or, race d'argent, race d'airain; les Irlandais parlent de la famille
-de Partholon, de celle de Nemed et des _Tûatha Dê Danann_. Les _Tûatha
-Dê Danann_ sont identiques à la race d'or des Grecs; dans la famille
-de Partholon nous reconnaîtrons la race d'argent des Grecs; dans la
-famille de Nemed leur race d'airain. Ainsi l'ordre suivi par les Grecs
-n'est pas le même que celui que nous trouvons en Irlande. La race d'or
-des Grecs, placée chez eux chronologiquement la première, arrive la
-dernière chez les Irlandais, qui lui donnent le nom de _Tûatha_
-[Pg 12]_Dê Danann_, Mais la famille de Partholon ou race d'argent
-précède en Irlande comme en Grèce la famille de Nemed ou race d'airain.
-
-Quant aux demi-dieux grecs qui forment la quatrième race, qui ont
-combattu à Thèbes et à Troie et qui sont les ancêtres de la race
-actuelle, ils ont pour correspondants les _Firbolg_, les fils de
-Milé et les _Cruithnech_ ou Pictes de la mythologie irlandaise.
-Par conséquent les sept morceaux dont nous avons donné les titres:
-Emigration de Partholon en Irlande, Emigration de Nemed en Irlande,
-Emigration des _Firbolg_, Emigration des _Tûatha Dê Danann_, Emigration
-de Milé, fils de Bilé, en Espagne, Emigration des fils de Milé
-d'Espagne en Irlande, Emigration des Pictes ou _Cruithnech_ de Thrace
-en Irlande et d'Irlande en Grande-Bretagne, nous exposent la forme
-irlandaise d'une doctrine dont les éléments fondamentaux se trouvent
-déjà en Grèce dans l'ouvrage d'Hésiode intitulé: _Les Travaux et les
-Jours_.
-
-Entre le récit grec et le récit irlandais, il y a de nombreuses
-différences; elles tiennent, pour une forte part, aux développements
-que la légende irlandaise a reçus depuis le christianisme. Mais à côté
-de ces différences, il y a des ressemblances frappantes. En voici
-un exemple.--Les _Tûatha Dê Danann_, la dernière en date des trois
-races primitives dont la race irlandaise actuelle ne descend pas, a
-finalement le même sort que la race d'or de la mythologie grecque, la
-première des trois races primitives dont les Grecs ne sont point issus.
-
-[Pg 13]«La race d'or,» nous dit Hésiode, «se transforma, par la volonté
-du grand Zeus en démons bienfaisants qui habitent la terre et y sont
-les gardiens des hommes mortels. Ils observent les bonnes et les
-mauvaises actions; invisibles dans l'air qui leur sert de vêtement,
-ils se promènent sur toute la terre, distribuant les richesses. Telle
-fut la royale prérogative qu'ils obtinrent.» De même les _Tûatha Dê
-Danann_, après avoir été, avec un corps visible, seuls maîtres de
-la terre, ont pris dans un âge postérieur une forme invisible sous
-laquelle ils partagent avec les hommes l'empire du monde, leur venant
-en aide quelquefois, d'autres fois leur disputant les plaisirs et les
-joies de la vie.
-
-
-[Footnote 1: Sur ces chapitres, voir notre tome Ier, p. 350-351.]
-
-[Footnote 2: Hésiode, _Les Travaux et les Jours_, vers 109-173 (cf.
-Ovide, _Métamorphoses_, livre I, vers 89-127). Nous avons supprimé dans
-notre traduction le vers 120, que certains éditeurs considèrent comme
-une interpolation, et qui est en tout cas inutile. Nous conservons le
-vers 169:
-
- Τηλοῦ ἀπ᾽ ἀθανάτων τοῖσιν Κρόνος ἐμβασιλεύει.
-
-La croyance qu'il exprime est certainement fort ancienne en Grèce,
-puisqu'on la trouve dans la seconde olympique de Pindare, qui remonte à
-l'année 476 avant J.-C. Dans cette pièce, Pindare a cherché à concilier
-la doctrine énoncée dans le vers 169 des _Travaux et des Jours_ avec la
-doctrine, identique dans le fond, mais différente dans les détails, que
-nous trouvons dans les vers 561-569 du livre IV de l'_Odyssée_. Sur ce
-sujet, voir aussi Platon, _Gorgias_, c. 79.]
-
-
-§5.
-
-_Le cycle mythologique irlandais (suite). Les inondations dans la
-mythologie irlandaise et dans la mythologie grecque._
-
-Après les sept émigrations, _tochomlada_, que nous avons placées en
-tête du cycle mythologique, nous citerons les _tomadma_, ou irruptions
-d'eau, déluges partiels qui figurent au nombre de deux dans les
-catalogues de la littérature épique irlandaise et qui auraient donné
-naissance à deux lacs d'Irlande, dans la province d'Ulster: 1° _Tomaidm
-locha Echdach_, irruption d'eau qui aurait formé le lac dit aujourd'hui
-Lough Neagh; 2° _Tomaidm locha Eirne_, irruption
-[Pg 14]d'eau qui aurait donné naissance au lac dit aujourd'hui Lough
-Erne. La mythologie grecque connaît aussi deux déluges, celui d'Ogygès
-et celui de Deucalion; le premier en Attique[1], le second dans la
-région de la Grèce située près de Dodone et de l'Achéloüs[2]. Les deux
-déluges analogues que leur donnent pour pendants les catalogues de la
-littérature épique d'Irlande ont dans cette littérature de nombreux
-doublets.
-
-
-[Footnote 1: Acusilas, fragment 14 (Didot-Müller, _Fragmenta
-historicorum græcorum_, t. I, p. 102); Castor, fragment 15, chez
-Didot-Müller, _Ctesiæ ... fragmenta_, p. 176. Dans les deux cas, il
-s'agit d'un texte d'Eusèbe, _Præparatio evangelica_, X, 10.]
-
-[Footnote 2: Aristote, _Météorologiques_, livre I, chap. XIV, §§ 21 et
-22; édition Didot, t. III, p. 572.]
-
-
-§6.
-
-_Le cycle mythologique irlandais (suite).--Les batailles entre les
-dieux dans la mythologie irlandaise, dans celles de la Grèce, de l'Inde
-et de l'Iran._
-
-La guerre tient une place importante dans la mythologie irlandaise.
-Au cycle mythologique appartiennent, par exemple, la bataille de Mag
-Tured, _Cath maige Tured_; la bataille de Mag Itha, _Cath Maige Itha_;
-les combats de Nemed contre les Fomôré, _Catha Neimid re Fomorcaib_;
-le massacre de la tour de Conann, _Orgain tuir Chonaind_; le massacre
-d'Ailech, où périt Neit fils de Dê ou Dieu, _Argaih Ailich for Neit mac
-in Dui_, etc.--Dans le monde divin de l'Irlande,
-[Pg 15]on distingue deux groupes unis par les liens de parenté les plus
-intimes, et cependant ennemis. Les batailles et les massacres dont nous
-venons de parler sont ou les épisodes de leur lutte ou des imitations
-plus récentes de divers épisodes de cette lutte, qui est elle-même une
-édition celtique de la guerre du Zeus hellénique contre Kronos son
-père et contre les Titans, de la lutte d'Ahuramazda ou Ormazd, dieu du
-Bien, contre Añgra Mainyu ou Ahriman, personnification du Mal dans la
-littérature iranienne; des combats soutenus par les dieux du jour et
-de la lumière, les _Dêva_, contre les _Asura_, dieux des ténèbres, de
-l'orage et de la nuit, dans la littérature de l'Inde. En Irlande, les
-_Tûatha Dê Danann_ et, comme eux, Partholon et Nemed qui sur divers
-points sont des doublets des _Tûatha Dê Danann_, ont pour rivaux les
-_Fomôre_. Dagdê, = *_Dago-dêvo-s_ ou «bon dieu,» roi des _Tûatha Dê
-Danann_, est le Zeus ou l'Ormazd de la mythologie irlandaise; les
-_Tûatha Dê Danann_ «ou gens du dieu (*_dêvi_) [fils] de Dana,» ne sont
-autre chose que les _Dêva_ de l'Inde, les dieux du jour, de la lumière
-et de la vie. Le nom des _Fomôre_, adversaires des Tûatha Dê Danann,
-désigne en Irlande un groupe mythique semblable aux _Asura_ indiens,
-aux Titans grecs; leur chef, Bress, Balar ou Téthra, est issu d'une
-conception mythique originairement identique à celle qui a produit: le
-Kronos grec, l'Ahriman des Iraniens, le Yama védique, roi des morts,
-père des dieux; Tvashtri, dieu père dans le _Vêda_; enfin, le Varuna
-védique, dieu suprême primitif supplanté par Indra.
-
-
-[Pg 16]§7.
-
-_Le roi des morts et le séjour des morts dans la mythologie irlandaise,
-dans la mythologie grecque et dans celle des_ Vêda.
-
-Téthra, chef des Fomôré, vaincu dans la bataille de Mag-Tured, devient
-roi des morts dans la région mystérieuse qu'ils habitent au delà de
-l'Océan[1]. De même le Kronos grec, vaincu dans la bataille de Zeus
-contre les Titans, règne dans les îles lointaines des Tout-Puissants ou
-des Bienheureux, sur les héros défunts qui ont combattu à Thèbes et à
-Troie.
-
-L'idée du règne de Kronos sur les héros morts se présente à nous pour
-la première fois dans les _Travaux et les Jours_ d'Hésiode, vers
-169[2]; et certains critiques ont prétendu supprimer ce vers comme
-renfermant une contradiction avec le passage de la Théogonie qui donne
-le Tartare comme séjour au même Kronos[3].
-
-Le Tartare est une région obscure et souterraine. Sa description
-lugubre, telle que nous la donne la
-[Pg 17]_Théogonie_[4], ne peut concorder avec la description des îles
-séduisantes qui, dans les _Travaux et les Jours_ deviennent le domaine
-de Kronos vaincu. Mais entre la composition de la _Théogonie_ d'Hésiode
-et celle du poème des _Travaux et des Jours_, attribué au même auteur,
-il y a eu, dans la mythologie grecque, une évolution où la conception
-de la destinée de l'homme après la mort s'est sensiblement modifiée.
-
-L'_Iliade_ et la partie la plus ancienne de l'_Odyssée_ ne connaissent
-pour les morts d'autre séjour que l'Aïdès obscur[5] et souterrain[6],
-dont un autre nom est Erèbe. De l'Aïdès, ou domaine du dieu Aïdès,
-l'_Iliade_ distingue le Tartare, qui est également situé dans les
-profondeurs de la terre, mais bien plus bas. Il y a autant de distance
-de l'Aïdès au Tartare que de la terre à l'Aïdès[7]. C'est dans le
-Tartare que demeurent les Titans[8], et parmi eux Kronos, privé comme
-eux de la lumière du soleil[9].
-
-[Pg 18]On trouve la même doctrine dans la _Théogonie_, à cette
-différence près que l'Aïdès et le Tartare, distincts dans l'_Iliade_,
-paraissent se confondre l'un avec l'autre dans le poème d'Hésiode. Le
-Tartare n'est plus seulement le séjour des Titans et de Kronos vaincu
-par Zeus[10], il est aussi la demeure du dieu qui personnifie l'Aïdès
-homérique[11]; du dieu qui, dans les entrailles de la terre, règne
-sur les morts[12]. Cette lugubre habitation des morts et des dieux
-vaincus a une entrée que l'on se figure au nord-ouest au delà du fleuve
-Océan[13].
-
-Vers la fin du septième siècle avant notre ère, l'Océan, qui n'était
-pour les Grecs qu'une conception mythique, un cours d'eau créé par
-l'imagination, devint pour eux une conception géographique. On sait
-comment le hasard fit découvrir à un navire samien
-[Pg 19]les côtes sud-ouest de l'Espagne, baignées par l'océan
-Atlantique, et que jusque-là, seuls parmi les populations
-méditerranéennes, les Phéniciens avaient fréquentées[14]. Ce grand
-événement fait partie du récit des événements, tant historiques que
-légendaires, qui préparèrent la fondation de Cyrène, de l'an 633 à l'an
-626 avant notre ère[15].
-
-Dès lors, les Grecs se figurèrent l'Océan non plus comme un fleuve
-entourant le monde, mais comme une masse d'eau immense, aux limites
-inconnues située principalement à l'ouest de l'Europe et de l'Afrique.
-De là naquit une conception nouvelle du séjour des morts et de
-Kronos. De là, dans la partie la plus moderne de l'_Odyssée_, dans
-la _Télémachie_, l'idée de la plaine à laquelle on donne le nom
-d'_Elusion_, où habite le blond Rhadamanthus, où de l'Océan souffle le
-vent du nord-ouest, et où Ménélas trouvera l'immortalité[16]. De là,
-la croyance aux îles des Tout-Puissants ou des Bienheureux, royaume de
-Kronos dans le poème des _Travaux et des Jours_[17].
-
-Dans la seconde olympique de Pindare, qui célèbre une victoire
-remportée aux jeux d'Olympie en 476, la plaine _Elusion_ et les îles
-des Tout-Puissants ou des Bienheureux se confondent et ne forment
-qu'une île où est la forteresse de Kronos, qui a Rhadamanthus
-[Pg 20]pour associé[18]. Cette doctrine nouvelle est identique à la
-doctrine celtique et représente, dans l'histoire des peuples européens
-un âge historique tout différent de celui auquel appartient la doctrine
-du Tartare et de l'Aïdès telle qu'on la trouve dans l'_Iliade_ et dans
-la partie la plus ancienne de l'_Odyssée_.
-
-Il n'y a pas à s'arrêter à la conception plus récente dans laquelle
-Platon fait du Tartare le lieu de punition des méchants, et des îles
-des Bienheureux le lieu où les justes trouvent leur récompense[19].
-C'est un système philosophique postérieur à la mythologie populaire
-primitive. L'Aïdès homérique renferme, sans distinction, tous les
-défunts bons ou mauvais, vertueux ou coupables.
-
-L'important, pour nous, est de retrouver dans la mythologie irlandaise,
-dont les doctrines fondamentales peuvent être appelées, d'une façon
-plus générale, mythologie celtique, des conceptions qui ont aussi
-tenu, dans la mythologie grecque, une place considérable. Les Celtes
-ont eu un dieu identique au Kronos grec. Ce dieu celtique s'appelle en
-Irlande Tethra. Vaincu et chassé, comme Kronos, par un autre dieu plus
-puissant et plus heureux, il règne, comme Kronos, au delà de l'Océan,
-sur les morts, dans la nouvelle et séduisante patrie que leur assigne
-la mythologie celtique, d'accord avec les
-[Pg 21]croyances du second âge de la mythologie grecque.
-
-La mythologie védique nous offre une conception analogue. Le dieu des
-morts et de la nuit, Yama ou Varuna, a été vaincu par Indra, son fils,
-dieu du jour; Yama et Varuna sont, au fonds des choses et sauf certains
-détails, une création mythique qui ne diffère pas du Tethra irlandais.
-Mais les Celtes placent le séjour des morts dans un lieu tout autre
-que les chantres védiques, puisque ceux-ci donnent pour habitation aux
-morts le ciel ou même le soleil[20]. Ils n'avaient pas comme les Celtes
-l'idée de cet océan immense où tous les soirs l'astre du jour, perdant
-sa lumière et la vie, trouve un tombeau jusqu'au lendemain.
-
-
-[Footnote 1: _Echtra Condla Chaim_, chez Windisch, _Kurzgefasste
-irische Grammatik_, p. 120, lignes 1-4.]
-
-[Footnote 2:
-
- .......... ἐς πείρατα γαίης
- τηλοῦ ἀπ ᾿ἀθανάτων · τοῖσιν Κρόνος ἐμβασιλεύει.
-
-Hésiode, _Les Travaux et les Jours_, vers 168-169.]
-
-[Footnote 3:
-
- Τιτῆνες θ᾽ὑποταρτάριοι, Κρόνον ἀμφὶς ἐόντες.
-
-Hésiode, _Théogonie_, vers 851.]
-
-[Footnote 4: Hésiode, _Théogonie_, vers 721 et suivants.]
-
-[Footnote 5: Τέκνον ἐμὸν, πῶς ἦλθες ὑπὸ ζόφον ἠερόεντα, dit la mère
-d'Ulysse à son fils. _Odyssée_, XI, 155. Αΐδης, ἐνέροισιν ἀνάσσων.....
-ἔλαχε ζόφον ἠερόεντα, _Iliade_, XV, 188, 191.]
-
-[Footnote 6: _Iliade_, XX, 57-65. Poseidaon, dieu de la mer, l'ébranle
-par une tempête qui fait trembler la terre, et Aïdès, le dieu des
-morts, craint que la terre ne se déchire au-dessus de lui.]
-
-[Footnote 7: _Iliade_, VIII, 13-16.]
-
-[Footnote 8:
-
- τοὺς ὑποταρταρίους οἳ Τιτῆνες καλέονται.
-
-_Iliade_, XIV, 279.]
-
-[Footnote 9:
-
- ....... ἳν Ἰαπετός τε Κρόνος τε
- ἥμενοι, οὔτ᾽ αὐγῆς ὑπερίονος ἠελίοιο
- τέρποντ´ οὔτ´ ἀνέμοισι, βαθὺς δέ τε Τάρταρος ἀμφίς.
-
-_Iliade_, VIII, 479-481; cf. _Hymne à Apollon_, vers 335, 336:
-
- Τιτῆνές τε θεοί, τοὶ ὑπὸ χθονὶ ναιετάοντες
- Τάρταρον ἀμφὶ μέγαν, τῶν ἐξ ἄνδρες τε θεοί τε.
-]
-
-[Footnote 10: _Théogonie_, vers 717-733, 851.]
-
-[Footnote 11:
-
- Ἔνθα δὲ γῆς δνοφερῆς καὶ Ταρτάρου ἠερόεντος
- . . . . . . . . . . . .
- ἔνθα θεοῦ χθονίου πρόσθεν δόμοι ἠχήεντες
- ἰφθίμου τ´ Ἀΐδεω καὶ ἐπαινῆς Περσεφονείης
- ἑστᾶσιν......
-
-_Théogonie_, vers 736-769.]
-
-[Footnote 12:
-
- ...... Ἀΐδης, ἐνέροισι καταφθιμένοισιν ἀνάσσων.
-
-_Théogonie_, vers 850.]
-
-[Footnote 13:
-
- «Ἡ δ´ ἐς πείρατ´ ἴκανε βαθυρρόου Ὠκεανοῖο
- .....
- ............. παρὰ ῥόον Ὠκεανοῖο
- ᾔομεν...
- Τὴν δὲ κατ´ Ὠκεανὸν ποταμὸν φέρε κῦμα ῥόοιο.» _Odyssée_, XI, vers
-13-22, 639; cf. XII, vers 1 et 2.
-]
-
-[Footnote 14: Hérodote, livre IV, chap. 152, §§ 2 et 3.]
-
-[Footnote 15: Max Duncker, _Geschichte des Alterthums_, t. VI, 1882, p.
-266.]
-
-[Footnote 16: _Odyssée_, IV, 563-569.]
-
-[Footnote 17: _Opera et dies_, 166-171.]
-
-[Footnote 18: _Pindari carmina_, édition Schneidewin, t. I, p. 17 et
-18, vers 70 et suivants.]
-
-[Footnote 19: Gorgias, chap. 79, _Platonis opera_, édition
-Didot-Hirschig, t. I, p. 384.]
-
-[Footnote 20: Abel Bergaigne, _La religion védique_, t. I, p. 74, 81,
-85, 88; t. III, p. 111-120.]
-
-
-§8.
-
-_Les sources de la mythologie irlandaise._
-
-Dans notre exposé des traditions mythologiques irlandaises, nous
-suivrons le plan consacré par les plus vieux usages et que nous fait
-connaître la liste des migrations conservée dans les catalogues des
-histoires racontées par les _file_. Malheureusement nous n'avons plus
-les sept pièces dont ces catalogues nous ont transmis les titres. Mais
-une composition irlandaise du onzième siècle, le «Livre des conquêtes,»
-_Lebar Gabala_, nous en a gardé un abrégé.
-
-[Pg 22]Nous prendrons cet abrégé pour base, en le complétant et en en
-contrôlant les assertions à l'aide de divers auteurs tant irlandais
-qu'étrangers. Les étrangers sont d'abord l'auteur de la compilation
-attribuée à Nennius; il écrivait probablement au dixième siècle[1], et
-chez lui on trouve un résumé fort curieux, bien que malheureusement
-trop court, des croyances mythologiques admises en Irlande à cette
-époque. Vient ensuite Girauld de Cambrie, qui a écrit sa _Topographia
-hibernica_ à la fin du douzième siècle. Les auteurs irlandais sont des
-chroniqueurs et des poètes.
-
-Parmi les chroniqueurs, un des plus intéressants est Keating, bien
-précieux malgré la date récente de son livre, qui ne remonte qu'à
-la première moitié du dix-septième siècle. Mais l'auteur avait à
-sa disposition des matériaux qui ont été anéantis dans les guerres
-désastreuses dont l'Irlande a été dans le même siècle le théâtre et
-la victime. Le poète le plus important est Eochaid ûa Flainn, mort en
-984, et par conséquent postérieur de peu d'années à Nennius. Ses œuvres
-auraient un plus grand intérêt si
-[Pg 23]elles n'étaient si courtes et sans l'excès d'une concision qui
-produit souvent l'obscurité.
-
-Pour rendre plus claire et plus complète l'idée que les Irlandais
-païens se formaient de leurs dieux, nous terminerons par une excursion
-dans les cycles héroïques. Nous dirons quelques mots des relations que,
-suivant la légende, les héros ont eues avec les dieux, et nous verrons
-ces relations mythiques se continuer jusqu'à des temps postérieurs à
-saint Patrice, c'est-à-dire postérieurs au milieu du cinquième siècle,
-où l'on place en général la conversion des Irlandais au christianisme.
-
-
-[Footnote 1: Depuis que ces lignes sont écrites, j'ai reçu, de
-l'obligeance amicale de M. de La Borderie, un exemplaire de son savant
-ouvrage intitulé:_ Etudes historiques bretonnes, l'_historia Britonum
-_attribuée à Nennius_. Il résulte des recherches de M. de La Borderie
-qu'une partie du livre composé, dit-on, par Nennius existait déjà au
-IXe siècle, et que ce livre a été depuis interpolé. La partie relative
-à la mythologie irlandaise appartient-elle à la rédaction primitive?
-est-ce une des additions? La solution de cette question me paraît
-incertaine.]
-
-
-[Pg 24]CHAPITRE II.
-
-ÉMIGRATION DE PARTHOLON.
-
-§1. La race de Partholon en Irlande. La race d'argent dans la
-mythologie d'Hésiode.--§2. La doctrine celtique sur l'origine de
-l'homme.--§3. La création du monde dans la mythologie celtique telle
-que nous l'a conservée la légende de Partholon.--§4. Lutte de la
-race de Partholon contre les Fomôré.--§5. Suite de la légende de
-Partholon. La première jalousie, le premier duel.--§6. Fin de la race
-de Partholon.--§7. La chronologie et la légende de Partholon.
-
-
-§1.
-
-_La race de Partholon en Irlande.--La race d'argent dans la mythologie
-d'Hésiode._
-
-Des trois races qui, suivant la mythologie grecque, ont successivement
-habité le monde avant les héros des guerres de Troie et de Thèbes, la
-seconde en date est la race d'argent, dont le caractère dominant était
-le défaut d'intelligence. L'éducation des enfants durait un siècle, et,
-malgré les soins attentifs des mères, la sottise des enfants persistait
-chez
-[Pg 25]l'homme mûr et remplissait de maux le court espace de temps qui
-lui restait à vivre[1].
-
-La race d'argent est identique à celle que les documents irlandais les
-plus anciens placent au début de l'histoire mythique de leur pays. Ils
-lui donnent le nom de «famille de Partholon[2].» Comme la race d'argent
-des Grecs, la famille de Partholon se distingue par son ineptie[3].
-
-La première liste des histoires épiques d'Irlande est le plus ancien
-document où nous rencontrions le nom de Partholon. On y lit le titre:
-«Emigration de Partholon.» La rédaction de cette liste paraît dater
-des environs de l'an 700 après Jésus-Christ. Ensuite le texte le plus
-ancien que nous ayons sur Partholon est un passage de l'Histoire des
-Bretons de Nennius, qui semble avoir été écrit au plus tard au
-[Pg 26]dixième siècle. «En dernier lieu, y lisons-nous, les Scots
-venant d'Espagne arrivèrent en Irlande. Le premier fut Partholon,
-qui amenait avec lui mille compagnons, tant hommes que femmes. Leur
-nombre, s'accroissant, atteignit quatre mille hommes; puis une maladie
-épidémique les attaqua, et ils moururent en une semaine, en sorte qu'il
-n'en resta pas un[4].»
-
-Ce court sommaire renferme une inexactitude. Nous verrons que, suivant
-la fable irlandaise, un des compagnons de Partholon échappa au désastre
-final, et que son témoignage conserva la mémoire des événements
-mythiques qui forment l'histoire de cette légendaire et primitive
-colonisation de l'Irlande.
-
-
-[Footnote 1: Hésiode, _Les Travaux et les Jours_, vers 130-134.]
-
-[Footnote 2: _Muinter Parthaloin Chronicum Scotorum_, édition Hennessy,
-p. 8. Par une coïncidence fortuite, ce nom irlandais, dont le P initial
-ne diffère que graphiquement du B, offre un son identique à celui qu'a
-pris en irlandais le nom de l'apôtre Barthélémy. Entre la légende de
-ce saint et celle du personnage mythique irlandais, il n'y a aucun
-rapport. Partholon, aussi écrit «Bartholan,» semble être un composé
-dont le premier terme bar signifierait «mer» (Whitley Stokes, _Sanas
-Chormaic_, p. 28). Le second terme _tolon_, en suivant une autre
-orthographe _tolan_, paraît être un dérivé de _tola_ «ondes, flots».
-Ainsi Partholon signifierait «qui a rapport aux flots de la mer».
-C'est ce que répète en d'autres termes sa généalogie; car, suivant
-elle, il descend de _Baath_ (_Leabhar na hUidhre_, p. 1, col. 1, ligne
-24), dont le nom veut dire aussi «mer.» Voyez _Glossaire_ d'O'Cléry et
-_Glossaire_ de Cormac, au mot _Bâth_.]
-
-[Footnote 3: Voir, dans le chapitre suivant, § 3 (p. 50), comment
-s'explique sur elle Tûan mac Cairill.]
-
-[Footnote 4: «Novissime autem Scoti venerunt de partibus Hispaniæ ad
-Hiberniam. Primus autem venit Partholonus cum mille hominibus, viris
-scilicet et mulieribus, et creverunt usque ad quatuor millia hominum,
-venitque mortalitas super eos, et in una septimana perierunt, ita ut
-ne unus quidem remaneret ex illis.» _Appendix ad opera edita ab Angelo
-Maio_. Rome, 1871, p. 98.]
-
-
-§2.
-
-_La doctrine celtique sur l'origine de l'homme._
-
-Un fait curieux, qui résulte du texte de Nennius, est que dès le
-dixième siècle l'évhémérisme irlandais avait changé le caractère de la
-mythologie celtique. La doctrine celtique est que les hommes ont pour
-[Pg 27]premier ancêtre le dieu de la mort[1], et ce dieu habite une
-région lointaine au delà de l'Océan; il a pour demeure ces «îles
-extrêmes,» d'où, suivant renseignement druidique, une partie des
-habitants de la Gaule était arrivée directement[2]. La notion de
-cette région mythique, où l'ancêtre des hommes règne sur les morts,
-appartient en commun à la mythologie grecque et à la mythologie
-celtique. Chez Hésiode, les héros qui ont péri dans la guerre de Thèbes
-et dans celle de Troie ont trouvé une seconde existence «aux extrémités
-de la terre, loin des immortels. Kronos règne sur eux. Ils vivent,
-l'esprit libre de souci, dans les îles des Tout-Puissants et des
-Bienheureux, près de l'Océan aux gouffres profonds[3].»
-
-Or, Kronos, sous le sceptre duquel ces guerriers défunts trouvent les
-joies d'une vie meilleure que la première, est l'ancêtre primitif
-auquel ces illustres héros et la race grecque toute entière font
-remonter leur origine. Kronos est père de Zeus, et Zeus, surnommé le
-père, «Zeus, maître de tous les dieux, amoureusement uni à Pandore, a
-engendré le belliqueux Graicos[4]» d'où la race grecque est descendue.
-[Pg 28]Il y a donc une grande analogie, sur ce point, entre la
-mythologie grecque et la mythologie celtique.
-
-Dans les croyances celtiques, les morts vont habiter au delà de
-l'Océan, au sud-ouest, là où le soleil se couche pendant la plus
-grande partie de l'année, une région merveilleuse dont les joies et
-les séductions surpassent de beaucoup celles de ce monde-ci. C'est
-de ce pays mystérieux que les hommes sont originaires. On l'appelle
-en irlandais _tire beo_, ou «terres des vivants,» _tir n-aill_,
-ou «l'autre terre,» _mag mâr_[5], ou «grande plaine,» et aussi
-_mag meld_[6], «plaine agréable.» A ce nom païen, auquel rien ne
-correspondait dans les croyances
-[Pg 29]chrétiennes, l'évhémérisme des annalistes chrétiens de l'Irlande
-substitua le nom latin de la péninsule ibérique, _Hispania_. Dès le
-dixième siècle, où écrivait Nennius, ce nom, étranger à la langue
-géographique de l'Irlande primitive, avait pénétré dans la légende de
-Partholon; et c'était alors d'Espagne, et non du pays des morts, qu'on
-faisait arriver avec ses compagnons ce chef mythique des premiers
-habitants de l'île[7].
-
-
-[Footnote 1: «Galli se omnes ab Dite patre prognatos prædicant, idque a
-druidibus proditum dicunt.» César, _De bello gallico_, l. VI, ch. 18, §
-1.]
-
-[Footnote 2: «Alios quoque ab insulis extimis confluxisse.» Timagène
-chez Ammien Marcellin, l. XV, chap. 9, § 4; édit. Teubner-Gardthausen,
-t. I, p. 68.]
-
-[Footnote 3: Hésiode, _Les Travaux et les Jours_, vers 168-171.]
-
-[Footnote 4:
-
- «Πανδώρη, Διὶ πατρὶ, θεῶν σημάντορι πάντων,
- μιχθδῖσ᾽ ἐν φιλότητι, τέκε Γραῖκον μενεχάρμην.»
-
-Hésiode, _Catalogues_, fragment 20, édition Didot, p. 49. A côté de
-cette doctrine, il y en a une autre qui fait descendre les Grecs de
-Iapétos. Mais si, dans cette autre conception mythologique, Iapétos se
-distingue de Kronos, premier ancêtre des dieux, tandis que Iapétos est
-le premier ancêtre des hommes, Iapétos s'offre à nous comme une sorte
-de doublet de Kronos: il a le même père et la même mère, _Théogonie_,
-vers 134, 137; il est, avec les autres Titans, le compagnon de sa
-défaite, et il l'accompagne dans son exil; comme les autres Titans, il
-habite avec lui le Tartare, _Iliade_, VIII, 479; XIV, 279; _Hymne à
-Apollon_, vers 335-339; _Théogonie_, vers 630-735.]
-
-[Footnote 5: On trouve les deux premiers noms dans la pièce intitulée
-_Echtra Condla_, Windisch, _Kurzgefasste irische Grammatik_, p. 119,
-120; _Mag môr_, dans _Tochmarc Etaine_, chez Windisch, _Irische Texte_,
-p. 132, dernière ligne.]
-
-[Footnote 6: Co-t-gairim do Maig Mell, pièce intitulée _Echtra Condla_,
-chez Windisch, _Kurzgefasste irische Grammatik_, p. 119; cf. _Serglige
-Conculainn_, chez Windisch, _Irische Texte_, p. 209, ligne 30; et 214,
-note 24.]
-
-[Footnote 7: Novissime autem Scoti venerunt a partibus Hispaniæ in
-Hiberniam. Primus autem venit Partholanus.» _Historia Britonum_,
-attribuée à Nennius, dans _Appendix ad opera edita ab Angelo Maio_.
-Romæ, 1871, p. 98. La légende est encore plus défigurée chez Keating.
-Suivant cet auteur, Partholon arrive par mer de Mygdonie en Grèce; il
-parcourt la Méditerranée, pénètre dans l'Océan, côtoie l'Espagne en
-la laissant à droite, et débarque sur la côte sud-ouest de l'Irlande.
-Un débris de la légende primitive est conservé par la généalogie qui
-fait Partholon fils de Baath, c'est-à-dire de la Mer. Voir plus haut,
-p. 25, note 2. «Fils de la mer» est une formule poétique qui signifie
-«originaire d'une île de la mer.»]
-
-
-§3.
-
-_La création du monde dans la mythologie celtique telle que nous l'a
-conservée la légende de Partholon._
-
-Dans les sources irlandaises, la légende de Partholon est beaucoup plus
-développée que chez Nennius.
-
-La doctrine celtique sur le commencement du monde, telle qu'elle nous
-est parvenue dans les récits irlandais, ne contient aucun enseignement
-sur
-[Pg 30]l'origine de la matière[1]; mais elle nous représente la terre
-prenant sa forme actuelle peu à peu et sous les yeux des diverses
-races humaines qui s'y sont succédé. Ainsi, quand arriva Partholon,
-il n'y avait en Irlande que trois lacs, que neuf rivières et qu'une
-seule plaine. Aux trois lacs, dont nous trouvons les noms dans un poème
-d'Eochaid ûa Flainn, mort en 984, sept autres s'ajoutèrent du vivant de
-Partholon; Eochaid nous apprend aussi leurs noms[2]. Une légende nous
-raconte l'origine d'un de ces lacs. Partholon avait trois fils, dont
-l'un s'appelait Rudraige. Rudraige mourut; en creusant sa fosse, on fît
-jaillir une source; cette source était si abondante qu'il en résulta un
-lac, et on appela ce lac Loch Rudraige[3].
-
-Du temps de Partholon, le nombre des plaines s'éleva de un à quatre.
-L'unique plaine qui existât en Irlande s'appelait _Sen Mag_, «la
-vieille plaine.» Quand Partholon et ses compagnons arrivèrent
-en Irlande, il n'y avait dans cette plaine «ni racine ni rameau
-d'arbre[4].» A cette plaine unique, les enfants de Partholon en
-ajoutèrent trois autres par des défrichements, dit la légende sous la
-forme évhémériste
-[Pg 31]qui nous est parvenue[5]; mais le texte primitif parlait
-certainement de la formation de ces plaines comme d'un phénomène
-spontané ou miraculeux[6].
-
-
-[Footnote 1: Chez les chrétiens irlandais, le terme consacré pour
-désigner la matière en tant que créée est _duil_, génitif _dulo_.]
-
-[Footnote 2: Livre de Leinster, p. 5, col. 2, lignes 29-33, 37, 38.]
-
-[Footnote 3: Livre de Leinster, p. 5, col. 1, lignes 15-16. _Chronicum
-Scotorum_, édition Hennessy, p. 6.]
-
-[Footnote 4: «Ni frith frêm na flesc feda.» Poème d'Eochaid ua Flainn,
-Livre de Leinster, p. 5, col. 2, ligne 48.]
-
-[Footnote 5: Poème d'Eochaid ûa Flainn, déjà cité dans le Livre de
-Leinster, p. 5, col. 2, lignes 26-28. Le nombre des plaines nouvelles
-est de quatre dans la prose du _Lebar Gabala_, Livre de Leinster, p.
-5, col. 1, lignes 34-36, et chez Girauld de Cambrie, _Topographia
-hibernica_, III, 2, édition Dimock, p. 141, ligne 13.]
-
-[Footnote 6: L'expression consacrée est que ces plaines _ro-slechta_,
-«furent battues.» Ce n'est pas le terme propre pour exprimer l'idée
-d'un défrichement, quoi qu'en ait pu dire Eochaid na Flainn:
-
- _Ro slechta maige a môr-chaill_
- _Leis ar-gaire di-a-grad-chlaind._
-
- «Furent battues plaines hors de grand bois
- «Chez lui en peu de temps par son agréable progéniture.»
-
-Livre de Leinster, p. 5, col. 2, lignes 26 et 27.]
-
-
-§4.
-
-_Lutte de la race de Partholon contre les Fomôré._
-
-La race de Partholon ne pouvait se passer de guerre étrangère et de
-guerre civile. Elle eut la guerre étrangère contre les Fomôré auxquels
-elle livra la bataille de Mag Itha. Nous n'avons pas de raison pour
-croire que cette guerre soit une addition à la légende primitive.
-Cependant il n'est pas question de la bataille de Mag Itha dans le plus
-ancien catalogue de la littérature épique irlandaise. La plus ancienne
-mention que nous en connaissions appartient à la deuxième liste des
-morceaux qui composaient
-[Pg 32]cette littérature, et cette deuxième liste a été écrite dans la
-seconde moitié du dixième siècle.
-
-La bataille de Mag Itha fut livrée entre Partholon et un guerrier qui
-s'appelait Cichol Gri-cen-chos. _Cen-chos_ veut dire «sans pieds.»
-Cichol était donc semblable à Vritra, dieu du mal, qui n'a ni pieds ni
-mains dans la mythologie védique[1]. Des hommes qui n'avaient qu'une
-main et qu'une jambe prirent part au combat parmi les adversaires de
-Partholon. Ils nous rappellent l'Aja Ekapad[2], ou le Non-né au pied
-unique, et le Vyamsa ou démon sans épaule de la mythologie védique[3];
-Cichol, chef des adversaires de Partholon, était de la race des
-Fomôré[4], c'est-à-dire des dieux de la mort, du mal et de la nuit,
-plus tard vaincus par les Tûatha dê Danann ou dieux du jour, du bien
-et de la vie. La taille des Fomôré était gigantesque[5]: c'étaient
-des démons, dit un auteur du XIIe siècle[6]. Ces ennemis de Partholon
-étaient arrivés en Irlande, rapporte un écrivain irlandais du XVIIe
-siècle, deux cents ans avant Partholon dans six navires qui contenaient
-chacun cinquante hommes et cinquante femmes. Ils vivaient
-[Pg 33]de pêche et de chasse[7]. Partholon remporta sur eux la victoire
-et délivra l'Irlande de l'ennemi étranger.
-
-
-[Footnote 1: Bergaigne, _Mythologie védique_, t. II, p. 202, 221.]
-
-[Footnote 2: _Id., ibid._, t. III, p. 20-25.]
-
-[Footnote 3: _Id., ibid._, t. II, p. 221.]
-
-[Footnote 4: _Lebar Gabala_, dans le Livre de Leinster, p. 5, col. 1,
-lignes 19-23.]
-
-[Footnote 5: Girauld de Cambrie, _Topographia hibernica_, III, 2,
-édition Dimock, p. 141, ligne 27; p. 142, ligne 7.]
-
-[Footnote 6: _Chronicum Scotorum_, édition Hennessy, p. 6, ligne 7.]
-
-[Footnote 7: Keating, _Histoire d'Irlande_, édition de 1811, p. 166.]
-
-
-§5.
-
-_Suite de la légende de Partholon. La première jalousie, le premier
-duel._
-
-Une légende moderne raconte un des ennuis qu'eut cette heureux
-guerrier. Il surprit un jour sa femme en conversation criminelle avec
-un jeune homme. Il adressa à l'épouse infidèle une admonestation
-sévère. Elle lui répondit que c'était lui qui avait tort, et elle lui
-cita un quatrain dont voici la traduction:
-
- Miel près d'une femme, lait près d'un enfant;
- Repas près d'un héros, viande près d'un chat;
- Ouvrier à la maison à côté d'outils,
- Homme et femme seuls ensemble, il y a grand danger.
-
-Partholon, en colère, cessa de se posséder: il saisit le chien favori
-de sa femme et le lança sur le sol avec tant de violence que le pauvre
-animal périt broyé. Ce fut le premier acte de jalousie dont l'Irlande
-ait été le théâtre[1]. Partholon mourut quelques temps après. Alors
-l'Irlande fut pour la première fois le théâtre d'un duel.
-
-[Pg 34]Deux des fils de Partholon ne s'accordèrent pas; ils
-s'appelaient l'un Fer, l'autre Fergnia. Ils avaient deux sœurs, Iain
-et Ain. Fer épousa Ain, Fergnia prit pour femme Iain. A cette époque,
-en Irlande, tout mariage était un marché; les femmes se vendaient, et
-lors de leur premier mariage le prix de cette vente appartenait au père
-en totalité, si celui-ci vivait encore; quand le père était mort, une
-moitié du prix de vente de la femme appartenait au membre de la famille
-qui avait hérité de l'autorité paternelle; l'autre moitié revenait à
-la femme elle-même. Les deux frères Fer et Fergnia agitèrent entre eux
-la question de savoir qui d'entre eux exercerait le droit de chef de
-famille et percevrait la moitié du prix de vente de leurs sœurs. Ne
-pouvant s'entendre, ils eurent recours aux armes. Voilà ce que nous
-lisons dans la glose du traité de droit connu sous le nom de _Senchus
-Môr_. Suivant ce traité, quand on veut saisir une propriété féminine,
-il doit y avoir un intervalle de deux jours entre la signification
-préalable et l'acte de la saisie. Le délai est le même, dit ce texte
-juridique, quand les objets qu'il est question de saisir sont des
-armes qui doivent servir à un combat d'où doit résulter la solution
-d'un procès; et l'identité du délai résulte de ce que le premier duel
-judiciaire qui ait eu lieu en Irlande s'est livré à propos du droit des
-femmes[2].
-
-[Pg 35]La glose cite à ce sujet des vers dont voici la traduction:
-
- Les deux fils de Partholon, sans doute,
- C'est eux qui livrèrent la bataille;
- Fer et Fergnia le très brave
- Sont les noms des deux frères[3].
-
-Voici la traduction d'un autre quatrain:
-
- Fer et Fergnia furent les guerriers,
- Voilà ce que racontent les anciens;
- Ain et Tain, qui mirent en mouvement l'armée,
- Etaient deux filles principales de Partholon[4].
-
-
-[Footnote 1: _Id., ibid._, p. 164, 166.]
-
-[Footnote 2: «Athgabail aile ... im dingbâil m-bantellaig ... im tincur
-roe, im tairec n-airm, ar is im fir ban ciato imargaet roe.» _Ancient
-laws of Ireland_, t. I, p. 146, 150, 154. Saisie de deux jours ... pour
-enlever une propriété féminine ... pour avoir des objets nécessaires
-au combat, pour se procurer une arme, car c'est au sujet du droit des
-femmes que la première bataille a été livrée.]
-
-[Footnote 3:
-
- Dâ mac Partholain cen acht
- Is iat dorigni in comarc;
- Fer is Fergnia co meit n-gal
- Anmanda in dâ brâthar.
-
- _Ancient laws of Ireland_, t. I, p. 154.
-
-Ce quatrain ne peut être ancien: le nominatif neutre _anmanda_, qui
-a trois syllabes, aurait été, en vieil irlandais _anmann_, de deux
-syllabes seulement. Si l'on restituait cette forme, le vers serait
-faux. La légende de Fer et de Fergnia paraît postérieure à la rédaction
-du _Lebar Gabala_, qui donne les noms des fils de Partholon, Livre de
-Leinster, p. 5, col. I, lignes 12-14, et qui ne parle ni de Fer ni de
-Fergnia. Leur légende peut avoir été inventée pour expliquer le passage
-du _Senchus Môr_ dans la glose duquel nous la trouvons.]
-
-[Footnote 4:
-
- Fer ocus Fergnia na fir,
- Is-ed innisit na sin;
- Ain ocus Iain, do-certas sloig,
- Da prim-ingin Parthaloin.
-
-_Ancient laws of Ireland_, t. I, p. 154.]
-
-[Pg 36]§6.
-
-_Fin de la race de Partholon._
-
-L'histoire de la race de Partholon se termine par un événement
-redoutable: en une semaine, les descendants de Partholon, alors au
-nombre de cinq mille, mille hommes et quatre mille femmes, moururent
-d'une maladie épidémique qui commença un lundi et se termina le
-dimanche suivant: de tant de personnes, un seul homme restait en vie.
-Le lieu où la mort frappa ces malheureux fut la plaine de Senmag, la
-seule qu'ils eussent trouvée à leur arrivée en Irlande[1]. Suivant le
-_Glossaire_ de Cormac, ils avaient eu la sage prévoyance de se réunir
-dans cette plaine afin que les morts fussent, au fur et à mesure de
-leur décès, plus facilement enterrés par les survivants[2]. La fin
-terrible de la race de Partholon fut, dit-on, causée par la vengeance
-divine. Si Partholon avait quitté sa patrie pour habiter l'Irlande, ce
-n'était pas volontairement: c'était en exécution d'une
-[Pg 37]sentence qui l'avait condamné à l'exil[3], et cette sentence
-était juste; Partholon était coupable d'un double parricide: il
-avait tué son père et sa mère. Son bannissement ne fut pas une peine
-suffisante pour expier son crime. Pour satisfaire la vengeance divine,
-il fallut la destruction de sa race entière[4]. Ainsi, dans la légende
-homérique, les enfants de Niobé périssent jusqu'au dernier sous les
-traits que leur lancent Apollon et Artémis irrités parce que Niobé a
-insulté Latone[5]. Chez Hésiode, la race d'argent, identique à celle de
-Partholon, est détruite par la colère de Zeus[6].
-
-
-[Footnote 1: C'est la version du _Lebar gabala_, livre de Leinster,
-p. 5, col. 1, lignes 39-44. Suivant Eochaid Ua Flainn, cet événement
-serait arrivé dans la plaine de Breg. Livre de Leinster, p. 6, col.
-1, ligne 5. Sur cet événement, voir Girauld de Cambrie, _Topographia
-hibernica_, III, 2, p. 42; et le passage de Nennius cité plus haut, p.
-26.]
-
-[Footnote 2: «Fôbîth an-adnacail i-sna-muigib-sin o-nafib nad beired
-in-duineba,» «à cause de leur sépulture dans ces plaines-là par ceux
-que n'emporterait pas l'épidémie.» _Glossaire_ de Cormac chez Whitley
-Stokes, _Three irish glossaries_, p. 45.]
-
-[Footnote 3: «Doluid for longais [Partholon],» _Scêl Tûain maic
-Cairill_, dans le _Leabhar na hUidhre_, p. 15, col. 2, ligne 22.]
-
-[Footnote 4: Le _Leabhar Breathnach_, dans le livre de Lecan, manuscrit
-du quinzième siècle, après avoir rapporté la mort de la race de
-Partholon, ajoute ces mots: «a n-digail na fingaili do roindi for a
-hathair agus for a mathair.» Todd, _The irish version of the historia
-Britonum of Nennius_, p. 42.]
-
-[Footnote 5: _Iliade_, XXIV, 602-612.]
-
-[Footnote 6: _Les Travaux et les Jours_, vers 136-139.]
-
-
-§7.
-
-_La chronologie et la légende de Partholon._
-
-On compléta cette légende en introduisant dans le récit des éléments
-chronologiques étrangers à la rédaction primitive et en donnant à
-Partholon des ancêtres qui le rattachent aux généalogies bibliques. La
-leçon la plus ancienne ne contenait aucune mention
-[Pg 38]d'année: les jours seuls y étaient indiqués. Partholon était
-arrivé en Irlande le 1er mai[1]. Le 1er mai est le jour de la fête de
-Belténé ou du dieu de la mort, premier ancêtre du genre humain. Dans la
-plus ancienne tradition, c'est de lui que Partholon est fils. Il arrive
-en ce monde le jour spécialement consacré à son père.
-
-Cette indication chronologique concorde avec la principale indication
-géographique contenue dans sa légende. Quand il arriva en Irlande, ce
-fut à Inber Scêné qu'il débarqua[2]. Inber Scêné est aujourd'hui la
-rivière de Kenmare, dans le comté de Kerry, c'est-à-dire à la pointe
-sud-ouest de l'Irlande, vis-à-vis de la contrée mystérieuse où, au delà
-de l'Océan, le Celte défunt trouvait une nouvelle vie et où régnait son
-premier ancêtre.
-
-Débarquée en Irlande le jour de la fête du dieu des morts, la race de
-Partholon avait plus tard, au retour de la même fête, été frappée du
-coup fatal: la semaine terrible où une maladie épidémique avait détruit
-cette race avait commencé le 1er mai[3], et
-[Pg 39]sept jours avaient suffi au fléau pour achever son œuvre. Après
-avoir débuté le lundi dans cette œuvre funèbre, l'épidémie s'était
-arrêtée le dimanche suivant, lorsque des cinq mille personnes qui alors
-habitaient l'Irlande une seule était encore en vie.
-
-Mais quand les Irlandais devinrent chrétiens, cette généalogie si
-courte et si simple de Partholon ne fut plus admise; cette chronologie
-ne parut plus suffisante: il fallut trouver à ce personnage mythique
-des ancêtres dans la Bible, et lui donner une place dans le système
-chronologique que les travaux d'Eusèbe et le grand nom de saint
-Jérôme avaient fait adopter par les érudits chrétiens. La Bible nous
-apprend que Japhet, fils de Noé, fut père de Gomer et de Magog[4].
-Les Irlandais imaginèrent que l'un de ces deux fils de Japhet, Gomer
-suivant les uns, Magog suivant les autres, fut père ou grand-père de
-Bâth, et que Bâth donna le jour à Fênius dit _Farsaid_ ou le Vieux[5];
-Fênius Farsaid, un des ancêtres mythiques les plus célèbres de la race
-irlandaise, dont le nom juridique est Fêné, aurait été un des soixante
-et dix
-[Pg 40]chefs qui bâtirent la tour de Babel. Un de ses fils fut Nêl, qui
-épousa Scota, fille de Pharaon, d'où le nom de Scots, un de ceux qui
-désignent la race irlandaise; Nêl eut de Scota, Gôidel Glas, d'où le
-nom de Gôidel, un de ceux que porta aussi la race irlandaise[6]. Gôidel
-Glas fut père d'Esru. Esru vivait au temps de Moïse et de la sortie
-d'Egypte. Cela fait du déluge à la sortie d'Egypte, sept générations
-pour un espace de 837 ans, suivant les calculs de Bède, la grande
-autorité chronologique en Irlande au moyen âge[7], en sorte que chaque
-génération correspond à une durée de 119 ans. Esru eut plusieurs fils
-dont l'un, Sera, fut père de Partholon; et dont un autre est l'ancêtre
-des races qui ont ultérieurement peuplé l'Irlande[8].
-
-Il ne faut pas demander trop de logique aux vieux chroniqueurs
-irlandais. Si nous en croyons le _Lebar Gabala_, Partholon, petit-fils
-d'un contemporain de Moïse, arriva en Irlande la soixantième année de
-l'âge d'Abraham[9], c'est-à-dire trois cent-trente ans
-[Pg 41]avant Moïse[10]. Le même traité met aussi la venue de Partholon
-trois cents ans après le déluge[11], Nous trouvons déjà cette date:
-«trois cents ans après le déluge», dans le poème d'Eochaid ûa Flainn,
-que nous avons plusieurs fois cité[12] et qui fut écrit dans la
-seconde moitié du dixième siècle. Cette date devrait, suivant les
-Irlandais, correspondre à la soixantième année de Père d'Abraham dans
-la chronologie de Bède; mais il n'y a pas une concordance exacte, il
-faudrait quatre cent trente-sept ans[13]: nous ne pouvons rien demander
-de bien précis aux chronologistes irlandais pas plus qu'aux Gallois.
-
-On ne s'est pas contenté de fixer la date de l'arrivée de Partholon:
-on a voulu déterminer la durée de sa race. Suivant le poème d'Eochaid
-ûa Flainn, il se serait écoulé trois siècles entre le 1er mai, où la
-race de Partholon débarqua à Inber Scêné, à l'extrémité sud-ouest de
-l'Irlande, et le 1er mai où commença l'épidémie si terrible qui devait
-l'enlever tout entière. Cette durée de trois cents ans a été inspirée,
-comme la concordance avec l'ère d'Abraham et
-[Pg 42]comme le rapport chronologique entre Partholon et le déluge,
-par le désir de mettre la chronologie irlandaise en rapport avec la
-chronologie biblique. Nennius n'a pas connu ces divagations.
-
-Chez Nennius, les Pictes arrivent dans les îles Orcades d'où ils
-gagnent le nord de la Grande-Bretagne huit cents ans après l'époque
-où le prêtre Héli était juge d'Israël, et quand Postumus régnait sur
-les Latins. Si l'on s'en rapporte à la chronologie de saint Jérôme,
-Héli et Postumus vivaient au douzième siècle avant notre ère[14]; par
-conséquent, suivant Nennius, l'arrivée des Pictes dans les îles Orcades
-et en Grande-Bretagne aurait eu lieu au quatrième siècle avant notre
-ère; or, ajoute Nennius, l'arrivée des Scots en Irlande est postérieure
-à l'arrivée des Pictes en Grande-Bretagne; et le premier des Scots qui
-vint en Irlande fut Partholon[15]. Si donc nous en croyons Nennius, la
-légende des Partholon est un fait historique qui n'est pas antérieur au
-quatrième siècle avant notre ère.
-
-Nennius est donc bien loin des chronologies fantastiques
-[Pg 43]imaginées plus tard. Il n'a pas, du reste, sur les dates, des
-doctrines bien rigoureusement déterminées, et il paraît peu se soucier
-de mettre sa notation chronologique d'accord avec elle-même; car, plus
-loin, parlant d'un fait qui, dans l'histoire mythologique d'Irlande,
-est bien postérieur à l'arrivée de Partholon, racontant l'arrivée des
-fils de Milé, il nous dit qu'elle eut lieu mille douze ans après le
-passage de la mer Rouge; or, d'après sa chronologie, le passage de
-la mer Rouge aurait eu lieu quinze cent vingt-huit ans avant notre
-ère[16]; par conséquent les fils de Milé auraient débarqué en Irlande
-l'an 516 avant J.-C., tandis que Partholon, bien antérieur aux fils
-de Milé, n'aurait pas pris possession de l'Irlande avant le quatrième
-siècle, et y aurait apparu plus d'un siècle après les fils de Milé, qui
-sont cependant postérieurs à lui.
-
-Il est facile de comprendre la cause de cette contradiction. La
-chronologie des fils de Milé est fondée sur des traditions qui ont une
-certaine valeur historique, des listes de rois, par exemple, tandis que
-la légende de Partholon n'offre, dans sa forme la plus ancienne, qu'un
-seul élément de chronologie comparative: c'est l'histoire du Tûan mac
-Cairill, d'abord homme, puis successivement cerf, sanglier, vautour et
-saumon; sous ces cinq formes, il vécut en tout
-[Pg 44]trois cent vingt ans. Sous ses quatre premières formes, dont
-la durée totale fut de trois siècles, il fut témoin de toutes les
-émigrations qui constituent la plus ancienne histoire, l'histoire
-mythologique d'Irlande; puis, sous l'empire de la race actuelle,
-changé d'abord en saumon, il redevint homme et raconta ce qu'il avait
-vu. Cette fantastique et vieille légende n'offre pas une base bien
-solide aux travaux des chronologistes. Nennius n'a donc su quelle date
-donner à l'arrivée de Partholon. Après lui on a été plus hardi. Mais
-nous ferons observer que la légende de Tûan est inconciliable avec la
-doctrine des chronographes chrétiens postérieure à Nennius, suivant
-lesquels la race de Partholon aurait eu, à elle seule, trois cents ans
-de durée, et qui, de l'arrivée de cette race à celle des fils de Milé
-ou de la race actuelle, comptent neuf cent quatre-vingts ans[17] au
-lieu de trois cents, comme on lit dans la légende de Tûan.
-
-
-[Footnote 1: Cêt-somain, _Chronicum Scotorum_, édition Hennessy, p. 4.
-Le _Lebar Gabala_ ajoute: le quatorzième jour de la lune: «for XIIII
-esca,» Livre de Leinster, p. 5, col. 1, ligne 8. De ces trois mots un
-seul est resté dans le _Chronicum Scotorum_, c'est le chiffre XIIII.
-Le _Lebar Gabala_ et le _Chronicum Scotorum_ ajoutent tous deux que
-c'était un mardi. Mais nous ignorons la date de cette dernière notation
-chronologique.]
-
-[Footnote 2: «In Inbiur Scêne.» _Lebar gabala_, Livre de Leinster, p.
-5, col. 1, ligne 8; cf. Keating, édition de 1811, p. 164.]
-
-[Footnote 3: Le texte le plus ancien où nous trouvions cette date est
-un poème d'Eochaid Ua Flainn, mort en 984, et qui a été inséré dans
-dans le _Lebar gabala_, Livre de Leinster, p. 6, col. 1, ligne 4.]
-
-[Footnote 4: _Genèse_, chapitre X, versets 1, 2.]
-
-[Footnote 5: «Da mac Magog maic Iafeth, maic Noi, idon Baath ocus
-Ibath. Baath, mac doside Fenius Farsaid, athar na Scithecda, idon
-Fenius, mac Baath, maic Magog, maic Iafeth, maic Noi et reliqua.»
-_Leabhar na hUidhre_, p. 1, col. 1. Dans le Livre de Leinster, p. 2,
-col. 1, ligne 8, Gomer prend la place de Magog, et Baath descend de
-Gomer par Ibath, qui devient père de Baath, dont il est frère dans le
-_Leabhar na hUidhre_.]
-
-[Footnote 6:
-
- Fêni ô Fenius asbertar,
- brig cen docta;
- Gaedil ô Gaediul Glas garta,
- Scuit ô Scota.
-
-Livre de Leinster, p. 2, col. 1, lignes 36, 37.]
-
-[Footnote 7: Bede, _De temporum ratione_, chez Migne. _Patrologia
-latina_, t. 90, col. 524-528. Le déluge aurait eu lieu l'an du monde
-1658, la sortie d'Egypte l'an du monde 2493.]
-
-[Footnote 8: Voyez la préface du _Lebar gabala_, dans le Livre de
-Leinster, p. 2; et le _Lebar gabala_ lui-même: Livre de Leinster, p. 5,
-col. 1, lignes 6, 7 et 10.]
-
-[Footnote 9: Livre de Leinster, p. 5, col. 1, ligne 11; _Chronicum
-Scotorum_, édit. Hennessy, p. 4. Suivant Bède, l'an soixante d'Abraham
-est l'an du monde 2083.]
-
-[Footnote 10: Je suis la chronologie de Bède. L'an soixante d'Abraham
-serait l'an du monde 2083, et Moïse serait né l'an du monde 2413.]
-
-[Footnote 11: Livre de Leinster, p. 5, col. 1, ligne 5. On lit trois
-cent douze ans dans la légende de Tûan. Voyez plus bas, chap. III, § 3.]
-
-[Footnote 12: Livre de Leinster, p. 5, col. 2, lignes 19, 20.]
-
-[Footnote 13: De l'an du monde 1856, date du déluge, à l'an du monde
-2083, date de la soixantième année d'Abraham suivant la chronologie de
-Bède. Migne, _Patrologia latina_, t. LXXXX, col. 524, 527.]
-
-[Footnote 14: Migne, _Patrologia latina_, t. XXVII, col. 277-285.]
-
-[Footnote 15: «Quando vero regnabat Bruto in Britannia, Heli
-sacerdos judicabat in Israel, et tunc arca testamenti ab alienigenis
-possidebatur, Postumus autem frater ejus apud Latinos regnabat. Post
-intervallum vero multorum annorum Picti venerunt et occupaverunt
-insulas quæ vocantur Orcades et postea ex insulis vastaverunt regiones
-multas et occupaverunt eas in sinistrali parte Britanniæ tenentes usque
-ad hodiernum diem. Novissime autem Scotti venerunt a partibus Hispaniæ
-ad Hiberniam. Primus autem venit Partholonus.» _Appendix ad opera edita
-ab Angelo Maio_, Romæ, 1871, p. 98.]
-
-[Footnote 16: Suivant saint Jérôme, Migne, _Patrologia latina_, t.
-XXVII, col. 179-180, le passage de la mer Rouge aurait eu lieu 1512 ans
-avant notre ère.]
-
-[Footnote 17: De l'an du monde 2520 à l'an du monde 3500: Annales des
-Quatre Maîtres, édition d'O'Donovan, 1851, t. I, p. 4, 24.]
-
-
-[Pg 45]CHAPITRE III.
-
-ÉMIGRATION DE PARTHOLON (suite). LÉGENDE DE TUAN MAC GAIRILL.
-
-§1. Pourquoi la légende de Tûan mac Cairill a-t-elle été inventée?--§2.
-Saint Finnên et Tûan mac Cairill.--§3. Histoire primitive de l'Irlande
-suivant Tûan mac Cairill.--§4. La légende de Tûan mac Cairill et la
-chronologie. Modifications dues à l'influence chrétienne.--§5. La
-légende de Tûan mac Cairill, dans sa forme primitive, est d'origine
-païenne.
-
-
-§1.
-
-=Pourquoi la légende de Tûan mac Cairill a-t-elle été inventée?=
-
-Quand Hésiode, dans les _Travaux et les Jours_, esquisse rapidement
-l'histoire des trois premières races: de la race d'or, de la race
-d'argent et de la race d'airain, qui se sont succédé sur la terre, et
-qui ont chacune péri avant la création de la race suivante et sans
-laisser de postérité, il ne se demande
-[Pg 46]pas comment le souvenir de chacune de ces races et de leur
-histoire a pu parvenir jusqu'à lui. Dans le domaine poétique de la
-mythologie, un Grec ne s'embarrassait pas de si peu. Les Irlandais, en
-hommes sérieux, ont traité les choses moins légèrement.
-
-Comme la race d'or, comme la race d'argent, comme la race d'airain en
-Grèce, la race de Partholon, celle de Némed, celle des Tûatha Dê Danann
-se sont succédé en Irlande; la première avait disparu quand est arrivée
-la seconde, la seconde s'était éteinte quand est arrivée la troisième.
-Vaincus par les ancêtres des Irlandais modernes, la troisième race,
-celle des Tûatha Dê Danann, s'est abritée derrière le manteau de
-l'invisibilité qu'elle ne dépouille plus que dans des circonstances
-exceptionnelles. Comment est parvenue jusqu'à nous la connaissance de
-ce passé lointain qui concerne des populations où les habitants actuels
-de l'île ne comptent pas d'ancêtres, et auxquelles, par conséquent, les
-traditions des familles, les traditions nationales ne peuvent remonter?
-
-La biographie merveilleuse de Tûan mac Cairill, Tûan, fils de Carell,
-donnait aux Irlandais et peut-être même à toute la race celtique la
-solution de cette difficulté. Nous avons de cette légende une rédaction
-chrétienne arrangée par un auteur qui voulait faire accepter par le
-clergé chrétien, comme une histoire pieuse, une des plus antiques
-traditions païennes de ses compatriotes. Nous allons donner
-[Pg 47]cette tradition telle qu'elle nous a été transmise. Nous en
-connaissons trois manuscrits: le _Leabhar na hUidhre_, écrit vers
-l'année 1100; le manuscrit Laud 610 de la bibliothèque bodléienne
-d'Oxford, quinzième siècle; et le manuscrit H. 3. 18 du Collège de la
-Trinité de Dublin, seizième siècle[1].
-
-
-[Footnote 1: _Leabhar na hUidhre_, p. 15-16, incomplet; Laud 610, fos
-102-103; Trinity College Dublin, H. 3. 18, p. 38-39.]
-
-
-§2.
-
-_Saint Finnên et Tûan mac Cairill._
-
-Transportons-nous au milieu du sixième siècle de notre ère. Saint
-Finnên vient d'arriver en Irlande avec son célèbre Evangile, qui doit
-être l'objet de contestations entre lui et saint Columba. Nous avons
-parlé de la copie de cet Evangile faite par Columba, du mécontentement
-de Finnên, et de sa plainte portée devant le roi Diarmait, fils de
-Cerball[1], qui déclara Finnên propriétaire de la copie exécutée par
-Columba.
-
-Finnên fonda un monastère à Mag-bile, aujourd'hui Movilla, dans le
-comté de Down, en Ulster. Il alla un jour, accompagné de ses disciples,
-faire visite à un riche guerrier qui demeurait dans la même localité.
-Mais ce guerrier interdit aux clercs
-[Pg 48]l'entrée de la forteresse qu'il habitait. Pour obtenir la levée
-de cette défense, Finnên fut obligé de recourir au moyen que la loi
-irlandaise mettait à la disposition des faibles quand, victimes d'une
-injustice, ils voulaient contraindre les forts à céder devant leur
-plainte désarmée. Ce moyen était le jeûne[2].
-
-Il jeûna tout un dimanche devant la forteresse du puissant et
-malveillant guerrier. Celui-ci se laissa fléchir et fit ouvrir à
-Finnên. Sa croyance n'était pas bonne[3], dit le vieux conteur,
-c'est-à-dire qu'il n'était pas chrétien. Il y avait encore des païens
-en Irlande au sixième siècle.
-
-Finnên fît donc une visite au guerrier, puis retourna dans son
-monastère et y parla de sa nouvelle connaissance. «C'est un homme
-excellent,» dit-il à ses disciples; «il viendra à vous, vous consolera
-et vous racontera les vieilles histoire d'Irlande.» En effet, le
-lendemain matin, de bonne heure, le noble guerrier arrive dans la
-demeure du prêtre, et souhaite le bonjour à Finnên et à ses disciples.
-«Accompagnez-moi dans ma solitude, leur dit-il; vous y serez mieux
-qu'ici.» Ils allèrent avec lui dans sa forteresse, ils y célébrèrent
-l'office du dimanche, psalmodie, prédication et messe.--«Qui
-êtes-vous?» demanda Finnên à son hôte.--«Je
-[Pg 49]suis originaire d'Ulster,» répondit ce dernier. «Mon nom est
-Tûan, fils de Carell (en irlandais, Tûan mac Cairill); mon père
-était fils de Muredach Munderc[4]. C'est de mon père que ce désert
-m'est venu en héritage. Mais il fut un temps où l'on m'appelait
-Tûan, fils de Starn, fils de Sera, Starn mon père était frère de
-Partholon.»--«Raconte-nous,» lui dit Finnên, «l'histoire d'Irlande,
-c'est-à-dire ce qui est arrivé dans cette île depuis le temps de
-Partholon, fils de Sera[5]. Nous n'accepterons chez toi aucune
-nourriture tant que nous n'aurons pas obtenu de toi les vieux récits
-que nous désirons.»--«Il est difficile,» répondit Tûan, «que je prenne
-la parole avant d'avoir eu le loisir de méditer la parole de Dieu que
-tu nous as annoncée.»--«N'aie aucun scrupule,» lui répliqua Finnên,
-«raconte-nous, nous t'en prions, tes propres aventures et les autres
-événements qui se sont passés en Irlande.» Tûan commença ainsi:
-
-
-[Footnote 1: Diarmait, fils de Cerball, régna de 544 à 565, suivant les
-Annales de Tigernach: O'Conor, _Rerum hibernicarum scriptores_, t. II,
-1re partie, p. 139, 149.]
-
-[Footnote 2: _Senchus Môr_, dans _Ancient laws of Ireland_, t. I, p.
-112, 114, 116, 118; t. II, p. 46, 352.]
-
-[Footnote 3: «Ni-r-bu maith a-chretem ind laich,» _Leabhar na hUidhre_,
-p. 15, col. 1, lignes 39-40.]
-
-[Footnote 4: Les Annales des Quatre Maîtres, édition d'O'Donovan, t. I,
-p. 174, font mourir en 526 Cairell, roi d'Ulster, fils de Muireadhach
-Muindercc. L'année 526 des Quatre Maîtres correspond à l'année 533 de
-Tigernach, et à l'année 530 du _Chronicum Scotorum_ qui ne parlent pas
-de Cairell. Les Quatre Maîtres ont sans doute emprunté ce personnage
-à la légende de Tûan. Muireadach Muinderg, roi d'Ulster, mort en 479,
-_ibidem_, t. II, p. 1190, n'est pas plus authentique que Cairell ou
-Carell.]
-
-[Footnote 5: Sera aurait eu deux fils: 1° Partholon; 2° Starn, père de
-Tûan.]
-
-
-[Pg 50]§3.
-
-_Histoire primitive de l'Irlande suivant Tûan mac Cairill._
-
-«Cinq invasions ont été subies par l'Irlande jusqu'à présent. Personne
-n'y était venu avant le déluge; et après le déluge, personne n'y
-arriva, tant qu'il ne se fut pas écoulé trois cent douze ans.»
-
-Un autre texte fait dire à Tûan mille deux ans[1]. Il est clair que
-cette légende, dans sa forme la plus ancienne, ne parlait pas du
-déluge, et que les deux dates ajoutées après coup sont l'expression
-de deux systèmes chronologiques différents, chacun étranger à la
-mythologie celtique. Reprenons le récit de Tûan.
-
-«Alors Partholon, fils de Sera, vint s'établir en Irlande. Il était
-exilé; il amenait avec lui vingt-quatre hommes, accompagnés chacun de
-leur femme. Ses compagnons n'étaient guère plus intelligents les uns
-que les autres[2]. Ils habitèrent
-[Pg 51]l'Irlande jusqu'à ce qu'ils y furent cinq mille de la même race.
-Une mortalité les frappa entre deux dimanches, et tous perdirent la
-vie; un seul homme survécut. Car la coutume est que jamais massacre
-n'arrive sans qu'il échappe un historien qui, plus tard, raconte les
-événements. C'est moi qui suis cet homme-là. Resté seul, j'allai de
-forteresse en forteresse, de rocher en rocher, pour me mettre en sûreté
-contre les loups. Pendant vingt-deux ans, il n'y eut pas en Irlande
-d'autre habitant que moi. Je tombai dans la décrépitude, et j'arrivai à
-une extrême vieillesse. J'habitais les rochers et les déserts; mais je
-ne pouvais plus faire de course, et des cavernes me servaient d'asile.
-
-Ce fut alors que Nemed, fils d'Agnoman, prit possession de l'Irlande.
-Son père était un frère du mien[3]. Je le voyais[4] du haut des
-rochers, et je fis en sorte de l'éviter. J'avais de grands cheveux, de
-grands ongles; j'étais décrépit, gris, nu, dans
-[Pg 52]la misère et la souffrance. Après m'être endormi un soir, quand
-je me réveillai le matin j'avais changé de forme: j'étais cerf. J'avais
-retrouvé ma jeunesse et la gaieté de mon esprit, et je chantai des vers
-sur l'arrivée de Nemed et de sa race et sur la métamorphose que je
-venais de subir.»
-
-Voici la traduction de la fin de ce poème:
-
-«Près de moi est arrivée, ô Dieu bon! la tribu de Nemed, fils
-d'Agnoman. Ce sont de puissants guerriers qui, dans le combat,
-pourraient me faire de cruelles blessures. Mais sur ma tête se
-disposent deux cornes armées de soixante pointes; j'ai revêtu,
-forme nouvelle, un poil rude et gris. La victoire et ses joies me
-sont rendues faciles: il y a un instant, j'étais sans force et sans
-défense[5].
-
-Quand j'eus pris cette forme d'animal, je devins le chef des troupeaux
-d'Irlande. De grands troupeaux de cerfs marchaient tout autour de moi,
-quels que fussent les chemins que je suivisse. Telle fut ma vie au
-temps de Nemed et de ses descendants.
-
-Lorsque Nemed et ses compagnons arrivèrent en Irlande, voici comment
-s'était fait leur voyage. Ils étaient partis dans une flotte de
-trente-quatre barques, et chaque barque contenait trente personnes. En
-route, ils s'égarèrent pendant un an et
-[Pg 53]demi[6], puis ils firent naufrage et périrent presque tous de
-faim et de soif. Neuf seulement échappèrent: Nemed, avec quatre hommes
-et quatre femmes. Ce furent ces neuf personnes qui débarquèrent en
-Irlande. Ils y eurent tant d'enfants et leur nombre augmenta tellement
-qu'ils atteignirent le chiffre de quatre mille trente hommes et quatre
-mille trente femmes; alors ils moururent tous.
-
-Cependant j'étais tombé dans la décrépitude: j'avais atteint une
-extrême vieillesse. Or, j'étais une fois là, sur la porte de
-ma caverne; la mémoire m'en est restée, et je sais qu'alors la
-conformation de mon corps changea: je fus transformé en sanglier. Je
-chantai en vers cette métamorphose:
-
-«Aujourd'hui je suis sanglier ... je suis roi, je suis fort, je
-compte sur des victoires..... Un temps fut où je faisais partie de
-l'assemblée qui rendit le jugement de Partholon. Ce jugement fut
-chanté; chacun en admirait la mélodie..... Combien était agréable le
-chant de mon éclatante sentence! il plaisait aux jeunes femmes qui
-étaient bien jolies.
-[Pg 54]A la majesté, mon char associait la beauté. Ma voix rendait
-des sons graves et doux..... J'avais la marche rapide et assurée dans
-les combats..... J'étais charmant de visage..... Aujourd'hui, me
-voici changé en noir sanglier.»
-
-Voilà ce que je disais. Oui, certes, je fus sanglier. Alors je redevins
-jeune; mon esprit recouvra sa gaieté; je fus roi des troupeaux de
-sangliers d'Irlande, et je restai fidèle à mon habitude de me promener
-autour de ma maison quand je rentrais dans cette région de l'Ulster
-au temps où l'âge me faisait retomber dans la décrépitude et dans la
-misère. C'était toujours ici que se produisait ma métamorphose, et
-voilà pourquoi je revenais toujours ici attendre le renouvellement de
-mon corps.
-
-Puis Sémion, fils de Stariat, s'établit dans cette île. C'est de lui
-que descendent les Fir Domnann, les Fir Bolg et les Galiûin[7]. Ils
-possédèrent l'Irlande pendant un temps.
-
-Alors j'atteignis la décrépitude et une extrême vieillesse. J'avais
-l'esprit triste; j'étais hors d'état de faire tout ce dont j'étais
-capable auparavant; j'habitais des cavernes sombres, des rochers peu
-connus, et j'étais seul. Puis j'allai dans ma maison, comme je l'avais
-toujours fait jusque-là. Je me rappelle bien toutes les formes que
-j'avais précédemment
-[Pg 55]revêtues. Je jeûnai pendant trois jours; [j'ai oublié de vous
-dire que chacune de mes métamorphoses avait été précédée par trois
-jours de jeûne].
-
-«Au bout de ces trois jours, mes forces furent tout à fait épuisées.
-Alors je fus métamorphosé en un grand vautour, ou, pour m'exprimer
-autrement, en un énorme aigle de mer. Mon esprit recouvra sa gaieté.
-Je devins capable de tout; je devins chercheur et actif; je parcourais
-l'Irlande entière et je savais tout ce qui s'y passait. Alors je
-chantai des vers:
-
-«Vautour aujourd'hui, j'étais hier sanglier..... Dieu qui m'aime m'a
-donné cette forme..... Je vécus d'abord dans la troupe des cochons
-sauvages. Aujourd'hui me voici dans celle des oiseaux..... Par une
-merveilleuse décision de la bonté divine sur moi et sur la race de
-Nemed, cette race est soumise à la volonté des démons, et moi je vis en
-la compagnie de Dieu.»
-
-Nous demanderons la permission d'interrompre un instant Tûan mac
-Cairill pour appeler l'attention sur la forme pieuse à l'aide de
-laquelle l'auteur du moyen âge dont nous reproduisons la rédaction a
-cherché à faire accepter cette légende par le clergé chrétien. Tûan,
-changé en vautour, croit au vrai Dieu, tandis que les hommes qui
-habitent l'Irlande sont soumis à l'empire du démon et vivent dans le
-paganisme. Il aurait fallu en Irlande, au moyen âge, avoir l'esprit
-bien mal fait pour rejeter, au nom du christianisme, une si édifiante
-histoire. Mais revenons à
-[Pg 56]notre héros et écoutons la suite du récit qu'il fait à à saint
-Finnên et aux compagnons du pieux abbé.
-
-«Beothach, fils de Iarbonel le prophète, s'empara de cette île après
-avoir vaincu les races qui l'occupaient. C'est de Beothach et de
-Iarbonel que descendent les _Tûatha Dê [Danann]_, dieux et faux dieux
-auxquels on sait que remonte l'origine des savants irlandais. Il est
-probable que le voyage qui les conduisit en Irlande avait pour point de
-départ le ciel: ainsi s'expliquent leur science et la supériorité de
-leur instruction. Quant à moi, je restai longtemps en forme de vautour,
-et je vivais encore sous cette forme quand arriva la dernière de toutes
-les races qui occupèrent l'Irlande.
-
-Ce furent les fils de Milé qui firent la conquête de cette île sur les
-Tûatha Dê Danann. Cependant je gardai la forme de vautour jusqu'à un
-moment où je me trouvai dans un trou d'arbre au bord d'une rivière.
-J'y jeûnai neuf jours. Le sommeil s'empara de moi, et là même je fus
-changé en saumon. Ensuite Dieu me plaça dans la rivière pour y vivre.
-Je m'y trouvai bien; j'y fus actif et satisfait. Je savais bien nager,
-et j'échappai longtemps à tous les périls: aux mains des pêcheurs armés
-de filets, aux serres des vautours et aux javelots que des chasseurs me
-lançaient pour me blesser.
-
-Un jour, cependant, Dieu, mon protecteur, trouva bon de mettre un terme
-à cette heureuse chance. Les bêtes me poursuivaient; il n'y avait
-[Pg 57]pas d'eau où je ne rencontrasse un pêcheur en observation avec
-son filet. Un de ces pêcheurs me prit et me porta à la femme de Carell,
-roi de ce pays. Je me rappelle très bien cela. L'homme me mit sur le
-gril; la femme me désira et me mangea à elle seule tout entier, en
-sorte que je me trouvai dans son ventre. Je me souviens du temps où
-j'étais dans le ventre de la femme de Carell; j'ai conservé mémoire
-des conversations qui se tenaient dans la maison et des événements qui
-arrivèrent en Irlande à cette époque-là.
-
-Je n'ai pas oublié non plus comment, après cela, [étant petit enfant],
-je commençai à parler comme tous les hommes. Je savais tous les
-événements qui étaient arrivés en Irlande. Je fus prophète, et on me
-donna un nom: on m'appela Tûan, fils de Carell. Ce fut ensuite que
-Patrice vint en Irlande et y apporta la foi. Un grand nombre furent
-convertis; on me baptisa, et je crus au grand et unique Roi de toutes
-choses, créateur du monde.»
-
-Tûan cessa de parler. Les auditeurs le remercièrent. Finnên et ses
-compagnons passèrent avec lui dans la salle à manger. Ils restèrent
-chez lui une semaine, qu'ils employèrent à causer avec lui. Toute
-l'histoire ancienne d'Irlande, toutes les vieilles généalogies viennent
-de Tûan, fils de Carell. Avant Finnên et ses compagnons, Patrice
-s'était déjà entretenu avec Tûan, fils de Carell, qui lui avait fait
-les mêmes récits. Après saint Patrice, saint Columba a aussi conversé
-avec Tûan, qui lui a appris
-[Pg 58]les mêmes choses; et quand Tûan a raconté à Finnên les histoires
-dont nous venons de parler, il y avait là une foule de témoins; or
-tous étaient Irlandais: on ne peut donc contester leur véracité, ni
-l'exactitude du récit, que nous reproduisons d'après eux.
-
-
-[Footnote 1: Côic gabala êm, ol se, rô-gabad Eriu [co-sind-amsir-si,
-ocus ni-r-gabad rian-]dilind, ocus nì-s-ragbad iar n-[d]ilind
-co-ro-chatêa dî blîadain dêc ar tri cêtaib.» Ce texte est celui du
-_Leabhar na hUidhre_, p. 115, col. 2, lignes 19-21, sauf les mots entre
-crochets, qui sont empruntés aux manuscrits Laud 610 et H. 3. 18. La
-leçon «mille deux ans,» _da blíadain ar mile_, est celle du manuscrit
-H. 3. 18.]
-
-[Footnote 2: Cette ineptie est chez Hésiode le caractère distinctif de
-la race d'argent: _Les Travaux et les Jours_, vers 130-134.]
-
-[Footnote 3: Si nous nous en rapportons au texte du _Leabhar na
-hUidhre_, p. 15, col. 2, ligne 37, et du manuscrit Laud 610, folio 102
-verso, col. 1, Nemed aurait été frère du père de Tûan. Je crois qu'il
-y a là une faute de copie, et qu'on a écrit par erreur _brâthair_, qui
-est le nominatif, au lieu de _brâthar_, qui est le génitif.]
-
-[Footnote 4: Le _Leabhar na hUidhre_, p. 15, col. 2, ligne 38, se
-sert de la première personne du singulier du présent de l'indicatif,
-_atachim_, qu'on trouve aussi écrit _atacîîm_ dans le manuscrit H. 3.
-18, p. 38, col. 1, ligne première. C'est une mauvaise transcription
-d'un plus ancien _at-a-chînn_, qui est le présent secondaire du verbe
-_atchiu_. On trouve _attacin_, par une seule _n_, dans le manuscrit
-Laud 610, folio 102 verso, col. 1.]
-
-[Footnote 5: Dans le texte du _Leabhar na hUidhre_, p. 16, col. 1, les
-mots «is-and-sin ro-radius-[s]a na-briathra-sa sis» sont suivis d'un
-poème en six quatrains. Nous donnons la traduction des deux derniers.]
-
-[Footnote 6: Si nous en croyons le _Leabhar na hUidhre_, p. 16, col.
-1, ligne 21, et le manuscrit H. 3. 18, p. 38, col. 1, ce malheur leur
-serait arrivé dans la mer Caspienne; mais cette addition, relativement
-récente, ne se trouve pas dans le manuscrit Laud 610, folio 102 verso,
-col. 2, où le passage correspondant se lit à la première ligne. On
-sait que la géographie de Strabon fait communiquer la mer Caspienne
-avec l'Océan. Strabon, livre II, chap. V, § 18, édit. Didot-Müller et
-Deubner, p. 100, livre XI, chap. VII, § 1; même édit., p. 434.]
-
-[Footnote 7: Nous reproduisons ici le texte du _Leabhar na hUidhre_,
-p. 16, col. 2, lignes 5-7. Le nom des Galiûin a été supprimé dans les
-manuscrits H. 3. 18, p. 38, col. 2, et Laud 610, folio 102 verso, col.
-2. Ces manuscrits mettent le commencement des Galiûin plus tard.]
-
-
-§4.
-
-_La légende de Tûan et la chronologie. Modifications dues à l'influence
-chrétienne._
-
-Combien de temps Tûan avait-il vécu sous ces différentes formes? On lui
-trouvait un total de trois cent vingt ans jusqu'au moment où commence
-sa seconde vie d'homme.
-
-Voici comment on calculait:
-
-Tûan a été homme la première fois pendant......... 100 ans
-Il a vécu sous forme de cerf...................... 80 ans
- -- sous forme de porc...................... 20 ans
- -- sous forme de vautour ou d'aigle........ 100 ans
-Métamorphosé en poisson, il a passé sous l'eau.... 20 ans
- --------
- Total... 320 ans
-
-Le texte qui nous fournit ces chiffres arrête la nomenclature de ces
-indications arithmétiques au moment
-[Pg 59]où Tûan, mangé par la reine, cessa d'être poisson. Tûan,
-ajoute-t-il, resta sous forme humaine jusqu'au temps de Finnên, fils de
-Ua Fiatach[1]. Ici, aucun chiffre. Pour savoir la durée totale de la
-vie de Tûan, il faudrait trouver combien de temps a duré la dernière
-période de son existence, quand, ayant forme humaine pour la seconde
-fois, il était fils, non plus de Starn, mais de Carell.
-
-La réponse à cette question n'a pas toujours été la même. C'est à
-l'époque chrétienne qu'on a imaginé de faire vivre Tûan jusqu'au temps
-de saint Finnên, c'est-à-dire jusqu'au sixième siècle de notre ère.
-Ce sont les Irlandais chrétiens qui ont éprouvé le besoin de mettre
-l'authenticité de leurs traditions mythologiques sous le patronage de
-saint Finnên, de saint Columba et de saint Patrice. A l'époque païenne,
-il était inutile de faire vivre Tûan jusqu'à une date aussi rapprochée.
-
-L'invention de ce personnage n'avait qu'un but: expliquer comment
-avait pu se transmettre aux Irlandais l'histoire de trois races qui
-avaient, dit-on, jadis occupé l'Irlande, qui avaient depuis disparu et
-desquelles ne descendaient pas les ancêtres de la
-[Pg 60]population actuelle de l'île. Ces trois races étaient celle de
-Partholon, celle de Nemed et celle des Tûatha Dê Danann. Tûan pendant
-sa première vie d'homme avait été contemporain de la «famille» de
-Partholon et de l'arrivée de Nemed. Cerf il avait été témoin de la
-destruction de la race de Nemed. Aigle ou vautour, il avait vu les
-Tûatha dê Danann maîtres de l'Irlande.
-
-Grâce à ses transformations, Tûan avait pu, sans violer les lois
-ordinaires de la durée de la vie, sans autre phénomène surnaturel que
-ses métamorphoses, assister à l'arrivée et à la disparition successives
-des trois races qui ont précédé les fils de Milé, des trois races qui
-ont occupé l'Irlande avant les habitants historiques de l'île. Il avait
-survécu à ces trois races. Redevenu homme au temps des fils de Milé,
-c'est-à-dire des aïeux de la race irlandaise moderne, il leur avait
-raconté l'histoire de ces populations primitives, il avait même pu leur
-donner des détails sur l'origine des Fir-bolg, des Fir Domnann, des
-Fir-Galioin leurs adversaires de l'époque héroïque, puisqu'il était
-sanglier à la date de l'arrivée de ces trois peuples.
-
-Ces vieux récits, une fois connus de la race de Milé, s'étaient
-transmis père en fils et de _file_ en _file_ avec le trésor entier des
-traditions nationales. Dans la plus ancienne rédaction de la légende,
-la seconde vie humaine de Tûan avait duré ce que dure ordinairement une
-vie d'homme: la prolonger au delà des limites naturelles aurait été
-inutile et contraire
-[Pg 61]aux données fondamentales de cette composition épique qui
-n'admet pas ce genre de prodige.
-
-Mais quand, pour faire adopter par le clergé chrétien le merveilleux
-tout païen de la légende de Tûan, on imagina de le placer sous la
-protection des saints les plus célèbres et les plus respectés du
-christianisme irlandais, il fallut modifier les données primitives du
-récit et y introduire un élément surnaturel que ce récit n'avait pas
-contenu jusque-là. Dès lors il fut admis que Tûan, devenu homme pour la
-seconde fois, avait vécu sous cette forme un grand nombre de siècles.
-
-«Nous lisons dans les histoires d'Irlande,» écrit Girauld de Cambrie,
-«que Tûan dépassa de beaucoup la longévité de tous les patriarches
-bibliques. Quelque incroyable et quelque contestable que cela puisse
-paraître, il atteignit l'âge de quinze cents ans[2].» Ce miracle d'une
-excessive longévité n'a été imaginé en Irlande que quand on y a connu
-la Genèse. Mathusalem, le plus vieux des patriarches, est mort âgé de
-neuf cent soixante-neuf ans, Tûan a vécu quatre cent trente et un an
-de plus. C'est un des points par où se manifeste la supériorité de
-l'Irlande sur le reste du monde. Or, ce détail de
-[Pg 62]la légende de Tûan n'a pu être imaginé que par un auteur qui
-avait lu la Bible.
-
-Mais les métamorphoses par lesquelles Tûan est, dit-on, passé ont une
-origine littéraire tout autre.
-
-
-[Footnote 1: «Tuan fuit in forma viri centum annis in Hêri[nn] iar
-Fintan; fiche bliadna in forma porci, LXXX anni[s] in forma cervi,
-centum anni[s] in forma aquilæ, XX bliadan fo-lind in forma pi[s]cis,
-iterum in forma hominis co-sentaith co haimsir Finnio mic hui
-Fhiatach.» Bibliothèque bodléienne d'Oxford, Laud 610, folio 103 recto,
-col. 2. Nous verrons plus loin l'explication des mots _iar Fintan_,
-après Fintan, qui se rapportent à la légende de Cessair.]
-
-[Footnote 2: Giraldus Cambrensis, _Topographia Hibernica_, III, 2, dans
-_Giraldi Cambrensis opera_, édités par Dimock, t. V, p. 142. Au lieu
-de Tuanus, le nom du personnage est écrit Ruanus, fidèle reproduction
-d'une faute qui se trouve déjà dans les manuscrits de Girauld de
-Cambrie.]
-
-
-§5.
-
-_La légende de Tûan mac Cairill dans sa forme primitive est d'origine
-païenne._
-
-La croyance à des métamorphoses qui expliqueraient la merveilleuse,
-science de certains hommes est une conception celtique que nous
-trouvons aussi dans le pays de Galles. Taliésin raconte qu'il a été
-aigle[1]. L'idée qu'une âme pouvait en ce monde revêtir successivement
-plusieurs formes physiques différentes était une conséquence naturelle
-d'une doctrine celtique bien connue dans l'antiquité. Cette doctrine
-est que les défunts qui ont laissé dans le tombeau leur corps privé de
-vie trouvent en échange un corps vivant dans la contrée mystérieuse
-qu'ils vont habiter sous le sceptre séduisant du roi puissant des
-morts[2].
-
-[Pg 63]C'est la foi à cette universelle métamorphose des humains
-qui a inspiré la croyance aux métamorphoses étranges de Tûan et de
-Taliésin. Ainsi la légende de Tûan a ses racines dans un des principes
-fondamentaux de la théologie des Celtes païens. Il n'est pas du reste
-le seul personnage dont l'âme ait en Irlande revêtu successivement
-deux corps d'homme et qui soit né deux fois. Mongân, roi d'Ulster au
-commencement du sixième siècle, était identique au célèbre Find, mort
-deux siècles avant la naissance de Mongân: l'âme de l'illustre défunt
-était revenue du pays des morts animer en ce monde un corps nouveau[3].
-
-Ainsi la survivance de l'âme au corps et la possibilité que l'âme d'un
-mort prenne derechef un corps en ce monde sont des croyances celtiques,
-et ces croyances expliquent les transmigrations merveilleuses ou les
-métamorphoses qui sont un des plus curieux éléments de la légende de
-Tûan mac Cairill[4].
-
-
-[Footnote 1: «Bum eryr,» _Kad Godeu_, vers 13, chez Skene, _The four
-ancient books of Wales_, t. II, p. 137.]
-
-[Footnote 2: «Imprimis hoc volunt persuadere [druides], non interire
-animas, sed ab aliis post mortem transire ad alios.» César, _De bello
-gallico_, livre VI, c. 14, § 5.]
-
- .... Vobis auctoribus umbræ
- Non tacitas Erebi sedes Ditisque profundi
- Pallida regna petunt: regit idem spiritus artus
- Orbe alio.
-
-Lucain, _Pharsale_, l. I, v. 454-457.]
-
-[Footnote 3: On trouvera la légende de Mongân aux derniers paragraphes
-du chapitre XIV.]
-
-[Footnote 4: C'est M. W. M. Hennessy qui a appelé mon attention sur ce
-document, et je dois à son amicale obligeance la solution d'une partie
-des difficultés de la traduction.]
-
-
-[Pg 64]CHAPITRE IV.
-
-CESSAIR, DOUBLET DE PARTHOLON.--FINTAN, DOUBLET DE TUAN MAC CAIRILL.
-
-§1. Comparaison de la légende de Partholon et de Tûan avec celle
-de Cessair et de Fintan.--§2. Date où a été imaginée la légende de
-Cessair et de Fintan.--§3. Cessair chez Girauld de Cambrie et chez les
-savants irlandais du dix-septième siècle. Opinion de Thomas Moore.--§4.
-Pourquoi et comment Cessair vint s'établir en Irlande.--§5. Histoire
-de Cessair et de ses compagnons depuis leur arrivée en Irlande.--§6.
-Les poèmes de Fintan.--§7. Fintan: 1° au temps de la première bataille
-mythologique de Mag Tured; 2° sous le règne de Diarmait mac Cerbaill,
-sixième siècle de notre ère.--§8. Les trois doublets de Fintan. Saint
-Caillin, son élève: conclusion.
-
-
-§1.
-
-_Comparaison de la légende de Partholon et de Tûan avec celle de
-Cessair et de Fintan._
-
-Il y a dans l'épopée irlandaise telle qu'elle nous est parvenue un
-certain nombre de récits relativement modernes dont le thème a été
-emprunté à des
-[Pg 65]légendes plus anciennes; en changeant les noms et en modifiant
-quelques accessoires, l'auteur a su donner à une composition antique,
-qui commençait à fatiguer les auditeurs, tout le charme de la
-nouveauté. C'est un procédé dont toutes les littératures, et notamment
-les littératures épiques, nous offrent de nombreux exemples.
-
-La légende de Cessair, que les chronologistes irlandais placent au
-début de l'histoire d'Irlande, avant celle de Partholon, est une œuvre
-chrétienne imaginée probablement dans la seconde moitié du dixième
-siècle sous l'inspiration combinée de la Genèse et de la légende de
-Partholon. Cessair est une petite-fille de Noé; elle arriva en Irlande
-quarante jours avant le déluge: elle y périt submergée par les eaux
-avec tous ses compagnons. Un seul fit exception: ce fut Fintan, qui,
-par un miracle sans exemple, vécut plusieurs milliers d'années et fut,
-croyait-on, témoin dans un procès, au sixième siècle de notre ère.
-
-Fintan est un doublet de Tûan; il le copie, mais lui est de tout point
-supérieur. Il n'a pas subi de métamorphoses déshonorantes; son âme n'a
-pas habité des corps d'animaux, et, tandis que Tûan a vécu quinze cents
-ans seulement, la vie de Fintan s'est prolongée pendant cinq mille ans.
-L'Irlande, fière de Tûan, peut à bon droit s'enorgueillir d'avoir été
-habitée par un homme aussi prodigieux que Fintan.
-
-Quant à Cessair, elle a sur Partholon cette supériorité
-[Pg 66]d'intérêt que les femmes ont toujours sur le sexe fort et laid
-dont elles embellissent la vie. A la date de sa naissance littéraire,
-Cessair a eu sur le vieux Partholon cette irrésistible suprématie de la
-nouveauté, qui est identique au charme de la jeunesse; en même temps,
-par une contradiction singulière, elle vieillissait de trois siècles
-les débuts de l'histoire d'Irlande, ajoutant par ce regain d'antiquité
-un titre de plus à l'orgueil national irlandais.
-
-Cessair arriva, dit-on, en Irlande trois cents ans avant Partholon,
-quarante jours avant le déluge. Il n'y a guère de région du monde qui
-puisse faire remonter plus haut son histoire.
-
-
-§2.
-
-_Date où a été imaginée la légende de Cessair et de Fintan._
-
-Au commencement du dixième siècle Cessair n'était pas encore inventée.
-Nennius, qui écrivait son livre vers le milieu de ce siècle, n'avait
-pas entendu parler de Cessair. Le premier, dit-il, qui vint en Irlande
-fut Partholon[1]. C'est la doctrine exprimée dans la
-[Pg 67]légende de Tûan mac Cairill. «Il y eut,» dit Tûan, «cinq
-invasions en Irlande jusqu'aujourd'hui. Personne n'occupa l'Irlande
-avant le déluge[2].»
-
-Enfin, par inattention, l'auteur du _Lebar gabala_, qui commence
-l'histoire d'Irlande par la légende de Cessair, a conservé en tête de
-sa seconde section, consacrée à Partholon, les mots par lesquels la
-légende de ce héros mythique débutait aux temps chrétiens, du sixième
-au dixième siècle de notre ère, avant que les aventures de Cessair ne
-fussent inventées. Ces mots sont: «Personne de la race d'Adam n'occupa
-l'Irlande avant le déluge[3].» Or le même auteur avait écrit quelques
-lignes plus haut: «Cessair, fille de Bith, fils de Noé, prit possession
-de l'Irlande quarante jours avant le déluge[4].» La contradiction lui a
-échappé.
-
-[Pg 68]L'auteur le plus ancien qui ait parlé de Cessair est Eochaid ûa
-Flainn, mort en 984[5]. Les vers de ce poète ont été insérés dans le
-_Lebar gabala_, dont le récit en prose contient divers détails qu'on ne
-trouve pas dans le poème.
-
-La légende de Cessair, telle que nous la donnent Eochaid et le _Lebar
-gabala_, présente une grande ressemblance avec celle de Banba, dont
-il était question dans le _Cin dromma snechta_, manuscrit du onzième
-siècle, aujourd'hui perdu[6]. Banba, suivant ce récit, serait le nom
-d'une femme qui serait venue s'établir en Irlande avant le déluge. Or,
-_Banba_ est un des noms de l'Irlande qui ordinairement, dans les vieux
-textes irlandais, s'appelle _Eriu_, au génitif _Erenn_ ou _Erend_.
-
-Ceci explique pourquoi l'auteur inconnu qui, vers le milieu du douzième
-siècle, a composé les annales irlandaises intitulées _Chronicum
-Scotorum_ a écrit, dès la première page de son ouvrage, qu'en l'an du
-monde 1599 arriva en Hibernie une fille des Grecs qui s'appelait Eriu,
-Banba ou Cesar[7]. Mais, ajoute-t-il, les anciens historiens d'Irlande
-ne parlent point
-[Pg 69]d'elle[8]. On voit qu'il avait sous les yeux des sources
-identiques ou analogues à celles où Nennius avait puisé: des auteurs
-antérieurs à Eochaid ûa Flainn et chez lesquels l'histoire d'Irlande
-commençait avec Partholon.
-
-
-[Footnote 1: «Primus autem venit Partholonus» _Appendix ad opera edita
-ab Angelo Mario_, Romæ, 1871, p. 98. Le traducteur irlandais de Nennius
-entend ce passage comme nous: «Ceid fear do gab Eirind i. Parrtalon.»
-«Le premier homme qui occupa l'Irlande, c'est-à-dire Parrtalon.» Todd,
-_The irish version of the Historia Britonum of Nennius_, p. 42.]
-
-[Footnote 2: Les mots _ni-r-gabad rîan dîlind_, «elle ne fut pas
-occupée avant le déluge,» ont été passés par le copiste auquel nous
-devons le texte de cette légende conservé par le _Leabhar na hUidhre_,
-p. 15, col. 2; mais on les trouve dans le manuscrit de la bibliothèque
-bodleienne d'Oxford coté Laud 610, folio 102 verso, col. 1, et dans le
-manuscrit du Collège de la Trinité de Dublin coté H. 3. 18, p. 38, col.
-1.]
-
-[Footnote 3: «Ni ro gab nech tra do sîl Adaim Erind rîan dîlind.» Livre
-de Leinster, p. 5, col. 1, ligne 4.]
-
-[Footnote 4: «Ro-s-gab iarum Cessair, ingen Betha maic Noe, ut
-prædiximus, cethorcha laa rian dilind.» Livre de Leinster, p. 4,
-col. 2, lignes 27 et 28. Le renvoi _ut prædiximus_ se rapporte à la
-même page, col. 1, ligne 50: «Rogab em Cessair ingen Betha maic Noe
-cethorcha la rian dilind.» Ces derniers mots font partie de la préface
-du _Lebar Gabala_ ou «Livre des conquêtes,» tandis que la première
-citation est extraite du texte même du _Lebar Gabala_.]
-
-[Footnote 5: Livre de Leinster, p. 5, col. 2, lignes 6 et suiv.]
-
-[Footnote 6: Livre de Ballymote, folio 12 A, cité par O'Curry,
-_Lectures on the manuscript materials_, p. 13; Keating, _Histoire
-d'Irlande_, édition de 1811, p. 148. _Cin dromma snechta_ veut dire:
-«Cahier de parchemin au dos de neige,» c'est-à-dire couvert d'une peau
-blanche.]
-
-[Footnote 7: Hennessy, _Chronicum Scotorum_, p. 2. L'édition écrit
-_Berba_ pour _Banba_. Elle reproduit exactement la leçon du manuscrit
-qui lui sert de base; mais cette leçon est défectueuse.]
-
-[Footnote 8: «Hoc non narrant antiquarii Scotorum.» _Ibid._]
-
-
-§3.
-
-_Cessair chez Girauld de Cambrie et chez les savants irlandais du
-dix-septième siècle. Opinion de Thomas Moore._
-
-A la fin du douzième siècle, le scepticisme critique dont avait fait
-preuve l'auteur du _Chronicum Scotorum_ avait passé de mode. Girauld
-de Cambrie écrivait alors sa _Topographia hibernica_. Sa thèse est le
-contre-pied de celle qu'avait énoncée l'auteur du _Chronicum Scotorum_.
-«Selon les histoires les plus anciennes de l'Irlande, dit Girauld,
-Caesara, petite-fille de Noé, apprenant que le déluge allait arriver,
-résolut de prendre la mer et de se réfugier dans les îles de l'Occident
-les plus éloignées, que personne n'avait habitées encore; elle espérait
-qu'en un endroit où il n'avait pas encore été commis de péché, Dieu ne
-punirait pas le péché par le déluge[1].» Cependant cette colonisation
-antédiluvienne inspire certains doutes à Girauld
-[Pg 70]de Cambrie. «Le déluge, dit-il, a presque tout détruit: comment
-le souvenir de Caesara et de ce qui lui est arrivé a-t-il pu se
-conserver? Il semble qu'il y a lieu de douter. Mais cela regarde ceux
-qui ont les premiers écrit ce récit. Ce que j'ai entrepris est de
-raconter l'histoire, et non de la démolir. Peut-être une inscription
-sur pierre, sur brique ou sur une autre matière aura-t-elle gardé le
-souvenir de ces antiques événements. Ainsi,» ajoute-t-il, «la musique,
-inventée avant le déluge par Jubal, fut conservée par deux inscriptions
-que Jubal lui-même écrivit l'une sur marbre, l'autre sur brique[2].»
-
-Girauld de Cambrie ignore ou affecte d'ignorer que Fintan, un des
-compagnons de Cessair, avait échappé au déluge, et grâce à une vie de
-cinq mille ans, avait pu encore, au cinquième et au sixième siècles de
-notre ère, attester l'authenticité des récits qui concernent l'histoire
-d'Irlande aux époques les plus reculées. Aussi les Quatre Maîtres, qui
-terminaient leur ouvrage, comme nous le savons, en 1636, ont-ils, sans
-hésitation, commencé l'histoire de leur patrie à l'arrivée de _Ceasair_
-en Irlande, quarante jours avant le déluge, qui aurait eu lieu, suivant
-eux, conformément à la chronologie de saint Jérôme, l'an du monde 2242,
-avant J.-G. 3451[3].
-
-[Pg 71]Keating est moins confiant. Après avoir raconté la légende de
-Cessair, il dit que, s'il l'a écrite, c'est qu'il l'a trouvée dans
-de vieux livres; mais qu'il ne comprend pas comment elle a pu être
-transmise aux populations qui sont venues habiter l'Irlande après le
-déluge. Deux explications, cependant, ajoute-t-il, seraient possibles.
-L'une serait que cette histoire aurait été racontée aux Irlandais par
-les démons-femmes, êtres aériens qu'on appelle fées, et qui étaient
-souvent leurs épouses au temps du paganisme[4]. Peut-être aussi cette
-histoire aura-t-elle été gravée sur des pierres et ces inscriptions
-auront-elles été lues après le déluge par les nouveaux habitants
-de l'Irlande. Quant au Fintan qui vécut après le déluge, nous ne
-pouvons, dit-il, admettre qu'il soit le même que celui qui aurait
-existé avant le déluge. L'Ecriture nous apprend que le genre humain
-périt tout entier dans le déluge, à l'exception de huit personnes dont
-elle nous donne la liste, et dans cette liste le nom de Fintan ne se
-trouve pas[5]. Keating a fait école, et le célèbre poète irlandais
-Thomas Moore, le plus connu des auteurs qui dans ce siècle ont écrit
-l'histoire d'Irlande, déclare qu'on est unanime aujourd'hui
-[Pg 72]pour considérer Caesara ou Cessair comme un personnage
-fabuleux[6].
-
-Le grand intérêt que présente cette légende est d'être à peu près
-rigoureusement datée. Elle a été imaginée dans la seconde moitié du
-onzième siècle; et en l'étudiant nous voyons comment, en Irlande, on
-s'y est pris pour développer et rajeunir la vieille légende celtique,
-en remplaçant par des données chrétiennes et bibliques ce qui, dans le
-vieux récit, était trop empreint des doctrines du paganisme celtique.
-
-
-[Footnote 1: _Topographia hibernica_, Dist. III, chap. I, dans _Giraldi
-Cambrensis opera_, édition Dimock, t. V, p. 139.]
-
-[Footnote 2: _Topographia hibernica_, Dist. III, chap. 1, 13, dans
-_Giraldi Cambrensis opera_, édition Dimock, t. V, p. 140, 159.]
-
-[Footnote 3: O'Donovan, _Annals of the kingdom of Ireland by the four
-masters_, 1851, t. I, p. 2.]
-
-[Footnote 4: «Acht munab iad na deamhuin aerdha, do bhiodh i n-a
-leannanuibh sîthe aca, thug dhôibh iad re linn a bheith i n-a
-bpagânaighibh dhôibh.» «A moins que ce ne fussent les démons aériens,
-qui étaient avec eux sous forme de concubines fées, qui leur aient
-rapporté ces histoires, au temps où ils étaient païens.» Keating,
-_Histoire d'Irlande_, édition de 1811, p. 154.]
-
-[Footnote 5: Keating, _ibid_.]
-
-[Footnote 6: «Cesara is allowed on all hands to have been a purely
-fabulous personage.» _The History of Ireland by Thomas Moore esq._
-Paris, 1835, vol. I, p. 77.]
-
-
-§4.
-
-_Pourquoi et comment Cessair vint s'établir en Irlande._
-
-Cessair est fille de Bith; Bith est un des fils de Noé; Moïse, dans
-la Genèse, a oublié de parler de Bith et de Cessair. Noé construisait
-l'arche; Bith envoya un messager à Noé et le fit prier de lui réserver
-dans l'arche un appartement tant pour lui que pour sa fille Cessair.
-Noé refusa[1]. Partez, dit-il à Cessair; allez dans les régions les
-plus occidentales du monde; certainement le déluge ne les atteindra
-pas[2].
-
-[Pg 73]Si nous en croyons un récit moderne, Cessair avait abandonné le
-culte du vrai Dieu, du Dieu de Noé, pour le culte d'une idole; et ce
-fut cette idole qui lui donna le conseil de s'embarquer et d'aller au
-loin chercher un lieu où elle pût être à l'abri du déluge[3]. Cessair
-partit avec trois navires, et après une navigation de sept ans trois
-mois elle atteignit avec eux le rivage d'Irlande à Dûn nam-Barc, dans
-le territoire de Corco Duibne, aujourd'hui Corca Guiny[4]. Deux des
-navires firent naufrage et tous ceux qui s'y trouvaient périrent.
-Les passagers du troisième arrivèrent seuls à terre sains et saufs.
-C'étaient Cessair, Bith son père, deux autres hommes, savoir Ladru et
-Fintan; enfin, cinquante jeunes femmes.
-
-
-[Footnote 1: Keating, édition de 1811, p. 150.]
-
-[Footnote 2: _Lebar gabala_, livre de Leinster, p. 4, col. 2, lignes
-30, 31.]
-
-[Footnote 3: _Histoire d'Irlande_, par Keating, édition de 1811, p.
-150.]
-
-[Footnote 4: _Lebar gabala_, dans le livre de Leinster, p. 4, col. 2,
-lignes 31-33. Suivant O'Donovan, _Annals of the kingdom of Ireland by
-the Four masters_, 1851, t. I, p. 3, note _c_, Dun na m-barc serait
-identique à Dunamarc en Corca Luighe, au comté de Cork, et non de
-Kerry. La durée de sept ans trois mois est attribuée au voyage par le
-récit de Keating, édition de 1811, p. 152.]
-
-
-§5.
-
-_Histoire de Cessair et de ses compagnons depuis leur arrivée en
-Irlande._
-
-La première chose que firent les trois hommes fut de se partager les
-femmes. Fintan chanta cette opération en seize vers, où il donne les
-noms des
-[Pg 74]femmes placées dans chacun des trois lots. Le sien comprit
-dix-huit femmes, plus Cessair; Bith et Ladru durent chacun se contenter
-de seize femmes[1].
-
-Il y avait quarante jours qu'ils étaient arrivés en Irlande quand le
-déluge commença. Les eaux atteignirent successivement Ladru, à la
-montagne qui de son nom est appelée Ard Ladran; Bith, à la montagne
-qui reçut de lui le nom de Sliab Betha; et Cessair dans l'endroit
-qui, à cause d'elle, fut appelé Cuil Cesra[2]. Cessair mourut la
-dernière avec les cinquante jeunes femmes qui s'étaient réfugiées près
-d'elle[3]. Fintan, seul, échappa au fléau qui avait ôté la vie à ses
-deux compagnons et à ses cinquante et une compagnes. Il vécut, dit-on,
-jusqu'à la septième année du roi Diarmait mac Cerbaill[4], c'est-à-dire,
-[Pg 75]si nous admettons la chronologie du _Chronicum Scotorum_,
-jusqu'à l'année 551 de notre ère.
-
-
-[Footnote 1: Ce poème se trouve dans le livre de Leinster, p. 4, col.
-2, et p. 5, col. 1.]
-
-[Footnote 2: La science d'O'Donovan lui a fait retrouver les endroits
-où périrent ces premiers habitants de l'Irlande. Ard Ladran était
-située sur la mer, dans la partie orientale du comté de Wexford, en
-Leinster; Sliab Betha, aujourd'hui Slieve Beagh, est une montagne
-située sur la limite des deux comtés de Fermanagh et de Monaghan, en
-Ulster; on montre encore sur cette montagne le carn ou monceau de
-pierres sous lequel Bith aurait été enterré. Cuil Cesra, le tombeau de
-Cessair, était sur les bords de la Boyne. O'Donovan, _Annals of the
-kingdom of Ireland by the Four masters_, 1851, t. I, p. 3, notes _d, f,
-g_; p. 4, note _h_.]
-
-[Footnote 3: Un poème attribué à Fintan fait mourir Bith, Ladru et
-Cessair dans les eaux du déluge. Livre de Leinster, p. 4, col. 2,
-lignes 8, 9. Un récit plus récent, conservé par Keating (édit. de 1811,
-p. 154), les fait mourir tous trois avant le déluge.]
-
-[Footnote 4: _Lebar gabala_, dans le livre de Leinster, p. 12, col. 1,
-lignes 37-39. Suivant ce texte, Fintan serait né sept ans seulement
-avant le déluge, en sorte qu'il aurait déjà eu dix-neuf femmes à cet
-âge si tendre. Peut-être faut-il lire dix-sept ans.]
-
-
-§6.
-
-_Les poèmes de Fintan._
-
-Pendant ce long espace de temps, il fut témoin d'événements nombreux.
-On lui attribue des poèmes sur les faits les plus anciens de l'histoire
-irlandaise. Voici la traduction d'un des principaux:
-
-«Si l'on m'interroge sur l'Irlande, je sais et je puis raconter avec
-plaisir toutes les conquêtes dont elle fut l'objet depuis l'origine du
-monde séduisant. D'Orient vint Cessair, une femme, fille de Bith, avec
-ses cinquante jeunes filles, avec ses trois hommes. Le déluge atteignit
-Bith sur sa montagne sans mystère; Ladru à Ard Ladrann; Cessair à Cul
-Cesra. Pour moi, pendant un an sous le déluge rapide dans l'élévation
-de l'onde puissante, j'ai joui d'un sommeil qui était très bon. Puis,
-en Irlande, ici, j'ai trouvé au-dessus de l'eau mon chemin jusqu'à
-ce que Partholon vînt d'Orient, de la terre des Grecs. Ensuite, en
-Irlande, ici, j'ai joui du repos; l'Irlande était vide jusqu'à ce
-qu'arriva le fils d'Agnoman, Némed, aux coutumes brillantes[1]. Les
-Fir-Bolg et les Fir-Galian vinrent longtemps
-[Pg 76]après, et les Fir Domnann aussi; ils débarquèrent à Eris[2], à
-l'ouest. Ensuite arrivèrent les Tûatha Dê Danann dans leur capuchon
-de brouillard. J'ai longtemps vécu avec eux, quoique cette époque
-soit bien éloignée. Après cela, les fils de Milé vinrent d'Espagne et
-du sud. J'ai vécu avec eux; leurs combats étaient puissants. J'avais
-atteint un âge avancé, je ne le cache point, quand la foi pure me fut
-envoyée par le roi du ciel nuageux. C'est moi qui suis le beau Fintan,
-fils de Bochra; je le dis hautement. Depuis que le déluge est venu ici,
-je suis un haut personnage en Irlande[3].»
-
-On attribue aussi à Fintan des poèmes sur la division de l'Irlande
-en cinq grandes provinces[4]; sur les petites circonscriptions dites
-_Triocha-ced_[5], sur la question de savoir quelles sont les personnes
-qui ont, les premières, introduit en Irlande diverses
-[Pg 77]espèces d'animaux[6], etc. Un des plus curieux raconte la
-conversation qu'un jour Fintan eut avec un vieil aigle de l'île d'Aicil
-sur la plus ancienne histoire de l'Irlande[7].
-
-
-[Footnote 1: _Niamda a gnas_, correction pour _nimtha gnas_, leçon du
-livre de Leinster.]
-
-[Footnote 2: Eris, dans le comté de Mayo.]
-
-[Footnote 3: Livre de Leinster, p. 4, col. 2, lignes 4-25; livre
-de Ballymote, folio 12 recto, col. 2; livre de Lecan, folio 271
-verso, col. 1; livre de Fermoy, folio 4 recto, col. 2, d'après Todd,
-_Proceedings of the Royal Irish Academy, Irish manuscripts series_,
-vol. I, part I, 1870, p. 6. Une édition de ce document, accompagnée
-d'une traduction anglaise, a été publiée dans les _Transactions of the
-Ossianic Society_, t. V, p. 244-249. Malheureusement l'auteur ne s'est
-pas servi du meilleur manuscrit.]
-
-[Footnote 4: Livre de Leinster, p. 8, col. 2, ligne 33.]
-
-[Footnote 5: Trinity College de Dublin, manuscrit H. 3. 18, p.
-45, lignes 14 et suiv.; Manuscrits Stowe, 16 et 31, chez O'Conor,
-_Bibliotheca manuscripta Stowensis_, p. 91, 146; O'Curry, _Cath Mhuighe
-Leana_, p. 106-109; British Museum, manuscrit Egerton 118, p. 110.]
-
-[Footnote 6: British Museum, ms. Egerton 138, p. 99.]
-
-[Footnote 7: British Museum, Egerton 1782, folio 47 recto; Livre de
-Fermoy folio 99 verso, col. 1, cité par Todd, _Proceedings of the Royal
-irish Academy, Irish manuscripts series_, vol I, part I, p. 43; _Royal
-irish Academy_, manuscrit coté 23. D. 5, autrefois 46. 4, p. 235.]
-
-
-§7.
-
-_Fintan: 1° au temps de la première bataille mythologique de Mag-Tured;
-2° sous le règne de Diarmait mac Cerbaill (sixième siècle de notre
-ère)._
-
-La légende de Fintan était déjà créée quand a été imaginée la première
-des deux batailles de Mag-Tured, qui a été composée la seconde, et où
-les Tûatha Dê Danann auraient vaincu les Fir-Bolg. Avant la première
-bataille de Mag-Tured, les Fir-Bolg consultèrent Fintan, dont ils
-savaient apprécier la vieille expérience. Des fils de Fintan prirent
-part à cette bataille et y perdirent la vie[1].
-
-Enfin, vers le milieu du sixième siècle de notre ère, Fintan eut à
-intervenir comme témoin dans un procès entre le roi Diarmait, fils de
-Cerball, et les
-[Pg 78]descendants du roi Nîall Aux-neuf-otages, alors établis dans
-la petite province de Midé, qui forme aujourd'hui les deux comtés de
-Meath et de Westmeath. Ceux-ci se plaignaient de l'excessive étendue
-qu'avait prise depuis quelque temps, disaient-ils, à leur préjudice, le
-domaine royal de Tara, situé dans le comté de Meath. Le roi Diarmait
-leur demanda s'ils pouvaient prouver par témoins qu'autrefois le
-domaine royal de Tara fut moins considérable. Ils envoyèrent chercher
-les hommes les plus vieux et les plus intelligents du pays; on en
-trouva neuf, entre autres Cennfaelad, alors archevêque d'Armagh, et
-Tûan mac Cairill, le fameux compagnon de Partholon, seul survivant
-de la colonie que Partholon avait amenée. Cinq de ces vieux sages
-comparurent à la cour du roi, mais ils refusèrent de se prononcer
-sur la question en litige tant que leur doyen n'aurait pas été
-consulté, et ce doyen, c'était Fintan, fils de Bochra, le compagnon
-de l'antédiluvienne Cessair, de beaucoup leur supérieur à tous, et
-en âge et en science. On alla chercher Fintan, qui demeurait alors à
-Dun-Tulcha, dans le comté de Kerry. Fintan ne se fit pas prier. Il
-arriva au palais avec un nombreux cortège. Neuf groupes d'hommes le
-précédaient, autant le suivaient: c'étaient ses descendants. Le roi et
-son peuple l'accueillirent cordialement, et, après avoir pris un peu de
-repos, il leur raconta sa merveilleuse histoire et celle de Tara depuis
-sa fondation. Ses auditeurs lui demandèrent de leur démontrer, par un
-exemple, quelle confiance sa mémoire
-[Pg 79]méritait.--«Volontiers,» répondit Fintan. «Je traversais un jour
-un bois dans le Munster occidental. J'en rapportai chez moi une baie
-rouge d'if; je la plantai dans le jardin de ma maison. La semence germa
-et produisit un if qui devint grand comme un homme. Alors, j'ôtai cet
-arbre du jardin et je le transplantai dans la prairie qui dépendait de
-mon habitation. Il devint assez grand pour abriter sous son feuillage
-cent guerriers et les protéger contre le vent, la pluie, le froid et la
-chaleur. Nous vécûmes côte à côte, l'if et moi, jusqu'à ce que, mort de
-vieillesse, cet arbre perdit toute ses feuilles. Pour ne pas le laisser
-perdre sans en tirer profit, je le coupai, et du bois de sa tige je
-fabriquai sept grandes cuves, sept cuves moyennes et sept petites
-cuves, sept barattes, sept grands pots, sept pots moyens et sept petits
-pots, soit quarante-neuf vases de sept dimensions différentes dont
-cet arbre me fournit tant le merrain que les cercles. Je me servis
-longtemps de tous ces vases d'if, mais enfin ils vieillirent tant que
-leurs cercles tombèrent. Je me remis au travail: des grandes cuves, je
-fis des cuves moyennes; des cuves moyennes, je fis de petites cuves;
-des petites cuves, je fis des barattes; des barattes, je fis de grands
-pots; des grands pots, je fis des pots moyens; des pots moyens, je fis
-de petits pots. Mais aujourd'hui; de tous ces vases il ne reste que de
-la poussière, et j'ignore même ce que cette poussière est devenue.»
-
-[Pg 80]De cette légende on n'a pas de manuscrit antérieur au
-quatorzième siècle[2]. Mais au moins, quant à ses traits fondamentaux,
-elle existait déjà trois siècles auparavant, car il en est question
-dans le _Lebar gabala_ ou Livre des invasions, qui paraît remonter au
-onzième siècle[3].
-
-
-[Footnote 1: Manuscrit du Collège de la Trinité de Dublin, coté H. 3.
-17, et cité chez O'Curry,_ On the manners_, t. I, p. CCCCLVIII, note;
-t. III, p. 59, 60.]
-
-[Footnote 2: Le manuscrit principal paraît être celui qui est coté
-H. 2. 16 au Collège de la Trinité de Dublin. La pièce dont il s'agit
-se trouve aux col. 740-749. Elle commence par les mots _Incipit do
-sui[diu]gadh tellaich Temra_. O'Curry en a analysé certaines parties
-et traduit d'autres, _On the manners_, t. III, p. 59-62; il a donné
-un extrait du texte original dans le même volume, p. 242, note. Voir
-aussi, à la Bibliothèque bodléienne d'Oxford, le manuscrit Laud 610, f°
-57 verso, et, dans la Bibliothèque de la _Royal irish Academy_, sous
-la cote 3. Q, autrefois 39. 6, la copie du Livre de Lismore, exécutée
-par Joseph O'Longan, folios 132-134. Enfin, il faut rapprocher de ces
-textes le fragment du _Dinn-senchus_ concernant Tara, qui a été publié
-par Petrie, _On the history and antiquities of Tara-hill_, p. 129-132.]
-
-[Footnote 3: Livre de Leinster, p. 12, col. 1, lignes 36-40. L'auteur
-de _Lebar gabala_ s'appuie sur l'autorité de Fintan pour établir
-l'authenticité du récit où l'on trouve les noms des trente-six chefs
-qui auraient commandé les Gôidels à leur arrivée en Irlande; et il dit
-que Fintan vécut jusqu'à la septième année du règne de Diarmait. C'est
-l'époque où Fintan serait venu porter son témoignage à l'assemblée de
-Tara.]
-
-
-§8.
-
-_Les trois doublets de Fintan. Saint Caillin, son élève. Conclusion._
-
-Les théologiens scrupuleux avaient peine à admettre comme authentique
-l'histoire de cet homme extraordinaire qui aurait échappé au déluge et
-qui cependant ne serait pas entré dans l'arche. Mais
-[Pg 81]Fintan eut des partisans hardis qui soutinrent que cet Irlandais
-prodigieux n'avait pas seul eu cette bonne fortune.
-
-Il y a, racontèrent-ils, quatre points cardinaux: l'est et l'ouest,
-le sud et le nord. Or, chacun d'eux a eu son homme. Il y a eu quatre
-hommes pour raconter les événement merveilleux et les vieilles
-histoires arrivées dans le monde. Deux sont nés avant le déluge et lui
-ont échappé: l'un est Fintan, fils de Bochra, fils de Lamech, qui a
-eu dans son lot les histoires d'Espagne et d'Irlande, c'est-à-dire de
-l'Occident, et qui a vécu 5550 ans, dont 50 avant le déluge et 5500
-après; l'autre est Fors, fils d'Electra, fils de Seth, fils d'Adam.
-Celui-ci a eu pour mission d'observer les événements qui ont eu lieu en
-Orient; il vécut cinq mille ans et mourut à Jérusalem, sous l'empereur
-Auguste, l'année où naquit Jésus-Christ. Les deux autres sont: un
-petit-fils de Japhet et un arrière-petit-fils de Cham. L'un, qui avait
-le nord pour lot, mourut sur les bords de l'Araxe la quinzième année de
-l'empereur Tibère, après avoir vécu quatre mille ans. L'autre, chargé
-de la conservation des récits qui concernaient le Midi, mourut en
-Corse à l'époque où Cormac, fils d'Art, était roi suprême d'Irlande,
-c'est-à-dire au second siècle de notre ère. Cette légende audacieuse a
-été transcrite vers l'année 1100 dans le _Leabhar na h-Uidhre_[1].
-
-[Pg 82]Plus tard, un écrivain plus timide, sans rayer Fintan de la
-liste des hommes célèbres d'Irlande, sans effacer des annales d'Irlande
-la légende de Cessair, a fait de Fintan le maître de saint Caillin.
-Ce pieux personnage reçut pendant cent ans les leçons de Fintan. Sur
-les conseils de ce savant professeur, il alla compléter son éducation
-à Rome, où il passa deux siècles. Il revint en Irlande au temps de
-saint Patrice, et ce fut alors qu'un ange, envoyé par le Christ, lui
-révéla l'histoire d'Irlande depuis l'arrivée de Cessair. Caillin vécut
-jusqu'au temps de Diarmait, où, prophétisant, il fit connaître la liste
-des rois qui devaient régner en Irlande de la mort de Diarmait à la fin
-du monde et au dernier jugement de Dieu.
-
-Cette composition étrange a été écrite vers la fin du XIIIe siècle[2].
-Elle nous offre la dernière évolution de la légende de Fintan.
-Cette légende, comme celle de Cessair, dont elle est un accessoire,
-n'appartient point à la mythologie celtique: ce sont des créations de
-l'Irlande chrétienne. Mais leur intérêt consiste en ce qu'elles ont été
-inspirées par la légende de Partholon et de Tûan mac Cairill, dans
-[Pg 83]laquelle il y a un fond de mythologie celtique clairement
-apparent, malgré les ornements accessoires et les additions érudites
-par lesquelles l'imagination et la science irlandaise l'ont
-développée et altérée dans les temps chrétiens. Nous avons établi
-que, vraisemblablement, les aventures de Cessair et de Fintan ont été
-inventées vers la fin du dixième siècle. La date de cette composition
-nouvelle, qui se rapproche de la date où les Irlandais prennent
-définitivement le dessus dans les luttes avec leurs conquérants
-scandinaves, est aussi digne d'attention que les procédés à l'aide
-desquels ce récit, dont le point de départ est celtique, a pris
-naissance et s'est développé.
-
-
-[Footnote 1: _Leabhar na h-Uidhre_, p. 120, col. 2.]
-
-[Footnote 2: _The book of Fenagh in irish and english, originally
-compiled by St Caillin, archbishop, abbot, and founder of Fenagh, alias
-Dunbally of Moy-Reim, tempore sancti Patricii, with the contractions
-resolved and as far as possible the original text restored; the whole
-carefully revised, indexed and copiously annotated by W. M. Hennessy
-M. R. I. A. and done into english by D. H. Kelly M. I. R. A._ Dublin,
-1875.]
-
-
-[Pg 84]CHAPITRE V.
-
-ÉMIGRATION DE NÉMED ET MASSACRE DE LA TOUR DE CONANN.
-
-§1. Origine de Némed; son arrivée en Irlande.--§2. Le règne de Némed
-en Irlande; ses premières relations avec les Fomôré.--§3. Ce que c'est
-que les Fomôré. Textes divers qui les concernent.--§4. L'équivalent des
-Fomôré dans la mythologie grecque et dans la mythologie védique.--§5.
-Combats de Némed contre les Fomôré.--§6. Domination tyrannique des
-Fomôré sur la race de Némed. Le tribut d'enfants. Comparaison avec
-le Minotaure.--§7. L'idole _Cromm crûach_ ou _Cenn crûach_ et les
-sacrifices d'enfants en Irlande. Les sacrifices humains en Gaule.--§8.
-Tigernmas, dieu de la mort, doublet de _Cromm crûach_.--§9. Le désastre
-de la tour de Conann d'après les documents irlandais.--§10. Le désastre
-de la tour de Conann suivant Nennius. Comparaison avec la mythologie
-grecque.
-
-
-§1.
-
-_Origine de Némed. Son arrivée en Irlande._
-
-Nennius, qui n'a entendu parler ni de Cessair ni de Fintan, commence
-l'histoire d'Irlande par la légende
-[Pg 85]de Partholon, qu'il fait précéder de ces mots: «Les Scots
-vinrent d'Espagne en Irlande.» Partholon est, suivant lui, le premier
-de ces Scots arrivés d'Espagne en Irlande; et après avoir donné sur
-Partholon quelques détails dont il a été question plus haut, Nennius
-continue en ces termes: «Le second qui vint en Irlande fut Nimeth, fils
-d'un certain Agnomen qui, dit-on, navigua sur mer un an et demi, et qui
-ensuite, ayant fait naufrage, débarqua dans un port d'Irlande. Il y
-resta beaucoup d'années, puis, se réembarquant, il retourna en Espagne
-avec les siens.»
-
-Dans ce texte, le mot _Espagne_ est une traduction savante des mots
-irlandais _mag môr_, «grande plaine»[1], _trag mâr_, «grand rivage,»
-_mag meld_, «plaine agréable,» par lesquels les païens irlandais
-désignaient le pays des Morts, lieu d'origine et dernier asile des
-vivants. C'est l'évhémérisme chrétien qui a substitué le nom d'Espagne
-à ces expressions mythologiques, témoignage des croyances acceptées en
-des temps plus anciens. La légende de Tûan mac Cairill s'exprime d'une
-manière qui enlève tout doute: «Le nombre des compagnons de Némed
-[Pg 86]finit par atteindre quatre mille trente hommes et quatre mille
-trente femmes. Alors ils moururent tous[2].» Ils moururent tous: voilà
-ce qu'une rédaction antique, aujourd'hui perdue, rendait par les mots:
-«Ils firent le voyage de la Grande Plaine, du Grand Rivage, ou de la
-Plaine agréable,» formule où Nennius voit l'indication d'un retour en
-Espagne.
-
-Dans la plupart des textes irlandais, la légende de Némed est beaucoup
-plus développée que chez Nennius et que dans le bref résumé attribué
-à Tûan. Une des additions qu'elle reçoit est le résultat de ce
-qu'ordinairement on classait autrement que Nennius ne l'a fait un
-des vieux récits qui sont les éléments fondamentaux de la mythologie
-irlandaise. Nennius met un de ces récits à une place où nulle part
-ailleurs nous ne le trouvons. Nous voulons parler de la pièce intitulée
-_Massacre de la tour de Conann_[3]. Ce morceau est un des plus anciens
-dont se compose la littérature épique irlandaise, puisqu'il est compris
-dans la première de nos listes, qui paraît avoir été rédigée vers
-l'an 700. Or, Nennius en fait un épisode de l'histoire des fils de
-Milé. C'est probablement une erreur de sa part, car tous les documents
-irlandais sont d'accord pour placer cet événement légendaire dans
-l'histoire de la race de Némed.
-
-[Pg 87]La plupart des documents nous présentent cette histoire avec
-bien des détails ajoutés à diverses dates, toutes relativement
-récentes. Ainsi, ce n'est ni d'Espagne ni du pays des Morts que
-vient Némed. Il arrive d'une région de la Scythie habitée par
-les Grecs. Parti avec quarante-quatre navires, il en avait perdu
-quarante-trois en route et avait passé un an et demi dans la mer
-Caspienne; et ce fut avec un seul navire qu'il atteignit les côtes de
-l'Irlande. Voilà ce que nous raconte, à la fin du onzième siècle, le
-Livre des Invasions[4]. Au dixième siècle on savait,--Nennius nous
-l'apprend,--que Némed avait été un an et demi sur mer avant d'atteindre
-l'Irlande; au onzième siècle la science irlandaise s'était accrue
-d'une notion supplémentaire: on était en mesure de dire sur quelle mer
-cette longue navigation s'était accomplie. On avait découvert qu'il
-s'agissait de la mer Caspienne[5]. Au dix-septième siècle, ce voyage
-par mer de la mer Caspienne en Irlande parut inadmissible aux savants
-irlandais: à la mer Caspienne on substitua le Pont-Euxin. «Quand,
-dit Keating, Nemhed partit de Scythie pour se rendre en Irlande, il
-s'embarqua sur une petite mer qui tire ses eaux de l'Océan, et le
-nom par lequel on désigne cette petite mer est _mare Euxinum_.» Un
-traducteur moderne nous apprend que le Pont-Euxin s'appelle
-[Pg 88]aujourd'hui mer Noire. «Toutefois,» ajoute-t-il, «il y a
-évidemment ici une erreur de Keating; c'est dans la mer Baltique que
-Nemhed s'est embarqué.» Mais Keating parle bien du Pont-Euxin: «C'est,»
-dit l'historien irlandais, «la limite entre la région nord-ouest de
-l'Asie et la région nord-est de l'Europe;» et, ajoute-t-il pour montrer
-qu'il a étudié sa géographie, «c'est dans la région nord-ouest de
-l'Asie que sont les monts Riphées. Selon Pomponius Méla, ils séparent
-de la petite mer, dont nous venons de parler, l'Océan septentrional.
-Nemhed laissa à main droite les monts Riphées, jusqu'à ce qu'il arriva
-à l'Océan qui est au nord, et il eut l'Europe à sa main gauche jusqu'à
-ce qu'il atteignit l'Irlande.» Un traducteur moderne fait observer que
-par les monts Riphées on doit entendre l'Oural[6].
-
-Qu'était-ce qu'Agnomen, ou Agnoman, père de Némed? Nennius n'en
-dit rien. Suivant le _Lebar gabala_, c'est un Grec de Scythie[7].
-Il le fait descendre de la race de Fênius Farsaid. Ce Fênius,
-arrière-petit-fils de Japhet par Gomer, d'autres disent par Magog[8],
-fut père de Nêl, qui épousa Scota, fille de Pharaon, roi d'Egypte; et
-de cette union naquit Gôidel Glas, ancêtre des Gôidels ou de la race
-irlandaise. De Gôidel Glas, suivant la préface
-[Pg 89]du _Lebar gabala_, est issue une famille qui, à une date
-reculée, a fourni à la Scythie un dynastie royale[9],--les descendants
-de Scota, les Scots, étaient évidemment identiques aux Scythes,--et,
-de cette dynastie, un membre est Agnoman, qui, un jour condamné à
-l'exil, mourut dans une île de la mer Caspienne[10]. Agnoman est
-de la même famille que Partholon. Partholon est, comme Agnoman, un
-descendant de Fênius Farsaid et de Gôidel Glas: les diverses races qui
-ont successivement peuplé l'Irlande remontent à des ancêtres communs
-qui descendent de Magog ou de Gomer, fils de Japhet; en sorte qu'il
-y a parfait accord entre les traditions généalogiques irlandaises et
-les généalogies bibliques[11]. Il est vrai que l'authenticité des
-traditions généalogiques irlandaises fabriquées au onzième siècle reste
-à démontrer.
-
-Un texte irlandais fixe à vingt-deux ans, la plupart fixent à trente
-ans la durée de l'intervalle qui s'écoula entre la semaine fatale où
-périrent les descendants de Partholon et le jour où Némed débarqua sur
-les côtes d'Irlande[12].
-
-
-[Footnote 1: Iar gnâis Maige Mâir, «suivant la coutume de la Grande
-Plaine,» chez Windisch, _Irische Texte_, p. 132, seconde partie, ligne
-6; ingen Mag-môir, dans le _Livre de Leinster_, p. 8, col. 2, ligne
-26; p. 9, col. 1, ligne 34; p. 200, col. 2, ligne 16; Mag-Mell, dans:
-_Echtra Condla_, chez Windisch, _Kurzgefasste irische Grammatik_, p.
-119, ligne 10; _Seirglige Conculainn_, chez Windisch, _Irische Texte_,
-p. 214, note; Trag-Mâr, dans _Echtra Condla_, p. 120, ligne 9.]
-
-[Footnote 2: «Roforbair a-sil-sium iar-sin ocus rochlannaigistâr
-cor-ra-batâr cethri mîli ar trichat lanamna and; atbathatar-side dana
-uli.» _Leabhar na h-Uidhre_, p. 16, col. 1, l. 23-25.]
-
-[Footnote 3: Orgain tuir Conaind.]
-
-[Footnote 4: _Lebar gabala_, dans le Livre de Leinster, p. 6, col. 1,
-lignes 11 et 12.]
-
-[Footnote 5: Strabon fait communiquer la mer Caspienne avec l'Océan.]
-
-[Footnote 6: Keating, _Histoire d'Irlande_, édition 1811, p. 176;
-traduction d'O'Mahony. New-York, 1866, p. 122.]
-
-[Footnote 7: Livre de Leinster, p. 6, col. 1, ligne 13.]
-
-[Footnote 8: _Leabhar na h-Uidhre_, p. 1, col. 1, lignes 2 et
-suivantes.]
-
-[Footnote 9: Livre de Leinster, p. 2, fin de la colonne 2.]
-
-[Footnote 10: Livre de Leinster, p. 2, col. 2, lignes 40 et suivantes;
-p. 3, col. 2, lignes 36 et suivantes.]
-
-[Footnote 11: Partholon est fils de Sera, fils de Sru; Sru est fils
-d'Esru, fils lui-même de Gôidel Glas. Livre de Leinster, p. 2, ligne
-23; p. 5, col. 1, lignes 6, 7; cf. Keating, édition de 1811, p. 162,
-174.]
-
-[Footnote 12: L'espace de vingt-deux ans est donnée par la légende de
-Tûan mac Cairill, plus haut, p. 5. Trente ans est le chiffre du _Lebar
-gabala_, dans le Livre de Leinster, p. 6, col. 1, ligne 11. Le _Lebar
-gabala_ traduit par «pendant trente ans,» _fri re XXX m-bliadan_, le
-«six fois cinq ans,» _sê choic m-bliadna_, du poème qui commence par
-les mots «Heriu oll ordnit Gaedil:» Livre de Leinster, p. 6, col. 2,
-ligne 46.]
-
-
-[Pg 90]§2.
-
-_Le règne de Némed en Irlande; ses premières relations avec les Fomôré._
-
-Du temps de Némed, le sol de l'Irlande continua le travail commencé
-sous Partholon. Le nombre des lacs s'augmenta de quatre[1], et celui
-des plaines de douze[2]. Un de ces lacs eut une origine identique
-à celle d'un des lacs qui datent du temps de Partholon. Annenn, un
-des fils de Némed mourut; on creusa sa fosse, et du fond de la fosse
-jaillit une source; cette source fut assez abondante pour donner
-naissance à un lac, et du nom du mort, on appela cet amas d'eau _Loch
-Anninn_.
-
-Le règne de Némed fut marqué par une innovation: on lui doit la
-fondation des deux premières de ces forteresses rondes, en irlandais
-_râith_, qu'habitaient
-[Pg 91]les rois d'Irlande[3]. Les fossés de l'une d'elles furent
-creusés en une journée par quatre merveilleux ouvriers, qui étaient
-frères. Le lendemain matin, Némed les tua tous quatre[4]; leur habileté
-l'avait effrayé; il craignait de trouver en eux de trop puissants
-ennemis. C'étaient, dit-on, des Fomôré, et ce que Némed redoutait était
-qu'ils ne prissent trop facilement le fort qu'ils avaient construit. Il
-les enterra sur place[5]. Il n'avait pas tort de craindre cette race
-redoutable. En effet, il devait, comme Partholon avant lui, comme plus
-tard ses fils, et enfin comme les Tûatha Dê Danann, avoir une guerre
-terrible à soutenir contre les Fomôré.
-
-
-[Footnote 1: Sur ces lacs, voir le poème qui commence par les mots
-«Heriu oll ordnit Gaedil» (Livre de Leinster, p. 7, col. 1, lignes
-5-7); le texte en prose du _Lebar gabala_ (Livre de Leinster, p. 6,
-col. 1, lignes 19-24), et Girauld de Cambrie, distinction III, ch. 3,
-édition Dimock, p. 143.]
-
-[Footnote 2: Sur les plaines, voir le poème _Heriu oll ordnit Gaedil_
-(Livre de Leinster, p. 7, col. 1, lignes 10-15), et le texte en prose
-du _Lebar gabala_ (Livre de Leinster, p. 6, col. 1, lignes 33-38).]
-
-[Footnote 3: Poème _Heriu oll ordnit Gaedil_, dans le Livre de
-Leinster, p. 7, col. 1, lignes 8, 9.]
-
-[Footnote 4: Texte en prose du _Lebar gabala_, Livre de Leinster, p. 6,
-col. 1, lignes 26-32.]
-
-[Footnote 5: _Histoire d'Irlande_, par Keating, édition de 1811, p.
-178.]
-
-
-§3.
-
-_Ce que c'est que les Fomôré. Textes divers qui les concernent._
-
-Nous avons déjà dit que les Fomôré sont les dieux de la Mort et de la
-Nuit. L'évhémérisme chrétien a fait d'eux des pirates qui ravageaient
-l'Irlande[1]. A propos de leurs guerres avec Partholon, nous avons
-[Pg 92]donné sur eux quelques indications[2]. Nous avions précédemment
-parlé aussi d'eux dans notre premier chapitre[3]. Le moment est venu
-d'entrer dans des développements plus circonstanciés. Les érudits
-irlandais, qui avaient étudié la Bible, les faisaient descendre de
-Cham. Nous trouvons déjà cette généalogie, relativement moderne, dans
-le plus ancien des manuscrits littéraires irlandais.
-
-L'auteur d'un traité des origines du genre humain[4], inséré dans le
-_Leabhar na h-Uidhre_, qui a été transcrit vers l'année 1100, a un
-chapitre intitulé: _Histoire des monstres, c'est-à-dire des Fomôré et
-des nains_. Il commence par raconter, d'après la Genèse, dans quelles
-circonstances Noé fut amené à maudire son fils Cham. «Voilà comment,»
-ajoute-t-il, «Cham fut le premier homme que, depuis le déluge, une
-malédiction ait frappé. C'est de lui que sont nés les nains, les
-Fomôré, les gens à tête de chèvre et tous les êtres difformes qui
-existent parmi les hommes. Voilà pourquoi les descendants de Cham
-furent exterminés, et leur pays donné aux enfants d'Israël: ce fut en
-conséquence de la malédiction prononcée contre leur père. Cham est le
-premier ancêtre des monstres. Ils ne descendent pas de Caïn, comme le
-disent les Gôidels; en effet,
-[Pg 93]personne de la race de Caïn ne survécut au déluge, puisque
-le déluge arriva précisément pour noyer la race de Caïn[5].» Les
-textes les plus anciens ne connaissent rien de ces origines bibliques
-attribuées aux Fomôré par la science chrétienne d'Irlande[6]. Le Livre
-des Invasions dit simplement que les Fomôré étaient arrivés par mer[7].
-
-Le document dont nous venons de donner la traduction est, du reste,
-fort important. Le titre annonce qu'il va être question de l'histoire
-des nains et des Fomôré. De là, on pourrait déjà conclure que les
-Fomôré sont des géants, et, en effet, Girauld de Cambrie, dans un
-passage de sa _Topographia hibernica_, rend par _gigantibus_ le nom des
-Fomôré, au datif pluriel _Fomôrchaib_ dans le passage correspondant du
-Livre des Invasions[8].
-
-[Pg 94]L'opinion des savants irlandais qui plaçaient les Fomôré soit
-dans la descendance de Caïn, soit dans celle de Cham, est inspirée
-par les passages de la Bible sur les géants antédiluviens[9] et sur
-ceux de la Palestine, peuplée originairement par les descendants de
-Chanaan, fils de Cham. Les espions juifs, venant de Palestine, disaient
-au peuple de Dieu, alors errant dans le désert: «Nous y avons vu des
-monstres de la race des géants; comparés à eux, nous ressemblions à des
-sauterelles[10].»
-
-On sait quelle place importante les nains et les géants tiennent
-dans la littérature mythologique de la race germanique[11] et dans
-les contes bretons modernes. Les nains, dont le nom irlandais est
-_luchrupan_, littéralement «petit corpuscule,» apparaissent rarement
-dans les textes irlandais. M. Whitley Stokes a cité, relativement à
-eux, un récit légendaire où on les voit enseigner à un roi irlandais
-l'art de plonger et de se promener avec eux sous les eaux. Ce conte a
-pénétré dans la glose d'un
-[Pg 95]traité de droit, et cette glose nous l'a conservé[12]. La
-mention qu'il fait des nains peut être considérée comme une exception.
-Il est, au contraire, question très fréquemment des Fomôré, dans la
-littérature épique irlandaise. Ce sont des géants, avons-nous dit,
-avec Girauld de Cambrie; mais ils ne sont pas seulement cela: ce sont
-des démons, de vrais démons, à figure humaine, rapporte un chroniqueur
-irlandais du douzième siècle[13]. Il y avait parmi eux des monstres
-qui n'avaient qu'une main et qu'un pied, ajoute l'auteur du Livre
-des Invasions[14]. Enfin, la pièce dont nous venons de donner la
-traduction accole au nom des Fomôré celui des gens à tête de chèvre,
-_gobor-chind_, qui paraissent être une subdivision ou un doublet des
-Fomôré, puisqu'ils ne sont pas mentionnés dans le titre qui parle
-seulement des nains et des Fomôré[15].
-
-
-[Footnote 1: Girauld de Cambrie, _Topographia hibernica_, distinctio
-III, cap. 3, édition Dimock, p. 143.]
-
-[Footnote 2: Voir plus haut, p. 32.]
-
-[Footnote 3: Voir plus haut, p. 14-16.]
-
-[Footnote 4: Ce document paraît être une composition analogue à celle
-qui, dans le Livre de Leinster, p. 1-4, sert d'introduction au _Lebar
-gabala_.]
-
-[Footnote 5: _Leabhar na h-Uidhre_, p. 2, col. 1 et 2; Whitley Stokes,
-_Revue celtique_, t. I, p. 257. Cf. Keating, _Histoire d'Irlande_,
-édition de 1811, p. 178.]
-
-[Footnote 6: Voyez ce que disent des Fomôré: 1° le poème _Heriu oll
-ordnit Gaedil_, dans le Livre de Leinster, p. 7, col. 1, ligne 16; 2°
-le poème _Togail tuir Chonaind con gail_, Livre de Leinster, p. 7, col.
-2, ligne 16.]
-
-[Footnote 7: Livre de Leinster, p. 6, col. 1, lignes 39, 40, 46, 47:
-«Fomôré idon loinsig na fairgge... Is inti bôi mor-longas na Fomôré.»]
-
-[Footnote 8: _Topographia hibernica_, distinctio III, caput 2, édition
-Dimock, p. 141. Cf. Livre de Leinster, p. 5, col. 1, lignes 20-22.
-Girauld de Cambrie s'exprime ainsi: «Tandem vero in bello magno quod
-cum gigantibus gessit potitum [Bartholanum] victoria.» Dans le Livre de
-Leinster, on lit: «Cêt-chath Herend robriss Partholon i-slemnaib maige
-Itha for Cichol n-Gricenchos d-Fhomôrchaib.» Fomôré, qui est tantôt
-un thème en _e = io-_, tantôt un thème en _ec_, paraît composé de la
-particule _fo-_, «sous,» et d'un thème _môrio-_ ou _môrec_, dérivé de
-_môr_, «grand.» La particule _fo-, fu-_ n'a pas le sens de diminutif
-comme le français «sous-.» Ainsi, _fo-lomm_ signifie «nu,» comme _lomm,
-fu-domuin_, «profond,» comme _domuin_.]
-
-[Footnote 9: Genèse, chap. VI, verset 4.]
-
-[Footnote 10: Nombres, chap. XIII, verset 34.]
-
-[Footnote 11: Jacob Grimm a consacré aux nains le chapitre XVII, et aux
-géants le chapitre XVIII de sa _Deutsche Mythologie_ (3e édition, p.
-408 et suivantes, 485 et suivantes). Voir, sur le même sujet, Simrock,
-_Handbuch der deutschen Mythologie_, 5e édition, §§ 118 et suivants,
-124 et suivants, p. 403 et suivantes, 423 et suivantes.]
-
-[Footnote 12: _Ancient laws of Ireland_, t. I, p. 70, 72. Les nains y
-sont appelés _luchorpan, luchorp_ et _abac_.]
-
-[Footnote 13: «Cath robris Parrthalon for Fomorchaib, idon demna iar
-fir an-dealbhaibh daoinaibh. _Chronicum Scotorum_, édit. Hennessy, p.
-6.]
-
-[Footnote 14: En parlant de la bataille de Mag Itha, où Partholon
-battit les Fomôré, le Livre des Invasions s'exprime ainsi: «Fir
-con-oen-lâmaib ocus con-oen-chossaib rofhersat fris-sin-cath.» Livre de
-Leinster, p. 5, col. 1, lignes 22, 23. Comparez _Chronicum Scotorum_,
-édit Hennessy, p. 6, lignes 8, 9. Voyez aussi plus haut, p. 32.]
-
-[Footnote 15: Si l'on accepte comme une autorité sérieuse l'article
-_Gabur_ du Glossaire de Cormac (Whitley Stokes, _Three irish
-glossaries_, p. 22), _gobor-chind_ devrait se traduire par «gens à
-tête de cheval.» _Gobur_ ou _gobor_ signifierait «cheval,» et _gabur_
-ou _gabor_ «chèvre.» Les deux mots se distingueraient par la voyelle
-de la première syllabe, _a_ quand il s'agit de la chèvre, _o_ quand il
-s'agit du cheval. Mais M. Windisch fait observer, avec raison, qu'il
-n'y a là qu'un seul mot avec deux variantes orthographiques qui n'ont
-étymologiquement aucune importance (Windisch, _Irische Texte_, p. 385).
-La comparaison avec les dialectes bretons, où le sens de «chèvre» est
-seul usité, nous donne le droit de considérer dans _gobor-chenn_ le
-sens d' «homme ou dieu à tête de chèvre» comme préférable au sens d'
-«homme ou dieu à tête de cheval.» Pour _gobur_, ou _gabur_, aussi écrit
-_gobor_, le sens primitif est «chèvre,» et c'est par métaphore que les
-poètes ont employé ce mot pour désigner le cheval.]
-
-
-[Pg 96]§4.
-
-_L'équivalent des Fomôré dans la mythologie grecque et dans la
-mythologie védique._
-
-Ce qu'il y a de plus important dans la légende des Fomôré est
-leur guerre contre les dieux de la lumière solaire et de la vie,
-c'est-à-dire contre les Tûatha Dê Danann. Monstrueux par leur taille
-et leur forme, puisque certains d'entre eux ont une tête de chèvre,
-d'autres n'ont qu'un pied et qu'une main, ils sont l'expression
-celtique de conceptions identiques à celles qui, dans la mythologie
-grecque, ont donné naissance aux monstres qui combattent les dieux
-solaires. La mythologie grecque nous montre Zeus combattant les géants,
-dont il triomphe et qu'il enchaîne[1]. Les Lestrygons, dont le héros
-solaire
-[Pg 97]Ulysse atteint le rivage après sept jours de navigation, et
-qui tuent et mangent une partie de ses compagnons sont encore des
-géants[2], en même temps que des ancêtres de l'ogre qui cause tant
-d'effroi aux jeunes auditeurs de quelques-uns de nos contes.
-
-Mais les géants ne sont pas ce qu'il y a de plus monstrueux dans la
-mythologie grecque, parmi les adversaires des héros qui personnifient
-le soleil. La Chimère, qui apparaît déjà dans l'Iliade[3], et
-qu'Hésiode a connue[4], avait par-devant la forme d'un lion, par
-derrière celle d'un dragon, au milieu celle d'une chèvre[5]. On
-l'imagine aussi avec trois têtes: la première de lion, la seconde
-de chèvre, la troisième de serpent[6]. Les monuments figurés la
-représentent avec une queue de serpent qui se termine par une tête, et
-lui donnent, en outre, deux autres têtes, l'une de lion, à la place
-ordinaire, l'autre de chèvre, s'élevant au milieu du corps[7]. Personne
-ne pouvait vaincre la Chimère, et elle causa la mort de beaucoup
-d'hommes par le feu qu'elle exhalait[8]; Bellérophon la tua[9].
-
-[Pg 98]On doit considérer, comme un doublet de la Chimère, Typhaon,
-né, sans père, de Héra jalouse[10]. Typhaon, fléau du genre humain,
-s'appelle aussi Typhôeus. De ses épaules s'élèvent cent têtes de
-serpent qui, toutes, ont une voix: c'est tantôt le mugissement du
-taureau, tantôt le rugissement du lion, tantôt le cri d'un jeune chien.
-Zeus le frappa de la foudre et le précipita dans le Tartare[11].
-
-A la même famille appartiennent Python, élève de Typhaon, dragon
-qui faisait beaucoup de mal aux hommes, et qu'Apollon tua de ses
-flèches[12]; l'hydre de Lerne, au corps énorme, aux neuf têtes, qui
-détruisait les troupeaux, et qu'Héraclès tua avec l'aide d'Iolaüs[13].
-
-Enfin, parmi les monstres que vainquirent les héros solaires de la
-mythologie grecque, on doit aussi compter le Minotaure, homme à tête de
-taureau, qui dévorait tous les ans quatorze jeunes
-[Pg 99]Athéniens, moitié garçons et moitié filles, et qui fut tué par
-Thésée. Nous aurons, plus bas, occasion de revenir sur ce monstre[14].
-
-Tous ces êtres redoutables, aux formes étranges, qui tuent les hommes,
-mais qui sont impuissants contre les demi-dieux tels qu'Ulysse, et
-dont les dieux et les demi-dieux triomphent, comme Bellérophon,
-Zeus, Apollon, Héraclès, Thésée, nous offrent la forme grecque de la
-conception indo-européenne qui, dans l'Inde, a produit les monstres
-Vritra et Ahi[15], et qui, en Irlande, a donné naissance aux Fomôré.
-Les Fomôré ont, comme eux, des formes physiques contraires aux lois
-ordinaires de la nature. Leur taille est au-dessus de la stature
-humaine; certains d'entre eux ont des cornes de chèvre, et nous devons,
-ce semble, reconnaître en eux les dieux cornus honorés sur le continent
-par les Gaulois[16]; d'autres n'ont qu'un bras et qu'un pied. Ils sont
-le fléau des hommes, et les races diverses
-[Pg 100]qui se sont succédé en Irlande ont eu à les combattre. Nous
-avons déjà parlé de la bataille que Partholon leur livra.
-
-
-[Footnote 1: _Batrachomyomachie_, vers 285; cf. vers 7, et _Odyssée_,
-VII, vers 58-60. Les géants ont les uns des ailes, les autres un corps
-terminé en forme de serpent dans le bas-relief du soubassement de
-l'autel de Pergame, chez Rayet, _Monuments de l'art antique_, quatrième
-livraison.]
-
-[Footnote 2: _Odyssée_, X, vers 110-129.]
-
-[Footnote 3: _Iliade_, VI, 179-183; XVI, 328, 329.]
-
-[Footnote 4: _Théogonie_, 319-325.]
-
-[Footnote 5: _Iliade_, VI, 181.]
-
-[Footnote 6: _Théogonie_, vers 321, 322.]
-
-[Footnote 7: Daremberg et Saglio, _Dictionnaire des antiquités grecques
-et romaines_, page 685, figures 811 et 813; et page 1103, figures 1364,
-1365 et 1366.]
-
-[Footnote 8: _Iliade_, VI, 182; XVI, 329.]
-
-[Footnote 9: _Iliade_, VI, 183. Je ne crois pas à cette légende
-l'origine sémitique qu'en général on lui attribue. Voyez Maury,
-_Histoire des religions de la Grèce antique_, t. III, p. 188.]
-
-[Footnote 10: _Hymne à Apollon_, vers 305-309; 351, 352.]
-
-[Footnote 11: _Théogonie_, vers 820-868. Typhôeus, chez Hésiode, est
-fils de la Terre et du Tartare, tandis que Typhaon est fils de Héra,
-chez Homère. Ce n'est pas une raison pour contester qu'il s'agisse ici
-du même personnage mythologique. Cf. Maury, _Histoire des religions de
-la Grèce antique_, t. I, p. 374-375.]
-
-[Footnote 12: Homère, _Hymne à Apollon_, vers 355 et suivants;
-Decharme, _Mythologie de la Grèce antique_, pages 99-102.]
-
-[Footnote 13: Apollodore, livre II, chap. V, § 2, chez Didot-Müller,
-_Fragmenta historicorum græcorum_, t. I, p. 136. Cf. Hécatée, fragment
-347, _ibid_., p. 27. Cf. Maury, _Histoire des religions de la Grèce
-antique_, t. I, p. 136, 137.]
-
-[Footnote 14: Voy. le § 6 de ce chapitre, p. 102, 103.]
-
-[Footnote 15: Bréal, _Mélanges de mythologie et de linguistique_, pages
-84 et suivantes. Le dragon Vritra ou Ahi est considéré comme une image
-du ciel obscurci soit par les nuages orageux, soit par la nuit: Kuhn,
-_Ueber Entwickelungsstufen der Mythenbildung_, dans _Abhandlungen der
-königlichen Akademie der Wissenschaften zu Berlin_, 1873, p. 142. Voir
-enfin, sur Vritra ou Ahi, Bergaigne, _Mythologie védique_, t. II, p.
-196-208.]
-
-[Footnote 16: Al. Bertrand, _L'autel de Saintes et les triades
-gauloises_, extrait de la _Revue archéologique_ de juin, juillet, août
-1880. M. Mowat s'est aussi occupé tout récemment des dieux cornus de la
-Gaule dans une intéressante communication à la Société des antiquaires
-de France.]
-
-
-§5.
-
-_Combats de Némed contre les Fomôré._
-
-Némed aussi fut en guerre avec les Fomôré; il leur livra quatre
-combats, dans chacun desquels il fut vainqueur. Dans la première
-bataille, qui paraît d'invention relativement récente, Némed vainquit
-et tua deux rois Fomôré qui s'appelaient Gend et Sengand[1]. Les trois
-autres batailles livrées par Némed aux Fomôré sont seules mentionnées
-dans un des poèmes qui sont les témoignages irlandais les plus anciens
-de cette vieille littérature. La première se livra en Ulster, la
-seconde en Connaught, la troisième en Leinster. Ce sont les batailles
-de Murbolg, de Badbgna et de Cnamros[2]. Il y a eu de cette guerre un
-récit détaillé. Les combats livrés par Némed aux Fomôré étaient le
-sujet d'une des histoires que les _file_ racontaient, et le titre de
-cette histoire est inscrit dans le catalogue trop court que nous a
-conservé une des gloses du _Senchus Môr_[3]; le texte en est perdu.
-
-[Pg 101]Némed sortit vainqueur de ces trois redoutables épreuves; il
-mourut peu de temps après d'une maladie épidémique qui, avec lui,
-enleva deux mille personnes[4]. C'est alors que les textes irlandais
-placent la légende du massacre de la tour de Conann.
-
-
-[Footnote 1: _Lebar gabala_, dans le Livre de Leinster, p. 6, col. 1,
-lignes 25-27.]
-
-[Footnote 2: Poème qui commence par les mots «Heriu oll ordnit Gaedil,»
-dans le Livre de Leinster, p. 7, col. 1, lignes 16, 17. Ces batailles
-sont rangées dans un ordre différent par le Livre des Invasions. Livre
-de Leinster, p. 6, col. 1, lignes 40, 41.]
-
-[Footnote 3: _Ancient laws of Ireland_, t. I, p. 46.]
-
-[Footnote 4: Keating, _Histoire d'Irlande_, édition de 1811, p. 178.
-Le Livre des Invasions dit seulement que Némed mourut d'une maladie
-épidémique (Livre de Leinster, p. 6, col. 1, ligne 42). Comparez le
-poème _Heriu oll ordnit Gaedil_ (Livre de Leinster, p. 7, col. 1,
-lignes 18, 19).]
-
-
-§6.
-
-_Domination tyrannique des Fomôré sur la race de Némed. Le tribut
-d'enfants. Comparaison avec le Minotaure._
-
-Les descendants de Némed, privés de chef, tombèrent sous le joug des
-Fomôré et furent victimes d'une épouvantable tyrannie. Les Fomôré
-avaient deux rois à leur tête: Morc, fils de Délé, et Conann, fils
-de Febar. Conann avait une forteresse qui, suivant une doctrine
-évhémériste déjà reçue en Irlande au onzième siècle, aurait été bâtie
-dans la petite île de Tory, située à la pointe nord-ouest de l'Irlande,
-en face des rivages du comté de Donegal. La tradition populaire a
-localisé dans cette île d'autres légendes relatives aux Fomôré que nous
-rapporterons plus tard en leur lieu. C'était là que les Fomôré avaient,
-dit-on, fondé leur principal établissement.
-
-De là ils dominaient l'Irlande entière et exigeaient
-[Pg 102]d'elle un impôt annuel excessif: deux tiers des enfants que
-les femmes avaient mis au monde, deux tiers du blé et du lait que les
-champs et les vaches avaient produits dans l'armée. La perception
-s'opérait la nuit du 1er novembre, c'est-à-dire de la fête de _Samain_,
-qui termine l'été et qui commence l'hiver, symbole de la mort. Le
-paiement de l'impôt se faisait dans le lieu appelé _Mag cetne_[1]. _Mag
-cetne_ veut dire «la même plaine;» cette plaine, toujours identique,
-où va tout ce qui a vie, et où les dieux de la mort exercent leur
-puissance: c'est la mystérieuse contrée que vont habiter les hommes
-quand ils meurent. Keating croit que c'est une plaine d'Irlande et
-en indique la situation. Ne comprenant pas comment les Irlandais
-pouvaient, une fois par an, apporter à leurs tyrans les deux tiers
-du lait de l'année, il imagine que les Fomôré, au lieu de cet impôt
-bizarre, levaient sur chaque maison une redevance annuelle de trois
-mesures de crème, de froment fin et de beurre, et qu'ils avaient chargé
-de la perception une femme qui parcourait l'Irlande à cet effet[2].
-
-Des impôts exigés par les Fomôré, le plus oppressif et en même temps le
-plus caractéristique est celui qui se payait en enfants. Nous avons ici
-une légende analogue à la légende attique de Thésée et du Minotaure.
-[Pg 103]Le Minotaure est, comme quelques-uns des Fomôré, un personnage
-cornu; au lieu d'une tête de chèvre comme eux, il porte, sur un corps
-d'homme, une tête de taureau[3]. Comme les Fomôré, il habite une île;
-cette île, _Tor-inis_, dans le récit irlandais, est la Crète dans la
-fable athénienne. Sept garçons et sept jeunes filles sont le tribut
-annuel que le Minotaure exige; le génie grec, dans cette horrible
-légende, garde la mesure et la sagesse qui, en général, font la
-supériorité esthétique de ses conceptions; tandis que, dans le texte
-irlandais, les Fomôré se font livrer, tous les ans, les deux tiers des
-enfants nés dans l'année. Et cependant, nous allons le voir, il n'est
-pas inadmissible qu'à certaines époques les enfants nouveau-nés aient,
-en Irlande, payé ce tribut à la mort, les uns enlevés par une mort
-naturelle à l'amour de leurs parents, les autres immolés en sacrifice
-aux dieux de la mort par obéissance pour les enseignements d'une
-religion cruelle.
-
-Les Fomoré sont les dieux de la mort, de la nuit et de l'orage, le
-premier en date des deux groupes divins entre lesquels se partagent les
-hommages de la race celtique. Les Tûatha Dê Danann, dieux de la vie,
-du jour et du soleil, constituent l'autre groupe, le moins ancien des
-deux, si nous en croyons le dogme des Celtes, car, suivant la théorie
-celtique, la nuit précède le jour.
-
-[Pg 104]Dans la conception des Fomôré, nous trouvons l'idée de la mort
-associée à celle de la nuit. César avait observé la même association
-chez les Gaulois au temps de la conquête. «Les Gaulois,» dit-il,
-«prétendent qu'ils descendent tous de _Dis pater_, c'est-à-dire du
-dieu de la Mort. Les druides, disent-ils, leur ont appris. Pour cette
-raison, ils comptent tout espace de temps, non par jours, mais par
-nuits, et quand ils calculent les dates de naissance, les commencements
-de mois et d'années, ils ont toujours soin de placer la nuit avant le
-jour[4].» Ainsi, dans la doctrine druidique, la mort précède la vie, la
-mort engendre la vie, et comme la mort est identique à la nuit, et la
-vie identique au jour, la nuit précède et engendre le jour. De même,
-dans le monde divin irlandais, les Fomôré, dieux de la nuit et de la
-mort, sont chronologiquement antérieurs aux Tûatha Dê Danann, dieux du
-jour et de la vie, que nous verrons apparaître plus tard dans la suite
-de notre exposition[5].
-
-La reine de la nuit est la lune qui, parmi les astres, se distingue par
-la forme de croissant, sous laquelle elle se présente la plupart du
-temps à nos regards. Le dieu de la nuit se distingue donc des
-[Pg 105]autres dieux par un croissant placé sur son front, et ce
-croissant se transforme en cornes de vache, de taureau ou de chèvre.
-De là, dans le _Prométhée_ d'Eschyle, Io, la vierge encornée[6],
-devenue plus tard une génisse[7]; de là, dans la fable athénienne,
-la conception du Minotaure à tête de taureau; de là, dans la fable
-irlandaise, la conception des Fomôré à tête de chèvre, et sur le
-continent de la Gaule, les nombreux dieux cornus qui aujourd'hui ornent
-une salle du musée de Saint-Germain. Pour rendre à ces dieux de la mort
-le culte qu'ils exigent, il faut leur immoler des vies humaines.
-
-
-[Footnote 1: Poème d'Eochaid hûa Flainn, mort en 985. Livre de
-Leinster, p. 7, col. 1, lignes 23-25; cf. Livre des Invasions,
-_ibidem_, p. 6, col. 1, lignes 47-48.]
-
-[Footnote 2: Keating, édition de 1811, p. 180.]
-
-[Footnote 3: Voir deux représentations antiques du Minotaure chez
-Decharme, _Mythologie de la Grèce antique_, pages 519, 621.]
-
-[Footnote 4: «Galli se omnes ab Dite patre prognatos prædicant idque
-ab druidibus proditum dicunt. Ob eam causam spatia omnis temporis non
-numero dierum, sed noctium finiunt; dies natales et mensium et annorum
-initia sic observant _ut noctem dies subsequatur_.» César, _De bello
-gallico_, l. VI, c. XVIII, §§ 1 et 2.]
-
-[Footnote 5: Voy. plus bas, chap. VII.]
-
-[Footnote 6: Τᾶς βούκερω παρθένου. Eschyle, _Prométhée_, vers 588.]
-
-[Footnote 7: Eschyle, _Les suppliantes_, vers 17-18, 275.]
-
-
-§7.
-
-_L'idole Cromm Crûach ou Cenn Crûach et les sacrifices d'enfants en
-Irlande. Les sacrifices humains en Gaule._
-
-Ce ne sont pas seulement les légendaires Fomôré qui, en Irlande,
-reçoivent un tribut d'enfants; un tribut identique fut, à une époque
-reculée, réclamé par un dieu dont la monumentale image paraît
-appartenir à l'histoire.
-
-Les vies de saint Patrice parlent d'un dieu dont la statue de pierre
-était ornée d'or et d'argent et entourée de douze statues aux ornements
-de bronze:
-[Pg 106]c'était la Tête sanglante, _Cenn crûach_. L'endroit où ce
-groupe divin, dressé en plein air sur le sol nu, recevait les hommages
-des fidèles, s'appelait «Champ de l'adoration,» _Mag slechta_[1].
-Patrice se rendit au Champ de l'adoration, et de sa crosse menaça la
-grande idole qui était comme la reine de toutes les idoles d'Irlande.
-Celle-ci, dit la légende, se détourna pour éviter le coup, et dès
-lors cessa de regarder le Sud, comme elle avait fait jusque-là; et on
-voit encore, dit le vieux récit, la marque de la crosse du saint sur
-le côté gauche de la statue, bien que, chose merveilleuse, Patrice ne
-l'ait point frappée, et se soit borné à la menacer de loin. Les autres
-statues, au même moment, plongèrent en terre jusqu'au cou et, dit le
-récit hagiographique, c'est encore dans cet état qu'elles se trouvent
-aujourd'hui[2].
-
-[Pg 107]L'idole du Champ de l'adoration, la «Tête sanglante,» _Cenn
-crûach_, comme dit la légende de saint Patrice, la «Courbe sanglante,»
-le «Croissant ensanglanté,» _Cromm crûach_, comme s'expriment d'autres
-textes, était, à une époque reculée, l'objet d'un culte terrible. On
-immolait en son honneur des victimes humaines. Le tribut était le même
-que celui que jadis, suivant la légende, avaient reçu les Fomôré. Les
-vies de saint Patrice ne parlent point de ces sacrifices affreux.
-L'Irlande les avait abolis quand l'apostolat du missionnaire fameux
-vint lui apporter le christianisme; mais elle ne les avait pas oubliés.
-L'article du _Dinn-senchus_ qui concerne le Champ de l'adoration
-atteste que ce souvenir était conservé quand fut rédigé ce traité de
-géographie, dont le plus ancien manuscrit date du douzième siècle, et
-dont on fait remonter la rédaction primitive au sixième.
-
-«Ici était,» dit le vieux traité, «une grande idole ... qu'on appelait
-«Courbe sanglante ou Croissant ensanglanté,» _Cromm crûach_; elle
-donnait, dans chaque province, la puissance et la paix. Pitoyable
-malheur! les braves Gôidels l'adoraient; ils lui demandaient le beau
-temps, là, pour une partie du monde... Pour elle, sans gloire, ils
-tuaient leurs enfants premiers-nés[3] avec nombreux cris et
-[Pg 108]nombreuses plaintes de leur mort, dans l'assemblée autour
-de Cromm Cruach. C'était du lait et du blé qu'ils lui demandaient
-en échange de leurs enfants. Combien étaient grands leur horreur et
-leurs gémissements! C'était devant cette idole que se prosternaient
-les Gôidels francs; c'est de son culte, célébré par tant de morts,
-que cet endroit a reçu le surnom de _Mag slecht[a]_, ou «Champ de
-l'adoration...[4].»
-
-Ce texte est d'accord avec les vies de saint Patrice pour distinguer
-dans le monument de Mag Slechta deux catégories d'idoles. La
-principale, Cromm ou Cenn Crûach, ornée d'or et d'argent dans les vies
-de saint Patrice[5], est d'or dans le _Dinn-senchus_; les autres,
-ornées de bronze dans les vies de saint Patrice[6], sont de pierre dans
-le _Dinn-senchus_. Les vies de saint Patrice fixent le nombre de ces
-dernières à douze: Le _Dinn-senchus_ ne parle que de «trois, rangées en
-ordre, trois idoles de pierre sur quatre; puis, pour
-[Pg 109]» tromper amèrement les foules, venait l'image d'or de
-Cromm[7].»
-
-Les textes irlandais sur le sacrifice des enfants à l'idole de Crom
-Crûach et sur le tribut d'enfants payé aux Fomôré, mettent en mémoire
-les célèbres vers latins où Lucain, s'adressant aux druides, chante
-le culte cruel rendu par eux à trois divinités gauloises, au temps où
-César venait de terminer la conquête des Gaules, et où la guerre civile
-commençait entre le conquérant et Pompée son rival:
-
- Et quibus immitis placatur sanguine diro
- Teutates, horrensque feris altaribus Æsus,
- Et Taranus[8] scythicæ non mitior ara Dianæ.
-
-«Vous aussi, qui, par un sang cruellement versé, croyez apaiser
-l'impitoyable Teutatès, l'horrible Æsus aux autels sauvages, et
-Taranus, dont le culte n'est pas plus doux que celui de la Diane
-scythique.»
-
-La Diane scythique avait jadis exigé qu'Agamemnon lui fît hommage de
-la vie de sa fille; il avait fallu lui sacrifier la vie d'Iphigénie
-pour calmer sa colère, et chez les Athéniens cette légende était assez
-populaire pour avoir fourni à un de leurs plus célèbres poètes, vers la
-fin du cinquième siècle avant notre ère, le sujet d'une tragédie qu'on
-admire
-[Pg 110]encore[9]. Taranus avait les mêmes exigences que la Diane
-scythique. Tel est le sens du passage de Lucain, qui, sur les
-cérémonies de la religion celtique, complète les notions réunies dans
-les _Commentaires_ de César. Après nous avoir parlé de ces immenses
-mannequins d'osier dans lesquels les druides gaulois de son temps
-brûlaient les hommes vivants, César ajoute que, suivant les mêmes
-druides, les voleurs, les brigands et les autres criminels étaient les
-victimes les plus agréables aux dieux, mais qu'à leur défaut on brûlait
-vifs des innocents[10]. Des vers de Lucain, on est en droit de conclure
-que ces innocents brûlés vifs étaient des enfants. Cette doctrine
-s'accorde avec le principe du droit celtique qui donne au père droit
-de vie et de mort sur ses enfants. Ce principe, énoncé par César[11],
-appartenait plus tard au droit du pays de Galles, où, dans le courant
-du sixième siècle, saint Teliavus sauve la vie à sept enfants que leur
-père, trop pauvre pour les nourrir, avait, les uns après les autres,
-jetés dans une rivière[12].
-
-Le dieu gaulois Taranus, comparé, dans la _Pharsale_
-[Pg 111]de Lucain, à la Diane de Scythie, à laquelle Agamemnon laissa
-immoler sa fille, est un dieu de la Foudre; il est compris dans le
-groupe des Fomôré, des dieux de la Mort et de la Nuit, comme le
-_Cromm Crûach_ ou _Cenn Crûach_, le Croissant ensanglanté, la Courbe
-sanglante, ou la Tête sanglante d'Irlande.
-
-
-[Footnote 1: Mag Slechta était situé en Ulster, dans le comté de Cavan
-et dans la baronnie de Tullyhaw, près du village de Bally Magauran,
-O'Donovan, _Annals of the kingdom of Ireland by the Four Masters_,
-1851, t. I, p. 43, note.]
-
-[Footnote 2:_ Vie tripartite de saint Patrice_, fragment publié
-d'après le manuscrit du British Museum, Egerton 93, par O'Curry,
-_Lectures on the manuscript materials_, p. 538, et d'après le manuscrit
-d'Oxford, Rawlinson B. 505, par M. Whitley Stokes, dans la _Revue
-celtique_, t. I, p. 259. Cf. Joscelin, _Vie de saint Patrice_, VI,
-50, chez les Bollandistes, mars, t. II, p. 552, et auparavant par
-Colgan, _Trias thaumaturga_, p. 77, col. 2. Cette légende se lit
-déjà dans la quatrième vie de saint Patrice, qui aurait été écrite
-par Eleranus, mort en 664. Voir le § LIII de cette vie, chez Colgan,
-_Trias thaumaturga_, p. 42, col. 1. La troisième vie, attribuée à
-saint Benignus et antérieure à 527 suivant Colgan, parle de l'idole
-de Mag Slechta, mais lui donne un autre nom, ne dit rien des douze
-petites idoles et raconte le miracle d'une façon différente: «Et orante
-Patricio imago ilia quem populi adorabant comminuta, et in pulverem
-redacta» (§ XLVI, _Trias thaumaturga_, p. 25, col. 1).]
-
-[Footnote 3: Le texte du Livre de Leinster, p. 213, col. 2, ligne
-45, porte _toirsech_, «triste;» il faut lire _tôissich_, «premiers.»
-Cette correction est exigée par la préface en prose qui manque dans le
-Livre de Leinster, mais qui a été publiée par O'Conor, _Bibliotheca
-manuscripta Stowensis_, pages 40, 41, d'après le manuscrit Stowe 1.
-Cette préface remplace l'adjectif que nous venons de citer par deux
-équivalents: _cedgein_ et _primhggen_, qui veulent dire «premiers-nés.»]
-
-[Footnote 4: Livre de Leinster, p. 213, col. 2, lignes 39 et suivantes.]
-
-[Footnote 5: Troisième vie, § XLVI; quatrième vie, § LIII; SIXIÈME VIE,
-§ <SC>LVI; septième vie, livre II, § 31; Colgan, _Trias thaumaturga_,
-p. 25, col. 1; p. 42, col. 1; p. 77, col. 2; p. 133, col. 2.]
-
-[Footnote 6: Il n'est pas question des douze petites statues dans la
-troisième vie, qui s'exprime sur le miracle de saint Patrice dans des
-termes beaucoup plus brefs que les autres vies, et dit que l'idole a
-été réduite en poussière par le célèbre apôtre de l'Irlande. Le récit
-postérieur est beaucoup plus dramatique.]
-
-[Footnote 7: Livre de Leinster, p. 213, col. 2, lignes 61, 62.]
-
-[Footnote 8: M. Mowat paraît avoir prouvé qu'on doit lire _Taranus_,
-génitif singulier, et non _Taranis_.]
-
-[Footnote 9: L'_Iphigénie en Aulide_ d'Euripide a été pour la première
-fois représentée après la mort de l'auteur, qui cessa de vivre en 406.
-Sur les sacrifices humains en Grèce, principalement sur les sacrifices
-d'enfants dans ce pays aux époques les plus reculées de son histoire,
-voir Maury, _Histoire des religions de la Grèce antique_, t. I, p.
-184-187.]
-
-[Footnote 10: _De bello gallico_, livre VI, chap. XVI, §§ 4 et 5.]
-
-[Footnote 11: _Ibid._, chap. XIX, § 3.]
-
-[Footnote 12: _Liber landavensis_, p. 120.]
-
-
-§8.
-
-_Tigernmas, doublet de Cromm Crûach, dieu de la Mort._
-
-Cromm Crûach, la grande idole d'Irlande, honorée par le tribut cruel
-d'un sacrifice d'enfants, comme les Fomôré de la légende de Némed,
-paraît avoir été surtout un dieu de la mort. C'est la conclusion qu'on
-doit tirer de la légende de Tigernmas, dont le nom, _Tigernmas_ pour
-_Tigern Bais_, veut dire «Seigneur de la Mort.» Dans la classification
-chronologique que les érudits irlandais ont faite de leurs légendes à
-l'époque chrétienne, Tigernmas devient un roi de la race d'Eremon, fils
-de Milé, établie dans le nord de l'Irlande. C'est une partie de la race
-irlandaise actuelle. Les Quatre Maîtres savent même exactement à quelle
-époque il régna: ce fut de l'an du monde 3580 à l'an 3656[1]. Mais
-[Pg 112]ailleurs Tigernmas est identique à Balar, dieu de la Foudre
-et de la Mort, qui commande les Fomôré et périt à leur tête en
-combattant les Tûatha Dê Danann, à la seconde bataille de Mag-Tured[2].
-Tigernmas, en moins d'un an, livra vingt-sept batailles aux descendants
-d'Eber, fils de Milé, qui occupaient l'Irlande méridionale. Un nombre
-considérable de ses adversaires perdit la vie dans ces combats,
-et peu s'en fallut que Tigernmas ne détruisît entièrement la race
-d'Eber. Enfin, après soixante-dix-sept ans de règne, il mourut au
-«Champ de l'Adoration,» à Mag Slechta, avec les trois quarts des
-habitants de l'Irlande, qui étaient venus avec lui adorer la grande
-idole de Cromm Crûach. C'était la nuit du 1er novembre ou de la fête
-de _Samain_; la date, précisément, où, suivant une autre légende,
-les descendants de Némed payaient aux Fomôré le dur tribut des deux
-tiers des enfants, des deux tiers du blé, des deux tiers du lait que
-l'année leur avait produit. Les Irlandais sujets de Tigernmas n'étaient
-venus à Mag Slechta que pour honorer Cromm Crûach, leur dieu, par des
-prosternations;
-[Pg 113]mais ils accomplirent cette cérémonie avec tant de conscience
-et d'entrain, qu'ils y brisèrent le sommet de leurs fronts, la pointe
-de leur nez, le bout de leurs genoux, les extrémités de leurs coudes,
-et qu'enfin les trois quarts d'entre eux y perdirent la vie[3].
-
-
-[Footnote 1: _Annals of the kingdom of Ireland by the Four Masters_,
-édit. O'Donovan, 1851, t. I, p. 38-41.]
-
-[Footnote 2: «Lug mac Edlend mic Tigernmais,» dans la pièce intitulée
-_Baile an scail_, British Museum, Harleien 5280, folio 60, publiée
-par O'Curry, _Lectures on the manuscript materials_, p. 619, ligne
-15. «Lug, Eithne ingen Balair Bailc-beimnig a-mathair-side» _Lebar
-gabala_, dans le Livre de Leinster, p. 9, col. 1., lignes 44, 45. Ces
-deux textes font le dieu Lug fils d'Ethne, au génitif Ethnend, par
-corruption Edlend, qui est une fille de Balar, autrement dit Tigernmas;
-c'est par erreur que, dans le _Baile in scail_, Ethne change de sexe et
-devient un fils de Tigernmas.]
-
-[Footnote 3: On peut consulter là-dessus: 1° la préface en prose
-du chapitre du _Dinn-senchus_ consacré à Mag Slechta; elle a été
-publiée par O'Conor, _Bibliotheca manuscripta Stowensis_, p. 40-41,
-d'après le manuscrit Stowe 1; 2° le texte en vers du même chapitre du
-_Dinn-senchus_, dans le Livre de Leinster, p. 213, col. 2, lignes 51 et
-suivantes; 3° le _Lebar gabala_, dans le Livre de Leinster, p. 16, col.
-2, lignes 19-21, 26-32; p. 17, col. 1, lignes 20, 21.]
-
-
-§9.
-
-_Le désastre de la tour de Conann d'après les documents irlandais._
-
-Le mythe de Tigernmas, seigneur de la Mort, et de son règne désastreux
-sur les descendants de Miled, n'est qu'une variante ou une forme
-différente du récit où l'on trouve racontée la domination tyrannique
-exercée sur les fils de Némed par les Fomôré et par leur terrible roi
-Conann, fils de Febar, établi dans sa tour, la tour de Conann, _tur
-Conaind_ ou _Conainn_, qui, suivant les évhéméristes irlandais, était
-située dans l'île de Tory, à la pointe nord-ouest de l'Irlande. L'excès
-de la tyrannie de Conann produisit la révolte. Conduits par trois
-[Pg 114]chefs, Erglann, Semul et Fergus Leth-derg, les descendants
-de Némed allèrent, au nombre de soixante mille, attaquer les Fomôré.
-Une bataille se livra. Les descendants de Némed y furent d'abord
-vainqueurs: ils prirent la tour, et Conann, leur oppresseur, périt de
-la main de Fergus Leth-derg, le dernier de leurs trois chefs. Mais
-Morc, fils de Délé, ami de Conann, comme lui chef des Fomôré, arrivé
-trop tard pour sauver la vie à ce tyran, arracha la victoire aux fils
-de Némed, les mit en fuite, les poursuivit, et en fit un tel massacre
-que trente seulement, sur les soixante mille, échappèrent à la mort.
-Un poète irlandais, de la seconde moitié du dixième siècle, a chanté
-cette guerre dans des vers qu'un manuscrit du douzième siècle nous a
-conservés.
-
- Assaut de la tour de Conann par combat
- Contre Conann le Grand, fils de Fébar;
- Les hommes d'Irlande allèrent là,
- Trois chefs illustres avec eux.
-
-L'auteur donne ensuite les noms de ces trois guerriers, puis continue
-ainsi:
-
- Trois fois vingt mille aux exploits brillants
- Et sur terre et sur eau;
- Tel est le nombre qui vint du rivage,
- --Race de Némed, à l'assaut.
-
- Assaut de la tour de Conann par combat
- Contre Conann le Grand, fils de Fébar;
-[Pg 115]
- Les hommes d'Irlande allèrent là,
- Trois chefs illustres avec eux.
-
- Torinis, île de la Tour,
- Forteresse de Conann, fils de Fébar.
- Par Fergus même, héros aux vingt exploits,
- Fut tué Conann, fils de Fébar.
-
- Morc, fils de Délé, arriva;
- Il venait en aide à Conann;
- Conann tomba mort devant lui;
- More fit beaucoup de mal.
-
- Trois fois vingt vaisseaux à travers la mer,
- Nombre qu'amena Morc, fils de Délé;
- Il les enveloppa avant qu'ils n'eussent gagné la terre,
- Race de Némed à la force puissante!
-
- Les hommes d'Irlande étaient tous au combat
- Après la venue des Fomôré;
- Tous les engloutit la mer,
- Excepté seulement trois fois dix.
-
-Suivent les noms des trente guerriers de la race de Némed qui
-échappèrent à ce désastre. Ils retournèrent s'établir en Irlande, que
-leurs trois chefs se partagèrent. Peu après, fuyant les impôts et
-une maladie épidémique qui avait ôté la vie à deux d'entre eux, ils
-quittèrent l'Irlande.
-
- Trois fois dix en course jolie
- Allèrent ensuite en Irlande;
- Trois firent partage à l'ouest
- Après l'assaut de la tour de Conann.
-
- Assaut de la tour de Conann par combat
- Contre Conann le Grand, fils de Fébar;
-[Pg 116]
- Les hommes d'Irlande allèrent là,
- Trois chefs illustres avec eux.
-
- Pour Bethach au renom glorieux, un tiers,
- De Torinis à la Boyne;
- C'est lui qui mourut dans l'île d'Irlande,
- Deux ans après Britan.
-
- Pour Semion, fils d'Erglan l'illustre, un tiers:
- De la Boyne à Belach Conglas;
- Pour Britan, raconte hua Flainn, un tiers;
- De Belach à la tour de Conann.
-
- Assaut de la tour de Conann par combat
- Contre Conann le Grand, fils de Fébar;
- Les hommes d'Irlande allèrent là,
- Trois chefs illustres avec eux[1].....
-
-La fin de ce poème a été composée sous l'influence d'idées modernes
-qui, rejetant le mythe celtique primitif, trouvent, dans la race
-de Némed, les ancêtres de la population des Iles Britanniques aux
-temps qui ont précédé la conquête saxonne. Suivant le Livre des
-Invasions, ceux des guerriers de la race de Némed qui échappèrent au
-désastre de la tour de Conann se réfugièrent d'abord en Irlande, puis
-quittèrent cette île pour aller habiter plus à l'orient. Ils formaient
-trois familles, dont l'une, celle de Britan, peupla plus tard la
-Grande-Bretagne
-[Pg 117]et donna son nom aux Bretons; les deux autres revinrent en
-Irlande, la première sous le nom de Fir-Bolg, la seconde sous le nom de
-Tûatha Dê Danann.
-
-Mais la croyance ancienne était que la race de Némed avait péri tout
-entière sans laisser de descendants. Némed et ses compagnons, une fois
-arrivés en Irlande, dit Tûan mac Cairill, eurent tant d'enfants et leur
-nombre augmenta tellement qu'ils atteignirent le chiffre de quatre
-mille trente hommes et quatre mille trente femmes; alors ils moururent
-tous[2].
-
-Si nous en croyons Nennius, la race de Némed, venue d'Espagne, passa
-en Irlande beaucoup d'années, puis quitta cette île et retourna en
-Espagne. Le récit de Nennius exprime, sur la destinée finale de la race
-de Némed, la même doctrine que la légende de Tûan mac Cairill; car,
-dans les textes mythologiques irlandais du moyen âge, l'Espagne prend
-la place du pays des Morts. Le texte primitif du récit que Nennius
-avait sous les yeux transportait d'Irlande, non en Espagne, mais au
-pays des Morts, la race de Némed.
-
-
-[Footnote 1: Livre de Leinster, p. 7, col. 2; Livre de Ballymote, f° 16
-r°, col. 1; Livre de Lecan, f° 176 v°, col. 2. Ce poème est d'Eochaid
-hûa Flainn, mort en 985; cf. O'Curry, _On the manners_, t. II, p. 109.]
-
-[Footnote 2: Voir plus haut, p. 53.]
-
-
-§10.
-
-_Le désastre de la tour de Conann suivant Nennius. Comparaison avec la
-mythologie grecque._
-
-Après avoir fait ces observations sur les derniers
-[Pg 118]quatrains du poème irlandais qui raconte la catastrophe de
-la tour de Conann, nous allons rapprocher de ce morceau la rédaction
-sensiblement différente que nous en a laissée Nennius. Nous avons déjà
-dit que, chez cet auteur, la légende de la tour n'a pas été rattachée
-à l'histoire de la race de Némed, et qu'elle fait partie de celle des
-fils de Milé. Le motif de cette modification est facile à concevoir.
-Nous avons vu que, suivant la rédaction chrétienne du désastre de la
-tour de Conann, les débris de l'armée irlandaise retournent dans leur
-île, puis vont s'établir en Orient, reviennent plus tard, et que d'eux
-descendent les habitants des Iles Britanniques à l'époque historique.
-On a conclu de là que les guerriers qui ont pris d'assaut la tour de
-Conann ne peuvent appartenir à la race de Némed, puisque, suivant les
-plus vieilles rédactions de la légende, tous les membres de cette race
-ont péri jusqu'au dernier, ou sont retournés en Espagne. Voici le récit
-de Nennius.
-
-«Ensuite vinrent trois fils de Milé d'Espagne[1] avec trente
-vaisseaux contenant chacun trente hommes et autant d'épouses. Ils
-restèrent en Irlande un an, puis ils aperçurent au milieu de la mer
-une tour de verre, et ils voyaient sur la tour quelque chose qui
-ressemblait à des hommes,
-[Pg 119]_quasi homines_. Ils adressaient la parole à ces gens-là sans
-jamais obtenir de réponse. Après s'être préparés pendant un an à
-l'attaque de la tour, ils partirent avec tous leurs navires et toutes
-leurs femmes, à l'exception d'un navire qui avait fait naufrage, des
-trente hommes et des trente femmes que ce navire avait contenus. Mais
-quand ils débarquèrent sur le rivage qui entourait la tour, la mer
-s'éleva au-dessus d'eux, et ils périrent dans les flots. Des trente
-hommes et des trente femmes dont le navire avait fait naufrage,
-descend la population qui habite aujourd'hui l'Irlande.»
-
-En transportant la légende de la tour dans l'histoire des fils de Milé,
-Nennius s'est écarté des primitives données de la mythologie celtique;
-mais du reste, chez lui, le sens originaire du mythe est, sur bien des
-points, plus nettement apparent que dans les textes irlandais qui nous
-ont été conservés. La tour est de verre, comme la barque où, dans la
-légende de Connlé, la messagère de la Mort vient chercher et ravir à
-l'amour paternel le fils du roi suprême d'Irlande. Ce ne sont pas des
-hommes qu'on voit sur la tour, c'est «quelque chose qui ressemble à
-des hommes,» _quasi homines_. Ce sont les «ombres» de la mythologie
-romaine, les εἴδωλα de la mythologie grecque, qui offrent l'apparence
-du corps humain sans en avoir la réalité qu'ils ont perdue avec la vie.
-Ces apparences d'hommes ne parlent point, ou si elles ont un langage,
-ce langage ne parvient point aux oreilles des guerriers irlandais. Car
-ces apparences
-[Pg 120]d'hommes sont identiques aux «silencieux,» _silentes_, de
-la poésie latine. Les «silencieux,» _silentes_, sont les morts chez
-Virgile, Ovide, Lucain, Valérius Flaccus et Claudien. La tour de verre
-dont parle Nennius, la tour de Conann de la littérature irlandaise, est
-donc la forteresse des morts.
-
-Or, par une loi impitoyable, les hommes, à l'exception de quelques
-rares favorisés, ne peuvent, sans perdre la vie, pénétrer dans l'île
-mystérieuse de l'extrême Occident, où les Celtes et le second âge de la
-mythologie grecque ont placé le séjour des morts. Déjà, dans l'Odyssée,
-le navire qui porte Ulysse et ses compagnons ne peut aborder en Ogygie.
-Il fait naufrage, tous ceux qu'il porte, engloutis dans la mer, cessent
-de vivre; seul, le demi-dieu Ulysse peut atteindre l'île si éloignée où
-habite la déesse cachée, Calypso, fille d'Atlas, la colonne du ciel[2].
-
-Mais dans l'Odyssée, aucune notion belliqueuse n'est associée à
-l'idée de cette île lointaine où Ulysse, échappé à la mort par un
-privilège tout personnel, vit pendant sept ans, loin des regards des
-hommes, entouré des soins de la déesse dont il est aimé. Le mythe
-change de caractère quand, au lieu d'une déesse, un dieu mâle prend
-le gouvernement de l'île mystérieuse que la poétique imagination des
-Indo-Européens d'Occident place au couchant, à l'extrémité du monde,
-dans des régions où n'ose jamais s'aventurer le navigateur le plus
-audacieux. Kronos
-[Pg 121]règne sur cette île; la poésie grecque nous le représente
-occupant une «tour,» τύρσιν, dit Pindare[3], «dans l'île des
-Bienheureux, où soufflent les brises de l'Océan, où brillent des fleurs
-d'or, les unes sur de beaux arbres que la terre porte, les autres sur
-l'eau qui les produit; et de ces fleurs les habitants tressent des
-guirlandes qui leur ornent les mains et la tête;» ces habitants sont:
-Pélée, Cadmus, Achille et tous les héros de la Grèce antique.
-
-Pindare ne nous dit pas que personne ait attaqué la «tour» mythique
-des morts. Mais le plus ancien monument de littérature grecque parle
-des combats dont le séjour des morts a été le théâtre quand Héraclès
-se rendit dans l'Aïdès, aux portes solides, pour tirer de cet obscur
-domaine le chien du dieu terrible qui en est roi. Il aurait été
-englouti dans les eaux et aurait subi la même mort que les descendants
-de Némed au siège de la tour de Conann, il aurait perdu la vie dans
-les eaux rapides du Styx, si Zeus, du haut du ciel, n'eût envoyé à son
-aide la déesse Athéné[4]. On trouve donc épars, dans la mythologie
-grecque, une grande partie des éléments dont a été formé le mythe
-irlandais de la tour de Conann, de cette forteresse qui, bâtie dans
-l'île mystérieuse des Morts, est conquise par les guerriers irlandais,
-mais au prix de la vie du plus grand nombre d'entre eux. Toutefois
-l'Irlande, en créant le
-[Pg 122]mythe de la tour de Conann, n'a rien emprunté à la Grèce. Les
-traits communs de la mythologie irlandaise et de la mythologie grecque
-proviennent d'un vieux fonds de légendes gréco-celtiques antérieur
-à la séparation des races, à la date inconnue où, abandonnant aux
-Celtes la froide vallée du Danube et les régions brumeuses de l'Europe
-occidentale, les Hellènes ou Grecs vinrent habiter les plaines chaudes
-et les splendides rivages de la presqu'île située au sud des Balkans.
-
-
-[Footnote 1: _Militis Hispaniæ_. On pourrait comprendre «d'un guerrier
-d'Espagne;» mais _Miles, Militis_, est ici un nom propre, en irlandais
-_Mile_, génitif _Miled_.]
-
-[Footnote 2: _Odyssée_, livre VII, vers 244-255.]
-
-[Footnote 3: Pindare, _Olympiques_, II, vers 70; édit. Schneidewin, t.
-I, p. 17.]
-
-[Footnote 4: _Iliade_, livre VIII, vers 367-369.]
-
-
-[Pg 123]CHAPITRE VI.
-
-ÉMIGRATION DES FIR-BOLG.
-
-§1. Les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les Galiôin dans la mythologie
-irlandaise.--§2. Les Fir-Bolg, les Fir-Domnan et les Galiôin dans
-l'épopée héroïque irlandaise.--§3. Association des Fomôré ou dieux
-de Domna, _Déi Domnann_, avec les Fir-Bolg, les Fir-Domnan et les
-Galiôin.--§4. Etablissement des Fir-Bolg, des Fir-Domnann et de Galiôin
-en Irlande.--§5. Origine des Fir-Bolg, des Fir-Domnann et des Galiôin.
-Doctrine primitive, doctrine du moyen âge.--§6. Introduction de la
-chronologie dans cette légende. Liste des rois.--§7. Tailtiu, reine des
-Fir-Bolg et mère nourricière de Lug, un des chefs des Tûatha Dê Danann.
-Assemblée annuelle de Tailtiu le jour de la fête de Lug ou Lugus.
-
-
-§1.
-
-_Les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les Galiôin dans la mythologie
-irlandaise._
-
-Des trois races légendaires qui, dans la mythologie irlandaise,
-correspondent à la race d'Or, à la race d'Argent et à la race d'Airain
-de la mythologie
-[Pg 124]grecque, nous avons étudié jusqu'ici celles qui se placent les
-deux premières dans l'ordre chronologique adopté par les écrivains
-irlandais. C'est d'abord la famille de Partholon, identique à la race
-d'Argent de la mythologie grecque et caractérisée comme elle par le
-défaut d'intelligence[1]. Elle fut enlevée en une semaine par une
-maladie épidémique qui punissait un crime. Ainsi, la légitime colère de
-Zeus avait précipité la race d'Argent dans le tombeau. Vient ensuite
-la famille de Némed: nous reconnaissons en elle la race d'Airain de la
-mythologie grecque, belliqueuse comme elle, et qui, comme elle, périt
-par les armes. La famille de Némed fut détruite au massacre de la tour
-de Conann en combattant les Fomôré. Les hommes de la race d'Argent,
-emportés par l'ardeur de la guerre, s'égorgèrent l'un l'autre jusqu'au
-dernier[2]. Ainsi les deux premières races de la mythologie irlandaise,
-c'est-à-dire la famille de Partholon et celle de Némed, sont identiques
-aux deux dernières des trois races primitives de la mythologie grecque.
-L'ordre régulier des matières semblerait appeler ici l'étude de la
-troisième des races mythiques irlandaises qui correspond à la première
-des races mythiques grecques. Cette troisième race, connue sous le nom
-de Tûatha
-[Pg 125]Dê Danann, «gens du dieu fils de la déesse Dana,» est identique
-à la race d'Or, qu'Hésiode et Ovide font arriver sur la terre avant les
-deux autres. Dans la mythologie irlandaise, c'est chronologiquement
-la dernière des trois races dont la population historique de l'île ne
-descend pas.
-
-Cependant les catalogues de la littérature épique irlandaise et
-les résumés, dans lesquels les légendes mythologiques irlandaises
-se présentent à nous avec la prétention de se faire accepter
-pour des récits historiques, intercalent,--entre la légende qui
-concerne Némed ou la seconde des races mythiques, et les récits qui
-racontent l'arrivée de la troisième, c'est-à-dire des Tûatha Dê
-Danann,--l'histoire fabuleuse où l'on voit comment s'est établie en
-Irlande une des races qui occupaient encore cette île dans la période
-héroïque, c'est-à dire à une époque où succèdent à la mythologie pure
-les récits légendaires à base historique.
-
-On désigne habituellement cette race par le mot composé _Fer-Bolg_,
-au pluriel _Fir-Bolg_, «les hommes de Bolg.» Mais pour être exact,
-il faut dire que cette race se composait de trois peuples distincts:
-les Fir-Bolg ou hommes de Bolg, les Fir-Domnann ou hommes de Domna,
-et les Galiôin. Tel est l'ordre traditionnel dans lequel ces peuples
-sont rangés. C'est peut-être un ordre alphabétique. Quoique l'ordre
-des lettres ne soit pas le même dans l'alphabet ogamique que dans
-l'alphabet latin, ces deux alphabets s'accordent pour mettre le _b_
-avant
-[Pg 126]le _d_, et pour placer le _g_ après ces deux lettres. Les
-Galiôin sont dont alphabétiquement les derniers, et les hommes de Bolg
-précèdent les hommes de Domna.
-
-Mais de ces trois peuples, le plus important paraît avoir été celui que
-dans l'usage on nomme le second, les Fir-Domnann ou hommes de Domna.
-Suivant la tradition telle que nous la conserve un poème du onzième
-siècle, ils auraient occupé trois des cinq grandes provinces entre
-lesquelles l'Irlande se se divisait à l'époque héroïque. Ils auraient
-eu pour leur part le Munster méridional, le Munster septentrional et
-le Connaught, tandis que les Galiôin se contentaient du Leinster, et
-les Fir-Bolg de l'Ulster[3]. Aussi la légende de Tûan mac Cairill, plus
-logique que les autres textes, nomme-t-elle les Fir-Domnann avant les
-Fir-Bolg et les Galiôin[4].
-
-
-[Footnote 1: Comparez aux vers 129-134 des _Travaux et des Jours_
-d'Hésiode, le passage de la légende de Tûan mac Cairill, où se trouve
-l'appréciation de la race de Partholon: _Leabhar na-hUidhre_, p. 15,
-col. 2, lignes 23-24.]
-
-[Footnote 2: Hésiode, _Les Travaux et les Jours_, vers 152-153.]
-
-[Footnote 3: Poème de Gilla Coemain, dans le Livre de Leinster, p.
-127, col. 1. La partie de ce document qui se rapporte au partage
-de l'Irlande entre les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les Galiôin,
-occupe les lignes 28-33. Voir plus bas l'indication des autres textes
-concernant ce partage.]
-
-[Footnote 4: «Gabais Semion, mac Stariath in-innsi-sea iar-sin;
-is-dib-side Fir-Domnann, Fir-Bolc ocus Galiûin.» _Leabhar na-hUidre_,
-p. 16, col. 2, lignes 6 et 7.]
-
-
-§2.
-
-_Les Fir-Bolg, les Fir-Domnann, les Galiôin dans l'épopée héroïque
-irlandaise._
-
-Ces trois peuples paraissent avoir été la population
-[Pg 127]que les Gôidels ou Scots, c'est-à-dire les Irlandais,
-trouvèrent dans l'île dont ils portent aujourd'hui le nom, quand, à
-une date jusqu'ici mal déterminée, ils vinrent s'y établir. Dans la
-période héroïque, les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les Galiôin ne sont
-point encore fondus dans la race dominante, et ils y tiennent une
-place importante parmi les advesaires de ces héros d'Ulster que la
-littérature épique traite avec une faveur particulière.
-
-Ainsi, dans la grande épopée dont le sujet est l'enlèvement du taureau
-de Cûalngé, un des principaux épisodes est un duel où le premier
-des guerriers d'Ulster, c'est-à-dire le célèbre Cûchulainn, a pour
-adversaire le guerrier le plus éminent de l'armée d'Ailill et de Medb,
-roi et reine de Connaught; Ce dernier champion, Ferdiad, digne émule
-du héros qui réunit en sa personne les plus éminentes qualités et qui
-s'élève en quelque sorte au rang des demi-dieux, est un Fer-Domnann, un
-homme de Domna, le guerrier le plus accompli de cette race ennemie[1].
-
-Dans l'armée à laquelle appartient Ferdiad, les Galiôin sont au nombre
-de trois mille. La reine Medb, ayant un jour, en char, parcouru le
-camp pour se rendre compte de l'état de ses troupes, constata que les
-Galiôin étaient ceux qui étaient venus
-[Pg 128]à la guerre avec le plus d'entrain. Quand les autres guerriers
-commençaient à peine à s'installer dans leur campement, déjà les
-Galiôin avaient dressé leurs tentes. Quand les autres eurent fini de
-dresser leurs tentes, déjà le repas des Galiôin était prêt. Quand les
-autres commencèrent à manger, les Galiôin avaient fini; quand les
-autres terminèrent leur repas, déjà les Galiôin étaient non seulement
-couchés mais tous endormis[2].
-
-Un autre morceau raconte comment, au temps où vivait Cûchulainn, des
-Fir-Bolg violèrent un engagement pris envers le roi suprême d'Irlande,
-et devinrent vassaux d'Ailill et de Medb, se rangeant ainsi, comme
-les Galiôin et les Fir-Domnann, parmi les ennemis de l'Ulster et de
-l'héroïque pléiade de guerriers qui faisait la gloire de ce royaume.
-Cette trahison eut pour résultat quatre duels, et dans un de ces
-combats singuliers, Cûchulainn tua le fils du chef des Fir-Bolg[3].
-
-
-[Footnote 1: «Ferdiad mac Damain, mac Dâre, in mîlid môr-chalma
-d'Fheraib Domnand.» _Comrac Firdead_, Livre de Leinster, p. 81, col. 1,
-lignes 24-25, p. 82, col. 1, lignes 7-8. Cf. O'Curry, _On the manners_,
-t. III, p. 414, lignes 5 et 6; p. 420, lignes 2, 3.]
-
-[Footnote 2: _Tâin bô Cûalnge_, chez O'Curry, _On the manners_, t. II,
-p. 259-261.]
-
-[Footnote 3: Poème de Mag Liag, auteur du commencement du onzième
-siècle, Livre de Leinster, p. 152; O'Curry, _On the manners_, II,
-121-123.]
-
-
-§3.
-
-_Association des Fomôré, ou dieux de Domna, Dê Domnann, avec les
-Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les Galiôin._
-
-Il y a donc dans la littérature épique irlandaise
-[Pg 129]une sorte de dualisme. D'un côté Conchobar, Cûchulainn, et
-les guerriers d'Ulster, héros favoris des _file_; et de l'autre, un
-groupe ennemi dont les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les Galiôin,
-les Fir-Domnann surtout, autrefois maîtres des trois cinquièmes de
-l'Irlande, sont un élément fondamental. Les Fir-Bolg, les Fir-Domnann,
-les Galiôin ont toutes sortes de défauts et de vices: ils sont bavards,
-traîtres, avares, ennemis de la musique, querelleurs; c'est à leurs
-adversaires qu'appartiennent en propre, et comme caractère distinctif,
-la bravoure et la générosité[1]. La mythologie nous offre un dualisme
-analogue. D'un côté les dieux bons, les dieux du jour, de la lumière et
-de la vie, qu'on appelle Tûatha Dê Danann, parmi lesquels on remarque
-Ogmé à la face solaire, _Grian-ainech_[2], et dont le chef est _in
-Dag-de_, littéralement «le bon Dieu;» de l'autre, les dieux de la mort
-et de la nuit, les dieux méchants qu'on appelle ordinairement Fomôré.
-Mais à ceux-ci on donne aussi quelquefois le nom de la principale des
-trois races ennemies que combattaient les héros d'Ulster: le chef des
-Fomôré est dit quelquefois
-[Pg 130]«dieu de Domna[3].» Le dieu de Domna, _dia_ ou _dê Domnand_,
-est le dieu ennemi, comme les hommes de Domna, Fir-Domnann, sont les
-hommes ennemis.
-
-Suivant la doctrine celtique, la nuit précède le jour, la mort précède
-la vie, comme le père précède le fils[4]; ainsi les dieux mauvais ont
-précédé les bons, et les hommes méchants sont arrivés en ce monde
-avant les bons, c'est-à-dire avant les Gôidels ou Scots ou en d'autres
-termes avant le rameau de la race celtique auquel sont dus les récits
-légendaires dont nous rendons compte. Cette association des hommes
-méchants et des dieux mauvais, vaincus les uns et
-[Pg 131]les autres, se trouve aussi dans la littérature sanscrite
-de l'Inde où le même mot _Dasyu_, désigne à la fois les démons et
-les races ennemies qui ont précédé les Aryens dans l'Inde et sur
-lesquelles la race aryenne a fait la conquête des vastes plaines
-situées au sud de l'Himalaya[5]. Tandis que le groupe oriental de la
-famille indo-européenne se créait, par la victoire, un nouveau domaine
-territorial, le groupe occidental de la même famille devait à ses
-armes un succès semblable; et cet événement militaire, si fécond en
-conséquences politiques, produisait dans l'ordre littéraire un effet
-analogue à celui que dans l'Inde il a eu pour résultat, c'est-à-dire un
-mélange presque identique de l'histoire et de la mythologie.
-
-
-[Footnote 1: Duald mac Firbis, auteur du dix-septième siècle, a résumé
-la tradition irlandaise sur ce sujet en quelques vers publiés par
-O'Curry, _Lectures on the mss. materials_, p. 580; cf. p. 223-224.
-Contrairement à l'ancienne doctrine, Duald mac Firbis considère les
-Fir-Bolg comme plus importants que les Fir-Domnann.]
-
-[Footnote 2: C'est l'opposé de _Buar-ainech_. Voyez chap. IX, § 4.]
-
-[Footnote 3: Elloth, l'un des Tûatha dê Danann, est tué par le dieu de
-Domna, _dê Domnand_, des Fomôré:
-
- Dorochair Elloth con âg
- athair môrgarg Manannain
- Ocus Donand chomlan cain
- la Dê n-Domnand d'Fhomorchaib.
-
-Poème de Flann Manistrech, mort en 1056, dans le Livre de Leinster, p.
-11, col. 1, lignes 25, 26. Lors de la seconde bataille de Mag-Tured,
-un des chefs des Fomôré est Indech, fils du dieu de Domna, «mac dê
-Domnann» (British Museum, ms. Harleian 5280; O'Curry, _Lectures on the
-mss. materials_, p. 249). Le _Livre des conquêtes_, parlant de la même
-bataille dans le Livre de Leinster, p. 9, col. 2, lignes 9-10, ajoute
-que Indech, fils du dieu de Domna, est roi: «Indech mac Dê Domnand in
-rî,» et il a dit un peu plus haut que, dans la seconde bataille de
-Mag-Tured, Ogma, fils d'Elada, fut tué par Indech, fils d'un Dieu, roi
-des Fomôré. Livre de Leinster, p. 9, col. 2, 122-4, cf. p. 11, col. 2,
-l. 33. Ainsi le même personnage mythique est à la fois fils du dieu de
-Domna et du roi des Fomôré.]
-
-[Footnote 4: César, _De bello gallico_, VI, 18, §§ 1, 2, 3.]
-
-[Footnote 5: Bergaigne, _La religion védique_, t. II, p. 208-219.]
-
-
-§4.
-
-_Etablissement des Fir-Bolg, des Fir-Domnann et des Galiôin en Irlande._
-
-Les Fomôré, dieux de la nuit, de la mort et du mal, sont venus en
-Irlande avant les Tûatha Dê Danann, ou dieux du bien, de la lumière,
-de la vie. En effet, les Tûatha Dê Danann n'ont point encore paru dans
-notre exposé, et nous verrons plus tard comment ils arrivèrent en
-Irlande. Mais nous avons déjà parlé à deux reprises des Fomôré; nous
-avons vu leurs combats contre Partholon et contre
-[Pg 132]Némed[1]: les Fomôré sont donc contemporains des deux races
-légendaires qui ont les premières habité l'Irlande; et dans la
-littérature irlandaise primitive, aucun récit ne nous raconte comment
-ils sont venus en Irlande: C'est à une date plus récente qu'on a
-imaginé d'en faire une tribu de pirates arrivant par mer comme les
-Scandinaves et les Danois du neuvième et du dixième siècle[2]; il n'y
-a pas, il ne paraît avoir jamais existé de récit intitulé: «Emigration
-des Fomôré ou des dieux de Domna en Irlande.» Ces dieux semblent
-remonter à l'origine même des choses. Mais il y avait un récit où l'on
-voyait comment les hommes de Domna étaient venus dans cette île.
-
-Le titre de ce récit est compris dans les deux plus anciens catalogues
-de la littérature épique irlandaise, dont le premier paraît, avons-nous
-dit, remonter aux environs de l'année 700. Ce titre, «Emigration des
-Fir-Bolg,» _Tochomlod Fer m-Bolg_, ne mentionne que le premier des
-trois peuples dont les Fir-Domnann étaient le principal. Mais quoique
-cette pièce soit perdue, les débris qui nous en ont été conservés par
-divers documents montrent quelle place importante y tenaient les hommes
-de Domna. «Cinq rois,» nous dit un poème attribué à Gilla Coemain,
-auteur du onzième siècle, «vinrent à travers la mer bleue dans trois
-flottes. L'affaire n'était pas petite; avec
-[Pg 133]eux étaient les Galiôin, les Fir-Bolg et les Fir-Domnann.» Un
-de ces cinq rois était celui des Fir-Bolg; il s'appelait Rudraige,
-et occupa le nord de l'Irlande, l'Ulster. Les Fir-Domnann avaient
-pour eux seuls trois rois qui fondèrent chacun un royaume: le royaume
-de Connaught, celui de Munster septentrional et celui de Munster
-méridional. Enfin les Galiôin, commandés comme les Fir-Bolg par un seul
-roi, fondèrent le royaume de Leinster. Les cinq rois étaient frères;
-ils confièrent l'autorité suprême à l'un d'entre eux, au roi des
-Galiôin Slane[3].
-
-
-[Footnote 1: Voir plus haut, p. 31 et suivante, p. 90 et suivantes.]
-
-[Footnote 2: Dans certaines compositions modernes plus politiques au
-fond que littéraires dans la forme, l'auteur, parlant des Fomôré,
-semble avoir pensé aux conquérants anglo-normands.]
-
-[Footnote 3: Livre de Leinster, p. 127, col. 1, lignes 26-35. Voir, sur
-le même sujet, un poème attribué à Columb Cille, Livre de Leinster,
-p. 8, col. 2, lignes 3 et suivantes; Girauld de Cambrie, _Topographia
-hibernica_, distinctio III, chap. IV et V, dans _Giraldi Cambrensis
-Opera_, édition Dimock, vol. V, p. 144, 145; Keating, _Histoire
-d'Irlande_, édition de 1811, p. 122. Tûan mac Cairill ne dit mot de ces
-cinq rois. Il parle de Semion, fils de Stariat, d'où les Fir-Domnann,
-les Fir-Bolg et les Galiôin. _Leabhar na-hUidhre_, p. 16, col. 2,
-lignes 5-7. Semion, suivant lui, serait venu en Irlande, tandis que
-Gilla Coemain, le Livre des Conquêtes et les textes postérieurs n'y
-font arriver que ses descendants.]
-
-
-§5.
-
-_Origine des Fir-Bolg, des Fir-Domnann et des Galiôin. Doctrine
-primitive. Doctrine du moyen âge._
-
-De quel pays venait cette population nouvelle? Si nous en croyons
-Nennius, elle arrivait d'Espagne, puisque c'est de l'Espagne, suivant
-lui, que l'Irlande
-[Pg 134]a reçu tous ses habitants; et chez lui _Espagne_ est la
-traduction évhémériste des mots celtiques qui désignaient le pays
-mystérieux des morts. Mais dans la doctrine qui prévalut en Irlande au
-onzième siècle, les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les Galiôin étaient
-partis de Grèce. Après le désastre de la tour de Conann, ceux des
-descendants de Némed qui, au nombre de trente, échappèrent à la mort,
-passèrent d'abord quelque temps en Irlande; puis, chassés par les
-maladies et par les exactions des Fomôré, ils renoncèrent à ce séjour
-désastreux et se partagèrent en trois groupes.
-
-L'un s'établit dans les régions septentrionales de l'Europe, il devait
-revenir en Irlande sous le nom de Tûatha Dê Danann. Nous verrons plus
-loin que la doctrine celtique primitive donnait aux Tûatha Dê Danann
-une origine tout autre et les faisait venir du ciel. Un autre groupe
-s'établit en Grande-Bretagne; c'est de lui que, suivant cette légende
-relativement moderne, les Bretons sont descendus.
-
-Enfin quelques-uns des descendants de Némed se réfugièrent en Grèce;
-mais les habitants de cette inhospitalière contrée les réduisirent en
-esclavage et les employèrent à un travail des plus durs. Il s'agissait
-de transformer des rochers en champs fertiles; et, à cet effet, ces
-malheureux étaient obligés de prendre de la terre dans la plaine, de la
-mettre dans des sacs de cuir, en irlandais _bolg_, et de la porter sur
-leur dos jusqu'au sommet des rochers. Fatigués de ce rude labeur--qui,
-en réalité, n'a
-[Pg 135]été inventé que pour donner une étymologie au nom des
-Fir-Bolg,--ils se soulevèrent au nombre de cinq mille, transformèrent
-en bateaux les sacs de cuir dans lesquels ils avaient jusque-là
-transporté la terre, et ce furent ces navires qui les amenèrent en
-Irlande. Ces navires formaient trois flottes, et ces trois flottes
-arrivèrent en Irlande dans la même semaine; la première le samedi, la
-seconde le mardi, et la troisième le vendredi suivant[1]. Les trois
-peuples atteignirent la côte par ordre alphabétique: d'abord les
-Fir-Bolg, ensuite les Fir-Domnann, en dernier lieu les Galiôin.
