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HANOTAUX, en collaboration avec le docteur + L. Margery 1 vol. + + + + +IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE: + +_Trois exemplaires sur japon impérial, numérotés de 1 à 3 + +et douze exemplaires sur papier de Hollande, numérotés de 4 à 15._ + +EXEMPLAIRE Nº 1 + + +Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays, y +compris la Suède et la Norvège. + + + + +DÉDICACE + +A LA MÉMOIRE D'ÉPHRAÏM MIKHAEL + + + Tu t'en allas, un soir de mai: la ville en fête + Haletait de printemps, de jeunesse et d'amour, + Et tu nous as quittés pour la nuit sans retour, + Ame mélancolique et toujours inquiète. + + En vain les mornes dieux, formidables et doux, + Ont détaché ta main de nos mains fraternelles: + Le sel âcre des pleurs brûle encor nos prunelles + Quand ta voix, triomphant des heures, chante en nous + + Et fait surgir parmi les roses des vesprées, + Sous des voiles tissus de soleils et de cieux, + Une vierge dolente au regard anxieux + Qui nous appelle et fuit vers les ombres sacrées. + + Forme grave dressée au seuil mauvais du sort, + Image de fierté qui pleurait et s'est tue, + Ma bouche te cherchait d'une lèvre éperdue; + Mais j'ai heurté du front les portes de la mort + + Hélas! et tu survis dans nos seules mémoires + Et sans que rien m'entende au tombeau souterrain, + Je fixe tristement sur le vantail d'airain + Avec l'amer laurier les palmes illusoires. + + + + +DE SABLE ET D'OR + + + + +LES FLEURS NOIRES + +_A MARCEL COLLIÈRE_ + + + + +LES FLEURS NOIRES + +_A Émile Galle._ + + + Au bord de quels sinistres lacs d'eau lourde et sombre, + O ténébreuses fleurs plus vastes que la mort, + Les dieux muets du soir et les dieux froids du nord + Tissent-ils votre robe d'ombre? + + Vos abîmes de nuit dévorent le soleil; + Le jour est offensé par vos voiles de veuves + Et vous avez puisé sans peur aux mornes fleuves + L'onde farouche du sommeil. + + O fleurs noires, le vent de l'aube vous balance: + Mais nul parfum d'amour ne s'exhale de vous, + Chères, et vous versez dans les coeurs las et fous + L'incantation du silence. + + La vie épand en vain ses perfides douceurs; + La pourpre du printemps inutile flamboie: + Votre deuil rédempteur libère de la joie; + Salut, impérieuses soeurs. + + Je vous aime et je veux dormir, soyez clémentes: + Je ne troublerai pas votre calme immortel + Et, là-bas, j'oublierai, loin du jour et du ciel, + La bouche rouge des amantes. + + + + +LE DIEU MORT + +_A André Fontainas._ + + + Une étoile, une seule étoile. O funérailles + Royales! solitude où la gloire mourait + Sur un bûcher perdu derrière la forêt, + A l'écart des drapeaux, du glaive et des batailles. + + Le héros s'en allait sans pourpre, enseveli + Dans une soie éteinte et dans les tresses rousses + Des captives et des amantes: lèvres douces + Et voraces, vous qui buviez le sang pâli, + + Vers quels baisers souriez-vous? Vers quelles fêtes + Sonne déjà l'appel de vos chants oublieux? + Ah, mensongères! pour des larmes en vos yeux, + Il fallait l'apparat de célèbres défaites + + Et l'horreur des clairons déchirant le ciel noir, + Pour tordre avec des cris de pleureuses louées + Vos corps, mimes en deuil sous le vol des nuées, + Parmi la rouge odeur des torches dans le soir. + + Mais nul regard viril n'a, du haut des murailles, + Avidement cueilli la fleur de vos bras nus: + Vous avez fui. Le roi ne s'éveillera plus. + Une étoile, une seule étoile. O funérailles. + + + + +RUINES + +_A Maurice Nicolle._ + + + L'illustre ville meurt à l'ombre de ses murs; + L'herbe victorieuse a reconquis la plaine; + Les chapiteaux brisés saignent de raisins mûrs. + + Le barbare enroulé dans sa cape de laine + Qui paît de l'aube au soir ses chevreaux outrageux + Foule sans frissonner l'orgueil du sol Hellène. + + Ni le soleil oblique au flanc des monts neigeux + Ni l'aurore dorant les cimes embrumées + Ne réveillent en lui la mémoire des dieux. + + Ils dorment à jamais dans leurs urnes fermées + Et quand le buffle vil insulte insolemment + La porte triomphale où passaient des armées, + + Nul glaive de héros apparu ne défend + Le porche dévasté par l'hiver et l'automne + Dans le tragique deuil de son écroulement. + + Le sombre lierre a clos la gueule de Gorgone. + + + + +PAR LA NUIT D'AUTOMNE + + + Par l'automnale nuit la terre se résigne, + Muette sous le fait des ombres tumulaires: + Nul astre en qui survive un espoir d'aubes claires, + Un espoir de matin crevant son oeuf de cygne. + + Les soleils d'autrefois fermentent dans la vigne. + + + Maintenant au pas sourd de noires haquenées, + Sans faire gémir l'herbe ou résonner la roche, + Tel qu'une chevauchée impitoyable, approche + Le troupeau saccageur des suprêmes journées. + + Un parfum triste vient des grappes condamnées. + + + Demain l'or et le sang des étoiles sublimes + Seront déshonorés par la soif de la horde; + Mais voici qu'une pluie invisible déborde + Et tombe lentement des sinistres abîmes. + + Serait-ce pas les Dieux qui pleurent leurs vieux crimes? + + + O Dieux, je ne sais pas quel Léthé vous enivre + De poisons plus amers que le fiel des Lémures: + Que vous importe à vous, la mort des grappes mûres + Et le viol raillé par le bruit vil du cuivre? + + Les pampres desséchés ne veulent pas revivre. + + + + +SOLITUDE + +_A Grégoire le Roy._ + + + C'est un grand silence après le chant du cor, + Comme dans les villes mortes + Où les chats peuvent encor + Rêver sur le seuil des portes. + + Sous le dais noir de la nuit + Les rois radieux, les belles chevauchées + Foulaient dans l'or et le bruit + Le sang des roses fauchées. + + Des femmes embaumaient l'air + Parmi le velours des porches; + Nous voyions couler la résine des torches + Sur les gantelets de fer. + + Mais les heures sont passées + De la joie et du décor + Et dans nos âmes lassées + C'est un grand silence après le chant du cor. + + + + +PAROLES SUR LA TERRASSE + +_A Puvis de Chavannes._ + + + Des reines blanches inclinées + Aux balustrades d'améthystes + Pour fleurir la mort des journées + Effeuillent des glycines tristes. + + Fleurs plus brèves que les plus brèves, + Vains thyrses que le vent spolie, + Les noirs flots sans rives ni grèves + Emportent leur cendre pâlie; + + Et c'est le deuil d'un double automne, + Soir du jour et soir des feuillées, + Qui dévaste l'ombre et frissonne + Dans les ramilles dépouillées. + + Des pas glissent sur la terrasse; + Une étoffe roide s'y froisse; + Les voix que la nuit blême efface + Tremblent d'adieux, meurent d'angoisse, + + Et cygnes chassés de tout fleuve, + S'en vont fébriles et blessées, + Sans que la ténèbre s'émeuve + Aux cris des âmes délaissées. + + + + +L'AUTOMNE A DÉNUDÉ... + + + L'automne a dénudé les glèbes et le soir, + Un soir d'exil et de mains désunies, + S'approche à l'horizon des plaines infinies, + Roi dévêtu de pourpre et spolié d'espoir. + + O marcheur aux pieds nus et las qui viens t'asseoir + Sans compagnon, parmi les landes défleuries, + Près des eaux mornes, quelles mêmes agonies + Alourdissent ton front vers ce triste miroir? + + Je le sais, tout se meurt dans ton âme d'automne. + Laisse la nuit prendre les fleurs qu'elle moissonne + Et l'amour défaillant d'un coeur ensanglanté, + + Pour qu'après le sommeil et les ombres fidèles + Les clairons triomphaux de l'aube et de l'été + Fassent surgir enfin les roses immortelles. + + + + +LES VAINES IMAGES + +_A HENRI DE RÉGNIER_ + + + + +PSYCHÉ + + + Petite âme, Psyché mélancolique, dors, + Lys d'aurore surgi des heures ténébreuses, + Tes bras souples et frais et tes lèvres heureuses + Ont rajeuni mon coeur et réjoui mon corps. + + Et tu m'as cru, petite âme blanche et farouche, + Tel que ton désir vierge encore me voulait + Pendant tes longs baisers de miel pur et de lait, + Tant que l'ombre a menti comme mentait ma bouche. + + Nulle parole et nulle étreinte et nul baiser + N'ont trahi la douleur secrète du cilice; + Mais éveillée avec l'aube révélatrice + Tu frémissais, Psyché fragile, à te briser, + + Si le jour désillant ta paupière sereine + Au lieu du doux vainqueur que rêvait ton émoi + Te décelait mes poings crispés même vers toi + Et mes yeux éperdus de colère et de haine; + + Car je te hais de tout ton amour, ô Psyché, + Pour les jours à venir et les futures heures + Et les perfides flots de larmes et de leurres + Qui jailliront un jour de ton être caché. + + Mais avant que la nuit divine m'abandonne, + Avec le dur métal des gouffres sidéraux + Je forgerai le masque amoureux d'un héros, + Rieur comme l'Avril, grave comme l'automne; + + Mort vivant sur les lèvres mortes d'un vivant, + Le masque couvrira ma face convulsée; + Et maintenant que l'aube éclate! O fiancée + Chez qui la femme, hélas! va survivre à l'enfant. + + Eveille-toi, rouvre ta bouche qui s'est tue, + Tu n'entendras de moi que paroles d'orgueil + Et je me dresse sous les morsures du deuil + Lauré d'or et pareil à ma propre statue. + + + + +ÉLIANE + + +I + + Des jours et puis des jours ont fui. Je me souviens + De cette joie ainsi que de quelque étrangère + Et c'est une féerie encor que j'exagère + De tout le deuil enclos dans les plaisirs anciens. + + Mais nos baisers furent les fruits des Hespérides + Dont nous avons mâché la cendre, seulement + La cendre! le verger solitaire et charmant + N'a pas calmé la soif de nos lèvres arides. + + D'autres sont revenus semblables à des dieux + De l'île où par orgueil nous nous aventurâmes; + Les guirlandes d'amour alourdissaient leurs rames + Et la galère en fleurs émerveillait les yeux. + + Je ne jalouse pas leurs fanfares de gloire + Ni les pavois ni les étendards éployés + Dont l'ombre rouge flotte auprès des boucliers: + Leur songe était moins beau que notre ivresse noire, + + Et j'erre en ce jardin fouetté du vent brutal, + Plus fier que les héros aux soirs d'apothéoses, + Tandis qu'autour de moi les nostalgiques roses + S'effeuillent vainement vers l'Orient natal. + + +II + + Je t'aimais et les dieux ont dénoué nos bras, + Et nous vivons à la dérive au cours des heures; + Et je ne t'entends plus quand tu ris ou tu pleures: + Mais je viendrai vers toi quand tu m'appelleras. + + A la dérive! des palais au bord des fleuves, + D'impérieuses voix m'invitent, dans la nuit + Et par les aubes; mais qu'importe? l'eau s'enfuit + Et je ferme mes yeux aux chevelures veuves. + + Je sais: l'hôtellerie est pleine de buveurs: + Au mur rit la lambrusque et la rose trémière + Et les raisins gonflés d'aurore et de lumière + Versent les vieux soleils dans les cerveaux rêveurs. + + Les sveltes baladins, les joueuses de lyre + Et les masques d'amour y glissent dans le soir + Et la terrasse est vide où je pourrais m'asseoir: + Je n'aborderai pas aux perrons de porphyre; + + Nulle reine en manteau de pourpre et d'argent clair + Ne tendra sur le seuil ses lèvres vers ma bouche; + Voile noire, carène noire, ombre farouche, + La nef sans gouvernail s'en va jusqu'à la mer + + Et je m'endormirai parmi les vagues vertes, + Parmi les mornes flots sans borne, à moins qu'un soir, + Sur une rive heureuse, au sommet de la tour + Dominant la vallée et les terres désertes, + + Tu ne paraisses dans ta robe de soleil + Et tu ne m'offres en un geste qui pardonne + Tes cheveux éployés plus riches que l'automne + Et les baisers anciens plus doux que le sommeil. + + +III + + Je ne sais plus dans quels chemins ni sous quels cieux + La reine de mon coeur, la reine de mes yeux, + La souveraine de mes larmes ignorées, + Qui tord en ses cheveux l'or fauve des vesprées, + Passa sans un regard vers mon front en exil + Comme un soleil d'hiver oublieux de l'avril. + + Hélas! les lys sont morts; les roses sont fanées; + L'impitoyable deuil défleurit les années. + Elle ne connaît plus les choses d'autrefois; + Son oreille infidèle a désappris ma voix, + Ma voix tremblante et les paroles murmurées + Et le frissonnement des étreintes sacrées. + + Et maintenant, et maintenant! je veux en vain + M'interdire les jours et le passé divin. + Ma lèvre qu'elle sut délicate naguères + Est chaude d'une bouche et de baisers vulgaires + Et j'ai bu pour marcher dans l'ombre de la mort + Le vin des matelots et des hommes du port. + + Mais cette ivresse est triste, ô reine, et je t'implore. + Reviens, fais resplendir la gloire de l'aurore. + Jette sur les bois nus un manteau de printemps + Et pare les sentiers des roses que j'attends. + + Sois bienveillante; ou si les beaux jardins des rêves + Sont clos pour jamais, soit! les heures seront brèves + Où je vivrai dans la lumière et dans le bruit, + Et je descendrai seul les marches de la nuit. + + +IV + + Par quelle cruauté des implacables dieux? + Si loin des jours royaux et pavoisés de joie, + Un soleil tel que les anciens soleils flamboie + Et tes cheveux en fleur épouvantent mes yeux. + + Parmi le deuil hélas! et les ombres tombales, + Que me veux-tu, sourire impérieux encor + Qui fais se réveiller avec un sursaut d'or + Le prestige menteur des aubes triomphales? + + Oui: tes lèvres m'étaient douces près de la mer + Et sur la fauve grève où dormaient les carènes + Gonflaient d'un chant si pur les conques des Sirènes + Que des oiseaux neigeaient autour de toi dans l'air + + Et que le souvenir des ailes éployées + Palpite en mes regards éblouis. O rayons + Eteints! vols disparus d'aigles et d'alcyons! + Voix morte désormais sur des lèvres souillées! + + Voix morte et pour moi seul vivante: je voudrais + Ne plus l'entendre et que la terre devînt noire + Et que la nuit sereine engloutît la mémoire + De ta beauté semblable aux roses des forêts. + + Mais l'ombre décevante est encore hantée + Par les dieux importuns qui défendent l'oubli + Et la poignante fleur au calice pâli + Sollicite toujours ma bouche ensanglantée. + + + + +HYMNIS + +_Pour Bernard Lazare._ + + +I + + Face d'ombre, je viens à toi; la nuit m'emporte. + Poussière évanouie aux plis blancs d'un linceul, + Pâle vierge oubliée et que j'honore seul + D'une fleur morte hélas! moins que ta grâce morte, + + Je viens à toi qui dors au fond des siècles lourds + Et dont le pur tombeau fait les lèvres fidèles: + Je n'ai pas entendu les mots qui naissaient d'elles + Ni goûté la douceur de tes tristes amours: + + Mais je pleure ton corps et son charme équivoque + Et les baisers trop lents qui l'auraient effleuré, + Chair de jadis, désir dont je me suis leurré + Parce qu'un même appel de buccins nous évoque + + Vers les mêmes cyprès noirs et silencieux... + Vain appel, vaine ombre et menteuses fanfares: + Jamais je ne clorai de mes lèvres avares + Tes yeux désenchantés qui connurent les dieux. + + Sommeille loin de moi près de la mer antique + Sous un ciel insulté par de confuses voix + Où la vague qui chante encor comme autrefois + Entrechoque les mâts du port aromatique: + + Toujours l'âpre soleil et la foule et l'embrun, + Loin de moi, troubleront ta poussière ignorée + Et l'inutile fleur que je t'ai consacrée + Ne réjouira pas ta cendre d'un parfum. + + +II + + Viens respirer l'odeur des vignes et des fruits. + + Ce soir te sera doux comme tes longues nuits, + Hymnis, enfant qui dors depuis deux mille années, + Et par le souffle lent des sentes où je fuis + Les roses du tombeau ne seront point fanées. + + + Je te dédie, enfant, la mourante forêt. + + Elle se pare encor malgré son mal secret: + Tu te reconnaîtras à sa noble agonie, + Vierge dont le front pâle et fiévreux se paraît + D'or royal attristé par la blême ancolie. + + + L'automne funéraire embaume les halliers. + + Hymnis! Hymnis! Hymnis! tes cheveux déliés + Libres du bandeau strict où tu les emprisonnes + Ont frôlé des santals et des girofliers + Et se sont enivrés de cruelles automnes. + + + De plus calmes parfums, ce soir, te charmeront. + + Pour que ton corps sacré retourne sans affront + De la forêt qui meurt aux ténèbres divines + Je veux entrelacer à l'entour de ton front + Le thyrse noir du lierre aux suprêmes glycines. + + + + +CHRYSARION + + + Sur cette mer toujours déserte où nos yeux vains + S'égaraient dans l'ennui des solitudes mornes, + Le navire, aux clameurs des conques et des cornes, + Fleurit avec l'aurore éclatante; et tu vins, + + Apportant le parfum des terres étrangères, + Le reflet des soleils morts parmi tes cheveux + Et pour les coeurs lassés, graves et dédaigneux + L'enchantement de quelques heures plus légères. + + Trop de désirs déçus et d'espoirs abusés + Hantent notre mémoire et sanglotent en elle: + Nous n'avons pas tendu vers ta chair fraternelle + Nos lèvres dès longtemps déprises des baisers. + + Mais les heures passaient douces comme la soie + En vêtements tramés de soleil et de nuit, + Danseuse au collier d'or qui fulgure et s'enfuit, + Amante triste et grave en marche vers la joie, + + Et vous qui regardiez des astres abolis, + Visages inquiets ivres du vieux mensonge, + O faces de stupeur, d'extases et de songe + Sur qui l'ombre clémente est tombée à longs plis; + + Puis la dernière; et ce fut toi-même, inclinée + A la poupe et semant des roses dans le soir + Afin que la galère et le sillage noir + S'illustrassent encor d'une pourpre fanée + + Et que la sombre mer sourît à nos yeux vains. + + + + +L'ERRANTE + +_A RACHILDE_ + + + + +L'ERRANTE + +I nunc ad hostem, at in perpetuum mea. + + +I. _DE SABLE ET D'OR._ + +L'HOMME songe dans le soir somptueux et morne; à la balustrade croulante +de la vieille demeure, il s'est accoudé solitairement et ses yeux, qui +depuis des mois et des années n'ont plus reflété que les choses +silencieuses, regardent au loin, dans les plaines assombries, s'étager +les villes où des foules inconnues aiment, bataillent, agonisent et +s'évanouissent comme des fumées. + +Ici le roc que nul printemps n'a paré, cime triste abreuvée jadis par le +sang des victimes, alors que les dieux stupides se gorgeaient de +sacrifices, cime cruelle où les roses d'Avril n'ont jamais souri, où les +sources n'ont pas pleuré doucement la mort future des fleurs vouées au +vieillard qui les emporte, quand vient l'automne. + +L'HOMME songe dans le soir somptueux et morne; tandis que le ciel +flamboie d'une plus rouge gloire et que l'or insultant les ténèbres +enrichit ses prunelles, des bûchers tragiques s'effondrent et l'âme +déserte est envahie par un tumulte de chevauchée; tourbillons de fer, +gueules hurlantes, éclairs de glaive, chevelures et crinières +confondues, la horde passe dans sa pensée. + +Et l'HOMME se détourne du spectacle éclatant; ailleurs la terrasse est +interrompue: les pesantes eaux d'un lac sans fond baignent de leur +horreur immobile la roche qui disparaît dans le vertige de l'abîme. +Maintenant l'HOMME marche, les yeux ivres de nuit, vers le lac d'ombre +monotone et sa voix lassée frôle de lentes paroles les ondes +sépulcrales, les ondes épaisses qui ne frissonnent pas. + + +L'HOMME + + Nuit moins sinistre que le soir, ô nuit rebelle + A mon désir, tu n'es pas l'ombre que j'appelle + Et trop d'astres encor m'offusquent de clarté + Pour que je boive en toi les coupes du Léthé. + + Autrefois, j'ai vécu derrière les murailles + Des villes; je connais les brèves funérailles + De toute joie et vers la cime et vers la tour, + Pour le muet exil que je veux sans retour, + J'ai fui l'âcre parfum des roses effeuillées. + + Lorsque je suis venu, les portes verrouillées + Pleuraient plaintivement comme des chiens meurtris, + Et j'oubliais le monde et méprisais leurs cris: + Mais la pierre me parle ainsi qu'une vivante + Maintenant, et flambeau d'angoisse et d'épouvante, + Dans mon coeur las du crépuscule rouge et noir, + Chaque étoile qui monte allume un triste espoir. + + Eaux bienheureuses, vos paupières sont voilées: + Aucun rêve de ciel et d'algues emmêlées + N'ondule dans le calme abîme; nul reflet + Des jours antérieurs où l'aube étincelait + Sur votre moire alors juvénile et chantante + Ne se réveille en vous par la nuit éclatante + Avec le souvenir d'un antique soleil. + Eaux bienheureuses, vous dormez du vrai sommeil. + Vous les pâles, vous les froides et les obscures, + Vous les mortes. + + J'attends les suprêmes augures, + Les cygnes éternels ouvrant leur vol sacré, + Et l'heure, enfin libératrice, où je serai, + Eaux bienheureuses, lac de nuit, lac de silence, + Digne de votre accueil et de votre clémence. + +Ainsi le solitaire invoque les ondes fatidiques. Mais pendant qu'il +parle, les étoiles plus nombreuses ruissellent sur les pentes abruptes +et l'ERRANTE est survenue; ses haillons brochés d'or illusoire par les +astres dénoncent les routes hostiles, les morsures du vent, peut-être +l'agression de mains brutales. Furtive elle s'est assise sur les marches +disjointes et l'HOMME tout à coup se trouve face à face avec elle. + +L'HOMME + + Va-t'en. Que me veux-tu, larve ou fantôme humain, + Dont le pas sacrilège usurpe mon chemin: + J'ignore quel passé funéraire t'escorte + Et me barre avec toi la route de la porte, + Ou si ta robe aux plis ténébreux de son deuil + Recèle un étendard de victoire et d'orgueil, + + Mais qu'importe? tu viens des carrefours vulgaires, + Et tendresse, douleur, pourpre illustre des guerres, + Clameurs des foules furieuses, bruit des pas, + Gestes des suppliants, monde, je ne veux pas, + Quand je me penche enfin vers l'ombre sans aurore, + Qu'un souvenir des jours anciens attente encore + A mon âme recluse et mûre pour la nuit. + Va-t'en. + +L'ERRANTE + + Je suis venue où le soir me conduit, + Par le soleil ou par la pluie aux larges gouttes, + Après des routes et des routes et des routes. + Quand je suivais la mer aux heures de reflux + Le sable de la grève a brûlé mes pieds nus; + Et ma chair a saigné de toutes les épines + A travers les fourrés, les ronces des ravines + Et les ajoncs aux rudes marges des marais. + Mais partout, aussitôt que la terre où j'errais + Portait empreinte sur l'argile ou sur l'arène + La trace des vivants, j'ai fui. Je sais la haine + Dont ils poursuivent la passante et sur mes yeux + Ont pesé trop souvent leurs poings injurieux + Pour que je m'aventure ayant vu leurs foulées. + + Seuls parfois les palais des villes écroulées + Sous leurs porches déchus fraternels à mon sort + M'ont offert un sommeil puissant comme la mort. + La solitude ment où tu viens d'apparaître; + L'asile de repos que je croyais sans maître + Abrite hélas! ton âme fauve de vivant: + Je quitterai le seuil et le toit décevant + Où ton deuil autre que mon deuil se cache et pleure + L'ombre immense est hospitalière. + +L'HOMME + + Non, demeure, + Puisque la volonté de ton sort et du soir + A mené tes pieds las vers le morne manoir + Et vers l'hôte imprévu dressé devant ta face + En qui ta voix a fait s'épanouir, vivace, + Une fleur de jadis aux pistils oubliés. + J'y consens: ô soleils abolis, flamboyez + Encore, surgissez dans ma sombre mémoire + En aube de suprême et cinéraire gloire + Avant que cette chair s'engloutisse à jamais; + Et toi, dolente ombre d'une ombre que j'aimais + Et qui m'a refusé ses lèvres mensongères, + Toi qui dormis sous des étoiles étrangères + Des sommeils flagellés par l'âpre fouet du vent, + Entre sans peur avec un sourire d'enfant + Et l'ingénuité d'une âme puérile + Dans la vieille maison où le hasard t'exile. + +L'ERRANTE + + Je ne sais même pas ce qu'on nomme les ans, + Ni combien de matins, combien de jours pesants + Ont écrasé l'errante amère et résignée, + Homme, ni quelles eaux lustrales l'ont baignée + Où le secret des dieux demeure enseveli, + Quelles eaux de pitié, de refuge et d'oubli, + Emportant dans le cours pacifique des fleuves + Tout un faix dilué de souffrance et d'épreuves. + + A peine un souvenir obscur survit en moi, + Heure d'angoisse, heure de détresse et d'effroi + Qui m'a fait tressaillir d'une crainte ignorée: + Des reîtres ont voulu m'entraîner, à l'orée + De la forêt; j'ai fui leurs lèvres et leurs mains, + Eperdue, à travers les rochers sans chemins, + Et je frissonne encor de l'étreinte éludée + Jadis, quand mon horreur de vierge dénudée + Écoutait survenir l'approche des pas lourds. + + Cependant par des soirs, solitaires toujours, + J'ai miré mon visage au miroir des fontaines + Et tendu vers mon front des lèvres incertaines + Dont la source perfide a glacé le désir; + Et l'ombre s'effaça que j'ai voulu saisir, + Comme un pâle soleil qui sombre au flot nocturne, + Sans avoir accueilli mon baiser taciturne. + + Mais voici que ta voix grave qui m'effrayait + Parle plus doucement à mon coeur inquiet + Et qu'après les assauts de la tempête rude + Des astres bienveillants dorent la solitude. + Donc j'entrerai sans peur dans la maison. + + Salut, + Seuil, et que les haillons du passé révolu + S'envolent de ma chair au vent qui les emporte + Ainsi qu'un vain linceul d'où jaillit une morte + Pour renaître en splendeur de soleil exalté, + Belle de sa jeunesse et de sa nudité. + + +II. _DE GUEULES._ + +Dans la mélancolique demeure où les murs s'émerveillaient de sa beauté, +saluée par les figures amies des lices, irradiant l'eau ternie des +miroirs, l'ERRANTE est entrée blanche et nue. + +Elle n'a point refusé ses lèvres et les rouges floraisons de la joie ont +fleuri impérieusement, par la vibrante offrande de son corps à l'HOMME +éveillé d'un long rêve. + +Il a plongé dans les coffrets de bronze ses mains fiévreuses et +prodigues, et l'armure d'or et les brocarts et les gemmes et le glaive +ont échappé aux chaînes noires des ténèbres. + +Sur les seins et sur les épaules de l'ERRANTE, tous les trésors enfouis +dans le sépulcre du silence depuis des siècles, des ans et des jours, +resplendissent avec l'aurore. + +Au seuil matinal de la porte, elle se dresse en sa robe de pourpre qui +recèle sous le sang figé de la soie, avec la cotte de mailles, +l'irréprochable acier du glaive. + +Pensive, elle s'est retournée vers l'HOMME qui fait un geste d'adieu, et +comme hésitante et retenue par la puissance d'une main invisible, elle +tarde à franchir le seuil. + +L'ERRANTE + + Je le sais: mon destin m'entraîne et tu le veux, + J'irai. Je dois offrir aux chocs tumultueux + Dès le premier appel de l'aube avant-courrière + Ma poitrine héroïque et libre de guerrière; + Et mon poing brandira le glaive désormais. + Je le sais: mais l'exil sombre où tu t'enfermais + S'illumine pour toi de ma chair apparue, + Et radieuse encor, même absente, j'obstrue + Les portes de la nuit que tu heurtais déjà. + Ami, dont ma venue importune outragea + Le manoir de silence et d'ombre inviolée, + Pardonne, pour ton deuil de solitude emblée, + A l'Errante qui part, chaude de tes baisers. + +L'HOMME + + Va: le soleil bondit dans les cieux embrasés; + C'est l'heure, il faut franchir le seuil et vers les villes + Te ruer en clamant aux oreilles serviles + Tout ce que les tombeaux t'ont livré de secrets. + + Viens et regarde: là de houleuses forêts + Où les pasteurs de porcs se vautrent dans les bauges; + Puis des plaines, rumeurs des blés, parfum des sauges, + Et les paysans nus courbés sous les sillons + A jamais; et plus loin des foules en haillons, + Troupeaux lâches que tu mueras en fauves hardes, + Tournent vers le palais des prunelles hagardes + Et des poings décharnés par l'immuable faim + Sans que la torche encor s'enflamme dans leur main. + + Ce qui fut moi naguère et richesse stérile + Et dépouille des temps silencieux rutile + Autour de ton front jeune et de tes seins altiers: + Voici venir un vol de cygnes éployés, + Le vol tardif et sûr des prophétiques ailes + Qui m'invite au sommeil des ondes éternelles. + + Va: la chair que la mort heureuse requérait + S'évanouit parmi les choses, sans regret, + Maintenant que tu m'as affranchi de moi-même + Et que tu peux, maîtresse enfin du double emblème, + Descendre vers les serfs de la glèbe et des murs + Et, selon le vouloir des trois monstres obscurs, + Tendre le rameau d'or ou férir de l'épée. + +L'HOMME disparaît sous les eaux immobiles, sous les eaux épaisses où ne +palpite aucune lueur. L'ERRANTE contemple longuement le lac d'ombre +monotone, puis marche, auréolée par la gloire du matin, vers les plaines +et vers les villes orientales, tandis que sa voix dans la solitude +chante les batailles futures. + +L'ERRANTE + + Homme, revis en moi. Dans ma dextre crispée + Je serre puissamment le pommeau froid du glaive + Et si le monstre ancien se rebelle et se lève, + Je rougirai le sol de sa tête coupée, + + Moi, celle qui connaît les suprêmes paroles + Et toute la douleur avec toute la joie; + Je chasserai le loup et l'hyène de proie + Et je veux emporter les royales corolles + + Que les dragons jaloux gardaient des mains humaines: + Afin que le parfum des roses inconnues, + Epars farouchement sous la voûte des nues, + Suscite dans les coeurs les désirs et les haines, + + Je viens à vous, frères penchés sur les emblaves, + Attelés à la meule au fond de l'ergastule; + Mon verbe lacérant l'antique crépuscule + Souffle une âme de pourpre à vos âmes d'esclaves; + + Redressez-vous; sarclez les herbes parasites: + Lancez contre le ciel les pierres de vos geôles, + Et que les murs vaincus par vos fortes épaules + Vous ouvrent le jardin des terres interdites + + Où, plus belles, des fleurs de rêve vont éclore + En butin triomphal pour les races vengées, + Tandis que le sang vil des bêtes égorgées + Se mêle par mon glaive au sang pur de l'aurore. + + + + +VERS L'AURORE + +_A A.-FERDINAND HEROLD_ + + + + +LES AUMONIÈRES + +_A A.-F. Plicque._ + + + Sur la grève qu'avaient souillée + Les conquérants et les héros, + Près de la mer pacifiée + Pleine des frissons auguraux, + + Les poings perdus dans les crinières + De leurs chevaux roses et blancs, + C'étaient les bonnes aumônières + Qui reviennent tous les mille ans. + + Cymodoce, Aglaure, Euryanthe, + Au caprice d'un galop fou + Elles passaient; leur flamboyante + Chevelure brûlait leur cou. + + Lèvres douces comme la soie, + Lumineuses comme les cieux, + Elles chantaient un chant de joie + Vers l'Océan mystérieux. + + Tandis que vibraient des abeilles + Autour des étalons loyaux, + Elles plongeaient dans des corbeilles + Leurs bras riches de lourds joyaux + + Et brandissant leurs mains sacrées, + Bonnes au yeux chargés de pleurs, + Parmi les vagues empourprées + Semaient d'impériales fleurs; + + Car les coroles millénaires + Eparses en vol d'Orient + Calment les antiques colères + Et charment le vieil Océan. + + + + +MARE TENEBRARUM + +_A Emile Gallé._ + + + Durant les jours de brume et les soirs sans étoiles + Le vent triste a fané la pourpre de nos voiles; + Mais nos coeurs s'attardant aux soleils révolus + Oubliaient le deuil vain des flux et des reflux. + + La barque tressaillait de la poupe à la proue + Avec le ronflement d'un cheval qui s'ébroue; + Mais nos coeurs enchantés de chants évanouis + Oubliaient la clameur des vagues et des nuits. + + Hier l'Aurore brusque a jailli de nos rêves; + Le marbre bleu des mers et l'or fauve des grèves + Eblouissaient nos yeux brûlés par les embruns + Et le dragon rostral s'enivrait de parfums. + + Mais l'ombre en flocons noirs a neigé sur nos âmes, + L'ombre que nul soleil ne fondra de ses flammes + Et déjà le dragon, loin des havres heureux, + Mord les antiques flots glacés et ténébreux. + + + + +LE PÈLERINAGE HORS DE L'OMBRE + +_A Remy de Gourmont._ + + +I + + Ame riche de nuit, d'étoiles et de rêves + Qui puisas des trésors aux urnes d'un tombeau + N'abandonneras-tu jamais tes blêmes grèves + Pour cette ville en fleurs sous le printemps nouveau? + + Ame riche de nuit, mon âme, tu recèles + Assez d'astres perdus et de soleils éteints: + Viens connaître la chair et les lèvres de celles + Qui tendent leurs seins nus aux pourpres des matins + + Et font en souriant à l'aurore sereine + Fluer entre leurs doigts le sable et leurs cheveux, + Pour que, vivante enfin, ma bouche amère apprenne + A goûter le miel blond des heures. Tu le veux, + + Ame lasse déjà des ivresses futures, + Toi qui n'as rien chéri que les pleurs et la mort: + Le vent gonfle d'amour les voiles toujours pures: + Loin de l'île où la blanche Hymnis repose et dort, + + Pour moi seul, dans le vain cénotaphe des roses, + Nous irons conquérir son corps ressuscité; + Sans doute elle revit par les métempsycoses + Sur le sol oublieux que parait sa beauté + + Et parmi les parfums sauvages des galères, + Les chiens, les portefaix qui geignent en marchant, + Elle va, lourde encor des gloires tumulaires, + Sans que nul ait compris la douceur de son chant. + + +II + + L'écume violée a neigé de la proue; + Les mauves qui mouillaient leurs plumes aux flots noirs + Ont secoué le sel des vagues sur ma joue. + + Le sel des vagues! Tels les pleurs d'antiques soirs + Enrichirent jadis de gemmes dissipées + Ces yeux fous aujourd'hui d'aventure et d'espoirs. + + Puis la forêt flamba de cruelles épées; + Mais plus d'ombre tombait des branchages pieux + Pour voiler le sommeil inquiet des Napées. + + Ainsi les âpres bois ont défendu mes yeux + Jadis et quand le jour en troublait l'eau tranquille, + Ils étalaient dans l'air leur deuil impérieux. + + Or maintenant, voici les portes de la ville; + Je franchirai les murs sans désir de retour + Heureux si dans la solitude où je m'exile + + L'ombre descend sur moi du temple et de la tour. + + +III + + Farouche de voir les aurores + Et les soleils épanouis, + L'eau tressaillait dans les amphores + Sur la marge grise des puits + + Et les ténèbres souterraines, + Les iris de sombre cristal + Se flétrissaient comme des reines + Captives d'un soudard brutal. + + Les servantes et les esclaves + Riaient à l'entour; mais tu vins, + Et tu voilas de voiles graves + Les filles des antres divins. + + Protectrice des eaux dolentes + Qui sais les rites d'autrefois, + J'ai trempé mes lèvres tremblantes + A la coupe triste où tu bois: + + Souviens-toi d'heures et d'années + Et de soleils, étends les mains + Vers les clématites fanées, + Vers les étoiles des jasmins; + + Et sur la terre des merveilles + Que pavoisaient de nobles cieux + Fais refleurir les belles treilles + De nos jardins silencieux. + + + + +NATIVITÉ + + + L'enfant né de la terre et libéré par elle + Tendit, farouche et nu, son torse impérieux + Hors de l'antre où mourait la nuit surnaturelle; + + Mais la brusque splendeur du soleil et des cieux, + Lacérant l'ombre avec des griffes empourprées, + Ne fit pas tressaillir l'eau calme de ses yeux. + + Désormais dédaigneux des fontaines sacrées, + Il buvait puissamment la lumière et l'orgueil, + O ténèbres en pleurs, ô mères éventrées! + + Et quand il eut vaincu les lianes du seuil + Et déployé sa chevelure dans l'aurore, + Les arbres lui chantaient un chant de bon accueil. + + Dans l'allégresse de la force qui s'essore + Il marchait à travers la natale forêt, + Attentif aux frissons du feuillage sonore; + + Autour de lui le vol des abeilles vibrait + Et le miel embaumant ses lèvres fatidiques + Révélait à son coeur l'ineffable secret + + De la vie immortelle et des sèves antiques. + + + + +LE CHÈVRE-PIEDS + + + Sous cette roche en pleurs où dort la femme nue, + Nuage d'aube éparse en la menteuse nuit, + Le chèvre-pieds regarde à travers l'eau qui flue + Les lointaines maisons de labeur et de bruit. + + Les tristes paysans se penchent vers la glèbe + Pour un baiser de serfs et de jaloux amants + Dont la bouche haineuse évoque de l'Erèbe + L'or futur des épis et des riches froments. + + Avares de moissons qui fatiguent les granges, + Ils méprisent l'aurore et les soleils couchants + Et leur oreille est close aux paroles étranges + Qui montent des taillis, des sources et des champs; + + Et la charrue, avec les jours et les années, + Impitoyable au deuil des bois mystérieux + Offense la beauté des forêts profanées + Où rôdaient librement les fauves et les dieux. + + Mais le sylvain survit à la sylve abattue; + Dans l'antre encor voilé de feuillage, sa chair + Immortelle, à travers les siècles, perpétue + Le grand frisson d'amour qui fait tressaillir l'air; + + Et dans les flancs d'une passante solitaire + Il sème au chant des eaux et des rameaux flottants + Des fils aventureux affranchis de la terre + En qui bout la jeunesse héroïque des temps. + + + + +FLAMMES + + + Parmi les âcres fleurs des lauriers, cette voix + Évocatrice en nous de gloire révolue + Émanait de la mer, du soir et d'autrefois: + + «Enfants tristes, penchés vers l'ombre, l'ombre afflue + Et monte jusqu'à vos lèvres avec les flots + Dont vous enivriez votre âme irrésolue. + + La séculaire nuit opprime vos yeux clos, + Enfants tristes, et vos poitrines lacérées + Se gonflent lâchement de stériles sanglots. + + Si votre bouche a soif des aubes empourprées + Et du sang lumineux qui sacre le matin + Quel sortilège encor vous attrait aux vesprées? + + D'un geste, dans la nuit, décisif et hautain, + Reniez le poison des ondes léthéennes + Et marchez sans retour vers un autre destin.» + + Frénétiques, hors des ténèbres anciennes + Nous avons fait jaillir dans le ciel morne et noir + Une farouche aurore à la cime des chênes, + + Et dociles au cri de désir et d'espoir, + Nous respirons les roses rouges de la joie, + Depuis que déjouant les embûches du soir + + La torche avec l'épée à notre poing flamboie. + + + + +LE JARDIN DE CASSIOPÉE + +_A ALFRED VALLETTE_ + + Cassiopée, s'étant déclarée, par orgueil, plus belle que les Néréides, + dut exposer au monstre marin sa fille Andromède, qui fut délivrée par + Persée. Après sa mort, Cassiopée fut mise au rang des Constellations. + +(MYTHOGRAPHES GRECS.) + + + + +LE JARDIN DE CASSIOPÉE + + +L'HOMME + + Sans matins blancs et sans étoiles dans la nuit, + A travers le brouillard où soufflait le vent rude, + J'ai cheminé de solitude en solitude + N'ayant pour compagnon que l'immuable ennui. + + Derrière les rocs noirs qui portent le ciel triste, + Monotone, la mer invisible pleurait; + Et jusqu'à l'horizon barré par la forêt, + Les maigres tamaris et l'âpre fleur du ciste. + + Puis des jours mornes dans le silence des bois + Pesèrent sur mon front en gouttes d'ombre lourde: + Nul bruit d'oiseau qui chante ou de source qui sourde + N'a dissipé l'horreur d'ouïr ma seule voix; + + Et ce fut à nouveau la lande grise et plate, + La houle des genévriers et des ajoncs, + Que n'illustra jamais de tragiques rayons + Quelque couchant royal au manteau d'écarlate. + + Mais le riche verger m'attend. O treilles d'or, + Saurai-je encor saisir vos grappes immortelles, + Les mains lasses d'avoir cueilli des asphodèles + Et de sombres pavots qui conseillent la mort? + +CASSIOPÉE + + Qui que tu sois, passant envoyé par le sort, + Venu des ténébreux chemins, franchis la haie, + Cueille d'un seul regard toute la roseraie, + Que ses vivants parfums te sauvent de la mort! + + Tends les mains; le verger de force et de liesse + Que n'a pas envahi l'ombre du dernier dieu + T'offre les raisins clairs, les oranges de feu, + Et si ta lèvre a soif d'amour, l'aube acquiesce, + + La mer chante; appelé par les conques des flots, + Après les jours ou les longs mois de bonne halte, + Tu partiras: le vin des amphores exalte + L'orgueil viril et pur qui sacre les héros + + Et son baume puissant délivre l'âme esclave; + Tu partiras dans la splendeur d'un soir d'été + Tel que le soleil rouge au ciel ensanglanté + Teigne en pourpre l'embrun de neige sous l'étrave. + + Tourbillonne le vol des typhons éployés! + Qu'importe au pèlerin dédaigneux et farouche + Ivre éternellement d'avoir bu sur ma bouche + Le mépris du ciel vide et des dieux reniés! + + + + +VOIX DERRIÈRE LA HAIE + + +_VENDÉMIAIRE_ + +LES VENDANGEURS + + Les sarments rampaient entre les pierres + Ou montaient au tronc rugueux des ormes, + Tordus et noués en noeuds difformes + Comme des orvets et des vipères. + + Courbés sous le fouet des rois avares, + Nous avons versé nos pleurs, nos peines; + Nous avons ouvert nos pâles veines, + Nous avons nourri les vignes rares; + + Nous avons pillé les ceps d'automne; + Le moût bruissait au fond des cuves, + Pour les maîtres, saouls de chauds effluves, + Le sang de nos coeurs emplit la tonne. + + +_NIVOSE_ + +LES COUPEURS DE ROSEAUX + + L'eau langoureuse endormait les saules; + Vers le déclin des tièdes journées + Elle frôlait de lèvres pâmées + Les seins roses, les blanches épaules. + + Le choeur estival des femmes nues + Plus doux que le chant des tourterelles + Propageait parmi les roseaux grêles + Le frisson de voluptés inconnues. + + Roseaux, vous clorez nos pauvres huttes. + D'autres prendront vos fragiles âmes; + Ils évoqueront les belles femmes + Avec la voix magique des flûtes. + + +_FLORÉAL_ + +LES TISSERANDS + + Notre peau s'use au fer des navettes, + Notre peau gerce à tistre la soie; + Dehors le printemps chante et flamboie: + Nous ne connaissons ni fleurs ni fêtes. + + Toujours notre front dolent s'incline + Vers le métier dès la prime aurore; + Toujours nos doigts fanés font éclore + De fraîches fleurs dans l'étoffe fine. + + Et sur le linceul et sur les langes + Des empereurs porphyrogénètes + Nous entrelaçons les fauves bêtes + Qui rôdent dans nos songes étranges. + + +_THERMIDOR_ + +LES MARINS + + Nous avons dompté les mers funèbres + Et vaincu leurs gueules forcenées: + La lèpre mord nos mains décharnées + Ronge la moelle de nos vertèbres. + + En vain le soleil d'été rayonne: + Car nous nous traînons dans les venelles, + Grelottant de fièvres éternelles, + Et sur nos os la laine frissonne. + + Cependant nous portions dans la cale + La poudre d'or et les aromates + Et de souples filles aux chairs mates + Mûres de lumière orientale. + + + + +LA DOULEUR A CRIÉ + + +L'HOMME + + La douleur a crié du fond des belles heures. + + Les roses du jardin, le parfum que tu fleures + L'opulente senteur de l'été triomphant + S'évanouit; le meurtre souffle avec le vent: + La douleur a crié du fond des belles heures. + + + Pantelante, Andromède agonise à jamais. + + Un suprême baiser aux lèvres que j'aimais, + Et dans le rouge soir je brandirai l'épée, + Puisque hors du verger calme, Cassiopée, + Pantelante, Andromède agonise à jamais + + + Mais l'invincible orgueil vit dans les treize étoiles. + + Si la tempête hurle et lacère les voiles, + J'attends sans peur l'assaut des vagues et des cieux; + Les astres immortels réconfortent mes yeux + Et l'invincible orgueil vit dans les treize étoiles. + + + + +LA GLOIRE DU VERBE + + + + +LA GLOIRE DU VERBE + +_A CAMILLE BLOCH_ + + + + +LA GLOIRE DU VERBE + + +I + + Une nuit langoureuse et sereine enveloppe + D'un cercle de lapis ouvré de roses d'or + Les barques, essaim las de cygnes sans essor, + Les palmiers, les canaux, les plaines et Canope; + + Et des flambeaux pareils à des soleils couchants + Illuminent la soie et les gemmes persanes. + Tandis qu'au rire aigu des jeunes courtisanes + Les nefs, lourdes d'amour, glissent avec des chants. + + Les esclaves courbés effleurent de leurs rames + Les papyrus géants teints de brèves clartés + Et l'eau lente roulant des flots de voluptés + Où se mirent les yeux et les seins nus des femmes. + + Mais non loin, sourd au bruit sacrilège que font + Les voix des matelots, les flûtes et les harpes + Le guérisseur voilé de ses triples écharpes + Ossar-Hapi sommeille en son temple profond; + + Et de vagues lueurs éparses sur les dalles + Eclairent tristement de leurs reflets confus + Les suppliants couchés auprès des grêles fûts + En un fétide amas de chairs et de sandales. + + Seul debout dans sa force et sa beauté, parmi + Les pèlerins perclus de maux, rongés d'ulcères, + Mais tel que le géant déchiré par les serres + Du vautour, un Hellène orgueilleux et blêmi + + Evoque sans trembler le prince du mystère: + «O maître, hôte caché du sanctuaire, ô Roi, + Vierge d'étonnement puéril et d'effroi, + J'ai connu tous les dieux du ciel et de la terre, + + Atroces et cléments, magnifiques et laids + Et j'ai prié selon l'ordonnance des rites + Près du fleuve farouche où chantent les lychnites + Dans la splendeur des clairs de lune violets + + Et là-bas, où les daims paissent la mousse rase + Sous les neiges de la fabuleuse Thulé, + J'ai lu le sort écrit dans l'azur constellé + Par les nuits qu'une aurore inoubliable embrase; + + Mais nul n'a dit le mot que j'ai cherché longtemps + Et qui me guérirait des angoisses de l'âme: + Parle, sinon la mort prochaine me réclame + Et l'horreur d'ignorer me consume: j'attends.» + + +II + + Alors des profondeurs et des ténèbres saintes + Comme un jeune soleil sort des gouffres marins, + Blanche, laissant couler des épaules aux reins + Ses cheveux où nageaient de pâles hyacinthes, + + Une femme surgit: son manteau radieux + Revêtait son beau corps d'une pourpre vivante; + Des abîmes d'amour, de joie et d'épouvante + Où sombrerait l'esprit des hommes et des dieux + + S'ouvraient terriblement dans ses larges prunelles + Et les villes, les champs, les cimes, les déserts, + La mer prodigieuse et l'infini des airs + Semblaient se réfléchir et disparaître en elles; + + Et lorsqu'elle parla, son ineffable voix + Unissait aux échos des lyres et des sistres + Le souffle des baisers et les râles sinistres + De la haine et le bruit des vagues et des bois: + + «Marcheur pensif, enfant prédestiné qui nies + Les songes et l'espoir de ton coeur puéril, + Tu vas, émerveillé des floraisons d'avril + Et des soirs frissonnant de calmes harmonies; + + Tu regardes avec des tendresses d'amant + Les nuages légers ouvrir leurs ailes closes + A l'aube, et comme un vol de flamants blancs et roses + S'élever dans les champs du ciel éperdument; + + Volontaire captif de l'éternelle Omphale + Tu parles bas aux Vierges chastes et tu sais + Faire chanter aux corps ardemment enlacés + Des hymnes inouïs d'impudeur triomphale; + + Ton esprit altéré de désirs immortels + Epuiserait encor la coupe des prières, + Ta parole dément tes attitudes fières + Et tu t'es prosterné devant tous les autels. + + Mais toujours au milieu de tes extases vaines + Le mensonge des dieux et des lèvres te point + Et tu verses, déçu d'aimer ce qui n'est point, + Tous les pleurs de tes yeux et le sang de tes veines. + + Si tu n'étreins que des chimères, si tu bois + L'enivrement de vins illusoires, qu'importe? + Le soleil meurt, la foule imaginaire est morte + Mais le monde subsiste en ta seule âme: vois! + + Les jours se sont fanés comme des roses brèves, + Mais ton Verbe a créé le mirage où tu vis + Et je nais à tes yeux de tes regards ravis + Et je garde à jamais la gloire de tes rêves.» + + La forme s'effaça, la parole se tut, + Et délivré du poids antérieur des chaînes, + L'homme plana plus haut que les heures prochaines + Et comme tout, canaux, cité, temple abattu + + S'enfonçait lentement dans la brume amassée + Sur le fond ténébreux des êtres et des temps, + Pure clarté, pistils de rayons éclatants, + Il vit s'épanouir la fleur de sa pensée. + + + + +LES MYTHES + +_A MARCEL COLLIÈRE._ + + + + +L'AVENTURIER + +_A Charles Andler._ + + + Là-haut, temple ou palais dressé sur la colline, + Un amoncellement de blocs prodigieux + Monte: des chiens de bronze aux yeux de cornaline + Hurlent aux quatre vents, la gueule vers les cieux. + + Les murs massifs, coupes de portes métalliques, + Sont écaillés de cuivre et peints de vermillon; + Au faîte, le soleil frappe de feux obliques + Un étendard taillé dans la peau d'un lion. + + Pacifiques, devant la demeure farouche, + Des rosiers rouges et des lys parent le bois + Où passe, inoffensive aux roses qu'elle touche, + L'enfant belle à dompter les héros et les rois. + + Le calme lumineux du jour mourant caresse + L'enfant grave: elle glisse entre les nobles fleurs + Avec des gestes lents d'idole ou de prêtresse + Qui n'a jamais connu le rire ni les pleurs. + + Elle va, contemplant de ses larges prunelles + Les vagues de forêts qui ferment l'horizon + Et le val où le soir vêt d'ombres solennelles + Le maître hérissé d'une horrible toison. + + C'est son père, tueur de boeufs, ployeur de chênes; + Embusqué tel qu'un fauve aux aguets, il attend + Les voyageurs qui vont vers les cités prochaines + Et fait craquer leurs os en ses doigts de Titan. + + Puis il revient, tranquille, après chaque tuerie, + Courbé sous le butin comme un roi triomphant, + Et tandis que les morts saignent dans la prairie + Suspend de lourds colliers au cou de son enfant. + + Maintenant une nuit de lune, froide et claire, + Découpe le profil des monts sur les chemins; + Le meurtrier fatal, sans haine et sans colère, + Ecoute s'approcher un bruit de pas humains. + + Et voici qu'au détour de la route moussue + Apparaît, radieux sous l'armure qui luit, + Un guerrier casqué d'or qui porte une massue + Et dont le manteau rouge illumine la nuit. + + Le Tueur, allongé dans la broussaille, épie + Le Héros dédaigneux en marche vers la mort; + Mais celui-ci, clamant vers la muraille impie, + Réveille les échos de la forêt qui dort: + + «Je suis venu; hors du repaire, ô vainqueur d'hommes! + Si tu fuis devant moi je dirai que tu mens; + Mais tu mériteras le nom dont tu te nommes + Si tu peux m'étouffer dans tes embrassements.» + + --«Soit! ta bouche saura la saveur de la terre.» + Et l'antique lutteur se dresse avec ennui + Pour écraser d'un coup de poing et faire taire + L'éphèbe injurieux qui parla devant lui. + + Ils se prennent, poitrine unie et chair mêlée, + Groupe tumultueux de râles et de cris: + L'enfant calme regarde, au fond de la vallée, + Le meurtre habituel du haut des monts fleuris. + + Elle voit seulement se mouvoir dans la plaine + L'ombre du double corps et des torses jumeaux + Et sûre du vainqueur, s'enivre avec l'haleine + Des parfums langoureux épars sous les rameaux. + + Mais tout à coup, après une clameur sauvage, + Ses impassibles yeux se ferment de terreur: + Comme un boeuf abattu dans le natal herbage, + L'invincible est couché sous le jeune lutteur. + + Et le guerrier sanglant, par les pentes ardues, + Monte vers le jardin: «Vous serez apaisés, + O morts, je vengerai vos âmes éperdues + Et la victime est belle et vierge de baisers. + + O morts, je vais tuer dans la Fille maudite + Les exécrables fils qui naîtraient de ses flancs.» + Il dit et vient, hagard du meurtre qu'il médite + Et l'Enfant parle aux fleurs et tend ses bras tremblants: + + «L'Homme vous briserait avec ses mains brutales, + Roses que je laissais fleurir et défleurir; + Un arome puissant monte de vos pétales, + Vos parfums sont trop doux pour que j'aime à mourir. + + Ma chair frissonne; sauvez-moi, fleurs protectrices. + O lys, lys glorieux que je n'ai pas cueillis, + Je voudrais me cacher dans vos étroits calices + Et refermer sur nous le voile des taillis. + + Au moins, versez en moi vos senteurs: que j'emporte + Dans le morne pays vos baumes précieux, + O fleurs qui renaîtrez lorsque je serai morte, + Fleurs, éternelles fleurs, fleurs égales aux dieux!» + + Elle murmure encor des mots et des prières + Mais le vainqueur, surgi des âpres escaliers, + Traîne par les cheveux l'Enfant dans les clairières + Et fait boire son sang aux roses des halliers. + + «J'ai tué le Brigand et la Magicienne, + L'oeuvre est bonne: luisez sur ma route, astres purs!» + Et l'Ephèbe drapé dans la pourpre ancienne, + Se hâte dans la nuit vers les monstres futurs. + + + + +LE BOIS SACRÉ + +_A Lucien Lévy_ + + +I + + Resplendissante, au pied du mont mystérieux, + La troupe formidable et blonde des guerrières + Gardait, la lance au poing, les farouches clairières + Et la forêt terrible où sommeillent les dieux. + + Et tous venaient vers la ténébreuse vallée + Sous les casques de bronze et les boucliers ronds, + Vêtus de fer et d'or par de bons forgerons, + Tous les héros épris de gloire inviolée. + + Frappant le ciel muet de sauvages clameurs, + Tous par les nuits, par les matins, par les vesprées, + Ils venaient au galop des licornes cabrées: + «Nous verrons votre face, exécrables semeurs + + Des désirs, des baisers et des larmes humaines; + O voyageurs hagards qui hurlez dans le vent, + Nos bras étoufferont votre souffle vivant + Et nous tuerons en vous nos amours et nos haines. + + Si vous ne craignez pas nos glaives, approchez: + Votre rire cruel insulte à nos misères. + O vautours, nous irons vous prendre dans vos aires, + O loups, nous forcerons vos repaires cachés!» + + Tous se ruaient: là-haut, sous les sombres ramures, + Les calmes dieux semblaient immobiles et sourds. + Mais brandis par les mains des guerrières, toujours + Les javelots stridents vibraient sur les armures. + + Et les héros, vainqueurs de monstres, les tueurs + Des dragons enflammés, des hydres et des stryges + Roulaient honteusement broyés sous les quadriges. + Leurs yeux mi-clos rougis de mourantes lueurs + + Convoitaient les seins nus des prêtresses complices + Qui, méprisant leurs cris et leurs râles derniers, + Joyeuses, bondissaient sur les rauques charniers + Et tendaient vers le ciel leurs mains triomphatrices. + + +II + + Or le tumulte des batailles, ce jour-là, + Se tut comme la mer pendant les accalmies. + Sur les corps mutilés et sur les chairs blêmies + Le flot d'une ineffable aurore s'étala. + + Un grave chant porté par le souffle des brises + Montait de l'Orient lumineux et charmait, + Épars autour des bois et du divin sommet, + Le coeur moins furieux des guerrières surprises: + + Et l'Aède parut couronné de cyprès; + Sa lyre se voilait de tristes asphodèles + Et douloureusement les cordes immortelles + Pleuraient un chant d'amour, de deuil et de regrets. + + «M'entends-tu dans le noir abîme, ô chère morte, + Irrévocable fleur qu'un vent cruel emporte? + + O lumière, comme une étoile qui s'enfuit, + Ne briseras-tu pas les chaînes de la nuit? + + O soeur des soirs taillés dans de larges opales, + Où sont tes cheveux d'ombre, où sont tes lèvres pâles? + + Vous qui l'avez ravie, ô dieux, je viens à vous, + Rendez l'épouse absente aux baisers de l'époux. + + Je vous ai célébrés dans mes strophes pieuses, + O maîtres qui siégez aux cimes merveilleuses: + + Mais les rhythmes naissaient de ses rires: rouvrez + Les sources de l'amour et des hymnes sacrés.» + + Les guerrières des dieux écoutaient comme en rêve + Le doux profanateur en marche vers les bois, + Il passa; les chevaux s'écartaient à sa voix + Et sa chair dédaignait la morsure du glaive. + + Autour de lui, le vol des flèches susurrait + Comme un essaim vaincu d'abeilles bienveillantes + Et sans ouïr les cris des vierges effrayantes + L'Aède pacifique entra dans la forêt. + + +III + + Éperdument, par les silencieuses sentes, + Il allait; ses regards épiaient les fourrés + Taciturnes: sous les rameaux enchevêtrés, + Nulle apparition de chairs éblouissantes. + + L'ombre informe, le noir silence, des parfums + Sauvages d'herbe fraîche et de fleurs surannées + Et, confondue avec les sèves déchaînées, + L'innombrable senteur des automnes défunts. + + Il allait; nulle voix effroyable ou charmante + Ne répondait, nul bruit de fête ou de combats: + Seul, dans les antres, sous le ciel, ici, là-bas, + Le frisson fauve de la terre qui fermente. + + Semblables au monceau des feuilles sous ses pas, + Ses rêves, ses douleurs, ses pensées + Tombaient en tournoyant dans les bises glacées + Et l'Aède comprit que les dieux n'étaient pas. + + Il perdit, se vouant aux stupides épées, + L'orgueil d'être vaincu par un maître inclément, + Comme les héros morts frappés en blasphémant + Ivres d'un puissant vin de gloire et d'épopées. + + Et dépouillé du fier rêve des dieux jaloux, + Il brisa pour jamais les cordes tutélaires + Et descendit vers les clameurs et les colères, + Ainsi qu'un chasseur las se livre aux crocs des loups. + + +IV + + L'homme fut déchiré par les vierges sanglantes; + La bouche d'où sortaient les paroles de miel + Se tut. La nuit sereine enveloppa le ciel + Et recouvrit les morts d'ombres indifférentes, + + Tandis que défendant le mont mystérieux + La troupe formidable et blonde des guerrières + Gardait, la lance au poing, les farouches clairières + Où triomphe toujours le mensonge des dieux. + + + + +LES CAPTIFS + +_A Leconte de Lisle._ + + +I + + Un sage, descendant de cimes inconnues, + S'en allait autrefois par le pays d'Assour, + Et la mystérieuse aurore d'un grand jour + Empourprait, à sa voix, le jardin blanc des nues. + + Les peuples le suivaient et ne comprenaient pas + Quels dieux, accompagnant la marche du prophète, + Candidement semaient dans les villes en fête + Des lys miraculeux et calmes sous ses pas. + + Mais tous buvaient le miel divin de ses paroles, + Le miel fait de parfums et de baumes puissants, + Forts comme la senteur éparse de l'encens, + Doux comme la senteur éparse des corolles. + + Pour s'enivrer des mots que sa bouche versait, + Les laboureurs quittaient le manche des charrues, + Et parmi la clameur des foules accourues + Le Voyant pacifique et sublime passait. + + Désormais, dédaigneux des apparences brèves + Et des illusions passagères, fermant + Leurs yeux purifiés à la clarté qui ment, + Les hommes ouvraient l'âme à la splendeur des rêves. + + +II + + Le roi, las des lions traqués dans les filets, + Las des buffles saignant sous la grêle des flèches, + Las des femmes aux chairs odorantes et fraîches + Fit amener vers lui cet homme en son palais: + + «Vieillard, évocateur des merveilles du songe, + «Jongleur qui fais surgir devant les yeux humains, + «Dans la poussière impure et vile des chemins, + «Des visions de paix, de gloire et de mensonge, + + «Vieillard, évocateur des merveilles du ciel, + «Toi qui règnes, là-bas, au pays du mystère, + «Mon coeur royal déçu par l'horreur de la terre + «Aspire à la beauté du monde essentiel. + + «Tel que le cri plaintif des tigres dans les fosses + «Vient à nous à travers les cloisons de la nuit, + «J'entends sourdre en moi-même un lamentable bruit + «Malgré le mur d'airain des apparences fausses. + + «O vieillard, fais tomber les mauvaises cloisons, + «Montre-moi la campagne et les arbres des plaines + «Et les fleuves d'azur roulant à vagues pleines + «Vers le gouffre sans fin des vierges horizons.» + + Mais l'homme d'une voix tranquille: «Que t'importe, + «O roi des rois, seigneur des mondes, fils des dieux, + «Qui marches revêtu de pourpre et radieux, + «La rumeur entendue au delà de la porte? + + «O maître, que veux-tu de la terre et des cieux? + «Si je t'ouvre la source antique de la vie, + «Je n'apaiserai pas ta soif inassouvie, + «Et ton esprit d'orgueil n'en croira point tes yeux!» + + --«Voilà beaucoup de mots inutiles, prends garde: + «Ta tête pourrait choir d'un coup prématuré.» + Et l'homme répondit: «C'est bien. J'obéirai: + «Roi qui veux voir le fond de l'abîme, regarde.» + + Hors du temps, hors du lieu, faite de pur granit, + Enserrant l'univers de ses noires murailles, + Rauque d'un monstrueux râle de funérailles, + Une immense prison montait dans l'infini. + + Au milieu de la geôle effroyable, les villes + S'étageaient sous le deuil des cieux; un flamboiement + D'astres sombres luisait épouvantablement + Sur les rois, sur les dieux, sur les foules serviles. + + Mais une lueur d'aube emperlait l'Orient + De magiques rayons et d'étincelles blondes: + Les hommes nés depuis la naissance des mondes + Se ruaient vers l'espoir du soleil, en criant. + + Ils allaient, éperdus et fauves; les armées + Se heurtaient sous le vol sinistre des vautours; + Et les blocs de rochers pleuvaient des hautes tours, + Et les ailes du feu nageaient dans les fumées. + + Les chefs vainqueurs, avant le rouge lendemain, + Offraient aux dieux d'en-haut les victimes tuées + Et dressaient vers la cime errante des nuées + Des palais effrayants tendus de cuir humain. + + Sourds aux tumultes, sourds aux luttes, mains unies, + Regards ravis d'extase et d'éblouissements, + Des couples enlacés de femmes et d'amants + Passaient, dans un concert de tendres harmonies: + + Des pétales de fleurs apportés par le vent + Tourbillonnaient vers eux dans l'ombre des yeuses: + Et tous, couples d'amour et hordes furieuses, + Marchaient, marchaient toujours vers le soleil levant. + + Mais l'aube désirée et les futures gloires + De clartés décevaient leurs risibles efforts, + Et mourant vainement pour renaître, les morts + Poursuivaient à nouveau les astres illusoires. + + La même nuit baignait l'éternel horizon, + Et de ceux qui vaguaient dans la geôle des choses + Et tâchaient à s'enfuir de leurs cavernes closes, + Aucun ne s'évadait de la morne prison. + + Seuls, les sages tuaient la volonté de vivre. + Aveugles aux lueurs que nul ne peut saisir, + Ils gagnaient, affranchis des chaînes du désir, + Le néant ineffable et la mort qui délivre. + + Bienheureux qui savaient la fatigue des pas, + Bienheureux qui savaient le mirage des astres, + Bienheureux qui savaient la vie et les désastres: + Ils s'endormaient un jour et ne renaissaient pas. + + +III + + «La vision, vieillard, est morne et ridicule: + «Tu mourras.» Et le roi Nabou-Koudour-Oussour, + Très juste, fit clouer au faîte d'une tour + La tête qui saignait dans l'or du crépuscule. + + + + +LES YEUX D'HÉLÈNE + +_A Marcel Proust._ + + Qualis maternis Helene jam digna palestris, + Inter amyclaeos reptabat candida fratres. + +(P. STATIUS.) + + + La native blancheur du cygne paternel. + Vêt de neige le corps adorable d'Hélène, + Et l'eau du fleuve bleu qui glisse dans la plaine + Baigne ses yeux d'enfant profonds comme le ciel. + + Elle va: ses regards de déesse ingénue + Que jamais la tristesse impure n'a troublés + Errent nonchalamment sur les flots blonds des blés, + Et les hommes pensifs tremblent à sa venue. + + Elle évoque l'horreur future des destins + Et verse le frisson des luttes fatidiques + Aux guerriers à venir assis sous les portiques, + Dont les yeux éblouis suivent ses pas lointains. + + L'effroi religieux issu de ses prunelles + Ardentes d'incendie et de fauves clartés + Saisit étrangement les coeurs épouvantés + Et pleins de visions sombres et solennelles. + + Passe, vierge terrible au col souple et nerveux: + L'inexpiable sang pour les siècles macule + Ton front clair comme un jour d'été sans crépuscule + Et la mort des héros surgit de tes cheveux. + + Passe, reine d'amour, semeuse de désastres, + Dans ta robe de gloire et de sérénité, + Et vois fleurir les deuils autour de ta beauté, + Sous tes regards pareils aux rayons froids des astres. + + Tu brilles dans la nuit des âges révolus + Et les derniers amants des formes triomphales + Contemplent au delà de l'ombre et des rafales + Tes yeux dont la splendeur ne s'abolira plus. + + + + +SCHAOUL + +_A Rodolphe Darzens._ + + +I + + En ces jours, Elohim lui refusant son ombre, + Schaoul, enfant de Qisch, était semblable au mort + Délaissé, que la dent des bêtes fauves mord, + Et les esprits du mal rongeaient son âme sombre. + + Il errait à travers les routes d'Israël + Poursuivi sans repos par la meute tenace + Et d'âpres aboiements de haine et de menace + Hurlaient autour de lui dans l'abîme du ciel. + + Rien ne transfigurait ses mornes destinées. + Nulle trêve: ni les paroles des nabis + Ni la chair des béliers ni la chair des brebis + N'écartaient de son coeur les gueules forcenées. + + Et même dans la fête héroïque du sang, + Quand les vaincus, après les sauvages victoires, + Montaient vers le Très-Haut en feux expiatoires, + Les crocs inassouvis lui déchiraient le flanc. + + Alors on fit venir vers le roi taciturne + David de Bethléem, le joueur de kinnor, + Dont l'incantation charmait les astres d'or + Tandis que ses troupeaux paissaient l'herbe nocturne, + + Et comme les chacals rentrent aux creux des monts + Quand le veneur paraît sur les rocs granitiques, + Mêlant sa voix d'enfant aux cordes prophétiques + David, plein d'Iahveh, chassa les noirs démons. + + +II + + Homme, Schaoul des temps infinis, saigne et pleure: + Les carnassiers hideux suivent sur ton chemin + La trace de tes pas, hier, aujourd'hui, demain, + Toujours: le changement de la forme et de l'heure + + N'écartera jamais la horde des ennuis + Et tu te traîneras dans l'horreur sans limite + Sans ouïr le Kinnor et le Bethléémite + Qui te ferait des jours pareils aux belles nuits. + + + + +RESSOUVENIR + +_A Mario de la Tour de Saint-Ygest._ + + + Cet homme était venu vers le Maître des pleurs + Oubliant pour le Christ les lyres et les roses, + Comme un vendangeur las qui de ses mains décloses + Laisse choir les raisins et les grappes de fleurs. + + Il avait délaissé pour les routes d'épines + Les portiques de marbre auprès des flots marins. + Sous le cilice dur qui lui mordait les reins, + Il marchait loin du jour vers les ombres divines. + + Or il vivait au fond des bois mystérieux, + Suivi par un troupeau de bêtes familières, + Et des oiseaux volaient autour de ses prières + Et des rêves de ciel illuminaient ses yeux. + + Mais toujours, tel qu'un vol blond d'abeilles essaime + Et retourne en vibrant aux ruches d'autrefois, + Par les soirs langoureux chargés des douces voix + Et des parfums charnels que le Mauvais y sème, + + Son âme s'envolait vers les jours révolus: + L'ancien verbe d'amour caché dans l'Évangile + Faisait fleurir au bois les nymphes de Virgile + Et des faunes lascifs montraient leurs fronts velus. + + + + +GOETTERDAEMMERUNG + +_A la comtesse Jane._ + + Heil siegendes Licht. + + + Siegfried, astre évadé des ombres transitoires, + Soleil épanoui dans l'azur de la mort, + Avec ta chair, la gloire humaine de l'effort, + S'abîmait dans le deuil des suprêmes victoires. + + Mais tels que le granit usé des promontoires, + Que l'assaut de la mer tempétueuse mord, + Les dieux irradiant dans les glaces du Nord + Attendaient lâchement les jours expiatoires. + + Le héros, sur les fleurs sanglantes du bûcher, + Semblait sortir des couchants mornes et marcher + Dans l'auréole d'or des flammes triomphales. + + Tandis qu'en un torrent de splendeur et de bruit, + Flagellé par le vol sinistre des rafales, + Le Palais merveilleux s'écroulait dans la nuit. + + + + +LA FILLE AUX MAINS COUPÉES + +MYSTÈRE + +_A Maurice Peyrol._ + + +_PERSONNAGES_ + + LA JEUNE FILLE. + LE POÈTE. + LE CHOEUR D'ANGES. + LE PÈRE. + LE SERVITEUR. + +_L'action se passe n'importe où et plutôt au moyen âge._ + +Dans la chambre silencieuse, où flotte par les vitraux glauques la soie +resplendissante de l'aurore, LA JEUNE FILLE est agenouillée et prie en +sa blancheur adorable de lys. + +Le large bliaud damassé, broché de calices d'argent, qui neige sur sa +poitrine et l'étoile, est à peine agité par le souffle du corps pâle +sculpté dans un marbre vivant. + +Elle lit dans le lourd missel incrusté de joailleries, mais d'une voix +si basse qu'elle semble un frôlement somptueux d'étoffes que froissent +dans l'éther des princesses lointaines. + +Elle laisse tomber le livre et les yeux tournés vers un Christ exsangue +sur un ciel ensanglanté, elle clôt ses lèvres entr'ouvertes et se prend +à prier des rêves sans paroles. + + O Jésus, écartez les griffes du Malin. + + Les anges de saphir dorment dans le vélin; + Les graves lettres d'or pèsent aux ailes blanches; + La colombe du ciel s'englue après les branches, + Et la prière est prise au piège des versets. + + O livre, le parfum sacré que tu versais + Vaut moins, pour le Sauveur et pour ses mains percées, + Que l'inappréciable encens de mes pensées. + + Mon bien-aimé, mêlés à vos élus divins, + Mes rêves purs, avec le choeur des Séraphins, + Allégés du fardeau des paroles antiques, + Mes rêves ont chanté plus haut que les cantiques; + Et quand mon âme, un jour, s'évadera du corps, + Je volerai dans les Splendeurs et les Accords + Faits de flamme subtile et de claire harmonie, + Et je rayonnerai dans la gloire infinie, + Autour du front terrible et charmant de l'Époux. + + O monde, ô vie, ô sens, évanouissez-vous! + Car, là-haut, par delà les ténèbres premières, + Dans l'éclat des concerts et la voix des lumières, + Impérissable, dans le nimbe de l'Amant, + La chair immaculée arde éternellement. + +Baignée d'une musique surhumaine, elle entend comme en elle-même: + +UN CHOEUR D'ANGES + + Enfant, les cieux songés, blancs de lys et de vierges + Plus blêmes que la cire odorante des cierges, + Et les jardins semés d'étoiles, les sommets + D'hermine chaste et de candeurs impolluées + Mirés aux lacs où vont les cygnes des nuées, + Enfant, les cieux songés seraient clos à jamais. + + Arrière, le troupeau neigeux d'immaculées! + Vers l'amoncellement des glaces reculées, + Les rouges Kéroubim vous repoussent du seuil + Eblouissant: les crins de votre âpre cilice + Vous sont une moelleuse et royale pelisse: + Votre virginité n'est ivre que d'orgueil. + + Arrière! le blé mur épars des Madeleines, + Epars sur les pieds nus avec les urnes pleines, + Brûle seul dans la sainte auréole de feu. + Dans le brasier de Christ, avivé de colères, + Vous fondriez, ô froides fleurs des soirs polaires, + Qui ne parfumez pas les hommes avant Dieu. + + Lorsque le Rédempteur eut brisé les statues + D'autrefois, parmi les colonnes abattues, + Il laissa reverdir, seul d'entre les Maudits, + Erôs, et lui donna pour royaume la Terre: + Immortelle, la soif des lèvres vous altère, + Et l'enfer des baisers vaut notre paradis. + + Va! l'Olympe aboli revit dans votre race; + La meute des désirs vous poursuit à la trace, + Et vous n'évitez pas les flèches de l'Archer. + Prends garde d'oublier les cieux songés, ô vierge: + L'amour à l'horizon de ta jeunesse émerge; + J'ai vu, dans l'Orient, l'invincible marcher. + +LA JEUNE FILLE éperdue des paroles ouies et béante d'horreur mystique +invoque, en balbutiant, Madame Marie qui sourit, doucement couronnée +d'astres, au fond d'une fresque byzantine, et des cimes de l'azur tend +les mains vers un vol d'âmes en peine: VENITE AD ME DILECTÆ MEÆ. + + Je ne sais plus si c'est mon rêve que j'écoute, + Ou si la source en moi s'infiltre goutte à goutte + Qui ruisselle des luths et des psaltérions, + Et si j'entends le Diable ou les Anges. Prions. + + Tueuse du serpent. Reine du bleu stellaire, + Le dérobeur d'épis maraude autour de l'aire: + Le voleur d'âmes vient des abîmes et fuit: + Chassez le tentateur et le rôdeur de nuit. + +Tandis que s'égrènent les litanies, un fracas assourdi d'armures +irradiées glisse lentement, entre les tentures héroïques où +s'enchevêtrent de furieuses mêlées. + +LA JEUNE FILLE, éveillée en sursaut des prières, se lève frissonnante +vers SON PÈRE et le guerrier convulsif brûle ses mains de caresses, de +caresses incestueuses et brutales. + +Et l'enfant hurlante s'arrache des baisers sacrilèges. Elle va jusqu'à +la grand salle où LE SERVITEUR courbé fourbit les larges glaives et les +panoplies. + +LA JEUNE FILLE + + Vieillard, j'ai ma pensée entière. Prends l'épée + De justice, l'épée infaillible, trempée + Sept fois dans le Saint-Chrême et le feu baptismal + Et que ne souille pas, comme l'homme, le Mal + + Originel. Saisis la Purificatrice + --Si ton bras est rongé d'ulcères, qu'il périsse! + A dit le Maître dont m'attendent les hymens;-- + Et lave aux flots d'acier rougi, tranche mes mains! + +LE SERVITEUR + + O ma fille, vos mains sont des corolles fines; + Vos mains sont un bouquet de jeunes aubépines; + L'haleine du printemps souffle de votre chair: + Je ne moissonne pas les fleurs avec le fer. + Vous délirez. + +LA JEUNE FILLE + + Tais-toi; l'ulcère des caresses + Inexpiables, mord ma chair et fond mes graisses. + Obéis, sans l'horreur mortelle des aveux: + L'effroi te briserait les oreilles. + +La main levée en un geste terrible: + + Je veux. + +Et la volontaire martyre pose sans trembler ses mains jaillissant des +manches sur une table de porphyre aux mosaïques de chimères. + +Ses yeux fixes ne clignent pas à l'éclat bleu du glaive brusque +s'abattant, qui verse aux bêtes héraldiques des gouttes soudaines de +pourpre. + +Et, brandissant dans la pénombre les deux torches jumelles des bras +mutilés, elle fait prendre une aiguière de cristal enchemisé d'or. + +Epouvantable et radieux, un double nénuphar aux tiges d'écarlate flotte +dans une écume rose de grappes d'Orient foulées. + + Oh! le vase lustral où l'âme se lava! + Va-t'en porter l'aiguière à mon bon père. Va. + + +II + +Maintenant une foule confuse bruit près de la mer flagellée par le vent +du Nord. Dans une frêle nef, sans rames ni voilure, LE PÈRE a fait +étendre LA JEUNE FILLE surnaturelle, enveloppée dans un linceul de lin +grossier. Elle regarde obstinément le ciel d'orage. + +LE PÈRE + + Ma fille, vos péchés, commis dans ma maison, + Ont fait s'enfuir les tourterelles du blason. + Endormis dans la nuit tombale, clos en elle, + Les morts ont tressailli de votre ardeur charnelle. + Donc je dois, réprimant pleurs lâches et sanglots, + Vous confier, vivante, à la douceur des flots. + Nous prierons, gens des bourgs et manants de campagne, + Afin que la bonté de Dieu vous accompagne. + Allez! au nom de la Très Sainte Trinité, + Et que Jésus vous prenne en votre éternité. + +Mais la barque n'est pas engloutie par les gueules fauves de l'abîme. +Elle s'efface, poussée par les haleines pacificatrices d'invisibles +archanges. + +Les gerbes fauchées des houles vertes dorment sous un soleil d'accalmie, +et LA JEUNE FILLE, affranchie par l'extase, contemple des visions vagues +et des formes. + + Dans le lilas de leurs rosaces vespérales, + Je vois s'épanouir, là-haut, des cathédrales. + + Une poussière d'astre irise les parvis + Et les arceaux sortent des dalles de rubis. + + Dans l'espace des nefs sans limites, lamées + D'azur, des encensoirs effeuillent des fumées. + + Dans le frisson de leurs échos multipliés, + Des sons inentendus ébranlent les piliers. + + Le voile rejeté d'un fulgurant coup d'aile, + Le Tabernacle inaccessible se révèle. + + Et lorsque l'Ostensoir éphémère me luit, + La robe du soleil semble teinte de nuit. + + Seigneur Dieu, l'appétit des vagues me réclame, + L'aumône de mon corps est faite. Cueillez l'âme. + +Dans son ravissement mystique, LA JEUNE FILLE se croit morte. Serait-ce +que la barque aborde aux rives vertigineuses du Paradis, où des couples +célestes glissent dans une aube d'opales fluides? + +Elle regarde émerveillée, sous une étoffe de la lumière, au lieu des +tronçons effroyables, la fraîcheur blonde de ses mains ressuscitées et +d'où s'exhale une senteur de ruches prochaines et de miel. + +Des enfants, vêtus de tuniques multicolores et légères, lui font un +triomphal cortège et, prise dans des rets de charmes surhumains, elle +marche au milieu des hymnes étranges. Hymen! Hymenaee! + +Hymen! Hymen! Hymenaee! Au faîte des monts d'hyacinthe un palais de +prodige monte, marmoréen, vers les nuages violets. Elle gravit les +escaliers, gardés par des sphinges immobiles. + +Hymen! Hymen! Hymenaee! Au seuil glorieux des demeures, souriant +idéalement dans l'ombre dénouée de sa chevelure, LE POÈTE-ROI vient vers +elle sous son manteau de pourpre lyrique. + +Et les enfants ont disparu; dans une salle de féerie, portée par des +cariatides, sur l'or roux, des lions tués, LA JEUNE FILLE s'abandonne à +la volupté des caresses. Hymen! O hymen! + +LA JEUNE FILLE + + Doux initiateur de l'âme en quelle sphère + Plus lointaine, Jésus, l'Esprit, et Dieu le Père, + Dans leur unité triple, infinis et sereins, + Attendent-ils le choeur des élus, pèlerins + Joyeux et jamais las d'un Temple que j'ignore, + Qui s'envolent de l'ombre ancienne vers l'Aurore. + Emmène-moi par les Edens et les Sions, + Toi qui sais les chemins de constellations. + +LE POÈTE-ROI saisit la grande Lyre et, sous le plectre, les cordes de +brebis vibrent dans l'écaille de tortue transparente. + + Avant la Terre, avant les Jours et les années, + L'Immuable a pétri nos chairs prédestinées. + + J'ai trompé mon ennui par la lyre, et j'attends + Tes seins qui m'appelaient de l'abîme des temps, + + Et mes yeux, emperlés d'une angoisse inconnue, + Mes yeux cherchaient tes yeux nocturnes dans la nue. + + Parfois, dans le brouillard chantant de la forêt, + Une fée illusoire éclôt et disparaît: + + Dis-moi que tu n'es pas l'ombre vaine d'un rêve, + O fille de la mer et de l'écume brève. + + Dis-moi qu'avant la tombe et nos corps révolus, + Le flot de tes baisers ne se tarira plus. + + Je ferai vivre par delà les étendues + Ton nom sanctifié dans les cordes tendues. + + Et tu vaincras par la gloire de tes beautés + Les nymphes de l'Hellas et les Divinités. + + Parle, et tu chasseras, de la mémoire humaine + La Vénus Italique et l'Anadyomène. + + Je traquerai leurs souvenirs tels que des loups, + Et Christ reconnaissant se penchera vers nous. + +LA JEUNE FILLE + + O Chanteur, je ne sais quel décevant mystère + Me rappelle du ciel entrevu vers la terre. + Ton regard me repousse et m'attire. Va-t'en, + Car je me damnerais peut-être en t'écoutant. + +Dans son indicible douleur, LE POÈTE-ROI jette la Lyre qui se brise en +un lamentable sanglot et le cri des fibres est si déchirant que LA JEUNE +FILLE tremblante d'effroi et d'amour revient vers le royal Désespéré, +comme résignée aux flammes d'une imminente géhenne. Pendant qu'ils sont +enlacés, UN CHOEUR D'ANGES, entendu jadis, effleure leurs oreilles +extasiées. + + Ecarte le conseil de tes mauvaises craintes. + Le Seigneur t'a rendu des mains pour les étreintes, + Fais à l'amant royal le don de ton orgueil. + Va! laisse le troupeau neigeux d'immaculées; + Vers l'amoncellement des glaces reculées, + Les rouges Kéroubim les repoussent du seuil. + + Aimez-vous! le blé mûr épars des Madeleines, + Epars sur les pieds nus avec les urnes pleines, + Brûle seul dans la sainte auréole de feu. + Dans le brasier de Christ, avivé de colères, + Vous fondriez, ô froides fleurs des soirs polaires, + Qui ne parfumez pas les hommes avant Dieu. + + Lorsque le Rédempteur eut brisé les statues + D'autrefois, parmi les colonnes abattues, + Il laissa reverdir, seul d'entre les Maudits, + Erôs, et lui donna pour royaume la Terre: + Immortelle, la soif des lèvres vous altère, + Et l'enfer des baisers vaut notre paradis. + + + + +LA PEUR D'AIMER + +_A José-Maria de Heredia._ + + + La Bête monstrueuse et le bon Chevalier + Ont lutté tout le jour: le dragon mort distille + Un suprême venin sur le sable infertile, + Et le triomphateur entre dans le hallier. + + Il va, les yeux hagards d'un songe familier: + Là-bas, le palais d'or miraculeux rutile + Et la princesse rêve, en sa grâce inutile, + A l'amant inconnu qui la doit éveiller. + + Mais lorsque le vainqueur de l'hydre et des licornes + Vit, après le bois sombre et les escaliers mornes, + La vierge aux cheveux blonds comme un soleil d'Avril + + Dans la jeune splendeur de sa puberté mûre, + L'angoisse de l'amour mordit son coeur viril + Et sa chair de héros trembla, sous son armure. + + + + +LE PRINCE D'AVALON + +_A Henri de Régnier._ + + + Et le prince vivait dans l'île d'Avalon. + Des parterres de fleurs caressaient ses prunelles; + Les calices des lys s'ouvraient en ce vallon + Éperdument, vers les étoiles fraternelles; + + Les paons constellés d'yeux luisaient sous les halliers + Or mobile, tremblant saphir, vivante flamme + Et les fruits mûrs pendus aux vastes espaliers + Versaient un opulent arôme de cinname, + + Tandis que, dans le parc peuplé par des sylvains + Et des faunes bordant les larges avenues, + Le clair de lune épars sur les marbres divins + Faisait étinceler la chair des nymphes nues. + + Et le prince sur la terrasse du palais + Inclinait vers le sol ses doigts chargés de bagues + Et regardait, là-bas, sous les cieux violets, + Fuir des vaisseaux fleuris par la houle des vagues. + + «Passez, je vous envie, ô frères ignorés, + Que les vents furieux emportent sur le gouffre; + Je ne la connais plus et vous la reverrez + La terre désirable où l'homme pleure et souffre. + + Je suis venu vers les rivages interdits + Pour obéir aux voix des blanches fiancées + Et mon âme succombe au poids des paradis + Ainsi que les joyaux chargent mes mains lassées. + + Pour éveiller en moi d'immortelles douleurs + Dont la mémoire accrût mes extases futures, + J'ai déchaîné des sangliers parmi les fleurs; + Mais les fleurs renaissaient plus belles et plus pures. + + J'ai voulu renverser le palais merveilleux + Et je l'ai revêtu de rouges incendies, + Mais des colonnes d'or surgissaient à mes yeux + Et portaient jusqu'au ciel les voûtes agrandies. + + Et lorsque j'ai tué la vierge que j'aimais, + Espérant rompre enfin les ineffables charmes, + L'enfant ressuscitée a vaincu pour jamais + Par des baisers plus doux ma tristesse et mes larmes. + + Pour moi, le flot des jours s'écoule vainement; + Vainement le soir tombe et l'aurore rougeoie: + Enveloppé de rêve et d'éblouissement + Je suis le prisonnier de l'immuable joie.» + + Ainsi par cette nuit d'étoiles, il parlait: + Les fourrés frissonnants brillaient de lucioles + Et le souffle embaumé de la brise mêlait + Les chansons de la mer à la voix des violes. + + + + +CELLE QU'ON FOULE + +_A Georges Duflot._ + + + C'était parmi la nuit muette, la clameur + De la Terre, clameur lamentable et farouche + De géante en travail qui se tord sur sa couche, + Rejette l'embryon sanglant, rugit et meurt. + + La formidable voix hurlait: cris d'épouvante, + Gémissements plaintifs des automnes, sanglots + Rauques de la forêt hivernale et des flots, + Rire amer et confus de la foule vivante, + + Frémissement de l'herbe et murmure des nids, + Hymne démesuré du torrent et du gouffre, + Tout ce qui parle, tout ce qui palpite et souffre + S'unissait et montait vers les cieux infinis. + + Or voici l'anathème effréné que la Terre + Jetait à travers l'ombre aux fils des nations: + «Que le troupeau vengeur des exécrations + Suive à la trace l'homme ennemi du mystère. + + Les peuples d'autrefois inclinaient leur orgueil + Devant la majesté féconde de l'ancêtre + D'où jaillit la semence et la source de l'Être + Et qui rouvre ses flancs paisibles au cercueil. + + Partout, toujours, dans les déserts hantés d'hyènes, + Dans les plaines de neige où, par soudains élans, + Bondissent des troupeaux de rennes et d'élans, + Près du pôle et dans les cryptes égyptiennes, + + Les hommes adoraient la Terre, qui porta + Dans son sein maternel, des millions d'années, + Le germe à peine éclos de vos races damnées + Et priaient à genoux Kybèle, Isis, Airtha. + + Alors au bruit des sistres d'or et des crotales, + Sereine, à travers les chemins et les cités, + De temple en temple, au pas de mes lions domptés, + J'allais les seins voilés de pourpre orientale. + + Les vierges de Hellas ployaient leur cou de lait + Au passage de la déesse vénérable + Et, telles qu'au printemps les grappes de l'érable, + Me versaient des parfums où le feu se mêlait. + + Les austères guerriers des campagnes romaines + Chantaient pieusement la nourrice Rhéa + Qui mit en eux la sève antique et les créa + Pour l'asservissement des nations humaines; + + Et les chasseurs lointains des cerfs et des aurochs, + Les braves aux yeux bleus, chevelus d'or, les Mâles + Érigeaient mes autels en face des cieux pâles + Dans les forêts tempêtueuses, sur les rocs. + + Quand la procession de mes prêtresses blanches + Précédait au printemps par les sentiers herbeux + Mon attelage lent et traîné par des boeufs + Vers les villages et les toits couverts de branches, + + Les hommes tatoués de fauve vermillon + Se courbaient et baisaient ma trace, et les épées + Rouges encore du sang et des têtes coupées + Saluaient d'un éclair la Mère du Sillon. + + O temps ancien de la Germanie et de Rome, + O temple universel des plaines et des blés + Où mon mystique époux des siècles écoulés, + Le laboureur était un prêtre auguste à l'homme: + + Le culte vénéré sombre aux flots de l'oubli: + Nul printemps, nul été, ne luit et ne ramène + Les incantations de la prière humaine + Vers les autels de mon sanctuaire aboli: + + O races chaque jour plus impures et viles, + Qui ne connaissez plus mes mystères, troupeaux + Plus barbares que vos pères vêtus de peaux, + Troupeaux qui pullulez dans vos enclos de villes, + + Vous qui fouillez avec mépris mes flancs gercés + Par les maternités innombrables; ô foule + Immonde dont le pas sacrilège me foule; + Vous qui priez des dieux que je n'ai pas bercés + + Au chant de mes forêts de bouleaux et de chênes, + Dans des lits d'herbe fraîche et des langes de fleurs, + Voici venir enfin la horde des malheurs + Fatidiques et des calamités prochaines. + + Dans un bref avenir une aube jaillira, + Ensanglantant les noirs espaces des nuées + Et par-dessus le bruit féroce des huées + Le clairon des combats ultimes sonnera; + + Sous l'oeil indifférent des sphères fraternelles, + L'horrible mer de vos haines, sinistrement + Débordera sur vous et l'épouvantement + Élargira le vol funèbre de ses ailes; + + Et les hommes saisis d'un délire fatal, + Déchaînés se rueront aux suprêmes tueries; + De l'équateur torride aux blanches Sibéries, + Ma face saignera comme un immense étal. + + O fureur indicible et sans répit! batailles + Qui durerez de l'aube au soir, pendant dix ans, + Comme le cri des flots qui heurtent les brisants, + J'entends déjà clamer les corps sous les entailles. + + Un souffle meurtrier et pestilentiel + S'exhale de la mort et des chairs refroidies + Sans linceul, tandis qu'aux lueurs des incendies + De vastes lacs de sang pourrissent sous le ciel, + + De vastes lacs de sang où, rigides et vertes, + Vont des flottes de morts convulsifs par milliers, + Où s'acharnent sans peur, repus et familiers, + Les vautours réjouis des cervelles ouvertes. + + La fièvre fait claquer les dents des survivants, + Témoins terrifiés des heures vengeresses, + Qui dans l'affolement des suprêmes détresses + Voudraient perpétuer leur race en des enfants; + + Mais ces accouplements de spectres épuisés + Ne repeupleront pas les villes et les plaines. + Mêlez-vous, unissez les corps et les haleines! + Les siècles ont tari la source des baisers. + + Les temps sont écoulés, les heures sont