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+*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44359 ***
+
+ PIERRE QUILLARD
+
+ LA LYRE
+ HÉROÏQUE ET DOLENTE
+
+ DE SABLE ET D'OR
+ LA GLOIRE DU VERBE.--L'ERRANTE
+ LA FILLE AUX MAINS COUPÉES
+
+ [Marque d'imprimeur]
+
+ PARIS
+ SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE
+ XV, RVE DE L'ÉCHAVDÉ-SAINT-GERMAIN, XV
+
+ M DCCC XCVII
+
+ Tous droits réservés
+
+
+
+
+_DU MÊME AUTEUR:_
+
+
+ L'ANTRE DES NYMPHES de Porphyre, traduit du grec 1 plq.
+
+ LES LETTRES RUSTIQUES de Claudius Ælianus, Prenestin,
+ traduites du grec, illustrées d'un Avant-propos
+ et d'un Commentaire latin 1 vol.
+
+ LE LIVRE DE JAMBLIQUE SUR LES MYSTÈRES, traduit
+ du grec 1 vol.
+
+ PHILOKTÈTÈS, traduit de Sophocle et représenté à
+ l'Odéon 1 vol.
+
+ LA QUESTION D'ORIENT ET LA POLITIQUE PERSONNELLE
+ DE M. HANOTAUX, en collaboration avec le docteur
+ L. Margery 1 vol.
+
+
+
+
+IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE:
+
+_Trois exemplaires sur japon impérial, numérotés de 1 à 3
+
+et douze exemplaires sur papier de Hollande, numérotés de 4 à 15._
+
+EXEMPLAIRE Nº 1
+
+
+Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays, y
+compris la Suède et la Norvège.
+
+
+
+
+DÉDICACE
+
+A LA MÉMOIRE D'ÉPHRAÏM MIKHAEL
+
+
+ Tu t'en allas, un soir de mai: la ville en fête
+ Haletait de printemps, de jeunesse et d'amour,
+ Et tu nous as quittés pour la nuit sans retour,
+ Ame mélancolique et toujours inquiète.
+
+ En vain les mornes dieux, formidables et doux,
+ Ont détaché ta main de nos mains fraternelles:
+ Le sel âcre des pleurs brûle encor nos prunelles
+ Quand ta voix, triomphant des heures, chante en nous
+
+ Et fait surgir parmi les roses des vesprées,
+ Sous des voiles tissus de soleils et de cieux,
+ Une vierge dolente au regard anxieux
+ Qui nous appelle et fuit vers les ombres sacrées.
+
+ Forme grave dressée au seuil mauvais du sort,
+ Image de fierté qui pleurait et s'est tue,
+ Ma bouche te cherchait d'une lèvre éperdue;
+ Mais j'ai heurté du front les portes de la mort
+
+ Hélas! et tu survis dans nos seules mémoires
+ Et sans que rien m'entende au tombeau souterrain,
+ Je fixe tristement sur le vantail d'airain
+ Avec l'amer laurier les palmes illusoires.
+
+
+
+
+DE SABLE ET D'OR
+
+
+
+
+LES FLEURS NOIRES
+
+_A MARCEL COLLIÈRE_
+
+
+
+
+LES FLEURS NOIRES
+
+_A Émile Galle._
+
+
+ Au bord de quels sinistres lacs d'eau lourde et sombre,
+ O ténébreuses fleurs plus vastes que la mort,
+ Les dieux muets du soir et les dieux froids du nord
+ Tissent-ils votre robe d'ombre?
+
+ Vos abîmes de nuit dévorent le soleil;
+ Le jour est offensé par vos voiles de veuves
+ Et vous avez puisé sans peur aux mornes fleuves
+ L'onde farouche du sommeil.
+
+ O fleurs noires, le vent de l'aube vous balance:
+ Mais nul parfum d'amour ne s'exhale de vous,
+ Chères, et vous versez dans les coeurs las et fous
+ L'incantation du silence.
+
+ La vie épand en vain ses perfides douceurs;
+ La pourpre du printemps inutile flamboie:
+ Votre deuil rédempteur libère de la joie;
+ Salut, impérieuses soeurs.
+
+ Je vous aime et je veux dormir, soyez clémentes:
+ Je ne troublerai pas votre calme immortel
+ Et, là-bas, j'oublierai, loin du jour et du ciel,
+ La bouche rouge des amantes.
+
+
+
+
+LE DIEU MORT
+
+_A André Fontainas._
+
+
+ Une étoile, une seule étoile. O funérailles
+ Royales! solitude où la gloire mourait
+ Sur un bûcher perdu derrière la forêt,
+ A l'écart des drapeaux, du glaive et des batailles.
+
+ Le héros s'en allait sans pourpre, enseveli
+ Dans une soie éteinte et dans les tresses rousses
+ Des captives et des amantes: lèvres douces
+ Et voraces, vous qui buviez le sang pâli,
+
+ Vers quels baisers souriez-vous? Vers quelles fêtes
+ Sonne déjà l'appel de vos chants oublieux?
+ Ah, mensongères! pour des larmes en vos yeux,
+ Il fallait l'apparat de célèbres défaites
+
+ Et l'horreur des clairons déchirant le ciel noir,
+ Pour tordre avec des cris de pleureuses louées
+ Vos corps, mimes en deuil sous le vol des nuées,
+ Parmi la rouge odeur des torches dans le soir.
+
+ Mais nul regard viril n'a, du haut des murailles,
+ Avidement cueilli la fleur de vos bras nus:
+ Vous avez fui. Le roi ne s'éveillera plus.
+ Une étoile, une seule étoile. O funérailles.
+
+
+
+
+RUINES
+
+_A Maurice Nicolle._
+
+
+ L'illustre ville meurt à l'ombre de ses murs;
+ L'herbe victorieuse a reconquis la plaine;
+ Les chapiteaux brisés saignent de raisins mûrs.
+
+ Le barbare enroulé dans sa cape de laine
+ Qui paît de l'aube au soir ses chevreaux outrageux
+ Foule sans frissonner l'orgueil du sol Hellène.
+
+ Ni le soleil oblique au flanc des monts neigeux
+ Ni l'aurore dorant les cimes embrumées
+ Ne réveillent en lui la mémoire des dieux.
+
+ Ils dorment à jamais dans leurs urnes fermées
+ Et quand le buffle vil insulte insolemment
+ La porte triomphale où passaient des armées,
+
+ Nul glaive de héros apparu ne défend
+ Le porche dévasté par l'hiver et l'automne
+ Dans le tragique deuil de son écroulement.
+
+ Le sombre lierre a clos la gueule de Gorgone.
+
+
+
+
+PAR LA NUIT D'AUTOMNE
+
+
+ Par l'automnale nuit la terre se résigne,
+ Muette sous le fait des ombres tumulaires:
+ Nul astre en qui survive un espoir d'aubes claires,
+ Un espoir de matin crevant son oeuf de cygne.
+
+ Les soleils d'autrefois fermentent dans la vigne.
+
+
+ Maintenant au pas sourd de noires haquenées,
+ Sans faire gémir l'herbe ou résonner la roche,
+ Tel qu'une chevauchée impitoyable, approche
+ Le troupeau saccageur des suprêmes journées.
+
+ Un parfum triste vient des grappes condamnées.
+
+
+ Demain l'or et le sang des étoiles sublimes
+ Seront déshonorés par la soif de la horde;
+ Mais voici qu'une pluie invisible déborde
+ Et tombe lentement des sinistres abîmes.
+
+ Serait-ce pas les Dieux qui pleurent leurs vieux crimes?
+
+
+ O Dieux, je ne sais pas quel Léthé vous enivre
+ De poisons plus amers que le fiel des Lémures:
+ Que vous importe à vous, la mort des grappes mûres
+ Et le viol raillé par le bruit vil du cuivre?
+
+ Les pampres desséchés ne veulent pas revivre.
+
+
+
+
+SOLITUDE
+
+_A Grégoire le Roy._
+
+
+ C'est un grand silence après le chant du cor,
+ Comme dans les villes mortes
+ Où les chats peuvent encor
+ Rêver sur le seuil des portes.
+
+ Sous le dais noir de la nuit
+ Les rois radieux, les belles chevauchées
+ Foulaient dans l'or et le bruit
+ Le sang des roses fauchées.
+
+ Des femmes embaumaient l'air
+ Parmi le velours des porches;
+ Nous voyions couler la résine des torches
+ Sur les gantelets de fer.
+
+ Mais les heures sont passées
+ De la joie et du décor
+ Et dans nos âmes lassées
+ C'est un grand silence après le chant du cor.
+
+
+
+
+PAROLES SUR LA TERRASSE
+
+_A Puvis de Chavannes._
+
+
+ Des reines blanches inclinées
+ Aux balustrades d'améthystes
+ Pour fleurir la mort des journées
+ Effeuillent des glycines tristes.
+
+ Fleurs plus brèves que les plus brèves,
+ Vains thyrses que le vent spolie,
+ Les noirs flots sans rives ni grèves
+ Emportent leur cendre pâlie;
+
+ Et c'est le deuil d'un double automne,
+ Soir du jour et soir des feuillées,
+ Qui dévaste l'ombre et frissonne
+ Dans les ramilles dépouillées.
+
+ Des pas glissent sur la terrasse;
+ Une étoffe roide s'y froisse;
+ Les voix que la nuit blême efface
+ Tremblent d'adieux, meurent d'angoisse,
+
+ Et cygnes chassés de tout fleuve,
+ S'en vont fébriles et blessées,
+ Sans que la ténèbre s'émeuve
+ Aux cris des âmes délaissées.
+
+
+
+
+L'AUTOMNE A DÉNUDÉ...
+
+
+ L'automne a dénudé les glèbes et le soir,
+ Un soir d'exil et de mains désunies,
+ S'approche à l'horizon des plaines infinies,
+ Roi dévêtu de pourpre et spolié d'espoir.
+
+ O marcheur aux pieds nus et las qui viens t'asseoir
+ Sans compagnon, parmi les landes défleuries,
+ Près des eaux mornes, quelles mêmes agonies
+ Alourdissent ton front vers ce triste miroir?
+
+ Je le sais, tout se meurt dans ton âme d'automne.
+ Laisse la nuit prendre les fleurs qu'elle moissonne
+ Et l'amour défaillant d'un coeur ensanglanté,
+
+ Pour qu'après le sommeil et les ombres fidèles
+ Les clairons triomphaux de l'aube et de l'été
+ Fassent surgir enfin les roses immortelles.
+
+
+
+
+LES VAINES IMAGES
+
+_A HENRI DE RÉGNIER_
+
+
+
+
+PSYCHÉ
+
+
+ Petite âme, Psyché mélancolique, dors,
+ Lys d'aurore surgi des heures ténébreuses,
+ Tes bras souples et frais et tes lèvres heureuses
+ Ont rajeuni mon coeur et réjoui mon corps.
+
+ Et tu m'as cru, petite âme blanche et farouche,
+ Tel que ton désir vierge encore me voulait
+ Pendant tes longs baisers de miel pur et de lait,
+ Tant que l'ombre a menti comme mentait ma bouche.
+
+ Nulle parole et nulle étreinte et nul baiser
+ N'ont trahi la douleur secrète du cilice;
+ Mais éveillée avec l'aube révélatrice
+ Tu frémissais, Psyché fragile, à te briser,
+
+ Si le jour désillant ta paupière sereine
+ Au lieu du doux vainqueur que rêvait ton émoi
+ Te décelait mes poings crispés même vers toi
+ Et mes yeux éperdus de colère et de haine;
+
+ Car je te hais de tout ton amour, ô Psyché,
+ Pour les jours à venir et les futures heures
+ Et les perfides flots de larmes et de leurres
+ Qui jailliront un jour de ton être caché.
+
+ Mais avant que la nuit divine m'abandonne,
+ Avec le dur métal des gouffres sidéraux
+ Je forgerai le masque amoureux d'un héros,
+ Rieur comme l'Avril, grave comme l'automne;
+
+ Mort vivant sur les lèvres mortes d'un vivant,
+ Le masque couvrira ma face convulsée;
+ Et maintenant que l'aube éclate! O fiancée
+ Chez qui la femme, hélas! va survivre à l'enfant.
+
+ Eveille-toi, rouvre ta bouche qui s'est tue,
+ Tu n'entendras de moi que paroles d'orgueil
+ Et je me dresse sous les morsures du deuil
+ Lauré d'or et pareil à ma propre statue.
+
+
+
+
+ÉLIANE
+
+
+I
+
+ Des jours et puis des jours ont fui. Je me souviens
+ De cette joie ainsi que de quelque étrangère
+ Et c'est une féerie encor que j'exagère
+ De tout le deuil enclos dans les plaisirs anciens.
+
+ Mais nos baisers furent les fruits des Hespérides
+ Dont nous avons mâché la cendre, seulement
+ La cendre! le verger solitaire et charmant
+ N'a pas calmé la soif de nos lèvres arides.
+
+ D'autres sont revenus semblables à des dieux
+ De l'île où par orgueil nous nous aventurâmes;
+ Les guirlandes d'amour alourdissaient leurs rames
+ Et la galère en fleurs émerveillait les yeux.
+
+ Je ne jalouse pas leurs fanfares de gloire
+ Ni les pavois ni les étendards éployés
+ Dont l'ombre rouge flotte auprès des boucliers:
+ Leur songe était moins beau que notre ivresse noire,
+
+ Et j'erre en ce jardin fouetté du vent brutal,
+ Plus fier que les héros aux soirs d'apothéoses,
+ Tandis qu'autour de moi les nostalgiques roses
+ S'effeuillent vainement vers l'Orient natal.
+
+
+II
+
+ Je t'aimais et les dieux ont dénoué nos bras,
+ Et nous vivons à la dérive au cours des heures;
+ Et je ne t'entends plus quand tu ris ou tu pleures:
+ Mais je viendrai vers toi quand tu m'appelleras.
+
+ A la dérive! des palais au bord des fleuves,
+ D'impérieuses voix m'invitent, dans la nuit
+ Et par les aubes; mais qu'importe? l'eau s'enfuit
+ Et je ferme mes yeux aux chevelures veuves.
+
+ Je sais: l'hôtellerie est pleine de buveurs:
+ Au mur rit la lambrusque et la rose trémière
+ Et les raisins gonflés d'aurore et de lumière
+ Versent les vieux soleils dans les cerveaux rêveurs.
+
+ Les sveltes baladins, les joueuses de lyre
+ Et les masques d'amour y glissent dans le soir
+ Et la terrasse est vide où je pourrais m'asseoir:
+ Je n'aborderai pas aux perrons de porphyre;
+
+ Nulle reine en manteau de pourpre et d'argent clair
+ Ne tendra sur le seuil ses lèvres vers ma bouche;
+ Voile noire, carène noire, ombre farouche,
+ La nef sans gouvernail s'en va jusqu'à la mer
+
+ Et je m'endormirai parmi les vagues vertes,
+ Parmi les mornes flots sans borne, à moins qu'un soir,
+ Sur une rive heureuse, au sommet de la tour
+ Dominant la vallée et les terres désertes,
+
+ Tu ne paraisses dans ta robe de soleil
+ Et tu ne m'offres en un geste qui pardonne
+ Tes cheveux éployés plus riches que l'automne
+ Et les baisers anciens plus doux que le sommeil.
+
+
+III
+
+ Je ne sais plus dans quels chemins ni sous quels cieux
+ La reine de mon coeur, la reine de mes yeux,
+ La souveraine de mes larmes ignorées,
+ Qui tord en ses cheveux l'or fauve des vesprées,
+ Passa sans un regard vers mon front en exil
+ Comme un soleil d'hiver oublieux de l'avril.
+
+ Hélas! les lys sont morts; les roses sont fanées;
+ L'impitoyable deuil défleurit les années.
+ Elle ne connaît plus les choses d'autrefois;
+ Son oreille infidèle a désappris ma voix,
+ Ma voix tremblante et les paroles murmurées
+ Et le frissonnement des étreintes sacrées.
+
+ Et maintenant, et maintenant! je veux en vain
+ M'interdire les jours et le passé divin.
+ Ma lèvre qu'elle sut délicate naguères
+ Est chaude d'une bouche et de baisers vulgaires
+ Et j'ai bu pour marcher dans l'ombre de la mort
+ Le vin des matelots et des hommes du port.
+
+ Mais cette ivresse est triste, ô reine, et je t'implore.
+ Reviens, fais resplendir la gloire de l'aurore.
+ Jette sur les bois nus un manteau de printemps
+ Et pare les sentiers des roses que j'attends.
+
+ Sois bienveillante; ou si les beaux jardins des rêves
+ Sont clos pour jamais, soit! les heures seront brèves
+ Où je vivrai dans la lumière et dans le bruit,
+ Et je descendrai seul les marches de la nuit.
+
+
+IV
+
+ Par quelle cruauté des implacables dieux?
+ Si loin des jours royaux et pavoisés de joie,
+ Un soleil tel que les anciens soleils flamboie
+ Et tes cheveux en fleur épouvantent mes yeux.
+
+ Parmi le deuil hélas! et les ombres tombales,
+ Que me veux-tu, sourire impérieux encor
+ Qui fais se réveiller avec un sursaut d'or
+ Le prestige menteur des aubes triomphales?
+
+ Oui: tes lèvres m'étaient douces près de la mer
+ Et sur la fauve grève où dormaient les carènes
+ Gonflaient d'un chant si pur les conques des Sirènes
+ Que des oiseaux neigeaient autour de toi dans l'air
+
+ Et que le souvenir des ailes éployées
+ Palpite en mes regards éblouis. O rayons
+ Eteints! vols disparus d'aigles et d'alcyons!
+ Voix morte désormais sur des lèvres souillées!
+
+ Voix morte et pour moi seul vivante: je voudrais
+ Ne plus l'entendre et que la terre devînt noire
+ Et que la nuit sereine engloutît la mémoire
+ De ta beauté semblable aux roses des forêts.
+
+ Mais l'ombre décevante est encore hantée
+ Par les dieux importuns qui défendent l'oubli
+ Et la poignante fleur au calice pâli
+ Sollicite toujours ma bouche ensanglantée.
+
+
+
+
+HYMNIS
+
+_Pour Bernard Lazare._
+
+
+I
+
+ Face d'ombre, je viens à toi; la nuit m'emporte.
+ Poussière évanouie aux plis blancs d'un linceul,
+ Pâle vierge oubliée et que j'honore seul
+ D'une fleur morte hélas! moins que ta grâce morte,
+
+ Je viens à toi qui dors au fond des siècles lourds
+ Et dont le pur tombeau fait les lèvres fidèles:
+ Je n'ai pas entendu les mots qui naissaient d'elles
+ Ni goûté la douceur de tes tristes amours:
+
+ Mais je pleure ton corps et son charme équivoque
+ Et les baisers trop lents qui l'auraient effleuré,
+ Chair de jadis, désir dont je me suis leurré
+ Parce qu'un même appel de buccins nous évoque
+
+ Vers les mêmes cyprès noirs et silencieux...
+ Vain appel, vaine ombre et menteuses fanfares:
+ Jamais je ne clorai de mes lèvres avares
+ Tes yeux désenchantés qui connurent les dieux.
+
+ Sommeille loin de moi près de la mer antique
+ Sous un ciel insulté par de confuses voix
+ Où la vague qui chante encor comme autrefois
+ Entrechoque les mâts du port aromatique:
+
+ Toujours l'âpre soleil et la foule et l'embrun,
+ Loin de moi, troubleront ta poussière ignorée
+ Et l'inutile fleur que je t'ai consacrée
+ Ne réjouira pas ta cendre d'un parfum.
+
+
+II
+
+ Viens respirer l'odeur des vignes et des fruits.
+
+ Ce soir te sera doux comme tes longues nuits,
+ Hymnis, enfant qui dors depuis deux mille années,
+ Et par le souffle lent des sentes où je fuis
+ Les roses du tombeau ne seront point fanées.
+
+
+ Je te dédie, enfant, la mourante forêt.
+
+ Elle se pare encor malgré son mal secret:
+ Tu te reconnaîtras à sa noble agonie,
+ Vierge dont le front pâle et fiévreux se paraît
+ D'or royal attristé par la blême ancolie.
+
+
+ L'automne funéraire embaume les halliers.
+
+ Hymnis! Hymnis! Hymnis! tes cheveux déliés
+ Libres du bandeau strict où tu les emprisonnes
+ Ont frôlé des santals et des girofliers
+ Et se sont enivrés de cruelles automnes.
+
+
+ De plus calmes parfums, ce soir, te charmeront.
+
+ Pour que ton corps sacré retourne sans affront
+ De la forêt qui meurt aux ténèbres divines
+ Je veux entrelacer à l'entour de ton front
+ Le thyrse noir du lierre aux suprêmes glycines.
+
+
+
+
+CHRYSARION
+
+
+ Sur cette mer toujours déserte où nos yeux vains
+ S'égaraient dans l'ennui des solitudes mornes,
+ Le navire, aux clameurs des conques et des cornes,
+ Fleurit avec l'aurore éclatante; et tu vins,
+
+ Apportant le parfum des terres étrangères,
+ Le reflet des soleils morts parmi tes cheveux
+ Et pour les coeurs lassés, graves et dédaigneux
+ L'enchantement de quelques heures plus légères.
+
+ Trop de désirs déçus et d'espoirs abusés
+ Hantent notre mémoire et sanglotent en elle:
+ Nous n'avons pas tendu vers ta chair fraternelle
+ Nos lèvres dès longtemps déprises des baisers.
+
+ Mais les heures passaient douces comme la soie
+ En vêtements tramés de soleil et de nuit,
+ Danseuse au collier d'or qui fulgure et s'enfuit,
+ Amante triste et grave en marche vers la joie,
+
+ Et vous qui regardiez des astres abolis,
+ Visages inquiets ivres du vieux mensonge,
+ O faces de stupeur, d'extases et de songe
+ Sur qui l'ombre clémente est tombée à longs plis;
+
+ Puis la dernière; et ce fut toi-même, inclinée
+ A la poupe et semant des roses dans le soir
+ Afin que la galère et le sillage noir
+ S'illustrassent encor d'une pourpre fanée
+
+ Et que la sombre mer sourît à nos yeux vains.
+
+
+
+
+L'ERRANTE
+
+_A RACHILDE_
+
+
+
+
+L'ERRANTE
+
+I nunc ad hostem, at in perpetuum mea.
+
+
+I. _DE SABLE ET D'OR._
+
+L'HOMME songe dans le soir somptueux et morne; à la balustrade croulante
+de la vieille demeure, il s'est accoudé solitairement et ses yeux, qui
+depuis des mois et des années n'ont plus reflété que les choses
+silencieuses, regardent au loin, dans les plaines assombries, s'étager
+les villes où des foules inconnues aiment, bataillent, agonisent et
+s'évanouissent comme des fumées.
+
+Ici le roc que nul printemps n'a paré, cime triste abreuvée jadis par le
+sang des victimes, alors que les dieux stupides se gorgeaient de
+sacrifices, cime cruelle où les roses d'Avril n'ont jamais souri, où les
+sources n'ont pas pleuré doucement la mort future des fleurs vouées au
+vieillard qui les emporte, quand vient l'automne.
+
+L'HOMME songe dans le soir somptueux et morne; tandis que le ciel
+flamboie d'une plus rouge gloire et que l'or insultant les ténèbres
+enrichit ses prunelles, des bûchers tragiques s'effondrent et l'âme
+déserte est envahie par un tumulte de chevauchée; tourbillons de fer,
+gueules hurlantes, éclairs de glaive, chevelures et crinières
+confondues, la horde passe dans sa pensée.
+
+Et l'HOMME se détourne du spectacle éclatant; ailleurs la terrasse est
+interrompue: les pesantes eaux d'un lac sans fond baignent de leur
+horreur immobile la roche qui disparaît dans le vertige de l'abîme.
+Maintenant l'HOMME marche, les yeux ivres de nuit, vers le lac d'ombre
+monotone et sa voix lassée frôle de lentes paroles les ondes
+sépulcrales, les ondes épaisses qui ne frissonnent pas.
+
+
+L'HOMME
+
+ Nuit moins sinistre que le soir, ô nuit rebelle
+ A mon désir, tu n'es pas l'ombre que j'appelle
+ Et trop d'astres encor m'offusquent de clarté
+ Pour que je boive en toi les coupes du Léthé.
+
+ Autrefois, j'ai vécu derrière les murailles
+ Des villes; je connais les brèves funérailles
+ De toute joie et vers la cime et vers la tour,
+ Pour le muet exil que je veux sans retour,
+ J'ai fui l'âcre parfum des roses effeuillées.
+
+ Lorsque je suis venu, les portes verrouillées
+ Pleuraient plaintivement comme des chiens meurtris,
+ Et j'oubliais le monde et méprisais leurs cris:
+ Mais la pierre me parle ainsi qu'une vivante
+ Maintenant, et flambeau d'angoisse et d'épouvante,
+ Dans mon coeur las du crépuscule rouge et noir,
+ Chaque étoile qui monte allume un triste espoir.
+
+ Eaux bienheureuses, vos paupières sont voilées:
+ Aucun rêve de ciel et d'algues emmêlées
+ N'ondule dans le calme abîme; nul reflet
+ Des jours antérieurs où l'aube étincelait
+ Sur votre moire alors juvénile et chantante
+ Ne se réveille en vous par la nuit éclatante
+ Avec le souvenir d'un antique soleil.
+ Eaux bienheureuses, vous dormez du vrai sommeil.
+ Vous les pâles, vous les froides et les obscures,
+ Vous les mortes.
+
+ J'attends les suprêmes augures,
+ Les cygnes éternels ouvrant leur vol sacré,
+ Et l'heure, enfin libératrice, où je serai,
+ Eaux bienheureuses, lac de nuit, lac de silence,
+ Digne de votre accueil et de votre clémence.
+
+Ainsi le solitaire invoque les ondes fatidiques. Mais pendant qu'il
+parle, les étoiles plus nombreuses ruissellent sur les pentes abruptes
+et l'ERRANTE est survenue; ses haillons brochés d'or illusoire par les
+astres dénoncent les routes hostiles, les morsures du vent, peut-être
+l'agression de mains brutales. Furtive elle s'est assise sur les marches
+disjointes et l'HOMME tout à coup se trouve face à face avec elle.
+
+L'HOMME
+
+ Va-t'en. Que me veux-tu, larve ou fantôme humain,
+ Dont le pas sacrilège usurpe mon chemin:
+ J'ignore quel passé funéraire t'escorte
+ Et me barre avec toi la route de la porte,
+ Ou si ta robe aux plis ténébreux de son deuil
+ Recèle un étendard de victoire et d'orgueil,
+
+ Mais qu'importe? tu viens des carrefours vulgaires,
+ Et tendresse, douleur, pourpre illustre des guerres,
+ Clameurs des foules furieuses, bruit des pas,
+ Gestes des suppliants, monde, je ne veux pas,
+ Quand je me penche enfin vers l'ombre sans aurore,
+ Qu'un souvenir des jours anciens attente encore
+ A mon âme recluse et mûre pour la nuit.
+ Va-t'en.
+
+L'ERRANTE
+
+ Je suis venue où le soir me conduit,
+ Par le soleil ou par la pluie aux larges gouttes,
+ Après des routes et des routes et des routes.
+ Quand je suivais la mer aux heures de reflux
+ Le sable de la grève a brûlé mes pieds nus;
+ Et ma chair a saigné de toutes les épines
+ A travers les fourrés, les ronces des ravines
+ Et les ajoncs aux rudes marges des marais.
+ Mais partout, aussitôt que la terre où j'errais
+ Portait empreinte sur l'argile ou sur l'arène
+ La trace des vivants, j'ai fui. Je sais la haine
+ Dont ils poursuivent la passante et sur mes yeux
+ Ont pesé trop souvent leurs poings injurieux
+ Pour que je m'aventure ayant vu leurs foulées.
+
+ Seuls parfois les palais des villes écroulées
+ Sous leurs porches déchus fraternels à mon sort
+ M'ont offert un sommeil puissant comme la mort.
+ La solitude ment où tu viens d'apparaître;
+ L'asile de repos que je croyais sans maître
+ Abrite hélas! ton âme fauve de vivant:
+ Je quitterai le seuil et le toit décevant
+ Où ton deuil autre que mon deuil se cache et pleure
+ L'ombre immense est hospitalière.
+
+L'HOMME
+
+ Non, demeure,
+ Puisque la volonté de ton sort et du soir
+ A mené tes pieds las vers le morne manoir
+ Et vers l'hôte imprévu dressé devant ta face
+ En qui ta voix a fait s'épanouir, vivace,
+ Une fleur de jadis aux pistils oubliés.
+ J'y consens: ô soleils abolis, flamboyez
+ Encore, surgissez dans ma sombre mémoire
+ En aube de suprême et cinéraire gloire
+ Avant que cette chair s'engloutisse à jamais;
+ Et toi, dolente ombre d'une ombre que j'aimais
+ Et qui m'a refusé ses lèvres mensongères,
+ Toi qui dormis sous des étoiles étrangères
+ Des sommeils flagellés par l'âpre fouet du vent,
+ Entre sans peur avec un sourire d'enfant
+ Et l'ingénuité d'une âme puérile
+ Dans la vieille maison où le hasard t'exile.
+
+L'ERRANTE
+
+ Je ne sais même pas ce qu'on nomme les ans,
+ Ni combien de matins, combien de jours pesants
+ Ont écrasé l'errante amère et résignée,
+ Homme, ni quelles eaux lustrales l'ont baignée
+ Où le secret des dieux demeure enseveli,
+ Quelles eaux de pitié, de refuge et d'oubli,
+ Emportant dans le cours pacifique des fleuves
+ Tout un faix dilué de souffrance et d'épreuves.
+
+ A peine un souvenir obscur survit en moi,
+ Heure d'angoisse, heure de détresse et d'effroi
+ Qui m'a fait tressaillir d'une crainte ignorée:
+ Des reîtres ont voulu m'entraîner, à l'orée
+ De la forêt; j'ai fui leurs lèvres et leurs mains,
+ Eperdue, à travers les rochers sans chemins,
+ Et je frissonne encor de l'étreinte éludée
+ Jadis, quand mon horreur de vierge dénudée
+ Écoutait survenir l'approche des pas lourds.
+
+ Cependant par des soirs, solitaires toujours,
+ J'ai miré mon visage au miroir des fontaines
+ Et tendu vers mon front des lèvres incertaines
+ Dont la source perfide a glacé le désir;
+ Et l'ombre s'effaça que j'ai voulu saisir,
+ Comme un pâle soleil qui sombre au flot nocturne,
+ Sans avoir accueilli mon baiser taciturne.
+
+ Mais voici que ta voix grave qui m'effrayait
+ Parle plus doucement à mon coeur inquiet
+ Et qu'après les assauts de la tempête rude
+ Des astres bienveillants dorent la solitude.
+ Donc j'entrerai sans peur dans la maison.
+
+ Salut,
+ Seuil, et que les haillons du passé révolu
+ S'envolent de ma chair au vent qui les emporte
+ Ainsi qu'un vain linceul d'où jaillit une morte
+ Pour renaître en splendeur de soleil exalté,
+ Belle de sa jeunesse et de sa nudité.
+
+
+II. _DE GUEULES._
+
+Dans la mélancolique demeure où les murs s'émerveillaient de sa beauté,
+saluée par les figures amies des lices, irradiant l'eau ternie des
+miroirs, l'ERRANTE est entrée blanche et nue.
+
+Elle n'a point refusé ses lèvres et les rouges floraisons de la joie ont
+fleuri impérieusement, par la vibrante offrande de son corps à l'HOMME
+éveillé d'un long rêve.
+
+Il a plongé dans les coffrets de bronze ses mains fiévreuses et
+prodigues, et l'armure d'or et les brocarts et les gemmes et le glaive
+ont échappé aux chaînes noires des ténèbres.
+
+Sur les seins et sur les épaules de l'ERRANTE, tous les trésors enfouis
+dans le sépulcre du silence depuis des siècles, des ans et des jours,
+resplendissent avec l'aurore.
+
+Au seuil matinal de la porte, elle se dresse en sa robe de pourpre qui
+recèle sous le sang figé de la soie, avec la cotte de mailles,
+l'irréprochable acier du glaive.
+
+Pensive, elle s'est retournée vers l'HOMME qui fait un geste d'adieu, et
+comme hésitante et retenue par la puissance d'une main invisible, elle
+tarde à franchir le seuil.
+
+L'ERRANTE
+
+ Je le sais: mon destin m'entraîne et tu le veux,
+ J'irai. Je dois offrir aux chocs tumultueux
+ Dès le premier appel de l'aube avant-courrière
+ Ma poitrine héroïque et libre de guerrière;
+ Et mon poing brandira le glaive désormais.
+ Je le sais: mais l'exil sombre où tu t'enfermais
+ S'illumine pour toi de ma chair apparue,
+ Et radieuse encor, même absente, j'obstrue
+ Les portes de la nuit que tu heurtais déjà.
+ Ami, dont ma venue importune outragea
+ Le manoir de silence et d'ombre inviolée,
+ Pardonne, pour ton deuil de solitude emblée,
+ A l'Errante qui part, chaude de tes baisers.
+
+L'HOMME
+
+ Va: le soleil bondit dans les cieux embrasés;
+ C'est l'heure, il faut franchir le seuil et vers les villes
+ Te ruer en clamant aux oreilles serviles
+ Tout ce que les tombeaux t'ont livré de secrets.
+
+ Viens et regarde: là de houleuses forêts
+ Où les pasteurs de porcs se vautrent dans les bauges;
+ Puis des plaines, rumeurs des blés, parfum des sauges,
+ Et les paysans nus courbés sous les sillons
+ A jamais; et plus loin des foules en haillons,
+ Troupeaux lâches que tu mueras en fauves hardes,
+ Tournent vers le palais des prunelles hagardes
+ Et des poings décharnés par l'immuable faim
+ Sans que la torche encor s'enflamme dans leur main.
+
+ Ce qui fut moi naguère et richesse stérile
+ Et dépouille des temps silencieux rutile
+ Autour de ton front jeune et de tes seins altiers:
+ Voici venir un vol de cygnes éployés,
+ Le vol tardif et sûr des prophétiques ailes
+ Qui m'invite au sommeil des ondes éternelles.
+
+ Va: la chair que la mort heureuse requérait
+ S'évanouit parmi les choses, sans regret,
+ Maintenant que tu m'as affranchi de moi-même
+ Et que tu peux, maîtresse enfin du double emblème,
+ Descendre vers les serfs de la glèbe et des murs
+ Et, selon le vouloir des trois monstres obscurs,
+ Tendre le rameau d'or ou férir de l'épée.
+
+L'HOMME disparaît sous les eaux immobiles, sous les eaux épaisses où ne
+palpite aucune lueur. L'ERRANTE contemple longuement le lac d'ombre
+monotone, puis marche, auréolée par la gloire du matin, vers les plaines
+et vers les villes orientales, tandis que sa voix dans la solitude
+chante les batailles futures.
+
+L'ERRANTE
+
+ Homme, revis en moi. Dans ma dextre crispée
+ Je serre puissamment le pommeau froid du glaive
+ Et si le monstre ancien se rebelle et se lève,
+ Je rougirai le sol de sa tête coupée,
+
+ Moi, celle qui connaît les suprêmes paroles
+ Et toute la douleur avec toute la joie;
+ Je chasserai le loup et l'hyène de proie
+ Et je veux emporter les royales corolles
+
+ Que les dragons jaloux gardaient des mains humaines:
+ Afin que le parfum des roses inconnues,
+ Epars farouchement sous la voûte des nues,
+ Suscite dans les coeurs les désirs et les haines,
+
+ Je viens à vous, frères penchés sur les emblaves,
+ Attelés à la meule au fond de l'ergastule;
+ Mon verbe lacérant l'antique crépuscule
+ Souffle une âme de pourpre à vos âmes d'esclaves;
+
+ Redressez-vous; sarclez les herbes parasites:
+ Lancez contre le ciel les pierres de vos geôles,
+ Et que les murs vaincus par vos fortes épaules
+ Vous ouvrent le jardin des terres interdites
+
+ Où, plus belles, des fleurs de rêve vont éclore
+ En butin triomphal pour les races vengées,
+ Tandis que le sang vil des bêtes égorgées
+ Se mêle par mon glaive au sang pur de l'aurore.
+
+
+
+
+VERS L'AURORE
+
+_A A.-FERDINAND HEROLD_
+
+
+
+
+LES AUMONIÈRES
+
+_A A.-F. Plicque._
+
+
+ Sur la grève qu'avaient souillée
+ Les conquérants et les héros,
+ Près de la mer pacifiée
+ Pleine des frissons auguraux,
+
+ Les poings perdus dans les crinières
+ De leurs chevaux roses et blancs,
+ C'étaient les bonnes aumônières
+ Qui reviennent tous les mille ans.
+
+ Cymodoce, Aglaure, Euryanthe,
+ Au caprice d'un galop fou
+ Elles passaient; leur flamboyante
+ Chevelure brûlait leur cou.
+
+ Lèvres douces comme la soie,
+ Lumineuses comme les cieux,
+ Elles chantaient un chant de joie
+ Vers l'Océan mystérieux.
+
+ Tandis que vibraient des abeilles
+ Autour des étalons loyaux,
+ Elles plongeaient dans des corbeilles
+ Leurs bras riches de lourds joyaux
+
+ Et brandissant leurs mains sacrées,
+ Bonnes au yeux chargés de pleurs,
+ Parmi les vagues empourprées
+ Semaient d'impériales fleurs;
+
+ Car les coroles millénaires
+ Eparses en vol d'Orient
+ Calment les antiques colères
+ Et charment le vieil Océan.
+
+
+
+
+MARE TENEBRARUM
+
+_A Emile Gallé._
+
+
+ Durant les jours de brume et les soirs sans étoiles
+ Le vent triste a fané la pourpre de nos voiles;
+ Mais nos coeurs s'attardant aux soleils révolus
+ Oubliaient le deuil vain des flux et des reflux.
+
+ La barque tressaillait de la poupe à la proue
+ Avec le ronflement d'un cheval qui s'ébroue;
+ Mais nos coeurs enchantés de chants évanouis
+ Oubliaient la clameur des vagues et des nuits.
+
+ Hier l'Aurore brusque a jailli de nos rêves;
+ Le marbre bleu des mers et l'or fauve des grèves
+ Eblouissaient nos yeux brûlés par les embruns
+ Et le dragon rostral s'enivrait de parfums.
+
+ Mais l'ombre en flocons noirs a neigé sur nos âmes,
+ L'ombre que nul soleil ne fondra de ses flammes
+ Et déjà le dragon, loin des havres heureux,
+ Mord les antiques flots glacés et ténébreux.
+
+
+
+
+LE PÈLERINAGE HORS DE L'OMBRE
+
+_A Remy de Gourmont._
+
+
+I
+
+ Ame riche de nuit, d'étoiles et de rêves
+ Qui puisas des trésors aux urnes d'un tombeau
+ N'abandonneras-tu jamais tes blêmes grèves
+ Pour cette ville en fleurs sous le printemps nouveau?
+
+ Ame riche de nuit, mon âme, tu recèles
+ Assez d'astres perdus et de soleils éteints:
+ Viens connaître la chair et les lèvres de celles
+ Qui tendent leurs seins nus aux pourpres des matins
+
+ Et font en souriant à l'aurore sereine
+ Fluer entre leurs doigts le sable et leurs cheveux,
+ Pour que, vivante enfin, ma bouche amère apprenne
+ A goûter le miel blond des heures. Tu le veux,
+
+ Ame lasse déjà des ivresses futures,
+ Toi qui n'as rien chéri que les pleurs et la mort:
+ Le vent gonfle d'amour les voiles toujours pures:
+ Loin de l'île où la blanche Hymnis repose et dort,
+
+ Pour moi seul, dans le vain cénotaphe des roses,
+ Nous irons conquérir son corps ressuscité;
+ Sans doute elle revit par les métempsycoses
+ Sur le sol oublieux que parait sa beauté
+
+ Et parmi les parfums sauvages des galères,
+ Les chiens, les portefaix qui geignent en marchant,
+ Elle va, lourde encor des gloires tumulaires,
+ Sans que nul ait compris la douceur de son chant.
+
+
+II
+
+ L'écume violée a neigé de la proue;
+ Les mauves qui mouillaient leurs plumes aux flots noirs
+ Ont secoué le sel des vagues sur ma joue.
+
+ Le sel des vagues! Tels les pleurs d'antiques soirs
+ Enrichirent jadis de gemmes dissipées
+ Ces yeux fous aujourd'hui d'aventure et d'espoirs.
+
+ Puis la forêt flamba de cruelles épées;
+ Mais plus d'ombre tombait des branchages pieux
+ Pour voiler le sommeil inquiet des Napées.
+
+ Ainsi les âpres bois ont défendu mes yeux
+ Jadis et quand le jour en troublait l'eau tranquille,
+ Ils étalaient dans l'air leur deuil impérieux.
+
+ Or maintenant, voici les portes de la ville;
+ Je franchirai les murs sans désir de retour
+ Heureux si dans la solitude où je m'exile
+
+ L'ombre descend sur moi du temple et de la tour.
+
+
+III
+
+ Farouche de voir les aurores
+ Et les soleils épanouis,
+ L'eau tressaillait dans les amphores
+ Sur la marge grise des puits
+
+ Et les ténèbres souterraines,
+ Les iris de sombre cristal
+ Se flétrissaient comme des reines
+ Captives d'un soudard brutal.
+
+ Les servantes et les esclaves
+ Riaient à l'entour; mais tu vins,
+ Et tu voilas de voiles graves
+ Les filles des antres divins.
+
+ Protectrice des eaux dolentes
+ Qui sais les rites d'autrefois,
+ J'ai trempé mes lèvres tremblantes
+ A la coupe triste où tu bois:
+
+ Souviens-toi d'heures et d'années
+ Et de soleils, étends les mains
+ Vers les clématites fanées,
+ Vers les étoiles des jasmins;
+
+ Et sur la terre des merveilles
+ Que pavoisaient de nobles cieux
+ Fais refleurir les belles treilles
+ De nos jardins silencieux.
+
+
+
+
+NATIVITÉ
+
+
+ L'enfant né de la terre et libéré par elle
+ Tendit, farouche et nu, son torse impérieux
+ Hors de l'antre où mourait la nuit surnaturelle;
+
+ Mais la brusque splendeur du soleil et des cieux,
+ Lacérant l'ombre avec des griffes empourprées,
+ Ne fit pas tressaillir l'eau calme de ses yeux.
+
+ Désormais dédaigneux des fontaines sacrées,
+ Il buvait puissamment la lumière et l'orgueil,
+ O ténèbres en pleurs, ô mères éventrées!
+
+ Et quand il eut vaincu les lianes du seuil
+ Et déployé sa chevelure dans l'aurore,
+ Les arbres lui chantaient un chant de bon accueil.
+
+ Dans l'allégresse de la force qui s'essore
+ Il marchait à travers la natale forêt,
+ Attentif aux frissons du feuillage sonore;
+
+ Autour de lui le vol des abeilles vibrait
+ Et le miel embaumant ses lèvres fatidiques
+ Révélait à son coeur l'ineffable secret
+
+ De la vie immortelle et des sèves antiques.
+
+
+
+
+LE CHÈVRE-PIEDS
+
+
+ Sous cette roche en pleurs où dort la femme nue,
+ Nuage d'aube éparse en la menteuse nuit,
+ Le chèvre-pieds regarde à travers l'eau qui flue
+ Les lointaines maisons de labeur et de bruit.
+
+ Les tristes paysans se penchent vers la glèbe
+ Pour un baiser de serfs et de jaloux amants
+ Dont la bouche haineuse évoque de l'Erèbe
+ L'or futur des épis et des riches froments.
+
+ Avares de moissons qui fatiguent les granges,
+ Ils méprisent l'aurore et les soleils couchants
+ Et leur oreille est close aux paroles étranges
+ Qui montent des taillis, des sources et des champs;
+
+ Et la charrue, avec les jours et les années,
+ Impitoyable au deuil des bois mystérieux
+ Offense la beauté des forêts profanées
+ Où rôdaient librement les fauves et les dieux.
+
+ Mais le sylvain survit à la sylve abattue;
+ Dans l'antre encor voilé de feuillage, sa chair
+ Immortelle, à travers les siècles, perpétue
+ Le grand frisson d'amour qui fait tressaillir l'air;
+
+ Et dans les flancs d'une passante solitaire
+ Il sème au chant des eaux et des rameaux flottants
+ Des fils aventureux affranchis de la terre
+ En qui bout la jeunesse héroïque des temps.
+
+
+
+
+FLAMMES
+
+
+ Parmi les âcres fleurs des lauriers, cette voix
+ Évocatrice en nous de gloire révolue
+ Émanait de la mer, du soir et d'autrefois:
+
+ «Enfants tristes, penchés vers l'ombre, l'ombre afflue
+ Et monte jusqu'à vos lèvres avec les flots
+ Dont vous enivriez votre âme irrésolue.
+
+ La séculaire nuit opprime vos yeux clos,
+ Enfants tristes, et vos poitrines lacérées
+ Se gonflent lâchement de stériles sanglots.
+
+ Si votre bouche a soif des aubes empourprées
+ Et du sang lumineux qui sacre le matin
+ Quel sortilège encor vous attrait aux vesprées?
+
+ D'un geste, dans la nuit, décisif et hautain,
+ Reniez le poison des ondes léthéennes
+ Et marchez sans retour vers un autre destin.»
+
+ Frénétiques, hors des ténèbres anciennes
+ Nous avons fait jaillir dans le ciel morne et noir
+ Une farouche aurore à la cime des chênes,
+
+ Et dociles au cri de désir et d'espoir,
+ Nous respirons les roses rouges de la joie,
+ Depuis que déjouant les embûches du soir
+
+ La torche avec l'épée à notre poing flamboie.
+
+
+
+
+LE JARDIN DE CASSIOPÉE
+
+_A ALFRED VALLETTE_
+
+ Cassiopée, s'étant déclarée, par orgueil, plus belle que les Néréides,
+ dut exposer au monstre marin sa fille Andromède, qui fut délivrée par
+ Persée. Après sa mort, Cassiopée fut mise au rang des Constellations.
+
+(MYTHOGRAPHES GRECS.)
+
+
+
+
+LE JARDIN DE CASSIOPÉE
+
+
+L'HOMME
+
+ Sans matins blancs et sans étoiles dans la nuit,
+ A travers le brouillard où soufflait le vent rude,
+ J'ai cheminé de solitude en solitude
+ N'ayant pour compagnon que l'immuable ennui.
+
+ Derrière les rocs noirs qui portent le ciel triste,
+ Monotone, la mer invisible pleurait;
+ Et jusqu'à l'horizon barré par la forêt,
+ Les maigres tamaris et l'âpre fleur du ciste.
+
+ Puis des jours mornes dans le silence des bois
+ Pesèrent sur mon front en gouttes d'ombre lourde:
+ Nul bruit d'oiseau qui chante ou de source qui sourde
+ N'a dissipé l'horreur d'ouïr ma seule voix;
+
+ Et ce fut à nouveau la lande grise et plate,
+ La houle des genévriers et des ajoncs,
+ Que n'illustra jamais de tragiques rayons
+ Quelque couchant royal au manteau d'écarlate.
+
+ Mais le riche verger m'attend. O treilles d'or,
+ Saurai-je encor saisir vos grappes immortelles,
+ Les mains lasses d'avoir cueilli des asphodèles
+ Et de sombres pavots qui conseillent la mort?
+
+CASSIOPÉE
+
+ Qui que tu sois, passant envoyé par le sort,
+ Venu des ténébreux chemins, franchis la haie,
+ Cueille d'un seul regard toute la roseraie,
+ Que ses vivants parfums te sauvent de la mort!
+
+ Tends les mains; le verger de force et de liesse
+ Que n'a pas envahi l'ombre du dernier dieu
+ T'offre les raisins clairs, les oranges de feu,
+ Et si ta lèvre a soif d'amour, l'aube acquiesce,
+
+ La mer chante; appelé par les conques des flots,
+ Après les jours ou les longs mois de bonne halte,
+ Tu partiras: le vin des amphores exalte
+ L'orgueil viril et pur qui sacre les héros
+
+ Et son baume puissant délivre l'âme esclave;
+ Tu partiras dans la splendeur d'un soir d'été
+ Tel que le soleil rouge au ciel ensanglanté
+ Teigne en pourpre l'embrun de neige sous l'étrave.
+
+ Tourbillonne le vol des typhons éployés!
+ Qu'importe au pèlerin dédaigneux et farouche
+ Ivre éternellement d'avoir bu sur ma bouche
+ Le mépris du ciel vide et des dieux reniés!
+
+
+
+
+VOIX DERRIÈRE LA HAIE
+
+
+_VENDÉMIAIRE_
+
+LES VENDANGEURS
+
+ Les sarments rampaient entre les pierres
+ Ou montaient au tronc rugueux des ormes,
+ Tordus et noués en noeuds difformes
+ Comme des orvets et des vipères.
+
+ Courbés sous le fouet des rois avares,
+ Nous avons versé nos pleurs, nos peines;
+ Nous avons ouvert nos pâles veines,
+ Nous avons nourri les vignes rares;
+
+ Nous avons pillé les ceps d'automne;
+ Le moût bruissait au fond des cuves,
+ Pour les maîtres, saouls de chauds effluves,
+ Le sang de nos coeurs emplit la tonne.
+
+
+_NIVOSE_
+
+LES COUPEURS DE ROSEAUX
+
+ L'eau langoureuse endormait les saules;
+ Vers le déclin des tièdes journées
+ Elle frôlait de lèvres pâmées
+ Les seins roses, les blanches épaules.
+
+ Le choeur estival des femmes nues
+ Plus doux que le chant des tourterelles
+ Propageait parmi les roseaux grêles
+ Le frisson de voluptés inconnues.
+
+ Roseaux, vous clorez nos pauvres huttes.
+ D'autres prendront vos fragiles âmes;
+ Ils évoqueront les belles femmes
+ Avec la voix magique des flûtes.
+
+
+_FLORÉAL_
+
+LES TISSERANDS
+
+ Notre peau s'use au fer des navettes,
+ Notre peau gerce à tistre la soie;
+ Dehors le printemps chante et flamboie:
+ Nous ne connaissons ni fleurs ni fêtes.
+
+ Toujours notre front dolent s'incline
+ Vers le métier dès la prime aurore;
+ Toujours nos doigts fanés font éclore
+ De fraîches fleurs dans l'étoffe fine.
+
+ Et sur le linceul et sur les langes
+ Des empereurs porphyrogénètes
+ Nous entrelaçons les fauves bêtes
+ Qui rôdent dans nos songes étranges.
+
+
+_THERMIDOR_
+
+LES MARINS
+
+ Nous avons dompté les mers funèbres
+ Et vaincu leurs gueules forcenées:
+ La lèpre mord nos mains décharnées
+ Ronge la moelle de nos vertèbres.
+
+ En vain le soleil d'été rayonne:
+ Car nous nous traînons dans les venelles,
+ Grelottant de fièvres éternelles,
+ Et sur nos os la laine frissonne.
+
+ Cependant nous portions dans la cale
+ La poudre d'or et les aromates
+ Et de souples filles aux chairs mates
+ Mûres de lumière orientale.
+
+
+
+
+LA DOULEUR A CRIÉ
+
+
+L'HOMME
+
+ La douleur a crié du fond des belles heures.
+
+ Les roses du jardin, le parfum que tu fleures
+ L'opulente senteur de l'été triomphant
+ S'évanouit; le meurtre souffle avec le vent:
+ La douleur a crié du fond des belles heures.
+
+
+ Pantelante, Andromède agonise à jamais.
+
+ Un suprême baiser aux lèvres que j'aimais,
+ Et dans le rouge soir je brandirai l'épée,
+ Puisque hors du verger calme, Cassiopée,
+ Pantelante, Andromède agonise à jamais
+
+
+ Mais l'invincible orgueil vit dans les treize étoiles.
+
+ Si la tempête hurle et lacère les voiles,
+ J'attends sans peur l'assaut des vagues et des cieux;
+ Les astres immortels réconfortent mes yeux
+ Et l'invincible orgueil vit dans les treize étoiles.
+
+
+
+
+LA GLOIRE DU VERBE
+
+
+
+
+LA GLOIRE DU VERBE
+
+_A CAMILLE BLOCH_
+
+
+
+
+LA GLOIRE DU VERBE
+
+
+I
+
+ Une nuit langoureuse et sereine enveloppe
+ D'un cercle de lapis ouvré de roses d'or
+ Les barques, essaim las de cygnes sans essor,
+ Les palmiers, les canaux, les plaines et Canope;
+
+ Et des flambeaux pareils à des soleils couchants
+ Illuminent la soie et les gemmes persanes.
+ Tandis qu'au rire aigu des jeunes courtisanes
+ Les nefs, lourdes d'amour, glissent avec des chants.
+
+ Les esclaves courbés effleurent de leurs rames
+ Les papyrus géants teints de brèves clartés
+ Et l'eau lente roulant des flots de voluptés
+ Où se mirent les yeux et les seins nus des femmes.
+
+ Mais non loin, sourd au bruit sacrilège que font
+ Les voix des matelots, les flûtes et les harpes
+ Le guérisseur voilé de ses triples écharpes
+ Ossar-Hapi sommeille en son temple profond;
+
+ Et de vagues lueurs éparses sur les dalles
+ Eclairent tristement de leurs reflets confus
+ Les suppliants couchés auprès des grêles fûts
+ En un fétide amas de chairs et de sandales.
+
+ Seul debout dans sa force et sa beauté, parmi
+ Les pèlerins perclus de maux, rongés d'ulcères,
+ Mais tel que le géant déchiré par les serres
+ Du vautour, un Hellène orgueilleux et blêmi
+
+ Evoque sans trembler le prince du mystère:
+ «O maître, hôte caché du sanctuaire, ô Roi,
+ Vierge d'étonnement puéril et d'effroi,
+ J'ai connu tous les dieux du ciel et de la terre,
+
+ Atroces et cléments, magnifiques et laids
+ Et j'ai prié selon l'ordonnance des rites
+ Près du fleuve farouche où chantent les lychnites
+ Dans la splendeur des clairs de lune violets
+
+ Et là-bas, où les daims paissent la mousse rase
+ Sous les neiges de la fabuleuse Thulé,
+ J'ai lu le sort écrit dans l'azur constellé
+ Par les nuits qu'une aurore inoubliable embrase;
+
+ Mais nul n'a dit le mot que j'ai cherché longtemps
+ Et qui me guérirait des angoisses de l'âme:
+ Parle, sinon la mort prochaine me réclame
+ Et l'horreur d'ignorer me consume: j'attends.»
+
+
+II
+
+ Alors des profondeurs et des ténèbres saintes
+ Comme un jeune soleil sort des gouffres marins,
+ Blanche, laissant couler des épaules aux reins
+ Ses cheveux où nageaient de pâles hyacinthes,
+
+ Une femme surgit: son manteau radieux
+ Revêtait son beau corps d'une pourpre vivante;
+ Des abîmes d'amour, de joie et d'épouvante
+ Où sombrerait l'esprit des hommes et des dieux
+
+ S'ouvraient terriblement dans ses larges prunelles
+ Et les villes, les champs, les cimes, les déserts,
+ La mer prodigieuse et l'infini des airs
+ Semblaient se réfléchir et disparaître en elles;
+
+ Et lorsqu'elle parla, son ineffable voix
+ Unissait aux échos des lyres et des sistres
+ Le souffle des baisers et les râles sinistres
+ De la haine et le bruit des vagues et des bois:
+
+ «Marcheur pensif, enfant prédestiné qui nies
+ Les songes et l'espoir de ton coeur puéril,
+ Tu vas, émerveillé des floraisons d'avril
+ Et des soirs frissonnant de calmes harmonies;
+
+ Tu regardes avec des tendresses d'amant
+ Les nuages légers ouvrir leurs ailes closes
+ A l'aube, et comme un vol de flamants blancs et roses
+ S'élever dans les champs du ciel éperdument;
+
+ Volontaire captif de l'éternelle Omphale
+ Tu parles bas aux Vierges chastes et tu sais
+ Faire chanter aux corps ardemment enlacés
+ Des hymnes inouïs d'impudeur triomphale;
+
+ Ton esprit altéré de désirs immortels
+ Epuiserait encor la coupe des prières,
+ Ta parole dément tes attitudes fières
+ Et tu t'es prosterné devant tous les autels.
+
+ Mais toujours au milieu de tes extases vaines
+ Le mensonge des dieux et des lèvres te point
+ Et tu verses, déçu d'aimer ce qui n'est point,
+ Tous les pleurs de tes yeux et le sang de tes veines.
+
+ Si tu n'étreins que des chimères, si tu bois
+ L'enivrement de vins illusoires, qu'importe?
+ Le soleil meurt, la foule imaginaire est morte
+ Mais le monde subsiste en ta seule âme: vois!
+
+ Les jours se sont fanés comme des roses brèves,
+ Mais ton Verbe a créé le mirage où tu vis
+ Et je nais à tes yeux de tes regards ravis
+ Et je garde à jamais la gloire de tes rêves.»
+
+ La forme s'effaça, la parole se tut,
+ Et délivré du poids antérieur des chaînes,
+ L'homme plana plus haut que les heures prochaines
+ Et comme tout, canaux, cité, temple abattu
+
+ S'enfonçait lentement dans la brume amassée
+ Sur le fond ténébreux des êtres et des temps,
+ Pure clarté, pistils de rayons éclatants,
+ Il vit s'épanouir la fleur de sa pensée.
+
+
+
+
+LES MYTHES
+
+_A MARCEL COLLIÈRE._
+
+
+
+
+L'AVENTURIER
+
+_A Charles Andler._
+
+
+ Là-haut, temple ou palais dressé sur la colline,
+ Un amoncellement de blocs prodigieux
+ Monte: des chiens de bronze aux yeux de cornaline
+ Hurlent aux quatre vents, la gueule vers les cieux.
+
+ Les murs massifs, coupes de portes métalliques,
+ Sont écaillés de cuivre et peints de vermillon;
+ Au faîte, le soleil frappe de feux obliques
+ Un étendard taillé dans la peau d'un lion.
+
+ Pacifiques, devant la demeure farouche,
+ Des rosiers rouges et des lys parent le bois
+ Où passe, inoffensive aux roses qu'elle touche,
+ L'enfant belle à dompter les héros et les rois.
+
+ Le calme lumineux du jour mourant caresse
+ L'enfant grave: elle glisse entre les nobles fleurs
+ Avec des gestes lents d'idole ou de prêtresse
+ Qui n'a jamais connu le rire ni les pleurs.
+
+ Elle va, contemplant de ses larges prunelles
+ Les vagues de forêts qui ferment l'horizon
+ Et le val où le soir vêt d'ombres solennelles
+ Le maître hérissé d'une horrible toison.
+
+ C'est son père, tueur de boeufs, ployeur de chênes;
+ Embusqué tel qu'un fauve aux aguets, il attend
+ Les voyageurs qui vont vers les cités prochaines
+ Et fait craquer leurs os en ses doigts de Titan.
+
+ Puis il revient, tranquille, après chaque tuerie,
+ Courbé sous le butin comme un roi triomphant,
+ Et tandis que les morts saignent dans la prairie
+ Suspend de lourds colliers au cou de son enfant.
+
+ Maintenant une nuit de lune, froide et claire,
+ Découpe le profil des monts sur les chemins;
+ Le meurtrier fatal, sans haine et sans colère,
+ Ecoute s'approcher un bruit de pas humains.
+
+ Et voici qu'au détour de la route moussue
+ Apparaît, radieux sous l'armure qui luit,
+ Un guerrier casqué d'or qui porte une massue
+ Et dont le manteau rouge illumine la nuit.
+
+ Le Tueur, allongé dans la broussaille, épie
+ Le Héros dédaigneux en marche vers la mort;
+ Mais celui-ci, clamant vers la muraille impie,
+ Réveille les échos de la forêt qui dort:
+
+ «Je suis venu; hors du repaire, ô vainqueur d'hommes!
+ Si tu fuis devant moi je dirai que tu mens;
+ Mais tu mériteras le nom dont tu te nommes
+ Si tu peux m'étouffer dans tes embrassements.»
+
+ --«Soit! ta bouche saura la saveur de la terre.»
+ Et l'antique lutteur se dresse avec ennui
+ Pour écraser d'un coup de poing et faire taire
+ L'éphèbe injurieux qui parla devant lui.
+
+ Ils se prennent, poitrine unie et chair mêlée,
+ Groupe tumultueux de râles et de cris:
+ L'enfant calme regarde, au fond de la vallée,
+ Le meurtre habituel du haut des monts fleuris.
+
+ Elle voit seulement se mouvoir dans la plaine
+ L'ombre du double corps et des torses jumeaux
+ Et sûre du vainqueur, s'enivre avec l'haleine
+ Des parfums langoureux épars sous les rameaux.
+
+ Mais tout à coup, après une clameur sauvage,
+ Ses impassibles yeux se ferment de terreur:
+ Comme un boeuf abattu dans le natal herbage,
+ L'invincible est couché sous le jeune lutteur.
+
+ Et le guerrier sanglant, par les pentes ardues,
+ Monte vers le jardin: «Vous serez apaisés,
+ O morts, je vengerai vos âmes éperdues
+ Et la victime est belle et vierge de baisers.
+
+ O morts, je vais tuer dans la Fille maudite
+ Les exécrables fils qui naîtraient de ses flancs.»
+ Il dit et vient, hagard du meurtre qu'il médite
+ Et l'Enfant parle aux fleurs et tend ses bras tremblants:
+
+ «L'Homme vous briserait avec ses mains brutales,
+ Roses que je laissais fleurir et défleurir;
+ Un arome puissant monte de vos pétales,
+ Vos parfums sont trop doux pour que j'aime à mourir.
+
+ Ma chair frissonne; sauvez-moi, fleurs protectrices.
+ O lys, lys glorieux que je n'ai pas cueillis,
+ Je voudrais me cacher dans vos étroits calices
+ Et refermer sur nous le voile des taillis.
+
+ Au moins, versez en moi vos senteurs: que j'emporte
+ Dans le morne pays vos baumes précieux,
+ O fleurs qui renaîtrez lorsque je serai morte,
+ Fleurs, éternelles fleurs, fleurs égales aux dieux!»
+
+ Elle murmure encor des mots et des prières
+ Mais le vainqueur, surgi des âpres escaliers,
+ Traîne par les cheveux l'Enfant dans les clairières
+ Et fait boire son sang aux roses des halliers.
+
+ «J'ai tué le Brigand et la Magicienne,
+ L'oeuvre est bonne: luisez sur ma route, astres purs!»
+ Et l'Ephèbe drapé dans la pourpre ancienne,
+ Se hâte dans la nuit vers les monstres futurs.
+
+
+
+
+LE BOIS SACRÉ
+
+_A Lucien Lévy_
+
+
+I
+
+ Resplendissante, au pied du mont mystérieux,
+ La troupe formidable et blonde des guerrières
+ Gardait, la lance au poing, les farouches clairières
+ Et la forêt terrible où sommeillent les dieux.
+
+ Et tous venaient vers la ténébreuse vallée
+ Sous les casques de bronze et les boucliers ronds,
+ Vêtus de fer et d'or par de bons forgerons,
+ Tous les héros épris de gloire inviolée.
+
+ Frappant le ciel muet de sauvages clameurs,
+ Tous par les nuits, par les matins, par les vesprées,
+ Ils venaient au galop des licornes cabrées:
+ «Nous verrons votre face, exécrables semeurs
+
+ Des désirs, des baisers et des larmes humaines;
+ O voyageurs hagards qui hurlez dans le vent,
+ Nos bras étoufferont votre souffle vivant
+ Et nous tuerons en vous nos amours et nos haines.
+
+ Si vous ne craignez pas nos glaives, approchez:
+ Votre rire cruel insulte à nos misères.
+ O vautours, nous irons vous prendre dans vos aires,
+ O loups, nous forcerons vos repaires cachés!»
+
+ Tous se ruaient: là-haut, sous les sombres ramures,
+ Les calmes dieux semblaient immobiles et sourds.
+ Mais brandis par les mains des guerrières, toujours
+ Les javelots stridents vibraient sur les armures.
+
+ Et les héros, vainqueurs de monstres, les tueurs
+ Des dragons enflammés, des hydres et des stryges
+ Roulaient honteusement broyés sous les quadriges.
+ Leurs yeux mi-clos rougis de mourantes lueurs
+
+ Convoitaient les seins nus des prêtresses complices
+ Qui, méprisant leurs cris et leurs râles derniers,
+ Joyeuses, bondissaient sur les rauques charniers
+ Et tendaient vers le ciel leurs mains triomphatrices.
+
+
+II
+
+ Or le tumulte des batailles, ce jour-là,
+ Se tut comme la mer pendant les accalmies.
+ Sur les corps mutilés et sur les chairs blêmies
+ Le flot d'une ineffable aurore s'étala.
+
+ Un grave chant porté par le souffle des brises
+ Montait de l'Orient lumineux et charmait,
+ Épars autour des bois et du divin sommet,
+ Le coeur moins furieux des guerrières surprises:
+
+ Et l'Aède parut couronné de cyprès;
+ Sa lyre se voilait de tristes asphodèles
+ Et douloureusement les cordes immortelles
+ Pleuraient un chant d'amour, de deuil et de regrets.
+
+ «M'entends-tu dans le noir abîme, ô chère morte,
+ Irrévocable fleur qu'un vent cruel emporte?
+
+ O lumière, comme une étoile qui s'enfuit,
+ Ne briseras-tu pas les chaînes de la nuit?
+
+ O soeur des soirs taillés dans de larges opales,
+ Où sont tes cheveux d'ombre, où sont tes lèvres pâles?
+
+ Vous qui l'avez ravie, ô dieux, je viens à vous,
+ Rendez l'épouse absente aux baisers de l'époux.
+
+ Je vous ai célébrés dans mes strophes pieuses,
+ O maîtres qui siégez aux cimes merveilleuses:
+
+ Mais les rhythmes naissaient de ses rires: rouvrez
+ Les sources de l'amour et des hymnes sacrés.»
+
+ Les guerrières des dieux écoutaient comme en rêve
+ Le doux profanateur en marche vers les bois,
+ Il passa; les chevaux s'écartaient à sa voix
+ Et sa chair dédaignait la morsure du glaive.
+
+ Autour de lui, le vol des flèches susurrait
+ Comme un essaim vaincu d'abeilles bienveillantes
+ Et sans ouïr les cris des vierges effrayantes
+ L'Aède pacifique entra dans la forêt.
+
+
+III
+
+ Éperdument, par les silencieuses sentes,
+ Il allait; ses regards épiaient les fourrés
+ Taciturnes: sous les rameaux enchevêtrés,
+ Nulle apparition de chairs éblouissantes.
+
+ L'ombre informe, le noir silence, des parfums
+ Sauvages d'herbe fraîche et de fleurs surannées
+ Et, confondue avec les sèves déchaînées,
+ L'innombrable senteur des automnes défunts.
+
+ Il allait; nulle voix effroyable ou charmante
+ Ne répondait, nul bruit de fête ou de combats:
+ Seul, dans les antres, sous le ciel, ici, là-bas,
+ Le frisson fauve de la terre qui fermente.
+
+ Semblables au monceau des feuilles sous ses pas,
+ Ses rêves, ses douleurs, ses pensées
+ Tombaient en tournoyant dans les bises glacées
+ Et l'Aède comprit que les dieux n'étaient pas.
+
+ Il perdit, se vouant aux stupides épées,
+ L'orgueil d'être vaincu par un maître inclément,
+ Comme les héros morts frappés en blasphémant
+ Ivres d'un puissant vin de gloire et d'épopées.
+
+ Et dépouillé du fier rêve des dieux jaloux,
+ Il brisa pour jamais les cordes tutélaires
+ Et descendit vers les clameurs et les colères,
+ Ainsi qu'un chasseur las se livre aux crocs des loups.
+
+
+IV
+
+ L'homme fut déchiré par les vierges sanglantes;
+ La bouche d'où sortaient les paroles de miel
+ Se tut. La nuit sereine enveloppa le ciel
+ Et recouvrit les morts d'ombres indifférentes,
+
+ Tandis que défendant le mont mystérieux
+ La troupe formidable et blonde des guerrières
+ Gardait, la lance au poing, les farouches clairières
+ Où triomphe toujours le mensonge des dieux.
+
+
+
+
+LES CAPTIFS
+
+_A Leconte de Lisle._
+
+
+I
+
+ Un sage, descendant de cimes inconnues,
+ S'en allait autrefois par le pays d'Assour,
+ Et la mystérieuse aurore d'un grand jour
+ Empourprait, à sa voix, le jardin blanc des nues.
+
+ Les peuples le suivaient et ne comprenaient pas
+ Quels dieux, accompagnant la marche du prophète,
+ Candidement semaient dans les villes en fête
+ Des lys miraculeux et calmes sous ses pas.
+
+ Mais tous buvaient le miel divin de ses paroles,
+ Le miel fait de parfums et de baumes puissants,
+ Forts comme la senteur éparse de l'encens,
+ Doux comme la senteur éparse des corolles.
+
+ Pour s'enivrer des mots que sa bouche versait,
+ Les laboureurs quittaient le manche des charrues,
+ Et parmi la clameur des foules accourues
+ Le Voyant pacifique et sublime passait.
+
+ Désormais, dédaigneux des apparences brèves
+ Et des illusions passagères, fermant
+ Leurs yeux purifiés à la clarté qui ment,
+ Les hommes ouvraient l'âme à la splendeur des rêves.
+
+
+II
+
+ Le roi, las des lions traqués dans les filets,
+ Las des buffles saignant sous la grêle des flèches,
+ Las des femmes aux chairs odorantes et fraîches
+ Fit amener vers lui cet homme en son palais:
+
+ «Vieillard, évocateur des merveilles du songe,
+ «Jongleur qui fais surgir devant les yeux humains,
+ «Dans la poussière impure et vile des chemins,
+ «Des visions de paix, de gloire et de mensonge,
+
+ «Vieillard, évocateur des merveilles du ciel,
+ «Toi qui règnes, là-bas, au pays du mystère,
+ «Mon coeur royal déçu par l'horreur de la terre
+ «Aspire à la beauté du monde essentiel.
+
+ «Tel que le cri plaintif des tigres dans les fosses
+ «Vient à nous à travers les cloisons de la nuit,
+ «J'entends sourdre en moi-même un lamentable bruit
+ «Malgré le mur d'airain des apparences fausses.
+
+ «O vieillard, fais tomber les mauvaises cloisons,
+ «Montre-moi la campagne et les arbres des plaines
+ «Et les fleuves d'azur roulant à vagues pleines
+ «Vers le gouffre sans fin des vierges horizons.»
+
+ Mais l'homme d'une voix tranquille: «Que t'importe,
+ «O roi des rois, seigneur des mondes, fils des dieux,
+ «Qui marches revêtu de pourpre et radieux,
+ «La rumeur entendue au delà de la porte?
+
+ «O maître, que veux-tu de la terre et des cieux?
+ «Si je t'ouvre la source antique de la vie,
+ «Je n'apaiserai pas ta soif inassouvie,
+ «Et ton esprit d'orgueil n'en croira point tes yeux!»
+
+ --«Voilà beaucoup de mots inutiles, prends garde:
+ «Ta tête pourrait choir d'un coup prématuré.»
+ Et l'homme répondit: «C'est bien. J'obéirai:
+ «Roi qui veux voir le fond de l'abîme, regarde.»
+
+ Hors du temps, hors du lieu, faite de pur granit,
+ Enserrant l'univers de ses noires murailles,
+ Rauque d'un monstrueux râle de funérailles,
+ Une immense prison montait dans l'infini.
+
+ Au milieu de la geôle effroyable, les villes
+ S'étageaient sous le deuil des cieux; un flamboiement
+ D'astres sombres luisait épouvantablement
+ Sur les rois, sur les dieux, sur les foules serviles.
+
+ Mais une lueur d'aube emperlait l'Orient
+ De magiques rayons et d'étincelles blondes:
+ Les hommes nés depuis la naissance des mondes
+ Se ruaient vers l'espoir du soleil, en criant.
+
+ Ils allaient, éperdus et fauves; les armées
+ Se heurtaient sous le vol sinistre des vautours;
+ Et les blocs de rochers pleuvaient des hautes tours,
+ Et les ailes du feu nageaient dans les fumées.
+
+ Les chefs vainqueurs, avant le rouge lendemain,
+ Offraient aux dieux d'en-haut les victimes tuées
+ Et dressaient vers la cime errante des nuées
+ Des palais effrayants tendus de cuir humain.
+
+ Sourds aux tumultes, sourds aux luttes, mains unies,
+ Regards ravis d'extase et d'éblouissements,
+ Des couples enlacés de femmes et d'amants
+ Passaient, dans un concert de tendres harmonies:
+
+ Des pétales de fleurs apportés par le vent
+ Tourbillonnaient vers eux dans l'ombre des yeuses:
+ Et tous, couples d'amour et hordes furieuses,
+ Marchaient, marchaient toujours vers le soleil levant.
+
+ Mais l'aube désirée et les futures gloires
+ De clartés décevaient leurs risibles efforts,
+ Et mourant vainement pour renaître, les morts
+ Poursuivaient à nouveau les astres illusoires.
+
+ La même nuit baignait l'éternel horizon,
+ Et de ceux qui vaguaient dans la geôle des choses
+ Et tâchaient à s'enfuir de leurs cavernes closes,
+ Aucun ne s'évadait de la morne prison.
+
+ Seuls, les sages tuaient la volonté de vivre.
+ Aveugles aux lueurs que nul ne peut saisir,
+ Ils gagnaient, affranchis des chaînes du désir,
+ Le néant ineffable et la mort qui délivre.
+
+ Bienheureux qui savaient la fatigue des pas,
+ Bienheureux qui savaient le mirage des astres,
+ Bienheureux qui savaient la vie et les désastres:
+ Ils s'endormaient un jour et ne renaissaient pas.
+
+
+III
+
+ «La vision, vieillard, est morne et ridicule:
+ «Tu mourras.» Et le roi Nabou-Koudour-Oussour,
+ Très juste, fit clouer au faîte d'une tour
+ La tête qui saignait dans l'or du crépuscule.
+
+
+
+
+LES YEUX D'HÉLÈNE
+
+_A Marcel Proust._
+
+ Qualis maternis Helene jam digna palestris,
+ Inter amyclaeos reptabat candida fratres.
+
+(P. STATIUS.)
+
+
+ La native blancheur du cygne paternel.
+ Vêt de neige le corps adorable d'Hélène,
+ Et l'eau du fleuve bleu qui glisse dans la plaine
+ Baigne ses yeux d'enfant profonds comme le ciel.
+
+ Elle va: ses regards de déesse ingénue
+ Que jamais la tristesse impure n'a troublés
+ Errent nonchalamment sur les flots blonds des blés,
+ Et les hommes pensifs tremblent à sa venue.
+
+ Elle évoque l'horreur future des destins
+ Et verse le frisson des luttes fatidiques
+ Aux guerriers à venir assis sous les portiques,
+ Dont les yeux éblouis suivent ses pas lointains.
+
+ L'effroi religieux issu de ses prunelles
+ Ardentes d'incendie et de fauves clartés
+ Saisit étrangement les coeurs épouvantés
+ Et pleins de visions sombres et solennelles.
+
+ Passe, vierge terrible au col souple et nerveux:
+ L'inexpiable sang pour les siècles macule
+ Ton front clair comme un jour d'été sans crépuscule
+ Et la mort des héros surgit de tes cheveux.
+
+ Passe, reine d'amour, semeuse de désastres,
+ Dans ta robe de gloire et de sérénité,
+ Et vois fleurir les deuils autour de ta beauté,
+ Sous tes regards pareils aux rayons froids des astres.
+
+ Tu brilles dans la nuit des âges révolus
+ Et les derniers amants des formes triomphales
+ Contemplent au delà de l'ombre et des rafales
+ Tes yeux dont la splendeur ne s'abolira plus.
+
+
+
+
+SCHAOUL
+
+_A Rodolphe Darzens._
+
+
+I
+
+ En ces jours, Elohim lui refusant son ombre,
+ Schaoul, enfant de Qisch, était semblable au mort
+ Délaissé, que la dent des bêtes fauves mord,
+ Et les esprits du mal rongeaient son âme sombre.
+
+ Il errait à travers les routes d'Israël
+ Poursuivi sans repos par la meute tenace
+ Et d'âpres aboiements de haine et de menace
+ Hurlaient autour de lui dans l'abîme du ciel.
+
+ Rien ne transfigurait ses mornes destinées.
+ Nulle trêve: ni les paroles des nabis
+ Ni la chair des béliers ni la chair des brebis
+ N'écartaient de son coeur les gueules forcenées.
+
+ Et même dans la fête héroïque du sang,
+ Quand les vaincus, après les sauvages victoires,
+ Montaient vers le Très-Haut en feux expiatoires,
+ Les crocs inassouvis lui déchiraient le flanc.
+
+ Alors on fit venir vers le roi taciturne
+ David de Bethléem, le joueur de kinnor,
+ Dont l'incantation charmait les astres d'or
+ Tandis que ses troupeaux paissaient l'herbe nocturne,
+
+ Et comme les chacals rentrent aux creux des monts
+ Quand le veneur paraît sur les rocs granitiques,
+ Mêlant sa voix d'enfant aux cordes prophétiques
+ David, plein d'Iahveh, chassa les noirs démons.
+
+
+II
+
+ Homme, Schaoul des temps infinis, saigne et pleure:
+ Les carnassiers hideux suivent sur ton chemin
+ La trace de tes pas, hier, aujourd'hui, demain,
+ Toujours: le changement de la forme et de l'heure
+
+ N'écartera jamais la horde des ennuis
+ Et tu te traîneras dans l'horreur sans limite
+ Sans ouïr le Kinnor et le Bethléémite
+ Qui te ferait des jours pareils aux belles nuits.
+
+
+
+
+RESSOUVENIR
+
+_A Mario de la Tour de Saint-Ygest._
+
+
+ Cet homme était venu vers le Maître des pleurs
+ Oubliant pour le Christ les lyres et les roses,
+ Comme un vendangeur las qui de ses mains décloses
+ Laisse choir les raisins et les grappes de fleurs.
+
+ Il avait délaissé pour les routes d'épines
+ Les portiques de marbre auprès des flots marins.
+ Sous le cilice dur qui lui mordait les reins,
+ Il marchait loin du jour vers les ombres divines.
+
+ Or il vivait au fond des bois mystérieux,
+ Suivi par un troupeau de bêtes familières,
+ Et des oiseaux volaient autour de ses prières
+ Et des rêves de ciel illuminaient ses yeux.
+
+ Mais toujours, tel qu'un vol blond d'abeilles essaime
+ Et retourne en vibrant aux ruches d'autrefois,
+ Par les soirs langoureux chargés des douces voix
+ Et des parfums charnels que le Mauvais y sème,
+
+ Son âme s'envolait vers les jours révolus:
+ L'ancien verbe d'amour caché dans l'Évangile
+ Faisait fleurir au bois les nymphes de Virgile
+ Et des faunes lascifs montraient leurs fronts velus.
+
+
+
+
+GOETTERDAEMMERUNG
+
+_A la comtesse Jane._
+
+ Heil siegendes Licht.
+
+
+ Siegfried, astre évadé des ombres transitoires,
+ Soleil épanoui dans l'azur de la mort,
+ Avec ta chair, la gloire humaine de l'effort,
+ S'abîmait dans le deuil des suprêmes victoires.
+
+ Mais tels que le granit usé des promontoires,
+ Que l'assaut de la mer tempétueuse mord,
+ Les dieux irradiant dans les glaces du Nord
+ Attendaient lâchement les jours expiatoires.
+
+ Le héros, sur les fleurs sanglantes du bûcher,
+ Semblait sortir des couchants mornes et marcher
+ Dans l'auréole d'or des flammes triomphales.
+
+ Tandis qu'en un torrent de splendeur et de bruit,
+ Flagellé par le vol sinistre des rafales,
+ Le Palais merveilleux s'écroulait dans la nuit.
+
+
+
+
+LA FILLE AUX MAINS COUPÉES
+
+MYSTÈRE
+
+_A Maurice Peyrol._
+
+
+_PERSONNAGES_
+
+ LA JEUNE FILLE.
+ LE POÈTE.
+ LE CHOEUR D'ANGES.
+ LE PÈRE.
+ LE SERVITEUR.
+
+_L'action se passe n'importe où et plutôt au moyen âge._
+
+Dans la chambre silencieuse, où flotte par les vitraux glauques la soie
+resplendissante de l'aurore, LA JEUNE FILLE est agenouillée et prie en
+sa blancheur adorable de lys.
+
+Le large bliaud damassé, broché de calices d'argent, qui neige sur sa
+poitrine et l'étoile, est à peine agité par le souffle du corps pâle
+sculpté dans un marbre vivant.
+
+Elle lit dans le lourd missel incrusté de joailleries, mais d'une voix
+si basse qu'elle semble un frôlement somptueux d'étoffes que froissent
+dans l'éther des princesses lointaines.
+
+Elle laisse tomber le livre et les yeux tournés vers un Christ exsangue
+sur un ciel ensanglanté, elle clôt ses lèvres entr'ouvertes et se prend
+à prier des rêves sans paroles.
+
+ O Jésus, écartez les griffes du Malin.
+
+ Les anges de saphir dorment dans le vélin;
+ Les graves lettres d'or pèsent aux ailes blanches;
+ La colombe du ciel s'englue après les branches,
+ Et la prière est prise au piège des versets.
+
+ O livre, le parfum sacré que tu versais
+ Vaut moins, pour le Sauveur et pour ses mains percées,
+ Que l'inappréciable encens de mes pensées.
+
+ Mon bien-aimé, mêlés à vos élus divins,
+ Mes rêves purs, avec le choeur des Séraphins,
+ Allégés du fardeau des paroles antiques,
+ Mes rêves ont chanté plus haut que les cantiques;
+ Et quand mon âme, un jour, s'évadera du corps,
+ Je volerai dans les Splendeurs et les Accords
+ Faits de flamme subtile et de claire harmonie,
+ Et je rayonnerai dans la gloire infinie,
+ Autour du front terrible et charmant de l'Époux.
+
+ O monde, ô vie, ô sens, évanouissez-vous!
+ Car, là-haut, par delà les ténèbres premières,
+ Dans l'éclat des concerts et la voix des lumières,
+ Impérissable, dans le nimbe de l'Amant,
+ La chair immaculée arde éternellement.
+
+Baignée d'une musique surhumaine, elle entend comme en elle-même:
+
+UN CHOEUR D'ANGES
+
+ Enfant, les cieux songés, blancs de lys et de vierges
+ Plus blêmes que la cire odorante des cierges,
+ Et les jardins semés d'étoiles, les sommets
+ D'hermine chaste et de candeurs impolluées
+ Mirés aux lacs où vont les cygnes des nuées,
+ Enfant, les cieux songés seraient clos à jamais.
+
+ Arrière, le troupeau neigeux d'immaculées!
+ Vers l'amoncellement des glaces reculées,
+ Les rouges Kéroubim vous repoussent du seuil
+ Eblouissant: les crins de votre âpre cilice
+ Vous sont une moelleuse et royale pelisse:
+ Votre virginité n'est ivre que d'orgueil.
+
+ Arrière! le blé mur épars des Madeleines,
+ Epars sur les pieds nus avec les urnes pleines,
+ Brûle seul dans la sainte auréole de feu.
+ Dans le brasier de Christ, avivé de colères,
+ Vous fondriez, ô froides fleurs des soirs polaires,
+ Qui ne parfumez pas les hommes avant Dieu.
+
+ Lorsque le Rédempteur eut brisé les statues
+ D'autrefois, parmi les colonnes abattues,
+ Il laissa reverdir, seul d'entre les Maudits,
+ Erôs, et lui donna pour royaume la Terre:
+ Immortelle, la soif des lèvres vous altère,
+ Et l'enfer des baisers vaut notre paradis.
+
+ Va! l'Olympe aboli revit dans votre race;
+ La meute des désirs vous poursuit à la trace,
+ Et vous n'évitez pas les flèches de l'Archer.
+ Prends garde d'oublier les cieux songés, ô vierge:
+ L'amour à l'horizon de ta jeunesse émerge;
+ J'ai vu, dans l'Orient, l'invincible marcher.
+
+LA JEUNE FILLE éperdue des paroles ouies et béante d'horreur mystique
+invoque, en balbutiant, Madame Marie qui sourit, doucement couronnée
+d'astres, au fond d'une fresque byzantine, et des cimes de l'azur tend
+les mains vers un vol d'âmes en peine: VENITE AD ME DILECTÆ MEÆ.
+
+ Je ne sais plus si c'est mon rêve que j'écoute,
+ Ou si la source en moi s'infiltre goutte à goutte
+ Qui ruisselle des luths et des psaltérions,
+ Et si j'entends le Diable ou les Anges. Prions.
+
+ Tueuse du serpent. Reine du bleu stellaire,
+ Le dérobeur d'épis maraude autour de l'aire:
+ Le voleur d'âmes vient des abîmes et fuit:
+ Chassez le tentateur et le rôdeur de nuit.
+
+Tandis que s'égrènent les litanies, un fracas assourdi d'armures
+irradiées glisse lentement, entre les tentures héroïques où
+s'enchevêtrent de furieuses mêlées.
+
+LA JEUNE FILLE, éveillée en sursaut des prières, se lève frissonnante
+vers SON PÈRE et le guerrier convulsif brûle ses mains de caresses, de
+caresses incestueuses et brutales.
+
+Et l'enfant hurlante s'arrache des baisers sacrilèges. Elle va jusqu'à
+la grand salle où LE SERVITEUR courbé fourbit les larges glaives et les
+panoplies.
+
+LA JEUNE FILLE
+
+ Vieillard, j'ai ma pensée entière. Prends l'épée
+ De justice, l'épée infaillible, trempée
+ Sept fois dans le Saint-Chrême et le feu baptismal
+ Et que ne souille pas, comme l'homme, le Mal
+
+ Originel. Saisis la Purificatrice
+ --Si ton bras est rongé d'ulcères, qu'il périsse!