-
-
-[Footnote 1: Livre des Conquêtes, dans le Livre de Leinster, p. 6, col.
-2, lignes 14-30, p. 7, col. 2, ligne 35; poème commençant par les mots
-«hEriu oll ordnit Gaedil,» Livre de Leinster, p. 7, col. 1, lignes
-36 et suivantes; Keating, _Histoire d'Irlande_, édition de 1811, p.
-186-191 O'Curry, _On the manners_, t. II, p., 110, 185.]
-
-
-§6.
-
-_Introduction de la chronologie dans cette légende. Liste des rois._
-
-Quand, au onzième siècle, on éprouva le besoin d'une chronologie
-irlandaise analogue à la chronologie biblique, telle que l'avait créée
-la science gréco-romaine du quatrième siècle, on raconta qu'entre
-le désastre de la tour de Conann et l'arrivée des Fir-Bolg, des
-Fir-Domnann et des Galiôin en Irlande, il s'était écoulé deux cents ou
-deux cent
-[Pg 136]trente ans[1]. Antérieurement, la tradition mythologique ne
-contenait aucune indication chronologique quelconque.
-
-Du onzième siècle aussi date une liste des rois d'Irlande au temps de
-la domination des Fir-Bolg, des Fir-Domnann et des Galiôin. Ces rois
-sont au nombre de neuf, et la durée totale de leurs règnes est de
-trente-sept ans; le dernier et le plus remarquable de ces princes, le
-seul probablement qui appartienne à la légende primitive, fut Eochaid
-mac Eirc, appelé ailleurs Eochaid «le fier,» en irlandais _garb_, et
-aussi Eochaid mac Duach. Il régna dix ans; pendant ce temps on ne vit
-pas de pluie d'orage en Irlande: il n'y eut que de la rosée. Ce fut
-alors que le droit fit son apparition. Aucune année ne se passa sans
-jugement; il n'y avait plus, de guerre, les javelots, restés sans
-emploi, disparurent[2].
-
-[Footnote 1: Poème _Eriu ard, inis nar-rig_, Livre de Leinster, p. 127,
-col. 1, lignes 22, 23. Livre des Conquêtes, _ibid._, p. 6, col. 2,
-ligne 22.]
-
-[Footnote 2: Livre des Conquêtes, dans le Livre de Leinster, p. 8, col.
-1, lignes 11-14. Voir plus bas, chapitre VII, § 6, p. 160, comment
-cette idée fut développée.]
-
-
-§7.
-
-_Tâltiu, reine des Fir-Bolg, est mère nourricière de Lug, un des chefs
-des Tûatha Dê Danann. Assemblée annuelle de Tâltiu le jour de la fête
-de Lug ou Lugus._
-
-Eochaid avait épousé Tâltiu, fille de Magmôr, en
-[Pg 137]français de la «Grande-Plaine,» c'est-à-dire du pays des
-morts[1]. Plus tard, on a fait de Magmôr un roi d'Espagne, et de Tâltiu
-une princesse espagnole amenée par Eochaid, d'Espagne en Irlande[2].
-Dès cette vieille époque, l'Irlande avait les usages qui dominèrent
-chez elle à l'époque héroïque et à des temps postérieurs. Chacun
-faisait élever ses enfants dans une famille autre que la sienne.
-Tâltiu, femme du roi des Fir-Bolg, fut donc la mère nourricière du dieu
-Lug, l'un des Tûatha Dê Danann, un des chefs de ces dieux bons, de ces
-dieux de la lumière et de la vie, dont les Fir-Bolg, les Fir-Domnann,
-les Galiôin et leurs dieux, les Fomôré, étaient les adversaires.
-
-Il y eut du reste entre ces groupes ennemis des relations plus intimes
-encore, puisque le même Lug, qui un jour tua Balar, roi des Fomôré,
-était petit-fils de sa victime.
-
-La conquête de l'Irlande par les Tûatha Dê Danann mit fin à la
-domination des Fir-Bolg, des Fir-Domnann et des Galiôin; Eochaid mac
-Eirc perdit le trône avec la vie, mais Lug n'oublia pas les soins
-maternels dont Tâltiu avait environné son enfance: quand
-[Pg 138]elle mourut, il prit soin de ses funérailles. Tâltiu avait
-expiré le 1er août dans la localité qui en irlandais porte son nom,
-aujourd'hui Teltown, d'abord vaste forêt défrichée par elle et où elle
-s'était créée une habitation. Cette localité devint le lieu d'une
-assemblée annuelle d'affaires et de plaisirs célèbre par ses jeux, ses
-courses de chevaux, importante par le commerce et les mariages dont
-elle était l'occasion. Elle commençait quinze jours avant le premier
-août jour de la mort de Tâltiu; elle finissait quinze jours après. On
-y montrait le tombeau de Tâltiu, celui de son mari, et au moyen âge
-on prétendait n'avoir pas perdu le souvenir de l'événement funèbre
-dont cette réunion annuelle était, disait-on, destinée à perpétuer la
-mémoire.
-
-Le nom de Lug, fils adoptif de Tâltiu, était associé à celui de la
-femme dont il avait reçu les soins maternels. Le 1er août, principal
-jour de la foire de Tâltiu portait le nom de «_fête de Lug_,» dans tout
-le domaine de la race irlandaise, tant en Irlande qu'en Ecosse et dans
-l'île de Man[3], et la tradition irlandaise faisait de Lug l'inventeur
-des vieilles assemblées païennes à date fixe dont quelques-unes de nos
-foires sont un dernier reste. Il avait, disait-on, introduit en Irlande
-les amusements, qui faisaient le principal
-[Pg 139]attrait de ces réunions périodiques, les courses de chevaux
-ou de chars et par conséquent la cravache qui activait l'allure des
-chevaux, les échecs ou le jeu analogue qu'on appelait _fidchell_[4].
-
-Lug a donné son nom aux _Lugu-dunum_ de Gaule, dont le nom veut dire
-forteresse de Lugus ou Lug[5]. Le principal d'entre eux, aujourd'hui
-Lyon, a fourni sous l'empire romain l'emplacement d'une assemblée
-annuelle célèbre tenue le 1er août en l'honneur d'Auguste, mais qui
-n'était probablement que la forme nouvelle d'un usage plus ancien.
-Avant de se réunir tous les ans, le 1er août, à Lugu-dunum en l'honneur
-d'Auguste, les Gaulois s'y étaient longtemps sans doute réunis tous les
-ans à la même date en l'honneur de Lugus ou Lug comme le faisaient les
-Irlandais à Tâltiu[6].
-
-
-[Footnote 1: Poème attribué à Columb Cille, Livre de Leinster, p. 8,
-col. 2, ligne 26; poème de Cûan hûa Lothchain, Livre de Leinster, p.
-200, col. 2, ligne 25. Cûan mourut en 1024, avant les remaniements
-qui, à la fin du onzième siècle, ont donné à l'histoire mythologique
-d'Irlande la forme qu'elle a prise dans le Livre des Conquêtes. Tâltiu
-peut s'écrire aussi Tailtiu.]
-
-[Footnote 2: Livre des Conquêtes, dans le Livre de Leinster, p. 9, col.
-1, lignes 34-41.]
-
-[Footnote 3: En irlandais _lugnasad_ (Glossaire de Cormac, chez Whitley
-Stokes, _Three irish glossaries_, p. 26; _lûnasdal, lûnasdainn_ et
-_lûnasd_ en gaélique d'Ecosse (_A dictionary of the gaelic language_,
-publié par la _Highland Society_, t. I, p. 602); _launistyn_ dans le
-dialecte de Man (Kelly, _Fockleyr manninagh as baarlagh_, p. 125).]
-
-[Footnote 4: Livre de Leinster, p. 10, col. 2, lignes 10-15. Sur la
-foire de Tâltiu, voir le poème de Cûan hûa Lothchain, inséré dans le
-Livre de Leinster, p. 200, col. 2. Suivant le Livre des Conquêtes
-(Livre de Leinster, p. 9, col. 1, lignes 38-42), Tâltiu aurait eu
-deux maris: l'un, de la race des Fir-Bolg, se serait appelé Eochaid
-mac Eirc; l'autre, de la race des Tûatha Dê Danann, se serait appelé
-Eochaid Garb, mac Duach Daill. Cette distinction n'apparaît pas dans
-les textes antérieurs, où ces deux personnages ne font qu'un.]
-
-[Footnote 5: _Lug_, génitif _Loga_, est, en irlandais, un thème en _u_.]
-
-[Footnote 6: Sur la fête d'Auguste à Lyon, voir tome Ier, p. 215-218.]
-
-
-[Pg 140]CHAPITRE VII.
-
-EMIGRATION DES TÛATHA DÊ DANANN. PREMIÈRE BATAILLE DE MAG-TURED.
-
-§1. Les Tuâtha Dê Danann sont des dieux: leur place dans le système
-théologique des Celtes.--§2. Origine du nom des Tuâtha Dê Danann. La
-déesse Brigit et ses fils, le dieu irlandais Brian et le chef gaulois
-Brennos.--§3. La bataille de Mag-Tured est primitivement unique. Plus
-tard on distingue deux batailles de Mag-Tured.--§4. Le dieu Nûadu
-Argatlâm.--§5. Indications sur l'époque où a été composée le récit de
-la première bataille de Mag-Tured.--§6. Pourquoi fut livrée la première
-bataille de Mag-Tured.--§7. Récit de la première bataille de Mag-Tured.
-Résultat de cette bataille.
-
-
-§1.
-
-_Les Tûatha Dê Danann sont des dieux: leur place dans le système
-théologique des Celtes._
-
-Les Tûatha Dê Danann sont les représentants les plus éminents d'un des
-deux principes qui se disputent le monde. De ces deux principes, l'un,
-le plus ancien, est négatif: c'est la mort, la nuit, l'ignorance,
-[Pg 141]le mal; l'autre, issu du premier, est positif: c'est le jour,
-la vie, la science[1], le bien. Dans les Tûatha Dê Danann on trouve
-la plus brillante expression du second de ces principes: d'eux, par
-exemple, émanent la science des druides et la science des _file_.
-
-Les textes irlandais qui concernent les Tûatha Dê Danann peuvent
-se distinguer en deux catégories. Les uns ont subi l'influence de
-l'école qui, dans la seconde moitié du onzième siècle, veut à tout
-prix créer à l'Irlande une histoire modelée sur les généalogies
-bibliques; dans cette doctrine systématique, toutes les populations
-mythiques et historiques de l'Irlande descendent de la même souche,
-qui par Japhet remonte jusqu'à Adam, premier père du genre humain.
-Les Tûatha Dê Danann comptent Némed parmi leurs ancêtres. Némed,
-entre autres enfants, a eu un fils doué du don de prophétie: c'était
-Iarbonel. Iarbonel laissa une postérité qui échappa au massacre de
-la tour de Conann, quitta l'Irlande, alla habiter quelque temps les
-régions septentrionales du monde pour y étudier le druidisme, l'art
-de se procurer des visions et de prévoir l'avenir, la pratique des
-incantations; une fois ces connaissances merveilleuses acquises, les
-descendances de Iarbonel revinrent en Irlande, et ils y arrivèrent
-enveloppés de nuages obscurs qui rendirent le soleil invisible pendant
-trois
-[Pg 142]jours et aussi, dit le Livre des conquêtes, pendant trois
-nuits[2]!
-
-Ce n'est pas la tradition primitive. La croyance ancienne et païenne
-considère les Tûatha Dê Danann comme des dieux qui viennent du ciel.
-Tûan mac Cairill, converti par Finnên, le croit encore. Il raconte
-qu'il a été contemporain des _Tûatha Dee ocus ande_, c'est-à-dire
-des gens du dieu et du faux dieu; et dont, ajoute-t-il, on sait que
-provient la classe savante; vraisemblablement, continue-t-il, dans le
-voyage qui les amena, ils venaient du ciel[3]. Un poème attribué à
-Eochaid hûa Flainn, qui mourut en 984, poème qui, si cette provenance
-n'est pas rigoureusement établie, est cependant antérieur au Livre des
-conquêtes, rappelle, quoique timidement, la même croyance, dont il
-n'ose pas se porter garant. «Ils n'avaient pas de vaisseaux... On ne
-sait vraiment,» dit-il, «si c'est sur le ciel, du ciel, ou de la terre
-qu'ils sont venus. Etaient-ce des démons du diable ... étaient-ce des
-hommes[4]?»
-
-Par une contradiction dont il nous offre de fréquents exemples, le
-Livre des conquêtes, après avoir dit, conformément au système des
-savants irlandais du onzième siècle, que les Tûatha Dê Danann
-[Pg 143]sont, par Iarbonel et Némed, des descendants de Japhet, en
-fait plus loin, conformément à la tradition antérieure, des démons,
-nom que les chrétiens donnaient aux dieux du paganisme[5]. _Démon_ est
-un mot qui du latin de la théologie chrétienne a pénétré en irlandais;
-mais la langue irlandaise avait une expression pour désigner les corps
-merveilleux semblables aux nôtres en apparence, à l'aide desquels les
-dieux, croyait-on, se rendaient quelquefois visibles aux hommes; ce nom
-était _siabra_, qu'on peut traduire par «fantôme.» Le poème d'Eochaid
-hûa Flainn que nous venons de citer, racontant l'arrivée des Tûatha Dê
-Danann en Irlande, où ils viennent attaquer les Fir-Bolg, dit que les
-nouveaux conquérants de l'Irlande étaient des troupes de _siabra_[6].
-Ce caractère surnaturel des Tûatha Dê Danann a empêché Girauld de
-Cambrie d'admettre leur réalité historique; et il n'a rien dit d'eux
-quand, dans sa _Topographies hibernica_, il a résumé les récits
-légendaires irlandais sur les populations primitives de l'île, alors
-tout récemment conquise par les Anglo-Normands.
-
-Lorsque les Tûatha Dê Danann eurent vaincu les Fir-Bolg, les
-Fir-Domnann, les Galiôin, et leurs dieux, les Fomôré, ils furent
-quelque temps seuls maîtres de l'Irlande; mais la race de Milé, les
-Gôidels, la race irlandaise moderne, arriva dans l'île, les attaqua,
-remporta sur eux la victoire et prit possession
-[Pg 144]du pays. Les Tûatha Dê Danann vaincus se sont réfugiés au
-fond des cavernes, dans les profondeurs des montagnes; quand, pour se
-distraire, ils parcourent leur ancien domaine, c'est ordinairement sous
-la protection d'un charme qui les rend invisibles aux descendants des
-mortels heureux par lesquels ils ont été dépossédés; et malgré cette
-dépossession, ils ont conservé une grande puissance qu'ils font sentir
-aux hommes en leur rendant, tantôt de bons, tantôt de mauvais services.
-Tels étaient, dans l'imagination des Grecs, les hommes ou demi-dieux de
-l'antique race d'or.
-
-«Quand cette race a été couverte par la terre, la volonté du grand
-Zeus en a fait de bons démons qui habitent la terre et y gardent les
-hommes mortels, récompensant les bonnes actions, punissant les crimes;
-voilés par l'air qui leur sert de manteau, ils parcourent la terre,
-y distribuent les richesses, et ainsi sont investis d'une sorte de
-royauté[7].»
-
-[Footnote 1: Tûan mac Cairill appelle les Tûatha Dê Danann «race de
-science,» _âes n-êolais_.--_Leabhar na-hUidhre_, p. 16, col. 2, lignes
-29-30.]
-
-[Footnote 2: Livre de Leinster, p. 6, col. 2, ligne 1; p. 8, col. 2,
-lignes 50, 51; p. 9, col. 1, lignes 1 et suivantes.]
-
-[Footnote 3: _Leabhar na-hUidhre_, p. 16, col. 2, lignes 28-31.]
-
-[Footnote 4: Livre de Leinster, p. 10, col. 2, lignes 10-15. C'est
-O'Clery qui attribue ce poème à Eochaid hûa Flainn. O'Curry, _On the
-manners_, t. II, p. 111; Atkinson, _The book of Leinster_, contents, p.
-18, col. 2.]
-
-[Footnote 5: «Ro brissiset meic Miled cath Slêbi Mis for demno idon for
-Tuaith Dê Danand.» Livre de Leinster, p. 13, col. 1, lignes 1 et 2.]
-
-[Footnote 6: Livre de Leinster, p. 10, col. 2, lignes 6-8.]
-
-[Footnote 7: Hésiode, _Les Travaux et les Jours_, vers 120-126.]
-
-
-§2.
-
-_Origine du nom des Tûatha Dê Danann. La déesse Brigit et ses fils; le
-dieu irlandais Briân et le chef gaulois Brennos._
-
-Le nom des Tûatha Dê Danann[1] veut dire «gens
-[Pg 145]du dieu dont la mère s'appelait _Dana_,» au génitif _Danann_
-ou _Donand_. Dana, appelée au nominatif Donand en moyen irlandais est
-nommée ailleurs Brigit; c'est la mère de trois dieux, qu'on trouve
-désignés tantôt par les noms de Brîan, Iuchar et Uar, tantôt par ceux
-de Brîan, Iucharba et Iuchair; ces trois personnages mythiques sont
-les dieux du génie ou de l'inspiration artistique et littéraire: _dêi
-dâna_, ou les dieux fils de la déesse Dana, _dêe Donand_. Dana ou
-Donand, dite aussi Brigit, leur mère, était femme de Bress, roi des
-Fomôré, mais, par sa naissance, elle appartenait à l'autre race divine,
-elle avait pour père Dagdé ou «bon Dieu» roi des Tûatha Dê Danann; on
-la considérait comme la déesse de la littérature[2]. Ses trois fils
-avaient eu en commun un fils unique qui s'appelait _ecnè_, c'est-à-dire
-science ou poésie[3]. Brigit, déesse des Irlandais païens, a été
-supplantée à l'époque chrétienne par sainte Brigite; et les Irlandais
-du moyen âge reportèrent en quelque sorte sur cette sainte nationale le
-culte que leurs ancêtres païens avaient adressé à la déesse Brigit.
-
-[Pg 146]Le culte de Brigit n'était pas inconnu en Grande Bretagne. On
-a trouvé dans cette île quatre dédicaces qui remontent au temps de
-l'empire romain et qui sont adressées à une déesse de nom identique,
-sauf une légère variante dialectale[4]. L'une porte une date qui
-correspond à l'année 205 après notre ère[5]. Le nom écrit en Irlande,
-au douzième siècle, _Brigit_, au génitif _Brigte_, suppose un primitif
-_Brigentis_, et le nom divin qu'on lit dans les quatre inscriptions
-britanno-romaines précitées est _Brigantia_[6]. La forme gauloise de ce
-nom paraît avoir été _Brigindo_; une dédicace à une divinité gauloise
-de ce nom se trouve dans l'inscription gauloise de Volnay, aujourd'hui
-conservée au musée de Beaune[7].
-
-Ainsi, la race celtique a jadis adoré une divinité féminine dont le
-nom, à l'époque de la domination romaine, était, en Grande Bretagne,
-_Brigantia_, probablement en Gaule _Brigindo_, et qui, en Irlande, au
-moyen âge, s'est appelée _Brigit_ pour _Brigentis_. Ce nom semble être
-dérivé du participe présent de la racine BARGH, en sanscrit BR_i_H,
-«grandir, fortifier, élever,» dont le participe présent «_br_i_hant_,»
-pour _br_i_ghant_, veut dire «gros, grand, élevé.» A cette racine se
-rattachent le substantif féminin irlandais
-[Pg 147]_brîg_, «supériorité, puissance, autorité,» en gallois _bri_,
-«dignité, honneur, «qui a perdu son _g_ final. L'adjectif irlandais
-_brîg_, «fort, puissant;» s'explique par la même racine[8].
-
-En Irlande, Brigit porte au moyen âge un second nom, _Dana_ ou _Dona_,
-au génitif _Danann, Donand_. Fille du chef suprême des dieux du jour,
-de la lumière et de la vie, elle est elle-même la mère de trois dieux
-qui appartiennent au même groupe divin, et ces trois dieux sont, du nom
-de leur mère, appelés dieux de Dana, Mais cette triade, en réalité,
-ne nous offre que trois aspects d'un dieu unique, Brîan, le premier
-des trois, et dont les deux autres ne sont en quelque sorte que des
-doublets[9]. De là, le nom par lequel on désigne le groupe tout entier
-des dieux du jour, de la lumière et de la vie: on les appelle «les gens
-du dieu de Dana,» _Tûatha Dê Danann_.
-
-Ce mythe semble avoir été connu des Gaulois qui, au commencement du
-quatrième siècle, prirent Rome, et de ceux qui, un peu plus d'un
-siècle après, ayant fait la conquête de la région septentrionale de
-la péninsule des Balkans, poussèrent jusqu'à Delphes, c'est-à-dire
-jusqu'au plus sacré des sanctuaires de la Grèce, leurs expéditions
-victorieuses. Suivant les
-[Pg 148]historiens de la Grèce et de Rome, le chef de l'armée qui prit
-Rome et le chef de l'armée qui pilla Delphes portaient le même nom:
-tous deux s'appelaient _Brennos_. Cette coïncidence a fait admettre
-par les historiens français que _Brennos_, en gaulois, était un nom
-commun signifiant «roi.» On l'a expliqué par le gallois _brenin_, qui a
-ce sens. Mais c'est une doctrine inadmissible aujourd'hui. Le gallois
-moderne brenin, au douzième siècle _breenhin_, a perdu deux consonnes
-médiales, et à l'époque romaine se serait écrit _bregentinos_[10]. Il
-faut donc trouver au mot _Brennos_ une autre explication.
-
-C'est par les Gaulois que les Romains, en l'an 390 avant notre ère,
-les Grecs en 279, ont appris le nom du général qui avait conduit à la
-victoire ces barbares triomphants. Or, quel était le chef suprême qui,
-à ces époques primitives, chez ces races si profondément empreintes
-du sentiment religieux, menait les armées au combat et les rendait
-invincibles? C'était un dieu. A la question: «Quel est votre roi? le
-Gaulois vainqueur répondait par le nom du dieu auquel il attribuait le
-succès de ses armes, et que son imagination lui représentait assis,
-invisible, sur un char, le javelot à la main, guidant les bataillons
-conquérants sur les cadavres des ennemis; or le nom de ce dieu, le même
-en Italie et en Grèce, à cent vingt ans d'intervalle, était celui du
-chef de la triade formée par les fils de Brigantia ou Brigit, dite
-[Pg 149]autrement Dana. _Brîan_, nom du premier des trois fils de
-Brigit au moyen âge, est la forme relativement moderne d'un primitif
-*_Brênos_. On a dit _Brênos_ aux temps qui ont précédé le moyen âge,
-quand on prononçait _Brigentis_ le nom qui s'est prononcé plus tard
-_Brigit; Brennos_ par deux _n_ n'est qu'une variante orthographique de
-_Brênos_.
-
-Quand les Gaulois, vainqueurs à Rome et à Delphes, ont raconté qu'ils
-avaient combattu sous le commandement de _Brennos_, ils disaient le nom
-du chef mythique dont la puissance surnaturelle avait, selon leur foi,
-produit la supériorité de leurs bataillons sur les armées ennemies;
-et ce chef mythique était le premier des trois personnages divins que
-l'Irlande du moyen âge appelait Dieux de Dana. Il tenait le premier
-rang dans la triade, d'où vient en Irlande le nom de l'ensemble des
-dieux du jour, de la lumière et de la vie. Brennos ou _Brênos_, plus
-tard Brîan, est le premier des dieux de Dana, en vieil irlandais _Dêi
-Danann_. C'est lui qui par excellence est le dieu de Dana; et en vieil
-irlandais les dieux de la lumière, du jour et de la vie, s'appellent
-«gens du dieu de Dana,» _Tûatha Dê Danann_.
-
-
-[Footnote 1: _Tûatha_ est un nominatif pluriel. On trouve aussi le
-singulier _tûath_ qui peut se rendre par «peuple.»]
-
-[Footnote 2: Voir, à ce sujet, les textes publiés dans notre tome Ier,
-p. 57, notes 3 et 4, et p. 283, note 2. Comparez le passage suivant du
-Livre des Conquêtes: «Donand ingen don Delbaith chetna, idon mathair in
-triir dedenaig idon Briain ocus Iuchorba ocus Iuchaire. Ba-siat-side
-na tri dee dana.» Donand, fille du même Delbaeth, c'est-à-dire la mère
-des trois derniers, à savoir: Brian, Iucharba et Iuchair. Ce furent
-les trois dieux du génie artistique et littéraire, en irlandais _dân_,
-génitif _dâna_. Livre de Leinster, p. 10, col. 1, lignes 30-31.]
-
-[Footnote 3: Voir, dans le tome Ier, la note 2 de la page 283.]
-
-[Footnote 4: _Corpus inscriptionum latinarum_, t. VII, nos 200, 203,
-875, 1062.]
-
-[Footnote 5: _Ibidem_, n° 200.]
-
-[Footnote 6: La doctrine que nous exposons ici est celle de M. Whitley
-Stokes, _Three irish glossaries_, p. XXXIII-XXXIV.]
-
-[Footnote 7: _Dictionnaire archéologique de la Gaule_, inscription
-celtique n° 4.]
-
-[Footnote 8: _Grammatica celtica_, 2e édit., p. 141. Le mot gallois
-_bri_ se retrouve en vannetais avec le sens d'«égard, considération.»
-Voir, sur ce point, les développements donnés par M. Emile Ernault,
-_Revue celtique_, t. V, p. 268.]
-
-[Footnote 9: Voir plus bas, chapitre XVI, § 3 et 4, ce que nous disons
-de la triade divine chez les Celtes.]
-
-[Footnote 10: _Grammatica celtica_, 2e édit., p. 141.]
-
-
-§3.
-
-_La bataille de Mag-Tured est primitivement unique. Plus tard on
-distingue deux batailles de Mag-Tured._
-
-Avant d'être réduits au rôle d'êtres invisibles, les
-[Pg 150]Tûatha Dê Danann ont été, dit la légende, les maîtres visibles
-de l'Irlande. Ils doivent ce succès à la bataille de Mag-Tured. La
-tradition la plus ancienne, celle que nous trouvons constatée d'abord
-par les deux plus anciens catalogues de la littérature épique de
-l'Irlande, ensuite par divers monuments du dixième siècle, ne connaît
-qu'une seule bataille de Mag-Tured[1]. Dans cette bataille, les Tûatha
-Dê Danann vainquirent la triple race d'hommes qui était alors maîtresse
-de l'Irlande, c'est-à-dire les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les
-Galiôin[2]. Dans la même bataille ils triomphèrent aussi des dieux dont
-le sort était associé à celui de cette race antique; on appelait ces
-dieux Fomôré ou Dêi Domnann[3].
-
-[Pg 151]Au onzième siècle, on imagina de distinguer deux batailles de
-Mag-Tured. Les Tûatha Dê Danann auraient battu dans la première les
-Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les Galiôin; et ce serait dans la seconde
-qu'ils auraient triomphé des Fomôré ou Dêi Domnann. Flann Manistrech,
-moine irlandais, qui mourut en 1056, après avoir remanié au point de
-vue de la science de ce temps les vieilles légendes de l'Irlande, est
-le plus ancien auteur où nous trouvions la doctrine nouvelle qui,
-au lieu d'une bataille de Mag-Tured, nous en offre deux. Dans son
-poème irlandais, sur les circonstances où seraient morts les divers
-personnages connus dans la littérature irlandaise sous le nom de Tûatha
-Dê Danann, que la littérature antérieure considérait comme immortels,
-Flann mentionne d'abord une première bataille de Mag-Tured[4]. Le texte
-bien postérieur qui nous a conservé le récit de cette bataille la met
-au milieu de l'été du 5 au 9 juin[5]. Cette date était probablement
-déjà admise au onzième siècle. En effet, Flann Manistrech, après
-avoir parlé de la première bataille de Mag-Tured, en distingue celle
-où, après le 1er novembre, fête de _Samain_, Balar, chef des Fomôré,
-combattit les Tûatha Dê Danann[6]. Or, le manuscrit du quinzième
-[Pg 152]siècle qui, reproduisant un manuscrit perdu bien plus ancien,
-nous a conservé le récit détaillé de la seconde bataille de Mag-Tured,
-la fait commencer le jour de Samain, 1er novembre[7]. Le système de
-Flann Manistrech sur la distinction des deux batailles de Mag-Tured
-est adopté dans le _Livre des conquêtes_ qui, à la première bataille
-de Mag-Tured[8], oppose la dernière bataille de Mag-Tured[9]. Le
-nombre des victimes de la première bataille de Mag-Tured aurait été
-de cent mille, suivant le _Livre des conquêtes_[10]. On trouve déjà
-ce chiffre dans un poème attribué à Eochaid hûa Flainn, mort en 984,
-qui ne connaît qu'une seule bataille de Mag-Tured, chez lequel il n'y
-a d'autre bataille de Mag-Tured que celle qui devint plus tard la
-seconde[11], et c'est dans cette unique bataille que, suivant Eochaid,
-auraient été tués les cent mille guerriers qui, suivant le _Livre des
-conquêtes_, écrit au siècle suivant, auraient péri pendant la première
-bataille.
-
-Dans le _Livre des conquêtes_, les victimes de la seconde
-[Pg 153]bataille de Mag-Tured sont l'objet d'une énumération séparée
-que le dieu fomôré Indech fait à Lug, l'un des Tûatha Dê Danann.
-
-
-[Footnote 1: Les textes les plus anciens où nous trouvions le nom
-de la bataille de Mag-Tured sont: 1° le Glossaire de Cormac, mort
-au commencement du dixième siècle (Whitley Stokes, _Three irish
-glossaries_, p. 32; _Sanas Chomaic_, p. 123, au mot _Nescoit_); 2° un
-poème de Cinâed ûa Artacan, qui mourut en 975. Ce poème a pour sujet
-les sépultures contenues dans le cimetière antique des rives de la
-Boyne, et l'auteur parle du couple qui dormait là avant la bataille de
-Mag-Tured. _Leabhar na-hUidhre_, p. 51, col. 2, ligne 23.]
-
-[Footnote 2: Poème attribué à Eochaid ûa Flainn, mort en 985. Livre
-de Leinster, p. 10, col. 2, lignes 15-22. Le nom de Mag-Tured est
-inscrit à la ligne 19, et les Fir-Bolg sont mentionnés sous le nom de
-Tûath-Bolg, c'est-à-dire peuple des _bolg_ ou sacs, à la ligne 20.]
-
-[Footnote 3: Le fragment du récit de la bataille de Mag-Tured, inséré
-par Cormac dans son Glossaire, vers l'année 900, appartient au récit de
-la défaite des Fomôré, comme on peut s'en convaincre en le comparant au
-passage correspondant de l'analyse donnée par O'Curry du récit de cette
-défaite, d'après le manuscrit du British Museum, Harleian 5280 (_On the
-manners and customs of the ancient Irish_, t. II, p. 249).]
-
-[Footnote 4: «Cêt chath Maige Tured.» Livre de Leinster, p. 11, col. 1,
-ligne 24.]
-
-[Footnote 5: O'Ourry, _Lectures on the manuscript materials_, p. 246;
-_On the manners_, t. II, p. 237.]
-
-[Footnote 6:
-
- I maig Tured, ba-thrî-âg
- doceir Nuadu Argat-lâm,
- ocus Macha, iar-samain-sain
- do-lâim Balair Balcbemnig.
- Livre de Leinster, p. 11, col. 1, lignes 31, 32.
-]
-
-[Footnote 7: O'Curry, _Lectures on the manuscript materials_, p. 250.]
-
-[Footnote 8: Livre de Leinster, p. 9, col. 1, lignes 9, 24, 25, 36.]
-
-[Footnote 9: _Ibid._, p. 9, col. 1, ligne 51; col. 2, lignes 1-16.]
-
-[Footnote 10: _Ibid._, p. 9, col. 1, lignes 9-10.]
-
-[Footnote 11: _Ibid._, p. 10, col. 2, lignes 21, 22. Le texte du Livre
-de Leinster n'attribue pas ce poème à Eochaid; cette attribution se
-trouve dans l'édition du _Livre des Conquêtes_ due à O'Clery. O'Curry,
-_On the manners_, t. II, p. 111.]
-
-
-§4.
-
-_Le dieu Nûadu Argat-lâm._
-
-Le _Livre des conquêtes_ met entre les deux batailles de Mag-Tured
-un intervalle de vingt-sept ans. C'est la conséquence des créations
-chronologiques dues à la science irlandaise du onzième siècle. On
-voulait par tous les moyens établir une concordance entre les origines
-irlandaises et les systèmes historiques fondés sur la Bible. Il fallait
-que l'histoire la plus ancienne de l'Irlande, c'est-à-dire l'époque
-mythologique irlandaise, espaçât ses récits de manière à couvrir le
-vaste intervalle qui, suivant la chronologie de saint Jérôme et de
-Bède, s'écoule du déluge à l'époque de saint Patrice. Le procédé
-employé fut de créer, avec les noms que fournissaient les vieilles
-traditions et avec beaucoup d'autres noms certainement imaginés à une
-date plus récente, des listes de rois qui ont chacun une durée de règne
-arbitrairement inventée.
-
-Le règne de deux de ces rois se place entre les deux batailles de
-Mag-Tured, si nous en croyons le _Livre des conquêtes_. L'un est Bress
-mac Eladan, qui aurait eu sept ans de règne[1]. L'autre est Nûadu
-[Pg 154]Argatlâm, ou à la main d'argent, dont le règne aurait duré
-vingt ans[2]. Nûadu Argatlâm avait eu la main coupée à la première
-bataille de Mag-Tured, où il commandait en chef, avec titre de roi; il
-fit remplacer la main coupée par une main d'argent dont la fabrication
-demanda sept ans. Sa blessure l'avait fait descendre du trône et
-remplacer par Bress. Quand, grâce à la main d'argent, il eut recouvré
-l'intégrité de ses membres, Bress dut lui rendre la couronne, et Nûadu
-la conserva jusqu'à la seconde bataille de Mag-Tured, où il la perdit
-avec la vie. Telle est la doctrine irlandaise du onzième siècle et du
-_Livre des conquêtes_: Nûadu n'a pas été inventé par l'auteur du _Livre
-des conquêtes_, c'est un personnage qui vivait dans les conceptions
-mythologiques des Irlandais bien antérieurement à l'époque où leurs
-érudits ont imaginé de distinguer deux batailles de Mag-Tured. Nous ne
-nous contenterons pas de constater qu'on trouve son nom dans un poème
-composé avant la date où la bataille de Mag-Tured se dédoubla et où, de
-sa légende, on forma deux batailles, ce qui arriva vers le commencement
-du onzième siècle[3]. Nous dirons plus: Nûadu à la main d'argent,
-_Argatlâm_, était un dieu dont le culte en
-[Pg 155]Irlande a précédé le moyen âge. Ce culte avait pénétré en
-Grande-Bretagne dès le temps de l'empire romain. Un temple lui était
-consacré dans le comté de Gloucester, non loin de l'embouchure de la
-Severn, au fond et au nord du canal de Bristol, dans cette portion
-occidentale de la Grande-Bretagne qui paraît avoir été occupée par
-une population de même race que les Irlandais pendant la domination
-romaine[4]. Là, près de Lidney, s'élevait un temple consacré à cette
-divinité. Le nom de ce dieu, écrit en Irlande, au douzième siècle, au
-nominatif _Nûadu_, au génitif _Nûadat_, au datif _Nûadait_, apparaît
-au datif sous trois orthographes différentes dans trois inscriptions
-de ce temple romano-breton qui sont parvenues jusqu'à nous: _Nodonti,
-Nudente, Nodenti_[5].
-
-Nûadu est donc un dieu qui était l'objet d'un culte antérieurement à
-l'époque où les Romains ont abandonné la Grande-Bretagne, événement
-qui remonte, comme on le sait, au commencement du cinquième siècle.
-Les évhéméristes irlandais du onzième siècle ont fait de lui un
-roi qui aurait occupé le trône à deux reprises: d'abord pendant un
-temps indéterminé, quand eut lieu l'invasion des Tûatha Dê Danann en
-Irlande[6]; ensuite pendant vingt
-[Pg 156]ans, depuis la guérison de la blessure qu'il avait reçue à la
-première bataille de Mag-Tured jusqu'à sa mort dans la seconde[7]; car
-il est mort, dans cette littérature relativement nouvelle du onzième
-siècle; il fallait bien qu'il mourût, du moment où il cessait d'être
-dieu, comme aux temps païens, et devenait homme grâce au triomphe du
-christianisme.
-
-Entre ses deux règnes, séparés l'un de l'autre par le règne de Bress,
-il s'est écoulé, suivant les auteurs irlandais du onzième siècle, un
-intervalle de sept ans; en y ajoutant les vingt ans que son second
-règne aurait duré, on trouve vingt-sept ans. C'est le temps qui se
-serait écoulé entre les deux batailles de Mag-Tured, la première où
-Nûadu fut, dit-on, blessé, la seconde où il aurait perdu la vie.
-Cette chronologie est d'invention récente, puisque, dans les textes
-antérieurs au onzième siècle, les deux batailles n'en font qu'une.
-
-
-[Footnote 1: Livre de Leinster, p. 9, col. 1, lignes 29, 30.]
-
-[Footnote 2: Livre de Leinster, p. 9, col. 1, ligne 31.]
-
-[Footnote 3: _Ibid._, p. 8, col. 2, ligne 13. Ce poème est attribué
-à saint Columba, Columb Cille. Cette indication d'auteur ne mérite
-aucune confiance. Mais ce n'est pas une raison pour en attribuer la
-composition à l'auteur du _Livre des Conquêtes_, qui l'a intercalé dans
-son récit. Le vers où il est question de la bataille de Mag-Tured se
-trouve dans le Livre de Leinster, p. 8, col. 2, ligne 15.]
-
-[Footnote 4: Rhys, _Early Britain, Celtic Britain_, pages 214 et
-suivantes.]
-
-[Footnote 5: Corpus inscriptionum latinarum, t. VII, p. 42, nos 138,
-139, 140. M. Gaidoz est le premier qui ait rapproché de l'irlandais
-_Nûadu, Nûadat, Nûadait_, le nom divin fourni par ces trois
-inscriptions.]
-
-[Footnote 6: Livre de Leinster, p. 9, col. 1, lignes 23-25; p. 10, col.
-2, ligne 51; p. 11, col. 1, ligne 1.]
-
-[Footnote 7: Livre de Leinster, p. 9, col. 1, lignes 31, 51; p. 127,
-col. 1, lignes 48, 49; p. 11, col. 1, ligne 6.]
-
-
-§5.
-
-_Indications sur l'époque où a été composé le récit de la première
-bataille de Mag-Tured._
-
-Nous raconterons les deux batailles de Mag-Tured en nous conformant à
-la rédaction relativement récente qui nous en a été conservée. Le seul
-manuscrit
-[Pg 157]où se trouve, à notre connaissance, le récit de la première
-bataille de Mag-Tured ne date que du quinzième ou du seizième
-siècle[1]. De la seconde bataille de Mag-Tured, nous n'avons aussi
-qu'un manuscrit, et il ne date que du quinzième siècle[2]. La rédaction
-primitive des deux morceaux est antérieure à leur transcription dans
-ces manuscrits. Mais de l'examen de ces deux pièces on doit conclure
-que la seconde est beaucoup plus ancienne que la première.
-
-La première de ces compositions littéraires date d'une époque où déjà,
-en Irlande, des conceptions épiques nouvelles avaient sensiblement
-modifié le caractère primitif de la tradition celtique. Ainsi, nous
-avons déjà raconté que, lors de la première bataille de Mag-Tured,
-les Fir-Bolg demandèrent les conseils du fabuleux Fintan, doublet
-chrétien du celtique Tûan mac Cairill, et que des fils de Fintan
-auraient été tués dans la même bataille. Or, Fintan a été imaginé dans
-la seconde moitié du dixième siècle; sa présence dans le récit de la
-première bataille de Mag-Tured donne à ce récit un caractère évident de
-nouveauté relative.
-
-Le morceau épique où l'on trouve racontée la seconde bataille de
-Mag-Tured a un caractère beaucoup plus ancien que la pièce relative à
-la première de ces batailles, qui est le doublet de la seconde.
-[Pg 158]En outre, on trouve dans le _Glossaire_ de Cormac, qui date de
-la fin du neuvième siècle ou du commencement du dixième, un fragment du
-récit de cette seconde bataille. Cependant l'ordre logique des faits
-nous oblige à commencer par la légende de la première bataille de
-Mag-Tured.
-
-
-[Footnote 1: Collège de la Trinité de Dublin, H. 2. 17, pages 90-99.]
-
-[Footnote 2: Musée britannique, manuscrit Harleian 5280, folios 52-59.]
-
-
-§6.
-
-_Pourquoi fut livrée la première bataille de Mag-Tured._
-
-Tandis que Partholon, chef de la plus ancienne des populations
-mythiques irlandaises, venant d'Espagne, avait débarqué au sud-ouest
-de l'Irlande, les Tûatha Dê Danann pénétrèrent dans l'île par
-l'extrémité opposée, c'est-à-dire par le nord-est. C'était un lundi,
-premier jour de mai, fête de Beltiné[1]. Le 1er mai devait être le
-jour de l'arrivée des fils de Milé ou des Irlandais. Partholon avait
-débarqué en Irlande le 14 du même mois[2]. Un nuage magique rendit
-d'abord les Tuatha Dê Danann invisibles; et quand, ce nuage dissipé,
-les Fir-Bolg commencèrent à se préoccuper de la présence de ces
-conquérants inattendus, les Tûatha Dê Danann avaient déjà pénétré dans
-le nord-ouest du Connaught et avaient
-[Pg 159]établi des fortifications autour de leur campement, à Mag-Rein.
-
-D'où venaient-ils? Ils ont prétendu, raconte un auteur, qu'ils étaient
-arrivés en Irlande sur les ailes du vent. La vérité, ajoute l'écrivain
-évhémériste, est qu'ils étaient venus par mer et sur des vaisseaux,
-mais qu'ils avaient détruit leurs vaisseaux aussitôt après avoir
-débarqué. Nous avons déjà dit que la tradition la plus ancienne les
-faisait arriver sans vaisseaux et descendre du ciel[3].
-
-Les Fir-Bolg, avant de prendre une décision, voulurent savoir ce que
-c'était que les nouveaux venus. Ils envoyèrent un de leurs guerriers
-les plus grands, les plus forts et les plus braves visiter le camp
-de Mag-Rein et voir qui l'avait construit. Ce guerrier s'appelait
-Sreng. Il se mit en route. Quand il approcha du but de son voyage, les
-sentinelles des Tûatha Dê Danann l'aperçurent et envoyèrent au-devant
-de lui un de leurs guerriers nommé Breas. Sreng et Breas s'approchèrent
-l'un de l'autre avec grande prudence. Quand ils furent à portée de
-la voix, ils s'arrêtèrent, et, abrités chacun derrière son bouclier,
-ils restèrent quelque temps à se regarder d'un air inquiet. Enfin,
-Breas rompit le silence. Il prit la parole dans sa langue maternelle,
-qui était l'irlandais, puisque, suivant la conception de la fable
-chrétienne irlandaise, toutes les populations primitives de l'Irlande
-sont issues du même père, qui est un descendant
-[Pg 160]de Magog ou de Gomer, fils de Japhet. Sreng, le guerrier
-Fir-Bolg, fut ravi d'entendre parler irlandais le guerrier inconnu qui
-se présentait à lui. Les deux hommes s'approchèrent l'un de l'autre,
-commencèrent par se raconter leurs généalogies, puis ils examinèrent
-leurs armes. Sreng avait apporté avec lui deux lourdes lances sans
-pointe, Breas deux lances fort légères et en même temps fort aiguës.
-Ce détail est conforme aux données de l'ancienne littérature. Nous
-avons vu plus haut qu'à cette époque on ne connaissait plus en Irlande
-l'usage du javelot[4]. Sreng suivait la nouvelle coutume nationale;
-Breas, l'ancienne, rétablie depuis. Un des vieux poèmes insérés dans
-le _Livre des conquêtes_ raconte qu'au temps d'Eochaid mac Eirc, le
-dernier roi des Fir-Bolg, les armes n'avaient pas de pointe en Irlande.
-Les Tûatha Dê Danann, continue-t-il, arrivèrent avec des lances, et ils
-tuèrent le roi[5].
-
-Breas, l'envoyé des Tûatha Dê Danann, n'avait jamais vu de lances
-pesantes et arrondies du bout comme celles que portait Sreng,
-l'émissaire des Fir-Bolg; et Sreng apercevait pour la première fois des
-lances minces et pointues comme celles dont Breas
-[Pg 161]était armé. Chacun d'eux contemplait avec la même admiration
-l'engin meurtrier dont l'autre était muni. Ils les échangèrent. Breas
-prit les deux lourdes lances sans pointe du guerrier fir-bolg pour les
-porter aux Tûatha Dê Danann, et leur apprendre de quelles armes les
-Fir-Bolg se servaient dans les combats. Sreng prit les deux lances
-légères et pointues de Breas pour les mettre sous les yeux des Fir-Bolg
-et leur faire-connaître les redoutables instruments de mort dont les
-Tûatha Dê Danann les menaçaient.
-
-Avant de quitter Sreng, Breas lui déclara qu'il était chargé par les
-Tûatha Dê Danann de demander aux Fir-Bolg la moitié de l'Irlande, et
-que si les Fir-Bolg voulaient accepter cette proposition, les deux
-peuples seraient amis et se réuniraient pour repousser toute invasion
-nouvelle. Puis les deux guerriers s'en retournèrent chacun, Sreng à
-Tara, déjà capitale de l'Irlande sous la domination des Fir-Bolg, Breas
-dans le camp où les Tûatha Dê Danann s'étaient retranchés. Les Fir-Bolg
-ne se soucièrent pas d'accepter la proposition des Tûatha Dê Danann:
-ils pensèrent que s'ils cédaient la moitié de leur île à ces nouveaux
-venus, bientôt ceux-ci, encouragés par tant de faiblesse, voudraient
-s'emparer du tout. Ils réunirent donc une armée, et se mirent en marche
-pour aller attaquer les ennemis qui avaient envahi le sol de leur
-patrie. Pendant ce temps, les Tûatha Dê Danann examinaient les deux
-lances sans pointe que Breas avait reçues de Sreng et qu'il leur avait
-apportées comme un spécimen de l'armement des Fir-Bolg. Leur premier
-[Pg 162]sentiment fut l'étonnement; le second, la terreur. Les lances
-sans pointe des Fir-Bolg leur paraissaient bien plus redoutables que
-les lances à fer aigu dont eux-mêmes étaient armés. Ils abandonnèrent
-leur campement et battirent en retraite vers le sud-ouest. Les Fir-Bolg
-les atteignirent dans la plaine de Mag-Tured.
-
-La légende irlandaise ne connut d'abord qu'une seule plaine de
-Mag-Tured: dans cette plaine s'était livrée l'unique bataille de ce
-nom, où les Tûatha Dê Danann vainquirent à la fois les Fir-Bolg et
-les Fomôré. Quand, au onzième siècle, on distingua deux batailles,
-la première contre les Fir-Bolg, la seconde contre les Fomôré, on ne
-concevait encore qu'un seul champ de bataille: c'était dans le même
-endroit qu'à vingt-sept ans d'intervalle, les deux batailles s'élaient
-livrées. Plus tard on distingua deux champs de batailles différents;
-l'un au sud, dans le comté de Mayo, l'autre au nord, dans le comté de
-Sligo; le premier, appelé Mag-Tured Conga, où furent, dit-on, vaincus
-les Fir-Bolg; le second, appelé Mag-Tured na bFomorach, où furent
-vaincus les Fomôré. C'est dans les textes du dix-septième siècle que
-les anciennes données, déjà compliquées par une dualité chronologique
-qui d'une seule bataille en fait deux, séparées par vingt-sept ans
-d'intervalle, se compliquent plus encore par la création d'une dualité
-géographique: au lieu d'un champ de bataille, deux à plusieurs
-kilomètres de distance[6].
-
-[Pg 163]Nous avons laissé l'armée des Fir-Bolg et celle des Tûatha Dê
-Danann en présence dans la plaine de Mag-Tured. Les Fir-Bolg avaient
-à leur tête leur roi Eochaid mac Eirc; le célèbre Nûadu Argatlâm ou
-à la main d'argent, qui, alors, ne portait pas encore ce surnom, et
-qui avait ses deux mains naturelles de chair et d'os, commandait
-l'armée des Tûatha Dê Danann. Il fit de nouveau porter aux Fir-Bolg
-la proposition que Breas leur avait déjà transmise, et insista, par
-conséquent, pour que les Fir-Bolg lui cédassent la moitié de l'Irlande.
-Le roi Eochaid mac Eirc refusa.--«Quand voulez-vous livrer bataille?»
-demandèrent alors les envoyés de Nûadu.--«Il nous faut du temps,»
-répondirent les Fir-Bolg, «pour mettre nos lances en bon état, fourbir
-nos casques[7], aiguiser nos épées; puis, nous voulons avoir des lances
-comme les vôtres, et vous aussi vous voudrez vous armer de lances
-semblables à celles dont nous nous servons.» Et il fut décidé, d'un
-commun accord, que cent cinq jours seraient consacrés aux préparatifs
-du combat.
-
-
-[Footnote 1: Keating, _Histoire d'Irlande_, édit. de 1811, p. 204.]
-
-[Footnote 2: _Chronicum Scotorum_, édit. Hennessy, p. 4, 14; cf. Livre
-de Leinster, p. 5, col. 1, ligne 8.]
-
-[Footnote 3: Voyez plus haut, p. 142.]
-
-[Footnote 4: Chap. VI, § 6, p. 136.]
-
-[Footnote 5: Livre de Leinster p. 8, col. 1, lignes 33-38. Suivant
-O'Curry _On the manners_, t. II, p. 237, ce poème est de Tanaidhé
-O'Maelchonairé, mort en 1136. La leçon donnée par O'Curry n'est pas
-celle du Livre de Leinster; il l'emprunte probablement au Livre de
-Ballymote ou au Livre de Lecan, qui nous donnent la même pièce (Livre
-de Ballymote, f° 16 verso, col. 2, ligne 49 et suivantes; Livre de
-Lecan, f° 278 recto, col. 1.]
-
-[Footnote 6: Keating, _Histoire d'Irlande_, édition de 1811, pages
-204, 206; _Annales des Quatre Maîtres_, édition d'O'Donovan, 1851, t.
-I, pages 16, 18. Voir, sur ce point, les savantes observations de M.
-W. M. Hennessy, dans sa préface des _Annales de Loch-Cê_, t. I, p.
-XXXVI-XXXIX.]
-
-[Footnote 7: Il n'est pas question de casques dans les textes irlandais
-les plus anciens.]
-
-
-[Pg 164]§7.
-
-_Récit de la première bataille de Mag-Tured. Résultat de cette
-bataille._
-
-La bataille commença le premier jour de la sixième semaine de l'été,
-c'est-à-dire le 5 juin. Il fut convenu entre les chefs des deux
-armées qu'il n'y aurait pas d'engagement général, et qu'on mettrait
-en présence tous les jours un nombre déterminé de guerriers, qui
-serait égal des deux côtés. De là plusieurs combats successifs où
-les Tûatha Dê Danann eurent l'avantage. Cela dura quatre jours. Les
-Tûatha Dê Danann furent définitivement les plus forts. Les Fir-Bolg
-perdirent même leur roi, qui, ayant quitté le champ de bataille pour
-aller se désaltérer à une source, fut poursuivi par un parti de Tûatha
-Dê Danann que commandaient les trois fils de Némed. Cent gardes qui
-l'accompagnaient ne purent lui sauver la vie. Sa mort a été chantée au
-douzième siècle[1], au onzième[2], et peut-être même plus anciennement,
-par des poèmes irlandais qui nous ont été conservés[3]. Comme
-[Pg 165]jusqu'à cette époque, les lances des Fir-Bolg n'étaient pas
-armées de pointes, il fut, dit-on, le premier roi auquel en Irlande une
-pointe de lance ôta la vie[4]. Les vainqueurs enterrèrent Eochaid dans
-l'endroit même où il était tombé; ils élevèrent sur la fosse un grand
-amas de pierres, ou _carn_, que l'on prétend avoir retrouvé, et qu'on
-montre encore aujourd'hui.
-
-Après ces quatre jours de combats où ils avaient eu le dessous, les
-Fir-Bolg proposèrent aux Tûatha Dê Danann de terminer par une petite
-bataille à laquelle auraient pris part trois cents hommes de chaque
-côté; et l'issue de cette lutte finale aurait décidé qui des deux
-peuples devait rester maître de l'Irlande. Mais les Tûatha Dê Danann
-offrirent aux Fir-Bolg la paix et la province de Connaught. Ceux-ci
-acceptèrent, abandonnèrent aux Tûatha Dê Danann Tara leur capitale
-et le reste de l'Irlande, sauf la province de Connaught où ils se
-réfugièrent; et au dix-septième siècle Duald mac Firbis, célèbre
-généalogiste irlandais, trouvait encore dans le Connaught des familles
-irlandaises, qui par une longue suite d'ancêtres, prétendaient remonter
-aux Fir-Bolg établis dans cette province à la suite de la première
-bataille de Mag-Tured[5].
-
-[Pg 166]Nous n'avons pas à nous prononcer ici sur la valeur de ces
-prétentions nobiliaires. Mais la vérité semble être que les Fir-Bolg
-sont une population qui a réellement existé. Fir-Bolg, dans les récits
-modernes, est une formule abrégée pour désigner les trois peuples des
-Fir-Bolg, des Fir-Domnann et des Galiôin, dont le second était le plus
-important. Ayant disputé le sol de l'Irlande à la race irlandaise
-moderne, c'est-à-dire au rameau le plus occidental de la race celtique,
-qu'ils précédèrent dans cette contrée, ces peuples furent associés
-par la légende mythologique aux dieux méchants, aux dieux de la nuit
-et de la mort, qui, sous le nom de Fomôré, sont les adversaires des
-dieux bons, des dieux de la lumière et de la vie, connus sous le nom
-de Tûatha Dê Danann. Ceux-ci sont vainqueurs dans la bataille de
-Mag-Tured, d'abord unique, mais dont on a fait ensuite deux batailles.
-Nous avons terminé le récit de la première, nous arriverons bientôt à
-la seconde.
-
-
-[Footnote 1: Poème de Tanaidé O'Maelchonairé, mort en 1136, Livre de
-Leinster, p. 8, col. 1, lignes 33-40. Cf. O'Curry, _On the manners_, t.
-II, p. 237.]
-
-[Footnote 2: Poème de Gilla Coemain, dans le Livre de Leinster, p. 127,
-col. 1, lignes 46-47.]
-
-[Footnote 3: Poème attribué à Columb Cille, Livre de Leinster, p. 8,
-col. 1, lignes 33-40, lignes 47 et suivantes.]
-
-[Footnote 4:
-
- Is-se sin cet-rî de-rind
- rogâet in-inis find Fâil.
- Livre de Leinster, p. 8, col. 1, lignes 47, 48.
-
-
- Ê-sin cêt-rî do rind
- rogaet ar-tûs ia-hErind.
- Livre de Leinster, p. 127, col. 1, ligne 47.
-]
-
-[Footnote 5: Sur la première bataille de Mag-Tured, voyez O'Curry, _On
-the manners_, t. II, p. 235-239; _Lectures on the mss. materials_,
-pages 244-246.]
-
-
-[Pg 167]CHAPITRE VIII.
-
-ÉMIGRATION DES TÛATHA DÊ DANANN (suite). SECONDE BATAILLE DE MAG-TURED.
-
-§1. Règne de Bress. Sa durée.--§2. Règne de Bress. Avarice de ce
-prince.--§3. Le _file_ Corpré. Fin du règne de Bress.--§4. Guerre des
-Fomôré contre les Tûatha Dê Danann. Les guerriers fomôré Balar et
-Indech.--§5. Arrivée de Lug chez les Tûatha Dê Danann à Tara.--§6.
-Revue des gens de métier par Lug.--§7. Seconde bataille de Mag-Tured.
-Fabrication des javelots.--§8. L'espion Rûadan.--§9. Seconde bataille
-de Mag-Tured (_suite_). Blessure d'Ogmé et de Nûadu.--§10. Seconde
-bataille de Mag-Tured (_suite et fin_). Mort de Balar. Défaite des
-Fomôré. L'épée de Téthra tombe entre les mains d'Ogmé.--§11. La harpe
-de Dagdé.--§12. Les Fomôré et Téthra dans l'île des Morts.--§13. Le
-corbeau et la femme de Téthra.
-
-
-§1.
-
-_Règne de Bress. Sa durée._
-
-La légende primitive ne fait pas livrer bataille par les Tûatha Dê
-Danann immédiatement après leur arrivée. Au début, il y a entre eux et
-les Fomôré, ou
-[Pg 168]dieux de Domna, c'est-à-dire entre eux et les chefs de la
-population mythique qui les a précédés dans l'île, un arrangement qui
-leur fait accepter la suprématie du prince investi de la royauté au
-moment de leur arrivée. Ce prince, Bress, fils du Fomôré Elatha[1], est
-un tyran comme toute sa race[2]. Bress régna, dit-on, sept ans[3]; mais
-il est clair que ce chiffre est une des inventions chronologiques dues
-aux savants irlandais du onzième siècle[4].
-
-Au onzième siècle, on disait aussi que la raison qui l'avait fait
-accepter pour roi par les Tûatha Dê Danann était que leur roi Nûadu,
-ayant perdu la main dans la première bataille de Mag-Tured, se
-trouvait, par l'effet de cette mutilation, incapable de rester sur le
-[Pg 169]trône. Il était de principe, en Irlande, que tout roi dont
-le corps était défiguré par une mutilation grave devait être déposé.
-Il fallut sept ans à Dian-Cecht, le médecin des Tûatha Dê Danann, et
-à Creidné, leur ouvrier en bronze, pour fabriquer la main nouvelle
-qui fit cesser la difformité de Nûadu et lui permit de remonter sur
-le trône. Alors Bress en descendit, et Nûadu y resta vingt ans; puis
-il fut tué à la seconde bataille de Mag-Tured. Mais ces données
-chronologiques sont étrangères à la légende primitive. Dans cette
-légende, il n'y avait pas de dates d'années: ne connaissant pas la
-première bataille de Mag-Tured, la tradition mythologique faisait
-perdre la main à Nûadu dans la bataille de Mag-Tured, qu'on a depuis
-appelée la seconde; elle ne mettait pas d'intervalle entre la fin du
-règne de Bress et la bataille de Mag-Tured, dite depuis la seconde, qui
-est amenée par la vengeance impuissante de Bress détrôné.
-
-
-[Footnote 1: Des généalogies relativement modernes donnent pour père
-à Elatha, Neit, dieu de la guerre: «Neith idon dia catha la-gêntib
-Gaedel.» Glossaire de Cormac, dans le _Leabhar Breac_, p. 269, col. 2,
-ligne 35. La bonne orthographe est Neit sans _th_, comme l'a corrigé
-avec raison M. Whitley Stokes, _Sanas Chormaic_, p. 122; et, mieux
-encore, _Nêit_ avec un accent sur l'_e_, _ibid._, p. 39. Neit est
-classé parmi les Tûatha Dê Danann par le _Livre des Conquêtes_, dans
-le Livre de Leinster, p. 10, col. 1, lignes 2-11. Cette doctrine est
-empruntée à Flann Manistrech, mort en 1056. Livre de Leinster, p. 11,
-col. 2, lignes 18, 19.]
-
-[Footnote 2: Il ne faut pas confondre Bress avec Breas, envoyé par les
-Tûatha Dê Danann à la rencontre de Sreng, avant la première bataille
-de Mag-Tured. Breas fut tué dans cette bataille. O'Curry, _On the
-manners_, t. II, p. 239.]
-
-[Footnote 3: _Livre des conquêtes_, dans le Livre de Leinster, p. 9,
-col. 1, lignes 29, 30.]
-
-[Footnote 4: La plus ancienne mention de cette date se trouve, à notre
-connaissance, dans le poème chronologique de Gilla Coemain, mort en
-1072. Livre de Leinster p. 127, col. 1, lignes 50, 51.]
-
-
-§2.
-
-_Règne de Bress. Avarice de ce prince._
-
-Bress était d'une avarice excessive, exigeant des impôts exorbitants et
-ne donnant rien. On raconte, par exemple, qu'il prétendait s'attribuer
-le lait de toutes les vaches brunes sans poil. De prime-abord, il
-semble que, les vaches de cette catégorie étant peu nombreuses, un
-pareil impôt n'avait rien d'exagéré; mais Bress, ayant fait allumer un
-grand feu de
-[Pg 170]fougère, voulut faire passer dans ce feu toutes les vaches
-de Munster, qui, de cette façon, auraient rempli les conditions du
-programme de l'impôt et dont le lait serait devenu propriété royale[1].
-
-Ce qui mécontenta surtout, c'était la mauvaise réception qu'on trouvait
-chez lui. La vieille Irlande a toujours vécu en festins: festins chez
-les chefs qui donnaient l'hospitalité à leurs vassaux, festins chez
-les vassaux que leurs chefs honoraient de fréquentes visites. Mais
-quand les sujets de Bress sortaient du palais de leur souverain,
-ils n'avaient pas, dit-on, de tache de graisse à leurs couteaux;
-et quelqu'un qui n'aurait pas aimé l'odeur de la bière aurait pu
-s'approcher d'eux sans crainte d'être incommodé par leur haleine.
-L'excessive frugalité des repas offerts par Bress à ses invités n'était
-pas compensée par les amusements que leur esprit pouvait trouver dans
-son palais. Aux assemblées tenues chez lui on n'entendait jamais un
-_file_ raconter une histoire ou chanter un poème. Jamais un auteur de
-compositions satiriques n'y venait égayer l'auditoire; jamais on n'y
-entendait le son de la harpe, de la flûte ou de la trompette; jamais un
-jongleur ou un bouffon n'y était appelé par le roi pour distraire les
-tristes assistants. Si Bress eût demandé le concours des _file_, des
-musiciens, des jongleurs et des bouffons, il aurait été obligé de leur
-donner un salaire; c'est ce
-[Pg 171]qu'avant tout sa sordide lésinerie voulait éviter. Enfin Bress
-était Fomôré, et, comme tel, ennemi des lettres et des arts, des
-lettrés et des artistes. Les lettres et les arts sont une création des
-Tûatha Dê Danann, dieux du jour et de la vie. Les Fomôré sont les dieux
-de l'ignorance comme de la mort et de la nuit.
-
-
-[Footnote 1: _Dinn-senchus_, dans le Livre de Leinster, p. 169, col. 1;
-p. 214, col. 2.]
-
-
-§3.
-
-_Le_ file _Corpré. Fin du règne de Bress._
-
-Un soir, cependant, un _file_ se rendit à la cour: c'était Corpré, dont
-la mère Etan[1] était elle-même une femme de lettres[2]. Il était de
-la race des Tûatha Dê Danann. Le roi lui fit donner une petite chambre
-sans lumière ni feu, où il n'y avait d'autre mobilier qu'une petite
-table sur laquelle, après une longue attente, on lui servit trois pains
-secs. Corpré se vengea par une satire en quatre vers:
-
- Point de mets sur plats rapides,
- Point de lait de vache pour faire grandir les veaux;
-[Pg 172]
- Point d'asile pour l'homme qui s'égare dans les ténèbres;
- Point de salaire pour la troupe de conteurs d'histoires: que telle
- soit la prospérité de Bress[3]!
-
-Ce fut, dit-on, la première satire qui ait été composée en Irlande[4].
-On sait la puissance magique que les satires des _file_ exerçaient sur
-l'esprit du peuple. Celle-ci mit fin au règne de Bress; les Tûatha Dê
-Danann opprimés se soulevèrent, et, sans essayer de résistance, Bress
-prit la fuite, abandonnant à Nûadu le trône et Tara, alors, comme à
-l'époque héroïque, capitale de l'Irlande. Ce fut ainsi que la science
-des _file_ remporta sa première victoire.
-
-
-[Footnote 1: _Glossaire_ de Cormac, aux mots _Cernine_ et _Rîss_.
-Whitley Stokes, _Three irish glossaries_, p. 11, 39, cf. 43, 44; _Sanas
-Chormaic_, p. 37, 144, cf. 159. Poème attribué à Eochaid hûa Flainn,
-dans le Livre de Leinster, p. 10, col. 2, ligne 33.]
-
-[Footnote 2: _Etan_, en moyen irlandais _Edan_, est à la fois le
-nom d'une déesse et celui d'une composition poétique. «Edan, ingen
-Dian-Cêcht, bannlicerd, de cujus nomine dicitur edan idon aircedul.»
-Glossaire de Cormac, dans le _Leabhar Breac_, p. 267, col. 1, lignes 5,
-6. Whitley Stokes, _Three irish glossaries_, p. 19; _Sanas Chormaic_,
-p. 67, a corrigé avec raison _Etan_.]
-
-[Footnote 3: Voir plus haut, t. I, p. 260.]
-
-[Footnote 4: Is-î-sein cêt-âer dorônad in-Érinn. Commentaire de l'_Amra
-Choluim Chilli_, dans le _Leabhar na-hUidhre_, p. 8, col. 1, lignes
-27, 28. Cf. O'Beirne Crowe, _The Amra Choluim Chilli_, p. 26, et Livre
-jaune de Lecan, manuscrit H. 2. 16 du Collège de la Trinité de Dublin,
-col. 805.]
-
-
-§4.
-
-_Guerre des Fomôré contre les Tûatha Dê Danann--Les guerriers fomôré
-Balar et Indech._
-
-Bress alla chercher asile chez Elatha son père, qui le reçut très
-froidement, paraissant croire que ce sort était mérité. Cependant il
-lui fournit des troupes pour reconquérir son trône et le recommanda à
-deux puissants chefs des Fomôré. Le premier était
-[Pg 173]Balar, dit aux coups puissants, en irlandais _balc-beimnech_.
-Chose remarquable, des deux yeux de ce redoutable guerrier, l'un,
-habituellement fermé, ne pouvait s'ouvrir sans jeter la mort sur
-les malheureux que son regard atteignait. Le second chef des Fomôré
-était Indech, que le _Livre des conquêtes_ appelle, dans un endroit,
-fils du dieu de Domna[1], c'est-à-dire du dieu qu'auraient adoré les
-Fir-Domnann, la principale des trois races historiques qui ont précédé
-en Irlande la race dominante connue sous les noms de Gôidels, Scots ou
-_Fêné_.
-
-On se rappelle que les trois races préceltiques, dominées depuis par
-les Gôidels, Scots ou _Fêné_, c'est-à-dire par les Celtes occidentaux,
-nouveau venus et conquérants, sont: les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et
-les Galiôin; mais, pour abréger, on désigne l'ensemble de ces trois
-peuples, ou par le mot composé _Fir-Bolg_, ou par le mot composé
-_Fir-Domnann_, «hommes de Domna». Indech est appelé, dans le _Livre des
-conquêtes_, fils du dieu de cette population, _mac Dê Domnann_, «fils
-du dieu de Domna.» Dans le même document, quelques lignes plus haut, on
-lit qu'Indech est fils du dieu, roi des Fomôré[2]. Nous verrons plus
-loin que le roi des Fomôré s'appelait Téthra. Mais le point sur lequel
-nous voulons appeler l'attention est que, dans l'idée irlandaise, les
-Fomôré, dieux
-[Pg 174]méchants, adversaires mythiques des dieux bons, sont associés
-aux populations historiques qui, ayant précédé les Irlandais dans
-leur île ou la race celtique en Irlande, sont pour cette race des
-ennemis héréditaires. Le même phénomène, avons-nous dit déjà, s'observe
-dans l'Inde, où les _Dasyu_ sont à la fois et les démons adversaires
-mythiques des dieux, et les ennemis humains, les adversaires
-historiques à peau brune ou noire, du peuple blanc qui chantait les
-hymnes védiques[3].
-
-
-[Footnote 1: Livre de Leinster, p. 9, col. 2, lignes 9, 10.]
-
-[Footnote 2: «La-hIndech mac de rîg na-Fomorach.» Livre de Leinster, p.
-9, col. 2, lignes 3, 4.]
-
-[Footnote 3: Max Duncker, _Geschichte des Alterthums_, tome III, p. 8,
-9.]
-
-
-§5.
-
-_Arrivée de Lug chez les Tûatha Dê Danann à Tara._
-
-Les Fomôré firent leurs préparatifs pour reconquérir l'Irlande. Les
-Tûatha Dê Danann étaient en mesure de leur opposer une vigoureuse
-résistance. Un de leurs principaux guerriers fut Lug, fils d'Ethniu.
-Ethniu, sa mère, était fille de Balar, le plus terrible des chefs des
-Fomôré[1]; mais Lug, par son père
-[Pg 175]appelé Cîan par les uns, Dagdé par les autres, appartenait
-aux Tûatha Dê Danann[2]. Par son éducation, il appartenait à leurs
-ennemis. Son père, suivant l'usage irlandais, qui était de confier les
-jeunes enfants à des mains étrangères, avait choisi, pour élever son
-fils, Tâltiu, fille de Magmôr et femme d'Eochaid mac Eirc, dernier roi
-des Fir-Bolg, dit aussi Mac Duach[3], que nous avons vu tué par les
-Tûatha Dê Danann. Mais Lug se rappela son père; ce fut dans les rangs
-des Tûatha Dê Danann qu'il résolut de combattre. Il se rendit à Tara,
-capitale de l'Irlande, où Nûadu, roi des Tûatha Dê Danann, avait pris
-la place de Bress fugitif et organisait la résistance à l'invasion dont
-le menaçaient
-[Pg 176]Balar aux coups puissants et Indech, fils du dieu de Domna ou
-du dieu roi des Fomôré.
-
-Quand Lug se présenta à la porte de Tara, le portier l'arrêta. «Qui
-êtes-vous?» lui demanda-t-il. «Je suis charpentier,» répondit Lug.
-«Nous n'avons pas besoin de charpentier,» répliqua le portier, «car
-nous en avons un très bon: c'est Luchta, fils de Luchaid.»--«Mais,»
-reprit Lug, «je suis un excellent forgeron.»--«Nous n'avons pas
-besoin de forgeron,» répondit le portier, «car nous en avons déjà un
-bon: c'est Colum Cuaellemeach.» Lug insista. «Je suis champion ou
-guerrier de profession,» dit-il. «Nous n'avons pas besoin de champion,»
-répliqua le portier, «puisque nous en avons un, qui est Ogmé[4], fils
-d'Ethniu,»--l'Ogmios gaulois, sur lequel Lucien, au second siècle de
-notre ère, a écrit une intéressante étude.—«Bien,» reprit Lug, «mais
-je suis harpiste.»--«Nous n'avons pas besoin de harpiste,» répondit le
-portier, «puisque nous en avons un excellent, qui est Abcan, fils de
-Becelmas.» Lug ne se décourageait pas. «Je suis _file_ et historien,»
-dit-il. «Nous n'avons que faire de gens de ce métier-là,» répondit le
-portier; «nous avons un homme qui est un maître accompli en poésie et
-en histoire: c'est En, fils d'Ethoman.» Mais Lug n'en avait pas fini
-avec l'énumération des nombreuses ressources qu'offraient ses multiples
-facultés. «Je suis sorcier,» dit-il. «Nous
-[Pg 177]n'avons pas besoin de sorcier,» répondit le portier, «car nous
-avons beaucoup de druides parmi nous.»--«Soit,» reprit Lug; «je suis
-médecin.»--«Nous n'avons pas besoin de médecin,» répondit le portier,
-«car nous en avons un excellent: c'est Dîan-Cecht.»--«Eh bien, je suis
-bon échanson.»--«Nous n'avons pas besoin d'échanson,» répliqua le
-portier, «il y en a déjà neuf chez nous.»--«Eh bien,» dit Lug, «je suis
-un excellent ouvrier en bronze.»--«Nous n'avons que faire d'ouvriers en
-bronze,» répondit le portier, «puisque nous avons chez nous le fameux
-Creidné.»--C'était Creidné qui, avec Dian-Cecht, avait remplacé par une
-main artificielle la main que Nûadu, roi des Tûatha Dê Danann, avait
-perdue en combattant les Fir-Bolg.
-
-Mais toutes ces offres de Lug n'étaient qu'un prélude à l'offre
-définitive qu'il allait adresser au roi des Tûatha Dê Danann.--«Allez,»
-dit-il au portier de Tara, «allez trouver votre maître, énumérez-lui
-les métiers divers dont je viens de vous parler, et demandez-lui si
-parmi les compagnons de guerre qui l'entourent, il en peut trouver un
-qui connaisse et sache pratiquer comme moi toutes ces professions.»
-Le portier transmit ce message au roi, et le roi lui ordonna de faire
-entrer Lug, qui fut proclamé _ollam_ ou docteur suprême des sciences[5],
-[Pg 178]et reçut le surnom de «prince aux sciences multiples,» _sabd
-il-dânach_[6]. Lug n'est autre chose que le dieu gaulois qui, suivant
-César, avait inventé tous les arts: _omnium inventorem artium_. César
-l'appelle Mercure, conformément au système qui lui fait donner des noms
-latins à tous les dieux gaulois[7]. Mais le nom celtique de ce dieu
-paraît dans deux inscriptions romaines de la période impériale, l'une
-de Suisse, l'autre d'Espagne[8], et il a fourni en Gaule le premier
-terme d'un nom porté par plusieurs villes dont la principale est Lyon,
-_Lugu-dunum_ puis _Lug-dunum_.
-
-
-[Footnote 1: Lug est appelé _mac Eithne_ dans un poème attribué à
-Eochaid ûa Flainn, poète du dixième siècle: Livre de Leinster, p.
-10, col. 2, ligne 31; il est surnommé _mac Eithlend_ dans un poème
-probablement de la même époque, que l'on prétend avoir été écrit par
-Columb Cille (Livre de Leinster, p. 8, col. 2, ligne 14); et dans un
-quatrain anonyme (_ibid._, p. 10, col. 1, ligne 10). Le premier de
-ces documents suppose un nominatif _Etan_, au génitif _Ethne_, non
-_Ethnend_, écrit avec _l_ pour _n_ dans les deux autres et dans des
-textes plus récents. C'est le _Livre des Conquêtes_ qui nous apprend
-qu'Ethniu était fille de Balar: Livre de Leinster, p. 9, col. 1, lignes
-44, 45.]
-
-[Footnote 2: Cîan, père de Lug, aurait été fils de Dian-Cecht, si nous
-en croyons le _Livre des Conquêtes_, onzième siècle: Livre de Leinster,
-p. 9, col. 1, lignes 43, 44; p. 10, col. 1, lignes 2, 3. C'est à peu
-près la doctrine de Gilla Coemain, auteur du onzième siècle, dans son
-poème chronologique (Livre de Leinster, p. 127, col. 2, lignes 1, 2),
-où l'on voit que Lug était petit-fils de Dian-Cecht. Suivant un des
-quatrains de ce poème, Lug régna quarante ans, et Mac Cuill donna
-la mort au petit-fils de Dian-Cecht; or ce petit-fils de Dian-Cecht
-était bien Lug, car nous lisons dans un poème de Flann Manistrech,
-qui, comme Gilla Coemain, écrivait au onzième siècle, que Lug fut tué
-par Mac Cuill (Livre de Leinster, p. 11, col. 2, ligne 7). Mais une
-composition d'Urard mac Coisi, auteur du dixième siècle, fait de Lug
-le fils de Dagdé. Voir notre tome I, p. 285, 286. Il paraît que Cîan
-a été un synonyme de Dagdé. _Cîan_, employé comme adjectif, veut dire
-«lointain,» et Dagdé signifie «bon dieu.»]
-
-[Footnote 3: Poème attribué à Columb Cille, Livre de Leinster, p. 8,
-col. 2, lignes 26, 27; Livre des Conquêtes, p. 9, col. 2, lignes 34 et
-suivantes. Nous avons expliqué plus haut, p. 137, comment Magmôr, dont
-elle est fille, et dont on a fait un roi d'Espagne, est le pays des
-morts.]
-
-[Footnote 4: En moyen irlandais, _Ogma_.]
-
-[Footnote 5: Ce récit est compris dans la légende de la seconde
-bataille de Mag-Tured, British Museum, manuscrit Harleian 5280, folios
-52 et suivants. Nous le reproduisons d'après la traduction qu'en a
-donnée O'Curry: _On the manners_, t. III, p. 42-43.]
-
-[Footnote 6: Ce surnom de Lug ne se trouve pas seulement dans le
-texte cité dans la note précédente: il est donné au même personnage
-divin dans la composition d'Urard mac Coisi, intitulée _Orgain
-Maelmilscothaig_ (Bibliothèque bodléienne d'Oxford, manuscrit Rawlinson
-B. 512, folio 110 recto, colonne 1), où le mot _Lug_, développé au
-moyen d'un suffixe, devient _Lugaid_, au génitif _Lugdach_. Sur le sens
-du mot _sabd_ ou _sab_, voyez _Grammatica celtica_, 2e édition, p. 255,
-258.]
-
-[Footnote 7: _De bello gallico_, livre VI, chap. XVII, § 1.]
-
-[Footnote 8: Mommsen, _Inscriptiones Confœderationis helveticæ_, n°
-161; _Corpus inscriptionum latinarum_, t. II, n° 2818.]
-
-
-§6.
-
-_Revue des gens de métiers par Lug._
-
-Quand il fut question d'organiser l'armée qui devait combattre les
-Fomôré, Lug fut chargé avec Dagdé d'indiquer aux hommes des différents
-corps de métiers quelle fonction ils auraient à remplir dans le
-[Pg 179]combat. Lug et Dagdé appelèrent devant eux les forgerons, les
-ouvriers en bronze, les charpentiers, les médecins, les sorciers, les
-échansons, les druides, les _file_, et convinrent avec chacun de ce que
-chacun devait faire pendant la bataille qui allait se livrer contre les
-Fomôré[1].
-
-Le premier des hommes de métier qui se rendirent à l'invitation de
-Dagdé et de Lug fut Goibniu le forgeron. «Quel concours pourrez-vous
-nous donner?» lui demanda Lug.--«Je ferai,» répondit Goibniu, «les
-nouvelles armes dont on aura besoin; quand la bataille durerait sept
-ans, on peut compter sur moi pour remplacer les lances dont le fer se
-séparera de la hampe et les épées qui se briseront. Avec les lances
-fabriquées par moi, jamais un guerrier ne manque son coup, et la chair
-que ce coup atteint cesse pour jamais de jouir des douceurs de la vie.
-Dub, le forgeron des Fomôré, n'en peut pas dire autant.»
-
-Après Goibniu le forgeron vint le tour de Creidné, l'ouvrier en
-bronze.--«Et vous, Creidné,» demanda Lug, «quel service nous
-rendrez-vous?»--«Je fabriquerai,» répondit Creidné, «pour tous les
-hommes de notre armée, les rivets qui fixent aux hampes les pointes des
-lances. Je fabriquerai la poignée des épées, la saillie centrale, ou
-_umbo_, et la bordure des boucliers dont nos guerriers auront besoin.»
-
-[Pg 180]Après Creidné, Lug passa à Luchtiné le charpentier.--«Et vous,
-Luchtiné,» lui demanda-t-il, «quelle aide nous donnerez-vous?»--«Je
-fournirai,» répondit Luchtiné, «autant de boucliers et de hampes de
-lances qu'il en faudra[2].»
-
-Les autres gens de métier se présentèrent ensuite; chacun fut
-interrogé; le rôle de chacun, pendant l'action, fut déterminé par Lug. .
-
-
-[Footnote 1: Manuscrit du British Museum, Harleian 5280, analysé par
-O'Curry, _Lectures on the manuscript materials_, p. 249.]
-
-[Footnote 2: British Museum, manuscrit Harléien 5280; O'Curry, _On the
-manners_, t. II, p. 248-249.]
-
-
-§7.
-
-_Seconde bataille de Mag-Tured. Fabrication des javelots._
-
-La bataille commença le 1er novembre, fête de Samain, premier jour de
-l'hiver celtique [1]. On se rappelle que les Tûatha Dê Danann, étaient
-arrivés le 1er mai, fête de Beltiné, premier jour de l'été.
-
-Les Tûatha Dê Danann étaient commandés par leur roi Nûadu, les Fomôré
-avaient pour roi Téthra, qui ne joua qu'un rôle secondaire dans cette
-bataille célèbre. Elle dura plusieurs jours. A leur grand étonnement,
-les Fomôré virent que les armes des Tûatha Dê Danann étaient toujours
-en parfait état, tandis que les leurs, dès la première journée,
-[Pg 181]se trouvaient déjà en grande partie hors de service. C'est
-que Goibniu le forgeron, Creidné l'ouvrier en bronze, Luchtiné le
-charpentier remplaçaient, chez les Tûatha Dê Danann, les armes que
-la lutte avait détruites ou gravement détériorées. En trois coups,
-Goibniu, à sa forge, fabriquait un fer de lance, et le dernier coup la
-rendait parfaite. En trois coups, Luchtiné faisait une hampe de lance
-et le troisième coup lui donnait la perfection. Des mains de Creidné,
-l'ouvrier en bronze, les rivets sortaient avec la même rapidité et
-le même fini. Quand Goibniu avait terminé un fer de lance, il le
-saisissait dans une pince, et de cette pince le lançait dans le jambage
-de la porte, où le fer se fixait par la pointe, la douille en avant.
-Alors Luchtiné le charpentier lançait une hampe dans la douille et son
-coup était si sûr et si vigoureux que la hampe, atteignant la douille,
-pénétrait jusqu'au fond. Aussitôt Creidné, l'ouvrier en bronze, qui
-tenait dans sa pince les rivets terminés, les lançait sur le fer de
-lance: le mouvement était si juste et si puissant que les rivets,
-sans manquer jamais d'atteindre les trous ménagés dans le fer par le
-forgeron, pénétraient dans le bois à la profondeur voulue; ainsi, en un
-instant, et sans qu'il fût besoin de retouche, l'arme était achevée et
-pouvait être livrée au guerrier qui en avait besoin[2].
-
-[Pg 182]Grâce à la merveilleuse organisation de la fabrique d'armes,
-ainsi conduite par Goibniu, Luchtiné et Creidné, les Tûatha Dê Danann
-eurent bientôt sur les Fomôré une grande supériorité. Les Fomôré n'en
-comprenaient point la cause. Pour la découvrir, ils eurent recours à
-l'espionnage.
-
-
-[Footnote 1: _Iar Samain sain_, poème de Flann Manistrech, mort
-en 1056, Livre de Leinster, p. 11, col. 1, ligne 32. Cf. O'Curry,
-_Lectures on the manuscript materials_, p. 250.]
-
-[Footnote 2: _Glossaire de Cormac_, au mot _Nescoit_. Whitley Stokes,
-_Three irish glossaries_, p. 32; _Sanas Chormaic_, p. 123. Les mêmes
-détails se trouvent dans le récit de la seconde bataille de Mag-Tured,
-conservé par le manuscrit Harléien 5280 du British Museum. O'Curry, _On
-the manners_, t. II, p. 249. C'est une des raisons que nous avons pour
-faire remonter le récit de la seconde bataille de Mag-Tured beaucoup
-plus haut que l'écriture du manuscrit Harléien, qui ne date que du
-quinzième siècle.]
-
-
-§8.
-
-_L'espion Rûadan._
-
-Bress, le roi détrôné d'Irlande, qui voulait recouvrer sa couronne,
-avait un fils, nommé Rûadan, qui aurait pu, presque au même titre,
-se placer dans les rangs de l'une où de l'autre des deux armées
-belligérantes: Brig[it], mère de Rûadan, était fille de Dagdé, l'un des
-chefs principaux des Tûatha Dê Danann, dont Bress, Fomôré de naissance,
-était le plus ardent ennemi[1].
-
-Cette parenté n'a rien qui doive nous surprendre. Bress, Fomôré, est le
-gendre de Dagdé, l'un des chefs des Tûatha Dê Danann. Nous avons déjà
-vu que Lug, un autre des chefs des Tûatha Dê Danann, est, par sa mère,
-petit-fils de Balar, un des chefs
-[Pg 183]des Fomôré. De même Brîan, Iuchar et Iucharba, trois
-personnages que des textes appellent les trois dieux du génie ou de
-Dana, _trî dêi Dana, trî dêe Donand_[2], c'est-à-dire les trois chefs
-principaux des Tûatha Dê Danann, sont fils du Fomôré Bress, et c'est
-seulement par leur mère Brigit, fille de Dagdé, qu'ils appartiennent
-aux Tûatha Dê Danann[3]. Ainsi, lorsque la mythologie grecque nous
-raconte le combat des dieux et des Titans, elle met à la tête de
-l'armée des dieux Zeus, dont le père, Kronos, marche à la tête des
-Titans, et doit être avec eux vaincu par son fils.
-
-Rûadan, un des guerriers fomôré, était frère germain de Brîan, Iuchar
-et Iucharba, que la mythologie irlandaise classe parmi les Tûatha
-Dê Danann. Il était, par sa mère, petit-fils de Dagdé, que nous
-avons vu chargé avec Lug de l'organisation de l'armée des Tûatha Dê
-Danann. Envoyé par les Fomôré au camp des Tûatha Dê Danann, Rûadan
-fut bien accueilli par ces derniers, et en profita pour aller visiter
-la fabrique d'armes où travaillaient avec tant d'adresse Goibniu le
-forgeron, Luchtiné le charpentier, Creidné l'ouvrier en bronze. Il
-observa par quel procédé ces trois ouvriers confectionnaient les armes
-dont les Fomôré avaient senti pendant le combat le redoutable effet.
-Puis il sortit du camp des Tûatha Dê Danann, regagna celui des Fomôré,
-[Pg 184]et leur raconta ce qu'il avait vu. Les Fomôré le renvoyèrent
-chez les Tûatha Dê Danann avec ordre de tuer Goibniu le forgeron,
-dans l'espérance qu'à la prochaine bataille les Tûatha Dê Danann ne
-pourraient remplacer les armes brisées ou perdues. Rûadan fut reçu
-comme la première fois dans le camp des Tûatha Dê Danann, et alla
-demander aux trois ouvriers une lance qu'ils lui donnèrent, après avoir
-fabriqué, Goibniu le fer, Creidné les rivets, Luchtiné la hampe. Une
-femme, dont le métier était d'aiguiser les armes quand elles sortaient
-des mains de ces habiles ouvriers, lui aiguisa sa lance, puis la lui
-livra. Aussitôt Rûadan retourna à la forge et frappa le forgeron de
-l'arme même que celui-ci lui avait donnée. Le forgeron fut blessé, mais
-eut assez de force pour saisir la lance et la retourner contre Rûadan;
-il le perça de part en part et le tua.
-
-
-[Footnote 1: O'Curry, _On the manners_, t. II, p. 250.]
-
-[Footnote 2: Voir notre tome I, p. 283, note 2.]
-
-[Footnote 3: _Ibid._, page 57, note 4.]
-
-
-§9.
-
-_Seconde bataille de Mag-Tured _ (suite). _Blessures d'Ogmé et de
-Nûadu._
-
-La bataille recommença. Plusieurs guerriers de l'armée des Tûatha
-Dê Danann y reçurent des blessures que les textes du onzième siècle
-transforment en coups mortels. On cite surtout les exploits de deux
-guerriers fomôré dont nous avons déjà parlé. L'un était Indech, fils du
-dieu de Domna ou du roi
-[Pg 185]des Fomôré; il frappa Ogmé[1], l'Ogmios gaulois de Lucien.
-L'autre, et le plus redoutable, était Balar aux coups vigoureux,
-_Balcbeimnech_; Balar atteignit Nuadu Argat-lâm «à la main d'argent,»
-roi des Tûatha Dê Danann, qui, si nous acceptons la forme moderne de la
-légende, avait perdu sa main naturelle vingt-sept ans plus tôt, à la
-première bataille de Mag-Tured, en combattant les Fir-Bolg. La légende,
-dans sa forme la plus ancienne, ne connaît qu'une seule bataille de
-Mag-Tured. Nûadu perdait sans doute la main au commencement de cette
-bataille, se la faisait remplacer, revenait se précipiter au milieu des
-bataillons ennemis, et là recevait une nouvelle blessure qui aurait
-été mortelle si un dieu avait pu mourir, et qui n'amena sa mort qu'aux
-temps chrétiens[2], quand la légende évhémériste abaissa au rang des
-hommes les merveilleux immortels adorés par les païens.
-
-La blessure si grave qui atteignit Nûadu, lorsque, pour la seconde
-fois, il fut frappé, ne provenait ni d'un coup de lance ni d'un coup
-d'épée. Balar avait un mauvais œil. Il le tenait ordinairement fermé;
-mais quand il l'ouvrait, le regard de cet œil était mortel pour toute
-personne qu'il atteignait. Ce regard,
-[Pg 186]c'est la foudre[3]. Balar, le Fomôré, jeta donc sur Nûadu,
-le roi des Tûatha Dê Danann, un regard de son mauvais œil, Nûadu fut
-terrassé, mis hors de combat; il mourut même, dit-on, autant qu'un dieu
-peut mourir, ce qui ne l'empêchait pas d'être un dieu vivant aux temps
-historiques, et de recevoir, sous l'empire romain, aux temps païens,
-les hommages de pieux fidèles dans un temple bâti sur les bords de la
-Severn[4].
-
-Les dieux homériques, bien qu'immortels, ne sont pas invulnérables.
-Ce n'est pas impunément qu'Aphrodite et Arès, se mêlant aux troupes
-des Troyens, affrontent, sous les murs d'Ilion assiégée par les Grecs,
-la lance redoutable dont est armé Diomède, le dompteur de chevaux.
-Quoique fille de Zeus, dieu suprême, Aphrodite est blessée à la main,
-son sang coule; elle jette un grand cri, et, souffrant de violentes
-douleurs, elle s'enfuit vers l'Olympe, séjour des dieux[5]. La place
-de cette déesse n'était pas au milieu des combats, mais c'était bien
-le lot d'Arès, dieu de la guerre. Et cependant la lance de Diomède
-atteignit Arès à la ceinture; le dieu blessé jeta un cri comparable à
-celui qu'auraient poussé neuf ou dix mille hommes réunis, et, imitant
-la fuite de la déesse de l'amour, le dieu de la guerre se réfugia dans
-l'Olympe, où Zeus, juste et bon, après l'avoir
-[Pg 187]sévèrement réprimandé, fit panser et guérir sa blessure[6].
-
-Il y a donc, ici comme ailleurs, une grande ressemblance entre la
-mythologie irlandaise et la mythologie grecque. Mais revenons sur le
-champ de bataille de Mag-Tured, où les Tûatha Dê Danann et les Fomôré
-sont en présence, et où Nûadu, roi des Tûatha dê Danann, vient d'être
-frappé et mis hors de combat par Balar, dieu de la foudre, un des
-principaux chefs des Fomôré, c'est-à-dire des dieux de la mort et de la
-nuit[7].
-
-
-[Footnote 1: _Lebar gabala_, ou «Livre des conquêtes» dit aussi «des
-invasions,» dans le Livre de Leinster, p. 9, col. 2, lignes 3, 4, 9,
-10. Poème de Flann Manistrech, p. 11, col. 1, ligne 33.]
-
-[Footnote 2: Poème de Flann Manistrech, Livre de Leinster, p. 11, col.
-1, lignes 31-32.]
-
-[Footnote 3: Nous trouvons une doctrine identique chez M. J.
-Darmesteter, _Ormazd et Ahriman_, p. 122, 123. C'est le soleil qui est
-le bon œil.]
-
-[Footnote 4: Voir plus haut, p. 155.]
-
-[Footnote 5: _Iliade_, livre V, vers 334 et suivants.]
-
-[Footnote 6: _Iliade_, livre V, vers 855 et suivants.]
-
-[Footnote 7: Le dieu celtique de la foudre n'est pas le dieu par
-excellence de la lumière comme dans la mythologie grecque, où la
-foudre est l'insigne caractéristique de Zeus. Il y a là une différence
-fondamentale entre la mythologie celtique et la mythologie grecque.]
-
-
-§10.
-
-_Seconde bataille de Mag-Tured_ (suite et fin). _Mort de Balar. Défaite
-des Fomôré. L'épée de Téthra tombe entre les mains d'Ogmé._
-
-Lug, voulant venger Nûadu, s'approcha de Balar, dont le mauvais œil
-s'était refermé. Balar, apercevant le nouvel adversaire qui s'avançait
-vers lui, commençait à soulever la paupière qui voilait l'œil
-redoutable; mais Lug fut plus prompt que lui: d'une pierre lancée par
-sa fronde il l'atteignit sur l'œil mauvais et lui traversa le crâne.
-Balar tomba mort au
-[Pg 188]milieu de ses guerriers épouvantés. Nous avons déjà dit que
-Balar était le grand-père maternel de Lug son meurtrier[1].
-
-Les Fomôré furent mis en déroute. L'épée même de Téthra, leur roi,
-fit partie du butin qui tomba entre les mains des vainqueurs: un des
-Tûatha Dê Danann, le héros Ogma, ou mieux Ogmé, s'en empara. Il la
-tira du fourreau[2] et la nettoya. Alors, prenant la parole, l'épée
-raconta les hauts faits que jusque-là elle avait accomplis, Dans
-ce temps-là, en effet, dit l'auteur inconnu du récit de la seconde
-bataille de Mag-Tured, les épées parlaient; et voilà pourquoi elles ont
-jusqu'à ce jour gardé une puissance magique. Elles parlaient, ou plutôt
-elles semblaient parler; car les voix qu'on entendait étaient, dit le
-conteur chrétien, celles de démons cachés dans ces armes. Les démons
-y habitaient, parce que, dans ce temps-là, les hommes adoraient les
-armes; et l'on considérait les armes comme des protecteurs surnaturels,
-ajoute l'écrivain épique irlandais[3].
-
-[Pg 189]Le culte de l'épée était aussi connu chez les Germains: c'était
-le symbole du dieu qui, en vieux Scandinave, s'appelle _Tyr_, et, en
-vieil allemand, _Zio_; son nom a la même racine que celui du Zeus des
-Grecs et du Jupiter des Romains; mais les attributs qu'il avait acquis
-chez les Germains l'ont fait considérer comme identique au Mars romain.
-Une épée le représentait, comme dans la Rome primitive une lance
-représentait Mars, auquel on n'avait pas encore élevé de statue[4].
-
-L'épée de Téthra, dieu des Fomôré et des morts[5], offre une grande
-ressemblance avec celle du dieu de la guerre germain Zio ou Tyr, et
-avec la lance de Mars. Or, avons-nous dit, Ogmé s'empara de l'épée de
-Téthra. Ogmé, en Irlande, est le champion divin, le type par excellence
-de l'homme qui fait de la guerre sa profession. Nous savons, par
-Lucien, qu'il était honoré en Gaule, et que les Celtes l'appelaient
-Ogmios. Au deuxième siècle, époque où écrivait Lucien, on lui
-[Pg 190]avait élevé des statues qui lui donnaient les insignes de
-l'Héraclès grec: la peau de lion, la massue, le carquois et l'arc.
-Mais ces statues se distinguaient de celles du demi-dieu hellénique
-en deux points: elles faisaient du dieu gaulois un vieillard, et lui
-attribuaient le don de l'éloquence, figuré par des chaînes qui, partant
-du bout de sa langue, traînaient à sa suite des auditeurs ravis[6].
-
-Ces statues étaient l'œuvre d'artistes grecs. Si ces sculpteurs eussent
-moins subi l'influence des traditions de leur race et de la mythologie
-nationale des Hellènes, au lieu de l'arc et de la massue d'Héraclès ils
-auraient mis entre les mains d'Ogmios le _gæsum_, ou lance celtique, et
-l'épée de Téthra[7].
-
-[Footnote 1: _Lebar gabala_ ou «Livre des conquêtes,» dans le Livre de
-Leinster, p. 9, col. 2, lignes 7 et 8. Sur cette partie de la seconde
-bataille de Mag-Tured, voyez O'Curry, _On the manners_, t. II, p. 251,
-288.]
-
-[Footnote 2: «Tofoslaic.» O'Curry, _On the manners_, t. II, p. 254,
-traduit ce mot par _opened_, «il ouvrit.» Dans les gloses de Milan
-et de Saint-Gall, deux verbes latins glosent le verbe irlandais
-_tuaslaiciu_: ce sont _solvere_ et _resolvere_. Dans les textes de
-droit, ce verbe irlandais est employé pour désigner la rupture du lien
-de droit qui résulte d'un contrat; il exprime l'affranchissement du
-débiteur.]
-
-[Footnote 3: Le texte dont notre traduction est plutôt un commentaire
-qu'une version littérale, a été publié par O'Curry, _On the manners_,
-t. II, p. 254. Une partie de la doctrine qu'il contient se trouve
-aussi dans un passage du _Serglige Conculainn_ chez Windisch, _Irische
-Texte_, p. 206. Le même passage du _Serglige Conculainn_ a été publié
-et traduit sans commentaire par O'Curry, _Atlantis_, t. I, p. 371; et
-il a été inséré par M. Whitley Stokes dans la _Revue celtique_, t. I,
-p. 260, 261; ce savant en a le premier signalé l'intérêt mythologique.]
-
-[Footnote 4: Les textes d'Ammien Marcellin, XVII, 12, XXXI, 2, et
-d'Arnobe, VII, 12, relatifs à ce sujet, ont été étudiés par Grimm,
-_Deutsche Mythologie_, 3e édition, t. I, p. 185. Cf. Simrock, _Handbuch
-der deutschen Mythologie_, 5_e_ édition, p. 272. Sur Zio, considéré
-comme dieu de la guerre, voyez Grimm, D. M., p. 178.]
-
-[Footnote 5: Voir la légende de Connlé chez Windisch, _Kurzgefasste
-irische Grammatik_, p. 120, ligne 3.]
-
-[Footnote 6: Lucien, _Héraclès_, édition Didot, p. 598, 599.]
-
-[Footnote 7: L'arc ne paraît pas avoir été une arme celtique. Aucun
-dieu celtique n'a dû porter d'arc avant l'intervention des statuaires
-grecs. Il est aussi fort peu vraisemblable qu'un dieu celtique eût
-originairement pour insigne une peau de lion. Le lion n'est pas un
-animal des régions celtiques. C'est le sanglier qui, aux yeux du
-Celte, est le roi des animaux sauvages. Seul encore aujourd'hui dans
-nos forêts, il tient tête aux chasseurs et répond par des coups à leur
-attaque.]
-
-
-§11.
-
-_La harpe de Dagdé._
-
-Les Fomôré se dédommagèrent de la perte de cette épée en s'emparant de
-la harpe de Dagdé. Lug, Dagdé et Ogmé se mirent à leur poursuite. Les
-chefs
-[Pg 191]des Fomôré, se croyant assez loin du champ de bataille pour
-n'avoir plus rien à craindre, s'étaient arrêtés pour prendre leur
-repas. Ils s'étaient établis dans une salle et avaient accroché au
-mur la harpe de Dagdé. Lug, Dagdé et Ogmé entrèrent hardiment, et,
-avant que leurs ennemis surpris eussent eu le temps de se précipiter
-sur eux, Dagdé adressa la parole à sa harpe.--«Tiens,» lui cria-t-il.
-Aussitôt, l'instrument de musique, reconnaissant la voix de son maître,
-se détacha du mur, se précipita vers Dagdé avec tant de hâte, qu'au
-passage il tua neuf personnes; et il vint se placer entre les mains du
-dieu qui, le saisissant, en tira des sons merveilleux. Il y avait alors
-pour la harpe trois morceaux de musique principaux, dont l'exécution
-mettait en relief la supériorité des grands artistes. Le premier
-produisait le sommeil, le second le rire, le troisième les gémissements
-et les larmes. Dagdé joua d'abord le troisième morceau. Les femmes
-des Fomôré poussèrent des cris de douleur et versèrent des larmes. Il
-joua le second, les femmes et les jeunes gens éclatèrent de rire. Il
-joua le premier, les femmes, les enfants, les guerriers s'endormirent.
-Profitant de ce sommeil, Lug, Dagdé et Ogmé sortirent de la salle et
-retournèrent sains et saufs rejoindre le gros de leur armée sans que
-les Fomôré, qui voulaient les tuer, leur eussent fait une blessure ou
-même donné un coup[1].
-
-
-[Footnote 1: British Museum, manuscrit Harléien 5280, folio 59 recto;
-passage publié par O'Curry, _On the manners_, t. III, p. 214, note 296;
-traduit par le même, _ibidem_, p. 213-214.]
-
-
-[Pg 192]§12.
-
-_Les Fomôré et Téthra dans l'île des Morts._
-
-Les Fomôré avaient définitivement succombé. Ils abandonnèrent l'Irlande
-et retournèrent dans leur patrie, dans cette contrée mystérieuse située
-au delà de l'Océan et où les âmes des morts trouvent, avec un corps
-nouveau, une seconde patrie. C'est là que règne leur dieu Téthra,
-dont, à la bataille de Mag-Tured, l'épée est tombée entre les mains
-des Tûatha Dê Danann vainqueurs. Un des morceaux les plus anciens qui
-forment le second cycle de l'épopée héroïque irlandaise fait apparaître
-à nos yeux la jeune et jolie femme qui est la messagère celtique de
-la Mort, et qui conduit au séjour merveilleux des défunts les âmes
-des jeunes gens séduits par son irrésistible beauté. Elle s'adresse
-à Connlé, fils de Conn, roi suprême d'Irlande.--«Les immortels
-t'invitent,» lui dit-elle. «Tu vas être un des héros du peuple de
-Téthra. On t'y verra tous les jours, dans les assemblées de tes aïeux,
-au milieu de ceux qui te connaissent et qui t'aiment.» Et bientôt Conn,
-roi d'Irlande, en larmes, vit son fils s'élancer dans la barque de
-verre qui servait aux voyages de la terrible enchanteresse. La barque,
-[Pg 193]fendant les flots de la mer, s'éloigna de plus en plus. Du
-rivage, le père la suivit quelque temps des yeux, puis il ne vit plus
-rien. Son fils n'est pas revenu, et on ne sait pas où il est allé[1],
-ou plutôt on ne le sait que trop: il habite le pays d'où le retour est
-impossible, l'empire de Téthra, roi des Fomôré qui est toujours maître
-de cette contrée lointaine, bien qu'à la bataille de Mag-Tured il ait
-abandonné son épée aux mains d'Ogmé vainqueur.
-
-Une autre pièce, qui appartient au cycle de Conchobar et de Cûchulainn,
-nous fait assister à une joute littéraire entre Nédé, fils d'Adné, et
-Fercertné. Fercertné a été tout récemment élu _ollam_, c'est-à-dire
-chef des _file_ d'Ulster. Le jeune Nédé, qui est allé terminer ses
-études en Alba, c'est-à-dire en Grande-Bretagne, sous la direction
-d'Eochaid Ech-bel ou «à la bouche de cheval,» a repassé la mer, est
-revenu en Irlande pour disputer à Fercertné la haute dignité dont ce
-dernier a été investi. Arrivant à l'improviste, il a revêtu la robe qui
-est l'insigne de l'_ollam_; il s'est assis dans la chaire réservée à ce
-personnage respecté. Fercertné entre furieux dans la salle, et, devant
-l'auditoire que la curiosité attire, il adresse au jeune prétendant
-une série de questions par lesquelles il veut mettre sa science à
-l'épreuve, espérant le convaincre d'ignorance et le réduire au silence.
-Nédé se tire avec succès de cet examen
-[Pg 194]improvisé. Une des questions est celle-ci:--«Quel est, ô jeune
-savant, la chose que tu parcours en te hâtant?»--«La réponse est
-facile,» répondit Nédé: «c'est le champ de l'âge, c'est la montagne de
-la jeunesse, c'est la chasse des âges à la poursuite du roi dans la
-maison de terre et de pierres (c'est-à-dire dans ce monde terrestre),
-entre la chandelle et son bout, entre le combat et la haine du combat,
-[c'est-à-dire à la lumière et pendant les luttes de la vie jusqu'au
-terme de la vie et à la paix de la mort, cette paix qu'on trouve] au
-milieu des braves guerriers de Téthra.» Et Téthra, dit une glose de
-ce vieux morceau, est le nom du roi des Fomôré[2]. Cette glose paraît
-avoir existé déjà vers la fin du neuvième siècle ou le commencement
-du dixième, puisqu'on la trouve dans la plus ancienne récension du
-_Glossaire_ de Cormac[3]. Téthra est un des plus anciens noms que les
-Irlandais aient donné au dieu de la mort.
-
-
-[Footnote 1: _Echtra Connla_, publié d'après le _Leabhar na hUidhre_,
-manuscrit de la fin du onzième siècle, par Windisch, _Kurzgefasste
-irische Grammatik_, p. 120.]
-
-[Footnote 2: Livre de Leinster, p. 187, colonne 2, ligne 26. J'ai
-supprimé la plus grande partie de la glose dont ce vieux morceau est
-accompagné; l'auteur ou les auteurs de cette glose, sachant le sens de
-chaque mot, ne comprenaient pas l'ensemble du passage.]
-
-[Footnote 3: Glossaire de Cormac, au mot _Tethra_, Whitley Stokes,
-_Three irish glossaries_. p. 42.]
-
-
-§13.
-
-_Le corbeau et la femme de Téthra._
-
-La mythologie celtique prétendait donner à la
-[Pg 195]mort des attraits bien supérieurs à ceux de la vie. Mais
-elle ne parvenait pas à supprimer un des plus vifs sentiments de la
-nature. Aussi la messagère de la mort n'a-t-elle pas toujours, dans
-la littérature irlandaise, les traits séduisants sous lesquels elle
-apparaît dans la légende de Connlé.
-
-Quand les dieux se rendent visibles, la forme qu'ils revêtent est
-souvent celle d'oiseaux. Les oiseaux divins des Tûatha Dê Danann,
-c'est-à-dire des dieux de la lumière et de la vie, ont un joli
-plumage[1]; ils vont par couples, les deux têtes emplumées sont réunies
-par une chaîne ou un joug d'argent[2]. Lorsque Lug, le vainqueur de la
-bataille de Mag-Tured, veut donner le jour au célèbre héros Cûchulainn,
-sa venue est annoncée par l'apparition d'une troupe de ces oiseaux. Il
-y en a neuf fois vingt, en neuf groupes de vingt chacun, allant deux
-à deux; les uns portent des jougs d'argent, les autres des chaînes du
-même métal.
-
-Mais tels ne sont pas les oiseaux qui annoncent la présence des Fomôré,
-dieux de la mort et de la nuit: ces oiseaux sont des corbeaux ou des
-corneilles. La femme de Téthra, c'est la femelle du corbeau ou de la
-corneille; c'est l'oiseau à plumage lugubre qu'on voit voltiger sur les
-champs de bataille et qui, après le combat, déchire de son bec sanglant
-la poitrine
-[Pg 196]nue et livide des morts décapités et restés sans sépulture.
-Un manuscrit de la fin du onzième siècle nous a conservé un quatrain
-composé par un poète du neuvième siècle:
-
- Ce que désire la femme de Téthra, c'est le feu du combat;
- C'est le flanc des guerriers déchiré par le glaive,
- C'est le sang, ce sont les cadavres sous les cadavres;
- Yeux sans vie, têtes tranchées, voilà les mots qui lui plaisent.
-
-Et un vieux grammairien irlandais écrivant, au plus tard vers la fin
-du onzième siècle, des gloses sur les mots obscurs de ce quatrain, a
-expliqué «femme de Téthra» par un substantif irlandais qui veut dire
-«corneille» ou «corbeau[3].»
-
-[Footnote 1: _Serglige Conculainn_, chez Windisch, _Irische Texte_, p.
-206, lignes 10 et suiv.]
-
-[Footnote 2: _Compert Conculainn_, chez Windisch, _Irische Texte_, p.
-137, 138.]
-
-[Footnote 3: Ce quatrain est attribué à Mac Lonan, par le _Leabhar
-na hUidhre_, p. 50. Il a été publié par M. Whitley Stokes, dans les
-_Beiträge_ de Kuhn, t. VIII, p. 328; et dans la _Revue celtique_, t.
-II, p. 491.]
-
-
-[Pg 197]CHAPITRE IX.
-
-LA SECONDE BATAILLE DE MAG-TURED ET LA MYTHOLOGIE GRECQUE.
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-§1.--Le Kronos grec et ses trois équivalents irlandais Téthra, Bress,
-Balar.--§2. Forme irlandaise de l'idée grecque de la race d'or.
-Tigernmas, doublet de Balar, de Bress et de Téthra.--§3. Balar et
-le mythe d'Argos ou Argus. Lug et Hermès.--§4. Io et Bûar-ainech.
-Balar et Poseidaôn.--§5. Lug, meurtrier de Balar et le héros grec
-Bellérophontès.--§6. Lug et le héros grec Persée.--§7. Le Balar
-populaire de l'Irlande. Balar et Acrisios. Ethné, fille de Balar,
-et Danaé, fille d'Acrisios. Les trois frères et le triple Géryon.
-Leur vache et le troupeau de Géryon ou de Cacus. Le fils de Gavida
-et Persée.--§8. Les trois ouvriers des Tûatha Dê Danann et les trois
-cyclopes de Zeus chez Hésiode.
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-§1.
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-_Le Kronos grec et ses trois équivalents irlandais, Téthra, Bress,
-Balar._
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-Téthra, roi des Fomôré, qui à Mag-Tured prit la fuite, laissant son
-épée aux mains des Tûatha Dê
-[Pg 198]Danann vainqueurs, et qui ensuite devint roi des morts, est
-identique au Kronos d'Hésiode et de Pindare. Celui-ci, vaincu et
-détrôné par Zeus, a obtenu un royaume nouveau dans le pays merveilleux
-où les héros défunts retrouvent, avec une seconde vie, les joies de la
-patrie absente[1].
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-Dans la fable grecque, Kronos, avant sa défaite, a été roi du ciel: le
-monde entier n'avait pas d'autre maître que lui au temps où la race
-d'or vivait sur la terre. On sait que la race d'or des Grecs n'est
-autre chose que les Tûatha Dê Danann de la mythologie irlandaise.
-Ainsi, une partie du mythe de Kronos se retrouve en Irlande dans la
-légende de Bress, roi fomôré qui régna sur les Tûatha Dê Danann. Nous
-avons dit comment, après la satire du _file_ Corpré, une révolte des
-sujets de Bress fit tomber du trône ce prince mythique et enleva la
-souveraineté de l'Irlande aux Fomôré par une révolution que leur
-défaite à Mag-Tured rendit définitive. Bress est identique à Kronos,
-mais ce n'est qu'un Kronos incomplet; c'est le roi du monde au temps
-de la race d'or; ce n'est pas le roi des morts, et nous ne voyons pas
-qu'il ait combattu à la bataille de Mag-Tured, comme Kronos dans la
-bataille des dieux contre les Titans.
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-Balar, le principal des vaincus de Mag-Tured, nous offre une autre
-partie, un autre démembrement
-[Pg 199]de la personnalité mythologique qui reste unique, sous le nom
-de Kronos, dans certains récits grecs. Ainsi, Balar est le grand-père
-de Lug, qui le tue à la bataille de Mag-Tured; de même Kronos, vaincu
-dans la guerre de Zeus et des dieux contre Kronos et les Titans, est
-le père de Zeus, vainqueur dans cette lutte mythique: la bataille
-de Mag-Tured entre les Tûatha Dê Danann et les Fomôré n'est autre
-chose, nous le savons déjà, que la bataille où, suivant la mythologie
-hésiodique, Zeus et les autres dieux triomphèrent de Kronos et des
-Titans.
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-[Footnote 1: _Les Travaux et les Jours_, vers 169; Pindare,
-_Olympiques, II_ vers 70, 76; édition Teubner-Schneudewin, t. I, p. 17.]
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-§2.
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-_Forme irlandaise, de l'idée grecque de la race d'or. Tigernmas,
-doublet de Balar, de Bress et de Téthra._
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-L'association de l'or avec le règne de Kronos est, dans la mythologie
-grecque, une doctrine caractéristique. «La race d'or des hommes doués
-de parole fut,» dit Hésiode, «créée par les immortels habitants de
-l'Olympe. Ils vécurent sous Kronos, qui alors avait le ciel sous son
-empire. Ils ressemblaient à des dieux[1].» Ces mots par lesquels
-Hésiode commence sa peinture de ce que nous appelons l'âge d'or nous
-transportent dans le domaine de la mythologie irlandaise, au temps où
-les Tûatha Dê Danann habitaient l'Irlande, sous la domination
-[Pg 200]des Fomôré. Or, un des noms du chef des Fomôré est Tigernmas.
-Tigernmas est, comme nous l'avons vu, un doublet de Balar; il est comme
-lui, par Ethné ou Ethniu, grand-père de Lug, l'Hermès celtique; il est
-aussi un doublet de Bress et de Téthra. Tigernmas est un des noms de
-Kronos dans la légende irlandaise.
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-Or, Tigernmas fut, raconte-t-on, autrefois roi d'Irlande, et, suivant
-un poète du onzième siècle, il eut le premier la gloire de faire fondre
-l'or tiré des mines de cette île[2]. Exploitation de mines d'or, telle
-est la forme que reçoit en Irlande l'idée grecque de la race d'or.
-Les bizarres travaux chronologiques des savants irlandais du onzième
-siècle ont eu pour effet de placer Tigernmas aux derniers temps de la
-période mythique dont nous faisons ici l'histoire. Ils ont fait de lui
-un personnage tout à fait distinct de Balar et chronologiquement séparé
-de lui par un long intervalle. Mais nous n'avons pas à nous préoccuper
-des combinaisons de la fausse science qui, transformant la mythologie
-irlandaise en annales, a si longtemps jeté le ridicule sur ces vieilles
-légendes celtiques[3].
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-[Footnote 1: _Les Travaux et les Jours_, vers 109-112.]
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-[Footnote 2:
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- Leis roberbad, is blad bind,--
- Mèin ôir ar-tus in hErind.
- Par lui fut fondue,--il est renom sonore,--
- Mine d'or premièrement en Irlande.
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-Poëme de Gilla Coemain, dans le Livre de Leinster, p. 16, col. 2,
-lignes 50, 51. Cf. _Livre des conquêtes, ibid._, ligne 23.]
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-[Footnote 3: Sur le règne de Tigernmas, au temps des descendants de
-Milé, voir, outre le _Livre des conquêtes_ déjà cité, le grand poème
-chronologique de Gilla Coemain, Livre de Leinster, p. 127, col. 2,
-lignes 25 et 26; enfin, les p. 111-113 du présent volume.]
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-[Pg 201]§3.
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-_Balar et le mythe d'Argos ou Argus. Lug et Hermès._
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-Le combat de Zeus et des dieux contre Kronos et les Titans n'est pas
-le seul récit mythologique grec où l'on voie apparaître la doctrine
-dualiste qui fait lutter les divinités bienfaisantes du jour, du beau
-temps et de la vie contre les puissances malfaisantes de la mort, de
-l'orage et de la nuit. Un des mythes les plus connus où l'imagination
-grecque nous offre cette doctrine est celui d'Argos aux cent yeux. Ces
-yeux sont les étoiles, et Argos est une personnification de la nuit
-étoilée. Hermès le tua d'un coup de pierre[1]. Ce mythe était déjà
-connu des Grecs quand Homère composa l'Iliade, c'est-à-dire environ
-huit siècles avant notre ère. Déjà, dans l'Iliade, Hermès porte le
-surnom de meurtrier d'Argos, Ἀργειφόντης; ou le titre de meurtrier
-d'Argos, Ἀργειφόντης, est employé comme synonyme d'Hermès[2]. Hermès
-est le crépuscule,
-[Pg 202]et cette pierre qui lancée par Hermès, tue Argos ou la nuit,
-c'est le soleil qu'une main invisible jette tous les matins de l'Orient
-vers le haut des cieux[3]. Lug est l'Hermès celtique: comme l'Hermès
-grec, il personnifie le crépuscule; comme lui, au moyen d'une pierre il
-tue son adversaire. Il lance cette pierre avec une fronde, et d'un coup
-mortel il atteint à l'œil Balar, qui est l'Argos celtique, c'est-à-dire
-une personnification des puissances mauvaises dont la nuit est une des
-principales et parmi lesquelles le Celte comprend aussi la foudre et la
-mort.
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-[Footnote 1: Apollodore, _Bibliothèque_, livre II, chapitre 1, section
-3, § 4. Didot-Müller, _Fragmenta historicorum grœcorum_, tome I, page
-126.]
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-[Footnote 2: _Iliade_, livre II, vers 103, 104, livre XXIV, vers 24,
-etc. Voyez aussi _Odyssée_, livre I, vers 84; Hymne à Histia, vers 7;
-Hésiode, _Les Travaux et les Jours_, vers 77. Apollodore, à qui nous
-devons la conservation de la fable qui explique le composé Ἀργειφόντης,
-écrivait au milieu du second siècle avant notre ère. La correction
-Ἀργειφάντης pour Ἀργειφόντης est une conception relativement moderne
-et nous paraît inadmissible, malgré l'autorité qui s'attache au nom
-des savants par lesquels elle a été acceptée de nos jours. Sur les
-représentations figurées, voir l'article _Argus_, dans le _Dictionnaire
-des antiquités grecques et romaines_ de MM. Daremberg et Saglio.]
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-[Footnote 3: A. Kuhn, _Ueber Entwicklungstufen des Mythenbildung_, dans
-les _Abhandlungen_ de l'Académie des sciences de Berlin pour 1873, p.
-142.]
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-§4.
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-_Io et Bûar-ainech, Balar et Poseidaôn._
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-Chez le prince des tragiques d'Athènes, Argos ou Argus est le gardien
-d'Io, la vierge encornée[1], dont ailleurs Æschyle a aussi fait une
-vache[2], et dans laquelle les grammairiens grecs ont reconnu la
-[Pg 203]personnification de la lune. La nuit, personnifiée dans Argos,
-est le garde vigilant au soin duquel la lune, vache errante, est
-confiée. La légende celtique, comme la légende grecque, a fait de la
-lune un personnage cornu: c'est un homme, ou plutôt un dieu au visage
-de vache ou de taureau: _Bûar-ainech_. Le dieu celtique au visage de
-vache ou de taureau est identique à Io, la vierge encornée de la poésie
-tragique des Grecs; comme Io, _Bûar-ainech_ est la lune divinisée, mais
-il n'est pas, comme Io, remis à la garde du dieu qui personnifie la
-nuit, c'est-à-dire de Balar, qui, en Irlande, est identique à l'Argos
-ou Argus des Grecs. Au lieu d'être, comme Argos, le gardien de la
-divinité cornue, Balar est le fils de ce dieu bizarre. Du dieu lunaire
-au visage de vache ou de taureau, _Bûar-ainech_, est né Balar, dieu de
-la nuit, mis à mort d'un coup de la pierre solaire par Lug, dieu du
-crépuscule dans la mythologie celtique, comme Hermès dans la mythologie
-grecque. Bûar-ainech, le dieu fomôré à tête de taureau, ne doit pas
-être séparé des dieux à tête de chèvre, _goborchind_, qu'un document
-cité plus haut associe aux Fomôré.
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-Le texte qui nous apprend le nom de Bûar-ainech, père de Balar, nous
-dit que c'était Balar qui construisait les forts de Bress. On se
-rappelle ce que nous avons raconté de Bress, ce Fomôré, qui, après
-avoir été roi et tyran des Tûatha Dê Danann, c'est-à-dire des dieux
-solaires, fut plus tard détrôné par eux, et que Balar, cet autre ennemi
-des dieux solaires,
-[Pg 204]chercha vainement à replacer sur le trône, puisque ce fut en
-combattant pour Bress que Balar perdit la vie[3]. Balar construisait
-les forts de Bress. Ainsi, dans la légende grecque, Poseidaôn, dieu de
-la mer,--ce dieu irrité dont l'implacable vengeance poursuit le dieu
-solaire Odusseus,--a bâti les murs de Troie, la ville ennemie[4].
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-[Footnote 1: Βουκέρως παρθένος, Eschyle, _Prométhée enchaîné_, vers
-588.]
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-[Footnote 2: Βοῦς, Eschyle, _Les Suppliantes_, vers 18, 275.]
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-[Footnote 3: «Balar, mac Buar-Ainic, rathoir Bressi.» Livre de
-Leinster, p. 50, col. 1, lignes 42, 43.]
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-[Footnote 4:
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- Ἤτοι ἐγὼ Τρώεσσι πόλιν πέρι τεῖχος ἔδειμα,
- Εὐρύ τε καὶ μάλα καλὸν, ἵν᾽ ἄρρηκτος πόλις εἴη.
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-_Iliade_, XXI, 446-447. Dans l'_Iliade_, VII, 452, 453, Poseidaôn a
-pour associé Phoibos; mais, au livre XXI, Phoibos était pâtre du roi de
-Troie, tandis que Poseidaôn était maçon au service de ce prince.]
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-§5.
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-_Lug, meurtrier de Balar, et le héros grec Bellérophontès._
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-Le phénomène météorique du lever du soleil, un de ceux qui ont inspiré
-la légende celtique du combat heureux de Lug contre Balar, c'est-à-dire
-du crépuscule contre la nuit, est aussi ce que l'imagination grecque a
-voulu représenter quand elle s'est figuré Hermès tuant Argos. Hermès
-vainqueur est comme Lug le crépuscule, Argos comme Balar est la nuit.
-Mais il y a un phénomène analogue au crépuscule matinal et au lever du
-soleil et que la mythologie confond souvent avec eux: c'est le triomphe
-[Pg 205]du soleil quand, après une tempête orageuse, cet astre perce le
-nuage et apparaît tout radieux dans le ciel. La légende de Bellérophon
-et de la Chimère nous offre une des formes mythologiques dont ce
-phénomène a été revêtu dans les monuments de l'art et de la littérature
-grecques.
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-La Chimère, à la fois lion, serpent et chèvre, est un de ces monstres
-qui personnifient la tempête, l'obscurité que l'orage produit, le mal.
-Elle est de race divine, et, avec l'aide des dieux, un héros la tue. En
-souvenir de cette victoire, ce héros porte le surnom de Βελλερο-φόντης,
-ou meurtrier de Belléros; c'est-à-dire que le monstre, outre le nom
-de Chimère, portait celui de _Belléros. Belléros_ est le même mot que
-Balar, nom du dieu des Fomôré tué par Lug à la bataille de Mag-Tured.
-_Belléros_, en grec, est dérivé de la même racine que le verbe βάλλω,
-«je lance,» et que le substantif βέλος, «trait, javelot.»
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-Que lançait le monstre de la mythologie grecque, Chimère ou _Belléros_?
-Un jet terrible de feu ardent[1]. C'est la foudre. Dans le mythe
-irlandais, le regard que l'œil habituellement fermé de Balar jette sur
-ses ennemis, et qui les tue, est aussi la foudre. La foudre est un
-œil ordinairement fermé qui s'ouvre pendant l'orage et dont le regard
-précipite les hommes dans la nuit de la mort[2], tandis que le soleil
-[Pg 206]est un œil ouvert tout le jour et qui répand la vie sur les
-êtres animés. Voilà comment, dans la légende irlandaise, Balar est
-dieu de la foudre en même temps que de la nuit. Les deux fables,
-l'une grecque, l'autre celtique, qui racontent l'une la mort de Balar
-tué par Lug, l'autre celle de la Chimère tuée par Βελλερο-φόντης ,
-proviennent d'un fonds commun; et un hasard étrange a gardé, dans
-le récit irlandais, le nom de Balar identique à Belléros, que les
-poèmes d'Homère[3] et d'Hésiode[4] nous ont conservé dans le composé
-Βελλερο-φόντης , en français Bellérophon, «meurtrier de Belléros,» et
-qu'on retrouve sous cette forme dans beaucoup d'autres monuments de la
-littérature grecque[5].
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-[Footnote 1: «Δεινὸν ἀποπνείουσα πυρὸς μένος αἰθομἐνοιο,» _Iliade_,
-livre VI, vers 182.]
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-[Footnote 2: Voyez James Darmesteter, _Ormazd et Ahriman_, p. 122.]
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-[Footnote 3: Sur Bellérophon et la Chimère, voyez _Iliade_, livre VI,
-vers 155-183.]
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-[Footnote 4: Hésiode, _Théogonie_, vers 325.]
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-[Footnote 5: Voyez, dans le _Dictionnaire des antiquités_ de MM.
-Daremberg et Saglio, les articles _Bellérophon et Chimæra_.]
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-§6.
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-_Lug et le héros grec Persée._
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-C'est sur un thème identique qu'a été brodée la fable grecque de Persée
-et de Méduse. Persée, en grec Perseus, est un doublet de Bellérophon,
-en grec _Bellérophontès_. Il tue Méduse, comme Bellérophon tue la
-Chimère, ou tue _Belléros_; comme Lug tue Balar. Méduse elle-même est
-un doublet de la
-[Pg 207]Chimère. La Chimère est un monstre, à la fois serpent, chèvre
-et lion; elle exhale un feu qui ôte la vie. Méduse est une femme ailée
-dont les cheveux sont des serpents; elle déteste les hommes; quiconque
-fixe les yeux sur elle expire à l'instant[1].
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-Le _Prométhée enchaîné_ d'Eschyle, qui, sur la puissance redoutable de
-Méduse, nous donne ce détail terrible, a été représenté à Athènes pour
-la première fois vers le milieu du cinquième siècle avant notre ère.
-On ne pouvait, disait-on alors en Grèce, on ne pouvait regarder Méduse
-sans perdre la vie. Il y a là emploi de l'actif pour le passif: dans
-la doctrine primitive, c'était le regard de Méduse qui tuait, comme,
-dans la mythologie irlandaise, le regard de Balar, qui est une poétique
-image de la foudre.
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-Persée, qui tua Méduse, est déjà connu d'Homère et d'Hésiode[2]; mais
-pour trouver, le récit complet de sa légende, il faut consulter les
-mythographes postérieurs. Persée, qui devait un jour, comme Lug, mettre
-à mort son grand-père, est, par Danaé, petit-fils d'Acrisios, roi
-d'Argos. Un oracle a prévenu Acrisios que son petit-fils le tuera. Pour
-être sûr de n'avoir pas de petit-fils, le roi enferme Danaé, sa fille,
-dans une chambre souterraine dont les murailles sont reliées avec de
-l'airain.
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-[Pg 208]Vains efforts! Danaé est rendue grosse par le mortel Proitos,
-suivant quelques-uns; par le grand dieu Zeus, disent les textes les
-plus anciens[3]. Elle accouche d'un enfant mâle, qui sera le héros
-Persée. Acrisios la fait enfermer avec son fils dans un coffre, que,
-sur son ordre, on jette à la mer. Les flots transportent le coffre à
-Sériphe, où Danaé et Persée arrivent vivants. Persée, parvenu à l'âge
-d'homme, accomplit de nombreux exploits, parmi lesquels on compte
-le meurtre de Méduse; puis la fatalité lui fait tuer Acrisios, son
-grand-père[4].
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-[Footnote 1: Eschyle, _Prométhée_, vers 798-800, de l'édition Didot.
-Cf. Hésiode, _Théogonie_, vers 274-280.]
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-[Footnote 2: _Iliade_, livre XIV, vers 319, 320. _Bouclier d'Héraclès_,
-vers 223 et suivants.]
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-[Footnote 3: _Iliade_, livre XIV, vers 313-320. Hérodote, VII, 61. Voir
-aussi le passage de Sophocle cité plus bas.]
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-[Footnote 4: Apollodore, livre II, chap. IV. Cet auteur écrivait au
-second siècle avant notre ère. Mais il y a, sur certains détails, des
-témoignages plus anciens: tels sont les vers de Simonide sur le voyage
-de Danaé dans son coffre sur la mer. Bergk, _Anthologia lyrica_, editio
-altera, p. 444. Tel est aussi le passage de l'_Antigone_ de Sophocle,
-vers 944-950, où il est question de la prison de Danaé et de la pluie
-d'or de Zeus qui l'avait rendue mère. Simonide, le premier de ces deux
-auteurs, mourut l'an 468 avant notre ère; Sophocle, le second, termina
-sa carrière en 406.]
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-§7.
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-_Le Balar populaire de l'Irlande, aujourd'hui Balor. Balor et Acrisios;
-Ethné, fille de Balor, et Danaé, fille d'Acrisios. Les trois frères
-irlandais et le triple Géryon; leur vache et le troupeau de Géryon ou
-de Cacus; le fils de Gavida et Persée._
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-Les traits fondamentaux de la légende de Persée
-[Pg 209]se trouvent dans un conte irlandais, recueilli en ce siècle
-même de la bouche du peuple, et où le grand-père tué, comme Acrisios,
-par son petit-fils, est le dieu fomôré Balar.
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-Le nom de ce personnage, nous raconte O'Donovan, vit encore dans la
-tradition de toute l'Irlande; et dans certaines parties de cette
-île, ce nom, autrefois écrit Balar Balcbeimnech, «Balar aux coups
-puissants,» aujourd'hui Balor Bêimeann, «Balor des coups,» est la
-terreur des petits enfants. C'était un guerrier qui habitait l'île
-de Tory, anciennement Torinis. Cette île est située dans l'océan
-Atlantique, au nord-ouest, mais à peu de distance de l'Irlande. C'est
-là que les Irlandais évhéméristes ont autrefois placé la résidence des
-Fomôré adversaires de la race de Némed, et cette tour de Conann à la
-prise de laquelle cette race fut anéantie. Ainsi, comme le redoutable
-Conann des manuscrits épiques, le Balar ou plus exactement le Balor
-populaire demeurait à Tory.
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-Il avait un œil au milieu du front, un autre derrière la tête. Le
-regard de ce dernier œil donnait la mort. Balor le tenait constamment
-caché; il ne le découvrait que lorsqu'il voulait se débarrasser d'un
-ennemi. De là, en Irlande, l'expression toujours reçue d'«œil de
-Balor,» _suil Baloir_, pour dire ce que nous appelons en français «le
-mauvais œil.» C'est l'œil dont le regard, dans le récit de la bataille
-de Mag-Tured, frappe à mort Nûadu, roi des Tûatha Dê Danann.
-
-[Pg 210]Un druide avait prédit à Balor qu'il serait tué par son
-petit-fils. Ici, le druide joue le même rôle que l'oracle dans la
-légende grecque d'Acrisios et de Perseus. Balor, comme Acrisios,
-n'avait qu'une fille; elle s'appelait Ethné, ou, pour donner à ce mot
-son orthographe ancienne, _Ethniu_, au génitif _Ethnenn_. C'est le
-nom que porte, au onzième siècle, la fille de Balar, dans le Livre
-des Conquêtes. Nous voyons qu'il est resté vivant dans la tradition
-populaire. En Grèce, Ethné s'appelait Danaé.
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-Balor, voulant donner un démenti à la prédiction du druide, et n'être
-pas tué par son petit-fils, résolut de faire en sorte de n'avoir pas de
-petit-fils. Il enferma sa fille dans une tour imprenable, bâtie sur le
-sommet d'un rocher presque inaccessible, qui élève sa tête jusqu'aux
-nues, et qui a le pied battu par les flots, sur la côte orientale de
-l'île de Tory. On montre encore aujourd'hui ce rocher aux curieux, et
-on l'appelle la grande Tour, _Tor môr_. Ce fut là que Balor relégua
-la belle Ethné. Il lui donna pour compagnes et pour gardiennes douze
-femmes qui avaient mission de ne laisser aucun homme pénétrer près
-d'elle, et de faire en sorte qu'elle ne se doutât jamais qu'il existât
-des hommes en ce monde.
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-Ethné resta longtemps prisonnière. Elle devint une femme d'une beauté
-accomplie; et, fidèles à leur consigne, ses compagnes ne parlaient
-jamais d'hommes en sa présence. Cependant Ethné du haut de sa tour
-voyait souvent des bateaux passer. Elle remarquait que ces bateaux
-étaient conduits par des êtres
-[Pg 211]humains qui n'avaient pas tout à fait le même aspect que les
-femmes, dont elle était entourée. Il y avait là pour elle un mystère
-dont elle demanda souvent l'explication. Mais ses discrètes compagnes
-refusèrent toujours de la lui donner.
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-Jusqu'ici la tradition populaire irlandaise est d'accord avec la
-légende grecque d'Acrisios et de Perseus et avec le récit que nous
-offre, au onzième siècle, la tradition savante irlandaise conservée
-par le Livre des conquêtes. La tour où, dit-on, Ethné fut enfermée par
-son père, sur les côtes d'Irlande, est identique aux salles dont les
-murailles étaient consolidées par des liens d'airain[1] et où, suivant
-le récit grec, le roi d'Argos retint prisonnière Danaé, sa fille. Mais
-au point où nous sommes arrivés, on trouve intercalé dans le conte que
-le peuple irlandais répète une légende originairement étrangère à ce
-conte; cette légende est celle qui a donné à la mythologie grecque le
-combat d'Héraclès contre Géryon au triple corps.
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-On sait que Géryon est un personnage à trois têtes[2] et même à trois
-corps[3], qui avait un troupeau de vaches. Il habitait avec ce troupeau
-dans une île au delà de l'Océan. Il tenait ses vaches enfermées
-[Pg 212]dans une étable obscure. Héraclès le vainquit et emmena les
-vaches[4]. Héraclès est une personnification du soleil, les vaches sont
-les rayons de cet astre, gardés dans l'obscurité par le dieu de la
-nuit, et délivrés le matin par le dieu solaire, quand l'astre du jour,
-jusque-là momentanément privé de son éclat diurne, est sur le point de
-s'élever lumineux au-dessus de l'horizon[5]. La fable d'Héraclès et de
-Géryon appartient à la mythologie latine comme à la mythologie grecque,
-et dans la rédaction latine de cette fable Géryon s'appelle Cacus. Mais
-revenons à la légende irlandaise.
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-Dans le conte populaire irlandais, Balor a été jusqu'ici, conformément
-à la tradition antique, une personnification de la nuit; maintenant,
-par une de ces altérations fréquentes dans les littératures populaires
-modernes, il va pour quelque temps se confondre avec le dieu du jour,
-et jouer le rôle du dieu grec Héraclès.
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-Sur la côte d'Irlande, située en face de l'île, vivaient ensemble trois
-frères, Gavida, Mac-Samhthainn et Mac-Kineely, dont le premier était
-forgeron, et dont le troisième avait une vache qu'on appelait _Glas
-Gaivlen_[6], c'est-à-dire la vache «bleue du forgeron.» Son lait était
-si abondant que tous les voisins en étaient jaloux. On essaya nombre de
-fois de la
-[Pg 213]voler, et sa garde exigeait une attention continuelle.
-
-Nous n'avons pas de peine à reconnaître dans les trois frères le triple
-Géryon, dont les vaches sont ici réduites à une, mais par compensation
-elle produit une quantité de lait prodigieuse. Balor voulut s'emparer
-de cette vache merveilleuse; jusque-là il s'était illustré par de
-nombreux exploits, il avait pris beaucoup de vaisseaux, il avait
-jeté dans les chaînes bien des guerriers vaincus, ses expéditions en
-Irlande, sur la côte voisine de son île, lui avaient procuré un butin
-abondant. Mais un bonheur lui manquait: c'était de posséder la _Glas
-Gaivlen_, la vache bleue du forgeron.
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-Pour s'en emparer, il recourut à la ruse. Il se rendit à la forge dans
-un moment où la vache s'y trouvait sous la garde d'un des trois frères.
-Celui-ci eut l'imprudence de donner sa confiance à Balar, en laissant
-le licou de la précieuse vache entre les mains de cet ambitieux
-sans scrupule, qui, avec la rapidité de l'éclair, tirant la vache
-par la queue, regagna son île. Il y entra par le port qu'on appelle
-aujourd'hui _Port na Glaise_, «le port de la Bleue.» Il y a dans ce
-récit un trait qui appartient à la légende romaine de Cacus. Cacus,
-doublet de Géryon, tire les vaches d'Héraclès par la queue[7].
-
-Mac Kineely, le propriétaire de la vache, voulut
-[Pg 214]se venger de Balor. Guidé par les conseils d'un druide et d'une
-fée, il se déguisa en femme, et la fée le transporta sur les ailes de
-la tempête au delà du détroit qui séparait son habitation de l'île
-où résidait Balor. La fée s'arrêta avec lui sur le sommet du rocher
-où s'élevait la tour qui servait de prison à la fille de Balor, à la
-belle Ethné. Elle frappa à la porte.--«Je suis,» dit-elle, «accompagnée
-d'une noble dame, et je viens de l'arracher des mains d'un homme aussi
-cruel qu'audacieux qui l'avait enlevée à sa famille. Je viens vous
-demander asile pour elle.»--Les gardiennes d'Ethné n'osèrent rejeter
-la prière de la fée. Celle-ci entra dans la tour avec Mac Kineely, et
-fit tomber les douze matrones dans un sommeil magique. Quand elles se
-réveillèrent, la fée et sa prétendue compagne avaient disparu. La fée,
-s'enlevant dans les airs avec Mac Kineely, l'avait transporté hors de
-l'île, sur la côte opposée, par la route aérienne qui l'avait amenée.
-Ainsi les douze matrones, à leur réveil, trouvèrent Ethné seule; mais,
-comme Danaé, Ethné était grosse.
-
-Ses gardiennes lui dirent que la visite de la fée et de sa compagne
-n'était qu'un rêve, et lui recommandèrent de n'en jamais parler à
-Balar. Mais en dépit de ces recommandations, la fin du neuvième mois
-arriva. Ethné accoucha; et, par un phénomène dont les exemples sont
-rares, elle eut trois fils. On ne put le cacher à Balar, qui s'empara
-des enfants, les fit envelopper tous les trois dans un drap attaché par
-une épingle, et les envoya jeter dans un gouffre de
-[Pg 215]la mer. La personne à laquelle était confiée cette mission
-dut, pour atteindre le but de son voyage, traverser un petit golfe. Au
-moment où elle se trouvait sur ce golfe, l'épingle se détacha du drap
-et tomba dans l'eau avec un des enfants. Lorsque le porteur du fardeau
-arriva au gouffre, il n'y avait plus que deux enfants dans le drap. Il
-les noya et revint près de Balar, qui crut exécuté complètement l'ordre
-cruel qu'il avait donné.
-
-Qu'était devenu l'enfant tombé dans le golfe? Avant de répondre à
-cette question, nous dirons qu'on montre encore aujourd'hui l'endroit
-où cet accident s'est, dit-on, produit, et qu'on l'appelle le «Port
-de l'Epingle,» _Port-a-Deilg_. Quand l'épingle s'était détachée et
-que l'enfant était tombé, la fée à laquelle il devait la naissance
-se trouvait là, invisible; elle prit l'enfant dans ses bras, elle
-s'éleva dans les airs, et, traversant le détroit, elle gagna la côte
-irlandaise et la demeure de Mac Kineel; elle lui remit le nouveau né en
-lui apprenant que c'était son fils. Mac Kineely le confia à son frère
-Gavida, le forgeron. Gavida l'éleva et lui apprit son métier.
-
-Cependant Balor croyait avoir triomphé de la destinée; mais il n'avait
-pas pardonné l'injure faite à sa fille et qui rejaillissait sur lui.
-Il apprit de son druide le nom du coupable; il résolut de se venger.
-Un jour, il traversa le détroit avec une troupe de guerriers, et il
-surprit Mac Kineely. Il le saisit par les cheveux, tandis que d'autres
-guerriers saisissaient les pieds et les mains du malheureux sans
-[Pg 216]défense. Mac Kineely, étendu sur une pierre blanche, eut la
-tête tranchée par Balor. Son sang coula sur la pierre et y traça des
-veines rouges qu'on montre aux curieux qui sont encore aujourd'hui,
-disent les paysans irlandais, d'irrécusables témoins de ce lugubre
-et antique événement. On l'appelle pierre de Neely, par abréviation
-pour pierre de Kineely. Elle donne son nom à deux paroisses, et, en
-1794, un antiquaire du pays, sans la changer de place, l'a fait élever
-sur un pilier haut de seize pieds. Elle était à ses yeux un des plus
-respectables et des plus sérieux monuments de l'histoire irlandaise.
-
-Mais revenons à Balor. La mort de Mac Kineely avait effacé de son
-esprit toute trace du chagrin causé par l'accouchement d'Ethné. Son
-bonheur était complet, ses espérances sans nuage. Gavida, frère du
-malheureux Mac Kineely, était devenu son forgeron. Balor ne savait pas
-qu'un des trois fils d'Ethné avait échappé à la mort, et que ce fils
-était le jeune ouvrier qui servait d'aide à Gavida. Il fallait bien que
-la prophétie du druide s'accomplît: c'était ce jeune homme qui devait
-la réaliser en ôtant la vie à son grand-père. Ce que Balor ignorait, le
-jeune homme le savait bien. Il savait qu'il était fils de Mac Kineely;
-il savait que Mac Kineely avait péri par la main de Balor. Souvent il
-allait se promener dans l'endroit où le meurtre avait été commis; il
-regardait la pierre teinte du sang de son père; il sentait couler des
-larmes, et ne rentrait à la maison qu'après avoir juré de le venger.
-
-[Pg 217]Un jour, Balor vint à la forge. Gavida était absent; le jeune
-ouvrier s'y trouvait seul. Balor se mit à causer avec lui. Il lui
-raconta ses exploits, sans oublier de mentionner le meurtre de Mac
-Kineely. Il se vanta de ce meurtre comme d'un des hauts faits dont
-il pouvait tirer le plus d'honneur. C'était le moment fixé pour la
-vengeance par les décrets du destin. Le jeune forgeron sentit le sang
-de son père bouillonner dans ses veines. Il était auprès de sa forge,
-où des barres de fer rougissaient, attendant le coup du marteau. Il
-en saisit une, et, frappant Balor par derrière, fit pénétrer le fer
-brûlant dans l'œil magique ordinairement fermé, qui ne pouvait s'ouvrir
-sans ôter la vie aux infortunés que son regard atteignait. Balor tomba;
-il était mort. Ainsi qu'en Grèce Persée avait tué Acrisios, son aïeul,
-le jeune forgeron irlandais avait tué son grand-père; l'événement avait
-justifié la prophétie du druide en Irlande; comme la prédiction de
-l'oracle en Grèce; et de plus, en Irlande, la justice était satisfaite:
-le crime commis par Balor en tuant Mac Kineely avait été puni d'un
-légitime châtiment[8].
-
-La tradition qui a conservé ce conte a, comme on le voit, gardé deux
-des noms propres contenus dans les monuments du onzième siècle: ce sont
-les noms de Balar, aujourd'hui Balor, et de sa fille
-[Pg 218]Ethniu, aujourd'hui Ethné. Mais il semble que les conteurs
-populaires ont oublié comment s'appelait le jeune meurtrier de Balor.
-Nous avons vu que ce meurtrier est Lug, l'Hermès grec, le Mercure
-gréco-romain, un des Tûatha Dê Danann.
-
-
-[Footnote 1: Χαλκοδέτοις αὐλαῖς. Sophocle, _Antigone_, vers 945.
-
-[Footnote 2: Τρικάρηνος. Hésiode, _Théogonie_, vers 287.
-
-[Footnote 3: Τρισώματος. Eschyle, _Agamemnon_, vers 870. Suivant
-Apollodore, _Bibliothèque_, livre II, chapitre V, section 10, § 2, ces
-corps auraient été réunis par le milieu et n'auraient eu à eux trois
-qu'un seul ventre. _Fragmenta historicorum græcorum_, tome I, p. 140.]
-
-[Footnote 4: Hésiode, _Théogonie_, vers 287-294.]
-
-[Footnote 5: Bréal, _Mélanges de mythologie et de linguistique_, p. 65
-et suiv.]
-
-[Footnote 6: Mieux _Glas Goibhnenn_.]
-
-[Footnote 7:
-
- «Cauda in speluncam tractos, versisque viarum
- Indiciis raptos, saxo occultabat opaco.»
- _Enéide_, livre VIII, vers 210-211.
-]
-
-[Footnote 8: Ce récit légendaire a été recueilli par O'Donovan dans
-la tradition populaire, et il l'a donné en note dans son édition des
-_Annales des Quatre Maîtres_, 1851, tome I, p. 18-21.]
-
-
-§8.
-
-_Les trois ouvriers des Tûatha Dê Danann et les trois Cyclopes de Zeus
-chez Hésiode._
-
-Gavida le forgeron et ses deux frères forment une triade dont l'origine
-se trouve dans un détail de la seconde bataille de Mag-Tured. On se
-rappelle les trois ouvriers qui fabriquaient les armes des Tûatha Dê
-Danann et dont l'habileté fut une des causes de la défaite des Fomôré.
-Le premier était Goibniu, forgeron; son nom dérive du vieil irlandais
-_goba_ (au génitif _gobann_), «forgeron,» qui se prononce aujourd'hui
-_gava_; de là le dérivé moderne _Gavida_ de la légende populaire.
-Ces trois ouvriers associés à la victoire des dieux du jour et de la
-vie, en irlandais Tûatha Dê Danann, contre les dieux de la nuit et
-de la mort, en irlandais Fomôré, sont identiques aux trois Cyclopes,
-Brontès, Stéropès et Argès, au courage puissant, qui donnèrent à Zeus
-le tonnerre et qui fabriquèrent la foudre[1], c'est-à-dire les traits
-qui ont assuré la victoire du dieu
-[Pg 219]solaire Zeus dans son combat contre les dieux de la mort et de
-la nuit, que les Grecs appellent Titans[2]. On n'a pas oublié par quels
-procédés merveilleux, pendant la bataille de Mag-Tured, Goibniu et
-ses deux compagnons fabriquaient les lances dont les Tûatha Dê Danann
-vainqueurs perçaient les Fomôré, leurs ennemis malheureux[3].
-
-Dans le conte populaire, le forgeron Gavida et ses deux frères sont
-opposés à Balor ou Balar, le guerrier fomôré, et c'est de la forge de
-Gavida qu'est tirée la barre de fer rouge dont Balor est mortellement
-frappé. Il y a là un fonds de traditions communes et une théorie
-dualiste en général plus développée en Irlande qu'en Grèce. Quelquefois
-cependant le contraire a lieu: ainsi, nous ne retrouvons pas en Irlande
-le doublet grec des Cyclopes, c'est-à-dire que nous n'y rencontrons
-pas Kottos, Obriareôs et Gyès, ces trois guerriers aux cent bras, dont
-le concours contribue chez Hésiode à la victoire de Zeus contre les
-Titans[4].
-
-
-[Footnote 1: Hésiode, _Théogonie_, vers 139-141. Cf. _ibidem_, vers
-504, 505.]
-
-[Footnote 2: Le tonnerre et la foudre sont appelés les traits, κῆλα, de
-Zeus aux vers 707 et 708 de la _Théogonie_ d'Hésiode, qui font partie
-du récit de la bataille livrée par Zeus aux Titans.]
-
-[Footnote 3: Voir plus haut, p. 181.]
-
-[Footnote 4: Hésiode, _Théogonie_, vers 147-159, 618-628, 644-663,
-669-675, 713-718, 734, 735, 815-819. Sur Obriareôs, aussi appelé
-Briareôs, voyez aussi l'_Iliade_, livre I, vers 401-407.]
-
-
-[Pg 220]CHAPITRE X.
-
-LA RACE DE MILÉ.
-
-§1. Les chefs des Tûatha Dê Danann changés au onzième siècle en hommes
-et en rois. Chronologie de Gilla Coemain et des Quatre Maîtres.--§2.
-Milé et Bilé, ancêtres de la race celtique.--§3. La doctrine qui fait
-arriver les Irlandais d'Espagne et qui leur donne pour pays d'origine
-la Scythie et l'Egypte.--§4. Ith et la tour de Brégon.--§5. L'Espagne
-et l'île de Bretagne confondues avec le pays des morts.--§6. Expédition
-d'Ith en Irlande.--§7. La mythologie irlandaise et la mythologie
-grecque. Ith et Prométhée.
-
-
-§1.
-
-_Les chefs des Tûatha Dê Danann changés au onzième siècle en hommes et
-en rois. Chronologie de Gilla Coemain et des Quatre Maîtres._
-
-Si nous en croyons le poème chronologique composé vers le milieu du
-onzième siècle par Gilla Coemain, qui mourut en 1072, les Tûatha Dê
-Danann furent maîtres de l'Irlande, après la seconde bataille de
-Mag-Tured, pendant cent soixante neuf
-[Pg 221]ans qui, suivant les calculs des _Quatre Maîtres_, savants
-irlandais du dix-septième siècle, commencent l'an 1869 et finissent
-l'an 1700 avant J.-C. Lug fut leur premier roi et régna quarante ans;
-Dagdé ensuite occupa le trône pendant quatre-vingts ans, puis Delbaeth
-dix ans, Fiachach Findgil, fils de Delbaeth, dix autres années. Enfin
-les trois petits-fils de Dagdé, savoir: Mac Cuill, Mac Cecht et Mac
-Grêné, s'étant partagé l'Irlande, possédèrent en même temps la royauté
-pendant vingt-neuf ans, jusqu'à l'arrivée des fils de Milé, qui les
-mirent à mort et firent la conquête de l'Irlande[1].
-
-C'est probablement Gilla Coemain qui est l'auteur de cette chronologie.
-En tout cas, elle paraît avoir été inventée de son temps, et c'est
-elle que nous trouvons dans le _Livre des conquêtes_[2]. Elle est une
-conséquence logique de la thèse professée quelques années auparavant
-par le moine Flann Manistrech. Ce personnage, qui mourut abbé en 1056,
-écrivit en vers irlandais un poème didactique où il fait mourir, comme
-de simples humains, les Tûatha Dê Danann, immortels jusque-là.
-
-Il y raconte, par exemple, par qui fut tué Lug[3]. Suivant lui aussi,
-Dagdé mourut des blessures qu'une femme nommée Cetnenn lui avait faites
-d'un coup de javelot à la bataille de Mag-Tured[4]. Il n'avait pas
-[Pg 222]été question de Cetnenn avant que Flann Manistrech composât
-son poème: on avait seulement parlé de Lug, fils d'Ethniu, en vieil
-irlandais _Lug macc Ethnenn_; en vieil irlandais _mac_, fils, s'écrit
-avec deux c: _macc_. _Ethnenn_ est le génitif d'_Ethniu_, nom de
-femme; et comme en vieil irlandais le composé syntactique _macc
-Ethnenn_ s'écrivait sans diviser les deux mots, c'est d'une mauvaise
-division de ce composé qu'est résulté le nom propre _Cetnen_. On a
-lu _mac-Cethnenn_, au lieu de _macc Ethnenn_. De là l'origine de
-Cetnen qui aurait blessé mortellement Dagdé, si nous en croyons Flann
-Manistrech.
-
-Flann Manistrech a, de même, raconté la mort de Delbaeth et celle de
-son fils[5]. Il avait changé en hommes tous ces personnages divins.
-Le plus ancien auteur qui paraisse les avoir chacun investi de la
-royauté pendant un temps déterminé est Gilla Coemain, qui mourut seize
-ans après Flann Manistrech. Par là Gilla Coemain a donné une base
-au système chronologique nouveau par lequel se conclut l'évolution
-progressive qui a transformé la mythologie irlandaise en un récit
-historique conforme aux méthodes monastiques du moyen âge. Cependant, à
-la fin du onzième siècle, ces doctrines, alors tout récemment mises au
-jour, n'étaient pas universellement
-[Pg 223]admises par les érudits qu'abritaient les monastères irlandais,
-et une science plus saine y a fait alors entendre une protestation dont
-l'écho est arrivé jusqu'à nous.
-
-Pour l'annaliste Tigernach, mort en 1088, c'est-à-dire seize ans après
-Gilla Coemain, les dates accumulées par ce fondateur de la chronologie
-préhistorique de l'Irlande étaient encore sans valeur; et il n'y avait
-pas de dates certaines dans l'histoire d'Irlande avant l'an 305 avant
-J.-C., où Cimbaed, fils de Fintan, devint roi d'Emain[6]. Nous sommes
-bien loin de l'année 1700 avant notre ère où aurait fini la domination
-des Tûatha Dê Danann. Les dates dont fourmillent les monuments de la
-mythologie irlandaise n'ont pas été puisées dans la tradition. Gilla
-Coemain est même vraisemblablement le premier qui ait imaginé une liste
-de rois de la race des Tûatha Dê Danann. Sa doctrine, sur ce point,
-est étrangère aux idées que les Irlandais païens se faisaient de leurs
-dieux. Les Irlandais païens considéraient leurs
-[Pg 224]dieux comme immortels. Lug et Dagdé qui, suivant les calculs
-fondés par les Quatre Maîtres sur les chiffres de Gilla Coemain,
-seraient morts l'un 1830 ans l'autre 1750 ans avant J.-C., nous
-sont présentés par la littérature épique irlandaise comme des êtres
-surnaturels vivant encore au temps du héros Cûchulainn et du roi
-Conchobar; or, ces deux derniers personnages, suivant les calculs
-Tigernach, sont contemporains de Jésus-Christ, et les calculs de
-Tigernach ne semblent pas mal fondés.
-
-
-[Footnote 1: Livre de Leinster, p. 127, colonne 2, lignes 1-8.]
-
-[Footnote 2: _Ibid._, p. 9, colonne 2.]
-
-[Footnote 3: _Ibid._, p. 11, colonne 2, ligne 7.]
-
-[Footnote 4: _Ibid._, p. 11, colonne 2, lignes 26, 27.]
-
-[Footnote 5: Livre de Leinster, p. 11, colonne 2, lignes 28-31. Ici le
-fils de Delbaeth s'appelle Fiachna, comme dans le _Livre des conquêtes_
-(Livre de Leinster, p. 9, col. 2, lignes 44-45), et non Fiachach comme
-dans le poème de Gilla Coemain, Livre de Leinster, p. 127, colonne 2,
-ligne 6.]
-
-[Footnote 6: Voici le texte de Tigernach d'après le fac-similé publié
-par M. Gilbert, part I, pl. XLIII: «In anno XVIII Ptolomei fuit
-initiatus regnare in Emain Cimbaed filius Fintain qui regnavit XXVIII
-annis. Tunc Echu Buadach, pater Ugaine, in Temoria regnare ab aliis
-fertur, liquet prescripsimus olim Ugaine imperasse. Omnia monumenta
-Scottorum usque Cimbaeth incerta erant.» La dix-huitième année de
-Ptolémée Lagus dont il s'agit plus haut, et qui, suivant Tigernach,
-aurait régné quarante ans (323-283), est l'an 305 avant J.-C. Le
-manuscrit reproduit ici est conservé à la bibliothèque Bodléienne
-d'Oxford, sous la cote Rawlinson B 502. M. Gilbert a le premier donné
-ce passage exactement.]
-
-
-§2.
-
-_Milé et Bilé ancêtres de la race celtique._
-
-Les Tûatha Dê Danann restèrent, dit-on, maîtres de l'Irlande jusqu'à
-l'arrivée des fils de Milé. _Milé_, au génitif _Miled_, ancêtre
-mythique des Irlandais, autrement dits Gôidels ou Scots, n'était pas
-inconnu des Celtes continentaux. On a trouvé dans la partie de la
-Hongrie qui, sous l'empire romain, était comprise dans la Pannonie
-inférieure, ancienne dépendance de l'empire gaulois, de nombreuses
-inscriptions gravées sur des monuments funéraires, qui couvrent les
-tombes d'hommes d'origine gauloise. Une de ces inscriptions a été
-écrite pour rappeler la mémoire de Quartio, fils de Miletumarus, par
-ordre de Derva, sa veuve[1]. Derva porte un nom gaulois qui veut
-[Pg 225]dire «chêne;» _Miletu-marus_ est composé de deux termes:
-le second, _marus_, en gaulois _mâros_, veut dire «grand;» quant
-au premier, _miletu_, il nous offre la forme que prenait dans les
-composés, quand il était premier terme, le thème consonantique gaulois
-_milet_, dont le nominatif devait être _miles_ pour _milets_, en
-irlandais _Milé_[2]; et le génitif _miletos_, en irlandais _Miled.
-Miletumarus_ veut dire «grand comme Milé.» Ainsi le personnage mythique
-qui est, en Irlande, l'ancêtre de la race celtique était connu sur les
-bords du Danube comme sur les côtes de l'Océan dans la plus occidentale
-des Iles Britanniques.
-
-Milé était fils de Bilé. Bilé est, comme Balar, un des noms du dieu de
-la mort. La racine BEL, «mourir,» change souvent son _e_ radical en
-_a_ quand la désinence contient un _a: atbalat_ pour *_ate-belant_[3],
-«ils meurent;» _Balar_ pour _Belar_ nous offre l'exemple d'un phénomène
-identique. Quant, au contraire, la désinence contient un _i_, l'_e_
-radical de la racine BEL se change en _i: epil_, «il meurt,» pour
-*_ate-beli_[4]. Dans _Bile_ pour *_Belios_, le même phénomène s'est
-produit.
-
-Milé fils de Bilé, a donc pour père le dieu de la
-[Pg 226]mort, le dieu celtique que César a appelé _Dis pater_. Les
-Gaulois, dit-il, prétendent qu'ils descendent tous de _Dis pater_, dieu
-de la mort, _ab Dite patre_[5]. _Dis_ paraît contracté pour _dives_,
-_Dite_ pour _divite_[6]. Ce nom divin était celtique en même temps
-que romain: _dîth_ est un des noms de la mort en vieil irlandais. On
-le trouve aussi écrit _dîith_ avec deux _i_[7]; il paraît avoir perdu
-un _v_ primitif entre ces deux voyelles, comme le latin _dite_ pour
-_divite; dîith_ s'écrit pour _dîvit_, et le nom gaulois _Divitiacus_,
-porté au temps de César par un druide éduen bien connu[8], avant ce
-temps par un roi des Suessions[9], paraît un dérivé de ce mot.
-
-
-[Footnote 1: _Corpus inscriptionum latinarum_, t. III, première partie,
-p. 438, nos 3404, 3405.]
-
-[Footnote 2: On trouve quelquefois au nominatif _Milid_ qui est en
-réalité l'accusatif. Le nominatif ne peut être que _Mile_ ou _Mili_.]
-
-[Footnote 3: Glose au vers 40 de l'hymne de Colman: Whitley Stokes,
-_Goidelica_, 2e édit., p. 124; Windisch, _Irische Texte_, p. 9, 377.]
-
-[Footnote 4: Priscien de Saint-Gall, f° 30 a; et Saint-Paul de
-Wurzbourg, f° 30 d; _Grammatica celtica_, 2e édition, p. 60.]
-
-[Footnote 5: _De bello gallico_, livre VI, chapitre 18, § 1.]
-
-[Footnote 6: Cicéron, _De natura deorum_, lib. II, cap. XXVI, § 66; cf.
-Corssen, _Ueber Aussprache, Vokalismus und Betonung der lateinischen
-Sprache_, 2e édit., t. I, p. 316.]
-
-[Footnote 7: Saint-Paul de Wurzbourg, f° 8 D; _Grammatica celtica_,
-2e édition, p. 21; Zimmer, _Glossæ hibernicæ_, p. 50; cf. Windisch,
-_Irische Texte_, p. 484. Comparez le breton _divez_, «fin,» en gallois
-_diwedd_, et l'irlandais _dead_, même sens.]
-
-[Footnote 8: _Cicéron, _De divinatione_, livre I, chap. 41, § 90;
-César, _De bello gallico_, livre I, chap. 16, 18, 19, 20, 31, 32, 41;
-livre II, chap. 10, 13; livre VI, chap. 12.]
-
-[Footnote 9: _De bello gallico_, livre II, chap. 4, § 7.]
-
-
-§3.
-
-_La doctrine qui fait arriver les Irlandais d'Espagne et leur donne
-pour pays d'originé la Scythie et l'Egypte._
-
-Dès l'époque où a été dressée notre première liste
-[Pg 227]de la littérature épique, l'évhémérisme faisait partir les
-fils de Milé, non du pays des morts, mais d'Espagne; et les croyances
-chrétiennes associées à des préoccupations étymologiques, avaient
-fait imaginer de longues pérégrinations antérieures que les ancêtres
-des Irlandais, sortis du berceau asiatique du genre humain, avaient,
-disait-on, interrompues par des séjours en divers lieux tels que
-l'Egypte et surtout la Scythie. Il semblait évident que Scots et
-Scythes, c'était tout un.
-
-Nennius, au dixième ou même au neuvième siècle, a connu cette
-légende érudite et relativement moderne. Il dit la tenir des savants
-irlandais[1]. Voici comment il s'exprime. «Quand les fils d'Israël
-traversèrent la mer Rouge, les Egyptiens les suivirent, et ils furent
-noyés, comme on lit dans la Bible. Or il y avait alors chez les
-Egyptiens un homme noble de Scythie, avec une nombreuse famille. Il
-avait été précédemment détrôné en Scythie, et il était en Egypte quand
-les Egyptiens furent noyés; mais il n'était point allé poursuivre
-le peuple de Dieu. Les Egyptiens survivants, après délibération, le
-chassèrent de leur pays; ils craignaient qu'il ne voulût s'en rendre
-maître, en profitant de ce que les chefs de familles avaient péri dans
-la mer Rouge. Obligé de quitter l'Egypte, celui-ci voyagea en Afrique
-pendant quarante-deux ans, arriva
-[Pg 228]avec sa famille aux autels des Philistins, traversa un lac
-salé, passa entre Rusicada et les montagnes de la Syrie, franchit
-le fleuve Malva, parcourut la Mauritanie, atteignit les colonnes
-d'Hercule, et enfin entra en Espagne où sa race habita un grand nombre
-d'années et se multiplia considérablement.»
-
-Ce récit sommaire est un abrégé de celui qui, dans la plus ancienne
-liste des compositions épiques irlandaises est intitulé: «Emigration ou
-voyage de Milé, fils de Bilé, jusqu'en Espagne[2].» Des arrangements
-plus modernes de cette légende nous ont été conservés par le _Chronicum
-Scotorum_, annales d'Irlande, composées au douzième siècle[3]; par
-l'introduction du _Livre des conquêtes_, transcrite au douzième siècle
-dans le livre de Leinster[4]; enfin, dans une glose du _Senchus Môr_[5].
-
-Les savants irlandais du moyen âge prétendaient être, par les femmes,
-d'origine égyptienne. Des trois noms de la race irlandaise, _Fêne,
-Scôt, Gôidel_, ils s'étaient fait trois ancêtres: 1° Fênius, roi de
-Scythie; 2° Scôta, fille de Pharaon, roi d'Egypte, et belle-fille de
-Fênius; 3° Gôidel, fils de Scôta. Il est probable que Scôta, fille de
-Pharaon, était déjà inventée dès la fin du huitième siècle, et que
-Clément, le grammairien
-[Pg 229]irlandais de la cour de Charlemagne, avait parlé de cette
-Egyptienne, mère fantastique du peuple irlandais. Quand l'Anglo-Saxon
-Alcuin, condamné à la retraite par l'âge, se plaint à Charlemagne de
-l'influence de plus en plus prépondérante acquise par les Irlandais
-à l'école du palais, il les traite d'Egyptiens.--«En m'en allant,»
-dit-il, «j'avais laissé près de vous des Latins; je ne sais qui les a
-remplacés par des Egyptiens[6].»
-
-[Footnote 1: «Sic mihi periti Scottorum nuntiaverunt.» _Appendix ad
-opera edita ab Angelo Maio_, Romæ, MDCCCLXXI, p. 99.]
-
-[Footnote 2: _Tochomlod Mîled, maic Bile, co Espain_. Livre de
-Leinster, p. 190, col. 1, ligne 60.]
-
-[Footnote 3: _Chronicum Scotorum_, édition Hennessy, p. 10-13.]
-
-[Footnote 4: Livre de Leinster, p. 2-4.]
-
-[Footnote 5: _Anciens laws of Ireland_, I, p. 20, 22. Voir aussi
-Keating, livre I, partie II, chap. 1 à 5; édition de Haliday, pages 214
-et suivantes.]
-
-[Footnote 6: Lettre 82 d'Alcuin, chez Migne, _Patrologia latina_,
-tome 100, col. 266-267. Cf. Hauréau, _Singularités historiques et
-littéraires_, p. 26.]
-
-
-§4.
-
-_Ith et la tour de Brégon._
-
-Nous ne parlerons pas davantage de ces légendes relativement modernes
-et dont l'origine n'a rien de populaire, mais qui sont le produit d'une
-fausse érudition. Arrivons à l'antique récit où l'on voit comment la
-race celtique sortit du pays des morts pour venir s'établir dans la
-terre qu'elle habite encore aujourd'hui[1].
-
-La plus ancienne rédaction que nous ayons de cette légende date du
-onzième siècle. Elle nous a été conservée par le _Livre des conquêtes_.
-On y voit qu'un certain Brégon, père, ou plutôt grand-père de
-[Pg 230]Milé[2], construisit une tour en Espagne, lisons: dans le
-pays des morts. On appela cette tour la tour de Brégon; c'est une
-seconde édition de la tour de Conann, chantée par Eochaid hûa Flainn
-au dixième siècle, et au siège de laquelle les descendants du mythique
-Némed, allant combattre le dieu des morts, furent d'abord vainqueurs,
-puis périrent au nombre des soixante mille. C'est la tour de Kronos,
-dieu des morts, dans l'île des Bienheureux, que Pindare chantait au
-cinquième siècle avant notre ère[3]. Brégon eut un fils qui s'appela
-Ith; et par une belle soirée d'hiver, Ith, contemplant l'horizon du
-haut de la forteresse paternelle, aperçut dans le lointain les côtes
-de l'Irlande[4]. Dès le onzième siècle, les savants irlandais avaient
-fait de Brégon une ville d'Espagne, l'antique Brigantia, aujourd'hui
-Bragance[5].
-[Pg 231]Pour voir de là l'Irlande, il fallait avoir une bonne vue;
-mais, comme nous l'avons dit, c'était par une belle soirée d'hiver, et,
-fait observer un auteur irlandais, «c'est le soir, en hiver, lorsque
-l'air est pur, que la vue de l'homme s'étend le plus loin[6].»
-
-[Footnote 1: «Tochomlod mac Miled a hEspain in hErinn,» Livre de
-Leinster, p. 190, col. I, lignes 60, 61.]
-
-[Footnote 2:
-
- Iar-sain rogenair Bregoin,
- Athair Bili in balc-dremoin.
-
-Livre de Leinster, p. 4, col. 1, lignes 34, 36.
-
- Bregoin, mac Bratha blaith bil;
- Is dô ro-bo mac Milid
-
-Livre de Leinster, p. 4, col. 2, lignes 39, 40. Ces vers font partie
-d'un poème de Gilla Coemain. Ils peuvent se traduire ainsi:
-
- Ensuite naquit Bregoin,
- père de Bilé à la forte fureur....
- Bregoin, fils de Brath au beau renom;
- C'est de lui que Milé fut fils.
-
-Au lieu de fils, lisez petit-fils: on sait que Milé fut fils de Bilé.]
-
-[Footnote 3: Voir plus haut, p. 124.]
-
-[Footnote 4: «Ith mac Bregoin atchonnairc hErinn ar-tûs fescor gaimrid
-a-mulluch tuir Bregoin.» Livre de Leinster, p. 11, col. 2, lignes 50,
-51; cf. Livre de Ballymote, folio 20 verso, col. 1, ligne 18.]
-
-[Footnote 5: Poème de Gilla Coemain, dans le Livre de Leinster, p. 4,
-col. 1, ligne 39.]
-
-[Footnote 6: «Is-ferr radarc duine glan-fhescor gaimrid.» Livre de
-Leinster, p. 12, col. 1, ligne 1.]
-
-
-§5.
-
-_L'Espagne et l'île de Bretagne confondues avec le pays des morts._
-
-Mais ce n'est pas de l'Espagne qu'il s'agit ici. Le mot d'_Espagne_
-a été introduit ici par l'évhémérisme des chrétiens irlandais. A la
-doctrine relativement moderne à laquelle on doit la présence du nom
-de l'Espagne dans les textes qui nous servent ici de base, on peut
-comparer celle qui, à une date bien plus ancienne, avait fait pénétrer
-le nom de la Bretagne dans la légende du pays des morts telle qu'on
-la racontait en Gaule dans les premiers temps de l'empire romain. Si
-l'on en croit un récit emprunté à un auteur inconnu par Plutarque,
-qui mourut vers l'an 120 de notre ère, et par Procope, qui écrivait
-au sixième siècle, le pays des morts est la partie occidentale de la
-Grande-Bretagne,
-[Pg 232]séparée des régions orientales de cette île par un mur
-infranchissable. Il y a sur les côtes septentrionales de la Gaule, dit
-cette légende, une population de marins dont le métier est de conduire
-du continent les morts dans la partie de l'île de Bretagne qui est leur
-dernier séjour. Réveillés la nuit par les chuchotements d'une voix
-mystérieuse, ces marins se lèvent, se rendent au rivage, y trouvent des
-navires qui ne leur appartiennent point, remplis d'hommes invisibles
-dont le poids fait plonger les bâtiments autant qu'il est possible
-sans les faire submerger. Montant sur ces navires, ils arrivent au but
-d'un coup de rame, dit un texte; en une heure, dit un autre, quoique
-avec leurs navires à eux, même en s'aidant de voiles, il leur faille
-toujours au moins un jour et une nuit pour atteindre les côtes de
-l'île de Bretagne. Quand ils sont arrivés au rivage, leurs invisibles
-passagers débarquent; en même temps on voit les navires déchargés
-s'élever au-dessus des flots, et on entend la voix d'un personnage
-invisible proclamer les noms des nouveaux arrivants qui viennent
-augmenter le nombre des habitants du pays des morts[1].
-
-Un coup de rame, une heure de navigation au plus, suffit pour exécuter
-le voyage nocturne qui du continent
-[Pg 233]gaulois transporte les morts à leur dernier séjour. En
-effet, une loi mystérieuse rapproche pendant la nuit les longues
-distances qui, de jour, séparent le domaine de la vie du domaine de
-la mort. C'est la même loi qui, par une soirée claire, a permis à Ith
-d'apercevoir du haut de la tour de Brégon, dans le pays des morts,
-les côtes de l'Irlande séjour des vivants. Ce phénomène s'est produit
-en hiver; car l'hiver est une sorte de nuit, l'hiver, comme la nuit,
-abaisse les barrières qui s'interposent entre les régions de la mort
-et les régions de la vie; l'hiver, comme la nuit, donne à la vie
-l'apparence de la mort, supprime, pour ainsi dire, l'abîme redoutable
-creusé entre la vie et la mort par les lois de la nature. Voilà
-comment pendant une belle soirée d'hiver, Ith, du sommet de la tour de
-Brégon dans l'île des morts, vit à l'horizon les côtes de l'Irlande se
-dessiner devant lui.
-
-
-[Footnote 1: Fragment, conservé par Tzetzès, du commentaire de
-Plutarque sur Hésiode, chez Didot-Dübner, _Œuvres de Plutarque_, t. V,
-p. 20, 21. Procope, _De bello gothico_, livre IV, chap. 20; édition de
-Guillaume Dindorf, 1833, t. II, p. 565-569. Le texte de Procope est
-beaucoup plus complet que celui de Tzetzès.]
-
-
-§6.
-
-_Expédition d'Ith en Irlande._
-
-Il s'embarqua avec trois fois trente guerriers et fit voile vers le
-pays inconnu dont sa vue pénétrante lui avait appris l'existence. Il
-l'atteignit heureusement, et prit terre sur le promontoire de Corco
-Duibné, à la pointe sud-ouest de l'Irlande. Cette île avait alors,
-dit-on, trois rois, petits-fils du grand dieu Dagdé: ils s'appelaient
-Mac Cuill, Mac Cecht et Mac
-[Pg 234]Grêné; ils avaient partagé l'Irlande entre eux[1]. La femme de
-Mac Cuill s'appelait Banba; celle de Mac Cecht, Fotla; celle de Mac
-Grêné, Eriu[2]. Banba, Fotla et Eriu sont trois noms de l'Irlande,
-les deux premiers tombés en désuétude, le dernier encore usité de nos
-jours. Ces trois reines sont donc autant de personnifications d'un
-être unique que le goût des Celtes pour la triade a triplé. Les trois
-dieux époux de l'Irlande sont issus de l'unité par le même procédé,
-et la provenance de cette triple unité divine nous est donnée par le
-troisième des noms qu'elle porte: _Mac Grêné_, «fils du soleil.» Quand
-Ith débarqua en Irlande, un fils du soleil avait épousé cette île et y
-régnait: c'est une forme nouvelle à cette idée tant de fois exprimée
-que l'Irlande appartenait alors aux Tûatha Dê Danann, dieux du jour,
-de la vie, de la science. Au nom propre Mac Grêné, «fils du soleil,»
-comparez le surnom de _Grîan-Ainech_, «à la face solaire,» porté par
-Ogmé ou Ogmios, le champion divin, un autre des Tûatha dê Danann,
-c'est-à-dire des dieux solaires.
-
-Mais Ith ne trouva personne sur le rivage. Il avança dans l'île et
-marcha longtemps vers le nord sans rencontrer qui que ce fût. Nêit,
-dieu de la guerre, venait d'être tué dans une bataille contre les
-Fomôré. Les trois rois des Tûatha dê Danann, c'est-à-dire
-[Pg 235]Mac Cuill, Mac Cecht et Mac Grêné s'étaient réunis pour faire
-entre eux le partage de sa succession, et c'était dans la forteresse
-d'Ailech, fondée et habitée par le défunt, que les trois princes
-s'étaient rendus; leurs guerriers les avaient accompagnés en ce lieu.
-On montre encore aujourd'hui l'emplacement de la forteresse d'Ailech;
-elle est située dans le nord de l'Irlande au comté de Donegal, dans la
-baronnie de West-Inishowen, près de Londonderry. Ith, dans son voyage à
-travers l'Irlande, du sud au nord, atteignit enfin Ailech.
-
-Les trois rois lui firent bon accueil et le prirent pour juge des
-difficultés auxquelles donnait lieu entre eux le partage de la
-succession de Nêit. Ith rendit une sentence arbitrale, qui termina
-toutes les contestations: «Agissez,» dit-il en terminant, «agissez
-selon les lois de la justice; car il est bon, le pays que vous habitez;
-il est abondant en fruits, en miel, en froment, en poisson; il est
-tempéré et quant à la chaleur et quant au froid.» De ces dernières
-paroles les trois rois conclurent que Ith voulait s'emparer de
-l'Irlande. Ils l'invitèrent à en sortir, et ils résolurent de le tuer.
-Ils mirent à exécution ce projet, à quelque distance, dans un endroit
-qui, dit la légende irlandaise, reçut en mémoire de cet événement
-le nom de «plaine d'Ith,» _Mag Itha_. Mais les compagnons d'Ith ne
-succombèrent pas avec lui. Emportant avec eux le cadavre de leur
-malheureux chef, ils se rembarquèrent et regagnèrent le pays d'où ils
-étaient venus. Les fils de Milé considérèrent le meurtre
-[Pg 236]d'Ith comme une déclaration de guerre: envahissant l'Irlande,
-ils en firent la conquête sur les Tûatha Dê Danann, c'est-à-dire sur
-les dieux[3].
-
-
-[Footnote 1: _Lebar gabala_ ou Livre des conquêtes, dans le Livre de
-Leinster, p. 9, col. 2, lignes 47-51.]
-
-[Footnote 2: _Id., ibid._, p. 10, col. 1, lignes 37-39.]
-
-[Footnote 3: Livre de Leinster. p. 12, col. 1.]
-
-
-§7.
-
-_La mythologie irlandaise et la mythologie grecque; Ith et Promêtheus
-ou Prométhée._
-
-La guerre des premiers hommes contre les dieux et la victoire des
-hommes sur les dieux,--une des données fondamentales de la mythologie
-celtique,--peuvent sembler étrange, et cependant cette légende
-s'accorde avec une doctrine mythologique des Grecs.
-
-La lutte soutenue par Zeus contre les Titans nous offre la forme
-grecque de la bataille irlandaise de Mag-Tured, où les Tûatha Dê Danann
-et les Fomôré se disputent la victoire: les Fomôré sont les Titans
-irlandais; dans les Tûatha Dê Danann de l'Irlande, nous retrouvons
-Zeus et les auxiliaires que lui donne la mythologie grecque. A cette
-bataille, le succès est obtenu par Zeus et les Tûatha Dê Danann; les
-Titans et les Fomôré sont vaincus.
-
-Mais de qui descendent les hommes dans un des systèmes mythologiques de
-la Grèce? C'est des Titans[1]. Le premier ancêtre de la race hellénique
-est
-[Pg 237]Iapétos, issu de l'union de la Terre avec le Ciel son fils, qui
-est né de la Terre dès l'origine du monde[2]. Iapétos a été père de
-Promêtheus[3], puis celui-ci père[4] ou grand-père d'Hellên, ancêtre
-mythique de la race grecque[5]. Or, Iapétos, ce premier père des plus
-anciens aïeux auxquels les Grecs rattachent leur origine, est un Titan,
-Hésiode nous l'apprend: les fils que le Ciel a eus de la Terre sont des
-Titans[6]; Iapétos est un de ces fils: donc c'est un Titan, un de ces
-ennemis des dieux solaires, un de ces adversaires de Zeus, que Zeus
-vainqueur a un jour précipités dans le Tartare avec Kronos leur roi.
-Iapétos, nous dit l'_Iliade_, habite le Tartare avec Kronos: «Jamais,»
-s'écrie Zeus s'adressant à Héra sa vindicative épouse, «jamais je
-n'aurai raison de ta colère, quand même tu irais aux plus lointaines
-extrémités de la terre et de la mer, où Kronos et Iapétos sont assis,
-privés de la lumière du soleil qui parcourt les hautes régions du
-monde; le profond Tartare est autour d'eux[7].» Plus loin, le poète,
-revenant sur cette idée, ajoute que
-[Pg 238]les dieux souterrains qui entourent Kronos s'appellent
-Titans[8].
-
-Le Tartare est le séjour de Iapétos dans la mythologie de l'_Iliade_,
-qui remonte probablement au huitième siècle avant J.-C. Mais une
-doctrine postérieure donne pour domaine à Kronos et à ses compagnons,
-par conséquent à Iapétos, les îles ou l'île des Bienheureux, situées à
-l'extrême ouest, au delà de l'Océan. C'est la croyance admise dans les
-_Travaux et les Jours_ d'Hésiode[9]. Au cinquième siècle avant notre
-ère, elle est chantée par Pindare[10]. Cette île est la nouvelle patrie
-où vivent les héros défunts, et par conséquent Iapétos, le primitif
-ancêtre de la race grecque. Cette île est identique au pays des morts,
-d'où les fils de Milé sont venus conquérir l'Irlande.
-
-Ce n'est pas ici que s'arrête la ressemblance entre la fable grecque
-et la fable celtique. Dans la mythologie grecque, le Titan Iapétos a
-un fils qui s'appelle Promêtheus. Promêtheus est l'adversaire de Zeus;
-Zeus est en lutte avec ce fils d'un Titan comme il l'a été avec les
-Titans à une date antérieure. La seconde lutte est une continuation
-de la première. De même en Irlande, quand les Tûatha Dê Danann ont la
-guerre à soutenir contre les fils de Milé, cette guerre est en quelque
-sorte une suite
-[Pg 239]de celle qu'ils ont précédemment soutenue contre les Fomôré;
-car c'est Bilé, personnification de la mort, en d'autres termes, c'est
-un des Fomôré qui est l'ancêtre des fils de Milé.
-
-Quelques détails de la légende de Promêtheus présentent avec celle
-d'Ith une ressemblance singulière. Celui-ci est surtout frappant:
-Promêtheus est d'abord l'ami de Zeus[11]. La rupture entre eux est
-causée par l'intervention de Promêtheus dans un partage[12]. De même
-Ith, d'abord bien accueilli par les Tûatha Dê Danann, leur devient
-suspect par suite d'un partage dont il est chargé. Dans la légende
-grecque comme dans la légende irlandaise, c'est un partage qui change
-l'amitié en haine, et de cette haine la victime tragique est le juge
-qui a réglé le partage.
-
-Promêtheus mit le comble à la colère de Zeus en prêtant aux hommes
-une aide inattendue. Zeus les privait de feu; Promêtheus ravit à Zeus
-et donna aux hommes «le feu indomptable dont la splendeur brille au
-loin[13];» les hommes lui doivent donc la lumière et le jour; ils lui
-doivent la science et les arts[14]. C'est le regard merveilleux d'Ith,
-qui, du haut de la tour de Brégon, a découvert l'Irlande: de la race de
-Milé, il est le premier qui ait pénétré dans cette île; c'est lui qui a
-enseigné la route de
-[Pg 240]l'Irlande à la race de Milé aujourd'hui établie dans cette île;
-la population irlandaise lui doit presque autant que les Grecs devaient
-à Promêtheus.
-
-Malgré les inappréciables services qu'il avait rendus aux hommes,
-Promêtheus, frappé par l'iniquité de Zeus, subit un épouvantable
-supplice: enchaîné à l'une des colonnes qui, à l'extrême Occident,
-supportent la voûte du ciel, il a les entrailles déchirées par un aigle
-au sombre plumage qui lui ronge le foie sans cesse renaissant[15].
-Ainsi Ith innocent est massacré par les Tûatha Dê Danann.
-
-Le supplice de Promêtheus ne sera pas éternel: Héraclès, pénétrant
-dans l'Aïdès, ténébreux séjour de la mort et de la nuit, délivrera un
-jour ce bienfaiteur de l'humanité, frappé d'une peine imméritée par
-l'impitoyable colère de Zeus[16]. Ith sera vengé: sa mort a été un
-crime et rien ne la justifiait; les Tûatha Dê Danann qui en ont été
-coupables perdront la domination de l'Irlande: ce sont les fils de Milé
-qui la leur enlèveront.
-
-
-[Footnote 1: Un système grec différent sur l'origine de l'homme a été
-exposé plus haut, p, 26-27.]
-
-[Footnote 2: Hésiode, _Théogonie_, vers 126, 127, 134.]
-
-[Footnote 3: _Id., ibid._, vers 507-510, 528, 543, 565, 614. _Les
-Travaux et les Jours_, vers 50, 54. Apollodore, livre I, chap. 2,
-sections 2, 3; Didot-Müller, _Fragmenta historicorum græcorum_, I, p.
-105.]
-
-[Footnote 4: Hésiode, _Catalogues_, fragment XXI, édition Didot, p. 49.]
-
-[Footnote 5: Apollodore, livre I, chap. 7, sect. 2; Didot-Müller,
-_Fragmenta historicorum græcorum_, t. I, p. 110-111. Thucydide, livre
-I, chap. 3. Hérodote, livre I, chap 56, §4.]
-
-[Footnote 6: _Théogonie_, vers 207-210.]
-
-[Footnote 7: _Iliade_, livre VIII, vers 478-481.]
-
-[Footnote 8: _Iliade_, livre XIV, vers 273, 274, 278, 279.]
-
-[Footnote 9: Hésiode, _Les Travaux et les Jours_, vers 165 et suivants.]
-
-[Footnote 10: Pindare, _Olympiques_, II, vers 70 et suivants, édition
-Teubner Schneidewein, t. I, p. 17.]
-
-[Footnote 11: Eschyle, _Prométhée enchaîné_, vers 199 et suivants.]
-
-[Footnote 12: Hésiode, _Théogonie_, vers 535-560.]
-
-[Footnote 13: _Id., ibid._, vers 561-569. _Les Travaux et les Jours_,
-vers 47-58.]
-
-[Footnote 14: Eschyle, _Prométhée enchaîné_, vers 447 et suivants.]
-
-[Footnote 15: Hésiode, _Théogonie_, vers 520-525. _Prométhée enchaîné_,
-vers 1021-1025.]
-
-[Footnote 16: Eschyle, _Prométhée enchaîné_, vers 871-873, 1026-1029.
-Cf. _Iliade_, livre VIII, vers 360-369.]
-
-
-[Pg 241]CHAPITRE XI.
-
-CONQUÊTE DE L'IRLANDE PAR LES FILS DE MILÉ.
-
-§1. Arrivée des fils de Milé en Irlande.--§2. Premier poème d'Amairgen.
-Doctrine panthéiste qu'il exprime. Comparaison avec un poème gallois
-attribué à Taliésin et avec le système philosophique de Jean Scot dit
-Eringène.--§3. Les deux autres poèmes d'Amairgen. Doctrine naturaliste
-qu'ils expriment.--§4. Première invasion des fils de Milé en
-Irlande.--§5. Jugement d'Amairgen.--§6. Retraite des fils de Milé.--§7.
-Seconde invasion des fils de Milé en Irlande. Ils font la conquête de
-cette île.--§8. Comparaison entre les traditions irlandaises et les
-traditions gauloises.--§9. Les Fir-Domnann, les Bretons et les Pictes
-en Irlande.
-
-
-§1.
-
-_Arrivée des fils de Milé en Irlande._
-
-Les compagnons d'Ith rapportèrent dans le pays des morts, ou, comme dit
-la rédaction chrétienne, en Espagne, le cadavre de leur chef. La race
-de Milé considéra le meurtre d'Ith comme une déclaration de guerre.
-Pour venger cet attentat, elle résolut
-[Pg 242]d'émigrer en Irlande et de faire la conquête de cette île sur
-les assassins. Trente-six chefs, dont on donne les noms, commandaient
-la race de Milé.
-
-Chacun d'eux eut son navire, où sa famille et ses hommes montèrent
-avec lui; mais tous les passagers n'arrivèrent pas au but. L'un des
-fils de Milé étant monté sur le haut d'un mât pour voir l'Irlande, se
-laissa tomber dans la mer et y périt. L'homme de lettres, le savant,
-le _file_ de la flotte était Amairgen, surnommé _Glûngel_, «au genou
-blanc,» fils de Milé; sa femme mourut en route. La flotte atteignit la
-côte d'Irlande dans l'endroit où déjà Ith avait débarqué, à la pointe
-sud-ouest. On donna au lieu du débarquement le nom _Inber Scêné_[1];
-Scêné était le nom de la femme d'Amairgen, qui fut enterrée dans cet
-endroit.
-
-Le jour où arrivèrent les fils de Milé fut le 1er mai, un jeudi,
-dix-septième jour de la lune[2]. Partholon avait aussi débarqué en
-Irlande le 1er mai, bien qu'à un jour différent de la semaine et de la
-lune, c'est-à-dire le mardi, quatorzième jour de la lune; c'était aussi
-un premier jour de mai qu'avait
-[Pg 243]commencé l'épidémie qui, en une semaine, avait détruit sa race.
-Le 1er mai était consacré à Belténé[3], un des noms du dieu de la mort,
-du dieu qui a donné aux hommes et qui leur reprend la vie. Ainsi, une
-fête de ce dieu est le jour où commença la conquête de l'Irlande par la
-race de Milé.
-
-
-[Footnote 1: Ce serait le nom autrefois porté par la rivière de Kenmare
-dans le comté de Kerry. Hennessy, _Chronicum Scotorum_, p. 389. C'est
-déjà là qu'on avait fait débarquer Nemed.]
-
-[Footnote 2: _Flathiusa hErend_, dans le Livre de Leinster, p. 14, col.
-2, lignes 50-51. _Chronicum Scotorum_, édition Hennessy, p. 14. D'après
-le document intitulé _Flathiusa hErend_, les fils de Milé seraient
-arrivés en Irlande au temps du roi David, c'est-à-dire au onzième
-siècle avant notre ère. Les Quatre Maîtres placent le même événement
-1700 ans avant J.-C.]
-
-[Footnote 3: _Beltene_ ou _Beltine_ est dérivé de l'infinitif *_beltu_,
-génitif *_belten_, datif *_beltin_, conservé en vieil irlandais dans
-le composé _epeltu_, «mort» = *_ate-belatu. Grammatica celtica_, 2e
-édition, p. 264.]
-
-
-§2.
-
-_Premier poème d'Amairgen. Doctrine panthéiste qu'il exprime;
-comparaison avec un poème gallois attribué à Taliésin et avec le
-système philosophique de Jean Scot dit Eringène._
-
-En mettant le pied droit sur la terre d'Irlande, le _file_ Amairgen,
-fils de Milé, chanta un poème panthéiste en l'honneur de la science
-qui lui donnait une puissance supérieure à celle des dieux, dont elle
-tirait cependant son origine; il chanta la louange de cette science
-merveilleuse qui allait assurer aux fils de Milé la victoire sur les
-Tûatha Dê Danann. En effet, cette science divine pénétrant les secrets
-de la nature, en saisissant les lois, en connaissant les forces, était,
-suivant la prétention de la philosophie celtique, un être identique à
-ces forces elles-mêmes, au monde matériel et visible; et posséder cette
-science, c'était posséder la nature entière.
-
-[Pg 244]«Je suis,» dit Amairgen, «le vent qui souffle sur la mer;
-
-Je suis la vague de l'océan;
-
-Je suis le murmure des flots;
-
-Je suis le bœuf aux sept combats;
-
-Je suis le vautour sur le rocher;
-
-Je suis une larme du soleil;
-
-Je suis la plus belle des plantes;
-
-Je suis sanglier par la bravoure;
-
-Je suis saumon dans l'eau;
-
-Je suis lac dans la plaine.
-
- * * * * *
-
-Je suis parole de science;
-
-Je suis la pointe de lance qui livre les batailles;
-
-Je suis le dieu qui crée ou forme dans la tête [de l'homme] le feu [de
-la pensée];
-
-Qui est-ce qui jette la clarté dans l'assemblée sur la montagne? (Et
-ici une glose ajoute: Qui éclaira chaque question, sinon moi?)
-
-Qui annonce les âges de la lune? (Et une glose ajoute: Qui vous raconte
-les âges de la lune, sinon moi?)
-
-Qui enseigne l'endroit où se couche le soleil? (sinon le file, ajoute
-une glose)[1]»...
-
-[Pg 245]
-
- * * * * *
-
-L'ordre manque dans ce morceau; les idées fondamentales et les idées
-secondaires s'enchevêtrent sans méthode; mais le sens ne fait pas
-de doute: le file est parole de science, il est le dieu qui donne à
-l'homme le feu de la pensée; et comme la science n'est pas distincte de
-son objet, comme Dieu ne fait qu'un avec la nature, l'être du _file_ se
-confond avec le vent, avec les flots, avec les animaux sauvages, avec
-les armes du guerrier.
-
-Un manuscrit gallois du quatorzième siècle nous a conservé une
-composition analogue. Elle est attribuée au barde Taliésin. Amairgen,
-le _file_ irlandais, a dit: «Je suis une larme du soleil.» La pièce
-galloise met dans la bouche de Taliésin une assertion semblable: «J'ai
-été une larme dans l'air[2].» Voici d'autres formules parallèles:
-
-Amairgen: «Je suis le vautour sur le rocher.»--Taliésin: «J'ai été un
-aigle[3].»
-
-Amairgen: «Je suis la plus belle des plantes.»--Taliésin: «J'ai été
-arbre dans le bocage[4].»
-
-Amairgen: «Je suis la pointe de la lance qui livre les
-batailles.»--Taliésin: «J'ai été une épée dans
-[Pg 246]la main; j'ai été un bouclier dans le combat[5].»
-
-Amairgen: «Je suis parole de science.»--Taliésin: «J'ai été parole en
-lettre[6].»
-
-Le poème gallois altère le sens primitif de la formule, en mettant
-au passé le verbe qui est au présent dans le vieux texte irlandais.
-Il substitue la notion de métamorphoses successives à la puissante
-doctrine panthéiste qui est la gloire comme l'erreur de la philosophie
-irlandaise et probablement de la philosophie celtique. Le _file_ est
-la personnification de la science, et la science est identique à son
-objet. La science est l'Etre même dont les forces de la nature et tous
-les êtres sensibles ne sont que les manifestations. C'est ainsi que
-le _file_ chez qui la science se revêt d'une forme humaine n'est pas
-seulement homme, mais est aigle ou vautour, arbre ou plante, parole,
-épée ou javelot; voilà comment il est le vent de la mer, la vague de
-l'océan, le murmure des flots, le lac dans la plaine. Il est tout cela
-parce qu'il est l'être universel, ou, comme dit Amairgen, «le dieu qui
-crée dans la tête» de l'homme «le feu» de la pensée. Il est tout cela,
-parce que c'est lui qui détient le trésor de la science. «Je suis,»
-dit-il, «parole de science,» et plusieurs preuves attestent qu'il
-possède ce trésor: Amairgen a soin de le rappeler. Ainsi, lorsque les
-concitoyens du _file_, assemblés sur la montagne, sont embarrassés par
-[Pg 247]une question difficile, le _file_ leur en donne la solution.
-Ce n'est pas tout: il sait faire le calcul des lunaisons, qui est la
-base du calendrier; et, par conséquent, il détermine les dates où
-se tiennent les grandes assemblées populaires, fondement de la vie
-politique, commerciale et religieuse. L'astronomie n'a pas pour lui de
-secrets; il sait même quel est le lieu inconnu du reste des hommes où,
-chaque soir, le soleil, fatigué de sa course diurne, va prendre son
-repos jusqu'au lendemain; la science donc lui appartient; la science,
-c'est lui; or la science, c'est l'être unique dont le monde entier,
-avec tous les êtres secondaires qui le remplissent, n'est que la
-variable et multiple expression.
-
-Cette doctrine est celle qu'au neuvième siècle l'irlandais Jean Scot
-a enseignée en France à la cour de Charles le Chauve en l'enveloppant
-des formes de la philosophie grecque. M. Hauréau résume la doctrine
-fondamentale du philosophe irlandais: en donnant de son grand ouvrage
-_De la division de la nature_ les extraits suivants: «On est informé
-par tous les moyens de connaître que, sous l'apparente diversité des
-êtres, subsiste l'être unique qui est leur commun fondement[7].»
-
-«Quand on nous dit que Dieu fait tout,» a écrit Jean Scot, «nous devons
-comprendre que Dieu est dans tout, qu'il est l'essence substantielle de
-toutes les choses. Seul, en effet, il possède en lui-même
-[Pg 248]les conditions véritables de l'être; et seul il est en lui-même
-tout ce qui est au sein des choses auxquelles à bon droit on attribue
-l'existence. Rien de ce qui est n'est véritablement par soi-même; mais
-Dieu seul, qui seul est véritablement par lui-même, se partageant entre
-toutes les choses, leur communique ainsi tout ce qui répond en elles à
-la vraie notion de l'être[8].»
-
-Et encore: «Ne vois-tu pas pourquoi le créateur de l'universalité
-des choses obtient le premier rang dans les catégories de la nature?
-Ce n'est pas sans raison, puisqu'il est le principe de toute chose;
-puisqu'il est inséparable de toute la diversité qu'il a créée;
-puisqu'il ne peut autrement subsister au titre de créateur. En lui sont
-en effet, toutes les choses invariablement et essentiellement; il est
-lui-même la division et la collection, et le genre et l'espèce, et le
-tout et la partie de l'universalité créée[9].»
-
-Enfin, «qu'est-ce qu'une idée pure?» selon Jean Scot. «C'est, en
-propres termes, une théophanie, c'est-à-dire une manifestation de
-Dieu dans l'âme humaine.» Telle est, au neuvième siècle, la doctrine
-enseignée en France par l'irlandais Jean Scot[10]. C'est la doctrine
-que l'épopée mythologique
-[Pg 249]irlandaise met dans la bouche d'Amairgen, quand elle lui fait
-dire: «Je suis le dieu qui met dans la tête [de l'homme] le feu [de la
-pensée], je suis la vague de l'Océan, je suis le murmure des flots,
-etc.» La _file_, le savant chez lequel la science, c'est-à-dire l'idée
-divine, s'est manifestée, et qui devient ainsi la personnification de
-cette idée, peut, sans orgueil, se proclamer identique à l'être unique
-et universel dont tous les êtres secondaires ne sont que les apparences
-ou les manifestations. Sa propre existence se confond avec celle de ces
-êtres secondaires.
-
-Tel est le sens du vieux poème que la légende irlandaise met dans la
-bouche du _file_ Amairgen au moment où ce représentant primitif de la
-science celtique, arrivant des régions mystérieuses de la mort, posa
-pour la première fois son pied droit sur le sol de l'Irlande.
-
-
-[Footnote 1: Livre de Leinster, p. 12, col. 2, lignes 39 et suivantes.
-Livre de Ballymote, f° 21, recto, col. 2, lignes 21 et suivantes. Livre
-de Lecan, f° 284, recto, col. 2. Voir aussi dans la Bibliothèque de
-l'Académie royale d'Irlande les manuscrits 23. K. 32, p. 75 et 23. K.
-45, p. 188; enfin, _Transactions of the Ossianic Society for the year_
-1857, vol. V, 1860, p. 234-236. Pour donner une édition de ce texte, on
-ne pourrait se contenter de la leçon fournie par le Livre de Leinster.
-Ainsi les mots _ar-domni_, qui ont pénétré dans le texte du Livre de
-Leinster, ligne 39, sont une glose, comme rétablit la comparaison avec
-les livres de Ballymote et de Lecan.]
-
-[Footnote 2: _Kat Godeu_, vers 5, chez William F. Skene, _The four
-ancient books of Wales_, t. II, p. 137 et suivantes. Cf. t. I, p. 276
-et suiv.]
-
-[Footnote 3: _Kat Godeu_, vers 13.]
-
-[Footnote 4: _Ibid._, vers 23.]
-
-[Footnote 5: _Kat Godeu_, vers 17, 18.]
-
-[Footnote 6: _Ibid._, vers 7.]
-
-[Footnote 7: _Histoire de la philosophie scolastique_, première partie,
-p. 171.]
-
-[Footnote 8: Hauréau, _ibid._, p. 159. Cf. Jean Scot, _De divisione
-naturæ_, livre I, chap. 72; Migne, _Patrologia latina_, t. 122, col.
-518 A.]
-
-[Footnote 9: _De divisione naturæ_, l. III, c. 1; Hauréau, _ibid._, p.
-160; Migne, _Patrologia latina_, t. 122, col. 621 B C.]
-
-[Footnote 10: Hauréau, _Histoire de la philosophie scolastique_,
-première partie, p. 156-157. Cf. Jean Scot, _De divisione naturæ_,
-livre I, chap. 7; Migne, _Patrologia latina_, t. 122, col. 446 D.]
-
-
-§3.
-
-_Les deux autres poèmes d'Amairgen. Doctrine naturaliste qu'ils
-expriment._
-
-Après ce document philosophique, le _Livre des conquêtes_ fait débiter
-par Amairgen deux autres morceaux inspirés par une doctrine beaucoup
-moins élevée. La croyance qui les inspire est à peu près
-[Pg 250]celle qui, dans la _Théogonie_ hésiodique, explique l'origine
-du monde. La matière a précédé les dieux. Ce qui a d'abord existé,
-c'est le Chaos, père des ténèbres et de la Nuit; ensuite a paru
-la Terre, qui a produit les montagnes, le ciel et la mer, et qui,
-s'unissant au Ciel, a donné naissance à l'Océan d'abord, ensuite aux
-Titans, pères des dieux et des hommes. La matière a donc existé à
-l'origine des choses; elle a sur les dieux la supériorité du père sur
-son fils. La nature matérielle est au-dessus des dieux. Aussi Amairgen,
-en guerre avec les dieux, s'adresse-t-il aux forces de la nature. C'est
-avec leur aide qu'il espère vaincre les dieux. Voilà pourquoi les deux
-derniers poèmes d'Amairgen sont chacun une invocation aux forces de la
-nature. Voici la seconde de ces deux pièces: comme dans la _Théogonie_,
-la Terre y tient la première place:
-
- «J'invoque terre d'Irlande!
- Mer brillante, brillante(?)!
- Montagne fertile, fertile!
- Bois vallonné!
- Rivière abondante, abondante en eau!
- Lac poissonneux, poissonneux!
- . . . . . . . . . . . . . . . . . . .[1].»
-
-[Pg 251]Ainsi c'est la terre d'Irlande, c'est la mer qui l'entoure,
-ce sont ses montagnes, ses rivières, ses lacs qu'Amairgen appelle à
-son aide contre la race divine qui la domine, contre les dieux qui
-l'habitent. Nous avons ici une formule de prière empruntée au rituel
-celtique. Elle a dû être jadis consacrée par l'usage et elle n'a pas
-été composée pour le morceau littéraire dans lequel elle a été insérée.
-C'est une invocation païenne adressée à l'Irlande divinisée, et cette
-invocation pouvait être employée en toute circonstance où l'on croyait
-avoir besoin du secours de cette divinité tutélaire.
-
-Ce texte en rappelle d'autres où, en Irlande, on voit également la
-nature matérielle considérée comme le plus grand des dieux. Ainsi nous
-avons déjà parlé du serment que Loégairé, roi suprême d'Irlande, vaincu
-et fait prisonnier par les habitants de Leinster, fut contraint de leur
-prêter pour obtenir sa liberté. Il prit à témoin le soleil et la lune,
-l'eau et l'air, le jour et la nuit, la mer et la terre; il ne parla
-pas d'autres dieux que ceux-là, et quand il eut violé son serment, ces
-puissances de la nature, qui étaient caution de son engagement, le
-punirent de sa mauvaise foi en lui ôtant la vie[2].
-
-Le _Livre des conquêtes_ met dans la bouche d'Amairgen
-[Pg 252]un autre poème qu'il place le second et dont le sens est clair
-quand on le met à la suite du troisième. C'est une invocation à la mer;
-la terre y est nommée, mais au second rang, tandis que, dans la pièce
-qui précède, elle tient le premier rang.
-
- «Mer poissonneuse!
- Terre fertile!
- Irruption de poisson!
- Pêche là!
- Sous vague, oiseau!
- Grand poisson!
- Trou à crabe!
- Irruption de poisson!
- Mer poissonneuse[3]!»
-
-Ainsi Amairgen, venant combattre les dieux, invoque contre eux l'appui
-de la matière et des forces naturelles, auxquelles il adresse deux
-prières; grâce à ces prières les dieux seront vaincus[4].
-
-
-[Footnote 1:
-
- Aliu iath n-hErend.
- Hermach [hermach] muir,
- Mothach mothach sliab,
- Srathach srathach caill,
- Cithach cithach aub,
- Essach essach loch.
-
-_Aliu_ est glosé par _alim_, et _aub_ par _aband_.
-
-Livre de Leinster, p. 13, col. 2, lignes 6 et suivantes; comparez Livre
-de Ballymote, f° 21 verso, col. 2, lignes 20 et suiv. Livre de Lecan,
-f° 285 recto, col. 1; _Transactions of the Ossianic Society_, t. V, p.
-232.]
-
-[Footnote 2: Voir tome I, p. 181, 182.]
-
-[Footnote 3:
-
- Iascach muir.
- Mothach tîr.
- Tomaidm n-eisc.
- Iasca and.
- Fo thuind ên.
- Lethach mîl.
- Partach lâg.
- Tomaidm n-eisc.
- Iascach muir.
-
-Livre de Leinster, p. 12, col. 2, lignes 49 et suiv.; cf. Livre de
-Ballymote, f° 21, recto, col. 3, ligne 21; Livre de Lecan, f° 284
-verso, col. 1; _Transactions of the Ossianic Society_, t. V, p. 237.]
-
-[Footnote 4: Sur le naturalisme celtique, tant en Gaule qu'en Irlande,
-voir plus bas, chap. XVI, § 8.]
-
-
-[Pg 253]§4.
-
-_Première invasion des fils de Milé en Irlande._
-
-Mais reprenons le récit de la conquête de l'Irlande par les fils
-de Milé. Le _file_ Amairgen, débarquant avec ses frères et leurs
-compagnons, débita, dit le vieux texte, les deux invocations qui, dans
-l'exposé précédent, sont placées la première et la troisième. Nous
-retrouverons la seconde plus tard. Puis trois jours et trois nuits
-s'écoulèrent, et les fils de Milé livrèrent leur première bataille.
-Ils y eurent pour adversaires, suivant le _Livre des conquêtes_, «les
-démons, c'est-à-dire les Tûatha Dê Danann.» C'était à peu de distance
-de la plage sur laquelle ils avaient débarqué, dans le lieu appelé
-Slîab Mis, qu'on écrit aujourd'hui Slieve Mish, dans le comté de Cork,
-qui est une des subdivisions du Munster, c'est-à-dire de la province du
-Sud-Ouest.
-
-Ici le _Livre des conquêtes_ place une de ces légendes bizarres dont
-la manie de l'étymologie a semé plusieurs documents irlandais. Près de
-Slieve Mish se trouvait un lac. Lugaid, fils d'Ith, s'y baigna, et de
-là ce lac prit le nom de «lac de Lugaid.» De ce lac coule une rivière,
-et la femme de Lugaid, qui s'appelait Fîal, c'est-à-dire «pudique,» se
-baigna dans cette rivière. Lugaid, suivant le courant, sortit du lac,
-pénétra dans la rivière et s'approcha de l'endroit où se trouvait sa
-femme; en apercevant dans l'eau, où
-[Pg 254]elle se trouvait elle-même, son mari, qu'elle n'attendait pas,
-Fîal la pudique éprouva un tel saisissement qu'à l'instant elle expira,
-et son nom fut donné à la rivière où arriva ce tragique événement.
-
-Les fils de Milé se mirent en marche vers le Nord-Est. Ils étaient
-encore près de Slieve Mish quand ils rencontrèrent la reine Banba. Elle
-leur dit:--.«Si c'est pour faire la conquête de l'Irlande que vous
-y êtes venus, le but de votre expédition n'est pas juste.»--«C'est
-pour en faire la conquête, bien certainement,» répondit Amairgen le
-_file_.--«Accordez-moi, du moins, une chose,» répliqua Banba: «que
-cette île porte mon nom.»--«On donnera votre nom à cette île,» répondit
-Amairgen.
-
-Un peu plus loin, les fils de Milé rencontrèrent la seconde reine, qui
-s'appelait Fotla. Elle demanda aussi que l'île reçût son nom.--«Soit,»
-dit Amairgen; «l'île s'appellera Fotla.»
-
-A Uisnech, point central de l'Irlande, les fils de Milé rencontrèrent
-Eriu, la troisième reine.--«Guerriers,» leur dit-elle, «soyez les
-bienvenus. C'est de loin que vous arrivez; cette île vous appartiendra
-toujours, et d'ici à l'extrême levant il n'y aura pas d'île meilleure.
-Aucune race ne sera plus parfaite que la vôtre.»--«Voilà de bonnes
-paroles,» dit Amairgen, «et une bonne prophétie.»--«Ce n'est pas à vous
-que nous devons des remerciements,» s'écria Eber Dond, l'aîné des fils
-de Milé; «nous devrons nos succès à nos
-[Pg 255]dieux et à notre propre puissance.»--«Ce que j'annonce est pour
-toi sans intérêt,» répondit Eriu; «tu ne jouiras pas de cet île; elle
-n'appartiendra pas à tes descendants.» Et en effet, Eber Dond devait
-périr avant la conquête de l'Irlande par la race de Milé. La reine Eriu
-termina en demandant, comme les deux premières reines, que son nom fût
-donné à l'île.--«Ce sera son nom principal,» dit Amairgen.
-
-
-§5.
-
-_Jugement d'Amairgen._
-
-Les fils de Milé arrivèrent à la capitale de l'Irlande, c'est-à-dire
-à Tara, qu'on appelait alors «la Belle Colline,» _Druim Cain_. Ils y
-trouvèrent les trois rois Mac Cuill, Mac Cecht et Mac Grêné, qui alors
-régnaient sur les Tûatha Dê Danann et sur l'Irlande et auxquels ils
-venaient faire la guerre. Ils commencèrent par entrer en pourparlers
-avec eux.
-
-Les trois rois dirent qu'ils voulaient un armistice pour délibérer sur
-la question de savoir s'ils livreraient bataille ou s'ils donneraient
-des otages et traiteraient. Ils comptaient profiter de ce délai pour se
-rendre invincibles, car au même moment leurs druides préparaient des
-incantations qu'ils n'avaient pu faire jusque-là, n'ayant pas prévu
-cette invasion.--«Nous acceptons d'avance,» dit aux fils de Milé Mac
-Cuill, premier roi des Tûatha Dê Danann, «la
-[Pg 256]sentence que portera comme arbitre Amairgen votre juge;
-mais nous le prévenons que s'il rend un faux jugement nous le
-tuerons.»--«Prononce ta sentence, ô Amairgen,» s'écria Eber Dond,
-l'aîné des fils de Milé.--«La voici,» répondit Amairgen. «Vous
-abandonnerez provisoirement cette île aux Tûatha Dê Danann.»--«A quelle
-distance irons-nous?» demanda Eber.--«Vous laisserez entre elle et vous
-un intervalle de neuf vagues,» répondit Amairgen. Ce fut le premier
-jugement rendu en Irlande.
-
-Tel est le récit du _Livre des conquêtes_. Que signifie cette
-expression, «neuf vagues?» On se demandera de quelle distance il peut
-être question. C'est une difficulté que nous n'avons pas la prétention
-de résoudre. Ce que nous savons, c'est qu'il y a là une formule magique
-à laquelle, en Irlande, on attribuait encore une valeur superstitieuse
-aux premiers temps du christianisme. Au septième siècle, il y avait
-à Cork une école ecclésiastique qui fut un certain temps dirigée par
-le _fer leigind_, ou professeur de littérature écrite, c'est-à-dire
-de latin et de théologie, Colmân, fils de Hûa Clûasaig. A l'époque où
-Colmân enseignait dans cette école, il y eut en Irlande une famine
-suivie d'une épouvantable mortalité. Les deux tiers des Irlandais
-périrent, et parmi eux les deux rois d'Irlande, Diarmait et Blathmac,
-tous deux fils d'Aed Slane. C'était en 665[1]. Pour échapper à ce
-[Pg 257]fléau, lui-même, et pour éviter que ses élèves en fussent
-atteints, Colmân recourut à deux moyens: il composa un hymne en vers
-irlandais, que nous ont conservé deux manuscrits de la fin du onzième
-siècle[2]; il se retira avec ses élèves dans une île située près de
-la côte d'Irlande, mais à une distance de neuf vagues. «Car,» prétend
-le texte irlandais qui nous a gardé le souvenir de cet événement,
-«c'est, au dire des savants, un intervalle que les maladies épidémiques
-ne peuvent franchir[3].» Ainsi, au septième siècle de notre ère, les
-Irlandais chrétiens attribuaient à la distance de neuf vagues une
-puissance magique à la protection de laquelle ils n'avaient pas cessé
-de croire, et nous retrouvons cette doctrine païenne dans l'histoire
-légendaire de la conquête de l'Irlande par les fils de Milé sur les
-Tûatha Dê Danann.
-
-
-[Footnote 1: Annales de Tigernach, chez O'Conor, _Rerum hibernicarum
-scriptores_, t. II, p. 205. Cette épidémie aurait eu lieu en 661
-suivant le _Chronicum Scotorum_, édition Hennessy, p. 98-99; en 664,
-suivant les _Annales des Quatre Maîtres_, édition d'O'Donovan, 1851,
-t. I, p. 274-276. La même date de 664 est donnée par Bède, _Historia
-ecclesiastica_, livre III, chap. 27; chez Migne, _Patrologia latina_,
-t. 95, col. 165.]
-
-[Footnote 2: Collège de la Trinité de Dublin, manuscrit coté E. 4,
-2, f° 5; Franciscains de Dublin, manuscrit coté I par Gilbert, p.
-28; Whitley Stokes, _Goidelica_, 1re édit., p. 78; 2e édit., p. 121;
-Windisch, _Irische Texte_, p. 6.]
-
-[Footnote 3: _Goidelica_, 2e édit., p. 121, ligne 34.]
-
-
-[Pg 258]§6.
-
-_Retraite des fils de Milé._
-
-Les fils de Milé se soumirent à la sentence d'Amairgen; ils reprirent
-le chemin par lequel ils étaient venus, regagnèrent la pointe
-sud-ouest de l'Irlande, où leurs vaisseaux étaient restés à l'ancre,
-se rembarquèrent, et s'éloignèrent jusqu'à cette distance mystérieuse
-de neuf vagues, que le jugement d'Amairgen avait fixée. Aussitôt les
-druides et les _file_ des Tûatha Dê Danann chantèrent des poèmes
-magiques qui firent lever un vent terrible, et la flotte des fils de
-Milé fut rejetée au loin dans la haute mer. Alors les fils de Milé
-éprouvèrent une profonde tristesse.--«Ce doit être un vent druidique,»
-dit Eber Dond, qui, en qualité d'aîné, paraît avoir été le chef
-principal de l'expédition. «Voyez si ce vent souffle au-dessus du
-mât.» On monta en haut du mât, et il fut constaté qu'au-dessus du mât
-on ne sentait aucun vent.--«Attendons qu'Amairgen nous rejoigne,»
-s'écria le pilote d'Eber Dond, qui était un élève du célèbre _file_. On
-attendit en effet que tous les vaisseaux fussent réunis, et Eber Dond,
-s'adressant à Amairgen, prétendit que cette tempête était une honte
-pour les savants de la flotte.--«Ce n'est pas vrai,» répondit Amairgen.
-Ce fut alors qu'il chanta sa prière à la terre d'Irlande, faisant appel
-[Pg 259]la bienveillance de cette puissance naturelle contre l'inimitié
-des dieux.
-
- «J'invoque terre d'Irlande!
- Mer brillante, brillante!
- Montagne fertile, fertile!» Etc[1].
-
-Dès qu'il eut fini, le vent changea et devint favorable. Eber Dond crut
-qu'un succès immédiat était assuré. «Je vais,» dit-il, «frapper de la
-lance et du glaive tous les habitants de l'Irlande.» Mais il n'eut pas
-plus tôt prononcé ces mots que le vent redevint contraire. Une tempête
-s'éleva, les navires furent dispersés; plusieurs firent naufrage et
-périrent avec tous ceux qui les montaient; Eber Dond fut une des
-victimes. Ceux qui échappèrent à la tempête débarquèrent en Irlande à
-une grande distance du point d'où ils étaient partis quand ils avaient
-repris la mer à la suite du jugement d'Amairgen.