venues + Et nul glas solennel et lent ne tintera + Lorsque le vent indifférent emportera + Le dernier râlement de l'homme vers les nues. + + Sa mort n'éveillera ni gaîté ni regret + Dans le monde impassible et dans l'âme des choses + Qui ne s'occupent pas en leurs métamorphoses + De ce qui naît, grandit, s'efface et disparaît. + + Rien ne tressaillera dans la Nature, et seule, + Seule de toutes les étoiles, je saurai + Que mon lait a nourri jadis l'être exécré, + Le mauvais fils, l'enfant contempteur de l'aïeule! + + Comme avant l'homme impie et ses rébellions, + Libre de sa présence et de sa marche impure, + Je pourrai dénouer au vent ma chevelure + De profondes forêts où rôdent les lions; + + Et quand l'aube luira dans la fraîche rosée + Je plongerai mon corps que ses pas ont flétri. + --Et ma force renaît, ma beauté refleurit, + Et ma chair a des tons d'églantine rosée. + + O gloire des cactus de pourpre et des lys blancs, + Hautaine majesté des palmes triomphales + Que faisait onduler le souffle des rafales + Sur la virginité première de mes flancs, + + Surgissez et parez ma nouvelle jeunesse + Pour l'hymen radieux et rouge du soleil; + Tissez et déployez votre manteau vermeil + Sur ma gorge superbe et mes seins de faunesse! + + Montez dans le limpide éther, ô chants d'oiseaux: + Voici l'amour et les caresses nuptiales; + J'entends hennir au loin les cavales royales + Et des nuages fins neigent de leurs naseaux. + + Le Dieu descend du char céleste et sur ma bouche + Frissonnante, je sens sa bouche, et ses baisers + S'infiltrent lentement dans mes flancs embrasés, + Jusqu'à l'heure où le jour resplendissant se couche + + Et remonte vers le palais mystérieux, + Cependant que la main pacifique des ombres + Étale dans le ciel obscur ses voiles sombres + Et clôt divinement mes lèvres et mes yeux.» + + + + +LA VOIX IMPÉRISSABLE + +_A Catulle Mendès._ + + + Abandonné depuis des siècles fabuleux, + Un grand temple dressait sur le mont solitaire + Ses portiques de marbre et ses escaliers bleus. + + Pourpre traînant en ombre errante sur la terre, + Jardins ensanglantés de glorieuses fleurs, + Vasques d'or où l'ibis sacré se désaltère, + + Et près des bois, gemmés par la rosée en pleurs + Du collier merveilleux que l'aube sainte égrène, + Des oiseaux ignorant les rets des oiseleurs: + + Tout un monde de rêve espérait une reine + Ou le retour tardif des héros et des dieux + Disparus dans la nuit formidable et sereine. + + Fils de la neige pure et du ciel radieux, + Des cygnes indolents glissaient dans la vallée + Sur un fleuve que les lotus étoilaient d'yeux; + + Leurs corps majestueux fendait l'eau refoulée + Et parfois leur plumage illustre secouait + Autour d'eux des flocons de lumière envolée, + + Tandis qu'en un appel de deuil ou de souhait + Le cri des beaux nageurs aux ailes éployées + Montait éperdument vers le temple muet. + + Mais nul dieu revenu n'écartait les feuillées + Et nulle reine avec des rires enfantins, + Ne réveillait l'écho des verdures mouillées. + + Le vieux temple érigeait ses portiques hautains + Ainsi qu'un fier écueil d'indestructible roche + Qui défiait les flots des soirs et des matins. + + Or, flux tumultueux qui roule et qui s'accroche + En écume de flamme aux marbres effrités, + La sombre mer des jours suprêmes était proche + + Ruine des moissons et terreur des cités. + Fauves ivres du sang versé dans les cratères, + Des hordes s'en venaient vers les bois enchantés. + + Les têtes des vaincus sur la peau des panthères + Pendaient horriblement comme des raisins mûrs + Et les carquois sonnaient aux dos des sagittaires. + + Les frondeurs brandissaient leurs bras noueux et durs + Et des cavaliers nus au galop des cavales + Entrèrent en hurlant par les brèches des murs. + + Des torches consumaient de leurs pourpres rivales + Les voiles rouges et les blocs de marbre roux. + Et des gerbes de feu fusaient par intervalles. + + L'absence de vivants attisait le courroux + Des barbares frustrés de la chair des prêtresses, + Et les images d'or se brisaient sous leurs coups. + + Tel le Temple, parmi les clameurs vengeresses, + S'abîmait dans les flots de bronze incandescent + Qui couronnaient les monts de monstrueuses tresses. + + Seuls, les cygnes épars dans le val frémissant + Regardaient la lueur rouge de l'incendie + Comme un morne soleil qui meurt et qui descend; + + Et, vers l'astre nouveau d'où la flamme irradie, + Désespérant des dieux qui les ont oubliés, + Ils tournaient tristement leur prunelle agrandie, + + Mais les barbares las, jetant leurs boucliers, + Firent pleuvoir, avec les pierres de leurs frondes, + Les flèches qui sifflaient entre les peupliers. + + Pointes de fer, silex aigus et balles rondes + Trouaient l'eau frissonnante avec un bruit strident + Et le sang des oiseaux tachait les claires ondes. + + Alors un chant funèbre emplit le ciel ardent: + Un concert douloureux d'ineffable harmonie + Montait vers les tueurs surgis de l'occident. + + La voix des chanteurs blancs pleurant leur agonie + Poursuivait les guerriers jusque-là sans remords + Dont la chair palpitait d'une angoisse infinie; + + Et tandis qu'autour d'eux l'âme des cygnes morts + Semait un hymne amer de vengeance éternelle, + Les barbares, au vol de leurs chevaux sans mors, + + S'enfonçaient, affolés, dans l'ombre solennelle. + + + + +MAYA + +_A BERNARD LAZARE_ + + + + +THAÏS + +_A Henri de Manneville._ + + +I + + Alexandros, l'épique enfant de Zeus Ammon, + Mange et boit et s'enivre après la ville prise + Dans le palais taillé dans le marbre et le mont; + + Et les hommes-lions, sculptés de pierre grise, + Inutiles gardiens des murs et du trésor, + Regardent le héros boire aux coupes qu'il brise, + + Cependant que la fauve avalanche de l'or + Splendidement s'abat sur la massive table + Comme un grand oiseau roux au fulgurant essor, + + La rauque orgie et la clameur épouvantable + Hurlent et le troupeau des Hellènes vainqueurs + Mugit: tels les taureaux dans la nocturne étable; + + Et parmi les péans discordants et les choeurs, + Et les parfums de la Sabée et le cinname, + Et la vapeur des vins et des chaudes liqueurs, + + La torche en main, Thaïs, la bacchante qui clame, + La courtisane blanche et droite comme un lys + Revêt de pourpre ardente et couronne de flamme + + La ville antique aux toits d'argent, Persépolis. + + +II + + O ville, amas ancien de rêve et de superbe, + Dressée en moi sur tes inébranlables fûts, + Qui te rabaissera jusqu'au niveau de l'herbe? + + Monceau de souvenirs étranges et confus, + Peuple mystérieux de muettes images, + Qui donc rendra la plaine au chant des bois touffus? + + Qui chassera de moi les rites et les mages + Et sur les noirs débris du temple renversé + Fera monter des cris d'oiseaux et de ramages? + + Quelle torche, ô mon coeur, sur ton marbre glacé + Etendra des lueurs sanglantes et sur l'âme + Lâchement assoupie et sur l'esprit lassé + + Dardera la splendeur de ses langues de flamme? + + + + +JUDEX + +_A Marcel Collière._ + + + Par le prétorial silence de la nuit + Où sonnent seulement des horloges funèbres + J'attends venir vers moi le Juge des ténèbres + Qui scrute les péchés des hommes et s'enfuit. + + Sans toge, sans licteurs ni haches enlacées, + Sans chants impérieux et tristes de buccins, + N'écoutant que la voix des remords en nos seins + Le Juge intérieur passe dans nos pensées. + + Les spectres dont le jour avait tué les cris, + Les spectres dont le jour avait clos les prunelles, + Surgissent maintenant des tombes éternelles + Et redressent leurs fronts livides et flétris. + + O baisers reniés, mémoire des caresses, + Rêves que j'avais crus emmurés pour jamais, + O cadavres divins que j'aime et que je hais, + Regards accusateurs et bouches vengeresses, + + Que voulez-vous de moi? spectres, ayez pitié; + N'appelez pas ainsi l'incorruptible juge; + Vous savez qu'il n'est point d'église de refuge + Pour le coupable en pleurs et le crucifié. + + Mais l'âpre justicier se lève dans mon âme + Chaque soir: il prononce irrévocablement + La sentence de deuil, de honte et de tourment + Et fait couler en moi des rivières de flamme. + + Puis il remonte au ciel lointain dont il descend + Et d'où j'espère en vain le Rédempteur à naître, + Tandis que dans l'obscur abîme de mon être + Un enfer de douleur hurle en le maudissant. + + + + +CHAMBRE D'AMOUR + + + La nuit tiède est clémente à la ville qui dort; + Des lys impérieux triomphent dans la chambre + Et cependant nos coeurs sont froids comme Décembre + Et nos baisers d'amours amers comme la mort. + + Ta douce bouche s'ouvre à des chansons mièvres + Et tes seins bienveillants accueillent mon front las; + Mais, ô ma douloureuse enfant, je ne sais pas + Pourquoi les dieux mauvais empoisonnent nos lèvres. + + Qu'importe? viens vers moi, triste soeur; aimons-nous, + Sans craindre la saveur glorieuse des larmes, + Tels des héros blessés avec leurs propres armes + Et dont le glaive d'or a rompu les genoux. + + Viens! nous aurons l'orgueil des âmes taciturnes + En cette chambre morne et veuve de flambeaux, + Où, semblable à l'odeur des antiques tombeaux, + Un parfum sépulcral monte des lys nocturnes. + + + + +PRINTEMPS D'AUTOMNE + + + La pourpre automnale ensanglante + Les feuilles sèches des halliers + Et transforme en floraison lente + Les rayons d'Avrils oubliés. + + D'insensibles métamorphoses + Changent les clartés d'autrefois + En d'artificielles roses + Qui parent les jours gris et froids, + + Et sous le ciel tendu de brume + Et les nuages palpitants + Leur odeur mourante parfume + Un mélancolique printemps. + + Très Chère, c'est aussi l'Automne + Ténébreux pour nos coeurs lassés; + Mais en notre chair qui s'étonne + Refleurissent les jours passés, + + Et la ressouvenance lente + Nous revêt, comme les halliers, + D'un manteau de pourpre sanglante + Faite des baisers oubliés. + + + + +LIEDER + + Ich, ein tolles Kind, ich singe + Jetzo in der Dunkelheit; + Klingt das Lied auch nicht ergötzlich, + Hat es mich doch vor Angst befreit. + +(HEINRICH HEINE, _Die Heimkehr_.) + + +I + + Des mots doux comme des hautbois + Et des harpes surnaturelles, + Des sons légers de chanterelles + Et dans les bois, des voix, des voix. + + Des couples blancs de tourterelles, + Des oiseaux bleus couleur du temps; + Des ailes d'or sur les étangs, + Dans le ciel des ailes, des ailes. + + Je ne sais où: je vois, j'entends. + Voici venir la très aimée + Et sa cheville parfumée + Foule des tapis éclatants; + + Sa robe candide est lamée + De l'or du paradis natal; + Des feux de myrrhe et de çantal + L'entourent de blonde fumée. + + Plus rien, plus rien! le deuil brutal, + Le silence et l'ombre. Serait-ce + Que la perfide enchanteresse + A forgé ce mur de métal + + Et clos dans la nuit vengeresse, + Sans ailes d'or et sans hautbois, + Les mots doux comme une caresse, + Et les colombes, soeurs des voix? + + +II + + Ni tes fiertés, ni tes paresses + Ni l'espoir menteur des caresses, + Ni ta chair de vierge, j'aimais + La splendeur de ma propre idée, + O maîtresse non possédée + Qui ne me trahiras jamais + + Je garde en mon âme hautaine + Le rêve frais de la fontaine + Et des nénufars ingénus; + Je laisse aux lèvres sans extase + L'eau noire et, grouillant dans la vase, + Tous les reptiles inconnus, + + Loin de l'hivernale vallée + L'aile des fleurs s'est envolée + Et le murmure des nids verts + Cherche, avec le vol des pétales, + Dans les aubes orientales + L'éternel printemps de mes vers. + + C'est l'heure que j'ensevelisse + La blancheur du dernier calice + Avec les souvenirs défunts: + O nuptiale Galatée, + Rends-moi la corolle empruntée, + Rends-moi le songe des parfums, + + Pour que je tisse avec mes strophes + Un linceul de riches étoffes + Embaumé de myrrhe et de nard + Et que je jette sur mon rêve + De jeunesse et de gloire brève + La pourpre antique de Schinnar. + + +III + + Pour moi seul tes cheveux de saule + Se déroulent sur ton épaule + Comme les feuilles dans le vent, + Et, tel que sur la neige vierge + Frémit un frisson d'or mouvant, + De l'aube de ta chair émerge + Une fleur de soleil levant. + + Car seul je connais les paroles, + Soeurs des feuilles et des corolles, + Qui puissent dire ta beauté; + Je sais les phrases rituelles + Par qui, dans le bois enchanté, + L'ombre des amantes cruelles + Revive pour l'éternité. + + Rires et larmes infinies! + Si je chantais tes litanies + Et le miel de tes seins rosés + Je ferais voler dans les brises, + Au delà des jours épuisés, + L'abeille des lèvres éprises + Vers la ruche de tes baisers. + + Mais je tais avec jalousie + Les chers mots dont je m'extasie: + Les hommes passent et s'en vont; + Le bruit des foules abhorrées + Roule et le miel divin se fond + En perles de gouttes dorées + Dans l'urne de mon coeur profond. + + +IV + + Ta voix, ta même voix de colombe blessée + Sonne plaintivement dans ta gorge lassée. + + J'entends encor l'écho des paroles d'antan + Lorsque les mots ailés s'envolent en chantant. + + Mais je ne comprends plus les syllabes; j'oublie + Ce qui fait leur langueur et leur mélancolie. + + Je crois t'ouïr parler un langage inconnu + Sur des airs dont mon coeur s'est en vain souvenu, + + Et je perçois parmi la musique rhythmée + La voix d'une étrangère ou d'une morte aimée. + + +V + + Reine du magique palais, + En ce jeu cruel que tu joues, + Comme tes soeurs, tu te complais + Aux larmes roulant sur nos joues. + + Quand tu presses le vin des coeurs + L'étoile de tes yeux rutile, + L'étoile de tes yeux vainqueurs + Rit de la lâcheté virile. + + Tandis que, dans la paix du soir, + Les désirs--tels de mauvais anges-- + Portent aux meules du pressoir + Les grappes des rouges vendanges. + + Soit! en tes rêves assassins + Grise-toi des pourpres foulées + Et noue au-dessous de tes seins + Des peaux fauves et tavelées. + + Sois la bacchante que les dieux + Lâchent sur la terre; promène + L'orgueil de tes flancs radieux + Au milieu de la vigne humaine. + + Va! que les héros asservis + Et les poètes que tu crées + Se courbent hurlants et ravis + Devant tes colères sacrées: + + Tes triomphes sont imparfaits, + Ta gloire sanglante est un leurre; + Tu n'as pas su que je t'aimais + Et tu ne sais pas que je pleure. + + +VI + + Les moires vertes des feuillées + Attendent le Prince Charmant + Et sous les gemmes de rosée + L'aubépine est une épousée + D'où s'exhale amoureusement + L'âcre parfum des fleurs mouillées. + + Des lèvres que nul ne connaît + Ont bu les gemmes disparues: + Pourquoi le Prince viendrait-il, + O forêt? le parfum subtil + Meurt dans les poussières accrues + Sur l'aubépine et le genêt. + + La plainte lente des ramures + Geint sinistrement et déjà + Les nains méchants des avenues + Font saigner sur les branches nues + Que leur caprice ravagea + La chair automnale des mûres. + + +VII + + Plus quam femina virgo + +(P. OVIDIUS NASO) + +(_Métamorphoses_, _Livre_ XIII.) + + + Plus claires dans le sombre azur des nuits sans lune + Les étoiles doraient les ajoncs et la dune, + Mais je n'ai pas souci de leur ruissellement + Et dans mes yeux fleuris de visions plus belles, + Baignant les cieux futurs de leurs splendeurs nouvelles, + Les astres à venir montent éperdument. + + Tu glissais à pas lents dans les ajoncs stellaires + Et sourde à la rumeur humaine des colères + Tu regardais surgir les astres apaisés; + Mais dans mon coeur fleuri de voluptés plus calmes, + J'évoque au chant lointain des sources et des palmes + Les vierges à venir et les futurs baisers. + + +VIII + + La fleur énorme de la mer + Éclose avec l'aurore sainte + Renaissait dans le gouffre amer + De tes prunelles d'hyacinthe. + + Dans tes cheveux d'or j'adorais, + Sous l'or caduc de leur couronne, + Les impériales forêts + Et leur laticlave d'automne. + + Les peupliers glauques et blancs + Et la mollesse des prairies + Revivaient dans les gestes lents + De tes mains douces et fleuries. + + Mais aujourd'hui que tu n'es plus + La prêtresse et l'évocatrice, + Il faut les bois et les reflux + Pour que ta grâce refleurisse + + Et les colchiques du matin + Ressuscitent dans ma pensée + Ta pâleur morne de satin, + O mensongère Fiancée. + + +IX + + Tout à l'heure, un essaim de mauves s'envolait, + Majestueux, au ras des vagues aurorales: + Les oiseaux fendaient l'air de leurs ailes égales + Et nageaient dans l'azur vers l'horizon de lait. + + Ils allaient: le soleil semait sur les prairies + Marines des fleurs d'or et de chrysobéril + Et l'on eût cru là-bas des papillons d'avril + Sur un champ constellé de rares pierreries. + + Ils allaient: maintenant que dans le clair matin + La blancheur de leur vol splendide s'est fondue, + Je cherche obstinément au fond de l'étendue + Le souvenir neigeux de leur essor lointain. + + Nul des flocons perdus dans les brumes d'opale + N'argente plus la plaine immobile des flots + Et la seule clameur des antiques sanglots + Monte plus tristement vers le lac du ciel pâle. + + O Chère, ô pâle ciel d'amour qui te mirais + Dans la mer somptueuse et calme de mes rêves + Quels abîmes d'azur et d'Océans sans grèves + Ont englouti le vol de mes désirs secrets? + + Je ne sais: le regard a lassé ma prunelle, + La solitude morne emplit mon coeur, j'entends + Dans le double infini de l'espace et du temps + Monter le râle amer de l'angoisse éternelle. + + +X + + Je ne veux pas courber la tête sous tes pas + Ni baisser devant toi mes yeux; je ne suis pas + Un mendiant d'amour et d'aumônes charnelles + Et la honte des pleurs souillerait mes prunelles. + + Mais dans la nuit semblable à mon coeur sombre et fier + J'irai dire mon mal aux vagues de la mer: + Elle me bercera la mer consolatrice + Avec des rhythmes lents et des chants de nourrice. + + J'écouterai sa voix et je m'endormirai: + Comme un enfant, tandis qu'en un jardin sacré + Surgira, bleu de rêve et parfumé de menthe, + Le magique palais où tu seras clémente. + + + + +POUR UNE ABSENTE + + + Je veux m'enfermer seul avec mon souvenir, + Immobile, oublieux des rafales d'automne + Qui font les frondaisons se rouiller et jaunir + Et de la mer roulant sa plainte monotone; + Je veux m'enfermer seul avec mon souvenir. + + Le demi-jour filtrant des étoffes tendues + Sera doux et propice à mon coeur nonchalant, + Quand je l'évoquerai du fond des étendues, + Et sa voix emplira d'un hymne grave et lent + Le demi-jour filtrant des étoffes tendues. + + J'aurai la vision chère devant les yeux: + Le souffle parfumé de l'ineffable Absente + Flottera pour moi seul dans l'air silencieux, + Subtil comme une odeur de fraise dans la sente; + J'aurai la vision chère devant les yeux. + + Et je dirai tout bas ma tendresse latente; + O coeur lâche, tremblant et révolté, je veux + Que ton intime amour se révèle et la tente: + Tu te résigneras à l'effroi des aveux + Et je dirai tout bas ma tendresse latente. + + + + +JOUVENCE + + + Tu parles tristement des campagnes lointaines + D'une voix si dolente et lourde de regrets + Que je deviens jaloux des fleurs et des forêts + Et des saules d'argent penchés vers les fontaines. + + Souvenirs! jours anciens! comme vous enserrez + Notre âme prisonnière en d'invincibles chaînes: + Tu veux, comme autrefois, baigner les sombres chênes + Au clair de lune blond de tes cheveux cendrés. + + Soit! l'été revenu parmi les hautes herbes, + Nous marcherons, frôlés par les ailes de l'air, + Au murmure divin des choses et ta chair + Mêlera des parfums de Chypre aux foins en gerbes, + + Et peut-être qu'un soir entre de rudes draps + Embaumés de lavande et dans un lit d'auberge + Tu me rendras ta chair et tes lèvres de vierge, + Pour quelque amour d'enfant dont tu te souviendras. + + + + +LA MORT INUTILE + +_A Grégoire Le Roy._ + + Curæ non ipsa in morte relinquunt. + +(PUBLIUS VERGILIUS MARO.) + + + Triste comme la mer et la chanson des syrtes, + Le vent lourd de sanglots pleure dans la forêt; + Un troupeau d'ombres va, paraît, et disparaît + Par les bois souterrains et les bosquets de myrtes. + + Défaillant dans l'horreur d'un ciel ensanglanté, + Le soleil infernal baigne le pâle espace; + Un troupeau d'ombres vient, revient, passe et repasse + En sa mélancolique et tremblante clarté; + + Et ce sont à travers les routes d'asphodèle + Les fantômes hagards, pleins de larmes et lents + Dont les glaives d'amour ont déchiré les flancs: + La mort n'a point fermé leur blessure immortelle, + + Le sommeil sépulcral a leurré leurs yeux las + Et l'âpre souvenir survivant à la tombe + Tel qu'un vin corrosif, goutte par goutte, tombe + Dans leur coeur ulcéré qui ne guérira pas. + + + + +L'AME SEULE + +_A A.-Ferdinand Herold._ + + + La bienfaisante nuit couvre la ville immense + D'où montaient vers le ciel des sanglots et des chants + Et la grande cité semble un lac de silence + Frôlé par la rumeur pacifique des champs. + + Mer des vivants, mer furieuse qui te rues + Emportant dans tes plis les deuils et les baisers, + Tu roules tout le jour sur le pavé des rues, + Mais le soir calme endort tes râles apaisés; + + Et les rêveurs amis des nécropoles saintes, + Délivrés de la joie, affranchis du remords, + Errent par les soirs clairs et fleuris d'hyacinthes + Comme des immortels dans la maison des morts. + + Hommes, laissez passer dans la nuit solitaire + Ceux qui foulent toujours des chemins non frayés: + Les exilés divins ont repeuplé la terre + Et je me sens plus seul quand vous vous réveillez. + + Quels démons ont pétri de leur mains ironiques + Vos faces de mensonge et de stupidité, + Je ne sais, mais le mal suinte de vos tuniques + Et votre rire impur attente à la beauté. + + Le matin revenu, soyez tels que vous êtes. + Moi cuirassé d'orgueil et de mépris serein + Entre mon coeur farouche et vos clameurs de bêtes + Je laisserai tomber une herse d'airain. + + Je m'en irai là-bas vers la forêt clémente: + Les arbres fraternels m'appellent doucement; + L'herbe bruit, l'eau des fontaines se lamente + Et rit comme une nymphe avec son jeune amant. + + La forêt a gardé pour mon oreille seule + Les chants anciens et les fleurs nobles d'autrefois + Parfument à jamais sa mémoire d'aïeule + Et tous les rhythmes morts revivent dans sa voix. + + Les chênes musculeux portent de verts portiques, + Où pareils à des rois mes rêves passeront + Et près des dieux nouveaux, fils des taillis antiques, + Je plierai les genoux et courberai le front. + + Mais retrouveras-tu la jeunesse première, + O parleur orgueilleux, ivre d'un vin mauvais? + Et si dans la splendeur de la pure lumière + Ton rêve était moins beau que tu ne le rêvais? + + Ainsi qu'un porteur las délivre ses épaules + Tu voudrais rejeter les souvenirs humains + Et suivre le ruisseau qui court entre les saules + Et marcher tout le jour au hasard des chemins. + + Va! tu n'entendrais plus les voix surnaturelles + Qui t'invitent la nuit, vers les magiques bois; + Dans les halliers saignant de mûres et d'airelles + Tu serais poursuivi par les mauvaises voix. + + Reste jusqu'à la mort baigné de crépuscule + Avec l'âpre regret des astres radieux: + Tu n'es pas assez grand pour le manteau d'Hercule + Et pour te revêtir de la pourpre des dieux. + + + + +PETITS PAYSAGES + +_A Urbain Derbanne._ + + +I + + Une écume de fleurs, blanche et rose, s'étale + Sur la mer onduleuse et mouvante des prés + Où ruisselle le flot des trèfles empourprés, + Tandis que montent vers le nue orientale + Le meuglement des boeufs et la rumeur des blés. + + +II + + Le souffle langoureux des brises musicales + Chante dans les sainfoins en fleurs un hymne lent + Et grave et sous les rais du soleil aveuglant + Une fuite éperdue et grise de cigales + S'enlève et vibre, au ras de l'herbe, en sautelant. + + +III + + L'équipe de pêcheurs tire la grande senne + A basse mer, avant les vagues et le flux; + Et nul des rudes gars n'est manchot ni perclus, + Mais l'effort fait saillir et gonfler leur chair saine + Et les veines des bras musculeux et velus. + + +IV + + Le soleil tombe et des grappes de lilas sombre + Fleurissent la forêt marine où Téthys dort + Sous un voile de pourpre aux filigranes d'or + Que trempe dans le sang de la clarté qui sombre + L'invisible ouvrier du fabuleux décor. + + +V + + Le ciel est gris comme une aile de tourterelle + Que teinterait un peu de rose veiné d'or; + Là-bas, le cap lointain dont la mâchoire mord + L'horizon sombre est las de sa longue querelle + Et la brume a brisé les dents du monstre mort. + + + + +EN MORVAN + +_A Jacques Derbanne._ + + + L'ombre s'enroule aux flancs des collines farouches + Et pèse sur les bois et les versants herbeux + Où dorment lourdement les immobiles boeufs; + Elle fait grimacer les arbres et les souches + Des saules noirs pareils à des jeteurs de sorts, + Tandis que par les vaux mystérieux et morts + Le monotone appel des hulottes réplique + Au sifflement du vent dans le houx métallique + Qui vibre hostilement comme une armure et luit + Et l'eau sauvage hurle entre les roches grises, + Ainsi que défaillant de hautes entreprises + Une guerrière blanche en fuite dans la nuit. + + + + +L'EAU MORTE + +_A Charles Bourgault Ducoudray._ + + + L'étang mystérieux dort parmi les bois sombres, + Eau de solitude, eau de silence, eau de songe, + Que le flot rose et blanc des bruyères prolonge; + Parfois des oiseaux noirs glissent comme des ombres + Entre les joncs tendus hors des sinistres ondes + Tels que des glaives d'or aux mains de reines blondes; + Et sous l'âpre soleil épars en rayons mornes + Les nymphéas chassés des limpides fontaines + Où boivent, à la nuit, les cerfs aux belles cornes, + Attendent tristement les étoiles lointaines. + + + + +RÊVE D'ÉTALONS + +_A Edmond Haraucourt._ + + + Une lourde vapeur rôde sur les prairies; + La plaine calme dort au chant prochain des eaux + Et le vol pacifique et lent des grands oiseaux + Traîne des filets d'ombre aux flots d'herbes fleuries. + + L'or brusque du soleil déborde dans l'azur + Et jaillit de la neige ardente des nuées; + Puis le ciel morne enclôt les splendeurs refluées + Dans ses digues de fer éblouissant et dur. + + Des cris surnaturels et des glaives d'archanges + Bruissent dans l'éther magiquement: des voix + Rauques sonnent l'appel d'invisibles tournois + Où se heurtent des dieux et des guerriers étranges. + + Les étalons vautrés dans le tiède gazon + Comme au ressouvenir épique des mêlées, + Eperdument, de leurs prunelles affolées + Parcourent l'étendue immense et l'horizon, + + Et par delà le sable héroïque des grèves + Regardent, les naseaux gonflés d'un souffle amer, + Sur la montagne bleue et verte de la mer + Blanchir en galop fou les cavales des rêves. + + Convulsifs et dressés sur leurs jarrets tremblants, + Le col tendu vers les chimériques crinières + Ils sentent comme aux jours des fièvres printanières + Les désirs infinis aiguillonner leurs flancs. + + Mais leur chair glorieuse en proie aux frissons vagues + Dédaigne désormais les vieilles voluptés + Et le vain désespoir de leurs coeurs indomptés + Hennit lugubrement vers le troupeau des vagues. + + + + +MARBRE + +_A Ernest Christophe._ + + + Les bois religieux se taisent; les oiseaux + Ont quitté la forêt où meurt le bruit des eaux. + Seule en sa nudité de vierge et de guerrière + La déesse de marbre habite la clairière + Et son corps impollu fait de rêve et d'amour + Monte, lys immortel, parmi les fleurs d'un jour. + Ni flûtes de bergers ni chansons de cigales: + Sauf le frissonnement des herbes amicales + Dont le flot souple ondule autour d'elle, nul bruit. + Parfois dans les fourrés un chevreuil brusque fuit + Farouche d'avoir vu briller la chair sans voiles + Et l'arc impérieux tendu vers les étoiles. + + + + +CRISTAL + +_A Emile Gallé._ + + + Noire sur le cristal pâle et gris comme un ciel + D'hiver, la libellule énigmatique éploie + Les ailes dans l'air lourd et pestilentiel. + Ses immobiles yeux sans tristesse et sans joie + Cherchent sinistrement une invisible proie + Et planant sur l'eau verte et morte des marais, + Vers vos calices d'or, de pourpre et de ténèbres, + Elle vole vers vos calices à jamais, + Glauques fleurs qui nagez sur des étangs funèbres + Où se mire le deuil des pins et des cyprès. + + + + +CRÉPON + +_A Judith Gautier._ + + + Des oiseaux merveilleux onglés de griffes d'or + Tracent dans le ciel calme un candide sillage + Et la migration d'un éternel voyage + Tend vers des pics lointains leur immuable essor. + + Le caprice du peintre ouvrant les ailes vaines + Fige ironiquement loin des vierges sommets + Leur vol: blancs exilés, vous n'atteindrez jamais + Les cimes que le soir vêt de pâles verveines. + + Mais le rêve des monts vous donne leur fierté, + L'eau des lacs inconnus frémit dans vos prunelles + Et l'héroïque amour des neiges fraternelles + Illumine vos yeux de gloire et de clarté: + + Telle malgré l'horreur des ténèbres accrues + Mon âme vole vers la pourpre des printemps + Et loin des monts neigeux et des lacs où je tends + Rêve au parfum royal des roses disparues. + + + + +L'IMPÉRATRICE + +_A Mlle Gabrielle Herold._ + + + Les dieux d'un riche crépuscule + Parent d'or fauve et de joyaux + Les cactus, les lys sans macule + Et les chrysanthèmes royaux; + + La pourpre du jour tombe et glisse + Sur les terrasses du jardin; + Le soleil meurt, l'Impératrice + Frôle les fleurs avec dédain + + Et songe, loin des soirs illustres, + Au lac blanc sous l'aube d'avril + Où les frêles herbes palustres + Semblaient des reines en exil. + + + + +L'ASCÈTE + +_A Benjamin Constant._ + + + Après le jour de flamme et le labeur amer, + L'ascète hiératique accroupi sur la grève + Entendait résonner une harpe de rêve + Et son maigre lion dormait près de la mer. + + Ni voix ni glissement des barques ou des ailes + Ne troublaient le silence effrayant et la paix + Du morne crépuscule épars dans l'air épais, + Et la bête songeait aux viandes des gazelles. + + Mais l'homme dédaignant la tristesse du soir, + Consumé d'une soif que rien ne désaltère + Et que n'apaisent pas les coupes de la terre, + Regardait le soleil rougir l'horizon noir. + + Et voyait, en un ciel de pourpre et d'hyacinthe, + Les pieds cloués, la chair tachant l'horrible croix, + Le Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, Roi des rois, + Sinistrement saigner sur la montagne sainte. + + + + +MESSE DES MORTS + +_A Bernard Lazare._ + + +LES ORGUES + + Requiem æternam dona eis, Domine. + + + Seigneur, ces pèlerins des routes de la vie + Ont peiné tout le jour vers le terme divin: + Au lieu des puits d'eau vive et des outres de vin, + Ils se désaltéraient aux calices d'envie. + + Desséchés par le hâle et brûlé par le ciel + Torride, haletant de la soif infinie, + Ils ont bu, comme Christ en sa lente agonie, + La mauvaise liqueur de vinaigre et de fiel. + + Sous les savantes mains d'atroces sagittaires, + Des flèches s'envolaient vers eux d'arcs inconnus + Et d'invisibles fouets mordaient leurs torses nus + Et du métal ardent coulait dans leurs artères. + + Ils marchaient pesamment sous le faix de leurs croix + Avec le seul espoir de ta bonté future; + Mais les loups de l'enfer guettent la créature + Et happent en chemin l'âme que tu mécrois; + + L'inextinguible feu hurle dans la géhenne + Et les damnés jetés aux abîmes grondants + N'apaisent point la faim terrible de ses dents + Et son gosier féroce est avivé de haines; + + N'écarte pas de toi les fidèles troupeaux; + Le soir descend; après les heures sans prairies, + Voici l'instant rêvé des calmes bergeries: + Ouvre, ô Pasteur des morts, le bercail de repos. + + +LES VIOLONS + + Et lux perpetua luceat eis. + + + Seigneur, ces exilés de la seule patrie + Criaient vers toi du fond des gouffres ténébreux; + Pitié, fais ruisseler des nuages sur eux + La source de splendeur promise en Samarie. + + Que la mort leur devienne un baptême: revêts + Leurs flancs martyrisés de robes de lumière + Et donne leur essor dans la gloire première + Aux cygnes échappés aux pièges du Mauvais. + + Magnifiques et purs, après la lutte rude, + Ils voleront vers les parterres triomphaux + Où des lys, méprisant la morsure des faux, + Fleurissent dans la joie et la béatitude, + + Tandis que le soleil d'un ineffable été + Inonde d'or brûlant les roses et dilate + Les parfums épandus des coupes d'écarlate + Et que l'éther subtil chante l'éternité. + + Rappelle au nid fermé les frissonnantes âmes + Et les ailes d'amour monteront vers l'Amant + A travers l'harmonie et l'éblouissement + Des musiques, des voix, des splendeurs et des flammes, + + Et les siècles futurs et ceux qui ne sont plus + Tressailleront en toi d'une même allégresse + En oyant tel qu'un chant et tel qu'une caresse + Frémir au ciel nouveau le vol blanc des élus. + + +LES VIVANTS + + Agnus Dei qui tollis peccata mundi + dona eis requiem. + + + Seigneur, Seigneur, Seigneur, impitoyable maître, + Nous sommes las des jours et des soleils maudits: + Epargne aux délivrés l'horreur du paradis, + Laisse les morts dormir en paix et ne plus être. + + Tant de clous ont percé leurs membres ici-bas + Que nul flot baptismal rédempteur de leurs peines + Ne laverait les maux et les douleurs humaines + Et que ton repentir ne leur suffirait pas. + + Ils entendraient, au lieu des sublimes cantiques + Flottant parmi l'encens des lys épanouis, + Monter de l'Océan tumultueux des nuits + Le râle inexpié des souffrances antiques; + + Rumeur d'airain, sanglot cruel d'un tympanon + Dont une main haineuse a secoué les cordes, + Le souvenir rirait de tes miséricordes, + La voix de tes élus blasphémerait ton nom. + + Roi du ciel, reste seul dans ta gloire exécrée + Formidable, sereine et libre de remords; + O bourreau des vivants, ne touche pas aux morts, + Et quand viendra pour nous la suprême vesprée, + + Quand les vers rongeront les os de nos genoux, + Accorde à notre chair en tardive clémence + Non les vaines clartés, mais l'ombre, le silence, + Le sommeil et l'oubli de toi-même et de nous. + + + + +LA VANITÉ DU VERBE + + + + +LA VANITÉ DU VERBE + + +I + + Le Runoïa, le prince altier du Verbe d'or, + Est las de la nature et des formes antiques + Où l'ébauche du monde est imparfaite encor; + + Les bois noirs et leur chant de harpes prophétiques + Et les monts violets endormis sous le ciel, + Et les brumes d'argent sur les vagues baltiques, + + Et les brises de fleurs et les parfums de miel, + Et tous les souvenirs alourdis de mystère + Gonflent son coeur amer de mépris et de fiel. + + En son être, écrasé par l'ennui solitaire + Croît, avec le dégoût de sa virginité, + Le désir d'évoquer une nouvelle terre, + + Un monde jeune, un paradis illimité, + Revêtu d'aubépine immortelle et d'yeuses + Sous les glaces d'hiver et les soleils d'été, + + Où des créations de femmes radieuses + Se mêleraient d'amour à de mâles héros + En des lits de gazon semés de scabieuses. + + Le Maître déploya l'art magique des Mots: + Un subit univers naissait de ses paroles + Comme la perle naît du bruit rhythmé des flots. + + Une profusion sanglante de corolles + S'éveillait et germait du rêve des Avrils + Et l'azur flamboyait de fauves auréoles, + + Tandis que les forêts et les guerriers virils, + Les femmes pâles et les belles chevelures + Jaillissaient de l'abîme au gré des chants subtils. + + Alors, imaginant les caresses futures, + Le sublime ouvrier du Verbe éperdument + Songeait un songe blanc pétri de neiges pures. + + Il disait son extase et son ravissement, + Et s'enivrait de la liqueur de la Pensée + Et sa voix enfantait l'ineffable Tourment; + + Elle faisait surgir au jour la fiancée + Surhumaine, et la Femme idéale venait + Divinement resplendissante et cadencée. + + Elle marchait sur la bruyère et le genêt + Et des astres vivaient au fond de sa prunelle; + Un silence d'hymen et de baisers planait. + + Le Runoïa, joyeux de l'oeuvre faite, en elle + Se plongeait comme dans un océan de lys + Et tombait ébloui de la Forme éternelle + + Dans le gouffre effrayant des rêves accomplis. + + +II + + La contemplation dura cent mille années; + Quand le Maître sortit des songes éclatants, + Des générations hideuses étaient nées. + + Les Rhythmes étaient morts; les rires insultants + Grimaçaient; le soleil blême sur les prairies + Sans fleurs pleurait les jours anciens et les printemps; + + L'épouse maquillée, âpre de pierreries, + Se raillait du Poète et du Rêve divin + Et se prostituait aux races amoindries. + + Lorsque le Démiurge eut vu ce qui devint, + Un désespoir immense emplit son âme sombre; + Il comprit que le Verbe était stupide et vain + + Et cria dans la nuit: «Puisque tout croule et sombre, + «Après l'oeuvre magique et sublime du Chant, + «O paroles, rentrez dans le gouffre de l'ombre. + + «Va, monde! abîme-toi, triste soleil couchant! + «Disparais d'un seul coup dans le néant avide! + «Fonds-toi dans ma fureur comme un lingot d'argent!» + + Plus rien ne fut; la nuit par le ciel morne et vide + Roula son voile noir sur la fausse splendeur + Et le Maître, absorbé dans le chaos livide + + Tut--pour l'éternité--le Verbe créateur. + + + + +TABLE + + + _DÉDICACE_ + + A LA MÉMOIRE D'ÉPHRAÏM MIKHAËL 7 + +DE SABLE ET D'OR + + _LES FLEURS NOIRES_ + + LES FLEURS NOIRES 13 + LE DIEU MORT 15 + RUINES 17 + PAR LA NUIT D'AUTOMNE 19 + SOLITUDE 21 + PAROLES SUR LA TERRASSE 23 + L'AUTOMNE A DÉNUDÉ LES GLÈBES 25 + + _LES VAINES IMAGES_ + + PSYCHÉ 29 + ÉLIANE 31 + HYMNIS 37 + CHRYSARION 40 + + _L'ERRANTE_ + + L'ERRANTE 45 + + _VERS L'AURORE_ + + LES AUMÔNIÈRES 59 + MARE TENEBRARUM 61 + LE PÈLERINAGE HORS DE L'OMBRE 63 + NATIVITÉ 67 + LE CHÈVRE-PIEDS 69 + FLAMMES 71 + + _LE JARDIN DE CASSIOPÉE_ + + LE JARDIN DE CASSIOPÉE 75 + VOIX DERRIÈRE LA HAIE 78 + LA DOULEUR A CRIÉ 82 + +LA GLOIRE DU VERBE + + _LA GLOIRE DU VERBE_ + + LA GLOIRE DU VERBE 89 + + _LES MYTHES_ + + L'AVENTURIER 97 + LE BOIS SACRÉ 102 + LES CAPTIFS 109 + LES YEUX D'HÉLÈNE 115 + SCHAOUL 117 + RESSOUVENIR 120 + GOETTERDAEMMERUNG 122 + LA FILLE AUX MAINS COUPÉES 124 + LA PEUR D'AIMER 136 + LE PRINCE D'AVALON 138 + CELLE QU'ON FOULE 141 + LA VOIX IMPÉRISSABLE 149 + + _MAYA_ + + THAÏS 157 + JUDEX 160 + CHAMBRE D'AMOUR 162 + PRINTEMPS D'AUTOMNE 164 + LIEDER 166 + POUR UNE ABSENTE 179 + JOUVENCE 181 + LA MORT INUTILE 183 + L'AME SEULE 185 + PETITS PAYSAGES 189 + EN MORVAN 191 + L'EAU MORTE 192 + RÊVE D'ÉTALONS 193 + MARBRE 195 + CRISTAL 196 + CRÉPON 197 + L'IMPÉRATRICE 199 + L'ASCÈTE 200 + MESSE DES MORTS 202 + + _LA VANITÉ DU VERBE_ + + LA VANITÉ DU VERBE 209 + + + + + _ACHEVÉ D'IMPRIMER_ + le trente octobre mil huit cent quatre-vingt-dix-sept + PAR + L'IMPRIMERIE Vve ALBOUY + POUR LE + MERCVRE + DE + FRANCE + + + + + + +End of Project Gutenberg's La lyre héroïque et dolente, by Pierre Quillard + +*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44359 *** diff --git a/44359-h/44359-h.htm b/44359-h/44359-h.htm new file mode 100644 index 0000000..1cc2d42 --- /dev/null +++ b/44359-h/44359-h.htm @@ -0,0 +1,5663 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" + "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> + +<html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" lang="fr" xml:lang="fr"> +<head> +<meta http-equiv="Content-Type" content="text/html;charset=UTF-8" /> +<title> + The Project Gutenberg eBook of La Lyre héroïque et dolente, by Pierre Quillard. +</title> +<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg" /> +<style type="text/czzss"> +body { margin-left: 10%; margin-right: 10%; } +h1, h2, h3, h4, h5, .c, .cgap, .cbreak { text-align: center; text-indent: 0; line-height: 1.5em; } +h1, h2, h3, h4, h5 { margin-top: 2em; } +.c { margin-top: 1em; margin-bottom: 1em; } +h5.left { text-align: left; } +p { text-align: justify; text-indent: 1.4em; line-height: 1.2em; + margin-top: 0; margin-bottom: 0; } +blockquote.epi { font-size: 95%; margin-right: 0; margin-left: 30%; } +li { list-style-type: none; } +.sc { font-variant: small-caps; } +.small { font-size: smaller; } +.large { font-size: larger; } +.huge { font-size: 160%; } +.dedic { text-align: right; margin-right: 10%; text-indent: 0; margin-top: 1em; + margin-bottom: 1em; } +.l10 { text-align: left; margin-left: 10%; text-indent: 0; } +.attr { text-align: right; margin-right: 10%; font-size: smaller; text-indent: 0; + margin-top: .2em; } +.p { text-align: center; margin-top: 1.5em; margin-bottom: .8em; font-size: smaller; + text-indent: 0; } +.cgap { margin-top: 3em; } +.cbreak { margin-top: 3em; margin-bottom: 1.5em; } +table { margin: auto; } +td.num { vertical-align: bottom; text-align: right; width: 4em; } +td.ind { text-align: left; padding-left: 10%; padding-top: .5em; } +td.c { padding-top: 1em; font-size: larger; } +td.drap { text-align: left; padding-left: 2em; text-indent: -2em; } +hr { text-align: center; width: 50%; margin-left: auto; margin-right: auto; + margin-top: 1.2em; margin-bottom: 1.2em; } +.poetry { margin-left: 7%; } +.poetry .stanza { margin-top: 1em; margin-bottom: 1em; } +.epi .poetry .stanza, .epi p { margin-bottom: .3em; } +.verse { text-indent: -3em; padding-left: 3em; } +.indent4 { text-indent: 1em; } + +@media handheld { + .cbreak { page-break-before: always; padding-top: 1em; } + h1 { page-break-before: avoid; } +} +</style> +</head> +<body> +<div>*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44359 ***</div> + +<p class="c"><span class="large">PIERRE QUILLARD</span></p> + +<h1><span class="huge">LA LYRE</span><br/> +HÉROÏQUE ET DOLENTE</h1> + +<p class="c"><span class="small">DE SABLE ET D'OR<br/> +LA GLOIRE DU VERBE.—L'ERRANTE<br/> +LA FILLE AUX MAINS COUPÉES</span></p> + +<div class="c"><img src="images/mercure.png" alt="" /></div> +<p class="c"><span class="large">PARIS</span><br/> +SOCIÉTÉ DV MERCVRE DE FRANCE<br/> +<span class="small">XV, RVE DE L'ÉCHAVDÉ-SAINT-GERMAIN, XV</span></p> + +<p class="c">M DCCC XCVII</p> + +<p class="c"><span class="small">Tous droits réservés</span></p> + + + + +<p class="cbreak"><i>DU MÊME AUTEUR:</i></p> + +<table summary="Ouvrages du même auteur"> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">L'antre des Nymphes</span> de Porphyre, traduit du grec</td> +<td class="num">1 plq.</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Les Lettres rustiques</span> de Claudius Ælianus, Prenestin, +traduites du grec, illustrées d'un Avant-propos +et d'un Commentaire latin</td> +<td class="num">1 vol.</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Le Livre de Jamblique sur les Mystères</span>, traduit du grec</td> +<td class="num">1 vol.</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Philoktètès</span>, traduit de Sophocle et représenté à l'Odéon</td> +<td class="num">1 vol.</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">La question d'Orient et la politique personnelle +de M. Hanotaux</span>, en collaboration avec le docteur L. Margery</td> +<td class="num">1 vol.</td> +</tr> +</table> + + + +<p class="cbreak"><span class="small">IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE:</span></p> +<p class="c"><i>Trois exemplaires sur japon impérial, numérotés de 1 à 3<br/> +et douze exemplaires sur papier de Hollande, numérotés de 4 à 15.</i></p> + +<p class="c"><span class="small">EXEMPLAIRE N<sup>o</sup></span> 1</p> + + +<p class="cgap">Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays, +y compris la Suède et la Norvège.</p> + + + +<h2 id="p1">DÉDICACE</h2> + +<p class="c">A LA MÉMOIRE D'ÉPHRAÏM MIKHAEL</p> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tu t'en allas, un soir de mai: la ville en fête</div> + <div class="verse">Haletait de printemps, de jeunesse et d'amour,</div> + <div class="verse">Et tu nous as quittés pour la nuit sans retour,</div> + <div class="verse">Ame mélancolique et toujours inquiète.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">En vain les mornes dieux, formidables et doux,</div> + <div class="verse">Ont détaché ta main de nos mains fraternelles:</div> + <div class="verse">Le sel âcre des pleurs brûle encor nos prunelles</div> + <div class="verse">Quand ta voix, triomphant des heures, chante en nous</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et fait surgir parmi les roses des vesprées,</div> + <div class="verse">Sous des voiles tissus de soleils et de cieux,</div> + <div class="verse">Une vierge dolente au regard anxieux</div> + <div class="verse">Qui nous appelle et fuit vers les ombres sacrées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Forme grave dressée au seuil mauvais du sort,</div> + <div class="verse">Image de fierté qui pleurait et s'est tue,</div> + <div class="verse">Ma bouche te cherchait d'une lèvre éperdue;</div> + <div class="verse">Mais j'ai heurté du front les portes de la mort</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Hélas! et tu survis dans nos seules mémoires</div> + <div class="verse">Et sans que rien m'entende au tombeau souterrain,</div> + <div class="verse">Je fixe tristement sur le vantail d'airain</div> + <div class="verse">Avec l'amer laurier les palmes illusoires.</div> + </div> +</div> + + + + +<h2>DE SABLE ET D'OR</h2> + + + + +<h3>LES FLEURS NOIRES</h3> + +<p class="dedic"><i>A MARCEL COLLIÈRE</i></p> + + + +<h4 id="p2">LES FLEURS NOIRES</h4> + +<p class="dedic"><i>A Émile Galle.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Au bord de quels sinistres lacs d'eau lourde et sombre,</div> + <div class="verse">O ténébreuses fleurs plus vastes que la mort,</div> + <div class="verse">Les dieux muets du soir et les dieux froids du nord</div> + <div class="verse indent4">Tissent-ils votre robe d'ombre?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Vos abîmes de nuit dévorent le soleil;</div> + <div class="verse">Le jour est offensé par vos voiles de veuves</div> + <div class="verse">Et vous avez puisé sans peur aux mornes fleuves</div> + <div class="verse indent4">L'onde farouche du sommeil.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O fleurs noires, le vent de l'aube vous balance:</div> + <div class="verse">Mais nul parfum d'amour ne s'exhale de vous,</div> + <div class="verse">Chères, et vous versez dans les cœurs las et fous</div> + <div class="verse indent4">L'incantation du silence.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La vie épand en vain ses perfides douceurs;</div> + <div class="verse">La pourpre du printemps inutile flamboie:</div> + <div class="verse">Votre deuil rédempteur libère de la joie;</div> + <div class="verse indent4">Salut, impérieuses sœurs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je vous aime et je veux dormir, soyez clémentes:</div> + <div class="verse">Je ne troublerai pas votre calme immortel</div> + <div class="verse">Et, là-bas, j'oublierai, loin du jour et du ciel,</div> + <div class="verse indent4">La bouche rouge des amantes.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p3">LE DIEU MORT</h4> + +<p class="dedic"><i>A André Fontainas.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Une étoile, une seule étoile. O funérailles</div> + <div class="verse">Royales! solitude où la gloire mourait</div> + <div class="verse">Sur un bûcher perdu derrière la forêt,</div> + <div class="verse">A l'écart des drapeaux, du glaive et des batailles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le héros s'en allait sans pourpre, enseveli</div> + <div class="verse">Dans une soie éteinte et dans les tresses rousses</div> + <div class="verse">Des captives et des amantes: lèvres douces</div> + <div class="verse">Et voraces, vous qui buviez le sang pâli,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Vers quels baisers souriez-vous? Vers quelles fêtes</div> + <div class="verse">Sonne déjà l'appel de vos chants oublieux?</div> + <div class="verse">Ah, mensongères! pour des larmes en vos yeux,</div> + <div class="verse">Il fallait l'apparat de célèbres défaites</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et l'horreur des clairons déchirant le ciel noir,</div> + <div class="verse">Pour tordre avec des cris de pleureuses louées</div> + <div class="verse">Vos corps, mimes en deuil sous le vol des nuées,</div> + <div class="verse">Parmi la rouge odeur des torches dans le soir.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais nul regard viril n'a, du haut des murailles,</div> + <div class="verse">Avidement cueilli la fleur de vos bras nus:</div> + <div class="verse">Vous avez fui. Le roi ne s'éveillera plus.</div> + <div class="verse">Une étoile, une seule étoile. O funérailles.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p4">RUINES</h4> + +<p class="dedic"><i>A Maurice Nicolle.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'illustre ville meurt à l'ombre de ses murs;</div> + <div class="verse">L'herbe victorieuse a reconquis la plaine;</div> + <div class="verse">Les chapiteaux brisés saignent de raisins mûrs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le barbare enroulé dans sa cape de laine</div> + <div class="verse">Qui paît de l'aube au soir ses chevreaux outrageux</div> + <div class="verse">Foule sans frissonner l'orgueil du sol Hellène.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ni le soleil oblique au flanc des monts neigeux</div> + <div class="verse">Ni l'aurore dorant les cimes embrumées</div> + <div class="verse">Ne réveillent en lui la mémoire des dieux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ils dorment à jamais dans leurs urnes fermées</div> + <div class="verse">Et quand le buffle vil insulte insolemment</div> + <div class="verse">La porte triomphale où passaient des armées,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Nul glaive de héros apparu ne défend</div> + <div class="verse">Le porche dévasté par l'hiver et l'automne</div> + <div class="verse">Dans le tragique deuil de son écroulement.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le sombre lierre a clos la gueule de Gorgone.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p5">PAR LA NUIT D'AUTOMNE</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Par l'automnale nuit la terre se résigne,</div> + <div class="verse">Muette sous le fait des ombres tumulaires:</div> + <div class="verse">Nul astre en qui survive un espoir d'aubes claires,</div> + <div class="verse">Un espoir de matin crevant son œuf de cygne.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les soleils d'autrefois fermentent dans la vigne.</div> + </div> + + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Maintenant au pas sourd de noires haquenées,</div> + <div class="verse">Sans faire gémir l'herbe ou résonner la roche,</div> + <div class="verse">Tel qu'une chevauchée impitoyable, approche</div> + <div class="verse">Le troupeau saccageur des suprêmes journées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Un parfum triste vient des grappes condamnées.</div> + </div> + + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Demain l'or et le sang des étoiles sublimes</div> + <div class="verse">Seront déshonorés par la soif de la horde;</div> + <div class="verse">Mais voici qu'une pluie invisible déborde</div> + <div class="verse">Et tombe lentement des sinistres abîmes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Serait-ce pas les Dieux qui pleurent leurs vieux crimes?</div> + </div> + + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O Dieux, je ne sais pas quel Léthé vous enivre</div> + <div class="verse">De poisons plus amers que le fiel des Lémures:</div> + <div class="verse">Que vous importe à vous, la mort des grappes mûres</div> + <div class="verse">Et le viol raillé par le bruit vil du cuivre?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les pampres desséchés ne veulent pas revivre.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p6">SOLITUDE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Grégoire le Roy.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">C'est un grand silence après le chant du cor,</div> + <div class="verse">Comme dans les villes mortes</div> + <div class="verse">Où les chats peuvent encor</div> + <div class="verse">Rêver sur le seuil des portes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sous le dais noir de la nuit</div> + <div class="verse">Les rois radieux, les belles chevauchées</div> + <div class="verse">Foulaient dans l'or et le bruit</div> + <div class="verse">Le sang des roses fauchées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des femmes embaumaient l'air</div> + <div class="verse">Parmi le velours des porches;</div> + <div class="verse">Nous voyions couler la résine des torches</div> + <div class="verse">Sur les gantelets de fer.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais les heures sont passées</div> + <div class="verse">De la joie et du décor</div> + <div class="verse">Et dans nos âmes lassées</div> + <div class="verse">C'est un grand silence après le chant du cor.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p7">PAROLES SUR LA TERRASSE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Puvis de Chavannes.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des reines blanches inclinées</div> + <div class="verse">Aux balustrades d'améthystes</div> + <div class="verse">Pour fleurir la mort des journées</div> + <div class="verse">Effeuillent des glycines tristes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Fleurs plus brèves que les plus brèves,</div> + <div class="verse">Vains thyrses que le vent spolie,</div> + <div class="verse">Les noirs flots sans rives ni grèves</div> + <div class="verse">Emportent leur cendre pâlie;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et c'est le deuil d'un double automne,</div> + <div class="verse">Soir du jour et soir des feuillées,</div> + <div class="verse">Qui dévaste l'ombre et frissonne</div> + <div class="verse">Dans les ramilles dépouillées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des pas glissent sur la terrasse;</div> + <div class="verse">Une étoffe roide s'y froisse;</div> + <div class="verse">Les voix que la nuit blême efface</div> + <div class="verse">Tremblent d'adieux, meurent d'angoisse,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et cygnes chassés de tout fleuve,</div> + <div class="verse">S'en vont fébriles et blessées,</div> + <div class="verse">Sans que la ténèbre s'émeuve</div> + <div class="verse">Aux cris des âmes délaissées.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p8">L'AUTOMNE A DÉNUDÉ…</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'automne a dénudé les glèbes et le soir,</div> + <div class="verse">Un soir d'exil et de mains désunies,</div> + <div class="verse">S'approche à l'horizon des plaines infinies,</div> + <div class="verse">Roi dévêtu de pourpre et spolié d'espoir.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O marcheur aux pieds nus et las qui viens t'asseoir</div> + <div class="verse">Sans compagnon, parmi les landes défleuries,</div> + <div class="verse">Près des eaux mornes, quelles mêmes agonies</div> + <div class="verse">Alourdissent ton front vers ce triste miroir?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je le sais, tout se meurt dans ton âme d'automne.</div> + <div class="verse">Laisse la nuit prendre les fleurs qu'elle moissonne</div> + <div class="verse">Et l'amour défaillant d'un cœur ensanglanté,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pour qu'après le sommeil et les ombres fidèles</div> + <div class="verse">Les clairons triomphaux de l'aube et de l'été</div> + <div class="verse">Fassent surgir enfin les roses immortelles.</div> + </div> +</div> + + + + +<h3>LES VAINES IMAGES</h3> + +<p class="dedic"><i>A HENRI DE RÉGNIER</i></p> + + + +<h4 id="p9">PSYCHÉ</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Petite âme, Psyché mélancolique, dors,</div> + <div class="verse">Lys d'aurore surgi des heures ténébreuses,</div> + <div class="verse">Tes bras souples et frais et tes lèvres heureuses</div> + <div class="verse">Ont rajeuni mon cœur et réjoui mon corps.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et tu m'as cru, petite âme blanche et farouche,</div> + <div class="verse">Tel que ton désir vierge encore me voulait</div> + <div class="verse">Pendant tes longs baisers de miel pur et de lait,</div> + <div class="verse">Tant que l'ombre a menti comme mentait ma bouche.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Nulle parole et nulle étreinte et nul baiser</div> + <div class="verse">N'ont trahi la douleur secrète du cilice;</div> + <div class="verse">Mais éveillée avec l'aube révélatrice</div> + <div class="verse">Tu frémissais, Psyché fragile, à te briser,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Si le jour désillant ta paupière sereine</div> + <div class="verse">Au lieu du doux vainqueur que rêvait ton émoi</div> + <div class="verse">Te décelait mes poings crispés même vers toi</div> + <div class="verse">Et mes yeux éperdus de colère et de haine;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Car je te hais de tout ton amour, ô Psyché,</div> + <div class="verse">Pour les jours à venir et les futures heures</div> + <div class="verse">Et les perfides flots de larmes et de leurres</div> + <div class="verse">Qui jailliront un jour de ton être caché.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais avant que la nuit divine m'abandonne,</div> + <div class="verse">Avec le dur métal des gouffres sidéraux</div> + <div class="verse">Je forgerai le masque amoureux d'un héros,</div> + <div class="verse">Rieur comme l'Avril, grave comme l'automne;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mort vivant sur les lèvres mortes d'un vivant,</div> + <div class="verse">Le masque couvrira ma face convulsée;</div> + <div class="verse">Et maintenant que l'aube éclate! O fiancée</div> + <div class="verse">Chez qui la femme, hélas! va survivre à l'enfant.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Eveille-toi, rouvre ta bouche qui s'est tue,</div> + <div class="verse">Tu n'entendras de moi que paroles d'orgueil</div> + <div class="verse">Et je me dresse sous les morsures du deuil</div> + <div class="verse">Lauré d'or et pareil à ma propre statue.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p10">ÉLIANE</h4> + + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des jours et puis des jours ont fui. Je me souviens</div> + <div class="verse">De cette joie ainsi que de quelque étrangère</div> + <div class="verse">Et c'est une féerie encor que j'exagère</div> + <div class="verse">De tout le deuil enclos dans les plaisirs anciens.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais nos baisers furent les fruits des Hespérides</div> + <div class="verse">Dont nous avons mâché la cendre, seulement</div> + <div class="verse">La cendre! le verger solitaire et charmant</div> + <div class="verse">N'a pas calmé la soif de nos lèvres arides.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">D'autres sont revenus semblables à des dieux</div> + <div class="verse">De l'île où par orgueil nous nous aventurâmes;</div> + <div class="verse">Les guirlandes d'amour alourdissaient leurs rames</div> + <div class="verse">Et la galère en fleurs émerveillait les yeux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je ne jalouse pas leurs fanfares de gloire</div> + <div class="verse">Ni les pavois ni les étendards éployés</div> + <div class="verse">Dont l'ombre rouge flotte auprès des boucliers:</div> + <div class="verse">Leur songe était moins beau que notre ivresse noire,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et j'erre en ce jardin fouetté du vent brutal,</div> + <div class="verse">Plus fier que les héros aux soirs d'apothéoses,</div> + <div class="verse">Tandis qu'autour de moi les nostalgiques roses</div> + <div class="verse">S'effeuillent vainement vers l'Orient natal.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je t'aimais et les dieux ont dénoué nos bras,</div> + <div class="verse">Et nous vivons à la dérive au cours des heures;</div> + <div class="verse">Et je ne t'entends plus quand tu ris ou tu pleures:</div> + <div class="verse">Mais je viendrai vers toi quand tu m'appelleras.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">A la dérive! des palais au bord des fleuves,</div> + <div class="verse">D'impérieuses voix m'invitent, dans la nuit</div> + <div class="verse">Et par les aubes; mais qu'importe? l'eau s'enfuit</div> + <div class="verse">Et je ferme mes yeux aux chevelures veuves.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je sais: l'hôtellerie est pleine de buveurs:</div> + <div class="verse">Au mur rit la lambrusque et la rose trémière</div> + <div class="verse">Et les raisins gonflés d'aurore et de lumière</div> + <div class="verse">Versent les vieux soleils dans les cerveaux rêveurs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les sveltes baladins, les joueuses de lyre</div> + <div class="verse">Et les masques d'amour y glissent dans le soir</div> + <div class="verse">Et la terrasse est vide où je pourrais m'asseoir:</div> + <div class="verse">Je n'aborderai pas aux perrons de porphyre;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Nulle reine en manteau de pourpre et d'argent clair</div> + <div class="verse">Ne tendra sur le seuil ses lèvres vers ma bouche;</div> + <div class="verse">Voile noire, carène noire, ombre farouche,</div> + <div class="verse">La nef sans gouvernail s'en va jusqu'à la mer</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et je m'endormirai parmi les vagues vertes,</div> + <div class="verse">Parmi les mornes flots sans borne, à moins qu'un soir,</div> + <div class="verse">Sur une rive heureuse, au sommet de la tour</div> + <div class="verse">Dominant la vallée et les terres désertes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tu ne paraisses dans ta robe de soleil</div> + <div class="verse">Et tu ne m'offres en un geste qui pardonne</div> + <div class="verse">Tes cheveux éployés plus riches que l'automne</div> + <div class="verse">Et les baisers anciens plus doux que le sommeil.</div> + </div> +</div> + + +<h5>III</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je ne sais plus dans quels chemins ni sous quels cieux</div> + <div class="verse">La reine de mon cœur, la reine de mes yeux,</div> + <div class="verse">La souveraine de mes larmes ignorées,</div> + <div class="verse">Qui tord en ses cheveux l'or fauve des vesprées,</div> + <div class="verse">Passa sans un regard vers mon front en exil</div> + <div class="verse">Comme un soleil d'hiver oublieux de l'avril.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Hélas! les lys sont morts; les roses sont fanées;</div> + <div class="verse">L'impitoyable deuil défleurit les années.</div> + <div class="verse">Elle ne connaît plus les choses d'autrefois;</div> + <div class="verse">Son oreille infidèle a désappris ma voix,</div> + <div class="verse">Ma voix tremblante et les paroles murmurées</div> + <div class="verse">Et le frissonnement des étreintes sacrées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et maintenant, et maintenant! je veux en vain</div> + <div class="verse">M'interdire les jours et le passé divin.</div> + <div class="verse">Ma lèvre qu'elle sut délicate naguères</div> + <div class="verse">Est chaude d'une bouche et de baisers vulgaires</div> + <div class="verse">Et j'ai bu pour marcher dans l'ombre de la mort</div> + <div class="verse">Le vin des matelots et des hommes du port.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais cette ivresse est triste, ô reine, et je t'implore.</div> + <div class="verse">Reviens, fais resplendir la gloire de l'aurore.</div> + <div class="verse">Jette sur les bois nus un manteau de printemps</div> + <div class="verse">Et pare les sentiers des roses que j'attends.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sois bienveillante; ou si les beaux jardins des rêves</div> + <div class="verse">Sont clos pour jamais, soit! les heures seront brèves</div> + <div class="verse">Où je vivrai dans la lumière et dans le bruit,</div> + <div class="verse">Et je descendrai seul les marches de la nuit.</div> + </div> +</div> + + +<h5>IV</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Par quelle cruauté des implacables dieux?</div> + <div class="verse">Si loin des jours royaux et pavoisés de joie,</div> + <div class="verse">Un soleil tel que les anciens soleils flamboie</div> + <div class="verse">Et tes cheveux en fleur épouvantent mes yeux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Parmi le deuil hélas! et les ombres tombales,</div> + <div class="verse">Que me veux-tu, sourire impérieux encor</div> + <div class="verse">Qui fais se réveiller avec un sursaut d'or</div> + <div class="verse">Le prestige menteur des aubes triomphales?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Oui: tes lèvres m'étaient douces près de la mer</div> + <div class="verse">Et sur la fauve grève où dormaient les carènes</div> + <div class="verse">Gonflaient d'un chant si pur les conques des Sirènes</div> + <div class="verse">Que des oiseaux neigeaient autour de toi dans l'air</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et que le souvenir des ailes éployées</div> + <div class="verse">Palpite en mes regards éblouis. O rayons</div> + <div class="verse">Eteints! vols disparus d'aigles et d'alcyons!</div> + <div class="verse">Voix morte désormais sur des lèvres souillées!</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Voix morte et pour moi seul vivante: je voudrais</div> + <div class="verse">Ne plus l'entendre et que la terre devînt noire</div> + <div class="verse">Et que la nuit sereine engloutît la mémoire</div> + <div class="verse">De ta beauté semblable aux roses des forêts.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais l'ombre décevante est encore hantée</div> + <div class="verse">Par les dieux importuns qui défendent l'oubli</div> + <div class="verse">Et la poignante fleur au calice pâli</div> + <div class="verse">Sollicite toujours ma bouche ensanglantée.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p11">HYMNIS</h4> + +<p class="dedic"><i>Pour Bernard Lazare.</i></p> + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Face d'ombre, je viens à toi; la nuit m'emporte.</div> + <div class="verse">Poussière évanouie aux plis blancs d'un linceul,</div> + <div class="verse">Pâle vierge oubliée et que j'honore seul</div> + <div class="verse">D'une fleur morte hélas! moins que ta grâce morte,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je viens à toi qui dors au fond des siècles lourds</div> + <div class="verse">Et dont le pur tombeau fait les lèvres fidèles:</div> + <div class="verse">Je n'ai pas entendu les mots qui naissaient d'elles</div> + <div class="verse">Ni goûté la douceur de tes tristes amours:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais je pleure ton corps et son charme équivoque</div> + <div class="verse">Et les baisers trop lents qui l'auraient effleuré,</div> + <div class="verse">Chair de jadis, désir dont je me suis leurré</div> + <div class="verse">Parce qu'un même appel de buccins nous évoque</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Vers les mêmes cyprès noirs et silencieux…</div> + <div class="verse">Vain appel, vaine ombre et menteuses fanfares:</div> + <div class="verse">Jamais je ne clorai de mes lèvres avares</div> + <div class="verse">Tes yeux désenchantés qui connurent les dieux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sommeille loin de moi près de la mer antique</div> + <div class="verse">Sous un ciel insulté par de confuses voix</div> + <div class="verse">Où la vague qui chante encor comme autrefois</div> + <div class="verse">Entrechoque les mâts du port aromatique:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Toujours l'âpre soleil et la foule et l'embrun,</div> + <div class="verse">Loin de moi, troubleront ta poussière ignorée</div> + <div class="verse">Et l'inutile fleur que je t'ai consacrée</div> + <div class="verse">Ne réjouira pas ta cendre d'un parfum.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Viens respirer l'odeur des vignes et des fruits.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ce soir te sera doux comme tes longues nuits,</div> + <div class="verse">Hymnis, enfant qui dors depuis deux mille années,</div> + <div class="verse">Et par le souffle lent des sentes où je fuis</div> + <div class="verse">Les roses du tombeau ne seront point fanées.</div> + </div> + + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je te dédie, enfant, la mourante forêt.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Elle se pare encor malgré son mal secret:</div> + <div class="verse">Tu te reconnaîtras à sa noble agonie,</div> + <div class="verse">Vierge dont le front pâle et fiévreux se paraît</div> + <div class="verse">D'or royal attristé par la blême ancolie.</div> + </div> + + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'automne funéraire embaume les halliers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Hymnis! Hymnis! Hymnis! tes cheveux déliés</div> + <div class="verse">Libres du bandeau strict où tu les emprisonnes</div> + <div class="verse">Ont frôlé des santals et des girofliers</div> + <div class="verse">Et se sont enivrés de cruelles automnes.</div> + </div> + + + <div class="stanza"> + <div class="verse">De plus calmes parfums, ce soir, te charmeront.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pour que ton corps sacré retourne sans affront</div> + <div class="verse">De la forêt qui meurt aux ténèbres divines</div> + <div class="verse">Je veux entrelacer à l'entour de ton front</div> + <div class="verse">Le thyrse noir du lierre aux suprêmes glycines.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p12">CHRYSARION</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sur cette mer toujours déserte où nos yeux vains</div> + <div class="verse">S'égaraient dans l'ennui des solitudes mornes,</div> + <div class="verse">Le navire, aux clameurs des conques et des cornes,</div> + <div class="verse">Fleurit avec l'aurore éclatante; et tu vins,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Apportant le parfum des terres étrangères,</div> + <div class="verse">Le reflet des soleils morts parmi tes cheveux</div> + <div class="verse">Et pour les cœurs lassés, graves et dédaigneux</div> + <div class="verse">L'enchantement de quelques heures plus légères.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Trop de désirs déçus et d'espoirs abusés</div> + <div class="verse">Hantent notre mémoire et sanglotent en elle:</div> + <div class="verse">Nous n'avons pas tendu vers ta chair fraternelle</div> + <div class="verse">Nos lèvres dès longtemps déprises des baisers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais les heures passaient douces comme la soie</div> + <div class="verse">En vêtements tramés de soleil et de nuit,</div> + <div class="verse">Danseuse au collier d'or qui fulgure et s'enfuit,</div> + <div class="verse">Amante triste et grave en marche vers la joie,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et vous qui regardiez des astres abolis,</div> + <div class="verse">Visages inquiets ivres du vieux mensonge,</div> + <div class="verse">O faces de stupeur, d'extases et de songe</div> + <div class="verse">Sur qui l'ombre clémente est tombée à longs plis;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Puis la dernière; et ce fut toi-même, inclinée</div> + <div class="verse">A la poupe et semant des roses dans le soir</div> + <div class="verse">Afin que la galère et le sillage noir</div> + <div class="verse">S'illustrassent encor d'une pourpre fanée</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et que la sombre mer sourît à nos yeux vains.</div> + </div> +</div> + + + + +<h3>L'ERRANTE</h3> + +<p class="dedic"><i>A RACHILDE</i></p> + + + +<h4 id="p13">L'ERRANTE</h4> + +<blockquote class="epi"> +<p>I nunc ad hostem, at in perpetuum mea.</p> + +</blockquote> + +<h5 class="left">I. <i>DE SABLE ET D'OR.</i></h5> + +<p>L'<span class="small">HOMME</span> songe dans le soir somptueux et morne; à la balustrade +croulante de la vieille demeure, il s'est accoudé solitairement +et ses yeux, qui depuis des mois et des années n'ont plus reflété +que les choses silencieuses, regardent au loin, dans les plaines +assombries, s'étager les villes où des foules inconnues aiment, +bataillent, agonisent et s'évanouissent comme des fumées.</p> + +<p>Ici le roc que nul printemps n'a paré, cime triste abreuvée +jadis par le sang des victimes, alors que les dieux stupides se +gorgeaient de sacrifices, cime cruelle où les roses d'Avril n'ont +jamais souri, où les sources n'ont pas pleuré doucement la mort +future des fleurs vouées au vieillard qui les emporte, quand vient +l'automne.</p> + +<p>L'<span class="small">HOMME</span> songe dans le soir somptueux et morne; tandis que le +ciel flamboie d'une plus rouge gloire et que l'or insultant les +ténèbres enrichit ses prunelles, des bûchers tragiques s'effondrent +et l'âme déserte est envahie par un tumulte de chevauchée; tourbillons +de fer, gueules hurlantes, éclairs de glaive, chevelures et +crinières confondues, la horde passe dans sa pensée.</p> + +<p>Et l'<span class="small">HOMME</span> se détourne du spectacle éclatant; ailleurs la terrasse +est interrompue: les pesantes eaux d'un lac sans fond +baignent de leur horreur immobile la roche qui disparaît dans le +vertige de l'abîme. Maintenant l'<span class="small">HOMME</span> marche, les yeux ivres de +nuit, vers le lac d'ombre monotone et sa voix lassée frôle de +lentes paroles les ondes sépulcrales, les ondes épaisses qui ne +frissonnent pas.</p> + + +<p class="p">L'HOMME</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Nuit moins sinistre que le soir, ô nuit rebelle</div> + <div class="verse">A mon désir, tu n'es pas l'ombre que j'appelle</div> + <div class="verse">Et trop d'astres encor m'offusquent de clarté</div> + <div class="verse">Pour que je boive en toi les coupes du Léthé.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Autrefois, j'ai vécu derrière les murailles</div> + <div class="verse">Des villes; je connais les brèves funérailles</div> + <div class="verse">De toute joie et vers la cime et vers la tour,</div> + <div class="verse">Pour le muet exil que je veux sans retour,</div> + <div class="verse">J'ai fui l'âcre parfum des roses effeuillées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Lorsque je suis venu, les portes verrouillées</div> + <div class="verse">Pleuraient plaintivement comme des chiens meurtris,</div> + <div class="verse">Et j'oubliais le monde et méprisais leurs cris:</div> + <div class="verse">Mais la pierre me parle ainsi qu'une vivante</div> + <div class="verse">Maintenant, et flambeau d'angoisse et d'épouvante,</div> + <div class="verse">Dans mon cœur las du crépuscule rouge et noir,</div> + <div class="verse">Chaque étoile qui monte allume un triste espoir.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Eaux bienheureuses, vos paupières sont voilées:</div> + <div class="verse">Aucun rêve de ciel et d'algues emmêlées</div> + <div class="verse">N'ondule dans le calme abîme; nul reflet</div> + <div class="verse">Des jours antérieurs où l'aube étincelait</div> + <div class="verse">Sur votre moire alors juvénile et chantante</div> + <div class="verse">Ne se réveille en vous par la nuit éclatante</div> + <div class="verse">Avec le souvenir d'un antique soleil.</div> + <div class="verse">Eaux bienheureuses, vous dormez du vrai sommeil.</div> + <div class="verse">Vous les pâles, vous les froides et les obscures,</div> + <div class="verse">Vous les mortes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse indent4">J'attends les suprêmes augures,</div> + <div class="verse">Les cygnes éternels ouvrant leur vol sacré,</div> + <div class="verse">Et l'heure, enfin libératrice, où je serai,</div> + <div class="verse">Eaux bienheureuses, lac de nuit, lac de silence,</div> + <div class="verse">Digne de votre accueil et de votre clémence.</div> + </div> +</div> + +<p>Ainsi le solitaire invoque les ondes fatidiques. Mais pendant +qu'il parle, les étoiles plus nombreuses ruissellent sur les pentes +abruptes et l'<span class="small">ERRANTE</span> est survenue; ses haillons brochés d'or +illusoire par les astres dénoncent les routes hostiles, les morsures +du vent, peut-être l'agression de mains brutales. Furtive elle +s'est assise sur les marches disjointes et l'<span class="small">HOMME</span> tout à coup se +trouve face à face avec elle.</p> + +<p class="p">L'HOMME</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Va-t'en. Que me veux-tu, larve ou fantôme humain,</div> + <div class="verse">Dont le pas sacrilège usurpe mon chemin:</div> + <div class="verse">J'ignore quel passé funéraire t'escorte</div> + <div class="verse">Et me barre avec toi la route de la porte,</div> + <div class="verse">Ou si ta robe aux plis ténébreux de son deuil</div> + <div class="verse">Recèle un étendard de victoire et d'orgueil,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais qu'importe? tu viens des carrefours vulgaires,</div> + <div class="verse">Et tendresse, douleur, pourpre illustre des guerres,</div> + <div class="verse">Clameurs des foules furieuses, bruit des pas,</div> + <div class="verse">Gestes des suppliants, monde, je ne veux pas,</div> + <div class="verse">Quand je me penche enfin vers l'ombre sans aurore,</div> + <div class="verse">Qu'un souvenir des jours anciens attente encore</div> + <div class="verse">A mon âme recluse et mûre pour la nuit.</div> + <div class="verse">Va-t'en.</div> + </div> +</div> + +<p class="p">L'ERRANTE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse indent4">Je suis venue où le soir me conduit,</div> + <div class="verse">Par le soleil ou par la pluie aux larges gouttes,</div> + <div class="verse">Après des routes et des routes et des routes.</div> + <div class="verse">Quand je suivais la mer aux heures de reflux</div> + <div class="verse">Le sable de la grève a brûlé mes pieds nus;</div> + <div class="verse">Et ma chair a saigné de toutes les épines</div> + <div class="verse">A travers les fourrés, les ronces des ravines</div> + <div class="verse">Et les ajoncs aux rudes marges des marais.</div> + <div class="verse">Mais partout, aussitôt que la terre où j'errais</div> + <div class="verse">Portait empreinte sur l'argile ou sur l'arène</div> + <div class="verse">La trace des vivants, j'ai fui. Je sais la haine</div> + <div class="verse">Dont ils poursuivent la passante et sur mes yeux</div> + <div class="verse">Ont pesé trop souvent leurs poings injurieux</div> + <div class="verse">Pour que je m'aventure ayant vu leurs foulées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Seuls parfois les palais des villes écroulées</div> + <div class="verse">Sous leurs porches déchus fraternels à mon sort</div> + <div class="verse">M'ont offert un sommeil puissant comme la mort.</div> + <div class="verse">La solitude ment où tu viens d'apparaître;</div> + <div class="verse">L'asile de repos que je croyais sans maître</div> + <div class="verse">Abrite hélas! ton âme fauve de vivant:</div> + <div class="verse">Je quitterai le seuil et le toit décevant</div> + <div class="verse">Où ton deuil autre que mon deuil se cache et pleure</div> + <div class="verse">L'ombre immense est hospitalière.</div> + </div> +</div> + +<p class="p">L'HOMME</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse indent4">Non, demeure,</div> + <div class="verse">Puisque la volonté de ton sort et du soir</div> + <div class="verse">A mené tes pieds las vers le morne manoir</div> + <div class="verse">Et vers l'hôte imprévu dressé devant ta face</div> + <div class="verse">En qui ta voix a fait s'épanouir, vivace,</div> + <div class="verse">Une fleur de jadis aux pistils oubliés.</div> + <div class="verse">J'y consens: ô soleils abolis, flamboyez</div> + <div class="verse">Encore, surgissez dans ma sombre mémoire</div> + <div class="verse">En aube de suprême et cinéraire gloire</div> + <div class="verse">Avant que cette chair s'engloutisse à jamais;</div> + <div class="verse">Et toi, dolente ombre d'une ombre que j'aimais</div> + <div class="verse">Et qui m'a refusé ses lèvres mensongères,</div> + <div class="verse">Toi qui dormis sous des étoiles étrangères</div> + <div class="verse">Des sommeils flagellés par l'âpre fouet du vent,</div> + <div class="verse">Entre sans peur avec un sourire d'enfant</div> + <div class="verse">Et l'ingénuité d'une âme puérile</div> + <div class="verse">Dans la vieille maison où le hasard t'exile.</div> + </div> +</div> + +<p class="p">L'ERRANTE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je ne sais même pas ce qu'on nomme les ans,</div> + <div class="verse">Ni combien de matins, combien de jours pesants</div> + <div class="verse">Ont écrasé l'errante amère et résignée,</div> + <div class="verse">Homme, ni quelles eaux lustrales l'ont baignée</div> + <div class="verse">Où le secret des dieux demeure enseveli,</div> + <div class="verse">Quelles eaux de pitié, de refuge et d'oubli,</div> + <div class="verse">Emportant dans le cours pacifique des fleuves</div> + <div class="verse">Tout un faix dilué de souffrance et d'épreuves.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">A peine un souvenir obscur survit en moi,</div> + <div class="verse">Heure d'angoisse, heure de détresse et d'effroi</div> + <div class="verse">Qui m'a fait tressaillir d'une crainte ignorée:</div> + <div class="verse">Des reîtres ont voulu m'entraîner, à l'orée</div> + <div class="verse">De la forêt; j'ai fui leurs lèvres et leurs mains,</div> + <div class="verse">Eperdue, à travers les rochers sans chemins,</div> + <div class="verse">Et je frissonne encor de l'étreinte éludée</div> + <div class="verse">Jadis, quand mon horreur de vierge dénudée</div> + <div class="verse">Écoutait survenir l'approche des pas lourds.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Cependant par des soirs, solitaires toujours,</div> + <div class="verse">J'ai miré mon visage au miroir des fontaines</div> + <div class="verse">Et tendu vers mon front des lèvres incertaines</div> + <div class="verse">Dont la source perfide a glacé le désir;</div> + <div class="verse">Et l'ombre s'effaça que j'ai voulu saisir,</div> + <div class="verse">Comme un pâle soleil qui sombre au flot nocturne,</div> + <div class="verse">Sans avoir accueilli mon baiser taciturne.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais voici que ta voix grave qui m'effrayait</div> + <div class="verse">Parle plus doucement à mon cœur inquiet</div> + <div class="verse">Et qu'après les assauts de la tempête rude</div> + <div class="verse">Des astres bienveillants dorent la solitude.</div> + <div class="verse">Donc j'entrerai sans peur dans la maison.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse indent4">Salut,</div> + <div class="verse">Seuil, et que les haillons du passé révolu</div> + <div class="verse">S'envolent de ma chair au vent qui les emporte</div> + <div class="verse">Ainsi qu'un vain linceul d'où jaillit une morte</div> + <div class="verse">Pour renaître en splendeur de soleil exalté,</div> + <div class="verse">Belle de sa jeunesse et de sa nudité.</div> + </div> +</div> + + +<h5 class="left">II. <i>DE GUEULES.</i></h5> + +<p>Dans la mélancolique demeure où les murs s'émerveillaient de +sa beauté, saluée par les figures amies des lices, irradiant l'eau +ternie des miroirs, l'<span class="small">ERRANTE</span> est entrée blanche et nue.</p> + +<p>Elle n'a point refusé ses lèvres et les rouges floraisons de la +joie ont fleuri impérieusement, par la vibrante offrande de son +corps à l'<span class="small">HOMME</span> éveillé d'un long rêve.</p> + +<p>Il a plongé dans les coffrets de bronze ses mains fiévreuses et +prodigues, et l'armure d'or et les brocarts et les gemmes et le +glaive ont échappé aux chaînes noires des ténèbres.</p> + +<p>Sur les seins et sur les épaules de l'<span class="small">ERRANTE</span>, tous les trésors +enfouis dans le sépulcre du silence depuis des siècles, des ans et +des jours, resplendissent avec l'aurore.</p> + +<p>Au seuil matinal de la porte, elle se dresse en sa robe de +pourpre qui recèle sous le sang figé de la soie, avec la cotte de +mailles, l'irréprochable acier du glaive.</p> + +<p>Pensive, elle s'est retournée vers l'<span class="small">HOMME</span> qui fait un geste +d'adieu, et comme hésitante et retenue par la puissance d'une +main invisible, elle tarde à franchir le seuil.</p> + +<p class="p">L'ERRANTE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je le sais: mon destin m'entraîne et tu le veux,</div> + <div class="verse">J'irai. Je dois offrir aux chocs tumultueux</div> + <div class="verse">Dès le premier appel de l'aube avant-courrière</div> + <div class="verse">Ma poitrine héroïque et libre de guerrière;</div> + <div class="verse">Et mon poing brandira le glaive désormais.</div> + <div class="verse">Je le sais: mais l'exil sombre où tu t'enfermais</div> + <div class="verse">S'illumine pour toi de ma chair apparue,</div> + <div class="verse">Et radieuse encor, même absente, j'obstrue</div> + <div class="verse">Les portes de la nuit que tu heurtais déjà.</div> + <div class="verse">Ami, dont ma venue importune outragea</div> + <div class="verse">Le manoir de silence et d'ombre inviolée,</div> + <div class="verse">Pardonne, pour ton deuil de solitude emblée,</div> + <div class="verse">A l'Errante qui part, chaude de tes baisers.</div> + </div> +</div> + +<p class="p">L'HOMME</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Va: le soleil bondit dans les cieux embrasés;</div> + <div class="verse">C'est l'heure, il faut franchir le seuil et vers les villes</div> + <div class="verse">Te ruer en clamant aux oreilles serviles</div> + <div class="verse">Tout ce que les tombeaux t'ont livré de secrets.