+ A dit le Maître dont m'attendent les hymens;--
+ Et lave aux flots d'acier rougi, tranche mes mains!
+
+LE SERVITEUR
+
+ O ma fille, vos mains sont des corolles fines;
+ Vos mains sont un bouquet de jeunes aubépines;
+ L'haleine du printemps souffle de votre chair:
+ Je ne moissonne pas les fleurs avec le fer.
+ Vous délirez.
+
+LA JEUNE FILLE
+
+ Tais-toi; l'ulcère des caresses
+ Inexpiables, mord ma chair et fond mes graisses.
+ Obéis, sans l'horreur mortelle des aveux:
+ L'effroi te briserait les oreilles.
+
+La main levée en un geste terrible:
+
+ Je veux.
+
+Et la volontaire martyre pose sans trembler ses mains jaillissant des
+manches sur une table de porphyre aux mosaïques de chimères.
+
+Ses yeux fixes ne clignent pas à l'éclat bleu du glaive brusque
+s'abattant, qui verse aux bêtes héraldiques des gouttes soudaines de
+pourpre.
+
+Et, brandissant dans la pénombre les deux torches jumelles des bras
+mutilés, elle fait prendre une aiguière de cristal enchemisé d'or.
+
+Epouvantable et radieux, un double nénuphar aux tiges d'écarlate flotte
+dans une écume rose de grappes d'Orient foulées.
+
+ Oh! le vase lustral où l'âme se lava!
+ Va-t'en porter l'aiguière à mon bon père. Va.
+
+
+II
+
+Maintenant une foule confuse bruit près de la mer flagellée par le vent
+du Nord. Dans une frêle nef, sans rames ni voilure, LE PÈRE a fait
+étendre LA JEUNE FILLE surnaturelle, enveloppée dans un linceul de lin
+grossier. Elle regarde obstinément le ciel d'orage.
+
+LE PÈRE
+
+ Ma fille, vos péchés, commis dans ma maison,
+ Ont fait s'enfuir les tourterelles du blason.
+ Endormis dans la nuit tombale, clos en elle,
+ Les morts ont tressailli de votre ardeur charnelle.
+ Donc je dois, réprimant pleurs lâches et sanglots,
+ Vous confier, vivante, à la douceur des flots.
+ Nous prierons, gens des bourgs et manants de campagne,
+ Afin que la bonté de Dieu vous accompagne.
+ Allez! au nom de la Très Sainte Trinité,
+ Et que Jésus vous prenne en votre éternité.
+
+Mais la barque n'est pas engloutie par les gueules fauves de l'abîme.
+Elle s'efface, poussée par les haleines pacificatrices d'invisibles
+archanges.
+
+Les gerbes fauchées des houles vertes dorment sous un soleil d'accalmie,
+et LA JEUNE FILLE, affranchie par l'extase, contemple des visions vagues
+et des formes.
+
+ Dans le lilas de leurs rosaces vespérales,
+ Je vois s'épanouir, là-haut, des cathédrales.
+
+ Une poussière d'astre irise les parvis
+ Et les arceaux sortent des dalles de rubis.
+
+ Dans l'espace des nefs sans limites, lamées
+ D'azur, des encensoirs effeuillent des fumées.
+
+ Dans le frisson de leurs échos multipliés,
+ Des sons inentendus ébranlent les piliers.
+
+ Le voile rejeté d'un fulgurant coup d'aile,
+ Le Tabernacle inaccessible se révèle.
+
+ Et lorsque l'Ostensoir éphémère me luit,
+ La robe du soleil semble teinte de nuit.
+
+ Seigneur Dieu, l'appétit des vagues me réclame,
+ L'aumône de mon corps est faite. Cueillez l'âme.
+
+Dans son ravissement mystique, LA JEUNE FILLE se croit morte. Serait-ce
+que la barque aborde aux rives vertigineuses du Paradis, où des couples
+célestes glissent dans une aube d'opales fluides?
+
+Elle regarde émerveillée, sous une étoffe de la lumière, au lieu des
+tronçons effroyables, la fraîcheur blonde de ses mains ressuscitées et
+d'où s'exhale une senteur de ruches prochaines et de miel.
+
+Des enfants, vêtus de tuniques multicolores et légères, lui font un
+triomphal cortège et, prise dans des rets de charmes surhumains, elle
+marche au milieu des hymnes étranges. Hymen! Hymenaee!
+
+Hymen! Hymen! Hymenaee! Au faîte des monts d'hyacinthe un palais de
+prodige monte, marmoréen, vers les nuages violets. Elle gravit les
+escaliers, gardés par des sphinges immobiles.
+
+Hymen! Hymen! Hymenaee! Au seuil glorieux des demeures, souriant
+idéalement dans l'ombre dénouée de sa chevelure, LE POÈTE-ROI vient vers
+elle sous son manteau de pourpre lyrique.
+
+Et les enfants ont disparu; dans une salle de féerie, portée par des
+cariatides, sur l'or roux, des lions tués, LA JEUNE FILLE s'abandonne à
+la volupté des caresses. Hymen! O hymen!
+
+LA JEUNE FILLE
+
+ Doux initiateur de l'âme en quelle sphère
+ Plus lointaine, Jésus, l'Esprit, et Dieu le Père,
+ Dans leur unité triple, infinis et sereins,
+ Attendent-ils le choeur des élus, pèlerins
+ Joyeux et jamais las d'un Temple que j'ignore,
+ Qui s'envolent de l'ombre ancienne vers l'Aurore.
+ Emmène-moi par les Edens et les Sions,
+ Toi qui sais les chemins de constellations.
+
+LE POÈTE-ROI saisit la grande Lyre et, sous le plectre, les cordes de
+brebis vibrent dans l'écaille de tortue transparente.
+
+ Avant la Terre, avant les Jours et les années,
+ L'Immuable a pétri nos chairs prédestinées.
+
+ J'ai trompé mon ennui par la lyre, et j'attends
+ Tes seins qui m'appelaient de l'abîme des temps,
+
+ Et mes yeux, emperlés d'une angoisse inconnue,
+ Mes yeux cherchaient tes yeux nocturnes dans la nue.
+
+ Parfois, dans le brouillard chantant de la forêt,
+ Une fée illusoire éclôt et disparaît:
+
+ Dis-moi que tu n'es pas l'ombre vaine d'un rêve,
+ O fille de la mer et de l'écume brève.
+
+ Dis-moi qu'avant la tombe et nos corps révolus,
+ Le flot de tes baisers ne se tarira plus.
+
+ Je ferai vivre par delà les étendues
+ Ton nom sanctifié dans les cordes tendues.
+
+ Et tu vaincras par la gloire de tes beautés
+ Les nymphes de l'Hellas et les Divinités.
+
+ Parle, et tu chasseras, de la mémoire humaine
+ La Vénus Italique et l'Anadyomène.
+
+ Je traquerai leurs souvenirs tels que des loups,
+ Et Christ reconnaissant se penchera vers nous.
+
+LA JEUNE FILLE
+
+ O Chanteur, je ne sais quel décevant mystère
+ Me rappelle du ciel entrevu vers la terre.
+ Ton regard me repousse et m'attire. Va-t'en,
+ Car je me damnerais peut-être en t'écoutant.
+
+Dans son indicible douleur, LE POÈTE-ROI jette la Lyre qui se brise en
+un lamentable sanglot et le cri des fibres est si déchirant que LA JEUNE
+FILLE tremblante d'effroi et d'amour revient vers le royal Désespéré,
+comme résignée aux flammes d'une imminente géhenne. Pendant qu'ils sont
+enlacés, UN CHOEUR D'ANGES, entendu jadis, effleure leurs oreilles
+extasiées.
+
+ Ecarte le conseil de tes mauvaises craintes.
+ Le Seigneur t'a rendu des mains pour les étreintes,
+ Fais à l'amant royal le don de ton orgueil.
+ Va! laisse le troupeau neigeux d'immaculées;
+ Vers l'amoncellement des glaces reculées,
+ Les rouges Kéroubim les repoussent du seuil.
+
+ Aimez-vous! le blé mûr épars des Madeleines,
+ Epars sur les pieds nus avec les urnes pleines,
+ Brûle seul dans la sainte auréole de feu.
+ Dans le brasier de Christ, avivé de colères,
+ Vous fondriez, ô froides fleurs des soirs polaires,
+ Qui ne parfumez pas les hommes avant Dieu.
+
+ Lorsque le Rédempteur eut brisé les statues
+ D'autrefois, parmi les colonnes abattues,
+ Il laissa reverdir, seul d'entre les Maudits,
+ Erôs, et lui donna pour royaume la Terre:
+ Immortelle, la soif des lèvres vous altère,
+ Et l'enfer des baisers vaut notre paradis.
+
+
+
+
+LA PEUR D'AIMER
+
+_A José-Maria de Heredia._
+
+
+ La Bête monstrueuse et le bon Chevalier
+ Ont lutté tout le jour: le dragon mort distille
+ Un suprême venin sur le sable infertile,
+ Et le triomphateur entre dans le hallier.
+
+ Il va, les yeux hagards d'un songe familier:
+ Là-bas, le palais d'or miraculeux rutile
+ Et la princesse rêve, en sa grâce inutile,
+ A l'amant inconnu qui la doit éveiller.
+
+ Mais lorsque le vainqueur de l'hydre et des licornes
+ Vit, après le bois sombre et les escaliers mornes,
+ La vierge aux cheveux blonds comme un soleil d'Avril
+
+ Dans la jeune splendeur de sa puberté mûre,
+ L'angoisse de l'amour mordit son coeur viril
+ Et sa chair de héros trembla, sous son armure.
+
+
+
+
+LE PRINCE D'AVALON
+
+_A Henri de Régnier._
+
+
+ Et le prince vivait dans l'île d'Avalon.
+ Des parterres de fleurs caressaient ses prunelles;
+ Les calices des lys s'ouvraient en ce vallon
+ Éperdument, vers les étoiles fraternelles;
+
+ Les paons constellés d'yeux luisaient sous les halliers
+ Or mobile, tremblant saphir, vivante flamme
+ Et les fruits mûrs pendus aux vastes espaliers
+ Versaient un opulent arôme de cinname,
+
+ Tandis que, dans le parc peuplé par des sylvains
+ Et des faunes bordant les larges avenues,
+ Le clair de lune épars sur les marbres divins
+ Faisait étinceler la chair des nymphes nues.
+
+ Et le prince sur la terrasse du palais
+ Inclinait vers le sol ses doigts chargés de bagues
+ Et regardait, là-bas, sous les cieux violets,
+ Fuir des vaisseaux fleuris par la houle des vagues.
+
+ «Passez, je vous envie, ô frères ignorés,
+ Que les vents furieux emportent sur le gouffre;
+ Je ne la connais plus et vous la reverrez
+ La terre désirable où l'homme pleure et souffre.
+
+ Je suis venu vers les rivages interdits
+ Pour obéir aux voix des blanches fiancées
+ Et mon âme succombe au poids des paradis
+ Ainsi que les joyaux chargent mes mains lassées.
+
+ Pour éveiller en moi d'immortelles douleurs
+ Dont la mémoire accrût mes extases futures,
+ J'ai déchaîné des sangliers parmi les fleurs;
+ Mais les fleurs renaissaient plus belles et plus pures.
+
+ J'ai voulu renverser le palais merveilleux
+ Et je l'ai revêtu de rouges incendies,
+ Mais des colonnes d'or surgissaient à mes yeux
+ Et portaient jusqu'au ciel les voûtes agrandies.
+
+ Et lorsque j'ai tué la vierge que j'aimais,
+ Espérant rompre enfin les ineffables charmes,
+ L'enfant ressuscitée a vaincu pour jamais
+ Par des baisers plus doux ma tristesse et mes larmes.
+
+ Pour moi, le flot des jours s'écoule vainement;
+ Vainement le soir tombe et l'aurore rougeoie:
+ Enveloppé de rêve et d'éblouissement
+ Je suis le prisonnier de l'immuable joie.»
+
+ Ainsi par cette nuit d'étoiles, il parlait:
+ Les fourrés frissonnants brillaient de lucioles
+ Et le souffle embaumé de la brise mêlait
+ Les chansons de la mer à la voix des violes.
+
+
+
+
+CELLE QU'ON FOULE
+
+_A Georges Duflot._
+
+
+ C'était parmi la nuit muette, la clameur
+ De la Terre, clameur lamentable et farouche
+ De géante en travail qui se tord sur sa couche,
+ Rejette l'embryon sanglant, rugit et meurt.
+
+ La formidable voix hurlait: cris d'épouvante,
+ Gémissements plaintifs des automnes, sanglots
+ Rauques de la forêt hivernale et des flots,
+ Rire amer et confus de la foule vivante,
+
+ Frémissement de l'herbe et murmure des nids,
+ Hymne démesuré du torrent et du gouffre,
+ Tout ce qui parle, tout ce qui palpite et souffre
+ S'unissait et montait vers les cieux infinis.
+
+ Or voici l'anathème effréné que la Terre
+ Jetait à travers l'ombre aux fils des nations:
+ «Que le troupeau vengeur des exécrations
+ Suive à la trace l'homme ennemi du mystère.
+
+ Les peuples d'autrefois inclinaient leur orgueil
+ Devant la majesté féconde de l'ancêtre
+ D'où jaillit la semence et la source de l'Être
+ Et qui rouvre ses flancs paisibles au cercueil.
+
+ Partout, toujours, dans les déserts hantés d'hyènes,
+ Dans les plaines de neige où, par soudains élans,
+ Bondissent des troupeaux de rennes et d'élans,
+ Près du pôle et dans les cryptes égyptiennes,
+
+ Les hommes adoraient la Terre, qui porta
+ Dans son sein maternel, des millions d'années,
+ Le germe à peine éclos de vos races damnées
+ Et priaient à genoux Kybèle, Isis, Airtha.
+
+ Alors au bruit des sistres d'or et des crotales,
+ Sereine, à travers les chemins et les cités,
+ De temple en temple, au pas de mes lions domptés,
+ J'allais les seins voilés de pourpre orientale.
+
+ Les vierges de Hellas ployaient leur cou de lait
+ Au passage de la déesse vénérable
+ Et, telles qu'au printemps les grappes de l'érable,
+ Me versaient des parfums où le feu se mêlait.
+
+ Les austères guerriers des campagnes romaines
+ Chantaient pieusement la nourrice Rhéa
+ Qui mit en eux la sève antique et les créa
+ Pour l'asservissement des nations humaines;
+
+ Et les chasseurs lointains des cerfs et des aurochs,
+ Les braves aux yeux bleus, chevelus d'or, les Mâles
+ Érigeaient mes autels en face des cieux pâles
+ Dans les forêts tempêtueuses, sur les rocs.
+
+ Quand la procession de mes prêtresses blanches
+ Précédait au printemps par les sentiers herbeux
+ Mon attelage lent et traîné par des boeufs
+ Vers les villages et les toits couverts de branches,
+
+ Les hommes tatoués de fauve vermillon
+ Se courbaient et baisaient ma trace, et les épées
+ Rouges encore du sang et des têtes coupées
+ Saluaient d'un éclair la Mère du Sillon.
+
+ O temps ancien de la Germanie et de Rome,
+ O temple universel des plaines et des blés
+ Où mon mystique époux des siècles écoulés,
+ Le laboureur était un prêtre auguste à l'homme:
+
+ Le culte vénéré sombre aux flots de l'oubli:
+ Nul printemps, nul été, ne luit et ne ramène
+ Les incantations de la prière humaine
+ Vers les autels de mon sanctuaire aboli:
+
+ O races chaque jour plus impures et viles,
+ Qui ne connaissez plus mes mystères, troupeaux
+ Plus barbares que vos pères vêtus de peaux,
+ Troupeaux qui pullulez dans vos enclos de villes,
+
+ Vous qui fouillez avec mépris mes flancs gercés
+ Par les maternités innombrables; ô foule
+ Immonde dont le pas sacrilège me foule;
+ Vous qui priez des dieux que je n'ai pas bercés
+
+ Au chant de mes forêts de bouleaux et de chênes,
+ Dans des lits d'herbe fraîche et des langes de fleurs,
+ Voici venir enfin la horde des malheurs
+ Fatidiques et des calamités prochaines.
+
+ Dans un bref avenir une aube jaillira,
+ Ensanglantant les noirs espaces des nuées
+ Et par-dessus le bruit féroce des huées
+ Le clairon des combats ultimes sonnera;
+
+ Sous l'oeil indifférent des sphères fraternelles,
+ L'horrible mer de vos haines, sinistrement
+ Débordera sur vous et l'épouvantement
+ Élargira le vol funèbre de ses ailes;
+
+ Et les hommes saisis d'un délire fatal,
+ Déchaînés se rueront aux suprêmes tueries;
+ De l'équateur torride aux blanches Sibéries,
+ Ma face saignera comme un immense étal.
+
+ O fureur indicible et sans répit! batailles
+ Qui durerez de l'aube au soir, pendant dix ans,
+ Comme le cri des flots qui heurtent les brisants,
+ J'entends déjà clamer les corps sous les entailles.
+
+ Un souffle meurtrier et pestilentiel
+ S'exhale de la mort et des chairs refroidies
+ Sans linceul, tandis qu'aux lueurs des incendies
+ De vastes lacs de sang pourrissent sous le ciel,
+
+ De vastes lacs de sang où, rigides et vertes,
+ Vont des flottes de morts convulsifs par milliers,
+ Où s'acharnent sans peur, repus et familiers,
+ Les vautours réjouis des cervelles ouvertes.
+
+ La fièvre fait claquer les dents des survivants,
+ Témoins terrifiés des heures vengeresses,
+ Qui dans l'affolement des suprêmes détresses
+ Voudraient perpétuer leur race en des enfants;
+
+ Mais ces accouplements de spectres épuisés
+ Ne repeupleront pas les villes et les plaines.
+ Mêlez-vous, unissez les corps et les haleines!
+ Les siècles ont tari la source des baisers.
+
+ Les temps sont écoulés, les heures sont venues
+ Et nul glas solennel et lent ne tintera
+ Lorsque le vent indifférent emportera
+ Le dernier râlement de l'homme vers les nues.
+
+ Sa mort n'éveillera ni gaîté ni regret
+ Dans le monde impassible et dans l'âme des choses
+ Qui ne s'occupent pas en leurs métamorphoses
+ De ce qui naît, grandit, s'efface et disparaît.
+
+ Rien ne tressaillera dans la Nature, et seule,
+ Seule de toutes les étoiles, je saurai
+ Que mon lait a nourri jadis l'être exécré,
+ Le mauvais fils, l'enfant contempteur de l'aïeule!
+
+ Comme avant l'homme impie et ses rébellions,
+ Libre de sa présence et de sa marche impure,
+ Je pourrai dénouer au vent ma chevelure
+ De profondes forêts où rôdent les lions;
+
+ Et quand l'aube luira dans la fraîche rosée
+ Je plongerai mon corps que ses pas ont flétri.
+ --Et ma force renaît, ma beauté refleurit,
+ Et ma chair a des tons d'églantine rosée.
+
+ O gloire des cactus de pourpre et des lys blancs,
+ Hautaine majesté des palmes triomphales
+ Que faisait onduler le souffle des rafales
+ Sur la virginité première de mes flancs,
+
+ Surgissez et parez ma nouvelle jeunesse
+ Pour l'hymen radieux et rouge du soleil;
+ Tissez et déployez votre manteau vermeil
+ Sur ma gorge superbe et mes seins de faunesse!
+
+ Montez dans le limpide éther, ô chants d'oiseaux:
+ Voici l'amour et les caresses nuptiales;
+ J'entends hennir au loin les cavales royales
+ Et des nuages fins neigent de leurs naseaux.
+
+ Le Dieu descend du char céleste et sur ma bouche
+ Frissonnante, je sens sa bouche, et ses baisers
+ S'infiltrent lentement dans mes flancs embrasés,
+ Jusqu'à l'heure où le jour resplendissant se couche
+
+ Et remonte vers le palais mystérieux,
+ Cependant que la main pacifique des ombres
+ Étale dans le ciel obscur ses voiles sombres
+ Et clôt divinement mes lèvres et mes yeux.»
+
+
+
+
+LA VOIX IMPÉRISSABLE
+
+_A Catulle Mendès._
+
+
+ Abandonné depuis des siècles fabuleux,
+ Un grand temple dressait sur le mont solitaire
+ Ses portiques de marbre et ses escaliers bleus.
+
+ Pourpre traînant en ombre errante sur la terre,
+ Jardins ensanglantés de glorieuses fleurs,
+ Vasques d'or où l'ibis sacré se désaltère,
+
+ Et près des bois, gemmés par la rosée en pleurs
+ Du collier merveilleux que l'aube sainte égrène,
+ Des oiseaux ignorant les rets des oiseleurs:
+
+ Tout un monde de rêve espérait une reine
+ Ou le retour tardif des héros et des dieux
+ Disparus dans la nuit formidable et sereine.
+
+ Fils de la neige pure et du ciel radieux,
+ Des cygnes indolents glissaient dans la vallée
+ Sur un fleuve que les lotus étoilaient d'yeux;
+
+ Leurs corps majestueux fendait l'eau refoulée
+ Et parfois leur plumage illustre secouait
+ Autour d'eux des flocons de lumière envolée,
+
+ Tandis qu'en un appel de deuil ou de souhait
+ Le cri des beaux nageurs aux ailes éployées
+ Montait éperdument vers le temple muet.
+
+ Mais nul dieu revenu n'écartait les feuillées
+ Et nulle reine avec des rires enfantins,
+ Ne réveillait l'écho des verdures mouillées.
+
+ Le vieux temple érigeait ses portiques hautains
+ Ainsi qu'un fier écueil d'indestructible roche
+ Qui défiait les flots des soirs et des matins.
+
+ Or, flux tumultueux qui roule et qui s'accroche
+ En écume de flamme aux marbres effrités,
+ La sombre mer des jours suprêmes était proche
+
+ Ruine des moissons et terreur des cités.
+ Fauves ivres du sang versé dans les cratères,
+ Des hordes s'en venaient vers les bois enchantés.
+
+ Les têtes des vaincus sur la peau des panthères
+ Pendaient horriblement comme des raisins mûrs
+ Et les carquois sonnaient aux dos des sagittaires.
+
+ Les frondeurs brandissaient leurs bras noueux et durs
+ Et des cavaliers nus au galop des cavales
+ Entrèrent en hurlant par les brèches des murs.
+
+ Des torches consumaient de leurs pourpres rivales
+ Les voiles rouges et les blocs de marbre roux.
+ Et des gerbes de feu fusaient par intervalles.
+
+ L'absence de vivants attisait le courroux
+ Des barbares frustrés de la chair des prêtresses,
+ Et les images d'or se brisaient sous leurs coups.
+
+ Tel le Temple, parmi les clameurs vengeresses,
+ S'abîmait dans les flots de bronze incandescent
+ Qui couronnaient les monts de monstrueuses tresses.
+
+ Seuls, les cygnes épars dans le val frémissant
+ Regardaient la lueur rouge de l'incendie
+ Comme un morne soleil qui meurt et qui descend;
+
+ Et, vers l'astre nouveau d'où la flamme irradie,
+ Désespérant des dieux qui les ont oubliés,
+ Ils tournaient tristement leur prunelle agrandie,
+
+ Mais les barbares las, jetant leurs boucliers,
+ Firent pleuvoir, avec les pierres de leurs frondes,
+ Les flèches qui sifflaient entre les peupliers.
+
+ Pointes de fer, silex aigus et balles rondes
+ Trouaient l'eau frissonnante avec un bruit strident
+ Et le sang des oiseaux tachait les claires ondes.
+
+ Alors un chant funèbre emplit le ciel ardent:
+ Un concert douloureux d'ineffable harmonie
+ Montait vers les tueurs surgis de l'occident.
+
+ La voix des chanteurs blancs pleurant leur agonie
+ Poursuivait les guerriers jusque-là sans remords
+ Dont la chair palpitait d'une angoisse infinie;
+
+ Et tandis qu'autour d'eux l'âme des cygnes morts
+ Semait un hymne amer de vengeance éternelle,
+ Les barbares, au vol de leurs chevaux sans mors,
+
+ S'enfonçaient, affolés, dans l'ombre solennelle.
+
+
+
+
+MAYA
+
+_A BERNARD LAZARE_
+
+
+
+
+THAÏS
+
+_A Henri de Manneville._
+
+
+I
+
+ Alexandros, l'épique enfant de Zeus Ammon,
+ Mange et boit et s'enivre après la ville prise
+ Dans le palais taillé dans le marbre et le mont;
+
+ Et les hommes-lions, sculptés de pierre grise,
+ Inutiles gardiens des murs et du trésor,
+ Regardent le héros boire aux coupes qu'il brise,
+
+ Cependant que la fauve avalanche de l'or
+ Splendidement s'abat sur la massive table
+ Comme un grand oiseau roux au fulgurant essor,
+
+ La rauque orgie et la clameur épouvantable
+ Hurlent et le troupeau des Hellènes vainqueurs
+ Mugit: tels les taureaux dans la nocturne étable;
+
+ Et parmi les péans discordants et les choeurs,
+ Et les parfums de la Sabée et le cinname,
+ Et la vapeur des vins et des chaudes liqueurs,
+
+ La torche en main, Thaïs, la bacchante qui clame,
+ La courtisane blanche et droite comme un lys
+ Revêt de pourpre ardente et couronne de flamme
+
+ La ville antique aux toits d'argent, Persépolis.
+
+
+II
+
+ O ville, amas ancien de rêve et de superbe,
+ Dressée en moi sur tes inébranlables fûts,
+ Qui te rabaissera jusqu'au niveau de l'herbe?
+
+ Monceau de souvenirs étranges et confus,
+ Peuple mystérieux de muettes images,
+ Qui donc rendra la plaine au chant des bois touffus?
+
+ Qui chassera de moi les rites et les mages
+ Et sur les noirs débris du temple renversé
+ Fera monter des cris d'oiseaux et de ramages?
+
+ Quelle torche, ô mon coeur, sur ton marbre glacé
+ Etendra des lueurs sanglantes et sur l'âme
+ Lâchement assoupie et sur l'esprit lassé
+
+ Dardera la splendeur de ses langues de flamme?
+
+
+
+
+JUDEX
+
+_A Marcel Collière._
+
+
+ Par le prétorial silence de la nuit
+ Où sonnent seulement des horloges funèbres
+ J'attends venir vers moi le Juge des ténèbres
+ Qui scrute les péchés des hommes et s'enfuit.
+
+ Sans toge, sans licteurs ni haches enlacées,
+ Sans chants impérieux et tristes de buccins,
+ N'écoutant que la voix des remords en nos seins
+ Le Juge intérieur passe dans nos pensées.
+
+ Les spectres dont le jour avait tué les cris,
+ Les spectres dont le jour avait clos les prunelles,
+ Surgissent maintenant des tombes éternelles
+ Et redressent leurs fronts livides et flétris.
+
+ O baisers reniés, mémoire des caresses,
+ Rêves que j'avais crus emmurés pour jamais,
+ O cadavres divins que j'aime et que je hais,
+ Regards accusateurs et bouches vengeresses,
+
+ Que voulez-vous de moi? spectres, ayez pitié;
+ N'appelez pas ainsi l'incorruptible juge;
+ Vous savez qu'il n'est point d'église de refuge
+ Pour le coupable en pleurs et le crucifié.
+
+ Mais l'âpre justicier se lève dans mon âme
+ Chaque soir: il prononce irrévocablement
+ La sentence de deuil, de honte et de tourment
+ Et fait couler en moi des rivières de flamme.
+
+ Puis il remonte au ciel lointain dont il descend
+ Et d'où j'espère en vain le Rédempteur à naître,
+ Tandis que dans l'obscur abîme de mon être
+ Un enfer de douleur hurle en le maudissant.
+
+
+
+
+CHAMBRE D'AMOUR
+
+
+ La nuit tiède est clémente à la ville qui dort;
+ Des lys impérieux triomphent dans la chambre
+ Et cependant nos coeurs sont froids comme Décembre
+ Et nos baisers d'amours amers comme la mort.
+
+ Ta douce bouche s'ouvre à des chansons mièvres
+ Et tes seins bienveillants accueillent mon front las;
+ Mais, ô ma douloureuse enfant, je ne sais pas
+ Pourquoi les dieux mauvais empoisonnent nos lèvres.
+
+ Qu'importe? viens vers moi, triste soeur; aimons-nous,
+ Sans craindre la saveur glorieuse des larmes,
+ Tels des héros blessés avec leurs propres armes
+ Et dont le glaive d'or a rompu les genoux.
+
+ Viens! nous aurons l'orgueil des âmes taciturnes
+ En cette chambre morne et veuve de flambeaux,
+ Où, semblable à l'odeur des antiques tombeaux,
+ Un parfum sépulcral monte des lys nocturnes.
+
+
+
+
+PRINTEMPS D'AUTOMNE
+
+
+ La pourpre automnale ensanglante
+ Les feuilles sèches des halliers
+ Et transforme en floraison lente
+ Les rayons d'Avrils oubliés.
+
+ D'insensibles métamorphoses
+ Changent les clartés d'autrefois
+ En d'artificielles roses
+ Qui parent les jours gris et froids,
+
+ Et sous le ciel tendu de brume
+ Et les nuages palpitants
+ Leur odeur mourante parfume
+ Un mélancolique printemps.
+
+ Très Chère, c'est aussi l'Automne
+ Ténébreux pour nos coeurs lassés;
+ Mais en notre chair qui s'étonne
+ Refleurissent les jours passés,
+
+ Et la ressouvenance lente
+ Nous revêt, comme les halliers,
+ D'un manteau de pourpre sanglante
+ Faite des baisers oubliés.
+
+
+
+
+LIEDER
+
+ Ich, ein tolles Kind, ich singe
+ Jetzo in der Dunkelheit;
+ Klingt das Lied auch nicht ergötzlich,
+ Hat es mich doch vor Angst befreit.
+
+(HEINRICH HEINE, _Die Heimkehr_.)
+
+
+I
+
+ Des mots doux comme des hautbois
+ Et des harpes surnaturelles,
+ Des sons légers de chanterelles
+ Et dans les bois, des voix, des voix.
+
+ Des couples blancs de tourterelles,
+ Des oiseaux bleus couleur du temps;
+ Des ailes d'or sur les étangs,
+ Dans le ciel des ailes, des ailes.
+
+ Je ne sais où: je vois, j'entends.
+ Voici venir la très aimée
+ Et sa cheville parfumée
+ Foule des tapis éclatants;
+
+ Sa robe candide est lamée
+ De l'or du paradis natal;
+ Des feux de myrrhe et de çantal
+ L'entourent de blonde fumée.
+
+ Plus rien, plus rien! le deuil brutal,
+ Le silence et l'ombre. Serait-ce
+ Que la perfide enchanteresse
+ A forgé ce mur de métal
+
+ Et clos dans la nuit vengeresse,
+ Sans ailes d'or et sans hautbois,
+ Les mots doux comme une caresse,
+ Et les colombes, soeurs des voix?
+
+
+II
+
+ Ni tes fiertés, ni tes paresses
+ Ni l'espoir menteur des caresses,
+ Ni ta chair de vierge, j'aimais
+ La splendeur de ma propre idée,
+ O maîtresse non possédée
+ Qui ne me trahiras jamais
+
+ Je garde en mon âme hautaine
+ Le rêve frais de la fontaine
+ Et des nénufars ingénus;
+ Je laisse aux lèvres sans extase
+ L'eau noire et, grouillant dans la vase,
+ Tous les reptiles inconnus,
+
+ Loin de l'hivernale vallée
+ L'aile des fleurs s'est envolée
+ Et le murmure des nids verts
+ Cherche, avec le vol des pétales,
+ Dans les aubes orientales
+ L'éternel printemps de mes vers.
+
+ C'est l'heure que j'ensevelisse
+ La blancheur du dernier calice
+ Avec les souvenirs défunts:
+ O nuptiale Galatée,
+ Rends-moi la corolle empruntée,
+ Rends-moi le songe des parfums,
+
+ Pour que je tisse avec mes strophes
+ Un linceul de riches étoffes
+ Embaumé de myrrhe et de nard
+ Et que je jette sur mon rêve
+ De jeunesse et de gloire brève
+ La pourpre antique de Schinnar.
+
+
+III
+
+ Pour moi seul tes cheveux de saule
+ Se déroulent sur ton épaule
+ Comme les feuilles dans le vent,
+ Et, tel que sur la neige vierge
+ Frémit un frisson d'or mouvant,
+ De l'aube de ta chair émerge
+ Une fleur de soleil levant.
+
+ Car seul je connais les paroles,
+ Soeurs des feuilles et des corolles,
+ Qui puissent dire ta beauté;
+ Je sais les phrases rituelles
+ Par qui, dans le bois enchanté,
+ L'ombre des amantes cruelles
+ Revive pour l'éternité.
+
+ Rires et larmes infinies!
+ Si je chantais tes litanies
+ Et le miel de tes seins rosés
+ Je ferais voler dans les brises,
+ Au delà des jours épuisés,
+ L'abeille des lèvres éprises
+ Vers la ruche de tes baisers.
+
+ Mais je tais avec jalousie
+ Les chers mots dont je m'extasie:
+ Les hommes passent et s'en vont;
+ Le bruit des foules abhorrées
+ Roule et le miel divin se fond
+ En perles de gouttes dorées
+ Dans l'urne de mon coeur profond.
+
+
+IV
+
+ Ta voix, ta même voix de colombe blessée
+ Sonne plaintivement dans ta gorge lassée.
+
+ J'entends encor l'écho des paroles d'antan
+ Lorsque les mots ailés s'envolent en chantant.
+
+ Mais je ne comprends plus les syllabes; j'oublie
+ Ce qui fait leur langueur et leur mélancolie.
+
+ Je crois t'ouïr parler un langage inconnu
+ Sur des airs dont mon coeur s'est en vain souvenu,
+
+ Et je perçois parmi la musique rhythmée
+ La voix d'une étrangère ou d'une morte aimée.
+
+
+V
+
+ Reine du magique palais,
+ En ce jeu cruel que tu joues,
+ Comme tes soeurs, tu te complais
+ Aux larmes roulant sur nos joues.
+
+ Quand tu presses le vin des coeurs
+ L'étoile de tes yeux rutile,
+ L'étoile de tes yeux vainqueurs
+ Rit de la lâcheté virile.
+
+ Tandis que, dans la paix du soir,
+ Les désirs--tels de mauvais anges--
+ Portent aux meules du pressoir
+ Les grappes des rouges vendanges.
+
+ Soit! en tes rêves assassins
+ Grise-toi des pourpres foulées
+ Et noue au-dessous de tes seins
+ Des peaux fauves et tavelées.
+
+ Sois la bacchante que les dieux
+ Lâchent sur la terre; promène
+ L'orgueil de tes flancs radieux
+ Au milieu de la vigne humaine.
+
+ Va! que les héros asservis
+ Et les poètes que tu crées
+ Se courbent hurlants et ravis
+ Devant tes colères sacrées:
+
+ Tes triomphes sont imparfaits,
+ Ta gloire sanglante est un leurre;
+ Tu n'as pas su que je t'aimais
+ Et tu ne sais pas que je pleure.
+
+
+VI
+
+ Les moires vertes des feuillées
+ Attendent le Prince Charmant
+ Et sous les gemmes de rosée
+ L'aubépine est une épousée
+ D'où s'exhale amoureusement
+ L'âcre parfum des fleurs mouillées.
+
+ Des lèvres que nul ne connaît
+ Ont bu les gemmes disparues:
+ Pourquoi le Prince viendrait-il,
+ O forêt? le parfum subtil
+ Meurt dans les poussières accrues
+ Sur l'aubépine et le genêt.
+
+ La plainte lente des ramures
+ Geint sinistrement et déjà
+ Les nains méchants des avenues
+ Font saigner sur les branches nues
+ Que leur caprice ravagea
+ La chair automnale des mûres.
+
+
+VII
+
+ Plus quam femina virgo
+
+(P. OVIDIUS NASO)
+
+(_Métamorphoses_, _Livre_ XIII.)
+
+
+ Plus claires dans le sombre azur des nuits sans lune
+ Les étoiles doraient les ajoncs et la dune,
+ Mais je n'ai pas souci de leur ruissellement
+ Et dans mes yeux fleuris de visions plus belles,
+ Baignant les cieux futurs de leurs splendeurs nouvelles,
+ Les astres à venir montent éperdument.
+
+ Tu glissais à pas lents dans les ajoncs stellaires
+ Et sourde à la rumeur humaine des colères
+ Tu regardais surgir les astres apaisés;
+ Mais dans mon coeur fleuri de voluptés plus calmes,
+ J'évoque au chant lointain des sources et des palmes
+ Les vierges à venir et les futurs baisers.
+
+
+VIII
+
+ La fleur énorme de la mer
+ Éclose avec l'aurore sainte
+ Renaissait dans le gouffre amer
+ De tes prunelles d'hyacinthe.
+
+ Dans tes cheveux d'or j'adorais,
+ Sous l'or caduc de leur couronne,
+ Les impériales forêts
+ Et leur laticlave d'automne.
+
+ Les peupliers glauques et blancs
+ Et la mollesse des prairies
+ Revivaient dans les gestes lents
+ De tes mains douces et fleuries.
+
+ Mais aujourd'hui que tu n'es plus
+ La prêtresse et l'évocatrice,
+ Il faut les bois et les reflux
+ Pour que ta grâce refleurisse
+
+ Et les colchiques du matin
+ Ressuscitent dans ma pensée
+ Ta pâleur morne de satin,
+ O mensongère Fiancée.
+
+
+IX
+
+ Tout à l'heure, un essaim de mauves s'envolait,
+ Majestueux, au ras des vagues aurorales:
+ Les oiseaux fendaient l'air de leurs ailes égales
+ Et nageaient dans l'azur vers l'horizon de lait.
+
+ Ils allaient: le soleil semait sur les prairies
+ Marines des fleurs d'or et de chrysobéril
+ Et l'on eût cru là-bas des papillons d'avril
+ Sur un champ constellé de rares pierreries.
+
+ Ils allaient: maintenant que dans le clair matin
+ La blancheur de leur vol splendide s'est fondue,
+ Je cherche obstinément au fond de l'étendue
+ Le souvenir neigeux de leur essor lointain.
+
+ Nul des flocons perdus dans les brumes d'opale
+ N'argente plus la plaine immobile des flots
+ Et la seule clameur des antiques sanglots
+ Monte plus tristement vers le lac du ciel pâle.
+
+ O Chère, ô pâle ciel d'amour qui te mirais
+ Dans la mer somptueuse et calme de mes rêves
+ Quels abîmes d'azur et d'Océans sans grèves
+ Ont englouti le vol de mes désirs secrets?
+
+ Je ne sais: le regard a lassé ma prunelle,
+ La solitude morne emplit mon coeur, j'entends
+ Dans le double infini de l'espace et du temps
+ Monter le râle amer de l'angoisse éternelle.
+
+
+X
+
+ Je ne veux pas courber la tête sous tes pas
+ Ni baisser devant toi mes yeux; je ne suis pas
+ Un mendiant d'amour et d'aumônes charnelles
+ Et la honte des pleurs souillerait mes prunelles.
+
+ Mais dans la nuit semblable à mon coeur sombre et fier
+ J'irai dire mon mal aux vagues de la mer:
+ Elle me bercera la mer consolatrice
+ Avec des rhythmes lents et des chants de nourrice.
+
+ J'écouterai sa voix et je m'endormirai:
+ Comme un enfant, tandis qu'en un jardin sacré
+ Surgira, bleu de rêve et parfumé de menthe,
+ Le magique palais où tu seras clémente.
+
+
+
+
+POUR UNE ABSENTE
+
+
+ Je veux m'enfermer seul avec mon souvenir,
+ Immobile, oublieux des rafales d'automne
+ Qui font les frondaisons se rouiller et jaunir
+ Et de la mer roulant sa plainte monotone;
+ Je veux m'enfermer seul avec mon souvenir.
+
+ Le demi-jour filtrant des étoffes tendues
+ Sera doux et propice à mon coeur nonchalant,
+ Quand je l'évoquerai du fond des étendues,
+ Et sa voix emplira d'un hymne grave et lent
+ Le demi-jour filtrant des étoffes tendues.
+
+ J'aurai la vision chère devant les yeux:
+ Le souffle parfumé de l'ineffable Absente
+ Flottera pour moi seul dans l'air silencieux,
+ Subtil comme une odeur de fraise dans la sente;
+ J'aurai la vision chère devant les yeux.
+
+ Et je dirai tout bas ma tendresse latente;
+ O coeur lâche, tremblant et révolté, je veux
+ Que ton intime amour se révèle et la tente:
+ Tu te résigneras à l'effroi des aveux
+ Et je dirai tout bas ma tendresse latente.
+
+
+
+
+JOUVENCE
+
+
+ Tu parles tristement des campagnes lointaines
+ D'une voix si dolente et lourde de regrets
+ Que je deviens jaloux des fleurs et des forêts
+ Et des saules d'argent penchés vers les fontaines.
+
+ Souvenirs! jours anciens! comme vous enserrez
+ Notre âme prisonnière en d'invincibles chaînes:
+ Tu veux, comme autrefois, baigner les sombres chênes
+ Au clair de lune blond de tes cheveux cendrés.
+
+ Soit! l'été revenu parmi les hautes herbes,
+ Nous marcherons, frôlés par les ailes de l'air,
+ Au murmure divin des choses et ta chair
+ Mêlera des parfums de Chypre aux foins en gerbes,
+
+ Et peut-être qu'un soir entre de rudes draps
+ Embaumés de lavande et dans un lit d'auberge
+ Tu me rendras ta chair et tes lèvres de vierge,
+ Pour quelque amour d'enfant dont tu te souviendras.
+
+
+
+
+LA MORT INUTILE
+
+_A Grégoire Le Roy._
+
+ Curæ non ipsa in morte relinquunt.
+
+(PUBLIUS VERGILIUS MARO.)
+
+
+ Triste comme la mer et la chanson des syrtes,
+ Le vent lourd de sanglots pleure dans la forêt;
+ Un troupeau d'ombres va, paraît, et disparaît
+ Par les bois souterrains et les bosquets de myrtes.
+
+ Défaillant dans l'horreur d'un ciel ensanglanté,
+ Le soleil infernal baigne le pâle espace;
+ Un troupeau d'ombres vient, revient, passe et repasse
+ En sa mélancolique et tremblante clarté;
+
+ Et ce sont à travers les routes d'asphodèle
+ Les fantômes hagards, pleins de larmes et lents
+ Dont les glaives d'amour ont déchiré les flancs:
+ La mort n'a point fermé leur blessure immortelle,
+
+ Le sommeil sépulcral a leurré leurs yeux las
+ Et l'âpre souvenir survivant à la tombe
+ Tel qu'un vin corrosif, goutte par goutte, tombe
+ Dans leur coeur ulcéré qui ne guérira pas.
+
+
+
+
+L'AME SEULE
+
+_A A.-Ferdinand Herold._
+
+
+ La bienfaisante nuit couvre la ville immense
+ D'où montaient vers le ciel des sanglots et des chants
+ Et la grande cité semble un lac de silence
+ Frôlé par la rumeur pacifique des champs.
+
+ Mer des vivants, mer furieuse qui te rues
+ Emportant dans tes plis les deuils et les baisers,
+ Tu roules tout le jour sur le pavé des rues,
+ Mais le soir calme endort tes râles apaisés;
+
+ Et les rêveurs amis des nécropoles saintes,
+ Délivrés de la joie, affranchis du remords,
+ Errent par les soirs clairs et fleuris d'hyacinthes
+ Comme des immortels dans la maison des morts.
+
+ Hommes, laissez passer dans la nuit solitaire
+ Ceux qui foulent toujours des chemins non frayés:
+ Les exilés divins ont repeuplé la terre
+ Et je me sens plus seul quand vous vous réveillez.
+
+ Quels démons ont pétri de leur mains ironiques
+ Vos faces de mensonge et de stupidité,
+ Je ne sais, mais le mal suinte de vos tuniques
+ Et votre rire impur attente à la beauté.
+
+ Le matin revenu, soyez tels que vous êtes.
+ Moi cuirassé d'orgueil et de mépris serein
+ Entre mon coeur farouche et vos clameurs de bêtes
+ Je laisserai tomber une herse d'airain.
+
+ Je m'en irai là-bas vers la forêt clémente:
+ Les arbres fraternels m'appellent doucement;
+ L'herbe bruit, l'eau des fontaines se lamente
+ Et rit comme une nymphe avec son jeune amant.
+
+ La forêt a gardé pour mon oreille seule
+ Les chants anciens et les fleurs nobles d'autrefois
+ Parfument à jamais sa mémoire d'aïeule
+ Et tous les rhythmes morts revivent dans sa voix.
+
+ Les chênes musculeux portent de verts portiques,
+ Où pareils à des rois mes rêves passeront
+ Et près des dieux nouveaux, fils des taillis antiques,
+ Je plierai les genoux et courberai le front.
+
+ Mais retrouveras-tu la jeunesse première,
+ O parleur orgueilleux, ivre d'un vin mauvais?
+ Et si dans la splendeur de la pure lumière
+ Ton rêve était moins beau que tu ne le rêvais?
+
+ Ainsi qu'un porteur las délivre ses épaules
+ Tu voudrais rejeter les souvenirs humains
+ Et suivre le ruisseau qui court entre les saules
+ Et marcher tout le jour au hasard des chemins.
+
+ Va! tu n'entendrais plus les voix surnaturelles
+ Qui t'invitent la nuit, vers les magiques bois;
+ Dans les halliers saignant de mûres et d'airelles
+ Tu serais poursuivi par les mauvaises voix.
+
+ Reste jusqu'à la mort baigné de crépuscule
+ Avec l'âpre regret des astres radieux:
+ Tu n'es pas assez grand pour le manteau d'Hercule
+ Et pour te revêtir de la pourpre des dieux.
+
+
+
+
+PETITS PAYSAGES
+
+_A Urbain Derbanne._
+
+
+I
+
+ Une écume de fleurs, blanche et rose, s'étale
+ Sur la mer onduleuse et mouvante des prés
+ Où ruisselle le flot des trèfles empourprés,
+ Tandis que montent vers le nue orientale
+ Le meuglement des boeufs et la rumeur des blés.
+
+
+II
+
+ Le souffle langoureux des brises musicales
+ Chante dans les sainfoins en fleurs un hymne lent
+ Et grave et sous les rais du soleil aveuglant
+ Une fuite éperdue et grise de cigales
+ S'enlève et vibre, au ras de l'herbe, en sautelant.
+
+
+III
+
+ L'équipe de pêcheurs tire la grande senne
+ A basse mer, avant les vagues et le flux;
+ Et nul des rudes gars n'est manchot ni perclus,
+ Mais l'effort fait saillir et gonfler leur chair saine
+ Et les veines des bras musculeux et velus.
+
+
+IV
+
+ Le soleil tombe et des grappes de lilas sombre
+ Fleurissent la forêt marine où Téthys dort
+ Sous un voile de pourpre aux filigranes d'or
+ Que trempe dans le sang de la clarté qui sombre
+ L'invisible ouvrier du fabuleux décor.
+
+
+V
+
+ Le ciel est gris comme une aile de tourterelle
+ Que teinterait un peu de rose veiné d'or;
+ Là-bas, le cap lointain dont la mâchoire mord
+ L'horizon sombre est las de sa longue querelle
+ Et la brume a brisé les dents du monstre mort.
+
+
+
+
+EN MORVAN
+
+_A Jacques Derbanne._
+
+
+ L'ombre s'enroule aux flancs des collines farouches
+ Et pèse sur les bois et les versants herbeux
+ Où dorment lourdement les immobiles boeufs;
+ Elle fait grimacer les arbres et les souches
+ Des saules noirs pareils à des jeteurs de sorts,
+ Tandis que par les vaux mystérieux et morts
+ Le monotone appel des hulottes réplique
+ Au sifflement du vent dans le houx métallique
+ Qui vibre hostilement comme une armure et luit
+ Et l'eau sauvage hurle entre les roches grises,
+ Ainsi que défaillant de hautes entreprises
+ Une guerrière blanche en fuite dans la nuit.
+
+
+
+
+L'EAU MORTE
+
+_A Charles Bourgault Ducoudray._
+
+
+ L'étang mystérieux dort parmi les bois sombres,
+ Eau de solitude, eau de silence, eau de songe,
+ Que le flot rose et blanc des bruyères prolonge;
+ Parfois des oiseaux noirs glissent comme des ombres
+ Entre les joncs tendus hors des sinistres ondes
+ Tels que des glaives d'or aux mains de reines blondes;
+ Et sous l'âpre soleil épars en rayons mornes
+ Les nymphéas chassés des limpides fontaines
+ Où boivent, à la nuit, les cerfs aux belles cornes,
+ Attendent tristement les étoiles lointaines.
+
+
+
+
+RÊVE D'ÉTALONS
+
+_A Edmond Haraucourt._
+
+
+ Une lourde vapeur rôde sur les prairies;
+ La plaine calme dort au chant prochain des eaux
+ Et le vol pacifique et lent des grands oiseaux
+ Traîne des filets d'ombre aux flots d'herbes fleuries.
+
+ L'or brusque du soleil déborde dans l'azur
+ Et jaillit de la neige ardente des nuées;
+ Puis le ciel morne enclôt les splendeurs refluées
+ Dans ses digues de fer éblouissant et dur.
+
+ Des cris surnaturels et des glaives d'archanges
+ Bruissent dans l'éther magiquement: des voix
+ Rauques sonnent l'appel d'invisibles tournois
+ Où se heurtent des dieux et des guerriers étranges.
+
+ Les étalons vautrés dans le tiède gazon
+ Comme au ressouvenir épique des mêlées,
+ Eperdument, de leurs prunelles affolées
+ Parcourent l'étendue immense et l'horizon,
+
+ Et par delà le sable héroïque des grèves
+ Regardent, les naseaux gonflés d'un souffle amer,
+ Sur la montagne bleue et verte de la mer
+ Blanchir en galop fou les cavales des rêves.
+
+ Convulsifs et dressés sur leurs jarrets tremblants,
+ Le col tendu vers les chimériques crinières
+ Ils sentent comme aux jours des fièvres printanières
+ Les désirs infinis aiguillonner leurs flancs.
+
+ Mais leur chair glorieuse en proie aux frissons vagues
+ Dédaigne désormais les vieilles voluptés
+ Et le vain désespoir de leurs coeurs indomptés
+ Hennit lugubrement vers le troupeau des vagues.
+
+
+
+
+MARBRE
+
+_A Ernest Christophe._
+
+
+ Les bois religieux se taisent; les oiseaux
+ Ont quitté la forêt où meurt le bruit des eaux.
+ Seule en sa nudité de vierge et de guerrière
+ La déesse de marbre habite la clairière
+ Et son corps impollu fait de rêve et d'amour
+ Monte, lys immortel, parmi les fleurs d'un jour.
+ Ni flûtes de bergers ni chansons de cigales:
+ Sauf le frissonnement des herbes amicales
+ Dont le flot souple ondule autour d'elle, nul bruit.
+ Parfois dans les fourrés un chevreuil brusque fuit
+ Farouche d'avoir vu briller la chair sans voiles
+ Et l'arc impérieux tendu vers les étoiles.
+
+
+
+
+CRISTAL
+
+_A Emile Gallé._
+
+
+ Noire sur le cristal pâle et gris comme un ciel
+ D'hiver, la libellule énigmatique éploie
+ Les ailes dans l'air lourd et pestilentiel.
+ Ses immobiles yeux sans tristesse et sans joie
+ Cherchent sinistrement une invisible proie
+ Et planant sur l'eau verte et morte des marais,
+ Vers vos calices d'or, de pourpre et de ténèbres,
+ Elle vole vers vos calices à jamais,
+ Glauques fleurs qui nagez sur des étangs funèbres
+ Où se mire le deuil des pins et des cyprès.
+
+
+
+
+CRÉPON
+
+_A Judith Gautier._
+
+
+ Des oiseaux merveilleux onglés de griffes d'or
+ Tracent dans le ciel calme un candide sillage
+ Et la migration d'un éternel voyage
+ Tend vers des pics lointains leur immuable essor.
+
+ Le caprice du peintre ouvrant les ailes vaines
+ Fige ironiquement loin des vierges sommets
+ Leur vol: blancs exilés, vous n'atteindrez jamais
+ Les cimes que le soir vêt de pâles verveines.
+
+ Mais le rêve des monts vous donne leur fierté,
+ L'eau des lacs inconnus frémit dans vos prunelles
+ Et l'héroïque amour des neiges fraternelles
+ Illumine vos yeux de gloire et de clarté:
+
+ Telle malgré l'horreur des ténèbres accrues
+ Mon âme vole vers la pourpre des printemps
+ Et loin des monts neigeux et des lacs où je tends
+ Rêve au parfum royal des roses disparues.
+
+
+
+
+L'IMPÉRATRICE
+
+_A Mlle Gabrielle Herold._
+
+
+ Les dieux d'un riche crépuscule
+ Parent d'or fauve et de joyaux
+ Les cactus, les lys sans macule
+ Et les chrysanthèmes royaux;
+
+ La pourpre du jour tombe et glisse
+ Sur les terrasses du jardin;
+ Le soleil meurt, l'Impératrice
+ Frôle les fleurs avec dédain
+
+ Et songe, loin des soirs illustres,
+ Au lac blanc sous l'aube d'avril
+ Où les frêles herbes palustres
+ Semblaient des reines en exil.
+
+
+
+
+L'ASCÈTE
+
+_A Benjamin Constant._
+
+
+ Après le jour de flamme et le labeur amer,
+ L'ascète hiératique accroupi sur la grève
+ Entendait résonner une harpe de rêve
+ Et son maigre lion dormait près de la mer.
+
+ Ni voix ni glissement des barques ou des ailes
+ Ne troublaient le silence effrayant et la paix
+ Du morne crépuscule épars dans l'air épais,
+ Et la bête songeait aux viandes des gazelles.
+
+ Mais l'homme dédaignant la tristesse du soir,
+ Consumé d'une soif que rien ne désaltère
+ Et que n'apaisent pas les coupes de la terre,
+ Regardait le soleil rougir l'horizon noir.
+
+ Et voyait, en un ciel de pourpre et d'hyacinthe,
+ Les pieds cloués, la chair tachant l'horrible croix,
+ Le Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, Roi des rois,
+ Sinistrement saigner sur la montagne sainte.
+
+
+
+
+MESSE DES MORTS
+
+_A Bernard Lazare._
+
+
+LES ORGUES
+
+ Requiem æternam dona eis, Domine.
+
+
+ Seigneur, ces pèlerins des routes de la vie
+ Ont peiné tout le jour vers le terme divin:
+ Au lieu des puits d'eau vive et des outres de vin,
+ Ils se désaltéraient aux calices d'envie.
+
+ Desséchés par le hâle et brûlé par le ciel
+ Torride, haletant de la soif infinie,
+ Ils ont bu, comme Christ en sa lente agonie,
+ La mauvaise liqueur de vinaigre et de fiel.
+
+ Sous les savantes mains d'atroces sagittaires,
+ Des flèches s'envolaient vers eux d'arcs inconnus
+ Et d'invisibles fouets mordaient leurs torses nus
+ Et du métal ardent coulait dans leurs artères.
+
+ Ils marchaient pesamment sous le faix de leurs croix
+ Avec le seul espoir de ta bonté future;
+ Mais les loups de l'enfer guettent la créature
+ Et happent en chemin l'âme que tu mécrois;
+
+ L'inextinguible feu hurle dans la géhenne
+ Et les damnés jetés aux abîmes grondants
+ N'apaisent point la faim terrible de ses dents
+ Et son gosier féroce est avivé de haines;
+
+ N'écarte pas de toi les fidèles troupeaux;
+ Le soir descend; après les heures sans prairies,
+ Voici l'instant rêvé des calmes bergeries:
+ Ouvre, ô Pasteur des morts, le bercail de repos.
+
+
+LES VIOLONS
+
+ Et lux perpetua luceat eis.
+
+
+ Seigneur, ces exilés de la seule patrie
+ Criaient vers toi du fond des gouffres ténébreux;
+ Pitié, fais ruisseler des nuages sur eux
+ La source de splendeur promise en Samarie.
+
+ Que la mort leur devienne un baptême: revêts
+ Leurs flancs martyrisés de robes de lumière
+ Et donne leur essor dans la gloire première
+ Aux cygnes échappés aux pièges du Mauvais.
+
+ Magnifiques et purs, après la lutte rude,
+ Ils voleront vers les parterres triomphaux
+ Où des lys, méprisant la morsure des faux,
+ Fleurissent dans la joie et la béatitude,
+
+ Tandis que le soleil d'un ineffable été
+ Inonde d'or brûlant les roses et dilate
+ Les parfums épandus des coupes d'écarlate
+ Et que l'éther subtil chante l'éternité.
+
+ Rappelle au nid fermé les frissonnantes âmes
+ Et les ailes d'amour monteront vers l'Amant
+ A travers l'harmonie et l'éblouissement
+ Des musiques, des voix, des splendeurs et des flammes,
+
+ Et les siècles futurs et ceux qui ne sont plus
+ Tressailleront en toi d'une même allégresse
+ En oyant tel qu'un chant et tel qu'une caresse
+ Frémir au ciel nouveau le vol blanc des élus.
+
+
+LES VIVANTS
+
+ Agnus Dei qui tollis peccata mundi
+ dona eis requiem.
+
+
+ Seigneur, Seigneur, Seigneur, impitoyable maître,
+ Nous sommes las des jours et des soleils maudits:
+ Epargne aux délivrés l'horreur du paradis,
+ Laisse les morts dormir en paix et ne plus être.
+
+ Tant de clous ont percé leurs membres ici-bas
+ Que nul flot baptismal rédempteur de leurs peines
+ Ne laverait les maux et les douleurs humaines
+ Et que ton repentir ne leur suffirait pas.
+
+ Ils entendraient, au lieu des sublimes cantiques
+ Flottant parmi l'encens des lys épanouis,
+ Monter de l'Océan tumultueux des nuits
+ Le râle inexpié des souffrances antiques;
+
+ Rumeur d'airain, sanglot cruel d'un tympanon
+ Dont une main haineuse a secoué les cordes,
+ Le souvenir rirait de tes miséricordes,
+ La voix de tes élus blasphémerait ton nom.
+
+ Roi du ciel, reste seul dans ta gloire exécrée
+ Formidable, sereine et libre de remords;
+ O bourreau des vivants, ne touche pas aux morts,
+ Et quand viendra pour nous la suprême vesprée,
+
+ Quand les vers rongeront les os de nos genoux,
+ Accorde à notre chair en tardive clémence
+ Non les vaines clartés, mais l'ombre, le silence,
+ Le sommeil et l'oubli de toi-même et de nous.
+
+
+
+
+LA VANITÉ DU VERBE
+
+
+
+
+LA VANITÉ DU VERBE
+
+
+I
+
+ Le Runoïa, le prince altier du Verbe d'or,
+ Est las de la nature et des formes antiques
+ Où l'ébauche du monde est imparfaite encor;
+
+ Les bois noirs et leur chant de harpes prophétiques
+ Et les monts violets endormis sous le ciel,
+ Et les brumes d'argent sur les vagues baltiques,
+
+ Et les brises de fleurs et les parfums de miel,
+ Et tous les souvenirs alourdis de mystère
+ Gonflent son coeur amer de mépris et de fiel.
+
+ En son être, écrasé par l'ennui solitaire
+ Croît, avec le dégoût de sa virginité,
+ Le désir d'évoquer une nouvelle terre,
+
+ Un monde jeune, un paradis illimité,
+ Revêtu d'aubépine immortelle et d'yeuses
+ Sous les glaces d'hiver et les soleils d'été,
+
+ Où des créations de femmes radieuses
+ Se mêleraient d'amour à de mâles héros
+ En des lits de gazon semés de scabieuses.
+
+ Le Maître déploya l'art magique des Mots:
+ Un subit univers naissait de ses paroles
+ Comme la perle naît du bruit rhythmé des flots.
+
+ Une profusion sanglante de corolles
+ S'éveillait et germait du rêve des Avrils
+ Et l'azur flamboyait de fauves auréoles,
+
+ Tandis que les forêts et les guerriers virils,
+ Les femmes pâles et les belles chevelures
+ Jaillissaient de l'abîme au gré des chants subtils.
+
+ Alors, imaginant les caresses futures,
+ Le sublime ouvrier du Verbe éperdument
+ Songeait un songe blanc pétri de neiges pures.
+
+ Il disait son extase et son ravissement,
+ Et s'enivrait de la liqueur de la Pensée
+ Et sa voix enfantait l'ineffable Tourment;
+
+ Elle faisait surgir au jour la fiancée
+ Surhumaine, et la Femme idéale venait
+ Divinement resplendissante et cadencée.
+
+ Elle marchait sur la bruyère et le genêt
+ Et des astres vivaient au fond de sa prunelle;
+ Un silence d'hymen et de baisers planait.
+
+ Le Runoïa, joyeux de l'oeuvre faite, en elle
+ Se plongeait comme dans un océan de lys
+ Et tombait ébloui de la Forme éternelle
+
+ Dans le gouffre effrayant des rêves accomplis.
+
+
+II
+
+ La contemplation dura cent mille années;
+ Quand le Maître sortit des songes éclatants,
+ Des générations hideuses étaient nées.
+
+ Les Rhythmes étaient morts; les rires insultants
+ Grimaçaient; le soleil blême sur les prairies
+ Sans fleurs pleurait les jours anciens et les printemps;
+
+ L'épouse maquillée, âpre de pierreries,
+ Se raillait du Poète et du Rêve divin
+ Et se prostituait aux races amoindries.
+
+ Lorsque le Démiurge eut vu ce qui devint,
+ Un désespoir immense emplit son âme sombre;
+ Il comprit que le Verbe était stupide et vain
+
+ Et cria dans la nuit: «Puisque tout croule et sombre,
+ «Après l'oeuvre magique et sublime du Chant,
+ «O paroles, rentrez dans le gouffre de l'ombre.
+
+ «Va, monde! abîme-toi, triste soleil couchant!
+ «Disparais d'un seul coup dans le néant avide!
+ «Fonds-toi dans ma fureur comme un lingot d'argent!»
+
+ Plus rien ne fut; la nuit par le ciel morne et vide
+ Roula son voile noir sur la fausse splendeur
+ Et le Maître, absorbé dans le chaos livide
+
+ Tut--pour l'éternité--le Verbe créateur.
+
+
+
+
+TABLE
+
+
+ _DÉDICACE_
+
+ A LA MÉMOIRE D'ÉPHRAÏM MIKHAËL 7
+
+DE SABLE ET D'OR
+
+ _LES FLEURS NOIRES_
+
+ LES FLEURS NOIRES 13
+ LE DIEU MORT 15
+ RUINES 17
+ PAR LA NUIT D'AUTOMNE 19
+ SOLITUDE 21
+ PAROLES SUR LA TERRASSE 23
+ L'AUTOMNE A DÉNUDÉ LES GLÈBES 25
+
+ _LES VAINES IMAGES_
+
+ PSYCHÉ 29
+ ÉLIANE 31
+ HYMNIS 37
+ CHRYSARION 40
+
+ _L'ERRANTE_
+
+ L'ERRANTE 45
+
+ _VERS L'AURORE_
+
+ LES AUMÔNIÈRES 59
+ MARE TENEBRARUM 61
+ LE PÈLERINAGE HORS DE L'OMBRE 63
+ NATIVITÉ 67
+ LE CHÈVRE-PIEDS 69
+ FLAMMES 71
+
+ _LE JARDIN DE CASSIOPÉE_
+
+ LE JARDIN DE CASSIOPÉE 75
+ VOIX DERRIÈRE LA HAIE 78
+ LA DOULEUR A CRIÉ 82
+
+LA GLOIRE DU VERBE
+
+ _LA GLOIRE DU VERBE_
+
+ LA GLOIRE DU VERBE 89
+
+ _LES MYTHES_
+
+ L'AVENTURIER 97
+ LE BOIS SACRÉ 102
+ LES CAPTIFS 109
+ LES YEUX D'HÉLÈNE 115
+ SCHAOUL 117
+ RESSOUVENIR 120
+ GOETTERDAEMMERUNG 122
+ LA FILLE AUX MAINS COUPÉES 124
+ LA PEUR D'AIMER 136
+ LE PRINCE D'AVALON 138
+ CELLE QU'ON FOULE 141
+ LA VOIX IMPÉRISSABLE 149
+
+ _MAYA_
+
+ THAÏS 157
+ JUDEX 160
+ CHAMBRE D'AMOUR 162
+ PRINTEMPS D'AUTOMNE 164
+ LIEDER 166
+ POUR UNE ABSENTE 179
+ JOUVENCE 181
+ LA MORT INUTILE 183
+ L'AME SEULE 185
+ PETITS PAYSAGES 189
+ EN MORVAN 191
+ L'EAU MORTE 192
+ RÊVE D'ÉTALONS 193
+ MARBRE 195
+ CRISTAL 196
+ CRÉPON 197
+ L'IMPÉRATRICE 199
+ L'ASCÈTE 200
+ MESSE DES MORTS 202
+
+ _LA VANITÉ DU VERBE_
+
+ LA VANITÉ DU VERBE 209
+
+
+
+
+ _ACHEVÉ D'IMPRIMER_
+ le trente octobre mil huit cent quatre-vingt-dix-sept
+ PAR
+ L'IMPRIMERIE Vve ALBOUY
+ POUR LE
+ MERCVRE
+ DE
+ FRANCE
+
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's La lyre héroïque et dolente, by Pierre Quillard
+
+*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44359 ***
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+ The Project Gutenberg eBook of La Lyre héroïque et dolente, by Pierre Quillard.