-
-
-[Footnote 1: Voyez plus haut; p. 250.]
-
-
-§7.
-
-_Seconde invasion des fils de Milé en Irlande: ils font la conquête de
-cette île._
-
-L'embouchure de la Boyne, sur la côte orientale de l'Irlande, en face
-de la Grande-Bretagne, est l'endroit où les fils de Milé mirent pour
-la seconde fois le pied sur le sol irlandais; et conformément à la
-prophétie d'Eriu, Eber Dond, l'aîné, ne se trouvait plus parmi eux. Il
-était mort; ce furent ses
-[Pg 260]frères et non lui qui, comme la déesse Eriu l'avait annoncé,
-firent la conquête de l'Irlande[1].
-
-Le sort de l'île fut décidé par une bataille qui se livra à Tailtiu,
-lieu célèbre par une assemblée périodique dont on attribue la fondation
-au dieu Lug. Les trois rois et les trois reines des Tûatha Dê Danann y
-perdirent la vie[2]. A partir de cet événement, les Tûatha Dê Danann
-se réfugièrent au fond des cavernes, où ils habitent des palais
-merveilleux. Invisibles, ils parcourent l'Irlande, rendant aux hommes,
-suivant les circonstances, de bons ou de mauvais services dont on ne
-peut que difficilement deviner l'auteur. Quelquefois ils prennent des
-formes visibles, et aucun mystère n'enveloppe les opérations de leur
-puissance divine. La suite de leur histoire appartient à l'épopée
-héroïque de l'Irlande. Leur vie se mêle à la vie des héros, comme celle
-des dieux grecs dans l'_Iliade_ et l'_Odyssée_[3]. Nous en donnerons un
-aperçu dans les chapitres suivants.
-
-Les fils de Milé prirent possession de l'Irlande. Le plus âgé, Eber
-Dond, faisant défaut, deux de ses frères se disputèrent la royauté.
-Erémon, le second des fils de Milé, était devenu l'aîné par la mort du
-premier;
-[Pg 261]mais le troisième, Eber Find, ne voulait pas reconnaître ce
-droit d'aînesse. Amairgen pris pour juge, décida qu'Erémon posséderait
-la royauté tant qu'il vivrait, et qu'une fois Erémon mort, la couronne
-passerait à Eber Find. Ce fut le second jugement d'Amairgen. Mais
-il reçut beaucoup moins bon accueil que le premier. A la parole
-d'Amairgen, les fils de Milé avaient consenti à battre en retraite et
-à momentanément abandonner l'Irlande à demi conquise déjà. Mais cette
-fois Eber Find refusa de se soumettre à la sentence d'Amairgen. Il
-exigea un partage immédiat de l'Irlande et l'obtint[4]. Cet arrangement
-ne fut pas durable: au bout d'un an, Erémon et Eber Find se livrèrent
-bataille. Eber Find périt dans le combat,; Erémon devint seul roi
-d'Irlande[5].
-
-
-[Footnote 1: _Lebar gabala_ ou Livre des conquêtes, dans le Livre de
-Leinster, p. 13, col. 4, lignes 34-40.]
-
-[Footnote 2: _Flathiusa Erend_, dans le Livre de Leinster, p. 14, col.
-2, ligne 51; p. 15, col. 1, lignes 1-4.]
-
-[Footnote 3: Voir, par exemple, _Odyssée_, livre XVII, vers 485-488.
-Les dieux, sous l'apparence d'étrangers, dit le poète, se présentent
-partout, parcourant les villes, observant les hommes et les mauvaises
-actions des hommes. Cf. plus haut, p. 186.]
-
-[Footnote 4: _Lebar gabala_ ou Livre des conquêtes, dans le Livre de
-Leinster, p. 14, col. 1, lignes 47-51.]
-
-[Footnote 5: _Flathiusa Erend_, dans le Livre de Leinster, p. 15, col.
-1, lignes 8-14.]
-
-
-§8.
-
-_Comparaison entre les traditions irlandaises et les traditions
-gauloises._
-
-Dans ce récit, les traits fondamentaux doivent provenir de traditions
-qui ne sont pas seulement irlandaises, mais qui ont appartenu en commun
-à la race celtique. Les Gaulois, comme les Irlandais,
-[Pg 262]croyaient descendre du dieu des morts; comme les Irlandais, ils
-pensaient que le domaine du dieu des morts appartenait à la géographie,
-que c'était une contrée réelle, située au delà de l'Océan. C'était la
-région mystérieuse où les marins gaulois des côtes de l'Océan, montés
-sur des navires d'origine inconnue, conduisaient la nuit, d'un coup de
-rame ou en l'espace d'une heure, des morts invisibles[1]. La population
-préceltique de la Gaule n'en venait point.
-
-Il y avait en Gaule, disaient les druides vers la fin du premier
-siècle avant notre ère, une population indigène: c'est la population
-antérieure à la conquête celtique; c'est celle qui est connue en
-Irlande sous le nom de Fir-Bolg, Fir-Domnann, Galiôin. Un second
-groupe, ajoutaient les druides, venait des îles les plus éloignées,
-c'est-à-dire du pays des morts, des îles des Bienheureux ou des
-tout-puissants de la mythologie grecque: c'était la population celtique
-qui la première, à une époque préhistorique, antérieurement à l'année
-500 ou environ avant J.-C., antérieurement à Hécatée de Milet[2], avait
-franchi le Rhin et s'était installée dans les régions situées à l'ouest
-de ce grand fleuve. A la date où Timagène recueillait cet enseignement
-des druides, c'est-à-dire vers la fin du siècle qui précède la
-naissance de J.-C., les Celtes de ce premier ban avaient perdu le
-souvenir
-[Pg 263]de leur établissement en Gaule, et, quant à leur origine,
-n'avaient plus d'autre croyance que la doctrine druidique sur l'origine
-mythique du Celte. Enfin, un troisième groupe avait été formé par les
-peuples celtiques du second ban, primitivement établis sur la rive
-droite du Rhin, et que, du troisième au premier siècle avant notre ère,
-la conquête germanique en avait expulsés en les forçant à chercher un
-refuge sur la rive gauche de ce fleuve, ou même plus à l'Ouest, dans
-diverses régions de la Gaule[3]. On avait conservé le souvenir de leur
-arrivée de ce côté-ci du Rhin.
-
-Des trois articles dont se composait l'enseignement des druides sur
-l'ethnographie gauloise, le second appartient à la mythologie: c'est
-celui qui fait sortir des îles les plus éloignées la population
-celtique la plus anciennement établie en Gaule. Le troisième article,
-qui donne une origine transrhénane à des Gaulois plus récemment arrivés
-sur notre sol, est du domaine de l'histoire. Quant au premier article,
-où les populations les plus anciennes de la Gaule, c'est-à-dire les
-populations préceltiques, sont présentées comme indigènes, il est
-conforme à la croyance généralement admise dans l'antiquité, où l'on
-considérait comme indigènes les peuples dont les migrations étaient
-oubliées; et il est d'expérience
-[Pg 264]que le souvenir des migrations un peu anciennes s'efface
-toujours de la mémoire des peuples qui n'ont pas d'annales écrites.
-
-
-[Footnote 1: Voir plus haut, p. 231-232.]
-
-[Footnote 2: «Μασσαλία, πόλις τῆς Λιγυστικῆς κατὰ τὴν Κελτικήν.»
-_Fragmenta historicorum græcorum_, t. I, p. 2.]
-
-[Footnote 3: Timagène cité par Ammien Marcellin, livre XV, chap. 9,
-chez Didot-Müller, _Fragmenta historicorum græcorum_, t. III, p. 323.
-Timagène écrivait du temps de l'empereur Auguste.]
-
-
-§9.
-
-_Les Fir-Domnann, les Bretons et les Pictes en Irlande._
-
-Mais revenons à l'Irlande et aux récits légendaires par lesquels s'y
-complète la doctrine traditionnelle des origines nationales. Erémon,
-devenu seul maître de l'Irlande, attribua aux conquérants le nord,
-l'ouest et le sud-ouest de l'île, c'est-à-dire qu'il partagea entre
-eux l'Ulster, le Connaught et le Munster. Il laissa le Leinster aux
-habitants primitifs de l'Irlande, et y donna la royauté à Crimthan
-Sciathbel, qui était un Fer-Domnann. Bientôt, Crimthan se trouva en
-guerre avec une tribu bretonne qu'on appelait «les hommes de Fidga,»
-_Fir-Fidga_ ou _Tûath-Fidga_. Ceux-ci avaient envahi la partie de
-l'Irlande où régnait Crimthan et ils étaient plus forts que ses
-soldats; leurs traits empoisonnés causaient des blessures mortelles.
-
-Ce fut en ce moment que les Pictes, en irlandais _Cruithnich_,
-arrivèrent en Irlande. Ils débarquèrent sur la côte méridionale du
-Leinster, à l'embouchure de la rivière de Slaney, qui se jette dans
-la mer près de Wexford. Crimthan fit alliance avec eux, et apprit
-d'un druide picte le moyen de guérir les blessures que ses soldats
-recevaient en combattant les Fir-Fidga. La recette était de prendre un
-bain près
-[Pg 265]du champ de bataille dans un trou rempli du lait de cent vingt
-vaches blanches sans cornes. Grâce à ce traitement, les soldats de
-Crimthan remportèrent la victoire d'Ard-Lemnacht. Les Pictes, auteurs
-de ce succès, exercèrent quelque temps une grande puissance en Irlande.
-Puis Erémon les en chassa, et les contraignit à aller s'établir en
-Grande-Bretagne.
-
-Mais il consentit à leur donner pour femmes les veuves des guerriers
-de la race de Milé qui avaient péri sur mer avant la conquête de
-l'Irlande. A ce don il mit une condition: c'est que chez les Pictes
-les héritages se transféreraient par les femmes et non par les hommes.
-Les chefs pictes consentirent à établir chez eux ce droit des femmes
-en matière de succession, et ils jurèrent par le soleil et la lune
-d'observer à jamais cette législation nouvelle[1]. Dès lors les Gôidels
-ou Scots, autrement dits fils de Milé, dominèrent seuls en Irlande. Il
-serait difficile de déterminer où, dans ce récit, s'arrête exactement
-la part de la fable et où commence l'histoire.
-
-
-[Footnote 1: _Flathiusa Erend_, dans le Livre de Leinster, p. 15, col.
-1, lignes 15 et suivantes; cf. Livre de Ballymote, f° 23 r°; et Livre
-de Lecan, f° 287 r°. Deux rédactions, l'une en prose, l'autre en vers,
-toutes deux un peu différentes de celle-là, se trouvent dans le Nennius
-irlandais, _The irish version of the Historia Britonum of Nennius_, p.
-122-127; 134-149. Voyez aussi l'article du _Dinn-senchus_, qui commence
-par les mots «Senchass Ardda-Lemnacht,» Livre de Leinster, p. 196, col.
-1, ligne 12. La guerre de Crimthan Sciathbel contre les Fir Fidga était
-le sujet de la pièce intitulée _Forbais Fer Fidga_. Cette pièce est
-comprise dans la liste la plus ancienne des morceaux qui composent la
-littérature épique d'Irlande.]
-
-
-[Pg 266]CHAPITRE XII.
-
-LES TÛATHA DE DANANN DEPUIS LA CONQUÊTE DE L'IRLANDE PAR LES FILS DE
-MILÉ.--PREMIÈRE PARTIE. LE DIEU SUPRÊME DAGDÉ.
-
-§1. Ce que devinrent les Tûatha Dê Danann après leur défaite par les
-fils de Milé. Le morceau intitulé _De la Conquête du Sid_.--§2. Le
-dieu Dagdé. Sa puissance après la conquête de l'Irlande par les fils
-de Milé.--§3. Le palais souterrain de Dagdé à Brug na Boinné, ou Sîd
-Maic ind Oc. Oengus, fils de Dagdé. Rédaction païenne de la légende
-qui concerne Oengus et ce palais.--§4. Rédaction chrétienne de cette
-légende.--§5. Les amours d'Oengus, fils de Dagdé.--§6. L'évhémérisme
-en Irlande et à Rome. Dagdé ou «bon dieu» en Irlande; _Bona dea_, «la
-bonne déesse,» compagne de Faunus à Rome.
-
-
-§1.
-
-_Ce que devinrent les Tûatha Dê Danann après leur défaite par les fils
-de Milé. Le morceau intitulé: «De la Conquête du Sîd.»_
-
-Les Tûatha Dê Danann vaincus, mais toujours dieux, immortels et
-puissants, se retirèrent dans des
-[Pg 267]palais souterrains. Suivant la croyance celtique, telle qu'elle
-résulte de la plus vieille littérature épique de l'Irlande, ils y
-habitent encore, mais ils en sortent de temps en temps pour visiter
-ce monde dont ils ont été autrefois seuls maîtres, et où ils exercent
-encore aujourd'hui une puissance tantôt favorable, tantôt nuisible
-aux hommes. Souvent, par un privilège qui est un des caractères de la
-divinité, ils sont invisibles, et l'homme qui obtient leur faveur ou
-qui est frappé par leur vengeance n'aperçoit que les résultats des
-actes de l'être surnaturel qui le comble de ses bienfaits, ou dont la
-haine le poursuit. Quelquefois ils se montrent aux regards humains sous
-forme d'hommes ou d'animaux, d'oiseaux principalement. Ils tiennent
-une place considérable dans les compositions épiques consacrées aux
-exploits des héros de la race de Milé.
-
-Un des morceaux qui servent d'introduction à la grande épopée connue
-sous le nom «d'Enlèvement du taureau de Cualngé,» _Tain bô Cuailnge_,
-racontait la plus ancienne histoire des Tûatha Dê Danann après la
-conquête des fils de Milé. Nous avons de ce récit deux rédactions.
-L'une intitulée: «Conquête du _Sid_,» c'est-à-dire «du palais enchanté
-des dieux,» est antérieure aux travaux par lesquels les savants
-irlandais du onzième siècle, notamment Flann Manistrech et Gilla
-Coemain, ont défiguré les anciennes traditions mythologiques en
-limitant la durée de la vie des principaux chefs des Tûatha Dê Danann
-et en fixant la date où seraient morts ces personnages
-[Pg 268]divins que l'imagination celtique avait créés et considérait
-comme immortels[1]. Il y a de la même pièce une autre rédaction qui est
-chrétienne. Les doctrines de Flann Manistrech et de Gilla Coemain sont
-acceptées par l'auteur. Les noms des chefs des Tûatha Dê Danann, dont
-le _Livre des conquêtes_ place la mort avant l'établissement des fils
-de Milé en Irlande, ne paraissent pas dans cette rédaction: ils sont
-remplacés par d'autres noms, et, grâce à des développements nouveaux,
-le second récit est rattaché aux légendes qui, en Irlande, ornent le
-berceau du christianisme naissant[2].
-
-Nous allons reproduire la première des deux rédactions, en l'abrégeant
-un peu et en intercalant dans la traduction du texte irlandais les
-explications qui seront nécessaires pour nous le rendre intelligible.
-
-
-[Footnote 1: Son titre est _De gabail int-shida_. Livre de Leinster, p.
-245, col. 2, lignes 41, 42.]
-
-[Footnote 2: Cette rédaction n'a pas de titre; elle se trouve aux fos
-111-116 du Livre de Fermoy, manuscrit appartenant à l'Académie royale
-d'Irlande. Elle a été, en partie, analysée par O'Curry, _Atlantis_,
-t. III (1862), p. 384-389. Une analyse plus complète en a été donnée
-par Todd, _Proceedings of the Royal Irish Academy, Irish manuscript
-series_, vol. I, part I, 1870, p. 45-49.]
-
-
-§2.
-
-_Le dieu Dagdé. Sa puissance après la conquête de l'Irlande par les
-fils de Milé._
-
-Les Tûatha Dê Danann avaient un roi célèbre qui
-[Pg 269]s'appelait Dagan. _Dagan_ est, dans deux passages de ce récit,
-une variante de _Dagdé_[1], en moyen irlandais _Dagda_, mot qui, dans
-cette légende, sert aussi à désigner le même dieu; nous avons vu plus
-haut ce personnage divin jouer un rôle important à la seconde bataille
-de Mag-Tured. Dagan ou Dagdé est le dieu suprême: son nom ordinaire,
-_Dagdé_, veut dire «bon dieu;» _Dagan_ signifie littéralement le «petit
-bon.»
-
-Nous avons cité au précédent volume un texte irlandais, conservé par
-un manuscrit du seizième siècle, où il est dit que Dagdé était un dieu
-principal, ou le dieu principal chez les païens[2]. Dans le document
-que nous étudions, et qui est conservé par un manuscrit du douzième
-siècle, on dit que la puissance de Dagdé ou Dagan fut grande, même sur
-les fils de Milé, après qu'ils eurent fait la conquête de l'Irlande.
-Car les Tûatha Dê Danann, ses sujets, détruisirent le blé et le lait
-des fils de Milé, en sorte que ces derniers furent contraints de faire
-un traité de paix avec Dagdé. Ce fut alors seulement que, grâce à
-l'amitié de Dagdé, les fils de Milé commencèrent à récolter du blé dans
-leurs champs et à boire le lait de leurs vaches.
-
-Comme roi des dieux, Dagdé jouissait d'une grande autorité: ainsi ce
-fut lui qui partagea entre les
-[Pg 270]Tûatha Dê Danann, c'est-à-dire entre les dieux que la race
-heureuse de Milé a vaincus, les _sîd_, merveilleux palais, qui,
-ordinairement inaccessibles aux hommes, étaient cachés dans les
-profondeurs de la terre, sous des collines ou sous des plis de terrain
-plus ou moins élevés. Dagdé donna, par exemple, un _sîd_ à Lug, fils
-d'Ethné, et en attribua un autre à Ogmé; il en prit deux pour lui-même.
-Le principal des deux était connu en irlandais sous deux noms: le
-premier nom est _Brug na Boinné_, ou «château de la Boyne,» parce qu'il
-était situé sur la rive gauche de cette rivière,--non loin de l'endroit
-où, en 1690, Jacques II, vaincu à la bataille dite de Drogheda, perdit
-définitivement la couronne.--Le second nom de ce palais mystérieux
-était _Sîd_ ou _Brug Maic ind Oc_, «palais enchanté» ou «château de Mac
-ind Oc» ou «du fils des jeunes.» Nous verrons plus loin quelle en fut
-la cause.
-
-
-[Footnote 1: _Dagan_ se trouve au Livre de Leinster, p. 245, col.
-2, lignes 42-43, et p. 246, col. 1, ligne 11. Le mot _Dagda_, moyen
-irlandais pour _Dagde_, se rencontre dans le même récit, au Livre de
-Leinster, p. 246, col, 1, lignes 2, 5.]
-
-[Footnote 2: Tome I, p. 282, note 2.]
-
-
-§3.
-
-_Le palais souterrain de Dagdé à Brug na Boinné ou Sîd Maic ind Oc.
-Oengus, fils de Dagdé. Rédaction païenne de la légende qui concerne
-Oengus et ce palais._
-
-L'endroit où la tradition irlandaise la plus ancienne place le palais
-souterrain de Dagdé est un de ceux qu'en Irlande les archéologues
-visitent avec le plus d'intérêt. On y admire trois hautes et larges
-tombelles
-[Pg 271]dont deux ont été ouvertes et offrent chacune à la curiosité
-des amateurs et aux recherches des érudits une vaste chambre funéraire,
-aujourd'hui vide. Il est souvent question, dans la littérature
-irlandaise, du palais souterrain que Dagdé aurait possédé là,
-c'est-à-dire à Brug na Boinné. Un poème attribué à Cinaed hûa Artacain,
-mort en 975, prétend que dès avant la bataille de Mag-Tured, deux époux
-y dormaient dans le même lit. Ces époux étaient Boann, ou la rivière de
-Boyne divinisée, femme de Dagdé, et le dieu Dagdé lui-même[1].
-
-Quand le moyen âge chrétien transforma les Tûatha Dê Danann en hommes
-mortels, on raconta que le lieu dit Brug na Boinné, où la tradition
-païenne mettait le palais souterrain de Dagdé, était le cimetière où
-cette race primitive enterrait ses chefs. L'«Histoire des cimetières,»
-_Senchas na relec_, écrite probablement vers la fin du onzième siècle,
-prétend que c'était là que Dagdé, Lug, Ogmé et d'autres personnages
-célèbres de la race des Tûatha Dê Danann avaient reçu la sépulture.
-Il paraît bien certain que cet endroit servit de cimetière royal à
-l'époque historique. La plupart des rois suprêmes d'Irlande y furent
-enterrés pendant les quatre premiers siècles de notre ère. Leurs
-prédécesseurs
-[Pg 272]avaient été inhumés à Crûachan en Connaught. Crimthann Nia
-Nair, qui régnait vers le commencement de notre ère, est le premier roi
-suprême d'Irlande de la race de Milé qui, dit-on, se soit fait enterrer
-à Brug na Boinné; et ce qui, raconte-t-on, le détermina à choisir ce
-lieu de sépulture est que sa femme était une fée, qu'elle appartenait à
-la race des Tûatha Dê Danann[2].
-
-Il serait intéressant de déterminer si les trois vastes tombelles des
-bords de la Boyne, celle de Knowth, celle de Newgrange et celle de
-Dowth, peuvent être attribuées aux rois d'Irlande des quatre premiers
-siècles de notre ère, ou s'il faut les faire remonter à des populations
-préhistoriques antérieures à la race celtique connue sous le nom de
-Gôidels et de Scots. La seconde hypothèse paraît la plus vraisemblable.
-Les Grecs ont attribué aux Cyclopes, qui sont originairement des êtres
-mythologiques, leurs monuments préhistoriques. De même les Irlandais
-païens auraient confondu leurs dieux imaginaires avec une race
-préceltique qui aurait véritablement existé et qui aurait enterré ses
-chefs dans les tombelles des rives de la Boyne, quand elle dominait
-dans l'île, avant l'arrivée des Gôidels ou Scots qui la réduisirent
-à l'état de population sujette ou servile. Ce qu'il y a de certain,
-c'est qu'il y a là des monuments funéraires qui remontent à une haute
-antiquité
-[Pg 273]et dont trois surtout présentent de grandes dimensions: le
-principal, la tombelle de Newgrange, est une éminence artificielle
-qui couvre une étendue de plus de quatre-vingts ares, et qui abrite
-une des plus vastes chambres funéraires de l'Europe occidentale.
-Vraisemblablement les sépultures des rois suprêmes qui dominèrent
-en Irlande pendant les quatre premiers siècles de notre ère doivent
-être cherchées, non dans ces monuments si justement célèbres, mais à
-l'entour.
-
-C'est sous le sol de ce cimetière que la tradition irlandaise la plus
-ancienne plaçait le palais souterrain du dieu suprême Dagdé. Ce palais
-avait été construit exprès pour lui par ses sujets[3]. Et cependant le
-terme consacré pour désigner ce lieu n'était point «palais de Dagdé,»
-c'était: «Palais de Mac ind Oc,» _Brug Maic ind Oc_[4], c'est-à-dire
-probablement «palais du Fils des Jeunes. Mac ind Oc» était un nom
-d'Oengus, fils de Dagdé, et de Boann; son père et sa mère, tous deux
-immortels, étaient toujours jeunes et ne ressentirent jamais les
-atteintes de la vieillesse[5]. D'où vient que le palais de Dagdé porte
-le nom de son fils?
-
-[Pg 274]Une légende irlandaise nous l'explique. Quand, après la défaite
-des Tûatha Dê Danann par les fils de Milé, Dagdé fit entre les chefs
-de ses sujets vaincus le partage des résidences souterraines ou _sîd_
-qu'ils devaient habiter désormais, ces chefs étaient réunis autour de
-lui, sauf un, alors absent. C'était précisément Oengus, le fils de
-Dagdé. Dagdé avait confié l'éducation de son fils à deux autres dieux
-dont l'un-était Mider de Bregleith, célèbre dans l'épopée irlandaise
-par son amour pour Etâin, femme d'Eochaid Airem, roi suprême d'Irlande.
-Oengus fut oublié dans le partage. Il vint s'en plaindre quelque
-temps après. Dagdé rejeta sa réclamation. Oengus demanda de passer la
-nuit dans le palais mystérieux de son père à Brug na Boinné. Dagdé
-consentit, et à la nuit ajouta même gracieusement le jour: il entendait
-le lendemain. Mais Oengus, une fois installé, prétendit que, le temps
-n'étant composé que de nuits et de jours, l'abandon qui lui avait été
-fait était perpétuel; et son père fut obligé de lui céder sa résidence
-de Brug na Boinné.
-
-Elle était merveilleuse. Suivant la légende irlandaise, on y voit trois
-arbres auxquels pendent toujours
-[Pg 275]des fruits[6]; on y voit deux cochons, l'un sur pied et
-toujours vivant, l'autre tout cuit, et par conséquent prêt à manger; à
-côté est un vase qui contient une bière excellente; là, enfin, personne
-ne mourut jamais[7]. Dans ce tableau, conservé par un manuscrit du
-milieu du douzième siècle, mais qui remonte à une date bien plus
-ancienne, la doctrine païenne de l'immortalité des dieux persiste
-intacte et sans restriction. A la date où ce récit a été composé, on
-était bien loin des temps où l'on devait raconter que les Tûatha Dê
-Danann étaient morts et qu'ils avaient été enterrés à Brug na Boinné.
-L'époque où se propagea cette doctrine nouvelle est celle où le
-christianisme ayant triomphé définitivement du paganisme, on prétendit
-à concilier les vieilles légendes païennes avec les enseignements des
-prêtres-chrétiens;
-[Pg 276]c'était au onzième siècle, lorsque furent composés l'«Histoire
-des cimetières,» _Senchus na relec_, et le «Livre de conquêtes,» _Lebar
-gabala_.
-
-
-[Footnote 1:
-
- «Lânamain contuiled sund
- ria cath Maigi Tured tall:
- inber môr in Dagda dond,
- ni duachnid an-adba and.»
-
-_Leabhar na hUidhre_, p. 51, col 2, lignes 23, 24.]
-
-[Footnote 2: «_Senchas na relec_,» dans le _Leabhar na hUidhre_, p. 51,
-col. 1, lignes 7-9, 23-27; col. 2, lignes 4-7.]
-
-[Footnote 3: _Dinn-senchus_ de Brug na Boinné, dans le Livre de
-Leinster, p. 164, col. 2, lignes 31, 32. Cf. _Lebar gabala_ ou
-Livre des conquêtes, _ibid._, p. 9, col. 2, lignes 18 et 19. Le
-_Dinn-senchus_ désigne ce palais par les mots _dûn_ et _dîn_; le _Lebar
-gabala_ se sert du mot _sîd_.]
-
-[Footnote 4: Dans un poème déjà cité de Cinaed hûa hArtacain, mort en
-975, nous trouvons une expression équivalente: «Maison de Mac ind Oc,»
-_tech Maic ind-Oc. Leabhar na hUidhre_, p. 51, col. 2, ligne 17.]
-
-[Footnote 5: «Oengus, mac Oc, ocus Aed Caem, ocus Cermait Milbel, tri
-maic in Dagdai.» _Lebar gabala_ ou Livre des conquêtes, dans le Livre
-de Leinster, p. 10, col. 1, lignes 20, 21. Au lieu de «Mac Oc,» on
-trouve «Mac ind Oc.» Dans le poème précité de Cinaed hûa Artacain:
-«maig Maic ind Oc» (_Leabhar na hUidhre_, p. 51, col. 2, ligne 13);
-«tech Maic ind Oc» (_Ibid._, ligne 17). Dans cette formule, _ind Oc_
-paraît être un génitif duel.]
-
-[Footnote 6: On peut comparer à ces arbres l'arbre de l'île mystérieuse
-de Fand dans la légende de Cûchulainn. Les branches merveilleuses, qui
-furent apportées du pays des dieux à Bran mac Febail et à Cormac mac
-Airt, viennent d'un arbre du même genre. Les Grecs comme les Celtes
-mettaient des arbres dans le séjour des dieux. Chez Hésiode, les
-Hespérides gardent au delà de l'Océan des pommes d'or et des arbres
-qui portent fruit; ce sont les arbres du vieux jardin de _Phoibos_,
-que Sophocle nous montre de l'autre côté de la mer à l'extrémité de
-la terre, aux sources de la nuit, là où commence la voûte du ciel;
-ce sont les arbres des jardins des dieux là où est la couche de Zeus
-(_Théogonie_, vers 210-216; Sophocle, fragment 326, édition Didot, p.
-311; Euripide, _Hippolyte_, vers 163, édition Didot, p. 163). A Brug
-na Boinné, la légende irlandaise met la couche de Dagdé, roi des dieux
-comme Zeus, et trois arbres à fruit.]
-
-[Footnote 7: «_De gabail int-shida,_» dans le Livre de Leinster, p.
-246, col. 1, lignes 1-15. Comparez ici même p. 277.]
-
-
-§4.
-
-_Rédaction chrétienne de cette légende._
-
-Quand les idées chrétiennes commencèrent à se mêler aux traditions
-celtiques de l'Irlande, il en résulta un remaniement du récit
-mythologique que nous venons de reproduire. L'auteur de cette nouvelle
-rédaction admet que les principaux chefs des Tûatha Dê Danann, Dagdé,
-Lug, Ogmé, sont morts, comme le raconte, au onzième siècie, le «Livre
-des conquêtes,» _Lebar gabala_, avant l'époque où les fils de Milé
-arrivèrent en Irlande. Ogmé est une des victimes de la seconde bataille
-de Mag-Tured[1]; Dagdé et Lug ont péri quelques années après[2]. Les
-fils de Milé vainqueurs ont fait la conquête de l'Irlande après des
-batailles où les Tûatha Dê Danann ont encore perdu un certain nombre
-de leurs guerriers. Les survivants se réunissent et choisissent deux
-chefs: Bodhbh Dearg et Manannân mac Lir. Ce fut Bodhbh Dearg--et non
-Dagdé, comme dans la légende primitive--qui fit le partage des palais
-enchantés ou
-[Pg 277]_sîd_ d'Irlande[3]. Ce fut Manannân qui procura aux Tûatha
-Dê Danann les privilèges dont ils jouissent dans l'épopée héroïque
-irlandaise. Par le procédé magique appelé _feth fiada_[4], il les
-rendit invisibles. Par le festin de Goibniu, le célèbre forgeron,
-il leur assura l'immortalité. Leur principale nourriture consistait
-en porcs. C'étaient les cochons de Manannân qui, tués et mangés, ne
-cessaient de revenir à la vie[5]. Ainsi, dans cette doctrine nouvelle,
-les principaux chefs des Tûatha Dê Danann, ceux que les Celtes païens
-d'Irlande ont adorés comme dieux, sont réduits au rang de simples
-mortels qui ont, comme l'on prétend, régné sur l'Irlande à une époque
-antérieure à l'invasion des fils de Milé, c'est-à-dire des Celtes, et
-qui depuis ont cessé de vivre; les fées mâles et femelles de la légende
-héroïque sont une fraction et des descendants de cette race primitive,
-et des procédés magiques leur ont conféré une partie des privilèges de
-la divinité.
-
-Le palais souterrain de Brug na Boinné avait été donné comme lot non à
-Dagdé, mort depuis longtemps, mais à Elcmar, père nourricier d'Oengus;
-or, Oengus, avec l'aide de Manannân mac Lir, en expulsa Elcmar, et il y
-demeure, dit-on, depuis cette époque,
-[Pg 278]invisible, grâce à l'incantation dite _feth fiada_, immortel
-parce qu'il boit la bière du festin de Goibniu le forgeron, bien nourri
-puisqu'il a toujours à sa disposition ces cochons de Manannân, qui
-reviennent à la vie dès qu'ils sont mangés.
-
-Cette rédaction, relativement récente, nous a été conservée par le
-livre de Fermoy, manuscrit du quinzième siècle,--acquis, il y a
-quelques années, par l'Académie royale d'Irlande,--tandis que la
-rédaction primitive, par laquelle nous avons commencé, se trouve dans
-le Livre de Leinster, transcrit au milieu du douzième siècle,--un
-des manuscrits les plus précieux du Collège de la Trinité de
-Dublin.--L'auteur chrétien de l'arrangement contenu dans le Livre de
-Fermoy a composé une suite au vieux récit. Nous allons en donner un
-résumé.
-
-Quand Elcmar fut chassé du palais souterrain de Brug na Boinné par
-Oengus son élève, et grâce au concours qu'Oengus reçut de Manannân mac
-Lir, un des principaux personnages de la cour d'Elcmar était absent:
-c'était son intendant. L'intendant d'Elcmar, rentrant à Brug na Boinné,
-prit, auprès du nouveau maître, les fonctions dont l'ancien l'avait
-chargé. Il lui naquit, peu de temps après, une fille qu'on nomma
-Eithné. Au même moment, la femme de Manannân mac Lir, le protecteur
-d'Oengus, mettait au monde une fille qu'on appela Curcog. Oengus fut le
-père nourricier que, suivant l'usage, Manannân mac Lir choisit pour sa
-fille. Curcog, fille du dieu Manannân, fut élevée à Brugna Boinné, et
-la jeune
-[Pg 279]Eithné, fille de l'intendant, fut une des servantes attachées à
-la personne de Curcog.
-
-Chose surprenante! on découvrit un jour qu'Eithné ne mangeait pas.
-Quoiqu'elle restât bien portante, et que son embonpoint ne diminuât
-pas, tous ceux qui l'aimaient en conçurent une vive inquiétude; mais
-Manannân mac Lir découvrit la cause. Quelque temps auparavant, Oengus
-avait reçu la visite d'un de ses voisins, c'est-à-dire d'un autre
-chef des Tûatha Dê Danann, qui habitait à quelque distance un palais
-souterrain analogue à celui de Brug na Boinné. Cet étranger avait
-adressé une grave insulte à Eithné. L'âme sans tâche de la jeune fille
-avait ressenti de cette injure une telle indignation, que la puissance
-de sa chasteté avait fait fuir le démon qui lui servait de gardien, et
-qu'un ange envoyé par le vrai Dieu était venu prendre la place de ce
-démon. A partir de ce moment, Eithné cessa de pouvoir manger la chair
-des cochons magiques, et de boire la bière enchantée dont vivaient les
-Tûatha Dê Danann. Un miracle du vrai Dieu lui conserva la vie.
-
-Bientôt, toutefois, ce miracle devint inutile. Oengus et Manannân
-avaient fait un voyage dans l'Inde, ils en avaient ramené deux vaches
-au lait inépuisable; et comme l'Inde était la terre de la justice, ce
-lait n'avait rien du caractère démoniaque qui souillait la nourriture
-habituelle des Tûatha Dê Danann. On mit à la disposition d'Eithné le
-lait de ces vaches; elle se chargea de les traire, et ce fut de leur
-lait qu'elle vécut pendant une longue suite d'années.
-
-[Pg 280]Je dis que cette suite d'années fut longue; en effet, les
-événements dont nous venons de parler se passèrent sous le règne
-du mythologique Erémon, premier roi d'Irlande de la race de Milé;
-et Eithné vivait encore, habitant le palais de Brug na Boinné avec
-Curcog, sa maîtresse, fille de Manannân mac Lir, et sous l'autorité
-d'Oengus, quand saint Patrice vint évangéliser l'Irlande au cinquième
-siècle de notre ère. Si nous en croyons le _Livre des conquêtes_, le
-roi mythologique Erémon aurait été contemporain de David, roi des
-Juifs, au onzième siècle avant notre ère. Eithné aurait donc été âgée
-d'environ quinze cents ans quand saint Patrice vint porter en Irlande
-les lumières de la religion chrétienne.
-
-Or, un jour d'été où la chaleur était plus forte que de coutume, Curcog
-éprouva le désir de se baigner. Elle alla avec ses suivantes, et entre
-autres Eithné, sur les bords de la Boyne. Elle prit son bain avec elles
-dans les eaux de cette rivière, puis elle rentra à Brug na Boinné.
-Mais bientôt elle s'aperçut qu'une de ses femmes lui manquait: c'était
-Eithné. Eithné, en déposant ses vêtements sur le bord de la rivière
-avant de descendre dans l'eau comme ses compagnes, avait dépouillé avec
-sa robe le charme qui la rendait invisible aux humains. Nous avons déjà
-dit le nom de ce charme, qui s'appelait _feth fiada_.
-
-L'âme d'Eithné était préparée à recevoir la foi nouvelle que Patrice
-avait apportée; et quoiqu'elle n'eût rien entendu des prédications
-chrétiennes,
-[Pg 281]l'action mystérieuse que cette foi avait exercée sur elle était
-devenue plus puissante que les enchantements des païens. Eithné était
-devenue une femme ordinaire, et ses regards ne pouvaient plus pénétrer
-à travers le voile magique qui cache aux yeux des humains les Tûatha Dê
-Danann. Elle avait donc cessé de voir ses compagnes, et n'avait pu les
-accompagner au moment de leur retour au château souterrain de Brug na
-Boinné. Elle cessa même de voir la route enchantée qui conduisait à ce
-palais magique. Elle erra quelque temps sur les bords de la Boyne, ne
-sachant où elle était, cherchant en vain les sentiers et les chemins,
-désormais pour elle invisibles, que pendant tant de siècles elle avait
-si souvent fréquentés. Enfin elle s'arrêta devant un jardin clos de
-murs, où il y avait une maison. A la porte était assis un homme vêtu
-d'une robe comme elle n'en avait jamais vu. Cet homme était un moine et
-la maison une église. Eithné adressa la parole au moine et lui raconta
-son histoire. Le moine la reçut avec bienveillance et la conduisit à
-saint Patrice qui l'instruisit et la baptisa.
-
-Quelque temps après, elle était assise dans l'église du moine, non
-loin des bords de la Boyne. On entendit beaucoup de bruit et de cris;
-on distinguait un grand nombre de voix, mais on n'apercevait personne.
-C'était Oengus et tous les gens de sa maison qui étaient à la recherche
-d'Eithné. Comme ils étaient devenus invisibles pour elle, elle, à son
-tour, était invisible pour eux. Les cris qu'ils poussaient
-[Pg 282]étaient inspirés par la douleur et entremêlés de gémissements
-et de sanglots. Ils pleuraient Eithné, qui pour eux, en effet, était à
-jamais perdue.
-
-Eithné comprit la cause de leur peine et en ressentit elle-même une si
-violente tristesse qu'elle s'évanouit et fut sur le point de rendre
-l'âme. Cependant elle recouvra ses sens; mais de ce jour commença
-pour elle une maladie dont elle ne se guérit point. Elle finit par en
-mourir; elle expira, la tête appuyée sur la poitrine de saint Patrice
-qui était venu lui donner les derniers secours de la religion; et elle
-fut enterrée dans l'église du moine qui l'avait le premier accueillie.
-Cette église porta, dès lors, le nom de _Cill Eithne_, ou «église
-d'Eithné»[6].
-
-Ainsi se termine la seconde rédaction de la pièce dont la rédaction
-primitive est intitulée _De la conquête du Sîd_.
-
-
-[Footnote 1: _Lebar gabala_ ou Livre des conquêtes, dans le Livre de
-Leinster, p. 9, col. 2, lignes 13, 14. Poème de Flann Manistrech,
-_ibidem_, p. 11, col. 1, ligne 33.]
-
-[Footnote 2: Voyez plus haut, p. 221.]
-
-[Footnote 3: Voyez plus haut, p. 274.]
-
-[Footnote 4: Littéralement «composition poétique ou incantation de
-présence.» Voyez les textes réunis par O'Curry, dans _Atlantis_, t. III
-(1862), p. 386-388, note 15.]
-
-[Footnote 5: Voyez les textes réunis par O'Curry, dans _Atlantis_, t.
-III, p. 387-388. Comparez ce que nous avons dit p. 275.]
-
-[Footnote 6: Livre de Fermoy, fos 111-116. Cette pièce a été analysée
-par le docteur Todd, _Proceedings of the Royal Irish Academy, Irish
-manuscripts series_, vol. I, part I, 1870, p. 46-48.]
-
-
-§5.
-
-_Les amours d'Oengus, fils de Dagdé._
-
-Nous venons de voir quelle est la forme que l'infusion de la pensée
-chrétienne a donnée à une des vieilles légendes du paganisme irlandais.
-Voici un autre conte, païen comme le premier, mais qui n'a pas été
-l'objet d'un remaniement chrétien. Il appartient
-[Pg 283]aussi à l'épopée héroïque et au cycle de Conchobar et de
-Cûchulainn. Il a pour objet un épisode de l'histoire d'Oengus. Il nous
-rapporte une aventure arrivée à ce personnage divin avant l'époque
-où il dépouilla Dagdé, son père, du palais souterrain de Brug na
-Boinné. Oengus était encore un tout jeune homme. Un jour, il dormait;
-il vit en songe une jeune femme près de son lit. Il n'y en avait pas
-d'aussi belle en Irlande. Puis elle disparut. Le matin, quand il se
-réveilla, il était si amoureux qu'il ne put manger de la journée. La
-nuit suivante, la jeune femme reparut. Elle tenait une harpe à la main.
-Elle chanta en s'accompagnant de cet instrument; jamais on n'avait
-entendu si douce musique. Puis elle partit. Quand Oengus se réveilla le
-lendemain, il était plus amoureux que jamais.
-
-Il tomba malade. Les médecins d'Irlande s'assemblèrent et cherchèrent
-inutilement la cause de cette maladie. Enfin, un d'entre eux, Fergné,
-la découvrit.--«Tu es pris d'amour,» lui dit-il. Oengus avoua la
-vérité. On alla chercher Boann, mère d'Oengus. Celui-ci raconta à sa
-mère la cause de son souci. Boann fit chercher pendant un an dans toute
-l'Irlande la femme que son fils avait vue en songe. Vains efforts! on
-ne trouva rien. Boann demanda conseil à l'habile médecin qui avait
-découvert la cause de la maladie d'Oengus. Ce médecin donna le conseil
-de s'adresser au père d'Oengus, c'est-à-dire à Dagdé, roi des _sîde_
-d'Irlande, c'est-à-dire des fées irlandaises, dit le conteur anonyme.
-
-[Pg 284]_Sîde_ d'Irlande est la formule par laquelle sont spécialement
-désignés, dans la littérature irlandaise, les Tûatha Dê Danann à
-partir du moment où, survivant à leur défaite de Tailtiu, ils sont
-contemporains des fils de Milé, c'est-à-dire des hommes. Les _sîde_ en
-général sont les dieux, cette expression comprend à la fois d'abord
-les dieux du jour, de la vie et de la science, ou Tûatha Dê Danann,
-qui, venus du ciel, habitent l'Irlande, ensuite les dieux de la nuit
-et de la mort, ou Fomôré, dont le lieu d'origine, dont le domicile est
-le pays mystérieux des morts. Quand saint Patrice vint évangéliser les
-Irlandais, ils adoraient les _sîde_[1], les uns Tûatha Dê Danann, les
-autres Fomôré, et on appelait les premiers _sîde_ d'Irlande.
-
-Dagdé était donc roi des _sîde_ d'Irlande; et ce fut à lui que
-le médecin donna le conseil de s'adresser, pour trouver un
-remède à la maladie d'Oengus. On alla chercher Dagdé, qui arriva
-bientôt.--«Pourquoi m'avez-vous fait venir?» demanda en entrant
-Dagdé. Boann lui raconta la maladie de son fils et la cause de cette
-maladie.--«Quel service pourrais-je rendre à cet enfant?» répondit
-Dagdé. «Je n'en sais pas plus que toi.»--Le médecin prit alors la
-parole.--«En votre qualité de roi suprême des
-[Pg 285]_sîde_ d'Irlande, vous avez dans votre dépendance Bodb, roi des
-_sîde_ de Munster, qui est célèbre dans toute l'Irlande par sa science.
-Envoyez-lui demander où est la femme qui a rendu votre fils amoureux.»
-
-Dagdé suivit ce conseil, et adressa une ambassade à Bodb, roi des
-_sîde_ de Munster. Les ambassadeurs racontèrent à Bodb comment Oengus,
-fils de Dagdé, était tombé malade. «Dagdé,» ajoutèrent-ils, «vous
-donne l'ordre de chercher dans toute l'Irlande la femme dont son fils
-est amoureux.»--Je le ferai,» répondit Bodb. «Il me faudra un an de
-recherches, et je trouverai ce que vous désirez.»
-
-Au bout d'un an, les ambassadeurs revinrent. «J'ai,» dit Bodb,
-«découvert la femme au lac des Gueules de Dragons, près de la _crott_
-ou harpe de Cliach.» Les ambassadeurs, retournant chez Dagdé, lui
-apportèrent, cette bonne nouvelle. On mit Oengus dans un chariot et
-on le conduisit au palais de Bodb, roi des _sîde_ de Munster. C'était
-un palais enchanté qui était connu sous le nom de «_Sîd_ des hommes
-de Fémen.» Oengus y fut reçu avec joie. On passa d'abord trois jours
-et trois nuits en fête; puis, on parla de l'objet du voyage.--«Je
-vais,» dit Bodb à Oengus, «vous mener où est celle que vous aimez. Nous
-verrons si vous la reconnaissez.»
-
-Puis Bodb conduisit Oengus près de la mer, dans un endroit où se
-trouvaient cent cinquante jeunes femmes. Elles marchaient par couples,
-et les deux jeunes femmes qui formaient chaque couple étaient
-[Pg 286]attachées l'une à l'autre par une chaîne d'or. Au milieu de ces
-cent cinquante femmes, il y en avait une plus grande que les autres:
-ses compagnes ne lui atteignaient pas l'épaule.--«La voilà!» s'écria
-Oengus. «Comment s'appelle-t-elle?»--«C'est,» répondit Bodb, «Caer,
-petite-fille d'Ormaith; Ethal Anbual, son père, habite le _sîd_ ou
-palais enchanté d'Uaman, dans la province de Connaught.»--«Je ne suis
-pas de force à l'enlever du milieu de ses compagnes,» dit tristement
-Oengus. Et il se fit ramener au lieu de sa résidence ordinaire, qui
-était à cette époque, paraît-il, le château d'un de ses tuteurs; car
-Dagdé habitait encore avec Boann, sa femme, le château souterrain de
-Brug na Boinné, qu'on devait appeler plus tard le château de Mac Oc,
-c'est-à-dire d'Oengus fils de Dagdé.
-
-Quelque temps après, Bodb se rendit à ce château, y fit visite à Dagdé
-et à Boann, et leur raconta le résultat de ses investigations.--«J'ai
-découvert,» leur dit-il, «la femme dont votre fils est amoureux. Son
-père habite le Connaught, c'est-à-dire le royaume d'Ailill et de Medb.
-Vous feriez bien d'aller leur demander leur concours. Avec leur aide,
-vous pouvez obtenir pour votre fils la main de l'épouse qu'il désire.»
-
-Les noms d'Ailill et de Medb nous transportent au milieu du premier
-cycle de l'épopée héroïque irlandaise dont le fondement consiste en
-événements historiques contemporains de la naissance de Jésus-Christ.
-Nous n'avons pas de raison pour révoquer
-[Pg 287]en doute la réalité de l'existence des personnages qui dans ce
-cycle jouent les principaux rôles. Il y a, dans cette vaste épopée un
-fond de vérité historique, quoique la plus grande partie du récit soit
-l'œuvre d'une imagination qui se jouait des lois de la nature.
-
-L'homme, alors, ne se contentait pas de peupler le monde de dieux
-auxquels il attribuait les actes les plus étranges: il croyait que par
-la magie, l'homme pouvait s'élever au niveau de la divinité, lutter
-contre elle en égal et quelquefois la vaincre. Dagdé, le grand dieu, va
-donc demander l'appui d'Ailill et de Medb, tous deux simples mortels,
-roi et reine de Connaught. Il compte sur leur aide pour contraindre un
-des dieux secondaires irlandais du Connaught, Ethal Anbual, père de la
-belle Caer, à lui livrer cette jeune femme dont Oengus est épris.
-
-Il partit pour le Connaught, accompagné d'une suite nombreuse. Le
-nombre des chars était de soixante, en comptant celui où il était
-monté. Il arriva au palais d'Ailill et de Medb, qui le reçurent avec
-joie. Une semaine entière se passa en festins. Puis Dagdé raconta
-l'objet de sa visite.--«Dans votre royaume,,» dit-il au roi Ailill et
-à la reine Medb, «se trouve le palais enchanté qu'habite Ethal Anbual,
-père de la belle Caer; mon fils Oengus aime cette jeune femme; il
-voudrait l'épouser; il en est malade.»--«Mais,» répondirent Ailill et
-Medb, «nous n'avons aucune autorité sur elle. Nous ne pouvons donc vous
-la donner.»
-
-Dagdé les pria d'envoyer chercher le père. Ailill
-[Pg 288]et Medb firent ce que demandait Dagdé. Mais Ethal Anbual
-refusa d'écouter le messager qu'ils lui adressèrent.--«Je n'irai pas,»
-dit-il. «Je sais ce dont il s'agit, et je ne donne pas ma fille au
-fils de Dagdé.» L'armée de Dagdé et celle d'Ailill réunies marchèrent
-à l'attaque du palais enchanté qu'habitait Ethal Anbual. Ils y firent
-soixante prisonniers, non compris Ethal, et ils conduisirent leurs
-captifs à Crûachan, résidence d'Ailill et de Medb. Ethal fut mené en
-présence d'Ailill.
-
---«Donne ta fille à Oengus, fils de Dagdé,» lui dit Ailill.--«Je n'en
-ai pas le pouvoir,» répondit Ethal. «Elle est plus puissante que moi.»
-Et il expliqua que sa fille passait alternativement une année en forme
-humaine, une année en forme d'oiseau. «Le 1er novembre prochain,»
-ajouta-t-il, «ma fille sera sous forme de cygne, près du lac des
-Gueules de Dragons. On verra là des oiseaux merveilleux: ma fille sera
-entourée de cent cinquante autres cygnes.» Alors Ailill et Dagdé firent
-leur paix avec Ethal et le remirent en liberté.
-
-Dagdé raconta à son fils ce qu'il venait d'apprendre. Au 1er novembre
-suivant, Oengus se rendit au lac des Gueules de Dragons. Il y vit la
-belle Caer sous la forme d'un cygne accompagné de cent cinquante cygnes
-qui allaient par couples; les deux cygnes de chaque couple étaient
-attachés l'un à l'autre par une chaîne d'argent.--«Viens me parler, ô
-Caer,» s'écria Oengus.--«Qui m'appelle?» demanda Caer. Oengus lui dit
-son nom et lui exprima le désir
-[Pg 289]de se baigner dans le lac avec elle. Il fut lui-même changé
-en cygne et plongea trois fois dans le lac avec sa bien-aimée. Puis,
-toujours sous forme de cygne, il vint avec elle au palais de son
-père, à Brug na Boinné. Ils chantèrent un chant si beau que tous les
-auditeurs s'endormirent, et que leur sommeil dura trois jours et trois
-nuits. Jamais la musique irlandaise n'avait eu plus grand succès. Caer
-resta dès lors la femme d'Oengus[2].
-
-
-[Footnote 1:
-
- «For tuaith hErenn bai temel,
- tûatha adortais sîde.»
-
-«Sur le peuple d'Irlande régnait l'obscurité, les gens adoraient les
-_sîde_.» Hymne de Fiacc en l'honneur de saint Patrice, chez Windisch,
-_Irische Texte_, p. 14, ligne numérotée 41.]
-
-[Footnote 2: Cette pièce intitulée: _Aislinge Oengusso_, «Vision
-d'Oengus,» a été publiée dans la _Revue celtique_, t. III, p. 344 et
-suivantes, par M. Ed. Müller, qui l'a accompagnée d'une traduction
-anglaise, la plupart du temps assez fidèle.]
-
-
-§6.
-
-_L'évhémérisme en Irlande et à Rome. Dagdé ou «Bon dieu» en Irlande:_
-BONA DEA, _«la Bonne déesse,» compagne de Faunus à Rome._
-
-Ce fut probablement après ce mariage qu'Oengus se fit céder par son
-père Dagdé le palais de Brug na Boinné. Ce qu'il y a de certain, dans
-ce récit, c'est que la tradition païenne de l'Irlande donne les dieux
-pour contemporains aux héros. Elle fait intervenir Dagdé, roi des
-dieux, dans le cycle de Conchobar et de Cûchulainn, qui auraient vécu à
-une époque contemporaine du commencement de notre ère, tandis que les
-chronologistes chrétiens, tels que Gilla Coemain et l'auteur du _Lebar
-gabala_, au onzième siècle, tels
-[Pg 290]que Keating et les Quatre Maîtres au dix-septième siècle, font
-mourir ce même Dagdé mille ans environ ou même dix-sept cent cinquante
-ans plus tôt.
-
-Dagdé est roi des dieux, comme Zeus dans la mythologie grecque; mais
-ce n'est pas dans la mythologie grecque, c'est dans la mythologie
-latine que nous trouverons un mythe à peu près identique à celui de
-Dagdé. Dagdé veut dire «bon dieu.» Les Romains avaient une divinité
-qu'ils appelaient la Bonne déesse, _Bona dea_. On la considérait comme
-identique à la Terre[1]: Dagdé était aussi le dieu de la terre[2].
-_Bona dea_ portait, dit-on, le nom de _bona_, «bonne,» parce qu'elle
-donnait aux hommes tous les biens qui servent à les nourrir[3]:
-Dagdé avait le même attribut. Nous avons vu que les fils de Milé,
-c'est-à-dire les Irlandais, s'étant brouillés avec les Tûatha Dê
-Danann, n'avaient plus ni blé ni lait; et comment, ayant fait avec
-Dagdé un traité de paix, ils obtinrent de lui qu'à l'avenir leur blé et
-leur lait leur seraient conservés[4].
-
-_Bona dea_, qu'on appelait aussi Fauna, était la parèdre
-[Pg 291]ou l'associée de Faunus, c'est-à-dire sa fille[5], sa femme[6],
-ou sa sœur[7]. Or on considérait Faunus comme dieu; il avait à Rome son
-culte, et un temple bâti dans une île du Tibre[8]. Il dut, à une époque
-reculée, avoir le rang de dieu suprême, car _Bona dea_, sa parèdre,
-était, dit-on, aux yeux de certaines personnes, l'égale de Junon; et
-on lui mettait, pour cette cause, un sceptre dans la main gauche[9].
-Faunus fut plus tard, comme dieu suprême, supplanté par Jupiter, dieu
-de l'aristocratie romaine et de la ville de Rome.
-
-La mythologie romaine eut une période évhémériste qui se produisit sous
-l'influence de la science grecque; ses résultats furent identiques,
-sur bien des points, à ceux que donna en Irlande l'évhémérisme inspiré
-par les études chrétiennes. Le dieu Faunus devint alors un roi des
-Aborigènes, c'est-à-dire de la population qui habitait l'Italie quand
-arrivèrent Evandre et Enée[10]. Un des textes qui concernent le
-prétendu roi Faunus parle de sa femme et de sa fille, qui toutes deux
-ne sont autres que la
-[Pg 292]«Bonne déesse,» _Bona dea_[11], transformée en simple mortelle,
-mais élevée au rang de reine ou de princesse. Ainsi, en Irlande, Dagdé,
-le «bon dieu,» divinité suprême des païens, fut, par les chrétiens,
-transformé en un roi qui aurait gouverné l'Irlande avant l'arrivée des
-fils de Milé. On remarquera aussi que, dans le récit romain, Evandre et
-Enée interviennent dans des conditions analogues à celles où les fils
-de Milé se présentent dans le récit irlandais. Ils sont, comme les fils
-de Milé, des étrangers arrivant par mer, et, comme eux, par les armes
-ils fondent un régime nouveau.
-
-
-[Footnote 1: «Auctor est Cornelius Labeo huic Maiæ, id est Terræ, ædem
-kalendis Maiis dedicatam sub nomine Bonæ deæ, et eandem esse Bonam deam
-et Terram ex ipso ritu occultiore sacrorum doceri posse confirmat.»
-Macrobe, _Saturnales_, I, 12.]
-
-[Footnote 2: «Dîa talman.» Voir notre tome I, p. 282, note 2.]
-
-[Footnote 3: «Bonam quod omnium nobis ad victum bonorum causa est.»
-Macrobe, _Saturnales_, I, 12.]
-
-[Footnote 4: «Collset Tualha Dea ith ocus blicht im-maccu Miled,
-con-dingsat chairddes in-Dagdai. Doessart-saide iarum ith ocus blicht
-dôib.» Livre de Leinster, p. 245, col. 2, lignes 44-47.]
-
-[Footnote 5: Servius, ad libr. VIII _Æneid_., 314. Ed. Thilo, t. II, p.
-244.]
-
-[Footnote 6: Arnobe, I, 36. Mignc, _Patrologia latina_, t. V, col. 759.]
-
-[Footnote 7: Lactance, I, 22. Migne, _Patrologia latina_, t. VI, col.
-244, 245.]
-
-[Footnote 8: Tite-Live, livre XXXIII, chap. 42; livre XXXIV, chap. 53;
-Vitruve, livre III, chap. 11, § 3; Ovide, _Fastes_, livre II, vers 193.]
-
-[Footnote 9: «Sunt qui dicant hanc deam potentiam habere Junonis,
-ideoque regale sceptrum in sinistra manu ei additum.» Macrobe,
-_Saturnales_, I, 12.]
-
-[Footnote 10: S. Aurelius Victor, _Origo gentis romanæ_, § 4-9. Denys
-d'Halicarnasse, livre I, chap. 31.]
-
-[Footnote 11: Justin, livre XLIII, chap. 1.]
-
-
-[Pg 293]CHAPITRE XIII.
-
-LES TÛATHA DÊ DANANN APRÈS LA CONQUÊTE DE L'IRLANDE PAR LES FILS DE
-MILÉ.--DEUXIÈME PARTIE: LES DIEUX LUG, OGMÉ, DÎAN-CEGHT ET GOIBNIU.
-
-§1. Lug joue dans la légende de Cûchulainn le même rôle que Zeus dans
-celle d'Héraclès.--§2. La chasse aux oiseaux mystérieux.--§3. Le palais
-enchanté. Naissance de Cûchulainn.--§4. Le mortel Sualtam et le dieu
-Lug, tous deux pères de Cûchulainn.--§5. Lug et Conn Cêtchathach, roi
-suprême d'Irlande au second siècle de notre ère.--§6. Lug était bien
-un dieu, quoi qu'en aient dit plus tard les Irlandais chrétiens.--§7.
-Ogmé ou Ogmios le champion.--§8. Dîan-Cecht le médecin.--§9. Goibniu le
-forgeron et son festin.
-
-
-§1.
-
-_Lug joue, dans la légende de Cûchulainn, le même rôle que Zeus dans
-celle d'Héraclès._
-
-Dagdé est, théoriquement, le dieu suprême; mais Lug, le dieu sous
-l'invocation duquel était placée la grande fête du 1er août, Lug qui,
-en lançant de sa
-[Pg 294]fronde une pierre, tua le dieu de la mort Balar, Lug, le
-docteur suprême et le maître de tous les arts, paraît tenir dans
-la mythologie celtique un rang plus important que Dagdé. Dans la
-mythologie grecque, le héros modèle, Héraclès, est fils d'Alcmène,
-femme d'Amphitryon. Amphitryon est son père apparent, mais, en réalité,
-c'est de Zeus qu'est fils le héros auquel la poésie attribuera tant
-de merveilleux exploits[1]. L'Irlande possède le même mythe. Dans la
-rédaction irlandaise, Héraclès s'appelle Cûchulainn; le nom d'Alcmène
-est Dechtéré; celui d'Amphitryon est Sualtam; mais Lug, c'est-à-dire
-Hermès, le dieu qui, dans la mythologie gréco-latine s'appelle Mercure,
-prend ici la place de Zeus. C'est de lui, ce n'est pas de Dagdé, que
-Cûchulainn est fils. La mythologie celtique n'est pas une copie de la
-mythologie grecque. Elle a pour source des croyances primitivement
-identiques à celles dont la mythologie grecque dérive, mais elle a
-développé d'une façon aussi indépendante qu'originale les éléments
-fournis par la fable fondamentale.
-
-
-[Footnote 1: Hésiode, _Le bouclier d'Hercule_, vers 27 et suiv.]
-
-
-§2.
-
-_La chasse aux oiseaux mystérieux._
-
-Voici comment débute la légende irlandaise[1].
-
-[Pg 295]Un jour que les grands seigneurs d'Ulster étaient réunis autour
-de Conchobar, leur roi, dans Emain Macha, capitale de cette province,
-il arriva dans la plaine voisine d'Emain une troupe d'oiseaux. Ces
-oiseaux mangeaient l'herbe et les plantes, et ne laissaient rien sur la
-terre, pas même les racines de l'herbe. Ce fut un grand chagrin pour
-les habitants d'Ulster de voir ainsi détruire leurs biens. Le roi fit
-atteler neuf chars pour aller à la chasse de ces oiseaux. La chasse
-des oiseaux était une des occupations habituelles du roi et des grands
-seigneurs d'Ulster. L'arc était inconnu. On lançait aux oiseaux soit
-des javelots avec la main, soit des pierres avec une fronde, et c'était
-en char qu'on se livrait à cet exercice.
-
-En tête des neuf chars était celui de Conchobar, où le roi lui-même
-monta. Dechtéré, sa sœur, une grande jeune fille, s'assit à sa droite.
-Elle servait de cocher à son frère. Les huit autres chars étaient ceux
-des principaux guerriers d'Ulster: Conall Cernach, Fergus mac Roig,
-Celtchar, fils de Uithechar, Bricriu le Querelleur, et quatre autres
-dont on ne se rappelle plus les noms. Ils donnèrent la chasse aux
-oiseaux pendant toute une journée. Ils allaient droit devant eux sans
-rencontrer d'obstacles.
-
-Alors il n'y avait en Irlande ni fossé ni haie ni mur dans la campagne.
-La tradition fait remonter le
-[Pg 296]plus ancien partage des terres en Irlande au temps de Diarmait
-et de Blathmac, fils d'Aed Slane, qui, suivant Tigernach, furent rois
-suprêmes d'Irlande de 654 à 665[2]. On prétend qu'alors le territoire
-entier de l'Irlande fut divisé en autant de portions qu'il y avait
-d'hommes. Ces portions furent égales: chaque homme reçut neuf sillons
-de marais, neuf sillons de terre et neuf sillons de bois. Mais il
-ne paraît pas qu'on ait eu à se féliciter de l'opération, qui fit
-succéder une multitude de petites exploitations à l'exploitation en
-commun usitée jusque-là. Une famine s'ensuivit; les plus riches étaient
-réduits à jeûner, et une épidémie survint qui enleva les trois quarts
-des habitants de l'Irlande[3]. Cette épidémie est désignée, chez les
-historiens irlandais, par le nom de _Buide Conaill_[4].
-
-[Pg 297]Mais revenons à Conchobar et à ses compagnons de chasse. Ils
-poursuivirent donc les oiseaux au loin sans rencontrer d'obstacles.
-Ces oiseaux étaient fort beaux, et chantaient en volant. Ils étaient
-divisés en neuf troupes, et dans chaque troupe on comptait vingt
-oiseaux. Ils allaient deux à deux; les deux oiseaux qui tenaient la
-tête de chaque troupe portaient un joug d'argent qui les attachait l'un
-à l'autre; les suivants étaient aussi attachés deux à deux, mais le
-joug était remplacé par une chaîne d'argent.
-
-La nuit arriva sans que les chasseurs eussent pris un seul des oiseaux
-qu'ils poursuivaient. Il tombait une neige épaisse. Conchobar ordonna
-de dételer les chars et de chercher une maison où l'on pût trouver abri
-jusqu'au lendemain.
-
-
-[Footnote 1: Elle a été publiée par M. Windisch, Irische Texte, pages
-136 et suiv. Le savant auteur a fait usage de deux manuscrits. Le plus
-ancien date de la fin du onzième siècle.]
-
-[Footnote 2: O'Conor, _Rerum hibernicarum scriptores_, t. II, première
-partie, p. 200-205. Le _Chronicum Scotorum_, édit. Hennessy, pages 98,
-99 met leur mort en 661. Cf. plus haut, p. 256.]
-
-[Footnote 3: Préface de l'hymne de Colmân, chez Whitley Stokes,
-_Goidelica_, 2e édit., page 121. La première délimitation des champs
-aux environs de Rome aurait remonté, suivant Denys d'Halicarnasse,
-livre II, chap. 74, à une loi du roi légendaire Nutna Pompilius.
-Il peut être curieux de rapprocher ce texte du passage du _Compert
-Conculainn_ dont il est question ici. Windisch, _Irische Texte_, p. 36,
-lignes 11-14.]
-
-[Footnote 4: _Chronicum Scotorum_, édit. Hennessy, p. 99. Cf. O'Conor,
-_Rerum hibernicarum scriptores_, p. 205. Il ne faut pas confondre
-cette épidémie avec celle qu'on appela _Crom Conaill_, et qui sévit un
-peu plus d'un siècle avant, en 550 suivant Tigernach, O'Conor,_ Rerum
-hibernicarum scriptores_, t. II, p. 139; en 551, suivant le _Chronicum
-Scotorum_, édit. Hennessy, p. 50, 51. Cf. O'Donovan, _Annals of the
-kingdom of Ireland by the Four Masters_, 1851, t. I, p. 186-189;
-274-277.]
-
-
-§3.
-
-_Le palais enchanté.--Naissance de Cûchulainn._
-
-Ce furent Conall Cernach et Bricriu le querelleur qui se mirent en
-quête d'un logis. Ils aperçurent une maison isolée, qui paraissait
-nouvellement construite. Ils y entrèrent. Elle leur sembla fort petite
-et pauvre: il n'y avait dedans qu'un homme et une femme. Ceux-ci leur
-souhaitèrent la bienvenue. Conall
-[Pg 298]et Bricriu retournèrent près de leurs compagnons.--«Nous avons
-découvert une habitation,» leur dirent-ils; «mais elle est indigne
-de vous. Nous serons fort mal couchés, et nous n'aurons pas de quoi
-manger.»
-
-Cependant, faute de mieux, le roi et ses guerriers se décidèrent
-à chercher abri dans cette maison. Chose étrange! cette petite
-habitation, qui semblait juste assez grande pour un homme et une femme,
-parut s'élargir quand ils entrèrent: ils trouvèrent place non seulement
-pour eux, mais pour leurs armes, leurs chevaux, leurs cochers et leurs
-chars. Les mets les plus abondants, les plus agréables au goût, les
-plus variés, leur furent servis. Il y en avait qu'ils connaissaient
-bien; d'autres tout à fait extraordinaires, et dont ils n'avaient
-jamais goûté.
-
-Cette maison était un de ces palais magiques que, suivant les légendes
-celtiques, les dieux créent quelquefois sur la terre quand ils veulent
-exercer sur les hommes une action visible. Il est question de ces
-palais dans les contes gallois, bretons et français.
-
-Quelque temps après, Dechtéré devint mère, et Lug, lui apparaissant
-en songe, lui apprit qu'il était le père de l'enfant. C'était Lug qui
-avait envoyé les oiseaux merveilleux, provoqué la chasse, élevé la
-pauvre petite maison où le roi Conchobar, Dechtéré, sa sœur, et leurs
-compagnons avaient trouvé une hospitalité aussi brillante qu'inattendue.
-
-
-[Pg 299]§4.
-
-_Le mortel Sualtam et le dieu Lug, tous deux pères de Cûchulainn._
-
-Lug, cependant, n'était pas l'époux de Dechtéré. Dechtéré, quand elle
-eut un enfant, avait un mari: c'était un des principaux personnages de
-la cour de Conchobar, son frère. On l'appelait Sualtam. Il considérait
-Cûchulainn comme son fils. Nous avons vu comment la violente ardeur
-de ses sentiments paternels causa l'accident étrange qui lui ôta la
-vie[1]. Mais Sualtam n'était pas seul pour donner à Cûchulainn les
-soins que l'affection paternelle inspire. Le dieu Lug aussi veillait
-avec la même tendresse sur les jours du héros que l'Irlande chante
-depuis tant de siècles.
-
-Cûchulainn, couvert de blessures, est seul avec Loeg, son cocher,
-en face de l'armée d'Ailill et de Medb, qui pénètre dans le royaume
-d'Ulster. Dans cette armée sont réunis les guerriers de quatre des cinq
-grandes provinces de l'Irlande, liguées contre la cinquième, qui est
-l'Ulster; et de tous les hommes d'Ulster, un seul est sous les armes
-et soutient le poids de la guerre: c'est Cûchulainn. Il a provoqué à
-des combats singuliers les principaux guerriers de l'armée ennemie; les
-duels ont succédé aux duels;
-[Pg 300]il a toujours été vainqueur, mais il est criblé de blessures et
-accablé de fatigue.
-
-Loeg, son cocher, voit un guerrier qui s'approche. Le crâne, en
-partie dénudé, de ce guerrier porte une couronne de cheveux bouclés
-et blonds; un manteau vert est fixé sur sa poitrine par une blanche
-broche d'argent; des fils d'or donnent à sa tunique une teinte d'un
-jaune rougeâtre. Au centre de son bouclier noir, la saillie d'un _umbo_
-de laiton brille avec l'éclat de l'argent. Chose étrange! ce guerrier
-traversait l'armée ennemie sans adresser la parole à personne ni
-sans que personne lui dît rien. Parmi tant d'hommes réunis, aucun ne
-paraissait le voir.
-
-Cûchulainn reconnut que c'était un _sîde_, un dieu ami qui savait
-ses maux et qui avait pitié de lui.--«Tu es un brave, ô Cûchulainn,»
-dit l'étranger.--«Je n'ai rien fait d'extraordinaire,» répondit
-Cûchulainn.--«Je te viendrai en aide,» reprit le guerrier.--«Qui donc
-es-tu?» demanda Cûchulainn.--«Je suis ton père des _sîde_,» répondit
-l'inconnu. «Je suis Lug, fils d'Ethné.» Le dieu fit tomber Cûchulainn
-dans un sommeil magique qui dura trois jours et trois nuits; il pansa
-et guérit ses blessures[2].
-
-
-[Footnote 1: T. I, p. 191-194.]
-
-[Footnote 2: _Leabhar na hUidhre_, pages 77-78. Ce passage a été
-signalé par M. Sullivan, chez O'Curry, _On the manners_, t. I, page
-CCCCXLVI.]
-
-
-[Pg 301]§5.
-
-_Lug et Conn Cêtchathach, roi suprême d'Irlande au second siècle de
-notre ère._
-
-Le dieu Lug, du cycle mythologique, le vainqueur du dieu de la mort
-Balar, reparaît donc ainsi vivant et tout puissant dans le cycle
-de Conchobar et de Cûchulainn. Nous le retrouvons dans le cycle
-ossianique. La pièce que nous allons citer a été remaniée par un
-écrivain chrétien; mais il est facile de déterminer en quoi consistent
-les additions faites aux données primitives de la légende.
-
-Un matin, Conn Cêtchathach, roi suprême d'Irlande dans la seconde
-moitié du second siècle après notre ère[1], était, au lever du soleil,
-sur les remparts de Tara, sa résidence royale. Le hasard lui fît
-mettre le pied sur une pierre magique dont le nom était _Fâl_, et qui
-avait été jadis apportée en Irlande par les Tûatha Dê Danann quand ils
-vinrent s'y établir, avant l'arrivée des fils de Milé. Aussitôt que
-cette pierre fut touchée par le pied de Conn, elle jeta un cri; et ce
-cri était si puissant, qu'il ne fut pas entendu seulement par Conn et
-par les personnages qui lui faisaient cortège: on l'entendit dans
-[Pg 302]tout Tara, et hors de Tara, jusqu'aux extrémités de la plaine
-environnante, qui s'appelait Breg.
-
-Conn avait près lui, en ce moment, trois druides qui étaient du nombre
-des officiers attachés à sa personne. Il leur demanda ce que signifiait
-le cri de la pierre, comment elle s'appelait, d'où elle venait, où
-elle irait plus tard, et qui l'avait apportée à Tara. Les druides
-demandèrent un délai de cinquante-trois jours; et quand ce délai fut
-expiré, l'un d'eux put répondre à toutes ces questions, une exceptée;
-or la question que le druide laissa sans réponse était la plus
-importante: que signifiait le cri de la pierre? Là-dessus le druide ne
-put donner que des indications incomplètes. «La pierre a prophétisé,»
-dit-il. «Ce n'est pas seulement un cri qu'elle a poussé: j'ai compté
-plusieurs cris, et leur nombre est celui des rois de ta race jusqu'à
-la fin du monde. Mais quant à leurs noms, ce n'est pas moi qui te les
-dirai.»
-
-Aussitôt après, le roi et les assistants aperçurent un brouillard
-qui les environna; et bientôt l'obscurité fut si grande qu'on ne
-distinguait plus rien. Ils entendirent les pas d'un cavalier qui
-s'avançait vers eux. Celui-ci leur lança trois coups de javelot,
-pendant que Conn et le principal druide, effrayés, jetaient des
-cris impuissants. Mais le cavalier mystérieux cessa de les menacer,
-s'approcha d'eux, salua Conn, et l'invita à venir dans sa maison.
-
-Conn accepta et suivit l'inconnu jusqu'à une belle plaine où s'élevait
-une forteresse puissante. Devant la porte se dressait un arbre d'or;
-dans la forteresse
-[Pg 303]Conn aperçut un palais splendide. L'inconnu l'y fit entrer. Le
-roi irlandais fut reçu par une jeune femme qui portait une couronne
-d'or, et il arriva avec son guide dans une salle qui contenait une cuve
-d'argent aux cercles d'or, pleine de bière. Là aussi était un trône sur
-lequel son guide s'assit. Jamais Conn n'avait vu un homme si grand ni
-si beau.
-
-Celui-ci adressa la parole au roi d'Irlande.--«Je suis,» dit-il, «Lug,
-fils d'Ethné, petit-fils de Tigernmas.» Puis il annonça combien de
-temps régnerait Conn, et quelles batailles il devait livrer; il prédit
-les noms de ses successeurs, la durée et les principaux événements de
-leurs règnes[2].
-
-
-[Footnote 1: Tigernach le fait mourir vers l'année 190: O'Conor, _Rerum
-hibernicarum scriptores_, t. II, 1re partie, p. 34; les Quatre Maîtres,
-en 157: O'Donovan, _Annals of the kingdom of Ireland by the Four
-Masters_, 1851, t. I, p. 104-105.]
-
-[Footnote 2: Cette pièce a été publiée par O'Curry, _Lectures on the
-manuscript materials_, p. 618, d'après le ms. du British Museum, coté
-Harleian 5280, qui est du quinzième siècle.]
-
-
-§6.
-
-_Lug est bien un dieu, quoi qu'en aient dit plus tard les Irlandais
-chrétiens._
-
-L'auteur chrétien auquel nous devons l'arrangement de cette pièce,
-qui nous est parvenu, fait dire à Lug:--«Je ne suis pas un _scâl_,
-c'est-à-dire un de ces êtres démoniaques qui ont le privilège de
-l'immortalité: je suis de la race d'Adam; et si je me présente à vous
-aujourd'hui, je n'en ai pas moins subi la loi de la mort.» Ceci est une
-addition relativement moderne dont le but a été d'obtenir pour ce récit
-bizarre la tolérance du clergé chrétien. Lug,
-[Pg 304]qui a prédit à Conn Cêtchathach l'histoire de ce prince et
-celle de ses successeurs, est le dieu qui à Mag-Tured a tué Balar
-d'un coup de pierre, et qui a plus tard donné le jour au fameux héros
-Cûchulainn. Le palais magique où il reçut Conn est celui où, deux
-siècles auparavant, il avait abrité une nuit Conchobar, roi d'Ulster,
-Dechtéré sa sœur, huit autres guerriers, leurs chars et leurs chevaux,
-et où il leur avait fait servir un festin si succulent que jamais on
-n'avait rien vu de comparable dans le palais des rois d'Ulster.
-
-Nous avons raconté plus haut que le 1er août lui était consacré;
-les cérémonies religieuses célébrées en ce jour attiraient un grand
-concours de peuple, et devinrent l'occasion d'assemblées publiques
-où le commerce, les affaires politiques, les jugements, les jeux se
-partageaient les assistants. C'est lui que César considère comme le
-premier des dieux gaulois: à ses yeux, il est identique à Mercure.
-Déjà, au temps de César, on lui avait en Gaule élevé un grand nombre de
-statues[1].
-
-Le nom de _Lugudunum_, ou «forteresse de Lugus,» en irlandais Lug,
-était porté en Gaule par quatre villes importantes aujourd'hui Lyon,
-Saint-Bertrand-de-Comminges, Leyde et enfin Laon[2].
-
-[Pg 305]Sous l'empire romain _Lugudunum_ perdit son second _u_ et
-s'écrivit _Lugdunum_; ce nom est vraisemblablement identique au
-_Lugidunum_ que le géographe Ptolémée signale en Germanie et qui,
-fondé par les Gaulois, était, au temps de Ptolémée, c'est-à-dire
-au commencement du second siècle de notre ère, entre les mains des
-Germains vainqueurs[3].
-
-Le nom du dieu Lugus ou Lug doit aussi, probablement, se reconnaître
-dans le premier terme d'un composé géographique de la Grande-Bretagne,
-_Luguvallum_; ce mot désignait une ville sur l'emplacement exact de
-laquelle nous ne sachons pas que l'on se soit mis d'accord, mais qui
-était située près du mur d'Adrien[4]. Le nom de _Lug-mag_ ou «champ de
-Lug,» était porté en Irlande par une abbaye dont il est question dès le
-septième siècle[5].
-
-Les Irlandais païens prétendaient que Lug habitait leur île; ils
-racontaient même en quel endroit était situé le palais souterrain que
-Dagdé lui avait, disait-on, assigné pour résidence quand l'Irlande eut
-été conquise par les fils de Milé[6].
-
-
-[Footnote 1: «Deum maxime Mercurium colunt; hujus sunt piurima
-simulacra; hunc omnium inventorem artium ferunt, hunc viarum atque
-itinerum ducem, hunc ad questus pecuniæ mercaturasque habere vim
-maximam arbitrantur.» _De bello gallico_, l. VI, chap. 17, § 1.]
-
-[Footnote 2: «Lugdunum Clavatum;» ce nom n'apparaît qu'à l'époque
-mérovingienne.]
-
-[Footnote 3: Ptolémée, édition Nobbe, livre II, chap. 11, § 28.]
-
-[Footnote 4: Il est question plusieurs fois de cette localité dans
-l'_Itinéraire d'Antonin_.]
-
-[Footnote 5: _Annals of the Four Masters_, édition d'O'Donovan, 1851,
-t. I, p. 296, 297, 356, 357. _Chronicum Scotorum_, édition Hennessy, p.
-140, 141. Cette localité s'appelle aujourd'hui Louth.]
-
-[Footnote 6: «Lug, macc Ethnend, is-sîd Rodrubân.» Livre de Leinster,
-p. 245, col. 2, lignes 49, 50.]
-
-
-[Pg 306]§7.
-
-_Ogmé ou Ogmios le champion._
-
-Parmi les dieux qui jouent un rôle dans le cycle mythologique, il y
-en a trois au sujet desquels je ne connais rien à citer dans l'épopée
-héroïque et qui, cependant, continuaient à tenir une place dans la
-pensée des Irlandais chrétiens. C'étaient Ogmé, Dîan-Cecht et Goibniu.
-Ogmé ou Ogma, l'Ogmios de Lucien, est le héros qui, à la bataille
-de Mag-Tured, s'était emparé de l'épée du roi fomôré Téthra[1]. Il
-est surnommé «à la face solaire,» _grîan-ainech_. On lui attribuait
-l'invention de l'écriture ogamique[2] qui a servi aux inscriptions
-funéraires de l'époque païenne, et dont ni les moines irlandais du
-neuvième siècle, ni les scribes des temps postérieurs n'avaient
-perdu la tradition. On le disait fils d'Elada, dont le nom veut dire
-«composition poétique» ou «science.» On le croyait frère de Dagdé[3].
-On prétendait savoir où était situé le _sîd_ ou palais souterrain que
-Dagdé avait assigné à Ogmé après la conquête de l'Irlande par les fils
-de Milé[4]. Tel est, à son sujet, la doctrine
-[Pg 307]ancienne. A partir du onzième siècle, Ogmé, cessant d'être
-considéré comme dieu, prit place parmi les guerriers qui auraient
-été tués à la seconde bataille de Mag-Tured. On raconta aussi qu'il
-avait été enterré à Brug na Boinné, localité située à une distance
-considérable de Mag-Tured. Ce sont là deux légendes contradictoires et
-d'origine différente, mais l'une et l'autre relativement modernes[5].
-
-
-[Footnote 1: Voir plus haut, p. 188-190.]
-
-[Footnote 2: Traité de l'écriture ogamique conservé par le Livre de
-Ballymote, ms. du quatorzième siècle: O'Donovan, _A grammar of the
-irish language_, p. XXVIII.]
-
-[Footnote 3: Livre de Leinster, p. 9, col. 2, lignes 13,-14; p. 10,
-col. 2, lignes 23-24.]
-
-[Footnote 4: «Ogma is-sîd Airceltrai.» Livre de Leinster, p. 245, col.
-2, ligne 50.]
-
-[Footnote 5: Voir plus haut, p. 271.]
-
-
-§8.
-
-_Dîan-Cecht le médecin._
-
-Dîan-Cecht, ou le dieu «au rapide pouvoir,» est un fils de Dagdé[1].
-Corpré le _file_, autre personnage mythologique qui, par une satire,
-avait renversé du trône le Fomôré Bress, était, par sa mère Etan,
-petit-fils de Dîan-Cecht[2]. Dîan-Cecht avait guéri, avec l'aide de
-Creidné, la blessure reçue à la main par le dieu Nûadu en combattant
-les Fir-Bolgs à la tête des Tûatha Dê Danann[3]. Il est le médecin
-des Tûatha Dê Danann. Il fut longtemps, en Irlande, le dieu de la
-médecine[4].
-
-[Pg 308]Le manuscrit 1395 de la bibliothèque de Saint-Gall contient
-un feuillet de parchemin sur un côté duquel on a prétendu représenter
-saint Jean l'évangéliste; sur l'autre face, des scribes irlandais,
-au huitième ou au neuvième siècle, ont écrit des incantations partie
-chrétiennes, partie païennes. Dans une de ces incantations, on lit ces
-mots: «J'admire la guérison que Dîan-Cecht laissa dans sa famille,
-afin que la santé vînt à ceux qu'il aidera[5].» Ainsi, les Irlandais
-chrétiens du huitième ou du neuvième siècle croyaient encore à
-Dîan-Cecht une puissance surnaturelle, et l'invoquaient dans leurs
-maladies.
-
-
-[Footnote 1: «Corand, cruittire sede do Dîan-Cecht, mac in Dagdai.»
-_Dinn-senchus_, en prose dans le _Livre de Leinster_, p. 165, col.
-1, lignes 35, 36. Il n'y a, je crois, pas grand compte à tenir des
-généalogies réunies sur les premières lignes de la col. 1 de la page 10
-du _Livre de Leinster_. Dîan-Cecht y est fait fils d'Erarc, lignes 3-4.]
-
-[Footnote 2: Livre de Leinster, p. 9, col. 2, lignes 21-26.]
-
-[Footnote 3: Voir plus haut, p. 154-177.]
-
-[Footnote 4: Sur Dîan-Cecht, considéré comme dieu de la médecine, voyez
-Glossaire de Cormac, au mot _Dîan-Cecht_: Whitley Stokes, _Three irish
-glossaries_, p. 16, et _Sana Chormaic_, p. 56. Consulter aussi, dans le
-présent volume, la p. 177.]
-
-[Footnote 5: «Admuinur in-slânicid foracab Dîan-Cecht li-a-muntir,
-corop-slân ani for-sa-te.» Zimmer, _Glossæ hibernicæ_, p. 271. Cf.
-_Verzeichniss der Handschriften der Stiftsbibliothek von St Gallen_,
-1875, p. 462, 463.]
-
-
-§9.
-
-_Goibniu le forgeron et son festin._
-
-Nous avons vu Goibniu fabriquer les fers de lance des Tûatha Dê Danann
-à la bataille mythique de Mag-Tured[1]. Le manuscrit de Saint-Gall,
-que nous venons de citer, contient, sur la page déjà mentionnée, une
-incantation destinée à assurer la conservation du beurre; et, dans
-cette pièce, le nom de
-[Pg 309]Goibniu est trois fois prononcé: «Science de Goibniu! du grand
-Goibniu! du très grand Goibniu![2]» Pourquoi cette triple invocation à
-propos de beurre?
-
-Les Irlandais du huitième ou du neuvième siècle considéraient Goibniu
-comme une sorte de dieu de la cuisine; et, en effet, c'était le festin
-de Goibniu qui assurait aux Tûatha Dê Danann l'immortalité[3]. Ce
-festin consistait principalement en bière et cette bière présente en
-Irlande une frappante analogie avec le nectar associé à l'ambroisie
-chez les Grecs[4]. A quel propos Goibniu le forgeron divin, dont le nom
-dérive de _goba, gobann_, «forgeron,» était-il en Irlande chargé de
-préparer la merveilleuse boisson qui donnait l'immortalité aux dieux?
-Nous ne saurions le dire, mais il y a là un mythe fort ancien, et qui
-semble avoir appartenu à la race hellénique en même temps qu'à la race
-celtique, puisque, dans le premier chant de l'_Iliade_, Héphaistos, qui
-est forgeron comme Goibniu, sert à boire aux dieux[5].
-
-[Pg 310]Le clergé chrétien d'Irlande paraît avoir eu moins de confiance
-dans la science du forgeron Goibniu que le scribe inconnu auquel on
-doit la transcription du charme destiné à conserver le beurre comme
-nous venons de le dire. La prière que le _Livre des hymnes_ attribue
-à saint Patrice demande le secours de Dieu «contre les sortilèges des
-femmes, des forgerons et des druides, contre toute science qui perd
-l'âme de l'homme[6];» et, dans cette science maudite, est comprise
-la «science» de Goibniu, invoquée par l'incantation de Saint-Gall au
-huitième ou au neuvième siècle, c'est-à-dire la science du forgeron
-divin qui conservait le beurre des humains ses adorateurs, et qui,
-par son festin, assurait aux dieux l'immortalité. C'est une science
-diabolique, et que le saint apôtre de l'Irlande considère comme ennemie.
-
-
-[Footnote 1: Voyez plus haut, p. 181.]
-
-[Footnote 2: «Fiss Goibnen, aird Goibnenn, renaird Goibnenn.» Zimmer,
-_Glossæ hibernicæ_, p. 270.]
-
-[Footnote 3: Voir plus haut, p. 277-278. O'Curry, dans l'_Atlantis_,
-t. III, p. 389, note, a réuni deux textes relatifs à cette croyance.
-L'expression que ces textes emploient est _fled Goibnenn_, «festin de
-Goibniu,» mais dans ce festin on n'était guère occupé qu'«à boire», _ic
-ol_; ce qu'on y prenait était une «boisson,» _deoch_; c'était cette
-boisson qui rendait immortel. Il s'agit donc ici de la bière, _lind_ ou
-_cuirm_, dont il est question dans d'autres textes. Comparez p. 275,
-317.]
-
-[Footnote 4: _Odyssée_, livre V, vers 93, 199; livre IX, 359.]
-
-[Footnote 5: _Iliade_, livre I, vers 597-600.]
-
-[Footnote 6:
-
- «Fri brichta ban ocus goband ocus druad,
- Fri cech fiss arachuiliu anmain duini.»
-
-Hymne de saint Patrice, vers 48, 49, chez Windisch, _Irische Texte_, p.
-56. Comparez «Fiss Goibnenn», dans l'incantation citée p. 309.]
-
-
-[Pg 311]CHAPITRE XIV.
-
-LES TÛATHA DE DANANN APRÈS LA CONQUÊTE DE L'IRLANDE PAR LES FILS DE
-MILÉ.--TROISIÈME PARTIE: LES DIEUX MIDER ET MANANNAN MAC LIR.
-
-§1. Le dieu Mider. Etâin, sa femme, est enlevée par Oengus, puis naît
-une seconde fois et devient fille d'Etair.--§2. Etâin est femme du roi
-suprême d'Irlande. Mider la courtise.--§3. La partie d'échecs.--§4.
-Mider fait de nouveau la cour à Etâin. Poème qu'il lui chante.--§5.
-Mider enlève Etâin.--§6. Manannân mac Lir et Bran, fils de Febal.--§7.
-Manannân mac Lir et le héros Cûchulainn.--§8. Manannân mac Lir et
-Cormac, fils d'Art. Première partie. Cormac échange contre une branche
-d'argent sa femme, son fils et sa fille.--§9. Manannân mac Lir et le
-roi Cormac, fils d'Art. Deuxième partie. Cormac retrouve sa femme,
-son fils et sa fille.--§10. Manannân mac Lir est père de Mongân, roi
-d'Ulster au commencement du sixième siècle de notre ère.--§11. Mongân,
-fils d'un dieu, est un être merveilleux.
-
-
-§1.
-
-_Le dieu Mider. Etâin, sa femme, est enlevée par Oengus, puis naît une
-seconde fois, et devient fille d'Etair._
-
-Nous allons maintenant parler de deux personnages
-[Pg 312]divins qui ne jouent aucun rôle dans les événements que raconte
-le _Livre des conquêtes_, et que cette compilation ne mentionne qu'en
-passant: ce sont Mider et Manannân. Mider, dont le _sîd_, ou palais
-souterrain, s'appelait Bregleith, fut, nous l'avons vu, un des deux
-pères nourriciers d'Oengus, fils de Dagdé. Il eut deux femmes, appelées
-l'une Etâin[1], l'autre Fuamnach[2], toutes deux déesses ou _sîde_.
-Mais, de ces deux épouses, il perdit la première d'une façon qui lui
-fut pénible, et l'attachement invariable qu'il conserva pour elle amena
-une suite d'aventures étranges d'abord et finalement tragiques.
-
-Un vieux récit, qui fait partie du cycle de Conchobar et de Cûchulainn,
-nous fait remonter à une époque où l'élève de Mider, Oengus, qui
-épousa, comme nous l'avons vu, Caer, fille d'Ethal Anbual, avait enlevé
-Etâin à son maître ou père nourricier.
-
-Etâin, séparée de Mider, devint l'épouse d'Oengus, qui lui témoignait
-la plus vive tendresse, la logeait dans une chambre remplie de fleurs
-odoriférantes, et mettait son bonheur à passer avec elle les soirées
-et les nuits. Cependant, Mider n'oubliait pas Etâin, il la regrettait,
-désirait la reprendre, et Fuamnach, la femme qui lui restait, en
-ressentait une violente jalousie. Un jour, Fuamnach profita de l'absence
-[Pg 313]d'Oengus, qu'elle avait eu l'adresse de faire sortir sous
-prétexte d'une entrevue avec Mider et d'un projet d'accommodement entre
-l'élève et le maître.
-
-Un coup de vent, envoyé par elle, enleva Etâin de la chambre charmante
-que l'amour d'Oengus lui avait donnée pour logis. Le vent[3] déposa
-Etâin sur le toit d'une maison, où les grands seigneurs d'Ulster,
-accompagnés de leurs femmes, étaient réunis et buvaient. Du toit, par
-l'ouverture qui servait de cheminée, Etâin tomba dans une coupe d'or
-qui se trouvait sur la table, à côté d'une des femmes. Cette coupe
-contenait de la bière. En buvant cette bière, la femme avala Etâin,
-dont elle accoucha neuf mois après.
-
-Celle qui devint ainsi mère d'Etâin avait un mari qui s'appelait Etair
-et qui passa pour le père de la jeune fille. «Jeune fille» ici peut
-sembler inexact, car Etâin était âgée de mille douze ans quand la femme
-d'Etair la mit au monde; mais les dieux ne vieillissent pas; et de
-plus, Etâin commençait une nouvelle vie[4].
-
-
-[Footnote 1: _Tochmarch Etaine_, chez Windisch, _Irische Texte_, p.
-127, lignes 8, 24.]
-
-[Footnote 2: Livre de Leinster, p. 11, col. 2, ligne 20. Le même
-passage nous apprend qu'elle était sœur de Siugmall; cf. Windisch,
-_Irische Texte_, p. 132, ligne 20, et Livre de Leinster, p. 23, col. 1,
-lignes 37-38.]
-
-[Footnote 3: Dans l'_Odyssée_, livre VI, vers 20, la déesse Athéné,
-approchant du lit où dormait Nausicaa, fille du roi des Phéaciens, est
-comparée au souffle du vent.]
-
-[Footnote 4: _Leabhar na hUidhre_, p. 129, fragment publié par
-Windisch, _Irische Texte_, p. 130-131.]
-
-
-§2.
-
-_Etâin est femme du roi suprême d'Irlande. Mider la courtise._
-
-Quand Etâin fut grande elle devint la plus belle
-[Pg 314]des filles d'Irlande et la femme du roi suprême Eochaid
-Airem, dont la capitale était Tara. Le règne d'Eochaid Airem, suivant
-Tigernach[1], aurait été contemporain de la toute-puissance de César,
-mort, comme on sait, en l'an 44 avant notre ère.
-
-Un des textes qui nous racontent comment se fit le mariage d'Eochaid
-a soin de nous signaler l'accomplissement d'une des principales
-formalités juridiques par lesquelles se formait le lien conjugal dans
-le droit irlandais: Eochaid, avant le mariage, donna à Etâin un douaire
-de sept _cumal_, c'est-à-dire de sept femmes esclaves, ou d'une valeur
-équivalente. Et ce fut après cela qu'ils devinrent époux.
-
-Mais Mider n'avait pas cessé d'aimer Etâin. Il profita d'une absence
-du roi pour venir rappeler à la jeune femme le temps où jadis, dans
-le monde des dieux, il était son mari. Il lui proposa de le suivre
-dans sa mystérieuse résidence de Bregleith. Etâin, respectant les
-liens nouveaux qu'elle avait formés, repoussa cette proposition. «Je
-n'échangerai pas,» dit-elle, «le roi suprême d'Irlande pour un mari
-comme toi, qui n'a pas de généalogie et auquel on ne connaît pas
-d'ancêtres[2].»--Mider ne se tint pas pour battu.
-
-
-[Footnote 1: O'Conor, _Rerum hibernicarum scriptores_, t. II, 1re
-partie, p. 8.]
-
-[Footnote 2: Windisch, _Irische Texte_, lignes 30-31. Ce passage
-est emprunté au _Leabhar na hUidhre_, manuscrit du onzième siècle.
-Rien n'établit plus catégoriquement la date récente des généalogies
-compliquées attribuées aux Tûatha Dê Danann par divers documents.
-Voyez, sur les ancêtres qu'on donne à Mider, Livre de Leinster, p.
-11, col. 1, ligne 51, et p. 10, col. 1, lignes 2 et suiv. Comparez le
-tableau généalogique publié par O'Curry, _Atlantis_, t. III, en face de
-la p. 382.]
-
-
-[Pg 315]§3.
-
-_La partie d'échecs._
-
-Par une belle journée d'été, Eochaid Airem, roi suprême de l'Irlande
-et mari d'Etâin, de retour à Tara, regardait du haut de sa forteresse
-dans la plaine. Il admirait la campagne et ses tons harmonieux. Il vit
-s'approcher un guerrier inconnu. Cet étranger était vêtu d'une tunique
-de pourpre; ses cheveux étaient jaunes comme de l'or; son œil bleu
-brillait comme une chandelle. Il portait une lance à cinq pointes et un
-bouclier orné de perles d'or.
-
-Eochaid lui souhaita la bienvenue, tout en lui disant qu'il ne le
-connaissait point.--«Je te connais bien, moi, et depuis longtemps,»
-dit le guerrier.--«Quel est ton nom?» demanda Eochaid.--«Il n'a
-rien d'illustre,» répondit l'étranger. «Je m'appelle Mider de
-Bregleith.»--«Quelle raison t'amène ici?» reprit Eochaid.--«Je viens,»
-dit l'inconnu, «jouer aux échecs avec toi.»--«Je suis fort aux échecs,»
-dit Eochaid, qui passait pour le premier joueur d'échecs d'Irlande.
-«Nous verrons ce qu'il en est,» reprit Mider.--«Mais,» répondit
-Eochaid, «la reine dort en ce moment, et c'est dans sa chambre qu'est
-mon jeu d'échecs[1].»--«Peu
-[Pg 316]importe,» répliqua Mider, «j'ai avec moi un jeu qui n'est pas
-moins beau que le tien.»
-
-Et il disait la vérité. L'échiquier qu'il apportait était d'argent,
-à chaque coin brillaient des pierres précieuses. D'un sac fait d'une
-brillante étoffe de fil de laiton, il tire les guerriers, c'est-à-dire
-les pièces, qui étaient d'or. Il dispose l'échiquier comme il fallait.
-
---«Joue,» dit-il au roi.--«Je ne jouerai pas sans enjeu,» répondit
-Eochaid.--«Quel sera l'enjeu?» dit Mider.--«Cela m'est égal,» reprit
-Eochaid.--«Quant à moi,» répliqua Mider, «si tu gagnes je te donnerai
-cinquante chevaux bruns à la poitrine large, aux pieds minces et
-agiles.»--«Et moi,» reprit le roi, comptant sur le succès, «si je
-perds, je te donnerai ce que tu voudras[2].»
-
-Mais, contre son attente, Eochaid fut battu par Mider. Et quand il
-demanda à son adversaire, selon les conventions préalables, ce que
-celui-ci désirait: «C'est ta femme,» répondit Mider, «c'est Etâin que
-je veux.» Le roi fit observer que, d'après les règles du jeu, celui
-qui perdait la première partie avait droit à la revanche, c'est-à-dire
-qu'il fallait une seconde partie perdue pour rendre définitif le
-résultat
-[Pg 317]de la première. Et il proposa de renvoyer à un an cette partie
-nouvelle. Mider accepta le délai bien que de mauvaise grâce, et il
-disparut, laissant le roi et sa cour interdits.
-
-
-[Footnote 1: Il n'est pas bien sûr que le jeu dont il s'agit ici
-soit précisément le jeu d'échecs tel que nous l'entendons, qui est
-originaire de Perse. Cf. O'Donovan, _The book of rights_, p. LXI.]
-
-[Footnote 2: Il y a ici une lacune dans le manuscrit qui nous sert
-de base, c'est-à-dire dans le _Leabhar na hUidhre_. Cette lacune est
-d'un feuillet au moins. Nous la complétons à l'aide: 1° d'une analyse
-d'O'Curry (_On the Manners_, t. II, p. 192-194; t. III, p. 162-163,
-190-192), qui a eu entre les mains d'autres manuscrits; 2° de la partie
-du récit qui suit et que le _Leabhar na hUidhre_ nous a conservé.]
-
-
-§4.
-
-_Mider fait de nouveau la cour à Etâin. Le poème qu'il lui chante._
-
-Eochaid fut un an sans revoir Mider. Mais pendant ce temps, Etâin
-reçut du dieu amoureux de nombreuses visites. L'auteur inconnu de la
-composition épique dont nous donnons l'analyse met dans la bouche de
-Mider un poème qui ne paraît pas être ici tout à fait à sa place.
-C'était le chant que le messager de la mort faisait entendre aux femmes
-qu'il enlevait pour les conduire au séjour mystérieux de l'immortalité.
-
-«O belle femme, viendras-tu avec moi dans la terre merveilleuse où l'on
-entend une jolie musique, où sur les cheveux on porte une couronne de
-primevères, où de la tête aux pieds le corps est couleur de neige, où
-personne n'est triste ni silencieux, où les dents sont blanches et les
-sourcils noirs..... les joues rouges comme la digitale en fleur.....
-L'Irlande est belle, mais bien peu de paysages y sont aussi séduisants
-que celui de la Grande Plaine où je t'appelle. La bière d'Irlande
-enivre, mais la bière de la Grande Terre est bien plus
-[Pg 318]enivrante. Quel pays merveilleux que celui dont je parle! La
-jeunesse n'y vieillit point. Il y coule des ruisseaux d'un liquide
-chaud, tantôt d'hydromel, tantôt de vin, toujours de choix. Les hommes
-y sont charmants, sans défaut, l'amour n'y est pas défendu. O femme,
-quand tu viendras dans mon puissant pays, ce sera une couronne d'or que
-tu porteras sur la tête. Je te donnerai du porc frais; tu auras de moi
-pour boisson de la bière[1] et du lait, ô belle femme!--O belle femme,
-viendras-tu avec moi[2]?»
-
-Ces doctrines sur l'autre vie étaient connues en Grèce. Au cinquième
-siècle avant notre ère, Platon en avait entendu parler et les
-attribuait à Musée. «Suivant cet auteur,» dit le célèbre philosophe
-athénien, «les justes, dans l'Hadès ou séjour des morts, sont admis au
-banquet des saints, et, couronnés de fleurs, ils passent leur temps
-dans une éternelle ivresse[3].»
-
-Le morceau mis dans la bouche de Mider par la composition épique que
-nous analysons n'est donc
-[Pg 319]point ici à sa place. Mider voulait ramener Etâin dans un pays
-où elle avait vécu plusieurs siècles et qu'elle connaissait fort bien;
-ce n'est pas à la «Grande Terre,» où tous les humains se réunissent
-après la mort, c'était dans son propre palais, à Bregleith, qu'il
-voulait la conduire; et l'amour qu'il lui offrait était le sien, il ne
-lui proposait pas pour amants les hommes charmants et sans défauts qui
-habitent le domaine mystérieux de la mort.
-
-Ses efforts furent impuissants. La fidélité d'Etâin au roi son époux
-resta inébranlable. Mider avait beau lui faire les offres les plus
-séduisantes de bijoux et de trésors: «Je ne puis,» disait-elle,
-«quitter mon mari que s'il y consent.» Pendant ce temps, Eochaid
-comptait avec angoisse les jours qui le séparaient de la date
-redoutable à laquelle Mider devait reparaître. On prétend que son
-surnom, qui paraît avoir été _Airem_, au génitif _Airemon_, vient
-d'_Aram_, «nombre,» et veut dire celui qui compte.
-
-
-[Footnote 1: Sur le porc et la bière des dieux, voir plus haut, p. 275.]
-
-[Footnote 2: _Leabhar na hUidhre_, p. 131; Windisch, _Irische
-Texte_, p. 132, 133. J'ai retranché de la traduction plusieurs vers
-où paraissent nécessaires des corrections qu'il n'est pas prudent
-de risquer sans avoir vu d'autres manuscrits. Le quatrain qui, dans
-l'édition de M. Windisch, forme les lignes numérotées 11 et 12, exprime
-une pensée chrétienne qui a été intercalée pour faire passer le reste,
-et je l'ai supprimé.]
-
-[Footnote 3: _République_, livre II; _Platonis opera_, édit.
-Didot-Schneider, t. II, p. 26, lignes 15-20.]
-
-
-§5.
-
-_Mider enlève Etâin._
-
-L'année finie, Eochaid se trouvait à Tara, entouré des grands seigneurs
-d'Irlande, quand apparut Mider, qui semblait fort mécontent.--«Nous
-allons,» dit Mider, «jouer notre seconde partie d'échecs.»--«Quel sera
-l'enjeu?» demanda Eochaid.--» Ce que désirera le gagnant,» répondit
-Mider, «et cette
-[Pg 320]partie-ci sera la dernière.» «Que désires-tu?,» reprit
-Eochaid.--«Mettre mes deux mains autour de la taille d'Etâin,» dit
-Mider, «et lui donner un baiser.» Eochaid se tut d'abord; puis enfin,
-élevant la voix:--«Reviens dans un mois,» lui dit-il, «et on te donnera
-ce que tu demandes.» Mider accepta ce nouveau délai, il partit.
-
-Quand arriva le jour fatal, Eochaid était au milieu de la grande salle
-de son palais à Tara, avec sa femme; autour d'eux se pressaient en
-rangs épais les plus braves guerriers de l'Irlande, que le roi avait
-appelés à son aide et qui remplissaient non seulement le palais, mais
-la cour de la forteresse; les serrures des portes étaient fermées.
-Eochaid comptait résister par la force au rival qui prétendait lui
-enlever sa femme. La journée se passa et le dieu terrible ne paraissait
-point. La nuit vint. Tout d'un coup, on aperçut Mider au milieu de
-la salle. On ne l'avait pas vu entrer. Le beau Mider, dit le conteur
-irlandais, était, cette nuit, plus beau que jamais.»
-
-Eochaid le salua: «Me voici,» dit Mider; «donne-moi ce que
-tu m'as promis. C'est une dette et j'ai le droit d'en exiger
-l'acquittement.»--«Je n'y ai pas songé jusqu'à présent,» répondit
-Eochaid hors de lui. «Tu m'as promis de me donner Etâin,» répliqua
-Mider.
-
-A ces mots, la rougeur monta au visage d'Etâin. Mider lui adressa la
-parole: «Ne rougis pas,» lui dit-il, «tu n'as pas de reproche à te
-faire. Depuis
-[Pg 321]un an, je ne cesse de solliciter ton amour, en t'offrant
-bijoux et richesses. Tu es la plus belle des femmes d'Irlande et tu as
-refusé de m'écouter aussi longtemps que ton mari ne t'en aurait pas
-accordé la permission.»--«Je t'ai dit,» reprit Etâin, «que je n'irai
-pas où tu m'appelles, tant que mon mari ne m'aura pas cédée à toi.
-Je me laisserai prendre si Eochaid me donne.»--«Je ne te donnerai
-pas,» s'écria Eochaid. «Je consens seulement à ce qu'il mette ses
-deux mains autour de ta taille ici, dans cette salle, comme il a été
-convenu.»--«Cela va être fait,» répondit Mider.
-
-Il tenait une lance dans sa main droite; il la fit passer dans la main
-gauche, et, de son bras droit saisissant Etâin, il s'éleva en l'air
-et disparut avec elle par l'ouverture qui, pratiquée dans le toit,
-servait de cheminée aux palais irlandais. Les guerriers qui entouraient
-le roi se levèrent honteux de leur impuissance; ils sortirent et ils
-aperçurent deux cygnes qui voltigeaient autour de Tara; leurs longs et
-blancs cous étaient unis par un joug d'or.
-
-Les Irlandais virent souvent, plus tard, des couples merveilleux de
-cette espèce. Mais alors, c'était la première fois qu'un tel spectacle
-leur était donné. Dans ces deux cygnes, Eochaid et ses guerriers
-reconnurent Mider et Etâin; mais les deux fugitifs étaient trop loin
-pour qu'on pût les atteindre[1]. Plus tard, cependant, un druide apprit
-à Eochaid
-[Pg 322]où se trouvait le palais souterrain de Mider. Eochaid, avec
-le secours de la puissance magique que les druides possèdent, força
-l'entrée de cette résidence mystérieuse, et il reprit au dieu vaincu
-la femme si belle et si aimée. Mais un jour Mider se vengea: la mort
-tragique du roi suprême Conairé, petit-fils par sa mère d'Eochaid
-Airem et d'Etâin, fut causée par la haine implacable de ce dieu et de
-ses gens, c'est-à-dire des _sîde_ de Bregleith, contre la postérité
-d'Eochaid Airem et de la femme que ce prince avait enlevée à l'amoureux
-Mider[2].
-
-
-[Footnote 1: _Leabhar na hUidhre_, p. 132.]
-
-[Footnote 2: _Leabhar na hUidhre_, p. 99, col. 1, lignes 12 et suiv.
-Nous connaissons, au sujet de Mider, quelques documents que nous
-n'avons pas utilisés ici. Ainsi, sur l'intervention de ce dieu dans
-la légende d'Eochaid mac Maireda, voyez _Leabhar na hUidhre_, p. 39,
-col. 2, ligne 1. Mider, roi des hommes de Ferfalga, beau-père du héros
-Cûroi, est probablement identique à notre dieu. O'Curry, _On the
-Manners_, t. III, p. 80.]
-
-
-§6.
-
-_Manannân mac Lir et Bran, fils de Febal._
-
-Manannân mac Lir, comme son nom l'indique, est fils de Ler,
-c'est-à-dire de la Mer. Entre lui et les autres dieux, ou Tûatha
-Dê Danann, dont nous avons parlé jusqu'ici, il y a une différence
-importante: le palais merveilleux qu'il habite n'est pas situé en
-Irlande; il se trouve dans une île de la mer, et à une distance assez
-grande des côtes pour être
-[Pg 323]inaccessible dans les conditions ordinaires de la navigation. A
-ce point de vue, Manannân et quelques autres dieux de la catégorie des
-Tûatha Dê Danann présentent une certaine analogie avec les Fomôré: il
-faut faire un voyage par mer pour atteindre leur résidence, comme pour
-gagner la vaste terre où, sous la domination des Fomôré, les défunts
-trouvent les joies d'une vie nouvelle, et l'immortalité.
-
-Bran, fils de Febal, est un des voyageurs qu'un navire a transportés
-dans les îles des Tûatha Dê Danann. Il en est revenu, et a pu raconter
-son histoire.
-
-Un jour, il était seul près de son palais; il entendit une musique très
-douce qui l'endormit, et, en se réveillant, il trouva à côté de lui
-une branche d'argent, couverte de fleurs[1]. Il la prit, et l'apporta
-chez lui; mais il ne la garda pas longtemps. Un jour, il y avait chez
-lui réunion nombreuse; beaucoup de chefs, accompagnés de leurs femmes,
-étaient rassemblés dans son palais, quand apparut une femme inconnue
-qui l'invita à se rendre dans le pays mystérieux des _Sîde_. Puis elle
-disparut, et avec elle la branche d'argent.
-
-Bran s'embarqua le lendemain, et trente personnes avec lui. Au bout de
-deux jours, ils rencontrèrent Manannân mac Lir, roi du pays inconnu
-vers lequel ils naviguaient. Manannân était dans un char, et
-[Pg 324]chantait en vers le bonheur de son royaume. Bran continua son
-voyage et arriva dans une île qui n'était peuplée que de femmes. La
-reine était celle qui l'avait invité. Il y resta longtemps, puis revint
-en Irlande[2].
-
-
-[Footnote 1: On trouvera plus bas, p. 327, une branche analogue, dans
-la légende de Cormac.]
-
-[Footnote 2: Il y a de cette pièce plusieurs manuscrits. Le plus ancien
-est le _Leabhar na hUidhre_, p. 121, mais il ne contient plus qu'un
-très court fragment. Vient ensuite, par ordre de date, le manuscrit H.
-2. 16, du collège de la Trinité de Dublin, col. 395-399.]
-
-
-§7.
-
-_Manannân mac Lir et le héros Cûchulainn._
-
-Le nom de Manannân mac Lir est mêlé aux événements épiques qui forment
-le cycle de Conchobar et de Cûchulainn et le cycle ossianique. On le
-retrouve enfin dans un des morceaux qui continuent jusqu'au septième
-siècle l'histoire épique de l'Irlande.
-
-La femme de Manannân était Fand, fille d'Aed Abrat et déesse comme lui.
-Un jour, il l'abandonna; elle, pour se venger, rechercha en mariage le
-héros Cûchulainn[1], qui avait déjà une femme légitime, Emer[2], et une
-concubine, Ethné Ingubai[3]. Elle habitait une île où elle attira le
-héros. C'était le «pays lumineux,» _Tîr Sorcha_[4].
-
-[Pg 325]Loeg, cocher de Cûchulainn, qui, avant son maître, alla en
-éclaireur visiter cette étrange contrée, revint rempli d'admiration.
-Il y avait vu un arbre merveilleux[5], de beaux hommes, de belles
-femmes, vêtus d'habits magnifiques, faisant bonne chère, écoutant une
-musique délicieuse. Mais, ce qui l'avait surtout frappé était la beauté
-de Fand. Il n'y avait, en Irlande, ni roi ni reine qui l'égalassent.
-«Ethné Ingubai, la concubine de Cûchulainn, est bien jolie,» disait-il;
-«mais une femme comme Fand rend les gens fous[6].»
-
-Cûchulainn se laissa séduire, épousa Fand, la ramena en Irlande.
-Jusque-là, Emer avait supporté patiemment les infidélités momentanées
-du volage héros, et avait admis, en outre, qu'il eût une concubine de
-rang inférieur; alors elle devint jalouse pour la première fois; elle
-ne put souffrir dans Fand une rivale égale ou supérieure à elle, et
-qui semblait devoir occuper définitivement la première place dans le
-cœur du plus grand des guerriers irlandais. Elle voulut tuer Fand.
-Cûchulainn s'y opposa; mais l'ardeur de la passion qu'Emer avait
-témoignée réveilla chez lui des sentiments qui semblaient éteints;
-[Pg 326]voyant la douleur d'Emer, il lui dit, pour la consoler, qu'il
-la trouvait toujours jolie, et qu'il n'avait pas cessé de l'aimer. Fand
-était présente. Profondément blessée de cette réconciliation, elle
-abandonna Cûchulainn.
-
-Au même moment Manannân, sachant la détresse de l'épouse qu'il avait eu
-le tort de quitter, venait la chercher. Il s'approcha de Fand: visible
-pour elle, il était invisible pour tout autre. Ayant été bien accueilli
-par elle, il se rendit tout à coup visible aux yeux de Cûchulainn et
-de son cocher Loeg. Il partit emmenant Fand, qui, pour Cûchulainn,
-était à jamais perdue et que l'art des druides fit oublier à ce héros
-passionné[7].
-
-
-[Footnote 1: _Serglige Conculaind_, ou «Maladie de Cûchulainn,» chez
-Windisch, _Irische Texte_, p. 209, lignes 20 et suiv.]
-
-[Footnote 2: _Ibid._, p. 208, lignes 12 et suiv.; p. 214, lignes 19 et
-suiv.]
-
-[Footnote 3: _Ibid._, p. 206, lignes 17, 18; p. 207, lignes 9 et suiv.;
-p. 208, ligne 19.]
-
-[Footnote 4: Windisch, _Irische Texte_, p. 219, ligne 18.]
-
-[Footnote 5: C'est probablement de cet arbre que furent détachées la
-branche d'argent de Bran mac Febail dont il a été déjà question et
-la branche aux pommes d'or de Cormac dont nous parlerons plus loin.
-On peut comparer les arbres du palais souterrain de Brug na Boinné,
-p. 274-275. L'île d'Avalon, c'est-à-dire du Pommier, dans le cycle
-d'Arthur, tire sans doute son nom d'un arbre analogue.]
-
-[Footnote 6: Windisch, _Irische Texte_, p. 219, ligne 25; p. 220,
-lignes 5, 6.]
-
-[Footnote 7: Windisch, _Irische Texte_, p. 222-227.]
-
-
-§8.
-
-_Manannân mac Lir et Cormac, fils d'Art.--Première partie: Cormac
-échange contre une branche d'argent sa femme, son fils et sa fille._
-
-Nous retrouvons Manannân mac Lir dans le cycle ossianique. Un des
-principaux personnages de ce cycle est Cormac mac Airt, ou Cormac fils
-d'Art, dit aussi Cormac hûa Cuinn, c'est-à-dire petit-fils de Conn.
-Dans les annales de Tigernach, dont l'auteur mourut, comme on sait, en
-1088, on lit, sous une date qui paraît correspondre à l'an 248 de notre
-ère,
-[Pg 327]la mention suivante: «Disparition de Cormac, petit-fils de
-Conn, pendant sept mois[1].» La disparition de Cormac mac Airt est
-un événement merveilleux dont le récit est compris dans la seconde
-liste des récits que racontaient les _filé_; et cette liste paraît
-remonter au dixième siècle. Notre légende y est désignée sous le
-nom d'«Aventures» ou d'«Expédition de Cormac mac Airt.» Ce titre se
-retrouve en tête de la pièce dont il s'agit dans deux manuscrits du
-quatorzième siècle, mais avec une addition d'où il résulte que le
-pays où Cormac se serait rendu s'appelle «Terre de la Promesse»[2].
-Des manuscrits plus récents intitulent ce morceau: «Trouvaille de la
-branche par Cormac mac Airt.» On va comprendre pourquoi.
-
-Un jour, Cormac mac Airt, roi suprême d'Irlande, était dans sa
-forteresse de Tara. Il vit dans la prairie qui en dépendait un jeune
-homme qui tenait à la main une branche merveilleuse; neuf pommes d'or
-y étaient suspendues[3]. Quand on agitait cette branche, les pommes
-s'entre-choquant produisaient une musique étrange et douce. Personne ne
-pouvait l'entendre sans oublier à l'instant ses chagrins et ses maux.
-[Pg 328]Puis tous, hommes, femmes et enfants, s'endormaient.
-
---«Cette branche t'appartient-elle?» demanda Cormac au jeune
-homme.-«Oui, certes,» répondit celui-ci.--«Veux-tu la vendre?» reprit
-Cormac.--«Oui,» dit le jeune homme. «Je n'ai jamais rien eu qui ne fût
-à vendre.»--«Quel prix en exiges-tu?» dit Cormac.--«Je te l'apprendrai
-après,» répliqua le jeune homme.-«Je te donnerai ce que tu jugeras à
-propos,» répondit Cormac. «Et suivant toi, que te dois-je?»--«Ta femme,
-ton fils et ta fille.»--«Tu les auras tous les trois,» répliqua le roi.
-
-Le jeune homme lui donna la branche, et ils entrèrent tous deux dans
-le palais. Cormac y trouva réunis sa femme, son fils et sa fille.--«Tu
-as là un bien joli bijou,» lui dit sa femme.--«Ce n'est pas étonnant,»
-répondit Cormac: «je le paie un gros prix.» Et il raconta le marché
-qu'il avait fait.--«Nous ne croirons jamais,» répondit sa femme, «qu'il
-y ait en ce monde un trésor que tu préfères à nous trois.»--«Il est
-vraiment trop dur,» s'écria la fille de Cormac, «que mon père nous ait
-échangés contre une branche!» La femme, le fils et la fille étaient
-tous les trois dans la désolation. Mais Cormac secoua la branche. A
-l'instant ils oublièrent leur affliction, ils allèrent joyeux au-devant
-du jeune homme, et partirent avec lui.
-
-Bientôt la nouvelle de cet événement étrange se répandit dans Tara
-d'abord, puis dans toute l'Irlande. On aimait beaucoup la reine et ses
-deux enfants;
-[Pg 329]il s'éleva un immense cri de douleur et de regret. Mais Cormac
-secoua sa branche; aussitôt les plaintes cessèrent, et le chagrin de
-ses sujets fit place à la joie.
-
-
-[Footnote 1: «Teasbhaidh Cormaic hua Cuinn fri-re secht miss.» O'Conor,
-_Rerum hibernicarum scriptores_, t. II, première partie, p. 44. La même
-expression est employée pour désigner l'enlèvement d'Etâin par Mider.
-_Leabhar na hUidhre_, p. 99, col. 1, ligne 13.]
-
-[Footnote 2: _Tîr Tairngiri_. Livre de Ballymote, f° 142, verso.
-Manuscrit du collège de la Trinité de Dublin, coté H. 2. 16, col. 889.
-Cf. p. 331.]
-
-[Footnote 3: Comparez la branche d'argent dont il est question plus
-haut, dans la légende de Bran mac Febail, p. 323.]
-
-
-§9.
-
-_Manannân mac Lir et le roi Cormac fils d'Art.--Deuxième
-partie.--Cormac retrouve sa femme, son fils et sa fille._
-
-Une année s'écoula. Cormac éprouva le désir de revoir sa femme, son
-fils et sa fille. Il sortit de son palais, prit la direction où il les
-avait vus s'engager. Un nuage magique l'enveloppa; il arriva dans une
-plaine merveilleuse. Là s'élevait une maison, et une foule immense de
-cavaliers étaient réunis à l'entour. Leur occupation était de couvrir
-cette maison de plumes d'oiseaux étrangers. Quand ils avaient couvert
-une moitié de la maison, les plumes leur manquaient pour terminer ce
-travail, et ils partaient pour aller chercher les plumes nécessaires
-à l'achèvement de leur tâche. Mais pendant leur absence, les plumes
-qu'ils avaient posées disparaissaient, soit qu'elles fussent enlevées
-par le vent, soit par toute autre cause. Il n'y avait donc pas de
-raison pour que leur travail fût jamais achevé. Cormac les regarda
-longtemps, puis perdit patience.--«Je vois bien,» dit-il, «que vous
-faites cela depuis le commencement du
-[Pg 330]monde, et que vous continuerez jusqu'à ce que le monde finisse.»
-
-Il poursuivit sa route. Après avoir vu plusieurs autres choses
-curieuses, il arriva dans une maison où il entra. Il y trouva un
-homme et une femme de grande taille, et dont les vêtements étaient
-de diverses couleurs. Il les salua; eux, comme il était tard, lui
-proposèrent l'hospitalité pour la nuit. Cormac accepta.
-
-L'hôte apporta lui-même un cochon tout entier, qui devait servir pour
-le repas, et une bûche énorme, qui, fendue en plusieurs morceaux,
-devait le cuire. Cormac prépara le feu et mit dessus un quartier de
-cochon.--«Raconte-nous une histoire,» dit l'hôte à Cormac, «et, si
-elle est vraie, lorsque tu l'auras terminée, le quartier de cochon
-sera cuit.»--«Commence toi-même,» répondit Cormac, «ta femme parlera
-ensuite; mon tour viendra après.»--«Tu as raison,» répliqua l'hôte.
-«Voici mon histoire. Ce cochon est un des sept que je possède; et de
-leur chair je pourrais nourrir le monde entier. Quand un d'eux est tué
-et mangé, je n'ai qu'à mettre ses os dans l'étable, et le lendemain je
-le retrouve vivant[1].» L'histoire était vraie, car aussitôt qu'elle
-fut finie, le quartier de cochon se trouva cuit.
-
-Cormac mit un second quartier de cochon sur le
-[Pg 331]feu; la femme prit la parole.--«J'ai sept vaches blanches,»
-dit-elle; «et tous les jours je remplis sept cuves de leur lait. Si
-les habitants du monde entier se réunissaient dans cette plaine,
-j'aurais assez de lait pour les rassasier.» L'histoire était vraie,
-car, aussitôt qu'elle fut terminée, on constata que le quartier de
-cochon était cuit. «Je vois,» dit Cormac, «que vous êtes Manannân et sa
-femme. C'est Manannân qui possède les cochons dont tu viens de parler,
-et c'est de la Terre Promise qu'il a ramené sa femme et les sept
-vaches[2].»
-
---«Ton tour est venu de raconter une histoire,» reprit le maître de
-la maison. «Si elle est vraie, quand elle sera finie le troisième
-quartier sera cuit.» Cormac raconta comment il avait acquis la branche
-merveilleuse aux neuf pommes d'or et à la musique enchanteresse;
-comment il avait en même temps perdu sa femme, son fils et sa fille.
-Quand il eut terminé son récit, le quartier de cochon était cuit.--«Tu
-es le roi Cormac,» lui dit son hôte. «Je le reconnais à ta sagesse; le
-repas est prêt, mange.»--«Jamais,» répondit Cormac, «je n'ai dîné en
-compagnie de deux personnes seulement.» Manannân ouvrit une porte et
-fit entrer la femme, le fils et la fille de Cormac. Le roi fut bien
-heureux de les revoir; eux éprouvèrent la même joie que lui.--«C'est
-moi qui te les ai pris,» dit
-[Pg 332]Manannân, «c'est moi qui t'ai donné la branche merveilleuse.
-Mon but était de te faire venir ici.»
-
-Cormac ne voulut pas commencer le repas avant d'avoir l'explication des
-merveilles qu'il avait vues sur son chemin. Manannân la lui donna; il
-lui expliqua, par exemple, que les cavaliers qui couvrent une maison de
-plumes et recommencent indéfiniment leur travail sans jamais en voir
-l'achèvement sont les gens de lettres qui cherchent la fortune, croient
-la trouver, et ne l'atteindront jamais: en effet, chaque fois qu'ils
-rentrent chez eux apportant de l'argent, ils apprennent qu'on a dépensé
-tout celui qu'à leur départ ils avaient laissé à la maison.
-
-Enfin Cormac, sa femme et ses enfants se mirent à table. Ils mangèrent.
-Quand il fut question de boire, Manannân présenta une coupe.--«Cette
-coupe,» dit-il, «a une propriété particulière. Quand on dit devant
-elle un mensonge, elle se brise, et si ensuite on dit la vérité, les
-morceaux se rejoignent.»--«Prouve-le,» s'écria Cormac.--«C'est bien
-facile,» reprit Manannân. «La femme que je t'ai enlevée a eu depuis
-ce temps un nouveau mari.» Aussitôt la coupe se brisa en quatre
-morceaux,»--«Mon mari a menti,» répondit la femme de Manannân.» Elle
-disait la vérité: à l'instant, les quatre morceaux de la coupe se
-rejoignirent sans qu'il restât aucune trace de l'accident.
-
-Après le repas, Cormac, sa femme et ses enfants allèrent se coucher.
-Quand ils se réveillèrent le lendemain, ils étaient dans le palais de
-Tara, capitale
-[Pg 333]de l'Irlande, et Cormac y trouva près de lui la branche
-merveilleuse, la coupe enchantée, même la nappe qui couvrait la table
-sur laquelle il avait mangé la veille dans le palais du dieu Manannân.
-Si nous en croyons l'annaliste Tigernach, son absence avait duré sept
-mois, et ces événements merveilleux se seraient passés l'an 248 de
-J.-C.[3].
-
-
-[Footnote 1: Voir plus haut, p. 275, une légende analogue dans un texte
-plus ancien.]
-
-[Footnote 2: Sur les cochons de Manannân, voir plus haut, p. 277.
-Manannân a ramené deux vaches de l'Inde, p. 279.]
-
-[Footnote 3: Cette pièce a été publiée avec une traduction anglaise,
-mais d'après un manuscrit récent, dans les _Transactions of the
-Ossianic Society_, t. III, p. 213. L'auteur de l'édition est M.
-Standish Hayes O'Grady. Certains détails paraissent modernes. J'ai
-peine à considérer comme ancien le passage relatif à la fidélité de la
-femme de Cormac. Le paganisme celtique n'est pas si chaste.]
-
-
-§10.
-
-_Manannân mac Lir est père de Mongân, roi d'Ulster au commencement du
-sixième siècle de notre ère._
-
-Cormac mac Airt vivait au troisième siècle de notre ère. Nous
-retrouvons encore le nom de Manannân mêlé à l'histoire épique d'Irlande
-vers la fin du sixième siècle ou au commencement du septième. A cette
-époque, régnait en Ulster Fiachna Lurgan. Il était l'ami d'Aidân mac
-Gabrâin, qui suivant les Annales de Cambrie mourut en 607[1]. Tigernach
-mentionne aussi la mort d'Aidân mac Gabrâin, mais il la date de l'année
-précédente[2].
-
-[Pg 334]Aidâin mac Gabrâin était roi des Scots ou Irlandais établis en
-Grande-Bretagne. Il est connu surtout par la guerre malheureuse qu'il
-soutint contre les Anglo-Saxons. Aedilfrid, roi des Northumbriens, le
-vainquit, suivant Bède, dans la sanglante bataille de _Degsa-Stân_, où
-les Anglo-Saxons victorieux perdirent un corps d'armée tout entier avec
-le frère de leur roi. C'est en 603 que cette bataille fut livrée[3].
-
-Dans les rangs de l'armée commandée par Aidân mac Gabrâin, soit lors
-de cette bataille, soit lors d'une autre rencontre, il se trouvait
-des troupes auxiliaires venues d'Irlande. L'ami d'Aidan, Fiachna mac
-Lurgan, roi d'Ulster, les avait amenées. Il avait laissé sa femme dans
-son palais à Rath-môr Maige Linni. Or, pendant son absence, il arriva à
-sa femme une aventure étrange.
-
-Un jour qu'elle était seule, un inconnu se présenta et lui parla
-d'amour. La reine repoussa ses avances.--«Il n'y a,» dit-elle, «en ce
-monde ni trésors ni bijoux qui pourraient me décider à déshonorer mon
-mari.»--«Mais,» reprit l'inconnu, «que feriez-vous s'il était en votre
-pouvoir de lui sauver la vie?»--«Ah!» répondit-elle, «si je le voyais
-en danger, rien ne me semblerait difficile; je ferais tout pour venir
-en aide à celui qui aurait le moyen de le sauver.»--«Le moment est
-arrivé de faire ce que tu dis,» répliqua l'inconnu,
-[Pg 335]«car ton mari est en grand péril. Il a en face de lui un
-guerrier terrible; il n'est pas de force à lui résister; il va être
-tué. Si tu cèdes à mon amour, tu auras un fils qui sera un prodige. Il
-s'appellera Mongân. Moi j'irai au combat; je m'y trouverai demain matin
-avant midi au milieu des guerriers d'Irlande, en présence de ceux de
-Grande-Bretagne. Je raconterai à ton mari ce que nous aurons fait; je
-lui dirai que c'est toi qui m'envoies.» La reine céda. Le lendemain, de
-bonne heure, l'inconnu partait en chantant quatre vers dont voici la
-traduction:
-
- Je vais rejoindre mes compagnons tout près.
- Ce matin le ciel est blanc et pur.
- C'est moi qui suis Manannân mac Lir;
- Tel est le nom du guerrier qui est venu.
-
-Manannân chantait ce quatrain en Irlande en sortant du palais du roi
-d'Ulster, à Rath môr Maige Linni, un matin, vers l'an 603 de notre
-ère. Au même moment, en Grande-Bretagne, près de _Degsa-Stân_, deux
-armées s'avancaient l'une contre l'autre, sur le point d'en venir aux
-mains: l'une, celle des Saxons, était commandée par Aedilfrid, roi des
-Northumbriens; l'autre, celle des Irlandais, avait à sa tête Aidân mac
-Gabrâin et le roi d'Ulster, Fiachna Lurgan. Tout d'un coup, on vit
-sur le front de l'armée irlandaise un guerrier inconnu qui, par sa
-distinction et la richesse de son équipement, attira tous les regards.
-Il s'approcha de Fiachna, et lui parlant en
-[Pg 336]particulier, lui raconta qu'il avait vu sa femme la
-veille.--«J'ai promis à la reine,» ajouta-t-il, «de te donner mon
-concours.» Il se plaça au premier rang et, suivant le récit irlandais,
-qui attribue aux Irlandais l'honneur de cette journée, il assura la
-victoire aux deux alliés, Aidân mac Gabrâin et Fiachna Lurgan.
-
-Celui-ci repassa la mer, et rentra dans son palais; il trouva sa femme
-grosse. Elle lui raconta son histoire; Fiachna approuva la conduite de
-la reine. Peu après Mongân naquit. Il passa pour fils de Fiachna; «mais
-on sait bien,» dit le conteur irlandais, «qu'en réalité son père était
-Manannân mac Lir[4].» Comme les Gaulois dont saint Augustin parlait
-au commencement du cinquième siècle, les Irlandais du septième siècle
-croyaient qu'il y avait des dieux amoureux et séducteurs des femmes[5].
-
-
-[Footnote 1: _Annales Cambriæ_, édition donnée dans la collection du
-Maître des rôles en 1860, par John Williams Ab Ithel, p. 6.]
-
-[Footnote 2: O'Conor, _Rerum hibernicarum scriptores_, t. II, première
-partie, p. 179.]
-
-[Footnote 3: Bède, _Historia ecclesiastica_, livre I, chap. 34, chez
-Migne, _Patrologia latina_, tome XCV, col. 76.]
-
-[Footnote 4: Le principal ms. est le _Leabhar na hUidhre_, p. 133. Le
-commencement y manque: on le trouve dans des mss. moins bons, tels que
-_T. C. D._, H. 2. 16, col. 911, et le n° 145 du fonds Betham dans la
-Bibliothèque royale d'Irlande. C'est dans ce manuscrit, f° 63, que j'ai
-trouvé clairement écrit le nom des ennemis contre lesquels Fiachna et
-Aidân livrèrent bataille, _fria Saxanu_.]
-
-[Footnote 5: _De civitate Dei_, livre XV, chap. 23. Ce passage a été
-reproduit par Isidore de Séville, _Origines_, livre VIII, chap. XI, §
-103.]
-
-
-§11.
-
-_Mongân, fils d'un dieu, est un être merveilleux._
-
-Mongân, fils de Fiachna, est un personnage historique.
-[Pg 337]Les chroniques irlandaises donnent la date de son décès, et
-tous la placent à la même époque, à quelques années près. Suivant
-Tigernach, le plus ancien des annalistes irlandais qui nous aient
-été conservés, Mongân, fils de Fiachna, fut tué d'un coup de pierre,
-en 625, par Arthur, fils de Bicur, Breton[1]. Mongân a donc existé
-ailleurs que dans l'épopée. Or, suivant la légende irlandaise, il
-n'était pas seulement fils d'un dieu; mais, par un autre prodige,
-conséquence du premier, en lui revivait Find mac Cumaill, le guerrier
-célèbre de l'épopée ossianique, le Fingal de Macpherson; et cependant
-il y avait trois siècles environ que Find était mort quand naquit
-Mongân[2].
-
-Déjà, dans le volume précédent[3], nous avons parlé de la légende
-irlandaise où l'on raconte comment fut prouvée l'identité de Mongân
-avec Find. Une querelle eut lieu entre Mongân et Forgoll son _file_; il
-s'agissait de savoir où était mort Fothad
-[Pg 338]Airgtech, roi d'Irlande, tué par Cailté, l'un des compagnons de
-Find dans une bataille dont les Quatre Maîtres, chronologistes hardis,
-fixent à l'année 285 la date un peu vague[4].
-
-Violemment irrité contre Mongân qui le contredisait, Forgoll le
-menaça d'incantations terribles qui effrayèrent le roi et répandirent
-l'épouvante dans toute l'assistance. Il fut convenu que Mongân
-aurait trois jours pour donner la preuve de ce qu'il avait avancé,
-c'est-à-dire pour établir que Fothad avait été tué non pas à Dubtar[5]
-en Leinster, comme Forgoll le prétendait, mais sur les bords de la
-rivière de Larne, autrefois Ollarbé, en Ulster, tout près du château
-de Mongân. Dans le cas où, avant l'expiration du délai fixé, Mongân ne
-serait point parvenu à prouver qu'il avait raison, tous ses biens, sa
-personne même, devaient, suivant les conventions, devenir la propriété
-du _file_.
-
-Mongân avait accepté cet arrangement sans hésiter, en homme sûr du
-succès; et il laissa s'écouler les deux premiers jours et la plus
-grande partie du troisième, non seulement sans rien perdre de son
-impassibilité, mais sans que rien parût la justifier. Sa femme
-[Pg 339]était plongée dans une profonde tristesse. Dès que Mongân eût
-pris l'engagement fatal, les larmes ne cessèrent de couler sur les
-joues de la reine.--«Mets donc un terme à ta douleur,» lui disait
-Mongân: «quelqu'un viendra à notre aide.»
-
-Le troisième jour arriva. Forgoll se présenta; il voulait déjà que
-son contrat fût exécuté. Il prétendait qu'il avait droit de prendre
-immédiatement possession de tous les biens de Mongân et même de sa
-personne.--«Attendez jusqu'au soir,» lui répondit Mongân. Il était
-dans sa chambre haute avec sa femme. Celle-ci pleurait et poussait des
-gémissements, car elle sentait approcher de plus en plus le moment
-fatal où le _file_ allait s'emparer de tout, et elle ne voyait pas
-apparaître le sauveur dont parlait son mari.--«Ne t'afflige pas, ô
-femme,» lui dit Mongân. «L'homme qui vient à notre secours n'est plus
-bien loin; j'entends le bruit de ses pieds dans la rivière de Labrinné.»
-
-Il s'agit ici de la rivière de Caragh, qui coule dans le comté de Kerry
-et qui se jette dans la baie de Dingle, à l'extrémité sud-ouest de
-l'Irlande. Mongân se trouvait en ce moment à environ cent lieues de
-là, dans la paroisse de Donegore, à quelque distance au nord-est de la
-ville d'Antrim, chef-lieu d'un comté qui forme l'extrémité nord-est
-de l'île. Cailté, son élève, le compagnon des combats de Mongân au
-temps où ce dernier s'appelait Find, arrivait du pays des morts pour
-rendre témoignage à la véracité de son ancien chef et pour confondre
-l'audacieuse présomption
-[Pg 340]du _file_ Forgoll. Il suivait la route qu'ont toujours prise
-ceux qui, de la contrée mystérieuse habitée par les morts, ont voulu
-gagner le nord-est de l'Irlande.
-
-Les paroles consolantes du roi calmèrent un instant sa femme; il y eut
-un moment de silence. Puis elle recommença à pleurer et à pousser des
-gémissements.--«Ne pleure pas, ô femme,» reprit Mongân. «Il va être
-ici, l'homme qui vient à notre secours. J'entends ses pieds qui agitent
-l'eau dans la rivière de Maine.» C'est une autre rivière du comté de
-Kerry; on la rencontre quand de la rivière de Caragh on se dirige vers
-le nord-est en suivant la route qui devait conduire Cailté au palais de
-Mongân. La douleur de la reine fut apaisée pendant quelques instants
-par les discours de son mari; puis, ne voyant personne venir, elle
-poussa de nouveau des gémissements accompagnés de larmes.
-
-La même scène se reproduisit nombre de fois. Cailté ne passait pas
-une rivière sans que Mongân l'entendît et l'annonçât à sa femme. Il
-l'entendit, par exemple traverser la Liffey, qui arrose Dublin; la
-Boyne, qui coule un peu plus au nord; ensuite la Dee, puis le lac de
-Carlingford, qui de plus en plus se rapprochent du comté d'Antrim où se
-trouvait Mongân.
-
-Enfin Cailté était tout près. Il traversait l'Ollarbé, c'est-à-dire
-la rivière de Larne, à une toute petite distance au sud du palais de
-Mongân. Mais on ne l'apercevait pas encore, et Mongân seul l'avait
-entendu. La nuit tombait. Mongân était dans son palais,
-[Pg 341]assis sur son trône; à droite se tenait sa femme tout en
-larmes; en face de lui le _file_ Forgoll réclamait l'exécution des
-engagements pris par le roi, et faisait appel à la bonne foi de ses
-cautions. Au même moment on vit un guerrier que, sauf Mongân, personne
-ne connaissait, s'approcher du rempart du côté du midi. Il tenait dans
-sa main une hampe de lance sans pointe; avec l'aide de ce bâton, il
-sauta successivement les trois fossés et les trois rejets de terre qui
-formaient l'enceinte de la forteresse. En un clin d'œil il se trouva
-dans la cour, et de la cour entra dans la salle. Il vint se placer
-entre Mongân et la paroi. Forgoll était de l'autre côté de la salle,
-faisant face au roi.
-
-Le nouveau venu demande de quoi il s agit.--«Le _file_ que voilà,» dit
-Mongân, «et moi, nous avons fait un pari au sujet de la mort de Fothad
-Airgtech. Le _file_ prétend que Fothad est mort à Dubtar en Leinster,
-moi j'ai dit que c'était faux.»--«Eh bien,» s'écria le guerrier
-inconnu, «le _file_ en a menti.»--«Tu regretteras cette parole,»
-répondit le _file_.-«Ce que tu dis là n'est pas bien,» répliqua le
-guerrier. «Je vais prouver ce que j'avance. Nous étions avec toi,»
-dit-il en s'adressant au roi; «nous étions avec Find,» ajouta-t-il
-en regardant l'auditoire.--«Tais-toi donc,» reprit Mongân, «tu as
-tort de révéler un secret.»--«Nous étions donc avec Find,» reprit le
-guerrier. «Nous venions d'Alba, c'est-à-dire de Grande-Bretagne, nous
-rencontrâmes Fothad Airgtech près d'ici, sur
-[Pg 342]les bords de l'Ollarbé. Nous lui livrâmes bataille avec ardeur.
-Je lui lançai mon javelot de telle sorte qu'il lui traversa le corps,
-et le fer, se détachant de la hampe, alla se fixer en terre de l'autre
-côté de Fothad. Voici la hampe de ce javelot. On retrouvera la roche
-nue du haut de laquelle j'ai lancé mon arme. On retrouvera à peu de
-distance à l'est le fer plongé dans le sol; on retrouvera encore un peu
-plus loin, toujours à l'est, le tombeau de Fothad Airgtech. Un cercueil
-de pierre enveloppe son cadavre; ses deux bagues d'argent, ses deux
-bracelets et son collier d'argent sont dans le cercueil[6]. Au-dessus
-de la tombe se dresse une pierre levée, et à celle des extrémités de
-cette pierre qui plonge dans le sol on peut lire une inscription gravée
-en ogam: «Ici repose Fothad Airgtech; il combattait contre Find quand
-il a été tué par Cailté.»
-
-On alla dans l'endroit indiqué par le guerrier; on trouva la roche,
-le fer de lance, la pierre levée, l'inscription, le cercueil, le
-cadavre et les bijoux dont il avait parlé: Mongân avait donc gagné son
-pari[7]. Le guerrier inconnu était Cailté, élève de Find son compagnon
-de guerre, arrivé du pays des morts pour défendre son ancien maître
-injustement attaqué.
-
-[Pg 343]On a vu comment, divulguant le secret que Mongân avait gardé
-jusque-là, Cailté avait publiquement proclamé l'identité de Mongân
-avec le célèbre Find. Cette étrange identité était la conséquence de
-la naissance merveilleuse de Mongân; puisque Mongân devait le jour
-non pas au roi Fiachna, son père apparent, mais à un être d'une race
-supérieure, puisque Mongân était fils de Manannân mac Lir, c'est-à-dire
-d'un dieu, d'un de ces personnages surnaturels qui, suivant la croyance
-gauloise rapportée par saint Augustin, sont amoureux des femmes des
-hommes.
-
-
-[Footnote 1: O'Conor, _Rerum hibernicarum scriptores_, t. II, première
-partie, p. 187, 188. Le texte d'O'Conor est très corrompu; on trouve
-une meilleure leçon chez Hennessy, _Chronicum Scotorum_, p. 78. Nous
-devons, pour être complet, signaler un texte, qui est en désaccord
-avec ces données chronologiques. C'est la pièce intitulée: _Tucait
-baile Mongâin_, «Cause de l'extase de Mongân.» _Leabhar na hUidhre_,
-p. 134, col. 2. On y voit Mongân vivant avec sa femme l'année de la
-mort de Ciaran mac int Shair, et de Tuathal Mael-Garb, c'est-à-dire en
-544. _Chronicum Scotorum_, édition Hennessy, p. 48-49. La chronologie
-irlandaise à ces époques reculées n'est qu'approximative.]
-
-[Footnote 2: Tigernach met la mort de Find en 274. O'Conor, _Rerum
-hibernicarum scriptores_, t. II, première partie, p. 49.]
-
-[Footnote 3: Tome I, p. 265, 266.]
-
-[Footnote 4: O'Donovan, _Annals of the kingdom of Ireland by the Four
-Masters_, 1851, t. I, p. 120, 121. Par une contradiction singulière,
-les Quatre Maîtres (_Ibid._, p. 118, 119) font mourir en 283,
-c'est-à-dire deux ans plus tôt, Find, sous les ordres duquel Cailté
-combattait dans la bataille livrée en 285.]
-
-[Footnote 5: Duffry, près de Wexford. Je dois à l'obligeance de M.
-Hennessy cette identification géographique, comme toutes celles qu'on
-trouvera dans la suite de la légende de Mongân.]
-
-[Footnote 6: _Airgtech_, surnom du roi, signifie probablement: qui a de
-l'argent, des ornements d'argent. Je dois cette hypothèse à M. Ernault.]
-
-[Footnote 7: C'est M. Hennessy qui a signalé cette pièce à mon
-attention. Il m'a aidé de ses conseils pour la traduction des passages
-difficiles. Le meilleur manuscrit est le _Leabhar na hUidhre_, p. 133,
-col. 1.]
-
-
-[Pg 344]CHAPITRE XV.
-
-LA CROYANCE A L'IMMORTALITÉ DE L'AME EN IRLANDE ET EN GAULE.
-
-§1. L'immortalité de l'âme dans la légende de Mongân.--§2. La race
-celtique a-t-elle cru à la métempsycose pythagoricienne? Opinion des
-anciens sur cette question.--§3. Comparaison entre la doctrine de
-Pythagore et la doctrine celtique.--§4. Le pays des morts. La mort est
-un voyage. Texte du quatrième siècle avant notre ère.--§5. Certains
-héros sont allés faire la guerre au pays des morts et des dieux: tels
-sont Cûchulainn, Loégairé Liban et Crimthann Nîa Nair. Légende de
-Cûchulainn.--§6. Légende de Loégairé Liban.--§7. La descente de cheval
-dans la vieille légende de Loégairé Liban et dans la légende moderne
-d'Ossin.--§8. Légende de Crimthann Nîa Nair.--§9. Différence entre
-Cûchulainn d'un côté, Loégairé Liban et Crimthann de l'autre.
-
-
-§1.
-
-_L'immortalité de l'âme dans la légende de Mongân._
-
-La merveilleuse naissance de Mongân et le rôle que joue dans sa légende
-le dieu Manannân mac Lir ne sont pas les seuls points sur lesquels ce
-récit mythique
-[Pg 345]nous fait connaître les croyances fondamentales de la religion
-celtique. Il y a dans cette légende deux points qui méritent également
-une étude attentive. L'un est que Find, tué à la fin du troisième
-siècle, n'avait cependant pas cessé de vivre, qu'il avait conservé sa
-personnalité, et qu'il revint en ce monde plus de deux siècles après sa
-mort, ayant, par une seconde naissance, pris un corps nouveau.
-
-Le second point est l'apparition de Cailté. Celui-ci n'est pas né une
-seconde fois. On ne s'explique pas de prime abord comment, ayant à son
-décès laissé son corps dans la tombe en Irlande, il revient du pays des
-morts avec une forme physique que rien ne distingue de celle du reste
-des humains. Ce qu'il y a de certain, c'est que suivant la légende
-irlandaise, il en est revenu visible à tous les yeux, parlant une
-langue que tous ont comprise. Or cette légende n'a pas pour base une
-croyance spéciale aux Irlandais, puisqu'en France, encore aujourd'hui,
-dans le peuple, persiste la crainte des revenants. La croyance aux
-revenants est donc une doctrine celtique, et un peu plus loin nous
-donnerons là-dessus quelques développements.
-
-
-§2.
-
-_La race celtique a-t-elle cru à la métempsycose pythagoricienne?
-Opinion des anciens sur cette question._
-
-La seconde naissance de Find est quelque chose
-[Pg 346]de beaucoup plus extraordinaire. Nous avons déjà vu qu'Etâin
-naquit deux fois; mais Etâin est une déesse, une _sîde, banshee_, comme
-on dit en Irlande; une fée, pour parler la langue des contes français.
-Ses deux vies, la première dans le monde des dieux, l'autre dans le
-monde des hommes, où une naissance contraire aux lois de la nature la
-fait pénétrer, ont, d'un bout à l'autre, un caractère merveilleux;
-ainsi les prodiges de la seconde vie d'Etâin s'expliquent par sa
-première vie qui est divine.
-
-Mais Find n'est pas un dieu: les Irlandais ne le conçoivent point
-comme tel; or il est né deux fois, et pendant sa seconde vie, où il
-s'appelait Mongân, il se rappelait la première, pendant laquelle son
-nom était Find. Telle a été aussi l'histoire de Tûan mac Cairill.
-Tûan, après avoir été homme une première fois, a revêtu successivement
-plusieurs corps d'animaux; puis une naissance nouvelle lui a rendu
-un corps d'homme, et sous cette dernière forme il avait gardé le
-souvenir des événements dont il avait été témoin au temps de ses vies
-précédentes, notamment durant la première, quand il s'appelait Tûan mac
-Stairn[1]. Le phénomène est identique à celui que nous offre Mongân
-conservant la mémoire de ce qu'il avait vu quand il était Find.
-
-Tûan et Find sont, dans la légende irlandaise, des exceptions aux lois
-générales auxquelles obéit le récit épique. Il n'est pas ordinaire
-qu'un mort naisse
-[Pg 347]une seconde fois. Mais le fait est arrivé; il est possible:
-telle est la doctrine celtique. De là les ressemblances que certains
-auteurs de l'antiquité ont cru reconnaître entre les croyances
-gauloises et l'enseignement de Pythagore. Ils ont même prétendu que ces
-ressemblances allaient jusqu'à l'identité.
-
-Alexandre Polyhistor, qui écrivait dans la première moitié du premier
-siècle avant notre ère, prétend que Pythagore a eu pour disciples
-les «Galates»[2]. Vers le milieu de ce siècle, un peu après l'an 44,
-Diodore de Sicile exprime la même opinion en termes plus formels. Chez
-les Celtes, dit-il, a prévalu la doctrine pythagoricienne que les âmes
-des hommes sont immortelles, et qu'après un nombre d'années déterminé
-elles commencent une vie nouvelle en prenant un corps nouveau[3].
-Suivant Timagène, qui écrivait un peu plus tard, dans la seconde moitié
-du même siècle, l'autorité de Pythagore atteste la supériorité du génie
-des druides, qui ont proclamé l'immortalité de l'âme[4]. Au siècle
-suivant, entre les années 31 et 39 de notre ère, Valère Maxime, parlant
-des Gaulois et de leur doctrine sur l'immortalité de l'âme, dit «qu'il
-les traiterait de sots, si ces porteurs de culottes n'avaient pas sur
-ce point des croyances identiques à celles que Pythagore
-[Pg 348]professait dans son manteau de philosophe[5].»
-
-[Footnote 1: Voyez plus haut, p. 45 et suiv.]
-
-[Footnote 2: Alexandre Polyhistor, fragment 138, chez Didot-Müller,
-_Fragmenta historicorum græcorum_, t. III, p. 239.]
-
-[Footnote 3: Diodore, livre V, chap. XXVIII, § 6; édition Didot-Müller,
-t. I, p. 271.]
-
-[Footnote 4: Ammien-Marcellin, livre XV, chap. 9.]
-
-[Footnote 5: Valère Maxime, livre II, chap. VI, § 10, édition
-Teubner-Halm, p. 81, lignes 23-24.]
-
-
-§3.
-
-_Comparaison entre la doctrine de Pythagore et la doctrine celtique._
-
-Si les théories celtiques sur la persistance de la personnalité après
-la mort ressemblaient à celles de Pythagore, cependant elles n'étaient
-pas identiques. Dans le système du philosophe grec, renaître et mener
-une ou plusieurs vies nouvelles en ce monde, dans des corps d'animaux
-et d'hommes, est le châtiment et le sort commun des méchants: c'est par
-là qu'ils expient leurs fautes. Les justes défunts n'ont pas l'embarras
-d'un corps: purs esprits, ils vivent dans l'atmosphère, libres,
-heureux, immortels[1].
-
-La doctrine celtique est tout autre. Renaître en ce monde et y revêtir
-un corps nouveau a été le privilège de deux héros, Tûan mac Cairill,
-appelé d'abord Tûan mac Stairn; Mongân, qui lors de sa première vie
-s'appelait Find mac Cumaill. C'était pour eux une faveur, et non un
-châtiment. La loi commune, suivant la doctrine celtique, est que les
-hommes, après la mort, trouvent dans un autre
-[Pg 349]monde la vie nouvelle et le corps nouveau que la religion leur
-promet[2].
-
-Cette vie nouvelle, promise aux morts par la religion celtique, est la
-continuation de cette vie-ci, avec ses inégalités et les liens sociaux
-qui en sont la conséquence. Les esclaves et les clients que le chef
-mort préférait sont brûlés sur son tombeau avec les chevaux qui le
-traînaient sur son char; ils vont, avec ces animaux, dans l'autre monde
-continuer près du maître le service qu'ils faisaient dans celui-ci[3].
-Le débiteur qui meurt sans s'être acquitté sera, pendant sa seconde
-vie, à l'égard de son créancier, dans la même relation juridique que
-pendant sa première vie. L'obligation du remboursement le suivra
-dans le pays des morts jusqu'à ce qu'il ait intégralement rempli les
-engagements qu'il a contractés dans le pays des vivants[4].
-
-[Pg 350]Le Celte ne conçoit donc pas l'autre vie comme une compensation
-des maux de celle-ci pour ceux qui souffrent, comme un châtiment pour
-ceux qui ont abusé des jouissances de ce monde. La vie des morts
-dans la région mystérieuse située au delà de l'Océan est pour chacun
-une seconde édition, pour ainsi dire, une édition nouvelle, mais non
-corrigée, de la vie qu'avant de mourir il a menée de ce côté-ci de
-l'Océan.
-
-Ainsi, la haute idée de justice qui domine la doctrine de Pythagore
-est absente des conceptions celtiques. Cette différence, au point de
-vue moral, est encore plus importante que celle qui concerne le lieu
-où, dans les deux systèmes, on fait vivre les morts. Ce lieu est le
-ciel pour les justes, notre monde pour les méchants, suivant Pythagore;
-dans la doctrine celtique, c'est, pour les uns et les autres, une
-région située à l'extrême ouest au delà de l'Océan; mais combien cette
-divergence est peu de chose, en comparaison de celle qui porte sur la
-morale! Pythagore, qui est déjà un moderne, voit dans l'autre vie une
-sanction des lois de justice respectées ou violées dans la première
-vie. Mais une doctrine plus ancienne que Pythagore ne distingue pas de
-la justice le succès, considère comme juste tout ce qui arrive en ce
-monde, et voit dans la seconde vie du
-[Pg 351]mort une continuation des joies et des maux de la première.
-C'est la doctrine celtique.
-
-Cette conception de l'immortalité est bien différente de la nôtre, dont
-la base philosophique joint à la foi dans la contradiction entre la
-justice et les succès de ce monde l'espérance d'une réparation au delà
-du tombeau. La race celtique n'a pas cette espérance. Cependant, elle
-a dans l'immortalité de l'âme une foi profonde: elle croit en un pays
-ou même plusieurs pays mystérieux séparés de nous par la mer et habités
-par les morts et les dieux. Tous les morts y vont; ils en peuvent
-revenir: Cailté en a donné l'exemple; quelques héros, par un privilège
-spécial et presque surhumain, ont pu y aller sans mourir et en sont
-revenus, comme, dans la légende classique, Ulysse et Orphée.
-
-
-[Footnote 1: Didot-Mullach, _Fragmenta philosophorum græcorum_, t. II,
-p. IX-XII.]
-
-[Footnote 2:
-
- ..... Regit idem spiritus artus
- Orbe alio: longæ (canitis si cognita) vitæ
- Mors media est.
- Lucain, _Pharsale_, livre I, v. 456-458.
-
-Le passage célèbre de César, _De bello gallico_, liv. VI, chap. XIV, §
-5, «non interire animas, sed ab aliis post mortem transire ad alios,»
-n'est pas en contradiction avec ce passage de Lucain. L'autre corps, où
-passait, suivant la doctrine exprimée par César, l'âme du Celte mort
-se trouvait, en règle générale, dans l'autre monde et par très rare
-exception dans celui-ci.]
-
-[Footnote 3: «Omnia quæ vivis cordi fuisse arbitrantur in ignem
-inferunt, etiam animalia, ac paulo supra hanc memoriam servi et
-clientes, quos ab iis dilectos esse constabat, justis funeribus
-confectis una cremabantur.» César, _De bello gallico_, l. VI, chap.
-XIX, § 4.]
-
-[Footnote 4: «Vetus ille mos Gallorum occurrit, quos memoria proditum
-est pecunias mutuas, quæ his apud inferos redderentur, dare solitos.»
-Valère Maxime, livre II, chap. VI, § 10, édition Teubner-Halm, p. 81,
-lignes 19-23.]
-
-
-§4.
-
-_Le pays des morts. La mort est un voyage. Textes du quatrième siècle
-avant notre ère._
-
-Les Celtes du continent, comme ceux de l'Irlande, se sont entretenus
-de ce pays mystérieux des morts; l'autre monde, _orbis alius_, chanté
-par les druides au temps de César, comme l'atteste Lucain, et confondu
-avec la région occidentale de la Grande-Bretagne par Plutarque et
-Procope[1]. Les guerriers gaulois espéraient y continuer la vie de
-combats qui, en ce
-[Pg 352]monde, faisait leur honneur et leur gloire. Avec un corps
-vivant, de forme identique au corps mort déposé dans leur tombe, chacun
-d'eux comptait retrouver dans l'autre monde ce que nous pourrions
-appeler en quelque sorte un second exemplaire de tous les objets qui
-accompagnaient leur cadavre dans la fosse ou la chambre funéraire:
-clients, esclaves, chevaux, chars, armes, armes surtout. Jamais un
-guerrier gaulois n'était enterré sans ses armes. Sans armes, qu'eût-il
-fait dans l'autre monde? puisqu'il devait y continuer la vie de combats
-qu'il avait menée dans celui-ci.
-
-Deux des textes originaux les plus anciens que nous possédions sur les
-mœurs gauloises sont du quatrième siècle avant notre ère. L'auteur est
-Aristote, et ces deux textes sont expliqués par des arrangements plus
-modernes d'un passage aujourd'hui perdu d'Ephore, qui écrivait aussi au
-quatrième siècle.
-
-La Hollande était alors une des provinces de l'empire celtique, et la
-race germanique n'y avait point encore pénétré. A cette époque reculée,
-elle était exposée, comme aujourd'hui, à ces redoutables invasions de
-la mer contre lesquelles la science de l'ingénieur moderne la défend
-avec succès. Le moyen âge et le seizième siècle ont été moins heureux.
-On sait quels désastres ont produits les terribles inondations par
-lesquelles la mer du Nord, rompant les digues, a créé en 1283 le
-Zuyderzée, plus tard la mer de Harlem.
-
-[Pg 353]Un ou plusieurs phénomènes semblables paraissent s'être
-produits dans la première moitié du quatrième siècle avant notre ère et
-avoir coûté la vie à des populations nombreuses, dont la fin terrible
-eut dans une partie considérable de l'Europe un grand retentissement.
-Le bruit en parvint jusqu'en Grèce. Ephore, dans son histoire, terminée
-en 341, parle des maisons des Celtes enlevées par la mer, de leurs
-habitants engloutis dans les flots. «Le nombre des victimes,» dit-il,
-«est si considérable que les invasions de l'Océan font perdre aux
-Celtes, cette nation belliqueuse, plus d'hommes que la guerre[2].»
-
-Tout le monde peut se figurer quelle scène de désolation et de terreur
-présente une contrée fertile et peuplée quand tout d'un coup l'invasion
-irrésistible des eaux y porte la destruction et la mort. Il y a, dans
-ce tableau, des traits qui sont communs à tous les temps et à tous les
-lieux: le désespoir des femmes, leurs plaintes, les cris et les larmes
-des enfants.
-
-Mais ce qui est caractéristique du temps et de la race, c'est la
-conduite du guerrier gaulois du quatrième siècle. Il voit que la mort
-approche et que ses efforts pour assurer le salut de sa famille sont
-inutiles. Il revêt son costume de guerre; l'épée nue dans la main
-droite, la lance à la main gauche, le bouclier au même bras, entouré de
-sa femme et de
-[Pg 354]ses enfants en pleurs, il attend la mort, impassible: il a foi
-dans les enseignements de ses pères et de ses prêtres; enseveli dans la
-mer avec ses armes et tous ceux qui lui sont chers, il va dans quelques
-instants se retrouver avec ceux qu'il aime, dans l'autre monde où tous,
-après la passagère épreuve de la mort, revivront pleins de santé et
-de joie; et, avec des armes pareilles à celles que les flots auront
-englouties, il recommencera cette vie guerrière qui alors, c'est-à-dire
-au quatrième siècle avant J.-C., donne aux Celtes le bonheur, la gloire
-et la suprématie sur toutes les nations voisines[3].
-
-
-[Footnote 1: Voyez plus haut, p. 231, 232.]
-
-[Footnote 2: Ephore, chez Strabon, livre VII, chap. II, § 1, édition
-Didot-Müller et Dübner, p. 243. Cf. Didot-Müller, _Fragmenta
-historicorum græcorum_, t. I, p. 245, fragment 44.]
-
-[Footnote 3: Aristote, _Ethicorum Eudemiorum_, l. III, c. 1, §
-25; édition Didot, t. II, p. 210, lignes 9, 10. Cf. _Ethicorum
-Nicomacheorum_, l. III, c. 10, § 7; édition Didot, t. II, p. 32,
-lignes 39-41. Le commentaire de ces deux passages nous est fourni, non
-seulement par le passage de Strabon cité plus haut, mais par Nicolas
-de Damas, fragment 104, chez Didot-Müller, _Fragmenta historicorum
-græcorum_, t. III, p. 457; et par Elien, _Variarum historiarum_, l.
-XII, c. 23. Ces textes ont été très savamment rapprochés par M. Karl
-Müllenhoff, _Deutsche Alterthumskunde_, t. I, Berlin, 1870, p. 231.]
-
-
-§5.
-
-_Certains héros sont allés faire la guerre au pays des morts et
-des dieux; tels sont: Cûchulainn, Loégairé Liban, Crimthann Nîa
-Nair.--Légende de Cûchulainn._
-
-Dans la croyance celtique, la guerre paraît être une des principales
-occupations des dieux dans les
-[Pg 355]contrées lointaines dont ils partagent le séjour avec les
-guerriers morts. Là se continuent, pendant la période héroïque, au
-temps, par exemple, de Conchobar et de Cûchulainn, les combats dont
-l'épopée mythologique nous a rendus témoins en nous montrant les Fomôré
-en lutte avec les populations mythiques de l'Irlande, avec la race de
-Partholon, avec celle de Némed, et avec les Tûatha Dê Danann.
-
-Un jour Cûchulainn est appelé dans le pays des dieux: c'est une île où
-l'on va d'Irlande en barque. Fand, déesse d'une beauté merveilleuse,
-lui offre sa main. Mais le héros n'obtiendra cette épouse séduisante
-qu'à la condition d'intervenir comme auxiliaire dans une bataille que
-la famille de sa fiancée doit livrer à d'autres dieux[1]. Il accepte
-cette condition, il est vainqueur, il épouse la déesse qui est le prix
-de la victoire et il revient avec elle en Irlande.
-
-Cûchulainn n'est pas le seul humain qui, suivant la légende irlandaise,
-ait, dans l'autre monde, pris part aux combats des dieux. Voici un
-autre récit conservé par un manuscrit du milieu du douzième siècle.
-
-
-[Footnote 1: _Serglige Conculainn_, ou «Maladie de Cûchulainn,» chez
-Windisch, _Irische Texte_, p. 209, 220. Eogan Inbir, contre lequel
-Cûchulainn va en guerre dans cette légende, est, dans le _Livre des
-conquêtes_, un des adversaires des Tûatha Dê Danann: Livre de Leinster,
-p. 9, col. 2, lignes 45-47; p. 11, col. 2, lignes 30-31; cf. p. 127,
-col. 2, ligne 6.]
-
-
-[Pg 356]§6.
-
-_Légende de Loégairé Liban._
-
-Un jour les habitants du Connaught étaient réunis en assemblée près
-d'En-loch ou du «lac des oiseaux,» dans la plaine d'Ai; avec eux
-étaient Crimthann Cass leur roi et Loégairé Liban son fils. Ils
-passèrent la nuit dans cet endroit. Le lendemain matin de bonne heure,
-quand ils se levèrent, ils virent un homme s'avancer vers eux à travers
-le brouillard qui s'élevait du lac.
-
-Cet homme portait un manteau de pourpre, tenait dans sa main droite
-une lance à cinq pointes; sur son bras gauche était un bouclier à
-pommeau d'or; une épée à poignée d'or pendait à sa ceinture; des
-cheveux d'un jaune d'or lui couvraient la tête et les épaules.--«Salut
-au guerrier que nous ne connaissons pas!» dit Loégairé, fils du roi de
-Connaught.--«Je vous remercie,» répliqua l'étranger.--«Quelle est la
-raison qui t'amène?» demanda Loégairé.--«Je viens chercher une armée de
-secours,» reprit l'inconnu.--D'où viens-tu?» dit Loégairé.--«Du pays
-des dieux,» répondit l'inconnu. «Fiachna, fils de Reta, est mon nom; ma
-femme m'a été enlevée. J'ai tué le ravisseur dans un combat. Mais alors
-j'ai été attaqué par son neveu, Goll mac Duilb, fils du roi de Dûn
-Maige Mell,» c'est à-dire de la forteresse de la Plaine
-[Pg 357]Agréable (un des noms du pays des morts). «Je lui ai livré
-sept batailles, et dans toutes j'ai été vaincu. Aujourd'hui aura lieu
-entre nous une nouvelle bataille. Je suis venu demander du secours.»
-Jusque-là il avait parlé en prose, il continua en vers:
-
- I
-
- La plus jolie des plaines est la plaine des deux brouillards,
- Autour d'elle coulent des fleuves de sang:
- Bataille de guerriers divins pleins de bravoure,
- Non loin d'ici, c'est tout près.
-
- Nous avons marché dans le sang généreux et rouge
- De corps majestueux et de noble race;
- Leur perte répand la douleur
- Parmi les femmes aux larmes rapides et abondantes.
-
- Premier massacre, celui de la ville des deux grues;
- Près d'elle un flanc fut percé:
- Là, dans la bataille, tomba, la tête tranchée,
- Eochaid fils de Sall Sreta.
-
- Avec vigueur combattit Aed fils de Find,
- En poussant le cri de guerre;
- Goll mac Duilb, Dond mac Néra
- Livrèrent aussi bataille, les guerriers aux belles têtes.
-
- Les bons et jolis fils de ma femme
- Et moi nous ne serons pas seuls:
- Une part d'argent et d'or
- Est le présent que je fais à quiconque le désire.
-
- La plus jolie des plaines est la plaine des deux brouillards,
- Autour d'elle coulent des fleuves de sang:
- Bataille de guerriers divins pleins de bravoure,
- Non loin d'ici, c'est tout près.
-
-
-[Pg 358]
- II
-
- Dans leurs mains sont des boucliers blancs
- Ornés de signes en blanc argent,
- Avec des épées brillantes et bleues,
- Des cornes rouges à monture métallique.
-
- Observant l'ordre de bataille prescrit,
- Précédant leur prince aux traits gracieux,
- Marchent, à travers les lances bleues,
- Des troupes blanches de guerriers aux cheveux bouclés.
-
- Ils ébranlent les bataillons ennemis,
- Ils massacrent tout adversaire qu'ils attaquent.
- Combien ils sont beaux dans le combat,
- Ces guerriers rapides, distingués, vengeurs!
-
- Leur vigueur, quelque grande qu'elle soit, ne pourrait être moindre:
- Ils sont fils de reines et de rois.
- Il y a sur leurs têtes à tous
- Une belle chevelure jaune comme l'or.
-
- Leurs corps sont élégants et majestueux,
- Leurs yeux à la vue puissante ont la prunelle bleue,
- Leurs dents brillantes ressemblent à du verre,
- Leurs lèvres sont rouges et minces.
-
- Au combat ils savent tuer les guerriers;
- Quand on est réuni dans la salle où se boit la bière, on entend leurs
- voix mélodieuses.
- Ils chantent en vers des choses savantes;
- Aux échecs ils gagnent la partie de revanche.
-
- Dans leurs mains sont des boucliers blancs,
- Ornés de signes en blanc argent,
- Avec des épées brillantes et bleues,
- Des cornes rouges à monture métallique.
-
-[Pg 359]Quand le guerrier inconnu eut terminé son chant, il
-partit, retournant dans le lac d'où il venait de sortir. Loégairé
-Liban, fils du roi de Connaught, s'adressant aux jeunes gens qui
-l'entouraient:--«Honte à vous!» leur cria-t-il, «si vous ne venez pas
-en aide à cet homme.» Cinquante guerriers, obéissant à cet appel,
-vinrent se ranger derrière Loégairé. Loégairé se précipita dans le lac.
-Les cinquante guerriers l'y suivirent. Après quelque temps de marche,
-ils rejoignirent l'étranger qui était venu les inviter, c'est-à-dire
-Fiachna, fils de Reta. Ils prirent part à un combat meurtrier, d'où
-ils sortirent sains et saufs, et vainqueurs; ils allèrent ensuite
-assiéger la forteresse de Mag Mell, c'est-à-dire, avons-nous dit, de
-la Plaine Agréable, du pays des morts, où la femme de Fiachna était
-retenue prisonnière. Les défenseurs de la place, ne pouvant résister,
-capitulèrent et rendirent à leur prisonnière la liberté, pour obtenir
-la vie sauve. Les vainqueurs emmenèrent avec eux la femme qu'ils
-avaient délivrée; celle-ci les suivit en chantant une pièce de vers qui
-est connue en Irlande sous le nom de _Osnad ingene Echdach amlabair_,
-«Gémissement de la fille d'Eochaid le muet.»
-
-Fiachna ayant recouvré sa femme, donna en mariage à Loégairé sa fille,
-qui s'appelait Dêr Grêné, c'est-à-dire «Larme du Soleil.» Chacun des
-cinquante guerriers qui étaient venus avec Loégairé reçut aussi une
-femme. Loégairé et ses compagnons restèrent un an dans leur nouvelle
-patrie; mais à la fin de
-[Pg 360]l'année ils eurent le mal du pays.--«Allons, «dit Loégairé,
-«savoir des nouvelles d'Irlande.»--«Afin de revenir,» lui dit son
-beau-père, «prenez des chevaux, montez-les, et n'en descendez pas.»
-Loégairé et ses compagnons suivirent ce conseil, se mirent en route, et
-arrivèrent à l'assemblée des habitants de Connaught qui avaient passé
-toute l'année à pleurer leur perte. Inutile de peindre la surprise
-des habitants de Connaught quand, apercevant devant eux tout à coup
-une troupe de guerriers à cheval, ils reconnurent Loégairé et ses
-cinquante compagnons. Ils se précipitèrent au-devant d'eux, pleins de
-joie, pour leur souhaiter la bienvenue.--«Ne vous dérangez pas,» dit
-Loégairé; «nous sommes venus vous dire adieu.»--«Ne me quitte pas,»
-s'écria Crimthann Cass, son père. «Tu auras le royaume des trois
-Connaught, leur or, leur argent, leurs chevaux tout bridés; à tes
-ordres seront leurs femmes si belles; ne les quitte pas.» Mais Loégairé
-fut inébranlable; il répondit qu'il ne pouvait accepter, et chanta en
-vers les prodiges de son nouveau séjour.
-
- I
-
- Quelle merveille, ô Crimthann Cass!
- C'est de la bière qui tombe à chaque pluie.
- Toute armée en marche est de cent mille guerriers;
- On va de royaume en royaume.
-
- On entend la musique noble et mélodieuse des dieux;
- On va de royaume en royaume.
-[Pg 361]
- Buvant dans des coupes brillantes,
- Ou s'entretient avec qui vous aime.
-
- * * * * *
-
- J'ai pour femme moi-même
- Dêr Grêné, fille de Fiachna.
- Après cela, te raconterai-je,
- Il y a une femme pour chacun de mes cinquante compagnons.
-
- Nous avons apporté de la plaine de Mag Mell
- Trente chaudrons, trente cornes à boire,
- Nous en avons apporté la plainte que chante Maer,
- Fille d'Eochaid le muet.
-
- Quelle merveille, ô Crimthann Cass!
- C'est de la bière qui tombe à chaque pluie.
- Toute armée en marche est de cent mille guerriers;
- On va de royaume en royaume.
-
- II
-
- Quelle merveille, ô Crimthann Cass!
- Je fus maître de l'épée bleue.
- Une nuit des nuits des dieux!
- Je ne la donnerais pas pour ton royaume.
-
-Après avoir chanté ces vers, Loégairé quitta son père et l'assemblée
-des habitants de Connaught, et il retourna dans ce pays mystérieux d'où
-il venait. La royauté y est partagée entre Fiachna son beau-père et
-lui; c'est lui qui règne dans la forteresse de Mag Mell;--c'est-à-dire
-de la Plaine Agréable où vont habiter les morts,--et il a toujours pour
-compagne la fille de Fiachna[1].
-
-
-[Footnote 1: Livre de Leinster, p. 275, col. 2, p. 276, col. 1 et 2.]
-
-
-[Pg 362]§7.
-
-_La descente de cheval dans la vieille légende de Loégairé Liban et
-dans la légende moderne d'Ossin._
-
-Dans cette légende, un détail caractéristique sur lequel nous
-appellerons l'attention, c'est la recommandation faite à Loégairé
-Liban par son beau-père de ne pas descendre de cheval en Irlande.
-Loégairé a suivi ce conseil. Aussi a-t-il pu regagner sain et sauf la
-contrée merveilleuse où il a trouvé une femme, un trône, et un bonheur
-surhumain.
-
-Il y a là une croyance mythologique que la légende de Loégairé n'est
-pas seule à nous conserver. L'existence de cette croyance est attestée
-aussi par le cycle ossianique. Nous parlons du cycle ossianique,
-dans sa forme la plus moderne, telle que la lui a donnée, au milieu
-du siècle dernier, Michel Comyn, quand il a écrit son poème célèbre
-intitulé «Ossin dans la terre des jeunes.» Ossin, comme Loégairé, a été
-dans une contrée merveilleuse où, après des victoires, il a épousé la
-fille du roi. Alors un désir irrésistible de revoir l'Irlande s'empare
-de lui. Il quitte sa femme avec l'intention de revenir bientôt. Il est
-monté sur un coursier merveilleux. Cet animal surnaturel sait la route
-qui le conduira en Irlande et qui l'en ramènera. La femme du héros lui
-fait la recommandation que Loégairé Liban a reçue de son beau-père:
-«Rappelle-toi,
-[Pg 363]ô Ossin, ce que je te dis. Si tu mets pied à terre, jamais tu
-ne reviendras dans la contrée si jolie que j'habite[1].»
-
-Une circonstance inattendue empêcha Ossin de suivre ce sage conseil.
-Un jour, en Irlande, voulant venir en aide à trois cents hommes qui
-avaient à porter une table de marbre et qui succombaient sous cette
-charge, il fit un effort violent; la sangle d'or de son cheval se
-brisa, il tomba sur le sol. En un instant il perdit la vue; sa beauté,
-sa jeunesse et sa force furent remplacés par la décrépitude, la
-vieillesse et l'épuisement. Il n'a pu depuis retrouver la route du
-pays séduisant où il avait laissé sa charmante épouse. Il est resté
-en Irlande sans autre consolation que le souvenir d'un passé qui ne
-reviendra pas[2].
-
-
-[Footnote 1: _Transactions of the Ossianic Society for the year 1856_,
-vol. IV, 1859, p. 266. L'édition de ce texte curieux est due à M. Brian
-O'Looney.]
-
-[Footnote 2: _Ibid._, p. 278.]
-
-
-§8.
-
-_Légende de Crimthann Nîa Nair._
-
-Nous venons de voir ce que Michel Comyn écrivait il y a un peu plus
-d'un siècle. La littérature la plus ancienne de l'Irlande raconte
-l'histoire d'un héros qui fut encore moins heureux qu'Ossin: car en
-tombant comme lui du cheval merveilleux, ce ne fut
-[Pg 364]pas seulement de cécité, de vieillesse et de décrépitude qu'il
-fut atteint: il mourut. Le héros dont nous voulons parler est le roi
-suprême d'Irlande, Crimthann Nîa Nair.
-
-Ce personnage appartient au cycle de Conchobar et de Cûchulainn. Sa
-généalogie fait partie des récits qui ont donné à la race irlandaise
-une si grande réputation d'immoralité. Lugaid était fils de trois
-frères, Bress, Nar et Lothur; et Clothru, sa mère, était leur sœur[1].
-Lugaid s'unit ensuite à Clothru, qui fut ainsi successivement sa mère
-et sa femme, et de cette union est issu Crimthann[2].
-
-Crimthann, fils de Lugaid et de Clothru, devint roi suprême d'Irlande.
-Il épousa la déesse Nair, qui l'emmena de l'autre côté de la mer, dans
-un pays inconnu où il resta un mois et quinze jours. Il en revint avec
-quantité d'objets précieux. On cite un char qui était tout entier
-d'or; un jeu d'échecs en or, où étaient incrustées trois cents pierres
-précieuses; une tunique brodée d'or; une épée dont la ciselure d'or
-représentait des serpents; un bouclier avec ornements saillants en
-argent; une lance dont les blessures étaient toujours mortelles; une
-fronde qui ne manquait jamais son coup; deux chiens attachés à une
-chaîne d'argent si jolie qu'on l'estimait trois cents femmes esclaves.
-Crimthann mourut des
-[Pg 365]suites d'une chute de cheval, six semaines après son retour en
-Irlande[3].
-
-
-[Footnote 1: Livre de Leinster, p. 124, col. 2, lignes 34 et suiv.]
-
-[Footnote 2: Comparez saint Jérôme, _Adversus Jovinianum_, livre II,
-chap. 7, chez Migne, _Patrologia latina_, t. 23, col. 296 A.]
-
-[Footnote 3: Un très court résumé de la légende de Crimthann se trouve
-dans le traité appelé _Flathiusa hErenn_, Livre de Leinster, p. 23,
-col. 2, lignes 2-8; Livre de Lecan, f° 295, verso, col. 2; cf. _Annales
-des Quatre Maîtres_, édition d'O'Donovan, 1851, t. I, p. 92-95;
-Keating, _Histoire d'Irlande_, édition de 1811, p. 408, 409.]
-
-
-§9.
-
-_Différence entre la légende de Cûchulainn d'un côté, celles de
-Loégairé Liban et de Crimthann Nîa Nair de l'autre._
-
-La légende de Loégairé Liban et celle de Crimthann Nîa Nair nous
-offrent ce caractère commun que le héros, au retour du pays mystérieux
-créé par la mythologie, ne peut descendre de cheval sans s'exposer à
-une perte certaine. Il semble que telle est la loi commune. Cependant,
-Cûchulainn et son cocher y échappent. Cûchulainn et le cocher,--je
-pourrais dire même le char et les deux chevaux, que le système
-militaire des Celtes primitifs associe d'une manière inséparable à
-ses exploits,--ont quelque chose de surhumain et sont, à une foule de
-points de vue exceptés des lois générales auxquelles le reste de la
-nature est assujetti.
-
-Au retour du pays des dieux, ramenant avec lui la déesse Fand qu'il
-a épousée, et Loeg son cocher, qui lui a servi de guide, Cûchulainn
-n'éprouve, ainsi
-[Pg 366]que Loeg, aucun effet de ce voyage. C'est ainsi que, dans
-l'épopée homérique, rien n'est changé chez Ulysse quand il revient de
-l'île de Calypso. Cûchulainn, comme Ulysse, a pu sans mourir faire son
-voyage merveilleux; au contraire, Loégairé et Crimthann, à leur retour
-du pays inconnu qu'ils ont été visiter, ne sont que des revenants, dans
-le sens mythique que l'imagination populaire, en France, donne encore à
-ce mot: des revenants, c'est-à-dire des morts, qui pour un temps fort
-court ont quitté leur patrie nouvelle afin de revoir leurs parents et
-leurs amis. Fugitives apparitions, ils ne peuvent toucher terre sans
-s'évanouir au même instant.
-
-Quand Michel Comyn, ramenant Ossin de la région merveilleuse de
-l'éternelle jeunesse, le fait survivre sous forme de vieillard caduc à
-l'accident qui l'a précipité de cheval, il lui confère, par le droit
-qu'en prenant la plume conquiert tout poète, un privilège contraire à
-la tradition celtique. Cependant il y a dans cette composition, vieille
-seulement d'un peu plus d'un siècle, un dernier écho de l'enseignement
-celtique le plus ancien sur l'immortalité de l'âme. Le Celte croyait
-que l'âme survivait à la mort, mais il ne concevait pas cette âme sans
-un corps nouveau semblable au premier; je dis semblable, mais sauf
-certains caractères: ainsi ce corps nouveau, immortel dans le pays des
-morts, ne pouvait, sans perdre la vie, toucher du pied la terre des
-vivants.
-
-
-[Pg 367]CHAPITRE XVI.
-
-CONCLUSION.
-
-§1. D'une différence importante entre la mythologie celtique et la
-mythologie grecque.--§2. La triade mythologique dans les _Vêda_ et en
-Grèce.--§3. La triade en Irlande.--§4. La triade en Gaule chez Lucain:
-Teutatès, Esus et Taranis ou Taranus.--§5. Le dieu gaulois que les
-Romains ont appelé Mercure.--§6. Le dieu cornu et le serpent mythique
-en Gaule.--§7. Le dualisme celtique et le dualisme iranien.--§8. Le
-naturalisme celtique.
-
-
-§1.
-
-_D'une différence importante entre la mythologie celtique et la
-mythologie grecque._
-
-Quelques textes d'auteurs latins et grecs, un grand nombre
-d'inscriptions trouvées sur le continent et dans les Iles Britanniques,
-nous donnent des noms de divinités celtiques, les uns isolés, les
-autres associés à des noms de divinités gréco-latines. Certains savants
-paraissent attendre des études celtiques la détermination précise des
-attributions spéciales à chacune
-[Pg 368]de ces divinités et semblent croire qu'un jour on pourra donner
-sur chacune d'elles un ensemble net et précis de légendes analogue à
-celui que la mythologie grecque a groupé sous le nom de chacun de ses
-principaux dieux. C'est une illusion.
-
-En effet, si la mythologie celtique offre comme base un fonds de
-croyances semblable à celui qui a inspiré les traits généraux de la
-mythologie grecque, elle s'est développée, surtout au point de vue de
-la forme littéraire et artistique, d'une façon toute différente, et
-elle a vécu dans un milieu qui n'a jamais eu d'Homère ni de Phidias.
-Le génie littéraire de la Grèce a créé des caractères, clairement
-distincts et vigoureusement soutenus dans une foule de détails, pour
-des dieux qui sont des doublets les uns des autres, tels que Phaéton,
-Apollon, Héraclès, trois personnifications du soleil. Les sculpteurs et
-les peintres ont donné à ces dieux originairement identiques des types
-différents, nettement séparés les uns des autres soit par la forme du
-corps, soit par les objets qui leur sont associés, vêtements, armes,
-etc.
-
-Quand la sculpture grecque a pénétré en Gaule, elle y a tenté un essai
-de ce genre, mais tous les monuments qui en subsistent sont postérieurs
-à la conquête romaine, c'est-à-dire qu'ils datent d'une époque où la
-religion gauloise était en pleine décadence; et, sauf le passage de
-Lucien sur Ogmios, nous n'avons aucun texte littéraire qui se rapporte
-au mouvement religieux correspondant à cette période artistique.
-
-[Pg 369]La littérature irlandaise la plus ancienne nous offre
-les conceptions mythologiques des Celtes dans une période où la
-civilisation était beaucoup plus primitive. Alors on n'avait pas
-encore donné aux créations de la mythologie les contours précis par
-lesquels elles sont fixées, quand les arts du dessin, atteignant une
-certaine perfection, parviennent à créer pour chaque nom divin une
-forme anthropomorphique distincte de celles à qui les autres noms
-divins servent pour ainsi dire d'étiquette. Les compositions épiques
-de l'Irlande n'ont pas la valeur esthétique de celles de la Grèce et
-de leurs imitations romaines. On n'y voit pas chaque dieu se présenter
-avec ce caractère nettement dessiné, longuement suivi, qui, toujours
-stable et un dans les circonstances les plus variées, est une création
-propre au génie littéraire de la Grèce. En Irlande comme dans la
-mythologie védique, les traits qui pourraient caractériser la figure de
-chacun des personnages qu'un nom divin désigne restent souvent indécis
-et vagues; tantôt tels et tels personnages sont distincts les uns des
-autres, tantôt ils se confondent les uns avec les autres et ne font
-qu'un.
-
-Rien de commun, par exemple, en Irlande comme la triade, c'est-à-dire
-trois noms divins, qui, à certains moments, semblent désigner autant
-d'êtres mythiques distincts, et qui ailleurs ne sont évidemment que
-trois noms ou trois adjectifs, exprimant trois aspects différents de la
-même personnalité mythologique.
-
-
-[Pg 370]§2.
-
-_La triade mythologique dans les_ Vêda _et en Grèce._
-
-Dans la mythologie védique, Varuna, le plus ancien des dieux; Yama,
-le dieu de la mort; Tvashtri, père du dieu suprême Indra, sont trois
-formes de la même idée. Yama est le père de la race divine et, par
-conséquent, d'Indra, comme Tvashtri[1], Varuna aussi reçoit le titre
-de dieu père[2]. Varuna est dieu de la nuit[3], variante de la mort,
-qui est le domaine de Yama; il a été vaincu et détrôné par Indra[4] son
-fils, qui, ailleurs, ayant remporté la victoire sur son père Tvashtri,
-lui ôte la vie[5]. Ainsi Yama, Varuna et Tvashtri, qui souvent semblent
-trois dieux distincts, sont, en réalité, trois noms du même dieu, ou
-trois expressions pour désigner la même conception mythologique.
-
-Dans la mythologie grecque, Brontès, ou le bruit du tonnerre, Stéropès
-et Argès, deux noms de l'éclair, ont pour origine trois expressions
-qui désignent deux formes du même phénomène, et on a imaginé que ces
-trois expressions désignaient trois personnages distincts, réunis en un
-groupe sous le
-[Pg 371]nom de Cyclopes[6]. C'est une triade dans le sens le
-plus rigoureux du mot, c'est-à-dire que les Cyclopes sont trois
-personnifications du même phénomène naturel. Telles sont aussi les
-_Charites_, que les Romains ont appelées Grâces[7], et le triple
-Géryon, personnification de la nuit[8].
-
-Mais les Cyclopes les _Charites_, et Géryon, n'occupent qu'un rang
-secondaire dans le Panthéon grec. Les dieux les plus importants, Aïdès,
-Ennosigaios aussi appelé Poseidaôn, Zên plus connu sous le nom de Zeus,
-tous fils de Kronos[9], sont au nombre de trois comme les petits dieux
-grecs et les grands dieux védiques dont nous venons de parler, et
-comme les dieux celtiques dont il sera question plus loin. Toutefois,
-dès l'époque à laquelle remontent les documents les plus anciens, le
-génie grec a donné aux trois fils de Kronos, des attributs tellement
-distincts qu'il est impossible de les confondre l'un avec l'autre.
-
-
-[Footnote 1: Bergaigne, _La religion védique_, t. I, p. 88.]
-
-[Footnote 2: _Id., ibid._, t. III, p. 111.]
-
-[Footnote 3: _Id., ibid._, t. III, p. 116-121.]
-
-[Footnote 4: _Id., ibid._, t. III, p. 142-148.]
-
-[Footnote 5: _Id., ibid._, t. III, p. 58-60, 144.]
-
-[Footnote 6: Hésiode, _Théogonie_, vers 139-145.]
-
-[Footnote 7: _Théogonie_, vers 907. Cf. Max Müller, _Lectures on the
-science of language, second series_, 2e édition, p. 369-376.]
-
-[Footnote 8: _Théogonie_, vers 287; Eschyle, _Agamemnon_, v. 870. Cf.
-plus bas, p. 211-213, et plus haut, p. 385, note.]
-
-[Footnote 9: Hésiode, _Théogonie_, vers 455-457.]
-
-
-§3.
-
-_La triade en Irlande._
-
-L'esprit celtique éprouve beaucoup moins le besoin
-[Pg 372]d'attacher à chaque mot différent une idée distincte de celle
-qu'un autre mot exprime. Nous lisons dans de vieux textes irlandais
-que les Tûatha Dê Danann avaient au même moment trois rois: Mac Cuill,
-Mac Cecht et Mac Grêné. Tous trois, par leur père Cermait, étaient
-petits-fils de Dagdé, dieu suprême; tous trois régnaient en même temps
-sur l'Irlande; tous trois furent tués à la bataille de Tailtiu. La
-femme du premier s'appelait Fotla; celle du second, Banba; celle du
-troisième, Eriu. Or, ces trois femmes prétendues sont simplement trois
-noms de l'Irlande. Il n'y a donc qu'une femme, et comme la triple
-épouse se réduit à l'unité, les trois époux n'en font qu'un[1].
-
-Mac Cuill, Mac Cecht et Mac Grêné ont un doublet. Dans le «Dialogue
-des deux docteurs,» un des plus anciens documents qui nous parlent de
-ce doublet, on trouve écrits Brîan, Iuchar et Uar les trois noms qui
-le constituent. Comme Mac Cuill, Mac Cecht et Mac Grêné, Brîan, Iuchar
-et Uar appartiennent au groupe des Tûatha Dê Danann et le dominent.
-Ce sont les dieux de la science et du génie littéraire et artistique.
-Brigit, leur mère, est à la fois une déesse et une _file_ féminine;
-elle est fille de Dagdé, ou «bon dieu,» le dieu suprême, le grand roi
-des Tûatha Dê Danann. Ses enfants, Brîan,
-[Pg 373]Iuchar et Uar, ont donc le même grand-père que Mac Guill, Mac
-Cecht et Mac Grêné[2].
-
-Entre Brîan, Iuchar et Uar, il n'y a qu'une différence de nom; on peut
-même dire qu'entre Iuchar et Uar la différence n'est qu'apparente,
-car le second de ces deux noms n'a été obtenu qu'en retranchant trois
-lettres du premier. Un procédé analogue a été suivi par les auteurs qui
-écrivent les deux derniers noms de cette triade: Iucharba et Iuchair.
-Iuchair n'est qu'une forme abrégée de Iucharba.
-
-Brîan, et ses deux frères ou associés, appelés tantôt Iuchar et Uar,
-tantôt Iucharba et Iuchair, ont, sur tous points, la même histoire. A
-eux trois, ils tuent le dieu Cêin, appelé ailleurs Cîan[3]; tous trois
-sont tués dans le même endroit, par le dieu Lug[4]. On les dépeint tous
-les trois de la même manière: tous trois ont la chevelure blonde, sont
-vêtus d'un manteau vert sur une tunique d'un rouge
-[Pg 374]qui tend au jaune. Tous trois portent une lance très forte et
-très pointue. Une épée à poignée d'ivoire pend sur la cuisse de chacun
-d'eux. Leurs trois boucliers sont rouges. Les noms de leurs trois
-chevaux diffèrent, mais ont le même sens: chacun veut dire «vent.»
-Leurs trois pères nourriciers s'appellent Victoire, Dignité et Force
-protectrice. Les noms de leurs trois concubines sont Paix, Plaisir et
-Joie; ceux de leurs trois reines, Belle, Jolie, Charmante. Leurs trois
-châteaux se nomment Fortune, Richesse et Large Hospitalité[5]. Enfin à
-eux trois ils donnent le jour à un fils unique dont le nom, Ecné, veut
-dire «science, littérature, poésie[6].»
-
-Brîan, Iuchar et Iucharba appartiennent au cycle mythologique. Ils ont
-un doublet dans le cycle de Conchobar et de Cûchulainn, et, malgré
-certaines apparences historiques, ce doublet appartient encore à la
-mythologie. Il faut, disons-nous, reconnaître une triade mythologique
-dans la légende de Clothru, épouse à la fois de ses trois frères. De
-cette association conjugale naît un fils unique; Lugaid, ce fils, plus
-tard roi suprême d'Irlande, a, gravées sur la peau par un phénomène
-étrange, deux lignes circulaires rouges, l'une au cou, l'autre à la
-ceinture; ces lignes séparaient chacune des portions du corps
-[Pg 375]par lesquelles il ressemblait à chacun de ses trois pères. Il
-ressemblait au premier par la tête, au second par le haut du corps
-jusqu'à la ceinture, au troisième par la partie inférieure du corps.
-Il épousa sa mère, dont il eut un fils qui lui succéda sur le trône
-d'Irlande[7].
-
-La triade est produite par l'habitude d'employer trois synonymes pour
-exprimer la même idée mythologique. Quelquefois les Irlandais ont
-conservé sur ce point la notion de la réalité. Ainsi, dans un des
-manuscrits du _Glossaire_ de Cormac, nous lisons que la femme du grand
-dieu Dagdé a trois noms, qui sont: Mensonge, Tromperie et Honte[8].
-Dagdé lui-même, d'après le même ouvrage, a trois noms: outre le nom
-par lequel nous venons de le désigner, il porte ceux de Céra et de
-Rûad-rofhessa[9]. Nous ne voyons pas qu'on ait supposé trois dieux pour
-expliquer ces trois noms. Mais par exemple, d'un dieu unique, du dieu
-père appelé Kronos chez les Grecs, on en a fait trois en Irlande. Ce
-dieu, qui originairement fut maître du monde, et qui, vaincu par son
-fils, devint roi des morts, a été, en Irlande, transformé en trois
-dieux; le premier, d'abord roi,
-[Pg 376]fut détrôné; le second fut tué par son petit-fils dans la
-bataille; le troisième vaincu, mis en fuite, fut obligé de se réfugier
-dans le pays des morts, où il règne. Les Irlandais appellent le premier
-Bress, le second Balar, le troisième Téthra; et ces trois noms, à
-l'origine, ont désigné la même divinité.
-
-
-[Footnote 1: _Lebar gabala_, dans le Livre de Leinster, p. 9, col. 2,
-lignes 27-30; p. 10, col. 1, lignes 35-39; _Flathiusa hErenn_, Livre
-de Leinster, p. 15, col. 1, lignes 1-4; poème chronologique de Gilla
-Coemain, Livre de Leinster, p. 127, col. 2, lignes 7-10.]
-
-[Footnote 2: _Dialogue des deux docteurs_, dans le Livre de Leinster,
-p. 187, col. 3, lignes 54 et suiv. Chose curieuse, Bress, leur père,
-est un Fomôré, et ils appartiennent, comme leur mère et leur grand-père
-maternel, au groupe des Tûatha Dê Danann, ennemis des Fomôré. Nous
-avons déjà parlé de Brîan et de ses deux frères, p. 145 et suiv.]
-
-[Footnote 3: Poème de Flann Manistrech, dans le Livre de Leinster, p.
-11, col. 1, ligne 28.]
-
-[Footnote 4: Livre de Leinster, p. 11, col. 2, lignes 2, 3. Les vers
-de Flann Manistrech cités dans cette note et dans la précédente
-sont le thème sur lequel a été créée la légende de Tuirell Bicreo.
-Cette légende, qui paraît dater du quinzième siècle, a reçu à une
-date beaucoup plus moderne une forme beaucoup plus développée, sous
-le titre, bien connu en Irlande, de _Aided Chloinne Tuirend_, «Mort
-violente des enfants de Tuirenn.»]
-
-[Footnote 5: Livre de Leinster, p. 30, col. 3, lignes 38 et suiv.]
-
-[Footnote 6: _Dialogue des deux docteurs_, dans le Livre de Leinster,
-p. 187, col. 3, lignes 53-58. Sur _ecne_ = *ate-gnio-n, dont la forme
-la plus complète en vieil irlandais est _aithgne_, voyez la _Grammatica
-celtica_, 2e édition, p. 60, 869.]
-
-[Footnote 7: _Flathiusa hErend_, dans le Livre de Leinster, p. 23, col.
-1, ligne dernière; col. 2, lignes 1-3; _Aided Meidbe, ibid._, p. 124,
-col. 2, lignes 34 et suiv.; Keating, _Histoire d'Irlande_, édition de
-1811, p. 406. Cf. plus haut, p. 364.]
-
-[Footnote 8: Whitley Stokes, _Sanas Chormaic_, p. 90. Hérè, femme de
-Zeus, est aussi une trompeuse (_Iliade_, XV, 31, 33; XIX, 97, 106, 112.]
-
-[Footnote 9: Whitley Stokes, _Sanas Chormaic_, p. 47, 144.]
-
-
-§4.
-
-_La triade en Gaule chez Lucain: Teutatès, Esus, Taranis ou Taranus._
-
-Nous retrouvons en Gaule les triades divines. Pour en bien comprendre
-le sens, il est nécessaire de déterminer d'abord auquel des deux
-groupes, entre lesquels se partage le panthéon celtique, chacune de ces
-triades appartient.
-
-La plus célèbre des triades divines adorées en Gaule est celle dont
-Lucain parle, dans des vers bien connus et que nous avons déjà souvent
-cités: les dieux qui la composaient s'appelaient Teutatès, Esus et
-Taranis ou Taranus. Ils appartenaient au groupe des dieux de la mort et
-de la nuit, des dieux pères et méchants que les Irlandais ont nommés
-Fomôré. On les honorait par des sacrifices humains[1]. L'objet de ces
-sacrifices était d'obtenir que cette triade redoutable, considérée
-comme divinité de la mort, acceptât l'âme
-[Pg 377]de la victime en échange d'autres personnes plus chères dont la
-vie était menacée[2].
-
-Ces immolations terribles se pratiquaient surtout à la guerre: les
-captifs étaient mis à mort et leur massacre était un acte religieux.
-Les Gaulois établis en Asie y portèrent cet usage barbare, et il était
-encore en vigueur parmi eux dans la première moitié du second siècle
-avant notre ère[3]. Il persistait en Gaule longtemps après cette date;
-il est mentionné dans la description de la Gaule écrite par Diodore de
-Sicile vers l'année 44 avant notre ère. Les prisonniers de guerre, nous
-dit Diodore, sont sacrifiés aux dieux; avec les animaux que le sort des
-armes a fait tomber entre les mains des vainqueurs, ils sont brûlés,
-ou mis à mort d'une autre façon[4]. Les Gaulois ne procédaient pas
-autrement au temps de
-[Pg 378]la grande guerre que César leur fit de 58 à 51 avant J.-C.
-Après avoir dit qu'ils ont un dieu, identique suivant lui au Mars
-romain, l'auteur des _Commentaires_ continue ainsi: «Quand ils ont
-résolu de livrer une bataille, ils vouent ordinairement à ce dieu le
-butin qu'ils projettent de faire; après la victoire, ils immolent en
-son honneur tout ce qui a vie[5].»
-
-Deux inscriptions nous apprennent le nom, ou un des noms de la divinité
-gauloise que César a désignée par le nom latin de Mars. L'une est une
-dédicace à Mars _Toutatis_; elle a été trouvée en Grande-Bretagne[6].
-L'autre, découverte à Seckau en Styrie, s'adresse à Mars _Latobius
-Harmogius Toutatis Sinatis Mogenius_[7]. Ainsi, Toutatis ou Teutatès
-est le
-[Pg 379]dieu auquel, pendant la guerre, les Gaulois immolaient leurs
-captifs. C'est un des noms et une des personnifications de ce dieu
-père qui régnait sur les morts. Par faveur, croyait-on, il pouvait
-épargner les jours du Gaulois menacé dans son existence, et qui, comme
-remplaçant, lui envoyait dans l'autre monde un captif immolé[8].
-
-Taranis ou Taranus, si l'on admet la correction de M. Mowat[9], est
-un doublet de Teutatès ou Toutatis. L'étymologie de son nom établit
-que c'est un dieu de la foudre: _taran_, en gallois, en cornique et en
-breton, est le nom de la foudre. Or, le dieu de la foudre, en Irlande,
-est Balar, un des trois principaux chefs des Fomôré. Son œil, le
-mauvais œil, dont le regard tue, n'est autre chose que la foudre. On a
-considéré Taranus comme identique au Jupiter
-[Pg 380]romain. Sans doute, Jupiter a pour arme la foudre; mais la
-religion des Romains n'étant pas dualiste comme celle des Gaulois,
-Jupiter joint à cet attribut accessoire des qualités fondamentales
-comme dieu bon et dieu fils, qui le rendent tout à fait étranger au
-Taranus celtique. Jupiter est le fils de Saturne ou de Kronos; il est
-le dieu du jour et de la vie. Taranus, comme Balar, est le dieu de la
-mort, père des dieux de la vie[10]. Voilà pourquoi en Gaule, comme
-Lucain nous l'apprend, on lui offrait des sacrifices humains.
-
-Esus, dont une variante _Æsus_ nous a été conservée par une monnaie
-de la Grande-Bretagne[11], a été placé avec raison par Lucain dans la
-même triade, puisqu'on lui offre des sacrifices humains. Le bois qu'il
-coupe dans le bas-relief gallo-romain du musée de Cluny était sans
-doute destiné au bûcher du sacrifice. Au temps de Tibère, de l'an 14 à
-l'an 37 de notre ère, quand fut sculpté ce monument, il était défendu
-en Gaule de sacrifier des victimes humaines. Mais la suppression de cet
-usage n'était point ancienne, puisque, sept ans avant notre ère, Denys
-d'Halicarnasse en parle encore en mettant le verbe au présent; et si
-cette lugubre cérémonie ne se pratiquait plus sous le règne de Tibère,
-du moins le cérémonial en subsistait, puisque
-[Pg 381]sous Claude, en l'an 43 ou 44 après notre ère, Pomponius
-Méla nous apprend qu'il était encore maintenu: ne pouvant plus tuer
-d'hommes, les druides alors se bornaient à tirer quelques gouttes de
-sang à des gens de bonne volonté[12].
-
-
-[Footnote 1: Lucain, _Pharsale_, l. I, vers 444-446.]
-
-[Footnote 2: «Qui sunt affecti gravioribus morbis quique in præliis
-periculisque versantur, aut pro victimis homines immolant aut se
-immolaturos vovent administrisque ad ea sacrificia druidibus utuntur,
-quod, pro vita hominis nisi hominis vita reddatur, non posse deorum
-immortalium numen placari arbitrantur.» César, _De bello gallico_,
-livre VI, chap. XVI, § 2, 3.]
-
-[Footnote 3: «Cum ... mactatas humanas hostias, immolatosque liberos
-suos audirent.» Discours prononcé au sénat par le proconsul Cneius
-Manlius, l'an 187 avant J.-C., chez Tite-Live, livre XXXVIII, chap.
-XLVII; comparez Diodore de Sicile, livre XXXI, chap. 13, édition Didot,
-t. II, p. 499. Ici il est question d'événements de l'année 167 avant
-J.-C.]
-
-[Footnote 4: «Χρῶνται δὲ καὶ τοῖς αἰχμαλώτοις ὡς ἱερείοις πρὸς τὰς
-τῶν θεῶν τιμάς. Τινὲς δὲ αὐτῶν καὶ τὰ κατὰ πόλεμον ληφθέντα ζῷα μετὰ
-τῶν ἀνθρώπων ἀποκτείνουσιν ἢ κατακαίουσιν ἤ τισιν ἄλλαις τιμωρίαις
-ἀφανίζουσι.» Diodore de Sicile, livre V, chap. XXXII, § 6, édition
-Didot, t. I, p. 273, 274.]
-
-[Footnote 5: «.... Martem bella regere. Huic, cum prælio dimicare
-constituerunt, ea, quæ bello ceperint, plerumque devovent: cum
-superaverunt, animalia capta immolant reliquasque res in unum locum
-conferunt.» César, _De bello gallico_, l. VI, chap. XVII, § 2, 3.]
-
-[Footnote 6:
-
- MARTI
- TOUTATI.
-
-Inscription de Rooky Wood, Hertfordshire. _Corpus inscriptionum
-latinarum_, t. VII, n° 84. Ce monument est aujourd'hui conservé au
-Musée Britannique.]
-
-[Footnote 7:
-
- MARTI
- LATOBIO
- HARMOGIO
- TOVTATI
- SINATI MOG
- ENIO.
-
-_Corpus inscriptionum latinarum_, t. III, n° 5320. M. Mowat, _Revue
-épigraphique_, t. I, p. 123, lit TIOVTATI avec un I après le T. Je
-préfère la lecture du _Corpus inscriptionum latinarum_, t. III, p.
-1163, col. 2: phonétiquement, elle est la seule admissible. _Ou_,
-dans _Toutatis_, est une variante d'_eu_ dans _Teutates_; _o_ dans
-_Totatigens_ (_Corpus_, t. VI, n° 2407), _u_ dans _Tutatis_, cité par
-M. Mowat au passage que nous critiquons, sont des variantes justifiées
-(_Grammatica celtica_, 2e édition, p. 34); _Tioutatis_ serait un
-monstre. Ce dissentiment sur un point de détail ne m'empêche pas
-d'avoir sur une foule d'autres points en haute estime les travaux du
-savant épigraphiste qui a agrandi par de si nombreuses découvertes le
-domaine des études celtiques.]
-
-[Footnote 8: Le _Mars Belatu-Cadros_, «beau quand il tue,» de
-Grande-Bretagne semble être le même dieu sous un autre nom. _Corpus
-inscriptionum latinarum_, t. VII, nos 318, 746, 885, 957.]
-
-[Footnote 9: _Revue épigraphique_, t. I, p. 123-126. L'hypothèse
-que les thèmes en _i_ faisaient leur génitif en _ou_ (_Grammatica
-celtica_, 2e édit., p. 234) me semble inadmissible. Dans mon opinion,
-_Taranu-cnos_ est un composé asyntactique.]
-
-[Footnote 10: Les dédicaces «deo Taranu-cno» par les Gaulois de la rive
-droite du Rhin,--Brambach (_Corpus inscriptionum rhenarum_, nos 1589,
-1812),--s'adressent à un fils de Taranus.]
-
-[Footnote 11: A. de Barthélémy, dans la _Revue celtique_, t. I, p. 293,
-col. 1.]
-
-[Footnote 12: Voir plus haut, t. Ier, p. 149.]
-
-
-§5.
-
-_Le dieu gaulois que les Romains ont appelé Mercure._
-
-Ainsi, Teutatès, Taranis ou Taranus et Esus sont autant de formes de ce
-dieu de la mort, père du genre humain, appelé _Dis pater_ par César. En
-Irlande il porte, nous l'avons dit, trois noms: Bress, Balar et Téthra;
-c'est le chef des Fomôré. Dans le groupe divin qui leur est opposé, la
-victoire est remportée par _Lug_, plus anciennement _Lugus_. Le nom de
-Lug, en irlandais, veut dire «guerrier[1].» En effet l'acte le plus
-important de ce dieu a consisté à tuer le dieu de la mort Balar. C'est
-Lug que César présente comme identique au Mercure romain, déjà confondu
-à cette époque avec l'Hermès grec. Lug ressemble à ce Mercure-Hermès en
-ce qu'il est le dieu des arts et
-[Pg 382]du commerce. Mais de cette ressemblance à l'identité, il y a
-une distance énorme. Nous avons déjà fait une observation analogue
-à propos du Jupiter romain et du Taranis ou Taranus gaulois: les
-mythographes romains, partant de la croyance à la réalité de leurs
-dieux et des dieux étrangers, s'imaginaient avoir établi l'identité
-de deux personnalités mythologiques, quand ils avaient constaté entre
-elles certains points de ressemblance. De là est résultée la fusion de
-leur mythologie avec celle des Grecs: par l'emploi de cette méthode,
-ils sont arrivés à se persuader à eux-mêmes et à faire croire aux
-Gaulois romanisés que les dieux gaulois et les dieux romains étaient
-les mêmes. Cette doctrine était fausse: le dieu gaulois que César
-a appelé Mercure est une conception mythologique originale qui,
-ressemblant sur certains points au Mercure-Hermès gréco-romain, en
-diffère sur d'autres points; il est, par exemple, un dieu guerrier.
-
-Les Gaulois ne l'appelaient pas seulement Lugus: ils lui donnaient
-plusieurs autres noms, et, parmi ces noms, plusieurs ont pour élément
-fondamental une racine SMER dont la valeur n'a pas encore été
-déterminée[2]. Sur un vase découvert à Sanxey, près de Poitiers, on lit
-la dédicace DEO MERCVRIO ATUSMERIO. La base d'une statue de Mercure
-trouvée à
-[Pg 383]Meaux offre la légende DEO ADSMERIO[3]. Sur un des autels
-romains de Paris conservés au musée de Cluny, M. Mowat a déchiffré les
-cinq lettres SMERI ou SMERT. Elles commencent la légende, aujourd'hui
-fruste, inscrite au-dessus d'un bas-relief représentant un personnage
-qui va frapper un serpent d'un coup de massue[4]. Ce personnage est
-un doublet de Lugus. Le serpent est une des formes du dieu mauvais
-indo-européen[5].
-
-Dans le bassin du Rhin, le dieu identifié au Mercure romain perd
-souvent son nom gaulois; mais alors il est accompagné d'une déesse qui
-a conservé ce nom: c'est _Rosmerta_, et _Ro-smer-ta_ nous offre la même
-racine qu'_Atu-smer-iu-s_ ou _Ad-smer-ius_, et que le mot incomplet
-_Smer-i_... ou _Smer-t_...[6].
-
-
-[Footnote 1: Glossaire d'O'Davoren, chez Whitley Stokes, _Three irish
-glossaries_, p. 103. Suivant un passage célèbre du pseudo-Plutarque,
-_De fluviis_, le premier terme du composé _Lugu-dunum_ aurait signifié
-«corbeau.» La vérité est probablement que dans le récit légendaire
-gaulois auquel ce texte renvoie, il était question d'une apparition
-d'oiseaux, et que dans la croyance gauloise ces oiseaux étaient une
-manifestation du dieu Lugus.]
-
-[Footnote 2: En irlandais moyen, _smêr_ veut dire «feu.» Whitley
-Stokes, _Sanas Chormaic_, p. 149. De ce mot paraît dériver l'irlandais
-moyen _smêroit_ «charbon.» On ne sait pas quelle est dans ces deux mots
-l'origine de l'_e_ long.]
-
-[Footnote 3: Mowat, dans le _Bulletin des antiquaires de France_, 1882,
-p. 310.]
-
-[Footnote 4: Mowat, dans le _Bulletin épigraphique de la Gaule_, t. I,
-p. 117.]
-
-[Footnote 5: Bréal, _Mélanges de mythologie et de linguistique_, p. 96
-et suiv.]
-
-[Footnote 6: Charles Robert, _Epigraphie de la Moselle_, p. 65 et
-suiv. Le nom propre d'homme _Smertu-litanus_, «large comme _Smertus_,»
-dans une inscription de Worms (Brambach, n° 901), est un témoignage
-du même culte, et le nom de femme galate _Zmerto-mara_, «grande comme
-_Smertos_,» atteste que les Gaulois avaient porté ce culte en Asie.]
-
-
-§6.
-
-_Le dieu cornu et le serpent mythique en Gaule._
-
-Le serpent de l'autel du musée de Cluny,--ce serpent que va frapper
-d'un coup de massue le dieu celtique identifié à Mercure, ce serpent
-qui est une
-[Pg 384]des personnifications du dieu méchant,--reparaît dans
-d'autres monuments dont il a été fait en ces derniers temps une étude
-approfondie[1]. Dans la plupart des monuments publiés jusqu'ici, ce
-serpent a une tête de bélier. Il est associé comme attribut à des
-divinités gauloises par des monuments trouvés à Autun, à Montluçon, à
-Epinal, à Vandœuvre (Indre), à La Guerche (Cher). Un des plus curieux
-de ces monuments est celui d'Autun. Le dieu est accroupi, tricéphale et
-cornu; deux serpents à tête de bélier lui font une sorte de ceinture.
-
-Ses trois têtes nous rappellent la triade gauloise: Teutatès, Esus et
-Taranis ou Taranus; la triade irlandaise: Bress, Balar et Téthra. Il
-porte des cornes. En Irlande, le père de Bress s'appelle _Bûar-ainech_,
-c'est-à-dire «à la figure de vache[2].» Quant aux serpents à tête
-de bélier, ce sont les monstres à têtes de chèvre, _goborchind_, de
-l'Irlande[3]. Sur l'autel de Vandœuvre (Indre), le dieu cornu, toujours
-accroupi, n'est pas tricéphale; mais il est accompagné de deux autres
-dieux debout qui complètent la triade; et les deux serpents, au lieu de
-lui servir de ceinture, sont placés aux deux extrémités du bas-relief.
-
-[Pg 385]Le dieu cornu, père de Bress, et par conséquent aussi de
-ses deux doublets Balar et Téthra, ne s'appelait pas, en Gaule,
-dieu «à figure de vache,» _Bûar-ainech_ en irlandais: on le nommait
-_Cernunnos_[4]. Cernunnos, suivant nous, est le premier père, le dieu
-fondamental de la nuit et de la mort; ses cornes sont le croissant de
-la lune, reine de la nuit. Teutatès, Esus et Taranis ou Taranus sont
-ses fils, ou, si l'on veut, ses doublets, pourrait-on dire en quelque
-sorte. Le nom de _Cernunnos_ est gravé sur la troisième face de l'autel
-n° 3 du musée de Cluny; au-dessous on distingue nettement une figure
-humaine cornue. La partie inférieure du corps est fruste; mais vu la
-hauteur du monument, il est certain que ce dieu était accroupi, comme
-les deux autres dieux cornus dont nous avons parlé, celui d'Autun et
-celui de Vandœuvre (Indre). Aucun serpent ne l'accompagne; le sculpteur
-a fait du mythe deux tableaux: après avoir placé Cernunnos sur la
-troisième face de l'autel, il a représenté sur la quatrième face le
-meurtre du serpent.
-
-Dans la doctrine celtique telle que nous la trouvons en Irlande, le
-dieu de la mort, tué par son petit-fils, vit toujours et règne, en
-changeant de
-[Pg 386]nom; les Gallo-Romains ont préféré une autre forme du mythe.
-Dans le système qui a inspiré le bas-relief de Paris, le dieu du
-crépuscule n'a pas tué le dieu de la nuit, son père; il a tué seulement
-le serpent qui est le compagnon ordinaire de ce dieu redoutable. Du
-reste, bien qu'habituellement les Indo-Européens confondent la nuit
-avec l'orage, le serpent est le représentant de l'orage et de la foudre
-plutôt que de la nuit, et il n'y aurait pas lieu de s'étonner si cette
-distinction avait été encore saisie en Gaule au premier siècle de notre
-ère.
-
-Aussi y a-t-il des exemples du dieu cornu sans l'emblème du serpent.
-Nous citerons les bas-reliefs de Beaune et de Reims. Le dieu de Reims
-tient une espèce de sac d'où s'échappent des glands ou des faînes que
-semblent attendre un bœuf et un cerf placés au-dessous. On se rappelle
-que les Irlandais païens, immolant leurs enfants à la grande idole
-_Cromm cruach_, la «courbe sanglante,» attendaient du lait et du blé
-en échange[5]. Cette idole n'était autre chose qu'une grossière image
-du dieu de la mort. Au prix d'innocentes victimes, ce dieu donnait,
-croyait-on, à ses cruels adorateurs la nourriture et la vie.