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Viens et regarde: là de houleuses forêts</div> + <div class="verse">Où les pasteurs de porcs se vautrent dans les bauges;</div> + <div class="verse">Puis des plaines, rumeurs des blés, parfum des sauges,</div> + <div class="verse">Et les paysans nus courbés sous les sillons</div> + <div class="verse">A jamais; et plus loin des foules en haillons,</div> + <div class="verse">Troupeaux lâches que tu mueras en fauves hardes,</div> + <div class="verse">Tournent vers le palais des prunelles hagardes</div> + <div class="verse">Et des poings décharnés par l'immuable faim</div> + <div class="verse">Sans que la torche encor s'enflamme dans leur main.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ce qui fut moi naguère et richesse stérile</div> + <div class="verse">Et dépouille des temps silencieux rutile</div> + <div class="verse">Autour de ton front jeune et de tes seins altiers:</div> + <div class="verse">Voici venir un vol de cygnes éployés,</div> + <div class="verse">Le vol tardif et sûr des prophétiques ailes</div> + <div class="verse">Qui m'invite au sommeil des ondes éternelles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Va: la chair que la mort heureuse requérait</div> + <div class="verse">S'évanouit parmi les choses, sans regret,</div> + <div class="verse">Maintenant que tu m'as affranchi de moi-même</div> + <div class="verse">Et que tu peux, maîtresse enfin du double emblème,</div> + <div class="verse">Descendre vers les serfs de la glèbe et des murs</div> + <div class="verse">Et, selon le vouloir des trois monstres obscurs,</div> + <div class="verse">Tendre le rameau d'or ou férir de l'épée.</div> + </div> +</div> + +<p>L'<span class="small">HOMME</span> disparaît sous les eaux immobiles, sous les eaux +épaisses où ne palpite aucune lueur. L'<span class="small">ERRANTE</span> contemple longuement +le lac d'ombre monotone, puis marche, auréolée par la +gloire du matin, vers les plaines et vers les villes orientales, +tandis que sa voix dans la solitude chante les batailles futures.</p> + +<p class="p">L'ERRANTE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Homme, revis en moi. Dans ma dextre crispée</div> + <div class="verse">Je serre puissamment le pommeau froid du glaive</div> + <div class="verse">Et si le monstre ancien se rebelle et se lève,</div> + <div class="verse">Je rougirai le sol de sa tête coupée,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Moi, celle qui connaît les suprêmes paroles</div> + <div class="verse">Et toute la douleur avec toute la joie;</div> + <div class="verse">Je chasserai le loup et l'hyène de proie</div> + <div class="verse">Et je veux emporter les royales corolles</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Que les dragons jaloux gardaient des mains humaines:</div> + <div class="verse">Afin que le parfum des roses inconnues,</div> + <div class="verse">Epars farouchement sous la voûte des nues,</div> + <div class="verse">Suscite dans les cœurs les désirs et les haines,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je viens à vous, frères penchés sur les emblaves,</div> + <div class="verse">Attelés à la meule au fond de l'ergastule;</div> + <div class="verse">Mon verbe lacérant l'antique crépuscule</div> + <div class="verse">Souffle une âme de pourpre à vos âmes d'esclaves;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Redressez-vous; sarclez les herbes parasites:</div> + <div class="verse">Lancez contre le ciel les pierres de vos geôles,</div> + <div class="verse">Et que les murs vaincus par vos fortes épaules</div> + <div class="verse">Vous ouvrent le jardin des terres interdites</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Où, plus belles, des fleurs de rêve vont éclore</div> + <div class="verse">En butin triomphal pour les races vengées,</div> + <div class="verse">Tandis que le sang vil des bêtes égorgées</div> + <div class="verse">Se mêle par mon glaive au sang pur de l'aurore.</div> + </div> +</div> + + + + +<h3>VERS L'AURORE</h3> + +<p class="dedic"><i>A A.-FERDINAND HEROLD</i></p> + + + +<h4 id="p14">LES AUMONIÈRES</h4> + +<p class="dedic"><i>A A.-F. Plicque.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sur la grève qu'avaient souillée</div> + <div class="verse">Les conquérants et les héros,</div> + <div class="verse">Près de la mer pacifiée</div> + <div class="verse">Pleine des frissons auguraux,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les poings perdus dans les crinières</div> + <div class="verse">De leurs chevaux roses et blancs,</div> + <div class="verse">C'étaient les bonnes aumônières</div> + <div class="verse">Qui reviennent tous les mille ans.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Cymodoce, Aglaure, Euryanthe,</div> + <div class="verse">Au caprice d'un galop fou</div> + <div class="verse">Elles passaient; leur flamboyante</div> + <div class="verse">Chevelure brûlait leur cou.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Lèvres douces comme la soie,</div> + <div class="verse">Lumineuses comme les cieux,</div> + <div class="verse">Elles chantaient un chant de joie</div> + <div class="verse">Vers l'Océan mystérieux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tandis que vibraient des abeilles</div> + <div class="verse">Autour des étalons loyaux,</div> + <div class="verse">Elles plongeaient dans des corbeilles</div> + <div class="verse">Leurs bras riches de lourds joyaux</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et brandissant leurs mains sacrées,</div> + <div class="verse">Bonnes au yeux chargés de pleurs,</div> + <div class="verse">Parmi les vagues empourprées</div> + <div class="verse">Semaient d'impériales fleurs;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Car les coroles millénaires</div> + <div class="verse">Eparses en vol d'Orient</div> + <div class="verse">Calment les antiques colères</div> + <div class="verse">Et charment le vieil Océan.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p15">MARE TENEBRARUM</h4> + +<p class="dedic"><i>A Emile Gallé.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Durant les jours de brume et les soirs sans étoiles</div> + <div class="verse">Le vent triste a fané la pourpre de nos voiles;</div> + <div class="verse">Mais nos cœurs s'attardant aux soleils révolus</div> + <div class="verse">Oubliaient le deuil vain des flux et des reflux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La barque tressaillait de la poupe à la proue</div> + <div class="verse">Avec le ronflement d'un cheval qui s'ébroue;</div> + <div class="verse">Mais nos cœurs enchantés de chants évanouis</div> + <div class="verse">Oubliaient la clameur des vagues et des nuits.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Hier l'Aurore brusque a jailli de nos rêves;</div> + <div class="verse">Le marbre bleu des mers et l'or fauve des grèves</div> + <div class="verse">Eblouissaient nos yeux brûlés par les embruns</div> + <div class="verse">Et le dragon rostral s'enivrait de parfums.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais l'ombre en flocons noirs a neigé sur nos âmes,</div> + <div class="verse">L'ombre que nul soleil ne fondra de ses flammes</div> + <div class="verse">Et déjà le dragon, loin des havres heureux,</div> + <div class="verse">Mord les antiques flots glacés et ténébreux.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p16">LE PÈLERINAGE HORS DE L'OMBRE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Remy de Gourmont.</i></p> + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ame riche de nuit, d'étoiles et de rêves</div> + <div class="verse">Qui puisas des trésors aux urnes d'un tombeau</div> + <div class="verse">N'abandonneras-tu jamais tes blêmes grèves</div> + <div class="verse">Pour cette ville en fleurs sous le printemps nouveau?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ame riche de nuit, mon âme, tu recèles</div> + <div class="verse">Assez d'astres perdus et de soleils éteints:</div> + <div class="verse">Viens connaître la chair et les lèvres de celles</div> + <div class="verse">Qui tendent leurs seins nus aux pourpres des matins</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et font en souriant à l'aurore sereine</div> + <div class="verse">Fluer entre leurs doigts le sable et leurs cheveux,</div> + <div class="verse">Pour que, vivante enfin, ma bouche amère apprenne</div> + <div class="verse">A goûter le miel blond des heures. Tu le veux,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ame lasse déjà des ivresses futures,</div> + <div class="verse">Toi qui n'as rien chéri que les pleurs et la mort:</div> + <div class="verse">Le vent gonfle d'amour les voiles toujours pures:</div> + <div class="verse">Loin de l'île où la blanche Hymnis repose et dort,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pour moi seul, dans le vain cénotaphe des roses,</div> + <div class="verse">Nous irons conquérir son corps ressuscité;</div> + <div class="verse">Sans doute elle revit par les métempsycoses</div> + <div class="verse">Sur le sol oublieux que parait sa beauté</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et parmi les parfums sauvages des galères,</div> + <div class="verse">Les chiens, les portefaix qui geignent en marchant,</div> + <div class="verse">Elle va, lourde encor des gloires tumulaires,</div> + <div class="verse">Sans que nul ait compris la douceur de son chant.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'écume violée a neigé de la proue;</div> + <div class="verse">Les mauves qui mouillaient leurs plumes aux flots noirs</div> + <div class="verse">Ont secoué le sel des vagues sur ma joue.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le sel des vagues! Tels les pleurs d'antiques soirs</div> + <div class="verse">Enrichirent jadis de gemmes dissipées</div> + <div class="verse">Ces yeux fous aujourd'hui d'aventure et d'espoirs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Puis la forêt flamba de cruelles épées;</div> + <div class="verse">Mais plus d'ombre tombait des branchages pieux</div> + <div class="verse">Pour voiler le sommeil inquiet des Napées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ainsi les âpres bois ont défendu mes yeux</div> + <div class="verse">Jadis et quand le jour en troublait l'eau tranquille,</div> + <div class="verse">Ils étalaient dans l'air leur deuil impérieux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Or maintenant, voici les portes de la ville;</div> + <div class="verse">Je franchirai les murs sans désir de retour</div> + <div class="verse">Heureux si dans la solitude où je m'exile</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'ombre descend sur moi du temple et de la tour.</div> + </div> +</div> + + +<h5>III</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Farouche de voir les aurores</div> + <div class="verse">Et les soleils épanouis,</div> + <div class="verse">L'eau tressaillait dans les amphores</div> + <div class="verse">Sur la marge grise des puits</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les ténèbres souterraines,</div> + <div class="verse">Les iris de sombre cristal</div> + <div class="verse">Se flétrissaient comme des reines</div> + <div class="verse">Captives d'un soudard brutal.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les servantes et les esclaves</div> + <div class="verse">Riaient à l'entour; mais tu vins,</div> + <div class="verse">Et tu voilas de voiles graves</div> + <div class="verse">Les filles des antres divins.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Protectrice des eaux dolentes</div> + <div class="verse">Qui sais les rites d'autrefois,</div> + <div class="verse">J'ai trempé mes lèvres tremblantes</div> + <div class="verse">A la coupe triste où tu bois:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Souviens-toi d'heures et d'années</div> + <div class="verse">Et de soleils, étends les mains</div> + <div class="verse">Vers les clématites fanées,</div> + <div class="verse">Vers les étoiles des jasmins;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et sur la terre des merveilles</div> + <div class="verse">Que pavoisaient de nobles cieux</div> + <div class="verse">Fais refleurir les belles treilles</div> + <div class="verse">De nos jardins silencieux.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p17">NATIVITÉ</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'enfant né de la terre et libéré par elle</div> + <div class="verse">Tendit, farouche et nu, son torse impérieux</div> + <div class="verse">Hors de l'antre où mourait la nuit surnaturelle;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais la brusque splendeur du soleil et des cieux,</div> + <div class="verse">Lacérant l'ombre avec des griffes empourprées,</div> + <div class="verse">Ne fit pas tressaillir l'eau calme de ses yeux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Désormais dédaigneux des fontaines sacrées,</div> + <div class="verse">Il buvait puissamment la lumière et l'orgueil,</div> + <div class="verse">O ténèbres en pleurs, ô mères éventrées!</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et quand il eut vaincu les lianes du seuil</div> + <div class="verse">Et déployé sa chevelure dans l'aurore,</div> + <div class="verse">Les arbres lui chantaient un chant de bon accueil.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dans l'allégresse de la force qui s'essore</div> + <div class="verse">Il marchait à travers la natale forêt,</div> + <div class="verse">Attentif aux frissons du feuillage sonore;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Autour de lui le vol des abeilles vibrait</div> + <div class="verse">Et le miel embaumant ses lèvres fatidiques</div> + <div class="verse">Révélait à son cœur l'ineffable secret</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">De la vie immortelle et des sèves antiques.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p18">LE CHÈVRE-PIEDS</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sous cette roche en pleurs où dort la femme nue,</div> + <div class="verse">Nuage d'aube éparse en la menteuse nuit,</div> + <div class="verse">Le chèvre-pieds regarde à travers l'eau qui flue</div> + <div class="verse">Les lointaines maisons de labeur et de bruit.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les tristes paysans se penchent vers la glèbe</div> + <div class="verse">Pour un baiser de serfs et de jaloux amants</div> + <div class="verse">Dont la bouche haineuse évoque de l'Erèbe</div> + <div class="verse">L'or futur des épis et des riches froments.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Avares de moissons qui fatiguent les granges,</div> + <div class="verse">Ils méprisent l'aurore et les soleils couchants</div> + <div class="verse">Et leur oreille est close aux paroles étranges</div> + <div class="verse">Qui montent des taillis, des sources et des champs;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et la charrue, avec les jours et les années,</div> + <div class="verse">Impitoyable au deuil des bois mystérieux</div> + <div class="verse">Offense la beauté des forêts profanées</div> + <div class="verse">Où rôdaient librement les fauves et les dieux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais le sylvain survit à la sylve abattue;</div> + <div class="verse">Dans l'antre encor voilé de feuillage, sa chair</div> + <div class="verse">Immortelle, à travers les siècles, perpétue</div> + <div class="verse">Le grand frisson d'amour qui fait tressaillir l'air;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et dans les flancs d'une passante solitaire</div> + <div class="verse">Il sème au chant des eaux et des rameaux flottants</div> + <div class="verse">Des fils aventureux affranchis de la terre</div> + <div class="verse">En qui bout la jeunesse héroïque des temps.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p19">FLAMMES</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Parmi les âcres fleurs des lauriers, cette voix</div> + <div class="verse">Évocatrice en nous de gloire révolue</div> + <div class="verse">Émanait de la mer, du soir et d'autrefois:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">«Enfants tristes, penchés vers l'ombre, l'ombre afflue</div> + <div class="verse">Et monte jusqu'à vos lèvres avec les flots</div> + <div class="verse">Dont vous enivriez votre âme irrésolue.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La séculaire nuit opprime vos yeux clos,</div> + <div class="verse">Enfants tristes, et vos poitrines lacérées</div> + <div class="verse">Se gonflent lâchement de stériles sanglots.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Si votre bouche a soif des aubes empourprées</div> + <div class="verse">Et du sang lumineux qui sacre le matin</div> + <div class="verse">Quel sortilège encor vous attrait aux vesprées?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">D'un geste, dans la nuit, décisif et hautain,</div> + <div class="verse">Reniez le poison des ondes léthéennes</div> + <div class="verse">Et marchez sans retour vers un autre destin.»</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Frénétiques, hors des ténèbres anciennes</div> + <div class="verse">Nous avons fait jaillir dans le ciel morne et noir</div> + <div class="verse">Une farouche aurore à la cime des chênes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et dociles au cri de désir et d'espoir,</div> + <div class="verse">Nous respirons les roses rouges de la joie,</div> + <div class="verse">Depuis que déjouant les embûches du soir</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La torche avec l'épée à notre poing flamboie.</div> + </div> +</div> + + + + +<h3>LE JARDIN DE CASSIOPÉE</h3> + +<p class="dedic"><i>A ALFRED VALLETTE</i></p> +<blockquote class="epi"> +<p>Cassiopée, s'étant déclarée, par orgueil, +plus belle que les Néréides, dut exposer +au monstre marin sa fille Andromède, +qui fut délivrée par Persée. Après sa +mort, Cassiopée fut mise au rang des +Constellations.</p> + +<p class="attr">(<span class="sc">Mythographes Grecs.</span>)</p> +</blockquote> + + + +<h4 id="p20">LE JARDIN DE CASSIOPÉE</h4> + + +<p class="p">L'HOMME</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sans matins blancs et sans étoiles dans la nuit,</div> + <div class="verse">A travers le brouillard où soufflait le vent rude,</div> + <div class="verse">J'ai cheminé de solitude en solitude</div> + <div class="verse">N'ayant pour compagnon que l'immuable ennui.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Derrière les rocs noirs qui portent le ciel triste,</div> + <div class="verse">Monotone, la mer invisible pleurait;</div> + <div class="verse">Et jusqu'à l'horizon barré par la forêt,</div> + <div class="verse">Les maigres tamaris et l'âpre fleur du ciste.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Puis des jours mornes dans le silence des bois</div> + <div class="verse">Pesèrent sur mon front en gouttes d'ombre lourde:</div> + <div class="verse">Nul bruit d'oiseau qui chante ou de source qui sourde</div> + <div class="verse">N'a dissipé l'horreur d'ouïr ma seule voix;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et ce fut à nouveau la lande grise et plate,</div> + <div class="verse">La houle des genévriers et des ajoncs,</div> + <div class="verse">Que n'illustra jamais de tragiques rayons</div> + <div class="verse">Quelque couchant royal au manteau d'écarlate.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais le riche verger m'attend. O treilles d'or,</div> + <div class="verse">Saurai-je encor saisir vos grappes immortelles,</div> + <div class="verse">Les mains lasses d'avoir cueilli des asphodèles</div> + <div class="verse">Et de sombres pavots qui conseillent la mort?</div> + </div> +</div> + +<p class="p">CASSIOPÉE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Qui que tu sois, passant envoyé par le sort,</div> + <div class="verse">Venu des ténébreux chemins, franchis la haie,</div> + <div class="verse">Cueille d'un seul regard toute la roseraie,</div> + <div class="verse">Que ses vivants parfums te sauvent de la mort!</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tends les mains; le verger de force et de liesse</div> + <div class="verse">Que n'a pas envahi l'ombre du dernier dieu</div> + <div class="verse">T'offre les raisins clairs, les oranges de feu,</div> + <div class="verse">Et si ta lèvre a soif d'amour, l'aube acquiesce,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La mer chante; appelé par les conques des flots,</div> + <div class="verse">Après les jours ou les longs mois de bonne halte,</div> + <div class="verse">Tu partiras: le vin des amphores exalte</div> + <div class="verse">L'orgueil viril et pur qui sacre les héros</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et son baume puissant délivre l'âme esclave;</div> + <div class="verse">Tu partiras dans la splendeur d'un soir d'été</div> + <div class="verse">Tel que le soleil rouge au ciel ensanglanté</div> + <div class="verse">Teigne en pourpre l'embrun de neige sous l'étrave.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tourbillonne le vol des typhons éployés!</div> + <div class="verse">Qu'importe au pèlerin dédaigneux et farouche</div> + <div class="verse">Ivre éternellement d'avoir bu sur ma bouche</div> + <div class="verse">Le mépris du ciel vide et des dieux reniés!</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p21">VOIX DERRIÈRE LA HAIE</h4> + + +<p class="l10"><i>VENDÉMIAIRE</i></p> +<p class="c">LES VENDANGEURS</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les sarments rampaient entre les pierres</div> + <div class="verse">Ou montaient au tronc rugueux des ormes,</div> + <div class="verse">Tordus et noués en nœuds difformes</div> + <div class="verse">Comme des orvets et des vipères.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Courbés sous le fouet des rois avares,</div> + <div class="verse">Nous avons versé nos pleurs, nos peines;</div> + <div class="verse">Nous avons ouvert nos pâles veines,</div> + <div class="verse">Nous avons nourri les vignes rares;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Nous avons pillé les ceps d'automne;</div> + <div class="verse">Le moût bruissait au fond des cuves,</div> + <div class="verse">Pour les maîtres, saouls de chauds effluves,</div> + <div class="verse">Le sang de nos cœurs emplit la tonne.</div> + </div> +</div> + + +<p class="l10"><i>NIVOSE</i></p> +<p class="c">LES COUPEURS DE ROSEAUX</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'eau langoureuse endormait les saules;</div> + <div class="verse">Vers le déclin des tièdes journées</div> + <div class="verse">Elle frôlait de lèvres pâmées</div> + <div class="verse">Les seins roses, les blanches épaules.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le chœur estival des femmes nues</div> + <div class="verse">Plus doux que le chant des tourterelles</div> + <div class="verse">Propageait parmi les roseaux grêles</div> + <div class="verse">Le frisson de voluptés inconnues.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Roseaux, vous clorez nos pauvres huttes.</div> + <div class="verse">D'autres prendront vos fragiles âmes;</div> + <div class="verse">Ils évoqueront les belles femmes</div> + <div class="verse">Avec la voix magique des flûtes.</div> + </div> +</div> + + +<p class="l10"><i>FLORÉAL</i></p> +<p class="c">LES TISSERANDS</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Notre peau s'use au fer des navettes,</div> + <div class="verse">Notre peau gerce à tistre la soie;</div> + <div class="verse">Dehors le printemps chante et flamboie:</div> + <div class="verse">Nous ne connaissons ni fleurs ni fêtes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Toujours notre front dolent s'incline</div> + <div class="verse">Vers le métier dès la prime aurore;</div> + <div class="verse">Toujours nos doigts fanés font éclore</div> + <div class="verse">De fraîches fleurs dans l'étoffe fine.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et sur le linceul et sur les langes</div> + <div class="verse">Des empereurs porphyrogénètes</div> + <div class="verse">Nous entrelaçons les fauves bêtes</div> + <div class="verse">Qui rôdent dans nos songes étranges.</div> + </div> +</div> + + +<p class="l10"><i>THERMIDOR</i></p> +<p class="c">LES MARINS</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Nous avons dompté les mers funèbres</div> + <div class="verse">Et vaincu leurs gueules forcenées:</div> + <div class="verse">La lèpre mord nos mains décharnées</div> + <div class="verse">Ronge la moelle de nos vertèbres.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">En vain le soleil d'été rayonne:</div> + <div class="verse">Car nous nous traînons dans les venelles,</div> + <div class="verse">Grelottant de fièvres éternelles,</div> + <div class="verse">Et sur nos os la laine frissonne.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Cependant nous portions dans la cale</div> + <div class="verse">La poudre d'or et les aromates</div> + <div class="verse">Et de souples filles aux chairs mates</div> + <div class="verse">Mûres de lumière orientale.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p22">LA DOULEUR A CRIÉ</h4> + + +<p class="p">L'HOMME</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La douleur a crié du fond des belles heures.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les roses du jardin, le parfum que tu fleures</div> + <div class="verse">L'opulente senteur de l'été triomphant</div> + <div class="verse">S'évanouit; le meurtre souffle avec le vent:</div> + <div class="verse">La douleur a crié du fond des belles heures.</div> + </div> + + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pantelante, Andromède agonise à jamais.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Un suprême baiser aux lèvres que j'aimais,</div> + <div class="verse">Et dans le rouge soir je brandirai l'épée,</div> + <div class="verse">Puisque hors du verger calme, Cassiopée,</div> + <div class="verse">Pantelante, Andromède agonise à jamais</div> + </div> + + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais l'invincible orgueil vit dans les treize étoiles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Si la tempête hurle et lacère les voiles,</div> + <div class="verse">J'attends sans peur l'assaut des vagues et des cieux;</div> + <div class="verse">Les astres immortels réconfortent mes yeux</div> + <div class="verse">Et l'invincible orgueil vit dans les treize étoiles.</div> + </div> +</div> + + + + +<h2>LA GLOIRE DU VERBE</h2> + + + + +<h3>LA GLOIRE DU VERBE</h3> + +<p class="dedic"><i>A CAMILLE BLOCH</i></p> + + + +<h4 id="p23">LA GLOIRE DU VERBE</h4> + + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Une nuit langoureuse et sereine enveloppe</div> + <div class="verse">D'un cercle de lapis ouvré de roses d'or</div> + <div class="verse">Les barques, essaim las de cygnes sans essor,</div> + <div class="verse">Les palmiers, les canaux, les plaines et Canope;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et des flambeaux pareils à des soleils couchants</div> + <div class="verse">Illuminent la soie et les gemmes persanes.</div> + <div class="verse">Tandis qu'au rire aigu des jeunes courtisanes</div> + <div class="verse">Les nefs, lourdes d'amour, glissent avec des chants.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les esclaves courbés effleurent de leurs rames</div> + <div class="verse">Les papyrus géants teints de brèves clartés</div> + <div class="verse">Et l'eau lente roulant des flots de voluptés</div> + <div class="verse">Où se mirent les yeux et les seins nus des femmes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais non loin, sourd au bruit sacrilège que font</div> + <div class="verse">Les voix des matelots, les flûtes et les harpes</div> + <div class="verse">Le guérisseur voilé de ses triples écharpes</div> + <div class="verse">Ossar-Hapi sommeille en son temple profond;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et de vagues lueurs éparses sur les dalles</div> + <div class="verse">Eclairent tristement de leurs reflets confus</div> + <div class="verse">Les suppliants couchés auprès des grêles fûts</div> + <div class="verse">En un fétide amas de chairs et de sandales.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Seul debout dans sa force et sa beauté, parmi</div> + <div class="verse">Les pèlerins perclus de maux, rongés d'ulcères,</div> + <div class="verse">Mais tel que le géant déchiré par les serres</div> + <div class="verse">Du vautour, un Hellène orgueilleux et blêmi</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Evoque sans trembler le prince du mystère:</div> + <div class="verse">«O maître, hôte caché du sanctuaire, ô Roi,</div> + <div class="verse">Vierge d'étonnement puéril et d'effroi,</div> + <div class="verse">J'ai connu tous les dieux du ciel et de la terre,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Atroces et cléments, magnifiques et laids</div> + <div class="verse">Et j'ai prié selon l'ordonnance des rites</div> + <div class="verse">Près du fleuve farouche où chantent les lychnites</div> + <div class="verse">Dans la splendeur des clairs de lune violets</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et là-bas, où les daims paissent la mousse rase</div> + <div class="verse">Sous les neiges de la fabuleuse Thulé,</div> + <div class="verse">J'ai lu le sort écrit dans l'azur constellé</div> + <div class="verse">Par les nuits qu'une aurore inoubliable embrase;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais nul n'a dit le mot que j'ai cherché longtemps</div> + <div class="verse">Et qui me guérirait des angoisses de l'âme:</div> + <div class="verse">Parle, sinon la mort prochaine me réclame</div> + <div class="verse">Et l'horreur d'ignorer me consume: j'attends.»</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Alors des profondeurs et des ténèbres saintes</div> + <div class="verse">Comme un jeune soleil sort des gouffres marins,</div> + <div class="verse">Blanche, laissant couler des épaules aux reins</div> + <div class="verse">Ses cheveux où nageaient de pâles hyacinthes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Une femme surgit: son manteau radieux</div> + <div class="verse">Revêtait son beau corps d'une pourpre vivante;</div> + <div class="verse">Des abîmes d'amour, de joie et d'épouvante</div> + <div class="verse">Où sombrerait l'esprit des hommes et des dieux</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">S'ouvraient terriblement dans ses larges prunelles</div> + <div class="verse">Et les villes, les champs, les cimes, les déserts,</div> + <div class="verse">La mer prodigieuse et l'infini des airs</div> + <div class="verse">Semblaient se réfléchir et disparaître en elles;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et lorsqu'elle parla, son ineffable voix</div> + <div class="verse">Unissait aux échos des lyres et des sistres</div> + <div class="verse">Le souffle des baisers et les râles sinistres</div> + <div class="verse">De la haine et le bruit des vagues et des bois:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">«Marcheur pensif, enfant prédestiné qui nies</div> + <div class="verse">Les songes et l'espoir de ton cœur puéril,</div> + <div class="verse">Tu vas, émerveillé des floraisons d'avril</div> + <div class="verse">Et des soirs frissonnant de calmes harmonies;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tu regardes avec des tendresses d'amant</div> + <div class="verse">Les nuages légers ouvrir leurs ailes closes</div> + <div class="verse">A l'aube, et comme un vol de flamants blancs et roses</div> + <div class="verse">S'élever dans les champs du ciel éperdument;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Volontaire captif de l'éternelle Omphale</div> + <div class="verse">Tu parles bas aux Vierges chastes et tu sais</div> + <div class="verse">Faire chanter aux corps ardemment enlacés</div> + <div class="verse">Des hymnes inouïs d'impudeur triomphale;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ton esprit altéré de désirs immortels</div> + <div class="verse">Epuiserait encor la coupe des prières,</div> + <div class="verse">Ta parole dément tes attitudes fières</div> + <div class="verse">Et tu t'es prosterné devant tous les autels.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais toujours au milieu de tes extases vaines</div> + <div class="verse">Le mensonge des dieux et des lèvres te point</div> + <div class="verse">Et tu verses, déçu d'aimer ce qui n'est point,</div> + <div class="verse">Tous les pleurs de tes yeux et le sang de tes veines.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Si tu n'étreins que des chimères, si tu bois</div> + <div class="verse">L'enivrement de vins illusoires, qu'importe?</div> + <div class="verse">Le soleil meurt, la foule imaginaire est morte</div> + <div class="verse">Mais le monde subsiste en ta seule âme: vois!</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les jours se sont fanés comme des roses brèves,</div> + <div class="verse">Mais ton Verbe a créé le mirage où tu vis</div> + <div class="verse">Et je nais à tes yeux de tes regards ravis</div> + <div class="verse">Et je garde à jamais la gloire de tes rêves.»</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La forme s'effaça, la parole se tut,</div> + <div class="verse">Et délivré du poids antérieur des chaînes,</div> + <div class="verse">L'homme plana plus haut que les heures prochaines</div> + <div class="verse">Et comme tout, canaux, cité, temple abattu</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">S'enfonçait lentement dans la brume amassée</div> + <div class="verse">Sur le fond ténébreux des êtres et des temps,</div> + <div class="verse">Pure clarté, pistils de rayons éclatants,</div> + <div class="verse">Il vit s'épanouir la fleur de sa pensée.</div> + </div> +</div> + + + + +<h3>LES MYTHES</h3> + +<p class="dedic"><i>A MARCEL COLLIÈRE.</i></p> + + + +<h4 id="p24">L'AVENTURIER</h4> + +<p class="dedic"><i>A Charles Andler.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Là-haut, temple ou palais dressé sur la colline,</div> + <div class="verse">Un amoncellement de blocs prodigieux</div> + <div class="verse">Monte: des chiens de bronze aux yeux de cornaline</div> + <div class="verse">Hurlent aux quatre vents, la gueule vers les cieux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les murs massifs, coupes de portes métalliques,</div> + <div class="verse">Sont écaillés de cuivre et peints de vermillon;</div> + <div class="verse">Au faîte, le soleil frappe de feux obliques</div> + <div class="verse">Un étendard taillé dans la peau d'un lion.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pacifiques, devant la demeure farouche,</div> + <div class="verse">Des rosiers rouges et des lys parent le bois</div> + <div class="verse">Où passe, inoffensive aux roses qu'elle touche,</div> + <div class="verse">L'enfant belle à dompter les héros et les rois.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le calme lumineux du jour mourant caresse</div> + <div class="verse">L'enfant grave: elle glisse entre les nobles fleurs</div> + <div class="verse">Avec des gestes lents d'idole ou de prêtresse</div> + <div class="verse">Qui n'a jamais connu le rire ni les pleurs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Elle va, contemplant de ses larges prunelles</div> + <div class="verse">Les vagues de forêts qui ferment l'horizon</div> + <div class="verse">Et le val où le soir vêt d'ombres solennelles</div> + <div class="verse">Le maître hérissé d'une horrible toison.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">C'est son père, tueur de bœufs, ployeur de chênes;</div> + <div class="verse">Embusqué tel qu'un fauve aux aguets, il attend</div> + <div class="verse">Les voyageurs qui vont vers les cités prochaines</div> + <div class="verse">Et fait craquer leurs os en ses doigts de Titan.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Puis il revient, tranquille, après chaque tuerie,</div> + <div class="verse">Courbé sous le butin comme un roi triomphant,</div> + <div class="verse">Et tandis que les morts saignent dans la prairie</div> + <div class="verse">Suspend de lourds colliers au cou de son enfant.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Maintenant une nuit de lune, froide et claire,</div> + <div class="verse">Découpe le profil des monts sur les chemins;</div> + <div class="verse">Le meurtrier fatal, sans haine et sans colère,</div> + <div class="verse">Ecoute s'approcher un bruit de pas humains.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et voici qu'au détour de la route moussue</div> + <div class="verse">Apparaît, radieux sous l'armure qui luit,</div> + <div class="verse">Un guerrier casqué d'or qui porte une massue</div> + <div class="verse">Et dont le manteau rouge illumine la nuit.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le Tueur, allongé dans la broussaille, épie</div> + <div class="verse">Le Héros dédaigneux en marche vers la mort;</div> + <div class="verse">Mais celui-ci, clamant vers la muraille impie,</div> + <div class="verse">Réveille les échos de la forêt qui dort:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">«Je suis venu; hors du repaire, ô vainqueur d'hommes!</div> + <div class="verse">Si tu fuis devant moi je dirai que tu mens;</div> + <div class="verse">Mais tu mériteras le nom dont tu te nommes</div> + <div class="verse">Si tu peux m'étouffer dans tes embrassements.»</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">—«Soit! ta bouche saura la saveur de la terre.»</div> + <div class="verse">Et l'antique lutteur se dresse avec ennui</div> + <div class="verse">Pour écraser d'un coup de poing et faire taire</div> + <div class="verse">L'éphèbe injurieux qui parla devant lui.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ils se prennent, poitrine unie et chair mêlée,</div> + <div class="verse">Groupe tumultueux de râles et de cris:</div> + <div class="verse">L'enfant calme regarde, au fond de la vallée,</div> + <div class="verse">Le meurtre habituel du haut des monts fleuris.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Elle voit seulement se mouvoir dans la plaine</div> + <div class="verse">L'ombre du double corps et des torses jumeaux</div> + <div class="verse">Et sûre du vainqueur, s'enivre avec l'haleine</div> + <div class="verse">Des parfums langoureux épars sous les rameaux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais tout à coup, après une clameur sauvage,</div> + <div class="verse">Ses impassibles yeux se ferment de terreur:</div> + <div class="verse">Comme un bœuf abattu dans le natal herbage,</div> + <div class="verse">L'invincible est couché sous le jeune lutteur.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et le guerrier sanglant, par les pentes ardues,</div> + <div class="verse">Monte vers le jardin: «Vous serez apaisés,</div> + <div class="verse">O morts, je vengerai vos âmes éperdues</div> + <div class="verse">Et la victime est belle et vierge de baisers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O morts, je vais tuer dans la Fille maudite</div> + <div class="verse">Les exécrables fils qui naîtraient de ses flancs.»</div> + <div class="verse">Il dit et vient, hagard du meurtre qu'il médite</div> + <div class="verse">Et l'Enfant parle aux fleurs et tend ses bras tremblants:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">«L'Homme vous briserait avec ses mains brutales,</div> + <div class="verse">Roses que je laissais fleurir et défleurir;</div> + <div class="verse">Un arome puissant monte de vos pétales,</div> + <div class="verse">Vos parfums sont trop doux pour que j'aime à mourir.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ma chair frissonne; sauvez-moi, fleurs protectrices.</div> + <div class="verse">O lys, lys glorieux que je n'ai pas cueillis,</div> + <div class="verse">Je voudrais me cacher dans vos étroits calices</div> + <div class="verse">Et refermer sur nous le voile des taillis.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Au moins, versez en moi vos senteurs: que j'emporte</div> + <div class="verse">Dans le morne pays vos baumes précieux,</div> + <div class="verse">O fleurs qui renaîtrez lorsque je serai morte,</div> + <div class="verse">Fleurs, éternelles fleurs, fleurs égales aux dieux!»</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Elle murmure encor des mots et des prières</div> + <div class="verse">Mais le vainqueur, surgi des âpres escaliers,</div> + <div class="verse">Traîne par les cheveux l'Enfant dans les clairières</div> + <div class="verse">Et fait boire son sang aux roses des halliers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">«J'ai tué le Brigand et la Magicienne,</div> + <div class="verse">L'œuvre est bonne: luisez sur ma route, astres purs!»</div> + <div class="verse">Et l'Ephèbe drapé dans la pourpre ancienne,</div> + <div class="verse">Se hâte dans la nuit vers les monstres futurs.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p25">LE BOIS SACRÉ</h4> + +<p class="dedic"><i>A Lucien Lévy</i></p> + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Resplendissante, au pied du mont mystérieux,</div> + <div class="verse">La troupe formidable et blonde des guerrières</div> + <div class="verse">Gardait, la lance au poing, les farouches clairières</div> + <div class="verse">Et la forêt terrible où sommeillent les dieux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et tous venaient vers la ténébreuse vallée</div> + <div class="verse">Sous les casques de bronze et les boucliers ronds,</div> + <div class="verse">Vêtus de fer et d'or par de bons forgerons,</div> + <div class="verse">Tous les héros épris de gloire inviolée.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Frappant le ciel muet de sauvages clameurs,</div> + <div class="verse">Tous par les nuits, par les matins, par les vesprées,</div> + <div class="verse">Ils venaient au galop des licornes cabrées:</div> + <div class="verse">«Nous verrons votre face, exécrables semeurs</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des désirs, des baisers et des larmes humaines;</div> + <div class="verse">O voyageurs hagards qui hurlez dans le vent,</div> + <div class="verse">Nos bras étoufferont votre souffle vivant</div> + <div class="verse">Et nous tuerons en vous nos amours et nos haines.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Si vous ne craignez pas nos glaives, approchez:</div> + <div class="verse">Votre rire cruel insulte à nos misères.</div> + <div class="verse">O vautours, nous irons vous prendre dans vos aires,</div> + <div class="verse">O loups, nous forcerons vos repaires cachés!»</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tous se ruaient: là-haut, sous les sombres ramures,</div> + <div class="verse">Les calmes dieux semblaient immobiles et sourds.</div> + <div class="verse">Mais brandis par les mains des guerrières, toujours</div> + <div class="verse">Les javelots stridents vibraient sur les armures.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les héros, vainqueurs de monstres, les tueurs</div> + <div class="verse">Des dragons enflammés, des hydres et des stryges</div> + <div class="verse">Roulaient honteusement broyés sous les quadriges.</div> + <div class="verse">Leurs yeux mi-clos rougis de mourantes lueurs</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Convoitaient les seins nus des prêtresses complices</div> + <div class="verse">Qui, méprisant leurs cris et leurs râles derniers,</div> + <div class="verse">Joyeuses, bondissaient sur les rauques charniers</div> + <div class="verse">Et tendaient vers le ciel leurs mains triomphatrices.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Or le tumulte des batailles, ce jour-là,</div> + <div class="verse">Se tut comme la mer pendant les accalmies.</div> + <div class="verse">Sur les corps mutilés et sur les chairs blêmies</div> + <div class="verse">Le flot d'une ineffable aurore s'étala.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Un grave chant porté par le souffle des brises</div> + <div class="verse">Montait de l'Orient lumineux et charmait,</div> + <div class="verse">Épars autour des bois et du divin sommet,</div> + <div class="verse">Le cœur moins furieux des guerrières surprises:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et l'Aède parut couronné de cyprès;</div> + <div class="verse">Sa lyre se voilait de tristes asphodèles</div> + <div class="verse">Et douloureusement les cordes immortelles</div> + <div class="verse">Pleuraient un chant d'amour, de deuil et de regrets.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">«M'entends-tu dans le noir abîme, ô chère morte,</div> + <div class="verse">Irrévocable fleur qu'un vent cruel emporte?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O lumière, comme une étoile qui s'enfuit,</div> + <div class="verse">Ne briseras-tu pas les chaînes de la nuit?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O sœur des soirs taillés dans de larges opales,</div> + <div class="verse">Où sont tes cheveux d'ombre, où sont tes lèvres pâles?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Vous qui l'avez ravie, ô dieux, je viens à vous,</div> + <div class="verse">Rendez l'épouse absente aux baisers de l'époux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je vous ai célébrés dans mes strophes pieuses,</div> + <div class="verse">O maîtres qui siégez aux cimes merveilleuses:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais les rhythmes naissaient de ses rires: rouvrez</div> + <div class="verse">Les sources de l'amour et des hymnes sacrés.»</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les guerrières des dieux écoutaient comme en rêve</div> + <div class="verse">Le doux profanateur en marche vers les bois,</div> + <div class="verse">Il passa; les chevaux s'écartaient à sa voix</div> + <div class="verse">Et sa chair dédaignait la morsure du glaive.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Autour de lui, le vol des flèches susurrait</div> + <div class="verse">Comme un essaim vaincu d'abeilles bienveillantes</div> + <div class="verse">Et sans ouïr les cris des vierges effrayantes</div> + <div class="verse">L'Aède pacifique entra dans la forêt.</div> + </div> +</div> + + +<h5>III</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Éperdument, par les silencieuses sentes,</div> + <div class="verse">Il allait; ses regards épiaient les fourrés</div> + <div class="verse">Taciturnes: sous les rameaux enchevêtrés,</div> + <div class="verse">Nulle apparition de chairs éblouissantes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'ombre informe, le noir silence, des parfums</div> + <div class="verse">Sauvages d'herbe fraîche et de fleurs surannées</div> + <div class="verse">Et, confondue avec les sèves déchaînées,</div> + <div class="verse">L'innombrable senteur des automnes défunts.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Il allait; nulle voix effroyable ou charmante</div> + <div class="verse">Ne répondait, nul bruit de fête ou de combats:</div> + <div class="verse">Seul, dans les antres, sous le ciel, ici, là-bas,</div> + <div class="verse">Le frisson fauve de la terre qui fermente.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Semblables au monceau des feuilles sous ses pas,</div> + <div class="verse">Ses rêves, ses douleurs, ses pensées</div> + <div class="verse">Tombaient en tournoyant dans les bises glacées</div> + <div class="verse">Et l'Aède comprit que les dieux n'étaient pas.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Il perdit, se vouant aux stupides épées,</div> + <div class="verse">L'orgueil d'être vaincu par un maître inclément,</div> + <div class="verse">Comme les héros morts frappés en blasphémant</div> + <div class="verse">Ivres d'un puissant vin de gloire et d'épopées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et dépouillé du fier rêve des dieux jaloux,</div> + <div class="verse">Il brisa pour jamais les cordes tutélaires</div> + <div class="verse">Et descendit vers les clameurs et les colères,</div> + <div class="verse">Ainsi qu'un chasseur las se livre aux crocs des loups.</div> + </div> +</div> + + +<h5>IV</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'homme fut déchiré par les vierges sanglantes;</div> + <div class="verse">La bouche d'où sortaient les paroles de miel</div> + <div class="verse">Se tut. La nuit sereine enveloppa le ciel</div> + <div class="verse">Et recouvrit les morts d'ombres indifférentes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tandis que défendant le mont mystérieux</div> + <div class="verse">La troupe formidable et blonde des guerrières</div> + <div class="verse">Gardait, la lance au poing, les farouches clairières</div> + <div class="verse">Où triomphe toujours le mensonge des dieux.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p26">LES CAPTIFS</h4> + +<p class="dedic"><i>A Leconte de Lisle.</i></p> + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Un sage, descendant de cimes inconnues,</div> + <div class="verse">S'en allait autrefois par le pays d'Assour,</div> + <div class="verse">Et la mystérieuse aurore d'un grand jour</div> + <div class="verse">Empourprait, à sa voix, le jardin blanc des nues.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les peuples le suivaient et ne comprenaient pas</div> + <div class="verse">Quels dieux, accompagnant la marche du prophète,</div> + <div class="verse">Candidement semaient dans les villes en fête</div> + <div class="verse">Des lys miraculeux et calmes sous ses pas.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais tous buvaient le miel divin de ses paroles,</div> + <div class="verse">Le miel fait de parfums et de baumes puissants,</div> + <div class="verse">Forts comme la senteur éparse de l'encens,</div> + <div class="verse">Doux comme la senteur éparse des corolles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pour s'enivrer des mots que sa bouche versait,</div> + <div class="verse">Les laboureurs quittaient le manche des charrues,</div> + <div class="verse">Et parmi la clameur des foules accourues</div> + <div class="verse">Le Voyant pacifique et sublime passait.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Désormais, dédaigneux des apparences brèves</div> + <div class="verse">Et des illusions passagères, fermant</div> + <div class="verse">Leurs yeux purifiés à la clarté qui ment,</div> + <div class="verse">Les hommes ouvraient l'âme à la splendeur des rêves.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le roi, las des lions traqués dans les filets,</div> + <div class="verse">Las des buffles saignant sous la grêle des flèches,</div> + <div class="verse">Las des femmes aux chairs odorantes et fraîches</div> + <div class="verse">Fit amener vers lui cet homme en son palais:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">«Vieillard, évocateur des merveilles du songe,</div> + <div class="verse">«Jongleur qui fais surgir devant les yeux humains,</div> + <div class="verse">«Dans la poussière impure et vile des chemins,</div> + <div class="verse">«Des visions de paix, de gloire et de mensonge,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">«Vieillard, évocateur des merveilles du ciel,</div> + <div class="verse">«Toi qui règnes, là-bas, au pays du mystère,</div> + <div class="verse">«Mon cœur royal déçu par l'horreur de la terre</div> + <div class="verse">«Aspire à la beauté du monde essentiel.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">«Tel que le cri plaintif des tigres dans les fosses</div> + <div class="verse">«Vient à nous à travers les cloisons de la nuit,</div> + <div class="verse">«J'entends sourdre en moi-même un lamentable bruit</div> + <div class="verse">«Malgré le mur d'airain des apparences fausses.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">«O vieillard, fais tomber les mauvaises cloisons,</div> + <div class="verse">«Montre-moi la campagne et les arbres des plaines</div> + <div class="verse">«Et les fleuves d'azur roulant à vagues pleines</div> + <div class="verse">«Vers le gouffre sans fin des vierges horizons.»</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais l'homme d'une voix tranquille: «Que t'importe,</div> + <div class="verse">«O roi des rois, seigneur des mondes, fils des dieux,</div> + <div class="verse">«Qui marches revêtu de pourpre et radieux,</div> + <div class="verse">«La rumeur entendue au delà de la porte?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">«O maître, que veux-tu de la terre et des cieux?</div> + <div class="verse">«Si je t'ouvre la source antique de la vie,</div> + <div class="verse">«Je n'apaiserai pas ta soif inassouvie,</div> + <div class="verse">«Et ton esprit d'orgueil n'en croira point tes yeux!»</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">—«Voilà beaucoup de mots inutiles, prends garde:</div> + <div class="verse">«Ta tête pourrait choir d'un coup prématuré.»</div> + <div class="verse">Et l'homme répondit: «C'est bien. J'obéirai:</div> + <div class="verse">«Roi qui veux voir le fond de l'abîme, regarde.»</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Hors du temps, hors du lieu, faite de pur granit,</div> + <div class="verse">Enserrant l'univers de ses noires murailles,</div> + <div class="verse">Rauque d'un monstrueux râle de funérailles,</div> + <div class="verse">Une immense prison montait dans l'infini.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Au milieu de la geôle effroyable, les villes</div> + <div class="verse">S'étageaient sous le deuil des cieux; un flamboiement</div> + <div class="verse">D'astres sombres luisait épouvantablement</div> + <div class="verse">Sur les rois, sur les dieux, sur les foules serviles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais une lueur d'aube emperlait l'Orient</div> + <div class="verse">De magiques rayons et d'étincelles blondes:</div> + <div class="verse">Les hommes nés depuis la naissance des mondes</div> + <div class="verse">Se ruaient vers l'espoir du soleil, en criant.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ils allaient, éperdus et fauves; les armées</div> + <div class="verse">Se heurtaient sous le vol sinistre des vautours;</div> + <div class="verse">Et les blocs de rochers pleuvaient des hautes tours,</div> + <div class="verse">Et les ailes du feu nageaient dans les fumées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les chefs vainqueurs, avant le rouge lendemain,</div> + <div class="verse">Offraient aux dieux d'en-haut les victimes tuées</div> + <div class="verse">Et dressaient vers la cime errante des nuées</div> + <div class="verse">Des palais effrayants tendus de cuir humain.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sourds aux tumultes, sourds aux luttes, mains unies,</div> + <div class="verse">Regards ravis d'extase et d'éblouissements,</div> + <div class="verse">Des couples enlacés de femmes et d'amants</div> + <div class="verse">Passaient, dans un concert de tendres harmonies:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des pétales de fleurs apportés par le vent</div> + <div class="verse">Tourbillonnaient vers eux dans l'ombre des yeuses:</div> + <div class="verse">Et tous, couples d'amour et hordes furieuses,</div> + <div class="verse">Marchaient, marchaient toujours vers le soleil levant.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais l'aube désirée et les futures gloires</div> + <div class="verse">De clartés décevaient leurs risibles efforts,</div> + <div class="verse">Et mourant vainement pour renaître, les morts</div> + <div class="verse">Poursuivaient à nouveau les astres illusoires.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La même nuit baignait l'éternel horizon,</div> + <div class="verse">Et de ceux qui vaguaient dans la geôle des choses</div> + <div class="verse">Et tâchaient à s'enfuir de leurs cavernes closes,</div> + <div class="verse">Aucun ne s'évadait de la morne prison.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Seuls, les sages tuaient la volonté de vivre.</div> + <div class="verse">Aveugles aux lueurs que nul ne peut saisir,</div> + <div class="verse">Ils gagnaient, affranchis des chaînes du désir,</div> + <div class="verse">Le néant ineffable et la mort qui délivre.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Bienheureux qui savaient la fatigue des pas,</div> + <div class="verse">Bienheureux qui savaient le mirage des astres,</div> + <div class="verse">Bienheureux qui savaient la vie et les désastres:</div> + <div class="verse">Ils s'endormaient un jour et ne renaissaient pas.</div> + </div> +</div> + + +<h5>III</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">«La vision, vieillard, est morne et ridicule:</div> + <div class="verse">«Tu mourras.» Et le roi Nabou-Koudour-Oussour,</div> + <div class="verse">Très juste, fit clouer au faîte d'une tour</div> + <div class="verse">La tête qui saignait dans l'or du crépuscule.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p27">LES YEUX D'HÉLÈNE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Marcel Proust.</i></p> +<blockquote class="epi"> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Qualis maternis Helene jam digna palestris,</div> + <div class="verse">Inter amyclaeos reptabat candida fratres.</div> + </div> +</div> + +<p class="attr">(<span class="sc">P. Statius.</span>)</p> +</blockquote> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La native blancheur du cygne paternel.</div> + <div class="verse">Vêt de neige le corps adorable d'Hélène,</div> + <div class="verse">Et l'eau du fleuve bleu qui glisse dans la plaine</div> + <div class="verse">Baigne ses yeux d'enfant profonds comme le ciel.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Elle va: ses regards de déesse ingénue</div> + <div class="verse">Que jamais la tristesse impure n'a troublés</div> + <div class="verse">Errent nonchalamment sur les flots blonds des blés,</div> + <div class="verse">Et les hommes pensifs tremblent à sa venue.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Elle évoque l'horreur future des destins</div> + <div class="verse">Et verse le frisson des luttes fatidiques</div> + <div class="verse">Aux guerriers à venir assis sous les portiques,</div> + <div class="verse">Dont les yeux éblouis suivent ses pas lointains.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'effroi religieux issu de ses prunelles</div> + <div class="verse">Ardentes d'incendie et de fauves clartés</div> + <div class="verse">Saisit étrangement les cœurs épouvantés</div> + <div class="verse">Et pleins de visions sombres et solennelles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Passe, vierge terrible au col souple et nerveux:</div> + <div class="verse">L'inexpiable sang pour les siècles macule</div> + <div class="verse">Ton front clair comme un jour d'été sans crépuscule</div> + <div class="verse">Et la mort des héros surgit de tes cheveux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Passe, reine d'amour, semeuse de désastres,</div> + <div class="verse">Dans ta robe de gloire et de sérénité,</div> + <div class="verse">Et vois fleurir les deuils autour de ta beauté,</div> + <div class="verse">Sous tes regards pareils aux rayons froids des astres.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tu brilles dans la nuit des âges révolus</div> + <div class="verse">Et les derniers amants des formes triomphales</div> + <div class="verse">Contemplent au delà de l'ombre et des rafales</div> + <div class="verse">Tes yeux dont la splendeur ne s'abolira plus.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p28">SCHAOUL</h4> + +<p class="dedic"><i>A Rodolphe Darzens.</i></p> + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">En ces jours, Elohim lui refusant son ombre,</div> + <div class="verse">Schaoul, enfant de Qisch, était semblable au mort</div> + <div class="verse">Délaissé, que la dent des bêtes fauves mord,</div> + <div class="verse">Et les esprits du mal rongeaient son âme sombre.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Il errait à travers les routes d'Israël</div> + <div class="verse">Poursuivi sans repos par la meute tenace</div> + <div class="verse">Et d'âpres aboiements de haine et de menace</div> + <div class="verse">Hurlaient autour de lui dans l'abîme du ciel.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Rien ne transfigurait ses mornes destinées.</div> + <div class="verse">Nulle trêve: ni les paroles des nabis</div> + <div class="verse">Ni la chair des béliers ni la chair des brebis</div> + <div class="verse">N'écartaient de son cœur les gueules forcenées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et même dans la fête héroïque du sang,</div> + <div class="verse">Quand les vaincus, après les sauvages victoires,</div> + <div class="verse">Montaient vers le Très-Haut en feux expiatoires,</div> + <div class="verse">Les crocs inassouvis lui déchiraient le flanc.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Alors on fit venir vers le roi taciturne</div> + <div class="verse">David de Bethléem, le joueur de kinnor,</div> + <div class="verse">Dont l'incantation charmait les astres d'or</div> + <div class="verse">Tandis que ses troupeaux paissaient l'herbe nocturne,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et comme les chacals rentrent aux creux des monts</div> + <div class="verse">Quand le veneur paraît sur les rocs granitiques,</div> + <div class="verse">Mêlant sa voix d'enfant aux cordes prophétiques</div> + <div class="verse">David, plein d'Iahveh, chassa les noirs démons.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Homme, Schaoul des temps infinis, saigne et pleure:</div> + <div class="verse">Les carnassiers hideux suivent sur ton chemin</div> + <div class="verse">La trace de tes pas, hier, aujourd'hui, demain,</div> + <div class="verse">Toujours: le changement de la forme et de l'heure</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">N'écartera jamais la horde des ennuis</div> + <div class="verse">Et tu te traîneras dans l'horreur sans limite</div> + <div class="verse">Sans ouïr le Kinnor et le Bethléémite</div> + <div class="verse">Qui te ferait des jours pareils aux belles nuits.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p29">RESSOUVENIR</h4> + +<p class="dedic"><i>A Mario de la Tour de Saint-Ygest.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Cet homme était venu vers le Maître des pleurs</div> + <div class="verse">Oubliant pour le Christ les lyres et les roses,</div> + <div class="verse">Comme un vendangeur las qui de ses mains décloses</div> + <div class="verse">Laisse choir les raisins et les grappes de fleurs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Il avait délaissé pour les routes d'épines</div> + <div class="verse">Les portiques de marbre auprès des flots marins.</div> + <div class="verse">Sous le cilice dur qui lui mordait les reins,</div> + <div class="verse">Il marchait loin du jour vers les ombres divines.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Or il vivait au fond des bois mystérieux,</div> + <div class="verse">Suivi par un troupeau de bêtes familières,</div> + <div class="verse">Et des oiseaux volaient autour de ses prières</div> + <div class="verse">Et des rêves de ciel illuminaient ses yeux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais toujours, tel qu'un vol blond d'abeilles essaime</div> + <div class="verse">Et retourne en vibrant aux ruches d'autrefois,</div> + <div class="verse">Par les soirs langoureux chargés des douces voix</div> + <div class="verse">Et des parfums charnels que le Mauvais y sème,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Son âme s'envolait vers les jours révolus:</div> + <div class="verse">L'ancien verbe d'amour caché dans l'Évangile</div> + <div class="verse">Faisait fleurir au bois les nymphes de Virgile</div> + <div class="verse">Et des faunes lascifs montraient leurs fronts velus.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p30">GOETTERDAEMMERUNG</h4> + +<p class="dedic"><i>A la comtesse Jane.</i></p> +<blockquote class="epi"> +<p>Heil siegendes Licht.</p> + +</blockquote> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Siegfried, astre évadé des ombres transitoires,</div> + <div class="verse">Soleil épanoui dans l'azur de la mort,</div> + <div class="verse">Avec ta chair, la gloire humaine de l'effort,</div> + <div class="verse">S'abîmait dans le deuil des suprêmes victoires.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais tels que le granit usé des promontoires,</div> + <div class="verse">Que l'assaut de la mer tempétueuse mord,</div> + <div class="verse">Les dieux irradiant dans les glaces du Nord</div> + <div class="verse">Attendaient lâchement les jours expiatoires.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le héros, sur les fleurs sanglantes du bûcher,</div> + <div class="verse">Semblait sortir des couchants mornes et marcher</div> + <div class="verse">Dans l'auréole d'or des flammes triomphales.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tandis qu'en un torrent de splendeur et de bruit,</div> + <div class="verse">Flagellé par le vol sinistre des rafales,</div> + <div class="verse">Le Palais merveilleux s'écroulait dans la nuit.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p31">LA FILLE AUX MAINS COUPÉES</h4> + +<p class="c"><span class="small">MYSTÈRE</span></p> + +<p class="dedic"><i>A Maurice Peyrol.</i></p> + +<p class="c"><i>PERSONNAGES</i></p> + +<ul> +<li class="small">LA JEUNE FILLE.</li> +<li class="small">LE POÈTE.</li> +<li class="small">LE CHŒUR D'ANGES.</li> +<li class="small">LE PÈRE.</li> +<li class="small">LE SERVITEUR.</li> +</ul> +<p><i>L'action se passe n'importe où et plutôt au moyen âge.</i></p> + +<p>Dans la chambre silencieuse, où flotte par les vitraux glauques +la soie resplendissante de l'aurore, <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> est agenouillée +et prie en sa blancheur adorable de lys.</p> + +<p>Le large bliaud damassé, broché de calices d'argent, qui neige +sur sa poitrine et l'étoile, est à peine agité par le souffle du corps +pâle sculpté dans un marbre vivant.</p> + +<p>Elle lit dans le lourd missel incrusté de joailleries, mais d'une +voix si basse qu'elle semble un frôlement somptueux d'étoffes que +froissent dans l'éther des princesses lointaines.</p> + +<p>Elle laisse tomber le livre et les yeux tournés vers un Christ +exsangue sur un ciel ensanglanté, elle clôt ses lèvres entr'ouvertes +et se prend à prier des rêves sans paroles.</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">O Jésus, écartez les griffes du Malin.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les anges de saphir dorment dans le vélin;</div> + <div class="verse">Les graves lettres d'or pèsent aux ailes blanches;</div> + <div class="verse">La colombe du ciel s'englue après les branches,</div> + <div class="verse">Et la prière est prise au piège des versets.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O livre, le parfum sacré que tu versais</div> + <div class="verse">Vaut moins, pour le Sauveur et pour ses mains percées,</div> + <div class="verse">Que l'inappréciable encens de mes pensées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mon bien-aimé, mêlés à vos élus divins,</div> + <div class="verse">Mes rêves purs, avec le chœur des Séraphins,</div> + <div class="verse">Allégés du fardeau des paroles antiques,</div> + <div class="verse">Mes rêves ont chanté plus haut que les cantiques;</div> + <div class="verse">Et quand mon âme, un jour, s'évadera du corps,</div> + <div class="verse">Je volerai dans les Splendeurs et les Accords</div> + <div class="verse">Faits de flamme subtile et de claire harmonie,</div> + <div class="verse">Et je rayonnerai dans la gloire infinie,</div> + <div class="verse">Autour du front terrible et charmant de l'Époux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O monde, ô vie, ô sens, évanouissez-vous!</div> + <div class="verse">Car, là-haut, par delà les ténèbres premières,</div> + <div class="verse">Dans l'éclat des concerts et la voix des lumières,</div> + <div class="verse">Impérissable, dans le nimbe de l'Amant,</div> + <div class="verse">La chair immaculée arde éternellement.</div> + </div> +</div> + +<p>Baignée d'une musique surhumaine, elle entend comme en elle-même:</p> + +<p class="p">UN CHŒUR D'ANGES</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Enfant, les cieux songés, blancs de lys et de vierges</div> + <div class="verse">Plus blêmes que la cire odorante des cierges,</div> + <div class="verse">Et les jardins semés d'étoiles, les sommets</div> + <div class="verse">D'hermine chaste et de candeurs impolluées</div> + <div class="verse">Mirés aux lacs où vont les cygnes des nuées,</div> + <div class="verse">Enfant, les cieux songés seraient clos à jamais.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Arrière, le troupeau neigeux d'immaculées!</div> + <div class="verse">Vers l'amoncellement des glaces reculées,</div> + <div class="verse">Les rouges Kéroubim vous repoussent du seuil</div> + <div class="verse">Eblouissant: les crins de votre âpre cilice</div> + <div class="verse">Vous sont une moelleuse et royale pelisse:</div> + <div class="verse">Votre virginité n'est ivre que d'orgueil.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Arrière! le blé mur épars des Madeleines,</div> + <div class="verse">Epars sur les pieds nus avec les urnes pleines,</div> + <div class="verse">Brûle seul dans la sainte auréole de feu.</div> + <div class="verse">Dans le brasier de Christ, avivé de colères,</div> + <div class="verse">Vous fondriez, ô froides fleurs des soirs polaires,</div> + <div class="verse">Qui ne parfumez pas les hommes avant Dieu.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Lorsque le Rédempteur eut brisé les statues</div> + <div class="verse">D'autrefois, parmi les colonnes abattues,</div> + <div class="verse">Il laissa reverdir, seul d'entre les Maudits,</div> + <div class="verse">Erôs, et lui donna pour royaume la Terre:</div> + <div class="verse">Immortelle, la soif des lèvres vous altère,</div> + <div class="verse">Et l'enfer des baisers vaut notre paradis.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Va! l'Olympe aboli revit dans votre race;</div> + <div class="verse">La meute des désirs vous poursuit à la trace,</div> + <div class="verse">Et vous n'évitez pas les flèches de l'Archer.</div> + <div class="verse">Prends garde d'oublier les cieux songés, ô vierge:</div> + <div class="verse">L'amour à l'horizon de ta jeunesse émerge;</div> + <div class="verse">J'ai vu, dans l'Orient, l'invincible marcher.</div> + </div> +</div> + +<p><span class="small">LA JEUNE FILLE</span> éperdue des paroles ouies et béante d'horreur +mystique invoque, en balbutiant, Madame Marie qui sourit, doucement +couronnée d'astres, au fond d'une fresque byzantine, et des +cimes de l'azur tend les mains vers un vol d'âmes en peine: <span class="small">VENITE +AD ME DILECTÆ MEÆ</span>.</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je ne sais plus si c'est mon rêve que j'écoute,</div> + <div class="verse">Ou si la source en moi s'infiltre goutte à goutte</div> + <div class="verse">Qui ruisselle des luths et des psaltérions,</div> + <div class="verse">Et si j'entends le Diable ou les Anges. Prions.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tueuse du serpent. Reine du bleu stellaire,</div> + <div class="verse">Le dérobeur d'épis maraude autour de l'aire:</div> + <div class="verse">Le voleur d'âmes vient des abîmes et fuit:</div> + <div class="verse">Chassez le tentateur et le rôdeur de nuit.</div> + </div> +</div> + +<p>Tandis que s'égrènent les litanies, un fracas assourdi d'armures +irradiées glisse lentement, entre les tentures héroïques où s'enchevêtrent +de furieuses mêlées.</p> + +<p><span class="small">LA JEUNE FILLE</span>, éveillée en sursaut des prières, se lève frissonnante +vers <span class="small">SON PÈRE</span> et le guerrier convulsif brûle ses mains +de caresses, de caresses incestueuses et brutales.</p> + +<p>Et l'enfant hurlante s'arrache des baisers sacrilèges. Elle va +jusqu'à la grand salle où <span class="small">LE SERVITEUR</span> courbé fourbit les larges +glaives et les panoplies.</p> + +<p class="p">LA JEUNE FILLE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Vieillard, j'ai ma pensée entière. Prends l'épée</div> + <div class="verse">De justice, l'épée infaillible, trempée</div> + <div class="verse">Sept fois dans le Saint-Chrême et le feu baptismal</div> + <div class="verse">Et que ne souille pas, comme l'homme, le Mal</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Originel. Saisis la Purificatrice</div> + <div class="verse">—Si ton bras est rongé d'ulcères, qu'il périsse!</div> + <div class="verse">A dit le Maître dont m'attendent les hymens;—</div> + <div class="verse">Et lave aux flots d'acier rougi, tranche mes mains!</div> + </div> +</div> + +<p class="p">LE SERVITEUR</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">O ma fille, vos mains sont des corolles fines;</div> + <div class="verse">Vos mains sont un bouquet de jeunes aubépines;</div> + <div class="verse">L'haleine du printemps souffle de votre chair:</div> + <div class="verse">Je ne moissonne pas les fleurs avec le fer.</div> + <div class="verse">Vous délirez.</div> + </div> +</div> + +<p class="p">LA JEUNE FILLE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse indent4">Tais-toi; l'ulcère des caresses</div> + <div class="verse">Inexpiables, mord ma chair et fond mes graisses.</div> + <div class="verse">Obéis, sans l'horreur mortelle des aveux:</div> + <div class="verse">L'effroi te briserait les oreilles.</div> + </div> +</div> + +<p>La main levée en un geste terrible:</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse indent4">Je veux.</div> + </div> +</div> + +<p>Et la volontaire martyre pose sans trembler ses mains jaillissant +des manches sur une table de porphyre aux mosaïques de chimères.</p> + +<p>Ses yeux fixes ne clignent pas à l'éclat bleu du glaive brusque +s'abattant, qui verse aux bêtes héraldiques des gouttes soudaines +de pourpre.</p> + +<p>Et, brandissant dans la pénombre les deux torches jumelles des +bras mutilés, elle fait prendre une aiguière de cristal enchemisé +d'or.</p> + +<p>Epouvantable et radieux, un double nénuphar aux tiges d'écarlate +flotte dans une écume rose de grappes d'Orient foulées.</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Oh! le vase lustral où l'âme se lava!</div> + <div class="verse">Va-t'en porter l'aiguière à mon bon père. Va.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<p>Maintenant une foule confuse bruit près de la mer flagellée par +le vent du Nord. Dans une frêle nef, sans rames ni voilure, <span class="small">LE +PÈRE</span> a fait étendre <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> surnaturelle, enveloppée dans +un linceul de lin grossier. Elle regarde obstinément le ciel d'orage.</p> + +<p class="p">LE PÈRE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ma fille, vos péchés, commis dans ma maison,</div> + <div class="verse">Ont fait s'enfuir les tourterelles du blason.</div> + <div class="verse">Endormis dans la nuit tombale, clos en elle,</div> + <div class="verse">Les morts ont tressailli de votre ardeur charnelle.</div> + <div class="verse">Donc je dois, réprimant pleurs lâches et sanglots,</div> + <div class="verse">Vous confier, vivante, à la douceur des flots.</div> + <div class="verse">Nous prierons, gens des bourgs et manants de campagne,</div> + <div class="verse">Afin que la bonté de Dieu vous accompagne.</div> + <div class="verse">Allez! au nom de la Très Sainte Trinité,</div> + <div class="verse">Et que Jésus vous prenne en votre éternité.</div> + </div> +</div> + +<p>Mais la barque n'est pas engloutie par les gueules fauves de +l'abîme. Elle s'efface, poussée par les haleines pacificatrices d'invisibles +archanges.</p> + +<p>Les gerbes fauchées des houles vertes dorment sous un soleil +d'accalmie, et <span class="small">LA JEUNE FILLE</span>, affranchie par l'extase, contemple +des visions vagues et des formes.</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dans le lilas de leurs rosaces vespérales,</div> + <div class="verse">Je vois s'épanouir, là-haut, des cathédrales.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Une poussière d'astre irise les parvis</div> + <div class="verse">Et les arceaux sortent des dalles de rubis.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dans l'espace des nefs sans limites, lamées</div> + <div class="verse">D'azur, des encensoirs effeuillent des fumées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dans le frisson de leurs échos multipliés,</div> + <div class="verse">Des sons inentendus ébranlent les piliers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le voile rejeté d'un fulgurant coup d'aile,</div> + <div class="verse">Le Tabernacle inaccessible se révèle.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et lorsque l'Ostensoir éphémère me luit,</div> + <div class="verse">La robe du soleil semble teinte de nuit.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Seigneur Dieu, l'appétit des vagues me réclame,</div> + <div class="verse">L'aumône de mon corps est faite. Cueillez l'âme.</div> + </div> +</div> + +<p>Dans son ravissement mystique, <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> se croit morte. +Serait-ce que la barque aborde aux rives vertigineuses du Paradis, +où des couples célestes glissent dans une aube d'opales fluides?</p> + +<p>Elle regarde émerveillée, sous une étoffe de la lumière, au lieu +des tronçons effroyables, la fraîcheur blonde de ses mains ressuscitées +et d'où s'exhale une senteur de ruches prochaines et de miel.</p> + +<p>Des enfants, vêtus de tuniques multicolores et légères, lui font +un triomphal cortège et, prise dans des rets de charmes surhumains, +elle marche au milieu des hymnes étranges. Hymen! Hymenaee!</p> + +<p>Hymen! Hymen! Hymenaee! Au faîte des monts d'hyacinthe +un palais de prodige monte, marmoréen, vers les nuages violets. +Elle gravit les escaliers, gardés par des sphinges immobiles.</p> + +<p>Hymen! Hymen! Hymenaee! Au seuil glorieux des demeures, +souriant idéalement dans l'ombre dénouée de sa chevelure, <span class="small">LE +POÈTE-ROI</span> vient vers elle sous son manteau de pourpre lyrique.</p> + +<p>Et les enfants ont disparu; dans une salle de féerie, portée par +des cariatides, sur l'or roux, des lions tués, <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> s'abandonne +à la volupté des caresses. Hymen! O hymen!</p> + +<p class="p">LA JEUNE FILLE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Doux initiateur de l'âme en quelle sphère</div> + <div class="verse">Plus lointaine, Jésus, l'Esprit, et Dieu le Père,</div> + <div class="verse">Dans leur unité triple, infinis et sereins,</div> + <div class="verse">Attendent-ils le chœur des élus, pèlerins</div> + <div class="verse">Joyeux et jamais las d'un Temple que j'ignore,</div> + <div class="verse">Qui s'envolent de l'ombre ancienne vers l'Aurore.</div> + <div class="verse">Emmène-moi par les Edens et les Sions,</div> + <div class="verse">Toi qui sais les chemins de constellations.</div> + </div> +</div> + +<p><span class="small">LE POÈTE-ROI</span> saisit la grande Lyre et, sous le plectre, les cordes +de brebis vibrent dans l'écaille de tortue transparente.</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Avant la Terre, avant les Jours et les années,</div> + <div class="verse">L'Immuable a pétri nos chairs prédestinées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">J'ai trompé mon ennui par la lyre, et j'attends</div> + <div class="verse">Tes seins qui m'appelaient de l'abîme des temps,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et mes yeux, emperlés d'une angoisse inconnue,</div> + <div class="verse">Mes yeux cherchaient tes yeux nocturnes dans la nue.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Parfois, dans le brouillard chantant de la forêt,</div> + <div class="verse">Une fée illusoire éclôt et disparaît:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dis-moi que tu n'es pas l'ombre vaine d'un rêve,</div> + <div class="verse">O fille de la mer et de l'écume brève.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dis-moi qu'avant la tombe et nos corps révolus,</div> + <div class="verse">Le flot de tes baisers ne se tarira plus.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je ferai vivre par delà les étendues</div> + <div class="verse">Ton nom sanctifié dans les cordes tendues.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et tu vaincras par la gloire de tes beautés</div> + <div class="verse">Les nymphes de l'Hellas et les Divinités.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Parle, et tu chasseras, de la mémoire humaine</div> + <div class="verse">La Vénus Italique et l'Anadyomène.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je traquerai leurs souvenirs tels que des loups,</div> + <div class="verse">Et Christ reconnaissant se penchera vers nous.</div> + </div> +</div> + +<p class="p">LA JEUNE FILLE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">O Chanteur, je ne sais quel décevant mystère</div> + <div class="verse">Me rappelle du ciel entrevu vers la terre.</div> + <div class="verse">Ton regard me repousse et m'attire. Va-t'en,</div> + <div class="verse">Car je me damnerais peut-être en t'écoutant.</div> + </div> +</div> + +<p>Dans son indicible douleur, <span class="small">LE POÈTE-ROI</span> jette la Lyre qui se +brise en un lamentable sanglot et le cri des fibres est si déchirant +que <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> tremblante d'effroi et d'amour revient vers le +royal Désespéré, comme résignée aux flammes d'une imminente +géhenne. Pendant qu'ils sont enlacés, <span class="small">UN CHŒUR D'ANGES</span>, entendu +jadis, effleure leurs oreilles extasiées.</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ecarte le conseil de tes mauvaises craintes.</div> + <div class="verse">Le Seigneur t'a rendu des mains pour les étreintes,</div> + <div class="verse">Fais à l'amant royal le don de ton orgueil.</div> + <div class="verse">Va! laisse le troupeau neigeux d'immaculées;</div> + <div class="verse">Vers l'amoncellement des glaces reculées,</div> + <div class="verse">Les rouges Kéroubim les repoussent du seuil.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Aimez-vous! le blé mûr épars des Madeleines,</div> + <div class="verse">Epars sur les pieds nus avec les urnes pleines,</div> + <div class="verse">Brûle seul dans la sainte auréole de feu.</div> + <div class="verse">Dans le brasier de Christ, avivé de colères,</div> + <div class="verse">Vous fondriez, ô froides fleurs des soirs polaires,</div> + <div class="verse">Qui ne parfumez pas les hommes avant Dieu.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Lorsque le Rédempteur eut brisé les statues</div> + <div class="verse">D'autrefois, parmi les colonnes abattues,</div> + <div class="verse">Il laissa reverdir, seul d'entre les Maudits,</div> + <div class="verse">Erôs, et lui donna pour royaume la Terre:</div> + <div class="verse">Immortelle, la soif des lèvres vous altère,</div> + <div class="verse">Et l'enfer des baisers vaut notre paradis.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p32">LA PEUR D'AIMER</h4> + +<p class="dedic"><i>A José-Maria de Heredia.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La Bête monstrueuse et le bon Chevalier</div> + <div class="verse">Ont lutté tout le jour: le dragon mort distille</div> + <div class="verse">Un suprême venin sur le sable infertile,</div> + <div class="verse">Et le triomphateur entre dans le hallier.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Il va, les yeux hagards d'un songe familier:</div> + <div class="verse">Là-bas, le palais d'or miraculeux rutile</div> + <div class="verse">Et la princesse rêve, en sa grâce inutile,</div> + <div class="verse">A l'amant inconnu qui la doit éveiller.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais lorsque le vainqueur de l'hydre et des licornes</div> + <div class="verse">Vit, après le bois sombre et les escaliers mornes,</div> + <div class="verse">La vierge aux cheveux blonds comme un soleil d'Avril</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dans la jeune splendeur de sa puberté mûre,</div> + <div class="verse">L'angoisse de l'amour mordit son cœur viril</div> + <div class="verse">Et sa chair de héros trembla, sous son armure.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p33">LE PRINCE D'AVALON</h4> + +<p class="dedic"><i>A Henri de Régnier.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et le prince vivait dans l'île d'Avalon.