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+<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44359 ***</div>
+
+<p class="c"><span class="large">PIERRE QUILLARD</span></p>
+
+<h1><span class="huge">LA LYRE</span><br/>
+HÉROÏQUE ET DOLENTE</h1>
+
+<p class="c"><span class="small">DE SABLE ET D'OR<br/>
+LA GLOIRE DU VERBE.&mdash;L'ERRANTE<br/>
+LA FILLE AUX MAINS COUPÉES</span></p>
+
+<div class="c"><img src="images/mercure.png" alt="" /></div>
+<p class="c"><span class="large">PARIS</span><br/>
+SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE<br/>
+<span class="small">XV, RVE DE L'ÉCHAVDÉ-SAINT-GERMAIN, XV</span></p>
+
+<p class="c">M DCCC XCVII</p>
+
+<p class="c"><span class="small">Tous droits réservés</span></p>
+
+
+
+
+<p class="cbreak"><i>DU MÊME AUTEUR:</i></p>
+
+<table summary="Ouvrages du même auteur">
+<tr>
+<td class="drap"><span class="sc">L'antre des Nymphes</span> de Porphyre, traduit du grec</td>
+<td class="num">1 plq.</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap"><span class="sc">Les Lettres rustiques</span> de Claudius Ælianus, Prenestin,
+traduites du grec, illustrées d'un Avant-propos
+et d'un Commentaire latin</td>
+<td class="num">1 vol.</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap"><span class="sc">Le Livre de Jamblique sur les Mystères</span>, traduit du grec</td>
+<td class="num">1 vol.</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap"><span class="sc">Philoktètès</span>, traduit de Sophocle et représenté à l'Odéon</td>
+<td class="num">1 vol.</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap"><span class="sc">La question d'Orient et la politique personnelle
+de M. Hanotaux</span>, en collaboration avec le docteur L. Margery</td>
+<td class="num">1 vol.</td>
+</tr>
+</table>
+
+
+
+<p class="cbreak"><span class="small">IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE:</span></p>
+<p class="c"><i>Trois exemplaires sur japon impérial, numérotés de 1 à 3<br/>
+et douze exemplaires sur papier de Hollande, numérotés de 4 à 15.</i></p>
+
+<p class="c"><span class="small">EXEMPLAIRE N<sup>o</sup></span> 1</p>
+
+
+<p class="cgap">Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays,
+y compris la Suède et la Norvège.</p>
+
+
+
+<h2 id="p1">DÉDICACE</h2>
+
+<p class="c">A LA MÉMOIRE D'ÉPHRAÏM MIKHAEL</p>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tu t'en allas, un soir de mai: la ville en fête</div>
+ <div class="verse">Haletait de printemps, de jeunesse et d'amour,</div>
+ <div class="verse">Et tu nous as quittés pour la nuit sans retour,</div>
+ <div class="verse">Ame mélancolique et toujours inquiète.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">En vain les mornes dieux, formidables et doux,</div>
+ <div class="verse">Ont détaché ta main de nos mains fraternelles:</div>
+ <div class="verse">Le sel âcre des pleurs brûle encor nos prunelles</div>
+ <div class="verse">Quand ta voix, triomphant des heures, chante en nous</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et fait surgir parmi les roses des vesprées,</div>
+ <div class="verse">Sous des voiles tissus de soleils et de cieux,</div>
+ <div class="verse">Une vierge dolente au regard anxieux</div>
+ <div class="verse">Qui nous appelle et fuit vers les ombres sacrées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Forme grave dressée au seuil mauvais du sort,</div>
+ <div class="verse">Image de fierté qui pleurait et s'est tue,</div>
+ <div class="verse">Ma bouche te cherchait d'une lèvre éperdue;</div>
+ <div class="verse">Mais j'ai heurté du front les portes de la mort</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Hélas! et tu survis dans nos seules mémoires</div>
+ <div class="verse">Et sans que rien m'entende au tombeau souterrain,</div>
+ <div class="verse">Je fixe tristement sur le vantail d'airain</div>
+ <div class="verse">Avec l'amer laurier les palmes illusoires.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h2>DE SABLE ET D'OR</h2>
+
+
+
+
+<h3>LES FLEURS NOIRES</h3>
+
+<p class="dedic"><i>A MARCEL COLLIÈRE</i></p>
+
+
+
+<h4 id="p2">LES FLEURS NOIRES</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Émile Galle.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Au bord de quels sinistres lacs d'eau lourde et sombre,</div>
+ <div class="verse">O ténébreuses fleurs plus vastes que la mort,</div>
+ <div class="verse">Les dieux muets du soir et les dieux froids du nord</div>
+ <div class="verse indent4">Tissent-ils votre robe d'ombre?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Vos abîmes de nuit dévorent le soleil;</div>
+ <div class="verse">Le jour est offensé par vos voiles de veuves</div>
+ <div class="verse">Et vous avez puisé sans peur aux mornes fleuves</div>
+ <div class="verse indent4">L'onde farouche du sommeil.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O fleurs noires, le vent de l'aube vous balance:</div>
+ <div class="verse">Mais nul parfum d'amour ne s'exhale de vous,</div>
+ <div class="verse">Chères, et vous versez dans les c&oelig;urs las et fous</div>
+ <div class="verse indent4">L'incantation du silence.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La vie épand en vain ses perfides douceurs;</div>
+ <div class="verse">La pourpre du printemps inutile flamboie:</div>
+ <div class="verse">Votre deuil rédempteur libère de la joie;</div>
+ <div class="verse indent4">Salut, impérieuses s&oelig;urs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je vous aime et je veux dormir, soyez clémentes:</div>
+ <div class="verse">Je ne troublerai pas votre calme immortel</div>
+ <div class="verse">Et, là-bas, j'oublierai, loin du jour et du ciel,</div>
+ <div class="verse indent4">La bouche rouge des amantes.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p3">LE DIEU MORT</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A André Fontainas.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Une étoile, une seule étoile. O funérailles</div>
+ <div class="verse">Royales! solitude où la gloire mourait</div>
+ <div class="verse">Sur un bûcher perdu derrière la forêt,</div>
+ <div class="verse">A l'écart des drapeaux, du glaive et des batailles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le héros s'en allait sans pourpre, enseveli</div>
+ <div class="verse">Dans une soie éteinte et dans les tresses rousses</div>
+ <div class="verse">Des captives et des amantes: lèvres douces</div>
+ <div class="verse">Et voraces, vous qui buviez le sang pâli,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Vers quels baisers souriez-vous? Vers quelles fêtes</div>
+ <div class="verse">Sonne déjà l'appel de vos chants oublieux?</div>
+ <div class="verse">Ah, mensongères! pour des larmes en vos yeux,</div>
+ <div class="verse">Il fallait l'apparat de célèbres défaites</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et l'horreur des clairons déchirant le ciel noir,</div>
+ <div class="verse">Pour tordre avec des cris de pleureuses louées</div>
+ <div class="verse">Vos corps, mimes en deuil sous le vol des nuées,</div>
+ <div class="verse">Parmi la rouge odeur des torches dans le soir.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais nul regard viril n'a, du haut des murailles,</div>
+ <div class="verse">Avidement cueilli la fleur de vos bras nus:</div>
+ <div class="verse">Vous avez fui. Le roi ne s'éveillera plus.</div>
+ <div class="verse">Une étoile, une seule étoile. O funérailles.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p4">RUINES</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Maurice Nicolle.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'illustre ville meurt à l'ombre de ses murs;</div>
+ <div class="verse">L'herbe victorieuse a reconquis la plaine;</div>
+ <div class="verse">Les chapiteaux brisés saignent de raisins mûrs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le barbare enroulé dans sa cape de laine</div>
+ <div class="verse">Qui paît de l'aube au soir ses chevreaux outrageux</div>
+ <div class="verse">Foule sans frissonner l'orgueil du sol Hellène.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ni le soleil oblique au flanc des monts neigeux</div>
+ <div class="verse">Ni l'aurore dorant les cimes embrumées</div>
+ <div class="verse">Ne réveillent en lui la mémoire des dieux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ils dorment à jamais dans leurs urnes fermées</div>
+ <div class="verse">Et quand le buffle vil insulte insolemment</div>
+ <div class="verse">La porte triomphale où passaient des armées,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Nul glaive de héros apparu ne défend</div>
+ <div class="verse">Le porche dévasté par l'hiver et l'automne</div>
+ <div class="verse">Dans le tragique deuil de son écroulement.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le sombre lierre a clos la gueule de Gorgone.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p5">PAR LA NUIT D'AUTOMNE</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Par l'automnale nuit la terre se résigne,</div>
+ <div class="verse">Muette sous le fait des ombres tumulaires:</div>
+ <div class="verse">Nul astre en qui survive un espoir d'aubes claires,</div>
+ <div class="verse">Un espoir de matin crevant son &oelig;uf de cygne.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les soleils d'autrefois fermentent dans la vigne.</div>
+ </div>
+
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Maintenant au pas sourd de noires haquenées,</div>
+ <div class="verse">Sans faire gémir l'herbe ou résonner la roche,</div>
+ <div class="verse">Tel qu'une chevauchée impitoyable, approche</div>
+ <div class="verse">Le troupeau saccageur des suprêmes journées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Un parfum triste vient des grappes condamnées.</div>
+ </div>
+
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Demain l'or et le sang des étoiles sublimes</div>
+ <div class="verse">Seront déshonorés par la soif de la horde;</div>
+ <div class="verse">Mais voici qu'une pluie invisible déborde</div>
+ <div class="verse">Et tombe lentement des sinistres abîmes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Serait-ce pas les Dieux qui pleurent leurs vieux crimes?</div>
+ </div>
+
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O Dieux, je ne sais pas quel Léthé vous enivre</div>
+ <div class="verse">De poisons plus amers que le fiel des Lémures:</div>
+ <div class="verse">Que vous importe à vous, la mort des grappes mûres</div>
+ <div class="verse">Et le viol raillé par le bruit vil du cuivre?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les pampres desséchés ne veulent pas revivre.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p6">SOLITUDE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Grégoire le Roy.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">C'est un grand silence après le chant du cor,</div>
+ <div class="verse">Comme dans les villes mortes</div>
+ <div class="verse">Où les chats peuvent encor</div>
+ <div class="verse">Rêver sur le seuil des portes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sous le dais noir de la nuit</div>
+ <div class="verse">Les rois radieux, les belles chevauchées</div>
+ <div class="verse">Foulaient dans l'or et le bruit</div>
+ <div class="verse">Le sang des roses fauchées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des femmes embaumaient l'air</div>
+ <div class="verse">Parmi le velours des porches;</div>
+ <div class="verse">Nous voyions couler la résine des torches</div>
+ <div class="verse">Sur les gantelets de fer.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais les heures sont passées</div>
+ <div class="verse">De la joie et du décor</div>
+ <div class="verse">Et dans nos âmes lassées</div>
+ <div class="verse">C'est un grand silence après le chant du cor.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p7">PAROLES SUR LA TERRASSE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Puvis de Chavannes.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des reines blanches inclinées</div>
+ <div class="verse">Aux balustrades d'améthystes</div>
+ <div class="verse">Pour fleurir la mort des journées</div>
+ <div class="verse">Effeuillent des glycines tristes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Fleurs plus brèves que les plus brèves,</div>
+ <div class="verse">Vains thyrses que le vent spolie,</div>
+ <div class="verse">Les noirs flots sans rives ni grèves</div>
+ <div class="verse">Emportent leur cendre pâlie;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et c'est le deuil d'un double automne,</div>
+ <div class="verse">Soir du jour et soir des feuillées,</div>
+ <div class="verse">Qui dévaste l'ombre et frissonne</div>
+ <div class="verse">Dans les ramilles dépouillées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des pas glissent sur la terrasse;</div>
+ <div class="verse">Une étoffe roide s'y froisse;</div>
+ <div class="verse">Les voix que la nuit blême efface</div>
+ <div class="verse">Tremblent d'adieux, meurent d'angoisse,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et cygnes chassés de tout fleuve,</div>
+ <div class="verse">S'en vont fébriles et blessées,</div>
+ <div class="verse">Sans que la ténèbre s'émeuve</div>
+ <div class="verse">Aux cris des âmes délaissées.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p8">L'AUTOMNE A DÉNUDÉ&hellip;</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'automne a dénudé les glèbes et le soir,</div>
+ <div class="verse">Un soir d'exil et de mains désunies,</div>
+ <div class="verse">S'approche à l'horizon des plaines infinies,</div>
+ <div class="verse">Roi dévêtu de pourpre et spolié d'espoir.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O marcheur aux pieds nus et las qui viens t'asseoir</div>
+ <div class="verse">Sans compagnon, parmi les landes défleuries,</div>
+ <div class="verse">Près des eaux mornes, quelles mêmes agonies</div>
+ <div class="verse">Alourdissent ton front vers ce triste miroir?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je le sais, tout se meurt dans ton âme d'automne.</div>
+ <div class="verse">Laisse la nuit prendre les fleurs qu'elle moissonne</div>
+ <div class="verse">Et l'amour défaillant d'un c&oelig;ur ensanglanté,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pour qu'après le sommeil et les ombres fidèles</div>
+ <div class="verse">Les clairons triomphaux de l'aube et de l'été</div>
+ <div class="verse">Fassent surgir enfin les roses immortelles.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h3>LES VAINES IMAGES</h3>
+
+<p class="dedic"><i>A HENRI DE RÉGNIER</i></p>
+
+
+
+<h4 id="p9">PSYCHÉ</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Petite âme, Psyché mélancolique, dors,</div>
+ <div class="verse">Lys d'aurore surgi des heures ténébreuses,</div>
+ <div class="verse">Tes bras souples et frais et tes lèvres heureuses</div>
+ <div class="verse">Ont rajeuni mon c&oelig;ur et réjoui mon corps.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et tu m'as cru, petite âme blanche et farouche,</div>
+ <div class="verse">Tel que ton désir vierge encore me voulait</div>
+ <div class="verse">Pendant tes longs baisers de miel pur et de lait,</div>
+ <div class="verse">Tant que l'ombre a menti comme mentait ma bouche.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Nulle parole et nulle étreinte et nul baiser</div>
+ <div class="verse">N'ont trahi la douleur secrète du cilice;</div>
+ <div class="verse">Mais éveillée avec l'aube révélatrice</div>
+ <div class="verse">Tu frémissais, Psyché fragile, à te briser,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Si le jour désillant ta paupière sereine</div>
+ <div class="verse">Au lieu du doux vainqueur que rêvait ton émoi</div>
+ <div class="verse">Te décelait mes poings crispés même vers toi</div>
+ <div class="verse">Et mes yeux éperdus de colère et de haine;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Car je te hais de tout ton amour, ô Psyché,</div>
+ <div class="verse">Pour les jours à venir et les futures heures</div>
+ <div class="verse">Et les perfides flots de larmes et de leurres</div>
+ <div class="verse">Qui jailliront un jour de ton être caché.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais avant que la nuit divine m'abandonne,</div>
+ <div class="verse">Avec le dur métal des gouffres sidéraux</div>
+ <div class="verse">Je forgerai le masque amoureux d'un héros,</div>
+ <div class="verse">Rieur comme l'Avril, grave comme l'automne;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mort vivant sur les lèvres mortes d'un vivant,</div>
+ <div class="verse">Le masque couvrira ma face convulsée;</div>
+ <div class="verse">Et maintenant que l'aube éclate! O fiancée</div>
+ <div class="verse">Chez qui la femme, hélas! va survivre à l'enfant.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Eveille-toi, rouvre ta bouche qui s'est tue,</div>
+ <div class="verse">Tu n'entendras de moi que paroles d'orgueil</div>
+ <div class="verse">Et je me dresse sous les morsures du deuil</div>
+ <div class="verse">Lauré d'or et pareil à ma propre statue.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p10">ÉLIANE</h4>
+
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des jours et puis des jours ont fui. Je me souviens</div>
+ <div class="verse">De cette joie ainsi que de quelque étrangère</div>
+ <div class="verse">Et c'est une féerie encor que j'exagère</div>
+ <div class="verse">De tout le deuil enclos dans les plaisirs anciens.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais nos baisers furent les fruits des Hespérides</div>
+ <div class="verse">Dont nous avons mâché la cendre, seulement</div>
+ <div class="verse">La cendre! le verger solitaire et charmant</div>
+ <div class="verse">N'a pas calmé la soif de nos lèvres arides.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">D'autres sont revenus semblables à des dieux</div>
+ <div class="verse">De l'île où par orgueil nous nous aventurâmes;</div>
+ <div class="verse">Les guirlandes d'amour alourdissaient leurs rames</div>
+ <div class="verse">Et la galère en fleurs émerveillait les yeux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je ne jalouse pas leurs fanfares de gloire</div>
+ <div class="verse">Ni les pavois ni les étendards éployés</div>
+ <div class="verse">Dont l'ombre rouge flotte auprès des boucliers:</div>
+ <div class="verse">Leur songe était moins beau que notre ivresse noire,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et j'erre en ce jardin fouetté du vent brutal,</div>
+ <div class="verse">Plus fier que les héros aux soirs d'apothéoses,</div>
+ <div class="verse">Tandis qu'autour de moi les nostalgiques roses</div>
+ <div class="verse">S'effeuillent vainement vers l'Orient natal.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je t'aimais et les dieux ont dénoué nos bras,</div>
+ <div class="verse">Et nous vivons à la dérive au cours des heures;</div>
+ <div class="verse">Et je ne t'entends plus quand tu ris ou tu pleures:</div>
+ <div class="verse">Mais je viendrai vers toi quand tu m'appelleras.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">A la dérive! des palais au bord des fleuves,</div>
+ <div class="verse">D'impérieuses voix m'invitent, dans la nuit</div>
+ <div class="verse">Et par les aubes; mais qu'importe? l'eau s'enfuit</div>
+ <div class="verse">Et je ferme mes yeux aux chevelures veuves.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je sais: l'hôtellerie est pleine de buveurs:</div>
+ <div class="verse">Au mur rit la lambrusque et la rose trémière</div>
+ <div class="verse">Et les raisins gonflés d'aurore et de lumière</div>
+ <div class="verse">Versent les vieux soleils dans les cerveaux rêveurs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les sveltes baladins, les joueuses de lyre</div>
+ <div class="verse">Et les masques d'amour y glissent dans le soir</div>
+ <div class="verse">Et la terrasse est vide où je pourrais m'asseoir:</div>
+ <div class="verse">Je n'aborderai pas aux perrons de porphyre;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Nulle reine en manteau de pourpre et d'argent clair</div>
+ <div class="verse">Ne tendra sur le seuil ses lèvres vers ma bouche;</div>
+ <div class="verse">Voile noire, carène noire, ombre farouche,</div>
+ <div class="verse">La nef sans gouvernail s'en va jusqu'à la mer</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et je m'endormirai parmi les vagues vertes,</div>
+ <div class="verse">Parmi les mornes flots sans borne, à moins qu'un soir,</div>
+ <div class="verse">Sur une rive heureuse, au sommet de la tour</div>
+ <div class="verse">Dominant la vallée et les terres désertes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tu ne paraisses dans ta robe de soleil</div>
+ <div class="verse">Et tu ne m'offres en un geste qui pardonne</div>
+ <div class="verse">Tes cheveux éployés plus riches que l'automne</div>
+ <div class="verse">Et les baisers anciens plus doux que le sommeil.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>III</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je ne sais plus dans quels chemins ni sous quels cieux</div>
+ <div class="verse">La reine de mon c&oelig;ur, la reine de mes yeux,</div>
+ <div class="verse">La souveraine de mes larmes ignorées,</div>
+ <div class="verse">Qui tord en ses cheveux l'or fauve des vesprées,</div>
+ <div class="verse">Passa sans un regard vers mon front en exil</div>
+ <div class="verse">Comme un soleil d'hiver oublieux de l'avril.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Hélas! les lys sont morts; les roses sont fanées;</div>
+ <div class="verse">L'impitoyable deuil défleurit les années.</div>
+ <div class="verse">Elle ne connaît plus les choses d'autrefois;</div>
+ <div class="verse">Son oreille infidèle a désappris ma voix,</div>
+ <div class="verse">Ma voix tremblante et les paroles murmurées</div>
+ <div class="verse">Et le frissonnement des étreintes sacrées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et maintenant, et maintenant! je veux en vain</div>
+ <div class="verse">M'interdire les jours et le passé divin.</div>
+ <div class="verse">Ma lèvre qu'elle sut délicate naguères</div>
+ <div class="verse">Est chaude d'une bouche et de baisers vulgaires</div>
+ <div class="verse">Et j'ai bu pour marcher dans l'ombre de la mort</div>
+ <div class="verse">Le vin des matelots et des hommes du port.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais cette ivresse est triste, ô reine, et je t'implore.</div>
+ <div class="verse">Reviens, fais resplendir la gloire de l'aurore.</div>
+ <div class="verse">Jette sur les bois nus un manteau de printemps</div>
+ <div class="verse">Et pare les sentiers des roses que j'attends.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sois bienveillante; ou si les beaux jardins des rêves</div>
+ <div class="verse">Sont clos pour jamais, soit! les heures seront brèves</div>
+ <div class="verse">Où je vivrai dans la lumière et dans le bruit,</div>
+ <div class="verse">Et je descendrai seul les marches de la nuit.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>IV</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Par quelle cruauté des implacables dieux?</div>
+ <div class="verse">Si loin des jours royaux et pavoisés de joie,</div>
+ <div class="verse">Un soleil tel que les anciens soleils flamboie</div>
+ <div class="verse">Et tes cheveux en fleur épouvantent mes yeux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Parmi le deuil hélas! et les ombres tombales,</div>
+ <div class="verse">Que me veux-tu, sourire impérieux encor</div>
+ <div class="verse">Qui fais se réveiller avec un sursaut d'or</div>
+ <div class="verse">Le prestige menteur des aubes triomphales?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Oui: tes lèvres m'étaient douces près de la mer</div>
+ <div class="verse">Et sur la fauve grève où dormaient les carènes</div>
+ <div class="verse">Gonflaient d'un chant si pur les conques des Sirènes</div>
+ <div class="verse">Que des oiseaux neigeaient autour de toi dans l'air</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et que le souvenir des ailes éployées</div>
+ <div class="verse">Palpite en mes regards éblouis. O rayons</div>
+ <div class="verse">Eteints! vols disparus d'aigles et d'alcyons!</div>
+ <div class="verse">Voix morte désormais sur des lèvres souillées!</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Voix morte et pour moi seul vivante: je voudrais</div>
+ <div class="verse">Ne plus l'entendre et que la terre devînt noire</div>
+ <div class="verse">Et que la nuit sereine engloutît la mémoire</div>
+ <div class="verse">De ta beauté semblable aux roses des forêts.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais l'ombre décevante est encore hantée</div>
+ <div class="verse">Par les dieux importuns qui défendent l'oubli</div>
+ <div class="verse">Et la poignante fleur au calice pâli</div>
+ <div class="verse">Sollicite toujours ma bouche ensanglantée.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p11">HYMNIS</h4>
+
+<p class="dedic"><i>Pour Bernard Lazare.</i></p>
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Face d'ombre, je viens à toi; la nuit m'emporte.</div>
+ <div class="verse">Poussière évanouie aux plis blancs d'un linceul,</div>
+ <div class="verse">Pâle vierge oubliée et que j'honore seul</div>
+ <div class="verse">D'une fleur morte hélas! moins que ta grâce morte,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je viens à toi qui dors au fond des siècles lourds</div>
+ <div class="verse">Et dont le pur tombeau fait les lèvres fidèles:</div>
+ <div class="verse">Je n'ai pas entendu les mots qui naissaient d'elles</div>
+ <div class="verse">Ni goûté la douceur de tes tristes amours:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais je pleure ton corps et son charme équivoque</div>
+ <div class="verse">Et les baisers trop lents qui l'auraient effleuré,</div>
+ <div class="verse">Chair de jadis, désir dont je me suis leurré</div>
+ <div class="verse">Parce qu'un même appel de buccins nous évoque</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Vers les mêmes cyprès noirs et silencieux&hellip;</div>
+ <div class="verse">Vain appel, vaine ombre et menteuses fanfares:</div>
+ <div class="verse">Jamais je ne clorai de mes lèvres avares</div>
+ <div class="verse">Tes yeux désenchantés qui connurent les dieux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sommeille loin de moi près de la mer antique</div>
+ <div class="verse">Sous un ciel insulté par de confuses voix</div>
+ <div class="verse">Où la vague qui chante encor comme autrefois</div>
+ <div class="verse">Entrechoque les mâts du port aromatique:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Toujours l'âpre soleil et la foule et l'embrun,</div>
+ <div class="verse">Loin de moi, troubleront ta poussière ignorée</div>
+ <div class="verse">Et l'inutile fleur que je t'ai consacrée</div>
+ <div class="verse">Ne réjouira pas ta cendre d'un parfum.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Viens respirer l'odeur des vignes et des fruits.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ce soir te sera doux comme tes longues nuits,</div>
+ <div class="verse">Hymnis, enfant qui dors depuis deux mille années,</div>
+ <div class="verse">Et par le souffle lent des sentes où je fuis</div>
+ <div class="verse">Les roses du tombeau ne seront point fanées.</div>
+ </div>
+
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je te dédie, enfant, la mourante forêt.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Elle se pare encor malgré son mal secret:</div>
+ <div class="verse">Tu te reconnaîtras à sa noble agonie,</div>
+ <div class="verse">Vierge dont le front pâle et fiévreux se paraît</div>
+ <div class="verse">D'or royal attristé par la blême ancolie.</div>
+ </div>
+
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'automne funéraire embaume les halliers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Hymnis! Hymnis! Hymnis! tes cheveux déliés</div>
+ <div class="verse">Libres du bandeau strict où tu les emprisonnes</div>
+ <div class="verse">Ont frôlé des santals et des girofliers</div>
+ <div class="verse">Et se sont enivrés de cruelles automnes.</div>
+ </div>
+
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">De plus calmes parfums, ce soir, te charmeront.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pour que ton corps sacré retourne sans affront</div>
+ <div class="verse">De la forêt qui meurt aux ténèbres divines</div>
+ <div class="verse">Je veux entrelacer à l'entour de ton front</div>
+ <div class="verse">Le thyrse noir du lierre aux suprêmes glycines.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p12">CHRYSARION</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sur cette mer toujours déserte où nos yeux vains</div>
+ <div class="verse">S'égaraient dans l'ennui des solitudes mornes,</div>
+ <div class="verse">Le navire, aux clameurs des conques et des cornes,</div>
+ <div class="verse">Fleurit avec l'aurore éclatante; et tu vins,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Apportant le parfum des terres étrangères,</div>
+ <div class="verse">Le reflet des soleils morts parmi tes cheveux</div>
+ <div class="verse">Et pour les c&oelig;urs lassés, graves et dédaigneux</div>
+ <div class="verse">L'enchantement de quelques heures plus légères.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Trop de désirs déçus et d'espoirs abusés</div>
+ <div class="verse">Hantent notre mémoire et sanglotent en elle:</div>
+ <div class="verse">Nous n'avons pas tendu vers ta chair fraternelle</div>
+ <div class="verse">Nos lèvres dès longtemps déprises des baisers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais les heures passaient douces comme la soie</div>
+ <div class="verse">En vêtements tramés de soleil et de nuit,</div>
+ <div class="verse">Danseuse au collier d'or qui fulgure et s'enfuit,</div>
+ <div class="verse">Amante triste et grave en marche vers la joie,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et vous qui regardiez des astres abolis,</div>
+ <div class="verse">Visages inquiets ivres du vieux mensonge,</div>
+ <div class="verse">O faces de stupeur, d'extases et de songe</div>
+ <div class="verse">Sur qui l'ombre clémente est tombée à longs plis;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Puis la dernière; et ce fut toi-même, inclinée</div>
+ <div class="verse">A la poupe et semant des roses dans le soir</div>
+ <div class="verse">Afin que la galère et le sillage noir</div>
+ <div class="verse">S'illustrassent encor d'une pourpre fanée</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et que la sombre mer sourît à nos yeux vains.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h3>L'ERRANTE</h3>
+
+<p class="dedic"><i>A RACHILDE</i></p>
+
+
+
+<h4 id="p13">L'ERRANTE</h4>
+
+<blockquote class="epi">
+<p>I nunc ad hostem, at in perpetuum mea.</p>
+
+</blockquote>
+
+<h5 class="left">I. <i>DE SABLE ET D'OR.</i></h5>
+
+<p>L'<span class="small">HOMME</span> songe dans le soir somptueux et morne; à la balustrade
+croulante de la vieille demeure, il s'est accoudé solitairement
+et ses yeux, qui depuis des mois et des années n'ont plus reflété
+que les choses silencieuses, regardent au loin, dans les plaines
+assombries, s'étager les villes où des foules inconnues aiment,
+bataillent, agonisent et s'évanouissent comme des fumées.</p>
+
+<p>Ici le roc que nul printemps n'a paré, cime triste abreuvée
+jadis par le sang des victimes, alors que les dieux stupides se
+gorgeaient de sacrifices, cime cruelle où les roses d'Avril n'ont
+jamais souri, où les sources n'ont pas pleuré doucement la mort
+future des fleurs vouées au vieillard qui les emporte, quand vient
+l'automne.</p>
+
+<p>L'<span class="small">HOMME</span> songe dans le soir somptueux et morne; tandis que le
+ciel flamboie d'une plus rouge gloire et que l'or insultant les
+ténèbres enrichit ses prunelles, des bûchers tragiques s'effondrent
+et l'âme déserte est envahie par un tumulte de chevauchée; tourbillons
+de fer, gueules hurlantes, éclairs de glaive, chevelures et
+crinières confondues, la horde passe dans sa pensée.</p>
+
+<p>Et l'<span class="small">HOMME</span> se détourne du spectacle éclatant; ailleurs la terrasse
+est interrompue: les pesantes eaux d'un lac sans fond
+baignent de leur horreur immobile la roche qui disparaît dans le
+vertige de l'abîme. Maintenant l'<span class="small">HOMME</span> marche, les yeux ivres de
+nuit, vers le lac d'ombre monotone et sa voix lassée frôle de
+lentes paroles les ondes sépulcrales, les ondes épaisses qui ne
+frissonnent pas.</p>
+
+
+<p class="p">L'HOMME</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Nuit moins sinistre que le soir, ô nuit rebelle</div>
+ <div class="verse">A mon désir, tu n'es pas l'ombre que j'appelle</div>
+ <div class="verse">Et trop d'astres encor m'offusquent de clarté</div>
+ <div class="verse">Pour que je boive en toi les coupes du Léthé.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Autrefois, j'ai vécu derrière les murailles</div>
+ <div class="verse">Des villes; je connais les brèves funérailles</div>
+ <div class="verse">De toute joie et vers la cime et vers la tour,</div>
+ <div class="verse">Pour le muet exil que je veux sans retour,</div>
+ <div class="verse">J'ai fui l'âcre parfum des roses effeuillées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Lorsque je suis venu, les portes verrouillées</div>
+ <div class="verse">Pleuraient plaintivement comme des chiens meurtris,</div>
+ <div class="verse">Et j'oubliais le monde et méprisais leurs cris:</div>
+ <div class="verse">Mais la pierre me parle ainsi qu'une vivante</div>
+ <div class="verse">Maintenant, et flambeau d'angoisse et d'épouvante,</div>
+ <div class="verse">Dans mon c&oelig;ur las du crépuscule rouge et noir,</div>
+ <div class="verse">Chaque étoile qui monte allume un triste espoir.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Eaux bienheureuses, vos paupières sont voilées:</div>
+ <div class="verse">Aucun rêve de ciel et d'algues emmêlées</div>
+ <div class="verse">N'ondule dans le calme abîme; nul reflet</div>
+ <div class="verse">Des jours antérieurs où l'aube étincelait</div>
+ <div class="verse">Sur votre moire alors juvénile et chantante</div>
+ <div class="verse">Ne se réveille en vous par la nuit éclatante</div>
+ <div class="verse">Avec le souvenir d'un antique soleil.</div>
+ <div class="verse">Eaux bienheureuses, vous dormez du vrai sommeil.</div>
+ <div class="verse">Vous les pâles, vous les froides et les obscures,</div>
+ <div class="verse">Vous les mortes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse indent4">J'attends les suprêmes augures,</div>
+ <div class="verse">Les cygnes éternels ouvrant leur vol sacré,</div>
+ <div class="verse">Et l'heure, enfin libératrice, où je serai,</div>
+ <div class="verse">Eaux bienheureuses, lac de nuit, lac de silence,</div>
+ <div class="verse">Digne de votre accueil et de votre clémence.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>Ainsi le solitaire invoque les ondes fatidiques. Mais pendant
+qu'il parle, les étoiles plus nombreuses ruissellent sur les pentes
+abruptes et l'<span class="small">ERRANTE</span> est survenue; ses haillons brochés d'or
+illusoire par les astres dénoncent les routes hostiles, les morsures
+du vent, peut-être l'agression de mains brutales. Furtive elle
+s'est assise sur les marches disjointes et l'<span class="small">HOMME</span> tout à coup se
+trouve face à face avec elle.</p>
+
+<p class="p">L'HOMME</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Va-t'en. Que me veux-tu, larve ou fantôme humain,</div>
+ <div class="verse">Dont le pas sacrilège usurpe mon chemin:</div>
+ <div class="verse">J'ignore quel passé funéraire t'escorte</div>
+ <div class="verse">Et me barre avec toi la route de la porte,</div>
+ <div class="verse">Ou si ta robe aux plis ténébreux de son deuil</div>
+ <div class="verse">Recèle un étendard de victoire et d'orgueil,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais qu'importe? tu viens des carrefours vulgaires,</div>
+ <div class="verse">Et tendresse, douleur, pourpre illustre des guerres,</div>
+ <div class="verse">Clameurs des foules furieuses, bruit des pas,</div>
+ <div class="verse">Gestes des suppliants, monde, je ne veux pas,</div>
+ <div class="verse">Quand je me penche enfin vers l'ombre sans aurore,</div>
+ <div class="verse">Qu'un souvenir des jours anciens attente encore</div>
+ <div class="verse">A mon âme recluse et mûre pour la nuit.</div>
+ <div class="verse">Va-t'en.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="p">L'ERRANTE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse indent4">Je suis venue où le soir me conduit,</div>
+ <div class="verse">Par le soleil ou par la pluie aux larges gouttes,</div>
+ <div class="verse">Après des routes et des routes et des routes.</div>
+ <div class="verse">Quand je suivais la mer aux heures de reflux</div>
+ <div class="verse">Le sable de la grève a brûlé mes pieds nus;</div>
+ <div class="verse">Et ma chair a saigné de toutes les épines</div>
+ <div class="verse">A travers les fourrés, les ronces des ravines</div>
+ <div class="verse">Et les ajoncs aux rudes marges des marais.</div>
+ <div class="verse">Mais partout, aussitôt que la terre où j'errais</div>
+ <div class="verse">Portait empreinte sur l'argile ou sur l'arène</div>
+ <div class="verse">La trace des vivants, j'ai fui. Je sais la haine</div>
+ <div class="verse">Dont ils poursuivent la passante et sur mes yeux</div>
+ <div class="verse">Ont pesé trop souvent leurs poings injurieux</div>
+ <div class="verse">Pour que je m'aventure ayant vu leurs foulées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Seuls parfois les palais des villes écroulées</div>
+ <div class="verse">Sous leurs porches déchus fraternels à mon sort</div>
+ <div class="verse">M'ont offert un sommeil puissant comme la mort.</div>
+ <div class="verse">La solitude ment où tu viens d'apparaître;</div>
+ <div class="verse">L'asile de repos que je croyais sans maître</div>
+ <div class="verse">Abrite hélas! ton âme fauve de vivant:</div>
+ <div class="verse">Je quitterai le seuil et le toit décevant</div>
+ <div class="verse">Où ton deuil autre que mon deuil se cache et pleure</div>
+ <div class="verse">L'ombre immense est hospitalière.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="p">L'HOMME</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse indent4">Non, demeure,</div>
+ <div class="verse">Puisque la volonté de ton sort et du soir</div>
+ <div class="verse">A mené tes pieds las vers le morne manoir</div>
+ <div class="verse">Et vers l'hôte imprévu dressé devant ta face</div>
+ <div class="verse">En qui ta voix a fait s'épanouir, vivace,</div>
+ <div class="verse">Une fleur de jadis aux pistils oubliés.</div>
+ <div class="verse">J'y consens: ô soleils abolis, flamboyez</div>
+ <div class="verse">Encore, surgissez dans ma sombre mémoire</div>
+ <div class="verse">En aube de suprême et cinéraire gloire</div>
+ <div class="verse">Avant que cette chair s'engloutisse à jamais;</div>
+ <div class="verse">Et toi, dolente ombre d'une ombre que j'aimais</div>
+ <div class="verse">Et qui m'a refusé ses lèvres mensongères,</div>
+ <div class="verse">Toi qui dormis sous des étoiles étrangères</div>
+ <div class="verse">Des sommeils flagellés par l'âpre fouet du vent,</div>
+ <div class="verse">Entre sans peur avec un sourire d'enfant</div>
+ <div class="verse">Et l'ingénuité d'une âme puérile</div>
+ <div class="verse">Dans la vieille maison où le hasard t'exile.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="p">L'ERRANTE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je ne sais même pas ce qu'on nomme les ans,</div>
+ <div class="verse">Ni combien de matins, combien de jours pesants</div>
+ <div class="verse">Ont écrasé l'errante amère et résignée,</div>
+ <div class="verse">Homme, ni quelles eaux lustrales l'ont baignée</div>
+ <div class="verse">Où le secret des dieux demeure enseveli,</div>
+ <div class="verse">Quelles eaux de pitié, de refuge et d'oubli,</div>
+ <div class="verse">Emportant dans le cours pacifique des fleuves</div>
+ <div class="verse">Tout un faix dilué de souffrance et d'épreuves.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">A peine un souvenir obscur survit en moi,</div>
+ <div class="verse">Heure d'angoisse, heure de détresse et d'effroi</div>
+ <div class="verse">Qui m'a fait tressaillir d'une crainte ignorée:</div>
+ <div class="verse">Des reîtres ont voulu m'entraîner, à l'orée</div>
+ <div class="verse">De la forêt; j'ai fui leurs lèvres et leurs mains,</div>
+ <div class="verse">Eperdue, à travers les rochers sans chemins,</div>
+ <div class="verse">Et je frissonne encor de l'étreinte éludée</div>
+ <div class="verse">Jadis, quand mon horreur de vierge dénudée</div>
+ <div class="verse">Écoutait survenir l'approche des pas lourds.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Cependant par des soirs, solitaires toujours,</div>
+ <div class="verse">J'ai miré mon visage au miroir des fontaines</div>
+ <div class="verse">Et tendu vers mon front des lèvres incertaines</div>
+ <div class="verse">Dont la source perfide a glacé le désir;</div>
+ <div class="verse">Et l'ombre s'effaça que j'ai voulu saisir,</div>
+ <div class="verse">Comme un pâle soleil qui sombre au flot nocturne,</div>
+ <div class="verse">Sans avoir accueilli mon baiser taciturne.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais voici que ta voix grave qui m'effrayait</div>
+ <div class="verse">Parle plus doucement à mon c&oelig;ur inquiet</div>
+ <div class="verse">Et qu'après les assauts de la tempête rude</div>
+ <div class="verse">Des astres bienveillants dorent la solitude.</div>
+ <div class="verse">Donc j'entrerai sans peur dans la maison.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse indent4">Salut,</div>
+ <div class="verse">Seuil, et que les haillons du passé révolu</div>
+ <div class="verse">S'envolent de ma chair au vent qui les emporte</div>
+ <div class="verse">Ainsi qu'un vain linceul d'où jaillit une morte</div>
+ <div class="verse">Pour renaître en splendeur de soleil exalté,</div>
+ <div class="verse">Belle de sa jeunesse et de sa nudité.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5 class="left">II. <i>DE GUEULES.</i></h5>
+
+<p>Dans la mélancolique demeure où les murs s'émerveillaient de
+sa beauté, saluée par les figures amies des lices, irradiant l'eau
+ternie des miroirs, l'<span class="small">ERRANTE</span> est entrée blanche et nue.</p>
+
+<p>Elle n'a point refusé ses lèvres et les rouges floraisons de la
+joie ont fleuri impérieusement, par la vibrante offrande de son
+corps à l'<span class="small">HOMME</span> éveillé d'un long rêve.</p>
+
+<p>Il a plongé dans les coffrets de bronze ses mains fiévreuses et
+prodigues, et l'armure d'or et les brocarts et les gemmes et le
+glaive ont échappé aux chaînes noires des ténèbres.</p>
+
+<p>Sur les seins et sur les épaules de l'<span class="small">ERRANTE</span>, tous les trésors
+enfouis dans le sépulcre du silence depuis des siècles, des ans et
+des jours, resplendissent avec l'aurore.</p>
+
+<p>Au seuil matinal de la porte, elle se dresse en sa robe de
+pourpre qui recèle sous le sang figé de la soie, avec la cotte de
+mailles, l'irréprochable acier du glaive.</p>
+
+<p>Pensive, elle s'est retournée vers l'<span class="small">HOMME</span> qui fait un geste
+d'adieu, et comme hésitante et retenue par la puissance d'une
+main invisible, elle tarde à franchir le seuil.</p>
+
+<p class="p">L'ERRANTE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je le sais: mon destin m'entraîne et tu le veux,</div>
+ <div class="verse">J'irai. Je dois offrir aux chocs tumultueux</div>
+ <div class="verse">Dès le premier appel de l'aube avant-courrière</div>
+ <div class="verse">Ma poitrine héroïque et libre de guerrière;</div>
+ <div class="verse">Et mon poing brandira le glaive désormais.</div>
+ <div class="verse">Je le sais: mais l'exil sombre où tu t'enfermais</div>
+ <div class="verse">S'illumine pour toi de ma chair apparue,</div>
+ <div class="verse">Et radieuse encor, même absente, j'obstrue</div>
+ <div class="verse">Les portes de la nuit que tu heurtais déjà.</div>
+ <div class="verse">Ami, dont ma venue importune outragea</div>
+ <div class="verse">Le manoir de silence et d'ombre inviolée,</div>
+ <div class="verse">Pardonne, pour ton deuil de solitude emblée,</div>
+ <div class="verse">A l'Errante qui part, chaude de tes baisers.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="p">L'HOMME</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Va: le soleil bondit dans les cieux embrasés;</div>
+ <div class="verse">C'est l'heure, il faut franchir le seuil et vers les villes</div>
+ <div class="verse">Te ruer en clamant aux oreilles serviles</div>
+ <div class="verse">Tout ce que les tombeaux t'ont livré de secrets.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Viens et regarde: là de houleuses forêts</div>
+ <div class="verse">Où les pasteurs de porcs se vautrent dans les bauges;</div>
+ <div class="verse">Puis des plaines, rumeurs des blés, parfum des sauges,</div>
+ <div class="verse">Et les paysans nus courbés sous les sillons</div>
+ <div class="verse">A jamais; et plus loin des foules en haillons,</div>
+ <div class="verse">Troupeaux lâches que tu mueras en fauves hardes,</div>
+ <div class="verse">Tournent vers le palais des prunelles hagardes</div>
+ <div class="verse">Et des poings décharnés par l'immuable faim</div>
+ <div class="verse">Sans que la torche encor s'enflamme dans leur main.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ce qui fut moi naguère et richesse stérile</div>
+ <div class="verse">Et dépouille des temps silencieux rutile</div>
+ <div class="verse">Autour de ton front jeune et de tes seins altiers:</div>
+ <div class="verse">Voici venir un vol de cygnes éployés,</div>
+ <div class="verse">Le vol tardif et sûr des prophétiques ailes</div>
+ <div class="verse">Qui m'invite au sommeil des ondes éternelles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Va: la chair que la mort heureuse requérait</div>
+ <div class="verse">S'évanouit parmi les choses, sans regret,</div>
+ <div class="verse">Maintenant que tu m'as affranchi de moi-même</div>
+ <div class="verse">Et que tu peux, maîtresse enfin du double emblème,</div>
+ <div class="verse">Descendre vers les serfs de la glèbe et des murs</div>
+ <div class="verse">Et, selon le vouloir des trois monstres obscurs,</div>
+ <div class="verse">Tendre le rameau d'or ou férir de l'épée.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>L'<span class="small">HOMME</span> disparaît sous les eaux immobiles, sous les eaux
+épaisses où ne palpite aucune lueur. L'<span class="small">ERRANTE</span> contemple longuement
+le lac d'ombre monotone, puis marche, auréolée par la
+gloire du matin, vers les plaines et vers les villes orientales,
+tandis que sa voix dans la solitude chante les batailles futures.</p>
+
+<p class="p">L'ERRANTE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Homme, revis en moi. Dans ma dextre crispée</div>
+ <div class="verse">Je serre puissamment le pommeau froid du glaive</div>
+ <div class="verse">Et si le monstre ancien se rebelle et se lève,</div>
+ <div class="verse">Je rougirai le sol de sa tête coupée,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Moi, celle qui connaît les suprêmes paroles</div>
+ <div class="verse">Et toute la douleur avec toute la joie;</div>
+ <div class="verse">Je chasserai le loup et l'hyène de proie</div>
+ <div class="verse">Et je veux emporter les royales corolles</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Que les dragons jaloux gardaient des mains humaines:</div>
+ <div class="verse">Afin que le parfum des roses inconnues,</div>
+ <div class="verse">Epars farouchement sous la voûte des nues,</div>
+ <div class="verse">Suscite dans les c&oelig;urs les désirs et les haines,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je viens à vous, frères penchés sur les emblaves,</div>
+ <div class="verse">Attelés à la meule au fond de l'ergastule;</div>
+ <div class="verse">Mon verbe lacérant l'antique crépuscule</div>
+ <div class="verse">Souffle une âme de pourpre à vos âmes d'esclaves;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Redressez-vous; sarclez les herbes parasites:</div>
+ <div class="verse">Lancez contre le ciel les pierres de vos geôles,</div>
+ <div class="verse">Et que les murs vaincus par vos fortes épaules</div>
+ <div class="verse">Vous ouvrent le jardin des terres interdites</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Où, plus belles, des fleurs de rêve vont éclore</div>
+ <div class="verse">En butin triomphal pour les races vengées,</div>
+ <div class="verse">Tandis que le sang vil des bêtes égorgées</div>
+ <div class="verse">Se mêle par mon glaive au sang pur de l'aurore.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h3>VERS L'AURORE</h3>
+
+<p class="dedic"><i>A A.-FERDINAND HEROLD</i></p>
+
+
+
+<h4 id="p14">LES AUMONIÈRES</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A A.-F. Plicque.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sur la grève qu'avaient souillée</div>
+ <div class="verse">Les conquérants et les héros,</div>
+ <div class="verse">Près de la mer pacifiée</div>
+ <div class="verse">Pleine des frissons auguraux,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les poings perdus dans les crinières</div>
+ <div class="verse">De leurs chevaux roses et blancs,</div>
+ <div class="verse">C'étaient les bonnes aumônières</div>
+ <div class="verse">Qui reviennent tous les mille ans.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Cymodoce, Aglaure, Euryanthe,</div>
+ <div class="verse">Au caprice d'un galop fou</div>
+ <div class="verse">Elles passaient; leur flamboyante</div>
+ <div class="verse">Chevelure brûlait leur cou.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Lèvres douces comme la soie,</div>
+ <div class="verse">Lumineuses comme les cieux,</div>
+ <div class="verse">Elles chantaient un chant de joie</div>
+ <div class="verse">Vers l'Océan mystérieux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tandis que vibraient des abeilles</div>
+ <div class="verse">Autour des étalons loyaux,</div>
+ <div class="verse">Elles plongeaient dans des corbeilles</div>
+ <div class="verse">Leurs bras riches de lourds joyaux</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et brandissant leurs mains sacrées,</div>
+ <div class="verse">Bonnes au yeux chargés de pleurs,</div>
+ <div class="verse">Parmi les vagues empourprées</div>
+ <div class="verse">Semaient d'impériales fleurs;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Car les coroles millénaires</div>
+ <div class="verse">Eparses en vol d'Orient</div>
+ <div class="verse">Calment les antiques colères</div>
+ <div class="verse">Et charment le vieil Océan.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p15">MARE TENEBRARUM</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Emile Gallé.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Durant les jours de brume et les soirs sans étoiles</div>
+ <div class="verse">Le vent triste a fané la pourpre de nos voiles;</div>
+ <div class="verse">Mais nos c&oelig;urs s'attardant aux soleils révolus</div>
+ <div class="verse">Oubliaient le deuil vain des flux et des reflux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La barque tressaillait de la poupe à la proue</div>
+ <div class="verse">Avec le ronflement d'un cheval qui s'ébroue;</div>
+ <div class="verse">Mais nos c&oelig;urs enchantés de chants évanouis</div>
+ <div class="verse">Oubliaient la clameur des vagues et des nuits.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Hier l'Aurore brusque a jailli de nos rêves;</div>
+ <div class="verse">Le marbre bleu des mers et l'or fauve des grèves</div>
+ <div class="verse">Eblouissaient nos yeux brûlés par les embruns</div>
+ <div class="verse">Et le dragon rostral s'enivrait de parfums.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais l'ombre en flocons noirs a neigé sur nos âmes,</div>
+ <div class="verse">L'ombre que nul soleil ne fondra de ses flammes</div>
+ <div class="verse">Et déjà le dragon, loin des havres heureux,</div>
+ <div class="verse">Mord les antiques flots glacés et ténébreux.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p16">LE PÈLERINAGE HORS DE L'OMBRE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Remy de Gourmont.</i></p>
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ame riche de nuit, d'étoiles et de rêves</div>
+ <div class="verse">Qui puisas des trésors aux urnes d'un tombeau</div>
+ <div class="verse">N'abandonneras-tu jamais tes blêmes grèves</div>
+ <div class="verse">Pour cette ville en fleurs sous le printemps nouveau?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ame riche de nuit, mon âme, tu recèles</div>
+ <div class="verse">Assez d'astres perdus et de soleils éteints:</div>
+ <div class="verse">Viens connaître la chair et les lèvres de celles</div>
+ <div class="verse">Qui tendent leurs seins nus aux pourpres des matins</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et font en souriant à l'aurore sereine</div>
+ <div class="verse">Fluer entre leurs doigts le sable et leurs cheveux,</div>
+ <div class="verse">Pour que, vivante enfin, ma bouche amère apprenne</div>
+ <div class="verse">A goûter le miel blond des heures. Tu le veux,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ame lasse déjà des ivresses futures,</div>
+ <div class="verse">Toi qui n'as rien chéri que les pleurs et la mort:</div>
+ <div class="verse">Le vent gonfle d'amour les voiles toujours pures:</div>
+ <div class="verse">Loin de l'île où la blanche Hymnis repose et dort,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pour moi seul, dans le vain cénotaphe des roses,</div>
+ <div class="verse">Nous irons conquérir son corps ressuscité;</div>
+ <div class="verse">Sans doute elle revit par les métempsycoses</div>
+ <div class="verse">Sur le sol oublieux que parait sa beauté</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et parmi les parfums sauvages des galères,</div>
+ <div class="verse">Les chiens, les portefaix qui geignent en marchant,</div>
+ <div class="verse">Elle va, lourde encor des gloires tumulaires,</div>
+ <div class="verse">Sans que nul ait compris la douceur de son chant.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'écume violée a neigé de la proue;</div>
+ <div class="verse">Les mauves qui mouillaient leurs plumes aux flots noirs</div>
+ <div class="verse">Ont secoué le sel des vagues sur ma joue.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le sel des vagues! Tels les pleurs d'antiques soirs</div>
+ <div class="verse">Enrichirent jadis de gemmes dissipées</div>
+ <div class="verse">Ces yeux fous aujourd'hui d'aventure et d'espoirs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Puis la forêt flamba de cruelles épées;</div>
+ <div class="verse">Mais plus d'ombre tombait des branchages pieux</div>
+ <div class="verse">Pour voiler le sommeil inquiet des Napées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ainsi les âpres bois ont défendu mes yeux</div>
+ <div class="verse">Jadis et quand le jour en troublait l'eau tranquille,</div>
+ <div class="verse">Ils étalaient dans l'air leur deuil impérieux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Or maintenant, voici les portes de la ville;</div>
+ <div class="verse">Je franchirai les murs sans désir de retour</div>
+ <div class="verse">Heureux si dans la solitude où je m'exile</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'ombre descend sur moi du temple et de la tour.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>III</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Farouche de voir les aurores</div>
+ <div class="verse">Et les soleils épanouis,</div>
+ <div class="verse">L'eau tressaillait dans les amphores</div>
+ <div class="verse">Sur la marge grise des puits</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les ténèbres souterraines,</div>
+ <div class="verse">Les iris de sombre cristal</div>
+ <div class="verse">Se flétrissaient comme des reines</div>
+ <div class="verse">Captives d'un soudard brutal.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les servantes et les esclaves</div>
+ <div class="verse">Riaient à l'entour; mais tu vins,</div>
+ <div class="verse">Et tu voilas de voiles graves</div>
+ <div class="verse">Les filles des antres divins.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Protectrice des eaux dolentes</div>
+ <div class="verse">Qui sais les rites d'autrefois,</div>
+ <div class="verse">J'ai trempé mes lèvres tremblantes</div>
+ <div class="verse">A la coupe triste où tu bois:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Souviens-toi d'heures et d'années</div>
+ <div class="verse">Et de soleils, étends les mains</div>
+ <div class="verse">Vers les clématites fanées,</div>
+ <div class="verse">Vers les étoiles des jasmins;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et sur la terre des merveilles</div>
+ <div class="verse">Que pavoisaient de nobles cieux</div>
+ <div class="verse">Fais refleurir les belles treilles</div>
+ <div class="verse">De nos jardins silencieux.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p17">NATIVITÉ</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'enfant né de la terre et libéré par elle</div>
+ <div class="verse">Tendit, farouche et nu, son torse impérieux</div>
+ <div class="verse">Hors de l'antre où mourait la nuit surnaturelle;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais la brusque splendeur du soleil et des cieux,</div>
+ <div class="verse">Lacérant l'ombre avec des griffes empourprées,</div>
+ <div class="verse">Ne fit pas tressaillir l'eau calme de ses yeux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Désormais dédaigneux des fontaines sacrées,</div>
+ <div class="verse">Il buvait puissamment la lumière et l'orgueil,</div>
+ <div class="verse">O ténèbres en pleurs, ô mères éventrées!</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et quand il eut vaincu les lianes du seuil</div>
+ <div class="verse">Et déployé sa chevelure dans l'aurore,</div>
+ <div class="verse">Les arbres lui chantaient un chant de bon accueil.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dans l'allégresse de la force qui s'essore</div>
+ <div class="verse">Il marchait à travers la natale forêt,</div>
+ <div class="verse">Attentif aux frissons du feuillage sonore;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Autour de lui le vol des abeilles vibrait</div>
+ <div class="verse">Et le miel embaumant ses lèvres fatidiques</div>
+ <div class="verse">Révélait à son c&oelig;ur l'ineffable secret</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">De la vie immortelle et des sèves antiques.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p18">LE CHÈVRE-PIEDS</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sous cette roche en pleurs où dort la femme nue,</div>
+ <div class="verse">Nuage d'aube éparse en la menteuse nuit,</div>
+ <div class="verse">Le chèvre-pieds regarde à travers l'eau qui flue</div>
+ <div class="verse">Les lointaines maisons de labeur et de bruit.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les tristes paysans se penchent vers la glèbe</div>
+ <div class="verse">Pour un baiser de serfs et de jaloux amants</div>
+ <div class="verse">Dont la bouche haineuse évoque de l'Erèbe</div>
+ <div class="verse">L'or futur des épis et des riches froments.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Avares de moissons qui fatiguent les granges,</div>
+ <div class="verse">Ils méprisent l'aurore et les soleils couchants</div>
+ <div class="verse">Et leur oreille est close aux paroles étranges</div>
+ <div class="verse">Qui montent des taillis, des sources et des champs;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et la charrue, avec les jours et les années,</div>
+ <div class="verse">Impitoyable au deuil des bois mystérieux</div>
+ <div class="verse">Offense la beauté des forêts profanées</div>
+ <div class="verse">Où rôdaient librement les fauves et les dieux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais le sylvain survit à la sylve abattue;</div>
+ <div class="verse">Dans l'antre encor voilé de feuillage, sa chair</div>
+ <div class="verse">Immortelle, à travers les siècles, perpétue</div>
+ <div class="verse">Le grand frisson d'amour qui fait tressaillir l'air;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et dans les flancs d'une passante solitaire</div>
+ <div class="verse">Il sème au chant des eaux et des rameaux flottants</div>
+ <div class="verse">Des fils aventureux affranchis de la terre</div>
+ <div class="verse">En qui bout la jeunesse héroïque des temps.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p19">FLAMMES</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Parmi les âcres fleurs des lauriers, cette voix</div>
+ <div class="verse">Évocatrice en nous de gloire révolue</div>
+ <div class="verse">Émanait de la mer, du soir et d'autrefois:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">«Enfants tristes, penchés vers l'ombre, l'ombre afflue</div>
+ <div class="verse">Et monte jusqu'à vos lèvres avec les flots</div>
+ <div class="verse">Dont vous enivriez votre âme irrésolue.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La séculaire nuit opprime vos yeux clos,</div>
+ <div class="verse">Enfants tristes, et vos poitrines lacérées</div>
+ <div class="verse">Se gonflent lâchement de stériles sanglots.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Si votre bouche a soif des aubes empourprées</div>
+ <div class="verse">Et du sang lumineux qui sacre le matin</div>
+ <div class="verse">Quel sortilège encor vous attrait aux vesprées?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">D'un geste, dans la nuit, décisif et hautain,</div>
+ <div class="verse">Reniez le poison des ondes léthéennes</div>
+ <div class="verse">Et marchez sans retour vers un autre destin.»</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Frénétiques, hors des ténèbres anciennes</div>
+ <div class="verse">Nous avons fait jaillir dans le ciel morne et noir</div>
+ <div class="verse">Une farouche aurore à la cime des chênes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et dociles au cri de désir et d'espoir,</div>
+ <div class="verse">Nous respirons les roses rouges de la joie,</div>
+ <div class="verse">Depuis que déjouant les embûches du soir</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La torche avec l'épée à notre poing flamboie.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h3>LE JARDIN DE CASSIOPÉE</h3>
+
+<p class="dedic"><i>A ALFRED VALLETTE</i></p>
+<blockquote class="epi">
+<p>Cassiopée, s'étant déclarée, par orgueil,
+plus belle que les Néréides, dut exposer
+au monstre marin sa fille Andromède,
+qui fut délivrée par Persée. Après sa
+mort, Cassiopée fut mise au rang des
+Constellations.</p>
+
+<p class="attr">(<span class="sc">Mythographes Grecs.</span>)</p>
+</blockquote>
+
+
+
+<h4 id="p20">LE JARDIN DE CASSIOPÉE</h4>
+
+
+<p class="p">L'HOMME</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sans matins blancs et sans étoiles dans la nuit,</div>
+ <div class="verse">A travers le brouillard où soufflait le vent rude,</div>
+ <div class="verse">J'ai cheminé de solitude en solitude</div>
+ <div class="verse">N'ayant pour compagnon que l'immuable ennui.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Derrière les rocs noirs qui portent le ciel triste,</div>
+ <div class="verse">Monotone, la mer invisible pleurait;</div>
+ <div class="verse">Et jusqu'à l'horizon barré par la forêt,</div>
+ <div class="verse">Les maigres tamaris et l'âpre fleur du ciste.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Puis des jours mornes dans le silence des bois</div>
+ <div class="verse">Pesèrent sur mon front en gouttes d'ombre lourde:</div>
+ <div class="verse">Nul bruit d'oiseau qui chante ou de source qui sourde</div>
+ <div class="verse">N'a dissipé l'horreur d'ouïr ma seule voix;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et ce fut à nouveau la lande grise et plate,</div>
+ <div class="verse">La houle des genévriers et des ajoncs,</div>
+ <div class="verse">Que n'illustra jamais de tragiques rayons</div>
+ <div class="verse">Quelque couchant royal au manteau d'écarlate.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais le riche verger m'attend. O treilles d'or,</div>
+ <div class="verse">Saurai-je encor saisir vos grappes immortelles,</div>
+ <div class="verse">Les mains lasses d'avoir cueilli des asphodèles</div>
+ <div class="verse">Et de sombres pavots qui conseillent la mort?</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="p">CASSIOPÉE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Qui que tu sois, passant envoyé par le sort,</div>
+ <div class="verse">Venu des ténébreux chemins, franchis la haie,</div>
+ <div class="verse">Cueille d'un seul regard toute la roseraie,</div>
+ <div class="verse">Que ses vivants parfums te sauvent de la mort!</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tends les mains; le verger de force et de liesse</div>
+ <div class="verse">Que n'a pas envahi l'ombre du dernier dieu</div>
+ <div class="verse">T'offre les raisins clairs, les oranges de feu,</div>
+ <div class="verse">Et si ta lèvre a soif d'amour, l'aube acquiesce,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La mer chante; appelé par les conques des flots,</div>
+ <div class="verse">Après les jours ou les longs mois de bonne halte,</div>
+ <div class="verse">Tu partiras: le vin des amphores exalte</div>
+ <div class="verse">L'orgueil viril et pur qui sacre les héros</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et son baume puissant délivre l'âme esclave;</div>
+ <div class="verse">Tu partiras dans la splendeur d'un soir d'été</div>
+ <div class="verse">Tel que le soleil rouge au ciel ensanglanté</div>
+ <div class="verse">Teigne en pourpre l'embrun de neige sous l'étrave.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tourbillonne le vol des typhons éployés!</div>
+ <div class="verse">Qu'importe au pèlerin dédaigneux et farouche</div>
+ <div class="verse">Ivre éternellement d'avoir bu sur ma bouche</div>
+ <div class="verse">Le mépris du ciel vide et des dieux reniés!</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p21">VOIX DERRIÈRE LA HAIE</h4>
+
+
+<p class="l10"><i>VENDÉMIAIRE</i></p>
+<p class="c">LES VENDANGEURS</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les sarments rampaient entre les pierres</div>
+ <div class="verse">Ou montaient au tronc rugueux des ormes,</div>
+ <div class="verse">Tordus et noués en n&oelig;uds difformes</div>
+ <div class="verse">Comme des orvets et des vipères.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Courbés sous le fouet des rois avares,</div>
+ <div class="verse">Nous avons versé nos pleurs, nos peines;</div>
+ <div class="verse">Nous avons ouvert nos pâles veines,</div>
+ <div class="verse">Nous avons nourri les vignes rares;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Nous avons pillé les ceps d'automne;</div>
+ <div class="verse">Le moût bruissait au fond des cuves,</div>
+ <div class="verse">Pour les maîtres, saouls de chauds effluves,</div>
+ <div class="verse">Le sang de nos c&oelig;urs emplit la tonne.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<p class="l10"><i>NIVOSE</i></p>
+<p class="c">LES COUPEURS DE ROSEAUX</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'eau langoureuse endormait les saules;</div>
+ <div class="verse">Vers le déclin des tièdes journées</div>
+ <div class="verse">Elle frôlait de lèvres pâmées</div>
+ <div class="verse">Les seins roses, les blanches épaules.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le ch&oelig;ur estival des femmes nues</div>
+ <div class="verse">Plus doux que le chant des tourterelles</div>
+ <div class="verse">Propageait parmi les roseaux grêles</div>
+ <div class="verse">Le frisson de voluptés inconnues.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Roseaux, vous clorez nos pauvres huttes.</div>
+ <div class="verse">D'autres prendront vos fragiles âmes;</div>
+ <div class="verse">Ils évoqueront les belles femmes</div>
+ <div class="verse">Avec la voix magique des flûtes.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<p class="l10"><i>FLORÉAL</i></p>
+<p class="c">LES TISSERANDS</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Notre peau s'use au fer des navettes,</div>
+ <div class="verse">Notre peau gerce à tistre la soie;</div>
+ <div class="verse">Dehors le printemps chante et flamboie:</div>
+ <div class="verse">Nous ne connaissons ni fleurs ni fêtes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Toujours notre front dolent s'incline</div>
+ <div class="verse">Vers le métier dès la prime aurore;</div>
+ <div class="verse">Toujours nos doigts fanés font éclore</div>
+ <div class="verse">De fraîches fleurs dans l'étoffe fine.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et sur le linceul et sur les langes</div>
+ <div class="verse">Des empereurs porphyrogénètes</div>
+ <div class="verse">Nous entrelaçons les fauves bêtes</div>
+ <div class="verse">Qui rôdent dans nos songes étranges.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<p class="l10"><i>THERMIDOR</i></p>
+<p class="c">LES MARINS</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Nous avons dompté les mers funèbres</div>
+ <div class="verse">Et vaincu leurs gueules forcenées:</div>
+ <div class="verse">La lèpre mord nos mains décharnées</div>
+ <div class="verse">Ronge la moelle de nos vertèbres.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">En vain le soleil d'été rayonne:</div>
+ <div class="verse">Car nous nous traînons dans les venelles,</div>
+ <div class="verse">Grelottant de fièvres éternelles,</div>
+ <div class="verse">Et sur nos os la laine frissonne.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Cependant nous portions dans la cale</div>
+ <div class="verse">La poudre d'or et les aromates</div>
+ <div class="verse">Et de souples filles aux chairs mates</div>
+ <div class="verse">Mûres de lumière orientale.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p22">LA DOULEUR A CRIÉ</h4>
+
+
+<p class="p">L'HOMME</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La douleur a crié du fond des belles heures.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les roses du jardin, le parfum que tu fleures</div>
+ <div class="verse">L'opulente senteur de l'été triomphant</div>
+ <div class="verse">S'évanouit; le meurtre souffle avec le vent:</div>
+ <div class="verse">La douleur a crié du fond des belles heures.</div>
+ </div>
+
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pantelante, Andromède agonise à jamais.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Un suprême baiser aux lèvres que j'aimais,</div>
+ <div class="verse">Et dans le rouge soir je brandirai l'épée,</div>
+ <div class="verse">Puisque hors du verger calme, Cassiopée,</div>
+ <div class="verse">Pantelante, Andromède agonise à jamais</div>
+ </div>
+
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais l'invincible orgueil vit dans les treize étoiles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Si la tempête hurle et lacère les voiles,</div>
+ <div class="verse">J'attends sans peur l'assaut des vagues et des cieux;</div>
+ <div class="verse">Les astres immortels réconfortent mes yeux</div>
+ <div class="verse">Et l'invincible orgueil vit dans les treize étoiles.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h2>LA GLOIRE DU VERBE</h2>
+
+
+
+
+<h3>LA GLOIRE DU VERBE</h3>
+
+<p class="dedic"><i>A CAMILLE BLOCH</i></p>
+
+
+
+<h4 id="p23">LA GLOIRE DU VERBE</h4>
+
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Une nuit langoureuse et sereine enveloppe</div>
+ <div class="verse">D'un cercle de lapis ouvré de roses d'or</div>
+ <div class="verse">Les barques, essaim las de cygnes sans essor,</div>
+ <div class="verse">Les palmiers, les canaux, les plaines et Canope;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et des flambeaux pareils à des soleils couchants</div>
+ <div class="verse">Illuminent la soie et les gemmes persanes.</div>
+ <div class="verse">Tandis qu'au rire aigu des jeunes courtisanes</div>
+ <div class="verse">Les nefs, lourdes d'amour, glissent avec des chants.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les esclaves courbés effleurent de leurs rames</div>
+ <div class="verse">Les papyrus géants teints de brèves clartés</div>
+ <div class="verse">Et l'eau lente roulant des flots de voluptés</div>
+ <div class="verse">Où se mirent les yeux et les seins nus des femmes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais non loin, sourd au bruit sacrilège que font</div>
+ <div class="verse">Les voix des matelots, les flûtes et les harpes</div>
+ <div class="verse">Le guérisseur voilé de ses triples écharpes</div>
+ <div class="verse">Ossar-Hapi sommeille en son temple profond;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et de vagues lueurs éparses sur les dalles</div>
+ <div class="verse">Eclairent tristement de leurs reflets confus</div>
+ <div class="verse">Les suppliants couchés auprès des grêles fûts</div>
+ <div class="verse">En un fétide amas de chairs et de sandales.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Seul debout dans sa force et sa beauté, parmi</div>
+ <div class="verse">Les pèlerins perclus de maux, rongés d'ulcères,</div>
+ <div class="verse">Mais tel que le géant déchiré par les serres</div>
+ <div class="verse">Du vautour, un Hellène orgueilleux et blêmi</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Evoque sans trembler le prince du mystère:</div>
+ <div class="verse">«O maître, hôte caché du sanctuaire, ô Roi,</div>
+ <div class="verse">Vierge d'étonnement puéril et d'effroi,</div>
+ <div class="verse">J'ai connu tous les dieux du ciel et de la terre,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Atroces et cléments, magnifiques et laids</div>
+ <div class="verse">Et j'ai prié selon l'ordonnance des rites</div>
+ <div class="verse">Près du fleuve farouche où chantent les lychnites</div>
+ <div class="verse">Dans la splendeur des clairs de lune violets</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et là-bas, où les daims paissent la mousse rase</div>
+ <div class="verse">Sous les neiges de la fabuleuse Thulé,</div>
+ <div class="verse">J'ai lu le sort écrit dans l'azur constellé</div>
+ <div class="verse">Par les nuits qu'une aurore inoubliable embrase;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais nul n'a dit le mot que j'ai cherché longtemps</div>
+ <div class="verse">Et qui me guérirait des angoisses de l'âme:</div>
+ <div class="verse">Parle, sinon la mort prochaine me réclame</div>
+ <div class="verse">Et l'horreur d'ignorer me consume: j'attends.»</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Alors des profondeurs et des ténèbres saintes</div>
+ <div class="verse">Comme un jeune soleil sort des gouffres marins,</div>
+ <div class="verse">Blanche, laissant couler des épaules aux reins</div>
+ <div class="verse">Ses cheveux où nageaient de pâles hyacinthes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Une femme surgit: son manteau radieux</div>
+ <div class="verse">Revêtait son beau corps d'une pourpre vivante;</div>
+ <div class="verse">Des abîmes d'amour, de joie et d'épouvante</div>
+ <div class="verse">Où sombrerait l'esprit des hommes et des dieux</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">S'ouvraient terriblement dans ses larges prunelles</div>
+ <div class="verse">Et les villes, les champs, les cimes, les déserts,</div>
+ <div class="verse">La mer prodigieuse et l'infini des airs</div>
+ <div class="verse">Semblaient se réfléchir et disparaître en elles;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et lorsqu'elle parla, son ineffable voix</div>
+ <div class="verse">Unissait aux échos des lyres et des sistres</div>
+ <div class="verse">Le souffle des baisers et les râles sinistres</div>
+ <div class="verse">De la haine et le bruit des vagues et des bois:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">«Marcheur pensif, enfant prédestiné qui nies</div>
+ <div class="verse">Les songes et l'espoir de ton c&oelig;ur puéril,</div>
+ <div class="verse">Tu vas, émerveillé des floraisons d'avril</div>
+ <div class="verse">Et des soirs frissonnant de calmes harmonies;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tu regardes avec des tendresses d'amant</div>
+ <div class="verse">Les nuages légers ouvrir leurs ailes closes</div>
+ <div class="verse">A l'aube, et comme un vol de flamants blancs et roses</div>
+ <div class="verse">S'élever dans les champs du ciel éperdument;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Volontaire captif de l'éternelle Omphale</div>
+ <div class="verse">Tu parles bas aux Vierges chastes et tu sais</div>
+ <div class="verse">Faire chanter aux corps ardemment enlacés</div>
+ <div class="verse">Des hymnes inouïs d'impudeur triomphale;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ton esprit altéré de désirs immortels</div>
+ <div class="verse">Epuiserait encor la coupe des prières,</div>
+ <div class="verse">Ta parole dément tes attitudes fières</div>
+ <div class="verse">Et tu t'es prosterné devant tous les autels.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais toujours au milieu de tes extases vaines</div>
+ <div class="verse">Le mensonge des dieux et des lèvres te point</div>
+ <div class="verse">Et tu verses, déçu d'aimer ce qui n'est point,</div>
+ <div class="verse">Tous les pleurs de tes yeux et le sang de tes veines.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Si tu n'étreins que des chimères, si tu bois</div>
+ <div class="verse">L'enivrement de vins illusoires, qu'importe?</div>
+ <div class="verse">Le soleil meurt, la foule imaginaire est morte</div>
+ <div class="verse">Mais le monde subsiste en ta seule âme: vois!</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les jours se sont fanés comme des roses brèves,</div>
+ <div class="verse">Mais ton Verbe a créé le mirage où tu vis</div>
+ <div class="verse">Et je nais à tes yeux de tes regards ravis</div>
+ <div class="verse">Et je garde à jamais la gloire de tes rêves.»</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La forme s'effaça, la parole se tut,</div>
+ <div class="verse">Et délivré du poids antérieur des chaînes,</div>
+ <div class="verse">L'homme plana plus haut que les heures prochaines</div>
+ <div class="verse">Et comme tout, canaux, cité, temple abattu</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">S'enfonçait lentement dans la brume amassée</div>
+ <div class="verse">Sur le fond ténébreux des êtres et des temps,</div>
+ <div class="verse">Pure clarté, pistils de rayons éclatants,</div>
+ <div class="verse">Il vit s'épanouir la fleur de sa pensée.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h3>LES MYTHES</h3>
+
+<p class="dedic"><i>A MARCEL COLLIÈRE.</i></p>
+
+
+
+<h4 id="p24">L'AVENTURIER</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Charles Andler.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Là-haut, temple ou palais dressé sur la colline,</div>
+ <div class="verse">Un amoncellement de blocs prodigieux</div>
+ <div class="verse">Monte: des chiens de bronze aux yeux de cornaline</div>
+ <div class="verse">Hurlent aux quatre vents, la gueule vers les cieux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les murs massifs, coupes de portes métalliques,</div>
+ <div class="verse">Sont écaillés de cuivre et peints de vermillon;</div>
+ <div class="verse">Au faîte, le soleil frappe de feux obliques</div>
+ <div class="verse">Un étendard taillé dans la peau d'un lion.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pacifiques, devant la demeure farouche,</div>
+ <div class="verse">Des rosiers rouges et des lys parent le bois</div>
+ <div class="verse">Où passe, inoffensive aux roses qu'elle touche,</div>
+ <div class="verse">L'enfant belle à dompter les héros et les rois.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le calme lumineux du jour mourant caresse</div>
+ <div class="verse">L'enfant grave: elle glisse entre les nobles fleurs</div>
+ <div class="verse">Avec des gestes lents d'idole ou de prêtresse</div>
+ <div class="verse">Qui n'a jamais connu le rire ni les pleurs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Elle va, contemplant de ses larges prunelles</div>
+ <div class="verse">Les vagues de forêts qui ferment l'horizon</div>
+ <div class="verse">Et le val où le soir vêt d'ombres solennelles</div>
+ <div class="verse">Le maître hérissé d'une horrible toison.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">C'est son père, tueur de b&oelig;ufs, ployeur de chênes;</div>
+ <div class="verse">Embusqué tel qu'un fauve aux aguets, il attend</div>
+ <div class="verse">Les voyageurs qui vont vers les cités prochaines</div>
+ <div class="verse">Et fait craquer leurs os en ses doigts de Titan.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Puis il revient, tranquille, après chaque tuerie,</div>
+ <div class="verse">Courbé sous le butin comme un roi triomphant,</div>
+ <div class="verse">Et tandis que les morts saignent dans la prairie</div>
+ <div class="verse">Suspend de lourds colliers au cou de son enfant.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Maintenant une nuit de lune, froide et claire,</div>
+ <div class="verse">Découpe le profil des monts sur les chemins;</div>
+ <div class="verse">Le meurtrier fatal, sans haine et sans colère,</div>
+ <div class="verse">Ecoute s'approcher un bruit de pas humains.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et voici qu'au détour de la route moussue</div>
+ <div class="verse">Apparaît, radieux sous l'armure qui luit,</div>
+ <div class="verse">Un guerrier casqué d'or qui porte une massue</div>
+ <div class="verse">Et dont le manteau rouge illumine la nuit.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le Tueur, allongé dans la broussaille, épie</div>
+ <div class="verse">Le Héros dédaigneux en marche vers la mort;</div>
+ <div class="verse">Mais celui-ci, clamant vers la muraille impie,</div>
+ <div class="verse">Réveille les échos de la forêt qui dort:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">«Je suis venu; hors du repaire, ô vainqueur d'hommes!</div>
+ <div class="verse">Si tu fuis devant moi je dirai que tu mens;</div>
+ <div class="verse">Mais tu mériteras le nom dont tu te nommes</div>
+ <div class="verse">Si tu peux m'étouffer dans tes embrassements.»</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">&mdash;«Soit! ta bouche saura la saveur de la terre.»</div>
+ <div class="verse">Et l'antique lutteur se dresse avec ennui</div>
+ <div class="verse">Pour écraser d'un coup de poing et faire taire</div>
+ <div class="verse">L'éphèbe injurieux qui parla devant lui.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ils se prennent, poitrine unie et chair mêlée,</div>
+ <div class="verse">Groupe tumultueux de râles et de cris:</div>
+ <div class="verse">L'enfant calme regarde, au fond de la vallée,</div>
+ <div class="verse">Le meurtre habituel du haut des monts fleuris.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Elle voit seulement se mouvoir dans la plaine</div>
+ <div class="verse">L'ombre du double corps et des torses jumeaux</div>
+ <div class="verse">Et sûre du vainqueur, s'enivre avec l'haleine</div>
+ <div class="verse">Des parfums langoureux épars sous les rameaux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais tout à coup, après une clameur sauvage,</div>
+ <div class="verse">Ses impassibles yeux se ferment de terreur:</div>
+ <div class="verse">Comme un b&oelig;uf abattu dans le natal herbage,</div>
+ <div class="verse">L'invincible est couché sous le jeune lutteur.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et le guerrier sanglant, par les pentes ardues,</div>
+ <div class="verse">Monte vers le jardin: «Vous serez apaisés,</div>
+ <div class="verse">O morts, je vengerai vos âmes éperdues</div>
+ <div class="verse">Et la victime est belle et vierge de baisers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O morts, je vais tuer dans la Fille maudite</div>
+ <div class="verse">Les exécrables fils qui naîtraient de ses flancs.»</div>
+ <div class="verse">Il dit et vient, hagard du meurtre qu'il médite</div>
+ <div class="verse">Et l'Enfant parle aux fleurs et tend ses bras tremblants:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">«L'Homme vous briserait avec ses mains brutales,</div>
+ <div class="verse">Roses que je laissais fleurir et défleurir;</div>
+ <div class="verse">Un arome puissant monte de vos pétales,</div>
+ <div class="verse">Vos parfums sont trop doux pour que j'aime à mourir.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ma chair frissonne; sauvez-moi, fleurs protectrices.</div>
+ <div class="verse">O lys, lys glorieux que je n'ai pas cueillis,</div>
+ <div class="verse">Je voudrais me cacher dans vos étroits calices</div>
+ <div class="verse">Et refermer sur nous le voile des taillis.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Au moins, versez en moi vos senteurs: que j'emporte</div>
+ <div class="verse">Dans le morne pays vos baumes précieux,</div>
+ <div class="verse">O fleurs qui renaîtrez lorsque je serai morte,</div>
+ <div class="verse">Fleurs, éternelles fleurs, fleurs égales aux dieux!»</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Elle murmure encor des mots et des prières</div>
+ <div class="verse">Mais le vainqueur, surgi des âpres escaliers,</div>
+ <div class="verse">Traîne par les cheveux l'Enfant dans les clairières</div>
+ <div class="verse">Et fait boire son sang aux roses des halliers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">«J'ai tué le Brigand et la Magicienne,</div>
+ <div class="verse">L'&oelig;uvre est bonne: luisez sur ma route, astres purs!»</div>
+ <div class="verse">Et l'Ephèbe drapé dans la pourpre ancienne,</div>
+ <div class="verse">Se hâte dans la nuit vers les monstres futurs.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p25">LE BOIS SACRÉ</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Lucien Lévy</i></p>
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Resplendissante, au pied du mont mystérieux,</div>
+ <div class="verse">La troupe formidable et blonde des guerrières</div>
+ <div class="verse">Gardait, la lance au poing, les farouches clairières</div>
+ <div class="verse">Et la forêt terrible où sommeillent les dieux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et tous venaient vers la ténébreuse vallée</div>
+ <div class="verse">Sous les casques de bronze et les boucliers ronds,</div>
+ <div class="verse">Vêtus de fer et d'or par de bons forgerons,</div>
+ <div class="verse">Tous les héros épris de gloire inviolée.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Frappant le ciel muet de sauvages clameurs,</div>
+ <div class="verse">Tous par les nuits, par les matins, par les vesprées,</div>
+ <div class="verse">Ils venaient au galop des licornes cabrées:</div>
+ <div class="verse">«Nous verrons votre face, exécrables semeurs</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des désirs, des baisers et des larmes humaines;</div>
+ <div class="verse">O voyageurs hagards qui hurlez dans le vent,</div>
+ <div class="verse">Nos bras étoufferont votre souffle vivant</div>
+ <div class="verse">Et nous tuerons en vous nos amours et nos haines.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Si vous ne craignez pas nos glaives, approchez:</div>
+ <div class="verse">Votre rire cruel insulte à nos misères.</div>
+ <div class="verse">O vautours, nous irons vous prendre dans vos aires,</div>
+ <div class="verse">O loups, nous forcerons vos repaires cachés!»</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tous se ruaient: là-haut, sous les sombres ramures,</div>
+ <div class="verse">Les calmes dieux semblaient immobiles et sourds.</div>
+ <div class="verse">Mais brandis par les mains des guerrières, toujours</div>
+ <div class="verse">Les javelots stridents vibraient sur les armures.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les héros, vainqueurs de monstres, les tueurs</div>
+ <div class="verse">Des dragons enflammés, des hydres et des stryges</div>
+ <div class="verse">Roulaient honteusement broyés sous les quadriges.</div>
+ <div class="verse">Leurs yeux mi-clos rougis de mourantes lueurs</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Convoitaient les seins nus des prêtresses complices</div>
+ <div class="verse">Qui, méprisant leurs cris et leurs râles derniers,</div>
+ <div class="verse">Joyeuses, bondissaient sur les rauques charniers</div>
+ <div class="verse">Et tendaient vers le ciel leurs mains triomphatrices.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Or le tumulte des batailles, ce jour-là,</div>
+ <div class="verse">Se tut comme la mer pendant les accalmies.</div>
+ <div class="verse">Sur les corps mutilés et sur les chairs blêmies</div>
+ <div class="verse">Le flot d'une ineffable aurore s'étala.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Un grave chant porté par le souffle des brises</div>
+ <div class="verse">Montait de l'Orient lumineux et charmait,</div>
+ <div class="verse">Épars autour des bois et du divin sommet,</div>
+ <div class="verse">Le c&oelig;ur moins furieux des guerrières surprises:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et l'Aède parut couronné de cyprès;</div>
+ <div class="verse">Sa lyre se voilait de tristes asphodèles</div>
+ <div class="verse">Et douloureusement les cordes immortelles</div>
+ <div class="verse">Pleuraient un chant d'amour, de deuil et de regrets.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">«M'entends-tu dans le noir abîme, ô chère morte,</div>
+ <div class="verse">Irrévocable fleur qu'un vent cruel emporte?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O lumière, comme une étoile qui s'enfuit,</div>
+ <div class="verse">Ne briseras-tu pas les chaînes de la nuit?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O s&oelig;ur des soirs taillés dans de larges opales,</div>
+ <div class="verse">Où sont tes cheveux d'ombre, où sont tes lèvres pâles?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Vous qui l'avez ravie, ô dieux, je viens à vous,</div>
+ <div class="verse">Rendez l'épouse absente aux baisers de l'époux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je vous ai célébrés dans mes strophes pieuses,</div>
+ <div class="verse">O maîtres qui siégez aux cimes merveilleuses:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais les rhythmes naissaient de ses rires: rouvrez</div>
+ <div class="verse">Les sources de l'amour et des hymnes sacrés.»</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les guerrières des dieux écoutaient comme en rêve</div>
+ <div class="verse">Le doux profanateur en marche vers les bois,</div>
+ <div class="verse">Il passa; les chevaux s'écartaient à sa voix</div>
+ <div class="verse">Et sa chair dédaignait la morsure du glaive.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Autour de lui, le vol des flèches susurrait</div>
+ <div class="verse">Comme un essaim vaincu d'abeilles bienveillantes</div>
+ <div class="verse">Et sans ouïr les cris des vierges effrayantes</div>
+ <div class="verse">L'Aède pacifique entra dans la forêt.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>III</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Éperdument, par les silencieuses sentes,</div>
+ <div class="verse">Il allait; ses regards épiaient les fourrés</div>
+ <div class="verse">Taciturnes: sous les rameaux enchevêtrés,</div>
+ <div class="verse">Nulle apparition de chairs éblouissantes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'ombre informe, le noir silence, des parfums</div>
+ <div class="verse">Sauvages d'herbe fraîche et de fleurs surannées</div>
+ <div class="verse">Et, confondue avec les sèves déchaînées,</div>
+ <div class="verse">L'innombrable senteur des automnes défunts.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Il allait; nulle voix effroyable ou charmante</div>
+ <div class="verse">Ne répondait, nul bruit de fête ou de combats:</div>
+ <div class="verse">Seul, dans les antres, sous le ciel, ici, là-bas,</div>
+ <div class="verse">Le frisson fauve de la terre qui fermente.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Semblables au monceau des feuilles sous ses pas,</div>
+ <div class="verse">Ses rêves, ses douleurs, ses pensées</div>
+ <div class="verse">Tombaient en tournoyant dans les bises glacées</div>
+ <div class="verse">Et l'Aède comprit que les dieux n'étaient pas.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Il perdit, se vouant aux stupides épées,</div>
+ <div class="verse">L'orgueil d'être vaincu par un maître inclément,</div>
+ <div class="verse">Comme les héros morts frappés en blasphémant</div>
+ <div class="verse">Ivres d'un puissant vin de gloire et d'épopées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et dépouillé du fier rêve des dieux jaloux,</div>
+ <div class="verse">Il brisa pour jamais les cordes tutélaires</div>
+ <div class="verse">Et descendit vers les clameurs et les colères,</div>
+ <div class="verse">Ainsi qu'un chasseur las se livre aux crocs des loups.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>IV</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'homme fut déchiré par les vierges sanglantes;</div>
+ <div class="verse">La bouche d'où sortaient les paroles de miel</div>
+ <div class="verse">Se tut. La nuit sereine enveloppa le ciel</div>
+ <div class="verse">Et recouvrit les morts d'ombres indifférentes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tandis que défendant le mont mystérieux</div>
+ <div class="verse">La troupe formidable et blonde des guerrières</div>
+ <div class="verse">Gardait, la lance au poing, les farouches clairières</div>
+ <div class="verse">Où triomphe toujours le mensonge des dieux.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p26">LES CAPTIFS</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Leconte de Lisle.</i></p>
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Un sage, descendant de cimes inconnues,</div>
+ <div class="verse">S'en allait autrefois par le pays d'Assour,</div>
+ <div class="verse">Et la mystérieuse aurore d'un grand jour</div>
+ <div class="verse">Empourprait, à sa voix, le jardin blanc des nues.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les peuples le suivaient et ne comprenaient pas</div>
+ <div class="verse">Quels dieux, accompagnant la marche du prophète,</div>
+ <div class="verse">Candidement semaient dans les villes en fête</div>
+ <div class="verse">Des lys miraculeux et calmes sous ses pas.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais tous buvaient le miel divin de ses paroles,</div>
+ <div class="verse">Le miel fait de parfums et de baumes puissants,</div>
+ <div class="verse">Forts comme la senteur éparse de l'encens,</div>
+ <div class="verse">Doux comme la senteur éparse des corolles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pour s'enivrer des mots que sa bouche versait,</div>
+ <div class="verse">Les laboureurs quittaient le manche des charrues,</div>
+ <div class="verse">Et parmi la clameur des foules accourues</div>
+ <div class="verse">Le Voyant pacifique et sublime passait.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Désormais, dédaigneux des apparences brèves</div>
+ <div class="verse">Et des illusions passagères, fermant</div>
+ <div class="verse">Leurs yeux purifiés à la clarté qui ment,</div>
+ <div class="verse">Les hommes ouvraient l'âme à la splendeur des rêves.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le roi, las des lions traqués dans les filets,</div>
+ <div class="verse">Las des buffles saignant sous la grêle des flèches,</div>
+ <div class="verse">Las des femmes aux chairs odorantes et fraîches</div>
+ <div class="verse">Fit amener vers lui cet homme en son palais:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">«Vieillard, évocateur des merveilles du songe,</div>
+ <div class="verse">«Jongleur qui fais surgir devant les yeux humains,</div>
+ <div class="verse">«Dans la poussière impure et vile des chemins,</div>
+ <div class="verse">«Des visions de paix, de gloire et de mensonge,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">«Vieillard, évocateur des merveilles du ciel,</div>
+ <div class="verse">«Toi qui règnes, là-bas, au pays du mystère,</div>
+ <div class="verse">«Mon c&oelig;ur royal déçu par l'horreur de la terre</div>
+ <div class="verse">«Aspire à la beauté du monde essentiel.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">«Tel que le cri plaintif des tigres dans les fosses</div>
+ <div class="verse">«Vient à nous à travers les cloisons de la nuit,</div>
+ <div class="verse">«J'entends sourdre en moi-même un lamentable bruit</div>
+ <div class="verse">«Malgré le mur d'airain des apparences fausses.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">«O vieillard, fais tomber les mauvaises cloisons,</div>
+ <div class="verse">«Montre-moi la campagne et les arbres des plaines</div>
+ <div class="verse">«Et les fleuves d'azur roulant à vagues pleines</div>
+ <div class="verse">«Vers le gouffre sans fin des vierges horizons.»</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais l'homme d'une voix tranquille: «Que t'importe,</div>
+ <div class="verse">«O roi des rois, seigneur des mondes, fils des dieux,</div>
+ <div class="verse">«Qui marches revêtu de pourpre et radieux,</div>
+ <div class="verse">«La rumeur entendue au delà de la porte?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">«O maître, que veux-tu de la terre et des cieux?</div>
+ <div class="verse">«Si je t'ouvre la source antique de la vie,</div>
+ <div class="verse">«Je n'apaiserai pas ta soif inassouvie,</div>
+ <div class="verse">«Et ton esprit d'orgueil n'en croira point tes yeux!»</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">&mdash;«Voilà beaucoup de mots inutiles, prends garde:</div>
+ <div class="verse">«Ta tête pourrait choir d'un coup prématuré.»</div>
+ <div class="verse">Et l'homme répondit: «C'est bien. J'obéirai:</div>
+ <div class="verse">«Roi qui veux voir le fond de l'abîme, regarde.»</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Hors du temps, hors du lieu, faite de pur granit,</div>
+ <div class="verse">Enserrant l'univers de ses noires murailles,</div>
+ <div class="verse">Rauque d'un monstrueux râle de funérailles,</div>
+ <div class="verse">Une immense prison montait dans l'infini.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Au milieu de la geôle effroyable, les villes</div>
+ <div class="verse">S'étageaient sous le deuil des cieux; un flamboiement</div>
+ <div class="verse">D'astres sombres luisait épouvantablement</div>
+ <div class="verse">Sur les rois, sur les dieux, sur les foules serviles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais une lueur d'aube emperlait l'Orient</div>
+ <div class="verse">De magiques rayons et d'étincelles blondes:</div>
+ <div class="verse">Les hommes nés depuis la naissance des mondes</div>
+ <div class="verse">Se ruaient vers l'espoir du soleil, en criant.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ils allaient, éperdus et fauves; les armées</div>
+ <div class="verse">Se heurtaient sous le vol sinistre des vautours;</div>
+ <div class="verse">Et les blocs de rochers pleuvaient des hautes tours,</div>
+ <div class="verse">Et les ailes du feu nageaient dans les fumées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les chefs vainqueurs, avant le rouge lendemain,</div>
+ <div class="verse">Offraient aux dieux d'en-haut les victimes tuées</div>
+ <div class="verse">Et dressaient vers la cime errante des nuées</div>
+ <div class="verse">Des palais effrayants tendus de cuir humain.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sourds aux tumultes, sourds aux luttes, mains unies,</div>
+ <div class="verse">Regards ravis d'extase et d'éblouissements,</div>
+ <div class="verse">Des couples enlacés de femmes et d'amants</div>
+ <div class="verse">Passaient, dans un concert de tendres harmonies:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des pétales de fleurs apportés par le vent</div>
+ <div class="verse">Tourbillonnaient vers eux dans l'ombre des yeuses:</div>
+ <div class="verse">Et tous, couples d'amour et hordes furieuses,</div>
+ <div class="verse">Marchaient, marchaient toujours vers le soleil levant.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais l'aube désirée et les futures gloires</div>
+ <div class="verse">De clartés décevaient leurs risibles efforts,</div>
+ <div class="verse">Et mourant vainement pour renaître, les morts</div>
+ <div class="verse">Poursuivaient à nouveau les astres illusoires.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La même nuit baignait l'éternel horizon,</div>
+ <div class="verse">Et de ceux qui vaguaient dans la geôle des choses</div>
+ <div class="verse">Et tâchaient à s'enfuir de leurs cavernes closes,</div>
+ <div class="verse">Aucun ne s'évadait de la morne prison.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Seuls, les sages tuaient la volonté de vivre.</div>
+ <div class="verse">Aveugles aux lueurs que nul ne peut saisir,</div>
+ <div class="verse">Ils gagnaient, affranchis des chaînes du désir,</div>
+ <div class="verse">Le néant ineffable et la mort qui délivre.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Bienheureux qui savaient la fatigue des pas,</div>
+ <div class="verse">Bienheureux qui savaient le mirage des astres,</div>
+ <div class="verse">Bienheureux qui savaient la vie et les désastres:</div>
+ <div class="verse">Ils s'endormaient un jour et ne renaissaient pas.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>III</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">«La vision, vieillard, est morne et ridicule:</div>
+ <div class="verse">«Tu mourras.» Et le roi Nabou-Koudour-Oussour,</div>
+ <div class="verse">Très juste, fit clouer au faîte d'une tour</div>
+ <div class="verse">La tête qui saignait dans l'or du crépuscule.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p27">LES YEUX D'HÉLÈNE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Marcel Proust.</i></p>
+<blockquote class="epi">
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Qualis maternis Helene jam digna palestris,</div>
+ <div class="verse">Inter amyclaeos reptabat candida fratres.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="attr">(<span class="sc">P. Statius.</span>)</p>
+</blockquote>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La native blancheur du cygne paternel.</div>
+ <div class="verse">Vêt de neige le corps adorable d'Hélène,</div>
+ <div class="verse">Et l'eau du fleuve bleu qui glisse dans la plaine</div>
+ <div class="verse">Baigne ses yeux d'enfant profonds comme le ciel.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Elle va: ses regards de déesse ingénue</div>
+ <div class="verse">Que jamais la tristesse impure n'a troublés</div>
+ <div class="verse">Errent nonchalamment sur les flots blonds des blés,</div>
+ <div class="verse">Et les hommes pensifs tremblent à sa venue.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Elle évoque l'horreur future des destins</div>
+ <div class="verse">Et verse le frisson des luttes fatidiques</div>
+ <div class="verse">Aux guerriers à venir assis sous les portiques,</div>
+ <div class="verse">Dont les yeux éblouis suivent ses pas lointains.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'effroi religieux issu de ses prunelles</div>
+ <div class="verse">Ardentes d'incendie et de fauves clartés</div>
+ <div class="verse">Saisit étrangement les c&oelig;urs épouvantés</div>
+ <div class="verse">Et pleins de visions sombres et solennelles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Passe, vierge terrible au col souple et nerveux:</div>
+ <div class="verse">L'inexpiable sang pour les siècles macule</div>
+ <div class="verse">Ton front clair comme un jour d'été sans crépuscule</div>
+ <div class="verse">Et la mort des héros surgit de tes cheveux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Passe, reine d'amour, semeuse de désastres,</div>
+ <div class="verse">Dans ta robe de gloire et de sérénité,</div>
+ <div class="verse">Et vois fleurir les deuils autour de ta beauté,</div>
+ <div class="verse">Sous tes regards pareils aux rayons froids des astres.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tu brilles dans la nuit des âges révolus</div>
+ <div class="verse">Et les derniers amants des formes triomphales</div>
+ <div class="verse">Contemplent au delà de l'ombre et des rafales</div>
+ <div class="verse">Tes yeux dont la splendeur ne s'abolira plus.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p28">SCHAOUL</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Rodolphe Darzens.</i></p>
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">En ces jours, Elohim lui refusant son ombre,</div>
+ <div class="verse">Schaoul, enfant de Qisch, était semblable au mort</div>
+ <div class="verse">Délaissé, que la dent des bêtes fauves mord,</div>
+ <div class="verse">Et les esprits du mal rongeaient son âme sombre.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Il errait à travers les routes d'Israël</div>
+ <div class="verse">Poursuivi sans repos par la meute tenace</div>
+ <div class="verse">Et d'âpres aboiements de haine et de menace</div>
+ <div class="verse">Hurlaient autour de lui dans l'abîme du ciel.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Rien ne transfigurait ses mornes destinées.</div>
+ <div class="verse">Nulle trêve: ni les paroles des nabis</div>
+ <div class="verse">Ni la chair des béliers ni la chair des brebis</div>
+ <div class="verse">N'écartaient de son c&oelig;ur les gueules forcenées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et même dans la fête héroïque du sang,</div>
+ <div class="verse">Quand les vaincus, après les sauvages victoires,</div>
+ <div class="verse">Montaient vers le Très-Haut en feux expiatoires,</div>
+ <div class="verse">Les crocs inassouvis lui déchiraient le flanc.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Alors on fit venir vers le roi taciturne</div>
+ <div class="verse">David de Bethléem, le joueur de kinnor,</div>
+ <div class="verse">Dont l'incantation charmait les astres d'or</div>
+ <div class="verse">Tandis que ses troupeaux paissaient l'herbe nocturne,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et comme les chacals rentrent aux creux des monts</div>
+ <div class="verse">Quand le veneur paraît sur les rocs granitiques,</div>
+ <div class="verse">Mêlant sa voix d'enfant aux cordes prophétiques</div>
+ <div class="verse">David, plein d'Iahveh, chassa les noirs démons.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Homme, Schaoul des temps infinis, saigne et pleure:</div>
+ <div class="verse">Les carnassiers hideux suivent sur ton chemin</div>
+ <div class="verse">La trace de tes pas, hier, aujourd'hui, demain,</div>
+ <div class="verse">Toujours: le changement de la forme et de l'heure</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">N'écartera jamais la horde des ennuis</div>
+ <div class="verse">Et tu te traîneras dans l'horreur sans limite</div>
+ <div class="verse">Sans ouïr le Kinnor et le Bethléémite</div>
+ <div class="verse">Qui te ferait des jours pareils aux belles nuits.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p29">RESSOUVENIR</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Mario de la Tour de Saint-Ygest.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Cet homme était venu vers le Maître des pleurs</div>
+ <div class="verse">Oubliant pour le Christ les lyres et les roses,</div>
+ <div class="verse">Comme un vendangeur las qui de ses mains décloses</div>
+ <div class="verse">Laisse choir les raisins et les grappes de fleurs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Il avait délaissé pour les routes d'épines</div>
+ <div class="verse">Les portiques de marbre auprès des flots marins.</div>
+ <div class="verse">Sous le cilice dur qui lui mordait les reins,</div>
+ <div class="verse">Il marchait loin du jour vers les ombres divines.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Or il vivait au fond des bois mystérieux,</div>
+ <div class="verse">Suivi par un troupeau de bêtes familières,</div>
+ <div class="verse">Et des oiseaux volaient autour de ses prières</div>
+ <div class="verse">Et des rêves de ciel illuminaient ses yeux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais toujours, tel qu'un vol blond d'abeilles essaime</div>
+ <div class="verse">Et retourne en vibrant aux ruches d'autrefois,</div>
+ <div class="verse">Par les soirs langoureux chargés des douces voix</div>
+ <div class="verse">Et des parfums charnels que le Mauvais y sème,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Son âme s'envolait vers les jours révolus:</div>
+ <div class="verse">L'ancien verbe d'amour caché dans l'Évangile</div>
+ <div class="verse">Faisait fleurir au bois les nymphes de Virgile</div>
+ <div class="verse">Et des faunes lascifs montraient leurs fronts velus.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p30">GOETTERDAEMMERUNG</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A la comtesse Jane.</i></p>
+<blockquote class="epi">
+<p>Heil siegendes Licht.</p>
+
+</blockquote>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Siegfried, astre évadé des ombres transitoires,</div>
+ <div class="verse">Soleil épanoui dans l'azur de la mort,</div>
+ <div class="verse">Avec ta chair, la gloire humaine de l'effort,</div>
+ <div class="verse">S'abîmait dans le deuil des suprêmes victoires.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais tels que le granit usé des promontoires,</div>
+ <div class="verse">Que l'assaut de la mer tempétueuse mord,</div>
+ <div class="verse">Les dieux irradiant dans les glaces du Nord</div>
+ <div class="verse">Attendaient lâchement les jours expiatoires.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le héros, sur les fleurs sanglantes du bûcher,</div>
+ <div class="verse">Semblait sortir des couchants mornes et marcher</div>
+ <div class="verse">Dans l'auréole d'or des flammes triomphales.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tandis qu'en un torrent de splendeur et de bruit,</div>
+ <div class="verse">Flagellé par le vol sinistre des rafales,</div>
+ <div class="verse">Le Palais merveilleux s'écroulait dans la nuit.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p31">LA FILLE AUX MAINS COUPÉES</h4>
+
+<p class="c"><span class="small">MYSTÈRE</span></p>
+
+<p class="dedic"><i>A Maurice Peyrol.</i></p>
+
+<p class="c"><i>PERSONNAGES</i></p>
+
+<ul>
+<li class="small">LA JEUNE FILLE.</li>
+<li class="small">LE POÈTE.</li>
+<li class="small">LE CH&OElig;UR D'ANGES.</li>
+<li class="small">LE PÈRE.</li>
+<li class="small">LE SERVITEUR.</li>
+</ul>
+<p><i>L'action se passe n'importe où et plutôt au moyen âge.</i></p>
+
+<p>Dans la chambre silencieuse, où flotte par les vitraux glauques
+la soie resplendissante de l'aurore, <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> est agenouillée
+et prie en sa blancheur adorable de lys.</p>
+
+<p>Le large bliaud damassé, broché de calices d'argent, qui neige
+sur sa poitrine et l'étoile, est à peine agité par le souffle du corps
+pâle sculpté dans un marbre vivant.</p>
+
+<p>Elle lit dans le lourd missel incrusté de joailleries, mais d'une
+voix si basse qu'elle semble un frôlement somptueux d'étoffes que
+froissent dans l'éther des princesses lointaines.</p>
+
+<p>Elle laisse tomber le livre et les yeux tournés vers un Christ
+exsangue sur un ciel ensanglanté, elle clôt ses lèvres entr'ouvertes
+et se prend à prier des rêves sans paroles.</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O Jésus, écartez les griffes du Malin.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les anges de saphir dorment dans le vélin;</div>
+ <div class="verse">Les graves lettres d'or pèsent aux ailes blanches;</div>
+ <div class="verse">La colombe du ciel s'englue après les branches,</div>
+ <div class="verse">Et la prière est prise au piège des versets.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O livre, le parfum sacré que tu versais</div>
+ <div class="verse">Vaut moins, pour le Sauveur et pour ses mains percées,</div>
+ <div class="verse">Que l'inappréciable encens de mes pensées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mon bien-aimé, mêlés à vos élus divins,</div>
+ <div class="verse">Mes rêves purs, avec le ch&oelig;ur des Séraphins,</div>
+ <div class="verse">Allégés du fardeau des paroles antiques,</div>
+ <div class="verse">Mes rêves ont chanté plus haut que les cantiques;</div>
+ <div class="verse">Et quand mon âme, un jour, s'évadera du corps,</div>
+ <div class="verse">Je volerai dans les Splendeurs et les Accords</div>
+ <div class="verse">Faits de flamme subtile et de claire harmonie,</div>
+ <div class="verse">Et je rayonnerai dans la gloire infinie,</div>
+ <div class="verse">Autour du front terrible et charmant de l'Époux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O monde, ô vie, ô sens, évanouissez-vous!</div>
+ <div class="verse">Car, là-haut, par delà les ténèbres premières,</div>
+ <div class="verse">Dans l'éclat des concerts et la voix des lumières,</div>
+ <div class="verse">Impérissable, dans le nimbe de l'Amant,</div>
+ <div class="verse">La chair immaculée arde éternellement.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>Baignée d'une musique surhumaine, elle entend comme en elle-même:</p>
+
+<p class="p">UN CH&OElig;UR D'ANGES</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Enfant, les cieux songés, blancs de lys et de vierges</div>
+ <div class="verse">Plus blêmes que la cire odorante des cierges,</div>
+ <div class="verse">Et les jardins semés d'étoiles, les sommets</div>
+ <div class="verse">D'hermine chaste et de candeurs impolluées</div>
+ <div class="verse">Mirés aux lacs où vont les cygnes des nuées,</div>
+ <div class="verse">Enfant, les cieux songés seraient clos à jamais.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Arrière, le troupeau neigeux d'immaculées!</div>
+ <div class="verse">Vers l'amoncellement des glaces reculées,</div>
+ <div class="verse">Les rouges Kéroubim vous repoussent du seuil</div>
+ <div class="verse">Eblouissant: les crins de votre âpre cilice</div>
+ <div class="verse">Vous sont une moelleuse et royale pelisse:</div>
+ <div class="verse">Votre virginité n'est ivre que d'orgueil.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Arrière! le blé mur épars des Madeleines,</div>
+ <div class="verse">Epars sur les pieds nus avec les urnes pleines,</div>
+ <div class="verse">Brûle seul dans la sainte auréole de feu.</div>
+ <div class="verse">Dans le brasier de Christ, avivé de colères,</div>
+ <div class="verse">Vous fondriez, ô froides fleurs des soirs polaires,</div>
+ <div class="verse">Qui ne parfumez pas les hommes avant Dieu.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Lorsque le Rédempteur eut brisé les statues</div>
+ <div class="verse">D'autrefois, parmi les colonnes abattues,</div>
+ <div class="verse">Il laissa reverdir, seul d'entre les Maudits,</div>
+ <div class="verse">Erôs, et lui donna pour royaume la Terre:</div>
+ <div class="verse">Immortelle, la soif des lèvres vous altère,</div>
+ <div class="verse">Et l'enfer des baisers vaut notre paradis.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Va! l'Olympe aboli revit dans votre race;</div>
+ <div class="verse">La meute des désirs vous poursuit à la trace,</div>
+ <div class="verse">Et vous n'évitez pas les flèches de l'Archer.</div>
+ <div class="verse">Prends garde d'oublier les cieux songés, ô vierge:</div>
+ <div class="verse">L'amour à l'horizon de ta jeunesse émerge;</div>
+ <div class="verse">J'ai vu, dans l'Orient, l'invincible marcher.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p><span class="small">LA JEUNE FILLE</span> éperdue des paroles ouies et béante d'horreur
+mystique invoque, en balbutiant, Madame Marie qui sourit, doucement
+couronnée d'astres, au fond d'une fresque byzantine, et des
+cimes de l'azur tend les mains vers un vol d'âmes en peine: <span class="small">VENITE
+AD ME DILECTÆ MEÆ</span>.</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je ne sais plus si c'est mon rêve que j'écoute,</div>
+ <div class="verse">Ou si la source en moi s'infiltre goutte à goutte</div>
+ <div class="verse">Qui ruisselle des luths et des psaltérions,</div>
+ <div class="verse">Et si j'entends le Diable ou les Anges. Prions.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tueuse du serpent. Reine du bleu stellaire,</div>
+ <div class="verse">Le dérobeur d'épis maraude autour de l'aire:</div>
+ <div class="verse">Le voleur d'âmes vient des abîmes et fuit:</div>
+ <div class="verse">Chassez le tentateur et le rôdeur de nuit.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>Tandis que s'égrènent les litanies, un fracas assourdi d'armures
+irradiées glisse lentement, entre les tentures héroïques où s'enchevêtrent
+de furieuses mêlées.</p>
+
+<p><span class="small">LA JEUNE FILLE</span>, éveillée en sursaut des prières, se lève frissonnante
+vers <span class="small">SON PÈRE</span> et le guerrier convulsif brûle ses mains
+de caresses, de caresses incestueuses et brutales.</p>
+
+<p>Et l'enfant hurlante s'arrache des baisers sacrilèges. Elle va
+jusqu'à la grand salle où <span class="small">LE SERVITEUR</span> courbé fourbit les larges
+glaives et les panoplies.</p>
+
+<p class="p">LA JEUNE FILLE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Vieillard, j'ai ma pensée entière. Prends l'épée</div>
+ <div class="verse">De justice, l'épée infaillible, trempée</div>
+ <div class="verse">Sept fois dans le Saint-Chrême et le feu baptismal</div>
+ <div class="verse">Et que ne souille pas, comme l'homme, le Mal</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Originel. Saisis la Purificatrice</div>
+ <div class="verse">&mdash;Si ton bras est rongé d'ulcères, qu'il périsse!</div>
+ <div class="verse">A dit le Maître dont m'attendent les hymens;&mdash;</div>
+ <div class="verse">Et lave aux flots d'acier rougi, tranche mes mains!</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="p">LE SERVITEUR</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O ma fille, vos mains sont des corolles fines;</div>
+ <div class="verse">Vos mains sont un bouquet de jeunes aubépines;</div>
+ <div class="verse">L'haleine du printemps souffle de votre chair:</div>
+ <div class="verse">Je ne moissonne pas les fleurs avec le fer.</div>
+ <div class="verse">Vous délirez.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="p">LA JEUNE FILLE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse indent4">Tais-toi; l'ulcère des caresses</div>
+ <div class="verse">Inexpiables, mord ma chair et fond mes graisses.</div>
+ <div class="verse">Obéis, sans l'horreur mortelle des aveux:</div>
+ <div class="verse">L'effroi te briserait les oreilles.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>La main levée en un geste terrible:</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse indent4">Je veux.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>Et la volontaire martyre pose sans trembler ses mains jaillissant
+des manches sur une table de porphyre aux mosaïques de chimères.</p>
+
+<p>Ses yeux fixes ne clignent pas à l'éclat bleu du glaive brusque
+s'abattant, qui verse aux bêtes héraldiques des gouttes soudaines
+de pourpre.</p>
+
+<p>Et, brandissant dans la pénombre les deux torches jumelles des
+bras mutilés, elle fait prendre une aiguière de cristal enchemisé
+d'or.</p>
+
+<p>Epouvantable et radieux, un double nénuphar aux tiges d'écarlate
+flotte dans une écume rose de grappes d'Orient foulées.</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Oh! le vase lustral où l'âme se lava!</div>
+ <div class="verse">Va-t'en porter l'aiguière à mon bon père. Va.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<p>Maintenant une foule confuse bruit près de la mer flagellée par
+le vent du Nord. Dans une frêle nef, sans rames ni voilure, <span class="small">LE
+PÈRE</span> a fait étendre <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> surnaturelle, enveloppée dans
+un linceul de lin grossier. Elle regarde obstinément le ciel d'orage.</p>
+
+<p class="p">LE PÈRE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ma fille, vos péchés, commis dans ma maison,</div>
+ <div class="verse">Ont fait s'enfuir les tourterelles du blason.</div>
+ <div class="verse">Endormis dans la nuit tombale, clos en elle,</div>
+ <div class="verse">Les morts ont tressailli de votre ardeur charnelle.</div>
+ <div class="verse">Donc je dois, réprimant pleurs lâches et sanglots,</div>
+ <div class="verse">Vous confier, vivante, à la douceur des flots.</div>
+ <div class="verse">Nous prierons, gens des bourgs et manants de campagne,</div>
+ <div class="verse">Afin que la bonté de Dieu vous accompagne.</div>
+ <div class="verse">Allez! au nom de la Très Sainte Trinité,</div>
+ <div class="verse">Et que Jésus vous prenne en votre éternité.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>Mais la barque n'est pas engloutie par les gueules fauves de
+l'abîme. Elle s'efface, poussée par les haleines pacificatrices d'invisibles
+archanges.</p>
+
+<p>Les gerbes fauchées des houles vertes dorment sous un soleil
+d'accalmie, et <span class="small">LA JEUNE FILLE</span>, affranchie par l'extase, contemple
+des visions vagues et des formes.</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dans le lilas de leurs rosaces vespérales,</div>
+ <div class="verse">Je vois s'épanouir, là-haut, des cathédrales.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Une poussière d'astre irise les parvis</div>
+ <div class="verse">Et les arceaux sortent des dalles de rubis.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dans l'espace des nefs sans limites, lamées</div>
+ <div class="verse">D'azur, des encensoirs effeuillent des fumées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dans le frisson de leurs échos multipliés,</div>
+ <div class="verse">Des sons inentendus ébranlent les piliers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le voile rejeté d'un fulgurant coup d'aile,</div>
+ <div class="verse">Le Tabernacle inaccessible se révèle.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et lorsque l'Ostensoir éphémère me luit,</div>
+ <div class="verse">La robe du soleil semble teinte de nuit.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Seigneur Dieu, l'appétit des vagues me réclame,</div>
+ <div class="verse">L'aumône de mon corps est faite. Cueillez l'âme.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>Dans son ravissement mystique, <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> se croit morte.