-
-
-[Footnote 1: Alexandre Bertrand, _L'autel de Saintes et les triades
-gauloises_, dans la _Revue archéologique_ de juin, juillet et août
-1880; _Les divinités gauloises à attitude bouddhique_, dans la _Revue
-archéologique_ de juin 1882.]
-
-[Footnote 2: Voir plus haut, p. 203.]
-
-[Footnote 3: Voir plus haut, p. 95.]
-
-[Footnote 4: Le TARVOS TRIGARANUS du musée de Cluny est un doublet
-de Cernunnos. Il correspond au taureau du troupeau de Géryon dans la
-mythologie grecque: par un phénomène d'étymologie populaire, Géryon ou
-le crieur au triple corps a été changé en trois grues chez les Gaulois;
-du reste le thème celtique _garano_, «grue,» est presque identique
-étymologiquement au Géryon grec.]
-
-[Footnote 5: Voir plus haut, p. 108.]
-
-
-§7.
-
-_Le dualisme celtique et le dualisme iranien._
-
-Ainsi, l'étude de la mythologie irlandaise nous
-[Pg 387]fait connaître les points fondamentaux de la mythologie
-celtique continentale. La religion celtique était fondée sur la
-croyance en deux principes, le premier négatif et méchant, le second
-positif et bon, né pourtant du premier; ces deux principes sont opposés
-l'un à l'autre et en lutte l'un contre l'autre, comme Ormazd et Ahriman
-dans l'ancienne religion de l'Iran. On aurait tort cependant de
-croire que l'origine de ce dualisme soit iranienne, et de considérer
-les druides comme les élèves des mages. Le mot _dêvos_, en irlandais
-_dîa_, en breton _doué_, est chez les Celtes, comme dans la littérature
-védique, le nom des dieux bienfaisants, des dieux fils opposés au
-père mauvais; il n'est pas, comme dans la littérature iranienne,
-exclusivement réservé aux dieux ennemis. Quant au dieu père méchant,
-vaincu par son fils, il n'a pas ce caractère d'absolue perversité qui
-distingue l'Ahriman des Iraniens. Il reste un des principaux dieux,
-_dê[v]i_, c'est dans son empire que s'accomplit le prodige de la vie
-bienheureuse des morts; et le mélange singulier de cruauté et de
-paternité, qui le distingue constitue un des aspects les plus étranges
-comme les plus curieux de la religion celtique.
-
-
-§8.
-
-_Le naturalisme celtique._
-
-A ce dualisme, les Irlandais païens associent, par une contradiction
-frappante, et des croyances panthéistes attestées par une longue
-invocation qui semble
-[Pg 388]un débris d'un vieux rituel, et des doctrines naturalistes
-qu'on retrouve également au début de la _Théogonie_ d'Hésiode. Chez
-Hésiode, la terre et le ciel précèdent les dieux et leur ont donné le
-jour. En Irlande, la terre, la mer, les forces de la nature semblent
-un moment, dans le _Livre des conquêtes_, être considérées comme plus
-puissantes que les dieux contre qui elles sont invoquées; ce sont elles
-aussi qu'on prend à témoin dans les serments[1].
-
-Quel rôle le panthéisme et le naturalisme ont-ils joué dans le monde
-celtique?
-
-Le panthéisme est une doctrine philosophique qui n'a probablement
-jamais pu avoir qu'un-petit nombre d'adeptes; mais le culte de la
-nature sous les divers aspects qu'elle nous offre, le culte par
-exemple des montagnes, des forêts, des rivières, était plus à la
-portée des foules. Les inscriptions romaines de la Gaule nous ont
-conservé des dédicaces à ces divinités secondaires: ainsi au dieu
-Vosge, _Vosegus_[2], qui n'est autre chose que le groupe de montagnes
-de ce nom; à la déesse Ardenne, _Arduinna_, dont le nom est, dans une
-inscription, accompagné de deux arbres, et qui est une forêt bien
-connue[3];
-[Pg 389]à la déesse Seine, _Sequana_, dont le culte paraît s'être
-principalement célébré à la source de cette rivière[4]. Nous retrouvons
-la même idée dans le troisième poème liturgique d'Amairgen, où nous
-remarquons les trois invocations suivantes: «Montagne fertile, fertile!
-Bois vallonné! Rivière abondante, abondante en eau[5]!» Ce culte
-secondaire était donc commun à l'Irlande et à la Gaule. Il n'est point
-spécial à la race celtique, car on le trouve en Grèce et à Rome. Au
-même ordre d'idées se rattache le culte des villes, celui, par exemple,
-de la _dea Bibracte_ chez les Eduens[6], celui de la forteresse de Tara
-en Irlande[7].
-
-Mais toutes ces divinités ne tiennent qu'un rang inférieur dans
-la pensée des Celtes. Les grands dieux sont ceux dont les luttes
-sanglantes ont inspiré les récits légendaires qui constituent le
-cycle mythologique irlandais. C'étaient eux qui, avant tous autres,
-recevaient les hommages des fidèles; car d'eux, de leur faveur ou de
-leur haine dépendait, suivant une croyance universelle chez les Celtes
-des Iles Britanniques
-[Pg 390]comme chez ceux du continent, la prospérité ou le malheur des
-individus, des familles et des peuples.
-
-Tel est le résultat général auquel paraît conduire l'étude des textes
-classiques latins et grecs qui concernent la religion celtique,
-quand on combine cette étude avec l'emploi des moyens nouveaux
-d'information que nous possédons aujourd'hui. Je veux d'abord parler
-des inscriptions, toujours plus nombreuses, que, depuis quelques années
-surtout, le sol des contrées autrefois gauloises livre presque chaque
-jour aux investigations des épigraphistes; je rappellerai ensuite
-les monuments figurés, la plupart presque inconnus jusqu'ici, que le
-zèle de M. Alexandre Bertrand a réunis en quantité considérable et
-classés en si bon ordre dans les salles du musée de Saint-Germain.
-Enfin, j'insisterai sur les éditions de textes irlandais que nous
-devons aux labeurs si longs et si méritoires d'O'Curry et d'O'Donovan,
-à l'Académie d'Irlande et aux savants celtistes[8], au paléographe
-éminent[9], qui sont, au point de vue de nos travaux, sa principale
-gloire; à MM. Whitley Stokes et Windisch, auxquels d'injustes attaques
-n'ôteront pas l'honneur d'avoir, avec M. Hennessy, fait les premiers
-connaître sur le continent la littérature épique de l'Irlande.
-
-
-[Footnote 1: Voyez plus haut, p. 243-252.]
-
-[Footnote 2: Brambach, _Corpus inscriptionum rhenarum_, n° 1784.
-Comparez les dédicaces à la déesse Abnoba qui est aussi une montagne,
-_ibid._, 1626, 1690; elle est appelée _Diana Abnoba_, n° 1654, et
-_Deana Abnoba_, n° 1683.]
-
-[Footnote 3: Dans cette inscription, qui est le n° 589 de Brambach,
-on a écrit à tort _Ardbinna_; la bonne leçon, avec un _u_ au lieu
-d'un _b_ à la seconde syllabe, nous est conservée par une inscription
-de Rome, _Corpus inscriptionum latinarum_, tome VI, n° 46, et par
-une inscription d'origine incertaine publiée par de Wal, _Mythologiæ
-septentrionalis monumenta latina_, vol. I, n° XX. Comparez la dédicace
-_sex arboribus_, Orelli, 2108.]
-
-[Footnote 4: De Wal, _Mythologiæ septentrionalis monumenta latina_,
-vol. I, n° CCCXLII.]
-
-[Footnote 5: Voyez plus haut, p. 250.]
-
-[Footnote 6: Bulliot, dans la _Revue celtique_, tome I, p. 306.
-Comparez les dédicaces _deo Nemauso, deæ Noreiæ_, Orelli, 2032-2035.]
-
-[Footnote 7: «Temair tor tuathach!» Troisième invocation d'Amairgen.
-Livre de Leinster, p. 13, col. 2, ligne 10.]
-
-[Footnote 8: Je commettrais une ingratitude si je ne constatais pas
-les services que m'a rendus l'introduction mise en tête du Livre de
-Leinster par M. Robert Atkinson.]
-
-[Footnote 9: M. J.-T. Gilbert.]
-
-
-[Pg 391]CORRECTIONS ET ADDITIONS
-
-P. 32, ligne 5. La syntaxe voudrait _cen-chuis_ ou _cen-chossa_,
-mais le composé _Gri-cen-chos_ est asyntactique, comme Tigernmas
-pour _Tigern-bais_. S'ils n'étaient asyntactiques, ces mots seraient
-indéclinables.
-
-P. 145, ligne 1. La déesse Dana est appelée_ Ana, Anu_ dans le
-_Glossaire_ de Cormac, chez Whitley Stokes, _Three irish Glossaries_,
-p. 2, 6. Dans un texte cité par O'Davoren, _ibidem_, p. 49, on trouve
-_anann_ (génitif de _anu_), qui est glosé par _imbith_, c'est-à-dire
-«d'abondance.»
-
-P. 153. _Nuadu_ est employé comme nom commun, au génitif _nuadat_, dans
-le _Festin de Bricriu_, chez Windisch,_ Irische Texte_, p. 289, ligne
-12; et ce mot est glosé par _in rîg_, «du roi,» dans le _Leabhar na
-hUidhre_, Windisch, _Irische Texte_, p. 289, note.]
-
-
-[Pg 392]
-
-[Pg 393]INDEX ALPHABÉTIQUE
-
-A
-
-Abcan, fils de Becelmas, 176.
-Aborigènes, 291.
-Abraham, 40, 41.
-Achéloüs, 14.
-Achille, 121.
-Accroupis (dieux), 384, 385.
-Acrisios, roi d'Argos, 207, 208, 210, 211, 217.
-Adam, 67, 303.
-_Adsmerius (deus)_, 383.
-Aedilfrid, roi des Northumbriens, 334, 335.
-Aed Slane, roi d'Irlande, 256.
-_Aenach Carmain_, 6.
-_Æsus_, 109, 380.
-Agamemnon, 109.
-Age d'or, 199, 200. Voyez _Race d'or_.
-Agnoman, père de Nemed, 51, 52, 75, 88, 89.
-Ahi, 99.
-Ahriman, 15, 387.
-Ai (Plaine d'), 356.
-Aicil (Ile d') 77.
-Aidan mac Gabrâin, 333-336.
-Aïdès, 17, 18, 20, 121, 240, 371.
-Ailech, 14, 235.
-Ailill, roi de Connaught, 127, 128, 286-288, 299.
-Ain, fille de Partholon, 34, 35.
-Air, 251.
-Aja Ekapad, 32.
-_Alaunus (Mercurius)_, VI.
-Alcmène, 294.
-Alcuin, 229.
-Alexandre Polyhistor, 347.
-Amairgen Glûngel, 242-254, 256, 258-261, 389.
-Ambroisie, 309.
-Amphitryon, 294.
-Ange gardien, 279.
-Annales des Quatre Maîtres, 70.
- Voyez _Quatre Maîtres_.
-Annenn, fils de Némed, 90.
-Antrim, 339.
-Aphrodite, 186.
-Apollon, V, VI, 37, 99, 368.
-Araxe, fleuve, 81.
-Arbres des dieux, 274, 275, 302, 325.
- Voyez _Branches_.
-Arc, 190, 295.
-Ard-ladran, 74.
-Ardlemnacht, 265.
-Arduinna, déesse, 388.
-Arès, 186. Voyez _Mars_.
-Argeiphontès, 201, 202.
-Argès, 218, 370.
-Argos, ville, 207.
-Argos ou Argus, 201-203.
-Aristote, 351.
-Artémis, 37.
-Arthur, 325.
-Arthur, fils de Bicur, 337.
-Assemblées publiques d'Irlande, 6, 304.
-Asura, 15.
-_Atbalat_, «ils meurent,» 225.
-Athènè, 121.
-Athènes, 202.
-Atlantique (Océan), 19.
-Attique, 14.
-_Atusmerius (deus Mercurius)_, VI, 382.
-Auguste, empereur, 81, 139.
-Augustin (Saint), 336, 343.
-Autun, 384, 385.
-Avallon (Ile d'), 325.
-
-B
-
-Babel, 40.
-Badbgna, 100.
-Balar Balcbeimnech, chef des Fomôré, 15, 112, 137, 173, 174, 176, 182, 185-188, 197-219, 225, 294, 301, 304, 376, 379-381, 384.
-Balor Beimean, 208-218. Voyez _Balar_.
-Baltique (Mer), 83.
-Banba, 68, 234, 254, 372.
-_Bar_ «mer,» 25.
-Barque de verre, 119,
-Barques des morts, 232.
-Barthélémy (Saint), 25.
-Batailles mythologiques, 14, 15, 31, 32, 100, 101, 113-116, 121, 180-187, 260, 389.
-Bâth, 25, 39.
-Beaune, 386.
-Bède, 41, 153, 324.
-Belach Conglas, 116.
-_Belatucadros (Mars)_, VI, 379.
-_Belenus (Apollo)_, VI.
-Bélier, 384.
-_Belisama (Minerva)_, VII.
-Bellérophon, 97, 99, 204-206.
-Belténé ou Beltiné, 5, 38, 158, 180, 243.
-Beothach, 56.
-Bethach, 116
-Beurre, 308, 310.
-_Bibracte (Dea)_, 389.
-Bière, 303, 309, 318, 358, 360, 361.
-Bière de Goibniu ou des dieux, 275, 277-279.
-Bilé, 225, 230, 239.
-Bith, fils de Noé, 67, 72-75.
-Blathmac, roi d'Irlande, fils d'Aed Slane, 256, 296.
-Blé, 102, 269, 290, 386.
-Boann, femme de Dagdé, 271, 283, 284, 286.
-Bochra, fils de Lamech et père de Fintan, 76, 81.
-Bodb, roi des _side_ de Munster, 285, 286.
-Bodhbh Dearg, 276.
-Bœuf, 386.
-Bois d'Irlande, 296.
-Bois divinisés, 250-252, 388.
-_Bolg_, «sac de cuir,» 134.
-_Bona dea_, 290-292.
-Bouclier, 358.
-Bouddhique (Attitude), 384.
-Boyne, rivière, 115, 259, 270, 271, 280, 281, 340.
-Bracelets d'argent, 342.
-Bragance, 230, 231.
-Bran, fils de Febal, 322-325.
-Branches merveilleuses, 323, 327-329, 331, 333. Voyez _Arbre_.
-Breas, 159-163, 168.
-Bregleith, 312, 314, 319, 322.
-Brégon, 229, 230, 233, 239.
-Brennus, 148, 149.
-Bress mac Eladan, Fomôré, roi d'Irlande, 15, 145, 153, 154, 156, 167-172, 175, 182, 183, 198, 203, 204, 307, 373, 376, 381, 384.
-Bress, père de Lugaid, 364.
-Bretagne (Ile de), 232. Voyez _Grande-Bretagne_.
-Bretons, 117, 134, 264, 337.
-Brîan, fils de Dana, 145-149, 183, 372-374.
-_Briareos_, 219.
-Bricriu le querelleur, 295, 297, 298.
-_Brigantia_, déesse, 146, 148.
-_Brigantia_, ville d'Espagne, 230.
-_Brigindo_, déesse, 146.
-Brigit, déesse, 145-148, 182, 183, 372.
-Brigite (Sainte), 145.
-Britan, 116.
-Brontès, 218, 370.
-_Brug Maic ind Oc_, 270-280.
-_Brug na Boinne_, 270-280.
-_Buar-ainech_, 202-204, 384, 385.
-_Buide Conaill_, 296.
-
-C
-
-Cacus, 212, 213.
-Cadmus, 10, 121.
-Caer, fille d'Ethal Anbual, 286-289, 312.
-Caillin (Saint), 82.
-Cailté, 338, 340-343, 345, 351.
-Caïn, 92, 93.
-Calypso, fille d'Atlas, 120, 366.
-_Camulus (Mars)_, VI.
-Caragh (Rivière de), 339, 340.
-Carell, 49, 57.
-Carlingford (Lac de), 240.
-Caspienne (Mer), 87, 89.
-Catalogues de la littérature épique de l'Irlande, 1-3.
-_Caturix (Mars)_, VI.
-Celtchar, fils de Uithechar, 295.
-Cenmare (Rivière de), 38.
-_Cenn Cruach_, 105-113
-Cennfaelad, archevêque d'Armagh, 78.
-Cera, 375.
-Cercueil de pierre, 342.
-Cerf, 386.
-Cermait, 372.
-_Cernunnos_, 385.
-César, V, VII, VIII, XI, 110, 178, 304, 349, 351, 378, 382.
-Cessair, XII, 64-75, 84.
-Cetnen, 221, 222.
-Chaînes d'argent, 195, 288.
-Chaînes d'or, 288.
-Cham, 81, 92.
-Chambre funéraire de Newgrange, 273.
-Chanaan, 94.
-Chant, 283, 289, 297, 324, 325.
-_Charites_, 371.
-Charlemagne, 229.
-Chars, 287, 295, 298, 323, 349, 364, 365.
-Chasse, 295.
-Chevaux, des chefs gaulois, 349; cf. 365.
-Chèvre, 95, 97, 203, 384.
-Chimère, 97, 205-207.
-_Chronicum Scotorum_, 68, 69, 75, 228.
-Cîan, père de Lug, 175, 373.
-Cicéron, VII.
-Cichol Gri-cen-chos, 32, 391.
-Ciel, 237.
-_Cill Eithne_, 282.
-Cimbaed, fils de Fintan, 223.
-Cimetière de Brug na Boinné, 271-273.
-Cinaed hûa Artacain, 271.
-_Cin dromma Snechta_, 68.
-Claude, empereur, 381.
-Clément, grammairien irlandais, 228, 229.
-Clothru, mère de Lugaid, 364, 374.
-Cluny (Musée de), 383, 385.
-Cnamros, 100.
-Cochons de Manannân, 330, 331.
-Cochons des dieux, 275, 277-279, 330, 331.
-Collier d'argent, 342.
-Colmân, fils de hûa Clûasaig, 256, 257, 296.
-Columba (Saint) ou Colum Cille, 47, 57, 59, 137, 154, 164, 175.
-Colum Cuaellemeach, 176.
-Comyn (Michel), 362, 363, 366.
-Conairé, roi suprême d'Irlande, 322.
-Conall Cernach, 295, 297, 298.
-Conann, fils de Fébar, 14, 86, 101-122, 135, 209, 230.
-Conchobar, roi d'Ulster, 4, 193, 224, 289, 295, 297-299, 304, 312, 323, 355, 374.
-Connaught, 126, 127, 158, 165, 264, 286, 288, 356, 360.
-Conn Cêtchathach, 301, 304, 326, 327.
-Connlé, fils de Conn, 119, 192.
-Corbeaux, 194, 195, 381.
-Corco Duibné, 73, 233.
-Cormac mac Airt, 81, 326-333.
-Corneilles, 195, 196.
-Cornes à boire, 358, 361.
-Cornus (Dieux), 105, 203, 383-387.
-Corpré, _filé_, fils d'Etan, 171, 172, 198.
-Corse, 81.
-Coupe enchantée, 332, 333.
-Courses de chevaux, 139.
-Creidné, 169, 177, 179, 181-184, 307.
-Crépuscule, 202, 204, 386.
-Crète (Ile de), 103.
-Crimthann Cas, roi de Connaught, 356, 360, 361.
-Crimthann Nîa Nair, roi suprême d'Irlande, 272, 364.
-Crimthan Sciathbel, 264, 265.
-Croissant de la lune, 104, 385.
-Crom Conaill, 296.
-Cromm Crûach, 105-113, 386.
-Crûachan, 272, 288.
-Cruithnich ou Pictes, 7, 12, 264.
-Cûan hûa Lothchain, 137, 139.
-Cûchulainn, 4, 127, 128, 193, 195, 224, 289, 294, 299, 300, 312, 324-326, 355, 365, 366, 374.
-Cuil Cesra, 74.
-_Cumal_, 314.
-Curcog, fille de Manannân, 278-280.
-Cycle mythologique irlandais, 6-15.
-Cycles épiques irlandais, 4, 5.
-Cyclopes, 218, 219, 272, 370, 371.
-Cygnes, 288, 289, 321.
-
-D
-
-Dagan, 269. Voyez _Dagdé_.
-Dagdé, 15, 129, 145, 175, 178, 179, 182, 183, 190, 191, 221, 224, 233, 267-292, 294, 305, 306, 372, 375.
-Dana, mère des Tûatha Dê Danann, 145, 147, 391.
-Danaé, 207, 208, 211, 214.
-Danois, 132.
-Danube, 225.
-Dasyu, 131, 174.
-Dechtéré, 204, 295, 298, 299, 304.
-_Dêe Donand_, 145.
-Dee (Rivière de), 340.
-Degsa Stân, 334, 335.
-_Dêi Dana_, 145.
-_Dêi Danann_, 149.
-Delbaeth, 145, 221, 222.
-Delphes, 147, 149.
-Démons, 142, 143, 188, 253, 387.
-Denys d'Halicarnasse, 380.
-Dergrêné, fille de Fiachna, 359, 361.
-Dettes après la mort, 349.
-Deucalion, 14.
-_Dêva_, 15.
-_Dêvos_, 387.
-_Dîa_, 387.
-Dîancecht, 169, 175, 177, 307, 308.
-Diane scythique, 109-111.
-Diarmait, roi d'Irlande, fils d'Aed Slane, 256, 296.
-Diarmait, roi d'Irlande, fils de Cerball, 47, 74, 77, 78, 82.
-Dieux cornus, 99, 103, 203, 383-387.
-Dingle (Baie de), 339.
-_Dinn-senchus_, 107, 108.
-Diodore de Sicile, 347, 377.
-Dis pater, 104, 226, 381.
-Divitiacus, 226.
-Dodone, 14.
-Domna (Dieux de), 128-131, 173. Voyez _Fomôré_.
-Domna (hommes de). Voyez _Fir-Domnann_.
-Dona, mère des Tûatha Dê Danann, 145, 147.
-Dond mac Nera, 357.
-Donegore, 339.
-Douaire, 314.
-_Doué_, 387.
-Dowth, 272.
-Druides, 177, 210, 214, 255, 258, 262, 302, 321, 322, 326.
-Druim Cain, 255.
-Duald mac Firbis, 129, 165.
-Dualisme, 386, 387.
-Dub, 179.
-Dubtar en Leinster, 338.
-Dûn Maige Mell, 356, 359, 361.
-Dûn na m-barc, 73.
-Dûn tulcha, 78.
-
-E
-
-Eau, 251.
-Eber Dond, fils de Milé, 254-256, 258-261.
-Eber Find, fils de Milé, 112, 261.
-Echecs, 139, 315, 316, 319, 358, 364.
-Echiquier, 316.
-Echu Buadach, 223.
-Eclair, 370. Voyez _Mauvais œil_.
-Ecosse, 138.
-Ecriture ogamique, 306.
-Egypte, 40, 227.
-Egyptiens, 229.
-Eithné, fille de l'intendant d'Elcmar, 278, 282.
-Elada, 306.
-Elcmar, 277, 278.
-Elloth, 130.
-_Elusion_, 19.
-Emer, 324, 326.
-En, fils d'Ethoman, 176.
-Enée, 291, 292.
-Enloch, 356
-Ennosigaios, 371.
-Eochaid Airem, 274, 314-322.
-Eochaid, fils de Sal Sreta, 357.
-Eochaid hûa Flainn, 22, 30, 31, 36, 39, 41, 68, 69, 102, 116, 142, 152, 174, 230.
-Eochaid mac Duach, 136, 139.
-Eochaid mac Eirc, 136, 137, 139, 163-165, 175.
-Epée de Téthra, 188-190.
-Ephore, 352, 353.
-Epidémie, 256, 257.
-_Epil_, «il meurt,» 225.
-Epinal, 384.
-Erémon, fils de Milé, 111, 260, 261, 264, 265, 280.
-Erglann, 114.
-Eris, 76.
-Eriu, 68, 234, 254, 255, 259, 372.
-Eschyle, 202, 207.
-Esclaves gaulois, 349.
-Espagne, 7, 12, 19, 26, 29, 76, 85, 87, 117, 119, 133, 134, 137, 227, 228, 230, 231, 241.
-Esru, 40.
-Esus, 375, 380, 381, 384, 385.
-Etâin, femme d'Eochaid Airem, 274, 312-322, 346.
-Etair, 213.
-Etan, mère de Corpré, 171, 307.
-Ethal Anbual, 286-288.
-Ethné ou Ethniu, fille de Balar ou Balor, et mère de Lug, 174, 200, 210, 214, 216, 218, 222, 300, 303.
-Ethné Ingubai, 324, 325.
-Etoiles, 201.
-Evandre, 291, 292.
-
-F
-
-Faînes, 386.
-_Fal_, 301.
-Fand, fille d'Aed Abrat, 324-326.
-Fauna, 290, 291.
-Faunus, 291.
-Fées, 71, 214. Voyez _Sîde_.
-Femmes (Succession par les), 265.
-Fêné, 39, 173, 228.
-Fenius Farsaid, 39, 88, 89, 228.
-Fer, fils de Partholon, 34, 35.
-Fercertné, 193.
-Ferdiad, 127.
-Fergnia, fils de Partholon, 34, 35.
-Fergus Leth-derg, 114, 115.
-Fergus mac Roig, 295.
-_Fer legind_, 256.
-Festin de Goibniu, 277, 308, 309.
-Festins irlandais, 170.
-Feth fiada, 277, 278, 280.
-Fiachach Findgil, fils de Delbaeth, 221, 222.
-Fiachna, fils de Delbaeth, 222.
-Fiachna, fils de Reta, 356-361.
-Fiachna Lurgan, 333-337, 343.
-Fial, femme de Lugaid, 253, 254.
-Fidchell, 139.
-Fidga (hommes de), 264, 265.
-_File_, 6, 244-247.
-Find mac Cumaill, 4, 337-339, 341, 342, 345, 346, 348.
-Finnên (saint), 47-49, 56-59.
-Fintan, fils de Bochra, 64-84, 157.
-Fir Bolg, 12, 54, 60, 75, 77, 117, 123-166, 173, 175, 262, 307.
-Fir Domnann, 54, 60, 76, 123-166, 173, 262.
-_Fir Fidga_, 264, 265.
-Flann Manistrech, 130, 151, 152, 175, 180, 185, 221, 222, 267, 268, 373.
-Foires d'Irlande, 138.
-Fomôré, 14-16, 31, 32, 91-122, 128-131, 134, 137, 143, 166-219, 284, 355, 373, 376-381.
-_Forbais fer Fidga_, 265.
-Forêts divinisées, 250-282, 388, 389.
-Forgerons, 176, 179, 181, 183, 184, 308-310.
-Forgoll, _file_, 337-341.
-Fors, fils d'Electra, 81.
-Fossés 295.
-Fothad Airgtech, 337, 338, 341, 342.
-Fotla, 234, 254, 372.
-Foudre, X, 205, 206, 379, 380.
-Fronde, 187, 364.
-Fuamnach, 212.
-Funérailles celtiques, 349.
-
-G
-
-_Gabail int shida_, 267, 269, 270, 274, 275.
-Gæsum, 190.
-Galiôin ou Galiûin, 54, 60, 75, 123-166, 173, 262.
-Garano-, «grue,» 385.
-Gaule, V, VIII, XI, 27, 146, 189, 232, 261-263, 358, 376-386.
-Gaulois, 104, 147-149, 261-264.
-Gaulois d'Asie, 377.
-Gavida, 212, 216-218.
-Gyês, 219.
-Géants, 93-97.
-Généalogie, 314.
-Genèse, 61.
-Gend, 100.
-Géryon, 211-213, 371, 385.
-Gilla Coemain, 126, 132, 133, 164, 168, 175, 200, 201, 220-224, 267, 268, 289, 372.
-Girauld de Cambrie, 22, 61, 69, 95.
-Glands, 386.
-Glas Gaivlen, 212, 213.
-Glossaire de Cormac, 375.
-_Goba_, «forgeron,» 218.
-Goborchind, 95, 96, 203, 384.
-Goibniu, 179, 181-184, 277, 278, 308-310.
-Gôidel Glas, 40, 88.
-Gôidels, 127, 131, 143, 173, 224, 228, 272.
-Goll mac Duilb, 350, 357.
-Gomer, fils de Japhet, 39, 88, 89, 160.
-Grâces, 371.
-_Graicos_, 27.
-Grande-Bretagne, 7, 12, 42, 134, 146, 231, 232.
-Grande Plaine (la), 317.
-Grande Terre (la), 317, 319.
-_Grannus_ (Apollo), VI.
-Grèce, 12, 14, 122, 134, 148, 389.
-Grecque (Mythologie), 8-21, 24, 25, 45, 46, 96-99, 119-124, 197-208, 211-213, 217, 219, 236-240, 294, 366-371.
-Grecs, 148, 201, 272.
-Grîan-ainech, surnom d'Ogmé, 234, 306.
-Grues (trois), 385.
-
-H
-
-Haies, 295.
-Harlem (Mer de), 252.
-Harpe, 190, 191, 283.
-Harpiste, 176.
-Hécatée de Milet, 264.
-Hélène, 10.
-Héli, juge d'Israël, 42.
-Hellen, 237.
-Héphaistos, 309.
-Héra, 98.
-Héraclès ou Hercule, 98, 99, 121, 190, 211, 212, 240, 294, 368.
-Hercule (colonnes d'), 228.
-Hermès, 200-202, 204, 218, 294, 381
-Hésiode, 8, 13, 16-18, 27, 37, 45, 125, 198, 206, 207, 238, 388.
-Hiver, 231, 233.
-Hollande, 352.
-Homère, 206, 207, 368. Voyez _Iliade_, _Odyssée_.
-Hongrie, 224.
-Hydre de Lerne, 98.
-Hydromel, 318.
-
-I
-
-Iain, fille de Partholon, 34, 35.
-Iapétos, 236-238.
-Iarbonel, 56, 141, 143.
-Iliade, 17, 20, 201, 237, 260.
-Iles Britanniques, 119.
-Immortalité des dieux, 271, 275.
-Immortalité de l'âme, 317, 318, 344-366.
-Inber Scêné, 38, 41, 242.
-Incantations de saint Gall, 308-310.
-Inde, 279.
-Indech, Fomôré, fils du dieu de Domna, 130, 153, 173, 176, 184.
-Indra, 15, 21, 370.
-Inondations mythologiques, 13, 14.
-Io, 105, 202, 203.
-Iolaüs, 98.
-Iphigénie, 109.
-Iraniens, 387.
-Israël, 227.
-Italie, 148.
-Ith, fils de Brégon, 230, 231, 233-236, 239, 241.
-Iuchair, fils de Dana, 145, 373, le même que le suivant.
-Iuchar, fils de Dana, 145, 183, 372-374.
-Iucharba, fils de Dana, 145, 183, 373.
-
-J
-
-Japhet, fils de Noé, 39, 81.
-Jean Scot dit Eringène, 247, 248.
-Jérôme (Saint), 39, 42, 70, 153.
-Joug d'argent, 195.
-Joug d'or, 321.
-Jour, 251.
-Jupiter, V, VI, X, 189, 379, 380, 382.
-
-K
-
-Keating, 22, 71, 102, 290.
-Knowth, 272.
-Kottos, 219.
-Kronos, 8-10, 15, 16-20, 27, 120, 183, 198, 199, 201, 230, 237, 238, 371, 375, 380.
-
-L
-
-Lacs divinisés, 250-252.
-Ladru, 73-75.
-La Guerche (Cher), 384.
-Lait, 102, 169, 265, 269, 279, 290, 318, 386.
-Lance de Mars, 189.
-Laon, 304.
-Larne (Rivière de), 338, 340.
-Latone, 37.
-_Lebar Gabala_ ou Livre des Conquêtes, autrement dit des Invasions, XI, 21, 40, 89, 276.
-Leinster, 126.
-Ler, 322.
-Lerne (Hydre de), 98.
-Lestrygons, 96.
-Leyde, 304.
-Lidney, 155.
-Liffey (Rivière de), 340.
-Lion, 37, 190.
-Livre des Conquêtes ou des Invasions, en irlandais _Lebar-Gabala_, XI, 21, 87, 93, 95, 116, 173, 221, 228, 229, 256, 268, 388.
-Loch Rudraige, 30.
-Loeg, cocher de Cûchulainn, 325, 326, 365, 366.
-Loégairé, roi d'Irlande, 251.
-Loégairé Liban, 356-362, 365.
-Lothur, père de Lugaid, 364.
-Lough Erne, 14.
-Lough Neagh, 13.
-Lucain, 109, 110, 349, 351, 376, 380.
-Luchta, fils de Luchaid, 176.
-Luchtiné, 180-184.
-Lucien, 176, 189, 190, 368.
-Lucrèce, VII.
-Lug, dieu, 137-139, 153, 174-180, 182, 183, 187, 190, 191, 195, 200, 201, 202, 204-207, 218, 221, 222, 224, 270, 271, 276, 293-305, 373, 381.
-Lugaid, fils d'Ith, 253.
-Lugaid Sriab-derg, roi suprême d'Irlande, 364, 374, 375.
-Lugidunum, 305.
-Lugmag, 305.
-Lugnasad, 5, 138.
-Lugudunum, 139, 304, 305, 381.
-Luguvallum, 305.
-Lune, 104, 203, 244, 251, 385.
-Lyon, 139, 178, 304.
-
-M
-
-Mac Cecht, 221, 233-235, 255, 372, 373.
-Mac Cuill, 175, 221, 233-235, 255, 372, 373.
-Mac Grêné, 221, 233-235, 255, 372, 373.
-Mac ind Oc, 270-289.
-Mac Kineely, 212-217.
-Mac Lonan, 196.
-Mac Samhthain, 212.
-Maer, fille d'Eochaid le Muet, 359, 361.
-Mag-Bilé, 47.
-Mag cetné, 102.
-Magie, 287.
-Mag Itha, 14, 31, 235.
-Mag mâr, 28. Voyez _Mag môr_.
-Mag meld ou Mag mell, 28, 85, 359, 361.
-Mag môr, 85, 136, 137, 175.
-Magog, fils de Japhet, 39, 88, 89, 160.
-Mag Rein, 159.
-Mag Slechta, 106-108, 112.
-Mag-Tured (Batailles de), 14, 16, 77, 112, 149-220, 304, 306-308.
-Mag-Tured Conga, 162.
-Mag-Tured na bFomorach, 162.
-Maine (Rivière de), 340.
-Malva, 228.
-Man (Ile de), 138.
-Manannân mac Lir, 276-279, 322-344.
-_Maponus_ (Apollo), VI.
-Marais, 296.
-Mars, V, VI, X, 189, 378.
-Massue, 383.
-Mathusalem, 61.
-Mauritanie, 228.
-Mauvais œil, 205, 209, 379.
-Medb, reine de Connaught, 127, 128, 286, 288, 299.
-Médecine, 307, 308.
-Médecins, 283, 284.
-Méduse, 206-208.
-Méla, 88.
-Mercure, V-VII, 178, 218, 304, 381-383.
-Mer divinisée, 250-252.
-Mer Noire, 87.
-Mer Rouge, 43.
-Métamorphoses, 51-59, 62, 248, 288, 289, 321.
-Métempsycose, 345-351.
-Michel Comyn, 362, 363, 366.
-Midé (Province de), 78.
-Mider, de Bregleith, 274, 311-322.
-Milé, fils de Bilé, 7, 12, 224, 225, 228, 230.
-Milé (les fils de), 7, 12, 43, 56, 60, 76, 86, 118, 143, 200, 201, 220-265, 269, 290, 292, 301, 305.
-Miletumarus, 224, 225.
-Minerve, V, VII.
-Mines d'or, 200.
-Minotaure, 98, 103, 105.
-_Moccus (Mercurius)_, VI.
-Moïse, 40, 72.
-Mongân, roi d'Ulster, 63, 335-346.
-Montagnes divinisées, 250-252, 388, 389.
-Montluçon, 384.
-Moore (Thomas), 71.
-More, fils de Délé, 101, 114, 115.
-Mort, 16, 32, 36, 113, 119, 121, 225, 226, 232, 317, 351-355. Voyez _Espagne_, _Fomôré_.
-Movilla, 47.
-Munster, 126, 169, 264, 285.
-Murbolg, 100.
-Muredach Munderc, 49.
-Musée, 318.
-Musique, 191, 283, 289, 323, 325, 327, 328, 331, 335, 358, 360.
-Mythologie grecque. Voyez _Grecque_ (Mythologie).
-Mythologie romaine, _v-vii_, 212, 213, 289-292. Voyez _Mercure_.
-
-N
-
-Nains, 92, 93.
-Nair, 364.
-Nar, père de Lugaid, 364.
-Naturalisme celtique, 249-252, 387-389.
-Nectar, 309.
-Nédé, fils d'Adné, 193, 194.
-Nêit, dieu de la guerre, 14, 168, 234.
-Nêl, 40, 88.
-Nemed, 7, 11, 14, 15, 46, 51-53, 60, 75, 84-122, 124, 125, 132, 134, 141, 143, 164, 209, 355.
-Nennius, 22, 25, 26, 29, 42, 44, 66, 69, 85, 86, 117-119, 133.
-Neuf vagues, 256-258.
-Newgrange, 272, 273.
-Nîall Aux-neuf-otages, 78.
-Niobé, 37.
-_Nodens, Nodons_, dieu romano-breton, 155.
-Noé, 67.
-Nûadu Argatlâm, 153-156, 163, 168, 169, 172, 175, 180, 185-187, 209, 307, 391.
-_Nudens_, dieu romano-breton, 155.
-Nuit, 233, 251. Voyez _Fomôré_.
-Numa Pompilius, 296.
-
-O
-
-_Obriareôs_, 219.
-Odyssée, 17, 19, 20, 120, 260.
-Odusseus, ou Ulysse, 204.
-Œdipe, 10.
-Œil de Balor, 209, 217.
-Œil (Mauvais), 205, 209.
-Oengus, fils de Dagdé, 270-289, 312, 313.
-Ogamique (Ecriture), 306, 342.
-Ogma, Ogmé, ou Ogmios, 129, 130, 176, 185, 188-191, 234, 270, 271, 276, 306, 307, 368.
-Ogygès, 14.
-Ogygie, 120.
-Oiseaux, 194-196, 288, 289, 294, 295, 297, 321, 381.
-Ollarbé, rivière, 338, 340.
-Olympe, 8, 9.
-Ombres, les morts, 119.
-Oreades (Iles), 42.
-Ormazd, 15, 3-87.
-Orphée, 351.
-Ossin, ou Ossian, 4, 362, 363.
-Ovide, 125.
-
-P
-
-Palais magiques, 270, 273, 274, 276, 277, 298, 302, 303, 322, 330, 332, voyez _Sîd_.
-Palestine, 94.
-Pandore, 27.
-Pannonie inférieure, 224.
-Panthéisme celtique, 243-249, 388.
-Partholon, 7, 11, 12, 15, 24-44, 46, 49, 50, 60, 65-67, 75, 82, 89, 92, 124, 158, 355.
-Patrice (Saint), 57, 59, 82, 105-108, 153, 280-282, 284, 310.
-Peintres grecs, 368.
-Pélée 121.
-Persée, 206-208, 210, 211, 217.
-Phaéton, 368.
-Pharaon, 88.
-Phéniciens, 19.
-Phidias, 368.
-Philistins, 228.
-Phoibos, 204.
-Pictes, 7, 12, 42, 264, 265.
-Pierre solaire, 202.
-Pindare, 19, 121, 198, 230, 238.
-Platon, 20, 318.
-Plutarque, 231, 351.
-Pomponius Méla, 88, 381.
-Pont-Euxin, 87, 88.
-Port-a-deilg, 215.
-Port na Glaise, 213.
-Poseidaôn, 17, 204, 371.
-Postumus, roi des Latins, 42.
-Préceltiques (Races), 126, 127, 131, 173, 174.
-Procope, 231, 351.
-_Proitos_, 208.
-Prométhée ou _Promêtheus_, 237-240.
-Promesse (Terre de la), ou Terre promise, 327, 331.
-Ptolémée, fils de Lagus, 223.
-Pythagore, 347, 348, 350.
-Python, 98.
-
-Q
-
-Quartio, fils de Miletumarus, 224.
-Quatre Maîtres, 221, 290, 338.
-
-R
-
-Race d'airain, 9, 11, 12, 45, 46, 123, 124.
-Race d'argent, 9, 11, 12, 24, 25, 45, 46, 123, 124.
-Race d'or, 8, 11, 45, 46, 123-125, 198-200.
-Raith, 90.
-Rathmôr Maige Linni, 334, 335.
-Reims, 386.
-Revenants, 345.
-Rhadamanthus, 19.
-Rhin, 263.
-Rhiphées (Monts), 88.
-Rivières divinisées, 250-252, 388, 389.
-Romaine (Mythologie), V-VII, 212, 113, 289-292. Voyez _Mercure_.
-Rome, 147-149, 389.
-Rosmerta, 383.
-Rouge (Mer), 43, 227.
-Rûadan, 182-84.
-Rûad Rofhessa, 375.
-Rudraige, 30, 133.
-Rusicada, 228.
-
-S
-
-Sabd Il-dânach, 178.
-Sacrifices humains, 107-111, 376-381, 386.
-Saint-Bertrand-de-Comminges, 304.
-Saint-Gall (Bibliothèque de), 308.
-Samain, 5, 102, 112, 180.
-Sanglier, 190.
-Satire, 171, 172.
-Saturne, 380.
-_Scâl_, 303.
-Scandinaves, 132.
-Scêné 242.
-Scôta, fille de Pharaon, 40, 88, 89, 228.
-Scots, 26, 40, 42, 85, 127, 131, 173, 224, 227, 228, 272.
-Sculpture grecque, 368.
-Scythie, 87, 89, 227.
-Semion, fils d'Erglann, 116.
-Semion, fils de Stariat, 54, 133.
-Semul, 114.
-_Senchas na relec_, 271, 276.
-_Senchus Môr_, 3, 34, 35, 100, 228.
-Sengand, 100.
-Sen-mag, 30.
-_Sequana_, déesse, 388.
-Sera, père de Partholon et de Starn, 40, 49.
-Sériphe, 208.
-Serment, 208.
-Serpent mythologique, 97, 383-386.
-Severn, rivière, 155, 185.
-_Siabra_, 143.
-_Sîd_, 267, 268, 274, 285, 286, 306, 312.
-_Sîde_, 283, 285, 312, 323. Voyez _Fées_.
-_Sîd_ des hommes de Femen, 285.
-_Sîd_ Uaman, 286.
-_Silentes_ de la poésie latine, 120.
-Simonide, 208.
-Slane, roi des Galiôin, 133.
-Slaney, rivière, 264.
-Slîab Betha, 74.
-Slîab Mis, 253.
-Slieve Mish, 253, 254.
-Smerius, ou Smertus, 383.
-Smertomara, 383,
-Smertulitanus, 383.
-Soirées d'hiver, 231, 233.
-Soleil, 202, 205, 244, 251.
-Sommeil produit par la musique, 191, 289, 328, 328.
-Sophocle, 208.
-Sreng, 159-162, 168.
-Starn, fils de Sera, 49, 59.
-Stéropès, 218, 370.
-Styx, 121.
-Sualtam, 294, 299.
-Succession par les femmes, 265.
-_Suil Baloir_, 209.
-_Sulis_ (Minerva), VII.
-Syrie, 228.
-
-T
-
-Taliésin, 62, 63, 245.
-Tailtiu (Bataille de), 260, 284, 372. Voyez _Tâltiu_.
-Tâin bô Cûailngé, 267.
-Tâltiu, fille de Mag-môr, 136-139, 175.
-Tanaidé O'Maelchonairé, 164.
-Tara, capitale de l'Irlande, 78, 161, 172, 175, 177, 255, 301, 302, 314, 315, 319-321, 327, 328, 332, 389.
-Taranis. Voyez _Taranus_.
-Taranucnus, 379, 380.
-Taranucus (Jupiter), VI.
-Taranus, VI, 109, 110, 376, 379-382, 384, 385.
-Tartare, 16-18, 20, 98, 237, 238.
-Taureau, 203. Voyez _Buar-ainech_.
-Tarvos Trigaranus, 385.
-Télémachie, 19.
-Teliavus (Saint), 110.
-Teltown, autrefois Tâltiu, 138.
-Terre, mère des Titans, 237.
-Terre de la Promesse, 327.
-Terre divinisée, 250-252.
-Terre promise, 331.
-Terre labourable, 296.
-Tête de bélier, 383, 384.
-Tête de chèvre, 92, 95, 97, 384.
-Téthra, 15, 16, 20, 21, 173, 188, 190, 192-199, 306, 376, 381, 384.
-Teutatès, 109, 376, 378, 381, 384, 385.
-Thèbes, 10, 12, 16, 24, 27.
-Thésée, 99, 102.
-Thrace, 7.
-Tibère, 81, 380.
-Tigernach, 4, 223, 296, 314, 326.
-Tigernmas, 111-113, 199, 200, 303.
-Timagène, 262, 347.
-_Tîre beo_, 28.
-_Tîr tairngiri_, 327.
-_Tîr n-aill_, 28.
-_Tîr sorcha_, 324.
-Titans, 15, 17, 18, 183, 199, 201, 219, 236, 238.
-_Tolan_ ou _tolon_, 25.
-Tombelles de Dowth, Knowth et Newgrange, 272, 273.
-Tonnerre, 370. Voyez _Foudre_.
-Tor-inis, île, 101, 103, 113, 116, 209.
-Tor môr, 210.
-Tory (Ile de). Voyez _Tor-inis_.
-_Totatigens_, 379.
-_Toutatis_, VI, 378, 379.
-Tour de Brégon, 230, 233, 239.
-Tour de Conann, 14, 16, 101-122, 209, 230.
-Tour de Kronos, 121.
-Tour de verre, 118, 119.
-_Tourenus_ (Mercurius), _vi_.
-Trag mâr, 85.
-Triades mythologiques, 370-381, 384.
-Tricéphales (Dieux), 384.
-Troie, 10-12, 16, 24, 27.
-Tûan mac Cairill, 43-63, 65, 67, 78, 82, 117, 126, 142, 346, 348.
-Tûatha Dê Danann, 7, 11, 13, 15, 32, 46, 56, 60, 76, 77, 103, 104, 125, 131, 134, 137, 140-191, 220-224, 243, 253-260, 266-343.
-Tûath Fidga, 264.
-Tuirell Bicreo, 373.
-Tuirenn, 373.
-Tvashtri, 15, 370.
-Typhaon, 98.
-Typhœus, 98.
-Tyr, dieu Scandinave, 189.
-
-U
-
-Uar, fils de Dana, 145, 372-374.
-Ugainé, fils d'Echu Bûadach, 223.
-Ulster, 126-128, 295, 299, 333, 335.
-Ulysse, 120, 351, 366.
-Urard mac Coisi, 3, 175, 178.
-Usnech, 5.
-
-V
-
-Vaches de Munster, 170.
-Vaches mythologiques, 202, 211-213, 277, 331, 384, 385.
-Valère Maxime, 347.
-Vandœuvre (Indre), 384, 385.
-Varuna, 15, 21, 370.
-Védique (Mythologie), 15, 21, 32, 99, 369-371.
-Verre (Barque et tour de), 118-120.
-Villes divinisées, 389.
-Vin, 318.
-_Visucius (Mercurius)_, VI.
-Vosegus, dieu, 388.
-Vritra, 32, 99.
-Vyamsa, 32, 99.
-
-Y
-
-Yama, 15, 21, 370.
-
-Z
-
-Zên, 371.
-Zeus, 8-10, 13, 15, 18, 27, 37, 98, 99, 121, 124, 144, 183, 186, 189, 198, 199, 201, 208, 290, 294, 371.
-Zio, dieu allemand, 189.
-Zuyderzée, 352.
-
-
-FIN DE L'INDEX ALPHABÉTIQUE.
-
-
-TABLE DES MATIÈRES
-
-Préface.......................................................... v
-
-
-CHAPITRE PREMIER.
-
-NOTIONS GÉNÉRALES.
-
-§1. Les catalogues de la littérature épique irlandaise........... 1
-§2. Les cycles épiques irlandais................................. 4
-§3. De la place occupée par la littérature épique dans la vie
- des Irlandais aux premiers siècles du moyen âge.............. 5
-§4. Le cycle mythologique irlandais. Les races primitives dans
- la mythologie irlandaise et dans la mythologie grecque....... 6
-§5. Le cycle mythologique irlandais (_suite_). Les inondations
- dans la mythologie irlandaise et dans la mythologie grecque.. 13
-§6. Le cycle mythologique irlandais (_suite_). Les batailles entre
- les dieux dans la mythologie irlandaise, dans celles de la
- Grèce, de l'Inde et de l'Iran................................ 14
-§7. Le roi des morts et le séjour des morts dans la mythologie
- irlandaise, dans la mythologie grecque et dans celle des _Vêda_16
-§8. Les sources de la mythologie irlandaise...................... 21
-
-
-CHAPITRE II.
-
-ÉMIGRATION DE PARTHOLON.
-
-§1. La race de Partholon en Irlande. La race d'argent dans la
- mythologie d'Hésiode......................................... 24
-§2. La doctrine celtique sur l'origine de l'homme................ 26
-§3. La création du monde dans la mythologie celtique telle que
- nous l'a conservée la légende de Partholon................... 29
-§4. Lutte de la race de Partholon contre les Fomôré.............. 31
-§5. Suite de la légende de Partholon. La première jalousie, le
- premier duel................................................. 33
-§6. Fin de la race de Partholon.................................. 36
-§7. La chronologie et la légende de Partholon.................... 37
-
-
-CHAPITRE III.
-
-ÉMIGRATION DE PARTHOLON (_suite_), LÉGENDE DE TUAN MAC CAIRILL.
-
-§1. Pourquoi la légende de Tûan mac Cairill a-t-elle été
- inventée?.................................................... 45
-§2. Saint Finnên et Tûan mac Cairill............................. 47
-§3. Histoire primitive de l'Irlande suivant Tûan mac Cairill..... 50
-§4. La légende de Tûan mac Cairill et la chronologie.
- Modifications dues à l'influence chrétienne.................. 58
-§5. La légende de Tûan mac Cairill, dans sa forme primitive, est
- d'origine païenne............................................ 62
-
-
-CHAPITRE IV.
-
-CESSAIR, DOUBLET DE PARTHOLON; FINTAN, DOUBLET DE TUAN MAC CAIRILL.
-
-§1. Comparaison de la légende de Partholon et de Tûan avec
- celle de Cessair et de Fintân................................ 64
-§2. Date où a été imaginée la légende de Cessair et de Fintân.... 66
-§3. Cessair chez Girauld de Cambrie et chez les savants irlandais
- du dix-septième siècle: Opinion de Thomas Moore.............. 69
-§4. Pourquoi et comment Cessair vint s'établir en Irlande........ 72
-§5. Histoire de Cessair et de ses compagnons depuis leur arrivée
- en Irlande................................................... 73
-§6. Les poèmes de Fintân......................................... 75
-§7. Fintân: 1° au temps de la première bataille mythologique de
- Mag-Tured; 2° sous le règne de Diarmait mac Cerbaill,
- sixième siècle de notre ère.................................. 77
-§8. Les trois doublets de Fintân. Saint Caillin, son élève:
- conclusion................................................... 80
-
-
-CHAPITRE V.
-
-ÉMIGRATION DE NÉMED ET MASSACRE DE LA TOUR DE CONANN.
-
-§1. Origine de Némed; son arrivée en Irlande..................... 84
-§2. Le règne de Némed en Irlande; ses premières relations
- avec les Fomôré.............................................. 90
-§3. Ce que c'est que les Fomôré. Textes divers qui les concernent 91
-§4. L'équivalent des Fomôré dans la mythologie grecque et dans la
- mythologie védique........................................... 96
-§5. Combats de Némed contre les Fomôré........................... 100
-§6. Domination tyrannique des Fomôré sur la race de Némed. Le
- tribut d'enfants. Comparaison avec le Minotaure.............. 101
-§7. L'idole _Cromm crûach_ ou _Cenn crûach_ et les sacrifices
- d'enfants en Irlande. Les sacrifices humains en Gaule........ 105
-§8. Tigernmas, doublet de _Cromm crûach_ et dieu de la mort...... 111
-§9. Le désastre de la tour de Conann d'après les documents
- irlandais.................................................... 113
-§10. Le désastre de la tour de Conann suivant Nennius.
- Comparaison avec la mythologie grecque....................... 117
-
-
-CHAPITRE VI.
-
-ÉMIGRATION DES FIR-BOLG.
-
-§1. Les Fir-Bolg, les Fir-Doranann et les Galiôin dans la
- mythologie irlandaise........................................ 123
-§2. Les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les Galiôin dans l'épopée
- héroïque irlandaise.......................................... 126
-§3. Association des Fomôré ou dieux de Domna, _Dê Domnann_,
- avec les Fir-Bolg, les Fir Domnann et les Galiôin............ 128
-§4. Etablissement des Fir-Bolg, des Fir-Domnann et des Galiôin
- en Irlande................................................... 131
-§5. Origine des Fir-Bolg, des Fir-Domnann et des Galiôin.
- Doctrine primitive, doctrine du moyen âge.................... 133
-§6. Introduction de la chronologie dans cette légende. Liste des
- rois......................................................... 135
-§7. Tâltiu, reine des Fir-Bolg et mère nourricière de Lug, un des
- chefs des Tûatha Dê Danann. Assemblée annuelle de Tâltiu le
- jour de la fête de Lug ou Lugus.............................. 136
-
-
-CHAPITRE VII.
-
-ÉMIGRATION DES TUATHA DÊ DANANN. PREMIÈRE BATAILLE DE MAG-TURED.
-
-§1.--Les Tûatha Dê Danann sont des dieux: leur place dans le
- système théologique des Celtes............................... 140
-§2. Origine du nom des Tûatha Dê Danann. La déesse Brigit et ses
- fils, le dieu irlandais Brian et le chef gaulois Brennos..... 144
-§3. La bataille de Mag-Tured est primitivement unique. Plus
- tard on distingue deux batailles de Mag-Tured................ 149
-§4. Le dieu Nûadu Argatlâm....................................... 153
-§5. Indications sur l'époque où a été composé le récit de la
- première bataille de Mag-Tured............................... 156
-§6. Pourquoi fut livrée la première bataille de Mag-Tured........ 158
-§7. Récit de la première bataille de Mag-Tured. Résultat de cette
- bataille..................................................... 164
-
-
-CHAPITRE VIII.
-
-ÉMIGRATION DES TUATHA DÊ DANANN (_suite_). SECONDE BATAILLE DE MAG-TURED.
-
-§1. Règne de Bress. Sa durée..................................... 167
-§2. Règne de Bress. Avarice de ce prince......................... 169
-§3. Le _file_ Corpré. Fin du règne de Bress...................... 171
-§4. Guerre des Fomôré contre les Tûatha Dê Danann. Les guerriers
- fomôré Balar et Indech....................................... 172
-§5. Arrivée de Lug chez les Tûatha Dê Danann à Tara.............. 174
-§6. Revue des gens de métier par Lug............................. 178
-§7. Seconde bataille de Mag-Tured. Fabrication des javelots...... 180
-§8. L'espion Rûadan.............................................. 182
-§9. Seconde bataille de Mag-Tured (_suite_). Blessure d'Ogmé
- et de Nûadu.................................................. 184
-§10. Seconde bataille de Mag-Tured (_suite et fin_). Mort de
- Balar. Défaite des Fomôré. L'épée de Téthra tombe entre les
- mains d'Ogmé................................................. 187
-§11. La harpe de Dagdé........................................... 190
-§12. Les Fomôré et Téthra dans l'ile des Morts................... 192
-§13. Le corbeau et la femme de Téthra............................ 194
-
-
-CHAPITRE IX.
-
-LA SECONDE BATAILLE DE MAG-TURED ET LA MYTHOLOGIE GRECQUE.
-
-§1. Le Kronos grec et ses trois équivalents irlandais, Téthra,
- Bress, Balar................................................. 197
-§2. Forme irlandaise de l'idée grecque de la race d'or. Tigernmas,
- doublet de Balar, de Bress et de Téthra...................... 199
-§3. Balar et le mythe d'Argos ou Argus. Lug et Hermès............ 201
-§4. Io et Bûar-ainech. Balar et Poseidaôn........................ 202
-§5. Lug, meurtrier de Balar, et le héros grec Bellérophontès..... 204
-§6. Lug et le héros grec Persée.................................. 206
-§7. Le Balar populaire de l'Irlande. Balar et Acrisios. Ethné,
- fille de Balor, et Danaé, fille d'Acrisios. Les trois frères
- irlandais et le triple Géryon. Leur vache et le troupeau de
- Géryon ou de Cacus. Le fils de Gavida et Persée.............. 208
-§8. Les trois ouvriers des Tûatha De Danann et les trois Cyclopes
- de Zeus chez Hésiode......................................... 218
-
-
-CHAPITRE X.
-
-LA RACE DE MILÉ.
-
-§1. Les chefs des Tûatha Dê Danann changés au onzième siècle
- en hommes et en rois. Chronologie de Gilla Coemain et
- des Quatre Maîtres........................................... 220
-§2. Milé et Bilé, ancêtres de la race celtique................... 224
-§3. La doctrine qui fait arriver les Irlandais d'Espagne et leur
- donne pour pays d'origine la Scythie et l'Egypte............. 226
-§4. Ith et la tour de Brégon..................................... 229
-§5. L'Espagne et l'île de Bretagne confondues avec le pays des
- morts........................................................ 231
-§6. Expédition d'Ith en Irlande.................................. 233
-§7. La mythologie irlandaise et la mythologie grecque. Ith et
- Prométhée.................................................... 236
-
-
-CHAPITRE XI.
-
-CONQUÊTE DE L'IRLANDE PAR LES FILS DE MILÉ.
-
-§1. Arrivée des fils de Milé en Irlande.......................... 241
-§2. Premier poème d'Amairgen. Doctrine panthéiste qu'il exprime.
- Comparaison avec un poème gallois attribué à Taliésin
- et avec le système philosophique de Jean Scot dit Eringène... 243
-§3. Les deux autres poèmes d'Amairgen. Doctrine naturaliste
- qu'ils expriment............................................. 249
-§4. Première invasion des fils de Milé en Irlande................ 253
-§5. Jugement d'Amairgen.......................................... 255
-§6. Retraite des fils de Milé.................................... 258
-§7. Seconde invasion des fils de Milé en Irlande. Ils font la
- conquête de cette île........................................ 259
-§8. Comparaison entre les traditions irlandaises et les traditions
- gauloises.................................................... 261
-§9. Les Fir-Domnann, les Bretons et les Pictes en Irlande........ 264
-
-
-CHAPITRE XII.
-
-LES TUATHA DÊ DANANN, DEPUIS LA CONQUÊTE DE L'IRLANDE PAR LES
-FILS DE MILÉ. PREMIÈRE PARTIE. LE DIEU SUPRÊME DAGDÉ.
-
-§1. Ce que devinrent les Tûatha Dê Danann après leur défaite
- par les fils de Milé. Le morceau intitulé «De la Conquête du
- _Sîd_.»...................................................... 266
-§2. Le dieu Dagdé. Sa puissance après la conquête de l'Irlande
- par les fils de Milé......................................... 268
-§3. Le palais souterrain de Dagdé à Brug na Boinné ou Sîd maic
- ind Oc. Oengus, fils de Dagdé. Rédaction païenne de la
- légende qui concerne Oengus et ce palais..................... 270
-§4. Rédaction chrétienne de cette légende........................ 276
-§5. Les amours d'Oengus, fils de Dagdê........................... 282
-§6. L'evhémérisme en Irlande et à Rome. Dagdé ou «Bon dieu» en
- Irlande; _Bona dea_, la «Bonne déesse,» compagne de Faunus
- à Rome....................................................... 289
-
-
-CHAPITRE XIII.
-
-LES TUATHA DÊ DANANN APRÈS LA CONQUÊTE DE L'IRLANDE PAR LES
-FILS DE MILÉ. DEUXIÈME PARTIE. LES DIEUX LUG, OGMÉ, DIANCECHT
-ET GOIBNIU.
-
-§1. Lug joue dans la légende de Cûchulainn le même rôle que
- Zeus dans celle d'Héraclès................................... 293
-§2. La chasse aux oiseaux mystérieux............................. 294
-§3. Le palais enchanté. Naissance de Cûchulainn.................. 297
-§4. Le mortel Sualtam et le dieu Lug, tous deux père de
- Cûchulainn................................................... 299
-§5. Lug et Conn Cêtchathach, roi suprême d'Irlande au second
- siècle de notre ère.......................................... 301
-§6. Lug était bien un dieu quoi qu'en aient dit plus tard les
- Irlandais chrétiens.......................................... 303
-§7. Ogmé ou Ogmios le champion................................... 306
-§8. Dîancecht le médecin......................................... 307
-§9. Goibniu le forgeron et son festin............................ 308
-
-
-CHAPITRE XIV.
-
-LES TUATHA DÊ DANANN APRÈS LA CONQUÊTE DE L'IRLANDE PAR LES
-FILS DE MILÉ. TROISIÈME PARTIE. LES DIEUX MIDER ET MANANNAN
-MAC LIR.
-
-§1. Le dieu Mider. Etâin, sa femme, est enlevée par Oengus,
- puis naît une seconde fois et devient fille d'Etair.......... 311
-§2. Etâin est femme du roi suprême d'Irlande. Mider la courtise.. 313
-§3. La partie d'échecs........................................... 315
-§4. Mider fait de nouveau la cour à Etâin. Poème qu'il lui chante 317
-§5. Mider enlève Etâin........................................... 319
-§6. Manannân mac Lir et Bran fils de Febal....................... 322
-§7. Manannân mac Lir et le héros Cûchulainn...................... 324
-§8. Manannân mac Lir et Cormac fils d'Art. Première partie.
- Cormac échange contre une branche d'argent, sa femme, son
- fils et sa fille............................................. 326
-§9. Manannân mac Lir et le roi Cormac fils d'Art. Deuxième
- partie. Cormac retrouve sa femme, son fils et sa fille....... 329
-§10. Manannân mac Lir est père de Mongân, roi d'Ulster au
- commencement du sixième siècle de notre ère.................. 333
-§11. Mongân fils d'un dieu, est un être merveilleux.............. 336
-
-
-CHAPITRE XV.
-
-LA CROYANCE A L'IMMORTALITÉ DE L'AME EN IRLANDE ET EN GAULE.
-
-§1. L'immortalité de l'âme dans la légende de Mongân............. 344
-§2. La race celtique a-t-elle cru à la métempsycose
- pythagoricienne? Opinion des anciens sur cette question...... 345
-§3. Comparaison entre la doctrine de Pythagore et la doctrine
- celtique..................................................... 348
-§4. Le pays des morts. La mort était un voyage. Texte du quatrième
- siècle avant notre ère....................................... 351
-§5. Certains héros sont allés faire la guerre au pays des morts
- et des dieux, tels sont: Cûchulainn, Loégairé Liban et
- Crimthann Nîa Nair. Légende de Cûchulainn.................... 354
-§6. Légende de Loégairé Liban.................................... 356
-§7. La descente de cheval dans la vieille légende de Loégairé
- Liban et dans la légende moderne d'Ossin..................... 362
-§8. Légende de Crimthann Nîa Nair................................ 363
-§9. Différence entre Cûchulainn d'un côté, Loégairé Liban et
- Crimthann Nîa Nair de l'autre................................ 365
-
-
-CHAPITRE XVI.
-
-CONCLUSION.
-
-§1. D'une différence importante entre la mythologie celtique et
- la mythologie grecque........................................ 367
-§2. La triade mythologique dans les _Vêda_ et en Grèce........... 370
-§3. La triade en Irlande......................................... 371
-§4. La triade en Gaule chez Lucain: Teutatès, Esus et Taranis ou
- Taranus...................................................... 376
-§5. Le dieu gaulois que les Romains ont appelé Mercure........... 381
-§6. Le dieu cornu et le serpent mythique en Gaule................ 383
-§7. Le dualisme celtique et le dualisme iranien.................. 386
-§8. Le naturalisme celtique...................................... 387
-
-
-CORRECTIONS ET ADDITIONS......................................... 391
-
-INDEX ALPHABÉTIQUE............................................... 393
-
-
-FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.
-
-
-
-
-
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-mythologie celtique, by Henri d'Arbois de Jubainville
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@@ -1,16850 +0,0 @@
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- The Project Gutenberg eBook of Le cycle mythologique irlandais et la mythologie celtique, by H. D'Arbois de Jubainville.
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- </head>
-
-<body>
-
-
-<pre>
-
-The Project Gutenberg EBook of Le cycle mythologique irlandais et la
-mythologie celtique, by Henri d'Arbois de Jubainville
-
-This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most
-other parts of the world at no cost and with almost no restrictions
-whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of
-the Project Gutenberg License included with this eBook or online at
-www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have
-to check the laws of the country where you are located before using this ebook.
-
-
-
-Title: Le cycle mythologique irlandais et la mythologie celtique
- Cours de littérature celtique, tome II
-
-Author: Henri d'Arbois de Jubainville
-
-Release Date: December 19, 2015 [EBook #50718]
-
-Language: French
-
-Character set encoding: UTF-8
-
-*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE CYCLE MYTHOLOGIQUE ***
-
-
-
-
-Produced by Madeleine Fournier. Images provided by The Internet Archive.
-
-
-
-
-
-</pre>
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-</div>
-<hr class="full" />
-<!-- Autogenerated TOC. Modify or delete as required. -->
-
-
-<!-- End Autogenerated TOC. -->
-
-<h1>COURS<br />
-<span style="font-size:70%;">DE</span><br />
-LITTÉRATURE CELTIQUE<br /><br />
-II</h1>
-
-<hr class="chap" />
-
-<h1>LE CYCLE<br /><br />
-
-MYTHOLOGIQUE<br /><br />
-
-<span style="font-size:70%;">IRLANDAIS</span><br /><br />
-
-<span style="font-size:85%;">ET LA MYTHOLOGIE CELTIQUE</span></h1>
-
-
-<p class="author">
-<span style="font-size:70%;">PAR</span><br /><br />
-
-H. D'ARBOIS DE JUBAINVILLE<br />
-
-<span style="font-size:50%;">PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE</span></p>
-
-<p>&nbsp;</p>
-
-<p class="editor">PARIS<br /><br />
-
-ERNEST THORIN, ÉDITEUR<br /><br />
-
-
-<span style="font-size:85%;">LIBRAIRE DU COLLÈGE DE FRANCE, DE L'ÉCOLE NORMALE SUPÉRIEURE
-DES ÉCOLES FRANÇAISES D'ATHÈNES ET DE ROME<br /><br />
-
-7, RUE DE MÉDICIS, 7</span></p>
-<p>&nbsp;</p>
-<p class="edition">1884</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p class="center"><a href="#INDEX">Index Alphabétique</a></p>
-
-<p class="center"><a href="#TOC">Table des matières</a></p>
-
-<hr class="r30" />
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_v" id="Page_v">[Pg v]</a></span></p>
-<h2>PRÉFACE</h2>
-
-<p>Un des documents le plus souvent cités sur la religion
-celtique est un passage de César, <i>De bello gallico</i>, où le
-conquérant de la Gaule raconte quels sont, suivant lui,
-les principaux dieux des peuples qu'il a vaincus dans cette
-contrée:</p>
-
-<p>«Le dieu qu'ils révèrent surtout est Mercure; ses
-statues sont nombreuses. Les Gaulois le considèrent
-comme l'inventeur de tous les arts, le guide dans les
-chemins et les voyages; ils lui attribuent une très
-grande influence sur les gains d'argent et sur le commerce.
-Après lui viennent Apollon, Mars, Jupiter et
-Minerve. De ceux-ci ils ont presque la même opinion
-que les autres nations: Apollon chasse les maladies;
-Minerve instruit les débutants dans les arts et les métiers;
-Jupiter a l'empire du ciel; Mars a celui de la
-guerre. Quant ils ont résolu de livrer bataille, ils lui
-consacrent d'avance par un vœu le butin qu'ils comptent
-faire<a name="NoteRef_1" id="NoteRef_1"></a><a href="#Note_1" class="fnanchor">[1]</a>...»</p>
-
-<p>Si nous prenons ce texte au pied de la lettre, il paraît
-<span class="pagenum"><a name="Page_vi" id="Page_vi">[Pg vi]</a></span>que les Gaulois auraient eu cinq dieux presque identiques
-à autant de grands dieux romains: Mercure, Apollon,
-Mars, Jupiter et Minerve; la différence n'aurait guère
-consisté que dans les noms. Cette doctrine semble confirmée
-par des inscriptions romaines, où des noms gaulois
-sont juxtaposés comme épithètes ou par apposition aux
-noms de ces dieux romains. On pourrait donner de nombreux
-exemples. Nous citerons: 1° pour Mercure, les dédicaces
-<i>Mercurio Atusmerio</i><a name="NoteRef_2" id="NoteRef_2"></a><a href="#Note_2" class="fnanchor">[2]</a>, <i>Genio Mercurii Alauni</i><a name="NoteRef_3" id="NoteRef_3"></a><a href="#Note_3" class="fnanchor">[3]</a>,
-<i>Mercurio Touren[o]</i><a name="NoteRef_4" id="NoteRef_4"></a><a href="#Note_4" class="fnanchor">[4]</a>, <i>Visucio Mercuri[o]</i><a name="NoteRef_5" id="NoteRef_5"></a><a href="#Note_5" class="fnanchor">[5]</a>, <i>Mercurio
-Mocco</i><a name="NoteRef_6" id="NoteRef_6"></a><a href="#Note_6" class="fnanchor">[6]</a>; 2° pour Apollon, les dédicaces <i>Apollini Granno</i><a name="NoteRef_7" id="NoteRef_7"></a><a href="#Note_7" class="fnanchor">[7]</a>,
-<i>[A]pollini Mapon[o]</i><a name="NoteRef_8" id="NoteRef_8"></a><a href="#Note_8" class="fnanchor">[8]</a>, <i>Apollini Beleno</i><a name="NoteRef_9" id="NoteRef_9"></a><a href="#Note_9" class="fnanchor">[9]</a>; 3° pour Mars les
-dédicaces <i>Marti Toutati</i><a name="NoteRef_10" id="NoteRef_10"></a><a href="#Note_10" class="fnanchor">[10]</a>, <i>Marti Belatucadro</i><a name="NoteRef_11" id="NoteRef_11"></a><a href="#Note_11" class="fnanchor">[11]</a>, <i>Marti
-Camulo</i><a name="NoteRef_12" id="NoteRef_12"></a><a href="#Note_12" class="fnanchor">[12]</a>, <i>Marti Caturigi</i><a name="NoteRef_13" id="NoteRef_13"></a><a href="#Note_13" class="fnanchor">[13]</a>; 4° pour Jupiter, les dédicaces
-<i>Jovi Taranuco</i><a name="NoteRef_14" id="NoteRef_14"></a><a href="#Note_14" class="fnanchor">[14]</a>, <i>Jovi Tarano</i><a name="NoteRef_15" id="NoteRef_15"></a><a href="#Note_15" class="fnanchor">[15]</a>; et 5° pour
-<span class="pagenum"><a name="Page_vii" id="Page_vii">[Pg vii]</a></span>Minerve les dédicaces <i>Deæ Suli Minervæ</i><a name="NoteRef_16" id="NoteRef_16"></a><a href="#Note_16" class="fnanchor">[16]</a>, <i>Minervæ Belisamæ</i><a name="NoteRef_17" id="NoteRef_17"></a><a href="#Note_17" class="fnanchor">[17]</a>.
-Ce sont les cinq dieux dont parle César.</p>
-
-<p>Avant de tirer du passage précité de César, des inscriptions
-que nous venons de mentionner et des documents
-analogues, une conclusion quelconque, il est indispensable
-d'en déterminer exactement le sens. Le texte
-de César commence par le mot «dieu»: <i>Deum maxime
-Mercurium colunt</i>. Que signifie le mot «dieu» dans la
-langue que parlait César quand il dictait ses <i>Commentaires</i>?
-Cicéron, dans son traité <i>De inventione rhetorica</i>,
-distingue entre ce qui est nécessaire ou certain et ce qui
-est probable; comme exemple de propositions probables,
-il cite celle-ci: «Ceux qui s'occupent de philosophie ne
-croient pas qu'il y ait des dieux<a name="NoteRef_18" id="NoteRef_18"></a><a href="#Note_18" class="fnanchor">[18]</a>.» Pour Lucrèce, les
-dieux sont une création de l'esprit humain, développée
-par les hallucinations du rêve<a name="NoteRef_19" id="NoteRef_19"></a><a href="#Note_19" class="fnanchor">[19]</a>. Le mot «dieu,» aux
-yeux de la plupart des membres de l'aristocratie romaine
-contemporains de César, désignait une conception sans
-valeur objective<a name="NoteRef_20" id="NoteRef_20"></a><a href="#Note_20" class="fnanchor">[20]</a>.</p>
-
-<p>Nous pensons pourtant être en droit d'affirmer que la
-langue employée par César dans les <i>Commentaires</i> est
-celle d'un croyant; peu nous importe ce qu'il pouvait
-penser au fond de sa conscience. César est un homme
-<span class="pagenum"><a name="Page_viii" id="Page_viii">[Pg viii]</a></span>politique dont le but, quand il parle, est de préparer ses
-auditeurs à lui obéir quand il commandera. Il est,
-parmi ses compatriotes, un de ceux qui ont le mieux su
-mettre en pratique les vers fameux de Virgile:</p>
-
-<p class="poem">
-Tu regere imperio populos, Romane memento;<br />
-Hæ tibi erunt artes, pacique imponere morem<br />
-Parcere subjectis, et debellare superbos<a name="NoteRef_21" id="NoteRef_21"></a><a href="#Note_21" class="fnanchor">[21]</a>.<br />
-</p>
-
-<p>Placée en face de populations qui croient à leurs dieux,
-l'aristocratie romaine, sceptique ou non, admet officiellement
-l'existence des dieux et s'en fait un moyen de
-gouvernement. Pour comprendre César, il faut admettre
-que, dans la langue dont il se sert, le mot «dieu» désigne
-des êtres dont l'existence réelle est considérée comme
-indiscutable, et qu'on ne peut sans erreur manifeste se
-figurer comme de simples conceptions de l'esprit humain,
-comme des fictions plus ou moins fantaisistes,
-plus ou moins logiques. La langue de César fut, après
-lui, celle des inscriptions romaines de la Gaule.</p>
-
-<p>Notre manière d'envisager les doctrines mythologiques
-est toute différente de celle qu'avaient adoptée les
-hommes politiques de Rome et les croyants qui ont dicté
-les inscriptions romaines de la Gaule. Nous ne sommes
-ni, comme les premiers, appelés à gouverner une population
-que des habitudes séculaires attachaient au culte de
-ses dieux, ni, comme les seconds, des païens. Les dieux
-des Gaulois, comme ceux des Romains, sont, à nos
-yeux, une création de l'esprit humain, inspirée à une
-population ignorante par le besoin d'expliquer le monde.
-Il est, par conséquent, très difficile de nous satisfaire,
-<span class="pagenum"><a name="Page_ix" id="Page_ix">[Pg ix]</a></span>quand on prétend démontrer que deux divinités, l'une
-romaine, née de la combinaison de la mythologie romaine
-et de la mythologie grecque, l'autre gauloise et
-issue du génie propre à la race celtique, sont identiques
-l'une à l'autre. Il ne suffit pas que les deux figures divines
-se superposent à peu près l'une à l'autre par quelque
-côté; il faut, sinon concordance complète, au moins
-accord sur tous les points fondamentaux.</p>
-
-<p>Lorsqu'il s'agit d'affirmer l'identité d'un personnage
-réel, on est beaucoup moins difficile. J'ai connu tel professeur
-illustre; à son cours j'ai admiré sa science profonde
-des textes, la justesse et la nouveauté des conclusions
-qu'il en tirait, l'élégante netteté de son langage, le
-charme de sa diction, l'éclat de son regard, l'animation
-de ses traits. Dans son cabinet il a achevé de me séduire
-par la bienveillance de son accueil, par la finesse de son
-sourire, par la spirituelle simplicité de sa conversation
-savante d'où tout pédantisme était absent. Ensuite, je le
-rencontre dans la rue. Je ne lui parle pas; il ne me dit
-rien; ses yeux, si vifs il y a un instant, sont mornes et
-ternes; rien, dans sa physionomie, ne révèle l'homme
-éminent qui se manifestait avec tant de supériorité dans
-la chaire du professeur devant un nombreux auditoire,
-ou au coin de la cheminée sans témoins pendant un entretien
-familier. Maintenant il semble ne penser à rien:
-que dis-je? La pensée qui l'occupe et que j'ignore est
-peut-être la plus triviale et la plus vulgaire. Mais les
-traits de son visage, tout à l'heure inspirés, en ce moment
-insignifiants et presque sans vie, offrent à mon regard
-un ensemble de lignes que je reconnais. Je m'écrie:
-C'est lui! et je ne me suis pas trompé.</p>
-
-<p>Les Romains procédaient d'une manière analogue
-<span class="pagenum"><a name="Page_x" id="Page_x">[Pg x]</a></span>quand il était question de leurs dieux. Leur Jupiter, par
-exemple, portait comme insigne caractéristique la foudre
-dans la main droite; les Gaulois avaient aussi un
-dieu qui maniait la foudre. Sur ce simple indice, les Romains
-crurent reconnaître dans le dieu gaulois leur Jupiter.
-De ce que les deux dieux, l'un national, l'autre
-étranger, avaient un attribut identique, les Romains
-conclurent que ces deux dieux n'en faisaient qu'un; ils
-le conclurent sans se préoccuper des différences que, sur
-d'autres points beaucoup plus importants, pouvaient offrir
-ces deux figures mythiques.</p>
-
-<p>Du reste, quand il s'agissait de grands dieux, qui dans
-le monde exerçaient, croyait-on, un pouvoir général, il
-ne pouvait pas en être autrement. Il était inadmissible
-que la foudre obéît à deux maîtres, l'un en Gaule, l'autre
-en Italie. Si l'explication qu'on donnait du phénomène
-de la foudre au sud des Alpes était bonne, il fallait
-bien qu'elle restât bonne au nord-ouest des Alpes.</p>
-
-<p>Le Mars romain décidait du sort des batailles. De deux
-choses l'une: ou le dieu gaulois de la guerre était identique
-au Mars romain, et dès lors son culte pouvait être
-maintenu dans la Gaule conquise; ou il était inférieur,
-en ce cas c'était un dieu vaincu, dont le culte devenait
-inutile.</p>
-
-<p>Le résultat de la conquête devait être nécessairement
-ou la suppression du culte des grands dieux gaulois, ou
-la confusion de ce culte avec le culte des grands dieux
-romains; et la seconde alternative était celle dont la réalisation
-était le plus facile à obtenir, puisqu'elle n'infligeait
-aux vaincus aucune humiliation. Elle avait l'avantage
-d'empêcher toute lutte religieuse entre les vaincus
-et les vainqueurs qui voulaient se les assimiler; elle
-<span class="pagenum"><a name="Page_xi" id="Page_xi">[Pg xi]</a></span>rapprochait par là l'époque de cette assimilation. La confusion
-des deux cultes était par conséquent la solution
-qu'un homme politique devait préférer.</p>
-
-<p>César a donc affirmé l'identité de cinq grands dieux de
-Rome avec les grands dieux de la Gaule, et cette identité
-a été admise après César. Elle l'a été d'autant plus
-facilement que les Romains croyant à la réalité de leurs
-dieux se contentaient pour les reconnaître d'attributs
-tout à fait secondaires; alors, avant de prononcer que
-deux divinités sont identiques, on ne se livrait point à
-l'enquête minutieuse qu'entreprend de nos jours tout savant
-qui applique à l'étude de la mythologie les procédés
-de l'érudition moderne.</p>
-
-<p>Notre conclusion sera par conséquent celle-ci:</p>
-
-<p>Nous ne pouvons accepter sans vérification les assertions
-de César d'où l'on semblerait en droit de conclure
-que la religion des Gaulois et celle des Romains étaient
-à peu près les mêmes. Il faut consulter d'autres textes
-que celui par la citation duquel nous avons commencé,
-et que les inscriptions qui semblent être la confirmation
-de ce document. Telle est la raison qui nous a fait entreprendre
-le travail contenu dans ce volume. Sans prétendre
-y résoudre les innombrables questions que soulève
-l'étude de la mythologie celtique, nous y proposons une
-solution à quelques-unes des principales difficultés qui
-peuvent être agitées à propos d'un sujet si digne d'attirer
-l'attention de l'historien.</p>
-
-<p>Ce n'est pas une mythologie celtique que nous livrons
-au public, c'est un essai sur les principes fondamentaux
-de cette mythologie. Nous avons pris pour base de notre
-étude le traité que les Irlandais connaissent sous le nom
-de <i>Lebar Gabala</i>, «Livre des conquêtes» ou «des invasions.»
-<span class="pagenum"><a name="Page_xii" id="Page_xii">[Pg xii]</a></span>Notre travail est un commentaire de ce document,
-tel qu'on le trouve dans le Livre de Leinster, manuscrit
-du milieu du douzième siècle, dont l'Académie royale
-d'Irlande a publié un fac-similé. Les nombreux textes
-que nous citons, outre celui-là, n'ont d'autre objet que
-de l'expliquer.</p>
-
-<p>Notre œuvre aura les inconvénients que présente la
-méthode exégétique; le principal sera celui des répétitions;
-les légendes, analogues à des légendes déjà exposées,
-demanderont souvent le retour d'explications données
-précédemment. Mais nous espérons qu'on nous saura
-gré d'avoir respecté l'ordre antique dans lequel l'Irlande
-a jadis classé les récits fabuleux qui constituent la forme
-traditionnelle de sa mythologie. En substituant à ce vieux
-plan consacré par les siècles un classement plus méthodique,
-mais nouveau et arbitraire, nous aurions brisé de
-nos mains le tableau même que nous voulions mettre
-sous les yeux du lecteur<a name="NoteRef_22" id="NoteRef_22"></a><a href="#Note_22" class="fnanchor">[22]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_1" id="Note_1"></a><a href="#NoteRef_1"><span class="label">[1]</span></a> <i>De bello gallico</i>, livre VI, chap. <span class="smcap">xvii</span>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_2" id="Note_2"></a><a href="#NoteRef_2"><span class="label">[2]</span></a> <i>Bulletin des antiquaires de France</i>, 1882, p. 310.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_3" id="Note_3"></a><a href="#NoteRef_3"><span class="label">[3]</span></a> <i>Brambach, Corpus inscriptionum rhenarum</i>, 1717.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_4" id="Note_4"></a><a href="#NoteRef_4"><span class="label">[4]</span></a> <i>Ibid.</i>, n° 1830.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_5" id="Note_5"></a><a href="#NoteRef_5"><span class="label">[5]</span></a> <i>Ibid.</i>, n° 1696.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_6" id="Note_6"></a><a href="#NoteRef_6"><span class="label">[6]</span></a> Inscription de Langres, chez De Wal, <i>Mythologiæ septentrionalis
-monumenta latina</i>, vol. I, n° <span class="smcap">clxvii</span>. <i>Moccus</i> paraît être le cochon
-ou sanglier, en vieil irlandais <i>mucc</i>, génitif <i>mucce</i>, thème féminin
-en <i>a</i>; en gallois, <i>moch</i>, et en breton, <i>moc'h</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_7" id="Note_7"></a><a href="#NoteRef_7"><span class="label">[7]</span></a> Brambach, n<sup>os</sup> 566, 1614, 1915; <i>Corpus inscriptionum latinarum</i>,
-t. III, n<sup>os</sup> 5588, 5861, 5870, 5871, 5873, 5874, 5876, 5881; t. VII,
-n° 1082.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_8" id="Note_8"></a><a href="#NoteRef_8"><span class="label">[8]</span></a> <i>Corpus inscriptionum latinarum</i>, t. VII, n° 218.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_9" id="Note_9"></a><a href="#NoteRef_9"><span class="label">[9]</span></a> <i>Ibid.</i>, t. V, n<sup>os</sup> 737, 741, 748, 749, 753.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_10" id="Note_10"></a><a href="#NoteRef_10"><span class="label">[10]</span></a> <i>Ibid.</i>, t. III, n° 5320; t. VII, n° 84.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_11" id="Note_11"></a><a href="#NoteRef_11"><span class="label">[11]</span></a> <i>Ibid.</i>, t. VII, n<sup>os</sup> 746, 957.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_12" id="Note_12"></a><a href="#NoteRef_12"><span class="label">[12]</span></a> <i>Ibid.</i>, t. VII, n° 1103; Brambach, n° 164; Mommsen, <i>Inscriptiones
-confœderationis Helveticæ</i>, n° 70.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_13" id="Note_13"></a><a href="#NoteRef_13"><span class="label">[13]</span></a> Brambach, n° 1588.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_14" id="Note_14"></a><a href="#NoteRef_14"><span class="label">[14]</span></a> <i>Corpus inscriptionum latinarum</i>, t. III, n° 2804.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_15" id="Note_15"></a><a href="#NoteRef_15"><span class="label">[15]</span></a> <i>Ibid.</i>, t. VII, n° 168.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_16" id="Note_16"></a><a href="#NoteRef_16"><span class="label">[16]</span></a> <i>Corpus inscriptionum latinarum</i>, t. VII, n<sup>os</sup> 42, 43.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_17" id="Note_17"></a><a href="#NoteRef_17"><span class="label">[17]</span></a> De Wal, <i>Mythologiæ septentrionalis monumenta latina</i>, vol. 1,
-n° <span class="smcap">lii</span>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_18" id="Note_18"></a><a href="#NoteRef_18"><span class="label">[18]</span></a> <i>De inventione</i>, livre I, chap. <span class="smcap">xxix</span>, § 46.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_19" id="Note_19"></a><a href="#NoteRef_19"><span class="label">[19]</span></a></p>
-<p class="poem">
-Quippe etenim jam tum divum mortalia sæcla<br />
-Egregias animo facies vigilante videbant,<br />
-Et magis in somnis mirando corporis auctu<br />
-.... Livre V, vers 1168 et suivants.<br /></p>
-</div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_20" id="Note_20"></a><a href="#NoteRef_20"><span class="label">[20]</span></a> Comparez Boissier, <i>La religion romaine d'Auguste aux Antonins</i>,
-t. I, p. <span class="smcap">v-vi</span>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_21" id="Note_21"></a><a href="#NoteRef_21"><span class="label">[21]</span></a> Virgile, <i>Enéide</i>, livre VI, vers 851&ndash;853.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_22" id="Note_22"></a><a href="#NoteRef_22"><span class="label">[22]</span></a> L'exception que nous avons faite pour la légende de Cessair n'est
-qu'apparente, puisque cette légende est une addition chrétienne au
-cycle mythologique irlandais.</p></div>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_1" id="Page_1">[Pg 1]</a></span></p>
-
-<h1>LE<br />
-
-CYCLE MYTHOLOGIQUE IRLANDAIS<br />
-
-ET LA<br />
-
-MYTHOLOGIE CELTIQUE</h1>
-
-<hr class="r5" />
-
-<h2>CHAPITRE PREMIER.<br />
-
-NOTIONS GÉNÉRALES.</h2>
-
-<p><a href="#I_1">§1</a>. Les catalogues de la littérature épique irlandaise.&mdash;<a href="#I_2">§2</a>. Les
-cycles épiques irlandais.&mdash;<a href="#I_3">§3</a>. De la place occupée par la littérature
-épique dans la vie des Irlandais aux premiers siècles du
-moyen âge.&mdash;<a href="#I_4">§4</a>. Le cycle mythologique irlandais. Les races
-primitives dans la mythologie irlandaise et dans la mythologie
-grecque.&mdash;<a href="#I_5">§5</a>. Le cycle mythologique irlandais (<i>suite</i>). Les inondations
-dans la mythologie irlandaise et dans la mythologie grecque.&mdash;<a href="#I_6">§6</a>.
-Le cycle mythologique irlandais (<i>suite</i>). Les batailles
-entre les dieux dans la mythologie irlandaise, dans celle de la
-Grèce, de l'Inde et de l'Iran.&mdash;<a href="#I_7">§7</a>. Le roi des morts et le séjour
-des morts dans la mythologie irlandaise, dans la mythologie
-grecque et dans celle des <i>Vêda</i>.&mdash;<a href="#I_8">§8</a>. Les sources de la mythologie
-irlandaise.</p>
-
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="I_1"></a>§ 1.<br />
-
-<i>Les catalogues de la littérature épique irlandaise.</i></h3>
-
-<p>Dans le volume précédent nous avons dit qu'il
-existe plusieurs catalogues des morceaux qui composaient
-<span class="pagenum"><a name="Page_2" id="Page_2">[Pg 2]</a></span>la littérature épique irlandaise. Le plus ancien
-de ces catalogues paraît avoir été dressé vers
-l'an 700 de notre ère, sauf une ou deux additions
-qui dateraient de la première moitié du dixième siècle.
-Le deuxième appartient à la seconde moitié du
-même siècle. Le troisième nous a été conservé par
-un manuscrit du seizième siècle.</p>
-
-<p>Le premier de ces catalogues se trouve dans deux
-manuscrits; l'un des deux a été écrit vers 1150: c'est
-le Livre de Leinster, p. 189&ndash;190, d'après lequel ce catalogue
-a été publié par O'Curry, <i>Lectures on the ms.
-materials</i>, p. 584-593; l'autre date du quinzième ou
-du seizième siècle: c'est le ms. H. 3. 17, col. 797&ndash;800
-du Collège de la Trinité de Dublin, d'après lequel le
-même catalogue a été publié par M. O'Looney dans les
-<i>Proceedings of the Royal irish Academy</i>, Second series,
-vol. I, <i>Polite Literature and Antiquities</i>, p. 215&ndash;240.
-Ce catalogue est anonyme; il contient cent quatre-vingt-sept
-titres dans le premier des deux manuscrits.</p>
-
-<p>Le deuxième catalogue, inédit jusqu'ici<a name="NoteRef_23" id="NoteRef_23"></a><a href="#Note_23" class="fnanchor">[1]</a>, se rencontre,
-à ma connaissance, dans trois manuscrits: le
-Rawlinson B. 512 de la bibliothèque bodléienne d'Oxford,
-f° 109&ndash;110, quatorzième siècle; le Harleian 5280,
-f° 47 recto-verso du British Museum, quinzième siècle;
-et le 23. N. 10, autrefois Betham 145, de l'Académie
-<span class="pagenum"><a name="Page_3" id="Page_3">[Pg 3]</a></span>royale d'Irlande, p. 29&ndash;32, seizième siècle. Il
-comprend cent cinquante-neuf titres dans le premier
-des trois manuscrits; il est attribué à Urard mac
-Coisi, <i>file</i> de la seconde moitié du dixième siècle.</p>
-
-<p>Il n'y a que vingt titres dans le troisième catalogue:
-celui-ci, plus récent que les deux premiers et sans
-nom d'auteur, est conservé par un manuscrit du seizième
-siècle au Musée Britannique, sous le n° 432
-du fonds Harléien, et il a été publié dans les <i>Ancient
-Laws of Ireland</i>, t. I, p. 46.</p>
-
-<p>Le deuxième et le troisième catalogue contiennent
-des titres qui ne sont pas compris dans le premier,
-mais, même en ajoutant au premier catalogue un supplément
-formé avec les titres qui lui manquent et que
-les deux autres catalogues contiennent, on n'aurait
-pas la liste complète des morceaux qui formaient le
-vaste ensemble de la littérature épique irlandaise.
-D'après la glose de l'introduction au <i>Senchus Môr</i>, le
-nombre des histoires que devait savoir l'<i>ollam</i> ou
-chef des <i>file</i> était de trois cent cinquante. Les manuscrits
-irlandais des Iles Britanniques nous ont conservé
-quelques-unes des histoires dont les titres
-n'ont pas été inscrits dans les catalogues dont nous
-venons de parler. Par contre, on ne retrouve plus
-dans ces manuscrits une partie des histoires dont ces
-catalogues nous ont transmis les titres. Ainsi notre
-connaissance de la littérature épique irlandaise offre
-bien des lacunes qu'il sera probablement toujours
-impossible de combler.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_23" id="Note_23"></a><a href="#NoteRef_23"><span class="label">[1]</span></a> Depuis que ces lignes sont écrites, il en a été publié une édition
-dans le volume intitulé: <i>Essai d'un catalogue de la littérature
-épique de l'Irlande</i>, p. 260&ndash;264.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_4" id="Page_4">[Pg 4]</a></span></p>
-<h3><a id="I_2"></a>§ 2.<br />
-
-<i>Les cycles épiques irlandais.</i></h3>
-
-<p>Les monuments de la littérature épique irlandaise
-semblent pouvoir se diviser en quatre sections:</p>
-
-<p>1° Le cycle mythologique, qui concerne l'origine
-et la plus ancienne histoire des dieux, des hommes
-et du monde;</p>
-
-<p>2° Le cycle de Conchobar et de Cûchulainn, comprenant
-des récits qui se rapportent, soit à ces deux
-personnages soit à d'autres héros que l'on se figurait
-avoir été leurs contemporains, ou les avoir soit précédés
-soit suivis à peu d'années de distance. Suivant
-les annalistes irlandais, Conchobar et Cûchulainn auraient
-vécu vers le même temps que Jésus-Christ;
-ainsi Cûchulainn serait mort, d'après Tigernach, l'an 2
-de notre ère et Conchobar l'an 22<a name="NoteRef_24" id="NoteRef_24"></a><a href="#Note_24" class="fnanchor">[1]</a>;</p>
-
-<p>3° Le cycle ossianique, dont les principaux personnages
-sont Find, fils de Cumall, et Ossin ou Ossian,
-fils de Find; il paraît avoir pour base des événements
-historiques du second et du troisième siècle
-de notre ère; Tigernach met la mort de Find en
-274<a name="NoteRef_25" id="NoteRef_25"></a><a href="#Note_25" class="fnanchor">[2]</a>;</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_5" id="Page_5">[Pg 5]</a></span>4° Un certain nombre de morceaux qui, si on les
-plaçait bout à bout dans l'ordre chronologique des
-faits vrais ou imaginaires auxquels ils se rapportent,
-nous offriraient, en quelque sorte, les annales poétiques
-de l'Irlande, du troisième siècle de notre ère
-au septième. Les pièces relatives à des événements
-postérieurs au septième siècle sont fort peu nombreuses.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_24" id="Note_24"></a><a href="#NoteRef_24"><span class="label">[1]</span></a> O'Conor, <i>Rerum hibernicarum scriptores</i>, t. II, 1<sup>re</sup> partie, p. 14,
-16. Certaines personnes en Irlande au douzième siècle croyaient
-ces personnages beaucoup plus anciens. Un des récits légendaires
-conservé par le <i>Livre de Leinster</i> fait régner Conchobar trois cents
-ans avant J.-C. Windisch, <i>Irische texte</i>, p. 99, lignes 16&ndash;17.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_25" id="Note_25"></a><a href="#NoteRef_25"><span class="label">[2]</span></a> O'Conor, <i>Rerum hibernicarum scriptores</i>, t. II, 1<sup>re</sup> partie, p. 49.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="I_3"></a>§ 3.<br />
-
-<i>De la place occupée par la littérature épique dans la
-vie des Irlandais aux premiers siècles du moyen
-âge.</i></h3>
-
-<p>Pendant les longues soirées d'hiver, les morceaux
-épiques ou histoires compris dans ces quatre sections
-étaient débités par les <i>file</i> aux rois entourés de leurs
-vassaux dans les grandes salles de leurs <i>dûn</i> ou châteaux<a name="NoteRef_26" id="NoteRef_26"></a><a href="#Note_26" class="fnanchor">[1]</a>.
-Les <i>file</i> récitaient aussi ces histoires aux
-foules qu'attiraient les grandes assemblées périodiques
-du 1<sup>er</sup> mai ou <i>Beltené</i>, du premier août ou
-<i>Lugnasad</i>, et du 1<sup>er</sup> novembre ou <i>Samain</i>, dont
-une des plus célèbres est celle qui se tenait à Usnech
-le 1<sup>er</sup> mai, ou jour de <i>Beltené</i>.</p>
-
-<p>Usnech était considéré comme le point central de
-l'Irlande; un roc naturel servant de borne indiquait
-le point d'où partaient les lignes séparatives des
-<span class="pagenum"><a name="Page_6" id="Page_6">[Pg 6]</a></span>cinq grandes provinces (en irlandais <i>coicid</i> ou «cinquièmes»),
-entre lesquelles se partageait l'Irlande.
-C'est là que d'ordinaire, le 1<sup>er</sup> mai, les mariages
-annuels se rompaient et que des liens nouveaux succédaient
-à ceux que la coutume avait brisés. A ces
-assemblées, on rendait des jugements, on réformait
-les lois, les rois recrutaient des soldats, les négociants
-venaient offrir leurs marchandises à des populations
-ordinairement dispersées sur toute la surface
-d'un vaste territoire où le commerce ne pouvait
-les atteindre; enfin les <i>file</i> trouvaient, pour leurs
-récits épiques, de nombreux auditoires<a name="NoteRef_27" id="NoteRef_27"></a><a href="#Note_27" class="fnanchor">[2]</a>. Sans avoir
-la prétention au même succès, nous allons reprendre
-les récits de ces vieux conteurs. Nous commencerons
-par le cycle mythologique.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_26" id="Note_26"></a><a href="#NoteRef_26"><span class="label">[1]</span></a> <i>Scêl as-am-berar com-bad-ê Find, mac Cumaill, Mongân</i>, dans le
-<i>Leabhar na h-Uidhre</i>, p. 133, col. 1, lignes 29&ndash;31.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_27" id="Note_27"></a><a href="#NoteRef_27"><span class="label">[2]</span></a> Sur les récits épiques des <i>file</i> dans les assemblées publiques d'Irlande,
-voyez la pièce intitulée <i>Aenach Carmain</i>, publiée chez O'Curry,
-<i>On the manners</i>, t. III, p. 526&ndash;547. Les quatrains 58&ndash;65 concernent
-ces récits. Le versificateur irlandais a intercalé dans ses vers
-six mots qui, dans les catalogues, servent de titre à autant de sections:
-<i>togla</i> ou «prises de villes,» <i>tâna</i> ou «enlèvements de troupeaux,»
-<i>tochmorca</i> ou «demandes en mariage,» <i>fessa</i> ou «fêtes,»
-<i>aitti</i> ou «morts violentes,» <i>airggni</i> ou «massacres.» Il cite aussi
-plusieurs pièces bien connues, comme <i>Fianruth Fiand, Tecusca Cormaic,
-Timna Chathair</i> (cf. Livre de Leinster, p. 216, col. 1, lignes
-19&ndash;34).</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="I_4"></a>§ 4.<br />
-
-<i>Le cycle mythologique irlandais. Les races primitives
-dans la mythologie irlandaise et dans la mythologie
-grecque.</i></h3>
-
-<p>Les morceaux qui appartiennent au cycle mythologique
-<span class="pagenum"><a name="Page_7" id="Page_7">[Pg 7]</a></span>sont épars dans les divers chapitres<a name="NoteRef_28" id="NoteRef_28"></a><a href="#Note_28" class="fnanchor">[1]</a> dont
-nos catalogues se composent. Mais ceux de ces morceaux
-que l'on peut considérer comme fondamentaux
-appartiennent au chapitre intitulé <i>Tochomlada</i> ou
-émigrations. Sur les treize pièces que ce chapitre
-comprend, sept sont mythologiques:</p>
-
-<p>1° <i>Tochomlod Partholoin dochum n-Erenn</i>, émigration
-de Partholon en Irlande;</p>
-
-<p>2° <i>Tochomlod Nemid co h-Erind</i>, émigration de
-Nemed en Irlande;</p>
-
-<p>3° <i>Tochomlod Fer m-Bolg</i>, émigration des <i>Fir-Bolg</i>;</p>
-
-<p>4° <i>Tochomlod Tûathe Dê Danann</i>, émigration de
-la nation du dieu de Dana ou des <i>Tûatha Dê Danann</i>;</p>
-
-<p>5° <i>Tochomlod Miled, maic Bile, co h-Espain</i>, émigration
-de Milé, fils de Bilé en Espagne;</p>
-
-<p>6° <i>Tochomlod mac Miled a Espain in Erinn</i>, émigration
-des fils de Milé, d'Espagne en Irlande;</p>
-
-<p>7° <i>Tochomlod Cruithnech a Tracia co h-Erinn ocus
-a tochomlod a Erinn co Albain</i>, émigration des Pictes
-de Thrace en Irlande et d'Irlande en Grande-Bretagne.</p>
-
-<p>Ces titres suffisent pour nous montrer qu'une des
-parties les plus importantes de la mythologie irlandaise
-racontait comment diverses races divines et
-humaines étaient venues successivement s'établir en
-Irlande. Ainsi la littérature irlandaise met à l'origine
-des choses une série de faits mythiques qui présentent
-<span class="pagenum"><a name="Page_8" id="Page_8">[Pg 8]</a></span>une grande analogie avec une des conceptions
-les plus connues de la mythologie grecque. Voici
-comment s'exprime Hésiode dans le poème dont le
-titre est: <i>Les Travaux et les Jours</i>.</p>
-
-<p>«La race d'or des hommes doués de parole
-fut celle que créèrent la première les immortels
-habitants des palais de l'Olympe; cette race exista
-sous Kronos, quand il régnait dans le ciel. Ces
-hommes vivaient comme des dieux, l'esprit sans
-inquiétude, loin des fatigues et de la douleur; ils
-n'éprouvaient aucune des misères de la vieillesse,
-leurs pieds et leurs mains avaient toujours
-la même vigueur; ils passaient leur vie
-dans la joie des festins, à l'abri de tous maux,
-et ils mouraient comme domptés par le sommeil.
-Pour eux toute chose tournait à bien; le
-champ fertile leur produisait, sans culture, des
-fruits abondants, dont il n'était jamais avare.
-Ceux qui récoltaient se faisaient un plaisir de
-partager paisiblement avec leurs nombreux et
-bons voisins. Et quand cette race eut été ensevelie
-dans les entrailles de la terre, elle se transforma,
-par la volonté du grand Zeus, en démons bienfaisants
-qui habitent la terre et y sont les gardiens
-des hommes mortels. Ils observent les bonnes et
-les mauvaises actions; invisibles dans l'air qui
-leur sert de vêtement, ils se promènent sur toute
-la terre, distribuant les richesses: telle fut la
-royale prérogative qu'ils obtinrent.</p>
-
-<p>Une seconde race, beaucoup moins bonne, celle
-<span class="pagenum"><a name="Page_9" id="Page_9">[Pg 9]</a></span>d'argent, fut ensuite créée par les habitants des
-palais de l'Olympe; elle n'était comparable à la
-race d'or ni par le corps ni par l'esprit. Pendant
-cent ans, l'enfant élevé par sa mère attentive
-grandissait inepte dans la maison; mais quand
-il avait atteint la puberté et le terme de l'adolescence,
-il ne vivait plus que peu de temps, et
-c'était dans la douleur, à cause de sa stupidité;
-car ces hommes ne pouvaient s'abstenir de commettre
-l'injustice les uns envers les autres. Ils
-refusaient le culte aux Immortels et les sacrifices
-aux Tout-Puissants sur les autels sacrés, violant
-ainsi le droit et la coutume. Alors, Zeus, fils de
-Kronos, leur ôta la vie, irrité contre eux parce
-qu'ils ne rendaient pas d'honneurs aux dieux bienheureux
-qui habitent l'Olympe. Mais quand la terre
-eut recouvert ces hommes, on leur donna le nom
-de puissants mortels souterrains; ils occupent le
-second rang: toutefois, comme les premiers, ils
-sont entourés d'honneurs.</p>
-
-<p>Alors Zeus créa une troisième race d'hommes
-doués de parole, celle d'airain, qui ne fut en
-rien semblable à celle d'argent. Issue des frênes,
-elle était forte et robuste; ce qui l'occupait c'étaient
-les œuvres douloureuses et injustes d'Arès, dieu
-de la guerre. Ils ne mangeaient pas de froment;
-leur vigoureux et redoutable courage ressemblait
-à l'acier. Leur force était grande; des mains invincibles
-terminaient les bras qui s'attachaient à
-leurs corps puissants. D'airain étaient leurs armes,
-<span class="pagenum"><a name="Page_10" id="Page_10">[Pg 10]</a></span>d'airain leurs maisons; c'était l'airain qu'ils
-travaillaient, le noir fer n'existait pas encore. Ils
-s'enlevèrent eux-mêmes la vie par leurs propres
-mains et allèrent dans la maison putride du froid
-Aïdès. Quelque redoutables qu'ils fussent, la noire
-mort se saisit d'eux et ils quittèrent la brillante
-lumière du soleil.</p>
-
-<p>Mais quand la terre eut aussi recouvert cette
-race, Zeus, fils de Kronos, en créa une quatrième
-sur la terre féconde. Celle-ci, plus juste et meilleure,
-a donné les hommes héroïques et divins de
-la génération qui nous a précédés qu'on appelle
-demi-dieux dans la Terre immense. La guerre
-fatale et les durs combats leur ont ôté la vie. Les
-uns sont morts près de Thèbes aux Sept-Portes,
-dans la terre de Cadmus, en livrant bataille à
-cause des brebis d'Œdipe; les autres, franchissant
-sur leurs navires la vaste étendue de la mer,
-allèrent à Troie à cause d'Hélène à la belle chevelure,
-et la mort les y enveloppa.</p>
-
-<p>Zeus, fils de Kronos, les séparant des hommes,
-leur a donné la nourriture et une demeure aux
-extrémités de la terre, loin des immortels. Kronos
-règne sur eux: ils vivent, l'esprit libre de
-souci, dans les îles des Tout-Puissants, près de
-l'Océan aux gouffres profonds, ces héros bienheureux
-auxquels un champ fécond, qui fleurit trois fois
-l'an, produit des fruits doux comme le miel<a name="NoteRef_29" id="NoteRef_29"></a><a href="#Note_29" class="fnanchor">[2]</a>.»</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_11" id="Page_11">[Pg 11]</a></span>Ainsi les Grecs croyaient qu'à une époque antérieure
-à celle où vivaient ceux de leurs ancêtres qui
-ont fait les guerres épiques de Thèbes et de Troie,
-trois races dont ils ne descendaient point s'étaient
-succédé sur le sol de leur patrie. Nous trouvons, en
-Irlande, une doctrine à peu près identique. Les
-noms de ces races mythiques ne sont pas les mêmes
-en Irlande qu'en Grèce. Hésiode les appelle race
-d'or, race d'argent, race d'airain; les Irlandais parlent
-de la famille de Partholon, de celle de Nemed et
-des <i>Tûatha Dê Danann</i>. Les <i>Tûatha Dê Danann</i> sont
-identiques à la race d'or des Grecs; dans la famille
-de Partholon nous reconnaîtrons la race d'argent
-des Grecs; dans la famille de Nemed leur race d'airain.
-Ainsi l'ordre suivi par les Grecs n'est pas le
-même que celui que nous trouvons en Irlande.
-La race d'or des Grecs, placée chez eux chronologiquement
-la première, arrive la dernière chez
-les Irlandais, qui lui donnent le nom de <i>Tûatha</i>
-<span class="pagenum"><a name="Page_12" id="Page_12">[Pg 12]</a></span><i>Dê Danann</i>, Mais la famille de Partholon ou race
-d'argent précède en Irlande comme en Grèce la famille
-de Nemed ou race d'airain.</p>
-
-<p>Quant aux demi-dieux grecs qui forment la quatrième
-race, qui ont combattu à Thèbes et à Troie
-et qui sont les ancêtres de la race actuelle, ils ont
-pour correspondants les <i>Firbolg</i>, les fils de Milé et
-les <i>Cruithnech</i> ou Pictes de la mythologie irlandaise.
-Par conséquent les sept morceaux dont nous avons
-donné les titres: Emigration de Partholon en Irlande,
-Emigration de Nemed en Irlande, Emigration des
-<i>Firbolg</i>, Emigration des <i>Tûatha Dê Danann</i>, Emigration
-de Milé, fils de Bilé, en Espagne, Emigration
-des fils de Milé d'Espagne en Irlande, Emigration
-des Pictes ou <i>Cruithnech</i> de Thrace en Irlande et
-d'Irlande en Grande-Bretagne, nous exposent la forme
-irlandaise d'une doctrine dont les éléments fondamentaux
-se trouvent déjà en Grèce dans l'ouvrage
-d'Hésiode intitulé: <i>Les Travaux et les Jours</i>.</p>
-
-<p>Entre le récit grec et le récit irlandais, il y a de
-nombreuses différences; elles tiennent, pour une
-forte part, aux développements que la légende irlandaise
-a reçus depuis le christianisme. Mais à côté
-de ces différences, il y a des ressemblances frappantes.
-En voici un exemple.&mdash;Les <i>Tûatha Dê Danann</i>,
-la dernière en date des trois races primitives dont
-la race irlandaise actuelle ne descend pas, a finalement
-le même sort que la race d'or de la mythologie
-grecque, la première des trois races primitives dont
-les Grecs ne sont point issus.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_13" id="Page_13">[Pg 13]</a></span>«La race d'or,» nous dit Hésiode, «se transforma,
-par la volonté du grand Zeus en démons
-bienfaisants qui habitent la terre et y sont les gardiens
-des hommes mortels. Ils observent les bonnes
-et les mauvaises actions; invisibles dans l'air
-qui leur sert de vêtement, ils se promènent sur
-toute la terre, distribuant les richesses. Telle fut
-la royale prérogative qu'ils obtinrent.» De même
-les <i>Tûatha Dê Danann</i>, après avoir été, avec un corps
-visible, seuls maîtres de la terre, ont pris dans un
-âge postérieur une forme invisible sous laquelle ils
-partagent avec les hommes l'empire du monde, leur
-venant en aide quelquefois, d'autres fois leur disputant
-les plaisirs et les joies de la vie.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_28" id="Note_28"></a><a href="#NoteRef_28"><span class="label">[1]</span></a> Sur ces chapitres, voir notre tome I<sup>er</sup>, p. 350&ndash;351.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_29" id="Note_29"></a><a href="#NoteRef_29"><span class="label">[2]</span></a> Hésiode, <i>Les Travaux et les Jours</i>, vers 109&ndash;173 (cf. Ovide,
-<i>Métamorphoses</i>, livre I, vers 89&ndash;127). Nous avons supprimé dans
-notre traduction le vers 120, que certains éditeurs considèrent
-comme une interpolation, et qui est en tout cas inutile. Nous conservons
-le vers 169:
-</p>
-<p class="poem">
-Τηλοῦ ἀπ᾽ ἀθανάτων τοῖσιν Κρόνος ἐμβασιλεύει.<br />
-</p>
-<p>
-La croyance qu'il exprime est certainement fort ancienne en Grèce,
-puisqu'on la trouve dans la seconde olympique de Pindare, qui remonte
-à l'année 476 avant J.-C. Dans cette pièce, Pindare a cherché
-à concilier la doctrine énoncée dans le vers 169 des <i>Travaux et des
-Jours</i> avec la doctrine, identique dans le fond, mais différente dans
-les détails, que nous trouvons dans les vers 561&ndash;569 du livre IV de
-l'<i>Odyssée</i>. Sur ce sujet, voir aussi Platon, <i>Gorgias</i>, c. 79.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="I_5"></a>§ 5.<br />
-
-<i>Le cycle mythologique irlandais (suite). Les inondations
-dans la mythologie irlandaise et dans la mythologie
-grecque.</i></h3>
-
-<p>Après les sept émigrations, <i>tochomlada</i>, que nous
-avons placées en tête du cycle mythologique, nous
-citerons les <i>tomadma</i>, ou irruptions d'eau, déluges
-partiels qui figurent au nombre de deux dans les
-catalogues de la littérature épique irlandaise et qui
-auraient donné naissance à deux lacs d'Irlande, dans
-la province d'Ulster: 1° <i>Tomaidm locha Echdach</i>,
-irruption d'eau qui aurait formé le lac dit aujourd'hui
-Lough Neagh; 2° <i>Tomaidm locha Eirne</i>, irruption
-<span class="pagenum"><a name="Page_14" id="Page_14">[Pg 14]</a></span>d'eau qui aurait donné naissance au lac dit aujourd'hui
-Lough Erne. La mythologie grecque connaît
-aussi deux déluges, celui d'Ogygès et celui de
-Deucalion; le premier en Attique<a name="NoteRef_30" id="NoteRef_30"></a><a href="#Note_30" class="fnanchor">[1]</a>, le second dans
-la région de la Grèce située près de Dodone et de
-l'Achéloüs<a name="NoteRef_31" id="NoteRef_31"></a><a href="#Note_31" class="fnanchor">[2]</a>. Les deux déluges analogues que leur
-donnent pour pendants les catalogues de la littérature
-épique d'Irlande ont dans cette littérature de
-nombreux doublets.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_30" id="Note_30"></a><a href="#NoteRef_30"><span class="label">[1]</span></a> Acusilas, fragment 14 (Didot-Müller, <i>Fragmenta historicorum
-græcorum</i>, t. I, p. 102); Castor, fragment 15, chez Didot-Müller,
-<i>Ctesiæ ... fragmenta</i>, p. 176. Dans les deux cas, il s'agit d'un texte
-d'Eusèbe, <i>Præparatio evangelica</i>, X, 10.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_31" id="Note_31"></a><a href="#NoteRef_31"><span class="label">[2]</span></a> Aristote, <i>Météorologiques</i>, livre I, chap. XIV, §§ 21 et 22; édition
-Didot, t. III, p. 572.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="I_6"></a>§ 6.<br />
-
-<i>Le cycle mythologique irlandais (suite).&mdash;Les batailles
-entre les dieux dans la mythologie irlandaise, dans
-celles de la Grèce, de l'Inde et de l'Iran.</i></h3>
-
-<p>La guerre tient une place importante dans la mythologie
-irlandaise. Au cycle mythologique appartiennent,
-par exemple, la bataille de Mag Tured, <i>Cath
-maige Tured</i>; la bataille de Mag Itha, <i>Cath Maige
-Itha</i>; les combats de Nemed contre les Fomôré, <i>Catha
-Neimid re Fomorcaib</i>; le massacre de la tour de Conann,
-<i>Orgain tuir Chonaind</i>; le massacre d'Ailech, où
-périt Neit fils de Dê ou Dieu, <i>Argaih Ailich for Neit
-mac in Dui</i>, etc.&mdash;Dans le monde divin de l'Irlande,
-<span class="pagenum"><a name="Page_15" id="Page_15">[Pg 15]</a></span>on distingue deux groupes unis par les liens de parenté
-les plus intimes, et cependant ennemis. Les batailles
-et les massacres dont nous venons de parler
-sont ou les épisodes de leur lutte ou des imitations
-plus récentes de divers épisodes de cette lutte, qui
-est elle-même une édition celtique de la guerre du
-Zeus hellénique contre Kronos son père et contre les
-Titans, de la lutte d'Ahuramazda ou Ormazd, dieu du
-Bien, contre Añgra Mainyu ou Ahriman, personnification
-du Mal dans la littérature iranienne; des combats
-soutenus par les dieux du jour et de la lumière,
-les <i>Dêva</i>, contre les <i>Asura</i>, dieux des ténèbres, de
-l'orage et de la nuit, dans la littérature de l'Inde. En
-Irlande, les <i>Tûatha Dê Danann</i> et, comme eux, Partholon
-et Nemed qui sur divers points sont des doublets
-des <i>Tûatha Dê Danann</i>, ont pour rivaux les <i>Fomôre</i>.
-Dagdê, = <sup>*</sup><i>Dago-dêvo-s</i> ou «bon dieu,» roi des
-<i>Tûatha Dê Danann</i>, est le Zeus ou l'Ormazd de la
-mythologie irlandaise; les <i>Tûatha Dê Danann</i> «ou gens
-du dieu (<sup>*</sup><i>dêvi</i>) [fils] de Dana,» ne sont autre chose
-que les <i>Dêva</i> de l'Inde, les dieux du jour, de la lumière
-et de la vie. Le nom des <i>Fomôre</i>, adversaires des
-Tûatha Dê Danann, désigne en Irlande un groupe
-mythique semblable aux <i>Asura</i> indiens, aux Titans
-grecs; leur chef, Bress, Balar ou Téthra, est issu d'une
-conception mythique originairement identique à celle
-qui a produit: le Kronos grec, l'Ahriman des Iraniens,
-le Yama védique, roi des morts, père des dieux;
-Tvashtri, dieu père dans le <i>Vêda</i>; enfin, le Varuna
-védique, dieu suprême primitif supplanté par Indra.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_16" id="Page_16">[Pg 16]</a></span></p>
-<h3><a id="I_7"></a>§ 7.<br />
-
-<i>Le roi des morts et le séjour des morts dans la mythologie
-irlandaise, dans la mythologie grecque et dans
-celle des</i> Vêda.</h3>
-
-<p>Téthra, chef des Fomôré, vaincu dans la bataille
-de Mag-Tured, devient roi des morts dans la région
-mystérieuse qu'ils habitent au delà de l'Océan<a name="NoteRef_32" id="NoteRef_32"></a><a href="#Note_32" class="fnanchor">[1]</a>.
-De même le Kronos grec, vaincu dans la bataille de
-Zeus contre les Titans, règne dans les îles lointaines
-des Tout-Puissants ou des Bienheureux, sur les héros
-défunts qui ont combattu à Thèbes et à Troie.</p>
-
-<p>L'idée du règne de Kronos sur les héros morts se
-présente à nous pour la première fois dans les <i>Travaux
-et les Jours</i> d'Hésiode, vers 169<a name="NoteRef_33" id="NoteRef_33"></a><a href="#Note_33" class="fnanchor">[2]</a>; et certains
-critiques ont prétendu supprimer ce vers
-comme renfermant une contradiction avec le passage
-de la Théogonie qui donne le Tartare comme séjour
-au même Kronos<a name="NoteRef_34" id="NoteRef_34"></a><a href="#Note_34" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-<p>Le Tartare est une région obscure et souterraine.
-Sa description lugubre, telle que nous la donne la
-<span class="pagenum"><a name="Page_17" id="Page_17">[Pg 17]</a></span><i>Théogonie</i><a name="NoteRef_35" id="NoteRef_35"></a><a href="#Note_35" class="fnanchor">[4]</a>, ne peut concorder avec la description
-des îles séduisantes qui, dans les <i>Travaux et les Jours</i>
-deviennent le domaine de Kronos vaincu. Mais entre
-la composition de la <i>Théogonie</i> d'Hésiode et celle
-du poème des <i>Travaux et des Jours</i>, attribué au
-même auteur, il y a eu, dans la mythologie grecque,
-une évolution où la conception de la destinée de
-l'homme après la mort s'est sensiblement modifiée.</p>
-
-<p>L'<i>Iliade</i> et la partie la plus ancienne de l'<i>Odyssée</i>
-ne connaissent pour les morts d'autre séjour que
-l'Aïdès obscur<a name="NoteRef_36" id="NoteRef_36"></a><a href="#Note_36" class="fnanchor">[5]</a> et souterrain<a name="NoteRef_37" id="NoteRef_37"></a><a href="#Note_37" class="fnanchor">[6]</a>, dont un autre
-nom est Erèbe. De l'Aïdès, ou domaine du dieu
-Aïdès, l'<i>Iliade</i> distingue le Tartare, qui est également
-situé dans les profondeurs de la terre, mais
-bien plus bas. Il y a autant de distance de l'Aïdès au
-Tartare que de la terre à l'Aïdès<a name="NoteRef_38" id="NoteRef_38"></a><a href="#Note_38" class="fnanchor">[7]</a>. C'est dans le
-Tartare que demeurent les Titans<a name="NoteRef_39" id="NoteRef_39"></a><a href="#Note_39" class="fnanchor">[8]</a>, et parmi eux
-Kronos, privé comme eux de la lumière du soleil<a name="NoteRef_40" id="NoteRef_40"></a><a href="#Note_40" class="fnanchor">[9]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_18" id="Page_18">[Pg 18]</a></span>On trouve la même doctrine dans la <i>Théogonie</i>, à
-cette différence près que l'Aïdès et le Tartare, distincts
-dans l'<i>Iliade</i>, paraissent se confondre l'un
-avec l'autre dans le poème d'Hésiode. Le Tartare
-n'est plus seulement le séjour des Titans et de Kronos
-vaincu par Zeus<a name="NoteRef_41" id="NoteRef_41"></a><a href="#Note_41" class="fnanchor">[10]</a>, il est aussi la demeure du dieu
-qui personnifie l'Aïdès homérique<a name="NoteRef_42" id="NoteRef_42"></a><a href="#Note_42" class="fnanchor">[11]</a>; du dieu qui,
-dans les entrailles de la terre, règne sur les
-morts<a name="NoteRef_43" id="NoteRef_43"></a><a href="#Note_43" class="fnanchor">[12]</a>. Cette lugubre habitation des morts et des
-dieux vaincus a une entrée que l'on se figure au
-nord-ouest au delà du fleuve Océan<a name="NoteRef_44" id="NoteRef_44"></a><a href="#Note_44" class="fnanchor">[13]</a>.</p>
-
-<p>Vers la fin du septième siècle avant notre ère,
-l'Océan, qui n'était pour les Grecs qu'une conception
-mythique, un cours d'eau créé par l'imagination, devint
-pour eux une conception géographique. On sait
-comment le hasard fit découvrir à un navire samien
-<span class="pagenum"><a name="Page_19" id="Page_19">[Pg 19]</a></span>les côtes sud-ouest de l'Espagne, baignées par
-l'océan Atlantique, et que jusque-là, seuls parmi les
-populations méditerranéennes, les Phéniciens avaient
-fréquentées<a name="NoteRef_45" id="NoteRef_45"></a><a href="#Note_45" class="fnanchor">[14]</a>. Ce grand événement fait partie du
-récit des événements, tant historiques que légendaires,
-qui préparèrent la fondation de Cyrène, de
-l'an 633 à l'an 626 avant notre ère<a name="NoteRef_46" id="NoteRef_46"></a><a href="#Note_46" class="fnanchor">[15]</a>.</p>
-
-<p>Dès lors, les Grecs se figurèrent l'Océan non plus
-comme un fleuve entourant le monde, mais comme
-une masse d'eau immense, aux limites inconnues
-située principalement à l'ouest de l'Europe et de
-l'Afrique. De là naquit une conception nouvelle du
-séjour des morts et de Kronos. De là, dans la partie
-la plus moderne de l'<i>Odyssée</i>, dans la <i>Télémachie</i>,
-l'idée de la plaine à laquelle on donne le nom d'<i>Elusion</i>,
-où habite le blond Rhadamanthus, où de
-l'Océan souffle le vent du nord-ouest, et où Ménélas
-trouvera l'immortalité<a name="NoteRef_47" id="NoteRef_47"></a><a href="#Note_47" class="fnanchor">[16]</a>. De là, la croyance aux
-îles des Tout-Puissants ou des Bienheureux, royaume
-de Kronos dans le poème des <i>Travaux et des
-Jours</i><a name="NoteRef_48" id="NoteRef_48"></a><a href="#Note_48" class="fnanchor">[17]</a>.</p>
-
-<p>Dans la seconde olympique de Pindare, qui célèbre
-une victoire remportée aux jeux d'Olympie en 476,
-la plaine <i>Elusion</i> et les îles des Tout-Puissants ou des
-Bienheureux se confondent et ne forment qu'une île
-où est la forteresse de Kronos, qui a Rhadamanthus
-<span class="pagenum"><a name="Page_20" id="Page_20">[Pg 20]</a></span>pour associé<a name="NoteRef_49" id="NoteRef_49"></a><a href="#Note_49" class="fnanchor">[18]</a>. Cette doctrine nouvelle est identique
-à la doctrine celtique et représente, dans
-l'histoire des peuples européens un âge historique
-tout différent de celui auquel appartient la doctrine
-du Tartare et de l'Aïdès telle qu'on la trouve dans
-l'<i>Iliade</i> et dans la partie la plus ancienne de l'<i>Odyssée</i>.</p>
-
-<p>Il n'y a pas à s'arrêter à la conception plus récente
-dans laquelle Platon fait du Tartare le lieu de
-punition des méchants, et des îles des Bienheureux
-le lieu où les justes trouvent leur récompense<a name="NoteRef_50" id="NoteRef_50"></a><a href="#Note_50" class="fnanchor">[19]</a>.
-C'est un système philosophique postérieur à la mythologie
-populaire primitive. L'Aïdès homérique renferme,
-sans distinction, tous les défunts bons ou
-mauvais, vertueux ou coupables.</p>
-
-<p>L'important, pour nous, est de retrouver dans la
-mythologie irlandaise, dont les doctrines fondamentales
-peuvent être appelées, d'une façon plus générale,
-mythologie celtique, des conceptions qui ont
-aussi tenu, dans la mythologie grecque, une place
-considérable. Les Celtes ont eu un dieu identique au
-Kronos grec. Ce dieu celtique s'appelle en Irlande
-Tethra. Vaincu et chassé, comme Kronos, par un
-autre dieu plus puissant et plus heureux, il règne,
-comme Kronos, au delà de l'Océan, sur les morts,
-dans la nouvelle et séduisante patrie que leur assigne
-la mythologie celtique, d'accord avec les
-<span class="pagenum"><a name="Page_21" id="Page_21">[Pg 21]</a></span>croyances du second âge de la mythologie grecque.</p>
-
-<p>La mythologie védique nous offre une conception
-analogue. Le dieu des morts et de la nuit, Yama ou
-Varuna, a été vaincu par Indra, son fils, dieu du
-jour; Yama et Varuna sont, au fonds des choses et
-sauf certains détails, une création mythique qui ne
-diffère pas du Tethra irlandais. Mais les Celtes placent
-le séjour des morts dans un lieu tout autre que
-les chantres védiques, puisque ceux-ci donnent pour
-habitation aux morts le ciel ou même le soleil<a name="NoteRef_51" id="NoteRef_51"></a><a href="#Note_51" class="fnanchor">[20]</a>.
-Ils n'avaient pas comme les Celtes l'idée de cet océan
-immense où tous les soirs l'astre du jour, perdant sa
-lumière et la vie, trouve un tombeau jusqu'au lendemain.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_32" id="Note_32"></a><a href="#NoteRef_32"><span class="label">[1]</span></a> <i>Echtra Condla Chaim</i>, chez Windisch, <i>Kurzgefasste irische
-Grammatik</i>, p. 120, lignes 1&ndash;4.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_33" id="Note_33"></a><a href="#NoteRef_33"><span class="label">[2]</span></a></p>
-
-<p class="poem">
-<span style="margin-left: 12em;">.......... ἐς πείρατα γαίης</span><br />
-τηλοῦ ἀπ ᾿ἀθανάτων · τοῖσιν Κρόνος ἐμβασιλεύει.<br />
-<span style="margin-left: 6em;">
-Hésiode, <i>Les Travaux et les Jours</i>, vers 168&ndash;169.</span></p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_34" id="Note_34"></a><a href="#NoteRef_34"><span class="label">[3]</span></a></p>
-<p class="poem">Τιτῆνες θ᾽ὑποταρτάριοι, Κρόνον ἀμφὶς ἐόντες.<br />
-<span style="margin-left: 6em;">
-Hésiode, <i>Théogonie</i>, vers 851.</span></p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_35" id="Note_35"></a><a href="#NoteRef_35"><span class="label">[4]</span></a> Hésiode, <i>Théogonie</i>, vers 721 et suivants.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_36" id="Note_36"></a><a href="#NoteRef_36"><span class="label">[5]</span></a> Τέκνον ἐμὸν, πῶς ἦλθες ὑπὸ ζόφον ἠερόεντα, dit la mère d'Ulysse
-à son fils. <i>Odyssée</i>, XI, 155. Αΐδης, ἐνέροισιν ἀνάσσων..... ἔλαχε ζόφον
-ἠερόεντα, <i>Iliade</i>, XV, 188, 191.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_37" id="Note_37"></a><a href="#NoteRef_37"><span class="label">[6]</span></a> <i>Iliade</i>, XX, 57&ndash;65. Poseidaon, dieu de la mer, l'ébranle par
-une tempête qui fait trembler la terre, et Aïdès, le dieu des morts,
-craint que la terre ne se déchire au-dessus de lui.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_38" id="Note_38"></a><a href="#NoteRef_38"><span class="label">[7]</span></a> <i>Iliade</i>, VIII, 13&ndash;16.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_39" id="Note_39"></a><a href="#NoteRef_39"><span class="label">[8]</span></a></p>
-<p class="poem">τοὺς ὑποταρταρίους οἳ Τιτῆνες καλέονται.<br />
-<span style="margin-left: 6em;">
-<i>Iliade</i>, XIV, 279.</span></p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_40" id="Note_40"></a><a href="#NoteRef_40"><span class="label">[9]</span></a></p>
-<p class="poem"><span style="margin-left: 4em;">.......&nbsp; ἳν Ἰαπετός τε Κρόνος τε</span><br />
-ἥμενοι, οὔτ᾽ αὐγῆς ὑπερίονος ἠελίοιο<br />
-τέρποντ´ οὔτ´ ἀνέμοισι, βαθὺς δέ τε Τάρταρος ἀμφίς.<br /></p>
-<p><i>Iliade</i>, VIII, 479&ndash;481; cf. <i>Hymne à Apollon</i>, vers 335, 336:</p>
-
-<p class="poem">
-Τιτῆνές τε θεοί, τοὶ ὑπὸ χθονὶ ναιετάοντες<br />
-Τάρταρον ἀμφὶ μέγαν, τῶν ἐξ ἄνδρες τε θεοί τε.<br />
-</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_41" id="Note_41"></a><a href="#NoteRef_41"><span class="label">[10]</span></a> <i>Théogonie</i>, vers 717&ndash;733, 851.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_42" id="Note_42"></a><a href="#NoteRef_42"><span class="label">[11]</span></a></p>
-<p class="poem">Ἔνθα δὲ γῆς δνοφερῆς καὶ Ταρτάρου ἠερόεντος<br />
-. . . . . . . . . . . .<br />
-ἔνθα θεοῦ χθονίου πρόσθεν δόμοι ἠχήεντες<br />
-ἰφθίμου τ´ Ἀΐδεω καὶ ἐπαινῆς Περσεφονείης<br />
-ἑστᾶσιν......<br />
-<span style="margin-left: 6em;">
-<i>Théogonie</i>, vers 736&ndash;769.</span></p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_43" id="Note_43"></a><a href="#NoteRef_43"><span class="label">[12]</span></a></p>
-<p class="poem">...... Ἀΐδης, ἐνέροισι καταφθιμένοισιν ἀνάσσων.<br />
-<span style="margin-left: 6em;">
-<i>Théogonie</i>, vers 850.</span></p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_44" id="Note_44"></a><a href="#NoteRef_44"><span class="label">[13]</span></a></p>
-<p class="poem">«Ἡ δ´ ἐς πείρατ´ ἴκανε βαθυρρόου Ὠκεανοῖο<br />
-.....<br />
-............. παρὰ ῥόον Ὠκεανοῖο<br />
-ᾔομεν...<br />
-Τὴν δὲ κατ´ Ὠκεανὸν ποταμὸν φέρε κῦμα ῥόοιο.» <i>Odyssée</i>, XI, vers<br />
-13&ndash;22, 639; cf. XII, vers 1 et 2.<br />
-</p>
-</div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_45" id="Note_45"></a><a href="#NoteRef_45"><span class="label">[14]</span></a> Hérodote, livre IV, chap. 152, §§ 2 et 3.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_46" id="Note_46"></a><a href="#NoteRef_46"><span class="label">[15]</span></a> Max Duncker, <i>Geschichte des Alterthums</i>, t. VI, 1882, p. 266.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_47" id="Note_47"></a><a href="#NoteRef_47"><span class="label">[16]</span></a> <i>Odyssée</i>, IV, 563&ndash;569.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_48" id="Note_48"></a><a href="#NoteRef_48"><span class="label">[17]</span></a> <i>Opera et dies</i>, 166&ndash;171.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_49" id="Note_49"></a><a href="#NoteRef_49"><span class="label">[18]</span></a> <i>Pindari carmina</i>, édition Schneidewin, t. I, p. 17 et 18, vers 70
-et suivants.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_50" id="Note_50"></a><a href="#NoteRef_50"><span class="label">[19]</span></a> Gorgias, chap. 79, <i>Platonis opera</i>, édition Didot-Hirschig, t. I,
-p. 384.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_51" id="Note_51"></a><a href="#NoteRef_51"><span class="label">[20]</span></a> Abel Bergaigne, <i>La religion védique</i>, t. I, p. 74, 81, 85, 88;
-t. III, p. 111&ndash;120.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="I_8"></a>§ 8.<br />
-
-<i>Les sources de la mythologie irlandaise.</i></h3>
-
-<p>Dans notre exposé des traditions mythologiques
-irlandaises, nous suivrons le plan consacré par les
-plus vieux usages et que nous fait connaître la liste
-des migrations conservée dans les catalogues des
-histoires racontées par les <i>file</i>. Malheureusement
-nous n'avons plus les sept pièces dont ces catalogues
-nous ont transmis les titres. Mais une composition
-irlandaise du onzième siècle, le «Livre des conquêtes,»
-<i>Lebar Gabala</i>, nous en a gardé un abrégé.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_22" id="Page_22">[Pg 22]</a></span>Nous prendrons cet abrégé pour base, en le complétant
-et en en contrôlant les assertions à l'aide de
-divers auteurs tant irlandais qu'étrangers. Les étrangers
-sont d'abord l'auteur de la compilation attribuée
-à Nennius; il écrivait probablement au dixième siècle<a name="NoteRef_52" id="NoteRef_52"></a><a href="#Note_52" class="fnanchor">[1]</a>,
-et chez lui on trouve un résumé fort curieux,
-bien que malheureusement trop court, des croyances
-mythologiques admises en Irlande à cette époque.
-Vient ensuite Girauld de Cambrie, qui a écrit sa
-<i>Topographia hibernica</i> à la fin du douzième siècle.
-Les auteurs irlandais sont des chroniqueurs et des
-poètes.</p>
-
-<p>Parmi les chroniqueurs, un des plus intéressants
-est Keating, bien précieux malgré la date récente
-de son livre, qui ne remonte qu'à la première moitié
-du dix-septième siècle. Mais l'auteur avait à sa disposition
-des matériaux qui ont été anéantis dans les
-guerres désastreuses dont l'Irlande a été dans le
-même siècle le théâtre et la victime. Le poète le plus
-important est Eochaid ûa Flainn, mort en 984, et
-par conséquent postérieur de peu d'années à Nennius.
-Ses œuvres auraient un plus grand intérêt si
-<span class="pagenum"><a name="Page_23" id="Page_23">[Pg 23]</a></span>elles n'étaient si courtes et sans l'excès d'une concision
-qui produit souvent l'obscurité.</p>
-
-<p>Pour rendre plus claire et plus complète l'idée que
-les Irlandais païens se formaient de leurs dieux,
-nous terminerons par une excursion dans les cycles
-héroïques. Nous dirons quelques mots des relations
-que, suivant la légende, les héros ont eues avec les
-dieux, et nous verrons ces relations mythiques se
-continuer jusqu'à des temps postérieurs à saint Patrice,
-c'est-à-dire postérieurs au milieu du cinquième
-siècle, où l'on place en général la conversion des
-Irlandais au christianisme.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_52" id="Note_52"></a><a href="#NoteRef_52"><span class="label">[1]</span></a> Depuis que ces lignes sont écrites, j'ai reçu, de l'obligeance
-amicale de M. de La Borderie, un exemplaire de son savant ouvrage
-intitulé:<i> Etudes historiques bretonnes, l'</i>historia Britonum <i>attribuée
-à Nennius</i>. Il résulte des recherches de M. de La Borderie qu'une
-partie du livre composé, dit-on, par Nennius existait déjà au <span class="smcap">ix</span><sup>e</sup> siècle,
-et que ce livre a été depuis interpolé. La partie relative à la mythologie
-irlandaise appartient-elle à la rédaction primitive? est-ce une
-des additions? La solution de cette question me paraît incertaine.</p></div>
-
-
-<hr class="chap" />
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_24" id="Page_24">[Pg 24]</a></span></p>
-
-<h2>CHAPITRE II.<br />
-
-ÉMIGRATION DE PARTHOLON.</h2>
-
-<p><a href="#II_1">§1</a>. La race de Partholon en Irlande. La race d'argent dans la mythologie
-d'Hésiode.&mdash;<a href="#II_2">§2</a>. La doctrine celtique sur l'origine de
-l'homme.&mdash;<a href="#II_3">§3</a>. La création du monde dans la mythologie celtique
-telle que nous l'a conservée la légende de Partholon.&mdash;<a href="#II_4">§4</a>.
-Lutte de la race de Partholon contre les Fomôré.&mdash;<a href="#II_5">§5</a>. Suite
-de la légende de Partholon. La première jalousie, le premier duel.&mdash;<a href="#II_6">§6</a>.
-Fin de la race de Partholon.&mdash;<a href="#II_7">§7</a>. La chronologie et la légende de Partholon.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="II_1"></a>§ 1.<br />
-
-<i>La race de Partholon en Irlande.&mdash;La race d'argent
-dans la mythologie d'Hésiode.</i></h3>
-
-<p>Des trois races qui, suivant la mythologie grecque,
-ont successivement habité le monde avant les
-héros des guerres de Troie et de Thèbes, la seconde
-en date est la race d'argent, dont le caractère dominant
-était le défaut d'intelligence. L'éducation des
-enfants durait un siècle, et, malgré les soins attentifs
-des mères, la sottise des enfants persistait chez
-<span class="pagenum"><a name="Page_25" id="Page_25">[Pg 25]</a></span>l'homme mûr et remplissait de maux le court espace
-de temps qui lui restait à vivre<a name="NoteRef_53" id="NoteRef_53"></a><a href="#Note_53" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>La race d'argent est identique à celle que les documents
-irlandais les plus anciens placent au début
-de l'histoire mythique de leur pays. Ils lui donnent
-le nom de «famille de Partholon<a name="NoteRef_54" id="NoteRef_54"></a><a href="#Note_54" class="fnanchor">[2]</a>.» Comme la
-race d'argent des Grecs, la famille de Partholon se
-distingue par son ineptie<a name="NoteRef_55" id="NoteRef_55"></a><a href="#Note_55" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-<p>La première liste des histoires épiques d'Irlande
-est le plus ancien document où nous rencontrions
-le nom de Partholon. On y lit le titre: «Emigration
-de Partholon.» La rédaction de cette liste paraît
-dater des environs de l'an 700 après Jésus-Christ.
-Ensuite le texte le plus ancien que nous ayons sur
-Partholon est un passage de l'Histoire des Bretons de
-Nennius, qui semble avoir été écrit au plus tard au
-<span class="pagenum"><a name="Page_26" id="Page_26">[Pg 26]</a></span>dixième siècle. «En dernier lieu, y lisons-nous, les
-Scots venant d'Espagne arrivèrent en Irlande. Le
-premier fut Partholon, qui amenait avec lui mille
-compagnons, tant hommes que femmes. Leur
-nombre, s'accroissant, atteignit quatre mille hommes;
-puis une maladie épidémique les attaqua,
-et ils moururent en une semaine, en sorte qu'il
-n'en resta pas un<a name="NoteRef_56" id="NoteRef_56"></a><a href="#Note_56" class="fnanchor">[4]</a>.»</p>
-
-<p>Ce court sommaire renferme une inexactitude.
-Nous verrons que, suivant la fable irlandaise, un
-des compagnons de Partholon échappa au désastre
-final, et que son témoignage conserva la mémoire
-des événements mythiques qui forment l'histoire de
-cette légendaire et primitive colonisation de l'Irlande.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_53" id="Note_53"></a><a href="#NoteRef_53"><span class="label">[1]</span></a> Hésiode, <i>Les Travaux et les Jours</i>, vers 130&ndash;134.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_54" id="Note_54"></a><a href="#NoteRef_54"><span class="label">[2]</span></a> <i>Muinter Parthaloin Chronicum Scotorum</i>, édition Hennessy,
-p. 8. Par une coïncidence fortuite, ce nom irlandais, dont le P initial
-ne diffère que graphiquement du B, offre un son identique à
-celui qu'a pris en irlandais le nom de l'apôtre Barthélémy. Entre la
-légende de ce saint et celle du personnage mythique irlandais, il
-n'y a aucun rapport. Partholon, aussi écrit «Bartholan,» semble
-être un composé dont le premier terme bar signifierait «mer»
-(Whitley Stokes, <i>Sanas Chormaic</i>, p. 28). Le second terme <i>tolon</i>,
-en suivant une autre orthographe <i>tolan</i>, paraît être un dérivé de
-<i>tola</i> «ondes, flots». Ainsi Partholon signifierait «qui a rapport aux
-flots de la mer». C'est ce que répète en d'autres termes sa généalogie;
-car, suivant elle, il descend de <i>Baath</i> (<i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 1,
-col. 1, ligne 24), dont le nom veut dire aussi «mer.» Voyez <i>Glossaire</i>
-d'O'Cléry et <i>Glossaire</i> de Cormac, au mot <i>Bâth</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_55" id="Note_55"></a><a href="#NoteRef_55"><span class="label">[3]</span></a> Voir, dans le chapitre suivant, <a href="#III_3">§ 3</a> (p. 50), comment s'explique
-sur elle Tûan mac Cairill.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_56" id="Note_56"></a><a href="#NoteRef_56"><span class="label">[4]</span></a> «Novissime autem Scoti venerunt de partibus Hispaniæ ad
-Hiberniam. Primus autem venit Partholonus cum mille hominibus,
-viris scilicet et mulieribus, et creverunt usque ad quatuor millia
-hominum, venitque mortalitas super eos, et in una septimana perierunt,
-ita ut ne unus quidem remaneret ex illis.» <i>Appendix ad opera
-edita ab Angelo Maio</i>. Rome, 1871, p. 98.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="II_2"></a>§ 2.<br />
-<i>La doctrine celtique sur l'origine de l'homme.</i></h3>
-
-<p>Un fait curieux, qui résulte du texte de Nennius,
-est que dès le dixième siècle l'évhémérisme irlandais
-avait changé le caractère de la mythologie celtique.
-La doctrine celtique est que les hommes ont pour
-<span class="pagenum"><a name="Page_27" id="Page_27">[Pg 27]</a></span>premier ancêtre le dieu de la mort<a name="NoteRef_57" id="NoteRef_57"></a><a href="#Note_57" class="fnanchor">[1]</a>, et ce dieu
-habite une région lointaine au delà de l'Océan; il a
-pour demeure ces «îles extrêmes,» d'où, suivant
-renseignement druidique, une partie des habitants
-de la Gaule était arrivée directement<a name="NoteRef_58" id="NoteRef_58"></a><a href="#Note_58" class="fnanchor">[2]</a>. La notion
-de cette région mythique, où l'ancêtre des hommes
-règne sur les morts, appartient en commun à la mythologie
-grecque et à la mythologie celtique. Chez
-Hésiode, les héros qui ont péri dans la guerre de
-Thèbes et dans celle de Troie ont trouvé une seconde
-existence «aux extrémités de la terre, loin des immortels.
-Kronos règne sur eux. Ils vivent, l'esprit
-libre de souci, dans les îles des Tout-Puissants et
-des Bienheureux, près de l'Océan aux gouffres
-profonds<a name="NoteRef_59" id="NoteRef_59"></a><a href="#Note_59" class="fnanchor">[3]</a>.»</p>
-
-<p>Or, Kronos, sous le sceptre duquel ces guerriers
-défunts trouvent les joies d'une vie meilleure que la
-première, est l'ancêtre primitif auquel ces illustres
-héros et la race grecque toute entière font remonter
-leur origine. Kronos est père de Zeus, et Zeus, surnommé
-le père, «Zeus, maître de tous les dieux,
-amoureusement uni à Pandore, a engendré le belliqueux
-Graicos<a name="NoteRef_60" id="NoteRef_60"></a><a href="#Note_60" class="fnanchor">[4]</a>» d'où la race grecque est descendue.
-<span class="pagenum"><a name="Page_28" id="Page_28">[Pg 28]</a></span>Il y a donc une grande analogie, sur ce
-point, entre la mythologie grecque et la mythologie
-celtique.</p>
-
-<p>Dans les croyances celtiques, les morts vont habiter
-au delà de l'Océan, au sud-ouest, là où le soleil
-se couche pendant la plus grande partie de l'année,
-une région merveilleuse dont les joies et les séductions
-surpassent de beaucoup celles de ce monde-ci.
-C'est de ce pays mystérieux que les hommes sont
-originaires. On l'appelle en irlandais <i>tire beo</i>, ou
-«terres des vivants,» <i>tir n-aill</i>, ou «l'autre
-terre,» <i>mag mâr</i><a name="NoteRef_61" id="NoteRef_61"></a><a href="#Note_61" class="fnanchor">[5]</a>, ou «grande plaine,» et
-aussi <i>mag meld</i><a name="NoteRef_62" id="NoteRef_62"></a><a href="#Note_62" class="fnanchor">[6]</a>, «plaine agréable.» A ce nom
-païen, auquel rien ne correspondait dans les croyances
-<span class="pagenum"><a name="Page_29" id="Page_29">[Pg 29]</a></span>chrétiennes, l'évhémérisme des annalistes chrétiens
-de l'Irlande substitua le nom latin de la péninsule
-ibérique, <i>Hispania</i>. Dès le dixième siècle, où écrivait
-Nennius, ce nom, étranger à la langue géographique
-de l'Irlande primitive, avait pénétré dans la légende
-de Partholon; et c'était alors d'Espagne, et non du
-pays des morts, qu'on faisait arriver avec ses compagnons
-ce chef mythique des premiers habitants de
-l'île<a name="NoteRef_63" id="NoteRef_63"></a><a href="#Note_63" class="fnanchor">[7]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_57" id="Note_57"></a><a href="#NoteRef_57"><span class="label">[1]</span></a> «Galli se omnes ab Dite patre prognatos prædicant, idque a
-druidibus proditum dicunt.» César, <i>De bello gallico</i>, l. VI, ch. 18, § 1.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_58" id="Note_58"></a><a href="#NoteRef_58"><span class="label">[2]</span></a> «Alios quoque ab insulis extimis confluxisse.» Timagène chez
-Ammien Marcellin, l. XV, chap. 9, § 4; édit. Teubner-Gardthausen,
-t. I, p. 68.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_59" id="Note_59"></a><a href="#NoteRef_59"><span class="label">[3]</span></a> Hésiode, <i>Les Travaux et les Jours</i>, vers 168&ndash;171.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_60" id="Note_60"></a><a href="#NoteRef_60"><span class="label">[4]</span></a></p>
-<p class="poem">«Πανδώρη, Διὶ πατρὶ, θεῶν σημάντορι πάντων,<br />
-μιχθδῖσ᾽ ἐν φιλότητι, τέκε Γραῖκον μενεχάρμην.»<br />
-</p>
-
-<p>
-Hésiode, <i>Catalogues</i>, fragment 20, édition Didot, p. 49. A côté
-de cette doctrine, il y en a une autre qui fait descendre les Grecs
-de Iapétos. Mais si, dans cette autre conception mythologique,
-Iapétos se distingue de Kronos, premier ancêtre des dieux, tandis
-que Iapétos est le premier ancêtre des hommes, Iapétos s'offre à
-nous comme une sorte de doublet de Kronos: il a le même père
-et la même mère, <i>Théogonie</i>, vers 134, 137; il est, avec les autres
-Titans, le compagnon de sa défaite, et il l'accompagne dans son exil;
-comme les autres Titans, il habite avec lui le Tartare, <i>Iliade</i>, VIII,
-479; XIV, 279; <i>Hymne à Apollon</i>, vers 335&ndash;339; <i>Théogonie</i>, vers
-630&ndash;735.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_61" id="Note_61"></a><a href="#NoteRef_61"><span class="label">[5]</span></a> On trouve les deux premiers noms dans la pièce intitulée
-<i>Echtra Condla</i>, Windisch, <i>Kurzgefasste irische Grammatik</i>, p. 119,
-120; <i>Mag môr</i>, dans <i>Tochmarc Etaine</i>, chez Windisch, <i>Irische Texte</i>,
-p. 132, dernière ligne.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_62" id="Note_62"></a><a href="#NoteRef_62"><span class="label">[6]</span></a> Co-t-gairim do Maig Mell, pièce intitulée <i>Echtra Condla</i>, chez
-Windisch, <i>Kurzgefasste irische Grammatik</i>, p. 119; cf. <i>Serglige Conculainn</i>,
-chez Windisch, <i>Irische Texte</i>, p. 209, ligne 30; et 214,
-note 24.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_63" id="Note_63"></a><a href="#NoteRef_63"><span class="label">[7]</span></a> Novissime autem Scoti venerunt a partibus Hispaniæ in Hiberniam.
-Primus autem venit Partholanus.» <i>Historia Britonum</i>,
-attribuée à Nennius, dans <i>Appendix ad opera edita ab Angelo Maio</i>.
-Romæ, 1871, p. 98. La légende est encore plus défigurée chez Keating.
-Suivant cet auteur, Partholon arrive par mer de Mygdonie en
-Grèce; il parcourt la Méditerranée, pénètre dans l'Océan, côtoie
-l'Espagne en la laissant à droite, et débarque sur la côte sud-ouest
-de l'Irlande. Un débris de la légende primitive est conservé par la
-généalogie qui fait Partholon fils de Baath, c'est-à-dire de la Mer.
-Voir plus haut, <a href="#Page_25">p. 25</a>, note 2. «Fils de la mer» est une formule
-poétique qui signifie «originaire d'une île de la mer.»</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="II_3"></a>§ 3.<br />
-
-<i>La création du monde dans la mythologie celtique telle
-que nous l'a conservée la légende de Partholon.</i></h3>
-
-<p>Dans les sources irlandaises, la légende de Partholon
-est beaucoup plus développée que chez Nennius.</p>
-
-<p>La doctrine celtique sur le commencement du
-monde, telle qu'elle nous est parvenue dans les récits
-irlandais, ne contient aucun enseignement sur
-<span class="pagenum"><a name="Page_30" id="Page_30">[Pg 30]</a></span>l'origine de la matière<a name="NoteRef_64" id="NoteRef_64"></a><a href="#Note_64" class="fnanchor">[1]</a>; mais elle nous représente
-la terre prenant sa forme actuelle peu à peu et sous
-les yeux des diverses races humaines qui s'y sont
-succédé. Ainsi, quand arriva Partholon, il n'y avait
-en Irlande que trois lacs, que neuf rivières et qu'une
-seule plaine. Aux trois lacs, dont nous trouvons les
-noms dans un poème d'Eochaid ûa Flainn, mort en
-984, sept autres s'ajoutèrent du vivant de Partholon;
-Eochaid nous apprend aussi leurs noms<a name="NoteRef_65" id="NoteRef_65"></a><a href="#Note_65" class="fnanchor">[2]</a>. Une
-légende nous raconte l'origine d'un de ces lacs.
-Partholon avait trois fils, dont l'un s'appelait Rudraige.
-Rudraige mourut; en creusant sa fosse, on
-fît jaillir une source; cette source était si abondante
-qu'il en résulta un lac, et on appela ce lac Loch
-Rudraige<a name="NoteRef_66" id="NoteRef_66"></a><a href="#Note_66" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-<p>Du temps de Partholon, le nombre des plaines
-s'éleva de un à quatre. L'unique plaine qui existât
-en Irlande s'appelait <i>Sen Mag</i>, «la vieille plaine.»
-Quand Partholon et ses compagnons arrivèrent en
-Irlande, il n'y avait dans cette plaine «ni racine ni
-rameau d'arbre<a name="NoteRef_67" id="NoteRef_67"></a><a href="#Note_67" class="fnanchor">[4]</a>.» A cette plaine unique, les enfants
-de Partholon en ajoutèrent trois autres par des défrichements,
-dit la légende sous la forme évhémériste
-<span class="pagenum"><a name="Page_31" id="Page_31">[Pg 31]</a></span>qui nous est parvenue<a name="NoteRef_68" id="NoteRef_68"></a><a href="#Note_68" class="fnanchor">[5]</a>; mais le texte primitif
-parlait certainement de la formation de ces
-plaines comme d'un phénomène spontané ou miraculeux<a name="NoteRef_69" id="NoteRef_69"></a><a href="#Note_69" class="fnanchor">[6]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_64" id="Note_64"></a><a href="#NoteRef_64"><span class="label">[1]</span></a> Chez les chrétiens irlandais, le terme consacré pour désigner
-la matière en tant que créée est <i>duil</i>, génitif <i>dulo</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_65" id="Note_65"></a><a href="#NoteRef_65"><span class="label">[2]</span></a> Livre de Leinster, p. 5, col. 2, lignes 29&ndash;33, 37, 38.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_66" id="Note_66"></a><a href="#NoteRef_66"><span class="label">[3]</span></a> Livre de Leinster, p. 5, col. 1, lignes 15&ndash;16. <i>Chronicum Scotorum</i>,
-édition Hennessy, p. 6.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_67" id="Note_67"></a><a href="#NoteRef_67"><span class="label">[4]</span></a> «Ni frith frêm na flesc feda.» Poème d'Eochaid ua Flainn,
-Livre de Leinster, p. 5, col. 2, ligne 48.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_68" id="Note_68"></a><a href="#NoteRef_68"><span class="label">[5]</span></a> Poème d'Eochaid ûa Flainn, déjà cité dans le Livre de Leinster,
-p. 5, col. 2, lignes 26&ndash;28. Le nombre des plaines nouvelles est
-de quatre dans la prose du <i>Lebar Gabala</i>, Livre de Leinster, p. 5,
-col. 1, lignes 34&ndash;36, et chez Girauld de Cambrie, <i>Topographia hibernica</i>,
-III, 2, édition Dimock, p. 141, ligne 13.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_69" id="Note_69"></a><a href="#NoteRef_69"><span class="label">[6]</span></a> L'expression consacrée est que ces plaines <i>ro-slechta</i>, «furent
-battues.» Ce n'est pas le terme propre pour exprimer l'idée d'un
-défrichement, quoi qu'en ait pu dire Eochaid na Flainn:
-</p>
-<p class="poem">
-<i>Ro slechta maige a môr-chaill</i><br />
-<i>Leis ar-gaire di-a-grad-chlaind.</i><br />
-</p>
-<p class="poem">
-«Furent battues plaines hors de grand bois<br />
-«Chez lui en peu de temps par son agréable progéniture.»<br />
-<span style="margin-left: 6em;">
-Livre de Leinster, p. 5, col. 2, lignes 26 et 27.</span></p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="II_4"></a>§ 4.<br />
-
-<i>Lutte de la race de Partholon contre les Fomôré.</i></h3>
-
-<p>La race de Partholon ne pouvait se passer de
-guerre étrangère et de guerre civile. Elle eut la
-guerre étrangère contre les Fomôré auxquels elle
-livra la bataille de Mag Itha. Nous n'avons pas de
-raison pour croire que cette guerre soit une addition
-à la légende primitive. Cependant il n'est pas question
-de la bataille de Mag Itha dans le plus ancien
-catalogue de la littérature épique irlandaise. La plus
-ancienne mention que nous en connaissions appartient
-à la deuxième liste des morceaux qui composaient
-<span class="pagenum"><a name="Page_32" id="Page_32">[Pg 32]</a></span>cette littérature, et cette deuxième liste a été
-écrite dans la seconde moitié du dixième siècle.</p>
-
-<p>La bataille de Mag Itha fut livrée entre Partholon
-et un guerrier qui s'appelait Cichol Gri-cen-chos.
-<i>Cen-chos</i> veut dire «sans pieds.» Cichol était donc
-semblable à Vritra, dieu du mal, qui n'a ni pieds
-ni mains dans la mythologie védique<a name="NoteRef_70" id="NoteRef_70"></a><a href="#Note_70" class="fnanchor">[1]</a>. Des hommes
-qui n'avaient qu'une main et qu'une jambe prirent
-part au combat parmi les adversaires de Partholon.
-Ils nous rappellent l'Aja Ekapad<a name="NoteRef_71" id="NoteRef_71"></a><a href="#Note_71" class="fnanchor">[2]</a>, ou le Non-né
-au pied unique, et le Vyamsa ou démon sans épaule
-de la mythologie védique<a name="NoteRef_72" id="NoteRef_72"></a><a href="#Note_72" class="fnanchor">[3]</a>; Cichol, chef des adversaires
-de Partholon, était de la race des Fomôré<a name="NoteRef_73" id="NoteRef_73"></a><a href="#Note_73" class="fnanchor">[4]</a>,
-c'est-à-dire des dieux de la mort, du mal et de la
-nuit, plus tard vaincus par les Tûatha dê Danann ou
-dieux du jour, du bien et de la vie. La taille des
-Fomôré était gigantesque<a name="NoteRef_74" id="NoteRef_74"></a><a href="#Note_74" class="fnanchor">[5]</a>: c'étaient des démons,
-dit un auteur du <span class="smcap">xii</span><sup>e</sup> siècle<a name="NoteRef_75" id="NoteRef_75"></a><a href="#Note_75" class="fnanchor">[6]</a>. Ces ennemis de Partholon
-étaient arrivés en Irlande, rapporte un écrivain
-irlandais du <span class="smcap">xvii</span><sup>e</sup> siècle, deux cents ans avant
-Partholon dans six navires qui contenaient chacun
-cinquante hommes et cinquante femmes. Ils vivaient
-<span class="pagenum"><a name="Page_33" id="Page_33">[Pg 33]</a></span>de pêche et de chasse<a name="NoteRef_76" id="NoteRef_76"></a><a href="#Note_76" class="fnanchor">[7]</a>. Partholon remporta sur
-eux la victoire et délivra l'Irlande de l'ennemi
-étranger.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_70" id="Note_70"></a><a href="#NoteRef_70"><span class="label">[1]</span></a> Bergaigne, <i>Mythologie védique</i>, t. II, p. 202, 221.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_71" id="Note_71"></a><a href="#NoteRef_71"><span class="label">[2]</span></a> <i>Id., ibid.</i>, t. III, p. 20&ndash;25.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_72" id="Note_72"></a><a href="#NoteRef_72"><span class="label">[3]</span></a> <i>Id., ibid.</i>, t. II, p. 221.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_73" id="Note_73"></a><a href="#NoteRef_73"><span class="label">[4]</span></a> <i>Lebar Gabala</i>, dans le Livre de Leinster, p. 5, col. 1, lignes
-19&ndash;23.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_74" id="Note_74"></a><a href="#NoteRef_74"><span class="label">[5]</span></a> Girauld de Cambrie, <i>Topographia hibernica</i>, III, 2, édition
-Dimock, p. 141, ligne 27; p. 142, ligne 7.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_75" id="Note_75"></a><a href="#NoteRef_75"><span class="label">[6]</span></a> <i>Chronicum Scotorum</i>, édition Hennessy, p. 6, ligne 7.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_76" id="Note_76"></a><a href="#NoteRef_76"><span class="label">[7]</span></a> Keating, <i>Histoire d'Irlande</i>, édition de 1811, p. 166.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="II_5"></a>§ 5.<br />
-<i>Suite de la légende de Partholon. La première jalousie,
-le premier duel.</i></h3>
-
-<p>Une légende moderne raconte un des ennuis
-qu'eut cette heureux guerrier. Il surprit un jour sa
-femme en conversation criminelle avec un jeune
-homme. Il adressa à l'épouse infidèle une admonestation
-sévère. Elle lui répondit que c'était lui qui
-avait tort, et elle lui cita un quatrain dont voici la
-traduction:</p>
-
-<p class="poem">
-Miel près d'une femme, lait près d'un enfant;<br />
-Repas près d'un héros, viande près d'un chat;<br />
-Ouvrier à la maison à côté d'outils,<br />
-Homme et femme seuls ensemble, il y a grand danger.<br />
-</p>
-
-<p>Partholon, en colère, cessa de se posséder: il
-saisit le chien favori de sa femme et le lança sur le
-sol avec tant de violence que le pauvre animal périt
-broyé. Ce fut le premier acte de jalousie dont l'Irlande
-ait été le théâtre<a name="NoteRef_77a" id="NoteRef_77a"></a><a href="#Note_77a" class="fnanchor">[1]</a>. Partholon mourut quelques
-temps après. Alors l'Irlande fut pour la première
-fois le théâtre d'un duel.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_34" id="Page_34">[Pg 34]</a></span>Deux des fils de Partholon ne s'accordèrent pas;
-ils s'appelaient l'un Fer, l'autre Fergnia. Ils avaient
-deux sœurs, Iain et Ain. Fer épousa Ain, Fergnia
-prit pour femme Iain. A cette époque, en Irlande,
-tout mariage était un marché; les femmes se vendaient,
-et lors de leur premier mariage le prix de
-cette vente appartenait au père en totalité, si celui-ci
-vivait encore; quand le père était mort, une moitié
-du prix de vente de la femme appartenait au membre
-de la famille qui avait hérité de l'autorité paternelle;
-l'autre moitié revenait à la femme elle-même.
-Les deux frères Fer et Fergnia agitèrent entre eux la
-question de savoir qui d'entre eux exercerait le droit
-de chef de famille et percevrait la moitié du prix de
-vente de leurs sœurs. Ne pouvant s'entendre, ils
-eurent recours aux armes. Voilà ce que nous lisons
-dans la glose du traité de droit connu sous le nom
-de <i>Senchus Môr</i>. Suivant ce traité, quand on veut
-saisir une propriété féminine, il doit y avoir un intervalle
-de deux jours entre la signification préalable
-et l'acte de la saisie. Le délai est le même, dit ce
-texte juridique, quand les objets qu'il est question
-de saisir sont des armes qui doivent servir à un
-combat d'où doit résulter la solution d'un procès;
-et l'identité du délai résulte de ce que le premier
-duel judiciaire qui ait eu lieu en Irlande s'est livré
-à propos du droit des femmes<a name="NoteRef_77" id="NoteRef_77"></a><a href="#Note_77" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_35" id="Page_35">[Pg 35]</a></span>La glose cite à ce sujet des vers dont voici la
-traduction:</p>
-
-<p class="poem">
-Les deux fils de Partholon, sans doute,<br />
-C'est eux qui livrèrent la bataille;<br />
-Fer et Fergnia le très brave<br />
-Sont les noms des deux frères<a name="NoteRef_78" id="NoteRef_78"></a><a href="#Note_78" class="fnanchor">[3]</a>.<br />
-</p>
-
-<p>Voici la traduction d'un autre quatrain:</p>
-
-<p class="poem">
-Fer et Fergnia furent les guerriers,<br />
-Voilà ce que racontent les anciens;<br />
-Ain et Tain, qui mirent en mouvement l'armée,<br />
-Etaient deux filles principales de Partholon<a name="NoteRef_79" id="NoteRef_79"></a><a href="#Note_79" class="fnanchor">[4]</a>.<br />
-</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_77a" id="Note_77a"></a><a href="#NoteRef_77a"><span class="label">[1]</span></a> <i>Id., ibid.</i>, p. 164, 166.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_77" id="Note_77"></a><a href="#NoteRef_77"><span class="label">[2]</span></a> «Athgabail aile ... im dingbâil m-bantellaig ... im tincur roe,
-im tairec n-airm, ar is im fir ban ciato imargaet roe.» <i>Ancient laws
-of Ireland</i>, t. I, p. 146, 150, 154. Saisie de deux jours ... pour enlever
-une propriété féminine ... pour avoir des objets nécessaires au combat,
-pour se procurer une arme, car c'est au sujet du droit des femmes
-que la première bataille a été livrée.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_78" id="Note_78"></a><a href="#NoteRef_78"><span class="label">[3]</span></a></p>
-<p class="poem">Dâ mac Partholain cen acht<br />
-Is iat dorigni in comarc;<br />
-Fer is Fergnia co meit n-gal<br />
-Anmanda in dâ brâthar.<br />
-
-<span style="margin-left: 6em;">
-<i>Ancient laws of Ireland</i>, t. I, p. 154.</span>
-</p>
-
-<p>
-Ce quatrain ne peut être ancien: le nominatif neutre <i>anmanda</i>,
-qui a trois syllabes, aurait été, en vieil irlandais <i>anmann</i>, de deux
-syllabes seulement. Si l'on restituait cette forme, le vers serait
-faux. La légende de Fer et de Fergnia paraît postérieure à la rédaction
-du <i>Lebar Gabala</i>, qui donne les noms des fils de Partholon, Livre
-de Leinster, p. 5, col. I, lignes 12&ndash;14, et qui ne parle ni de Fer
-ni de Fergnia. Leur légende peut avoir été inventée pour expliquer
-le passage du <i>Senchus Môr</i> dans la glose duquel nous la trouvons.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_79" id="Note_79"></a><a href="#NoteRef_79"><span class="label">[4]</span></a></p>
-
-<p class="poem">
-Fer ocus Fergnia na fir,<br />
-Is-ed innisit na sin;<br />
-Ain ocus Iain, do-certas sloig,<br />
-Da prim-ingin Parthaloin.<br />
-
-<span style="margin-left: 6em;">
-<i>Ancient laws of Ireland</i>, t. I, p. 154.</span></p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_36" id="Page_36">[Pg 36]</a></span></p>
-
-<h3><a id="II_6"></a>§ 6.<br />
-
-<i>Fin de la race de Partholon.</i></h3>
-
-<p>L'histoire de la race de Partholon se termine par
-un événement redoutable: en une semaine, les descendants
-de Partholon, alors au nombre de cinq
-mille, mille hommes et quatre mille femmes, moururent
-d'une maladie épidémique qui commença un
-lundi et se termina le dimanche suivant: de tant de
-personnes, un seul homme restait en vie. Le lieu où
-la mort frappa ces malheureux fut la plaine de Senmag,
-la seule qu'ils eussent trouvée à leur arrivée
-en Irlande<a name="NoteRef_80" id="NoteRef_80"></a><a href="#Note_80" class="fnanchor">[1]</a>. Suivant le <i>Glossaire</i> de Cormac, ils
-avaient eu la sage prévoyance de se réunir dans cette
-plaine afin que les morts fussent, au fur et à mesure
-de leur décès, plus facilement enterrés par les survivants<a name="NoteRef_81" id="NoteRef_81"></a><a href="#Note_81" class="fnanchor">[2]</a>.
-La fin terrible de la race de Partholon
-fut, dit-on, causée par la vengeance divine. Si Partholon
-avait quitté sa patrie pour habiter l'Irlande, ce
-n'était pas volontairement: c'était en exécution d'une
-<span class="pagenum"><a name="Page_37" id="Page_37">[Pg 37]</a></span>sentence qui l'avait condamné à l'exil<a name="NoteRef_82" id="NoteRef_82"></a><a href="#Note_82" class="fnanchor">[3]</a>, et cette
-sentence était juste; Partholon était coupable d'un
-double parricide: il avait tué son père et sa mère.
-Son bannissement ne fut pas une peine suffisante
-pour expier son crime. Pour satisfaire la vengeance
-divine, il fallut la destruction de sa race entière<a name="NoteRef_83" id="NoteRef_83"></a><a href="#Note_83" class="fnanchor">[4]</a>.
-Ainsi, dans la légende homérique, les enfants de
-Niobé périssent jusqu'au dernier sous les traits que
-leur lancent Apollon et Artémis irrités parce que
-Niobé a insulté Latone<a name="NoteRef_84" id="NoteRef_84"></a><a href="#Note_84" class="fnanchor">[5]</a>. Chez Hésiode, la race
-d'argent, identique à celle de Partholon, est détruite
-par la colère de Zeus<a name="NoteRef_85" id="NoteRef_85"></a><a href="#Note_85" class="fnanchor">[6]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_80" id="Note_80"></a><a href="#NoteRef_80"><span class="label">[1]</span></a> C'est la version du <i>Lebar gabala</i>, livre de Leinster, p. 5, col. 1,
-lignes 39&ndash;44. Suivant Eochaid Ua Flainn, cet événement serait arrivé
-dans la plaine de Breg. Livre de Leinster, p. 6, col. 1, ligne 5.
-Sur cet événement, voir Girauld de Cambrie, <i>Topographia hibernica</i>,
-III, 2, p. 42; et le passage de Nennius cité plus haut, <a href="#Page_26">p. 26</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_81" id="Note_81"></a><a href="#NoteRef_81"><span class="label">[2]</span></a> «Fôbîth an-adnacail i-sna-muigib-sin o-nafib nad beired in-duineba,»
-«à cause de leur sépulture dans ces plaines-là par ceux
-que n'emporterait pas l'épidémie.» <i>Glossaire</i> de Cormac chez
-Whitley Stokes, <i>Three irish glossaries</i>, p. 45.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_82" id="Note_82"></a><a href="#NoteRef_82"><span class="label">[3]</span></a> «Doluid for longais [Partholon],» <i>Scêl Tûain maic Cairill</i>,
-dans le <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 15, col. 2, ligne 22.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_83" id="Note_83"></a><a href="#NoteRef_83"><span class="label">[4]</span></a> Le <i>Leabhar Breathnach</i>, dans le livre de Lecan, manuscrit du
-quinzième siècle, après avoir rapporté la mort de la race de Partholon,
-ajoute ces mots: «a n-digail na fingaili do roindi for a
-hathair agus for a mathair.» Todd, <i>The irish version of the historia
-Britonum of Nennius</i>, p. 42.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_84" id="Note_84"></a><a href="#NoteRef_84"><span class="label">[5]</span></a> <i>Iliade</i>, XXIV, 602&ndash;612.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_85" id="Note_85"></a><a href="#NoteRef_85"><span class="label">[6]</span></a> <i>Les Travaux et les Jours</i>, vers 136&ndash;139.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="II_7"></a>§ 7.<br />
-
-<i>La chronologie et la légende de Partholon.</i></h3>
-
-<p>On compléta cette légende en introduisant dans le
-récit des éléments chronologiques étrangers à la rédaction
-primitive et en donnant à Partholon des ancêtres
-qui le rattachent aux généalogies bibliques.
-La leçon la plus ancienne ne contenait aucune mention
-<span class="pagenum"><a name="Page_38" id="Page_38">[Pg 38]</a></span>d'année: les jours seuls y étaient indiqués.
-Partholon était arrivé en Irlande le 1<sup>er</sup> mai<a name="NoteRef_86" id="NoteRef_86"></a><a href="#Note_86" class="fnanchor">[1]</a>. Le
-1<sup>er</sup> mai est le jour de la fête de Belténé ou du dieu
-de la mort, premier ancêtre du genre humain. Dans
-la plus ancienne tradition, c'est de lui que Partholon
-est fils. Il arrive en ce monde le jour spécialement
-consacré à son père.</p>
-
-<p>Cette indication chronologique concorde avec la
-principale indication géographique contenue dans sa
-légende. Quand il arriva en Irlande, ce fut à Inber
-Scêné qu'il débarqua<a name="NoteRef_87" id="NoteRef_87"></a><a href="#Note_87" class="fnanchor">[2]</a>. Inber Scêné est aujourd'hui
-la rivière de Kenmare, dans le comté de Kerry,
-c'est-à-dire à la pointe sud-ouest de l'Irlande, vis-à-vis
-de la contrée mystérieuse où, au delà de l'Océan,
-le Celte défunt trouvait une nouvelle vie et où régnait
-son premier ancêtre.</p>
-
-<p>Débarquée en Irlande le jour de la fête du dieu
-des morts, la race de Partholon avait plus tard, au
-retour de la même fête, été frappée du coup fatal:
-la semaine terrible où une maladie épidémique avait
-détruit cette race avait commencé le 1<sup>er</sup> mai<a name="NoteRef_88" id="NoteRef_88"></a><a href="#Note_88" class="fnanchor">[3]</a>, et
-<span class="pagenum"><a name="Page_39" id="Page_39">[Pg 39]</a></span>sept jours avaient suffi au fléau pour achever son
-œuvre. Après avoir débuté le lundi dans cette œuvre
-funèbre, l'épidémie s'était arrêtée le dimanche suivant,
-lorsque des cinq mille personnes qui alors
-habitaient l'Irlande une seule était encore en vie.</p>
-
-<p>Mais quand les Irlandais devinrent chrétiens, cette
-généalogie si courte et si simple de Partholon ne fut
-plus admise; cette chronologie ne parut plus suffisante:
-il fallut trouver à ce personnage mythique
-des ancêtres dans la Bible, et lui donner une place
-dans le système chronologique que les travaux d'Eusèbe
-et le grand nom de saint Jérôme avaient fait
-adopter par les érudits chrétiens. La Bible nous apprend
-que Japhet, fils de Noé, fut père de Gomer et de
-Magog<a name="NoteRef_89" id="NoteRef_89"></a><a href="#Note_89" class="fnanchor">[4]</a>. Les Irlandais imaginèrent que l'un de ces
-deux fils de Japhet, Gomer suivant les uns, Magog
-suivant les autres, fut père ou grand-père de Bâth,
-et que Bâth donna le jour à Fênius dit <i>Farsaid</i> ou le
-Vieux<a name="NoteRef_90" id="NoteRef_90"></a><a href="#Note_90" class="fnanchor">[5]</a>; Fênius Farsaid, un des ancêtres mythiques
-les plus célèbres de la race irlandaise, dont le nom
-juridique est Fêné, aurait été un des soixante et dix
-<span class="pagenum"><a name="Page_40" id="Page_40">[Pg 40]</a></span>chefs qui bâtirent la tour de Babel. Un de ses fils fut
-Nêl, qui épousa Scota, fille de Pharaon, d'où le
-nom de Scots, un de ceux qui désignent la race
-irlandaise; Nêl eut de Scota, Gôidel Glas, d'où le nom
-de Gôidel, un de ceux que porta aussi la race irlandaise<a name="NoteRef_91" id="NoteRef_91"></a><a href="#Note_91" class="fnanchor">[6]</a>.
-Gôidel Glas fut père d'Esru. Esru vivait au
-temps de Moïse et de la sortie d'Egypte. Cela fait
-du déluge à la sortie d'Egypte, sept générations
-pour un espace de 837 ans, suivant les calculs de
-Bède, la grande autorité chronologique en Irlande
-au moyen âge<a name="NoteRef_92" id="NoteRef_92"></a><a href="#Note_92" class="fnanchor">[7]</a>, en sorte que chaque génération
-correspond à une durée de 119 ans. Esru eut plusieurs
-fils dont l'un, Sera, fut père de Partholon;
-et dont un autre est l'ancêtre des races qui ont ultérieurement
-peuplé l'Irlande<a name="NoteRef_93" id="NoteRef_93"></a><a href="#Note_93" class="fnanchor">[8]</a>.</p>
-
-<p>Il ne faut pas demander trop de logique aux vieux
-chroniqueurs irlandais. Si nous en croyons le <i>Lebar
-Gabala</i>, Partholon, petit-fils d'un contemporain de
-Moïse, arriva en Irlande la soixantième année de
-l'âge d'Abraham<a name="NoteRef_94" id="NoteRef_94"></a><a href="#Note_94" class="fnanchor">[9]</a>, c'est-à-dire trois cent-trente ans
-<span class="pagenum"><a name="Page_41" id="Page_41">[Pg 41]</a></span>avant Moïse<a name="NoteRef_95" id="NoteRef_95"></a><a href="#Note_95" class="fnanchor">[10]</a>. Le même traité met aussi la venue
-de Partholon trois cents ans après le déluge<a name="NoteRef_96" id="NoteRef_96"></a><a href="#Note_96" class="fnanchor">[11]</a>,
-Nous trouvons déjà cette date: «trois cents ans après
-le déluge», dans le poème d'Eochaid ûa Flainn, que
-nous avons plusieurs fois cité<a name="NoteRef_97" id="NoteRef_97"></a><a href="#Note_97" class="fnanchor">[12]</a> et qui fut écrit
-dans la seconde moitié du dixième siècle. Cette date
-devrait, suivant les Irlandais, correspondre à la
-soixantième année de Père d'Abraham dans la chronologie
-de Bède; mais il n'y a pas une concordance
-exacte, il faudrait quatre cent trente-sept ans<a name="NoteRef_98" id="NoteRef_98"></a><a href="#Note_98" class="fnanchor">[13]</a>:
-nous ne pouvons rien demander de bien précis aux
-chronologistes irlandais pas plus qu'aux Gallois.</p>
-
-<p>On ne s'est pas contenté de fixer la date de l'arrivée
-de Partholon: on a voulu déterminer la durée
-de sa race. Suivant le poème d'Eochaid ûa Flainn, il
-se serait écoulé trois siècles entre le 1<sup>er</sup> mai, où la
-race de Partholon débarqua à Inber Scêné, à l'extrémité
-sud-ouest de l'Irlande, et le 1<sup>er</sup> mai où commença
-l'épidémie si terrible qui devait l'enlever tout
-entière. Cette durée de trois cents ans a été inspirée,
-comme la concordance avec l'ère d'Abraham et
-<span class="pagenum"><a name="Page_42" id="Page_42">[Pg 42]</a></span>comme le rapport chronologique entre Partholon et
-le déluge, par le désir de mettre la chronologie
-irlandaise en rapport avec la chronologie biblique.
-Nennius n'a pas connu ces divagations.</p>
-
-<p>Chez Nennius, les Pictes arrivent dans les îles
-Orcades d'où ils gagnent le nord de la Grande-Bretagne
-huit cents ans après l'époque où le prêtre Héli
-était juge d'Israël, et quand Postumus régnait sur
-les Latins. Si l'on s'en rapporte à la chronologie de
-saint Jérôme, Héli et Postumus vivaient au douzième
-siècle avant notre ère<a name="NoteRef_99" id="NoteRef_99"></a><a href="#Note_99" class="fnanchor">[14]</a>; par conséquent, suivant
-Nennius, l'arrivée des Pictes dans les îles Orcades et
-en Grande-Bretagne aurait eu lieu au quatrième siècle
-avant notre ère; or, ajoute Nennius, l'arrivée des
-Scots en Irlande est postérieure à l'arrivée des Pictes
-en Grande-Bretagne; et le premier des Scots qui vint
-en Irlande fut Partholon<a name="NoteRef_100" id="NoteRef_100"></a><a href="#Note_100" class="fnanchor">[15]</a>. Si donc nous en croyons
-Nennius, la légende des Partholon est un fait historique
-qui n'est pas antérieur au quatrième siècle
-avant notre ère.</p>
-
-<p>Nennius est donc bien loin des chronologies fantastiques
-<span class="pagenum"><a name="Page_43" id="Page_43">[Pg 43]</a></span>imaginées plus tard. Il n'a pas, du reste,
-sur les dates, des doctrines bien rigoureusement déterminées,
-et il paraît peu se soucier de mettre sa
-notation chronologique d'accord avec elle-même; car,
-plus loin, parlant d'un fait qui, dans l'histoire mythologique
-d'Irlande, est bien postérieur à l'arrivée
-de Partholon, racontant l'arrivée des fils de Milé, il
-nous dit qu'elle eut lieu mille douze ans après le passage
-de la mer Rouge; or, d'après sa chronologie,
-le passage de la mer Rouge aurait eu lieu quinze cent
-vingt-huit ans avant notre ère<a name="NoteRef_101" id="NoteRef_101"></a><a href="#Note_101" class="fnanchor">[16]</a>; par conséquent
-les fils de Milé auraient débarqué en Irlande l'an 516
-avant J.-C., tandis que Partholon, bien antérieur
-aux fils de Milé, n'aurait pas pris possession de l'Irlande
-avant le quatrième siècle, et y aurait apparu
-plus d'un siècle après les fils de Milé, qui sont cependant
-postérieurs à lui.</p>
-
-<p>Il est facile de comprendre la cause de cette contradiction.
-La chronologie des fils de Milé est fondée
-sur des traditions qui ont une certaine valeur historique,
-des listes de rois, par exemple, tandis que la
-légende de Partholon n'offre, dans sa forme la plus
-ancienne, qu'un seul élément de chronologie comparative:
-c'est l'histoire du Tûan mac Cairill, d'abord
-homme, puis successivement cerf, sanglier, vautour
-et saumon; sous ces cinq formes, il vécut en tout
-<span class="pagenum"><a name="Page_44" id="Page_44">[Pg 44]</a></span>trois cent vingt ans. Sous ses quatre premières formes,
-dont la durée totale fut de trois siècles, il
-fut témoin de toutes les émigrations qui constituent
-la plus ancienne histoire, l'histoire mythologique
-d'Irlande; puis, sous l'empire de la race actuelle,
-changé d'abord en saumon, il redevint homme et
-raconta ce qu'il avait vu. Cette fantastique et vieille
-légende n'offre pas une base bien solide aux travaux
-des chronologistes. Nennius n'a donc su quelle date
-donner à l'arrivée de Partholon. Après lui on a été
-plus hardi. Mais nous ferons observer que la légende
-de Tûan est inconciliable avec la doctrine
-des chronographes chrétiens postérieure à Nennius,
-suivant lesquels la race de Partholon aurait eu, à
-elle seule, trois cents ans de durée, et qui, de l'arrivée
-de cette race à celle des fils de Milé ou de la
-race actuelle, comptent neuf cent quatre-vingts
-ans<a name="NoteRef_102" id="NoteRef_102"></a><a href="#Note_102" class="fnanchor">[17]</a> au lieu de trois cents, comme on lit dans la
-légende de Tûan.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_86" id="Note_86"></a><a href="#NoteRef_86"><span class="label">[1]</span></a> Cêt-somain, <i>Chronicum Scotorum</i>, édition Hennessy, p. 4. Le
-<i>Lebar Gabala</i> ajoute: le quatorzième jour de la lune: «for XIIII
-esca,» Livre de Leinster, p. 5, col. 1, ligne 8. De ces trois mots un
-seul est resté dans le <i>Chronicum Scotorum</i>, c'est le chiffre XIIII. Le
-<i>Lebar Gabala</i> et le <i>Chronicum Scotorum</i> ajoutent tous deux que
-c'était un mardi. Mais nous ignorons la date de cette dernière notation
-chronologique.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_87" id="Note_87"></a><a href="#NoteRef_87"><span class="label">[2]</span></a> «In Inbiur Scêne.» <i>Lebar gabala</i>, Livre de Leinster, p. 5,
-col. 1, ligne 8; cf. Keating, édition de 1811, p. 164.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_88" id="Note_88"></a><a href="#NoteRef_88"><span class="label">[3]</span></a> Le texte le plus ancien où nous trouvions cette date est un
-poème d'Eochaid Ua Flainn, mort en 984, et qui a été inséré dans
-dans le <i>Lebar gabala</i>, Livre de Leinster, p. 6, col. 1, ligne 4.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_89" id="Note_89"></a><a href="#NoteRef_89"><span class="label">[4]</span></a> <i>Genèse</i>, chapitre X, versets 1, 2.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_90" id="Note_90"></a><a href="#NoteRef_90"><span class="label">[5]</span></a> «Da mac Magog maic Iafeth, maic Noi, idon Baath ocus Ibath.
-Baath, mac doside Fenius Farsaid, athar na Scithecda, idon Fenius,
-mac Baath, maic Magog, maic Iafeth, maic Noi et reliqua.» <i>Leabhar
-na hUidhre</i>, p. 1, col. 1. Dans le Livre de Leinster, p. 2, col. 1,
-ligne 8, Gomer prend la place de Magog, et Baath descend de Gomer
-par Ibath, qui devient père de Baath, dont il est frère dans le
-<i>Leabhar na hUidhre</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_91" id="Note_91"></a><a href="#NoteRef_91"><span class="label">[6]</span></a><br /></p>
-<p class="poem">
-Fêni ô Fenius asbertar,<br />
-<span style="margin-left: 2em;">brig cen docta;</span><br />
-Gaedil ô Gaediul Glas garta,<br />
-<span style="margin-left: 2em;">Scuit ô Scota.</span></p>
-<p>
-Livre de Leinster, p. 2, col. 1, lignes 36, 37.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_92" id="Note_92"></a><a href="#NoteRef_92"><span class="label">[7]</span></a> Bede, <i>De temporum ratione</i>, chez Migne. <i>Patrologia latina</i>,
-t. 90, col. 524&ndash;528. Le déluge aurait eu lieu l'an du monde 1658, la
-sortie d'Egypte l'an du monde 2493.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_93" id="Note_93"></a><a href="#NoteRef_93"><span class="label">[8]</span></a> Voyez la préface du <i>Lebar gabala</i>, dans le Livre de Leinster,
-p. 2; et le <i>Lebar gabala</i> lui-même: Livre de Leinster, p. 5, col. 1,
-lignes 6, 7 et 10.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_94" id="Note_94"></a><a href="#NoteRef_94"><span class="label">[9]</span></a> Livre de Leinster, p. 5, col. 1, ligne 11; <i>Chronicum Scotorum</i>,
-édit. Hennessy, p. 4. Suivant Bède, l'an soixante d'Abraham est l'an
-du monde 2083.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_95" id="Note_95"></a><a href="#NoteRef_95"><span class="label">[10]</span></a> Je suis la chronologie de Bède. L'an soixante d'Abraham serait
-l'an du monde 2083, et Moïse serait né l'an du monde 2413.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_96" id="Note_96"></a><a href="#NoteRef_96"><span class="label">[11]</span></a> Livre de Leinster, p. 5, col. 1, ligne 5. On lit trois cent douze
-ans dans la légende de Tûan. Voyez plus bas, <a href="#III_3">chap. III, § 3</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_97" id="Note_97"></a><a href="#NoteRef_97"><span class="label">[12]</span></a> Livre de Leinster, p. 5, col. 2, lignes 19, 20.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_98" id="Note_98"></a><a href="#NoteRef_98"><span class="label">[13]</span></a> De l'an du monde 1856, date du déluge, à l'an du monde 2083,
-date de la soixantième année d'Abraham suivant la chronologie de
-Bède. Migne, <i>Patrologia latina</i>, t. LXXXX, col. 524, 527.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_99" id="Note_99"></a><a href="#NoteRef_99"><span class="label">[14]</span></a> Migne, <i>Patrologia latina</i>, t. XXVII, col. 277&ndash;285.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_100" id="Note_100"></a><a href="#NoteRef_100"><span class="label">[15]</span></a> «Quando vero regnabat Bruto in Britannia, Heli sacerdos judicabat
-in Israel, et tunc arca testamenti ab alienigenis possidebatur,
-Postumus autem frater ejus apud Latinos regnabat. Post intervallum
-vero multorum annorum Picti venerunt et occupaverunt insulas
-quæ vocantur Orcades et postea ex insulis vastaverunt regiones
-multas et occupaverunt eas in sinistrali parte Britanniæ tenentes
-usque ad hodiernum diem. Novissime autem Scotti venerunt a
-partibus Hispaniæ ad Hiberniam. Primus autem venit Partholonus.»
-<i>Appendix ad opera edita ab Angelo Maio</i>, Romæ, 1871, p. 98.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_101" id="Note_101"></a><a href="#NoteRef_101"><span class="label">[16]</span></a> Suivant saint Jérôme, Migne, <i>Patrologia latina</i>, t. XXVII,
-col. 179&ndash;180, le passage de la mer Rouge aurait eu lieu 1512 ans
-avant notre ère.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_102" id="Note_102"></a><a href="#NoteRef_102"><span class="label">[17]</span></a> De l'an du monde 2520 à l'an du monde 3500: Annales des
-Quatre Maîtres, édition d'O'Donovan, 1851, t. I, p. 4, 24.</p></div>
-
-<hr class="chap" />
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_45" id="Page_45">[Pg 45]</a></span></p>
-
-<h2>CHAPITRE III.<br />
-
-ÉMIGRATION DE PARTHOLON (suite). LÉGENDE DE TUAN
-MAC GAIRILL.</h2>
-
-<p><a href="#III_1">§1</a>. Pourquoi la légende de Tûan mac Cairill a-t-elle été inventée?&mdash;<a href="#III_2">§2</a>.
-Saint Finnên et Tûan mac Cairill.&mdash;<a href="#III_3">§3</a>. Histoire primitive
-de l'Irlande suivant Tûan mac Cairill.&mdash;<a href="#III_4">§4</a>. La légende de
-Tûan mac Cairill et la chronologie. Modifications dues à l'influence
-chrétienne.&mdash;<a href="#III_5">§5</a>. La légende de Tûan mac Cairill, dans
-sa forme primitive, est d'origine païenne.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="III_1"></a>§ 1.<br />
-
-<i>Pourquoi la légende de Tûan mac Cairill a-t-elle été
-inventée?</i></h3>
-
-<p>Quand Hésiode, dans les <i>Travaux et les Jours</i>,
-esquisse rapidement l'histoire des trois premières
-races: de la race d'or, de la race d'argent et de la
-race d'airain, qui se sont succédé sur la terre, et
-qui ont chacune péri avant la création de la race
-suivante et sans laisser de postérité, il ne se demande
-<span class="pagenum"><a name="Page_46" id="Page_46">[Pg 46]</a></span>pas comment le souvenir de chacune de ces
-races et de leur histoire a pu parvenir jusqu'à lui.
-Dans le domaine poétique de la mythologie, un Grec
-ne s'embarrassait pas de si peu. Les Irlandais, en
-hommes sérieux, ont traité les choses moins légèrement.</p>
-
-<p>Comme la race d'or, comme la race d'argent,
-comme la race d'airain en Grèce, la race de Partholon,
-celle de Némed, celle des Tûatha Dê Danann se
-sont succédé en Irlande; la première avait disparu
-quand est arrivée la seconde, la seconde s'était
-éteinte quand est arrivée la troisième. Vaincus par
-les ancêtres des Irlandais modernes, la troisième
-race, celle des Tûatha Dê Danann, s'est abritée
-derrière le manteau de l'invisibilité qu'elle ne dépouille
-plus que dans des circonstances exceptionnelles.
-Comment est parvenue jusqu'à nous la
-connaissance de ce passé lointain qui concerne des
-populations où les habitants actuels de l'île ne comptent
-pas d'ancêtres, et auxquelles, par conséquent,
-les traditions des familles, les traditions nationales
-ne peuvent remonter?</p>
-
-<p>La biographie merveilleuse de Tûan mac Cairill,
-Tûan, fils de Carell, donnait aux Irlandais et peut-être
-même à toute la race celtique la solution de
-cette difficulté. Nous avons de cette légende une rédaction
-chrétienne arrangée par un auteur qui voulait
-faire accepter par le clergé chrétien, comme une
-histoire pieuse, une des plus antiques traditions
-païennes de ses compatriotes. Nous allons donner
-<span class="pagenum"><a name="Page_47" id="Page_47">[Pg 47]</a></span>cette tradition telle qu'elle nous a été transmise.
-Nous en connaissons trois manuscrits: le <i>Leabhar
-na hUidhre</i>, écrit vers l'année 1100; le manuscrit
-Laud 610 de la bibliothèque bodléienne d'Oxford,
-quinzième siècle; et le manuscrit H. 3. 18 du Collège
-de la Trinité de Dublin, seizième siècle<a name="NoteRef_103" id="NoteRef_103"></a><a href="#Note_103" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_103" id="Note_103"></a><a href="#NoteRef_103"><span class="label">[1]</span></a> <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 15&ndash;16, incomplet; Laud 610, f<sup>os</sup> 102&ndash;103;
-Trinity College Dublin, H. 3. 18, p. 38&ndash;39.</p></div>
-
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="III_2"></a>§ 2.<br />
-
-<i>Saint Finnên et Tûan mac Cairill.</i></h3>
-
-<p>Transportons-nous au milieu du sixième siècle de
-notre ère. Saint Finnên vient d'arriver en Irlande
-avec son célèbre Evangile, qui doit être l'objet de
-contestations entre lui et saint Columba. Nous avons
-parlé de la copie de cet Evangile faite par Columba,
-du mécontentement de Finnên, et de sa plainte
-portée devant le roi Diarmait, fils de Cerball<a name="NoteRef_104" id="NoteRef_104"></a><a href="#Note_104" class="fnanchor">[1]</a>, qui
-déclara Finnên propriétaire de la copie exécutée par
-Columba.</p>
-
-<p>Finnên fonda un monastère à Mag-bile, aujourd'hui
-Movilla, dans le comté de Down, en Ulster.
-Il alla un jour, accompagné de ses disciples, faire
-visite à un riche guerrier qui demeurait dans la
-même localité. Mais ce guerrier interdit aux clercs
-<span class="pagenum"><a name="Page_48" id="Page_48">[Pg 48]</a></span>l'entrée de la forteresse qu'il habitait. Pour obtenir
-la levée de cette défense, Finnên fut obligé de recourir
-au moyen que la loi irlandaise mettait à la
-disposition des faibles quand, victimes d'une injustice,
-ils voulaient contraindre les forts à céder
-devant leur plainte désarmée. Ce moyen était le
-jeûne<a name="NoteRef_105" id="NoteRef_105"></a><a href="#Note_105" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p>Il jeûna tout un dimanche devant la forteresse du
-puissant et malveillant guerrier. Celui-ci se laissa
-fléchir et fit ouvrir à Finnên. Sa croyance n'était pas
-bonne<a name="NoteRef_106" id="NoteRef_106"></a><a href="#Note_106" class="fnanchor">[3]</a>, dit le vieux conteur, c'est-à-dire qu'il
-n'était pas chrétien. Il y avait encore des païens en
-Irlande au sixième siècle.</p>
-
-<p>Finnên fît donc une visite au guerrier, puis retourna
-dans son monastère et y parla de sa nouvelle
-connaissance. «C'est un homme excellent,» dit-il à
-ses disciples; «il viendra à vous, vous consolera et
-vous racontera les vieilles histoire d'Irlande.» En
-effet, le lendemain matin, de bonne heure, le noble
-guerrier arrive dans la demeure du prêtre, et souhaite
-le bonjour à Finnên et à ses disciples. «Accompagnez-moi
-dans ma solitude, leur dit-il;
-vous y serez mieux qu'ici.» Ils allèrent avec lui
-dans sa forteresse, ils y célébrèrent l'office du dimanche,
-psalmodie, prédication et messe.&mdash;«Qui
-êtes-vous?» demanda Finnên à son hôte.&mdash;«Je
-<span class="pagenum"><a name="Page_49" id="Page_49">[Pg 49]</a></span>suis originaire d'Ulster,» répondit ce dernier.
-«Mon nom est Tûan, fils de Carell (en irlandais,
-Tûan mac Cairill); mon père était fils de Muredach
-Munderc<a name="NoteRef_107" id="NoteRef_107"></a><a href="#Note_107" class="fnanchor">[4]</a>. C'est de mon père que ce désert m'est
-venu en héritage. Mais il fut un temps où l'on m'appelait
-Tûan, fils de Starn, fils de Sera, Starn mon
-père était frère de Partholon.»&mdash;«Raconte-nous,»
-lui dit Finnên, «l'histoire d'Irlande, c'est-à-dire ce
-qui est arrivé dans cette île depuis le temps de Partholon,
-fils de Sera<a name="NoteRef_108" id="NoteRef_108"></a><a href="#Note_108" class="fnanchor">[5]</a>. Nous n'accepterons chez toi
-aucune nourriture tant que nous n'aurons pas obtenu
-de toi les vieux récits que nous désirons.»&mdash;«Il
-est difficile,» répondit Tûan, «que je prenne
-la parole avant d'avoir eu le loisir de méditer la
-parole de Dieu que tu nous as annoncée.»&mdash;«N'aie
-aucun scrupule,» lui répliqua Finnên, «raconte-nous,
-nous t'en prions, tes propres aventures
-et les autres événements qui se sont passés en
-Irlande.» Tûan commença ainsi:</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_104" id="Note_104"></a><a href="#NoteRef_104"><span class="label">[1]</span></a> Diarmait, fils de Cerball, régna de 544 à 565, suivant les Annales
-de Tigernach: O'Conor, <i>Rerum hibernicarum scriptores</i>, t. II,
-1<sup>re</sup> partie, p. 139, 149.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_105" id="Note_105"></a><a href="#NoteRef_105"><span class="label">[2]</span></a> <i>Senchus Môr</i>, dans <i>Ancient laws of Ireland</i>, t. I, p. 112, 114,
-116, 118; t. II, p. 46, 352.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_106" id="Note_106"></a><a href="#NoteRef_106"><span class="label">[3]</span></a> «Ni-r-bu maith a-chretem ind laich,» <i>Leabhar na hUidhre</i>,
-p. 15, col. 1, lignes 39&ndash;40.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_107" id="Note_107"></a><a href="#NoteRef_107"><span class="label">[4]</span></a> Les Annales des Quatre Maîtres, édition d'O'Donovan, t. I,
-p. 174, font mourir en 526 Cairell, roi d'Ulster, fils de Muireadhach
-Muindercc. L'année 526 des Quatre Maîtres correspond à l'année 533
-de Tigernach, et à l'année 530 du <i>Chronicum Scotorum</i> qui ne parlent
-pas de Cairell. Les Quatre Maîtres ont sans doute emprunté ce personnage
-à la légende de Tûan. Muireadach Muinderg, roi d'Ulster,
-mort en 479, <i>ibidem</i>, t. II, p. 1190, n'est pas plus authentique que
-Cairell ou Carell.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_108" id="Note_108"></a><a href="#NoteRef_108"><span class="label">[5]</span></a> Sera aurait eu deux fils: 1° Partholon; 2° Starn, père de Tûan.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_50" id="Page_50">[Pg 50]</a></span></p>
-
-<h3><a id="III_3"></a>§ 3.<br />
-<i>Histoire primitive de l'Irlande suivant Tûan mac
-Cairill.</i></h3>
-
-<p>«Cinq invasions ont été subies par l'Irlande jusqu'à
-présent. Personne n'y était venu avant le
-déluge; et après le déluge, personne n'y arriva,
-tant qu'il ne se fut pas écoulé trois cent douze
-ans.»</p>
-
-<p>Un autre texte fait dire à Tûan mille deux ans<a name="NoteRef_109" id="NoteRef_109"></a><a href="#Note_109" class="fnanchor">[1]</a>.
-Il est clair que cette légende, dans sa forme la plus
-ancienne, ne parlait pas du déluge, et que les deux
-dates ajoutées après coup sont l'expression de deux
-systèmes chronologiques différents, chacun étranger
-à la mythologie celtique. Reprenons le récit de
-Tûan.</p>
-
-<p>«Alors Partholon, fils de Sera, vint s'établir en
-Irlande. Il était exilé; il amenait avec lui vingt-quatre
-hommes, accompagnés chacun de leur
-femme. Ses compagnons n'étaient guère plus intelligents
-les uns que les autres<a name="NoteRef_110" id="NoteRef_110"></a><a href="#Note_110" class="fnanchor">[2]</a>. Ils habitèrent
-<span class="pagenum"><a name="Page_51" id="Page_51">[Pg 51]</a></span>l'Irlande jusqu'à ce qu'ils y furent cinq mille de la
-même race. Une mortalité les frappa entre deux
-dimanches, et tous perdirent la vie; un seul homme
-survécut. Car la coutume est que jamais massacre
-n'arrive sans qu'il échappe un historien qui, plus
-tard, raconte les événements. C'est moi qui suis
-cet homme-là. Resté seul, j'allai de forteresse en
-forteresse, de rocher en rocher, pour me mettre
-en sûreté contre les loups. Pendant vingt-deux
-ans, il n'y eut pas en Irlande d'autre habitant que
-moi. Je tombai dans la décrépitude, et j'arrivai à
-une extrême vieillesse. J'habitais les rochers et les
-déserts; mais je ne pouvais plus faire de course,
-et des cavernes me servaient d'asile.</p>
-
-<p>Ce fut alors que Nemed, fils d'Agnoman, prit
-possession de l'Irlande. Son père était un frère du
-mien<a name="NoteRef_111" id="NoteRef_111"></a><a href="#Note_111" class="fnanchor">[3]</a>. Je le voyais<a name="NoteRef_112" id="NoteRef_112"></a><a href="#Note_112" class="fnanchor">[4]</a> du haut des rochers, et je
-fis en sorte de l'éviter. J'avais de grands cheveux,
-de grands ongles; j'étais décrépit, gris, nu, dans
-<span class="pagenum"><a name="Page_52" id="Page_52">[Pg 52]</a></span>la misère et la souffrance. Après m'être endormi
-un soir, quand je me réveillai le matin j'avais
-changé de forme: j'étais cerf. J'avais retrouvé ma
-jeunesse et la gaieté de mon esprit, et je chantai
-des vers sur l'arrivée de Nemed et de sa race et
-sur la métamorphose que je venais de subir.»</p>
-
-<p>Voici la traduction de la fin de ce poème:</p>
-
-<p>«Près de moi est arrivée, ô Dieu bon! la tribu
-de Nemed, fils d'Agnoman. Ce sont de puissants
-guerriers qui, dans le combat, pourraient me faire
-de cruelles blessures. Mais sur ma tête se disposent
-deux cornes armées de soixante pointes; j'ai
-revêtu, forme nouvelle, un poil rude et gris. La
-victoire et ses joies me sont rendues faciles: il y
-a un instant, j'étais sans force et sans défense<a name="NoteRef_113" id="NoteRef_113"></a><a href="#Note_113" class="fnanchor">[5]</a>.</p>
-
-<p>Quand j'eus pris cette forme d'animal, je devins
-le chef des troupeaux d'Irlande. De grands troupeaux
-de cerfs marchaient tout autour de moi,
-quels que fussent les chemins que je suivisse.
-Telle fut ma vie au temps de Nemed et de ses
-descendants.</p>
-
-<p>Lorsque Nemed et ses compagnons arrivèrent
-en Irlande, voici comment s'était fait leur voyage.
-Ils étaient partis dans une flotte de trente-quatre
-barques, et chaque barque contenait trente personnes.
-En route, ils s'égarèrent pendant un an et
-<span class="pagenum"><a name="Page_53" id="Page_53">[Pg 53]</a></span>demi<a name="NoteRef_114" id="NoteRef_114"></a><a href="#Note_114" class="fnanchor">[6]</a>, puis ils firent naufrage et périrent presque
-tous de faim et de soif. Neuf seulement échappèrent:
-Nemed, avec quatre hommes et quatre femmes.
-Ce furent ces neuf personnes qui débarquèrent
-en Irlande. Ils y eurent tant d'enfants et leur
-nombre augmenta tellement qu'ils atteignirent le
-chiffre de quatre mille trente hommes et quatre
-mille trente femmes; alors ils moururent tous.</p>
-
-<p>Cependant j'étais tombé dans la décrépitude:
-j'avais atteint une extrême vieillesse. Or, j'étais
-une fois là, sur la porte de ma caverne; la mémoire
-m'en est restée, et je sais qu'alors la conformation
-de mon corps changea: je fus transformé
-en sanglier. Je chantai en vers cette métamorphose:</p>
-
-
-<p>«Aujourd'hui je suis sanglier ... je suis roi, je suis
-fort, je compte sur des victoires..... Un temps fut
-où je faisais partie de l'assemblée qui rendit le
-jugement de Partholon. Ce jugement fut chanté;
-chacun en admirait la mélodie..... Combien était
-agréable le chant de mon éclatante sentence! il
-plaisait aux jeunes femmes qui étaient bien jolies.
-<span class="pagenum"><a name="Page_54" id="Page_54">[Pg 54]</a></span>A la majesté, mon char associait la beauté. Ma
-voix rendait des sons graves et doux..... J'avais la
-marche rapide et assurée dans les combats.....
-J'étais charmant de visage..... Aujourd'hui, me
-voici changé en noir sanglier.»</p>
-
-<p>Voilà ce que je disais. Oui, certes, je fus sanglier.
-Alors je redevins jeune; mon esprit recouvra
-sa gaieté; je fus roi des troupeaux de sangliers
-d'Irlande, et je restai fidèle à mon habitude de me
-promener autour de ma maison quand je rentrais
-dans cette région de l'Ulster au temps où l'âge me
-faisait retomber dans la décrépitude et dans la misère.
-C'était toujours ici que se produisait ma métamorphose,
-et voilà pourquoi je revenais toujours
-ici attendre le renouvellement de mon corps.</p>
-
-<p>Puis Sémion, fils de Stariat, s'établit dans cette
-île. C'est de lui que descendent les Fir Domnann,
-les Fir Bolg et les Galiûin<a name="NoteRef_115" id="NoteRef_115"></a><a href="#Note_115" class="fnanchor">[7]</a>. Ils possédèrent l'Irlande
-pendant un temps.</p>
-
-<p>Alors j'atteignis la décrépitude et une extrême
-vieillesse. J'avais l'esprit triste; j'étais hors d'état
-de faire tout ce dont j'étais capable auparavant;
-j'habitais des cavernes sombres, des rochers peu
-connus, et j'étais seul. Puis j'allai dans ma maison,
-comme je l'avais toujours fait jusque-là. Je me rappelle
-bien toutes les formes que j'avais précédemment
-<span class="pagenum"><a name="Page_55" id="Page_55">[Pg 55]</a></span>revêtues. Je jeûnai pendant trois jours; [j'ai
-oublié de vous dire que chacune de mes métamorphoses
-avait été précédée par trois jours de jeûne].</p>
-
-<p>«Au bout de ces trois jours, mes forces furent
-tout à fait épuisées. Alors je fus métamorphosé
-en un grand vautour, ou, pour m'exprimer autrement,
-en un énorme aigle de mer. Mon esprit
-recouvra sa gaieté. Je devins capable de tout; je
-devins chercheur et actif; je parcourais l'Irlande
-entière et je savais tout ce qui s'y passait. Alors
-je chantai des vers:</p>
-
-<p>«Vautour aujourd'hui, j'étais hier sanglier.....
-Dieu qui m'aime m'a donné cette forme..... Je
-vécus d'abord dans la troupe des cochons sauvages.
-Aujourd'hui me voici dans celle des oiseaux.....
-Par une merveilleuse décision de la bonté divine
-sur moi et sur la race de Nemed, cette race est
-soumise à la volonté des démons, et moi je vis
-en la compagnie de Dieu.»</p>
-
-<p>Nous demanderons la permission d'interrompre
-un instant Tûan mac Cairill pour appeler l'attention
-sur la forme pieuse à l'aide de laquelle l'auteur du
-moyen âge dont nous reproduisons la rédaction a
-cherché à faire accepter cette légende par le clergé
-chrétien. Tûan, changé en vautour, croit au vrai Dieu,
-tandis que les hommes qui habitent l'Irlande sont
-soumis à l'empire du démon et vivent dans le paganisme.
-Il aurait fallu en Irlande, au moyen âge, avoir
-l'esprit bien mal fait pour rejeter, au nom du christianisme,
-une si édifiante histoire. Mais revenons à
-<span class="pagenum"><a name="Page_56" id="Page_56">[Pg 56]</a></span>notre héros et écoutons la suite du récit qu'il fait à
-à saint Finnên et aux compagnons du pieux abbé.</p>
-
-<p>«Beothach, fils de Iarbonel le prophète, s'empara
-de cette île après avoir vaincu les races qui l'occupaient.
-C'est de Beothach et de Iarbonel que descendent
-les <i>Tûatha Dê [Danann]</i>, dieux et faux
-dieux auxquels on sait que remonte l'origine des
-savants irlandais. Il est probable que le voyage qui
-les conduisit en Irlande avait pour point de départ
-le ciel: ainsi s'expliquent leur science et la supériorité
-de leur instruction. Quant à moi, je restai
-longtemps en forme de vautour, et je vivais encore
-sous cette forme quand arriva la dernière de
-toutes les races qui occupèrent l'Irlande.</p>
-
-<p>Ce furent les fils de Milé qui firent la conquête
-de cette île sur les Tûatha Dê Danann. Cependant
-je gardai la forme de vautour jusqu'à un moment
-où je me trouvai dans un trou d'arbre au bord
-d'une rivière. J'y jeûnai neuf jours. Le sommeil
-s'empara de moi, et là même je fus changé en
-saumon. Ensuite Dieu me plaça dans la rivière
-pour y vivre. Je m'y trouvai bien; j'y fus actif et
-satisfait. Je savais bien nager, et j'échappai longtemps
-à tous les périls: aux mains des pêcheurs
-armés de filets, aux serres des vautours et aux
-javelots que des chasseurs me lançaient pour me
-blesser.</p>
-
-<p>Un jour, cependant, Dieu, mon protecteur,
-trouva bon de mettre un terme à cette heureuse
-chance. Les bêtes me poursuivaient; il n'y avait
-<span class="pagenum"><a name="Page_57" id="Page_57">[Pg 57]</a></span>pas d'eau où je ne rencontrasse un pêcheur en
-observation avec son filet. Un de ces pêcheurs me
-prit et me porta à la femme de Carell, roi de ce
-pays. Je me rappelle très bien cela. L'homme me
-mit sur le gril; la femme me désira et me mangea
-à elle seule tout entier, en sorte que je me trouvai
-dans son ventre. Je me souviens du temps où
-j'étais dans le ventre de la femme de Carell; j'ai
-conservé mémoire des conversations qui se tenaient
-dans la maison et des événements qui arrivèrent
-en Irlande à cette époque-là.</p>
-
-<p>Je n'ai pas oublié non plus comment, après cela,
-[étant petit enfant], je commençai à parler comme
-tous les hommes. Je savais tous les événements
-qui étaient arrivés en Irlande. Je fus prophète, et
-on me donna un nom: on m'appela Tûan, fils de
-Carell. Ce fut ensuite que Patrice vint en Irlande
-et y apporta la foi. Un grand nombre furent convertis;
-on me baptisa, et je crus au grand et unique
-Roi de toutes choses, créateur du monde.»</p>
-
-<p>Tûan cessa de parler. Les auditeurs le remercièrent.
-Finnên et ses compagnons passèrent avec
-lui dans la salle à manger. Ils restèrent chez lui
-une semaine, qu'ils employèrent à causer avec
-lui. Toute l'histoire ancienne d'Irlande, toutes les
-vieilles généalogies viennent de Tûan, fils de Carell.
-Avant Finnên et ses compagnons, Patrice s'était déjà
-entretenu avec Tûan, fils de Carell, qui lui avait
-fait les mêmes récits. Après saint Patrice, saint Columba
-a aussi conversé avec Tûan, qui lui a appris
-<span class="pagenum"><a name="Page_58" id="Page_58">[Pg 58]</a></span>les mêmes choses; et quand Tûan a raconté à Finnên
-les histoires dont nous venons de parler, il y
-avait là une foule de témoins; or tous étaient Irlandais:
-on ne peut donc contester leur véracité, ni
-l'exactitude du récit, que nous reproduisons d'après
-eux.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_109" id="Note_109"></a><a href="#NoteRef_109"><span class="label">[1]</span></a> Côic gabala êm, ol se, rô-gabad Eriu [co-sind-amsir-si, ocus
-ni-r-gabad rian-]dilind, ocus nì-s-ragbad iar n-[d]ilind co-ro-chatêa dî
-blîadain dêc ar tri cêtaib.» Ce texte est celui du <i>Leabhar na hUidhre</i>,
-p. 115, col. 2, lignes 19&ndash;21, sauf les mots entre crochets, qui sont
-empruntés aux manuscrits Laud 610 et H. 3. 18. La leçon «mille
-deux ans,» <i>da blíadain ar mile</i>, est celle du manuscrit H. 3. 18.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_110" id="Note_110"></a><a href="#NoteRef_110"><span class="label">[2]</span></a> Cette ineptie est chez Hésiode le caractère distinctif de la race
-d'argent: <i>Les Travaux et les Jours</i>, vers 130&ndash;134.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_111" id="Note_111"></a><a href="#NoteRef_111"><span class="label">[3]</span></a> Si nous nous en rapportons au texte du <i>Leabhar na hUidhre</i>,
-p. 15, col. 2, ligne 37, et du manuscrit Laud 610, folio 102 verso,
-col. 1, Nemed aurait été frère du père de Tûan. Je crois qu'il y a
-là une faute de copie, et qu'on a écrit par erreur <i>brâthair</i>, qui est
-le nominatif, au lieu de <i>brâthar</i>, qui est le génitif.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_112" id="Note_112"></a><a href="#NoteRef_112"><span class="label">[4]</span></a> Le <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 15, col. 2, ligne 38, se sert de la
-première personne du singulier du présent de l'indicatif, <i>atachim</i>,
-qu'on trouve aussi écrit <i>atacîîm</i> dans le manuscrit H. 3. 18, p. 38,
-col. 1, ligne première. C'est une mauvaise transcription d'un plus
-ancien <i>at-a-chînn</i>, qui est le présent secondaire du verbe <i>atchiu</i>. On
-trouve <i>attacin</i>, par une seule <i>n</i>, dans le manuscrit Laud 610, folio
-102 verso, col. 1.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_113" id="Note_113"></a><a href="#NoteRef_113"><span class="label">[5]</span></a> Dans le texte du <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 16, col. 1, les mots
-«is-and-sin ro-radius-[s]a na-briathra-sa sis» sont suivis d'un
-poème en six quatrains. Nous donnons la traduction des deux derniers.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_114" id="Note_114"></a><a href="#NoteRef_114"><span class="label">[6]</span></a> Si nous en croyons le <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 16, col. 1, ligne 21,
-et le manuscrit H. 3. 18, p. 38, col. 1, ce malheur leur serait arrivé
-dans la mer Caspienne; mais cette addition, relativement récente,
-ne se trouve pas dans le manuscrit Laud 610, folio 102 verso, col. 2,
-où le passage correspondant se lit à la première ligne. On sait que
-la géographie de Strabon fait communiquer la mer Caspienne avec
-l'Océan. Strabon, livre II, chap. V, § 18, édit. Didot-Müller et Deubner,
-p. 100, livre XI, chap. VII, § 1; même édit., p. 434.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_115" id="Note_115"></a><a href="#NoteRef_115"><span class="label">[7]</span></a> Nous reproduisons ici le texte du <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 16,
-col. 2, lignes 5&ndash;7. Le nom des Galiûin a été supprimé dans les manuscrits
-H. 3. 18, p. 38, col. 2, et Laud 610, folio 102 verso, col. 2.