</div> + <div class="verse">Des parterres de fleurs caressaient ses prunelles;</div> + <div class="verse">Les calices des lys s'ouvraient en ce vallon</div> + <div class="verse">Éperdument, vers les étoiles fraternelles;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les paons constellés d'yeux luisaient sous les halliers</div> + <div class="verse">Or mobile, tremblant saphir, vivante flamme</div> + <div class="verse">Et les fruits mûrs pendus aux vastes espaliers</div> + <div class="verse">Versaient un opulent arôme de cinname,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tandis que, dans le parc peuplé par des sylvains</div> + <div class="verse">Et des faunes bordant les larges avenues,</div> + <div class="verse">Le clair de lune épars sur les marbres divins</div> + <div class="verse">Faisait étinceler la chair des nymphes nues.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et le prince sur la terrasse du palais</div> + <div class="verse">Inclinait vers le sol ses doigts chargés de bagues</div> + <div class="verse">Et regardait, là-bas, sous les cieux violets,</div> + <div class="verse">Fuir des vaisseaux fleuris par la houle des vagues.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">«Passez, je vous envie, ô frères ignorés,</div> + <div class="verse">Que les vents furieux emportent sur le gouffre;</div> + <div class="verse">Je ne la connais plus et vous la reverrez</div> + <div class="verse">La terre désirable où l'homme pleure et souffre.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je suis venu vers les rivages interdits</div> + <div class="verse">Pour obéir aux voix des blanches fiancées</div> + <div class="verse">Et mon âme succombe au poids des paradis</div> + <div class="verse">Ainsi que les joyaux chargent mes mains lassées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pour éveiller en moi d'immortelles douleurs</div> + <div class="verse">Dont la mémoire accrût mes extases futures,</div> + <div class="verse">J'ai déchaîné des sangliers parmi les fleurs;</div> + <div class="verse">Mais les fleurs renaissaient plus belles et plus pures.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">J'ai voulu renverser le palais merveilleux</div> + <div class="verse">Et je l'ai revêtu de rouges incendies,</div> + <div class="verse">Mais des colonnes d'or surgissaient à mes yeux</div> + <div class="verse">Et portaient jusqu'au ciel les voûtes agrandies.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et lorsque j'ai tué la vierge que j'aimais,</div> + <div class="verse">Espérant rompre enfin les ineffables charmes,</div> + <div class="verse">L'enfant ressuscitée a vaincu pour jamais</div> + <div class="verse">Par des baisers plus doux ma tristesse et mes larmes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pour moi, le flot des jours s'écoule vainement;</div> + <div class="verse">Vainement le soir tombe et l'aurore rougeoie:</div> + <div class="verse">Enveloppé de rêve et d'éblouissement</div> + <div class="verse">Je suis le prisonnier de l'immuable joie.»</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ainsi par cette nuit d'étoiles, il parlait:</div> + <div class="verse">Les fourrés frissonnants brillaient de lucioles</div> + <div class="verse">Et le souffle embaumé de la brise mêlait</div> + <div class="verse">Les chansons de la mer à la voix des violes.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p34">CELLE QU'ON FOULE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Georges Duflot.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">C'était parmi la nuit muette, la clameur</div> + <div class="verse">De la Terre, clameur lamentable et farouche</div> + <div class="verse">De géante en travail qui se tord sur sa couche,</div> + <div class="verse">Rejette l'embryon sanglant, rugit et meurt.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La formidable voix hurlait: cris d'épouvante,</div> + <div class="verse">Gémissements plaintifs des automnes, sanglots</div> + <div class="verse">Rauques de la forêt hivernale et des flots,</div> + <div class="verse">Rire amer et confus de la foule vivante,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Frémissement de l'herbe et murmure des nids,</div> + <div class="verse">Hymne démesuré du torrent et du gouffre,</div> + <div class="verse">Tout ce qui parle, tout ce qui palpite et souffre</div> + <div class="verse">S'unissait et montait vers les cieux infinis.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Or voici l'anathème effréné que la Terre</div> + <div class="verse">Jetait à travers l'ombre aux fils des nations:</div> + <div class="verse">«Que le troupeau vengeur des exécrations</div> + <div class="verse">Suive à la trace l'homme ennemi du mystère.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les peuples d'autrefois inclinaient leur orgueil</div> + <div class="verse">Devant la majesté féconde de l'ancêtre</div> + <div class="verse">D'où jaillit la semence et la source de l'Être</div> + <div class="verse">Et qui rouvre ses flancs paisibles au cercueil.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Partout, toujours, dans les déserts hantés d'hyènes,</div> + <div class="verse">Dans les plaines de neige où, par soudains élans,</div> + <div class="verse">Bondissent des troupeaux de rennes et d'élans,</div> + <div class="verse">Près du pôle et dans les cryptes égyptiennes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les hommes adoraient la Terre, qui porta</div> + <div class="verse">Dans son sein maternel, des millions d'années,</div> + <div class="verse">Le germe à peine éclos de vos races damnées</div> + <div class="verse">Et priaient à genoux Kybèle, Isis, Airtha.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Alors au bruit des sistres d'or et des crotales,</div> + <div class="verse">Sereine, à travers les chemins et les cités,</div> + <div class="verse">De temple en temple, au pas de mes lions domptés,</div> + <div class="verse">J'allais les seins voilés de pourpre orientale.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les vierges de Hellas ployaient leur cou de lait</div> + <div class="verse">Au passage de la déesse vénérable</div> + <div class="verse">Et, telles qu'au printemps les grappes de l'érable,</div> + <div class="verse">Me versaient des parfums où le feu se mêlait.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les austères guerriers des campagnes romaines</div> + <div class="verse">Chantaient pieusement la nourrice Rhéa</div> + <div class="verse">Qui mit en eux la sève antique et les créa</div> + <div class="verse">Pour l'asservissement des nations humaines;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les chasseurs lointains des cerfs et des aurochs,</div> + <div class="verse">Les braves aux yeux bleus, chevelus d'or, les Mâles</div> + <div class="verse">Érigeaient mes autels en face des cieux pâles</div> + <div class="verse">Dans les forêts tempêtueuses, sur les rocs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Quand la procession de mes prêtresses blanches</div> + <div class="verse">Précédait au printemps par les sentiers herbeux</div> + <div class="verse">Mon attelage lent et traîné par des bœufs</div> + <div class="verse">Vers les villages et les toits couverts de branches,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les hommes tatoués de fauve vermillon</div> + <div class="verse">Se courbaient et baisaient ma trace, et les épées</div> + <div class="verse">Rouges encore du sang et des têtes coupées</div> + <div class="verse">Saluaient d'un éclair la Mère du Sillon.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O temps ancien de la Germanie et de Rome,</div> + <div class="verse">O temple universel des plaines et des blés</div> + <div class="verse">Où mon mystique époux des siècles écoulés,</div> + <div class="verse">Le laboureur était un prêtre auguste à l'homme:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le culte vénéré sombre aux flots de l'oubli:</div> + <div class="verse">Nul printemps, nul été, ne luit et ne ramène</div> + <div class="verse">Les incantations de la prière humaine</div> + <div class="verse">Vers les autels de mon sanctuaire aboli:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O races chaque jour plus impures et viles,</div> + <div class="verse">Qui ne connaissez plus mes mystères, troupeaux</div> + <div class="verse">Plus barbares que vos pères vêtus de peaux,</div> + <div class="verse">Troupeaux qui pullulez dans vos enclos de villes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Vous qui fouillez avec mépris mes flancs gercés</div> + <div class="verse">Par les maternités innombrables; ô foule</div> + <div class="verse">Immonde dont le pas sacrilège me foule;</div> + <div class="verse">Vous qui priez des dieux que je n'ai pas bercés</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Au chant de mes forêts de bouleaux et de chênes,</div> + <div class="verse">Dans des lits d'herbe fraîche et des langes de fleurs,</div> + <div class="verse">Voici venir enfin la horde des malheurs</div> + <div class="verse">Fatidiques et des calamités prochaines.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dans un bref avenir une aube jaillira,</div> + <div class="verse">Ensanglantant les noirs espaces des nuées</div> + <div class="verse">Et par-dessus le bruit féroce des huées</div> + <div class="verse">Le clairon des combats ultimes sonnera;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sous l'œil indifférent des sphères fraternelles,</div> + <div class="verse">L'horrible mer de vos haines, sinistrement</div> + <div class="verse">Débordera sur vous et l'épouvantement</div> + <div class="verse">Élargira le vol funèbre de ses ailes;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les hommes saisis d'un délire fatal,</div> + <div class="verse">Déchaînés se rueront aux suprêmes tueries;</div> + <div class="verse">De l'équateur torride aux blanches Sibéries,</div> + <div class="verse">Ma face saignera comme un immense étal.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O fureur indicible et sans répit! batailles</div> + <div class="verse">Qui durerez de l'aube au soir, pendant dix ans,</div> + <div class="verse">Comme le cri des flots qui heurtent les brisants,</div> + <div class="verse">J'entends déjà clamer les corps sous les entailles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Un souffle meurtrier et pestilentiel</div> + <div class="verse">S'exhale de la mort et des chairs refroidies</div> + <div class="verse">Sans linceul, tandis qu'aux lueurs des incendies</div> + <div class="verse">De vastes lacs de sang pourrissent sous le ciel,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">De vastes lacs de sang où, rigides et vertes,</div> + <div class="verse">Vont des flottes de morts convulsifs par milliers,</div> + <div class="verse">Où s'acharnent sans peur, repus et familiers,</div> + <div class="verse">Les vautours réjouis des cervelles ouvertes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La fièvre fait claquer les dents des survivants,</div> + <div class="verse">Témoins terrifiés des heures vengeresses,</div> + <div class="verse">Qui dans l'affolement des suprêmes détresses</div> + <div class="verse">Voudraient perpétuer leur race en des enfants;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais ces accouplements de spectres épuisés</div> + <div class="verse">Ne repeupleront pas les villes et les plaines.</div> + <div class="verse">Mêlez-vous, unissez les corps et les haleines!</div> + <div class="verse">Les siècles ont tari la source des baisers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les temps sont écoulés, les heures sont venues</div> + <div class="verse">Et nul glas solennel et lent ne tintera</div> + <div class="verse">Lorsque le vent indifférent emportera</div> + <div class="verse">Le dernier râlement de l'homme vers les nues.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sa mort n'éveillera ni gaîté ni regret</div> + <div class="verse">Dans le monde impassible et dans l'âme des choses</div> + <div class="verse">Qui ne s'occupent pas en leurs métamorphoses</div> + <div class="verse">De ce qui naît, grandit, s'efface et disparaît.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Rien ne tressaillera dans la Nature, et seule,</div> + <div class="verse">Seule de toutes les étoiles, je saurai</div> + <div class="verse">Que mon lait a nourri jadis l'être exécré,</div> + <div class="verse">Le mauvais fils, l'enfant contempteur de l'aïeule!</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Comme avant l'homme impie et ses rébellions,</div> + <div class="verse">Libre de sa présence et de sa marche impure,</div> + <div class="verse">Je pourrai dénouer au vent ma chevelure</div> + <div class="verse">De profondes forêts où rôdent les lions;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et quand l'aube luira dans la fraîche rosée</div> + <div class="verse">Je plongerai mon corps que ses pas ont flétri.</div> + <div class="verse">—Et ma force renaît, ma beauté refleurit,</div> + <div class="verse">Et ma chair a des tons d'églantine rosée.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O gloire des cactus de pourpre et des lys blancs,</div> + <div class="verse">Hautaine majesté des palmes triomphales</div> + <div class="verse">Que faisait onduler le souffle des rafales</div> + <div class="verse">Sur la virginité première de mes flancs,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Surgissez et parez ma nouvelle jeunesse</div> + <div class="verse">Pour l'hymen radieux et rouge du soleil;</div> + <div class="verse">Tissez et déployez votre manteau vermeil</div> + <div class="verse">Sur ma gorge superbe et mes seins de faunesse!</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Montez dans le limpide éther, ô chants d'oiseaux:</div> + <div class="verse">Voici l'amour et les caresses nuptiales;</div> + <div class="verse">J'entends hennir au loin les cavales royales</div> + <div class="verse">Et des nuages fins neigent de leurs naseaux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le Dieu descend du char céleste et sur ma bouche</div> + <div class="verse">Frissonnante, je sens sa bouche, et ses baisers</div> + <div class="verse">S'infiltrent lentement dans mes flancs embrasés,</div> + <div class="verse">Jusqu'à l'heure où le jour resplendissant se couche</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et remonte vers le palais mystérieux,</div> + <div class="verse">Cependant que la main pacifique des ombres</div> + <div class="verse">Étale dans le ciel obscur ses voiles sombres</div> + <div class="verse">Et clôt divinement mes lèvres et mes yeux.»</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p35">LA VOIX IMPÉRISSABLE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Catulle Mendès.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Abandonné depuis des siècles fabuleux,</div> + <div class="verse">Un grand temple dressait sur le mont solitaire</div> + <div class="verse">Ses portiques de marbre et ses escaliers bleus.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pourpre traînant en ombre errante sur la terre,</div> + <div class="verse">Jardins ensanglantés de glorieuses fleurs,</div> + <div class="verse">Vasques d'or où l'ibis sacré se désaltère,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et près des bois, gemmés par la rosée en pleurs</div> + <div class="verse">Du collier merveilleux que l'aube sainte égrène,</div> + <div class="verse">Des oiseaux ignorant les rets des oiseleurs:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tout un monde de rêve espérait une reine</div> + <div class="verse">Ou le retour tardif des héros et des dieux</div> + <div class="verse">Disparus dans la nuit formidable et sereine.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Fils de la neige pure et du ciel radieux,</div> + <div class="verse">Des cygnes indolents glissaient dans la vallée</div> + <div class="verse">Sur un fleuve que les lotus étoilaient d'yeux;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Leurs corps majestueux fendait l'eau refoulée</div> + <div class="verse">Et parfois leur plumage illustre secouait</div> + <div class="verse">Autour d'eux des flocons de lumière envolée,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tandis qu'en un appel de deuil ou de souhait</div> + <div class="verse">Le cri des beaux nageurs aux ailes éployées</div> + <div class="verse">Montait éperdument vers le temple muet.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais nul dieu revenu n'écartait les feuillées</div> + <div class="verse">Et nulle reine avec des rires enfantins,</div> + <div class="verse">Ne réveillait l'écho des verdures mouillées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le vieux temple érigeait ses portiques hautains</div> + <div class="verse">Ainsi qu'un fier écueil d'indestructible roche</div> + <div class="verse">Qui défiait les flots des soirs et des matins.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Or, flux tumultueux qui roule et qui s'accroche</div> + <div class="verse">En écume de flamme aux marbres effrités,</div> + <div class="verse">La sombre mer des jours suprêmes était proche</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ruine des moissons et terreur des cités.</div> + <div class="verse">Fauves ivres du sang versé dans les cratères,</div> + <div class="verse">Des hordes s'en venaient vers les bois enchantés.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les têtes des vaincus sur la peau des panthères</div> + <div class="verse">Pendaient horriblement comme des raisins mûrs</div> + <div class="verse">Et les carquois sonnaient aux dos des sagittaires.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les frondeurs brandissaient leurs bras noueux et durs</div> + <div class="verse">Et des cavaliers nus au galop des cavales</div> + <div class="verse">Entrèrent en hurlant par les brèches des murs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des torches consumaient de leurs pourpres rivales</div> + <div class="verse">Les voiles rouges et les blocs de marbre roux.</div> + <div class="verse">Et des gerbes de feu fusaient par intervalles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'absence de vivants attisait le courroux</div> + <div class="verse">Des barbares frustrés de la chair des prêtresses,</div> + <div class="verse">Et les images d'or se brisaient sous leurs coups.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tel le Temple, parmi les clameurs vengeresses,</div> + <div class="verse">S'abîmait dans les flots de bronze incandescent</div> + <div class="verse">Qui couronnaient les monts de monstrueuses tresses.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Seuls, les cygnes épars dans le val frémissant</div> + <div class="verse">Regardaient la lueur rouge de l'incendie</div> + <div class="verse">Comme un morne soleil qui meurt et qui descend;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et, vers l'astre nouveau d'où la flamme irradie,</div> + <div class="verse">Désespérant des dieux qui les ont oubliés,</div> + <div class="verse">Ils tournaient tristement leur prunelle agrandie,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais les barbares las, jetant leurs boucliers,</div> + <div class="verse">Firent pleuvoir, avec les pierres de leurs frondes,</div> + <div class="verse">Les flèches qui sifflaient entre les peupliers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pointes de fer, silex aigus et balles rondes</div> + <div class="verse">Trouaient l'eau frissonnante avec un bruit strident</div> + <div class="verse">Et le sang des oiseaux tachait les claires ondes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Alors un chant funèbre emplit le ciel ardent:</div> + <div class="verse">Un concert douloureux d'ineffable harmonie</div> + <div class="verse">Montait vers les tueurs surgis de l'occident.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La voix des chanteurs blancs pleurant leur agonie</div> + <div class="verse">Poursuivait les guerriers jusque-là sans remords</div> + <div class="verse">Dont la chair palpitait d'une angoisse infinie;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et tandis qu'autour d'eux l'âme des cygnes morts</div> + <div class="verse">Semait un hymne amer de vengeance éternelle,</div> + <div class="verse">Les barbares, au vol de leurs chevaux sans mors,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">S'enfonçaient, affolés, dans l'ombre solennelle.</div> + </div> +</div> + + + + +<h3>MAYA</h3> + +<p class="dedic"><i>A BERNARD LAZARE</i></p> + + + +<h4 id="p36">THAÏS</h4> + +<p class="dedic"><i>A Henri de Manneville.</i></p> + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Alexandros, l'épique enfant de Zeus Ammon,</div> + <div class="verse">Mange et boit et s'enivre après la ville prise</div> + <div class="verse">Dans le palais taillé dans le marbre et le mont;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les hommes-lions, sculptés de pierre grise,</div> + <div class="verse">Inutiles gardiens des murs et du trésor,</div> + <div class="verse">Regardent le héros boire aux coupes qu'il brise,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Cependant que la fauve avalanche de l'or</div> + <div class="verse">Splendidement s'abat sur la massive table</div> + <div class="verse">Comme un grand oiseau roux au fulgurant essor,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La rauque orgie et la clameur épouvantable</div> + <div class="verse">Hurlent et le troupeau des Hellènes vainqueurs</div> + <div class="verse">Mugit: tels les taureaux dans la nocturne étable;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et parmi les péans discordants et les chœurs,</div> + <div class="verse">Et les parfums de la Sabée et le cinname,</div> + <div class="verse">Et la vapeur des vins et des chaudes liqueurs,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La torche en main, Thaïs, la bacchante qui clame,</div> + <div class="verse">La courtisane blanche et droite comme un lys</div> + <div class="verse">Revêt de pourpre ardente et couronne de flamme</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La ville antique aux toits d'argent, Persépolis.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">O ville, amas ancien de rêve et de superbe,</div> + <div class="verse">Dressée en moi sur tes inébranlables fûts,</div> + <div class="verse">Qui te rabaissera jusqu'au niveau de l'herbe?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Monceau de souvenirs étranges et confus,</div> + <div class="verse">Peuple mystérieux de muettes images,</div> + <div class="verse">Qui donc rendra la plaine au chant des bois touffus?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Qui chassera de moi les rites et les mages</div> + <div class="verse">Et sur les noirs débris du temple renversé</div> + <div class="verse">Fera monter des cris d'oiseaux et de ramages?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Quelle torche, ô mon cœur, sur ton marbre glacé</div> + <div class="verse">Etendra des lueurs sanglantes et sur l'âme</div> + <div class="verse">Lâchement assoupie et sur l'esprit lassé</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dardera la splendeur de ses langues de flamme?</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p37">JUDEX</h4> + +<p class="dedic"><i>A Marcel Collière.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Par le prétorial silence de la nuit</div> + <div class="verse">Où sonnent seulement des horloges funèbres</div> + <div class="verse">J'attends venir vers moi le Juge des ténèbres</div> + <div class="verse">Qui scrute les péchés des hommes et s'enfuit.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sans toge, sans licteurs ni haches enlacées,</div> + <div class="verse">Sans chants impérieux et tristes de buccins,</div> + <div class="verse">N'écoutant que la voix des remords en nos seins</div> + <div class="verse">Le Juge intérieur passe dans nos pensées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les spectres dont le jour avait tué les cris,</div> + <div class="verse">Les spectres dont le jour avait clos les prunelles,</div> + <div class="verse">Surgissent maintenant des tombes éternelles</div> + <div class="verse">Et redressent leurs fronts livides et flétris.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O baisers reniés, mémoire des caresses,</div> + <div class="verse">Rêves que j'avais crus emmurés pour jamais,</div> + <div class="verse">O cadavres divins que j'aime et que je hais,</div> + <div class="verse">Regards accusateurs et bouches vengeresses,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Que voulez-vous de moi? spectres, ayez pitié;</div> + <div class="verse">N'appelez pas ainsi l'incorruptible juge;</div> + <div class="verse">Vous savez qu'il n'est point d'église de refuge</div> + <div class="verse">Pour le coupable en pleurs et le crucifié.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais l'âpre justicier se lève dans mon âme</div> + <div class="verse">Chaque soir: il prononce irrévocablement</div> + <div class="verse">La sentence de deuil, de honte et de tourment</div> + <div class="verse">Et fait couler en moi des rivières de flamme.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Puis il remonte au ciel lointain dont il descend</div> + <div class="verse">Et d'où j'espère en vain le Rédempteur à naître,</div> + <div class="verse">Tandis que dans l'obscur abîme de mon être</div> + <div class="verse">Un enfer de douleur hurle en le maudissant.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p38">CHAMBRE D'AMOUR</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La nuit tiède est clémente à la ville qui dort;</div> + <div class="verse">Des lys impérieux triomphent dans la chambre</div> + <div class="verse">Et cependant nos cœurs sont froids comme Décembre</div> + <div class="verse">Et nos baisers d'amours amers comme la mort.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ta douce bouche s'ouvre à des chansons mièvres</div> + <div class="verse">Et tes seins bienveillants accueillent mon front las;</div> + <div class="verse">Mais, ô ma douloureuse enfant, je ne sais pas</div> + <div class="verse">Pourquoi les dieux mauvais empoisonnent nos lèvres.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Qu'importe? viens vers moi, triste sœur; aimons-nous,</div> + <div class="verse">Sans craindre la saveur glorieuse des larmes,</div> + <div class="verse">Tels des héros blessés avec leurs propres armes</div> + <div class="verse">Et dont le glaive d'or a rompu les genoux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Viens! nous aurons l'orgueil des âmes taciturnes</div> + <div class="verse">En cette chambre morne et veuve de flambeaux,</div> + <div class="verse">Où, semblable à l'odeur des antiques tombeaux,</div> + <div class="verse">Un parfum sépulcral monte des lys nocturnes.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p39">PRINTEMPS D'AUTOMNE</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La pourpre automnale ensanglante</div> + <div class="verse">Les feuilles sèches des halliers</div> + <div class="verse">Et transforme en floraison lente</div> + <div class="verse">Les rayons d'Avrils oubliés.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">D'insensibles métamorphoses</div> + <div class="verse">Changent les clartés d'autrefois</div> + <div class="verse">En d'artificielles roses</div> + <div class="verse">Qui parent les jours gris et froids,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et sous le ciel tendu de brume</div> + <div class="verse">Et les nuages palpitants</div> + <div class="verse">Leur odeur mourante parfume</div> + <div class="verse">Un mélancolique printemps.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Très Chère, c'est aussi l'Automne</div> + <div class="verse">Ténébreux pour nos cœurs lassés;</div> + <div class="verse">Mais en notre chair qui s'étonne</div> + <div class="verse">Refleurissent les jours passés,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et la ressouvenance lente</div> + <div class="verse">Nous revêt, comme les halliers,</div> + <div class="verse">D'un manteau de pourpre sanglante</div> + <div class="verse">Faite des baisers oubliés.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p40">LIEDER</h4> + +<blockquote class="epi"> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ich, ein tolles Kind, ich singe</div> + <div class="verse">Jetzo in der Dunkelheit;</div> + <div class="verse">Klingt das Lied auch nicht ergötzlich,</div> + <div class="verse">Hat es mich doch vor Angst befreit.</div> + </div> +</div> + +<p class="attr">(<span class="sc">Heinrich Heine</span>, <i>Die Heimkehr</i>.)</p> +</blockquote> + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des mots doux comme des hautbois</div> + <div class="verse">Et des harpes surnaturelles,</div> + <div class="verse">Des sons légers de chanterelles</div> + <div class="verse">Et dans les bois, des voix, des voix.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des couples blancs de tourterelles,</div> + <div class="verse">Des oiseaux bleus couleur du temps;</div> + <div class="verse">Des ailes d'or sur les étangs,</div> + <div class="verse">Dans le ciel des ailes, des ailes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je ne sais où: je vois, j'entends.</div> + <div class="verse">Voici venir la très aimée</div> + <div class="verse">Et sa cheville parfumée</div> + <div class="verse">Foule des tapis éclatants;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sa robe candide est lamée</div> + <div class="verse">De l'or du paradis natal;</div> + <div class="verse">Des feux de myrrhe et de çantal</div> + <div class="verse">L'entourent de blonde fumée.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Plus rien, plus rien! le deuil brutal,</div> + <div class="verse">Le silence et l'ombre. Serait-ce</div> + <div class="verse">Que la perfide enchanteresse</div> + <div class="verse">A forgé ce mur de métal</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et clos dans la nuit vengeresse,</div> + <div class="verse">Sans ailes d'or et sans hautbois,</div> + <div class="verse">Les mots doux comme une caresse,</div> + <div class="verse">Et les colombes, sœurs des voix?</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ni tes fiertés, ni tes paresses</div> + <div class="verse">Ni l'espoir menteur des caresses,</div> + <div class="verse">Ni ta chair de vierge, j'aimais</div> + <div class="verse">La splendeur de ma propre idée,</div> + <div class="verse">O maîtresse non possédée</div> + <div class="verse">Qui ne me trahiras jamais</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je garde en mon âme hautaine</div> + <div class="verse">Le rêve frais de la fontaine</div> + <div class="verse">Et des nénufars ingénus;</div> + <div class="verse">Je laisse aux lèvres sans extase</div> + <div class="verse">L'eau noire et, grouillant dans la vase,</div> + <div class="verse">Tous les reptiles inconnus,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Loin de l'hivernale vallée</div> + <div class="verse">L'aile des fleurs s'est envolée</div> + <div class="verse">Et le murmure des nids verts</div> + <div class="verse">Cherche, avec le vol des pétales,</div> + <div class="verse">Dans les aubes orientales</div> + <div class="verse">L'éternel printemps de mes vers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">C'est l'heure que j'ensevelisse</div> + <div class="verse">La blancheur du dernier calice</div> + <div class="verse">Avec les souvenirs défunts:</div> + <div class="verse">O nuptiale Galatée,</div> + <div class="verse">Rends-moi la corolle empruntée,</div> + <div class="verse">Rends-moi le songe des parfums,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pour que je tisse avec mes strophes</div> + <div class="verse">Un linceul de riches étoffes</div> + <div class="verse">Embaumé de myrrhe et de nard</div> + <div class="verse">Et que je jette sur mon rêve</div> + <div class="verse">De jeunesse et de gloire brève</div> + <div class="verse">La pourpre antique de Schinnar.</div> + </div> +</div> + + +<h5>III</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pour moi seul tes cheveux de saule</div> + <div class="verse">Se déroulent sur ton épaule</div> + <div class="verse">Comme les feuilles dans le vent,</div> + <div class="verse">Et, tel que sur la neige vierge</div> + <div class="verse">Frémit un frisson d'or mouvant,</div> + <div class="verse">De l'aube de ta chair émerge</div> + <div class="verse">Une fleur de soleil levant.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Car seul je connais les paroles,</div> + <div class="verse">Sœurs des feuilles et des corolles,</div> + <div class="verse">Qui puissent dire ta beauté;</div> + <div class="verse">Je sais les phrases rituelles</div> + <div class="verse">Par qui, dans le bois enchanté,</div> + <div class="verse">L'ombre des amantes cruelles</div> + <div class="verse">Revive pour l'éternité.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Rires et larmes infinies!</div> + <div class="verse">Si je chantais tes litanies</div> + <div class="verse">Et le miel de tes seins rosés</div> + <div class="verse">Je ferais voler dans les brises,</div> + <div class="verse">Au delà des jours épuisés,</div> + <div class="verse">L'abeille des lèvres éprises</div> + <div class="verse">Vers la ruche de tes baisers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais je tais avec jalousie</div> + <div class="verse">Les chers mots dont je m'extasie:</div> + <div class="verse">Les hommes passent et s'en vont;</div> + <div class="verse">Le bruit des foules abhorrées</div> + <div class="verse">Roule et le miel divin se fond</div> + <div class="verse">En perles de gouttes dorées</div> + <div class="verse">Dans l'urne de mon cœur profond.</div> + </div> +</div> + + +<h5>IV</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ta voix, ta même voix de colombe blessée</div> + <div class="verse">Sonne plaintivement dans ta gorge lassée.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">J'entends encor l'écho des paroles d'antan</div> + <div class="verse">Lorsque les mots ailés s'envolent en chantant.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais je ne comprends plus les syllabes; j'oublie</div> + <div class="verse">Ce qui fait leur langueur et leur mélancolie.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je crois t'ouïr parler un langage inconnu</div> + <div class="verse">Sur des airs dont mon cœur s'est en vain souvenu,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et je perçois parmi la musique rhythmée</div> + <div class="verse">La voix d'une étrangère ou d'une morte aimée.</div> + </div> +</div> + + +<h5>V</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Reine du magique palais,</div> + <div class="verse">En ce jeu cruel que tu joues,</div> + <div class="verse">Comme tes sœurs, tu te complais</div> + <div class="verse">Aux larmes roulant sur nos joues.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Quand tu presses le vin des cœurs</div> + <div class="verse">L'étoile de tes yeux rutile,</div> + <div class="verse">L'étoile de tes yeux vainqueurs</div> + <div class="verse">Rit de la lâcheté virile.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tandis que, dans la paix du soir,</div> + <div class="verse">Les désirs—tels de mauvais anges—</div> + <div class="verse">Portent aux meules du pressoir</div> + <div class="verse">Les grappes des rouges vendanges.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Soit! en tes rêves assassins</div> + <div class="verse">Grise-toi des pourpres foulées</div> + <div class="verse">Et noue au-dessous de tes seins</div> + <div class="verse">Des peaux fauves et tavelées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sois la bacchante que les dieux</div> + <div class="verse">Lâchent sur la terre; promène</div> + <div class="verse">L'orgueil de tes flancs radieux</div> + <div class="verse">Au milieu de la vigne humaine.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Va! que les héros asservis</div> + <div class="verse">Et les poètes que tu crées</div> + <div class="verse">Se courbent hurlants et ravis</div> + <div class="verse">Devant tes colères sacrées:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tes triomphes sont imparfaits,</div> + <div class="verse">Ta gloire sanglante est un leurre;</div> + <div class="verse">Tu n'as pas su que je t'aimais</div> + <div class="verse">Et tu ne sais pas que je pleure.</div> + </div> +</div> + + +<h5>VI</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les moires vertes des feuillées</div> + <div class="verse">Attendent le Prince Charmant</div> + <div class="verse">Et sous les gemmes de rosée</div> + <div class="verse">L'aubépine est une épousée</div> + <div class="verse">D'où s'exhale amoureusement</div> + <div class="verse">L'âcre parfum des fleurs mouillées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des lèvres que nul ne connaît</div> + <div class="verse">Ont bu les gemmes disparues:</div> + <div class="verse">Pourquoi le Prince viendrait-il,</div> + <div class="verse">O forêt? le parfum subtil</div> + <div class="verse">Meurt dans les poussières accrues</div> + <div class="verse">Sur l'aubépine et le genêt.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La plainte lente des ramures</div> + <div class="verse">Geint sinistrement et déjà</div> + <div class="verse">Les nains méchants des avenues</div> + <div class="verse">Font saigner sur les branches nues</div> + <div class="verse">Que leur caprice ravagea</div> + <div class="verse">La chair automnale des mûres.</div> + </div> +</div> + + +<h5>VII</h5> + +<blockquote class="epi"> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Plus quam femina virgo</div> + </div> +</div> + +<p class="attr">(<span class="sc">P. Ovidius Naso</span>)</p> +<p class="attr">(<i>Métamorphoses</i>, <i>Livre</i> <span class="small">XIII</span>.)</p> +</blockquote> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Plus claires dans le sombre azur des nuits sans lune</div> + <div class="verse">Les étoiles doraient les ajoncs et la dune,</div> + <div class="verse">Mais je n'ai pas souci de leur ruissellement</div> + <div class="verse">Et dans mes yeux fleuris de visions plus belles,</div> + <div class="verse">Baignant les cieux futurs de leurs splendeurs nouvelles,</div> + <div class="verse">Les astres à venir montent éperdument.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tu glissais à pas lents dans les ajoncs stellaires</div> + <div class="verse">Et sourde à la rumeur humaine des colères</div> + <div class="verse">Tu regardais surgir les astres apaisés;</div> + <div class="verse">Mais dans mon cœur fleuri de voluptés plus calmes,</div> + <div class="verse">J'évoque au chant lointain des sources et des palmes</div> + <div class="verse">Les vierges à venir et les futurs baisers.</div> + </div> +</div> + + +<h5>VIII</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La fleur énorme de la mer</div> + <div class="verse">Éclose avec l'aurore sainte</div> + <div class="verse">Renaissait dans le gouffre amer</div> + <div class="verse">De tes prunelles d'hyacinthe.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dans tes cheveux d'or j'adorais,</div> + <div class="verse">Sous l'or caduc de leur couronne,</div> + <div class="verse">Les impériales forêts</div> + <div class="verse">Et leur laticlave d'automne.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les peupliers glauques et blancs</div> + <div class="verse">Et la mollesse des prairies</div> + <div class="verse">Revivaient dans les gestes lents</div> + <div class="verse">De tes mains douces et fleuries.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais aujourd'hui que tu n'es plus</div> + <div class="verse">La prêtresse et l'évocatrice,</div> + <div class="verse">Il faut les bois et les reflux</div> + <div class="verse">Pour que ta grâce refleurisse</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les colchiques du matin</div> + <div class="verse">Ressuscitent dans ma pensée</div> + <div class="verse">Ta pâleur morne de satin,</div> + <div class="verse">O mensongère Fiancée.</div> + </div> +</div> + + +<h5>IX</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tout à l'heure, un essaim de mauves s'envolait,</div> + <div class="verse">Majestueux, au ras des vagues aurorales:</div> + <div class="verse">Les oiseaux fendaient l'air de leurs ailes égales</div> + <div class="verse">Et nageaient dans l'azur vers l'horizon de lait.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ils allaient: le soleil semait sur les prairies</div> + <div class="verse">Marines des fleurs d'or et de chrysobéril</div> + <div class="verse">Et l'on eût cru là-bas des papillons d'avril</div> + <div class="verse">Sur un champ constellé de rares pierreries.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ils allaient: maintenant que dans le clair matin</div> + <div class="verse">La blancheur de leur vol splendide s'est fondue,</div> + <div class="verse">Je cherche obstinément au fond de l'étendue</div> + <div class="verse">Le souvenir neigeux de leur essor lointain.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Nul des flocons perdus dans les brumes d'opale</div> + <div class="verse">N'argente plus la plaine immobile des flots</div> + <div class="verse">Et la seule clameur des antiques sanglots</div> + <div class="verse">Monte plus tristement vers le lac du ciel pâle.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O Chère, ô pâle ciel d'amour qui te mirais</div> + <div class="verse">Dans la mer somptueuse et calme de mes rêves</div> + <div class="verse">Quels abîmes d'azur et d'Océans sans grèves</div> + <div class="verse">Ont englouti le vol de mes désirs secrets?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je ne sais: le regard a lassé ma prunelle,</div> + <div class="verse">La solitude morne emplit mon cœur, j'entends</div> + <div class="verse">Dans le double infini de l'espace et du temps</div> + <div class="verse">Monter le râle amer de l'angoisse éternelle.</div> + </div> +</div> + + +<h5>X</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je ne veux pas courber la tête sous tes pas</div> + <div class="verse">Ni baisser devant toi mes yeux; je ne suis pas</div> + <div class="verse">Un mendiant d'amour et d'aumônes charnelles</div> + <div class="verse">Et la honte des pleurs souillerait mes prunelles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais dans la nuit semblable à mon cœur sombre et fier</div> + <div class="verse">J'irai dire mon mal aux vagues de la mer:</div> + <div class="verse">Elle me bercera la mer consolatrice</div> + <div class="verse">Avec des rhythmes lents et des chants de nourrice.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">J'écouterai sa voix et je m'endormirai:</div> + <div class="verse">Comme un enfant, tandis qu'en un jardin sacré</div> + <div class="verse">Surgira, bleu de rêve et parfumé de menthe,</div> + <div class="verse">Le magique palais où tu seras clémente.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p41">POUR UNE ABSENTE</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je veux m'enfermer seul avec mon souvenir,</div> + <div class="verse">Immobile, oublieux des rafales d'automne</div> + <div class="verse">Qui font les frondaisons se rouiller et jaunir</div> + <div class="verse">Et de la mer roulant sa plainte monotone;</div> + <div class="verse">Je veux m'enfermer seul avec mon souvenir.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le demi-jour filtrant des étoffes tendues</div> + <div class="verse">Sera doux et propice à mon cœur nonchalant,</div> + <div class="verse">Quand je l'évoquerai du fond des étendues,</div> + <div class="verse">Et sa voix emplira d'un hymne grave et lent</div> + <div class="verse">Le demi-jour filtrant des étoffes tendues.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">J'aurai la vision chère devant les yeux:</div> + <div class="verse">Le souffle parfumé de l'ineffable Absente</div> + <div class="verse">Flottera pour moi seul dans l'air silencieux,</div> + <div class="verse">Subtil comme une odeur de fraise dans la sente;</div> + <div class="verse">J'aurai la vision chère devant les yeux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et je dirai tout bas ma tendresse latente;</div> + <div class="verse">O cœur lâche, tremblant et révolté, je veux</div> + <div class="verse">Que ton intime amour se révèle et la tente:</div> + <div class="verse">Tu te résigneras à l'effroi des aveux</div> + <div class="verse">Et je dirai tout bas ma tendresse latente.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p42">JOUVENCE</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tu parles tristement des campagnes lointaines</div> + <div class="verse">D'une voix si dolente et lourde de regrets</div> + <div class="verse">Que je deviens jaloux des fleurs et des forêts</div> + <div class="verse">Et des saules d'argent penchés vers les fontaines.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Souvenirs! jours anciens! comme vous enserrez</div> + <div class="verse">Notre âme prisonnière en d'invincibles chaînes:</div> + <div class="verse">Tu veux, comme autrefois, baigner les sombres chênes</div> + <div class="verse">Au clair de lune blond de tes cheveux cendrés.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Soit! l'été revenu parmi les hautes herbes,</div> + <div class="verse">Nous marcherons, frôlés par les ailes de l'air,</div> + <div class="verse">Au murmure divin des choses et ta chair</div> + <div class="verse">Mêlera des parfums de Chypre aux foins en gerbes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et peut-être qu'un soir entre de rudes draps</div> + <div class="verse">Embaumés de lavande et dans un lit d'auberge</div> + <div class="verse">Tu me rendras ta chair et tes lèvres de vierge,</div> + <div class="verse">Pour quelque amour d'enfant dont tu te souviendras.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p43">LA MORT INUTILE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Grégoire Le Roy.</i></p> +<blockquote class="epi"> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Curæ non ipsa in morte relinquunt.</div> + </div> +</div> + +<p class="attr">(<span class="sc">Publius Vergilius Maro.</span>)</p> +</blockquote> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Triste comme la mer et la chanson des syrtes,</div> + <div class="verse">Le vent lourd de sanglots pleure dans la forêt;</div> + <div class="verse">Un troupeau d'ombres va, paraît, et disparaît</div> + <div class="verse">Par les bois souterrains et les bosquets de myrtes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Défaillant dans l'horreur d'un ciel ensanglanté,</div> + <div class="verse">Le soleil infernal baigne le pâle espace;</div> + <div class="verse">Un troupeau d'ombres vient, revient, passe et repasse</div> + <div class="verse">En sa mélancolique et tremblante clarté;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et ce sont à travers les routes d'asphodèle</div> + <div class="verse">Les fantômes hagards, pleins de larmes et lents</div> + <div class="verse">Dont les glaives d'amour ont déchiré les flancs:</div> + <div class="verse">La mort n'a point fermé leur blessure immortelle,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le sommeil sépulcral a leurré leurs yeux las</div> + <div class="verse">Et l'âpre souvenir survivant à la tombe</div> + <div class="verse">Tel qu'un vin corrosif, goutte par goutte, tombe</div> + <div class="verse">Dans leur cœur ulcéré qui ne guérira pas.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p44">L'AME SEULE</h4> + +<p class="dedic"><i>A A.-Ferdinand Herold.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La bienfaisante nuit couvre la ville immense</div> + <div class="verse">D'où montaient vers le ciel des sanglots et des chants</div> + <div class="verse">Et la grande cité semble un lac de silence</div> + <div class="verse">Frôlé par la rumeur pacifique des champs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mer des vivants, mer furieuse qui te rues</div> + <div class="verse">Emportant dans tes plis les deuils et les baisers,</div> + <div class="verse">Tu roules tout le jour sur le pavé des rues,</div> + <div class="verse">Mais le soir calme endort tes râles apaisés;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les rêveurs amis des nécropoles saintes,</div> + <div class="verse">Délivrés de la joie, affranchis du remords,</div> + <div class="verse">Errent par les soirs clairs et fleuris d'hyacinthes</div> + <div class="verse">Comme des immortels dans la maison des morts.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Hommes, laissez passer dans la nuit solitaire</div> + <div class="verse">Ceux qui foulent toujours des chemins non frayés:</div> + <div class="verse">Les exilés divins ont repeuplé la terre</div> + <div class="verse">Et je me sens plus seul quand vous vous réveillez.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Quels démons ont pétri de leur mains ironiques</div> + <div class="verse">Vos faces de mensonge et de stupidité,</div> + <div class="verse">Je ne sais, mais le mal suinte de vos tuniques</div> + <div class="verse">Et votre rire impur attente à la beauté.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le matin revenu, soyez tels que vous êtes.</div> + <div class="verse">Moi cuirassé d'orgueil et de mépris serein</div> + <div class="verse">Entre mon cœur farouche et vos clameurs de bêtes</div> + <div class="verse">Je laisserai tomber une herse d'airain.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je m'en irai là-bas vers la forêt clémente:</div> + <div class="verse">Les arbres fraternels m'appellent doucement;</div> + <div class="verse">L'herbe bruit, l'eau des fontaines se lamente</div> + <div class="verse">Et rit comme une nymphe avec son jeune amant.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La forêt a gardé pour mon oreille seule</div> + <div class="verse">Les chants anciens et les fleurs nobles d'autrefois</div> + <div class="verse">Parfument à jamais sa mémoire d'aïeule</div> + <div class="verse">Et tous les rhythmes morts revivent dans sa voix.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les chênes musculeux portent de verts portiques,</div> + <div class="verse">Où pareils à des rois mes rêves passeront</div> + <div class="verse">Et près des dieux nouveaux, fils des taillis antiques,</div> + <div class="verse">Je plierai les genoux et courberai le front.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais retrouveras-tu la jeunesse première,</div> + <div class="verse">O parleur orgueilleux, ivre d'un vin mauvais?</div> + <div class="verse">Et si dans la splendeur de la pure lumière</div> + <div class="verse">Ton rêve était moins beau que tu ne le rêvais?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ainsi qu'un porteur las délivre ses épaules</div> + <div class="verse">Tu voudrais rejeter les souvenirs humains</div> + <div class="verse">Et suivre le ruisseau qui court entre les saules</div> + <div class="verse">Et marcher tout le jour au hasard des chemins.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Va! tu n'entendrais plus les voix surnaturelles</div> + <div class="verse">Qui t'invitent la nuit, vers les magiques bois;</div> + <div class="verse">Dans les halliers saignant de mûres et d'airelles</div> + <div class="verse">Tu serais poursuivi par les mauvaises voix.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Reste jusqu'à la mort baigné de crépuscule</div> + <div class="verse">Avec l'âpre regret des astres radieux:</div> + <div class="verse">Tu n'es pas assez grand pour le manteau d'Hercule</div> + <div class="verse">Et pour te revêtir de la pourpre des dieux.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p45">PETITS PAYSAGES</h4> + +<p class="dedic"><i>A Urbain Derbanne.</i></p> + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Une écume de fleurs, blanche et rose, s'étale</div> + <div class="verse">Sur la mer onduleuse et mouvante des prés</div> + <div class="verse">Où ruisselle le flot des trèfles empourprés,</div> + <div class="verse">Tandis que montent vers le nue orientale</div> + <div class="verse">Le meuglement des bœufs et la rumeur des blés.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le souffle langoureux des brises musicales</div> + <div class="verse">Chante dans les sainfoins en fleurs un hymne lent</div> + <div class="verse">Et grave et sous les rais du soleil aveuglant</div> + <div class="verse">Une fuite éperdue et grise de cigales</div> + <div class="verse">S'enlève et vibre, au ras de l'herbe, en sautelant.</div> + </div> +</div> + + +<h5>III</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'équipe de pêcheurs tire la grande senne</div> + <div class="verse">A basse mer, avant les vagues et le flux;</div> + <div class="verse">Et nul des rudes gars n'est manchot ni perclus,</div> + <div class="verse">Mais l'effort fait saillir et gonfler leur chair saine</div> + <div class="verse">Et les veines des bras musculeux et velus.</div> + </div> +</div> + + +<h5>IV</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le soleil tombe et des grappes de lilas sombre</div> + <div class="verse">Fleurissent la forêt marine où Téthys dort</div> + <div class="verse">Sous un voile de pourpre aux filigranes d'or</div> + <div class="verse">Que trempe dans le sang de la clarté qui sombre</div> + <div class="verse">L'invisible ouvrier du fabuleux décor.</div> + </div> +</div> + + +<h5>V</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le ciel est gris comme une aile de tourterelle</div> + <div class="verse">Que teinterait un peu de rose veiné d'or;</div> + <div class="verse">Là-bas, le cap lointain dont la mâchoire mord</div> + <div class="verse">L'horizon sombre est las de sa longue querelle</div> + <div class="verse">Et la brume a brisé les dents du monstre mort.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p46">EN MORVAN</h4> + +<p class="dedic"><i>A Jacques Derbanne.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'ombre s'enroule aux flancs des collines farouches</div> + <div class="verse">Et pèse sur les bois et les versants herbeux</div> + <div class="verse">Où dorment lourdement les immobiles bœufs;</div> + <div class="verse">Elle fait grimacer les arbres et les souches</div> + <div class="verse">Des saules noirs pareils à des jeteurs de sorts,</div> + <div class="verse">Tandis que par les vaux mystérieux et morts</div> + <div class="verse">Le monotone appel des hulottes réplique</div> + <div class="verse">Au sifflement du vent dans le houx métallique</div> + <div class="verse">Qui vibre hostilement comme une armure et luit</div> + <div class="verse">Et l'eau sauvage hurle entre les roches grises,</div> + <div class="verse">Ainsi que défaillant de hautes entreprises</div> + <div class="verse">Une guerrière blanche en fuite dans la nuit.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p47">L'EAU MORTE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Charles Bourgault Ducoudray.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'étang mystérieux dort parmi les bois sombres,</div> + <div class="verse">Eau de solitude, eau de silence, eau de songe,</div> + <div class="verse">Que le flot rose et blanc des bruyères prolonge;</div> + <div class="verse">Parfois des oiseaux noirs glissent comme des ombres</div> + <div class="verse">Entre les joncs tendus hors des sinistres ondes</div> + <div class="verse">Tels que des glaives d'or aux mains de reines blondes;</div> + <div class="verse">Et sous l'âpre soleil épars en rayons mornes</div> + <div class="verse">Les nymphéas chassés des limpides fontaines</div> + <div class="verse">Où boivent, à la nuit, les cerfs aux belles cornes,</div> + <div class="verse">Attendent tristement les étoiles lointaines.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p48">RÊVE D'ÉTALONS</h4> + +<p class="dedic"><i>A Edmond Haraucourt.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Une lourde vapeur rôde sur les prairies;</div> + <div class="verse">La plaine calme dort au chant prochain des eaux</div> + <div class="verse">Et le vol pacifique et lent des grands oiseaux</div> + <div class="verse">Traîne des filets d'ombre aux flots d'herbes fleuries.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'or brusque du soleil déborde dans l'azur</div> + <div class="verse">Et jaillit de la neige ardente des nuées;</div> + <div class="verse">Puis le ciel morne enclôt les splendeurs refluées</div> + <div class="verse">Dans ses digues de fer éblouissant et dur.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des cris surnaturels et des glaives d'archanges</div> + <div class="verse">Bruissent dans l'éther magiquement: des voix</div> + <div class="verse">Rauques sonnent l'appel d'invisibles tournois</div> + <div class="verse">Où se heurtent des dieux et des guerriers étranges.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les étalons vautrés dans le tiède gazon</div> + <div class="verse">Comme au ressouvenir épique des mêlées,</div> + <div class="verse">Eperdument, de leurs prunelles affolées</div> + <div class="verse">Parcourent l'étendue immense et l'horizon,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et par delà le sable héroïque des grèves</div> + <div class="verse">Regardent, les naseaux gonflés d'un souffle amer,</div> + <div class="verse">Sur la montagne bleue et verte de la mer</div> + <div class="verse">Blanchir en galop fou les cavales des rêves.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Convulsifs et dressés sur leurs jarrets tremblants,</div> + <div class="verse">Le col tendu vers les chimériques crinières</div> + <div class="verse">Ils sentent comme aux jours des fièvres printanières</div> + <div class="verse">Les désirs infinis aiguillonner leurs flancs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais leur chair glorieuse en proie aux frissons vagues</div> + <div class="verse">Dédaigne désormais les vieilles voluptés</div> + <div class="verse">Et le vain désespoir de leurs cœurs indomptés</div> + <div class="verse">Hennit lugubrement vers le troupeau des vagues.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p49">MARBRE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Ernest Christophe.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les bois religieux se taisent; les oiseaux</div> + <div class="verse">Ont quitté la forêt où meurt le bruit des eaux.</div> + <div class="verse">Seule en sa nudité de vierge et de guerrière</div> + <div class="verse">La déesse de marbre habite la clairière</div> + <div class="verse">Et son corps impollu fait de rêve et d'amour</div> + <div class="verse">Monte, lys immortel, parmi les fleurs d'un jour.</div> + <div class="verse">Ni flûtes de bergers ni chansons de cigales:</div> + <div class="verse">Sauf le frissonnement des herbes amicales</div> + <div class="verse">Dont le flot souple ondule autour d'elle, nul bruit.</div> + <div class="verse">Parfois dans les fourrés un chevreuil brusque fuit</div> + <div class="verse">Farouche d'avoir vu briller la chair sans voiles</div> + <div class="verse">Et l'arc impérieux tendu vers les étoiles.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p50">CRISTAL</h4> + +<p class="dedic"><i>A Emile Gallé.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Noire sur le cristal pâle et gris comme un ciel</div> + <div class="verse">D'hiver, la libellule énigmatique éploie</div> + <div class="verse">Les ailes dans l'air lourd et pestilentiel.</div> + <div class="verse">Ses immobiles yeux sans tristesse et sans joie</div> + <div class="verse">Cherchent sinistrement une invisible proie</div> + <div class="verse">Et planant sur l'eau verte et morte des marais,</div> + <div class="verse">Vers vos calices d'or, de pourpre et de ténèbres,</div> + <div class="verse">Elle vole vers vos calices à jamais,</div> + <div class="verse">Glauques fleurs qui nagez sur des étangs funèbres</div> + <div class="verse">Où se mire le deuil des pins et des cyprès.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p51">CRÉPON</h4> + +<p class="dedic"><i>A Judith Gautier.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des oiseaux merveilleux onglés de griffes d'or</div> + <div class="verse">Tracent dans le ciel calme un candide sillage</div> + <div class="verse">Et la migration d'un éternel voyage</div> + <div class="verse">Tend vers des pics lointains leur immuable essor.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le caprice du peintre ouvrant les ailes vaines</div> + <div class="verse">Fige ironiquement loin des vierges sommets</div> + <div class="verse">Leur vol: blancs exilés, vous n'atteindrez jamais</div> + <div class="verse">Les cimes que le soir vêt de pâles verveines.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais le rêve des monts vous donne leur fierté,</div> + <div class="verse">L'eau des lacs inconnus frémit dans vos prunelles</div> + <div class="verse">Et l'héroïque amour des neiges fraternelles</div> + <div class="verse">Illumine vos yeux de gloire et de clarté:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Telle malgré l'horreur des ténèbres accrues</div> + <div class="verse">Mon âme vole vers la pourpre des printemps</div> + <div class="verse">Et loin des monts neigeux et des lacs où je tends</div> + <div class="verse">Rêve au parfum royal des roses disparues.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p52">L'IMPÉRATRICE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Mlle Gabrielle Herold.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les dieux d'un riche crépuscule</div> + <div class="verse">Parent d'or fauve et de joyaux</div> + <div class="verse">Les cactus, les lys sans macule</div> + <div class="verse">Et les chrysanthèmes royaux;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La pourpre du jour tombe et glisse</div> + <div class="verse">Sur les terrasses du jardin;</div> + <div class="verse">Le soleil meurt, l'Impératrice</div> + <div class="verse">Frôle les fleurs avec dédain</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et songe, loin des soirs illustres,</div> + <div class="verse">Au lac blanc sous l'aube d'avril</div> + <div class="verse">Où les frêles herbes palustres</div> + <div class="verse">Semblaient des reines en exil.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p53">L'ASCÈTE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Benjamin Constant.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Après le jour de flamme et le labeur amer,</div> + <div class="verse">L'ascète hiératique accroupi sur la grève</div> + <div class="verse">Entendait résonner une harpe de rêve</div> + <div class="verse">Et son maigre lion dormait près de la mer.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ni voix ni glissement des barques ou des ailes</div> + <div class="verse">Ne troublaient le silence effrayant et la paix</div> + <div class="verse">Du morne crépuscule épars dans l'air épais,</div> + <div class="verse">Et la bête songeait aux viandes des gazelles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais l'homme dédaignant la tristesse du soir,</div> + <div class="verse">Consumé d'une soif que rien ne désaltère</div> + <div class="verse">Et que n'apaisent pas les coupes de la terre,</div> + <div class="verse">Regardait le soleil rougir l'horizon noir.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et voyait, en un ciel de pourpre et d'hyacinthe,</div> + <div class="verse">Les pieds cloués, la chair tachant l'horrible croix,</div> + <div class="verse">Le Seigneur Jésus-Christ, fils de Dieu, Roi des rois,</div> + <div class="verse">Sinistrement saigner sur la montagne sainte.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p54">MESSE DES MORTS</h4> + +<p class="dedic"><i>A Bernard Lazare.</i></p> + +<h5>LES ORGUES</h5> + +<blockquote class="epi"> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Requiem æternam dona eis, Domine.</div> + </div> +</div> + +</blockquote> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Seigneur, ces pèlerins des routes de la vie</div> + <div class="verse">Ont peiné tout le jour vers le terme divin:</div> + <div class="verse">Au lieu des puits d'eau vive et des outres de vin,</div> + <div class="verse">Ils se désaltéraient aux calices d'envie.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Desséchés par le hâle et brûlé par le ciel</div> + <div class="verse">Torride, haletant de la soif infinie,</div> + <div class="verse">Ils ont bu, comme Christ en sa lente agonie,</div> + <div class="verse">La mauvaise liqueur de vinaigre et de fiel.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sous les savantes mains d'atroces sagittaires,</div> + <div class="verse">Des flèches s'envolaient vers eux d'arcs inconnus</div> + <div class="verse">Et d'invisibles fouets mordaient leurs torses nus</div> + <div class="verse">Et du métal ardent coulait dans leurs artères.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ils marchaient pesamment sous le faix de leurs croix</div> + <div class="verse">Avec le seul espoir de ta bonté future;</div> + <div class="verse">Mais les loups de l'enfer guettent la créature</div> + <div class="verse">Et happent en chemin l'âme que tu mécrois;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'inextinguible feu hurle dans la géhenne</div> + <div class="verse">Et les damnés jetés aux abîmes grondants</div> + <div class="verse">N'apaisent point la faim terrible de ses dents</div> + <div class="verse">Et son gosier féroce est avivé de haines;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">N'écarte pas de toi les fidèles troupeaux;</div> + <div class="verse">Le soir descend; après les heures sans prairies,</div> + <div class="verse">Voici l'instant rêvé des calmes bergeries:</div> + <div class="verse">Ouvre, ô Pasteur des morts, le bercail de repos.</div> + </div> +</div> + + +<h5>LES VIOLONS</h5> + +<blockquote class="epi"> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et lux perpetua luceat eis.</div> + </div> +</div> + +</blockquote> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Seigneur, ces exilés de la seule patrie</div> + <div class="verse">Criaient vers toi du fond des gouffres ténébreux;</div> + <div class="verse">Pitié, fais ruisseler des nuages sur eux</div> + <div class="verse">La source de splendeur promise en Samarie.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Que la mort leur devienne un baptême: revêts</div> + <div class="verse">Leurs flancs martyrisés de robes de lumière</div> + <div class="verse">Et donne leur essor dans la gloire première</div> + <div class="verse">Aux cygnes échappés aux pièges du Mauvais.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Magnifiques et purs, après la lutte rude,</div> + <div class="verse">Ils voleront vers les parterres triomphaux</div> + <div class="verse">Où des lys, méprisant la morsure des faux,</div> + <div class="verse">Fleurissent dans la joie et la béatitude,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tandis que le soleil d'un ineffable été</div> + <div class="verse">Inonde d'or brûlant les roses et dilate</div> + <div class="verse">Les parfums épandus des coupes d'écarlate</div> + <div class="verse">Et que l'éther subtil chante l'éternité.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Rappelle au nid fermé les frissonnantes âmes</div> + <div class="verse">Et les ailes d'amour monteront vers l'Amant</div> + <div class="verse">A travers l'harmonie et l'éblouissement</div> + <div class="verse">Des musiques, des voix, des splendeurs et des flammes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les siècles futurs et ceux qui ne sont plus</div> + <div class="verse">Tressailleront en toi d'une même allégresse</div> + <div class="verse">En oyant tel qu'un chant et tel qu'une caresse</div> + <div class="verse">Frémir au ciel nouveau le vol blanc des élus.</div> + </div> +</div> + + +<h5>LES VIVANTS</h5> + +<blockquote class="epi"> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Agnus Dei qui tollis peccata mundi</div> + <div class="verse">dona eis requiem.</div> + </div> +</div> + +</blockquote> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Seigneur, Seigneur, Seigneur, impitoyable maître,</div> + <div class="verse">Nous sommes las des jours et des soleils maudits:</div> + <div class="verse">Epargne aux délivrés l'horreur du paradis,</div> + <div class="verse">Laisse les morts dormir en paix et ne plus être.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tant de clous ont percé leurs membres ici-bas</div> + <div class="verse">Que nul flot baptismal rédempteur de leurs peines</div> + <div class="verse">Ne laverait les maux et les douleurs humaines</div> + <div class="verse">Et que ton repentir ne leur suffirait pas.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ils entendraient, au lieu des sublimes cantiques</div> + <div class="verse">Flottant parmi l'encens des lys épanouis,</div> + <div class="verse">Monter de l'Océan tumultueux des nuits</div> + <div class="verse">Le râle inexpié des souffrances antiques;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Rumeur d'airain, sanglot cruel d'un tympanon</div> + <div class="verse">Dont une main haineuse a secoué les cordes,</div> + <div class="verse">Le souvenir rirait de tes miséricordes,</div> + <div class="verse">La voix de tes élus blasphémerait ton nom.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Roi du ciel, reste seul dans ta gloire exécrée</div> + <div class="verse">Formidable, sereine et libre de remords;</div> + <div class="verse">O bourreau des vivants, ne touche pas aux morts,</div> + <div class="verse">Et quand viendra pour nous la suprême vesprée,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Quand les vers rongeront les os de nos genoux,</div> + <div class="verse">Accorde à notre chair en tardive clémence</div> + <div class="verse">Non les vaines clartés, mais l'ombre, le silence,</div> + <div class="verse">Le sommeil et l'oubli de toi-même et de nous.</div> + </div> +</div> + + + + +<h3>LA VANITÉ DU VERBE</h3> + + + + +<h4 id="p55">LA VANITÉ DU VERBE</h4> + + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le Runoïa, le prince altier du Verbe d'or,</div> + <div class="verse">Est las de la nature et des formes antiques</div> + <div class="verse">Où l'ébauche du monde est imparfaite encor;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les bois noirs et leur chant de harpes prophétiques</div> + <div class="verse">Et les monts violets endormis sous le ciel,</div> + <div class="verse">Et les brumes d'argent sur les vagues baltiques,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les brises de fleurs et les parfums de miel,</div> + <div class="verse">Et tous les souvenirs alourdis de mystère</div> + <div class="verse">Gonflent son cœur amer de mépris et de fiel.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">En son être, écrasé par l'ennui solitaire</div> + <div class="verse">Croît, avec le dégoût de sa virginité,</div> + <div class="verse">Le désir d'évoquer une nouvelle terre,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Un monde jeune, un paradis illimité,</div> + <div class="verse">Revêtu d'aubépine immortelle et d'yeuses</div> + <div class="verse">Sous les glaces d'hiver et les soleils d'été,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Où des créations de femmes radieuses</div> + <div class="verse">Se mêleraient d'amour à de mâles héros</div> + <div class="verse">En des lits de gazon semés de scabieuses.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le Maître déploya l'art magique des Mots:</div> + <div class="verse">Un subit univers naissait de ses paroles</div> + <div class="verse">Comme la perle naît du bruit rhythmé des flots.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Une profusion sanglante de corolles</div> + <div class="verse">S'éveillait et germait du rêve des Avrils</div> + <div class="verse">Et l'azur flamboyait de fauves auréoles,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tandis que les forêts et les guerriers virils,</div> + <div class="verse">Les femmes pâles et les belles chevelures</div> + <div class="verse">Jaillissaient de l'abîme au gré des chants subtils.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Alors, imaginant les caresses futures,</div> + <div class="verse">Le sublime ouvrier du Verbe éperdument</div> + <div class="verse">Songeait un songe blanc pétri de neiges pures.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Il disait son extase et son ravissement,</div> + <div class="verse">Et s'enivrait de la liqueur de la Pensée</div> + <div class="verse">Et sa voix enfantait l'ineffable Tourment;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Elle faisait surgir au jour la fiancée</div> + <div class="verse">Surhumaine, et la Femme idéale venait</div> + <div class="verse">Divinement resplendissante et cadencée.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Elle marchait sur la bruyère et le genêt</div> + <div class="verse">Et des astres vivaient au fond de sa prunelle;</div> + <div class="verse">Un silence d'hymen et de baisers planait.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le Runoïa, joyeux de l'œuvre faite, en elle</div> + <div class="verse">Se plongeait comme dans un océan de lys</div> + <div class="verse">Et tombait ébloui de la Forme éternelle</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dans le gouffre effrayant des rêves accomplis.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La contemplation dura cent mille années;</div> + <div class="verse">Quand le Maître sortit des songes éclatants,</div> + <div class="verse">Des générations hideuses étaient nées.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les Rhythmes étaient morts; les rires insultants</div> + <div class="verse">Grimaçaient; le soleil blême sur les prairies</div> + <div class="verse">Sans fleurs pleurait les jours anciens et les printemps;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'épouse maquillée, âpre de pierreries,</div> + <div class="verse">Se raillait du Poète et du Rêve divin</div> + <div class="verse">Et se prostituait aux races amoindries.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Lorsque le Démiurge eut vu ce qui devint,</div> + <div class="verse">Un désespoir immense emplit son âme sombre;</div> + <div class="verse">Il comprit que le Verbe était stupide et vain</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et cria dans la nuit: «Puisque tout croule et sombre,</div> + <div class="verse">«Après l'œuvre magique et sublime du Chant,</div> + <div class="verse">«O paroles, rentrez dans le gouffre de l'ombre.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">«Va, monde! abîme-toi, triste soleil couchant!</div> + <div class="verse">«Disparais d'un seul coup dans le néant avide!</div> + <div class="verse">«Fonds-toi dans ma fureur comme un lingot d'argent!»</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Plus rien ne fut; la nuit par le ciel morne et vide</div> + <div class="verse">Roula son voile noir sur la fausse splendeur</div> + <div class="verse">Et le Maître, absorbé dans le chaos livide</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tut—pour l'éternité—le Verbe créateur.</div> + </div> +</div> + + + + +<h2>TABLE</h2> + + +<table summary="Table des matières"> +<tr> +<td class="ind" colspan="2"><i>DÉDICACE</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">A LA MÉMOIRE D'ÉPHRAÏM MIKHAËL</td> +<td class="num"><a href="#p1">7</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="c" colspan="2">DE SABLE ET D'OR</td> +</tr> +<tr> +<td class="ind" colspan="2"><i>LES FLEURS NOIRES</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LES FLEURS NOIRES</td> +<td class="num"><a href="#p2">13</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LE DIEU MORT</td> +<td class="num"><a href="#p3">15</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">RUINES</td> +<td class="num"><a href="#p4">17</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">PAR LA NUIT D'AUTOMNE</td> +<td class="num"><a href="#p5">19</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">SOLITUDE</td> +<td class="num"><a href="#p6">21</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">PAROLES SUR LA TERRASSE</td> +<td class="num"><a href="#p7">23</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">L'AUTOMNE A DÉNUDÉ LES GLÈBES</td> +<td class="num"><a href="#p8">25</a></td> +</tr> +<tr> +<td colspan="2" class="ind"><i>LES VAINES IMAGES</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">PSYCHÉ</td> +<td class="num"><a href="#p9">29</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">ÉLIANE</td> +<td class="num"><a href="#p10">31</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">HYMNIS</td> +<td class="num"><a href="#p11">37</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">CHRYSARION</td> +<td class="num"><a href="#p12">40</a></td> +</tr> +<tr> +<td colspan="2" class="ind"><i>L'ERRANTE</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">L'ERRANTE</td> +<td class="num"><a href="#p13">45</a></td> +</tr> +<tr> +<td colspan="2" class="ind"><i>VERS L'AURORE</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LES AUMÔNIÈRES</td> +<td class="num"><a href="#p14">59</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">MARE TENEBRARUM</td> +<td class="num"><a href="#p15">61</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LE PÈLERINAGE HORS DE L'OMBRE</td> +<td class="num"><a href="#p16">63</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">NATIVITÉ</td> +<td class="num"><a href="#p17">67</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LE CHÈVRE-PIEDS</td> +<td class="num"><a href="#p18">69</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">FLAMMES</td> +<td class="num"><a href="#p19">71</a></td> +</tr> +<tr> +<td colspan="2" class="ind"><i>LE JARDIN DE CASSIOPÉE</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LE JARDIN DE CASSIOPÉE</td> +<td class="num"><a href="#p20">75</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">VOIX DERRIÈRE LA HAIE</td> +<td class="num"><a href="#p21">78</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LA DOULEUR A CRIÉ</td> +<td class="num"><a href="#p22">82</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="c" colspan="2">LA GLOIRE DU VERBE</td> +</tr> +<tr> +<td colspan="2" class="ind"><i>LA GLOIRE DU VERBE</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LA GLOIRE DU VERBE</td> +<td class="num"><a href="#p23">89</a></td> +</tr> +<tr> +<td colspan="2" class="ind"><i>LES MYTHES</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">L'AVENTURIER</td> +<td class="num"><a href="#p24">97</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LE BOIS SACRÉ</td> +<td class="num"><a href="#p25">102</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LES CAPTIFS</td> +<td class="num"><a href="#p26">109</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LES YEUX D'HÉLÈNE</td> +<td class="num"><a href="#p27">115</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">SCHAOUL</td> +<td class="num"><a href="#p28">117</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">RESSOUVENIR</td> +<td class="num"><a href="#p29">120</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">GOETTERDAEMMERUNG</td> +<td class="num"><a href="#p30">122</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LA FILLE AUX MAINS COUPÉES</td> +<td class="num"><a href="#p31">124</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LA PEUR D'AIMER</td> +<td class="num"><a href="#p32">136</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LE PRINCE D'AVALON</td> +<td class="num"><a href="#p33">138</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">CELLE QU'ON FOULE</td> +<td class="num"><a href="#p34">141</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LA VOIX IMPÉRISSABLE</td> +<td class="num"><a href="#p35">149</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="ind" colspan="2"><i>MAYA</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">THAÏS</td> +<td class="num"><a href="#p36">157</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">JUDEX</td> +<td class="num"><a href="#p37">160</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">CHAMBRE D'AMOUR</td> +<td class="num"><a href="#p38">162</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">PRINTEMPS D'AUTOMNE</td> +<td class="num"><a href="#p39">164</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LIEDER</td> +<td class="num"><a href="#p40">166</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">POUR UNE ABSENTE</td> +<td class="num"><a href="#p41">179</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">JOUVENCE</td> +<td class="num"><a href="#p42">181</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LA MORT INUTILE</td> +<td class="num"><a href="#p43">183</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">L'AME SEULE</td> +<td class="num"><a href="#p44">185</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">PETITS PAYSAGES</td> +<td class="num"><a href="#p45">189</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">EN MORVAN</td> +<td class="num"><a href="#p46">191</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">L'EAU MORTE</td> +<td class="num"><a href="#p47">192</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">RÊVE D'ÉTALONS</td> +<td class="num"><a href="#p48">193</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">MARBRE</td> +<td class="num"><a href="#p49">195</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">CRISTAL</td> +<td class="num"><a href="#p50">196</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">CRÉPON</td> +<td class="num"><a href="#p51">197</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">L'IMPÉRATRICE</td> +<td class="num"><a href="#p52">199</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">L'ASCÈTE</td> +<td class="num"><a href="#p53">200</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">MESSE DES MORTS</td> +<td class="num"><a href="#p54">202</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="ind" colspan="2"><i>LA VANITÉ DU VERBE</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LA VANITÉ DU VERBE</td> +<td class="num"><a href="#p55">209</a></td> +</tr> +</table> + + + +<p class="cbreak"><i>ACHEVÉ D'IMPRIMER</i><br/> +le trente octobre mil huit cent quatre-vingt-dix-sept<br/> +<span class="small">PAR</span><br/> +L'IMPRIMERIE V<sup>ve</sup> ALBOUY<br/> +<span class="small">POUR LE</span><br/> +<span class="large">MERCVRE</span><br/> +<span class="small">DE</span><br/> +FRANCE</p> + +<div>*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 44359 ***</div> +</body> +</html> diff --git a/44359-h/images/cover.jpg b/44359-h/images/cover.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..f7bcc21 --- /dev/null +++ b/44359-h/images/cover.jpg diff --git a/44359-h/images/mercure.png b/44359-h/images/mercure.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..860f580 --- /dev/null +++ b/44359-h/images/mercure.png diff --git a/LICENSE.txt b/LICENSE.txt new file mode 100644 index 0000000..6312041 --- /dev/null +++ b/LICENSE.txt @@ -0,0 +1,11 @@ +This eBook, including all associated images, markup, improvements, +metadata, and any other content or labor, has been confirmed to be +in the PUBLIC DOMAIN IN THE UNITED STATES. + +Procedures for determining public domain status are described in +the "Copyright How-To" at https://www.gutenberg.org. + +No investigation has been made concerning possible copyrights in +jurisdictions other than the United States. 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You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org/license + + +Title: La lyre hroque et dolente + +Author: Pierre Quillard + +Release Date: December 5, 2013 [EBook #44359] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LYRE HROQUE ET DOLENTE *** + + + + +Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed +Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was +produced from images generously made available by the +Bibliothque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + + + + + + + + + PIERRE QUILLARD + + LA LYRE + HROQUE ET DOLENTE + + DE SABLE ET D'OR + LA GLOIRE DU VERBE.