+Serait-ce que la barque aborde aux rives vertigineuses du Paradis,
+où des couples célestes glissent dans une aube d'opales fluides?</p>
+
+<p>Elle regarde émerveillée, sous une étoffe de la lumière, au lieu
+des tronçons effroyables, la fraîcheur blonde de ses mains ressuscitées
+et d'où s'exhale une senteur de ruches prochaines et de miel.</p>
+
+<p>Des enfants, vêtus de tuniques multicolores et légères, lui font
+un triomphal cortège et, prise dans des rets de charmes surhumains,
+elle marche au milieu des hymnes étranges. Hymen! Hymenaee!</p>
+
+<p>Hymen! Hymen! Hymenaee! Au faîte des monts d'hyacinthe
+un palais de prodige monte, marmoréen, vers les nuages violets.
+Elle gravit les escaliers, gardés par des sphinges immobiles.</p>
+
+<p>Hymen! Hymen! Hymenaee! Au seuil glorieux des demeures,
+souriant idéalement dans l'ombre dénouée de sa chevelure, <span class="small">LE
+POÈTE-ROI</span> vient vers elle sous son manteau de pourpre lyrique.</p>
+
+<p>Et les enfants ont disparu; dans une salle de féerie, portée par
+des cariatides, sur l'or roux, des lions tués, <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> s'abandonne
+à la volupté des caresses. Hymen! O hymen!</p>
+
+<p class="p">LA JEUNE FILLE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Doux initiateur de l'âme en quelle sphère</div>
+ <div class="verse">Plus lointaine, Jésus, l'Esprit, et Dieu le Père,</div>
+ <div class="verse">Dans leur unité triple, infinis et sereins,</div>
+ <div class="verse">Attendent-ils le ch&oelig;ur des élus, pèlerins</div>
+ <div class="verse">Joyeux et jamais las d'un Temple que j'ignore,</div>
+ <div class="verse">Qui s'envolent de l'ombre ancienne vers l'Aurore.</div>
+ <div class="verse">Emmène-moi par les Edens et les Sions,</div>
+ <div class="verse">Toi qui sais les chemins de constellations.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p><span class="small">LE POÈTE-ROI</span> saisit la grande Lyre et, sous le plectre, les cordes
+de brebis vibrent dans l'écaille de tortue transparente.</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Avant la Terre, avant les Jours et les années,</div>
+ <div class="verse">L'Immuable a pétri nos chairs prédestinées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">J'ai trompé mon ennui par la lyre, et j'attends</div>
+ <div class="verse">Tes seins qui m'appelaient de l'abîme des temps,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et mes yeux, emperlés d'une angoisse inconnue,</div>
+ <div class="verse">Mes yeux cherchaient tes yeux nocturnes dans la nue.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Parfois, dans le brouillard chantant de la forêt,</div>
+ <div class="verse">Une fée illusoire éclôt et disparaît:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dis-moi que tu n'es pas l'ombre vaine d'un rêve,</div>
+ <div class="verse">O fille de la mer et de l'écume brève.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dis-moi qu'avant la tombe et nos corps révolus,</div>
+ <div class="verse">Le flot de tes baisers ne se tarira plus.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je ferai vivre par delà les étendues</div>
+ <div class="verse">Ton nom sanctifié dans les cordes tendues.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et tu vaincras par la gloire de tes beautés</div>
+ <div class="verse">Les nymphes de l'Hellas et les Divinités.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Parle, et tu chasseras, de la mémoire humaine</div>
+ <div class="verse">La Vénus Italique et l'Anadyomène.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je traquerai leurs souvenirs tels que des loups,</div>
+ <div class="verse">Et Christ reconnaissant se penchera vers nous.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="p">LA JEUNE FILLE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O Chanteur, je ne sais quel décevant mystère</div>
+ <div class="verse">Me rappelle du ciel entrevu vers la terre.</div>
+ <div class="verse">Ton regard me repousse et m'attire. Va-t'en,</div>
+ <div class="verse">Car je me damnerais peut-être en t'écoutant.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>Dans son indicible douleur, <span class="small">LE POÈTE-ROI</span> jette la Lyre qui se
+brise en un lamentable sanglot et le cri des fibres est si déchirant
+que <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> tremblante d'effroi et d'amour revient vers le
+royal Désespéré, comme résignée aux flammes d'une imminente
+géhenne. Pendant qu'ils sont enlacés, <span class="small">UN CH&OElig;UR D'ANGES</span>, entendu
+jadis, effleure leurs oreilles extasiées.</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ecarte le conseil de tes mauvaises craintes.</div>
+ <div class="verse">Le Seigneur t'a rendu des mains pour les étreintes,</div>
+ <div class="verse">Fais à l'amant royal le don de ton orgueil.</div>
+ <div class="verse">Va! laisse le troupeau neigeux d'immaculées;</div>
+ <div class="verse">Vers l'amoncellement des glaces reculées,</div>
+ <div class="verse">Les rouges Kéroubim les repoussent du seuil.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Aimez-vous! le blé mûr épars des Madeleines,</div>
+ <div class="verse">Epars sur les pieds nus avec les urnes pleines,</div>
+ <div class="verse">Brûle seul dans la sainte auréole de feu.</div>
+ <div class="verse">Dans le brasier de Christ, avivé de colères,</div>
+ <div class="verse">Vous fondriez, ô froides fleurs des soirs polaires,</div>
+ <div class="verse">Qui ne parfumez pas les hommes avant Dieu.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Lorsque le Rédempteur eut brisé les statues</div>
+ <div class="verse">D'autrefois, parmi les colonnes abattues,</div>
+ <div class="verse">Il laissa reverdir, seul d'entre les Maudits,</div>
+ <div class="verse">Erôs, et lui donna pour royaume la Terre:</div>
+ <div class="verse">Immortelle, la soif des lèvres vous altère,</div>
+ <div class="verse">Et l'enfer des baisers vaut notre paradis.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p32">LA PEUR D'AIMER</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A José-Maria de Heredia.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La Bête monstrueuse et le bon Chevalier</div>
+ <div class="verse">Ont lutté tout le jour: le dragon mort distille</div>
+ <div class="verse">Un suprême venin sur le sable infertile,</div>
+ <div class="verse">Et le triomphateur entre dans le hallier.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Il va, les yeux hagards d'un songe familier:</div>
+ <div class="verse">Là-bas, le palais d'or miraculeux rutile</div>
+ <div class="verse">Et la princesse rêve, en sa grâce inutile,</div>
+ <div class="verse">A l'amant inconnu qui la doit éveiller.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais lorsque le vainqueur de l'hydre et des licornes</div>
+ <div class="verse">Vit, après le bois sombre et les escaliers mornes,</div>
+ <div class="verse">La vierge aux cheveux blonds comme un soleil d'Avril</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dans la jeune splendeur de sa puberté mûre,</div>
+ <div class="verse">L'angoisse de l'amour mordit son c&oelig;ur viril</div>
+ <div class="verse">Et sa chair de héros trembla, sous son armure.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p33">LE PRINCE D'AVALON</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Henri de Régnier.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et le prince vivait dans l'île d'Avalon.</div>
+ <div class="verse">Des parterres de fleurs caressaient ses prunelles;</div>
+ <div class="verse">Les calices des lys s'ouvraient en ce vallon</div>
+ <div class="verse">Éperdument, vers les étoiles fraternelles;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les paons constellés d'yeux luisaient sous les halliers</div>
+ <div class="verse">Or mobile, tremblant saphir, vivante flamme</div>
+ <div class="verse">Et les fruits mûrs pendus aux vastes espaliers</div>
+ <div class="verse">Versaient un opulent arôme de cinname,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tandis que, dans le parc peuplé par des sylvains</div>
+ <div class="verse">Et des faunes bordant les larges avenues,</div>
+ <div class="verse">Le clair de lune épars sur les marbres divins</div>
+ <div class="verse">Faisait étinceler la chair des nymphes nues.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et le prince sur la terrasse du palais</div>
+ <div class="verse">Inclinait vers le sol ses doigts chargés de bagues</div>
+ <div class="verse">Et regardait, là-bas, sous les cieux violets,</div>
+ <div class="verse">Fuir des vaisseaux fleuris par la houle des vagues.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">«Passez, je vous envie, ô frères ignorés,</div>
+ <div class="verse">Que les vents furieux emportent sur le gouffre;</div>
+ <div class="verse">Je ne la connais plus et vous la reverrez</div>
+ <div class="verse">La terre désirable où l'homme pleure et souffre.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je suis venu vers les rivages interdits</div>
+ <div class="verse">Pour obéir aux voix des blanches fiancées</div>
+ <div class="verse">Et mon âme succombe au poids des paradis</div>
+ <div class="verse">Ainsi que les joyaux chargent mes mains lassées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pour éveiller en moi d'immortelles douleurs</div>
+ <div class="verse">Dont la mémoire accrût mes extases futures,</div>
+ <div class="verse">J'ai déchaîné des sangliers parmi les fleurs;</div>
+ <div class="verse">Mais les fleurs renaissaient plus belles et plus pures.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">J'ai voulu renverser le palais merveilleux</div>
+ <div class="verse">Et je l'ai revêtu de rouges incendies,</div>
+ <div class="verse">Mais des colonnes d'or surgissaient à mes yeux</div>
+ <div class="verse">Et portaient jusqu'au ciel les voûtes agrandies.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et lorsque j'ai tué la vierge que j'aimais,</div>
+ <div class="verse">Espérant rompre enfin les ineffables charmes,</div>
+ <div class="verse">L'enfant ressuscitée a vaincu pour jamais</div>
+ <div class="verse">Par des baisers plus doux ma tristesse et mes larmes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pour moi, le flot des jours s'écoule vainement;</div>
+ <div class="verse">Vainement le soir tombe et l'aurore rougeoie:</div>
+ <div class="verse">Enveloppé de rêve et d'éblouissement</div>
+ <div class="verse">Je suis le prisonnier de l'immuable joie.»</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ainsi par cette nuit d'étoiles, il parlait:</div>
+ <div class="verse">Les fourrés frissonnants brillaient de lucioles</div>
+ <div class="verse">Et le souffle embaumé de la brise mêlait</div>
+ <div class="verse">Les chansons de la mer à la voix des violes.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p34">CELLE QU'ON FOULE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Georges Duflot.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">C'était parmi la nuit muette, la clameur</div>
+ <div class="verse">De la Terre, clameur lamentable et farouche</div>
+ <div class="verse">De géante en travail qui se tord sur sa couche,</div>
+ <div class="verse">Rejette l'embryon sanglant, rugit et meurt.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La formidable voix hurlait: cris d'épouvante,</div>
+ <div class="verse">Gémissements plaintifs des automnes, sanglots</div>
+ <div class="verse">Rauques de la forêt hivernale et des flots,</div>
+ <div class="verse">Rire amer et confus de la foule vivante,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Frémissement de l'herbe et murmure des nids,</div>
+ <div class="verse">Hymne démesuré du torrent et du gouffre,</div>
+ <div class="verse">Tout ce qui parle, tout ce qui palpite et souffre</div>
+ <div class="verse">S'unissait et montait vers les cieux infinis.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Or voici l'anathème effréné que la Terre</div>
+ <div class="verse">Jetait à travers l'ombre aux fils des nations:</div>
+ <div class="verse">«Que le troupeau vengeur des exécrations</div>
+ <div class="verse">Suive à la trace l'homme ennemi du mystère.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les peuples d'autrefois inclinaient leur orgueil</div>
+ <div class="verse">Devant la majesté féconde de l'ancêtre</div>
+ <div class="verse">D'où jaillit la semence et la source de l'Être</div>
+ <div class="verse">Et qui rouvre ses flancs paisibles au cercueil.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Partout, toujours, dans les déserts hantés d'hyènes,</div>
+ <div class="verse">Dans les plaines de neige où, par soudains élans,</div>
+ <div class="verse">Bondissent des troupeaux de rennes et d'élans,</div>
+ <div class="verse">Près du pôle et dans les cryptes égyptiennes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les hommes adoraient la Terre, qui porta</div>
+ <div class="verse">Dans son sein maternel, des millions d'années,</div>
+ <div class="verse">Le germe à peine éclos de vos races damnées</div>
+ <div class="verse">Et priaient à genoux Kybèle, Isis, Airtha.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Alors au bruit des sistres d'or et des crotales,</div>
+ <div class="verse">Sereine, à travers les chemins et les cités,</div>
+ <div class="verse">De temple en temple, au pas de mes lions domptés,</div>
+ <div class="verse">J'allais les seins voilés de pourpre orientale.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les vierges de Hellas ployaient leur cou de lait</div>
+ <div class="verse">Au passage de la déesse vénérable</div>
+ <div class="verse">Et, telles qu'au printemps les grappes de l'érable,</div>
+ <div class="verse">Me versaient des parfums où le feu se mêlait.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les austères guerriers des campagnes romaines</div>
+ <div class="verse">Chantaient pieusement la nourrice Rhéa</div>
+ <div class="verse">Qui mit en eux la sève antique et les créa</div>
+ <div class="verse">Pour l'asservissement des nations humaines;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les chasseurs lointains des cerfs et des aurochs,</div>
+ <div class="verse">Les braves aux yeux bleus, chevelus d'or, les Mâles</div>
+ <div class="verse">Érigeaient mes autels en face des cieux pâles</div>
+ <div class="verse">Dans les forêts tempêtueuses, sur les rocs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Quand la procession de mes prêtresses blanches</div>
+ <div class="verse">Précédait au printemps par les sentiers herbeux</div>
+ <div class="verse">Mon attelage lent et traîné par des b&oelig;ufs</div>
+ <div class="verse">Vers les villages et les toits couverts de branches,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les hommes tatoués de fauve vermillon</div>
+ <div class="verse">Se courbaient et baisaient ma trace, et les épées</div>
+ <div class="verse">Rouges encore du sang et des têtes coupées</div>
+ <div class="verse">Saluaient d'un éclair la Mère du Sillon.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O temps ancien de la Germanie et de Rome,</div>
+ <div class="verse">O temple universel des plaines et des blés</div>
+ <div class="verse">Où mon mystique époux des siècles écoulés,</div>
+ <div class="verse">Le laboureur était un prêtre auguste à l'homme:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le culte vénéré sombre aux flots de l'oubli:</div>
+ <div class="verse">Nul printemps, nul été, ne luit et ne ramène</div>
+ <div class="verse">Les incantations de la prière humaine</div>
+ <div class="verse">Vers les autels de mon sanctuaire aboli:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O races chaque jour plus impures et viles,</div>
+ <div class="verse">Qui ne connaissez plus mes mystères, troupeaux</div>
+ <div class="verse">Plus barbares que vos pères vêtus de peaux,</div>
+ <div class="verse">Troupeaux qui pullulez dans vos enclos de villes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Vous qui fouillez avec mépris mes flancs gercés</div>
+ <div class="verse">Par les maternités innombrables; ô foule</div>
+ <div class="verse">Immonde dont le pas sacrilège me foule;</div>
+ <div class="verse">Vous qui priez des dieux que je n'ai pas bercés</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Au chant de mes forêts de bouleaux et de chênes,</div>
+ <div class="verse">Dans des lits d'herbe fraîche et des langes de fleurs,</div>
+ <div class="verse">Voici venir enfin la horde des malheurs</div>
+ <div class="verse">Fatidiques et des calamités prochaines.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dans un bref avenir une aube jaillira,</div>
+ <div class="verse">Ensanglantant les noirs espaces des nuées</div>
+ <div class="verse">Et par-dessus le bruit féroce des huées</div>
+ <div class="verse">Le clairon des combats ultimes sonnera;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sous l'&oelig;il indifférent des sphères fraternelles,</div>
+ <div class="verse">L'horrible mer de vos haines, sinistrement</div>
+ <div class="verse">Débordera sur vous et l'épouvantement</div>
+ <div class="verse">Élargira le vol funèbre de ses ailes;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les hommes saisis d'un délire fatal,</div>
+ <div class="verse">Déchaînés se rueront aux suprêmes tueries;</div>
+ <div class="verse">De l'équateur torride aux blanches Sibéries,</div>
+ <div class="verse">Ma face saignera comme un immense étal.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O fureur indicible et sans répit! batailles</div>
+ <div class="verse">Qui durerez de l'aube au soir, pendant dix ans,</div>
+ <div class="verse">Comme le cri des flots qui heurtent les brisants,</div>
+ <div class="verse">J'entends déjà clamer les corps sous les entailles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Un souffle meurtrier et pestilentiel</div>
+ <div class="verse">S'exhale de la mort et des chairs refroidies</div>
+ <div class="verse">Sans linceul, tandis qu'aux lueurs des incendies</div>
+ <div class="verse">De vastes lacs de sang pourrissent sous le ciel,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">De vastes lacs de sang où, rigides et vertes,</div>
+ <div class="verse">Vont des flottes de morts convulsifs par milliers,</div>
+ <div class="verse">Où s'acharnent sans peur, repus et familiers,</div>
+ <div class="verse">Les vautours réjouis des cervelles ouvertes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La fièvre fait claquer les dents des survivants,</div>
+ <div class="verse">Témoins terrifiés des heures vengeresses,</div>
+ <div class="verse">Qui dans l'affolement des suprêmes détresses</div>
+ <div class="verse">Voudraient perpétuer leur race en des enfants;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais ces accouplements de spectres épuisés</div>
+ <div class="verse">Ne repeupleront pas les villes et les plaines.</div>
+ <div class="verse">Mêlez-vous, unissez les corps et les haleines!</div>
+ <div class="verse">Les siècles ont tari la source des baisers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les temps sont écoulés, les heures sont venues</div>
+ <div class="verse">Et nul glas solennel et lent ne tintera</div>
+ <div class="verse">Lorsque le vent indifférent emportera</div>
+ <div class="verse">Le dernier râlement de l'homme vers les nues.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sa mort n'éveillera ni gaîté ni regret</div>
+ <div class="verse">Dans le monde impassible et dans l'âme des choses</div>
+ <div class="verse">Qui ne s'occupent pas en leurs métamorphoses</div>
+ <div class="verse">De ce qui naît, grandit, s'efface et disparaît.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Rien ne tressaillera dans la Nature, et seule,</div>
+ <div class="verse">Seule de toutes les étoiles, je saurai</div>
+ <div class="verse">Que mon lait a nourri jadis l'être exécré,</div>
+ <div class="verse">Le mauvais fils, l'enfant contempteur de l'aïeule!</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Comme avant l'homme impie et ses rébellions,</div>
+ <div class="verse">Libre de sa présence et de sa marche impure,</div>
+ <div class="verse">Je pourrai dénouer au vent ma chevelure</div>
+ <div class="verse">De profondes forêts où rôdent les lions;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et quand l'aube luira dans la fraîche rosée</div>
+ <div class="verse">Je plongerai mon corps que ses pas ont flétri.</div>
+ <div class="verse">&mdash;Et ma force renaît, ma beauté refleurit,</div>
+ <div class="verse">Et ma chair a des tons d'églantine rosée.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O gloire des cactus de pourpre et des lys blancs,</div>
+ <div class="verse">Hautaine majesté des palmes triomphales</div>
+ <div class="verse">Que faisait onduler le souffle des rafales</div>
+ <div class="verse">Sur la virginité première de mes flancs,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Surgissez et parez ma nouvelle jeunesse</div>
+ <div class="verse">Pour l'hymen radieux et rouge du soleil;</div>
+ <div class="verse">Tissez et déployez votre manteau vermeil</div>
+ <div class="verse">Sur ma gorge superbe et mes seins de faunesse!</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Montez dans le limpide éther, ô chants d'oiseaux:</div>
+ <div class="verse">Voici l'amour et les caresses nuptiales;</div>
+ <div class="verse">J'entends hennir au loin les cavales royales</div>
+ <div class="verse">Et des nuages fins neigent de leurs naseaux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le Dieu descend du char céleste et sur ma bouche</div>
+ <div class="verse">Frissonnante, je sens sa bouche, et ses baisers</div>
+ <div class="verse">S'infiltrent lentement dans mes flancs embrasés,</div>
+ <div class="verse">Jusqu'à l'heure où le jour resplendissant se couche</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et remonte vers le palais mystérieux,</div>
+ <div class="verse">Cependant que la main pacifique des ombres</div>
+ <div class="verse">Étale dans le ciel obscur ses voiles sombres</div>
+ <div class="verse">Et clôt divinement mes lèvres et mes yeux.»</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p35">LA VOIX IMPÉRISSABLE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Catulle Mendès.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Abandonné depuis des siècles fabuleux,</div>
+ <div class="verse">Un grand temple dressait sur le mont solitaire</div>
+ <div class="verse">Ses portiques de marbre et ses escaliers bleus.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pourpre traînant en ombre errante sur la terre,</div>
+ <div class="verse">Jardins ensanglantés de glorieuses fleurs,</div>
+ <div class="verse">Vasques d'or où l'ibis sacré se désaltère,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et près des bois, gemmés par la rosée en pleurs</div>
+ <div class="verse">Du collier merveilleux que l'aube sainte égrène,</div>
+ <div class="verse">Des oiseaux ignorant les rets des oiseleurs:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tout un monde de rêve espérait une reine</div>
+ <div class="verse">Ou le retour tardif des héros et des dieux</div>
+ <div class="verse">Disparus dans la nuit formidable et sereine.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Fils de la neige pure et du ciel radieux,</div>
+ <div class="verse">Des cygnes indolents glissaient dans la vallée</div>
+ <div class="verse">Sur un fleuve que les lotus étoilaient d'yeux;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Leurs corps majestueux fendait l'eau refoulée</div>
+ <div class="verse">Et parfois leur plumage illustre secouait</div>
+ <div class="verse">Autour d'eux des flocons de lumière envolée,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tandis qu'en un appel de deuil ou de souhait</div>
+ <div class="verse">Le cri des beaux nageurs aux ailes éployées</div>
+ <div class="verse">Montait éperdument vers le temple muet.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais nul dieu revenu n'écartait les feuillées</div>
+ <div class="verse">Et nulle reine avec des rires enfantins,</div>
+ <div class="verse">Ne réveillait l'écho des verdures mouillées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le vieux temple érigeait ses portiques hautains</div>
+ <div class="verse">Ainsi qu'un fier écueil d'indestructible roche</div>
+ <div class="verse">Qui défiait les flots des soirs et des matins.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Or, flux tumultueux qui roule et qui s'accroche</div>
+ <div class="verse">En écume de flamme aux marbres effrités,</div>
+ <div class="verse">La sombre mer des jours suprêmes était proche</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ruine des moissons et terreur des cités.</div>
+ <div class="verse">Fauves ivres du sang versé dans les cratères,</div>
+ <div class="verse">Des hordes s'en venaient vers les bois enchantés.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les têtes des vaincus sur la peau des panthères</div>
+ <div class="verse">Pendaient horriblement comme des raisins mûrs</div>
+ <div class="verse">Et les carquois sonnaient aux dos des sagittaires.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les frondeurs brandissaient leurs bras noueux et durs</div>
+ <div class="verse">Et des cavaliers nus au galop des cavales</div>
+ <div class="verse">Entrèrent en hurlant par les brèches des murs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des torches consumaient de leurs pourpres rivales</div>
+ <div class="verse">Les voiles rouges et les blocs de marbre roux.</div>
+ <div class="verse">Et des gerbes de feu fusaient par intervalles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'absence de vivants attisait le courroux</div>
+ <div class="verse">Des barbares frustrés de la chair des prêtresses,</div>
+ <div class="verse">Et les images d'or se brisaient sous leurs coups.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tel le Temple, parmi les clameurs vengeresses,</div>
+ <div class="verse">S'abîmait dans les flots de bronze incandescent</div>
+ <div class="verse">Qui couronnaient les monts de monstrueuses tresses.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Seuls, les cygnes épars dans le val frémissant</div>
+ <div class="verse">Regardaient la lueur rouge de l'incendie</div>
+ <div class="verse">Comme un morne soleil qui meurt et qui descend;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et, vers l'astre nouveau d'où la flamme irradie,</div>
+ <div class="verse">Désespérant des dieux qui les ont oubliés,</div>
+ <div class="verse">Ils tournaient tristement leur prunelle agrandie,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais les barbares las, jetant leurs boucliers,</div>
+ <div class="verse">Firent pleuvoir, avec les pierres de leurs frondes,</div>
+ <div class="verse">Les flèches qui sifflaient entre les peupliers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pointes de fer, silex aigus et balles rondes</div>
+ <div class="verse">Trouaient l'eau frissonnante avec un bruit strident</div>
+ <div class="verse">Et le sang des oiseaux tachait les claires ondes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Alors un chant funèbre emplit le ciel ardent:</div>
+ <div class="verse">Un concert douloureux d'ineffable harmonie</div>
+ <div class="verse">Montait vers les tueurs surgis de l'occident.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La voix des chanteurs blancs pleurant leur agonie</div>
+ <div class="verse">Poursuivait les guerriers jusque-là sans remords</div>
+ <div class="verse">Dont la chair palpitait d'une angoisse infinie;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et tandis qu'autour d'eux l'âme des cygnes morts</div>
+ <div class="verse">Semait un hymne amer de vengeance éternelle,</div>
+ <div class="verse">Les barbares, au vol de leurs chevaux sans mors,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">S'enfonçaient, affolés, dans l'ombre solennelle.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h3>MAYA</h3>
+
+<p class="dedic"><i>A BERNARD LAZARE</i></p>
+
+
+
+<h4 id="p36">THAÏS</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Henri de Manneville.</i></p>
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Alexandros, l'épique enfant de Zeus Ammon,</div>
+ <div class="verse">Mange et boit et s'enivre après la ville prise</div>
+ <div class="verse">Dans le palais taillé dans le marbre et le mont;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les hommes-lions, sculptés de pierre grise,</div>
+ <div class="verse">Inutiles gardiens des murs et du trésor,</div>
+ <div class="verse">Regardent le héros boire aux coupes qu'il brise,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Cependant que la fauve avalanche de l'or</div>
+ <div class="verse">Splendidement s'abat sur la massive table</div>
+ <div class="verse">Comme un grand oiseau roux au fulgurant essor,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La rauque orgie et la clameur épouvantable</div>
+ <div class="verse">Hurlent et le troupeau des Hellènes vainqueurs</div>
+ <div class="verse">Mugit: tels les taureaux dans la nocturne étable;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et parmi les péans discordants et les ch&oelig;urs,</div>
+ <div class="verse">Et les parfums de la Sabée et le cinname,</div>
+ <div class="verse">Et la vapeur des vins et des chaudes liqueurs,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La torche en main, Thaïs, la bacchante qui clame,</div>
+ <div class="verse">La courtisane blanche et droite comme un lys</div>
+ <div class="verse">Revêt de pourpre ardente et couronne de flamme</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La ville antique aux toits d'argent, Persépolis.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O ville, amas ancien de rêve et de superbe,</div>
+ <div class="verse">Dressée en moi sur tes inébranlables fûts,</div>
+ <div class="verse">Qui te rabaissera jusqu'au niveau de l'herbe?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Monceau de souvenirs étranges et confus,</div>
+ <div class="verse">Peuple mystérieux de muettes images,</div>
+ <div class="verse">Qui donc rendra la plaine au chant des bois touffus?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Qui chassera de moi les rites et les mages</div>
+ <div class="verse">Et sur les noirs débris du temple renversé</div>
+ <div class="verse">Fera monter des cris d'oiseaux et de ramages?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Quelle torche, ô mon c&oelig;ur, sur ton marbre glacé</div>
+ <div class="verse">Etendra des lueurs sanglantes et sur l'âme</div>
+ <div class="verse">Lâchement assoupie et sur l'esprit lassé</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dardera la splendeur de ses langues de flamme?</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p37">JUDEX</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Marcel Collière.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Par le prétorial silence de la nuit</div>
+ <div class="verse">Où sonnent seulement des horloges funèbres</div>
+ <div class="verse">J'attends venir vers moi le Juge des ténèbres</div>
+ <div class="verse">Qui scrute les péchés des hommes et s'enfuit.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sans toge, sans licteurs ni haches enlacées,</div>
+ <div class="verse">Sans chants impérieux et tristes de buccins,</div>
+ <div class="verse">N'écoutant que la voix des remords en nos seins</div>
+ <div class="verse">Le Juge intérieur passe dans nos pensées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les spectres dont le jour avait tué les cris,</div>
+ <div class="verse">Les spectres dont le jour avait clos les prunelles,</div>
+ <div class="verse">Surgissent maintenant des tombes éternelles</div>
+ <div class="verse">Et redressent leurs fronts livides et flétris.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O baisers reniés, mémoire des caresses,</div>
+ <div class="verse">Rêves que j'avais crus emmurés pour jamais,</div>
+ <div class="verse">O cadavres divins que j'aime et que je hais,</div>
+ <div class="verse">Regards accusateurs et bouches vengeresses,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Que voulez-vous de moi? spectres, ayez pitié;</div>
+ <div class="verse">N'appelez pas ainsi l'incorruptible juge;</div>
+ <div class="verse">Vous savez qu'il n'est point d'église de refuge</div>
+ <div class="verse">Pour le coupable en pleurs et le crucifié.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais l'âpre justicier se lève dans mon âme</div>
+ <div class="verse">Chaque soir: il prononce irrévocablement</div>
+ <div class="verse">La sentence de deuil, de honte et de tourment</div>
+ <div class="verse">Et fait couler en moi des rivières de flamme.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Puis il remonte au ciel lointain dont il descend</div>
+ <div class="verse">Et d'où j'espère en vain le Rédempteur à naître,</div>
+ <div class="verse">Tandis que dans l'obscur abîme de mon être</div>
+ <div class="verse">Un enfer de douleur hurle en le maudissant.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p38">CHAMBRE D'AMOUR</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La nuit tiède est clémente à la ville qui dort;</div>
+ <div class="verse">Des lys impérieux triomphent dans la chambre</div>
+ <div class="verse">Et cependant nos c&oelig;urs sont froids comme Décembre</div>
+ <div class="verse">Et nos baisers d'amours amers comme la mort.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ta douce bouche s'ouvre à des chansons mièvres</div>
+ <div class="verse">Et tes seins bienveillants accueillent mon front las;</div>
+ <div class="verse">Mais, ô ma douloureuse enfant, je ne sais pas</div>
+ <div class="verse">Pourquoi les dieux mauvais empoisonnent nos lèvres.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Qu'importe? viens vers moi, triste s&oelig;ur; aimons-nous,</div>
+ <div class="verse">Sans craindre la saveur glorieuse des larmes,</div>
+ <div class="verse">Tels des héros blessés avec leurs propres armes</div>
+ <div class="verse">Et dont le glaive d'or a rompu les genoux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Viens! nous aurons l'orgueil des âmes taciturnes</div>
+ <div class="verse">En cette chambre morne et veuve de flambeaux,</div>
+ <div class="verse">Où, semblable à l'odeur des antiques tombeaux,</div>
+ <div class="verse">Un parfum sépulcral monte des lys nocturnes.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p39">PRINTEMPS D'AUTOMNE</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La pourpre automnale ensanglante</div>
+ <div class="verse">Les feuilles sèches des halliers</div>
+ <div class="verse">Et transforme en floraison lente</div>
+ <div class="verse">Les rayons d'Avrils oubliés.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">D'insensibles métamorphoses</div>
+ <div class="verse">Changent les clartés d'autrefois</div>
+ <div class="verse">En d'artificielles roses</div>
+ <div class="verse">Qui parent les jours gris et froids,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et sous le ciel tendu de brume</div>
+ <div class="verse">Et les nuages palpitants</div>
+ <div class="verse">Leur odeur mourante parfume</div>
+ <div class="verse">Un mélancolique printemps.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Très Chère, c'est aussi l'Automne</div>
+ <div class="verse">Ténébreux pour nos c&oelig;urs lassés;</div>
+ <div class="verse">Mais en notre chair qui s'étonne</div>
+ <div class="verse">Refleurissent les jours passés,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et la ressouvenance lente</div>
+ <div class="verse">Nous revêt, comme les halliers,</div>
+ <div class="verse">D'un manteau de pourpre sanglante</div>
+ <div class="verse">Faite des baisers oubliés.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p40">LIEDER</h4>
+
+<blockquote class="epi">
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ich, ein tolles Kind, ich singe</div>
+ <div class="verse">Jetzo in der Dunkelheit;</div>
+ <div class="verse">Klingt das Lied auch nicht ergötzlich,</div>
+ <div class="verse">Hat es mich doch vor Angst befreit.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="attr">(<span class="sc">Heinrich Heine</span>, <i>Die Heimkehr</i>.)</p>
+</blockquote>
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des mots doux comme des hautbois</div>
+ <div class="verse">Et des harpes surnaturelles,</div>
+ <div class="verse">Des sons légers de chanterelles</div>
+ <div class="verse">Et dans les bois, des voix, des voix.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des couples blancs de tourterelles,</div>
+ <div class="verse">Des oiseaux bleus couleur du temps;</div>
+ <div class="verse">Des ailes d'or sur les étangs,</div>
+ <div class="verse">Dans le ciel des ailes, des ailes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je ne sais où: je vois, j'entends.</div>
+ <div class="verse">Voici venir la très aimée</div>
+ <div class="verse">Et sa cheville parfumée</div>
+ <div class="verse">Foule des tapis éclatants;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sa robe candide est lamée</div>
+ <div class="verse">De l'or du paradis natal;</div>
+ <div class="verse">Des feux de myrrhe et de çantal</div>
+ <div class="verse">L'entourent de blonde fumée.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Plus rien, plus rien! le deuil brutal,</div>
+ <div class="verse">Le silence et l'ombre. Serait-ce</div>
+ <div class="verse">Que la perfide enchanteresse</div>
+ <div class="verse">A forgé ce mur de métal</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et clos dans la nuit vengeresse,</div>
+ <div class="verse">Sans ailes d'or et sans hautbois,</div>
+ <div class="verse">Les mots doux comme une caresse,</div>
+ <div class="verse">Et les colombes, s&oelig;urs des voix?</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ni tes fiertés, ni tes paresses</div>
+ <div class="verse">Ni l'espoir menteur des caresses,</div>
+ <div class="verse">Ni ta chair de vierge, j'aimais</div>
+ <div class="verse">La splendeur de ma propre idée,</div>
+ <div class="verse">O maîtresse non possédée</div>
+ <div class="verse">Qui ne me trahiras jamais</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je garde en mon âme hautaine</div>
+ <div class="verse">Le rêve frais de la fontaine</div>
+ <div class="verse">Et des nénufars ingénus;</div>
+ <div class="verse">Je laisse aux lèvres sans extase</div>
+ <div class="verse">L'eau noire et, grouillant dans la vase,</div>
+ <div class="verse">Tous les reptiles inconnus,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Loin de l'hivernale vallée</div>
+ <div class="verse">L'aile des fleurs s'est envolée</div>
+ <div class="verse">Et le murmure des nids verts</div>
+ <div class="verse">Cherche, avec le vol des pétales,</div>
+ <div class="verse">Dans les aubes orientales</div>
+ <div class="verse">L'éternel printemps de mes vers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">C'est l'heure que j'ensevelisse</div>
+ <div class="verse">La blancheur du dernier calice</div>
+ <div class="verse">Avec les souvenirs défunts:</div>
+ <div class="verse">O nuptiale Galatée,</div>
+ <div class="verse">Rends-moi la corolle empruntée,</div>
+ <div class="verse">Rends-moi le songe des parfums,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pour que je tisse avec mes strophes</div>
+ <div class="verse">Un linceul de riches étoffes</div>
+ <div class="verse">Embaumé de myrrhe et de nard</div>
+ <div class="verse">Et que je jette sur mon rêve</div>
+ <div class="verse">De jeunesse et de gloire brève</div>
+ <div class="verse">La pourpre antique de Schinnar.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>III</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pour moi seul tes cheveux de saule</div>
+ <div class="verse">Se déroulent sur ton épaule</div>
+ <div class="verse">Comme les feuilles dans le vent,</div>
+ <div class="verse">Et, tel que sur la neige vierge</div>
+ <div class="verse">Frémit un frisson d'or mouvant,</div>
+ <div class="verse">De l'aube de ta chair émerge</div>
+ <div class="verse">Une fleur de soleil levant.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Car seul je connais les paroles,</div>
+ <div class="verse">S&oelig;urs des feuilles et des corolles,</div>
+ <div class="verse">Qui puissent dire ta beauté;</div>
+ <div class="verse">Je sais les phrases rituelles</div>
+ <div class="verse">Par qui, dans le bois enchanté,</div>
+ <div class="verse">L'ombre des amantes cruelles</div>
+ <div class="verse">Revive pour l'éternité.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Rires et larmes infinies!</div>
+ <div class="verse">Si je chantais tes litanies</div>
+ <div class="verse">Et le miel de tes seins rosés</div>
+ <div class="verse">Je ferais voler dans les brises,</div>
+ <div class="verse">Au delà des jours épuisés,</div>
+ <div class="verse">L'abeille des lèvres éprises</div>
+ <div class="verse">Vers la ruche de tes baisers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais je tais avec jalousie</div>
+ <div class="verse">Les chers mots dont je m'extasie:</div>
+ <div class="verse">Les hommes passent et s'en vont;</div>
+ <div class="verse">Le bruit des foules abhorrées</div>
+ <div class="verse">Roule et le miel divin se fond</div>
+ <div class="verse">En perles de gouttes dorées</div>
+ <div class="verse">Dans l'urne de mon c&oelig;ur profond.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>IV</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ta voix, ta même voix de colombe blessée</div>
+ <div class="verse">Sonne plaintivement dans ta gorge lassée.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">J'entends encor l'écho des paroles d'antan</div>
+ <div class="verse">Lorsque les mots ailés s'envolent en chantant.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais je ne comprends plus les syllabes; j'oublie</div>
+ <div class="verse">Ce qui fait leur langueur et leur mélancolie.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je crois t'ouïr parler un langage inconnu</div>
+ <div class="verse">Sur des airs dont mon c&oelig;ur s'est en vain souvenu,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et je perçois parmi la musique rhythmée</div>
+ <div class="verse">La voix d'une étrangère ou d'une morte aimée.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>V</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Reine du magique palais,</div>
+ <div class="verse">En ce jeu cruel que tu joues,</div>
+ <div class="verse">Comme tes s&oelig;urs, tu te complais</div>
+ <div class="verse">Aux larmes roulant sur nos joues.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Quand tu presses le vin des c&oelig;urs</div>
+ <div class="verse">L'étoile de tes yeux rutile,</div>
+ <div class="verse">L'étoile de tes yeux vainqueurs</div>
+ <div class="verse">Rit de la lâcheté virile.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tandis que, dans la paix du soir,</div>
+ <div class="verse">Les désirs&mdash;tels de mauvais anges&mdash;</div>
+ <div class="verse">Portent aux meules du pressoir</div>
+ <div class="verse">Les grappes des rouges vendanges.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Soit! en tes rêves assassins</div>
+ <div class="verse">Grise-toi des pourpres foulées</div>
+ <div class="verse">Et noue au-dessous de tes seins</div>
+ <div class="verse">Des peaux fauves et tavelées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sois la bacchante que les dieux</div>
+ <div class="verse">Lâchent sur la terre; promène</div>
+ <div class="verse">L'orgueil de tes flancs radieux</div>
+ <div class="verse">Au milieu de la vigne humaine.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Va! que les héros asservis</div>
+ <div class="verse">Et les poètes que tu crées</div>
+ <div class="verse">Se courbent hurlants et ravis</div>
+ <div class="verse">Devant tes colères sacrées:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tes triomphes sont imparfaits,</div>
+ <div class="verse">Ta gloire sanglante est un leurre;</div>
+ <div class="verse">Tu n'as pas su que je t'aimais</div>
+ <div class="verse">Et tu ne sais pas que je pleure.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>VI</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les moires vertes des feuillées</div>
+ <div class="verse">Attendent le Prince Charmant</div>
+ <div class="verse">Et sous les gemmes de rosée</div>
+ <div class="verse">L'aubépine est une épousée</div>
+ <div class="verse">D'où s'exhale amoureusement</div>
+ <div class="verse">L'âcre parfum des fleurs mouillées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des lèvres que nul ne connaît</div>
+ <div class="verse">Ont bu les gemmes disparues:</div>
+ <div class="verse">Pourquoi le Prince viendrait-il,</div>
+ <div class="verse">O forêt? le parfum subtil</div>
+ <div class="verse">Meurt dans les poussières accrues</div>
+ <div class="verse">Sur l'aubépine et le genêt.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La plainte lente des ramures</div>
+ <div class="verse">Geint sinistrement et déjà</div>
+ <div class="verse">Les nains méchants des avenues</div>
+ <div class="verse">Font saigner sur les branches nues</div>
+ <div class="verse">Que leur caprice ravagea</div>
+ <div class="verse">La chair automnale des mûres.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>VII</h5>
+
+<blockquote class="epi">
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Plus quam femina virgo</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="attr">(<span class="sc">P. Ovidius Naso</span>)</p>
+<p class="attr">(<i>Métamorphoses</i>, <i>Livre</i> <span class="small">XIII</span>.)</p>
+</blockquote>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Plus claires dans le sombre azur des nuits sans lune</div>
+ <div class="verse">Les étoiles doraient les ajoncs et la dune,</div>
+ <div class="verse">Mais je n'ai pas souci de leur ruissellement</div>
+ <div class="verse">Et dans mes yeux fleuris de visions plus belles,</div>
+ <div class="verse">Baignant les cieux futurs de leurs splendeurs nouvelles,</div>
+ <div class="verse">Les astres à venir montent éperdument.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tu glissais à pas lents dans les ajoncs stellaires</div>
+ <div class="verse">Et sourde à la rumeur humaine des colères</div>
+ <div class="verse">Tu regardais surgir les astres apaisés;</div>
+ <div class="verse">Mais dans mon c&oelig;ur fleuri de voluptés plus calmes,</div>
+ <div class="verse">J'évoque au chant lointain des sources et des palmes</div>
+ <div class="verse">Les vierges à venir et les futurs baisers.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>VIII</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La fleur énorme de la mer</div>
+ <div class="verse">Éclose avec l'aurore sainte</div>
+ <div class="verse">Renaissait dans le gouffre amer</div>
+ <div class="verse">De tes prunelles d'hyacinthe.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dans tes cheveux d'or j'adorais,</div>
+ <div class="verse">Sous l'or caduc de leur couronne,</div>
+ <div class="verse">Les impériales forêts</div>
+ <div class="verse">Et leur laticlave d'automne.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les peupliers glauques et blancs</div>
+ <div class="verse">Et la mollesse des prairies</div>
+ <div class="verse">Revivaient dans les gestes lents</div>
+ <div class="verse">De tes mains douces et fleuries.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais aujourd'hui que tu n'es plus</div>
+ <div class="verse">La prêtresse et l'évocatrice,</div>
+ <div class="verse">Il faut les bois et les reflux</div>
+ <div class="verse">Pour que ta grâce refleurisse</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les colchiques du matin</div>
+ <div class="verse">Ressuscitent dans ma pensée</div>
+ <div class="verse">Ta pâleur morne de satin,</div>
+ <div class="verse">O mensongère Fiancée.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>IX</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tout à l'heure, un essaim de mauves s'envolait,</div>
+ <div class="verse">Majestueux, au ras des vagues aurorales:</div>
+ <div class="verse">Les oiseaux fendaient l'air de leurs ailes égales</div>
+ <div class="verse">Et nageaient dans l'azur vers l'horizon de lait.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ils allaient: le soleil semait sur les prairies</div>
+ <div class="verse">Marines des fleurs d'or et de chrysobéril</div>
+ <div class="verse">Et l'on eût cru là-bas des papillons d'avril</div>
+ <div class="verse">Sur un champ constellé de rares pierreries.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ils allaient: maintenant que dans le clair matin</div>
+ <div class="verse">La blancheur de leur vol splendide s'est fondue,</div>
+ <div class="verse">Je cherche obstinément au fond de l'étendue</div>
+ <div class="verse">Le souvenir neigeux de leur essor lointain.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Nul des flocons perdus dans les brumes d'opale</div>
+ <div class="verse">N'argente plus la plaine immobile des flots</div>
+ <div class="verse">Et la seule clameur des antiques sanglots</div>
+ <div class="verse">Monte plus tristement vers le lac du ciel pâle.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O Chère, ô pâle ciel d'amour qui te mirais</div>
+ <div class="verse">Dans la mer somptueuse et calme de mes rêves</div>
+ <div class="verse">Quels abîmes d'azur et d'Océans sans grèves</div>
+ <div class="verse">Ont englouti le vol de mes désirs secrets?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je ne sais: le regard a lassé ma prunelle,</div>
+ <div class="verse">La solitude morne emplit mon c&oelig;ur, j'entends</div>
+ <div class="verse">Dans le double infini de l'espace et du temps</div>
+ <div class="verse">Monter le râle amer de l'angoisse éternelle.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>X</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je ne veux pas courber la tête sous tes pas</div>
+ <div class="verse">Ni baisser devant toi mes yeux; je ne suis pas</div>
+ <div class="verse">Un mendiant d'amour et d'aumônes charnelles</div>
+ <div class="verse">Et la honte des pleurs souillerait mes prunelles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais dans la nuit semblable à mon c&oelig;ur sombre et fier</div>
+ <div class="verse">J'irai dire mon mal aux vagues de la mer:</div>
+ <div class="verse">Elle me bercera la mer consolatrice</div>
+ <div class="verse">Avec des rhythmes lents et des chants de nourrice.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">J'écouterai sa voix et je m'endormirai:</div>
+ <div class="verse">Comme un enfant, tandis qu'en un jardin sacré</div>
+ <div class="verse">Surgira, bleu de rêve et parfumé de menthe,</div>
+ <div class="verse">Le magique palais où tu seras clémente.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p41">POUR UNE ABSENTE</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je veux m'enfermer seul avec mon souvenir,</div>
+ <div class="verse">Immobile, oublieux des rafales d'automne</div>
+ <div class="verse">Qui font les frondaisons se rouiller et jaunir</div>
+ <div class="verse">Et de la mer roulant sa plainte monotone;</div>
+ <div class="verse">Je veux m'enfermer seul avec mon souvenir.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le demi-jour filtrant des étoffes tendues</div>
+ <div class="verse">Sera doux et propice à mon c&oelig;ur nonchalant,</div>
+ <div class="verse">Quand je l'évoquerai du fond des étendues,</div>
+ <div class="verse">Et sa voix emplira d'un hymne grave et lent</div>
+ <div class="verse">Le demi-jour filtrant des étoffes tendues.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">J'aurai la vision chère devant les yeux:</div>
+ <div class="verse">Le souffle parfumé de l'ineffable Absente</div>
+ <div class="verse">Flottera pour moi seul dans l'air silencieux,</div>
+ <div class="verse">Subtil comme une odeur de fraise dans la sente;</div>
+ <div class="verse">J'aurai la vision chère devant les yeux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et je dirai tout bas ma tendresse latente;</div>
+ <div class="verse">O c&oelig;ur lâche, tremblant et révolté, je veux</div>
+ <div class="verse">Que ton intime amour se révèle et la tente:</div>
+ <div class="verse">Tu te résigneras à l'effroi des aveux</div>
+ <div class="verse">Et je dirai tout bas ma tendresse latente.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p42">JOUVENCE</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tu parles tristement des campagnes lointaines</div>
+ <div class="verse">D'une voix si dolente et lourde de regrets</div>
+ <div class="verse">Que je deviens jaloux des fleurs et des forêts</div>
+ <div class="verse">Et des saules d'argent penchés vers les fontaines.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Souvenirs! jours anciens! comme vous enserrez</div>
+ <div class="verse">Notre âme prisonnière en d'invincibles chaînes:</div>
+ <div class="verse">Tu veux, comme autrefois, baigner les sombres chênes</div>
+ <div class="verse">Au clair de lune blond de tes cheveux cendrés.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Soit! l'été revenu parmi les hautes herbes,</div>
+ <div class="verse">Nous marcherons, frôlés par les ailes de l'air,</div>
+ <div class="verse">Au murmure divin des choses et ta chair</div>
+ <div class="verse">Mêlera des parfums de Chypre aux foins en gerbes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et peut-être qu'un soir entre de rudes draps</div>
+ <div class="verse">Embaumés de lavande et dans un lit d'auberge</div>
+ <div class="verse">Tu me rendras ta chair et tes lèvres de vierge,</div>
+ <div class="verse">Pour quelque amour d'enfant dont tu te souviendras.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p43">LA MORT INUTILE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Grégoire Le Roy.</i></p>
+<blockquote class="epi">
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Curæ non ipsa in morte relinquunt.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="attr">(<span class="sc">Publius Vergilius Maro.</span>)</p>
+</blockquote>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Triste comme la mer et la chanson des syrtes,</div>
+ <div class="verse">Le vent lourd de sanglots pleure dans la forêt;</div>
+ <div class="verse">Un troupeau d'ombres va, paraît, et disparaît</div>
+ <div class="verse">Par les bois souterrains et les bosquets de myrtes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Défaillant dans l'horreur d'un ciel ensanglanté,</div>
+ <div class="verse">Le soleil infernal baigne le pâle espace;</div>
+ <div class="verse">Un troupeau d'ombres vient, revient, passe et repasse</div>
+ <div class="verse">En sa mélancolique et tremblante clarté;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et ce sont à travers les routes d'asphodèle</div>
+ <div class="verse">Les fantômes hagards, pleins de larmes et lents</div>
+ <div class="verse">Dont les glaives d'amour ont déchiré les flancs:</div>
+ <div class="verse">La mort n'a point fermé leur blessure immortelle,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le sommeil sépulcral a leurré leurs yeux las</div>
+ <div class="verse">Et l'âpre souvenir survivant à la tombe</div>
+ <div class="verse">Tel qu'un vin corrosif, goutte par goutte, tombe</div>
+ <div class="verse">Dans leur c&oelig;ur ulcéré qui ne guérira pas.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p44">L'AME SEULE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A A.-Ferdinand Herold.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La bienfaisante nuit couvre la ville immense</div>
+ <div class="verse">D'où montaient vers le ciel des sanglots et des chants</div>
+ <div class="verse">Et la grande cité semble un lac de silence</div>
+ <div class="verse">Frôlé par la rumeur pacifique des champs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mer des vivants, mer furieuse qui te rues</div>
+ <div class="verse">Emportant dans tes plis les deuils et les baisers,</div>
+ <div class="verse">Tu roules tout le jour sur le pavé des rues,</div>
+ <div class="verse">Mais le soir calme endort tes râles apaisés;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les rêveurs amis des nécropoles saintes,</div>
+ <div class="verse">Délivrés de la joie, affranchis du remords,</div>
+ <div class="verse">Errent par les soirs clairs et fleuris d'hyacinthes</div>
+ <div class="verse">Comme des immortels dans la maison des morts.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Hommes, laissez passer dans la nuit solitaire</div>
+ <div class="verse">Ceux qui foulent toujours des chemins non frayés:</div>
+ <div class="verse">Les exilés divins ont repeuplé la terre</div>
+ <div class="verse">Et je me sens plus seul quand vous vous réveillez.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Quels démons ont pétri de leur mains ironiques</div>
+ <div class="verse">Vos faces de mensonge et de stupidité,</div>
+ <div class="verse">Je ne sais, mais le mal suinte de vos tuniques</div>
+ <div class="verse">Et votre rire impur attente à la beauté.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le matin revenu, soyez tels que vous êtes.</div>
+ <div class="verse">Moi cuirassé d'orgueil et de mépris serein</div>
+ <div class="verse">Entre mon c&oelig;ur farouche et vos clameurs de bêtes</div>
+ <div class="verse">Je laisserai tomber une herse d'airain.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je m'en irai là-bas vers la forêt clémente:</div>
+ <div class="verse">Les arbres fraternels m'appellent doucement;</div>
+ <div class="verse">L'herbe bruit, l'eau des fontaines se lamente</div>
+ <div class="verse">Et rit comme une nymphe avec son jeune amant.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La forêt a gardé pour mon oreille seule</div>
+ <div class="verse">Les chants anciens et les fleurs nobles d'autrefois</div>
+ <div class="verse">Parfument à jamais sa mémoire d'aïeule</div>
+ <div class="verse">Et tous les rhythmes morts revivent dans sa voix.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les chênes musculeux portent de verts portiques,</div>
+ <div class="verse">Où pareils à des rois mes rêves passeront</div>
+ <div class="verse">Et près des dieux nouveaux, fils des taillis antiques,</div>
+ <div class="verse">Je plierai les genoux et courberai le front.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais retrouveras-tu la jeunesse première,</div>
+ <div class="verse">O parleur orgueilleux, ivre d'un vin mauvais?</div>
+ <div class="verse">Et si dans la splendeur de la pure lumière</div>
+ <div class="verse">Ton rêve était moins beau que tu ne le rêvais?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ainsi qu'un porteur las délivre ses épaules</div>
+ <div class="verse">Tu voudrais rejeter les souvenirs humains</div>
+ <div class="verse">Et suivre le ruisseau qui court entre les saules</div>
+ <div class="verse">Et marcher tout le jour au hasard des chemins.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Va! tu n'entendrais plus les voix surnaturelles</div>
+ <div class="verse">Qui t'invitent la nuit, vers les magiques bois;</div>
+ <div class="verse">Dans les halliers saignant de mûres et d'airelles</div>
+ <div class="verse">Tu serais poursuivi par les mauvaises voix.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Reste jusqu'à la mort baigné de crépuscule</div>
+ <div class="verse">Avec l'âpre regret des astres radieux:</div>
+ <div class="verse">Tu n'es pas assez grand pour le manteau d'Hercule</div>
+ <div class="verse">Et pour te revêtir de la pourpre des dieux.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p45">PETITS PAYSAGES</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Urbain Derbanne.</i></p>
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Une écume de fleurs, blanche et rose, s'étale</div>
+ <div class="verse">Sur la mer onduleuse et mouvante des prés</div>
+ <div class="verse">Où ruisselle le flot des trèfles empourprés,</div>
+ <div class="verse">Tandis que montent vers le nue orientale</div>
+ <div class="verse">Le meuglement des b&oelig;ufs et la rumeur des blés.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le souffle langoureux des brises musicales</div>
+ <div class="verse">Chante dans les sainfoins en fleurs un hymne lent</div>
+ <div class="verse">Et grave et sous les rais du soleil aveuglant</div>
+ <div class="verse">Une fuite éperdue et grise de cigales</div>
+ <div class="verse">S'enlève et vibre, au ras de l'herbe, en sautelant.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>III</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'équipe de pêcheurs tire la grande senne</div>
+ <div class="verse">A basse mer, avant les vagues et le flux;</div>
+ <div class="verse">Et nul des rudes gars n'est manchot ni perclus,</div>
+ <div class="verse">Mais l'effort fait saillir et gonfler leur chair saine</div>
+ <div class="verse">Et les veines des bras musculeux et velus.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>IV</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le soleil tombe et des grappes de lilas sombre</div>
+ <div class="verse">Fleurissent la forêt marine où Téthys dort</div>
+ <div class="verse">Sous un voile de pourpre aux filigranes d'or</div>
+ <div class="verse">Que trempe dans le sang de la clarté qui sombre</div>
+ <div class="verse">L'invisible ouvrier du fabuleux décor.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>V</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le ciel est gris comme une aile de tourterelle</div>
+ <div class="verse">Que teinterait un peu de rose veiné d'or;</div>
+ <div class="verse">Là-bas, le cap lointain dont la mâchoire mord</div>
+ <div class="verse">L'horizon sombre est las de sa longue querelle</div>
+ <div class="verse">Et la brume a brisé les dents du monstre mort.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p46">EN MORVAN</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Jacques Derbanne.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'ombre s'enroule aux flancs des collines farouches</div>
+ <div class="verse">Et pèse sur les bois et les versants herbeux</div>
+ <div class="verse">Où dorment lourdement les immobiles b&oelig;ufs;</div>
+ <div class="verse">Elle fait grimacer les arbres et les souches</div>
+ <div class="verse">Des saules noirs pareils à des jeteurs de sorts,</div>
+ <div class="verse">Tandis que par les vaux mystérieux et morts</div>
+ <div class="verse">Le monotone appel des hulottes réplique</div>
+ <div class="verse">Au sifflement du vent dans le houx métallique</div>
+ <div class="verse">Qui vibre hostilement comme une armure et luit</div>
+ <div class="verse">Et l'eau sauvage hurle entre les roches grises,</div>
+ <div class="verse">Ainsi que défaillant de hautes entreprises</div>
+ <div class="verse">Une guerrière blanche en fuite dans la nuit.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p47">L'EAU MORTE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Charles Bourgault Ducoudray.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'étang mystérieux dort parmi les bois sombres,</div>
+ <div class="verse">Eau de solitude, eau de silence, eau de songe,</div>
+ <div class="verse">Que le flot rose et blanc des bruyères prolonge;</div>
+ <div class="verse">Parfois des oiseaux noirs glissent comme des ombres</div>
+ <div class="verse">Entre les joncs tendus hors des sinistres ondes</div>
+ <div class="verse">Tels que des glaives d'or aux mains de reines blondes;</div>
+ <div class="verse">Et sous l'âpre soleil épars en rayons mornes</div>
+ <div class="verse">Les nymphéas chassés des limpides fontaines</div>
+ <div class="verse">Où boivent, à la nuit, les cerfs aux belles cornes,</div>
+ <div class="verse">Attendent tristement les étoiles lointaines.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p48">RÊVE D'ÉTALONS</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Edmond Haraucourt.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Une lourde vapeur rôde sur les prairies;</div>
+ <div class="verse">La plaine calme dort au chant prochain des eaux</div>
+ <div class="verse">Et le vol pacifique et lent des grands oiseaux</div>
+ <div class="verse">Traîne des filets d'ombre aux flots d'herbes fleuries.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'or brusque du soleil déborde dans l'azur</div>
+ <div class="verse">Et jaillit de la neige ardente des nuées;</div>
+ <div class="verse">Puis le ciel morne enclôt les splendeurs refluées</div>
+ <div class="verse">Dans ses digues de fer éblouissant et dur.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des cris surnaturels et des glaives d'archanges</div>
+ <div class="verse">Bruissent dans l'éther magiquement: des voix</div>
+ <div class="verse">Rauques sonnent l'appel d'invisibles tournois</div>
+ <div class="verse">Où se heurtent des dieux et des guerriers étranges.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les étalons vautrés dans le tiède gazon</div>
+ <div class="verse">Comme au ressouvenir épique des mêlées,</div>
+ <div class="verse">Eperdument, de leurs prunelles affolées</div>
+ <div class="verse">Parcourent l'étendue immense et l'horizon,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et par delà le sable héroïque des grèves</div>
+ <div class="verse">Regardent, les naseaux gonflés d'un souffle amer,</div>
+ <div class="verse">Sur la montagne bleue et verte de la mer</div>
+ <div class="verse">Blanchir en galop fou les cavales des rêves.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Convulsifs et dressés sur leurs jarrets tremblants,</div>
+ <div class="verse">Le col tendu vers les chimériques crinières</div>
+ <div class="verse">Ils sentent comme aux jours des fièvres printanières</div>
+ <div class="verse">Les désirs infinis aiguillonner leurs flancs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais leur chair glorieuse en proie aux frissons vagues</div>
+ <div class="verse">Dédaigne désormais les vieilles voluptés</div>
+ <div class="verse">Et le vain désespoir de leurs c&oelig;urs indomptés</div>
+ <div class="verse">Hennit lugubrement vers le troupeau des vagues.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p49">MARBRE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Ernest Christophe.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les bois religieux se taisent; les oiseaux</div>
+ <div class="verse">Ont quitté la forêt où meurt le bruit des eaux.</div>
+ <div class="verse">Seule en sa nudité de vierge et de guerrière</div>
+ <div class="verse">La déesse de marbre habite la clairière</div>
+ <div class="verse">Et son corps impollu fait de rêve et d'amour</div>
+ <div class="verse">Monte, lys immortel, parmi les fleurs d'un jour.</div>
+ <div class="verse">Ni flûtes de bergers ni chansons de cigales:</div>
+ <div class="verse">Sauf le frissonnement des herbes amicales</div>
+ <div class="verse">Dont le flot souple ondule autour d'elle, nul bruit.</div>
+ <div class="verse">Parfois dans les fourrés un chevreuil brusque fuit</div>
+ <div class="verse">Farouche d'avoir vu briller la chair sans voiles</div>
+ <div class="verse">Et l'arc impérieux tendu vers les étoiles.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p50">CRISTAL</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Emile Gallé.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Noire sur le cristal pâle et gris comme un ciel</div>
+ <div class="verse">D'hiver, la libellule énigmatique éploie</div>
+ <div class="verse">Les ailes dans l'air lourd et pestilentiel.</div>
+ <div class="verse">Ses immobiles yeux sans tristesse et sans joie</div>
+ <div class="verse">Cherchent sinistrement une invisible proie</div>
+ <div class="verse">Et planant sur l'eau verte et morte des marais,</div>
+ <div class="verse">Vers vos calices d'or, de pourpre et de ténèbres,</div>
+ <div class="verse">Elle vole vers vos calices à jamais,</div>
+ <div class="verse">Glauques fleurs qui nagez sur des étangs funèbres</div>
+ <div class="verse">Où se mire le deuil des pins et des cyprès.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p51">CRÉPON</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Judith Gautier.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des oiseaux merveilleux onglés de griffes d'or</div>
+ <div class="verse">Tracent dans le ciel calme un candide sillage</div>
+ <div class="verse">Et la migration d'un éternel voyage</div>
+ <div class="verse">Tend vers des pics lointains leur immuable essor.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le caprice du peintre ouvrant les ailes vaines</div>
+ <div class="verse">Fige ironiquement loin des vierges sommets</div>
+ <div class="verse">Leur vol: blancs exilés, vous n'atteindrez jamais</div>
+ <div class="verse">Les cimes que le soir vêt de pâles verveines.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais le rêve des monts vous donne leur fierté,</div>
+ <div class="verse">L'eau des lacs inconnus frémit dans vos prunelles</div>
+ <div class="verse">Et l'héroïque amour des neiges fraternelles</div>
+ <div class="verse">Illumine vos yeux de gloire et de clarté:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Telle malgré l'horreur des ténèbres accrues</div>
+ <div class="verse">Mon âme vole vers la pourpre des printemps</div>
+ <div class="verse">Et loin des monts neigeux et des lacs où je tends</div>
+ <div class="verse">Rêve au parfum royal des roses disparues.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p52">L'IMPÉRATRICE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Mlle Gabrielle Herold.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les dieux d'un riche crépuscule</div>
+ <div class="verse">Parent d'or fauve et de joyaux</div>
+ <div class="verse">Les cactus, les lys sans macule</div>
+ <div class="verse">Et les chrysanthèmes royaux;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La pourpre du jour tombe et glisse</div>
+ <div class="verse">Sur les terrasses du jardin;</div>
+ <div class="verse">Le soleil meurt, l'Impératrice</div>
+ <div class="verse">Frôle les fleurs avec dédain</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et songe, loin des soirs illustres,</div>
+ <div class="verse">Au lac blanc sous l'aube d'avril</div>
+ <div class="verse">Où les frêles herbes palustres</div>
+ <div class="verse">Semblaient des reines en exil.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p53">L'ASCÈTE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Benjamin Constant.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Après le jour de flamme et le labeur amer,</div>
+ <div class="verse">L'ascète hiératique accroupi sur la grève</div>
+ <div class="verse">Entendait résonner une harpe de rêve</div>
+ <div class="verse">Et son maigre lion dormait près de la mer.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ni voix ni glissement des barques ou des ailes</div>
+ <div class="verse">Ne troublaient le silence effrayant et la paix</div>
+ <div class="verse">Du morne crépuscule épars dans l'air épais,</div>
+ <div class="verse">Et la bête songeait aux viandes des gazelles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais l'homme dédaignant la tristesse du soir,</div>
+ <div class="verse">Consumé d'une soif que rien ne désaltère</div>
+ <div class="verse">Et que n'apaisent pas les coupes de la terre,</div>
+ <div class="verse">Regardait le soleil rougir l'horizon noir.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et voyait, en un ciel de pourpre et d'hyacinthe,</div>
+ <div class="verse">Les pieds cloués, la chair tachant l'horrible croix,</div>
+ <div class="verse">Le Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, Roi des rois,</div>
+ <div class="verse">Sinistrement saigner sur la montagne sainte.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p54">MESSE DES MORTS</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Bernard Lazare.</i></p>
+
+<h5>LES ORGUES</h5>
+
+<blockquote class="epi">
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Requiem æternam dona eis, Domine.</div>
+ </div>
+</div>
+
+</blockquote>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Seigneur, ces pèlerins des routes de la vie</div>
+ <div class="verse">Ont peiné tout le jour vers le terme divin:</div>
+ <div class="verse">Au lieu des puits d'eau vive et des outres de vin,</div>
+ <div class="verse">Ils se désaltéraient aux calices d'envie.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Desséchés par le hâle et brûlé par le ciel</div>
+ <div class="verse">Torride, haletant de la soif infinie,</div>
+ <div class="verse">Ils ont bu, comme Christ en sa lente agonie,</div>
+ <div class="verse">La mauvaise liqueur de vinaigre et de fiel.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sous les savantes mains d'atroces sagittaires,</div>
+ <div class="verse">Des flèches s'envolaient vers eux d'arcs inconnus</div>
+ <div class="verse">Et d'invisibles fouets mordaient leurs torses nus</div>
+ <div class="verse">Et du métal ardent coulait dans leurs artères.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ils marchaient pesamment sous le faix de leurs croix</div>
+ <div class="verse">Avec le seul espoir de ta bonté future;</div>
+ <div class="verse">Mais les loups de l'enfer guettent la créature</div>
+ <div class="verse">Et happent en chemin l'âme que tu mécrois;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'inextinguible feu hurle dans la géhenne</div>
+ <div class="verse">Et les damnés jetés aux abîmes grondants</div>
+ <div class="verse">N'apaisent point la faim terrible de ses dents</div>
+ <div class="verse">Et son gosier féroce est avivé de haines;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">N'écarte pas de toi les fidèles troupeaux;</div>
+ <div class="verse">Le soir descend; après les heures sans prairies,</div>
+ <div class="verse">Voici l'instant rêvé des calmes bergeries:</div>
+ <div class="verse">Ouvre, ô Pasteur des morts, le bercail de repos.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>LES VIOLONS</h5>
+
+<blockquote class="epi">
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et lux perpetua luceat eis.</div>
+ </div>
+</div>
+
+</blockquote>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Seigneur, ces exilés de la seule patrie</div>
+ <div class="verse">Criaient vers toi du fond des gouffres ténébreux;</div>
+ <div class="verse">Pitié, fais ruisseler des nuages sur eux</div>
+ <div class="verse">La source de splendeur promise en Samarie.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Que la mort leur devienne un baptême: revêts</div>
+ <div class="verse">Leurs flancs martyrisés de robes de lumière</div>
+ <div class="verse">Et donne leur essor dans la gloire première</div>
+ <div class="verse">Aux cygnes échappés aux pièges du Mauvais.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Magnifiques et purs, après la lutte rude,</div>
+ <div class="verse">Ils voleront vers les parterres triomphaux</div>
+ <div class="verse">Où des lys, méprisant la morsure des faux,</div>
+ <div class="verse">Fleurissent dans la joie et la béatitude,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tandis que le soleil d'un ineffable été</div>
+ <div class="verse">Inonde d'or brûlant les roses et dilate</div>
+ <div class="verse">Les parfums épandus des coupes d'écarlate</div>
+ <div class="verse">Et que l'éther subtil chante l'éternité.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Rappelle au nid fermé les frissonnantes âmes</div>
+ <div class="verse">Et les ailes d'amour monteront vers l'Amant</div>
+ <div class="verse">A travers l'harmonie et l'éblouissement</div>
+ <div class="verse">Des musiques, des voix, des splendeurs et des flammes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les siècles futurs et ceux qui ne sont plus</div>
+ <div class="verse">Tressailleront en toi d'une même allégresse</div>
+ <div class="verse">En oyant tel qu'un chant et tel qu'une caresse</div>
+ <div class="verse">Frémir au ciel nouveau le vol blanc des élus.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>LES VIVANTS</h5>
+
+<blockquote class="epi">
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Agnus Dei qui tollis peccata mundi</div>
+ <div class="verse">dona eis requiem.</div>
+ </div>
+</div>
+
+</blockquote>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Seigneur, Seigneur, Seigneur, impitoyable maître,</div>
+ <div class="verse">Nous sommes las des jours et des soleils maudits:</div>
+ <div class="verse">Epargne aux délivrés l'horreur du paradis,</div>
+ <div class="verse">Laisse les morts dormir en paix et ne plus être.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tant de clous ont percé leurs membres ici-bas</div>
+ <div class="verse">Que nul flot baptismal rédempteur de leurs peines</div>
+ <div class="verse">Ne laverait les maux et les douleurs humaines</div>
+ <div class="verse">Et que ton repentir ne leur suffirait pas.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ils entendraient, au lieu des sublimes cantiques</div>
+ <div class="verse">Flottant parmi l'encens des lys épanouis,</div>
+ <div class="verse">Monter de l'Océan tumultueux des nuits</div>
+ <div class="verse">Le râle inexpié des souffrances antiques;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Rumeur d'airain, sanglot cruel d'un tympanon</div>
+ <div class="verse">Dont une main haineuse a secoué les cordes,</div>
+ <div class="verse">Le souvenir rirait de tes miséricordes,</div>
+ <div class="verse">La voix de tes élus blasphémerait ton nom.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Roi du ciel, reste seul dans ta gloire exécrée</div>
+ <div class="verse">Formidable, sereine et libre de remords;</div>
+ <div class="verse">O bourreau des vivants, ne touche pas aux morts,</div>
+ <div class="verse">Et quand viendra pour nous la suprême vesprée,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Quand les vers rongeront les os de nos genoux,</div>
+ <div class="verse">Accorde à notre chair en tardive clémence</div>
+ <div class="verse">Non les vaines clartés, mais l'ombre, le silence,</div>
+ <div class="verse">Le sommeil et l'oubli de toi-même et de nous.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h3>LA VANITÉ DU VERBE</h3>
+
+
+
+
+<h4 id="p55">LA VANITÉ DU VERBE</h4>
+
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le Runoïa, le prince altier du Verbe d'or,</div>
+ <div class="verse">Est las de la nature et des formes antiques</div>
+ <div class="verse">Où l'ébauche du monde est imparfaite encor;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les bois noirs et leur chant de harpes prophétiques</div>
+ <div class="verse">Et les monts violets endormis sous le ciel,</div>
+ <div class="verse">Et les brumes d'argent sur les vagues baltiques,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les brises de fleurs et les parfums de miel,</div>
+ <div class="verse">Et tous les souvenirs alourdis de mystère</div>
+ <div class="verse">Gonflent son c&oelig;ur amer de mépris et de fiel.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">En son être, écrasé par l'ennui solitaire</div>
+ <div class="verse">Croît, avec le dégoût de sa virginité,</div>
+ <div class="verse">Le désir d'évoquer une nouvelle terre,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Un monde jeune, un paradis illimité,</div>
+ <div class="verse">Revêtu d'aubépine immortelle et d'yeuses</div>
+ <div class="verse">Sous les glaces d'hiver et les soleils d'été,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Où des créations de femmes radieuses</div>
+ <div class="verse">Se mêleraient d'amour à de mâles héros</div>
+ <div class="verse">En des lits de gazon semés de scabieuses.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le Maître déploya l'art magique des Mots:</div>
+ <div class="verse">Un subit univers naissait de ses paroles</div>
+ <div class="verse">Comme la perle naît du bruit rhythmé des flots.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Une profusion sanglante de corolles</div>
+ <div class="verse">S'éveillait et germait du rêve des Avrils</div>
+ <div class="verse">Et l'azur flamboyait de fauves auréoles,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tandis que les forêts et les guerriers virils,</div>
+ <div class="verse">Les femmes pâles et les belles chevelures</div>
+ <div class="verse">Jaillissaient de l'abîme au gré des chants subtils.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Alors, imaginant les caresses futures,</div>
+ <div class="verse">Le sublime ouvrier du Verbe éperdument</div>
+ <div class="verse">Songeait un songe blanc pétri de neiges pures.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Il disait son extase et son ravissement,</div>
+ <div class="verse">Et s'enivrait de la liqueur de la Pensée</div>
+ <div class="verse">Et sa voix enfantait l'ineffable Tourment;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Elle faisait surgir au jour la fiancée</div>
+ <div class="verse">Surhumaine, et la Femme idéale venait</div>
+ <div class="verse">Divinement resplendissante et cadencée.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Elle marchait sur la bruyère et le genêt</div>
+ <div class="verse">Et des astres vivaient au fond de sa prunelle;</div>
+ <div class="verse">Un silence d'hymen et de baisers planait.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le Runoïa, joyeux de l'&oelig;uvre faite, en elle</div>
+ <div class="verse">Se plongeait comme dans un océan de lys</div>
+ <div class="verse">Et tombait ébloui de la Forme éternelle</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dans le gouffre effrayant des rêves accomplis.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La contemplation dura cent mille années;</div>
+ <div class="verse">Quand le Maître sortit des songes éclatants,</div>
+ <div class="verse">Des générations hideuses étaient nées.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les Rhythmes étaient morts; les rires insultants</div>
+ <div class="verse">Grimaçaient; le soleil blême sur les prairies</div>
+ <div class="verse">Sans fleurs pleurait les jours anciens et les printemps;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'épouse maquillée, âpre de pierreries,</div>
+ <div class="verse">Se raillait du Poète et du Rêve divin</div>
+ <div class="verse">Et se prostituait aux races amoindries.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Lorsque le Démiurge eut vu ce qui devint,</div>
+ <div class="verse">Un désespoir immense emplit son âme sombre;</div>
+ <div class="verse">Il comprit que le Verbe était stupide et vain</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et cria dans la nuit: «Puisque tout croule et sombre,</div>
+ <div class="verse">«Après l'&oelig;uvre magique et sublime du Chant,</div>
+ <div class="verse">«O paroles, rentrez dans le gouffre de l'ombre.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">«Va, monde! abîme-toi, triste soleil couchant!</div>
+ <div class="verse">«Disparais d'un seul coup dans le néant avide!</div>
+ <div class="verse">«Fonds-toi dans ma fureur comme un lingot d'argent!»</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Plus rien ne fut; la nuit par le ciel morne et vide</div>
+ <div class="verse">Roula son voile noir sur la fausse splendeur</div>
+ <div class="verse">Et le Maître, absorbé dans le chaos livide</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tut&mdash;pour l'éternité&mdash;le Verbe créateur.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h2>TABLE</h2>
+
+
+<table summary="Table des matières">
+<tr>
+<td class="ind" colspan="2"><i>DÉDICACE</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">A LA MÉMOIRE D'ÉPHRAÏM MIKHAËL</td>
+<td class="num"><a href="#p1">7</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="c" colspan="2">DE SABLE ET D'OR</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="ind" colspan="2"><i>LES FLEURS NOIRES</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LES FLEURS NOIRES</td>
+<td class="num"><a href="#p2">13</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LE DIEU MORT</td>
+<td class="num"><a href="#p3">15</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">RUINES</td>
+<td class="num"><a href="#p4">17</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">PAR LA NUIT D'AUTOMNE</td>
+<td class="num"><a href="#p5">19</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">SOLITUDE</td>
+<td class="num"><a href="#p6">21</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">PAROLES SUR LA TERRASSE</td>
+<td class="num"><a href="#p7">23</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">L'AUTOMNE A DÉNUDÉ LES GLÈBES</td>
+<td class="num"><a href="#p8">25</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="2" class="ind"><i>LES VAINES IMAGES</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">PSYCHÉ</td>
+<td class="num"><a href="#p9">29</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">ÉLIANE</td>
+<td class="num"><a href="#p10">31</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">HYMNIS</td>
+<td class="num"><a href="#p11">37</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">CHRYSARION</td>
+<td class="num"><a href="#p12">40</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="2" class="ind"><i>L'ERRANTE</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">L'ERRANTE</td>
+<td class="num"><a href="#p13">45</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="2" class="ind"><i>VERS L'AURORE</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LES AUMÔNIÈRES</td>
+<td class="num"><a href="#p14">59</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">MARE TENEBRARUM</td>
+<td class="num"><a href="#p15">61</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LE PÈLERINAGE HORS DE L'OMBRE</td>
+<td class="num"><a href="#p16">63</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">NATIVITÉ</td>
+<td class="num"><a href="#p17">67</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LE CHÈVRE-PIEDS</td>
+<td class="num"><a href="#p18">69</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">FLAMMES</td>
+<td class="num"><a href="#p19">71</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="2" class="ind"><i>LE JARDIN DE CASSIOPÉE</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LE JARDIN DE CASSIOPÉE</td>
+<td class="num"><a href="#p20">75</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">VOIX DERRIÈRE LA HAIE</td>
+<td class="num"><a href="#p21">78</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LA DOULEUR A CRIÉ</td>
+<td class="num"><a href="#p22">82</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="c" colspan="2">LA GLOIRE DU VERBE</td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="2" class="ind"><i>LA GLOIRE DU VERBE</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LA GLOIRE DU VERBE</td>
+<td class="num"><a href="#p23">89</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="2" class="ind"><i>LES MYTHES</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">L'AVENTURIER</td>
+<td class="num"><a href="#p24">97</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LE BOIS SACRÉ</td>
+<td class="num"><a href="#p25">102</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LES CAPTIFS</td>
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+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LES YEUX D'HÉLÈNE</td>
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+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">SCHAOUL</td>
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+<tr>
+<td class="drap">LA FILLE AUX MAINS COUPÉES</td>
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+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LA PEUR D'AIMER</td>
+<td class="num"><a href="#p32">136</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LE PRINCE D'AVALON</td>
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+<tr>
+<td class="drap">CELLE QU'ON FOULE</td>
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+<td class="drap">LA VOIX IMPÉRISSABLE</td>
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+</tr>
+<tr>
+<td class="ind" colspan="2"><i>MAYA</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">THAÏS</td>
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+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">JUDEX</td>
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+<tr>
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+<tr>
+<td class="drap">POUR UNE ABSENTE</td>
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+</tr>
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+</tr>
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+<td class="drap">LA MORT INUTILE</td>
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+</tr>
+<tr>
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+</tr>
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+</tr>
+<tr>
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+</tr>
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+</tr>
+<tr>
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+<tr>
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+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">MESSE DES MORTS</td>
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+<tr>
+<td class="ind" colspan="2"><i>LA VANITÉ DU VERBE</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LA VANITÉ DU VERBE</td>
+<td class="num"><a href="#p55">209</a></td>
+</tr>
+</table>
+
+
+
+<p class="cbreak"><i>ACHEVÉ D'IMPRIMER</i><br/>
+le trente octobre mil huit cent quatre-vingt-dix-sept<br/>
+<span class="small">PAR</span><br/>
+L'IMPRIMERIE V<sup>ve</sup> ALBOUY<br/>
+<span class="small">POUR LE</span><br/>
+<span class="large">MERCVRE</span><br/>
+<span class="small">DE</span><br/>
+FRANCE</p>
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+<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44359 ***</div>
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+Project Gutenberg's La lyre hroque et dolente, by Pierre Quillard
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+This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
+almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
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+
+Title: La lyre hroque et dolente
+
+Author: Pierre Quillard
+
+Release Date: December 5, 2013 [EBook #44359]
+
+Language: French
+
+Character set encoding: ISO-8859-1
+
+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LYRE HROQUE ET DOLENTE ***
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+Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
+Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
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+Bibliothque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
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+
+
+
+
+
+
+
+
+ PIERRE QUILLARD
+
+ LA LYRE
+ HROQUE ET DOLENTE
+
+ DE SABLE ET D'OR
+ LA GLOIRE DU VERBE.--L'ERRANTE
+ LA FILLE AUX MAINS COUPES
+
+ [Marque d'imprimeur]
+
+ PARIS
+ SOCIT DV MERCVRE DE FRANCE
+ XV, RVE DE L'CHAVD-SAINT-GERMAIN, XV
+
+ M DCCC XCVII
+
+ Tous droits rservs
+
+
+
+
+_DU MME AUTEUR:_
+
+
+ L'ANTRE DES NYMPHES de Porphyre, traduit du grec 1 plq.