-Ces manuscrits mettent le commencement des Galiûin plus tard.</p></div>
-
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="III_4"></a>§ 4.<br />
-<i>La légende de Tûan et la chronologie. Modifications
-dues à l'influence chrétienne.</i></h3>
-
-<p>Combien de temps Tûan avait-il vécu sous ces
-différentes formes? On lui trouvait un total de trois
-cent vingt ans jusqu'au moment où commence sa
-seconde vie d'homme.</p>
-
-<p>Voici comment on calculait:</p>
-
-
-<table>
-<tr><td>Tûan a été homme la première fois pendant</td><td class="tdr">100 ans</td></tr>
-<tr><td>Il a vécu sous forme de cerf</td><td class="tdr">80 ans</td></tr>
-<tr><td><span style="margin-left: 2em;">&mdash;&nbsp; &nbsp; sous forme de porc</span></td><td class="tdr">20 ans</td></tr>
-<tr><td><span style="margin-left: 2em;">&mdash;&nbsp; &nbsp; sous forme de vautour ou d'aigle</span></td><td class="tdr">100 ans</td></tr>
-<tr><td>Métamorphosé en poisson, il a passé sous l'eau</td><td class="bb" style="text-align: right;">20 ans</td></tr>
-<tr><td class="tdr">Total</td><td class="tdr">320 ans</td></tr>
-</table>
-
-
-<p>Le texte qui nous fournit ces chiffres arrête la nomenclature
-de ces indications arithmétiques au moment
-<span class="pagenum"><a name="Page_59" id="Page_59">[Pg 59]</a></span>où Tûan, mangé par la reine, cessa d'être
-poisson. Tûan, ajoute-t-il, resta sous forme humaine
-jusqu'au temps de Finnên, fils de Ua Fiatach<a name="NoteRef_116" id="NoteRef_116"></a><a href="#Note_116" class="fnanchor">[1]</a>.
-Ici, aucun chiffre. Pour savoir la durée totale
-de la vie de Tûan, il faudrait trouver combien
-de temps a duré la dernière période de son existence,
-quand, ayant forme humaine pour la seconde
-fois, il était fils, non plus de Starn, mais de Carell.</p>
-
-<p>La réponse à cette question n'a pas toujours été
-la même. C'est à l'époque chrétienne qu'on a imaginé
-de faire vivre Tûan jusqu'au temps de saint
-Finnên, c'est-à-dire jusqu'au sixième siècle de notre
-ère. Ce sont les Irlandais chrétiens qui ont éprouvé
-le besoin de mettre l'authenticité de leurs traditions
-mythologiques sous le patronage de saint Finnên, de
-saint Columba et de saint Patrice. A l'époque païenne,
-il était inutile de faire vivre Tûan jusqu'à une date
-aussi rapprochée.</p>
-
-<p>L'invention de ce personnage n'avait qu'un but:
-expliquer comment avait pu se transmettre aux Irlandais
-l'histoire de trois races qui avaient, dit-on,
-jadis occupé l'Irlande, qui avaient depuis disparu et
-desquelles ne descendaient pas les ancêtres de la
-<span class="pagenum"><a name="Page_60" id="Page_60">[Pg 60]</a></span>population actuelle de l'île. Ces trois races étaient
-celle de Partholon, celle de Nemed et celle des
-Tûatha Dê Danann. Tûan pendant sa première vie
-d'homme avait été contemporain de la «famille» de
-Partholon et de l'arrivée de Nemed. Cerf il avait été
-témoin de la destruction de la race de Nemed. Aigle
-ou vautour, il avait vu les Tûatha dê Danann maîtres
-de l'Irlande.</p>
-
-<p>Grâce à ses transformations, Tûan avait pu, sans
-violer les lois ordinaires de la durée de la vie, sans
-autre phénomène surnaturel que ses métamorphoses,
-assister à l'arrivée et à la disparition successives des
-trois races qui ont précédé les fils de Milé, des trois
-races qui ont occupé l'Irlande avant les habitants
-historiques de l'île. Il avait survécu à ces trois
-races. Redevenu homme au temps des fils de Milé,
-c'est-à-dire des aïeux de la race irlandaise moderne,
-il leur avait raconté l'histoire de ces populations
-primitives, il avait même pu leur donner des détails
-sur l'origine des Fir-bolg, des Fir Domnann, des Fir-Galioin
-leurs adversaires de l'époque héroïque, puisqu'il
-était sanglier à la date de l'arrivée de ces trois
-peuples.</p>
-
-<p>Ces vieux récits, une fois connus de la race de
-Milé, s'étaient transmis père en fils et de <i>file</i> en <i>file</i>
-avec le trésor entier des traditions nationales. Dans
-la plus ancienne rédaction de la légende, la seconde
-vie humaine de Tûan avait duré ce que dure ordinairement
-une vie d'homme: la prolonger au delà
-des limites naturelles aurait été inutile et contraire
-<span class="pagenum"><a name="Page_61" id="Page_61">[Pg 61]</a></span>aux données fondamentales de cette composition
-épique qui n'admet pas ce genre de prodige.</p>
-
-<p>Mais quand, pour faire adopter par le clergé chrétien
-le merveilleux tout païen de la légende de Tûan, on
-imagina de le placer sous la protection des saints les
-plus célèbres et les plus respectés du christianisme
-irlandais, il fallut modifier les données primitives
-du récit et y introduire un élément surnaturel
-que ce récit n'avait pas contenu jusque-là. Dès lors il
-fut admis que Tûan, devenu homme pour la seconde
-fois, avait vécu sous cette forme un grand nombre
-de siècles.</p>
-
-<p>«Nous lisons dans les histoires d'Irlande,» écrit
-Girauld de Cambrie, «que Tûan dépassa de beaucoup
-la longévité de tous les patriarches bibliques.
-Quelque incroyable et quelque contestable que
-cela puisse paraître, il atteignit l'âge de quinze
-cents ans<a name="NoteRef_117" id="NoteRef_117"></a><a href="#Note_117" class="fnanchor">[2]</a>.» Ce miracle d'une excessive longévité
-n'a été imaginé en Irlande que quand on y a
-connu la Genèse. Mathusalem, le plus vieux des patriarches,
-est mort âgé de neuf cent soixante-neuf ans,
-Tûan a vécu quatre cent trente et un an de plus.
-C'est un des points par où se manifeste la supériorité
-de l'Irlande sur le reste du monde. Or, ce détail de
-<span class="pagenum"><a name="Page_62" id="Page_62">[Pg 62]</a></span>la légende de Tûan n'a pu être imaginé que par un
-auteur qui avait lu la Bible.</p>
-
-<p>Mais les métamorphoses par lesquelles Tûan est,
-dit-on, passé ont une origine littéraire tout autre.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_116" id="Note_116"></a><a href="#NoteRef_116"><span class="label">[1]</span></a> «Tuan fuit in forma viri centum annis in Hêri[nn] iar Fintan;
-fiche bliadna in forma porci, LXXX anni[s] in forma cervi, centum
-anni[s] in forma aquilæ, XX bliadan fo-lind in forma pi[s]cis, iterum
-in forma hominis co-sentaith co haimsir Finnio mic hui Fhiatach.»
-Bibliothèque bodléienne d'Oxford, Laud 610, folio 103 recto,
-col. 2. Nous verrons plus loin l'explication des mots <i>iar Fintan</i>,
-après Fintan, qui se rapportent à la légende de Cessair.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_117" id="Note_117"></a><a href="#NoteRef_117"><span class="label">[2]</span></a> Giraldus Cambrensis, <i>Topographia Hibernica</i>, III, 2, dans
-<i>Giraldi Cambrensis opera</i>, édités par Dimock, t. V, p. 142. Au lieu
-de Tuanus, le nom du personnage est écrit Ruanus, fidèle reproduction
-d'une faute qui se trouve déjà dans les manuscrits de Girauld
-de Cambrie.</p></div>
-
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="III_5"></a>§ 5.<br />
-
-<i>La légende de Tûan mac Cairill dans sa forme primitive
-est d'origine païenne.</i></h3>
-
-<p>La croyance à des métamorphoses qui expliqueraient
-la merveilleuse, science de certains hommes
-est une conception celtique que nous trouvons aussi
-dans le pays de Galles. Taliésin raconte qu'il a été
-aigle<a name="NoteRef_118" id="NoteRef_118"></a><a href="#Note_118" class="fnanchor">[1]</a>. L'idée qu'une âme pouvait en ce monde
-revêtir successivement plusieurs formes physiques
-différentes était une conséquence naturelle d'une
-doctrine celtique bien connue dans l'antiquité. Cette
-doctrine est que les défunts qui ont laissé dans le
-tombeau leur corps privé de vie trouvent en échange
-un corps vivant dans la contrée mystérieuse qu'ils
-vont habiter sous le sceptre séduisant du roi puissant
-des morts<a name="NoteRef_119" id="NoteRef_119"></a><a href="#Note_119" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_63" id="Page_63">[Pg 63]</a></span>C'est la foi à cette universelle métamorphose des
-humains qui a inspiré la croyance aux métamorphoses
-étranges de Tûan et de Taliésin. Ainsi la légende
-de Tûan a ses racines dans un des principes fondamentaux
-de la théologie des Celtes païens. Il n'est
-pas du reste le seul personnage dont l'âme ait en
-Irlande revêtu successivement deux corps d'homme
-et qui soit né deux fois. Mongân, roi d'Ulster au commencement
-du sixième siècle, était identique au célèbre
-Find, mort deux siècles avant la naissance de
-Mongân: l'âme de l'illustre défunt était revenue du
-pays des morts animer en ce monde un corps nouveau<a name="NoteRef_120" id="NoteRef_120"></a><a href="#Note_120" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-<p>Ainsi la survivance de l'âme au corps et la possibilité
-que l'âme d'un mort prenne derechef un corps
-en ce monde sont des croyances celtiques, et ces
-croyances expliquent les transmigrations merveilleuses
-ou les métamorphoses qui sont un des plus
-curieux éléments de la légende de Tûan mac Cairill<a name="NoteRef_121" id="NoteRef_121"></a><a href="#Note_121" class="fnanchor">[4]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_118" id="Note_118"></a><a href="#NoteRef_118"><span class="label">[1]</span></a> «Bum eryr,» <i>Kad Godeu</i>, vers 13, chez Skene, <i>The four ancient
-books of Wales</i>, t. II, p. 137.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_119" id="Note_119"></a><a href="#NoteRef_119"><span class="label">[2]</span></a> «Imprimis hoc volunt persuadere [druides], non interire animas,
-sed ab aliis post mortem transire ad alios.» César, <i>De bello
-gallico</i>, livre VI, c. 14, § 5.</p>
-
-<p class="poem">
-<span style="margin-left: 1em;">.... Vobis auctoribus umbræ</span><br />
-Non tacitas Erebi sedes Ditisque profundi<br />
-Pallida regna petunt: regit idem spiritus artus<br />
-Orbe alio.</p>
-
-<p>Lucain, <i>Pharsale</i>, l. I, v. 454&ndash;457.</p>
-
-</div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_120" id="Note_120"></a><a href="#NoteRef_120"><span class="label">[3]</span></a> On trouvera la légende de Mongân aux derniers paragraphes
-du chapitre XIV.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_121" id="Note_121"></a><a href="#NoteRef_121"><span class="label">[4]</span></a> C'est M. W. M. Hennessy qui a appelé mon attention sur ce
-document, et je dois à son amicale obligeance la solution d'une
-partie des difficultés de la traduction.</p></div>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_64" id="Page_64">[Pg 64]</a></span></p>
-
-<h2>CHAPITRE IV.<br/>
-
-CESSAIR, DOUBLET DE PARTHOLON.&mdash;FINTAN, DOUBLET
-DE TUAN MAC CAIRILL.</h2>
-
-<p><a href="#IV_1">§1</a>. Comparaison de la légende de Partholon et de Tûan avec celle
-de Cessair et de Fintan.&mdash;<a href="#IV_2">§2</a>. Date où a été imaginée la légende
-de Cessair et de Fintan.&mdash;<a href="#IV_3">§3</a>. Cessair chez Girauld de Cambrie
-et chez les savants irlandais du dix-septième siècle. Opinion de
-Thomas Moore.&mdash;<a href="#IV_4">§4</a>. Pourquoi et comment Cessair vint s'établir
-en Irlande.&mdash;<a href="#IV_5">§5</a>. Histoire de Cessair et de ses compagnons depuis
-leur arrivée en Irlande.&mdash;<a href="#IV_6">§6</a>. Les poèmes de Fintan.&mdash;<a href="#IV_7">§7</a>.
-Fintan: 1° au temps de la première bataille mythologique de
-Mag Tured; 2° sous le règne de Diarmait mac Cerbaill, sixième
-siècle de notre ère.&mdash;<a href="#IV_8">§8</a>. Les trois doublets de Fintan. Saint
-Caillin, son élève: conclusion.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="IV_1"></a>§ 1.<br />
-
-<i>Comparaison de la légende de Partholon et de Tûan
-avec celle de Cessair et de Fintan.</i></h3>
-
-<p>Il y a dans l'épopée irlandaise telle qu'elle nous
-est parvenue un certain nombre de récits relativement
-modernes dont le thème a été emprunté à des
-<span class="pagenum"><a name="Page_65" id="Page_65">[Pg 65]</a></span>légendes plus anciennes; en changeant les noms et
-en modifiant quelques accessoires, l'auteur a su donner
-à une composition antique, qui commençait à
-fatiguer les auditeurs, tout le charme de la nouveauté.
-C'est un procédé dont toutes les littératures,
-et notamment les littératures épiques, nous offrent
-de nombreux exemples.</p>
-
-<p>La légende de Cessair, que les chronologistes irlandais
-placent au début de l'histoire d'Irlande,
-avant celle de Partholon, est une œuvre chrétienne
-imaginée probablement dans la seconde moitié du
-dixième siècle sous l'inspiration combinée de la Genèse
-et de la légende de Partholon. Cessair est une
-petite-fille de Noé; elle arriva en Irlande quarante
-jours avant le déluge: elle y périt submergée par
-les eaux avec tous ses compagnons. Un seul fit exception:
-ce fut Fintan, qui, par un miracle sans
-exemple, vécut plusieurs milliers d'années et fut,
-croyait-on, témoin dans un procès, au sixième siècle
-de notre ère.</p>
-
-<p>Fintan est un doublet de Tûan; il le copie, mais
-lui est de tout point supérieur. Il n'a pas subi de
-métamorphoses déshonorantes; son âme n'a pas
-habité des corps d'animaux, et, tandis que Tûan a
-vécu quinze cents ans seulement, la vie de Fintan
-s'est prolongée pendant cinq mille ans. L'Irlande,
-fière de Tûan, peut à bon droit s'enorgueillir d'avoir
-été habitée par un homme aussi prodigieux que
-Fintan.</p>
-
-<p>Quant à Cessair, elle a sur Partholon cette supériorité
-<span class="pagenum"><a name="Page_66" id="Page_66">[Pg 66]</a></span>d'intérêt que les femmes ont toujours sur le
-sexe fort et laid dont elles embellissent la vie. A la
-date de sa naissance littéraire, Cessair a eu sur le
-vieux Partholon cette irrésistible suprématie de la
-nouveauté, qui est identique au charme de la jeunesse;
-en même temps, par une contradiction singulière,
-elle vieillissait de trois siècles les débuts de
-l'histoire d'Irlande, ajoutant par ce regain d'antiquité
-un titre de plus à l'orgueil national irlandais.</p>
-
-<p>Cessair arriva, dit-on, en Irlande trois cents ans
-avant Partholon, quarante jours avant le déluge. Il
-n'y a guère de région du monde qui puisse faire remonter
-plus haut son histoire.</p>
-
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="IV_2"></a>§ 2.<br />
-
-<i>Date où a été imaginée la légende de Cessair et de
-Fintan.</i></h3>
-
-<p>Au commencement du dixième siècle Cessair n'était
-pas encore inventée. Nennius, qui écrivait son livre
-vers le milieu de ce siècle, n'avait pas entendu parler
-de Cessair. Le premier, dit-il, qui vint en Irlande
-fut Partholon<a name="NoteRef_122" id="NoteRef_122"></a><a href="#Note_122" class="fnanchor">[1]</a>. C'est la doctrine exprimée dans la
-<span class="pagenum"><a name="Page_67" id="Page_67">[Pg 67]</a></span>légende de Tûan mac Cairill. «Il y eut,» dit Tûan,
-«cinq invasions en Irlande jusqu'aujourd'hui. Personne
-n'occupa l'Irlande avant le déluge<a name="NoteRef_123" id="NoteRef_123"></a><a href="#Note_123" class="fnanchor">[2]</a>.»</p>
-
-<p>Enfin, par inattention, l'auteur du <i>Lebar gabala</i>,
-qui commence l'histoire d'Irlande par la légende de
-Cessair, a conservé en tête de sa seconde section,
-consacrée à Partholon, les mots par lesquels la légende
-de ce héros mythique débutait aux temps
-chrétiens, du sixième au dixième siècle de notre ère,
-avant que les aventures de Cessair ne fussent inventées.
-Ces mots sont: «Personne de la race d'Adam
-n'occupa l'Irlande avant le déluge<a name="NoteRef_124" id="NoteRef_124"></a><a href="#Note_124" class="fnanchor">[3]</a>.» Or le même
-auteur avait écrit quelques lignes plus haut: «Cessair,
-fille de Bith, fils de Noé, prit possession de
-l'Irlande quarante jours avant le déluge<a name="NoteRef_125" id="NoteRef_125"></a><a href="#Note_125" class="fnanchor">[4]</a>.» La
-contradiction lui a échappé.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_68" id="Page_68">[Pg 68]</a></span>L'auteur le plus ancien qui ait parlé de Cessair est
-Eochaid ûa Flainn, mort en 984<a name="NoteRef_126" id="NoteRef_126"></a><a href="#Note_126" class="fnanchor">[5]</a>. Les vers de ce
-poète ont été insérés dans le <i>Lebar gabala</i>, dont le
-récit en prose contient divers détails qu'on ne trouve
-pas dans le poème.</p>
-
-<p>La légende de Cessair, telle que nous la donnent
-Eochaid et le <i>Lebar gabala</i>, présente une grande ressemblance
-avec celle de Banba, dont il était question
-dans le <i>Cin dromma snechta</i>, manuscrit du onzième
-siècle, aujourd'hui perdu<a name="NoteRef_127" id="NoteRef_127"></a><a href="#Note_127" class="fnanchor">[6]</a>. Banba, suivant ce récit,
-serait le nom d'une femme qui serait venue
-s'établir en Irlande avant le déluge. Or, <i>Banba</i> est
-un des noms de l'Irlande qui ordinairement, dans
-les vieux textes irlandais, s'appelle <i>Eriu</i>, au génitif
-<i>Erenn</i> ou <i>Erend</i>.</p>
-
-<p>Ceci explique pourquoi l'auteur inconnu qui, vers
-le milieu du douzième siècle, a composé les annales
-irlandaises intitulées <i>Chronicum Scotorum</i> a écrit,
-dès la première page de son ouvrage, qu'en l'an du
-monde 1599 arriva en Hibernie une fille des Grecs qui
-s'appelait Eriu, Banba ou Cesar<a name="NoteRef_128" id="NoteRef_128"></a><a href="#Note_128" class="fnanchor">[7]</a>. Mais, ajoute-t-il,
-les anciens historiens d'Irlande ne parlent point
-<span class="pagenum"><a name="Page_69" id="Page_69">[Pg 69]</a></span>d'elle<a name="NoteRef_129" id="NoteRef_129"></a><a href="#Note_129" class="fnanchor">[8]</a>. On voit qu'il avait sous les yeux des sources
-identiques ou analogues à celles où Nennius avait
-puisé: des auteurs antérieurs à Eochaid ûa Flainn et
-chez lesquels l'histoire d'Irlande commençait avec
-Partholon.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_122" id="Note_122"></a><a href="#NoteRef_122"><span class="label">[1]</span></a> «Primus autem venit Partholonus» <i>Appendix ad opera edita
-ab Angelo Mario</i>, Romæ, 1871, p. 98. Le traducteur irlandais de Nennius
-entend ce passage comme nous: «Ceid fear do gab Eirind i.
-Parrtalon.» «Le premier homme qui occupa l'Irlande, c'est-à-dire
-Parrtalon.» Todd, <i>The irish version of the Historia Britonum of
-Nennius</i>, p. 42.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_123" id="Note_123"></a><a href="#NoteRef_123"><span class="label">[2]</span></a> Les mots <i>ni-r-gabad rîan dîlind</i>, «elle ne fut pas occupée avant
-le déluge,» ont été passés par le copiste auquel nous devons le
-texte de cette légende conservé par le <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 15,
-col. 2; mais on les trouve dans le manuscrit de la bibliothèque bodleienne
-d'Oxford coté Laud 610, folio 102 verso, col. 1, et dans le
-manuscrit du Collège de la Trinité de Dublin coté H. 3. 18, p. 38,
-col. 1.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_124" id="Note_124"></a><a href="#NoteRef_124"><span class="label">[3]</span></a> «Ni ro gab nech tra do sîl Adaim Erind rîan dîlind.» Livre
-de Leinster, p. 5, col. 1, ligne 4.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_125" id="Note_125"></a><a href="#NoteRef_125"><span class="label">[4]</span></a> «Ro-s-gab iarum Cessair, ingen Betha maic Noe, ut prædiximus,
-cethorcha laa rian dilind.» Livre de Leinster, p. 4, col. 2, lignes 27
-et 28. Le renvoi <i>ut prædiximus</i> se rapporte à la même page, col. 1,
-ligne 50: «Rogab em Cessair ingen Betha maic Noe cethorcha la
-rian dilind.» Ces derniers mots font partie de la préface du <i>Lebar
-Gabala</i> ou «Livre des conquêtes,» tandis que la première citation
-est extraite du texte même du <i>Lebar Gabala</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_126" id="Note_126"></a><a href="#NoteRef_126"><span class="label">[5]</span></a> Livre de Leinster, p. 5, col. 2, lignes 6 et suiv.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_127" id="Note_127"></a><a href="#NoteRef_127"><span class="label">[6]</span></a> Livre de Ballymote, folio 12 A, cité par O'Curry, <i>Lectures on
-the manuscript materials</i>, p. 13; Keating, <i>Histoire d'Irlande</i>, édition
-de 1811, p. 148. <i>Cin dromma snechta</i> veut dire: «Cahier de parchemin
-au dos de neige,» c'est-à-dire couvert d'une peau blanche.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_128" id="Note_128"></a><a href="#NoteRef_128"><span class="label">[7]</span></a> Hennessy, <i>Chronicum Scotorum</i>, p. 2. L'édition écrit <i>Berba</i>
-pour <i>Banba</i>. Elle reproduit exactement la leçon du manuscrit qui
-lui sert de base; mais cette leçon est défectueuse.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_129" id="Note_129"></a><a href="#NoteRef_129"><span class="label">[8]</span></a> «Hoc non narrant antiquarii Scotorum.» <i>Ibid.</i></p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="IV_3"></a>§ 3.<br />
-
-<i>Cessair chez Girauld de Cambrie et chez les savants irlandais
-du dix-septième siècle. Opinion de Thomas
-Moore.</i></h3>
-
-<p>A la fin du douzième siècle, le scepticisme critique
-dont avait fait preuve l'auteur du <i>Chronicum
-Scotorum</i> avait passé de mode. Girauld de Cambrie
-écrivait alors sa <i>Topographia hibernica</i>. Sa thèse est
-le contre-pied de celle qu'avait énoncée l'auteur du
-<i>Chronicum Scotorum</i>. «Selon les histoires les plus
-anciennes de l'Irlande, dit Girauld, Caesara, petite-fille
-de Noé, apprenant que le déluge allait arriver,
-résolut de prendre la mer et de se réfugier
-dans les îles de l'Occident les plus éloignées, que
-personne n'avait habitées encore; elle espérait
-qu'en un endroit où il n'avait pas encore été commis
-de péché, Dieu ne punirait pas le péché
-par le déluge<a name="NoteRef_130" id="NoteRef_130"></a><a href="#Note_130" class="fnanchor">[1]</a>.» Cependant cette colonisation
-antédiluvienne inspire certains doutes à Girauld
-<span class="pagenum"><a name="Page_70" id="Page_70">[Pg 70]</a></span>de Cambrie. «Le déluge, dit-il, a presque tout détruit:
-comment le souvenir de Caesara et de ce
-qui lui est arrivé a-t-il pu se conserver? Il semble
-qu'il y a lieu de douter. Mais cela regarde ceux
-qui ont les premiers écrit ce récit. Ce que j'ai entrepris
-est de raconter l'histoire, et non de la démolir.
-Peut-être une inscription sur pierre, sur
-brique ou sur une autre matière aura-t-elle gardé
-le souvenir de ces antiques événements. Ainsi,»
-ajoute-t-il, «la musique, inventée avant le déluge
-par Jubal, fut conservée par deux inscriptions que
-Jubal lui-même écrivit l'une sur marbre, l'autre
-sur brique<a name="NoteRef_131" id="NoteRef_131"></a><a href="#Note_131" class="fnanchor">[2]</a>.»</p>
-
-<p>Girauld de Cambrie ignore ou affecte d'ignorer que
-Fintan, un des compagnons de Cessair, avait
-échappé au déluge, et grâce à une vie de cinq mille
-ans, avait pu encore, au cinquième et au sixième
-siècles de notre ère, attester l'authenticité des récits
-qui concernent l'histoire d'Irlande aux époques les
-plus reculées. Aussi les Quatre Maîtres, qui terminaient
-leur ouvrage, comme nous le savons, en
-1636, ont-ils, sans hésitation, commencé l'histoire
-de leur patrie à l'arrivée de <i>Ceasair</i> en Irlande, quarante
-jours avant le déluge, qui aurait eu lieu, suivant
-eux, conformément à la chronologie de saint
-Jérôme, l'an du monde 2242, avant J.-G. 3451<a name="NoteRef_132" id="NoteRef_132"></a><a href="#Note_132" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_71" id="Page_71">[Pg 71]</a></span>Keating est moins confiant. Après avoir raconté la
-légende de Cessair, il dit que, s'il l'a écrite, c'est
-qu'il l'a trouvée dans de vieux livres; mais qu'il ne
-comprend pas comment elle a pu être transmise aux
-populations qui sont venues habiter l'Irlande après
-le déluge. Deux explications, cependant, ajoute-t-il,
-seraient possibles. L'une serait que cette histoire aurait
-été racontée aux Irlandais par les démons-femmes,
-êtres aériens qu'on appelle fées, et qui étaient
-souvent leurs épouses au temps du paganisme<a name="NoteRef_133" id="NoteRef_133"></a><a href="#Note_133" class="fnanchor">[4]</a>.
-Peut-être aussi cette histoire aura-t-elle été gravée
-sur des pierres et ces inscriptions auront-elles été
-lues après le déluge par les nouveaux habitants de
-l'Irlande. Quant au Fintan qui vécut après le déluge,
-nous ne pouvons, dit-il, admettre qu'il soit le même
-que celui qui aurait existé avant le déluge. L'Ecriture
-nous apprend que le genre humain périt tout
-entier dans le déluge, à l'exception de huit personnes
-dont elle nous donne la liste, et dans cette liste
-le nom de Fintan ne se trouve pas<a name="NoteRef_134" id="NoteRef_134"></a><a href="#Note_134" class="fnanchor">[5]</a>. Keating a
-fait école, et le célèbre poète irlandais Thomas Moore,
-le plus connu des auteurs qui dans ce siècle ont écrit
-l'histoire d'Irlande, déclare qu'on est unanime aujourd'hui
-<span class="pagenum"><a name="Page_72" id="Page_72">[Pg 72]</a></span>pour considérer Caesara ou Cessair comme
-un personnage fabuleux<a name="NoteRef_135" id="NoteRef_135"></a><a href="#Note_135" class="fnanchor">[6]</a>.</p>
-
-<p>Le grand intérêt que présente cette légende est
-d'être à peu près rigoureusement datée. Elle a été
-imaginée dans la seconde moitié du onzième siècle;
-et en l'étudiant nous voyons comment, en Irlande,
-on s'y est pris pour développer et rajeunir la vieille
-légende celtique, en remplaçant par des données
-chrétiennes et bibliques ce qui, dans le vieux récit,
-était trop empreint des doctrines du paganisme celtique.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_130" id="Note_130"></a><a href="#NoteRef_130"><span class="label">[1]</span></a> <i>Topographia hibernica</i>, Dist. III, chap. I, dans <i>Giraldi Cambrensis
-opera</i>, édition Dimock, t. V, p. 139.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_131" id="Note_131"></a><a href="#NoteRef_131"><span class="label">[2]</span></a> <i>Topographia hibernica</i>, Dist. III, chap. 1, 13, dans <i>Giraldi
-Cambrensis opera</i>, édition Dimock, t. V, p. 140, 159.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_132" id="Note_132"></a><a href="#NoteRef_132"><span class="label">[3]</span></a> O'Donovan, <i>Annals of the kingdom of Ireland by the four masters</i>,
-1851, t. I, p. 2.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_133" id="Note_133"></a><a href="#NoteRef_133"><span class="label">[4]</span></a> «Acht munab iad na deamhuin aerdha, do bhiodh i n-a leannanuibh
-sîthe aca, thug dhôibh iad re linn a bheith i n-a bpagânaighibh
-dhôibh.» «A moins que ce ne fussent les démons aériens, qui
-étaient avec eux sous forme de concubines fées, qui leur aient
-rapporté ces histoires, au temps où ils étaient païens.» Keating,
-<i>Histoire d'Irlande</i>, édition de 1811, p. 154.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_134" id="Note_134"></a><a href="#NoteRef_134"><span class="label">[5]</span></a> Keating, <i>ibid</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_135" id="Note_135"></a><a href="#NoteRef_135"><span class="label">[6]</span></a> «Cesara is allowed on all hands to have been a purely fabulous
-personage.» <i>The History of Ireland by Thomas Moore esq.</i> Paris,
-1835, vol. I, p. 77.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="IV_4"></a>§ 4.<br />
-
-<i>Pourquoi et comment Cessair vint s'établir en
-Irlande.</i></h3>
-
-<p>Cessair est fille de Bith; Bith est un des fils de Noé;
-Moïse, dans la Genèse, a oublié de parler de Bith et
-de Cessair. Noé construisait l'arche; Bith envoya un
-messager à Noé et le fit prier de lui réserver dans
-l'arche un appartement tant pour lui que pour sa
-fille Cessair. Noé refusa<a name="NoteRef_136" id="NoteRef_136"></a><a href="#Note_136" class="fnanchor">[1]</a>. Partez, dit-il à Cessair;
-allez dans les régions les plus occidentales du
-monde; certainement le déluge ne les atteindra
-pas<a name="NoteRef_137" id="NoteRef_137"></a><a href="#Note_137" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_73" id="Page_73">[Pg 73]</a></span>Si nous en croyons un récit moderne, Cessair
-avait abandonné le culte du vrai Dieu, du Dieu de
-Noé, pour le culte d'une idole; et ce fut cette idole
-qui lui donna le conseil de s'embarquer et d'aller au
-loin chercher un lieu où elle pût être à l'abri du déluge<a name="NoteRef_138" id="NoteRef_138"></a><a href="#Note_138" class="fnanchor">[3]</a>.
-Cessair partit avec trois navires, et après
-une navigation de sept ans trois mois elle atteignit avec
-eux le rivage d'Irlande à Dûn nam-Barc, dans le territoire
-de Corco Duibne, aujourd'hui Corca Guiny<a name="NoteRef_139" id="NoteRef_139"></a><a href="#Note_139" class="fnanchor">[4]</a>.
-Deux des navires firent naufrage et tous ceux qui s'y
-trouvaient périrent. Les passagers du troisième arrivèrent
-seuls à terre sains et saufs. C'étaient Cessair,
-Bith son père, deux autres hommes, savoir Ladru
-et Fintan; enfin, cinquante jeunes femmes.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_136" id="Note_136"></a><a href="#NoteRef_136"><span class="label">[1]</span></a> Keating, édition de 1811, p. 150.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_137" id="Note_137"></a><a href="#NoteRef_137"><span class="label">[2]</span></a> <i>Lebar gabala</i>, livre de Leinster, p. 4, col. 2, lignes 30, 31.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_138" id="Note_138"></a><a href="#NoteRef_138"><span class="label">[3]</span></a> <i>Histoire d'Irlande</i>, par Keating, édition de 1811, p. 150.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_139" id="Note_139"></a><a href="#NoteRef_139"><span class="label">[4]</span></a> <i>Lebar gabala</i>, dans le livre de Leinster, p. 4, col. 2, lignes 31&ndash;33.
-Suivant O'Donovan, <i>Annals of the kingdom of Ireland by the Four
-masters</i>, 1851, t. I, p. 3, note <i>c</i>, Dun na m-barc serait identique à
-Dunamarc en Corca Luighe, au comté de Cork, et non de Kerry.
-La durée de sept ans trois mois est attribuée au voyage par le récit
-de Keating, édition de 1811, p. 152.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="IV_5"></a>§ 5.<br />
-
-<i>Histoire de Cessair et de ses compagnons depuis leur
-arrivée en Irlande.</i></h3>
-
-<p>La première chose que firent les trois hommes
-fut de se partager les femmes. Fintan chanta cette
-opération en seize vers, où il donne les noms des
-<span class="pagenum"><a name="Page_74" id="Page_74">[Pg 74]</a></span>femmes placées dans chacun des trois lots. Le sien
-comprit dix-huit femmes, plus Cessair; Bith et Ladru
-durent chacun se contenter de seize femmes<a name="NoteRef_140" id="NoteRef_140"></a><a href="#Note_140" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>Il y avait quarante jours qu'ils étaient arrivés en
-Irlande quand le déluge commença. Les eaux atteignirent
-successivement Ladru, à la montagne qui de
-son nom est appelée Ard Ladran; Bith, à la montagne
-qui reçut de lui le nom de Sliab Betha; et Cessair
-dans l'endroit qui, à cause d'elle, fut appelé
-Cuil Cesra<a name="NoteRef_141" id="NoteRef_141"></a><a href="#Note_141" class="fnanchor">[2]</a>. Cessair mourut la dernière avec les
-cinquante jeunes femmes qui s'étaient réfugiées près
-d'elle<a name="NoteRef_142" id="NoteRef_142"></a><a href="#Note_142" class="fnanchor">[3]</a>. Fintan, seul, échappa au fléau qui avait
-ôté la vie à ses deux compagnons et à ses cinquante
-et une compagnes. Il vécut, dit-on, jusqu'à la septième
-année du roi Diarmait mac Cerbaill<a name="NoteRef_143" id="NoteRef_143"></a><a href="#Note_143" class="fnanchor">[4]</a>, c'est-à-dire,
-<span class="pagenum"><a name="Page_75" id="Page_75">[Pg 75]</a></span>si nous admettons la chronologie du <i>Chronicum
-Scotorum</i>, jusqu'à l'année 551 de notre ère.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_140" id="Note_140"></a><a href="#NoteRef_140"><span class="label">[1]</span></a> Ce poème se trouve dans le livre de Leinster, p. 4, col. 2, et
-p. 5, col. 1.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_141" id="Note_141"></a><a href="#NoteRef_141"><span class="label">[2]</span></a> La science d'O'Donovan lui a fait retrouver les endroits où
-périrent ces premiers habitants de l'Irlande. Ard Ladran était située
-sur la mer, dans la partie orientale du comté de Wexford, en Leinster;
-Sliab Betha, aujourd'hui Slieve Beagh, est une montagne située sur
-la limite des deux comtés de Fermanagh et de Monaghan, en Ulster;
-on montre encore sur cette montagne le carn ou monceau de pierres
-sous lequel Bith aurait été enterré. Cuil Cesra, le tombeau de Cessair,
-était sur les bords de la Boyne. O'Donovan, <i>Annals of the
-kingdom of Ireland by the Four masters</i>, 1851, t. I, p. 3, notes <i>d, f, g</i>;
-p. 4, note <i>h</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_142" id="Note_142"></a><a href="#NoteRef_142"><span class="label">[3]</span></a> Un poème attribué à Fintan fait mourir Bith, Ladru et Cessair
-dans les eaux du déluge. Livre de Leinster, p. 4, col. 2, lignes 8, 9.
-Un récit plus récent, conservé par Keating (édit. de 1811, p. 154),
-les fait mourir tous trois avant le déluge.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_143" id="Note_143"></a><a href="#NoteRef_143"><span class="label">[4]</span></a> <i>Lebar gabala</i>, dans le livre de Leinster, p. 12, col. 1, lignes 37&ndash;39.
-Suivant ce texte, Fintan serait né sept ans seulement avant le
-déluge, en sorte qu'il aurait déjà eu dix-neuf femmes à cet âge si
-tendre. Peut-être faut-il lire dix-sept ans.</p></div>
-
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="IV_6"></a>§ 6.<br />
-
-<i>Les poèmes de Fintan.</i></h3>
-
-<p>Pendant ce long espace de temps, il fut témoin
-d'événements nombreux. On lui attribue des poèmes
-sur les faits les plus anciens de l'histoire irlandaise.
-Voici la traduction d'un des principaux:</p>
-
-<p>«Si l'on m'interroge sur l'Irlande, je sais et je
-puis raconter avec plaisir toutes les conquêtes dont
-elle fut l'objet depuis l'origine du monde séduisant.
-D'Orient vint Cessair, une femme, fille de Bith,
-avec ses cinquante jeunes filles, avec ses trois
-hommes. Le déluge atteignit Bith sur sa montagne
-sans mystère; Ladru à Ard Ladrann; Cessair à
-Cul Cesra. Pour moi, pendant un an sous le déluge
-rapide dans l'élévation de l'onde puissante, j'ai
-joui d'un sommeil qui était très bon. Puis, en Irlande,
-ici, j'ai trouvé au-dessus de l'eau mon chemin
-jusqu'à ce que Partholon vînt d'Orient, de la
-terre des Grecs. Ensuite, en Irlande, ici, j'ai joui
-du repos; l'Irlande était vide jusqu'à ce qu'arriva
-le fils d'Agnoman, Némed, aux coutumes brillantes<a name="NoteRef_144" id="NoteRef_144"></a><a href="#Note_144" class="fnanchor">[1]</a>.
-Les Fir-Bolg et les Fir-Galian vinrent longtemps
-<span class="pagenum"><a name="Page_76" id="Page_76">[Pg 76]</a></span>après, et les Fir Domnann aussi; ils débarquèrent
-à Eris<a name="NoteRef_145" id="NoteRef_145"></a><a href="#Note_145" class="fnanchor">[2]</a>, à l'ouest. Ensuite arrivèrent les
-Tûatha Dê Danann dans leur capuchon de brouillard.
-J'ai longtemps vécu avec eux, quoique cette époque
-soit bien éloignée. Après cela, les fils de Milé vinrent
-d'Espagne et du sud. J'ai vécu avec eux; leurs
-combats étaient puissants. J'avais atteint un âge
-avancé, je ne le cache point, quand la foi pure me
-fut envoyée par le roi du ciel nuageux. C'est moi
-qui suis le beau Fintan, fils de Bochra; je le dis
-hautement. Depuis que le déluge est venu ici, je
-suis un haut personnage en Irlande<a name="NoteRef_146" id="NoteRef_146"></a><a href="#Note_146" class="fnanchor">[3]</a>.»</p>
-
-<p>On attribue aussi à Fintan des poèmes sur la division
-de l'Irlande en cinq grandes provinces<a name="NoteRef_147" id="NoteRef_147"></a><a href="#Note_147" class="fnanchor">[4]</a>; sur
-les petites circonscriptions dites <i>Triocha-ced</i><a name="NoteRef_148" id="NoteRef_148"></a><a href="#Note_148" class="fnanchor">[5]</a>, sur
-la question de savoir quelles sont les personnes qui
-ont, les premières, introduit en Irlande diverses
-<span class="pagenum"><a name="Page_77" id="Page_77">[Pg 77]</a></span>espèces d'animaux<a name="NoteRef_149" id="NoteRef_149"></a><a href="#Note_149" class="fnanchor">[6]</a>, etc. Un des plus curieux
-raconte la conversation qu'un jour Fintan eut avec
-un vieil aigle de l'île d'Aicil sur la plus ancienne
-histoire de l'Irlande<a name="NoteRef_150" id="NoteRef_150"></a><a href="#Note_150" class="fnanchor">[7]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_144" id="Note_144"></a><a href="#NoteRef_144"><span class="label">[1]</span></a> <i>Niamda a gnas</i>, correction pour <i>nimtha gnas</i>, leçon du livre
-de Leinster.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_145" id="Note_145"></a><a href="#NoteRef_145"><span class="label">[2]</span></a> Eris, dans le comté de Mayo.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_146" id="Note_146"></a><a href="#NoteRef_146"><span class="label">[3]</span></a> Livre de Leinster, p. 4, col. 2, lignes 4&ndash;25; livre de Ballymote,
-folio 12 recto, col. 2; livre de Lecan, folio 271 verso, col. 1; livre
-de Fermoy, folio 4 recto, col. 2, d'après Todd, <i>Proceedings of the
-Royal Irish Academy, Irish manuscripts series</i>, vol. I, part I, 1870,
-p. 6. Une édition de ce document, accompagnée d'une traduction anglaise,
-a été publiée dans les <i>Transactions of the Ossianic Society</i>, t. V,
-p. 244&ndash;249. Malheureusement l'auteur ne s'est pas servi du meilleur
-manuscrit.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_147" id="Note_147"></a><a href="#NoteRef_147"><span class="label">[4]</span></a> Livre de Leinster, p. 8, col. 2, ligne 33.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_148" id="Note_148"></a><a href="#NoteRef_148"><span class="label">[5]</span></a> Trinity College de Dublin, manuscrit H. 3. 18, p. 45, lignes 14
-et suiv.; Manuscrits Stowe, 16 et 31, chez O'Conor, <i>Bibliotheca manuscripta
-Stowensis</i>, p. 91, 146; O'Curry, <i>Cath Mhuighe Leana</i>, p. 106&ndash;109;
-British Museum, manuscrit Egerton 118, p. 110.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_149" id="Note_149"></a><a href="#NoteRef_149"><span class="label">[6]</span></a> British Museum, ms. Egerton 138, p. 99.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_150" id="Note_150"></a><a href="#NoteRef_150"><span class="label">[7]</span></a> British Museum, Egerton 1782, folio 47 recto; Livre de Fermoy
-folio 99 verso, col. 1, cité par Todd, <i>Proceedings of the Royal
-irish Academy, Irish manuscripts series</i>, vol I, part I, p. 43; <i>Royal
-irish Academy</i>, manuscrit coté 23. D. 5, autrefois 46. 4, p. 235.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="IV_7"></a>§ 7.<br />
-
-<i>Fintan: 1° au temps de la première bataille mythologique
-de Mag-Tured; 2° sous le règne de Diarmait
-mac Cerbaill (sixième siècle de notre ère).</i></h3>
-
-<p>La légende de Fintan était déjà créée quand a été
-imaginée la première des deux batailles de Mag-Tured,
-qui a été composée la seconde, et où les Tûatha
-Dê Danann auraient vaincu les Fir-Bolg. Avant la
-première bataille de Mag-Tured, les Fir-Bolg consultèrent
-Fintan, dont ils savaient apprécier la vieille
-expérience. Des fils de Fintan prirent part à cette
-bataille et y perdirent la vie<a name="NoteRef_151" id="NoteRef_151"></a><a href="#Note_151" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>Enfin, vers le milieu du sixième siècle de notre
-ère, Fintan eut à intervenir comme témoin dans un
-procès entre le roi Diarmait, fils de Cerball, et les
-<span class="pagenum"><a name="Page_78" id="Page_78">[Pg 78]</a></span>descendants du roi Nîall Aux-neuf-otages, alors établis
-dans la petite province de Midé, qui forme aujourd'hui
-les deux comtés de Meath et de Westmeath.
-Ceux-ci se plaignaient de l'excessive étendue qu'avait
-prise depuis quelque temps, disaient-ils, à leur préjudice,
-le domaine royal de Tara, situé dans le comté
-de Meath. Le roi Diarmait leur demanda s'ils pouvaient
-prouver par témoins qu'autrefois le domaine
-royal de Tara fut moins considérable. Ils envoyèrent
-chercher les hommes les plus vieux et les plus
-intelligents du pays; on en trouva neuf, entre autres
-Cennfaelad, alors archevêque d'Armagh, et Tûan
-mac Cairill, le fameux compagnon de Partholon,
-seul survivant de la colonie que Partholon avait
-amenée. Cinq de ces vieux sages comparurent à la
-cour du roi, mais ils refusèrent de se prononcer sur
-la question en litige tant que leur doyen n'aurait pas
-été consulté, et ce doyen, c'était Fintan, fils de Bochra,
-le compagnon de l'antédiluvienne Cessair, de
-beaucoup leur supérieur à tous, et en âge et en
-science. On alla chercher Fintan, qui demeurait alors
-à Dun-Tulcha, dans le comté de Kerry. Fintan ne
-se fit pas prier. Il arriva au palais avec un nombreux
-cortège. Neuf groupes d'hommes le précédaient, autant
-le suivaient: c'étaient ses descendants. Le roi
-et son peuple l'accueillirent cordialement, et, après
-avoir pris un peu de repos, il leur raconta sa merveilleuse
-histoire et celle de Tara depuis sa fondation.
-Ses auditeurs lui demandèrent de leur démontrer,
-par un exemple, quelle confiance sa mémoire
-<span class="pagenum"><a name="Page_79" id="Page_79">[Pg 79]</a></span>méritait.&mdash;«Volontiers,» répondit Fintan. «Je
-traversais un jour un bois dans le Munster occidental.
-J'en rapportai chez moi une baie rouge
-d'if; je la plantai dans le jardin de ma maison. La
-semence germa et produisit un if qui devint grand
-comme un homme. Alors, j'ôtai cet arbre du jardin
-et je le transplantai dans la prairie qui dépendait
-de mon habitation. Il devint assez grand pour
-abriter sous son feuillage cent guerriers et les protéger
-contre le vent, la pluie, le froid et la chaleur.
-Nous vécûmes côte à côte, l'if et moi, jusqu'à
-ce que, mort de vieillesse, cet arbre perdit toute
-ses feuilles. Pour ne pas le laisser perdre sans en
-tirer profit, je le coupai, et du bois de sa tige je
-fabriquai sept grandes cuves, sept cuves moyennes
-et sept petites cuves, sept barattes, sept grands
-pots, sept pots moyens et sept petits pots, soit
-quarante-neuf vases de sept dimensions différentes
-dont cet arbre me fournit tant le merrain que les
-cercles. Je me servis longtemps de tous ces vases
-d'if, mais enfin ils vieillirent tant que leurs cercles
-tombèrent. Je me remis au travail: des grandes
-cuves, je fis des cuves moyennes; des cuves
-moyennes, je fis de petites cuves; des petites
-cuves, je fis des barattes; des barattes, je fis de
-grands pots; des grands pots, je fis des pots
-moyens; des pots moyens, je fis de petits pots.
-Mais aujourd'hui; de tous ces vases il ne reste
-que de la poussière, et j'ignore même ce que cette
-poussière est devenue.»</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_80" id="Page_80">[Pg 80]</a></span>De cette légende on n'a pas de manuscrit antérieur
-au quatorzième siècle<a name="NoteRef_152" id="NoteRef_152"></a><a href="#Note_152" class="fnanchor">[2]</a>. Mais au moins, quant à ses
-traits fondamentaux, elle existait déjà trois siècles
-auparavant, car il en est question dans le <i>Lebar
-gabala</i> ou Livre des invasions, qui paraît remonter
-au onzième siècle<a name="NoteRef_153" id="NoteRef_153"></a><a href="#Note_153" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_151" id="Note_151"></a><a href="#NoteRef_151"><span class="label">[1]</span></a> Manuscrit du Collège de la Trinité de Dublin, coté H. 3. 17, et
-cité chez O'Curry,<i> On the manners</i>, t. I, p. <span class="smcap">cccclviii</span>, note; t. III,
-p. 59, 60.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_152" id="Note_152"></a><a href="#NoteRef_152"><span class="label">[2]</span></a> Le manuscrit principal paraît être celui qui est coté H. 2. 16
-au Collège de la Trinité de Dublin. La pièce dont il s'agit se trouve
-aux col. 740&ndash;749. Elle commence par les mots <i>Incipit do sui[diu]gadh
-tellaich Temra</i>. O'Curry en a analysé certaines parties et traduit
-d'autres, <i>On the manners</i>, t. III, p. 59&ndash;62; il a donné un extrait du
-texte original dans le même volume, p. 242, note. Voir aussi, à la
-Bibliothèque bodléienne d'Oxford, le manuscrit Laud 610, f° 57 verso,
-et, dans la Bibliothèque de la <i>Royal irish Academy</i>, sous la cote 3. Q,
-autrefois 39. 6, la copie du Livre de Lismore, exécutée par Joseph
-O'Longan, folios 132&ndash;134. Enfin, il faut rapprocher de ces textes le
-fragment du <i>Dinn-senchus</i> concernant Tara, qui a été publié par
-Petrie, <i>On the history and antiquities of Tara-hill</i>, p. 129&ndash;132.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_153" id="Note_153"></a><a href="#NoteRef_153"><span class="label">[3]</span></a> Livre de Leinster, p. 12, col. 1, lignes 36&ndash;40. L'auteur de <i>Lebar
-gabala</i> s'appuie sur l'autorité de Fintan pour établir l'authenticité
-du récit où l'on trouve les noms des trente-six chefs qui auraient
-commandé les Gôidels à leur arrivée en Irlande; et il dit que Fintan
-vécut jusqu'à la septième année du règne de Diarmait. C'est
-l'époque où Fintan serait venu porter son témoignage à l'assemblée
-de Tara.</p></div>
-
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="IV_8"></a>§ 8.<br />
-
-<i>Les trois doublets de Fintan. Saint Caillin, son élève.
-Conclusion.</i></h3>
-
-<p>Les théologiens scrupuleux avaient peine à admettre
-comme authentique l'histoire de cet homme
-extraordinaire qui aurait échappé au déluge et qui
-cependant ne serait pas entré dans l'arche. Mais
-<span class="pagenum"><a name="Page_81" id="Page_81">[Pg 81]</a></span>Fintan eut des partisans hardis qui soutinrent que
-cet Irlandais prodigieux n'avait pas seul eu cette
-bonne fortune.</p>
-
-<p>Il y a, racontèrent-ils, quatre points cardinaux:
-l'est et l'ouest, le sud et le nord. Or, chacun d'eux
-a eu son homme. Il y a eu quatre hommes pour
-raconter les événement merveilleux et les vieilles
-histoires arrivées dans le monde. Deux sont nés
-avant le déluge et lui ont échappé: l'un est Fintan,
-fils de Bochra, fils de Lamech, qui a eu dans son
-lot les histoires d'Espagne et d'Irlande, c'est-à-dire
-de l'Occident, et qui a vécu 5550 ans, dont 50 avant
-le déluge et 5500 après; l'autre est Fors, fils
-d'Electra, fils de Seth, fils d'Adam. Celui-ci a eu
-pour mission d'observer les événements qui ont eu
-lieu en Orient; il vécut cinq mille ans et mourut à
-Jérusalem, sous l'empereur Auguste, l'année où naquit
-Jésus-Christ. Les deux autres sont: un petit-fils
-de Japhet et un arrière-petit-fils de Cham. L'un,
-qui avait le nord pour lot, mourut sur les bords de
-l'Araxe la quinzième année de l'empereur Tibère,
-après avoir vécu quatre mille ans. L'autre, chargé
-de la conservation des récits qui concernaient le
-Midi, mourut en Corse à l'époque où Cormac, fils
-d'Art, était roi suprême d'Irlande, c'est-à-dire au
-second siècle de notre ère. Cette légende audacieuse
-a été transcrite vers l'année 1100 dans le <i>Leabhar
-na h-Uidhre</i><a name="NoteRef_154" id="NoteRef_154"></a><a href="#Note_154" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_82" id="Page_82">[Pg 82]</a></span>Plus tard, un écrivain plus timide, sans rayer
-Fintan de la liste des hommes célèbres d'Irlande,
-sans effacer des annales d'Irlande la légende de Cessair,
-a fait de Fintan le maître de saint Caillin. Ce
-pieux personnage reçut pendant cent ans les leçons
-de Fintan. Sur les conseils de ce savant professeur,
-il alla compléter son éducation à Rome, où il passa
-deux siècles. Il revint en Irlande au temps de saint
-Patrice, et ce fut alors qu'un ange, envoyé par le
-Christ, lui révéla l'histoire d'Irlande depuis l'arrivée
-de Cessair. Caillin vécut jusqu'au temps de Diarmait,
-où, prophétisant, il fit connaître la liste des
-rois qui devaient régner en Irlande de la mort de
-Diarmait à la fin du monde et au dernier jugement
-de Dieu.</p>
-
-<p>Cette composition étrange a été écrite vers la fin
-du <span class="smcap">xiii</span><sup>e</sup> siècle<a name="NoteRef_155" id="NoteRef_155"></a><a href="#Note_155" class="fnanchor">[2]</a>. Elle nous offre la dernière évolution
-de la légende de Fintan. Cette légende, comme
-celle de Cessair, dont elle est un accessoire, n'appartient
-point à la mythologie celtique: ce sont
-des créations de l'Irlande chrétienne. Mais leur intérêt
-consiste en ce qu'elles ont été inspirées par la
-légende de Partholon et de Tûan mac Cairill, dans
-<span class="pagenum"><a name="Page_83" id="Page_83">[Pg 83]</a></span>laquelle il y a un fond de mythologie celtique clairement
-apparent, malgré les ornements accessoires
-et les additions érudites par lesquelles l'imagination
-et la science irlandaise l'ont développée et altérée
-dans les temps chrétiens. Nous avons établi que,
-vraisemblablement, les aventures de Cessair et de
-Fintan ont été inventées vers la fin du dixième siècle.
-La date de cette composition nouvelle, qui se rapproche
-de la date où les Irlandais prennent définitivement
-le dessus dans les luttes avec leurs
-conquérants scandinaves, est aussi digne d'attention
-que les procédés à l'aide desquels ce récit, dont le
-point de départ est celtique, a pris naissance et s'est
-développé.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_154" id="Note_154"></a><a href="#NoteRef_154"><span class="label">[1]</span></a> <i>Leabhar na h-Uidhre</i>, p. 120, col. 2.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_155" id="Note_155"></a><a href="#NoteRef_155"><span class="label">[2]</span></a> <i>The book of Fenagh in irish and english, originally compiled
-by S<sup>t</sup> Caillin, archbishop, abbot, and founder of Fenagh, alias Dunbally
-of Moy-Reim, tempore sancti Patricii, with the contractions resolved
-and as far as possible the original text restored; the whole carefully
-revised, indexed and copiously annotated by W. M. Hennessy
-M. R. I. A. and done into english by D. H. Kelly M. I. R. A.</i> Dublin,
-1875.</p></div>
-
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_84" id="Page_84">[Pg 84]</a></span></p>
-<h2>CHAPITRE V.<br />
-
-ÉMIGRATION DE NÉMED ET MASSACRE DE LA TOUR
-DE CONANN.</h2>
-
-<p><a href="#V_1">§1</a>. Origine de Némed; son arrivée en Irlande.&mdash;<a href="#V_2">§2</a>. Le règne de
-Némed en Irlande; ses premières relations avec les Fomôré.&mdash;<a href="#V_3">§3</a>.
-Ce que c'est que les Fomôré. Textes divers qui les concernent.&mdash;<a href="#V_4">§4</a>.
-L'équivalent des Fomôré dans la mythologie grecque
-et dans la mythologie védique.&mdash;<a href="#V_5">§5</a>. Combats de Némed contre
-les Fomôré.&mdash;<a href="#V_6">§6</a>. Domination tyrannique des Fomôré sur la
-race de Némed. Le tribut d'enfants. Comparaison avec le Minotaure.&mdash;<a href="#V_7">§7</a>.
-L'idole <i>Cromm crûach</i> ou <i>Cenn crûach</i> et les sacrifices
-d'enfants en Irlande. Les sacrifices humains en Gaule.&mdash;<a href="#V_8">§8</a>. Tigernmas,
-dieu de la mort, doublet de <i>Cromm crûach</i>.&mdash;<a href="#V_9">§9</a>. Le
-désastre de la tour de Conann d'après les documents irlandais.&mdash;<a href="#V_10">§10</a>.
-Le désastre de la tour de Conann suivant Nennius. Comparaison
-avec la mythologie grecque.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="V_1"></a>§ 1.<br />
-
-<i>Origine de Némed. Son arrivée en Irlande.</i></h3>
-
-<p>Nennius, qui n'a entendu parler ni de Cessair ni
-de Fintan, commence l'histoire d'Irlande par la légende
-<span class="pagenum"><a name="Page_85" id="Page_85">[Pg 85]</a></span>de Partholon, qu'il fait précéder de ces mots:
-«Les Scots vinrent d'Espagne en Irlande.» Partholon
-est, suivant lui, le premier de ces Scots arrivés
-d'Espagne en Irlande; et après avoir donné sur
-Partholon quelques détails dont il a été question
-plus haut, Nennius continue en ces termes: «Le
-second qui vint en Irlande fut Nimeth, fils d'un
-certain Agnomen qui, dit-on, navigua sur mer
-un an et demi, et qui ensuite, ayant fait naufrage,
-débarqua dans un port d'Irlande. Il y resta
-beaucoup d'années, puis, se réembarquant, il retourna
-en Espagne avec les siens.»</p>
-
-<p>Dans ce texte, le mot <i>Espagne</i> est une traduction
-savante des mots irlandais <i>mag môr</i>, «grande
-plaine»<a name="NoteRef_156" id="NoteRef_156"></a><a href="#Note_156" class="fnanchor">[1]</a>, <i>trag mâr</i>, «grand rivage,» <i>mag meld</i>,
-«plaine agréable,» par lesquels les païens irlandais
-désignaient le pays des Morts, lieu d'origine et
-dernier asile des vivants. C'est l'évhémérisme chrétien
-qui a substitué le nom d'Espagne à ces expressions
-mythologiques, témoignage des croyances acceptées
-en des temps plus anciens. La légende de
-Tûan mac Cairill s'exprime d'une manière qui enlève
-tout doute: «Le nombre des compagnons de Némed
-<span class="pagenum"><a name="Page_86" id="Page_86">[Pg 86]</a></span>finit par atteindre quatre mille trente hommes et
-quatre mille trente femmes. Alors ils moururent
-tous<a name="NoteRef_157" id="NoteRef_157"></a><a href="#Note_157" class="fnanchor">[2]</a>.» Ils moururent tous: voilà ce qu'une
-rédaction antique, aujourd'hui perdue, rendait par
-les mots: «Ils firent le voyage de la Grande Plaine,
-du Grand Rivage, ou de la Plaine agréable,» formule
-où Nennius voit l'indication d'un retour en Espagne.</p>
-
-<p>Dans la plupart des textes irlandais, la légende
-de Némed est beaucoup plus développée que chez
-Nennius et que dans le bref résumé attribué à Tûan.
-Une des additions qu'elle reçoit est le résultat de ce
-qu'ordinairement on classait autrement que Nennius
-ne l'a fait un des vieux récits qui sont les éléments
-fondamentaux de la mythologie irlandaise.
-Nennius met un de ces récits à une place où nulle
-part ailleurs nous ne le trouvons. Nous voulons
-parler de la pièce intitulée <i>Massacre de la tour de
-Conann</i><a name="NoteRef_158" id="NoteRef_158"></a><a href="#Note_158" class="fnanchor">[3]</a>. Ce morceau est un des plus anciens dont
-se compose la littérature épique irlandaise, puisqu'il
-est compris dans la première de nos listes, qui paraît
-avoir été rédigée vers l'an 700. Or, Nennius en
-fait un épisode de l'histoire des fils de Milé. C'est
-probablement une erreur de sa part, car tous les
-documents irlandais sont d'accord pour placer cet
-événement légendaire dans l'histoire de la race de
-Némed.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_87" id="Page_87">[Pg 87]</a></span>La plupart des documents nous présentent cette
-histoire avec bien des détails ajoutés à diverses dates,
-toutes relativement récentes. Ainsi, ce n'est
-ni d'Espagne ni du pays des Morts que vient Némed.
-Il arrive d'une région de la Scythie habitée par les
-Grecs. Parti avec quarante-quatre navires, il en avait
-perdu quarante-trois en route et avait passé un an
-et demi dans la mer Caspienne; et ce fut avec un
-seul navire qu'il atteignit les côtes de l'Irlande. Voilà
-ce que nous raconte, à la fin du onzième siècle, le
-Livre des Invasions<a name="NoteRef_159" id="NoteRef_159"></a><a href="#Note_159" class="fnanchor">[4]</a>. Au dixième siècle on savait,&mdash;Nennius
-nous l'apprend,&mdash;que Némed avait été
-un an et demi sur mer avant d'atteindre l'Irlande; au
-onzième siècle la science irlandaise s'était accrue d'une
-notion supplémentaire: on était en mesure de dire
-sur quelle mer cette longue navigation s'était accomplie.
-On avait découvert qu'il s'agissait de la mer Caspienne<a name="NoteRef_160" id="NoteRef_160"></a><a href="#Note_160" class="fnanchor">[5]</a>.
-Au dix-septième siècle, ce voyage par mer
-de la mer Caspienne en Irlande parut inadmissible aux
-savants irlandais: à la mer Caspienne on substitua
-le Pont-Euxin. «Quand, dit Keating, Nemhed partit
-de Scythie pour se rendre en Irlande, il s'embarqua
-sur une petite mer qui tire ses eaux de
-l'Océan, et le nom par lequel on désigne cette
-petite mer est <i>mare Euxinum</i>.» Un traducteur
-moderne nous apprend que le Pont-Euxin s'appelle
-<span class="pagenum"><a name="Page_88" id="Page_88">[Pg 88]</a></span>aujourd'hui mer Noire. «Toutefois,» ajoute-t-il, «il
-y a évidemment ici une erreur de Keating; c'est
-dans la mer Baltique que Nemhed s'est embarqué.»
-Mais Keating parle bien du Pont-Euxin:
-«C'est,» dit l'historien irlandais, «la limite entre
-la région nord-ouest de l'Asie et la région nord-est
-de l'Europe;» et, ajoute-t-il pour montrer qu'il
-a étudié sa géographie, «c'est dans la région nord-ouest
-de l'Asie que sont les monts Riphées. Selon
-Pomponius Méla, ils séparent de la petite mer,
-dont nous venons de parler, l'Océan septentrional.
-Nemhed laissa à main droite les monts Riphées,
-jusqu'à ce qu'il arriva à l'Océan qui est au nord,
-et il eut l'Europe à sa main gauche jusqu'à ce qu'il
-atteignit l'Irlande.» Un traducteur moderne fait
-observer que par les monts Riphées on doit entendre
-l'Oural<a name="NoteRef_161" id="NoteRef_161"></a><a href="#Note_161" class="fnanchor">[6]</a>.</p>
-
-<p>Qu'était-ce qu'Agnomen, ou Agnoman, père de
-Némed? Nennius n'en dit rien. Suivant le <i>Lebar
-gabala</i>, c'est un Grec de Scythie<a name="NoteRef_162" id="NoteRef_162"></a><a href="#Note_162" class="fnanchor">[7]</a>. Il le fait descendre
-de la race de Fênius Farsaid. Ce Fênius, arrière-petit-fils
-de Japhet par Gomer, d'autres disent
-par Magog<a name="NoteRef_163" id="NoteRef_163"></a><a href="#Note_163" class="fnanchor">[8]</a>, fut père de Nêl, qui épousa Scota,
-fille de Pharaon, roi d'Egypte; et de cette union
-naquit Gôidel Glas, ancêtre des Gôidels ou de la
-race irlandaise. De Gôidel Glas, suivant la préface
-<span class="pagenum"><a name="Page_89" id="Page_89">[Pg 89]</a></span>du <i>Lebar gabala</i>, est issue une famille qui, à une
-date reculée, a fourni à la Scythie un dynastie
-royale<a name="NoteRef_164" id="NoteRef_164"></a><a href="#Note_164" class="fnanchor">[9]</a>,&mdash;les descendants de Scota, les Scots,
-étaient évidemment identiques aux Scythes,&mdash;et,
-de cette dynastie, un membre est Agnoman, qui,
-un jour condamné à l'exil, mourut dans une île de
-la mer Caspienne<a name="NoteRef_165" id="NoteRef_165"></a><a href="#Note_165" class="fnanchor">[10]</a>. Agnoman est de la même famille
-que Partholon. Partholon est, comme Agnoman,
-un descendant de Fênius Farsaid et de Gôidel
-Glas: les diverses races qui ont successivement
-peuplé l'Irlande remontent à des ancêtres communs
-qui descendent de Magog ou de Gomer, fils de Japhet;
-en sorte qu'il y a parfait accord entre les traditions
-généalogiques irlandaises et les généalogies
-bibliques<a name="NoteRef_166" id="NoteRef_166"></a><a href="#Note_166" class="fnanchor">[11]</a>. Il est vrai que l'authenticité des traditions
-généalogiques irlandaises fabriquées au onzième
-siècle reste à démontrer.</p>
-
-<p>Un texte irlandais fixe à vingt-deux ans, la plupart
-fixent à trente ans la durée de l'intervalle qui
-s'écoula entre la semaine fatale où périrent les descendants
-de Partholon et le jour où Némed débarqua
-sur les côtes d'Irlande<a name="NoteRef_167" id="NoteRef_167"></a><a href="#Note_167" class="fnanchor">[12]</a>.</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_156" id="Note_156"></a><a href="#NoteRef_156"><span class="label">[1]</span></a> Iar gnâis Maige Mâir, «suivant la coutume de la Grande
-Plaine,» chez Windisch, <i>Irische Texte</i>, p. 132, seconde partie, ligne 6;
-ingen Mag-môir, dans le <i>Livre de Leinster</i>, p. 8, col. 2, ligne 26; p. 9,
-col. 1, ligne 34; p. 200, col. 2, ligne 16; Mag-Mell, dans: <i>Echtra
-Condla</i>, chez Windisch, <i>Kurzgefasste irische Grammatik</i>, p. 119, ligne
-10; <i>Seirglige Conculainn</i>, chez Windisch, <i>Irische Texte</i>, p. 214,
-note; Trag-Mâr, dans <i>Echtra Condla</i>, p. 120, ligne 9.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_157" id="Note_157"></a><a href="#NoteRef_157"><span class="label">[2]</span></a> «Roforbair a-sil-sium iar-sin ocus rochlannaigistâr cor-ra-batâr
-cethri mîli ar trichat lanamna and; atbathatar-side dana uli.» <i>Leabhar
-na h-Uidhre</i>, p. 16, col. 1, l. 23&ndash;25.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_158" id="Note_158"></a><a href="#NoteRef_158"><span class="label">[3]</span></a> Orgain tuir Conaind.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_159" id="Note_159"></a><a href="#NoteRef_159"><span class="label">[4]</span></a> <i>Lebar gabala</i>, dans le Livre de Leinster, p. 6, col. 1, lignes 11
-et 12.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_160" id="Note_160"></a><a href="#NoteRef_160"><span class="label">[5]</span></a> Strabon fait communiquer la mer Caspienne avec l'Océan.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_161" id="Note_161"></a><a href="#NoteRef_161"><span class="label">[6]</span></a> Keating, <i>Histoire d'Irlande</i>, édition 1811, p. 176; traduction
-d'O'Mahony. New-York, 1866, p. 122.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_162" id="Note_162"></a><a href="#NoteRef_162"><span class="label">[7]</span></a> Livre de Leinster, p. 6, col. 1, ligne 13.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_163" id="Note_163"></a><a href="#NoteRef_163"><span class="label">[8]</span></a> <i>Leabhar na h-Uidhre</i>, p. 1, col. 1, lignes 2 et suivantes.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_164" id="Note_164"></a><a href="#NoteRef_164"><span class="label">[9]</span></a> Livre de Leinster, p. 2, fin de la colonne 2.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_165" id="Note_165"></a><a href="#NoteRef_165"><span class="label">[10]</span></a> Livre de Leinster, p. 2, col. 2, lignes 40 et suivantes; p. 3,
-col. 2, lignes 36 et suivantes.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_166" id="Note_166"></a><a href="#NoteRef_166"><span class="label">[11]</span></a> Partholon est fils de Sera, fils de Sru; Sru est fils d'Esru, fils
-lui-même de Gôidel Glas. Livre de Leinster, p. 2, ligne 23; p. 5,
-col. 1, lignes 6, 7; cf. Keating, édition de 1811, p. 162, 174.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_167" id="Note_167"></a><a href="#NoteRef_167"><span class="label">[12]</span></a> L'espace de vingt-deux ans est donnée par la légende de Tûan
-mac Cairill, plus haut, <a href="#Page_5">p. 5</a>. Trente ans est le chiffre du <i>Lebar
-gabala</i>, dans le Livre de Leinster, p. 6, col. 1, ligne 11. Le <i>Lebar
-gabala</i> traduit par «pendant trente ans,» <i>fri re XXX m-bliadan</i>, le
-«six fois cinq ans,» <i>sê choic m-bliadna</i>, du poème qui commence
-par les mots «Heriu oll ordnit Gaedil:» Livre de Leinster, p. 6,
-col. 2, ligne 46.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_90" id="Page_90">[Pg 90]</a></span></p>
-<h3><a id="V_2"></a>§ 2.<br />
-
-<i>Le règne de Némed en Irlande; ses premières relations
-avec les Fomôré.</i></h3>
-
-<p>Du temps de Némed, le sol de l'Irlande continua
-le travail commencé sous Partholon. Le nombre des
-lacs s'augmenta de quatre<a name="NoteRef_168" id="NoteRef_168"></a><a href="#Note_168" class="fnanchor">[1]</a>, et celui des plaines de
-douze<a name="NoteRef_169" id="NoteRef_169"></a><a href="#Note_169" class="fnanchor">[2]</a>. Un de ces lacs eut une origine identique à
-celle d'un des lacs qui datent du temps de Partholon.
-Annenn, un des fils de Némed mourut; on creusa
-sa fosse, et du fond de la fosse jaillit une source;
-cette source fut assez abondante pour donner naissance
-à un lac, et du nom du mort, on appela cet
-amas d'eau <i>Loch Anninn</i>.</p>
-
-<p>Le règne de Némed fut marqué par une innovation:
-on lui doit la fondation des deux premières de
-ces forteresses rondes, en irlandais <i>râith</i>, qu'habitaient
-<span class="pagenum"><a name="Page_91" id="Page_91">[Pg 91]</a></span>les rois d'Irlande<a name="NoteRef_170" id="NoteRef_170"></a><a href="#Note_170" class="fnanchor">[3]</a>. Les fossés de l'une d'elles
-furent creusés en une journée par quatre merveilleux
-ouvriers, qui étaient frères. Le lendemain matin,
-Némed les tua tous quatre<a name="NoteRef_171" id="NoteRef_171"></a><a href="#Note_171" class="fnanchor">[4]</a>; leur habileté l'avait
-effrayé; il craignait de trouver en eux de trop puissants
-ennemis. C'étaient, dit-on, des Fomôré, et ce
-que Némed redoutait était qu'ils ne prissent trop
-facilement le fort qu'ils avaient construit. Il les enterra
-sur place<a name="NoteRef_172" id="NoteRef_172"></a><a href="#Note_172" class="fnanchor">[5]</a>. Il n'avait pas tort de craindre
-cette race redoutable. En effet, il devait, comme Partholon
-avant lui, comme plus tard ses fils, et enfin
-comme les Tûatha Dê Danann, avoir une guerre terrible
-à soutenir contre les Fomôré.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_168" id="Note_168"></a><a href="#NoteRef_168"><span class="label">[1]</span></a> Sur ces lacs, voir le poème qui commence par les mots «Heriu
-oll ordnit Gaedil» (Livre de Leinster, p. 7, col. 1, lignes 5&ndash;7); le
-texte en prose du <i>Lebar gabala</i> (Livre de Leinster, p. 6, col. 1, lignes
-19&ndash;24), et Girauld de Cambrie, distinction III, ch. 3, édition
-Dimock, p. 143.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_169" id="Note_169"></a><a href="#NoteRef_169"><span class="label">[2]</span></a> Sur les plaines, voir le poème <i>Heriu oll ordnit Gaedil</i> (Livre de
-Leinster, p. 7, col. 1, lignes 10&ndash;15), et le texte en prose du <i>Lebar gabala</i>
-(Livre de Leinster, p. 6, col. 1, lignes 33&ndash;38).</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_170" id="Note_170"></a><a href="#NoteRef_170"><span class="label">[3]</span></a> Poème <i>Heriu oll ordnit Gaedil</i>, dans le Livre de Leinster, p. 7,
-col. 1, lignes 8, 9.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_171" id="Note_171"></a><a href="#NoteRef_171"><span class="label">[4]</span></a> Texte en prose du <i>Lebar gabala</i>, Livre de Leinster, p. 6, col. 1,
-lignes 26&ndash;32.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-
-<p><a name="Note_172" id="Note_172"></a><a href="#NoteRef_172"><span class="label">[5]</span></a> <i>Histoire d'Irlande</i>, par Keating, édition de 1811, p. 178.</p></div>
-
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="V_3"></a>§ 3.<br />
-
-<i>Ce que c'est que les Fomôré. Textes divers qui les
-concernent.</i></h3>
-
-<p>Nous avons déjà dit que les Fomôré sont les dieux
-de la Mort et de la Nuit. L'évhémérisme chrétien a
-fait d'eux des pirates qui ravageaient l'Irlande<a name="NoteRef_173" id="NoteRef_173"></a><a href="#Note_173" class="fnanchor">[1]</a>. A
-propos de leurs guerres avec Partholon, nous avons
-<span class="pagenum"><a name="Page_92" id="Page_92">[Pg 92]</a></span>donné sur eux quelques indications<a name="NoteRef_174" id="NoteRef_174"></a><a href="#Note_174" class="fnanchor">[2]</a>. Nous avions
-précédemment parlé aussi d'eux dans notre premier
-chapitre<a name="NoteRef_175" id="NoteRef_175"></a><a href="#Note_175" class="fnanchor">[3]</a>. Le moment est venu d'entrer dans des
-développements plus circonstanciés. Les érudits irlandais,
-qui avaient étudié la Bible, les faisaient descendre
-de Cham. Nous trouvons déjà cette généalogie,
-relativement moderne, dans le plus ancien des
-manuscrits littéraires irlandais.</p>
-
-<p>L'auteur d'un traité des origines du genre humain<a name="NoteRef_176" id="NoteRef_176"></a><a href="#Note_176" class="fnanchor">[4]</a>,
-inséré dans le <i>Leabhar na h-Uidhre</i>, qui
-a été transcrit vers l'année 1100, a un chapitre intitulé:
-<i>Histoire des monstres, c'est-à-dire des Fomôré et
-des nains</i>. Il commence par raconter, d'après la Genèse,
-dans quelles circonstances Noé fut amené à
-maudire son fils Cham. «Voilà comment,» ajoute-t-il,
-«Cham fut le premier homme que, depuis le
-déluge, une malédiction ait frappé. C'est de lui que
-sont nés les nains, les Fomôré, les gens à tête de
-chèvre et tous les êtres difformes qui existent
-parmi les hommes. Voilà pourquoi les descendants
-de Cham furent exterminés, et leur pays donné
-aux enfants d'Israël: ce fut en conséquence de la
-malédiction prononcée contre leur père. Cham est
-le premier ancêtre des monstres. Ils ne descendent
-pas de Caïn, comme le disent les Gôidels; en effet,
-<span class="pagenum"><a name="Page_93" id="Page_93">[Pg 93]</a></span>personne de la race de Caïn ne survécut au déluge,
-puisque le déluge arriva précisément pour
-noyer la race de Caïn<a name="NoteRef_177" id="NoteRef_177"></a><a href="#Note_177" class="fnanchor">[5]</a>.» Les textes les plus anciens
-ne connaissent rien de ces origines bibliques attribuées
-aux Fomôré par la science chrétienne d'Irlande<a name="NoteRef_178" id="NoteRef_178"></a><a href="#Note_178" class="fnanchor">[6]</a>.
-Le Livre des Invasions dit simplement que
-les Fomôré étaient arrivés par mer<a name="NoteRef_179" id="NoteRef_179"></a><a href="#Note_179" class="fnanchor">[7]</a>.</p>
-
-<p>Le document dont nous venons de donner la traduction
-est, du reste, fort important. Le titre annonce
-qu'il va être question de l'histoire des nains
-et des Fomôré. De là, on pourrait déjà conclure que
-les Fomôré sont des géants, et, en effet, Girauld de
-Cambrie, dans un passage de sa <i>Topographia hibernica</i>,
-rend par <i>gigantibus</i> le nom des Fomôré, au
-datif pluriel <i>Fomôrchaib</i> dans le passage correspondant
-du Livre des Invasions<a name="NoteRef_180" id="NoteRef_180"></a><a href="#Note_180" class="fnanchor">[8]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_94" id="Page_94">[Pg 94]</a></span>L'opinion des savants irlandais qui plaçaient les
-Fomôré soit dans la descendance de Caïn, soit dans
-celle de Cham, est inspirée par les passages de la
-Bible sur les géants antédiluviens<a name="NoteRef_181" id="NoteRef_181"></a><a href="#Note_181" class="fnanchor">[9]</a> et sur ceux de
-la Palestine, peuplée originairement par les descendants
-de Chanaan, fils de Cham. Les espions juifs,
-venant de Palestine, disaient au peuple de Dieu, alors
-errant dans le désert: «Nous y avons vu des monstres
-de la race des géants; comparés à eux, nous
-ressemblions à des sauterelles<a name="NoteRef_182" id="NoteRef_182"></a><a href="#Note_182" class="fnanchor">[10]</a>.»</p>
-
-<p>On sait quelle place importante les nains et les
-géants tiennent dans la littérature mythologique de
-la race germanique<a name="NoteRef_183" id="NoteRef_183"></a><a href="#Note_183" class="fnanchor">[11]</a> et dans les contes bretons
-modernes. Les nains, dont le nom irlandais est <i>luchrupan</i>,
-littéralement «petit corpuscule,» apparaissent
-rarement dans les textes irlandais. M. Whitley
-Stokes a cité, relativement à eux, un récit
-légendaire où on les voit enseigner à un roi irlandais
-l'art de plonger et de se promener avec eux
-sous les eaux. Ce conte a pénétré dans la glose d'un
-<span class="pagenum"><a name="Page_95" id="Page_95">[Pg 95]</a></span>traité de droit, et cette glose nous l'a conservé<a name="NoteRef_184" id="NoteRef_184"></a><a href="#Note_184" class="fnanchor">[12]</a>.
-La mention qu'il fait des nains peut être considérée
-comme une exception. Il est, au contraire, question
-très fréquemment des Fomôré, dans la littérature
-épique irlandaise. Ce sont des géants, avons-nous
-dit, avec Girauld de Cambrie; mais ils ne sont pas
-seulement cela: ce sont des démons, de vrais démons,
-à figure humaine, rapporte un chroniqueur
-irlandais du douzième siècle<a name="NoteRef_185" id="NoteRef_185"></a><a href="#Note_185" class="fnanchor">[13]</a>. Il y avait parmi eux
-des monstres qui n'avaient qu'une main et qu'un
-pied, ajoute l'auteur du Livre des Invasions<a name="NoteRef_186" id="NoteRef_186"></a><a href="#Note_186" class="fnanchor">[14]</a>. Enfin,
-la pièce dont nous venons de donner la traduction
-accole au nom des Fomôré celui des gens à tête de
-chèvre, <i>gobor-chind</i>, qui paraissent être une subdivision
-ou un doublet des Fomôré, puisqu'ils ne sont
-pas mentionnés dans le titre qui parle seulement
-des nains et des Fomôré<a name="NoteRef_187" id="NoteRef_187"></a><a href="#Note_187" class="fnanchor">[15]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_173" id="Note_173"></a><a href="#NoteRef_173"><span class="label">[1]</span></a> Girauld de Cambrie, <i>Topographia hibernica</i>, distinctio III,
-cap. 3, édition Dimock, p. 143.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_174" id="Note_174"></a><a href="#NoteRef_174"><span class="label">[2]</span></a> Voir plus haut, <a href="#Page_32">p. 32</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_175" id="Note_175"></a><a href="#NoteRef_175"><span class="label">[3]</span></a> Voir plus haut, p. <a href="#Page_14">14&ndash;16</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_176" id="Note_176"></a><a href="#NoteRef_176"><span class="label">[4]</span></a> Ce document paraît être une composition analogue à celle qui,
-dans le Livre de Leinster, p. 1&ndash;4, sert d'introduction au <i>Lebar
-gabala</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_177" id="Note_177"></a><a href="#NoteRef_177"><span class="label">[5]</span></a> <i>Leabhar na h-Uidhre</i>, p. 2, col. 1 et 2; Whitley Stokes, <i>Revue
-celtique</i>, t. I, p. 257. Cf. Keating, <i>Histoire d'Irlande</i>, édition de
-1811, p. 178.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_178" id="Note_178"></a><a href="#NoteRef_178"><span class="label">[6]</span></a> Voyez ce que disent des Fomôré: 1° le poème <i>Heriu oll ordnit
-Gaedil</i>, dans le Livre de Leinster, p. 7, col. 1, ligne 16; 2° le poème
-<i>Togail tuir Chonaind con gail</i>, Livre de Leinster, p. 7, col. 2, ligne
-16.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_179" id="Note_179"></a><a href="#NoteRef_179"><span class="label">[7]</span></a> Livre de Leinster, p. 6, col. 1, lignes 39, 40, 46, 47: «Fomôré
-idon loinsig na fairgge... Is inti bôi mor-longas na Fomôré.»</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_180" id="Note_180"></a><a href="#NoteRef_180"><span class="label">[8]</span></a> <i>Topographia hibernica</i>, distinctio III, caput 2, édition Dimock,
-p. 141. Cf. Livre de Leinster, p. 5, col. 1, lignes 20&ndash;22. Girauld de
-Cambrie s'exprime ainsi: «Tandem vero in bello magno quod cum
-gigantibus gessit potitum [Bartholanum] victoria.» Dans le Livre de
-Leinster, on lit: «Cêt-chath Herend robriss Partholon i-slemnaib
-maige Itha for Cichol n-Gricenchos d-Fhomôrchaib.» Fomôré, qui
-est tantôt un thème en <i>e = io-</i>, tantôt un thème en <i>ec</i>, paraît composé
-de la particule <i>fo-</i>, «sous,» et d'un thème <i>môrio-</i> ou <i>môrec</i>,
-dérivé de <i>môr</i>, «grand.» La particule <i>fo-, fu-</i> n'a pas le sens de diminutif
-comme le français «sous-.» Ainsi, <i>fo-lomm</i> signifie «nu,»
-comme <i>lomm, fu-domuin</i>, «profond,» comme <i>domuin</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_181" id="Note_181"></a><a href="#NoteRef_181"><span class="label">[9]</span></a> Genèse, chap. VI, verset 4.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_182" id="Note_182"></a><a href="#NoteRef_182"><span class="label">[10]</span></a> Nombres, chap. XIII, verset 34.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_183" id="Note_183"></a><a href="#NoteRef_183"><span class="label">[11]</span></a> Jacob Grimm a consacré aux nains le chapitre XVII, et aux
-géants le chapitre XVIII de sa <i>Deutsche Mythologie</i> (3<sup>e</sup> édition, p. 408
-et suivantes, 485 et suivantes). Voir, sur le même sujet, Simrock,
-<i>Handbuch der deutschen Mythologie</i>, 5<sup>e</sup> édition, §§ 118 et suivants,
-124 et suivants, p. 403 et suivantes, 423 et suivantes.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_184" id="Note_184"></a><a href="#NoteRef_184"><span class="label">[12]</span></a> <i>Ancient laws of Ireland</i>, t. I, p. 70, 72. Les nains y sont appelés
-<i>luchorpan, luchorp</i> et <i>abac</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_185" id="Note_185"></a><a href="#NoteRef_185"><span class="label">[13]</span></a> «Cath robris Parrthalon for Fomorchaib, idon demna iar fir
-an-dealbhaibh daoinaibh. <i>Chronicum Scotorum</i>, édit. Hennessy, p. 6.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_186" id="Note_186"></a><a href="#NoteRef_186"><span class="label">[14]</span></a> En parlant de la bataille de Mag Itha, où Partholon battit les
-Fomôré, le Livre des Invasions s'exprime ainsi: «Fir con-oen-lâmaib
-ocus con-oen-chossaib rofhersat fris-sin-cath.» Livre de
-Leinster, p. 5, col. 1, lignes 22, 23. Comparez <i>Chronicum Scotorum</i>,
-édit Hennessy, p. 6, lignes 8, 9. Voyez aussi plus haut, <a href="#Page_32">p. 32</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_187" id="Note_187"></a><a href="#NoteRef_187"><span class="label">[15]</span></a> Si l'on accepte comme une autorité sérieuse l'article <i>Gabur</i>
-du Glossaire de Cormac (Whitley Stokes, <i>Three irish glossaries</i>,
-p. 22), <i>gobor-chind</i> devrait se traduire par «gens à tête de cheval.»
-<i>Gobur</i> ou <i>gobor</i> signifierait «cheval,» et <i>gabur</i> ou <i>gabor</i> «chèvre.»
-Les deux mots se distingueraient par la voyelle de la première
-syllabe, <i>a</i> quand il s'agit de la chèvre, <i>o</i> quand il s'agit du cheval.
-Mais M. Windisch fait observer, avec raison, qu'il n'y a là qu'un
-seul mot avec deux variantes orthographiques qui n'ont étymologiquement
-aucune importance (Windisch, <i>Irische Texte</i>, p. 385). La
-comparaison avec les dialectes bretons, où le sens de «chèvre» est
-seul usité, nous donne le droit de considérer dans <i>gobor-chenn</i> le
-sens d' «homme ou dieu à tête de chèvre» comme préférable au
-sens d' «homme ou dieu à tête de cheval.» Pour <i>gobur</i>, ou <i>gabur</i>,
-aussi écrit <i>gobor</i>, le sens primitif est «chèvre,» et c'est par métaphore
-que les poètes ont employé ce mot pour désigner le cheval.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_96" id="Page_96">[Pg 96]</a></span></p>
-
-<h3><a id="V_4"></a>§ 4.<br />
-
-<i>L'équivalent des Fomôré dans la mythologie grecque
-et dans la mythologie védique.</i></h3>
-
-<p>Ce qu'il y a de plus important dans la légende des
-Fomôré est leur guerre contre les dieux de la lumière
-solaire et de la vie, c'est-à-dire contre les Tûatha Dê
-Danann. Monstrueux par leur taille et leur forme,
-puisque certains d'entre eux ont une tête de chèvre,
-d'autres n'ont qu'un pied et qu'une main, ils sont
-l'expression celtique de conceptions identiques à
-celles qui, dans la mythologie grecque, ont donné
-naissance aux monstres qui combattent les dieux solaires.
-La mythologie grecque nous montre Zeus combattant
-les géants, dont il triomphe et qu'il enchaîne<a name="NoteRef_188" id="NoteRef_188"></a><a href="#Note_188" class="fnanchor">[1]</a>.
-Les Lestrygons, dont le héros solaire
-<span class="pagenum"><a name="Page_97" id="Page_97">[Pg 97]</a></span>Ulysse atteint le rivage après sept jours de navigation,
-et qui tuent et mangent une partie de ses compagnons
-sont encore des géants<a name="NoteRef_189" id="NoteRef_189"></a><a href="#Note_189" class="fnanchor">[2]</a>, en même temps
-que des ancêtres de l'ogre qui cause tant d'effroi aux
-jeunes auditeurs de quelques-uns de nos contes.</p>
-
-<p>Mais les géants ne sont pas ce qu'il y a de plus
-monstrueux dans la mythologie grecque, parmi les
-adversaires des héros qui personnifient le soleil. La
-Chimère, qui apparaît déjà dans l'Iliade<a name="NoteRef_190" id="NoteRef_190"></a><a href="#Note_190" class="fnanchor">[3]</a>, et
-qu'Hésiode a connue<a name="NoteRef_191" id="NoteRef_191"></a><a href="#Note_191" class="fnanchor">[4]</a>, avait par-devant la forme
-d'un lion, par derrière celle d'un dragon, au milieu
-celle d'une chèvre<a name="NoteRef_192" id="NoteRef_192"></a><a href="#Note_192" class="fnanchor">[5]</a>. On l'imagine aussi avec trois
-têtes: la première de lion, la seconde de chèvre,
-la troisième de serpent<a name="NoteRef_193" id="NoteRef_193"></a><a href="#Note_193" class="fnanchor">[6]</a>. Les monuments figurés
-la représentent avec une queue de serpent qui se
-termine par une tête, et lui donnent, en outre,
-deux autres têtes, l'une de lion, à la place ordinaire,
-l'autre de chèvre, s'élevant au milieu du
-corps<a name="NoteRef_194" id="NoteRef_194"></a><a href="#Note_194" class="fnanchor">[7]</a>. Personne ne pouvait vaincre la Chimère,
-et elle causa la mort de beaucoup d'hommes par le
-feu qu'elle exhalait<a name="NoteRef_195" id="NoteRef_195"></a><a href="#Note_195" class="fnanchor">[8]</a>; Bellérophon la tua<a name="NoteRef_196" id="NoteRef_196"></a><a href="#Note_196" class="fnanchor">[9]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_98" id="Page_98">[Pg 98]</a></span>On doit considérer, comme un doublet de la Chimère,
-Typhaon, né, sans père, de Héra jalouse<a name="NoteRef_197" id="NoteRef_197"></a><a href="#Note_197" class="fnanchor">[10]</a>.
-Typhaon, fléau du genre humain, s'appelle aussi
-Typhôeus. De ses épaules s'élèvent cent têtes de serpent
-qui, toutes, ont une voix: c'est tantôt le mugissement
-du taureau, tantôt le rugissement du
-lion, tantôt le cri d'un jeune chien. Zeus le frappa
-de la foudre et le précipita dans le Tartare<a name="NoteRef_198" id="NoteRef_198"></a><a href="#Note_198" class="fnanchor">[11]</a>.</p>
-
-<p>A la même famille appartiennent Python, élève
-de Typhaon, dragon qui faisait beaucoup de mal aux
-hommes, et qu'Apollon tua de ses flèches<a name="NoteRef_199" id="NoteRef_199"></a><a href="#Note_199" class="fnanchor">[12]</a>; l'hydre
-de Lerne, au corps énorme, aux neuf têtes,
-qui détruisait les troupeaux, et qu'Héraclès tua avec
-l'aide d'Iolaüs<a name="NoteRef_200" id="NoteRef_200"></a><a href="#Note_200" class="fnanchor">[13]</a>.</p>
-
-<p>Enfin, parmi les monstres que vainquirent les
-héros solaires de la mythologie grecque, on doit
-aussi compter le Minotaure, homme à tête de taureau,
-qui dévorait tous les ans quatorze jeunes
-<span class="pagenum"><a name="Page_99" id="Page_99">[Pg 99]</a></span>Athéniens, moitié garçons et moitié filles, et qui fut
-tué par Thésée. Nous aurons, plus bas, occasion de
-revenir sur ce monstre<a name="NoteRef_201" id="NoteRef_201"></a><a href="#Note_201" class="fnanchor">[14]</a>.</p>
-
-<p>Tous ces êtres redoutables, aux formes étranges,
-qui tuent les hommes, mais qui sont impuissants
-contre les demi-dieux tels qu'Ulysse, et dont les
-dieux et les demi-dieux triomphent, comme Bellérophon,
-Zeus, Apollon, Héraclès, Thésée, nous
-offrent la forme grecque de la conception indo-européenne
-qui, dans l'Inde, a produit les monstres
-Vritra et Ahi<a name="NoteRef_202" id="NoteRef_202"></a><a href="#Note_202" class="fnanchor">[15]</a>, et qui, en Irlande, a donné naissance
-aux Fomôré. Les Fomôré ont, comme eux, des
-formes physiques contraires aux lois ordinaires de
-la nature. Leur taille est au-dessus de la stature humaine;
-certains d'entre eux ont des cornes de chèvre,
-et nous devons, ce semble, reconnaître en eux
-les dieux cornus honorés sur le continent par les
-Gaulois<a name="NoteRef_203" id="NoteRef_203"></a><a href="#Note_203" class="fnanchor">[16]</a>; d'autres n'ont qu'un bras et qu'un pied.
-Ils sont le fléau des hommes, et les races diverses
-<span class="pagenum"><a name="Page_100" id="Page_100">[Pg 100]</a></span>qui se sont succédé en Irlande ont eu à les combattre.
-Nous avons déjà parlé de la bataille que Partholon
-leur livra.</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_188" id="Note_188"></a><a href="#NoteRef_188"><span class="label">[1]</span></a> <i>Batrachomyomachie</i>, vers 285; cf. vers 7, et <i>Odyssée</i>, VII,
-vers 58&ndash;60. Les géants ont les uns des ailes, les autres un corps terminé
-en forme de serpent dans le bas-relief du soubassement de
-l'autel de Pergame, chez Rayet, <i>Monuments de l'art antique</i>, quatrième
-livraison.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_189" id="Note_189"></a><a href="#NoteRef_189"><span class="label">[2]</span></a> <i>Odyssée</i>, X, vers 110&ndash;129.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_190" id="Note_190"></a><a href="#NoteRef_190"><span class="label">[3]</span></a> <i>Iliade</i>, VI, 179&ndash;183; XVI, 328, 329.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_191" id="Note_191"></a><a href="#NoteRef_191"><span class="label">[4]</span></a> <i>Théogonie</i>, 319&ndash;325.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_192" id="Note_192"></a><a href="#NoteRef_192"><span class="label">[5]</span></a> <i>Iliade</i>, VI, 181.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_193" id="Note_193"></a><a href="#NoteRef_193"><span class="label">[6]</span></a> <i>Théogonie</i>, vers 321, 322.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_194" id="Note_194"></a><a href="#NoteRef_194"><span class="label">[7]</span></a> Daremberg et Saglio, <i>Dictionnaire des antiquités grecques et
-romaines</i>, page 685, figures 811 et 813; et page 1103, figures 1364,
-1365 et 1366.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_195" id="Note_195"></a><a href="#NoteRef_195"><span class="label">[8]</span></a> <i>Iliade</i>, VI, 182; XVI, 329.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_196" id="Note_196"></a><a href="#NoteRef_196"><span class="label">[9]</span></a> <i>Iliade</i>, VI, 183. Je ne crois pas à cette légende l'origine sémitique
-qu'en général on lui attribue. Voyez Maury, <i>Histoire des religions
-de la Grèce antique</i>, t. III, p. 188.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_197" id="Note_197"></a><a href="#NoteRef_197"><span class="label">[10]</span></a> <i>Hymne à Apollon</i>, vers 305&ndash;309; 351, 352.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_198" id="Note_198"></a><a href="#NoteRef_198"><span class="label">[11]</span></a> <i>Théogonie</i>, vers 820&ndash;868. Typhôeus, chez Hésiode, est fils de la
-Terre et du Tartare, tandis que Typhaon est fils de Héra, chez
-Homère. Ce n'est pas une raison pour contester qu'il s'agisse ici du
-même personnage mythologique. Cf. Maury, <i>Histoire des religions de
-la Grèce antique</i>, t. I, p. 374&ndash;375.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_199" id="Note_199"></a><a href="#NoteRef_199"><span class="label">[12]</span></a> Homère, <i>Hymne à Apollon</i>, vers 355 et suivants; Decharme,
-<i>Mythologie de la Grèce antique</i>, pages 99&ndash;102.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_200" id="Note_200"></a><a href="#NoteRef_200"><span class="label">[13]</span></a> Apollodore, livre II, chap. V, § 2, chez Didot-Müller, <i>Fragmenta
-historicorum græcorum</i>, t. I, p. 136. Cf. Hécatée, fragment 347,
-<i>ibid</i>., p. 27. Cf. Maury, <i>Histoire des religions de la Grèce antique</i>, t. I,
-p. 136, 137.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_201" id="Note_201"></a><a href="#NoteRef_201"><span class="label">[14]</span></a> Voy. le § 6 de ce chapitre, p. 102, 103.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_202" id="Note_202"></a><a href="#NoteRef_202"><span class="label">[15]</span></a> Bréal, <i>Mélanges de mythologie et de linguistique</i>, pages 84 et
-suivantes. Le dragon Vritra ou Ahi est considéré comme une image
-du ciel obscurci soit par les nuages orageux, soit par la nuit: Kuhn,
-<i>Ueber Entwickelungsstufen der Mythenbildung</i>, dans <i>Abhandlungen der
-königlichen Akademie der Wissenschaften zu Berlin</i>, 1873, p. 142.
-Voir enfin, sur Vritra ou Ahi, Bergaigne, <i>Mythologie védique</i>, t. II,
-p. 196&ndash;208.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_203" id="Note_203"></a><a href="#NoteRef_203"><span class="label">[16]</span></a> Al. Bertrand, <i>L'autel de Saintes et les triades gauloises</i>, extrait
-de la <i>Revue archéologique</i> de juin, juillet, août 1880. M. Mowat s'est
-aussi occupé tout récemment des dieux cornus de la Gaule dans une
-intéressante communication à la Société des antiquaires de France.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="V_5"></a>§ 5.<br />
-
-<i>Combats de Némed contre les Fomôré.</i></h3>
-
-<p>Némed aussi fut en guerre avec les Fomôré; il
-leur livra quatre combats, dans chacun desquels il
-fut vainqueur. Dans la première bataille, qui paraît
-d'invention relativement récente, Némed vainquit
-et tua deux rois Fomôré qui s'appelaient Gend et
-Sengand<a name="NoteRef_204" id="NoteRef_204"></a><a href="#Note_204" class="fnanchor">[1]</a>. Les trois autres batailles livrées par
-Némed aux Fomôré sont seules mentionnées dans
-un des poèmes qui sont les témoignages irlandais
-les plus anciens de cette vieille littérature. La première
-se livra en Ulster, la seconde en Connaught, la
-troisième en Leinster. Ce sont les batailles de Murbolg,
-de Badbgna et de Cnamros<a name="NoteRef_205" id="NoteRef_205"></a><a href="#Note_205" class="fnanchor">[2]</a>. Il y a eu de
-cette guerre un récit détaillé. Les combats livrés par
-Némed aux Fomôré étaient le sujet d'une des histoires
-que les <i>file</i> racontaient, et le titre de cette histoire
-est inscrit dans le catalogue trop court que
-nous a conservé une des gloses du <i>Senchus Môr</i><a name="NoteRef_206" id="NoteRef_206"></a><a href="#Note_206" class="fnanchor">[3]</a>;
-le texte en est perdu.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_101" id="Page_101">[Pg 101]</a></span>Némed sortit vainqueur de ces trois redoutables
-épreuves; il mourut peu de temps après d'une maladie
-épidémique qui, avec lui, enleva deux mille
-personnes<a name="NoteRef_207" id="NoteRef_207"></a><a href="#Note_207" class="fnanchor">[4]</a>. C'est alors que les textes irlandais
-placent la légende du massacre de la tour de Conann.</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_204" id="Note_204"></a><a href="#NoteRef_204"><span class="label">[1]</span></a> <i>Lebar gabala</i>, dans le Livre de Leinster, p. 6, col. 1, lignes 25&ndash;27.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_205" id="Note_205"></a><a href="#NoteRef_205"><span class="label">[2]</span></a> Poème qui commence par les mots «Heriu oll ordnit Gaedil,»
-dans le Livre de Leinster, p. 7, col. 1, lignes 16, 17. Ces batailles
-sont rangées dans un ordre différent par le Livre des Invasions.
-Livre de Leinster, p. 6, col. 1, lignes 40, 41.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_206" id="Note_206"></a><a href="#NoteRef_206"><span class="label">[3]</span></a> <i>Ancient laws of Ireland</i>, t. I, p. 46.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_207" id="Note_207"></a><a href="#NoteRef_207"><span class="label">[4]</span></a> Keating, <i>Histoire d'Irlande</i>, édition de 1811, p. 178. Le Livre
-des Invasions dit seulement que Némed mourut d'une maladie épidémique
-(Livre de Leinster, p. 6, col. 1, ligne 42). Comparez le poème
-<i>Heriu oll ordnit Gaedil</i> (Livre de Leinster, p. 7, col. 1, lignes 18, 19).</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="V_6"></a>§ 6.<br />
-
-<i>Domination tyrannique des Fomôré sur la race de
-Némed. Le tribut d'enfants. Comparaison avec le
-Minotaure.</i></h3>
-
-<p>Les descendants de Némed, privés de chef, tombèrent
-sous le joug des Fomôré et furent victimes
-d'une épouvantable tyrannie. Les Fomôré avaient
-deux rois à leur tête: Morc, fils de Délé, et Conann,
-fils de Febar. Conann avait une forteresse qui, suivant
-une doctrine évhémériste déjà reçue en Irlande
-au onzième siècle, aurait été bâtie dans la petite île
-de Tory, située à la pointe nord-ouest de l'Irlande,
-en face des rivages du comté de Donegal. La tradition
-populaire a localisé dans cette île d'autres légendes
-relatives aux Fomôré que nous rapporterons
-plus tard en leur lieu. C'était là que les Fomôré avaient,
-dit-on, fondé leur principal établissement.</p>
-
-<p>De là ils dominaient l'Irlande entière et exigeaient
-<span class="pagenum"><a name="Page_102" id="Page_102">[Pg 102]</a></span>d'elle un impôt annuel excessif: deux tiers des enfants
-que les femmes avaient mis au monde, deux
-tiers du blé et du lait que les champs et les
-vaches avaient produits dans l'armée. La perception
-s'opérait la nuit du 1<sup>er</sup> novembre, c'est-à-dire
-de la fête de <i>Samain</i>, qui termine l'été et qui commence
-l'hiver, symbole de la mort. Le paiement
-de l'impôt se faisait dans le lieu appelé <i>Mag
-cetne</i><a name="NoteRef_208" id="NoteRef_208"></a><a href="#Note_208" class="fnanchor">[1]</a>. <i>Mag cetne</i> veut dire «la même plaine;»
-cette plaine, toujours identique, où va tout ce qui a
-vie, et où les dieux de la mort exercent leur puissance:
-c'est la mystérieuse contrée que vont habiter
-les hommes quand ils meurent. Keating croit que
-c'est une plaine d'Irlande et en indique la situation.
-Ne comprenant pas comment les Irlandais pouvaient,
-une fois par an, apporter à leurs tyrans les
-deux tiers du lait de l'année, il imagine que les
-Fomôré, au lieu de cet impôt bizarre, levaient sur
-chaque maison une redevance annuelle de trois mesures
-de crème, de froment fin et de beurre, et
-qu'ils avaient chargé de la perception une femme
-qui parcourait l'Irlande à cet effet<a name="NoteRef_209" id="NoteRef_209"></a><a href="#Note_209" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p>Des impôts exigés par les Fomôré, le plus oppressif
-et en même temps le plus caractéristique est celui
-qui se payait en enfants. Nous avons ici une légende
-analogue à la légende attique de Thésée et du Minotaure.
-<span class="pagenum"><a name="Page_103" id="Page_103">[Pg 103]</a></span>Le Minotaure est, comme quelques-uns des
-Fomôré, un personnage cornu; au lieu d'une tête
-de chèvre comme eux, il porte, sur un corps d'homme,
-une tête de taureau<a name="NoteRef_210" id="NoteRef_210"></a><a href="#Note_210" class="fnanchor">[3]</a>. Comme les Fomôré, il habite
-une île; cette île, <i>Tor-inis</i>, dans le récit irlandais,
-est la Crète dans la fable athénienne. Sept garçons
-et sept jeunes filles sont le tribut annuel que le Minotaure
-exige; le génie grec, dans cette horrible légende,
-garde la mesure et la sagesse qui, en général,
-font la supériorité esthétique de ses conceptions;
-tandis que, dans le texte irlandais, les Fomôré se
-font livrer, tous les ans, les deux tiers des enfants
-nés dans l'année. Et cependant, nous allons le voir,
-il n'est pas inadmissible qu'à certaines époques les
-enfants nouveau-nés aient, en Irlande, payé ce tribut
-à la mort, les uns enlevés par une mort naturelle
-à l'amour de leurs parents, les autres immolés
-en sacrifice aux dieux de la mort par obéissance
-pour les enseignements d'une religion cruelle.</p>
-
-<p>Les Fomoré sont les dieux de la mort, de la nuit
-et de l'orage, le premier en date des deux groupes
-divins entre lesquels se partagent les hommages de
-la race celtique. Les Tûatha Dê Danann, dieux de
-la vie, du jour et du soleil, constituent l'autre
-groupe, le moins ancien des deux, si nous en croyons
-le dogme des Celtes, car, suivant la théorie celtique,
-la nuit précède le jour.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_104" id="Page_104">[Pg 104]</a></span>Dans la conception des Fomôré, nous trouvons
-l'idée de la mort associée à celle de la nuit. César
-avait observé la même association chez les Gaulois
-au temps de la conquête. «Les Gaulois,» dit-il,
-«prétendent qu'ils descendent tous de <i>Dis pater</i>,
-c'est-à-dire du dieu de la Mort. Les druides, disent-ils,
-leur ont appris. Pour cette raison, ils comptent
-tout espace de temps, non par jours, mais
-par nuits, et quand ils calculent les dates de naissance,
-les commencements de mois et d'années, ils
-ont toujours soin de placer la nuit avant le jour<a name="NoteRef_211" id="NoteRef_211"></a><a href="#Note_211" class="fnanchor">[4]</a>.»
-Ainsi, dans la doctrine druidique, la mort précède la
-vie, la mort engendre la vie, et comme la mort est
-identique à la nuit, et la vie identique au jour, la nuit
-précède et engendre le jour. De même, dans le monde
-divin irlandais, les Fomôré, dieux de la nuit et de la
-mort, sont chronologiquement antérieurs aux Tûatha
-Dê Danann, dieux du jour et de la vie, que nous verrons
-apparaître plus tard dans la suite de notre exposition<a name="NoteRef_212" id="NoteRef_212"></a><a href="#Note_212" class="fnanchor">[5]</a>.</p>
-
-<p>La reine de la nuit est la lune qui, parmi les astres,
-se distingue par la forme de croissant, sous
-laquelle elle se présente la plupart du temps à nos
-regards. Le dieu de la nuit se distingue donc des
-<span class="pagenum"><a name="Page_105" id="Page_105">[Pg 105]</a></span>autres dieux par un croissant placé sur son front,
-et ce croissant se transforme en cornes de vache,
-de taureau ou de chèvre. De là, dans le <i>Prométhée</i>
-d'Eschyle, Io, la vierge encornée<a name="NoteRef_213" id="NoteRef_213"></a><a href="#Note_213" class="fnanchor">[6]</a>, devenue plus
-tard une génisse<a name="NoteRef_214" id="NoteRef_214"></a><a href="#Note_214" class="fnanchor">[7]</a>; de là, dans la fable athénienne,
-la conception du Minotaure à tête de taureau; de là,
-dans la fable irlandaise, la conception des Fomôré à
-tête de chèvre, et sur le continent de la Gaule, les
-nombreux dieux cornus qui aujourd'hui ornent une
-salle du musée de Saint-Germain. Pour rendre à ces
-dieux de la mort le culte qu'ils exigent, il faut leur
-immoler des vies humaines.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_208" id="Note_208"></a><a href="#NoteRef_208"><span class="label">[1]</span></a> Poème d'Eochaid hûa Flainn, mort en 985. Livre de Leinster,
-p. 7, col. 1, lignes 23&ndash;25; cf. Livre des Invasions, <i>ibidem</i>, p. 6, col. 1,
-lignes 47&ndash;48.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_209" id="Note_209"></a><a href="#NoteRef_209"><span class="label">[2]</span></a> Keating, édition de 1811, p. 180.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_210" id="Note_210"></a><a href="#NoteRef_210"><span class="label">[3]</span></a> Voir deux représentations antiques du Minotaure chez Decharme,
-<i>Mythologie de la Grèce antique</i>, pages 519, 621.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_211" id="Note_211"></a><a href="#NoteRef_211"><span class="label">[4]</span></a> «Galli se omnes ab Dite patre prognatos prædicant idque ab
-druidibus proditum dicunt. Ob eam causam spatia omnis temporis
-non numero dierum, sed noctium finiunt; dies natales et mensium
-et annorum initia sic observant <i>ut noctem dies subsequatur</i>.» César,
-<i>De bello gallico</i>, l. VI, c. XVIII, §§ 1 et 2.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_212" id="Note_212"></a><a href="#NoteRef_212"><span class="label">[5]</span></a> Voy. plus bas, <a href="#Page_140">chap. VII</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_213" id="Note_213"></a><a href="#NoteRef_213"><span class="label">[6]</span></a> Τᾶς βούκερω παρθένου. Eschyle, <i>Prométhée</i>, vers 588.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_214" id="Note_214"></a><a href="#NoteRef_214"><span class="label">[7]</span></a> Eschyle, <i>Les suppliantes</i>, vers 17&ndash;18, 275.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="V_7"></a>§ 7.<br />
-
-<i>L'idole Cromm Crûach ou Cenn Crûach et les sacrifices
-d'enfants en Irlande. Les sacrifices humains
-en Gaule.</i></h3>
-
-<p>Ce ne sont pas seulement les légendaires Fomôré
-qui, en Irlande, reçoivent un tribut d'enfants; un
-tribut identique fut, à une époque reculée, réclamé
-par un dieu dont la monumentale image paraît appartenir
-à l'histoire.</p>
-
-<p>Les vies de saint Patrice parlent d'un dieu dont
-la statue de pierre était ornée d'or et d'argent et entourée
-de douze statues aux ornements de bronze:
-<span class="pagenum"><a name="Page_106" id="Page_106">[Pg 106]</a></span>c'était la Tête sanglante, <i>Cenn crûach</i>. L'endroit où ce
-groupe divin, dressé en plein air sur le sol nu, recevait
-les hommages des fidèles, s'appelait «Champ de
-l'adoration,» <i>Mag slechta</i><a name="NoteRef_215" id="NoteRef_215"></a><a href="#Note_215" class="fnanchor">[1]</a>. Patrice se rendit au Champ
-de l'adoration, et de sa crosse menaça la grande idole
-qui était comme la reine de toutes les idoles d'Irlande.
-Celle-ci, dit la légende, se détourna pour éviter
-le coup, et dès lors cessa de regarder le Sud,
-comme elle avait fait jusque-là; et on voit encore,
-dit le vieux récit, la marque de la crosse du saint
-sur le côté gauche de la statue, bien que, chose merveilleuse,
-Patrice ne l'ait point frappée, et se soit
-borné à la menacer de loin. Les autres statues, au
-même moment, plongèrent en terre jusqu'au cou et,
-dit le récit hagiographique, c'est encore dans cet état
-qu'elles se trouvent aujourd'hui<a name="NoteRef_216" id="NoteRef_216"></a><a href="#Note_216" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_107" id="Page_107">[Pg 107]</a></span>L'idole du Champ de l'adoration, la «Tête sanglante,»
-<i>Cenn crûach</i>, comme dit la légende de saint
-Patrice, la «Courbe sanglante,» le «Croissant ensanglanté,»
-<i>Cromm crûach</i>, comme s'expriment d'autres
-textes, était, à une époque reculée, l'objet d'un
-culte terrible. On immolait en son honneur des
-victimes humaines. Le tribut était le même que celui
-que jadis, suivant la légende, avaient reçu les Fomôré.
-Les vies de saint Patrice ne parlent point de
-ces sacrifices affreux. L'Irlande les avait abolis quand
-l'apostolat du missionnaire fameux vint lui apporter
-le christianisme; mais elle ne les avait pas oubliés.
-L'article du <i>Dinn-senchus</i> qui concerne le Champ de
-l'adoration atteste que ce souvenir était conservé
-quand fut rédigé ce traité de géographie, dont le plus
-ancien manuscrit date du douzième siècle, et dont
-on fait remonter la rédaction primitive au sixième.</p>
-
-<p>«Ici était,» dit le vieux traité, «une grande idole ...
-qu'on appelait «Courbe sanglante ou Croissant ensanglanté,»
-<i>Cromm crûach</i>; elle donnait, dans chaque
-province, la puissance et la paix. Pitoyable
-malheur! les braves Gôidels l'adoraient; ils lui
-demandaient le beau temps, là, pour une partie
-du monde... Pour elle, sans gloire, ils tuaient leurs
-enfants premiers-nés<a name="NoteRef_217" id="NoteRef_217"></a><a href="#Note_217" class="fnanchor">[3]</a> avec nombreux cris et
-<span class="pagenum"><a name="Page_108" id="Page_108">[Pg 108]</a></span>nombreuses plaintes de leur mort, dans l'assemblée
-autour de Cromm Cruach. C'était du lait et
-du blé qu'ils lui demandaient en échange de leurs
-enfants. Combien étaient grands leur horreur et
-leurs gémissements! C'était devant cette idole que
-se prosternaient les Gôidels francs; c'est de son
-culte, célébré par tant de morts, que cet endroit
-a reçu le surnom de <i>Mag slecht[a]</i>, ou «Champ de
-l'adoration...<a name="NoteRef_218" id="NoteRef_218"></a><a href="#Note_218" class="fnanchor">[4]</a>.»</p>
-
-<p>Ce texte est d'accord avec les vies de saint Patrice
-pour distinguer dans le monument de Mag Slechta
-deux catégories d'idoles. La principale, Cromm ou Cenn
-Crûach, ornée d'or et d'argent dans les vies de saint Patrice<a name="NoteRef_219" id="NoteRef_219"></a><a href="#Note_219" class="fnanchor">[5]</a>,
-est d'or dans le <i>Dinn-senchus</i>; les autres, ornées
-de bronze dans les vies de saint Patrice<a name="NoteRef_220" id="NoteRef_220"></a><a href="#Note_220" class="fnanchor">[6]</a>, sont
-de pierre dans le <i>Dinn-senchus</i>. Les vies de saint Patrice
-fixent le nombre de ces dernières à douze: Le
-<i>Dinn-senchus</i> ne parle que de «trois, rangées en ordre,
-trois idoles de pierre sur quatre; puis, pour
-<span class="pagenum"><a name="Page_109" id="Page_109">[Pg 109]</a></span>» tromper amèrement les foules, venait l'image d'or
-de Cromm<a name="NoteRef_221" id="NoteRef_221"></a><a href="#Note_221" class="fnanchor">[7]</a>.»</p>
-
-<p>Les textes irlandais sur le sacrifice des enfants à
-l'idole de Crom Crûach et sur le tribut d'enfants payé
-aux Fomôré, mettent en mémoire les célèbres vers
-latins où Lucain, s'adressant aux druides, chante le
-culte cruel rendu par eux à trois divinités gauloises,
-au temps où César venait de terminer la conquête
-des Gaules, et où la guerre civile commençait entre
-le conquérant et Pompée son rival:</p>
-
-<p class="poem">
-Et quibus immitis placatur sanguine diro<br />
-Teutates, horrensque feris altaribus Æsus,<br />
-Et Taranus<a name="NoteRef_222" id="NoteRef_222"></a><a href="#Note_222" class="fnanchor">[8]</a> scythicæ non mitior ara Dianæ.<br />
-</p>
-
-<p>«Vous aussi, qui, par un sang cruellement versé,
-croyez apaiser l'impitoyable Teutatès, l'horrible
-Æsus aux autels sauvages, et Taranus, dont le
-culte n'est pas plus doux que celui de la Diane
-scythique.»</p>
-
-<p>La Diane scythique avait jadis exigé qu'Agamemnon
-lui fît hommage de la vie de sa fille; il avait
-fallu lui sacrifier la vie d'Iphigénie pour calmer sa
-colère, et chez les Athéniens cette légende était
-assez populaire pour avoir fourni à un de leurs
-plus célèbres poètes, vers la fin du cinquième siècle
-avant notre ère, le sujet d'une tragédie qu'on admire
-<span class="pagenum"><a name="Page_110" id="Page_110">[Pg 110]</a></span>encore<a name="NoteRef_223" id="NoteRef_223"></a><a href="#Note_223" class="fnanchor">[9]</a>. Taranus avait les mêmes exigences que la
-Diane scythique. Tel est le sens du passage de Lucain,
-qui, sur les cérémonies de la religion celtique,
-complète les notions réunies dans les <i>Commentaires</i>
-de César. Après nous avoir parlé de ces
-immenses mannequins d'osier dans lesquels les
-druides gaulois de son temps brûlaient les hommes
-vivants, César ajoute que, suivant les mêmes druides,
-les voleurs, les brigands et les autres criminels
-étaient les victimes les plus agréables aux dieux,
-mais qu'à leur défaut on brûlait vifs des innocents<a name="NoteRef_224" id="NoteRef_224"></a><a href="#Note_224" class="fnanchor">[10]</a>.
-Des vers de Lucain, on est en droit de
-conclure que ces innocents brûlés vifs étaient des
-enfants. Cette doctrine s'accorde avec le principe du
-droit celtique qui donne au père droit de vie et de
-mort sur ses enfants. Ce principe, énoncé par César<a name="NoteRef_225" id="NoteRef_225"></a><a href="#Note_225" class="fnanchor">[11]</a>,
-appartenait plus tard au droit du pays de
-Galles, où, dans le courant du sixième siècle, saint
-Teliavus sauve la vie à sept enfants que leur père,
-trop pauvre pour les nourrir, avait, les uns après
-les autres, jetés dans une rivière<a name="NoteRef_226" id="NoteRef_226"></a><a href="#Note_226" class="fnanchor">[12]</a>.</p>
-
-<p>Le dieu gaulois Taranus, comparé, dans la <i>Pharsale</i>
-<span class="pagenum"><a name="Page_111" id="Page_111">[Pg 111]</a></span>de Lucain, à la Diane de Scythie, à laquelle
-Agamemnon laissa immoler sa fille, est un dieu de
-la Foudre; il est compris dans le groupe des Fomôré,
-des dieux de la Mort et de la Nuit, comme le
-<i>Cromm Crûach</i> ou <i>Cenn Crûach</i>, le Croissant ensanglanté,
-la Courbe sanglante, ou la Tête sanglante
-d'Irlande.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_215" id="Note_215"></a><a href="#NoteRef_215"><span class="label">[1]</span></a> Mag Slechta était situé en Ulster, dans le comté de Cavan et
-dans la baronnie de Tullyhaw, près du village de Bally Magauran,
-O'Donovan, <i>Annals of the kingdom of Ireland by the Four Masters</i>,
-1851, t. I, p. 43, note.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_216" id="Note_216"></a><a href="#NoteRef_216"><span class="label">[2]</span></a><i> Vie tripartite de saint Patrice</i>, fragment publié d'après le manuscrit
-du British Museum, Egerton 93, par O'Curry, <i>Lectures on
-the manuscript materials</i>, p. 538, et d'après le manuscrit d'Oxford,
-Rawlinson B. 505, par M. Whitley Stokes, dans la <i>Revue celtique</i>,
-t. I, p. 259. Cf. Joscelin, <i>Vie de saint Patrice</i>, VI, 50, chez les Bollandistes,
-mars, t. II, p. 552, et auparavant par Colgan, <i>Trias thaumaturga</i>,
-p. 77, col. 2. Cette légende se lit déjà dans la quatrième vie
-de saint Patrice, qui aurait été écrite par Eleranus, mort en 664.
-Voir le § <span class="smcap">liii</span> de cette vie, chez Colgan, <i>Trias thaumaturga</i>, p. 42,
-col. 1. La troisième vie, attribuée à saint Benignus et antérieure à
-527 suivant Colgan, parle de l'idole de Mag Slechta, mais lui donne
-un autre nom, ne dit rien des douze petites idoles et raconte le miracle
-d'une façon différente: «Et orante Patricio imago ilia quem
-populi adorabant comminuta, et in pulverem redacta» (§ <span class="smcap">xlvi</span>, <i>Trias
-thaumaturga</i>, p. 25, col. 1).</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_217" id="Note_217"></a><a href="#NoteRef_217"><span class="label">[3]</span></a> Le texte du Livre de Leinster, p. 213, col. 2, ligne 45, porte
-<i>toirsech</i>, «triste;» il faut lire <i>tôissich</i>, «premiers.» Cette correction
-est exigée par la préface en prose qui manque dans le Livre de
-Leinster, mais qui a été publiée par O'Conor, <i>Bibliotheca manuscripta
-Stowensis</i>, pages 40, 41, d'après le manuscrit Stowe 1. Cette préface
-remplace l'adjectif que nous venons de citer par deux équivalents:
-<i>cedgein</i> et <i>primhggen</i>, qui veulent dire «premiers-nés.»</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_218" id="Note_218"></a><a href="#NoteRef_218"><span class="label">[4]</span></a> Livre de Leinster, p. 213, col. 2, lignes 39 et suivantes.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_219" id="Note_219"></a><a href="#NoteRef_219"><span class="label">[5]</span></a> Troisième vie, § <span class="smcap">xlvi</span>; quatrième vie, § <span class="smcap">liii</span>; sixième vie,
-§ <span class="smcap">lvi</span>; septième vie, livre II, § 31; Colgan, <i>Trias thaumaturga</i>, p. 25,
-col. 1; p. 42, col. 1; p. 77, col. 2; p. 133, col. 2.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_220" id="Note_220"></a><a href="#NoteRef_220"><span class="label">[6]</span></a> Il n'est pas question des douze petites statues dans la troisième
-vie, qui s'exprime sur le miracle de saint Patrice dans des termes
-beaucoup plus brefs que les autres vies, et dit que l'idole a été
-réduite en poussière par le célèbre apôtre de l'Irlande. Le récit postérieur
-est beaucoup plus dramatique.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_221" id="Note_221"></a><a href="#NoteRef_221"><span class="label">[7]</span></a> Livre de Leinster, p. 213, col. 2, lignes 61, 62.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_222" id="Note_222"></a><a href="#NoteRef_222"><span class="label">[8]</span></a> M. Mowat paraît avoir prouvé qu'on doit lire <i>Taranus</i>, génitif
-singulier, et non <i>Taranis</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_223" id="Note_223"></a><a href="#NoteRef_223"><span class="label">[9]</span></a> L'<i>Iphigénie en Aulide</i> d'Euripide a été pour la première fois
-représentée après la mort de l'auteur, qui cessa de vivre en 406. Sur
-les sacrifices humains en Grèce, principalement sur les sacrifices
-d'enfants dans ce pays aux époques les plus reculées de son histoire,
-voir Maury, <i>Histoire des religions de la Grèce antique</i>, t. I, p. 184&ndash;187.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_224" id="Note_224"></a><a href="#NoteRef_224"><span class="label">[10]</span></a> <i>De bello gallico</i>, livre VI, chap. XVI, §§ 4 et 5.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_225" id="Note_225"></a><a href="#NoteRef_225"><span class="label">[11]</span></a> <i>Ibid.</i>, chap. XIX, § 3.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_226" id="Note_226"></a><a href="#NoteRef_226"><span class="label">[12]</span></a> <i>Liber landavensis</i>, p. 120.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="V_8"></a>§ 8.<br />
-
-<i>Tigernmas, doublet de Cromm Crûach, dieu de la
-Mort.</i></h3>
-
-<p>Cromm Crûach, la grande idole d'Irlande, honorée
-par le tribut cruel d'un sacrifice d'enfants,
-comme les Fomôré de la légende de Némed, paraît
-avoir été surtout un dieu de la mort. C'est la conclusion
-qu'on doit tirer de la légende de Tigernmas,
-dont le nom, <i>Tigernmas</i> pour <i>Tigern Bais</i>, veut
-dire «Seigneur de la Mort.» Dans la classification
-chronologique que les érudits irlandais ont faite de
-leurs légendes à l'époque chrétienne, Tigernmas
-devient un roi de la race d'Eremon, fils de Milé,
-établie dans le nord de l'Irlande. C'est une partie
-de la race irlandaise actuelle. Les Quatre Maîtres
-savent même exactement à quelle époque il régna:
-ce fut de l'an du monde 3580 à l'an 3656<a name="NoteRef_227" id="NoteRef_227"></a><a href="#Note_227" class="fnanchor">[1]</a>. Mais
-<span class="pagenum"><a name="Page_112" id="Page_112">[Pg 112]</a></span>ailleurs Tigernmas est identique à Balar, dieu de la
-Foudre et de la Mort, qui commande les Fomôré et
-périt à leur tête en combattant les Tûatha Dê Danann,
-à la seconde bataille de Mag-Tured<a name="NoteRef_228" id="NoteRef_228"></a><a href="#Note_228" class="fnanchor">[2]</a>. Tigernmas,
-en moins d'un an, livra vingt-sept batailles
-aux descendants d'Eber, fils de Milé, qui occupaient
-l'Irlande méridionale. Un nombre considérable
-de ses adversaires perdit la vie dans ces combats,
-et peu s'en fallut que Tigernmas ne détruisît
-entièrement la race d'Eber. Enfin, après soixante-dix-sept
-ans de règne, il mourut au «Champ de
-l'Adoration,» à Mag Slechta, avec les trois quarts
-des habitants de l'Irlande, qui étaient venus avec
-lui adorer la grande idole de Cromm Crûach. C'était
-la nuit du 1<sup>er</sup> novembre ou de la fête de <i>Samain</i>;
-la date, précisément, où, suivant une autre légende,
-les descendants de Némed payaient aux
-Fomôré le dur tribut des deux tiers des enfants,
-des deux tiers du blé, des deux tiers du lait que
-l'année leur avait produit. Les Irlandais sujets de
-Tigernmas n'étaient venus à Mag Slechta que pour
-honorer Cromm Crûach, leur dieu, par des prosternations;
-<span class="pagenum"><a name="Page_113" id="Page_113">[Pg 113]</a></span>mais ils accomplirent cette cérémonie avec
-tant de conscience et d'entrain, qu'ils y brisèrent
-le sommet de leurs fronts, la pointe de leur nez, le
-bout de leurs genoux, les extrémités de leurs coudes,
-et qu'enfin les trois quarts d'entre eux y perdirent
-la vie<a name="NoteRef_229" id="NoteRef_229"></a><a href="#Note_229" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_227" id="Note_227"></a><a href="#NoteRef_227"><span class="label">[1]</span></a> <i>Annals of the kingdom of Ireland by the Four Masters</i>, édit.
-O'Donovan, 1851, t. I, p. 38&ndash;41.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_228" id="Note_228"></a><a href="#NoteRef_228"><span class="label">[2]</span></a> «Lug mac Edlend mic Tigernmais,» dans la pièce intitulée
-<i>Baile an scail</i>, British Museum, Harleien 5280, folio 60, publiée par
-O'Curry, <i>Lectures on the manuscript materials</i>, p. 619, ligne 15.
-«Lug, Eithne ingen Balair Bailc-beimnig a-mathair-side» <i>Lebar
-gabala</i>, dans le Livre de Leinster, p. 9, col. 1., lignes 44, 45. Ces
-deux textes font le dieu Lug fils d'Ethne, au génitif Ethnend, par
-corruption Edlend, qui est une fille de Balar, autrement dit Tigernmas;
-c'est par erreur que, dans le <i>Baile in scail</i>, Ethne change de
-sexe et devient un fils de Tigernmas.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_229" id="Note_229"></a><a href="#NoteRef_229"><span class="label">[3]</span></a> On peut consulter là-dessus: 1° la préface en prose du chapitre
-du <i>Dinn-senchus</i> consacré à Mag Slechta; elle a été publiée
-par O'Conor, <i>Bibliotheca manuscripta Stowensis</i>, p. 40&ndash;41, d'après le
-manuscrit Stowe 1; 2° le texte en vers du même chapitre du <i>Dinn-senchus</i>,
-dans le Livre de Leinster, p. 213, col. 2, lignes 51 et suivantes;
-3° le <i>Lebar gabala</i>, dans le Livre de Leinster, p. 16, col. 2,
-lignes 19&ndash;21, 26&ndash;32; p. 17, col. 1, lignes 20, 21.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="V_9"></a>§ 9.<br />
-
-<i>Le désastre de la tour de Conann d'après les documents
-irlandais.</i></h3>
-
-<p>Le mythe de Tigernmas, seigneur de la Mort, et
-de son règne désastreux sur les descendants de
-Miled, n'est qu'une variante ou une forme différente
-du récit où l'on trouve racontée la domination tyrannique
-exercée sur les fils de Némed par les
-Fomôré et par leur terrible roi Conann, fils de Febar,
-établi dans sa tour, la tour de Conann, <i>tur
-Conaind</i> ou <i>Conainn</i>, qui, suivant les évhéméristes
-irlandais, était située dans l'île de Tory, à la pointe
-nord-ouest de l'Irlande. L'excès de la tyrannie de
-Conann produisit la révolte. Conduits par trois
-<span class="pagenum"><a name="Page_114" id="Page_114">[Pg 114]</a></span>chefs, Erglann, Semul et Fergus Leth-derg, les
-descendants de Némed allèrent, au nombre de
-soixante mille, attaquer les Fomôré. Une bataille se
-livra. Les descendants de Némed y furent d'abord
-vainqueurs: ils prirent la tour, et Conann, leur
-oppresseur, périt de la main de Fergus Leth-derg,
-le dernier de leurs trois chefs. Mais Morc, fils de
-Délé, ami de Conann, comme lui chef des Fomôré,
-arrivé trop tard pour sauver la vie à ce tyran, arracha
-la victoire aux fils de Némed, les mit en fuite,
-les poursuivit, et en fit un tel massacre que trente
-seulement, sur les soixante mille, échappèrent à
-la mort. Un poète irlandais, de la seconde moitié
-du dixième siècle, a chanté cette guerre dans des
-vers qu'un manuscrit du douzième siècle nous a conservés.</p>
-
-<p class="poem">
-<span style="margin-left: 1em;">Assaut de la tour de Conann par combat</span><br />
-Contre Conann le Grand, fils de Fébar;<br />
-Les hommes d'Irlande allèrent là,<br />
-Trois chefs illustres avec eux.<br />
-</p>
-
-<p>L'auteur donne ensuite les noms de ces trois
-guerriers, puis continue ainsi:</p>
-
-<p class="poem">
-<span style="margin-left: 1em;">Trois fois vingt mille aux exploits brillants</span><br />
-Et sur terre et sur eau;<br />
-Tel est le nombre qui vint du rivage,<br />
-&mdash;Race de Némed, à l'assaut.<br />
-<br />
-<span style="margin-left: 1em;">Assaut de la tour de Conann par combat</span><br />
-Contre Conann le Grand, fils de Fébar;<br />
-<span class="pagenum"><a name="Page_115" id="Page_115">[Pg 115]</a></span>Les hommes d'Irlande allèrent là,<br />
-Trois chefs illustres avec eux.<br />
-<br />
-<span style="margin-left: 1em;">Torinis, île de la Tour,</span><br />
-Forteresse de Conann, fils de Fébar.<br />
-Par Fergus même, héros aux vingt exploits,<br />
-Fut tué Conann, fils de Fébar.<br />
-<br />
-<span style="margin-left: 1em;">Morc, fils de Délé, arriva;</span><br />
-Il venait en aide à Conann;<br />
-Conann tomba mort devant lui;<br />
-More fit beaucoup de mal.<br />
-<br />
-<span style="margin-left: 1em;">Trois fois vingt vaisseaux à travers la mer,</span><br />
-Nombre qu'amena Morc, fils de Délé;<br />
-Il les enveloppa avant qu'ils n'eussent gagné la terre,<br />
-Race de Némed à la force puissante!<br />
-<br />
-<span style="margin-left: 1em;">Les hommes d'Irlande étaient tous au combat</span><br />
-Après la venue des Fomôré;<br />
-Tous les engloutit la mer,<br />
-Excepté seulement trois fois dix.<br />
-</p>
-
-<p>Suivent les noms des trente guerriers de la race
-de Némed qui échappèrent à ce désastre. Ils retournèrent
-s'établir en Irlande, que leurs trois chefs
-se partagèrent. Peu après, fuyant les impôts et une
-maladie épidémique qui avait ôté la vie à deux d'entre
-eux, ils quittèrent l'Irlande.</p>
-
-<p class="poem">
-<span style="margin-left: 1em;">Trois fois dix en course jolie</span><br />
-Allèrent ensuite en Irlande;<br />
-Trois firent partage à l'ouest<br />
-Après l'assaut de la tour de Conann.<br />
-<br />
-<span style="margin-left: 1em;">Assaut de la tour de Conann par combat</span><br />
-Contre Conann le Grand, fils de Fébar;<br />
-<span class="pagenum"><a name="Page_116" id="Page_116">[Pg 116]</a></span>Les hommes d'Irlande allèrent là,<br />
-Trois chefs illustres avec eux.<br />
-<br />
-<span style="margin-left: 1em;">Pour Bethach au renom glorieux, un tiers,</span><br />
-De Torinis à la Boyne;<br />
-C'est lui qui mourut dans l'île d'Irlande,<br />
-Deux ans après Britan.<br />
-<br />
-<span style="margin-left: 1em;">Pour Semion, fils d'Erglan l'illustre, un tiers:</span><br />
-De la Boyne à Belach Conglas;<br />
-Pour Britan, raconte hua Flainn, un tiers;<br />
-De Belach à la tour de Conann.<br />
-<br />
-<span style="margin-left: 1em;">Assaut de la tour de Conann par combat</span><br />
-Contre Conann le Grand, fils de Fébar;<br />
-Les hommes d'Irlande allèrent là,<br />
-Trois chefs illustres avec eux<a name="NoteRef_230" id="NoteRef_230"></a><a href="#Note_230" class="fnanchor">[1]</a>.....<br />
-</p>
-
-<p>La fin de ce poème a été composée sous l'influence
-d'idées modernes qui, rejetant le mythe
-celtique primitif, trouvent, dans la race de Némed,
-les ancêtres de la population des Iles Britanniques
-aux temps qui ont précédé la conquête saxonne.
-Suivant le Livre des Invasions, ceux des guerriers
-de la race de Némed qui échappèrent au désastre de
-la tour de Conann se réfugièrent d'abord en Irlande,
-puis quittèrent cette île pour aller habiter plus à
-l'orient. Ils formaient trois familles, dont l'une,
-celle de Britan, peupla plus tard la Grande-Bretagne
-<span class="pagenum"><a name="Page_117" id="Page_117">[Pg 117]</a></span>et donna son nom aux Bretons; les deux autres revinrent
-en Irlande, la première sous le nom de Fir-Bolg,
-la seconde sous le nom de Tûatha Dê Danann.</p>
-
-<p>Mais la croyance ancienne était que la race de
-Némed avait péri tout entière sans laisser de descendants.
-Némed et ses compagnons, une fois arrivés
-en Irlande, dit Tûan mac Cairill, eurent tant
-d'enfants et leur nombre augmenta tellement qu'ils
-atteignirent le chiffre de quatre mille trente hommes
-et quatre mille trente femmes; alors ils moururent
-tous<a name="NoteRef_231" id="NoteRef_231"></a><a href="#Note_231" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p>Si nous en croyons Nennius, la race de Némed,
-venue d'Espagne, passa en Irlande beaucoup d'années,
-puis quitta cette île et retourna en Espagne.
-Le récit de Nennius exprime, sur la destinée finale
-de la race de Némed, la même doctrine que la légende
-de Tûan mac Cairill; car, dans les textes mythologiques
-irlandais du moyen âge, l'Espagne prend
-la place du pays des Morts. Le texte primitif du récit
-que Nennius avait sous les yeux transportait
-d'Irlande, non en Espagne, mais au pays des Morts,
-la race de Némed.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_230" id="Note_230"></a><a href="#NoteRef_230"><span class="label">[1]</span></a> Livre de Leinster, p. 7, col. 2; Livre de Ballymote, f° 16 r°,
-col. 1; Livre de Lecan, f° 176 v°, col. 2. Ce poème est d'Eochaid
-hûa Flainn, mort en 985; cf. O'Curry, <i>On the manners</i>, t. II,
-p. 109.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_231" id="Note_231"></a><a href="#NoteRef_231"><span class="label">[2]</span></a> Voir plus haut, <a href="#Page_53">p. 53</a>.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="V_10"></a>§ 10.<br />
-
-<i>Le désastre de la tour de Conann suivant Nennius.
-Comparaison avec la mythologie grecque.</i></h3>
-
-<p>Après avoir fait ces observations sur les derniers
-<span class="pagenum"><a name="Page_118" id="Page_118">[Pg 118]</a></span>quatrains du poème irlandais qui raconte la catastrophe
-de la tour de Conann, nous allons rapprocher
-de ce morceau la rédaction sensiblement différente
-que nous en a laissée Nennius. Nous avons
-déjà dit que, chez cet auteur, la légende de la tour
-n'a pas été rattachée à l'histoire de la race de Némed,
-et qu'elle fait partie de celle des fils de Milé. Le motif
-de cette modification est facile à concevoir. Nous
-avons vu que, suivant la rédaction chrétienne du désastre
-de la tour de Conann, les débris de l'armée
-irlandaise retournent dans leur île, puis vont s'établir
-en Orient, reviennent plus tard, et que d'eux
-descendent les habitants des Iles Britanniques à
-l'époque historique. On a conclu de là que les guerriers
-qui ont pris d'assaut la tour de Conann ne
-peuvent appartenir à la race de Némed, puisque,
-suivant les plus vieilles rédactions de la légende,
-tous les membres de cette race ont péri jusqu'au
-dernier, ou sont retournés en Espagne. Voici le récit
-de Nennius.</p>
-
-<p>«Ensuite vinrent trois fils de Milé d'Espagne<a name="NoteRef_232" id="NoteRef_232"></a><a href="#Note_232" class="fnanchor">[1]</a>
-avec trente vaisseaux contenant chacun trente
-hommes et autant d'épouses. Ils restèrent en Irlande
-un an, puis ils aperçurent au milieu de la
-mer une tour de verre, et ils voyaient sur la tour
-quelque chose qui ressemblait à des hommes,
-<span class="pagenum"><a name="Page_119" id="Page_119">[Pg 119]</a></span><i>quasi homines</i>. Ils adressaient la parole à ces
-gens-là sans jamais obtenir de réponse. Après s'être
-préparés pendant un an à l'attaque de la tour, ils
-partirent avec tous leurs navires et toutes leurs
-femmes, à l'exception d'un navire qui avait fait
-naufrage, des trente hommes et des trente femmes
-que ce navire avait contenus. Mais quand ils débarquèrent
-sur le rivage qui entourait la tour, la
-mer s'éleva au-dessus d'eux, et ils périrent dans
-les flots. Des trente hommes et des trente femmes
-dont le navire avait fait naufrage, descend la population
-qui habite aujourd'hui l'Irlande.»</p>
-
-<p>En transportant la légende de la tour dans l'histoire
-des fils de Milé, Nennius s'est écarté des primitives
-données de la mythologie celtique; mais du
-reste, chez lui, le sens originaire du mythe est, sur
-bien des points, plus nettement apparent que dans
-les textes irlandais qui nous ont été conservés. La
-tour est de verre, comme la barque où, dans la légende
-de Connlé, la messagère de la Mort vient
-chercher et ravir à l'amour paternel le fils du roi
-suprême d'Irlande. Ce ne sont pas des hommes qu'on
-voit sur la tour, c'est «quelque chose qui ressemble
-à des hommes,» <i>quasi homines</i>. Ce sont les «ombres»
-de la mythologie romaine, les εἴδωλα de la mythologie
-grecque, qui offrent l'apparence du corps humain
-sans en avoir la réalité qu'ils ont perdue avec la vie.
-Ces apparences d'hommes ne parlent point, ou si
-elles ont un langage, ce langage ne parvient point
-aux oreilles des guerriers irlandais. Car ces apparences
-<span class="pagenum"><a name="Page_120" id="Page_120">[Pg 120]</a></span>d'hommes sont identiques aux «silencieux,» <i>silentes</i>,
-de la poésie latine. Les «silencieux,» <i>silentes</i>,
-sont les morts chez Virgile, Ovide, Lucain, Valérius
-Flaccus et Claudien. La tour de verre dont parle
-Nennius, la tour de Conann de la littérature irlandaise,
-est donc la forteresse des morts.</p>
-
-<p>Or, par une loi impitoyable, les hommes, à l'exception
-de quelques rares favorisés, ne peuvent, sans perdre
-la vie, pénétrer dans l'île mystérieuse de l'extrême
-Occident, où les Celtes et le second âge de la mythologie
-grecque ont placé le séjour des morts. Déjà,
-dans l'Odyssée, le navire qui porte Ulysse et ses compagnons
-ne peut aborder en Ogygie. Il fait naufrage,
-tous ceux qu'il porte, engloutis dans la mer, cessent
-de vivre; seul, le demi-dieu Ulysse peut atteindre
-l'île si éloignée où habite la déesse cachée, Calypso,
-fille d'Atlas, la colonne du ciel<a name="NoteRef_233" id="NoteRef_233"></a><a href="#Note_233" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p>Mais dans l'Odyssée, aucune notion belliqueuse
-n'est associée à l'idée de cette île lointaine où Ulysse,
-échappé à la mort par un privilège tout personnel,
-vit pendant sept ans, loin des regards des hommes,
-entouré des soins de la déesse dont il est aimé. Le
-mythe change de caractère quand, au lieu d'une
-déesse, un dieu mâle prend le gouvernement de l'île
-mystérieuse que la poétique imagination des Indo-Européens
-d'Occident place au couchant, à l'extrémité
-du monde, dans des régions où n'ose jamais
-s'aventurer le navigateur le plus audacieux. Kronos
-<span class="pagenum"><a name="Page_121" id="Page_121">[Pg 121]</a></span>règne sur cette île; la poésie grecque nous le représente
-occupant une «tour,» τύρσιν, dit Pindare<a name="NoteRef_234" id="NoteRef_234"></a><a href="#Note_234" class="fnanchor">[3]</a>,
-«dans l'île des Bienheureux, où soufflent les brises
-de l'Océan, où brillent des fleurs d'or, les unes sur
-de beaux arbres que la terre porte, les autres sur
-l'eau qui les produit; et de ces fleurs les habitants
-tressent des guirlandes qui leur ornent les
-mains et la tête;» ces habitants sont: Pélée, Cadmus,
-Achille et tous les héros de la Grèce antique.</p>
-
-<p>Pindare ne nous dit pas que personne ait attaqué
-la «tour» mythique des morts. Mais le plus ancien
-monument de littérature grecque parle des combats
-dont le séjour des morts a été le théâtre quand Héraclès
-se rendit dans l'Aïdès, aux portes solides,
-pour tirer de cet obscur domaine le chien du dieu
-terrible qui en est roi. Il aurait été englouti dans les
-eaux et aurait subi la même mort que les descendants
-de Némed au siège de la tour de Conann, il
-aurait perdu la vie dans les eaux rapides du Styx, si
-Zeus, du haut du ciel, n'eût envoyé à son aide la
-déesse Athéné<a name="NoteRef_235" id="NoteRef_235"></a><a href="#Note_235" class="fnanchor">[4]</a>. On trouve donc épars, dans la
-mythologie grecque, une grande partie des éléments
-dont a été formé le mythe irlandais de la tour de
-Conann, de cette forteresse qui, bâtie dans l'île mystérieuse
-des Morts, est conquise par les guerriers
-irlandais, mais au prix de la vie du plus grand nombre
-d'entre eux. Toutefois l'Irlande, en créant le
-<span class="pagenum"><a name="Page_122" id="Page_122">[Pg 122]</a></span>mythe de la tour de Conann, n'a rien emprunté à
-la Grèce. Les traits communs de la mythologie irlandaise
-et de la mythologie grecque proviennent d'un
-vieux fonds de légendes gréco-celtiques antérieur
-à la séparation des races, à la date inconnue où,
-abandonnant aux Celtes la froide vallée du Danube
-et les régions brumeuses de l'Europe occidentale, les
-Hellènes ou Grecs vinrent habiter les plaines chaudes
-et les splendides rivages de la presqu'île située
-au sud des Balkans.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_232" id="Note_232"></a><a href="#NoteRef_232"><span class="label">[1]</span></a> <i>Militis Hispaniæ</i>. On pourrait comprendre «d'un guerrier
-d'Espagne;» mais <i>Miles, Militis</i>, est ici un nom propre, en irlandais
-<i>Mile</i>, génitif <i>Miled</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_233" id="Note_233"></a><a href="#NoteRef_233"><span class="label">[2]</span></a> <i>Odyssée</i>, livre VII, vers 244&ndash;255.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_234" id="Note_234"></a><a href="#NoteRef_234"><span class="label">[3]</span></a> Pindare, <i>Olympiques</i>, II, vers 70; édit. Schneidewin, t. I, p. 17.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_235" id="Note_235"></a><a href="#NoteRef_235"><span class="label">[4]</span></a> <i>Iliade</i>, livre VIII, vers 367&ndash;369.</p></div>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_123" id="Page_123">[Pg 123]</a></span></p>
-
-<h2>CHAPITRE VI.<br />
-
-ÉMIGRATION DES FIR-BOLG.</h2>
-
-<p><a href="#VI_1">§1</a>. Les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les Galiôin dans la mythologie
-irlandaise.&mdash;<a href="#VI_2">§2</a>. Les Fir-Bolg, les Fir-Domnan et les Galiôin
-dans l'épopée héroïque irlandaise.&mdash;<a href="#VI_3">§3</a>. Association des
-Fomôré ou dieux de Domna, <i>Déi Domnann</i>, avec les Fir-Bolg, les
-Fir-Domnan et les Galiôin.&mdash;<a href="#VI_4">§4</a>. Etablissement des Fir-Bolg,
-des Fir-Domnann et de Galiôin en Irlande.&mdash;<a href="#VI_5">§5</a>. Origine des Fir-Bolg,
-des Fir-Domnann et des Galiôin. Doctrine primitive, doctrine
-du moyen âge.&mdash;<a href="#VI_6">§6</a>. Introduction de la chronologie dans
-cette légende. Liste des rois.&mdash;<a href="#VI_7">§7</a>. Tailtiu, reine des Fir-Bolg
-et mère nourricière de Lug, un des chefs des Tûatha Dê Danann.
-Assemblée annuelle de Tailtiu le jour de la fête de Lug ou Lugus.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VI_1"></a>§ 1.<br />
-
-<i>Les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les Galiôin dans la
-mythologie irlandaise.</i></h3>
-
-<p>Des trois races légendaires qui, dans la mythologie
-irlandaise, correspondent à la race d'Or, à la
-race d'Argent et à la race d'Airain de la mythologie
-<span class="pagenum"><a name="Page_124" id="Page_124">[Pg 124]</a></span>grecque, nous avons étudié jusqu'ici celles qui se
-placent les deux premières dans l'ordre chronologique
-adopté par les écrivains irlandais. C'est d'abord
-la famille de Partholon, identique à la race d'Argent
-de la mythologie grecque et caractérisée comme
-elle par le défaut d'intelligence<a name="NoteRef_236" id="NoteRef_236"></a><a href="#Note_236" class="fnanchor">[1]</a>. Elle fut enlevée
-en une semaine par une maladie épidémique qui
-punissait un crime. Ainsi, la légitime colère de
-Zeus avait précipité la race d'Argent dans le tombeau.
-Vient ensuite la famille de Némed: nous reconnaissons
-en elle la race d'Airain de la mythologie
-grecque, belliqueuse comme elle, et qui, comme
-elle, périt par les armes. La famille de Némed fut
-détruite au massacre de la tour de Conann en combattant
-les Fomôré. Les hommes de la race d'Argent,
-emportés par l'ardeur de la guerre, s'égorgèrent
-l'un l'autre jusqu'au dernier<a name="NoteRef_237" id="NoteRef_237"></a><a href="#Note_237" class="fnanchor">[2]</a>. Ainsi les deux
-premières races de la mythologie irlandaise, c'est-à-dire
-la famille de Partholon et celle de Némed, sont
-identiques aux deux dernières des trois races primitives
-de la mythologie grecque. L'ordre régulier des
-matières semblerait appeler ici l'étude de la troisième
-des races mythiques irlandaises qui correspond
-à la première des races mythiques grecques.
-Cette troisième race, connue sous le nom de Tûatha
-<span class="pagenum"><a name="Page_125" id="Page_125">[Pg 125]</a></span>Dê Danann, «gens du dieu fils de la déesse
-Dana,» est identique à la race d'Or, qu'Hésiode et
-Ovide font arriver sur la terre avant les deux autres.
-Dans la mythologie irlandaise, c'est chronologiquement
-la dernière des trois races dont la population
-historique de l'île ne descend pas.</p>
-
-<p>Cependant les catalogues de la littérature épique
-irlandaise et les résumés, dans lesquels les légendes
-mythologiques irlandaises se présentent à nous
-avec la prétention de se faire accepter pour des récits
-historiques, intercalent,&mdash;entre la légende qui
-concerne Némed ou la seconde des races mythiques,
-et les récits qui racontent l'arrivée de la troisième,
-c'est-à-dire des Tûatha Dê Danann,&mdash;l'histoire fabuleuse
-où l'on voit comment s'est établie en Irlande
-une des races qui occupaient encore cette île dans
-la période héroïque, c'est-à dire à une époque où
-succèdent à la mythologie pure les récits légendaires
-à base historique.</p>
-
-<p>On désigne habituellement cette race par le mot
-composé <i>Fer-Bolg</i>, au pluriel <i>Fir-Bolg</i>, «les hommes
-de Bolg.» Mais pour être exact, il faut dire
-que cette race se composait de trois peuples distincts:
-les Fir-Bolg ou hommes de Bolg, les Fir-Domnann
-ou hommes de Domna, et les Galiôin.
-Tel est l'ordre traditionnel dans lequel ces peuples
-sont rangés. C'est peut-être un ordre alphabétique.
-Quoique l'ordre des lettres ne soit pas le même dans
-l'alphabet ogamique que dans l'alphabet latin, ces
-deux alphabets s'accordent pour mettre le <i>b</i> avant
-<span class="pagenum"><a name="Page_126" id="Page_126">[Pg 126]</a></span>le <i>d</i>, et pour placer le <i>g</i> après ces deux lettres. Les
-Galiôin sont dont alphabétiquement les derniers, et
-les hommes de Bolg précèdent les hommes de
-Domna.</p>
-
-<p>Mais de ces trois peuples, le plus important
-paraît avoir été celui que dans l'usage on nomme le
-second, les Fir-Domnann ou hommes de Domna.
-Suivant la tradition telle que nous la conserve un
-poème du onzième siècle, ils auraient occupé trois des
-cinq grandes provinces entre lesquelles l'Irlande se
-se divisait à l'époque héroïque. Ils auraient eu pour
-leur part le Munster méridional, le Munster septentrional
-et le Connaught, tandis que les Galiôin se
-contentaient du Leinster, et les Fir-Bolg de l'Ulster<a name="NoteRef_238" id="NoteRef_238"></a><a href="#Note_238" class="fnanchor">[3]</a>.
-Aussi la légende de Tûan mac Cairill, plus
-logique que les autres textes, nomme-t-elle les Fir-Domnann
-avant les Fir-Bolg et les Galiôin<a name="NoteRef_239" id="NoteRef_239"></a><a href="#Note_239" class="fnanchor">[4]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_236" id="Note_236"></a><a href="#NoteRef_236"><span class="label">[1]</span></a> Comparez aux vers 129&ndash;134 des <i>Travaux et des Jours</i> d'Hésiode,
-le passage de la légende de Tûan mac Cairill, où se trouve
-l'appréciation de la race de Partholon: <i>Leabhar na-hUidhre</i>, p. 15,
-col. 2, lignes 23&ndash;24.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_237" id="Note_237"></a><a href="#NoteRef_237"><span class="label">[2]</span></a> Hésiode, <i>Les Travaux et les Jours</i>, vers 152&ndash;153.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_238" id="Note_238"></a><a href="#NoteRef_238"><span class="label">[3]</span></a> Poème de Gilla Coemain, dans le Livre de Leinster, p. 127,
-col. 1. La partie de ce document qui se rapporte au partage de
-l'Irlande entre les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les Galiôin, occupe
-les lignes 28&ndash;33. Voir plus bas l'indication des autres textes concernant
-ce partage.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_239" id="Note_239"></a><a href="#NoteRef_239"><span class="label">[4]</span></a> «Gabais Semion, mac Stariath in-innsi-sea iar-sin; is-dib-side
-Fir-Domnann, Fir-Bolc ocus Galiûin.» <i>Leabhar na-hUidre</i>, p. 16,
-col. 2, lignes 6 et 7.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VI_2"></a>§ 2.<br />
-
-<i>Les Fir-Bolg, les Fir-Domnann, les Galiôin dans
-l'épopée héroïque irlandaise.</i></h3>
-
-<p>Ces trois peuples paraissent avoir été la population
-<span class="pagenum"><a name="Page_127" id="Page_127">[Pg 127]</a></span>que les Gôidels ou Scots, c'est-à-dire les Irlandais,
-trouvèrent dans l'île dont ils portent aujourd'hui
-le nom, quand, à une date jusqu'ici mal
-déterminée, ils vinrent s'y établir. Dans la période
-héroïque, les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les Galiôin
-ne sont point encore fondus dans la race dominante,
-et ils y tiennent une place importante parmi
-les advesaires de ces héros d'Ulster que la littérature
-épique traite avec une faveur particulière.</p>
-
-<p>Ainsi, dans la grande épopée dont le sujet est
-l'enlèvement du taureau de Cûalngé, un des principaux
-épisodes est un duel où le premier des
-guerriers d'Ulster, c'est-à-dire le célèbre Cûchulainn,
-a pour adversaire le guerrier le plus éminent de
-l'armée d'Ailill et de Medb, roi et reine de Connaught;
-Ce dernier champion, Ferdiad, digne émule du héros
-qui réunit en sa personne les plus éminentes
-qualités et qui s'élève en quelque sorte au rang des
-demi-dieux, est un Fer-Domnann, un homme de
-Domna, le guerrier le plus accompli de cette race
-ennemie<a name="NoteRef_240" id="NoteRef_240"></a><a href="#Note_240" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>Dans l'armée à laquelle appartient Ferdiad, les
-Galiôin sont au nombre de trois mille. La reine
-Medb, ayant un jour, en char, parcouru le camp
-pour se rendre compte de l'état de ses troupes,
-constata que les Galiôin étaient ceux qui étaient venus
-<span class="pagenum"><a name="Page_128" id="Page_128">[Pg 128]</a></span>à la guerre avec le plus d'entrain. Quand les
-autres guerriers commençaient à peine à s'installer
-dans leur campement, déjà les Galiôin avaient dressé
-leurs tentes. Quand les autres eurent fini de dresser
-leurs tentes, déjà le repas des Galiôin était prêt.
-Quand les autres commencèrent à manger, les Galiôin
-avaient fini; quand les autres terminèrent leur
-repas, déjà les Galiôin étaient non seulement couchés
-mais tous endormis<a name="NoteRef_241" id="NoteRef_241"></a><a href="#Note_241" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p>Un autre morceau raconte comment, au temps où
-vivait Cûchulainn, des Fir-Bolg violèrent un engagement
-pris envers le roi suprême d'Irlande, et devinrent
-vassaux d'Ailill et de Medb, se rangeant
-ainsi, comme les Galiôin et les Fir-Domnann, parmi
-les ennemis de l'Ulster et de l'héroïque pléiade de
-guerriers qui faisait la gloire de ce royaume. Cette
-trahison eut pour résultat quatre duels, et dans un
-de ces combats singuliers, Cûchulainn tua le fils
-du chef des Fir-Bolg<a name="NoteRef_242" id="NoteRef_242"></a><a href="#Note_242" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_240" id="Note_240"></a><a href="#NoteRef_240"><span class="label">[1]</span></a> «Ferdiad mac Damain, mac Dâre, in mîlid môr-chalma
-d'Fheraib Domnand.» <i>Comrac Firdead</i>, Livre de Leinster, p. 81,
-col. 1, lignes 24&ndash;25, p. 82, col. 1, lignes 7&ndash;8. Cf. O'Curry, <i>On the
-manners</i>, t. III, p. 414, lignes 5 et 6; p. 420, lignes 2, 3.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_241" id="Note_241"></a><a href="#NoteRef_241"><span class="label">[2]</span></a> <i>Tâin bô Cûalnge</i>, chez O'Curry, <i>On the manners</i>, t. II, p. 259&ndash;261.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_242" id="Note_242"></a><a href="#NoteRef_242"><span class="label">[3]</span></a> Poème de Mag Liag, auteur du commencement du onzième
-siècle, Livre de Leinster, p. 152; O'Curry, <i>On the manners</i>, II,
-121&ndash;123.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VI_3"></a>§ 3.<br />
-
-<i>Association des Fomôré, ou dieux de Domna, Dê Domnann,
-avec les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les
-Galiôin.</i></h3>
-
-<p>Il y a donc dans la littérature épique irlandaise
-<span class="pagenum"><a name="Page_129" id="Page_129">[Pg 129]</a></span>une sorte de dualisme. D'un côté Conchobar, Cûchulainn,
-et les guerriers d'Ulster, héros favoris des
-<i>file</i>; et de l'autre, un groupe ennemi dont les Fir-Bolg,
-les Fir-Domnann et les Galiôin, les Fir-Domnann
-surtout, autrefois maîtres des trois cinquièmes
-de l'Irlande, sont un élément fondamental. Les Fir-Bolg,
-les Fir-Domnann, les Galiôin ont toutes sortes
-de défauts et de vices: ils sont bavards, traîtres,
-avares, ennemis de la musique, querelleurs; c'est
-à leurs adversaires qu'appartiennent en propre, et
-comme caractère distinctif, la bravoure et la générosité<a name="NoteRef_243" id="NoteRef_243"></a><a href="#Note_243" class="fnanchor">[1]</a>.
-La mythologie nous offre un dualisme
-analogue. D'un côté les dieux bons, les dieux du
-jour, de la lumière et de la vie, qu'on appelle
-Tûatha Dê Danann, parmi lesquels on remarque Ogmé
-à la face solaire, <i>Grian-ainech</i><a name="NoteRef_244" id="NoteRef_244"></a><a href="#Note_244" class="fnanchor">[2]</a>, et dont le chef est
-<i>in Dag-de</i>, littéralement «le bon Dieu;» de l'autre,
-les dieux de la mort et de la nuit, les dieux méchants
-qu'on appelle ordinairement Fomôré. Mais à
-ceux-ci on donne aussi quelquefois le nom de la
-principale des trois races ennemies que combattaient
-les héros d'Ulster: le chef des Fomôré est dit quelquefois
-<span class="pagenum"><a name="Page_130" id="Page_130">[Pg 130]</a></span>«dieu de Domna<a name="NoteRef_245" id="NoteRef_245"></a><a href="#Note_245" class="fnanchor">[3]</a>.» Le dieu de Domna,
-<i>dia</i> ou <i>dê Domnand</i>, est le dieu ennemi, comme les
-hommes de Domna, Fir-Domnann, sont les hommes
-ennemis.</p>
-
-<p>Suivant la doctrine celtique, la nuit précède le jour,
-la mort précède la vie, comme le père précède le
-fils<a name="NoteRef_246" id="NoteRef_246"></a><a href="#Note_246" class="fnanchor">[4]</a>; ainsi les dieux mauvais ont précédé les bons,
-et les hommes méchants sont arrivés en ce monde
-avant les bons, c'est-à-dire avant les Gôidels ou Scots
-ou en d'autres termes avant le rameau de la race
-celtique auquel sont dus les récits légendaires dont
-nous rendons compte. Cette association des hommes
-méchants et des dieux mauvais, vaincus les uns et
-<span class="pagenum"><a name="Page_131" id="Page_131">[Pg 131]</a></span>les autres, se trouve aussi dans la littérature sanscrite
-de l'Inde où le même mot <i>Dasyu</i>, désigne à la fois les
-démons et les races ennemies qui ont précédé les
-Aryens dans l'Inde et sur lesquelles la race aryenne
-a fait la conquête des vastes plaines situées au sud
-de l'Himalaya<a name="NoteRef_247" id="NoteRef_247"></a><a href="#Note_247" class="fnanchor">[5]</a>. Tandis que le groupe oriental de
-la famille indo-européenne se créait, par la victoire,
-un nouveau domaine territorial, le groupe occidental
-de la même famille devait à ses armes un succès
-semblable; et cet événement militaire, si fécond en
-conséquences politiques, produisait dans l'ordre littéraire
-un effet analogue à celui que dans l'Inde il a
-eu pour résultat, c'est-à-dire un mélange presque
-identique de l'histoire et de la mythologie.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_243" id="Note_243"></a><a href="#NoteRef_243"><span class="label">[1]</span></a> Duald mac Firbis, auteur du dix-septième siècle, a résumé la
-tradition irlandaise sur ce sujet en quelques vers publiés par O'Curry,
-<i>Lectures on the mss. materials</i>, p. 580; cf. p. 223&ndash;224. Contrairement
-à l'ancienne doctrine, Duald mac Firbis considère les Fir-Bolg
-comme plus importants que les Fir-Domnann.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_244" id="Note_244"></a><a href="#NoteRef_244"><span class="label">[2]</span></a> C'est l'opposé de <i>Buar-ainech</i>. Voyez chap. IX, § 4.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_245" id="Note_245"></a><a href="#NoteRef_245"><span class="label">[3]</span></a> Elloth, l'un des Tûatha dê Danann, est tué par le dieu de
-Domna, <i>dê Domnand</i>, des Fomôré:
-</p>
-<p class="poem">
-Dorochair Elloth con âg<br />
-athair môrgarg Manannain<br />
-Ocus Donand chomlan cain<br />
-la Dê n-Domnand d'Fhomorchaib.<br />
-</p>
-
-<p>
-Poème de Flann Manistrech, mort en 1056, dans le Livre de Leinster,
-p. 11, col. 1, lignes 25, 26. Lors de la seconde bataille de Mag-Tured,
-un des chefs des Fomôré est Indech, fils du dieu de Domna,
-«mac dê Domnann» (British Museum, ms. Harleian 5280; O'Curry,
-<i>Lectures on the mss. materials</i>, p. 249). Le <i>Livre des conquêtes</i>, parlant
-de la même bataille dans le Livre de Leinster, p. 9, col. 2, lignes
-9&ndash;10, ajoute que Indech, fils du dieu de Domna, est roi: «Indech
-mac Dê Domnand in rî,» et il a dit un peu plus haut que, dans
-la seconde bataille de Mag-Tured, Ogma, fils d'Elada, fut tué par
-Indech, fils d'un Dieu, roi des Fomôré. Livre de Leinster, p. 9, col. 2,
-122&ndash;4, cf. p. 11, col. 2, l. 33. Ainsi le même personnage mythique
-est à la fois fils du dieu de Domna et du roi des Fomôré.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_246" id="Note_246"></a><a href="#NoteRef_246"><span class="label">[4]</span></a> César, <i>De bello gallico</i>, VI, 18, §§ 1, 2, 3.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_247" id="Note_247"></a><a href="#NoteRef_247"><span class="label">[5]</span></a> Bergaigne, <i>La religion védique</i>, t. II, p. 208&ndash;219.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VI_4"></a>§ 4.<br />
-
-<i>Etablissement des Fir-Bolg, des Fir-Domnann et des
-Galiôin en Irlande.</i></h3>
-
-<p>Les Fomôré, dieux de la nuit, de la mort et du
-mal, sont venus en Irlande avant les Tûatha Dê
-Danann, ou dieux du bien, de la lumière, de la
-vie. En effet, les Tûatha Dê Danann n'ont point encore
-paru dans notre exposé, et nous verrons plus
-tard comment ils arrivèrent en Irlande. Mais nous
-avons déjà parlé à deux reprises des Fomôré; nous
-avons vu leurs combats contre Partholon et contre
-<span class="pagenum"><a name="Page_132" id="Page_132">[Pg 132]</a></span>Némed<a name="NoteRef_248" id="NoteRef_248"></a><a href="#Note_248" class="fnanchor">[1]</a>: les Fomôré sont donc contemporains des
-deux races légendaires qui ont les premières habité
-l'Irlande; et dans la littérature irlandaise primitive,
-aucun récit ne nous raconte comment ils sont venus
-en Irlande: C'est à une date plus récente qu'on a imaginé
-d'en faire une tribu de pirates arrivant par mer
-comme les Scandinaves et les Danois du neuvième
-et du dixième siècle<a name="NoteRef_249" id="NoteRef_249"></a><a href="#Note_249" class="fnanchor">[2]</a>; il n'y a pas, il ne paraît avoir
-jamais existé de récit intitulé: «Emigration des Fomôré
-ou des dieux de Domna en Irlande.» Ces dieux
-semblent remonter à l'origine même des choses.
-Mais il y avait un récit où l'on voyait comment les
-hommes de Domna étaient venus dans cette île.</p>
-
-<p>Le titre de ce récit est compris dans les deux plus
-anciens catalogues de la littérature épique irlandaise,
-dont le premier paraît, avons-nous dit, remonter
-aux environs de l'année 700. Ce titre, «Emigration
-des Fir-Bolg,» <i>Tochomlod Fer m-Bolg</i>, ne mentionne
-que le premier des trois peuples dont les Fir-Domnann
-étaient le principal. Mais quoique cette pièce
-soit perdue, les débris qui nous en ont été conservés
-par divers documents montrent quelle place importante
-y tenaient les hommes de Domna. «Cinq rois,»
-nous dit un poème attribué à Gilla Coemain, auteur
-du onzième siècle, «vinrent à travers la mer bleue
-dans trois flottes. L'affaire n'était pas petite; avec
-<span class="pagenum"><a name="Page_133" id="Page_133">[Pg 133]</a></span>eux étaient les Galiôin, les Fir-Bolg et les Fir-Domnann.»
-Un de ces cinq rois était celui des
-Fir-Bolg; il s'appelait Rudraige, et occupa le nord
-de l'Irlande, l'Ulster. Les Fir-Domnann avaient pour
-eux seuls trois rois qui fondèrent chacun un royaume:
-le royaume de Connaught, celui de Munster septentrional
-et celui de Munster méridional. Enfin les Galiôin,
-commandés comme les Fir-Bolg par un seul roi,
-fondèrent le royaume de Leinster. Les cinq rois
-étaient frères; ils confièrent l'autorité suprême à l'un
-d'entre eux, au roi des Galiôin Slane<a name="NoteRef_250" id="NoteRef_250"></a><a href="#Note_250" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_248" id="Note_248"></a><a href="#NoteRef_248"><span class="label">[1]</span></a> Voir plus haut, <a href="#Page_31">p. 31</a> et suivante, <a href="#Page_90">p. 90</a> et suivantes.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_249" id="Note_249"></a><a href="#NoteRef_249"><span class="label">[2]</span></a> Dans certaines compositions modernes plus politiques au fond
-que littéraires dans la forme, l'auteur, parlant des Fomôré, semble
-avoir pensé aux conquérants anglo-normands.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_250" id="Note_250"></a><a href="#NoteRef_250"><span class="label">[3]</span></a> Livre de Leinster, p. 127, col. 1, lignes 26&ndash;35. Voir, sur le
-même sujet, un poème attribué à Columb Cille, Livre de Leinster,
-p. 8, col. 2, lignes 3 et suivantes; Girauld de Cambrie, <i>Topographia
-hibernica</i>, distinctio III, chap. <span class="smcap">iv</span> et <span class="smcap">v</span>, dans <i>Giraldi Cambrensis
-Opera</i>, édition Dimock, vol. V, p. 144, 145; Keating, <i>Histoire d'Irlande</i>,
-édition de 1811, p. 122. Tûan mac Cairill ne dit mot de ces
-cinq rois. Il parle de Semion, fils de Stariat, d'où les Fir-Domnann,
-les Fir-Bolg et les Galiôin. <i>Leabhar na-hUidhre</i>, p. 16, col. 2, lignes
-5&ndash;7. Semion, suivant lui, serait venu en Irlande, tandis que Gilla
-Coemain, le Livre des Conquêtes et les textes postérieurs n'y font
-arriver que ses descendants.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VI_5"></a>§ 5.<br />
-
-<i>Origine des Fir-Bolg, des Fir-Domnann et des Galiôin.
-Doctrine primitive. Doctrine du moyen âge.</i></h3>
-
-<p>De quel pays venait cette population nouvelle? Si
-nous en croyons Nennius, elle arrivait d'Espagne,
-puisque c'est de l'Espagne, suivant lui, que l'Irlande
-<span class="pagenum"><a name="Page_134" id="Page_134">[Pg 134]</a></span>a reçu tous ses habitants; et chez lui <i>Espagne</i> est la
-traduction évhémériste des mots celtiques qui désignaient
-le pays mystérieux des morts. Mais dans la
-doctrine qui prévalut en Irlande au onzième siècle,
-les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les Galiôin étaient
-partis de Grèce. Après le désastre de la tour de Conann,
-ceux des descendants de Némed qui, au nombre
-de trente, échappèrent à la mort, passèrent
-d'abord quelque temps en Irlande; puis, chassés
-par les maladies et par les exactions des Fomôré,
-ils renoncèrent à ce séjour désastreux et se partagèrent
-en trois groupes.</p>
-
-<p>L'un s'établit dans les régions septentrionales de
-l'Europe, il devait revenir en Irlande sous le nom
-de Tûatha Dê Danann. Nous verrons plus loin que
-la doctrine celtique primitive donnait aux Tûatha Dê
-Danann une origine tout autre et les faisait venir du
-ciel. Un autre groupe s'établit en Grande-Bretagne;
-c'est de lui que, suivant cette légende relativement
-moderne, les Bretons sont descendus.</p>
-
-<p>Enfin quelques-uns des descendants de Némed se
-réfugièrent en Grèce; mais les habitants de cette
-inhospitalière contrée les réduisirent en esclavage
-et les employèrent à un travail des plus durs. Il
-s'agissait de transformer des rochers en champs fertiles;
-et, à cet effet, ces malheureux étaient obligés
-de prendre de la terre dans la plaine, de la mettre
-dans des sacs de cuir, en irlandais <i>bolg</i>, et de la
-porter sur leur dos jusqu'au sommet des rochers.
-Fatigués de ce rude labeur&mdash;qui, en réalité, n'a
-<span class="pagenum"><a name="Page_135" id="Page_135">[Pg 135]</a></span>été inventé que pour donner une étymologie au nom
-des Fir-Bolg,&mdash;ils se soulevèrent au nombre de
-cinq mille, transformèrent en bateaux les sacs de
-cuir dans lesquels ils avaient jusque-là transporté la
-terre, et ce furent ces navires qui les amenèrent
-en Irlande. Ces navires formaient trois flottes, et
-ces trois flottes arrivèrent en Irlande dans la même
-semaine; la première le samedi, la seconde le mardi,
-et la troisième le vendredi suivant<a name="NoteRef_251" id="NoteRef_251"></a><a href="#Note_251" class="fnanchor">[1]</a>. Les trois peuples
-atteignirent la côte par ordre alphabétique:
-d'abord les Fir-Bolg, ensuite les Fir-Domnann, en
-dernier lieu les Galiôin.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_251" id="Note_251"></a><a href="#NoteRef_251"><span class="label">[1]</span></a> Livre des Conquêtes, dans le Livre de Leinster, p. 6, col. 2,
-lignes 14&ndash;30, p. 7, col. 2, ligne 35; poème commençant par les mots
-«hEriu oll ordnit Gaedil,» Livre de Leinster, p. 7, col. 1, lignes
-36 et suivantes; Keating, <i>Histoire d'Irlande</i>, édition de 1811, p. 186&ndash;191
-O'Curry, <i>On the manners</i>, t. II, p., 110, 185.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VI_6"></a>§ 6.<br />
-
-<i>Introduction de la chronologie dans cette légende.
-Liste des rois.</i></h3>
-
-<p>Quand, au onzième siècle, on éprouva le besoin
-d'une chronologie irlandaise analogue à la chronologie
-biblique, telle que l'avait créée la science gréco-romaine
-du quatrième siècle, on raconta qu'entre
-le désastre de la tour de Conann et l'arrivée des
-Fir-Bolg, des Fir-Domnann et des Galiôin en Irlande,
-il s'était écoulé deux cents ou deux cent
-<span class="pagenum"><a name="Page_136" id="Page_136">[Pg 136]</a></span>trente
-ans<a name="NoteRef_252" id="NoteRef_252"></a><a href="#Note_252" class="fnanchor">[1]</a>. Antérieurement, la tradition mythologique
-ne contenait aucune indication chronologique
-quelconque.</p>
-
-<p>Du onzième siècle aussi date une liste des rois
-d'Irlande au temps de la domination des Fir-Bolg,
-des Fir-Domnann et des Galiôin. Ces rois sont au
-nombre de neuf, et la durée totale de leurs règnes
-est de trente-sept ans; le dernier et le plus remarquable
-de ces princes, le seul probablement qui
-appartienne à la légende primitive, fut Eochaid mac
-Eirc, appelé ailleurs Eochaid «le fier,» en irlandais
-<i>garb</i>, et aussi Eochaid mac Duach. Il régna dix ans;
-pendant ce temps on ne vit pas de pluie d'orage en
-Irlande: il n'y eut que de la rosée. Ce fut alors que
-le droit fit son apparition. Aucune année ne se passa
-sans jugement; il n'y avait plus, de guerre, les javelots,
-restés sans emploi, disparurent<a name="NoteRef_253" id="NoteRef_253"></a><a href="#Note_253" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_252" id="Note_252"></a><a href="#NoteRef_252"><span class="label">[1]</span></a> Poème <i>Eriu ard, inis nar-rig</i>, Livre de Leinster, p. 127, col. 1,
-lignes 22, 23. Livre des Conquêtes, <i>ibid.</i>, p. 6, col. 2, ligne 22.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_253" id="Note_253"></a><a href="#NoteRef_253"><span class="label">[2]</span></a> Livre des Conquêtes, dans le Livre de Leinster, p. 8, col. 1,
-lignes 11&ndash;14. Voir plus bas, <a href="#VII_6">chapitre VII, § 6</a>, <a href="#Page_160">p. 160</a>, comment cette
-idée fut développée.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VI_7"></a>§ 7.<br />
-
-<i>Tâltiu, reine des Fir-Bolg, est mère nourricière de
-Lug, un des chefs des Tûatha Dê Danann. Assemblée
-annuelle de Tâltiu le jour de la fête de Lug ou
-Lugus.</i></h3>
-
-<p>Eochaid avait épousé Tâltiu, fille de Magmôr, en
-<span class="pagenum"><a name="Page_137" id="Page_137">[Pg 137]</a></span>français de la «Grande-Plaine,» c'est-à-dire du pays
-des morts<a name="NoteRef_254" id="NoteRef_254"></a><a href="#Note_254" class="fnanchor">[1]</a>. Plus tard, on a fait de Magmôr un
-roi d'Espagne, et de Tâltiu une princesse espagnole
-amenée par Eochaid, d'Espagne en Irlande<a name="NoteRef_255" id="NoteRef_255"></a><a href="#Note_255" class="fnanchor">[2]</a>. Dès
-cette vieille époque, l'Irlande avait les usages qui
-dominèrent chez elle à l'époque héroïque et à des
-temps postérieurs. Chacun faisait élever ses enfants
-dans une famille autre que la sienne. Tâltiu, femme
-du roi des Fir-Bolg, fut donc la mère nourricière
-du dieu Lug, l'un des Tûatha Dê Danann, un des
-chefs de ces dieux bons, de ces dieux de la lumière
-et de la vie, dont les Fir-Bolg, les Fir-Domnann,
-les Galiôin et leurs dieux, les Fomôré, étaient les
-adversaires.</p>
-
-<p>Il y eut du reste entre ces groupes ennemis des
-relations plus intimes encore, puisque le même Lug,
-qui un jour tua Balar, roi des Fomôré, était petit-fils
-de sa victime.</p>
-
-<p>La conquête de l'Irlande par les Tûatha Dê Danann
-mit fin à la domination des Fir-Bolg, des Fir-Domnann
-et des Galiôin; Eochaid mac Eirc perdit le trône
-avec la vie, mais Lug n'oublia pas les soins maternels
-dont Tâltiu avait environné son enfance: quand
-<span class="pagenum"><a name="Page_138" id="Page_138">[Pg 138]</a></span>elle mourut, il prit soin de ses funérailles. Tâltiu
-avait expiré le 1<sup>er</sup> août dans la localité qui en irlandais
-porte son nom, aujourd'hui Teltown, d'abord
-vaste forêt défrichée par elle et où elle s'était créée
-une habitation. Cette localité devint le lieu d'une
-assemblée annuelle d'affaires et de plaisirs célèbre
-par ses jeux, ses courses de chevaux, importante par
-le commerce et les mariages dont elle était l'occasion.
-Elle commençait quinze jours avant le premier août
-jour de la mort de Tâltiu; elle finissait quinze jours
-après. On y montrait le tombeau de Tâltiu, celui de
-son mari, et au moyen âge on prétendait n'avoir pas
-perdu le souvenir de l'événement funèbre dont cette
-réunion annuelle était, disait-on, destinée à perpétuer
-la mémoire.</p>
-
-<p>Le nom de Lug, fils adoptif de Tâltiu, était associé
-à celui de la femme dont il avait reçu les soins maternels.
-Le 1<sup>er</sup> août, principal jour de la foire de
-Tâltiu portait le nom de «<i>fête de Lug</i>,» dans tout le
-domaine de la race irlandaise, tant en Irlande qu'en
-Ecosse et dans l'île de Man<a name="NoteRef_256" id="NoteRef_256"></a><a href="#Note_256" class="fnanchor">[3]</a>, et la tradition irlandaise
-faisait de Lug l'inventeur des vieilles assemblées
-païennes à date fixe dont quelques-unes de nos
-foires sont un dernier reste. Il avait, disait-on, introduit
-en Irlande les amusements, qui faisaient le principal
-<span class="pagenum"><a name="Page_139" id="Page_139">[Pg 139]</a></span>attrait de ces réunions périodiques, les courses de
-chevaux ou de chars et par conséquent la cravache
-qui activait l'allure des chevaux, les échecs ou le jeu
-analogue qu'on appelait <i>fidchell</i><a name="NoteRef_257" id="NoteRef_257"></a><a href="#Note_257" class="fnanchor">[4]</a>.</p>
-
-<p>Lug a donné son nom aux <i>Lugu-dunum</i> de Gaule,
-dont le nom veut dire forteresse de Lugus ou Lug<a name="NoteRef_258" id="NoteRef_258"></a><a href="#Note_258" class="fnanchor">[5]</a>.
-Le principal d'entre eux, aujourd'hui Lyon, a fourni
-sous l'empire romain l'emplacement d'une assemblée
-annuelle célèbre tenue le 1<sup>er</sup> août en l'honneur d'Auguste,
-mais qui n'était probablement que la forme
-nouvelle d'un usage plus ancien. Avant de se réunir
-tous les ans, le 1<sup>er</sup> août, à Lugu-dunum en l'honneur
-d'Auguste, les Gaulois s'y étaient longtemps sans
-doute réunis tous les ans à la même date en l'honneur
-de Lugus ou Lug comme le faisaient les Irlandais à
-Tâltiu<a name="NoteRef_259" id="NoteRef_259"></a><a href="#Note_259" class="fnanchor">[6]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_254" id="Note_254"></a><a href="#NoteRef_254"><span class="label">[1]</span></a> Poème attribué à Columb Cille, Livre de Leinster, p. 8, col. 2,
-ligne 26; poème de Cûan hûa Lothchain, Livre de Leinster, p. 200,
-col. 2, ligne 25. Cûan mourut en 1024, avant les remaniements qui,
-à la fin du onzième siècle, ont donné à l'histoire mythologique d'Irlande
-la forme qu'elle a prise dans le Livre des Conquêtes. Tâltiu
-peut s'écrire aussi Tailtiu.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_255" id="Note_255"></a><a href="#NoteRef_255"><span class="label">[2]</span></a> Livre des Conquêtes, dans le Livre de Leinster, p. 9, col. 1,
-lignes 34&ndash;41.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_256" id="Note_256"></a><a href="#NoteRef_256"><span class="label">[3]</span></a> En irlandais <i>lugnasad</i> (Glossaire de Cormac, chez Whitley Stokes,
-<i>Three irish glossaries</i>, p. 26; <i>lûnasdal, lûnasdainn</i> et <i>lûnasd</i> en
-gaélique d'Ecosse (<i>A dictionary of the gaelic language</i>, publié par la
-<i>Highland Society</i>, t. I, p. 602); <i>launistyn</i> dans le dialecte de Man
-(Kelly, <i>Fockleyr manninagh as baarlagh</i>, p. 125).</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_257" id="Note_257"></a><a href="#NoteRef_257"><span class="label">[4]</span></a> Livre de Leinster, p. 10, col. 2, lignes 10&ndash;15. Sur la foire de
-Tâltiu, voir le poème de Cûan hûa Lothchain, inséré dans le Livre de
-Leinster, p. 200, col. 2. Suivant le Livre des Conquêtes (Livre de
-Leinster, p. 9, col. 1, lignes 38&ndash;42), Tâltiu aurait eu deux maris:
-l'un, de la race des Fir-Bolg, se serait appelé Eochaid mac Eirc;
-l'autre, de la race des Tûatha Dê Danann, se serait appelé Eochaid
-Garb, mac Duach Daill. Cette distinction n'apparaît pas dans les textes
-antérieurs, où ces deux personnages ne font qu'un.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_258" id="Note_258"></a><a href="#NoteRef_258"><span class="label">[5]</span></a> <i>Lug</i>, génitif <i>Loga</i>, est, en irlandais, un thème en <i>u</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_259" id="Note_259"></a><a href="#NoteRef_259"><span class="label">[6]</span></a> Sur la fête d'Auguste à Lyon, voir tome I<sup>er</sup>, p. 215&ndash;218.</p></div>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_140" id="Page_140">[Pg 140]</a></span></p>
-
-<h2>CHAPITRE VII.<br />
-
-EMIGRATION DES TÛATHA DÊ DANANN. PREMIÈRE BATAILLE
-DE MAG-TURED.</h2>
-
-<p><a href="#VII_1">§1</a>. Les Tuâtha Dê Danann sont des dieux: leur place dans le
-système théologique des Celtes.&mdash;<a href="#VII_2">§2</a>. Origine du nom des Tuâtha
-Dê Danann. La déesse Brigit et ses fils, le dieu irlandais
-Brian et le chef gaulois Brennos.&mdash;<a href="#VII_3">§3</a>. La bataille de Mag-Tured
-est primitivement unique. Plus tard on distingue deux batailles
-de Mag-Tured.&mdash;<a href="#VII_4">§4</a>. Le dieu Nûadu Argatlâm.&mdash;<a href="#VII_5">§5</a>. Indications
-sur l'époque où a été composée le récit de la première
-bataille de Mag-Tured.&mdash;<a href="#VII_6">§6</a>. Pourquoi fut livrée la première
-bataille de Mag-Tured.&mdash;<a href="#VII_7">§7</a>. Récit de la première bataille de Mag-Tured.
-Résultat de cette bataille.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VII_1"></a>§ 1.<br />
-
-<i>Les Tûatha Dê Danann sont des dieux: leur place dans
-le système théologique des Celtes.</i></h3>
-
-<p>Les Tûatha Dê Danann sont les représentants les
-plus éminents d'un des deux principes qui se disputent
-le monde. De ces deux principes, l'un, le plus
-ancien, est négatif: c'est la mort, la nuit, l'ignorance,
-<span class="pagenum"><a name="Page_141" id="Page_141">[Pg 141]</a></span>le mal; l'autre, issu du premier, est positif: c'est le
-jour, la vie, la science<a name="NoteRef_260" id="NoteRef_260"></a><a href="#Note_260" class="fnanchor">[1]</a>, le bien. Dans les Tûatha
-Dê Danann on trouve la plus brillante expression du
-second de ces principes: d'eux, par exemple, émanent
-la science des druides et la science des <i>file</i>.</p>
-
-<p>Les textes irlandais qui concernent les Tûatha Dê
-Danann peuvent se distinguer en deux catégories.
-Les uns ont subi l'influence de l'école qui, dans la
-seconde moitié du onzième siècle, veut à tout prix
-créer à l'Irlande une histoire modelée sur les généalogies
-bibliques; dans cette doctrine systématique,
-toutes les populations mythiques et historiques de
-l'Irlande descendent de la même souche, qui par
-Japhet remonte jusqu'à Adam, premier père du genre
-humain. Les Tûatha Dê Danann comptent Némed
-parmi leurs ancêtres. Némed, entre autres enfants, a
-eu un fils doué du don de prophétie: c'était Iarbonel.
-Iarbonel laissa une postérité qui échappa au massacre
-de la tour de Conann, quitta l'Irlande, alla habiter
-quelque temps les régions septentrionales du monde
-pour y étudier le druidisme, l'art de se procurer des
-visions et de prévoir l'avenir, la pratique des incantations;
-une fois ces connaissances merveilleuses acquises,
-les descendances de Iarbonel revinrent en
-Irlande, et ils y arrivèrent enveloppés de nuages
-obscurs qui rendirent le soleil invisible pendant trois
-<span class="pagenum"><a name="Page_142" id="Page_142">[Pg 142]</a></span>jours et aussi, dit le Livre des conquêtes, pendant
-trois nuits<a name="NoteRef_261" id="NoteRef_261"></a><a href="#Note_261" class="fnanchor">[2]</a>!</p>
-
-<p>Ce n'est pas la tradition primitive. La croyance
-ancienne et païenne considère les Tûatha Dê Danann
-comme des dieux qui viennent du ciel. Tûan mac
-Cairill, converti par Finnên, le croit encore. Il raconte
-qu'il a été contemporain des <i>Tûatha Dee ocus
-ande</i>, c'est-à-dire des gens du dieu et du faux dieu;
-et dont, ajoute-t-il, on sait que provient la classe
-savante; vraisemblablement, continue-t-il, dans le
-voyage qui les amena, ils venaient du ciel<a name="NoteRef_262" id="NoteRef_262"></a><a href="#Note_262" class="fnanchor">[3]</a>. Un
-poème attribué à Eochaid hûa Flainn, qui mourut
-en 984, poème qui, si cette provenance n'est pas
-rigoureusement établie, est cependant antérieur au
-Livre des conquêtes, rappelle, quoique timidement,
-la même croyance, dont il n'ose pas se porter
-garant. «Ils n'avaient pas de vaisseaux... On ne sait
-vraiment,» dit-il, «si c'est sur le ciel, du ciel, ou
-de la terre qu'ils sont venus. Etaient-ce des démons
-du diable ... étaient-ce des hommes<a name="NoteRef_263" id="NoteRef_263"></a><a href="#Note_263" class="fnanchor">[4]</a>?»</p>
-
-<p>Par une contradiction dont il nous offre de fréquents
-exemples, le Livre des conquêtes, après
-avoir dit, conformément au système des savants irlandais
-du onzième siècle, que les Tûatha Dê Danann
-<span class="pagenum"><a name="Page_143" id="Page_143">[Pg 143]</a></span>sont, par Iarbonel et Némed, des descendants de
-Japhet, en fait plus loin, conformément à la tradition
-antérieure, des démons, nom que les chrétiens
-donnaient aux dieux du paganisme<a name="NoteRef_264" id="NoteRef_264"></a><a href="#Note_264" class="fnanchor">[5]</a>. <i>Démon</i> est
-un mot qui du latin de la théologie chrétienne a
-pénétré en irlandais; mais la langue irlandaise avait
-une expression pour désigner les corps merveilleux
-semblables aux nôtres en apparence, à l'aide desquels
-les dieux, croyait-on, se rendaient quelquefois
-visibles aux hommes; ce nom était <i>siabra</i>, qu'on peut
-traduire par «fantôme.» Le poème d'Eochaid hûa
-Flainn que nous venons de citer, racontant l'arrivée
-des Tûatha Dê Danann en Irlande, où ils viennent
-attaquer les Fir-Bolg, dit que les nouveaux conquérants
-de l'Irlande étaient des troupes de <i>siabra</i><a name="NoteRef_265" id="NoteRef_265"></a><a href="#Note_265" class="fnanchor">[6]</a>. Ce
-caractère surnaturel des Tûatha Dê Danann a empêché
-Girauld de Cambrie d'admettre leur réalité historique;
-et il n'a rien dit d'eux quand, dans sa <i>Topographies
-hibernica</i>, il a résumé les récits légendaires irlandais
-sur les populations primitives de l'île, alors
-tout récemment conquise par les Anglo-Normands.</p>
-
-<p>Lorsque les Tûatha Dê Danann eurent vaincu les
-Fir-Bolg, les Fir-Domnann, les Galiôin, et leurs
-dieux, les Fomôré, ils furent quelque temps seuls
-maîtres de l'Irlande; mais la race de Milé, les Gôidels,
-la race irlandaise moderne, arriva dans l'île,
-les attaqua, remporta sur eux la victoire et prit possession
-<span class="pagenum"><a name="Page_144" id="Page_144">[Pg 144]</a></span>du pays. Les Tûatha Dê Danann vaincus se
-sont réfugiés au fond des cavernes, dans les profondeurs
-des montagnes; quand, pour se distraire,
-ils parcourent leur ancien domaine, c'est ordinairement
-sous la protection d'un charme qui les rend
-invisibles aux descendants des mortels heureux par
-lesquels ils ont été dépossédés; et malgré cette dépossession,
-ils ont conservé une grande puissance
-qu'ils font sentir aux hommes en leur rendant, tantôt
-de bons, tantôt de mauvais services. Tels étaient,
-dans l'imagination des Grecs, les hommes ou demi-dieux
-de l'antique race d'or.</p>
-
-<p>«Quand cette race a été couverte par la terre, la
-volonté du grand Zeus en a fait de bons démons
-qui habitent la terre et y gardent les hommes
-mortels, récompensant les bonnes actions, punissant
-les crimes; voilés par l'air qui leur sert de
-manteau, ils parcourent la terre, y distribuent
-les richesses, et ainsi sont investis d'une sorte de
-royauté<a name="NoteRef_266" id="NoteRef_266"></a><a href="#Note_266" class="fnanchor">[7]</a>.»</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_260" id="Note_260"></a><a href="#NoteRef_260"><span class="label">[1]</span></a> Tûan mac Cairill appelle les Tûatha Dê Danann «race de
-science,» <i>âes n-êolais</i>.&mdash;<i>Leabhar na-hUidhre</i>, p. 16, col. 2, lignes
-29&ndash;30.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_261" id="Note_261"></a><a href="#NoteRef_261"><span class="label">[2]</span></a> Livre de Leinster, p. 6, col. 2, ligne 1; p. 8, col. 2, lignes 50,
-51; p. 9, col. 1, lignes 1 et suivantes.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_262" id="Note_262"></a><a href="#NoteRef_262"><span class="label">[3]</span></a> <i>Leabhar na-hUidhre</i>, p. 16, col. 2, lignes 28&ndash;31.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_263" id="Note_263"></a><a href="#NoteRef_263"><span class="label">[4]</span></a> Livre de Leinster, p. 10, col. 2, lignes 10&ndash;15. C'est O'Clery qui
-attribue ce poème à Eochaid hûa Flainn. O'Curry, <i>On the manners</i>,
-t. II, p. 111; Atkinson, <i>The book of Leinster</i>, contents, p. 18, col. 2.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_264" id="Note_264"></a><a href="#NoteRef_264"><span class="label">[5]</span></a> «Ro brissiset meic Miled cath Slêbi Mis for demno idon for
-Tuaith Dê Danand.» Livre de Leinster, p. 13, col. 1, lignes 1 et 2.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_265" id="Note_265"></a><a href="#NoteRef_265"><span class="label">[6]</span></a> Livre de Leinster, p. 10, col. 2, lignes 6&ndash;8.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_266" id="Note_266"></a><a href="#NoteRef_266"><span class="label">[7]</span></a> Hésiode, <i>Les Travaux et les Jours</i>, vers 120&ndash;126.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VII_2"></a>§ 2.<br />
-
-<i>Origine du nom des Tûatha Dê Danann. La déesse
-Brigit et ses fils; le dieu irlandais Briân et le chef
-gaulois Brennos.</i></h3>
-
-<p>Le nom des Tûatha Dê Danann<a name="NoteRef_267" id="NoteRef_267"></a><a href="#Note_267" class="fnanchor">[1]</a> veut dire «gens
-<span class="pagenum"><a name="Page_145" id="Page_145">[Pg 145]</a></span>du dieu dont la mère s'appelait <i>Dana</i>,» au génitif
-<i>Danann</i> ou <i>Donand</i>. Dana, appelée au nominatif
-Donand en moyen irlandais est nommée ailleurs
-Brigit; c'est la mère de trois dieux, qu'on trouve
-désignés tantôt par les noms de Brîan, Iuchar et
-Uar, tantôt par ceux de Brîan, Iucharba et Iuchair;
-ces trois personnages mythiques sont les dieux du
-génie ou de l'inspiration artistique et littéraire: <i>dêi
-dâna</i>, ou les dieux fils de la déesse Dana, <i>dêe Donand</i>.
-Dana ou Donand, dite aussi Brigit, leur mère,
-était femme de Bress, roi des Fomôré, mais, par sa
-naissance, elle appartenait à l'autre race divine, elle
-avait pour père Dagdé ou «bon Dieu» roi des
-Tûatha Dê Danann; on la considérait comme la
-déesse de la littérature<a name="NoteRef_268" id="NoteRef_268"></a><a href="#Note_268" class="fnanchor">[2]</a>. Ses trois fils avaient eu
-en commun un fils unique qui s'appelait <i>ecnè</i>, c'est-à-dire
-science ou poésie<a name="NoteRef_269" id="NoteRef_269"></a><a href="#Note_269" class="fnanchor">[3]</a>. Brigit, déesse des Irlandais
-païens, a été supplantée à l'époque chrétienne
-par sainte Brigite; et les Irlandais du moyen âge reportèrent
-en quelque sorte sur cette sainte nationale
-le culte que leurs ancêtres païens avaient adressé
-à la déesse Brigit.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_146" id="Page_146">[Pg 146]</a></span>Le culte de Brigit n'était pas inconnu en Grande
-Bretagne. On a trouvé dans cette île quatre dédicaces
-qui remontent au temps de l'empire romain et qui
-sont adressées à une déesse de nom identique, sauf
-une légère variante dialectale<a name="NoteRef_270" id="NoteRef_270"></a><a href="#Note_270" class="fnanchor">[4]</a>. L'une porte une
-date qui correspond à l'année 205 après notre
-ère<a name="NoteRef_271" id="NoteRef_271"></a><a href="#Note_271" class="fnanchor">[5]</a>. Le nom écrit en Irlande, au douzième siècle,
-<i>Brigit</i>, au génitif <i>Brigte</i>, suppose un primitif <i>Brigentis</i>,
-et le nom divin qu'on lit dans les quatre inscriptions
-britanno-romaines précitées est <i>Brigantia</i><a name="NoteRef_272" id="NoteRef_272"></a><a href="#Note_272" class="fnanchor">[6]</a>.
-La forme gauloise de ce nom paraît avoir été
-<i>Brigindo</i>; une dédicace à une divinité gauloise de ce
-nom se trouve dans l'inscription gauloise de Volnay,
-aujourd'hui conservée au musée de Beaune<a name="NoteRef_273" id="NoteRef_273"></a><a href="#Note_273" class="fnanchor">[7]</a>.</p>
-
-<p>Ainsi, la race celtique a jadis adoré une divinité
-féminine dont le nom, à l'époque de la domination
-romaine, était, en Grande Bretagne, <i>Brigantia</i>, probablement
-en Gaule <i>Brigindo</i>, et qui, en Irlande, au
-moyen âge, s'est appelée <i>Brigit</i> pour <i>Brigentis</i>. Ce
-nom semble être dérivé du participe présent de la racine
-<span class="smcap">bargh</span>, en sanscrit <span class="smcap">br</span><i>i</i><span class="smcap">h</span>, «grandir, fortifier,
-élever,» dont le participe présent «<i>br</i>i<i>hant</i>,» pour
-<i>br</i>i<i>ghant</i>, veut dire «gros, grand, élevé.» A cette
-racine se rattachent le substantif féminin irlandais
-<span class="pagenum"><a name="Page_147" id="Page_147">[Pg 147]</a></span><i>brîg</i>, «supériorité, puissance, autorité,» en gallois
-<i>bri</i>, «dignité, honneur, «qui a perdu son <i>g</i> final.
-L'adjectif irlandais <i>brîg</i>, «fort, puissant;» s'explique
-par la même racine<a name="NoteRef_274" id="NoteRef_274"></a><a href="#Note_274" class="fnanchor">[8]</a>.</p>
-
-<p>En Irlande, Brigit porte au moyen âge un second
-nom, <i>Dana</i> ou <i>Dona</i>, au génitif <i>Danann, Donand</i>.
-Fille du chef suprême des dieux du jour, de la lumière
-et de la vie, elle est elle-même la mère de
-trois dieux qui appartiennent au même groupe divin,
-et ces trois dieux sont, du nom de leur mère, appelés
-dieux de Dana, Mais cette triade, en réalité, ne
-nous offre que trois aspects d'un dieu unique, Brîan,
-le premier des trois, et dont les deux autres ne sont
-en quelque sorte que des doublets<a name="NoteRef_275" id="NoteRef_275"></a><a href="#Note_275" class="fnanchor">[9]</a>. De là, le nom
-par lequel on désigne le groupe tout entier des dieux
-du jour, de la lumière et de la vie: on les appelle
-«les gens du dieu de Dana,» <i>Tûatha Dê Danann</i>.</p>
-
-<p>Ce mythe semble avoir été connu des Gaulois qui,
-au commencement du quatrième siècle, prirent Rome,
-et de ceux qui, un peu plus d'un siècle après, ayant
-fait la conquête de la région septentrionale de la
-péninsule des Balkans, poussèrent jusqu'à Delphes,
-c'est-à-dire jusqu'au plus sacré des sanctuaires de la
-Grèce, leurs expéditions victorieuses. Suivant les
-<span class="pagenum"><a name="Page_148" id="Page_148">[Pg 148]</a></span>historiens de la Grèce et de Rome, le chef de l'armée
-qui prit Rome et le chef de l'armée qui pilla Delphes
-portaient le même nom: tous deux s'appelaient
-<i>Brennos</i>. Cette coïncidence a fait admettre par les
-historiens français que <i>Brennos</i>, en gaulois, était un
-nom commun signifiant «roi.» On l'a expliqué par
-le gallois <i>brenin</i>, qui a ce sens. Mais c'est une doctrine
-inadmissible aujourd'hui. Le gallois moderne
-brenin, au douzième siècle <i>breenhin</i>, a perdu deux
-consonnes médiales, et à l'époque romaine se serait
-écrit <i>bregentinos</i><a name="NoteRef_276" id="NoteRef_276"></a><a href="#Note_276" class="fnanchor">[10]</a>. Il faut donc trouver au mot
-<i>Brennos</i> une autre explication.</p>
-
-<p>C'est par les Gaulois que les Romains, en l'an 390
-avant notre ère, les Grecs en 279, ont appris le nom
-du général qui avait conduit à la victoire ces barbares
-triomphants. Or, quel était le chef suprême qui,
-à ces époques primitives, chez ces races si profondément
-empreintes du sentiment religieux, menait les
-armées au combat et les rendait invincibles? C'était
-un dieu. A la question: «Quel est votre roi? le
-Gaulois vainqueur répondait par le nom du dieu auquel
-il attribuait le succès de ses armes, et que son
-imagination lui représentait assis, invisible, sur un
-char, le javelot à la main, guidant les bataillons
-conquérants sur les cadavres des ennemis; or le
-nom de ce dieu, le même en Italie et en Grèce, à
-cent vingt ans d'intervalle, était celui du chef de la
-triade formée par les fils de Brigantia ou Brigit, dite
-<span class="pagenum"><a name="Page_149" id="Page_149">[Pg 149]</a></span>autrement Dana. <i>Brîan</i>, nom du premier des trois fils
-de Brigit au moyen âge, est la forme relativement
-moderne d'un primitif <sup>*</sup><i>Brênos</i>. On a dit <i>Brênos</i> aux
-temps qui ont précédé le moyen âge, quand on
-prononçait <i>Brigentis</i> le nom qui s'est prononcé plus
-tard <i>Brigit; Brennos</i> par deux <i>n</i> n'est qu'une variante
-orthographique de <i>Brênos</i>.</p>
-
-<p>Quand les Gaulois, vainqueurs à Rome et à Delphes,
-ont raconté qu'ils avaient combattu sous le commandement
-de <i>Brennos</i>, ils disaient le nom du chef mythique
-dont la puissance surnaturelle avait, selon
-leur foi, produit la supériorité de leurs bataillons sur
-les armées ennemies; et ce chef mythique était le
-premier des trois personnages divins que l'Irlande
-du moyen âge appelait Dieux de Dana. Il tenait le
-premier rang dans la triade, d'où vient en Irlande le
-nom de l'ensemble des dieux du jour, de la lumière
-et de la vie. Brennos ou <i>Brênos</i>, plus tard Brîan,
-est le premier des dieux de Dana, en vieil irlandais
-<i>Dêi Danann</i>. C'est lui qui par excellence est le dieu
-de Dana; et en vieil irlandais les dieux de la lumière,
-du jour et de la vie, s'appellent «gens du dieu de
-Dana,» <i>Tûatha Dê Danann</i>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_267" id="Note_267"></a><a href="#NoteRef_267"><span class="label">[1]</span></a> <i>Tûatha</i> est un nominatif pluriel. On trouve aussi le singulier
-<i>tûath</i> qui peut se rendre par «peuple.»</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_268" id="Note_268"></a><a href="#NoteRef_268"><span class="label">[2]</span></a> Voir, à ce sujet, les textes publiés dans notre tome I<sup>er</sup>, p. 57,
-notes 3 et 4, et p. 283, note 2. Comparez le passage suivant du Livre
-des Conquêtes: «Donand ingen don Delbaith chetna, idon mathair
-in triir dedenaig idon Briain ocus Iuchorba ocus Iuchaire. Ba-siat-side
-na tri dee dana.» Donand, fille du même Delbaeth, c'est-à-dire
-la mère des trois derniers, à savoir: Brian, Iucharba et Iuchair.
-Ce furent les trois dieux du génie artistique et littéraire, en irlandais
-<i>dân</i>, génitif <i>dâna</i>. Livre de Leinster, p. 10, col. 1, lignes 30&ndash;31.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_269" id="Note_269"></a><a href="#NoteRef_269"><span class="label">[3]</span></a> Voir, dans le tome I<sup>er</sup>, la note 2 de la page 283.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_270" id="Note_270"></a><a href="#NoteRef_270"><span class="label">[4]</span></a> <i>Corpus inscriptionum latinarum</i>, t. VII, n<sup>os</sup> 200, 203, 875,
-1062.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_271" id="Note_271"></a><a href="#NoteRef_271"><span class="label">[5]</span></a> <i>Ibidem</i>, n° 200.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_272" id="Note_272"></a><a href="#NoteRef_272"><span class="label">[6]</span></a> La doctrine que nous exposons ici est celle de M. Whitley
-Stokes, <i>Three irish glossaries</i>, p. <span class="smcap">xxxiii-xxxiv</span>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_273" id="Note_273"></a><a href="#NoteRef_273"><span class="label">[7]</span></a> <i>Dictionnaire archéologique de la Gaule</i>, inscription celtique n° 4.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_274" id="Note_274"></a><a href="#NoteRef_274"><span class="label">[8]</span></a> <i>Grammatica celtica</i>, 2<sup>e</sup> édit., p. 141. Le mot gallois <i>bri</i> se retrouve
-en vannetais avec le sens d'«égard, considération.» Voir,
-sur ce point, les développements donnés par M. Emile Ernault,
-<i>Revue celtique</i>, t. V, p. 268.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_275" id="Note_275"></a><a href="#NoteRef_275"><span class="label">[9]</span></a> Voir plus bas, <a href="#XVI_3">chapitre XVI, § 3 et 4</a>, ce que nous disons de
-la triade divine chez les Celtes.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_276" id="Note_276"></a><a href="#NoteRef_276"><span class="label">[10]</span></a> <i>Grammatica celtica</i>, 2<sup>e</sup> édit., p. 141.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VII_3"></a>§ 3.<br />
-
-<i>La bataille de Mag-Tured est primitivement unique.
-Plus tard on distingue deux batailles de Mag-Tured.</i></h3>
-
-<p>Avant d'être réduits au rôle d'êtres invisibles, les
-<span class="pagenum"><a name="Page_150" id="Page_150">[Pg 150]</a></span>Tûatha Dê Danann ont été, dit la légende, les maîtres
-visibles de l'Irlande. Ils doivent ce succès à la bataille
-de Mag-Tured. La tradition la plus ancienne, celle que
-nous trouvons constatée d'abord par les deux plus
-anciens catalogues de la littérature épique de l'Irlande,
-ensuite par divers monuments du dixième siècle,
-ne connaît qu'une seule bataille de Mag-Tured<a name="NoteRef_277" id="NoteRef_277"></a><a href="#Note_277" class="fnanchor">[1]</a>.
-Dans cette bataille, les Tûatha Dê Danann vainquirent
-la triple race d'hommes qui était alors maîtresse de
-l'Irlande, c'est-à-dire les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et
-les Galiôin<a name="NoteRef_278" id="NoteRef_278"></a><a href="#Note_278" class="fnanchor">[2]</a>. Dans la même bataille ils triomphèrent
-aussi des dieux dont le sort était associé à celui de
-cette race antique; on appelait ces dieux Fomôré ou
-Dêi Domnann<a name="NoteRef_279" id="NoteRef_279"></a><a href="#Note_279" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_151" id="Page_151">[Pg 151]</a></span>Au onzième siècle, on imagina de distinguer deux
-batailles de Mag-Tured. Les Tûatha Dê Danann auraient
-battu dans la première les Fir-Bolg, les Fir-Domnann
-et les Galiôin; et ce serait dans la seconde
-qu'ils auraient triomphé des Fomôré ou Dêi Domnann.
-Flann Manistrech, moine irlandais, qui mourut
-en 1056, après avoir remanié au point de vue de la
-science de ce temps les vieilles légendes de l'Irlande,
-est le plus ancien auteur où nous trouvions la doctrine
-nouvelle qui, au lieu d'une bataille de Mag-Tured,
-nous en offre deux. Dans son poème irlandais,
-sur les circonstances où seraient morts les divers
-personnages connus dans la littérature irlandaise
-sous le nom de Tûatha Dê Danann, que la littérature
-antérieure considérait comme immortels, Flann
-mentionne d'abord une première bataille de Mag-Tured<a name="NoteRef_280" id="NoteRef_280"></a><a href="#Note_280" class="fnanchor">[4]</a>.
-Le texte bien postérieur qui nous a conservé
-le récit de cette bataille la met au milieu de l'été
-du 5 au 9 juin<a name="NoteRef_281" id="NoteRef_281"></a><a href="#Note_281" class="fnanchor">[5]</a>. Cette date était probablement déjà
-admise au onzième siècle. En effet, Flann Manistrech,
-après avoir parlé de la première bataille de Mag-Tured,
-en distingue celle où, après le 1<sup>er</sup> novembre, fête
-de <i>Samain</i>, Balar, chef des Fomôré, combattit les
-Tûatha Dê Danann<a name="NoteRef_282" id="NoteRef_282"></a><a href="#Note_282" class="fnanchor">[6]</a>. Or, le manuscrit du quinzième
-<span class="pagenum"><a name="Page_152" id="Page_152">[Pg 152]</a></span>siècle qui, reproduisant un manuscrit perdu bien
-plus ancien, nous a conservé le récit détaillé de la
-seconde bataille de Mag-Tured, la fait commencer le
-jour de Samain, 1<sup>er</sup> novembre<a name="NoteRef_283" id="NoteRef_283"></a><a href="#Note_283" class="fnanchor">[7]</a>. Le système
-de Flann Manistrech sur la distinction des deux
-batailles de Mag-Tured est adopté dans le <i>Livre des
-conquêtes</i> qui, à la première bataille de Mag-Tured<a name="NoteRef_284" id="NoteRef_284"></a><a href="#Note_284" class="fnanchor">[8]</a>,
-oppose la dernière bataille de Mag-Tured<a name="NoteRef_285" id="NoteRef_285"></a><a href="#Note_285" class="fnanchor">[9]</a>. Le
-nombre des victimes de la première bataille de Mag-Tured
-aurait été de cent mille, suivant le <i>Livre des
-conquêtes</i><a name="NoteRef_286" id="NoteRef_286"></a><a href="#Note_286" class="fnanchor">[10]</a>. On trouve déjà ce chiffre dans un
-poème attribué à Eochaid hûa Flainn, mort en 984,
-qui ne connaît qu'une seule bataille de Mag-Tured,
-chez lequel il n'y a d'autre bataille de Mag-Tured
-que celle qui devint plus tard la seconde<a name="NoteRef_287" id="NoteRef_287"></a><a href="#Note_287" class="fnanchor">[11]</a>,
-et c'est dans cette unique bataille que, suivant
-Eochaid, auraient été tués les cent mille guerriers
-qui, suivant le <i>Livre des conquêtes</i>, écrit au siècle
-suivant, auraient péri pendant la première bataille.</p>
-
-<p>Dans le <i>Livre des conquêtes</i>, les victimes de la seconde
-<span class="pagenum"><a name="Page_153" id="Page_153">[Pg 153]</a></span>bataille de Mag-Tured sont l'objet d'une énumération
-séparée que le dieu fomôré Indech fait à
-Lug, l'un des Tûatha Dê Danann.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_277" id="Note_277"></a><a href="#NoteRef_277"><span class="label">[1]</span></a> Les textes les plus anciens où nous trouvions le nom de la bataille
-de Mag-Tured sont: 1° le Glossaire de Cormac, mort au commencement
-du dixième siècle (Whitley Stokes, <i>Three irish glossaries</i>,
-p. 32; <i>Sanas Chomaic</i>, p. 123, au mot <i>Nescoit</i>); 2° un poème
-de Cinâed ûa Artacan, qui mourut en 975. Ce poème a pour sujet
-les sépultures contenues dans le cimetière antique des rives de la
-Boyne, et l'auteur parle du couple qui dormait là avant la bataille
-de Mag-Tured. <i>Leabhar na-hUidhre</i>, p. 51, col. 2, ligne 23.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_278" id="Note_278"></a><a href="#NoteRef_278"><span class="label">[2]</span></a> Poème attribué à Eochaid ûa Flainn, mort en 985. Livre de
-Leinster, p. 10, col. 2, lignes 15&ndash;22. Le nom de Mag-Tured est
-inscrit à la ligne 19, et les Fir-Bolg sont mentionnés sous le nom de
-Tûath-Bolg, c'est-à-dire peuple des <i>bolg</i> ou sacs, à la ligne 20.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_279" id="Note_279"></a><a href="#NoteRef_279"><span class="label">[3]</span></a> Le fragment du récit de la bataille de Mag-Tured, inséré par
-Cormac dans son Glossaire, vers l'année 900, appartient au récit de
-la défaite des Fomôré, comme on peut s'en convaincre en le comparant
-au passage correspondant de l'analyse donnée par O'Curry
-du récit de cette défaite, d'après le manuscrit du British Museum,
-Harleian 5280 (<i>On the manners and customs of the ancient Irish</i>, t. II,
-p. 249).</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_280" id="Note_280"></a><a href="#NoteRef_280"><span class="label">[4]</span></a> «Cêt chath Maige Tured.» Livre de Leinster, p. 11, col. 1,
-ligne 24.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_281" id="Note_281"></a><a href="#NoteRef_281"><span class="label">[5]</span></a> O'Ourry, <i>Lectures on the manuscript materials</i>, p. 246; <i>On the
-manners</i>, t. II, p. 237.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_282" id="Note_282"></a><a href="#NoteRef_282"><span class="label">[6]</span></a></p>
-<p class="poem">
-I maig Tured, ba-thrî-âg<br />
-doceir Nuadu Argat-lâm,<br />
-ocus Macha, iar-samain-sain<br />
-do-lâim Balair Balcbemnig.<br />
-<span style="margin-left: 2.5em;">Livre de Leinster, p. 11, col. 1, lignes 31, 32.</span>
-</p>
-</div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_283" id="Note_283"></a><a href="#NoteRef_283"><span class="label">[7]</span></a> O'Curry, <i>Lectures on the manuscript materials</i>, p. 250.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_284" id="Note_284"></a><a href="#NoteRef_284"><span class="label">[8]</span></a> Livre de Leinster, p. 9, col. 1, lignes 9, 24, 25, 36.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_285" id="Note_285"></a><a href="#NoteRef_285"><span class="label">[9]</span></a> <i>Ibid.</i>, p. 9, col. 1, ligne 51; col. 2, lignes 1&ndash;16.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_286" id="Note_286"></a><a href="#NoteRef_286"><span class="label">[10]</span></a> <i>Ibid.</i>, p. 9, col. 1, lignes 9&ndash;10.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_287" id="Note_287"></a><a href="#NoteRef_287"><span class="label">[11]</span></a> <i>Ibid.</i>, p. 10, col. 2, lignes 21, 22. Le texte du Livre de Leinster
-n'attribue pas ce poème à Eochaid; cette attribution se trouve
-dans l'édition du <i>Livre des Conquêtes</i> due à O'Clery. O'Curry, <i>On
-the manners</i>, t. II, p. 111.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VII_4"></a>§ 4.<br />
-<i>Le dieu Nûadu Argat-lâm.</i></h3>
-
-<p>Le <i>Livre des conquêtes</i> met entre les deux batailles
-de Mag-Tured un intervalle de vingt-sept ans. C'est
-la conséquence des créations chronologiques dues à
-la science irlandaise du onzième siècle. On voulait
-par tous les moyens établir une concordance entre
-les origines irlandaises et les systèmes historiques
-fondés sur la Bible. Il fallait que l'histoire la plus
-ancienne de l'Irlande, c'est-à-dire l'époque mythologique
-irlandaise, espaçât ses récits de manière à
-couvrir le vaste intervalle qui, suivant la chronologie
-de saint Jérôme et de Bède, s'écoule du déluge à
-l'époque de saint Patrice. Le procédé employé fut de
-créer, avec les noms que fournissaient les vieilles
-traditions et avec beaucoup d'autres noms certainement
-imaginés à une date plus récente, des listes
-de rois qui ont chacun une durée de règne arbitrairement
-inventée.</p>
-
-<p>Le règne de deux de ces rois se place entre les
-deux batailles de Mag-Tured, si nous en croyons le
-<i>Livre des conquêtes</i>. L'un est Bress mac Eladan, qui
-aurait eu sept ans de règne<a name="NoteRef_288" id="NoteRef_288"></a><a href="#Note_288" class="fnanchor">[1]</a>. L'autre est Nûadu
-<span class="pagenum"><a name="Page_154" id="Page_154">[Pg 154]</a></span>Argatlâm, ou à la main d'argent, dont le règne aurait
-duré vingt ans<a name="NoteRef_289" id="NoteRef_289"></a><a href="#Note_289" class="fnanchor">[2]</a>. Nûadu Argatlâm avait eu la
-main coupée à la première bataille de Mag-Tured,
-où il commandait en chef, avec titre de roi; il fit
-remplacer la main coupée par une main d'argent
-dont la fabrication demanda sept ans. Sa blessure
-l'avait fait descendre du trône et remplacer par
-Bress. Quand, grâce à la main d'argent, il eut recouvré
-l'intégrité de ses membres, Bress dut lui rendre
-la couronne, et Nûadu la conserva jusqu'à la seconde
-bataille de Mag-Tured, où il la perdit avec la
-vie. Telle est la doctrine irlandaise du onzième siècle
-et du <i>Livre des conquêtes</i>: Nûadu n'a pas été
-inventé par l'auteur du <i>Livre des conquêtes</i>, c'est un
-personnage qui vivait dans les conceptions mythologiques
-des Irlandais bien antérieurement à l'époque où
-leurs érudits ont imaginé de distinguer deux batailles
-de Mag-Tured. Nous ne nous contenterons pas de constater
-qu'on trouve son nom dans un poème composé
-avant la date où la bataille de Mag-Tured se
-dédoubla et où, de sa légende, on forma deux batailles,
-ce qui arriva vers le commencement du onzième
-siècle<a name="NoteRef_290" id="NoteRef_290"></a><a href="#Note_290" class="fnanchor">[3]</a>. Nous dirons plus: Nûadu à la main
-d'argent, <i>Argatlâm</i>, était un dieu dont le culte en
-<span class="pagenum"><a name="Page_155" id="Page_155">[Pg 155]</a></span>Irlande a précédé le moyen âge. Ce culte avait pénétré
-en Grande-Bretagne dès le temps de l'empire
-romain. Un temple lui était consacré dans le comté
-de Gloucester, non loin de l'embouchure de la Severn,
-au fond et au nord du canal de Bristol, dans
-cette portion occidentale de la Grande-Bretagne qui
-paraît avoir été occupée par une population de même
-race que les Irlandais pendant la domination romaine<a name="NoteRef_291" id="NoteRef_291"></a><a href="#Note_291" class="fnanchor">[4]</a>.