--L'ERRANTE + LA FILLE AUX MAINS COUPES + + [Marque d'imprimeur] + + PARIS + SOCIT DV MERCVRE DE FRANCE + XV, RVE DE L'CHAVD-SAINT-GERMAIN, XV + + M DCCC XCVII + + Tous droits rservs + + + + +_DU MME AUTEUR:_ + + + L'ANTRE DES NYMPHES de Porphyre, traduit du grec 1 plq. + + LES LETTRES RUSTIQUES de Claudius lianus, Prenestin, + traduites du grec, illustres d'un Avant-propos + et d'un Commentaire latin 1 vol. + + LE LIVRE DE JAMBLIQUE SUR LES MYSTRES, traduit + du grec 1 vol. + + PHILOKTTS, traduit de Sophocle et reprsent + l'Odon 1 vol. + + LA QUESTION D'ORIENT ET LA POLITIQUE PERSONNELLE + DE M. HANOTAUX, en collaboration avec le docteur + L. Margery 1 vol. + + + + +IL A T TIR DE CET OUVRAGE: + +_Trois exemplaires sur japon imprial, numrots de 1 3 + +et douze exemplaires sur papier de Hollande, numrots de 4 15._ + +EXEMPLAIRE N 1 + + +Droits de reproduction et de traduction rservs pour tous pays, y +compris la Sude et la Norvge. + + + + +DDICACE + +A LA MMOIRE D'PHRAM MIKHAEL + + + Tu t'en allas, un soir de mai: la ville en fte + Haletait de printemps, de jeunesse et d'amour, + Et tu nous as quitts pour la nuit sans retour, + Ame mlancolique et toujours inquite. + + En vain les mornes dieux, formidables et doux, + Ont dtach ta main de nos mains fraternelles: + Le sel cre des pleurs brle encor nos prunelles + Quand ta voix, triomphant des heures, chante en nous + + Et fait surgir parmi les roses des vespres, + Sous des voiles tissus de soleils et de cieux, + Une vierge dolente au regard anxieux + Qui nous appelle et fuit vers les ombres sacres. + + Forme grave dresse au seuil mauvais du sort, + Image de fiert qui pleurait et s'est tue, + Ma bouche te cherchait d'une lvre perdue; + Mais j'ai heurt du front les portes de la mort + + Hlas! et tu survis dans nos seules mmoires + Et sans que rien m'entende au tombeau souterrain, + Je fixe tristement sur le vantail d'airain + Avec l'amer laurier les palmes illusoires. + + + + +DE SABLE ET D'OR + + + + +LES FLEURS NOIRES + +_A MARCEL COLLIRE_ + + + + +LES FLEURS NOIRES + +_A mile Galle._ + + + Au bord de quels sinistres lacs d'eau lourde et sombre, + O tnbreuses fleurs plus vastes que la mort, + Les dieux muets du soir et les dieux froids du nord + Tissent-ils votre robe d'ombre? + + Vos abmes de nuit dvorent le soleil; + Le jour est offens par vos voiles de veuves + Et vous avez puis sans peur aux mornes fleuves + L'onde farouche du sommeil. + + O fleurs noires, le vent de l'aube vous balance: + Mais nul parfum d'amour ne s'exhale de vous, + Chres, et vous versez dans les coeurs las et fous + L'incantation du silence. + + La vie pand en vain ses perfides douceurs; + La pourpre du printemps inutile flamboie: + Votre deuil rdempteur libre de la joie; + Salut, imprieuses soeurs. + + Je vous aime et je veux dormir, soyez clmentes: + Je ne troublerai pas votre calme immortel + Et, l-bas, j'oublierai, loin du jour et du ciel, + La bouche rouge des amantes. + + + + +LE DIEU MORT + +_A Andr Fontainas._ + + + Une toile, une seule toile. O funrailles + Royales! solitude o la gloire mourait + Sur un bcher perdu derrire la fort, + A l'cart des drapeaux, du glaive et des batailles. + + Le hros s'en allait sans pourpre, enseveli + Dans une soie teinte et dans les tresses rousses + Des captives et des amantes: lvres douces + Et voraces, vous qui buviez le sang pli, + + Vers quels baisers souriez-vous? Vers quelles ftes + Sonne dj l'appel de vos chants oublieux? + Ah, mensongres! pour des larmes en vos yeux, + Il fallait l'apparat de clbres dfaites + + Et l'horreur des clairons dchirant le ciel noir, + Pour tordre avec des cris de pleureuses loues + Vos corps, mimes en deuil sous le vol des nues, + Parmi la rouge odeur des torches dans le soir. + + Mais nul regard viril n'a, du haut des murailles, + Avidement cueilli la fleur de vos bras nus: + Vous avez fui. Le roi ne s'veillera plus. + Une toile, une seule toile. O funrailles. + + + + +RUINES + +_A Maurice Nicolle._ + + + L'illustre ville meurt l'ombre de ses murs; + L'herbe victorieuse a reconquis la plaine; + Les chapiteaux briss saignent de raisins mrs. + + Le barbare enroul dans sa cape de laine + Qui pat de l'aube au soir ses chevreaux outrageux + Foule sans frissonner l'orgueil du sol Hellne. + + Ni le soleil oblique au flanc des monts neigeux + Ni l'aurore dorant les cimes embrumes + Ne rveillent en lui la mmoire des dieux. + + Ils dorment jamais dans leurs urnes fermes + Et quand le buffle vil insulte insolemment + La porte triomphale o passaient des armes, + + Nul glaive de hros apparu ne dfend + Le porche dvast par l'hiver et l'automne + Dans le tragique deuil de son croulement. + + Le sombre lierre a clos la gueule de Gorgone. + + + + +PAR LA NUIT D'AUTOMNE + + + Par l'automnale nuit la terre se rsigne, + Muette sous le fait des ombres tumulaires: + Nul astre en qui survive un espoir d'aubes claires, + Un espoir de matin crevant son oeuf de cygne. + + Les soleils d'autrefois fermentent dans la vigne. + + + Maintenant au pas sourd de noires haquenes, + Sans faire gmir l'herbe ou rsonner la roche, + Tel qu'une chevauche impitoyable, approche + Le troupeau saccageur des suprmes journes. + + Un parfum triste vient des grappes condamnes. + + + Demain l'or et le sang des toiles sublimes + Seront dshonors par la soif de la horde; + Mais voici qu'une pluie invisible dborde + Et tombe lentement des sinistres abmes. + + Serait-ce pas les Dieux qui pleurent leurs vieux crimes? + + + O Dieux, je ne sais pas quel Lth vous enivre + De poisons plus amers que le fiel des Lmures: + Que vous importe vous, la mort des grappes mres + Et le viol raill par le bruit vil du cuivre? + + Les pampres desschs ne veulent pas revivre. + + + + +SOLITUDE + +_A Grgoire le Roy._ + + + C'est un grand silence aprs le chant du cor, + Comme dans les villes mortes + O les chats peuvent encor + Rver sur le seuil des portes. + + Sous le dais noir de la nuit + Les rois radieux, les belles chevauches + Foulaient dans l'or et le bruit + Le sang des roses fauches. + + Des femmes embaumaient l'air + Parmi le velours des porches; + Nous voyions couler la rsine des torches + Sur les gantelets de fer. + + Mais les heures sont passes + De la joie et du dcor + Et dans nos mes lasses + C'est un grand silence aprs le chant du cor. + + + + +PAROLES SUR LA TERRASSE + +_A Puvis de Chavannes._ + + + Des reines blanches inclines + Aux balustrades d'amthystes + Pour fleurir la mort des journes + Effeuillent des glycines tristes. + + Fleurs plus brves que les plus brves, + Vains thyrses que le vent spolie, + Les noirs flots sans rives ni grves + Emportent leur cendre plie; + + Et c'est le deuil d'un double automne, + Soir du jour et soir des feuilles, + Qui dvaste l'ombre et frissonne + Dans les ramilles dpouilles. + + Des pas glissent sur la terrasse; + Une toffe roide s'y froisse; + Les voix que la nuit blme efface + Tremblent d'adieux, meurent d'angoisse, + + Et cygnes chasss de tout fleuve, + S'en vont fbriles et blesses, + Sans que la tnbre s'meuve + Aux cris des mes dlaisses. + + + + +L'AUTOMNE A DNUD... + + + L'automne a dnud les glbes et le soir, + Un soir d'exil et de mains dsunies, + S'approche l'horizon des plaines infinies, + Roi dvtu de pourpre et spoli d'espoir. + + O marcheur aux pieds nus et las qui viens t'asseoir + Sans compagnon, parmi les landes dfleuries, + Prs des eaux mornes, quelles mmes agonies + Alourdissent ton front vers ce triste miroir? + + Je le sais, tout se meurt dans ton me d'automne. + Laisse la nuit prendre les fleurs qu'elle moissonne + Et l'amour dfaillant d'un coeur ensanglant, + + Pour qu'aprs le sommeil et les ombres fidles + Les clairons triomphaux de l'aube et de l't + Fassent surgir enfin les roses immortelles. + + + + +LES VAINES IMAGES + +_A HENRI DE RGNIER_ + + + + +PSYCH + + + Petite me, Psych mlancolique, dors, + Lys d'aurore surgi des heures tnbreuses, + Tes bras souples et frais et tes lvres heureuses + Ont rajeuni mon coeur et rjoui mon corps. + + Et tu m'as cru, petite me blanche et farouche, + Tel que ton dsir vierge encore me voulait + Pendant tes longs baisers de miel pur et de lait, + Tant que l'ombre a menti comme mentait ma bouche. + + Nulle parole et nulle treinte et nul baiser + N'ont trahi la douleur secrte du cilice; + Mais veille avec l'aube rvlatrice + Tu frmissais, Psych fragile, te briser, + + Si le jour dsillant ta paupire sereine + Au lieu du doux vainqueur que rvait ton moi + Te dcelait mes poings crisps mme vers toi + Et mes yeux perdus de colre et de haine; + + Car je te hais de tout ton amour, Psych, + Pour les jours venir et les futures heures + Et les perfides flots de larmes et de leurres + Qui jailliront un jour de ton tre cach. + + Mais avant que la nuit divine m'abandonne, + Avec le dur mtal des gouffres sidraux + Je forgerai le masque amoureux d'un hros, + Rieur comme l'Avril, grave comme l'automne; + + Mort vivant sur les lvres mortes d'un vivant, + Le masque couvrira ma face convulse; + Et maintenant que l'aube clate! O fiance + Chez qui la femme, hlas! va survivre l'enfant. + + Eveille-toi, rouvre ta bouche qui s'est tue, + Tu n'entendras de moi que paroles d'orgueil + Et je me dresse sous les morsures du deuil + Laur d'or et pareil ma propre statue. + + + + +LIANE + + +I + + Des jours et puis des jours ont fui. Je me souviens + De cette joie ainsi que de quelque trangre + Et c'est une ferie encor que j'exagre + De tout le deuil enclos dans les plaisirs anciens. + + Mais nos baisers furent les fruits des Hesprides + Dont nous avons mch la cendre, seulement + La cendre! le verger solitaire et charmant + N'a pas calm la soif de nos lvres arides. + + D'autres sont revenus semblables des dieux + De l'le o par orgueil nous nous aventurmes; + Les guirlandes d'amour alourdissaient leurs rames + Et la galre en fleurs merveillait les yeux. + + Je ne jalouse pas leurs fanfares de gloire + Ni les pavois ni les tendards ploys + Dont l'ombre rouge flotte auprs des boucliers: + Leur songe tait moins beau que notre ivresse noire, + + Et j'erre en ce jardin fouett du vent brutal, + Plus fier que les hros aux soirs d'apothoses, + Tandis qu'autour de moi les nostalgiques roses + S'effeuillent vainement vers l'Orient natal. + + +II + + Je t'aimais et les dieux ont dnou nos bras, + Et nous vivons la drive au cours des heures; + Et je ne t'entends plus quand tu ris ou tu pleures: + Mais je viendrai vers toi quand tu m'appelleras. + + A la drive! des palais au bord des fleuves, + D'imprieuses voix m'invitent, dans la nuit + Et par les aubes; mais qu'importe? l'eau s'enfuit + Et je ferme mes yeux aux chevelures veuves. + + Je sais: l'htellerie est pleine de buveurs: + Au mur rit la lambrusque et la rose trmire + Et les raisins gonfls d'aurore et de lumire + Versent les vieux soleils dans les cerveaux rveurs. + + Les sveltes baladins, les joueuses de lyre + Et les masques d'amour y glissent dans le soir + Et la terrasse est vide o je pourrais m'asseoir: + Je n'aborderai pas aux perrons de porphyre; + + Nulle reine en manteau de pourpre et d'argent clair + Ne tendra sur le seuil ses lvres vers ma bouche; + Voile noire, carne noire, ombre farouche, + La nef sans gouvernail s'en va jusqu' la mer + + Et je m'endormirai parmi les vagues vertes, + Parmi les mornes flots sans borne, moins qu'un soir, + Sur une rive heureuse, au sommet de la tour + Dominant la valle et les terres dsertes, + + Tu ne paraisses dans ta robe de soleil + Et tu ne m'offres en un geste qui pardonne + Tes cheveux ploys plus riches que l'automne + Et les baisers anciens plus doux que le sommeil. + + +III + + Je ne sais plus dans quels chemins ni sous quels cieux + La reine de mon coeur, la reine de mes yeux, + La souveraine de mes larmes ignores, + Qui tord en ses cheveux l'or fauve des vespres, + Passa sans un regard vers mon front en exil + Comme un soleil d'hiver oublieux de l'avril. + + Hlas! les lys sont morts; les roses sont fanes; + L'impitoyable deuil dfleurit les annes. + Elle ne connat plus les choses d'autrefois; + Son oreille infidle a dsappris ma voix, + Ma voix tremblante et les paroles murmures + Et le frissonnement des treintes sacres. + + Et maintenant, et maintenant! je veux en vain + M'interdire les jours et le pass divin. + Ma lvre qu'elle sut dlicate nagures + Est chaude d'une bouche et de baisers vulgaires + Et j'ai bu pour marcher dans l'ombre de la mort + Le vin des matelots et des hommes du port. + + Mais cette ivresse est triste, reine, et je t'implore. + Reviens, fais resplendir la gloire de l'aurore. + Jette sur les bois nus un manteau de printemps + Et pare les sentiers des roses que j'attends. + + Sois bienveillante; ou si les beaux jardins des rves + Sont clos pour jamais, soit! les heures seront brves + O je vivrai dans la lumire et dans le bruit, + Et je descendrai seul les marches de la nuit. + + +IV + + Par quelle cruaut des implacables dieux? + Si loin des jours royaux et pavoiss de joie, + Un soleil tel que les anciens soleils flamboie + Et tes cheveux en fleur pouvantent mes yeux. + + Parmi le deuil hlas! et les ombres tombales, + Que me veux-tu, sourire imprieux encor + Qui fais se rveiller avec un sursaut d'or + Le prestige menteur des aubes triomphales? + + Oui: tes lvres m'taient douces prs de la mer + Et sur la fauve grve o dormaient les carnes + Gonflaient d'un chant si pur les conques des Sirnes + Que des oiseaux neigeaient autour de toi dans l'air + + Et que le souvenir des ailes ployes + Palpite en mes regards blouis. O rayons + Eteints! vols disparus d'aigles et d'alcyons! + Voix morte dsormais sur des lvres souilles! + + Voix morte et pour moi seul vivante: je voudrais + Ne plus l'entendre et que la terre devnt noire + Et que la nuit sereine engloutt la mmoire + De ta beaut semblable aux roses des forts. + + Mais l'ombre dcevante est encore hante + Par les dieux importuns qui dfendent l'oubli + Et la poignante fleur au calice pli + Sollicite toujours ma bouche ensanglante. + + + + +HYMNIS + +_Pour Bernard Lazare._ + + +I + + Face d'ombre, je viens toi; la nuit m'emporte. + Poussire vanouie aux plis blancs d'un linceul, + Ple vierge oublie et que j'honore seul + D'une fleur morte hlas! moins que ta grce morte, + + Je viens toi qui dors au fond des sicles lourds + Et dont le pur tombeau fait les lvres fidles: + Je n'ai pas entendu les mots qui naissaient d'elles + Ni got la douceur de tes tristes amours: + + Mais je pleure ton corps et son charme quivoque + Et les baisers trop lents qui l'auraient effleur, + Chair de jadis, dsir dont je me suis leurr + Parce qu'un mme appel de buccins nous voque + + Vers les mmes cyprs noirs et silencieux... + Vain appel, vaine ombre et menteuses fanfares: + Jamais je ne clorai de mes lvres avares + Tes yeux dsenchants qui connurent les dieux. + + Sommeille loin de moi prs de la mer antique + Sous un ciel insult par de confuses voix + O la vague qui chante encor comme autrefois + Entrechoque les mts du port aromatique: + + Toujours l'pre soleil et la foule et l'embrun, + Loin de moi, troubleront ta poussire ignore + Et l'inutile fleur que je t'ai consacre + Ne rjouira pas ta cendre d'un parfum. + + +II + + Viens respirer l'odeur des vignes et des fruits. + + Ce soir te sera doux comme tes longues nuits, + Hymnis, enfant qui dors depuis deux mille annes, + Et par le souffle lent des sentes o je fuis + Les roses du tombeau ne seront point fanes. + + + Je te ddie, enfant, la mourante fort. + + Elle se pare encor malgr son mal secret: + Tu te reconnatras sa noble agonie, + Vierge dont le front ple et fivreux se parat + D'or royal attrist par la blme ancolie. + + + L'automne funraire embaume les halliers. + + Hymnis! Hymnis! Hymnis! tes cheveux dlis + Libres du bandeau strict o tu les emprisonnes + Ont frl des santals et des girofliers + Et se sont enivrs de cruelles automnes. + + + De plus calmes parfums, ce soir, te charmeront. + + Pour que ton corps sacr retourne sans affront + De la fort qui meurt aux tnbres divines + Je veux entrelacer l'entour de ton front + Le thyrse noir du lierre aux suprmes glycines. + + + + +CHRYSARION + + + Sur cette mer toujours dserte o nos yeux vains + S'garaient dans l'ennui des solitudes mornes, + Le navire, aux clameurs des conques et des cornes, + Fleurit avec l'aurore clatante; et tu vins, + + Apportant le parfum des terres trangres, + Le reflet des soleils morts parmi tes cheveux + Et pour les coeurs lasss, graves et ddaigneux + L'enchantement de quelques heures plus lgres. + + Trop de dsirs dus et d'espoirs abuss + Hantent notre mmoire et sanglotent en elle: + Nous n'avons pas tendu vers ta chair fraternelle + Nos lvres ds longtemps dprises des baisers. + + Mais les heures passaient douces comme la soie + En vtements trams de soleil et de nuit, + Danseuse au collier d'or qui fulgure et s'enfuit, + Amante triste et grave en marche vers la joie, + + Et vous qui regardiez des astres abolis, + Visages inquiets ivres du vieux mensonge, + O faces de stupeur, d'extases et de songe + Sur qui l'ombre clmente est tombe longs plis; + + Puis la dernire; et ce fut toi-mme, incline + A la poupe et semant des roses dans le soir + Afin que la galre et le sillage noir + S'illustrassent encor d'une pourpre fane + + Et que la sombre mer sourt nos yeux vains. + + + + +L'ERRANTE + +_A RACHILDE_ + + + + +L'ERRANTE + +I nunc ad hostem, at in perpetuum mea. + + +I. _DE SABLE ET D'OR._ + +L'HOMME songe dans le soir somptueux et morne; la balustrade croulante +de la vieille demeure, il s'est accoud solitairement et ses yeux, qui +depuis des mois et des annes n'ont plus reflt que les choses +silencieuses, regardent au loin, dans les plaines assombries, s'tager +les villes o des foules inconnues aiment, bataillent, agonisent et +s'vanouissent comme des fumes. + +Ici le roc que nul printemps n'a par, cime triste abreuve jadis par le +sang des victimes, alors que les dieux stupides se gorgeaient de +sacrifices, cime cruelle o les roses d'Avril n'ont jamais souri, o les +sources n'ont pas pleur doucement la mort future des fleurs voues au +vieillard qui les emporte, quand vient l'automne. + +L'HOMME songe dans le soir somptueux et morne; tandis que le ciel +flamboie d'une plus rouge gloire et que l'or insultant les tnbres +enrichit ses prunelles, des bchers tragiques s'effondrent et l'me +dserte est envahie par un tumulte de chevauche; tourbillons de fer, +gueules hurlantes, clairs de glaive, chevelures et crinires +confondues, la horde passe dans sa pense. + +Et l'HOMME se dtourne du spectacle clatant; ailleurs la terrasse est +interrompue: les pesantes eaux d'un lac sans fond baignent de leur +horreur immobile la roche qui disparat dans le vertige de l'abme. +Maintenant l'HOMME marche, les yeux ivres de nuit, vers le lac d'ombre +monotone et sa voix lasse frle de lentes paroles les ondes +spulcrales, les ondes paisses qui ne frissonnent pas. + + +L'HOMME + + Nuit moins sinistre que le soir, nuit rebelle + A mon dsir, tu n'es pas l'ombre que j'appelle + Et trop d'astres encor m'offusquent de clart + Pour que je boive en toi les coupes du Lth. + + Autrefois, j'ai vcu derrire les murailles + Des villes; je connais les brves funrailles + De toute joie et vers la cime et vers la tour, + Pour le muet exil que je veux sans retour, + J'ai fui l'cre parfum des roses effeuilles. + + Lorsque je suis venu, les portes verrouilles + Pleuraient plaintivement comme des chiens meurtris, + Et j'oubliais le monde et mprisais leurs cris: + Mais la pierre me parle ainsi qu'une vivante + Maintenant, et flambeau d'angoisse et d'pouvante, + Dans mon coeur las du crpuscule rouge et noir, + Chaque toile qui monte allume un triste espoir. + + Eaux bienheureuses, vos paupires sont voiles: + Aucun rve de ciel et d'algues emmles + N'ondule dans le calme abme; nul reflet + Des jours antrieurs o l'aube tincelait + Sur votre moire alors juvnile et chantante + Ne se rveille en vous par la nuit clatante + Avec le souvenir d'un antique soleil. + Eaux bienheureuses, vous dormez du vrai sommeil. + Vous les ples, vous les froides et les obscures, + Vous les mortes. + + J'attends les suprmes augures, + Les cygnes ternels ouvrant leur vol sacr, + Et l'heure, enfin libratrice, o je serai, + Eaux bienheureuses, lac de nuit, lac de silence, + Digne de votre accueil et de votre clmence. + +Ainsi le solitaire invoque les ondes fatidiques. Mais pendant qu'il +parle, les toiles plus nombreuses ruissellent sur les pentes abruptes +et l'ERRANTE est survenue; ses haillons brochs d'or illusoire par les +astres dnoncent les routes hostiles, les morsures du vent, peut-tre +l'agression de mains brutales. Furtive elle s'est assise sur les marches +disjointes et l'HOMME tout coup se trouve face face avec elle. + +L'HOMME + + Va-t'en. Que me veux-tu, larve ou fantme humain, + Dont le pas sacrilge usurpe mon chemin: + J'ignore quel pass funraire t'escorte + Et me barre avec toi la route de la porte, + Ou si ta robe aux plis tnbreux de son deuil + Recle un tendard de victoire et d'orgueil, + + Mais qu'importe? tu viens des carrefours vulgaires, + Et tendresse, douleur, pourpre illustre des guerres, + Clameurs des foules furieuses, bruit des pas, + Gestes des suppliants, monde, je ne veux pas, + Quand je me penche enfin vers l'ombre sans aurore, + Qu'un souvenir des jours anciens attente encore + A mon me recluse et mre pour la nuit. + Va-t'en. + +L'ERRANTE + + Je suis venue o le soir me conduit, + Par le soleil ou par la pluie aux larges gouttes, + Aprs des routes et des routes et des routes. + Quand je suivais la mer aux heures de reflux + Le sable de la grve a brl mes pieds nus; + Et ma chair a saign de toutes les pines + A travers les fourrs, les ronces des ravines + Et les ajoncs aux rudes marges des marais. + Mais partout, aussitt que la terre o j'errais + Portait empreinte sur l'argile ou sur l'arne + La trace des vivants, j'ai fui. Je sais la haine + Dont ils poursuivent la passante et sur mes yeux + Ont pes trop souvent leurs poings injurieux + Pour que je m'aventure ayant vu leurs foules. + + Seuls parfois les palais des villes croules + Sous leurs porches dchus fraternels mon sort + M'ont offert un sommeil puissant comme la mort. + La solitude ment o tu viens d'apparatre; + L'asile de repos que je croyais sans matre + Abrite hlas! ton me fauve de vivant: + Je quitterai le seuil et le toit dcevant + O ton deuil autre que mon deuil se cache et pleure + L'ombre immense est hospitalire. + +L'HOMME + + Non, demeure, + Puisque la volont de ton sort et du soir + A men tes pieds las vers le morne manoir + Et vers l'hte imprvu dress devant ta face + En qui ta voix a fait s'panouir, vivace, + Une fleur de jadis aux pistils oublis. + J'y consens: soleils abolis, flamboyez + Encore, surgissez dans ma sombre mmoire + En aube de suprme et cinraire gloire + Avant que cette chair s'engloutisse jamais; + Et toi, dolente ombre d'une ombre que j'aimais + Et qui m'a refus ses lvres mensongres, + Toi qui dormis sous des toiles trangres + Des sommeils flagells par l'pre fouet du vent, + Entre sans peur avec un sourire d'enfant + Et l'ingnuit d'une me purile + Dans la vieille maison o le hasard t'exile. + +L'ERRANTE + + Je ne sais mme pas ce qu'on nomme les ans, + Ni combien de matins, combien de jours pesants + Ont cras l'errante amre et rsigne, + Homme, ni quelles eaux lustrales l'ont baigne + O le secret des dieux demeure enseveli, + Quelles eaux de piti, de refuge et d'oubli, + Emportant dans le cours pacifique des fleuves + Tout un faix dilu de souffrance et d'preuves. + + A peine un souvenir obscur survit en moi, + Heure d'angoisse, heure de dtresse et d'effroi + Qui m'a fait tressaillir d'une crainte ignore: + Des retres ont voulu m'entraner, l'ore + De la fort; j'ai fui leurs lvres et leurs mains, + Eperdue, travers les rochers sans chemins, + Et je frissonne encor de l'treinte lude + Jadis, quand mon horreur de vierge dnude + coutait survenir l'approche des pas lourds. + + Cependant par des soirs, solitaires toujours, + J'ai mir mon visage au miroir des fontaines + Et tendu vers mon front des lvres incertaines + Dont la source perfide a glac le dsir; + Et l'ombre s'effaa que j'ai voulu saisir, + Comme un ple soleil qui sombre au flot nocturne, + Sans avoir accueilli mon baiser taciturne. + + Mais voici que ta voix grave qui m'effrayait + Parle plus doucement mon coeur inquiet + Et qu'aprs les assauts de la tempte rude + Des astres bienveillants dorent la solitude. + Donc j'entrerai sans peur dans la maison. + + Salut, + Seuil, et que les haillons du pass rvolu + S'envolent de ma chair au vent qui les emporte + Ainsi qu'un vain linceul d'o jaillit une morte + Pour renatre en splendeur de soleil exalt, + Belle de sa jeunesse et de sa nudit. + + +II. _DE GUEULES._ + +Dans la mlancolique demeure o les murs s'merveillaient de sa beaut, +salue par les figures amies des lices, irradiant l'eau ternie des +miroirs, l'ERRANTE est entre blanche et nue. + +Elle n'a point refus ses lvres et les rouges floraisons de la joie ont +fleuri imprieusement, par la vibrante offrande de son corps l'HOMME +veill d'un long rve. + +Il a plong dans les coffrets de bronze ses mains fivreuses et +prodigues, et l'armure d'or et les brocarts et les gemmes et le glaive +ont chapp aux chanes noires des tnbres. + +Sur les seins et sur les paules de l'ERRANTE, tous les trsors enfouis +dans le spulcre du silence depuis des sicles, des ans et des jours, +resplendissent avec l'aurore. + +Au seuil matinal de la porte, elle se dresse en sa robe de pourpre qui +recle sous le sang fig de la soie, avec la cotte de mailles, +l'irrprochable acier du glaive. + +Pensive, elle s'est retourne vers l'HOMME qui fait un geste d'adieu, et +comme hsitante et retenue par la puissance d'une main invisible, elle +tarde franchir le seuil. + +L'ERRANTE + + Je le sais: mon destin m'entrane et tu le veux, + J'irai. Je dois offrir aux chocs tumultueux + Ds le premier appel de l'aube avant-courrire + Ma poitrine hroque et libre de guerrire; + Et mon poing brandira le glaive dsormais. + Je le sais: mais l'exil sombre o tu t'enfermais + S'illumine pour toi de ma chair apparue, + Et radieuse encor, mme absente, j'obstrue + Les portes de la nuit que tu heurtais dj. + Ami, dont ma venue importune outragea + Le manoir de silence et d'ombre inviole, + Pardonne, pour ton deuil de solitude emble, + A l'Errante qui part, chaude de tes baisers. + +L'HOMME + + Va: le soleil bondit dans les cieux embrass; + C'est l'heure, il faut franchir le seuil et vers les villes + Te ruer en clamant aux oreilles serviles + Tout ce que les tombeaux t'ont livr de secrets. + + Viens et regarde: l de houleuses forts + O les pasteurs de porcs se vautrent dans les bauges; + Puis des plaines, rumeurs des bls, parfum des sauges, + Et les paysans nus courbs sous les sillons + A jamais; et plus loin des foules en haillons, + Troupeaux lches que tu mueras en fauves hardes, + Tournent vers le palais des prunelles hagardes + Et des poings dcharns par l'immuable faim + Sans que la torche encor s'enflamme dans leur main. + + Ce qui fut moi nagure et richesse strile + Et dpouille des temps silencieux rutile + Autour de ton front jeune et de tes seins altiers: + Voici venir un vol de cygnes ploys, + Le vol tardif et sr des prophtiques ailes + Qui m'invite au sommeil des ondes ternelles. + + Va: la chair que la mort heureuse requrait + S'vanouit parmi les choses, sans regret, + Maintenant que tu m'as affranchi de moi-mme + Et que tu peux, matresse enfin du double emblme, + Descendre vers les serfs de la glbe et des murs + Et, selon le vouloir des trois monstres obscurs, + Tendre le rameau d'or ou frir de l'pe. + +L'HOMME disparat sous les eaux immobiles, sous les eaux paisses o ne +palpite aucune lueur. L'ERRANTE contemple longuement le lac d'ombre +monotone, puis marche, aurole par la gloire du matin, vers les plaines +et vers les villes orientales, tandis que sa voix dans la solitude +chante les batailles futures. + +L'ERRANTE + + Homme, revis en moi. Dans ma dextre crispe + Je serre puissamment le pommeau froid du glaive + Et si le monstre ancien se rebelle et se lve, + Je rougirai le sol de sa tte coupe, + + Moi, celle qui connat les suprmes paroles + Et toute la douleur avec toute la joie; + Je chasserai le loup et l'hyne de proie + Et je veux emporter les royales corolles + + Que les dragons jaloux gardaient des mains humaines: + Afin que le parfum des roses inconnues, + Epars farouchement sous la vote des nues, + Suscite dans les coeurs les dsirs et les haines, + + Je viens vous, frres penchs sur les emblaves, + Attels la meule au fond de l'ergastule; + Mon verbe lacrant l'antique crpuscule + Souffle une me de pourpre vos mes d'esclaves; + + Redressez-vous; sarclez les herbes parasites: + Lancez contre le ciel les pierres de vos geles, + Et que les murs vaincus par vos fortes paules + Vous ouvrent le jardin des terres interdites + + O, plus belles, des fleurs de rve vont clore + En butin triomphal pour les races venges, + Tandis que le sang vil des btes gorges + Se mle par mon glaive au sang pur de l'aurore. + + + + +VERS L'AURORE + +_A A.-FERDINAND HEROLD_ + + + + +LES AUMONIRES + +_A A.-F. Plicque._ + + + Sur la grve qu'avaient souille + Les conqurants et les hros, + Prs de la mer pacifie + Pleine des frissons auguraux, + + Les poings perdus dans les crinires + De leurs chevaux roses et blancs, + C'taient les bonnes aumnires + Qui reviennent tous les mille ans. + + Cymodoce, Aglaure, Euryanthe, + Au caprice d'un galop fou + Elles passaient; leur flamboyante + Chevelure brlait leur cou. + + Lvres douces comme la soie, + Lumineuses comme les cieux, + Elles chantaient un chant de joie + Vers l'Ocan mystrieux. + + Tandis que vibraient des abeilles + Autour des talons loyaux, + Elles plongeaient dans des corbeilles + Leurs bras riches de lourds joyaux + + Et brandissant leurs mains sacres, + Bonnes au yeux chargs de pleurs, + Parmi les vagues empourpres + Semaient d'impriales fleurs; + + Car les coroles millnaires + Eparses en vol d'Orient + Calment les antiques colres + Et charment le vieil Ocan. + + + + +MARE TENEBRARUM + +_A Emile Gall._ + + + Durant les jours de brume et les soirs sans toiles + Le vent triste a fan la pourpre de nos voiles; + Mais nos coeurs s'attardant aux soleils rvolus + Oubliaient le deuil vain des flux et des reflux. + + La barque tressaillait de la poupe la proue + Avec le ronflement d'un cheval qui s'broue; + Mais nos coeurs enchants de chants vanouis + Oubliaient la clameur des vagues et des nuits. + + Hier l'Aurore brusque a jailli de nos rves; + Le marbre bleu des mers et l'or fauve des grves + Eblouissaient nos yeux brls par les embruns + Et le dragon rostral s'enivrait de parfums. + + Mais l'ombre en flocons noirs a neig sur nos mes, + L'ombre que nul soleil ne fondra de ses flammes + Et dj le dragon, loin des havres heureux, + Mord les antiques flots glacs et tnbreux. + + + + +LE PLERINAGE HORS DE L'OMBRE + +_A Remy de Gourmont._ + + +I + + Ame riche de nuit, d'toiles et de rves + Qui puisas des trsors aux urnes d'un tombeau + N'abandonneras-tu jamais tes blmes grves + Pour cette ville en fleurs sous le printemps nouveau? + + Ame riche de nuit, mon me, tu recles + Assez d'astres perdus et de soleils teints: + Viens connatre la chair et les lvres de celles + Qui tendent leurs seins nus aux pourpres des matins + + Et font en souriant l'aurore sereine + Fluer entre leurs doigts le sable et leurs cheveux, + Pour que, vivante enfin, ma bouche amre apprenne + A goter le miel blond des heures. Tu le veux, + + Ame lasse dj des ivresses futures, + Toi qui n'as rien chri que les pleurs et la mort: + Le vent gonfle d'amour les voiles toujours pures: + Loin de l'le o la blanche Hymnis repose et dort, + + Pour moi seul, dans le vain cnotaphe des roses, + Nous irons conqurir son corps ressuscit; + Sans doute elle revit par les mtempsycoses + Sur le sol oublieux que parait sa beaut + + Et parmi les parfums sauvages des galres, + Les chiens, les portefaix qui geignent en marchant, + Elle va, lourde encor des gloires tumulaires, + Sans que nul ait compris la douceur de son chant. + + +II + + L'cume viole a neig de la proue; + Les mauves qui mouillaient leurs plumes aux flots noirs + Ont secou le sel des vagues sur ma joue. + + Le sel des vagues! Tels les pleurs d'antiques soirs + Enrichirent jadis de gemmes dissipes + Ces yeux fous aujourd'hui d'aventure et d'espoirs. + + Puis la fort flamba de cruelles pes; + Mais plus d'ombre tombait des branchages pieux + Pour voiler le sommeil inquiet des Napes. + + Ainsi les pres bois ont dfendu mes yeux + Jadis et quand le jour en troublait l'eau tranquille, + Ils talaient dans l'air leur deuil imprieux. + + Or maintenant, voici les portes de la ville; + Je franchirai les murs sans dsir de retour + Heureux si dans la solitude o je m'exile + + L'ombre descend sur moi du temple et de la tour. + + +III + + Farouche de voir les aurores + Et les soleils panouis, + L'eau tressaillait dans les amphores + Sur la marge grise des puits + + Et les tnbres souterraines, + Les iris de sombre cristal + Se fltrissaient comme des reines + Captives d'un soudard brutal. + + Les servantes et les esclaves + Riaient l'entour; mais tu vins, + Et tu voilas de voiles graves + Les filles des antres divins. + + Protectrice des eaux dolentes + Qui sais les rites d'autrefois, + J'ai tremp mes lvres tremblantes + A la coupe triste o tu bois: + + Souviens-toi d'heures et d'annes + Et de soleils, tends les mains + Vers les clmatites fanes, + Vers les toiles des jasmins; + + Et sur la terre des merveilles + Que pavoisaient de nobles cieux + Fais refleurir les belles treilles + De nos jardins silencieux. + + + + +NATIVIT + + + L'enfant n de la terre et libr par elle + Tendit, farouche et nu, son torse imprieux + Hors de l'antre o mourait la nuit surnaturelle; + + Mais la brusque splendeur du soleil et des cieux, + Lacrant l'ombre avec des griffes empourpres, + Ne fit pas tressaillir l'eau calme de ses yeux. + + Dsormais ddaigneux des fontaines sacres, + Il buvait puissamment la lumire et l'orgueil, + O tnbres en pleurs, mres ventres! + + Et quand il eut vaincu les lianes du seuil + Et dploy sa chevelure dans l'aurore, + Les arbres lui chantaient un chant de bon accueil. + + Dans l'allgresse de la force qui s'essore + Il marchait travers la natale fort, + Attentif aux frissons du feuillage sonore; + + Autour de lui le vol des abeilles vibrait + Et le miel embaumant ses lvres fatidiques + Rvlait son coeur l'ineffable secret + + De la vie immortelle et des sves antiques. + + + + +LE CHVRE-PIEDS + + + Sous cette roche en pleurs o dort la femme nue, + Nuage d'aube parse en la menteuse nuit, + Le chvre-pieds regarde travers l'eau qui flue + Les lointaines maisons de labeur et de bruit. + + Les tristes paysans se penchent vers la glbe + Pour un baiser de serfs et de jaloux amants + Dont la bouche haineuse voque de l'Erbe + L'or futur des pis et des riches froments. + + Avares de moissons qui fatiguent les granges, + Ils mprisent l'aurore et les soleils couchants + Et leur oreille est close aux paroles tranges + Qui montent des taillis, des sources et des champs; + + Et la charrue, avec les jours et les annes, + Impitoyable au deuil des bois mystrieux + Offense la beaut des forts profanes + O rdaient librement les fauves et les dieux. + + Mais le sylvain survit la sylve abattue; + Dans l'antre encor voil de feuillage, sa chair + Immortelle, travers les sicles, perptue + Le grand frisson d'amour qui fait tressaillir l'air; + + Et dans les flancs d'une passante solitaire + Il sme au chant des eaux et des rameaux flottants + Des fils aventureux affranchis de la terre + En qui bout la jeunesse hroque des temps. + + + + +FLAMMES + + + Parmi les cres fleurs des lauriers, cette voix + vocatrice en nous de gloire rvolue + manait de la mer, du soir et d'autrefois: + + Enfants tristes, penchs vers l'ombre, l'ombre afflue + Et monte jusqu' vos lvres avec les flots + Dont vous enivriez votre me irrsolue. + + La sculaire nuit opprime vos yeux clos, + Enfants tristes, et vos poitrines lacres + Se gonflent lchement de striles sanglots. + + Si votre bouche a soif des aubes empourpres + Et du sang lumineux qui sacre le matin + Quel sortilge encor vous attrait aux vespres? + + D'un geste, dans la nuit, dcisif et hautain, + Reniez le poison des ondes lthennes + Et marchez sans retour vers un autre destin. + + Frntiques, hors des tnbres anciennes + Nous avons fait jaillir dans le ciel morne et noir + Une farouche aurore la cime des chnes, + + Et dociles au cri de dsir et d'espoir, + Nous respirons les roses rouges de la joie, + Depuis que djouant les embches du soir + + La torche avec l'pe notre poing flamboie. + + + + +LE JARDIN DE CASSIOPE + +_A ALFRED VALLETTE_ + + Cassiope, s'tant dclare, par orgueil, plus belle que les Nrides, + dut exposer au monstre marin sa fille Andromde, qui fut dlivre par + Perse. Aprs sa mort, Cassiope fut mise au rang des Constellations. + +(MYTHOGRAPHES GRECS.) + + + + +LE JARDIN DE CASSIOPE + + +L'HOMME + + Sans matins blancs et sans toiles dans la nuit, + A travers le brouillard o soufflait le vent rude, + J'ai chemin de solitude en solitude + N'ayant pour compagnon que l'immuable ennui. + + Derrire les rocs noirs qui portent le ciel triste, + Monotone, la mer invisible pleurait; + Et jusqu' l'horizon barr par la fort, + Les maigres tamaris et l'pre fleur du ciste. + + Puis des jours mornes dans le silence des bois + Pesrent sur mon front en gouttes d'ombre lourde: + Nul bruit d'oiseau qui chante ou de source qui sourde + N'a dissip l'horreur d'our ma seule voix; + + Et ce fut nouveau la lande grise et plate, + La houle des genvriers et des ajoncs, + Que n'illustra jamais de tragiques rayons + Quelque couchant royal au manteau d'carlate. + + Mais le riche verger m'attend. O treilles d'or, + Saurai-je encor saisir vos grappes immortelles, + Les mains lasses d'avoir cueilli des asphodles + Et de sombres pavots qui conseillent la mort? + +CASSIOPE + + Qui que tu sois, passant envoy par le sort, + Venu des tnbreux chemins, franchis la haie, + Cueille d'un seul regard toute la roseraie, + Que ses vivants parfums te sauvent de la mort! + + Tends les mains; le verger de force et de liesse + Que n'a pas envahi l'ombre du dernier dieu + T'offre les raisins clairs, les oranges de feu, + Et si ta lvre a soif d'amour, l'aube acquiesce, + + La mer chante; appel par les conques des flots, + Aprs les jours ou les longs mois de bonne halte, + Tu partiras: le vin des amphores exalte + L'orgueil viril et pur qui sacre les hros + + Et son baume puissant dlivre l'me esclave; + Tu partiras dans la splendeur d'un soir d't + Tel que le soleil rouge au ciel ensanglant + Teigne en pourpre l'embrun de neige sous l'trave. + + Tourbillonne le vol des typhons ploys! + Qu'importe au plerin ddaigneux et farouche + Ivre ternellement d'avoir bu sur ma bouche + Le mpris du ciel vide et des dieux renis! + + + + +VOIX DERRIRE LA HAIE + + +_VENDMIAIRE_ + +LES VENDANGEURS + + Les sarments rampaient entre les pierres + Ou montaient au tronc rugueux des ormes, + Tordus et nous en noeuds difformes + Comme des orvets et des vipres. + + Courbs sous le fouet des rois avares, + Nous avons vers nos pleurs, nos peines; + Nous avons ouvert nos ples veines, + Nous avons nourri les vignes rares; + + Nous avons pill les ceps d'automne; + Le mot bruissait au fond des cuves, + Pour les matres, saouls de chauds effluves, + Le sang de nos coeurs emplit la tonne. + + +_NIVOSE_ + +LES COUPEURS DE ROSEAUX + + L'eau langoureuse endormait les saules; + Vers le dclin des tides journes + Elle frlait de lvres pmes + Les seins roses, les blanches paules. + + Le choeur estival des femmes nues + Plus doux que le chant des tourterelles + Propageait parmi les roseaux grles + Le frisson de volupts inconnues. + + Roseaux, vous clorez nos pauvres huttes. + D'autres prendront vos fragiles mes; + Ils voqueront les belles femmes + Avec la voix magique des fltes. + + +_FLORAL_ + +LES TISSERANDS + + Notre peau s'use au fer des navettes, + Notre peau gerce tistre la soie; + Dehors le printemps chante et flamboie: + Nous ne connaissons ni fleurs ni ftes. + + Toujours notre front dolent s'incline + Vers le mtier ds la prime aurore; + Toujours nos doigts fans font clore + De fraches fleurs dans l'toffe fine. + + Et sur le linceul et sur les langes + Des empereurs porphyrogntes + Nous entrelaons les fauves btes + Qui rdent dans nos songes tranges. + + +_THERMIDOR_ + +LES MARINS + + Nous avons dompt les mers funbres + Et vaincu leurs gueules forcenes: + La lpre mord nos mains dcharnes + Ronge la moelle de nos vertbres. + + En vain le soleil d't rayonne: + Car nous nous tranons dans les venelles, + Grelottant de fivres ternelles, + Et sur nos os la laine frissonne. + + Cependant nous portions dans la cale + La poudre d'or et les aromates + Et de souples filles aux chairs mates + Mres de lumire orientale. + + + + +LA DOULEUR A CRI + + +L'HOMME + + La douleur a cri du fond des belles heures. + + Les roses du jardin, le parfum que tu fleures + L'opulente senteur de l't triomphant + S'vanouit; le meurtre souffle avec le vent: + La douleur a cri du fond des belles heures. + + + Pantelante, Andromde agonise jamais. + + Un suprme baiser aux lvres que j'aimais, + Et dans le rouge soir je brandirai l'pe, + Puisque hors du verger calme, Cassiope, + Pantelante, Andromde agonise jamais + + + Mais l'invincible orgueil vit dans les treize toiles. + + Si la tempte hurle et lacre les voiles, + J'attends sans peur l'assaut des vagues et des cieux; + Les astres immortels rconfortent mes yeux + Et l'invincible orgueil vit dans les treize toiles. + + + + +LA GLOIRE DU VERBE + + + + +LA GLOIRE DU VERBE + +_A CAMILLE BLOCH_ + + + + +LA GLOIRE DU VERBE + + +I + + Une nuit langoureuse et sereine enveloppe + D'un cercle de lapis ouvr de roses d'or + Les barques, essaim las de cygnes sans essor, + Les palmiers, les canaux, les plaines et Canope; + + Et des flambeaux pareils des soleils couchants + Illuminent la soie et les gemmes persanes. + Tandis qu'au rire aigu des jeunes courtisanes + Les nefs, lourdes d'amour, glissent avec des chants. + + Les esclaves courbs effleurent de leurs rames + Les papyrus gants teints de brves clarts + Et l'eau lente roulant des flots de volupts + O se mirent les yeux et les seins nus des femmes. + + Mais non loin, sourd au bruit sacrilge que font + Les voix des matelots, les fltes et les harpes + Le gurisseur voil de ses triples charpes + Ossar-Hapi sommeille en son temple profond; + + Et de vagues lueurs parses sur les dalles + Eclairent tristement de leurs reflets confus + Les suppliants couchs auprs des grles fts + En un ftide amas de chairs et de sandales. + + Seul debout dans sa force et sa beaut, parmi + Les plerins perclus de maux, rongs d'ulcres, + Mais tel que le gant dchir par les serres + Du vautour, un Hellne orgueilleux et blmi + + Evoque sans trembler le prince du mystre: + O matre, hte cach du sanctuaire, Roi, + Vierge d'tonnement puril et d'effroi, + J'ai connu tous les dieux du ciel et de la terre, + + Atroces et clments, magnifiques et laids + Et j'ai pri selon l'ordonnance des rites + Prs du fleuve farouche o chantent les lychnites + Dans la splendeur des clairs de lune violets + + Et l-bas, o les daims paissent la mousse rase + Sous les neiges de la fabuleuse Thul, + J'ai lu le sort crit dans l'azur constell + Par les nuits qu'une aurore inoubliable embrase; + + Mais nul n'a dit le mot que j'ai cherch longtemps + Et qui me gurirait des angoisses de l'me: + Parle, sinon la mort prochaine me rclame + Et l'horreur d'ignorer me consume: j'attends. + + +II + + Alors des profondeurs et des tnbres saintes + Comme un jeune soleil sort des gouffres marins, + Blanche, laissant couler des paules aux reins + Ses cheveux o nageaient de ples hyacinthes, + + Une femme surgit: son manteau radieux + Revtait son beau corps d'une pourpre vivante; + Des abmes d'amour, de joie et d'pouvante + O sombrerait l'esprit des hommes et des dieux + + S'ouvraient terriblement dans ses larges prunelles + Et les villes, les champs, les cimes, les dserts, + La mer prodigieuse et l'infini des airs + Semblaient se rflchir et disparatre en elles; + + Et lorsqu'elle parla, son ineffable voix + Unissait aux chos des lyres et des sistres + Le souffle des baisers et les rles sinistres + De la haine et le bruit des vagues et des bois: + + Marcheur pensif, enfant prdestin qui nies + Les songes et l'espoir de ton coeur puril, + Tu vas, merveill des floraisons d'avril + Et des soirs frissonnant de calmes harmonies; + + Tu regardes avec des tendresses d'amant + Les nuages lgers ouvrir leurs ailes closes + A l'aube, et comme un vol de flamants blancs et roses + S'lever dans les champs du ciel perdument; + + Volontaire captif de l'ternelle Omphale + Tu parles bas aux Vierges chastes et tu sais + Faire chanter aux corps ardemment enlacs + Des hymnes inous d'impudeur triomphale; + + Ton esprit altr de dsirs immortels + Epuiserait encor la coupe des prires, + Ta parole dment tes attitudes fires + Et tu t'es prostern devant tous les autels. + + Mais toujours au milieu de tes extases vaines + Le mensonge des dieux et des lvres te point + Et tu verses, du d'aimer ce qui n'est point, + Tous les pleurs de tes yeux et le sang de tes veines. + + Si tu n'treins que des chimres, si tu bois + L'enivrement de vins illusoires, qu'importe? + Le soleil meurt, la foule imaginaire est morte + Mais le monde subsiste en ta seule me: vois! + + Les jours se sont fans comme des roses brves, + Mais ton Verbe a cr le mirage o tu vis + Et je nais tes yeux de tes regards ravis + Et je garde jamais la gloire de tes rves. + + La forme s'effaa, la parole se tut, + Et dlivr du poids antrieur des chanes, + L'homme plana plus haut que les heures prochaines + Et comme tout, canaux, cit, temple abattu + + S'enfonait lentement dans la brume amasse + Sur le fond tnbreux des tres et des temps, + Pure clart, pistils de rayons clatants, + Il vit s'panouir la fleur de sa pense. + + + + +LES MYTHES + +_A MARCEL COLLIRE._ + + + + +L'AVENTURIER + +_A Charles Andler._ + + + L-haut, temple ou palais dress sur la colline, + Un amoncellement de blocs prodigieux + Monte: des chiens de bronze aux yeux de cornaline + Hurlent aux quatre vents, la gueule vers les cieux. + + Les murs massifs, coupes de portes mtalliques, + Sont caills de cuivre et peints de vermillon; + Au fate, le soleil frappe de feux obliques + Un tendard taill dans la peau d'un lion. + + Pacifiques, devant la demeure farouche, + Des rosiers rouges et des lys parent le bois + O passe, inoffensive aux roses qu'elle touche, + L'enfant belle dompter les hros et les rois. + + Le calme lumineux du jour mourant caresse + L'enfant grave: elle glisse entre les nobles fleurs + Avec des gestes lents d'idole ou de prtresse + Qui n'a jamais connu le rire ni les pleurs. + + Elle va, contemplant de ses larges prunelles + Les vagues de forts qui ferment l'horizon + Et le val o le soir vt d'ombres solennelles + Le matre hriss d'une horrible toison. + + C'est son pre, tueur de boeufs, ployeur de chnes; + Embusqu tel qu'un fauve aux aguets, il attend + Les voyageurs qui vont vers les cits prochaines + Et fait craquer leurs os en ses doigts de Titan. + + Puis il revient, tranquille, aprs chaque tuerie, + Courb sous le butin comme un roi triomphant, + Et tandis que les morts saignent dans la prairie + Suspend de lourds colliers au cou de son enfant. + + Maintenant une nuit de lune, froide et claire, + Dcoupe le profil des monts sur les chemins; + Le meurtrier fatal, sans haine et sans colre, + Ecoute s'approcher un bruit de pas humains. + + Et voici qu'au dtour de la route moussue + Apparat, radieux sous l'armure qui luit, + Un guerrier casqu d'or qui porte une massue + Et dont le manteau rouge illumine la nuit. + + Le Tueur, allong dans la broussaille, pie + Le Hros ddaigneux en marche vers la mort; + Mais celui-ci, clamant vers la muraille impie, + Rveille les chos de la fort qui dort: + + Je suis venu; hors du repaire, vainqueur d'hommes! + Si tu fuis devant moi je dirai que tu mens; + Mais tu mriteras le nom dont tu te nommes + Si tu peux m'touffer dans tes embrassements. + + --Soit! ta bouche saura la saveur de la terre. + Et l'antique lutteur se dresse avec ennui + Pour craser d'un coup de poing et faire taire + L'phbe injurieux qui parla devant lui. + + Ils se prennent, poitrine unie et chair mle, + Groupe tumultueux de rles et de cris: + L'enfant calme regarde, au fond de la valle, + Le meurtre habituel du haut des monts fleuris. + + Elle voit seulement se mouvoir dans la plaine + L'ombre du double corps et des torses jumeaux + Et sre du vainqueur, s'enivre avec l'haleine + Des parfums langoureux pars sous les rameaux. + + Mais tout coup, aprs une clameur sauvage, + Ses impassibles yeux se ferment de terreur: + Comme un boeuf abattu dans le natal herbage, + L'invincible est couch sous le jeune lutteur. + + Et le guerrier sanglant, par les pentes ardues, + Monte vers le jardin: Vous serez apaiss, + O morts, je vengerai vos mes perdues + Et la victime est belle et vierge de baisers. + + O morts, je vais tuer dans la Fille maudite + Les excrables fils qui natraient de ses flancs. + Il dit et vient, hagard du meurtre qu'il mdite + Et l'Enfant parle aux fleurs et tend ses bras tremblants: + + L'Homme vous briserait avec ses mains brutales, + Roses que je laissais fleurir et dfleurir; + Un arome puissant monte de vos ptales, + Vos parfums sont trop doux pour que j'aime mourir. + + Ma chair frissonne; sauvez-moi, fleurs protectrices. + O lys, lys glorieux que je n'ai pas cueillis, + Je voudrais me cacher dans vos troits calices + Et refermer sur nous le voile des taillis. + + Au moins, versez en moi vos senteurs: que j'emporte + Dans le morne pays vos baumes prcieux, + O fleurs qui renatrez lorsque je serai morte, + Fleurs, ternelles fleurs, fleurs gales aux dieux! + + Elle murmure encor des mots et des prires + Mais le vainqueur, surgi des pres escaliers, + Trane par les cheveux l'Enfant dans les clairires + Et fait boire son sang aux roses des halliers. + + J'ai tu le Brigand et la Magicienne, + L'oeuvre est bonne: luisez sur ma route, astres purs! + Et l'Ephbe drap dans la pourpre ancienne, + Se hte dans la nuit vers les monstres futurs. + + + + +LE BOIS SACR + +_A Lucien Lvy_ + + +I + + Resplendissante, au pied du mont mystrieux, + La troupe formidable et blonde des guerrires + Gardait, la lance au poing, les farouches clairires + Et la fort terrible o sommeillent les dieux. + + Et tous venaient vers la tnbreuse valle + Sous les casques de bronze et les boucliers ronds, + Vtus de fer et d'or par de bons forgerons, + Tous les hros pris de gloire inviole. + + Frappant le ciel muet de sauvages clameurs, + Tous par les nuits, par les matins, par les vespres, + Ils venaient au galop des licornes cabres: + Nous verrons votre face, excrables semeurs + + Des dsirs, des baisers et des larmes humaines; + O voyageurs hagards qui hurlez dans le vent, + Nos bras toufferont votre souffle vivant + Et nous tuerons en vous nos amours et nos haines. + + Si vous ne craignez pas nos glaives, approchez: + Votre rire cruel insulte nos misres. + O vautours, nous irons vous prendre dans vos aires, + O loups, nous forcerons vos repaires cachs! + + Tous se ruaient: l-haut, sous les sombres ramures, + Les calmes dieux semblaient immobiles et sourds. + Mais brandis par les mains des guerrires, toujours + Les javelots stridents vibraient sur les armures. + + Et les hros, vainqueurs de monstres, les tueurs + Des dragons enflamms, des hydres et des stryges + Roulaient honteusement broys sous les quadriges. + Leurs yeux mi-clos rougis de mourantes lueurs + + Convoitaient les seins nus des prtresses complices + Qui, mprisant leurs cris et leurs rles derniers, + Joyeuses, bondissaient sur les rauques charniers + Et tendaient vers le ciel leurs mains triomphatrices. + + +II + + Or le tumulte des batailles, ce jour-l, + Se tut comme la mer pendant les accalmies. + Sur les corps mutils et sur les chairs blmies + Le flot d'une ineffable aurore s'tala. + + Un grave chant port par le souffle des brises + Montait de l'Orient lumineux et charmait, + pars autour des bois et du divin sommet, + Le coeur moins furieux des guerrires surprises: + + Et l'Ade parut couronn de cyprs; + Sa lyre se voilait de tristes asphodles + Et douloureusement les cordes immortelles + Pleuraient un chant d'amour, de deuil et de regrets. + + M'entends-tu dans le noir abme, chre morte, + Irrvocable fleur qu'un vent cruel emporte? + + O lumire, comme une toile qui s'enfuit, + Ne briseras-tu pas les chanes de la nuit? + + O soeur des soirs taills dans de larges opales, + O sont tes cheveux d'ombre, o sont tes lvres ples? + + Vous qui l'avez ravie, dieux, je viens vous, + Rendez l'pouse absente aux baisers de l'poux. + + Je vous ai clbrs dans mes strophes pieuses, + O matres qui sigez aux cimes merveilleuses: + + Mais les rhythmes naissaient de ses rires: rouvrez + Les sources de l'amour et des hymnes sacrs. + + Les guerrires des dieux coutaient comme en rve + Le doux profanateur en marche vers les bois, + Il passa; les chevaux s'cartaient sa voix + Et sa chair ddaignait la morsure du glaive. + + Autour de lui, le vol des flches susurrait + Comme un essaim vaincu d'abeilles bienveillantes + Et sans our les cris des vierges effrayantes + L'Ade pacifique entra dans la fort. + + +III + + perdument, par les silencieuses sentes, + Il allait; ses regards piaient les fourrs + Taciturnes: sous les rameaux enchevtrs, + Nulle apparition de chairs blouissantes. + + L'ombre informe, le noir silence, des parfums + Sauvages d'herbe frache et de fleurs surannes + Et, confondue avec les sves dchanes, + L'innombrable senteur des automnes dfunts. + + Il allait; nulle voix effroyable ou charmante + Ne rpondait, nul bruit de fte ou de combats: + Seul, dans les antres, sous le ciel, ici, l-bas, + Le frisson fauve de la terre qui fermente. + + Semblables au monceau des feuilles sous ses pas, + Ses rves, ses douleurs, ses penses + Tombaient en tournoyant dans les bises glaces + Et l'Ade comprit que les dieux n'taient pas. + + Il perdit, se vouant aux stupides pes, + L'orgueil d'tre vaincu par un matre inclment, + Comme les hros morts frapps en blasphmant + Ivres d'un puissant vin de gloire et d'popes. + + Et dpouill du fier rve des dieux jaloux, + Il brisa pour jamais les cordes tutlaires + Et descendit vers les clameurs et les colres, + Ainsi qu'un chasseur las se livre aux crocs des loups. + + +IV + + L'homme fut dchir par les vierges sanglantes; + La bouche d'o sortaient les paroles de miel + Se tut. La nuit sereine enveloppa le ciel + Et recouvrit les morts d'ombres indiffrentes, + + Tandis que dfendant le mont mystrieux + La troupe formidable et blonde des guerrires + Gardait, la lance au poing, les farouches clairires + O triomphe toujours le mensonge des dieux. + + + + +LES CAPTIFS + +_A Leconte de Lisle._ + + +I + + Un sage, descendant de cimes inconnues, + S'en allait autrefois par le pays d'Assour, + Et la mystrieuse aurore d'un grand jour + Empourprait, sa voix, le jardin blanc des nues. + + Les peuples le suivaient et ne comprenaient pas + Quels dieux, accompagnant la marche du prophte, + Candidement semaient dans les villes en fte + Des lys miraculeux et calmes sous ses pas. + + Mais tous buvaient le miel divin de ses paroles, + Le miel fait de parfums et de baumes puissants, + Forts comme la senteur parse de l'encens, + Doux comme la senteur parse des corolles. + + Pour s'enivrer des mots que sa bouche versait, + Les laboureurs quittaient le manche des charrues, + Et parmi la clameur des foules accourues + Le Voyant pacifique et sublime passait. + + Dsormais, ddaigneux des apparences brves + Et des illusions passagres, fermant + Leurs yeux purifis la clart qui ment, + Les hommes ouvraient l'me la splendeur des rves. + + +II + + Le roi, las des lions traqus dans les filets, + Las des buffles saignant sous la grle des flches, + Las des femmes aux chairs odorantes et fraches + Fit amener vers lui cet homme en son palais: + + Vieillard, vocateur des merveilles du songe, + Jongleur qui fais surgir devant les yeux humains, + Dans la poussire impure et vile des chemins, + Des visions de paix, de gloire et de mensonge, + + Vieillard, vocateur des merveilles du ciel, + Toi qui rgnes, l-bas, au pays du mystre, + Mon coeur royal du par l'horreur de la terre + Aspire la beaut du monde essentiel. + + Tel que le cri plaintif des tigres dans les fosses + Vient nous travers les cloisons de la nuit, + J'entends sourdre en moi-mme un lamentable bruit + Malgr le mur d'airain des apparences fausses. + + O vieillard, fais tomber les mauvaises cloisons, + Montre-moi la campagne et les arbres des plaines + Et les fleuves d'azur roulant vagues pleines + Vers le gouffre sans fin des vierges horizons. + + Mais l'homme d'une voix tranquille: Que t'importe, + O roi des rois, seigneur des mondes, fils des dieux, + Qui marches revtu de pourpre et radieux, + La rumeur entendue au del de la porte? + + O matre, que veux-tu de la terre et des cieux? + Si je t'ouvre la source antique de la vie, + Je n'apaiserai pas ta soif inassouvie, + Et ton esprit d'orgueil n'en croira point tes yeux! + + --Voil beaucoup de mots inutiles, prends garde: + Ta tte pourrait choir d'un coup prmatur. + Et l'homme rpondit: C'est bien. J'obirai: + Roi qui veux voir le fond de l'abme, regarde. + + Hors du temps, hors du lieu, faite de pur granit, + Enserrant l'univers de ses noires murailles, + Rauque d'un monstrueux rle de funrailles, + Une immense prison montait dans l'infini. + + Au milieu de la gele effroyable, les villes + S'tageaient sous le deuil des cieux; un flamboiement + D'astres sombres luisait pouvantablement + Sur les rois, sur les dieux, sur les foules serviles. + + Mais une lueur d'aube emperlait l'Orient + De magiques rayons et d'tincelles blondes: + Les hommes ns depuis la naissance des mondes + Se ruaient vers l'espoir du soleil, en criant. + + Ils allaient, perdus et fauves; les armes + Se heurtaient sous le vol sinistre des vautours; + Et les blocs de rochers pleuvaient des hautes tours, + Et les ailes du feu nageaient dans les fumes. + + Les chefs vainqueurs, avant le rouge lendemain, + Offraient aux dieux d'en-haut les victimes tues + Et dressaient vers la cime errante des nues + Des palais effrayants tendus de cuir humain. + + Sourds aux tumultes, sourds aux luttes, mains unies, + Regards ravis d'extase et d'blouissements, + Des couples enlacs de femmes et d'amants + Passaient, dans un concert de tendres harmonies: + + Des ptales de fleurs apports par le vent + Tourbillonnaient vers eux dans l'ombre des yeuses: + Et tous, couples d'amour et hordes furieuses, + Marchaient, marchaient toujours vers le soleil levant. + + Mais l'aube dsire et les futures gloires + De clarts dcevaient leurs risibles efforts, + Et mourant vainement pour renatre, les morts + Poursuivaient nouveau les astres illusoires. + + La mme nuit baignait l'ternel horizon, + Et de ceux qui vaguaient dans la gele des choses + Et tchaient s'enfuir de leurs cavernes closes, + Aucun ne s'vadait de la morne prison. + + Seuls, les sages tuaient la volont de vivre. + Aveugles aux lueurs que nul ne peut saisir, + Ils gagnaient, affranchis des chanes du dsir, + Le nant ineffable et la mort qui dlivre. + + Bienheureux qui savaient la fatigue des pas, + Bienheureux qui savaient le mirage des astres, + Bienheureux qui savaient la vie et les dsastres: + Ils s'endormaient un jour et ne renaissaient pas. + + +III + + La vision, vieillard, est morne et ridicule: + Tu mourras. Et le roi Nabou-Koudour-Oussour, + Trs juste, fit clouer au fate d'une tour + La tte qui saignait dans l'or du crpuscule. + + + + +LES YEUX D'HLNE + +_A Marcel Proust._ + + Qualis maternis Helene jam digna palestris, + Inter amyclaeos reptabat candida fratres. + +(P. STATIUS.) + + + La native blancheur du cygne paternel. + Vt de neige le corps adorable d'Hlne, + Et l'eau du fleuve bleu qui glisse dans la plaine + Baigne ses yeux d'enfant profonds comme le ciel. + + Elle va: ses regards de desse ingnue + Que jamais la tristesse impure n'a troubls + Errent nonchalamment sur les flots blonds des bls, + Et les hommes pensifs tremblent sa venue. + + Elle voque l'horreur future des destins + Et verse le frisson des luttes fatidiques + Aux guerriers venir assis sous les portiques, + Dont les yeux blouis suivent ses pas lointains. + + L'effroi religieux issu de ses prunelles + Ardentes d'incendie et de fauves clarts + Saisit trangement les coeurs pouvants + Et pleins de visions sombres et solennelles. + + Passe, vierge terrible au col souple et nerveux: + L'inexpiable sang pour les sicles macule + Ton front clair comme un jour d't sans crpuscule + Et la mort des hros surgit de tes cheveux. + + Passe, reine d'amour, semeuse de dsastres, + Dans ta robe de gloire et de srnit, + Et vois fleurir les deuils autour de ta beaut, + Sous tes regards pareils aux rayons froids des astres. + + Tu brilles dans la nuit des ges rvolus + Et les derniers amants des formes triomphales + Contemplent au del de l'ombre et des rafales + Tes yeux dont la splendeur ne s'abolira plus. + + + + +SCHAOUL + +_A Rodolphe Darzens._ + + +I + + En ces jours, Elohim lui refusant son ombre, + Schaoul, enfant de Qisch, tait semblable au mort + Dlaiss, que la dent des btes fauves mord, + Et les esprits du mal rongeaient son me sombre. + + Il errait travers les routes d'Isral + Poursuivi sans repos par la meute tenace + Et d'pres aboiements de haine et de menace + Hurlaient autour de lui dans l'abme du ciel. + + Rien ne transfigurait ses mornes destines. + Nulle trve: ni les paroles des nabis + Ni la chair des bliers ni la chair des brebis + N'cartaient de son coeur les gueules forcenes. + + Et mme dans la fte hroque du sang, + Quand les vaincus, aprs les sauvages victoires, + Montaient vers le Trs-Haut en feux expiatoires, + Les crocs inassouvis lui dchiraient le flanc. + + Alors on fit venir vers le roi taciturne + David de Bethlem, le joueur de kinnor, + Dont l'incantation charmait les astres d'or + Tandis que ses troupeaux paissaient l'herbe nocturne, + + Et comme les chacals rentrent aux creux des monts + Quand le veneur parat sur les rocs granitiques, + Mlant sa voix d'enfant aux cordes prophtiques + David, plein d'Iahveh, chassa les noirs dmons. + + +II + + Homme, Schaoul des temps infinis, saigne et pleure: + Les carnassiers hideux suivent sur ton chemin + La trace de tes pas, hier, aujourd'hui, demain, + Toujours: le changement de la forme et de l'heure + + N'cartera jamais la horde des ennuis + Et tu te traneras dans l'horreur sans limite + Sans our le Kinnor et le Bethlmite + Qui te ferait des jours pareils aux belles nuits. + + + + +RESSOUVENIR + +_A Mario de la Tour de Saint-Ygest._ + + + Cet homme tait venu vers le Matre des pleurs + Oubliant pour le Christ les lyres et les roses, + Comme un vendangeur las qui de ses mains dcloses + Laisse choir les raisins et les grappes de fleurs. + + Il avait dlaiss pour les routes d'pines + Les portiques de marbre auprs des flots marins. + Sous le cilice dur qui lui mordait les reins, + Il marchait loin du jour vers les ombres divines. + + Or il vivait au fond des bois mystrieux, + Suivi par un troupeau de btes familires, + Et des oiseaux volaient autour de ses prires + Et des rves de ciel illuminaient ses yeux. + + Mais toujours, tel qu'un vol blond d'abeilles essaime + Et retourne en vibrant aux ruches d'autrefois, + Par les soirs langoureux chargs des douces voix + Et des parfums charnels que le Mauvais y sme, + + Son me s'envolait vers les jours rvolus: + L'ancien verbe d'amour cach dans l'vangile + Faisait fleurir au bois les nymphes de Virgile + Et des faunes lascifs montraient leurs fronts velus. + + + + +GOETTERDAEMMERUNG + +_A la comtesse Jane._ + + Heil siegendes Licht. + + + Siegfried, astre vad des ombres transitoires, + Soleil panoui dans l'azur de la mort, + Avec ta chair, la gloire humaine de l'effort, + S'abmait dans le deuil des suprmes victoires. + + Mais tels que le granit us des promontoires, + Que l'assaut de la mer temptueuse mord, + Les dieux irradiant dans les glaces du Nord + Attendaient lchement les jours expiatoires. + + Le hros, sur les fleurs sanglantes du bcher, + Semblait sortir des couchants mornes et marcher + Dans l'aurole d'or des flammes triomphales. + + Tandis qu'en un torrent de splendeur et de bruit, + Flagell par le vol sinistre des rafales, + Le Palais merveilleux s'croulait dans la nuit. + + + + +LA FILLE AUX MAINS COUPES + +MYSTRE + +_A Maurice Peyrol._ + + +_PERSONNAGES_ + + LA JEUNE FILLE. + LE POTE. + LE CHOEUR D'ANGES. + LE PRE. + LE SERVITEUR. + +_L'action se passe n'importe o et plutt au moyen ge._ + +Dans la chambre silencieuse, o flotte par les vitraux glauques la soie +resplendissante de l'aurore, LA JEUNE FILLE est agenouille et prie en +sa blancheur adorable de lys. + +Le large bliaud damass, broch de calices d'argent, qui neige sur sa +poitrine et l'toile, est peine agit par le souffle du corps ple +sculpt dans un marbre vivant. + +Elle lit dans le lourd missel incrust de joailleries, mais d'une voix +si basse qu'elle semble un frlement somptueux d'toffes que froissent +dans l'ther des princesses lointaines. + +Elle laisse tomber le livre et les yeux tourns vers un Christ exsangue +sur un ciel ensanglant, elle clt ses lvres entr'ouvertes et se prend + prier des rves sans paroles. + + O Jsus, cartez les griffes du Malin. + + Les anges de saphir dorment dans le vlin; + Les graves lettres d'or psent aux ailes blanches; + La colombe du ciel s'englue aprs les branches, + Et la prire est prise au pige des versets. + + O livre, le parfum sacr que tu versais + Vaut moins, pour le Sauveur et pour ses mains perces, + Que l'inapprciable encens de mes penses. + + Mon bien-aim, mls vos lus divins, + Mes rves purs, avec le choeur des Sraphins, + Allgs du fardeau des paroles antiques, + Mes rves ont chant plus haut que les cantiques; + Et quand mon me, un jour, s'vadera du corps, + Je volerai dans les Splendeurs et les Accords + Faits de flamme subtile et de claire harmonie, + Et je rayonnerai dans la gloire infinie, + Autour du front terrible et charmant de l'poux. + + O monde, vie, sens, vanouissez-vous! + Car, l-haut, par del les tnbres premires, + Dans l'clat des concerts et la voix des lumires, + Imprissable, dans le nimbe de l'Amant, + La chair immacule arde ternellement. + +Baigne d'une musique surhumaine, elle entend comme en elle-mme: + +UN CHOEUR D'ANGES + + Enfant, les cieux songs, blancs de lys et de vierges + Plus blmes que la cire odorante des cierges, + Et les jardins sems d'toiles, les sommets + D'hermine chaste et de candeurs impollues + Mirs aux lacs o vont les cygnes des nues, + Enfant, les cieux songs seraient clos jamais. + + Arrire, le troupeau neigeux d'immacules! + Vers l'amoncellement des glaces recules, + Les rouges Kroubim vous repoussent du seuil + Eblouissant: les crins de votre pre cilice + Vous sont une moelleuse et royale pelisse: + Votre virginit n'est ivre que d'orgueil. + + Arrire! le bl mur pars des Madeleines, + Epars sur les pieds nus avec les urnes pleines, + Brle seul dans la sainte aurole de feu. + Dans le brasier de Christ, aviv de colres, + Vous fondriez, froides fleurs des soirs polaires, + Qui ne parfumez pas les hommes avant Dieu. + + Lorsque le Rdempteur eut bris les statues + D'autrefois, parmi les colonnes abattues, + Il laissa reverdir, seul d'entre les Maudits, + Ers, et lui donna pour royaume la Terre: + Immortelle, la soif des lvres vous altre, + Et l'enfer des baisers vaut notre paradis. + + Va! l'Olympe aboli revit dans votre race; + La meute des dsirs vous poursuit la trace, + Et vous n'vitez pas les flches de l'Archer. + Prends garde d'oublier les cieux songs, vierge: + L'amour l'horizon de ta jeunesse merge; + J'ai vu, dans l'Orient, l'invincible marcher. + +LA JEUNE FILLE perdue des paroles ouies et bante d'horreur mystique +invoque, en balbutiant, Madame Marie qui sourit, doucement couronne +d'astres, au fond d'une fresque byzantine, et des cimes de l'azur tend +les mains vers un vol d'mes en peine: VENITE AD ME DILECT ME. + + Je ne sais plus si c'est mon rve que j'coute, + Ou si la source en moi s'infiltre goutte goutte + Qui ruisselle des luths et des psaltrions, + Et si j'entends le Diable ou les Anges. Prions. + + Tueuse du serpent. Reine du bleu stellaire, + Le drobeur d'pis maraude autour de l'aire: + Le voleur d'mes vient des abmes et fuit: + Chassez le tentateur et le rdeur de nuit. + +Tandis que s'grnent les litanies, un fracas assourdi d'armures +irradies glisse lentement, entre les tentures hroques o +s'enchevtrent de furieuses mles. + +LA JEUNE FILLE, veille en sursaut des prires, se lve frissonnante +vers SON PRE et le guerrier convulsif brle ses mains de caresses, de +caresses incestueuses et brutales. + +Et l'enfant hurlante s'arrache des baisers sacrilges. Elle va jusqu' +la grand salle o LE SERVITEUR courb fourbit les larges glaives et les +panoplies. + +LA JEUNE FILLE + + Vieillard, j'ai ma pense entire. Prends l'pe + De justice, l'pe infaillible, trempe + Sept fois dans le Saint-Chrme et le feu baptismal + Et que ne souille pas, comme l'homme, le Mal + + Originel. Saisis la Purificatrice + --Si ton bras est rong d'ulcres, qu'il prisse! + A dit le Matre dont m'attendent les hymens;-- + Et lave aux flots d'acier rougi, tranche mes mains! + +LE SERVITEUR + + O ma fille, vos mains sont des corolles fines; + Vos mains sont un bouquet de jeunes aubpines; + L'haleine du printemps souffle de votre chair: + Je ne moissonne pas les fleurs avec le fer. + Vous dlirez. + +LA JEUNE FILLE + + Tais-toi; l'ulcre des caresses + Inexpiables, mord ma chair et fond mes graisses. + Obis, sans l'horreur mortelle des aveux: + L'effroi te briserait les oreilles. + +La main leve en un geste terrible: + + Je veux. + +Et la volontaire martyre pose sans trembler ses mains jaillissant des +manches sur une table de porphyre aux mosaques de chimres. + +Ses yeux fixes ne clignent pas l'clat bleu du glaive brusque +s'abattant, qui verse aux btes hraldiques des gouttes soudaines de +pourpre. + +Et, brandissant dans la pnombre les deux torches jumelles des bras +mutils, elle fait prendre une aiguire de cristal enchemis d'or. + +Epouvantable et radieux, un double nnuphar aux tiges d'carlate flotte +dans une cume rose de grappes d'Orient foules. + + Oh! le vase lustral o l'me se lava! + Va-t'en porter l'aiguire mon bon pre. Va. + + +II + +Maintenant une foule confuse bruit prs de la mer flagelle par le vent +du Nord. Dans une frle nef, sans rames ni voilure, LE PRE a fait +tendre LA JEUNE FILLE surnaturelle, enveloppe dans un linceul de lin +grossier. Elle regarde obstinment le ciel d'orage. + +LE PRE + + Ma fille, vos pchs, commis dans ma maison, + Ont fait s'enfuir les tourterelles du blason. + Endormis dans la nuit tombale, clos en elle, + Les morts ont tressailli de votre ardeur charnelle. + Donc je dois, rprimant pleurs lches et sanglots, + Vous confier, vivante, la douceur des flots. + Nous prierons, gens des bourgs et manants de campagne, + Afin que la bont de Dieu vous accompagne. + Allez! au nom de la Trs Sainte Trinit, + Et que Jsus vous prenne en votre ternit. + +Mais la barque n'est pas engloutie par les gueules fauves de l'abme. +Elle s'efface, pousse par les haleines pacificatrices d'invisibles +archanges. + +Les gerbes fauches des houles vertes dorment sous un soleil d'accalmie, +et LA JEUNE FILLE, affranchie par l'extase, contemple des visions vagues +et des formes. + + Dans le lilas de leurs rosaces vesprales, + Je vois s'panouir, l-haut, des cathdrales. + + Une poussire d'astre irise les parvis + Et les arceaux sortent des dalles de rubis. + + Dans l'espace des nefs sans limites, lames + D'azur, des encensoirs effeuillent des fumes. + + Dans le frisson de leurs chos multiplis, + Des sons inentendus branlent les piliers. + + Le voile rejet d'un fulgurant coup d'aile, + Le Tabernacle inaccessible se rvle. + + Et lorsque l'Ostensoir phmre me luit, + La robe du soleil semble teinte de nuit. + + Seigneur Dieu, l'apptit des vagues me rclame, + L'aumne de mon corps est faite. Cueillez l'me. + +Dans son ravissement mystique, LA JEUNE FILLE se croit morte. Serait-ce +que la barque aborde aux rives vertigineuses du Paradis, o des couples +clestes glissent dans une aube d'opales fluides? + +Elle regarde merveille, sous une toffe de la lumire, au lieu des +tronons effroyables, la fracheur blonde de ses mains ressuscites et +d'o s'exhale une senteur de ruches prochaines et de miel. + +Des enfants, vtus de tuniques multicolores et lgres, lui font un +triomphal cortge et, prise dans des rets de charmes surhumains, elle +marche au milieu des hymnes tranges. Hymen! Hymenaee! + +Hymen! Hymen! Hymenaee! Au fate des monts d'hyacinthe un palais de +prodige monte, marmoren, vers les nuages violets. Elle gravit les +escaliers, gards par des sphinges immobiles. + +Hymen! Hymen! Hymenaee! Au seuil glorieux des demeures, souriant +idalement dans l'ombre dnoue de sa chevelure, LE POTE-ROI vient vers +elle sous son manteau de pourpre lyrique. + +Et les enfants ont disparu; dans une salle de ferie, porte par des +cariatides, sur l'or roux, des lions tus, LA JEUNE FILLE s'abandonne +la volupt des caresses. Hymen! O hymen! + +LA JEUNE FILLE + + Doux initiateur de l'me en quelle sphre + Plus lointaine, Jsus, l'Esprit, et Dieu le Pre, + Dans leur unit triple, infinis et sereins, + Attendent-ils le choeur des lus, plerins + Joyeux et jamais las d'un Temple que j'ignore, + Qui s'envolent de l'ombre ancienne vers l'Aurore. + Emmne-moi par les Edens et les Sions, + Toi qui sais les chemins de constellations. + +LE POTE-ROI saisit la grande Lyre et, sous le plectre, les cordes de +brebis vibrent dans l'caille de tortue transparente. + + Avant la Terre, avant les Jours et les annes, + L'Immuable a ptri nos chairs prdestines. + + J'ai tromp mon ennui par la lyre, et j'attends + Tes seins qui m'appelaient de l'abme des temps, + + Et mes yeux, emperls d'une angoisse inconnue, + Mes yeux cherchaient tes yeux nocturnes dans la nue. + + Parfois, dans le brouillard chantant de la fort, + Une fe illusoire clt et disparat: + + Dis-moi que tu n'es pas l'ombre vaine d'un rve, + O fille de la mer et de l'cume brve. + + Dis-moi qu'avant la tombe et nos corps rvolus, + Le flot de tes baisers ne se tarira plus. + + Je ferai vivre par del les tendues + Ton nom sanctifi dans les cordes tendues. + + Et tu vaincras par la gloire de tes beauts + Les nymphes de l'Hellas et les Divinits. + + Parle, et tu chasseras, de la mmoire humaine + La Vnus Italique et l'Anadyomne. + + Je traquerai leurs souvenirs tels que des loups, + Et Christ reconnaissant se penchera vers nous. + +LA JEUNE FILLE + + O Chanteur, je ne sais quel dcevant mystre + Me rappelle du ciel entrevu vers la terre. + Ton regard me repousse et m'attire. Va-t'en, + Car je me damnerais peut-tre en t'coutant. + +Dans son indicible douleur, LE POTE-ROI jette la Lyre qui se brise en +un lamentable sanglot et le cri des fibres est si dchirant que LA JEUNE +FILLE tremblante d'effroi et d'amour revient vers le royal Dsespr, +comme rsigne aux flammes d'une imminente ghenne. Pendant qu'ils sont +enlacs, UN CHOEUR D'ANGES, entendu jadis, effleure leurs oreilles +extasies. + + Ecarte le conseil de tes mauvaises craintes. + Le Seigneur t'a rendu des mains pour les treintes, + Fais l'amant royal le don de ton orgueil. + Va! laisse le troupeau neigeux d'immacules; + Vers l'amoncellement des glaces recules, + Les rouges Kroubim les repoussent du seuil. + + Aimez-vous! le bl mr pars des Madeleines, + Epars sur les pieds nus avec les urnes pleines, + Brle seul dans la sainte aurole de feu. + Dans le brasier de Christ, aviv de colres, + Vous fondriez, froides fleurs des soirs polaires, + Qui ne parfumez pas les hommes avant Dieu. + + Lorsque le Rdempteur eut bris les statues + D'autrefois, parmi les colonnes abattues, + Il laissa reverdir, seul d'entre les Maudits, + Ers, et lui donna pour royaume la Terre: + Immortelle, la soif des lvres vous altre, + Et l'enfer des baisers vaut notre paradis. + + + + +LA PEUR D'AIMER + +_A Jos-Maria de Heredia._ + + + La Bte monstrueuse et le bon Chevalier + Ont lutt tout le jour: le dragon mort distille + Un suprme venin sur le sable infertile, + Et le triomphateur entre dans le hallier. + + Il va, les yeux hagards d'un songe familier: + L-bas, le palais d'or miraculeux rutile + Et la princesse rve, en sa grce inutile, + A l'amant inconnu qui la doit veiller. + + Mais lorsque le vainqueur de l'hydre et des licornes + Vit, aprs le bois sombre et les escaliers mornes, + La vierge aux cheveux blonds comme un soleil d'Avril + + Dans la jeune splendeur de sa pubert mre, + L'angoisse de l'amour mordit son coeur viril + Et sa chair de hros trembla, sous son armure. + + + + +LE PRINCE D'AVALON + +_A Henri de Rgnier._ + + + Et le prince vivait dans l'le d'Avalon. + Des parterres de fleurs caressaient ses prunelles; + Les calices des lys s'ouvraient en ce vallon + perdument, vers les toiles fraternelles; + + Les paons constells d'yeux luisaient sous les halliers + Or mobile, tremblant saphir, vivante flamme + Et les fruits mrs pendus aux vastes espaliers + Versaient un opulent arme de cinname, + + Tandis que, dans le parc peupl par des sylvains + Et des faunes bordant les larges avenues, + Le clair de lune pars sur les marbres divins + Faisait tinceler la chair des nymphes nues. + + Et le prince sur la terrasse du palais + Inclinait vers le sol ses doigts chargs de bagues + Et regardait, l-bas, sous les cieux violets, + Fuir des vaisseaux fleuris par la houle des vagues. + + Passez, je vous envie, frres ignors, + Que les vents furieux emportent sur le gouffre; + Je ne la connais plus et vous la reverrez + La terre dsirable o l'homme pleure et souffre. + + Je suis venu vers les rivages interdits + Pour obir aux voix des blanches fiances + Et mon me succombe au poids des paradis + Ainsi que les joyaux chargent mes mains lasses. + + Pour veiller en moi d'immortelles douleurs + Dont la mmoire accrt mes extases futures, + J'ai dchan des sangliers parmi les fleurs; + Mais les fleurs renaissaient plus belles et plus pures. + + J'ai voulu renverser le palais merveilleux + Et je l'ai revtu de rouges incendies, + Mais des colonnes d'or surgissaient mes yeux + Et portaient jusqu'au ciel les votes agrandies. + + Et lorsque j'ai tu la vierge que j'aimais, + Esprant rompre enfin les ineffables charmes, + L'enfant ressuscite a vaincu pour jamais + Par des baisers plus doux ma tristesse et mes larmes. + + Pour moi, le flot des jours s'coule vainement; + Vainement le soir tombe et l'aurore rougeoie: + Envelopp de rve et d'blouissement + Je suis le prisonnier de l'immuable joie. + + Ainsi par cette nuit d'toiles, il parlait: + Les fourrs frissonnants brillaient de lucioles + Et le souffle embaum de la brise mlait + Les chansons de la mer la voix des violes. + + + + +CELLE QU'ON FOULE + +_A Georges Duflot._ + + + C'tait parmi la nuit muette, la clameur + De la Terre, clameur lamentable et farouche + De gante en travail qui se tord sur sa couche, + Rejette l'embryon sanglant, rugit et meurt. + + La formidable voix hurlait: cris d'pouvante, + Gmissements plaintifs des automnes, sanglots + Rauques de la fort hivernale et des flots, + Rire amer et confus de la foule vivante, + + Frmissement de l'herbe et murmure des nids, + Hymne dmesur du torrent et du gouffre, + Tout ce qui parle, tout ce qui palpite et souffre + S'unissait et montait vers les cieux infinis. + + Or voici l'anathme effrn que la Terre + Jetait travers l'ombre aux fils des nations: + Que le troupeau vengeur des excrations + Suive la trace l'homme ennemi du mystre. + + Les peuples d'autrefois inclinaient leur orgueil + Devant la majest fconde de l'anctre + D'o jaillit la semence et la source de l'tre + Et qui rouvre ses flancs paisibles au cercueil. + + Partout, toujours, dans les dserts hants d'hynes, + Dans les plaines de neige o, par soudains lans, + Bondissent des troupeaux de rennes et d'lans, + Prs du ple et dans les cryptes gyptiennes, + + Les hommes adoraient la Terre, qui porta + Dans son sein maternel, des millions d'annes, + Le germe peine clos de vos races damnes + Et priaient genoux Kyble, Isis, Airtha. + + Alors au bruit des sistres d'or et des crotales, + Sereine, travers les chemins et les cits, + De temple en temple, au pas de mes lions dompts, + J'allais les seins voils de pourpre orientale. + + Les vierges de Hellas ployaient leur cou de lait + Au passage de la desse vnrable + Et, telles qu'au printemps les grappes de l'rable, + Me versaient des parfums o le feu se mlait. + + Les austres guerriers des campagnes romaines + Chantaient pieusement la nourrice Rha + Qui mit en eux la sve antique et les cra + Pour l'asservissement des nations humaines; + + Et les chasseurs lointains des cerfs et des aurochs, + Les braves aux yeux bleus, chevelus d'or, les Mles + rigeaient mes autels en face des cieux ples + Dans les forts temptueuses, sur les rocs. + + Quand la procession de mes prtresses blanches + Prcdait au printemps par les sentiers herbeux + Mon attelage lent et tran par des boeufs + Vers les villages et les toits couverts de branches, + + Les hommes tatous de fauve vermillon + Se courbaient et baisaient ma trace, et les pes + Rouges encore du sang et des ttes coupes + Saluaient d'un clair la Mre du Sillon. + + O temps ancien de la Germanie et de Rome, + O temple universel des plaines et des bls + O mon mystique poux des sicles couls, + Le laboureur tait un prtre auguste l'homme: + + Le culte vnr sombre aux flots de l'oubli: + Nul printemps, nul t, ne luit et ne ramne + Les incantations de la prire humaine + Vers les autels de mon sanctuaire aboli: + + O races chaque jour plus impures et viles, + Qui ne connaissez plus mes mystres, troupeaux + Plus barbares que vos pres vtus de peaux, + Troupeaux qui pullulez dans vos enclos de villes, + + Vous qui fouillez avec mpris mes flancs gercs + Par les maternits innombrables; foule + Immonde dont le pas sacrilge me foule; + Vous qui priez des dieux que je n'ai pas bercs + + Au chant de mes forts de bouleaux et de chnes, + Dans des lits d'herbe frache et des langes de fleurs, + Voici venir enfin la horde des malheurs + Fatidiques et des calamits prochaines. + + Dans un bref avenir une aube jaillira, + Ensanglantant les noirs espaces des nues + Et par-dessus le bruit froce des hues + Le clairon des combats ultimes sonnera; + + Sous l'oeil indiffrent des sphres fraternelles, + L'horrible mer de vos haines, sinistrement + Dbordera sur vous et l'pouvantement + largira le vol funbre de ses ailes; + + Et les hommes saisis d'un dlire fatal, + Dchans se rueront aux suprmes tueries; + De l'quateur torride aux blanches Sibries, + Ma face saignera comme un immense tal. + + O fureur indicible et sans rpit! batailles + Qui durerez de l'aube au soir, pendant dix ans, + Comme le cri des flots qui heurtent les brisants, + J'entends dj clamer les corps sous les entailles. + + Un souffle meurtrier et pestilentiel + S'exhale de la mort et des chairs refroidies + Sans linceul, tandis qu'aux lueurs des incendies + De vastes lacs de sang pourrissent sous le ciel, + + De vastes lacs de sang o, rigides et vertes, + Vont des flottes de morts convulsifs par milliers, + O s'acharnent sans peur, repus et familiers, + Les vautours rjouis des cervelles ouvertes. + + La fivre fait claquer les dents des survivants, + Tmoins terrifis des heures vengeresses, + Qui dans l'affolement des suprmes dtresses + Voudraient perptuer leur race en des enfants; + + Mais ces accouplements de spectres puiss + Ne repeupleront pas les villes et les plaines. + Mlez-vous, unissez les corps et les haleines! + Les sicles ont tari la source des baisers. + + Les temps sont couls, les heures sont venues + Et nul glas solennel et lent ne tintera + Lorsque le vent indiffrent emportera + Le dernier rlement de l'homme vers les nues. + + Sa mort n'veillera ni gat ni regret + Dans le monde impassible et dans l'me des choses + Qui ne s'occupent pas en leurs mtamorphoses + De ce qui nat, grandit, s'efface et disparat. + + Rien ne tressaillera dans la Nature, et seule, + Seule de toutes les toiles, je saurai + Que mon lait a nourri jadis l'tre excr, + Le mauvais fils, l'enfant contempteur de l'aeule! + + Comme avant l'homme impie et ses rbellions, + Libre de sa prsence et de sa marche impure, + Je pourrai dnouer au vent ma chevelure + De profondes forts o rdent les lions; + + Et quand l'aube luira dans la frache rose + Je plongerai mon corps que ses pas ont fltri. + --Et ma force renat, ma beaut refleurit, + Et ma chair a des tons d'glantine rose. + + O gloire des cactus de pourpre et des lys blancs, + Hautaine majest des palmes triomphales + Que faisait onduler le souffle des rafales + Sur la virginit premire de mes flancs, + + Surgissez et parez ma nouvelle jeunesse + Pour l'hymen radieux et rouge du soleil; + Tissez et dployez votre manteau vermeil + Sur ma gorge superbe et mes seins de faunesse! + + Montez dans le limpide ther, chants d'oiseaux: + Voici l'amour et les caresses nuptiales; + J'entends hennir au loin les cavales royales + Et des nuages fins neigent de leurs naseaux. + + Le Dieu descend du char cleste et sur ma bouche + Frissonnante, je sens sa bouche, et ses baisers + S'infiltrent lentement dans mes flancs embrass, + Jusqu' l'heure o le jour resplendissant se couche + + Et remonte vers le palais mystrieux, + Cependant que la main pacifique des ombres + tale dans le ciel obscur ses voiles sombres + Et clt divinement mes lvres et mes yeux. + + + + +LA VOIX IMPRISSABLE + +_A Catulle Mends._ + + + Abandonn depuis des sicles fabuleux, + Un grand temple dressait sur le mont solitaire + Ses portiques de marbre et ses escaliers bleus. + + Pourpre tranant en ombre errante sur la terre, + Jardins ensanglants de glorieuses fleurs, + Vasques d'or o l'ibis sacr se dsaltre, + + Et prs des bois, gemms par la rose en pleurs + Du collier merveilleux que l'aube sainte grne, + Des oiseaux ignorant les rets des oiseleurs: + + Tout un monde de rve esprait une reine + Ou le retour tardif des hros et des dieux + Disparus dans la nuit formidable et sereine. + + Fils de la neige pure et du ciel radieux, + Des cygnes