+
+ LES LETTRES RUSTIQUES de Claudius lianus, Prenestin,
+ traduites du grec, illustres d'un Avant-propos
+ et d'un Commentaire latin 1 vol.
+
+ LE LIVRE DE JAMBLIQUE SUR LES MYSTRES, traduit
+ du grec 1 vol.
+
+ PHILOKTTS, traduit de Sophocle et reprsent
+ l'Odon 1 vol.
+
+ LA QUESTION D'ORIENT ET LA POLITIQUE PERSONNELLE
+ DE M. HANOTAUX, en collaboration avec le docteur
+ L. Margery 1 vol.
+
+
+
+
+IL A T TIR DE CET OUVRAGE:
+
+_Trois exemplaires sur japon imprial, numrots de 1 3
+
+et douze exemplaires sur papier de Hollande, numrots de 4 15._
+
+EXEMPLAIRE N 1
+
+
+Droits de reproduction et de traduction rservs pour tous pays, y
+compris la Sude et la Norvge.
+
+
+
+
+DDICACE
+
+A LA MMOIRE D'PHRAM MIKHAEL
+
+
+ Tu t'en allas, un soir de mai: la ville en fte
+ Haletait de printemps, de jeunesse et d'amour,
+ Et tu nous as quitts pour la nuit sans retour,
+ Ame mlancolique et toujours inquite.
+
+ En vain les mornes dieux, formidables et doux,
+ Ont dtach ta main de nos mains fraternelles:
+ Le sel cre des pleurs brle encor nos prunelles
+ Quand ta voix, triomphant des heures, chante en nous
+
+ Et fait surgir parmi les roses des vespres,
+ Sous des voiles tissus de soleils et de cieux,
+ Une vierge dolente au regard anxieux
+ Qui nous appelle et fuit vers les ombres sacres.
+
+ Forme grave dresse au seuil mauvais du sort,
+ Image de fiert qui pleurait et s'est tue,
+ Ma bouche te cherchait d'une lvre perdue;
+ Mais j'ai heurt du front les portes de la mort
+
+ Hlas! et tu survis dans nos seules mmoires
+ Et sans que rien m'entende au tombeau souterrain,
+ Je fixe tristement sur le vantail d'airain
+ Avec l'amer laurier les palmes illusoires.
+
+
+
+
+DE SABLE ET D'OR
+
+
+
+
+LES FLEURS NOIRES
+
+_A MARCEL COLLIRE_
+
+
+
+
+LES FLEURS NOIRES
+
+_A mile Galle._
+
+
+ Au bord de quels sinistres lacs d'eau lourde et sombre,
+ O tnbreuses fleurs plus vastes que la mort,
+ Les dieux muets du soir et les dieux froids du nord
+ Tissent-ils votre robe d'ombre?
+
+ Vos abmes de nuit dvorent le soleil;
+ Le jour est offens par vos voiles de veuves
+ Et vous avez puis sans peur aux mornes fleuves
+ L'onde farouche du sommeil.
+
+ O fleurs noires, le vent de l'aube vous balance:
+ Mais nul parfum d'amour ne s'exhale de vous,
+ Chres, et vous versez dans les coeurs las et fous
+ L'incantation du silence.
+
+ La vie pand en vain ses perfides douceurs;
+ La pourpre du printemps inutile flamboie:
+ Votre deuil rdempteur libre de la joie;
+ Salut, imprieuses soeurs.
+
+ Je vous aime et je veux dormir, soyez clmentes:
+ Je ne troublerai pas votre calme immortel
+ Et, l-bas, j'oublierai, loin du jour et du ciel,
+ La bouche rouge des amantes.
+
+
+
+
+LE DIEU MORT
+
+_A Andr Fontainas._
+
+
+ Une toile, une seule toile. O funrailles
+ Royales! solitude o la gloire mourait
+ Sur un bcher perdu derrire la fort,
+ A l'cart des drapeaux, du glaive et des batailles.
+
+ Le hros s'en allait sans pourpre, enseveli
+ Dans une soie teinte et dans les tresses rousses
+ Des captives et des amantes: lvres douces
+ Et voraces, vous qui buviez le sang pli,
+
+ Vers quels baisers souriez-vous? Vers quelles ftes
+ Sonne dj l'appel de vos chants oublieux?
+ Ah, mensongres! pour des larmes en vos yeux,
+ Il fallait l'apparat de clbres dfaites
+
+ Et l'horreur des clairons dchirant le ciel noir,
+ Pour tordre avec des cris de pleureuses loues
+ Vos corps, mimes en deuil sous le vol des nues,
+ Parmi la rouge odeur des torches dans le soir.
+
+ Mais nul regard viril n'a, du haut des murailles,
+ Avidement cueilli la fleur de vos bras nus:
+ Vous avez fui. Le roi ne s'veillera plus.
+ Une toile, une seule toile. O funrailles.
+
+
+
+
+RUINES
+
+_A Maurice Nicolle._
+
+
+ L'illustre ville meurt l'ombre de ses murs;
+ L'herbe victorieuse a reconquis la plaine;
+ Les chapiteaux briss saignent de raisins mrs.
+
+ Le barbare enroul dans sa cape de laine
+ Qui pat de l'aube au soir ses chevreaux outrageux
+ Foule sans frissonner l'orgueil du sol Hellne.
+
+ Ni le soleil oblique au flanc des monts neigeux
+ Ni l'aurore dorant les cimes embrumes
+ Ne rveillent en lui la mmoire des dieux.
+
+ Ils dorment jamais dans leurs urnes fermes
+ Et quand le buffle vil insulte insolemment
+ La porte triomphale o passaient des armes,
+
+ Nul glaive de hros apparu ne dfend
+ Le porche dvast par l'hiver et l'automne
+ Dans le tragique deuil de son croulement.
+
+ Le sombre lierre a clos la gueule de Gorgone.
+
+
+
+
+PAR LA NUIT D'AUTOMNE
+
+
+ Par l'automnale nuit la terre se rsigne,
+ Muette sous le fait des ombres tumulaires:
+ Nul astre en qui survive un espoir d'aubes claires,
+ Un espoir de matin crevant son oeuf de cygne.
+
+ Les soleils d'autrefois fermentent dans la vigne.
+
+
+ Maintenant au pas sourd de noires haquenes,
+ Sans faire gmir l'herbe ou rsonner la roche,
+ Tel qu'une chevauche impitoyable, approche
+ Le troupeau saccageur des suprmes journes.
+
+ Un parfum triste vient des grappes condamnes.
+
+
+ Demain l'or et le sang des toiles sublimes
+ Seront dshonors par la soif de la horde;
+ Mais voici qu'une pluie invisible dborde
+ Et tombe lentement des sinistres abmes.
+
+ Serait-ce pas les Dieux qui pleurent leurs vieux crimes?
+
+
+ O Dieux, je ne sais pas quel Lth vous enivre
+ De poisons plus amers que le fiel des Lmures:
+ Que vous importe vous, la mort des grappes mres
+ Et le viol raill par le bruit vil du cuivre?
+
+ Les pampres desschs ne veulent pas revivre.
+
+
+
+
+SOLITUDE
+
+_A Grgoire le Roy._
+
+
+ C'est un grand silence aprs le chant du cor,
+ Comme dans les villes mortes
+ O les chats peuvent encor
+ Rver sur le seuil des portes.
+
+ Sous le dais noir de la nuit
+ Les rois radieux, les belles chevauches
+ Foulaient dans l'or et le bruit
+ Le sang des roses fauches.
+
+ Des femmes embaumaient l'air
+ Parmi le velours des porches;
+ Nous voyions couler la rsine des torches
+ Sur les gantelets de fer.
+
+ Mais les heures sont passes
+ De la joie et du dcor
+ Et dans nos mes lasses
+ C'est un grand silence aprs le chant du cor.
+
+
+
+
+PAROLES SUR LA TERRASSE
+
+_A Puvis de Chavannes._
+
+
+ Des reines blanches inclines
+ Aux balustrades d'amthystes
+ Pour fleurir la mort des journes
+ Effeuillent des glycines tristes.
+
+ Fleurs plus brves que les plus brves,
+ Vains thyrses que le vent spolie,
+ Les noirs flots sans rives ni grves
+ Emportent leur cendre plie;
+
+ Et c'est le deuil d'un double automne,
+ Soir du jour et soir des feuilles,
+ Qui dvaste l'ombre et frissonne
+ Dans les ramilles dpouilles.
+
+ Des pas glissent sur la terrasse;
+ Une toffe roide s'y froisse;
+ Les voix que la nuit blme efface
+ Tremblent d'adieux, meurent d'angoisse,
+
+ Et cygnes chasss de tout fleuve,
+ S'en vont fbriles et blesses,
+ Sans que la tnbre s'meuve
+ Aux cris des mes dlaisses.
+
+
+
+
+L'AUTOMNE A DNUD...
+
+
+ L'automne a dnud les glbes et le soir,
+ Un soir d'exil et de mains dsunies,
+ S'approche l'horizon des plaines infinies,
+ Roi dvtu de pourpre et spoli d'espoir.
+
+ O marcheur aux pieds nus et las qui viens t'asseoir
+ Sans compagnon, parmi les landes dfleuries,
+ Prs des eaux mornes, quelles mmes agonies
+ Alourdissent ton front vers ce triste miroir?
+
+ Je le sais, tout se meurt dans ton me d'automne.
+ Laisse la nuit prendre les fleurs qu'elle moissonne
+ Et l'amour dfaillant d'un coeur ensanglant,
+
+ Pour qu'aprs le sommeil et les ombres fidles
+ Les clairons triomphaux de l'aube et de l't
+ Fassent surgir enfin les roses immortelles.
+
+
+
+
+LES VAINES IMAGES
+
+_A HENRI DE RGNIER_
+
+
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+PSYCH
+
+
+ Petite me, Psych mlancolique, dors,
+ Lys d'aurore surgi des heures tnbreuses,
+ Tes bras souples et frais et tes lvres heureuses
+ Ont rajeuni mon coeur et rjoui mon corps.
+
+ Et tu m'as cru, petite me blanche et farouche,
+ Tel que ton dsir vierge encore me voulait
+ Pendant tes longs baisers de miel pur et de lait,
+ Tant que l'ombre a menti comme mentait ma bouche.
+
+ Nulle parole et nulle treinte et nul baiser
+ N'ont trahi la douleur secrte du cilice;
+ Mais veille avec l'aube rvlatrice
+ Tu frmissais, Psych fragile, te briser,
+
+ Si le jour dsillant ta paupire sereine
+ Au lieu du doux vainqueur que rvait ton moi
+ Te dcelait mes poings crisps mme vers toi
+ Et mes yeux perdus de colre et de haine;
+
+ Car je te hais de tout ton amour, Psych,
+ Pour les jours venir et les futures heures
+ Et les perfides flots de larmes et de leurres
+ Qui jailliront un jour de ton tre cach.
+
+ Mais avant que la nuit divine m'abandonne,
+ Avec le dur mtal des gouffres sidraux
+ Je forgerai le masque amoureux d'un hros,
+ Rieur comme l'Avril, grave comme l'automne;
+
+ Mort vivant sur les lvres mortes d'un vivant,
+ Le masque couvrira ma face convulse;
+ Et maintenant que l'aube clate! O fiance
+ Chez qui la femme, hlas! va survivre l'enfant.
+
+ Eveille-toi, rouvre ta bouche qui s'est tue,
+ Tu n'entendras de moi que paroles d'orgueil
+ Et je me dresse sous les morsures du deuil
+ Laur d'or et pareil ma propre statue.
+
+
+
+
+LIANE
+
+
+I
+
+ Des jours et puis des jours ont fui. Je me souviens
+ De cette joie ainsi que de quelque trangre
+ Et c'est une ferie encor que j'exagre
+ De tout le deuil enclos dans les plaisirs anciens.
+
+ Mais nos baisers furent les fruits des Hesprides
+ Dont nous avons mch la cendre, seulement
+ La cendre! le verger solitaire et charmant
+ N'a pas calm la soif de nos lvres arides.
+
+ D'autres sont revenus semblables des dieux
+ De l'le o par orgueil nous nous aventurmes;
+ Les guirlandes d'amour alourdissaient leurs rames
+ Et la galre en fleurs merveillait les yeux.
+
+ Je ne jalouse pas leurs fanfares de gloire
+ Ni les pavois ni les tendards ploys
+ Dont l'ombre rouge flotte auprs des boucliers:
+ Leur songe tait moins beau que notre ivresse noire,
+
+ Et j'erre en ce jardin fouett du vent brutal,
+ Plus fier que les hros aux soirs d'apothoses,
+ Tandis qu'autour de moi les nostalgiques roses
+ S'effeuillent vainement vers l'Orient natal.
+
+
+II
+
+ Je t'aimais et les dieux ont dnou nos bras,
+ Et nous vivons la drive au cours des heures;
+ Et je ne t'entends plus quand tu ris ou tu pleures:
+ Mais je viendrai vers toi quand tu m'appelleras.
+
+ A la drive! des palais au bord des fleuves,
+ D'imprieuses voix m'invitent, dans la nuit
+ Et par les aubes; mais qu'importe? l'eau s'enfuit
+ Et je ferme mes yeux aux chevelures veuves.
+
+ Je sais: l'htellerie est pleine de buveurs:
+ Au mur rit la lambrusque et la rose trmire
+ Et les raisins gonfls d'aurore et de lumire
+ Versent les vieux soleils dans les cerveaux rveurs.
+
+ Les sveltes baladins, les joueuses de lyre
+ Et les masques d'amour y glissent dans le soir
+ Et la terrasse est vide o je pourrais m'asseoir:
+ Je n'aborderai pas aux perrons de porphyre;
+
+ Nulle reine en manteau de pourpre et d'argent clair
+ Ne tendra sur le seuil ses lvres vers ma bouche;
+ Voile noire, carne noire, ombre farouche,
+ La nef sans gouvernail s'en va jusqu' la mer
+
+ Et je m'endormirai parmi les vagues vertes,
+ Parmi les mornes flots sans borne, moins qu'un soir,
+ Sur une rive heureuse, au sommet de la tour
+ Dominant la valle et les terres dsertes,
+
+ Tu ne paraisses dans ta robe de soleil
+ Et tu ne m'offres en un geste qui pardonne
+ Tes cheveux ploys plus riches que l'automne
+ Et les baisers anciens plus doux que le sommeil.
+
+
+III
+
+ Je ne sais plus dans quels chemins ni sous quels cieux
+ La reine de mon coeur, la reine de mes yeux,
+ La souveraine de mes larmes ignores,
+ Qui tord en ses cheveux l'or fauve des vespres,
+ Passa sans un regard vers mon front en exil
+ Comme un soleil d'hiver oublieux de l'avril.
+
+ Hlas! les lys sont morts; les roses sont fanes;
+ L'impitoyable deuil dfleurit les annes.
+ Elle ne connat plus les choses d'autrefois;
+ Son oreille infidle a dsappris ma voix,
+ Ma voix tremblante et les paroles murmures
+ Et le frissonnement des treintes sacres.
+
+ Et maintenant, et maintenant! je veux en vain
+ M'interdire les jours et le pass divin.
+ Ma lvre qu'elle sut dlicate nagures
+ Est chaude d'une bouche et de baisers vulgaires
+ Et j'ai bu pour marcher dans l'ombre de la mort
+ Le vin des matelots et des hommes du port.
+
+ Mais cette ivresse est triste, reine, et je t'implore.
+ Reviens, fais resplendir la gloire de l'aurore.
+ Jette sur les bois nus un manteau de printemps
+ Et pare les sentiers des roses que j'attends.
+
+ Sois bienveillante; ou si les beaux jardins des rves
+ Sont clos pour jamais, soit! les heures seront brves
+ O je vivrai dans la lumire et dans le bruit,
+ Et je descendrai seul les marches de la nuit.
+
+
+IV
+
+ Par quelle cruaut des implacables dieux?
+ Si loin des jours royaux et pavoiss de joie,
+ Un soleil tel que les anciens soleils flamboie
+ Et tes cheveux en fleur pouvantent mes yeux.
+
+ Parmi le deuil hlas! et les ombres tombales,
+ Que me veux-tu, sourire imprieux encor
+ Qui fais se rveiller avec un sursaut d'or
+ Le prestige menteur des aubes triomphales?
+
+ Oui: tes lvres m'taient douces prs de la mer
+ Et sur la fauve grve o dormaient les carnes
+ Gonflaient d'un chant si pur les conques des Sirnes
+ Que des oiseaux neigeaient autour de toi dans l'air
+
+ Et que le souvenir des ailes ployes
+ Palpite en mes regards blouis. O rayons
+ Eteints! vols disparus d'aigles et d'alcyons!
+ Voix morte dsormais sur des lvres souilles!
+
+ Voix morte et pour moi seul vivante: je voudrais
+ Ne plus l'entendre et que la terre devnt noire
+ Et que la nuit sereine engloutt la mmoire
+ De ta beaut semblable aux roses des forts.
+
+ Mais l'ombre dcevante est encore hante
+ Par les dieux importuns qui dfendent l'oubli
+ Et la poignante fleur au calice pli
+ Sollicite toujours ma bouche ensanglante.
+
+
+
+
+HYMNIS
+
+_Pour Bernard Lazare._
+
+
+I
+
+ Face d'ombre, je viens toi; la nuit m'emporte.
+ Poussire vanouie aux plis blancs d'un linceul,
+ Ple vierge oublie et que j'honore seul
+ D'une fleur morte hlas! moins que ta grce morte,
+
+ Je viens toi qui dors au fond des sicles lourds
+ Et dont le pur tombeau fait les lvres fidles:
+ Je n'ai pas entendu les mots qui naissaient d'elles
+ Ni got la douceur de tes tristes amours:
+
+ Mais je pleure ton corps et son charme quivoque
+ Et les baisers trop lents qui l'auraient effleur,
+ Chair de jadis, dsir dont je me suis leurr
+ Parce qu'un mme appel de buccins nous voque
+
+ Vers les mmes cyprs noirs et silencieux...
+ Vain appel, vaine ombre et menteuses fanfares:
+ Jamais je ne clorai de mes lvres avares
+ Tes yeux dsenchants qui connurent les dieux.
+
+ Sommeille loin de moi prs de la mer antique
+ Sous un ciel insult par de confuses voix
+ O la vague qui chante encor comme autrefois
+ Entrechoque les mts du port aromatique:
+
+ Toujours l'pre soleil et la foule et l'embrun,
+ Loin de moi, troubleront ta poussire ignore
+ Et l'inutile fleur que je t'ai consacre
+ Ne rjouira pas ta cendre d'un parfum.
+
+
+II
+
+ Viens respirer l'odeur des vignes et des fruits.
+
+ Ce soir te sera doux comme tes longues nuits,
+ Hymnis, enfant qui dors depuis deux mille annes,
+ Et par le souffle lent des sentes o je fuis
+ Les roses du tombeau ne seront point fanes.
+
+
+ Je te ddie, enfant, la mourante fort.
+
+ Elle se pare encor malgr son mal secret:
+ Tu te reconnatras sa noble agonie,
+ Vierge dont le front ple et fivreux se parat
+ D'or royal attrist par la blme ancolie.
+
+
+ L'automne funraire embaume les halliers.
+
+ Hymnis! Hymnis! Hymnis! tes cheveux dlis
+ Libres du bandeau strict o tu les emprisonnes
+ Ont frl des santals et des girofliers
+ Et se sont enivrs de cruelles automnes.
+
+
+ De plus calmes parfums, ce soir, te charmeront.
+
+ Pour que ton corps sacr retourne sans affront
+ De la fort qui meurt aux tnbres divines
+ Je veux entrelacer l'entour de ton front
+ Le thyrse noir du lierre aux suprmes glycines.
+
+
+
+
+CHRYSARION
+
+
+ Sur cette mer toujours dserte o nos yeux vains
+ S'garaient dans l'ennui des solitudes mornes,
+ Le navire, aux clameurs des conques et des cornes,
+ Fleurit avec l'aurore clatante; et tu vins,
+
+ Apportant le parfum des terres trangres,
+ Le reflet des soleils morts parmi tes cheveux
+ Et pour les coeurs lasss, graves et ddaigneux
+ L'enchantement de quelques heures plus lgres.
+
+ Trop de dsirs dus et d'espoirs abuss
+ Hantent notre mmoire et sanglotent en elle:
+ Nous n'avons pas tendu vers ta chair fraternelle
+ Nos lvres ds longtemps dprises des baisers.
+
+ Mais les heures passaient douces comme la soie
+ En vtements trams de soleil et de nuit,
+ Danseuse au collier d'or qui fulgure et s'enfuit,
+ Amante triste et grave en marche vers la joie,
+
+ Et vous qui regardiez des astres abolis,
+ Visages inquiets ivres du vieux mensonge,
+ O faces de stupeur, d'extases et de songe
+ Sur qui l'ombre clmente est tombe longs plis;
+
+ Puis la dernire; et ce fut toi-mme, incline
+ A la poupe et semant des roses dans le soir
+ Afin que la galre et le sillage noir
+ S'illustrassent encor d'une pourpre fane
+
+ Et que la sombre mer sourt nos yeux vains.
+
+
+
+
+L'ERRANTE
+
+_A RACHILDE_
+
+
+
+
+L'ERRANTE
+
+I nunc ad hostem, at in perpetuum mea.
+
+
+I. _DE SABLE ET D'OR._
+
+L'HOMME songe dans le soir somptueux et morne; la balustrade croulante
+de la vieille demeure, il s'est accoud solitairement et ses yeux, qui
+depuis des mois et des annes n'ont plus reflt que les choses
+silencieuses, regardent au loin, dans les plaines assombries, s'tager
+les villes o des foules inconnues aiment, bataillent, agonisent et
+s'vanouissent comme des fumes.
+
+Ici le roc que nul printemps n'a par, cime triste abreuve jadis par le
+sang des victimes, alors que les dieux stupides se gorgeaient de
+sacrifices, cime cruelle o les roses d'Avril n'ont jamais souri, o les
+sources n'ont pas pleur doucement la mort future des fleurs voues au
+vieillard qui les emporte, quand vient l'automne.
+
+L'HOMME songe dans le soir somptueux et morne; tandis que le ciel
+flamboie d'une plus rouge gloire et que l'or insultant les tnbres
+enrichit ses prunelles, des bchers tragiques s'effondrent et l'me
+dserte est envahie par un tumulte de chevauche; tourbillons de fer,
+gueules hurlantes, clairs de glaive, chevelures et crinires
+confondues, la horde passe dans sa pense.
+
+Et l'HOMME se dtourne du spectacle clatant; ailleurs la terrasse est
+interrompue: les pesantes eaux d'un lac sans fond baignent de leur
+horreur immobile la roche qui disparat dans le vertige de l'abme.
+Maintenant l'HOMME marche, les yeux ivres de nuit, vers le lac d'ombre
+monotone et sa voix lasse frle de lentes paroles les ondes
+spulcrales, les ondes paisses qui ne frissonnent pas.
+
+
+L'HOMME
+
+ Nuit moins sinistre que le soir, nuit rebelle
+ A mon dsir, tu n'es pas l'ombre que j'appelle
+ Et trop d'astres encor m'offusquent de clart
+ Pour que je boive en toi les coupes du Lth.
+
+ Autrefois, j'ai vcu derrire les murailles
+ Des villes; je connais les brves funrailles
+ De toute joie et vers la cime et vers la tour,
+ Pour le muet exil que je veux sans retour,
+ J'ai fui l'cre parfum des roses effeuilles.
+
+ Lorsque je suis venu, les portes verrouilles
+ Pleuraient plaintivement comme des chiens meurtris,
+ Et j'oubliais le monde et mprisais leurs cris:
+ Mais la pierre me parle ainsi qu'une vivante
+ Maintenant, et flambeau d'angoisse et d'pouvante,
+ Dans mon coeur las du crpuscule rouge et noir,
+ Chaque toile qui monte allume un triste espoir.
+
+ Eaux bienheureuses, vos paupires sont voiles:
+ Aucun rve de ciel et d'algues emmles
+ N'ondule dans le calme abme; nul reflet
+ Des jours antrieurs o l'aube tincelait
+ Sur votre moire alors juvnile et chantante
+ Ne se rveille en vous par la nuit clatante
+ Avec le souvenir d'un antique soleil.
+ Eaux bienheureuses, vous dormez du vrai sommeil.
+ Vous les ples, vous les froides et les obscures,
+ Vous les mortes.
+
+ J'attends les suprmes augures,
+ Les cygnes ternels ouvrant leur vol sacr,
+ Et l'heure, enfin libratrice, o je serai,
+ Eaux bienheureuses, lac de nuit, lac de silence,
+ Digne de votre accueil et de votre clmence.
+
+Ainsi le solitaire invoque les ondes fatidiques. Mais pendant qu'il
+parle, les toiles plus nombreuses ruissellent sur les pentes abruptes
+et l'ERRANTE est survenue; ses haillons brochs d'or illusoire par les
+astres dnoncent les routes hostiles, les morsures du vent, peut-tre
+l'agression de mains brutales. Furtive elle s'est assise sur les marches
+disjointes et l'HOMME tout coup se trouve face face avec elle.
+
+L'HOMME
+
+ Va-t'en. Que me veux-tu, larve ou fantme humain,
+ Dont le pas sacrilge usurpe mon chemin:
+ J'ignore quel pass funraire t'escorte
+ Et me barre avec toi la route de la porte,
+ Ou si ta robe aux plis tnbreux de son deuil
+ Recle un tendard de victoire et d'orgueil,
+
+ Mais qu'importe? tu viens des carrefours vulgaires,
+ Et tendresse, douleur, pourpre illustre des guerres,
+ Clameurs des foules furieuses, bruit des pas,
+ Gestes des suppliants, monde, je ne veux pas,
+ Quand je me penche enfin vers l'ombre sans aurore,
+ Qu'un souvenir des jours anciens attente encore
+ A mon me recluse et mre pour la nuit.
+ Va-t'en.
+
+L'ERRANTE
+
+ Je suis venue o le soir me conduit,
+ Par le soleil ou par la pluie aux larges gouttes,
+ Aprs des routes et des routes et des routes.
+ Quand je suivais la mer aux heures de reflux
+ Le sable de la grve a brl mes pieds nus;
+ Et ma chair a saign de toutes les pines
+ A travers les fourrs, les ronces des ravines
+ Et les ajoncs aux rudes marges des marais.
+ Mais partout, aussitt que la terre o j'errais
+ Portait empreinte sur l'argile ou sur l'arne
+ La trace des vivants, j'ai fui. Je sais la haine
+ Dont ils poursuivent la passante et sur mes yeux
+ Ont pes trop souvent leurs poings injurieux
+ Pour que je m'aventure ayant vu leurs foules.
+
+ Seuls parfois les palais des villes croules
+ Sous leurs porches dchus fraternels mon sort
+ M'ont offert un sommeil puissant comme la mort.
+ La solitude ment o tu viens d'apparatre;
+ L'asile de repos que je croyais sans matre
+ Abrite hlas! ton me fauve de vivant:
+ Je quitterai le seuil et le toit dcevant
+ O ton deuil autre que mon deuil se cache et pleure
+ L'ombre immense est hospitalire.
+
+L'HOMME
+
+ Non, demeure,
+ Puisque la volont de ton sort et du soir
+ A men tes pieds las vers le morne manoir
+ Et vers l'hte imprvu dress devant ta face
+ En qui ta voix a fait s'panouir, vivace,
+ Une fleur de jadis aux pistils oublis.
+ J'y consens: soleils abolis, flamboyez
+ Encore, surgissez dans ma sombre mmoire
+ En aube de suprme et cinraire gloire
+ Avant que cette chair s'engloutisse jamais;
+ Et toi, dolente ombre d'une ombre que j'aimais
+ Et qui m'a refus ses lvres mensongres,
+ Toi qui dormis sous des toiles trangres
+ Des sommeils flagells par l'pre fouet du vent,
+ Entre sans peur avec un sourire d'enfant
+ Et l'ingnuit d'une me purile
+ Dans la vieille maison o le hasard t'exile.
+
+L'ERRANTE
+
+ Je ne sais mme pas ce qu'on nomme les ans,
+ Ni combien de matins, combien de jours pesants
+ Ont cras l'errante amre et rsigne,
+ Homme, ni quelles eaux lustrales l'ont baigne
+ O le secret des dieux demeure enseveli,
+ Quelles eaux de piti, de refuge et d'oubli,
+ Emportant dans le cours pacifique des fleuves
+ Tout un faix dilu de souffrance et d'preuves.
+
+ A peine un souvenir obscur survit en moi,
+ Heure d'angoisse, heure de dtresse et d'effroi
+ Qui m'a fait tressaillir d'une crainte ignore:
+ Des retres ont voulu m'entraner, l'ore
+ De la fort; j'ai fui leurs lvres et leurs mains,
+ Eperdue, travers les rochers sans chemins,
+ Et je frissonne encor de l'treinte lude
+ Jadis, quand mon horreur de vierge dnude
+ coutait survenir l'approche des pas lourds.
+
+ Cependant par des soirs, solitaires toujours,
+ J'ai mir mon visage au miroir des fontaines
+ Et tendu vers mon front des lvres incertaines
+ Dont la source perfide a glac le dsir;
+ Et l'ombre s'effaa que j'ai voulu saisir,
+ Comme un ple soleil qui sombre au flot nocturne,
+ Sans avoir accueilli mon baiser taciturne.
+
+ Mais voici que ta voix grave qui m'effrayait
+ Parle plus doucement mon coeur inquiet
+ Et qu'aprs les assauts de la tempte rude
+ Des astres bienveillants dorent la solitude.
+ Donc j'entrerai sans peur dans la maison.
+
+ Salut,
+ Seuil, et que les haillons du pass rvolu
+ S'envolent de ma chair au vent qui les emporte
+ Ainsi qu'un vain linceul d'o jaillit une morte
+ Pour renatre en splendeur de soleil exalt,
+ Belle de sa jeunesse et de sa nudit.
+
+
+II. _DE GUEULES._
+
+Dans la mlancolique demeure o les murs s'merveillaient de sa beaut,
+salue par les figures amies des lices, irradiant l'eau ternie des
+miroirs, l'ERRANTE est entre blanche et nue.
+
+Elle n'a point refus ses lvres et les rouges floraisons de la joie ont
+fleuri imprieusement, par la vibrante offrande de son corps l'HOMME
+veill d'un long rve.
+
+Il a plong dans les coffrets de bronze ses mains fivreuses et
+prodigues, et l'armure d'or et les brocarts et les gemmes et le glaive
+ont chapp aux chanes noires des tnbres.
+
+Sur les seins et sur les paules de l'ERRANTE, tous les trsors enfouis
+dans le spulcre du silence depuis des sicles, des ans et des jours,
+resplendissent avec l'aurore.
+
+Au seuil matinal de la porte, elle se dresse en sa robe de pourpre qui
+recle sous le sang fig de la soie, avec la cotte de mailles,
+l'irrprochable acier du glaive.
+
+Pensive, elle s'est retourne vers l'HOMME qui fait un geste d'adieu, et
+comme hsitante et retenue par la puissance d'une main invisible, elle
+tarde franchir le seuil.
+
+L'ERRANTE
+
+ Je le sais: mon destin m'entrane et tu le veux,
+ J'irai. Je dois offrir aux chocs tumultueux
+ Ds le premier appel de l'aube avant-courrire
+ Ma poitrine hroque et libre de guerrire;
+ Et mon poing brandira le glaive dsormais.
+ Je le sais: mais l'exil sombre o tu t'enfermais
+ S'illumine pour toi de ma chair apparue,
+ Et radieuse encor, mme absente, j'obstrue
+ Les portes de la nuit que tu heurtais dj.
+ Ami, dont ma venue importune outragea
+ Le manoir de silence et d'ombre inviole,
+ Pardonne, pour ton deuil de solitude emble,
+ A l'Errante qui part, chaude de tes baisers.
+
+L'HOMME
+
+ Va: le soleil bondit dans les cieux embrass;
+ C'est l'heure, il faut franchir le seuil et vers les villes
+ Te ruer en clamant aux oreilles serviles
+ Tout ce que les tombeaux t'ont livr de secrets.
+
+ Viens et regarde: l de houleuses forts
+ O les pasteurs de porcs se vautrent dans les bauges;
+ Puis des plaines, rumeurs des bls, parfum des sauges,
+ Et les paysans nus courbs sous les sillons
+ A jamais; et plus loin des foules en haillons,
+ Troupeaux lches que tu mueras en fauves hardes,
+ Tournent vers le palais des prunelles hagardes
+ Et des poings dcharns par l'immuable faim
+ Sans que la torche encor s'enflamme dans leur main.
+
+ Ce qui fut moi nagure et richesse strile
+ Et dpouille des temps silencieux rutile
+ Autour de ton front jeune et de tes seins altiers:
+ Voici venir un vol de cygnes ploys,
+ Le vol tardif et sr des prophtiques ailes
+ Qui m'invite au sommeil des ondes ternelles.
+
+ Va: la chair que la mort heureuse requrait
+ S'vanouit parmi les choses, sans regret,
+ Maintenant que tu m'as affranchi de moi-mme
+ Et que tu peux, matresse enfin du double emblme,
+ Descendre vers les serfs de la glbe et des murs
+ Et, selon le vouloir des trois monstres obscurs,
+ Tendre le rameau d'or ou frir de l'pe.
+
+L'HOMME disparat sous les eaux immobiles, sous les eaux paisses o ne
+palpite aucune lueur. L'ERRANTE contemple longuement le lac d'ombre
+monotone, puis marche, aurole par la gloire du matin, vers les plaines
+et vers les villes orientales, tandis que sa voix dans la solitude
+chante les batailles futures.
+
+L'ERRANTE
+
+ Homme, revis en moi. Dans ma dextre crispe
+ Je serre puissamment le pommeau froid du glaive
+ Et si le monstre ancien se rebelle et se lve,
+ Je rougirai le sol de sa tte coupe,
+
+ Moi, celle qui connat les suprmes paroles
+ Et toute la douleur avec toute la joie;
+ Je chasserai le loup et l'hyne de proie
+ Et je veux emporter les royales corolles
+
+ Que les dragons jaloux gardaient des mains humaines:
+ Afin que le parfum des roses inconnues,
+ Epars farouchement sous la vote des nues,
+ Suscite dans les coeurs les dsirs et les haines,
+
+ Je viens vous, frres penchs sur les emblaves,
+ Attels la meule au fond de l'ergastule;
+ Mon verbe lacrant l'antique crpuscule
+ Souffle une me de pourpre vos mes d'esclaves;
+
+ Redressez-vous; sarclez les herbes parasites:
+ Lancez contre le ciel les pierres de vos geles,
+ Et que les murs vaincus par vos fortes paules
+ Vous ouvrent le jardin des terres interdites
+
+ O, plus belles, des fleurs de rve vont clore
+ En butin triomphal pour les races venges,
+ Tandis que le sang vil des btes gorges
+ Se mle par mon glaive au sang pur de l'aurore.
+
+
+
+
+VERS L'AURORE
+
+_A A.-FERDINAND HEROLD_
+
+
+
+
+LES AUMONIRES
+
+_A A.-F. Plicque._
+
+
+ Sur la grve qu'avaient souille
+ Les conqurants et les hros,
+ Prs de la mer pacifie
+ Pleine des frissons auguraux,
+
+ Les poings perdus dans les crinires
+ De leurs chevaux roses et blancs,
+ C'taient les bonnes aumnires
+ Qui reviennent tous les mille ans.
+
+ Cymodoce, Aglaure, Euryanthe,
+ Au caprice d'un galop fou
+ Elles passaient; leur flamboyante
+ Chevelure brlait leur cou.
+
+ Lvres douces comme la soie,
+ Lumineuses comme les cieux,
+ Elles chantaient un chant de joie
+ Vers l'Ocan mystrieux.
+
+ Tandis que vibraient des abeilles
+ Autour des talons loyaux,
+ Elles plongeaient dans des corbeilles
+ Leurs bras riches de lourds joyaux
+
+ Et brandissant leurs mains sacres,
+ Bonnes au yeux chargs de pleurs,
+ Parmi les vagues empourpres
+ Semaient d'impriales fleurs;
+
+ Car les coroles millnaires
+ Eparses en vol d'Orient
+ Calment les antiques colres
+ Et charment le vieil Ocan.
+
+
+
+
+MARE TENEBRARUM
+
+_A Emile Gall._
+
+
+ Durant les jours de brume et les soirs sans toiles
+ Le vent triste a fan la pourpre de nos voiles;
+ Mais nos coeurs s'attardant aux soleils rvolus
+ Oubliaient le deuil vain des flux et des reflux.
+
+ La barque tressaillait de la poupe la proue
+ Avec le ronflement d'un cheval qui s'broue;
+ Mais nos coeurs enchants de chants vanouis
+ Oubliaient la clameur des vagues et des nuits.
+
+ Hier l'Aurore brusque a jailli de nos rves;
+ Le marbre bleu des mers et l'or fauve des grves
+ Eblouissaient nos yeux brls par les embruns
+ Et le dragon rostral s'enivrait de parfums.
+
+ Mais l'ombre en flocons noirs a neig sur nos mes,
+ L'ombre que nul soleil ne fondra de ses flammes
+ Et dj le dragon, loin des havres heureux,
+ Mord les antiques flots glacs et tnbreux.
+
+
+
+
+LE PLERINAGE HORS DE L'OMBRE
+
+_A Remy de Gourmont._
+
+
+I
+
+ Ame riche de nuit, d'toiles et de rves
+ Qui puisas des trsors aux urnes d'un tombeau
+ N'abandonneras-tu jamais tes blmes grves
+ Pour cette ville en fleurs sous le printemps nouveau?
+
+ Ame riche de nuit, mon me, tu recles
+ Assez d'astres perdus et de soleils teints:
+ Viens connatre la chair et les lvres de celles
+ Qui tendent leurs seins nus aux pourpres des matins
+
+ Et font en souriant l'aurore sereine
+ Fluer entre leurs doigts le sable et leurs cheveux,
+ Pour que, vivante enfin, ma bouche amre apprenne
+ A goter le miel blond des heures. Tu le veux,
+
+ Ame lasse dj des ivresses futures,
+ Toi qui n'as rien chri que les pleurs et la mort:
+ Le vent gonfle d'amour les voiles toujours pures:
+ Loin de l'le o la blanche Hymnis repose et dort,
+
+ Pour moi seul, dans le vain cnotaphe des roses,
+ Nous irons conqurir son corps ressuscit;
+ Sans doute elle revit par les mtempsycoses
+ Sur le sol oublieux que parait sa beaut
+
+ Et parmi les parfums sauvages des galres,
+ Les chiens, les portefaix qui geignent en marchant,
+ Elle va, lourde encor des gloires tumulaires,
+ Sans que nul ait compris la douceur de son chant.
+
+
+II
+
+ L'cume viole a neig de la proue;
+ Les mauves qui mouillaient leurs plumes aux flots noirs
+ Ont secou le sel des vagues sur ma joue.
+
+ Le sel des vagues! Tels les pleurs d'antiques soirs
+ Enrichirent jadis de gemmes dissipes
+ Ces yeux fous aujourd'hui d'aventure et d'espoirs.
+
+ Puis la fort flamba de cruelles pes;
+ Mais plus d'ombre tombait des branchages pieux
+ Pour voiler le sommeil inquiet des Napes.
+
+ Ainsi les pres bois ont dfendu mes yeux
+ Jadis et quand le jour en troublait l'eau tranquille,
+ Ils talaient dans l'air leur deuil imprieux.
+
+ Or maintenant, voici les portes de la ville;
+ Je franchirai les murs sans dsir de retour
+ Heureux si dans la solitude o je m'exile
+
+ L'ombre descend sur moi du temple et de la tour.
+
+
+III
+
+ Farouche de voir les aurores
+ Et les soleils panouis,
+ L'eau tressaillait dans les amphores
+ Sur la marge grise des puits
+
+ Et les tnbres souterraines,
+ Les iris de sombre cristal
+ Se fltrissaient comme des reines
+ Captives d'un soudard brutal.
+
+ Les servantes et les esclaves
+ Riaient l'entour; mais tu vins,
+ Et tu voilas de voiles graves
+ Les filles des antres divins.
+
+ Protectrice des eaux dolentes
+ Qui sais les rites d'autrefois,
+ J'ai tremp mes lvres tremblantes
+ A la coupe triste o tu bois:
+
+ Souviens-toi d'heures et d'annes
+ Et de soleils, tends les mains
+ Vers les clmatites fanes,
+ Vers les toiles des jasmins;
+
+ Et sur la terre des merveilles
+ Que pavoisaient de nobles cieux
+ Fais refleurir les belles treilles
+ De nos jardins silencieux.
+
+
+
+
+NATIVIT
+
+
+ L'enfant n de la terre et libr par elle
+ Tendit, farouche et nu, son torse imprieux
+ Hors de l'antre o mourait la nuit surnaturelle;
+
+ Mais la brusque splendeur du soleil et des cieux,
+ Lacrant l'ombre avec des griffes empourpres,
+ Ne fit pas tressaillir l'eau calme de ses yeux.
+
+ Dsormais ddaigneux des fontaines sacres,
+ Il buvait puissamment la lumire et l'orgueil,
+ O tnbres en pleurs, mres ventres!
+
+ Et quand il eut vaincu les lianes du seuil
+ Et dploy sa chevelure dans l'aurore,
+ Les arbres lui chantaient un chant de bon accueil.
+
+ Dans l'allgresse de la force qui s'essore
+ Il marchait travers la natale fort,
+ Attentif aux frissons du feuillage sonore;
+
+ Autour de lui le vol des abeilles vibrait
+ Et le miel embaumant ses lvres fatidiques
+ Rvlait son coeur l'ineffable secret
+
+ De la vie immortelle et des sves antiques.
+
+
+
+
+LE CHVRE-PIEDS
+
+
+ Sous cette roche en pleurs o dort la femme nue,
+ Nuage d'aube parse en la menteuse nuit,
+ Le chvre-pieds regarde travers l'eau qui flue
+ Les lointaines maisons de labeur et de bruit.
+
+ Les tristes paysans se penchent vers la glbe
+ Pour un baiser de serfs et de jaloux amants
+ Dont la bouche haineuse voque de l'Erbe
+ L'or futur des pis et des riches froments.
+
+ Avares de moissons qui fatiguent les granges,
+ Ils mprisent l'aurore et les soleils couchants
+ Et leur oreille est close aux paroles tranges
+ Qui montent des taillis, des sources et des champs;
+
+ Et la charrue, avec les jours et les annes,
+ Impitoyable au deuil des bois mystrieux
+ Offense la beaut des forts profanes
+ O rdaient librement les fauves et les dieux.
+
+ Mais le sylvain survit la sylve abattue;
+ Dans l'antre encor voil de feuillage, sa chair
+ Immortelle, travers les sicles, perptue
+ Le grand frisson d'amour qui fait tressaillir l'air;
+
+ Et dans les flancs d'une passante solitaire
+ Il sme au chant des eaux et des rameaux flottants
+ Des fils aventureux affranchis de la terre
+ En qui bout la jeunesse hroque des temps.
+
+
+
+
+FLAMMES
+
+
+ Parmi les cres fleurs des lauriers, cette voix
+ vocatrice en nous de gloire rvolue
+ manait de la mer, du soir et d'autrefois:
+
+ Enfants tristes, penchs vers l'ombre, l'ombre afflue
+ Et monte jusqu' vos lvres avec les flots
+ Dont vous enivriez votre me irrsolue.
+
+ La sculaire nuit opprime vos yeux clos,
+ Enfants tristes, et vos poitrines lacres
+ Se gonflent lchement de striles sanglots.
+
+ Si votre bouche a soif des aubes empourpres
+ Et du sang lumineux qui sacre le matin
+ Quel sortilge encor vous attrait aux vespres?
+
+ D'un geste, dans la nuit, dcisif et hautain,
+ Reniez le poison des ondes lthennes
+ Et marchez sans retour vers un autre destin.
+
+ Frntiques, hors des tnbres anciennes
+ Nous avons fait jaillir dans le ciel morne et noir
+ Une farouche aurore la cime des chnes,
+
+ Et dociles au cri de dsir et d'espoir,
+ Nous respirons les roses rouges de la joie,
+ Depuis que djouant les embches du soir
+
+ La torche avec l'pe notre poing flamboie.
+
+
+
+
+LE JARDIN DE CASSIOPE
+
+_A ALFRED VALLETTE_
+
+ Cassiope, s'tant dclare, par orgueil, plus belle que les Nrides,
+ dut exposer au monstre marin sa fille Andromde, qui fut dlivre par
+ Perse. Aprs sa mort, Cassiope fut mise au rang des Constellations.
+
+(MYTHOGRAPHES GRECS.)
+
+
+
+
+LE JARDIN DE CASSIOPE
+
+
+L'HOMME
+
+ Sans matins blancs et sans toiles dans la nuit,
+ A travers le brouillard o soufflait le vent rude,
+ J'ai chemin de solitude en solitude
+ N'ayant pour compagnon que l'immuable ennui.
+
+ Derrire les rocs noirs qui portent le ciel triste,
+ Monotone, la mer invisible pleurait;
+ Et jusqu' l'horizon barr par la fort,
+ Les maigres tamaris et l'pre fleur du ciste.
+
+ Puis des jours mornes dans le silence des bois
+ Pesrent sur mon front en gouttes d'ombre lourde:
+ Nul bruit d'oiseau qui chante ou de source qui sourde
+ N'a dissip l'horreur d'our ma seule voix;
+
+ Et ce fut nouveau la lande grise et plate,
+ La houle des genvriers et des ajoncs,
+ Que n'illustra jamais de tragiques rayons
+ Quelque couchant royal au manteau d'carlate.
+
+ Mais le riche verger m'attend. O treilles d'or,
+ Saurai-je encor saisir vos grappes immortelles,
+ Les mains lasses d'avoir cueilli des asphodles
+ Et de sombres pavots qui conseillent la mort?
+
+CASSIOPE
+
+ Qui que tu sois, passant envoy par le sort,
+ Venu des tnbreux chemins, franchis la haie,
+ Cueille d'un seul regard toute la roseraie,
+ Que ses vivants parfums te sauvent de la mort!
+
+ Tends les mains; le verger de force et de liesse
+ Que n'a pas envahi l'ombre du dernier dieu
+ T'offre les raisins clairs, les oranges de feu,
+ Et si ta lvre a soif d'amour, l'aube acquiesce,
+
+ La mer chante; appel par les conques des flots,
+ Aprs les jours ou les longs mois de bonne halte,
+ Tu partiras: le vin des amphores exalte
+ L'orgueil viril et pur qui sacre les hros
+
+ Et son baume puissant dlivre l'me esclave;
+ Tu partiras dans la splendeur d'un soir d't
+ Tel que le soleil rouge au ciel ensanglant
+ Teigne en pourpre l'embrun de neige sous l'trave.
+
+ Tourbillonne le vol des typhons ploys!
+ Qu'importe au plerin ddaigneux et farouche
+ Ivre ternellement d'avoir bu sur ma bouche
+ Le mpris du ciel vide et des dieux renis!
+
+
+
+
+VOIX DERRIRE LA HAIE
+
+
+_VENDMIAIRE_
+
+LES VENDANGEURS
+
+ Les sarments rampaient entre les pierres
+ Ou montaient au tronc rugueux des ormes,
+ Tordus et nous en noeuds difformes
+ Comme des orvets et des vipres.
+
+ Courbs sous le fouet des rois avares,
+ Nous avons vers nos pleurs, nos peines;
+ Nous avons ouvert nos ples veines,
+ Nous avons nourri les vignes rares;
+
+ Nous avons pill les ceps d'automne;
+ Le mot bruissait au fond des cuves,
+ Pour les matres, saouls de chauds effluves,
+ Le sang de nos coeurs emplit la tonne.
+
+
+_NIVOSE_
+
+LES COUPEURS DE ROSEAUX
+
+ L'eau langoureuse endormait les saules;
+ Vers le dclin des tides journes
+ Elle frlait de lvres pmes
+ Les seins roses, les blanches paules.
+
+ Le choeur estival des femmes nues
+ Plus doux que le chant des tourterelles
+ Propageait parmi les roseaux grles
+ Le frisson de volupts inconnues.
+
+ Roseaux, vous clorez nos pauvres huttes.
+ D'autres prendront vos fragiles mes;
+ Ils voqueront les belles femmes
+ Avec la voix magique des fltes.
+
+
+_FLORAL_
+
+LES TISSERANDS
+
+ Notre peau s'use au fer des navettes,
+ Notre peau gerce tistre la soie;
+ Dehors le printemps chante et flamboie:
+ Nous ne connaissons ni fleurs ni ftes.
+
+ Toujours notre front dolent s'incline
+ Vers le mtier ds la prime aurore;
+ Toujours nos doigts fans font clore
+ De fraches fleurs dans l'toffe fine.
+
+ Et sur le linceul et sur les langes
+ Des empereurs porphyrogntes
+ Nous entrelaons les fauves btes
+ Qui rdent dans nos songes tranges.
+
+
+_THERMIDOR_
+
+LES MARINS
+
+ Nous avons dompt les mers funbres
+ Et vaincu leurs gueules forcenes:
+ La lpre mord nos mains dcharnes
+ Ronge la moelle de nos vertbres.
+
+ En vain le soleil d't rayonne:
+ Car nous nous tranons dans les venelles,
+ Grelottant de fivres ternelles,
+ Et sur nos os la laine frissonne.
+
+ Cependant nous portions dans la cale
+ La poudre d'or et les aromates
+ Et de souples filles aux chairs mates
+ Mres de lumire orientale.
+
+
+
+
+LA DOULEUR A CRI
+
+
+L'HOMME
+
+ La douleur a cri du fond des belles heures.
+
+ Les roses du jardin, le parfum que tu fleures
+ L'opulente senteur de l't triomphant
+ S'vanouit; le meurtre souffle avec le vent:
+ La douleur a cri du fond des belles heures.
+
+
+ Pantelante, Andromde agonise jamais.
+
+ Un suprme baiser aux lvres que j'aimais,
+ Et dans le rouge soir je brandirai l'pe,
+ Puisque hors du verger calme, Cassiope,
+ Pantelante, Andromde agonise jamais
+
+
+ Mais l'invincible orgueil vit dans les treize toiles.
+
+ Si la tempte hurle et lacre les voiles,
+ J'attends sans peur l'assaut des vagues et des cieux;
+ Les astres immortels rconfortent mes yeux
+ Et l'invincible orgueil vit dans les treize toiles.
+
+
+
+
+LA GLOIRE DU VERBE
+
+
+
+
+LA GLOIRE DU VERBE
+
+_A CAMILLE BLOCH_
+
+
+
+
+LA GLOIRE DU VERBE
+
+
+I
+
+ Une nuit langoureuse et sereine enveloppe
+ D'un cercle de lapis ouvr de roses d'or
+ Les barques, essaim las de cygnes sans essor,
+ Les palmiers, les canaux, les plaines et Canope;
+
+ Et des flambeaux pareils des soleils couchants
+ Illuminent la soie et les gemmes persanes.
+ Tandis qu'au rire aigu des jeunes courtisanes
+ Les nefs, lourdes d'amour, glissent avec des chants.
+
+ Les esclaves courbs effleurent de leurs rames
+ Les papyrus gants teints de brves clarts
+ Et l'eau lente roulant des flots de volupts
+ O se mirent les yeux et les seins nus des femmes.
+
+ Mais non loin, sourd au bruit sacrilge que font
+ Les voix des matelots, les fltes et les harpes
+ Le gurisseur voil de ses triples charpes
+ Ossar-Hapi sommeille en son temple profond;
+
+ Et de vagues lueurs parses sur les dalles
+ Eclairent tristement de leurs reflets confus
+ Les suppliants couchs auprs des grles fts
+ En un ftide amas de chairs et de sandales.
+
+ Seul debout dans sa force et sa beaut, parmi
+ Les plerins perclus de maux, rongs d'ulcres,
+ Mais tel que le gant dchir par les serres
+ Du vautour, un Hellne orgueilleux et blmi
+
+ Evoque sans trembler le prince du mystre:
+ O matre, hte cach du sanctuaire, Roi,
+ Vierge d'tonnement puril et d'effroi,
+ J'ai connu tous les dieux du ciel et de la terre,
+
+ Atroces et clments, magnifiques et laids
+ Et j'ai pri selon l'ordonnance des rites
+ Prs du fleuve farouche o chantent les lychnites
+ Dans la splendeur des clairs de lune violets
+
+ Et l-bas, o les daims paissent la mousse rase
+ Sous les neiges de la fabuleuse Thul,
+ J'ai lu le sort crit dans l'azur constell
+ Par les nuits qu'une aurore inoubliable embrase;
+
+ Mais nul n'a dit le mot que j'ai cherch longtemps
+ Et qui me gurirait des angoisses de l'me:
+ Parle, sinon la mort prochaine me rclame
+ Et l'horreur d'ignorer me consume: j'attends.
+
+
+II
+
+ Alors des profondeurs et des tnbres saintes
+ Comme un jeune soleil sort des gouffres marins,
+ Blanche, laissant couler des paules aux reins
+ Ses cheveux o nageaient de ples hyacinthes,
+
+ Une femme surgit: son manteau radieux
+ Revtait son beau corps d'une pourpre vivante;
+ Des abmes d'amour, de joie et d'pouvante
+ O sombrerait l'esprit des hommes et des dieux
+
+ S'ouvraient terriblement dans ses larges prunelles
+ Et les villes, les champs, les cimes, les dserts,
+ La mer prodigieuse et l'infini des airs
+ Semblaient se rflchir et disparatre en elles;
+
+ Et lorsqu'elle parla, son ineffable voix
+ Unissait aux chos des lyres et des sistres
+ Le souffle des baisers et les rles sinistres
+ De la haine et le bruit des vagues et des bois:
+
+ Marcheur pensif, enfant prdestin qui nies
+ Les songes et l'espoir de ton coeur puril,
+ Tu vas, merveill des floraisons d'avril
+ Et des soirs frissonnant de calmes harmonies;
+
+ Tu regardes avec des tendresses d'amant
+ Les nuages lgers ouvrir leurs ailes closes
+ A l'aube, et comme un vol de flamants blancs et roses
+ S'lever dans les champs du ciel perdument;
+
+ Volontaire captif de l'ternelle Omphale
+ Tu parles bas aux Vierges chastes et tu sais
+ Faire chanter aux corps ardemment enlacs
+ Des hymnes inous d'impudeur triomphale;
+
+ Ton esprit altr de dsirs immortels
+ Epuiserait encor la coupe des prires,
+ Ta parole dment tes attitudes fires
+ Et tu t'es prostern devant tous les autels.
+
+ Mais toujours au milieu de tes extases vaines
+ Le mensonge des dieux et des lvres te point
+ Et tu verses, du d'aimer ce qui n'est point,
+ Tous les pleurs de tes yeux et le sang de tes veines.
+
+ Si tu n'treins que des chimres, si tu bois
+ L'enivrement de vins illusoires, qu'importe?
+ Le soleil meurt, la foule imaginaire est morte
+ Mais le monde subsiste en ta seule me: vois!
+
+ Les jours se sont fans comme des roses brves,
+ Mais ton Verbe a cr le mirage o tu vis
+ Et je nais tes yeux de tes regards ravis
+ Et je garde jamais la gloire de tes rves.
+
+ La forme s'effaa, la parole se tut,
+ Et dlivr du poids antrieur des chanes,
+ L'homme plana plus haut que les heures prochaines
+ Et comme tout, canaux, cit, temple abattu
+
+ S'enfonait lentement dans la brume amasse
+ Sur le fond tnbreux des tres et des temps,
+ Pure clart, pistils de rayons clatants,
+ Il vit s'panouir la fleur de sa pense.
+
+
+
+
+LES MYTHES
+
+_A MARCEL COLLIRE._
+
+
+
+
+L'AVENTURIER
+
+_A Charles Andler._
+
+
+ L-haut, temple ou palais dress sur la colline,
+ Un amoncellement de blocs prodigieux
+ Monte: des chiens de bronze aux yeux de cornaline
+ Hurlent aux quatre vents, la gueule vers les cieux.
+
+ Les murs massifs, coupes de portes mtalliques,
+ Sont caills de cuivre et peints de vermillon;
+ Au fate, le soleil frappe de feux obliques
+ Un tendard taill dans la peau d'un lion.
+
+ Pacifiques, devant la demeure farouche,
+ Des rosiers rouges et des lys parent le bois
+ O passe, inoffensive aux roses qu'elle touche,
+ L'enfant belle dompter les hros et les rois.
+
+ Le calme lumineux du jour mourant caresse
+ L'enfant grave: elle glisse entre les nobles fleurs
+ Avec des gestes lents d'idole ou de prtresse
+ Qui n'a jamais connu le rire ni les pleurs.
+
+ Elle va, contemplant de ses larges prunelles
+ Les vagues de forts qui ferment l'horizon
+ Et le val o le soir vt d'ombres solennelles
+ Le matre hriss d'une horrible toison.
+
+ C'est son pre, tueur de boeufs, ployeur de chnes;
+ Embusqu tel qu'un fauve aux aguets, il attend
+ Les voyageurs qui vont vers les cits prochaines
+ Et fait craquer leurs os en ses doigts de Titan.
+
+ Puis il revient, tranquille, aprs chaque tuerie,
+ Courb sous le butin comme un roi triomphant,
+ Et tandis que les morts saignent dans la prairie
+ Suspend de lourds colliers au cou de son enfant.
+
+ Maintenant une nuit de lune, froide et claire,
+ Dcoupe le profil des monts sur les chemins;
+ Le meurtrier fatal, sans haine et sans colre,
+ Ecoute s'approcher un bruit de pas humains.
+
+ Et voici qu'au dtour de la route moussue
+ Apparat, radieux sous l'armure qui luit,
+ Un guerrier casqu d'or qui porte une massue
+ Et dont le manteau rouge illumine la nuit.
+
+ Le Tueur, allong dans la broussaille, pie
+ Le Hros ddaigneux en marche vers la mort;
+ Mais celui-ci, clamant vers la muraille impie,
+ Rveille les chos de la fort qui dort:
+
+ Je suis venu; hors du repaire, vainqueur d'hommes!
+ Si tu fuis devant moi je dirai que tu mens;
+ Mais tu mriteras le nom dont tu te nommes
+ Si tu peux m'touffer dans tes embrassements.
+
+ --Soit! ta bouche saura la saveur de la terre.
+ Et l'antique lutteur se dresse avec ennui
+ Pour craser d'un coup de poing et faire taire
+ L'phbe injurieux qui parla devant lui.
+
+ Ils se prennent, poitrine unie et chair mle,
+ Groupe tumultueux de rles et de cris:
+ L'enfant calme regarde, au fond de la valle,
+ Le meurtre habituel du haut des monts fleuris.
+
+ Elle voit seulement se mouvoir dans la plaine
+ L'ombre du double corps et des torses jumeaux
+ Et sre du vainqueur, s'enivre avec l'haleine
+ Des parfums langoureux pars sous les rameaux.
+
+ Mais tout coup, aprs une clameur sauvage,
+ Ses impassibles yeux se ferment de terreur:
+ Comme un boeuf abattu dans le natal herbage,
+ L'invincible est couch sous le jeune lutteur.
+
+ Et le guerrier sanglant, par les pentes ardues,
+ Monte vers le jardin: Vous serez apaiss,
+ O morts, je vengerai vos mes perdues
+ Et la victime est belle et vierge de baisers.
+
+ O morts, je vais tuer dans la Fille maudite
+ Les excrables fils qui natraient de ses flancs.
+ Il dit et vient, hagard du meurtre qu'il mdite
+ Et l'Enfant parle aux fleurs et tend ses bras tremblants:
+
+ L'Homme vous briserait avec ses mains brutales,
+ Roses que je laissais fleurir et dfleurir;
+ Un arome puissant monte de vos ptales,
+ Vos parfums sont trop doux pour que j'aime mourir.
+
+ Ma chair frissonne; sauvez-moi, fleurs protectrices.
+ O lys, lys glorieux que je n'ai pas cueillis,
+ Je voudrais me cacher dans vos troits calices
+ Et refermer sur nous le voile des taillis.
+
+ Au moins, versez en moi vos senteurs: que j'emporte
+ Dans le morne pays vos baumes prcieux,
+ O fleurs qui renatrez lorsque je serai morte,
+ Fleurs, ternelles fleurs, fleurs gales aux dieux!
+
+ Elle murmure encor des mots et des prires
+ Mais le vainqueur, surgi des pres escaliers,
+ Trane par les cheveux l'Enfant dans les clairires
+ Et fait boire son sang aux roses des halliers.
+
+ J'ai tu le Brigand et la Magicienne,
+ L'oeuvre est bonne: luisez sur ma route, astres purs!
+ Et l'Ephbe drap dans la pourpre ancienne,
+ Se hte dans la nuit vers les monstres futurs.
+
+
+
+
+LE BOIS SACR
+
+_A Lucien Lvy_
+
+
+I
+
+ Resplendissante, au pied du mont mystrieux,
+ La troupe formidable et blonde des guerrires
+ Gardait, la lance au poing, les farouches clairires
+ Et la fort terrible o sommeillent les dieux.
+
+ Et tous venaient vers la tnbreuse valle
+ Sous les casques de bronze et les boucliers ronds,
+ Vtus de fer et d'or par de bons forgerons,
+ Tous les hros pris de gloire inviole.
+
+ Frappant le ciel muet de sauvages clameurs,
+ Tous par les nuits, par les matins, par les vespres,
+ Ils venaient au galop des licornes cabres:
+ Nous verrons votre face, excrables semeurs
+
+ Des dsirs, des baisers et des larmes humaines;
+ O voyageurs hagards qui hurlez dans le vent,
+ Nos bras toufferont votre souffle vivant
+ Et nous tuerons en vous nos amours et nos haines.
+
+ Si vous ne craignez pas nos glaives, approchez:
+ Votre rire cruel insulte nos misres.
+ O vautours, nous irons vous prendre dans vos aires,
+ O loups, nous forcerons vos repaires cachs!
+
+ Tous se ruaient: l-haut, sous les sombres ramures,
+ Les calmes dieux semblaient immobiles et sourds.
+ Mais brandis par les mains des guerrires, toujours
+ Les javelots stridents vibraient sur les armures.
+
+ Et les hros, vainqueurs de monstres, les tueurs
+ Des dragons enflamms, des hydres et des stryges
+ Roulaient honteusement broys sous les quadriges.
+ Leurs yeux mi-clos rougis de mourantes lueurs
+
+ Convoitaient les seins nus des prtresses complices
+ Qui, mprisant leurs cris et leurs rles derniers,
+ Joyeuses, bondissaient sur les rauques charniers
+ Et tendaient vers le ciel leurs mains triomphatrices.
+
+
+II
+
+ Or le tumulte des batailles, ce jour-l,
+ Se tut comme la mer pendant les accalmies.
+ Sur les corps mutils et sur les chairs blmies
+ Le flot d'une ineffable aurore s'tala.
+
+ Un grave chant port par le souffle des brises
+ Montait de l'Orient lumineux et charmait,
+ pars autour des bois et du divin sommet,
+ Le coeur moins furieux des guerrires surprises:
+
+ Et l'Ade parut couronn de cyprs;
+ Sa lyre se voilait de tristes asphodles
+ Et douloureusement les cordes immortelles
+ Pleuraient un chant d'amour, de deuil et de regrets.
+
+ M'entends-tu dans le noir abme, chre morte,
+ Irrvocable fleur qu'un vent cruel emporte?
+
+ O lumire, comme une toile qui s'enfuit,
+ Ne briseras-tu pas les chanes de la nuit?
+
+ O soeur des soirs taills dans de larges opales,
+ O sont tes cheveux d'ombre, o sont tes lvres ples?
+
+ Vous qui l'avez ravie, dieux, je viens vous,
+ Rendez l'pouse absente aux baisers de l'poux.
+
+ Je vous ai clbrs dans mes strophes pieuses,
+ O matres qui sigez aux cimes merveilleuses:
+
+ Mais les rhythmes naissaient de ses rires: rouvrez
+ Les sources de l'amour et des hymnes sacrs.
+
+ Les guerrires des dieux coutaient comme en rve
+ Le doux profanateur en marche vers les bois,
+ Il passa; les chevaux s'cartaient sa voix
+ Et sa chair ddaignait la morsure du glaive.
+
+ Autour de lui, le vol des flches susurrait
+ Comme un essaim vaincu d'abeilles bienveillantes
+ Et sans our les cris des vierges effrayantes
+ L'Ade pacifique entra dans la fort.
+
+
+III
+
+ perdument, par les silencieuses sentes,
+ Il allait; ses regards piaient les fourrs
+ Taciturnes: sous les rameaux enchevtrs,
+ Nulle apparition de chairs blouissantes.
+
+ L'ombre informe, le noir silence, des parfums
+ Sauvages d'herbe frache et de fleurs surannes
+ Et, confondue avec les sves dchanes,
+ L'innombrable senteur des automnes dfunts.
+
+ Il allait; nulle voix effroyable ou charmante
+ Ne rpondait, nul bruit de fte ou de combats:
+ Seul, dans les antres, sous le ciel, ici, l-bas,
+ Le frisson fauve de la terre qui fermente.
+
+ Semblables au monceau des feuilles sous ses pas,
+ Ses rves, ses douleurs, ses penses
+ Tombaient en tournoyant dans les bises glaces
+ Et l'Ade comprit que les dieux n'taient pas.
+
+ Il perdit, se vouant aux stupides pes,
+ L'orgueil d'tre vaincu par un matre inclment,
+ Comme les hros morts frapps en blasphmant
+ Ivres d'un puissant vin de gloire et d'popes.
+
+ Et dpouill du fier rve des dieux jaloux,
+ Il brisa pour jamais les cordes tutlaires
+ Et descendit vers les clameurs et les colres,
+ Ainsi qu'un chasseur las se livre aux crocs des loups.
+
+
+IV
+
+ L'homme fut dchir par les vierges sanglantes;
+ La bouche d'o sortaient les paroles de miel
+ Se tut. La nuit sereine enveloppa le ciel
+ Et recouvrit les morts d'ombres indiffrentes,
+
+ Tandis que dfendant le mont mystrieux
+ La troupe formidable et blonde des guerrires
+ Gardait, la lance au poing, les farouches clairires
+ O triomphe toujours le mensonge des dieux.
+
+
+
+
+LES CAPTIFS
+
+_A Leconte de Lisle._
+
+
+I
+
+ Un sage, descendant de cimes inconnues,
+ S'en allait autrefois par le pays d'Assour,
+ Et la mystrieuse aurore d'un grand jour
+ Empourprait, sa voix, le jardin blanc des nues.
+
+ Les peuples le suivaient et ne comprenaient pas
+ Quels dieux, accompagnant la marche du prophte,
+ Candidement semaient dans les villes en fte
+ Des lys miraculeux et calmes sous ses pas.
+
+ Mais tous buvaient le miel divin de ses paroles,
+ Le miel fait de parfums et de baumes puissants,
+ Forts comme la senteur parse de l'encens,
+ Doux comme la senteur parse des corolles.
+
+ Pour s'enivrer des mots que sa bouche versait,
+ Les laboureurs quittaient le manche des charrues,
+ Et parmi la clameur des foules accourues
+ Le Voyant pacifique et sublime passait.
+
+ Dsormais, ddaigneux des apparences brves
+ Et des illusions passagres, fermant
+ Leurs yeux purifis la clart qui ment,
+ Les hommes ouvraient l'me la splendeur des rves.
+
+
+II
+
+ Le roi, las des lions traqus dans les filets,
+ Las des buffles saignant sous la grle des flches,
+ Las des femmes aux chairs odorantes et fraches
+ Fit amener vers lui cet homme en son palais:
+
+ Vieillard, vocateur des merveilles du songe,
+ Jongleur qui fais surgir devant les yeux humains,
+ Dans la poussire impure et vile des chemins,
+ Des visions de paix, de gloire et de mensonge,
+
+ Vieillard, vocateur des merveilles du ciel,
+ Toi qui rgnes, l-bas, au pays du mystre,
+ Mon coeur royal du par l'horreur de la terre
+ Aspire la beaut du monde essentiel.
+
+ Tel que le cri plaintif des tigres dans les fosses
+ Vient nous travers les cloisons de la nuit,
+ J'entends sourdre en moi-mme un lamentable bruit
+ Malgr le mur d'airain des apparences fausses.
+
+ O vieillard, fais tomber les mauvaises cloisons,
+ Montre-moi la campagne et les arbres des plaines
+ Et les fleuves d'azur roulant vagues pleines
+ Vers le gouffre sans fin des vierges horizons.
+
+ Mais l'homme d'une voix tranquille: Que t'importe,
+ O roi des rois, seigneur des mondes, fils des dieux,
+ Qui marches revtu de pourpre et radieux,
+ La rumeur entendue au del de la porte?
+
+ O matre, que veux-tu de la terre et des cieux?
+ Si je t'ouvre la source antique de la vie,
+ Je n'apaiserai pas ta soif inassouvie,
+ Et ton esprit d'orgueil n'en croira point tes yeux!
+
+ --Voil beaucoup de mots inutiles, prends garde:
+ Ta tte pourrait choir d'un coup prmatur.
+ Et l'homme rpondit: C'est bien. J'obirai:
+ Roi qui veux voir le fond de l'abme, regarde.
+
+ Hors du temps, hors du lieu, faite de pur granit,
+ Enserrant l'univers de ses noires murailles,
+ Rauque d'un monstrueux rle de funrailles,
+ Une immense prison montait dans l'infini.
+
+ Au milieu de la gele effroyable, les villes
+ S'tageaient sous le deuil des cieux; un flamboiement
+ D'astres sombres luisait pouvantablement
+ Sur les rois, sur les dieux, sur les foules serviles.
+
+ Mais une lueur d'aube emperlait l'Orient
+ De magiques rayons et d'tincelles blondes:
+ Les hommes ns depuis la naissance des mondes
+ Se ruaient vers l'espoir du soleil, en criant.
+
+ Ils allaient, perdus et fauves; les armes
+ Se heurtaient sous le vol sinistre des vautours;
+ Et les blocs de rochers pleuvaient des hautes tours,
+ Et les ailes du feu nageaient dans les fumes.
+
+ Les chefs vainqueurs, avant le rouge lendemain,
+ Offraient aux dieux d'en-haut les victimes tues
+ Et dressaient vers la cime errante des nues
+ Des palais effrayants tendus de cuir humain.
+
+ Sourds aux tumultes, sourds aux luttes, mains unies,
+ Regards ravis d'extase et d'blouissements,
+ Des couples enlacs de femmes et d'amants
+ Passaient, dans un concert de tendres harmonies:
+
+ Des ptales de fleurs apports par le vent
+ Tourbillonnaient vers eux dans l'ombre des yeuses:
+ Et tous, couples d'amour et hordes furieuses,
+ Marchaient, marchaient toujours vers le soleil levant.
+
+ Mais l'aube dsire et les futures gloires
+ De clarts dcevaient leurs risibles efforts,
+ Et mourant vainement pour renatre, les morts
+ Poursuivaient nouveau les astres illusoires.
+
+ La mme nuit baignait l'ternel horizon,
+ Et de ceux qui vaguaient dans la gele des choses
+ Et tchaient s'enfuir de leurs cavernes closes,
+ Aucun ne s'vadait de la morne prison.
+
+ Seuls, les sages tuaient la volont de vivre.
+ Aveugles aux lueurs que nul ne peut saisir,
+ Ils gagnaient, affranchis des chanes du dsir,
+ Le nant ineffable et la mort qui dlivre.
+
+ Bienheureux qui savaient la fatigue des pas,
+ Bienheureux qui savaient le mirage des astres,
+ Bienheureux qui savaient la vie et les dsastres:
+ Ils s'endormaient un jour et ne renaissaient pas.
+
+
+III
+
+ La vision, vieillard, est morne et ridicule:
+ Tu mourras. Et le roi Nabou-Koudour-Oussour,
+ Trs juste, fit clouer au fate d'une tour
+ La tte qui saignait dans l'or du crpuscule.
+
+
+
+
+LES YEUX D'HLNE
+
+_A Marcel Proust._
+
+ Qualis maternis Helene jam digna palestris,
+ Inter amyclaeos reptabat candida fratres.
+
+(P. STATIUS.)
+
+
+ La native blancheur du cygne paternel.
+ Vt de neige le corps adorable d'Hlne,
+ Et l'eau du fleuve bleu qui glisse dans la plaine
+ Baigne ses yeux d'enfant profonds comme le ciel.
+
+ Elle va: ses regards de desse ingnue
+ Que jamais la tristesse impure n'a troubls
+ Errent nonchalamment sur les flots blonds des bls,
+ Et les hommes pensifs tremblent sa venue.
+
+ Elle voque l'horreur future des destins
+ Et verse le frisson des luttes fatidiques
+ Aux guerriers venir assis sous les portiques,
+ Dont les yeux blouis suivent ses pas lointains.
+
+ L'effroi religieux issu de ses prunelles
+ Ardentes d'incendie et de fauves clarts
+ Saisit trangement les coeurs pouvants
+ Et pleins de visions sombres et solennelles.
+
+ Passe, vierge terrible au col souple et nerveux:
+ L'inexpiable sang pour les sicles macule
+ Ton front clair comme un jour d't sans crpuscule
+ Et la mort des hros surgit de tes cheveux.
+
+ Passe, reine d'amour, semeuse de dsastres,
+ Dans ta robe de gloire et de srnit,
+ Et vois fleurir les deuils autour de ta beaut,
+ Sous tes regards pareils aux rayons froids des astres.
+
+ Tu brilles dans la nuit des ges rvolus
+ Et les derniers amants des formes triomphales
+ Contemplent au del de l'ombre et des rafales
+ Tes yeux dont la splendeur ne s'abolira plus.
+
+
+
+
+SCHAOUL
+
+_A Rodolphe Darzens._
+
+
+I
+
+ En ces jours, Elohim lui refusant son ombre,
+ Schaoul, enfant de Qisch, tait semblable au mort
+ Dlaiss, que la dent des btes fauves mord,
+ Et les esprits du mal rongeaient son me sombre.
+
+ Il errait travers les routes d'Isral
+ Poursuivi sans repos par la meute tenace
+ Et d'pres aboiements de haine et de menace
+ Hurlaient autour de lui dans l'abme du ciel.
+
+ Rien ne transfigurait ses mornes destines.
+ Nulle trve: ni les paroles des nabis
+ Ni la chair des bliers ni la chair des brebis
+ N'cartaient de son coeur les gueules forcenes.
+
+ Et mme dans la fte hroque du sang,
+ Quand les vaincus, aprs les sauvages victoires,
+ Montaient vers le Trs-Haut en feux expiatoires,
+ Les crocs inassouvis lui dchiraient le flanc.
+
+ Alors on fit venir vers le roi taciturne
+ David de Bethlem, le joueur de kinnor,
+ Dont l'incantation charmait les astres d'or
+ Tandis que ses troupeaux paissaient l'herbe nocturne,
+
+ Et comme les chacals rentrent aux creux des monts
+ Quand le veneur parat sur les rocs granitiques,
+ Mlant sa voix d'enfant aux cordes prophtiques
+ David, plein d'Iahveh, chassa les noirs dmons.
+
+
+II
+
+ Homme, Schaoul des temps infinis, saigne et pleure:
+ Les carnassiers hideux suivent sur ton chemin
+ La trace de tes pas, hier, aujourd'hui, demain,
+ Toujours: le changement de la forme et de l'heure
+
+ N'cartera jamais la horde des ennuis
+ Et tu te traneras dans l'horreur sans limite
+ Sans our le Kinnor et le Bethlmite
+ Qui te ferait des jours pareils aux belles nuits.
+
+
+
+
+RESSOUVENIR
+
+_A Mario de la Tour de Saint-Ygest._
+
+
+ Cet homme tait venu vers le Matre des pleurs
+ Oubliant pour le Christ les lyres et les roses,
+ Comme un vendangeur las qui de ses mains dcloses
+ Laisse choir les raisins et les grappes de fleurs.
+
+ Il avait dlaiss pour les routes d'pines
+ Les portiques de marbre auprs des flots marins.
+ Sous le cilice dur qui lui mordait les reins,
+ Il marchait loin du jour vers les ombres divines.
+
+ Or il vivait au fond des bois mystrieux,
+ Suivi par un troupeau de btes familires,
+ Et des oiseaux volaient autour de ses prires
+ Et des rves de ciel illuminaient ses yeux.
+
+ Mais toujours, tel qu'un vol blond d'abeilles essaime
+ Et retourne en vibrant aux ruches d'autrefois,
+ Par les soirs langoureux chargs des douces voix
+ Et des parfums charnels que le Mauvais y sme,
+
+ Son me s'envolait vers les jours rvolus:
+ L'ancien verbe d'amour cach dans l'vangile
+ Faisait fleurir au bois les nymphes de Virgile
+ Et des faunes lascifs montraient leurs fronts velus.
+
+
+
+
+GOETTERDAEMMERUNG
+
+_A la comtesse Jane._
+
+ Heil siegendes Licht.
+
+
+ Siegfried, astre vad des ombres transitoires,
+ Soleil panoui dans l'azur de la mort,
+ Avec ta chair, la gloire humaine de l'effort,
+ S'abmait dans le deuil des suprmes victoires.
+
+ Mais tels que le granit us des promontoires,
+ Que l'assaut de la mer temptueuse mord,
+ Les dieux irradiant dans les glaces du Nord
+ Attendaient lchement les jours expiatoires.
+
+ Le hros, sur les fleurs sanglantes du bcher,
+ Semblait sortir des couchants mornes et marcher
+ Dans l'aurole d'or des flammes triomphales.
+
+ Tandis qu'en un torrent de splendeur et de bruit,
+ Flagell par le vol sinistre des rafales,
+ Le Palais merveilleux s'croulait dans la nuit.
+
+
+
+
+LA FILLE AUX MAINS COUPES
+
+MYSTRE
+
+_A Maurice Peyrol._
+
+
+_PERSONNAGES_
+
+ LA JEUNE FILLE.
+ LE POTE.
+ LE CHOEUR D'ANGES.
+ LE PRE.
+ LE SERVITEUR.
+
+_L'action se passe n'importe o et plutt au moyen ge._
+
+Dans la chambre silencieuse, o flotte par les vitraux glauques la soie
+resplendissante de l'aurore, LA JEUNE FILLE est agenouille et prie en
+sa blancheur adorable de lys.
+
+Le large bliaud damass, broch de calices d'argent, qui neige sur sa
+poitrine et l'toile, est peine agit par le souffle du corps ple
+sculpt dans un marbre vivant.
+
+Elle lit dans le lourd missel incrust de joailleries, mais d'une voix
+si basse qu'elle semble un frlement somptueux d'toffes que froissent
+dans l'ther des princesses lointaines.
+
+Elle laisse tomber le livre et les yeux tourns vers un Christ exsangue
+sur un ciel ensanglant, elle clt ses lvres entr'ouvertes et se prend
+ prier des rves sans paroles.
+
+ O Jsus, cartez les griffes du Malin.
+
+ Les anges de saphir dorment dans le vlin;
+ Les graves lettres d'or psent aux ailes blanches;
+ La colombe du ciel s'englue aprs les branches,
+ Et la prire est prise au pige des versets.
+
+ O livre, le parfum sacr que tu versais
+ Vaut moins, pour le Sauveur et pour ses mains perces,
+ Que l'inapprciable encens de mes penses.
+
+ Mon bien-aim, mls vos lus divins,
+ Mes rves purs, avec le choeur des Sraphins,
+ Allgs du fardeau des paroles antiques,
+ Mes rves ont chant plus haut que les cantiques;
+ Et quand mon me, un jour, s'vadera du corps,
+ Je volerai dans les Splendeurs et les Accords
+ Faits de flamme subtile et de claire harmonie,
+ Et je rayonnerai dans la gloire infinie,
+ Autour du front terrible et charmant de l'poux.
+
+ O monde, vie, sens, vanouissez-vous!
+ Car, l-haut, par del les tnbres premires,
+ Dans l'clat des concerts et la voix des lumires,
+ Imprissable, dans le nimbe de l'Amant,
+ La chair immacule arde ternellement.
+
+Baigne d'une musique surhumaine, elle entend comme en elle-mme:
+
+UN CHOEUR D'ANGES
+
+ Enfant, les cieux songs, blancs de lys et de vierges
+ Plus blmes que la cire odorante des cierges,
+ Et les jardins sems d'toiles, les sommets
+ D'hermine chaste et de candeurs impollues
+ Mirs aux lacs o vont les cygnes des nues,
+ Enfant, les cieux songs seraient clos jamais.
+
+ Arrire, le troupeau neigeux d'immacules!
+ Vers l'amoncellement des glaces recules,
+ Les rouges Kroubim vous repoussent du seuil
+ Eblouissant: les crins de votre pre cilice
+ Vous sont une moelleuse et royale pelisse:
+ Votre virginit n'est ivre que d'orgueil.
+
+ Arrire! le bl mur pars des Madeleines,
+ Epars sur les pieds nus avec les urnes pleines,
+ Brle seul dans la sainte aurole de feu.
+ Dans le brasier de Christ, aviv de colres,
+ Vous fondriez, froides fleurs des soirs polaires,
+ Qui ne parfumez pas les hommes avant Dieu.
+
+ Lorsque le Rdempteur eut bris les statues
+ D'autrefois, parmi les colonnes abattues,
+ Il laissa reverdir, seul d'entre les Maudits,
+ Ers, et lui donna pour royaume la Terre:
+ Immortelle, la soif des lvres vous altre,
+ Et l'enfer des baisers vaut notre paradis.
+
+ Va! l'Olympe aboli revit dans votre race;
+ La meute des dsirs vous poursuit la trace,
+ Et vous n'vitez pas les flches de l'Archer.
+ Prends garde d'oublier les cieux songs, vierge:
+ L'amour l'horizon de ta jeunesse merge;
+ J'ai vu, dans l'Orient, l'invincible marcher.
+
+LA JEUNE FILLE perdue des paroles ouies et bante d'horreur mystique
+invoque, en balbutiant, Madame Marie qui sourit, doucement couronne
+d'astres, au fond d'une fresque byzantine, et des cimes de l'azur tend
+les mains vers un vol d'mes en peine: VENITE AD ME DILECT ME.
+
+ Je ne sais plus si c'est mon rve que j'coute,
+ Ou si la source en moi s'infiltre goutte goutte
+ Qui ruisselle des luths et des psaltrions,
+ Et si j'entends le Diable ou les Anges. Prions.
+
+ Tueuse du serpent. Reine du bleu stellaire,
+ Le drobeur d'pis maraude autour de l'aire:
+ Le voleur d'mes vient des abmes et fuit:
+ Chassez le tentateur et le rdeur de nuit.
+
+Tandis que s'grnent les litanies, un fracas assourdi d'armures
+irradies glisse lentement, entre les tentures hroques o
+s'enchevtrent de furieuses mles.
+
+LA JEUNE FILLE, veille en sursaut des prires, se lve frissonnante
+vers SON PRE et le guerrier convulsif brle ses mains de caresses, de
+caresses incestueuses et brutales.
+
+Et l'enfant hurlante s'arrache des baisers sacrilges. Elle va jusqu'
+la grand salle o LE SERVITEUR courb fourbit les larges glaives et les
+panoplies.
+
+LA JEUNE FILLE
+
+ Vieillard, j'ai ma pense entire. Prends l'pe
+ De justice, l'pe infaillible, trempe
+ Sept fois dans le Saint-Chrme et le feu baptismal
+ Et que ne souille pas, comme l'homme, le Mal
+
+ Originel. Saisis la Purificatrice
+ --Si ton bras est rong d'ulcres, qu'il prisse!
+ A dit le Matre dont m'attendent les hymens;--
+ Et lave aux flots d'acier rougi, tranche mes mains!
+
+LE SERVITEUR
+
+ O ma fille, vos mains sont des corolles fines;
+ Vos mains sont un bouquet de jeunes aubpines;
+ L'haleine du printemps souffle de votre chair:
+ Je ne moissonne pas les fleurs avec le fer.
+ Vous dlirez.
+
+LA JEUNE FILLE
+
+ Tais-toi; l'ulcre des caresses
+ Inexpiables, mord ma chair et fond mes graisses.
+ Obis, sans l'horreur mortelle des aveux:
+ L'effroi te briserait les oreilles.
+
+La main leve en un geste terrible:
+
+ Je veux.