-Là, près de Lidney, s'élevait un temple
-consacré à cette divinité. Le nom de ce dieu, écrit en
-Irlande, au douzième siècle, au nominatif <i>Nûadu</i>, au
-génitif <i>Nûadat</i>, au datif <i>Nûadait</i>, apparaît au datif sous
-trois orthographes différentes dans trois inscriptions
-de ce temple romano-breton qui sont parvenues
-jusqu'à nous: <i>Nodonti, Nudente, Nodenti</i><a name="NoteRef_292" id="NoteRef_292"></a><a href="#Note_292" class="fnanchor">[5]</a>.</p>
-
-<p>Nûadu est donc un dieu qui était l'objet d'un
-culte antérieurement à l'époque où les Romains ont
-abandonné la Grande-Bretagne, événement qui remonte,
-comme on le sait, au commencement du
-cinquième siècle. Les évhéméristes irlandais du onzième
-siècle ont fait de lui un roi qui aurait occupé
-le trône à deux reprises: d'abord pendant un temps
-indéterminé, quand eut lieu l'invasion des Tûatha
-Dê Danann en Irlande<a name="NoteRef_293" id="NoteRef_293"></a><a href="#Note_293" class="fnanchor">[6]</a>; ensuite pendant vingt
-<span class="pagenum"><a name="Page_156" id="Page_156">[Pg 156]</a></span>ans, depuis la guérison de la blessure qu'il avait
-reçue à la première bataille de Mag-Tured jusqu'à
-sa mort dans la seconde<a name="NoteRef_294" id="NoteRef_294"></a><a href="#Note_294" class="fnanchor">[7]</a>; car il est mort, dans
-cette littérature relativement nouvelle du onzième
-siècle; il fallait bien qu'il mourût, du moment où il
-cessait d'être dieu, comme aux temps païens, et
-devenait homme grâce au triomphe du christianisme.</p>
-
-<p>Entre ses deux règnes, séparés l'un de l'autre par
-le règne de Bress, il s'est écoulé, suivant les auteurs
-irlandais du onzième siècle, un intervalle de
-sept ans; en y ajoutant les vingt ans que son second
-règne aurait duré, on trouve vingt-sept ans.
-C'est le temps qui se serait écoulé entre les deux
-batailles de Mag-Tured, la première où Nûadu fut,
-dit-on, blessé, la seconde où il aurait perdu la vie.
-Cette chronologie est d'invention récente, puisque,
-dans les textes antérieurs au onzième siècle, les deux
-batailles n'en font qu'une.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_288" id="Note_288"></a><a href="#NoteRef_288"><span class="label">[1]</span></a> Livre de Leinster, p. 9, col. 1, lignes 29, 30.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_289" id="Note_289"></a><a href="#NoteRef_289"><span class="label">[2]</span></a> Livre de Leinster, p. 9, col. 1, ligne 31.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_290" id="Note_290"></a><a href="#NoteRef_290"><span class="label">[3]</span></a> <i>Ibid.</i>, p. 8, col. 2, ligne 13. Ce poème est attribué à saint
-Columba, Columb Cille. Cette indication d'auteur ne mérite aucune
-confiance. Mais ce n'est pas une raison pour en attribuer la composition
-à l'auteur du <i>Livre des Conquêtes</i>, qui l'a intercalé dans
-son récit. Le vers où il est question de la bataille de Mag-Tured se
-trouve dans le Livre de Leinster, p. 8, col. 2, ligne 15.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_291" id="Note_291"></a><a href="#NoteRef_291"><span class="label">[4]</span></a> Rhys, <i>Early Britain, Celtic Britain</i>, pages 214 et suivantes.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_292" id="Note_292"></a><a href="#NoteRef_292"><span class="label">[5]</span></a> Corpus inscriptionum latinarum, t. VII, p. 42, n<sup>os</sup> 138, 139,
-140. M. Gaidoz est le premier qui ait rapproché de l'irlandais <i>Nûadu,
-Nûadat, Nûadait</i>, le nom divin fourni par ces trois inscriptions.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_293" id="Note_293"></a><a href="#NoteRef_293"><span class="label">[6]</span></a> Livre de Leinster, p. 9, col. 1, lignes 23&ndash;25; p. 10, col. 2, ligne
-51; p. 11, col. 1, ligne 1.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_294" id="Note_294"></a><a href="#NoteRef_294"><span class="label">[7]</span></a> Livre de Leinster, p. 9, col. 1, lignes 31, 51; p. 127, col. 1,
-lignes 48, 49; p. 11, col. 1, ligne 6.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VII_5"></a>§ 5.<br />
-
-<i>Indications sur l'époque où a été composé le récit de
-la première bataille de Mag-Tured.</i></h3>
-
-<p>Nous raconterons les deux batailles de Mag-Tured
-en nous conformant à la rédaction relativement récente
-qui nous en a été conservée. Le seul manuscrit
-<span class="pagenum"><a name="Page_157" id="Page_157">[Pg 157]</a></span>où se trouve, à notre connaissance, le récit de
-la première bataille de Mag-Tured ne date que du
-quinzième ou du seizième siècle<a name="NoteRef_295" id="NoteRef_295"></a><a href="#Note_295" class="fnanchor">[1]</a>. De la seconde
-bataille de Mag-Tured, nous n'avons aussi qu'un
-manuscrit, et il ne date que du quinzième siècle<a name="NoteRef_296" id="NoteRef_296"></a><a href="#Note_296" class="fnanchor">[2]</a>.
-La rédaction primitive des deux morceaux est antérieure
-à leur transcription dans ces manuscrits.
-Mais de l'examen de ces deux pièces on doit conclure
-que la seconde est beaucoup plus ancienne que
-la première.</p>
-
-<p>La première de ces compositions littéraires date
-d'une époque où déjà, en Irlande, des conceptions
-épiques nouvelles avaient sensiblement modifié le
-caractère primitif de la tradition celtique. Ainsi,
-nous avons déjà raconté que, lors de la première
-bataille de Mag-Tured, les Fir-Bolg demandèrent les
-conseils du fabuleux Fintan, doublet chrétien du
-celtique Tûan mac Cairill, et que des fils de Fintan
-auraient été tués dans la même bataille. Or, Fintan
-a été imaginé dans la seconde moitié du dixième
-siècle; sa présence dans le récit de la première bataille
-de Mag-Tured donne à ce récit un caractère
-évident de nouveauté relative.</p>
-
-<p>Le morceau épique où l'on trouve racontée la seconde
-bataille de Mag-Tured a un caractère beaucoup
-plus ancien que la pièce relative à la première
-de ces batailles, qui est le doublet de la seconde.
-<span class="pagenum"><a name="Page_158" id="Page_158">[Pg 158]</a></span>En outre, on trouve dans le <i>Glossaire</i> de Cormac,
-qui date de la fin du neuvième siècle ou du commencement
-du dixième, un fragment du récit de
-cette seconde bataille. Cependant l'ordre logique
-des faits nous oblige à commencer par la légende de
-la première bataille de Mag-Tured.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_295" id="Note_295"></a><a href="#NoteRef_295"><span class="label">[1]</span></a> Collège de la Trinité de Dublin, H. 2. 17, pages 90&ndash;99.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_296" id="Note_296"></a><a href="#NoteRef_296"><span class="label">[2]</span></a> Musée britannique, manuscrit Harleian 5280, folios 52&ndash;59.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VII_6"></a>§ 6.<br />
-
-<i>Pourquoi fut livrée la première bataille de Mag-Tured.</i></h3>
-
-<p>Tandis que Partholon, chef de la plus ancienne
-des populations mythiques irlandaises, venant d'Espagne,
-avait débarqué au sud-ouest de l'Irlande, les
-Tûatha Dê Danann pénétrèrent dans l'île par l'extrémité
-opposée, c'est-à-dire par le nord-est. C'était
-un lundi, premier jour de mai, fête de Beltiné<a name="NoteRef_297" id="NoteRef_297"></a><a href="#Note_297" class="fnanchor">[1]</a>.
-Le 1<sup>er</sup> mai devait être le jour de l'arrivée des fils de
-Milé ou des Irlandais. Partholon avait débarqué en
-Irlande le 14 du même mois<a name="NoteRef_298" id="NoteRef_298"></a><a href="#Note_298" class="fnanchor">[2]</a>. Un nuage magique
-rendit d'abord les Tuatha Dê Danann invisibles; et
-quand, ce nuage dissipé, les Fir-Bolg commencèrent
-à se préoccuper de la présence de ces conquérants
-inattendus, les Tûatha Dê Danann avaient déjà pénétré
-dans le nord-ouest du Connaught et avaient
-<span class="pagenum"><a name="Page_159" id="Page_159">[Pg 159]</a></span>établi des fortifications autour de leur campement,
-à Mag-Rein.</p>
-
-<p>D'où venaient-ils? Ils ont prétendu, raconte un
-auteur, qu'ils étaient arrivés en Irlande sur les ailes
-du vent. La vérité, ajoute l'écrivain évhémériste,
-est qu'ils étaient venus par mer et sur des vaisseaux,
-mais qu'ils avaient détruit leurs vaisseaux
-aussitôt après avoir débarqué. Nous avons déjà dit
-que la tradition la plus ancienne les faisait arriver
-sans vaisseaux et descendre du ciel<a name="NoteRef_299" id="NoteRef_299"></a><a href="#Note_299" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-<p>Les Fir-Bolg, avant de prendre une décision, voulurent
-savoir ce que c'était que les nouveaux venus.
-Ils envoyèrent un de leurs guerriers les plus grands,
-les plus forts et les plus braves visiter le camp de
-Mag-Rein et voir qui l'avait construit. Ce guerrier
-s'appelait Sreng. Il se mit en route. Quand il approcha
-du but de son voyage, les sentinelles des Tûatha
-Dê Danann l'aperçurent et envoyèrent au-devant
-de lui un de leurs guerriers nommé Breas. Sreng et
-Breas s'approchèrent l'un de l'autre avec grande
-prudence. Quand ils furent à portée de la voix, ils
-s'arrêtèrent, et, abrités chacun derrière son bouclier,
-ils restèrent quelque temps à se regarder d'un
-air inquiet. Enfin, Breas rompit le silence. Il prit la
-parole dans sa langue maternelle, qui était l'irlandais,
-puisque, suivant la conception de la fable chrétienne
-irlandaise, toutes les populations primitives de l'Irlande
-sont issues du même père, qui est un descendant
-<span class="pagenum"><a name="Page_160" id="Page_160">[Pg 160]</a></span>de Magog ou de Gomer, fils de Japhet. Sreng,
-le guerrier Fir-Bolg, fut ravi d'entendre parler irlandais
-le guerrier inconnu qui se présentait à lui. Les
-deux hommes s'approchèrent l'un de l'autre, commencèrent
-par se raconter leurs généalogies, puis
-ils examinèrent leurs armes. Sreng avait apporté
-avec lui deux lourdes lances sans pointe, Breas
-deux lances fort légères et en même temps fort aiguës.
-Ce détail est conforme aux données de l'ancienne
-littérature. Nous avons vu plus haut qu'à
-cette époque on ne connaissait plus en Irlande l'usage
-du javelot<a name="NoteRef_300" id="NoteRef_300"></a><a href="#Note_300" class="fnanchor">[4]</a>. Sreng suivait la nouvelle coutume
-nationale; Breas, l'ancienne, rétablie depuis. Un des
-vieux poèmes insérés dans le <i>Livre des conquêtes</i>
-raconte qu'au temps d'Eochaid mac Eirc, le dernier
-roi des Fir-Bolg, les armes n'avaient pas de pointe
-en Irlande. Les Tûatha Dê Danann, continue-t-il,
-arrivèrent avec des lances, et ils tuèrent le roi<a name="NoteRef_301" id="NoteRef_301"></a><a href="#Note_301" class="fnanchor">[5]</a>.</p>
-
-<p>Breas, l'envoyé des Tûatha Dê Danann, n'avait
-jamais vu de lances pesantes et arrondies du bout
-comme celles que portait Sreng, l'émissaire des Fir-Bolg;
-et Sreng apercevait pour la première fois des
-lances minces et pointues comme celles dont Breas
-<span class="pagenum"><a name="Page_161" id="Page_161">[Pg 161]</a></span>était armé. Chacun d'eux contemplait avec la même
-admiration l'engin meurtrier dont l'autre était muni.
-Ils les échangèrent. Breas prit les deux lourdes lances
-sans pointe du guerrier fir-bolg pour les porter
-aux Tûatha Dê Danann, et leur apprendre de quelles
-armes les Fir-Bolg se servaient dans les combats.
-Sreng prit les deux lances légères et pointues de
-Breas pour les mettre sous les yeux des Fir-Bolg et
-leur faire-connaître les redoutables instruments de
-mort dont les Tûatha Dê Danann les menaçaient.</p>
-
-<p>Avant de quitter Sreng, Breas lui déclara qu'il
-était chargé par les Tûatha Dê Danann de demander
-aux Fir-Bolg la moitié de l'Irlande, et que si les Fir-Bolg
-voulaient accepter cette proposition, les deux
-peuples seraient amis et se réuniraient pour repousser
-toute invasion nouvelle. Puis les deux guerriers
-s'en retournèrent chacun, Sreng à Tara, déjà capitale
-de l'Irlande sous la domination des Fir-Bolg,
-Breas dans le camp où les Tûatha Dê Danann s'étaient
-retranchés. Les Fir-Bolg ne se soucièrent pas d'accepter
-la proposition des Tûatha Dê Danann: ils pensèrent
-que s'ils cédaient la moitié de leur île à ces nouveaux
-venus, bientôt ceux-ci, encouragés par tant de faiblesse,
-voudraient s'emparer du tout. Ils réunirent
-donc une armée, et se mirent en marche pour aller
-attaquer les ennemis qui avaient envahi le sol de leur
-patrie. Pendant ce temps, les Tûatha Dê Danann examinaient
-les deux lances sans pointe que Breas avait
-reçues de Sreng et qu'il leur avait apportées comme un
-spécimen de l'armement des Fir-Bolg. Leur premier
-<span class="pagenum"><a name="Page_162" id="Page_162">[Pg 162]</a></span>sentiment fut l'étonnement; le second, la terreur. Les
-lances sans pointe des Fir-Bolg leur paraissaient bien
-plus redoutables que les lances à fer aigu dont eux-mêmes
-étaient armés. Ils abandonnèrent leur campement
-et battirent en retraite vers le sud-ouest. Les
-Fir-Bolg les atteignirent dans la plaine de Mag-Tured.</p>
-
-<p>La légende irlandaise ne connut d'abord qu'une
-seule plaine de Mag-Tured: dans cette plaine s'était
-livrée l'unique bataille de ce nom, où les Tûatha
-Dê Danann vainquirent à la fois les Fir-Bolg et les
-Fomôré. Quand, au onzième siècle, on distingua
-deux batailles, la première contre les Fir-Bolg, la
-seconde contre les Fomôré, on ne concevait encore
-qu'un seul champ de bataille: c'était dans le même
-endroit qu'à vingt-sept ans d'intervalle, les deux
-batailles s'élaient livrées. Plus tard on distingua deux
-champs de batailles différents; l'un au sud, dans le
-comté de Mayo, l'autre au nord, dans le comté de
-Sligo; le premier, appelé Mag-Tured Conga, où furent,
-dit-on, vaincus les Fir-Bolg; le second, appelé Mag-Tured
-na bFomorach, où furent vaincus les Fomôré.
-C'est dans les textes du dix-septième siècle que les anciennes
-données, déjà compliquées par une dualité
-chronologique qui d'une seule bataille en fait deux,
-séparées par vingt-sept ans d'intervalle, se compliquent
-plus encore par la création d'une dualité géographique:
-au lieu d'un champ de bataille, deux à
-plusieurs kilomètres de distance<a name="NoteRef_302" id="NoteRef_302"></a><a href="#Note_302" class="fnanchor">[6]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_163" id="Page_163">[Pg 163]</a></span>Nous avons laissé l'armée des Fir-Bolg et celle des
-Tûatha Dê Danann en présence dans la plaine de
-Mag-Tured. Les Fir-Bolg avaient à leur tête leur roi
-Eochaid mac Eirc; le célèbre Nûadu Argatlâm ou à
-la main d'argent, qui, alors, ne portait pas encore
-ce surnom, et qui avait ses deux mains naturelles de
-chair et d'os, commandait l'armée des Tûatha Dê
-Danann. Il fit de nouveau porter aux Fir-Bolg la proposition
-que Breas leur avait déjà transmise, et insista,
-par conséquent, pour que les Fir-Bolg lui cédassent
-la moitié de l'Irlande. Le roi Eochaid mac
-Eirc refusa.&mdash;«Quand voulez-vous livrer bataille?»
-demandèrent alors les envoyés de Nûadu.&mdash;«Il
-nous faut du temps,» répondirent les Fir-Bolg,
-«pour mettre nos lances en bon état, fourbir nos
-casques<a name="NoteRef_303" id="NoteRef_303"></a><a href="#Note_303" class="fnanchor">[7]</a>, aiguiser nos épées; puis, nous voulons
-avoir des lances comme les vôtres, et vous aussi
-vous voudrez vous armer de lances semblables à
-celles dont nous nous servons.» Et il fut décidé,
-d'un commun accord, que cent cinq jours seraient
-consacrés aux préparatifs du combat.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_297" id="Note_297"></a><a href="#NoteRef_297"><span class="label">[1]</span></a> Keating, <i>Histoire d'Irlande</i>, édit. de 1811, p. 204.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_298" id="Note_298"></a><a href="#NoteRef_298"><span class="label">[2]</span></a> <i>Chronicum Scotorum</i>, édit. Hennessy, p. 4, 14; cf. Livre de
-Leinster, p. 5, col. 1, ligne 8.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_299" id="Note_299"></a><a href="#NoteRef_299"><span class="label">[3]</span></a> Voyez plus haut, <a href="#Page_142">p. 142</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_300" id="Note_300"></a><a href="#NoteRef_300"><span class="label">[4]</span></a> Chap. VI, § 6, p. 136.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_301" id="Note_301"></a><a href="#NoteRef_301"><span class="label">[5]</span></a> Livre de Leinster p. 8, col. 1, lignes 33&ndash;38. Suivant O'Curry
-<i>On the manners</i>, t. II, p. 237, ce poème est de Tanaidhé O'Maelchonairé,
-mort en 1136. La leçon donnée par O'Curry n'est pas celle du
-Livre de Leinster; il l'emprunte probablement au Livre de Ballymote
-ou au Livre de Lecan, qui nous donnent la même pièce (Livre
-de Ballymote, f° 16 verso, col. 2, ligne 49 et suivantes; Livre de
-Lecan, f° 278 recto, col. 1.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_302" id="Note_302"></a><a href="#NoteRef_302"><span class="label">[6]</span></a> Keating, <i>Histoire d'Irlande</i>, édition de 1811, pages 204, 206;
-<i>Annales des Quatre Maîtres</i>, édition d'O'Donovan, 1851, t. I, pages 16,
-18. Voir, sur ce point, les savantes observations de M. W. M. Hennessy,
-dans sa préface des <i>Annales de Loch-Cê</i>, t. I, p. <span class="smcap">xxxvi-xxxix</span>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_303" id="Note_303"></a><a href="#NoteRef_303"><span class="label">[7]</span></a> Il n'est pas question de casques dans les textes irlandais les
-plus anciens.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_164" id="Page_164">[Pg 164]</a></span></p>
-
-<h3><a id="VII_7"></a>§ 7.<br />
-
-<i>Récit de la première bataille de Mag-Tured. Résultat
-de cette bataille.</i></h3>
-
-<p>La bataille commença le premier jour de la sixième
-semaine de l'été, c'est-à-dire le 5 juin. Il fut convenu
-entre les chefs des deux armées qu'il n'y aurait pas
-d'engagement général, et qu'on mettrait en présence
-tous les jours un nombre déterminé de guerriers, qui
-serait égal des deux côtés. De là plusieurs combats
-successifs où les Tûatha Dê Danann eurent l'avantage.
-Cela dura quatre jours. Les Tûatha Dê Danann furent
-définitivement les plus forts. Les Fir-Bolg perdirent
-même leur roi, qui, ayant quitté le champ de bataille
-pour aller se désaltérer à une source, fut poursuivi
-par un parti de Tûatha Dê Danann que commandaient
-les trois fils de Némed. Cent gardes qui l'accompagnaient
-ne purent lui sauver la vie. Sa mort a été
-chantée au douzième siècle<a name="NoteRef_304" id="NoteRef_304"></a><a href="#Note_304" class="fnanchor">[1]</a>, au onzième<a name="NoteRef_305" id="NoteRef_305"></a><a href="#Note_305" class="fnanchor">[2]</a>, et
-peut-être même plus anciennement, par des poèmes
-irlandais qui nous ont été conservés<a name="NoteRef_306" id="NoteRef_306"></a><a href="#Note_306" class="fnanchor">[3]</a>. Comme
-<span class="pagenum"><a name="Page_165" id="Page_165">[Pg 165]</a></span>jusqu'à cette époque, les lances des Fir-Bolg n'étaient
-pas armées de pointes, il fut, dit-on, le premier roi
-auquel en Irlande une pointe de lance ôta la vie<a name="NoteRef_307" id="NoteRef_307"></a><a href="#Note_307" class="fnanchor">[4]</a>.
-Les vainqueurs enterrèrent Eochaid dans l'endroit
-même où il était tombé; ils élevèrent sur la fosse un
-grand amas de pierres, ou <i>carn</i>, que l'on prétend
-avoir retrouvé, et qu'on montre encore aujourd'hui.</p>
-
-<p>Après ces quatre jours de combats où ils avaient
-eu le dessous, les Fir-Bolg proposèrent aux Tûatha
-Dê Danann de terminer par une petite bataille à laquelle
-auraient pris part trois cents hommes de
-chaque côté; et l'issue de cette lutte finale aurait
-décidé qui des deux peuples devait rester maître de
-l'Irlande. Mais les Tûatha Dê Danann offrirent aux
-Fir-Bolg la paix et la province de Connaught. Ceux-ci
-acceptèrent, abandonnèrent aux Tûatha Dê Danann
-Tara leur capitale et le reste de l'Irlande, sauf la
-province de Connaught où ils se réfugièrent; et au
-dix-septième siècle Duald mac Firbis, célèbre généalogiste
-irlandais, trouvait encore dans le Connaught
-des familles irlandaises, qui par une longue suite
-d'ancêtres, prétendaient remonter aux Fir-Bolg établis
-dans cette province à la suite de la première bataille
-de Mag-Tured<a name="NoteRef_308" id="NoteRef_308"></a><a href="#Note_308" class="fnanchor">[5]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_166" id="Page_166">[Pg 166]</a></span>Nous n'avons pas à nous prononcer ici sur la valeur
-de ces prétentions nobiliaires. Mais la vérité
-semble être que les Fir-Bolg sont une population qui a
-réellement existé. Fir-Bolg, dans les récits modernes,
-est une formule abrégée pour désigner les trois peuples
-des Fir-Bolg, des Fir-Domnann et des Galiôin,
-dont le second était le plus important. Ayant disputé
-le sol de l'Irlande à la race irlandaise moderne,
-c'est-à-dire au rameau le plus occidental de la race
-celtique, qu'ils précédèrent dans cette contrée, ces
-peuples furent associés par la légende mythologique
-aux dieux méchants, aux dieux de la nuit et de la
-mort, qui, sous le nom de Fomôré, sont les adversaires
-des dieux bons, des dieux de la lumière et de
-la vie, connus sous le nom de Tûatha Dê Danann.
-Ceux-ci sont vainqueurs dans la bataille de Mag-Tured,
-d'abord unique, mais dont on a fait ensuite
-deux batailles. Nous avons terminé le récit de la
-première, nous arriverons bientôt à la seconde.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_304" id="Note_304"></a><a href="#NoteRef_304"><span class="label">[1]</span></a> Poème de Tanaidé O'Maelchonairé, mort en 1136, Livre de Leinster,
-p. 8, col. 1, lignes 33&ndash;40. Cf. O'Curry, <i>On the manners</i>, t. II,
-p. 237.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_305" id="Note_305"></a><a href="#NoteRef_305"><span class="label">[2]</span></a> Poème de Gilla Coemain, dans le Livre de Leinster, p. 127,
-col. 1, lignes 46&ndash;47.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_306" id="Note_306"></a><a href="#NoteRef_306"><span class="label">[3]</span></a> Poème attribué à Columb Cille, Livre de Leinster, p. 8, col. 1,
-lignes 33&ndash;40, lignes 47 et suivantes.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_307" id="Note_307"></a><a href="#NoteRef_307"><span class="label">[4]</span></a></p>
-<p class="poem">Is-se sin cet-rî de-rind<br />
-rogâet in-inis find Fâil.<br />
-<span style="margin-left: 2em;">Livre de Leinster, p. 8, col. 1, lignes 47, 48.</span></p>
-<p class="poem">Ê-sin cêt-rî do rind<br />
-rogaet ar-tûs ia-hErind.<br />
-<span style="margin-left: 2em;">Livre de Leinster, p. 127, col. 1, ligne 47.</span>
-</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_308" id="Note_308"></a><a href="#NoteRef_308"><span class="label">[5]</span></a> Sur la première bataille de Mag-Tured, voyez O'Curry, <i>On the
-manners</i>, t. II, p. 235&ndash;239; <i>Lectures on the mss. materials</i>, pages 244&ndash;246.</p></div>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_167" id="Page_167">[Pg 167]</a></span></p>
-
-<h2>CHAPITRE VIII.<br />
-
-ÉMIGRATION DES TÛATHA DÊ DANANN (suite). SECONDE
-BATAILLE DE MAG-TURED.</h2>
-
-<p><a href="#VIII_1">§1</a>. Règne de Bress. Sa durée.&mdash;<a href="#VIII_2">§2</a>. Règne de Bress. Avarice de ce
-prince.&mdash;<a href="#VIII_3">§3</a>. Le <i>file</i> Corpré. Fin du règne de Bress.&mdash;<a href="#VIII_4">§4</a>. Guerre
-des Fomôré contre les Tûatha Dê Danann. Les guerriers fomôré
-Balar et Indech.&mdash;<a href="#VIII_5">§5</a>. Arrivée de Lug chez les Tûatha Dê Danann
-à Tara.&mdash;<a href="#VIII_6">§6</a>. Revue des gens de métier par Lug.&mdash;<a href="#VIII_7">§7</a>.
-Seconde bataille de Mag-Tured. Fabrication des javelots.&mdash;<a href="#VIII_8">§8</a>.
-L'espion Rûadan.&mdash;<a href="#VIII_9">§9</a>. Seconde bataille de Mag-Tured
-(<i>suite</i>). Blessure d'Ogmé et de Nûadu.&mdash;<a href="#VIII_10">§10</a>. Seconde bataille
-de Mag-Tured (<i>suite et fin</i>). Mort de Balar. Défaite des Fomôré.
-L'épée de Téthra tombe entre les mains d'Ogmé.&mdash;<a href="#VIII_11">§11</a>. La harpe
-de Dagdé.&mdash;<a href="#VIII_12">§12</a>. Les Fomôré et Téthra dans l'île des Morts.&mdash;<a href="#VIII_13">§13</a>.
-Le corbeau et la femme de Téthra.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VIII_1"></a>§ 1.<br />
-
-<i>Règne de Bress. Sa durée.</i></h3>
-
-<p>La légende primitive ne fait pas livrer bataille par
-les Tûatha Dê Danann immédiatement après leur
-arrivée. Au début, il y a entre eux et les Fomôré, ou
-<span class="pagenum"><a name="Page_168" id="Page_168">[Pg 168]</a></span>dieux de Domna, c'est-à-dire entre eux et les chefs
-de la population mythique qui les a précédés dans
-l'île, un arrangement qui leur fait accepter la suprématie
-du prince investi de la royauté au moment de
-leur arrivée. Ce prince, Bress, fils du Fomôré Elatha<a name="NoteRef_309" id="NoteRef_309"></a><a href="#Note_309" class="fnanchor">[1]</a>,
-est un tyran comme toute sa race<a name="NoteRef_310" id="NoteRef_310"></a><a href="#Note_310" class="fnanchor">[2]</a>. Bress
-régna, dit-on, sept ans<a name="NoteRef_311" id="NoteRef_311"></a><a href="#Note_311" class="fnanchor">[3]</a>; mais il est clair que ce
-chiffre est une des inventions chronologiques dues
-aux savants irlandais du onzième siècle<a name="NoteRef_312" id="NoteRef_312"></a><a href="#Note_312" class="fnanchor">[4]</a>.</p>
-
-<p>Au onzième siècle, on disait aussi que la raison qui
-l'avait fait accepter pour roi par les Tûatha Dê Danann
-était que leur roi Nûadu, ayant perdu la main dans
-la première bataille de Mag-Tured, se trouvait, par
-l'effet de cette mutilation, incapable de rester sur le
-<span class="pagenum"><a name="Page_169" id="Page_169">[Pg 169]</a></span>trône. Il était de principe, en Irlande, que tout roi
-dont le corps était défiguré par une mutilation grave
-devait être déposé. Il fallut sept ans à Dian-Cecht, le
-médecin des Tûatha Dê Danann, et à Creidné, leur
-ouvrier en bronze, pour fabriquer la main nouvelle
-qui fit cesser la difformité de Nûadu et lui permit de
-remonter sur le trône. Alors Bress en descendit, et
-Nûadu y resta vingt ans; puis il fut tué à la seconde
-bataille de Mag-Tured. Mais ces données chronologiques
-sont étrangères à la légende primitive. Dans
-cette légende, il n'y avait pas de dates d'années:
-ne connaissant pas la première bataille de Mag-Tured,
-la tradition mythologique faisait perdre la main à
-Nûadu dans la bataille de Mag-Tured, qu'on a depuis
-appelée la seconde; elle ne mettait pas d'intervalle
-entre la fin du règne de Bress et la bataille de Mag-Tured,
-dite depuis la seconde, qui est amenée par
-la vengeance impuissante de Bress détrôné.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_309" id="Note_309"></a><a href="#NoteRef_309"><span class="label">[1]</span></a> Des généalogies relativement modernes donnent pour père à
-Elatha, Neit, dieu de la guerre: «Neith idon dia catha la-gêntib
-Gaedel.» Glossaire de Cormac, dans le <i>Leabhar Breac</i>, p. 269, col. 2,
-ligne 35. La bonne orthographe est Neit sans <i>th</i>, comme l'a corrigé
-avec raison M. Whitley Stokes, <i>Sanas Chormaic</i>, p. 122; et, mieux
-encore, <i>Nêit</i> avec un accent sur l'<i>e</i>, <i>ibid.</i>, p. 39. Neit est classé
-parmi les Tûatha Dê Danann par le <i>Livre des Conquêtes</i>, dans le
-Livre de Leinster, p. 10, col. 1, lignes 2&ndash;11. Cette doctrine est empruntée
-à Flann Manistrech, mort en 1056. Livre de Leinster, p. 11,
-col. 2, lignes 18, 19.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_310" id="Note_310"></a><a href="#NoteRef_310"><span class="label">[2]</span></a> Il ne faut pas confondre Bress avec Breas, envoyé par les
-Tûatha Dê Danann à la rencontre de Sreng, avant la première bataille
-de Mag-Tured. Breas fut tué dans cette bataille. O'Curry, <i>On
-the manners</i>, t. II, p. 239.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_311" id="Note_311"></a><a href="#NoteRef_311"><span class="label">[3]</span></a> <i>Livre des conquêtes</i>, dans le Livre de Leinster, p. 9, col. 1, lignes
-29, 30.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_312" id="Note_312"></a><a href="#NoteRef_312"><span class="label">[4]</span></a> La plus ancienne mention de cette date se trouve, à notre
-connaissance, dans le poème chronologique de Gilla Coemain, mort
-en 1072. Livre de Leinster p. 127, col. 1, lignes 50, 51.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VIII_2"></a>§ 2.<br />
-
-<i>Règne de Bress. Avarice de ce prince.</i></h3>
-
-<p>Bress était d'une avarice excessive, exigeant des
-impôts exorbitants et ne donnant rien. On raconte,
-par exemple, qu'il prétendait s'attribuer le lait de
-toutes les vaches brunes sans poil. De prime-abord,
-il semble que, les vaches de cette catégorie étant
-peu nombreuses, un pareil impôt n'avait rien d'exagéré;
-mais Bress, ayant fait allumer un grand feu de
-<span class="pagenum"><a name="Page_170" id="Page_170">[Pg 170]</a></span>fougère, voulut faire passer dans ce feu toutes les
-vaches de Munster, qui, de cette façon, auraient
-rempli les conditions du programme de l'impôt et
-dont le lait serait devenu propriété royale<a name="NoteRef_313" id="NoteRef_313"></a><a href="#Note_313" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>Ce qui mécontenta surtout, c'était la mauvaise réception
-qu'on trouvait chez lui. La vieille Irlande a
-toujours vécu en festins: festins chez les chefs qui
-donnaient l'hospitalité à leurs vassaux, festins chez
-les vassaux que leurs chefs honoraient de fréquentes
-visites. Mais quand les sujets de Bress sortaient
-du palais de leur souverain, ils n'avaient pas, dit-on,
-de tache de graisse à leurs couteaux; et quelqu'un
-qui n'aurait pas aimé l'odeur de la bière aurait pu
-s'approcher d'eux sans crainte d'être incommodé
-par leur haleine. L'excessive frugalité des repas
-offerts par Bress à ses invités n'était pas compensée
-par les amusements que leur esprit pouvait trouver
-dans son palais. Aux assemblées tenues chez lui on
-n'entendait jamais un <i>file</i> raconter une histoire ou
-chanter un poème. Jamais un auteur de compositions
-satiriques n'y venait égayer l'auditoire; jamais
-on n'y entendait le son de la harpe, de la flûte ou
-de la trompette; jamais un jongleur ou un bouffon
-n'y était appelé par le roi pour distraire les tristes
-assistants. Si Bress eût demandé le concours des
-<i>file</i>, des musiciens, des jongleurs et des bouffons, il
-aurait été obligé de leur donner un salaire; c'est ce
-<span class="pagenum"><a name="Page_171" id="Page_171">[Pg 171]</a></span>qu'avant tout sa sordide lésinerie voulait éviter. Enfin
-Bress était Fomôré, et, comme tel, ennemi des
-lettres et des arts, des lettrés et des artistes. Les
-lettres et les arts sont une création des Tûatha Dê
-Danann, dieux du jour et de la vie. Les Fomôré
-sont les dieux de l'ignorance comme de la mort et
-de la nuit.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_313" id="Note_313"></a><a href="#NoteRef_313"><span class="label">[1]</span></a> <i>Dinn-senchus</i>, dans le Livre de Leinster, p. 169, col. 1; p. 214,
-col. 2.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VIII_3"></a>§ 3.<br />
-
-<i>Le</i> file <i>Corpré. Fin du règne de Bress.</i></h3>
-
-<p>Un soir, cependant, un <i>file</i> se rendit à la cour:
-c'était Corpré, dont la mère Etan<a name="NoteRef_314" id="NoteRef_314"></a><a href="#Note_314" class="fnanchor">[1]</a> était elle-même
-une femme de lettres<a name="NoteRef_315" id="NoteRef_315"></a><a href="#Note_315" class="fnanchor">[2]</a>. Il était de la race des
-Tûatha Dê Danann. Le roi lui fit donner une petite
-chambre sans lumière ni feu, où il n'y avait d'autre
-mobilier qu'une petite table sur laquelle, après une
-longue attente, on lui servit trois pains secs. Corpré
-se vengea par une satire en quatre vers:</p>
-
-<p class="poem">
-<span style="margin-left: 3em;">Point de mets sur plats rapides,</span><br />
-Point de lait de vache pour faire grandir les veaux;<br />
-<span class="pagenum"><a name="Page_172" id="Page_172">[Pg 172]</a></span>Point d'asile pour l'homme qui s'égare dans les ténèbres;<br />
-Point de salaire pour la troupe de conteurs d'histoires: que telle
-soit la prospérité de Bress<a name="NoteRef_316" id="NoteRef_316"></a><a href="#Note_316" class="fnanchor">[3]</a>!<br />
-</p>
-
-<p>Ce fut, dit-on, la première satire qui ait été composée
-en Irlande<a name="NoteRef_317" id="NoteRef_317"></a><a href="#Note_317" class="fnanchor">[4]</a>. On sait la puissance magique
-que les satires des <i>file</i> exerçaient sur l'esprit du
-peuple. Celle-ci mit fin au règne de Bress; les Tûatha
-Dê Danann opprimés se soulevèrent, et, sans
-essayer de résistance, Bress prit la fuite, abandonnant
-à Nûadu le trône et Tara, alors, comme à
-l'époque héroïque, capitale de l'Irlande. Ce fut ainsi
-que la science des <i>file</i> remporta sa première victoire.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_314" id="Note_314"></a><a href="#NoteRef_314"><span class="label">[1]</span></a> <i>Glossaire</i> de Cormac, aux mots <i>Cernine</i> et <i>Rîss</i>. Whitley Stokes,
-<i>Three irish glossaries</i>, p. 11, 39, cf. 43, 44; <i>Sanas Chormaic</i>,
-p. 37, 144, cf. 159. Poème attribué à Eochaid hûa Flainn, dans le
-Livre de Leinster, p. 10, col. 2, ligne 33.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_315" id="Note_315"></a><a href="#NoteRef_315"><span class="label">[2]</span></a> <i>Etan</i>, en moyen irlandais <i>Edan</i>, est à la fois le nom d'une
-déesse et celui d'une composition poétique. «Edan, ingen Dian-Cêcht,
-bannlicerd, de cujus nomine dicitur edan idon aircedul.»
-Glossaire de Cormac, dans le <i>Leabhar Breac</i>, p. 267, col. 1, lignes 5,
-6. Whitley Stokes, <i>Three irish glossaries</i>, p. 19; <i>Sanas Chormaic</i>,
-p. 67, a corrigé avec raison <i>Etan</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_316" id="Note_316"></a><a href="#NoteRef_316"><span class="label">[3]</span></a> Voir plus haut, t. I, p. 260.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_317" id="Note_317"></a><a href="#NoteRef_317"><span class="label">[4]</span></a> Is-î-sein cêt-âer dorônad in-Érinn. Commentaire de l'<i>Amra
-Choluim Chilli</i>, dans le <i>Leabhar na-hUidhre</i>, p. 8, col. 1, lignes 27,
-28. Cf. O'Beirne Crowe, <i>The Amra Choluim Chilli</i>, p. 26, et Livre
-jaune de Lecan, manuscrit H. 2. 16 du Collège de la Trinité de Dublin,
-col. 805.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VIII_4"></a>§ 4.<br />
-
-<i>Guerre des Fomôré contre les Tûatha Dê Danann&mdash;Les
-guerriers fomôré Balar et Indech.</i></h3>
-
-<p>Bress alla chercher asile chez Elatha son père,
-qui le reçut très froidement, paraissant croire que ce
-sort était mérité. Cependant il lui fournit des troupes
-pour reconquérir son trône et le recommanda
-à deux puissants chefs des Fomôré. Le premier était
-<span class="pagenum"><a name="Page_173" id="Page_173">[Pg 173]</a></span>Balar, dit aux coups puissants, en irlandais <i>balc-beimnech</i>.
-Chose remarquable, des deux yeux de ce
-redoutable guerrier, l'un, habituellement fermé, ne
-pouvait s'ouvrir sans jeter la mort sur les malheureux
-que son regard atteignait. Le second chef des
-Fomôré était Indech, que le <i>Livre des conquêtes</i> appelle,
-dans un endroit, fils du dieu de Domna<a name="NoteRef_318" id="NoteRef_318"></a><a href="#Note_318" class="fnanchor">[1]</a>,
-c'est-à-dire du dieu qu'auraient adoré les Fir-Domnann,
-la principale des trois races historiques qui
-ont précédé en Irlande la race dominante connue
-sous les noms de Gôidels, Scots ou <i>Fêné</i>.</p>
-
-<p>On se rappelle que les trois races préceltiques,
-dominées depuis par les Gôidels, Scots ou <i>Fêné</i>,
-c'est-à-dire par les Celtes occidentaux, nouveau venus
-et conquérants, sont: les Fir-Bolg, les Fir-Domnann
-et les Galiôin; mais, pour abréger, on désigne l'ensemble
-de ces trois peuples, ou par le mot composé
-<i>Fir-Bolg</i>, ou par le mot composé <i>Fir-Domnann</i>, «hommes
-de Domna». Indech est appelé, dans le <i>Livre
-des conquêtes</i>, fils du dieu de cette population, <i>mac
-Dê Domnann</i>, «fils du dieu de Domna.» Dans le même
-document, quelques lignes plus haut, on lit qu'Indech
-est fils du dieu, roi des Fomôré<a name="NoteRef_319" id="NoteRef_319"></a><a href="#Note_319" class="fnanchor">[2]</a>. Nous verrons
-plus loin que le roi des Fomôré s'appelait Téthra.
-Mais le point sur lequel nous voulons appeler l'attention
-est que, dans l'idée irlandaise, les Fomôré, dieux
-<span class="pagenum"><a name="Page_174" id="Page_174">[Pg 174]</a></span>méchants, adversaires mythiques des dieux bons,
-sont associés aux populations historiques qui, ayant
-précédé les Irlandais dans leur île ou la race celtique
-en Irlande, sont pour cette race des ennemis
-héréditaires. Le même phénomène, avons-nous dit
-déjà, s'observe dans l'Inde, où les <i>Dasyu</i> sont à la
-fois et les démons adversaires mythiques des dieux,
-et les ennemis humains, les adversaires historiques
-à peau brune ou noire, du peuple blanc qui chantait
-les hymnes védiques<a name="NoteRef_320" id="NoteRef_320"></a><a href="#Note_320" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_318" id="Note_318"></a><a href="#NoteRef_318"><span class="label">[1]</span></a> Livre de Leinster, p. 9, col. 2, lignes 9, 10.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_319" id="Note_319"></a><a href="#NoteRef_319"><span class="label">[2]</span></a> «La-hIndech mac de rîg na-Fomorach.» Livre de Leinster,
-p. 9, col. 2, lignes 3, 4.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_320" id="Note_320"></a><a href="#NoteRef_320"><span class="label">[3]</span></a> Max Duncker, <i>Geschichte des Alterthums</i>, tome III, p. 8, 9.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VIII_5"></a>§ 5.<br />
-
-<i>Arrivée de Lug chez les Tûatha Dê Danann à Tara.</i></h3>
-
-<p>Les Fomôré firent leurs préparatifs pour reconquérir
-l'Irlande. Les Tûatha Dê Danann étaient en mesure
-de leur opposer une vigoureuse résistance. Un de
-leurs principaux guerriers fut Lug, fils d'Ethniu.
-Ethniu, sa mère, était fille de Balar, le plus terrible
-des chefs des Fomôré<a name="NoteRef_321" id="NoteRef_321"></a><a href="#Note_321" class="fnanchor">[1]</a>; mais Lug, par son père
-<span class="pagenum"><a name="Page_175" id="Page_175">[Pg 175]</a></span>appelé Cîan par les uns, Dagdé par les autres, appartenait
-aux Tûatha Dê Danann<a name="NoteRef_322" id="NoteRef_322"></a><a href="#Note_322" class="fnanchor">[2]</a>. Par son éducation,
-il appartenait à leurs ennemis. Son père,
-suivant l'usage irlandais, qui était de confier les
-jeunes enfants à des mains étrangères, avait choisi,
-pour élever son fils, Tâltiu, fille de Magmôr et
-femme d'Eochaid mac Eirc, dernier roi des Fir-Bolg,
-dit aussi Mac Duach<a name="NoteRef_323" id="NoteRef_323"></a><a href="#Note_323" class="fnanchor">[3]</a>, que nous avons vu tué
-par les Tûatha Dê Danann. Mais Lug se rappela son
-père; ce fut dans les rangs des Tûatha Dê Danann
-qu'il résolut de combattre. Il se rendit à Tara, capitale
-de l'Irlande, où Nûadu, roi des Tûatha Dê
-Danann, avait pris la place de Bress fugitif et organisait
-la résistance à l'invasion dont le menaçaient
-<span class="pagenum"><a name="Page_176" id="Page_176">[Pg 176]</a></span>Balar aux coups puissants et Indech, fils du dieu
-de Domna ou du dieu roi des Fomôré.</p>
-
-<p>Quand Lug se présenta à la porte de Tara, le portier
-l'arrêta. «Qui êtes-vous?» lui demanda-t-il.
-«Je suis charpentier,» répondit Lug. «Nous
-n'avons pas besoin de charpentier,» répliqua le portier,
-«car nous en avons un très bon: c'est Luchta,
-fils de Luchaid.»&mdash;«Mais,» reprit Lug, «je suis un
-excellent forgeron.»&mdash;«Nous n'avons pas besoin
-de forgeron,» répondit le portier, «car nous en
-avons déjà un bon: c'est Colum Cuaellemeach.»
-Lug insista. «Je suis champion ou guerrier de profession,»
-dit-il. «Nous n'avons pas besoin de champion,»
-répliqua le portier, «puisque nous en avons
-un, qui est Ogmé<a name="NoteRef_324" id="NoteRef_324"></a><a href="#Note_324" class="fnanchor">[4]</a>, fils d'Ethniu,»&mdash;l'Ogmios
-gaulois, sur lequel Lucien, au second siècle de notre
-ère, a écrit une intéressante étude.—«Bien,» reprit
-Lug, «mais je suis harpiste.»&mdash;«Nous n'avons
-pas besoin de harpiste,» répondit le portier, «puisque
-nous en avons un excellent, qui est Abcan, fils
-de Becelmas.» Lug ne se décourageait pas. «Je
-suis <i>file</i> et historien,» dit-il. «Nous n'avons que
-faire de gens de ce métier-là,» répondit le portier;
-«nous avons un homme qui est un maître
-accompli en poésie et en histoire: c'est En, fils d'Ethoman.»
-Mais Lug n'en avait pas fini avec l'énumération
-des nombreuses ressources qu'offraient ses
-multiples facultés. «Je suis sorcier,» dit-il. «Nous
-<span class="pagenum"><a name="Page_177" id="Page_177">[Pg 177]</a></span>n'avons pas besoin de sorcier,» répondit le portier,
-«car nous avons beaucoup de druides parmi nous.»&mdash;«Soit,»
-reprit Lug; «je suis médecin.»&mdash;«Nous
-n'avons pas besoin de médecin,» répondit
-le portier, «car nous en avons un excellent: c'est
-Dîan-Cecht.»&mdash;«Eh bien, je suis bon échanson.»&mdash;«Nous
-n'avons pas besoin d'échanson,» répliqua
-le portier, «il y en a déjà neuf chez nous.»&mdash;«Eh
-bien,» dit Lug, «je suis un excellent ouvrier
-en bronze.»&mdash;«Nous n'avons que faire d'ouvriers
-en bronze,» répondit le portier, «puisque nous
-avons chez nous le fameux Creidné.»&mdash;C'était
-Creidné qui, avec Dian-Cecht, avait remplacé par une
-main artificielle la main que Nûadu, roi des Tûatha
-Dê Danann, avait perdue en combattant les Fir-Bolg.</p>
-
-<p>Mais toutes ces offres de Lug n'étaient qu'un
-prélude à l'offre définitive qu'il allait adresser au
-roi des Tûatha Dê Danann.&mdash;«Allez,» dit-il au
-portier de Tara, «allez trouver votre maître, énumérez-lui
-les métiers divers dont je viens de vous
-parler, et demandez-lui si parmi les compagnons de
-guerre qui l'entourent, il en peut trouver un qui
-connaisse et sache pratiquer comme moi toutes ces
-professions.» Le portier transmit ce message au roi,
-et le roi lui ordonna de faire entrer Lug, qui fut
-proclamé <i>ollam</i> ou docteur suprême des sciences<a name="NoteRef_325" id="NoteRef_325"></a><a href="#Note_325" class="fnanchor">[5]</a>,
-<span class="pagenum"><a name="Page_178" id="Page_178">[Pg 178]</a></span>et reçut le surnom de «prince aux sciences multiples,»
-<i>sabd il-dânach</i><a name="NoteRef_326" id="NoteRef_326"></a><a href="#Note_326" class="fnanchor">[6]</a>. Lug n'est autre chose que
-le dieu gaulois qui, suivant César, avait inventé
-tous les arts: <i>omnium inventorem artium</i>. César
-l'appelle Mercure, conformément au système qui
-lui fait donner des noms latins à tous les dieux
-gaulois<a name="NoteRef_327" id="NoteRef_327"></a><a href="#Note_327" class="fnanchor">[7]</a>. Mais le nom celtique de ce dieu paraît dans
-deux inscriptions romaines de la période impériale,
-l'une de Suisse, l'autre d'Espagne<a name="NoteRef_328" id="NoteRef_328"></a><a href="#Note_328" class="fnanchor">[8]</a>, et il a fourni
-en Gaule le premier terme d'un nom porté par plusieurs
-villes dont la principale est Lyon, <i>Lugu-dunum</i>
-puis <i>Lug-dunum</i>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_321" id="Note_321"></a><a href="#NoteRef_321"><span class="label">[1]</span></a> Lug est appelé <i>mac Eithne</i> dans un poème attribué à Eochaid
-ûa Flainn, poète du dixième siècle: Livre de Leinster, p. 10, col. 2,
-ligne 31; il est surnommé <i>mac Eithlend</i> dans un poème probablement
-de la même époque, que l'on prétend avoir été écrit par Columb
-Cille (Livre de Leinster, p. 8, col. 2, ligne 14); et dans un quatrain
-anonyme (<i>ibid.</i>, p. 10, col. 1, ligne 10). Le premier de ces documents
-suppose un nominatif <i>Etan</i>, au génitif <i>Ethne</i>, non <i>Ethnend</i>, écrit
-avec <i>l</i> pour <i>n</i> dans les deux autres et dans des textes plus récents.
-C'est le <i>Livre des Conquêtes</i> qui nous apprend qu'Ethniu était fille de
-Balar: Livre de Leinster, p. 9, col. 1, lignes 44, 45.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_322" id="Note_322"></a><a href="#NoteRef_322"><span class="label">[2]</span></a> Cîan, père de Lug, aurait été fils de Dian-Cecht, si nous en
-croyons le <i>Livre des Conquêtes</i>, onzième siècle: Livre de Leinster,
-p. 9, col. 1, lignes 43, 44; p. 10, col. 1, lignes 2, 3. C'est à peu près la
-doctrine de Gilla Coemain, auteur du onzième siècle, dans son poème
-chronologique (Livre de Leinster, p. 127, col. 2, lignes 1, 2), où l'on
-voit que Lug était petit-fils de Dian-Cecht. Suivant un des quatrains
-de ce poème, Lug régna quarante ans, et Mac Cuill donna la mort au
-petit-fils de Dian-Cecht; or ce petit-fils de Dian-Cecht était bien Lug,
-car nous lisons dans un poème de Flann Manistrech, qui, comme
-Gilla Coemain, écrivait au onzième siècle, que Lug fut tué par Mac
-Cuill (Livre de Leinster, p. 11, col. 2, ligne 7). Mais une composition
-d'Urard mac Coisi, auteur du dixième siècle, fait de Lug le fils de
-Dagdé. Voir notre tome I, p. 285, 286. Il paraît que Cîan a été un
-synonyme de Dagdé. <i>Cîan</i>, employé comme adjectif, veut dire «lointain,»
-et Dagdé signifie «bon dieu.»</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_323" id="Note_323"></a><a href="#NoteRef_323"><span class="label">[3]</span></a> Poème attribué à Columb Cille, Livre de Leinster, p. 8, col. 2,
-lignes 26, 27; Livre des Conquêtes, p. 9, col. 2, lignes 34 et suivantes.
-Nous avons expliqué plus haut, <a href="#Page_137">p. 137</a>, comment Magmôr, dont elle
-est fille, et dont on a fait un roi d'Espagne, est le pays des morts.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_324" id="Note_324"></a><a href="#NoteRef_324"><span class="label">[4]</span></a> En moyen irlandais, <i>Ogma</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_325" id="Note_325"></a><a href="#NoteRef_325"><span class="label">[5]</span></a> Ce récit est compris dans la légende de la seconde bataille de
-Mag-Tured, British Museum, manuscrit Harleian 5280, folios 52 et
-suivants. Nous le reproduisons d'après la traduction qu'en a donnée
-O'Curry: <i>On the manners</i>, t. III, p. 42&ndash;43.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_326" id="Note_326"></a><a href="#NoteRef_326"><span class="label">[6]</span></a> Ce surnom de Lug ne se trouve pas seulement dans le texte
-cité dans la note précédente: il est donné au même personnage
-divin dans la composition d'Urard mac Coisi, intitulée <i>Orgain Maelmilscothaig</i>
-(Bibliothèque bodléienne d'Oxford, manuscrit Rawlinson
-B. 512, folio 110 recto, colonne 1), où le mot <i>Lug</i>, développé au
-moyen d'un suffixe, devient <i>Lugaid</i>, au génitif <i>Lugdach</i>. Sur le sens
-du mot <i>sabd</i> ou <i>sab</i>, voyez <i>Grammatica celtica</i>, 2<sup>e</sup> édition, p. 255, 258.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_327" id="Note_327"></a><a href="#NoteRef_327"><span class="label">[7]</span></a> <i>De bello gallico</i>, livre VI, chap. <span class="smcap">xvii</span>, § 1.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_328" id="Note_328"></a><a href="#NoteRef_328"><span class="label">[8]</span></a> Mommsen, <i>Inscriptiones Confœderationis helveticæ</i>, n° 161; <i>Corpus
-inscriptionum latinarum</i>, t. II, n° 2818.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VIII_6"></a>§ 6.<br />
-
-<i>Revue des gens de métiers par Lug.</i></h3>
-
-<p>Quand il fut question d'organiser l'armée qui devait
-combattre les Fomôré, Lug fut chargé avec
-Dagdé d'indiquer aux hommes des différents corps de
-métiers quelle fonction ils auraient à remplir dans le
-<span class="pagenum"><a name="Page_179" id="Page_179">[Pg 179]</a></span>combat. Lug et Dagdé appelèrent devant eux les forgerons,
-les ouvriers en bronze, les charpentiers, les
-médecins, les sorciers, les échansons, les druides,
-les <i>file</i>, et convinrent avec chacun de ce que chacun
-devait faire pendant la bataille qui allait se livrer
-contre les Fomôré<a name="NoteRef_329" id="NoteRef_329"></a><a href="#Note_329" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>Le premier des hommes de métier qui se rendirent
-à l'invitation de Dagdé et de Lug fut Goibniu le forgeron.
-«Quel concours pourrez-vous nous donner?»
-lui demanda Lug.&mdash;«Je ferai,» répondit Goibniu,
-«les nouvelles armes dont on aura besoin;
-quand la bataille durerait sept ans, on peut compter
-sur moi pour remplacer les lances dont le fer se
-séparera de la hampe et les épées qui se briseront.
-Avec les lances fabriquées par moi, jamais un
-guerrier ne manque son coup, et la chair que ce
-coup atteint cesse pour jamais de jouir des douceurs
-de la vie. Dub, le forgeron des Fomôré, n'en
-peut pas dire autant.»</p>
-
-<p>Après Goibniu le forgeron vint le tour de Creidné,
-l'ouvrier en bronze.&mdash;«Et vous, Creidné,» demanda
-Lug, «quel service nous rendrez-vous?»&mdash;«Je
-fabriquerai,» répondit Creidné, «pour tous
-les hommes de notre armée, les rivets qui fixent
-aux hampes les pointes des lances. Je fabriquerai
-la poignée des épées, la saillie centrale, ou <i>umbo</i>,
-et la bordure des boucliers dont nos guerriers
-auront besoin.»</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_180" id="Page_180">[Pg 180]</a></span>Après Creidné, Lug passa à Luchtiné le charpentier.&mdash;«Et
-vous, Luchtiné,» lui demanda-t-il,
-«quelle aide nous donnerez-vous?»&mdash;«Je fournirai,»
-répondit Luchtiné, «autant de boucliers et de
-hampes de lances qu'il en faudra<a name="NoteRef_330" id="NoteRef_330"></a><a href="#Note_330" class="fnanchor">[2]</a>.»</p>
-
-<p>Les autres gens de métier se présentèrent ensuite;
-chacun fut interrogé; le rôle de chacun, pendant
-l'action, fut déterminé par Lug. .</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_329" id="Note_329"></a><a href="#NoteRef_329"><span class="label">[1]</span></a> Manuscrit du British Museum, Harleian 5280, analysé par
-O'Curry, <i>Lectures on the manuscript materials</i>, p. 249.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_330" id="Note_330"></a><a href="#NoteRef_330"><span class="label">[2]</span></a> British Museum, manuscrit Harléien 5280; O'Curry, <i>On the
-manners</i>, t. II, p. 248&ndash;249.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VIII_7"></a>§ 7.<br />
-
-<i>Seconde bataille de Mag-Tured. Fabrication des
-javelots.</i></h3>
-
-<p>La bataille commença le 1<sup>er</sup> novembre, fête de
-Samain, premier jour de l'hiver celtique <a name="NoteRef_331" id="NoteRef_331"></a><a href="#Note_331" class="fnanchor">[1]</a>. On se
-rappelle que les Tûatha Dê Danann, étaient arrivés le
-1<sup>er</sup> mai, fête de Beltiné, premier jour de l'été.</p>
-
-<p>Les Tûatha Dê Danann étaient commandés par
-leur roi Nûadu, les Fomôré avaient pour roi Téthra,
-qui ne joua qu'un rôle secondaire dans cette
-bataille célèbre. Elle dura plusieurs jours. A leur
-grand étonnement, les Fomôré virent que les armes
-des Tûatha Dê Danann étaient toujours en parfait
-état, tandis que les leurs, dès la première journée,
-<span class="pagenum"><a name="Page_181" id="Page_181">[Pg 181]</a></span>se trouvaient déjà en grande partie hors de service.
-C'est que Goibniu le forgeron, Creidné l'ouvrier en
-bronze, Luchtiné le charpentier remplaçaient, chez
-les Tûatha Dê Danann, les armes que la lutte avait
-détruites ou gravement détériorées. En trois coups,
-Goibniu, à sa forge, fabriquait un fer de lance, et le
-dernier coup la rendait parfaite. En trois coups,
-Luchtiné faisait une hampe de lance et le troisième
-coup lui donnait la perfection. Des mains de Creidné,
-l'ouvrier en bronze, les rivets sortaient avec la même
-rapidité et le même fini. Quand Goibniu avait terminé
-un fer de lance, il le saisissait dans une pince,
-et de cette pince le lançait dans le jambage de la
-porte, où le fer se fixait par la pointe, la douille en
-avant. Alors Luchtiné le charpentier lançait une
-hampe dans la douille et son coup était si sûr et si
-vigoureux que la hampe, atteignant la douille, pénétrait
-jusqu'au fond. Aussitôt Creidné, l'ouvrier en
-bronze, qui tenait dans sa pince les rivets terminés,
-les lançait sur le fer de lance: le mouvement était
-si juste et si puissant que les rivets, sans manquer
-jamais d'atteindre les trous ménagés dans le fer par
-le forgeron, pénétraient dans le bois à la profondeur
-voulue; ainsi, en un instant, et sans qu'il fût besoin
-de retouche, l'arme était achevée et pouvait être
-livrée au guerrier qui en avait besoin<a name="NoteRef_332" id="NoteRef_332"></a><a href="#Note_332" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_182" id="Page_182">[Pg 182]</a></span>Grâce à la merveilleuse organisation de la fabrique
-d'armes, ainsi conduite par Goibniu, Luchtiné et
-Creidné, les Tûatha Dê Danann eurent bientôt sur
-les Fomôré une grande supériorité. Les Fomôré n'en
-comprenaient point la cause. Pour la découvrir, ils
-eurent recours à l'espionnage.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_331" id="Note_331"></a><a href="#NoteRef_331"><span class="label">[1]</span></a> <i>Iar Samain sain</i>, poème de Flann Manistrech, mort en 1056,
-Livre de Leinster, p. 11, col. 1, ligne 32. Cf. O'Curry, <i>Lectures on
-the manuscript materials</i>, p. 250.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_332" id="Note_332"></a><a href="#NoteRef_332"><span class="label">[2]</span></a> <i>Glossaire de Cormac</i>, au mot <i>Nescoit</i>. Whitley Stokes, <i>Three
-irish glossaries</i>, p. 32; <i>Sanas Chormaic</i>, p. 123. Les mêmes détails
-se trouvent dans le récit de la seconde bataille de Mag-Tured, conservé
-par le manuscrit Harléien 5280 du British Museum. O'Curry,
-<i>On the manners</i>, t. II, p. 249. C'est une des raisons que nous avons
-pour faire remonter le récit de la seconde bataille de Mag-Tured
-beaucoup plus haut que l'écriture du manuscrit Harléien, qui ne date
-que du quinzième siècle.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VIII_8"></a>§ 8.<br />
-
-<i>L'espion Rûadan.</i></h3>
-
-<p>Bress, le roi détrôné d'Irlande, qui voulait recouvrer
-sa couronne, avait un fils, nommé Rûadan, qui
-aurait pu, presque au même titre, se placer dans les
-rangs de l'une où de l'autre des deux armées belligérantes:
-Brig[it], mère de Rûadan, était fille de Dagdé,
-l'un des chefs principaux des Tûatha Dê Danann,
-dont Bress, Fomôré de naissance, était le plus ardent
-ennemi<a name="NoteRef_333" id="NoteRef_333"></a><a href="#Note_333" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>Cette parenté n'a rien qui doive nous surprendre.
-Bress, Fomôré, est le gendre de Dagdé, l'un des
-chefs des Tûatha Dê Danann. Nous avons déjà vu
-que Lug, un autre des chefs des Tûatha Dê Danann,
-est, par sa mère, petit-fils de Balar, un des chefs
-<span class="pagenum"><a name="Page_183" id="Page_183">[Pg 183]</a></span>des Fomôré. De même Brîan, Iuchar et Iucharba,
-trois personnages que des textes appellent les trois
-dieux du génie ou de Dana, <i>trî dêi Dana, trî dêe
-Donand</i><a name="NoteRef_334" id="NoteRef_334"></a><a href="#Note_334" class="fnanchor">[2]</a>, c'est-à-dire les trois chefs principaux des
-Tûatha Dê Danann, sont fils du Fomôré Bress, et
-c'est seulement par leur mère Brigit, fille de Dagdé,
-qu'ils appartiennent aux Tûatha Dê Danann<a name="NoteRef_335" id="NoteRef_335"></a><a href="#Note_335" class="fnanchor">[3]</a>.
-Ainsi, lorsque la mythologie grecque nous raconte
-le combat des dieux et des Titans, elle met à la tête
-de l'armée des dieux Zeus, dont le père, Kronos,
-marche à la tête des Titans, et doit être avec eux
-vaincu par son fils.</p>
-
-<p>Rûadan, un des guerriers fomôré, était frère
-germain de Brîan, Iuchar et Iucharba, que la mythologie
-irlandaise classe parmi les Tûatha Dê Danann.
-Il était, par sa mère, petit-fils de Dagdé, que
-nous avons vu chargé avec Lug de l'organisation
-de l'armée des Tûatha Dê Danann. Envoyé par les
-Fomôré au camp des Tûatha Dê Danann, Rûadan fut
-bien accueilli par ces derniers, et en profita pour
-aller visiter la fabrique d'armes où travaillaient avec
-tant d'adresse Goibniu le forgeron, Luchtiné le charpentier,
-Creidné l'ouvrier en bronze. Il observa par
-quel procédé ces trois ouvriers confectionnaient les
-armes dont les Fomôré avaient senti pendant le
-combat le redoutable effet. Puis il sortit du camp
-des Tûatha Dê Danann, regagna celui des Fomôré,
-<span class="pagenum"><a name="Page_184" id="Page_184">[Pg 184]</a></span>et leur raconta ce qu'il avait vu. Les Fomôré le renvoyèrent
-chez les Tûatha Dê Danann avec ordre de
-tuer Goibniu le forgeron, dans l'espérance qu'à la
-prochaine bataille les Tûatha Dê Danann ne pourraient
-remplacer les armes brisées ou perdues. Rûadan
-fut reçu comme la première fois dans le camp
-des Tûatha Dê Danann, et alla demander aux trois
-ouvriers une lance qu'ils lui donnèrent, après avoir
-fabriqué, Goibniu le fer, Creidné les rivets, Luchtiné
-la hampe. Une femme, dont le métier était d'aiguiser
-les armes quand elles sortaient des mains de ces
-habiles ouvriers, lui aiguisa sa lance, puis la lui
-livra. Aussitôt Rûadan retourna à la forge et frappa
-le forgeron de l'arme même que celui-ci lui avait
-donnée. Le forgeron fut blessé, mais eut assez
-de force pour saisir la lance et la retourner contre
-Rûadan; il le perça de part en part et le tua.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_333" id="Note_333"></a><a href="#NoteRef_333"><span class="label">[1]</span></a> O'Curry, <i>On the manners</i>, t. II, p. 250.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_334" id="Note_334"></a><a href="#NoteRef_334"><span class="label">[2]</span></a> Voir notre tome I, p. 283, note 2.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_335" id="Note_335"></a><a href="#NoteRef_335"><span class="label">[3]</span></a> <i>Ibid.</i>, page 57, note 4.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VIII_9"></a>§ 9.<br />
-
-<i>Seconde bataille de Mag-Tured </i> (suite). <i>Blessures d'Ogmé
-et de Nûadu.</i></h3>
-
-<p>La bataille recommença. Plusieurs guerriers de
-l'armée des Tûatha Dê Danann y reçurent des blessures
-que les textes du onzième siècle transforment
-en coups mortels. On cite surtout les exploits de
-deux guerriers fomôré dont nous avons déjà parlé.
-L'un était Indech, fils du dieu de Domna ou du roi
-<span class="pagenum"><a name="Page_185" id="Page_185">[Pg 185]</a></span>des Fomôré; il frappa Ogmé<a name="NoteRef_336" id="NoteRef_336"></a><a href="#Note_336" class="fnanchor">[1]</a>, l'Ogmios gaulois de
-Lucien. L'autre, et le plus redoutable, était Balar
-aux coups vigoureux, <i>Balcbeimnech</i>; Balar atteignit
-Nuadu Argat-lâm «à la main d'argent,» roi des
-Tûatha Dê Danann, qui, si nous acceptons la forme
-moderne de la légende, avait perdu sa main naturelle
-vingt-sept ans plus tôt, à la première bataille de
-Mag-Tured, en combattant les Fir-Bolg. La légende,
-dans sa forme la plus ancienne, ne connaît qu'une
-seule bataille de Mag-Tured. Nûadu perdait sans
-doute la main au commencement de cette bataille,
-se la faisait remplacer, revenait se précipiter au milieu
-des bataillons ennemis, et là recevait une nouvelle
-blessure qui aurait été mortelle si un dieu
-avait pu mourir, et qui n'amena sa mort qu'aux
-temps chrétiens<a name="NoteRef_337" id="NoteRef_337"></a><a href="#Note_337" class="fnanchor">[2]</a>, quand la légende évhémériste
-abaissa au rang des hommes les merveilleux immortels
-adorés par les païens.</p>
-
-<p>La blessure si grave qui atteignit Nûadu, lorsque,
-pour la seconde fois, il fut frappé, ne provenait ni
-d'un coup de lance ni d'un coup d'épée. Balar avait
-un mauvais œil. Il le tenait ordinairement fermé;
-mais quand il l'ouvrait, le regard de cet œil était
-mortel pour toute personne qu'il atteignait. Ce regard,
-<span class="pagenum"><a name="Page_186" id="Page_186">[Pg 186]</a></span>c'est la foudre<a name="NoteRef_338" id="NoteRef_338"></a><a href="#Note_338" class="fnanchor">[3]</a>. Balar, le Fomôré, jeta donc
-sur Nûadu, le roi des Tûatha Dê Danann, un regard
-de son mauvais œil, Nûadu fut terrassé, mis
-hors de combat; il mourut même, dit-on, autant
-qu'un dieu peut mourir, ce qui ne l'empêchait pas
-d'être un dieu vivant aux temps historiques, et de
-recevoir, sous l'empire romain, aux temps païens,
-les hommages de pieux fidèles dans un temple bâti
-sur les bords de la Severn<a name="NoteRef_339" id="NoteRef_339"></a><a href="#Note_339" class="fnanchor">[4]</a>.</p>
-
-<p>Les dieux homériques, bien qu'immortels, ne sont
-pas invulnérables. Ce n'est pas impunément qu'Aphrodite
-et Arès, se mêlant aux troupes des Troyens,
-affrontent, sous les murs d'Ilion assiégée par les
-Grecs, la lance redoutable dont est armé Diomède,
-le dompteur de chevaux. Quoique fille de Zeus, dieu
-suprême, Aphrodite est blessée à la main, son sang
-coule; elle jette un grand cri, et, souffrant de violentes
-douleurs, elle s'enfuit vers l'Olympe, séjour
-des dieux<a name="NoteRef_340" id="NoteRef_340"></a><a href="#Note_340" class="fnanchor">[5]</a>. La place de cette déesse n'était pas au
-milieu des combats, mais c'était bien le lot d'Arès,
-dieu de la guerre. Et cependant la lance de Diomède
-atteignit Arès à la ceinture; le dieu blessé jeta
-un cri comparable à celui qu'auraient poussé neuf ou
-dix mille hommes réunis, et, imitant la fuite de la
-déesse de l'amour, le dieu de la guerre se réfugia
-dans l'Olympe, où Zeus, juste et bon, après l'avoir
-<span class="pagenum"><a name="Page_187" id="Page_187">[Pg 187]</a></span>sévèrement réprimandé, fit panser et guérir sa blessure<a name="NoteRef_341" id="NoteRef_341"></a><a href="#Note_341" class="fnanchor">[6]</a>.</p>
-
-<p>Il y a donc, ici comme ailleurs, une grande ressemblance
-entre la mythologie irlandaise et la mythologie
-grecque. Mais revenons sur le champ de
-bataille de Mag-Tured, où les Tûatha Dê Danann et
-les Fomôré sont en présence, et où Nûadu, roi des
-Tûatha dê Danann, vient d'être frappé et mis hors
-de combat par Balar, dieu de la foudre, un des
-principaux chefs des Fomôré, c'est-à-dire des dieux
-de la mort et de la nuit<a name="NoteRef_342" id="NoteRef_342"></a><a href="#Note_342" class="fnanchor">[7]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_336" id="Note_336"></a><a href="#NoteRef_336"><span class="label">[1]</span></a> <i>Lebar gabala</i>, ou «Livre des conquêtes» dit aussi «des invasions,»
-dans le Livre de Leinster, p. 9, col. 2, lignes 3, 4, 9, 10.
-Poème de Flann Manistrech, p. 11, col. 1, ligne 33.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_337" id="Note_337"></a><a href="#NoteRef_337"><span class="label">[2]</span></a> Poème de Flann Manistrech, Livre de Leinster, p. 11, col. 1,
-lignes 31&ndash;32.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_338" id="Note_338"></a><a href="#NoteRef_338"><span class="label">[3]</span></a> Nous trouvons une doctrine identique chez M. J. Darmesteter,
-<i>Ormazd et Ahriman</i>, p. 122, 123. C'est le soleil qui est le bon œil.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_339" id="Note_339"></a><a href="#NoteRef_339"><span class="label">[4]</span></a> Voir plus haut, <a href="#Page_155">p. 155</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_340" id="Note_340"></a><a href="#NoteRef_340"><span class="label">[5]</span></a> <i>Iliade</i>, livre V, vers 334 et suivants.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_341" id="Note_341"></a><a href="#NoteRef_341"><span class="label">[6]</span></a> <i>Iliade</i>, livre V, vers 855 et suivants.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_342" id="Note_342"></a><a href="#NoteRef_342"><span class="label">[7]</span></a> Le dieu celtique de la foudre n'est pas le dieu par excellence
-de la lumière comme dans la mythologie grecque, où la foudre est
-l'insigne caractéristique de Zeus. Il y a là une différence fondamentale
-entre la mythologie celtique et la mythologie grecque.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VIII_10"></a>§ 10.<br />
-
-<i>Seconde bataille de Mag-Tured</i> (suite et fin). <i>Mort de
-Balar. Défaite des Fomôré. L'épée de Téthra tombe
-entre les mains d'Ogmé.</i></h3>
-
-<p>Lug, voulant venger Nûadu, s'approcha de Balar,
-dont le mauvais œil s'était refermé. Balar, apercevant
-le nouvel adversaire qui s'avançait vers lui,
-commençait à soulever la paupière qui voilait l'œil
-redoutable; mais Lug fut plus prompt que lui:
-d'une pierre lancée par sa fronde il l'atteignit sur l'œil
-mauvais et lui traversa le crâne. Balar tomba mort au
-<span class="pagenum"><a name="Page_188" id="Page_188">[Pg 188]</a></span>milieu de ses guerriers épouvantés. Nous avons déjà
-dit que Balar était le grand-père maternel de Lug
-son meurtrier<a name="NoteRef_343" id="NoteRef_343"></a><a href="#Note_343" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>Les Fomôré furent mis en déroute. L'épée même
-de Téthra, leur roi, fit partie du butin qui tomba
-entre les mains des vainqueurs: un des Tûatha Dê
-Danann, le héros Ogma, ou mieux Ogmé, s'en empara.
-Il la tira du fourreau<a name="NoteRef_344" id="NoteRef_344"></a><a href="#Note_344" class="fnanchor">[2]</a> et la nettoya. Alors,
-prenant la parole, l'épée raconta les hauts faits que
-jusque-là elle avait accomplis, Dans ce temps-là, en
-effet, dit l'auteur inconnu du récit de la seconde bataille
-de Mag-Tured, les épées parlaient; et voilà
-pourquoi elles ont jusqu'à ce jour gardé une puissance
-magique. Elles parlaient, ou plutôt elles semblaient
-parler; car les voix qu'on entendait étaient,
-dit le conteur chrétien, celles de démons cachés
-dans ces armes. Les démons y habitaient, parce que,
-dans ce temps-là, les hommes adoraient les armes;
-et l'on considérait les armes comme des protecteurs
-surnaturels, ajoute l'écrivain épique irlandais<a name="NoteRef_345" id="NoteRef_345"></a><a href="#Note_345" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_189" id="Page_189">[Pg 189]</a></span>Le culte de l'épée était aussi connu chez les Germains:
-c'était le symbole du dieu qui, en vieux
-Scandinave, s'appelle <i>Tyr</i>, et, en vieil allemand,
-<i>Zio</i>; son nom a la même racine que celui du Zeus
-des Grecs et du Jupiter des Romains; mais les
-attributs qu'il avait acquis chez les Germains l'ont
-fait considérer comme identique au Mars romain.
-Une épée le représentait, comme dans la Rome primitive
-une lance représentait Mars, auquel on n'avait
-pas encore élevé de statue<a name="NoteRef_346" id="NoteRef_346"></a><a href="#Note_346" class="fnanchor">[4]</a>.</p>
-
-<p>L'épée de Téthra, dieu des Fomôré et des morts<a name="NoteRef_347" id="NoteRef_347"></a><a href="#Note_347" class="fnanchor">[5]</a>,
-offre une grande ressemblance avec celle du dieu de
-la guerre germain Zio ou Tyr, et avec la lance de
-Mars. Or, avons-nous dit, Ogmé s'empara de l'épée
-de Téthra. Ogmé, en Irlande, est le champion divin,
-le type par excellence de l'homme qui fait de la guerre
-sa profession. Nous savons, par Lucien, qu'il était honoré
-en Gaule, et que les Celtes l'appelaient Ogmios. Au
-deuxième siècle, époque où écrivait Lucien, on lui
-<span class="pagenum"><a name="Page_190" id="Page_190">[Pg 190]</a></span>avait élevé des statues qui lui donnaient les insignes
-de l'Héraclès grec: la peau de lion, la massue, le
-carquois et l'arc. Mais ces statues se distinguaient de
-celles du demi-dieu hellénique en deux points: elles
-faisaient du dieu gaulois un vieillard, et lui attribuaient
-le don de l'éloquence, figuré par des chaînes
-qui, partant du bout de sa langue, traînaient à
-sa suite des auditeurs ravis<a name="NoteRef_348" id="NoteRef_348"></a><a href="#Note_348" class="fnanchor">[6]</a>.</p>
-
-<p>Ces statues étaient l'œuvre d'artistes grecs. Si ces
-sculpteurs eussent moins subi l'influence des traditions
-de leur race et de la mythologie nationale des
-Hellènes, au lieu de l'arc et de la massue d'Héraclès
-ils auraient mis entre les mains d'Ogmios le <i>gæsum</i>,
-ou lance celtique, et l'épée de Téthra<a name="NoteRef_349" id="NoteRef_349"></a><a href="#Note_349" class="fnanchor">[7]</a>.</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_343" id="Note_343"></a><a href="#NoteRef_343"><span class="label">[1]</span></a> <i>Lebar gabala</i> ou «Livre des conquêtes,» dans le Livre de
-Leinster, p. 9, col. 2, lignes 7 et 8. Sur cette partie de la seconde
-bataille de Mag-Tured, voyez O'Curry, <i>On the manners</i>, t. II, p. 251,
-288.</p>
-</div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_344" id="Note_344"></a><a href="#NoteRef_344"><span class="label">[2]</span></a> «Tofoslaic.» O'Curry, <i>On the manners</i>, t. II, p. 254, traduit ce
-mot par <i>opened</i>, «il ouvrit.» Dans les gloses de Milan et de Saint-Gall,
-deux verbes latins glosent le verbe irlandais <i>tuaslaiciu</i>: ce
-sont <i>solvere</i> et <i>resolvere</i>. Dans les textes de droit, ce verbe irlandais
-est employé pour désigner la rupture du lien de droit qui résulte
-d'un contrat; il exprime l'affranchissement du débiteur.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_345" id="Note_345"></a><a href="#NoteRef_345"><span class="label">[3]</span></a> Le texte dont notre traduction est plutôt un commentaire
-qu'une version littérale, a été publié par O'Curry, <i>On the manners</i>,
-t. II, p. 254. Une partie de la doctrine qu'il contient se trouve aussi
-dans un passage du <i>Serglige Conculainn</i> chez Windisch, <i>Irische
-Texte</i>, p. 206. Le même passage du <i>Serglige Conculainn</i> a été publié
-et traduit sans commentaire par O'Curry, <i>Atlantis</i>, t. I, p. 371;
-et il a été inséré par M. Whitley Stokes dans la <i>Revue celtique</i>, t. I,
-p. 260, 261; ce savant en a le premier signalé l'intérêt mythologique.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_346" id="Note_346"></a><a href="#NoteRef_346"><span class="label">[4]</span></a> Les textes d'Ammien Marcellin, XVII, 12, XXXI, 2, et d'Arnobe,
-VII, 12, relatifs à ce sujet, ont été étudiés par Grimm,
-<i>Deutsche Mythologie</i>, 3<sup>e</sup> édition, t. I, p. 185. Cf. Simrock, <i>Handbuch
-der deutschen Mythologie</i>, 5<i>e</i> édition, p. 272. Sur Zio, considéré
-comme dieu de la guerre, voyez Grimm, D. M., p. 178.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_347" id="Note_347"></a><a href="#NoteRef_347"><span class="label">[5]</span></a> Voir la légende de Connlé chez Windisch, <i>Kurzgefasste irische
-Grammatik</i>, p. 120, ligne 3.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_348" id="Note_348"></a><a href="#NoteRef_348"><span class="label">[6]</span></a> Lucien, <i>Héraclès</i>, édition Didot, p. 598, 599.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_349" id="Note_349"></a><a href="#NoteRef_349"><span class="label">[7]</span></a> L'arc ne paraît pas avoir été une arme celtique. Aucun dieu
-celtique n'a dû porter d'arc avant l'intervention des statuaires grecs.
-Il est aussi fort peu vraisemblable qu'un dieu celtique eût originairement
-pour insigne une peau de lion. Le lion n'est pas un
-animal des régions celtiques. C'est le sanglier qui, aux yeux du Celte,
-est le roi des animaux sauvages. Seul encore aujourd'hui dans nos
-forêts, il tient tête aux chasseurs et répond par des coups à leur attaque.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VIII_11"></a>§ 11.<br />
-
-<i>La harpe de Dagdé.</i></h3>
-
-<p>Les Fomôré se dédommagèrent de la perte de cette
-épée en s'emparant de la harpe de Dagdé. Lug,
-Dagdé et Ogmé se mirent à leur poursuite. Les chefs
-<span class="pagenum"><a name="Page_191" id="Page_191">[Pg 191]</a></span>des Fomôré, se croyant assez loin du champ de bataille
-pour n'avoir plus rien à craindre, s'étaient
-arrêtés pour prendre leur repas. Ils s'étaient établis
-dans une salle et avaient accroché au mur la harpe
-de Dagdé. Lug, Dagdé et Ogmé entrèrent hardiment,
-et, avant que leurs ennemis surpris eussent eu le
-temps de se précipiter sur eux, Dagdé adressa la
-parole à sa harpe.&mdash;«Tiens,» lui cria-t-il. Aussitôt,
-l'instrument de musique, reconnaissant la voix
-de son maître, se détacha du mur, se précipita vers
-Dagdé avec tant de hâte, qu'au passage il tua neuf
-personnes; et il vint se placer entre les mains du
-dieu qui, le saisissant, en tira des sons merveilleux.
-Il y avait alors pour la harpe trois morceaux de
-musique principaux, dont l'exécution mettait en relief
-la supériorité des grands artistes. Le premier
-produisait le sommeil, le second le rire, le troisième
-les gémissements et les larmes. Dagdé joua d'abord
-le troisième morceau. Les femmes des Fomôré poussèrent
-des cris de douleur et versèrent des larmes.
-Il joua le second, les femmes et les jeunes gens
-éclatèrent de rire. Il joua le premier, les femmes, les
-enfants, les guerriers s'endormirent. Profitant de ce
-sommeil, Lug, Dagdé et Ogmé sortirent de la salle
-et retournèrent sains et saufs rejoindre le gros de leur
-armée sans que les Fomôré, qui voulaient les tuer,
-leur eussent fait une blessure ou même donné un
-coup<a name="NoteRef_350" id="NoteRef_350"></a><a href="#Note_350" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_350" id="Note_350"></a><a href="#NoteRef_350"><span class="label">[1]</span></a> British Museum, manuscrit Harléien 5280, folio 59 recto;
-passage publié par O'Curry, <i>On the manners</i>, t. III, p. 214, note
-296; traduit par le même, <i>ibidem</i>, p. 213&ndash;214.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_192" id="Page_192">[Pg 192]</a></span></p>
-
-<h3><a id="VIII_12"></a>§ 12.<br />
-
-<i>Les Fomôré et Téthra dans l'île des Morts.</i></h3>
-
-<p>Les Fomôré avaient définitivement succombé. Ils
-abandonnèrent l'Irlande et retournèrent dans leur
-patrie, dans cette contrée mystérieuse située au
-delà de l'Océan et où les âmes des morts trouvent,
-avec un corps nouveau, une seconde patrie. C'est là
-que règne leur dieu Téthra, dont, à la bataille de
-Mag-Tured, l'épée est tombée entre les mains des
-Tûatha Dê Danann vainqueurs. Un des morceaux
-les plus anciens qui forment le second cycle de
-l'épopée héroïque irlandaise fait apparaître à nos
-yeux la jeune et jolie femme qui est la messagère
-celtique de la Mort, et qui conduit au séjour merveilleux
-des défunts les âmes des jeunes gens séduits
-par son irrésistible beauté. Elle s'adresse à
-Connlé, fils de Conn, roi suprême d'Irlande.&mdash;«Les
-immortels t'invitent,» lui dit-elle. «Tu vas
-être un des héros du peuple de Téthra. On t'y verra
-tous les jours, dans les assemblées de tes aïeux, au
-milieu de ceux qui te connaissent et qui t'aiment.»
-Et bientôt Conn, roi d'Irlande, en larmes, vit son
-fils s'élancer dans la barque de verre qui servait aux
-voyages de la terrible enchanteresse. La barque,
-<span class="pagenum"><a name="Page_193" id="Page_193">[Pg 193]</a></span>fendant les flots de la mer, s'éloigna de plus en
-plus. Du rivage, le père la suivit quelque temps des
-yeux, puis il ne vit plus rien. Son fils n'est pas revenu,
-et on ne sait pas où il est allé<a name="NoteRef_351" id="NoteRef_351"></a><a href="#Note_351" class="fnanchor">[1]</a>, ou plutôt
-on ne le sait que trop: il habite le pays d'où le retour
-est impossible, l'empire de Téthra, roi des Fomôré
-qui est toujours maître de cette contrée lointaine,
-bien qu'à la bataille de Mag-Tured il ait abandonné
-son épée aux mains d'Ogmé vainqueur.</p>
-
-<p>Une autre pièce, qui appartient au cycle de Conchobar
-et de Cûchulainn, nous fait assister à une joute
-littéraire entre Nédé, fils d'Adné, et Fercertné. Fercertné
-a été tout récemment élu <i>ollam</i>, c'est-à-dire chef
-des <i>file</i> d'Ulster. Le jeune Nédé, qui est allé terminer
-ses études en Alba, c'est-à-dire en Grande-Bretagne,
-sous la direction d'Eochaid Ech-bel ou «à la bouche
-de cheval,» a repassé la mer, est revenu en
-Irlande pour disputer à Fercertné la haute dignité
-dont ce dernier a été investi. Arrivant à l'improviste,
-il a revêtu la robe qui est l'insigne de l'<i>ollam</i>;
-il s'est assis dans la chaire réservée à ce personnage
-respecté. Fercertné entre furieux dans la salle, et,
-devant l'auditoire que la curiosité attire, il adresse
-au jeune prétendant une série de questions par lesquelles
-il veut mettre sa science à l'épreuve, espérant
-le convaincre d'ignorance et le réduire au silence.
-Nédé se tire avec succès de cet examen
-<span class="pagenum"><a name="Page_194" id="Page_194">[Pg 194]</a></span>improvisé. Une des questions est celle-ci:&mdash;«Quel
-est, ô jeune savant, la chose que tu parcours en te
-hâtant?»&mdash;«La réponse est facile,» répondit
-Nédé: «c'est le champ de l'âge, c'est la montagne
-de la jeunesse, c'est la chasse des âges à la poursuite
-du roi dans la maison de terre et de pierres
-(c'est-à-dire dans ce monde terrestre), entre la chandelle
-et son bout, entre le combat et la haine du
-combat, [c'est-à-dire à la lumière et pendant les luttes
-de la vie jusqu'au terme de la vie et à la paix de
-la mort, cette paix qu'on trouve] au milieu des braves
-guerriers de Téthra.» Et Téthra, dit une glose
-de ce vieux morceau, est le nom du roi des Fomôré<a name="NoteRef_352" id="NoteRef_352"></a><a href="#Note_352" class="fnanchor">[2]</a>.
-Cette glose paraît avoir existé déjà vers la
-fin du neuvième siècle ou le commencement du
-dixième, puisqu'on la trouve dans la plus ancienne
-récension du <i>Glossaire</i> de Cormac<a name="NoteRef_353" id="NoteRef_353"></a><a href="#Note_353" class="fnanchor">[3]</a>. Téthra est un
-des plus anciens noms que les Irlandais aient donné
-au dieu de la mort.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_351" id="Note_351"></a><a href="#NoteRef_351"><span class="label">[1]</span></a> <i>Echtra Connla</i>, publié d'après le <i>Leabhar na hUidhre</i>, manuscrit
-de la fin du onzième siècle, par Windisch, <i>Kurzgefasste irische
-Grammatik</i>, p. 120.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_352" id="Note_352"></a><a href="#NoteRef_352"><span class="label">[2]</span></a> Livre de Leinster, p. 187, colonne 2, ligne 26. J'ai supprimé la
-plus grande partie de la glose dont ce vieux morceau est accompagné;
-l'auteur ou les auteurs de cette glose, sachant le sens de chaque
-mot, ne comprenaient pas l'ensemble du passage.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_353" id="Note_353"></a><a href="#NoteRef_353"><span class="label">[3]</span></a> Glossaire de Cormac, au mot <i>Tethra</i>, Whitley Stokes, <i>Three
-irish glossaries</i>. p. 42.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="VIII_13"></a>§ 13.<br />
-
-<i>Le corbeau et la femme de Téthra.</i></h3>
-
-<p>La mythologie celtique prétendait donner à la
-<span class="pagenum"><a name="Page_195" id="Page_195">[Pg 195]</a></span>mort des attraits bien supérieurs à ceux de la vie.
-Mais elle ne parvenait pas à supprimer un des plus
-vifs sentiments de la nature. Aussi la messagère de
-la mort n'a-t-elle pas toujours, dans la littérature irlandaise,
-les traits séduisants sous lesquels elle
-apparaît dans la légende de Connlé.</p>
-
-<p>Quand les dieux se rendent visibles, la forme
-qu'ils revêtent est souvent celle d'oiseaux. Les oiseaux
-divins des Tûatha Dê Danann, c'est-à-dire des
-dieux de la lumière et de la vie, ont un joli plumage<a name="NoteRef_354" id="NoteRef_354"></a><a href="#Note_354" class="fnanchor">[1]</a>;
-ils vont par couples, les deux têtes emplumées
-sont réunies par une chaîne ou un joug
-d'argent<a name="NoteRef_355" id="NoteRef_355"></a><a href="#Note_355" class="fnanchor">[2]</a>. Lorsque Lug, le vainqueur de la bataille
-de Mag-Tured, veut donner le jour au célèbre héros
-Cûchulainn, sa venue est annoncée par l'apparition
-d'une troupe de ces oiseaux. Il y en a neuf fois
-vingt, en neuf groupes de vingt chacun, allant deux
-à deux; les uns portent des jougs d'argent, les autres
-des chaînes du même métal.</p>
-
-<p>Mais tels ne sont pas les oiseaux qui annoncent la
-présence des Fomôré, dieux de la mort et de la nuit:
-ces oiseaux sont des corbeaux ou des corneilles. La
-femme de Téthra, c'est la femelle du corbeau ou de
-la corneille; c'est l'oiseau à plumage lugubre qu'on
-voit voltiger sur les champs de bataille et qui, après
-le combat, déchire de son bec sanglant la poitrine
-<span class="pagenum"><a name="Page_196" id="Page_196">[Pg 196]</a></span>nue et livide des morts décapités et restés sans sépulture.
-Un manuscrit de la fin du onzième siècle
-nous a conservé un quatrain composé par un poète
-du neuvième siècle:</p>
-
-<p class="poem">
-Ce que désire la femme de Téthra, c'est le feu du combat;<br />
-C'est le flanc des guerriers déchiré par le glaive,<br />
-C'est le sang, ce sont les cadavres sous les cadavres;<br />
-Yeux sans vie, têtes tranchées, voilà les mots qui lui plaisent.<br />
-</p>
-
-<p>Et un vieux grammairien irlandais écrivant, au plus
-tard vers la fin du onzième siècle, des gloses sur
-les mots obscurs de ce quatrain, a expliqué «femme
-de Téthra» par un substantif irlandais qui veut dire
-«corneille» ou «corbeau<a name="NoteRef_356" id="NoteRef_356"></a><a href="#Note_356" class="fnanchor">[3]</a>.»</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_354" id="Note_354"></a><a href="#NoteRef_354"><span class="label">[1]</span></a> <i>Serglige Conculainn</i>, chez Windisch, <i>Irische Texte</i>, p. 206,
-lignes 10 et suiv.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_355" id="Note_355"></a><a href="#NoteRef_355"><span class="label">[2]</span></a> <i>Compert Conculainn</i>, chez Windisch, <i>Irische Texte</i>, p. 137,
-138.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_356" id="Note_356"></a><a href="#NoteRef_356"><span class="label">[3]</span></a> Ce quatrain est attribué à Mac Lonan, par le <i>Leabhar na hUidhre</i>,
-p. 50. Il a été publié par M. Whitley Stokes, dans les <i>Beiträge</i>
-de Kuhn, t. VIII, p. 328; et dans la <i>Revue celtique</i>, t. II,
-p. 491.</p></div>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_197" id="Page_197">[Pg 197]</a></span></p>
-
-<h2>CHAPITRE IX.<br />
-
-LA SECONDE BATAILLE DE MAG-TURED ET LA MYTHOLOGIE
-GRECQUE.</h2>
-
-<p><a href="#IX_1">§1</a>.&mdash;Le Kronos grec et ses trois équivalents irlandais Téthra,
-Bress, Balar.&mdash;<a href="#IX_2">§2</a>. Forme irlandaise de l'idée grecque de la race
-d'or. Tigernmas, doublet de Balar, de Bress et de Téthra.&mdash;<a href="#IX_3">§3</a>.
-Balar et le mythe d'Argos ou Argus. Lug et Hermès.&mdash;<a href="#IX_4">§4</a>.
-Io et Bûar-ainech. Balar et Poseidaôn.&mdash;<a href="#IX_5">§5</a>. Lug, meurtrier
-de Balar et le héros grec Bellérophontès.&mdash;<a href="#IX_6">§6</a>. Lug et le héros
-grec Persée.&mdash;<a href="#IX_7">§7</a>. Le Balar populaire de l'Irlande. Balar et Acrisios.
-Ethné, fille de Balar, et Danaé, fille d'Acrisios. Les trois
-frères et le triple Géryon. Leur vache et le troupeau de Géryon
-ou de Cacus. Le fils de Gavida et Persée.&mdash;<a href="#IX_8">§8</a>. Les trois ouvriers
-des Tûatha Dê Danann et les trois cyclopes de Zeus chez
-Hésiode.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="IX_1"></a>§ 1.<br />
-
-<i>Le Kronos grec et ses trois équivalents irlandais, Téthra, Bress, Balar.</i></h3>
-
-<p>Téthra, roi des Fomôré, qui à Mag-Tured prit la
-fuite, laissant son épée aux mains des Tûatha Dê
-<span class="pagenum"><a name="Page_198" id="Page_198">[Pg 198]</a></span>Danann vainqueurs, et qui ensuite devint roi des
-morts, est identique au Kronos d'Hésiode et de Pindare.
-Celui-ci, vaincu et détrôné par Zeus, a obtenu
-un royaume nouveau dans le pays merveilleux où
-les héros défunts retrouvent, avec une seconde vie,
-les joies de la patrie absente<a name="NoteRef_357" id="NoteRef_357"></a><a href="#Note_357" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>Dans la fable grecque, Kronos, avant sa défaite,
-a été roi du ciel: le monde entier n'avait pas d'autre
-maître que lui au temps où la race d'or vivait
-sur la terre. On sait que la race d'or des Grecs n'est
-autre chose que les Tûatha Dê Danann de la mythologie
-irlandaise. Ainsi, une partie du mythe de Kronos
-se retrouve en Irlande dans la légende de
-Bress, roi fomôré qui régna sur les Tûatha Dê Danann.
-Nous avons dit comment, après la satire du <i>file</i>
-Corpré, une révolte des sujets de Bress fit tomber du
-trône ce prince mythique et enleva la souveraineté
-de l'Irlande aux Fomôré par une révolution que leur
-défaite à Mag-Tured rendit définitive. Bress est identique
-à Kronos, mais ce n'est qu'un Kronos incomplet;
-c'est le roi du monde au temps de la race d'or;
-ce n'est pas le roi des morts, et nous ne voyons
-pas qu'il ait combattu à la bataille de Mag-Tured,
-comme Kronos dans la bataille des dieux contre les
-Titans.</p>
-
-<p>Balar, le principal des vaincus de Mag-Tured,
-nous offre une autre partie, un autre démembrement
-<span class="pagenum"><a name="Page_199" id="Page_199">[Pg 199]</a></span>de la personnalité mythologique qui reste unique,
-sous le nom de Kronos, dans certains récits grecs.
-Ainsi, Balar est le grand-père de Lug, qui le tue
-à la bataille de Mag-Tured; de même Kronos,
-vaincu dans la guerre de Zeus et des dieux contre
-Kronos et les Titans, est le père de Zeus, vainqueur
-dans cette lutte mythique: la bataille de Mag-Tured
-entre les Tûatha Dê Danann et les Fomôré n'est autre
-chose, nous le savons déjà, que la bataille où, suivant
-la mythologie hésiodique, Zeus et les autres
-dieux triomphèrent de Kronos et des Titans.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_357" id="Note_357"></a><a href="#NoteRef_357"><span class="label">[1]</span></a> <i>Les Travaux et les Jours</i>, vers 169; Pindare, <i>Olympiques, II</i>
-vers 70, 76; édition Teubner-Schneudewin, t. I, p. 17.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="IX_2"></a>§ 2.<br />
-
-<i>Forme irlandaise, de l'idée grecque de la race d'or.
-Tigernmas, doublet de Balar, de Bress et de Téthra.</i></h3>
-
-<p>L'association de l'or avec le règne de Kronos est,
-dans la mythologie grecque, une doctrine caractéristique.
-«La race d'or des hommes doués de parole
-fut,» dit Hésiode, «créée par les immortels habitants
-de l'Olympe. Ils vécurent sous Kronos,
-qui alors avait le ciel sous son empire. Ils ressemblaient
-à des dieux<a name="NoteRef_358" id="NoteRef_358"></a><a href="#Note_358" class="fnanchor">[1]</a>.» Ces mots par lesquels
-Hésiode commence sa peinture de ce que nous
-appelons l'âge d'or nous transportent dans le domaine
-de la mythologie irlandaise, au temps où les
-Tûatha Dê Danann habitaient l'Irlande, sous la domination
-<span class="pagenum"><a name="Page_200" id="Page_200">[Pg 200]</a></span>des Fomôré. Or, un des noms du chef des
-Fomôré est Tigernmas. Tigernmas est, comme nous
-l'avons vu, un doublet de Balar; il est comme lui,
-par Ethné ou Ethniu, grand-père de Lug, l'Hermès
-celtique; il est aussi un doublet de Bress et de Téthra.
-Tigernmas est un des noms de Kronos dans
-la légende irlandaise.</p>
-
-<p>Or, Tigernmas fut, raconte-t-on, autrefois roi
-d'Irlande, et, suivant un poète du onzième siècle,
-il eut le premier la gloire de faire fondre l'or tiré
-des mines de cette île<a name="NoteRef_359" id="NoteRef_359"></a><a href="#Note_359" class="fnanchor">[2]</a>. Exploitation de mines
-d'or, telle est la forme que reçoit en Irlande l'idée
-grecque de la race d'or. Les bizarres travaux chronologiques
-des savants irlandais du onzième siècle
-ont eu pour effet de placer Tigernmas aux derniers
-temps de la période mythique dont nous faisons ici
-l'histoire. Ils ont fait de lui un personnage tout à fait
-distinct de Balar et chronologiquement séparé de lui
-par un long intervalle. Mais nous n'avons pas à nous
-préoccuper des combinaisons de la fausse science
-qui, transformant la mythologie irlandaise en annales,
-a si longtemps jeté le ridicule sur ces vieilles
-légendes celtiques<a name="NoteRef_360" id="NoteRef_360"></a><a href="#Note_360" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_358" id="Note_358"></a><a href="#NoteRef_358"><span class="label">[1]</span></a> <i>Les Travaux et les Jours</i>, vers 109&ndash;112.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_359" id="Note_359"></a><a href="#NoteRef_359"><span class="label">[2]</span></a></p>
-<p class="poem">Leis roberbad, is blad bind,&mdash;<br />
-Mèin ôir ar-tus in hErind.<br />
-Par lui fut fondue,&mdash;il est renom sonore,&mdash;<br />
-Mine d'or premièrement en Irlande.
-</p>
-<p>
-Poëme de Gilla Coemain, dans le Livre de Leinster, p. 16,
-col. 2, lignes 50, 51. Cf. <i>Livre des conquêtes, ibid.</i>, ligne 23.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_360" id="Note_360"></a><a href="#NoteRef_360"><span class="label">[3]</span></a> Sur le règne de Tigernmas, au temps des descendants de
-Milé, voir, outre le <i>Livre des conquêtes</i> déjà cité, le grand poème
-chronologique de Gilla Coemain, Livre de Leinster, p. 127, col. 2,
-lignes 25 et 26; enfin, les p. 111&ndash;113 du présent volume.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_201" id="Page_201">[Pg 201]</a></span></p>
-
-<h3><a id="IX_3"></a>§ 3.<br />
-
-<i>Balar et le mythe d'Argos ou Argus. Lug et Hermès.</i></h3>
-
-<p>Le combat de Zeus et des dieux contre Kronos et
-les Titans n'est pas le seul récit mythologique grec
-où l'on voie apparaître la doctrine dualiste qui fait
-lutter les divinités bienfaisantes du jour, du beau
-temps et de la vie contre les puissances malfaisantes
-de la mort, de l'orage et de la nuit. Un des mythes
-les plus connus où l'imagination grecque nous offre
-cette doctrine est celui d'Argos aux cent yeux. Ces yeux
-sont les étoiles, et Argos est une personnification de
-la nuit étoilée. Hermès le tua d'un coup de pierre<a name="NoteRef_361" id="NoteRef_361"></a><a href="#Note_361" class="fnanchor">[1]</a>.
-Ce mythe était déjà connu des Grecs quand Homère
-composa l'Iliade, c'est-à-dire environ huit siècles
-avant notre ère. Déjà, dans l'Iliade, Hermès porte le
-surnom de meurtrier d'Argos, Ἀργειφόντης; ou le titre
-de meurtrier d'Argos, Ἀργειφόντης, est employé comme
-synonyme d'Hermès<a name="NoteRef_362" id="NoteRef_362"></a><a href="#Note_362" class="fnanchor">[2]</a>. Hermès est le crépuscule,
-<span class="pagenum"><a name="Page_202" id="Page_202">[Pg 202]</a></span>et cette pierre qui lancée par Hermès, tue Argos ou
-la nuit, c'est le soleil qu'une main invisible jette
-tous les matins de l'Orient vers le haut des cieux<a name="NoteRef_363" id="NoteRef_363"></a><a href="#Note_363" class="fnanchor">[3]</a>.
-Lug est l'Hermès celtique: comme l'Hermès grec,
-il personnifie le crépuscule; comme lui, au moyen
-d'une pierre il tue son adversaire. Il lance cette
-pierre avec une fronde, et d'un coup mortel il
-atteint à l'œil Balar, qui est l'Argos celtique, c'est-à-dire
-une personnification des puissances mauvaises
-dont la nuit est une des principales et parmi
-lesquelles le Celte comprend aussi la foudre et la
-mort.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_361" id="Note_361"></a><a href="#NoteRef_361"><span class="label">[1]</span></a> Apollodore, <i>Bibliothèque</i>, livre II, chapitre 1, section 3, § 4. Didot-Müller,
-<i>Fragmenta historicorum grœcorum</i>, tome I, page 126.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_362" id="Note_362"></a><a href="#NoteRef_362"><span class="label">[2]</span></a> <i>Iliade</i>, livre II, vers 103, 104, livre XXIV, vers 24, etc. Voyez
-aussi <i>Odyssée</i>, livre I, vers 84; Hymne à Histia, vers 7; Hésiode,
-<i>Les Travaux et les Jours</i>, vers 77. Apollodore, à qui nous devons la
-conservation de la fable qui explique le composé Ἀργειφόντης, écrivait
-au milieu du second siècle avant notre ère. La correction Ἀργειφάντης
-pour Ἀργειφόντης est une conception relativement moderne
-et nous paraît inadmissible, malgré l'autorité qui s'attache au
-nom des savants par lesquels elle a été acceptée de nos jours. Sur
-les représentations figurées, voir l'article <i>Argus</i>, dans le <i>Dictionnaire
-des antiquités grecques et romaines</i> de MM. Daremberg et Saglio.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_363" id="Note_363"></a><a href="#NoteRef_363"><span class="label">[3]</span></a> A. Kuhn, <i>Ueber Entwicklungstufen des Mythenbildung</i>, dans
-les <i>Abhandlungen</i> de l'Académie des sciences de Berlin pour 1873,
-p. 142.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="IX_4"></a>§ 4.<br />
-
-<i>Io et Bûar-ainech, Balar et Poseidaôn.</i></h3>
-
-<p>Chez le prince des tragiques d'Athènes, Argos ou
-Argus est le gardien d'Io, la vierge encornée<a name="NoteRef_364" id="NoteRef_364"></a><a href="#Note_364" class="fnanchor">[1]</a>,
-dont ailleurs Æschyle a aussi fait une vache<a name="NoteRef_365" id="NoteRef_365"></a><a href="#Note_365" class="fnanchor">[2]</a>, et
-dans laquelle les grammairiens grecs ont reconnu la
-<span class="pagenum"><a name="Page_203" id="Page_203">[Pg 203]</a></span>personnification de la lune. La nuit, personnifiée
-dans Argos, est le garde vigilant au soin duquel la
-lune, vache errante, est confiée. La légende celtique,
-comme la légende grecque, a fait de la lune un
-personnage cornu: c'est un homme, ou plutôt un
-dieu au visage de vache ou de taureau: <i>Bûar-ainech</i>.
-Le dieu celtique au visage de vache ou de taureau est
-identique à Io, la vierge encornée de la poésie tragique
-des Grecs; comme Io, <i>Bûar-ainech</i> est la lune
-divinisée, mais il n'est pas, comme Io, remis à la
-garde du dieu qui personnifie la nuit, c'est-à-dire de
-Balar, qui, en Irlande, est identique à l'Argos ou
-Argus des Grecs. Au lieu d'être, comme Argos, le
-gardien de la divinité cornue, Balar est le fils de
-ce dieu bizarre. Du dieu lunaire au visage de vache
-ou de taureau, <i>Bûar-ainech</i>, est né Balar, dieu de la
-nuit, mis à mort d'un coup de la pierre solaire par
-Lug, dieu du crépuscule dans la mythologie celtique,
-comme Hermès dans la mythologie grecque. Bûar-ainech,
-le dieu fomôré à tête de taureau, ne doit
-pas être séparé des dieux à tête de chèvre, <i>goborchind</i>,
-qu'un document cité plus haut associe aux
-Fomôré.</p>
-
-<p>Le texte qui nous apprend le nom de Bûar-ainech,
-père de Balar, nous dit que c'était Balar qui construisait
-les forts de Bress. On se rappelle ce que
-nous avons raconté de Bress, ce Fomôré, qui, après
-avoir été roi et tyran des Tûatha Dê Danann, c'est-à-dire
-des dieux solaires, fut plus tard détrôné par eux,
-et que Balar, cet autre ennemi des dieux solaires,
-<span class="pagenum"><a name="Page_204" id="Page_204">[Pg 204]</a></span>chercha vainement à replacer sur le trône, puisque
-ce fut en combattant pour Bress que Balar perdit la
-vie<a name="NoteRef_366" id="NoteRef_366"></a><a href="#Note_366" class="fnanchor">[3]</a>. Balar construisait les forts de Bress. Ainsi,
-dans la légende grecque, Poseidaôn, dieu de la mer,&mdash;ce
-dieu irrité dont l'implacable vengeance poursuit
-le dieu solaire Odusseus,&mdash;a bâti les murs de Troie,
-la ville ennemie<a name="NoteRef_367" id="NoteRef_367"></a><a href="#Note_367" class="fnanchor">[4]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_364" id="Note_364"></a><a href="#NoteRef_364"><span class="label">[1]</span></a> Βουκέρως παρθένος, Eschyle, <i>Prométhée enchaîné</i>, vers 588.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_365" id="Note_365"></a><a href="#NoteRef_365"><span class="label">[2]</span></a> Βοῦς, Eschyle, <i>Les Suppliantes</i>, vers 18, 275.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_366" id="Note_366"></a><a href="#NoteRef_366"><span class="label">[3]</span></a> «Balar, mac Buar-Ainic, rathoir Bressi.» Livre de Leinster,
-p. 50, col. 1, lignes 42, 43.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_367" id="Note_367"></a><a href="#NoteRef_367"><span class="label">[4]</span></a></p>
-<p class="poem">
-Ἤτοι ἐγὼ Τρώεσσι πόλιν πέρι τεῖχος ἔδειμα,<br />
-Εὐρύ τε καὶ μάλα καλὸν, ἵν᾽ ἄρρηκτος πόλις εἴη.
-</p>
-<p>
-<i>Iliade</i>, XXI, 446&ndash;447. Dans l'<i>Iliade</i>, VII, 452, 453, Poseidaôn a
-pour associé Phoibos; mais, au livre XXI, Phoibos était pâtre du
-roi de Troie, tandis que Poseidaôn était maçon au service de ce
-prince.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="IX_5"></a>§ 5.<br />
-
-<i>Lug, meurtrier de Balar, et le héros grec Bellérophontès.</i></h3>
-
-<p>Le phénomène météorique du lever du soleil, un
-de ceux qui ont inspiré la légende celtique du combat
-heureux de Lug contre Balar, c'est-à-dire du crépuscule
-contre la nuit, est aussi ce que l'imagination
-grecque a voulu représenter quand elle s'est
-figuré Hermès tuant Argos. Hermès vainqueur est
-comme Lug le crépuscule, Argos comme Balar est la
-nuit. Mais il y a un phénomène analogue au crépuscule
-matinal et au lever du soleil et que la mythologie
-confond souvent avec eux: c'est le triomphe
-<span class="pagenum"><a name="Page_205" id="Page_205">[Pg 205]</a></span>du soleil quand, après une tempête orageuse, cet
-astre perce le nuage et apparaît tout radieux dans
-le ciel. La légende de Bellérophon et de la Chimère
-nous offre une des formes mythologiques dont ce
-phénomène a été revêtu dans les monuments de
-l'art et de la littérature grecques.</p>
-
-<p>La Chimère, à la fois lion, serpent et chèvre, est
-un de ces monstres qui personnifient la tempête,
-l'obscurité que l'orage produit, le mal. Elle est de
-race divine, et, avec l'aide des dieux, un héros la
-tue. En souvenir de cette victoire, ce héros porte le
-surnom de Βελλερο-φόντης, ou meurtrier de Belléros;
-c'est-à-dire que le monstre, outre le nom de Chimère,
-portait celui de <i>Belléros. Belléros</i> est le même
-mot que Balar, nom du dieu des Fomôré tué par
-Lug à la bataille de Mag-Tured. <i>Belléros</i>, en grec,
-est dérivé de la même racine que le verbe βάλλω, «je
-lance,» et que le substantif βέλος, «trait, javelot.»</p>
-
-<p>Que lançait le monstre de la mythologie grecque,
-Chimère ou <i>Belléros</i>? Un jet terrible de feu ardent<a name="NoteRef_368" id="NoteRef_368"></a><a href="#Note_368" class="fnanchor">[1]</a>.
-C'est la foudre. Dans le mythe irlandais, le regard
-que l'œil habituellement fermé de Balar jette sur
-ses ennemis, et qui les tue, est aussi la foudre. La
-foudre est un œil ordinairement fermé qui s'ouvre
-pendant l'orage et dont le regard précipite les hommes
-dans la nuit de la mort<a name="NoteRef_369" id="NoteRef_369"></a><a href="#Note_369" class="fnanchor">[2]</a>, tandis que le soleil
-<span class="pagenum"><a name="Page_206" id="Page_206">[Pg 206]</a></span>est un œil ouvert tout le jour et qui répand la vie
-sur les êtres animés. Voilà comment, dans la légende
-irlandaise, Balar est dieu de la foudre en même temps
-que de la nuit. Les deux fables, l'une grecque,
-l'autre celtique, qui racontent l'une la mort de Balar
-tué par Lug, l'autre celle de la Chimère tuée par
-Βελλερο-φόντης , proviennent d'un fonds commun; et
-un hasard étrange a gardé, dans le récit irlandais,
-le nom de Balar identique à Belléros, que les poèmes
-d'Homère<a name="NoteRef_370" id="NoteRef_370"></a><a href="#Note_370" class="fnanchor">[3]</a> et d'Hésiode<a name="NoteRef_371" id="NoteRef_371"></a><a href="#Note_371" class="fnanchor">[4]</a> nous ont conservé dans
-le composé Βελλερο-φόντης , en français Bellérophon,
-«meurtrier de Belléros,» et qu'on retrouve sous
-cette forme dans beaucoup d'autres monuments de
-la littérature grecque<a name="NoteRef_372" id="NoteRef_372"></a><a href="#Note_372" class="fnanchor">[5]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_368" id="Note_368"></a><a href="#NoteRef_368"><span class="label">[1]</span></a> «Δεινὸν ἀποπνείουσα πυρὸς μένος αἰθομἐνοιο,» <i>Iliade</i>, livre VI,
-vers 182.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_369" id="Note_369"></a><a href="#NoteRef_369"><span class="label">[2]</span></a> Voyez James Darmesteter, <i>Ormazd et Ahriman</i>, p. 122.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_370" id="Note_370"></a><a href="#NoteRef_370"><span class="label">[3]</span></a> Sur Bellérophon et la Chimère, voyez <i>Iliade</i>, livre VI, vers
-155&ndash;183.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_371" id="Note_371"></a><a href="#NoteRef_371"><span class="label">[4]</span></a> Hésiode, <i>Théogonie</i>, vers 325.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_372" id="Note_372"></a><a href="#NoteRef_372"><span class="label">[5]</span></a> Voyez, dans le <i>Dictionnaire des antiquités</i> de MM. Daremberg
-et Saglio, les articles <i>Bellérophon et Chimæra</i>.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="IX_6"></a>§ 6.<br />
-
-<i>Lug et le héros grec Persée.</i></h3>
-
-<p>C'est sur un thème identique qu'a été brodée la
-fable grecque de Persée et de Méduse. Persée, en
-grec Perseus, est un doublet de Bellérophon, en
-grec <i>Bellérophontès</i>. Il tue Méduse, comme Bellérophon
-tue la Chimère, ou tue <i>Belléros</i>; comme Lug
-tue Balar. Méduse elle-même est un doublet de la
-<span class="pagenum"><a name="Page_207" id="Page_207">[Pg 207]</a></span>Chimère. La Chimère est un monstre, à la fois serpent,
-chèvre et lion; elle exhale un feu qui ôte la
-vie. Méduse est une femme ailée dont les cheveux
-sont des serpents; elle déteste les hommes; quiconque
-fixe les yeux sur elle expire à l'instant<a name="NoteRef_373" id="NoteRef_373"></a><a href="#Note_373" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>Le <i>Prométhée enchaîné</i> d'Eschyle, qui, sur la
-puissance redoutable de Méduse, nous donne ce
-détail terrible, a été représenté à Athènes pour la
-première fois vers le milieu du cinquième siècle
-avant notre ère. On ne pouvait, disait-on alors en
-Grèce, on ne pouvait regarder Méduse sans perdre
-la vie. Il y a là emploi de l'actif pour le passif: dans
-la doctrine primitive, c'était le regard de Méduse qui
-tuait, comme, dans la mythologie irlandaise, le
-regard de Balar, qui est une poétique image de la
-foudre.</p>
-
-<p>Persée, qui tua Méduse, est déjà connu d'Homère
-et d'Hésiode<a name="NoteRef_374" id="NoteRef_374"></a><a href="#Note_374" class="fnanchor">[2]</a>; mais pour trouver, le récit complet
-de sa légende, il faut consulter les mythographes
-postérieurs. Persée, qui devait un jour, comme Lug,
-mettre à mort son grand-père, est, par Danaé, petit-fils
-d'Acrisios, roi d'Argos. Un oracle a prévenu
-Acrisios que son petit-fils le tuera. Pour être sûr de
-n'avoir pas de petit-fils, le roi enferme Danaé, sa
-fille, dans une chambre souterraine dont les murailles
-sont reliées avec de l'airain.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_208" id="Page_208">[Pg 208]</a></span>Vains efforts! Danaé est rendue grosse par le
-mortel Proitos, suivant quelques-uns; par le grand
-dieu Zeus, disent les textes les plus anciens<a name="NoteRef_375" id="NoteRef_375"></a><a href="#Note_375" class="fnanchor">[3]</a>. Elle
-accouche d'un enfant mâle, qui sera le héros Persée.
-Acrisios la fait enfermer avec son fils dans un
-coffre, que, sur son ordre, on jette à la mer. Les
-flots transportent le coffre à Sériphe, où Danaé et
-Persée arrivent vivants. Persée, parvenu à l'âge
-d'homme, accomplit de nombreux exploits, parmi
-lesquels on compte le meurtre de Méduse; puis la
-fatalité lui fait tuer Acrisios, son grand-père<a name="NoteRef_376" id="NoteRef_376"></a><a href="#Note_376" class="fnanchor">[4]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_373" id="Note_373"></a><a href="#NoteRef_373"><span class="label">[1]</span></a> Eschyle, <i>Prométhée</i>, vers 798&ndash;800, de l'édition Didot. Cf. Hésiode,
-<i>Théogonie</i>, vers 274&ndash;280.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_374" id="Note_374"></a><a href="#NoteRef_374"><span class="label">[2]</span></a> <i>Iliade</i>, livre XIV, vers 319, 320. <i>Bouclier d'Héraclès</i>, vers 223
-et suivants.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_375" id="Note_375"></a><a href="#NoteRef_375"><span class="label">[3]</span></a> <i>Iliade</i>, livre XIV, vers 313&ndash;320. Hérodote, VII, 61. Voir aussi
-le passage de Sophocle cité plus bas.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_376" id="Note_376"></a><a href="#NoteRef_376"><span class="label">[4]</span></a> Apollodore, livre II, chap. <span class="smcap">iv</span>. Cet auteur écrivait au second
-siècle avant notre ère. Mais il y a, sur certains détails, des témoignages
-plus anciens: tels sont les vers de Simonide sur le voyage
-de Danaé dans son coffre sur la mer. Bergk, <i>Anthologia lyrica</i>, editio
-altera, p. 444. Tel est aussi le passage de l'<i>Antigone</i> de Sophocle,
-vers 944&ndash;950, où il est question de la prison de Danaé et de la pluie
-d'or de Zeus qui l'avait rendue mère. Simonide, le premier de ces
-deux auteurs, mourut l'an 468 avant notre ère; Sophocle, le second,
-termina sa carrière en 406.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="IX_7"></a>§ 7.<br />
-
-<i>Le Balar populaire de l'Irlande, aujourd'hui Balor.
-Balor et Acrisios; Ethné, fille de Balor, et Danaé,
-fille d'Acrisios. Les trois frères irlandais et le triple
-Géryon; leur vache et le troupeau de Géryon ou de
-Cacus; le fils de Gavida et Persée.</i></h3>
-
-<p>Les traits fondamentaux de la légende de Persée
-<span class="pagenum"><a name="Page_209" id="Page_209">[Pg 209]</a></span>se trouvent dans un conte irlandais, recueilli en ce
-siècle même de la bouche du peuple, et où le grand-père
-tué, comme Acrisios, par son petit-fils, est le
-dieu fomôré Balar.</p>
-
-<p>Le nom de ce personnage, nous raconte O'Donovan,
-vit encore dans la tradition de toute
-l'Irlande; et dans certaines parties de cette île, ce
-nom, autrefois écrit Balar Balcbeimnech, «Balar
-aux coups puissants,» aujourd'hui Balor Bêimeann,
-«Balor des coups,» est la terreur des petits enfants.
-C'était un guerrier qui habitait l'île de Tory,
-anciennement Torinis. Cette île est située dans
-l'océan Atlantique, au nord-ouest, mais à peu de
-distance de l'Irlande. C'est là que les Irlandais
-évhéméristes ont autrefois placé la résidence des
-Fomôré adversaires de la race de Némed, et cette
-tour de Conann à la prise de laquelle cette race fut
-anéantie. Ainsi, comme le redoutable Conann des
-manuscrits épiques, le Balar ou plus exactement le
-Balor populaire demeurait à Tory.</p>
-
-<p>Il avait un œil au milieu du front, un autre derrière
-la tête. Le regard de ce dernier œil donnait la
-mort. Balor le tenait constamment caché; il ne le
-découvrait que lorsqu'il voulait se débarrasser d'un
-ennemi. De là, en Irlande, l'expression toujours reçue
-d'«œil de Balor,» <i>suil Baloir</i>, pour dire ce que
-nous appelons en français «le mauvais œil.» C'est
-l'œil dont le regard, dans le récit de la bataille de
-Mag-Tured, frappe à mort Nûadu, roi des Tûatha
-Dê Danann.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_210" id="Page_210">[Pg 210]</a></span>Un druide avait prédit à Balor qu'il serait tué par
-son petit-fils. Ici, le druide joue le même rôle que
-l'oracle dans la légende grecque d'Acrisios et de Perseus.
-Balor, comme Acrisios, n'avait qu'une fille;
-elle s'appelait Ethné, ou, pour donner à ce mot
-son orthographe ancienne, <i>Ethniu</i>, au génitif <i>Ethnenn</i>.
-C'est le nom que porte, au onzième siècle,
-la fille de Balar, dans le Livre des Conquêtes. Nous
-voyons qu'il est resté vivant dans la tradition populaire.
-En Grèce, Ethné s'appelait Danaé.</p>
-
-<p>Balor, voulant donner un démenti à la prédiction
-du druide, et n'être pas tué par son petit-fils, résolut
-de faire en sorte de n'avoir pas de petit-fils. Il enferma
-sa fille dans une tour imprenable, bâtie sur
-le sommet d'un rocher presque inaccessible, qui
-élève sa tête jusqu'aux nues, et qui a le pied battu
-par les flots, sur la côte orientale de l'île de Tory.
-On montre encore aujourd'hui ce rocher aux curieux,
-et on l'appelle la grande Tour, <i>Tor môr</i>. Ce fut là que
-Balor relégua la belle Ethné. Il lui donna pour compagnes
-et pour gardiennes douze femmes qui avaient
-mission de ne laisser aucun homme pénétrer près
-d'elle, et de faire en sorte qu'elle ne se doutât jamais
-qu'il existât des hommes en ce monde.</p>
-
-<p>Ethné resta longtemps prisonnière. Elle devint une
-femme d'une beauté accomplie; et, fidèles à leur
-consigne, ses compagnes ne parlaient jamais d'hommes
-en sa présence. Cependant Ethné du haut de sa
-tour voyait souvent des bateaux passer. Elle remarquait
-que ces bateaux étaient conduits par des êtres
-<span class="pagenum"><a name="Page_211" id="Page_211">[Pg 211]</a></span>humains qui n'avaient pas tout à fait le même aspect
-que les femmes, dont elle était entourée. Il y avait
-là pour elle un mystère dont elle demanda souvent
-l'explication. Mais ses discrètes compagnes refusèrent
-toujours de la lui donner.</p>
-
-<p>Jusqu'ici la tradition populaire irlandaise est d'accord
-avec la légende grecque d'Acrisios et de Perseus
-et avec le récit que nous offre, au onzième siècle, la
-tradition savante irlandaise conservée par le Livre
-des conquêtes. La tour où, dit-on, Ethné fut enfermée
-par son père, sur les côtes d'Irlande, est
-identique aux salles dont les murailles étaient consolidées
-par des liens d'airain<a name="NoteRef_377" id="NoteRef_377"></a><a href="#Note_377" class="fnanchor">[1]</a> et où, suivant le
-récit grec, le roi d'Argos retint prisonnière Danaé,
-sa fille. Mais au point où nous sommes arrivés, on
-trouve intercalé dans le conte que le peuple irlandais
-répète une légende originairement étrangère à ce
-conte; cette légende est celle qui a donné à la mythologie
-grecque le combat d'Héraclès contre Géryon
-au triple corps.</p>
-
-<p>On sait que Géryon est un personnage à trois
-têtes<a name="NoteRef_378" id="NoteRef_378"></a><a href="#Note_378" class="fnanchor">[2]</a> et même à trois corps<a name="NoteRef_379" id="NoteRef_379"></a><a href="#Note_379" class="fnanchor">[3]</a>, qui avait un troupeau
-de vaches. Il habitait avec ce troupeau dans une
-île au delà de l'Océan. Il tenait ses vaches enfermées
-<span class="pagenum"><a name="Page_212" id="Page_212">[Pg 212]</a></span>dans une étable obscure. Héraclès le vainquit et
-emmena les vaches<a name="NoteRef_380" id="NoteRef_380"></a><a href="#Note_380" class="fnanchor">[4]</a>. Héraclès est une personnification
-du soleil, les vaches sont les rayons de
-cet astre, gardés dans l'obscurité par le dieu de la
-nuit, et délivrés le matin par le dieu solaire, quand
-l'astre du jour, jusque-là momentanément privé de
-son éclat diurne, est sur le point de s'élever lumineux
-au-dessus de l'horizon<a name="NoteRef_381" id="NoteRef_381"></a><a href="#Note_381" class="fnanchor">[5]</a>. La fable d'Héraclès et de
-Géryon appartient à la mythologie latine comme à la
-mythologie grecque, et dans la rédaction latine de
-cette fable Géryon s'appelle Cacus. Mais revenons à
-la légende irlandaise.</p>
-
-<p>Dans le conte populaire irlandais, Balor a été jusqu'ici,
-conformément à la tradition antique, une
-personnification de la nuit; maintenant, par une de
-ces altérations fréquentes dans les littératures populaires
-modernes, il va pour quelque temps se confondre
-avec le dieu du jour, et jouer le rôle du dieu
-grec Héraclès.</p>
-
-<p>Sur la côte d'Irlande, située en face de l'île, vivaient
-ensemble trois frères, Gavida, Mac-Samhthainn et
-Mac-Kineely, dont le premier était forgeron, et dont
-le troisième avait une vache qu'on appelait <i>Glas
-Gaivlen</i><a name="NoteRef_382" id="NoteRef_382"></a><a href="#Note_382" class="fnanchor">[6]</a>, c'est-à-dire la vache «bleue du forgeron.»
-Son lait était si abondant que tous les voisins
-en étaient jaloux. On essaya nombre de fois de la
-<span class="pagenum"><a name="Page_213" id="Page_213">[Pg 213]</a></span>voler, et sa garde exigeait une attention continuelle.</p>
-
-<p>Nous n'avons pas de peine à reconnaître dans les
-trois frères le triple Géryon, dont les vaches sont ici
-réduites à une, mais par compensation elle produit
-une quantité de lait prodigieuse. Balor voulut s'emparer
-de cette vache merveilleuse; jusque-là il s'était
-illustré par de nombreux exploits, il avait pris beaucoup
-de vaisseaux, il avait jeté dans les chaînes bien
-des guerriers vaincus, ses expéditions en Irlande,
-sur la côte voisine de son île, lui avaient procuré
-un butin abondant. Mais un bonheur lui manquait:
-c'était de posséder la <i>Glas Gaivlen</i>, la vache bleue
-du forgeron.</p>
-
-<p>Pour s'en emparer, il recourut à la ruse. Il se
-rendit à la forge dans un moment où la vache s'y
-trouvait sous la garde d'un des trois frères. Celui-ci
-eut l'imprudence de donner sa confiance à Balar, en
-laissant le licou de la précieuse vache entre les mains
-de cet ambitieux sans scrupule, qui, avec la rapidité
-de l'éclair, tirant la vache par la queue, regagna son
-île. Il y entra par le port qu'on appelle aujourd'hui
-<i>Port na Glaise</i>, «le port de la Bleue.» Il y a dans ce
-récit un trait qui appartient à la légende romaine de
-Cacus. Cacus, doublet de Géryon, tire les vaches
-d'Héraclès par la queue<a name="NoteRef_383" id="NoteRef_383"></a><a href="#Note_383" class="fnanchor">[7]</a>.</p>
-
-<p>Mac Kineely, le propriétaire de la vache, voulut
-<span class="pagenum"><a name="Page_214" id="Page_214">[Pg 214]</a></span>se venger de Balor. Guidé par les conseils d'un
-druide et d'une fée, il se déguisa en femme, et la fée
-le transporta sur les ailes de la tempête au delà du
-détroit qui séparait son habitation de l'île où résidait
-Balor. La fée s'arrêta avec lui sur le sommet du
-rocher où s'élevait la tour qui servait de prison à la
-fille de Balor, à la belle Ethné. Elle frappa à la porte.&mdash;«Je
-suis,» dit-elle, «accompagnée d'une noble
-dame, et je viens de l'arracher des mains d'un
-homme aussi cruel qu'audacieux qui l'avait enlevée
-à sa famille. Je viens vous demander asile pour elle.»&mdash;Les
-gardiennes d'Ethné n'osèrent rejeter la prière
-de la fée. Celle-ci entra dans la tour avec Mac Kineely,
-et fit tomber les douze matrones dans un sommeil
-magique. Quand elles se réveillèrent, la fée et sa
-prétendue compagne avaient disparu. La fée, s'enlevant
-dans les airs avec Mac Kineely, l'avait transporté
-hors de l'île, sur la côte opposée, par la route aérienne
-qui l'avait amenée. Ainsi les douze matrones, à leur
-réveil, trouvèrent Ethné seule; mais, comme Danaé,
-Ethné était grosse.</p>
-
-<p>Ses gardiennes lui dirent que la visite de la fée et
-de sa compagne n'était qu'un rêve, et lui recommandèrent
-de n'en jamais parler à Balar. Mais en dépit
-de ces recommandations, la fin du neuvième mois
-arriva. Ethné accoucha; et, par un phénomène dont
-les exemples sont rares, elle eut trois fils. On ne put
-le cacher à Balar, qui s'empara des enfants, les fit
-envelopper tous les trois dans un drap attaché par
-une épingle, et les envoya jeter dans un gouffre de
-<span class="pagenum"><a name="Page_215" id="Page_215">[Pg 215]</a></span>la mer. La personne à laquelle était confiée cette
-mission dut, pour atteindre le but de son voyage,
-traverser un petit golfe. Au moment où elle se trouvait
-sur ce golfe, l'épingle se détacha du drap et
-tomba dans l'eau avec un des enfants. Lorsque le
-porteur du fardeau arriva au gouffre, il n'y avait plus
-que deux enfants dans le drap. Il les noya et revint
-près de Balar, qui crut exécuté complètement l'ordre
-cruel qu'il avait donné.</p>
-
-<p>Qu'était devenu l'enfant tombé dans le golfe?
-Avant de répondre à cette question, nous dirons
-qu'on montre encore aujourd'hui l'endroit où cet
-accident s'est, dit-on, produit, et qu'on l'appelle le
-«Port de l'Epingle,» <i>Port-a-Deilg</i>. Quand l'épingle
-s'était détachée et que l'enfant était tombé, la fée à
-laquelle il devait la naissance se trouvait là, invisible;
-elle prit l'enfant dans ses bras, elle s'éleva dans
-les airs, et, traversant le détroit, elle gagna la côte
-irlandaise et la demeure de Mac Kineel; elle lui
-remit le nouveau né en lui apprenant que c'était
-son fils. Mac Kineely le confia à son frère Gavida, le
-forgeron. Gavida l'éleva et lui apprit son métier.</p>
-
-<p>Cependant Balor croyait avoir triomphé de la destinée;
-mais il n'avait pas pardonné l'injure faite à
-sa fille et qui rejaillissait sur lui. Il apprit de son
-druide le nom du coupable; il résolut de se venger.
-Un jour, il traversa le détroit avec une troupe de
-guerriers, et il surprit Mac Kineely. Il le saisit par
-les cheveux, tandis que d'autres guerriers saisissaient
-les pieds et les mains du malheureux sans
-<span class="pagenum"><a name="Page_216" id="Page_216">[Pg 216]</a></span>défense. Mac Kineely, étendu sur une pierre blanche,
-eut la tête tranchée par Balor. Son sang coula sur
-la pierre et y traça des veines rouges qu'on montre
-aux curieux qui sont encore aujourd'hui, disent les
-paysans irlandais, d'irrécusables témoins de ce lugubre
-et antique événement. On l'appelle pierre de
-Neely, par abréviation pour pierre de Kineely. Elle
-donne son nom à deux paroisses, et, en 1794, un
-antiquaire du pays, sans la changer de place, l'a
-fait élever sur un pilier haut de seize pieds. Elle
-était à ses yeux un des plus respectables et des plus
-sérieux monuments de l'histoire irlandaise.</p>
-
-<p>Mais revenons à Balor. La mort de Mac Kineely
-avait effacé de son esprit toute trace du chagrin
-causé par l'accouchement d'Ethné. Son bonheur était
-complet, ses espérances sans nuage. Gavida, frère
-du malheureux Mac Kineely, était devenu son forgeron.
-Balor ne savait pas qu'un des trois fils
-d'Ethné avait échappé à la mort, et que ce fils était
-le jeune ouvrier qui servait d'aide à Gavida. Il fallait
-bien que la prophétie du druide s'accomplît: c'était ce
-jeune homme qui devait la réaliser en ôtant la vie
-à son grand-père. Ce que Balor ignorait, le jeune
-homme le savait bien. Il savait qu'il était fils de
-Mac Kineely; il savait que Mac Kineely avait péri
-par la main de Balor. Souvent il allait se promener
-dans l'endroit où le meurtre avait été commis; il
-regardait la pierre teinte du sang de son père; il sentait
-couler des larmes, et ne rentrait à la maison
-qu'après avoir juré de le venger.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_217" id="Page_217">[Pg 217]</a></span>Un jour, Balor vint à la forge. Gavida était absent;
-le jeune ouvrier s'y trouvait seul. Balor se mit à
-causer avec lui. Il lui raconta ses exploits, sans
-oublier de mentionner le meurtre de Mac Kineely.
-Il se vanta de ce meurtre comme d'un des hauts
-faits dont il pouvait tirer le plus d'honneur. C'était
-le moment fixé pour la vengeance par les décrets
-du destin. Le jeune forgeron sentit le sang de son
-père bouillonner dans ses veines. Il était auprès de
-sa forge, où des barres de fer rougissaient, attendant
-le coup du marteau. Il en saisit une, et, frappant
-Balor par derrière, fit pénétrer le fer brûlant
-dans l'œil magique ordinairement fermé, qui ne pouvait
-s'ouvrir sans ôter la vie aux infortunés que son
-regard atteignait. Balor tomba; il était mort. Ainsi
-qu'en Grèce Persée avait tué Acrisios, son aïeul, le
-jeune forgeron irlandais avait tué son grand-père;
-l'événement avait justifié la prophétie du druide en
-Irlande; comme la prédiction de l'oracle en Grèce;
-et de plus, en Irlande, la justice était satisfaite: le
-crime commis par Balor en tuant Mac Kineely avait
-été puni d'un légitime châtiment<a name="NoteRef_384" id="NoteRef_384"></a><a href="#Note_384" class="fnanchor">[8]</a>.</p>
-
-<p>La tradition qui a conservé ce conte a, comme on
-le voit, gardé deux des noms propres contenus
-dans les monuments du onzième siècle: ce sont les
-noms de Balar, aujourd'hui Balor, et de sa fille
-<span class="pagenum"><a name="Page_218" id="Page_218">[Pg 218]</a></span>Ethniu, aujourd'hui Ethné. Mais il semble que les
-conteurs populaires ont oublié comment s'appelait
-le jeune meurtrier de Balor. Nous avons vu que ce
-meurtrier est Lug, l'Hermès grec, le Mercure gréco-romain,
-un des Tûatha Dê Danann.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_377" id="Note_377"></a><a href="#NoteRef_377"><span class="label">[1]</span></a> Χαλκοδέτοις αὐλαῖς. Sophocle, <i>Antigone</i>, vers 945.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_378" id="Note_378"></a><a href="#NoteRef_378"><span class="label">[2]</span></a> Τρικάρηνος. Hésiode, <i>Théogonie</i>, vers 287.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_379" id="Note_379"></a><a href="#NoteRef_379"><span class="label">[3]</span></a> Τρισώματος. Eschyle, <i>Agamemnon</i>, vers 870. Suivant Apollodore,
-<i>Bibliothèque</i>, livre II, chapitre <span class="smcap">v</span>, section 10, § 2, ces corps
-auraient été réunis par le milieu et n'auraient eu à eux trois qu'un
-seul ventre. <i>Fragmenta historicorum græcorum</i>, tome I, p. 140.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_380" id="Note_380"></a><a href="#NoteRef_380"><span class="label">[4]</span></a> Hésiode, <i>Théogonie</i>, vers 287&ndash;294.</p></div>
-
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_381" id="Note_381"></a><a href="#NoteRef_381"><span class="label">[5]</span></a> Bréal, <i>Mélanges de mythologie et de linguistique</i>, p. 65 et suiv.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_382" id="Note_382"></a><a href="#NoteRef_382"><span class="label">[6]</span></a> Mieux <i>Glas Goibhnenn</i>.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_383" id="Note_383"></a><a href="#NoteRef_383"><span class="label">[7]</span></a></p>
-<p class="poem">
-«Cauda in speluncam tractos, versisque viarum<br />
-Indiciis raptos, saxo occultabat opaco.»<br />
-<span style="margin-left: 12em;"><i>Enéide</i>, livre VIII, vers 210&ndash;211.</span></p>
-</div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_384" id="Note_384"></a><a href="#NoteRef_384"><span class="label">[8]</span></a> Ce récit légendaire a été recueilli par O'Donovan dans la tradition
-populaire, et il l'a donné en note dans son édition des <i>Annales
-des Quatre Maîtres</i>, 1851, tome I, p. 18&ndash;21.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="IX_8"></a>§ 8.<br />
-<i>Les trois ouvriers des Tûatha Dê Danann et les trois
-Cyclopes de Zeus chez Hésiode.</i></h3>
-
-<p>
-Gavida le forgeron et ses deux frères forment une
-triade dont l'origine se trouve dans un détail de la
-seconde bataille de Mag-Tured. On se rappelle les
-trois ouvriers qui fabriquaient les armes des Tûatha
-Dê Danann et dont l'habileté fut une des causes de
-la défaite des Fomôré. Le premier était Goibniu,
-forgeron; son nom dérive du vieil irlandais <i>goba</i>
-(au génitif <i>gobann</i>), «forgeron,» qui se prononce
-aujourd'hui <i>gava</i>; de là le dérivé moderne <i>Gavida</i>
-de la légende populaire. Ces trois ouvriers associés
-à la victoire des dieux du jour et de la vie, en irlandais
-Tûatha Dê Danann, contre les dieux de la
-nuit et de la mort, en irlandais Fomôré, sont identiques
-aux trois Cyclopes, Brontès, Stéropès et Argès,
-au courage puissant, qui donnèrent à Zeus le
-tonnerre et qui fabriquèrent la foudre<a name="NoteRef_385" id="NoteRef_385"></a><a href="#Note_385" class="fnanchor">[1]</a>, c'est-à-dire
-les traits qui ont assuré la victoire du dieu
-<span class="pagenum"><a name="Page_219" id="Page_219">[Pg 219]</a></span>solaire Zeus dans son combat contre les dieux de la
-mort et de la nuit, que les Grecs appellent Titans<a name="NoteRef_386" id="NoteRef_386"></a><a href="#Note_386" class="fnanchor">[2]</a>.
-On n'a pas oublié par quels procédés merveilleux,
-pendant la bataille de Mag-Tured, Goibniu
-et ses deux compagnons fabriquaient les lances dont
-les Tûatha Dê Danann vainqueurs perçaient les Fomôré,
-leurs ennemis malheureux<a name="NoteRef_387" id="NoteRef_387"></a><a href="#Note_387" class="fnanchor">[3]</a>.
-</p>
-<p>
-Dans le conte populaire, le forgeron Gavida et ses
-deux frères sont opposés à Balor ou Balar, le guerrier
-fomôré, et c'est de la forge de Gavida qu'est tirée la
-barre de fer rouge dont Balor est mortellement frappé.
-Il y a là un fonds de traditions communes et une
-théorie dualiste en général plus développée en Irlande
-qu'en Grèce. Quelquefois cependant le contraire a
-lieu: ainsi, nous ne retrouvons pas en Irlande le
-doublet grec des Cyclopes, c'est-à-dire que nous n'y
-rencontrons pas Kottos, Obriareôs et Gyès, ces trois
-guerriers aux cent bras, dont le concours contribue
-chez Hésiode à la victoire de Zeus contre les Titans<a name="NoteRef_388" id="NoteRef_388"></a><a href="#Note_388" class="fnanchor">[4]</a>.
-</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_385" id="Note_385"></a><a href="#NoteRef_385"><span class="label">[1]</span></a> Hésiode, <i>Théogonie</i>, vers 139&ndash;141. Cf. <i>ibidem</i>, vers 504, 505.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_386" id="Note_386"></a><a href="#NoteRef_386"><span class="label">[2]</span></a> Le tonnerre et la foudre sont appelés les traits, κῆλα, de Zeus
-aux vers 707 et 708 de la <i>Théogonie</i> d'Hésiode, qui font partie du
-récit de la bataille livrée par Zeus aux Titans.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_387" id="Note_387"></a><a href="#NoteRef_387"><span class="label">[3]</span></a> Voir plus haut, <a href="#Page_181">p. 181</a>.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_388" id="Note_388"></a><a href="#NoteRef_388"><span class="label">[4]</span></a> Hésiode, <i>Théogonie</i>, vers 147&ndash;159, 618&ndash;628, 644&ndash;663, 669&ndash;675,
-713&ndash;718, 734, 735, 815&ndash;819. Sur Obriareôs, aussi appelé Briareôs,
-voyez aussi l'<i>Iliade</i>, livre I, vers 401&ndash;407.</p></div>
-
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_220" id="Page_220">[Pg 220]</a></span></p>
-
-<h2>CHAPITRE X.<br />
-
-LA RACE DE MILÉ.</h2>
-
-<p>
-<a href="#X_1">§1</a>. Les chefs des Tûatha Dê Danann changés au onzième siècle
-en hommes et en rois. Chronologie de Gilla Coemain et des Quatre
-Maîtres.&mdash;<a href="#X_2">§2</a>. Milé et Bilé, ancêtres de la race celtique.&mdash;<a href="#X_3">§3</a>.
-La doctrine qui fait arriver les Irlandais d'Espagne et qui leur
-donne pour pays d'origine la Scythie et l'Egypte.&mdash;<a href="#X_4">§4</a>. Ith et la
-tour de Brégon.&mdash;<a href="#X_5">§5</a>. L'Espagne et l'île de Bretagne confondues
-avec le pays des morts.&mdash;<a href="#X_6">§6</a>. Expédition d'Ith en Irlande.&mdash;<a href="#X_7">§7</a>.
-La mythologie irlandaise et la mythologie grecque. Ith et
-Prométhée.
-</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="X_1"></a>§ 1.<br />
-
-<i>Les chefs des Tûatha Dê Danann changés au onzième
-siècle en hommes et en rois. Chronologie de Gilla
-Coemain et des Quatre Maîtres.</i></h3>
-
-<p>
-Si nous en croyons le poème chronologique composé
-vers le milieu du onzième siècle par Gilla
-Coemain, qui mourut en 1072, les Tûatha Dê Danann
-furent maîtres de l'Irlande, après la seconde
-bataille de Mag-Tured, pendant cent soixante neuf
-<span class="pagenum"><a name="Page_221" id="Page_221">[Pg 221]</a></span>ans qui, suivant les calculs des <i>Quatre Maîtres</i>, savants
-irlandais du dix-septième siècle, commencent
-l'an 1869 et finissent l'an 1700 avant J.-C. Lug fut
-leur premier roi et régna quarante ans; Dagdé ensuite
-occupa le trône pendant quatre-vingts ans, puis
-Delbaeth dix ans, Fiachach Findgil, fils de Delbaeth,
-dix autres années. Enfin les trois petits-fils de Dagdé,
-savoir: Mac Cuill, Mac Cecht et Mac Grêné, s'étant
-partagé l'Irlande, possédèrent en même temps la
-royauté pendant vingt-neuf ans, jusqu'à l'arrivée des
-fils de Milé, qui les mirent à mort et firent la conquête
-de l'Irlande<a name="NoteRef_389" id="NoteRef_389"></a><a href="#Note_389" class="fnanchor">[1]</a>.
-</p>
-<p>
-C'est probablement Gilla Coemain qui est l'auteur
-de cette chronologie. En tout cas, elle paraît avoir
-été inventée de son temps, et c'est elle que nous
-trouvons dans le <i>Livre des conquêtes</i><a name="NoteRef_390" id="NoteRef_390"></a><a href="#Note_390" class="fnanchor">[2]</a>. Elle est une
-conséquence logique de la thèse professée quelques
-années auparavant par le moine Flann Manistrech.
-Ce personnage, qui mourut abbé en 1056, écrivit en
-vers irlandais un poème didactique où il fait mourir,
-comme de simples humains, les Tûatha Dê Danann,
-immortels jusque-là.
-</p>
-<p>
-Il y raconte, par exemple, par qui fut tué Lug<a name="NoteRef_391" id="NoteRef_391"></a><a href="#Note_391" class="fnanchor">[3]</a>.
-Suivant lui aussi, Dagdé mourut des blessures qu'une
-femme nommée Cetnenn lui avait faites d'un coup de
-javelot à la bataille de Mag-Tured<a name="NoteRef_392" id="NoteRef_392"></a><a href="#Note_392" class="fnanchor">[4]</a>. Il n'avait pas
-<span class="pagenum"><a name="Page_222" id="Page_222">[Pg 222]</a></span>été question de Cetnenn avant que Flann Manistrech
-composât son poème: on avait seulement parlé de
-Lug, fils d'Ethniu, en vieil irlandais <i>Lug macc
-Ethnenn</i>; en vieil irlandais <i>mac</i>, fils, s'écrit avec
-deux c: <i>macc</i>. <i>Ethnenn</i> est le génitif d'<i>Ethniu</i>, nom
-de femme; et comme en vieil irlandais le composé
-syntactique <i>macc Ethnenn</i> s'écrivait sans diviser les
-deux mots, c'est d'une mauvaise division de ce
-composé qu'est résulté le nom propre <i>Cetnen</i>. On a
-lu <i>mac-Cethnenn</i>, au lieu de <i>macc Ethnenn</i>. De là
-l'origine de Cetnen qui aurait blessé mortellement
-Dagdé, si nous en croyons Flann Manistrech.
-</p>
-<p>
-Flann Manistrech a, de même, raconté la mort de
-Delbaeth et celle de son fils<a name="NoteRef_393" id="NoteRef_393"></a><a href="#Note_393" class="fnanchor">[5]</a>. Il avait changé en
-hommes tous ces personnages divins. Le plus ancien
-auteur qui paraisse les avoir chacun investi de
-la royauté pendant un temps déterminé est Gilla
-Coemain, qui mourut seize ans après Flann Manistrech.
-Par là Gilla Coemain a donné une base au
-système chronologique nouveau par lequel se conclut
-l'évolution progressive qui a transformé la mythologie
-irlandaise en un récit historique conforme
-aux méthodes monastiques du moyen âge. Cependant,
-à la fin du onzième siècle, ces doctrines, alors tout
-récemment mises au jour, n'étaient pas universellement
-<span class="pagenum"><a name="Page_223" id="Page_223">[Pg 223]</a></span>admises par les érudits qu'abritaient les monastères
-irlandais, et une science plus saine y a fait
-alors entendre une protestation dont l'écho est arrivé
-jusqu'à nous.
-</p>
-<p>
-Pour l'annaliste Tigernach, mort en 1088, c'est-à-dire
-seize ans après Gilla Coemain, les dates accumulées
-par ce fondateur de la chronologie préhistorique
-de l'Irlande étaient encore sans valeur; et il n'y
-avait pas de dates certaines dans l'histoire d'Irlande
-avant l'an 305 avant J.-C., où Cimbaed, fils de Fintan,
-devint roi d'Emain<a name="NoteRef_394" id="NoteRef_394"></a><a href="#Note_394" class="fnanchor">[6]</a>. Nous sommes bien loin de
-l'année 1700 avant notre ère où aurait fini la domination
-des Tûatha Dê Danann. Les dates dont fourmillent
-les monuments de la mythologie irlandaise
-n'ont pas été puisées dans la tradition. Gilla Coemain
-est même vraisemblablement le premier qui ait
-imaginé une liste de rois de la race des Tûatha Dê
-Danann. Sa doctrine, sur ce point, est étrangère
-aux idées que les Irlandais païens se faisaient de
-leurs dieux. Les Irlandais païens considéraient leurs
-<span class="pagenum"><a name="Page_224" id="Page_224">[Pg 224]</a></span>dieux comme immortels. Lug et Dagdé qui, suivant
-les calculs fondés par les Quatre Maîtres sur les
-chiffres de Gilla Coemain, seraient morts l'un 1830
-ans l'autre 1750 ans avant J.-C., nous sont présentés
-par la littérature épique irlandaise comme des êtres
-surnaturels vivant encore au temps du héros Cûchulainn
-et du roi Conchobar; or, ces deux derniers personnages,
-suivant les calculs Tigernach, sont contemporains
-de Jésus-Christ, et les calculs de Tigernach
-ne semblent pas mal fondés.
-</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_389" id="Note_389"></a><a href="#NoteRef_389"><span class="label">[1]</span></a> Livre de Leinster, p. 127, colonne 2, lignes 1&ndash;8.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_390" id="Note_390"></a><a href="#NoteRef_390"><span class="label">[2]</span></a> <i>Ibid.</i>, p. 9, colonne 2.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_391" id="Note_391"></a><a href="#NoteRef_391"><span class="label">[3]</span></a> <i>Ibid.</i>, p. 11, colonne 2, ligne 7.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_392" id="Note_392"></a><a href="#NoteRef_392"><span class="label">[4]</span></a> <i>Ibid.</i>, p. 11, colonne 2, lignes 26, 27.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_393" id="Note_393"></a><a href="#NoteRef_393"><span class="label">[5]</span></a> Livre de Leinster, p. 11, colonne 2, lignes 28&ndash;31. Ici le fils de
-Delbaeth s'appelle Fiachna, comme dans le <i>Livre des conquêtes</i> (Livre
-de Leinster, p. 9, col. 2, lignes 44&ndash;45), et non Fiachach comme dans
-le poème de Gilla Coemain, Livre de Leinster, p. 127, colonne 2,
-ligne 6.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_394" id="Note_394"></a><a href="#NoteRef_394"><span class="label">[6]</span></a> Voici le texte de Tigernach d'après le fac-similé publié par
-M. Gilbert, part I, pl. XLIII: «In anno XVIII Ptolomei fuit initiatus
-regnare in Emain Cimbaed filius Fintain qui regnavit <span class="smcap">xxviii</span>
-annis. Tunc Echu Buadach, pater Ugaine, in Temoria regnare ab
-aliis fertur, liquet prescripsimus olim Ugaine imperasse. Omnia
-monumenta Scottorum usque Cimbaeth incerta erant.» La dix-huitième
-année de Ptolémée Lagus dont il s'agit plus haut, et qui,
-suivant Tigernach, aurait régné quarante ans (323&ndash;283), est l'an 305
-avant J.-C. Le manuscrit reproduit ici est conservé à la bibliothèque
-Bodléienne d'Oxford, sous la cote Rawlinson B 502. M. Gilbert
-a le premier donné ce passage exactement.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="X_2"></a>§ 2.<br />
-
-<i>Milé et Bilé ancêtres de la race celtique.</i></h3>
-
-<p>
-Les Tûatha Dê Danann restèrent, dit-on, maîtres
-de l'Irlande jusqu'à l'arrivée des fils de Milé. <i>Milé</i>,
-au génitif <i>Miled</i>, ancêtre mythique des Irlandais,
-autrement dits Gôidels ou Scots, n'était pas inconnu
-des Celtes continentaux. On a trouvé dans la partie
-de la Hongrie qui, sous l'empire romain, était comprise
-dans la Pannonie inférieure, ancienne dépendance
-de l'empire gaulois, de nombreuses inscriptions
-gravées sur des monuments funéraires, qui couvrent
-les tombes d'hommes d'origine gauloise. Une de ces
-inscriptions a été écrite pour rappeler la mémoire
-de Quartio, fils de Miletumarus, par ordre de Derva,
-sa veuve<a name="NoteRef_395" id="NoteRef_395"></a><a href="#Note_395" class="fnanchor">[1]</a>. Derva porte un nom gaulois qui veut
-<span class="pagenum"><a name="Page_225" id="Page_225">[Pg 225]</a></span>dire «chêne;» <i>Miletu-marus</i> est composé de deux
-termes: le second, <i>marus</i>, en gaulois <i>mâros</i>, veut
-dire «grand;» quant au premier, <i>miletu</i>, il nous
-offre la forme que prenait dans les composés, quand
-il était premier terme, le thème consonantique gaulois
-<i>milet</i>, dont le nominatif devait être <i>miles</i> pour
-<i>milets</i>, en irlandais <i>Milé</i><a name="NoteRef_396" id="NoteRef_396"></a><a href="#Note_396" class="fnanchor">[2]</a>; et le génitif <i>miletos</i>, en
-irlandais <i>Miled. Miletumarus</i> veut dire «grand
-comme Milé.» Ainsi le personnage mythique qui est,
-en Irlande, l'ancêtre de la race celtique était connu
-sur les bords du Danube comme sur les côtes de
-l'Océan dans la plus occidentale des Iles Britanniques.
-</p>
-<p>
-Milé était fils de Bilé. Bilé est, comme Balar, un
-des noms du dieu de la mort. La racine <span class="smcap">bel</span>, «mourir,»
-change souvent son <i>e</i> radical en <i>a</i> quand la désinence
-contient un <i>a: atbalat</i> pour <sup>*</sup><i>ate-belant</i><a name="NoteRef_397" id="NoteRef_397"></a><a href="#Note_397" class="fnanchor">[3]</a>,
-«ils meurent;» <i>Balar</i> pour <i>Belar</i> nous offre
-l'exemple d'un phénomène identique. Quant, au
-contraire, la désinence contient un <i>i</i>, l'<i>e</i> radical de
-la racine <span class="smcap">bel</span> se change en <i>i: epil</i>, «il meurt,»
-pour <sup>*</sup><i>ate-beli</i><a name="NoteRef_398" id="NoteRef_398"></a><a href="#Note_398" class="fnanchor">[4]</a>. Dans <i>Bile</i> pour <sup>*</sup><i>Belios</i>, le même
-phénomène s'est produit.
-</p>
-<p>
-Milé fils de Bilé, a donc pour père le dieu de la
-<span class="pagenum"><a name="Page_226" id="Page_226">[Pg 226]</a></span>mort, le dieu celtique que César a appelé <i>Dis pater</i>.
-Les Gaulois, dit-il, prétendent qu'ils descendent tous
-de <i>Dis pater</i>, dieu de la mort, <i>ab Dite patre</i><a name="NoteRef_399" id="NoteRef_399"></a><a href="#Note_399" class="fnanchor">[5]</a>. <i>Dis</i>
-paraît contracté pour <i>dives</i>, <i>Dite</i> pour <i>divite</i><a name="NoteRef_400" id="NoteRef_400"></a><a href="#Note_400" class="fnanchor">[6]</a>. Ce
-nom divin était celtique en même temps que romain:
-<i>dîth</i> est un des noms de la mort en vieil irlandais.
-On le trouve aussi écrit <i>dîith</i> avec deux <i>i</i><a name="NoteRef_401" id="NoteRef_401"></a><a href="#Note_401" class="fnanchor">[7]</a>; il paraît
-avoir perdu un <i>v</i> primitif entre ces deux voyelles,
-comme le latin <i>dite</i> pour <i>divite; dîith</i> s'écrit pour
-<i>dîvit</i>, et le nom gaulois <i>Divitiacus</i>, porté au temps
-de César par un druide éduen bien connu<a name="NoteRef_402" id="NoteRef_402"></a><a href="#Note_402" class="fnanchor">[8]</a>, avant
-ce temps par un roi des Suessions<a name="NoteRef_403" id="NoteRef_403"></a><a href="#Note_403" class="fnanchor">[9]</a>, paraît un dérivé
-de ce mot.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_395" id="Note_395"></a><a href="#NoteRef_395"><span class="label">[1]</span></a> <i>Corpus inscriptionum latinarum</i>, t. III, première partie, p. 438,
-n<sup>os</sup> 3404, 3405.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_396" id="Note_396"></a><a href="#NoteRef_396"><span class="label">[2]</span></a> On trouve quelquefois au nominatif <i>Milid</i> qui est en réalité
-l'accusatif. Le nominatif ne peut être que <i>Mile</i> ou <i>Mili</i>.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_397" id="Note_397"></a><a href="#NoteRef_397"><span class="label">[3]</span></a> Glose au vers 40 de l'hymne de Colman: Whitley Stokes,
-<i>Goidelica</i>, 2<sup>e</sup> édit., p. 124; Windisch, <i>Irische Texte</i>, p. 9, 377.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_398" id="Note_398"></a><a href="#NoteRef_398"><span class="label">[4]</span></a> Priscien de Saint-Gall, f° 30 a; et Saint-Paul de Wurzbourg,
-f° 30 d; <i>Grammatica celtica</i>, 2<sup>e</sup> édition, p. 60.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_399" id="Note_399"></a><a href="#NoteRef_399"><span class="label">[5]</span></a> <i>De bello gallico</i>, livre VI, chapitre 18, § 1.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_400" id="Note_400"></a><a href="#NoteRef_400"><span class="label">[6]</span></a> Cicéron, <i>De natura deorum</i>, lib. II, cap. <span class="smcap">xxvi</span>, § 66; cf. Corssen,
-<i>Ueber Aussprache, Vokalismus und Betonung der lateinischen
-Sprache</i>, 2<sup>e</sup> édit., t. I, p. 316.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_401" id="Note_401"></a><a href="#NoteRef_401"><span class="label">[7]</span></a> Saint-Paul de Wurzbourg, f° 8 D; <i>Grammatica celtica</i>, 2<sup>e</sup> édition,
-p. 21; Zimmer, <i>Glossæ hibernicæ</i>, p. 50; cf. Windisch, <i>Irische
-Texte</i>, p. 484. Comparez le breton <i>divez</i>, «fin,» en gallois <i>diwedd</i>,
-et l'irlandais <i>dead</i>, même sens.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_402" id="Note_402"></a><a href="#NoteRef_402"><span class="label">[8]</span></a> Cicéron, <i>De divinatione</i>, livre I, chap. 41, § 90; César, <i>De
-bello gallico</i>, livre I, chap. 16, 18, 19, 20, 31, 32, 41; livre II, chap. 10,
-13; livre VI, chap. 12.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_403" id="Note_403"></a><a href="#NoteRef_403"><span class="label">[9]</span></a> <i>De bello gallico</i>, livre II, chap. 4, § 7.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="X_3"></a>§ 3.<br />
-
-<i>La doctrine qui fait arriver les Irlandais d'Espagne
-et leur donne pour pays d'originé la Scythie et
-l'Egypte.</i></h3>
-
-<p>
-Dès l'époque où a été dressée notre première liste
-<span class="pagenum"><a name="Page_227" id="Page_227">[Pg 227]</a></span>de la littérature épique, l'évhémérisme faisait partir
-les fils de Milé, non du pays des morts, mais d'Espagne;
-et les croyances chrétiennes associées à des
-préoccupations étymologiques, avaient fait imaginer
-de longues pérégrinations antérieures que les ancêtres
-des Irlandais, sortis du berceau asiatique du
-genre humain, avaient, disait-on, interrompues par
-des séjours en divers lieux tels que l'Egypte et surtout
-la Scythie. Il semblait évident que Scots et Scythes,
-c'était tout un.
-</p>
-<p>
-Nennius, au dixième ou même au neuvième siècle,
-a connu cette légende érudite et relativement moderne.
-Il dit la tenir des savants irlandais<a name="NoteRef_404" id="NoteRef_404"></a><a href="#Note_404" class="fnanchor">[1]</a>. Voici
-comment il s'exprime. «Quand les fils d'Israël traversèrent
-la mer Rouge, les Egyptiens les suivirent,
-et ils furent noyés, comme on lit dans la Bible.
-Or il y avait alors chez les Egyptiens un homme
-noble de Scythie, avec une nombreuse famille.
-Il avait été précédemment détrôné en Scythie, et il
-était en Egypte quand les Egyptiens furent noyés;
-mais il n'était point allé poursuivre le peuple de
-Dieu. Les Egyptiens survivants, après délibération,
-le chassèrent de leur pays; ils craignaient qu'il
-ne voulût s'en rendre maître, en profitant de ce
-que les chefs de familles avaient péri dans la mer
-Rouge. Obligé de quitter l'Egypte, celui-ci voyagea
-en Afrique pendant quarante-deux ans, arriva
-<span class="pagenum"><a name="Page_228" id="Page_228">[Pg 228]</a></span>avec sa famille aux autels des Philistins, traversa
-un lac salé, passa entre Rusicada et les montagnes
-de la Syrie, franchit le fleuve Malva, parcourut la
-Mauritanie, atteignit les colonnes d'Hercule, et enfin
-entra en Espagne où sa race habita un grand
-nombre d'années et se multiplia considérablement.»
-</p>
-<p>
-Ce récit sommaire est un abrégé de celui qui, dans
-la plus ancienne liste des compositions épiques irlandaises
-est intitulé: «Emigration ou voyage de
-Milé, fils de Bilé, jusqu'en Espagne<a name="NoteRef_405" id="NoteRef_405"></a><a href="#Note_405" class="fnanchor">[2]</a>.» Des arrangements
-plus modernes de cette légende nous ont
-été conservés par le <i>Chronicum Scotorum</i>, annales
-d'Irlande, composées au douzième siècle<a name="NoteRef_406" id="NoteRef_406"></a><a href="#Note_406" class="fnanchor">[3]</a>; par
-l'introduction du <i>Livre des conquêtes</i>, transcrite au
-douzième siècle dans le livre de Leinster<a name="NoteRef_407" id="NoteRef_407"></a><a href="#Note_407" class="fnanchor">[4]</a>; enfin,
-dans une glose du <i>Senchus Môr</i><a name="NoteRef_408" id="NoteRef_408"></a><a href="#Note_408" class="fnanchor">[5]</a>.
-</p>
-<p>
-Les savants irlandais du moyen âge prétendaient
-être, par les femmes, d'origine égyptienne. Des trois
-noms de la race irlandaise, <i>Fêne, Scôt, Gôidel</i>, ils
-s'étaient fait trois ancêtres: 1° Fênius, roi de Scythie;
-2° Scôta, fille de Pharaon, roi d'Egypte, et belle-fille
-de Fênius; 3° Gôidel, fils de Scôta. Il est probable
-que Scôta, fille de Pharaon, était déjà inventée dès
-la fin du huitième siècle, et que Clément, le grammairien
-<span class="pagenum"><a name="Page_229" id="Page_229">[Pg 229]</a></span>irlandais de la cour de Charlemagne, avait
-parlé de cette Egyptienne, mère fantastique du peuple
-irlandais. Quand l'Anglo-Saxon Alcuin, condamné
-à la retraite par l'âge, se plaint à Charlemagne de
-l'influence de plus en plus prépondérante acquise
-par les Irlandais à l'école du palais, il les traite
-d'Egyptiens.&mdash;«En m'en allant,» dit-il, «j'avais
-laissé près de vous des Latins; je ne sais qui les
-a remplacés par des Egyptiens<a name="NoteRef_409" id="NoteRef_409"></a><a href="#Note_409" class="fnanchor">[6]</a>.»</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_404" id="Note_404"></a><a href="#NoteRef_404"><span class="label">[1]</span></a> «Sic mihi periti Scottorum nuntiaverunt.» <i>Appendix ad opera
-edita ab Angelo Maio</i>, Romæ, <span class="smcap">mdccclxxi</span>, p. 99.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_405" id="Note_405"></a><a href="#NoteRef_405"><span class="label">[2]</span></a> <i>Tochomlod Mîled, maic Bile, co Espain</i>. Livre de Leinster, p. 190,
-col. 1, ligne 60.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_406" id="Note_406"></a><a href="#NoteRef_406"><span class="label">[3]</span></a> <i>Chronicum Scotorum</i>, édition Hennessy, p. 10&ndash;13.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_407" id="Note_407"></a><a href="#NoteRef_407"><span class="label">[4]</span></a> Livre de Leinster, p. 2&ndash;4.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_408" id="Note_408"></a><a href="#NoteRef_408"><span class="label">[5]</span></a> <i>Anciens laws of Ireland</i>, I, p. 20, 22. Voir aussi Keating, livre I,
-partie II, chap. 1 à 5; édition de Haliday, pages 214 et suivantes.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_409" id="Note_409"></a><a href="#NoteRef_409"><span class="label">[6]</span></a> Lettre 82 d'Alcuin, chez Migne, <i>Patrologia latina</i>, tome 100,
-col. 266&ndash;267. Cf. Hauréau, <i>Singularités historiques et littéraires</i>, p. 26.</p></div>
-
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="X_4"></a>§ 4.<br />
-
-<i>Ith et la tour de Brégon.</i></h3>
-
-<p>
-Nous ne parlerons pas davantage de ces légendes
-relativement modernes et dont l'origine n'a rien de
-populaire, mais qui sont le produit d'une fausse
-érudition. Arrivons à l'antique récit où l'on voit
-comment la race celtique sortit du pays des morts
-pour venir s'établir dans la terre qu'elle habite
-encore aujourd'hui<a name="NoteRef_410" id="NoteRef_410"></a><a href="#Note_410" class="fnanchor">[1]</a>.
-</p>
-<p>
-La plus ancienne rédaction que nous ayons de
-cette légende date du onzième siècle. Elle nous a
-été conservée par le <i>Livre des conquêtes</i>. On y voit
-qu'un certain Brégon, père, ou plutôt grand-père de
-<span class="pagenum"><a name="Page_230" id="Page_230">[Pg 230]</a></span>Milé<a name="NoteRef_411" id="NoteRef_411"></a><a href="#Note_411" class="fnanchor">[2]</a>, construisit une tour en Espagne, lisons:
-dans le pays des morts. On appela cette tour la tour
-de Brégon; c'est une seconde édition de la tour de
-Conann, chantée par Eochaid hûa Flainn au dixième
-siècle, et au siège de laquelle les descendants du
-mythique Némed, allant combattre le dieu des
-morts, furent d'abord vainqueurs, puis périrent au
-nombre des soixante mille. C'est la tour de Kronos,
-dieu des morts, dans l'île des Bienheureux, que Pindare
-chantait au cinquième siècle avant notre ère<a name="NoteRef_412" id="NoteRef_412"></a><a href="#Note_412" class="fnanchor">[3]</a>.
-Brégon eut un fils qui s'appela Ith; et par une belle
-soirée d'hiver, Ith, contemplant l'horizon du haut
-de la forteresse paternelle, aperçut dans le lointain
-les côtes de l'Irlande<a name="NoteRef_413" id="NoteRef_413"></a><a href="#Note_413" class="fnanchor">[4]</a>. Dès le onzième siècle, les
-savants irlandais avaient fait de Brégon une ville
-d'Espagne, l'antique Brigantia, aujourd'hui Bragance<a name="NoteRef_414" id="NoteRef_414"></a><a href="#Note_414" class="fnanchor">[5]</a>.
-<span class="pagenum"><a name="Page_231" id="Page_231">[Pg 231]</a></span>Pour voir de là l'Irlande, il fallait avoir
-une bonne vue; mais, comme nous l'avons dit,
-c'était par une belle soirée d'hiver, et, fait observer
-un auteur irlandais, «c'est le soir, en hiver, lorsque
-l'air est pur, que la vue de l'homme s'étend le
-plus loin<a name="NoteRef_415" id="NoteRef_415"></a><a href="#Note_415" class="fnanchor">[6]</a>.»</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_410" id="Note_410"></a><a href="#NoteRef_410"><span class="label">[1]</span></a> «Tochomlod mac Miled a hEspain in hErinn,» Livre de
-Leinster, p. 190, col. I, lignes 60, 61.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_411" id="Note_411"></a><a href="#NoteRef_411"><span class="label">[2]</span></a></p>
-<p class="poem">Iar-sain rogenair Bregoin,<br />
-Athair Bili in balc-dremoin.</p>
-<p>Livre de Leinster, p. 4, col. 1, lignes 34, 36.</p>
-
-<p class="poem">
-Bregoin, mac Bratha blaith bil;<br />
-Is dô ro-bo mac Milid</p>
-
-<p>Livre de Leinster, p. 4, col. 2, lignes 39, 40. Ces vers font partie
-d'un poème de Gilla Coemain. Ils peuvent se traduire ainsi:</p>
-
-<p class="poem">Ensuite naquit Bregoin,<br />
-père de Bilé à la forte fureur....<br />
-Bregoin, fils de Brath au beau renom;<br />
-C'est de lui que Milé fut fils.</p>
-
-<p>Au lieu de fils, lisez petit-fils: on sait que Milé fut fils de Bilé.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_412" id="Note_412"></a><a href="#NoteRef_412"><span class="label">[3]</span></a> Voir plus haut, <a href="#Page_124">p. 124</a>.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_413" id="Note_413"></a><a href="#NoteRef_413"><span class="label">[4]</span></a> «Ith mac Bregoin atchonnairc hErinn ar-tûs fescor gaimrid
-a-mulluch tuir Bregoin.» Livre de Leinster, p. 11, col. 2, lignes 50,
-51; cf. Livre de Ballymote, folio 20 verso, col. 1, ligne 18.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_414" id="Note_414"></a><a href="#NoteRef_414"><span class="label">[5]</span></a> Poème de Gilla Coemain, dans le Livre de Leinster, p. 4, col. 1,
-ligne 39.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_415" id="Note_415"></a><a href="#NoteRef_415"><span class="label">[6]</span></a> «Is-ferr radarc duine glan-fhescor gaimrid.» Livre de Leinster,
-p. 12, col. 1, ligne 1.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="X_5"></a>§ 5.<br />
-
-<i>L'Espagne et l'île de Bretagne confondues avec le pays
-des morts.</i></h3>
-<p>
-Mais ce n'est pas de l'Espagne qu'il s'agit ici. Le
-mot d'<i>Espagne</i> a été introduit ici par l'évhémérisme
-des chrétiens irlandais. A la doctrine relativement
-moderne à laquelle on doit la présence du nom de
-l'Espagne dans les textes qui nous servent ici de
-base, on peut comparer celle qui, à une date bien
-plus ancienne, avait fait pénétrer le nom de la
-Bretagne dans la légende du pays des morts telle
-qu'on la racontait en Gaule dans les premiers temps
-de l'empire romain. Si l'on en croit un récit emprunté
-à un auteur inconnu par Plutarque, qui
-mourut vers l'an 120 de notre ère, et par Procope,
-qui écrivait au sixième siècle, le pays des morts
-est la partie occidentale de la Grande-Bretagne,
-<span class="pagenum"><a name="Page_232" id="Page_232">[Pg 232]</a></span>séparée des régions orientales de cette île par un
-mur infranchissable. Il y a sur les côtes septentrionales
-de la Gaule, dit cette légende, une population
-de marins dont le métier est de conduire du
-continent les morts dans la partie de l'île de Bretagne
-qui est leur dernier séjour. Réveillés la nuit par
-les chuchotements d'une voix mystérieuse, ces marins
-se lèvent, se rendent au rivage, y trouvent des
-navires qui ne leur appartiennent point, remplis
-d'hommes invisibles dont le poids fait plonger les bâtiments
-autant qu'il est possible sans les faire submerger.
-Montant sur ces navires, ils arrivent au
-but d'un coup de rame, dit un texte; en une heure,
-dit un autre, quoique avec leurs navires à eux, même
-en s'aidant de voiles, il leur faille toujours au moins
-un jour et une nuit pour atteindre les côtes de l'île
-de Bretagne. Quand ils sont arrivés au rivage, leurs
-invisibles passagers débarquent; en même temps on
-voit les navires déchargés s'élever au-dessus des flots,
-et on entend la voix d'un personnage invisible proclamer
-les noms des nouveaux arrivants qui viennent
-augmenter le nombre des habitants du pays des
-morts<a name="NoteRef_416" id="NoteRef_416"></a><a href="#Note_416" class="fnanchor">[1]</a>.
-</p>
-<p>
-Un coup de rame, une heure de navigation au plus,
-suffit pour exécuter le voyage nocturne qui du continent
-<span class="pagenum"><a name="Page_233" id="Page_233">[Pg 233]</a></span>gaulois transporte les morts à leur dernier
-séjour. En effet, une loi mystérieuse rapproche pendant
-la nuit les longues distances qui, de jour, séparent
-le domaine de la vie du domaine de la mort.
-C'est la même loi qui, par une soirée claire, a permis
-à Ith d'apercevoir du haut de la tour de Brégon,
-dans le pays des morts, les côtes de l'Irlande séjour
-des vivants. Ce phénomène s'est produit en hiver;
-car l'hiver est une sorte de nuit, l'hiver, comme
-la nuit, abaisse les barrières qui s'interposent entre
-les régions de la mort et les régions de la vie; l'hiver,
-comme la nuit, donne à la vie l'apparence de la
-mort, supprime, pour ainsi dire, l'abîme redoutable
-creusé entre la vie et la mort par les lois de la nature.
-Voilà comment pendant une belle soirée d'hiver,
-Ith, du sommet de la tour de Brégon dans l'île
-des morts, vit à l'horizon les côtes de l'Irlande se
-dessiner devant lui.</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_416" id="Note_416"></a><a href="#NoteRef_416"><span class="label">[1]</span></a> Fragment, conservé par Tzetzès, du commentaire de Plutarque
-sur Hésiode, chez Didot-Dübner, <i>Œuvres de Plutarque</i>, t. V,
-p. 20, 21. Procope, <i>De bello gothico</i>, livre IV, chap. 20; édition de
-Guillaume Dindorf, 1833, t. II, p. 565&ndash;569. Le texte de Procope est
-beaucoup plus complet que celui de Tzetzès.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="X_6"></a>§ 6.<br />
-
-<i>Expédition d'Ith en Irlande.</i></h3>
-<p>
-Il s'embarqua avec trois fois trente guerriers et fit
-voile vers le pays inconnu dont sa vue pénétrante
-lui avait appris l'existence. Il l'atteignit heureusement,
-et prit terre sur le promontoire de Corco Duibné,
-à la pointe sud-ouest de l'Irlande. Cette île avait
-alors, dit-on, trois rois, petits-fils du grand dieu
-Dagdé: ils s'appelaient Mac Cuill, Mac Cecht et Mac
-<span class="pagenum"><a name="Page_234" id="Page_234">[Pg 234]</a></span>Grêné; ils avaient partagé l'Irlande entre eux<a name="NoteRef_417" id="NoteRef_417"></a><a href="#Note_417" class="fnanchor">[1]</a>. La
-femme de Mac Cuill s'appelait Banba; celle de Mac
-Cecht, Fotla; celle de Mac Grêné, Eriu<a name="NoteRef_418" id="NoteRef_418"></a><a href="#Note_418" class="fnanchor">[2]</a>. Banba,
-Fotla et Eriu sont trois noms de l'Irlande, les deux
-premiers tombés en désuétude, le dernier encore
-usité de nos jours. Ces trois reines sont donc autant
-de personnifications d'un être unique que le goût des
-Celtes pour la triade a triplé. Les trois dieux époux
-de l'Irlande sont issus de l'unité par le même procédé,
-et la provenance de cette triple unité divine
-nous est donnée par le troisième des noms qu'elle
-porte: <i>Mac Grêné</i>, «fils du soleil.» Quand Ith débarqua
-en Irlande, un fils du soleil avait épousé cette
-île et y régnait: c'est une forme nouvelle à cette idée
-tant de fois exprimée que l'Irlande appartenait alors
-aux Tûatha Dê Danann, dieux du jour, de la vie, de
-la science. Au nom propre Mac Grêné, «fils du
-soleil,» comparez le surnom de <i>Grîan-Ainech</i>, «à
-la face solaire,» porté par Ogmé ou Ogmios, le
-champion divin, un autre des Tûatha dê Danann,
-c'est-à-dire des dieux solaires.
-</p>
-<p>
-Mais Ith ne trouva personne sur le rivage. Il avança
-dans l'île et marcha longtemps vers le nord sans
-rencontrer qui que ce fût. Nêit, dieu de la guerre,
-venait d'être tué dans une bataille contre les Fomôré.
-Les trois rois des Tûatha dê Danann, c'est-à-dire
-<span class="pagenum"><a name="Page_235" id="Page_235">[Pg 235]</a></span>Mac Cuill, Mac Cecht et Mac Grêné s'étaient réunis
-pour faire entre eux le partage de sa succession, et
-c'était dans la forteresse d'Ailech, fondée et habitée
-par le défunt, que les trois princes s'étaient rendus;
-leurs guerriers les avaient accompagnés en ce lieu.
-On montre encore aujourd'hui l'emplacement de la
-forteresse d'Ailech; elle est située dans le nord de
-l'Irlande au comté de Donegal, dans la baronnie de
-West-Inishowen, près de Londonderry. Ith, dans
-son voyage à travers l'Irlande, du sud au nord,
-atteignit enfin Ailech.
-</p>
-<p>
-Les trois rois lui firent bon accueil et le prirent pour
-juge des difficultés auxquelles donnait lieu entre eux
-le partage de la succession de Nêit. Ith rendit une
-sentence arbitrale, qui termina toutes les contestations:
-«Agissez,» dit-il en terminant, «agissez
-selon les lois de la justice; car il est bon, le pays
-que vous habitez; il est abondant en fruits, en miel,
-en froment, en poisson; il est tempéré et quant à la
-chaleur et quant au froid.» De ces dernières paroles
-les trois rois conclurent que Ith voulait s'emparer
-de l'Irlande. Ils l'invitèrent à en sortir, et ils résolurent
-de le tuer. Ils mirent à exécution ce projet,
-à quelque distance, dans un endroit qui, dit la légende
-irlandaise, reçut en mémoire de cet événement
-le nom de «plaine d'Ith,» <i>Mag Itha</i>. Mais les compagnons
-d'Ith ne succombèrent pas avec lui. Emportant
-avec eux le cadavre de leur malheureux chef,
-ils se rembarquèrent et regagnèrent le pays d'où ils
-étaient venus. Les fils de Milé considérèrent le meurtre
-<span class="pagenum"><a name="Page_236" id="Page_236">[Pg 236]</a></span>d'Ith comme une déclaration de guerre: envahissant
-l'Irlande, ils en firent la conquête sur les
-Tûatha Dê Danann, c'est-à-dire sur les dieux<a name="NoteRef_419" id="NoteRef_419"></a><a href="#Note_419" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_417" id="Note_417"></a><a href="#NoteRef_417"><span class="label">[1]</span></a> <i>Lebar gabala</i> ou Livre des conquêtes, dans le Livre de Leinster,
-p. 9, col. 2, lignes 47&ndash;51.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_418" id="Note_418"></a><a href="#NoteRef_418"><span class="label">[2]</span></a> <i>Id., ibid.</i>, p. 10, col. 1, lignes 37&ndash;39.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_419" id="Note_419"></a><a href="#NoteRef_419"><span class="label">[3]</span></a> Livre de Leinster. p. 12, col. 1.</p></div>
-
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="X_7"></a>§ 7.<br />
-
-<i>La mythologie irlandaise et la mythologie grecque;
-Ith et Promêtheus ou Prométhée.</i></h3>
-
-<p>
-La guerre des premiers hommes contre les dieux et
-la victoire des hommes sur les dieux,&mdash;une des
-données fondamentales de la mythologie celtique,&mdash;peuvent
-sembler étrange, et cependant cette légende
-s'accorde avec une doctrine mythologique des Grecs.
-</p>
-<p>
-La lutte soutenue par Zeus contre les Titans nous
-offre la forme grecque de la bataille irlandaise de
-Mag-Tured, où les Tûatha Dê Danann et les Fomôré
-se disputent la victoire: les Fomôré sont les Titans
-irlandais; dans les Tûatha Dê Danann de l'Irlande,
-nous retrouvons Zeus et les auxiliaires que lui donne
-la mythologie grecque. A cette bataille, le succès
-est obtenu par Zeus et les Tûatha Dê Danann; les
-Titans et les Fomôré sont vaincus.
-</p>
-<p>
-Mais de qui descendent les hommes dans un des
-systèmes mythologiques de la Grèce? C'est des Titans<a name="NoteRef_420" id="NoteRef_420"></a><a href="#Note_420" class="fnanchor">[1]</a>.
-Le premier ancêtre de la race hellénique est
-<span class="pagenum"><a name="Page_237" id="Page_237">[Pg 237]</a></span>Iapétos, issu de l'union de la Terre avec le Ciel son
-fils, qui est né de la Terre dès l'origine du monde<a name="NoteRef_421" id="NoteRef_421"></a><a href="#Note_421" class="fnanchor">[2]</a>.
-Iapétos a été père de Promêtheus<a name="NoteRef_422" id="NoteRef_422"></a><a href="#Note_422" class="fnanchor">[3]</a>, puis celui-ci
-père<a name="NoteRef_423" id="NoteRef_423"></a><a href="#Note_423" class="fnanchor">[4]</a> ou grand-père d'Hellên, ancêtre mythique
-de la race grecque<a name="NoteRef_424" id="NoteRef_424"></a><a href="#Note_424" class="fnanchor">[5]</a>. Or, Iapétos, ce premier père
-des plus anciens aïeux auxquels les Grecs rattachent
-leur origine, est un Titan, Hésiode nous l'apprend:
-les fils que le Ciel a eus de la Terre sont des Titans<a name="NoteRef_425" id="NoteRef_425"></a><a href="#Note_425" class="fnanchor">[6]</a>;
-Iapétos est un de ces fils: donc c'est un
-Titan, un de ces ennemis des dieux solaires, un de
-ces adversaires de Zeus, que Zeus vainqueur a un
-jour précipités dans le Tartare avec Kronos leur roi.
-Iapétos, nous dit l'<i>Iliade</i>, habite le Tartare avec
-Kronos: «Jamais,» s'écrie Zeus s'adressant à Héra
-sa vindicative épouse, «jamais je n'aurai raison de
-ta colère, quand même tu irais aux plus lointaines
-extrémités de la terre et de la mer, où Kronos
-et Iapétos sont assis, privés de la lumière du soleil
-qui parcourt les hautes régions du monde;
-le profond Tartare est autour d'eux<a name="NoteRef_426" id="NoteRef_426"></a><a href="#Note_426" class="fnanchor">[7]</a>.» Plus
-loin, le poète, revenant sur cette idée, ajoute que
-<span class="pagenum"><a name="Page_238" id="Page_238">[Pg 238]</a></span>les dieux souterrains qui entourent Kronos s'appellent
-Titans<a name="NoteRef_427" id="NoteRef_427"></a><a href="#Note_427" class="fnanchor">[8]</a>.
-</p>
-<p>
-Le Tartare est le séjour de Iapétos dans la mythologie
-de l'<i>Iliade</i>, qui remonte probablement au
-huitième siècle avant J.-C. Mais une doctrine postérieure
-donne pour domaine à Kronos et à ses compagnons,
-par conséquent à Iapétos, les îles ou l'île
-des Bienheureux, situées à l'extrême ouest, au delà
-de l'Océan. C'est la croyance admise dans les <i>Travaux
-et les Jours</i> d'Hésiode<a name="NoteRef_428" id="NoteRef_428"></a><a href="#Note_428" class="fnanchor">[9]</a>. Au cinquième siècle
-avant notre ère, elle est chantée par Pindare<a name="NoteRef_429" id="NoteRef_429"></a><a href="#Note_429" class="fnanchor">[10]</a>.
-Cette île est la nouvelle patrie où vivent les héros
-défunts, et par conséquent Iapétos, le primitif ancêtre
-de la race grecque. Cette île est identique au
-pays des morts, d'où les fils de Milé sont venus
-conquérir l'Irlande.
-</p>
-<p>
-Ce n'est pas ici que s'arrête la ressemblance
-entre la fable grecque et la fable celtique. Dans la
-mythologie grecque, le Titan Iapétos a un fils qui
-s'appelle Promêtheus. Promêtheus est l'adversaire
-de Zeus; Zeus est en lutte avec ce fils d'un Titan
-comme il l'a été avec les Titans à une date antérieure.
-La seconde lutte est une continuation de la
-première. De même en Irlande, quand les Tûatha
-Dê Danann ont la guerre à soutenir contre les fils
-de Milé, cette guerre est en quelque sorte une suite
-<span class="pagenum"><a name="Page_239" id="Page_239">[Pg 239]</a></span>de celle qu'ils ont précédemment soutenue contre
-les Fomôré; car c'est Bilé, personnification de la
-mort, en d'autres termes, c'est un des Fomôré qui
-est l'ancêtre des fils de Milé.
-</p>
-<p>
-Quelques détails de la légende de Promêtheus
-présentent avec celle d'Ith une ressemblance singulière.
-Celui-ci est surtout frappant: Promêtheus est
-d'abord l'ami de Zeus<a name="NoteRef_430" id="NoteRef_430"></a><a href="#Note_430" class="fnanchor">[11]</a>. La rupture entre eux est
-causée par l'intervention de Promêtheus dans un
-partage<a name="NoteRef_431" id="NoteRef_431"></a><a href="#Note_431" class="fnanchor">[12]</a>. De même Ith, d'abord bien accueilli par
-les Tûatha Dê Danann, leur devient suspect par
-suite d'un partage dont il est chargé. Dans la légende
-grecque comme dans la légende irlandaise, c'est un
-partage qui change l'amitié en haine, et de cette
-haine la victime tragique est le juge qui a réglé le
-partage.
-</p>
-<p>
-Promêtheus mit le comble à la colère de Zeus en
-prêtant aux hommes une aide inattendue. Zeus les
-privait de feu; Promêtheus ravit à Zeus et donna
-aux hommes «le feu indomptable dont la splendeur
-brille au loin<a name="NoteRef_432" id="NoteRef_432"></a><a href="#Note_432" class="fnanchor">[13]</a>;» les hommes lui doivent donc la
-lumière et le jour; ils lui doivent la science et les
-arts<a name="NoteRef_433" id="NoteRef_433"></a><a href="#Note_433" class="fnanchor">[14]</a>. C'est le regard merveilleux d'Ith, qui, du
-haut de la tour de Brégon, a découvert l'Irlande:
-de la race de Milé, il est le premier qui ait pénétré
-dans cette île; c'est lui qui a enseigné la route de
-<span class="pagenum"><a name="Page_240" id="Page_240">[Pg 240]</a></span>l'Irlande à la race de Milé aujourd'hui établie dans
-cette île; la population irlandaise lui doit presque
-autant que les Grecs devaient à Promêtheus.
-</p>
-<p>
-Malgré les inappréciables services qu'il avait rendus
-aux hommes, Promêtheus, frappé par l'iniquité
-de Zeus, subit un épouvantable supplice: enchaîné
-à l'une des colonnes qui, à l'extrême Occident, supportent
-la voûte du ciel, il a les entrailles déchirées
-par un aigle au sombre plumage qui lui ronge
-le foie sans cesse renaissant<a name="NoteRef_434" id="NoteRef_434"></a><a href="#Note_434" class="fnanchor">[15]</a>. Ainsi Ith innocent
-est massacré par les Tûatha Dê Danann.
-</p>
-<p>
-Le supplice de Promêtheus ne sera pas éternel:
-Héraclès, pénétrant dans l'Aïdès, ténébreux séjour de
-la mort et de la nuit, délivrera un jour ce bienfaiteur
-de l'humanité, frappé d'une peine imméritée par
-l'impitoyable colère de Zeus<a name="NoteRef_435" id="NoteRef_435"></a><a href="#Note_435" class="fnanchor">[16]</a>. Ith sera vengé: sa
-mort a été un crime et rien ne la justifiait; les
-Tûatha Dê Danann qui en ont été coupables perdront
-la domination de l'Irlande: ce sont les fils de Milé
-qui la leur enlèveront.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_420" id="Note_420"></a><a href="#NoteRef_420"><span class="label">[1]</span></a> Un système grec différent sur l'origine de l'homme a été exposé
-plus haut, p. <a href="#Page_26">26&ndash;27</a>.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_421" id="Note_421"></a><a href="#NoteRef_421"><span class="label">[2]</span></a> Hésiode, <i>Théogonie</i>, vers 126, 127, 134.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_422" id="Note_422"></a><a href="#NoteRef_422"><span class="label">[3]</span></a> <i>Id., ibid.</i>, vers 507&ndash;510, 528, 543, 565, 614. <i>Les Travaux
-et les Jours</i>, vers 50, 54. Apollodore, livre I, chap. 2, sections
-2, 3; Didot-Müller, <i>Fragmenta historicorum græcorum</i>, I, p. 105.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_423" id="Note_423"></a><a href="#NoteRef_423"><span class="label">[4]</span></a> Hésiode, <i>Catalogues</i>, fragment XXI, édition Didot, p. 49.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_424" id="Note_424"></a><a href="#NoteRef_424"><span class="label">[5]</span></a> Apollodore, livre I, chap. 7, sect. 2; Didot-Müller, <i>Fragmenta
-historicorum græcorum</i>, t. I, p. 110&ndash;111. Thucydide, livre I, chap. 3.
-Hérodote, livre I, chap 56, §4.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_425" id="Note_425"></a><a href="#NoteRef_425"><span class="label">[6]</span></a> <i>Théogonie</i>, vers 207&ndash;210.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_426" id="Note_426"></a><a href="#NoteRef_426"><span class="label">[7]</span></a> <i>Iliade</i>, livre VIII, vers 478&ndash;481.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_427" id="Note_427"></a><a href="#NoteRef_427"><span class="label">[8]</span></a> <i>Iliade</i>, livre XIV, vers 273, 274, 278, 279.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_428" id="Note_428"></a><a href="#NoteRef_428"><span class="label">[9]</span></a> Hésiode, <i>Les Travaux et les Jours</i>, vers 165 et suivants.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_429" id="Note_429"></a><a href="#NoteRef_429"><span class="label">[10]</span></a> Pindare, <i>Olympiques</i>, II, vers 70 et suivants, édition Teubner
-Schneidewein, t. I, p. 17.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_430" id="Note_430"></a><a href="#NoteRef_430"><span class="label">[11]</span></a> Eschyle, <i>Prométhée enchaîné</i>, vers 199 et suivants.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_431" id="Note_431"></a><a href="#NoteRef_431"><span class="label">[12]</span></a> Hésiode, <i>Théogonie</i>, vers 535&ndash;560.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_432" id="Note_432"></a><a href="#NoteRef_432"><span class="label">[13]</span></a> <i>Id., ibid.</i>, vers 561&ndash;569. <i>Les Travaux et les Jours</i>, vers 47&ndash;58.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_433" id="Note_433"></a><a href="#NoteRef_433"><span class="label">[14]</span></a> Eschyle, <i>Prométhée enchaîné</i>, vers 447 et suivants.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_434" id="Note_434"></a><a href="#NoteRef_434"><span class="label">[15]</span></a> Hésiode, <i>Théogonie</i>, vers 520&ndash;525. <i>Prométhée enchaîné</i>, vers
-1021&ndash;1025.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_435" id="Note_435"></a><a href="#NoteRef_435"><span class="label">[16]</span></a> Eschyle, <i>Prométhée enchaîné</i>, vers 871&ndash;873, 1026&ndash;1029. Cf.
-<i>Iliade</i>, livre VIII, vers 360&ndash;369.</p></div>
-
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_241" id="Page_241">[Pg 241]</a></span></p>
-
-<h2>CHAPITRE XI.<br />
-
-CONQUÊTE DE L'IRLANDE PAR LES FILS DE MILÉ.</h2>
-
-<p>
-<a href="#XI_1">§1</a>. Arrivée des fils de Milé en Irlande.&mdash;<a href="#XI_2">§2</a>. Premier poème
-d'Amairgen. Doctrine panthéiste qu'il exprime. Comparaison avec
-un poème gallois attribué à Taliésin et avec le système philosophique
-de Jean Scot dit Eringène.&mdash;<a href="#XI_3">§3</a>. Les deux autres poèmes
-d'Amairgen. Doctrine naturaliste qu'ils expriment.&mdash;<a href="#XI_4">§4</a>. Première
-invasion des fils de Milé en Irlande.&mdash;<a href="#XI_5">§5</a>. Jugement
-d'Amairgen.&mdash;<a href="#XI_6">§6</a>. Retraite des fils de Milé.&mdash;<a href="#XI_7">§7</a>. Seconde invasion
-des fils de Milé en Irlande. Ils font la conquête de cette île.&mdash;<a href="#XI_8">§8</a>.
-Comparaison entre les traditions irlandaises et les traditions
-gauloises.&mdash;<a href="#XI_9">§9</a>. Les Fir-Domnann, les Bretons et les Pictes
-en Irlande.
-</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XI_1"></a>§ 1.<br />
-
-<i>Arrivée des fils de Milé en Irlande.</i></h3>
-
-<p>
-Les compagnons d'Ith rapportèrent dans le pays
-des morts, ou, comme dit la rédaction chrétienne,
-en Espagne, le cadavre de leur chef. La race de
-Milé considéra le meurtre d'Ith comme une déclaration
-de guerre. Pour venger cet attentat, elle résolut
-<span class="pagenum"><a name="Page_242" id="Page_242">[Pg 242]</a></span>d'émigrer en Irlande et de faire la conquête de cette
-île sur les assassins. Trente-six chefs, dont on donne
-les noms, commandaient la race de Milé.
-</p>
-<p>
-Chacun d'eux eut son navire, où sa famille et ses
-hommes montèrent avec lui; mais tous les passagers
-n'arrivèrent pas au but. L'un des fils de Milé étant
-monté sur le haut d'un mât pour voir l'Irlande, se
-laissa tomber dans la mer et y périt. L'homme de
-lettres, le savant, le <i>file</i> de la flotte était Amairgen,
-surnommé <i>Glûngel</i>, «au genou blanc,» fils
-de Milé; sa femme mourut en route. La flotte atteignit
-la côte d'Irlande dans l'endroit où déjà Ith avait
-débarqué, à la pointe sud-ouest. On donna au lieu
-du débarquement le nom <i>Inber Scêné</i><a name="NoteRef_436" id="NoteRef_436"></a><a href="#Note_436" class="fnanchor">[1]</a>; Scêné
-était le nom de la femme d'Amairgen, qui fut enterrée
-dans cet endroit.
-</p>
-<p>
-Le jour où arrivèrent les fils de Milé fut le
-1<sup>er</sup> mai, un jeudi, dix-septième jour de la lune<a name="NoteRef_437" id="NoteRef_437"></a><a href="#Note_437" class="fnanchor">[2]</a>.
-Partholon avait aussi débarqué en Irlande le 1<sup>er</sup> mai,
-bien qu'à un jour différent de la semaine et de la
-lune, c'est-à-dire le mardi, quatorzième jour de la
-lune; c'était aussi un premier jour de mai qu'avait
-<span class="pagenum"><a name="Page_243" id="Page_243">[Pg 243]</a></span>commencé l'épidémie qui, en une semaine, avait
-détruit sa race. Le 1<sup>er</sup> mai était consacré à Belténé<a name="NoteRef_438" id="NoteRef_438"></a><a href="#Note_438" class="fnanchor">[3]</a>,
-un des noms du dieu de la mort, du dieu
-qui a donné aux hommes et qui leur reprend la vie.
-Ainsi, une fête de ce dieu est le jour où commença
-la conquête de l'Irlande par la race de Milé.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_436" id="Note_436"></a><a href="#NoteRef_436"><span class="label">[1]</span></a> Ce serait le nom autrefois porté par la rivière de Kenmare
-dans le comté de Kerry. Hennessy, <i>Chronicum Scotorum</i>, p. 389.
-C'est déjà là qu'on avait fait débarquer Nemed.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_437" id="Note_437"></a><a href="#NoteRef_437"><span class="label">[2]</span></a> <i>Flathiusa hErend</i>, dans le Livre de Leinster, p. 14, col. 2,
-lignes 50&ndash;51. <i>Chronicum Scotorum</i>, édition Hennessy, p. 14. D'après
-le document intitulé <i>Flathiusa hErend</i>, les fils de Milé seraient
-arrivés en Irlande au temps du roi David, c'est-à-dire au onzième
-siècle avant notre ère. Les Quatre Maîtres placent le même événement
-1700 ans avant J.-C.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_438" id="Note_438"></a><a href="#NoteRef_438"><span class="label">[3]</span></a> <i>Beltene</i> ou <i>Beltine</i> est dérivé de l'infinitif <sup>*</sup><i>beltu</i>, génitif <sup>*</sup><i>belten</i>,
-datif <sup>*</sup><i>beltin</i>, conservé en vieil irlandais dans le composé <i>epeltu</i>,
-«mort» = <sup>*</sup><i>ate-belatu. Grammatica celtica</i>, 2<sup>e</sup> édition, p. 264.</p></div>
-
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XI_2"></a>§ 2.<br />
-
-<i>Premier poème d'Amairgen. Doctrine panthéiste qu'il
-exprime; comparaison avec un poème gallois attribué
-à Taliésin et avec le système philosophique de
-Jean Scot dit Eringène.</i></h3>
-
-<p>
-En mettant le pied droit sur la terre d'Irlande, le
-<i>file</i> Amairgen, fils de Milé, chanta un poème panthéiste
-en l'honneur de la science qui lui donnait
-une puissance supérieure à celle des dieux, dont elle
-tirait cependant son origine; il chanta la louange de
-cette science merveilleuse qui allait assurer aux fils
-de Milé la victoire sur les Tûatha Dê Danann. En effet,
-cette science divine pénétrant les secrets de la nature,
-en saisissant les lois, en connaissant les forces,
-était, suivant la prétention de la philosophie
-celtique, un être identique à ces forces elles-mêmes,
-au monde matériel et visible; et posséder cette
-science, c'était posséder la nature entière.
-</p>
-<p>
-<span class="pagenum"><a name="Page_244" id="Page_244">[Pg 244]</a></span>«Je suis,» dit Amairgen, «le vent qui souffle sur
-la mer;
-</p>
-<p>
-Je suis la vague de l'océan;
-</p>
-<p>
-Je suis le murmure des flots;
-</p>
-<p>
-Je suis le bœuf aux sept combats;
-</p>
-<p>
-Je suis le vautour sur le rocher;
-</p>
-<p>
-Je suis une larme du soleil;
-</p>
-<p>
-Je suis la plus belle des plantes;
-</p>
-<p>
-Je suis sanglier par la bravoure;
-</p>
-<p>
-Je suis saumon dans l'eau;
-</p>
-<p>
-Je suis lac dans la plaine.
-</p>
-<hr class="tb" />
-<p>
-Je suis parole de science;
-</p>
-<p>
-Je suis la pointe de lance qui livre les batailles;
-</p>
-<p>
-Je suis le dieu qui crée ou forme dans la tête
-[de l'homme] le feu [de la pensée];
-</p>
-<p>
-Qui est-ce qui jette la clarté dans l'assemblée sur
-la montagne? (Et ici une glose ajoute: Qui éclaira
-chaque question, sinon moi?)
-</p>
-<p>
-Qui annonce les âges de la lune? (Et une glose
-ajoute: Qui vous raconte les âges de la lune, sinon
-moi?)
-</p>
-<p>
-Qui enseigne l'endroit où se couche le soleil?
-(sinon le <i>file</i>, ajoute une glose)<a name="NoteRef_439" id="NoteRef_439"></a><a href="#Note_439" class="fnanchor">[1]</a>»...
-</p>
-<p>
-<span class="pagenum"><a name="Page_245" id="Page_245">[Pg 245]</a></span>
-</p>
-<hr class="tb" />
-<p>
-L'ordre manque dans ce morceau; les idées fondamentales
-et les idées secondaires s'enchevêtrent
-sans méthode; mais le sens ne fait pas de doute: le
-file est parole de science, il est le dieu qui donne à
-l'homme le feu de la pensée; et comme la science
-n'est pas distincte de son objet, comme Dieu ne fait
-qu'un avec la nature, l'être du <i>file</i> se confond avec
-le vent, avec les flots, avec les animaux sauvages,
-avec les armes du guerrier.
-</p>
-<p>
-Un manuscrit gallois du quatorzième siècle nous
-a conservé une composition analogue. Elle est attribuée
-au barde Taliésin. Amairgen, le <i>file</i> irlandais,
-a dit: «Je suis une larme du soleil.» La pièce galloise
-met dans la bouche de Taliésin une assertion
-semblable: «J'ai été une larme dans l'air<a name="NoteRef_440" id="NoteRef_440"></a><a href="#Note_440" class="fnanchor">[2]</a>.»
-Voici d'autres formules parallèles:
-</p>
-<p>
-Amairgen: «Je suis le vautour sur le rocher.»&mdash;Taliésin:
-«J'ai été un aigle<a name="NoteRef_441" id="NoteRef_441"></a><a href="#Note_441" class="fnanchor">[3]</a>.»
-</p>
-<p>
-Amairgen: «Je suis la plus belle des plantes.»&mdash;Taliésin:
-«J'ai été arbre dans le bocage<a name="NoteRef_442" id="NoteRef_442"></a><a href="#Note_442" class="fnanchor">[4]</a>.»
-</p>
-<p>
-Amairgen: «Je suis la pointe de la lance qui livre
-les batailles.»&mdash;Taliésin: «J'ai été une épée dans
-<span class="pagenum"><a name="Page_246" id="Page_246">[Pg 246]</a></span>la main; j'ai été un bouclier dans le combat<a name="NoteRef_443" id="NoteRef_443"></a><a href="#Note_443" class="fnanchor">[5]</a>.»
-</p>
-<p>
-Amairgen: «Je suis parole de science.»&mdash;Taliésin:
-«J'ai été parole en lettre<a name="NoteRef_444" id="NoteRef_444"></a><a href="#Note_444" class="fnanchor">[6]</a>.»
-</p>
-<p>
-Le poème gallois altère le sens primitif de la formule,
-en mettant au passé le verbe qui est au présent
-dans le vieux texte irlandais. Il substitue la
-notion de métamorphoses successives à la puissante
-doctrine panthéiste qui est la gloire comme
-l'erreur de la philosophie irlandaise et probablement
-de la philosophie celtique. Le <i>file</i> est la personnification
-de la science, et la science est identique à son
-objet. La science est l'Etre même dont les forces de
-la nature et tous les êtres sensibles ne sont que les
-manifestations. C'est ainsi que le <i>file</i> chez qui la
-science se revêt d'une forme humaine n'est pas seulement
-homme, mais est aigle ou vautour, arbre
-ou plante, parole, épée ou javelot; voilà comment
-il est le vent de la mer, la vague de l'océan, le murmure
-des flots, le lac dans la plaine. Il est tout cela
-parce qu'il est l'être universel, ou, comme dit Amairgen,
-«le dieu qui crée dans la tête» de l'homme
-«le feu» de la pensée. Il est tout cela, parce que
-c'est lui qui détient le trésor de la science. «Je suis,»
-dit-il, «parole de science,» et plusieurs preuves attestent
-qu'il possède ce trésor: Amairgen a soin de
-le rappeler. Ainsi, lorsque les concitoyens du <i>file</i>,
-assemblés sur la montagne, sont embarrassés par
-<span class="pagenum"><a name="Page_247" id="Page_247">[Pg 247]</a></span>une question difficile, le <i>file</i> leur en donne la solution.
-Ce n'est pas tout: il sait faire le calcul des
-lunaisons, qui est la base du calendrier; et, par conséquent,
-il détermine les dates où se tiennent les
-grandes assemblées populaires, fondement de la vie
-politique, commerciale et religieuse. L'astronomie
-n'a pas pour lui de secrets; il sait même quel est le
-lieu inconnu du reste des hommes où, chaque soir,
-le soleil, fatigué de sa course diurne, va prendre son
-repos jusqu'au lendemain; la science donc lui appartient;
-la science, c'est lui; or la science, c'est l'être
-unique dont le monde entier, avec tous les êtres secondaires
-qui le remplissent, n'est que la variable et
-multiple expression.
-</p>
-<p>
-Cette doctrine est celle qu'au neuvième siècle l'irlandais
-Jean Scot a enseignée en France à la cour de
-Charles le Chauve en l'enveloppant des formes de la
-philosophie grecque. M. Hauréau résume la doctrine
-fondamentale du philosophe irlandais: en donnant
-de son grand ouvrage <i>De la division de la nature</i>
-les extraits suivants: «On est informé par tous les
-moyens de connaître que, sous l'apparente diversité
-des êtres, subsiste l'être unique qui est leur
-commun fondement<a name="NoteRef_445" id="NoteRef_445"></a><a href="#Note_445" class="fnanchor">[7]</a>.»
-</p>
-<p>
-«Quand on nous dit que Dieu fait tout,» a écrit
-Jean Scot, «nous devons comprendre que Dieu est
-dans tout, qu'il est l'essence substantielle de
-toutes les choses. Seul, en effet, il possède en lui-même
-<span class="pagenum"><a name="Page_248" id="Page_248">[Pg 248]</a></span>les conditions véritables de l'être; et seul
-il est en lui-même tout ce qui est au sein des choses
-auxquelles à bon droit on attribue l'existence.
-Rien de ce qui est n'est véritablement par soi-même;
-mais Dieu seul, qui seul est véritablement
-par lui-même, se partageant entre toutes les choses,
-leur communique ainsi tout ce qui répond en
-elles à la vraie notion de l'être<a name="NoteRef_446" id="NoteRef_446"></a><a href="#Note_446" class="fnanchor">[8]</a>.»
-</p>
-<p>
-Et encore: «Ne vois-tu pas pourquoi le créateur
-de l'universalité des choses obtient le premier rang
-dans les catégories de la nature? Ce n'est pas sans
-raison, puisqu'il est le principe de toute chose;
-puisqu'il est inséparable de toute la diversité qu'il
-a créée; puisqu'il ne peut autrement subsister au
-titre de créateur. En lui sont en effet, toutes les
-choses invariablement et essentiellement; il est
-lui-même la division et la collection, et le genre
-et l'espèce, et le tout et la partie de l'universalité
-créée<a name="NoteRef_447" id="NoteRef_447"></a><a href="#Note_447" class="fnanchor">[9]</a>.»
-</p>
-<p>
-Enfin, «qu'est-ce qu'une idée pure?» selon
-Jean Scot. «C'est, en propres termes, une théophanie,
-c'est-à-dire une manifestation de Dieu dans
-l'âme humaine.» Telle est, au neuvième siècle, la
-doctrine enseignée en France par l'irlandais Jean
-Scot<a name="NoteRef_448" id="NoteRef_448"></a><a href="#Note_448" class="fnanchor">[10]</a>. C'est la doctrine que l'épopée mythologique
-<span class="pagenum"><a name="Page_249" id="Page_249">[Pg 249]</a></span>irlandaise met dans la bouche d'Amairgen, quand
-elle lui fait dire: «Je suis le dieu qui met dans la
-tête [de l'homme] le feu [de la pensée], je suis la
-vague de l'Océan, je suis le murmure des flots, etc.»
-La <i>file</i>, le savant chez lequel la science, c'est-à-dire
-l'idée divine, s'est manifestée, et qui devient ainsi
-la personnification de cette idée, peut, sans orgueil,
-se proclamer identique à l'être unique et universel
-dont tous les êtres secondaires ne sont que les apparences
-ou les manifestations. Sa propre existence
-se confond avec celle de ces êtres secondaires.
-</p>
-<p>
-Tel est le sens du vieux poème que la légende irlandaise
-met dans la bouche du <i>file</i> Amairgen au
-moment où ce représentant primitif de la science
-celtique, arrivant des régions mystérieuses de la
-mort, posa pour la première fois son pied droit sur
-le sol de l'Irlande.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_439" id="Note_439"></a><a href="#NoteRef_439"><span class="label">[1]</span></a> Livre de Leinster, p. 12, col. 2, lignes 39 et suivantes. Livre
-de Ballymote, f° 21, recto, col. 2, lignes 21 et suivantes. Livre de
-Lecan, f° 284, recto, col. 2. Voir aussi dans la Bibliothèque de
-l'Académie royale d'Irlande les manuscrits 23. K. 32, p. 75 et 23. K.
-45, p. 188; enfin, <i>Transactions of the Ossianic Society for the year</i>
-1857, vol. V, 1860, p. 234&ndash;236. Pour donner une édition de ce texte,
-on ne pourrait se contenter de la leçon fournie par le Livre de
-Leinster. Ainsi les mots <i>ar-domni</i>, qui ont pénétré dans le texte du
-Livre de Leinster, ligne 39, sont une glose, comme rétablit la comparaison
-avec les livres de Ballymote et de Lecan.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_440" id="Note_440"></a><a href="#NoteRef_440"><span class="label">[2]</span></a> <i>Kat Godeu</i>, vers 5, chez William F. Skene, <i>The four ancient
-books of Wales</i>, t. II, p. 137 et suivantes. Cf. t. I, p. 276 et suiv.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_441" id="Note_441"></a><a href="#NoteRef_441"><span class="label">[3]</span></a> <i>Kat Godeu</i>, vers 13.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_442" id="Note_442"></a><a href="#NoteRef_442"><span class="label">[4]</span></a> <i>Ibid.</i>, vers 23.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_443" id="Note_443"></a><a href="#NoteRef_443"><span class="label">[5]</span></a> <i>Kat Godeu</i>, vers 17, 18.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_444" id="Note_444"></a><a href="#NoteRef_444"><span class="label">[6]</span></a> <i>Ibid.</i>, vers 7.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_445" id="Note_445"></a><a href="#NoteRef_445"><span class="label">[7]</span></a> <i>Histoire de la philosophie scolastique</i>, première partie, p. 171.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_446" id="Note_446"></a><a href="#NoteRef_446"><span class="label">[8]</span></a> Hauréau, <i>ibid.</i>, p. 159. Cf. Jean Scot, <i>De divisione naturæ</i>,
-livre I, chap. 72; Migne, <i>Patrologia latina</i>, t. 122, col. 518 A.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_447" id="Note_447"></a><a href="#NoteRef_447"><span class="label">[9]</span></a> <i>De divisione naturæ</i>, l. III, c. 1; Hauréau, <i>ibid.</i>, p. 160; Migne,
-<i>Patrologia latina</i>, t. 122, col. 621 B C.</p></div>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_448" id="Note_448"></a><a href="#NoteRef_448"><span class="label">[10]</span></a> Hauréau, <i>Histoire de la philosophie scolastique</i>, première partie,
-p. 156&ndash;157. Cf. Jean Scot, <i>De divisione naturæ</i>, livre I, chap. 7;
-Migne, <i>Patrologia latina</i>, t. 122, col. 446 D.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XI_3"></a>§ 3.<br />
-
-<i>Les deux autres poèmes d'Amairgen. Doctrine naturaliste
-qu'ils expriment.</i></h3>
-<p>
-Après ce document philosophique, le <i>Livre des
-conquêtes</i> fait débiter par Amairgen deux autres morceaux
-inspirés par une doctrine beaucoup moins
-élevée. La croyance qui les inspire est à peu près
-<span class="pagenum"><a name="Page_250" id="Page_250">[Pg 250]</a></span>celle qui, dans la <i>Théogonie</i> hésiodique, explique
-l'origine du monde. La matière a précédé les dieux.
-Ce qui a d'abord existé, c'est le Chaos, père des ténèbres
-et de la Nuit; ensuite a paru la Terre, qui a
-produit les montagnes, le ciel et la mer, et qui,
-s'unissant au Ciel, a donné naissance à l'Océan d'abord,
-ensuite aux Titans, pères des dieux et des hommes.
-La matière a donc existé à l'origine des choses; elle
-a sur les dieux la supériorité du père sur son fils.