indolents glissaient dans la valle + Sur un fleuve que les lotus toilaient d'yeux; + + Leurs corps majestueux fendait l'eau refoule + Et parfois leur plumage illustre secouait + Autour d'eux des flocons de lumire envole, + + Tandis qu'en un appel de deuil ou de souhait + Le cri des beaux nageurs aux ailes ployes + Montait perdument vers le temple muet. + + Mais nul dieu revenu n'cartait les feuilles + Et nulle reine avec des rires enfantins, + Ne rveillait l'cho des verdures mouilles. + + Le vieux temple rigeait ses portiques hautains + Ainsi qu'un fier cueil d'indestructible roche + Qui dfiait les flots des soirs et des matins. + + Or, flux tumultueux qui roule et qui s'accroche + En cume de flamme aux marbres effrits, + La sombre mer des jours suprmes tait proche + + Ruine des moissons et terreur des cits. + Fauves ivres du sang vers dans les cratres, + Des hordes s'en venaient vers les bois enchants. + + Les ttes des vaincus sur la peau des panthres + Pendaient horriblement comme des raisins mrs + Et les carquois sonnaient aux dos des sagittaires. + + Les frondeurs brandissaient leurs bras noueux et durs + Et des cavaliers nus au galop des cavales + Entrrent en hurlant par les brches des murs. + + Des torches consumaient de leurs pourpres rivales + Les voiles rouges et les blocs de marbre roux. + Et des gerbes de feu fusaient par intervalles. + + L'absence de vivants attisait le courroux + Des barbares frustrs de la chair des prtresses, + Et les images d'or se brisaient sous leurs coups. + + Tel le Temple, parmi les clameurs vengeresses, + S'abmait dans les flots de bronze incandescent + Qui couronnaient les monts de monstrueuses tresses. + + Seuls, les cygnes pars dans le val frmissant + Regardaient la lueur rouge de l'incendie + Comme un morne soleil qui meurt et qui descend; + + Et, vers l'astre nouveau d'o la flamme irradie, + Dsesprant des dieux qui les ont oublis, + Ils tournaient tristement leur prunelle agrandie, + + Mais les barbares las, jetant leurs boucliers, + Firent pleuvoir, avec les pierres de leurs frondes, + Les flches qui sifflaient entre les peupliers. + + Pointes de fer, silex aigus et balles rondes + Trouaient l'eau frissonnante avec un bruit strident + Et le sang des oiseaux tachait les claires ondes. + + Alors un chant funbre emplit le ciel ardent: + Un concert douloureux d'ineffable harmonie + Montait vers les tueurs surgis de l'occident. + + La voix des chanteurs blancs pleurant leur agonie + Poursuivait les guerriers jusque-l sans remords + Dont la chair palpitait d'une angoisse infinie; + + Et tandis qu'autour d'eux l'me des cygnes morts + Semait un hymne amer de vengeance ternelle, + Les barbares, au vol de leurs chevaux sans mors, + + S'enfonaient, affols, dans l'ombre solennelle. + + + + +MAYA + +_A BERNARD LAZARE_ + + + + +THAS + +_A Henri de Manneville._ + + +I + + Alexandros, l'pique enfant de Zeus Ammon, + Mange et boit et s'enivre aprs la ville prise + Dans le palais taill dans le marbre et le mont; + + Et les hommes-lions, sculpts de pierre grise, + Inutiles gardiens des murs et du trsor, + Regardent le hros boire aux coupes qu'il brise, + + Cependant que la fauve avalanche de l'or + Splendidement s'abat sur la massive table + Comme un grand oiseau roux au fulgurant essor, + + La rauque orgie et la clameur pouvantable + Hurlent et le troupeau des Hellnes vainqueurs + Mugit: tels les taureaux dans la nocturne table; + + Et parmi les pans discordants et les choeurs, + Et les parfums de la Sabe et le cinname, + Et la vapeur des vins et des chaudes liqueurs, + + La torche en main, Thas, la bacchante qui clame, + La courtisane blanche et droite comme un lys + Revt de pourpre ardente et couronne de flamme + + La ville antique aux toits d'argent, Perspolis. + + +II + + O ville, amas ancien de rve et de superbe, + Dresse en moi sur tes inbranlables fts, + Qui te rabaissera jusqu'au niveau de l'herbe? + + Monceau de souvenirs tranges et confus, + Peuple mystrieux de muettes images, + Qui donc rendra la plaine au chant des bois touffus? + + Qui chassera de moi les rites et les mages + Et sur les noirs dbris du temple renvers + Fera monter des cris d'oiseaux et de ramages? + + Quelle torche, mon coeur, sur ton marbre glac + Etendra des lueurs sanglantes et sur l'me + Lchement assoupie et sur l'esprit lass + + Dardera la splendeur de ses langues de flamme? + + + + +JUDEX + +_A Marcel Collire._ + + + Par le prtorial silence de la nuit + O sonnent seulement des horloges funbres + J'attends venir vers moi le Juge des tnbres + Qui scrute les pchs des hommes et s'enfuit. + + Sans toge, sans licteurs ni haches enlaces, + Sans chants imprieux et tristes de buccins, + N'coutant que la voix des remords en nos seins + Le Juge intrieur passe dans nos penses. + + Les spectres dont le jour avait tu les cris, + Les spectres dont le jour avait clos les prunelles, + Surgissent maintenant des tombes ternelles + Et redressent leurs fronts livides et fltris. + + O baisers renis, mmoire des caresses, + Rves que j'avais crus emmurs pour jamais, + O cadavres divins que j'aime et que je hais, + Regards accusateurs et bouches vengeresses, + + Que voulez-vous de moi? spectres, ayez piti; + N'appelez pas ainsi l'incorruptible juge; + Vous savez qu'il n'est point d'glise de refuge + Pour le coupable en pleurs et le crucifi. + + Mais l'pre justicier se lve dans mon me + Chaque soir: il prononce irrvocablement + La sentence de deuil, de honte et de tourment + Et fait couler en moi des rivires de flamme. + + Puis il remonte au ciel lointain dont il descend + Et d'o j'espre en vain le Rdempteur natre, + Tandis que dans l'obscur abme de mon tre + Un enfer de douleur hurle en le maudissant. + + + + +CHAMBRE D'AMOUR + + + La nuit tide est clmente la ville qui dort; + Des lys imprieux triomphent dans la chambre + Et cependant nos coeurs sont froids comme Dcembre + Et nos baisers d'amours amers comme la mort. + + Ta douce bouche s'ouvre des chansons mivres + Et tes seins bienveillants accueillent mon front las; + Mais, ma douloureuse enfant, je ne sais pas + Pourquoi les dieux mauvais empoisonnent nos lvres. + + Qu'importe? viens vers moi, triste soeur; aimons-nous, + Sans craindre la saveur glorieuse des larmes, + Tels des hros blesss avec leurs propres armes + Et dont le glaive d'or a rompu les genoux. + + Viens! nous aurons l'orgueil des mes taciturnes + En cette chambre morne et veuve de flambeaux, + O, semblable l'odeur des antiques tombeaux, + Un parfum spulcral monte des lys nocturnes. + + + + +PRINTEMPS D'AUTOMNE + + + La pourpre automnale ensanglante + Les feuilles sches des halliers + Et transforme en floraison lente + Les rayons d'Avrils oublis. + + D'insensibles mtamorphoses + Changent les clarts d'autrefois + En d'artificielles roses + Qui parent les jours gris et froids, + + Et sous le ciel tendu de brume + Et les nuages palpitants + Leur odeur mourante parfume + Un mlancolique printemps. + + Trs Chre, c'est aussi l'Automne + Tnbreux pour nos coeurs lasss; + Mais en notre chair qui s'tonne + Refleurissent les jours passs, + + Et la ressouvenance lente + Nous revt, comme les halliers, + D'un manteau de pourpre sanglante + Faite des baisers oublis. + + + + +LIEDER + + Ich, ein tolles Kind, ich singe + Jetzo in der Dunkelheit; + Klingt das Lied auch nicht ergtzlich, + Hat es mich doch vor Angst befreit. + +(HEINRICH HEINE, _Die Heimkehr_.) + + +I + + Des mots doux comme des hautbois + Et des harpes surnaturelles, + Des sons lgers de chanterelles + Et dans les bois, des voix, des voix. + + Des couples blancs de tourterelles, + Des oiseaux bleus couleur du temps; + Des ailes d'or sur les tangs, + Dans le ciel des ailes, des ailes. + + Je ne sais o: je vois, j'entends. + Voici venir la trs aime + Et sa cheville parfume + Foule des tapis clatants; + + Sa robe candide est lame + De l'or du paradis natal; + Des feux de myrrhe et de antal + L'entourent de blonde fume. + + Plus rien, plus rien! le deuil brutal, + Le silence et l'ombre. Serait-ce + Que la perfide enchanteresse + A forg ce mur de mtal + + Et clos dans la nuit vengeresse, + Sans ailes d'or et sans hautbois, + Les mots doux comme une caresse, + Et les colombes, soeurs des voix? + + +II + + Ni tes fierts, ni tes paresses + Ni l'espoir menteur des caresses, + Ni ta chair de vierge, j'aimais + La splendeur de ma propre ide, + O matresse non possde + Qui ne me trahiras jamais + + Je garde en mon me hautaine + Le rve frais de la fontaine + Et des nnufars ingnus; + Je laisse aux lvres sans extase + L'eau noire et, grouillant dans la vase, + Tous les reptiles inconnus, + + Loin de l'hivernale valle + L'aile des fleurs s'est envole + Et le murmure des nids verts + Cherche, avec le vol des ptales, + Dans les aubes orientales + L'ternel printemps de mes vers. + + C'est l'heure que j'ensevelisse + La blancheur du dernier calice + Avec les souvenirs dfunts: + O nuptiale Galate, + Rends-moi la corolle emprunte, + Rends-moi le songe des parfums, + + Pour que je tisse avec mes strophes + Un linceul de riches toffes + Embaum de myrrhe et de nard + Et que je jette sur mon rve + De jeunesse et de gloire brve + La pourpre antique de Schinnar. + + +III + + Pour moi seul tes cheveux de saule + Se droulent sur ton paule + Comme les feuilles dans le vent, + Et, tel que sur la neige vierge + Frmit un frisson d'or mouvant, + De l'aube de ta chair merge + Une fleur de soleil levant. + + Car seul je connais les paroles, + Soeurs des feuilles et des corolles, + Qui puissent dire ta beaut; + Je sais les phrases rituelles + Par qui, dans le bois enchant, + L'ombre des amantes cruelles + Revive pour l'ternit. + + Rires et larmes infinies! + Si je chantais tes litanies + Et le miel de tes seins ross + Je ferais voler dans les brises, + Au del des jours puiss, + L'abeille des lvres prises + Vers la ruche de tes baisers. + + Mais je tais avec jalousie + Les chers mots dont je m'extasie: + Les hommes passent et s'en vont; + Le bruit des foules abhorres + Roule et le miel divin se fond + En perles de gouttes dores + Dans l'urne de mon coeur profond. + + +IV + + Ta voix, ta mme voix de colombe blesse + Sonne plaintivement dans ta gorge lasse. + + J'entends encor l'cho des paroles d'antan + Lorsque les mots ails s'envolent en chantant. + + Mais je ne comprends plus les syllabes; j'oublie + Ce qui fait leur langueur et leur mlancolie. + + Je crois t'our parler un langage inconnu + Sur des airs dont mon coeur s'est en vain souvenu, + + Et je perois parmi la musique rhythme + La voix d'une trangre ou d'une morte aime. + + +V + + Reine du magique palais, + En ce jeu cruel que tu joues, + Comme tes soeurs, tu te complais + Aux larmes roulant sur nos joues. + + Quand tu presses le vin des coeurs + L'toile de tes yeux rutile, + L'toile de tes yeux vainqueurs + Rit de la lchet virile. + + Tandis que, dans la paix du soir, + Les dsirs--tels de mauvais anges-- + Portent aux meules du pressoir + Les grappes des rouges vendanges. + + Soit! en tes rves assassins + Grise-toi des pourpres foules + Et noue au-dessous de tes seins + Des peaux fauves et taveles. + + Sois la bacchante que les dieux + Lchent sur la terre; promne + L'orgueil de tes flancs radieux + Au milieu de la vigne humaine. + + Va! que les hros asservis + Et les potes que tu cres + Se courbent hurlants et ravis + Devant tes colres sacres: + + Tes triomphes sont imparfaits, + Ta gloire sanglante est un leurre; + Tu n'as pas su que je t'aimais + Et tu ne sais pas que je pleure. + + +VI + + Les moires vertes des feuilles + Attendent le Prince Charmant + Et sous les gemmes de rose + L'aubpine est une pouse + D'o s'exhale amoureusement + L'cre parfum des fleurs mouilles. + + Des lvres que nul ne connat + Ont bu les gemmes disparues: + Pourquoi le Prince viendrait-il, + O fort? le parfum subtil + Meurt dans les poussires accrues + Sur l'aubpine et le gent. + + La plainte lente des ramures + Geint sinistrement et dj + Les nains mchants des avenues + Font saigner sur les branches nues + Que leur caprice ravagea + La chair automnale des mres. + + +VII + + Plus quam femina virgo + +(P. OVIDIUS NASO) + +(_Mtamorphoses_, _Livre_ XIII.) + + + Plus claires dans le sombre azur des nuits sans lune + Les toiles doraient les ajoncs et la dune, + Mais je n'ai pas souci de leur ruissellement + Et dans mes yeux fleuris de visions plus belles, + Baignant les cieux futurs de leurs splendeurs nouvelles, + Les astres venir montent perdument. + + Tu glissais pas lents dans les ajoncs stellaires + Et sourde la rumeur humaine des colres + Tu regardais surgir les astres apaiss; + Mais dans mon coeur fleuri de volupts plus calmes, + J'voque au chant lointain des sources et des palmes + Les vierges venir et les futurs baisers. + + +VIII + + La fleur norme de la mer + close avec l'aurore sainte + Renaissait dans le gouffre amer + De tes prunelles d'hyacinthe. + + Dans tes cheveux d'or j'adorais, + Sous l'or caduc de leur couronne, + Les impriales forts + Et leur laticlave d'automne. + + Les peupliers glauques et blancs + Et la mollesse des prairies + Revivaient dans les gestes lents + De tes mains douces et fleuries. + + Mais aujourd'hui que tu n'es plus + La prtresse et l'vocatrice, + Il faut les bois et les reflux + Pour que ta grce refleurisse + + Et les colchiques du matin + Ressuscitent dans ma pense + Ta pleur morne de satin, + O mensongre Fiance. + + +IX + + Tout l'heure, un essaim de mauves s'envolait, + Majestueux, au ras des vagues aurorales: + Les oiseaux fendaient l'air de leurs ailes gales + Et nageaient dans l'azur vers l'horizon de lait. + + Ils allaient: le soleil semait sur les prairies + Marines des fleurs d'or et de chrysobril + Et l'on et cru l-bas des papillons d'avril + Sur un champ constell de rares pierreries. + + Ils allaient: maintenant que dans le clair matin + La blancheur de leur vol splendide s'est fondue, + Je cherche obstinment au fond de l'tendue + Le souvenir neigeux de leur essor lointain. + + Nul des flocons perdus dans les brumes d'opale + N'argente plus la plaine immobile des flots + Et la seule clameur des antiques sanglots + Monte plus tristement vers le lac du ciel ple. + + O Chre, ple ciel d'amour qui te mirais + Dans la mer somptueuse et calme de mes rves + Quels abmes d'azur et d'Ocans sans grves + Ont englouti le vol de mes dsirs secrets? + + Je ne sais: le regard a lass ma prunelle, + La solitude morne emplit mon coeur, j'entends + Dans le double infini de l'espace et du temps + Monter le rle amer de l'angoisse ternelle. + + +X + + Je ne veux pas courber la tte sous tes pas + Ni baisser devant toi mes yeux; je ne suis pas + Un mendiant d'amour et d'aumnes charnelles + Et la honte des pleurs souillerait mes prunelles. + + Mais dans la nuit semblable mon coeur sombre et fier + J'irai dire mon mal aux vagues de la mer: + Elle me bercera la mer consolatrice + Avec des rhythmes lents et des chants de nourrice. + + J'couterai sa voix et je m'endormirai: + Comme un enfant, tandis qu'en un jardin sacr + Surgira, bleu de rve et parfum de menthe, + Le magique palais o tu seras clmente. + + + + +POUR UNE ABSENTE + + + Je veux m'enfermer seul avec mon souvenir, + Immobile, oublieux des rafales d'automne + Qui font les frondaisons se rouiller et jaunir + Et de la mer roulant sa plainte monotone; + Je veux m'enfermer seul avec mon souvenir. + + Le demi-jour filtrant des toffes tendues + Sera doux et propice mon coeur nonchalant, + Quand je l'voquerai du fond des tendues, + Et sa voix emplira d'un hymne grave et lent + Le demi-jour filtrant des toffes tendues. + + J'aurai la vision chre devant les yeux: + Le souffle parfum de l'ineffable Absente + Flottera pour moi seul dans l'air silencieux, + Subtil comme une odeur de fraise dans la sente; + J'aurai la vision chre devant les yeux. + + Et je dirai tout bas ma tendresse latente; + O coeur lche, tremblant et rvolt, je veux + Que ton intime amour se rvle et la tente: + Tu te rsigneras l'effroi des aveux + Et je dirai tout bas ma tendresse latente. + + + + +JOUVENCE + + + Tu parles tristement des campagnes lointaines + D'une voix si dolente et lourde de regrets + Que je deviens jaloux des fleurs et des forts + Et des saules d'argent penchs vers les fontaines. + + Souvenirs! jours anciens! comme vous enserrez + Notre me prisonnire en d'invincibles chanes: + Tu veux, comme autrefois, baigner les sombres chnes + Au clair de lune blond de tes cheveux cendrs. + + Soit! l't revenu parmi les hautes herbes, + Nous marcherons, frls par les ailes de l'air, + Au murmure divin des choses et ta chair + Mlera des parfums de Chypre aux foins en gerbes, + + Et peut-tre qu'un soir entre de rudes draps + Embaums de lavande et dans un lit d'auberge + Tu me rendras ta chair et tes lvres de vierge, + Pour quelque amour d'enfant dont tu te souviendras. + + + + +LA MORT INUTILE + +_A Grgoire Le Roy._ + + Cur non ipsa in morte relinquunt. + +(PUBLIUS VERGILIUS MARO.) + + + Triste comme la mer et la chanson des syrtes, + Le vent lourd de sanglots pleure dans la fort; + Un troupeau d'ombres va, parat, et disparat + Par les bois souterrains et les bosquets de myrtes. + + Dfaillant dans l'horreur d'un ciel ensanglant, + Le soleil infernal baigne le ple espace; + Un troupeau d'ombres vient, revient, passe et repasse + En sa mlancolique et tremblante clart; + + Et ce sont travers les routes d'asphodle + Les fantmes hagards, pleins de larmes et lents + Dont les glaives d'amour ont dchir les flancs: + La mort n'a point ferm leur blessure immortelle, + + Le sommeil spulcral a leurr leurs yeux las + Et l'pre souvenir survivant la tombe + Tel qu'un vin corrosif, goutte par goutte, tombe + Dans leur coeur ulcr qui ne gurira pas. + + + + +L'AME SEULE + +_A A.-Ferdinand Herold._ + + + La bienfaisante nuit couvre la ville immense + D'o montaient vers le ciel des sanglots et des chants + Et la grande cit semble un lac de silence + Frl par la rumeur pacifique des champs. + + Mer des vivants, mer furieuse qui te rues + Emportant dans tes plis les deuils et les baisers, + Tu roules tout le jour sur le pav des rues, + Mais le soir calme endort tes rles apaiss; + + Et les rveurs amis des ncropoles saintes, + Dlivrs de la joie, affranchis du remords, + Errent par les soirs clairs et fleuris d'hyacinthes + Comme des immortels dans la maison des morts. + + Hommes, laissez passer dans la nuit solitaire + Ceux qui foulent toujours des chemins non frays: + Les exils divins ont repeupl la terre + Et je me sens plus seul quand vous vous rveillez. + + Quels dmons ont ptri de leur mains ironiques + Vos faces de mensonge et de stupidit, + Je ne sais, mais le mal suinte de vos tuniques + Et votre rire impur attente la beaut. + + Le matin revenu, soyez tels que vous tes. + Moi cuirass d'orgueil et de mpris serein + Entre mon coeur farouche et vos clameurs de btes + Je laisserai tomber une herse d'airain. + + Je m'en irai l-bas vers la fort clmente: + Les arbres fraternels m'appellent doucement; + L'herbe bruit, l'eau des fontaines se lamente + Et rit comme une nymphe avec son jeune amant. + + La fort a gard pour mon oreille seule + Les chants anciens et les fleurs nobles d'autrefois + Parfument jamais sa mmoire d'aeule + Et tous les rhythmes morts revivent dans sa voix. + + Les chnes musculeux portent de verts portiques, + O pareils des rois mes rves passeront + Et prs des dieux nouveaux, fils des taillis antiques, + Je plierai les genoux et courberai le front. + + Mais retrouveras-tu la jeunesse premire, + O parleur orgueilleux, ivre d'un vin mauvais? + Et si dans la splendeur de la pure lumire + Ton rve tait moins beau que tu ne le rvais? + + Ainsi qu'un porteur las dlivre ses paules + Tu voudrais rejeter les souvenirs humains + Et suivre le ruisseau qui court entre les saules + Et marcher tout le jour au hasard des chemins. + + Va! tu n'entendrais plus les voix surnaturelles + Qui t'invitent la nuit, vers les magiques bois; + Dans les halliers saignant de mres et d'airelles + Tu serais poursuivi par les mauvaises voix. + + Reste jusqu' la mort baign de crpuscule + Avec l'pre regret des astres radieux: + Tu n'es pas assez grand pour le manteau d'Hercule + Et pour te revtir de la pourpre des dieux. + + + + +PETITS PAYSAGES + +_A Urbain Derbanne._ + + +I + + Une cume de fleurs, blanche et rose, s'tale + Sur la mer onduleuse et mouvante des prs + O ruisselle le flot des trfles empourprs, + Tandis que montent vers le nue orientale + Le meuglement des boeufs et la rumeur des bls. + + +II + + Le souffle langoureux des brises musicales + Chante dans les sainfoins en fleurs un hymne lent + Et grave et sous les rais du soleil aveuglant + Une fuite perdue et grise de cigales + S'enlve et vibre, au ras de l'herbe, en sautelant. + + +III + + L'quipe de pcheurs tire la grande senne + A basse mer, avant les vagues et le flux; + Et nul des rudes gars n'est manchot ni perclus, + Mais l'effort fait saillir et gonfler leur chair saine + Et les veines des bras musculeux et velus. + + +IV + + Le soleil tombe et des grappes de lilas sombre + Fleurissent la fort marine o Tthys dort + Sous un voile de pourpre aux filigranes d'or + Que trempe dans le sang de la clart qui sombre + L'invisible ouvrier du fabuleux dcor. + + +V + + Le ciel est gris comme une aile de tourterelle + Que teinterait un peu de rose vein d'or; + L-bas, le cap lointain dont la mchoire mord + L'horizon sombre est las de sa longue querelle + Et la brume a bris les dents du monstre mort. + + + + +EN MORVAN + +_A Jacques Derbanne._ + + + L'ombre s'enroule aux flancs des collines farouches + Et pse sur les bois et les versants herbeux + O dorment lourdement les immobiles boeufs; + Elle fait grimacer les arbres et les souches + Des saules noirs pareils des jeteurs de sorts, + Tandis que par les vaux mystrieux et morts + Le monotone appel des hulottes rplique + Au sifflement du vent dans le houx mtallique + Qui vibre hostilement comme une armure et luit + Et l'eau sauvage hurle entre les roches grises, + Ainsi que dfaillant de hautes entreprises + Une guerrire blanche en fuite dans la nuit. + + + + +L'EAU MORTE + +_A Charles Bourgault Ducoudray._ + + + L'tang mystrieux dort parmi les bois sombres, + Eau de solitude, eau de silence, eau de songe, + Que le flot rose et blanc des bruyres prolonge; + Parfois des oiseaux noirs glissent comme des ombres + Entre les joncs tendus hors des sinistres ondes + Tels que des glaives d'or aux mains de reines blondes; + Et sous l'pre soleil pars en rayons mornes + Les nymphas chasss des limpides fontaines + O boivent, la nuit, les cerfs aux belles cornes, + Attendent tristement les toiles lointaines. + + + + +RVE D'TALONS + +_A Edmond Haraucourt._ + + + Une lourde vapeur rde sur les prairies; + La plaine calme dort au chant prochain des eaux + Et le vol pacifique et lent des grands oiseaux + Trane des filets d'ombre aux flots d'herbes fleuries. + + L'or brusque du soleil dborde dans l'azur + Et jaillit de la neige ardente des nues; + Puis le ciel morne enclt les splendeurs reflues + Dans ses digues de fer blouissant et dur. + + Des cris surnaturels et des glaives d'archanges + Bruissent dans l'ther magiquement: des voix + Rauques sonnent l'appel d'invisibles tournois + O se heurtent des dieux et des guerriers tranges. + + Les talons vautrs dans le tide gazon + Comme au ressouvenir pique des mles, + Eperdument, de leurs prunelles affoles + Parcourent l'tendue immense et l'horizon, + + Et par del le sable hroque des grves + Regardent, les naseaux gonfls d'un souffle amer, + Sur la montagne bleue et verte de la mer + Blanchir en galop fou les cavales des rves. + + Convulsifs et dresss sur leurs jarrets tremblants, + Le col tendu vers les chimriques crinires + Ils sentent comme aux jours des fivres printanires + Les dsirs infinis aiguillonner leurs flancs. + + Mais leur chair glorieuse en proie aux frissons vagues + Ddaigne dsormais les vieilles volupts + Et le vain dsespoir de leurs coeurs indompts + Hennit lugubrement vers le troupeau des vagues. + + + + +MARBRE + +_A Ernest Christophe._ + + + Les bois religieux se taisent; les oiseaux + Ont quitt la fort o meurt le bruit des eaux. + Seule en sa nudit de vierge et de guerrire + La desse de marbre habite la clairire + Et son corps impollu fait de rve et d'amour + Monte, lys immortel, parmi les fleurs d'un jour. + Ni fltes de bergers ni chansons de cigales: + Sauf le frissonnement des herbes amicales + Dont le flot souple ondule autour d'elle, nul bruit. + Parfois dans les fourrs un chevreuil brusque fuit + Farouche d'avoir vu briller la chair sans voiles + Et l'arc imprieux tendu vers les toiles. + + + + +CRISTAL + +_A Emile Gall._ + + + Noire sur le cristal ple et gris comme un ciel + D'hiver, la libellule nigmatique ploie + Les ailes dans l'air lourd et pestilentiel. + Ses immobiles yeux sans tristesse et sans joie + Cherchent sinistrement une invisible proie + Et planant sur l'eau verte et morte des marais, + Vers vos calices d'or, de pourpre et de tnbres, + Elle vole vers vos calices jamais, + Glauques fleurs qui nagez sur des tangs funbres + O se mire le deuil des pins et des cyprs. + + + + +CRPON + +_A Judith Gautier._ + + + Des oiseaux merveilleux ongls de griffes d'or + Tracent dans le ciel calme un candide sillage + Et la migration d'un ternel voyage + Tend vers des pics lointains leur immuable essor. + + Le caprice du peintre ouvrant les ailes vaines + Fige ironiquement loin des vierges sommets + Leur vol: blancs exils, vous n'atteindrez jamais + Les cimes que le soir vt de ples verveines. + + Mais le rve des monts vous donne leur fiert, + L'eau des lacs inconnus frmit dans vos prunelles + Et l'hroque amour des neiges fraternelles + Illumine vos yeux de gloire et de clart: + + Telle malgr l'horreur des tnbres accrues + Mon me vole vers la pourpre des printemps + Et loin des monts neigeux et des lacs o je tends + Rve au parfum royal des roses disparues. + + + + +L'IMPRATRICE + +_A Mlle Gabrielle Herold._ + + + Les dieux d'un riche crpuscule + Parent d'or fauve et de joyaux + Les cactus, les lys sans macule + Et les chrysanthmes royaux; + + La pourpre du jour tombe et glisse + Sur les terrasses du jardin; + Le soleil meurt, l'Impratrice + Frle les fleurs avec ddain + + Et songe, loin des soirs illustres, + Au lac blanc sous l'aube d'avril + O les frles herbes palustres + Semblaient des reines en exil. + + + + +L'ASCTE + +_A Benjamin Constant._ + + + Aprs le jour de flamme et le labeur amer, + L'ascte hiratique accroupi sur la grve + Entendait rsonner une harpe de rve + Et son maigre lion dormait prs de la mer. + + Ni voix ni glissement des barques ou des ailes + Ne troublaient le silence effrayant et la paix + Du morne crpuscule pars dans l'air pais, + Et la bte songeait aux viandes des gazelles. + + Mais l'homme ddaignant la tristesse du soir, + Consum d'une soif que rien ne dsaltre + Et que n'apaisent pas les coupes de la terre, + Regardait le soleil rougir l'horizon noir. + + Et voyait, en un ciel de pourpre et d'hyacinthe, + Les pieds clous, la chair tachant l'horrible croix, + Le Seigneur Jsus-Christ, fils de Dieu, Roi des rois, + Sinistrement saigner sur la montagne sainte. + + + + +MESSE DES MORTS + +_A Bernard Lazare._ + + +LES ORGUES + + Requiem ternam dona eis, Domine. + + + Seigneur, ces plerins des routes de la vie + Ont pein tout le jour vers le terme divin: + Au lieu des puits d'eau vive et des outres de vin, + Ils se dsaltraient aux calices d'envie. + + Desschs par le hle et brl par le ciel + Torride, haletant de la soif infinie, + Ils ont bu, comme Christ en sa lente agonie, + La mauvaise liqueur de vinaigre et de fiel. + + Sous les savantes mains d'atroces sagittaires, + Des flches s'envolaient vers eux d'arcs inconnus + Et d'invisibles fouets mordaient leurs torses nus + Et du mtal ardent coulait dans leurs artres. + + Ils marchaient pesamment sous le faix de leurs croix + Avec le seul espoir de ta bont future; + Mais les loups de l'enfer guettent la crature + Et happent en chemin l'me que tu mcrois; + + L'inextinguible feu hurle dans la ghenne + Et les damns jets aux abmes grondants + N'apaisent point la faim terrible de ses dents + Et son gosier froce est aviv de haines; + + N'carte pas de toi les fidles troupeaux; + Le soir descend; aprs les heures sans prairies, + Voici l'instant rv des calmes bergeries: + Ouvre, Pasteur des morts, le bercail de repos. + + +LES VIOLONS + + Et lux perpetua luceat eis. + + + Seigneur, ces exils de la seule patrie + Criaient vers toi du fond des gouffres tnbreux; + Piti, fais ruisseler des nuages sur eux + La source de splendeur promise en Samarie. + + Que la mort leur devienne un baptme: revts + Leurs flancs martyriss de robes de lumire + Et donne leur essor dans la gloire premire + Aux cygnes chapps aux piges du Mauvais. + + Magnifiques et purs, aprs la lutte rude, + Ils voleront vers les parterres triomphaux + O des lys, mprisant la morsure des faux, + Fleurissent dans la joie et la batitude, + + Tandis que le soleil d'un ineffable t + Inonde d'or brlant les roses et dilate + Les parfums pandus des coupes d'carlate + Et que l'ther subtil chante l'ternit. + + Rappelle au nid ferm les frissonnantes mes + Et les ailes d'amour monteront vers l'Amant + A travers l'harmonie et l'blouissement + Des musiques, des voix, des splendeurs et des flammes, + + Et les sicles futurs et ceux qui ne sont plus + Tressailleront en toi d'une mme allgresse + En oyant tel qu'un chant et tel qu'une caresse + Frmir au ciel nouveau le vol blanc des lus. + + +LES VIVANTS + + Agnus Dei qui tollis peccata mundi + dona eis requiem. + + + Seigneur, Seigneur, Seigneur, impitoyable matre, + Nous sommes las des jours et des soleils maudits: + Epargne aux dlivrs l'horreur du paradis, + Laisse les morts dormir en paix et ne plus tre. + + Tant de clous ont perc leurs membres ici-bas + Que nul flot baptismal rdempteur de leurs peines + Ne laverait les maux et les douleurs humaines + Et que ton repentir ne leur suffirait pas. + + Ils entendraient, au lieu des sublimes cantiques + Flottant parmi l'encens des lys panouis, + Monter de l'Ocan tumultueux des nuits + Le rle inexpi des souffrances antiques; + + Rumeur d'airain, sanglot cruel d'un tympanon + Dont une main haineuse a secou les cordes, + Le souvenir rirait de tes misricordes, + La voix de tes lus blasphmerait ton nom. + + Roi du ciel, reste seul dans ta gloire excre + Formidable, sereine et libre de remords; + O bourreau des vivants, ne touche pas aux morts, + Et quand viendra pour nous la suprme vespre, + + Quand les vers rongeront les os de nos genoux, + Accorde notre chair en tardive clmence + Non les vaines clarts, mais l'ombre, le silence, + Le sommeil et l'oubli de toi-mme et de nous. + + + + +LA VANIT DU VERBE + + + + +LA VANIT DU VERBE + + +I + + Le Runoa, le prince altier du Verbe d'or, + Est las de la nature et des formes antiques + O l'bauche du monde est imparfaite encor; + + Les bois noirs et leur chant de harpes prophtiques + Et les monts violets endormis sous le ciel, + Et les brumes d'argent sur les vagues baltiques, + + Et les brises de fleurs et les parfums de miel, + Et tous les souvenirs alourdis de mystre + Gonflent son coeur amer de mpris et de fiel. + + En son tre, cras par l'ennui solitaire + Crot, avec le dgot de sa virginit, + Le dsir d'voquer une nouvelle terre, + + Un monde jeune, un paradis illimit, + Revtu d'aubpine immortelle et d'yeuses + Sous les glaces d'hiver et les soleils d't, + + O des crations de femmes radieuses + Se mleraient d'amour de mles hros + En des lits de gazon sems de scabieuses. + + Le Matre dploya l'art magique des Mots: + Un subit univers naissait de ses paroles + Comme la perle nat du bruit rhythm des flots. + + Une profusion sanglante de corolles + S'veillait et germait du rve des Avrils + Et l'azur flamboyait de fauves auroles, + + Tandis que les forts et les guerriers virils, + Les femmes ples et les belles chevelures + Jaillissaient de l'abme au gr des chants subtils. + + Alors, imaginant les caresses futures, + Le sublime ouvrier du Verbe perdument + Songeait un songe blanc ptri de neiges pures. + + Il disait son extase et son ravissement, + Et s'enivrait de la liqueur de la Pense + Et sa voix enfantait l'ineffable Tourment; + + Elle faisait surgir au jour la fiance + Surhumaine, et la Femme idale venait + Divinement resplendissante et cadence. + + Elle marchait sur la bruyre et le gent + Et des astres vivaient au fond de sa prunelle; + Un silence d'hymen et de baisers planait. + + Le Runoa, joyeux de l'oeuvre faite, en elle + Se plongeait comme dans un ocan de lys + Et tombait bloui de la Forme ternelle + + Dans le gouffre effrayant des rves accomplis. + + +II + + La contemplation dura cent mille annes; + Quand le Matre sortit des songes clatants, + Des gnrations hideuses taient nes. + + Les Rhythmes taient morts; les rires insultants + Grimaaient; le soleil blme sur les prairies + Sans fleurs pleurait les jours anciens et les printemps; + + L'pouse maquille, pre de pierreries, + Se raillait du Pote et du Rve divin + Et se prostituait aux races amoindries. + + Lorsque le Dmiurge eut vu ce qui devint, + Un dsespoir immense emplit son me sombre; + Il comprit que le Verbe tait stupide et vain + + Et cria dans la nuit: Puisque tout croule et sombre, + Aprs l'oeuvre magique et sublime du Chant, + O paroles, rentrez dans le gouffre de l'ombre. + + Va, monde! abme-toi, triste soleil couchant! + Disparais d'un seul coup dans le nant avide! + Fonds-toi dans ma fureur comme un lingot d'argent! + + Plus rien ne fut; la nuit par le ciel morne et vide + Roula son voile noir sur la fausse splendeur + Et le Matre, absorb dans le chaos livide + + Tut--pour l'ternit--le Verbe crateur. + + + + +TABLE + + + _DDICACE_ + + A LA MMOIRE D'PHRAM MIKHAL 7 + +DE SABLE ET D'OR + + _LES FLEURS NOIRES_ + + LES FLEURS NOIRES 13 + LE DIEU MORT 15 + RUINES 17 + PAR LA NUIT D'AUTOMNE 19 + SOLITUDE 21 + PAROLES SUR LA TERRASSE 23 + L'AUTOMNE A DNUD LES GLBES 25 + + _LES VAINES IMAGES_ + + PSYCH 29 + LIANE 31 + HYMNIS 37 + CHRYSARION 40 + + _L'ERRANTE_ + + L'ERRANTE 45 + + _VERS L'AURORE_ + + LES AUMNIRES 59 + MARE TENEBRARUM 61 + LE PLERINAGE HORS DE L'OMBRE 63 + NATIVIT 67 + LE CHVRE-PIEDS 69 + FLAMMES 71 + + _LE JARDIN DE CASSIOPE_ + + LE JARDIN DE CASSIOPE 75 + VOIX DERRIRE LA HAIE 78 + LA DOULEUR A CRI 82 + +LA GLOIRE DU VERBE + + _LA GLOIRE DU VERBE_ + + LA GLOIRE DU VERBE 89 + + _LES MYTHES_ + + L'AVENTURIER 97 + LE BOIS SACR 102 + LES CAPTIFS 109 + LES YEUX D'HLNE 115 + SCHAOUL 117 + RESSOUVENIR 120 + GOETTERDAEMMERUNG 122 + LA FILLE AUX MAINS COUPES 124 + LA PEUR D'AIMER 136 + LE PRINCE D'AVALON 138 + CELLE QU'ON FOULE 141 + LA VOIX IMPRISSABLE 149 + + _MAYA_ + + THAS 157 + JUDEX 160 + CHAMBRE D'AMOUR 162 + PRINTEMPS D'AUTOMNE 164 + LIEDER 166 + POUR UNE ABSENTE 179 + JOUVENCE 181 + LA MORT INUTILE 183 + L'AME SEULE 185 + PETITS PAYSAGES 189 + EN MORVAN 191 + L'EAU MORTE 192 + RVE D'TALONS 193 + MARBRE 195 + CRISTAL 196 + CRPON 197 + L'IMPRATRICE 199 + L'ASCTE 200 + MESSE DES MORTS 202 + + _LA VANIT DU VERBE_ + + LA VANIT DU VERBE 209 + + + + + _ACHEV D'IMPRIMER_ + le trente octobre mil huit cent quatre-vingt-dix-sept + PAR + L'IMPRIMERIE Vve ALBOUY + POUR LE + MERCVRE + DE + FRANCE + + + + + + +End of Project Gutenberg's La lyre hroque et dolente, by Pierre Quillard + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LYRE HROQUE ET DOLENTE *** + +***** This file should be named 44359-8.txt or 44359-8.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/4/4/3/5/44359/ + +Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed +Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was +produced from images generously made available by the +Bibliothque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. diff --git a/old/44359-8.zip b/old/44359-8.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..5f0806c --- /dev/null +++ b/old/44359-8.zip diff --git a/old/44359-h.zip b/old/44359-h.zip Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..02d6dff --- /dev/null +++ b/old/44359-h.zip diff --git a/old/44359-h/44359-h.htm b/old/44359-h/44359-h.htm new file mode 100644 index 0000000..8e3d247 --- /dev/null +++ b/old/44359-h/44359-h.htm @@ -0,0 +1,6083 @@ +<!DOCTYPE html PUBLIC "-//W3C//DTD XHTML 1.0 Strict//EN" + "http://www.w3.org/TR/xhtml1/DTD/xhtml1-strict.dtd"> + +<html xmlns="http://www.w3.org/1999/xhtml" lang="fr" xml:lang="fr"> +<head> +<meta http-equiv="Content-Type" content="text/html;charset=iso-8859-1" /> +<title> + The Project Gutenberg eBook of La Lyre hroque et dolente, by Pierre Quillard. +</title> +<link rel="coverpage" href="images/cover.jpg" /> +<style type="text/czzss"> +body { margin-left: 10%; margin-right: 10%; } +h1, h2, h3, h4, h5, .c, .cgap, .cbreak { text-align: center; text-indent: 0; line-height: 1.5em; } +h1, h2, h3, h4, h5 { margin-top: 2em; } +.c { margin-top: 1em; margin-bottom: 1em; } +h5.left { text-align: left; } +p { text-align: justify; text-indent: 1.4em; line-height: 1.2em; + margin-top: 0; margin-bottom: 0; } +blockquote.epi { font-size: 95%; margin-right: 0; margin-left: 30%; } +li { list-style-type: none; } +.sc { font-variant: small-caps; } +.small { font-size: smaller; } +.large { font-size: larger; } +.huge { font-size: 160%; } +.dedic { text-align: right; margin-right: 10%; text-indent: 0; margin-top: 1em; + margin-bottom: 1em; } +.l10 { text-align: left; margin-left: 10%; text-indent: 0; } +.attr { text-align: right; margin-right: 10%; font-size: smaller; text-indent: 0; + margin-top: .2em; } +.p { text-align: center; margin-top: 1.5em; margin-bottom: .8em; font-size: smaller; + text-indent: 0; } +.cgap { margin-top: 3em; } +.cbreak { margin-top: 3em; margin-bottom: 1.5em; } +table { margin: auto; } +td.num { vertical-align: bottom; text-align: right; width: 4em; } +td.ind { text-align: left; padding-left: 10%; padding-top: .5em; } +td.c { padding-top: 1em; font-size: larger; } +td.drap { text-align: left; padding-left: 2em; text-indent: -2em; } +hr { text-align: center; width: 50%; margin-left: auto; margin-right: auto; + margin-top: 1.2em; margin-bottom: 1.2em; } +.poetry { margin-left: 7%; } +.poetry .stanza { margin-top: 1em; margin-bottom: 1em; } +.epi .poetry .stanza, .epi p { margin-bottom: .3em; } +.verse { text-indent: -3em; padding-left: 3em; } +.indent4 { text-indent: 1em; } + +@media handheld { + .cbreak { page-break-before: always; padding-top: 1em; } + h1 { page-break-before: avoid; } +} +</style> +</head> +<body> + + +<pre> + +Project Gutenberg's La lyre hroque et dolente, by Pierre Quillard + +This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with +almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or +re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included +with this eBook or online at www.gutenberg.org/license + + +Title: La lyre hroque et dolente + +Author: Pierre Quillard + +Release Date: December 5, 2013 [EBook #44359] + +Language: French + +Character set encoding: ISO-8859-1 + +*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LYRE HROQUE ET DOLENTE *** + + + + +Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed +Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was +produced from images generously made available by the +Bibliothque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + + + + + +</pre> + +<p class="c"><span class="large">PIERRE QUILLARD</span></p> + +<h1><span class="huge">LA LYRE</span><br/> +HROQUE ET DOLENTE</h1> + +<p class="c"><span class="small">DE SABLE ET D'OR<br/> +LA GLOIRE DU VERBE.—L'ERRANTE<br/> +LA FILLE AUX MAINS COUPES</span></p> + +<div class="c"><img src="images/mercure.png" alt="" /></div> +<p class="c"><span class="large">PARIS</span><br/> +SOCIT DV MERCVRE DE FRANCE<br/> +<span class="small">XV, RVE DE L'CHAVD-SAINT-GERMAIN, XV</span></p> + +<p class="c">M DCCC XCVII</p> + +<p class="c"><span class="small">Tous droits rservs</span></p> + + + + +<p class="cbreak"><i>DU MME AUTEUR:</i></p> + +<table summary="Ouvrages du mme auteur"> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">L'antre des Nymphes</span> de Porphyre, traduit du grec</td> +<td class="num">1 plq.</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Les Lettres rustiques</span> de Claudius lianus, Prenestin, +traduites du grec, illustres d'un Avant-propos +et d'un Commentaire latin</td> +<td class="num">1 vol.</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Le Livre de Jamblique sur les Mystres</span>, traduit du grec</td> +<td class="num">1 vol.</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">Philoktts</span>, traduit de Sophocle et reprsent l'Odon</td> +<td class="num">1 vol.</td> +</tr> +<tr> +<td class="drap"><span class="sc">La question d'Orient et la politique personnelle +de M. Hanotaux</span>, en collaboration avec le docteur L. Margery</td> +<td class="num">1 vol.</td> +</tr> +</table> + + + +<p class="cbreak"><span class="small">IL A T TIR DE CET OUVRAGE:</span></p> +<p class="c"><i>Trois exemplaires sur japon imprial, numrots de 1 3<br/> +et douze exemplaires sur papier de Hollande, numrots de 4 15.</i></p> + +<p class="c"><span class="small">EXEMPLAIRE N<sup>o</sup></span> 1</p> + + +<p class="cgap">Droits de reproduction et de traduction rservs pour tous pays, +y compris la Sude et la Norvge.</p> + + + +<h2 id="p1">DDICACE</h2> + +<p class="c">A LA MMOIRE D'PHRAM MIKHAEL</p> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tu t'en allas, un soir de mai: la ville en fte</div> + <div class="verse">Haletait de printemps, de jeunesse et d'amour,</div> + <div class="verse">Et tu nous as quitts pour la nuit sans retour,</div> + <div class="verse">Ame mlancolique et toujours inquite.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">En vain les mornes dieux, formidables et doux,</div> + <div class="verse">Ont dtach ta main de nos mains fraternelles:</div> + <div class="verse">Le sel cre des pleurs brle encor nos prunelles</div> + <div class="verse">Quand ta voix, triomphant des heures, chante en nous</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et fait surgir parmi les roses des vespres,</div> + <div class="verse">Sous des voiles tissus de soleils et de cieux,</div> + <div class="verse">Une vierge dolente au regard anxieux</div> + <div class="verse">Qui nous appelle et fuit vers les ombres sacres.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Forme grave dresse au seuil mauvais du sort,</div> + <div class="verse">Image de fiert qui pleurait et s'est tue,</div> + <div class="verse">Ma bouche te cherchait d'une lvre perdue;</div> + <div class="verse">Mais j'ai heurt du front les portes de la mort</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Hlas! et tu survis dans nos seules mmoires</div> + <div class="verse">Et sans que rien m'entende au tombeau souterrain,</div> + <div class="verse">Je fixe tristement sur le vantail d'airain</div> + <div class="verse">Avec l'amer laurier les palmes illusoires.</div> + </div> +</div> + + + + +<h2>DE SABLE ET D'OR</h2> + + + + +<h3>LES FLEURS NOIRES</h3> + +<p class="dedic"><i>A MARCEL COLLIRE</i></p> + + + +<h4 id="p2">LES FLEURS NOIRES</h4> + +<p class="dedic"><i>A mile Galle.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Au bord de quels sinistres lacs d'eau lourde et sombre,</div> + <div class="verse">O tnbreuses fleurs plus vastes que la mort,</div> + <div class="verse">Les dieux muets du soir et les dieux froids du nord</div> + <div class="verse indent4">Tissent-ils votre robe d'ombre?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Vos abmes de nuit dvorent le soleil;</div> + <div class="verse">Le jour est offens par vos voiles de veuves</div> + <div class="verse">Et vous avez puis sans peur aux mornes fleuves</div> + <div class="verse indent4">L'onde farouche du sommeil.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O fleurs noires, le vent de l'aube vous balance:</div> + <div class="verse">Mais nul parfum d'amour ne s'exhale de vous,</div> + <div class="verse">Chres, et vous versez dans les cœurs las et fous</div> + <div class="verse indent4">L'incantation du silence.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La vie pand en vain ses perfides douceurs;</div> + <div class="verse">La pourpre du printemps inutile flamboie:</div> + <div class="verse">Votre deuil rdempteur libre de la joie;</div> + <div class="verse indent4">Salut, imprieuses sœurs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je vous aime et je veux dormir, soyez clmentes:</div> + <div class="verse">Je ne troublerai pas votre calme immortel</div> + <div class="verse">Et, l-bas, j'oublierai, loin du jour et du ciel,</div> + <div class="verse indent4">La bouche rouge des amantes.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p3">LE DIEU MORT</h4> + +<p class="dedic"><i>A Andr Fontainas.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Une toile, une seule toile. O funrailles</div> + <div class="verse">Royales! solitude o la gloire mourait</div> + <div class="verse">Sur un bcher perdu derrire la fort,</div> + <div class="verse">A l'cart des drapeaux, du glaive et des batailles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le hros s'en allait sans pourpre, enseveli</div> + <div class="verse">Dans une soie teinte et dans les tresses rousses</div> + <div class="verse">Des captives et des amantes: lvres douces</div> + <div class="verse">Et voraces, vous qui buviez le sang pli,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Vers quels baisers souriez-vous? Vers quelles ftes</div> + <div class="verse">Sonne dj l'appel de vos chants oublieux?</div> + <div class="verse">Ah, mensongres! pour des larmes en vos yeux,</div> + <div class="verse">Il fallait l'apparat de clbres dfaites</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et l'horreur des clairons dchirant le ciel noir,</div> + <div class="verse">Pour tordre avec des cris de pleureuses loues</div> + <div class="verse">Vos corps, mimes en deuil sous le vol des nues,</div> + <div class="verse">Parmi la rouge odeur des torches dans le soir.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais nul regard viril n'a, du haut des murailles,</div> + <div class="verse">Avidement cueilli la fleur de vos bras nus:</div> + <div class="verse">Vous avez fui. Le roi ne s'veillera plus.</div> + <div class="verse">Une toile, une seule toile. O funrailles.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p4">RUINES</h4> + +<p class="dedic"><i>A Maurice Nicolle.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'illustre ville meurt l'ombre de ses murs;</div> + <div class="verse">L'herbe victorieuse a reconquis la plaine;</div> + <div class="verse">Les chapiteaux briss saignent de raisins mrs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le barbare enroul dans sa cape de laine</div> + <div class="verse">Qui pat de l'aube au soir ses chevreaux outrageux</div> + <div class="verse">Foule sans frissonner l'orgueil du sol Hellne.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ni le soleil oblique au flanc des monts neigeux</div> + <div class="verse">Ni l'aurore dorant les cimes embrumes</div> + <div class="verse">Ne rveillent en lui la mmoire des dieux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ils dorment jamais dans leurs urnes fermes</div> + <div class="verse">Et quand le buffle vil insulte insolemment</div> + <div class="verse">La porte triomphale o passaient des armes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Nul glaive de hros apparu ne dfend</div> + <div class="verse">Le porche dvast par l'hiver et l'automne</div> + <div class="verse">Dans le tragique deuil de son croulement.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le sombre lierre a clos la gueule de Gorgone.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p5">PAR LA NUIT D'AUTOMNE</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Par l'automnale nuit la terre se rsigne,</div> + <div class="verse">Muette sous le fait des ombres tumulaires:</div> + <div class="verse">Nul astre en qui survive un espoir d'aubes claires,</div> + <div class="verse">Un espoir de matin crevant son œuf de cygne.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les soleils d'autrefois fermentent dans la vigne.</div> + </div> + + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Maintenant au pas sourd de noires haquenes,</div> + <div class="verse">Sans faire gmir l'herbe ou rsonner la roche,</div> + <div class="verse">Tel qu'une chevauche impitoyable, approche</div> + <div class="verse">Le troupeau saccageur des suprmes journes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Un parfum triste vient des grappes condamnes.</div> + </div> + + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Demain l'or et le sang des toiles sublimes</div> + <div class="verse">Seront dshonors par la soif de la horde;</div> + <div class="verse">Mais voici qu'une pluie invisible dborde</div> + <div class="verse">Et tombe lentement des sinistres abmes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Serait-ce pas les Dieux qui pleurent leurs vieux crimes?</div> + </div> + + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O Dieux, je ne sais pas quel Lth vous enivre</div> + <div class="verse">De poisons plus amers que le fiel des Lmures:</div> + <div class="verse">Que vous importe vous, la mort des grappes mres</div> + <div class="verse">Et le viol raill par le bruit vil du cuivre?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les pampres desschs ne veulent pas revivre.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p6">SOLITUDE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Grgoire le Roy.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">C'est un grand silence aprs le chant du cor,</div> + <div class="verse">Comme dans les villes mortes</div> + <div class="verse">O les chats peuvent encor</div> + <div class="verse">Rver sur le seuil des portes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sous le dais noir de la nuit</div> + <div class="verse">Les rois radieux, les belles chevauches</div> + <div class="verse">Foulaient dans l'or et le bruit</div> + <div class="verse">Le sang des roses fauches.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des femmes embaumaient l'air</div> + <div class="verse">Parmi le velours des porches;</div> + <div class="verse">Nous voyions couler la rsine des torches</div> + <div class="verse">Sur les gantelets de fer.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais les heures sont passes</div> + <div class="verse">De la joie et du dcor</div> + <div class="verse">Et dans nos mes lasses</div> + <div class="verse">C'est un grand silence aprs le chant du cor.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p7">PAROLES SUR LA TERRASSE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Puvis de Chavannes.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des reines blanches inclines</div> + <div class="verse">Aux balustrades d'amthystes</div> + <div class="verse">Pour fleurir la mort des journes</div> + <div class="verse">Effeuillent des glycines tristes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Fleurs plus brves que les plus brves,</div> + <div class="verse">Vains thyrses que le vent spolie,</div> + <div class="verse">Les noirs flots sans rives ni grves</div> + <div class="verse">Emportent leur cendre plie;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et c'est le deuil d'un double automne,</div> + <div class="verse">Soir du jour et soir des feuilles,</div> + <div class="verse">Qui dvaste l'ombre et frissonne</div> + <div class="verse">Dans les ramilles dpouilles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des pas glissent sur la terrasse;</div> + <div class="verse">Une toffe roide s'y froisse;</div> + <div class="verse">Les voix que la nuit blme efface</div> + <div class="verse">Tremblent d'adieux, meurent d'angoisse,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et cygnes chasss de tout fleuve,</div> + <div class="verse">S'en vont fbriles et blesses,</div> + <div class="verse">Sans que la tnbre s'meuve</div> + <div class="verse">Aux cris des mes dlaisses.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p8">L'AUTOMNE A DNUD…</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'automne a dnud les glbes et le soir,</div> + <div class="verse">Un soir d'exil et de mains dsunies,</div> + <div class="verse">S'approche l'horizon des plaines infinies,</div> + <div class="verse">Roi dvtu de pourpre et spoli d'espoir.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O marcheur aux pieds nus et las qui viens t'asseoir</div> + <div class="verse">Sans compagnon, parmi les landes dfleuries,</div> + <div class="verse">Prs des eaux mornes, quelles mmes agonies</div> + <div class="verse">Alourdissent ton front vers ce triste miroir?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je le sais, tout se meurt dans ton me d'automne.</div> + <div class="verse">Laisse la nuit prendre les fleurs qu'elle moissonne</div> + <div class="verse">Et l'amour dfaillant d'un cœur ensanglant,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pour qu'aprs le sommeil et les ombres fidles</div> + <div class="verse">Les clairons triomphaux de l'aube et de l't</div> + <div class="verse">Fassent surgir enfin les roses immortelles.</div> + </div> +</div> + + + + +<h3>LES VAINES IMAGES</h3> + +<p class="dedic"><i>A HENRI DE RGNIER</i></p> + + + +<h4 id="p9">PSYCH</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Petite me, Psych mlancolique, dors,</div> + <div class="verse">Lys d'aurore surgi des heures tnbreuses,</div> + <div class="verse">Tes bras souples et frais et tes lvres heureuses</div> + <div class="verse">Ont rajeuni mon cœur et rjoui mon corps.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et tu m'as cru, petite me blanche et farouche,</div> + <div class="verse">Tel que ton dsir vierge encore me voulait</div> + <div class="verse">Pendant tes longs baisers de miel pur et de lait,</div> + <div class="verse">Tant que l'ombre a menti comme mentait ma bouche.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Nulle parole et nulle treinte et nul baiser</div> + <div class="verse">N'ont trahi la douleur secrte du cilice;</div> + <div class="verse">Mais veille avec l'aube rvlatrice</div> + <div class="verse">Tu frmissais, Psych fragile, te briser,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Si le jour dsillant ta paupire sereine</div> + <div class="verse">Au lieu du doux vainqueur que rvait ton moi</div> + <div class="verse">Te dcelait mes poings crisps mme vers toi</div> + <div class="verse">Et mes yeux perdus de colre et de haine;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Car je te hais de tout ton amour, Psych,</div> + <div class="verse">Pour les jours venir et les futures heures</div> + <div class="verse">Et les perfides flots de larmes et de leurres</div> + <div class="verse">Qui jailliront un jour de ton tre cach.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais avant que la nuit divine m'abandonne,</div> + <div class="verse">Avec le dur mtal des gouffres sidraux</div> + <div class="verse">Je forgerai le masque amoureux d'un hros,</div> + <div class="verse">Rieur comme l'Avril, grave comme l'automne;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mort vivant sur les lvres mortes d'un vivant,</div> + <div class="verse">Le masque couvrira ma face convulse;</div> + <div class="verse">Et maintenant que l'aube clate! O fiance</div> + <div class="verse">Chez qui la femme, hlas! va survivre l'enfant.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Eveille-toi, rouvre ta bouche qui s'est tue,</div> + <div class="verse">Tu n'entendras de moi que paroles d'orgueil</div> + <div class="verse">Et je me dresse sous les morsures du deuil</div> + <div class="verse">Laur d'or et pareil ma propre statue.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p10">LIANE</h4> + + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des jours et puis des jours ont fui. Je me souviens</div> + <div class="verse">De cette joie ainsi que de quelque trangre</div> + <div class="verse">Et c'est une ferie encor que j'exagre</div> + <div class="verse">De tout le deuil enclos dans les plaisirs anciens.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais nos baisers furent les fruits des Hesprides</div> + <div class="verse">Dont nous avons mch la cendre, seulement</div> + <div class="verse">La cendre! le verger solitaire et charmant</div> + <div class="verse">N'a pas calm la soif de nos lvres arides.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">D'autres sont revenus semblables des dieux</div> + <div class="verse">De l'le o par orgueil nous nous aventurmes;</div> + <div class="verse">Les guirlandes d'amour alourdissaient leurs rames</div> + <div class="verse">Et la galre en fleurs merveillait les yeux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je ne jalouse pas leurs fanfares de gloire</div> + <div class="verse">Ni les pavois ni les tendards ploys</div> + <div class="verse">Dont l'ombre rouge flotte auprs des boucliers:</div> + <div class="verse">Leur songe tait moins beau que notre ivresse noire,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et j'erre en ce jardin fouett du vent brutal,</div> + <div class="verse">Plus fier que les hros aux soirs d'apothoses,</div> + <div class="verse">Tandis qu'autour de moi les nostalgiques roses</div> + <div class="verse">S'effeuillent vainement vers l'Orient natal.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je t'aimais et les dieux ont dnou nos bras,</div> + <div class="verse">Et nous vivons la drive au cours des heures;</div> + <div class="verse">Et je ne t'entends plus quand tu ris ou tu pleures:</div> + <div class="verse">Mais je viendrai vers toi quand tu m'appelleras.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">A la drive! des palais au bord des fleuves,</div> + <div class="verse">D'imprieuses voix m'invitent, dans la nuit</div> + <div class="verse">Et par les aubes; mais qu'importe? l'eau s'enfuit</div> + <div class="verse">Et je ferme mes yeux aux chevelures veuves.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je sais: l'htellerie est pleine de buveurs:</div> + <div class="verse">Au mur rit la lambrusque et la rose trmire</div> + <div class="verse">Et les raisins gonfls d'aurore et de lumire</div> + <div class="verse">Versent les vieux soleils dans les cerveaux rveurs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les sveltes baladins, les joueuses de lyre</div> + <div class="verse">Et les masques d'amour y glissent dans le soir</div> + <div class="verse">Et la terrasse est vide o je pourrais m'asseoir:</div> + <div class="verse">Je n'aborderai pas aux perrons de porphyre;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Nulle reine en manteau de pourpre et d'argent clair</div> + <div class="verse">Ne tendra sur le seuil ses lvres vers ma bouche;</div> + <div class="verse">Voile noire, carne noire, ombre farouche,</div> + <div class="verse">La nef sans gouvernail s'en va jusqu' la mer</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et je m'endormirai parmi les vagues vertes,</div> + <div class="verse">Parmi les mornes flots sans borne, moins qu'un soir,</div> + <div class="verse">Sur une rive heureuse, au sommet de la tour</div> + <div class="verse">Dominant la valle et les terres dsertes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tu ne paraisses dans ta robe de soleil</div> + <div class="verse">Et tu ne m'offres en un geste qui pardonne</div> + <div class="verse">Tes cheveux ploys plus riches que l'automne</div> + <div class="verse">Et les baisers anciens plus doux que le sommeil.</div> + </div> +</div> + + +<h5>III</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je ne sais plus dans quels chemins ni sous quels cieux</div> + <div class="verse">La reine de mon cœur, la reine de mes yeux,</div> + <div class="verse">La souveraine de mes larmes ignores,</div> + <div class="verse">Qui tord en ses cheveux l'or fauve des vespres,</div> + <div class="verse">Passa sans un regard vers mon front en exil</div> + <div class="verse">Comme un soleil d'hiver oublieux de l'avril.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Hlas! les lys sont morts; les roses sont fanes;</div> + <div class="verse">L'impitoyable deuil dfleurit les annes.</div> + <div class="verse">Elle ne connat plus les choses d'autrefois;</div> + <div class="verse">Son oreille infidle a dsappris ma voix,</div> + <div class="verse">Ma voix tremblante et les paroles murmures</div> + <div class="verse">Et le frissonnement des treintes sacres.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et maintenant, et maintenant! je veux en vain</div> + <div class="verse">M'interdire les jours et le pass divin.</div> + <div class="verse">Ma lvre qu'elle sut dlicate nagures</div> + <div class="verse">Est chaude d'une bouche et de baisers vulgaires</div> + <div class="verse">Et j'ai bu pour marcher dans l'ombre de la mort</div> + <div class="verse">Le vin des matelots et des hommes du port.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais cette ivresse est triste, reine, et je t'implore.</div> + <div class="verse">Reviens, fais resplendir la gloire de l'aurore.</div> + <div class="verse">Jette sur les bois nus un manteau de printemps</div> + <div class="verse">Et pare les sentiers des roses que j'attends.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sois bienveillante; ou si les beaux jardins des rves</div> + <div class="verse">Sont clos pour jamais, soit! les heures seront brves</div> + <div class="verse">O je vivrai dans la lumire et dans le bruit,</div> + <div class="verse">Et je descendrai seul les marches de la nuit.</div> + </div> +</div> + + +<h5>IV</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Par quelle cruaut des implacables dieux?</div> + <div class="verse">Si loin des jours royaux et pavoiss de joie,</div> + <div class="verse">Un soleil tel que les anciens soleils flamboie</div> + <div class="verse">Et tes cheveux en fleur pouvantent mes yeux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Parmi le deuil hlas! et les ombres tombales,</div> + <div class="verse">Que me veux-tu, sourire imprieux encor</div> + <div class="verse">Qui fais se rveiller avec un sursaut d'or</div> + <div class="verse">Le prestige menteur des aubes triomphales?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Oui: tes lvres m'taient douces prs de la mer</div> + <div class="verse">Et sur la fauve grve o dormaient les carnes</div> + <div class="verse">Gonflaient d'un chant si pur les conques des Sirnes</div> + <div class="verse">Que des oiseaux neigeaient autour de toi dans l'air</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et que le souvenir des ailes ployes</div> + <div class="verse">Palpite en mes regards blouis. O rayons</div> + <div class="verse">Eteints! vols disparus d'aigles et d'alcyons!</div> + <div class="verse">Voix morte dsormais sur des lvres souilles!</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Voix morte et pour moi seul vivante: je voudrais</div> + <div class="verse">Ne plus l'entendre et que la terre devnt noire</div> + <div class="verse">Et que la nuit sereine engloutt la mmoire</div> + <div class="verse">De ta beaut semblable aux roses des forts.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais l'ombre dcevante est encore hante</div> + <div class="verse">Par les dieux importuns qui dfendent l'oubli</div> + <div class="verse">Et la poignante fleur au calice pli</div> + <div class="verse">Sollicite toujours ma bouche ensanglante.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p11">HYMNIS</h4> + +<p class="dedic"><i>Pour Bernard Lazare.</i></p> + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Face d'ombre, je viens toi; la nuit m'emporte.</div> + <div class="verse">Poussire vanouie aux plis blancs d'un linceul,</div> + <div class="verse">Ple vierge oublie et que j'honore seul</div> + <div class="verse">D'une fleur morte hlas! moins que ta grce morte,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je viens toi qui dors au fond des sicles lourds</div> + <div class="verse">Et dont le pur tombeau fait les lvres fidles:</div> + <div class="verse">Je n'ai pas entendu les mots qui naissaient d'elles</div> + <div class="verse">Ni got la douceur de tes tristes amours:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais je pleure ton corps et son charme quivoque</div> + <div class="verse">Et les baisers trop lents qui l'auraient effleur,</div> + <div class="verse">Chair de jadis, dsir dont je me suis leurr</div> + <div class="verse">Parce qu'un mme appel de buccins nous voque</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Vers les mmes cyprs noirs et silencieux…</div> + <div class="verse">Vain appel, vaine ombre et menteuses fanfares:</div> + <div class="verse">Jamais je ne clorai de mes lvres avares</div> + <div class="verse">Tes yeux dsenchants qui connurent les dieux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sommeille loin de moi prs de la mer antique</div> + <div class="verse">Sous un ciel insult par de confuses voix</div> + <div class="verse">O la vague qui chante encor comme autrefois</div> + <div class="verse">Entrechoque les mts du port aromatique:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Toujours l'pre soleil et la foule et l'embrun,</div> + <div class="verse">Loin de moi, troubleront ta poussire ignore</div> + <div class="verse">Et l'inutile fleur que je t'ai consacre</div> + <div class="verse">Ne rjouira pas ta cendre d'un parfum.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Viens respirer l'odeur des vignes et des fruits.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ce soir te sera doux comme tes longues nuits,</div> + <div class="verse">Hymnis, enfant qui dors depuis deux mille annes,</div> + <div class="verse">Et par le souffle lent des sentes o je fuis</div> + <div class="verse">Les roses du tombeau ne seront point fanes.</div> + </div> + + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je te ddie, enfant, la mourante fort.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Elle se pare encor malgr son mal secret:</div> + <div class="verse">Tu te reconnatras sa noble agonie,</div> + <div class="verse">Vierge dont le front ple et fivreux se parat</div> + <div class="verse">D'or royal attrist par la blme ancolie.</div> + </div> + + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'automne funraire embaume les halliers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Hymnis! Hymnis! Hymnis! tes cheveux dlis</div> + <div class="verse">Libres du bandeau strict o tu les emprisonnes</div> + <div class="verse">Ont frl des santals et des girofliers</div> + <div class="verse">Et se sont enivrs de cruelles automnes.</div> + </div> + + + <div class="stanza"> + <div class="verse">De plus calmes parfums, ce soir, te charmeront.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pour que ton corps sacr retourne sans affront</div> + <div class="verse">De la fort qui meurt aux tnbres divines</div> + <div class="verse">Je veux entrelacer l'entour de ton front</div> + <div class="verse">Le thyrse noir du lierre aux suprmes glycines.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p12">CHRYSARION</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sur cette mer toujours dserte o nos yeux vains</div> + <div class="verse">S'garaient dans l'ennui des solitudes mornes,</div> + <div class="verse">Le navire, aux clameurs des conques et des cornes,</div> + <div class="verse">Fleurit avec l'aurore clatante; et tu vins,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Apportant le parfum des terres trangres,</div> + <div class="verse">Le reflet des soleils morts parmi tes cheveux</div> + <div class="verse">Et pour les cœurs lasss, graves et ddaigneux</div> + <div class="verse">L'enchantement de quelques heures plus lgres.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Trop de dsirs dus et d'espoirs abuss</div> + <div class="verse">Hantent notre mmoire et sanglotent en elle:</div> + <div class="verse">Nous n'avons pas tendu vers ta chair fraternelle</div> + <div class="verse">Nos lvres ds longtemps dprises des baisers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais les heures passaient douces comme la soie</div> + <div class="verse">En vtements trams de soleil et de nuit,</div> + <div class="verse">Danseuse au collier d'or qui fulgure et s'enfuit,</div> + <div class="verse">Amante triste et grave en marche vers la joie,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et vous qui regardiez des astres abolis,</div> + <div class="verse">Visages inquiets ivres du vieux mensonge,</div> + <div class="verse">O faces de stupeur, d'extases et de songe</div> + <div class="verse">Sur qui l'ombre clmente est tombe longs plis;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Puis la dernire; et ce fut toi-mme, incline</div> + <div class="verse">A la poupe et semant des roses dans le soir</div> + <div class="verse">Afin que la galre et le sillage noir</div> + <div class="verse">S'illustrassent encor d'une pourpre fane</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et que la sombre mer sourt nos yeux vains.</div> + </div> +</div> + + + + +<h3>L'ERRANTE</h3> + +<p class="dedic"><i>A RACHILDE</i></p> + + + +<h4 id="p13">L'ERRANTE</h4> + +<blockquote class="epi"> +<p>I nunc ad hostem, at in perpetuum mea.</p> + +</blockquote> + +<h5 class="left">I. <i>DE SABLE ET D'OR.</i></h5> + +<p>L'<span class="small">HOMME</span> songe dans le soir somptueux et morne; la balustrade +croulante de la vieille demeure, il s'est accoud solitairement +et ses yeux, qui depuis des mois et des annes n'ont plus reflt +que les choses silencieuses, regardent au loin, dans les plaines +assombries, s'tager les villes o des foules inconnues aiment, +bataillent, agonisent et s'vanouissent comme des fumes.</p> + +<p>Ici le roc que nul printemps n'a par, cime triste abreuve +jadis par le sang des victimes, alors que les dieux stupides se +gorgeaient de sacrifices, cime cruelle o les roses d'Avril n'ont +jamais souri, o les sources n'ont pas pleur doucement la mort +future des fleurs voues au vieillard qui les emporte, quand vient +l'automne.</p> + +<p>L'<span class="small">HOMME</span> songe dans le soir somptueux et morne; tandis que le +ciel flamboie d'une plus rouge gloire et que l'or insultant les +tnbres enrichit ses prunelles, des bchers tragiques s'effondrent +et l'me dserte est envahie par un tumulte de chevauche; tourbillons +de fer, gueules hurlantes, clairs de glaive, chevelures et +crinires confondues, la horde passe dans sa pense.</p> + +<p>Et l'<span class="small">HOMME</span> se dtourne du spectacle clatant; ailleurs la terrasse +est interrompue: les pesantes eaux d'un lac sans fond +baignent de leur horreur immobile la roche qui disparat dans le +vertige de l'abme. Maintenant l'<span class="small">HOMME</span> marche, les yeux ivres de +nuit, vers le lac d'ombre monotone et sa voix lasse frle de +lentes paroles les ondes spulcrales, les ondes paisses qui ne +frissonnent pas.</p> + + +<p class="p">L'HOMME</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Nuit moins sinistre que le soir, nuit rebelle</div> + <div class="verse">A mon dsir, tu n'es pas l'ombre que j'appelle</div> + <div class="verse">Et trop d'astres encor m'offusquent de clart</div> + <div class="verse">Pour que je boive en toi les coupes du Lth.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Autrefois, j'ai vcu derrire les murailles</div> + <div class="verse">Des villes; je connais les brves funrailles</div> + <div class="verse">De toute joie et vers la cime et vers la tour,</div> + <div class="verse">Pour le muet exil que je veux sans retour,</div> + <div class="verse">J'ai fui l'cre parfum des roses effeuilles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Lorsque je suis venu, les portes verrouilles</div> + <div class="verse">Pleuraient plaintivement comme des chiens meurtris,</div> + <div class="verse">Et j'oubliais le monde et mprisais leurs cris:</div> + <div class="verse">Mais la pierre me parle ainsi qu'une vivante</div> + <div class="verse">Maintenant, et flambeau d'angoisse et d'pouvante,</div> + <div class="verse">Dans mon cœur las du crpuscule rouge et noir,</div> + <div class="verse">Chaque toile qui monte allume un triste espoir.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Eaux bienheureuses, vos paupires sont voiles:</div> + <div class="verse">Aucun rve de ciel et d'algues emmles</div> + <div class="verse">N'ondule dans le calme abme; nul reflet</div> + <div class="verse">Des jours antrieurs o l'aube tincelait</div> + <div class="verse">Sur votre moire alors juvnile et chantante</div> + <div class="verse">Ne se rveille en vous par la nuit clatante</div> + <div class="verse">Avec le souvenir d'un antique soleil.</div> + <div class="verse">Eaux bienheureuses, vous dormez du vrai sommeil.</div> + <div class="verse">Vous les ples, vous les froides et les obscures,</div> + <div class="verse">Vous les mortes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse indent4">J'attends les suprmes augures,</div> + <div class="verse">Les cygnes ternels ouvrant leur vol sacr,</div> + <div class="verse">Et l'heure, enfin libratrice, o je serai,</div> + <div class="verse">Eaux bienheureuses, lac de nuit, lac de silence,</div> + <div class="verse">Digne de votre accueil et de votre clmence.</div> + </div> +</div> + +<p>Ainsi le solitaire invoque les ondes fatidiques. Mais pendant +qu'il parle, les toiles plus nombreuses ruissellent sur les pentes +abruptes et l'<span class="small">ERRANTE</span> est survenue; ses haillons brochs d'or +illusoire par les astres dnoncent les routes hostiles, les morsures +du vent, peut-tre l'agression de mains brutales. Furtive elle +s'est assise sur les marches disjointes et l'<span class="small">HOMME</span> tout coup se +trouve face face avec elle.</p> + +<p class="p">L'HOMME</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Va-t'en. Que me veux-tu, larve ou fantme humain,</div> + <div class="verse">Dont le pas sacrilge usurpe mon chemin:</div> + <div class="verse">J'ignore quel pass funraire t'escorte</div> + <div class="verse">Et me barre avec toi la route de la porte,</div> + <div class="verse">Ou si ta robe aux plis tnbreux de son deuil</div> + <div class="verse">Recle un tendard de victoire et d'orgueil,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais qu'importe? tu viens des carrefours vulgaires,</div> + <div class="verse">Et tendresse, douleur, pourpre illustre des guerres,</div> + <div class="verse">Clameurs des foules furieuses, bruit des pas,</div> + <div class="verse">Gestes des suppliants, monde, je ne veux pas,</div> + <div class="verse">Quand je me penche enfin vers l'ombre sans aurore,</div> + <div class="verse">Qu'un souvenir des jours anciens attente encore</div> + <div class="verse">A mon me recluse et mre pour la nuit.</div> + <div class="verse">Va-t'en.</div> + </div> +</div> + +<p class="p">L'ERRANTE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse indent4">Je suis venue o le soir me conduit,</div> + <div class="verse">Par le soleil ou par la pluie aux larges gouttes,</div> + <div class="verse">Aprs des routes et des routes et des routes.</div> + <div class="verse">Quand je suivais la mer aux heures de reflux</div> + <div class="verse">Le sable de la grve a brl mes pieds nus;</div> + <div class="verse">Et ma chair a saign de toutes les pines</div> + <div class="verse">A travers les fourrs, les ronces des ravines</div> + <div class="verse">Et les ajoncs aux rudes marges des marais.</div> + <div class="verse">Mais partout, aussitt que la terre o j'errais</div> + <div class="verse">Portait empreinte sur l'argile ou sur l'arne</div> + <div class="verse">La trace des vivants, j'ai fui. Je sais la haine</div> + <div class="verse">Dont ils poursuivent la passante et sur mes yeux</div> + <div class="verse">Ont pes trop souvent leurs poings injurieux</div> + <div class="verse">Pour que je m'aventure ayant vu leurs foules.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Seuls parfois les palais des villes croules</div> + <div class="verse">Sous leurs porches dchus fraternels mon sort</div> + <div class="verse">M'ont offert un sommeil puissant comme la mort.</div> + <div class="verse">La solitude ment o tu viens d'apparatre;</div> + <div class="verse">L'asile de repos que je croyais sans matre</div> + <div class="verse">Abrite hlas! ton me fauve de vivant:</div> + <div class="verse">Je quitterai le seuil et le toit dcevant</div> + <div class="verse">O ton deuil autre que mon deuil se cache et pleure</div> + <div class="verse">L'ombre immense est hospitalire.</div> + </div> +</div> + +<p class="p">L'HOMME</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse indent4">Non, demeure,</div> + <div class="verse">Puisque la volont de ton sort et du soir</div> + <div class="verse">A men tes pieds las vers le morne manoir</div> + <div class="verse">Et vers l'hte imprvu dress devant ta face</div> + <div class="verse">En qui ta voix a fait s'panouir, vivace,</div> + <div class="verse">Une fleur de jadis aux pistils oublis.</div> + <div class="verse">J'y consens: soleils abolis, flamboyez</div> + <div class="verse">Encore, surgissez dans ma sombre mmoire</div> + <div class="verse">En aube de suprme et cinraire gloire</div> + <div class="verse">Avant que cette chair s'engloutisse jamais;</div> + <div class="verse">Et toi, dolente ombre d'une ombre que j'aimais</div> + <div class="verse">Et qui m'a refus ses lvres mensongres,</div> + <div class="verse">Toi qui dormis sous des toiles trangres</div> + <div class="verse">Des sommeils flagells par l'pre fouet du vent,</div> + <div class="verse">Entre sans peur avec un sourire d'enfant</div> + <div class="verse">Et l'ingnuit d'une me purile</div> + <div class="verse">Dans la vieille maison o le hasard t'exile.</div> + </div> +</div> + +<p class="p">L'ERRANTE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je ne sais mme pas ce qu'on nomme les ans,</div> + <div class="verse">Ni combien de matins, combien de jours pesants</div> + <div class="verse">Ont cras l'errante amre et rsigne,</div> + <div class="verse">Homme, ni quelles eaux lustrales l'ont baigne</div> + <div class="verse">O le secret des dieux demeure enseveli,</div> + <div class="verse">Quelles eaux de piti, de refuge et d'oubli,</div> + <div class="verse">Emportant dans le cours pacifique des fleuves</div> + <div class="verse">Tout un faix dilu de souffrance et d'preuves.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">A peine un souvenir obscur survit en moi,</div> + <div class="verse">Heure d'angoisse, heure de dtresse et d'effroi</div> + <div class="verse">Qui m'a fait tressaillir d'une crainte ignore:</div> + <div class="verse">Des retres ont voulu m'entraner, l'ore</div> + <div class="verse">De la fort; j'ai fui leurs lvres et leurs mains,</div> + <div class="verse">Eperdue, travers les rochers sans chemins,</div> + <div class="verse">Et je frissonne encor de l'treinte lude</div> + <div class="verse">Jadis, quand mon horreur de vierge dnude</div> + <div class="verse">coutait survenir l'approche des pas lourds.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Cependant par des soirs, solitaires toujours,</div> + <div class="verse">J'ai mir mon visage au miroir des fontaines</div> + <div class="verse">Et tendu vers mon front des lvres incertaines</div> + <div class="verse">Dont la source perfide a glac le dsir;</div> + <div class="verse">Et l'ombre s'effaa que j'ai voulu saisir,</div> + <div class="verse">Comme un ple soleil qui sombre au flot nocturne,</div> + <div class="verse">Sans avoir accueilli mon baiser taciturne.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais voici que ta voix grave qui m'effrayait</div> + <div class="verse">Parle plus doucement mon cœur inquiet</div> + <div class="verse">Et qu'aprs les assauts de la tempte rude</div> + <div class="verse">Des astres bienveillants dorent la solitude.</div> + <div class="verse">Donc j'entrerai sans peur dans la maison.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse indent4">Salut,</div> + <div class="verse">Seuil, et que les haillons du pass rvolu</div> + <div class="verse">S'envolent de ma chair au vent qui les emporte</div> + <div class="verse">Ainsi qu'un vain linceul d'o jaillit une morte</div> + <div class="verse">Pour renatre en splendeur de soleil exalt,</div> + <div class="verse">Belle de sa jeunesse et de sa nudit.</div> + </div> +</div> + + +<h5 class="left">II. <i>DE GUEULES.</i></h5> + +<p>Dans la mlancolique demeure o les murs s'merveillaient de +sa beaut, salue par les figures amies des lices, irradiant l'eau +ternie des miroirs, l'<span class="small">ERRANTE</span> est entre blanche et nue.</p> + +<p>Elle n'a point refus ses lvres et les rouges floraisons de la +joie ont fleuri imprieusement, par la vibrante offrande de son +corps l'<span class="small">HOMME</span> veill d'un long rve.</p> + +<p>Il a plong dans les coffrets de bronze ses mains fivreuses et +prodigues, et l'armure d'or et les brocarts et les gemmes et le +glaive ont chapp aux chanes noires des tnbres.</p> + +<p>Sur les seins et sur les paules de l'<span class="small">ERRANTE</span>, tous les trsors +enfouis dans le spulcre du silence depuis des sicles, des ans et +des jours, resplendissent avec l'aurore.</p> + +<p>Au seuil matinal de la porte, elle se dresse en sa robe de +pourpre qui recle sous le sang fig de la soie, avec la cotte de +mailles, l'irrprochable acier du glaive.</p> + +<p>Pensive, elle s'est retourne vers l'<span class="small">HOMME</span> qui fait un geste +d'adieu, et comme hsitante et retenue par la puissance d'une +main invisible, elle tarde franchir le seuil.</p> + +<p class="p">L'ERRANTE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je le sais: mon destin m'entrane et tu le veux,</div> + <div class="verse">J'irai. Je dois offrir aux chocs tumultueux</div> + <div class="verse">Ds le premier appel de l'aube avant-courrire</div> + <div class="verse">Ma poitrine hroque et libre de guerrire;</div> + <div class="verse">Et mon poing brandira le glaive dsormais.</div> + <div class="verse">Je le sais: mais l'exil sombre o tu t'enfermais</div> + <div class="verse">S'illumine pour toi de ma chair apparue,</div> + <div class="verse">Et radieuse encor, mme absente, j'obstrue</div> + <div class="verse">Les portes de la nuit que tu heurtais dj.</div> + <div class="verse">Ami, dont ma venue importune outragea</div> + <div class="verse">Le manoir de silence et d'ombre inviole,</div> + <div class="verse">Pardonne, pour ton deuil de solitude emble,</div> + <div class="verse">A l'Errante qui part, chaude de tes baisers.</div> + </div> +</div> + +<p class="p">L'HOMME</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Va: le soleil bondit dans les cieux embrass;</div> + <div class="verse">C'est l'heure, il faut franchir le seuil et vers les villes</div> + <div class="verse">Te ruer en clamant aux oreilles serviles</div> + <div class="verse">Tout ce que les tombeaux t'ont livr de secrets.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Viens et regarde: l de houleuses forts</div> + <div class="verse">O les pasteurs de porcs se vautrent dans les bauges;</div> + <div class="verse">Puis des plaines, rumeurs des bls, parfum des sauges,</div> + <div class="verse">Et les paysans nus courbs sous les sillons</div> + <div class="verse">A jamais; et plus loin des foules en haillons,</div> + <div class="verse">Troupeaux lches que tu mueras en fauves hardes,</div> + <div class="verse">Tournent vers le palais des prunelles hagardes</div> + <div class="verse">Et des poings dcharns par l'immuable faim</div> + <div class="verse">Sans que la torche encor s'enflamme dans leur main.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ce qui fut moi nagure et richesse strile</div> + <div class="verse">Et dpouille des temps silencieux rutile</div> + <div class="verse">Autour de ton front jeune et de tes seins altiers:</div> + <div class="verse">Voici venir un vol de cygnes ploys,</div> + <div class="verse">Le vol tardif et sr des prophtiques ailes</div> + <div class="verse">Qui m'invite au sommeil des ondes ternelles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Va: la chair que la mort heureuse requrait</div> + <div class="verse">S'vanouit parmi les choses, sans regret,</div> + <div class="verse">Maintenant que tu m'as affranchi de moi-mme</div> + <div class="verse">Et que tu peux, matresse enfin du double emblme,</div> + <div class="verse">Descendre vers les serfs de la glbe et des murs</div> + <div class="verse">Et, selon le vouloir des trois monstres obscurs,</div> + <div class="verse">Tendre le rameau d'or ou frir de l'pe.</div> + </div> +</div> + +<p>L'<span class="small">HOMME</span> disparat sous les eaux immobiles, sous les eaux +paisses o ne palpite aucune lueur. L'<span class="small">ERRANTE</span> contemple longuement +le lac d'ombre monotone, puis marche, aurole par la +gloire du matin, vers les plaines et vers les villes orientales, +tandis que sa voix dans la solitude chante les batailles futures.