+
+Et la volontaire martyre pose sans trembler ses mains jaillissant des
+manches sur une table de porphyre aux mosaques de chimres.
+
+Ses yeux fixes ne clignent pas l'clat bleu du glaive brusque
+s'abattant, qui verse aux btes hraldiques des gouttes soudaines de
+pourpre.
+
+Et, brandissant dans la pnombre les deux torches jumelles des bras
+mutils, elle fait prendre une aiguire de cristal enchemis d'or.
+
+Epouvantable et radieux, un double nnuphar aux tiges d'carlate flotte
+dans une cume rose de grappes d'Orient foules.
+
+ Oh! le vase lustral o l'me se lava!
+ Va-t'en porter l'aiguire mon bon pre. Va.
+
+
+II
+
+Maintenant une foule confuse bruit prs de la mer flagelle par le vent
+du Nord. Dans une frle nef, sans rames ni voilure, LE PRE a fait
+tendre LA JEUNE FILLE surnaturelle, enveloppe dans un linceul de lin
+grossier. Elle regarde obstinment le ciel d'orage.
+
+LE PRE
+
+ Ma fille, vos pchs, commis dans ma maison,
+ Ont fait s'enfuir les tourterelles du blason.
+ Endormis dans la nuit tombale, clos en elle,
+ Les morts ont tressailli de votre ardeur charnelle.
+ Donc je dois, rprimant pleurs lches et sanglots,
+ Vous confier, vivante, la douceur des flots.
+ Nous prierons, gens des bourgs et manants de campagne,
+ Afin que la bont de Dieu vous accompagne.
+ Allez! au nom de la Trs Sainte Trinit,
+ Et que Jsus vous prenne en votre ternit.
+
+Mais la barque n'est pas engloutie par les gueules fauves de l'abme.
+Elle s'efface, pousse par les haleines pacificatrices d'invisibles
+archanges.
+
+Les gerbes fauches des houles vertes dorment sous un soleil d'accalmie,
+et LA JEUNE FILLE, affranchie par l'extase, contemple des visions vagues
+et des formes.
+
+ Dans le lilas de leurs rosaces vesprales,
+ Je vois s'panouir, l-haut, des cathdrales.
+
+ Une poussire d'astre irise les parvis
+ Et les arceaux sortent des dalles de rubis.
+
+ Dans l'espace des nefs sans limites, lames
+ D'azur, des encensoirs effeuillent des fumes.
+
+ Dans le frisson de leurs chos multiplis,
+ Des sons inentendus branlent les piliers.
+
+ Le voile rejet d'un fulgurant coup d'aile,
+ Le Tabernacle inaccessible se rvle.
+
+ Et lorsque l'Ostensoir phmre me luit,
+ La robe du soleil semble teinte de nuit.
+
+ Seigneur Dieu, l'apptit des vagues me rclame,
+ L'aumne de mon corps est faite. Cueillez l'me.
+
+Dans son ravissement mystique, LA JEUNE FILLE se croit morte. Serait-ce
+que la barque aborde aux rives vertigineuses du Paradis, o des couples
+clestes glissent dans une aube d'opales fluides?
+
+Elle regarde merveille, sous une toffe de la lumire, au lieu des
+tronons effroyables, la fracheur blonde de ses mains ressuscites et
+d'o s'exhale une senteur de ruches prochaines et de miel.
+
+Des enfants, vtus de tuniques multicolores et lgres, lui font un
+triomphal cortge et, prise dans des rets de charmes surhumains, elle
+marche au milieu des hymnes tranges. Hymen! Hymenaee!
+
+Hymen! Hymen! Hymenaee! Au fate des monts d'hyacinthe un palais de
+prodige monte, marmoren, vers les nuages violets. Elle gravit les
+escaliers, gards par des sphinges immobiles.
+
+Hymen! Hymen! Hymenaee! Au seuil glorieux des demeures, souriant
+idalement dans l'ombre dnoue de sa chevelure, LE POTE-ROI vient vers
+elle sous son manteau de pourpre lyrique.
+
+Et les enfants ont disparu; dans une salle de ferie, porte par des
+cariatides, sur l'or roux, des lions tus, LA JEUNE FILLE s'abandonne
+la volupt des caresses. Hymen! O hymen!
+
+LA JEUNE FILLE
+
+ Doux initiateur de l'me en quelle sphre
+ Plus lointaine, Jsus, l'Esprit, et Dieu le Pre,
+ Dans leur unit triple, infinis et sereins,
+ Attendent-ils le choeur des lus, plerins
+ Joyeux et jamais las d'un Temple que j'ignore,
+ Qui s'envolent de l'ombre ancienne vers l'Aurore.
+ Emmne-moi par les Edens et les Sions,
+ Toi qui sais les chemins de constellations.
+
+LE POTE-ROI saisit la grande Lyre et, sous le plectre, les cordes de
+brebis vibrent dans l'caille de tortue transparente.
+
+ Avant la Terre, avant les Jours et les annes,
+ L'Immuable a ptri nos chairs prdestines.
+
+ J'ai tromp mon ennui par la lyre, et j'attends
+ Tes seins qui m'appelaient de l'abme des temps,
+
+ Et mes yeux, emperls d'une angoisse inconnue,
+ Mes yeux cherchaient tes yeux nocturnes dans la nue.
+
+ Parfois, dans le brouillard chantant de la fort,
+ Une fe illusoire clt et disparat:
+
+ Dis-moi que tu n'es pas l'ombre vaine d'un rve,
+ O fille de la mer et de l'cume brve.
+
+ Dis-moi qu'avant la tombe et nos corps rvolus,
+ Le flot de tes baisers ne se tarira plus.
+
+ Je ferai vivre par del les tendues
+ Ton nom sanctifi dans les cordes tendues.
+
+ Et tu vaincras par la gloire de tes beauts
+ Les nymphes de l'Hellas et les Divinits.
+
+ Parle, et tu chasseras, de la mmoire humaine
+ La Vnus Italique et l'Anadyomne.
+
+ Je traquerai leurs souvenirs tels que des loups,
+ Et Christ reconnaissant se penchera vers nous.
+
+LA JEUNE FILLE
+
+ O Chanteur, je ne sais quel dcevant mystre
+ Me rappelle du ciel entrevu vers la terre.
+ Ton regard me repousse et m'attire. Va-t'en,
+ Car je me damnerais peut-tre en t'coutant.
+
+Dans son indicible douleur, LE POTE-ROI jette la Lyre qui se brise en
+un lamentable sanglot et le cri des fibres est si dchirant que LA JEUNE
+FILLE tremblante d'effroi et d'amour revient vers le royal Dsespr,
+comme rsigne aux flammes d'une imminente ghenne. Pendant qu'ils sont
+enlacs, UN CHOEUR D'ANGES, entendu jadis, effleure leurs oreilles
+extasies.
+
+ Ecarte le conseil de tes mauvaises craintes.
+ Le Seigneur t'a rendu des mains pour les treintes,
+ Fais l'amant royal le don de ton orgueil.
+ Va! laisse le troupeau neigeux d'immacules;
+ Vers l'amoncellement des glaces recules,
+ Les rouges Kroubim les repoussent du seuil.
+
+ Aimez-vous! le bl mr pars des Madeleines,
+ Epars sur les pieds nus avec les urnes pleines,
+ Brle seul dans la sainte aurole de feu.
+ Dans le brasier de Christ, aviv de colres,
+ Vous fondriez, froides fleurs des soirs polaires,
+ Qui ne parfumez pas les hommes avant Dieu.
+
+ Lorsque le Rdempteur eut bris les statues
+ D'autrefois, parmi les colonnes abattues,
+ Il laissa reverdir, seul d'entre les Maudits,
+ Ers, et lui donna pour royaume la Terre:
+ Immortelle, la soif des lvres vous altre,
+ Et l'enfer des baisers vaut notre paradis.
+
+
+
+
+LA PEUR D'AIMER
+
+_A Jos-Maria de Heredia._
+
+
+ La Bte monstrueuse et le bon Chevalier
+ Ont lutt tout le jour: le dragon mort distille
+ Un suprme venin sur le sable infertile,
+ Et le triomphateur entre dans le hallier.
+
+ Il va, les yeux hagards d'un songe familier:
+ L-bas, le palais d'or miraculeux rutile
+ Et la princesse rve, en sa grce inutile,
+ A l'amant inconnu qui la doit veiller.
+
+ Mais lorsque le vainqueur de l'hydre et des licornes
+ Vit, aprs le bois sombre et les escaliers mornes,
+ La vierge aux cheveux blonds comme un soleil d'Avril
+
+ Dans la jeune splendeur de sa pubert mre,
+ L'angoisse de l'amour mordit son coeur viril
+ Et sa chair de hros trembla, sous son armure.
+
+
+
+
+LE PRINCE D'AVALON
+
+_A Henri de Rgnier._
+
+
+ Et le prince vivait dans l'le d'Avalon.
+ Des parterres de fleurs caressaient ses prunelles;
+ Les calices des lys s'ouvraient en ce vallon
+ perdument, vers les toiles fraternelles;
+
+ Les paons constells d'yeux luisaient sous les halliers
+ Or mobile, tremblant saphir, vivante flamme
+ Et les fruits mrs pendus aux vastes espaliers
+ Versaient un opulent arme de cinname,
+
+ Tandis que, dans le parc peupl par des sylvains
+ Et des faunes bordant les larges avenues,
+ Le clair de lune pars sur les marbres divins
+ Faisait tinceler la chair des nymphes nues.
+
+ Et le prince sur la terrasse du palais
+ Inclinait vers le sol ses doigts chargs de bagues
+ Et regardait, l-bas, sous les cieux violets,
+ Fuir des vaisseaux fleuris par la houle des vagues.
+
+ Passez, je vous envie, frres ignors,
+ Que les vents furieux emportent sur le gouffre;
+ Je ne la connais plus et vous la reverrez
+ La terre dsirable o l'homme pleure et souffre.
+
+ Je suis venu vers les rivages interdits
+ Pour obir aux voix des blanches fiances
+ Et mon me succombe au poids des paradis
+ Ainsi que les joyaux chargent mes mains lasses.
+
+ Pour veiller en moi d'immortelles douleurs
+ Dont la mmoire accrt mes extases futures,
+ J'ai dchan des sangliers parmi les fleurs;
+ Mais les fleurs renaissaient plus belles et plus pures.
+
+ J'ai voulu renverser le palais merveilleux
+ Et je l'ai revtu de rouges incendies,
+ Mais des colonnes d'or surgissaient mes yeux
+ Et portaient jusqu'au ciel les votes agrandies.
+
+ Et lorsque j'ai tu la vierge que j'aimais,
+ Esprant rompre enfin les ineffables charmes,
+ L'enfant ressuscite a vaincu pour jamais
+ Par des baisers plus doux ma tristesse et mes larmes.
+
+ Pour moi, le flot des jours s'coule vainement;
+ Vainement le soir tombe et l'aurore rougeoie:
+ Envelopp de rve et d'blouissement
+ Je suis le prisonnier de l'immuable joie.
+
+ Ainsi par cette nuit d'toiles, il parlait:
+ Les fourrs frissonnants brillaient de lucioles
+ Et le souffle embaum de la brise mlait
+ Les chansons de la mer la voix des violes.
+
+
+
+
+CELLE QU'ON FOULE
+
+_A Georges Duflot._
+
+
+ C'tait parmi la nuit muette, la clameur
+ De la Terre, clameur lamentable et farouche
+ De gante en travail qui se tord sur sa couche,
+ Rejette l'embryon sanglant, rugit et meurt.
+
+ La formidable voix hurlait: cris d'pouvante,
+ Gmissements plaintifs des automnes, sanglots
+ Rauques de la fort hivernale et des flots,
+ Rire amer et confus de la foule vivante,
+
+ Frmissement de l'herbe et murmure des nids,
+ Hymne dmesur du torrent et du gouffre,
+ Tout ce qui parle, tout ce qui palpite et souffre
+ S'unissait et montait vers les cieux infinis.
+
+ Or voici l'anathme effrn que la Terre
+ Jetait travers l'ombre aux fils des nations:
+ Que le troupeau vengeur des excrations
+ Suive la trace l'homme ennemi du mystre.
+
+ Les peuples d'autrefois inclinaient leur orgueil
+ Devant la majest fconde de l'anctre
+ D'o jaillit la semence et la source de l'tre
+ Et qui rouvre ses flancs paisibles au cercueil.
+
+ Partout, toujours, dans les dserts hants d'hynes,
+ Dans les plaines de neige o, par soudains lans,
+ Bondissent des troupeaux de rennes et d'lans,
+ Prs du ple et dans les cryptes gyptiennes,
+
+ Les hommes adoraient la Terre, qui porta
+ Dans son sein maternel, des millions d'annes,
+ Le germe peine clos de vos races damnes
+ Et priaient genoux Kyble, Isis, Airtha.
+
+ Alors au bruit des sistres d'or et des crotales,
+ Sereine, travers les chemins et les cits,
+ De temple en temple, au pas de mes lions dompts,
+ J'allais les seins voils de pourpre orientale.
+
+ Les vierges de Hellas ployaient leur cou de lait
+ Au passage de la desse vnrable
+ Et, telles qu'au printemps les grappes de l'rable,
+ Me versaient des parfums o le feu se mlait.
+
+ Les austres guerriers des campagnes romaines
+ Chantaient pieusement la nourrice Rha
+ Qui mit en eux la sve antique et les cra
+ Pour l'asservissement des nations humaines;
+
+ Et les chasseurs lointains des cerfs et des aurochs,
+ Les braves aux yeux bleus, chevelus d'or, les Mles
+ rigeaient mes autels en face des cieux ples
+ Dans les forts temptueuses, sur les rocs.
+
+ Quand la procession de mes prtresses blanches
+ Prcdait au printemps par les sentiers herbeux
+ Mon attelage lent et tran par des boeufs
+ Vers les villages et les toits couverts de branches,
+
+ Les hommes tatous de fauve vermillon
+ Se courbaient et baisaient ma trace, et les pes
+ Rouges encore du sang et des ttes coupes
+ Saluaient d'un clair la Mre du Sillon.
+
+ O temps ancien de la Germanie et de Rome,
+ O temple universel des plaines et des bls
+ O mon mystique poux des sicles couls,
+ Le laboureur tait un prtre auguste l'homme:
+
+ Le culte vnr sombre aux flots de l'oubli:
+ Nul printemps, nul t, ne luit et ne ramne
+ Les incantations de la prire humaine
+ Vers les autels de mon sanctuaire aboli:
+
+ O races chaque jour plus impures et viles,
+ Qui ne connaissez plus mes mystres, troupeaux
+ Plus barbares que vos pres vtus de peaux,
+ Troupeaux qui pullulez dans vos enclos de villes,
+
+ Vous qui fouillez avec mpris mes flancs gercs
+ Par les maternits innombrables; foule
+ Immonde dont le pas sacrilge me foule;
+ Vous qui priez des dieux que je n'ai pas bercs
+
+ Au chant de mes forts de bouleaux et de chnes,
+ Dans des lits d'herbe frache et des langes de fleurs,
+ Voici venir enfin la horde des malheurs
+ Fatidiques et des calamits prochaines.
+
+ Dans un bref avenir une aube jaillira,
+ Ensanglantant les noirs espaces des nues
+ Et par-dessus le bruit froce des hues
+ Le clairon des combats ultimes sonnera;
+
+ Sous l'oeil indiffrent des sphres fraternelles,
+ L'horrible mer de vos haines, sinistrement
+ Dbordera sur vous et l'pouvantement
+ largira le vol funbre de ses ailes;
+
+ Et les hommes saisis d'un dlire fatal,
+ Dchans se rueront aux suprmes tueries;
+ De l'quateur torride aux blanches Sibries,
+ Ma face saignera comme un immense tal.
+
+ O fureur indicible et sans rpit! batailles
+ Qui durerez de l'aube au soir, pendant dix ans,
+ Comme le cri des flots qui heurtent les brisants,
+ J'entends dj clamer les corps sous les entailles.
+
+ Un souffle meurtrier et pestilentiel
+ S'exhale de la mort et des chairs refroidies
+ Sans linceul, tandis qu'aux lueurs des incendies
+ De vastes lacs de sang pourrissent sous le ciel,
+
+ De vastes lacs de sang o, rigides et vertes,
+ Vont des flottes de morts convulsifs par milliers,
+ O s'acharnent sans peur, repus et familiers,
+ Les vautours rjouis des cervelles ouvertes.
+
+ La fivre fait claquer les dents des survivants,
+ Tmoins terrifis des heures vengeresses,
+ Qui dans l'affolement des suprmes dtresses
+ Voudraient perptuer leur race en des enfants;
+
+ Mais ces accouplements de spectres puiss
+ Ne repeupleront pas les villes et les plaines.
+ Mlez-vous, unissez les corps et les haleines!
+ Les sicles ont tari la source des baisers.
+
+ Les temps sont couls, les heures sont venues
+ Et nul glas solennel et lent ne tintera
+ Lorsque le vent indiffrent emportera
+ Le dernier rlement de l'homme vers les nues.
+
+ Sa mort n'veillera ni gat ni regret
+ Dans le monde impassible et dans l'me des choses
+ Qui ne s'occupent pas en leurs mtamorphoses
+ De ce qui nat, grandit, s'efface et disparat.
+
+ Rien ne tressaillera dans la Nature, et seule,
+ Seule de toutes les toiles, je saurai
+ Que mon lait a nourri jadis l'tre excr,
+ Le mauvais fils, l'enfant contempteur de l'aeule!
+
+ Comme avant l'homme impie et ses rbellions,
+ Libre de sa prsence et de sa marche impure,
+ Je pourrai dnouer au vent ma chevelure
+ De profondes forts o rdent les lions;
+
+ Et quand l'aube luira dans la frache rose
+ Je plongerai mon corps que ses pas ont fltri.
+ --Et ma force renat, ma beaut refleurit,
+ Et ma chair a des tons d'glantine rose.
+
+ O gloire des cactus de pourpre et des lys blancs,
+ Hautaine majest des palmes triomphales
+ Que faisait onduler le souffle des rafales
+ Sur la virginit premire de mes flancs,
+
+ Surgissez et parez ma nouvelle jeunesse
+ Pour l'hymen radieux et rouge du soleil;
+ Tissez et dployez votre manteau vermeil
+ Sur ma gorge superbe et mes seins de faunesse!
+
+ Montez dans le limpide ther, chants d'oiseaux:
+ Voici l'amour et les caresses nuptiales;
+ J'entends hennir au loin les cavales royales
+ Et des nuages fins neigent de leurs naseaux.
+
+ Le Dieu descend du char cleste et sur ma bouche
+ Frissonnante, je sens sa bouche, et ses baisers
+ S'infiltrent lentement dans mes flancs embrass,
+ Jusqu' l'heure o le jour resplendissant se couche
+
+ Et remonte vers le palais mystrieux,
+ Cependant que la main pacifique des ombres
+ tale dans le ciel obscur ses voiles sombres
+ Et clt divinement mes lvres et mes yeux.
+
+
+
+
+LA VOIX IMPRISSABLE
+
+_A Catulle Mends._
+
+
+ Abandonn depuis des sicles fabuleux,
+ Un grand temple dressait sur le mont solitaire
+ Ses portiques de marbre et ses escaliers bleus.
+
+ Pourpre tranant en ombre errante sur la terre,
+ Jardins ensanglants de glorieuses fleurs,
+ Vasques d'or o l'ibis sacr se dsaltre,
+
+ Et prs des bois, gemms par la rose en pleurs
+ Du collier merveilleux que l'aube sainte grne,
+ Des oiseaux ignorant les rets des oiseleurs:
+
+ Tout un monde de rve esprait une reine
+ Ou le retour tardif des hros et des dieux
+ Disparus dans la nuit formidable et sereine.
+
+ Fils de la neige pure et du ciel radieux,
+ Des cygnes indolents glissaient dans la valle
+ Sur un fleuve que les lotus toilaient d'yeux;
+
+ Leurs corps majestueux fendait l'eau refoule
+ Et parfois leur plumage illustre secouait
+ Autour d'eux des flocons de lumire envole,
+
+ Tandis qu'en un appel de deuil ou de souhait
+ Le cri des beaux nageurs aux ailes ployes
+ Montait perdument vers le temple muet.
+
+ Mais nul dieu revenu n'cartait les feuilles
+ Et nulle reine avec des rires enfantins,
+ Ne rveillait l'cho des verdures mouilles.
+
+ Le vieux temple rigeait ses portiques hautains
+ Ainsi qu'un fier cueil d'indestructible roche
+ Qui dfiait les flots des soirs et des matins.
+
+ Or, flux tumultueux qui roule et qui s'accroche
+ En cume de flamme aux marbres effrits,
+ La sombre mer des jours suprmes tait proche
+
+ Ruine des moissons et terreur des cits.
+ Fauves ivres du sang vers dans les cratres,
+ Des hordes s'en venaient vers les bois enchants.
+
+ Les ttes des vaincus sur la peau des panthres
+ Pendaient horriblement comme des raisins mrs
+ Et les carquois sonnaient aux dos des sagittaires.
+
+ Les frondeurs brandissaient leurs bras noueux et durs
+ Et des cavaliers nus au galop des cavales
+ Entrrent en hurlant par les brches des murs.
+
+ Des torches consumaient de leurs pourpres rivales
+ Les voiles rouges et les blocs de marbre roux.
+ Et des gerbes de feu fusaient par intervalles.
+
+ L'absence de vivants attisait le courroux
+ Des barbares frustrs de la chair des prtresses,
+ Et les images d'or se brisaient sous leurs coups.
+
+ Tel le Temple, parmi les clameurs vengeresses,
+ S'abmait dans les flots de bronze incandescent
+ Qui couronnaient les monts de monstrueuses tresses.
+
+ Seuls, les cygnes pars dans le val frmissant
+ Regardaient la lueur rouge de l'incendie
+ Comme un morne soleil qui meurt et qui descend;
+
+ Et, vers l'astre nouveau d'o la flamme irradie,
+ Dsesprant des dieux qui les ont oublis,
+ Ils tournaient tristement leur prunelle agrandie,
+
+ Mais les barbares las, jetant leurs boucliers,
+ Firent pleuvoir, avec les pierres de leurs frondes,
+ Les flches qui sifflaient entre les peupliers.
+
+ Pointes de fer, silex aigus et balles rondes
+ Trouaient l'eau frissonnante avec un bruit strident
+ Et le sang des oiseaux tachait les claires ondes.
+
+ Alors un chant funbre emplit le ciel ardent:
+ Un concert douloureux d'ineffable harmonie
+ Montait vers les tueurs surgis de l'occident.
+
+ La voix des chanteurs blancs pleurant leur agonie
+ Poursuivait les guerriers jusque-l sans remords
+ Dont la chair palpitait d'une angoisse infinie;
+
+ Et tandis qu'autour d'eux l'me des cygnes morts
+ Semait un hymne amer de vengeance ternelle,
+ Les barbares, au vol de leurs chevaux sans mors,
+
+ S'enfonaient, affols, dans l'ombre solennelle.
+
+
+
+
+MAYA
+
+_A BERNARD LAZARE_
+
+
+
+
+THAS
+
+_A Henri de Manneville._
+
+
+I
+
+ Alexandros, l'pique enfant de Zeus Ammon,
+ Mange et boit et s'enivre aprs la ville prise
+ Dans le palais taill dans le marbre et le mont;
+
+ Et les hommes-lions, sculpts de pierre grise,
+ Inutiles gardiens des murs et du trsor,
+ Regardent le hros boire aux coupes qu'il brise,
+
+ Cependant que la fauve avalanche de l'or
+ Splendidement s'abat sur la massive table
+ Comme un grand oiseau roux au fulgurant essor,
+
+ La rauque orgie et la clameur pouvantable
+ Hurlent et le troupeau des Hellnes vainqueurs
+ Mugit: tels les taureaux dans la nocturne table;
+
+ Et parmi les pans discordants et les choeurs,
+ Et les parfums de la Sabe et le cinname,
+ Et la vapeur des vins et des chaudes liqueurs,
+
+ La torche en main, Thas, la bacchante qui clame,
+ La courtisane blanche et droite comme un lys
+ Revt de pourpre ardente et couronne de flamme
+
+ La ville antique aux toits d'argent, Perspolis.
+
+
+II
+
+ O ville, amas ancien de rve et de superbe,
+ Dresse en moi sur tes inbranlables fts,
+ Qui te rabaissera jusqu'au niveau de l'herbe?
+
+ Monceau de souvenirs tranges et confus,
+ Peuple mystrieux de muettes images,
+ Qui donc rendra la plaine au chant des bois touffus?
+
+ Qui chassera de moi les rites et les mages
+ Et sur les noirs dbris du temple renvers
+ Fera monter des cris d'oiseaux et de ramages?
+
+ Quelle torche, mon coeur, sur ton marbre glac
+ Etendra des lueurs sanglantes et sur l'me
+ Lchement assoupie et sur l'esprit lass
+
+ Dardera la splendeur de ses langues de flamme?
+
+
+
+
+JUDEX
+
+_A Marcel Collire._
+
+
+ Par le prtorial silence de la nuit
+ O sonnent seulement des horloges funbres
+ J'attends venir vers moi le Juge des tnbres
+ Qui scrute les pchs des hommes et s'enfuit.
+
+ Sans toge, sans licteurs ni haches enlaces,
+ Sans chants imprieux et tristes de buccins,
+ N'coutant que la voix des remords en nos seins
+ Le Juge intrieur passe dans nos penses.
+
+ Les spectres dont le jour avait tu les cris,
+ Les spectres dont le jour avait clos les prunelles,
+ Surgissent maintenant des tombes ternelles
+ Et redressent leurs fronts livides et fltris.
+
+ O baisers renis, mmoire des caresses,
+ Rves que j'avais crus emmurs pour jamais,
+ O cadavres divins que j'aime et que je hais,
+ Regards accusateurs et bouches vengeresses,
+
+ Que voulez-vous de moi? spectres, ayez piti;
+ N'appelez pas ainsi l'incorruptible juge;
+ Vous savez qu'il n'est point d'glise de refuge
+ Pour le coupable en pleurs et le crucifi.
+
+ Mais l'pre justicier se lve dans mon me
+ Chaque soir: il prononce irrvocablement
+ La sentence de deuil, de honte et de tourment
+ Et fait couler en moi des rivires de flamme.
+
+ Puis il remonte au ciel lointain dont il descend
+ Et d'o j'espre en vain le Rdempteur natre,
+ Tandis que dans l'obscur abme de mon tre
+ Un enfer de douleur hurle en le maudissant.
+
+
+
+
+CHAMBRE D'AMOUR
+
+
+ La nuit tide est clmente la ville qui dort;
+ Des lys imprieux triomphent dans la chambre
+ Et cependant nos coeurs sont froids comme Dcembre
+ Et nos baisers d'amours amers comme la mort.
+
+ Ta douce bouche s'ouvre des chansons mivres
+ Et tes seins bienveillants accueillent mon front las;
+ Mais, ma douloureuse enfant, je ne sais pas
+ Pourquoi les dieux mauvais empoisonnent nos lvres.
+
+ Qu'importe? viens vers moi, triste soeur; aimons-nous,
+ Sans craindre la saveur glorieuse des larmes,
+ Tels des hros blesss avec leurs propres armes
+ Et dont le glaive d'or a rompu les genoux.
+
+ Viens! nous aurons l'orgueil des mes taciturnes
+ En cette chambre morne et veuve de flambeaux,
+ O, semblable l'odeur des antiques tombeaux,
+ Un parfum spulcral monte des lys nocturnes.
+
+
+
+
+PRINTEMPS D'AUTOMNE
+
+
+ La pourpre automnale ensanglante
+ Les feuilles sches des halliers
+ Et transforme en floraison lente
+ Les rayons d'Avrils oublis.
+
+ D'insensibles mtamorphoses
+ Changent les clarts d'autrefois
+ En d'artificielles roses
+ Qui parent les jours gris et froids,
+
+ Et sous le ciel tendu de brume
+ Et les nuages palpitants
+ Leur odeur mourante parfume
+ Un mlancolique printemps.
+
+ Trs Chre, c'est aussi l'Automne
+ Tnbreux pour nos coeurs lasss;
+ Mais en notre chair qui s'tonne
+ Refleurissent les jours passs,
+
+ Et la ressouvenance lente
+ Nous revt, comme les halliers,
+ D'un manteau de pourpre sanglante
+ Faite des baisers oublis.
+
+
+
+
+LIEDER
+
+ Ich, ein tolles Kind, ich singe
+ Jetzo in der Dunkelheit;
+ Klingt das Lied auch nicht ergtzlich,
+ Hat es mich doch vor Angst befreit.
+
+(HEINRICH HEINE, _Die Heimkehr_.)
+
+
+I
+
+ Des mots doux comme des hautbois
+ Et des harpes surnaturelles,
+ Des sons lgers de chanterelles
+ Et dans les bois, des voix, des voix.
+
+ Des couples blancs de tourterelles,
+ Des oiseaux bleus couleur du temps;
+ Des ailes d'or sur les tangs,
+ Dans le ciel des ailes, des ailes.
+
+ Je ne sais o: je vois, j'entends.
+ Voici venir la trs aime
+ Et sa cheville parfume
+ Foule des tapis clatants;
+
+ Sa robe candide est lame
+ De l'or du paradis natal;
+ Des feux de myrrhe et de antal
+ L'entourent de blonde fume.
+
+ Plus rien, plus rien! le deuil brutal,
+ Le silence et l'ombre. Serait-ce
+ Que la perfide enchanteresse
+ A forg ce mur de mtal
+
+ Et clos dans la nuit vengeresse,
+ Sans ailes d'or et sans hautbois,
+ Les mots doux comme une caresse,
+ Et les colombes, soeurs des voix?
+
+
+II
+
+ Ni tes fierts, ni tes paresses
+ Ni l'espoir menteur des caresses,
+ Ni ta chair de vierge, j'aimais
+ La splendeur de ma propre ide,
+ O matresse non possde
+ Qui ne me trahiras jamais
+
+ Je garde en mon me hautaine
+ Le rve frais de la fontaine
+ Et des nnufars ingnus;
+ Je laisse aux lvres sans extase
+ L'eau noire et, grouillant dans la vase,
+ Tous les reptiles inconnus,
+
+ Loin de l'hivernale valle
+ L'aile des fleurs s'est envole
+ Et le murmure des nids verts
+ Cherche, avec le vol des ptales,
+ Dans les aubes orientales
+ L'ternel printemps de mes vers.
+
+ C'est l'heure que j'ensevelisse
+ La blancheur du dernier calice
+ Avec les souvenirs dfunts:
+ O nuptiale Galate,
+ Rends-moi la corolle emprunte,
+ Rends-moi le songe des parfums,
+
+ Pour que je tisse avec mes strophes
+ Un linceul de riches toffes
+ Embaum de myrrhe et de nard
+ Et que je jette sur mon rve
+ De jeunesse et de gloire brve
+ La pourpre antique de Schinnar.
+
+
+III
+
+ Pour moi seul tes cheveux de saule
+ Se droulent sur ton paule
+ Comme les feuilles dans le vent,
+ Et, tel que sur la neige vierge
+ Frmit un frisson d'or mouvant,
+ De l'aube de ta chair merge
+ Une fleur de soleil levant.
+
+ Car seul je connais les paroles,
+ Soeurs des feuilles et des corolles,
+ Qui puissent dire ta beaut;
+ Je sais les phrases rituelles
+ Par qui, dans le bois enchant,
+ L'ombre des amantes cruelles
+ Revive pour l'ternit.
+
+ Rires et larmes infinies!
+ Si je chantais tes litanies
+ Et le miel de tes seins ross
+ Je ferais voler dans les brises,
+ Au del des jours puiss,
+ L'abeille des lvres prises
+ Vers la ruche de tes baisers.
+
+ Mais je tais avec jalousie
+ Les chers mots dont je m'extasie:
+ Les hommes passent et s'en vont;
+ Le bruit des foules abhorres
+ Roule et le miel divin se fond
+ En perles de gouttes dores
+ Dans l'urne de mon coeur profond.
+
+
+IV
+
+ Ta voix, ta mme voix de colombe blesse
+ Sonne plaintivement dans ta gorge lasse.
+
+ J'entends encor l'cho des paroles d'antan
+ Lorsque les mots ails s'envolent en chantant.
+
+ Mais je ne comprends plus les syllabes; j'oublie
+ Ce qui fait leur langueur et leur mlancolie.
+
+ Je crois t'our parler un langage inconnu
+ Sur des airs dont mon coeur s'est en vain souvenu,
+
+ Et je perois parmi la musique rhythme
+ La voix d'une trangre ou d'une morte aime.
+
+
+V
+
+ Reine du magique palais,
+ En ce jeu cruel que tu joues,
+ Comme tes soeurs, tu te complais
+ Aux larmes roulant sur nos joues.
+
+ Quand tu presses le vin des coeurs
+ L'toile de tes yeux rutile,
+ L'toile de tes yeux vainqueurs
+ Rit de la lchet virile.
+
+ Tandis que, dans la paix du soir,
+ Les dsirs--tels de mauvais anges--
+ Portent aux meules du pressoir
+ Les grappes des rouges vendanges.
+
+ Soit! en tes rves assassins
+ Grise-toi des pourpres foules
+ Et noue au-dessous de tes seins
+ Des peaux fauves et taveles.
+
+ Sois la bacchante que les dieux
+ Lchent sur la terre; promne
+ L'orgueil de tes flancs radieux
+ Au milieu de la vigne humaine.
+
+ Va! que les hros asservis
+ Et les potes que tu cres
+ Se courbent hurlants et ravis
+ Devant tes colres sacres:
+
+ Tes triomphes sont imparfaits,
+ Ta gloire sanglante est un leurre;
+ Tu n'as pas su que je t'aimais
+ Et tu ne sais pas que je pleure.
+
+
+VI
+
+ Les moires vertes des feuilles
+ Attendent le Prince Charmant
+ Et sous les gemmes de rose
+ L'aubpine est une pouse
+ D'o s'exhale amoureusement
+ L'cre parfum des fleurs mouilles.
+
+ Des lvres que nul ne connat
+ Ont bu les gemmes disparues:
+ Pourquoi le Prince viendrait-il,
+ O fort? le parfum subtil
+ Meurt dans les poussires accrues
+ Sur l'aubpine et le gent.
+
+ La plainte lente des ramures
+ Geint sinistrement et dj
+ Les nains mchants des avenues
+ Font saigner sur les branches nues
+ Que leur caprice ravagea
+ La chair automnale des mres.
+
+
+VII
+
+ Plus quam femina virgo
+
+(P. OVIDIUS NASO)
+
+(_Mtamorphoses_, _Livre_ XIII.)
+
+
+ Plus claires dans le sombre azur des nuits sans lune
+ Les toiles doraient les ajoncs et la dune,
+ Mais je n'ai pas souci de leur ruissellement
+ Et dans mes yeux fleuris de visions plus belles,
+ Baignant les cieux futurs de leurs splendeurs nouvelles,
+ Les astres venir montent perdument.
+
+ Tu glissais pas lents dans les ajoncs stellaires
+ Et sourde la rumeur humaine des colres
+ Tu regardais surgir les astres apaiss;
+ Mais dans mon coeur fleuri de volupts plus calmes,
+ J'voque au chant lointain des sources et des palmes
+ Les vierges venir et les futurs baisers.
+
+
+VIII
+
+ La fleur norme de la mer
+ close avec l'aurore sainte
+ Renaissait dans le gouffre amer
+ De tes prunelles d'hyacinthe.
+
+ Dans tes cheveux d'or j'adorais,
+ Sous l'or caduc de leur couronne,
+ Les impriales forts
+ Et leur laticlave d'automne.
+
+ Les peupliers glauques et blancs
+ Et la mollesse des prairies
+ Revivaient dans les gestes lents
+ De tes mains douces et fleuries.
+
+ Mais aujourd'hui que tu n'es plus
+ La prtresse et l'vocatrice,
+ Il faut les bois et les reflux
+ Pour que ta grce refleurisse
+
+ Et les colchiques du matin
+ Ressuscitent dans ma pense
+ Ta pleur morne de satin,
+ O mensongre Fiance.
+
+
+IX
+
+ Tout l'heure, un essaim de mauves s'envolait,
+ Majestueux, au ras des vagues aurorales:
+ Les oiseaux fendaient l'air de leurs ailes gales
+ Et nageaient dans l'azur vers l'horizon de lait.
+
+ Ils allaient: le soleil semait sur les prairies
+ Marines des fleurs d'or et de chrysobril
+ Et l'on et cru l-bas des papillons d'avril
+ Sur un champ constell de rares pierreries.
+
+ Ils allaient: maintenant que dans le clair matin
+ La blancheur de leur vol splendide s'est fondue,
+ Je cherche obstinment au fond de l'tendue
+ Le souvenir neigeux de leur essor lointain.
+
+ Nul des flocons perdus dans les brumes d'opale
+ N'argente plus la plaine immobile des flots
+ Et la seule clameur des antiques sanglots
+ Monte plus tristement vers le lac du ciel ple.
+
+ O Chre, ple ciel d'amour qui te mirais
+ Dans la mer somptueuse et calme de mes rves
+ Quels abmes d'azur et d'Ocans sans grves
+ Ont englouti le vol de mes dsirs secrets?
+
+ Je ne sais: le regard a lass ma prunelle,
+ La solitude morne emplit mon coeur, j'entends
+ Dans le double infini de l'espace et du temps
+ Monter le rle amer de l'angoisse ternelle.
+
+
+X
+
+ Je ne veux pas courber la tte sous tes pas
+ Ni baisser devant toi mes yeux; je ne suis pas
+ Un mendiant d'amour et d'aumnes charnelles
+ Et la honte des pleurs souillerait mes prunelles.
+
+ Mais dans la nuit semblable mon coeur sombre et fier
+ J'irai dire mon mal aux vagues de la mer:
+ Elle me bercera la mer consolatrice
+ Avec des rhythmes lents et des chants de nourrice.
+
+ J'couterai sa voix et je m'endormirai:
+ Comme un enfant, tandis qu'en un jardin sacr
+ Surgira, bleu de rve et parfum de menthe,
+ Le magique palais o tu seras clmente.
+
+
+
+
+POUR UNE ABSENTE
+
+
+ Je veux m'enfermer seul avec mon souvenir,
+ Immobile, oublieux des rafales d'automne
+ Qui font les frondaisons se rouiller et jaunir
+ Et de la mer roulant sa plainte monotone;
+ Je veux m'enfermer seul avec mon souvenir.
+
+ Le demi-jour filtrant des toffes tendues
+ Sera doux et propice mon coeur nonchalant,
+ Quand je l'voquerai du fond des tendues,
+ Et sa voix emplira d'un hymne grave et lent
+ Le demi-jour filtrant des toffes tendues.
+
+ J'aurai la vision chre devant les yeux:
+ Le souffle parfum de l'ineffable Absente
+ Flottera pour moi seul dans l'air silencieux,
+ Subtil comme une odeur de fraise dans la sente;
+ J'aurai la vision chre devant les yeux.
+
+ Et je dirai tout bas ma tendresse latente;
+ O coeur lche, tremblant et rvolt, je veux
+ Que ton intime amour se rvle et la tente:
+ Tu te rsigneras l'effroi des aveux
+ Et je dirai tout bas ma tendresse latente.
+
+
+
+
+JOUVENCE
+
+
+ Tu parles tristement des campagnes lointaines
+ D'une voix si dolente et lourde de regrets
+ Que je deviens jaloux des fleurs et des forts
+ Et des saules d'argent penchs vers les fontaines.
+
+ Souvenirs! jours anciens! comme vous enserrez
+ Notre me prisonnire en d'invincibles chanes:
+ Tu veux, comme autrefois, baigner les sombres chnes
+ Au clair de lune blond de tes cheveux cendrs.
+
+ Soit! l't revenu parmi les hautes herbes,
+ Nous marcherons, frls par les ailes de l'air,
+ Au murmure divin des choses et ta chair
+ Mlera des parfums de Chypre aux foins en gerbes,
+
+ Et peut-tre qu'un soir entre de rudes draps
+ Embaums de lavande et dans un lit d'auberge
+ Tu me rendras ta chair et tes lvres de vierge,
+ Pour quelque amour d'enfant dont tu te souviendras.
+
+
+
+
+LA MORT INUTILE
+
+_A Grgoire Le Roy._
+
+ Cur non ipsa in morte relinquunt.
+
+(PUBLIUS VERGILIUS MARO.)
+
+
+ Triste comme la mer et la chanson des syrtes,
+ Le vent lourd de sanglots pleure dans la fort;
+ Un troupeau d'ombres va, parat, et disparat
+ Par les bois souterrains et les bosquets de myrtes.
+
+ Dfaillant dans l'horreur d'un ciel ensanglant,
+ Le soleil infernal baigne le ple espace;
+ Un troupeau d'ombres vient, revient, passe et repasse
+ En sa mlancolique et tremblante clart;
+
+ Et ce sont travers les routes d'asphodle
+ Les fantmes hagards, pleins de larmes et lents
+ Dont les glaives d'amour ont dchir les flancs:
+ La mort n'a point ferm leur blessure immortelle,
+
+ Le sommeil spulcral a leurr leurs yeux las
+ Et l'pre souvenir survivant la tombe
+ Tel qu'un vin corrosif, goutte par goutte, tombe
+ Dans leur coeur ulcr qui ne gurira pas.
+
+
+
+
+L'AME SEULE
+
+_A A.-Ferdinand Herold._
+
+
+ La bienfaisante nuit couvre la ville immense
+ D'o montaient vers le ciel des sanglots et des chants
+ Et la grande cit semble un lac de silence
+ Frl par la rumeur pacifique des champs.
+
+ Mer des vivants, mer furieuse qui te rues
+ Emportant dans tes plis les deuils et les baisers,
+ Tu roules tout le jour sur le pav des rues,
+ Mais le soir calme endort tes rles apaiss;
+
+ Et les rveurs amis des ncropoles saintes,
+ Dlivrs de la joie, affranchis du remords,
+ Errent par les soirs clairs et fleuris d'hyacinthes
+ Comme des immortels dans la maison des morts.
+
+ Hommes, laissez passer dans la nuit solitaire
+ Ceux qui foulent toujours des chemins non frays:
+ Les exils divins ont repeupl la terre
+ Et je me sens plus seul quand vous vous rveillez.
+
+ Quels dmons ont ptri de leur mains ironiques
+ Vos faces de mensonge et de stupidit,
+ Je ne sais, mais le mal suinte de vos tuniques
+ Et votre rire impur attente la beaut.
+
+ Le matin revenu, soyez tels que vous tes.
+ Moi cuirass d'orgueil et de mpris serein
+ Entre mon coeur farouche et vos clameurs de btes
+ Je laisserai tomber une herse d'airain.
+
+ Je m'en irai l-bas vers la fort clmente:
+ Les arbres fraternels m'appellent doucement;
+ L'herbe bruit, l'eau des fontaines se lamente
+ Et rit comme une nymphe avec son jeune amant.
+
+ La fort a gard pour mon oreille seule
+ Les chants anciens et les fleurs nobles d'autrefois
+ Parfument jamais sa mmoire d'aeule
+ Et tous les rhythmes morts revivent dans sa voix.
+
+ Les chnes musculeux portent de verts portiques,
+ O pareils des rois mes rves passeront
+ Et prs des dieux nouveaux, fils des taillis antiques,
+ Je plierai les genoux et courberai le front.
+
+ Mais retrouveras-tu la jeunesse premire,
+ O parleur orgueilleux, ivre d'un vin mauvais?
+ Et si dans la splendeur de la pure lumire
+ Ton rve tait moins beau que tu ne le rvais?
+
+ Ainsi qu'un porteur las dlivre ses paules
+ Tu voudrais rejeter les souvenirs humains
+ Et suivre le ruisseau qui court entre les saules
+ Et marcher tout le jour au hasard des chemins.
+
+ Va! tu n'entendrais plus les voix surnaturelles
+ Qui t'invitent la nuit, vers les magiques bois;
+ Dans les halliers saignant de mres et d'airelles
+ Tu serais poursuivi par les mauvaises voix.
+
+ Reste jusqu' la mort baign de crpuscule
+ Avec l'pre regret des astres radieux:
+ Tu n'es pas assez grand pour le manteau d'Hercule
+ Et pour te revtir de la pourpre des dieux.
+
+
+
+
+PETITS PAYSAGES
+
+_A Urbain Derbanne._
+
+
+I
+
+ Une cume de fleurs, blanche et rose, s'tale
+ Sur la mer onduleuse et mouvante des prs
+ O ruisselle le flot des trfles empourprs,
+ Tandis que montent vers le nue orientale
+ Le meuglement des boeufs et la rumeur des bls.
+
+
+II
+
+ Le souffle langoureux des brises musicales
+ Chante dans les sainfoins en fleurs un hymne lent
+ Et grave et sous les rais du soleil aveuglant
+ Une fuite perdue et grise de cigales
+ S'enlve et vibre, au ras de l'herbe, en sautelant.
+
+
+III
+
+ L'quipe de pcheurs tire la grande senne
+ A basse mer, avant les vagues et le flux;
+ Et nul des rudes gars n'est manchot ni perclus,
+ Mais l'effort fait saillir et gonfler leur chair saine
+ Et les veines des bras musculeux et velus.
+
+
+IV
+
+ Le soleil tombe et des grappes de lilas sombre
+ Fleurissent la fort marine o Tthys dort
+ Sous un voile de pourpre aux filigranes d'or
+ Que trempe dans le sang de la clart qui sombre
+ L'invisible ouvrier du fabuleux dcor.
+
+
+V
+
+ Le ciel est gris comme une aile de tourterelle
+ Que teinterait un peu de rose vein d'or;
+ L-bas, le cap lointain dont la mchoire mord
+ L'horizon sombre est las de sa longue querelle
+ Et la brume a bris les dents du monstre mort.
+
+
+
+
+EN MORVAN
+
+_A Jacques Derbanne._
+
+
+ L'ombre s'enroule aux flancs des collines farouches
+ Et pse sur les bois et les versants herbeux
+ O dorment lourdement les immobiles boeufs;
+ Elle fait grimacer les arbres et les souches
+ Des saules noirs pareils des jeteurs de sorts,
+ Tandis que par les vaux mystrieux et morts
+ Le monotone appel des hulottes rplique
+ Au sifflement du vent dans le houx mtallique
+ Qui vibre hostilement comme une armure et luit
+ Et l'eau sauvage hurle entre les roches grises,
+ Ainsi que dfaillant de hautes entreprises
+ Une guerrire blanche en fuite dans la nuit.
+
+
+
+
+L'EAU MORTE
+
+_A Charles Bourgault Ducoudray._
+
+
+ L'tang mystrieux dort parmi les bois sombres,
+ Eau de solitude, eau de silence, eau de songe,
+ Que le flot rose et blanc des bruyres prolonge;
+ Parfois des oiseaux noirs glissent comme des ombres
+ Entre les joncs tendus hors des sinistres ondes
+ Tels que des glaives d'or aux mains de reines blondes;
+ Et sous l'pre soleil pars en rayons mornes
+ Les nymphas chasss des limpides fontaines
+ O boivent, la nuit, les cerfs aux belles cornes,
+ Attendent tristement les toiles lointaines.
+
+
+
+
+RVE D'TALONS
+
+_A Edmond Haraucourt._
+
+
+ Une lourde vapeur rde sur les prairies;
+ La plaine calme dort au chant prochain des eaux
+ Et le vol pacifique et lent des grands oiseaux
+ Trane des filets d'ombre aux flots d'herbes fleuries.
+
+ L'or brusque du soleil dborde dans l'azur
+ Et jaillit de la neige ardente des nues;
+ Puis le ciel morne enclt les splendeurs reflues
+ Dans ses digues de fer blouissant et dur.
+
+ Des cris surnaturels et des glaives d'archanges
+ Bruissent dans l'ther magiquement: des voix
+ Rauques sonnent l'appel d'invisibles tournois
+ O se heurtent des dieux et des guerriers tranges.
+
+ Les talons vautrs dans le tide gazon
+ Comme au ressouvenir pique des mles,
+ Eperdument, de leurs prunelles affoles
+ Parcourent l'tendue immense et l'horizon,
+
+ Et par del le sable hroque des grves
+ Regardent, les naseaux gonfls d'un souffle amer,
+ Sur la montagne bleue et verte de la mer
+ Blanchir en galop fou les cavales des rves.
+
+ Convulsifs et dresss sur leurs jarrets tremblants,
+ Le col tendu vers les chimriques crinires
+ Ils sentent comme aux jours des fivres printanires
+ Les dsirs infinis aiguillonner leurs flancs.
+
+ Mais leur chair glorieuse en proie aux frissons vagues
+ Ddaigne dsormais les vieilles volupts
+ Et le vain dsespoir de leurs coeurs indompts
+ Hennit lugubrement vers le troupeau des vagues.
+
+
+
+
+MARBRE
+
+_A Ernest Christophe._
+
+
+ Les bois religieux se taisent; les oiseaux
+ Ont quitt la fort o meurt le bruit des eaux.
+ Seule en sa nudit de vierge et de guerrire
+ La desse de marbre habite la clairire
+ Et son corps impollu fait de rve et d'amour
+ Monte, lys immortel, parmi les fleurs d'un jour.
+ Ni fltes de bergers ni chansons de cigales:
+ Sauf le frissonnement des herbes amicales
+ Dont le flot souple ondule autour d'elle, nul bruit.
+ Parfois dans les fourrs un chevreuil brusque fuit
+ Farouche d'avoir vu briller la chair sans voiles
+ Et l'arc imprieux tendu vers les toiles.
+
+
+
+
+CRISTAL
+
+_A Emile Gall._
+
+
+ Noire sur le cristal ple et gris comme un ciel
+ D'hiver, la libellule nigmatique ploie
+ Les ailes dans l'air lourd et pestilentiel.
+ Ses immobiles yeux sans tristesse et sans joie
+ Cherchent sinistrement une invisible proie
+ Et planant sur l'eau verte et morte des marais,
+ Vers vos calices d'or, de pourpre et de tnbres,
+ Elle vole vers vos calices jamais,
+ Glauques fleurs qui nagez sur des tangs funbres
+ O se mire le deuil des pins et des cyprs.
+
+
+
+
+CRPON
+
+_A Judith Gautier._
+
+
+ Des oiseaux merveilleux ongls de griffes d'or
+ Tracent dans le ciel calme un candide sillage
+ Et la migration d'un ternel voyage
+ Tend vers des pics lointains leur immuable essor.
+
+ Le caprice du peintre ouvrant les ailes vaines
+ Fige ironiquement loin des vierges sommets
+ Leur vol: blancs exils, vous n'atteindrez jamais
+ Les cimes que le soir vt de ples verveines.
+
+ Mais le rve des monts vous donne leur fiert,
+ L'eau des lacs inconnus frmit dans vos prunelles
+ Et l'hroque amour des neiges fraternelles
+ Illumine vos yeux de gloire et de clart:
+
+ Telle malgr l'horreur des tnbres accrues
+ Mon me vole vers la pourpre des printemps
+ Et loin des monts neigeux et des lacs o je tends
+ Rve au parfum royal des roses disparues.
+
+
+
+
+L'IMPRATRICE
+
+_A Mlle Gabrielle Herold._
+
+
+ Les dieux d'un riche crpuscule
+ Parent d'or fauve et de joyaux
+ Les cactus, les lys sans macule
+ Et les chrysanthmes royaux;
+
+ La pourpre du jour tombe et glisse
+ Sur les terrasses du jardin;
+ Le soleil meurt, l'Impratrice
+ Frle les fleurs avec ddain
+
+ Et songe, loin des soirs illustres,
+ Au lac blanc sous l'aube d'avril
+ O les frles herbes palustres
+ Semblaient des reines en exil.
+
+
+
+
+L'ASCTE
+
+_A Benjamin Constant._
+
+
+ Aprs le jour de flamme et le labeur amer,
+ L'ascte hiratique accroupi sur la grve
+ Entendait rsonner une harpe de rve
+ Et son maigre lion dormait prs de la mer.
+
+ Ni voix ni glissement des barques ou des ailes
+ Ne troublaient le silence effrayant et la paix
+ Du morne crpuscule pars dans l'air pais,
+ Et la bte songeait aux viandes des gazelles.
+
+ Mais l'homme ddaignant la tristesse du soir,
+ Consum d'une soif que rien ne dsaltre
+ Et que n'apaisent pas les coupes de la terre,
+ Regardait le soleil rougir l'horizon noir.
+
+ Et voyait, en un ciel de pourpre et d'hyacinthe,
+ Les pieds clous, la chair tachant l'horrible croix,
+ Le Seigneur Jsus-Christ, fils de Dieu, Roi des rois,
+ Sinistrement saigner sur la montagne sainte.
+
+
+
+
+MESSE DES MORTS
+
+_A Bernard Lazare._
+
+
+LES ORGUES
+
+ Requiem ternam dona eis, Domine.
+
+
+ Seigneur, ces plerins des routes de la vie
+ Ont pein tout le jour vers le terme divin:
+ Au lieu des puits d'eau vive et des outres de vin,
+ Ils se dsaltraient aux calices d'envie.
+
+ Desschs par le hle et brl par le ciel
+ Torride, haletant de la soif infinie,
+ Ils ont bu, comme Christ en sa lente agonie,
+ La mauvaise liqueur de vinaigre et de fiel.
+
+ Sous les savantes mains d'atroces sagittaires,
+ Des flches s'envolaient vers eux d'arcs inconnus
+ Et d'invisibles fouets mordaient leurs torses nus
+ Et du mtal ardent coulait dans leurs artres.
+
+ Ils marchaient pesamment sous le faix de leurs croix
+ Avec le seul espoir de ta bont future;
+ Mais les loups de l'enfer guettent la crature
+ Et happent en chemin l'me que tu mcrois;
+
+ L'inextinguible feu hurle dans la ghenne
+ Et les damns jets aux abmes grondants
+ N'apaisent point la faim terrible de ses dents
+ Et son gosier froce est aviv de haines;
+
+ N'carte pas de toi les fidles troupeaux;
+ Le soir descend; aprs les heures sans prairies,
+ Voici l'instant rv des calmes bergeries:
+ Ouvre, Pasteur des morts, le bercail de repos.
+
+
+LES VIOLONS
+
+ Et lux perpetua luceat eis.
+
+
+ Seigneur, ces exils de la seule patrie
+ Criaient vers toi du fond des gouffres tnbreux;
+ Piti, fais ruisseler des nuages sur eux
+ La source de splendeur promise en Samarie.
+
+ Que la mort leur devienne un baptme: revts
+ Leurs flancs martyriss de robes de lumire
+ Et donne leur essor dans la gloire premire
+ Aux cygnes chapps aux piges du Mauvais.
+
+ Magnifiques et purs, aprs la lutte rude,
+ Ils voleront vers les parterres triomphaux
+ O des lys, mprisant la morsure des faux,
+ Fleurissent dans la joie et la batitude,
+
+ Tandis que le soleil d'un ineffable t
+ Inonde d'or brlant les roses et dilate
+ Les parfums pandus des coupes d'carlate
+ Et que l'ther subtil chante l'ternit.
+
+ Rappelle au nid ferm les frissonnantes mes
+ Et les ailes d'amour monteront vers l'Amant
+ A travers l'harmonie et l'blouissement
+ Des musiques, des voix, des splendeurs et des flammes,
+
+ Et les sicles futurs et ceux qui ne sont plus
+ Tressailleront en toi d'une mme allgresse
+ En oyant tel qu'un chant et tel qu'une caresse
+ Frmir au ciel nouveau le vol blanc des lus.
+
+
+LES VIVANTS
+
+ Agnus Dei qui tollis peccata mundi
+ dona eis requiem.
+
+
+ Seigneur, Seigneur, Seigneur, impitoyable matre,
+ Nous sommes las des jours et des soleils maudits:
+ Epargne aux dlivrs l'horreur du paradis,
+ Laisse les morts dormir en paix et ne plus tre.
+
+ Tant de clous ont perc leurs membres ici-bas
+ Que nul flot baptismal rdempteur de leurs peines
+ Ne laverait les maux et les douleurs humaines
+ Et que ton repentir ne leur suffirait pas.
+
+ Ils entendraient, au lieu des sublimes cantiques
+ Flottant parmi l'encens des lys panouis,
+ Monter de l'Ocan tumultueux des nuits
+ Le rle inexpi des souffrances antiques;
+
+ Rumeur d'airain, sanglot cruel d'un tympanon
+ Dont une main haineuse a secou les cordes,
+ Le souvenir rirait de tes misricordes,
+ La voix de tes lus blasphmerait ton nom.
+
+ Roi du ciel, reste seul dans ta gloire excre
+ Formidable, sereine et libre de remords;
+ O bourreau des vivants, ne touche pas aux morts,
+ Et quand viendra pour nous la suprme vespre,
+
+ Quand les vers rongeront les os de nos genoux,
+ Accorde notre chair en tardive clmence
+ Non les vaines clarts, mais l'ombre, le silence,
+ Le sommeil et l'oubli de toi-mme et de nous.
+
+
+
+
+LA VANIT DU VERBE
+
+
+
+
+LA VANIT DU VERBE
+
+
+I
+
+ Le Runoa, le prince altier du Verbe d'or,
+ Est las de la nature et des formes antiques
+ O l'bauche du monde est imparfaite encor;
+
+ Les bois noirs et leur chant de harpes prophtiques
+ Et les monts violets endormis sous le ciel,
+ Et les brumes d'argent sur les vagues baltiques,
+
+ Et les brises de fleurs et les parfums de miel,
+ Et tous les souvenirs alourdis de mystre
+ Gonflent son coeur amer de mpris et de fiel.
+
+ En son tre, cras par l'ennui solitaire
+ Crot, avec le dgot de sa virginit,
+ Le dsir d'voquer une nouvelle terre,
+
+ Un monde jeune, un paradis illimit,
+ Revtu d'aubpine immortelle et d'yeuses
+ Sous les glaces d'hiver et les soleils d't,
+
+ O des crations de femmes radieuses
+ Se mleraient d'amour de mles hros
+ En des lits de gazon sems de scabieuses.
+
+ Le Matre dploya l'art magique des Mots:
+ Un subit univers naissait de ses paroles
+ Comme la perle nat du bruit rhythm des flots.
+
+ Une profusion sanglante de corolles
+ S'veillait et germait du rve des Avrils
+ Et l'azur flamboyait de fauves auroles,
+
+ Tandis que les forts et les guerriers virils,
+ Les femmes ples et les belles chevelures
+ Jaillissaient de l'abme au gr des chants subtils.
+
+ Alors, imaginant les caresses futures,
+ Le sublime ouvrier du Verbe perdument
+ Songeait un songe blanc ptri de neiges pures.
+
+ Il disait son extase et son ravissement,
+ Et s'enivrait de la liqueur de la Pense
+ Et sa voix enfantait l'ineffable Tourment;
+
+ Elle faisait surgir au jour la fiance
+ Surhumaine, et la Femme idale venait
+ Divinement resplendissante et cadence.
+
+ Elle marchait sur la bruyre et le gent
+ Et des astres vivaient au fond de sa prunelle;
+ Un silence d'hymen et de baisers planait.
+
+ Le Runoa, joyeux de l'oeuvre faite, en elle
+ Se plongeait comme dans un ocan de lys
+ Et tombait bloui de la Forme ternelle
+
+ Dans le gouffre effrayant des rves accomplis.
+
+
+II
+
+ La contemplation dura cent mille annes;
+ Quand le Matre sortit des songes clatants,
+ Des gnrations hideuses taient nes.
+
+ Les Rhythmes taient morts; les rires insultants
+ Grimaaient; le soleil blme sur les prairies
+ Sans fleurs pleurait les jours anciens et les printemps;
+
+ L'pouse maquille, pre de pierreries,
+ Se raillait du Pote et du Rve divin
+ Et se prostituait aux races amoindries.
+
+ Lorsque le Dmiurge eut vu ce qui devint,
+ Un dsespoir immense emplit son me sombre;
+ Il comprit que le Verbe tait stupide et vain
+
+ Et cria dans la nuit: Puisque tout croule et sombre,
+ Aprs l'oeuvre magique et sublime du Chant,
+ O paroles, rentrez dans le gouffre de l'ombre.
+
+ Va, monde! abme-toi, triste soleil couchant!
+ Disparais d'un seul coup dans le nant avide!
+ Fonds-toi dans ma fureur comme un lingot d'argent!
+
+ Plus rien ne fut; la nuit par le ciel morne et vide
+ Roula son voile noir sur la fausse splendeur
+ Et le Matre, absorb dans le chaos livide
+
+ Tut--pour l'ternit--le Verbe crateur.
+
+
+
+
+TABLE
+
+
+ _DDICACE_
+
+ A LA MMOIRE D'PHRAM MIKHAL 7
+
+DE SABLE ET D'OR
+
+ _LES FLEURS NOIRES_
+
+ LES FLEURS NOIRES 13
+ LE DIEU MORT 15
+ RUINES 17
+ PAR LA NUIT D'AUTOMNE 19
+ SOLITUDE 21
+ PAROLES SUR LA TERRASSE 23
+ L'AUTOMNE A DNUD LES GLBES 25
+
+ _LES VAINES IMAGES_
+
+ PSYCH 29
+ LIANE 31
+ HYMNIS 37
+ CHRYSARION 40
+
+ _L'ERRANTE_
+
+ L'ERRANTE 45
+
+ _VERS L'AURORE_
+
+ LES AUMNIRES 59
+ MARE TENEBRARUM 61
+ LE PLERINAGE HORS DE L'OMBRE 63
+ NATIVIT 67
+ LE CHVRE-PIEDS 69
+ FLAMMES 71
+
+ _LE JARDIN DE CASSIOPE_
+
+ LE JARDIN DE CASSIOPE 75
+ VOIX DERRIRE LA HAIE 78
+ LA DOULEUR A CRI 82
+
+LA GLOIRE DU VERBE
+
+ _LA GLOIRE DU VERBE_
+
+ LA GLOIRE DU VERBE 89
+
+ _LES MYTHES_
+
+ L'AVENTURIER 97
+ LE BOIS SACR 102
+ LES CAPTIFS 109
+ LES YEUX D'HLNE 115
+ SCHAOUL 117
+ RESSOUVENIR 120
+ GOETTERDAEMMERUNG 122
+ LA FILLE AUX MAINS COUPES 124
+ LA PEUR D'AIMER 136
+ LE PRINCE D'AVALON 138
+ CELLE QU'ON FOULE 141
+ LA VOIX IMPRISSABLE 149
+
+ _MAYA_
+
+ THAS 157
+ JUDEX 160
+ CHAMBRE D'AMOUR 162
+ PRINTEMPS D'AUTOMNE 164
+ LIEDER 166
+ POUR UNE ABSENTE 179
+ JOUVENCE 181
+ LA MORT INUTILE 183
+ L'AME SEULE 185
+ PETITS PAYSAGES 189
+ EN MORVAN 191
+ L'EAU MORTE 192
+ RVE D'TALONS 193
+ MARBRE 195
+ CRISTAL 196
+ CRPON 197
+ L'IMPRATRICE 199
+ L'ASCTE 200
+ MESSE DES MORTS 202
+
+ _LA VANIT DU VERBE_
+
+ LA VANIT DU VERBE 209
+
+
+
+
+ _ACHEV D'IMPRIMER_
+ le trente octobre mil huit cent quatre-vingt-dix-sept
+ PAR
+ L'IMPRIMERIE Vve ALBOUY
+ POUR LE
+ MERCVRE
+ DE
+ FRANCE
+
+
+
+
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+End of Project Gutenberg's La lyre hroque et dolente, by Pierre Quillard
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+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LYRE HROQUE ET DOLENTE ***
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+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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+ The Project Gutenberg eBook of La Lyre hroque et dolente, by Pierre Quillard.