-La nature matérielle est au-dessus des dieux. Aussi
-Amairgen, en guerre avec les dieux, s'adresse-t-il
-aux forces de la nature. C'est avec leur aide qu'il
-espère vaincre les dieux. Voilà pourquoi les deux
-derniers poèmes d'Amairgen sont chacun une invocation
-aux forces de la nature. Voici la seconde de
-ces deux pièces: comme dans la <i>Théogonie</i>, la Terre
-y tient la première place:</p>
-<p class="poem">
-<span style="margin-left: 1em;">«J'invoque terre d'Irlande!</span><br />
-<span style="margin-left: 1.5em;">Mer brillante, brillante(?)!</span><br />
-<span style="margin-left: 1.5em;">Montagne fertile, fertile!</span><br />
-<span style="margin-left: 1.5em;">Bois vallonné!</span><br />
-<span style="margin-left: 1.5em;">Rivière abondante, abondante en eau!</span><br />
-<span style="margin-left: 1.5em;">Lac poissonneux, poissonneux!</span><br />
-. . . . . . . . . . . . . . . . . . .<a name="NoteRef_449" id="NoteRef_449"></a><a href="#Note_449" class="fnanchor">[1]</a>.»</p>
-<p>
-<span class="pagenum"><a name="Page_251" id="Page_251">[Pg 251]</a></span>Ainsi c'est la terre d'Irlande, c'est la mer qui
-l'entoure, ce sont ses montagnes, ses rivières, ses
-lacs qu'Amairgen appelle à son aide contre la race
-divine qui la domine, contre les dieux qui l'habitent.
-Nous avons ici une formule de prière empruntée au
-rituel celtique. Elle a dû être jadis consacrée par
-l'usage et elle n'a pas été composée pour le morceau
-littéraire dans lequel elle a été insérée. C'est une
-invocation païenne adressée à l'Irlande divinisée,
-et cette invocation pouvait être employée en toute
-circonstance où l'on croyait avoir besoin du secours
-de cette divinité tutélaire.
-</p>
-<p>
-Ce texte en rappelle d'autres où, en Irlande, on
-voit également la nature matérielle considérée comme
-le plus grand des dieux. Ainsi nous avons déjà parlé
-du serment que Loégairé, roi suprême d'Irlande,
-vaincu et fait prisonnier par les habitants de Leinster,
-fut contraint de leur prêter pour obtenir sa liberté.
-Il prit à témoin le soleil et la lune, l'eau et
-l'air, le jour et la nuit, la mer et la terre; il ne
-parla pas d'autres dieux que ceux-là, et quand il eut
-violé son serment, ces puissances de la nature, qui
-étaient caution de son engagement, le punirent de
-sa mauvaise foi en lui ôtant la vie<a name="NoteRef_450" id="NoteRef_450"></a><a href="#Note_450" class="fnanchor">[2]</a>.
-</p>
-<p>
-Le <i>Livre des conquêtes</i> met dans la bouche d'Amairgen
-<span class="pagenum"><a name="Page_252" id="Page_252">[Pg 252]</a></span>un autre poème qu'il place le second et dont le
-sens est clair quand on le met à la suite du troisième.
-C'est une invocation à la mer; la terre y est
-nommée, mais au second rang, tandis que, dans la
-pièce qui précède, elle tient le premier rang.</p>
-
-<p class="poem">
-«Mer poissonneuse!<br />
-<span style="margin-left: 0.5em;">Terre fertile!</span><br />
-<span style="margin-left: 0.5em;">Irruption de poisson!</span><br />
-<span style="margin-left: 0.5em;">Pêche là!</span><br />
-<span style="margin-left: 0.5em;">Sous vague, oiseau!</span><br />
-<span style="margin-left: 0.5em;">Grand poisson!</span><br />
-<span style="margin-left: 0.5em;">Trou à crabe!</span><br />
-<span style="margin-left: 0.5em;">Irruption de poisson!</span><br />
-<span style="margin-left: 0.5em;">Mer poissonneuse<a name="NoteRef_451" id="NoteRef_451"></a><a href="#Note_451" class="fnanchor">[3]</a>!»</span><br />
-</p>
-
-<p>
-Ainsi Amairgen, venant combattre les dieux, invoque
-contre eux l'appui de la matière et des forces
-naturelles, auxquelles il adresse deux prières; grâce
-à ces prières les dieux seront vaincus<a name="NoteRef_452" id="NoteRef_452"></a><a href="#Note_452" class="fnanchor">[4]</a>.</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_449" id="Note_449"></a><a href="#NoteRef_449"><span class="label">[1]</span></a></p>
-<p class="poem">Aliu iath n-hErend.<br />
-Hermach [hermach] muir,<br />
-Mothach mothach sliab,<br />
-Srathach srathach caill,<br />
-Cithach cithach aub,<br />
-Essach essach loch.</p>
-
-<p>
-<i>Aliu</i> est glosé par <i>alim</i>, et <i>aub</i> par <i>aband</i>.
-</p>
-<p>
-Livre de Leinster, p. 13, col. 2, lignes 6 et suivantes; comparez
-Livre de Ballymote, f° 21 verso, col. 2, lignes 20 et suiv. Livre
-de Lecan, f° 285 recto, col. 1; <i>Transactions of the Ossianic Society</i>,
-t. V, p. 232.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_450" id="Note_450"></a><a href="#NoteRef_450"><span class="label">[2]</span></a> Voir tome I, p. 181, 182.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_451" id="Note_451"></a><a href="#NoteRef_451"><span class="label">[3]</span></a></p>
-<p class="poem">Iascach muir.<br />
-Mothach tîr.<br />
-Tomaidm n-eisc.<br />
-Iasca and.<br />
-Fo thuind ên.<br />
-Lethach mîl.<br />
-Partach lâg.<br />
-Tomaidm n-eisc.<br />
-Iascach muir.</p>
-
-<p>
-Livre de Leinster, p. 12, col. 2, lignes 49 et suiv.; cf. Livre de
-Ballymote, f° 21, recto, col. 3, ligne 21; Livre de Lecan, f° 284
-verso, col. 1; <i>Transactions of the Ossianic Society</i>, t. V, p. 237.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_452" id="Note_452"></a><a href="#NoteRef_452"><span class="label">[4]</span></a> Sur le naturalisme celtique, tant en Gaule qu'en Irlande, voir
-plus bas, <a href="#XVI_8">chap. XVI, § 8</a>.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_253" id="Page_253">[Pg 253]</a></span></p>
-
-<h3><a id="XI_4"></a>§ 4.<br />
-
-<i>Première invasion des fils de Milé en Irlande.</i></h3>
-
-<p>Mais reprenons le récit de la conquête de l'Irlande
-par les fils de Milé. Le <i>file</i> Amairgen, débarquant
-avec ses frères et leurs compagnons, débita, dit le
-vieux texte, les deux invocations qui, dans l'exposé
-précédent, sont placées la première et la troisième.
-Nous retrouverons la seconde plus tard. Puis trois
-jours et trois nuits s'écoulèrent, et les fils de Milé
-livrèrent leur première bataille. Ils y eurent pour adversaires,
-suivant le <i>Livre des conquêtes</i>, «les démons,
-c'est-à-dire les Tûatha Dê Danann.» C'était à peu de
-distance de la plage sur laquelle ils avaient débarqué,
-dans le lieu appelé Slîab Mis, qu'on écrit aujourd'hui
-Slieve Mish, dans le comté de Cork, qui
-est une des subdivisions du Munster, c'est-à-dire de
-la province du Sud-Ouest.</p>
-
-<p>Ici le <i>Livre des conquêtes</i> place une de ces légendes
-bizarres dont la manie de l'étymologie a semé plusieurs
-documents irlandais. Près de Slieve Mish se
-trouvait un lac. Lugaid, fils d'Ith, s'y baigna, et de
-là ce lac prit le nom de «lac de Lugaid.» De ce lac
-coule une rivière, et la femme de Lugaid, qui s'appelait
-Fîal, c'est-à-dire «pudique,» se baigna dans cette
-rivière. Lugaid, suivant le courant, sortit du lac,
-pénétra dans la rivière et s'approcha de l'endroit où
-se trouvait sa femme; en apercevant dans l'eau, où
-<span class="pagenum"><a name="Page_254" id="Page_254">[Pg 254]</a></span>elle se trouvait elle-même, son mari, qu'elle n'attendait
-pas, Fîal la pudique éprouva un tel saisissement
-qu'à l'instant elle expira, et son nom fut
-donné à la rivière où arriva ce tragique événement.</p>
-
-<p>Les fils de Milé se mirent en marche vers le Nord-Est.
-Ils étaient encore près de Slieve Mish quand
-ils rencontrèrent la reine Banba. Elle leur dit:&mdash;.«Si
-c'est pour faire la conquête de l'Irlande que
-vous y êtes venus, le but de votre expédition
-n'est pas juste.»&mdash;«C'est pour en faire la conquête,
-bien certainement,» répondit Amairgen le
-<i>file</i>.&mdash;«Accordez-moi, du moins, une chose,» répliqua
-Banba: «que cette île porte mon nom.»&mdash;«On
-donnera votre nom à cette île,» répondit
-Amairgen.</p>
-
-<p>Un peu plus loin, les fils de Milé rencontrèrent
-la seconde reine, qui s'appelait Fotla. Elle demanda
-aussi que l'île reçût son nom.&mdash;«Soit,» dit Amairgen;
-«l'île s'appellera Fotla.»</p>
-
-<p>A Uisnech, point central de l'Irlande, les fils de
-Milé rencontrèrent Eriu, la troisième reine.&mdash;«Guerriers,»
-leur dit-elle, «soyez les bienvenus.
-C'est de loin que vous arrivez; cette île vous appartiendra
-toujours, et d'ici à l'extrême levant il
-n'y aura pas d'île meilleure. Aucune race ne sera
-plus parfaite que la vôtre.»&mdash;«Voilà de bonnes
-paroles,» dit Amairgen, «et une bonne prophétie.»&mdash;«Ce
-n'est pas à vous que nous devons
-des remerciements,» s'écria Eber Dond, l'aîné
-des fils de Milé; «nous devrons nos succès à nos
-<span class="pagenum"><a name="Page_255" id="Page_255">[Pg 255]</a></span>dieux et à notre propre puissance.»&mdash;«Ce que
-j'annonce est pour toi sans intérêt,» répondit
-Eriu; «tu ne jouiras pas de cet île; elle n'appartiendra
-pas à tes descendants.» Et en effet, Eber
-Dond devait périr avant la conquête de l'Irlande par
-la race de Milé. La reine Eriu termina en demandant,
-comme les deux premières reines, que son nom fût
-donné à l'île.&mdash;«Ce sera son nom principal,» dit
-Amairgen.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XI_5"></a>§ 5.<br />
-
-<i>Jugement d'Amairgen.</i></h3>
-
-<p>Les fils de Milé arrivèrent à la capitale de l'Irlande,
-c'est-à-dire à Tara, qu'on appelait alors «la
-Belle Colline,» <i>Druim Cain</i>. Ils y trouvèrent les
-trois rois Mac Cuill, Mac Cecht et Mac Grêné, qui
-alors régnaient sur les Tûatha Dê Danann et sur
-l'Irlande et auxquels ils venaient faire la guerre. Ils
-commencèrent par entrer en pourparlers avec eux.</p>
-
-<p>Les trois rois dirent qu'ils voulaient un armistice
-pour délibérer sur la question de savoir s'ils livreraient
-bataille ou s'ils donneraient des otages et traiteraient.
-Ils comptaient profiter de ce délai pour se rendre
-invincibles, car au même moment leurs druides préparaient
-des incantations qu'ils n'avaient pu faire
-jusque-là, n'ayant pas prévu cette invasion.&mdash;«Nous
-acceptons d'avance,» dit aux fils de Milé
-Mac Cuill, premier roi des Tûatha Dê Danann, «la
-<span class="pagenum"><a name="Page_256" id="Page_256">[Pg 256]</a></span>sentence que portera comme arbitre Amairgen
-votre juge; mais nous le prévenons que s'il rend
-un faux jugement nous le tuerons.»&mdash;«Prononce
-ta sentence, ô Amairgen,» s'écria Eber Dond,
-l'aîné des fils de Milé.&mdash;«La voici,» répondit Amairgen.
-«Vous abandonnerez provisoirement cette île
-aux Tûatha Dê Danann.»&mdash;«A quelle distance
-irons-nous?» demanda Eber.&mdash;«Vous laisserez
-entre elle et vous un intervalle de neuf vagues,»
-répondit Amairgen. Ce fut le premier jugement
-rendu en Irlande.</p>
-
-<p>Tel est le récit du <i>Livre des conquêtes</i>. Que signifie
-cette expression, «neuf vagues?» On se demandera
-de quelle distance il peut être question. C'est
-une difficulté que nous n'avons pas la prétention de
-résoudre. Ce que nous savons, c'est qu'il y a là une
-formule magique à laquelle, en Irlande, on attribuait
-encore une valeur superstitieuse aux premiers
-temps du christianisme. Au septième siècle, il y avait
-à Cork une école ecclésiastique qui fut un certain
-temps dirigée par le <i>fer leigind</i>, ou professeur de littérature
-écrite, c'est-à-dire de latin et de théologie,
-Colmân, fils de Hûa Clûasaig. A l'époque où Colmân
-enseignait dans cette école, il y eut en Irlande une
-famine suivie d'une épouvantable mortalité. Les deux
-tiers des Irlandais périrent, et parmi eux les deux
-rois d'Irlande, Diarmait et Blathmac, tous deux fils
-d'Aed Slane. C'était en 665<a name="NoteRef_453" id="NoteRef_453"></a><a href="#Note_453" class="fnanchor">[1]</a>. Pour échapper à ce
-<span class="pagenum"><a name="Page_257" id="Page_257">[Pg 257]</a></span>fléau, lui-même, et pour éviter que ses élèves en
-fussent atteints, Colmân recourut à deux moyens:
-il composa un hymne en vers irlandais, que nous
-ont conservé deux manuscrits de la fin du onzième
-siècle<a name="NoteRef_454" id="NoteRef_454"></a><a href="#Note_454" class="fnanchor">[2]</a>; il se retira avec ses élèves dans une île
-située près de la côte d'Irlande, mais à une distance
-de neuf vagues. «Car,» prétend le texte irlandais
-qui nous a gardé le souvenir de cet événement,
-«c'est, au dire des savants, un intervalle que les
-maladies épidémiques ne peuvent franchir<a name="NoteRef_455" id="NoteRef_455"></a><a href="#Note_455" class="fnanchor">[3]</a>.»
-Ainsi, au septième siècle de notre ère, les Irlandais
-chrétiens attribuaient à la distance de neuf vagues
-une puissance magique à la protection de laquelle
-ils n'avaient pas cessé de croire, et nous retrouvons
-cette doctrine païenne dans l'histoire légendaire de
-la conquête de l'Irlande par les fils de Milé sur les
-Tûatha Dê Danann.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_453" id="Note_453"></a><a href="#NoteRef_453"><span class="label">[1]</span></a> Annales de Tigernach, chez O'Conor, <i>Rerum hibernicarum
-scriptores</i>, t. II, p. 205. Cette épidémie aurait eu lieu en 661 suivant
-le <i>Chronicum Scotorum</i>, édition Hennessy, p. 98&ndash;99; en 664, suivant
-les <i>Annales des Quatre Maîtres</i>, édition d'O'Donovan, 1851, t. I,
-p. 274&ndash;276. La même date de 664 est donnée par Bède, <i>Historia ecclesiastica</i>,
-livre III, chap. 27; chez Migne, <i>Patrologia latina</i>, t. 95,
-col. 165.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_454" id="Note_454"></a><a href="#NoteRef_454"><span class="label">[2]</span></a> Collège de la Trinité de Dublin, manuscrit coté E. 4, 2, f° 5;
-Franciscains de Dublin, manuscrit coté I par Gilbert, p. 28; Whitley
-Stokes, <i>Goidelica</i>, 1<sup>re</sup> édit., p. 78; 2<sup>e</sup> édit., p. 121; Windisch, <i>Irische
-Texte</i>, p. 6.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_455" id="Note_455"></a><a href="#NoteRef_455"><span class="label">[3]</span></a> <i>Goidelica</i>, 2<sup>e</sup> édit., p. 121, ligne 34.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_258" id="Page_258">[Pg 258]</a></span></p>
-
-<h3><a id="XI_6"></a>§ 6.<br />
-
-<i>Retraite des fils de Milé.</i></h3>
-
-<p>Les fils de Milé se soumirent à la sentence
-d'Amairgen; ils reprirent le chemin par lequel ils
-étaient venus, regagnèrent la pointe sud-ouest de
-l'Irlande, où leurs vaisseaux étaient restés à l'ancre,
-se rembarquèrent, et s'éloignèrent jusqu'à cette distance
-mystérieuse de neuf vagues, que le jugement
-d'Amairgen avait fixée. Aussitôt les druides et les
-<i>file</i> des Tûatha Dê Danann chantèrent des poèmes
-magiques qui firent lever un vent terrible, et la flotte
-des fils de Milé fut rejetée au loin dans la haute
-mer. Alors les fils de Milé éprouvèrent une profonde
-tristesse.&mdash;«Ce doit être un vent druidique,» dit Eber
-Dond, qui, en qualité d'aîné, paraît avoir été le chef
-principal de l'expédition. «Voyez si ce vent souffle
-au-dessus du mât.» On monta en haut du mât, et
-il fut constaté qu'au-dessus du mât on ne sentait
-aucun vent.&mdash;«Attendons qu'Amairgen nous rejoigne,»
-s'écria le pilote d'Eber Dond, qui était un
-élève du célèbre <i>file</i>. On attendit en effet que tous
-les vaisseaux fussent réunis, et Eber Dond, s'adressant
-à Amairgen, prétendit que cette tempête était
-une honte pour les savants de la flotte.&mdash;«Ce n'est
-pas vrai,» répondit Amairgen. Ce fut alors qu'il
-chanta sa prière à la terre d'Irlande, faisant appel à
-<span class="pagenum"><a name="Page_259" id="Page_259">[Pg 259]</a></span>la bienveillance de cette puissance naturelle contre
-l'inimitié des dieux.</p>
-
-<p class="poem">
-«J'invoque terre d'Irlande!<br />
-<span style="margin-left: 0.5em;">Mer brillante, brillante!</span><br />
-<span style="margin-left: 0.5em;">Montagne fertile, fertile!» Etc<a name="NoteRef_456" id="NoteRef_456"></a><a href="#Note_456" class="fnanchor">[1]</a>.</span></p>
-
-<p>Dès qu'il eut fini, le vent changea et devint favorable.
-Eber Dond crut qu'un succès immédiat était
-assuré. «Je vais,» dit-il, «frapper de la lance et
-du glaive tous les habitants de l'Irlande.» Mais il
-n'eut pas plus tôt prononcé ces mots que le vent redevint
-contraire. Une tempête s'éleva, les navires
-furent dispersés; plusieurs firent naufrage et périrent
-avec tous ceux qui les montaient; Eber Dond
-fut une des victimes. Ceux qui échappèrent à la tempête
-débarquèrent en Irlande à une grande distance
-du point d'où ils étaient partis quand ils avaient
-repris la mer à la suite du jugement d'Amairgen.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_456" id="Note_456"></a><a href="#NoteRef_456"><span class="label">[1]</span></a> Voyez plus haut; <a href="#Page_250">p. 250</a>.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XI_7"></a>§ 7.<br />
-
-<i>Seconde invasion des fils de Milé en Irlande: ils font la conquête de cette île.</i></h3>
-
-<p>L'embouchure de la Boyne, sur la côte orientale
-de l'Irlande, en face de la Grande-Bretagne, est
-l'endroit où les fils de Milé mirent pour la seconde
-fois le pied sur le sol irlandais; et conformément à
-la prophétie d'Eriu, Eber Dond, l'aîné, ne se trouvait
-plus parmi eux. Il était mort; ce furent ses
-<span class="pagenum"><a name="Page_260" id="Page_260">[Pg 260]</a></span>frères et non lui qui, comme la déesse Eriu l'avait
-annoncé, firent la conquête de l'Irlande<a name="NoteRef_457" id="NoteRef_457"></a><a href="#Note_457" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>Le sort de l'île fut décidé par une bataille qui se
-livra à Tailtiu, lieu célèbre par une assemblée périodique
-dont on attribue la fondation au dieu Lug.
-Les trois rois et les trois reines des Tûatha Dê Danann
-y perdirent la vie<a name="NoteRef_458" id="NoteRef_458"></a><a href="#Note_458" class="fnanchor">[2]</a>. A partir de cet événement,
-les Tûatha Dê Danann se réfugièrent au fond
-des cavernes, où ils habitent des palais merveilleux.
-Invisibles, ils parcourent l'Irlande, rendant aux
-hommes, suivant les circonstances, de bons ou de
-mauvais services dont on ne peut que difficilement
-deviner l'auteur. Quelquefois ils prennent des formes
-visibles, et aucun mystère n'enveloppe les opérations
-de leur puissance divine. La suite de leur
-histoire appartient à l'épopée héroïque de l'Irlande.
-Leur vie se mêle à la vie des héros, comme celle
-des dieux grecs dans l'<i>Iliade</i> et l'<i>Odyssée</i><a name="NoteRef_459" id="NoteRef_459"></a><a href="#Note_459" class="fnanchor">[3]</a>. Nous en
-donnerons un aperçu dans les chapitres suivants.</p>
-
-<p>Les fils de Milé prirent possession de l'Irlande. Le
-plus âgé, Eber Dond, faisant défaut, deux de ses frères
-se disputèrent la royauté. Erémon, le second des fils
-de Milé, était devenu l'aîné par la mort du premier;
-<span class="pagenum"><a name="Page_261" id="Page_261">[Pg 261]</a></span>mais le troisième, Eber Find, ne voulait pas reconnaître
-ce droit d'aînesse. Amairgen pris pour juge,
-décida qu'Erémon posséderait la royauté tant qu'il
-vivrait, et qu'une fois Erémon mort, la couronne
-passerait à Eber Find. Ce fut le second jugement
-d'Amairgen. Mais il reçut beaucoup moins bon
-accueil que le premier. A la parole d'Amairgen,
-les fils de Milé avaient consenti à battre en retraite
-et à momentanément abandonner l'Irlande à demi
-conquise déjà. Mais cette fois Eber Find refusa de
-se soumettre à la sentence d'Amairgen. Il exigea un
-partage immédiat de l'Irlande et l'obtint<a name="NoteRef_460" id="NoteRef_460"></a><a href="#Note_460" class="fnanchor">[4]</a>. Cet
-arrangement ne fut pas durable: au bout d'un an,
-Erémon et Eber Find se livrèrent bataille. Eber
-Find périt dans le combat,; Erémon devint seul roi
-d'Irlande<a name="NoteRef_461" id="NoteRef_461"></a><a href="#Note_461" class="fnanchor">[5]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_457" id="Note_457"></a><a href="#NoteRef_457"><span class="label">[1]</span></a> <i>Lebar gabala</i> ou Livre des conquêtes, dans le Livre de Leinster,
-p. 13, col. 4, lignes 34&ndash;40.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_458" id="Note_458"></a><a href="#NoteRef_458"><span class="label">[2]</span></a> <i>Flathiusa Erend</i>, dans le Livre de Leinster, p. 14, col. 2,
-ligne 51; p. 15, col. 1, lignes 1&ndash;4.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_459" id="Note_459"></a><a href="#NoteRef_459"><span class="label">[3]</span></a> Voir, par exemple, <i>Odyssée</i>, livre XVII, vers 485&ndash;488. Les
-dieux, sous l'apparence d'étrangers, dit le poète, se présentent
-partout, parcourant les villes, observant les hommes et les mauvaises
-actions des hommes. Cf. plus haut, <a href="#Page_186">p. 186</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_460" id="Note_460"></a><a href="#NoteRef_460"><span class="label">[4]</span></a> <i>Lebar gabala</i> ou Livre des conquêtes, dans le Livre de Leinster,
-p. 14, col. 1, lignes 47&ndash;51.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_461" id="Note_461"></a><a href="#NoteRef_461"><span class="label">[5]</span></a> <i>Flathiusa Erend</i>, dans le Livre de Leinster, p. 15, col. 1,
-lignes 8&ndash;14.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XI_8"></a>§ 8.<br />
-
-<i>Comparaison entre les traditions irlandaises et les traditions
-gauloises.</i></h3>
-
-<p>Dans ce récit, les traits fondamentaux doivent
-provenir de traditions qui ne sont pas seulement
-irlandaises, mais qui ont appartenu en commun à
-la race celtique. Les Gaulois, comme les Irlandais,
-<span class="pagenum"><a name="Page_262" id="Page_262">[Pg 262]</a></span>croyaient descendre du dieu des morts; comme les
-Irlandais, ils pensaient que le domaine du dieu des
-morts appartenait à la géographie, que c'était une
-contrée réelle, située au delà de l'Océan. C'était la
-région mystérieuse où les marins gaulois des côtes
-de l'Océan, montés sur des navires d'origine inconnue,
-conduisaient la nuit, d'un coup de rame ou en
-l'espace d'une heure, des morts invisibles<a name="NoteRef_462" id="NoteRef_462"></a><a href="#Note_462" class="fnanchor">[1]</a>. La population
-préceltique de la Gaule n'en venait point.</p>
-
-<p>Il y avait en Gaule, disaient les druides vers la fin
-du premier siècle avant notre ère, une population indigène:
-c'est la population antérieure à la conquête
-celtique; c'est celle qui est connue en Irlande sous
-le nom de Fir-Bolg, Fir-Domnann, Galiôin. Un second
-groupe, ajoutaient les druides, venait des îles
-les plus éloignées, c'est-à-dire du pays des morts, des
-îles des Bienheureux ou des tout-puissants de la
-mythologie grecque: c'était la population celtique
-qui la première, à une époque préhistorique, antérieurement
-à l'année 500 ou environ avant J.-C.,
-antérieurement à Hécatée de Milet<a name="NoteRef_463" id="NoteRef_463"></a><a href="#Note_463" class="fnanchor">[2]</a>, avait franchi
-le Rhin et s'était installée dans les régions situées à
-l'ouest de ce grand fleuve. A la date où Timagène
-recueillait cet enseignement des druides, c'est-à-dire
-vers la fin du siècle qui précède la naissance de J.-C.,
-les Celtes de ce premier ban avaient perdu le souvenir
-<span class="pagenum"><a name="Page_263" id="Page_263">[Pg 263]</a></span>de leur établissement en Gaule, et, quant à
-leur origine, n'avaient plus d'autre croyance que la
-doctrine druidique sur l'origine mythique du Celte.
-Enfin, un troisième groupe avait été formé par
-les peuples celtiques du second ban, primitivement
-établis sur la rive droite du Rhin, et que,
-du troisième au premier siècle avant notre ère, la
-conquête germanique en avait expulsés en les forçant
-à chercher un refuge sur la rive gauche de ce fleuve,
-ou même plus à l'Ouest, dans diverses régions de la
-Gaule<a name="NoteRef_464" id="NoteRef_464"></a><a href="#Note_464" class="fnanchor">[3]</a>. On avait conservé le souvenir de leur
-arrivée de ce côté-ci du Rhin.</p>
-
-<p>Des trois articles dont se composait l'enseignement
-des druides sur l'ethnographie gauloise, le second
-appartient à la mythologie: c'est celui qui fait sortir
-des îles les plus éloignées la population celtique la
-plus anciennement établie en Gaule. Le troisième
-article, qui donne une origine transrhénane à des
-Gaulois plus récemment arrivés sur notre sol, est
-du domaine de l'histoire. Quant au premier article,
-où les populations les plus anciennes de la Gaule,
-c'est-à-dire les populations préceltiques, sont présentées
-comme indigènes, il est conforme à la
-croyance généralement admise dans l'antiquité, où
-l'on considérait comme indigènes les peuples dont
-les migrations étaient oubliées; et il est d'expérience
-<span class="pagenum"><a name="Page_264" id="Page_264">[Pg 264]</a></span>que le souvenir des migrations un peu anciennes
-s'efface toujours de la mémoire des peuples
-qui n'ont pas d'annales écrites.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_462" id="Note_462"></a><a href="#NoteRef_462"><span class="label">[1]</span></a> Voir plus haut, p. <a href="#Page_231">231&ndash;232</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_463" id="Note_463"></a><a href="#NoteRef_463"><span class="label">[2]</span></a> «Μασσαλία, πόλις τῆς Λιγυστικῆς κατὰ τὴν Κελτικήν.» <i>Fragmenta
-historicorum græcorum</i>, t. I, p. 2.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_464" id="Note_464"></a><a href="#NoteRef_464"><span class="label">[3]</span></a> Timagène cité par Ammien Marcellin, livre XV, chap. 9, chez
-Didot-Müller, <i>Fragmenta historicorum græcorum</i>, t. III, p. 323.
-Timagène écrivait du temps de l'empereur Auguste.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XI_9"></a>§ 9.<br />
-
-<i>Les Fir-Domnann, les Bretons et les Pictes en Irlande.</i></h3>
-
-<p>Mais revenons à l'Irlande et aux récits légendaires
-par lesquels s'y complète la doctrine traditionnelle
-des origines nationales. Erémon, devenu seul maître
-de l'Irlande, attribua aux conquérants le nord,
-l'ouest et le sud-ouest de l'île, c'est-à-dire qu'il partagea
-entre eux l'Ulster, le Connaught et le Munster.
-Il laissa le Leinster aux habitants primitifs de l'Irlande,
-et y donna la royauté à Crimthan Sciathbel, qui
-était un Fer-Domnann. Bientôt, Crimthan se trouva
-en guerre avec une tribu bretonne qu'on appelait
-«les hommes de Fidga,» <i>Fir-Fidga</i> ou <i>Tûath-Fidga</i>.
-Ceux-ci avaient envahi la partie de l'Irlande où régnait
-Crimthan et ils étaient plus forts que ses soldats;
-leurs traits empoisonnés causaient des blessures
-mortelles.</p>
-
-<p>Ce fut en ce moment que les Pictes, en irlandais
-<i>Cruithnich</i>, arrivèrent en Irlande. Ils débarquèrent
-sur la côte méridionale du Leinster, à l'embouchure
-de la rivière de Slaney, qui se jette dans la mer
-près de Wexford. Crimthan fit alliance avec eux, et
-apprit d'un druide picte le moyen de guérir les blessures
-que ses soldats recevaient en combattant les
-Fir-Fidga. La recette était de prendre un bain près
-<span class="pagenum"><a name="Page_265" id="Page_265">[Pg 265]</a></span>du champ de bataille dans un trou rempli du lait de
-cent vingt vaches blanches sans cornes. Grâce à ce
-traitement, les soldats de Crimthan remportèrent la
-victoire d'Ard-Lemnacht. Les Pictes, auteurs de ce
-succès, exercèrent quelque temps une grande puissance
-en Irlande. Puis Erémon les en chassa, et les
-contraignit à aller s'établir en Grande-Bretagne.</p>
-
-<p>Mais il consentit à leur donner pour femmes
-les veuves des guerriers de la race de Milé qui
-avaient péri sur mer avant la conquête de l'Irlande.
-A ce don il mit une condition: c'est que chez les
-Pictes les héritages se transféreraient par les femmes
-et non par les hommes. Les chefs pictes consentirent
-à établir chez eux ce droit des femmes en matière
-de succession, et ils jurèrent par le soleil et la
-lune d'observer à jamais cette législation nouvelle<a name="NoteRef_465" id="NoteRef_465"></a><a href="#Note_465" class="fnanchor">[1]</a>.
-Dès lors les Gôidels ou Scots, autrement dits fils de
-Milé, dominèrent seuls en Irlande. Il serait difficile
-de déterminer où, dans ce récit, s'arrête exactement
-la part de la fable et où commence l'histoire.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_465" id="Note_465"></a><a href="#NoteRef_465"><span class="label">[1]</span></a> <i>Flathiusa Erend</i>, dans le Livre de Leinster, p. 15, col. 1, lignes
-15 et suivantes; cf. Livre de Ballymote, f° 23 r°; et Livre de Lecan,
-f° 287 r°. Deux rédactions, l'une en prose, l'autre en vers, toutes
-deux un peu différentes de celle-là, se trouvent dans le Nennius
-irlandais, <i>The irish version of the Historia Britonum of Nennius</i>,
-p. 122&ndash;127; 134&ndash;149. Voyez aussi l'article du <i>Dinn-senchus</i>, qui
-commence par les mots «Senchass Ardda-Lemnacht,» Livre de
-Leinster, p. 196, col. 1, ligne 12. La guerre de Crimthan Sciathbel
-contre les Fir Fidga était le sujet de la pièce intitulée <i>Forbais Fer
-Fidga</i>. Cette pièce est comprise dans la liste la plus ancienne des
-morceaux qui composent la littérature épique d'Irlande.</p></div>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_266" id="Page_266">[Pg 266]</a></span></p>
-<h2>CHAPITRE XII.<br />
-
-LES TÛATHA DE DANANN DEPUIS LA CONQUÊTE DE L'IRLANDE
-PAR LES FILS DE MILÉ.&mdash;PREMIÈRE PARTIE.
-LE DIEU SUPRÊME DAGDÉ.</h2>
-
-<p><a href="#XII_1">§1</a>. Ce que devinrent les Tûatha Dê Danann après leur défaite par
-les fils de Milé. Le morceau intitulé <i>De la Conquête du Sid</i>.&mdash;<a href="#XII_2">§2</a>.
-Le dieu Dagdé. Sa puissance après la conquête de l'Irlande par les
-fils de Milé.&mdash;<a href="#XII_3">§3</a>. Le palais souterrain de Dagdé à Brug na
-Boinné, ou Sîd Maic ind Oc. Oengus, fils de Dagdé. Rédaction
-païenne de la légende qui concerne Oengus et ce palais.&mdash;<a href="#XII_4">§4</a>.
-Rédaction chrétienne de cette légende.&mdash;<a href="#XII_5">§5</a>. Les amours d'Oengus,
-fils de Dagdé.&mdash;<a href="#XII_6">§6</a>. L'évhémérisme en Irlande et à Rome.
-Dagdé ou «bon dieu» en Irlande; <i>Bona dea</i>, «la bonne déesse,»
-compagne de Faunus à Rome.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XII_1"></a>§ 1.<br />
-
-<i>Ce que devinrent les Tûatha Dê Danann après leur
-défaite par les fils de Milé. Le morceau intitulé:
-«De la Conquête du Sîd.»</i></h3>
-
-<p>Les Tûatha Dê Danann vaincus, mais toujours
-dieux, immortels et puissants, se retirèrent dans des
-<span class="pagenum"><a name="Page_267" id="Page_267">[Pg 267]</a></span>palais souterrains. Suivant la croyance celtique,
-telle qu'elle résulte de la plus vieille littérature épique
-de l'Irlande, ils y habitent encore, mais ils en
-sortent de temps en temps pour visiter ce monde
-dont ils ont été autrefois seuls maîtres, et où ils
-exercent encore aujourd'hui une puissance tantôt favorable,
-tantôt nuisible aux hommes. Souvent, par
-un privilège qui est un des caractères de la divinité,
-ils sont invisibles, et l'homme qui obtient leur faveur
-ou qui est frappé par leur vengeance n'aperçoit
-que les résultats des actes de l'être surnaturel qui le
-comble de ses bienfaits, ou dont la haine le poursuit.
-Quelquefois ils se montrent aux regards humains
-sous forme d'hommes ou d'animaux, d'oiseaux principalement.
-Ils tiennent une place considérable dans
-les compositions épiques consacrées aux exploits des
-héros de la race de Milé.</p>
-
-<p>Un des morceaux qui servent d'introduction à la
-grande épopée connue sous le nom «d'Enlèvement
-du taureau de Cualngé,» <i>Tain bô Cuailnge</i>, racontait
-la plus ancienne histoire des Tûatha Dê Danann
-après la conquête des fils de Milé. Nous avons de ce
-récit deux rédactions. L'une intitulée: «Conquête
-du <i>Sid</i>,» c'est-à-dire «du palais enchanté des dieux,»
-est antérieure aux travaux par lesquels les savants
-irlandais du onzième siècle, notamment Flann Manistrech
-et Gilla Coemain, ont défiguré les anciennes
-traditions mythologiques en limitant la durée de
-la vie des principaux chefs des Tûatha Dê Danann
-et en fixant la date où seraient morts ces personnages
-<span class="pagenum"><a name="Page_268" id="Page_268">[Pg 268]</a></span>divins que l'imagination celtique avait créés et
-considérait comme immortels<a name="NoteRef_466" id="NoteRef_466"></a><a href="#Note_466" class="fnanchor">[1]</a>. Il y a de la même
-pièce une autre rédaction qui est chrétienne. Les doctrines
-de Flann Manistrech et de Gilla Coemain sont acceptées
-par l'auteur. Les noms des chefs des Tûatha
-Dê Danann, dont le <i>Livre des conquêtes</i> place la mort
-avant l'établissement des fils de Milé en Irlande, ne
-paraissent pas dans cette rédaction: ils sont remplacés
-par d'autres noms, et, grâce à des développements
-nouveaux, le second récit est rattaché aux
-légendes qui, en Irlande, ornent le berceau du
-christianisme naissant<a name="NoteRef_467" id="NoteRef_467"></a><a href="#Note_467" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p>Nous allons reproduire la première des deux rédactions,
-en l'abrégeant un peu et en intercalant dans
-la traduction du texte irlandais les explications qui
-seront nécessaires pour nous le rendre intelligible.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_466" id="Note_466"></a><a href="#NoteRef_466"><span class="label">[1]</span></a> Son titre est <i>De gabail int-shida</i>. Livre de Leinster, p. 245,
-col. 2, lignes 41, 42.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_467" id="Note_467"></a><a href="#NoteRef_467"><span class="label">[2]</span></a> Cette rédaction n'a pas de titre; elle se trouve aux f<sup>os</sup> 111&ndash;116
-du Livre de Fermoy, manuscrit appartenant à l'Académie royale
-d'Irlande. Elle a été, en partie, analysée par O'Curry, <i>Atlantis</i>,
-t. III (1862), p. 384&ndash;389. Une analyse plus complète en a été donnée
-par Todd, <i>Proceedings of the Royal Irish Academy, Irish manuscript
-series</i>, vol. I, part I, 1870, p. 45&ndash;49.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XII_2"></a>§ 2.<br />
-
-<i>Le dieu Dagdé. Sa puissance après la conquête de l'Irlande
-par les fils de Milé.</i></h3>
-
-<p>Les Tûatha Dê Danann avaient un roi célèbre qui
-<span class="pagenum"><a name="Page_269" id="Page_269">[Pg 269]</a></span>s'appelait Dagan. <i>Dagan</i> est, dans deux passages de ce
-récit, une variante de <i>Dagdé</i><a name="NoteRef_468" id="NoteRef_468"></a><a href="#Note_468" class="fnanchor">[1]</a>, en moyen irlandais
-<i>Dagda</i>, mot qui, dans cette légende, sert aussi à désigner
-le même dieu; nous avons vu plus haut ce personnage
-divin jouer un rôle important à la seconde
-bataille de Mag-Tured. Dagan ou Dagdé est le dieu
-suprême: son nom ordinaire, <i>Dagdé</i>, veut dire «bon
-dieu;» <i>Dagan</i> signifie littéralement le «petit bon.»</p>
-
-<p>Nous avons cité au précédent volume un texte irlandais,
-conservé par un manuscrit du seizième siècle,
-où il est dit que Dagdé était un dieu principal, ou le
-dieu principal chez les païens<a name="NoteRef_469" id="NoteRef_469"></a><a href="#Note_469" class="fnanchor">[2]</a>. Dans le document
-que nous étudions, et qui est conservé par un manuscrit
-du douzième siècle, on dit que la puissance
-de Dagdé ou Dagan fut grande, même sur les fils de
-Milé, après qu'ils eurent fait la conquête de l'Irlande.
-Car les Tûatha Dê Danann, ses sujets, détruisirent
-le blé et le lait des fils de Milé, en sorte que
-ces derniers furent contraints de faire un traité de
-paix avec Dagdé. Ce fut alors seulement que, grâce
-à l'amitié de Dagdé, les fils de Milé commencèrent à
-récolter du blé dans leurs champs et à boire le lait
-de leurs vaches.</p>
-
-<p>Comme roi des dieux, Dagdé jouissait d'une grande
-autorité: ainsi ce fut lui qui partagea entre les
-<span class="pagenum"><a name="Page_270" id="Page_270">[Pg 270]</a></span>Tûatha Dê Danann, c'est-à-dire entre les dieux que
-la race heureuse de Milé a vaincus, les <i>sîd</i>, merveilleux
-palais, qui, ordinairement inaccessibles aux hommes,
-étaient cachés dans les profondeurs de la terre,
-sous des collines ou sous des plis de terrain plus
-ou moins élevés. Dagdé donna, par exemple, un <i>sîd</i>
-à Lug, fils d'Ethné, et en attribua un autre à Ogmé;
-il en prit deux pour lui-même. Le principal des deux
-était connu en irlandais sous deux noms: le premier
-nom est <i>Brug na Boinné</i>, ou «château de la Boyne,»
-parce qu'il était situé sur la rive gauche de cette rivière,&mdash;non
-loin de l'endroit où, en 1690, Jacques II,
-vaincu à la bataille dite de Drogheda, perdit définitivement
-la couronne.&mdash;Le second nom de ce palais
-mystérieux était <i>Sîd</i> ou <i>Brug Maic ind Oc</i>, «palais
-enchanté» ou «château de Mac ind Oc» ou «du
-fils des jeunes.» Nous verrons plus loin quelle en
-fut la cause.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_468" id="Note_468"></a><a href="#NoteRef_468"><span class="label">[1]</span></a> <i>Dagan</i> se trouve au Livre de Leinster, p. 245, col. 2, lignes
-42&ndash;43, et p. 246, col. 1, ligne 11. Le mot <i>Dagda</i>, moyen irlandais
-pour <i>Dagde</i>, se rencontre dans le même récit, au Livre de Leinster,
-p. 246, col, 1, lignes 2, 5.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_469" id="Note_469"></a><a href="#NoteRef_469"><span class="label">[2]</span></a> Tome I, p. 282, note 2.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XII_3"></a>§ 3.<br />
-
-<i>Le palais souterrain de Dagdé à Brug na Boinné ou Sîd
-Maic ind Oc. Oengus, fils de Dagdé. Rédaction
-païenne de la légende qui concerne Oengus et ce
-palais.</i></h3>
-
-<p>L'endroit où la tradition irlandaise la plus ancienne
-place le palais souterrain de Dagdé est un de ceux
-qu'en Irlande les archéologues visitent avec le plus
-d'intérêt. On y admire trois hautes et larges tombelles
-<span class="pagenum"><a name="Page_271" id="Page_271">[Pg 271]</a></span>dont deux ont été ouvertes et offrent chacune
-à la curiosité des amateurs et aux recherches des érudits
-une vaste chambre funéraire, aujourd'hui vide. Il
-est souvent question, dans la littérature irlandaise, du
-palais souterrain que Dagdé aurait possédé là, c'est-à-dire
-à Brug na Boinné. Un poème attribué à Cinaed hûa
-Artacain, mort en 975, prétend que dès avant la bataille
-de Mag-Tured, deux époux y dormaient dans le même
-lit. Ces époux étaient Boann, ou la rivière de Boyne
-divinisée, femme de Dagdé, et le dieu Dagdé lui-même<a name="NoteRef_470" id="NoteRef_470"></a><a href="#Note_470" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>Quand le moyen âge chrétien transforma les Tûatha
-Dê Danann en hommes mortels, on raconta que
-le lieu dit Brug na Boinné, où la tradition païenne
-mettait le palais souterrain de Dagdé, était le cimetière
-où cette race primitive enterrait ses chefs.
-L'«Histoire des cimetières,» <i>Senchas na relec</i>,
-écrite probablement vers la fin du onzième siècle,
-prétend que c'était là que Dagdé, Lug, Ogmé et d'autres
-personnages célèbres de la race des Tûatha Dê
-Danann avaient reçu la sépulture. Il paraît bien
-certain que cet endroit servit de cimetière royal à
-l'époque historique. La plupart des rois suprêmes
-d'Irlande y furent enterrés pendant les quatre premiers
-siècles de notre ère. Leurs prédécesseurs
-<span class="pagenum"><a name="Page_272" id="Page_272">[Pg 272]</a></span>avaient été inhumés à Crûachan en Connaught. Crimthann
-Nia Nair, qui régnait vers le commencement de
-notre ère, est le premier roi suprême d'Irlande de
-la race de Milé qui, dit-on, se soit fait enterrer à Brug
-na Boinné; et ce qui, raconte-t-on, le détermina à
-choisir ce lieu de sépulture est que sa femme était
-une fée, qu'elle appartenait à la race des Tûatha Dê
-Danann<a name="NoteRef_471" id="NoteRef_471"></a><a href="#Note_471" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p>Il serait intéressant de déterminer si les trois vastes
-tombelles des bords de la Boyne, celle de
-Knowth, celle de Newgrange et celle de Dowth,
-peuvent être attribuées aux rois d'Irlande des quatre
-premiers siècles de notre ère, ou s'il faut les faire
-remonter à des populations préhistoriques antérieures
-à la race celtique connue sous le nom de Gôidels et
-de Scots. La seconde hypothèse paraît la plus vraisemblable.
-Les Grecs ont attribué aux Cyclopes, qui
-sont originairement des êtres mythologiques, leurs
-monuments préhistoriques. De même les Irlandais
-païens auraient confondu leurs dieux imaginaires
-avec une race préceltique qui aurait véritablement
-existé et qui aurait enterré ses chefs dans les tombelles
-des rives de la Boyne, quand elle dominait dans
-l'île, avant l'arrivée des Gôidels ou Scots qui la réduisirent
-à l'état de population sujette ou servile.
-Ce qu'il y a de certain, c'est qu'il y a là des monuments
-funéraires qui remontent à une haute antiquité
-<span class="pagenum"><a name="Page_273" id="Page_273">[Pg 273]</a></span>et dont trois surtout présentent de grandes dimensions:
-le principal, la tombelle de Newgrange, est
-une éminence artificielle qui couvre une étendue de
-plus de quatre-vingts ares, et qui abrite une des
-plus vastes chambres funéraires de l'Europe occidentale.
-Vraisemblablement les sépultures des rois
-suprêmes qui dominèrent en Irlande pendant les
-quatre premiers siècles de notre ère doivent être
-cherchées, non dans ces monuments si justement
-célèbres, mais à l'entour.</p>
-
-<p>C'est sous le sol de ce cimetière que la tradition
-irlandaise la plus ancienne plaçait le palais souterrain
-du dieu suprême Dagdé. Ce palais avait été
-construit exprès pour lui par ses sujets<a name="NoteRef_472" id="NoteRef_472"></a><a href="#Note_472" class="fnanchor">[3]</a>. Et cependant
-le terme consacré pour désigner ce lieu
-n'était point «palais de Dagdé,» c'était: «Palais
-de Mac ind Oc,» <i>Brug Maic ind Oc</i><a name="NoteRef_473" id="NoteRef_473"></a><a href="#Note_473" class="fnanchor">[4]</a>, c'est-à-dire
-probablement «palais du Fils des Jeunes. Mac
-ind Oc» était un nom d'Oengus, fils de Dagdé, et
-de Boann; son père et sa mère, tous deux immortels,
-étaient toujours jeunes et ne ressentirent jamais
-les atteintes de la vieillesse<a name="NoteRef_474" id="NoteRef_474"></a><a href="#Note_474" class="fnanchor">[5]</a>. D'où vient que le
-palais de Dagdé porte le nom de son fils?</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_274" id="Page_274">[Pg 274]</a></span>Une légende irlandaise nous l'explique. Quand,
-après la défaite des Tûatha Dê Danann par les fils
-de Milé, Dagdé fit entre les chefs de ses sujets
-vaincus le partage des résidences souterraines ou
-<i>sîd</i> qu'ils devaient habiter désormais, ces chefs
-étaient réunis autour de lui, sauf un, alors absent.
-C'était précisément Oengus, le fils de Dagdé. Dagdé
-avait confié l'éducation de son fils à deux autres
-dieux dont l'un-était Mider de Bregleith, célèbre
-dans l'épopée irlandaise par son amour pour Etâin,
-femme d'Eochaid Airem, roi suprême d'Irlande.
-Oengus fut oublié dans le partage. Il vint s'en plaindre
-quelque temps après. Dagdé rejeta sa réclamation.
-Oengus demanda de passer la nuit dans le palais
-mystérieux de son père à Brug na Boinné.
-Dagdé consentit, et à la nuit ajouta même gracieusement
-le jour: il entendait le lendemain. Mais
-Oengus, une fois installé, prétendit que, le temps
-n'étant composé que de nuits et de jours, l'abandon
-qui lui avait été fait était perpétuel; et son père
-fut obligé de lui céder sa résidence de Brug na
-Boinné.</p>
-
-<p>Elle était merveilleuse. Suivant la légende irlandaise,
-on y voit trois arbres auxquels pendent toujours
-<span class="pagenum"><a name="Page_275" id="Page_275">[Pg 275]</a></span>des fruits<a name="NoteRef_475" id="NoteRef_475"></a><a href="#Note_475" class="fnanchor">[6]</a>; on y voit deux cochons, l'un
-sur pied et toujours vivant, l'autre tout cuit, et par
-conséquent prêt à manger; à côté est un vase qui
-contient une bière excellente; là, enfin, personne ne
-mourut jamais<a name="NoteRef_476" id="NoteRef_476"></a><a href="#Note_476" class="fnanchor">[7]</a>. Dans ce tableau, conservé par un
-manuscrit du milieu du douzième siècle, mais qui
-remonte à une date bien plus ancienne, la doctrine
-païenne de l'immortalité des dieux persiste intacte
-et sans restriction. A la date où ce récit a été composé,
-on était bien loin des temps où l'on devait raconter
-que les Tûatha Dê Danann étaient morts et
-qu'ils avaient été enterrés à Brug na Boinné. L'époque
-où se propagea cette doctrine nouvelle est celle où le
-christianisme ayant triomphé définitivement du paganisme,
-on prétendit à concilier les vieilles légendes
-païennes avec les enseignements des prêtres-chrétiens;
-<span class="pagenum"><a name="Page_276" id="Page_276">[Pg 276]</a></span>c'était au onzième siècle, lorsque furent composés
-l'«Histoire des cimetières,» <i>Senchus na relec</i>,
-et le «Livre de conquêtes,» <i>Lebar gabala</i>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_470" id="Note_470"></a><a href="#NoteRef_470"><span class="label">[1]</span></a></p>
-<p class="poem">«Lânamain contuiled sund<br />
-ria cath Maigi Tured tall:<br />
-inber môr in Dagda dond,<br />
-ni duachnid an-adba and.»</p>
-
-<p><i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 51, col 2, lignes 23, 24.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_471" id="Note_471"></a><a href="#NoteRef_471"><span class="label">[2]</span></a> «<i>Senchas na relec</i>,» dans le <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 51, col. 1,
-lignes 7&ndash;9, 23&ndash;27; col. 2, lignes 4&ndash;7.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_472" id="Note_472"></a><a href="#NoteRef_472"><span class="label">[3]</span></a> <i>Dinn-senchus</i> de Brug na Boinné, dans le Livre de Leinster,
-p. 164, col. 2, lignes 31, 32. Cf. <i>Lebar gabala</i> ou Livre des conquêtes,
-<i>ibid.</i>, p. 9, col. 2, lignes 18 et 19. Le <i>Dinn-senchus</i> désigne
-ce palais par les mots <i>dûn</i> et <i>dîn</i>; le <i>Lebar gabala</i> se sert du mot <i>sîd</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_473" id="Note_473"></a><a href="#NoteRef_473"><span class="label">[4]</span></a> Dans un poème déjà cité de Cinaed hûa hArtacain, mort en
-975, nous trouvons une expression équivalente: «Maison de Mac
-ind Oc,» <i>tech Maic ind-Oc. Leabhar na hUidhre</i>, p. 51, col. 2, ligne 17.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_474" id="Note_474"></a><a href="#NoteRef_474"><span class="label">[5]</span></a> «Oengus, mac Oc, ocus Aed Caem, ocus Cermait Milbel, tri
-maic in Dagdai.» <i>Lebar gabala</i> ou Livre des conquêtes, dans le
-Livre de Leinster, p. 10, col. 1, lignes 20, 21. Au lieu de «Mac Oc,»
-on trouve «Mac ind Oc.» Dans le poème précité de Cinaed hûa
-Artacain: «maig Maic ind Oc» (<i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 51, col. 2,
-ligne 13); «tech Maic ind Oc» (<i>Ibid.</i>, ligne 17). Dans cette formule,
-<i>ind Oc</i> paraît être un génitif duel.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_475" id="Note_475"></a><a href="#NoteRef_475"><span class="label">[6]</span></a> On peut comparer à ces arbres l'arbre de l'île mystérieuse de
-Fand dans la légende de Cûchulainn. Les branches merveilleuses,
-qui furent apportées du pays des dieux à Bran mac Febail et à Cormac
-mac Airt, viennent d'un arbre du même genre. Les Grecs comme
-les Celtes mettaient des arbres dans le séjour des dieux. Chez Hésiode,
-les Hespérides gardent au delà de l'Océan des pommes d'or
-et des arbres qui portent fruit; ce sont les arbres du vieux jardin
-de <i>Phoibos</i>, que Sophocle nous montre de l'autre côté de la mer à
-l'extrémité de la terre, aux sources de la nuit, là où commence la
-voûte du ciel; ce sont les arbres des jardins des dieux là où est la
-couche de Zeus (<i>Théogonie</i>, vers 210&ndash;216; Sophocle, fragment 326,
-édition Didot, p. 311; Euripide, <i>Hippolyte</i>, vers 163, édition Didot,
-p. 163). A Brug na Boinné, la légende irlandaise met la couche de
-Dagdé, roi des dieux comme Zeus, et trois arbres à fruit.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_476" id="Note_476"></a><a href="#NoteRef_476"><span class="label">[7]</span></a> «<i>De gabail int-shida,</i>» dans le Livre de Leinster, p. 246,
-col. 1, lignes 1&ndash;15. Comparez ici même p. 277.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XII_4"></a>§ 4.<br />
-
-<i>Rédaction chrétienne de cette légende.</i></h3>
-
-<p>Quand les idées chrétiennes commencèrent à se
-mêler aux traditions celtiques de l'Irlande, il en résulta
-un remaniement du récit mythologique que
-nous venons de reproduire. L'auteur de cette nouvelle
-rédaction admet que les principaux chefs des Tûatha
-Dê Danann, Dagdé, Lug, Ogmé, sont morts, comme
-le raconte, au onzième siècie, le «Livre des conquêtes,»
-<i>Lebar gabala</i>, avant l'époque où les fils de Milé
-arrivèrent en Irlande. Ogmé est une des victimes de
-la seconde bataille de Mag-Tured<a name="NoteRef_477" id="NoteRef_477"></a><a href="#Note_477" class="fnanchor">[1]</a>; Dagdé et Lug
-ont péri quelques années après<a name="NoteRef_478" id="NoteRef_478"></a><a href="#Note_478" class="fnanchor">[2]</a>. Les fils de Milé
-vainqueurs ont fait la conquête de l'Irlande après
-des batailles où les Tûatha Dê Danann ont encore
-perdu un certain nombre de leurs guerriers. Les survivants
-se réunissent et choisissent deux chefs:
-Bodhbh Dearg et Manannân mac Lir. Ce fut Bodhbh
-Dearg&mdash;et non Dagdé, comme dans la légende primitive&mdash;qui
-fit le partage des palais enchantés ou
-<span class="pagenum"><a name="Page_277" id="Page_277">[Pg 277]</a></span><i>sîd</i> d'Irlande<a name="NoteRef_479" id="NoteRef_479"></a><a href="#Note_479" class="fnanchor">[3]</a>. Ce fut Manannân qui procura aux
-Tûatha Dê Danann les privilèges dont ils jouissent
-dans l'épopée héroïque irlandaise. Par le procédé magique
-appelé <i>feth fiada</i><a name="NoteRef_480" id="NoteRef_480"></a><a href="#Note_480" class="fnanchor">[4]</a>, il les rendit invisibles. Par
-le festin de Goibniu, le célèbre forgeron, il leur assura
-l'immortalité. Leur principale nourriture consistait en
-porcs. C'étaient les cochons de Manannân qui, tués
-et mangés, ne cessaient de revenir à la vie<a name="NoteRef_481" id="NoteRef_481"></a><a href="#Note_481" class="fnanchor">[5]</a>. Ainsi,
-dans cette doctrine nouvelle, les principaux chefs
-des Tûatha Dê Danann, ceux que les Celtes païens
-d'Irlande ont adorés comme dieux, sont réduits au
-rang de simples mortels qui ont, comme l'on prétend,
-régné sur l'Irlande à une époque antérieure à
-l'invasion des fils de Milé, c'est-à-dire des Celtes, et
-qui depuis ont cessé de vivre; les fées mâles et femelles
-de la légende héroïque sont une fraction et
-des descendants de cette race primitive, et des procédés
-magiques leur ont conféré une partie des privilèges
-de la divinité.</p>
-
-<p>Le palais souterrain de Brug na Boinné avait été
-donné comme lot non à Dagdé, mort depuis longtemps,
-mais à Elcmar, père nourricier d'Oengus; or,
-Oengus, avec l'aide de Manannân mac Lir, en expulsa
-Elcmar, et il y demeure, dit-on, depuis cette époque,
-<span class="pagenum"><a name="Page_278" id="Page_278">[Pg 278]</a></span>invisible, grâce à l'incantation dite <i>feth fiada</i>, immortel
-parce qu'il boit la bière du festin de Goibniu le
-forgeron, bien nourri puisqu'il a toujours à sa disposition
-ces cochons de Manannân, qui reviennent
-à la vie dès qu'ils sont mangés.</p>
-
-<p>Cette rédaction, relativement récente, nous a été
-conservée par le livre de Fermoy, manuscrit du quinzième
-siècle,&mdash;acquis, il y a quelques années, par
-l'Académie royale d'Irlande,&mdash;tandis que la rédaction
-primitive, par laquelle nous avons commencé, se
-trouve dans le Livre de Leinster, transcrit au milieu
-du douzième siècle,&mdash;un des manuscrits les plus
-précieux du Collège de la Trinité de Dublin.&mdash;L'auteur
-chrétien de l'arrangement contenu dans le
-Livre de Fermoy a composé une suite au vieux récit.
-Nous allons en donner un résumé.</p>
-
-<p>Quand Elcmar fut chassé du palais souterrain de
-Brug na Boinné par Oengus son élève, et grâce au
-concours qu'Oengus reçut de Manannân mac Lir, un
-des principaux personnages de la cour d'Elcmar était
-absent: c'était son intendant. L'intendant d'Elcmar,
-rentrant à Brug na Boinné, prit, auprès du nouveau
-maître, les fonctions dont l'ancien l'avait chargé. Il
-lui naquit, peu de temps après, une fille qu'on
-nomma Eithné. Au même moment, la femme de
-Manannân mac Lir, le protecteur d'Oengus, mettait
-au monde une fille qu'on appela Curcog. Oengus fut
-le père nourricier que, suivant l'usage, Manannân
-mac Lir choisit pour sa fille. Curcog, fille du dieu
-Manannân, fut élevée à Brugna Boinné, et la jeune
-<span class="pagenum"><a name="Page_279" id="Page_279">[Pg 279]</a></span>Eithné, fille de l'intendant, fut une des servantes
-attachées à la personne de Curcog.</p>
-
-<p>Chose surprenante! on découvrit un jour qu'Eithné
-ne mangeait pas. Quoiqu'elle restât bien portante, et
-que son embonpoint ne diminuât pas, tous ceux qui
-l'aimaient en conçurent une vive inquiétude; mais
-Manannân mac Lir découvrit la cause. Quelque
-temps auparavant, Oengus avait reçu la visite d'un
-de ses voisins, c'est-à-dire d'un autre chef des Tûatha
-Dê Danann, qui habitait à quelque distance un palais
-souterrain analogue à celui de Brug na Boinné. Cet
-étranger avait adressé une grave insulte à Eithné.
-L'âme sans tâche de la jeune fille avait ressenti de
-cette injure une telle indignation, que la puissance
-de sa chasteté avait fait fuir le démon qui lui servait
-de gardien, et qu'un ange envoyé par le vrai Dieu
-était venu prendre la place de ce démon. A partir
-de ce moment, Eithné cessa de pouvoir manger la
-chair des cochons magiques, et de boire la bière enchantée
-dont vivaient les Tûatha Dê Danann. Un
-miracle du vrai Dieu lui conserva la vie.</p>
-
-<p>Bientôt, toutefois, ce miracle devint inutile. Oengus
-et Manannân avaient fait un voyage dans l'Inde,
-ils en avaient ramené deux vaches au lait inépuisable;
-et comme l'Inde était la terre de la justice, ce
-lait n'avait rien du caractère démoniaque qui souillait
-la nourriture habituelle des Tûatha Dê Danann. On
-mit à la disposition d'Eithné le lait de ces vaches;
-elle se chargea de les traire, et ce fut de leur lait
-qu'elle vécut pendant une longue suite d'années.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_280" id="Page_280">[Pg 280]</a></span>Je dis que cette suite d'années fut longue; en
-effet, les événements dont nous venons de parler se
-passèrent sous le règne du mythologique Erémon,
-premier roi d'Irlande de la race de Milé; et Eithné
-vivait encore, habitant le palais de Brug na Boinné
-avec Curcog, sa maîtresse, fille de Manannân mac
-Lir, et sous l'autorité d'Oengus, quand saint Patrice
-vint évangéliser l'Irlande au cinquième siècle de notre
-ère. Si nous en croyons le <i>Livre des conquêtes</i>, le
-roi mythologique Erémon aurait été contemporain
-de David, roi des Juifs, au onzième siècle avant
-notre ère. Eithné aurait donc été âgée d'environ
-quinze cents ans quand saint Patrice vint porter
-en Irlande les lumières de la religion chrétienne.</p>
-
-<p>Or, un jour d'été où la chaleur était plus forte
-que de coutume, Curcog éprouva le désir de se baigner.
-Elle alla avec ses suivantes, et entre autres
-Eithné, sur les bords de la Boyne. Elle prit son
-bain avec elles dans les eaux de cette rivière, puis
-elle rentra à Brug na Boinné. Mais bientôt elle
-s'aperçut qu'une de ses femmes lui manquait:
-c'était Eithné. Eithné, en déposant ses vêtements
-sur le bord de la rivière avant de descendre dans
-l'eau comme ses compagnes, avait dépouillé avec sa
-robe le charme qui la rendait invisible aux humains.
-Nous avons déjà dit le nom de ce charme, qui s'appelait
-<i>feth fiada</i>.</p>
-
-<p>L'âme d'Eithné était préparée à recevoir la foi
-nouvelle que Patrice avait apportée; et quoiqu'elle
-n'eût rien entendu des prédications chrétiennes,
-<span class="pagenum"><a name="Page_281" id="Page_281">[Pg 281]</a></span>l'action mystérieuse que cette foi avait exercée sur
-elle était devenue plus puissante que les enchantements
-des païens. Eithné était devenue une femme
-ordinaire, et ses regards ne pouvaient plus pénétrer
-à travers le voile magique qui cache aux yeux
-des humains les Tûatha Dê Danann. Elle avait donc
-cessé de voir ses compagnes, et n'avait pu les
-accompagner au moment de leur retour au château
-souterrain de Brug na Boinné. Elle cessa même de
-voir la route enchantée qui conduisait à ce palais
-magique. Elle erra quelque temps sur les bords de
-la Boyne, ne sachant où elle était, cherchant en vain
-les sentiers et les chemins, désormais pour elle invisibles,
-que pendant tant de siècles elle avait si souvent
-fréquentés. Enfin elle s'arrêta devant un jardin
-clos de murs, où il y avait une maison. A la porte
-était assis un homme vêtu d'une robe comme elle
-n'en avait jamais vu. Cet homme était un moine et
-la maison une église. Eithné adressa la parole au
-moine et lui raconta son histoire. Le moine la reçut
-avec bienveillance et la conduisit à saint Patrice qui
-l'instruisit et la baptisa.</p>
-
-<p>Quelque temps après, elle était assise dans l'église
-du moine, non loin des bords de la Boyne. On entendit
-beaucoup de bruit et de cris; on distinguait
-un grand nombre de voix, mais on n'apercevait
-personne. C'était Oengus et tous les gens de sa maison
-qui étaient à la recherche d'Eithné. Comme ils
-étaient devenus invisibles pour elle, elle, à son
-tour, était invisible pour eux. Les cris qu'ils poussaient
-<span class="pagenum"><a name="Page_282" id="Page_282">[Pg 282]</a></span>étaient inspirés par la douleur et entremêlés
-de gémissements et de sanglots. Ils pleuraient Eithné,
-qui pour eux, en effet, était à jamais perdue.</p>
-
-<p>Eithné comprit la cause de leur peine et en ressentit
-elle-même une si violente tristesse qu'elle
-s'évanouit et fut sur le point de rendre l'âme. Cependant
-elle recouvra ses sens; mais de ce jour commença
-pour elle une maladie dont elle ne se guérit
-point. Elle finit par en mourir; elle expira, la tête
-appuyée sur la poitrine de saint Patrice qui était venu
-lui donner les derniers secours de la religion; et
-elle fut enterrée dans l'église du moine qui l'avait le
-premier accueillie. Cette église porta, dès lors, le
-nom de <i>Cill Eithne</i>, ou «église d'Eithné»<a name="NoteRef_482" id="NoteRef_482"></a><a href="#Note_482" class="fnanchor">[6]</a>.</p>
-
-<p>Ainsi se termine la seconde rédaction de la pièce
-dont la rédaction primitive est intitulée <i>De la conquête
-du Sîd</i>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_477" id="Note_477"></a><a href="#NoteRef_477"><span class="label">[1]</span></a> <i>Lebar gabala</i> ou Livre des conquêtes, dans le Livre de Leinster,
-p. 9, col. 2, lignes 13, 14. Poème de Flann Manistrech, <i>ibidem</i>,
-p. 11, col. 1, ligne 33.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_478" id="Note_478"></a><a href="#NoteRef_478"><span class="label">[2]</span></a> Voyez plus haut, <a href="#Page_221">p. 221</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_479" id="Note_479"></a><a href="#NoteRef_479"><span class="label">[3]</span></a> Voyez plus haut, <a href="#Page_274">p. 274</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_480" id="Note_480"></a><a href="#NoteRef_480"><span class="label">[4]</span></a> Littéralement «composition poétique ou incantation de présence.»
-Voyez les textes réunis par O'Curry, dans <i>Atlantis</i>, t. III
-(1862), p. 386&ndash;388, note 15.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_481" id="Note_481"></a><a href="#NoteRef_481"><span class="label">[5]</span></a> Voyez les textes réunis par O'Curry, dans <i>Atlantis</i>, t. III,
-p. 387&ndash;388. Comparez ce que nous avons dit p. 275.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_482" id="Note_482"></a><a href="#NoteRef_482"><span class="label">[6]</span></a> Livre de Fermoy, f<sup>os</sup> 111&ndash;116. Cette pièce a été analysée par le
-docteur Todd, <i>Proceedings of the Royal Irish Academy, Irish manuscripts
-series</i>, vol. I, part I, 1870, p. 46&ndash;48.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XII_5"></a>§ 5.<br />
-
-<i>Les amours d'Oengus, fils de Dagdé.</i></h3>
-
-<p>Nous venons de voir quelle est la forme que l'infusion
-de la pensée chrétienne a donnée à une des
-vieilles légendes du paganisme irlandais. Voici un
-autre conte, païen comme le premier, mais qui n'a
-pas été l'objet d'un remaniement chrétien. Il appartient
-<span class="pagenum"><a name="Page_283" id="Page_283">[Pg 283]</a></span>aussi à l'épopée héroïque et au cycle de Conchobar
-et de Cûchulainn. Il a pour objet un épisode de
-l'histoire d'Oengus. Il nous rapporte une aventure
-arrivée à ce personnage divin avant l'époque où il
-dépouilla Dagdé, son père, du palais souterrain de
-Brug na Boinné. Oengus était encore un tout jeune
-homme. Un jour, il dormait; il vit en songe une
-jeune femme près de son lit. Il n'y en avait pas
-d'aussi belle en Irlande. Puis elle disparut. Le matin,
-quand il se réveilla, il était si amoureux qu'il
-ne put manger de la journée. La nuit suivante, la
-jeune femme reparut. Elle tenait une harpe à la
-main. Elle chanta en s'accompagnant de cet instrument;
-jamais on n'avait entendu si douce musique.
-Puis elle partit. Quand Oengus se réveilla le lendemain,
-il était plus amoureux que jamais.</p>
-
-<p>Il tomba malade. Les médecins d'Irlande s'assemblèrent
-et cherchèrent inutilement la cause de cette
-maladie. Enfin, un d'entre eux, Fergné, la découvrit.&mdash;«Tu
-es pris d'amour,» lui dit-il. Oengus
-avoua la vérité. On alla chercher Boann, mère d'Oengus.
-Celui-ci raconta à sa mère la cause de son
-souci. Boann fit chercher pendant un an dans toute
-l'Irlande la femme que son fils avait vue en songe.
-Vains efforts! on ne trouva rien. Boann demanda
-conseil à l'habile médecin qui avait découvert la cause
-de la maladie d'Oengus. Ce médecin donna le conseil
-de s'adresser au père d'Oengus, c'est-à-dire à
-Dagdé, roi des <i>sîde</i> d'Irlande, c'est-à-dire des fées
-irlandaises, dit le conteur anonyme.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_284" id="Page_284">[Pg 284]</a></span><i>Sîde</i> d'Irlande est la formule par laquelle sont spécialement
-désignés, dans la littérature irlandaise, les
-Tûatha Dê Danann à partir du moment où, survivant
-à leur défaite de Tailtiu, ils sont contemporains des
-fils de Milé, c'est-à-dire des hommes. Les <i>sîde</i> en général
-sont les dieux, cette expression comprend à la
-fois d'abord les dieux du jour, de la vie et de la
-science, ou Tûatha Dê Danann, qui, venus du ciel,
-habitent l'Irlande, ensuite les dieux de la nuit et de
-la mort, ou Fomôré, dont le lieu d'origine, dont le
-domicile est le pays mystérieux des morts. Quand
-saint Patrice vint évangéliser les Irlandais, ils adoraient
-les <i>sîde</i><a name="NoteRef_483" id="NoteRef_483"></a><a href="#Note_483" class="fnanchor">[1]</a>, les uns Tûatha Dê Danann, les
-autres Fomôré, et on appelait les premiers <i>sîde</i> d'Irlande.</p>
-
-<p>Dagdé était donc roi des <i>sîde</i> d'Irlande; et ce fut
-à lui que le médecin donna le conseil de s'adresser,
-pour trouver un remède à la maladie d'Oengus. On
-alla chercher Dagdé, qui arriva bientôt.&mdash;«Pourquoi
-m'avez-vous fait venir?» demanda en entrant
-Dagdé. Boann lui raconta la maladie de son fils et la
-cause de cette maladie.&mdash;«Quel service pourrais-je
-rendre à cet enfant?» répondit Dagdé. «Je n'en
-sais pas plus que toi.»&mdash;Le médecin prit alors la
-parole.&mdash;«En votre qualité de roi suprême des
-<span class="pagenum"><a name="Page_285" id="Page_285">[Pg 285]</a></span><i>sîde</i> d'Irlande, vous avez dans votre dépendance
-Bodb, roi des <i>sîde</i> de Munster, qui est célèbre dans
-toute l'Irlande par sa science. Envoyez-lui demander
-où est la femme qui a rendu votre fils amoureux.»</p>
-
-<p>Dagdé suivit ce conseil, et adressa une ambassade
-à Bodb, roi des <i>sîde</i> de Munster. Les ambassadeurs
-racontèrent à Bodb comment Oengus, fils de Dagdé,
-était tombé malade. «Dagdé,» ajoutèrent-ils, «vous
-donne l'ordre de chercher dans toute l'Irlande la
-femme dont son fils est amoureux.»&mdash;Je le ferai,»
-répondit Bodb. «Il me faudra un an de recherches,
-et je trouverai ce que vous désirez.»</p>
-
-<p>Au bout d'un an, les ambassadeurs revinrent. «J'ai,»
-dit Bodb, «découvert la femme au lac des Gueules de
-Dragons, près de la <i>crott</i> ou harpe de Cliach.» Les ambassadeurs,
-retournant chez Dagdé, lui apportèrent,
-cette bonne nouvelle. On mit Oengus dans un chariot
-et on le conduisit au palais de Bodb, roi des <i>sîde</i>
-de Munster. C'était un palais enchanté qui était
-connu sous le nom de «<i>Sîd</i> des hommes de Fémen.»
-Oengus y fut reçu avec joie. On passa d'abord
-trois jours et trois nuits en fête; puis, on parla de
-l'objet du voyage.&mdash;«Je vais,» dit Bodb à Oengus,
-«vous mener où est celle que vous aimez. Nous
-verrons si vous la reconnaissez.»</p>
-
-<p>Puis Bodb conduisit Oengus près de la mer, dans
-un endroit où se trouvaient cent cinquante jeunes
-femmes. Elles marchaient par couples, et les deux
-jeunes femmes qui formaient chaque couple étaient
-<span class="pagenum"><a name="Page_286" id="Page_286">[Pg 286]</a></span>attachées l'une à l'autre par une chaîne d'or. Au
-milieu de ces cent cinquante femmes, il y en avait
-une plus grande que les autres: ses compagnes ne
-lui atteignaient pas l'épaule.&mdash;«La voilà!» s'écria
-Oengus. «Comment s'appelle-t-elle?»&mdash;«C'est,»
-répondit Bodb, «Caer, petite-fille d'Ormaith; Ethal
-Anbual, son père, habite le <i>sîd</i> ou palais enchanté
-d'Uaman, dans la province de Connaught.»&mdash;«Je
-ne suis pas de force à l'enlever du milieu de ses
-compagnes,» dit tristement Oengus. Et il se fit ramener
-au lieu de sa résidence ordinaire, qui était à
-cette époque, paraît-il, le château d'un de ses tuteurs;
-car Dagdé habitait encore avec Boann, sa
-femme, le château souterrain de Brug na Boinné,
-qu'on devait appeler plus tard le château de Mac Oc,
-c'est-à-dire d'Oengus fils de Dagdé.</p>
-
-<p>Quelque temps après, Bodb se rendit à ce château,
-y fit visite à Dagdé et à Boann, et leur raconta le
-résultat de ses investigations.&mdash;«J'ai découvert,»
-leur dit-il, «la femme dont votre fils est amoureux.
-Son père habite le Connaught, c'est-à-dire le royaume
-d'Ailill et de Medb. Vous feriez bien d'aller leur demander
-leur concours. Avec leur aide, vous pouvez
-obtenir pour votre fils la main de l'épouse qu'il
-désire.»</p>
-
-<p>Les noms d'Ailill et de Medb nous transportent
-au milieu du premier cycle de l'épopée héroïque irlandaise
-dont le fondement consiste en événements
-historiques contemporains de la naissance de Jésus-Christ.
-Nous n'avons pas de raison pour révoquer
-<span class="pagenum"><a name="Page_287" id="Page_287">[Pg 287]</a></span>en doute la réalité de l'existence des personnages
-qui dans ce cycle jouent les principaux rôles. Il y a,
-dans cette vaste épopée un fond de vérité historique,
-quoique la plus grande partie du récit soit l'œuvre
-d'une imagination qui se jouait des lois de la nature.</p>
-
-<p>L'homme, alors, ne se contentait pas de peupler
-le monde de dieux auxquels il attribuait les actes les
-plus étranges: il croyait que par la magie, l'homme
-pouvait s'élever au niveau de la divinité, lutter
-contre elle en égal et quelquefois la vaincre. Dagdé,
-le grand dieu, va donc demander l'appui d'Ailill et
-de Medb, tous deux simples mortels, roi et reine de
-Connaught. Il compte sur leur aide pour contraindre
-un des dieux secondaires irlandais du Connaught,
-Ethal Anbual, père de la belle Caer, à lui livrer
-cette jeune femme dont Oengus est épris.</p>
-
-<p>Il partit pour le Connaught, accompagné d'une
-suite nombreuse. Le nombre des chars était de
-soixante, en comptant celui où il était monté. Il
-arriva au palais d'Ailill et de Medb, qui le reçurent
-avec joie. Une semaine entière se passa en festins.
-Puis Dagdé raconta l'objet de sa visite.&mdash;«Dans
-votre royaume,,» dit-il au roi Ailill et à la reine
-Medb, «se trouve le palais enchanté qu'habite
-Ethal Anbual, père de la belle Caer; mon fils Oengus
-aime cette jeune femme; il voudrait l'épouser;
-il en est malade.»&mdash;«Mais,» répondirent Ailill et
-Medb, «nous n'avons aucune autorité sur elle. Nous
-ne pouvons donc vous la donner.»</p>
-
-<p>Dagdé les pria d'envoyer chercher le père. Ailill
-<span class="pagenum"><a name="Page_288" id="Page_288">[Pg 288]</a></span>et Medb firent ce que demandait Dagdé. Mais Ethal
-Anbual refusa d'écouter le messager qu'ils lui adressèrent.&mdash;«Je
-n'irai pas,» dit-il. «Je sais ce dont
-il s'agit, et je ne donne pas ma fille au fils de
-Dagdé.» L'armée de Dagdé et celle d'Ailill réunies
-marchèrent à l'attaque du palais enchanté qu'habitait
-Ethal Anbual. Ils y firent soixante prisonniers, non
-compris Ethal, et ils conduisirent leurs captifs à
-Crûachan, résidence d'Ailill et de Medb. Ethal fut
-mené en présence d'Ailill.</p>
-
-<p>&mdash;«Donne ta fille à Oengus, fils de Dagdé,» lui
-dit Ailill.&mdash;«Je n'en ai pas le pouvoir,» répondit
-Ethal. «Elle est plus puissante que moi.» Et il expliqua
-que sa fille passait alternativement une année
-en forme humaine, une année en forme d'oiseau.
-«Le 1<sup>er</sup> novembre prochain,» ajouta-t-il, «ma fille
-sera sous forme de cygne, près du lac des Gueules
-de Dragons. On verra là des oiseaux merveilleux:
-ma fille sera entourée de cent cinquante autres cygnes.»
-Alors Ailill et Dagdé firent leur paix avec
-Ethal et le remirent en liberté.</p>
-
-<p>Dagdé raconta à son fils ce qu'il venait d'apprendre.
-Au 1<sup>er</sup> novembre suivant, Oengus se rendit au
-lac des Gueules de Dragons. Il y vit la belle Caer
-sous la forme d'un cygne accompagné de cent cinquante
-cygnes qui allaient par couples; les deux cygnes
-de chaque couple étaient attachés l'un à l'autre
-par une chaîne d'argent.&mdash;«Viens me parler, ô
-Caer,» s'écria Oengus.&mdash;«Qui m'appelle?» demanda
-Caer. Oengus lui dit son nom et lui exprima le désir
-<span class="pagenum"><a name="Page_289" id="Page_289">[Pg 289]</a></span>de se baigner dans le lac avec elle. Il fut lui-même
-changé en cygne et plongea trois fois dans le lac
-avec sa bien-aimée. Puis, toujours sous forme de
-cygne, il vint avec elle au palais de son père, à Brug
-na Boinné. Ils chantèrent un chant si beau que tous
-les auditeurs s'endormirent, et que leur sommeil
-dura trois jours et trois nuits. Jamais la musique
-irlandaise n'avait eu plus grand succès. Caer resta
-dès lors la femme d'Oengus<a name="NoteRef_484" id="NoteRef_484"></a><a href="#Note_484" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_483" id="Note_483"></a><a href="#NoteRef_483"><span class="label">[1]</span></a></p>
-<p class="poem">«For tuaith hErenn bai temel,<br />
-tûatha adortais sîde.»</p>
-<p>
-«Sur le peuple d'Irlande régnait l'obscurité, les gens adoraient
-les <i>sîde</i>.» Hymne de Fiacc en l'honneur de saint Patrice, chez Windisch,
-<i>Irische Texte</i>, p. 14, ligne numérotée 41.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_484" id="Note_484"></a><a href="#NoteRef_484"><span class="label">[2]</span></a> Cette pièce intitulée: <i>Aislinge Oengusso</i>, «Vision d'Oengus,»
-a été publiée dans la <i>Revue celtique</i>, t. III, p. 344 et suivantes, par
-M. Ed. Müller, qui l'a accompagnée d'une traduction anglaise, la
-plupart du temps assez fidèle.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XII_6"></a>§ 6.<br />
-
-<i>L'évhémérisme en Irlande et à Rome. Dagdé ou «Bon
-dieu» en Irlande:</i> <span class="smcap">Bona dea</span>, <i>«la Bonne déesse,»
-compagne de Faunus à Rome.</i></h3>
-
-<p>Ce fut probablement après ce mariage qu'Oengus
-se fit céder par son père Dagdé le palais de Brug na
-Boinné. Ce qu'il y a de certain, dans ce récit, c'est que
-la tradition païenne de l'Irlande donne les dieux pour
-contemporains aux héros. Elle fait intervenir Dagdé,
-roi des dieux, dans le cycle de Conchobar et de
-Cûchulainn, qui auraient vécu à une époque contemporaine
-du commencement de notre ère, tandis que
-les chronologistes chrétiens, tels que Gilla Coemain
-et l'auteur du <i>Lebar gabala</i>, au onzième siècle, tels
-<span class="pagenum"><a name="Page_290" id="Page_290">[Pg 290]</a></span>que Keating et les Quatre Maîtres au dix-septième
-siècle, font mourir ce même Dagdé mille ans environ
-ou même dix-sept cent cinquante ans plus tôt.</p>
-
-<p>Dagdé est roi des dieux, comme Zeus dans la mythologie
-grecque; mais ce n'est pas dans la mythologie
-grecque, c'est dans la mythologie latine que nous
-trouverons un mythe à peu près identique à celui de
-Dagdé. Dagdé veut dire «bon dieu.» Les Romains
-avaient une divinité qu'ils appelaient la Bonne déesse,
-<i>Bona dea</i>. On la considérait comme identique à la
-Terre<a name="NoteRef_485" id="NoteRef_485"></a><a href="#Note_485" class="fnanchor">[1]</a>: Dagdé était aussi le dieu de la terre<a name="NoteRef_486" id="NoteRef_486"></a><a href="#Note_486" class="fnanchor">[2]</a>.
-<i>Bona dea</i> portait, dit-on, le nom de <i>bona</i>, «bonne,»
-parce qu'elle donnait aux hommes tous les biens qui
-servent à les nourrir<a name="NoteRef_487" id="NoteRef_487"></a><a href="#Note_487" class="fnanchor">[3]</a>: Dagdé avait le même attribut.
-Nous avons vu que les fils de Milé, c'est-à-dire les Irlandais,
-s'étant brouillés avec les Tûatha Dê Danann,
-n'avaient plus ni blé ni lait; et comment, ayant fait
-avec Dagdé un traité de paix, ils obtinrent de lui
-qu'à l'avenir leur blé et leur lait leur seraient conservés<a name="NoteRef_488" id="NoteRef_488"></a><a href="#Note_488" class="fnanchor">[4]</a>.</p>
-
-<p><i>Bona dea</i>, qu'on appelait aussi Fauna, était la parèdre
-<span class="pagenum"><a name="Page_291" id="Page_291">[Pg 291]</a></span>ou l'associée de Faunus, c'est-à-dire sa fille<a name="NoteRef_489" id="NoteRef_489"></a><a href="#Note_489" class="fnanchor">[5]</a>,
-sa femme<a name="NoteRef_490" id="NoteRef_490"></a><a href="#Note_490" class="fnanchor">[6]</a>, ou sa sœur<a name="NoteRef_491" id="NoteRef_491"></a><a href="#Note_491" class="fnanchor">[7]</a>. Or on considérait Faunus
-comme dieu; il avait à Rome son culte, et un
-temple bâti dans une île du Tibre<a name="NoteRef_492" id="NoteRef_492"></a><a href="#Note_492" class="fnanchor">[8]</a>. Il dut, à une
-époque reculée, avoir le rang de dieu suprême, car
-<i>Bona dea</i>, sa parèdre, était, dit-on, aux yeux de certaines
-personnes, l'égale de Junon; et on lui mettait,
-pour cette cause, un sceptre dans la main gauche<a name="NoteRef_493" id="NoteRef_493"></a><a href="#Note_493" class="fnanchor">[9]</a>.
-Faunus fut plus tard, comme dieu suprême, supplanté
-par Jupiter, dieu de l'aristocratie romaine et
-de la ville de Rome.</p>
-
-<p>La mythologie romaine eut une période évhémériste
-qui se produisit sous l'influence de la science
-grecque; ses résultats furent identiques, sur bien
-des points, à ceux que donna en Irlande l'évhémérisme
-inspiré par les études chrétiennes. Le dieu
-Faunus devint alors un roi des Aborigènes, c'est-à-dire
-de la population qui habitait l'Italie quand
-arrivèrent Evandre et Enée<a name="NoteRef_494" id="NoteRef_494"></a><a href="#Note_494" class="fnanchor">[10]</a>. Un des textes qui
-concernent le prétendu roi Faunus parle de sa femme
-et de sa fille, qui toutes deux ne sont autres que la
-<span class="pagenum"><a name="Page_292" id="Page_292">[Pg 292]</a></span>«Bonne déesse,» <i>Bona dea</i><a name="NoteRef_495" id="NoteRef_495"></a><a href="#Note_495" class="fnanchor">[11]</a>, transformée en simple
-mortelle, mais élevée au rang de reine ou de princesse.
-Ainsi, en Irlande, Dagdé, le «bon dieu,»
-divinité suprême des païens, fut, par les chrétiens,
-transformé en un roi qui aurait gouverné l'Irlande
-avant l'arrivée des fils de Milé. On remarquera aussi
-que, dans le récit romain, Evandre et Enée interviennent
-dans des conditions analogues à celles où les fils
-de Milé se présentent dans le récit irlandais. Ils sont,
-comme les fils de Milé, des étrangers arrivant par
-mer, et, comme eux, par les armes ils fondent un
-régime nouveau.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_485" id="Note_485"></a><a href="#NoteRef_485"><span class="label">[1]</span></a> «Auctor est Cornelius Labeo huic Maiæ, id est Terræ, ædem
-kalendis Maiis dedicatam sub nomine Bonæ deæ, et eandem esse
-Bonam deam et Terram ex ipso ritu occultiore sacrorum doceri posse
-confirmat.» Macrobe, <i>Saturnales</i>, I, 12.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_486" id="Note_486"></a><a href="#NoteRef_486"><span class="label">[2]</span></a> «Dîa talman.» Voir notre tome I, p. 282, note 2.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_487" id="Note_487"></a><a href="#NoteRef_487"><span class="label">[3]</span></a> «Bonam quod omnium nobis ad victum bonorum causa est.»
-Macrobe, <i>Saturnales</i>, I, 12.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_488" id="Note_488"></a><a href="#NoteRef_488"><span class="label">[4]</span></a> «Collset Tualha Dea ith ocus blicht im-maccu Miled, con-dingsat
-chairddes in-Dagdai. Doessart-saide iarum ith ocus blicht dôib.»
-Livre de Leinster, p. 245, col. 2, lignes 44&ndash;47.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_489" id="Note_489"></a><a href="#NoteRef_489"><span class="label">[5]</span></a> Servius, ad libr. VIII <i>Æneid</i>., 314. Ed. Thilo, t. II, p. 244.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_490" id="Note_490"></a><a href="#NoteRef_490"><span class="label">[6]</span></a> Arnobe, I, 36. Mignc, <i>Patrologia latina</i>, t. V, col. 759.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_491" id="Note_491"></a><a href="#NoteRef_491"><span class="label">[7]</span></a> Lactance, I, 22. Migne, <i>Patrologia latina</i>, t. VI, col. 244, 245.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_492" id="Note_492"></a><a href="#NoteRef_492"><span class="label">[8]</span></a> Tite-Live, livre XXXIII, chap. 42; livre XXXIV, chap. 53;
-Vitruve, livre III, chap. 11, § 3; Ovide, <i>Fastes</i>, livre II, vers 193.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_493" id="Note_493"></a><a href="#NoteRef_493"><span class="label">[9]</span></a> «Sunt qui dicant hanc deam potentiam habere Junonis, ideoque
-regale sceptrum in sinistra manu ei additum.» Macrobe, <i>Saturnales</i>,
-I, 12.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_494" id="Note_494"></a><a href="#NoteRef_494"><span class="label">[10]</span></a> S. Aurelius Victor, <i>Origo gentis romanæ</i>, § 4&ndash;9. Denys d'Halicarnasse,
-livre I, chap. 31.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_495" id="Note_495"></a><a href="#NoteRef_495"><span class="label">[11]</span></a> Justin, livre XLIII, chap. 1.</p></div>
-
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_293" id="Page_293">[Pg 293]</a></span></p>
-
-<h2>CHAPITRE XIII.<br />
-
-LES TÛATHA DÊ DANANN APRÈS LA CONQUÊTE DE L'IRLANDE
-PAR LES FILS DE MILÉ.&mdash;DEUXIÈME PARTIE: LES
-DIEUX LUG, OGMÉ, DÎAN-CEGHT ET GOIBNIU.</h2>
-
-<p><a href="#XIII_1">§1</a>. Lug joue dans la légende de Cûchulainn le même rôle que Zeus
-dans celle d'Héraclès.&mdash;<a href="#XIII_2">§2</a>. La chasse aux oiseaux mystérieux.&mdash;<a href="#XIII_3">§3</a>.
-Le palais enchanté. Naissance de Cûchulainn.&mdash;<a href="#XIII_4">§4</a>. Le mortel
-Sualtam et le dieu Lug, tous deux pères de Cûchulainn.&mdash;<a href="#XIII_5">§5</a>.
-Lug et Conn Cêtchathach, roi suprême d'Irlande au second
-siècle de notre ère.&mdash;<a href="#XIII_6">§6</a>. Lug était bien un dieu, quoi qu'en
-aient dit plus tard les Irlandais chrétiens.&mdash;<a href="#XIII_7">§7</a>. Ogmé ou Ogmios
-le champion.&mdash;<a href="#XIII_8">§8</a>. Dîan-Cecht le médecin.&mdash;<a href="#XIII_9">§9</a>. Goibniu
-le forgeron et son festin.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XIII_1"></a>§ 1.<br />
-
-<i>Lug joue, dans la légende de Cûchulainn, le même
-rôle que Zeus dans celle d'Héraclès.</i></h3>
-
-<p>Dagdé est, théoriquement, le dieu suprême; mais
-Lug, le dieu sous l'invocation duquel était placée la
-grande fête du 1<sup>er</sup> août, Lug qui, en lançant de sa
-<span class="pagenum"><a name="Page_294" id="Page_294">[Pg 294]</a></span>fronde une pierre, tua le dieu de la mort Balar, Lug,
-le docteur suprême et le maître de tous les arts, paraît
-tenir dans la mythologie celtique un rang plus important
-que Dagdé. Dans la mythologie grecque, le
-héros modèle, Héraclès, est fils d'Alcmène, femme
-d'Amphitryon. Amphitryon est son père apparent,
-mais, en réalité, c'est de Zeus qu'est fils le héros
-auquel la poésie attribuera tant de merveilleux exploits<a name="NoteRef_496" id="NoteRef_496"></a><a href="#Note_496" class="fnanchor">[1]</a>.
-L'Irlande possède le même mythe. Dans
-la rédaction irlandaise, Héraclès s'appelle Cûchulainn;
-le nom d'Alcmène est Dechtéré; celui d'Amphitryon
-est Sualtam; mais Lug, c'est-à-dire Hermès, le dieu
-qui, dans la mythologie gréco-latine s'appelle Mercure,
-prend ici la place de Zeus. C'est de lui, ce n'est
-pas de Dagdé, que Cûchulainn est fils. La mythologie
-celtique n'est pas une copie de la mythologie grecque.
-Elle a pour source des croyances primitivement
-identiques à celles dont la mythologie grecque dérive,
-mais elle a développé d'une façon aussi indépendante
-qu'originale les éléments fournis par la fable
-fondamentale.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_496" id="Note_496"></a><a href="#NoteRef_496"><span class="label">[1]</span></a> Hésiode, <i>Le bouclier d'Hercule</i>, vers 27 et suiv.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XIII_2"></a>§ 2.<br />
-
-<i>La chasse aux oiseaux mystérieux.</i></h3>
-
-<p>Voici comment débute la légende irlandaise<a name="NoteRef_497" id="NoteRef_497"></a><a href="#Note_497" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_295" id="Page_295">[Pg 295]</a></span>Un jour que les grands seigneurs d'Ulster étaient
-réunis autour de Conchobar, leur roi, dans Emain
-Macha, capitale de cette province, il arriva dans la
-plaine voisine d'Emain une troupe d'oiseaux. Ces
-oiseaux mangeaient l'herbe et les plantes, et ne laissaient
-rien sur la terre, pas même les racines de
-l'herbe. Ce fut un grand chagrin pour les habitants
-d'Ulster de voir ainsi détruire leurs biens. Le roi fit
-atteler neuf chars pour aller à la chasse de ces oiseaux.
-La chasse des oiseaux était une des occupations
-habituelles du roi et des grands seigneurs
-d'Ulster. L'arc était inconnu. On lançait aux oiseaux
-soit des javelots avec la main, soit des pierres avec
-une fronde, et c'était en char qu'on se livrait à cet
-exercice.</p>
-
-<p>En tête des neuf chars était celui de Conchobar,
-où le roi lui-même monta. Dechtéré, sa sœur, une
-grande jeune fille, s'assit à sa droite. Elle servait de
-cocher à son frère. Les huit autres chars étaient ceux
-des principaux guerriers d'Ulster: Conall Cernach,
-Fergus mac Roig, Celtchar, fils de Uithechar, Bricriu
-le Querelleur, et quatre autres dont on ne se rappelle
-plus les noms. Ils donnèrent la chasse aux oiseaux
-pendant toute une journée. Ils allaient droit
-devant eux sans rencontrer d'obstacles.</p>
-
-<p>Alors il n'y avait en Irlande ni fossé ni haie ni
-mur dans la campagne. La tradition fait remonter le
-<span class="pagenum"><a name="Page_296" id="Page_296">[Pg 296]</a></span>plus ancien partage des terres en Irlande au temps
-de Diarmait et de Blathmac, fils d'Aed Slane, qui,
-suivant Tigernach, furent rois suprêmes d'Irlande
-de 654 à 665<a name="NoteRef_498" id="NoteRef_498"></a><a href="#Note_498" class="fnanchor">[2]</a>. On prétend qu'alors le territoire
-entier de l'Irlande fut divisé en autant de portions
-qu'il y avait d'hommes. Ces portions furent égales:
-chaque homme reçut neuf sillons de marais, neuf
-sillons de terre et neuf sillons de bois. Mais il ne
-paraît pas qu'on ait eu à se féliciter de l'opération,
-qui fit succéder une multitude de petites exploitations
-à l'exploitation en commun usitée jusque-là.
-Une famine s'ensuivit; les plus riches étaient réduits
-à jeûner, et une épidémie survint qui enleva les
-trois quarts des habitants de l'Irlande<a name="NoteRef_499" id="NoteRef_499"></a><a href="#Note_499" class="fnanchor">[3]</a>. Cette épidémie
-est désignée, chez les historiens irlandais, par
-le nom de <i>Buide Conaill</i><a name="NoteRef_500" id="NoteRef_500"></a><a href="#Note_500" class="fnanchor">[4]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_297" id="Page_297">[Pg 297]</a></span>Mais revenons à Conchobar et à ses compagnons
-de chasse. Ils poursuivirent donc les oiseaux au loin
-sans rencontrer d'obstacles. Ces oiseaux étaient fort
-beaux, et chantaient en volant. Ils étaient divisés
-en neuf troupes, et dans chaque troupe on comptait
-vingt oiseaux. Ils allaient deux à deux; les deux
-oiseaux qui tenaient la tête de chaque troupe portaient
-un joug d'argent qui les attachait l'un à
-l'autre; les suivants étaient aussi attachés deux à
-deux, mais le joug était remplacé par une chaîne
-d'argent.</p>
-
-<p>La nuit arriva sans que les chasseurs eussent pris
-un seul des oiseaux qu'ils poursuivaient. Il tombait
-une neige épaisse. Conchobar ordonna de dételer les
-chars et de chercher une maison où l'on pût trouver
-abri jusqu'au lendemain.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_497" id="Note_497"></a><a href="#NoteRef_497"><span class="label">[1]</span></a> Elle a été publiée par M. Windisch, Irische Texte, pages 136
-et suiv. Le savant auteur a fait usage de deux manuscrits. Le plus
-ancien date de la fin du onzième siècle.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_498" id="Note_498"></a><a href="#NoteRef_498"><span class="label">[2]</span></a> O'Conor, <i>Rerum hibernicarum scriptores</i>, t. II, première partie,
-p. 200&ndash;205. Le <i>Chronicum Scotorum</i>, édit. Hennessy, pages 98, 99
-met leur mort en 661. Cf. plus haut, <a href="#Page_256">p. 256</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_499" id="Note_499"></a><a href="#NoteRef_499"><span class="label">[3]</span></a> Préface de l'hymne de Colmân, chez Whitley Stokes, <i>Goidelica</i>,
-2<sup>e</sup> édit., page 121. La première délimitation des champs aux
-environs de Rome aurait remonté, suivant Denys d'Halicarnasse,
-livre II, chap. 74, à une loi du roi légendaire Nutna Pompilius. Il
-peut être curieux de rapprocher ce texte du passage du <i>Compert
-Conculainn</i> dont il est question ici. Windisch, <i>Irische Texte</i>, p. 36,
-lignes 11&ndash;14.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_500" id="Note_500"></a><a href="#NoteRef_500"><span class="label">[4]</span></a> <i>Chronicum Scotorum</i>, édit. Hennessy, p. 99. Cf. O'Conor,
-<i>Rerum hibernicarum scriptores</i>, p. 205. Il ne faut pas confondre cette
-épidémie avec celle qu'on appela <i>Crom Conaill</i>, et qui sévit un peu
-plus d'un siècle avant, en 550 suivant Tigernach, O'Conor,<i> Rerum
-hibernicarum scriptores</i>, t. II, p. 139; en 551, suivant le <i>Chronicum
-Scotorum</i>, édit. Hennessy, p. 50, 51. Cf. O'Donovan, <i>Annals of the
-kingdom of Ireland by the Four Masters</i>, 1851, t. I, p. 186&ndash;189; 274&ndash;277.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XIII_3"></a>§ 3.<br />
-
-<i>Le palais enchanté.&mdash;Naissance de Cûchulainn.</i></h3>
-
-<p>Ce furent Conall Cernach et Bricriu le querelleur
-qui se mirent en quête d'un logis. Ils aperçurent
-une maison isolée, qui paraissait nouvellement construite.
-Ils y entrèrent. Elle leur sembla fort petite et
-pauvre: il n'y avait dedans qu'un homme et une
-femme. Ceux-ci leur souhaitèrent la bienvenue. Conall
-<span class="pagenum"><a name="Page_298" id="Page_298">[Pg 298]</a></span>et Bricriu retournèrent près de leurs compagnons.&mdash;«Nous
-avons découvert une habitation,»
-leur dirent-ils; «mais elle est indigne de vous.
-Nous serons fort mal couchés, et nous n'aurons pas
-de quoi manger.»</p>
-
-<p>Cependant, faute de mieux, le roi et ses guerriers
-se décidèrent à chercher abri dans cette maison.
-Chose étrange! cette petite habitation, qui semblait
-juste assez grande pour un homme et une femme,
-parut s'élargir quand ils entrèrent: ils trouvèrent
-place non seulement pour eux, mais pour leurs armes,
-leurs chevaux, leurs cochers et leurs chars.
-Les mets les plus abondants, les plus agréables au
-goût, les plus variés, leur furent servis. Il y en
-avait qu'ils connaissaient bien; d'autres tout à fait
-extraordinaires, et dont ils n'avaient jamais goûté.</p>
-
-<p>Cette maison était un de ces palais magiques que,
-suivant les légendes celtiques, les dieux créent quelquefois
-sur la terre quand ils veulent exercer sur
-les hommes une action visible. Il est question de
-ces palais dans les contes gallois, bretons et français.</p>
-
-<p>Quelque temps après, Dechtéré devint mère, et
-Lug, lui apparaissant en songe, lui apprit qu'il était
-le père de l'enfant. C'était Lug qui avait envoyé les
-oiseaux merveilleux, provoqué la chasse, élevé la
-pauvre petite maison où le roi Conchobar, Dechtéré,
-sa sœur, et leurs compagnons avaient trouvé
-une hospitalité aussi brillante qu'inattendue.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_299" id="Page_299">[Pg 299]</a></span></p>
-
-<h3><a id="XIII_4"></a>§ 4.<br />
-
-<i>Le mortel Sualtam et le dieu Lug, tous deux pères de
-Cûchulainn.</i></h3>
-
-<p>Lug, cependant, n'était pas l'époux de Dechtéré.
-Dechtéré, quand elle eut un enfant, avait un mari:
-c'était un des principaux personnages de la cour de
-Conchobar, son frère. On l'appelait Sualtam. Il considérait
-Cûchulainn comme son fils. Nous avons vu
-comment la violente ardeur de ses sentiments paternels
-causa l'accident étrange qui lui ôta la vie<a name="NoteRef_501" id="NoteRef_501"></a><a href="#Note_501" class="fnanchor">[1]</a>.
-Mais Sualtam n'était pas seul pour donner à Cûchulainn
-les soins que l'affection paternelle inspire. Le
-dieu Lug aussi veillait avec la même tendresse sur
-les jours du héros que l'Irlande chante depuis tant
-de siècles.</p>
-
-<p>Cûchulainn, couvert de blessures, est seul avec
-Loeg, son cocher, en face de l'armée d'Ailill et de
-Medb, qui pénètre dans le royaume d'Ulster. Dans
-cette armée sont réunis les guerriers de quatre des
-cinq grandes provinces de l'Irlande, liguées contre
-la cinquième, qui est l'Ulster; et de tous les hommes
-d'Ulster, un seul est sous les armes et soutient le
-poids de la guerre: c'est Cûchulainn. Il a provoqué à
-des combats singuliers les principaux guerriers de
-l'armée ennemie; les duels ont succédé aux duels;
-<span class="pagenum"><a name="Page_300" id="Page_300">[Pg 300]</a></span>il a toujours été vainqueur, mais il est criblé de
-blessures et accablé de fatigue.</p>
-
-<p>Loeg, son cocher, voit un guerrier qui s'approche.
-Le crâne, en partie dénudé, de ce guerrier porte une
-couronne de cheveux bouclés et blonds; un manteau
-vert est fixé sur sa poitrine par une blanche broche
-d'argent; des fils d'or donnent à sa tunique une
-teinte d'un jaune rougeâtre. Au centre de son bouclier
-noir, la saillie d'un <i>umbo</i> de laiton brille avec
-l'éclat de l'argent. Chose étrange! ce guerrier traversait
-l'armée ennemie sans adresser la parole à
-personne ni sans que personne lui dît rien. Parmi
-tant d'hommes réunis, aucun ne paraissait le voir.</p>
-
-<p>Cûchulainn reconnut que c'était un <i>sîde</i>, un dieu
-ami qui savait ses maux et qui avait pitié de lui.&mdash;«Tu
-es un brave, ô Cûchulainn,» dit l'étranger.&mdash;«Je
-n'ai rien fait d'extraordinaire,» répondit Cûchulainn.&mdash;«Je
-te viendrai en aide,» reprit le guerrier.&mdash;«Qui
-donc es-tu?» demanda Cûchulainn.&mdash;«Je
-suis ton père des <i>sîde</i>,» répondit l'inconnu.
-«Je suis Lug, fils d'Ethné.» Le dieu fit tomber
-Cûchulainn dans un sommeil magique qui dura trois
-jours et trois nuits; il pansa et guérit ses blessures<a name="NoteRef_502" id="NoteRef_502"></a><a href="#Note_502" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_501" id="Note_501"></a><a href="#NoteRef_501"><span class="label">[1]</span></a> T. I, p. 191&ndash;194.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_502" id="Note_502"></a><a href="#NoteRef_502"><span class="label">[2]</span></a> <i>Leabhar na hUidhre</i>, pages 77&ndash;78. Ce passage a été signalé par
-M. Sullivan, chez O'Curry, <i>On the manners</i>, t. I, page <span class="smcap">ccccxlvi</span>.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_301" id="Page_301">[Pg 301]</a></span></p>
-
-<h3><a id="XIII_5"></a>§ 5.<br />
-
-<i>Lug et Conn Cêtchathach, roi suprême d'Irlande au
-second siècle de notre ère.</i></h3>
-
-<p>Le dieu Lug, du cycle mythologique, le vainqueur
-du dieu de la mort Balar, reparaît donc ainsi vivant
-et tout puissant dans le cycle de Conchobar et de
-Cûchulainn. Nous le retrouvons dans le cycle ossianique.
-La pièce que nous allons citer a été remaniée
-par un écrivain chrétien; mais il est facile de déterminer
-en quoi consistent les additions faites aux
-données primitives de la légende.</p>
-
-<p>Un matin, Conn Cêtchathach, roi suprême d'Irlande
-dans la seconde moitié du second siècle après
-notre ère<a name="NoteRef_503" id="NoteRef_503"></a><a href="#Note_503" class="fnanchor">[1]</a>, était, au lever du soleil, sur les remparts
-de Tara, sa résidence royale. Le hasard lui fît
-mettre le pied sur une pierre magique dont le nom
-était <i>Fâl</i>, et qui avait été jadis apportée en Irlande
-par les Tûatha Dê Danann quand ils vinrent s'y établir,
-avant l'arrivée des fils de Milé. Aussitôt que
-cette pierre fut touchée par le pied de Conn, elle
-jeta un cri; et ce cri était si puissant, qu'il ne fut
-pas entendu seulement par Conn et par les personnages
-qui lui faisaient cortège: on l'entendit dans
-<span class="pagenum"><a name="Page_302" id="Page_302">[Pg 302]</a></span>tout Tara, et hors de Tara, jusqu'aux extrémités de
-la plaine environnante, qui s'appelait Breg.</p>
-
-<p>Conn avait près lui, en ce moment, trois druides
-qui étaient du nombre des officiers attachés à sa
-personne. Il leur demanda ce que signifiait le cri de
-la pierre, comment elle s'appelait, d'où elle venait,
-où elle irait plus tard, et qui l'avait apportée à Tara.
-Les druides demandèrent un délai de cinquante-trois
-jours; et quand ce délai fut expiré, l'un d'eux put
-répondre à toutes ces questions, une exceptée; or
-la question que le druide laissa sans réponse était la
-plus importante: que signifiait le cri de la pierre?
-Là-dessus le druide ne put donner que des indications
-incomplètes. «La pierre a prophétisé,»
-dit-il. «Ce n'est pas seulement un cri qu'elle a poussé:
-j'ai compté plusieurs cris, et leur nombre est celui des
-rois de ta race jusqu'à la fin du monde. Mais quant
-à leurs noms, ce n'est pas moi qui te les dirai.»</p>
-
-<p>Aussitôt après, le roi et les assistants aperçurent
-un brouillard qui les environna; et bientôt l'obscurité
-fut si grande qu'on ne distinguait plus rien. Ils
-entendirent les pas d'un cavalier qui s'avançait vers
-eux. Celui-ci leur lança trois coups de javelot, pendant
-que Conn et le principal druide, effrayés, jetaient
-des cris impuissants. Mais le cavalier mystérieux
-cessa de les menacer, s'approcha d'eux,
-salua Conn, et l'invita à venir dans sa maison.</p>
-
-<p>Conn accepta et suivit l'inconnu jusqu'à une belle
-plaine où s'élevait une forteresse puissante. Devant
-la porte se dressait un arbre d'or; dans la forteresse
-<span class="pagenum"><a name="Page_303" id="Page_303">[Pg 303]</a></span>Conn aperçut un palais splendide. L'inconnu l'y fit
-entrer. Le roi irlandais fut reçu par une jeune femme
-qui portait une couronne d'or, et il arriva avec son
-guide dans une salle qui contenait une cuve d'argent
-aux cercles d'or, pleine de bière. Là aussi était un
-trône sur lequel son guide s'assit. Jamais Conn
-n'avait vu un homme si grand ni si beau.</p>
-
-<p>Celui-ci adressa la parole au roi d'Irlande.&mdash;«Je
-suis,» dit-il, «Lug, fils d'Ethné, petit-fils de
-Tigernmas.» Puis il annonça combien de temps régnerait
-Conn, et quelles batailles il devait livrer; il
-prédit les noms de ses successeurs, la durée et les
-principaux événements de leurs règnes<a name="NoteRef_504" id="NoteRef_504"></a><a href="#Note_504" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_503" id="Note_503"></a><a href="#NoteRef_503"><span class="label">[1]</span></a> Tigernach le fait mourir vers l'année 190: O'Conor, <i>Rerum
-hibernicarum scriptores</i>, t. II, 1<sup>re</sup> partie, p. 34; les Quatre Maîtres,
-en 157: O'Donovan, <i>Annals of the kingdom of Ireland by the Four
-Masters</i>, 1851, t. I, p. 104&ndash;105.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_504" id="Note_504"></a><a href="#NoteRef_504"><span class="label">[2]</span></a> Cette pièce a été publiée par O'Curry, <i>Lectures on the manuscript
-materials</i>, p. 618, d'après le ms. du British Museum, coté
-Harleian 5280, qui est du quinzième siècle.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XIII_6"></a>§ 6.<br />
-
-<i>Lug est bien un dieu, quoi qu'en aient dit plus tard les Irlandais chrétiens.</i></h3>
-
-<p>L'auteur chrétien auquel nous devons l'arrangement
-de cette pièce, qui nous est parvenu, fait dire
-à Lug:&mdash;«Je ne suis pas un <i>scâl</i>, c'est-à-dire un
-de ces êtres démoniaques qui ont le privilège de
-l'immortalité: je suis de la race d'Adam; et si je
-me présente à vous aujourd'hui, je n'en ai pas moins
-subi la loi de la mort.» Ceci est une addition relativement
-moderne dont le but a été d'obtenir pour
-ce récit bizarre la tolérance du clergé chrétien. Lug,
-<span class="pagenum"><a name="Page_304" id="Page_304">[Pg 304]</a></span>qui a prédit à Conn Cêtchathach l'histoire de ce prince
-et celle de ses successeurs, est le dieu qui à Mag-Tured
-a tué Balar d'un coup de pierre, et qui a plus tard
-donné le jour au fameux héros Cûchulainn. Le palais
-magique où il reçut Conn est celui où, deux siècles
-auparavant, il avait abrité une nuit Conchobar, roi
-d'Ulster, Dechtéré sa sœur, huit autres guerriers, leurs
-chars et leurs chevaux, et où il leur avait fait servir
-un festin si succulent que jamais on n'avait rien vu
-de comparable dans le palais des rois d'Ulster.</p>
-
-<p>Nous avons raconté plus haut que le 1<sup>er</sup> août
-lui était consacré; les cérémonies religieuses célébrées
-en ce jour attiraient un grand concours de
-peuple, et devinrent l'occasion d'assemblées publiques
-où le commerce, les affaires politiques, les
-jugements, les jeux se partageaient les assistants.
-C'est lui que César considère comme le premier des
-dieux gaulois: à ses yeux, il est identique à Mercure.
-Déjà, au temps de César, on lui avait en Gaule
-élevé un grand nombre de statues<a name="NoteRef_505" id="NoteRef_505"></a><a href="#Note_505" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>Le nom de <i>Lugudunum</i>, ou «forteresse de Lugus,»
-en irlandais Lug, était porté en Gaule par
-quatre villes importantes aujourd'hui Lyon, Saint-Bertrand-de-Comminges,
-Leyde et enfin Laon<a name="NoteRef_506" id="NoteRef_506"></a><a href="#Note_506" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_305" id="Page_305">[Pg 305]</a></span>Sous l'empire romain <i>Lugudunum</i> perdit son second
-<i>u</i> et s'écrivit <i>Lugdunum</i>; ce nom est vraisemblablement
-identique au <i>Lugidunum</i> que le géographe
-Ptolémée signale en Germanie et qui, fondé par
-les Gaulois, était, au temps de Ptolémée, c'est-à-dire
-au commencement du second siècle de notre ère,
-entre les mains des Germains vainqueurs<a name="NoteRef_507" id="NoteRef_507"></a><a href="#Note_507" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-<p>Le nom du dieu Lugus ou Lug doit aussi, probablement,
-se reconnaître dans le premier terme d'un
-composé géographique de la Grande-Bretagne, <i>Luguvallum</i>;
-ce mot désignait une ville sur l'emplacement
-exact de laquelle nous ne sachons pas que l'on
-se soit mis d'accord, mais qui était située près du
-mur d'Adrien<a name="NoteRef_508" id="NoteRef_508"></a><a href="#Note_508" class="fnanchor">[4]</a>. Le nom de <i>Lug-mag</i> ou «champ
-de Lug,» était porté en Irlande par une abbaye
-dont il est question dès le septième siècle<a name="NoteRef_509" id="NoteRef_509"></a><a href="#Note_509" class="fnanchor">[5]</a>.</p>
-
-<p>Les Irlandais païens prétendaient que Lug habitait
-leur île; ils racontaient même en quel endroit était
-situé le palais souterrain que Dagdé lui avait, disait-on,
-assigné pour résidence quand l'Irlande eut été
-conquise par les fils de Milé<a name="NoteRef_510" id="NoteRef_510"></a><a href="#Note_510" class="fnanchor">[6]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_505" id="Note_505"></a><a href="#NoteRef_505"><span class="label">[1]</span></a> «Deum maxime Mercurium colunt; hujus sunt piurima simulacra;
-hunc omnium inventorem artium ferunt, hunc viarum atque
-itinerum ducem, hunc ad questus pecuniæ mercaturasque habere
-vim maximam arbitrantur.» <i>De bello gallico</i>, l. VI, chap. 17, § 1.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_506" id="Note_506"></a><a href="#NoteRef_506"><span class="label">[2]</span></a> «Lugdunum Clavatum;» ce nom n'apparaît qu'à l'époque mérovingienne.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_507" id="Note_507"></a><a href="#NoteRef_507"><span class="label">[3]</span></a> Ptolémée, édition Nobbe, livre II, chap. 11, § 28.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_508" id="Note_508"></a><a href="#NoteRef_508"><span class="label">[4]</span></a> Il est question plusieurs fois de cette localité dans l'<i>Itinéraire
-d'Antonin</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_509" id="Note_509"></a><a href="#NoteRef_509"><span class="label">[5]</span></a> <i>Annals of the Four Masters</i>, édition d'O'Donovan, 1851, t. I,
-p. 296, 297, 356, 357. <i>Chronicum Scotorum</i>, édition Hennessy, p. 140,
-141. Cette localité s'appelle aujourd'hui Louth.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_510" id="Note_510"></a><a href="#NoteRef_510"><span class="label">[6]</span></a> «Lug, macc Ethnend, is-sîd Rodrubân.» Livre de Leinster,
-p. 245, col. 2, lignes 49, 50.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_306" id="Page_306">[Pg 306]</a></span></p>
-
-<h3><a id="XIII_7"></a>§ 7.<br />
-
-<i>Ogmé ou Ogmios le champion.</i></h3>
-
-<p>Parmi les dieux qui jouent un rôle dans le cycle
-mythologique, il y en a trois au sujet desquels je
-ne connais rien à citer dans l'épopée héroïque et
-qui, cependant, continuaient à tenir une place dans
-la pensée des Irlandais chrétiens. C'étaient Ogmé,
-Dîan-Cecht et Goibniu. Ogmé ou Ogma, l'Ogmios de
-Lucien, est le héros qui, à la bataille de Mag-Tured,
-s'était emparé de l'épée du roi fomôré Téthra<a name="NoteRef_511" id="NoteRef_511"></a><a href="#Note_511" class="fnanchor">[1]</a>.
-Il est surnommé «à la face solaire,» <i>grîan-ainech</i>.
-On lui attribuait l'invention de l'écriture ogamique<a name="NoteRef_512" id="NoteRef_512"></a><a href="#Note_512" class="fnanchor">[2]</a>
-qui a servi aux inscriptions funéraires de l'époque
-païenne, et dont ni les moines irlandais du neuvième
-siècle, ni les scribes des temps postérieurs n'avaient
-perdu la tradition. On le disait fils d'Elada, dont le nom
-veut dire «composition poétique» ou «science.»
-On le croyait frère de Dagdé<a name="NoteRef_513" id="NoteRef_513"></a><a href="#Note_513" class="fnanchor">[3]</a>. On prétendait savoir
-où était situé le <i>sîd</i> ou palais souterrain que Dagdé
-avait assigné à Ogmé après la conquête de l'Irlande
-par les fils de Milé<a name="NoteRef_514" id="NoteRef_514"></a><a href="#Note_514" class="fnanchor">[4]</a>. Tel est, à son sujet, la doctrine
-<span class="pagenum"><a name="Page_307" id="Page_307">[Pg 307]</a></span>ancienne. A partir du onzième siècle, Ogmé,
-cessant d'être considéré comme dieu, prit place
-parmi les guerriers qui auraient été tués à la seconde
-bataille de Mag-Tured. On raconta aussi qu'il avait
-été enterré à Brug na Boinné, localité située à une
-distance considérable de Mag-Tured. Ce sont là deux
-légendes contradictoires et d'origine différente, mais
-l'une et l'autre relativement modernes<a name="NoteRef_515" id="NoteRef_515"></a><a href="#Note_515" class="fnanchor">[5]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_511" id="Note_511"></a><a href="#NoteRef_511"><span class="label">[1]</span></a> Voir plus haut, p. <a href="#Page_188">188&ndash;190</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_512" id="Note_512"></a><a href="#NoteRef_512"><span class="label">[2]</span></a> Traité de l'écriture ogamique conservé par le Livre de Ballymote,
-ms. du quatorzième siècle: O'Donovan, <i>A grammar of the
-irish language</i>, p. <span class="smcap">xxviii</span>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_513" id="Note_513"></a><a href="#NoteRef_513"><span class="label">[3]</span></a> Livre de Leinster, p. 9, col. 2, lignes 13,-14; p. 10, col. 2,
-lignes 23&ndash;24.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_514" id="Note_514"></a><a href="#NoteRef_514"><span class="label">[4]</span></a> «Ogma is-sîd Airceltrai.» Livre de Leinster, p. 245, col. 2,
-ligne 50.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_515" id="Note_515"></a><a href="#NoteRef_515"><span class="label">[5]</span></a> Voir plus haut, <a href="#Page_271">p. 271</a>.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XIII_8"></a>§ 8.<br />
-
-<i>Dîan-Cecht le médecin.</i></h3>
-
-<p>Dîan-Cecht, ou le dieu «au rapide pouvoir,» est
-un fils de Dagdé<a name="NoteRef_516" id="NoteRef_516"></a><a href="#Note_516" class="fnanchor">[1]</a>. Corpré le <i>file</i>, autre personnage
-mythologique qui, par une satire, avait renversé du
-trône le Fomôré Bress, était, par sa mère Etan,
-petit-fils de Dîan-Cecht<a name="NoteRef_517" id="NoteRef_517"></a><a href="#Note_517" class="fnanchor">[2]</a>. Dîan-Cecht avait guéri,
-avec l'aide de Creidné, la blessure reçue à la main
-par le dieu Nûadu en combattant les Fir-Bolgs à la
-tête des Tûatha Dê Danann<a name="NoteRef_518" id="NoteRef_518"></a><a href="#Note_518" class="fnanchor">[3]</a>. Il est le médecin des
-Tûatha Dê Danann. Il fut longtemps, en Irlande, le
-dieu de la médecine<a name="NoteRef_519" id="NoteRef_519"></a><a href="#Note_519" class="fnanchor">[4]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_308" id="Page_308">[Pg 308]</a></span>Le manuscrit 1395 de la bibliothèque de Saint-Gall
-contient un feuillet de parchemin sur un côté
-duquel on a prétendu représenter saint Jean l'évangéliste;
-sur l'autre face, des scribes irlandais, au
-huitième ou au neuvième siècle, ont écrit des incantations
-partie chrétiennes, partie païennes. Dans une
-de ces incantations, on lit ces mots: «J'admire la
-guérison que Dîan-Cecht laissa dans sa famille, afin
-que la santé vînt à ceux qu'il aidera<a name="NoteRef_520" id="NoteRef_520"></a><a href="#Note_520" class="fnanchor">[5]</a>.» Ainsi, les
-Irlandais chrétiens du huitième ou du neuvième siècle
-croyaient encore à Dîan-Cecht une puissance surnaturelle,
-et l'invoquaient dans leurs maladies.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_516" id="Note_516"></a><a href="#NoteRef_516"><span class="label">[1]</span></a> «Corand, cruittire sede do Dîan-Cecht, mac in Dagdai.» <i>Dinn-senchus</i>,
-en prose dans le <i>Livre de Leinster</i>, p. 165, col. 1, lignes 35,
-36. Il n'y a, je crois, pas grand compte à tenir des généalogies
-réunies sur les premières lignes de la col. 1 de la page 10 du <i>Livre
-de Leinster</i>. Dîan-Cecht y est fait fils d'Erarc, lignes 3&ndash;4.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_517" id="Note_517"></a><a href="#NoteRef_517"><span class="label">[2]</span></a> Livre de Leinster, p. 9, col. 2, lignes 21&ndash;26.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_518" id="Note_518"></a><a href="#NoteRef_518"><span class="label">[3]</span></a> Voir plus haut, p. <a href="#Page_154">154&ndash;177</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_519" id="Note_519"></a><a href="#NoteRef_519"><span class="label">[4]</span></a> Sur Dîan-Cecht, considéré comme dieu de la médecine, voyez
-Glossaire de Cormac, au mot <i>Dîan-Cecht</i>: Whitley Stokes, <i>Three
-irish glossaries</i>, p. 16, et <i>Sana Chormaic</i>, p. 56. Consulter aussi,
-dans le présent volume, la p. 177.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_520" id="Note_520"></a><a href="#NoteRef_520"><span class="label">[5]</span></a> «Admuinur in-slânicid foracab Dîan-Cecht li-a-muntir, corop-slân
-ani for-sa-te.» Zimmer, <i>Glossæ hibernicæ</i>, p. 271. Cf. <i>Verzeichniss
-der Handschriften der Stiftsbibliothek von St Gallen</i>, 1875,
-p. 462, 463.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XIII_9"></a>§ 9.<br />
-
-<i>Goibniu le forgeron et son festin.</i></h3>
-
-<p>Nous avons vu Goibniu fabriquer les fers de lance
-des Tûatha Dê Danann à la bataille mythique de
-Mag-Tured<a name="NoteRef_521" id="NoteRef_521"></a><a href="#Note_521" class="fnanchor">[1]</a>. Le manuscrit de Saint-Gall, que nous
-venons de citer, contient, sur la page déjà mentionnée,
-une incantation destinée à assurer la conservation
-du beurre; et, dans cette pièce, le nom de
-<span class="pagenum"><a name="Page_309" id="Page_309">[Pg 309]</a></span>Goibniu est trois fois prononcé: «Science de Goibniu!
-du grand Goibniu! du très grand Goibniu!<a name="NoteRef_522" id="NoteRef_522"></a><a href="#Note_522" class="fnanchor">[2]</a>»
-Pourquoi cette triple invocation à propos de beurre?</p>
-
-<p>Les Irlandais du huitième ou du neuvième siècle
-considéraient Goibniu comme une sorte de dieu de
-la cuisine; et, en effet, c'était le festin de Goibniu
-qui assurait aux Tûatha Dê Danann l'immortalité<a name="NoteRef_523" id="NoteRef_523"></a><a href="#Note_523" class="fnanchor">[3]</a>.
-Ce festin consistait principalement en bière et cette
-bière présente en Irlande une frappante analogie
-avec le nectar associé à l'ambroisie chez les Grecs<a name="NoteRef_524" id="NoteRef_524"></a><a href="#Note_524" class="fnanchor">[4]</a>.
-A quel propos Goibniu le forgeron divin, dont le
-nom dérive de <i>goba, gobann</i>, «forgeron,» était-il
-en Irlande chargé de préparer la merveilleuse boisson
-qui donnait l'immortalité aux dieux? Nous ne
-saurions le dire, mais il y a là un mythe fort ancien,
-et qui semble avoir appartenu à la race hellénique
-en même temps qu'à la race celtique, puisque,
-dans le premier chant de l'<i>Iliade</i>, Héphaistos, qui
-est forgeron comme Goibniu, sert à boire aux
-dieux<a name="NoteRef_525" id="NoteRef_525"></a><a href="#Note_525" class="fnanchor">[5]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_310" id="Page_310">[Pg 310]</a></span>Le clergé chrétien d'Irlande paraît avoir eu moins
-de confiance dans la science du forgeron Goibniu
-que le scribe inconnu auquel on doit la transcription
-du charme destiné à conserver le beurre comme nous
-venons de le dire. La prière que le <i>Livre des hymnes</i>
-attribue à saint Patrice demande le secours de Dieu
-«contre les sortilèges des femmes, des forgerons
-et des druides, contre toute science qui perd l'âme
-de l'homme<a name="NoteRef_526" id="NoteRef_526"></a><a href="#Note_526" class="fnanchor">[6]</a>;» et, dans cette science maudite,
-est comprise la «science» de Goibniu, invoquée par
-l'incantation de Saint-Gall au huitième ou au neuvième
-siècle, c'est-à-dire la science du forgeron divin
-qui conservait le beurre des humains ses adorateurs,
-et qui, par son festin, assurait aux dieux l'immortalité.
-C'est une science diabolique, et que le saint
-apôtre de l'Irlande considère comme ennemie.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_521" id="Note_521"></a><a href="#NoteRef_521"><span class="label">[1]</span></a> Voyez plus haut, <a href="#Page_181">p. 181</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_522" id="Note_522"></a><a href="#NoteRef_522"><span class="label">[2]</span></a> «Fiss Goibnen, aird Goibnenn, renaird Goibnenn.» Zimmer,
-<i>Glossæ hibernicæ</i>, p. 270.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_523" id="Note_523"></a><a href="#NoteRef_523"><span class="label">[3]</span></a> Voir plus haut, p. <a href="#Page_277">277&ndash;278</a>. O'Curry, dans l'<i>Atlantis</i>, t. III, p. 389,
-note, a réuni deux textes relatifs à cette croyance. L'expression
-que ces textes emploient est <i>fled Goibnenn</i>, «festin de Goibniu,»
-mais dans ce festin on n'était guère occupé qu'«à boire», <i>ic ol</i>; ce
-qu'on y prenait était une «boisson,» <i>deoch</i>; c'était cette boisson
-qui rendait immortel. Il s'agit donc ici de la bière, <i>lind</i> ou <i>cuirm</i>,
-dont il est question dans d'autres textes. Comparez p. 275, 317.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_524" id="Note_524"></a><a href="#NoteRef_524"><span class="label">[4]</span></a> <i>Odyssée</i>, livre V, vers 93, 199; livre IX, 359.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_525" id="Note_525"></a><a href="#NoteRef_525"><span class="label">[5]</span></a> <i>Iliade</i>, livre I, vers 597&ndash;600.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_526" id="Note_526"></a><a href="#NoteRef_526"><span class="label">[6]</span></a></p>
-
-<p class="poem">«Fri brichta ban ocus goband ocus druad,<br />
-Fri cech fiss arachuiliu anmain duini.»</p>
-
-<p>
-Hymne de saint Patrice, vers 48, 49, chez Windisch, <i>Irische Texte</i>,
-p. 56. Comparez «Fiss Goibnenn», dans l'incantation citée p. 309.</p></div>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_311" id="Page_311">[Pg 311]</a></span></p>
-
-<h2>CHAPITRE XIV.<br />
-
-LES TÛATHA DE DANANN APRÈS LA CONQUÊTE DE L'IRLANDE
-PAR LES FILS DE MILÉ.&mdash;TROISIÈME PARTIE: LES
-DIEUX MIDER ET MANANNAN MAC LIR.</h2>
-
-<p><a href="#XIV_1">§1</a>. Le dieu Mider. Etâin, sa femme, est enlevée par Oengus, puis
-naît une seconde fois et devient fille d'Etair.&mdash;<a href="#XIV_2">§2</a>. Etâin est
-femme du roi suprême d'Irlande. Mider la courtise.&mdash;<a href="#XIV_3">§3</a>. La
-partie d'échecs.&mdash;<a href="#XIV_4">§4</a>. Mider fait de nouveau la cour à Etâin.
-Poème qu'il lui chante.&mdash;<a href="#XIV_5">§5</a>. Mider enlève Etâin.&mdash;<a href="#XIV_6">§6</a>. Manannân
-mac Lir et Bran, fils de Febal.&mdash;<a href="#XIV_7">§7</a>. Manannân mac Lir
-et le héros Cûchulainn.&mdash;<a href="#XIV_8">§8</a>. Manannân mac Lir et Cormac, fils
-d'Art. Première partie. Cormac échange contre une branche d'argent
-sa femme, son fils et sa fille.&mdash;<a href="#XIV_9">§9</a>. Manannân mac Lir et le
-roi Cormac, fils d'Art. Deuxième partie. Cormac retrouve sa
-femme, son fils et sa fille.&mdash;<a href="#XIV_10">§10</a>. Manannân mac Lir est père de
-Mongân, roi d'Ulster au commencement du sixième siècle de notre
-ère.&mdash;<a href="#XIV_11">§11</a>. Mongân, fils d'un dieu, est un être merveilleux.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XIV_1"></a>§ 1.<br />
-
-<i>Le dieu Mider. Etâin, sa femme, est enlevée par Oengus, puis
-naît une seconde fois, et devient fille d'Etair.</i></h3>
-
-<p>Nous allons maintenant parler de deux personnages
-<span class="pagenum"><a name="Page_312" id="Page_312">[Pg 312]</a></span>divins qui ne jouent aucun rôle dans les événements
-que raconte le <i>Livre des conquêtes</i>, et que cette compilation
-ne mentionne qu'en passant: ce sont Mider
-et Manannân. Mider, dont le <i>sîd</i>, ou palais souterrain,
-s'appelait Bregleith, fut, nous l'avons vu, un
-des deux pères nourriciers d'Oengus, fils de Dagdé.
-Il eut deux femmes, appelées l'une Etâin<a name="NoteRef_527" id="NoteRef_527"></a><a href="#Note_527" class="fnanchor">[1]</a>, l'autre
-Fuamnach<a name="NoteRef_528" id="NoteRef_528"></a><a href="#Note_528" class="fnanchor">[2]</a>, toutes deux déesses ou <i>sîde</i>. Mais,
-de ces deux épouses, il perdit la première d'une
-façon qui lui fut pénible, et l'attachement invariable
-qu'il conserva pour elle amena une suite d'aventures
-étranges d'abord et finalement tragiques.</p>
-
-<p>Un vieux récit, qui fait partie du cycle de Conchobar
-et de Cûchulainn, nous fait remonter à une époque
-où l'élève de Mider, Oengus, qui épousa, comme
-nous l'avons vu, Caer, fille d'Ethal Anbual, avait
-enlevé Etâin à son maître ou père nourricier.</p>
-
-<p>Etâin, séparée de Mider, devint l'épouse d'Oengus,
-qui lui témoignait la plus vive tendresse, la logeait
-dans une chambre remplie de fleurs odoriférantes,
-et mettait son bonheur à passer avec elle les soirées
-et les nuits. Cependant, Mider n'oubliait pas Etâin,
-il la regrettait, désirait la reprendre, et Fuamnach,
-la femme qui lui restait, en ressentait une violente
-jalousie. Un jour, Fuamnach profita de l'absence
-<span class="pagenum"><a name="Page_313" id="Page_313">[Pg 313]</a></span>d'Oengus, qu'elle avait eu l'adresse de faire sortir
-sous prétexte d'une entrevue avec Mider et d'un
-projet d'accommodement entre l'élève et le maître.</p>
-
-<p>Un coup de vent, envoyé par elle, enleva Etâin
-de la chambre charmante que l'amour d'Oengus lui
-avait donnée pour logis. Le vent<a name="NoteRef_529" id="NoteRef_529"></a><a href="#Note_529" class="fnanchor">[3]</a> déposa Etâin sur
-le toit d'une maison, où les grands seigneurs d'Ulster,
-accompagnés de leurs femmes, étaient réunis et buvaient.
-Du toit, par l'ouverture qui servait de cheminée,
-Etâin tomba dans une coupe d'or qui se trouvait
-sur la table, à côté d'une des femmes. Cette coupe
-contenait de la bière. En buvant cette bière, la femme
-avala Etâin, dont elle accoucha neuf mois après.</p>
-
-<p>Celle qui devint ainsi mère d'Etâin avait un mari qui
-s'appelait Etair et qui passa pour le père de la jeune
-fille. «Jeune fille» ici peut sembler inexact, car Etâin
-était âgée de mille douze ans quand la femme d'Etair
-la mit au monde; mais les dieux ne vieillissent pas;
-et de plus, Etâin commençait une nouvelle vie<a name="NoteRef_530" id="NoteRef_530"></a><a href="#Note_530" class="fnanchor">[4]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_527" id="Note_527"></a><a href="#NoteRef_527"><span class="label">[1]</span></a> <i>Tochmarch Etaine</i>, chez Windisch, <i>Irische Texte</i>, p. 127, lignes
-8, 24.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_528" id="Note_528"></a><a href="#NoteRef_528"><span class="label">[2]</span></a> Livre de Leinster, p. 11, col. 2, ligne 20. Le même passage
-nous apprend qu'elle était sœur de Siugmall; cf. Windisch, <i>Irische
-Texte</i>, p. 132, ligne 20, et Livre de Leinster, p. 23, col. 1, lignes 37&ndash;38.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_529" id="Note_529"></a><a href="#NoteRef_529"><span class="label">[3]</span></a> Dans l'<i>Odyssée</i>, livre VI, vers 20, la déesse Athéné, approchant
-du lit où dormait Nausicaa, fille du roi des Phéaciens, est
-comparée au souffle du vent.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_530" id="Note_530"></a><a href="#NoteRef_530"><span class="label">[4]</span></a> <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 129, fragment publié par Windisch,
-<i>Irische Texte</i>, p. 130&ndash;131.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XIV_2"></a>§ 2.<br />
-
-<i>Etâin est femme du roi suprême d'Irlande. Mider
-la courtise.</i></h3>
-
-<p>Quand Etâin fut grande elle devint la plus belle
-<span class="pagenum"><a name="Page_314" id="Page_314">[Pg 314]</a></span>des filles d'Irlande et la femme du roi suprême
-Eochaid Airem, dont la capitale était Tara. Le règne
-d'Eochaid Airem, suivant Tigernach<a name="NoteRef_531" id="NoteRef_531"></a><a href="#Note_531" class="fnanchor">[1]</a>, aurait été
-contemporain de la toute-puissance de César, mort,
-comme on sait, en l'an 44 avant notre ère.</p>
-
-<p>Un des textes qui nous racontent comment se fit
-le mariage d'Eochaid a soin de nous signaler l'accomplissement
-d'une des principales formalités juridiques
-par lesquelles se formait le lien conjugal dans
-le droit irlandais: Eochaid, avant le mariage, donna
-à Etâin un douaire de sept <i>cumal</i>, c'est-à-dire de
-sept femmes esclaves, ou d'une valeur équivalente.
-Et ce fut après cela qu'ils devinrent époux.</p>
-
-<p>Mais Mider n'avait pas cessé d'aimer Etâin. Il profita
-d'une absence du roi pour venir rappeler à la jeune
-femme le temps où jadis, dans le monde des dieux,
-il était son mari. Il lui proposa de le suivre dans
-sa mystérieuse résidence de Bregleith. Etâin, respectant
-les liens nouveaux qu'elle avait formés,
-repoussa cette proposition. «Je n'échangerai pas,»
-dit-elle, «le roi suprême d'Irlande pour un mari
-comme toi, qui n'a pas de généalogie et auquel on
-ne connaît pas d'ancêtres<a name="NoteRef_532" id="NoteRef_532"></a><a href="#Note_532" class="fnanchor">[2]</a>.»&mdash;Mider ne se tint
-pas pour battu.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_531" id="Note_531"></a><a href="#NoteRef_531"><span class="label">[1]</span></a> O'Conor, <i>Rerum hibernicarum scriptores</i>, t. II, 1<sup>re</sup> partie, p. 8.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_532" id="Note_532"></a><a href="#NoteRef_532"><span class="label">[2]</span></a> Windisch, <i>Irische Texte</i>, lignes 30&ndash;31. Ce passage est emprunté
-au <i>Leabhar na hUidhre</i>, manuscrit du onzième siècle. Rien n'établit
-plus catégoriquement la date récente des généalogies compliquées
-attribuées aux Tûatha Dê Danann par divers documents. Voyez, sur
-les ancêtres qu'on donne à Mider, Livre de Leinster, p. 11, col. 1,
-ligne 51, et p. 10, col. 1, lignes 2 et suiv. Comparez le tableau généalogique
-publié par O'Curry, <i>Atlantis</i>, t. III, en face de la p. 382.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_315" id="Page_315">[Pg 315]</a></span></p>
-
-<h3><a id="XIV_3"></a>§ 3.<br />
-
-<i>La partie d'échecs.</i></h3>
-
-<p>Par une belle journée d'été, Eochaid Airem, roi
-suprême de l'Irlande et mari d'Etâin, de retour à
-Tara, regardait du haut de sa forteresse dans la
-plaine. Il admirait la campagne et ses tons harmonieux.
-Il vit s'approcher un guerrier inconnu.
-Cet étranger était vêtu d'une tunique de pourpre; ses
-cheveux étaient jaunes comme de l'or; son œil bleu
-brillait comme une chandelle. Il portait une lance à
-cinq pointes et un bouclier orné de perles d'or.</p>
-
-<p>Eochaid lui souhaita la bienvenue, tout en lui disant
-qu'il ne le connaissait point.&mdash;«Je te connais
-bien, moi, et depuis longtemps,» dit le guerrier.&mdash;«Quel
-est ton nom?» demanda Eochaid.&mdash;«Il
-n'a rien d'illustre,» répondit l'étranger. «Je m'appelle
-Mider de Bregleith.»&mdash;«Quelle raison
-t'amène ici?» reprit Eochaid.&mdash;«Je viens,» dit
-l'inconnu, «jouer aux échecs avec toi.»&mdash;«Je suis
-fort aux échecs,» dit Eochaid, qui passait pour le
-premier joueur d'échecs d'Irlande. «Nous verrons
-ce qu'il en est,» reprit Mider.&mdash;«Mais,» répondit
-Eochaid, «la reine dort en ce moment, et c'est
-dans sa chambre qu'est mon jeu d'échecs<a name="NoteRef_533" id="NoteRef_533"></a><a href="#Note_533" class="fnanchor">[1]</a>.»&mdash;«Peu
-<span class="pagenum"><a name="Page_316" id="Page_316">[Pg 316]</a></span>importe,» répliqua Mider, «j'ai avec moi
-un jeu qui n'est pas moins beau que le tien.»</p>
-
-<p>Et il disait la vérité. L'échiquier qu'il apportait était
-d'argent, à chaque coin brillaient des pierres précieuses.
-D'un sac fait d'une brillante étoffe de fil de
-laiton, il tire les guerriers, c'est-à-dire les pièces, qui
-étaient d'or. Il dispose l'échiquier comme il fallait.</p>
-
-<p>&mdash;«Joue,» dit-il au roi.&mdash;«Je ne jouerai pas
-sans enjeu,» répondit Eochaid.&mdash;«Quel sera l'enjeu?»
-dit Mider.&mdash;«Cela m'est égal,» reprit
-Eochaid.&mdash;«Quant à moi,» répliqua Mider, «si tu
-gagnes je te donnerai cinquante chevaux bruns à
-la poitrine large, aux pieds minces et agiles.»&mdash;«Et
-moi,» reprit le roi, comptant sur le succès,
-«si je perds, je te donnerai ce que tu voudras<a name="NoteRef_534" id="NoteRef_534"></a><a href="#Note_534" class="fnanchor">[2]</a>.»</p>
-
-<p>Mais, contre son attente, Eochaid fut battu par Mider.
-Et quand il demanda à son adversaire, selon les
-conventions préalables, ce que celui-ci désirait:
-«C'est ta femme,» répondit Mider, «c'est Etâin que
-je veux.» Le roi fit observer que, d'après les règles
-du jeu, celui qui perdait la première partie avait
-droit à la revanche, c'est-à-dire qu'il fallait une
-seconde partie perdue pour rendre définitif le résultat
-<span class="pagenum"><a name="Page_317" id="Page_317">[Pg 317]</a></span>de la première. Et il proposa de renvoyer à un
-an cette partie nouvelle. Mider accepta le délai bien
-que de mauvaise grâce, et il disparut, laissant le roi
-et sa cour interdits.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_533" id="Note_533"></a><a href="#NoteRef_533"><span class="label">[1]</span></a> Il n'est pas bien sûr que le jeu dont il s'agit ici soit précisément
-le jeu d'échecs tel que nous l'entendons, qui est originaire de
-Perse. Cf. O'Donovan, <i>The book of rights</i>, p. <span class="smcap">lxi</span>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_534" id="Note_534"></a><a href="#NoteRef_534"><span class="label">[2]</span></a> Il y a ici une lacune dans le manuscrit qui nous sert de base,
-c'est-à-dire dans le <i>Leabhar na hUidhre</i>. Cette lacune est d'un feuillet
-au moins. Nous la complétons à l'aide: 1° d'une analyse d'O'Curry
-(<i>On the Manners</i>, t. II, p. 192&ndash;194; t. III, p. 162&ndash;163, 190&ndash;192), qui
-a eu entre les mains d'autres manuscrits; 2° de la partie du récit qui
-suit et que le <i>Leabhar na hUidhre</i> nous a conservé.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XIV_4"></a>§ 4.<br />
-
-<i>Mider fait de nouveau la cour à Etâin. Le poème qu'il lui chante.</i></h3>
-
-<p>Eochaid fut un an sans revoir Mider. Mais pendant
-ce temps, Etâin reçut du dieu amoureux de nombreuses
-visites. L'auteur inconnu de la composition
-épique dont nous donnons l'analyse met dans la
-bouche de Mider un poème qui ne paraît pas être
-ici tout à fait à sa place. C'était le chant que le messager
-de la mort faisait entendre aux femmes qu'il
-enlevait pour les conduire au séjour mystérieux de
-l'immortalité.</p>
-
-<p>«O belle femme, viendras-tu avec moi dans la
-terre merveilleuse où l'on entend une jolie musique,
-où sur les cheveux on porte une couronne
-de primevères, où de la tête aux pieds le corps
-est couleur de neige, où personne n'est triste ni
-silencieux, où les dents sont blanches et les sourcils
-noirs..... les joues rouges comme la digitale en
-fleur..... L'Irlande est belle, mais bien peu de
-paysages y sont aussi séduisants que celui de la
-Grande Plaine où je t'appelle. La bière d'Irlande enivre,
-mais la bière de la Grande Terre est bien plus
-<span class="pagenum"><a name="Page_318" id="Page_318">[Pg 318]</a></span>enivrante. Quel pays merveilleux que celui dont je
-parle! La jeunesse n'y vieillit point. Il y coule des
-ruisseaux d'un liquide chaud, tantôt d'hydromel,
-tantôt de vin, toujours de choix. Les hommes y
-sont charmants, sans défaut, l'amour n'y est pas
-défendu. O femme, quand tu viendras dans mon
-puissant pays, ce sera une couronne d'or que tu
-porteras sur la tête. Je te donnerai du porc frais;
-tu auras de moi pour boisson de la bière<a name="NoteRef_535" id="NoteRef_535"></a><a href="#Note_535" class="fnanchor">[1]</a> et du
-lait, ô belle femme!&mdash;O belle femme, viendras-tu
-avec moi<a name="NoteRef_536" id="NoteRef_536"></a><a href="#Note_536" class="fnanchor">[2]</a>?»</p>
-
-<p>Ces doctrines sur l'autre vie étaient connues en
-Grèce. Au cinquième siècle avant notre ère, Platon
-en avait entendu parler et les attribuait à Musée.
-«Suivant cet auteur,» dit le célèbre philosophe athénien,
-«les justes, dans l'Hadès ou séjour des morts,
-sont admis au banquet des saints, et, couronnés
-de fleurs, ils passent leur temps dans une éternelle
-ivresse<a name="NoteRef_537" id="NoteRef_537"></a><a href="#Note_537" class="fnanchor">[3]</a>.»</p>
-
-<p>Le morceau mis dans la bouche de Mider par la
-composition épique que nous analysons n'est donc
-<span class="pagenum"><a name="Page_319" id="Page_319">[Pg 319]</a></span>point ici à sa place. Mider voulait ramener Etâin
-dans un pays où elle avait vécu plusieurs siècles et
-qu'elle connaissait fort bien; ce n'est pas à la «Grande
-Terre,» où tous les humains se réunissent après la
-mort, c'était dans son propre palais, à Bregleith,
-qu'il voulait la conduire; et l'amour qu'il lui offrait
-était le sien, il ne lui proposait pas pour amants les
-hommes charmants et sans défauts qui habitent le
-domaine mystérieux de la mort.</p>
-
-<p>Ses efforts furent impuissants. La fidélité d'Etâin
-au roi son époux resta inébranlable. Mider avait beau
-lui faire les offres les plus séduisantes de bijoux et
-de trésors: «Je ne puis,» disait-elle, «quitter mon
-mari que s'il y consent.» Pendant ce temps, Eochaid
-comptait avec angoisse les jours qui le séparaient de
-la date redoutable à laquelle Mider devait reparaître.
-On prétend que son surnom, qui paraît avoir été
-<i>Airem</i>, au génitif <i>Airemon</i>, vient d'<i>Aram</i>, «nombre,»
-et veut dire celui qui compte.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_535" id="Note_535"></a><a href="#NoteRef_535"><span class="label">[1]</span></a> Sur le porc et la bière des dieux, voir plus haut, <a href="#Page_275">p. 275</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_536" id="Note_536"></a><a href="#NoteRef_536"><span class="label">[2]</span></a> <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 131; Windisch, <i>Irische Texte</i>, p. 132,
-133. J'ai retranché de la traduction plusieurs vers où paraissent nécessaires
-des corrections qu'il n'est pas prudent de risquer sans avoir
-vu d'autres manuscrits. Le quatrain qui, dans l'édition de M. Windisch,
-forme les lignes numérotées 11 et 12, exprime une pensée
-chrétienne qui a été intercalée pour faire passer le reste, et je l'ai
-supprimé.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_537" id="Note_537"></a><a href="#NoteRef_537"><span class="label">[3]</span></a> <i>République</i>, livre II; <i>Platonis opera</i>, édit. Didot-Schneider,
-t. II, p. 26, lignes 15&ndash;20.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XIV_5"></a>§ 5.<br />
-
-<i>Mider enlève Etâin.</i></h3>
-
-<p>L'année finie, Eochaid se trouvait à Tara, entouré
-des grands seigneurs d'Irlande, quand apparut Mider,
-qui semblait fort mécontent.&mdash;«Nous allons,» dit
-Mider, «jouer notre seconde partie d'échecs.»&mdash;«Quel
-sera l'enjeu?» demanda Eochaid.&mdash;» Ce que
-désirera le gagnant,» répondit Mider, «et cette
-<span class="pagenum"><a name="Page_320" id="Page_320">[Pg 320]</a></span>partie-ci sera la dernière.» «Que désires-tu?,»
-reprit Eochaid.&mdash;«Mettre mes deux mains autour
-de la taille d'Etâin,» dit Mider, «et lui donner
-un baiser.» Eochaid se tut d'abord; puis
-enfin, élevant la voix:&mdash;«Reviens dans un mois,»
-lui dit-il, «et on te donnera ce que tu demandes.»
-Mider accepta ce nouveau délai, il partit.</p>
-
-<p>Quand arriva le jour fatal, Eochaid était au milieu
-de la grande salle de son palais à Tara, avec sa
-femme; autour d'eux se pressaient en rangs épais
-les plus braves guerriers de l'Irlande, que le roi
-avait appelés à son aide et qui remplissaient non
-seulement le palais, mais la cour de la forteresse;
-les serrures des portes étaient fermées. Eochaid
-comptait résister par la force au rival qui prétendait
-lui enlever sa femme. La journée se passa et le
-dieu terrible ne paraissait point. La nuit vint. Tout
-d'un coup, on aperçut Mider au milieu de la salle.
-On ne l'avait pas vu entrer. Le beau Mider, dit le
-conteur irlandais, était, cette nuit, plus beau que
-jamais.»</p>
-
-<p>Eochaid le salua: «Me voici,» dit Mider; «donne-moi
-ce que tu m'as promis. C'est une dette et
-j'ai le droit d'en exiger l'acquittement.»&mdash;«Je
-n'y ai pas songé jusqu'à présent,» répondit Eochaid
-hors de lui. «Tu m'as promis de me donner Etâin,»
-répliqua Mider.</p>
-
-<p>A ces mots, la rougeur monta au visage d'Etâin.
-Mider lui adressa la parole: «Ne rougis pas,» lui
-dit-il, «tu n'as pas de reproche à te faire. Depuis
-<span class="pagenum"><a name="Page_321" id="Page_321">[Pg 321]</a></span>un an, je ne cesse de solliciter ton amour, en t'offrant
-bijoux et richesses. Tu es la plus belle des
-femmes d'Irlande et tu as refusé de m'écouter
-aussi longtemps que ton mari ne t'en aurait pas
-accordé la permission.»&mdash;«Je t'ai dit,» reprit
-Etâin, «que je n'irai pas où tu m'appelles, tant que
-mon mari ne m'aura pas cédée à toi. Je me
-laisserai prendre si Eochaid me donne.»&mdash;«Je
-ne te donnerai pas,» s'écria Eochaid. «Je consens
-seulement à ce qu'il mette ses deux mains autour
-de ta taille ici, dans cette salle, comme il a été
-convenu.»&mdash;«Cela va être fait,» répondit Mider.</p>
-
-<p>Il tenait une lance dans sa main droite; il la fit
-passer dans la main gauche, et, de son bras droit
-saisissant Etâin, il s'éleva en l'air et disparut avec
-elle par l'ouverture qui, pratiquée dans le toit, servait
-de cheminée aux palais irlandais. Les guerriers
-qui entouraient le roi se levèrent honteux de leur
-impuissance; ils sortirent et ils aperçurent deux
-cygnes qui voltigeaient autour de Tara; leurs longs
-et blancs cous étaient unis par un joug d'or.</p>
-
-<p>Les Irlandais virent souvent, plus tard, des couples
-merveilleux de cette espèce. Mais alors, c'était la
-première fois qu'un tel spectacle leur était donné.
-Dans ces deux cygnes, Eochaid et ses guerriers reconnurent
-Mider et Etâin; mais les deux fugitifs
-étaient trop loin pour qu'on pût les atteindre<a name="NoteRef_538" id="NoteRef_538"></a><a href="#Note_538" class="fnanchor">[1]</a>.
-Plus tard, cependant, un druide apprit à Eochaid
-<span class="pagenum"><a name="Page_322" id="Page_322">[Pg 322]</a></span>où se trouvait le palais souterrain de Mider. Eochaid,
-avec le secours de la puissance magique que les
-druides possèdent, força l'entrée de cette résidence
-mystérieuse, et il reprit au dieu vaincu la femme
-si belle et si aimée. Mais un jour Mider se vengea:
-la mort tragique du roi suprême Conairé, petit-fils
-par sa mère d'Eochaid Airem et d'Etâin, fut causée
-par la haine implacable de ce dieu et de ses gens,
-c'est-à-dire des <i>sîde</i> de Bregleith, contre la postérité
-d'Eochaid Airem et de la femme que ce prince avait
-enlevée à l'amoureux Mider<a name="NoteRef_539" id="NoteRef_539"></a><a href="#Note_539" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_538" id="Note_538"></a><a href="#NoteRef_538"><span class="label">[1]</span></a> <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 132.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_539" id="Note_539"></a><a href="#NoteRef_539"><span class="label">[2]</span></a> <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 99, col. 1, lignes 12 et suiv. Nous connaissons,
-au sujet de Mider, quelques documents que nous n'avons
-pas utilisés ici. Ainsi, sur l'intervention de ce dieu dans la légende
-d'Eochaid mac Maireda, voyez <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 39, col. 2,
-ligne 1. Mider, roi des hommes de Ferfalga, beau-père du héros
-Cûroi, est probablement identique à notre dieu. O'Curry, <i>On the
-Manners</i>, t. III, p. 80.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XIV_6"></a>§ 6.<br />
-
-<i>Manannân mac Lir et Bran, fils de Febal.</i></h3>
-
-<p>Manannân mac Lir, comme son nom l'indique,
-est fils de Ler, c'est-à-dire de la Mer. Entre lui et
-les autres dieux, ou Tûatha Dê Danann, dont nous
-avons parlé jusqu'ici, il y a une différence importante:
-le palais merveilleux qu'il habite n'est pas
-situé en Irlande; il se trouve dans une île de la mer,
-et à une distance assez grande des côtes pour être
-<span class="pagenum"><a name="Page_323" id="Page_323">[Pg 323]</a></span>inaccessible dans les conditions ordinaires de la navigation.
-A ce point de vue, Manannân et quelques
-autres dieux de la catégorie des Tûatha Dê Danann
-présentent une certaine analogie avec les Fomôré:
-il faut faire un voyage par mer pour atteindre leur
-résidence, comme pour gagner la vaste terre où,
-sous la domination des Fomôré, les défunts trouvent
-les joies d'une vie nouvelle, et l'immortalité.</p>
-
-<p>Bran, fils de Febal, est un des voyageurs qu'un
-navire a transportés dans les îles des Tûatha Dê
-Danann. Il en est revenu, et a pu raconter son histoire.</p>
-
-<p>Un jour, il était seul près de son palais; il entendit
-une musique très douce qui l'endormit, et, en
-se réveillant, il trouva à côté de lui une branche d'argent,
-couverte de fleurs<a name="NoteRef_540" id="NoteRef_540"></a><a href="#Note_540" class="fnanchor">[1]</a>. Il la prit, et l'apporta
-chez lui; mais il ne la garda pas longtemps. Un
-jour, il y avait chez lui réunion nombreuse; beaucoup
-de chefs, accompagnés de leurs femmes, étaient
-rassemblés dans son palais, quand apparut une
-femme inconnue qui l'invita à se rendre dans le pays
-mystérieux des <i>Sîde</i>. Puis elle disparut, et avec elle
-la branche d'argent.</p>
-
-<p>Bran s'embarqua le lendemain, et trente personnes
-avec lui. Au bout de deux jours, ils rencontrèrent
-Manannân mac Lir, roi du pays inconnu vers lequel
-ils naviguaient. Manannân était dans un char, et
-<span class="pagenum"><a name="Page_324" id="Page_324">[Pg 324]</a></span>chantait en vers le bonheur de son royaume. Bran
-continua son voyage et arriva dans une île qui n'était
-peuplée que de femmes. La reine était celle qui
-l'avait invité. Il y resta longtemps, puis revint en
-Irlande<a name="NoteRef_541" id="NoteRef_541"></a><a href="#Note_541" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_540" id="Note_540"></a><a href="#NoteRef_540"><span class="label">[1]</span></a> On trouvera plus bas, <a href="#Page_327">p. 327</a>, une branche analogue, dans la
-légende de Cormac.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_541" id="Note_541"></a><a href="#NoteRef_541"><span class="label">[2]</span></a> Il y a de cette pièce plusieurs manuscrits. Le plus ancien est
-le <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 121, mais il ne contient plus qu'un très
-court fragment. Vient ensuite, par ordre de date, le manuscrit H. 2.
-16, du collège de la Trinité de Dublin, col. 395&ndash;399.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XIV_7"></a>§ 7.<br />
-
-<i>Manannân mac Lir et le héros Cûchulainn.</i></h3>
-
-<p>Le nom de Manannân mac Lir est mêlé aux événements
-épiques qui forment le cycle de Conchobar
-et de Cûchulainn et le cycle ossianique. On le retrouve
-enfin dans un des morceaux qui continuent
-jusqu'au septième siècle l'histoire épique de l'Irlande.</p>
-
-<p>La femme de Manannân était Fand, fille d'Aed
-Abrat et déesse comme lui. Un jour, il l'abandonna;
-elle, pour se venger, rechercha en mariage le héros
-Cûchulainn<a name="NoteRef_542" id="NoteRef_542"></a><a href="#Note_542" class="fnanchor">[1]</a>, qui avait déjà une femme légitime,
-Emer<a name="NoteRef_543" id="NoteRef_543"></a><a href="#Note_543" class="fnanchor">[2]</a>, et une concubine, Ethné Ingubai<a name="NoteRef_544" id="NoteRef_544"></a><a href="#Note_544" class="fnanchor">[3]</a>. Elle
-habitait une île où elle attira le héros. C'était le
-«pays lumineux,» <i>Tîr Sorcha</i><a name="NoteRef_545" id="NoteRef_545"></a><a href="#Note_545" class="fnanchor">[4]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_325" id="Page_325">[Pg 325]</a></span>Loeg, cocher de Cûchulainn, qui, avant son maître,
-alla en éclaireur visiter cette étrange contrée,
-revint rempli d'admiration. Il y avait vu un arbre
-merveilleux<a name="NoteRef_546" id="NoteRef_546"></a><a href="#Note_546" class="fnanchor">[5]</a>, de beaux hommes, de belles femmes,
-vêtus d'habits magnifiques, faisant bonne chère,
-écoutant une musique délicieuse. Mais, ce qui
-l'avait surtout frappé était la beauté de Fand. Il n'y
-avait, en Irlande, ni roi ni reine qui l'égalassent.
-«Ethné Ingubai, la concubine de Cûchulainn, est
-bien jolie,» disait-il; «mais une femme comme
-Fand rend les gens fous<a name="NoteRef_547" id="NoteRef_547"></a><a href="#Note_547" class="fnanchor">[6]</a>.»</p>
-
-<p>Cûchulainn se laissa séduire, épousa Fand, la ramena
-en Irlande. Jusque-là, Emer avait supporté
-patiemment les infidélités momentanées du volage
-héros, et avait admis, en outre, qu'il eût une concubine
-de rang inférieur; alors elle devint jalouse
-pour la première fois; elle ne put souffrir dans Fand
-une rivale égale ou supérieure à elle, et qui semblait
-devoir occuper définitivement la première place
-dans le cœur du plus grand des guerriers irlandais.
-Elle voulut tuer Fand. Cûchulainn s'y opposa; mais
-l'ardeur de la passion qu'Emer avait témoignée réveilla
-chez lui des sentiments qui semblaient éteints;
-<span class="pagenum"><a name="Page_326" id="Page_326">[Pg 326]</a></span>voyant la douleur d'Emer, il lui dit, pour la consoler,
-qu'il la trouvait toujours jolie, et qu'il n'avait pas
-cessé de l'aimer. Fand était présente. Profondément
-blessée de cette réconciliation, elle abandonna Cûchulainn.</p>
-
-<p>Au même moment Manannân, sachant la détresse
-de l'épouse qu'il avait eu le tort de quitter, venait la
-chercher. Il s'approcha de Fand: visible pour elle, il
-était invisible pour tout autre. Ayant été bien accueilli
-par elle, il se rendit tout à coup visible aux yeux de
-Cûchulainn et de son cocher Loeg. Il partit emmenant
-Fand, qui, pour Cûchulainn, était à jamais
-perdue et que l'art des druides fit oublier à ce héros
-passionné<a name="NoteRef_548" id="NoteRef_548"></a><a href="#Note_548" class="fnanchor">[7]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_542" id="Note_542"></a><a href="#NoteRef_542"><span class="label">[1]</span></a> <i>Serglige Conculaind</i>, ou «Maladie de Cûchulainn,» chez Windisch,
-<i>Irische Texte</i>, p. 209, lignes 20 et suiv.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_543" id="Note_543"></a><a href="#NoteRef_543"><span class="label">[2]</span></a> <i>Ibid.</i>, p. 208, lignes 12 et suiv.; p. 214, lignes 19 et suiv.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_544" id="Note_544"></a><a href="#NoteRef_544"><span class="label">[3]</span></a> <i>Ibid.</i>, p. 206, lignes 17, 18; p. 207, lignes 9 et suiv.; p. 208,
-ligne 19.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_545" id="Note_545"></a><a href="#NoteRef_545"><span class="label">[4]</span></a> Windisch, <i>Irische Texte</i>, p. 219, ligne 18.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_546" id="Note_546"></a><a href="#NoteRef_546"><span class="label">[5]</span></a> C'est probablement de cet arbre que furent détachées la branche
-d'argent de Bran mac Febail dont il a été déjà question et la branche
-aux pommes d'or de Cormac dont nous parlerons plus loin. On
-peut comparer les arbres du palais souterrain de Brug na Boinné,
-p. 274&ndash;275. L'île d'Avalon, c'est-à-dire du Pommier, dans le cycle
-d'Arthur, tire sans doute son nom d'un arbre analogue.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_547" id="Note_547"></a><a href="#NoteRef_547"><span class="label">[6]</span></a> Windisch, <i>Irische Texte</i>, p. 219, ligne 25; p. 220, lignes 5, 6.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_548" id="Note_548"></a><a href="#NoteRef_548"><span class="label">[7]</span></a> Windisch, <i>Irische Texte</i>, p. 222&ndash;227.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XIV_8"></a>§ 8.<br />
-
-<i>Manannân mac Lir et Cormac, fils d'Art.&mdash;Première
-partie: Cormac échange contre une branche d'argent
-sa femme, son fils et sa fille.</i></h3>
-
-<p>Nous retrouvons Manannân mac Lir dans le cycle
-ossianique. Un des principaux personnages de ce
-cycle est Cormac mac Airt, ou Cormac fils d'Art, dit
-aussi Cormac hûa Cuinn, c'est-à-dire petit-fils de
-Conn. Dans les annales de Tigernach, dont l'auteur
-mourut, comme on sait, en 1088, on lit, sous une
-date qui paraît correspondre à l'an 248 de notre ère,
-<span class="pagenum"><a name="Page_327" id="Page_327">[Pg 327]</a></span>la mention suivante: «Disparition de Cormac, petit-fils
-de Conn, pendant sept mois<a name="NoteRef_549" id="NoteRef_549"></a><a href="#Note_549" class="fnanchor">[1]</a>.» La disparition
-de Cormac mac Airt est un événement merveilleux
-dont le récit est compris dans la seconde liste
-des récits que racontaient les <i>filé</i>; et cette liste paraît
-remonter au dixième siècle. Notre légende y est
-désignée sous le nom d'«Aventures» ou d'«Expédition
-de Cormac mac Airt.» Ce titre se retrouve en
-tête de la pièce dont il s'agit dans deux manuscrits
-du quatorzième siècle, mais avec une addition d'où
-il résulte que le pays où Cormac se serait rendu
-s'appelle «Terre de la Promesse»<a name="NoteRef_550" id="NoteRef_550"></a><a href="#Note_550" class="fnanchor">[2]</a>. Des manuscrits
-plus récents intitulent ce morceau: «Trouvaille de
-la branche par Cormac mac Airt.» On va comprendre
-pourquoi.</p>
-
-<p>Un jour, Cormac mac Airt, roi suprême d'Irlande,
-était dans sa forteresse de Tara. Il vit dans la prairie
-qui en dépendait un jeune homme qui tenait à la main
-une branche merveilleuse; neuf pommes d'or y
-étaient suspendues<a name="NoteRef_551" id="NoteRef_551"></a><a href="#Note_551" class="fnanchor">[3]</a>. Quand on agitait cette branche,
-les pommes s'entre-choquant produisaient une musique
-étrange et douce. Personne ne pouvait l'entendre
-sans oublier à l'instant ses chagrins et ses maux.
-<span class="pagenum"><a name="Page_328" id="Page_328">[Pg 328]</a></span>Puis tous, hommes, femmes et enfants, s'endormaient.</p>
-
-<p>&mdash;«Cette branche t'appartient-elle?» demanda
-Cormac au jeune homme.-«Oui, certes,» répondit
-celui-ci.&mdash;«Veux-tu la vendre?» reprit Cormac.&mdash;«Oui,»
-dit le jeune homme. «Je n'ai jamais rien
-eu qui ne fût à vendre.»&mdash;«Quel prix en exiges-tu?»
-dit Cormac.&mdash;«Je te l'apprendrai après,» répliqua
-le jeune homme.-«Je te donnerai ce que tu jugeras
-à propos,» répondit Cormac. «Et suivant toi,
-que te dois-je?»&mdash;«Ta femme, ton fils et ta fille.»&mdash;«Tu
-les auras tous les trois,» répliqua le roi.</p>
-
-<p>Le jeune homme lui donna la branche, et ils entrèrent
-tous deux dans le palais. Cormac y trouva
-réunis sa femme, son fils et sa fille.&mdash;«Tu as là
-un bien joli bijou,» lui dit sa femme.&mdash;«Ce n'est
-pas étonnant,» répondit Cormac: «je le paie un
-gros prix.» Et il raconta le marché qu'il avait fait.&mdash;«Nous
-ne croirons jamais,» répondit sa femme,
-«qu'il y ait en ce monde un trésor que tu préfères
-à nous trois.»&mdash;«Il est vraiment trop dur,» s'écria
-la fille de Cormac, «que mon père nous ait échangés
-contre une branche!» La femme, le fils et la
-fille étaient tous les trois dans la désolation. Mais
-Cormac secoua la branche. A l'instant ils oublièrent
-leur affliction, ils allèrent joyeux au-devant du jeune
-homme, et partirent avec lui.</p>
-
-<p>Bientôt la nouvelle de cet événement étrange se
-répandit dans Tara d'abord, puis dans toute l'Irlande.
-On aimait beaucoup la reine et ses deux enfants;
-<span class="pagenum"><a name="Page_329" id="Page_329">[Pg 329]</a></span>il s'éleva un immense cri de douleur et de
-regret. Mais Cormac secoua sa branche; aussitôt les
-plaintes cessèrent, et le chagrin de ses sujets fit place
-à la joie.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_549" id="Note_549"></a><a href="#NoteRef_549"><span class="label">[1]</span></a> «Teasbhaidh Cormaic hua Cuinn fri-re secht miss.» O'Conor,
-<i>Rerum hibernicarum scriptores</i>, t. II, première partie, p. 44. La
-même expression est employée pour désigner l'enlèvement d'Etâin
-par Mider. <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 99, col. 1, ligne 13.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_550" id="Note_550"></a><a href="#NoteRef_550"><span class="label">[2]</span></a> <i>Tîr Tairngiri</i>. Livre de Ballymote, f° 142, verso. Manuscrit du
-collège de la Trinité de Dublin, coté H. 2. 16, col. 889. Cf. p. 331.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_551" id="Note_551"></a><a href="#NoteRef_551"><span class="label">[3]</span></a> Comparez la branche d'argent dont il est question plus haut,
-dans la légende de Bran mac Febail, p. 323.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XIV_9"></a>§ 9.<br />
-
-<i>Manannân mac Lir et le roi Cormac fils d'Art.&mdash;Deuxième
-partie.&mdash;Cormac retrouve sa femme,
-son fils et sa fille.</i></h3>
-
-<p>Une année s'écoula. Cormac éprouva le désir de
-revoir sa femme, son fils et sa fille. Il sortit de son
-palais, prit la direction où il les avait vus s'engager.
-Un nuage magique l'enveloppa; il arriva dans une
-plaine merveilleuse. Là s'élevait une maison, et une
-foule immense de cavaliers étaient réunis à l'entour.
-Leur occupation était de couvrir cette maison de plumes
-d'oiseaux étrangers. Quand ils avaient couvert
-une moitié de la maison, les plumes leur manquaient
-pour terminer ce travail, et ils partaient pour aller
-chercher les plumes nécessaires à l'achèvement de
-leur tâche. Mais pendant leur absence, les plumes
-qu'ils avaient posées disparaissaient, soit qu'elles
-fussent enlevées par le vent, soit par toute autre
-cause. Il n'y avait donc pas de raison pour que leur
-travail fût jamais achevé. Cormac les regarda longtemps,
-puis perdit patience.&mdash;«Je vois bien,» dit-il,
-«que vous faites cela depuis le commencement du
-<span class="pagenum"><a name="Page_330" id="Page_330">[Pg 330]</a></span>monde, et que vous continuerez jusqu'à ce que le
-monde finisse.»</p>
-
-<p>Il poursuivit sa route. Après avoir vu plusieurs autres
-choses curieuses, il arriva dans une maison où
-il entra. Il y trouva un homme et une femme de
-grande taille, et dont les vêtements étaient de diverses
-couleurs. Il les salua; eux, comme il était
-tard, lui proposèrent l'hospitalité pour la nuit. Cormac
-accepta.</p>
-
-<p>L'hôte apporta lui-même un cochon tout entier,
-qui devait servir pour le repas, et une bûche énorme,
-qui, fendue en plusieurs morceaux, devait le cuire.
-Cormac prépara le feu et mit dessus un quartier de
-cochon.&mdash;«Raconte-nous une histoire,» dit l'hôte
-à Cormac, «et, si elle est vraie, lorsque tu l'auras
-terminée, le quartier de cochon sera cuit.»&mdash;«Commence
-toi-même,» répondit Cormac, «ta
-femme parlera ensuite; mon tour viendra après.»&mdash;«Tu
-as raison,» répliqua l'hôte. «Voici mon
-histoire. Ce cochon est un des sept que je possède;
-et de leur chair je pourrais nourrir le monde entier.
-Quand un d'eux est tué et mangé, je n'ai qu'à
-mettre ses os dans l'étable, et le lendemain je le
-retrouve vivant<a name="NoteRef_552" id="NoteRef_552"></a><a href="#Note_552" class="fnanchor">[1]</a>.» L'histoire était vraie, car aussitôt
-qu'elle fut finie, le quartier de cochon se trouva
-cuit.</p>
-
-<p>Cormac mit un second quartier de cochon sur le
-<span class="pagenum"><a name="Page_331" id="Page_331">[Pg 331]</a></span>feu; la femme prit la parole.&mdash;«J'ai sept vaches
-blanches,» dit-elle; «et tous les jours je remplis
-sept cuves de leur lait. Si les habitants du monde
-entier se réunissaient dans cette plaine, j'aurais
-assez de lait pour les rassasier.» L'histoire était
-vraie, car, aussitôt qu'elle fut terminée, on constata
-que le quartier de cochon était cuit. «Je vois,» dit
-Cormac, «que vous êtes Manannân et sa femme.
-C'est Manannân qui possède les cochons dont tu
-viens de parler, et c'est de la Terre Promise qu'il
-a ramené sa femme et les sept vaches<a name="NoteRef_553" id="NoteRef_553"></a><a href="#Note_553" class="fnanchor">[2]</a>.»</p>
-
-<p>&mdash;«Ton tour est venu de raconter une histoire,»
-reprit le maître de la maison. «Si elle est vraie,
-quand elle sera finie le troisième quartier sera
-cuit.» Cormac raconta comment il avait acquis la
-branche merveilleuse aux neuf pommes d'or et à la
-musique enchanteresse; comment il avait en même
-temps perdu sa femme, son fils et sa fille. Quand il
-eut terminé son récit, le quartier de cochon était
-cuit.&mdash;«Tu es le roi Cormac,» lui dit son hôte.
-«Je le reconnais à ta sagesse; le repas est prêt,
-mange.»&mdash;«Jamais,» répondit Cormac, «je
-n'ai dîné en compagnie de deux personnes seulement.»
-Manannân ouvrit une porte et fit entrer
-la femme, le fils et la fille de Cormac. Le roi fut bien
-heureux de les revoir; eux éprouvèrent la même
-joie que lui.&mdash;«C'est moi qui te les ai pris,» dit
-<span class="pagenum"><a name="Page_332" id="Page_332">[Pg 332]</a></span>Manannân, «c'est moi qui t'ai donné la branche
-merveilleuse. Mon but était de te faire venir ici.»</p>
-
-<p>Cormac ne voulut pas commencer le repas avant
-d'avoir l'explication des merveilles qu'il avait vues
-sur son chemin. Manannân la lui donna; il lui expliqua,
-par exemple, que les cavaliers qui couvrent une
-maison de plumes et recommencent indéfiniment
-leur travail sans jamais en voir l'achèvement sont
-les gens de lettres qui cherchent la fortune, croient
-la trouver, et ne l'atteindront jamais: en effet, chaque
-fois qu'ils rentrent chez eux apportant de l'argent,
-ils apprennent qu'on a dépensé tout celui qu'à
-leur départ ils avaient laissé à la maison.</p>
-
-<p>Enfin Cormac, sa femme et ses enfants se mirent
-à table. Ils mangèrent. Quand il fut question de
-boire, Manannân présenta une coupe.&mdash;«Cette
-coupe,» dit-il, «a une propriété particulière.
-Quand on dit devant elle un mensonge, elle se
-brise, et si ensuite on dit la vérité, les morceaux
-se rejoignent.»&mdash;«Prouve-le,» s'écria Cormac.&mdash;«C'est
-bien facile,» reprit Manannân. «La femme
-que je t'ai enlevée a eu depuis ce temps un nouveau
-mari.» Aussitôt la coupe se brisa en quatre
-morceaux,»&mdash;«Mon mari a menti,» répondit la
-femme de Manannân.» Elle disait la vérité: à l'instant,
-les quatre morceaux de la coupe se rejoignirent
-sans qu'il restât aucune trace de l'accident.</p>
-
-<p>Après le repas, Cormac, sa femme et ses enfants
-allèrent se coucher. Quand ils se réveillèrent le lendemain,
-ils étaient dans le palais de Tara, capitale
-<span class="pagenum"><a name="Page_333" id="Page_333">[Pg 333]</a></span>de l'Irlande, et Cormac y trouva près de lui la
-branche merveilleuse, la coupe enchantée, même
-la nappe qui couvrait la table sur laquelle il avait
-mangé la veille dans le palais du dieu Manannân.
-Si nous en croyons l'annaliste Tigernach, son absence
-avait duré sept mois, et ces événements merveilleux
-se seraient passés l'an 248 de J.-C.<a name="NoteRef_554" id="NoteRef_554"></a><a href="#Note_554" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_552" id="Note_552"></a><a href="#NoteRef_552"><span class="label">[1]</span></a> Voir plus haut, <a href="#Page_275">p. 275</a>, une légende analogue dans un texte
-plus ancien.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_553" id="Note_553"></a><a href="#NoteRef_553"><span class="label">[2]</span></a> Sur les cochons de Manannân, voir plus haut, <a href="#Page_277">p. 277</a>. Manannân
-a ramené deux vaches de l'Inde, p. 279.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_554" id="Note_554"></a><a href="#NoteRef_554"><span class="label">[3]</span></a> Cette pièce a été publiée avec une traduction anglaise, mais
-d'après un manuscrit récent, dans les <i>Transactions of the Ossianic
-Society</i>, t. III, p. 213. L'auteur de l'édition est M. Standish Hayes
-O'Grady. Certains détails paraissent modernes. J'ai peine à considérer
-comme ancien le passage relatif à la fidélité de la femme de
-Cormac. Le paganisme celtique n'est pas si chaste.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XIV_10"></a>§ 10.<br />
-
-<i>Manannân mac Lir est père de Mongân, roi d'Ulster au
-commencement du sixième siècle de notre ère.</i></h3>
-
-<p>Cormac mac Airt vivait au troisième siècle de notre
-ère. Nous retrouvons encore le nom de Manannân
-mêlé à l'histoire épique d'Irlande vers la fin
-du sixième siècle ou au commencement du septième.
-A cette époque, régnait en Ulster Fiachna Lurgan.
-Il était l'ami d'Aidân mac Gabrâin, qui suivant les
-Annales de Cambrie mourut en 607<a name="NoteRef_555" id="NoteRef_555"></a><a href="#Note_555" class="fnanchor">[1]</a>. Tigernach
-mentionne aussi la mort d'Aidân mac Gabrâin, mais
-il la date de l'année précédente<a name="NoteRef_556" id="NoteRef_556"></a><a href="#Note_556" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_334" id="Page_334">[Pg 334]</a></span>Aidâin mac Gabrâin était roi des Scots ou Irlandais
-établis en Grande-Bretagne. Il est connu surtout par
-la guerre malheureuse qu'il soutint contre les Anglo-Saxons.
-Aedilfrid, roi des Northumbriens, le vainquit,
-suivant Bède, dans la sanglante bataille de
-<i>Degsa-Stân</i>, où les Anglo-Saxons victorieux perdirent
-un corps d'armée tout entier avec le frère de leur
-roi. C'est en 603 que cette bataille fut livrée<a name="NoteRef_557" id="NoteRef_557"></a><a href="#Note_557" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-<p>Dans les rangs de l'armée commandée par Aidân
-mac Gabrâin, soit lors de cette bataille, soit lors
-d'une autre rencontre, il se trouvait des troupes
-auxiliaires venues d'Irlande. L'ami d'Aidan, Fiachna
-mac Lurgan, roi d'Ulster, les avait amenées. Il avait
-laissé sa femme dans son palais à Rath-môr Maige
-Linni. Or, pendant son absence, il arriva à sa femme
-une aventure étrange.</p>
-
-<p>Un jour qu'elle était seule, un inconnu se présenta
-et lui parla d'amour. La reine repoussa ses avances.&mdash;«Il
-n'y a,» dit-elle, «en ce monde ni trésors
-ni bijoux qui pourraient me décider à déshonorer
-mon mari.»&mdash;«Mais,» reprit l'inconnu,
-«que feriez-vous s'il était en votre pouvoir de lui
-sauver la vie?»&mdash;«Ah!» répondit-elle, «si je le
-voyais en danger, rien ne me semblerait difficile;
-je ferais tout pour venir en aide à celui qui aurait
-le moyen de le sauver.»&mdash;«Le moment est
-arrivé de faire ce que tu dis,» répliqua l'inconnu,
-<span class="pagenum"><a name="Page_335" id="Page_335">[Pg 335]</a></span>«car ton mari est en grand péril. Il a en face de lui
-un guerrier terrible; il n'est pas de force à lui résister;
-il va être tué. Si tu cèdes à mon amour,
-tu auras un fils qui sera un prodige. Il s'appellera
-Mongân. Moi j'irai au combat; je m'y trouverai
-demain matin avant midi au milieu des guerriers
-d'Irlande, en présence de ceux de Grande-Bretagne.
-Je raconterai à ton mari ce que nous aurons
-fait; je lui dirai que c'est toi qui m'envoies.» La
-reine céda. Le lendemain, de bonne heure, l'inconnu
-partait en chantant quatre vers dont voici la
-traduction:</p>
-
-<p class="poem">
-Je vais rejoindre mes compagnons tout près.<br />
-Ce matin le ciel est blanc et pur.<br />
-C'est moi qui suis Manannân mac Lir;<br />
-Tel est le nom du guerrier qui est venu.</p>
-
-<p>Manannân chantait ce quatrain en Irlande en sortant
-du palais du roi d'Ulster, à Rath môr Maige
-Linni, un matin, vers l'an 603 de notre ère. Au même
-moment, en Grande-Bretagne, près de <i>Degsa-Stân</i>,
-deux armées s'avancaient l'une contre l'autre, sur le
-point d'en venir aux mains: l'une, celle des Saxons,
-était commandée par Aedilfrid, roi des Northumbriens;
-l'autre, celle des Irlandais, avait à sa tête Aidân
-mac Gabrâin et le roi d'Ulster, Fiachna Lurgan.
-Tout d'un coup, on vit sur le front de l'armée irlandaise
-un guerrier inconnu qui, par sa distinction
-et la richesse de son équipement, attira tous les regards.
-Il s'approcha de Fiachna, et lui parlant en
-<span class="pagenum"><a name="Page_336" id="Page_336">[Pg 336]</a></span>particulier, lui raconta qu'il avait vu sa femme la
-veille.&mdash;«J'ai promis à la reine,» ajouta-t-il, «de
-te donner mon concours.» Il se plaça au premier
-rang et, suivant le récit irlandais, qui attribue aux
-Irlandais l'honneur de cette journée, il assura la
-victoire aux deux alliés, Aidân mac Gabrâin et Fiachna
-Lurgan.</p>
-
-<p>Celui-ci repassa la mer, et rentra dans son palais;
-il trouva sa femme grosse. Elle lui raconta son histoire;
-Fiachna approuva la conduite de la reine.
-Peu après Mongân naquit. Il passa pour fils de
-Fiachna; «mais on sait bien,» dit le conteur irlandais,
-«qu'en réalité son père était Manannân mac
-Lir<a name="NoteRef_558" id="NoteRef_558"></a><a href="#Note_558" class="fnanchor">[4]</a>.» Comme les Gaulois dont saint Augustin parlait
-au commencement du cinquième siècle, les Irlandais
-du septième siècle croyaient qu'il y avait des dieux
-amoureux et séducteurs des femmes<a name="NoteRef_559" id="NoteRef_559"></a><a href="#Note_559" class="fnanchor">[5]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_555" id="Note_555"></a><a href="#NoteRef_555"><span class="label">[1]</span></a> <i>Annales Cambriæ</i>, édition donnée dans la collection du Maître
-des rôles en 1860, par John Williams Ab Ithel, p. 6.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_556" id="Note_556"></a><a href="#NoteRef_556"><span class="label">[2]</span></a> O'Conor, <i>Rerum hibernicarum scriptores</i>, t. II, première partie,
-p. 179.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_557" id="Note_557"></a><a href="#NoteRef_557"><span class="label">[3]</span></a> Bède, <i>Historia ecclesiastica</i>, livre I, chap. 34, chez Migne,
-<i>Patrologia latina</i>, tome XCV, col. 76.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_558" id="Note_558"></a><a href="#NoteRef_558"><span class="label">[4]</span></a> Le principal ms. est le <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 133. Le commencement
-y manque: on le trouve dans des mss. moins bons, tels
-que <i>T. C. D.</i>, H. 2. 16, col. 911, et le n° 145 du fonds Betham dans
-la Bibliothèque royale d'Irlande. C'est dans ce manuscrit, f° 63, que
-j'ai trouvé clairement écrit le nom des ennemis contre lesquels
-Fiachna et Aidân livrèrent bataille, <i>fria Saxanu</i>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_559" id="Note_559"></a><a href="#NoteRef_559"><span class="label">[5]</span></a> <i>De civitate Dei</i>, livre XV, chap. 23. Ce passage a été reproduit
-par Isidore de Séville, <i>Origines</i>, livre VIII, chap. <span class="smcap">xi</span>, § 103.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XIV_11"></a>§ 11.<br />
-
-<i>Mongân, fils d'un dieu, est un être merveilleux.</i></h3>
-
-<p>Mongân, fils de Fiachna, est un personnage historique.
-<span class="pagenum"><a name="Page_337" id="Page_337">[Pg 337]</a></span>Les chroniques irlandaises donnent la date
-de son décès, et tous la placent à la même époque,
-à quelques années près. Suivant Tigernach, le plus
-ancien des annalistes irlandais qui nous aient été
-conservés, Mongân, fils de Fiachna, fut tué d'un
-coup de pierre, en 625, par Arthur, fils de Bicur,
-Breton<a name="NoteRef_560" id="NoteRef_560"></a><a href="#Note_560" class="fnanchor">[1]</a>. Mongân a donc existé ailleurs que dans
-l'épopée. Or, suivant la légende irlandaise, il n'était
-pas seulement fils d'un dieu; mais, par un autre
-prodige, conséquence du premier, en lui revivait
-Find mac Cumaill, le guerrier célèbre de l'épopée
-ossianique, le Fingal de Macpherson; et cependant
-il y avait trois siècles environ que Find était mort
-quand naquit Mongân<a name="NoteRef_561" id="NoteRef_561"></a><a href="#Note_561" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p>Déjà, dans le volume précédent<a name="NoteRef_562" id="NoteRef_562"></a><a href="#Note_562" class="fnanchor">[3]</a>, nous avons
-parlé de la légende irlandaise où l'on raconte comment
-fut prouvée l'identité de Mongân avec Find.
-Une querelle eut lieu entre Mongân et Forgoll son
-<i>file</i>; il s'agissait de savoir où était mort Fothad
-<span class="pagenum"><a name="Page_338" id="Page_338">[Pg 338]</a></span>Airgtech, roi d'Irlande, tué par Cailté, l'un des
-compagnons de Find dans une bataille dont les Quatre
-Maîtres, chronologistes hardis, fixent à l'année
-285 la date un peu vague<a name="NoteRef_563" id="NoteRef_563"></a><a href="#Note_563" class="fnanchor">[4]</a>.</p>
-
-<p>Violemment irrité contre Mongân qui le contredisait,
-Forgoll le menaça d'incantations terribles qui
-effrayèrent le roi et répandirent l'épouvante dans
-toute l'assistance. Il fut convenu que Mongân aurait
-trois jours pour donner la preuve de ce qu'il avait
-avancé, c'est-à-dire pour établir que Fothad avait été
-tué non pas à Dubtar<a name="NoteRef_564" id="NoteRef_564"></a><a href="#Note_564" class="fnanchor">[5]</a> en Leinster, comme Forgoll
-le prétendait, mais sur les bords de la rivière de
-Larne, autrefois Ollarbé, en Ulster, tout près du
-château de Mongân. Dans le cas où, avant l'expiration
-du délai fixé, Mongân ne serait point parvenu à prouver
-qu'il avait raison, tous ses biens, sa personne
-même, devaient, suivant les conventions, devenir la
-propriété du <i>file</i>.</p>
-
-<p>Mongân avait accepté cet arrangement sans hésiter,
-en homme sûr du succès; et il laissa s'écouler les
-deux premiers jours et la plus grande partie du troisième,
-non seulement sans rien perdre de son impassibilité,
-mais sans que rien parût la justifier. Sa femme
-<span class="pagenum"><a name="Page_339" id="Page_339">[Pg 339]</a></span>était plongée dans une profonde tristesse. Dès que
-Mongân eût pris l'engagement fatal, les larmes ne
-cessèrent de couler sur les joues de la reine.&mdash;«Mets
-donc un terme à ta douleur,» lui disait Mongân:
-«quelqu'un viendra à notre aide.»</p>
-
-<p>Le troisième jour arriva. Forgoll se présenta; il
-voulait déjà que son contrat fût exécuté. Il prétendait
-qu'il avait droit de prendre immédiatement possession
-de tous les biens de Mongân et même de sa personne.&mdash;«Attendez
-jusqu'au soir,» lui répondit
-Mongân. Il était dans sa chambre haute avec sa
-femme. Celle-ci pleurait et poussait des gémissements,
-car elle sentait approcher de plus en plus le moment
-fatal où le <i>file</i> allait s'emparer de tout, et elle ne
-voyait pas apparaître le sauveur dont parlait son mari.&mdash;«Ne
-t'afflige pas, ô femme,» lui dit Mongân.
-«L'homme qui vient à notre secours n'est plus bien
-loin; j'entends le bruit de ses pieds dans la rivière
-de Labrinné.»</p>
-
-<p>Il s'agit ici de la rivière de Caragh, qui coule dans
-le comté de Kerry et qui se jette dans la baie de Dingle,
-à l'extrémité sud-ouest de l'Irlande. Mongân se
-trouvait en ce moment à environ cent lieues de là,
-dans la paroisse de Donegore, à quelque distance au
-nord-est de la ville d'Antrim, chef-lieu d'un comté
-qui forme l'extrémité nord-est de l'île. Cailté, son
-élève, le compagnon des combats de Mongân au
-temps où ce dernier s'appelait Find, arrivait du pays
-des morts pour rendre témoignage à la véracité de
-son ancien chef et pour confondre l'audacieuse présomption
-<span class="pagenum"><a name="Page_340" id="Page_340">[Pg 340]</a></span>du <i>file</i> Forgoll. Il suivait la route qu'ont
-toujours prise ceux qui, de la contrée mystérieuse
-habitée par les morts, ont voulu gagner le nord-est
-de l'Irlande.</p>
-
-<p>Les paroles consolantes du roi calmèrent un instant
-sa femme; il y eut un moment de silence. Puis
-elle recommença à pleurer et à pousser des gémissements.&mdash;«Ne
-pleure pas, ô femme,» reprit Mongân.
-«Il va être ici, l'homme qui vient à notre secours.
-J'entends ses pieds qui agitent l'eau dans
-la rivière de Maine.» C'est une autre rivière du
-comté de Kerry; on la rencontre quand de la rivière
-de Caragh on se dirige vers le nord-est en suivant la
-route qui devait conduire Cailté au palais de Mongân.
-La douleur de la reine fut apaisée pendant quelques
-instants par les discours de son mari; puis, ne voyant
-personne venir, elle poussa de nouveau des gémissements
-accompagnés de larmes.</p>
-
-<p>La même scène se reproduisit nombre de fois. Cailté
-ne passait pas une rivière sans que Mongân l'entendît
-et l'annonçât à sa femme. Il l'entendit, par exemple
-traverser la Liffey, qui arrose Dublin; la Boyne,
-qui coule un peu plus au nord; ensuite la Dee, puis
-le lac de Carlingford, qui de plus en plus se rapprochent
-du comté d'Antrim où se trouvait Mongân.</p>
-
-<p>Enfin Cailté était tout près. Il traversait l'Ollarbé,
-c'est-à-dire la rivière de Larne, à une toute petite
-distance au sud du palais de Mongân. Mais on ne
-l'apercevait pas encore, et Mongân seul l'avait entendu.
-La nuit tombait. Mongân était dans son palais,
-<span class="pagenum"><a name="Page_341" id="Page_341">[Pg 341]</a></span>assis sur son trône; à droite se tenait sa femme tout
-en larmes; en face de lui le <i>file</i> Forgoll réclamait l'exécution
-des engagements pris par le roi, et faisait
-appel à la bonne foi de ses cautions. Au même moment
-on vit un guerrier que, sauf Mongân, personne
-ne connaissait, s'approcher du rempart du côté du
-midi. Il tenait dans sa main une hampe de lance
-sans pointe; avec l'aide de ce bâton, il sauta successivement
-les trois fossés et les trois rejets de terre
-qui formaient l'enceinte de la forteresse. En un clin
-d'œil il se trouva dans la cour, et de la cour entra
-dans la salle. Il vint se placer entre Mongân et la
-paroi. Forgoll était de l'autre côté de la salle, faisant
-face au roi.</p>
-
-<p>Le nouveau venu demande de quoi il s agit.&mdash;«Le
-<i>file</i> que voilà,» dit Mongân, «et moi, nous
-avons fait un pari au sujet de la mort de Fothad
-Airgtech. Le <i>file</i> prétend que Fothad est mort à
-Dubtar en Leinster, moi j'ai dit que c'était faux.»&mdash;«Eh
-bien,» s'écria le guerrier inconnu, «le <i>file</i>
-en a menti.»&mdash;«Tu regretteras cette parole,» répondit
-le <i>file</i>.-«Ce que tu dis là n'est pas bien,»
-répliqua le guerrier. «Je vais prouver ce que j'avance.
-Nous étions avec toi,» dit-il en s'adressant
-au roi; «nous étions avec Find,» ajouta-t-il en regardant
-l'auditoire.&mdash;«Tais-toi donc,» reprit Mongân,
-«tu as tort de révéler un secret.»&mdash;«Nous
-étions donc avec Find,» reprit le guerrier. «Nous
-venions d'Alba, c'est-à-dire de Grande-Bretagne,
-nous rencontrâmes Fothad Airgtech près d'ici, sur
-<span class="pagenum"><a name="Page_342" id="Page_342">[Pg 342]</a></span>les bords de l'Ollarbé. Nous lui livrâmes bataille
-avec ardeur. Je lui lançai mon javelot de telle
-sorte qu'il lui traversa le corps, et le fer, se détachant
-de la hampe, alla se fixer en terre de l'autre
-côté de Fothad. Voici la hampe de ce javelot. On
-retrouvera la roche nue du haut de laquelle j'ai
-lancé mon arme. On retrouvera à peu de distance
-à l'est le fer plongé dans le sol; on retrouvera
-encore un peu plus loin, toujours à l'est, le tombeau
-de Fothad Airgtech. Un cercueil de pierre
-enveloppe son cadavre; ses deux bagues d'argent,
-ses deux bracelets et son collier d'argent sont dans
-le cercueil<a name="NoteRef_565" id="NoteRef_565"></a><a href="#Note_565" class="fnanchor">[6]</a>. Au-dessus de la tombe se dresse une
-pierre levée, et à celle des extrémités de cette pierre
-qui plonge dans le sol on peut lire une inscription
-gravée en ogam: «Ici repose Fothad Airgtech;
-il combattait contre Find quand il a été tué par
-Cailté.»</p>
-
-<p>On alla dans l'endroit indiqué par le guerrier; on
-trouva la roche, le fer de lance, la pierre levée, l'inscription,
-le cercueil, le cadavre et les bijoux dont il
-avait parlé: Mongân avait donc gagné son pari<a name="NoteRef_566" id="NoteRef_566"></a><a href="#Note_566" class="fnanchor">[7]</a>.
-Le guerrier inconnu était Cailté, élève de Find son
-compagnon de guerre, arrivé du pays des morts pour
-défendre son ancien maître injustement attaqué.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_343" id="Page_343">[Pg 343]</a></span>On a vu comment, divulguant le secret que Mongân
-avait gardé jusque-là, Cailté avait publiquement
-proclamé l'identité de Mongân avec le célèbre Find.
-Cette étrange identité était la conséquence de la naissance
-merveilleuse de Mongân; puisque Mongân devait
-le jour non pas au roi Fiachna, son père apparent,
-mais à un être d'une race supérieure, puisque Mongân
-était fils de Manannân mac Lir, c'est-à-dire d'un dieu,
-d'un de ces personnages surnaturels qui, suivant la
-croyance gauloise rapportée par saint Augustin, sont
-amoureux des femmes des hommes.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_560" id="Note_560"></a><a href="#NoteRef_560"><span class="label">[1]</span></a> O'Conor, <i>Rerum hibernicarum scriptores</i>, t. II, première partie,
-p. 187, 188. Le texte d'O'Conor est très corrompu; on trouve une
-meilleure leçon chez Hennessy, <i>Chronicum Scotorum</i>, p. 78. Nous
-devons, pour être complet, signaler un texte, qui est en désaccord
-avec ces données chronologiques. C'est la pièce intitulée: <i>Tucait baile
-Mongâin</i>, «Cause de l'extase de Mongân.» <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 134,
-col. 2. On y voit Mongân vivant avec sa femme l'année de la mort
-de Ciaran mac int Shair, et de Tuathal Mael-Garb, c'est-à-dire en
-544. <i>Chronicum Scotorum</i>, édition Hennessy, p. 48&ndash;49. La chronologie
-irlandaise à ces époques reculées n'est qu'approximative.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_561" id="Note_561"></a><a href="#NoteRef_561"><span class="label">[2]</span></a> Tigernach met la mort de Find en 274. O'Conor, <i>Rerum hibernicarum
-scriptores</i>, t. II, première partie, p. 49.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_562" id="Note_562"></a><a href="#NoteRef_562"><span class="label">[3]</span></a> Tome I, p. 265, 266.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_563" id="Note_563"></a><a href="#NoteRef_563"><span class="label">[4]</span></a> O'Donovan, <i>Annals of the kingdom of Ireland by the Four Masters</i>,
-1851, t. I, p. 120, 121. Par une contradiction singulière, les
-Quatre Maîtres (<i>Ibid.</i>, p. 118, 119) font mourir en 283, c'est-à-dire
-deux ans plus tôt, Find, sous les ordres duquel Cailté combattait
-dans la bataille livrée en 285.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_564" id="Note_564"></a><a href="#NoteRef_564"><span class="label">[5]</span></a> Duffry, près de Wexford. Je dois à l'obligeance de M. Hennessy
-cette identification géographique, comme toutes celles qu'on
-trouvera dans la suite de la légende de Mongân.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_565" id="Note_565"></a><a href="#NoteRef_565"><span class="label">[6]</span></a> <i>Airgtech</i>, surnom du roi, signifie probablement: qui a de l'argent,
-des ornements d'argent. Je dois cette hypothèse à M. Ernault.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_566" id="Note_566"></a><a href="#NoteRef_566"><span class="label">[7]</span></a> C'est M. Hennessy qui a signalé cette pièce à mon attention.
-Il m'a aidé de ses conseils pour la traduction des passages difficiles.
-Le meilleur manuscrit est le <i>Leabhar na hUidhre</i>, p. 133, col. 1.</p></div>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_344" id="Page_344">[Pg 344]</a></span></p>
-
-<h2>CHAPITRE XV.<br />
-
-LA CROYANCE A L'IMMORTALITÉ DE L'AME EN IRLANDE
-ET EN GAULE.</h2>
-
-<p>§1. L'immortalité de l'âme dans la légende de Mongân.&mdash;§2. La
-race celtique a-t-elle cru à la métempsycose pythagoricienne?
-Opinion des anciens sur cette question.&mdash;§3. Comparaison entre
-la doctrine de Pythagore et la doctrine celtique.&mdash;§4. Le pays
-des morts. La mort est un voyage. Texte du quatrième siècle
-avant notre ère.&mdash;§5. Certains héros sont allés faire la guerre au
-pays des morts et des dieux: tels sont Cûchulainn, Loégairé Liban
-et Crimthann Nîa Nair. Légende de Cûchulainn.&mdash;§6. Légende
-de Loégairé Liban.&mdash;§7. La descente de cheval dans la
-vieille légende de Loégairé Liban et dans la légende moderne d'Ossin.&mdash;§8.
-Légende de Crimthann Nîa Nair.&mdash;§9. Différence entre
-Cûchulainn d'un côté, Loégairé Liban et Crimthann de l'autre.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XV_1"></a>§ 1.<br />
-
-<i>L'immortalité de l'âme dans la légende de Mongân.</i></h3>
-
-<p>La merveilleuse naissance de Mongân et le rôle
-que joue dans sa légende le dieu Manannân mac Lir
-ne sont pas les seuls points sur lesquels ce récit mythique
-<span class="pagenum"><a name="Page_345" id="Page_345">[Pg 345]</a></span>nous fait connaître les croyances fondamentales
-de la religion celtique. Il y a dans cette légende
-deux points qui méritent également une étude attentive.
-L'un est que Find, tué à la fin du troisième
-siècle, n'avait cependant pas cessé de vivre, qu'il
-avait conservé sa personnalité, et qu'il revint en ce
-monde plus de deux siècles après sa mort, ayant,
-par une seconde naissance, pris un corps nouveau.</p>
-
-<p>Le second point est l'apparition de Cailté. Celui-ci
-n'est pas né une seconde fois. On ne s'explique pas
-de prime abord comment, ayant à son décès laissé
-son corps dans la tombe en Irlande, il revient du
-pays des morts avec une forme physique que rien
-ne distingue de celle du reste des humains. Ce qu'il
-y a de certain, c'est que suivant la légende irlandaise,
-il en est revenu visible à tous les yeux, parlant une
-langue que tous ont comprise. Or cette légende n'a pas
-pour base une croyance spéciale aux Irlandais, puisqu'en
-France, encore aujourd'hui, dans le peuple,
-persiste la crainte des revenants. La croyance aux
-revenants est donc une doctrine celtique, et un peu
-plus loin nous donnerons là-dessus quelques développements.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XV_2"></a>§ 2.<br />
-
-<i>La race celtique a-t-elle cru à la métempsycose pythagoricienne?
-Opinion des anciens sur cette question.</i></h3>
-
-<p>La seconde naissance de Find est quelque chose
-<span class="pagenum"><a name="Page_346" id="Page_346">[Pg 346]</a></span>de beaucoup plus extraordinaire. Nous avons déjà
-vu qu'Etâin naquit deux fois; mais Etâin est une
-déesse, une <i>sîde, banshee</i>, comme on dit en Irlande;
-une fée, pour parler la langue des contes français.
-Ses deux vies, la première dans le monde des dieux,
-l'autre dans le monde des hommes, où une naissance
-contraire aux lois de la nature la fait pénétrer, ont,
-d'un bout à l'autre, un caractère merveilleux; ainsi
-les prodiges de la seconde vie d'Etâin s'expliquent
-par sa première vie qui est divine.</p>
-
-<p>Mais Find n'est pas un dieu: les Irlandais ne le
-conçoivent point comme tel; or il est né deux fois,
-et pendant sa seconde vie, où il s'appelait Mongân, il
-se rappelait la première, pendant laquelle son nom
-était Find. Telle a été aussi l'histoire de Tûan mac
-Cairill. Tûan, après avoir été homme une première
-fois, a revêtu successivement plusieurs corps d'animaux;
-puis une naissance nouvelle lui a rendu un
-corps d'homme, et sous cette dernière forme il avait
-gardé le souvenir des événements dont il avait été
-témoin au temps de ses vies précédentes, notamment
-durant la première, quand il s'appelait Tûan mac
-Stairn<a name="NoteRef_567" id="NoteRef_567"></a><a href="#Note_567" class="fnanchor">[1]</a>. Le phénomène est identique à celui que
-nous offre Mongân conservant la mémoire de ce qu'il
-avait vu quand il était Find.</p>
-
-<p>Tûan et Find sont, dans la légende irlandaise,
-des exceptions aux lois générales auxquelles obéit le
-récit épique. Il n'est pas ordinaire qu'un mort naisse
-<span class="pagenum"><a name="Page_347" id="Page_347">[Pg 347]</a></span>une seconde fois. Mais le fait est arrivé; il est possible:
-telle est la doctrine celtique. De là les ressemblances
-que certains auteurs de l'antiquité ont
-cru reconnaître entre les croyances gauloises et l'enseignement
-de Pythagore. Ils ont même prétendu
-que ces ressemblances allaient jusqu'à l'identité.</p>
-
-<p>Alexandre Polyhistor, qui écrivait dans la première
-moitié du premier siècle avant notre ère, prétend que
-Pythagore a eu pour disciples les «Galates»<a name="NoteRef_568" id="NoteRef_568"></a><a href="#Note_568" class="fnanchor">[2]</a>. Vers
-le milieu de ce siècle, un peu après l'an 44, Diodore
-de Sicile exprime la même opinion en termes plus
-formels. Chez les Celtes, dit-il, a prévalu la doctrine
-pythagoricienne que les âmes des hommes sont
-immortelles, et qu'après un nombre d'années déterminé
-elles commencent une vie nouvelle en prenant
-un corps nouveau<a name="NoteRef_569" id="NoteRef_569"></a><a href="#Note_569" class="fnanchor">[3]</a>. Suivant Timagène, qui écrivait
-un peu plus tard, dans la seconde moitié du
-même siècle, l'autorité de Pythagore atteste la supériorité
-du génie des druides, qui ont proclamé l'immortalité
-de l'âme<a name="NoteRef_570" id="NoteRef_570"></a><a href="#Note_570" class="fnanchor">[4]</a>. Au siècle suivant, entre les
-années 31 et 39 de notre ère, Valère Maxime, parlant
-des Gaulois et de leur doctrine sur l'immortalité
-de l'âme, dit «qu'il les traiterait de sots, si ces
-porteurs de culottes n'avaient pas sur ce point
-des croyances identiques à celles que Pythagore
-<span class="pagenum"><a name="Page_348" id="Page_348">[Pg 348]</a></span>professait dans son manteau de philosophe<a name="NoteRef_571" id="NoteRef_571"></a><a href="#Note_571" class="fnanchor">[5]</a>.»</p>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_567" id="Note_567"></a><a href="#NoteRef_567"><span class="label">[1]</span></a> Voyez plus haut, <a href="#Page_45">p. 45</a> et suiv.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_568" id="Note_568"></a><a href="#NoteRef_568"><span class="label">[2]</span></a> Alexandre Polyhistor, fragment 138, chez Didot-Müller, <i>Fragmenta
-historicorum græcorum</i>, t. III, p. 239.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_569" id="Note_569"></a><a href="#NoteRef_569"><span class="label">[3]</span></a> Diodore, livre V, chap. <span class="smcap">xxviii</span>, § 6; édition Didot-Müller,
-t. I, p. 271.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_570" id="Note_570"></a><a href="#NoteRef_570"><span class="label">[4]</span></a> Ammien-Marcellin, livre XV, chap. 9.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_571" id="Note_571"></a><a href="#NoteRef_571"><span class="label">[5]</span></a> Valère Maxime, livre II, chap. <span class="smcap">vi</span>, § 10, édition Teubner-Halm,
-p. 81, lignes 23&ndash;24.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XV_3"></a>§ 3.<br />
-
-<i>Comparaison entre la doctrine de Pythagore et la doctrine
-celtique.</i></h3>
-
-<p>Si les théories celtiques sur la persistance de la
-personnalité après la mort ressemblaient à celles de
-Pythagore, cependant elles n'étaient pas identiques.
-Dans le système du philosophe grec, renaître et
-mener une ou plusieurs vies nouvelles en ce monde,
-dans des corps d'animaux et d'hommes, est le châtiment
-et le sort commun des méchants: c'est par
-là qu'ils expient leurs fautes. Les justes défunts
-n'ont pas l'embarras d'un corps: purs esprits, ils
-vivent dans l'atmosphère, libres, heureux, immortels<a name="NoteRef_572" id="NoteRef_572"></a><a href="#Note_572" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>La doctrine celtique est tout autre. Renaître en
-ce monde et y revêtir un corps nouveau a été le
-privilège de deux héros, Tûan mac Cairill, appelé
-d'abord Tûan mac Stairn; Mongân, qui lors de sa
-première vie s'appelait Find mac Cumaill. C'était
-pour eux une faveur, et non un châtiment. La loi
-commune, suivant la doctrine celtique, est que les
-hommes, après la mort, trouvent dans un autre
-<span class="pagenum"><a name="Page_349" id="Page_349">[Pg 349]</a></span>monde la vie nouvelle et le corps nouveau que la
-religion leur promet<a name="NoteRef_573" id="NoteRef_573"></a><a href="#Note_573" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p>Cette vie nouvelle, promise aux morts par la religion
-celtique, est la continuation de cette vie-ci,
-avec ses inégalités et les liens sociaux qui en sont
-la conséquence. Les esclaves et les clients que le
-chef mort préférait sont brûlés sur son tombeau
-avec les chevaux qui le traînaient sur son char; ils
-vont, avec ces animaux, dans l'autre monde continuer
-près du maître le service qu'ils faisaient dans
-celui-ci<a name="NoteRef_574" id="NoteRef_574"></a><a href="#Note_574" class="fnanchor">[3]</a>. Le débiteur qui meurt sans s'être acquitté
-sera, pendant sa seconde vie, à l'égard de
-son créancier, dans la même relation juridique que
-pendant sa première vie. L'obligation du remboursement
-le suivra dans le pays des morts jusqu'à ce
-qu'il ait intégralement rempli les engagements qu'il
-a contractés dans le pays des vivants<a name="NoteRef_575" id="NoteRef_575"></a><a href="#Note_575" class="fnanchor">[4]</a>.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_350" id="Page_350">[Pg 350]</a></span>Le Celte ne conçoit donc pas l'autre vie comme
-une compensation des maux de celle-ci pour ceux
-qui souffrent, comme un châtiment pour ceux qui
-ont abusé des jouissances de ce monde. La vie des
-morts dans la région mystérieuse située au delà de
-l'Océan est pour chacun une seconde édition, pour
-ainsi dire, une édition nouvelle, mais non corrigée,
-de la vie qu'avant de mourir il a menée de ce côté-ci
-de l'Océan.</p>
-
-<p>Ainsi, la haute idée de justice qui domine la doctrine
-de Pythagore est absente des conceptions celtiques.
-Cette différence, au point de vue moral, est
-encore plus importante que celle qui concerne le
-lieu où, dans les deux systèmes, on fait vivre les
-morts. Ce lieu est le ciel pour les justes, notre
-monde pour les méchants, suivant Pythagore; dans
-la doctrine celtique, c'est, pour les uns et les autres,
-une région située à l'extrême ouest au delà de
-l'Océan; mais combien cette divergence est peu de
-chose, en comparaison de celle qui porte sur la morale!
-Pythagore, qui est déjà un moderne, voit dans
-l'autre vie une sanction des lois de justice respectées
-ou violées dans la première vie. Mais une doctrine plus
-ancienne que Pythagore ne distingue pas de la justice
-le succès, considère comme juste tout ce qui
-arrive en ce monde, et voit dans la seconde vie du
-<span class="pagenum"><a name="Page_351" id="Page_351">[Pg 351]</a></span>mort une continuation des joies et des maux de la
-première. C'est la doctrine celtique.</p>
-
-<p>Cette conception de l'immortalité est bien différente
-de la nôtre, dont la base philosophique joint
-à la foi dans la contradiction entre la justice et les
-succès de ce monde l'espérance d'une réparation
-au delà du tombeau. La race celtique n'a pas cette
-espérance. Cependant, elle a dans l'immortalité de
-l'âme une foi profonde: elle croit en un pays ou
-même plusieurs pays mystérieux séparés de nous
-par la mer et habités par les morts et les dieux.
-Tous les morts y vont; ils en peuvent revenir:
-Cailté en a donné l'exemple; quelques héros,
-par un privilège spécial et presque surhumain, ont
-pu y aller sans mourir et en sont revenus, comme,
-dans la légende classique, Ulysse et Orphée.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_572" id="Note_572"></a><a href="#NoteRef_572"><span class="label">[1]</span></a> Didot-Mullach, <i>Fragmenta philosophorum græcorum</i>, t. II,
-p. <span class="smcap">ix-xii</span>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_573" id="Note_573"></a><a href="#NoteRef_573"><span class="label">[2]</span></a></p>
-
-<p class="poem">..... Regit idem spiritus artus<br />
-Orbe alio: longæ (canitis si cognita) vitæ<br />
-Mors media est.<br />
-<span style="margin-left: 8em;">Lucain, <i>Pharsale</i>, livre I, v. 456&ndash;458.</span></p>
-<p>
-Le passage célèbre de César, <i>De bello gallico</i>, liv. VI, chap. <span class="smcap">xiv</span>,
-§ 5, «non interire animas, sed ab aliis post mortem transire ad
-alios,» n'est pas en contradiction avec ce passage de Lucain. L'autre
-corps, où passait, suivant la doctrine exprimée par César, l'âme
-du Celte mort se trouvait, en règle générale, dans l'autre monde et
-par très rare exception dans celui-ci.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_574" id="Note_574"></a><a href="#NoteRef_574"><span class="label">[3]</span></a> «Omnia quæ vivis cordi fuisse arbitrantur in ignem inferunt,
-etiam animalia, ac paulo supra hanc memoriam servi et clientes,
-quos ab iis dilectos esse constabat, justis funeribus confectis una
-cremabantur.» César, <i>De bello gallico</i>, l. VI, chap. <span class="smcap">xix</span>, § 4.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_575" id="Note_575"></a><a href="#NoteRef_575"><span class="label">[4]</span></a> «Vetus ille mos Gallorum occurrit, quos memoria proditum
-est pecunias mutuas, quæ his apud inferos redderentur, dare solitos.»
-Valère Maxime, livre II, chap. <span class="smcap">vi</span>, § 10, édition Teubner-Halm,
-p. 81, lignes 19&ndash;23.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XV_4"></a>§ 4.<br />
-
-<i>Le pays des morts. La mort est un voyage. Textes du quatrième
-siècle avant notre ère.</i></h3>
-
-<p>Les Celtes du continent, comme ceux de l'Irlande,
-se sont entretenus de ce pays mystérieux des morts;
-l'autre monde, <i>orbis alius</i>, chanté par les druides
-au temps de César, comme l'atteste Lucain, et confondu
-avec la région occidentale de la Grande-Bretagne
-par Plutarque et Procope<a name="NoteRef_576" id="NoteRef_576"></a><a href="#Note_576" class="fnanchor">[1]</a>. Les guerriers gaulois
-espéraient y continuer la vie de combats qui, en ce
-<span class="pagenum"><a name="Page_352" id="Page_352">[Pg 352]</a></span>monde, faisait leur honneur et leur gloire. Avec
-un corps vivant, de forme identique au corps mort
-déposé dans leur tombe, chacun d'eux comptait retrouver
-dans l'autre monde ce que nous pourrions
-appeler en quelque sorte un second exemplaire de tous
-les objets qui accompagnaient leur cadavre dans la
-fosse ou la chambre funéraire: clients, esclaves,
-chevaux, chars, armes, armes surtout. Jamais un
-guerrier gaulois n'était enterré sans ses armes. Sans
-armes, qu'eût-il fait dans l'autre monde? puisqu'il
-devait y continuer la vie de combats qu'il avait menée
-dans celui-ci.</p>
-
-<p>Deux des textes originaux les plus anciens que
-nous possédions sur les mœurs gauloises sont du
-quatrième siècle avant notre ère. L'auteur est Aristote,
-et ces deux textes sont expliqués par des arrangements
-plus modernes d'un passage aujourd'hui
-perdu d'Ephore, qui écrivait aussi au quatrième
-siècle.</p>
-
-<p>La Hollande était alors une des provinces de l'empire
-celtique, et la race germanique n'y avait point
-encore pénétré. A cette époque reculée, elle était
-exposée, comme aujourd'hui, à ces redoutables invasions
-de la mer contre lesquelles la science de
-l'ingénieur moderne la défend avec succès. Le moyen
-âge et le seizième siècle ont été moins heureux. On
-sait quels désastres ont produits les terribles inondations
-par lesquelles la mer du Nord, rompant les
-digues, a créé en 1283 le Zuyderzée, plus tard la
-mer de Harlem.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_353" id="Page_353">[Pg 353]</a></span>Un ou plusieurs phénomènes semblables paraissent
-s'être produits dans la première moitié du quatrième
-siècle avant notre ère et avoir coûté la vie à des populations
-nombreuses, dont la fin terrible eut dans
-une partie considérable de l'Europe un grand retentissement.
-Le bruit en parvint jusqu'en Grèce.