</p> + +<p class="p">L'ERRANTE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Homme, revis en moi. Dans ma dextre crispe</div> + <div class="verse">Je serre puissamment le pommeau froid du glaive</div> + <div class="verse">Et si le monstre ancien se rebelle et se lve,</div> + <div class="verse">Je rougirai le sol de sa tte coupe,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Moi, celle qui connat les suprmes paroles</div> + <div class="verse">Et toute la douleur avec toute la joie;</div> + <div class="verse">Je chasserai le loup et l'hyne de proie</div> + <div class="verse">Et je veux emporter les royales corolles</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Que les dragons jaloux gardaient des mains humaines:</div> + <div class="verse">Afin que le parfum des roses inconnues,</div> + <div class="verse">Epars farouchement sous la vote des nues,</div> + <div class="verse">Suscite dans les cœurs les dsirs et les haines,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je viens vous, frres penchs sur les emblaves,</div> + <div class="verse">Attels la meule au fond de l'ergastule;</div> + <div class="verse">Mon verbe lacrant l'antique crpuscule</div> + <div class="verse">Souffle une me de pourpre vos mes d'esclaves;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Redressez-vous; sarclez les herbes parasites:</div> + <div class="verse">Lancez contre le ciel les pierres de vos geles,</div> + <div class="verse">Et que les murs vaincus par vos fortes paules</div> + <div class="verse">Vous ouvrent le jardin des terres interdites</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O, plus belles, des fleurs de rve vont clore</div> + <div class="verse">En butin triomphal pour les races venges,</div> + <div class="verse">Tandis que le sang vil des btes gorges</div> + <div class="verse">Se mle par mon glaive au sang pur de l'aurore.</div> + </div> +</div> + + + + +<h3>VERS L'AURORE</h3> + +<p class="dedic"><i>A A.-FERDINAND HEROLD</i></p> + + + +<h4 id="p14">LES AUMONIRES</h4> + +<p class="dedic"><i>A A.-F. Plicque.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sur la grve qu'avaient souille</div> + <div class="verse">Les conqurants et les hros,</div> + <div class="verse">Prs de la mer pacifie</div> + <div class="verse">Pleine des frissons auguraux,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les poings perdus dans les crinires</div> + <div class="verse">De leurs chevaux roses et blancs,</div> + <div class="verse">C'taient les bonnes aumnires</div> + <div class="verse">Qui reviennent tous les mille ans.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Cymodoce, Aglaure, Euryanthe,</div> + <div class="verse">Au caprice d'un galop fou</div> + <div class="verse">Elles passaient; leur flamboyante</div> + <div class="verse">Chevelure brlait leur cou.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Lvres douces comme la soie,</div> + <div class="verse">Lumineuses comme les cieux,</div> + <div class="verse">Elles chantaient un chant de joie</div> + <div class="verse">Vers l'Ocan mystrieux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tandis que vibraient des abeilles</div> + <div class="verse">Autour des talons loyaux,</div> + <div class="verse">Elles plongeaient dans des corbeilles</div> + <div class="verse">Leurs bras riches de lourds joyaux</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et brandissant leurs mains sacres,</div> + <div class="verse">Bonnes au yeux chargs de pleurs,</div> + <div class="verse">Parmi les vagues empourpres</div> + <div class="verse">Semaient d'impriales fleurs;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Car les coroles millnaires</div> + <div class="verse">Eparses en vol d'Orient</div> + <div class="verse">Calment les antiques colres</div> + <div class="verse">Et charment le vieil Ocan.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p15">MARE TENEBRARUM</h4> + +<p class="dedic"><i>A Emile Gall.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Durant les jours de brume et les soirs sans toiles</div> + <div class="verse">Le vent triste a fan la pourpre de nos voiles;</div> + <div class="verse">Mais nos cœurs s'attardant aux soleils rvolus</div> + <div class="verse">Oubliaient le deuil vain des flux et des reflux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La barque tressaillait de la poupe la proue</div> + <div class="verse">Avec le ronflement d'un cheval qui s'broue;</div> + <div class="verse">Mais nos cœurs enchants de chants vanouis</div> + <div class="verse">Oubliaient la clameur des vagues et des nuits.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Hier l'Aurore brusque a jailli de nos rves;</div> + <div class="verse">Le marbre bleu des mers et l'or fauve des grves</div> + <div class="verse">Eblouissaient nos yeux brls par les embruns</div> + <div class="verse">Et le dragon rostral s'enivrait de parfums.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais l'ombre en flocons noirs a neig sur nos mes,</div> + <div class="verse">L'ombre que nul soleil ne fondra de ses flammes</div> + <div class="verse">Et dj le dragon, loin des havres heureux,</div> + <div class="verse">Mord les antiques flots glacs et tnbreux.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p16">LE PLERINAGE HORS DE L'OMBRE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Remy de Gourmont.</i></p> + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ame riche de nuit, d'toiles et de rves</div> + <div class="verse">Qui puisas des trsors aux urnes d'un tombeau</div> + <div class="verse">N'abandonneras-tu jamais tes blmes grves</div> + <div class="verse">Pour cette ville en fleurs sous le printemps nouveau?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ame riche de nuit, mon me, tu recles</div> + <div class="verse">Assez d'astres perdus et de soleils teints:</div> + <div class="verse">Viens connatre la chair et les lvres de celles</div> + <div class="verse">Qui tendent leurs seins nus aux pourpres des matins</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et font en souriant l'aurore sereine</div> + <div class="verse">Fluer entre leurs doigts le sable et leurs cheveux,</div> + <div class="verse">Pour que, vivante enfin, ma bouche amre apprenne</div> + <div class="verse">A goter le miel blond des heures. Tu le veux,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ame lasse dj des ivresses futures,</div> + <div class="verse">Toi qui n'as rien chri que les pleurs et la mort:</div> + <div class="verse">Le vent gonfle d'amour les voiles toujours pures:</div> + <div class="verse">Loin de l'le o la blanche Hymnis repose et dort,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pour moi seul, dans le vain cnotaphe des roses,</div> + <div class="verse">Nous irons conqurir son corps ressuscit;</div> + <div class="verse">Sans doute elle revit par les mtempsycoses</div> + <div class="verse">Sur le sol oublieux que parait sa beaut</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et parmi les parfums sauvages des galres,</div> + <div class="verse">Les chiens, les portefaix qui geignent en marchant,</div> + <div class="verse">Elle va, lourde encor des gloires tumulaires,</div> + <div class="verse">Sans que nul ait compris la douceur de son chant.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'cume viole a neig de la proue;</div> + <div class="verse">Les mauves qui mouillaient leurs plumes aux flots noirs</div> + <div class="verse">Ont secou le sel des vagues sur ma joue.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le sel des vagues! Tels les pleurs d'antiques soirs</div> + <div class="verse">Enrichirent jadis de gemmes dissipes</div> + <div class="verse">Ces yeux fous aujourd'hui d'aventure et d'espoirs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Puis la fort flamba de cruelles pes;</div> + <div class="verse">Mais plus d'ombre tombait des branchages pieux</div> + <div class="verse">Pour voiler le sommeil inquiet des Napes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ainsi les pres bois ont dfendu mes yeux</div> + <div class="verse">Jadis et quand le jour en troublait l'eau tranquille,</div> + <div class="verse">Ils talaient dans l'air leur deuil imprieux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Or maintenant, voici les portes de la ville;</div> + <div class="verse">Je franchirai les murs sans dsir de retour</div> + <div class="verse">Heureux si dans la solitude o je m'exile</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'ombre descend sur moi du temple et de la tour.</div> + </div> +</div> + + +<h5>III</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Farouche de voir les aurores</div> + <div class="verse">Et les soleils panouis,</div> + <div class="verse">L'eau tressaillait dans les amphores</div> + <div class="verse">Sur la marge grise des puits</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les tnbres souterraines,</div> + <div class="verse">Les iris de sombre cristal</div> + <div class="verse">Se fltrissaient comme des reines</div> + <div class="verse">Captives d'un soudard brutal.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les servantes et les esclaves</div> + <div class="verse">Riaient l'entour; mais tu vins,</div> + <div class="verse">Et tu voilas de voiles graves</div> + <div class="verse">Les filles des antres divins.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Protectrice des eaux dolentes</div> + <div class="verse">Qui sais les rites d'autrefois,</div> + <div class="verse">J'ai tremp mes lvres tremblantes</div> + <div class="verse">A la coupe triste o tu bois:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Souviens-toi d'heures et d'annes</div> + <div class="verse">Et de soleils, tends les mains</div> + <div class="verse">Vers les clmatites fanes,</div> + <div class="verse">Vers les toiles des jasmins;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et sur la terre des merveilles</div> + <div class="verse">Que pavoisaient de nobles cieux</div> + <div class="verse">Fais refleurir les belles treilles</div> + <div class="verse">De nos jardins silencieux.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p17">NATIVIT</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'enfant n de la terre et libr par elle</div> + <div class="verse">Tendit, farouche et nu, son torse imprieux</div> + <div class="verse">Hors de l'antre o mourait la nuit surnaturelle;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais la brusque splendeur du soleil et des cieux,</div> + <div class="verse">Lacrant l'ombre avec des griffes empourpres,</div> + <div class="verse">Ne fit pas tressaillir l'eau calme de ses yeux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dsormais ddaigneux des fontaines sacres,</div> + <div class="verse">Il buvait puissamment la lumire et l'orgueil,</div> + <div class="verse">O tnbres en pleurs, mres ventres!</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et quand il eut vaincu les lianes du seuil</div> + <div class="verse">Et dploy sa chevelure dans l'aurore,</div> + <div class="verse">Les arbres lui chantaient un chant de bon accueil.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dans l'allgresse de la force qui s'essore</div> + <div class="verse">Il marchait travers la natale fort,</div> + <div class="verse">Attentif aux frissons du feuillage sonore;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Autour de lui le vol des abeilles vibrait</div> + <div class="verse">Et le miel embaumant ses lvres fatidiques</div> + <div class="verse">Rvlait son cœur l'ineffable secret</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">De la vie immortelle et des sves antiques.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p18">LE CHVRE-PIEDS</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sous cette roche en pleurs o dort la femme nue,</div> + <div class="verse">Nuage d'aube parse en la menteuse nuit,</div> + <div class="verse">Le chvre-pieds regarde travers l'eau qui flue</div> + <div class="verse">Les lointaines maisons de labeur et de bruit.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les tristes paysans se penchent vers la glbe</div> + <div class="verse">Pour un baiser de serfs et de jaloux amants</div> + <div class="verse">Dont la bouche haineuse voque de l'Erbe</div> + <div class="verse">L'or futur des pis et des riches froments.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Avares de moissons qui fatiguent les granges,</div> + <div class="verse">Ils mprisent l'aurore et les soleils couchants</div> + <div class="verse">Et leur oreille est close aux paroles tranges</div> + <div class="verse">Qui montent des taillis, des sources et des champs;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et la charrue, avec les jours et les annes,</div> + <div class="verse">Impitoyable au deuil des bois mystrieux</div> + <div class="verse">Offense la beaut des forts profanes</div> + <div class="verse">O rdaient librement les fauves et les dieux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais le sylvain survit la sylve abattue;</div> + <div class="verse">Dans l'antre encor voil de feuillage, sa chair</div> + <div class="verse">Immortelle, travers les sicles, perptue</div> + <div class="verse">Le grand frisson d'amour qui fait tressaillir l'air;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et dans les flancs d'une passante solitaire</div> + <div class="verse">Il sme au chant des eaux et des rameaux flottants</div> + <div class="verse">Des fils aventureux affranchis de la terre</div> + <div class="verse">En qui bout la jeunesse hroque des temps.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p19">FLAMMES</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Parmi les cres fleurs des lauriers, cette voix</div> + <div class="verse">vocatrice en nous de gloire rvolue</div> + <div class="verse">manait de la mer, du soir et d'autrefois:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Enfants tristes, penchs vers l'ombre, l'ombre afflue</div> + <div class="verse">Et monte jusqu' vos lvres avec les flots</div> + <div class="verse">Dont vous enivriez votre me irrsolue.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La sculaire nuit opprime vos yeux clos,</div> + <div class="verse">Enfants tristes, et vos poitrines lacres</div> + <div class="verse">Se gonflent lchement de striles sanglots.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Si votre bouche a soif des aubes empourpres</div> + <div class="verse">Et du sang lumineux qui sacre le matin</div> + <div class="verse">Quel sortilge encor vous attrait aux vespres?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">D'un geste, dans la nuit, dcisif et hautain,</div> + <div class="verse">Reniez le poison des ondes lthennes</div> + <div class="verse">Et marchez sans retour vers un autre destin.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Frntiques, hors des tnbres anciennes</div> + <div class="verse">Nous avons fait jaillir dans le ciel morne et noir</div> + <div class="verse">Une farouche aurore la cime des chnes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et dociles au cri de dsir et d'espoir,</div> + <div class="verse">Nous respirons les roses rouges de la joie,</div> + <div class="verse">Depuis que djouant les embches du soir</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La torche avec l'pe notre poing flamboie.</div> + </div> +</div> + + + + +<h3>LE JARDIN DE CASSIOPE</h3> + +<p class="dedic"><i>A ALFRED VALLETTE</i></p> +<blockquote class="epi"> +<p>Cassiope, s'tant dclare, par orgueil, +plus belle que les Nrides, dut exposer +au monstre marin sa fille Andromde, +qui fut dlivre par Perse. Aprs sa +mort, Cassiope fut mise au rang des +Constellations.</p> + +<p class="attr">(<span class="sc">Mythographes Grecs.</span>)</p> +</blockquote> + + + +<h4 id="p20">LE JARDIN DE CASSIOPE</h4> + + +<p class="p">L'HOMME</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sans matins blancs et sans toiles dans la nuit,</div> + <div class="verse">A travers le brouillard o soufflait le vent rude,</div> + <div class="verse">J'ai chemin de solitude en solitude</div> + <div class="verse">N'ayant pour compagnon que l'immuable ennui.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Derrire les rocs noirs qui portent le ciel triste,</div> + <div class="verse">Monotone, la mer invisible pleurait;</div> + <div class="verse">Et jusqu' l'horizon barr par la fort,</div> + <div class="verse">Les maigres tamaris et l'pre fleur du ciste.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Puis des jours mornes dans le silence des bois</div> + <div class="verse">Pesrent sur mon front en gouttes d'ombre lourde:</div> + <div class="verse">Nul bruit d'oiseau qui chante ou de source qui sourde</div> + <div class="verse">N'a dissip l'horreur d'our ma seule voix;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et ce fut nouveau la lande grise et plate,</div> + <div class="verse">La houle des genvriers et des ajoncs,</div> + <div class="verse">Que n'illustra jamais de tragiques rayons</div> + <div class="verse">Quelque couchant royal au manteau d'carlate.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais le riche verger m'attend. O treilles d'or,</div> + <div class="verse">Saurai-je encor saisir vos grappes immortelles,</div> + <div class="verse">Les mains lasses d'avoir cueilli des asphodles</div> + <div class="verse">Et de sombres pavots qui conseillent la mort?</div> + </div> +</div> + +<p class="p">CASSIOPE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Qui que tu sois, passant envoy par le sort,</div> + <div class="verse">Venu des tnbreux chemins, franchis la haie,</div> + <div class="verse">Cueille d'un seul regard toute la roseraie,</div> + <div class="verse">Que ses vivants parfums te sauvent de la mort!</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tends les mains; le verger de force et de liesse</div> + <div class="verse">Que n'a pas envahi l'ombre du dernier dieu</div> + <div class="verse">T'offre les raisins clairs, les oranges de feu,</div> + <div class="verse">Et si ta lvre a soif d'amour, l'aube acquiesce,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La mer chante; appel par les conques des flots,</div> + <div class="verse">Aprs les jours ou les longs mois de bonne halte,</div> + <div class="verse">Tu partiras: le vin des amphores exalte</div> + <div class="verse">L'orgueil viril et pur qui sacre les hros</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et son baume puissant dlivre l'me esclave;</div> + <div class="verse">Tu partiras dans la splendeur d'un soir d't</div> + <div class="verse">Tel que le soleil rouge au ciel ensanglant</div> + <div class="verse">Teigne en pourpre l'embrun de neige sous l'trave.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tourbillonne le vol des typhons ploys!</div> + <div class="verse">Qu'importe au plerin ddaigneux et farouche</div> + <div class="verse">Ivre ternellement d'avoir bu sur ma bouche</div> + <div class="verse">Le mpris du ciel vide et des dieux renis!</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p21">VOIX DERRIRE LA HAIE</h4> + + +<p class="l10"><i>VENDMIAIRE</i></p> +<p class="c">LES VENDANGEURS</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les sarments rampaient entre les pierres</div> + <div class="verse">Ou montaient au tronc rugueux des ormes,</div> + <div class="verse">Tordus et nous en nœuds difformes</div> + <div class="verse">Comme des orvets et des vipres.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Courbs sous le fouet des rois avares,</div> + <div class="verse">Nous avons vers nos pleurs, nos peines;</div> + <div class="verse">Nous avons ouvert nos ples veines,</div> + <div class="verse">Nous avons nourri les vignes rares;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Nous avons pill les ceps d'automne;</div> + <div class="verse">Le mot bruissait au fond des cuves,</div> + <div class="verse">Pour les matres, saouls de chauds effluves,</div> + <div class="verse">Le sang de nos cœurs emplit la tonne.</div> + </div> +</div> + + +<p class="l10"><i>NIVOSE</i></p> +<p class="c">LES COUPEURS DE ROSEAUX</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'eau langoureuse endormait les saules;</div> + <div class="verse">Vers le dclin des tides journes</div> + <div class="verse">Elle frlait de lvres pmes</div> + <div class="verse">Les seins roses, les blanches paules.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le chœur estival des femmes nues</div> + <div class="verse">Plus doux que le chant des tourterelles</div> + <div class="verse">Propageait parmi les roseaux grles</div> + <div class="verse">Le frisson de volupts inconnues.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Roseaux, vous clorez nos pauvres huttes.</div> + <div class="verse">D'autres prendront vos fragiles mes;</div> + <div class="verse">Ils voqueront les belles femmes</div> + <div class="verse">Avec la voix magique des fltes.</div> + </div> +</div> + + +<p class="l10"><i>FLORAL</i></p> +<p class="c">LES TISSERANDS</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Notre peau s'use au fer des navettes,</div> + <div class="verse">Notre peau gerce tistre la soie;</div> + <div class="verse">Dehors le printemps chante et flamboie:</div> + <div class="verse">Nous ne connaissons ni fleurs ni ftes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Toujours notre front dolent s'incline</div> + <div class="verse">Vers le mtier ds la prime aurore;</div> + <div class="verse">Toujours nos doigts fans font clore</div> + <div class="verse">De fraches fleurs dans l'toffe fine.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et sur le linceul et sur les langes</div> + <div class="verse">Des empereurs porphyrogntes</div> + <div class="verse">Nous entrelaons les fauves btes</div> + <div class="verse">Qui rdent dans nos songes tranges.</div> + </div> +</div> + + +<p class="l10"><i>THERMIDOR</i></p> +<p class="c">LES MARINS</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Nous avons dompt les mers funbres</div> + <div class="verse">Et vaincu leurs gueules forcenes:</div> + <div class="verse">La lpre mord nos mains dcharnes</div> + <div class="verse">Ronge la moelle de nos vertbres.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">En vain le soleil d't rayonne:</div> + <div class="verse">Car nous nous tranons dans les venelles,</div> + <div class="verse">Grelottant de fivres ternelles,</div> + <div class="verse">Et sur nos os la laine frissonne.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Cependant nous portions dans la cale</div> + <div class="verse">La poudre d'or et les aromates</div> + <div class="verse">Et de souples filles aux chairs mates</div> + <div class="verse">Mres de lumire orientale.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p22">LA DOULEUR A CRI</h4> + + +<p class="p">L'HOMME</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La douleur a cri du fond des belles heures.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les roses du jardin, le parfum que tu fleures</div> + <div class="verse">L'opulente senteur de l't triomphant</div> + <div class="verse">S'vanouit; le meurtre souffle avec le vent:</div> + <div class="verse">La douleur a cri du fond des belles heures.</div> + </div> + + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pantelante, Andromde agonise jamais.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Un suprme baiser aux lvres que j'aimais,</div> + <div class="verse">Et dans le rouge soir je brandirai l'pe,</div> + <div class="verse">Puisque hors du verger calme, Cassiope,</div> + <div class="verse">Pantelante, Andromde agonise jamais</div> + </div> + + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais l'invincible orgueil vit dans les treize toiles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Si la tempte hurle et lacre les voiles,</div> + <div class="verse">J'attends sans peur l'assaut des vagues et des cieux;</div> + <div class="verse">Les astres immortels rconfortent mes yeux</div> + <div class="verse">Et l'invincible orgueil vit dans les treize toiles.</div> + </div> +</div> + + + + +<h2>LA GLOIRE DU VERBE</h2> + + + + +<h3>LA GLOIRE DU VERBE</h3> + +<p class="dedic"><i>A CAMILLE BLOCH</i></p> + + + +<h4 id="p23">LA GLOIRE DU VERBE</h4> + + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Une nuit langoureuse et sereine enveloppe</div> + <div class="verse">D'un cercle de lapis ouvr de roses d'or</div> + <div class="verse">Les barques, essaim las de cygnes sans essor,</div> + <div class="verse">Les palmiers, les canaux, les plaines et Canope;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et des flambeaux pareils des soleils couchants</div> + <div class="verse">Illuminent la soie et les gemmes persanes.</div> + <div class="verse">Tandis qu'au rire aigu des jeunes courtisanes</div> + <div class="verse">Les nefs, lourdes d'amour, glissent avec des chants.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les esclaves courbs effleurent de leurs rames</div> + <div class="verse">Les papyrus gants teints de brves clarts</div> + <div class="verse">Et l'eau lente roulant des flots de volupts</div> + <div class="verse">O se mirent les yeux et les seins nus des femmes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais non loin, sourd au bruit sacrilge que font</div> + <div class="verse">Les voix des matelots, les fltes et les harpes</div> + <div class="verse">Le gurisseur voil de ses triples charpes</div> + <div class="verse">Ossar-Hapi sommeille en son temple profond;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et de vagues lueurs parses sur les dalles</div> + <div class="verse">Eclairent tristement de leurs reflets confus</div> + <div class="verse">Les suppliants couchs auprs des grles fts</div> + <div class="verse">En un ftide amas de chairs et de sandales.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Seul debout dans sa force et sa beaut, parmi</div> + <div class="verse">Les plerins perclus de maux, rongs d'ulcres,</div> + <div class="verse">Mais tel que le gant dchir par les serres</div> + <div class="verse">Du vautour, un Hellne orgueilleux et blmi</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Evoque sans trembler le prince du mystre:</div> + <div class="verse">O matre, hte cach du sanctuaire, Roi,</div> + <div class="verse">Vierge d'tonnement puril et d'effroi,</div> + <div class="verse">J'ai connu tous les dieux du ciel et de la terre,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Atroces et clments, magnifiques et laids</div> + <div class="verse">Et j'ai pri selon l'ordonnance des rites</div> + <div class="verse">Prs du fleuve farouche o chantent les lychnites</div> + <div class="verse">Dans la splendeur des clairs de lune violets</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et l-bas, o les daims paissent la mousse rase</div> + <div class="verse">Sous les neiges de la fabuleuse Thul,</div> + <div class="verse">J'ai lu le sort crit dans l'azur constell</div> + <div class="verse">Par les nuits qu'une aurore inoubliable embrase;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais nul n'a dit le mot que j'ai cherch longtemps</div> + <div class="verse">Et qui me gurirait des angoisses de l'me:</div> + <div class="verse">Parle, sinon la mort prochaine me rclame</div> + <div class="verse">Et l'horreur d'ignorer me consume: j'attends.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Alors des profondeurs et des tnbres saintes</div> + <div class="verse">Comme un jeune soleil sort des gouffres marins,</div> + <div class="verse">Blanche, laissant couler des paules aux reins</div> + <div class="verse">Ses cheveux o nageaient de ples hyacinthes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Une femme surgit: son manteau radieux</div> + <div class="verse">Revtait son beau corps d'une pourpre vivante;</div> + <div class="verse">Des abmes d'amour, de joie et d'pouvante</div> + <div class="verse">O sombrerait l'esprit des hommes et des dieux</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">S'ouvraient terriblement dans ses larges prunelles</div> + <div class="verse">Et les villes, les champs, les cimes, les dserts,</div> + <div class="verse">La mer prodigieuse et l'infini des airs</div> + <div class="verse">Semblaient se rflchir et disparatre en elles;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et lorsqu'elle parla, son ineffable voix</div> + <div class="verse">Unissait aux chos des lyres et des sistres</div> + <div class="verse">Le souffle des baisers et les rles sinistres</div> + <div class="verse">De la haine et le bruit des vagues et des bois:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Marcheur pensif, enfant prdestin qui nies</div> + <div class="verse">Les songes et l'espoir de ton cœur puril,</div> + <div class="verse">Tu vas, merveill des floraisons d'avril</div> + <div class="verse">Et des soirs frissonnant de calmes harmonies;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tu regardes avec des tendresses d'amant</div> + <div class="verse">Les nuages lgers ouvrir leurs ailes closes</div> + <div class="verse">A l'aube, et comme un vol de flamants blancs et roses</div> + <div class="verse">S'lever dans les champs du ciel perdument;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Volontaire captif de l'ternelle Omphale</div> + <div class="verse">Tu parles bas aux Vierges chastes et tu sais</div> + <div class="verse">Faire chanter aux corps ardemment enlacs</div> + <div class="verse">Des hymnes inous d'impudeur triomphale;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ton esprit altr de dsirs immortels</div> + <div class="verse">Epuiserait encor la coupe des prires,</div> + <div class="verse">Ta parole dment tes attitudes fires</div> + <div class="verse">Et tu t'es prostern devant tous les autels.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais toujours au milieu de tes extases vaines</div> + <div class="verse">Le mensonge des dieux et des lvres te point</div> + <div class="verse">Et tu verses, du d'aimer ce qui n'est point,</div> + <div class="verse">Tous les pleurs de tes yeux et le sang de tes veines.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Si tu n'treins que des chimres, si tu bois</div> + <div class="verse">L'enivrement de vins illusoires, qu'importe?</div> + <div class="verse">Le soleil meurt, la foule imaginaire est morte</div> + <div class="verse">Mais le monde subsiste en ta seule me: vois!</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les jours se sont fans comme des roses brves,</div> + <div class="verse">Mais ton Verbe a cr le mirage o tu vis</div> + <div class="verse">Et je nais tes yeux de tes regards ravis</div> + <div class="verse">Et je garde jamais la gloire de tes rves.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La forme s'effaa, la parole se tut,</div> + <div class="verse">Et dlivr du poids antrieur des chanes,</div> + <div class="verse">L'homme plana plus haut que les heures prochaines</div> + <div class="verse">Et comme tout, canaux, cit, temple abattu</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">S'enfonait lentement dans la brume amasse</div> + <div class="verse">Sur le fond tnbreux des tres et des temps,</div> + <div class="verse">Pure clart, pistils de rayons clatants,</div> + <div class="verse">Il vit s'panouir la fleur de sa pense.</div> + </div> +</div> + + + + +<h3>LES MYTHES</h3> + +<p class="dedic"><i>A MARCEL COLLIRE.</i></p> + + + +<h4 id="p24">L'AVENTURIER</h4> + +<p class="dedic"><i>A Charles Andler.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L-haut, temple ou palais dress sur la colline,</div> + <div class="verse">Un amoncellement de blocs prodigieux</div> + <div class="verse">Monte: des chiens de bronze aux yeux de cornaline</div> + <div class="verse">Hurlent aux quatre vents, la gueule vers les cieux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les murs massifs, coupes de portes mtalliques,</div> + <div class="verse">Sont caills de cuivre et peints de vermillon;</div> + <div class="verse">Au fate, le soleil frappe de feux obliques</div> + <div class="verse">Un tendard taill dans la peau d'un lion.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pacifiques, devant la demeure farouche,</div> + <div class="verse">Des rosiers rouges et des lys parent le bois</div> + <div class="verse">O passe, inoffensive aux roses qu'elle touche,</div> + <div class="verse">L'enfant belle dompter les hros et les rois.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le calme lumineux du jour mourant caresse</div> + <div class="verse">L'enfant grave: elle glisse entre les nobles fleurs</div> + <div class="verse">Avec des gestes lents d'idole ou de prtresse</div> + <div class="verse">Qui n'a jamais connu le rire ni les pleurs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Elle va, contemplant de ses larges prunelles</div> + <div class="verse">Les vagues de forts qui ferment l'horizon</div> + <div class="verse">Et le val o le soir vt d'ombres solennelles</div> + <div class="verse">Le matre hriss d'une horrible toison.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">C'est son pre, tueur de bœufs, ployeur de chnes;</div> + <div class="verse">Embusqu tel qu'un fauve aux aguets, il attend</div> + <div class="verse">Les voyageurs qui vont vers les cits prochaines</div> + <div class="verse">Et fait craquer leurs os en ses doigts de Titan.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Puis il revient, tranquille, aprs chaque tuerie,</div> + <div class="verse">Courb sous le butin comme un roi triomphant,</div> + <div class="verse">Et tandis que les morts saignent dans la prairie</div> + <div class="verse">Suspend de lourds colliers au cou de son enfant.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Maintenant une nuit de lune, froide et claire,</div> + <div class="verse">Dcoupe le profil des monts sur les chemins;</div> + <div class="verse">Le meurtrier fatal, sans haine et sans colre,</div> + <div class="verse">Ecoute s'approcher un bruit de pas humains.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et voici qu'au dtour de la route moussue</div> + <div class="verse">Apparat, radieux sous l'armure qui luit,</div> + <div class="verse">Un guerrier casqu d'or qui porte une massue</div> + <div class="verse">Et dont le manteau rouge illumine la nuit.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le Tueur, allong dans la broussaille, pie</div> + <div class="verse">Le Hros ddaigneux en marche vers la mort;</div> + <div class="verse">Mais celui-ci, clamant vers la muraille impie,</div> + <div class="verse">Rveille les chos de la fort qui dort:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je suis venu; hors du repaire, vainqueur d'hommes!</div> + <div class="verse">Si tu fuis devant moi je dirai que tu mens;</div> + <div class="verse">Mais tu mriteras le nom dont tu te nommes</div> + <div class="verse">Si tu peux m'touffer dans tes embrassements.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">—Soit! ta bouche saura la saveur de la terre.</div> + <div class="verse">Et l'antique lutteur se dresse avec ennui</div> + <div class="verse">Pour craser d'un coup de poing et faire taire</div> + <div class="verse">L'phbe injurieux qui parla devant lui.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ils se prennent, poitrine unie et chair mle,</div> + <div class="verse">Groupe tumultueux de rles et de cris:</div> + <div class="verse">L'enfant calme regarde, au fond de la valle,</div> + <div class="verse">Le meurtre habituel du haut des monts fleuris.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Elle voit seulement se mouvoir dans la plaine</div> + <div class="verse">L'ombre du double corps et des torses jumeaux</div> + <div class="verse">Et sre du vainqueur, s'enivre avec l'haleine</div> + <div class="verse">Des parfums langoureux pars sous les rameaux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais tout coup, aprs une clameur sauvage,</div> + <div class="verse">Ses impassibles yeux se ferment de terreur:</div> + <div class="verse">Comme un bœuf abattu dans le natal herbage,</div> + <div class="verse">L'invincible est couch sous le jeune lutteur.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et le guerrier sanglant, par les pentes ardues,</div> + <div class="verse">Monte vers le jardin: Vous serez apaiss,</div> + <div class="verse">O morts, je vengerai vos mes perdues</div> + <div class="verse">Et la victime est belle et vierge de baisers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O morts, je vais tuer dans la Fille maudite</div> + <div class="verse">Les excrables fils qui natraient de ses flancs.</div> + <div class="verse">Il dit et vient, hagard du meurtre qu'il mdite</div> + <div class="verse">Et l'Enfant parle aux fleurs et tend ses bras tremblants:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'Homme vous briserait avec ses mains brutales,</div> + <div class="verse">Roses que je laissais fleurir et dfleurir;</div> + <div class="verse">Un arome puissant monte de vos ptales,</div> + <div class="verse">Vos parfums sont trop doux pour que j'aime mourir.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ma chair frissonne; sauvez-moi, fleurs protectrices.</div> + <div class="verse">O lys, lys glorieux que je n'ai pas cueillis,</div> + <div class="verse">Je voudrais me cacher dans vos troits calices</div> + <div class="verse">Et refermer sur nous le voile des taillis.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Au moins, versez en moi vos senteurs: que j'emporte</div> + <div class="verse">Dans le morne pays vos baumes prcieux,</div> + <div class="verse">O fleurs qui renatrez lorsque je serai morte,</div> + <div class="verse">Fleurs, ternelles fleurs, fleurs gales aux dieux!</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Elle murmure encor des mots et des prires</div> + <div class="verse">Mais le vainqueur, surgi des pres escaliers,</div> + <div class="verse">Trane par les cheveux l'Enfant dans les clairires</div> + <div class="verse">Et fait boire son sang aux roses des halliers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">J'ai tu le Brigand et la Magicienne,</div> + <div class="verse">L'œuvre est bonne: luisez sur ma route, astres purs!</div> + <div class="verse">Et l'Ephbe drap dans la pourpre ancienne,</div> + <div class="verse">Se hte dans la nuit vers les monstres futurs.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p25">LE BOIS SACR</h4> + +<p class="dedic"><i>A Lucien Lvy</i></p> + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Resplendissante, au pied du mont mystrieux,</div> + <div class="verse">La troupe formidable et blonde des guerrires</div> + <div class="verse">Gardait, la lance au poing, les farouches clairires</div> + <div class="verse">Et la fort terrible o sommeillent les dieux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et tous venaient vers la tnbreuse valle</div> + <div class="verse">Sous les casques de bronze et les boucliers ronds,</div> + <div class="verse">Vtus de fer et d'or par de bons forgerons,</div> + <div class="verse">Tous les hros pris de gloire inviole.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Frappant le ciel muet de sauvages clameurs,</div> + <div class="verse">Tous par les nuits, par les matins, par les vespres,</div> + <div class="verse">Ils venaient au galop des licornes cabres:</div> + <div class="verse">Nous verrons votre face, excrables semeurs</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des dsirs, des baisers et des larmes humaines;</div> + <div class="verse">O voyageurs hagards qui hurlez dans le vent,</div> + <div class="verse">Nos bras toufferont votre souffle vivant</div> + <div class="verse">Et nous tuerons en vous nos amours et nos haines.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Si vous ne craignez pas nos glaives, approchez:</div> + <div class="verse">Votre rire cruel insulte nos misres.</div> + <div class="verse">O vautours, nous irons vous prendre dans vos aires,</div> + <div class="verse">O loups, nous forcerons vos repaires cachs!</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tous se ruaient: l-haut, sous les sombres ramures,</div> + <div class="verse">Les calmes dieux semblaient immobiles et sourds.</div> + <div class="verse">Mais brandis par les mains des guerrires, toujours</div> + <div class="verse">Les javelots stridents vibraient sur les armures.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les hros, vainqueurs de monstres, les tueurs</div> + <div class="verse">Des dragons enflamms, des hydres et des stryges</div> + <div class="verse">Roulaient honteusement broys sous les quadriges.</div> + <div class="verse">Leurs yeux mi-clos rougis de mourantes lueurs</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Convoitaient les seins nus des prtresses complices</div> + <div class="verse">Qui, mprisant leurs cris et leurs rles derniers,</div> + <div class="verse">Joyeuses, bondissaient sur les rauques charniers</div> + <div class="verse">Et tendaient vers le ciel leurs mains triomphatrices.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Or le tumulte des batailles, ce jour-l,</div> + <div class="verse">Se tut comme la mer pendant les accalmies.</div> + <div class="verse">Sur les corps mutils et sur les chairs blmies</div> + <div class="verse">Le flot d'une ineffable aurore s'tala.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Un grave chant port par le souffle des brises</div> + <div class="verse">Montait de l'Orient lumineux et charmait,</div> + <div class="verse">pars autour des bois et du divin sommet,</div> + <div class="verse">Le cœur moins furieux des guerrires surprises:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et l'Ade parut couronn de cyprs;</div> + <div class="verse">Sa lyre se voilait de tristes asphodles</div> + <div class="verse">Et douloureusement les cordes immortelles</div> + <div class="verse">Pleuraient un chant d'amour, de deuil et de regrets.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">M'entends-tu dans le noir abme, chre morte,</div> + <div class="verse">Irrvocable fleur qu'un vent cruel emporte?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O lumire, comme une toile qui s'enfuit,</div> + <div class="verse">Ne briseras-tu pas les chanes de la nuit?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O sœur des soirs taills dans de larges opales,</div> + <div class="verse">O sont tes cheveux d'ombre, o sont tes lvres ples?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Vous qui l'avez ravie, dieux, je viens vous,</div> + <div class="verse">Rendez l'pouse absente aux baisers de l'poux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je vous ai clbrs dans mes strophes pieuses,</div> + <div class="verse">O matres qui sigez aux cimes merveilleuses:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais les rhythmes naissaient de ses rires: rouvrez</div> + <div class="verse">Les sources de l'amour et des hymnes sacrs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les guerrires des dieux coutaient comme en rve</div> + <div class="verse">Le doux profanateur en marche vers les bois,</div> + <div class="verse">Il passa; les chevaux s'cartaient sa voix</div> + <div class="verse">Et sa chair ddaignait la morsure du glaive.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Autour de lui, le vol des flches susurrait</div> + <div class="verse">Comme un essaim vaincu d'abeilles bienveillantes</div> + <div class="verse">Et sans our les cris des vierges effrayantes</div> + <div class="verse">L'Ade pacifique entra dans la fort.</div> + </div> +</div> + + +<h5>III</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">perdument, par les silencieuses sentes,</div> + <div class="verse">Il allait; ses regards piaient les fourrs</div> + <div class="verse">Taciturnes: sous les rameaux enchevtrs,</div> + <div class="verse">Nulle apparition de chairs blouissantes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'ombre informe, le noir silence, des parfums</div> + <div class="verse">Sauvages d'herbe frache et de fleurs surannes</div> + <div class="verse">Et, confondue avec les sves dchanes,</div> + <div class="verse">L'innombrable senteur des automnes dfunts.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Il allait; nulle voix effroyable ou charmante</div> + <div class="verse">Ne rpondait, nul bruit de fte ou de combats:</div> + <div class="verse">Seul, dans les antres, sous le ciel, ici, l-bas,</div> + <div class="verse">Le frisson fauve de la terre qui fermente.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Semblables au monceau des feuilles sous ses pas,</div> + <div class="verse">Ses rves, ses douleurs, ses penses</div> + <div class="verse">Tombaient en tournoyant dans les bises glaces</div> + <div class="verse">Et l'Ade comprit que les dieux n'taient pas.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Il perdit, se vouant aux stupides pes,</div> + <div class="verse">L'orgueil d'tre vaincu par un matre inclment,</div> + <div class="verse">Comme les hros morts frapps en blasphmant</div> + <div class="verse">Ivres d'un puissant vin de gloire et d'popes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et dpouill du fier rve des dieux jaloux,</div> + <div class="verse">Il brisa pour jamais les cordes tutlaires</div> + <div class="verse">Et descendit vers les clameurs et les colres,</div> + <div class="verse">Ainsi qu'un chasseur las se livre aux crocs des loups.</div> + </div> +</div> + + +<h5>IV</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'homme fut dchir par les vierges sanglantes;</div> + <div class="verse">La bouche d'o sortaient les paroles de miel</div> + <div class="verse">Se tut. La nuit sereine enveloppa le ciel</div> + <div class="verse">Et recouvrit les morts d'ombres indiffrentes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tandis que dfendant le mont mystrieux</div> + <div class="verse">La troupe formidable et blonde des guerrires</div> + <div class="verse">Gardait, la lance au poing, les farouches clairires</div> + <div class="verse">O triomphe toujours le mensonge des dieux.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p26">LES CAPTIFS</h4> + +<p class="dedic"><i>A Leconte de Lisle.</i></p> + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Un sage, descendant de cimes inconnues,</div> + <div class="verse">S'en allait autrefois par le pays d'Assour,</div> + <div class="verse">Et la mystrieuse aurore d'un grand jour</div> + <div class="verse">Empourprait, sa voix, le jardin blanc des nues.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les peuples le suivaient et ne comprenaient pas</div> + <div class="verse">Quels dieux, accompagnant la marche du prophte,</div> + <div class="verse">Candidement semaient dans les villes en fte</div> + <div class="verse">Des lys miraculeux et calmes sous ses pas.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais tous buvaient le miel divin de ses paroles,</div> + <div class="verse">Le miel fait de parfums et de baumes puissants,</div> + <div class="verse">Forts comme la senteur parse de l'encens,</div> + <div class="verse">Doux comme la senteur parse des corolles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pour s'enivrer des mots que sa bouche versait,</div> + <div class="verse">Les laboureurs quittaient le manche des charrues,</div> + <div class="verse">Et parmi la clameur des foules accourues</div> + <div class="verse">Le Voyant pacifique et sublime passait.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dsormais, ddaigneux des apparences brves</div> + <div class="verse">Et des illusions passagres, fermant</div> + <div class="verse">Leurs yeux purifis la clart qui ment,</div> + <div class="verse">Les hommes ouvraient l'me la splendeur des rves.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le roi, las des lions traqus dans les filets,</div> + <div class="verse">Las des buffles saignant sous la grle des flches,</div> + <div class="verse">Las des femmes aux chairs odorantes et fraches</div> + <div class="verse">Fit amener vers lui cet homme en son palais:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Vieillard, vocateur des merveilles du songe,</div> + <div class="verse">Jongleur qui fais surgir devant les yeux humains,</div> + <div class="verse">Dans la poussire impure et vile des chemins,</div> + <div class="verse">Des visions de paix, de gloire et de mensonge,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Vieillard, vocateur des merveilles du ciel,</div> + <div class="verse">Toi qui rgnes, l-bas, au pays du mystre,</div> + <div class="verse">Mon cœur royal du par l'horreur de la terre</div> + <div class="verse">Aspire la beaut du monde essentiel.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tel que le cri plaintif des tigres dans les fosses</div> + <div class="verse">Vient nous travers les cloisons de la nuit,</div> + <div class="verse">J'entends sourdre en moi-mme un lamentable bruit</div> + <div class="verse">Malgr le mur d'airain des apparences fausses.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O vieillard, fais tomber les mauvaises cloisons,</div> + <div class="verse">Montre-moi la campagne et les arbres des plaines</div> + <div class="verse">Et les fleuves d'azur roulant vagues pleines</div> + <div class="verse">Vers le gouffre sans fin des vierges horizons.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais l'homme d'une voix tranquille: Que t'importe,</div> + <div class="verse">O roi des rois, seigneur des mondes, fils des dieux,</div> + <div class="verse">Qui marches revtu de pourpre et radieux,</div> + <div class="verse">La rumeur entendue au del de la porte?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O matre, que veux-tu de la terre et des cieux?</div> + <div class="verse">Si je t'ouvre la source antique de la vie,</div> + <div class="verse">Je n'apaiserai pas ta soif inassouvie,</div> + <div class="verse">Et ton esprit d'orgueil n'en croira point tes yeux!</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">—Voil beaucoup de mots inutiles, prends garde:</div> + <div class="verse">Ta tte pourrait choir d'un coup prmatur.</div> + <div class="verse">Et l'homme rpondit: C'est bien. J'obirai:</div> + <div class="verse">Roi qui veux voir le fond de l'abme, regarde.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Hors du temps, hors du lieu, faite de pur granit,</div> + <div class="verse">Enserrant l'univers de ses noires murailles,</div> + <div class="verse">Rauque d'un monstrueux rle de funrailles,</div> + <div class="verse">Une immense prison montait dans l'infini.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Au milieu de la gele effroyable, les villes</div> + <div class="verse">S'tageaient sous le deuil des cieux; un flamboiement</div> + <div class="verse">D'astres sombres luisait pouvantablement</div> + <div class="verse">Sur les rois, sur les dieux, sur les foules serviles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais une lueur d'aube emperlait l'Orient</div> + <div class="verse">De magiques rayons et d'tincelles blondes:</div> + <div class="verse">Les hommes ns depuis la naissance des mondes</div> + <div class="verse">Se ruaient vers l'espoir du soleil, en criant.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ils allaient, perdus et fauves; les armes</div> + <div class="verse">Se heurtaient sous le vol sinistre des vautours;</div> + <div class="verse">Et les blocs de rochers pleuvaient des hautes tours,</div> + <div class="verse">Et les ailes du feu nageaient dans les fumes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les chefs vainqueurs, avant le rouge lendemain,</div> + <div class="verse">Offraient aux dieux d'en-haut les victimes tues</div> + <div class="verse">Et dressaient vers la cime errante des nues</div> + <div class="verse">Des palais effrayants tendus de cuir humain.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sourds aux tumultes, sourds aux luttes, mains unies,</div> + <div class="verse">Regards ravis d'extase et d'blouissements,</div> + <div class="verse">Des couples enlacs de femmes et d'amants</div> + <div class="verse">Passaient, dans un concert de tendres harmonies:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des ptales de fleurs apports par le vent</div> + <div class="verse">Tourbillonnaient vers eux dans l'ombre des yeuses:</div> + <div class="verse">Et tous, couples d'amour et hordes furieuses,</div> + <div class="verse">Marchaient, marchaient toujours vers le soleil levant.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais l'aube dsire et les futures gloires</div> + <div class="verse">De clarts dcevaient leurs risibles efforts,</div> + <div class="verse">Et mourant vainement pour renatre, les morts</div> + <div class="verse">Poursuivaient nouveau les astres illusoires.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La mme nuit baignait l'ternel horizon,</div> + <div class="verse">Et de ceux qui vaguaient dans la gele des choses</div> + <div class="verse">Et tchaient s'enfuir de leurs cavernes closes,</div> + <div class="verse">Aucun ne s'vadait de la morne prison.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Seuls, les sages tuaient la volont de vivre.</div> + <div class="verse">Aveugles aux lueurs que nul ne peut saisir,</div> + <div class="verse">Ils gagnaient, affranchis des chanes du dsir,</div> + <div class="verse">Le nant ineffable et la mort qui dlivre.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Bienheureux qui savaient la fatigue des pas,</div> + <div class="verse">Bienheureux qui savaient le mirage des astres,</div> + <div class="verse">Bienheureux qui savaient la vie et les dsastres:</div> + <div class="verse">Ils s'endormaient un jour et ne renaissaient pas.</div> + </div> +</div> + + +<h5>III</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La vision, vieillard, est morne et ridicule:</div> + <div class="verse">Tu mourras. Et le roi Nabou-Koudour-Oussour,</div> + <div class="verse">Trs juste, fit clouer au fate d'une tour</div> + <div class="verse">La tte qui saignait dans l'or du crpuscule.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p27">LES YEUX D'HLNE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Marcel Proust.</i></p> +<blockquote class="epi"> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Qualis maternis Helene jam digna palestris,</div> + <div class="verse">Inter amyclaeos reptabat candida fratres.</div> + </div> +</div> + +<p class="attr">(<span class="sc">P. Statius.</span>)</p> +</blockquote> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La native blancheur du cygne paternel.</div> + <div class="verse">Vt de neige le corps adorable d'Hlne,</div> + <div class="verse">Et l'eau du fleuve bleu qui glisse dans la plaine</div> + <div class="verse">Baigne ses yeux d'enfant profonds comme le ciel.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Elle va: ses regards de desse ingnue</div> + <div class="verse">Que jamais la tristesse impure n'a troubls</div> + <div class="verse">Errent nonchalamment sur les flots blonds des bls,</div> + <div class="verse">Et les hommes pensifs tremblent sa venue.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Elle voque l'horreur future des destins</div> + <div class="verse">Et verse le frisson des luttes fatidiques</div> + <div class="verse">Aux guerriers venir assis sous les portiques,</div> + <div class="verse">Dont les yeux blouis suivent ses pas lointains.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'effroi religieux issu de ses prunelles</div> + <div class="verse">Ardentes d'incendie et de fauves clarts</div> + <div class="verse">Saisit trangement les cœurs pouvants</div> + <div class="verse">Et pleins de visions sombres et solennelles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Passe, vierge terrible au col souple et nerveux:</div> + <div class="verse">L'inexpiable sang pour les sicles macule</div> + <div class="verse">Ton front clair comme un jour d't sans crpuscule</div> + <div class="verse">Et la mort des hros surgit de tes cheveux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Passe, reine d'amour, semeuse de dsastres,</div> + <div class="verse">Dans ta robe de gloire et de srnit,</div> + <div class="verse">Et vois fleurir les deuils autour de ta beaut,</div> + <div class="verse">Sous tes regards pareils aux rayons froids des astres.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tu brilles dans la nuit des ges rvolus</div> + <div class="verse">Et les derniers amants des formes triomphales</div> + <div class="verse">Contemplent au del de l'ombre et des rafales</div> + <div class="verse">Tes yeux dont la splendeur ne s'abolira plus.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p28">SCHAOUL</h4> + +<p class="dedic"><i>A Rodolphe Darzens.</i></p> + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">En ces jours, Elohim lui refusant son ombre,</div> + <div class="verse">Schaoul, enfant de Qisch, tait semblable au mort</div> + <div class="verse">Dlaiss, que la dent des btes fauves mord,</div> + <div class="verse">Et les esprits du mal rongeaient son me sombre.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Il errait travers les routes d'Isral</div> + <div class="verse">Poursuivi sans repos par la meute tenace</div> + <div class="verse">Et d'pres aboiements de haine et de menace</div> + <div class="verse">Hurlaient autour de lui dans l'abme du ciel.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Rien ne transfigurait ses mornes destines.</div> + <div class="verse">Nulle trve: ni les paroles des nabis</div> + <div class="verse">Ni la chair des bliers ni la chair des brebis</div> + <div class="verse">N'cartaient de son cœur les gueules forcenes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et mme dans la fte hroque du sang,</div> + <div class="verse">Quand les vaincus, aprs les sauvages victoires,</div> + <div class="verse">Montaient vers le Trs-Haut en feux expiatoires,</div> + <div class="verse">Les crocs inassouvis lui dchiraient le flanc.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Alors on fit venir vers le roi taciturne</div> + <div class="verse">David de Bethlem, le joueur de kinnor,</div> + <div class="verse">Dont l'incantation charmait les astres d'or</div> + <div class="verse">Tandis que ses troupeaux paissaient l'herbe nocturne,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et comme les chacals rentrent aux creux des monts</div> + <div class="verse">Quand le veneur parat sur les rocs granitiques,</div> + <div class="verse">Mlant sa voix d'enfant aux cordes prophtiques</div> + <div class="verse">David, plein d'Iahveh, chassa les noirs dmons.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Homme, Schaoul des temps infinis, saigne et pleure:</div> + <div class="verse">Les carnassiers hideux suivent sur ton chemin</div> + <div class="verse">La trace de tes pas, hier, aujourd'hui, demain,</div> + <div class="verse">Toujours: le changement de la forme et de l'heure</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">N'cartera jamais la horde des ennuis</div> + <div class="verse">Et tu te traneras dans l'horreur sans limite</div> + <div class="verse">Sans our le Kinnor et le Bethlmite</div> + <div class="verse">Qui te ferait des jours pareils aux belles nuits.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p29">RESSOUVENIR</h4> + +<p class="dedic"><i>A Mario de la Tour de Saint-Ygest.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Cet homme tait venu vers le Matre des pleurs</div> + <div class="verse">Oubliant pour le Christ les lyres et les roses,</div> + <div class="verse">Comme un vendangeur las qui de ses mains dcloses</div> + <div class="verse">Laisse choir les raisins et les grappes de fleurs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Il avait dlaiss pour les routes d'pines</div> + <div class="verse">Les portiques de marbre auprs des flots marins.</div> + <div class="verse">Sous le cilice dur qui lui mordait les reins,</div> + <div class="verse">Il marchait loin du jour vers les ombres divines.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Or il vivait au fond des bois mystrieux,</div> + <div class="verse">Suivi par un troupeau de btes familires,</div> + <div class="verse">Et des oiseaux volaient autour de ses prires</div> + <div class="verse">Et des rves de ciel illuminaient ses yeux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais toujours, tel qu'un vol blond d'abeilles essaime</div> + <div class="verse">Et retourne en vibrant aux ruches d'autrefois,</div> + <div class="verse">Par les soirs langoureux chargs des douces voix</div> + <div class="verse">Et des parfums charnels que le Mauvais y sme,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Son me s'envolait vers les jours rvolus:</div> + <div class="verse">L'ancien verbe d'amour cach dans l'vangile</div> + <div class="verse">Faisait fleurir au bois les nymphes de Virgile</div> + <div class="verse">Et des faunes lascifs montraient leurs fronts velus.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p30">GOETTERDAEMMERUNG</h4> + +<p class="dedic"><i>A la comtesse Jane.</i></p> +<blockquote class="epi"> +<p>Heil siegendes Licht.</p> + +</blockquote> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Siegfried, astre vad des ombres transitoires,</div> + <div class="verse">Soleil panoui dans l'azur de la mort,</div> + <div class="verse">Avec ta chair, la gloire humaine de l'effort,</div> + <div class="verse">S'abmait dans le deuil des suprmes victoires.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais tels que le granit us des promontoires,</div> + <div class="verse">Que l'assaut de la mer temptueuse mord,</div> + <div class="verse">Les dieux irradiant dans les glaces du Nord</div> + <div class="verse">Attendaient lchement les jours expiatoires.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le hros, sur les fleurs sanglantes du bcher,</div> + <div class="verse">Semblait sortir des couchants mornes et marcher</div> + <div class="verse">Dans l'aurole d'or des flammes triomphales.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tandis qu'en un torrent de splendeur et de bruit,</div> + <div class="verse">Flagell par le vol sinistre des rafales,</div> + <div class="verse">Le Palais merveilleux s'croulait dans la nuit.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p31">LA FILLE AUX MAINS COUPES</h4> + +<p class="c"><span class="small">MYSTRE</span></p> + +<p class="dedic"><i>A Maurice Peyrol.</i></p> + +<p class="c"><i>PERSONNAGES</i></p> + +<ul> +<li class="small">LA JEUNE FILLE.</li> +<li class="small">LE POTE.</li> +<li class="small">LE CHŒUR D'ANGES.</li> +<li class="small">LE PRE.</li> +<li class="small">LE SERVITEUR.</li> +</ul> +<p><i>L'action se passe n'importe o et plutt au moyen ge.</i></p> + +<p>Dans la chambre silencieuse, o flotte par les vitraux glauques +la soie resplendissante de l'aurore, <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> est agenouille +et prie en sa blancheur adorable de lys.</p> + +<p>Le large bliaud damass, broch de calices d'argent, qui neige +sur sa poitrine et l'toile, est peine agit par le souffle du corps +ple sculpt dans un marbre vivant.</p> + +<p>Elle lit dans le lourd missel incrust de joailleries, mais d'une +voix si basse qu'elle semble un frlement somptueux d'toffes que +froissent dans l'ther des princesses lointaines.</p> + +<p>Elle laisse tomber le livre et les yeux tourns vers un Christ +exsangue sur un ciel ensanglant, elle clt ses lvres entr'ouvertes +et se prend prier des rves sans paroles.</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">O Jsus, cartez les griffes du Malin.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les anges de saphir dorment dans le vlin;</div> + <div class="verse">Les graves lettres d'or psent aux ailes blanches;</div> + <div class="verse">La colombe du ciel s'englue aprs les branches,</div> + <div class="verse">Et la prire est prise au pige des versets.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O livre, le parfum sacr que tu versais</div> + <div class="verse">Vaut moins, pour le Sauveur et pour ses mains perces,</div> + <div class="verse">Que l'inapprciable encens de mes penses.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mon bien-aim, mls vos lus divins,</div> + <div class="verse">Mes rves purs, avec le chœur des Sraphins,</div> + <div class="verse">Allgs du fardeau des paroles antiques,</div> + <div class="verse">Mes rves ont chant plus haut que les cantiques;</div> + <div class="verse">Et quand mon me, un jour, s'vadera du corps,</div> + <div class="verse">Je volerai dans les Splendeurs et les Accords</div> + <div class="verse">Faits de flamme subtile et de claire harmonie,</div> + <div class="verse">Et je rayonnerai dans la gloire infinie,</div> + <div class="verse">Autour du front terrible et charmant de l'poux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O monde, vie, sens, vanouissez-vous!</div> + <div class="verse">Car, l-haut, par del les tnbres premires,</div> + <div class="verse">Dans l'clat des concerts et la voix des lumires,</div> + <div class="verse">Imprissable, dans le nimbe de l'Amant,</div> + <div class="verse">La chair immacule arde ternellement.</div> + </div> +</div> + +<p>Baigne d'une musique surhumaine, elle entend comme en elle-mme:</p> + +<p class="p">UN CHŒUR D'ANGES</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Enfant, les cieux songs, blancs de lys et de vierges</div> + <div class="verse">Plus blmes que la cire odorante des cierges,</div> + <div class="verse">Et les jardins sems d'toiles, les sommets</div> + <div class="verse">D'hermine chaste et de candeurs impollues</div> + <div class="verse">Mirs aux lacs o vont les cygnes des nues,</div> + <div class="verse">Enfant, les cieux songs seraient clos jamais.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Arrire, le troupeau neigeux d'immacules!</div> + <div class="verse">Vers l'amoncellement des glaces recules,</div> + <div class="verse">Les rouges Kroubim vous repoussent du seuil</div> + <div class="verse">Eblouissant: les crins de votre pre cilice</div> + <div class="verse">Vous sont une moelleuse et royale pelisse:</div> + <div class="verse">Votre virginit n'est ivre que d'orgueil.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Arrire! le bl mur pars des Madeleines,</div> + <div class="verse">Epars sur les pieds nus avec les urnes pleines,</div> + <div class="verse">Brle seul dans la sainte aurole de feu.</div> + <div class="verse">Dans le brasier de Christ, aviv de colres,</div> + <div class="verse">Vous fondriez, froides fleurs des soirs polaires,</div> + <div class="verse">Qui ne parfumez pas les hommes avant Dieu.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Lorsque le Rdempteur eut bris les statues</div> + <div class="verse">D'autrefois, parmi les colonnes abattues,</div> + <div class="verse">Il laissa reverdir, seul d'entre les Maudits,</div> + <div class="verse">Ers, et lui donna pour royaume la Terre:</div> + <div class="verse">Immortelle, la soif des lvres vous altre,</div> + <div class="verse">Et l'enfer des baisers vaut notre paradis.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Va! l'Olympe aboli revit dans votre race;</div> + <div class="verse">La meute des dsirs vous poursuit la trace,</div> + <div class="verse">Et vous n'vitez pas les flches de l'Archer.</div> + <div class="verse">Prends garde d'oublier les cieux songs, vierge:</div> + <div class="verse">L'amour l'horizon de ta jeunesse merge;</div> + <div class="verse">J'ai vu, dans l'Orient, l'invincible marcher.</div> + </div> +</div> + +<p><span class="small">LA JEUNE FILLE</span> perdue des paroles ouies et bante d'horreur +mystique invoque, en balbutiant, Madame Marie qui sourit, doucement +couronne d'astres, au fond d'une fresque byzantine, et des +cimes de l'azur tend les mains vers un vol d'mes en peine: <span class="small">VENITE +AD ME DILECT ME</span>.</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je ne sais plus si c'est mon rve que j'coute,</div> + <div class="verse">Ou si la source en moi s'infiltre goutte goutte</div> + <div class="verse">Qui ruisselle des luths et des psaltrions,</div> + <div class="verse">Et si j'entends le Diable ou les Anges. Prions.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tueuse du serpent. Reine du bleu stellaire,</div> + <div class="verse">Le drobeur d'pis maraude autour de l'aire:</div> + <div class="verse">Le voleur d'mes vient des abmes et fuit:</div> + <div class="verse">Chassez le tentateur et le rdeur de nuit.</div> + </div> +</div> + +<p>Tandis que s'grnent les litanies, un fracas assourdi d'armures +irradies glisse lentement, entre les tentures hroques o s'enchevtrent +de furieuses mles.</p> + +<p><span class="small">LA JEUNE FILLE</span>, veille en sursaut des prires, se lve frissonnante +vers <span class="small">SON PRE</span> et le guerrier convulsif brle ses mains +de caresses, de caresses incestueuses et brutales.</p> + +<p>Et l'enfant hurlante s'arrache des baisers sacrilges. Elle va +jusqu' la grand salle o <span class="small">LE SERVITEUR</span> courb fourbit les larges +glaives et les panoplies.</p> + +<p class="p">LA JEUNE FILLE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Vieillard, j'ai ma pense entire. Prends l'pe</div> + <div class="verse">De justice, l'pe infaillible, trempe</div> + <div class="verse">Sept fois dans le Saint-Chrme et le feu baptismal</div> + <div class="verse">Et que ne souille pas, comme l'homme, le Mal</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Originel. Saisis la Purificatrice</div> + <div class="verse">—Si ton bras est rong d'ulcres, qu'il prisse!</div> + <div class="verse">A dit le Matre dont m'attendent les hymens;—</div> + <div class="verse">Et lave aux flots d'acier rougi, tranche mes mains!</div> + </div> +</div> + +<p class="p">LE SERVITEUR</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">O ma fille, vos mains sont des corolles fines;</div> + <div class="verse">Vos mains sont un bouquet de jeunes aubpines;</div> + <div class="verse">L'haleine du printemps souffle de votre chair:</div> + <div class="verse">Je ne moissonne pas les fleurs avec le fer.</div> + <div class="verse">Vous dlirez.</div> + </div> +</div> + +<p class="p">LA JEUNE FILLE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse indent4">Tais-toi; l'ulcre des caresses</div> + <div class="verse">Inexpiables, mord ma chair et fond mes graisses.</div> + <div class="verse">Obis, sans l'horreur mortelle des aveux:</div> + <div class="verse">L'effroi te briserait les oreilles.</div> + </div> +</div> + +<p>La main leve en un geste terrible:</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse indent4">Je veux.</div> + </div> +</div> + +<p>Et la volontaire martyre pose sans trembler ses mains jaillissant +des manches sur une table de porphyre aux mosaques de chimres.</p> + +<p>Ses yeux fixes ne clignent pas l'clat bleu du glaive brusque +s'abattant, qui verse aux btes hraldiques des gouttes soudaines +de pourpre.</p> + +<p>Et, brandissant dans la pnombre les deux torches jumelles des +bras mutils, elle fait prendre une aiguire de cristal enchemis +d'or.</p> + +<p>Epouvantable et radieux, un double nnuphar aux tiges d'carlate +flotte dans une cume rose de grappes d'Orient foules.</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Oh! le vase lustral o l'me se lava!</div> + <div class="verse">Va-t'en porter l'aiguire mon bon pre. Va.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<p>Maintenant une foule confuse bruit prs de la mer flagelle par +le vent du Nord. Dans une frle nef, sans rames ni voilure, <span class="small">LE +PRE</span> a fait tendre <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> surnaturelle, enveloppe dans +un linceul de lin grossier. Elle regarde obstinment le ciel d'orage.</p> + +<p class="p">LE PRE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ma fille, vos pchs, commis dans ma maison,</div> + <div class="verse">Ont fait s'enfuir les tourterelles du blason.</div> + <div class="verse">Endormis dans la nuit tombale, clos en elle,</div> + <div class="verse">Les morts ont tressailli de votre ardeur charnelle.</div> + <div class="verse">Donc je dois, rprimant pleurs lches et sanglots,</div> + <div class="verse">Vous confier, vivante, la douceur des flots.</div> + <div class="verse">Nous prierons, gens des bourgs et manants de campagne,</div> + <div class="verse">Afin que la bont de Dieu vous accompagne.</div> + <div class="verse">Allez! au nom de la Trs Sainte Trinit,</div> + <div class="verse">Et que Jsus vous prenne en votre ternit.</div> + </div> +</div> + +<p>Mais la barque n'est pas engloutie par les gueules fauves de +l'abme. Elle s'efface, pousse par les haleines pacificatrices d'invisibles +archanges.</p> + +<p>Les gerbes fauches des houles vertes dorment sous un soleil +d'accalmie, et <span class="small">LA JEUNE FILLE</span>, affranchie par l'extase, contemple +des visions vagues et des formes.</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dans le lilas de leurs rosaces vesprales,</div> + <div class="verse">Je vois s'panouir, l-haut, des cathdrales.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Une poussire d'astre irise les parvis</div> + <div class="verse">Et les arceaux sortent des dalles de rubis.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dans l'espace des nefs sans limites, lames</div> + <div class="verse">D'azur, des encensoirs effeuillent des fumes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dans le frisson de leurs chos multiplis,</div> + <div class="verse">Des sons inentendus branlent les piliers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le voile rejet d'un fulgurant coup d'aile,</div> + <div class="verse">Le Tabernacle inaccessible se rvle.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et lorsque l'Ostensoir phmre me luit,</div> + <div class="verse">La robe du soleil semble teinte de nuit.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Seigneur Dieu, l'apptit des vagues me rclame,</div> + <div class="verse">L'aumne de mon corps est faite. Cueillez l'me.</div> + </div> +</div> + +<p>Dans son ravissement mystique, <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> se croit morte. +Serait-ce que la barque aborde aux rives vertigineuses du Paradis, +o des couples clestes glissent dans une aube d'opales fluides?</p> + +<p>Elle regarde merveille, sous une toffe de la lumire, au lieu +des tronons effroyables, la fracheur blonde de ses mains ressuscites +et d'o s'exhale une senteur de ruches prochaines et de miel.</p> + +<p>Des enfants, vtus de tuniques multicolores et lgres, lui font +un triomphal cortge et, prise dans des rets de charmes surhumains, +elle marche au milieu des hymnes tranges. Hymen! Hymenaee!</p> + +<p>Hymen! Hymen! Hymenaee! Au fate des monts d'hyacinthe +un palais de prodige monte, marmoren, vers les nuages violets. +Elle gravit les escaliers, gards par des sphinges immobiles.</p> + +<p>Hymen! Hymen! Hymenaee! Au seuil glorieux des demeures, +souriant idalement dans l'ombre dnoue de sa chevelure, <span class="small">LE +POTE-ROI</span> vient vers elle sous son manteau de pourpre lyrique.</p> + +<p>Et les enfants ont disparu; dans une salle de ferie, porte par +des cariatides, sur l'or roux, des lions tus, <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> s'abandonne + la volupt des caresses. Hymen! O hymen!</p> + +<p class="p">LA JEUNE FILLE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Doux initiateur de l'me en quelle sphre</div> + <div class="verse">Plus lointaine, Jsus, l'Esprit, et Dieu le Pre,</div> + <div class="verse">Dans leur unit triple, infinis et sereins,</div> + <div class="verse">Attendent-ils le chœur des lus, plerins</div> + <div class="verse">Joyeux et jamais las d'un Temple que j'ignore,</div> + <div class="verse">Qui s'envolent de l'ombre ancienne vers l'Aurore.</div> + <div class="verse">Emmne-moi par les Edens et les Sions,</div> + <div class="verse">Toi qui sais les chemins de constellations.</div> + </div> +</div> + +<p><span class="small">LE POTE-ROI</span> saisit la grande Lyre et, sous le plectre, les cordes +de brebis vibrent dans l'caille de tortue transparente.</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Avant la Terre, avant les Jours et les annes,</div> + <div class="verse">L'Immuable a ptri nos chairs prdestines.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">J'ai tromp mon ennui par la lyre, et j'attends</div> + <div class="verse">Tes seins qui m'appelaient de l'abme des temps,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et mes yeux, emperls d'une angoisse inconnue,</div> + <div class="verse">Mes yeux cherchaient tes yeux nocturnes dans la nue.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Parfois, dans le brouillard chantant de la fort,</div> + <div class="verse">Une fe illusoire clt et disparat:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dis-moi que tu n'es pas l'ombre vaine d'un rve,</div> + <div class="verse">O fille de la mer et de l'cume brve.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dis-moi qu'avant la tombe et nos corps rvolus,</div> + <div class="verse">Le flot de tes baisers ne se tarira plus.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je ferai vivre par del les tendues</div> + <div class="verse">Ton nom sanctifi dans les cordes tendues.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et tu vaincras par la gloire de tes beauts</div> + <div class="verse">Les nymphes de l'Hellas et les Divinits.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Parle, et tu chasseras, de la mmoire humaine</div> + <div class="verse">La Vnus Italique et l'Anadyomne.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je traquerai leurs souvenirs tels que des loups,</div> + <div class="verse">Et Christ reconnaissant se penchera vers nous.</div> + </div> +</div> + +<p class="p">LA JEUNE FILLE</p> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">O Chanteur, je ne sais quel dcevant mystre</div> + <div class="verse">Me rappelle du ciel entrevu vers la terre.</div> + <div class="verse">Ton regard me repousse et m'attire. Va-t'en,</div> + <div class="verse">Car je me damnerais peut-tre en t'coutant.</div> + </div> +</div> + +<p>Dans son indicible douleur, <span class="small">LE POTE-ROI</span> jette la Lyre qui se +brise en un lamentable sanglot et le cri des fibres est si dchirant +que <span class="small">LA JEUNE FILLE</span> tremblante d'effroi et d'amour revient vers le +royal Dsespr, comme rsigne aux flammes d'une imminente +ghenne. Pendant qu'ils sont enlacs, <span class="small">UN CHŒUR D'ANGES</span>, entendu +jadis, effleure leurs oreilles extasies.</p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ecarte le conseil de tes mauvaises craintes.</div> + <div class="verse">Le Seigneur t'a rendu des mains pour les treintes,</div> + <div class="verse">Fais l'amant royal le don de ton orgueil.</div> + <div class="verse">Va! laisse le troupeau neigeux d'immacules;</div> + <div class="verse">Vers l'amoncellement des glaces recules,</div> + <div class="verse">Les rouges Kroubim les repoussent du seuil.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Aimez-vous! le bl mr pars des Madeleines,</div> + <div class="verse">Epars sur les pieds nus avec les urnes pleines,</div> + <div class="verse">Brle seul dans la sainte aurole de feu.</div> + <div class="verse">Dans le brasier de Christ, aviv de colres,</div> + <div class="verse">Vous fondriez, froides fleurs des soirs polaires,</div> + <div class="verse">Qui ne parfumez pas les hommes avant Dieu.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Lorsque le Rdempteur eut bris les statues</div> + <div class="verse">D'autrefois, parmi les colonnes abattues,</div> + <div class="verse">Il laissa reverdir, seul d'entre les Maudits,</div> + <div class="verse">Ers, et lui donna pour royaume la Terre:</div> + <div class="verse">Immortelle, la soif des lvres vous altre,</div> + <div class="verse">Et l'enfer des baisers vaut notre paradis.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p32">LA PEUR D'AIMER</h4> + +<p class="dedic"><i>A Jos-Maria de Heredia.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La Bte monstrueuse et le bon Chevalier</div> + <div class="verse">Ont lutt tout le jour: le dragon mort distille</div> + <div class="verse">Un suprme venin sur le sable infertile,</div> + <div class="verse">Et le triomphateur entre dans le hallier.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Il va, les yeux hagards d'un songe familier:</div> + <div class="verse">L-bas, le palais d'or miraculeux rutile</div> + <div class="verse">Et la princesse rve, en sa grce inutile,</div> + <div class="verse">A l'amant inconnu qui la doit veiller.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais lorsque le vainqueur de l'hydre et des licornes</div> + <div class="verse">Vit, aprs le bois sombre et les escaliers mornes,</div> + <div class="verse">La vierge aux cheveux blonds comme un soleil d'Avril</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dans la jeune splendeur de sa pubert mre,</div> + <div class="verse">L'angoisse de l'amour mordit son cœur viril</div> + <div class="verse">Et sa chair de hros trembla, sous son armure.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p33">LE PRINCE D'AVALON</h4> + +<p class="dedic"><i>A Henri de Rgnier.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et le prince vivait dans l'le d'Avalon.</div> + <div class="verse">Des parterres de fleurs caressaient ses prunelles;</div> + <div class="verse">Les calices des lys s'ouvraient en ce vallon</div> + <div class="verse">perdument, vers les toiles fraternelles;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les paons constells d'yeux luisaient sous les halliers</div> + <div class="verse">Or mobile, tremblant saphir, vivante flamme</div> + <div class="verse">Et les fruits mrs pendus aux vastes espaliers</div> + <div class="verse">Versaient un opulent arme de cinname,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tandis que, dans le parc peupl par des sylvains</div> + <div class="verse">Et des faunes bordant les larges avenues,</div> + <div class="verse">Le clair de lune pars sur les marbres divins</div> + <div class="verse">Faisait tinceler la chair des nymphes nues.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et le prince sur la terrasse du palais</div> + <div class="verse">Inclinait vers le sol ses doigts chargs de bagues</div> + <div class="verse">Et regardait, l-bas, sous les cieux violets,</div> + <div class="verse">Fuir des vaisseaux fleuris par la houle des vagues.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Passez, je vous envie, frres ignors,</div> + <div class="verse">Que les vents furieux emportent sur le gouffre;</div> + <div class="verse">Je ne la connais plus et vous la reverrez</div> + <div class="verse">La terre dsirable o l'homme pleure et souffre.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je suis venu vers les rivages interdits</div> + <div class="verse">Pour obir aux voix des blanches fiances</div> + <div class="verse">Et mon me succombe au poids des paradis</div> + <div class="verse">Ainsi que les joyaux chargent mes mains lasses.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pour veiller en moi d'immortelles douleurs</div> + <div class="verse">Dont la mmoire accrt mes extases futures,</div> + <div class="verse">J'ai dchan des sangliers parmi les fleurs;</div> + <div class="verse">Mais les fleurs renaissaient plus belles et plus pures.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">J'ai voulu renverser le palais merveilleux</div> + <div class="verse">Et je l'ai revtu de rouges incendies,</div> + <div class="verse">Mais des colonnes d'or surgissaient mes yeux</div> + <div class="verse">Et portaient jusqu'au ciel les votes agrandies.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et lorsque j'ai tu la vierge que j'aimais,</div> + <div class="verse">Esprant rompre enfin les ineffables charmes,</div> + <div class="verse">L'enfant ressuscite a vaincu pour jamais</div> + <div class="verse">Par des baisers plus doux ma tristesse et mes larmes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pour moi, le flot des jours s'coule vainement;</div> + <div class="verse">Vainement le soir tombe et l'aurore rougeoie:</div> + <div class="verse">Envelopp de rve et d'blouissement</div> + <div class="verse">Je suis le prisonnier de l'immuable joie.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ainsi par cette nuit d'toiles, il parlait:</div> + <div class="verse">Les fourrs frissonnants brillaient de lucioles</div> + <div class="verse">Et le souffle embaum de la brise mlait</div> + <div class="verse">Les chansons de la mer la voix des violes.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p34">CELLE QU'ON FOULE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Georges Duflot.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">C'tait parmi la nuit muette, la clameur</div> + <div class="verse">De la Terre, clameur lamentable et farouche</div> + <div class="verse">De gante en travail qui se tord sur sa couche,</div> + <div class="verse">Rejette l'embryon sanglant, rugit et meurt.