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+Title: La lyre hroque et dolente
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+Author: Pierre Quillard
+
+Release Date: December 5, 2013 [EBook #44359]
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+Language: French
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+*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LYRE HROQUE ET DOLENTE ***
+
+
+
+
+Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed
+Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
+produced from images generously made available by the
+Bibliothque nationale de France (BnF/Gallica) at
+http://gallica.bnf.fr)
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+
+<p class="c"><span class="large">PIERRE QUILLARD</span></p>
+
+<h1><span class="huge">LA LYRE</span><br/>
+HROQUE ET DOLENTE</h1>
+
+<p class="c"><span class="small">DE SABLE ET D'OR<br/>
+LA GLOIRE DU VERBE.&mdash;L'ERRANTE<br/>
+LA FILLE AUX MAINS COUPES</span></p>
+
+<div class="c"><img src="images/mercure.png" alt="" /></div>
+<p class="c"><span class="large">PARIS</span><br/>
+SOCIT DV MERCVRE DE FRANCE<br/>
+<span class="small">XV, RVE DE L'CHAVD-SAINT-GERMAIN, XV</span></p>
+
+<p class="c">M DCCC XCVII</p>
+
+<p class="c"><span class="small">Tous droits rservs</span></p>
+
+
+
+
+<p class="cbreak"><i>DU MME AUTEUR:</i></p>
+
+<table summary="Ouvrages du mme auteur">
+<tr>
+<td class="drap"><span class="sc">L'antre des Nymphes</span> de Porphyre, traduit du grec</td>
+<td class="num">1 plq.</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap"><span class="sc">Les Lettres rustiques</span> de Claudius lianus, Prenestin,
+traduites du grec, illustres d'un Avant-propos
+et d'un Commentaire latin</td>
+<td class="num">1 vol.</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap"><span class="sc">Le Livre de Jamblique sur les Mystres</span>, traduit du grec</td>
+<td class="num">1 vol.</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap"><span class="sc">Philoktts</span>, traduit de Sophocle et reprsent l'Odon</td>
+<td class="num">1 vol.</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap"><span class="sc">La question d'Orient et la politique personnelle
+de M. Hanotaux</span>, en collaboration avec le docteur L. Margery</td>
+<td class="num">1 vol.</td>
+</tr>
+</table>
+
+
+
+<p class="cbreak"><span class="small">IL A T TIR DE CET OUVRAGE:</span></p>
+<p class="c"><i>Trois exemplaires sur japon imprial, numrots de 1 3<br/>
+et douze exemplaires sur papier de Hollande, numrots de 4 15.</i></p>
+
+<p class="c"><span class="small">EXEMPLAIRE N<sup>o</sup></span> 1</p>
+
+
+<p class="cgap">Droits de reproduction et de traduction rservs pour tous pays,
+y compris la Sude et la Norvge.</p>
+
+
+
+<h2 id="p1">DDICACE</h2>
+
+<p class="c">A LA MMOIRE D'PHRAM MIKHAEL</p>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tu t'en allas, un soir de mai: la ville en fte</div>
+ <div class="verse">Haletait de printemps, de jeunesse et d'amour,</div>
+ <div class="verse">Et tu nous as quitts pour la nuit sans retour,</div>
+ <div class="verse">Ame mlancolique et toujours inquite.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">En vain les mornes dieux, formidables et doux,</div>
+ <div class="verse">Ont dtach ta main de nos mains fraternelles:</div>
+ <div class="verse">Le sel cre des pleurs brle encor nos prunelles</div>
+ <div class="verse">Quand ta voix, triomphant des heures, chante en nous</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et fait surgir parmi les roses des vespres,</div>
+ <div class="verse">Sous des voiles tissus de soleils et de cieux,</div>
+ <div class="verse">Une vierge dolente au regard anxieux</div>
+ <div class="verse">Qui nous appelle et fuit vers les ombres sacres.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Forme grave dresse au seuil mauvais du sort,</div>
+ <div class="verse">Image de fiert qui pleurait et s'est tue,</div>
+ <div class="verse">Ma bouche te cherchait d'une lvre perdue;</div>
+ <div class="verse">Mais j'ai heurt du front les portes de la mort</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Hlas! et tu survis dans nos seules mmoires</div>
+ <div class="verse">Et sans que rien m'entende au tombeau souterrain,</div>
+ <div class="verse">Je fixe tristement sur le vantail d'airain</div>
+ <div class="verse">Avec l'amer laurier les palmes illusoires.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h2>DE SABLE ET D'OR</h2>
+
+
+
+
+<h3>LES FLEURS NOIRES</h3>
+
+<p class="dedic"><i>A MARCEL COLLIRE</i></p>
+
+
+
+<h4 id="p2">LES FLEURS NOIRES</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A mile Galle.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Au bord de quels sinistres lacs d'eau lourde et sombre,</div>
+ <div class="verse">O tnbreuses fleurs plus vastes que la mort,</div>
+ <div class="verse">Les dieux muets du soir et les dieux froids du nord</div>
+ <div class="verse indent4">Tissent-ils votre robe d'ombre?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Vos abmes de nuit dvorent le soleil;</div>
+ <div class="verse">Le jour est offens par vos voiles de veuves</div>
+ <div class="verse">Et vous avez puis sans peur aux mornes fleuves</div>
+ <div class="verse indent4">L'onde farouche du sommeil.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O fleurs noires, le vent de l'aube vous balance:</div>
+ <div class="verse">Mais nul parfum d'amour ne s'exhale de vous,</div>
+ <div class="verse">Chres, et vous versez dans les c&oelig;urs las et fous</div>
+ <div class="verse indent4">L'incantation du silence.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La vie pand en vain ses perfides douceurs;</div>
+ <div class="verse">La pourpre du printemps inutile flamboie:</div>
+ <div class="verse">Votre deuil rdempteur libre de la joie;</div>
+ <div class="verse indent4">Salut, imprieuses s&oelig;urs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je vous aime et je veux dormir, soyez clmentes:</div>
+ <div class="verse">Je ne troublerai pas votre calme immortel</div>
+ <div class="verse">Et, l-bas, j'oublierai, loin du jour et du ciel,</div>
+ <div class="verse indent4">La bouche rouge des amantes.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p3">LE DIEU MORT</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Andr Fontainas.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Une toile, une seule toile. O funrailles</div>
+ <div class="verse">Royales! solitude o la gloire mourait</div>
+ <div class="verse">Sur un bcher perdu derrire la fort,</div>
+ <div class="verse">A l'cart des drapeaux, du glaive et des batailles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le hros s'en allait sans pourpre, enseveli</div>
+ <div class="verse">Dans une soie teinte et dans les tresses rousses</div>
+ <div class="verse">Des captives et des amantes: lvres douces</div>
+ <div class="verse">Et voraces, vous qui buviez le sang pli,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Vers quels baisers souriez-vous? Vers quelles ftes</div>
+ <div class="verse">Sonne dj l'appel de vos chants oublieux?</div>
+ <div class="verse">Ah, mensongres! pour des larmes en vos yeux,</div>
+ <div class="verse">Il fallait l'apparat de clbres dfaites</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et l'horreur des clairons dchirant le ciel noir,</div>
+ <div class="verse">Pour tordre avec des cris de pleureuses loues</div>
+ <div class="verse">Vos corps, mimes en deuil sous le vol des nues,</div>
+ <div class="verse">Parmi la rouge odeur des torches dans le soir.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais nul regard viril n'a, du haut des murailles,</div>
+ <div class="verse">Avidement cueilli la fleur de vos bras nus:</div>
+ <div class="verse">Vous avez fui. Le roi ne s'veillera plus.</div>
+ <div class="verse">Une toile, une seule toile. O funrailles.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p4">RUINES</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Maurice Nicolle.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'illustre ville meurt l'ombre de ses murs;</div>
+ <div class="verse">L'herbe victorieuse a reconquis la plaine;</div>
+ <div class="verse">Les chapiteaux briss saignent de raisins mrs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le barbare enroul dans sa cape de laine</div>
+ <div class="verse">Qui pat de l'aube au soir ses chevreaux outrageux</div>
+ <div class="verse">Foule sans frissonner l'orgueil du sol Hellne.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ni le soleil oblique au flanc des monts neigeux</div>
+ <div class="verse">Ni l'aurore dorant les cimes embrumes</div>
+ <div class="verse">Ne rveillent en lui la mmoire des dieux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ils dorment jamais dans leurs urnes fermes</div>
+ <div class="verse">Et quand le buffle vil insulte insolemment</div>
+ <div class="verse">La porte triomphale o passaient des armes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Nul glaive de hros apparu ne dfend</div>
+ <div class="verse">Le porche dvast par l'hiver et l'automne</div>
+ <div class="verse">Dans le tragique deuil de son croulement.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le sombre lierre a clos la gueule de Gorgone.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p5">PAR LA NUIT D'AUTOMNE</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Par l'automnale nuit la terre se rsigne,</div>
+ <div class="verse">Muette sous le fait des ombres tumulaires:</div>
+ <div class="verse">Nul astre en qui survive un espoir d'aubes claires,</div>
+ <div class="verse">Un espoir de matin crevant son &oelig;uf de cygne.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les soleils d'autrefois fermentent dans la vigne.</div>
+ </div>
+
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Maintenant au pas sourd de noires haquenes,</div>
+ <div class="verse">Sans faire gmir l'herbe ou rsonner la roche,</div>
+ <div class="verse">Tel qu'une chevauche impitoyable, approche</div>
+ <div class="verse">Le troupeau saccageur des suprmes journes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Un parfum triste vient des grappes condamnes.</div>
+ </div>
+
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Demain l'or et le sang des toiles sublimes</div>
+ <div class="verse">Seront dshonors par la soif de la horde;</div>
+ <div class="verse">Mais voici qu'une pluie invisible dborde</div>
+ <div class="verse">Et tombe lentement des sinistres abmes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Serait-ce pas les Dieux qui pleurent leurs vieux crimes?</div>
+ </div>
+
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O Dieux, je ne sais pas quel Lth vous enivre</div>
+ <div class="verse">De poisons plus amers que le fiel des Lmures:</div>
+ <div class="verse">Que vous importe vous, la mort des grappes mres</div>
+ <div class="verse">Et le viol raill par le bruit vil du cuivre?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les pampres desschs ne veulent pas revivre.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p6">SOLITUDE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Grgoire le Roy.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">C'est un grand silence aprs le chant du cor,</div>
+ <div class="verse">Comme dans les villes mortes</div>
+ <div class="verse">O les chats peuvent encor</div>
+ <div class="verse">Rver sur le seuil des portes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sous le dais noir de la nuit</div>
+ <div class="verse">Les rois radieux, les belles chevauches</div>
+ <div class="verse">Foulaient dans l'or et le bruit</div>
+ <div class="verse">Le sang des roses fauches.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des femmes embaumaient l'air</div>
+ <div class="verse">Parmi le velours des porches;</div>
+ <div class="verse">Nous voyions couler la rsine des torches</div>
+ <div class="verse">Sur les gantelets de fer.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais les heures sont passes</div>
+ <div class="verse">De la joie et du dcor</div>
+ <div class="verse">Et dans nos mes lasses</div>
+ <div class="verse">C'est un grand silence aprs le chant du cor.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p7">PAROLES SUR LA TERRASSE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Puvis de Chavannes.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des reines blanches inclines</div>
+ <div class="verse">Aux balustrades d'amthystes</div>
+ <div class="verse">Pour fleurir la mort des journes</div>
+ <div class="verse">Effeuillent des glycines tristes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Fleurs plus brves que les plus brves,</div>
+ <div class="verse">Vains thyrses que le vent spolie,</div>
+ <div class="verse">Les noirs flots sans rives ni grves</div>
+ <div class="verse">Emportent leur cendre plie;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et c'est le deuil d'un double automne,</div>
+ <div class="verse">Soir du jour et soir des feuilles,</div>
+ <div class="verse">Qui dvaste l'ombre et frissonne</div>
+ <div class="verse">Dans les ramilles dpouilles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des pas glissent sur la terrasse;</div>
+ <div class="verse">Une toffe roide s'y froisse;</div>
+ <div class="verse">Les voix que la nuit blme efface</div>
+ <div class="verse">Tremblent d'adieux, meurent d'angoisse,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et cygnes chasss de tout fleuve,</div>
+ <div class="verse">S'en vont fbriles et blesses,</div>
+ <div class="verse">Sans que la tnbre s'meuve</div>
+ <div class="verse">Aux cris des mes dlaisses.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p8">L'AUTOMNE A DNUD&hellip;</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'automne a dnud les glbes et le soir,</div>
+ <div class="verse">Un soir d'exil et de mains dsunies,</div>
+ <div class="verse">S'approche l'horizon des plaines infinies,</div>
+ <div class="verse">Roi dvtu de pourpre et spoli d'espoir.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O marcheur aux pieds nus et las qui viens t'asseoir</div>
+ <div class="verse">Sans compagnon, parmi les landes dfleuries,</div>
+ <div class="verse">Prs des eaux mornes, quelles mmes agonies</div>
+ <div class="verse">Alourdissent ton front vers ce triste miroir?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je le sais, tout se meurt dans ton me d'automne.</div>
+ <div class="verse">Laisse la nuit prendre les fleurs qu'elle moissonne</div>
+ <div class="verse">Et l'amour dfaillant d'un c&oelig;ur ensanglant,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pour qu'aprs le sommeil et les ombres fidles</div>
+ <div class="verse">Les clairons triomphaux de l'aube et de l't</div>
+ <div class="verse">Fassent surgir enfin les roses immortelles.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h3>LES VAINES IMAGES</h3>
+
+<p class="dedic"><i>A HENRI DE RGNIER</i></p>
+
+
+
+<h4 id="p9">PSYCH</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Petite me, Psych mlancolique, dors,</div>
+ <div class="verse">Lys d'aurore surgi des heures tnbreuses,</div>
+ <div class="verse">Tes bras souples et frais et tes lvres heureuses</div>
+ <div class="verse">Ont rajeuni mon c&oelig;ur et rjoui mon corps.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et tu m'as cru, petite me blanche et farouche,</div>
+ <div class="verse">Tel que ton dsir vierge encore me voulait</div>
+ <div class="verse">Pendant tes longs baisers de miel pur et de lait,</div>
+ <div class="verse">Tant que l'ombre a menti comme mentait ma bouche.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Nulle parole et nulle treinte et nul baiser</div>
+ <div class="verse">N'ont trahi la douleur secrte du cilice;</div>
+ <div class="verse">Mais veille avec l'aube rvlatrice</div>
+ <div class="verse">Tu frmissais, Psych fragile, te briser,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Si le jour dsillant ta paupire sereine</div>
+ <div class="verse">Au lieu du doux vainqueur que rvait ton moi</div>
+ <div class="verse">Te dcelait mes poings crisps mme vers toi</div>
+ <div class="verse">Et mes yeux perdus de colre et de haine;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Car je te hais de tout ton amour, Psych,</div>
+ <div class="verse">Pour les jours venir et les futures heures</div>
+ <div class="verse">Et les perfides flots de larmes et de leurres</div>
+ <div class="verse">Qui jailliront un jour de ton tre cach.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais avant que la nuit divine m'abandonne,</div>
+ <div class="verse">Avec le dur mtal des gouffres sidraux</div>
+ <div class="verse">Je forgerai le masque amoureux d'un hros,</div>
+ <div class="verse">Rieur comme l'Avril, grave comme l'automne;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mort vivant sur les lvres mortes d'un vivant,</div>
+ <div class="verse">Le masque couvrira ma face convulse;</div>
+ <div class="verse">Et maintenant que l'aube clate! O fiance</div>
+ <div class="verse">Chez qui la femme, hlas! va survivre l'enfant.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Eveille-toi, rouvre ta bouche qui s'est tue,</div>
+ <div class="verse">Tu n'entendras de moi que paroles d'orgueil</div>
+ <div class="verse">Et je me dresse sous les morsures du deuil</div>
+ <div class="verse">Laur d'or et pareil ma propre statue.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p10">LIANE</h4>
+
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des jours et puis des jours ont fui. Je me souviens</div>
+ <div class="verse">De cette joie ainsi que de quelque trangre</div>
+ <div class="verse">Et c'est une ferie encor que j'exagre</div>
+ <div class="verse">De tout le deuil enclos dans les plaisirs anciens.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais nos baisers furent les fruits des Hesprides</div>
+ <div class="verse">Dont nous avons mch la cendre, seulement</div>
+ <div class="verse">La cendre! le verger solitaire et charmant</div>
+ <div class="verse">N'a pas calm la soif de nos lvres arides.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">D'autres sont revenus semblables des dieux</div>
+ <div class="verse">De l'le o par orgueil nous nous aventurmes;</div>
+ <div class="verse">Les guirlandes d'amour alourdissaient leurs rames</div>
+ <div class="verse">Et la galre en fleurs merveillait les yeux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je ne jalouse pas leurs fanfares de gloire</div>
+ <div class="verse">Ni les pavois ni les tendards ploys</div>
+ <div class="verse">Dont l'ombre rouge flotte auprs des boucliers:</div>
+ <div class="verse">Leur songe tait moins beau que notre ivresse noire,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et j'erre en ce jardin fouett du vent brutal,</div>
+ <div class="verse">Plus fier que les hros aux soirs d'apothoses,</div>
+ <div class="verse">Tandis qu'autour de moi les nostalgiques roses</div>
+ <div class="verse">S'effeuillent vainement vers l'Orient natal.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je t'aimais et les dieux ont dnou nos bras,</div>
+ <div class="verse">Et nous vivons la drive au cours des heures;</div>
+ <div class="verse">Et je ne t'entends plus quand tu ris ou tu pleures:</div>
+ <div class="verse">Mais je viendrai vers toi quand tu m'appelleras.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">A la drive! des palais au bord des fleuves,</div>
+ <div class="verse">D'imprieuses voix m'invitent, dans la nuit</div>
+ <div class="verse">Et par les aubes; mais qu'importe? l'eau s'enfuit</div>
+ <div class="verse">Et je ferme mes yeux aux chevelures veuves.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je sais: l'htellerie est pleine de buveurs:</div>
+ <div class="verse">Au mur rit la lambrusque et la rose trmire</div>
+ <div class="verse">Et les raisins gonfls d'aurore et de lumire</div>
+ <div class="verse">Versent les vieux soleils dans les cerveaux rveurs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les sveltes baladins, les joueuses de lyre</div>
+ <div class="verse">Et les masques d'amour y glissent dans le soir</div>
+ <div class="verse">Et la terrasse est vide o je pourrais m'asseoir:</div>
+ <div class="verse">Je n'aborderai pas aux perrons de porphyre;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Nulle reine en manteau de pourpre et d'argent clair</div>
+ <div class="verse">Ne tendra sur le seuil ses lvres vers ma bouche;</div>
+ <div class="verse">Voile noire, carne noire, ombre farouche,</div>
+ <div class="verse">La nef sans gouvernail s'en va jusqu' la mer</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et je m'endormirai parmi les vagues vertes,</div>
+ <div class="verse">Parmi les mornes flots sans borne, moins qu'un soir,</div>
+ <div class="verse">Sur une rive heureuse, au sommet de la tour</div>
+ <div class="verse">Dominant la valle et les terres dsertes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tu ne paraisses dans ta robe de soleil</div>
+ <div class="verse">Et tu ne m'offres en un geste qui pardonne</div>
+ <div class="verse">Tes cheveux ploys plus riches que l'automne</div>
+ <div class="verse">Et les baisers anciens plus doux que le sommeil.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>III</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je ne sais plus dans quels chemins ni sous quels cieux</div>
+ <div class="verse">La reine de mon c&oelig;ur, la reine de mes yeux,</div>
+ <div class="verse">La souveraine de mes larmes ignores,</div>
+ <div class="verse">Qui tord en ses cheveux l'or fauve des vespres,</div>
+ <div class="verse">Passa sans un regard vers mon front en exil</div>
+ <div class="verse">Comme un soleil d'hiver oublieux de l'avril.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Hlas! les lys sont morts; les roses sont fanes;</div>
+ <div class="verse">L'impitoyable deuil dfleurit les annes.</div>
+ <div class="verse">Elle ne connat plus les choses d'autrefois;</div>
+ <div class="verse">Son oreille infidle a dsappris ma voix,</div>
+ <div class="verse">Ma voix tremblante et les paroles murmures</div>
+ <div class="verse">Et le frissonnement des treintes sacres.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et maintenant, et maintenant! je veux en vain</div>
+ <div class="verse">M'interdire les jours et le pass divin.</div>
+ <div class="verse">Ma lvre qu'elle sut dlicate nagures</div>
+ <div class="verse">Est chaude d'une bouche et de baisers vulgaires</div>
+ <div class="verse">Et j'ai bu pour marcher dans l'ombre de la mort</div>
+ <div class="verse">Le vin des matelots et des hommes du port.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais cette ivresse est triste, reine, et je t'implore.</div>
+ <div class="verse">Reviens, fais resplendir la gloire de l'aurore.</div>
+ <div class="verse">Jette sur les bois nus un manteau de printemps</div>
+ <div class="verse">Et pare les sentiers des roses que j'attends.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sois bienveillante; ou si les beaux jardins des rves</div>
+ <div class="verse">Sont clos pour jamais, soit! les heures seront brves</div>
+ <div class="verse">O je vivrai dans la lumire et dans le bruit,</div>
+ <div class="verse">Et je descendrai seul les marches de la nuit.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>IV</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Par quelle cruaut des implacables dieux?</div>
+ <div class="verse">Si loin des jours royaux et pavoiss de joie,</div>
+ <div class="verse">Un soleil tel que les anciens soleils flamboie</div>
+ <div class="verse">Et tes cheveux en fleur pouvantent mes yeux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Parmi le deuil hlas! et les ombres tombales,</div>
+ <div class="verse">Que me veux-tu, sourire imprieux encor</div>
+ <div class="verse">Qui fais se rveiller avec un sursaut d'or</div>
+ <div class="verse">Le prestige menteur des aubes triomphales?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Oui: tes lvres m'taient douces prs de la mer</div>
+ <div class="verse">Et sur la fauve grve o dormaient les carnes</div>
+ <div class="verse">Gonflaient d'un chant si pur les conques des Sirnes</div>
+ <div class="verse">Que des oiseaux neigeaient autour de toi dans l'air</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et que le souvenir des ailes ployes</div>
+ <div class="verse">Palpite en mes regards blouis. O rayons</div>
+ <div class="verse">Eteints! vols disparus d'aigles et d'alcyons!</div>
+ <div class="verse">Voix morte dsormais sur des lvres souilles!</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Voix morte et pour moi seul vivante: je voudrais</div>
+ <div class="verse">Ne plus l'entendre et que la terre devnt noire</div>
+ <div class="verse">Et que la nuit sereine engloutt la mmoire</div>
+ <div class="verse">De ta beaut semblable aux roses des forts.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais l'ombre dcevante est encore hante</div>
+ <div class="verse">Par les dieux importuns qui dfendent l'oubli</div>
+ <div class="verse">Et la poignante fleur au calice pli</div>
+ <div class="verse">Sollicite toujours ma bouche ensanglante.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p11">HYMNIS</h4>
+
+<p class="dedic"><i>Pour Bernard Lazare.</i></p>
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Face d'ombre, je viens toi; la nuit m'emporte.</div>
+ <div class="verse">Poussire vanouie aux plis blancs d'un linceul,</div>
+ <div class="verse">Ple vierge oublie et que j'honore seul</div>
+ <div class="verse">D'une fleur morte hlas! moins que ta grce morte,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je viens toi qui dors au fond des sicles lourds</div>
+ <div class="verse">Et dont le pur tombeau fait les lvres fidles:</div>
+ <div class="verse">Je n'ai pas entendu les mots qui naissaient d'elles</div>
+ <div class="verse">Ni got la douceur de tes tristes amours:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais je pleure ton corps et son charme quivoque</div>
+ <div class="verse">Et les baisers trop lents qui l'auraient effleur,</div>
+ <div class="verse">Chair de jadis, dsir dont je me suis leurr</div>
+ <div class="verse">Parce qu'un mme appel de buccins nous voque</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Vers les mmes cyprs noirs et silencieux&hellip;</div>
+ <div class="verse">Vain appel, vaine ombre et menteuses fanfares:</div>
+ <div class="verse">Jamais je ne clorai de mes lvres avares</div>
+ <div class="verse">Tes yeux dsenchants qui connurent les dieux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sommeille loin de moi prs de la mer antique</div>
+ <div class="verse">Sous un ciel insult par de confuses voix</div>
+ <div class="verse">O la vague qui chante encor comme autrefois</div>
+ <div class="verse">Entrechoque les mts du port aromatique:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Toujours l'pre soleil et la foule et l'embrun,</div>
+ <div class="verse">Loin de moi, troubleront ta poussire ignore</div>
+ <div class="verse">Et l'inutile fleur que je t'ai consacre</div>
+ <div class="verse">Ne rjouira pas ta cendre d'un parfum.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Viens respirer l'odeur des vignes et des fruits.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ce soir te sera doux comme tes longues nuits,</div>
+ <div class="verse">Hymnis, enfant qui dors depuis deux mille annes,</div>
+ <div class="verse">Et par le souffle lent des sentes o je fuis</div>
+ <div class="verse">Les roses du tombeau ne seront point fanes.</div>
+ </div>
+
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je te ddie, enfant, la mourante fort.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Elle se pare encor malgr son mal secret:</div>
+ <div class="verse">Tu te reconnatras sa noble agonie,</div>
+ <div class="verse">Vierge dont le front ple et fivreux se parat</div>
+ <div class="verse">D'or royal attrist par la blme ancolie.</div>
+ </div>
+
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'automne funraire embaume les halliers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Hymnis! Hymnis! Hymnis! tes cheveux dlis</div>
+ <div class="verse">Libres du bandeau strict o tu les emprisonnes</div>
+ <div class="verse">Ont frl des santals et des girofliers</div>
+ <div class="verse">Et se sont enivrs de cruelles automnes.</div>
+ </div>
+
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">De plus calmes parfums, ce soir, te charmeront.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pour que ton corps sacr retourne sans affront</div>
+ <div class="verse">De la fort qui meurt aux tnbres divines</div>
+ <div class="verse">Je veux entrelacer l'entour de ton front</div>
+ <div class="verse">Le thyrse noir du lierre aux suprmes glycines.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p12">CHRYSARION</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sur cette mer toujours dserte o nos yeux vains</div>
+ <div class="verse">S'garaient dans l'ennui des solitudes mornes,</div>
+ <div class="verse">Le navire, aux clameurs des conques et des cornes,</div>
+ <div class="verse">Fleurit avec l'aurore clatante; et tu vins,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Apportant le parfum des terres trangres,</div>
+ <div class="verse">Le reflet des soleils morts parmi tes cheveux</div>
+ <div class="verse">Et pour les c&oelig;urs lasss, graves et ddaigneux</div>
+ <div class="verse">L'enchantement de quelques heures plus lgres.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Trop de dsirs dus et d'espoirs abuss</div>
+ <div class="verse">Hantent notre mmoire et sanglotent en elle:</div>
+ <div class="verse">Nous n'avons pas tendu vers ta chair fraternelle</div>
+ <div class="verse">Nos lvres ds longtemps dprises des baisers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais les heures passaient douces comme la soie</div>
+ <div class="verse">En vtements trams de soleil et de nuit,</div>
+ <div class="verse">Danseuse au collier d'or qui fulgure et s'enfuit,</div>
+ <div class="verse">Amante triste et grave en marche vers la joie,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et vous qui regardiez des astres abolis,</div>
+ <div class="verse">Visages inquiets ivres du vieux mensonge,</div>
+ <div class="verse">O faces de stupeur, d'extases et de songe</div>
+ <div class="verse">Sur qui l'ombre clmente est tombe longs plis;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Puis la dernire; et ce fut toi-mme, incline</div>
+ <div class="verse">A la poupe et semant des roses dans le soir</div>
+ <div class="verse">Afin que la galre et le sillage noir</div>
+ <div class="verse">S'illustrassent encor d'une pourpre fane</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et que la sombre mer sourt nos yeux vains.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h3>L'ERRANTE</h3>
+
+<p class="dedic"><i>A RACHILDE</i></p>
+
+
+
+<h4 id="p13">L'ERRANTE</h4>
+
+<blockquote class="epi">
+<p>I nunc ad hostem, at in perpetuum mea.</p>
+
+</blockquote>
+
+<h5 class="left">I. <i>DE SABLE ET D'OR.</i></h5>
+
+<p>L'<span class="small">HOMME</span> songe dans le soir somptueux et morne; la balustrade
+croulante de la vieille demeure, il s'est accoud solitairement
+et ses yeux, qui depuis des mois et des annes n'ont plus reflt
+que les choses silencieuses, regardent au loin, dans les plaines
+assombries, s'tager les villes o des foules inconnues aiment,
+bataillent, agonisent et s'vanouissent comme des fumes.</p>
+
+<p>Ici le roc que nul printemps n'a par, cime triste abreuve
+jadis par le sang des victimes, alors que les dieux stupides se
+gorgeaient de sacrifices, cime cruelle o les roses d'Avril n'ont
+jamais souri, o les sources n'ont pas pleur doucement la mort
+future des fleurs voues au vieillard qui les emporte, quand vient
+l'automne.</p>
+
+<p>L'<span class="small">HOMME</span> songe dans le soir somptueux et morne; tandis que le
+ciel flamboie d'une plus rouge gloire et que l'or insultant les
+tnbres enrichit ses prunelles, des bchers tragiques s'effondrent
+et l'me dserte est envahie par un tumulte de chevauche; tourbillons
+de fer, gueules hurlantes, clairs de glaive, chevelures et
+crinires confondues, la horde passe dans sa pense.</p>
+
+<p>Et l'<span class="small">HOMME</span> se dtourne du spectacle clatant; ailleurs la terrasse
+est interrompue: les pesantes eaux d'un lac sans fond
+baignent de leur horreur immobile la roche qui disparat dans le
+vertige de l'abme. Maintenant l'<span class="small">HOMME</span> marche, les yeux ivres de
+nuit, vers le lac d'ombre monotone et sa voix lasse frle de
+lentes paroles les ondes spulcrales, les ondes paisses qui ne
+frissonnent pas.</p>
+
+
+<p class="p">L'HOMME</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Nuit moins sinistre que le soir, nuit rebelle</div>
+ <div class="verse">A mon dsir, tu n'es pas l'ombre que j'appelle</div>
+ <div class="verse">Et trop d'astres encor m'offusquent de clart</div>
+ <div class="verse">Pour que je boive en toi les coupes du Lth.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Autrefois, j'ai vcu derrire les murailles</div>
+ <div class="verse">Des villes; je connais les brves funrailles</div>
+ <div class="verse">De toute joie et vers la cime et vers la tour,</div>
+ <div class="verse">Pour le muet exil que je veux sans retour,</div>
+ <div class="verse">J'ai fui l'cre parfum des roses effeuilles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Lorsque je suis venu, les portes verrouilles</div>
+ <div class="verse">Pleuraient plaintivement comme des chiens meurtris,</div>
+ <div class="verse">Et j'oubliais le monde et mprisais leurs cris:</div>
+ <div class="verse">Mais la pierre me parle ainsi qu'une vivante</div>
+ <div class="verse">Maintenant, et flambeau d'angoisse et d'pouvante,</div>
+ <div class="verse">Dans mon c&oelig;ur las du crpuscule rouge et noir,</div>
+ <div class="verse">Chaque toile qui monte allume un triste espoir.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Eaux bienheureuses, vos paupires sont voiles:</div>
+ <div class="verse">Aucun rve de ciel et d'algues emmles</div>
+ <div class="verse">N'ondule dans le calme abme; nul reflet</div>
+ <div class="verse">Des jours antrieurs o l'aube tincelait</div>
+ <div class="verse">Sur votre moire alors juvnile et chantante</div>
+ <div class="verse">Ne se rveille en vous par la nuit clatante</div>
+ <div class="verse">Avec le souvenir d'un antique soleil.</div>
+ <div class="verse">Eaux bienheureuses, vous dormez du vrai sommeil.</div>
+ <div class="verse">Vous les ples, vous les froides et les obscures,</div>
+ <div class="verse">Vous les mortes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse indent4">J'attends les suprmes augures,</div>
+ <div class="verse">Les cygnes ternels ouvrant leur vol sacr,</div>
+ <div class="verse">Et l'heure, enfin libratrice, o je serai,</div>
+ <div class="verse">Eaux bienheureuses, lac de nuit, lac de silence,</div>
+ <div class="verse">Digne de votre accueil et de votre clmence.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>Ainsi le solitaire invoque les ondes fatidiques. Mais pendant
+qu'il parle, les toiles plus nombreuses ruissellent sur les pentes
+abruptes et l'<span class="small">ERRANTE</span> est survenue; ses haillons brochs d'or
+illusoire par les astres dnoncent les routes hostiles, les morsures
+du vent, peut-tre l'agression de mains brutales. Furtive elle
+s'est assise sur les marches disjointes et l'<span class="small">HOMME</span> tout coup se
+trouve face face avec elle.</p>
+
+<p class="p">L'HOMME</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Va-t'en. Que me veux-tu, larve ou fantme humain,</div>
+ <div class="verse">Dont le pas sacrilge usurpe mon chemin:</div>
+ <div class="verse">J'ignore quel pass funraire t'escorte</div>
+ <div class="verse">Et me barre avec toi la route de la porte,</div>
+ <div class="verse">Ou si ta robe aux plis tnbreux de son deuil</div>
+ <div class="verse">Recle un tendard de victoire et d'orgueil,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais qu'importe? tu viens des carrefours vulgaires,</div>
+ <div class="verse">Et tendresse, douleur, pourpre illustre des guerres,</div>
+ <div class="verse">Clameurs des foules furieuses, bruit des pas,</div>
+ <div class="verse">Gestes des suppliants, monde, je ne veux pas,</div>
+ <div class="verse">Quand je me penche enfin vers l'ombre sans aurore,</div>
+ <div class="verse">Qu'un souvenir des jours anciens attente encore</div>
+ <div class="verse">A mon me recluse et mre pour la nuit.</div>
+ <div class="verse">Va-t'en.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="p">L'ERRANTE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse indent4">Je suis venue o le soir me conduit,</div>
+ <div class="verse">Par le soleil ou par la pluie aux larges gouttes,</div>
+ <div class="verse">Aprs des routes et des routes et des routes.</div>
+ <div class="verse">Quand je suivais la mer aux heures de reflux</div>
+ <div class="verse">Le sable de la grve a brl mes pieds nus;</div>
+ <div class="verse">Et ma chair a saign de toutes les pines</div>
+ <div class="verse">A travers les fourrs, les ronces des ravines</div>
+ <div class="verse">Et les ajoncs aux rudes marges des marais.</div>
+ <div class="verse">Mais partout, aussitt que la terre o j'errais</div>
+ <div class="verse">Portait empreinte sur l'argile ou sur l'arne</div>
+ <div class="verse">La trace des vivants, j'ai fui. Je sais la haine</div>
+ <div class="verse">Dont ils poursuivent la passante et sur mes yeux</div>
+ <div class="verse">Ont pes trop souvent leurs poings injurieux</div>
+ <div class="verse">Pour que je m'aventure ayant vu leurs foules.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Seuls parfois les palais des villes croules</div>
+ <div class="verse">Sous leurs porches dchus fraternels mon sort</div>
+ <div class="verse">M'ont offert un sommeil puissant comme la mort.</div>
+ <div class="verse">La solitude ment o tu viens d'apparatre;</div>
+ <div class="verse">L'asile de repos que je croyais sans matre</div>
+ <div class="verse">Abrite hlas! ton me fauve de vivant:</div>
+ <div class="verse">Je quitterai le seuil et le toit dcevant</div>
+ <div class="verse">O ton deuil autre que mon deuil se cache et pleure</div>
+ <div class="verse">L'ombre immense est hospitalire.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="p">L'HOMME</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse indent4">Non, demeure,</div>
+ <div class="verse">Puisque la volont de ton sort et du soir</div>
+ <div class="verse">A men tes pieds las vers le morne manoir</div>
+ <div class="verse">Et vers l'hte imprvu dress devant ta face</div>
+ <div class="verse">En qui ta voix a fait s'panouir, vivace,</div>
+ <div class="verse">Une fleur de jadis aux pistils oublis.</div>
+ <div class="verse">J'y consens: soleils abolis, flamboyez</div>
+ <div class="verse">Encore, surgissez dans ma sombre mmoire</div>
+ <div class="verse">En aube de suprme et cinraire gloire</div>
+ <div class="verse">Avant que cette chair s'engloutisse jamais;</div>
+ <div class="verse">Et toi, dolente ombre d'une ombre que j'aimais</div>
+ <div class="verse">Et qui m'a refus ses lvres mensongres,</div>
+ <div class="verse">Toi qui dormis sous des toiles trangres</div>
+ <div class="verse">Des sommeils flagells par l'pre fouet du vent,</div>
+ <div class="verse">Entre sans peur avec un sourire d'enfant</div>
+ <div class="verse">Et l'ingnuit d'une me purile</div>
+ <div class="verse">Dans la vieille maison o le hasard t'exile.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="p">L'ERRANTE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je ne sais mme pas ce qu'on nomme les ans,</div>
+ <div class="verse">Ni combien de matins, combien de jours pesants</div>
+ <div class="verse">Ont cras l'errante amre et rsigne,</div>
+ <div class="verse">Homme, ni quelles eaux lustrales l'ont baigne</div>
+ <div class="verse">O le secret des dieux demeure enseveli,</div>
+ <div class="verse">Quelles eaux de piti, de refuge et d'oubli,</div>
+ <div class="verse">Emportant dans le cours pacifique des fleuves</div>
+ <div class="verse">Tout un faix dilu de souffrance et d'preuves.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">A peine un souvenir obscur survit en moi,</div>
+ <div class="verse">Heure d'angoisse, heure de dtresse et d'effroi</div>
+ <div class="verse">Qui m'a fait tressaillir d'une crainte ignore:</div>
+ <div class="verse">Des retres ont voulu m'entraner, l'ore</div>
+ <div class="verse">De la fort; j'ai fui leurs lvres et leurs mains,</div>
+ <div class="verse">Eperdue, travers les rochers sans chemins,</div>
+ <div class="verse">Et je frissonne encor de l'treinte lude</div>
+ <div class="verse">Jadis, quand mon horreur de vierge dnude</div>
+ <div class="verse">coutait survenir l'approche des pas lourds.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Cependant par des soirs, solitaires toujours,</div>
+ <div class="verse">J'ai mir mon visage au miroir des fontaines</div>
+ <div class="verse">Et tendu vers mon front des lvres incertaines</div>
+ <div class="verse">Dont la source perfide a glac le dsir;</div>
+ <div class="verse">Et l'ombre s'effaa que j'ai voulu saisir,</div>
+ <div class="verse">Comme un ple soleil qui sombre au flot nocturne,</div>
+ <div class="verse">Sans avoir accueilli mon baiser taciturne.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais voici que ta voix grave qui m'effrayait</div>
+ <div class="verse">Parle plus doucement mon c&oelig;ur inquiet</div>
+ <div class="verse">Et qu'aprs les assauts de la tempte rude</div>
+ <div class="verse">Des astres bienveillants dorent la solitude.</div>
+ <div class="verse">Donc j'entrerai sans peur dans la maison.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse indent4">Salut,</div>
+ <div class="verse">Seuil, et que les haillons du pass rvolu</div>
+ <div class="verse">S'envolent de ma chair au vent qui les emporte</div>
+ <div class="verse">Ainsi qu'un vain linceul d'o jaillit une morte</div>
+ <div class="verse">Pour renatre en splendeur de soleil exalt,</div>
+ <div class="verse">Belle de sa jeunesse et de sa nudit.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5 class="left">II. <i>DE GUEULES.</i></h5>
+
+<p>Dans la mlancolique demeure o les murs s'merveillaient de
+sa beaut, salue par les figures amies des lices, irradiant l'eau
+ternie des miroirs, l'<span class="small">ERRANTE</span> est entre blanche et nue.</p>
+
+<p>Elle n'a point refus ses lvres et les rouges floraisons de la
+joie ont fleuri imprieusement, par la vibrante offrande de son
+corps l'<span class="small">HOMME</span> veill d'un long rve.</p>
+
+<p>Il a plong dans les coffrets de bronze ses mains fivreuses et
+prodigues, et l'armure d'or et les brocarts et les gemmes et le
+glaive ont chapp aux chanes noires des tnbres.</p>
+
+<p>Sur les seins et sur les paules de l'<span class="small">ERRANTE</span>, tous les trsors
+enfouis dans le spulcre du silence depuis des sicles, des ans et
+des jours, resplendissent avec l'aurore.</p>
+
+<p>Au seuil matinal de la porte, elle se dresse en sa robe de
+pourpre qui recle sous le sang fig de la soie, avec la cotte de
+mailles, l'irrprochable acier du glaive.</p>
+
+<p>Pensive, elle s'est retourne vers l'<span class="small">HOMME</span> qui fait un geste
+d'adieu, et comme hsitante et retenue par la puissance d'une
+main invisible, elle tarde franchir le seuil.</p>
+
+<p class="p">L'ERRANTE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je le sais: mon destin m'entrane et tu le veux,</div>
+ <div class="verse">J'irai. Je dois offrir aux chocs tumultueux</div>
+ <div class="verse">Ds le premier appel de l'aube avant-courrire</div>
+ <div class="verse">Ma poitrine hroque et libre de guerrire;</div>
+ <div class="verse">Et mon poing brandira le glaive dsormais.</div>
+ <div class="verse">Je le sais: mais l'exil sombre o tu t'enfermais</div>
+ <div class="verse">S'illumine pour toi de ma chair apparue,</div>
+ <div class="verse">Et radieuse encor, mme absente, j'obstrue</div>
+ <div class="verse">Les portes de la nuit que tu heurtais dj.</div>
+ <div class="verse">Ami, dont ma venue importune outragea</div>
+ <div class="verse">Le manoir de silence et d'ombre inviole,</div>
+ <div class="verse">Pardonne, pour ton deuil de solitude emble,</div>
+ <div class="verse">A l'Errante qui part, chaude de tes baisers.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="p">L'HOMME</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Va: le soleil bondit dans les cieux embrass;</div>
+ <div class="verse">C'est l'heure, il faut franchir le seuil et vers les villes</div>
+ <div class="verse">Te ruer en clamant aux oreilles serviles</div>
+ <div class="verse">Tout ce que les tombeaux t'ont livr de secrets.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Viens et regarde: l de houleuses forts</div>
+ <div class="verse">O les pasteurs de porcs se vautrent dans les bauges;</div>
+ <div class="verse">Puis des plaines, rumeurs des bls, parfum des sauges,</div>
+ <div class="verse">Et les paysans nus courbs sous les sillons</div>
+ <div class="verse">A jamais; et plus loin des foules en haillons,</div>
+ <div class="verse">Troupeaux lches que tu mueras en fauves hardes,</div>
+ <div class="verse">Tournent vers le palais des prunelles hagardes</div>
+ <div class="verse">Et des poings dcharns par l'immuable faim</div>
+ <div class="verse">Sans que la torche encor s'enflamme dans leur main.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ce qui fut moi nagure et richesse strile</div>
+ <div class="verse">Et dpouille des temps silencieux rutile</div>
+ <div class="verse">Autour de ton front jeune et de tes seins altiers:</div>
+ <div class="verse">Voici venir un vol de cygnes ploys,</div>
+ <div class="verse">Le vol tardif et sr des prophtiques ailes</div>
+ <div class="verse">Qui m'invite au sommeil des ondes ternelles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Va: la chair que la mort heureuse requrait</div>
+ <div class="verse">S'vanouit parmi les choses, sans regret,</div>
+ <div class="verse">Maintenant que tu m'as affranchi de moi-mme</div>
+ <div class="verse">Et que tu peux, matresse enfin du double emblme,</div>
+ <div class="verse">Descendre vers les serfs de la glbe et des murs</div>
+ <div class="verse">Et, selon le vouloir des trois monstres obscurs,</div>
+ <div class="verse">Tendre le rameau d'or ou frir de l'pe.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>L'<span class="small">HOMME</span> disparat sous les eaux immobiles, sous les eaux
+paisses o ne palpite aucune lueur. L'<span class="small">ERRANTE</span> contemple longuement
+le lac d'ombre monotone, puis marche, aurole par la
+gloire du matin, vers les plaines et vers les villes orientales,
+tandis que sa voix dans la solitude chante les batailles futures.</p>
+
+<p class="p">L'ERRANTE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Homme, revis en moi. Dans ma dextre crispe</div>
+ <div class="verse">Je serre puissamment le pommeau froid du glaive</div>
+ <div class="verse">Et si le monstre ancien se rebelle et se lve,</div>
+ <div class="verse">Je rougirai le sol de sa tte coupe,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Moi, celle qui connat les suprmes paroles</div>
+ <div class="verse">Et toute la douleur avec toute la joie;</div>
+ <div class="verse">Je chasserai le loup et l'hyne de proie</div>
+ <div class="verse">Et je veux emporter les royales corolles</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Que les dragons jaloux gardaient des mains humaines:</div>
+ <div class="verse">Afin que le parfum des roses inconnues,</div>
+ <div class="verse">Epars farouchement sous la vote des nues,</div>
+ <div class="verse">Suscite dans les c&oelig;urs les dsirs et les haines,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je viens vous, frres penchs sur les emblaves,</div>
+ <div class="verse">Attels la meule au fond de l'ergastule;</div>
+ <div class="verse">Mon verbe lacrant l'antique crpuscule</div>
+ <div class="verse">Souffle une me de pourpre vos mes d'esclaves;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Redressez-vous; sarclez les herbes parasites:</div>
+ <div class="verse">Lancez contre le ciel les pierres de vos geles,</div>
+ <div class="verse">Et que les murs vaincus par vos fortes paules</div>
+ <div class="verse">Vous ouvrent le jardin des terres interdites</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O, plus belles, des fleurs de rve vont clore</div>
+ <div class="verse">En butin triomphal pour les races venges,</div>
+ <div class="verse">Tandis que le sang vil des btes gorges</div>
+ <div class="verse">Se mle par mon glaive au sang pur de l'aurore.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h3>VERS L'AURORE</h3>
+
+<p class="dedic"><i>A A.-FERDINAND HEROLD</i></p>
+
+
+
+<h4 id="p14">LES AUMONIRES</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A A.-F. Plicque.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sur la grve qu'avaient souille</div>
+ <div class="verse">Les conqurants et les hros,</div>
+ <div class="verse">Prs de la mer pacifie</div>
+ <div class="verse">Pleine des frissons auguraux,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les poings perdus dans les crinires</div>
+ <div class="verse">De leurs chevaux roses et blancs,</div>
+ <div class="verse">C'taient les bonnes aumnires</div>
+ <div class="verse">Qui reviennent tous les mille ans.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Cymodoce, Aglaure, Euryanthe,</div>
+ <div class="verse">Au caprice d'un galop fou</div>
+ <div class="verse">Elles passaient; leur flamboyante</div>
+ <div class="verse">Chevelure brlait leur cou.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Lvres douces comme la soie,</div>
+ <div class="verse">Lumineuses comme les cieux,</div>
+ <div class="verse">Elles chantaient un chant de joie</div>
+ <div class="verse">Vers l'Ocan mystrieux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tandis que vibraient des abeilles</div>
+ <div class="verse">Autour des talons loyaux,</div>
+ <div class="verse">Elles plongeaient dans des corbeilles</div>
+ <div class="verse">Leurs bras riches de lourds joyaux</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et brandissant leurs mains sacres,</div>
+ <div class="verse">Bonnes au yeux chargs de pleurs,</div>
+ <div class="verse">Parmi les vagues empourpres</div>
+ <div class="verse">Semaient d'impriales fleurs;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Car les coroles millnaires</div>
+ <div class="verse">Eparses en vol d'Orient</div>
+ <div class="verse">Calment les antiques colres</div>
+ <div class="verse">Et charment le vieil Ocan.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p15">MARE TENEBRARUM</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Emile Gall.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Durant les jours de brume et les soirs sans toiles</div>
+ <div class="verse">Le vent triste a fan la pourpre de nos voiles;</div>
+ <div class="verse">Mais nos c&oelig;urs s'attardant aux soleils rvolus</div>
+ <div class="verse">Oubliaient le deuil vain des flux et des reflux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La barque tressaillait de la poupe la proue</div>
+ <div class="verse">Avec le ronflement d'un cheval qui s'broue;</div>
+ <div class="verse">Mais nos c&oelig;urs enchants de chants vanouis</div>
+ <div class="verse">Oubliaient la clameur des vagues et des nuits.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Hier l'Aurore brusque a jailli de nos rves;</div>
+ <div class="verse">Le marbre bleu des mers et l'or fauve des grves</div>
+ <div class="verse">Eblouissaient nos yeux brls par les embruns</div>
+ <div class="verse">Et le dragon rostral s'enivrait de parfums.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais l'ombre en flocons noirs a neig sur nos mes,</div>
+ <div class="verse">L'ombre que nul soleil ne fondra de ses flammes</div>
+ <div class="verse">Et dj le dragon, loin des havres heureux,</div>
+ <div class="verse">Mord les antiques flots glacs et tnbreux.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p16">LE PLERINAGE HORS DE L'OMBRE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Remy de Gourmont.</i></p>
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ame riche de nuit, d'toiles et de rves</div>
+ <div class="verse">Qui puisas des trsors aux urnes d'un tombeau</div>
+ <div class="verse">N'abandonneras-tu jamais tes blmes grves</div>
+ <div class="verse">Pour cette ville en fleurs sous le printemps nouveau?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ame riche de nuit, mon me, tu recles</div>
+ <div class="verse">Assez d'astres perdus et de soleils teints:</div>
+ <div class="verse">Viens connatre la chair et les lvres de celles</div>
+ <div class="verse">Qui tendent leurs seins nus aux pourpres des matins</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et font en souriant l'aurore sereine</div>
+ <div class="verse">Fluer entre leurs doigts le sable et leurs cheveux,</div>
+ <div class="verse">Pour que, vivante enfin, ma bouche amre apprenne</div>
+ <div class="verse">A goter le miel blond des heures. Tu le veux,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ame lasse dj des ivresses futures,</div>
+ <div class="verse">Toi qui n'as rien chri que les pleurs et la mort:</div>
+ <div class="verse">Le vent gonfle d'amour les voiles toujours pures:</div>
+ <div class="verse">Loin de l'le o la blanche Hymnis repose et dort,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pour moi seul, dans le vain cnotaphe des roses,</div>
+ <div class="verse">Nous irons conqurir son corps ressuscit;</div>
+ <div class="verse">Sans doute elle revit par les mtempsycoses</div>
+ <div class="verse">Sur le sol oublieux que parait sa beaut</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et parmi les parfums sauvages des galres,</div>
+ <div class="verse">Les chiens, les portefaix qui geignent en marchant,</div>
+ <div class="verse">Elle va, lourde encor des gloires tumulaires,</div>
+ <div class="verse">Sans que nul ait compris la douceur de son chant.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'cume viole a neig de la proue;</div>
+ <div class="verse">Les mauves qui mouillaient leurs plumes aux flots noirs</div>
+ <div class="verse">Ont secou le sel des vagues sur ma joue.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le sel des vagues! Tels les pleurs d'antiques soirs</div>
+ <div class="verse">Enrichirent jadis de gemmes dissipes</div>
+ <div class="verse">Ces yeux fous aujourd'hui d'aventure et d'espoirs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Puis la fort flamba de cruelles pes;</div>
+ <div class="verse">Mais plus d'ombre tombait des branchages pieux</div>
+ <div class="verse">Pour voiler le sommeil inquiet des Napes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ainsi les pres bois ont dfendu mes yeux</div>
+ <div class="verse">Jadis et quand le jour en troublait l'eau tranquille,</div>
+ <div class="verse">Ils talaient dans l'air leur deuil imprieux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Or maintenant, voici les portes de la ville;</div>
+ <div class="verse">Je franchirai les murs sans dsir de retour</div>
+ <div class="verse">Heureux si dans la solitude o je m'exile</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'ombre descend sur moi du temple et de la tour.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>III</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Farouche de voir les aurores</div>
+ <div class="verse">Et les soleils panouis,</div>
+ <div class="verse">L'eau tressaillait dans les amphores</div>
+ <div class="verse">Sur la marge grise des puits</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les tnbres souterraines,</div>
+ <div class="verse">Les iris de sombre cristal</div>
+ <div class="verse">Se fltrissaient comme des reines</div>
+ <div class="verse">Captives d'un soudard brutal.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les servantes et les esclaves</div>
+ <div class="verse">Riaient l'entour; mais tu vins,</div>
+ <div class="verse">Et tu voilas de voiles graves</div>
+ <div class="verse">Les filles des antres divins.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Protectrice des eaux dolentes</div>
+ <div class="verse">Qui sais les rites d'autrefois,</div>
+ <div class="verse">J'ai tremp mes lvres tremblantes</div>
+ <div class="verse">A la coupe triste o tu bois:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Souviens-toi d'heures et d'annes</div>
+ <div class="verse">Et de soleils, tends les mains</div>
+ <div class="verse">Vers les clmatites fanes,</div>
+ <div class="verse">Vers les toiles des jasmins;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et sur la terre des merveilles</div>
+ <div class="verse">Que pavoisaient de nobles cieux</div>
+ <div class="verse">Fais refleurir les belles treilles</div>
+ <div class="verse">De nos jardins silencieux.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p17">NATIVIT</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'enfant n de la terre et libr par elle</div>
+ <div class="verse">Tendit, farouche et nu, son torse imprieux</div>
+ <div class="verse">Hors de l'antre o mourait la nuit surnaturelle;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais la brusque splendeur du soleil et des cieux,</div>
+ <div class="verse">Lacrant l'ombre avec des griffes empourpres,</div>
+ <div class="verse">Ne fit pas tressaillir l'eau calme de ses yeux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dsormais ddaigneux des fontaines sacres,</div>
+ <div class="verse">Il buvait puissamment la lumire et l'orgueil,</div>
+ <div class="verse">O tnbres en pleurs, mres ventres!</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et quand il eut vaincu les lianes du seuil</div>
+ <div class="verse">Et dploy sa chevelure dans l'aurore,</div>
+ <div class="verse">Les arbres lui chantaient un chant de bon accueil.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dans l'allgresse de la force qui s'essore</div>
+ <div class="verse">Il marchait travers la natale fort,</div>
+ <div class="verse">Attentif aux frissons du feuillage sonore;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Autour de lui le vol des abeilles vibrait</div>
+ <div class="verse">Et le miel embaumant ses lvres fatidiques</div>
+ <div class="verse">Rvlait son c&oelig;ur l'ineffable secret</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">De la vie immortelle et des sves antiques.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p18">LE CHVRE-PIEDS</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sous cette roche en pleurs o dort la femme nue,</div>
+ <div class="verse">Nuage d'aube parse en la menteuse nuit,</div>
+ <div class="verse">Le chvre-pieds regarde travers l'eau qui flue</div>
+ <div class="verse">Les lointaines maisons de labeur et de bruit.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les tristes paysans se penchent vers la glbe</div>
+ <div class="verse">Pour un baiser de serfs et de jaloux amants</div>
+ <div class="verse">Dont la bouche haineuse voque de l'Erbe</div>
+ <div class="verse">L'or futur des pis et des riches froments.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Avares de moissons qui fatiguent les granges,</div>
+ <div class="verse">Ils mprisent l'aurore et les soleils couchants</div>
+ <div class="verse">Et leur oreille est close aux paroles tranges</div>
+ <div class="verse">Qui montent des taillis, des sources et des champs;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et la charrue, avec les jours et les annes,</div>
+ <div class="verse">Impitoyable au deuil des bois mystrieux</div>
+ <div class="verse">Offense la beaut des forts profanes</div>
+ <div class="verse">O rdaient librement les fauves et les dieux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais le sylvain survit la sylve abattue;</div>
+ <div class="verse">Dans l'antre encor voil de feuillage, sa chair</div>
+ <div class="verse">Immortelle, travers les sicles, perptue</div>
+ <div class="verse">Le grand frisson d'amour qui fait tressaillir l'air;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et dans les flancs d'une passante solitaire</div>
+ <div class="verse">Il sme au chant des eaux et des rameaux flottants</div>
+ <div class="verse">Des fils aventureux affranchis de la terre</div>
+ <div class="verse">En qui bout la jeunesse hroque des temps.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p19">FLAMMES</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Parmi les cres fleurs des lauriers, cette voix</div>
+ <div class="verse">vocatrice en nous de gloire rvolue</div>
+ <div class="verse">manait de la mer, du soir et d'autrefois:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Enfants tristes, penchs vers l'ombre, l'ombre afflue</div>
+ <div class="verse">Et monte jusqu' vos lvres avec les flots</div>
+ <div class="verse">Dont vous enivriez votre me irrsolue.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La sculaire nuit opprime vos yeux clos,</div>
+ <div class="verse">Enfants tristes, et vos poitrines lacres</div>
+ <div class="verse">Se gonflent lchement de striles sanglots.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Si votre bouche a soif des aubes empourpres</div>
+ <div class="verse">Et du sang lumineux qui sacre le matin</div>
+ <div class="verse">Quel sortilge encor vous attrait aux vespres?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">D'un geste, dans la nuit, dcisif et hautain,</div>
+ <div class="verse">Reniez le poison des ondes lthennes</div>
+ <div class="verse">Et marchez sans retour vers un autre destin.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Frntiques, hors des tnbres anciennes</div>
+ <div class="verse">Nous avons fait jaillir dans le ciel morne et noir</div>
+ <div class="verse">Une farouche aurore la cime des chnes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et dociles au cri de dsir et d'espoir,</div>
+ <div class="verse">Nous respirons les roses rouges de la joie,</div>
+ <div class="verse">Depuis que djouant les embches du soir</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La torche avec l'pe notre poing flamboie.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h3>LE JARDIN DE CASSIOPE</h3>
+
+<p class="dedic"><i>A ALFRED VALLETTE</i></p>
+<blockquote class="epi">
+<p>Cassiope, s'tant dclare, par orgueil,
+plus belle que les Nrides, dut exposer
+au monstre marin sa fille Andromde,
+qui fut dlivre par Perse. Aprs sa
+mort, Cassiope fut mise au rang des
+Constellations.</p>
+
+<p class="attr">(<span class="sc">Mythographes Grecs.</span>)</p>
+</blockquote>
+
+
+
+<h4 id="p20">LE JARDIN DE CASSIOPE</h4>
+
+
+<p class="p">L'HOMME</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sans matins blancs et sans toiles dans la nuit,</div>
+ <div class="verse">A travers le brouillard o soufflait le vent rude,</div>
+ <div class="verse">J'ai chemin de solitude en solitude</div>
+ <div class="verse">N'ayant pour compagnon que l'immuable ennui.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Derrire les rocs noirs qui portent le ciel triste,</div>
+ <div class="verse">Monotone, la mer invisible pleurait;</div>
+ <div class="verse">Et jusqu' l'horizon barr par la fort,</div>
+ <div class="verse">Les maigres tamaris et l'pre fleur du ciste.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Puis des jours mornes dans le silence des bois</div>
+ <div class="verse">Pesrent sur mon front en gouttes d'ombre lourde:</div>
+ <div class="verse">Nul bruit d'oiseau qui chante ou de source qui sourde</div>
+ <div class="verse">N'a dissip l'horreur d'our ma seule voix;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et ce fut nouveau la lande grise et plate,</div>
+ <div class="verse">La houle des genvriers et des ajoncs,</div>
+ <div class="verse">Que n'illustra jamais de tragiques rayons</div>
+ <div class="verse">Quelque couchant royal au manteau d'carlate.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais le riche verger m'attend. O treilles d'or,</div>
+ <div class="verse">Saurai-je encor saisir vos grappes immortelles,</div>
+ <div class="verse">Les mains lasses d'avoir cueilli des asphodles</div>
+ <div class="verse">Et de sombres pavots qui conseillent la mort?</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="p">CASSIOPE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Qui que tu sois, passant envoy par le sort,</div>
+ <div class="verse">Venu des tnbreux chemins, franchis la haie,</div>
+ <div class="verse">Cueille d'un seul regard toute la roseraie,</div>
+ <div class="verse">Que ses vivants parfums te sauvent de la mort!</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tends les mains; le verger de force et de liesse</div>
+ <div class="verse">Que n'a pas envahi l'ombre du dernier dieu</div>
+ <div class="verse">T'offre les raisins clairs, les oranges de feu,</div>
+ <div class="verse">Et si ta lvre a soif d'amour, l'aube acquiesce,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La mer chante; appel par les conques des flots,</div>
+ <div class="verse">Aprs les jours ou les longs mois de bonne halte,</div>
+ <div class="verse">Tu partiras: le vin des amphores exalte</div>
+ <div class="verse">L'orgueil viril et pur qui sacre les hros</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et son baume puissant dlivre l'me esclave;</div>
+ <div class="verse">Tu partiras dans la splendeur d'un soir d't</div>
+ <div class="verse">Tel que le soleil rouge au ciel ensanglant</div>
+ <div class="verse">Teigne en pourpre l'embrun de neige sous l'trave.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tourbillonne le vol des typhons ploys!</div>
+ <div class="verse">Qu'importe au plerin ddaigneux et farouche</div>
+ <div class="verse">Ivre ternellement d'avoir bu sur ma bouche</div>
+ <div class="verse">Le mpris du ciel vide et des dieux renis!</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p21">VOIX DERRIRE LA HAIE</h4>
+
+
+<p class="l10"><i>VENDMIAIRE</i></p>
+<p class="c">LES VENDANGEURS</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les sarments rampaient entre les pierres</div>
+ <div class="verse">Ou montaient au tronc rugueux des ormes,</div>
+ <div class="verse">Tordus et nous en n&oelig;uds difformes</div>
+ <div class="verse">Comme des orvets et des vipres.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Courbs sous le fouet des rois avares,</div>
+ <div class="verse">Nous avons vers nos pleurs, nos peines;</div>
+ <div class="verse">Nous avons ouvert nos ples veines,</div>
+ <div class="verse">Nous avons nourri les vignes rares;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Nous avons pill les ceps d'automne;</div>
+ <div class="verse">Le mot bruissait au fond des cuves,</div>
+ <div class="verse">Pour les matres, saouls de chauds effluves,</div>
+ <div class="verse">Le sang de nos c&oelig;urs emplit la tonne.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<p class="l10"><i>NIVOSE</i></p>
+<p class="c">LES COUPEURS DE ROSEAUX</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'eau langoureuse endormait les saules;</div>
+ <div class="verse">Vers le dclin des tides journes</div>
+ <div class="verse">Elle frlait de lvres pmes</div>
+ <div class="verse">Les seins roses, les blanches paules.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le ch&oelig;ur estival des femmes nues</div>
+ <div class="verse">Plus doux que le chant des tourterelles</div>
+ <div class="verse">Propageait parmi les roseaux grles</div>
+ <div class="verse">Le frisson de volupts inconnues.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Roseaux, vous clorez nos pauvres huttes.</div>
+ <div class="verse">D'autres prendront vos fragiles mes;</div>
+ <div class="verse">Ils voqueront les belles femmes</div>
+ <div class="verse">Avec la voix magique des fltes.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<p class="l10"><i>FLORAL</i></p>
+<p class="c">LES TISSERANDS</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Notre peau s'use au fer des navettes,</div>
+ <div class="verse">Notre peau gerce tistre la soie;</div>
+ <div class="verse">Dehors le printemps chante et flamboie:</div>
+ <div class="verse">Nous ne connaissons ni fleurs ni ftes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Toujours notre front dolent s'incline</div>
+ <div class="verse">Vers le mtier ds la prime aurore;</div>
+ <div class="verse">Toujours nos doigts fans font clore</div>
+ <div class="verse">De fraches fleurs dans l'toffe fine.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et sur le linceul et sur les langes</div>
+ <div class="verse">Des empereurs porphyrogntes</div>
+ <div class="verse">Nous entrelaons les fauves btes</div>
+ <div class="verse">Qui rdent dans nos songes tranges.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<p class="l10"><i>THERMIDOR</i></p>
+<p class="c">LES MARINS</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Nous avons dompt les mers funbres</div>
+ <div class="verse">Et vaincu leurs gueules forcenes:</div>
+ <div class="verse">La lpre mord nos mains dcharnes</div>
+ <div class="verse">Ronge la moelle de nos vertbres.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">En vain le soleil d't rayonne:</div>
+ <div class="verse">Car nous nous tranons dans les venelles,</div>
+ <div class="verse">Grelottant de fivres ternelles,</div>
+ <div class="verse">Et sur nos os la laine frissonne.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Cependant nous portions dans la cale</div>
+ <div class="verse">La poudre d'or et les aromates</div>
+ <div class="verse">Et de souples filles aux chairs mates</div>
+ <div class="verse">Mres de lumire orientale.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p22">LA DOULEUR A CRI</h4>
+
+
+<p class="p">L'HOMME</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La douleur a cri du fond des belles heures.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les roses du jardin, le parfum que tu fleures</div>
+ <div class="verse">L'opulente senteur de l't triomphant</div>
+ <div class="verse">S'vanouit; le meurtre souffle avec le vent:</div>
+ <div class="verse">La douleur a cri du fond des belles heures.</div>
+ </div>
+
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pantelante, Andromde agonise jamais.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Un suprme baiser aux lvres que j'aimais,</div>
+ <div class="verse">Et dans le rouge soir je brandirai l'pe,</div>
+ <div class="verse">Puisque hors du verger calme, Cassiope,</div>
+ <div class="verse">Pantelante, Andromde agonise jamais</div>
+ </div>
+
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais l'invincible orgueil vit dans les treize toiles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Si la tempte hurle et lacre les voiles,</div>
+ <div class="verse">J'attends sans peur l'assaut des vagues et des cieux;</div>
+ <div class="verse">Les astres immortels rconfortent mes yeux</div>
+ <div class="verse">Et l'invincible orgueil vit dans les treize toiles.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h2>LA GLOIRE DU VERBE</h2>
+
+
+
+
+<h3>LA GLOIRE DU VERBE</h3>
+
+<p class="dedic"><i>A CAMILLE BLOCH</i></p>
+
+
+
+<h4 id="p23">LA GLOIRE DU VERBE</h4>
+
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Une nuit langoureuse et sereine enveloppe</div>
+ <div class="verse">D'un cercle de lapis ouvr de roses d'or</div>
+ <div class="verse">Les barques, essaim las de cygnes sans essor,</div>
+ <div class="verse">Les palmiers, les canaux, les plaines et Canope;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et des flambeaux pareils des soleils couchants</div>
+ <div class="verse">Illuminent la soie et les gemmes persanes.</div>
+ <div class="verse">Tandis qu'au rire aigu des jeunes courtisanes</div>
+ <div class="verse">Les nefs, lourdes d'amour, glissent avec des chants.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les esclaves courbs effleurent de leurs rames</div>
+ <div class="verse">Les papyrus gants teints de brves clarts</div>
+ <div class="verse">Et l'eau lente roulant des flots de volupts</div>
+ <div class="verse">O se mirent les yeux et les seins nus des femmes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais non loin, sourd au bruit sacrilge que font</div>
+ <div class="verse">Les voix des matelots, les fltes et les harpes</div>
+ <div class="verse">Le gurisseur voil de ses triples charpes</div>
+ <div class="verse">Ossar-Hapi sommeille en son temple profond;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et de vagues lueurs parses sur les dalles</div>
+ <div class="verse">Eclairent tristement de leurs reflets confus</div>
+ <div class="verse">Les suppliants couchs auprs des grles fts</div>
+ <div class="verse">En un ftide amas de chairs et de sandales.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Seul debout dans sa force et sa beaut, parmi</div>
+ <div class="verse">Les plerins perclus de maux, rongs d'ulcres,</div>
+ <div class="verse">Mais tel que le gant dchir par les serres</div>
+ <div class="verse">Du vautour, un Hellne orgueilleux et blmi</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Evoque sans trembler le prince du mystre:</div>
+ <div class="verse">O matre, hte cach du sanctuaire, Roi,</div>
+ <div class="verse">Vierge d'tonnement puril et d'effroi,</div>
+ <div class="verse">J'ai connu tous les dieux du ciel et de la terre,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Atroces et clments, magnifiques et laids</div>
+ <div class="verse">Et j'ai pri selon l'ordonnance des rites</div>
+ <div class="verse">Prs du fleuve farouche o chantent les lychnites</div>
+ <div class="verse">Dans la splendeur des clairs de lune violets</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et l-bas, o les daims paissent la mousse rase</div>
+ <div class="verse">Sous les neiges de la fabuleuse Thul,</div>
+ <div class="verse">J'ai lu le sort crit dans l'azur constell</div>
+ <div class="verse">Par les nuits qu'une aurore inoubliable embrase;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais nul n'a dit le mot que j'ai cherch longtemps</div>
+ <div class="verse">Et qui me gurirait des angoisses de l'me:</div>
+ <div class="verse">Parle, sinon la mort prochaine me rclame</div>
+ <div class="verse">Et l'horreur d'ignorer me consume: j'attends.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Alors des profondeurs et des tnbres saintes</div>
+ <div class="verse">Comme un jeune soleil sort des gouffres marins,</div>
+ <div class="verse">Blanche, laissant couler des paules aux reins</div>
+ <div class="verse">Ses cheveux o nageaient de ples hyacinthes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Une femme surgit: son manteau radieux</div>
+ <div class="verse">Revtait son beau corps d'une pourpre vivante;</div>
+ <div class="verse">Des abmes d'amour, de joie et d'pouvante</div>
+ <div class="verse">O sombrerait l'esprit des hommes et des dieux</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">S'ouvraient terriblement dans ses larges prunelles</div>
+ <div class="verse">Et les villes, les champs, les cimes, les dserts,</div>
+ <div class="verse">La mer prodigieuse et l'infini des airs</div>
+ <div class="verse">Semblaient se rflchir et disparatre en elles;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et lorsqu'elle parla, son ineffable voix</div>
+ <div class="verse">Unissait aux chos des lyres et des sistres</div>
+ <div class="verse">Le souffle des baisers et les rles sinistres</div>
+ <div class="verse">De la haine et le bruit des vagues et des bois:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Marcheur pensif, enfant prdestin qui nies</div>
+ <div class="verse">Les songes et l'espoir de ton c&oelig;ur puril,</div>
+ <div class="verse">Tu vas, merveill des floraisons d'avril</div>
+ <div class="verse">Et des soirs frissonnant de calmes harmonies;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tu regardes avec des tendresses d'amant</div>
+ <div class="verse">Les nuages lgers ouvrir leurs ailes closes</div>
+ <div class="verse">A l'aube, et comme un vol de flamants blancs et roses</div>
+ <div class="verse">S'lever dans les champs du ciel perdument;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Volontaire captif de l'ternelle Omphale</div>
+ <div class="verse">Tu parles bas aux Vierges chastes et tu sais</div>
+ <div class="verse">Faire chanter aux corps ardemment enlacs</div>
+ <div class="verse">Des hymnes inous d'impudeur triomphale;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ton esprit altr de dsirs immortels</div>
+ <div class="verse">Epuiserait encor la coupe des prires,</div>
+ <div class="verse">Ta parole dment tes attitudes fires</div>
+ <div class="verse">Et tu t'es prostern devant tous les autels.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais toujours au milieu de tes extases vaines</div>
+ <div class="verse">Le mensonge des dieux et des lvres te point</div>
+ <div class="verse">Et tu verses, du d'aimer ce qui n'est point,</div>
+ <div class="verse">Tous les pleurs de tes yeux et le sang de tes veines.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Si tu n'treins que des chimres, si tu bois</div>
+ <div class="verse">L'enivrement de vins illusoires, qu'importe?</div>
+ <div class="verse">Le soleil meurt, la foule imaginaire est morte</div>
+ <div class="verse">Mais le monde subsiste en ta seule me: vois!</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les jours se sont fans comme des roses brves,</div>
+ <div class="verse">Mais ton Verbe a cr le mirage o tu vis</div>
+ <div class="verse">Et je nais tes yeux de tes regards ravis</div>
+ <div class="verse">Et je garde jamais la gloire de tes rves.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La forme s'effaa, la parole se tut,</div>
+ <div class="verse">Et dlivr du poids antrieur des chanes,</div>
+ <div class="verse">L'homme plana plus haut que les heures prochaines</div>
+ <div class="verse">Et comme tout, canaux, cit, temple abattu</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">S'enfonait lentement dans la brume amasse</div>
+ <div class="verse">Sur le fond tnbreux des tres et des temps,</div>
+ <div class="verse">Pure clart, pistils de rayons clatants,</div>
+ <div class="verse">Il vit s'panouir la fleur de sa pense.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h3>LES MYTHES</h3>
+
+<p class="dedic"><i>A MARCEL COLLIRE.</i></p>
+
+
+
+<h4 id="p24">L'AVENTURIER</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Charles Andler.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L-haut, temple ou palais dress sur la colline,</div>
+ <div class="verse">Un amoncellement de blocs prodigieux</div>
+ <div class="verse">Monte: des chiens de bronze aux yeux de cornaline</div>
+ <div class="verse">Hurlent aux quatre vents, la gueule vers les cieux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les murs massifs, coupes de portes mtalliques,</div>
+ <div class="verse">Sont caills de cuivre et peints de vermillon;</div>
+ <div class="verse">Au fate, le soleil frappe de feux obliques</div>
+ <div class="verse">Un tendard taill dans la peau d'un lion.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pacifiques, devant la demeure farouche,</div>
+ <div class="verse">Des rosiers rouges et des lys parent le bois</div>
+ <div class="verse">O passe, inoffensive aux roses qu'elle touche,</div>
+ <div class="verse">L'enfant belle dompter les hros et les rois.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le calme lumineux du jour mourant caresse</div>
+ <div class="verse">L'enfant grave: elle glisse entre les nobles fleurs</div>
+ <div class="verse">Avec des gestes lents d'idole ou de prtresse</div>
+ <div class="verse">Qui n'a jamais connu le rire ni les pleurs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Elle va, contemplant de ses larges prunelles</div>
+ <div class="verse">Les vagues de forts qui ferment l'horizon</div>
+ <div class="verse">Et le val o le soir vt d'ombres solennelles</div>
+ <div class="verse">Le matre hriss d'une horrible toison.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">C'est son pre, tueur de b&oelig;ufs, ployeur de chnes;</div>
+ <div class="verse">Embusqu tel qu'un fauve aux aguets, il attend</div>
+ <div class="verse">Les voyageurs qui vont vers les cits prochaines</div>
+ <div class="verse">Et fait craquer leurs os en ses doigts de Titan.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Puis il revient, tranquille, aprs chaque tuerie,</div>
+ <div class="verse">Courb sous le butin comme un roi triomphant,</div>
+ <div class="verse">Et tandis que les morts saignent dans la prairie</div>
+ <div class="verse">Suspend de lourds colliers au cou de son enfant.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Maintenant une nuit de lune, froide et claire,</div>
+ <div class="verse">Dcoupe le profil des monts sur les chemins;</div>
+ <div class="verse">Le meurtrier fatal, sans haine et sans colre,</div>
+ <div class="verse">Ecoute s'approcher un bruit de pas humains.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et voici qu'au dtour de la route moussue</div>
+ <div class="verse">Apparat, radieux sous l'armure qui luit,</div>
+ <div class="verse">Un guerrier casqu d'or qui porte une massue</div>
+ <div class="verse">Et dont le manteau rouge illumine la nuit.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le Tueur, allong dans la broussaille, pie</div>
+ <div class="verse">Le Hros ddaigneux en marche vers la mort;</div>
+ <div class="verse">Mais celui-ci, clamant vers la muraille impie,</div>
+ <div class="verse">Rveille les chos de la fort qui dort:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je suis venu; hors du repaire, vainqueur d'hommes!</div>
+ <div class="verse">Si tu fuis devant moi je dirai que tu mens;</div>
+ <div class="verse">Mais tu mriteras le nom dont tu te nommes</div>
+ <div class="verse">Si tu peux m'touffer dans tes embrassements.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">&mdash;Soit! ta bouche saura la saveur de la terre.</div>
+ <div class="verse">Et l'antique lutteur se dresse avec ennui</div>
+ <div class="verse">Pour craser d'un coup de poing et faire taire</div>
+ <div class="verse">L'phbe injurieux qui parla devant lui.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ils se prennent, poitrine unie et chair mle,</div>
+ <div class="verse">Groupe tumultueux de rles et de cris:</div>
+ <div class="verse">L'enfant calme regarde, au fond de la valle,</div>
+ <div class="verse">Le meurtre habituel du haut des monts fleuris.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Elle voit seulement se mouvoir dans la plaine</div>
+ <div class="verse">L'ombre du double corps et des torses jumeaux</div>
+ <div class="verse">Et sre du vainqueur, s'enivre avec l'haleine</div>
+ <div class="verse">Des parfums langoureux pars sous les rameaux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais tout coup, aprs une clameur sauvage,</div>
+ <div class="verse">Ses impassibles yeux se ferment de terreur:</div>
+ <div class="verse">Comme un b&oelig;uf abattu dans le natal herbage,</div>
+ <div class="verse">L'invincible est couch sous le jeune lutteur.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et le guerrier sanglant, par les pentes ardues,</div>
+ <div class="verse">Monte vers le jardin: Vous serez apaiss,</div>
+ <div class="verse">O morts, je vengerai vos mes perdues</div>
+ <div class="verse">Et la victime est belle et vierge de baisers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O morts, je vais tuer dans la Fille maudite</div>
+ <div class="verse">Les excrables fils qui natraient de ses flancs.</div>
+ <div class="verse">Il dit et vient, hagard du meurtre qu'il mdite</div>
+ <div class="verse">Et l'Enfant parle aux fleurs et tend ses bras tremblants:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'Homme vous briserait avec ses mains brutales,</div>
+ <div class="verse">Roses que je laissais fleurir et dfleurir;</div>
+ <div class="verse">Un arome puissant monte de vos ptales,</div>
+ <div class="verse">Vos parfums sont trop doux pour que j'aime mourir.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ma chair frissonne; sauvez-moi, fleurs protectrices.</div>
+ <div class="verse">O lys, lys glorieux que je n'ai pas cueillis,</div>
+ <div class="verse">Je voudrais me cacher dans vos troits calices</div>
+ <div class="verse">Et refermer sur nous le voile des taillis.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Au moins, versez en moi vos senteurs: que j'emporte</div>
+ <div class="verse">Dans le morne pays vos baumes prcieux,</div>
+ <div class="verse">O fleurs qui renatrez lorsque je serai morte,</div>
+ <div class="verse">Fleurs, ternelles fleurs, fleurs gales aux dieux!</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Elle murmure encor des mots et des prires</div>
+ <div class="verse">Mais le vainqueur, surgi des pres escaliers,</div>
+ <div class="verse">Trane par les cheveux l'Enfant dans les clairires</div>
+ <div class="verse">Et fait boire son sang aux roses des halliers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">J'ai tu le Brigand et la Magicienne,</div>
+ <div class="verse">L'&oelig;uvre est bonne: luisez sur ma route, astres purs!</div>
+ <div class="verse">Et l'Ephbe drap dans la pourpre ancienne,</div>
+ <div class="verse">Se hte dans la nuit vers les monstres futurs.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p25">LE BOIS SACR</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Lucien Lvy</i></p>
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Resplendissante, au pied du mont mystrieux,</div>
+ <div class="verse">La troupe formidable et blonde des guerrires</div>
+ <div class="verse">Gardait, la lance au poing, les farouches clairires</div>
+ <div class="verse">Et la fort terrible o sommeillent les dieux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et tous venaient vers la tnbreuse valle</div>
+ <div class="verse">Sous les casques de bronze et les boucliers ronds,</div>
+ <div class="verse">Vtus de fer et d'or par de bons forgerons,</div>
+ <div class="verse">Tous les hros pris de gloire inviole.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Frappant le ciel muet de sauvages clameurs,</div>
+ <div class="verse">Tous par les nuits, par les matins, par les vespres,</div>
+ <div class="verse">Ils venaient au galop des licornes cabres:</div>
+ <div class="verse">Nous verrons votre face, excrables semeurs</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des dsirs, des baisers et des larmes humaines;</div>
+ <div class="verse">O voyageurs hagards qui hurlez dans le vent,</div>
+ <div class="verse">Nos bras toufferont votre souffle vivant</div>
+ <div class="verse">Et nous tuerons en vous nos amours et nos haines.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Si vous ne craignez pas nos glaives, approchez:</div>
+ <div class="verse">Votre rire cruel insulte nos misres.</div>
+ <div class="verse">O vautours, nous irons vous prendre dans vos aires,</div>
+ <div class="verse">O loups, nous forcerons vos repaires cachs!</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tous se ruaient: l-haut, sous les sombres ramures,</div>
+ <div class="verse">Les calmes dieux semblaient immobiles et sourds.</div>
+ <div class="verse">Mais brandis par les mains des guerrires, toujours</div>
+ <div class="verse">Les javelots stridents vibraient sur les armures.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les hros, vainqueurs de monstres, les tueurs</div>
+ <div class="verse">Des dragons enflamms, des hydres et des stryges</div>
+ <div class="verse">Roulaient honteusement broys sous les quadriges.</div>
+ <div class="verse">Leurs yeux mi-clos rougis de mourantes lueurs</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Convoitaient les seins nus des prtresses complices</div>
+ <div class="verse">Qui, mprisant leurs cris et leurs rles derniers,</div>
+ <div class="verse">Joyeuses, bondissaient sur les rauques charniers</div>
+ <div class="verse">Et tendaient vers le ciel leurs mains triomphatrices.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Or le tumulte des batailles, ce jour-l,</div>
+ <div class="verse">Se tut comme la mer pendant les accalmies.</div>
+ <div class="verse">Sur les corps mutils et sur les chairs blmies</div>
+ <div class="verse">Le flot d'une ineffable aurore s'tala.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Un grave chant port par le souffle des brises</div>
+ <div class="verse">Montait de l'Orient lumineux et charmait,</div>
+ <div class="verse">pars autour des bois et du divin sommet,</div>
+ <div class="verse">Le c&oelig;ur moins furieux des guerrires surprises:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et l'Ade parut couronn de cyprs;</div>
+ <div class="verse">Sa lyre se voilait de tristes asphodles</div>
+ <div class="verse">Et douloureusement les cordes immortelles</div>
+ <div class="verse">Pleuraient un chant d'amour, de deuil et de regrets.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">M'entends-tu dans le noir abme, chre morte,</div>
+ <div class="verse">Irrvocable fleur qu'un vent cruel emporte?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O lumire, comme une toile qui s'enfuit,</div>
+ <div class="verse">Ne briseras-tu pas les chanes de la nuit?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O s&oelig;ur des soirs taills dans de larges opales,</div>
+ <div class="verse">O sont tes cheveux d'ombre, o sont tes lvres ples?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Vous qui l'avez ravie, dieux, je viens vous,</div>
+ <div class="verse">Rendez l'pouse absente aux baisers de l'poux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je vous ai clbrs dans mes strophes pieuses,</div>
+ <div class="verse">O matres qui sigez aux cimes merveilleuses:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais les rhythmes naissaient de ses rires: rouvrez</div>
+ <div class="verse">Les sources de l'amour et des hymnes sacrs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les guerrires des dieux coutaient comme en rve</div>
+ <div class="verse">Le doux profanateur en marche vers les bois,</div>
+ <div class="verse">Il passa; les chevaux s'cartaient sa voix</div>
+ <div class="verse">Et sa chair ddaignait la morsure du glaive.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Autour de lui, le vol des flches susurrait</div>
+ <div class="verse">Comme un essaim vaincu d'abeilles bienveillantes</div>
+ <div class="verse">Et sans our les cris des vierges effrayantes</div>
+ <div class="verse">L'Ade pacifique entra dans la fort.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>III</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">perdument, par les silencieuses sentes,</div>
+ <div class="verse">Il allait; ses regards piaient les fourrs</div>
+ <div class="verse">Taciturnes: sous les rameaux enchevtrs,</div>
+ <div class="verse">Nulle apparition de chairs blouissantes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'ombre informe, le noir silence, des parfums</div>
+ <div class="verse">Sauvages d'herbe frache et de fleurs surannes</div>
+ <div class="verse">Et, confondue avec les sves dchanes,</div>
+ <div class="verse">L'innombrable senteur des automnes dfunts.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Il allait; nulle voix effroyable ou charmante</div>
+ <div class="verse">Ne rpondait, nul bruit de fte ou de combats:</div>
+ <div class="verse">Seul, dans les antres, sous le ciel, ici, l-bas,</div>
+ <div class="verse">Le frisson fauve de la terre qui fermente.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Semblables au monceau des feuilles sous ses pas,</div>
+ <div class="verse">Ses rves, ses douleurs, ses penses</div>
+ <div class="verse">Tombaient en tournoyant dans les bises glaces</div>
+ <div class="verse">Et l'Ade comprit que les dieux n'taient pas.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Il perdit, se vouant aux stupides pes,</div>
+ <div class="verse">L'orgueil d'tre vaincu par un matre inclment,</div>
+ <div class="verse">Comme les hros morts frapps en blasphmant</div>
+ <div class="verse">Ivres d'un puissant vin de gloire et d'popes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et dpouill du fier rve des dieux jaloux,</div>
+ <div class="verse">Il brisa pour jamais les cordes tutlaires</div>
+ <div class="verse">Et descendit vers les clameurs et les colres,</div>
+ <div class="verse">Ainsi qu'un chasseur las se livre aux crocs des loups.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>IV</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'homme fut dchir par les vierges sanglantes;</div>
+ <div class="verse">La bouche d'o sortaient les paroles de miel</div>
+ <div class="verse">Se tut. La nuit sereine enveloppa le ciel</div>
+ <div class="verse">Et recouvrit les morts d'ombres indiffrentes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tandis que dfendant le mont mystrieux</div>
+ <div class="verse">La troupe formidable et blonde des guerrires</div>
+ <div class="verse">Gardait, la lance au poing, les farouches clairires</div>
+ <div class="verse">O triomphe toujours le mensonge des dieux.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p26">LES CAPTIFS</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Leconte de Lisle.</i></p>
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Un sage, descendant de cimes inconnues,</div>
+ <div class="verse">S'en allait autrefois par le pays d'Assour,</div>
+ <div class="verse">Et la mystrieuse aurore d'un grand jour</div>
+ <div class="verse">Empourprait, sa voix, le jardin blanc des nues.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les peuples le suivaient et ne comprenaient pas</div>
+ <div class="verse">Quels dieux, accompagnant la marche du prophte,</div>
+ <div class="verse">Candidement semaient dans les villes en fte</div>
+ <div class="verse">Des lys miraculeux et calmes sous ses pas.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais tous buvaient le miel divin de ses paroles,</div>
+ <div class="verse">Le miel fait de parfums et de baumes puissants,</div>
+ <div class="verse">Forts comme la senteur parse de l'encens,</div>
+ <div class="verse">Doux comme la senteur parse des corolles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pour s'enivrer des mots que sa bouche versait,</div>
+ <div class="verse">Les laboureurs quittaient le manche des charrues,</div>
+ <div class="verse">Et parmi la clameur des foules accourues</div>
+ <div class="verse">Le Voyant pacifique et sublime passait.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dsormais, ddaigneux des apparences brves</div>
+ <div class="verse">Et des illusions passagres, fermant</div>
+ <div class="verse">Leurs yeux purifis la clart qui ment,</div>
+ <div class="verse">Les hommes ouvraient l'me la splendeur des rves.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le roi, las des lions traqus dans les filets,</div>
+ <div class="verse">Las des buffles saignant sous la grle des flches,</div>
+ <div class="verse">Las des femmes aux chairs odorantes et fraches</div>
+ <div class="verse">Fit amener vers lui cet homme en son palais:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Vieillard, vocateur des merveilles du songe,</div>
+ <div class="verse">Jongleur qui fais surgir devant les yeux humains,</div>
+ <div class="verse">Dans la poussire impure et vile des chemins,</div>
+ <div class="verse">Des visions de paix, de gloire et de mensonge,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Vieillard, vocateur des merveilles du ciel,</div>
+ <div class="verse">Toi qui rgnes, l-bas, au pays du mystre,</div>
+ <div class="verse">Mon c&oelig;ur royal du par l'horreur de la terre</div>
+ <div class="verse">Aspire la beaut du monde essentiel.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tel que le cri plaintif des tigres dans les fosses</div>
+ <div class="verse">Vient nous travers les cloisons de la nuit,</div>
+ <div class="verse">J'entends sourdre en moi-mme un lamentable bruit</div>
+ <div class="verse">Malgr le mur d'airain des apparences fausses.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O vieillard, fais tomber les mauvaises cloisons,</div>
+ <div class="verse">Montre-moi la campagne et les arbres des plaines</div>
+ <div class="verse">Et les fleuves d'azur roulant vagues pleines</div>
+ <div class="verse">Vers le gouffre sans fin des vierges horizons.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais l'homme d'une voix tranquille: Que t'importe,</div>
+ <div class="verse">O roi des rois, seigneur des mondes, fils des dieux,</div>
+ <div class="verse">Qui marches revtu de pourpre et radieux,</div>
+ <div class="verse">La rumeur entendue au del de la porte?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O matre, que veux-tu de la terre et des cieux?</div>
+ <div class="verse">Si je t'ouvre la source antique de la vie,</div>
+ <div class="verse">Je n'apaiserai pas ta soif inassouvie,</div>
+ <div class="verse">Et ton esprit d'orgueil n'en croira point tes yeux!</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">&mdash;Voil beaucoup de mots inutiles, prends garde:</div>
+ <div class="verse">Ta tte pourrait choir d'un coup prmatur.</div>
+ <div class="verse">Et l'homme rpondit: C'est bien. J'obirai:</div>
+ <div class="verse">Roi qui veux voir le fond de l'abme, regarde.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Hors du temps, hors du lieu, faite de pur granit,</div>
+ <div class="verse">Enserrant l'univers de ses noires murailles,</div>
+ <div class="verse">Rauque d'un monstrueux rle de funrailles,</div>
+ <div class="verse">Une immense prison montait dans l'infini.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Au milieu de la gele effroyable, les villes</div>
+ <div class="verse">S'tageaient sous le deuil des cieux; un flamboiement</div>
+ <div class="verse">D'astres sombres luisait pouvantablement</div>
+ <div class="verse">Sur les rois, sur les dieux, sur les foules serviles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais une lueur d'aube emperlait l'Orient</div>
+ <div class="verse">De magiques rayons et d'tincelles blondes:</div>
+ <div class="verse">Les hommes ns depuis la naissance des mondes</div>
+ <div class="verse">Se ruaient vers l'espoir du soleil, en criant.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ils allaient, perdus et fauves; les armes</div>
+ <div class="verse">Se heurtaient sous le vol sinistre des vautours;</div>
+ <div class="verse">Et les blocs de rochers pleuvaient des hautes tours,</div>
+ <div class="verse">Et les ailes du feu nageaient dans les fumes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les chefs vainqueurs, avant le rouge lendemain,</div>
+ <div class="verse">Offraient aux dieux d'en-haut les victimes tues</div>
+ <div class="verse">Et dressaient vers la cime errante des nues</div>
+ <div class="verse">Des palais effrayants tendus de cuir humain.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sourds aux tumultes, sourds aux luttes, mains unies,</div>
+ <div class="verse">Regards ravis d'extase et d'blouissements,</div>
+ <div class="verse">Des couples enlacs de femmes et d'amants</div>
+ <div class="verse">Passaient, dans un concert de tendres harmonies:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des ptales de fleurs apports par le vent</div>
+ <div class="verse">Tourbillonnaient vers eux dans l'ombre des yeuses:</div>
+ <div class="verse">Et tous, couples d'amour et hordes furieuses,</div>
+ <div class="verse">Marchaient, marchaient toujours vers le soleil levant.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais l'aube dsire et les futures gloires</div>
+ <div class="verse">De clarts dcevaient leurs risibles efforts,</div>
+ <div class="verse">Et mourant vainement pour renatre, les morts</div>
+ <div class="verse">Poursuivaient nouveau les astres illusoires.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La mme nuit baignait l'ternel horizon,</div>
+ <div class="verse">Et de ceux qui vaguaient dans la gele des choses</div>
+ <div class="verse">Et tchaient s'enfuir de leurs cavernes closes,</div>
+ <div class="verse">Aucun ne s'vadait de la morne prison.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Seuls, les sages tuaient la volont de vivre.</div>
+ <div class="verse">Aveugles aux lueurs que nul ne peut saisir,</div>
+ <div class="verse">Ils gagnaient, affranchis des chanes du dsir,</div>
+ <div class="verse">Le nant ineffable et la mort qui dlivre.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Bienheureux qui savaient la fatigue des pas,</div>
+ <div class="verse">Bienheureux qui savaient le mirage des astres,</div>
+ <div class="verse">Bienheureux qui savaient la vie et les dsastres:</div>
+ <div class="verse">Ils s'endormaient un jour et ne renaissaient pas.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>III</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La vision, vieillard, est morne et ridicule:</div>
+ <div class="verse">Tu mourras. Et le roi Nabou-Koudour-Oussour,</div>
+ <div class="verse">Trs juste, fit clouer au fate d'une tour</div>
+ <div class="verse">La tte qui saignait dans l'or du crpuscule.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p27">LES YEUX D'HLNE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Marcel Proust.</i></p>
+<blockquote class="epi">
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Qualis maternis Helene jam digna palestris,</div>
+ <div class="verse">Inter amyclaeos reptabat candida fratres.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="attr">(<span class="sc">P. Statius.</span>)</p>
+</blockquote>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La native blancheur du cygne paternel.</div>
+ <div class="verse">Vt de neige le corps adorable d'Hlne,</div>
+ <div class="verse">Et l'eau du fleuve bleu qui glisse dans la plaine</div>
+ <div class="verse">Baigne ses yeux d'enfant profonds comme le ciel.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Elle va: ses regards de desse ingnue</div>
+ <div class="verse">Que jamais la tristesse impure n'a troubls</div>
+ <div class="verse">Errent nonchalamment sur les flots blonds des bls,</div>
+ <div class="verse">Et les hommes pensifs tremblent sa venue.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Elle voque l'horreur future des destins</div>
+ <div class="verse">Et verse le frisson des luttes fatidiques</div>
+ <div class="verse">Aux guerriers venir assis sous les portiques,</div>
+ <div class="verse">Dont les yeux blouis suivent ses pas lointains.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'effroi religieux issu de ses prunelles</div>
+ <div class="verse">Ardentes d'incendie et de fauves clarts</div>
+ <div class="verse">Saisit trangement les c&oelig;urs pouvants</div>
+ <div class="verse">Et pleins de visions sombres et solennelles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Passe, vierge terrible au col souple et nerveux:</div>
+ <div class="verse">L'inexpiable sang pour les sicles macule</div>
+ <div class="verse">Ton front clair comme un jour d't sans crpuscule</div>
+ <div class="verse">Et la mort des hros surgit de tes cheveux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Passe, reine d'amour, semeuse de dsastres,</div>
+ <div class="verse">Dans ta robe de gloire et de srnit,</div>
+ <div class="verse">Et vois fleurir les deuils autour de ta beaut,</div>
+ <div class="verse">Sous tes regards pareils aux rayons froids des astres.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tu brilles dans la nuit des ges rvolus</div>
+ <div class="verse">Et les derniers amants des formes triomphales</div>
+ <div class="verse">Contemplent au del de l'ombre et des rafales</div>
+ <div class="verse">Tes yeux dont la splendeur ne s'abolira plus.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p28">SCHAOUL</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Rodolphe Darzens.</i></p>
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">En ces jours, Elohim lui refusant son ombre,</div>
+ <div class="verse">Schaoul, enfant de Qisch, tait semblable au mort</div>
+ <div class="verse">Dlaiss, que la dent des btes fauves mord,</div>
+ <div class="verse">Et les esprits du mal rongeaient son me sombre.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Il errait travers les routes d'Isral</div>
+ <div class="verse">Poursuivi sans repos par la meute tenace</div>
+ <div class="verse">Et d'pres aboiements de haine et de menace</div>
+ <div class="verse">Hurlaient autour de lui dans l'abme du ciel.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Rien ne transfigurait ses mornes destines.</div>
+ <div class="verse">Nulle trve: ni les paroles des nabis</div>
+ <div class="verse">Ni la chair des bliers ni la chair des brebis</div>
+ <div class="verse">N'cartaient de son c&oelig;ur les gueules forcenes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et mme dans la fte hroque du sang,</div>
+ <div class="verse">Quand les vaincus, aprs les sauvages victoires,</div>
+ <div class="verse">Montaient vers le Trs-Haut en feux expiatoires,</div>
+ <div class="verse">Les crocs inassouvis lui dchiraient le flanc.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Alors on fit venir vers le roi taciturne</div>
+ <div class="verse">David de Bethlem, le joueur de kinnor,</div>
+ <div class="verse">Dont l'incantation charmait les astres d'or</div>
+ <div class="verse">Tandis que ses troupeaux paissaient l'herbe nocturne,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et comme les chacals rentrent aux creux des monts</div>
+ <div class="verse">Quand le veneur parat sur les rocs granitiques,</div>
+ <div class="verse">Mlant sa voix d'enfant aux cordes prophtiques</div>
+ <div class="verse">David, plein d'Iahveh, chassa les noirs dmons.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Homme, Schaoul des temps infinis, saigne et pleure:</div>
+ <div class="verse">Les carnassiers hideux suivent sur ton chemin</div>
+ <div class="verse">La trace de tes pas, hier, aujourd'hui, demain,</div>
+ <div class="verse">Toujours: le changement de la forme et de l'heure</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">N'cartera jamais la horde des ennuis</div>
+ <div class="verse">Et tu te traneras dans l'horreur sans limite</div>
+ <div class="verse">Sans our le Kinnor et le Bethlmite</div>
+ <div class="verse">Qui te ferait des jours pareils aux belles nuits.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p29">RESSOUVENIR</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Mario de la Tour de Saint-Ygest.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Cet homme tait venu vers le Matre des pleurs</div>
+ <div class="verse">Oubliant pour le Christ les lyres et les roses,</div>
+ <div class="verse">Comme un vendangeur las qui de ses mains dcloses</div>
+ <div class="verse">Laisse choir les raisins et les grappes de fleurs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Il avait dlaiss pour les routes d'pines</div>
+ <div class="verse">Les portiques de marbre auprs des flots marins.</div>
+ <div class="verse">Sous le cilice dur qui lui mordait les reins,</div>
+ <div class="verse">Il marchait loin du jour vers les ombres divines.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Or il vivait au fond des bois mystrieux,</div>
+ <div class="verse">Suivi par un troupeau de btes familires,</div>
+ <div class="verse">Et des oiseaux volaient autour de ses prires</div>
+ <div class="verse">Et des rves de ciel illuminaient ses yeux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais toujours, tel qu'un vol blond d'abeilles essaime</div>
+ <div class="verse">Et retourne en vibrant aux ruches d'autrefois,</div>
+ <div class="verse">Par les soirs langoureux chargs des douces voix</div>
+ <div class="verse">Et des parfums charnels que le Mauvais y sme,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Son me s'envolait vers les jours rvolus:</div>
+ <div class="verse">L'ancien verbe d'amour cach dans l'vangile</div>
+ <div class="verse">Faisait fleurir au bois les nymphes de Virgile</div>
+ <div class="verse">Et des faunes lascifs montraient leurs fronts velus.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p30">GOETTERDAEMMERUNG</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A la comtesse Jane.</i></p>
+<blockquote class="epi">
+<p>Heil siegendes Licht.</p>
+
+</blockquote>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Siegfried, astre vad des ombres transitoires,</div>
+ <div class="verse">Soleil panoui dans l'azur de la mort,</div>
+ <div class="verse">Avec ta chair, la gloire humaine de l'effort,</div>
+ <div class="verse">S'abmait dans le deuil des suprmes victoires.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais tels que le granit us des promontoires,</div>
+ <div class="verse">Que l'assaut de la mer temptueuse mord,</div>
+ <div class="verse">Les dieux irradiant dans les glaces du Nord</div>
+ <div class="verse">Attendaient lchement les jours expiatoires.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le hros, sur les fleurs sanglantes du bcher,</div>
+ <div class="verse">Semblait sortir des couchants mornes et marcher</div>
+ <div class="verse">Dans l'aurole d'or des flammes triomphales.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tandis qu'en un torrent de splendeur et de bruit,</div>
+ <div class="verse">Flagell par le vol sinistre des rafales,</div>
+ <div class="verse">Le Palais merveilleux s'croulait dans la nuit.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p31">LA FILLE AUX MAINS COUPES</h4>
+
+<p class="c"><span class="small">MYSTRE</span></p>
+
+<p class="dedic"><i>A Maurice Peyrol.</i></p>
+
+<p class="c"><i>PERSONNAGES</i></p>
+
+<ul>
+<li class="small">LA JEUNE FILLE.</li>
+<li class="small">LE POTE.</li>
+<li class="small">LE CH&OElig;UR D'ANGES.</li>
+<li class="small">LE PRE.</li>
+<li class="small">LE SERVITEUR.</li>
+</ul>
+<p><i>L'action se passe n'importe o et plutt au moyen ge.</i></p>
+
+<p>Dans la chambre silencieuse, o flotte par les vitraux glauques
+la soie resplendissante de l'aurore, <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> est agenouille
+et prie en sa blancheur adorable de lys.</p>
+
+<p>Le large bliaud damass, broch de calices d'argent, qui neige
+sur sa poitrine et l'toile, est peine agit par le souffle du corps
+ple sculpt dans un marbre vivant.</p>
+
+<p>Elle lit dans le lourd missel incrust de joailleries, mais d'une
+voix si basse qu'elle semble un frlement somptueux d'toffes que
+froissent dans l'ther des princesses lointaines.</p>
+
+<p>Elle laisse tomber le livre et les yeux tourns vers un Christ
+exsangue sur un ciel ensanglant, elle clt ses lvres entr'ouvertes
+et se prend prier des rves sans paroles.</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O Jsus, cartez les griffes du Malin.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les anges de saphir dorment dans le vlin;</div>
+ <div class="verse">Les graves lettres d'or psent aux ailes blanches;</div>
+ <div class="verse">La colombe du ciel s'englue aprs les branches,</div>
+ <div class="verse">Et la prire est prise au pige des versets.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O livre, le parfum sacr que tu versais</div>
+ <div class="verse">Vaut moins, pour le Sauveur et pour ses mains perces,</div>
+ <div class="verse">Que l'inapprciable encens de mes penses.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mon bien-aim, mls vos lus divins,</div>
+ <div class="verse">Mes rves purs, avec le ch&oelig;ur des Sraphins,</div>
+ <div class="verse">Allgs du fardeau des paroles antiques,</div>
+ <div class="verse">Mes rves ont chant plus haut que les cantiques;</div>
+ <div class="verse">Et quand mon me, un jour, s'vadera du corps,</div>
+ <div class="verse">Je volerai dans les Splendeurs et les Accords</div>
+ <div class="verse">Faits de flamme subtile et de claire harmonie,</div>
+ <div class="verse">Et je rayonnerai dans la gloire infinie,</div>
+ <div class="verse">Autour du front terrible et charmant de l'poux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O monde, vie, sens, vanouissez-vous!</div>
+ <div class="verse">Car, l-haut, par del les tnbres premires,</div>
+ <div class="verse">Dans l'clat des concerts et la voix des lumires,</div>
+ <div class="verse">Imprissable, dans le nimbe de l'Amant,</div>
+ <div class="verse">La chair immacule arde ternellement.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>Baigne d'une musique surhumaine, elle entend comme en elle-mme:</p>
+
+<p class="p">UN CH&OElig;UR D'ANGES</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Enfant, les cieux songs, blancs de lys et de vierges</div>
+ <div class="verse">Plus blmes que la cire odorante des cierges,</div>
+ <div class="verse">Et les jardins sems d'toiles, les sommets</div>
+ <div class="verse">D'hermine chaste et de candeurs impollues</div>
+ <div class="verse">Mirs aux lacs o vont les cygnes des nues,</div>
+ <div class="verse">Enfant, les cieux songs seraient clos jamais.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Arrire, le troupeau neigeux d'immacules!</div>
+ <div class="verse">Vers l'amoncellement des glaces recules,</div>
+ <div class="verse">Les rouges Kroubim vous repoussent du seuil</div>
+ <div class="verse">Eblouissant: les crins de votre pre cilice</div>
+ <div class="verse">Vous sont une moelleuse et royale pelisse:</div>
+ <div class="verse">Votre virginit n'est ivre que d'orgueil.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Arrire! le bl mur pars des Madeleines,</div>
+ <div class="verse">Epars sur les pieds nus avec les urnes pleines,</div>
+ <div class="verse">Brle seul dans la sainte aurole de feu.</div>
+ <div class="verse">Dans le brasier de Christ, aviv de colres,</div>
+ <div class="verse">Vous fondriez, froides fleurs des soirs polaires,</div>
+ <div class="verse">Qui ne parfumez pas les hommes avant Dieu.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Lorsque le Rdempteur eut bris les statues</div>
+ <div class="verse">D'autrefois, parmi les colonnes abattues,</div>
+ <div class="verse">Il laissa reverdir, seul d'entre les Maudits,</div>
+ <div class="verse">Ers, et lui donna pour royaume la Terre:</div>
+ <div class="verse">Immortelle, la soif des lvres vous altre,</div>
+ <div class="verse">Et l'enfer des baisers vaut notre paradis.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Va! l'Olympe aboli revit dans votre race;</div>
+ <div class="verse">La meute des dsirs vous poursuit la trace,</div>
+ <div class="verse">Et vous n'vitez pas les flches de l'Archer.</div>
+ <div class="verse">Prends garde d'oublier les cieux songs, vierge:</div>
+ <div class="verse">L'amour l'horizon de ta jeunesse merge;</div>
+ <div class="verse">J'ai vu, dans l'Orient, l'invincible marcher.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p><span class="small">LA JEUNE FILLE</span> perdue des paroles ouies et bante d'horreur
+mystique invoque, en balbutiant, Madame Marie qui sourit, doucement
+couronne d'astres, au fond d'une fresque byzantine, et des
+cimes de l'azur tend les mains vers un vol d'mes en peine: <span class="small">VENITE
+AD ME DILECT ME</span>.</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je ne sais plus si c'est mon rve que j'coute,</div>
+ <div class="verse">Ou si la source en moi s'infiltre goutte goutte</div>
+ <div class="verse">Qui ruisselle des luths et des psaltrions,</div>
+ <div class="verse">Et si j'entends le Diable ou les Anges. Prions.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tueuse du serpent. Reine du bleu stellaire,</div>
+ <div class="verse">Le drobeur d'pis maraude autour de l'aire:</div>
+ <div class="verse">Le voleur d'mes vient des abmes et fuit:</div>
+ <div class="verse">Chassez le tentateur et le rdeur de nuit.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>Tandis que s'grnent les litanies, un fracas assourdi d'armures
+irradies glisse lentement, entre les tentures hroques o s'enchevtrent
+de furieuses mles.</p>
+
+<p><span class="small">LA JEUNE FILLE</span>, veille en sursaut des prires, se lve frissonnante
+vers <span class="small">SON PRE</span> et le guerrier convulsif brle ses mains
+de caresses, de caresses incestueuses et brutales.</p>
+
+<p>Et l'enfant hurlante s'arrache des baisers sacrilges. Elle va
+jusqu' la grand salle o <span class="small">LE SERVITEUR</span> courb fourbit les larges
+glaives et les panoplies.</p>
+
+<p class="p">LA JEUNE FILLE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Vieillard, j'ai ma pense entire. Prends l'pe</div>
+ <div class="verse">De justice, l'pe infaillible, trempe</div>
+ <div class="verse">Sept fois dans le Saint-Chrme et le feu baptismal</div>
+ <div class="verse">Et que ne souille pas, comme l'homme, le Mal</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Originel. Saisis la Purificatrice</div>
+ <div class="verse">&mdash;Si ton bras est rong d'ulcres, qu'il prisse!</div>
+ <div class="verse">A dit le Matre dont m'attendent les hymens;&mdash;</div>
+ <div class="verse">Et lave aux flots d'acier rougi, tranche mes mains!</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="p">LE SERVITEUR</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O ma fille, vos mains sont des corolles fines;</div>
+ <div class="verse">Vos mains sont un bouquet de jeunes aubpines;</div>
+ <div class="verse">L'haleine du printemps souffle de votre chair:</div>
+ <div class="verse">Je ne moissonne pas les fleurs avec le fer.</div>
+ <div class="verse">Vous dlirez.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="p">LA JEUNE FILLE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse indent4">Tais-toi; l'ulcre des caresses</div>
+ <div class="verse">Inexpiables, mord ma chair et fond mes graisses.</div>
+ <div class="verse">Obis, sans l'horreur mortelle des aveux:</div>
+ <div class="verse">L'effroi te briserait les oreilles.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>La main leve en un geste terrible:</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse indent4">Je veux.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>Et la volontaire martyre pose sans trembler ses mains jaillissant
+des manches sur une table de porphyre aux mosaques de chimres.</p>
+
+<p>Ses yeux fixes ne clignent pas l'clat bleu du glaive brusque
+s'abattant, qui verse aux btes hraldiques des gouttes soudaines
+de pourpre.</p>
+
+<p>Et, brandissant dans la pnombre les deux torches jumelles des
+bras mutils, elle fait prendre une aiguire de cristal enchemis
+d'or.</p>
+
+<p>Epouvantable et radieux, un double nnuphar aux tiges d'carlate
+flotte dans une cume rose de grappes d'Orient foules.</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Oh! le vase lustral o l'me se lava!</div>
+ <div class="verse">Va-t'en porter l'aiguire mon bon pre. Va.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<p>Maintenant une foule confuse bruit prs de la mer flagelle par
+le vent du Nord. Dans une frle nef, sans rames ni voilure, <span class="small">LE
+PRE</span> a fait tendre <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> surnaturelle, enveloppe dans
+un linceul de lin grossier. Elle regarde obstinment le ciel d'orage.</p>
+
+<p class="p">LE PRE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ma fille, vos pchs, commis dans ma maison,</div>
+ <div class="verse">Ont fait s'enfuir les tourterelles du blason.</div>
+ <div class="verse">Endormis dans la nuit tombale, clos en elle,</div>
+ <div class="verse">Les morts ont tressailli de votre ardeur charnelle.</div>
+ <div class="verse">Donc je dois, rprimant pleurs lches et sanglots,</div>
+ <div class="verse">Vous confier, vivante, la douceur des flots.</div>
+ <div class="verse">Nous prierons, gens des bourgs et manants de campagne,</div>
+ <div class="verse">Afin que la bont de Dieu vous accompagne.</div>
+ <div class="verse">Allez! au nom de la Trs Sainte Trinit,</div>
+ <div class="verse">Et que Jsus vous prenne en votre ternit.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>Mais la barque n'est pas engloutie par les gueules fauves de
+l'abme. Elle s'efface, pousse par les haleines pacificatrices d'invisibles
+archanges.</p>
+
+<p>Les gerbes fauches des houles vertes dorment sous un soleil
+d'accalmie, et <span class="small">LA JEUNE FILLE</span>, affranchie par l'extase, contemple
+des visions vagues et des formes.</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dans le lilas de leurs rosaces vesprales,</div>
+ <div class="verse">Je vois s'panouir, l-haut, des cathdrales.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Une poussire d'astre irise les parvis</div>
+ <div class="verse">Et les arceaux sortent des dalles de rubis.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dans l'espace des nefs sans limites, lames</div>
+ <div class="verse">D'azur, des encensoirs effeuillent des fumes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dans le frisson de leurs chos multiplis,</div>
+ <div class="verse">Des sons inentendus branlent les piliers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le voile rejet d'un fulgurant coup d'aile,</div>
+ <div class="verse">Le Tabernacle inaccessible se rvle.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et lorsque l'Ostensoir phmre me luit,</div>
+ <div class="verse">La robe du soleil semble teinte de nuit.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Seigneur Dieu, l'apptit des vagues me rclame,</div>
+ <div class="verse">L'aumne de mon corps est faite. Cueillez l'me.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>Dans son ravissement mystique, <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> se croit morte.