-Ephore, dans son histoire, terminée en 341, parle
-des maisons des Celtes enlevées par la mer, de
-leurs habitants engloutis dans les flots. «Le nombre
-des victimes,» dit-il, «est si considérable que les
-invasions de l'Océan font perdre aux Celtes, cette
-nation belliqueuse, plus d'hommes que la guerre<a name="NoteRef_577" id="NoteRef_577"></a><a href="#Note_577" class="fnanchor">[2]</a>.»</p>
-
-<p>Tout le monde peut se figurer quelle scène de désolation
-et de terreur présente une contrée fertile et
-peuplée quand tout d'un coup l'invasion irrésistible
-des eaux y porte la destruction et la mort. Il y a,
-dans ce tableau, des traits qui sont communs à tous
-les temps et à tous les lieux: le désespoir des femmes,
-leurs plaintes, les cris et les larmes des enfants.</p>
-
-<p>Mais ce qui est caractéristique du temps et de la
-race, c'est la conduite du guerrier gaulois du quatrième
-siècle. Il voit que la mort approche et que
-ses efforts pour assurer le salut de sa famille sont
-inutiles. Il revêt son costume de guerre; l'épée nue
-dans la main droite, la lance à la main gauche, le
-bouclier au même bras, entouré de sa femme et de
-<span class="pagenum"><a name="Page_354" id="Page_354">[Pg 354]</a></span>ses enfants en pleurs, il attend la mort, impassible:
-il a foi dans les enseignements de ses pères et de
-ses prêtres; enseveli dans la mer avec ses armes et
-tous ceux qui lui sont chers, il va dans quelques
-instants se retrouver avec ceux qu'il aime, dans l'autre
-monde où tous, après la passagère épreuve de
-la mort, revivront pleins de santé et de joie; et,
-avec des armes pareilles à celles que les flots auront
-englouties, il recommencera cette vie guerrière qui
-alors, c'est-à-dire au quatrième siècle avant J.-C.,
-donne aux Celtes le bonheur, la gloire et la suprématie
-sur toutes les nations voisines<a name="NoteRef_578" id="NoteRef_578"></a><a href="#Note_578" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_576" id="Note_576"></a><a href="#NoteRef_576"><span class="label">[1]</span></a> Voyez plus haut, p. <a href="#Page_231">231</a>, <a href="#Page_232">232</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_577" id="Note_577"></a><a href="#NoteRef_577"><span class="label">[2]</span></a> Ephore, chez Strabon, livre VII, chap. <span class="smcap">ii</span>, § 1, édition Didot-Müller
-et Dübner, p. 243. Cf. Didot-Müller, <i>Fragmenta historicorum
-græcorum</i>, t. I, p. 245, fragment 44.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_578" id="Note_578"></a><a href="#NoteRef_578"><span class="label">[3]</span></a> Aristote, <i>Ethicorum Eudemiorum</i>, l. III, c. 1, § 25; édition Didot,
-t. II, p. 210, lignes 9, 10. Cf. <i>Ethicorum Nicomacheorum</i>, l. III, c. 10,
-§ 7; édition Didot, t. II, p. 32, lignes 39&ndash;41. Le commentaire de
-ces deux passages nous est fourni, non seulement par le passage de
-Strabon cité plus haut, mais par Nicolas de Damas, fragment 104,
-chez Didot-Müller, <i>Fragmenta historicorum græcorum</i>, t. III, p. 457;
-et par Elien, <i>Variarum historiarum</i>, l. XII, c. 23. Ces textes ont
-été très savamment rapprochés par M. Karl Müllenhoff, <i>Deutsche
-Alterthumskunde</i>, t. I, Berlin, 1870, p. 231.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XV_5"></a>§ 5.<br />
-
-<i>Certains héros sont allés faire la guerre au pays des
-morts et des dieux; tels sont: Cûchulainn, Loégairé
-Liban, Crimthann Nîa Nair.&mdash;Légende de
-Cûchulainn.</i></h3>
-
-<p>Dans la croyance celtique, la guerre paraît être
-une des principales occupations des dieux dans les
-<span class="pagenum"><a name="Page_355" id="Page_355">[Pg 355]</a></span>contrées lointaines dont ils partagent le séjour avec
-les guerriers morts. Là se continuent, pendant la
-période héroïque, au temps, par exemple, de Conchobar
-et de Cûchulainn, les combats dont l'épopée
-mythologique nous a rendus témoins en nous montrant
-les Fomôré en lutte avec les populations mythiques
-de l'Irlande, avec la race de Partholon, avec
-celle de Némed, et avec les Tûatha Dê Danann.</p>
-
-<p>Un jour Cûchulainn est appelé dans le pays des
-dieux: c'est une île où l'on va d'Irlande en barque.
-Fand, déesse d'une beauté merveilleuse, lui offre sa
-main. Mais le héros n'obtiendra cette épouse séduisante
-qu'à la condition d'intervenir comme auxiliaire
-dans une bataille que la famille de sa fiancée doit
-livrer à d'autres dieux<a name="NoteRef_579" id="NoteRef_579"></a><a href="#Note_579" class="fnanchor">[1]</a>. Il accepte cette condition,
-il est vainqueur, il épouse la déesse qui est le prix
-de la victoire et il revient avec elle en Irlande.</p>
-
-<p>Cûchulainn n'est pas le seul humain qui, suivant
-la légende irlandaise, ait, dans l'autre monde, pris
-part aux combats des dieux. Voici un autre récit
-conservé par un manuscrit du milieu du douzième
-siècle.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_579" id="Note_579"></a><a href="#NoteRef_579"><span class="label">[1]</span></a> <i>Serglige Conculainn</i>, ou «Maladie de Cûchulainn,» chez Windisch,
-<i>Irische Texte</i>, p. 209, 220. Eogan Inbir, contre lequel Cûchulainn
-va en guerre dans cette légende, est, dans le <i>Livre des conquêtes</i>,
-un des adversaires des Tûatha Dê Danann: Livre de Leinster,
-p. 9, col. 2, lignes 45&ndash;47; p. 11, col. 2, lignes 30&ndash;31; cf. p. 127, col. 2,
-ligne 6.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_356" id="Page_356">[Pg 356]</a></span></p>
-
-<h3><a id="XV_6"></a>§ 6.<br />
-
-<i>Légende de Loégairé Liban.</i></h3>
-
-<p>Un jour les habitants du Connaught étaient réunis
-en assemblée près d'En-loch ou du «lac des
-oiseaux,» dans la plaine d'Ai; avec eux étaient Crimthann
-Cass leur roi et Loégairé Liban son fils. Ils
-passèrent la nuit dans cet endroit. Le lendemain
-matin de bonne heure, quand ils se levèrent, ils virent
-un homme s'avancer vers eux à travers le brouillard
-qui s'élevait du lac.</p>
-
-<p>Cet homme portait un manteau de pourpre, tenait
-dans sa main droite une lance à cinq pointes; sur
-son bras gauche était un bouclier à pommeau d'or;
-une épée à poignée d'or pendait à sa ceinture; des
-cheveux d'un jaune d'or lui couvraient la tête et les
-épaules.&mdash;«Salut au guerrier que nous ne connaissons
-pas!» dit Loégairé, fils du roi de Connaught.&mdash;«Je
-vous remercie,» répliqua l'étranger.&mdash;«Quelle
-est la raison qui t'amène?» demanda
-Loégairé.&mdash;«Je viens chercher une armée de secours,»
-reprit l'inconnu.&mdash;D'où viens-tu?» dit
-Loégairé.&mdash;«Du pays des dieux,» répondit l'inconnu.
-«Fiachna, fils de Reta, est mon nom; ma
-femme m'a été enlevée. J'ai tué le ravisseur dans
-un combat. Mais alors j'ai été attaqué par son neveu,
-Goll mac Duilb, fils du roi de Dûn Maige
-Mell,» c'est à-dire de la forteresse de la Plaine
-<span class="pagenum"><a name="Page_357" id="Page_357">[Pg 357]</a></span>Agréable (un des noms du pays des morts). «Je lui
-ai livré sept batailles, et dans toutes j'ai été vaincu.
-Aujourd'hui aura lieu entre nous une nouvelle
-bataille. Je suis venu demander du secours.» Jusque-là
-il avait parlé en prose, il continua en vers:</p>
-
-<p class="poem">
-<span style="margin-left: 13em;">I</span><br />
-<br />
-La plus jolie des plaines est la plaine des deux brouillards,<br />
-Autour d'elle coulent des fleuves de sang:<br />
-Bataille de guerriers divins pleins de bravoure,<br />
-Non loin d'ici, c'est tout près.<br />
-<br />
-Nous avons marché dans le sang généreux et rouge<br />
-De corps majestueux et de noble race;<br />
-Leur perte répand la douleur<br />
-Parmi les femmes aux larmes rapides et abondantes.<br />
-<br />
-Premier massacre, celui de la ville des deux grues;<br />
-Près d'elle un flanc fut percé:<br />
-Là, dans la bataille, tomba, la tête tranchée,<br />
-Eochaid fils de Sall Sreta.<br />
-<br />
-Avec vigueur combattit Aed fils de Find,<br />
-En poussant le cri de guerre;<br />
-Goll mac Duilb, Dond mac Néra<br />
-Livrèrent aussi bataille, les guerriers aux belles têtes.<br />
-<br />
-Les bons et jolis fils de ma femme<br />
-Et moi nous ne serons pas seuls:<br />
-Une part d'argent et d'or<br />
-Est le présent que je fais à quiconque le désire.<br />
-<br />
-La plus jolie des plaines est la plaine des deux brouillards,<br />
-Autour d'elle coulent des fleuves de sang:<br />
-Bataille de guerriers divins pleins de bravoure,<br />
-Non loin d'ici, c'est tout près.<br />
-<br />
-<span class="pagenum"><a name="Page_358" id="Page_358">[Pg 358]</a></span><span style="margin-left: 13em;">II</span><br />
-<br />
-Dans leurs mains sont des boucliers blancs<br />
-Ornés de signes en blanc argent,<br />
-Avec des épées brillantes et bleues,<br />
-Des cornes rouges à monture métallique.<br />
-<br />
-Observant l'ordre de bataille prescrit,<br />
-Précédant leur prince aux traits gracieux,<br />
-Marchent, à travers les lances bleues,<br />
-Des troupes blanches de guerriers aux cheveux bouclés.<br />
-<br />
-Ils ébranlent les bataillons ennemis,<br />
-Ils massacrent tout adversaire qu'ils attaquent.<br />
-Combien ils sont beaux dans le combat,<br />
-Ces guerriers rapides, distingués, vengeurs!<br />
-<br />
-Leur vigueur, quelque grande qu'elle soit, ne pourrait être moindre:<br />
-Ils sont fils de reines et de rois.<br />
-Il y a sur leurs têtes à tous<br />
-Une belle chevelure jaune comme l'or.<br />
-<br />
-Leurs corps sont élégants et majestueux,<br />
-Leurs yeux à la vue puissante ont la prunelle bleue,<br />
-Leurs dents brillantes ressemblent à du verre,<br />
-Leurs lèvres sont rouges et minces.<br />
-<br />
-Au combat ils savent tuer les guerriers;<br />
-Quand on est réuni dans la salle où se boit la bière, on entend leurs
-voix mélodieuses.<br />
-Ils chantent en vers des choses savantes;<br />
-Aux échecs ils gagnent la partie de revanche.<br />
-<br />
-Dans leurs mains sont des boucliers blancs,<br />
-Ornés de signes en blanc argent,<br />
-Avec des épées brillantes et bleues,<br />
-Des cornes rouges à monture métallique.<br />
-</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_359" id="Page_359">[Pg 359]</a></span>Quand le guerrier inconnu eut terminé son chant,
-il partit, retournant dans le lac d'où il venait de
-sortir. Loégairé Liban, fils du roi de Connaught,
-s'adressant aux jeunes gens qui l'entouraient:&mdash;«Honte
-à vous!» leur cria-t-il, «si vous ne venez
-pas en aide à cet homme.» Cinquante guerriers,
-obéissant à cet appel, vinrent se ranger derrière
-Loégairé. Loégairé se précipita dans le lac. Les cinquante
-guerriers l'y suivirent. Après quelque temps
-de marche, ils rejoignirent l'étranger qui était venu
-les inviter, c'est-à-dire Fiachna, fils de Reta. Ils prirent
-part à un combat meurtrier, d'où ils sortirent
-sains et saufs, et vainqueurs; ils allèrent ensuite
-assiéger la forteresse de Mag Mell, c'est-à-dire,
-avons-nous dit, de la Plaine Agréable, du pays
-des morts, où la femme de Fiachna était retenue
-prisonnière. Les défenseurs de la place, ne pouvant
-résister, capitulèrent et rendirent à leur prisonnière
-la liberté, pour obtenir la vie sauve. Les vainqueurs
-emmenèrent avec eux la femme qu'ils avaient délivrée;
-celle-ci les suivit en chantant une pièce de
-vers qui est connue en Irlande sous le nom de <i>Osnad
-ingene Echdach amlabair</i>, «Gémissement de la fille
-d'Eochaid le muet.»</p>
-
-<p>Fiachna ayant recouvré sa femme, donna en mariage
-à Loégairé sa fille, qui s'appelait Dêr Grêné,
-c'est-à-dire «Larme du Soleil.» Chacun des cinquante
-guerriers qui étaient venus avec Loégairé reçut aussi
-une femme. Loégairé et ses compagnons restèrent
-un an dans leur nouvelle patrie; mais à la fin de
-<span class="pagenum"><a name="Page_360" id="Page_360">[Pg 360]</a></span>l'année ils eurent le mal du pays.&mdash;«Allons, «dit
-Loégairé, «savoir des nouvelles d'Irlande.»&mdash;«Afin
-de revenir,» lui dit son beau-père, «prenez des
-chevaux, montez-les, et n'en descendez pas.»
-Loégairé et ses compagnons suivirent ce conseil,
-se mirent en route, et arrivèrent à l'assemblée des
-habitants de Connaught qui avaient passé toute l'année
-à pleurer leur perte. Inutile de peindre la surprise
-des habitants de Connaught quand, apercevant
-devant eux tout à coup une troupe de guerriers à
-cheval, ils reconnurent Loégairé et ses cinquante
-compagnons. Ils se précipitèrent au-devant d'eux,
-pleins de joie, pour leur souhaiter la bienvenue.&mdash;«Ne
-vous dérangez pas,» dit Loégairé; «nous sommes
-venus vous dire adieu.»&mdash;«Ne me quitte
-pas,» s'écria Crimthann Cass, son père. «Tu auras
-le royaume des trois Connaught, leur or, leur
-argent, leurs chevaux tout bridés; à tes ordres
-seront leurs femmes si belles; ne les quitte pas.»
-Mais Loégairé fut inébranlable; il répondit qu'il ne
-pouvait accepter, et chanta en vers les prodiges de
-son nouveau séjour.</p>
-
-<p class="poem">
-<span style="margin-left: 13em;">I</span><br />
-<br />
-Quelle merveille, ô Crimthann Cass!<br />
-C'est de la bière qui tombe à chaque pluie.<br />
-Toute armée en marche est de cent mille guerriers;<br />
-On va de royaume en royaume.<br />
-<br />
-On entend la musique noble et mélodieuse des dieux;<br />
-On va de royaume en royaume.<br />
-<span class="pagenum"><a name="Page_361" id="Page_361">[Pg 361]</a></span>Buvant dans des coupes brillantes,<br />
-Ou s'entretient avec qui vous aime.</p>
-
-<hr class="tb" />
-
-<p class="poem">
-J'ai pour femme moi-même<br />
-Dêr Grêné, fille de Fiachna.<br />
-Après cela, te raconterai-je,<br />
-Il y a une femme pour chacun de mes cinquante compagnons.<br />
-<br />
-Nous avons apporté de la plaine de Mag Mell<br />
-Trente chaudrons, trente cornes à boire,<br />
-Nous en avons apporté la plainte que chante Maer,<br />
-Fille d'Eochaid le muet.<br />
-<br />
-Quelle merveille, ô Crimthann Cass!<br />
-C'est de la bière qui tombe à chaque pluie.<br />
-Toute armée en marche est de cent mille guerriers;<br />
-On va de royaume en royaume.<br />
-<br />
-<span style="margin-left: 13em;">II</span><br />
-<br />
-Quelle merveille, ô Crimthann Cass!<br />
-Je fus maître de l'épée bleue.<br />
-Une nuit des nuits des dieux!<br />
-Je ne la donnerais pas pour ton royaume.<br />
-</p>
-
-<p>Après avoir chanté ces vers, Loégairé quitta son
-père et l'assemblée des habitants de Connaught, et
-il retourna dans ce pays mystérieux d'où il venait. La
-royauté y est partagée entre Fiachna son beau-père
-et lui; c'est lui qui règne dans la forteresse de Mag
-Mell;&mdash;c'est-à-dire de la Plaine Agréable où vont
-habiter les morts,&mdash;et il a toujours pour compagne
-la fille de Fiachna<a name="NoteRef_580" id="NoteRef_580"></a><a href="#Note_580" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_580" id="Note_580"></a><a href="#NoteRef_580"><span class="label">[1]</span></a> Livre de Leinster, p. 275, col. 2, p. 276, col. 1 et 2.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_362" id="Page_362">[Pg 362]</a></span></p>
-
-<h3><a id="XV_7"></a>§ 7.<br />
-
-<i>La descente de cheval dans la vieille légende de Loégairé
-Liban et dans la légende moderne d'Ossin.</i></h3>
-
-<p>Dans cette légende, un détail caractéristique sur
-lequel nous appellerons l'attention, c'est la recommandation
-faite à Loégairé Liban par son beau-père
-de ne pas descendre de cheval en Irlande. Loégairé
-a suivi ce conseil. Aussi a-t-il pu regagner sain et
-sauf la contrée merveilleuse où il a trouvé une
-femme, un trône, et un bonheur surhumain.</p>
-
-<p>Il y a là une croyance mythologique que la légende
-de Loégairé n'est pas seule à nous conserver. L'existence
-de cette croyance est attestée aussi par le cycle
-ossianique. Nous parlons du cycle ossianique, dans sa
-forme la plus moderne, telle que la lui a donnée, au
-milieu du siècle dernier, Michel Comyn, quand il a
-écrit son poème célèbre intitulé «Ossin dans la terre
-des jeunes.» Ossin, comme Loégairé, a été dans une
-contrée merveilleuse où, après des victoires, il a
-épousé la fille du roi. Alors un désir irrésistible de
-revoir l'Irlande s'empare de lui. Il quitte sa femme
-avec l'intention de revenir bientôt. Il est monté sur
-un coursier merveilleux. Cet animal surnaturel sait
-la route qui le conduira en Irlande et qui l'en ramènera.
-La femme du héros lui fait la recommandation
-que Loégairé Liban a reçue de son beau-père: «Rappelle-toi,
-<span class="pagenum"><a name="Page_363" id="Page_363">[Pg 363]</a></span>ô Ossin, ce que je te dis. Si tu mets pied à
-terre, jamais tu ne reviendras dans la contrée si
-jolie que j'habite<a name="NoteRef_581" id="NoteRef_581"></a><a href="#Note_581" class="fnanchor">[1]</a>.»</p>
-
-<p>Une circonstance inattendue empêcha Ossin de
-suivre ce sage conseil. Un jour, en Irlande, voulant
-venir en aide à trois cents hommes qui avaient à
-porter une table de marbre et qui succombaient sous
-cette charge, il fit un effort violent; la sangle d'or
-de son cheval se brisa, il tomba sur le sol. En un
-instant il perdit la vue; sa beauté, sa jeunesse et sa
-force furent remplacés par la décrépitude, la vieillesse
-et l'épuisement. Il n'a pu depuis retrouver la route
-du pays séduisant où il avait laissé sa charmante
-épouse. Il est resté en Irlande sans autre consolation
-que le souvenir d'un passé qui ne reviendra
-pas<a name="NoteRef_582" id="NoteRef_582"></a><a href="#Note_582" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_581" id="Note_581"></a><a href="#NoteRef_581"><span class="label">[1]</span></a> <i>Transactions of the Ossianic Society for the year 1856</i>, vol. IV,
-1859, p. 266. L'édition de ce texte curieux est due à M. Brian
-O'Looney.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_582" id="Note_582"></a><a href="#NoteRef_582"><span class="label">[2]</span></a> <i>Ibid.</i>, p. 278.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XV_8"></a>§ 8.<br />
-
-<i>Légende de Crimthann Nîa Nair.</i></h3>
-
-<p>Nous venons de voir ce que Michel Comyn écrivait
-il y a un peu plus d'un siècle. La littérature la plus
-ancienne de l'Irlande raconte l'histoire d'un héros
-qui fut encore moins heureux qu'Ossin: car en
-tombant comme lui du cheval merveilleux, ce ne fut
-<span class="pagenum"><a name="Page_364" id="Page_364">[Pg 364]</a></span>pas seulement de cécité, de vieillesse et de décrépitude
-qu'il fut atteint: il mourut. Le héros dont
-nous voulons parler est le roi suprême d'Irlande,
-Crimthann Nîa Nair.</p>
-
-<p>Ce personnage appartient au cycle de Conchobar
-et de Cûchulainn. Sa généalogie fait partie des récits
-qui ont donné à la race irlandaise une si grande réputation
-d'immoralité. Lugaid était fils de trois frères,
-Bress, Nar et Lothur; et Clothru, sa mère,
-était leur sœur<a name="NoteRef_583" id="NoteRef_583"></a><a href="#Note_583" class="fnanchor">[1]</a>. Lugaid s'unit ensuite à Clothru,
-qui fut ainsi successivement sa mère et sa femme,
-et de cette union est issu Crimthann<a name="NoteRef_584" id="NoteRef_584"></a><a href="#Note_584" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p>Crimthann, fils de Lugaid et de Clothru, devint
-roi suprême d'Irlande. Il épousa la déesse Nair, qui
-l'emmena de l'autre côté de la mer, dans un pays
-inconnu où il resta un mois et quinze jours. Il en
-revint avec quantité d'objets précieux. On cite un
-char qui était tout entier d'or; un jeu d'échecs en
-or, où étaient incrustées trois cents pierres précieuses;
-une tunique brodée d'or; une épée dont la ciselure
-d'or représentait des serpents; un bouclier
-avec ornements saillants en argent; une lance dont
-les blessures étaient toujours mortelles; une fronde
-qui ne manquait jamais son coup; deux chiens attachés
-à une chaîne d'argent si jolie qu'on l'estimait
-trois cents femmes esclaves. Crimthann mourut des
-<span class="pagenum"><a name="Page_365" id="Page_365">[Pg 365]</a></span>suites d'une chute de cheval, six semaines après son
-retour en Irlande<a name="NoteRef_585" id="NoteRef_585"></a><a href="#Note_585" class="fnanchor">[3]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_583" id="Note_583"></a><a href="#NoteRef_583"><span class="label">[1]</span></a> Livre de Leinster, p. 124, col. 2, lignes 34 et suiv.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_584" id="Note_584"></a><a href="#NoteRef_584"><span class="label">[2]</span></a> Comparez saint Jérôme, <i>Adversus Jovinianum</i>, livre II, chap. 7,
-chez Migne, <i>Patrologia latina</i>, t. 23, col. 296 A.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_585" id="Note_585"></a><a href="#NoteRef_585"><span class="label">[3]</span></a> Un très court résumé de la légende de Crimthann se trouve
-dans le traité appelé <i>Flathiusa hErenn</i>, Livre de Leinster, p. 23,
-col. 2, lignes 2&ndash;8; Livre de Lecan, f° 295, verso, col. 2; cf. <i>Annales
-des Quatre Maîtres</i>, édition d'O'Donovan, 1851, t. I, p. 92&ndash;95; Keating,
-<i>Histoire d'Irlande</i>, édition de 1811, p. 408, 409.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XV_9"></a>§ 9.<br />
-
-<i>Différence entre la légende de Cûchulainn d'un côté,
-celles de Loégairé Liban et de Crimthann Nîa Nair
-de l'autre.</i></h3>
-
-<p>La légende de Loégairé Liban et celle de Crimthann
-Nîa Nair nous offrent ce caractère commun que le
-héros, au retour du pays mystérieux créé par la
-mythologie, ne peut descendre de cheval sans s'exposer
-à une perte certaine. Il semble que telle est la
-loi commune. Cependant, Cûchulainn et son cocher
-y échappent. Cûchulainn et le cocher,&mdash;je pourrais
-dire même le char et les deux chevaux, que le système
-militaire des Celtes primitifs associe d'une manière
-inséparable à ses exploits,&mdash;ont quelque chose de
-surhumain et sont, à une foule de points de vue
-exceptés des lois générales auxquelles le reste de la
-nature est assujetti.</p>
-
-<p>Au retour du pays des dieux, ramenant avec lui
-la déesse Fand qu'il a épousée, et Loeg son cocher,
-qui lui a servi de guide, Cûchulainn n'éprouve, ainsi
-<span class="pagenum"><a name="Page_366" id="Page_366">[Pg 366]</a></span>que Loeg, aucun effet de ce voyage. C'est ainsi que,
-dans l'épopée homérique, rien n'est changé chez
-Ulysse quand il revient de l'île de Calypso. Cûchulainn,
-comme Ulysse, a pu sans mourir faire son
-voyage merveilleux; au contraire, Loégairé et Crimthann,
-à leur retour du pays inconnu qu'ils ont été
-visiter, ne sont que des revenants, dans le sens
-mythique que l'imagination populaire, en France,
-donne encore à ce mot: des revenants, c'est-à-dire
-des morts, qui pour un temps fort court ont quitté
-leur patrie nouvelle afin de revoir leurs parents et
-leurs amis. Fugitives apparitions, ils ne peuvent
-toucher terre sans s'évanouir au même instant.</p>
-
-<p>Quand Michel Comyn, ramenant Ossin de la région
-merveilleuse de l'éternelle jeunesse, le fait survivre
-sous forme de vieillard caduc à l'accident qui l'a précipité
-de cheval, il lui confère, par le droit qu'en
-prenant la plume conquiert tout poète, un privilège
-contraire à la tradition celtique. Cependant il y a dans
-cette composition, vieille seulement d'un peu plus
-d'un siècle, un dernier écho de l'enseignement celtique
-le plus ancien sur l'immortalité de l'âme. Le
-Celte croyait que l'âme survivait à la mort, mais il
-ne concevait pas cette âme sans un corps nouveau
-semblable au premier; je dis semblable, mais sauf
-certains caractères: ainsi ce corps nouveau, immortel
-dans le pays des morts, ne pouvait, sans perdre la
-vie, toucher du pied la terre des vivants.</p>
-
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_367" id="Page_367">[Pg 367]</a></span></p>
-
-<h2>CHAPITRE XVI.<br />
-
-CONCLUSION.</h2>
-
-<p>§1. D'une différence importante entre la mythologie celtique et la
-mythologie grecque.&mdash;§2. La triade mythologique dans les <i>Vêda</i>
-et en Grèce.&mdash;§3. La triade en Irlande.&mdash;§4. La triade en
-Gaule chez Lucain: Teutatès, Esus et Taranis ou Taranus.&mdash;§5.
-Le dieu gaulois que les Romains ont appelé Mercure.&mdash;§6.
-Le dieu cornu et le serpent mythique en Gaule.&mdash;§7. Le
-dualisme celtique et le dualisme iranien.&mdash;§8. Le naturalisme
-celtique.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XVI_1"></a>§ 1.<br />
-
-<i>D'une différence importante entre la mythologie celtique
-et la mythologie grecque.</i></h3>
-
-<p>Quelques textes d'auteurs latins et grecs, un grand
-nombre d'inscriptions trouvées sur le continent et
-dans les Iles Britanniques, nous donnent des noms
-de divinités celtiques, les uns isolés, les autres associés
-à des noms de divinités gréco-latines. Certains savants
-paraissent attendre des études celtiques la détermination
-précise des attributions spéciales à chacune
-<span class="pagenum"><a name="Page_368" id="Page_368">[Pg 368]</a></span>de ces divinités et semblent croire qu'un jour on
-pourra donner sur chacune d'elles un ensemble net
-et précis de légendes analogue à celui que la mythologie
-grecque a groupé sous le nom de chacun de
-ses principaux dieux. C'est une illusion.</p>
-
-<p>En effet, si la mythologie celtique offre comme base
-un fonds de croyances semblable à celui qui a inspiré
-les traits généraux de la mythologie grecque, elle
-s'est développée, surtout au point de vue de la forme
-littéraire et artistique, d'une façon toute différente, et
-elle a vécu dans un milieu qui n'a jamais eu d'Homère
-ni de Phidias. Le génie littéraire de la Grèce a
-créé des caractères, clairement distincts et vigoureusement
-soutenus dans une foule de détails, pour des
-dieux qui sont des doublets les uns des autres, tels
-que Phaéton, Apollon, Héraclès, trois personnifications
-du soleil. Les sculpteurs et les peintres ont
-donné à ces dieux originairement identiques des types
-différents, nettement séparés les uns des autres soit
-par la forme du corps, soit par les objets qui leur
-sont associés, vêtements, armes, etc.</p>
-
-<p>Quand la sculpture grecque a pénétré en Gaule,
-elle y a tenté un essai de ce genre, mais tous les
-monuments qui en subsistent sont postérieurs à la
-conquête romaine, c'est-à-dire qu'ils datent d'une
-époque où la religion gauloise était en pleine décadence;
-et, sauf le passage de Lucien sur Ogmios,
-nous n'avons aucun texte littéraire qui se rapporte
-au mouvement religieux correspondant à cette période
-artistique.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_369" id="Page_369">[Pg 369]</a></span>La littérature irlandaise la plus ancienne nous
-offre les conceptions mythologiques des Celtes
-dans une période où la civilisation était beaucoup
-plus primitive. Alors on n'avait pas encore donné
-aux créations de la mythologie les contours précis
-par lesquels elles sont fixées, quand les arts du
-dessin, atteignant une certaine perfection, parviennent
-à créer pour chaque nom divin une forme
-anthropomorphique distincte de celles à qui les autres
-noms divins servent pour ainsi dire d'étiquette.
-Les compositions épiques de l'Irlande n'ont pas la
-valeur esthétique de celles de la Grèce et de leurs
-imitations romaines. On n'y voit pas chaque dieu
-se présenter avec ce caractère nettement dessiné,
-longuement suivi, qui, toujours stable et un dans les
-circonstances les plus variées, est une création propre
-au génie littéraire de la Grèce. En Irlande
-comme dans la mythologie védique, les traits qui
-pourraient caractériser la figure de chacun des personnages
-qu'un nom divin désigne restent souvent
-indécis et vagues; tantôt tels et tels personnages sont
-distincts les uns des autres, tantôt ils se confondent
-les uns avec les autres et ne font qu'un.</p>
-
-<p>Rien de commun, par exemple, en Irlande comme
-la triade, c'est-à-dire trois noms divins, qui, à certains
-moments, semblent désigner autant d'êtres
-mythiques distincts, et qui ailleurs ne sont évidemment
-que trois noms ou trois adjectifs, exprimant
-trois aspects différents de la même personnalité
-mythologique.</p>
-
-
-<hr class="r30" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_370" id="Page_370">[Pg 370]</a></span></p>
-
-<h3><a id="XVI_2"></a>§ 2.<br />
-
-<i>La triade mythologique dans les</i> Vêda <i>et en Grèce.</i></h3>
-
-<p>Dans la mythologie védique, Varuna, le plus ancien
-des dieux; Yama, le dieu de la mort; Tvashtri,
-père du dieu suprême Indra, sont trois formes de
-la même idée. Yama est le père de la race divine
-et, par conséquent, d'Indra, comme Tvashtri<a name="NoteRef_586" id="NoteRef_586"></a><a href="#Note_586" class="fnanchor">[1]</a>,
-Varuna aussi reçoit le titre de dieu père<a name="NoteRef_587" id="NoteRef_587"></a><a href="#Note_587" class="fnanchor">[2]</a>. Varuna
-est dieu de la nuit<a name="NoteRef_588" id="NoteRef_588"></a><a href="#Note_588" class="fnanchor">[3]</a>, variante de la mort, qui est
-le domaine de Yama; il a été vaincu et détrôné par
-Indra<a name="NoteRef_589" id="NoteRef_589"></a><a href="#Note_589" class="fnanchor">[4]</a> son fils, qui, ailleurs, ayant remporté la
-victoire sur son père Tvashtri, lui ôte la vie<a name="NoteRef_590" id="NoteRef_590"></a><a href="#Note_590" class="fnanchor">[5]</a>.
-Ainsi Yama, Varuna et Tvashtri, qui souvent semblent
-trois dieux distincts, sont, en réalité, trois
-noms du même dieu, ou trois expressions pour désigner
-la même conception mythologique.</p>
-
-<p>Dans la mythologie grecque, Brontès, ou le bruit
-du tonnerre, Stéropès et Argès, deux noms de
-l'éclair, ont pour origine trois expressions qui désignent
-deux formes du même phénomène, et on a
-imaginé que ces trois expressions désignaient trois
-personnages distincts, réunis en un groupe sous le
-<span class="pagenum"><a name="Page_371" id="Page_371">[Pg 371]</a></span>nom de Cyclopes<a name="NoteRef_591" id="NoteRef_591"></a><a href="#Note_591" class="fnanchor">[6]</a>. C'est une triade dans le sens
-le plus rigoureux du mot, c'est-à-dire que les Cyclopes
-sont trois personnifications du même phénomène
-naturel. Telles sont aussi les <i>Charites</i>, que les
-Romains ont appelées Grâces<a name="NoteRef_592" id="NoteRef_592"></a><a href="#Note_592" class="fnanchor">[7]</a>, et le triple Géryon,
-personnification de la nuit<a name="NoteRef_593" id="NoteRef_593"></a><a href="#Note_593" class="fnanchor">[8]</a>.</p>
-
-<p>Mais les Cyclopes les <i>Charites</i>, et Géryon, n'occupent
-qu'un rang secondaire dans le Panthéon grec.
-Les dieux les plus importants, Aïdès, Ennosigaios
-aussi appelé Poseidaôn, Zên plus connu sous le
-nom de Zeus, tous fils de Kronos<a name="NoteRef_594" id="NoteRef_594"></a><a href="#Note_594" class="fnanchor">[9]</a>, sont au nombre
-de trois comme les petits dieux grecs et les
-grands dieux védiques dont nous venons de parler,
-et comme les dieux celtiques dont il sera question
-plus loin. Toutefois, dès l'époque à laquelle remontent
-les documents les plus anciens, le génie grec a
-donné aux trois fils de Kronos, des attributs tellement
-distincts qu'il est impossible de les confondre
-l'un avec l'autre.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_586" id="Note_586"></a><a href="#NoteRef_586"><span class="label">[1]</span></a> Bergaigne, <i>La religion védique</i>, t. I, p. 88.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_587" id="Note_587"></a><a href="#NoteRef_587"><span class="label">[2]</span></a> <i>Id., ibid.</i>, t. III, p. 111.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_588" id="Note_588"></a><a href="#NoteRef_588"><span class="label">[3]</span></a> <i>Id., ibid.</i>, t. III, p. 116&ndash;121.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_589" id="Note_589"></a><a href="#NoteRef_589"><span class="label">[4]</span></a> <i>Id., ibid.</i>, t. III, p. 142&ndash;148.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_590" id="Note_590"></a><a href="#NoteRef_590"><span class="label">[5]</span></a> <i>Id., ibid.</i>, t. III, p. 58&ndash;60, 144.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_591" id="Note_591"></a><a href="#NoteRef_591"><span class="label">[6]</span></a> Hésiode, <i>Théogonie</i>, vers 139&ndash;145.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_592" id="Note_592"></a><a href="#NoteRef_592"><span class="label">[7]</span></a> <i>Théogonie</i>, vers 907. Cf. Max Müller, <i>Lectures on the science of
-language, second series</i>, 2<sup>e</sup> édition, p. 369&ndash;376.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_593" id="Note_593"></a><a href="#NoteRef_593"><span class="label">[8]</span></a> <i>Théogonie</i>, vers 287; Eschyle, <i>Agamemnon</i>, v. 870. Cf. plus
-bas, p. <a href="#Page_211">211&ndash;213</a>, et plus haut, <a href="#Page_385">p. 385</a>, note.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_594" id="Note_594"></a><a href="#NoteRef_594"><span class="label">[9]</span></a> Hésiode, <i>Théogonie</i>, vers 455&ndash;457.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XVI_3"></a>§ 3.<br />
-
-<i>La triade en Irlande.</i></h3>
-
-<p>L'esprit celtique éprouve beaucoup moins le besoin
-<span class="pagenum"><a name="Page_372" id="Page_372">[Pg 372]</a></span>d'attacher à chaque mot différent une idée distincte
-de celle qu'un autre mot exprime. Nous lisons
-dans de vieux textes irlandais que les Tûatha Dê
-Danann avaient au même moment trois rois: Mac
-Cuill, Mac Cecht et Mac Grêné. Tous trois, par leur
-père Cermait, étaient petits-fils de Dagdé, dieu suprême;
-tous trois régnaient en même temps sur
-l'Irlande; tous trois furent tués à la bataille de Tailtiu.
-La femme du premier s'appelait Fotla; celle du
-second, Banba; celle du troisième, Eriu. Or, ces
-trois femmes prétendues sont simplement trois noms
-de l'Irlande. Il n'y a donc qu'une femme, et comme
-la triple épouse se réduit à l'unité, les trois époux
-n'en font qu'un<a name="NoteRef_595" id="NoteRef_595"></a><a href="#Note_595" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>Mac Cuill, Mac Cecht et Mac Grêné ont un doublet.
-Dans le «Dialogue des deux docteurs,» un
-des plus anciens documents qui nous parlent de ce
-doublet, on trouve écrits Brîan, Iuchar et Uar les
-trois noms qui le constituent. Comme Mac Cuill,
-Mac Cecht et Mac Grêné, Brîan, Iuchar et Uar appartiennent
-au groupe des Tûatha Dê Danann et le dominent.
-Ce sont les dieux de la science et du génie
-littéraire et artistique. Brigit, leur mère, est à la
-fois une déesse et une <i>file</i> féminine; elle est fille de
-Dagdé, ou «bon dieu,» le dieu suprême, le grand
-roi des Tûatha Dê Danann. Ses enfants, Brîan,
-<span class="pagenum"><a name="Page_373" id="Page_373">[Pg 373]</a></span>Iuchar et Uar, ont donc le même grand-père que
-Mac Guill, Mac Cecht et Mac Grêné<a name="NoteRef_596" id="NoteRef_596"></a><a href="#Note_596" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p>Entre Brîan, Iuchar et Uar, il n'y a qu'une différence
-de nom; on peut même dire qu'entre Iuchar
-et Uar la différence n'est qu'apparente, car le second
-de ces deux noms n'a été obtenu qu'en retranchant
-trois lettres du premier. Un procédé analogue a été
-suivi par les auteurs qui écrivent les deux derniers
-noms de cette triade: Iucharba et Iuchair. Iuchair
-n'est qu'une forme abrégée de Iucharba.</p>
-
-<p>Brîan, et ses deux frères ou associés, appelés tantôt
-Iuchar et Uar, tantôt Iucharba et Iuchair, ont,
-sur tous points, la même histoire. A eux trois, ils
-tuent le dieu Cêin, appelé ailleurs Cîan<a name="NoteRef_597" id="NoteRef_597"></a><a href="#Note_597" class="fnanchor">[3]</a>; tous
-trois sont tués dans le même endroit, par le dieu
-Lug<a name="NoteRef_598" id="NoteRef_598"></a><a href="#Note_598" class="fnanchor">[4]</a>. On les dépeint tous les trois de la même
-manière: tous trois ont la chevelure blonde, sont
-vêtus d'un manteau vert sur une tunique d'un rouge
-<span class="pagenum"><a name="Page_374" id="Page_374">[Pg 374]</a></span>qui tend au jaune. Tous trois portent une lance
-très forte et très pointue. Une épée à poignée d'ivoire
-pend sur la cuisse de chacun d'eux. Leurs trois boucliers
-sont rouges. Les noms de leurs trois chevaux
-diffèrent, mais ont le même sens: chacun veut dire
-«vent.» Leurs trois pères nourriciers s'appellent
-Victoire, Dignité et Force protectrice. Les noms de
-leurs trois concubines sont Paix, Plaisir et Joie;
-ceux de leurs trois reines, Belle, Jolie, Charmante.
-Leurs trois châteaux se nomment Fortune, Richesse
-et Large Hospitalité<a name="NoteRef_599" id="NoteRef_599"></a><a href="#Note_599" class="fnanchor">[5]</a>. Enfin à eux trois ils donnent
-le jour à un fils unique dont le nom, Ecné, veut
-dire «science, littérature, poésie<a name="NoteRef_600" id="NoteRef_600"></a><a href="#Note_600" class="fnanchor">[6]</a>.»</p>
-
-<p>Brîan, Iuchar et Iucharba appartiennent au cycle
-mythologique. Ils ont un doublet dans le cycle de
-Conchobar et de Cûchulainn, et, malgré certaines apparences
-historiques, ce doublet appartient encore
-à la mythologie. Il faut, disons-nous, reconnaître
-une triade mythologique dans la légende de Clothru,
-épouse à la fois de ses trois frères. De cette association
-conjugale naît un fils unique; Lugaid, ce fils,
-plus tard roi suprême d'Irlande, a, gravées sur la
-peau par un phénomène étrange, deux lignes circulaires
-rouges, l'une au cou, l'autre à la ceinture;
-ces lignes séparaient chacune des portions du corps
-<span class="pagenum"><a name="Page_375" id="Page_375">[Pg 375]</a></span>par lesquelles il ressemblait à chacun de ses trois
-pères. Il ressemblait au premier par la tête, au second
-par le haut du corps jusqu'à la ceinture, au troisième
-par la partie inférieure du corps. Il épousa sa mère,
-dont il eut un fils qui lui succéda sur le trône d'Irlande<a name="NoteRef_601" id="NoteRef_601"></a><a href="#Note_601" class="fnanchor">[7]</a>.</p>
-
-<p>La triade est produite par l'habitude d'employer
-trois synonymes pour exprimer la même idée mythologique.
-Quelquefois les Irlandais ont conservé sur
-ce point la notion de la réalité. Ainsi, dans un des
-manuscrits du <i>Glossaire</i> de Cormac, nous lisons que
-la femme du grand dieu Dagdé a trois noms, qui
-sont: Mensonge, Tromperie et Honte<a name="NoteRef_602" id="NoteRef_602"></a><a href="#Note_602" class="fnanchor">[8]</a>. Dagdé lui-même,
-d'après le même ouvrage, a trois noms:
-outre le nom par lequel nous venons de le désigner,
-il porte ceux de Céra et de Rûad-rofhessa<a name="NoteRef_603" id="NoteRef_603"></a><a href="#Note_603" class="fnanchor">[9]</a>. Nous
-ne voyons pas qu'on ait supposé trois dieux pour
-expliquer ces trois noms. Mais par exemple, d'un
-dieu unique, du dieu père appelé Kronos chez les
-Grecs, on en a fait trois en Irlande. Ce dieu, qui
-originairement fut maître du monde, et qui, vaincu
-par son fils, devint roi des morts, a été, en Irlande,
-transformé en trois dieux; le premier, d'abord roi,
-<span class="pagenum"><a name="Page_376" id="Page_376">[Pg 376]</a></span>fut détrôné; le second fut tué par son petit-fils dans
-la bataille; le troisième vaincu, mis en fuite, fut
-obligé de se réfugier dans le pays des morts, où il
-règne. Les Irlandais appellent le premier Bress, le
-second Balar, le troisième Téthra; et ces trois noms,
-à l'origine, ont désigné la même divinité.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_595" id="Note_595"></a><a href="#NoteRef_595"><span class="label">[1]</span></a> <i>Lebar gabala</i>, dans le Livre de Leinster, p. 9, col. 2, lignes 27&ndash;30;
-p. 10, col. 1, lignes 35&ndash;39; <i>Flathiusa hErenn</i>, Livre de Leinster,
-p. 15, col. 1, lignes 1&ndash;4; poème chronologique de Gilla Coemain,
-Livre de Leinster, p. 127, col. 2, lignes 7&ndash;10.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_596" id="Note_596"></a><a href="#NoteRef_596"><span class="label">[2]</span></a> <i>Dialogue des deux docteurs</i>, dans le Livre de Leinster, p. 187,
-col. 3, lignes 54 et suiv. Chose curieuse, Bress, leur père, est un
-Fomôré, et ils appartiennent, comme leur mère et leur grand-père
-maternel, au groupe des Tûatha Dê Danann, ennemis des Fomôré.
-Nous avons déjà parlé de Brîan et de ses deux frères, p. 145 et suiv.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_597" id="Note_597"></a><a href="#NoteRef_597"><span class="label">[3]</span></a> Poème de Flann Manistrech, dans le Livre de Leinster, p. 11,
-col. 1, ligne 28.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_598" id="Note_598"></a><a href="#NoteRef_598"><span class="label">[4]</span></a> Livre de Leinster, p. 11, col. 2, lignes 2, 3. Les vers de Flann
-Manistrech cités dans cette note et dans la précédente sont le thème
-sur lequel a été créée la légende de Tuirell Bicreo. Cette légende,
-qui paraît dater du quinzième siècle, a reçu à une date beaucoup
-plus moderne une forme beaucoup plus développée, sous le titre,
-bien connu en Irlande, de <i>Aided Chloinne Tuirend</i>, «Mort violente
-des enfants de Tuirenn.»</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_599" id="Note_599"></a><a href="#NoteRef_599"><span class="label">[5]</span></a> Livre de Leinster, p. 30, col. 3, lignes 38 et suiv.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_600" id="Note_600"></a><a href="#NoteRef_600"><span class="label">[6]</span></a> <i>Dialogue des deux docteurs</i>, dans le Livre de Leinster, p. 187,
-col. 3, lignes 53&ndash;58. Sur <i>ecne</i> = <sup>*</sup>ate-gnio-n, dont la forme la plus
-complète en vieil irlandais est <i>aithgne</i>, voyez la <i>Grammatica celtica</i>,
-2<sup>e</sup> édition, p. 60, 869.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_601" id="Note_601"></a><a href="#NoteRef_601"><span class="label">[7]</span></a> <i>Flathiusa hErend</i>, dans le Livre de Leinster, p. 23, col. 1,
-ligne dernière; col. 2, lignes 1&ndash;3; <i>Aided Meidbe, ibid.</i>, p. 124, col. 2,
-lignes 34 et suiv.; Keating, <i>Histoire d'Irlande</i>, édition de 1811,
-p. 406. Cf. plus haut, <a href="#Page_364">p. 364</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_602" id="Note_602"></a><a href="#NoteRef_602"><span class="label">[8]</span></a> Whitley Stokes, <i>Sanas Chormaic</i>, p. 90. Hérè, femme de
-Zeus, est aussi une trompeuse (<i>Iliade</i>, XV, 31, 33; XIX, 97, 106,
-112.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_603" id="Note_603"></a><a href="#NoteRef_603"><span class="label">[9]</span></a> Whitley Stokes, <i>Sanas Chormaic</i>, p. 47, 144.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XVI_4"></a>§ 4.<br />
-
-<i>La triade en Gaule chez Lucain: Teutatès, Esus, Taranis
-ou Taranus.</i></h3>
-
-<p>Nous retrouvons en Gaule les triades divines.
-Pour en bien comprendre le sens, il est nécessaire
-de déterminer d'abord auquel des deux groupes, entre
-lesquels se partage le panthéon celtique, chacune
-de ces triades appartient.</p>
-
-<p>La plus célèbre des triades divines adorées en Gaule
-est celle dont Lucain parle, dans des vers bien connus
-et que nous avons déjà souvent cités: les dieux qui
-la composaient s'appelaient Teutatès, Esus et Taranis
-ou Taranus. Ils appartenaient au groupe des dieux
-de la mort et de la nuit, des dieux pères et méchants
-que les Irlandais ont nommés Fomôré. On les honorait
-par des sacrifices humains<a name="NoteRef_604" id="NoteRef_604"></a><a href="#Note_604" class="fnanchor">[1]</a>. L'objet de ces
-sacrifices était d'obtenir que cette triade redoutable,
-considérée comme divinité de la mort, acceptât l'âme
-<span class="pagenum"><a name="Page_377" id="Page_377">[Pg 377]</a></span>de la victime en échange d'autres personnes plus
-chères dont la vie était menacée<a name="NoteRef_605" id="NoteRef_605"></a><a href="#Note_605" class="fnanchor">[2]</a>.</p>
-
-<p>Ces immolations terribles se pratiquaient surtout à
-la guerre: les captifs étaient mis à mort et leur massacre
-était un acte religieux. Les Gaulois établis en
-Asie y portèrent cet usage barbare, et il était encore
-en vigueur parmi eux dans la première moitié
-du second siècle avant notre ère<a name="NoteRef_606" id="NoteRef_606"></a><a href="#Note_606" class="fnanchor">[3]</a>. Il persistait en
-Gaule longtemps après cette date; il est mentionné
-dans la description de la Gaule écrite par Diodore de
-Sicile vers l'année 44 avant notre ère. Les prisonniers
-de guerre, nous dit Diodore, sont sacrifiés aux
-dieux; avec les animaux que le sort des armes a
-fait tomber entre les mains des vainqueurs, ils sont
-brûlés, ou mis à mort d'une autre façon<a name="NoteRef_607" id="NoteRef_607"></a><a href="#Note_607" class="fnanchor">[4]</a>. Les
-Gaulois ne procédaient pas autrement au temps de
-<span class="pagenum"><a name="Page_378" id="Page_378">[Pg 378]</a></span>la grande guerre que César leur fit de 58 à 51 avant
-J.-C. Après avoir dit qu'ils ont un dieu, identique
-suivant lui au Mars romain, l'auteur des <i>Commentaires</i>
-continue ainsi: «Quand ils ont résolu de
-livrer une bataille, ils vouent ordinairement à ce
-dieu le butin qu'ils projettent de faire; après la
-victoire, ils immolent en son honneur tout ce qui
-a vie<a name="NoteRef_608" id="NoteRef_608"></a><a href="#Note_608" class="fnanchor">[5]</a>.»</p>
-
-<p>Deux inscriptions nous apprennent le nom, ou un
-des noms de la divinité gauloise que César a désignée
-par le nom latin de Mars. L'une est une dédicace
-à Mars <i>Toutatis</i>; elle a été trouvée en Grande-Bretagne<a name="NoteRef_609" id="NoteRef_609"></a><a href="#Note_609" class="fnanchor">[6]</a>.
-L'autre, découverte à Seckau en Styrie,
-s'adresse à Mars <i>Latobius Harmogius Toutatis Sinatis
-Mogenius</i><a name="NoteRef_610" id="NoteRef_610"></a><a href="#Note_610" class="fnanchor">[7]</a>. Ainsi, Toutatis ou Teutatès est le
-<span class="pagenum"><a name="Page_379" id="Page_379">[Pg 379]</a></span>dieu auquel, pendant la guerre, les Gaulois immolaient
-leurs captifs. C'est un des noms et une des
-personnifications de ce dieu père qui régnait sur les
-morts. Par faveur, croyait-on, il pouvait épargner
-les jours du Gaulois menacé dans son existence, et
-qui, comme remplaçant, lui envoyait dans l'autre
-monde un captif immolé<a name="NoteRef_611" id="NoteRef_611"></a><a href="#Note_611" class="fnanchor">[8]</a>.</p>
-
-<p>Taranis ou Taranus, si l'on admet la correction de
-M. Mowat<a name="NoteRef_612" id="NoteRef_612"></a><a href="#Note_612" class="fnanchor">[9]</a>, est un doublet de Teutatès ou Toutatis.
-L'étymologie de son nom établit que c'est un
-dieu de la foudre: <i>taran</i>, en gallois, en cornique
-et en breton, est le nom de la foudre. Or, le dieu de
-la foudre, en Irlande, est Balar, un des trois principaux
-chefs des Fomôré. Son œil, le mauvais œil,
-dont le regard tue, n'est autre chose que la foudre.
-On a considéré Taranus comme identique au Jupiter
-<span class="pagenum"><a name="Page_380" id="Page_380">[Pg 380]</a></span>romain. Sans doute, Jupiter a pour arme la foudre;
-mais la religion des Romains n'étant pas dualiste
-comme celle des Gaulois, Jupiter joint à cet attribut
-accessoire des qualités fondamentales comme dieu
-bon et dieu fils, qui le rendent tout à fait étranger
-au Taranus celtique. Jupiter est le fils de Saturne
-ou de Kronos; il est le dieu du jour et de la vie.
-Taranus, comme Balar, est le dieu de la mort, père
-des dieux de la vie<a name="NoteRef_613" id="NoteRef_613"></a><a href="#Note_613" class="fnanchor">[10]</a>. Voilà pourquoi en Gaule,
-comme Lucain nous l'apprend, on lui offrait des
-sacrifices humains.</p>
-
-<p>Esus, dont une variante <i>Æsus</i> nous a été conservée
-par une monnaie de la Grande-Bretagne<a name="NoteRef_614" id="NoteRef_614"></a><a href="#Note_614" class="fnanchor">[11]</a>, a
-été placé avec raison par Lucain dans la même
-triade, puisqu'on lui offre des sacrifices humains.
-Le bois qu'il coupe dans le bas-relief gallo-romain
-du musée de Cluny était sans doute destiné au bûcher
-du sacrifice. Au temps de Tibère, de l'an 14 à
-l'an 37 de notre ère, quand fut sculpté ce monument,
-il était défendu en Gaule de sacrifier des victimes
-humaines. Mais la suppression de cet usage
-n'était point ancienne, puisque, sept ans avant notre
-ère, Denys d'Halicarnasse en parle encore en
-mettant le verbe au présent; et si cette lugubre cérémonie
-ne se pratiquait plus sous le règne de Tibère,
-du moins le cérémonial en subsistait, puisque
-<span class="pagenum"><a name="Page_381" id="Page_381">[Pg 381]</a></span>sous Claude, en l'an 43 ou 44 après notre ère, Pomponius
-Méla nous apprend qu'il était encore maintenu:
-ne pouvant plus tuer d'hommes, les druides
-alors se bornaient à tirer quelques gouttes de sang
-à des gens de bonne volonté<a name="NoteRef_615" id="NoteRef_615"></a><a href="#Note_615" class="fnanchor">[12]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_604" id="Note_604"></a><a href="#NoteRef_604"><span class="label">[1]</span></a> Lucain, <i>Pharsale</i>, l. I, vers 444&ndash;446.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_605" id="Note_605"></a><a href="#NoteRef_605"><span class="label">[2]</span></a> «Qui sunt affecti gravioribus morbis quique in præliis periculisque
-versantur, aut pro victimis homines immolant aut se immolaturos
-vovent administrisque ad ea sacrificia druidibus utuntur,
-quod, pro vita hominis nisi hominis vita reddatur, non posse deorum
-immortalium numen placari arbitrantur.» César, <i>De bello gallico</i>,
-livre VI, chap. <span class="smcap">xvi</span>, § 2, 3.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_606" id="Note_606"></a><a href="#NoteRef_606"><span class="label">[3]</span></a> «Cum ... mactatas humanas hostias, immolatosque liberos suos
-audirent.» Discours prononcé au sénat par le proconsul Cneius
-Manlius, l'an 187 avant J.-C., chez Tite-Live, livre XXXVIII,
-chap. <span class="smcap">xlvii</span>; comparez Diodore de Sicile, livre XXXI, chap. 13,
-édition Didot, t. II, p. 499. Ici il est question d'événements de
-l'année 167 avant J.-C.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_607" id="Note_607"></a><a href="#NoteRef_607"><span class="label">[4]</span></a> «Χρῶνται δὲ καὶ τοῖς αἰχμαλώτοις ὡς ἱερείοις πρὸς τὰς τῶν θεῶν
-τιμάς. Τινὲς δὲ αὐτῶν καὶ τὰ κατὰ πόλεμον ληφθέντα ζῷα μετὰ τῶν ἀνθρώπων
-ἀποκτείνουσιν ἢ κατακαίουσιν ἤ τισιν ἄλλαις τιμωρίαις ἀφανίζουσι.»
-Diodore de Sicile, livre V, chap. <span class="smcap">xxxii</span>, § 6, édition Didot,
-t. I, p. 273, 274.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_608" id="Note_608"></a><a href="#NoteRef_608"><span class="label">[5]</span></a> «.... Martem bella regere. Huic, cum prælio dimicare constituerunt,
-ea, quæ bello ceperint, plerumque devovent: cum superaverunt,
-animalia capta immolant reliquasque res in unum locum
-conferunt.» César, <i>De bello gallico</i>, l. VI, chap. <span class="smcap">xvii</span>, § 2, 3.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_609" id="Note_609"></a><a href="#NoteRef_609"><span class="label">[6]</span></a></p>
-<p class="poem"><span class="smcap">Marti</span><br />
-<span class="smcap">Toutati.</span></p>
-<p>
-Inscription de Rooky Wood, Hertfordshire. <i>Corpus inscriptionum
-latinarum</i>, t. VII, n° 84. Ce monument est aujourd'hui conservé au
-Musée Britannique.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_610" id="Note_610"></a><a href="#NoteRef_610"><span class="label">[7]</span></a></p>
-<p class="poem"><span class="smcap">Marti</span><br />
-<span class="smcap">Latobio</span><br />
-<span class="smcap">Harmogio</span><br />
-<span class="smcap">Tovtati</span><br />
-<span class="smcap">Sinati Mog</span><br />
-<span class="smcap">enio.</span></p>
-
-<p>
-<i>Corpus inscriptionum latinarum</i>, t. III, n° 5320. M. Mowat, <i>Revue
-épigraphique</i>, t. I, p. 123, lit <span class="smcap">Tiovtati</span> avec un <span class="smcap">i</span> après le <span class="smcap">t</span>. Je préfère
-la lecture du <i>Corpus inscriptionum latinarum</i>, t. III, p. 1163,
-col. 2: phonétiquement, elle est la seule admissible. <i>Ou</i>, dans <i>Toutatis</i>,
-est une variante d'<i>eu</i> dans <i>Teutates</i>; <i>o</i> dans <i>Totatigens</i> (<i>Corpus</i>,
-t. VI, n° 2407), <i>u</i> dans <i>Tutatis</i>, cité par M. Mowat au passage que
-nous critiquons, sont des variantes justifiées (<i>Grammatica celtica</i>,
-2<sup>e</sup> édition, p. 34); <i>Tioutatis</i> serait un monstre. Ce dissentiment sur
-un point de détail ne m'empêche pas d'avoir sur une foule d'autres
-points en haute estime les travaux du savant épigraphiste qui a
-agrandi par de si nombreuses découvertes le domaine des études
-celtiques.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_611" id="Note_611"></a><a href="#NoteRef_611"><span class="label">[8]</span></a> Le <i>Mars Belatu-Cadros</i>, «beau quand il tue,» de Grande-Bretagne
-semble être le même dieu sous un autre nom. <i>Corpus inscriptionum
-latinarum</i>, t. VII, n<sup>os</sup> 318, 746, 885, 957.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_612" id="Note_612"></a><a href="#NoteRef_612"><span class="label">[9]</span></a> <i>Revue épigraphique</i>, t. I, p. 123&ndash;126. L'hypothèse que les thèmes
-en <i>i</i> faisaient leur génitif en <i>ou</i> (<i>Grammatica celtica</i>, 2<sup>e</sup> édit., p. 234)
-me semble inadmissible. Dans mon opinion, <i>Taranu-cnos</i> est un
-composé asyntactique.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_613" id="Note_613"></a><a href="#NoteRef_613"><span class="label">[10]</span></a> Les dédicaces «deo Taranu-cno» par les Gaulois de la rive
-droite du Rhin,&mdash;Brambach (<i>Corpus inscriptionum rhenarum</i>,
-n<sup>os</sup> 1589, 1812),&mdash;s'adressent à un fils de Taranus.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_614" id="Note_614"></a><a href="#NoteRef_614"><span class="label">[11]</span></a> A. de Barthélémy, dans la <i>Revue celtique</i>, t. I, p. 293, col. 1.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_615" id="Note_615"></a><a href="#NoteRef_615"><span class="label">[12]</span></a> Voir plus haut, t. I<sup>er</sup>, p. 149.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XVI_5"></a>§ 5.<br />
-
-<i>Le dieu gaulois que les Romains ont appelé Mercure.</i></h3>
-
-<p>Ainsi, Teutatès, Taranis ou Taranus et Esus sont
-autant de formes de ce dieu de la mort, père du
-genre humain, appelé <i>Dis pater</i> par César. En Irlande
-il porte, nous l'avons dit, trois noms: Bress, Balar
-et Téthra; c'est le chef des Fomôré. Dans le groupe
-divin qui leur est opposé, la victoire est remportée
-par <i>Lug</i>, plus anciennement <i>Lugus</i>. Le nom de Lug,
-en irlandais, veut dire «guerrier<a name="NoteRef_616" id="NoteRef_616"></a><a href="#Note_616" class="fnanchor">[1]</a>.» En effet
-l'acte le plus important de ce dieu a consisté à tuer le
-dieu de la mort Balar. C'est Lug que César présente
-comme identique au Mercure romain, déjà confondu
-à cette époque avec l'Hermès grec. Lug ressemble à
-ce Mercure-Hermès en ce qu'il est le dieu des arts et
-<span class="pagenum"><a name="Page_382" id="Page_382">[Pg 382]</a></span>du commerce. Mais de cette ressemblance à l'identité,
-il y a une distance énorme. Nous avons déjà
-fait une observation analogue à propos du Jupiter
-romain et du Taranis ou Taranus gaulois: les mythographes
-romains, partant de la croyance à la
-réalité de leurs dieux et des dieux étrangers, s'imaginaient
-avoir établi l'identité de deux personnalités
-mythologiques, quand ils avaient constaté entre
-elles certains points de ressemblance. De là est
-résultée la fusion de leur mythologie avec celle
-des Grecs: par l'emploi de cette méthode, ils sont
-arrivés à se persuader à eux-mêmes et à faire croire
-aux Gaulois romanisés que les dieux gaulois et les
-dieux romains étaient les mêmes. Cette doctrine était
-fausse: le dieu gaulois que César a appelé Mercure
-est une conception mythologique originale qui, ressemblant
-sur certains points au Mercure-Hermès
-gréco-romain, en diffère sur d'autres points; il est,
-par exemple, un dieu guerrier.</p>
-
-<p>Les Gaulois ne l'appelaient pas seulement Lugus:
-ils lui donnaient plusieurs autres noms, et, parmi
-ces noms, plusieurs ont pour élément fondamental
-une racine <span class="smcap">smer</span> dont la valeur n'a pas encore été
-déterminée<a name="NoteRef_617" id="NoteRef_617"></a><a href="#Note_617" class="fnanchor">[2]</a>. Sur un vase découvert à Sanxey, près
-de Poitiers, on lit la dédicace <span class="smcap">Deo Mercvrio Atusmerio</span>.
-La base d'une statue de Mercure trouvée à
-<span class="pagenum"><a name="Page_383" id="Page_383">[Pg 383]</a></span>Meaux offre la légende <span class="smcap">Deo Adsmerio</span><a name="NoteRef_618" id="NoteRef_618"></a><a href="#Note_618" class="fnanchor">[3]</a>. Sur un
-des autels romains de Paris conservés au musée de
-Cluny, M. Mowat a déchiffré les cinq lettres <span class="smcap">Smeri</span>
-ou <span class="smcap">Smert</span>. Elles commencent la légende, aujourd'hui
-fruste, inscrite au-dessus d'un bas-relief représentant
-un personnage qui va frapper un serpent d'un
-coup de massue<a name="NoteRef_619" id="NoteRef_619"></a><a href="#Note_619" class="fnanchor">[4]</a>. Ce personnage est un doublet
-de Lugus. Le serpent est une des formes du dieu
-mauvais indo-européen<a name="NoteRef_620" id="NoteRef_620"></a><a href="#Note_620" class="fnanchor">[5]</a>.</p>
-
-<p>Dans le bassin du Rhin, le dieu identifié au Mercure
-romain perd souvent son nom gaulois; mais
-alors il est accompagné d'une déesse qui a conservé
-ce nom: c'est <i>Rosmerta</i>, et <i>Ro-smer-ta</i> nous offre la
-même racine qu'<i>Atu-smer-iu-s</i> ou <i>Ad-smer-ius</i>, et que
-le mot incomplet <i>Smer-i</i>... ou <i>Smer-t</i>...<a name="NoteRef_621" id="NoteRef_621"></a><a href="#Note_621" class="fnanchor">[6]</a>.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_616" id="Note_616"></a><a href="#NoteRef_616"><span class="label">[1]</span></a> Glossaire d'O'Davoren, chez Whitley Stokes, <i>Three irish glossaries</i>,
-p. 103. Suivant un passage célèbre du pseudo-Plutarque, <i>De
-fluviis</i>, le premier terme du composé <i>Lugu-dunum</i> aurait signifié
-«corbeau.» La vérité est probablement que dans le récit légendaire
-gaulois auquel ce texte renvoie, il était question d'une apparition
-d'oiseaux, et que dans la croyance gauloise ces oiseaux étaient une
-manifestation du dieu Lugus.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_617" id="Note_617"></a><a href="#NoteRef_617"><span class="label">[2]</span></a> En irlandais moyen, <i>smêr</i> veut dire «feu.» Whitley Stokes,
-<i>Sanas Chormaic</i>, p. 149. De ce mot paraît dériver l'irlandais moyen
-<i>smêroit</i> «charbon.» On ne sait pas quelle est dans ces deux mots
-l'origine de l'<i>e</i> long.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_618" id="Note_618"></a><a href="#NoteRef_618"><span class="label">[3]</span></a> Mowat, dans le <i>Bulletin des antiquaires de France</i>, 1882, p. 310.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_619" id="Note_619"></a><a href="#NoteRef_619"><span class="label">[4]</span></a> Mowat, dans le <i>Bulletin épigraphique de la Gaule</i>, t. I, p. 117.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_620" id="Note_620"></a><a href="#NoteRef_620"><span class="label">[5]</span></a> Bréal, <i>Mélanges de mythologie et de linguistique</i>, p. 96 et suiv.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_621" id="Note_621"></a><a href="#NoteRef_621"><span class="label">[6]</span></a> Charles Robert, <i>Epigraphie de la Moselle</i>, p. 65 et suiv. Le
-nom propre d'homme <i>Smertu-litanus</i>, «large comme <i>Smertus</i>,» dans
-une inscription de Worms (Brambach, n° 901), est un témoignage du
-même culte, et le nom de femme galate <i>Zmerto-mara</i>, «grande comme
-<i>Smertos</i>,» atteste que les Gaulois avaient porté ce culte en Asie.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XVI_6"></a>§ 6.<br />
-
-<i>Le dieu cornu et le serpent mythique en Gaule.</i></h3>
-
-<p>Le serpent de l'autel du musée de Cluny,&mdash;ce
-serpent que va frapper d'un coup de massue le dieu
-celtique identifié à Mercure, ce serpent qui est une
-<span class="pagenum"><a name="Page_384" id="Page_384">[Pg 384]</a></span>des personnifications du dieu méchant,&mdash;reparaît
-dans d'autres monuments dont il a été fait en ces
-derniers temps une étude approfondie<a name="NoteRef_622" id="NoteRef_622"></a><a href="#Note_622" class="fnanchor">[1]</a>. Dans la
-plupart des monuments publiés jusqu'ici, ce serpent
-a une tête de bélier. Il est associé comme attribut
-à des divinités gauloises par des monuments
-trouvés à Autun, à Montluçon, à Epinal, à Vandœuvre
-(Indre), à La Guerche (Cher). Un des plus curieux
-de ces monuments est celui d'Autun. Le dieu
-est accroupi, tricéphale et cornu; deux serpents à
-tête de bélier lui font une sorte de ceinture.</p>
-
-<p>Ses trois têtes nous rappellent la triade gauloise:
-Teutatès, Esus et Taranis ou Taranus; la triade irlandaise:
-Bress, Balar et Téthra. Il porte des cornes.
-En Irlande, le père de Bress s'appelle <i>Bûar-ainech</i>,
-c'est-à-dire «à la figure de vache<a name="NoteRef_623" id="NoteRef_623"></a><a href="#Note_623" class="fnanchor">[2]</a>.» Quant
-aux serpents à tête de bélier, ce sont les monstres à
-têtes de chèvre, <i>goborchind</i>, de l'Irlande<a name="NoteRef_624" id="NoteRef_624"></a><a href="#Note_624" class="fnanchor">[3]</a>. Sur
-l'autel de Vandœuvre (Indre), le dieu cornu, toujours
-accroupi, n'est pas tricéphale; mais il est accompagné
-de deux autres dieux debout qui complètent
-la triade; et les deux serpents, au lieu de lui
-servir de ceinture, sont placés aux deux extrémités
-du bas-relief.</p>
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_385" id="Page_385">[Pg 385]</a></span>Le dieu cornu, père de Bress, et par conséquent
-aussi de ses deux doublets Balar et Téthra, ne s'appelait
-pas, en Gaule, dieu «à figure de vache,»
-<i>Bûar-ainech</i> en irlandais: on le nommait <i>Cernunnos</i><a name="NoteRef_625" id="NoteRef_625"></a><a href="#Note_625" class="fnanchor">[4]</a>.
-Cernunnos, suivant nous, est le premier père, le
-dieu fondamental de la nuit et de la mort; ses cornes
-sont le croissant de la lune, reine de la nuit.
-Teutatès, Esus et Taranis ou Taranus sont ses fils,
-ou, si l'on veut, ses doublets, pourrait-on dire en
-quelque sorte. Le nom de <i>Cernunnos</i> est gravé sur
-la troisième face de l'autel n° 3 du musée de Cluny;
-au-dessous on distingue nettement une figure humaine
-cornue. La partie inférieure du corps est
-fruste; mais vu la hauteur du monument, il est
-certain que ce dieu était accroupi, comme les deux
-autres dieux cornus dont nous avons parlé, celui d'Autun
-et celui de Vandœuvre (Indre). Aucun serpent
-ne l'accompagne; le sculpteur a fait du mythe deux
-tableaux: après avoir placé Cernunnos sur la troisième
-face de l'autel, il a représenté sur la quatrième
-face le meurtre du serpent.</p>
-
-<p>Dans la doctrine celtique telle que nous la trouvons
-en Irlande, le dieu de la mort, tué par son
-petit-fils, vit toujours et règne, en changeant de
-<span class="pagenum"><a name="Page_386" id="Page_386">[Pg 386]</a></span>nom; les Gallo-Romains ont préféré une autre forme
-du mythe. Dans le système qui a inspiré le bas-relief
-de Paris, le dieu du crépuscule n'a pas tué le dieu de
-la nuit, son père; il a tué seulement le serpent qui
-est le compagnon ordinaire de ce dieu redoutable.
-Du reste, bien qu'habituellement les Indo-Européens
-confondent la nuit avec l'orage, le serpent est le
-représentant de l'orage et de la foudre plutôt que de
-la nuit, et il n'y aurait pas lieu de s'étonner si cette
-distinction avait été encore saisie en Gaule au premier
-siècle de notre ère.</p>
-
-<p>Aussi y a-t-il des exemples du dieu cornu sans
-l'emblème du serpent. Nous citerons les bas-reliefs de
-Beaune et de Reims. Le dieu de Reims tient une espèce
-de sac d'où s'échappent des glands ou des faînes
-que semblent attendre un bœuf et un cerf placés au-dessous.
-On se rappelle que les Irlandais païens, immolant
-leurs enfants à la grande idole <i>Cromm cruach</i>,
-la «courbe sanglante,» attendaient du lait et du
-blé en échange<a name="NoteRef_626" id="NoteRef_626"></a><a href="#Note_626" class="fnanchor">[5]</a>. Cette idole n'était autre chose
-qu'une grossière image du dieu de la mort. Au prix
-d'innocentes victimes, ce dieu donnait, croyait-on,
-à ses cruels adorateurs la nourriture et la vie.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_622" id="Note_622"></a><a href="#NoteRef_622"><span class="label">[1]</span></a> Alexandre Bertrand, <i>L'autel de Saintes et les triades gauloises</i>,
-dans la <i>Revue archéologique</i> de juin, juillet et août 1880; <i>Les divinités
-gauloises à attitude bouddhique</i>, dans la <i>Revue archéologique</i> de
-juin 1882.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_623" id="Note_623"></a><a href="#NoteRef_623"><span class="label">[2]</span></a> Voir plus haut, <a href="#Page_203">p. 203</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_624" id="Note_624"></a><a href="#NoteRef_624"><span class="label">[3]</span></a> Voir plus haut, <a href="#Page_95">p. 95</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_625" id="Note_625"></a><a href="#NoteRef_625"><span class="label">[4]</span></a> Le <span class="smcap">Tarvos trigaranus</span> du musée de Cluny est un doublet de
-Cernunnos. Il correspond au taureau du troupeau de Géryon dans
-la mythologie grecque: par un phénomène d'étymologie populaire,
-Géryon ou le crieur au triple corps a été changé en trois grues chez
-les Gaulois; du reste le thème celtique <i>garano</i>, «grue,» est presque
-identique étymologiquement au Géryon grec.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_626" id="Note_626"></a><a href="#NoteRef_626"><span class="label">[5]</span></a> Voir plus haut, <a href="#Page_108">p. 108</a>.</p></div>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XVI_7"></a>§ 7.<br />
-
-<i>Le dualisme celtique et le dualisme iranien.</i></h3>
-
-<p>Ainsi, l'étude de la mythologie irlandaise nous
-<span class="pagenum"><a name="Page_387" id="Page_387">[Pg 387]</a></span>fait connaître les points fondamentaux de la mythologie
-celtique continentale. La religion celtique était
-fondée sur la croyance en deux principes, le premier
-négatif et méchant, le second positif et bon, né
-pourtant du premier; ces deux principes sont opposés
-l'un à l'autre et en lutte l'un contre l'autre, comme
-Ormazd et Ahriman dans l'ancienne religion de l'Iran.
-On aurait tort cependant de croire que l'origine de ce
-dualisme soit iranienne, et de considérer les druides
-comme les élèves des mages. Le mot <i>dêvos</i>, en irlandais
-<i>dîa</i>, en breton <i>doué</i>, est chez les Celtes, comme
-dans la littérature védique, le nom des dieux bienfaisants,
-des dieux fils opposés au père mauvais; il
-n'est pas, comme dans la littérature iranienne, exclusivement
-réservé aux dieux ennemis. Quant au dieu père
-méchant, vaincu par son fils, il n'a pas ce caractère
-d'absolue perversité qui distingue l'Ahriman des Iraniens.
-Il reste un des principaux dieux, <i>dê[v]i</i>, c'est
-dans son empire que s'accomplit le prodige de la vie
-bienheureuse des morts; et le mélange singulier de
-cruauté et de paternité, qui le distingue constitue un
-des aspects les plus étranges comme les plus curieux
-de la religion celtique.</p>
-
-<hr class="r30" />
-
-<h3><a id="XVI_8"></a>§ 8.<br />
-
-<i>Le naturalisme celtique.</i></h3>
-
-<p>A ce dualisme, les Irlandais païens associent, par
-une contradiction frappante, et des croyances panthéistes
-attestées par une longue invocation qui semble
-<span class="pagenum"><a name="Page_388" id="Page_388">[Pg 388]</a></span>un débris d'un vieux rituel, et des doctrines
-naturalistes qu'on retrouve également au début de
-la <i>Théogonie</i> d'Hésiode. Chez Hésiode, la terre et le
-ciel précèdent les dieux et leur ont donné le jour.
-En Irlande, la terre, la mer, les forces de la nature
-semblent un moment, dans le <i>Livre des conquêtes</i>,
-être considérées comme plus puissantes que les
-dieux contre qui elles sont invoquées; ce sont elles
-aussi qu'on prend à témoin dans les serments<a name="NoteRef_627" id="NoteRef_627"></a><a href="#Note_627" class="fnanchor">[1]</a>.</p>
-
-<p>Quel rôle le panthéisme et le naturalisme ont-ils
-joué dans le monde celtique?</p>
-
-<p>Le panthéisme est une doctrine philosophique qui
-n'a probablement jamais pu avoir qu'un-petit nombre
-d'adeptes; mais le culte de la nature sous les
-divers aspects qu'elle nous offre, le culte par exemple
-des montagnes, des forêts, des rivières, était
-plus à la portée des foules. Les inscriptions romaines
-de la Gaule nous ont conservé des dédicaces à ces
-divinités secondaires: ainsi au dieu Vosge, <i>Vosegus</i><a name="NoteRef_628" id="NoteRef_628"></a><a href="#Note_628" class="fnanchor">[2]</a>,
-qui n'est autre chose que le groupe de montagnes
-de ce nom; à la déesse Ardenne, <i>Arduinna</i>,
-dont le nom est, dans une inscription, accompagné
-de deux arbres, et qui est une forêt bien connue<a name="NoteRef_629" id="NoteRef_629"></a><a href="#Note_629" class="fnanchor">[3]</a>;
-<span class="pagenum"><a name="Page_389" id="Page_389">[Pg 389]</a></span>à la déesse Seine, <i>Sequana</i>, dont le culte paraît
-s'être principalement célébré à la source de cette
-rivière<a name="NoteRef_630" id="NoteRef_630"></a><a href="#Note_630" class="fnanchor">[4]</a>. Nous retrouvons la même idée dans le
-troisième poème liturgique d'Amairgen, où nous
-remarquons les trois invocations suivantes: «Montagne
-fertile, fertile! Bois vallonné! Rivière abondante,
-abondante en eau<a name="NoteRef_631" id="NoteRef_631"></a><a href="#Note_631" class="fnanchor">[5]</a>!» Ce culte secondaire
-était donc commun à l'Irlande et à la Gaule. Il n'est
-point spécial à la race celtique, car on le trouve
-en Grèce et à Rome. Au même ordre d'idées se rattache
-le culte des villes, celui, par exemple, de la
-<i>dea Bibracte</i> chez les Eduens<a name="NoteRef_632" id="NoteRef_632"></a><a href="#Note_632" class="fnanchor">[6]</a>, celui de la forteresse
-de Tara en Irlande<a name="NoteRef_633" id="NoteRef_633"></a><a href="#Note_633" class="fnanchor">[7]</a>.</p>
-
-<p>Mais toutes ces divinités ne tiennent qu'un rang inférieur
-dans la pensée des Celtes. Les grands dieux
-sont ceux dont les luttes sanglantes ont inspiré les
-récits légendaires qui constituent le cycle mythologique
-irlandais. C'étaient eux qui, avant tous autres,
-recevaient les hommages des fidèles; car d'eux, de
-leur faveur ou de leur haine dépendait, suivant une
-croyance universelle chez les Celtes des Iles Britanniques
-<span class="pagenum"><a name="Page_390" id="Page_390">[Pg 390]</a></span>comme chez ceux du continent, la prospérité
-ou le malheur des individus, des familles et des
-peuples.</p>
-
-<p>Tel est le résultat général auquel paraît conduire
-l'étude des textes classiques latins et grecs qui concernent
-la religion celtique, quand on combine cette
-étude avec l'emploi des moyens nouveaux d'information
-que nous possédons aujourd'hui. Je veux
-d'abord parler des inscriptions, toujours plus nombreuses,
-que, depuis quelques années surtout, le sol
-des contrées autrefois gauloises livre presque chaque
-jour aux investigations des épigraphistes; je rappellerai
-ensuite les monuments figurés, la plupart presque
-inconnus jusqu'ici, que le zèle de M. Alexandre
-Bertrand a réunis en quantité considérable et classés
-en si bon ordre dans les salles du musée de Saint-Germain.
-Enfin, j'insisterai sur les éditions de textes
-irlandais que nous devons aux labeurs si longs et si
-méritoires d'O'Curry et d'O'Donovan, à l'Académie
-d'Irlande et aux savants celtistes<a name="NoteRef_634" id="NoteRef_634"></a><a href="#Note_634" class="fnanchor">[8]</a>, au paléographe
-éminent<a name="NoteRef_635" id="NoteRef_635"></a><a href="#Note_635" class="fnanchor">[9]</a>, qui sont, au point de vue de nos travaux,
-sa principale gloire; à MM. Whitley Stokes et Windisch,
-auxquels d'injustes attaques n'ôteront pas
-l'honneur d'avoir, avec M. Hennessy, fait les premiers
-connaître sur le continent la littérature épique
-de l'Irlande.</p>
-
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_627" id="Note_627"></a><a href="#NoteRef_627"><span class="label">[1]</span></a> Voyez plus haut, p. <a href="#Page_243">243&ndash;252</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_628" id="Note_628"></a><a href="#NoteRef_628"><span class="label">[2]</span></a> Brambach, <i>Corpus inscriptionum rhenarum</i>, n° 1784. Comparez
-les dédicaces à la déesse Abnoba qui est aussi une montagne, <i>ibid.</i>,
-1626, 1690; elle est appelée <i>Diana Abnoba</i>, n° 1654, et <i>Deana Abnoba</i>,
-n° 1683.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_629" id="Note_629"></a><a href="#NoteRef_629"><span class="label">[3]</span></a> Dans cette inscription, qui est le n° 589 de Brambach, on a
-écrit à tort <i>Ardbinna</i>; la bonne leçon, avec un <i>u</i> au lieu d'un <i>b</i> à la
-seconde syllabe, nous est conservée par une inscription de Rome,
-<i>Corpus inscriptionum latinarum</i>, tome VI, n° 46, et par une inscription
-d'origine incertaine publiée par de Wal, <i>Mythologiæ septentrionalis
-monumenta latina</i>, vol. I, n° <span class="smcap">xx</span>. Comparez la dédicace <i>sex
-arboribus</i>, Orelli, 2108.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_630" id="Note_630"></a><a href="#NoteRef_630"><span class="label">[4]</span></a> De Wal, <i>Mythologiæ septentrionalis monumenta latina</i>, vol. I,
-n° <span class="smcap">cccxlii</span>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_631" id="Note_631"></a><a href="#NoteRef_631"><span class="label">[5]</span></a> Voyez plus haut, <a href="#Page_250">p. 250</a>.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_632" id="Note_632"></a><a href="#NoteRef_632"><span class="label">[6]</span></a> Bulliot, dans la <i>Revue celtique</i>, tome I, p. 306. Comparez les
-dédicaces <i>deo Nemauso, deæ Noreiæ</i>, Orelli, 2032&ndash;2035.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_633" id="Note_633"></a><a href="#NoteRef_633"><span class="label">[7]</span></a> «Temair tor tuathach!» Troisième invocation d'Amairgen.
-Livre de Leinster, p. 13, col. 2, ligne 10.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_634" id="Note_634"></a><a href="#NoteRef_634"><span class="label">[8]</span></a> Je commettrais une ingratitude si je ne constatais pas les services
-que m'a rendus l'introduction mise en tête du Livre de Leinster
-par M. Robert Atkinson.</p></div>
-
-<div class="footnote">
-
-<p><a name="Note_635" id="Note_635"></a><a href="#NoteRef_635"><span class="label">[9]</span></a> M. J.-T. Gilbert.</p></div>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_391" id="Page_391">[Pg 391]</a></span></p>
-
-<h2><a id="CORRECTIONS"></a>CORRECTIONS ET ADDITIONS</h2>
-
-<p><a href="#Page_32">P. 32</a>, ligne 5. La syntaxe voudrait <i>cen-chuis</i> ou <i>cen-chossa</i>, mais
-le composé <i>Gri-cen-chos</i> est asyntactique, comme Tigernmas pour
-<i>Tigern-bais</i>. S'ils n'étaient asyntactiques, ces mots seraient indéclinables.</p>
-
-<p><a href="#Page_145">P. 145</a>, ligne 1. La déesse Dana est appelée<i> Ana, Anu</i> dans le <i>Glossaire</i>
-de Cormac, chez Whitley Stokes, <i>Three irish Glossaries</i>, p. 2, 6.
-Dans un texte cité par O'Davoren, <i>ibidem</i>, p. 49, on trouve <i>anann</i>
-(génitif de <i>anu</i>), qui est glosé par <i>imbith</i>, c'est-à-dire «d'abondance.»</p>
-
-<p><a href="#Page_153">P. 153</a>. <i>Nuadu</i> est employé comme nom commun, au génitif <i>nuadat</i>,
-dans le <i>Festin de Bricriu</i>, chez Windisch,<i> Irische Texte</i>, p. 289,
-ligne 12; et ce mot est glosé par <i>in rîg</i>, «du roi,» dans le <i>Leabhar
-na hUidhre</i>, Windisch, <i>Irische Texte</i>, p. 289, note.]</p>
-
-<hr class="chap" />
-
-<p><span class="pagenum"><a name="Page_392" id="Page_392">[Pg 392]</a></span></p>
-
-<p>
-<span class="pagenum"><a name="Page_393" id="Page_393">[Pg 393]</a></span></p>
-
-<h2><a id="INDEX"></a>INDEX ALPHABÉTIQUE</h2>
-
-<div class="ix">
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_A">A</a></span><br /></h3>
-<p>
-Abcan, fils de Becelmas, <a href="#Page_176">176</a>.<br />
-Aborigènes, <a href="#Page_291">291</a>.<br />
-Abraham, <a href="#Page_40">40</a>, <a href="#Page_41">41</a>.<br />
-Achéloüs, <a href="#Page_14">14</a>.<br />
-Achille, <a href="#Page_121">121</a>.<br />
-Accroupis (dieux), <a href="#Page_384">384</a>, <a href="#Page_385">385</a>.<br />
-Acrisios, roi d'Argos, <a href="#Page_207">207</a>, <a href="#Page_208">208</a>, <a href="#Page_210">210</a>, <a href="#Page_211">211</a>, <a href="#Page_217">217</a>.<br />
-Adam, <a href="#Page_67">67</a>, <a href="#Page_303">303</a>.<br />
-<i>Adsmerius (deus)</i>, <a href="#Page_383">383</a>.<br />
-Aedilfrid, roi des Northumbriens, <a href="#Page_334">334</a>, <a href="#Page_335">335</a>.<br />
-Aed Slane, roi d'Irlande, <a href="#Page_256">256</a>.<br />
-<i>Aenach Carmain</i>, <a href="#Page_6">6</a>.<br />
-<i>Æsus</i>, <a href="#Page_109">109</a>, <a href="#Page_380">380</a>.<br />
-Agamemnon, <a href="#Page_109">109</a>.<br />
-Age d'or, <a href="#Page_199">199</a>, <a href="#Page_200">200</a>. Voyez <i><a href="#Race_dor">Race d'or</a></i>.<br />
-Agnoman, père de Nemed, <a href="#Page_51">51</a>, <a href="#Page_52">52</a>, <a href="#Page_75">75</a>, <a href="#Page_88">88</a>, <a href="#Page_89">89</a>.<br />
-Ahi, <a href="#Page_99">99</a>.<br />
-Ahriman, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_387">387</a>.<br />
-Ai (Plaine d'), <a href="#Page_356">356</a>.<br />
-Aicil (Ile d') <a href="#Page_77">77</a>.<br />
-Aidan mac Gabrâin, <a href="#Page_333">333&ndash;336</a>.<br />
-Aïdès, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_18">18</a>, <a href="#Page_20">20</a>, <a href="#Page_121">121</a>, <a href="#Page_240">240</a>, <a href="#Page_371">371</a>.<br />
-Ailech, <a href="#Page_14">14</a>, <a href="#Page_235">235</a>.<br />
-Ailill, roi de Connaught, <a href="#Page_127">127</a>, <a href="#Page_128">128</a>, <a href="#Page_286">286&ndash;288</a>, <a href="#Page_299">299</a>.<br />
-Ain, fille de Partholon, <a href="#Page_34">34</a>, <a href="#Page_35">35</a>.<br />
-Air, <a href="#Page_251">251</a>.<br />
-Aja Ekapad, <a href="#Page_32">32</a>.<br />
-<i>Alaunus (Mercurius)</i>, <span class="smcap"><a href="#Page_vi">vi</a></span>.<br />
-Alcmène, <a href="#Page_294">294</a>.<br />
-Alcuin, <a href="#Page_229">229</a>.<br />
-Alexandre Polyhistor, <a href="#Page_347">347</a>.<br />
-Amairgen Glûngel, <a href="#Page_242">242&ndash;254</a>, <a href="#Page_256">256</a>, <a href="#Page_258">258&ndash;261</a>, <a href="#Page_389">389</a>.<br />
-Ambroisie, <a href="#Page_309">309</a>.<br />
-Amphitryon, <a href="#Page_294">294</a>.<br />
-Ange gardien, <a href="#Page_279">279</a>.<br />
-Annales des Quatre Maîtres, <a href="#Page_70"> 70</a><br />
-<span style="margin-left: 1em;">Voyez <i><a href="#Quatre_Maitres">Quatre Maîtres</a></i>.</span><br />
-Annenn, fils de Némed, <a href="#Page_90">90</a>.<br />
-Antrim, <a href="#Page_339">339</a>.<br />
-Aphrodite, <a href="#Page_186">186</a>.<br />
-Apollon, <span class="smcap"><a href="#Page_v">v</a>, <a href="#Page_vii">vi</a></span>, <a href="#Page_37">37</a>, <a href="#Page_99">99</a>, <a href="#Page_368">368</a>.<br />
-Araxe, fleuve, <a href="#Page_81">81</a>.<br />
-<a id="Arbres"></a>Arbres des dieux, <a href="#Page_274">274</a>, <a href="#Page_275">275</a>, <a href="#Page_302">302</a>, <a href="#Page_325">325</a>.<br />
-<span style="margin-left: 1em;">Voyez <i><a href="#Branches">Branches</a></i>.</span><br />
-Arc, <a href="#Page_190">190</a>, <a href="#Page_295">295</a>.<br />
-Ard-ladran, <a href="#Page_74">74</a>.<br />
-Ardlemnacht, <a href="#Page_265">265</a>.<br />
-Arduinna, déesse, <a href="#Page_388">388</a>.<br />
-Arès, <a href="#Page_186">186</a>. Voyez <i><a href="#Mars">Mars</a></i>.<br />
-Argeiphontès, <a href="#Page_201">201</a>, <a href="#Page_202">202</a>.<br />
-Argès, <a href="#Page_218">218</a>, <a href="#Page_370">370</a>.<br />
-Argos, ville, <a href="#Page_207">207</a>.<br />
-Argos ou Argus, <a href="#Page_201">201&ndash;203</a>.<br />
-Aristote, <a href="#Page_351">351</a>.<br />
-Artémis, <a href="#Page_37">37</a>.<br />
-Arthur, <a href="#Page_325">325</a>.<br />
-Arthur, fils de Bicur, <a href="#Page_337">337</a>.<br />
-Assemblées publiques d'Irlande, <a href="#Page_6">6</a>, <a href="#Page_304">304</a>.<br />
-Asura, <a href="#Page_15">15</a>.<br />
-<i>Atbalat</i>, «ils meurent,» <a href="#Page_225">225</a>.<br />
-Athènè, <a href="#Page_121">121</a>.<br />
-Athènes, <a href="#Page_202">202</a>.<br />
-Atlantique (Océan), <a href="#Page_19">19</a>.<br />
-Attique, <a href="#Page_14">14</a>.<br />
-<i>Atusmerius (deus Mercurius)</i>, <span class="smcap"><a href="#Page_vi">vi</a></span>, <a href="#Page_382">382</a>.<br />
-Auguste, empereur, <a href="#Page_81">81</a>, <a href="#Page_139">139</a>.<br />
-Augustin (Saint), <a href="#Page_336">336</a>, <a href="#Page_343">343</a>.<br />
-Autun, <a href="#Page_384">384</a>, <a href="#Page_385">385</a>.<br />
-Avallon (Ile d'), <a href="#Page_325">325</a>.<br />
-</p>
-<h3><span class="letter"><a name="ix_B">B</a></span></h3>
-<p>
-Babel, <a href="#Page_40">40</a>.<br />
-Badbgna, <a href="#Page_100">100</a>.<br />
-<a id="Balar"></a>Balar Balcbeimnech, chef des Fomôré, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_112">112</a>, <a href="#Page_137">137</a>, <a href="#Page_173">173</a>, <a href="#Page_174">174</a>, <a href="#Page_176">176</a>, <a href="#Page_182">182</a>, <a href="#Page_185">185&ndash;188</a>, <a href="#Page_197">197&ndash;219</a>, <a href="#Page_225">225</a>, <a href="#Page_294">294</a>, <a href="#Page_301">301</a>, <a href="#Page_304">304</a>, <a href="#Page_376">376</a>, <a href="#Page_379">379&ndash;381</a>, <a href="#Page_384">384</a>.<br />
-Balor Beimean, <a href="#Page_208">208&ndash;218</a>. Voyez <i><a href="#Balar">Balar</a></i>.<br />
-Baltique (Mer), <a href="#Page_83">83</a>.<br />
-Banba, <a href="#Page_68">68</a>, <a href="#Page_234">234</a>, <a href="#Page_254">254</a>, <a href="#Page_372">372</a>.<br />
-<i>Bar</i> «mer,» <a href="#Page_25">25</a>.<br />
-Barque de verre, <a href="#Page_119">119</a>,<br />
-Barques des morts, <a href="#Page_232">232</a>.<br />
-Barthélémy (Saint), <a href="#Page_25">25</a>.<br />
-Batailles mythologiques, <a href="#Page_14">14</a>, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_31">31</a>, <a href="#Page_32">32</a>, <a href="#Page_100">100</a>, <a href="#Page_101">101</a>, <a href="#Page_113">113&ndash;116</a>, <a href="#Page_121">121</a>, <a href="#Page_180">180&ndash;187</a>, <a href="#Page_260">260</a>, <a href="#Page_389">389</a>.<br />
-Bâth, <a href="#Page_25">25</a>, <a href="#Page_39">39</a>.<br />
-Beaune, <a href="#Page_386">386</a>.<br />
-Bède, <a href="#Page_41">41</a>, <a href="#Page_153">153</a>, <a href="#Page_324">324</a>.<br />
-Belach Conglas, <a href="#Page_116">116</a>.<br />
-<i>Belatucadros (Mars)</i>, <span class="smcap"><a href="#Page_vi">vi</a></span>, <a href="#Page_379">379</a>.<br />
-<i>Belenus (Apollo)</i>, <span class="smcap"><a href="#Page_vi">vi</a></span>.<br />
-Bélier, <a href="#Page_384">384</a>.<br />
-<i>Belisama (Minerva)</i>, <span class="smcap"><a href="#Page_vii">vii</a></span>.<br />
-Bellérophon, <a href="#Page_97">97</a>, <a href="#Page_99">99</a>, <a href="#Page_204">204&ndash;206</a>.<br />
-Belténé ou Beltiné, <a href="#Page_5">5</a>, <a href="#Page_38">38</a>, <a href="#Page_158">158</a>, <a href="#Page_180">180</a>, <a href="#Page_243">243</a>.<br />
-Beothach, <a href="#Page_56">56</a>.<br />
-Bethach, <a href="#Page_116">116</a>.<br />
-Beurre, <a href="#Page_308">308</a>, <a href="#Page_310">310</a>.<br />
-<i>Bibracte (Dea)</i>, <a href="#Page_389">389</a>.<br />
-Bière, <a href="#Page_303">303</a>, <a href="#Page_309">309</a>, <a href="#Page_318">318</a>, <a href="#Page_358">358</a>, <a href="#Page_360">360</a>, <a href="#Page_361">361</a>.<br />
-Bière de Goibniu ou des dieux, <a href="#Page_275">275</a>, <a href="#Page_277">277&ndash;279</a>.<br />
-Bilé, <a href="#Page_225">225</a>, <a href="#Page_230">230</a>, <a href="#Page_239">239</a>.<br />
-Bith, fils de Noé, <a href="#Page_67">67</a>, <a href="#Page_72">72&ndash;75</a>.<br />
-Blathmac, roi d'Irlande, fils d'Aed Slane, <a href="#Page_256">256</a>, <a href="#Page_296">296</a>.<br />
-Blé, <a href="#Page_102">102</a>, <a href="#Page_269">269</a>, <a href="#Page_290">290</a>, <a href="#Page_386">386</a>.<br />
-Boann, femme de Dagdé, <a href="#Page_271">271</a>, <a href="#Page_283">283</a>, <a href="#Page_284">284</a>, <a href="#Page_286">286</a>.<br />
-Bochra, fils de Lamech et père de Fintan, <a href="#Page_76">76</a>, <a href="#Page_81">81</a>.<br />
-Bodb, roi des <i>side</i> de Munster, <a href="#Page_285">285</a>, <a href="#Page_286">286</a>.<br />
-Bodhbh Dearg, <a href="#Page_276">276</a>.<br />
-Bœuf, <a href="#Page_386">386</a>.<br />
-Bois d'Irlande, <a href="#Page_296">296</a>.<br />
-Bois divinisés, <a href="#Page_250">250&ndash;252</a>, <a href="#Page_388">388</a>.<br />
-<i>Bolg</i>, «sac de cuir,» <a href="#Page_134">134</a>.<br />
-<i>Bona dea</i>, <a href="#Page_290">290&ndash;292</a>.<br />
-Bouclier, <a href="#Page_358">358</a>.<br />
-Bouddhique (Attitude), <a href="#Page_384">384</a>.<br />
-Boyne, rivière, <a href="#Page_115">115</a>, <a href="#Page_259">259</a>, <a href="#Page_270">270</a>, <a href="#Page_271">271</a>, <a href="#Page_280">280</a>, <a href="#Page_281">281</a>, <a href="#Page_340">340</a>.<br />
-Bracelets d'argent, <a href="#Page_342">342</a>.<br />
-Bragance, <a href="#Page_230">230</a>, <a href="#Page_231">231</a>.<br />
-Bran, fils de Febal, <a href="#Page_322">322&ndash;325</a>.<br />
-<a id="Branches"></a>Branches merveilleuses, <a href="#Page_323">323</a>, <a href="#Page_327">327&ndash;329</a>, <a href="#Page_331">331</a>, <a href="#Page_333">333</a>. Voyez <i><a href="#Arbres">Arbre</a></i>.<br />
-Breas, <a href="#Page_159">159&ndash;163</a>, <a href="#Page_168">168</a>.<br />
-Bregleith, <a href="#Page_312">312</a>, <a href="#Page_314">314</a>, <a href="#Page_319">319</a>, <a href="#Page_322">322</a>.<br />
-Brégon, <a href="#Page_229">229</a>, <a href="#Page_230">230</a>, <a href="#Page_233">233</a>, <a href="#Page_239">239</a>.<br />
-Brennus, <a href="#Page_148">148</a>, <a href="#Page_149">149</a>.<br />
-Bress mac Eladan, Fomôré, roi d'Irlande, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_145">145</a>, <a href="#Page_153">153</a>, <a href="#Page_154">154</a>, <a href="#Page_156">156</a>, <a href="#Page_167">167&ndash;172</a>, <a href="#Page_175">175</a>, <a href="#Page_182">182</a>, <a href="#Page_183">183</a>, <a href="#Page_198">198</a>, <a href="#Page_203">203</a>, <a href="#Page_204">204</a>, <a href="#Page_307">307</a>, <a href="#Page_373">373</a>, <a href="#Page_376">376</a>, <a href="#Page_381">381</a>, <a href="#Page_384">384</a>.<br />
-Bress, père de Lugaid, <a href="#Page_364">364</a>.<br />
-Bretagne (Ile de), <a href="#Page_232">232</a>. Voyez <i><a href="#Grande-Bretagne">Grande-Bretagne</a></i>.<br />
-Bretons, <a href="#Page_117">117</a>, <a href="#Page_134">134</a>, <a href="#Page_264">264</a>, <a href="#Page_337">337</a>.<br />
-Brîan, fils de Dana, <a href="#Page_145">145&ndash;149</a>, <a href="#Page_183">183</a>, <a href="#Page_372">372&ndash;374</a>.<br />
-<i>Briareos</i>, <a href="#Page_219">219</a>.<br />
-Bricriu le querelleur, <a href="#Page_295">295</a>, <a href="#Page_297">297</a>, <a href="#Page_298">298</a>.<br />
-<i>Brigantia</i>, déesse, <a href="#Page_146">146</a>, <a href="#Page_148">148</a>.<br />
-<i>Brigantia</i>, ville d'Espagne, <a href="#Page_230">230</a>.<br />
-<i>Brigindo</i>, déesse, <a href="#Page_146">146</a>.<br />
-Brigit, déesse, <a href="#Page_145">145&ndash;148</a>, <a href="#Page_182">182</a>, <a href="#Page_183">183</a>, <a href="#Page_372">372</a>.<br />
-Brigite (Sainte), <a href="#Page_145">145</a>.<br />
-Britan, <a href="#Page_116">116</a>.<br />
-Brontès, <a href="#Page_218">218</a>, <a href="#Page_370">370</a>.<br />
-<i>Brug Maic ind Oc</i>, <a href="#Page_270">270&ndash;280</a>.<br />
-<i>Brug na Boinne</i>, <a href="#Page_270">270&ndash;280</a>.<br />
-<a id="Buar-ainech"></a><i>Buar-ainech</i>, <a href="#Page_202">202&ndash;204</a>, <a href="#Page_384">384</a>, <a href="#Page_385">385</a>.<br />
-<i>Buide Conaill</i>, <a href="#Page_296">296</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_C">C</a></span></h3>
-<p>
-Cacus, <a href="#Page_212">212</a>, <a href="#Page_213">213</a>.<br />
-Cadmus, <a href="#Page_10">10</a>, <a href="#Page_121">121</a>.<br />
-Caer, fille d'Ethal Anbual, <a href="#Page_286">286&ndash;289</a>, <a href="#Page_312">312</a>.<br />
-Caillin (Saint), <a href="#Page_82">82</a>.<br />
-Cailté, <a href="#Page_338">338</a>, <a href="#Page_340">340&ndash;343</a>, <a href="#Page_345">345</a>, <a href="#Page_351">351</a>.<br />
-Caïn, <a href="#Page_92">92</a>, <a href="#Page_93">93</a>.<br />
-Calypso, fille d'Atlas, <a href="#Page_120">120</a>, <a href="#Page_366">366</a>.<br />
-<i>Camulus (Mars)</i>, <span class="smcap"><a href="#Page_vi">vi</a></span>.<br />
-Caragh (Rivière de), <a href="#Page_339">339</a>, <a href="#Page_340">340</a>.<br />
-Carell, <a href="#Page_49">49</a>, <a href="#Page_57">57</a>.<br />
-Carlingford (Lac de), <a href="#Page_240">240</a>.<br />
-Caspienne (Mer), <a href="#Page_87">87</a>, <a href="#Page_89">89</a>.<br />
-Catalogues de la littérature épique de l'Irlande, <a href="#Page_1">1&ndash;3</a>.<br />
-<i>Caturix (Mars)</i>, <span class="smcap"><a href="#Page_vi">vi</a></span>.<br />
-Celtchar, fils de Uithechar, <a href="#Page_295">295</a>.<br />
-Cenmare (Rivière de), <a href="#Page_38">38</a>.<br />
-<i>Cenn Cruach</i>, <a href="#Page_105">105</a>&ndash;113<br />
-Cennfaelad, archevêque d'Armagh, <a href="#Page_78">78</a>.<br />
-Cera, <a href="#Page_375">375</a>.<br />
-Cercueil de pierre, <a href="#Page_342">342</a>.<br />
-Cerf, <a href="#Page_386">386</a>.<br />
-Cermait, <a href="#Page_372">372</a>.<br />
-<i>Cernunnos</i>, <a href="#Page_385">385</a>.<br />
-César, <span class="smcap"><a href="#Page_v">v</a>, <a href="#Page_vii">vii</a>, <a href="#Page_viii">viii</a>, <a href="#Page_xi">xi</a></span>, <a href="#Page_110">110</a>, <a href="#Page_178">178</a>, <a href="#Page_304">304</a>, <a href="#Page_349">349</a>, <a href="#Page_351">351</a>, <a href="#Page_378">378</a>, <a href="#Page_382">382</a>.<br />
-Cessair, <span class="smcap"><a href="#Page_xii">xii</a></span>, <a href="#Page_64">64&ndash;75</a>, <a href="#Page_84">84</a>.<br />
-Cetnen, <a href="#Page_221">221</a>, <a href="#Page_222">222</a>.<br />
-Chaînes d'argent, <a href="#Page_195">195</a>, <a href="#Page_288">288</a>.<br />
-Chaînes d'or, <a href="#Page_288">288</a>.<br />
-Cham, <a href="#Page_81">81</a>, <a href="#Page_92">92</a>.<br />
-Chambre funéraire de Newgrange, <a href="#Page_273">273</a>.<br />
-Chanaan, <a href="#Page_94">94</a>.<br />
-Chant, <a href="#Page_283">283</a>, <a href="#Page_289">289</a>, <a href="#Page_297">297</a>, <a href="#Page_324">324</a>, <a href="#Page_325">325</a>.<br />
-<i>Charites</i>, <a href="#Page_371">371</a>.<br />
-Charlemagne, <a href="#Page_229">229</a>.<br />
-Chars, <a href="#Page_287">287</a>, <a href="#Page_295">295</a>, <a href="#Page_298">298</a>, <a href="#Page_323">323</a>, <a href="#Page_349">349</a>, <a href="#Page_364">364</a>, <a href="#Page_365">365</a>.<br />
-Chasse, <a href="#Page_295">295</a>.<br />
-Chevaux, des chefs gaulois, 349; cf. <a href="#Page_365">365</a>.<br />
-Chèvre, <a href="#Page_95">95</a>, <a href="#Page_97">97</a>, <a href="#Page_203">203</a>, <a href="#Page_384">384</a>.<br />
-Chimère, <a href="#Page_97">97</a>, <a href="#Page_205">205&ndash;207</a>.<br />
-<i>Chronicum Scotorum</i>, <a href="#Page_68">68</a>, <a href="#Page_69">69</a>, <a href="#Page_75">75</a>, <a href="#Page_228">228</a>.<br />
-Cîan, père de Lug, <a href="#Page_175">175</a>, <a href="#Page_373">373</a>.<br />
-Cicéron, <span class="smcap"><a href="#Page_vii">vii</a></span>.<br />
-Cichol Gri-cen-chos, <a href="#Page_32">32</a>, <a href="#Page_391">391</a>.<br />
-Ciel, <a href="#Page_237">237</a>.<br />
-<i>Cill Eithne</i>, <a href="#Page_282">282</a>.<br />
-Cimbaed, fils de Fintan, <a href="#Page_223">223</a>.<br />
-Cimetière de Brug na Boinné, <a href="#Page_271">271&ndash;273</a>.<br />
-Cinaed hûa Artacain, <a href="#Page_271">271</a>.<br />
-<i>Cin dromma Snechta</i>, <a href="#Page_68">68</a>.<br />
-Claude, empereur, <a href="#Page_381">381</a>.<br />
-Clément, grammairien irlandais, <a href="#Page_228">228</a>, <a href="#Page_229">229</a>.<br />
-Clothru, mère de Lugaid, <a href="#Page_364">364</a>, <a href="#Page_374">374</a>.<br />
-Cluny (Musée de), <a href="#Page_383">383</a>, <a href="#Page_385">385</a>.<br />
-Cnamros, <a href="#Page_100">100</a>.<br />
-Cochons de Manannân, <a href="#Page_330">330</a>, <a href="#Page_331">331</a>.<br />
-Cochons des dieux, <a href="#Page_275">275</a>, <a href="#Page_277">277&ndash;279</a>, <a href="#Page_330">330</a>, <a href="#Page_331">331</a>.<br />
-Collier d'argent, <a href="#Page_342">342</a>.<br />
-Colmân, fils de hûa Clûasaig, <a href="#Page_256">256</a>, <a href="#Page_257">257</a>, <a href="#Page_296">296</a>.<br />
-Columba (Saint) ou Colum Cille, <a href="#Page_47">47</a>, <a href="#Page_57">57</a>, <a href="#Page_59">59</a>, <a href="#Page_137">137</a>, <a href="#Page_154">154</a>, <a href="#Page_164">164</a>, <a href="#Page_175">175</a>.<br />
-Colum Cuaellemeach, <a href="#Page_176">176</a>.<br />
-Comyn (Michel), <a href="#Page_362">362</a>, <a href="#Page_363">363</a>, <a href="#Page_366">366</a>.<br />
-Conairé, roi suprême d'Irlande, <a href="#Page_322">322</a>.<br />
-Conall Cernach, <a href="#Page_295">295</a>, <a href="#Page_297">297</a>, <a href="#Page_298">298</a>.<br />
-Conann, fils de Fébar, <a href="#Page_14">14</a>, <a href="#Page_86">86</a>, <a href="#Page_101">101&ndash;122</a>, <a href="#Page_135">135</a>, <a href="#Page_209">209</a>, <a href="#Page_230">230</a>.<br />
-Conchobar, roi d'Ulster, <a href="#Page_4">4</a>, <a href="#Page_193">193</a>, <a href="#Page_224">224</a>, <a href="#Page_289">289</a>, <a href="#Page_295">295</a>, <a href="#Page_297">297&ndash;299</a>, <a href="#Page_304">304</a>, <a href="#Page_312">312</a>, <a href="#Page_323">323</a>, <a href="#Page_355">355</a>, <a href="#Page_374">374</a>.<br />
-Connaught, <a href="#Page_126">126</a>, <a href="#Page_127">127</a>, <a href="#Page_158">158</a>, <a href="#Page_165">165</a>, <a href="#Page_264">264</a>, <a href="#Page_286">286</a>, <a href="#Page_288">288</a>, <a href="#Page_356">356</a>, <a href="#Page_360">360</a>.<br />
-Conn Cêtchathach, <a href="#Page_301">301</a>, <a href="#Page_304">304</a>, <a href="#Page_326">326</a>, <a href="#Page_327">327</a>.<br />
-Connlé, fils de Conn, <a href="#Page_119">119</a>, <a href="#Page_192">192</a>.<br />
-Corbeaux, <a href="#Page_194">194</a>, <a href="#Page_195">195</a>, <a href="#Page_381">381</a>.<br />
-Corco Duibné, <a href="#Page_73">73</a>, <a href="#Page_233">233</a>.<br />
-Cormac mac Airt, <a href="#Page_81">81</a>, <a href="#Page_326">326&ndash;333</a>.<br />
-Corneilles, <a href="#Page_195">195</a>, <a href="#Page_196">196</a>.<br />
-Cornes à boire, <a href="#Page_358">358</a>, <a href="#Page_361">361</a>.<br />
-Cornus (Dieux), <a href="#Page_105">105</a>, <a href="#Page_203">203</a>, <a href="#Page_383">383&ndash;387</a>.<br />
-Corpré, <i>filé</i>, fils d'Etan, <a href="#Page_171">171</a>, <a href="#Page_172">172</a>, <a href="#Page_198">198</a>.<br />
-Corse, <a href="#Page_81">81</a>.<br />
-Coupe enchantée, <a href="#Page_332">332</a>, <a href="#Page_333">333</a>.<br />
-Courses de chevaux, <a href="#Page_139">139</a>.<br />
-Creidné, <a href="#Page_169">169</a>, <a href="#Page_177">177</a>, <a href="#Page_179">179</a>, <a href="#Page_181">181&ndash;184</a>, <a href="#Page_307">307</a>.<br />
-Crépuscule, <a href="#Page_202">202</a>, <a href="#Page_204">204</a>, <a href="#Page_386">386</a>.<br />
-Crète (Ile de), <a href="#Page_103">103</a>.<br />
-Crimthann Cas, roi de Connaught, <a href="#Page_356">356</a>, <a href="#Page_360">360</a>, <a href="#Page_361">361</a>.<br />
-Crimthann Nîa Nair, roi suprême d'Irlande, <a href="#Page_272">272</a>, <a href="#Page_364">364</a>.<br />
-Crimthan Sciathbel, <a href="#Page_264">264</a>, <a href="#Page_265">265</a>.<br />
-Croissant de la lune, <a href="#Page_104">104</a>, <a href="#Page_385">385</a>.<br />
-Crom Conaill, <a href="#Page_296">296</a>.<br />
-Cromm Crûach, <a href="#Page_105">105&ndash;113</a>, <a href="#Page_386">386</a>.<br />
-Crûachan, <a href="#Page_272">272</a>, <a href="#Page_288">288</a>.<br />
-Cruithnich ou Pictes, <a href="#Page_7">7</a>, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_264">264</a>.<br />
-Cûan hûa Lothchain, <a href="#Page_137">137</a>, <a href="#Page_139">139</a>.<br />
-Cûchulainn, <a href="#Page_4">4</a>, <a href="#Page_127">127</a>, <a href="#Page_128">128</a>, <a href="#Page_193">193</a>, <a href="#Page_195">195</a>, <a href="#Page_224">224</a>, <a href="#Page_289">289</a>, <a href="#Page_294">294</a>, <a href="#Page_299">299</a>, <a href="#Page_300">300</a>, <a href="#Page_312">312</a>, <a href="#Page_324">324&ndash;326</a>, <a href="#Page_355">355</a>, <a href="#Page_365">365</a>, <a href="#Page_366">366</a>, <a href="#Page_374">374</a>.<br />
-Cuil Cesra, <a href="#Page_74">74</a>.<br />
-<i>Cumal</i>, <a href="#Page_314">314</a>.<br />
-Curcog, fille de Manannân, <a href="#Page_278">278&ndash;280</a>.<br />
-Cycle mythologique irlandais, <a href="#Page_6">6&ndash;15</a>.<br />
-Cycles épiques irlandais, <a href="#Page_4">4</a>, <a href="#Page_5">5</a>.<br />
-Cyclopes, <a href="#Page_218">218</a>, <a href="#Page_219">219</a>, <a href="#Page_272">272</a>, <a href="#Page_370">370</a>, <a href="#Page_371">371</a>.<br />
-Cygnes, <a href="#Page_288">288</a>, <a href="#Page_289">289</a>, <a href="#Page_321">321</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_D">D</a></span></h3>
-
-<p>
-Dagan, <a href="#Page_269">269</a>. Voyez <i><a href="#Dagde">Dagdé</a></i>.<br />
-<a id="Dagde"></a>Dagdé, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_129">129</a>, <a href="#Page_145">145</a>, <a href="#Page_175">175</a>, <a href="#Page_178">178</a>, <a href="#Page_179">179</a>, <a href="#Page_182">182</a>, <a href="#Page_183">183</a>, <a href="#Page_190">190</a>, <a href="#Page_191">191</a>, <a href="#Page_221">221</a>, <a href="#Page_224">224</a>, <a href="#Page_233">233</a>, <a href="#Page_267">267&ndash;292</a>, <a href="#Page_294">294</a>, <a href="#Page_305">305</a>, <a href="#Page_306">306</a>, <a href="#Page_372">372</a>, <a href="#Page_375">375</a>.<br />
-Dana, mère des Tûatha Dê Danann, <a href="#Page_145">145</a>, <a href="#Page_147">147</a>, <a href="#Page_391">391</a>.<br />
-Danaé, <a href="#Page_207">207</a>, <a href="#Page_208">208</a>, <a href="#Page_211">211</a>, <a href="#Page_214">214</a>.<br />
-Danois, <a href="#Page_132">132</a>.<br />
-Danube, <a href="#Page_225">225</a>.<br />
-Dasyu, <a href="#Page_131">131</a>, <a href="#Page_174">174</a>.<br />
-Dechtéré, <a href="#Page_204">204</a>, <a href="#Page_295">295</a>, <a href="#Page_298">298</a>, <a href="#Page_299">299</a>, <a href="#Page_304">304</a>.<br />
-<i>Dêe Donand</i>, <a href="#Page_145">145</a>.<br />
-Dee (Rivière de), <a href="#Page_340">340</a>.<br />
-Degsa Stân, <a href="#Page_334">334</a>, <a href="#Page_335">335</a>.<br />
-<i>Dêi Dana</i>, <a href="#Page_145">145</a>.<br />
-<i>Dêi Danann</i>, <a href="#Page_149">149</a>.<br />
-Delbaeth, <a href="#Page_145">145</a>, <a href="#Page_221">221</a>, <a href="#Page_222">222</a>.<br />
-Delphes, <a href="#Page_147">147</a>, <a href="#Page_149">149</a>.<br />
-Démons, <a href="#Page_142">142</a>, <a href="#Page_143">143</a>, <a href="#Page_188">188</a>, <a href="#Page_253">253</a>, <a href="#Page_387">387</a>.<br />
-Denys d'Halicarnasse, <a href="#Page_380">380</a>.<br />
-Dergrêné, fille de Fiachna, <a href="#Page_359">359</a>, <a href="#Page_361">361</a>.<br />
-Dettes après la mort, <a href="#Page_349">349</a>.<br />
-Deucalion, <a href="#Page_14">14</a>.<br />
-<i>Dêva</i>, <a href="#Page_15">15</a>.<br />
-<i>Dêvos</i>, <a href="#Page_387">387</a>.<br />
-<i>Dîa</i>, <a href="#Page_387">387</a>.<br />
-Dîancecht, <a href="#Page_169">169</a>, <a href="#Page_175">175</a>, <a href="#Page_177">177</a>, <a href="#Page_307">307</a>, <a href="#Page_308">308</a>.<br />
-Diane scythique, <a href="#Page_109">109&ndash;111</a>.<br />
-Diarmait, roi d'Irlande, fils d'Aed Slane, <a href="#Page_256">256</a>, <a href="#Page_296">296</a>.<br />
-Diarmait, roi d'Irlande, fils de Cerball, <a href="#Page_47">47</a>, <a href="#Page_74">74</a>, <a href="#Page_77">77</a>, <a href="#Page_78">78</a>, <a href="#Page_82">82</a>.<br />
-Dieux cornus, <a href="#Page_99">99</a>, <a href="#Page_103">103</a>, <a href="#Page_203">203</a>, <a href="#Page_383">383&ndash;387</a>.<br />
-Dingle (Baie de), <a href="#Page_339">339</a>.<br />
-<i>Dinn-senchus</i>, <a href="#Page_107">107</a>, <a href="#Page_108">108</a>.<br />
-Diodore de Sicile, <a href="#Page_347">347</a>, <a href="#Page_377">377</a>.<br />
-Dis pater, <a href="#Page_104">104</a>, <a href="#Page_226">226</a>, <a href="#Page_381">381</a>.<br />
-Divitiacus, <a href="#Page_226">226</a>.<br />
-Dodone, <a href="#Page_14">14</a>.<br />
-Domna (Dieux de), <a href="#Page_128">128&ndash;131</a>, <a href="#Page_173">173</a>. Voyez <i><a href="#Fomore">Fomôré</a></i>.<br />
-Domna (hommes de). Voyez <i><a href="#Fir_Domnann">Fir-Domnann</a></i>.<br />
-Dona, mère des Tûatha Dê Danann, <a href="#Page_145">145</a>, <a href="#Page_147">147</a>.<br />
-Dond mac Nera, <a href="#Page_357">357</a>.<br />
-Donegore, <a href="#Page_339">339</a>.<br />
-Douaire, <a href="#Page_314">314</a>.<br />
-<i>Doué</i>, <a href="#Page_387">387</a>.<br />
-Dowth, <a href="#Page_272">272</a>.<br />
-Druides, <a href="#Page_177">177</a>, <a href="#Page_210">210</a>, <a href="#Page_214">214</a>, <a href="#Page_255">255</a>, <a href="#Page_258">258</a>, <a href="#Page_262">262</a>, <a href="#Page_302">302</a>, <a href="#Page_321">321</a>, <a href="#Page_322">322</a>, <a href="#Page_326">326</a>.<br />
-Druim Cain, <a href="#Page_255">255</a>.<br />
-Duald mac Firbis, <a href="#Page_129">129</a>, <a href="#Page_165">165</a>.<br />
-Dualisme, <a href="#Page_386">386</a>, <a href="#Page_387">387</a>.<br />
-Dub, <a href="#Page_179">179</a>.<br />
-Dubtar en Leinster, <a href="#Page_338">338</a>.<br />
-Dûn Maige Mell, <a href="#Page_356">356</a>, <a href="#Page_359">359</a>, <a href="#Page_361">361</a>.<br />
-Dûn na m-barc, <a href="#Page_73">73</a>.<br />
-Dûn tulcha, <a href="#Page_78">78</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_E">E</a></span></h3>
-
-<p>
-Eau, <a href="#Page_251">251</a>.<br />
-Eber Dond, fils de Milé, <a href="#Page_254">254&ndash;256</a>, <a href="#Page_258">258&ndash;261</a>.<br />
-Eber Find, fils de Milé, <a href="#Page_112">112</a>, <a href="#Page_261">261</a>.<br />
-Echecs, <a href="#Page_139">139</a>, <a href="#Page_315">315</a>, <a href="#Page_316">316</a>, <a href="#Page_319">319</a>, <a href="#Page_358">358</a>, <a href="#Page_364">364</a>.<br />
-Echiquier, <a href="#Page_316">316</a>.<br />
-Echu Buadach, <a href="#Page_223">223</a>.<br />
-Eclair, <a href="#Page_370">370</a>. Voyez <i><a href="#Mauvais_oeil">Mauvais œil</a></i>.<br />
-Ecosse, <a href="#Page_138">138</a>.<br />
-Ecriture ogamique, <a href="#Page_306">306</a>.<br />
-Egypte, <a href="#Page_40">40</a>, <a href="#Page_227">227</a>.<br />
-Egyptiens, <a href="#Page_229">229</a>.<br />
-Eithné, fille de l'intendant d'Elcmar, <a href="#Page_278">278</a>, <a href="#Page_282">282</a>.<br />
-Elada, <a href="#Page_306">306</a>.<br />
-Elcmar, <a href="#Page_277">277</a>, <a href="#Page_278">278</a>.<br />
-Elloth, <a href="#Page_130">130</a>.<br />
-<i>Elusion</i>, <a href="#Page_19">19</a>.<br />
-Emer, <a href="#Page_324">324</a>, <a href="#Page_326">326</a>.<br />
-En, fils d'Ethoman, <a href="#Page_176">176</a>.<br />
-Enée, <a href="#Page_291">291</a>, <a href="#Page_292">292</a>.<br />
-Enloch, <a href="#Page_356">356</a>.<br />
-Ennosigaios, <a href="#Page_371">371</a>.<br />
-Eochaid Airem, <a href="#Page_274">274</a>, <a href="#Page_314">314&ndash;322</a>.<br />
-Eochaid, fils de Sal Sreta, <a href="#Page_357">357</a>.<br />
-Eochaid hûa Flainn, <a href="#Page_22">22</a>, <a href="#Page_30">30</a>, <a href="#Page_31">31</a>, <a href="#Page_36">36</a>, <a href="#Page_39">39</a>, <a href="#Page_41">41</a>, <a href="#Page_68">68</a>, <a href="#Page_69">69</a>, <a href="#Page_102">102</a>, <a href="#Page_116">116</a>, <a href="#Page_142">142</a>, <a href="#Page_152">152</a>, <a href="#Page_174">174</a>, <a href="#Page_230">230</a>.<br />
-Eochaid mac Duach, <a href="#Page_136">136</a>, <a href="#Page_139">139</a>.<br />
-Eochaid mac Eirc, <a href="#Page_136">136</a>, <a href="#Page_137">137</a>, <a href="#Page_139">139</a>, <a href="#Page_163">163&ndash;165</a>, <a href="#Page_175">175</a>.<br />
-Epée de Téthra, <a href="#Page_188">188&ndash;190</a>.<br />
-Ephore, <a href="#Page_352">352</a>, <a href="#Page_353">353</a>.<br />
-Epidémie, <a href="#Page_256">256</a>, <a href="#Page_257">257</a>.<br />
-<i>Epil</i>, «il meurt,» <a href="#Page_225">225</a>.<br />
-Epinal, <a href="#Page_384">384</a>.<br />
-Erémon, fils de Milé, <a href="#Page_111">111</a>, <a href="#Page_260">260</a>, <a href="#Page_261">261</a>, <a href="#Page_264">264</a>, <a href="#Page_265">265</a>, <a href="#Page_280">280</a>.<br />
-Erglann, <a href="#Page_114">114</a>.<br />
-Eris, <a href="#Page_76">76</a>.<br />
-Eriu, <a href="#Page_68">68</a>, <a href="#Page_234">234</a>, <a href="#Page_254">254</a>, <a href="#Page_255">255</a>, <a href="#Page_259">259</a>, <a href="#Page_372">372</a>.<br />
-Eschyle, <a href="#Page_202">202</a>, <a href="#Page_207">207</a>.<br />
-Esclaves gaulois, <a href="#Page_349">349</a>.<br />
-<a id="Espagne"></a>Espagne, <a href="#Page_7">7</a>, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_19">19</a>, <a href="#Page_26">26</a>, <a href="#Page_29">29</a>, <a href="#Page_76">76</a>, <a href="#Page_85">85</a>, <a href="#Page_87">87</a>, <a href="#Page_117">117</a>, <a href="#Page_119">119</a>, <a href="#Page_133">133</a>, <a href="#Page_134">134</a>, <a href="#Page_137">137</a>, <a href="#Page_227">227</a>, <a href="#Page_228">228</a>, <a href="#Page_230">230</a>, <a href="#Page_231">231</a>, <a href="#Page_241">241</a>.<br />
-Esru, <a href="#Page_40">40</a>.<br />
-Esus, <a href="#Page_375">375</a>, <a href="#Page_380">380</a>, <a href="#Page_381">381</a>, <a href="#Page_384">384</a>, <a href="#Page_385">385</a>.<br />
-Etâin, femme d'Eochaid Airem, <a href="#Page_274">274</a>, <a href="#Page_312">312&ndash;322</a>, <a href="#Page_346">346</a>.<br />
-Etair, <a href="#Page_213">213</a>.<br />
-Etan, mère de Corpré, <a href="#Page_171">171</a>, <a href="#Page_307">307</a>.<br />
-Ethal Anbual, <a href="#Page_286">286&ndash;288</a>.<br />
-Ethné ou Ethniu, fille de Balar ou Balor, et mère de Lug, <a href="#Page_174">174</a>, <a href="#Page_200">200</a>, <a href="#Page_210">210</a>, <a href="#Page_214">214</a>, <a href="#Page_216">216</a>, <a href="#Page_218">218</a>, <a href="#Page_222">222</a>, <a href="#Page_300">300</a>, <a href="#Page_303">303</a>.<br />
-Ethné Ingubai, <a href="#Page_324">324</a>, <a href="#Page_325">325</a>.<br />
-Etoiles, <a href="#Page_201">201</a>.<br />
-Evandre, <a href="#Page_291">291</a>, <a href="#Page_292">292</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_F">F</a></span></h3>
-
-<p>
-Faînes, <a href="#Page_386">386</a>.<br />
-<i>Fal</i>, <a href="#Page_301">301</a>.<br />
-Fand, fille d'Aed Abrat, <a href="#Page_324">324&ndash;326</a>.<br />
-Fauna, <a href="#Page_290">290</a>, <a href="#Page_291">291</a>.<br />
-Faunus, <a href="#Page_291">291</a>.<br />
-<a id="Fees"></a>Fées, <a href="#Page_71">71</a>, <a href="#Page_214">214</a>. Voyez <i><a href="#Side">Sîde</a></i>.<br />
-Femmes (Succession par les), <a href="#Page_265">265</a>.<br />
-Fêné, <a href="#Page_39">39</a>, <a href="#Page_173">173</a>, <a href="#Page_228">228</a>.<br />
-Fenius Farsaid, <a href="#Page_39">39</a>, <a href="#Page_88">88</a>, <a href="#Page_89">89</a>, <a href="#Page_228">228</a>.<br />
-Fer, fils de Partholon, <a href="#Page_34">34</a>, <a href="#Page_35">35</a>.<br />
-Fercertné, <a href="#Page_193">193</a>.<br />
-Ferdiad, <a href="#Page_127">127</a>.<br />
-Fergnia, fils de Partholon, <a href="#Page_34">34</a>, <a href="#Page_35">35</a>.<br />
-Fergus Leth-derg, <a href="#Page_114">114</a>, <a href="#Page_115">115</a>.<br />
-Fergus mac Roig, <a href="#Page_295">295</a>.<br />
-<i>Fer legind</i>, <a href="#Page_256">256</a>.<br />
-Festin de Goibniu, <a href="#Page_277">277</a>, <a href="#Page_308">308</a>, <a href="#Page_309">309</a>.<br />
-Festins irlandais, <a href="#Page_170">170</a>.<br />
-Feth fiada, <a href="#Page_277">277</a>, <a href="#Page_278">278</a>, <a href="#Page_280">280</a>.<br />
-Fiachach Findgil, fils de Delbaeth, <a href="#Page_221">221</a>, <a href="#Page_222">222</a>.<br />
-Fiachna, fils de Delbaeth, <a href="#Page_222">222</a>.<br />
-Fiachna, fils de Reta, <a href="#Page_356">356&ndash;361</a>.<br />
-Fiachna Lurgan, <a href="#Page_333">333&ndash;337</a>, <a href="#Page_343">343</a>.<br />
-Fial, femme de Lugaid, <a href="#Page_253">253</a>, <a href="#Page_254">254</a>.<br />
-Fidchell, <a href="#Page_139">139</a>.<br />
-Fidga (hommes de), <a href="#Page_264">264</a>, <a href="#Page_265">265</a>.<br />
-<i>File</i>, <a href="#Page_6">6</a>, <a href="#Page_244">244&ndash;247</a>.<br />
-Find mac Cumaill, <a href="#Page_4">4</a>, <a href="#Page_337">337&ndash;339</a>, <a href="#Page_341">341</a>, <a href="#Page_342">342</a>, <a href="#Page_345">345</a>, <a href="#Page_346">346</a>, <a href="#Page_348">348</a>.<br />
-Finnên (saint), <a href="#Page_47">47&ndash;49</a>, <a href="#Page_56">56&ndash;59</a>.<br />
-Fintan, fils de Bochra, <a href="#Page_64">64&ndash;84</a>, <a href="#Page_157">157</a>.<br />
-Fir Bolg, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_54">54</a>, <a href="#Page_60">60</a>, <a href="#Page_75">75</a>, <a href="#Page_77">77</a>, <a href="#Page_117">117</a>, <a href="#Page_123">123&ndash;166</a>, <a href="#Page_173">173</a>, <a href="#Page_175">175</a>, <a href="#Page_262">262</a>, <a href="#Page_307">307</a>.<br />
-<a id="Fir_Domnann"></a>Fir Domnann, <a href="#Page_54">54</a>, <a href="#Page_60">60</a>, <a href="#Page_76">76</a>, <a href="#Page_123">123&ndash;166</a>, <a href="#Page_173">173</a>, <a href="#Page_262">262</a>.<br />
-<i>Fir Fidga</i>, <a href="#Page_264">264</a>, <a href="#Page_265">265</a>.<br />
-Flann Manistrech, <a href="#Page_130">130</a>, <a href="#Page_151">151</a>, <a href="#Page_152">152</a>, <a href="#Page_175">175</a>, <a href="#Page_180">180</a>, <a href="#Page_185">185</a>, <a href="#Page_221">221</a>, <a href="#Page_222">222</a>, <a href="#Page_267">267</a>, <a href="#Page_268">268</a>, <a href="#Page_373">373</a>.<br />
-Foires d'Irlande, <a href="#Page_138">138</a>.<br />
-<a id="Fomore"></a>Fomôré, <a href="#Page_14">14&ndash;16</a>, <a href="#Page_31">31</a>, <a href="#Page_32">32</a>, <a href="#Page_91">91&ndash;122</a>, <a href="#Page_128">128&ndash;131</a>, <a href="#Page_134">134</a>, <a href="#Page_137">137</a>, <a href="#Page_143">143</a>, <a href="#Page_166">166&ndash;219</a>, <a href="#Page_284">284</a>, <a href="#Page_355">355</a>, <a href="#Page_373">373</a>, <a href="#Page_376">376&ndash;381</a>.<br />
-<i>Forbais fer Fidga</i>, <a href="#Page_265">265</a>.<br />
-Forêts divinisées, <a href="#Page_250">250&ndash;282</a>, <a href="#Page_388">388</a>, <a href="#Page_389">389</a>.<br />
-Forgerons, <a href="#Page_176">176</a>, <a href="#Page_179">179</a>, <a href="#Page_181">181</a>, <a href="#Page_183">183</a>, <a href="#Page_184">184</a>, <a href="#Page_308">308&ndash;310</a>.<br />
-Forgoll, <i>file</i>, <a href="#Page_337">337&ndash;341</a>.<br />
-Fors, fils d'Electra, <a href="#Page_81">81</a>.<br />
-Fossés <a href="#Page_295">295</a>.<br />
-Fothad Airgtech, <a href="#Page_337">337</a>, <a href="#Page_338">338</a>, <a href="#Page_341">341</a>, <a href="#Page_342">342</a>.<br />
-Fotla, <a href="#Page_234">234</a>, <a href="#Page_254">254</a>, <a href="#Page_372">372</a>.<br />
-<a id="Foudre"></a>Foudre, <span class="smcap"><a href="#Page_x">x</a></span>, <a href="#Page_205">205</a>, <a href="#Page_206">206</a>, <a href="#Page_379">379</a>, <a href="#Page_380">380</a>.<br />
-Fronde, <a href="#Page_187">187</a>, <a href="#Page_364">364</a>.<br />
-Fuamnach, <a href="#Page_212">212</a>.<br />
-Funérailles celtiques, <a href="#Page_349">349</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_G">G</a></span></h3>
-
-<p>
-<i>Gabail int shida</i>, <a href="#Page_267">267</a>, <a href="#Page_269">269</a>, <a href="#Page_270">270</a>, <a href="#Page_274">274</a>, <a href="#Page_275">275</a>.<br />
-Gæsum, <a href="#Page_190">190</a>.<br />
-Galiôin ou Galiûin, <a href="#Page_54">54</a>, <a href="#Page_60">60</a>, <a href="#Page_75">75</a>, <a href="#Page_123">123&ndash;166</a>, <a href="#Page_173">173</a>, <a href="#Page_262">262</a>.<br />
-Garano-, «grue,» <a href="#Page_385">385</a>.<br />
-Gaule, <span class="smcap"><a href="#Page_v">v</a>, <a href="#Page_viii">viii</a>, <a href="#Page_xi">xi</a></span>, <a href="#Page_27">27</a>, <a href="#Page_146">146</a>, <a href="#Page_189">189</a>, <a href="#Page_232">232</a>, <a href="#Page_261">261&ndash;263</a>, <a href="#Page_358">358</a>, <a href="#Page_376">376&ndash;386</a>.<br />
-Gaulois, <a href="#Page_104">104</a>, <a href="#Page_147">147&ndash;149</a>, <a href="#Page_261">261&ndash;264</a>.<br />
-Gaulois d'Asie, <a href="#Page_377">377</a>.<br />
-Gavida, <a href="#Page_212">212</a>, <a href="#Page_216">216&ndash;218</a>.<br />
-Gyês, <a href="#Page_219">219</a>.<br />
-Géants, <a href="#Page_93">93&ndash;97</a>.<br />
-Généalogie, <a href="#Page_314">314</a>.<br />
-Genèse, <a href="#Page_61">61</a>.<br />
-Gend, <a href="#Page_100">100</a>.<br />
-Géryon, <a href="#Page_211">211&ndash;213</a>, <a href="#Page_371">371</a>, <a href="#Page_385">385</a>.<br />
-Gilla Coemain, <a href="#Page_126">126</a>, <a href="#Page_132">132</a>, <a href="#Page_133">133</a>, <a href="#Page_164">164</a>, <a href="#Page_168">168</a>, <a href="#Page_175">175</a>, <a href="#Page_200">200</a>, <a href="#Page_201">201</a>, <a href="#Page_220">220&ndash;224</a>, <a href="#Page_267">267</a>, <a href="#Page_268">268</a>, <a href="#Page_289">289</a>, <a href="#Page_372">372</a>.<br />
-Girauld de Cambrie, <a href="#Page_22">22</a>, <a href="#Page_61">61</a>, <a href="#Page_69">69</a>, <a href="#Page_95">95</a>.<br />
-Glands, <a href="#Page_386">386</a>.<br />
-Glas Gaivlen, <a href="#Page_212">212</a>, <a href="#Page_213">213</a>.<br />
-Glossaire de Cormac, <a href="#Page_375">375</a>.<br />
-<i>Goba</i>, «forgeron,» <a href="#Page_218">218</a>.<br />
-Goborchind, <a href="#Page_95">95</a>, <a href="#Page_96">96</a>, <a href="#Page_203">203</a>, <a href="#Page_384">384</a>.<br />
-Goibniu, <a href="#Page_179">179</a>, <a href="#Page_181">181&ndash;184</a>, <a href="#Page_277">277</a>, <a href="#Page_278">278</a>, <a href="#Page_308">308&ndash;310</a>.<br />
-Gôidel Glas, <a href="#Page_40">40</a>, <a href="#Page_88">88</a>.<br />
-Gôidels, <a href="#Page_127">127</a>, <a href="#Page_131">131</a>, <a href="#Page_143">143</a>, <a href="#Page_173">173</a>, <a href="#Page_224">224</a>, <a href="#Page_228">228</a>, <a href="#Page_272">272</a>.<br />
-Goll mac Duilb, <a href="#Page_350">350</a>, <a href="#Page_357">357</a>.<br />
-Gomer, fils de Japhet, <a href="#Page_39">39</a>, <a href="#Page_88">88</a>, <a href="#Page_89">89</a>, <a href="#Page_160">160</a>.<br />
-Grâces, <a href="#Page_371">371</a>.<br />
-<i>Graicos</i>, <a href="#Page_27">27</a>.<br />
-<a id="Grande-Bretagne"></a>Grande-Bretagne, <a href="#Page_7">7</a>, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_42">42</a>, <a href="#Page_134">134</a>, <a href="#Page_146">146</a>, <a href="#Page_231">231</a>, <a href="#Page_232">232</a>.<br />
-Grande Plaine (la), <a href="#Page_317">317</a>.<br />
-Grande Terre (la), <a href="#Page_317">317</a>, <a href="#Page_319">319</a>.<br />
-<i>Grannus</i> (Apollo), <span class="smcap"><a href="#Page_vi">vi</a></span>.<br />
-Grèce, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_14">14</a>, <a href="#Page_122">122</a>, <a href="#Page_134">134</a>, <a href="#Page_148">148</a>, <a href="#Page_389">389</a>.<br />
-<a id="Grecque"></a>Grecque (Mythologie), <a href="#Page_8">8&ndash;21</a>, <a href="#Page_24">24</a>, <a href="#Page_25">25</a>, <a href="#Page_45">45</a>, <a href="#Page_46">46</a>, <a href="#Page_96">96&ndash;99</a>, <a href="#Page_119">119&ndash;124</a>, <a href="#Page_197">197&ndash;208</a>, <a href="#Page_211">211&ndash;213</a>, <a href="#Page_217">217</a>, <a href="#Page_219">219</a>, <a href="#Page_236">236&ndash;240</a>, <a href="#Page_294">294</a>, <a href="#Page_366">366&ndash;371</a>.<br />
-Grecs, <a href="#Page_148">148</a>, <a href="#Page_201">201</a>, <a href="#Page_272">272</a>.<br />
-Grîan-ainech, surnom d'Ogmé, <a href="#Page_234">234</a>, <a href="#Page_306">306</a>.<br />
-Grues (trois), <a href="#Page_385">385</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_H">H</a></span></h3>
-
-<p>
-Haies, <a href="#Page_295">295</a>.<br />
-Harlem (Mer de), <a href="#Page_252">252</a>.<br />
-Harpe, <a href="#Page_190">190</a>, <a href="#Page_191">191</a>, <a href="#Page_283">283</a>.<br />
-Harpiste, <a href="#Page_176">176</a>.<br />
-Hécatée de Milet, <a href="#Page_264">264</a>.<br />
-Hélène, <a href="#Page_10">10</a>.<br />
-Héli, juge d'Israël, <a href="#Page_42">42</a>.<br />
-Hellen, <a href="#Page_237">237</a>.<br />
-Héphaistos, <a href="#Page_309">309</a>.<br />
-Héra, <a href="#Page_98">98</a>.<br />
-Héraclès ou Hercule, <a href="#Page_98">98</a>, <a href="#Page_99">99</a>, <a href="#Page_121">121</a>, <a href="#Page_190">190</a>, <a href="#Page_211">211</a>, <a href="#Page_212">212</a>, <a href="#Page_240">240</a>, <a href="#Page_294">294</a>, <a href="#Page_368">368</a>.<br />
-Hercule (colonnes d'), <a href="#Page_228">228</a>.<br />
-Hermès, <a href="#Page_200">200&ndash;202</a>, <a href="#Page_204">204</a>, <a href="#Page_218">218</a>, <a href="#Page_294">294</a>, <a href="#Page_381">381</a>.<br />
-Hésiode, <a href="#Page_8">8</a>, <a href="#Page_13">13</a>, <a href="#Page_16">16&ndash;18</a>, <a href="#Page_27">27</a>, <a href="#Page_37">37</a>, <a href="#Page_45">45</a>, <a href="#Page_125">125</a>, <a href="#Page_198">198</a>, <a href="#Page_206">206</a>, <a href="#Page_207">207</a>, <a href="#Page_238">238</a>, <a href="#Page_388">388</a>.<br />
-Hiver, <a href="#Page_231">231</a>, <a href="#Page_233">233</a>.<br />
-Hollande, <a href="#Page_352">352</a>.<br />
-Homère, <a href="#Page_206">206</a>, <a href="#Page_207">207</a>, <a href="#Page_368">368</a>. Voyez <i><a href="#Iliade">Iliade</a></i>, <i><a href="#Odyssee">Odyssée</a></i>.<br />
-Hongrie, <a href="#Page_224">224</a>.<br />
-Hydre de Lerne, <a href="#Page_98">98</a>.<br />
-Hydromel, <a href="#Page_318">318</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_I">I</a></span></h3>
-
-<p>
-Iain, fille de Partholon, <a href="#Page_34">34</a>, <a href="#Page_35">35</a>.<br />
-Iapétos, <a href="#Page_236">236&ndash;238</a>.<br />
-Iarbonel, <a href="#Page_56">56</a>, <a href="#Page_141">141</a>, <a href="#Page_143">143</a>.<br />
-<a id="Iliade"></a>Iliade, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_20">20</a>, <a href="#Page_201">201</a>, <a href="#Page_237">237</a>, <a href="#Page_260">260</a>.<br />
-Iles Britanniques, <a href="#Page_119">119</a>.<br />
-Immortalité des dieux, <a href="#Page_271">271</a>, <a href="#Page_275">275</a>.<br />
-Immortalité de l'âme, <a href="#Page_317">317</a>, <a href="#Page_318">318</a>, <a href="#Page_344">344&ndash;366</a>.<br />
-Inber Scêné, <a href="#Page_38">38</a>, <a href="#Page_41">41</a>, <a href="#Page_242">242</a>.<br />
-Incantations de saint Gall, <a href="#Page_308">308&ndash;310</a>.<br />
-Inde, <a href="#Page_279">279</a>.<br />
-Indech, Fomôré, fils du dieu de Domna, <a href="#Page_130">130</a>, <a href="#Page_153">153</a>, <a href="#Page_173">173</a>, <a href="#Page_176">176</a>, <a href="#Page_184">184</a>.<br />
-Indra, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_21">21</a>, <a href="#Page_370">370</a>.<br />
-Inondations mythologiques, <a href="#Page_13">13</a>, <a href="#Page_14">14</a>.<br />
-Io, <a href="#Page_105">105</a>, <a href="#Page_202">202</a>, <a href="#Page_203">203</a>.<br />
-Iolaüs, <a href="#Page_98">98</a>.<br />
-Iphigénie, <a href="#Page_109">109</a>.<br />
-Iraniens, <a href="#Page_387">387</a>.<br />
-Israël, <a href="#Page_227">227</a>.<br />
-Italie, <a href="#Page_148">148</a>.<br />
-Ith, fils de Brégon, <a href="#Page_230">230</a>, <a href="#Page_231">231</a>, <a href="#Page_233">233&ndash;236</a>, <a href="#Page_239">239</a>, <a href="#Page_241">241</a>.<br />
-Iuchair, fils de Dana, <a href="#Page_145">145</a>, <a href="#Page_373">373</a>, le même que le suivant.<br />
-Iuchar, fils de Dana, <a href="#Page_145">145</a>, <a href="#Page_183">183</a>, <a href="#Page_372">372&ndash;374</a>.<br />
-Iucharba, fils de Dana, <a href="#Page_145">145</a>, <a href="#Page_183">183</a>, <a href="#Page_373">373</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_J">J</a></span></h3>
-
-<p>
-Japhet, fils de Noé, <a href="#Page_39">39</a>, <a href="#Page_81">81</a>.<br />
-Jean Scot dit Eringène, <a href="#Page_247">247</a>, <a href="#Page_248">248</a>.<br />
-Jérôme (Saint), <a href="#Page_39">39</a>, <a href="#Page_42">42</a>, <a href="#Page_70">70</a>, <a href="#Page_153">153</a>.<br />
-Joug d'argent, <a href="#Page_195">195</a>.<br />
-Joug d'or, <a href="#Page_321">321</a>.<br />
-Jour, <a href="#Page_251">251</a>.<br />
-Jupiter, <span class="smcap"><a href="#Page_v">v</a>,<a href="#Page_vi">vi</a>, <a href="#Page_x">x</a></span>, <a href="#Page_189">189</a>, <a href="#Page_379">379</a>, <a href="#Page_380">380</a>, <a href="#Page_382">382</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_K">K</a></span></h3>
-
-<p>
-Keating, <a href="#Page_22">22</a>, <a href="#Page_71">71</a>, <a href="#Page_102">102</a>, <a href="#Page_290">290</a>.<br />
-Knowth, <a href="#Page_272">272</a>.<br />
-Kottos, <a href="#Page_219">219</a>.<br />
-Kronos, <a href="#Page_8">8&ndash;10</a>, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_16">16&ndash;20</a>, <a href="#Page_27">27</a>, <a href="#Page_120">120</a>, <a href="#Page_183">183</a>, <a href="#Page_198">198</a>, <a href="#Page_199">199</a>, <a href="#Page_201">201</a>, <a href="#Page_230">230</a>, <a href="#Page_237">237</a>, <a href="#Page_238">238</a>, <a href="#Page_371">371</a>, <a href="#Page_375">375</a>, <a href="#Page_380">380</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_L">L</a></span></h3>
-
-<p>
-Lacs divinisés, <a href="#Page_250">250&ndash;252</a>.<br />
-Ladru, <a href="#Page_73">73&ndash;75</a>.<br />
-La Guerche (Cher), <a href="#Page_384">384</a>.<br />
-Lait, <a href="#Page_102">102</a>, <a href="#Page_169">169</a>, <a href="#Page_265">265</a>, <a href="#Page_269">269</a>, <a href="#Page_279">279</a>, <a href="#Page_290">290</a>, <a href="#Page_318">318</a>, <a href="#Page_386">386</a>.<br />
-Lance de Mars, <a href="#Page_189">189</a>.<br />
-Laon, <a href="#Page_304">304</a>.<br />
-Larne (Rivière de), <a href="#Page_338">338</a>, <a href="#Page_340">340</a>.<br />
-Latone, <a href="#Page_37">37</a>.<br />
-<i>Lebar Gabala</i> ou Livre des Conquêtes, autrement dit des Invasions, <span class="smcap"><a href="#Page_xi">xi</a></span>, <a href="#Page_21">21</a>, <a href="#Page_40">40</a>, <a href="#Page_89">89</a>, <a href="#Page_276">276</a>.<br />
-Leinster, <a href="#Page_126">126</a>.<br />
-Ler, <a href="#Page_322">322</a>.<br />
-Lerne (Hydre de), <a href="#Page_98">98</a>.<br />
-Lestrygons, <a href="#Page_96">96</a>.<br />
-Leyde, <a href="#Page_304">304</a>.<br />
-Lidney, <a href="#Page_155">155</a>.<br />
-Liffey (Rivière de), <a href="#Page_340">340</a>.<br />
-Lion, <a href="#Page_37">37</a>, <a href="#Page_190">190</a>.<br />
-Livre des Conquêtes ou des Invasions, en irlandais <i>Lebar-Gabala</i>, <span class="smcap"><a href="#Page_xi">xi</a></span>, <a href="#Page_21">21</a>, <a href="#Page_87">87</a>, <a href="#Page_93">93</a>, <a href="#Page_95">95</a>, <a href="#Page_116">116</a>, <a href="#Page_173">173</a>, <a href="#Page_221">221</a>, <a href="#Page_228">228</a>, <a href="#Page_229">229</a>, <a href="#Page_256">256</a>, <a href="#Page_268">268</a>, <a href="#Page_388">388</a>.<br />
-Loch Rudraige, <a href="#Page_30">30</a>.<br />
-Loeg, cocher de Cûchulainn, <a href="#Page_325">325</a>, <a href="#Page_326">326</a>, <a href="#Page_365">365</a>, <a href="#Page_366">366</a>.<br />
-Loégairé, roi d'Irlande, <a href="#Page_251">251</a>.<br />
-Loégairé Liban, <a href="#Page_356">356&ndash;362</a>, <a href="#Page_365">365</a>.<br />
-Lothur, père de Lugaid, <a href="#Page_364">364</a>.<br />
-Lough Erne, <a href="#Page_14">14</a>.<br />
-Lough Neagh, <a href="#Page_13">13</a>.<br />
-Lucain, <a href="#Page_109">109</a>, <a href="#Page_110">110</a>, <a href="#Page_349">349</a>, <a href="#Page_351">351</a>, <a href="#Page_376">376</a>, <a href="#Page_380">380</a>.<br />
-Luchta, fils de Luchaid, <a href="#Page_176">176</a>.<br />
-Luchtiné, <a href="#Page_180">180&ndash;184</a>.<br />
-Lucien, <a href="#Page_176">176</a>, <a href="#Page_189">189</a>, <a href="#Page_190">190</a>, <a href="#Page_368">368</a>.<br />
-Lucrèce, <span class="smcap"><a href="#Page_vii">vii</a></span>.<br />
-Lug, dieu, <a href="#Page_137">137&ndash;139</a>, <a href="#Page_153">153</a>, <a href="#Page_174">174&ndash;180</a>, <a href="#Page_182">182</a>, <a href="#Page_183">183</a>, <a href="#Page_187">187</a>, <a href="#Page_190">190</a>, <a href="#Page_191">191</a>, <a href="#Page_195">195</a>, <a href="#Page_200">200</a>, <a href="#Page_201">201</a>, <a href="#Page_202">202</a>, <a href="#Page_204">204&ndash;207</a>, <a href="#Page_218">218</a>, <a href="#Page_221">221</a>, <a href="#Page_222">222</a>, <a href="#Page_224">224</a>, <a href="#Page_270">270</a>, <a href="#Page_271">271</a>, <a href="#Page_276">276</a>, <a href="#Page_293">293&ndash;305</a>, <a href="#Page_373">373</a>, <a href="#Page_381">381</a>.<br />
-Lugaid, fils d'Ith, <a href="#Page_253">253</a>.<br />
-Lugaid Sriab-derg, roi suprême d'Irlande, <a href="#Page_364">364</a>, <a href="#Page_374">374</a>, <a href="#Page_375">375</a>.<br />
-Lugidunum, <a href="#Page_305">305</a>.<br />
-Lugmag, <a href="#Page_305">305</a>.<br />
-Lugnasad, <a href="#Page_5">5</a>, <a href="#Page_138">138</a>.<br />
-Lugudunum, <a href="#Page_139">139</a>, <a href="#Page_304">304</a>, <a href="#Page_305">305</a>, <a href="#Page_381">381</a>.<br />
-Luguvallum, <a href="#Page_305">305</a>.<br />
-Lune, <a href="#Page_104">104</a>, <a href="#Page_203">203</a>, <a href="#Page_244">244</a>, <a href="#Page_251">251</a>, <a href="#Page_385">385</a>.<br />
-Lyon, <a href="#Page_139">139</a>, <a href="#Page_178">178</a>, <a href="#Page_304">304</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_M">M</a></span></h3>
-
-<p>
-Mac Cecht, <a href="#Page_221">221</a>, <a href="#Page_233">233&ndash;235</a>, <a href="#Page_255">255</a>, <a href="#Page_372">372</a>, <a href="#Page_373">373</a>.<br />
-Mac Cuill, <a href="#Page_175">175</a>, <a href="#Page_221">221</a>, <a href="#Page_233">233&ndash;235</a>, <a href="#Page_255">255</a>, <a href="#Page_372">372</a>, <a href="#Page_373">373</a>.<br />
-Mac Grêné, <a href="#Page_221">221</a>, <a href="#Page_233">233&ndash;235</a>, <a href="#Page_255">255</a>, <a href="#Page_372">372</a>, <a href="#Page_373">373</a>.<br />
-Mac ind Oc, <a href="#Page_270">270&ndash;289</a>.<br />
-Mac Kineely, <a href="#Page_212">212&ndash;217</a>.<br />
-Mac Lonan, <a href="#Page_196">196</a>.<br />
-Mac Samhthain, <a href="#Page_212">212</a>.<br />
-Maer, fille d'Eochaid le Muet, <a href="#Page_359">359</a>, <a href="#Page_361">361</a>.<br />
-Mag-Bilé, <a href="#Page_47">47</a>.<br />
-Mag cetné, <a href="#Page_102">102</a>.<br />
-Magie, <a href="#Page_287">287</a>.<br />
-Mag Itha, <a href="#Page_14">14</a>, <a href="#Page_31">31</a>, <a href="#Page_235">235</a>.<br />
-Mag mâr, <a href="#Page_28">28</a>. Voyez <i><a href="#Mag_mor">Mag môr</a></i>.<br />
-Mag meld ou Mag mell, <a href="#Page_28">28</a>, <a href="#Page_85">85</a>, <a href="#Page_359">359</a>, <a href="#Page_361">361</a>.<br />
-<a id="Mag_mor"></a>Mag môr, <a href="#Page_85">85</a>, <a href="#Page_136">136</a>, <a href="#Page_137">137</a>, <a href="#Page_175">175</a>.<br />
-Magog, fils de Japhet, <a href="#Page_39">39</a>, <a href="#Page_88">88</a>, <a href="#Page_89">89</a>, <a href="#Page_160">160</a>.<br />
-Mag Rein, <a href="#Page_159">159</a>.<br />
-Mag Slechta, <a href="#Page_106">106&ndash;108</a>, <a href="#Page_112">112</a>.<br />
-Mag-Tured (Batailles de), <a href="#Page_14">14</a>, <a href="#Page_16">16</a>, <a href="#Page_77">77</a>, <a href="#Page_112">112</a>, <a href="#Page_149">149&ndash;220</a>, <a href="#Page_304">304</a>, <a href="#Page_306">306&ndash;308</a>.<br />
-Mag-Tured Conga, <a href="#Page_162">162</a>.<br />
-Mag-Tured na bFomorach, <a href="#Page_162">162</a>.<br />
-Maine (Rivière de), <a href="#Page_340">340</a>.<br />
-Malva, <a href="#Page_228">228</a>.<br />
-Man (Ile de), <a href="#Page_138">138</a>.<br />
-Manannân mac Lir, <a href="#Page_276">276&ndash;279</a>, <a href="#Page_322">322&ndash;344</a>.<br />
-<i>Maponus</i> (Apollo), <span class="smcap"><a href="#Page_vi">vi</a></span>.<br />
-Marais, <a href="#Page_296">296</a>.<br />
-<a id="Mars"></a>Mars, <span class="smcap"><a href="#Page_v">v</a>,<a href="#Page_vi">vi</a>, <a href="#Page_x">x</a></span>, <a href="#Page_189">189</a>, <a href="#Page_378">378</a>.<br />
-Massue, <a href="#Page_383">383</a>.<br />
-Mathusalem, <a href="#Page_61">61</a>.<br />
-Mauritanie, <a href="#Page_228">228</a>.<br />
-<a id="Mauvais_oeil"></a>Mauvais œil, <a href="#Page_205">205</a>, <a href="#Page_209">209</a>, <a href="#Page_379">379</a>.<br />
-Medb, reine de Connaught, <a href="#Page_127">127</a>, <a href="#Page_128">128</a>, <a href="#Page_286">286</a>, <a href="#Page_288">288</a>, <a href="#Page_299">299</a>.<br />
-Médecine, <a href="#Page_307">307</a>, <a href="#Page_308">308</a>.<br />
-Médecins, <a href="#Page_283">283</a>, <a href="#Page_284">284</a>.<br />
-Méduse, <a href="#Page_206">206&ndash;208</a>.<br />
-Méla, <a href="#Page_88">88</a>.<br />
-<a id="Mercure"></a>Mercure, <span class="smcap"><a href="#Page_v">v&ndash;vii</a></span>, <a href="#Page_178">178</a>, <a href="#Page_218">218</a>, <a href="#Page_304">304</a>, <a href="#Page_381">381&ndash;383</a>.<br />
-Mer divinisée, <a href="#Page_250">250&ndash;252</a>.<br />
-Mer Noire, <a href="#Page_87">87</a>.<br />
-Mer Rouge, <a href="#Page_43">43</a>.<br />
-Métamorphoses, <a href="#Page_51">51&ndash;59</a>, <a href="#Page_62">62</a>, <a href="#Page_248">248</a>, <a href="#Page_288">288</a>, <a href="#Page_289">289</a>, <a href="#Page_321">321</a>.<br />
-Métempsycose, <a href="#Page_345">345&ndash;351</a>.<br />
-Michel Comyn, <a href="#Page_362">362</a>, <a href="#Page_363">363</a>, <a href="#Page_366">366</a>.<br />
-Midé (Province de), <a href="#Page_78">78</a>.<br />
-Mider, de Bregleith, <a href="#Page_274">274</a>, <a href="#Page_311">311&ndash;322</a>.<br />
-Milé, fils de Bilé, <a href="#Page_7">7</a>, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_224">224</a>, <a href="#Page_225">225</a>, <a href="#Page_228">228</a>, <a href="#Page_230">230</a>.<br />
-Milé (les fils de), <a href="#Page_7">7</a>, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_43">43</a>, <a href="#Page_56">56</a>, <a href="#Page_60">60</a>, <a href="#Page_76">76</a>, <a href="#Page_86">86</a>, <a href="#Page_118">118</a>, <a href="#Page_143">143</a>, <a href="#Page_200">200</a>, <a href="#Page_201">201</a>, <a href="#Page_220">220&ndash;265</a>, <a href="#Page_269">269</a>, <a href="#Page_290">290</a>, <a href="#Page_292">292</a>, <a href="#Page_301">301</a>, <a href="#Page_305">305</a>.<br />
-Miletumarus, <a href="#Page_224">224</a>, <a href="#Page_225">225</a>.<br />
-Minerve, <span class="smcap"><a href="#Page_v">v</a>, <a href="#Page_vii">vii</a></span>.<br />
-Mines d'or, <a href="#Page_200">200</a>.<br />
-Minotaure, <a href="#Page_98">98</a>, <a href="#Page_103">103</a>, <a href="#Page_105">105</a>.<br />
-<i>Moccus (Mercurius)</i>, <span class="smcap"><a href="#Page_vi">vi</a></span>.<br />
-Moïse, <a href="#Page_40">40</a>, <a href="#Page_72">72</a>.<br />
-Mongân, roi d'Ulster, <a href="#Page_63">63</a>, <a href="#Page_335">335&ndash;346</a>.<br />
-Montagnes divinisées, <a href="#Page_250">250&ndash;252</a>, <a href="#Page_388">388</a>, <a href="#Page_389">389</a>.<br />
-Montluçon, <a href="#Page_384">384</a>.<br />
-Moore (Thomas), <a href="#Page_71">71</a>.<br />
-More, fils de Délé, <a href="#Page_101">101</a>, <a href="#Page_114">114</a>, <a href="#Page_115">115</a>.<br />
-Mort, <a href="#Page_16">16</a>, <a href="#Page_32">32</a>, <a href="#Page_36">36</a>, <a href="#Page_113">113</a>, <a href="#Page_119">119</a>, <a href="#Page_121">121</a>, <a href="#Page_225">225</a>, <a href="#Page_226">226</a>, <a href="#Page_232">232</a>, <a href="#Page_317">317</a>, <a href="#Page_351">351&ndash;355</a>. Voyez <i><a href="#Espagne">Espagne</a></i>, <i><a href="#Fomore">Fomôré</a></i>.<br />
-Movilla, <a href="#Page_47">47</a>.<br />
-Munster, <a href="#Page_126">126</a>, <a href="#Page_169">169</a>, <a href="#Page_264">264</a>, <a href="#Page_285">285</a>.<br />
-Murbolg, <a href="#Page_100">100</a>.<br />
-Muredach Munderc, <a href="#Page_49">49</a>.<br />
-Musée, <a href="#Page_318">318</a>.<br />
-Musique, <a href="#Page_191">191</a>, <a href="#Page_283">283</a>, <a href="#Page_289">289</a>, <a href="#Page_323">323</a>, <a href="#Page_325">325</a>, <a href="#Page_327">327</a>, <a href="#Page_328">328</a>, <a href="#Page_331">331</a>, <a href="#Page_335">335</a>, <a href="#Page_358">358</a>, <a href="#Page_360">360</a>.<br />
-Mythologie grecque. Voyez <a href="#Grecque"><i>Grecque</i> (Mythologie)</a>.<br />
-Mythologie romaine, <i>v-vii</i>, <a href="#Page_212">212</a>, <a href="#Page_213">213</a>, <a href="#Page_289">289&ndash;292</a>. Voyez <i><a href="#Mercure">Mercure</a></i>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_N">N</a></span></h3>
-
-<p>
-Nains, <a href="#Page_92">92</a>, <a href="#Page_93">93</a>.<br />
-Nair, <a href="#Page_364">364</a>.<br />
-Nar, père de Lugaid, <a href="#Page_364">364</a>.<br />
-Naturalisme celtique, <a href="#Page_249">249&ndash;252</a>, <a href="#Page_387">387&ndash;389</a>.<br />
-Nectar, <a href="#Page_309">309</a>.<br />
-Nédé, fils d'Adné, <a href="#Page_193">193</a>, <a href="#Page_194">194</a>.<br />
-Nêit, dieu de la guerre, <a href="#Page_14">14</a>, <a href="#Page_168">168</a>, <a href="#Page_234">234</a>.<br />
-Nêl, <a href="#Page_40">40</a>, <a href="#Page_88">88</a>.<br />
-Nemed, <a href="#Page_7">7</a>, <a href="#Page_11">11</a>, <a href="#Page_14">14</a>, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_46">46</a>, <a href="#Page_51">51&ndash;53</a>, <a href="#Page_60">60</a>, <a href="#Page_75">75</a>, <a href="#Page_84">84&ndash;122</a>, <a href="#Page_124">124</a>, <a href="#Page_125">125</a>, <a href="#Page_132">132</a>, <a href="#Page_134">134</a>, <a href="#Page_141">141</a>, <a href="#Page_143">143</a>, <a href="#Page_164">164</a>, <a href="#Page_209">209</a>, <a href="#Page_355">355</a>.<br />
-Nennius, <a href="#Page_22">22</a>, <a href="#Page_25">25</a>, <a href="#Page_26">26</a>, <a href="#Page_29">29</a>, <a href="#Page_42">42</a>, <a href="#Page_44">44</a>, <a href="#Page_66">66</a>, <a href="#Page_69">69</a>, <a href="#Page_85">85</a>, <a href="#Page_86">86</a>, <a href="#Page_117">117&ndash;119</a>, <a href="#Page_133">133</a>.<br />
-Neuf vagues, <a href="#Page_256">256&ndash;258</a>.<br />
-Newgrange, <a href="#Page_272">272</a>, <a href="#Page_273">273</a>.<br />
-Nîall Aux-neuf-otages, <a href="#Page_78">78</a>.<br />
-Niobé, <a href="#Page_37">37</a>.<br />
-<i>Nodens, Nodons</i>, dieu romano-breton, <a href="#Page_155">155</a>.<br />
-Noé, <a href="#Page_67">67</a>.<br />
-Nûadu Argatlâm, <a href="#Page_153">153&ndash;156</a>, <a href="#Page_163">163</a>, <a href="#Page_168">168</a>, <a href="#Page_169">169</a>, <a href="#Page_172">172</a>, <a href="#Page_175">175</a>, <a href="#Page_180">180</a>, <a href="#Page_185">185&ndash;187</a>, <a href="#Page_209">209</a>, <a href="#Page_307">307</a>, <a href="#Page_391">391</a>.<br />
-<i>Nudens</i>, dieu romano-breton, <a href="#Page_155">155</a>.<br />
-Nuit, <a href="#Page_233">233</a>, <a href="#Page_251">251</a>. Voyez <i><a href="#Fomore">Fomôré</a></i>.<br />
-Numa Pompilius, <a href="#Page_296">296</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_O">O</a></span></h3>
-
-<p>
-<i>Obriareôs</i>, <a href="#Page_219">219</a>.<br />
-<a id="Odyssee"></a>Odyssée, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_19">19</a>, <a href="#Page_20">20</a>, <a href="#Page_120">120</a>, <a href="#Page_260">260</a>.<br />
-Odusseus, ou Ulysse, <a href="#Page_204">204</a>.<br />
-Œdipe, <a href="#Page_10">10</a>.<br />
-Œil de Balor, <a href="#Page_209">209</a>, <a href="#Page_217">217</a>.<br />
-Œil (Mauvais), <a href="#Page_205">205</a>, <a href="#Page_209">209</a>.<br />
-Oengus, fils de Dagdé, <a href="#Page_270">270&ndash;289</a>, <a href="#Page_312">312</a>, <a href="#Page_313">313</a>.<br />
-Ogamique (Ecriture), <a href="#Page_306">306</a>, <a href="#Page_342">342</a>.<br />
-Ogma, Ogmé, ou Ogmios, <a href="#Page_129">129</a>, <a href="#Page_130">130</a>, <a href="#Page_176">176</a>, <a href="#Page_185">185</a>, <a href="#Page_188">188&ndash;191</a>, <a href="#Page_234">234</a>, <a href="#Page_270">270</a>, <a href="#Page_271">271</a>, <a href="#Page_276">276</a>, <a href="#Page_306">306</a>, <a href="#Page_307">307</a>, <a href="#Page_368">368</a>.<br />
-Ogygès, <a href="#Page_14">14</a>.<br />
-Ogygie, <a href="#Page_120">120</a>.<br />
-Oiseaux, <a href="#Page_194">194&ndash;196</a>, <a href="#Page_288">288</a>, <a href="#Page_289">289</a>, <a href="#Page_294">294</a>, <a href="#Page_295">295</a>, <a href="#Page_297">297</a>, <a href="#Page_321">321</a>, <a href="#Page_381">381</a>.<br />
-Ollarbé, rivière, <a href="#Page_338">338</a>, <a href="#Page_340">340</a>.<br />
-Olympe, <a href="#Page_8">8</a>, <a href="#Page_9">9</a>.<br />
-Ombres, les morts, <a href="#Page_119">119</a>.<br />
-Oreades (Iles), <a href="#Page_42">42</a>.<br />
-Ormazd, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_3">3&ndash;87</a>.<br />
-Orphée, <a href="#Page_351">351</a>.<br />
-Ossin, ou Ossian, <a href="#Page_4">4</a>, <a href="#Page_362">362</a>, <a href="#Page_363">363</a>.<br />
-Ovide, <a href="#Page_125">125</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_P">P</a></span></h3>
-
-<p>
-Palais magiques, <a href="#Page_270">270</a>, <a href="#Page_273">273</a>, <a href="#Page_274">274</a>, <a href="#Page_276">276</a>, <a href="#Page_277">277</a>, <a href="#Page_298">298</a>, <a href="#Page_302">302</a>, <a href="#Page_303">303</a>, <a href="#Page_322">322</a>, <a href="#Page_330">330</a>, <a href="#Page_332">332</a>, voyez <i><a href="#Sid">Sîd</a></i>.<br />
-Palestine, <a href="#Page_94">94</a>.<br />
-Pandore, <a href="#Page_27">27</a>.<br />
-Pannonie inférieure, <a href="#Page_224">224</a>.<br />
-Panthéisme celtique, <a href="#Page_243">243&ndash;249</a>, <a href="#Page_388">388</a>.<br />
-Partholon, <a href="#Page_7">7</a>, <a href="#Page_11">11</a>, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_24">24&ndash;44</a>, <a href="#Page_46">46</a>, <a href="#Page_49">49</a>, <a href="#Page_50">50</a>, <a href="#Page_60">60</a>, <a href="#Page_65">65&ndash;67</a>, <a href="#Page_75">75</a>, <a href="#Page_82">82</a>, <a href="#Page_89">89</a>, <a href="#Page_92">92</a>, <a href="#Page_124">124</a>, <a href="#Page_158">158</a>, <a href="#Page_355">355</a>.<br />
-Patrice (Saint), <a href="#Page_57">57</a>, <a href="#Page_59">59</a>, <a href="#Page_82">82</a>, <a href="#Page_105">105&ndash;108</a>, <a href="#Page_153">153</a>, <a href="#Page_280">280&ndash;282</a>, <a href="#Page_284">284</a>, <a href="#Page_310">310</a>.<br />
-Peintres grecs, <a href="#Page_368">368</a>.<br />
-Pélée <a href="#Page_121">121</a>.<br />
-Persée, <a href="#Page_206">206&ndash;208</a>, <a href="#Page_210">210</a>, <a href="#Page_211">211</a>, <a href="#Page_217">217</a>.<br />
-Phaéton, <a href="#Page_368">368</a>.<br />
-Pharaon, <a href="#Page_88">88</a>.<br />
-Phéniciens, <a href="#Page_19">19</a>.<br />
-Phidias, <a href="#Page_368">368</a>.<br />
-Philistins, <a href="#Page_228">228</a>.<br />
-Phoibos, <a href="#Page_204">204</a>.<br />
-Pictes, <a href="#Page_7">7</a>, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_42">42</a>, <a href="#Page_264">264</a>, <a href="#Page_265">265</a>.<br />
-Pierre solaire, <a href="#Page_202">202</a>.<br />
-Pindare, <a href="#Page_19">19</a>, <a href="#Page_121">121</a>, <a href="#Page_198">198</a>, <a href="#Page_230">230</a>, <a href="#Page_238">238</a>.<br />
-Platon, <a href="#Page_20">20</a>, <a href="#Page_318">318</a>.<br />
-Plutarque, <a href="#Page_231">231</a>, <a href="#Page_351">351</a>.<br />
-Pomponius Méla, <a href="#Page_88">88</a>, <a href="#Page_381">381</a>.<br />
-Pont-Euxin, <a href="#Page_87">87</a>, <a href="#Page_88">88</a>.<br />
-Port-a-deilg, <a href="#Page_215">215</a>.<br />
-Port na Glaise, <a href="#Page_213">213</a>.<br />
-Poseidaôn, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_204">204</a>, <a href="#Page_371">371</a>.<br />
-Postumus, roi des Latins, <a href="#Page_42">42</a>.<br />
-Préceltiques (Races), <a href="#Page_126">126</a>, <a href="#Page_127">127</a>, <a href="#Page_131">131</a>, <a href="#Page_173">173</a>, <a href="#Page_174">174</a>.<br />
-Procope, <a href="#Page_231">231</a>, <a href="#Page_351">351</a>.<br />
-<i>Proitos</i>, <a href="#Page_208">208</a>.<br />
-Prométhée ou <i>Promêtheus</i>, <a href="#Page_237">237&ndash;240</a>.<br />
-Promesse (Terre de la), ou Terre promise, <a href="#Page_327">327</a>, <a href="#Page_331">331</a>.<br />
-Ptolémée, fils de Lagus, <a href="#Page_223">223</a>.<br />
-Pythagore, <a href="#Page_347">347</a>, <a href="#Page_348">348</a>, <a href="#Page_350">350</a>.<br />
-Python, <a href="#Page_98">98</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_Q">Q</a></span></h3>
-
-<p>
-Quartio, fils de Miletumarus, <a href="#Page_224">224</a>.<br />
-<a id="Quatre_Maitres"></a>Quatre Maîtres, <a href="#Page_221">221</a>, <a href="#Page_290">290</a>, <a href="#Page_338">338</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_R">R</a></span></h3>
-
-<p>
-Race d'airain, <a href="#Page_9">9</a>, <a href="#Page_11">11</a>, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_45">45</a>, <a href="#Page_46">46</a>, <a href="#Page_123">123</a>, <a href="#Page_124">124</a>.<br />
-Race d'argent, <a href="#Page_9">9</a>, <a href="#Page_11">11</a>, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_24">24</a>, <a href="#Page_25">25</a>, <a href="#Page_45">45</a>, <a href="#Page_46">46</a>, <a href="#Page_123">123</a>, <a href="#Page_124">124</a>.<br />
-<a id="Race_dor"></a>Race d'or, <a href="#Page_8">8</a>, <a href="#Page_11">11</a>, <a href="#Page_45">45</a>, <a href="#Page_46">46</a>, <a href="#Page_123">123&ndash;125</a>, <a href="#Page_198">198&ndash;200</a>.<br />
-Raith, <a href="#Page_90">90</a>.<br />
-Rathmôr Maige Linni, <a href="#Page_334">334</a>, <a href="#Page_335">335</a>.<br />
-Reims, <a href="#Page_386">386</a>.<br />
-Revenants, <a href="#Page_345">345</a>.<br />
-Rhadamanthus, <a href="#Page_19">19</a>.<br />
-Rhin, <a href="#Page_263">263</a>.<br />
-Rhiphées (Monts), <a href="#Page_88">88</a>.<br />
-Rivières divinisées, <a href="#Page_250">250&ndash;252</a>, <a href="#Page_388">388</a>, <a href="#Page_389">389</a>.<br />
-Romaine (Mythologie), <span class="smcap"><a href="#Page_v">v&ndash;vii</a></span>, <a href="#Page_212">212</a>, <a href="#Page_113">113</a>, <a href="#Page_289">289&ndash;292</a>. Voyez <i><a href="#Mercure">Mercure</a></i>.<br />
-Rome, <a href="#Page_147">147&ndash;149</a>, <a href="#Page_389">389</a>.<br />
-Rosmerta, <a href="#Page_383">383</a>.<br />
-Rouge (Mer), <a href="#Page_43">43</a>, <a href="#Page_227">227</a>.<br />
-Rûadan, <a href="#Page_182">182&ndash;84</a>.<br />
-Rûad Rofhessa, <a href="#Page_375">375</a>.<br />
-Rudraige, <a href="#Page_30">30</a>, <a href="#Page_133">133</a>.<br />
-Rusicada, <a href="#Page_228">228</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_S">S</a></span></h3>
-
-<p>
-Sabd Il-dânach, <a href="#Page_178">178</a>.<br />
-Sacrifices humains, <a href="#Page_107">107&ndash;111</a>, <a href="#Page_376">376&ndash;381</a>, <a href="#Page_386">386</a>.<br />
-Saint-Bertrand-de-Comminges, <a href="#Page_304">304</a>.<br />
-Saint-Gall (Bibliothèque de), <a href="#Page_308">308</a>.<br />
-Samain, <a href="#Page_5">5</a>, <a href="#Page_102">102</a>, <a href="#Page_112">112</a>, <a href="#Page_180">180</a>.<br />
-Sanglier, <a href="#Page_190">190</a>.<br />
-Satire, <a href="#Page_171">171</a>, <a href="#Page_172">172</a>.<br />
-Saturne, <a href="#Page_380">380</a>.<br />
-<i>Scâl</i>, <a href="#Page_303">303</a>.<br />
-Scandinaves, <a href="#Page_132">132</a>.<br />
-Scêné <a href="#Page_242">242</a>.<br />
-Scôta, fille de Pharaon, <a href="#Page_40">40</a>, <a href="#Page_88">88</a>, <a href="#Page_89">89</a>, <a href="#Page_228">228</a>.<br />
-Scots, <a href="#Page_26">26</a>, <a href="#Page_40">40</a>, <a href="#Page_42">42</a>, <a href="#Page_85">85</a>, <a href="#Page_127">127</a>, <a href="#Page_131">131</a>, <a href="#Page_173">173</a>, <a href="#Page_224">224</a>, <a href="#Page_227">227</a>, <a href="#Page_228">228</a>, <a href="#Page_272">272</a>.<br />
-Sculpture grecque, <a href="#Page_368">368</a>.<br />
-Scythie, <a href="#Page_87">87</a>, <a href="#Page_89">89</a>, <a href="#Page_227">227</a>.<br />
-Semion, fils d'Erglann, <a href="#Page_116">116</a>.<br />
-Semion, fils de Stariat, <a href="#Page_54">54</a>, <a href="#Page_133">133</a>.<br />
-Semul, <a href="#Page_114">114</a>.<br />
-<i>Senchas na relec</i>, <a href="#Page_271">271</a>, <a href="#Page_276">276</a>.<br />
-<i>Senchus Môr</i>, <a href="#Page_3">3</a>, <a href="#Page_34">34</a>, <a href="#Page_35">35</a>, <a href="#Page_100">100</a>, <a href="#Page_228">228</a>.<br />
-Sengand, <a href="#Page_100">100</a>.<br />
-Sen-mag, <a href="#Page_30">30</a>.<br />
-<i>Sequana</i>, déesse, <a href="#Page_388">388</a>.<br />
-Sera, père de Partholon et de Starn, <a href="#Page_40">40</a>, <a href="#Page_49">49</a>.<br />
-Sériphe, <a href="#Page_208">208</a>.<br />
-Serment, <a href="#Page_208">208</a>.<br />
-Serpent mythologique, <a href="#Page_97">97</a>, <a href="#Page_383">383&ndash;386</a>.<br />
-Severn, rivière, <a href="#Page_155">155</a>, <a href="#Page_185">185</a>.<br />
-<i>Siabra</i>, <a href="#Page_143">143</a>.<br />
-<a id="Sid"></a><i>Sîd</i>, <a href="#Page_267">267</a>, <a href="#Page_268">268</a>, <a href="#Page_274">274</a>, <a href="#Page_285">285</a>, <a href="#Page_286">286</a>, <a href="#Page_306">306</a>, <a href="#Page_312">312</a>.<br />
-<a id="Side"></a><i>Sîde</i>, <a href="#Page_283">283</a>, <a href="#Page_285">285</a>, <a href="#Page_312">312</a>, <a href="#Page_323">323</a>. Voyez <i><a href="#Fees">Fées</a></i>.<br />
-<i>Sîd</i> des hommes de Femen, <a href="#Page_285">285</a>.<br />
-<i>Sîd</i> Uaman, <a href="#Page_286">286</a>.<br />
-<i>Silentes</i> de la poésie latine, <a href="#Page_120">120</a>.<br />
-Simonide, <a href="#Page_208">208</a>.<br />
-Slane, roi des Galiôin, <a href="#Page_133">133</a>.<br />
-Slaney, rivière, <a href="#Page_264">264</a>.<br />
-Slîab Betha, <a href="#Page_74">74</a>.<br />
-Slîab Mis, <a href="#Page_253">253</a>.<br />
-Slieve Mish, <a href="#Page_253">253</a>, <a href="#Page_254">254</a>.<br />
-Smerius, ou Smertus, <a href="#Page_383">383</a>.<br />
-Smertomara, <a href="#Page_383">383</a>,<br />
-Smertulitanus, <a href="#Page_383">383</a>.<br />
-Soirées d'hiver, <a href="#Page_231">231</a>, <a href="#Page_233">233</a>.<br />
-Soleil, <a href="#Page_202">202</a>, <a href="#Page_205">205</a>, <a href="#Page_244">244</a>, <a href="#Page_251">251</a>.<br />
-Sommeil produit par la musique, <a href="#Page_191">191</a>, <a href="#Page_289">289</a>, <a href="#Page_328">328</a>, <a href="#Page_328">328</a>.<br />
-Sophocle, <a href="#Page_208">208</a>.<br />
-Sreng, <a href="#Page_159">159&ndash;162</a>, <a href="#Page_168">168</a>.<br />
-Starn, fils de Sera, <a href="#Page_49">49</a>, <a href="#Page_59">59</a>.<br />
-Stéropès, <a href="#Page_218">218</a>, <a href="#Page_370">370</a>.<br />
-Styx, <a href="#Page_121">121</a>.<br />
-Sualtam, <a href="#Page_294">294</a>, <a href="#Page_299">299</a>.<br />
-Succession par les femmes, <a href="#Page_265">265</a>.<br />
-<i>Suil Baloir</i>, <a href="#Page_209">209</a>.<br />
-<i>Sulis</i> (Minerva), <span class="smcap"><a href="#Page_vii">vii</a></span>.<br />
-Syrie, <a href="#Page_228">228</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_T">T</a></span></h3>
-
-<p>
-Taliésin, <a href="#Page_62">62</a>, <a href="#Page_63">63</a>, <a href="#Page_245">245</a>.<br />
-Tailtiu (Bataille de), <a href="#Page_260">260</a>, <a href="#Page_284">284</a>, <a href="#Page_372">372</a>. Voyez <i><a href="#Taltiu">Tâltiu</a></i>.<br />
-Tâin bô Cûailngé, <a href="#Page_267">267</a>.<br />
-<a id="Taltiu"></a>Tâltiu, fille de Mag-môr, <a href="#Page_136">136&ndash;139</a>, <a href="#Page_175">175</a>.<br />
-Tanaidé O'Maelchonairé, <a href="#Page_164">164</a>.<br />
-Tara, capitale de l'Irlande, <a href="#Page_78">78</a>, <a href="#Page_161">161</a>, <a href="#Page_172">172</a>, <a href="#Page_175">175</a>, <a href="#Page_177">177</a>, <a href="#Page_255">255</a>, <a href="#Page_301">301</a>, <a href="#Page_302">302</a>, <a href="#Page_314">314</a>, <a href="#Page_315">315</a>, <a href="#Page_319">319&ndash;321</a>, <a href="#Page_327">327</a>, <a href="#Page_328">328</a>, <a href="#Page_332">332</a>, <a href="#Page_389">389</a>.<br />
-Taranis. Voyez <i><a href="#Taranus">Taranus</a></i>.<br />
-Taranucnus, <a href="#Page_379">379</a>, <a href="#Page_380">380</a>.<br />
-Taranucus (Jupiter), <span class="smcap"><a href="#Page_vi">vi</a></span>.<br />
-<a id="Taranus"></a>Taranus, <span class="smcap"><a href="#Page_vi">vi</a></span>, <a href="#Page_109">109</a>, <a href="#Page_110">110</a>, <a href="#Page_376">376</a>, <a href="#Page_379">379&ndash;382</a>, <a href="#Page_384">384</a>, <a href="#Page_385">385</a>.<br />
-Tartare, <a href="#Page_16">16&ndash;18</a>, <a href="#Page_20">20</a>, <a href="#Page_98">98</a>, <a href="#Page_237">237</a>, <a href="#Page_238">238</a>.<br />
-Taureau, <a href="#Page_203">203</a>. Voyez <i><a href="#Buar-ainech">Buar-ainech</a></i>.<br />
-Tarvos Trigaranus, <a href="#Page_385">385</a>.<br />
-Télémachie, <a href="#Page_19">19</a>.<br />
-Teliavus (Saint), <a href="#Page_110">110</a>.<br />
-Teltown, autrefois Tâltiu, <a href="#Page_138">138</a>.<br />
-Terre, mère des Titans, <a href="#Page_237">237</a>.<br />
-Terre de la Promesse, <a href="#Page_327">327</a>.<br />
-Terre divinisée, <a href="#Page_250">250&ndash;252</a>.<br />
-Terre promise, <a href="#Page_331">331</a>.<br />
-Terre labourable, <a href="#Page_296">296</a>.<br />
-Tête de bélier, <a href="#Page_383">383</a>, <a href="#Page_384">384</a>.<br />
-Tête de chèvre, <a href="#Page_92">92</a>, <a href="#Page_95">95</a>, <a href="#Page_97">97</a>, <a href="#Page_384">384</a>.<br />
-Téthra, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_16">16</a>, <a href="#Page_20">20</a>, <a href="#Page_21">21</a>, <a href="#Page_173">173</a>, <a href="#Page_188">188</a>, <a href="#Page_190">190</a>, <a href="#Page_192">192&ndash;199</a>, <a href="#Page_306">306</a>, <a href="#Page_376">376</a>, <a href="#Page_381">381</a>, <a href="#Page_384">384</a>.<br />
-Teutatès, <a href="#Page_109">109</a>, <a href="#Page_376">376</a>, <a href="#Page_378">378</a>, <a href="#Page_381">381</a>, <a href="#Page_384">384</a>, <a href="#Page_385">385</a>.<br />
-Thèbes, <a href="#Page_10">10</a>, <a href="#Page_12">12</a>, <a href="#Page_16">16</a>, <a href="#Page_24">24</a>, <a href="#Page_27">27</a>.<br />
-Thésée, <a href="#Page_99">99</a>, <a href="#Page_102">102</a>.<br />
-Thrace, <a href="#Page_7">7</a>.<br />
-Tibère, <a href="#Page_81">81</a>, <a href="#Page_380">380</a>.<br />
-Tigernach, <a href="#Page_4">4</a>, <a href="#Page_223">223</a>, <a href="#Page_296">296</a>, <a href="#Page_314">314</a>, <a href="#Page_326">326</a>.<br />
-Tigernmas, <a href="#Page_111">111&ndash;113</a>, <a href="#Page_199">199</a>, <a href="#Page_200">200</a>, <a href="#Page_303">303</a>.<br />
-Timagène, <a href="#Page_262">262</a>, <a href="#Page_347">347</a>.<br />
-<i>Tîre beo</i>, <a href="#Page_28">28</a>.<br />
-<i>Tîr tairngiri</i>, <a href="#Page_327">327</a>.<br />
-<i>Tîr n-aill</i>, <a href="#Page_28">28</a>.<br />
-<i>Tîr sorcha</i>, <a href="#Page_324">324</a>.<br />
-Titans, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_17">17</a>, <a href="#Page_18">18</a>, <a href="#Page_183">183</a>, <a href="#Page_199">199</a>, <a href="#Page_201">201</a>, <a href="#Page_219">219</a>, <a href="#Page_236">236</a>, <a href="#Page_238">238</a>.<br />
-<i>Tolan</i> ou <i>tolon</i>, <a href="#Page_25">25</a>.<br />
-Tombelles de Dowth, Knowth et Newgrange, <a href="#Page_272">272</a>, <a href="#Page_273">273</a>.<br />
-Tonnerre, <a href="#Page_370">370</a>. Voyez <i><a href="#Foudre">Foudre</a></i>.<br />
-<a id="Tor_inis"></a>Tor-inis, île, <a href="#Page_101">101</a>, <a href="#Page_103">103</a>, <a href="#Page_113">113</a>, <a href="#Page_116">116</a>, <a href="#Page_209">209</a>.<br />
-Tor môr, <a href="#Page_210">210</a>.<br />
-Tory (Ile de). Voyez <i><a href="#Tor_inis">Tor-inis</a></i>.<br />
-<i>Totatigens</i>, <a href="#Page_379">379</a>.<br />
-<i>Toutatis</i>, <span class="smcap"><a href="#Page_vi">vi</a></span>, <a href="#Page_378">378</a>, <a href="#Page_379">379</a>.<br />
-Tour de Brégon, <a href="#Page_230">230</a>, <a href="#Page_233">233</a>, <a href="#Page_239">239</a>.<br />
-Tour de Conann, <a href="#Page_14">14</a>, <a href="#Page_16">16</a>, <a href="#Page_101">101&ndash;122</a>, <a href="#Page_209">209</a>, <a href="#Page_230">230</a>.<br />
-Tour de Kronos, <a href="#Page_121">121</a>.<br />
-Tour de verre, <a href="#Page_118">118</a>, <a href="#Page_119">119</a>.<br />
-<i>Tourenus</i> (Mercurius), <i>vi</i>.<br />
-Trag mâr, <a href="#Page_85">85</a>.<br />
-Triades mythologiques, <a href="#Page_370">370&ndash;381</a>, <a href="#Page_384">384</a>.<br />
-Tricéphales (Dieux), <a href="#Page_384">384</a>.<br />
-Troie, <a href="#Page_10">10&ndash;12</a>, <a href="#Page_16">16</a>, <a href="#Page_24">24</a>, <a href="#Page_27">27</a>.<br />
-Tûan mac Cairill, <a href="#Page_43">43&ndash;63</a>, <a href="#Page_65">65</a>, <a href="#Page_67">67</a>, <a href="#Page_78">78</a>, <a href="#Page_82">82</a>, <a href="#Page_117">117</a>, <a href="#Page_126">126</a>, <a href="#Page_142">142</a>, <a href="#Page_346">346</a>, <a href="#Page_348">348</a>.<br />
-Tûatha Dê Danann, <a href="#Page_7">7</a>, <a href="#Page_11">11</a>, <a href="#Page_13">13</a>, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_32">32</a>, <a href="#Page_46">46</a>, <a href="#Page_56">56</a>, <a href="#Page_60">60</a>, <a href="#Page_76">76</a>, <a href="#Page_77">77</a>, <a href="#Page_103">103</a>, <a href="#Page_104">104</a>, <a href="#Page_125">125</a>, <a href="#Page_131">131</a>, <a href="#Page_134">134</a>, <a href="#Page_137">137</a>, <a href="#Page_140">140&ndash;191</a>, <a href="#Page_220">220&ndash;224</a>, <a href="#Page_243">243</a>, <a href="#Page_253">253&ndash;260</a>, <a href="#Page_266">266&ndash;343</a>.<br />
-Tûath Fidga, <a href="#Page_264">264</a>.<br />
-Tuirell Bicreo, <a href="#Page_373">373</a>.<br />
-Tuirenn, <a href="#Page_373">373</a>.<br />
-Tvashtri, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_370">370</a>.<br />
-Typhaon, <a href="#Page_98">98</a>.<br />
-Typhœus, <a href="#Page_98">98</a>.<br />
-Tyr, dieu Scandinave, <a href="#Page_189">189</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_U">U</a></span></h3>
-
-<p>
-Uar, fils de Dana, <a href="#Page_145">145</a>, <a href="#Page_372">372&ndash;374</a>.<br />
-Ugainé, fils d'Echu Bûadach, <a href="#Page_223">223</a>.<br />
-Ulster, <a href="#Page_126">126&ndash;128</a>, <a href="#Page_295">295</a>, <a href="#Page_299">299</a>, <a href="#Page_333">333</a>, <a href="#Page_335">335</a>.<br />
-Ulysse, <a href="#Page_120">120</a>, <a href="#Page_351">351</a>, <a href="#Page_366">366</a>.<br />
-Urard mac Coisi, <a href="#Page_3">3</a>, <a href="#Page_175">175</a>, <a href="#Page_178">178</a>.<br />
-Usnech, <a href="#Page_5">5</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_V">V</a></span></h3>
-
-<p>
-Vaches de Munster, <a href="#Page_170">170</a>.<br />
-Vaches mythologiques, <a href="#Page_202">202</a>, <a href="#Page_211">211&ndash;213</a>, <a href="#Page_277">277</a>, <a href="#Page_331">331</a>, <a href="#Page_384">384</a>, <a href="#Page_385">385</a>.<br />
-Valère Maxime, <a href="#Page_347">347</a>.<br />
-Vandœuvre (Indre), <a href="#Page_384">384</a>, <a href="#Page_385">385</a>.<br />
-Varuna, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_21">21</a>, <a href="#Page_370">370</a>.<br />
-Védique (Mythologie), <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_21">21</a>, <a href="#Page_32">32</a>, <a href="#Page_99">99</a>, <a href="#Page_369">369&ndash;371</a>.<br />
-Verre (Barque et tour de), <a href="#Page_118">118&ndash;120</a>.<br />
-Villes divinisées, <a href="#Page_389">389</a>.<br />
-Vin, <a href="#Page_318">318</a>.<br />
-<i>Visucius (Mercurius)</i>, <span class="smcap"><a href="#Page_vi">vi</a></span>.<br />
-Vosegus, dieu, <a href="#Page_388">388</a>.<br />
-Vritra, <a href="#Page_32">32</a>, <a href="#Page_99">99</a>.<br />
-Vyamsa, <a href="#Page_32">32</a>, <a href="#Page_99">99</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_Y">Y</a></span></h3>
-
-<p>
-Yama, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_21">21</a>, <a href="#Page_370">370</a>.</p>
-
-<h3><span class="letter"><a name="ix_Z">Z</a></span></h3>
-
-<p>
-Zên, <a href="#Page_371">371</a>.<br />
-Zeus, <a href="#Page_8">8&ndash;10</a>, <a href="#Page_13">13</a>, <a href="#Page_15">15</a>, <a href="#Page_18">18</a>, <a href="#Page_27">27</a>, <a href="#Page_37">37</a>, <a href="#Page_98">98</a>, <a href="#Page_99">99</a>, <a href="#Page_121">121</a>, <a href="#Page_124">124</a>, <a href="#Page_144">144</a>, <a href="#Page_183">183</a>, <a href="#Page_186">186</a>, <a href="#Page_189">189</a>, <a href="#Page_198">198</a>, <a href="#Page_199">199</a>, <a href="#Page_201">201</a>, <a href="#Page_208">208</a>, <a href="#Page_290">290</a>, <a href="#Page_294">294</a>, <a href="#Page_371">371</a>.<br />
-Zio, dieu allemand, <a href="#Page_189">189</a>.<br />
-Zuyderzée, <a href="#Page_352">352</a>.<br />
-<br />
-<br />
-FIN DE L'INDEX ALPHABÉTIQUE.<br />
-</p>
-</div>
-
-<hr class="chap" />
-
-<h2><a id="TOC"></a>TABLE DES MATIÈRES</h2>
-
-<div class="toc">
-
-<table summary="table des matières">
-<tr><td>&nbsp;</td><td><a href="#Page_v">Préface.</a></td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b>CHAPITRE PREMIER. NOTIONS GÉNÉRALES.</b></td></tr>
-<tr><td><a href="#I_1">§1.</a></td><td>Les catalogues de la littérature épique irlandaise</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td><a href="#I_2">§2.</a></td><td>Les cycles épiques irlandais.</td></tr>
-<tr><td><a href="#I_3">§3.</a></td><td>De la place occupée par la littérature épique dans la vie
-des Irlandais aux premiers siècles du moyen âge.</td></tr>
-<tr><td><a href="#I_4">§4.</a></td><td>Le cycle mythologique irlandais. Les races primitives dans
-la mythologie irlandaise et dans la mythologie grecque.</td></tr>
-<tr><td><a href="#I_5">§5.</a></td><td>Le cycle mythologique irlandais (<i>suite</i>). Les inondations
-dans la mythologie irlandaise et dans la mythologie grecque.</td></tr>
-<tr><td><a href="#I_6">§6.</a></td><td>Le cycle mythologique irlandais (<i>suite</i>). Les batailles entre
-les dieux dans la mythologie irlandaise, dans celles de la
-Grèce, de l'Inde et de l'Iran.</td></tr>
-<tr><td><a href="#I_7">§7.</a></td><td>Le roi des morts et le séjour des morts dans la mythologie
-irlandaise, dans la mythologie grecque et dans celle des <i>Vêda</i>.</td></tr>
-<tr><td><a href="#I_8">§8.</a></td><td>Les sources de la mythologie irlandaise.</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b>CHAPITRE II. ÉMIGRATION DE PARTHOLON.</b></td></tr>
-<tr><td><a href="#II_1">§1.</a></td><td>La race de Partholon en Irlande. La race d'argent dans la
-mythologie d'Hésiode.</td></tr>
-<tr><td><a href="#II_2">§2.</a></td><td>La doctrine celtique sur l'origine de l'homme.</td></tr>
-<tr><td><a href="#II_3">§3.</a></td><td>La création du monde dans la mythologie celtique telle que
-nous l'a conservée la légende de Partholon.</td></tr>
-<tr><td><a href="#II_4">§4.</a></td><td>Lutte de la race de Partholon contre les Fomôré.</td></tr>
-<tr><td><a href="#II_5">§5.</a></td><td>Suite de la légende de Partholon. La première jalousie, le
-premier duel.</td></tr>
-<tr><td><a href="#II_6">§6.</a></td><td>Fin de la race de Partholon.</td></tr>
-<tr><td><a href="#II_7">§7.</a></td><td>La chronologie et la légende de Partholon.</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b>CHAPITRE III. ÉMIGRATION DE PARTHOLON (<i>suite</i>), LÉGENDE DE TUAN MAC CAIRILL.</b></td></tr>
-<tr><td><a href="#III_1">§1.</a></td><td>Pourquoi la légende de Tûan mac Cairill a-t-elle été
-inventée?</td></tr>
-<tr><td><a href="#III_2">§2.</a></td><td>Saint Finnên et Tûan mac Cairill.</td></tr>
-<tr><td><a href="#III_3">§3.</a></td><td>Histoire primitive de l'Irlande suivant Tûan mac Cairill.</td></tr>
-<tr><td><a href="#III_4">§4.</a></td><td>La légende de Tûan mac Cairill et la chronologie.
-Modifications dues à l'influence chrétienne.</td></tr>
-<tr><td><a href="#III_5">§5.</a></td><td>La légende de Tûan mac Cairill, dans sa forme primitive, est
-d'origine païenne.</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b>CHAPITRE IV. CESSAIR, DOUBLET DE PARTHOLON; FINTAN, DOUBLET DE TUAN MAC CAIRILL.</b></td></tr>
-<tr><td><a href="#IV_1">§1.</a></td><td>Comparaison de la légende de Partholon et de Tûan avec
-celle de Cessair et de Fintân.</td></tr>
-<tr><td><a href="#IV_2">§2.</a></td><td>Date où a été imaginée la légende de Cessair et de Fintân.</td></tr>
-<tr><td><a href="#IV_3">§3.</a></td><td>Cessair chez Girauld de Cambrie et chez les savants irlandais
-du dix-septième siècle: Opinion de Thomas Moore.</td></tr>
-<tr><td><a href="#IV_4">§4.</a></td><td>Pourquoi et comment Cessair vint s'établir en Irlande.</td></tr>
-<tr><td><a href="#IV_5">§5.</a></td><td>Histoire de Cessair et de ses compagnons depuis leur arrivée en Irlande.</td></tr>
-<tr><td><a href="#IV_6">§6.</a></td><td>Les poèmes de Fintân.</td></tr>
-<tr><td><a href="#IV_7">§7.</a></td><td>Fintân: 1° au temps de la première bataille mythologique de
-Mag-Tured; 2° sous le règne de Diarmait mac Cerbaill,
-sixième siècle de notre ère.</td></tr>
-<tr><td><a href="#IV_8">§8.</a></td><td>Les trois doublets de Fintân. Saint Caillin, son élève: conclusion.</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b>CHAPITRE V. ÉMIGRATION DE NÉMED ET MASSACRE DE LA TOUR DE CONANN.</b></td></tr>
-<tr><td><a href="#V_1">§1.</a></td><td>Origine de Némed; son arrivée en Irlande.</td></tr>
-<tr><td><a href="#V_2">§2.</a></td><td>Le règne de Némed en Irlande; ses premières relations avec les Fomôré.</td></tr>
-<tr><td><a href="#V_3">§3.</a></td><td>Ce que c'est que les Fomôré. Textes divers qui les concernent.</td></tr>
-<tr><td><a href="#V_4">§4.</a></td><td>L'équivalent des Fomôré dans la mythologie grecque et dans la mythologie védique.</td></tr>
-<tr><td><a href="#V_5">§5.</a></td><td>Combats de Némed contre les Fomôré.</td></tr>
-<tr><td><a href="#V_6">§6.</a></td><td>Domination tyrannique des Fomôré sur la race de Némed. Le
-tribut d'enfants. Comparaison avec le Minotaure.</td></tr>
-<tr><td><a href="#V_7">§7.</a></td><td>L'idole <i>Cromm crûach</i> ou <i>Cenn crûach</i> et les sacrifices
-d'enfants en Irlande. Les sacrifices humains en Gaule.</td></tr>
-<tr><td><a href="#V_8">§8.</a></td><td>Tigernmas, doublet de <i>Cromm crûach</i> et dieu de la mort.</td></tr>
-<tr><td><a href="#V_9">§9.</a></td><td>Le désastre de la tour de Conann d'après les documents irlandais.</td></tr>
-<tr><td><a href="#V_10">§10.</a></td><td>Le désastre de la tour de Conann suivant Nennius.
-Comparaison avec la mythologie grecque.</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b>CHAPITRE VI. ÉMIGRATION DES FIR-BOLG.</b></td></tr>
-<tr><td><a href="#VI_1">§1.</a></td><td>Les Fir-Bolg, les Fir-Doranann et les Galiôin dans la
-mythologie irlandaise.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VI_2">§2.</a></td><td>Les Fir-Bolg, les Fir-Domnann et les Galiôin dans l'épopée
-héroïque irlandaise.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VI_3">§3.</a></td><td>Association des Fomôré ou dieux de Domna, <i>Dê Domnann</i>,
-avec les Fir-Bolg, les Fir Domnann et les Galiôin.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VI_4">§4.</a></td><td>Etablissement des Fir-Bolg, des Fir-Domnann et des Galiôin en Irlande.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VI_5">§5.</a></td><td>Origine des Fir-Bolg, des Fir-Domnann et des Galiôin.
-Doctrine primitive, doctrine du moyen âge.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VI_6">§6.</a></td><td>Introduction de la chronologie dans cette légende. Liste des rois.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VI_7">§7.</a></td><td>Tâltiu, reine des Fir-Bolg et mère nourricière de Lug, un des
-chefs des Tûatha Dê Danann. Assemblée annuelle de Tâltiu le
-jour de la fête de Lug ou Lugus.</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b>CHAPITRE VII. ÉMIGRATION DES TUATHA DÊ DANANN. PREMIÈRE BATAILLE DE MAG-TURED.</b></td></tr>
-<tr><td><a href="#VII_1">§1.</a></td><td>Les Tûatha Dê Danann sont des dieux: leur place dans le
-système théologique des Celtes.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VII_2">§2.</a></td><td>Origine du nom des Tûatha Dê Danann. La déesse Brigit et ses
-fils, le dieu irlandais Brian et le chef gaulois Brennos.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VII_3">§3.</a></td><td>La bataille de Mag-Tured est primitivement unique. Plus
-tard on distingue deux batailles de Mag-Tured.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VII_4">§4.</a></td><td>Le dieu Nûadu Argatlâm.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VII_5">§5.</a></td><td>Indications sur l'époque où a été composé le récit de la
-première bataille de Mag-Tured.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VII_6">§6.</a></td><td>Pourquoi fut livrée la première bataille de Mag-Tured.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VII_7">§7.</a></td><td>Récit de la première bataille de Mag-Tured. Résultat de cette bataille.</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b>CHAPITRE VIII. ÉMIGRATION DES TUATHA DÊ DANANN (<i>suite</i>). SECONDE BATAILLE DE MAG-TURED.</b></td></tr>
-<tr><td><a href="#VIII_1">§1.</a></td><td>Règne de Bress. Sa durée.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VIII_2">§2.</a></td><td>Règne de Bress. Avarice de ce prince.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VIII_3">§3.</a></td><td>Le <i>file</i> Corpré. Fin du règne de Bress.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VIII_4">§4.</a></td><td>Guerre des Fomôré contre les Tûatha Dê Danann. Les guerriers
-fomôré Balar et Indech.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VIII_5">§5.</a></td><td>Arrivée de Lug chez les Tûatha Dê Danann à Tara.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VIII_6">§6.</a></td><td>Revue des gens de métier par Lug.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VIII_7">§7.</a></td><td>Seconde bataille de Mag-Tured. Fabrication des javelots.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VIII_8">§8.</a></td><td>L'espion Rûadan.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VIII_9">§9.</a></td><td>Seconde bataille de Mag-Tured (<i>suite</i>). Blessure d'Ogmé
-et de Nûadu.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VIII_10">§10.</a></td><td>Seconde bataille de Mag-Tured (<i>suite et fin</i>). Mort de
-Balar. Défaite des Fomôré. L'épée de Téthra tombe entre les
-mains d'Ogmé.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VIII_11">§11.</a></td><td>La harpe de Dagdé.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VIII_12">§12.</a></td><td>Les Fomôré et Téthra dans l'ile des Morts.</td></tr>
-<tr><td><a href="#VIII_13">§13.</a></td><td>Le corbeau et la femme de Téthra.</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b>CHAPITRE IX. LA SECONDE BATAILLE DE MAG-TURED ET LA MYTHOLOGIE GRECQUE.</b></td></tr>
-<tr><td><a href="#IX_1">§1.</a></td><td>Le Kronos grec et ses trois équivalents irlandais, Téthra,
-Bress, Balar.</td></tr>
-<tr><td><a href="#IX_2">§2.</a></td><td>Forme irlandaise de l'idée grecque de la race d'or. Tigernmas,
-doublet de Balar, de Bress et de Téthra.</td></tr>
-<tr><td><a href="#IX_3">§3.</a></td><td>Balar et le mythe d'Argos ou Argus. Lug et Hermès.</td></tr>
-<tr><td><a href="#IX_4">§4.</a></td><td>Io et Bûar-ainech. Balar et Poseidaôn.</td></tr>
-<tr><td><a href="#IX_5">§5.</a></td><td>Lug, meurtrier de Balar, et le héros grec Bellérophontès.</td></tr>
-<tr><td><a href="#IX_6">§6.</a></td><td>Lug et le héros grec Persée.</td></tr>
-<tr><td><a href="#IX_7">§7.</a></td><td>Le Balar populaire de l'Irlande. Balar et Acrisios. Ethné,
-fille de Balor, et Danaé, fille d'Acrisios. Les trois frères
-irlandais et le triple Géryon. Leur vache et le troupeau de
-Géryon ou de Cacus. Le fils de Gavida et Persée.</td></tr>
-<tr><td><a href="#IX_8">§8.</a></td><td>Les trois ouvriers des Tûatha De Danann et les trois Cyclopes
-de Zeus chez Hésiode.</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b>CHAPITRE X. LA RACE DE MILÉ.</b></td></tr>
-<tr><td><a href="#X_1">§1.</a></td><td>Les chefs des Tûatha Dê Danann changés au onzième siècle
-en hommes et en rois. Chronologie de Gilla Coemain et
-des Quatre Maîtres.</td></tr>
-<tr><td><a href="#X_2">§2.</a></td><td>Milé et Bilé, ancêtres de la race celtique.</td></tr>
-<tr><td><a href="#X_3">§3.</a></td><td>La doctrine qui fait arriver les Irlandais d'Espagne et leur
-donne pour pays d'origine la Scythie et l'Egypte.</td></tr>
-<tr><td><a href="#X_4">§4.</a></td><td>Ith et la tour de Brégon.</td></tr>
-<tr><td><a href="#X_5">§5.</a></td><td>L'Espagne et l'île de Bretagne confondues avec le pays des morts.</td></tr>
-<tr><td><a href="#X_6">§6.</a></td><td>Expédition d'Ith en Irlande.</td></tr>
-<tr><td><a href="#X_7">§7.</a></td><td>La mythologie irlandaise et la mythologie grecque. Ith et Prométhée.</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b>CHAPITRE XI. CONQUÊTE DE L'IRLANDE PAR LES FILS DE MILÉ.</b></td></tr>
-<tr><td><a href="#XI_1">§1.</a></td><td>Arrivée des fils de Milé en Irlande.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XI_2">§2.</a></td><td>Premier poème d'Amairgen. Doctrine panthéiste qu'il exprime.
-Comparaison avec un poème gallois attribué à Taliésin
-et avec le système philosophique de Jean Scot dit Eringène.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XI_3">§3.</a></td><td>Les deux autres poèmes d'Amairgen. Doctrine naturaliste
-qu'ils expriment.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XI_4">§4.</a></td><td>Première invasion des fils de Milé en Irlande.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XI_5">§5.</a></td><td>Jugement d'Amairgen.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XI_6">§6.</a></td><td>Retraite des fils de Milé.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XI_7">§7.</a></td><td>Seconde invasion des fils de Milé en Irlande. Ils font la
-conquête de cette île.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XI_8">§8.</a></td><td>Comparaison entre les traditions irlandaises et les traditions
-gauloises.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XI_9">§9.</a></td><td>Les Fir-Domnann, les Bretons et les Pictes en Irlande.</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b>CHAPITRE XII. LES TUATHA DÊ DANANN, DEPUIS LA CONQUÊTE DE L'IRLANDE PAR LES
-FILS DE MILÉ. PREMIÈRE PARTIE. LE DIEU SUPRÊME DAGDÉ.</b></td></tr>
-<tr><td><a href="#XII_1">§1.</a></td><td>Ce que devinrent les Tûatha Dê Danann après leur défaite
-par les fils de Milé. Le morceau intitulé «De la Conquête du
-<i>Sîd</i>.»</td></tr>
-<tr><td><a href="#XII_2">§2.</a></td><td>Le dieu Dagdé. Sa puissance après la conquête de l'Irlande
-par les fils de Milé.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XII_3">§3.</a></td><td>Le palais souterrain de Dagdé à Brug na Boinné ou Sîd maic
-ind Oc. Oengus, fils de Dagdé. Rédaction païenne de la
-légende qui concerne Oengus et ce palais.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XII_4">§4.</a></td><td>Rédaction chrétienne de cette légende.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XII_5">§5.</a></td><td>Les amours d'Oengus, fils de Dagdê.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XII_6">§6.</a></td><td>L'evhémérisme en Irlande et à Rome. Dagdé ou «Bon dieu» en
-Irlande; <i>Bona dea</i>, la «Bonne déesse,» compagne de Faunus
-à Rome.</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b>CHAPITRE XIII. LES TUATHA DÊ DANANN APRÈS LA CONQUÊTE DE L'IRLANDE PAR LES
-FILS DE MILÉ. DEUXIÈME PARTIE. LES DIEUX LUG, OGMÉ, DIANCECHT
-ET GOIBNIU.</b></td></tr>
-<tr><td><a href="#XIII_1">§1.</a></td><td>Lug joue dans la légende de Cûchulainn le même rôle que
-Zeus dans celle d'Héraclès.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIII_2">§2.</a></td><td>La chasse aux oiseaux mystérieux.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIII_3">§3.</a></td><td>Le palais enchanté. Naissance de Cûchulainn.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIII_4">§4.</a></td><td>Le mortel Sualtam et le dieu Lug, tous deux père de Cûchulainn.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIII_5">§5.</a></td><td>Lug et Conn Cêtchathach, roi suprême d'Irlande au second
-siècle de notre ère.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIII_6">§6.</a></td><td>Lug était bien un dieu quoi qu'en aient dit plus tard le
-Irlandais chrétiens.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIII_7">§7.</a></td><td>Ogmé ou Ogmios le champion.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIII_8">§8.</a></td><td>Dîancecht le médecin.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIII_9">§9.</a></td><td>Goibniu le forgeron et son festin.</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b>CHAPITRE XIV. LES TUATHA DÊ DANANN APRÈS LA CONQUÊTE DE L'IRLANDE PAR LES
-FILS DE MILÉ. TROISIÈME PARTIE. LES DIEUX MIDER ET MANANNAN MAC LIR.</b></td></tr>
-<tr><td><a href="#XIV_1">§1.</a></td><td>Le dieu Mider. Etâin, sa femme, est enlevée par Oengus,
-puis naît une seconde fois et devient fille d'Etair.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIV_2">§2.</a></td><td>Etâin est femme du roi suprême d'Irlande. Mider la courtise.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIV_3">§3.</a></td><td>La partie d'échecs.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIV_4">§4.</a></td><td>Mider fait de nouveau la cour à Etâin. Poème qu'il lui chante.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIV_5">§5.</a></td><td>Mider enlève Etâin.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIV_6">§6.</a></td><td>Manannân mac Lir et Bran fils de Febal.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIV_7">§7.</a></td><td>Manannân mac Lir et le héros Cûchulainn.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIV_8">§8.</a></td><td>Manannân mac Lir et Cormac fils d'Art. Première partie.
-Cormac échange contre une branche d'argent, sa femme, son
-fils et sa fille.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIV_9">§9.</a></td><td>Manannân mac Lir et le roi Cormac fils d'Art. Deuxième
-partie. Cormac retrouve sa femme, son fils et sa fille.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIV_10">§10.</a></td><td>Manannân mac Lir est père de Mongân, roi d'Ulster au
-commencement du sixième siècle de notre ère.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XIV_11">§11.</a></td><td>Mongân fils d'un dieu, est un être merveilleux.</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b>CHAPITRE XV. LA CROYANCE A L'IMMORTALITÉ DE L'AME EN IRLANDE ET EN GAULE.</b></td></tr>
-<tr><td><a href="#XV_1">§1.</a></td><td>L'immortalité de l'âme dans la légende de Mongân.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XV_2">§2.</a></td><td>La race celtique a-t-elle cru à la métempsycose
-pythagoricienne? Opinion des anciens sur cette question.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XV_3">§3.</a></td><td>Comparaison entre la doctrine de Pythagore et la doctrine celtique.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XV_4">§4.</a></td><td>Le pays des morts. La mort était un voyage. Texte du quatrième
-siècle avant notre ère.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XV_5">§5.</a></td><td>Certains héros sont allés faire la guerre au pays des morts
-et des dieux, tels sont: Cûchulainn, Loégairé Liban et
-Crimthann Nîa Nair. Légende de Cûchulainn.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XV_6">§6.</a></td><td>Légende de Loégairé Liban.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XV_7">§7.</a></td><td>La descente de cheval dans la vieille légende de Loégairé
-Liban et dans la légende moderne d'Ossin.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XV_8">§8.</a></td><td>Légende de Crimthann Nîa Nair.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XV_9">§9.</a></td><td>Différence entre Cûchulainn d'un côté, Loégairé Liban et
-Crimthann Nîa Nair de l'autre.</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b>CHAPITRE XVI. CONCLUSION.</b></td></tr>
-<tr><td><a href="#XVI_1">§1.</a></td><td>D'une différence importante entre la mythologie celtique et
-la mythologie grecque.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XVI_2">§2.</a></td><td>La triade mythologique dans les <i>Vêda</i> et en Grèce.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XVI_3">§3.</a></td><td>La triade en Irlande.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XVI_4">§4.</a></td><td>La triade en Gaule chez Lucain: Teutatès, Esus et Taranis ou Taranus.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XVI_5">§5.</a></td><td>Le dieu gaulois que les Romains ont appelé Mercure.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XVI_6">§6.</a></td><td>Le dieu cornu et le serpent mythique en Gaule.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XVI_7">§7.</a></td><td>Le dualisme celtique et le dualisme iranien.</td></tr>
-<tr><td><a href="#XVI_8">§8.</a></td><td>Le naturalisme celtique.</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b><a href="#CORRECTIONS">CORRECTIONS ET ADDITIONS.</a></b></td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td>&nbsp;</td></tr>
-<tr><td>&nbsp;</td><td><b><a href="#INDEX">INDEX ALPHABÉTIQUE.</a></b></td></tr>
-</table>
-
-<p class="p2" style="text-align: center;">FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES.</p>
-</div>
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-End of the Project Gutenberg EBook of Le cycle mythologique irlandais et la
-mythologie celtique, by Henri d'Arbois de Jubainville
-
-*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LE CYCLE MYTHOLOGIQUE ***
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