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La formidable voix hurlait: cris d'pouvante,</div> + <div class="verse">Gmissements plaintifs des automnes, sanglots</div> + <div class="verse">Rauques de la fort hivernale et des flots,</div> + <div class="verse">Rire amer et confus de la foule vivante,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Frmissement de l'herbe et murmure des nids,</div> + <div class="verse">Hymne dmesur du torrent et du gouffre,</div> + <div class="verse">Tout ce qui parle, tout ce qui palpite et souffre</div> + <div class="verse">S'unissait et montait vers les cieux infinis.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Or voici l'anathme effrn que la Terre</div> + <div class="verse">Jetait travers l'ombre aux fils des nations:</div> + <div class="verse">Que le troupeau vengeur des excrations</div> + <div class="verse">Suive la trace l'homme ennemi du mystre.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les peuples d'autrefois inclinaient leur orgueil</div> + <div class="verse">Devant la majest fconde de l'anctre</div> + <div class="verse">D'o jaillit la semence et la source de l'tre</div> + <div class="verse">Et qui rouvre ses flancs paisibles au cercueil.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Partout, toujours, dans les dserts hants d'hynes,</div> + <div class="verse">Dans les plaines de neige o, par soudains lans,</div> + <div class="verse">Bondissent des troupeaux de rennes et d'lans,</div> + <div class="verse">Prs du ple et dans les cryptes gyptiennes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les hommes adoraient la Terre, qui porta</div> + <div class="verse">Dans son sein maternel, des millions d'annes,</div> + <div class="verse">Le germe peine clos de vos races damnes</div> + <div class="verse">Et priaient genoux Kyble, Isis, Airtha.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Alors au bruit des sistres d'or et des crotales,</div> + <div class="verse">Sereine, travers les chemins et les cits,</div> + <div class="verse">De temple en temple, au pas de mes lions dompts,</div> + <div class="verse">J'allais les seins voils de pourpre orientale.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les vierges de Hellas ployaient leur cou de lait</div> + <div class="verse">Au passage de la desse vnrable</div> + <div class="verse">Et, telles qu'au printemps les grappes de l'rable,</div> + <div class="verse">Me versaient des parfums o le feu se mlait.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les austres guerriers des campagnes romaines</div> + <div class="verse">Chantaient pieusement la nourrice Rha</div> + <div class="verse">Qui mit en eux la sve antique et les cra</div> + <div class="verse">Pour l'asservissement des nations humaines;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les chasseurs lointains des cerfs et des aurochs,</div> + <div class="verse">Les braves aux yeux bleus, chevelus d'or, les Mles</div> + <div class="verse">rigeaient mes autels en face des cieux ples</div> + <div class="verse">Dans les forts temptueuses, sur les rocs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Quand la procession de mes prtresses blanches</div> + <div class="verse">Prcdait au printemps par les sentiers herbeux</div> + <div class="verse">Mon attelage lent et tran par des bœufs</div> + <div class="verse">Vers les villages et les toits couverts de branches,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les hommes tatous de fauve vermillon</div> + <div class="verse">Se courbaient et baisaient ma trace, et les pes</div> + <div class="verse">Rouges encore du sang et des ttes coupes</div> + <div class="verse">Saluaient d'un clair la Mre du Sillon.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O temps ancien de la Germanie et de Rome,</div> + <div class="verse">O temple universel des plaines et des bls</div> + <div class="verse">O mon mystique poux des sicles couls,</div> + <div class="verse">Le laboureur tait un prtre auguste l'homme:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le culte vnr sombre aux flots de l'oubli:</div> + <div class="verse">Nul printemps, nul t, ne luit et ne ramne</div> + <div class="verse">Les incantations de la prire humaine</div> + <div class="verse">Vers les autels de mon sanctuaire aboli:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O races chaque jour plus impures et viles,</div> + <div class="verse">Qui ne connaissez plus mes mystres, troupeaux</div> + <div class="verse">Plus barbares que vos pres vtus de peaux,</div> + <div class="verse">Troupeaux qui pullulez dans vos enclos de villes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Vous qui fouillez avec mpris mes flancs gercs</div> + <div class="verse">Par les maternits innombrables; foule</div> + <div class="verse">Immonde dont le pas sacrilge me foule;</div> + <div class="verse">Vous qui priez des dieux que je n'ai pas bercs</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Au chant de mes forts de bouleaux et de chnes,</div> + <div class="verse">Dans des lits d'herbe frache et des langes de fleurs,</div> + <div class="verse">Voici venir enfin la horde des malheurs</div> + <div class="verse">Fatidiques et des calamits prochaines.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dans un bref avenir une aube jaillira,</div> + <div class="verse">Ensanglantant les noirs espaces des nues</div> + <div class="verse">Et par-dessus le bruit froce des hues</div> + <div class="verse">Le clairon des combats ultimes sonnera;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sous l'œil indiffrent des sphres fraternelles,</div> + <div class="verse">L'horrible mer de vos haines, sinistrement</div> + <div class="verse">Dbordera sur vous et l'pouvantement</div> + <div class="verse">largira le vol funbre de ses ailes;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les hommes saisis d'un dlire fatal,</div> + <div class="verse">Dchans se rueront aux suprmes tueries;</div> + <div class="verse">De l'quateur torride aux blanches Sibries,</div> + <div class="verse">Ma face saignera comme un immense tal.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O fureur indicible et sans rpit! batailles</div> + <div class="verse">Qui durerez de l'aube au soir, pendant dix ans,</div> + <div class="verse">Comme le cri des flots qui heurtent les brisants,</div> + <div class="verse">J'entends dj clamer les corps sous les entailles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Un souffle meurtrier et pestilentiel</div> + <div class="verse">S'exhale de la mort et des chairs refroidies</div> + <div class="verse">Sans linceul, tandis qu'aux lueurs des incendies</div> + <div class="verse">De vastes lacs de sang pourrissent sous le ciel,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">De vastes lacs de sang o, rigides et vertes,</div> + <div class="verse">Vont des flottes de morts convulsifs par milliers,</div> + <div class="verse">O s'acharnent sans peur, repus et familiers,</div> + <div class="verse">Les vautours rjouis des cervelles ouvertes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La fivre fait claquer les dents des survivants,</div> + <div class="verse">Tmoins terrifis des heures vengeresses,</div> + <div class="verse">Qui dans l'affolement des suprmes dtresses</div> + <div class="verse">Voudraient perptuer leur race en des enfants;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais ces accouplements de spectres puiss</div> + <div class="verse">Ne repeupleront pas les villes et les plaines.</div> + <div class="verse">Mlez-vous, unissez les corps et les haleines!</div> + <div class="verse">Les sicles ont tari la source des baisers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les temps sont couls, les heures sont venues</div> + <div class="verse">Et nul glas solennel et lent ne tintera</div> + <div class="verse">Lorsque le vent indiffrent emportera</div> + <div class="verse">Le dernier rlement de l'homme vers les nues.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sa mort n'veillera ni gat ni regret</div> + <div class="verse">Dans le monde impassible et dans l'me des choses</div> + <div class="verse">Qui ne s'occupent pas en leurs mtamorphoses</div> + <div class="verse">De ce qui nat, grandit, s'efface et disparat.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Rien ne tressaillera dans la Nature, et seule,</div> + <div class="verse">Seule de toutes les toiles, je saurai</div> + <div class="verse">Que mon lait a nourri jadis l'tre excr,</div> + <div class="verse">Le mauvais fils, l'enfant contempteur de l'aeule!</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Comme avant l'homme impie et ses rbellions,</div> + <div class="verse">Libre de sa prsence et de sa marche impure,</div> + <div class="verse">Je pourrai dnouer au vent ma chevelure</div> + <div class="verse">De profondes forts o rdent les lions;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et quand l'aube luira dans la frache rose</div> + <div class="verse">Je plongerai mon corps que ses pas ont fltri.</div> + <div class="verse">—Et ma force renat, ma beaut refleurit,</div> + <div class="verse">Et ma chair a des tons d'glantine rose.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O gloire des cactus de pourpre et des lys blancs,</div> + <div class="verse">Hautaine majest des palmes triomphales</div> + <div class="verse">Que faisait onduler le souffle des rafales</div> + <div class="verse">Sur la virginit premire de mes flancs,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Surgissez et parez ma nouvelle jeunesse</div> + <div class="verse">Pour l'hymen radieux et rouge du soleil;</div> + <div class="verse">Tissez et dployez votre manteau vermeil</div> + <div class="verse">Sur ma gorge superbe et mes seins de faunesse!</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Montez dans le limpide ther, chants d'oiseaux:</div> + <div class="verse">Voici l'amour et les caresses nuptiales;</div> + <div class="verse">J'entends hennir au loin les cavales royales</div> + <div class="verse">Et des nuages fins neigent de leurs naseaux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le Dieu descend du char cleste et sur ma bouche</div> + <div class="verse">Frissonnante, je sens sa bouche, et ses baisers</div> + <div class="verse">S'infiltrent lentement dans mes flancs embrass,</div> + <div class="verse">Jusqu' l'heure o le jour resplendissant se couche</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et remonte vers le palais mystrieux,</div> + <div class="verse">Cependant que la main pacifique des ombres</div> + <div class="verse">tale dans le ciel obscur ses voiles sombres</div> + <div class="verse">Et clt divinement mes lvres et mes yeux.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p35">LA VOIX IMPRISSABLE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Catulle Mends.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Abandonn depuis des sicles fabuleux,</div> + <div class="verse">Un grand temple dressait sur le mont solitaire</div> + <div class="verse">Ses portiques de marbre et ses escaliers bleus.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pourpre tranant en ombre errante sur la terre,</div> + <div class="verse">Jardins ensanglants de glorieuses fleurs,</div> + <div class="verse">Vasques d'or o l'ibis sacr se dsaltre,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et prs des bois, gemms par la rose en pleurs</div> + <div class="verse">Du collier merveilleux que l'aube sainte grne,</div> + <div class="verse">Des oiseaux ignorant les rets des oiseleurs:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tout un monde de rve esprait une reine</div> + <div class="verse">Ou le retour tardif des hros et des dieux</div> + <div class="verse">Disparus dans la nuit formidable et sereine.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Fils de la neige pure et du ciel radieux,</div> + <div class="verse">Des cygnes indolents glissaient dans la valle</div> + <div class="verse">Sur un fleuve que les lotus toilaient d'yeux;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Leurs corps majestueux fendait l'eau refoule</div> + <div class="verse">Et parfois leur plumage illustre secouait</div> + <div class="verse">Autour d'eux des flocons de lumire envole,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tandis qu'en un appel de deuil ou de souhait</div> + <div class="verse">Le cri des beaux nageurs aux ailes ployes</div> + <div class="verse">Montait perdument vers le temple muet.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais nul dieu revenu n'cartait les feuilles</div> + <div class="verse">Et nulle reine avec des rires enfantins,</div> + <div class="verse">Ne rveillait l'cho des verdures mouilles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le vieux temple rigeait ses portiques hautains</div> + <div class="verse">Ainsi qu'un fier cueil d'indestructible roche</div> + <div class="verse">Qui dfiait les flots des soirs et des matins.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Or, flux tumultueux qui roule et qui s'accroche</div> + <div class="verse">En cume de flamme aux marbres effrits,</div> + <div class="verse">La sombre mer des jours suprmes tait proche</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ruine des moissons et terreur des cits.</div> + <div class="verse">Fauves ivres du sang vers dans les cratres,</div> + <div class="verse">Des hordes s'en venaient vers les bois enchants.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les ttes des vaincus sur la peau des panthres</div> + <div class="verse">Pendaient horriblement comme des raisins mrs</div> + <div class="verse">Et les carquois sonnaient aux dos des sagittaires.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les frondeurs brandissaient leurs bras noueux et durs</div> + <div class="verse">Et des cavaliers nus au galop des cavales</div> + <div class="verse">Entrrent en hurlant par les brches des murs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des torches consumaient de leurs pourpres rivales</div> + <div class="verse">Les voiles rouges et les blocs de marbre roux.</div> + <div class="verse">Et des gerbes de feu fusaient par intervalles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'absence de vivants attisait le courroux</div> + <div class="verse">Des barbares frustrs de la chair des prtresses,</div> + <div class="verse">Et les images d'or se brisaient sous leurs coups.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tel le Temple, parmi les clameurs vengeresses,</div> + <div class="verse">S'abmait dans les flots de bronze incandescent</div> + <div class="verse">Qui couronnaient les monts de monstrueuses tresses.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Seuls, les cygnes pars dans le val frmissant</div> + <div class="verse">Regardaient la lueur rouge de l'incendie</div> + <div class="verse">Comme un morne soleil qui meurt et qui descend;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et, vers l'astre nouveau d'o la flamme irradie,</div> + <div class="verse">Dsesprant des dieux qui les ont oublis,</div> + <div class="verse">Ils tournaient tristement leur prunelle agrandie,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais les barbares las, jetant leurs boucliers,</div> + <div class="verse">Firent pleuvoir, avec les pierres de leurs frondes,</div> + <div class="verse">Les flches qui sifflaient entre les peupliers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pointes de fer, silex aigus et balles rondes</div> + <div class="verse">Trouaient l'eau frissonnante avec un bruit strident</div> + <div class="verse">Et le sang des oiseaux tachait les claires ondes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Alors un chant funbre emplit le ciel ardent:</div> + <div class="verse">Un concert douloureux d'ineffable harmonie</div> + <div class="verse">Montait vers les tueurs surgis de l'occident.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La voix des chanteurs blancs pleurant leur agonie</div> + <div class="verse">Poursuivait les guerriers jusque-l sans remords</div> + <div class="verse">Dont la chair palpitait d'une angoisse infinie;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et tandis qu'autour d'eux l'me des cygnes morts</div> + <div class="verse">Semait un hymne amer de vengeance ternelle,</div> + <div class="verse">Les barbares, au vol de leurs chevaux sans mors,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">S'enfonaient, affols, dans l'ombre solennelle.</div> + </div> +</div> + + + + +<h3>MAYA</h3> + +<p class="dedic"><i>A BERNARD LAZARE</i></p> + + + +<h4 id="p36">THAS</h4> + +<p class="dedic"><i>A Henri de Manneville.</i></p> + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Alexandros, l'pique enfant de Zeus Ammon,</div> + <div class="verse">Mange et boit et s'enivre aprs la ville prise</div> + <div class="verse">Dans le palais taill dans le marbre et le mont;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les hommes-lions, sculpts de pierre grise,</div> + <div class="verse">Inutiles gardiens des murs et du trsor,</div> + <div class="verse">Regardent le hros boire aux coupes qu'il brise,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Cependant que la fauve avalanche de l'or</div> + <div class="verse">Splendidement s'abat sur la massive table</div> + <div class="verse">Comme un grand oiseau roux au fulgurant essor,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La rauque orgie et la clameur pouvantable</div> + <div class="verse">Hurlent et le troupeau des Hellnes vainqueurs</div> + <div class="verse">Mugit: tels les taureaux dans la nocturne table;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et parmi les pans discordants et les chœurs,</div> + <div class="verse">Et les parfums de la Sabe et le cinname,</div> + <div class="verse">Et la vapeur des vins et des chaudes liqueurs,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La torche en main, Thas, la bacchante qui clame,</div> + <div class="verse">La courtisane blanche et droite comme un lys</div> + <div class="verse">Revt de pourpre ardente et couronne de flamme</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La ville antique aux toits d'argent, Perspolis.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">O ville, amas ancien de rve et de superbe,</div> + <div class="verse">Dresse en moi sur tes inbranlables fts,</div> + <div class="verse">Qui te rabaissera jusqu'au niveau de l'herbe?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Monceau de souvenirs tranges et confus,</div> + <div class="verse">Peuple mystrieux de muettes images,</div> + <div class="verse">Qui donc rendra la plaine au chant des bois touffus?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Qui chassera de moi les rites et les mages</div> + <div class="verse">Et sur les noirs dbris du temple renvers</div> + <div class="verse">Fera monter des cris d'oiseaux et de ramages?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Quelle torche, mon cœur, sur ton marbre glac</div> + <div class="verse">Etendra des lueurs sanglantes et sur l'me</div> + <div class="verse">Lchement assoupie et sur l'esprit lass</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dardera la splendeur de ses langues de flamme?</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p37">JUDEX</h4> + +<p class="dedic"><i>A Marcel Collire.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Par le prtorial silence de la nuit</div> + <div class="verse">O sonnent seulement des horloges funbres</div> + <div class="verse">J'attends venir vers moi le Juge des tnbres</div> + <div class="verse">Qui scrute les pchs des hommes et s'enfuit.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sans toge, sans licteurs ni haches enlaces,</div> + <div class="verse">Sans chants imprieux et tristes de buccins,</div> + <div class="verse">N'coutant que la voix des remords en nos seins</div> + <div class="verse">Le Juge intrieur passe dans nos penses.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les spectres dont le jour avait tu les cris,</div> + <div class="verse">Les spectres dont le jour avait clos les prunelles,</div> + <div class="verse">Surgissent maintenant des tombes ternelles</div> + <div class="verse">Et redressent leurs fronts livides et fltris.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O baisers renis, mmoire des caresses,</div> + <div class="verse">Rves que j'avais crus emmurs pour jamais,</div> + <div class="verse">O cadavres divins que j'aime et que je hais,</div> + <div class="verse">Regards accusateurs et bouches vengeresses,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Que voulez-vous de moi? spectres, ayez piti;</div> + <div class="verse">N'appelez pas ainsi l'incorruptible juge;</div> + <div class="verse">Vous savez qu'il n'est point d'glise de refuge</div> + <div class="verse">Pour le coupable en pleurs et le crucifi.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais l'pre justicier se lve dans mon me</div> + <div class="verse">Chaque soir: il prononce irrvocablement</div> + <div class="verse">La sentence de deuil, de honte et de tourment</div> + <div class="verse">Et fait couler en moi des rivires de flamme.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Puis il remonte au ciel lointain dont il descend</div> + <div class="verse">Et d'o j'espre en vain le Rdempteur natre,</div> + <div class="verse">Tandis que dans l'obscur abme de mon tre</div> + <div class="verse">Un enfer de douleur hurle en le maudissant.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p38">CHAMBRE D'AMOUR</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La nuit tide est clmente la ville qui dort;</div> + <div class="verse">Des lys imprieux triomphent dans la chambre</div> + <div class="verse">Et cependant nos cœurs sont froids comme Dcembre</div> + <div class="verse">Et nos baisers d'amours amers comme la mort.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ta douce bouche s'ouvre des chansons mivres</div> + <div class="verse">Et tes seins bienveillants accueillent mon front las;</div> + <div class="verse">Mais, ma douloureuse enfant, je ne sais pas</div> + <div class="verse">Pourquoi les dieux mauvais empoisonnent nos lvres.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Qu'importe? viens vers moi, triste sœur; aimons-nous,</div> + <div class="verse">Sans craindre la saveur glorieuse des larmes,</div> + <div class="verse">Tels des hros blesss avec leurs propres armes</div> + <div class="verse">Et dont le glaive d'or a rompu les genoux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Viens! nous aurons l'orgueil des mes taciturnes</div> + <div class="verse">En cette chambre morne et veuve de flambeaux,</div> + <div class="verse">O, semblable l'odeur des antiques tombeaux,</div> + <div class="verse">Un parfum spulcral monte des lys nocturnes.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p39">PRINTEMPS D'AUTOMNE</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La pourpre automnale ensanglante</div> + <div class="verse">Les feuilles sches des halliers</div> + <div class="verse">Et transforme en floraison lente</div> + <div class="verse">Les rayons d'Avrils oublis.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">D'insensibles mtamorphoses</div> + <div class="verse">Changent les clarts d'autrefois</div> + <div class="verse">En d'artificielles roses</div> + <div class="verse">Qui parent les jours gris et froids,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et sous le ciel tendu de brume</div> + <div class="verse">Et les nuages palpitants</div> + <div class="verse">Leur odeur mourante parfume</div> + <div class="verse">Un mlancolique printemps.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Trs Chre, c'est aussi l'Automne</div> + <div class="verse">Tnbreux pour nos cœurs lasss;</div> + <div class="verse">Mais en notre chair qui s'tonne</div> + <div class="verse">Refleurissent les jours passs,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et la ressouvenance lente</div> + <div class="verse">Nous revt, comme les halliers,</div> + <div class="verse">D'un manteau de pourpre sanglante</div> + <div class="verse">Faite des baisers oublis.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p40">LIEDER</h4> + +<blockquote class="epi"> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ich, ein tolles Kind, ich singe</div> + <div class="verse">Jetzo in der Dunkelheit;</div> + <div class="verse">Klingt das Lied auch nicht ergtzlich,</div> + <div class="verse">Hat es mich doch vor Angst befreit.</div> + </div> +</div> + +<p class="attr">(<span class="sc">Heinrich Heine</span>, <i>Die Heimkehr</i>.)</p> +</blockquote> + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des mots doux comme des hautbois</div> + <div class="verse">Et des harpes surnaturelles,</div> + <div class="verse">Des sons lgers de chanterelles</div> + <div class="verse">Et dans les bois, des voix, des voix.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des couples blancs de tourterelles,</div> + <div class="verse">Des oiseaux bleus couleur du temps;</div> + <div class="verse">Des ailes d'or sur les tangs,</div> + <div class="verse">Dans le ciel des ailes, des ailes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je ne sais o: je vois, j'entends.</div> + <div class="verse">Voici venir la trs aime</div> + <div class="verse">Et sa cheville parfume</div> + <div class="verse">Foule des tapis clatants;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sa robe candide est lame</div> + <div class="verse">De l'or du paradis natal;</div> + <div class="verse">Des feux de myrrhe et de antal</div> + <div class="verse">L'entourent de blonde fume.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Plus rien, plus rien! le deuil brutal,</div> + <div class="verse">Le silence et l'ombre. Serait-ce</div> + <div class="verse">Que la perfide enchanteresse</div> + <div class="verse">A forg ce mur de mtal</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et clos dans la nuit vengeresse,</div> + <div class="verse">Sans ailes d'or et sans hautbois,</div> + <div class="verse">Les mots doux comme une caresse,</div> + <div class="verse">Et les colombes, sœurs des voix?</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ni tes fierts, ni tes paresses</div> + <div class="verse">Ni l'espoir menteur des caresses,</div> + <div class="verse">Ni ta chair de vierge, j'aimais</div> + <div class="verse">La splendeur de ma propre ide,</div> + <div class="verse">O matresse non possde</div> + <div class="verse">Qui ne me trahiras jamais</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je garde en mon me hautaine</div> + <div class="verse">Le rve frais de la fontaine</div> + <div class="verse">Et des nnufars ingnus;</div> + <div class="verse">Je laisse aux lvres sans extase</div> + <div class="verse">L'eau noire et, grouillant dans la vase,</div> + <div class="verse">Tous les reptiles inconnus,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Loin de l'hivernale valle</div> + <div class="verse">L'aile des fleurs s'est envole</div> + <div class="verse">Et le murmure des nids verts</div> + <div class="verse">Cherche, avec le vol des ptales,</div> + <div class="verse">Dans les aubes orientales</div> + <div class="verse">L'ternel printemps de mes vers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">C'est l'heure que j'ensevelisse</div> + <div class="verse">La blancheur du dernier calice</div> + <div class="verse">Avec les souvenirs dfunts:</div> + <div class="verse">O nuptiale Galate,</div> + <div class="verse">Rends-moi la corolle emprunte,</div> + <div class="verse">Rends-moi le songe des parfums,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pour que je tisse avec mes strophes</div> + <div class="verse">Un linceul de riches toffes</div> + <div class="verse">Embaum de myrrhe et de nard</div> + <div class="verse">Et que je jette sur mon rve</div> + <div class="verse">De jeunesse et de gloire brve</div> + <div class="verse">La pourpre antique de Schinnar.</div> + </div> +</div> + + +<h5>III</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Pour moi seul tes cheveux de saule</div> + <div class="verse">Se droulent sur ton paule</div> + <div class="verse">Comme les feuilles dans le vent,</div> + <div class="verse">Et, tel que sur la neige vierge</div> + <div class="verse">Frmit un frisson d'or mouvant,</div> + <div class="verse">De l'aube de ta chair merge</div> + <div class="verse">Une fleur de soleil levant.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Car seul je connais les paroles,</div> + <div class="verse">Sœurs des feuilles et des corolles,</div> + <div class="verse">Qui puissent dire ta beaut;</div> + <div class="verse">Je sais les phrases rituelles</div> + <div class="verse">Par qui, dans le bois enchant,</div> + <div class="verse">L'ombre des amantes cruelles</div> + <div class="verse">Revive pour l'ternit.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Rires et larmes infinies!</div> + <div class="verse">Si je chantais tes litanies</div> + <div class="verse">Et le miel de tes seins ross</div> + <div class="verse">Je ferais voler dans les brises,</div> + <div class="verse">Au del des jours puiss,</div> + <div class="verse">L'abeille des lvres prises</div> + <div class="verse">Vers la ruche de tes baisers.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais je tais avec jalousie</div> + <div class="verse">Les chers mots dont je m'extasie:</div> + <div class="verse">Les hommes passent et s'en vont;</div> + <div class="verse">Le bruit des foules abhorres</div> + <div class="verse">Roule et le miel divin se fond</div> + <div class="verse">En perles de gouttes dores</div> + <div class="verse">Dans l'urne de mon cœur profond.</div> + </div> +</div> + + +<h5>IV</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ta voix, ta mme voix de colombe blesse</div> + <div class="verse">Sonne plaintivement dans ta gorge lasse.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">J'entends encor l'cho des paroles d'antan</div> + <div class="verse">Lorsque les mots ails s'envolent en chantant.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais je ne comprends plus les syllabes; j'oublie</div> + <div class="verse">Ce qui fait leur langueur et leur mlancolie.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je crois t'our parler un langage inconnu</div> + <div class="verse">Sur des airs dont mon cœur s'est en vain souvenu,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et je perois parmi la musique rhythme</div> + <div class="verse">La voix d'une trangre ou d'une morte aime.</div> + </div> +</div> + + +<h5>V</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Reine du magique palais,</div> + <div class="verse">En ce jeu cruel que tu joues,</div> + <div class="verse">Comme tes sœurs, tu te complais</div> + <div class="verse">Aux larmes roulant sur nos joues.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Quand tu presses le vin des cœurs</div> + <div class="verse">L'toile de tes yeux rutile,</div> + <div class="verse">L'toile de tes yeux vainqueurs</div> + <div class="verse">Rit de la lchet virile.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tandis que, dans la paix du soir,</div> + <div class="verse">Les dsirs—tels de mauvais anges—</div> + <div class="verse">Portent aux meules du pressoir</div> + <div class="verse">Les grappes des rouges vendanges.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Soit! en tes rves assassins</div> + <div class="verse">Grise-toi des pourpres foules</div> + <div class="verse">Et noue au-dessous de tes seins</div> + <div class="verse">Des peaux fauves et taveles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sois la bacchante que les dieux</div> + <div class="verse">Lchent sur la terre; promne</div> + <div class="verse">L'orgueil de tes flancs radieux</div> + <div class="verse">Au milieu de la vigne humaine.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Va! que les hros asservis</div> + <div class="verse">Et les potes que tu cres</div> + <div class="verse">Se courbent hurlants et ravis</div> + <div class="verse">Devant tes colres sacres:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tes triomphes sont imparfaits,</div> + <div class="verse">Ta gloire sanglante est un leurre;</div> + <div class="verse">Tu n'as pas su que je t'aimais</div> + <div class="verse">Et tu ne sais pas que je pleure.</div> + </div> +</div> + + +<h5>VI</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les moires vertes des feuilles</div> + <div class="verse">Attendent le Prince Charmant</div> + <div class="verse">Et sous les gemmes de rose</div> + <div class="verse">L'aubpine est une pouse</div> + <div class="verse">D'o s'exhale amoureusement</div> + <div class="verse">L'cre parfum des fleurs mouilles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des lvres que nul ne connat</div> + <div class="verse">Ont bu les gemmes disparues:</div> + <div class="verse">Pourquoi le Prince viendrait-il,</div> + <div class="verse">O fort? le parfum subtil</div> + <div class="verse">Meurt dans les poussires accrues</div> + <div class="verse">Sur l'aubpine et le gent.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La plainte lente des ramures</div> + <div class="verse">Geint sinistrement et dj</div> + <div class="verse">Les nains mchants des avenues</div> + <div class="verse">Font saigner sur les branches nues</div> + <div class="verse">Que leur caprice ravagea</div> + <div class="verse">La chair automnale des mres.</div> + </div> +</div> + + +<h5>VII</h5> + +<blockquote class="epi"> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Plus quam femina virgo</div> + </div> +</div> + +<p class="attr">(<span class="sc">P. Ovidius Naso</span>)</p> +<p class="attr">(<i>Mtamorphoses</i>, <i>Livre</i> <span class="small">XIII</span>.)</p> +</blockquote> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Plus claires dans le sombre azur des nuits sans lune</div> + <div class="verse">Les toiles doraient les ajoncs et la dune,</div> + <div class="verse">Mais je n'ai pas souci de leur ruissellement</div> + <div class="verse">Et dans mes yeux fleuris de visions plus belles,</div> + <div class="verse">Baignant les cieux futurs de leurs splendeurs nouvelles,</div> + <div class="verse">Les astres venir montent perdument.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tu glissais pas lents dans les ajoncs stellaires</div> + <div class="verse">Et sourde la rumeur humaine des colres</div> + <div class="verse">Tu regardais surgir les astres apaiss;</div> + <div class="verse">Mais dans mon cœur fleuri de volupts plus calmes,</div> + <div class="verse">J'voque au chant lointain des sources et des palmes</div> + <div class="verse">Les vierges venir et les futurs baisers.</div> + </div> +</div> + + +<h5>VIII</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La fleur norme de la mer</div> + <div class="verse">close avec l'aurore sainte</div> + <div class="verse">Renaissait dans le gouffre amer</div> + <div class="verse">De tes prunelles d'hyacinthe.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dans tes cheveux d'or j'adorais,</div> + <div class="verse">Sous l'or caduc de leur couronne,</div> + <div class="verse">Les impriales forts</div> + <div class="verse">Et leur laticlave d'automne.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les peupliers glauques et blancs</div> + <div class="verse">Et la mollesse des prairies</div> + <div class="verse">Revivaient dans les gestes lents</div> + <div class="verse">De tes mains douces et fleuries.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais aujourd'hui que tu n'es plus</div> + <div class="verse">La prtresse et l'vocatrice,</div> + <div class="verse">Il faut les bois et les reflux</div> + <div class="verse">Pour que ta grce refleurisse</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les colchiques du matin</div> + <div class="verse">Ressuscitent dans ma pense</div> + <div class="verse">Ta pleur morne de satin,</div> + <div class="verse">O mensongre Fiance.</div> + </div> +</div> + + +<h5>IX</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tout l'heure, un essaim de mauves s'envolait,</div> + <div class="verse">Majestueux, au ras des vagues aurorales:</div> + <div class="verse">Les oiseaux fendaient l'air de leurs ailes gales</div> + <div class="verse">Et nageaient dans l'azur vers l'horizon de lait.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ils allaient: le soleil semait sur les prairies</div> + <div class="verse">Marines des fleurs d'or et de chrysobril</div> + <div class="verse">Et l'on et cru l-bas des papillons d'avril</div> + <div class="verse">Sur un champ constell de rares pierreries.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ils allaient: maintenant que dans le clair matin</div> + <div class="verse">La blancheur de leur vol splendide s'est fondue,</div> + <div class="verse">Je cherche obstinment au fond de l'tendue</div> + <div class="verse">Le souvenir neigeux de leur essor lointain.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Nul des flocons perdus dans les brumes d'opale</div> + <div class="verse">N'argente plus la plaine immobile des flots</div> + <div class="verse">Et la seule clameur des antiques sanglots</div> + <div class="verse">Monte plus tristement vers le lac du ciel ple.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O Chre, ple ciel d'amour qui te mirais</div> + <div class="verse">Dans la mer somptueuse et calme de mes rves</div> + <div class="verse">Quels abmes d'azur et d'Ocans sans grves</div> + <div class="verse">Ont englouti le vol de mes dsirs secrets?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je ne sais: le regard a lass ma prunelle,</div> + <div class="verse">La solitude morne emplit mon cœur, j'entends</div> + <div class="verse">Dans le double infini de l'espace et du temps</div> + <div class="verse">Monter le rle amer de l'angoisse ternelle.</div> + </div> +</div> + + +<h5>X</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je ne veux pas courber la tte sous tes pas</div> + <div class="verse">Ni baisser devant toi mes yeux; je ne suis pas</div> + <div class="verse">Un mendiant d'amour et d'aumnes charnelles</div> + <div class="verse">Et la honte des pleurs souillerait mes prunelles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais dans la nuit semblable mon cœur sombre et fier</div> + <div class="verse">J'irai dire mon mal aux vagues de la mer:</div> + <div class="verse">Elle me bercera la mer consolatrice</div> + <div class="verse">Avec des rhythmes lents et des chants de nourrice.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">J'couterai sa voix et je m'endormirai:</div> + <div class="verse">Comme un enfant, tandis qu'en un jardin sacr</div> + <div class="verse">Surgira, bleu de rve et parfum de menthe,</div> + <div class="verse">Le magique palais o tu seras clmente.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p41">POUR UNE ABSENTE</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je veux m'enfermer seul avec mon souvenir,</div> + <div class="verse">Immobile, oublieux des rafales d'automne</div> + <div class="verse">Qui font les frondaisons se rouiller et jaunir</div> + <div class="verse">Et de la mer roulant sa plainte monotone;</div> + <div class="verse">Je veux m'enfermer seul avec mon souvenir.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le demi-jour filtrant des toffes tendues</div> + <div class="verse">Sera doux et propice mon cœur nonchalant,</div> + <div class="verse">Quand je l'voquerai du fond des tendues,</div> + <div class="verse">Et sa voix emplira d'un hymne grave et lent</div> + <div class="verse">Le demi-jour filtrant des toffes tendues.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">J'aurai la vision chre devant les yeux:</div> + <div class="verse">Le souffle parfum de l'ineffable Absente</div> + <div class="verse">Flottera pour moi seul dans l'air silencieux,</div> + <div class="verse">Subtil comme une odeur de fraise dans la sente;</div> + <div class="verse">J'aurai la vision chre devant les yeux.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et je dirai tout bas ma tendresse latente;</div> + <div class="verse">O cœur lche, tremblant et rvolt, je veux</div> + <div class="verse">Que ton intime amour se rvle et la tente:</div> + <div class="verse">Tu te rsigneras l'effroi des aveux</div> + <div class="verse">Et je dirai tout bas ma tendresse latente.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p42">JOUVENCE</h4> + + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tu parles tristement des campagnes lointaines</div> + <div class="verse">D'une voix si dolente et lourde de regrets</div> + <div class="verse">Que je deviens jaloux des fleurs et des forts</div> + <div class="verse">Et des saules d'argent penchs vers les fontaines.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Souvenirs! jours anciens! comme vous enserrez</div> + <div class="verse">Notre me prisonnire en d'invincibles chanes:</div> + <div class="verse">Tu veux, comme autrefois, baigner les sombres chnes</div> + <div class="verse">Au clair de lune blond de tes cheveux cendrs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Soit! l't revenu parmi les hautes herbes,</div> + <div class="verse">Nous marcherons, frls par les ailes de l'air,</div> + <div class="verse">Au murmure divin des choses et ta chair</div> + <div class="verse">Mlera des parfums de Chypre aux foins en gerbes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et peut-tre qu'un soir entre de rudes draps</div> + <div class="verse">Embaums de lavande et dans un lit d'auberge</div> + <div class="verse">Tu me rendras ta chair et tes lvres de vierge,</div> + <div class="verse">Pour quelque amour d'enfant dont tu te souviendras.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p43">LA MORT INUTILE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Grgoire Le Roy.</i></p> +<blockquote class="epi"> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Cur non ipsa in morte relinquunt.</div> + </div> +</div> + +<p class="attr">(<span class="sc">Publius Vergilius Maro.</span>)</p> +</blockquote> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Triste comme la mer et la chanson des syrtes,</div> + <div class="verse">Le vent lourd de sanglots pleure dans la fort;</div> + <div class="verse">Un troupeau d'ombres va, parat, et disparat</div> + <div class="verse">Par les bois souterrains et les bosquets de myrtes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dfaillant dans l'horreur d'un ciel ensanglant,</div> + <div class="verse">Le soleil infernal baigne le ple espace;</div> + <div class="verse">Un troupeau d'ombres vient, revient, passe et repasse</div> + <div class="verse">En sa mlancolique et tremblante clart;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et ce sont travers les routes d'asphodle</div> + <div class="verse">Les fantmes hagards, pleins de larmes et lents</div> + <div class="verse">Dont les glaives d'amour ont dchir les flancs:</div> + <div class="verse">La mort n'a point ferm leur blessure immortelle,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le sommeil spulcral a leurr leurs yeux las</div> + <div class="verse">Et l'pre souvenir survivant la tombe</div> + <div class="verse">Tel qu'un vin corrosif, goutte par goutte, tombe</div> + <div class="verse">Dans leur cœur ulcr qui ne gurira pas.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p44">L'AME SEULE</h4> + +<p class="dedic"><i>A A.-Ferdinand Herold.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La bienfaisante nuit couvre la ville immense</div> + <div class="verse">D'o montaient vers le ciel des sanglots et des chants</div> + <div class="verse">Et la grande cit semble un lac de silence</div> + <div class="verse">Frl par la rumeur pacifique des champs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mer des vivants, mer furieuse qui te rues</div> + <div class="verse">Emportant dans tes plis les deuils et les baisers,</div> + <div class="verse">Tu roules tout le jour sur le pav des rues,</div> + <div class="verse">Mais le soir calme endort tes rles apaiss;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les rveurs amis des ncropoles saintes,</div> + <div class="verse">Dlivrs de la joie, affranchis du remords,</div> + <div class="verse">Errent par les soirs clairs et fleuris d'hyacinthes</div> + <div class="verse">Comme des immortels dans la maison des morts.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Hommes, laissez passer dans la nuit solitaire</div> + <div class="verse">Ceux qui foulent toujours des chemins non frays:</div> + <div class="verse">Les exils divins ont repeupl la terre</div> + <div class="verse">Et je me sens plus seul quand vous vous rveillez.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Quels dmons ont ptri de leur mains ironiques</div> + <div class="verse">Vos faces de mensonge et de stupidit,</div> + <div class="verse">Je ne sais, mais le mal suinte de vos tuniques</div> + <div class="verse">Et votre rire impur attente la beaut.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le matin revenu, soyez tels que vous tes.</div> + <div class="verse">Moi cuirass d'orgueil et de mpris serein</div> + <div class="verse">Entre mon cœur farouche et vos clameurs de btes</div> + <div class="verse">Je laisserai tomber une herse d'airain.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Je m'en irai l-bas vers la fort clmente:</div> + <div class="verse">Les arbres fraternels m'appellent doucement;</div> + <div class="verse">L'herbe bruit, l'eau des fontaines se lamente</div> + <div class="verse">Et rit comme une nymphe avec son jeune amant.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La fort a gard pour mon oreille seule</div> + <div class="verse">Les chants anciens et les fleurs nobles d'autrefois</div> + <div class="verse">Parfument jamais sa mmoire d'aeule</div> + <div class="verse">Et tous les rhythmes morts revivent dans sa voix.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les chnes musculeux portent de verts portiques,</div> + <div class="verse">O pareils des rois mes rves passeront</div> + <div class="verse">Et prs des dieux nouveaux, fils des taillis antiques,</div> + <div class="verse">Je plierai les genoux et courberai le front.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais retrouveras-tu la jeunesse premire,</div> + <div class="verse">O parleur orgueilleux, ivre d'un vin mauvais?</div> + <div class="verse">Et si dans la splendeur de la pure lumire</div> + <div class="verse">Ton rve tait moins beau que tu ne le rvais?</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ainsi qu'un porteur las dlivre ses paules</div> + <div class="verse">Tu voudrais rejeter les souvenirs humains</div> + <div class="verse">Et suivre le ruisseau qui court entre les saules</div> + <div class="verse">Et marcher tout le jour au hasard des chemins.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Va! tu n'entendrais plus les voix surnaturelles</div> + <div class="verse">Qui t'invitent la nuit, vers les magiques bois;</div> + <div class="verse">Dans les halliers saignant de mres et d'airelles</div> + <div class="verse">Tu serais poursuivi par les mauvaises voix.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Reste jusqu' la mort baign de crpuscule</div> + <div class="verse">Avec l'pre regret des astres radieux:</div> + <div class="verse">Tu n'es pas assez grand pour le manteau d'Hercule</div> + <div class="verse">Et pour te revtir de la pourpre des dieux.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p45">PETITS PAYSAGES</h4> + +<p class="dedic"><i>A Urbain Derbanne.</i></p> + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Une cume de fleurs, blanche et rose, s'tale</div> + <div class="verse">Sur la mer onduleuse et mouvante des prs</div> + <div class="verse">O ruisselle le flot des trfles empourprs,</div> + <div class="verse">Tandis que montent vers le nue orientale</div> + <div class="verse">Le meuglement des bœufs et la rumeur des bls.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le souffle langoureux des brises musicales</div> + <div class="verse">Chante dans les sainfoins en fleurs un hymne lent</div> + <div class="verse">Et grave et sous les rais du soleil aveuglant</div> + <div class="verse">Une fuite perdue et grise de cigales</div> + <div class="verse">S'enlve et vibre, au ras de l'herbe, en sautelant.</div> + </div> +</div> + + +<h5>III</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'quipe de pcheurs tire la grande senne</div> + <div class="verse">A basse mer, avant les vagues et le flux;</div> + <div class="verse">Et nul des rudes gars n'est manchot ni perclus,</div> + <div class="verse">Mais l'effort fait saillir et gonfler leur chair saine</div> + <div class="verse">Et les veines des bras musculeux et velus.</div> + </div> +</div> + + +<h5>IV</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le soleil tombe et des grappes de lilas sombre</div> + <div class="verse">Fleurissent la fort marine o Tthys dort</div> + <div class="verse">Sous un voile de pourpre aux filigranes d'or</div> + <div class="verse">Que trempe dans le sang de la clart qui sombre</div> + <div class="verse">L'invisible ouvrier du fabuleux dcor.</div> + </div> +</div> + + +<h5>V</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le ciel est gris comme une aile de tourterelle</div> + <div class="verse">Que teinterait un peu de rose vein d'or;</div> + <div class="verse">L-bas, le cap lointain dont la mchoire mord</div> + <div class="verse">L'horizon sombre est las de sa longue querelle</div> + <div class="verse">Et la brume a bris les dents du monstre mort.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p46">EN MORVAN</h4> + +<p class="dedic"><i>A Jacques Derbanne.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'ombre s'enroule aux flancs des collines farouches</div> + <div class="verse">Et pse sur les bois et les versants herbeux</div> + <div class="verse">O dorment lourdement les immobiles bœufs;</div> + <div class="verse">Elle fait grimacer les arbres et les souches</div> + <div class="verse">Des saules noirs pareils des jeteurs de sorts,</div> + <div class="verse">Tandis que par les vaux mystrieux et morts</div> + <div class="verse">Le monotone appel des hulottes rplique</div> + <div class="verse">Au sifflement du vent dans le houx mtallique</div> + <div class="verse">Qui vibre hostilement comme une armure et luit</div> + <div class="verse">Et l'eau sauvage hurle entre les roches grises,</div> + <div class="verse">Ainsi que dfaillant de hautes entreprises</div> + <div class="verse">Une guerrire blanche en fuite dans la nuit.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p47">L'EAU MORTE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Charles Bourgault Ducoudray.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'tang mystrieux dort parmi les bois sombres,</div> + <div class="verse">Eau de solitude, eau de silence, eau de songe,</div> + <div class="verse">Que le flot rose et blanc des bruyres prolonge;</div> + <div class="verse">Parfois des oiseaux noirs glissent comme des ombres</div> + <div class="verse">Entre les joncs tendus hors des sinistres ondes</div> + <div class="verse">Tels que des glaives d'or aux mains de reines blondes;</div> + <div class="verse">Et sous l'pre soleil pars en rayons mornes</div> + <div class="verse">Les nymphas chasss des limpides fontaines</div> + <div class="verse">O boivent, la nuit, les cerfs aux belles cornes,</div> + <div class="verse">Attendent tristement les toiles lointaines.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p48">RVE D'TALONS</h4> + +<p class="dedic"><i>A Edmond Haraucourt.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Une lourde vapeur rde sur les prairies;</div> + <div class="verse">La plaine calme dort au chant prochain des eaux</div> + <div class="verse">Et le vol pacifique et lent des grands oiseaux</div> + <div class="verse">Trane des filets d'ombre aux flots d'herbes fleuries.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'or brusque du soleil dborde dans l'azur</div> + <div class="verse">Et jaillit de la neige ardente des nues;</div> + <div class="verse">Puis le ciel morne enclt les splendeurs reflues</div> + <div class="verse">Dans ses digues de fer blouissant et dur.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des cris surnaturels et des glaives d'archanges</div> + <div class="verse">Bruissent dans l'ther magiquement: des voix</div> + <div class="verse">Rauques sonnent l'appel d'invisibles tournois</div> + <div class="verse">O se heurtent des dieux et des guerriers tranges.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les talons vautrs dans le tide gazon</div> + <div class="verse">Comme au ressouvenir pique des mles,</div> + <div class="verse">Eperdument, de leurs prunelles affoles</div> + <div class="verse">Parcourent l'tendue immense et l'horizon,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et par del le sable hroque des grves</div> + <div class="verse">Regardent, les naseaux gonfls d'un souffle amer,</div> + <div class="verse">Sur la montagne bleue et verte de la mer</div> + <div class="verse">Blanchir en galop fou les cavales des rves.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Convulsifs et dresss sur leurs jarrets tremblants,</div> + <div class="verse">Le col tendu vers les chimriques crinires</div> + <div class="verse">Ils sentent comme aux jours des fivres printanires</div> + <div class="verse">Les dsirs infinis aiguillonner leurs flancs.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais leur chair glorieuse en proie aux frissons vagues</div> + <div class="verse">Ddaigne dsormais les vieilles volupts</div> + <div class="verse">Et le vain dsespoir de leurs cœurs indompts</div> + <div class="verse">Hennit lugubrement vers le troupeau des vagues.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p49">MARBRE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Ernest Christophe.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les bois religieux se taisent; les oiseaux</div> + <div class="verse">Ont quitt la fort o meurt le bruit des eaux.</div> + <div class="verse">Seule en sa nudit de vierge et de guerrire</div> + <div class="verse">La desse de marbre habite la clairire</div> + <div class="verse">Et son corps impollu fait de rve et d'amour</div> + <div class="verse">Monte, lys immortel, parmi les fleurs d'un jour.</div> + <div class="verse">Ni fltes de bergers ni chansons de cigales:</div> + <div class="verse">Sauf le frissonnement des herbes amicales</div> + <div class="verse">Dont le flot souple ondule autour d'elle, nul bruit.</div> + <div class="verse">Parfois dans les fourrs un chevreuil brusque fuit</div> + <div class="verse">Farouche d'avoir vu briller la chair sans voiles</div> + <div class="verse">Et l'arc imprieux tendu vers les toiles.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p50">CRISTAL</h4> + +<p class="dedic"><i>A Emile Gall.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Noire sur le cristal ple et gris comme un ciel</div> + <div class="verse">D'hiver, la libellule nigmatique ploie</div> + <div class="verse">Les ailes dans l'air lourd et pestilentiel.</div> + <div class="verse">Ses immobiles yeux sans tristesse et sans joie</div> + <div class="verse">Cherchent sinistrement une invisible proie</div> + <div class="verse">Et planant sur l'eau verte et morte des marais,</div> + <div class="verse">Vers vos calices d'or, de pourpre et de tnbres,</div> + <div class="verse">Elle vole vers vos calices jamais,</div> + <div class="verse">Glauques fleurs qui nagez sur des tangs funbres</div> + <div class="verse">O se mire le deuil des pins et des cyprs.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p51">CRPON</h4> + +<p class="dedic"><i>A Judith Gautier.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Des oiseaux merveilleux ongls de griffes d'or</div> + <div class="verse">Tracent dans le ciel calme un candide sillage</div> + <div class="verse">Et la migration d'un ternel voyage</div> + <div class="verse">Tend vers des pics lointains leur immuable essor.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le caprice du peintre ouvrant les ailes vaines</div> + <div class="verse">Fige ironiquement loin des vierges sommets</div> + <div class="verse">Leur vol: blancs exils, vous n'atteindrez jamais</div> + <div class="verse">Les cimes que le soir vt de ples verveines.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais le rve des monts vous donne leur fiert,</div> + <div class="verse">L'eau des lacs inconnus frmit dans vos prunelles</div> + <div class="verse">Et l'hroque amour des neiges fraternelles</div> + <div class="verse">Illumine vos yeux de gloire et de clart:</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Telle malgr l'horreur des tnbres accrues</div> + <div class="verse">Mon me vole vers la pourpre des printemps</div> + <div class="verse">Et loin des monts neigeux et des lacs o je tends</div> + <div class="verse">Rve au parfum royal des roses disparues.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p52">L'IMPRATRICE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Mlle Gabrielle Herold.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les dieux d'un riche crpuscule</div> + <div class="verse">Parent d'or fauve et de joyaux</div> + <div class="verse">Les cactus, les lys sans macule</div> + <div class="verse">Et les chrysanthmes royaux;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">La pourpre du jour tombe et glisse</div> + <div class="verse">Sur les terrasses du jardin;</div> + <div class="verse">Le soleil meurt, l'Impratrice</div> + <div class="verse">Frle les fleurs avec ddain</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et songe, loin des soirs illustres,</div> + <div class="verse">Au lac blanc sous l'aube d'avril</div> + <div class="verse">O les frles herbes palustres</div> + <div class="verse">Semblaient des reines en exil.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p53">L'ASCTE</h4> + +<p class="dedic"><i>A Benjamin Constant.</i></p> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Aprs le jour de flamme et le labeur amer,</div> + <div class="verse">L'ascte hiratique accroupi sur la grve</div> + <div class="verse">Entendait rsonner une harpe de rve</div> + <div class="verse">Et son maigre lion dormait prs de la mer.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ni voix ni glissement des barques ou des ailes</div> + <div class="verse">Ne troublaient le silence effrayant et la paix</div> + <div class="verse">Du morne crpuscule pars dans l'air pais,</div> + <div class="verse">Et la bte songeait aux viandes des gazelles.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Mais l'homme ddaignant la tristesse du soir,</div> + <div class="verse">Consum d'une soif que rien ne dsaltre</div> + <div class="verse">Et que n'apaisent pas les coupes de la terre,</div> + <div class="verse">Regardait le soleil rougir l'horizon noir.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et voyait, en un ciel de pourpre et d'hyacinthe,</div> + <div class="verse">Les pieds clous, la chair tachant l'horrible croix,</div> + <div class="verse">Le Seigneur Jsus-Christ, fils de Dieu, Roi des rois,</div> + <div class="verse">Sinistrement saigner sur la montagne sainte.</div> + </div> +</div> + + + + +<h4 id="p54">MESSE DES MORTS</h4> + +<p class="dedic"><i>A Bernard Lazare.</i></p> + +<h5>LES ORGUES</h5> + +<blockquote class="epi"> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Requiem ternam dona eis, Domine.</div> + </div> +</div> + +</blockquote> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Seigneur, ces plerins des routes de la vie</div> + <div class="verse">Ont pein tout le jour vers le terme divin:</div> + <div class="verse">Au lieu des puits d'eau vive et des outres de vin,</div> + <div class="verse">Ils se dsaltraient aux calices d'envie.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Desschs par le hle et brl par le ciel</div> + <div class="verse">Torride, haletant de la soif infinie,</div> + <div class="verse">Ils ont bu, comme Christ en sa lente agonie,</div> + <div class="verse">La mauvaise liqueur de vinaigre et de fiel.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Sous les savantes mains d'atroces sagittaires,</div> + <div class="verse">Des flches s'envolaient vers eux d'arcs inconnus</div> + <div class="verse">Et d'invisibles fouets mordaient leurs torses nus</div> + <div class="verse">Et du mtal ardent coulait dans leurs artres.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ils marchaient pesamment sous le faix de leurs croix</div> + <div class="verse">Avec le seul espoir de ta bont future;</div> + <div class="verse">Mais les loups de l'enfer guettent la crature</div> + <div class="verse">Et happent en chemin l'me que tu mcrois;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'inextinguible feu hurle dans la ghenne</div> + <div class="verse">Et les damns jets aux abmes grondants</div> + <div class="verse">N'apaisent point la faim terrible de ses dents</div> + <div class="verse">Et son gosier froce est aviv de haines;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">N'carte pas de toi les fidles troupeaux;</div> + <div class="verse">Le soir descend; aprs les heures sans prairies,</div> + <div class="verse">Voici l'instant rv des calmes bergeries:</div> + <div class="verse">Ouvre, Pasteur des morts, le bercail de repos.</div> + </div> +</div> + + +<h5>LES VIOLONS</h5> + +<blockquote class="epi"> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et lux perpetua luceat eis.</div> + </div> +</div> + +</blockquote> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Seigneur, ces exils de la seule patrie</div> + <div class="verse">Criaient vers toi du fond des gouffres tnbreux;</div> + <div class="verse">Piti, fais ruisseler des nuages sur eux</div> + <div class="verse">La source de splendeur promise en Samarie.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Que la mort leur devienne un baptme: revts</div> + <div class="verse">Leurs flancs martyriss de robes de lumire</div> + <div class="verse">Et donne leur essor dans la gloire premire</div> + <div class="verse">Aux cygnes chapps aux piges du Mauvais.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Magnifiques et purs, aprs la lutte rude,</div> + <div class="verse">Ils voleront vers les parterres triomphaux</div> + <div class="verse">O des lys, mprisant la morsure des faux,</div> + <div class="verse">Fleurissent dans la joie et la batitude,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tandis que le soleil d'un ineffable t</div> + <div class="verse">Inonde d'or brlant les roses et dilate</div> + <div class="verse">Les parfums pandus des coupes d'carlate</div> + <div class="verse">Et que l'ther subtil chante l'ternit.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Rappelle au nid ferm les frissonnantes mes</div> + <div class="verse">Et les ailes d'amour monteront vers l'Amant</div> + <div class="verse">A travers l'harmonie et l'blouissement</div> + <div class="verse">Des musiques, des voix, des splendeurs et des flammes,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les sicles futurs et ceux qui ne sont plus</div> + <div class="verse">Tressailleront en toi d'une mme allgresse</div> + <div class="verse">En oyant tel qu'un chant et tel qu'une caresse</div> + <div class="verse">Frmir au ciel nouveau le vol blanc des lus.</div> + </div> +</div> + + +<h5>LES VIVANTS</h5> + +<blockquote class="epi"> +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Agnus Dei qui tollis peccata mundi</div> + <div class="verse">dona eis requiem.</div> + </div> +</div> + +</blockquote> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Seigneur, Seigneur, Seigneur, impitoyable matre,</div> + <div class="verse">Nous sommes las des jours et des soleils maudits:</div> + <div class="verse">Epargne aux dlivrs l'horreur du paradis,</div> + <div class="verse">Laisse les morts dormir en paix et ne plus tre.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tant de clous ont perc leurs membres ici-bas</div> + <div class="verse">Que nul flot baptismal rdempteur de leurs peines</div> + <div class="verse">Ne laverait les maux et les douleurs humaines</div> + <div class="verse">Et que ton repentir ne leur suffirait pas.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Ils entendraient, au lieu des sublimes cantiques</div> + <div class="verse">Flottant parmi l'encens des lys panouis,</div> + <div class="verse">Monter de l'Ocan tumultueux des nuits</div> + <div class="verse">Le rle inexpi des souffrances antiques;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Rumeur d'airain, sanglot cruel d'un tympanon</div> + <div class="verse">Dont une main haineuse a secou les cordes,</div> + <div class="verse">Le souvenir rirait de tes misricordes,</div> + <div class="verse">La voix de tes lus blasphmerait ton nom.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Roi du ciel, reste seul dans ta gloire excre</div> + <div class="verse">Formidable, sereine et libre de remords;</div> + <div class="verse">O bourreau des vivants, ne touche pas aux morts,</div> + <div class="verse">Et quand viendra pour nous la suprme vespre,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Quand les vers rongeront les os de nos genoux,</div> + <div class="verse">Accorde notre chair en tardive clmence</div> + <div class="verse">Non les vaines clarts, mais l'ombre, le silence,</div> + <div class="verse">Le sommeil et l'oubli de toi-mme et de nous.</div> + </div> +</div> + + + + +<h3>LA VANIT DU VERBE</h3> + + + + +<h4 id="p55">LA VANIT DU VERBE</h4> + + +<h5>I</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le Runoa, le prince altier du Verbe d'or,</div> + <div class="verse">Est las de la nature et des formes antiques</div> + <div class="verse">O l'bauche du monde est imparfaite encor;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les bois noirs et leur chant de harpes prophtiques</div> + <div class="verse">Et les monts violets endormis sous le ciel,</div> + <div class="verse">Et les brumes d'argent sur les vagues baltiques,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et les brises de fleurs et les parfums de miel,</div> + <div class="verse">Et tous les souvenirs alourdis de mystre</div> + <div class="verse">Gonflent son cœur amer de mpris et de fiel.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">En son tre, cras par l'ennui solitaire</div> + <div class="verse">Crot, avec le dgot de sa virginit,</div> + <div class="verse">Le dsir d'voquer une nouvelle terre,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Un monde jeune, un paradis illimit,</div> + <div class="verse">Revtu d'aubpine immortelle et d'yeuses</div> + <div class="verse">Sous les glaces d'hiver et les soleils d't,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">O des crations de femmes radieuses</div> + <div class="verse">Se mleraient d'amour de mles hros</div> + <div class="verse">En des lits de gazon sems de scabieuses.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le Matre dploya l'art magique des Mots:</div> + <div class="verse">Un subit univers naissait de ses paroles</div> + <div class="verse">Comme la perle nat du bruit rhythm des flots.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Une profusion sanglante de corolles</div> + <div class="verse">S'veillait et germait du rve des Avrils</div> + <div class="verse">Et l'azur flamboyait de fauves auroles,</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tandis que les forts et les guerriers virils,</div> + <div class="verse">Les femmes ples et les belles chevelures</div> + <div class="verse">Jaillissaient de l'abme au gr des chants subtils.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Alors, imaginant les caresses futures,</div> + <div class="verse">Le sublime ouvrier du Verbe perdument</div> + <div class="verse">Songeait un songe blanc ptri de neiges pures.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Il disait son extase et son ravissement,</div> + <div class="verse">Et s'enivrait de la liqueur de la Pense</div> + <div class="verse">Et sa voix enfantait l'ineffable Tourment;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Elle faisait surgir au jour la fiance</div> + <div class="verse">Surhumaine, et la Femme idale venait</div> + <div class="verse">Divinement resplendissante et cadence.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Elle marchait sur la bruyre et le gent</div> + <div class="verse">Et des astres vivaient au fond de sa prunelle;</div> + <div class="verse">Un silence d'hymen et de baisers planait.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Le Runoa, joyeux de l'œuvre faite, en elle</div> + <div class="verse">Se plongeait comme dans un ocan de lys</div> + <div class="verse">Et tombait bloui de la Forme ternelle</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Dans le gouffre effrayant des rves accomplis.</div> + </div> +</div> + + +<h5>II</h5> + +<div class="poetry"> + <div class="stanza"> + <div class="verse">La contemplation dura cent mille annes;</div> + <div class="verse">Quand le Matre sortit des songes clatants,</div> + <div class="verse">Des gnrations hideuses taient nes.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Les Rhythmes taient morts; les rires insultants</div> + <div class="verse">Grimaaient; le soleil blme sur les prairies</div> + <div class="verse">Sans fleurs pleurait les jours anciens et les printemps;</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">L'pouse maquille, pre de pierreries,</div> + <div class="verse">Se raillait du Pote et du Rve divin</div> + <div class="verse">Et se prostituait aux races amoindries.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Lorsque le Dmiurge eut vu ce qui devint,</div> + <div class="verse">Un dsespoir immense emplit son me sombre;</div> + <div class="verse">Il comprit que le Verbe tait stupide et vain</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Et cria dans la nuit: Puisque tout croule et sombre,</div> + <div class="verse">Aprs l'œuvre magique et sublime du Chant,</div> + <div class="verse">O paroles, rentrez dans le gouffre de l'ombre.</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Va, monde! abme-toi, triste soleil couchant!</div> + <div class="verse">Disparais d'un seul coup dans le nant avide!</div> + <div class="verse">Fonds-toi dans ma fureur comme un lingot d'argent!</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Plus rien ne fut; la nuit par le ciel morne et vide</div> + <div class="verse">Roula son voile noir sur la fausse splendeur</div> + <div class="verse">Et le Matre, absorb dans le chaos livide</div> + </div> + + <div class="stanza"> + <div class="verse">Tut—pour l'ternit—le Verbe crateur.</div> + </div> +</div> + + + + +<h2>TABLE</h2> + + +<table summary="Table des matires"> +<tr> +<td class="ind" colspan="2"><i>DDICACE</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">A LA MMOIRE D'PHRAM MIKHAL</td> +<td class="num"><a href="#p1">7</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="c" colspan="2">DE SABLE ET D'OR</td> +</tr> +<tr> +<td class="ind" colspan="2"><i>LES FLEURS NOIRES</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LES FLEURS NOIRES</td> +<td class="num"><a href="#p2">13</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LE DIEU MORT</td> +<td class="num"><a href="#p3">15</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">RUINES</td> +<td class="num"><a href="#p4">17</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">PAR LA NUIT D'AUTOMNE</td> +<td class="num"><a href="#p5">19</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">SOLITUDE</td> +<td class="num"><a href="#p6">21</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">PAROLES SUR LA TERRASSE</td> +<td class="num"><a href="#p7">23</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">L'AUTOMNE A DNUD LES GLBES</td> +<td class="num"><a href="#p8">25</a></td> +</tr> +<tr> +<td colspan="2" class="ind"><i>LES VAINES IMAGES</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">PSYCH</td> +<td class="num"><a href="#p9">29</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LIANE</td> +<td class="num"><a href="#p10">31</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">HYMNIS</td> +<td class="num"><a href="#p11">37</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">CHRYSARION</td> +<td class="num"><a href="#p12">40</a></td> +</tr> +<tr> +<td colspan="2" class="ind"><i>L'ERRANTE</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">L'ERRANTE</td> +<td class="num"><a href="#p13">45</a></td> +</tr> +<tr> +<td colspan="2" class="ind"><i>VERS L'AURORE</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LES AUMNIRES</td> +<td class="num"><a href="#p14">59</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">MARE TENEBRARUM</td> +<td class="num"><a href="#p15">61</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LE PLERINAGE HORS DE L'OMBRE</td> +<td class="num"><a href="#p16">63</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">NATIVIT</td> +<td class="num"><a href="#p17">67</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LE CHVRE-PIEDS</td> +<td class="num"><a href="#p18">69</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">FLAMMES</td> +<td class="num"><a href="#p19">71</a></td> +</tr> +<tr> +<td colspan="2" class="ind"><i>LE JARDIN DE CASSIOPE</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LE JARDIN DE CASSIOPE</td> +<td class="num"><a href="#p20">75</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">VOIX DERRIRE LA HAIE</td> +<td class="num"><a href="#p21">78</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LA DOULEUR A CRI</td> +<td class="num"><a href="#p22">82</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="c" colspan="2">LA GLOIRE DU VERBE</td> +</tr> +<tr> +<td colspan="2" class="ind"><i>LA GLOIRE DU VERBE</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LA GLOIRE DU VERBE</td> +<td class="num"><a href="#p23">89</a></td> +</tr> +<tr> +<td colspan="2" class="ind"><i>LES MYTHES</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">L'AVENTURIER</td> +<td class="num"><a href="#p24">97</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LE BOIS SACR</td> +<td class="num"><a href="#p25">102</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LES CAPTIFS</td> +<td class="num"><a href="#p26">109</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LES YEUX D'HLNE</td> +<td class="num"><a href="#p27">115</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">SCHAOUL</td> +<td class="num"><a href="#p28">117</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">RESSOUVENIR</td> +<td class="num"><a href="#p29">120</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">GOETTERDAEMMERUNG</td> +<td class="num"><a href="#p30">122</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LA FILLE AUX MAINS COUPES</td> +<td class="num"><a href="#p31">124</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LA PEUR D'AIMER</td> +<td class="num"><a href="#p32">136</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LE PRINCE D'AVALON</td> +<td class="num"><a href="#p33">138</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">CELLE QU'ON FOULE</td> +<td class="num"><a href="#p34">141</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LA VOIX IMPRISSABLE</td> +<td class="num"><a href="#p35">149</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="ind" colspan="2"><i>MAYA</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">THAS</td> +<td class="num"><a href="#p36">157</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">JUDEX</td> +<td class="num"><a href="#p37">160</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">CHAMBRE D'AMOUR</td> +<td class="num"><a href="#p38">162</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">PRINTEMPS D'AUTOMNE</td> +<td class="num"><a href="#p39">164</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LIEDER</td> +<td class="num"><a href="#p40">166</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">POUR UNE ABSENTE</td> +<td class="num"><a href="#p41">179</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">JOUVENCE</td> +<td class="num"><a href="#p42">181</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LA MORT INUTILE</td> +<td class="num"><a href="#p43">183</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">L'AME SEULE</td> +<td class="num"><a href="#p44">185</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">PETITS PAYSAGES</td> +<td class="num"><a href="#p45">189</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">EN MORVAN</td> +<td class="num"><a href="#p46">191</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">L'EAU MORTE</td> +<td class="num"><a href="#p47">192</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">RVE D'TALONS</td> +<td class="num"><a href="#p48">193</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">MARBRE</td> +<td class="num"><a href="#p49">195</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">CRISTAL</td> +<td class="num"><a href="#p50">196</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">CRPON</td> +<td class="num"><a href="#p51">197</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">L'IMPRATRICE</td> +<td class="num"><a href="#p52">199</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">L'ASCTE</td> +<td class="num"><a href="#p53">200</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">MESSE DES MORTS</td> +<td class="num"><a href="#p54">202</a></td> +</tr> +<tr> +<td class="ind" colspan="2"><i>LA VANIT DU VERBE</i></td> +</tr> +<tr> +<td class="drap">LA VANIT DU VERBE</td> +<td class="num"><a href="#p55">209</a></td> +</tr> +</table> + + + +<p class="cbreak"><i>ACHEV D'IMPRIMER</i><br/> +le trente octobre mil huit cent quatre-vingt-dix-sept<br/> +<span class="small">PAR</span><br/> +L'IMPRIMERIE V<sup>ve</sup> ALBOUY<br/> +<span class="small">POUR LE</span><br/> +<span class="large">MERCVRE</span><br/> +<span class="small">DE</span><br/> +FRANCE</p> + + + + + + + + +<pre> + + + + + +End of Project Gutenberg's La lyre hroque et dolente, by Pierre Quillard + +*** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA LYRE HROQUE ET DOLENTE *** + +***** This file should be named 44359-h.htm or 44359-h.zip ***** +This and all associated files of various formats will be found in: + http://www.gutenberg.org/4/4/3/5/44359/ + +Produced by Laurent Vogel and the Online Distributed +Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was +produced from images generously made available by the +Bibliothque nationale de France (BnF/Gallica) at +http://gallica.bnf.fr) + + +Updated editions will replace the previous one--the old editions +will be renamed. + +Creating the works from public domain print editions means that no +one owns a United States copyright in these works, so the Foundation +(and you!) can copy and distribute it in the United States without +permission and without paying copyright royalties. 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Of course, we hope that you will support the Project +Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by +freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of +this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with +the work. You can easily comply with the terms of this agreement by +keeping this work in the same format with its attached full Project +Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. + +1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern +what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in +a constant state of change. If you are outside the United States, check +the laws of your country in addition to the terms of this agreement +before downloading, copying, displaying, performing, distributing or +creating derivative works based on this work or any other Project +Gutenberg-tm work. 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Additional terms will be linked +to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the +permission of the copyright holder found at the beginning of this work. + +1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm +License terms from this work, or any files containing a part of this +work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. + +1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this +electronic work, or any part of this electronic work, without +prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with +active links or immediate access to the full terms of the Project +Gutenberg-tm License. + +1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, +compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any +word processing or hypertext form. However, if you provide access to or +distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than +"Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version +posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), +you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a +copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon +request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other +form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm +License as specified in paragraph 1.E.1. + +1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, +performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works +unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. + +1.E.8. 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It exists +because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from +people in all walks of life. + +Volunteers and financial support to provide volunteers with the +assistance they need, are critical to reaching Project Gutenberg-tm's +goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will +remain freely available for generations to come. In 2001, the Project +Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure +and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. +To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation +and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 +and the Foundation web page at http://www.pglaf.org. + + +Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive +Foundation + +The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit +501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the +state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal +Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification +number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at +http://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent +permitted by U.S. federal laws and your state's laws. + +The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. +Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered +throughout numerous locations. Its business office is located at +809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email +business@pglaf.org. Email contact links and up to date contact +information can be found at the Foundation's web site and official +page at http://pglaf.org + +For additional contact information: + Dr. Gregory B. Newby + Chief Executive and Director + gbnewby@pglaf.org + + +Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg +Literary Archive Foundation + +Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide +spread public support and donations to carry out its mission of +increasing the number of public domain and licensed works that can be +freely distributed in machine readable form accessible by the widest +array of equipment including outdated equipment. Many small donations +($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt +status with the IRS. + +The Foundation is committed to complying with the laws regulating +charities and charitable donations in all 50 states of the United +States. 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Donations are accepted in a number of other +ways including checks, online payments and credit card donations. +To donate, please visit: http://pglaf.org/donate + + +Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic +works. + +Professor Michael S. Hart is the originator of the Project Gutenberg-tm +concept of a library of electronic works that could be freely shared +with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project +Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. + + +Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed +editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. +unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily +keep eBooks in compliance with any particular paper edition. + + +Most people start at our Web site which has the main PG search facility: + + http://www.gutenberg.org + +This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, +including how to make donations to the Project Gutenberg Literary +Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to +subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks. + + +</pre> + +</body> +</html> diff --git a/old/44359-h/images/cover.jpg b/old/44359-h/images/cover.jpg Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..f7bcc21 --- /dev/null +++ b/old/44359-h/images/cover.jpg diff --git a/old/44359-h/images/mercure.png b/old/44359-h/images/mercure.png Binary files differnew file mode 100644 index 0000000..860f580 --- /dev/null +++ b/old/44359-h/images/mercure.png |