+Serait-ce que la barque aborde aux rives vertigineuses du Paradis,
+o des couples clestes glissent dans une aube d'opales fluides?</p>
+
+<p>Elle regarde merveille, sous une toffe de la lumire, au lieu
+des tronons effroyables, la fracheur blonde de ses mains ressuscites
+et d'o s'exhale une senteur de ruches prochaines et de miel.</p>
+
+<p>Des enfants, vtus de tuniques multicolores et lgres, lui font
+un triomphal cortge et, prise dans des rets de charmes surhumains,
+elle marche au milieu des hymnes tranges. Hymen! Hymenaee!</p>
+
+<p>Hymen! Hymen! Hymenaee! Au fate des monts d'hyacinthe
+un palais de prodige monte, marmoren, vers les nuages violets.
+Elle gravit les escaliers, gards par des sphinges immobiles.</p>
+
+<p>Hymen! Hymen! Hymenaee! Au seuil glorieux des demeures,
+souriant idalement dans l'ombre dnoue de sa chevelure, <span class="small">LE
+POTE-ROI</span> vient vers elle sous son manteau de pourpre lyrique.</p>
+
+<p>Et les enfants ont disparu; dans une salle de ferie, porte par
+des cariatides, sur l'or roux, des lions tus, <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> s'abandonne
+ la volupt des caresses. Hymen! O hymen!</p>
+
+<p class="p">LA JEUNE FILLE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Doux initiateur de l'me en quelle sphre</div>
+ <div class="verse">Plus lointaine, Jsus, l'Esprit, et Dieu le Pre,</div>
+ <div class="verse">Dans leur unit triple, infinis et sereins,</div>
+ <div class="verse">Attendent-ils le ch&oelig;ur des lus, plerins</div>
+ <div class="verse">Joyeux et jamais las d'un Temple que j'ignore,</div>
+ <div class="verse">Qui s'envolent de l'ombre ancienne vers l'Aurore.</div>
+ <div class="verse">Emmne-moi par les Edens et les Sions,</div>
+ <div class="verse">Toi qui sais les chemins de constellations.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p><span class="small">LE POTE-ROI</span> saisit la grande Lyre et, sous le plectre, les cordes
+de brebis vibrent dans l'caille de tortue transparente.</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Avant la Terre, avant les Jours et les annes,</div>
+ <div class="verse">L'Immuable a ptri nos chairs prdestines.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">J'ai tromp mon ennui par la lyre, et j'attends</div>
+ <div class="verse">Tes seins qui m'appelaient de l'abme des temps,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et mes yeux, emperls d'une angoisse inconnue,</div>
+ <div class="verse">Mes yeux cherchaient tes yeux nocturnes dans la nue.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Parfois, dans le brouillard chantant de la fort,</div>
+ <div class="verse">Une fe illusoire clt et disparat:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dis-moi que tu n'es pas l'ombre vaine d'un rve,</div>
+ <div class="verse">O fille de la mer et de l'cume brve.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dis-moi qu'avant la tombe et nos corps rvolus,</div>
+ <div class="verse">Le flot de tes baisers ne se tarira plus.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je ferai vivre par del les tendues</div>
+ <div class="verse">Ton nom sanctifi dans les cordes tendues.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et tu vaincras par la gloire de tes beauts</div>
+ <div class="verse">Les nymphes de l'Hellas et les Divinits.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Parle, et tu chasseras, de la mmoire humaine</div>
+ <div class="verse">La Vnus Italique et l'Anadyomne.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je traquerai leurs souvenirs tels que des loups,</div>
+ <div class="verse">Et Christ reconnaissant se penchera vers nous.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="p">LA JEUNE FILLE</p>
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O Chanteur, je ne sais quel dcevant mystre</div>
+ <div class="verse">Me rappelle du ciel entrevu vers la terre.</div>
+ <div class="verse">Ton regard me repousse et m'attire. Va-t'en,</div>
+ <div class="verse">Car je me damnerais peut-tre en t'coutant.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p>Dans son indicible douleur, <span class="small">LE POTE-ROI</span> jette la Lyre qui se
+brise en un lamentable sanglot et le cri des fibres est si dchirant
+que <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> tremblante d'effroi et d'amour revient vers le
+royal Dsespr, comme rsigne aux flammes d'une imminente
+ghenne. Pendant qu'ils sont enlacs, <span class="small">UN CH&OElig;UR D'ANGES</span>, entendu
+jadis, effleure leurs oreilles extasies.</p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ecarte le conseil de tes mauvaises craintes.</div>
+ <div class="verse">Le Seigneur t'a rendu des mains pour les treintes,</div>
+ <div class="verse">Fais l'amant royal le don de ton orgueil.</div>
+ <div class="verse">Va! laisse le troupeau neigeux d'immacules;</div>
+ <div class="verse">Vers l'amoncellement des glaces recules,</div>
+ <div class="verse">Les rouges Kroubim les repoussent du seuil.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Aimez-vous! le bl mr pars des Madeleines,</div>
+ <div class="verse">Epars sur les pieds nus avec les urnes pleines,</div>
+ <div class="verse">Brle seul dans la sainte aurole de feu.</div>
+ <div class="verse">Dans le brasier de Christ, aviv de colres,</div>
+ <div class="verse">Vous fondriez, froides fleurs des soirs polaires,</div>
+ <div class="verse">Qui ne parfumez pas les hommes avant Dieu.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Lorsque le Rdempteur eut bris les statues</div>
+ <div class="verse">D'autrefois, parmi les colonnes abattues,</div>
+ <div class="verse">Il laissa reverdir, seul d'entre les Maudits,</div>
+ <div class="verse">Ers, et lui donna pour royaume la Terre:</div>
+ <div class="verse">Immortelle, la soif des lvres vous altre,</div>
+ <div class="verse">Et l'enfer des baisers vaut notre paradis.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p32">LA PEUR D'AIMER</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Jos-Maria de Heredia.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La Bte monstrueuse et le bon Chevalier</div>
+ <div class="verse">Ont lutt tout le jour: le dragon mort distille</div>
+ <div class="verse">Un suprme venin sur le sable infertile,</div>
+ <div class="verse">Et le triomphateur entre dans le hallier.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Il va, les yeux hagards d'un songe familier:</div>
+ <div class="verse">L-bas, le palais d'or miraculeux rutile</div>
+ <div class="verse">Et la princesse rve, en sa grce inutile,</div>
+ <div class="verse">A l'amant inconnu qui la doit veiller.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais lorsque le vainqueur de l'hydre et des licornes</div>
+ <div class="verse">Vit, aprs le bois sombre et les escaliers mornes,</div>
+ <div class="verse">La vierge aux cheveux blonds comme un soleil d'Avril</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dans la jeune splendeur de sa pubert mre,</div>
+ <div class="verse">L'angoisse de l'amour mordit son c&oelig;ur viril</div>
+ <div class="verse">Et sa chair de hros trembla, sous son armure.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p33">LE PRINCE D'AVALON</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Henri de Rgnier.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et le prince vivait dans l'le d'Avalon.</div>
+ <div class="verse">Des parterres de fleurs caressaient ses prunelles;</div>
+ <div class="verse">Les calices des lys s'ouvraient en ce vallon</div>
+ <div class="verse">perdument, vers les toiles fraternelles;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les paons constells d'yeux luisaient sous les halliers</div>
+ <div class="verse">Or mobile, tremblant saphir, vivante flamme</div>
+ <div class="verse">Et les fruits mrs pendus aux vastes espaliers</div>
+ <div class="verse">Versaient un opulent arme de cinname,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tandis que, dans le parc peupl par des sylvains</div>
+ <div class="verse">Et des faunes bordant les larges avenues,</div>
+ <div class="verse">Le clair de lune pars sur les marbres divins</div>
+ <div class="verse">Faisait tinceler la chair des nymphes nues.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et le prince sur la terrasse du palais</div>
+ <div class="verse">Inclinait vers le sol ses doigts chargs de bagues</div>
+ <div class="verse">Et regardait, l-bas, sous les cieux violets,</div>
+ <div class="verse">Fuir des vaisseaux fleuris par la houle des vagues.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Passez, je vous envie, frres ignors,</div>
+ <div class="verse">Que les vents furieux emportent sur le gouffre;</div>
+ <div class="verse">Je ne la connais plus et vous la reverrez</div>
+ <div class="verse">La terre dsirable o l'homme pleure et souffre.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je suis venu vers les rivages interdits</div>
+ <div class="verse">Pour obir aux voix des blanches fiances</div>
+ <div class="verse">Et mon me succombe au poids des paradis</div>
+ <div class="verse">Ainsi que les joyaux chargent mes mains lasses.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pour veiller en moi d'immortelles douleurs</div>
+ <div class="verse">Dont la mmoire accrt mes extases futures,</div>
+ <div class="verse">J'ai dchan des sangliers parmi les fleurs;</div>
+ <div class="verse">Mais les fleurs renaissaient plus belles et plus pures.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">J'ai voulu renverser le palais merveilleux</div>
+ <div class="verse">Et je l'ai revtu de rouges incendies,</div>
+ <div class="verse">Mais des colonnes d'or surgissaient mes yeux</div>
+ <div class="verse">Et portaient jusqu'au ciel les votes agrandies.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et lorsque j'ai tu la vierge que j'aimais,</div>
+ <div class="verse">Esprant rompre enfin les ineffables charmes,</div>
+ <div class="verse">L'enfant ressuscite a vaincu pour jamais</div>
+ <div class="verse">Par des baisers plus doux ma tristesse et mes larmes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pour moi, le flot des jours s'coule vainement;</div>
+ <div class="verse">Vainement le soir tombe et l'aurore rougeoie:</div>
+ <div class="verse">Envelopp de rve et d'blouissement</div>
+ <div class="verse">Je suis le prisonnier de l'immuable joie.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ainsi par cette nuit d'toiles, il parlait:</div>
+ <div class="verse">Les fourrs frissonnants brillaient de lucioles</div>
+ <div class="verse">Et le souffle embaum de la brise mlait</div>
+ <div class="verse">Les chansons de la mer la voix des violes.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p34">CELLE QU'ON FOULE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Georges Duflot.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">C'tait parmi la nuit muette, la clameur</div>
+ <div class="verse">De la Terre, clameur lamentable et farouche</div>
+ <div class="verse">De gante en travail qui se tord sur sa couche,</div>
+ <div class="verse">Rejette l'embryon sanglant, rugit et meurt.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La formidable voix hurlait: cris d'pouvante,</div>
+ <div class="verse">Gmissements plaintifs des automnes, sanglots</div>
+ <div class="verse">Rauques de la fort hivernale et des flots,</div>
+ <div class="verse">Rire amer et confus de la foule vivante,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Frmissement de l'herbe et murmure des nids,</div>
+ <div class="verse">Hymne dmesur du torrent et du gouffre,</div>
+ <div class="verse">Tout ce qui parle, tout ce qui palpite et souffre</div>
+ <div class="verse">S'unissait et montait vers les cieux infinis.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Or voici l'anathme effrn que la Terre</div>
+ <div class="verse">Jetait travers l'ombre aux fils des nations:</div>
+ <div class="verse">Que le troupeau vengeur des excrations</div>
+ <div class="verse">Suive la trace l'homme ennemi du mystre.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les peuples d'autrefois inclinaient leur orgueil</div>
+ <div class="verse">Devant la majest fconde de l'anctre</div>
+ <div class="verse">D'o jaillit la semence et la source de l'tre</div>
+ <div class="verse">Et qui rouvre ses flancs paisibles au cercueil.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Partout, toujours, dans les dserts hants d'hynes,</div>
+ <div class="verse">Dans les plaines de neige o, par soudains lans,</div>
+ <div class="verse">Bondissent des troupeaux de rennes et d'lans,</div>
+ <div class="verse">Prs du ple et dans les cryptes gyptiennes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les hommes adoraient la Terre, qui porta</div>
+ <div class="verse">Dans son sein maternel, des millions d'annes,</div>
+ <div class="verse">Le germe peine clos de vos races damnes</div>
+ <div class="verse">Et priaient genoux Kyble, Isis, Airtha.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Alors au bruit des sistres d'or et des crotales,</div>
+ <div class="verse">Sereine, travers les chemins et les cits,</div>
+ <div class="verse">De temple en temple, au pas de mes lions dompts,</div>
+ <div class="verse">J'allais les seins voils de pourpre orientale.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les vierges de Hellas ployaient leur cou de lait</div>
+ <div class="verse">Au passage de la desse vnrable</div>
+ <div class="verse">Et, telles qu'au printemps les grappes de l'rable,</div>
+ <div class="verse">Me versaient des parfums o le feu se mlait.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les austres guerriers des campagnes romaines</div>
+ <div class="verse">Chantaient pieusement la nourrice Rha</div>
+ <div class="verse">Qui mit en eux la sve antique et les cra</div>
+ <div class="verse">Pour l'asservissement des nations humaines;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les chasseurs lointains des cerfs et des aurochs,</div>
+ <div class="verse">Les braves aux yeux bleus, chevelus d'or, les Mles</div>
+ <div class="verse">rigeaient mes autels en face des cieux ples</div>
+ <div class="verse">Dans les forts temptueuses, sur les rocs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Quand la procession de mes prtresses blanches</div>
+ <div class="verse">Prcdait au printemps par les sentiers herbeux</div>
+ <div class="verse">Mon attelage lent et tran par des b&oelig;ufs</div>
+ <div class="verse">Vers les villages et les toits couverts de branches,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les hommes tatous de fauve vermillon</div>
+ <div class="verse">Se courbaient et baisaient ma trace, et les pes</div>
+ <div class="verse">Rouges encore du sang et des ttes coupes</div>
+ <div class="verse">Saluaient d'un clair la Mre du Sillon.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O temps ancien de la Germanie et de Rome,</div>
+ <div class="verse">O temple universel des plaines et des bls</div>
+ <div class="verse">O mon mystique poux des sicles couls,</div>
+ <div class="verse">Le laboureur tait un prtre auguste l'homme:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le culte vnr sombre aux flots de l'oubli:</div>
+ <div class="verse">Nul printemps, nul t, ne luit et ne ramne</div>
+ <div class="verse">Les incantations de la prire humaine</div>
+ <div class="verse">Vers les autels de mon sanctuaire aboli:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O races chaque jour plus impures et viles,</div>
+ <div class="verse">Qui ne connaissez plus mes mystres, troupeaux</div>
+ <div class="verse">Plus barbares que vos pres vtus de peaux,</div>
+ <div class="verse">Troupeaux qui pullulez dans vos enclos de villes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Vous qui fouillez avec mpris mes flancs gercs</div>
+ <div class="verse">Par les maternits innombrables; foule</div>
+ <div class="verse">Immonde dont le pas sacrilge me foule;</div>
+ <div class="verse">Vous qui priez des dieux que je n'ai pas bercs</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Au chant de mes forts de bouleaux et de chnes,</div>
+ <div class="verse">Dans des lits d'herbe frache et des langes de fleurs,</div>
+ <div class="verse">Voici venir enfin la horde des malheurs</div>
+ <div class="verse">Fatidiques et des calamits prochaines.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dans un bref avenir une aube jaillira,</div>
+ <div class="verse">Ensanglantant les noirs espaces des nues</div>
+ <div class="verse">Et par-dessus le bruit froce des hues</div>
+ <div class="verse">Le clairon des combats ultimes sonnera;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sous l'&oelig;il indiffrent des sphres fraternelles,</div>
+ <div class="verse">L'horrible mer de vos haines, sinistrement</div>
+ <div class="verse">Dbordera sur vous et l'pouvantement</div>
+ <div class="verse">largira le vol funbre de ses ailes;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les hommes saisis d'un dlire fatal,</div>
+ <div class="verse">Dchans se rueront aux suprmes tueries;</div>
+ <div class="verse">De l'quateur torride aux blanches Sibries,</div>
+ <div class="verse">Ma face saignera comme un immense tal.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O fureur indicible et sans rpit! batailles</div>
+ <div class="verse">Qui durerez de l'aube au soir, pendant dix ans,</div>
+ <div class="verse">Comme le cri des flots qui heurtent les brisants,</div>
+ <div class="verse">J'entends dj clamer les corps sous les entailles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Un souffle meurtrier et pestilentiel</div>
+ <div class="verse">S'exhale de la mort et des chairs refroidies</div>
+ <div class="verse">Sans linceul, tandis qu'aux lueurs des incendies</div>
+ <div class="verse">De vastes lacs de sang pourrissent sous le ciel,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">De vastes lacs de sang o, rigides et vertes,</div>
+ <div class="verse">Vont des flottes de morts convulsifs par milliers,</div>
+ <div class="verse">O s'acharnent sans peur, repus et familiers,</div>
+ <div class="verse">Les vautours rjouis des cervelles ouvertes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La fivre fait claquer les dents des survivants,</div>
+ <div class="verse">Tmoins terrifis des heures vengeresses,</div>
+ <div class="verse">Qui dans l'affolement des suprmes dtresses</div>
+ <div class="verse">Voudraient perptuer leur race en des enfants;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais ces accouplements de spectres puiss</div>
+ <div class="verse">Ne repeupleront pas les villes et les plaines.</div>
+ <div class="verse">Mlez-vous, unissez les corps et les haleines!</div>
+ <div class="verse">Les sicles ont tari la source des baisers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les temps sont couls, les heures sont venues</div>
+ <div class="verse">Et nul glas solennel et lent ne tintera</div>
+ <div class="verse">Lorsque le vent indiffrent emportera</div>
+ <div class="verse">Le dernier rlement de l'homme vers les nues.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sa mort n'veillera ni gat ni regret</div>
+ <div class="verse">Dans le monde impassible et dans l'me des choses</div>
+ <div class="verse">Qui ne s'occupent pas en leurs mtamorphoses</div>
+ <div class="verse">De ce qui nat, grandit, s'efface et disparat.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Rien ne tressaillera dans la Nature, et seule,</div>
+ <div class="verse">Seule de toutes les toiles, je saurai</div>
+ <div class="verse">Que mon lait a nourri jadis l'tre excr,</div>
+ <div class="verse">Le mauvais fils, l'enfant contempteur de l'aeule!</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Comme avant l'homme impie et ses rbellions,</div>
+ <div class="verse">Libre de sa prsence et de sa marche impure,</div>
+ <div class="verse">Je pourrai dnouer au vent ma chevelure</div>
+ <div class="verse">De profondes forts o rdent les lions;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et quand l'aube luira dans la frache rose</div>
+ <div class="verse">Je plongerai mon corps que ses pas ont fltri.</div>
+ <div class="verse">&mdash;Et ma force renat, ma beaut refleurit,</div>
+ <div class="verse">Et ma chair a des tons d'glantine rose.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O gloire des cactus de pourpre et des lys blancs,</div>
+ <div class="verse">Hautaine majest des palmes triomphales</div>
+ <div class="verse">Que faisait onduler le souffle des rafales</div>
+ <div class="verse">Sur la virginit premire de mes flancs,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Surgissez et parez ma nouvelle jeunesse</div>
+ <div class="verse">Pour l'hymen radieux et rouge du soleil;</div>
+ <div class="verse">Tissez et dployez votre manteau vermeil</div>
+ <div class="verse">Sur ma gorge superbe et mes seins de faunesse!</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Montez dans le limpide ther, chants d'oiseaux:</div>
+ <div class="verse">Voici l'amour et les caresses nuptiales;</div>
+ <div class="verse">J'entends hennir au loin les cavales royales</div>
+ <div class="verse">Et des nuages fins neigent de leurs naseaux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le Dieu descend du char cleste et sur ma bouche</div>
+ <div class="verse">Frissonnante, je sens sa bouche, et ses baisers</div>
+ <div class="verse">S'infiltrent lentement dans mes flancs embrass,</div>
+ <div class="verse">Jusqu' l'heure o le jour resplendissant se couche</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et remonte vers le palais mystrieux,</div>
+ <div class="verse">Cependant que la main pacifique des ombres</div>
+ <div class="verse">tale dans le ciel obscur ses voiles sombres</div>
+ <div class="verse">Et clt divinement mes lvres et mes yeux.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p35">LA VOIX IMPRISSABLE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Catulle Mends.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Abandonn depuis des sicles fabuleux,</div>
+ <div class="verse">Un grand temple dressait sur le mont solitaire</div>
+ <div class="verse">Ses portiques de marbre et ses escaliers bleus.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pourpre tranant en ombre errante sur la terre,</div>
+ <div class="verse">Jardins ensanglants de glorieuses fleurs,</div>
+ <div class="verse">Vasques d'or o l'ibis sacr se dsaltre,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et prs des bois, gemms par la rose en pleurs</div>
+ <div class="verse">Du collier merveilleux que l'aube sainte grne,</div>
+ <div class="verse">Des oiseaux ignorant les rets des oiseleurs:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tout un monde de rve esprait une reine</div>
+ <div class="verse">Ou le retour tardif des hros et des dieux</div>
+ <div class="verse">Disparus dans la nuit formidable et sereine.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Fils de la neige pure et du ciel radieux,</div>
+ <div class="verse">Des cygnes indolents glissaient dans la valle</div>
+ <div class="verse">Sur un fleuve que les lotus toilaient d'yeux;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Leurs corps majestueux fendait l'eau refoule</div>
+ <div class="verse">Et parfois leur plumage illustre secouait</div>
+ <div class="verse">Autour d'eux des flocons de lumire envole,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tandis qu'en un appel de deuil ou de souhait</div>
+ <div class="verse">Le cri des beaux nageurs aux ailes ployes</div>
+ <div class="verse">Montait perdument vers le temple muet.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais nul dieu revenu n'cartait les feuilles</div>
+ <div class="verse">Et nulle reine avec des rires enfantins,</div>
+ <div class="verse">Ne rveillait l'cho des verdures mouilles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le vieux temple rigeait ses portiques hautains</div>
+ <div class="verse">Ainsi qu'un fier cueil d'indestructible roche</div>
+ <div class="verse">Qui dfiait les flots des soirs et des matins.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Or, flux tumultueux qui roule et qui s'accroche</div>
+ <div class="verse">En cume de flamme aux marbres effrits,</div>
+ <div class="verse">La sombre mer des jours suprmes tait proche</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ruine des moissons et terreur des cits.</div>
+ <div class="verse">Fauves ivres du sang vers dans les cratres,</div>
+ <div class="verse">Des hordes s'en venaient vers les bois enchants.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les ttes des vaincus sur la peau des panthres</div>
+ <div class="verse">Pendaient horriblement comme des raisins mrs</div>
+ <div class="verse">Et les carquois sonnaient aux dos des sagittaires.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les frondeurs brandissaient leurs bras noueux et durs</div>
+ <div class="verse">Et des cavaliers nus au galop des cavales</div>
+ <div class="verse">Entrrent en hurlant par les brches des murs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des torches consumaient de leurs pourpres rivales</div>
+ <div class="verse">Les voiles rouges et les blocs de marbre roux.</div>
+ <div class="verse">Et des gerbes de feu fusaient par intervalles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'absence de vivants attisait le courroux</div>
+ <div class="verse">Des barbares frustrs de la chair des prtresses,</div>
+ <div class="verse">Et les images d'or se brisaient sous leurs coups.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tel le Temple, parmi les clameurs vengeresses,</div>
+ <div class="verse">S'abmait dans les flots de bronze incandescent</div>
+ <div class="verse">Qui couronnaient les monts de monstrueuses tresses.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Seuls, les cygnes pars dans le val frmissant</div>
+ <div class="verse">Regardaient la lueur rouge de l'incendie</div>
+ <div class="verse">Comme un morne soleil qui meurt et qui descend;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et, vers l'astre nouveau d'o la flamme irradie,</div>
+ <div class="verse">Dsesprant des dieux qui les ont oublis,</div>
+ <div class="verse">Ils tournaient tristement leur prunelle agrandie,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais les barbares las, jetant leurs boucliers,</div>
+ <div class="verse">Firent pleuvoir, avec les pierres de leurs frondes,</div>
+ <div class="verse">Les flches qui sifflaient entre les peupliers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pointes de fer, silex aigus et balles rondes</div>
+ <div class="verse">Trouaient l'eau frissonnante avec un bruit strident</div>
+ <div class="verse">Et le sang des oiseaux tachait les claires ondes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Alors un chant funbre emplit le ciel ardent:</div>
+ <div class="verse">Un concert douloureux d'ineffable harmonie</div>
+ <div class="verse">Montait vers les tueurs surgis de l'occident.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La voix des chanteurs blancs pleurant leur agonie</div>
+ <div class="verse">Poursuivait les guerriers jusque-l sans remords</div>
+ <div class="verse">Dont la chair palpitait d'une angoisse infinie;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et tandis qu'autour d'eux l'me des cygnes morts</div>
+ <div class="verse">Semait un hymne amer de vengeance ternelle,</div>
+ <div class="verse">Les barbares, au vol de leurs chevaux sans mors,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">S'enfonaient, affols, dans l'ombre solennelle.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h3>MAYA</h3>
+
+<p class="dedic"><i>A BERNARD LAZARE</i></p>
+
+
+
+<h4 id="p36">THAS</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Henri de Manneville.</i></p>
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Alexandros, l'pique enfant de Zeus Ammon,</div>
+ <div class="verse">Mange et boit et s'enivre aprs la ville prise</div>
+ <div class="verse">Dans le palais taill dans le marbre et le mont;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les hommes-lions, sculpts de pierre grise,</div>
+ <div class="verse">Inutiles gardiens des murs et du trsor,</div>
+ <div class="verse">Regardent le hros boire aux coupes qu'il brise,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Cependant que la fauve avalanche de l'or</div>
+ <div class="verse">Splendidement s'abat sur la massive table</div>
+ <div class="verse">Comme un grand oiseau roux au fulgurant essor,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La rauque orgie et la clameur pouvantable</div>
+ <div class="verse">Hurlent et le troupeau des Hellnes vainqueurs</div>
+ <div class="verse">Mugit: tels les taureaux dans la nocturne table;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et parmi les pans discordants et les ch&oelig;urs,</div>
+ <div class="verse">Et les parfums de la Sabe et le cinname,</div>
+ <div class="verse">Et la vapeur des vins et des chaudes liqueurs,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La torche en main, Thas, la bacchante qui clame,</div>
+ <div class="verse">La courtisane blanche et droite comme un lys</div>
+ <div class="verse">Revt de pourpre ardente et couronne de flamme</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La ville antique aux toits d'argent, Perspolis.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O ville, amas ancien de rve et de superbe,</div>
+ <div class="verse">Dresse en moi sur tes inbranlables fts,</div>
+ <div class="verse">Qui te rabaissera jusqu'au niveau de l'herbe?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Monceau de souvenirs tranges et confus,</div>
+ <div class="verse">Peuple mystrieux de muettes images,</div>
+ <div class="verse">Qui donc rendra la plaine au chant des bois touffus?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Qui chassera de moi les rites et les mages</div>
+ <div class="verse">Et sur les noirs dbris du temple renvers</div>
+ <div class="verse">Fera monter des cris d'oiseaux et de ramages?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Quelle torche, mon c&oelig;ur, sur ton marbre glac</div>
+ <div class="verse">Etendra des lueurs sanglantes et sur l'me</div>
+ <div class="verse">Lchement assoupie et sur l'esprit lass</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dardera la splendeur de ses langues de flamme?</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p37">JUDEX</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Marcel Collire.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Par le prtorial silence de la nuit</div>
+ <div class="verse">O sonnent seulement des horloges funbres</div>
+ <div class="verse">J'attends venir vers moi le Juge des tnbres</div>
+ <div class="verse">Qui scrute les pchs des hommes et s'enfuit.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sans toge, sans licteurs ni haches enlaces,</div>
+ <div class="verse">Sans chants imprieux et tristes de buccins,</div>
+ <div class="verse">N'coutant que la voix des remords en nos seins</div>
+ <div class="verse">Le Juge intrieur passe dans nos penses.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les spectres dont le jour avait tu les cris,</div>
+ <div class="verse">Les spectres dont le jour avait clos les prunelles,</div>
+ <div class="verse">Surgissent maintenant des tombes ternelles</div>
+ <div class="verse">Et redressent leurs fronts livides et fltris.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O baisers renis, mmoire des caresses,</div>
+ <div class="verse">Rves que j'avais crus emmurs pour jamais,</div>
+ <div class="verse">O cadavres divins que j'aime et que je hais,</div>
+ <div class="verse">Regards accusateurs et bouches vengeresses,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Que voulez-vous de moi? spectres, ayez piti;</div>
+ <div class="verse">N'appelez pas ainsi l'incorruptible juge;</div>
+ <div class="verse">Vous savez qu'il n'est point d'glise de refuge</div>
+ <div class="verse">Pour le coupable en pleurs et le crucifi.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais l'pre justicier se lve dans mon me</div>
+ <div class="verse">Chaque soir: il prononce irrvocablement</div>
+ <div class="verse">La sentence de deuil, de honte et de tourment</div>
+ <div class="verse">Et fait couler en moi des rivires de flamme.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Puis il remonte au ciel lointain dont il descend</div>
+ <div class="verse">Et d'o j'espre en vain le Rdempteur natre,</div>
+ <div class="verse">Tandis que dans l'obscur abme de mon tre</div>
+ <div class="verse">Un enfer de douleur hurle en le maudissant.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p38">CHAMBRE D'AMOUR</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La nuit tide est clmente la ville qui dort;</div>
+ <div class="verse">Des lys imprieux triomphent dans la chambre</div>
+ <div class="verse">Et cependant nos c&oelig;urs sont froids comme Dcembre</div>
+ <div class="verse">Et nos baisers d'amours amers comme la mort.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ta douce bouche s'ouvre des chansons mivres</div>
+ <div class="verse">Et tes seins bienveillants accueillent mon front las;</div>
+ <div class="verse">Mais, ma douloureuse enfant, je ne sais pas</div>
+ <div class="verse">Pourquoi les dieux mauvais empoisonnent nos lvres.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Qu'importe? viens vers moi, triste s&oelig;ur; aimons-nous,</div>
+ <div class="verse">Sans craindre la saveur glorieuse des larmes,</div>
+ <div class="verse">Tels des hros blesss avec leurs propres armes</div>
+ <div class="verse">Et dont le glaive d'or a rompu les genoux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Viens! nous aurons l'orgueil des mes taciturnes</div>
+ <div class="verse">En cette chambre morne et veuve de flambeaux,</div>
+ <div class="verse">O, semblable l'odeur des antiques tombeaux,</div>
+ <div class="verse">Un parfum spulcral monte des lys nocturnes.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p39">PRINTEMPS D'AUTOMNE</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La pourpre automnale ensanglante</div>
+ <div class="verse">Les feuilles sches des halliers</div>
+ <div class="verse">Et transforme en floraison lente</div>
+ <div class="verse">Les rayons d'Avrils oublis.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">D'insensibles mtamorphoses</div>
+ <div class="verse">Changent les clarts d'autrefois</div>
+ <div class="verse">En d'artificielles roses</div>
+ <div class="verse">Qui parent les jours gris et froids,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et sous le ciel tendu de brume</div>
+ <div class="verse">Et les nuages palpitants</div>
+ <div class="verse">Leur odeur mourante parfume</div>
+ <div class="verse">Un mlancolique printemps.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Trs Chre, c'est aussi l'Automne</div>
+ <div class="verse">Tnbreux pour nos c&oelig;urs lasss;</div>
+ <div class="verse">Mais en notre chair qui s'tonne</div>
+ <div class="verse">Refleurissent les jours passs,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et la ressouvenance lente</div>
+ <div class="verse">Nous revt, comme les halliers,</div>
+ <div class="verse">D'un manteau de pourpre sanglante</div>
+ <div class="verse">Faite des baisers oublis.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p40">LIEDER</h4>
+
+<blockquote class="epi">
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ich, ein tolles Kind, ich singe</div>
+ <div class="verse">Jetzo in der Dunkelheit;</div>
+ <div class="verse">Klingt das Lied auch nicht ergtzlich,</div>
+ <div class="verse">Hat es mich doch vor Angst befreit.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="attr">(<span class="sc">Heinrich Heine</span>, <i>Die Heimkehr</i>.)</p>
+</blockquote>
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des mots doux comme des hautbois</div>
+ <div class="verse">Et des harpes surnaturelles,</div>
+ <div class="verse">Des sons lgers de chanterelles</div>
+ <div class="verse">Et dans les bois, des voix, des voix.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des couples blancs de tourterelles,</div>
+ <div class="verse">Des oiseaux bleus couleur du temps;</div>
+ <div class="verse">Des ailes d'or sur les tangs,</div>
+ <div class="verse">Dans le ciel des ailes, des ailes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je ne sais o: je vois, j'entends.</div>
+ <div class="verse">Voici venir la trs aime</div>
+ <div class="verse">Et sa cheville parfume</div>
+ <div class="verse">Foule des tapis clatants;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sa robe candide est lame</div>
+ <div class="verse">De l'or du paradis natal;</div>
+ <div class="verse">Des feux de myrrhe et de antal</div>
+ <div class="verse">L'entourent de blonde fume.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Plus rien, plus rien! le deuil brutal,</div>
+ <div class="verse">Le silence et l'ombre. Serait-ce</div>
+ <div class="verse">Que la perfide enchanteresse</div>
+ <div class="verse">A forg ce mur de mtal</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et clos dans la nuit vengeresse,</div>
+ <div class="verse">Sans ailes d'or et sans hautbois,</div>
+ <div class="verse">Les mots doux comme une caresse,</div>
+ <div class="verse">Et les colombes, s&oelig;urs des voix?</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ni tes fierts, ni tes paresses</div>
+ <div class="verse">Ni l'espoir menteur des caresses,</div>
+ <div class="verse">Ni ta chair de vierge, j'aimais</div>
+ <div class="verse">La splendeur de ma propre ide,</div>
+ <div class="verse">O matresse non possde</div>
+ <div class="verse">Qui ne me trahiras jamais</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je garde en mon me hautaine</div>
+ <div class="verse">Le rve frais de la fontaine</div>
+ <div class="verse">Et des nnufars ingnus;</div>
+ <div class="verse">Je laisse aux lvres sans extase</div>
+ <div class="verse">L'eau noire et, grouillant dans la vase,</div>
+ <div class="verse">Tous les reptiles inconnus,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Loin de l'hivernale valle</div>
+ <div class="verse">L'aile des fleurs s'est envole</div>
+ <div class="verse">Et le murmure des nids verts</div>
+ <div class="verse">Cherche, avec le vol des ptales,</div>
+ <div class="verse">Dans les aubes orientales</div>
+ <div class="verse">L'ternel printemps de mes vers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">C'est l'heure que j'ensevelisse</div>
+ <div class="verse">La blancheur du dernier calice</div>
+ <div class="verse">Avec les souvenirs dfunts:</div>
+ <div class="verse">O nuptiale Galate,</div>
+ <div class="verse">Rends-moi la corolle emprunte,</div>
+ <div class="verse">Rends-moi le songe des parfums,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pour que je tisse avec mes strophes</div>
+ <div class="verse">Un linceul de riches toffes</div>
+ <div class="verse">Embaum de myrrhe et de nard</div>
+ <div class="verse">Et que je jette sur mon rve</div>
+ <div class="verse">De jeunesse et de gloire brve</div>
+ <div class="verse">La pourpre antique de Schinnar.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>III</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Pour moi seul tes cheveux de saule</div>
+ <div class="verse">Se droulent sur ton paule</div>
+ <div class="verse">Comme les feuilles dans le vent,</div>
+ <div class="verse">Et, tel que sur la neige vierge</div>
+ <div class="verse">Frmit un frisson d'or mouvant,</div>
+ <div class="verse">De l'aube de ta chair merge</div>
+ <div class="verse">Une fleur de soleil levant.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Car seul je connais les paroles,</div>
+ <div class="verse">S&oelig;urs des feuilles et des corolles,</div>
+ <div class="verse">Qui puissent dire ta beaut;</div>
+ <div class="verse">Je sais les phrases rituelles</div>
+ <div class="verse">Par qui, dans le bois enchant,</div>
+ <div class="verse">L'ombre des amantes cruelles</div>
+ <div class="verse">Revive pour l'ternit.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Rires et larmes infinies!</div>
+ <div class="verse">Si je chantais tes litanies</div>
+ <div class="verse">Et le miel de tes seins ross</div>
+ <div class="verse">Je ferais voler dans les brises,</div>
+ <div class="verse">Au del des jours puiss,</div>
+ <div class="verse">L'abeille des lvres prises</div>
+ <div class="verse">Vers la ruche de tes baisers.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais je tais avec jalousie</div>
+ <div class="verse">Les chers mots dont je m'extasie:</div>
+ <div class="verse">Les hommes passent et s'en vont;</div>
+ <div class="verse">Le bruit des foules abhorres</div>
+ <div class="verse">Roule et le miel divin se fond</div>
+ <div class="verse">En perles de gouttes dores</div>
+ <div class="verse">Dans l'urne de mon c&oelig;ur profond.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>IV</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ta voix, ta mme voix de colombe blesse</div>
+ <div class="verse">Sonne plaintivement dans ta gorge lasse.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">J'entends encor l'cho des paroles d'antan</div>
+ <div class="verse">Lorsque les mots ails s'envolent en chantant.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais je ne comprends plus les syllabes; j'oublie</div>
+ <div class="verse">Ce qui fait leur langueur et leur mlancolie.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je crois t'our parler un langage inconnu</div>
+ <div class="verse">Sur des airs dont mon c&oelig;ur s'est en vain souvenu,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et je perois parmi la musique rhythme</div>
+ <div class="verse">La voix d'une trangre ou d'une morte aime.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>V</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Reine du magique palais,</div>
+ <div class="verse">En ce jeu cruel que tu joues,</div>
+ <div class="verse">Comme tes s&oelig;urs, tu te complais</div>
+ <div class="verse">Aux larmes roulant sur nos joues.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Quand tu presses le vin des c&oelig;urs</div>
+ <div class="verse">L'toile de tes yeux rutile,</div>
+ <div class="verse">L'toile de tes yeux vainqueurs</div>
+ <div class="verse">Rit de la lchet virile.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tandis que, dans la paix du soir,</div>
+ <div class="verse">Les dsirs&mdash;tels de mauvais anges&mdash;</div>
+ <div class="verse">Portent aux meules du pressoir</div>
+ <div class="verse">Les grappes des rouges vendanges.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Soit! en tes rves assassins</div>
+ <div class="verse">Grise-toi des pourpres foules</div>
+ <div class="verse">Et noue au-dessous de tes seins</div>
+ <div class="verse">Des peaux fauves et taveles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sois la bacchante que les dieux</div>
+ <div class="verse">Lchent sur la terre; promne</div>
+ <div class="verse">L'orgueil de tes flancs radieux</div>
+ <div class="verse">Au milieu de la vigne humaine.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Va! que les hros asservis</div>
+ <div class="verse">Et les potes que tu cres</div>
+ <div class="verse">Se courbent hurlants et ravis</div>
+ <div class="verse">Devant tes colres sacres:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tes triomphes sont imparfaits,</div>
+ <div class="verse">Ta gloire sanglante est un leurre;</div>
+ <div class="verse">Tu n'as pas su que je t'aimais</div>
+ <div class="verse">Et tu ne sais pas que je pleure.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>VI</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les moires vertes des feuilles</div>
+ <div class="verse">Attendent le Prince Charmant</div>
+ <div class="verse">Et sous les gemmes de rose</div>
+ <div class="verse">L'aubpine est une pouse</div>
+ <div class="verse">D'o s'exhale amoureusement</div>
+ <div class="verse">L'cre parfum des fleurs mouilles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des lvres que nul ne connat</div>
+ <div class="verse">Ont bu les gemmes disparues:</div>
+ <div class="verse">Pourquoi le Prince viendrait-il,</div>
+ <div class="verse">O fort? le parfum subtil</div>
+ <div class="verse">Meurt dans les poussires accrues</div>
+ <div class="verse">Sur l'aubpine et le gent.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La plainte lente des ramures</div>
+ <div class="verse">Geint sinistrement et dj</div>
+ <div class="verse">Les nains mchants des avenues</div>
+ <div class="verse">Font saigner sur les branches nues</div>
+ <div class="verse">Que leur caprice ravagea</div>
+ <div class="verse">La chair automnale des mres.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>VII</h5>
+
+<blockquote class="epi">
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Plus quam femina virgo</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="attr">(<span class="sc">P. Ovidius Naso</span>)</p>
+<p class="attr">(<i>Mtamorphoses</i>, <i>Livre</i> <span class="small">XIII</span>.)</p>
+</blockquote>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Plus claires dans le sombre azur des nuits sans lune</div>
+ <div class="verse">Les toiles doraient les ajoncs et la dune,</div>
+ <div class="verse">Mais je n'ai pas souci de leur ruissellement</div>
+ <div class="verse">Et dans mes yeux fleuris de visions plus belles,</div>
+ <div class="verse">Baignant les cieux futurs de leurs splendeurs nouvelles,</div>
+ <div class="verse">Les astres venir montent perdument.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tu glissais pas lents dans les ajoncs stellaires</div>
+ <div class="verse">Et sourde la rumeur humaine des colres</div>
+ <div class="verse">Tu regardais surgir les astres apaiss;</div>
+ <div class="verse">Mais dans mon c&oelig;ur fleuri de volupts plus calmes,</div>
+ <div class="verse">J'voque au chant lointain des sources et des palmes</div>
+ <div class="verse">Les vierges venir et les futurs baisers.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>VIII</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La fleur norme de la mer</div>
+ <div class="verse">close avec l'aurore sainte</div>
+ <div class="verse">Renaissait dans le gouffre amer</div>
+ <div class="verse">De tes prunelles d'hyacinthe.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dans tes cheveux d'or j'adorais,</div>
+ <div class="verse">Sous l'or caduc de leur couronne,</div>
+ <div class="verse">Les impriales forts</div>
+ <div class="verse">Et leur laticlave d'automne.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les peupliers glauques et blancs</div>
+ <div class="verse">Et la mollesse des prairies</div>
+ <div class="verse">Revivaient dans les gestes lents</div>
+ <div class="verse">De tes mains douces et fleuries.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais aujourd'hui que tu n'es plus</div>
+ <div class="verse">La prtresse et l'vocatrice,</div>
+ <div class="verse">Il faut les bois et les reflux</div>
+ <div class="verse">Pour que ta grce refleurisse</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les colchiques du matin</div>
+ <div class="verse">Ressuscitent dans ma pense</div>
+ <div class="verse">Ta pleur morne de satin,</div>
+ <div class="verse">O mensongre Fiance.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>IX</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tout l'heure, un essaim de mauves s'envolait,</div>
+ <div class="verse">Majestueux, au ras des vagues aurorales:</div>
+ <div class="verse">Les oiseaux fendaient l'air de leurs ailes gales</div>
+ <div class="verse">Et nageaient dans l'azur vers l'horizon de lait.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ils allaient: le soleil semait sur les prairies</div>
+ <div class="verse">Marines des fleurs d'or et de chrysobril</div>
+ <div class="verse">Et l'on et cru l-bas des papillons d'avril</div>
+ <div class="verse">Sur un champ constell de rares pierreries.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ils allaient: maintenant que dans le clair matin</div>
+ <div class="verse">La blancheur de leur vol splendide s'est fondue,</div>
+ <div class="verse">Je cherche obstinment au fond de l'tendue</div>
+ <div class="verse">Le souvenir neigeux de leur essor lointain.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Nul des flocons perdus dans les brumes d'opale</div>
+ <div class="verse">N'argente plus la plaine immobile des flots</div>
+ <div class="verse">Et la seule clameur des antiques sanglots</div>
+ <div class="verse">Monte plus tristement vers le lac du ciel ple.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O Chre, ple ciel d'amour qui te mirais</div>
+ <div class="verse">Dans la mer somptueuse et calme de mes rves</div>
+ <div class="verse">Quels abmes d'azur et d'Ocans sans grves</div>
+ <div class="verse">Ont englouti le vol de mes dsirs secrets?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je ne sais: le regard a lass ma prunelle,</div>
+ <div class="verse">La solitude morne emplit mon c&oelig;ur, j'entends</div>
+ <div class="verse">Dans le double infini de l'espace et du temps</div>
+ <div class="verse">Monter le rle amer de l'angoisse ternelle.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>X</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je ne veux pas courber la tte sous tes pas</div>
+ <div class="verse">Ni baisser devant toi mes yeux; je ne suis pas</div>
+ <div class="verse">Un mendiant d'amour et d'aumnes charnelles</div>
+ <div class="verse">Et la honte des pleurs souillerait mes prunelles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais dans la nuit semblable mon c&oelig;ur sombre et fier</div>
+ <div class="verse">J'irai dire mon mal aux vagues de la mer:</div>
+ <div class="verse">Elle me bercera la mer consolatrice</div>
+ <div class="verse">Avec des rhythmes lents et des chants de nourrice.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">J'couterai sa voix et je m'endormirai:</div>
+ <div class="verse">Comme un enfant, tandis qu'en un jardin sacr</div>
+ <div class="verse">Surgira, bleu de rve et parfum de menthe,</div>
+ <div class="verse">Le magique palais o tu seras clmente.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p41">POUR UNE ABSENTE</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je veux m'enfermer seul avec mon souvenir,</div>
+ <div class="verse">Immobile, oublieux des rafales d'automne</div>
+ <div class="verse">Qui font les frondaisons se rouiller et jaunir</div>
+ <div class="verse">Et de la mer roulant sa plainte monotone;</div>
+ <div class="verse">Je veux m'enfermer seul avec mon souvenir.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le demi-jour filtrant des toffes tendues</div>
+ <div class="verse">Sera doux et propice mon c&oelig;ur nonchalant,</div>
+ <div class="verse">Quand je l'voquerai du fond des tendues,</div>
+ <div class="verse">Et sa voix emplira d'un hymne grave et lent</div>
+ <div class="verse">Le demi-jour filtrant des toffes tendues.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">J'aurai la vision chre devant les yeux:</div>
+ <div class="verse">Le souffle parfum de l'ineffable Absente</div>
+ <div class="verse">Flottera pour moi seul dans l'air silencieux,</div>
+ <div class="verse">Subtil comme une odeur de fraise dans la sente;</div>
+ <div class="verse">J'aurai la vision chre devant les yeux.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et je dirai tout bas ma tendresse latente;</div>
+ <div class="verse">O c&oelig;ur lche, tremblant et rvolt, je veux</div>
+ <div class="verse">Que ton intime amour se rvle et la tente:</div>
+ <div class="verse">Tu te rsigneras l'effroi des aveux</div>
+ <div class="verse">Et je dirai tout bas ma tendresse latente.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p42">JOUVENCE</h4>
+
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tu parles tristement des campagnes lointaines</div>
+ <div class="verse">D'une voix si dolente et lourde de regrets</div>
+ <div class="verse">Que je deviens jaloux des fleurs et des forts</div>
+ <div class="verse">Et des saules d'argent penchs vers les fontaines.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Souvenirs! jours anciens! comme vous enserrez</div>
+ <div class="verse">Notre me prisonnire en d'invincibles chanes:</div>
+ <div class="verse">Tu veux, comme autrefois, baigner les sombres chnes</div>
+ <div class="verse">Au clair de lune blond de tes cheveux cendrs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Soit! l't revenu parmi les hautes herbes,</div>
+ <div class="verse">Nous marcherons, frls par les ailes de l'air,</div>
+ <div class="verse">Au murmure divin des choses et ta chair</div>
+ <div class="verse">Mlera des parfums de Chypre aux foins en gerbes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et peut-tre qu'un soir entre de rudes draps</div>
+ <div class="verse">Embaums de lavande et dans un lit d'auberge</div>
+ <div class="verse">Tu me rendras ta chair et tes lvres de vierge,</div>
+ <div class="verse">Pour quelque amour d'enfant dont tu te souviendras.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p43">LA MORT INUTILE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Grgoire Le Roy.</i></p>
+<blockquote class="epi">
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Cur non ipsa in morte relinquunt.</div>
+ </div>
+</div>
+
+<p class="attr">(<span class="sc">Publius Vergilius Maro.</span>)</p>
+</blockquote>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Triste comme la mer et la chanson des syrtes,</div>
+ <div class="verse">Le vent lourd de sanglots pleure dans la fort;</div>
+ <div class="verse">Un troupeau d'ombres va, parat, et disparat</div>
+ <div class="verse">Par les bois souterrains et les bosquets de myrtes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dfaillant dans l'horreur d'un ciel ensanglant,</div>
+ <div class="verse">Le soleil infernal baigne le ple espace;</div>
+ <div class="verse">Un troupeau d'ombres vient, revient, passe et repasse</div>
+ <div class="verse">En sa mlancolique et tremblante clart;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et ce sont travers les routes d'asphodle</div>
+ <div class="verse">Les fantmes hagards, pleins de larmes et lents</div>
+ <div class="verse">Dont les glaives d'amour ont dchir les flancs:</div>
+ <div class="verse">La mort n'a point ferm leur blessure immortelle,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le sommeil spulcral a leurr leurs yeux las</div>
+ <div class="verse">Et l'pre souvenir survivant la tombe</div>
+ <div class="verse">Tel qu'un vin corrosif, goutte par goutte, tombe</div>
+ <div class="verse">Dans leur c&oelig;ur ulcr qui ne gurira pas.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p44">L'AME SEULE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A A.-Ferdinand Herold.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La bienfaisante nuit couvre la ville immense</div>
+ <div class="verse">D'o montaient vers le ciel des sanglots et des chants</div>
+ <div class="verse">Et la grande cit semble un lac de silence</div>
+ <div class="verse">Frl par la rumeur pacifique des champs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mer des vivants, mer furieuse qui te rues</div>
+ <div class="verse">Emportant dans tes plis les deuils et les baisers,</div>
+ <div class="verse">Tu roules tout le jour sur le pav des rues,</div>
+ <div class="verse">Mais le soir calme endort tes rles apaiss;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les rveurs amis des ncropoles saintes,</div>
+ <div class="verse">Dlivrs de la joie, affranchis du remords,</div>
+ <div class="verse">Errent par les soirs clairs et fleuris d'hyacinthes</div>
+ <div class="verse">Comme des immortels dans la maison des morts.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Hommes, laissez passer dans la nuit solitaire</div>
+ <div class="verse">Ceux qui foulent toujours des chemins non frays:</div>
+ <div class="verse">Les exils divins ont repeupl la terre</div>
+ <div class="verse">Et je me sens plus seul quand vous vous rveillez.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Quels dmons ont ptri de leur mains ironiques</div>
+ <div class="verse">Vos faces de mensonge et de stupidit,</div>
+ <div class="verse">Je ne sais, mais le mal suinte de vos tuniques</div>
+ <div class="verse">Et votre rire impur attente la beaut.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le matin revenu, soyez tels que vous tes.</div>
+ <div class="verse">Moi cuirass d'orgueil et de mpris serein</div>
+ <div class="verse">Entre mon c&oelig;ur farouche et vos clameurs de btes</div>
+ <div class="verse">Je laisserai tomber une herse d'airain.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Je m'en irai l-bas vers la fort clmente:</div>
+ <div class="verse">Les arbres fraternels m'appellent doucement;</div>
+ <div class="verse">L'herbe bruit, l'eau des fontaines se lamente</div>
+ <div class="verse">Et rit comme une nymphe avec son jeune amant.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La fort a gard pour mon oreille seule</div>
+ <div class="verse">Les chants anciens et les fleurs nobles d'autrefois</div>
+ <div class="verse">Parfument jamais sa mmoire d'aeule</div>
+ <div class="verse">Et tous les rhythmes morts revivent dans sa voix.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les chnes musculeux portent de verts portiques,</div>
+ <div class="verse">O pareils des rois mes rves passeront</div>
+ <div class="verse">Et prs des dieux nouveaux, fils des taillis antiques,</div>
+ <div class="verse">Je plierai les genoux et courberai le front.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais retrouveras-tu la jeunesse premire,</div>
+ <div class="verse">O parleur orgueilleux, ivre d'un vin mauvais?</div>
+ <div class="verse">Et si dans la splendeur de la pure lumire</div>
+ <div class="verse">Ton rve tait moins beau que tu ne le rvais?</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ainsi qu'un porteur las dlivre ses paules</div>
+ <div class="verse">Tu voudrais rejeter les souvenirs humains</div>
+ <div class="verse">Et suivre le ruisseau qui court entre les saules</div>
+ <div class="verse">Et marcher tout le jour au hasard des chemins.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Va! tu n'entendrais plus les voix surnaturelles</div>
+ <div class="verse">Qui t'invitent la nuit, vers les magiques bois;</div>
+ <div class="verse">Dans les halliers saignant de mres et d'airelles</div>
+ <div class="verse">Tu serais poursuivi par les mauvaises voix.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Reste jusqu' la mort baign de crpuscule</div>
+ <div class="verse">Avec l'pre regret des astres radieux:</div>
+ <div class="verse">Tu n'es pas assez grand pour le manteau d'Hercule</div>
+ <div class="verse">Et pour te revtir de la pourpre des dieux.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p45">PETITS PAYSAGES</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Urbain Derbanne.</i></p>
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Une cume de fleurs, blanche et rose, s'tale</div>
+ <div class="verse">Sur la mer onduleuse et mouvante des prs</div>
+ <div class="verse">O ruisselle le flot des trfles empourprs,</div>
+ <div class="verse">Tandis que montent vers le nue orientale</div>
+ <div class="verse">Le meuglement des b&oelig;ufs et la rumeur des bls.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le souffle langoureux des brises musicales</div>
+ <div class="verse">Chante dans les sainfoins en fleurs un hymne lent</div>
+ <div class="verse">Et grave et sous les rais du soleil aveuglant</div>
+ <div class="verse">Une fuite perdue et grise de cigales</div>
+ <div class="verse">S'enlve et vibre, au ras de l'herbe, en sautelant.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>III</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'quipe de pcheurs tire la grande senne</div>
+ <div class="verse">A basse mer, avant les vagues et le flux;</div>
+ <div class="verse">Et nul des rudes gars n'est manchot ni perclus,</div>
+ <div class="verse">Mais l'effort fait saillir et gonfler leur chair saine</div>
+ <div class="verse">Et les veines des bras musculeux et velus.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>IV</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le soleil tombe et des grappes de lilas sombre</div>
+ <div class="verse">Fleurissent la fort marine o Tthys dort</div>
+ <div class="verse">Sous un voile de pourpre aux filigranes d'or</div>
+ <div class="verse">Que trempe dans le sang de la clart qui sombre</div>
+ <div class="verse">L'invisible ouvrier du fabuleux dcor.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>V</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le ciel est gris comme une aile de tourterelle</div>
+ <div class="verse">Que teinterait un peu de rose vein d'or;</div>
+ <div class="verse">L-bas, le cap lointain dont la mchoire mord</div>
+ <div class="verse">L'horizon sombre est las de sa longue querelle</div>
+ <div class="verse">Et la brume a bris les dents du monstre mort.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p46">EN MORVAN</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Jacques Derbanne.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'ombre s'enroule aux flancs des collines farouches</div>
+ <div class="verse">Et pse sur les bois et les versants herbeux</div>
+ <div class="verse">O dorment lourdement les immobiles b&oelig;ufs;</div>
+ <div class="verse">Elle fait grimacer les arbres et les souches</div>
+ <div class="verse">Des saules noirs pareils des jeteurs de sorts,</div>
+ <div class="verse">Tandis que par les vaux mystrieux et morts</div>
+ <div class="verse">Le monotone appel des hulottes rplique</div>
+ <div class="verse">Au sifflement du vent dans le houx mtallique</div>
+ <div class="verse">Qui vibre hostilement comme une armure et luit</div>
+ <div class="verse">Et l'eau sauvage hurle entre les roches grises,</div>
+ <div class="verse">Ainsi que dfaillant de hautes entreprises</div>
+ <div class="verse">Une guerrire blanche en fuite dans la nuit.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p47">L'EAU MORTE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Charles Bourgault Ducoudray.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'tang mystrieux dort parmi les bois sombres,</div>
+ <div class="verse">Eau de solitude, eau de silence, eau de songe,</div>
+ <div class="verse">Que le flot rose et blanc des bruyres prolonge;</div>
+ <div class="verse">Parfois des oiseaux noirs glissent comme des ombres</div>
+ <div class="verse">Entre les joncs tendus hors des sinistres ondes</div>
+ <div class="verse">Tels que des glaives d'or aux mains de reines blondes;</div>
+ <div class="verse">Et sous l'pre soleil pars en rayons mornes</div>
+ <div class="verse">Les nymphas chasss des limpides fontaines</div>
+ <div class="verse">O boivent, la nuit, les cerfs aux belles cornes,</div>
+ <div class="verse">Attendent tristement les toiles lointaines.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p48">RVE D'TALONS</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Edmond Haraucourt.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Une lourde vapeur rde sur les prairies;</div>
+ <div class="verse">La plaine calme dort au chant prochain des eaux</div>
+ <div class="verse">Et le vol pacifique et lent des grands oiseaux</div>
+ <div class="verse">Trane des filets d'ombre aux flots d'herbes fleuries.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'or brusque du soleil dborde dans l'azur</div>
+ <div class="verse">Et jaillit de la neige ardente des nues;</div>
+ <div class="verse">Puis le ciel morne enclt les splendeurs reflues</div>
+ <div class="verse">Dans ses digues de fer blouissant et dur.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des cris surnaturels et des glaives d'archanges</div>
+ <div class="verse">Bruissent dans l'ther magiquement: des voix</div>
+ <div class="verse">Rauques sonnent l'appel d'invisibles tournois</div>
+ <div class="verse">O se heurtent des dieux et des guerriers tranges.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les talons vautrs dans le tide gazon</div>
+ <div class="verse">Comme au ressouvenir pique des mles,</div>
+ <div class="verse">Eperdument, de leurs prunelles affoles</div>
+ <div class="verse">Parcourent l'tendue immense et l'horizon,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et par del le sable hroque des grves</div>
+ <div class="verse">Regardent, les naseaux gonfls d'un souffle amer,</div>
+ <div class="verse">Sur la montagne bleue et verte de la mer</div>
+ <div class="verse">Blanchir en galop fou les cavales des rves.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Convulsifs et dresss sur leurs jarrets tremblants,</div>
+ <div class="verse">Le col tendu vers les chimriques crinires</div>
+ <div class="verse">Ils sentent comme aux jours des fivres printanires</div>
+ <div class="verse">Les dsirs infinis aiguillonner leurs flancs.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais leur chair glorieuse en proie aux frissons vagues</div>
+ <div class="verse">Ddaigne dsormais les vieilles volupts</div>
+ <div class="verse">Et le vain dsespoir de leurs c&oelig;urs indompts</div>
+ <div class="verse">Hennit lugubrement vers le troupeau des vagues.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p49">MARBRE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Ernest Christophe.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les bois religieux se taisent; les oiseaux</div>
+ <div class="verse">Ont quitt la fort o meurt le bruit des eaux.</div>
+ <div class="verse">Seule en sa nudit de vierge et de guerrire</div>
+ <div class="verse">La desse de marbre habite la clairire</div>
+ <div class="verse">Et son corps impollu fait de rve et d'amour</div>
+ <div class="verse">Monte, lys immortel, parmi les fleurs d'un jour.</div>
+ <div class="verse">Ni fltes de bergers ni chansons de cigales:</div>
+ <div class="verse">Sauf le frissonnement des herbes amicales</div>
+ <div class="verse">Dont le flot souple ondule autour d'elle, nul bruit.</div>
+ <div class="verse">Parfois dans les fourrs un chevreuil brusque fuit</div>
+ <div class="verse">Farouche d'avoir vu briller la chair sans voiles</div>
+ <div class="verse">Et l'arc imprieux tendu vers les toiles.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p50">CRISTAL</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Emile Gall.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Noire sur le cristal ple et gris comme un ciel</div>
+ <div class="verse">D'hiver, la libellule nigmatique ploie</div>
+ <div class="verse">Les ailes dans l'air lourd et pestilentiel.</div>
+ <div class="verse">Ses immobiles yeux sans tristesse et sans joie</div>
+ <div class="verse">Cherchent sinistrement une invisible proie</div>
+ <div class="verse">Et planant sur l'eau verte et morte des marais,</div>
+ <div class="verse">Vers vos calices d'or, de pourpre et de tnbres,</div>
+ <div class="verse">Elle vole vers vos calices jamais,</div>
+ <div class="verse">Glauques fleurs qui nagez sur des tangs funbres</div>
+ <div class="verse">O se mire le deuil des pins et des cyprs.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p51">CRPON</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Judith Gautier.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Des oiseaux merveilleux ongls de griffes d'or</div>
+ <div class="verse">Tracent dans le ciel calme un candide sillage</div>
+ <div class="verse">Et la migration d'un ternel voyage</div>
+ <div class="verse">Tend vers des pics lointains leur immuable essor.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le caprice du peintre ouvrant les ailes vaines</div>
+ <div class="verse">Fige ironiquement loin des vierges sommets</div>
+ <div class="verse">Leur vol: blancs exils, vous n'atteindrez jamais</div>
+ <div class="verse">Les cimes que le soir vt de ples verveines.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais le rve des monts vous donne leur fiert,</div>
+ <div class="verse">L'eau des lacs inconnus frmit dans vos prunelles</div>
+ <div class="verse">Et l'hroque amour des neiges fraternelles</div>
+ <div class="verse">Illumine vos yeux de gloire et de clart:</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Telle malgr l'horreur des tnbres accrues</div>
+ <div class="verse">Mon me vole vers la pourpre des printemps</div>
+ <div class="verse">Et loin des monts neigeux et des lacs o je tends</div>
+ <div class="verse">Rve au parfum royal des roses disparues.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p52">L'IMPRATRICE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Mlle Gabrielle Herold.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les dieux d'un riche crpuscule</div>
+ <div class="verse">Parent d'or fauve et de joyaux</div>
+ <div class="verse">Les cactus, les lys sans macule</div>
+ <div class="verse">Et les chrysanthmes royaux;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La pourpre du jour tombe et glisse</div>
+ <div class="verse">Sur les terrasses du jardin;</div>
+ <div class="verse">Le soleil meurt, l'Impratrice</div>
+ <div class="verse">Frle les fleurs avec ddain</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et songe, loin des soirs illustres,</div>
+ <div class="verse">Au lac blanc sous l'aube d'avril</div>
+ <div class="verse">O les frles herbes palustres</div>
+ <div class="verse">Semblaient des reines en exil.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p53">L'ASCTE</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Benjamin Constant.</i></p>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Aprs le jour de flamme et le labeur amer,</div>
+ <div class="verse">L'ascte hiratique accroupi sur la grve</div>
+ <div class="verse">Entendait rsonner une harpe de rve</div>
+ <div class="verse">Et son maigre lion dormait prs de la mer.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ni voix ni glissement des barques ou des ailes</div>
+ <div class="verse">Ne troublaient le silence effrayant et la paix</div>
+ <div class="verse">Du morne crpuscule pars dans l'air pais,</div>
+ <div class="verse">Et la bte songeait aux viandes des gazelles.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Mais l'homme ddaignant la tristesse du soir,</div>
+ <div class="verse">Consum d'une soif que rien ne dsaltre</div>
+ <div class="verse">Et que n'apaisent pas les coupes de la terre,</div>
+ <div class="verse">Regardait le soleil rougir l'horizon noir.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et voyait, en un ciel de pourpre et d'hyacinthe,</div>
+ <div class="verse">Les pieds clous, la chair tachant l'horrible croix,</div>
+ <div class="verse">Le Seigneur Jsus-Christ, fils de Dieu, Roi des rois,</div>
+ <div class="verse">Sinistrement saigner sur la montagne sainte.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h4 id="p54">MESSE DES MORTS</h4>
+
+<p class="dedic"><i>A Bernard Lazare.</i></p>
+
+<h5>LES ORGUES</h5>
+
+<blockquote class="epi">
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Requiem ternam dona eis, Domine.</div>
+ </div>
+</div>
+
+</blockquote>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Seigneur, ces plerins des routes de la vie</div>
+ <div class="verse">Ont pein tout le jour vers le terme divin:</div>
+ <div class="verse">Au lieu des puits d'eau vive et des outres de vin,</div>
+ <div class="verse">Ils se dsaltraient aux calices d'envie.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Desschs par le hle et brl par le ciel</div>
+ <div class="verse">Torride, haletant de la soif infinie,</div>
+ <div class="verse">Ils ont bu, comme Christ en sa lente agonie,</div>
+ <div class="verse">La mauvaise liqueur de vinaigre et de fiel.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Sous les savantes mains d'atroces sagittaires,</div>
+ <div class="verse">Des flches s'envolaient vers eux d'arcs inconnus</div>
+ <div class="verse">Et d'invisibles fouets mordaient leurs torses nus</div>
+ <div class="verse">Et du mtal ardent coulait dans leurs artres.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ils marchaient pesamment sous le faix de leurs croix</div>
+ <div class="verse">Avec le seul espoir de ta bont future;</div>
+ <div class="verse">Mais les loups de l'enfer guettent la crature</div>
+ <div class="verse">Et happent en chemin l'me que tu mcrois;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'inextinguible feu hurle dans la ghenne</div>
+ <div class="verse">Et les damns jets aux abmes grondants</div>
+ <div class="verse">N'apaisent point la faim terrible de ses dents</div>
+ <div class="verse">Et son gosier froce est aviv de haines;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">N'carte pas de toi les fidles troupeaux;</div>
+ <div class="verse">Le soir descend; aprs les heures sans prairies,</div>
+ <div class="verse">Voici l'instant rv des calmes bergeries:</div>
+ <div class="verse">Ouvre, Pasteur des morts, le bercail de repos.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>LES VIOLONS</h5>
+
+<blockquote class="epi">
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et lux perpetua luceat eis.</div>
+ </div>
+</div>
+
+</blockquote>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Seigneur, ces exils de la seule patrie</div>
+ <div class="verse">Criaient vers toi du fond des gouffres tnbreux;</div>
+ <div class="verse">Piti, fais ruisseler des nuages sur eux</div>
+ <div class="verse">La source de splendeur promise en Samarie.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Que la mort leur devienne un baptme: revts</div>
+ <div class="verse">Leurs flancs martyriss de robes de lumire</div>
+ <div class="verse">Et donne leur essor dans la gloire premire</div>
+ <div class="verse">Aux cygnes chapps aux piges du Mauvais.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Magnifiques et purs, aprs la lutte rude,</div>
+ <div class="verse">Ils voleront vers les parterres triomphaux</div>
+ <div class="verse">O des lys, mprisant la morsure des faux,</div>
+ <div class="verse">Fleurissent dans la joie et la batitude,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tandis que le soleil d'un ineffable t</div>
+ <div class="verse">Inonde d'or brlant les roses et dilate</div>
+ <div class="verse">Les parfums pandus des coupes d'carlate</div>
+ <div class="verse">Et que l'ther subtil chante l'ternit.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Rappelle au nid ferm les frissonnantes mes</div>
+ <div class="verse">Et les ailes d'amour monteront vers l'Amant</div>
+ <div class="verse">A travers l'harmonie et l'blouissement</div>
+ <div class="verse">Des musiques, des voix, des splendeurs et des flammes,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les sicles futurs et ceux qui ne sont plus</div>
+ <div class="verse">Tressailleront en toi d'une mme allgresse</div>
+ <div class="verse">En oyant tel qu'un chant et tel qu'une caresse</div>
+ <div class="verse">Frmir au ciel nouveau le vol blanc des lus.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>LES VIVANTS</h5>
+
+<blockquote class="epi">
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Agnus Dei qui tollis peccata mundi</div>
+ <div class="verse">dona eis requiem.</div>
+ </div>
+</div>
+
+</blockquote>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Seigneur, Seigneur, Seigneur, impitoyable matre,</div>
+ <div class="verse">Nous sommes las des jours et des soleils maudits:</div>
+ <div class="verse">Epargne aux dlivrs l'horreur du paradis,</div>
+ <div class="verse">Laisse les morts dormir en paix et ne plus tre.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tant de clous ont perc leurs membres ici-bas</div>
+ <div class="verse">Que nul flot baptismal rdempteur de leurs peines</div>
+ <div class="verse">Ne laverait les maux et les douleurs humaines</div>
+ <div class="verse">Et que ton repentir ne leur suffirait pas.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Ils entendraient, au lieu des sublimes cantiques</div>
+ <div class="verse">Flottant parmi l'encens des lys panouis,</div>
+ <div class="verse">Monter de l'Ocan tumultueux des nuits</div>
+ <div class="verse">Le rle inexpi des souffrances antiques;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Rumeur d'airain, sanglot cruel d'un tympanon</div>
+ <div class="verse">Dont une main haineuse a secou les cordes,</div>
+ <div class="verse">Le souvenir rirait de tes misricordes,</div>
+ <div class="verse">La voix de tes lus blasphmerait ton nom.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Roi du ciel, reste seul dans ta gloire excre</div>
+ <div class="verse">Formidable, sereine et libre de remords;</div>
+ <div class="verse">O bourreau des vivants, ne touche pas aux morts,</div>
+ <div class="verse">Et quand viendra pour nous la suprme vespre,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Quand les vers rongeront les os de nos genoux,</div>
+ <div class="verse">Accorde notre chair en tardive clmence</div>
+ <div class="verse">Non les vaines clarts, mais l'ombre, le silence,</div>
+ <div class="verse">Le sommeil et l'oubli de toi-mme et de nous.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h3>LA VANIT DU VERBE</h3>
+
+
+
+
+<h4 id="p55">LA VANIT DU VERBE</h4>
+
+
+<h5>I</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le Runoa, le prince altier du Verbe d'or,</div>
+ <div class="verse">Est las de la nature et des formes antiques</div>
+ <div class="verse">O l'bauche du monde est imparfaite encor;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les bois noirs et leur chant de harpes prophtiques</div>
+ <div class="verse">Et les monts violets endormis sous le ciel,</div>
+ <div class="verse">Et les brumes d'argent sur les vagues baltiques,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et les brises de fleurs et les parfums de miel,</div>
+ <div class="verse">Et tous les souvenirs alourdis de mystre</div>
+ <div class="verse">Gonflent son c&oelig;ur amer de mpris et de fiel.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">En son tre, cras par l'ennui solitaire</div>
+ <div class="verse">Crot, avec le dgot de sa virginit,</div>
+ <div class="verse">Le dsir d'voquer une nouvelle terre,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Un monde jeune, un paradis illimit,</div>
+ <div class="verse">Revtu d'aubpine immortelle et d'yeuses</div>
+ <div class="verse">Sous les glaces d'hiver et les soleils d't,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">O des crations de femmes radieuses</div>
+ <div class="verse">Se mleraient d'amour de mles hros</div>
+ <div class="verse">En des lits de gazon sems de scabieuses.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le Matre dploya l'art magique des Mots:</div>
+ <div class="verse">Un subit univers naissait de ses paroles</div>
+ <div class="verse">Comme la perle nat du bruit rhythm des flots.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Une profusion sanglante de corolles</div>
+ <div class="verse">S'veillait et germait du rve des Avrils</div>
+ <div class="verse">Et l'azur flamboyait de fauves auroles,</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tandis que les forts et les guerriers virils,</div>
+ <div class="verse">Les femmes ples et les belles chevelures</div>
+ <div class="verse">Jaillissaient de l'abme au gr des chants subtils.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Alors, imaginant les caresses futures,</div>
+ <div class="verse">Le sublime ouvrier du Verbe perdument</div>
+ <div class="verse">Songeait un songe blanc ptri de neiges pures.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Il disait son extase et son ravissement,</div>
+ <div class="verse">Et s'enivrait de la liqueur de la Pense</div>
+ <div class="verse">Et sa voix enfantait l'ineffable Tourment;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Elle faisait surgir au jour la fiance</div>
+ <div class="verse">Surhumaine, et la Femme idale venait</div>
+ <div class="verse">Divinement resplendissante et cadence.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Elle marchait sur la bruyre et le gent</div>
+ <div class="verse">Et des astres vivaient au fond de sa prunelle;</div>
+ <div class="verse">Un silence d'hymen et de baisers planait.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Le Runoa, joyeux de l'&oelig;uvre faite, en elle</div>
+ <div class="verse">Se plongeait comme dans un ocan de lys</div>
+ <div class="verse">Et tombait bloui de la Forme ternelle</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Dans le gouffre effrayant des rves accomplis.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+<h5>II</h5>
+
+<div class="poetry">
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">La contemplation dura cent mille annes;</div>
+ <div class="verse">Quand le Matre sortit des songes clatants,</div>
+ <div class="verse">Des gnrations hideuses taient nes.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Les Rhythmes taient morts; les rires insultants</div>
+ <div class="verse">Grimaaient; le soleil blme sur les prairies</div>
+ <div class="verse">Sans fleurs pleurait les jours anciens et les printemps;</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">L'pouse maquille, pre de pierreries,</div>
+ <div class="verse">Se raillait du Pote et du Rve divin</div>
+ <div class="verse">Et se prostituait aux races amoindries.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Lorsque le Dmiurge eut vu ce qui devint,</div>
+ <div class="verse">Un dsespoir immense emplit son me sombre;</div>
+ <div class="verse">Il comprit que le Verbe tait stupide et vain</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Et cria dans la nuit: Puisque tout croule et sombre,</div>
+ <div class="verse">Aprs l'&oelig;uvre magique et sublime du Chant,</div>
+ <div class="verse">O paroles, rentrez dans le gouffre de l'ombre.</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Va, monde! abme-toi, triste soleil couchant!</div>
+ <div class="verse">Disparais d'un seul coup dans le nant avide!</div>
+ <div class="verse">Fonds-toi dans ma fureur comme un lingot d'argent!</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Plus rien ne fut; la nuit par le ciel morne et vide</div>
+ <div class="verse">Roula son voile noir sur la fausse splendeur</div>
+ <div class="verse">Et le Matre, absorb dans le chaos livide</div>
+ </div>
+
+ <div class="stanza">
+ <div class="verse">Tut&mdash;pour l'ternit&mdash;le Verbe crateur.</div>
+ </div>
+</div>
+
+
+
+
+<h2>TABLE</h2>
+
+
+<table summary="Table des matires">
+<tr>
+<td class="ind" colspan="2"><i>DDICACE</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">A LA MMOIRE D'PHRAM MIKHAL</td>
+<td class="num"><a href="#p1">7</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="c" colspan="2">DE SABLE ET D'OR</td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="ind" colspan="2"><i>LES FLEURS NOIRES</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LES FLEURS NOIRES</td>
+<td class="num"><a href="#p2">13</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LE DIEU MORT</td>
+<td class="num"><a href="#p3">15</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">RUINES</td>
+<td class="num"><a href="#p4">17</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">PAR LA NUIT D'AUTOMNE</td>
+<td class="num"><a href="#p5">19</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">SOLITUDE</td>
+<td class="num"><a href="#p6">21</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">PAROLES SUR LA TERRASSE</td>
+<td class="num"><a href="#p7">23</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">L'AUTOMNE A DNUD LES GLBES</td>
+<td class="num"><a href="#p8">25</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="2" class="ind"><i>LES VAINES IMAGES</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">PSYCH</td>
+<td class="num"><a href="#p9">29</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LIANE</td>
+<td class="num"><a href="#p10">31</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">HYMNIS</td>
+<td class="num"><a href="#p11">37</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">CHRYSARION</td>
+<td class="num"><a href="#p12">40</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="2" class="ind"><i>L'ERRANTE</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">L'ERRANTE</td>
+<td class="num"><a href="#p13">45</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="2" class="ind"><i>VERS L'AURORE</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LES AUMNIRES</td>
+<td class="num"><a href="#p14">59</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">MARE TENEBRARUM</td>
+<td class="num"><a href="#p15">61</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LE PLERINAGE HORS DE L'OMBRE</td>
+<td class="num"><a href="#p16">63</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">NATIVIT</td>
+<td class="num"><a href="#p17">67</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LE CHVRE-PIEDS</td>
+<td class="num"><a href="#p18">69</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">FLAMMES</td>
+<td class="num"><a href="#p19">71</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="2" class="ind"><i>LE JARDIN DE CASSIOPE</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LE JARDIN DE CASSIOPE</td>
+<td class="num"><a href="#p20">75</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">VOIX DERRIRE LA HAIE</td>
+<td class="num"><a href="#p21">78</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LA DOULEUR A CRI</td>
+<td class="num"><a href="#p22">82</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="c" colspan="2">LA GLOIRE DU VERBE</td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="2" class="ind"><i>LA GLOIRE DU VERBE</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LA GLOIRE DU VERBE</td>
+<td class="num"><a href="#p23">89</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td colspan="2" class="ind"><i>LES MYTHES</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">L'AVENTURIER</td>
+<td class="num"><a href="#p24">97</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LE BOIS SACR</td>
+<td class="num"><a href="#p25">102</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LES CAPTIFS</td>
+<td class="num"><a href="#p26">109</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LES YEUX D'HLNE</td>
+<td class="num"><a href="#p27">115</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">SCHAOUL</td>
+<td class="num"><a href="#p28">117</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">RESSOUVENIR</td>
+<td class="num"><a href="#p29">120</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">GOETTERDAEMMERUNG</td>
+<td class="num"><a href="#p30">122</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LA FILLE AUX MAINS COUPES</td>
+<td class="num"><a href="#p31">124</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LA PEUR D'AIMER</td>
+<td class="num"><a href="#p32">136</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LE PRINCE D'AVALON</td>
+<td class="num"><a href="#p33">138</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">CELLE QU'ON FOULE</td>
+<td class="num"><a href="#p34">141</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LA VOIX IMPRISSABLE</td>
+<td class="num"><a href="#p35">149</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="ind" colspan="2"><i>MAYA</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">THAS</td>
+<td class="num"><a href="#p36">157</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">JUDEX</td>
+<td class="num"><a href="#p37">160</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">CHAMBRE D'AMOUR</td>
+<td class="num"><a href="#p38">162</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">PRINTEMPS D'AUTOMNE</td>
+<td class="num"><a href="#p39">164</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LIEDER</td>
+<td class="num"><a href="#p40">166</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">POUR UNE ABSENTE</td>
+<td class="num"><a href="#p41">179</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">JOUVENCE</td>
+<td class="num"><a href="#p42">181</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LA MORT INUTILE</td>
+<td class="num"><a href="#p43">183</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">L'AME SEULE</td>
+<td class="num"><a href="#p44">185</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">PETITS PAYSAGES</td>
+<td class="num"><a href="#p45">189</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">EN MORVAN</td>
+<td class="num"><a href="#p46">191</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">L'EAU MORTE</td>
+<td class="num"><a href="#p47">192</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">RVE D'TALONS</td>
+<td class="num"><a href="#p48">193</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">MARBRE</td>
+<td class="num"><a href="#p49">195</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">CRISTAL</td>
+<td class="num"><a href="#p50">196</a></td>
+</tr>
+<tr>
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+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">L'IMPRATRICE</td>
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+</tr>
+<tr>
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+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">MESSE DES MORTS</td>
+<td class="num"><a href="#p54">202</a></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="ind" colspan="2"><i>LA VANIT DU VERBE</i></td>
+</tr>
+<tr>
+<td class="drap">LA VANIT DU VERBE</td>
+<td class="num"><a href="#p55">209</a></td>
+</tr>
+</table>
+
+
+
+<p class="cbreak"><i>ACHEV D'IMPRIMER</i><br/>
+le trente octobre mil huit cent quatre-vingt-dix-sept<br/>
+<span class="small">PAR</span><br/>
+L'IMPRIMERIE V<sup>ve</sup> ALBOUY<br/>
+<span class="small">POUR LE</span><br/>
+<span class="large">MERCVRE</span><br/>
+<span class="small">DE</span><br/>
+FRANCE</p>
+
+
+
+
+
+
+
+
+<pre>
+
+
+
+
+
+End of Project Gutenberg's La lyre hroque et dolente, by Pierre Quillard
+
+*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LYRE HROQUE ET DOLENTE ***
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+in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER
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+1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the
+trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone
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+with this agreement, and any volunteers associated with the production,
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+Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause.
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+
+Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm
+
+Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of
+electronic works in formats readable by the widest variety of computers
+including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists
+because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from
+people in all walks of life.
+
+Volunteers and financial support to provide volunteers with the
+assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's
+goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will
+remain freely available for generations to come. In 2001, the Project
+Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure
+and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations.
+To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation
+and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4
+and the Foundation web page at http://www.pglaf.org.
+
+
+Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive
+Foundation
+
+The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit
+501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the
+state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal
+Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification
+number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at
+http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent
+permitted by U.S. federal laws and your state's laws.
+
+The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S.
+Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered
+throughout numerous locations. Its business office is located at
+809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email
+business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact
+information can be found at the Foundation's web site and official
+page at http://pglaf.org
+
+For additional contact information:
+ Dr. Gregory B. Newby
+ Chief Executive and Director
+ gbnewby@pglaf.org
+
+
+Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg
+Literary Archive Foundation
+
+Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide
+spread public support and donations to carry out its mission of
+increasing the number of public domain and licensed works that can be
+freely distributed in machine readable form accessible by the widest
+array of equipment including outdated equipment. Many small donations
+($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt
+status with the IRS.
+
+The Foundation is committed to complying with the laws regulating
+charities and charitable donations in all 50 states of the United
+States. Compliance requirements are not uniform and it takes a
+considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up
+with these requirements. We do not solicit donations in locations
+where we have not received written confirmation of compliance. To
+SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any
+particular state visit http://pglaf.org
+
+While we cannot and do not solicit contributions from states where we
+have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition
+against accepting unsolicited donations from donors in such states who
+approach us with offers to donate.
+
+International donations are gratefully accepted, but we cannot make
+any statements concerning tax treatment of donations received from
+outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff.
+
+Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation
+methods and addresses. Donations are accepted in a number of other
+ways including checks, online payments and credit card donations.
+To donate, please visit: http://pglaf.org/donate
+
+
+Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic
+works.
+
+Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm
+concept of a library of electronic works that could be freely shared
+with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project
+Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support.
+
+
+Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed
+editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S.
+unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily
+keep eBooks in compliance with any particular paper edition.
+
+
+Most people start at our Web site which has the main PG search facility:
+
+ http://www.gutenberg.org
+
+This Web site includes information about Project Gutenberg-tm,
+including how to make donations to the Project Gutenberg Literary
+Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to
+subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.
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